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1756, 07, vol. 1-2, 08-09
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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
JUILLET. 1756 .
PREMIER VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine .
fc.
Chez
Cochin
Filius inv
PapillonSculp
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais .
PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Anguftins.,
Avec Approbation & Privilege da Roi,
HE NEW YORK
UBLIC LIBRARY
335202
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1905
AVERTISSEMENT.
E Bureau du Mercure eft cher M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis an
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à lapartie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la poſte , payeront
pourfeize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payéront comme à Paris
qu'à raison de 30 fols par volume , c'eſt-àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreſſe ci - deſſus.
A ij
On Supplie lesperfonnes des provinces d'en-"
voyerpar la poste , enpayant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance an
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis
resteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ;
Mercredi & Jeudi de chaque femaine , aprèsmidi,
On peut se procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainſi que les Livres
, Eflampes & Mufique qu'ils annoncent,
On prie les perfonnes qui envoient des Li
vres , Eftampes & Mufiques à annoncer ,
d'en marquer le prix,
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET . 1756.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
A Daphné , fur un Miroir de Toilette.
Cette glace à mon coeur va devenir ſemblable ;
Elle doit recevoir l'éclat de vos attraits :
Je jouirai pourtant d'un deftin préférable ;
Ce Miroir , en ceffant de rencontrer vos traits ,
Ceffera d'exprimer votre figure aimable ,
Et mon coeur plus conftant ne la perdra jamais.
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
RÉPONSE.
Non , je n'en croirai point le galant parallele
Que me fait Coridon du coeur & du Miroir ;
L'un eft plus féduiſant , mais l'autre eft plus fidele ::
L'un rend ce qu'il a vu , l'autre ce qu'il croit voir.
Petits amours , charmans Apelles ,
Vos fragiles couleurs ne durent qu'un printemps :
Dans le coeur des Bergers vous nous peignez bien
belles ;
Mais vous ne peignez pas long- tems.
A MONSEIGNEUR
LE CARDINAL DE GES VRES.
Calendes des Curés du Diocèse de Beauvais.
Quan Uand le canon de vos remparts ,
Retentiffant de toutes parts ,
Eut ronflé l'heureufe nouvelle
Qui fatisfait notre amour
notre zele ,
Nos Curés difpos & gaillards
Furent remplis , fous leurs toits campagnards
D'une alégreffe mutuelle..
Pour marquer en ces jours fameux
Toute notre réjouiffance ,
JUILLET . 1756. 1
Et demander par mille voeux
Le bonheur de votre Eminence ,
Qui doit faire plus d'un heureux ,
On adreffa dans tous nos Prefbyteres
Beaucoup de lettres circulaires ,
Qui condamnoient aux dépens des repas
Tous ceux qui ne s'y rendroient pas.
Maints jours de fête & de calendes
Par ces lettres l'on indiqua :
Pas un d'entre nous n'y manqua',
(Non que l'on eût peur des amandes ,
Mais le plaifir nous ý porta ) :
Dans tous les lieux qu'on nous marqua
On nous vit arriver par bandes.
Le dîner fur table fervi
Avec le fouper tout- enfemble ,
( L'un de l'autre eft toujours fuivi
Lorfque le plaifir nous raffemble ) ,
L'on parla peu d'abord , l'on tint menus propos's
Il faut que la faim fe foulage ,
Et que l'on vuide quelques pots :
Mais l'on s'étendit davantage
Sur le chapitre des chapeaux.
A ce mot feul on fe réveille ,
On reffent un charme fecret ,
Et chacun de vous dit merveille :
Peut-on tarir fur ce fujet ? -
L'un loua cette politeffe
Qui nous éleve juſqu'à vous ,
A iv
8 MERCURE DE FRANCE .
L'autre parla de la tendreffe
Que votre Eminence a pour nous :
Tous releverent la fageffe
Du gouvernement le plus doux.
Pas un feul mot de Bénéfice ,
On ne permuta point ce jour ;
Mais l'on répéta tour à tour
Qu'on vous avoit rendu juſtice.
Perfonne de nous ne finit
Sur un fujet auffi louable :
De notre Prélat refpectable
Nous dîmes ce qu'un enfant dit
D'un pere ami , d'un pere aimable
Qu'il refpecte , honore & chérit.
Tels étoient les propos de table ,
Lorfqu'un gros Curé réjoui ,
Dont le menton à triple étage
Etoit le pendant d'un viſage
Par le champagne épanoui ;
Allons , dit- il , chers camarades ,
Qu'on nous ferve à pleines rafades :
Chacun entendit le fignal ;
Et pour entrer dans ſa penſée ,
Tout notre cercle clérical
But la liqueur bientôt verſée
la fanté du nouveau Cardinal.
On redoubla , tripla ; nos verres
Sont auffi - tôt remplis que bus :
Comme le vin ne manquoit gueres ,
JUILLET. 1756. 9
On but à toutes vos vertus.
Si votre fanté n'eſt pas bonne ,
C'eft grand dommage , Monfeigneur ;
Nous l'avons bue & de grand coeur
Plus de cent fois , Dieu me pardonne ,
Pleins de bon fens & de raiſon ,
( Quand on boit à votre fervice ,
On ne la perd jamais ) chacun de ſa maiſon
Prend la route , fans préjudice
Au mot donné d'aller chez le voiſin
Reprendre un pareil exercice :
Tout au plus tard le lendemain .
Par un Curé de Village , du Diocèse de
Beauvais.
Le premier Mai 1756 .
LE SCRUPULE ,
Ou l'Amour mécontent de lui - même.
LE Ciel foit loué , dit Belife en quittant
le dueil de fon époux , je viens de remplir
un devoir bien affligeant & bien pénible :
il étoit temps que cela finîr . Se voir livrée
des l'âge de feize ans à un homme qu'on ne
conroît pas ; paffer les plus beaux jours
de fa vie dans l'ennui , la diffimulation
la fervitude ; être l'efclave & la victime
A v
to MERCURE DE FRANCE .
d'un amour qu'on infpire & qu'on ne
fçauroit partager , quelle épreuve pour la
vertu ! Je l'ai fubie , m'en voilà quitte. Je
n'ai rien à me reprocher : car enfin je n'ai
point aimé mon époux ; mais j'ai fait femblant
de l'aimer , & cela eft bien plus héroïque.
Je lui ai été fidelle malgré fa ja
loufie : en un mot , je l'ai pleuré. C'eſt ,,
je crois , porter la bonté d'ame auffi loin
qu'elle peut aller. Enfin rendue à moimême
, je ne dépends plus que de ma volonté
, & ce n'eft que d'aujourd'hui que je
vais commencer à vivre . Ah ! comme mon
coeur va s'enflammer , fi quelqu'un parvient
à me plaire : mais confultons- nous.
bien avant que de livrer notre coeur , & ne
courons , s'il eft poffible , ni le rifque de
ceffer d'aimer , ni celui de ceffer d'être
aimée. Ceffer d'être aimée ! cela eft difficile
, reprit- elle en confultant fon miroir ;
mais ceffer d'aimer eft encore pis. Lemoyen
de feindre long-temps un amour:
qu'on ne fent plus , je n'en aurois jamais
la force : quitter un homme après l'avoir
pris , eft une effronterie qui me paffe ; &
puis , les plaintes , le défefpoir , les éclats
d'une rupture , tout cela eft affreux. Aimons :
puifque le Ciel nous a donné un coeur
fenfible ; mais aimons pour toute la vie ,
ne nous flättons point fur ces goûts
JUILLET. 1736.
paffagers , ces fantaifies capricieufes qu'on
prend fi fouvent pour l'amour. J'ai le
temps de choisir & de m'éprouver : il ne
s'agit , pour éviter toute furprife , que de
me former une idée bien claire & bien
précife de l'amour. J'ai lu que l'amour eft
une paffion qui de deux ames n'en fait
qu'une , qui les pénétre en même temps &
les remplit l'une de l'autre , qui les détache
de tout , qui leur tient lieu de tout ,
& qui fait de leur bonheur mutuel leur
foin & leur défir unique . Tel eft l'amour
fans doute ; & d'après cette idée , il me
fera bien aiſé de diftinguer en moi-même
& dans les autres l'illufion de la réalité.
Sa premiere épreuve fe fit fur un jeune
Magiftrat avec qui le partage de la fucceffion
de fon époux l'avoit mife en relation ..
Le Préfident de S.. avec une figure aimable,.
un efprit cultivé , un caractere doux &
fenfible , étoit fimple dans fa parure , na--
turel dans fon maintien , modefte dans fes
propos. Il ne fe piquoit d'être connoiffeur
ni en équipages , ni en pompons : Il ne parloit
point de fes chevaux aux femmes , ni
de fes bonnes fortunes aux hommes. 11 .
avoit tous les talens de fon état fans oftentation
, & tous les agrémens d'un homme
du monde fans ridicule . Il étoit le mêmeau
palais & dans la fociété , non qu'il
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
opinât dans un ffoouuppeerr , ni qu'il plaifantât
à l'audience ; mais comme il n'affectoit
rien , il n'étoit jamais déguisé.
Belife fut touchée d'un mérite fi rare. Il
avoit gagné fa confiance : il obtint fon
amitié , & fous ce nom le coeur va bien
loin. La fucceffion du mari de Beliſe étant
réglée , me feroit- il permis , dit un jour le
Préfident à la veuve , de vous demander
une confidence ? vous propofez-vous de
demeurer libre , ou le facrifice de votre
liberté fera- t'il encore un heureux ? Non
Monfieur , lui dit- elle , j'ai trop de délicateffe
pour faire jamais un devoir à perfonne
de ne vivre que pour moi. Ce devoir
feroit bien doux , reprit le galant Magiftrat
, & je crains bien que fans votre aveu
plus d'un amant ne fe l'impofe. A la bonne
heure , dit Belife , qu'on m'aime fans y être
obligé , c'eſt le plus flatteur de tous les
hommages. Cependant , Madame , je ne
vous foupçonne point d'être coquette . Oh !
vous auriez tort : j'ai la coquetterie en
horreur. Mais vouloir être aimée fans aimer....
Et qui vous dit , Monfieur , que je
n'aimerai point ? on ne prend pas de ces
réſolutions à mon âge. Je ne veux ni gêner,
ni être gênée : voilà tout. Fort bien , vous
voulez que l'engagement ceffe où finira
le penchant. Je veux que l'un & l'autre
JUILLET. 1756. 13
foit éternel , & c'eft pour cela que je veux
éviter jufqu'à l'ombre de la contrainte . Je
me fens capable d'aimer toute ma vie en
liberté ; mais à vous parler vrai , je ne
répondrois pas d'aimer deux jours dans
l'esclavage .
Le Préfident vit bien qu'il falloit ménager
fa délicateffe , & fe contenter avec
elle de la qualité d'ami . Il eut la modeſtie
de s'y réduire , & dès- lors tout ce que
l'amour a de plus tendre fut mis en ufage
pour la toucher. Il y parvint. Je ne vous
dirai point par quels degrés la fenfibilité
de Belife étoit chaque jour plus émue ;
qu'il vous fuffife de fçavoir qu'elle en
étoit au point où la fageffe en équilibre
avec l'amour , n'attend plus qu'un léger
effort pour laiffer pencher la balance. Ils
en étoient là , & ils étoient tête à tête . Les
yeux du Préfident enflammés d'amour , dévoroient
les charmes de Belife , il preffoit
tendrement fa main . Belife tremblante ,
refpiroit à peine. Le Préfident la follicitoit
avec l'éloquence paffionnée du défir. Ah !
Préfident , lui dit- elle enfin ' , feriez- vous
capable de me tromper ? A ces mots le
dernier foupir de la pudeur fembloit expirer
fur fes levres. Non , Madame , lui
dit- il , c'eft mon coeur , c'eft l'amour même
qui vient de parler par ma bouche , & que
16 MERCURE DE FRANCE.
lui , & je ne balance point à prendre parti
pour ce petit animal contre l'homme du
monde que je croyois aimer le plus . N'eftce
point là un amour bien vif, bien folide
& bien tendre ? & voilà comme nous prenons
nos idées pour les fentimens : on s'eft
échauffé la tête , & l'on croit avoir le coeur
enflammé on part delà pour faire toutes
fortes de fottifes. L'illufion ceffe , le dégoût
furvient ; il faut effuyer l'ennui d'être conftante
fans amour , ou changer avec indécence.
Oh ! mon cher Joujou , que ne te
dois-je pas ? C'est toi qui m'as détrompée :
fans toi je ferois , peut- être en ce moment
, accablée de confufion & déchirée
de remords . Soit que Belife aimât ou n'aimât
point le Préfident , car ces fortes de
queftions ne roulent guere que fur l'équi
voque des termes , il eft certain qu'à force
de fe dire qu'elle ne l'aimoit pas ,
elle
vint à s'en convaincre ; & un jeune Militaire
acheva bientôt de le lui perfuader.
par-
Lindor venoit d'obtenir une Compagnie
de Cavalerie , au fortir des Pages. La fraî
cheur de la jeuneffe , l'impatience du défir ,
l'étourderie & la légereté , qui font des
graces à feize ans , & des ridicules à trente ,
rendirent intéreffant aux yeux de Belife
cet enfant bien né , qui avoit l'honneur
d'appartenir à la famille de fon époux.
JUILLET. 1756. 17
Lindor s'aimoit beaucoup lui - même
comme de raiſon ; il fçavoit qu'il étoit
bien- fait , & d'une figure charmante. Il le
difoit quelquefois ; mais il rioit de fi bon
coeur après l'avoir dit ; il montroit en riant
une bouche fi fraîche & de fi belles dents ,
qu'on pardonnoit ces naïvetés à fon âge. Il
mêloit d'ailleurs des fentimens fi fiers & fi
nobles aux enfantillages de l'amour- propre,
que tout cela enſemble n'avoit rien que
d'intéreſſant : il vouloit avoir une jolie
Maîtreffe , & un excellent cheval de bataille
; il fe regardoit dans une glace faifant
l'exercice à la Pruffienne. Il prioit Belife
de lui prêter le Sopha couleur de rofe , & lui
demandoit fi elle avoit lu le Polibe de Folard.
Il lui tardoit d'être au printemps
pour avoir un habit délicieux en cas de
paix ,, ou pour entrer en campagne s'il y
avoit guerre. Ce mêlange de frivolité &
d'héroïſme , eft peut-être ce qu'il y a de
plus féduifant aux yeux d'une femme. Un
preffentiment confus que cette jolie petite
créature qui badine à une toilette , qui
fe careffe , qui fe mire va peut -être
dans deux mois fe précipiter à travers les
batteries dans un bataillon ennemi , ou
grimper comme un Grenadier fur une
breche minée ; ce preffentiment donne
aux gentilleffes d'un petit- maître un carac
>
Presentedby
John Bigolou
tothe
Century
Association
Presented by
entury Association
to the
New
40
Library
* DM
Mercure
тение
ЖІМ
Presented by
John Bigelow
tothe
Century
Association
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Presented by
to the
Associatio
Library
DM
Mercure
Mereer
ЖІМ
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU
ROI.
JUILLET. 1756 .
PREMIER VOLUME.
Diverfité, c'est ma devife. La Fontaine.
Chez
Cochin
Filius inv
Pillon Sculp
1715.
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
Avec Approbation & Privilege du Roi,
HE NEW YORK
UBLIC LIBRARY
335202
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1905
1
15
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eſt chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY ,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles ore
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du portfur
leur compte , ne payéront comme à Paris
qu'à raifon de 30 fols par volume , c'eſt-àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreſſe ci - deſſus.
A ij
On fupplie les perfonnes des provinces d'en-`
voyerpar la poſte , en payant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis
refteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obſervera
de rester à fon Bureau les Mardi ;
Mercredi & Jeudi de chaque femaine, aprèsmidi.
On peut fe procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainfi que les Livres
, Eflampes & Mufique qu'ils annoncent,
On prie les perfonnes qui envoient des Li
vres , Eftampes & Mufiques à annoncer ɔ
d'en marquer le prix,
*
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET. 1756.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE .
VERS
A Daphné , fur un Miroir de Toilette.
Cette glace à mon coeur va devenir ſemblable ;
Elle doit recevoir l'éclat de vos attraits :
Je jouirai pourtant d'un deſtin préférable ;
Ce Miroir , en ceffant de rencontrer vos traits ,
Ceffera d'exprimer votre figure aimable ,
Et mon coeur plus conftant ne la perdra jamais.
A iij
8 MERCURE DE FRANCE.
L'autre parla de la tendreffe
Que votre Eminence a pour nous :
Tous releverent la fageffe
Du gouvernement le plus doux.
Pas un feul mot de Bénéfice ,
On ne permuta point ce jour ;
Mais l'on répéta tour à tour
Qu'on vous avoit rendu juſtice.
Perfonne de nous ne finit
Sur un fujet auffi louable :
De notre Prélat refpectable
Nous dîmes ce qu'un enfant dit
D'un pere ami , d'un pere aimable
Qu'il refpecte , honore & chérit .
Tels étoient les propos de table ,
Lorfqu'un gros Curé réjoui ,
Dont le menton à triple étage
Etoit le pendant d'un vifage
Par le champagne épanoui ;
Allons , dit-il , chers camarades ,
Qu'on nous ferve à pleines rafades :
Chacun entendit le fignal ;
Et pour entrer dans fa penſée ,
Tout notre cercle clérical
But la liqueur bientôt verféela
fanté du nouveau Cardinal .
On redoubla , tripla ; nos verres
Sont auffi - tôt remplis que bus :
Comme le vin ne manquoit gueres ,
JUILLET.. 1756 . 9
♦
On but à toutes vos vertus.
Si votre fanté n'eſt pas bonne ,
C'eft grand dommage , Monſeigneur ;
Nous l'avons bue & de grand coeur
Plus de cent fois , Dieu me pardonne ,
Pleins de bon fens & de raifon ,
( Quand on boit à votre ſervice ,
On ne la perd jamais ) chacun de fa maiſon
Prend la route , fans préjudice
Au mot donné d'aller chez le voiſin
Reprendre un pareil exercice
Tout au plus tard le lendemain.
Par un Curé de Village , du Diocèse de
Beauvais.
Le premier Mai 1756.
LE SCRUPULE ,
Ou l'Amour mécontent de lui - même.
Le Ciel foit loué , dit Beliſe en quittant
le dueil de fon époux , je viens de remplir
un devoir bien affligeant & bien pénible :
il étoit temps que cela finît . Se voir livrée
des l'âge de feize ans à un homme qu'on ne
conroît pas ; paffer les plus beaux jours
de fa vie dans l'ennui , la diffimulation ,
la fervitude ; être l'esclave & la victime
A v
To MERCURE DE FRANCE.
d'un amour qu'on infpire & qu'on ne
fçauroit partager , quelle épreuve pour la
vertu ! Je l'ai fubie , m'en voilà quitte. Je
n'ai rien à me reprocher : car enfin je n'ai
point aimé mon époux ; mais j'ai fait femblant
de l'aimer , & cela eft bien plus héroïque.
Je lui ai été fidelle malgré ſa jaloufie
: en un mot , je l'ai pleuré . C'eft ,.
je crois , porter la bonté d'ame auffi loin
qu'elle peut aller. Enfin rendue à moimême
, je ne dépends plus que de ma volonté
, & ce n'eft que d'aujourd'hui que je
vais commencer à vivre. Ah ! comme mon
coeur va s'enflammer , fi quelqu'un parvient
à me plaire : mais confultons- nous
bien avant que de livrer notre coeur , & ne
courons , s'il eft poffible , ni le rifque de
ceffer d'aimer , ni celui de ceffer d'être
aimée. Ceffer d'être aimée ! cela eft difficile
, reprit-elle en confultant fon miroir ;
mais ceffer d'aimer eft encore pis. Lemoyen
de feindre long-temps un amour:
qu'on ne fent plus , je n'en aurois jamais
la force : quitter un homme après l'avoir
pris , eft une effronterie qui me paffe ; &
puis , les plaintes , le défefpoir , les éclats
d'une rupture , tout cela eft affreux. Aimons :
puifque le Ciel nous a donné un coeur
fenfible ; mais aimons pour toute la vie ,
& ne nous flättons point fur ces goûts
JUILLET. 1736.
paffagers , ces fantaiſies capricieuſes qu'on
prend fi fouvent pour l'amour. J'ai le
temps de choisir & de m'éprouver : il ne
s'agit , pour éviter toute furprife , que de
me former une idée bien claire & bien
précife de l'amour. J'ai lu que l'amour eft
une paffion qui de deux ames n'en fait
qu'une , qui les pénétre en même temps &
les remplit l'une de l'autre , qui les détache
de tout , qui leur tient lieu de tout ,
& qui fait de leur bonheur mutuel leur
foin & leur défir unique. Tel eft l'amour
fans doute ; & d'après cette idée , il me
fera bien aifé de diftinguer en moi-même
& dans les autres l'illufion de la réalité.
Sa premiere épreuve fe fit fur un jeune
Magiftrat avec qui le partage de la fucceffion
de fon époux l'avoit mife en relation .
Le Préfident de S .. avec une figure aimable,.
un efprit cultivé , un caractere doux &
fenfible , étoit fimple dans fa parure , na--
turel dans fon maintien , modefte dans fes
propos. Il ne fe piquoit d'être connoiſſeur
ni en équipages , ni en pompons : Il ne parloit
point de fes chevaux aux femmes , ni
de fes bonnes fortunes aux hommes. Il :
avoit tous les talens de fon état fans oftentation
, & tous les agrémens d'un hommedu
monde fans ridicule . Il étoit le même.
au palais & dans la fociété , non qu'il
Avj
12 MERCURE DE FRANCE.
opinât dans un fouper , ni qu'il plaifantât
à l'audience ; mais comme il n'affectoit
rien , il n'étoit jamais déguiſé.
Belife fut touchée d'un mérite fi rare . Il
avoit gagné fa confiance : il obtint fon
amitié , & fous ce nom le coeur va bien
loin. La fucceffion du mari de Belife étant
réglée , me feroit- il permis , dit un jour le
Préfident à la veuve , de vous demander
une confidence ? vous propofez- vous de
demeurer libre , ou le facrifice de votre
liberté fera- t'il encore un heureux ? Non ,
Monfieur , lui dit- elle , j'ai trop de délicateffe
pour faire jamais un devoir à perfonne
de ne vivre que pour moi. Ce devoir
feroit bien doux , reprit le galant Magiftrat
, & je crains bien que fans votre aveu
plus d'un amant ne fe l'impoſe. A la bonne
heure , dit Belife , qu'on m'aime fans y être
obligé , c'eft le plus flatteur de tous les
hommages. Cependant , Madame , je ne
vous foupçonne point d'être coquette . Oh !
vous auriez tort : j'ai la coquetterie en
horreur. Mais vouloir être aimée fans aimer....
Et qui vous dit , Monfieur , que je
n'aimerai point ? on ne prend pas de ces
réfolutions à mon âge. Je ne veux ni gêner,
ni être gênée : voilà tout . Fort bien , vous
voulez que l'engagement ceffe où finira
le penchant. Je veux que l'un & l'autre
JUILLET. 1756. 13
foit éternel , & c'eft pour cela que je veux
éviter jufqu'à l'ombre de la contrainte . Je
me fens capable d'aimer toute ma vie en
liberté ; mais à vous parler vrai , je ne
répondrois pas d'aimer deux jours dans
l'esclavage.
nager
Le Préfident vit bien qu'il falloit méfa
délicateffe , & fe contenter avec
elle de la qualité d'ami . Il eut la modeftie
de s'y réduire , & dès-lors tout ce que
l'amour a de plus tendre fut mis en ufage
pour la toucher. Il y parvint. Je ne vous
dirai point par quels degrés la fenfibilité
de Belife étoit chaque jour plus émue ;
qu'il vous fuffife de fçavoir qu'elle en
étoit au point où la fageffe en équilibre
avec l'amour , n'attend plus qu'un léger
effort pour laiffer pencher la balance. Ils
en étoient là , & ils étoient tête à tête. Les
yeux du Préfident enflammés d'amour, dévoroient
les charmes de Belife , il preffoit
tendrement fa main. Belife tremblante ,
refpiroit à peine. Le Préfident la follicitoit
avec l'éloquence paffionnée du défir . Ah !
Préfident , lui dit- elle enfin ', feriez - vous
capable de me tromper ? A ces mots le
dernier foupir de la pudeur fembloit expirer
fur fes levres. Non , Madame , lui
dit- il , c'eft mon coeur , c'eft l'amour même
qui vient de parler par ma bouche , & que
14 MERCURE DE FRANCE.
je meure à vos pieds , fi ... comme il tomboit
aux pieds de Belife fon genou porta
fur une patte de Jonjou, le chien favori de
la jeune veuve. Joujou fit un cri de douleur.
Ah ! Monfieur , que vous êtes maladroit
, s'écria Belife avec un mouvement
de colere. Le Préfident rougit , & fut déconcerté.
Il prit Jonjou dans fon féin , lui» -
baifa la patte offenfée , lui demanda mille
fois pardon , & le pria de folliciter fa gra
ce. Jonjon revenu de fa douleur , rendit
au Préfident fes careffes. Vous le voyez ,
Madame , il a le coeur bon ; il me pardon--
ne : c'eſt un bel exemple pour vous . Belife
ne répondit point. Elle étoit tombée dans ·
une rêverie profonde & dans un férieux
glacé. Il voulut d'abord prendre ce férieux
pour un badinage , & fe remettre aux ge--
noux de Belife pour l'appaifer. De grace ,
Monfieur , levez - vous , lui dit- elle , ceslibertés
me déplaifent , & je ne crois pas y
avoir donné lieu.
Qu'on s'imagine l'étonnement du Préfi
dent . Il fut deux minutes confondu fans
proférer une parole . Quoi ! Madame , lui
dit-il enfin , feroit - il poffible qu'un accident
auffi léger m'eût attiré votre colere ?
Point du tout , Monfieur , mais je puis
fans colère trouver mauvais qu'on foit à
mes genoux : c'eft une fituation qui ne
"
is
JUILLET. 1756. 15a
›
convient qu'aux amans heureux , & je
vous eftime trop pour vous foupçonner
d'avoir ofé prétendre à l'être. Je ne vois
point , Madame , repliqua le Préfident
avec émotion , en quoi un espoir fondé
fur l'amour me rendroit moins eftimable ;.
mais oferois-je vous demander , puifque
l'amour est un crime à vos yeux , quel eft
le fentiment que vous m'avez témoigné ?
De l'amitié , Monfieur , de l'amitié , &
je vous prie très-fort de vous en tenir là. Je
vous demande pardon , Madame , j'aurois
juré que c'étoit autre chofe ; je vois bien
que je ne m'y connois pas.. Cela fe peut
Monfieur bien d'autres que vous s'y
trompent. Le Préfident ne put foutenir
plus long-temps un caprice auffi étrange.
Il fortit le défefpoir dans l'ame , & il ne
füt point rappellé. Dès que Belife fut feule ::
N'allois-je pas faire une belle folie , ditelle
avec dépit j'ai vu le moment où ma
foibleffe cédoit à un homme que je n'aimoispas.
On a bien raifon de dire qu'on ne
connoît rien moins que foi-même. J'aurois
juré que je l'adorois , qu'il n'étoit rien
dont je ne fuffe difpofée à lui faire le facrifice
; point du tout : il lui arrive , fans le
vouloir , de faire du mal à mon petit
chien , & cet amour fi paffionné fait place
à la colere. Un chien me touche plus que
"
16 MERCURE DE FRANCE.
lui , & je ne balance point à prendre parti
pour ce petit animal contre l'homme du
monde que je croyois aimer le plus . N'eftce
point là un amour bien vif , bien folide
& bien tendre ? & voilà comme nous prenons
nos idées pour les fentimens on s'eft
échauffé la tête , & l'on croit avoir le coeur
enflammé on part. delà pour faire toutes
fortes de fottifes . L'illufion ceffe, le dégoût
furvient ; il faut effuyer l'ennui d'être conftante
fans amour , ou changer avec indécence.
Oh ! mon cher Joujou , que ne te
dois-je pas ? C'est toi qui m'as détrompée
:
fans toi je ferois , peut- être en ce moment
, accablée de confufion & déchirée
de remords. Soit que Belife aimât ou n'aimât
point le Préfident , car ces fortes de
queftions ne roulent guere que fur l'équi
voque des termes , il eft certain qu'à force
de fe dire qu'elle ne l'aimoit pas , elle
parvint
à s'en convaincre ; & un jeune Militaire
acheva bientôt de le lui perfuader.
Lindor venoit d'obtenir une Compagnie
de Cavalerie , au fortir des Pages. La fraî
cheur de la jeuneffe , l'impatience du défir ,
l'étourderie & la légereté , qui font des
graces à feize ans , & des ridicules à trente ,
rendirent intéreffant aux yeux de Belife
cet enfant bien né , qui avoit l'honneur
d'appartenir à la famille de fon époux.
JUILAET. 1756. 17
>
Lindor s'aimoit beaucoup lui - même
comme de raiſon ; il fçavoit qu'il étoit
bien- fait , & d'une figure charmante. Il le
difoit quelquefois ; mais il rioit de fi bon
coeur après l'avoir dit ; il montroit en riant
une bouche fi fraîche & de fi belles dents ,
qu'on pardonnoit ces naïvetés à fon âge. Il
mêloit d'ailleurs des fentimens fi fiers & fi
nobles aux enfantillages de l'amour- propre,
que tout cela enſemble n'avoit rien que
d'intéreſſant : il vouloit avoir une jolie
Maîtreffe , & un excellent cheval de bataille
; il fe regardoit dans une glace faifant
l'exercice à la Pruffienne. Il prioit Belife
de lui prêter le Sopha couleur de rofe , & lui
demandoit fi elle avoit lu le Polibe de Folard.
Il lui tardoit d'être au printemps
pour avoir un habit délicieux en cas de
paix , ou pour entrer en campagne s'il y
avoit guerre. Ce mêlange de frivolité &
d'héroïſme , eſt peut-être ce qu'il y a de
plus féduifant aux yeux d'une femme . Un
preffentiment confus que cette jolie petite
créature qui badae à une toilette , qui
fe careffe , qui fe mire , va peut - être
dans deux mois fe précipiter à travers les
batteries dans un bataillon ennemi , ou
grimper comme un Grenadier fur une
breche minée ; ce preffentiment donne
aux gentilleffes d'un petit-maître un carac18
MERCURE DE FRANCE.
tere de merveilleux qui étonne & qui
attendrit : mais la fatuité ne fied qu'à la
jeuneffe militaire. C'eft un avis que je
donne en paffant aux petits- maîtres de
> tous états.
Belife fut donc fenfible aux graces naïves
& légeres de Lindor. Il s'étoit paffion
né pour elle dès la premiere vifite. Un
jeune Page eft preffè d'aimer. Ma belle
Coufine , lui dit-il un jour ( car il la nonmoit
ainfi à caufe de leur alliance ) , je ne
demande au Ciel que deux chofes , de
faire mes premieres armes avec les Anglois
& avec vous. Vous êtes un étourdi , lui
dit- elle , & je vous confeille de ne défirer
ni l'un , ni l'autre ; l'un n'arrivera peutêtre
que trop tôt , & l'autre n'arrivera
jamais. Jamais ! cela eft bien fort , ma
belle Coufine. Mais je m'attendois à cette
réponſe , elle ne me rebute point . Tenez ,
je gage qu'avant ma feconde campagne ,
vous cefferez d'être cruelle . Je crois bien
qu'à préfent je n'ai pour moi que mon
âge & ma figure , vous me traiterez comme
un enfant ; mais quand vous aurez entendu
dire il s'eft trouvé à telle affaire
fon Régiment a donné dans telle occafion ;
il s'eſt diſtingué , il a pris un pofte , il a
couru mille dangers , c'eft alors que votre
petit coeur palpitera de crainte , de plaifir
JUILLET. 1756. 19
peut-être d'amour. Que fçait-on ? fi j'étois
bleffé , par exemple . Oh ! cela eft bien touchant
: pour moi fi j'étois femme , je voudrois
que mon amant eût été bleffé à la
guerre. Je baiferois fes cicatrices , je trouverois
une volupté infinie à les compter.
Ma belle Coufine , je vous montrerai les
miennes. Vous n'y tiendrez pas.
Allez jeune
fou , faites votre devoir en galant homme
, & ne m'affligez point par des préfages
qui me font trembler. Voyez-vous fi je n'ai
pas dit vrai ? Je vous fais trembler d'avance
: & fi la feule idée vous touche , que fera
la réalité 2 Car , ma belle Coufine , vous
pouvez vous fier à moi : ne me donnerezvous
point quelque à compte fur les lauriers
que je vais cueillir.
C'étoient tous les jours de femblables folies
. Belife , qui faifoit femblant d'en rire ,
n'en étoit pas moins fenfiblement touchée :
mais cette vivacité qui faifoit tant d'impreffion
fur fon ame empêchoit Lindor de
s'en appercevoir. Il n'étoit ni affez éclairé ,
ni affez attentif pour obferver en elle les
gradations du fentiment , & pour en tirer
avantage. Ce n'eft pas qu'il ne fût auffi
entreprenant que la politeffe l'exige : mais
un regard l'intimidoit , & la crainte de
déplaire balançoit l'ardeur de vaincre..
Ainfi deux mois fe pafferent en légeres
20 MERCURE DE FRANCE.
tentatives fans aucun fuccès décidé. Cependant
leur amour mutuel s'animoit de
plus en plus ; & quelque foible que fûr la
réfiftance de Belife , elle en étoit laffe
elle-même , lorfque le fignal de la guerre
'vint donner l'alarme aux amours . A ce
fignal terrible tous leurs travaux font fufpendus
: l'un s'envole fans attendre la réponſe
au billet le plus galant ; l'autre manque
au rendez - vous où l'on devoit le
couronner c'eft une révolution générale
dans tout l'empire des plaifirs. Lindor eut
à peine le temps de prendre congé de Belife
; elle s'étoit reproché cent fois les rigueurs
qu'elle n'avoit pas. Ce pauvre enfant
, difoit - elle , m'aime de toute fon
ame : rien de plus naturel ni de plus tendre
que l'expreffion de fes fentimens. Il eft
fait à peindre , il eft beau comme le jour ,
il est étourdi , qui ne l'eft pas à fon âge ?
mais il a le coeur excellent . Il ne tient qu'à
lui de s'amufer , il trouveroit peu de cruelles
cependant il ne voit que moi , il ne
refpire que pour moi , & je le traite avec
hauteur : je ne fçais pas comment il y tient.
J'avoue que fi j'étois à fa place , je laifferois
bien vîte cette Belife fi févere s'ennuyer
avec fa vertu ; car enfin la fageffe
eft bonne quelquefois , mais toujours de
la fageffe. Comme elle faifoit ces réfleJUILLET.
1756. 21
xions , on vint lui dire que les négociations
de la paix étoient rompues , & que
les Officiers avoient ordre de rejoindre
leurs Corps fans différer d'un feul inſtant.
A cette nouvelle tout fon fang fe gela dans
fes veines. Il va partir , s'écria- t'elle le
coeur faifi & pénétré ! il va fe battre , il va
mourir peut-être , & je ne le verrai plus !
Lindor arrive en uniforme . Je viens vous
dire adieu , ma belle Coufine ; je pars ;
nous allons nous voir de près avec l'ennemi.
La moitié de mes voeux eft remplie , &
j'efpere qu'à mon retour vous remplirez
l'autre moitié. Je vous aime bien , ma
belle Coufine ; fouvenez-vous un peu de
votre petit Coufin : il reviendra fidele , il
vous en donne fa parole . S'il eft tué , il ne
reviendra pas ; mais on vous remettra ma
bague , ma montre . Vous voyez ce petiɛ
chien d'émail : il vous rappellera mon image
, ma fidélité , ma tendreffe , & vous le
baiferez quelquefois . En prononçant ces
dernieres paroles , il fourioit tendrement ,
& fes yeux étoient mouillés de larmes .
Belife qui ne pouvoit plus retenir les fiennes
, lui dit de l'air du monde le plus af-
Aligé Vous nous quittez bien gaîment
Lindor. Vous dites que vous m'aimez ;
font - ce là les adieux d'un Amant ? Je
croyois qu'il étoit affreux de s'éloigner de
22 MERCURE DE FRANCE.
: de
ce qu'on aime mais il n'eft pas temps
vous faire des reproches ; venez, embraffezmoi.
Lindor tranfporté , ufa de cette permiffion
jufqu'à la licence , & Belife ne
s'en fâcha point. Et à quand votre départ ,
lui dit- elle? Tout à l'heure : tout à l'heure.
Quoi ! vous ne foupez point avec moi ?
Cela eft impoffible. J'avois mille chofes à
vous dire. Dites-les moi bien vîte : mes
chevaux m'attendent. Vous êtes bien cruel
de me refufer une foirée. Ah ! ma belle
Coufine , je vous donnerois ma vie ; mais
il y va de mon honneur : mes heures font
comptées ; il faut que j'arrive à la minute.
Songez s'il y avoit une affaire & que je
n'y fuffe point , je ferois perdu : votre petit
Coufin ne feroit plus digne de vous ;
laiffez-moi vous mériter. Belife l'embraffa
de nouveau en le baignant de fes larmes .
Allez , lui dit-elle , je ferois au défeſpoir
de vous attirer un reproche ; votre honneur
m'eſt auſſi cher que le mien : ſoyez
fage , ne vous expofez qu'autant que le
devoir l'exige , & revenez tel que je vous
vois. Vous ne me donnez pas le temps de
vous en dire davantage ; mais nous nous
écrirons : adieu . Adieu , ma belle Coufine :
adieu , adieu , mon cher enfant . C'eſt ainſi
que parmi nous la galanterie eft l'ame du
point d'honneur qui eft celle de nos armées.
JUILLET . 1756. 23
Nos femmes n'ont pas befoin d'aller , comme
les Sabines , au devant de nos Guerriers
pour les renvoyer au combat ; mais le mépris
dont elles accablent un lâche , & l'accueil
qu'elles font aux hommes courageux
rendent leurs Amans intrépides.
Belife paffa la nuit dans la plus profonde
douleur : fon lit fut baigné de fes larmes.
Le jour fuivant , elle écrivit à Lindor : tout
ce qu'une ame tendre & délicate peut infpirer
de plus touchant étoit exprimé dans
fa lettre. O vous qu'on éleve fi mal ! qui
vous apprend à fi bien écrire ? La nature
fe plaît- elle à nous humilier en vous vengeant
? Lindor dans fa réponſe pleine de
feu & de défordre , exprimoit tour à tour
les deux paffions de fon ame , l'ardeur militaire
& l'amour. L'impatience de Belife ne
lui laiffa aucun repos qu'elle n'eût reçu cette
réponſe. Leur relation s'établit , fe foutint
fans interruption la moitié de la campagne;
&la derniere lettre qu'on écrivoit étoit toujours
la plus vive , la derniere qu'on attendoit
étoit toujours la plus défirée . Lindor
pour fon malheur eut un Confident jaloux.
Tu es enchanté , lui dit celui- ci , de
la paffion que tu infpires : fi tu fçavois à
quoi tout cela tient . Je connois les femmes.
Veux tu faire une épreuve fur celle que tu
aimes ? écris-lui que tu as perdu un oeil
24 MERCURE DE FRANCE.
:
je gage qu'elle te confeille de prendre pa
tience & de l'oublier ? Lindor bien sûr de
fon triomphe , confentit à cette épreuve ; &
comme il ne fçavoit pas mentir , fon ami
dicta cette lettre . Belife fut au défe ſpoir
l'image de Lindor vint s'offrir à fon efprit ,
mais avec un oeil de moins . Cette grande
mouche noire le rendoit méconnoiffable.
Quel dommage ! difoit - elle en foupirant.
Ses deux yeux étoient fi beaux ! les miens
les rencontroient avec tant de plaifir , l'amour
s'y peignoit avec tant de charmes !
mais il n'en eft que plus intéreffant , & je
dois l'en aimer davantage. Il doit être
défolé : il tremble furtout de m'en paroître
moins aimable . Ecrivons- lui pour le
raffurer , pour le confoler , s'il eft poffible.
C'étoit la premiere fois que Belife avoit
été obligée de fe dire , écrivons lui . Sa lettre
fut froide malgré elle : elle s'en apperçut ,
la déchira , l'écrivit de nouveau . Les ex--
preffions étoient affez fortes , mais le tour
en étoit contraint & le ftyle recherché.
Cette mouche noire à la place d'un bel oeil
lui offufquoit l'imagination & lui glaçoit
le fentiment. Hé ! ceffons de nous flatter ,
dit- elle , en déchirant une feconde fois fa
lettre ce pauvre enfant n'eft plus aimé :
un oeil perdu bouleverfe mon ame . J'ai
voulu faire l'héroïne , je fuis une femmelette
:
JUILLET. 1756. 25
lette n'affectons point des fentimens audeffus
de mon caractere. Lindor ne mérite
point qu'on le trompe : il compte fur une
ame généreufe & fenfible.Si je ne le fuis pas
affez pour l'aimer encore , je dois l'être affez
pour le défabufer ; fon mépris deviendra ma
peine . Je fuis déſolée , lui écrivit - elle , &
bien plus à plaindre que vous vous
n'avez perdu qu'un agrément , & je vais
perdre votre eſtime comme j'ai perdu la
mienne. Je me croyois digne de vous aimer
& d'être aimée de vous , je ne le fuis
plus ; mon coeur fe flattoit d'être au deffus
des événemens , un feul accident m'a changée.
Confolez-vous , Monfieur , vous aurez
toujours de quoi plaire à une femme
raifonnable ; & après l'humiliant aveu que
je viens de vous faire , vous n'avez plus
à me regretter. Lindor fut au défefpoir à la
lecture de ce billet : le Monfieur furtout
lui parut une injure atroce. Monfieur !
s'écrioit - il. Ah ! la perfide. Son petit
Coufin, Monfieur ! On donne du Monfieur
à un borgne qu'on méprife . Il alla trouver
fon ami. Je te l'avois bien dit , mon
cher , lui dit le Confident . Voilà le moment
de te venger , fi tu n'aimes mieux attendre
la fin de la campagne pour ménager
à ton Héroïne le plaifir de la furpriſe .
Non , je veux la confondre dès aujour-
I. Vol. B
25 MERCURE DE FRANCE.
d'hui , lui dit le malheureux Lindor. Il lui
écrivit donc qu'il étoit enchanté de l'avoir
éprouvée ; que Monfieur avoit encore fes
deux yeux , mais que ces yeux ne la verroient
plus que comme la plus ingrate de
toutes les femmes.. Belife fut anéantie , &
prit dès ce moment le parti de renoncer au
monde & de s'enfevelir à la campagne. ALlons
vegetter , diſoit- elle , je ne fuis bonne
qu'à cela.
Dans le voisinage de cette campagne
étoit auffi une espece de Philofophe dans
la vigueur de l'âge , qui après avoir joui de
tout pendant fix mois de l'année à la
Ville , venoit jouir fix mois de lui- même
dans une folitude voluptueule . Il rendit
fes devoirs à Belife Vous avez , lui ditelle
, la réputation d'être fage ; dites- moi
quel est votre plan de vie ? De plan ,
Madame je n'en eus jamais , repondit le
Comte de P.. je fais tout ce qui m'amufe , je
recherchetout ce que j'aime , & j'évite avec
foin ce qui m'ennuie ou me déplaît . Vivezvous
feul , voyez-vous du monde ? Je vois
quelquefois notre Paſteur à qui j'enſeigne
la morale ; je caufe avec des Laboureurs ,
plus instruits que tous nos Sçavansje
donne le bal à de petites Villageoifes les
plus jolies du monde , & je fais
pour elles
des loteries de dentelles & de rubans , &
JUILLET. 1756. 27
je marie les plus amoureufes. Quoi ! dic
Belife avec étonnement , ces gens -là connoiffent
l'amour ? Mieux que nous , Madame
, mieux que nous cent fois . Ils s'aiment
comme des tourterelles : ils me donnent
appétit d'aimer .Vous avouerez cependant
que cela aime fans délicateſſe . Hé !
Madame , la délicateffe eft un raffinement
de l'art; ils ont l'inftinct de la nature , & cet
inſtinct les rend heureux . On parle d'amour
à la ville , on nele fait que dans les champs.
Ils ont en fentiment ce que nous avons en
efprit. J'ai effayé comme un autre d'aimer
& d'être aimé dans le monde ; le caprice
, les convenances arrangent & dérangent
tout , une liaiſon n'eft qu'une rencontre.
Ici le penchant fait le choix : vous
verrez dans les jeux que je leur donne ,
comment ces coeurs fimples & bruts fe
cherchent fans le fçavoir , & s'attirent tour
àtour. Vous me faites , reprit Belife , un
tableau de la campagne auquel je ne
m'attendois pas. On dit ces gens- là fi à
plaindred Is l'étoient , Madame , il y a
quelques années ; mais j'ai le fecret de
rendre leur condition plus douce. Oh !
vous me direz votre fecret , interrompit
Belife avec vivacité ; je veux auffi en faire
ufage. Il ne tient qu'à vous. Le voici :
J'ai quarante mille livres de rente ; j'en
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
4
dépenfe dix ou douze à Paris dans les
deux faifons que j'y paffe , huit ou dix
dans ma maifon de campagne ; & par
cette économie , j'ai 20000 liv . à perdre
fur les échanges que je fais. Et quels échanges
faites- vous ? J'ai des champs bien cultivés
, des prairies bien arrofées , des vergers
clos & plantés avec foin . Hé bien ? hé
bien , Lucas , Blaife , Nicolas , mes voisins
& mes bons amis ont des terreins en friche
ou appauvris ; ils n'ont pas de quoi les cultiver
, je leur cede les miens troc pour troc
& la même étendue de terrein qui les
nourriffoit à peine , les enrichit dans
deux moiffons. La terre ingrate fous leurs
mains devient fertile dans les miennes . Je
lui choifis la femence , le plan , l'engrais ,
la culture qui lui convient , & dès qu'elle
eft en bon état , je penfe à un nouvel
échange : ce font là mes amuſemens. Cela
eft charmant , s'écria Belife ! vous . fçavez
donc l'agriculture ? Un peu , Madame , &
'je m'en inftruits ; je confronte la théorie
des Sçavans avec l'expérience des Laboureurs
; je tâche de corriger ce que je vois
de défectueux dans les fpéculations des uns
& dans la pratique des autres : c'eſt une
étude amufante. Oh ! je le crois , & je
veux m'y livrer auffi . Comment donc ?
mais vous devez être adoré dans ces canJUILLET.
1756. 29
tons ; ces pauvres Laboureurs doivent vous
regarder comme leur pere . Oui , Madame ,
nous nous aimons beaucoup. Je fuis bienheureufe
, Monfieur le Comte , que le
hazard m'ait procuré un voifin tel que
yous. Voyons- nous fouvent , je vous prie :
je veux fuivre vos travaux , prendre votre
méthode & devenir votre rivale dans le
coeur de ces bonnes gens. Vous n'aurez ,
Madame , ni rivaux , ni rivales par tout où
vous voudrez plaire , & lors même que
vous ne le voudrez pas . Telle fut leur
premiere entrevue ; & dès ce moment ,
voilà Belife villageoife , toute occupée de
l'agriculture , converfant avec fes Fermiers
, & ne lifant que la Maifon Ruftique.
Le Comte l'invita à l'une des fêtes qu'il
donnoit les jours confacrés au repos ; &
la préfenta à fes Païfans comme une nouvelle
bienfaictrice , ou plutôt comme leur
Souveraine. Elle fut témoin de l'amour &
du refpect qu'ils avoient pour lui. Ces
fentimens fe communiquent : ils font fi
naïfs & fi tendres ; c'eft le plus fublime
de tous les éloges , & Belife en fut touchée
au point d'en être jaloufe : mais cette jaloufie
étoit bien loin de la haine . Il faut
avouer , difoit- elle , qu'ils ont bien raiſon
de l'aimer. Indépendamment de fes bienfaits
, perfonne au monde n'eft plus aimable.
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
Il s'établit dès ce jour entr'eux la liaifon
la plus intime & en apparence la plus philofophique
; leurs entretiens ne rouloient
que fur l'étude de la nature , fur les moyens
de rajeunir cette terte notre vieille nourrice
, qui s'épuife pour fes enfans. La Botanique
leur indiquoit les plantes falutaires
aux troupeaux & celles qui leur étoient
pernicieufes ; la Méchanique leur donnoit
des forces pour élever les eaux à peu de
frais fur les collines altérées , & pour foulager
le travail des animaux déftinés aux
labourage. L'Hiftoire naturelle leur apprenoit
à calculer les inconvéniens & les avantages
économiques dans le choix de ces
animaux laborieux . La pratique confirmoit
ou corrigeoit leurs obfervations , & on faifoit
les expériences en petit , afin de les
rendre moins coûteufes. Le jour du repos
revenoit , & les jeux fufpendoient les
études.
Belife & le Philofophe fe mêloient aux
danfes de ces Villageois. Belife s'apperçut
avec furpriſe qu'aucun d'eux ne s'occupoit
d'elle . Vous allez , dit- elle à fon ami , me
foupçonner d'une coquetterie bien étrange
, mais je ne veux rien vous diffimuler :
on m'a dit cent fois que j'étois jolie , j'at
pardeffus ces Païfannes l'avantage de la
parure ; cependant je ne vois dans les yeux
JUILLET. 1756.
des jeunes Païfans aucune trace d'émotion
à ma vue. Ils ne penfent qu'à leurs compagnes
; ils n'ont des ames que pour elles.
Rien n'eft plus naturel , Madame , lui dit
le Comte : le défir ne vient jamais fans
quelque lueur d'espérance ; & ces gens - là
ne vous trouvent belle que comme ils trouvent
belles les étoiles & les fleurs . Vous
me furprenez , dit Belife ; eft- ce l'efpérance
qui rend fenfible ? Non , mais elle dirige
la fenfibilité. On n'aime donc qu'avec
l'efpoir de plaire ? Non fans doute , Madame
, & fans cela qui pourroit ne pas
vous aimer ! Un Philofophe eft donc galant
, reprit Belife avec un fourire ? Je fuis
vrai , Madame , & ne fuis point Philofophe
; mais fi je méritois ce nom , je n'en
ferois que plus fenfible : un vrai Philofophe
eft homme & fait gloire de l'être . La
fageffe ne contredit la nature que lorfque
la nature a tort. Belife rougit , le Comte
fe troubla , & ils furent quelque- temps
les yeux baillés fans ofer rompre le filence.
Le Comte voulut renouer l'entretien fur
les charmes de la campagne ; mais leurs
propos furent confus , entrecoupés & fans
fuite on ne fçavoit plus ce qu'on avoit
dit , encore moins ce qu'on alloit dire. Ils
fe quitterent enfin , l'une rêveufe , l'autre
diftrait , & craignant tous deux d'en avoir
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
:
trop dit. La jeuneffe des Villages voiſins
s'affembla le lendemain pour leur donner
une fête la gaieté en faifoit l'ornement .
Belife en fut enchantée ; mais le dénouement
la furprit. Le Magiſter avoit fait des
chanfons à la louange de Relife & du Comte
, & les couplets difoient que Belife étoit
l'Ormeau & que le Comte étoit le Lierre.
Celui-ci ne fçavoit s'il devoit leur impofer'
filence , ou prendre la chofe en badinant ;
mais Belife en fut offenfée . Je vous demande
pardon pour eux , Madame , lui dit le
Comte en la remenant ; ces bonnes gens
difent ce qu'ils penfent , ils n'en fçavent
pas davantage. Je les aurois fait taire , fi
j'avois eu le courage de les affliger. Belife
ne lui répondit rien , & il fe retira pénétré
de douleur de l'impreffion qu'avoit fait
fur elle cet innocent badinage.
Que je fuis malheureufe, dit Belife après
le départ du Comte , voilà encore un homme
que je vais aimer ; cela eft fi clair
que
ces Païfans s'en apperçoivent , ce fera comme
avec les autres un feu léger , une étincelle.
Non , je ne veux plus le voir : il eſt
honteux de vouloir infpirer une paffion ,
quand on n'en eft pas fufceptible . Le
Comte fe livreroit à moi fans réſerve &
de la meilleure foi : c'eft un homme refpectable
dont je ferois le malheur fi je
JUILLET. 1756. 33
venois à m'en détacher. Le lendemain , il
envoya fçavoir fi elle étoit vifible . Quel
parti prendre ? fi je le refufe aujourd'hui ,
il faudra le recevoir demain ; fi je perfifte
à ne le plus voir , que va -t'il penfer de ce
changement ? qu'a- t'il fait qui ait pu me
déplaire ? lui laifferois-je croire que je me
défie de lui ou de moi-même ? après tout ,
qui m'affure qu'il m'aime , & quand il
m'aimetoit , fuis- je obligée de l'aimer ? Je
lui ferai entendre raifon , je lui peindrai
mon caractere , il m'en eftimera davantage
: il faut le voir . Le Comte vint. Je vais
bien vous furprendre , lui dit- elle ; j'ai été
fur le point de rompre avec vous. Avec
moi , Madame ; & pourquoi ? quel eft
mon crime ? d'être aimable & dangereux.
Je vous déclare que je fuis venue chercher
le repos ; que je ne crains rien tant que
l'amour ; que je ne fuis pas faite pour un
engagement folide ; que j'ai l'ame` la plus
légere , la plus inconftante qui fût jamais ,
que je méprife les goûts paffagers , & que
je n'ai pas un affez grand fonds de fenfibilité
pour en avoir de durable, Voilà mon caractere
je vous en avertis. Je réponds de
moi pour ll''aammiittiiéé ; mais ; mais pour l'amour , il
n'y faut pas compter ; & afin de n'avoir
aucun reproche à me faire , je ne veux abfolument
ni en infpirer , ni qu'on m'en
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
infpire. Votre fincérité encourage la mienne
, lui répondit le Comte ; vous allez me
connoître à mon tour . J'ai pris pour vous ,
fans m'en douter & fans le vouloir , l'amour
le plus tendre & le plus violent; c'eſtce
qui pouvoit m'arriver de plus heureux ,
& je m'y livre de tout mon coeur, quoi que
vous puiffiez me dire. Vous vous croyezlégere
& inconftante : il n'en eft rien . Je
crois connoître mieux que vous le caractere
de votre ame. Non , Monfieur , je me
fuis éprouvée , & vous allez en juger . Elle
lui raconta l'hiftoire du Préfident & celle
du jeune Page . Vous les aimiez , Madame ,
vous les aimiez vous vous êtes découragée
mal à propos votre colere contre le
Préfident étoit fans conféquence , le premier
mouvement eft toujours pour le chien,
le fecond eft pour l'Amant , ainfi l'a voulu
la nature . Le refroidiffement de votre }
amour pour le Page n'auroit pas été plus
durable : un oeil de moins produit toujours
'cet effet ; mais peu à peu on s'y accoutume.
Quant à la durée d'une paffion , il faut
être jufte. Quel eft l'infenfé qui exige l'im - 1
poffible ? Je défice ardemment de vous
plaire , j'en ferai ma félicité ; mais fi votre
penchant pour moi venoit à s'affo: blir , ce
feroit un malheur , ce ne feroit pas un
crime. Hé quoi ! parce qu'il n'eft point
JUILLET. 1756. 35
dans la vie de plaifir fans mêlange , faut- il
fe priver de tout , renoncer à tout ? Non ,
Madame , il faut tirer parti de ce qu'on a
de bon , fe pardonner à foi-même & aux
autres ce qui eft moins bien ou ce qui eft
mal. Nous menons ici une vie douce &
tranquille ; l'amour nous manque , il peut
Pembellir laiffons -le faire ; s'il s'en va ,
l'amitié nous refte ; & quand la vanité ne
s'en mêle point , l'amitié qui furvit à l'a
mour en eft bien plus douce , plus intime
& plus tendre. En vérité , Monfieur , voilà
une morale bien étrange. Elle eft fimple &
naturelle. Je ferois des romans tout comme
une autre ; mais la vie n'eft pas un roman:
nos principes comme nos fentimens
doivent être pris dans la nature . Rien n'eft
plus facile que d'imaginer des prodiges en
amour ; mais tous ces héros n'exiftent que
dans la tête des Auteurs : ils difent ce qu'ils
veulent , nous faifons ce que nous ponvons.
C'eft un malheur fans doute de ceffer
de plaire , c'en eft un plus grand de ceffer
d'aimer ; mais le comble du malheur , c'eft
de paffer fa vie à fe craindre & à fe combattre.
Fiez-vous à vous même , Madame ,
& daignez vous fier à moi. Il eſt affez
cruel de ne pouvoir pas aimer toujours
fans fe condamner à n'aimer jamais imitons
nos Villageois ; ils n'examinent pas
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
s'ils s'aimeront long-tems , il leur fuffic
de fentir qu'ils s'aiment. Je vous étonne :
vous avez été élevée dans le pays des
chimeres ; croyez- moi , vous êtes bien née ;
revenez à la vérité , laiffez - vous guider
par la nature , elle vous conduira beaucoup
mieux qu'un art qui fe perd dans le vuide ,
qui réduit le fentiment à rien à force de
l'analyfer. Si Belife ne fut point perfuadée ,
elle fut bien moins affermie dans fa premiere
réfolution , & dès que la raifon
chancelle , il eft aifé de la renverfer ; celle
de Belife fuccomba fans peine , & jamais
un amour mutuel ne rendit deux coeurs
plus heureux. Livrés l'un à l'autre en liberté
, ils oublioient l'univers, ils s'oublioient
eux mêmes toutes les facultés de leurs
ames réunies en une feule , ne formoient
plus qu'un tourbillon de feu dont l'amour
étoit le centre , dont le plaifir étoit l'aliment.
Cette premiere ardeur fe ralentit ,
& Belife en fut alarmée ; mais le Comte
la raffura . On revint aux amuſemens champêtres.
Belife trouva que la nature s'étoit
embellie , que le ciel étoit plus férein & la
campagne plus riante ; les jeux des Villageois
lui plaifoient davantage , ils lui rappelloient
un fouvenir délicieux ; leurs travaux
l'intéreffoit beaucoup plus. Mon
Amant , difoit- elle en elle-même , eft le
JUILLET. 1756. 37
Dieu qui les encourage ; fon humanité
fa bienfaifance font comme des ruiffeaux
qui fertilifent ces champs. Elle aimoit à
s'entretenir avec les Laboureurs des bienfaits
que répandoient fur eux ce mortel
qu'ils appelloient leur pere. L'Amour lui
rendoit perfonnel tout le bien qu'on difoit
de lui. Elle paffa ainfi toute la belle
faifon à l'aimer , à l'admirer , à lui voir
faire des heureux & à les rendre heureux
elle-même.
Belife avoit propofé au Comte de paffer
l'hyver loin de la Ville , & il lui avoit répondu
en fouriant : Je le veux bien. Mais
dès que la campagne commença à fe dépouiller
,› que la promenade fut interdite
, que les jours furent pluvieux , les matinées
froides & les foirées longues , Belife
fentit avec amertume que l'ennui s'emparoit
de fon ame & qu'elle défiroit de revoir
Paris. Elle en fit l'aveu à fon Amant
avec fa franchiſe ordinaire . Je vous l'avois
prédit , vous n'avez pas voulu me croire :
l'événement ne juftifie que trop la mauvaife
opinion que j'avois de moi-même.
Quel est donc cet événement ? Mon cher
Comte , puifqu'il faut vous le dire , je
m'ennuie , je ne vous aime plus . Vous
vous ennuyez , cela eft poffible , lui répondit
le Comte avec un fourire ; mais
38 MERCURE
DE FRANCE .
vous ne m'en aimez pas moins : c'eft la campagne
que vous n'aimez plus. Hé ! Monfieur
, pourquoi me flatter ? tous les lieux ,
tous les temps font agréables avec ce qu'on
aime . Oui , dans les romans , je vous l'ai
déja dit ; mais non pas dans la nature.
Vous avez beau dire , infifta Belife , je
fens très bien qu'il y a deux mois que
j'aurois été heureufe avec vous dans un
défert. Sans doute , Madame , telle eft
l'ivreffe d'une paffion naiffante ; mais ce
premier feu n'a qu'un temps , l'amour heureux
fe calme & fe modere , l'ame dès - lors
moins agitée commence à devenir fenfible
aux impreffions du deliors : on n'eft plus
feul dans le monde : on éprouve le befoin
de fe diftraire & de s'amufer. Ah ! Monfieur
, à quoi réduiſez -vous l'amour ? A la
vérité , ma chere Belife. Au néant , mon
cher Comte , au néant. Vous ceffez de me
fuffire , j'ai donc ceffé de vous aimer .
Non , tout ce que j'adore , non , je n'ai
point perdu votre coeur , & je vous ferai
toujours cher. Toujours cher ? Oui , fans
doute . Mais comment ? Comme je veux
l'être. Ah ! je fens trop mon injuftice
pour me la diffimuler. Non , Madame ;
vous n'êtes point injufte. Vous m'aimez
affez ; j'en fuis content , & je ne veux pas
être aimé davantage . Serez- vous plus
JUILLET. 1756. 39
difficile
pu
que moi-même ? Oui , Monfieur :
je ne me pardonnerai jamais d'avoir
m'ennuyer avec l'homme du monde le plus
aimable. Et moi , Madame , & moi qui ne
me vante de rien ; je m'ennuie auffi parfois
avec la plus adorable de toutes les
femmes , & je me le pardonne. Quoi !
Monfieur , vous vous ennuyez avec moi ?
Avec vous -même. Et je ne laiffe pas de
vous aimer plus que ma vie . Etes vous
contente ? Allons , Monfieur , retournons
à Paris. Oui , Madame , j'y confens ; mais
fouvenez vous que le mois de Mai nous
retrouvera à la campagne.... Je n'en crois
je vous l'affare :
& plus amoureux
rien ,
que
jamais
.
Belife , de retour à la Ville , commença
par fe livrer à tous les amufemens que l'hyver
raffemble , avec une avidité qu'elle
croyoit infatiable. Le Comte de fon côté
s'abandonna au torrent du monde , mais
avec moins de vivacité. Peu à peu l'ardeur
de Belife fe ralentit . Les foupers lui paroiffoient
longs ; elle s'ennuyoit au ſpectacle.
Le Comte avoit foin de la voir rarement
; fes vifites étoient courtes , & il
prenoit les heures où elle étoit environnée
d'une foule d'adorateurs. Elle lui demanda
un jour tout bas : Que vous ſemble
de Paris ? Tout m'y ennuie, & rien ne m'y
40 MERCURE DE FRANCE.
attache Pourquoi ne venez - vous pas fouper
avec moi ? Vous m'avez tant vu ,
Madame , je fuis difcret ; le monde a fon
tour , j'aurai le mien . Vous êtes donc toujours
perfuadé que je vous aime ? Je ne
parle jamais d'amour à la Ville. Que penfez
vous , Madame , du nouvel Opéra ,
pourfuivit- il à haute voix ? Et la converfation
devint générale.
Belife comparoit toujours le Comte à ce
qu'elle voyoit de mieux , & toujours la
comparaifon concluoit à fon avantage.
Perfonne , difoit - elle , n'a cette candeur ,
cette fimplicité , cette égalité de caractere ;
perfonne n'a cette bonté d'ame & cette élévation
de fentimens. Quand je me rappelle
nos entretiens , tous nos jeunes gens ne
me femblent que des perroquets bien inftruits.
Il a bien raifon de douter qu'on
ceffe de l'aimer après l'avoir connu ; mais
non , ce n'eſt pas l'eftime qu'il a de luimême
, mais l'eftime qu'il a de moi qui
lui donne cette confiance. Que je ferois
heureuſe fi elle étoit fondée ! Telles étoient
les réflexions de Belife ; & plus elle fentoit
renaître fon inclination pour lui , plus elle
fe trouvoit bien avec elle- même. Enfin
le défir de le voir devint fi preffant , qu'elle
ne put réfifter à celui de lui écrire . Il
fe rendit auprès d'elle , & l'abordant avec
JUILLET. 1756. 41
:
un fourire : Quoi , Madame , lui dit- il ,
un tête à tête ! Vous m'expoſez à faire des
jaloux . Perfonne , Monfieur , n'a droit de
l'être , lui dit Belife ; & vous fçavez que
je n'ai plus que des amies mais vous ,
ne craignez- vous pas d'inquiéter quelque
nouvelle conquête ? Je n'en ait fait qu'une
en ma vie , repondit le Comte ; elle m'attend
à la campagne , & j'irai la voir ce
printemps. Elle feroit à plaindre fi elle
étoit à la Ville ; vous y êtes fi occupé
qu'elle rifqueroit d'être négligée. Elle s'y
amuferoit , Madame , & n'y penferoit pas
à moi. Laiffons - là les détours , pourfuivit-
elle ? pourquoi vous vois- je fi rarement
&fi peu ? Pour vous laiffer jouir en liberté
de tous les plaifirs de votre âge. Vous
ne ferez jamais de trop , Monfieur , & je
l'exige de vous. Non , Madame , n'exigez
rien ; je ferois au défefpoir de vous dé
plaire , mais permettez- moi de ne vous revoir
qu'au retour de la belle faifon . Allez ,
Monfieur lui dit Belife avec dépit , allez
chercher des plaifirs où je ne ferai pas ;
j'ai mérité votre inconftance. Dès ce jour
elle n'eut pas un moment de repos ; elle
s'informoit de fes démarches ; elle le
cherchoit , & le fuivoit des yeux aux promenades
& aux fpectaclès ; les femmes
qu'il voyoit lui devinrent odieufes ; elle
..
42 MERCURE DE FRANCE.
ne ceffoit de queftionner les amis. L'hyver
lui parut d'une longueur mortelle.
Quoiqu'on ne fût encore qu'au commencement
du mois de Mars , quelques beaux
jours étant venus ; il faut , dit- elle , que je
le confonde & que je me juftifie . J'ai eu
tort jufqu'à préfent , il a fur moi cet avantage
; mais demain , il ne l'aura plus. Elle
le fit prier de fe rendre chez elle ; tout étoit
prêt pour le départ. Le Comte arrive .
Donnez-moi la main , lui dit Belife , pour
monter dans mon carroffe. Où allons- nous
donc , Madame , lui dit- il ? Nous ennuyer
à la campagne. Le Comte fut tranfporté
de joie à ces mors. Belife au mouvement
de la main qui la foutenoit , s'apperçut du
faififfement & de l'émotion qu'elle faifoit
naître. O mon cher Comte , lui dit-elle en
preffant cette main qui trembloit fous la
fienne ! que ne vous dois- je pas ? Vous
m'avez appris à aimer , vous m'avez convaincue
que j'en étois capable ; & en m'éclairant
fur mes fentimens , vous m'avez
fait la plus douce des violences : vous
m'avez forcée à m'eftimer moi -même & à
me croire digne de vous. L'Amour eft content.
Je n'ai plus de fcrupule , & je fuis
heurenfe.
JUILLET. 1756. 43
VERS
A M. M ***, qui avoit eu mal aux yeux.
Venustrouvant fon Fils rebelle ,
Vous aveugloit , afin que l'on vous prît
Pour cet Enfant qui vous jugeoit fi belle ,
Qu'entr'elle & vous fouvent il fe méprit :
L'Amour voit fon deffein , fe venge , vous guérit ,
Certain qu'on vous prendra pour elle.
COMPLIMENT
Fait à Monfeigneur le Duc de Mirepoix ;
fur fa promotion à la feconde Compagnie
des Gardes-du- Corps du Roi , le jour de
réception , par M. Thomaffin de Juilly ,
Garde du-Corps de Sa Majesté.
es
EN nous confiant à tes loix ,
Que Louis nous fait voir de bonté , de fageffe !
Que fon amour pour nous a fçu faire un bean
choix !
Il charme tous les coeurs que ta gloire intéreffe.
De ce Corps qui t'admire , illuftre Mirepoix ,
Juge des fentimens par fa vive alegreffe ;
44 MERCURE DE FRANCE.
Souffre qu'à tant de zele , ofant prêter ma voix ;
Je t'exprime en ce jour fes tranfports , fa tendreffe.
Non , il ne manquoit plus aux voeux de ces Guerriers
Que l'honneur de te fuivre , ainfi que de te plaire ;
Comme il ne manquoit plus à tes brillans lauriers
Que d'être & leur Guide & leur Pere.
M. le Duc de Mirepoix ayant eu la bonté
de recevoir ces Vers avec les applaudiffemens
les plus flatteurs , l'Auteur en fit
l'envoi fuivant à Madame la Ducheffe.
Envoi à Madame la Ducheffe de Mirepoix.
O vous , qui de nos coeurs partagez les fuffrages
Avec ce Héros votre Epoux !
Permettez que nos voeux , nos refpects , nos hommages
Deviennent communs entre vous.
JUILLET. 1756. 45
LES TOM BEAUX ,
POEME ,
A S. A. Monfeigneur le Prince de S...
Difcendum eft mori , cùm mori neceffe eft.
AUx pieds de ces côteaux , où loin du bruit des
Cours ,
Sans crainte , fans défirs , je coule d'heureux
jours ,
Où des vaines grandeurs je connois le menfonge ;
Où tout , jufqu'à la vie , à mes yeux eftun fonge,
S'éleve un édifice , azyle des mortels
Aux larmes dévoués , confacrés aux Autels.
Une épaiffe forêt , de la demeure fainte ,
Aux profanes regards cache l'auftere enceinte :
L'afpect de ce féjour fombre , majestueux ;
Sufpend des paffions le choc impétueux ;
Et portant dans nos coeurs une atteinte profonde ,
Il y peint le néant des plaifirs de ce monde.
Lear Temple väfte , fimple , & des temps refpecté
,
Infpire la terreur par fon obfcurité.
Là , cent Tombeaux pareils aux rouleaux des
1. Prophetes ,
Sont des loix de la mort les triftes interpretes :
46 MERCURE DE FRANCE.
Ces marbres éloquens , monumens de l'orgueil ,
Ne renferment , ainfi que le plus vil cercueil ,
Qu'une froide pouffiere autrefois animée ,
Et qu'enivroit fans ceffe une vaine fumée.
De ces lieux font bannis l'ambition , l'eſpoir ,
La dure fervitude & l'odieux pouvoir.
Là , d'un repos égal jouiffent l'opulence ,
La pauvreté , le rang , le fçavoir , l'ignorance.
Orgueilleux ! c'eft ici que la mort vous attend
Connoillez-vous ... peut-être il n'eft plus qu'un
inftant :
Coeurs foibles ! qui craignez fon trait inévitable ,
Ofez voir , fans frémir , ce féjour redoutable :
Parcourez ces Tombeaux , venez , fuivez mes pas ,
Et préparez vos yeux aux horreurs du trépas.
Quel eft ce monument dont la blancheur extrême
De la rendre innocence eſt ſans doute l'emblême
C'eſt celui d'un Enfant qu'un deftin fortuné
Enleva de ce monde aufli -tôt qu'il fut né .
Il goûta feulement la coupe de la vie ;bata
Mais fentant fa liqueur d'amertume ſuivie
Il détourna la tête , & regardant les Cieux ,
A l'inftant , pour toujours , il referma les yeux.
Meres ! féchez vos pleurs ; ces enfans , dans la
gloire ,
Jouiront fans combats des fruits de la victoire.
Ici font renfermés l'efpoir & la douleur
D'un Pere que foutient l'aliment du malheur ;
JUILLET. 1756. 47
Il demande fon Fils , l'appui de fa vieilleffe ,
L'unique rejetton de fa haute nobleffe ;
Il le demande en vain : l'impitoyable mort
Au midi de fes jours a terminé fon fort.
Sa couche nuptiale étoit déja parée.
A marcher aux Autels , l'Amante préparée
Attendoit fon Amant pour lui donner ſa foi ,
Mais la fête fe change en funebre convoi.
Calmez-vous , jeune Elvire : infenfible à vos larmes
,
Dans les bras de la mort Iphis brave vos charmes.
Quels font les attributs de cet autre Tombeau ?
Dans un ruiffeau de pleurs l'Amour plonge un
flambeau :
On voit à les côtés les Graces gémiffantes ,
Baiffer un trifte front & des mains languiffantes ;
La jeuneſſe éplorée & les jeux éperdns ',
Semblent encor chercher la beauté qui n'eft plus .
Quelle main oferoit en tracer la peinture !
Hortenfe fut , hélas ! l'orgueil de la nature.
Mais de cette beauté , fiere de ſes attraits ,
Olons ouvrir la tombe & contempler les traits .
O Ciel ... de tant d'éclat ... quel changement
funefte !
Une maffe putride eſt tout ce qui lui reſte :
Vous frémiffez ... ainfi nos corps dans ce féjour
D'infectes dévorans feront couverts un jour..
48 MERCURE DE FRANCE.
Hommes vains & diftraits ! quelle trace fenfible
Laiffe dans vos efprits ce fpectacle terrible ?
La même , hélas ! qu'empreint le dard qui fend les
airs ,
Ou le vaiffeau léger qui fillonne les mers.
Des fépulcres des Grands voici la fombre entrée :
De quelle horreur votre ame eft- elle pénétrée ?
Tout eft tranquille ici : fuivons ces pâles feux ,
Le filence & la mort regnent feuls en ces lieux.
La terreur qui les fuit , errante fous ces voûtes ,
Ne peut nous en cacher les ténébreuſes routes :
Deſcendons , parcourons ces Tombeaux fouterreins
,
Où , féparés encor du refte des humains
Ces Grands , dont le vulgaire encenfoit la naiffance
,
Ont voulu conferver leur trifte préféance.
De l'humaine grandeur pitoyables débris !
Eh ! que font devenus ces fuperbes lambris ,
Ces plaifirs , ces honneurs , ces immenfes richeffes ,
Ces hommages profonds ... ou plutôt ces baffeffes
?
Grands ! votre éclat , femblable à ces feux de la
nuit ,
Brille un moment , nous trompe , & foudain fe
détruit.
APobfcure clarté de ces lampes funébres ,
Sur ces marbres infcrits voyons leurs noms céle
bres ,
Lifons :
JUILLET. 1756.
49
Lifons : Ci-git le Grand ... Briſez- vous impofteurs
!
Eh ! quoi ! des os en poudre ont encor des flatteurs
!
Je l'ai vu de trop près : dédaigneux & bizarre ,
Il fut à la fois haut , rampant , prodigue , avare ;
Sans vertus , fans talens , & dévoré d'ennui ,
Il cherchoit le plaifir qui fuioit loin de lui.
De cet autre , ô regrets ! l'Epitaphe eft fincere.
Il fut des malheureux le protecteur , le pere :
Affable , jufte , vrai , rempli d'humanité ,
Il prévint les foupirs de l'humble adverfité :
La patrie anima fon zele , fon courage ,
Soub.... Il eut enfin tes vertus en partages.
Des vrais Grands , par ces traits , connoiffons tout
le prix ;
Mais leurs phantômes vains font dignes de mépris.
Dans ces lieux , un moment , recueille toi , mon
ame !
Tombeaux ! votre éloquence , avec un trait de
Aamme ,
A gravé dans mon coeur le néant des plaifirs :
Ceffons donc ici- bas de fixer nos défirs ;
Tout n'eft qu'illuſion d'illuſions ſuivie ,
Et ce n'eft qu'à la mort où commence la vie.
Par M. FEUTRY , de Lille en
I. Vol.
Flandres.
C
50 MERCURE DE FRANCE.
Ce Poëme nous paroît d'autant plus eftí .
mable , qu'il n'eft pas moins l'ouvrage
d'un Chrétien que celui d'un Poëte. Nous
n'avons pu le lire fans être tranfportés de
la force des images , & pénétrés de la fainte
horreur qui femble l'avoir infpiré. C'eſt
un beau fermon en vers , qui prouve que
la Poéfie difpute à la Profe l'art de bien
prêcher.
RÉPONSE
Al'examen de la Surdité & de la Cecité s
par un Sourd.
Experto crede Roberto.
J'ai lu , Monfieur , votre Diſſertation
fur la Surdité & la Cécité. Vous ne devez
pas vous étonner d'avoir trouvé jufqu'ici
peu de perfonnes de votre avis fur la
question propofée. Ce n'eft point la conplaifance
qui engage les hommes à vous
combattre aujourd'hui en préfence des
femmes ; c'est l'expérience. Vous fixez les
regards fur un Sourd qui peur fatisfaire
tous les défirs , qui a de l'efprit , du génie ,
un femme charmante & refpectable dont
il eft adoré , & vous le jugez plus malheureux
qu'un Aveugle ; il faut , Monfieur ,
JUILLET. 1756. St
que les Sourds que vous avez connus
foient étrangement affectés de leur infirmité.
Un Sourd riche peut avoir toujours
quelqu'un auprès de lui , qui lui explique
par figne tout ce qu'il veut fçavoir & tout
ce qu'on veut lui dire , & dès-lors il n'eſt
plus qu'à la rigueur privé de ce fens dont
la perte vous paroît fi irréparable. Il voudra
qu'on ne lui rende que les chofes
agréables ou néceffaires ; il fera difpenfé
d'entendre cent bétifes , & d'y répondre :
quelle compenfation de la plus fine ouie ?
A table ou dans un cercle , il jouira de l'attention
accordée à un homme d'efprit qui
s'y fera écouter ; il pourra voir les graces
d'une jolie femme que le chant développeil
croira les entendre ; il devinera ce
qu'elles difent , & fera d'autant plus agréa
blement affecté , qu'aucun bruit importun
ne contrariéra la douceur de fon attention .
Pour l'Aveugle , ce ne fera qu'un amuſement
; pour lui , ce fera un plaifir intime
, parce qu'il y entrera de l'occupation.
Il n'aura d'ailleurs jamais le chagrin d'entendre
ces voix funeftes , reproduites partout
, applaudies en tant de lieux , & prefqu'auffi
infupportables que les louanges
qu'on leur donne . L'Aveugle les entend
fans pouvoir leur échapper , parce qu'il eft
Cij
52 MERCURE
DE FRANCE
.
fans diſtraction , & dès lors s'il n'eft pas
l'homme du monde le moins délicat , il
devient l'homme du monde le plus malheureux.
Une faillie d'un Sourd, une réponſe
, un mot à propos raviffent tout un
cercle on croit toujours qu'il n'a pu bien
dire ou bien répondre qu'à force d'intelligence
; l'air riant qui accompagne les applaudiffemens
qu'on lui donne , lui garantiffent
la fincérité du plaifir qu'on goûte à
le voir ; deux avantages qu'il a fur l'Aveugle
, qui ne peut jamais être ni fi applaudi
d'avoir bien dit , ni fi sûr d'avoir
plu. On prétend qu'un Aveugle eft plus
cauftique qu'un Sourd : la raifon en eſt
bien fimple ; il ne peut jamais lire dans
les phyfionomies , & fe prévenir , par l'extérieur
, en faveur de perfonne. Quel affreux
défagrément pour un Aveugle de ne
pas voir ce qu'il mange & ce qu'on fert !
Il n'y a pour lui ni repas , ni fêtes , ni
fpectacles , le charme de prefque tous les
arts eft étranger pour lui ; dans le plus
affreux cachot , s'il ignore qu'il y eft , &
s'il peut entendre quelques fons agréables ,
quelques beaux vers , il aura épuifé tous
les bienfaits de l'art & de la nature. Placezle
dans le milieu des Tuileries , & diteslui
, vous êtes dans une prifon ténébreuſe ,
il le croira : conduifez - le dans une caverne
JUILLET. 1756. 53
un peu fpacieuſe , & dites -lui , vous êtes
dans les jardins de Verſailles , il y ajoutera
la même foi. Il n'y a point de fille ni de
femme qui ne s'attache plus aifément &
avec plus de raifon à un Sourd qu'à un
Aveugle : la nature infpire cette préférence.
L'Aveugle eft donc plus malheureux .
Il y a des Hôpitaux pour les Aveugles , je
n'en connois point en faveur des Sourds ;
les Sourds font donc jugés moins à plaindre
. On ne fçauroit difconvenir qu'il n'y
ait infiniment plus à voir dans le monde
qu'à entendre '; donc l'Aveugle eft plus
malheureux. Le Sourd peut jouer , danfer ,
faire de la mufique , en compofer , aller à
la chaffe , à la promenade , au bal , & c.
l'Aveugle ne peut rien faire de tout
cela ; donc le Sourd eft moins infortuné.
Tout dépend pour un Sourd fans remede
d'être convaincu qu'il ne guérira jamais :
dès qu'il aura cette conviction , il reprendra
fa gaïeté. Je fuis fourd depuis douze
ans ; j'ai reffemblé parfaitement à votre
Sourd , Monfieur , tant que j'ai eu l'efpérance
de guérir . Dès qu'elle s'eft évanouie ,
j'ai pris mon parti : je m'amufe de mille
chofes , je me fais mille plaifirs , & je fens
que dans ceci ce qui eft vrai pour moi eft
très- poffible pour les autres. Vous pouvez
vous informer , Monfieur , à Strasbourg
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
& à Metz , s'il eft vrai qu'il y existe un
Sourd tel que je viens de me repréſenter
vous ferez bientôt convaincu que je n'exagere
point. Je n'ai quelques momens de
mélancolie par que par la médiocrité de ma
fortune. Si j'avois aujourd'hui mille écus
de penfion du Roi , il pourroit dire avec
sûreté , j'ai fait un heureux de plus dans
mes Etats . Je vous affure , Monfieur , qu'avec
ces trois mille livres , je ferois non
feulement plus heureux que le Plutus des
aveugles & des fourds , mais encore de
tous les hommes de l'univers , par le plan
de vie que je proportionnerois à mon aifance.
Avec ces mille écus , je défirerois le
Cordon de Saint Michel , en qualité d'un
Sourd heureux & le plus intelligent de
tous les Sourds du Royaume , s'il eft vrai
que tous les Sourds , excepté moi , reffemblent
au vôtre.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Le B. D. C. Sourd & très fourd.
JUILLET. 1756. 33
VERS
A M. le Maréchal , Duc de Richelieu .
Modele des Sçavans , des Sages , des Guerriers
;
Toi qui de Paphos & de Thrace
As fçu moiffonner les lauriers ,
Sans dédaigner ceux du Parnaffe :
Tu vas donc prodiguer , au gré de ta valeur ,
Les reftes précieux de ton illuftre vie.
Hâte-toi de punir la lâche perfidie
D'un Ennemi qui brave , & les loix & l'honneur.
Immortel Richelieu , que ton fort eſt flatteur !
En toi , pendant la paix , l'oeil même de l'envie
Voit l'ornement de ta patrie ,
Et dans la guerre , fon vengeur.
D. M. M.
ODE
Au Roi de Pruffe.
D'où part cette famme agiffante ;
Qui frappe & ranime mes fens
Tout à coup ma voix languiffante
Rend des fons vifs & pénétrans.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Fuyez , fuyez fçavantes Fées ,
Allez offrir à nos Orphées
Les tréfors du facré vallon :
Qu'ai- je à faire de votre lyre ?
Celui que je chante m'infpire :
Mon Héros eft mon Apollon.
+
Les Souverains font fur la terre ;
Ce qu'en l'Olympe font les Dieux.
Comme eux , ils lancent le tonnerre ,
Et font tout trembler fous leurs yeux.
Au lieu d'Autel , ils ont un trône ,
Où tout ce qui les environne
S'empreffe de les honorer :
Mais fouvent une crainte vile
Enfante un hommage fervile ,
Quand l'amour feul doit l'infpirer.
Loin d'ici ce culte vulgaire ,
Qui n'eft digne que des Tyrans.
Sous le dais où je te révere ,
Mon coeur brûle un plus pur encens.
Grand Frédéric , le zele anime
Des voeux confacrés par
Au temple de la vérité ,
l'eftime.
Le fceptre eſt un brillant phantôme : ·
Ce n'eft point au Roi , c'eft à l'homme
Que j'offre un tribut mérité.
JUILLET. 1756. 57
Quels traits préfente ton image ?
Es-tu Céfar ou Salomon ?
Que dis-je ! à la fois Héros , Sage ,
Tu mérites ce double nom .
Au ſein même de la victoire ,
Ta bonté s'oppose à ta gloire ,
Ton bras à ton coeur eft foumis ;
Sous une tente & fur le trône ,
Tu tiens le glaive de Bellone
Et la balance de Thémis.
Où vont ces nouveaux Alexandres ,
La flamme & le fer à la main ?
Veulent-ils mettre tout en cendres ,
Et détruire le genre humain ?
Dans les accès de leur délire
Les limites d'un vafte Empire
Ne peuvent point les contenir ;
Ufurpateurs illégitimes ,
Leurs exploits font autant de crimes
Que le Ciel a droit de punir.
Vous , chez qui l'amour de la gloire
A pu fe changer en fureur :
Arrêtez ... la feule victoire
Ne conduit pas à la grandeur.
Maîtres fur la terre & fur l'onde ,
Quoi ! vous avez conquis le monde !!
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
Vous n'êtes point Héros encor ,
Votre triomphe eft inutile :
Que fervent les exploits d'Achile
Sans la fageffe de Neftor ?
O grand Roi ! l'Europe t'admire !
Sur toi s'attachent fes regards :
Elle croit voir dans ton Empire
L'école des Loix & de Mars.
Ici tu fixes dans tes Villes
L'abondance , les Arts utiles ,
Qui d'un Etat font le bonheur ;
Et là , te couvrant de pouffiere ,
Tu formes ta troupe guerriere
A vaincre ou mourir pour l'honneur.
Que vois-je ! quels talens fublimes !
Rival , mais ami des Sçavans ,
Tu les conduis & les aimes
Par tes leçons & tes préfens.
Tels que dans Rome & dans Athenes ,
Les Cicerons , les Démofthenes
Naiffent en foule dans Berlin ;
Et des régions étrangeres ,
Les Virgiles & les Homeres
Y volent fixer leur deftin .
JUILLET. 1756. 99
Le feu , le goût & le génie
Animent partout tes accens.
Quelle force quelle harmonie !
Qu'il eft doux d'entendre tes chants !
Quelquefois du Berger d'Admete ,
Tu prends en main l'humble mufete ;
Et te pares de fimples fleurs ;
Souvent fur la trompette altiere
Tu chantes la vertu guerriere ,
Et cueilles des lauriers vainqueurs.
*
Pour percer fous l'immenfe voûte ,
Eternel féjour des deltins ,
Les Dieux ouvrent plus d'une route
A l'ambition des humains.
Le fage y va par la prudence ,
Le conquérant par la vaillance ,
L'homme docte par les talens.
Mais , comme toi , nul n'à la gloire
D'aller au temple de mémoire
Par ces trois fentiers différens.
Quel froid me faifit ! je friffonne !!
La crainte glace mes efprits.
Mon feu s'éteint , il m'abandonne :
Ma voix , mes fens font interdits.
Où fuis-je ! ou vais -je ! je m'égare !
Suivrai- je dans les airs Icare ,
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Ou Phaéton audacieux ?
Non , non , du féjour du tonnerre ,
Je vole humblement
fur la terre ,
Et laiffe Frédéric aux cieux.
DICTIONNAIRE PORTATIF,
Ou Penfées libres d'un jeune Militaire qui
s'amufe à réfléchir les matins , n'ayant rien
de mieux à faire ; par ordre alphabérique.
ESPECE DE PRÉFACE.
JE réfléchis , en voici la preuve . Qui me
la difputeroit , ne prouveroit que de l'humeur.
J'écris fur tant de fujets , qu'il eft
impoffible que je ne me contrediſe pas.
Toutes mes penfées dépendent de la difpofition
de mes organes. Je voudrois que
quelqu'un me dît s'ils étoient bien ou mal
difpofés quand j'ai fait cette préface : on.
ne peut me faire plus de plaifir que de me
parler librement ; car je fuis toujours sûr
de me divertir des jugemens des autres.
A.
A , B , C , fcience de bien des gens qui
s'en croient davantage.
JUILLET. 1756. 61
ABUS. Voifins dangereux de la juftice &
de la raifon.
ACADÉMIES. Sociétés comiques , où l'on
garde fon férieux .
ACCOUCHEMENT. Action naturelle que
l'art a rendue dangereufe.
AMIS. Ce feroit trop me vanter que de
dire ce que j'en penſe.
AMITIÉ. Sentiment qu'on profane tous
les jours.
AMOUR. Plaifanterie ou fottife . Plaifanterie
, lorfqu'on adore toutes les femmes
: fottife , lorfqu'on s'attache de bonne
foi à une feule .
ANGLOIS . Peuple féroce toujours prêt à
facrifier fon honneur & fon repos à un
phantôme de liberté qui s'évanouit tous les
jours.
APPARENCE . Rideau fous lequel on peut
faire tout ce qu'on veut , mais qu'il eſt
effentiel de tirer.
ARTIFICE. Monnoie courante.
AUTEURS . De deux fortes . La vanité des
uns révolte. L'efprit des autres ennuie.
B.
BATAILLE . Cruelle frénéfie de plufieurs
qui s'égorgent fouvent pour une querelle
qui ne leur fair rien.
BERCEAU, Etat dont l'homme devroit
61 MERCURE DE FRANCE.
fe fouvenir dans fes plus grandes actions ;
cela tempéreroit fon orgueil .
BETES . Combien j'en vois de figure humaine
!
BIEN ( le vrai ) eft de ne dépendre que
de fes fentimens .
BIENFAIT. Bonheur pour les gens fenfibles
, fupplice pour les ingrats..
BONHEUR. Réalité dont Dieu laiffe aux
hommes la chimere , pour leur prouver
leur impuiffance .
BRAVOURE. Premiere vertu du foldat
derniere de l'Officier.
C.
CALCUL . Chofe la plus ennuyeufe & la
plus néceffaire.
CANDEUR. Signe toujours sûr de la
probité.
CARACTERE. C'eft fe vanter
ler du fien , quel qu'il foit.
que
de
par
CHEF. Homme dont il y a fouvent à
parier , que la tête eft moindre que celles
qu'il conduit. Ceci n'eft pourtant pas sûr.
Je parle peut-être trop d'après ce que j'ai
vu.
CIRCONSTANCES . Font plus de criminels
que la réfléxion.
CITOYEN Jadis ce mot fignifioit tour
ce qu'il y a de plus grand : aujourd'hui il
JUILLET. 1756. 63
n'annonce qu'un homme qui paie la
taille.
CLIMAT. Heureux celui qui vit naître
le grand homme qui en a fr bien connu
toutes les influences !
COEUR. Mot vague qui entre dans l'éducation
, & qu'on prodigue à tout propos.
On parle de fon coeur , on aime de tout
fon coeur ; les trois quarts des gens qui
mettent leur coeur partout , font les moins
fûrs d'en avoir un. La reconnoiffance &
l'amour m'ont éclairé fur le mien .
COLERE. Vice du tempérament , pardonnable
un inftant.
COMÉDIE . Prétendue école des moeurs ,
qui ne l'est que de l'efprit.
COMPLIMENT. Ennuyeufe harangue qui
ne prouve rien.
CONVERSATION. Semblable au Pactole.
Les penfées font des grains d'or qu'on y
trouve dans un torrent de mors,
CRÉANCIERS, Honnêtes gens qui ont
toujours tort , & qui enfeignent la politeſſe.
CRÉDIT. Façon trop ordinaire d'égaler
les grands en pillant les peti's .
CRIME. C'en eft un que de donner ce
nom à mille actions qui ne font que des
fautes.
CRUAUTÉ. Vice d'optique.
64 MERCURE DE FRANCE.
D.
DÉCISION. Autorité des fots. L'homme
d'efprit ne décide que pour lui .
DEFENSE. Qu'on eft heureux quand on
peut charger le plaifir de la régler !
DÉSIRS . Souvent plus que les plaifirs .
DOUCEUR. Qualité qui embellit toutes.
les autres , fans laquelle elles ne font rien .
DUEL. Crime néceffaire. Abus des loix
& des préjugés.
E.
ECONOMIE. Vertu que j'ai fouvent entendu
vanter , & dont j'imagine à peu près
la néceffité.
EDUCATION . Source de maux ou de
biens. On ne réfléchit pas affez fur fon
importance. La lecture devroit en être regardée
comme la partie la plus effentielle.
EFFRONTERIE . Moyen de réuffir quand
elle eft foutenue de beaucoup d'efprit :
car un effronté qui en manque eft l'âne de
la fable qu'on chaffe à coups de bâton .
ELOQUENCE. Abus de la parole. Je n'en
connois qu'une vraie qui me perfuade ,
c'eft celle des procédés.
ESPERANCE. Jolie marchande de vent ,
dont le bon marché fait le débit.
ESPRIT. Reffemble à ces météores qui
égarent les voyageurs.
JUILLET. 1756 . 65
ESTIME . Sentiment froid dont on ne fe
contente que dans les gens de qui la façon
de penſer nous eft prefqu'égale.
ETONNEMENT. Caractere de l'efprit foible.
ETOURDI. Ne l'eft pas toujours qui en a
l'air.
ETUDE . Reffource en tous lieux , remede
contre tous maux. Moyen de ne pas
regretter la perte du tems.
ENVIE. Vice exécrable dont la définition
fouilleroit ma plume.
F.
FABLE. Plus commune & plus néceffaire
que l'hiſtoire.
FANTAISIE . Regle trop ordinaire de ce
qui nous paroît le plus folide.
FAT. Animal à mettre dans une ménagerie
, non pas pour fa rareté .
FATALITÉ . Soeur du Deftin , auffi vieille
& auffi bêre que lui.
FEMME . Etre charmant dont la puiffance
approche le plus de celle de la Divinité ,
dont les graces font paffer les défauts &
même les vices.
FIGURE. Chofe fur laquelle il eft bien
faux de fe prévenir. Foible avantage fur
lequel il eft fou de s'enorgueillir.
FLATTEUR. Homme qui ne cherche à
66 MERCURE DE FRANCE.
nous élever que pour être lui-même aut
deffus de nous , en donnant un vice de
plus , l'orgueil .
FLATTERIE. N'eft dangereufe que pour
les fots , à moins qu'elle ne foit donnée
par un homme de beaucoup d'efprit ; car
il en faut ( calcul fait ) deux fois plus pour
y réfifter, que n'en a celui qui flatte.
FLEURS. Colifichets de la nature.
FOLIE. Ame du monde.
FORCE DU CORPS . Mince avantage qu'on
partage avec les bêtes. Force d'efprit , don
précieux qui nous diftingue entre les hommes.
FORTUNE. C'eft une aveugle qu'il faut
conduire .
FRANCHISE. Vieille vertu de nos ayeux.
FRANÇOIS. Peuple aimable , qui a plus
de ridicules que de vices , mais qui a de
bonnes qualités dans le coeur.
FRIVOLE . Il est heureux de pouvoir l'être.
Ces deux mots fe fuccedent à propos ;
J'un eft l'épithete de l'autre.
G.
GAIETE. Source intariffable de tous
biens.
GÉNIE. Etincelle de ce feu divin que
Prométhée vola , & qui prouve le plus
Fimmortalité de l'ame .
JUILLET. 1756. 67
GLOIRE. Chimere qui varie à l'infini .
GRACES ( les ) . Ne peuvent être définies
que par le fentiment.
GRANDEUR D'AME . La véritable eft le
mépris des biens & des maux.
GRAVITE. Trifte effet d'un fang trop
froid .
GUERRE . Folie refpectable.
GUERRE CIVILE. Fureur déteftable.
H.
HABITS . Diftinction pour les fots.
HEROS. Etre de raifon , homme qui
fçait vaincre fes paffions.
HEROS. Tyran , meurtrier que la fortune
couronne par les mains de la victoire.
HISTOIRE. Archives de la vanité .
HOMME. Etre indéfiniffable , mais que
je crois plutôt porté au mal qu'au bien .
Qu'on ne m'en croie cependant pas fur
cette définition : elle peut n'être qu'une
conféquence des évéremens de ma vie.
HONNEUR. Mot dont la fignification eft
immenfe & très rarement entendue ..
HUMANITÉ. Foibleffe , mifere , orgueil ,
impuillance.
I.
JEU. Supplément à l'efprit , ou reffource
de l'avarice .
68 MERCURE DE FRANCE.
JEUNESSE. Saifon où les orages compenles
beaux jours. fent trop
ILLUSION . Reine des hommes.
IMAGINATION . Magaſin d'extravagances
en tout genre .
IMPORTUNITÉ. Politeffe de bien des
gens .
INDIGNATION. Sentiment trop commun,
qu'il faut réprimer.
INFORTUNE. Creufet de la fageffe.
INFINI. Ligne immenfe à laquelle nous
ne croyons point de bout , parce que nous
ne pouvons le découvrir.
INGRATS. Efpece de gens qu'on eft encore
trop heureux de faire .
INGRATITUDE . Vice horrible qui naît de
l'orgueil.
INSTANT. Terme de nos plaifirs . Image
de notre vie .
INSTINCT. Plus fûr que la raifon. La
preuve en eft partout.
IRONIE. Affront le plus fanglant qu'on
puiffe effuyer.
JUSTICE. Sa caducité touche au néant.
L.
LECTURE. Bonne ; nourriture de l'ame :
mauvaiſe ; poifon de l'efprit .
LIBERTÉ . Bien fuprême qui n'exifta que
dans le premier âge du monde.
JUILLET . 1756. 69
LIBERTÉ. Bien qu'un fexe charmant
nous enleve tous les jours. N'enleve qu'aux
fots.
LIVRES. Leur choix fait la preuve & la
richeffe des gens de goût.
LOI NATURELLE . Bafe du bonheur & de
la probité.
Loix. Chofes fimples & néceffaires , qu'on
rend dangereufes en les embrouillant tous
les jours elles font fufceptibles de trop
d'interprétations .
LUMIERES. Les plus brillantes touchent
aux ténebres.
M.
MAJESTÉ. Chofe qu'on fixe plus aifément
que le foleil , & qui eft fujette à plus
d'éclipfes.
MAÎTRE. Homme à qui il eſt bien difficile
de fe faire aimer.
MARIAGE. Efpece de loterie où les bons
billets font bien rares. La raifon & l'efprit
viennent de faire un excellent livre fur
ceux des Proteftans .
MÉMOIRE. Quand on n'a pas le fonds ,
elle ne donne que l'efprit des autres.
MÉRITE. Il faut en avoir
noître.
pour s'y con-
MISERE. Etat naturel de l'homme.
MODESTIE. Vertu des dupes.
70 MERCURE DE FRANCE.
MOINE. Homme qui promet plus qu'il
ne peut tenir.
MORALE. Chacun a la fienne . Elle eſt
cependant comme la vérité : elle eft une .
MORT. But fur lequel on doit moins
s'étourdir que s'aguerrir.
N.
NAISSANCE . La haute eft un fardeau.
La baffe eft un fujet d'émulation . Combien
de gens traînent la leur !
NATURE . Mere de bien des ingrats.
Tréforiere inépuifable du Philofophe.
NAUFRAGES. Il y en a partout.
O.
OPINIATRETÉ . Dureté d'efprit ; qualité
qui fait hair celui qui l'a .
ORGUEIL . Vrai Dieu de l'univers , qui
fait tous les jours des miracles ou des
fottifes.
P.
PASSIONS. Puiffances contre lefquelles
il faut lutter de bonne - heure. Divinités
charmantes ou Megeres horribles . Myrthe
ou Aconit. Souvent l'un & l'autre .
PATIENCE . Vertu facile à prêcher.
PAUVRE. Homme dont le mérite eft
chofe perdue.
PAUVRETÉ. Malheur de convention qui
1
JUILLET . 1756 . 71
eft plus à éviter que le vice. Cette définition
n'eft pas un confeil , mais une vérité.
PERE. Homme que fa tendreffe doit
éclairer fur fes devoirs.
PERFECTION . Point dont chaque hom→
me fe fait une idée chimérique , mais qui
ne peut être entrevu par aucun.
PETITS. Ce font les hommes en général
. Pigmées , ce font les grands .
PEUPLE . Toujours vil & méprifable . Il
y en a bien dans ce qu'on nomme la bonne
compagnie.
PEUR. Maladie avec laquelle nous naiffons
& nous mourons tous , malgré le
pouvoir & la vanité.
PHILOSOPHE . Homme qui fçait être
heureux par lui- même , fans le fecours d'aucun
bien.
PHILOSOPHIE. Reffemble au grand cuvre.
Bien des foux la cherchent.
PLAISIR. Phantôme qui nous enchante ,
mais qui fuit dès que nous voulons le
toucher .
POLITESSE Lien général dont on abuſe,
PREJUGÉS. Vieux ennemis du bon fens ,
qu'on dit qu'il faut fuivre cependant pour
en avoir.
PRÊTRE. Homme dont les devoirs font
bien difficiles.
PRÉVENTION. Regle de la plupart de
7.2 MERCURE DE FRANCE.
nos jugemens ; je dirois même de tous , fi
je ne craignois qu'on ne m'en accusât.
PROBITÉ. Vertu qui fut précieufe à nos
ancêtres , & qui ne fait plus que des dupes.
PROJETS . Mauvais ; fort aifés à faire :
bons ; difficiles à executer.
PRUDENCE . Façon de prendre fon parti
de fang froid dans tous les événemens ;
vertu que rien ne peut déranger. Et où
exifte cette belle chimere ?
Q.
QUERELLE. Faute quand on fe l'attire ;
bêtife quand on ne la prévient pas , &
malheur lorfqu'on n'a pu l'éviter.
QUESTION. Chofe qu'il eft difficile de
faire bonne.
QU'IMPORTE. Mot avec lequel le fage fe
confole de tout.
R.
RAISON. En parle qui voudra ; Dieu
me préſerve de m'y connoître.
RARETÉ. Probité abfolument défintéreffée.
REFLEXION . Trifte meuble dont il faut
fe fervir quelquefois.
REGNER . Science bien difficile.
REPONSE. Chofe fort ennuyeuſe à faire .
REPUBLIQUE .
JUILLET . 1756. 73
RÉPUBLIQUE, Etat qui ne peut longtemps
exifter , à moins que les divifions
intérieures ne cedent toujours à la cauſe
commune.
RÉPUTATION . Dépend du ton plus que
du fonds des choſes.
RIEN. Etendue de nos connoiffances.
RIME. Entraves de l'efprit qu'on ne devroit
jamais donner au fentiment.
RIRE. Mouvement convullif qui n'annonce
pas toujours la joie.
Rois . Premiers ou derniers des hommes.
S.
SAGESSE. La vraie confifte à fçavoir
perpétuer les plaiſirs , & à les varier à
l'infini .
SAINTETÉ . Effet de cent mille écus
fur lequel on ne trouveroit pas un fol
dans ce fiecle .
SAINT. Etre que je ne connois que de
réputation.
SANTÉ . Dans la meilleure , il n'y a pas
deux à parier contre un que l'on vivra .
SCIENCES. Labyrinthe où l'orgueil nous
égare .
SÉDITION. En France feu follet. Orage
en Angleterre.
SENTIMENT. La plus précieufe préroga-
1.Vol. D
T
74 MERCURE DE FRANCE.
tive de l'homme ; mais qui en eſt trop peu
connue .
SIFCLE. Jadis ce mot vouloit dire quel
que chofe , aujourd'hui frivolité & lui font
fynonimes. Peut-être nós Neveux lui rèndront-
ils fa premiere fignification .
SOCIETE . L'efprit de fociété , en général
, n'eft qu'un vil intérêt.
l'hu-
SOUPIR. Effet délicieux du fentiment,
SUPPLICE. Rien de fi humiliant , j'ajoute
même de fi deshonorant pour
manité que la néceffité des fupplices .
SYMPATHIE . Sentiment précieux : mal
heur à qui ne le connoît pas.
T.
TÉMÉRITÉ. Action qui prend un plus
beau nom , fi elle réuffit .
TEMPERAMENT. Maître & directeur abfolu
de l'ame & du corps. Cette définition
eft mortifiante pour la vanité ; mais qu'on
réfléchiffe , elle est vraie ,
y
TEMPS . N'eft un vieillard que pour
ceux qui le perdent ; c'eft toujours un enfant
pour qui fçait l'employer.
TITRES. Ne décorent point. C'est la
façon de les mériter. En donner à ceux qui
n'en ont point , c'eft bêtife ou méchanceté,
TOURTERELLES . Tendres oiſeaux dont
bien peu de gens ont l'efprit d'envier le fort,
JUILLET. 1756. 75
TRANQUILLITÉ . Etat le plus déſirable du
monde , lorfqu'il porte fur une parfaite indépendance.
TRIOMPHE. Tel a fçu le mériter , qui
n'auroit fçu le réfuſer.
TRISTESSE. Etat cruel qui exiſte ſouvent
fans caufe , & que je crois dans la nature
de l'homme .
V.
VANITÉ . Fille de l'honneur & de la
fottife.
VENGEANCE. Sentiment de vanité qui
ne doit fa force qu'aux circonftances.
VERS. La gloire d'en faire de bons n'en
paye pas la peine .
VERITÉ. Si elle n'eft pas la regle de toutes
les actions des hommes fans exception ,
elle fera plus de mal que de bien.
VERTU. Chofe admirable dont chaque
homme fe forme une idée particuliere
qu'il chérit , mais à laquelle il facrifie
rarement fes paffions.
VICTOIRE. Crime que la néceffité change
en vertu.
VIE. Tiffu de maux & d'ennui , dont
nous avons la fottife de redouter la fin .
VILLES. Leur origine vient plutôt des
befoins mutuels des hommes que de leur
caractere fociable .
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
VIOL. On devroit admirer un homme
qui prend la peine de commettre ce crime.
VOYAGES . Ne valent que par la réflexion."
VOLUPIÉ. La plus féduifante & la plus
mal fervie de toutes les Déeffes ; elle a
des Autels & des parfums différens. Les
plus exquis brûlent pour le fentiment , &
font entretenus par l'efprit . Il n'y a pas
trois perfonnes par fiecle qui fçachent
l'adorer , comme elle le veut.
Y.
YEUX. Sont la plus noble partie de
l'homme , mais il faut que l'efprit & la
fermeté les dirigent.
YVRAYE. Celui de l'Evangile eft bien
commun .
YVRESSE . Toutes celles du plaifir font
dangereufes ; toutes les autres font deshonorantes.
Z.
ZEPHYR. Ennuyeux petit vent qu'on
trouve partout .
ZINGISKAN. Orphelin qui doit beaucoup
à fa mere adoptive .
ZIST & ZESTE. Notre vie fe paffe entre
ces deux mots.
& c.
ET CETERA. Le meilleur de mes Ouvrages.
•
JUILLET. 1756. 77
Nous croyons que ce Dictionnaire doit
plaire d'autant plus par fa briéveté , qu'on
y trouve des chofes , & qu'il prouve en
peu de paroles que nos Militaires penfent
aujourd'hui & penfent de bonne heure .
Cependant quelque court qu'il foit , nous
en connoiffons un plus fuccinct , mais qui
lui eft très- inférieur ; c'eſt le Dictionnaire
que nous a envoyé un vieux Abbé qui a
troqué fes idées contre des fenfations . Il fe
borne à quatre lettres qui ne contiennent
que quatre mots renfermés dans cette ligne.
B. Boire. D. Dormir . M. Manger. V..
Végéter.
Qu
VERS
Sur le Préjugé des Auteurs.
Ui pourroit m'indiquer ou demeure l'envie ?
J'entends partout maint Auteur s'écrier ,
Ah l'envie ! ah l'envie ! On a beau la prier ,
La cruelle qu'elle eft , par la rage fuivie
Répand à chaque inftant fes poifons fur ma vie.
Sur votre vie ! O ciel ! que vous êtes heureux !
Illuftre Auteur entouré d'envieux.
Que je vous voye : hélas ! tant de mérite
Avoit le droit d'exciter leurs fureurs.
Tempérez par bonté l'éclat qui les irrite ;
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
Vous deviez vous attendre à toutes ces horreurs :
Vous êtes trop grand homme ; & moi , qui vous
regarde ,
Et qui ne vous connois que depuis un inftant ,
Je me fens... Ah ! grands dieux , oui , ſi je n'y
prends garde ,
Je me fens fi petit , quand je vous vois fi grand,
Qu'à vos jaloux mon coeur ajoute un concurrent.
Ce que c'eft que d'avoir un fi vafte génie ,
L'efprit de Cicéron , & l'ame de Brutus ,
L'intelligence à la fageffe unie ,
Du concert des humains on trouble l'harmonie
On accable les gens du poids de fes vertus.
Monfieur l'Auteur , oui , je parie ,
Quoique je n'aie encor vu que votre profil ,
Que fi de vos triftes années ,
La Parque retordoit le fil ,
Vous refuferiez net vos grandes deftinées ,
Vous choifiriez plutôt la douce obfcurité
D'un Citoyen que rien n'agite ,
Et qui dans la tranquillité ,
'Arrive doucement fur les bords du Cocyte
Par les fentiers unis faits pour l'oifiveté :
Oui , vous immoleriez votre nom , votre gloire ,
Vous voudriez, plongé dans les ombres du temps,
N'être pas plus célebre au Temple de mémoire ,
Que moi , rimeur obfcur , de qui les vers rampans
.....
Non. Comment , non ? ...
Je vous entends.
JUILLET. 1756. 79
Vous voulez des lauriers , & les cueillir fans peine,
Vous êtes un Seigneur qui , porté mellement
Sur des refforts à la d'Alêne ,
Se plajnt du bruit impertinent
Que fait fon carroffe en marchant.
Que ne va- t'il à pied Il entre chez Hortenfe ,
Il s'écrie avec pétulance :
Mes gens font des coquins , mes fermiers , des
fripons ,
Mon intendant , mes fecretaires ,
Mes bois , mes gardes , & mes terres ,
Tout va mal , on me pille , ils font tous des
larrons !
On double , on triple ma dépenfe ,
J'irois à l'Hôpital tout droit ,
Si je n'avois une fortune immenfe . !
Marquis , tour ce courroux n'eft qu'un moyen
adroit
Pour parler de votre opulence ,
Ah , l'Envie ! ah , l'Envie ! Auteurs , on vous croiroit
04
Plus piqués de fon infolence ,
Si vous aviez moins d'éloquence.
A peindre les fureurs de fon acharnement.
Oui , dans les plaintes que nous forge
Votre coeur dupe alors de fon reffentiment ,
Notre amour-propre clairement
Voit le vôtre qui fſe rengorge.
Ma raifon y voit plus , & j'ai prefque deffeip
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
De penfer mal d'un Auteur fi chagrin :
Car cette envie au comble parvenue ,
Dont il offre à nos yeux les vifs emportemens ,
Et les transports & les raffinemens ,
La peindroit- il fi bien , s'il ne l'avoit connue ?
Tout grand homme va droit , & fimple , il ne
croit pas
Qu'il puiffe être l'objet d'une jaloufe rage. ; .
Si quelque vil roquet jappe fur fon paffage ,
Il marche fans fe plaindre , & laiffe fur les pas
Aboyer les chiens du village. >
Je pourrois citer plus d'un fage
Montefquieu , Fontenelle , ou Caton ;
Mais ce difcours auroit l'air d'un fermon.
Ne citons rien , & fans cérémonie ,
Finiffons , chers Auteurs , par un trait d'amitié :
Tel d'entre vous croit faire envie ,
Qui fouvent ne fait que pitié.
LES SONGES DE L'AMOUR ,
Idylle traduite du Grec ( 1 ) .
CE n'eft point à Paphos où l'amour établit
fon empire , c'eft dans les lieux où il
(1 ) Le manufcrit grec dont on a tiré cette traduction
, a été trouvé à Sayde en Syrie , où l'on en
a donné une copie à un Marchand de la Rochelle.
JUILLET. 1756 . 31
reçoit les voeux les plus tendres . Je vis
Eglé à l'inttan. même il fe fixa dans nos
bocages. Que de charmes il y fait naître !
Le Dieu du Jour y eft amant de Flore ;
on le voit briller de tous les feux qu'il
veut porter dans fon fein : mais le Zéphyr
jaloux les arrête par fes foupirs. Mille
Nayades fe joignent à lui pour défendre
la timide Flore : leur fecours la rend plus
touchante & plus belle.
Diane vient enfin de fentir le pouvoir du
Maître de nos coeurs. Elle furprit un jour
le Dieu des Forêts pendant qu'il fe baignoit
dans une onde pure . Cet objet lui
paroît plus digne de fes ris que de fa
colere , mais l'Amour que le fouvenir des
graces du jeune Actéon irrite contre ſa
fierté , arme fon arc d'un trait vainqueur :
les yeux de la Déeffe fe troublent , fon
coeur eft bleffé , & les Satyres applaudiffent.
Depuis ce tems elle foupire fans ceffe , &
cherche les ombrages épais. O Déeffe trop
cruelle ! Actéon fera bientôr vengé . Les
Sylvains préparent déja leurs antres fecrets ,
& les Dryades y fement de fleurs les ga
zons les plus verds..
Le ftyle eft celui d'un Auteur du bas Empire. I
paroît avoir été corrigé & altéré par des modernes
Grecs & Arabes ; car il s'y trouve des corrections
dans cette derniere Langue.
Dv
S2 MERCURE DE FRANCE.
L'Amour m'a révélé ces fecrets cachés
aux yeux des Bergers , pendant que je
goûtois les charmes du fommeil fous l'ombre
d'un Tilleul (1 ) . Je dis à ce Dieu : La
reconnoiffance plaît aux Immortels : mais
quels dons pourrois- je t'offrir ? Eglé m'a
ravi le plus précieux de tous. Amour ,
prends-la pour victime , il n'en eft point
de fi digne de toi ! O Dieu charmant, fais
le bonheur d'Eglé : fais qu'elle aime , &
qu'elle aime comme moi . Alors je facrifierai
tous les jours une hécatombe ſur tes
Autels.
M'aurois - tu déja tranfporté dans ton
Temple ? Mais d'où vient la trifteffe que
j'y vois régner ? Pourquoi ces rofes dont
tes Autels font ornés ? Ont- elles perdu
leur vif éclat ? Helas ! je ne vois point
briller res feux facrés ; auroient- ils tous
paffés dans mon coeur ?
Cependant Eglé me tend les bras. Les
Dieux me font témoins , dit- elle , que je
t'aime plus que ma vie. Mais une Divinité
jaloufe m'a plongée dans les eaux
du mortel Achéron : mon coeur feul n'en
a point fenti l'effet. Je meurs , puifque je
pu te prouver mon amour . Mon ame
prête à m'abandonner est déja paffée fur
D'ai
(1 ) Il y a dans le Grec un Cormier.
JUILLET. 1796.
mes levres: reçois la , cher Lifis , & puiffet'elle,
unie à la tienne , n'avoir plus qu'un
même corps pour ne le quitter jamais !
O fils de Venus ! détruis ce cruel enchantement.
Prends dans mon coeur tous les
feux qu'Eglé y alluma , porte les dans fon
fein . Tu m'exauces ! Ces beaux myrthes
s'agitent & répandent un doux parfum :
les voûtes du Temple s'ouvrent . Je te
vois , Dieu charmant , fur un trône de rofes
qu'arrofent fans ceffe de leurs larmes l'Au-
Fore & la Volupté . Suis- moi , chere Eglé ;
pénétrons jufqu'à ce Dieu même. Mais
quoi ! tes forces t'abandonnent ! Eglé , ma
chere Eglé , ne ferme pas ces beaux yeux.
Que ton ame demeure dans le délicieux
féjour quelle habite reçois y plutôt la
mienne .
A ces mots , le fils de Venus fit un doux
fourire Ne crains plus , dit- il , pour Eglé ;
tes feux ont confervé fes jours : ils pourroient
les détruire , le froid Acheron même
en feroit enflammé . Mais airft qu'une
fleur tendre & délicate ne peut réfifter aux
ardeurs brûlantes du midi , tant de feux
pourroient confumer la fenfible Eglé : je
veux les appaifer ... A l'inftant il répandit
des flots de ce nectar qui tient les immortels
dans une éternelle yvreffe , mais qui
n'éteignit nos feux que pour les rallumer
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
plus vivement encore , & leur donner
l'immortalité des Dieux.
O fommeil fi doux & fi court ! ô fonge
divin ! ne jouirai - je plus de vos charmantes
erreurs ? Obonheur ! dont chaque trait
eft fi bien gravé dans mon coeur , & ne
s'effacera jamais , que ton image délicieufe
ait dans ce moment pour Eglé tous les
charmes de la vérité !
Vous , que l'on révere à Gnide , & que
la main des Graces a plantés pour orner le
Temple du Dieu qu'on y adore , vous , qui
cachez fous vos ombrages les fecrets que
Prométhée ravit aux Dieux , beaux Myrthes,
ne foyez point jaloux fi l'Amour vous
a dépouillés de quelques rameaux pour
couronner mes feux. Je les arroferai de
mes pleurs en coulant dans vos rameaux ,
ils rendront mon amour & ma conftance
éternelles comme vous.
Par Paul Stue , Muficien & Serpent de
la Cathédrale de la Rochelle.
JUILLET. 1756. 85
VERS FAMILIERS
Sur le Mariage.
Pour femme prendra qui voudra
Celles que le Mercure annonce : ( 1 )
J'en veux une qui me plaira ,
Ou bien à l'Hymen je renonce .
Si j'aime , fi je fuis aimé ,
Des noeuds c'eft le plus reſpectable :
Par l'intérêt s'il eft formé ,
En eft- il un plus redoutable ?
Amour feul dictoit les accords
Dans cet heureux fiecle d'Aftrée :
Bon renom , difoit - on alors ,
Vaut mieux que ceinture dorée .
Aujourd'hui c'est tout différent ,
On prend peu garde à la perfonne :
Eft-elle bien riche , on la prend ,
Ne fut- elle belle ni bonne.
Bonne femme en fut- il jamais ?
( Diront quelques maris bizarres ).
Oui , fans doute , il s'en trouve : mais
De tels oifeaux font un peu rares .
(1) Dans le fecond Volume de Janvier 1756,
S6 MERCURE DE FRANCE.
秦
Au refte , je ne prétends point
Avoir une femme parfaite :
Or voici , pour être à mon point ,
Comme je veux qu'elle foit faite.
Par l'âge foyons affortis ,
Ainfi que par le caractere :
Qu'elle n'époufe point fon fils ,
Et que je ne fois point fon pere.
Peu m'importe que chez d'Hozier
Elle ait fa généalogie :
J'honore dans un Roturier
La vertu qui s'y réfugie.
Un Noble , qui de ſes ayeux
Vient m'étaler la longue fuite ,
Eft fort peu de chofe à mes yeux ,
Quand il n'a pas d'autre mérite.
Que de gens traînent de grands noms !
Et
que de veaux d'or l'on encenfe !
A ma future revenons :
Mufe , tu prends trop de licence.
Qu'elle ait peu d'apas , j'y confens :
Faut- il être belle pour plaire ?
Qu'elle ait moins d'efprit que de fens :
L'un éblouit , & l'autre éclaire .
Que fans fineffe , fans détour ,
Elle ne foit point trop naïve
JUILLET. 1756.
87
-
Que , fans avoir le ton du jour ,
Elle foit enjouée & vive .
On fçait qu'à la malice enclin ,
Le beau fexe a droit de tout dire :
Que de fa part un trait malin
Ne puiffe ni fâcher , ni nuire.
Ce que
femme veut Dieu le veut ;
Ma volonté fera la Genne :
Sans conféquence , s'il fe peut ,
Par fois elle fera la mienne.
Se gêner fur tous fes défirs ,
C'eft végéter , ce n'eft point vivre :
Dans l'âge fait pour les plaiſirs ,
Qu'avec décence elle s'y livre.
Quand la raifon les interdit ,
Qu'à leur attrait elle s'arrache :
Qu'à fa famille qui grandit ,
En bonne mere elle s'attache.
Qu'elle aime un fils fans néanmoins
Avoir le foible d'une mie ;
Et que fa fille , par les foins ,
Dans la vertu foit affermie.
De traiter fes gens fans hauteur
Quelle fe faffe une habitude ,
Et qu'au contraire fa douceur
Leur faffe aimer leur fervitude.
88 MERCURE DE FRANCE .
En voyant tant de fots Créfus ,
D'être moins riche on fe confole :
Pour envier leurs revenus ,
Qu'elle ne foit point affez folle.
Du peu que le fort me donna ,
Elle fera bien la maîtreffe :
Sçavoir jouir de ce qu'on a ,
Du vrai fage c'eſt là richeſſe ..
J'abhorre un avaricieux ;
Mais je crains tout pour un prodigue::
Qu'à cet excès pernicieux .
་ས
Şa raifon oppoſe une digue.
Du jen , fait pour l'amufement ,.
Que jamais elle ne s'occupe ,
Et qu'elle fçache noblement
Y perdre , mais fans être dupe.
Pauvres maris , qu'à votre honneur -
Cette paffion eft funeſte !
Combien de femmes , en malheur ,,
A-t'on vu jouer de leur refte !!
Que dans le choix de fes amis
Elle fe rende difficile :
Qu'à leurs falutaires avis
Son ame fe montre docile.
D'un fentiment trop dangereux
Que fon tendre coeur ſe défie ; :
JUILLET. 1756 . 89
•
Que ce coeur toujours vertueux
Au préjugé le facrifie .
Que je vous plains fexe charmant
L'homme , qui cherche à vous furprendre
Vous attaquant à tout moment ,
Yous fait un crime de vous rendre.
Affervis aux plus dures loix ,
Vos coeurs plus foibles que les nôtres ,
' Peuvent- ils combattre à la fois
Nos tendres ardeurs & les vôtres
Je fçaurois , en mari prudent ,
Sur certain article me taire ;
Je ne voudrois pas cependant
Paffer pour mari débonnaire.
Que ma moitié faffe fi bien ;
Que ce foit pour moi lettre cloſe :
Quand on l'ignore ce n'eft rien ,
Quand on le fait c'eft quelque chofe.
ᏚᎥ par fon art un Médecin-
Vient de les jours trancher la trame
Que ce foit l'unique chagrin
Que me cauſe une telle femme.
DU L. AKAKIA..
A Paris , ce 17 Mars 1756.
90 MERCURE DE FRANCE.
VERS
A L'AUTEUR DU MERCURE
JEE crois , Seigneur , ce badinage
Peu digne de votre Lecteur
Encor moins de votre luffrage.
Mais on peut , fans prifer l'Auteur ; {
En faveur du fujer , faire grace à l'ouvrage.
A Mademoiselle de Car... de Toulouse.
A Pprendrez vous , Sphinx adorable
Et fans mépris & fans couroux ,
Les fentimens qu'a pris pour vous(0)
Un Lecteur peu conſidérable s
Grace à mon incapacité ,
Je n'ai pas le goût difficile :
Je lis tout fans févérité.
}
Au fond de mon ruftique azyle ,
Qu j'encenfe l'oifiveté ,
Un Logogryphe en mauvais ftyle ;
Mal rimaillé , mal fagotté ,
N'a jamais excité ma bile ,
Ni troublé ma tranquillité.
D'où vient donc que votre critique
Fait naître aujourd'hui dans mon coeur
JUILLET. 1756. ༡ ་
Un tendre intérêt qui s'explique
Et s'anime en votre faveur ?
Voici tout ce que j'en augure :
Le fujet ne me touche en rien ;
Mais je l'éprouve & le fens bien ,
J'aime l'Auteur de la cenfure.
N'allez pas vous en gendarmer ;
Et fongez , en Juge équitable ,
Qu'il eft permis de vous aimer ,
S'il vous eft permis d'être aimable.
Vous vous peignez par des couleurs
Qui , réuniffant tous les charmes ,
de toutes les armes ,
Vous parent
Dont l'Amour ſe loumet les coeurs.
Si ce portrait eft véritable ,
Pour la moitié du genre humain
Je vous crois auffi redoutable
Que le fut le monftre Thébain.
De l'Enigme la plus abftraite ,
Tel peut brifer le voile épais ,
Qui doit compter fur la défaite,
S'il eft en butte à vos attraits.
L'efprit , la beauté , la jeuneffe
Brillent chez vous tout à la fois:
Qui dit l'efprit , dit la fageffe ;
Et fur ce pied-là , je conçois
Que dans une feule Déeffe
Toulouſe adore fous fes toits
Les attributs qui dans la Grece
92 MERCURE DE FRANCE.
Firent le partage de trois.
Ne foupçonnez pas que j'afpire
A m'illuftrer par les fermens
Qu'efclaves d'un tendre martyre
Font fur vos Autels mille Amans.
De tous les noms que l'Epigramme
Offre à nos yeux dans vos écrits ,
Celui de l'amoureux Pirame
N'eft pas chez moi du plus haut prix.
Prefqu'à la fin de mon automne
Le titre de votre Mari
Me conviendroit moins qu'à perfonne
Le nom charmant de votre Ami
Eft le feul que j'ambitionne.
Il faut vous dire un mot de moi,
Afin d'éviter le reproche
De n'être pas de bonne foi ,
Et de vous vendre chat en poche.
En deux vers , voici mon portrait ,
Pendant. & contrafte du vôtre :
Je fuis,garçon , vieux & fort laid ,
Simple , ignorant , mais bon Apôtre..
Tel eft votre ami . S'il vous duit ,
Notre marché peut fe conclure.
Je me tiendrai pour bien inſtruit
De mon deftin par le Mercure:
1.5. Mai 1756..
JUILLET. 1756 . 93.
Comme le Logogryphe de la charmante
Touloufaine mérite qu'on s'y intéreffe ..
j'aurois fouhaité qu'on y eût corrigé ce
Vers de dix fyllabes , dont la céfure eft
défectueuſe :
Préfide à cette admirable ftructure .
Je crois qu'on auroit pu remplacer ce
Vers par celui -ci :
Compofa de mon chef l'étonnante ſtructure ,
En mettant deux Vers après : Hl conferve,
au lieu de je conferve..
LEE
mot de l'Enigme du Mercure de
Juin eft le Confin. Celui du Logogryphe
Caractere d'Imprimerie , dans lequel on
trouve terre , rat , artere , carat , ovale
crête , Ccte , arc , écart , rare , Tarare , rater,
écarter , pacte , & aile.
94 MERCURE DE FRANCE.
ENIGM E.
Juſqu'au milieu du Sanctuaire ,
J'ofe en tout temps porter mes pas :
Je fuis auffi formé pour fervir à la guerre ,
Sans qu'il me foit permis de paroître aux combats:
Toujours dans la moindre déroute ,
J'accompagne tous les Fuiards ,
Soit nature ou caprice , au milieu de la route ,
Je m'attache aux Drapeaux & non aux Etendards
Nouvel animal amphibie ,
J'habite le feu comme l'eau :
Le croiroit- on ? je fuis en vie ,
Sans jamais forur du tombeau.
Je me gliffe & deviens utile ,
Jufques chez Vénus & l'Amour :
Je vais jouer mon rôle en Ville ,
Et des Rois compofer la Cour.
Delà , dans un vallon , fur le bord d'un rivage .
Je vole accompagner la flûte & le hautbois :
J'évite des Oiseaux le plus tendre ramage ,
Préférant de m'unir aux douceurs de la voix ...
En un mot dans ton coeur , au fein de la nature ,
Lecteur , regarde bien , tu verras ma figure .
JUILLET. 1756.. 95
LOGOGRYPHE.
Souvent la coupe la plus pure
Contient le plus affreux poiſon ,
Cette comparaiſon fait affez ma meſure.
Oui , fans vous , Auteur du Mercure ,
J'afficherois encor ma réputation .
Mais vous n'avez rendu complice ,
Sans le vouloir , de certain vice , ( 1 )
Qui rabaiffe beaucoup mon oftentation
Il dégrade mon origine.
Jufques 'ici je fus Caton , ( 2 ) ,
Et fi chez vous l'on m'examine ,
On ne trouve plus que Néron.
Mais quoi je donne dans l'emphaſe .
Et je ne fuis qu'un vrai fétu ;
Paffons vite à la paraphrafe ,
Décompofons l'individu.
Chez moi , comme chez tout le monde ,
On trouve certain animal ,
Que le Mahométan regarde comme immonde ( 3) ;
Et qui rend l'homme en général ,
(1 ) Note d'attente , & qu'on ne donnera qu'avec
Le mot du Logogryphe.
(2 ). Le Cenfeur.
(3) Voyez la troifieme Lettre Perfanne de Mehemet-
Aly , Serviteur des Prophetes , à Ufbec..
96 MERCURE DE FRANCE.
Paffablement original :
Item , certain déchet fur toute marchandiſe ,
Pour peu qu'elle fouffre de crife ;
Une montagne en Beaujolois ;
Un terme honnêtement grivois ,
Quand nous voulons traiter de fort peu d'impor
tance,
Avis , leçon , ou remontrance :
De plus , le mot latin du ſolide élément ,
Dont les entrailles entr'ouvertes ,
En Novembre dernier ,, jour des plus folemnels.
Aux triftes Portugais cauferert plus de pertes
Que le féau le plus cruel .
Mais de ce fpectacle tragique ,
Détournons , cher Lecteur , promptement les re
gards,
Et qu'une note de mufique ,
Symbole du plaifir , termine à tous égards
Mon ouvrage logogryphique ,
Ta rêverie , & mes écarts.
ENVOI
A Mademoiselle de Car.... Toulousaine , au
fujet de fa Lettre inférée au Mercure du
mois de Mai 1756 , pag. 84.
AImable &jeune Toulouſaine ,
Vous voulez me bannir de la fociété ( 1 ) ;
(1) C'eft le Logogryphe qui parle.
St
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
,
96 MERCURE DE FRANCE .
Paffablement original :
Item , certain déchet fur toute marchandiſe ,
Pour peu qu'elle fouffre de crife ;
Une montagne en Beaujolois ;
Un terme honnêtement grivois ,
Quand nous voulons traiter de fort peu d'impor
tance,
Avis , leçon , ou remontrance :
De plus , le mot latin du folide élément ,
Dont les entrailles entr'ouvertes ,
En Novembre dernier ,, jour des plus folemnels ;
Aux triftes Portugais cauferert plus de pertes
Que le féau le plus cruel.
Mais de ce fpectacle tragique ,
Détournons , cher Lecteur , promptement les re
gards ,
Et qu'une note de mufique ,
Symbole du plaifir , termine à tous égards
Mon ouvrage logogryphique ,
Ta rêverie , & mes écarts.
ENVOI
A Mademoiselle de Car.... Toulousaine , au
fujet defa Lettre inférée au Mercure du
mois de Mai 1756 , pag. $4.
AImable & jeune Toulouſaine ,
Vous voulez me bannir de la fociété ( 1) ;
(1) C'eft le Logogryphe qui parle.
Si
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
,
CHANSON.
Cendrem
2
Vous fuyez sans vouloir m'entendre
Charmant objet de mes Amours .
Si vous trouvés mon coeur trop tendr
Eglé vous me fuyrez toujours.
Les paroles de Mt de B ×× .
et la Musique par Mad Papavoine .
Juillet 1756. Imprimée par Cournelle .
JUILLET. 1756. 97
Si vous euffiez mieux fupputé ,
Vous m'auriez juré moins de haine.
Entre une fille & moi , que je vois de rapports !
Pour venir à vos fins , trop perfides Amantes ,
Ah ! que de formes différentes ,
Prend votre esprit & votre corps !
De vos coeurs la triple enveloppe ,
Nous dérobe mille replis ;
Et quand je cherche Pénelope ,
Je ne trouve louvent que Phriné , que Laïs.
Pardonnez - moi ce petit coup de griffe ;
Il n'eft pas fait pour vous : calmez vos fens émus.
Modele des talens , vous l'êtes des vertus.
Mais je foutiens toujours fans paroître apocryphe,
Qu'une fille en tous fens , n'eft qu'un vrai logogryphe.
Par unfrere Ignorantin , de la chapelle du
Pont d'If .. en Berry.
CHANSON.
Vous fuyez fans vouloir m'entendre ;
Charmant objet de mes amours a
Si vous trouvez mon coeur trop tendre ,
Eglé , vous me fuirez toujours ,
I.Vol. EFri
98 MERCURE DE FRANCE.
L'amour pourroit - il fe contraindre ,
Quand c'est vous qui fçavez charmer ;
Votre rigueur me le fait craindre ,
Mais vos yeux me le font aimer.
Sans regrets vous voyez mes larmes
Hélas ! que vais-je devenir ?
Si vous me privez de vos charmes
Otez m'en donc le fouvenir.
Pour être fous votre puiffance
Ai-je mérité vos mépris ?
Plus vous dédaignez ma conſtance
Plus vous en augmentez le prix.
Ne rendez-vous mon coeur fidele
Que pour mieux faire fon tourment ?
Hélas ! que n'êtes vous moins belle ,
Ou que ne puis- je être inconftant !
JUILLET. 1756. 99
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
EXTRAIT
De la Princeffe de Gonfague ; Roman hiftorique
en deux Parties .
Marie - Louife de Gonfague , petite
niece de Marie de Médicis , & parente
d'Anne d'Autriche , étoit née avec toutes
les qualités de la plus grande Princeffe &
toutes les vertus de la plus aimable femme.
Elle n'avoit jamais aimé , parce qu'elle
regardoit l'amour comme une paffion funefte
; & fans perdre fa prévention , elle
aima Cinqmars , ce Cinqmars fi célebre
fous le regne de Louis XIII , dont tant
d'Ecrivains ont parlé avec complaifance ,
& qui, par fon efprit, fa figure & fes grands
talens , étoit encore au deffus de l'amour
de fon Maître & de l'amour des femmes.
Gonfague commença à fentir toute la force
de fa paffion par le murmure de la vertu.
L'amour ne paroît point dangereux qu'il
ne paroiffe criminel . Elle combattit , &
E ij
$35202
100 MERCURE DE FRANCE.
fuccomba. L'attrait des confidences s'offric
comme une confolation . Une femme de la
Cour , déguifée ici fous le nom de Flora ,
avoit fçu gagner fon amitié. Ce fut à elle
qu'elle ouvrit fon coeur : mais cette amie
perfide , née avec tous les vices , jalouſe de
tous les fentimens , étoit d'autant plus intéreffée
à abufer de la confiance de la Princeffe
, qu'une jaloufie fecrete lui faifoit
des tourmens des vertus de fon augufte
Rivale , titres de préférence , toujours redoutés
à proportion qu'on eft vicieux. Le
triomphe de Cinqmars feroit toujours
refté entre Gonfague & Flora , s'il n'avoit
été qu'aimable ; mais il aimoit , & une
femme n'a plus affez de force pour taire
fon fecret , lorfqu'elle n'eft plus défendue
par la crainte de n'être pas fincérement aimée.
Ce mérite brillant , qui n'auroit pas
fuffi pour éblouir une raifon éclairée , fuffit
pour embrafer un coeur juftifié par le
retour, Raffurez tous deux par ce rapport ,
par cette voix fympatique du coeur , qui
bannit en même temps la crainte des rigeurs
& la crainte de l'impofture , tous
deux fe prêterent encore des forces par les
plus tendres regards , & tous deux en fe
jurant qu'ils s'aimeroient toujours , fenti
rent autant la perfuafion que l'amour. La
Princeffe n'ayant jamais aimé , croyoit
JUILLET. 1756. 101
peut-être que tout l'amour étoit dans le
fentiment. Elle fut bientôt détrompée
par un Amant qu'elle mettoit elle-même ,
par fa tendreffe , hors d'état de refpecter
fon erreur. Cinqmars tomba malade , &
privé de voir tout ce qu'il aimoit , il ofa
folliciter cette vue précieufe . L'amour fut
confulté , mais la décence l'emporta. La
Princeffe confia tous fes regrets au papier
& à Flora , qu'elle chargea de confolerfon
Amant par l'expreffion de tout ce qu'elle
fouffroit à fe priver d'aller chez lui . Cinqmars
fentit intérieurement qu'il ne devoit
pas fe plaindre , & ne s'en plaignit pas
moins. Lorfqu'il fut rétabli , il exigea un
tête à tête. L'abfence fait mille droits à un
Amant aimé. Gonfague confentit à le recevoir
chez elle dans la nuit . Refpectée
jufqu'alors par un Amant moins fcrupuleux
qu'habile , elle ne croyoit accorder
qu'une faveur. Il arrive ; c'eft par elle- même
que la porte lui eft ouverte : ce premier
bienfait décide tout fon danger. Cinqmars
qui n'apperçoit point de témoins ,
qui voit toute la foibleffe d'une femme ,
ne fent & n'écoute que les raifons d'en
abufer. Son premier tranfport annonce
toute fa réfolution : mais le plus tendre
amour eft dans fes yeux , & Gonfague n'y
voit point le crime . Il embraffe fes genoux,
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
*
la ferre dans fes bras : toute fa paffion
parle à la fois , toute fa perfonne l'exprime.
La Princeffe en voit les mouvemens, & n'en
eft point effrayée , en adore les expreffions,
& les fent paffer dans fon coeur : le trouble
les fuit il écarte la réflexion ; les yeux
font eux- mêmes troublés . Cinqmars l'entraîne
vers un canapé ; elle ne le voit
point , elle ne fçauroit le voir tous fes
fens lui font une égale trahifon. Il n'y a
qu'une derniere témérité qui puiffe ramener
fes efprits : Cinqmars ofe fe la permettre
, & Gonfague eft fauvée . Quel moment
fuccede à un moment fi doux ! La
vertu , en détruifant fon bonheur , ne lui
en paroît pas moins refpectable : elle la
fent agir dans fon coeur , & tout fon plaifir
, toute l'ivreffe de fon Amant font facrifiés
à l'autorité des remords . Elle fe
plaint d'un égarement qu'elle ne conçoit
que parce qu'elle en rougit , & elle a la
confolation de n'avoir point à menacer
pour ſe voir reſpectée. Cinqmars accoutumé
aux faveurs , inftruit par les femmes
de la foibleffe des femmes , aimé , adoré ,
amoureux de celle de toutes en qui la
paffion lui ait jamais paru plus vraie &
plus vive , n'en diftingue pas moins la
vérité dans fes reproches. Il s'accufe
s'impofe les peines qu'il paroît mériter ;
JUILLET. 1756. 103
& quoique confervant dans les yeux le
regret de n'avoir pu fe rendre plus coupable
, il fe fait pardonner de l'être devenu .
Gonfague honteufe & trifte , fe retira dans
un Couvent : fi près encore du précipice
où elle avoit failli de tomber , elle ne
croyoit pas pouvoir fuir affez tôt. Cinqmars
étoit charmant , & il n'y avoit que
la fuite qui pût être une réſiſtance certaine.
Mais elle éprouva bientôt que l'amour
dévance dans la folitude les coeurs que la
crainte de fon pouvoir y conduit. Cinqmars
défefpéré , écrivoit les lettres les plus
paffionnées : il falloit le rejoindre où le
perdre par un défefpoir qu'elle ne pouvoir
blâmer . Quelle alternative quand on eft
auffi vertueufe que fenfible ! Pour concilier
l'amour & la vertu , elle prit la réfolution
de l'époufer. Les plus grandes
Charges , l'exceffive amitié du Cardinal
Miniftre, & l'amour déclaré de fon Maître,
répandoient fur lui un fi grand éclat , qu'il
devenoit permis à une grande Princeffe de
l'élever jufqu'à elle . Sans lui dire d'abord
fa réfolution , elle lui écrivit tout ce que
la paffion peut dicter de plus confolant ;
& dans cette lettre , elle lui en annonçoit
une qu'il recevroit bientôt , & dans laquelle
il trouveroit un fecret qui l'étonneroit
& combleroit fon bonheur. Elle n'eut
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
la
•
pas la même difcrétion avec Flora , à qui
elle confioit aveuglément toutes fes penfées
& tout fon amour . Celle- ci qui nourriffoit
une violente paffion pour Cinq
mars , & à qui la jaloufie & l'amour ef
frené du plaifir donnoient le courage de
toutes les trahifons , ne fongea plus qu'à
fe fatisfaire & à fe venger. Cinqmars
vivoit dans l'impatience de recevoir cette
lettre , qui devoit renfermer fa deftinée : il
reçut , & ce qu'elle contenoit rendit fon
étonnement plus grand encore que fon
bonheur. Gonfague lui apprenoit que
vaincue
par fes défirs , elle confentoit à les
partager : elle l'invitoit à fe préfenter dans
la nuit à la porte de fon appartement . C'eſt
par Flora qu'il reçoit cette lettre : elle eft
dans la confidence , & rien n'eft moins
équivoque. Il fe laiffe en tout conduire
par elle. Le moment qui doit couronner fa
flamme n'arrive point affez tôt au gré de
la perfide confidente . Il arrive enfin le
crime qu'il couronne eft couvert des voiles
les plus impénétrables , & Cinq-Mars n'eſt
défabufé que par les rayons du jour. Il
éclate en voyant Flora à la place de Gonfague
: il veut fe porter à toutes les extrê
mités ; mais il eft jeune , elle est belle ; il
eft adoré , il vient de goûter des plaifirs
vrais qu'il fe rappelle , des plaifirs que
JUILLET. 1756. 105
Gonfague lui refufe & que Flora doit infpirer.
Il écoute la coupable après l'avoir
menacée , il la plaint d'aimer fi vivement ,
& la pitié lui donne autant de foibleffe
que Flora peut en efpérer. Sans l'aimer , il
confent à un commerce fecret avec elle :
ce commerce le perd. Il eft furpris par
Gonfague dans les bras de Flora : il eft
jugé avec toute la févérité par une Amante
avilie. Il a beau faire éclater fes remords ,
il n'est ni cru , ni écouté : il ne doit point
l'être , il le fent , & tout fon défefpoir fe
tourne en fureur contre Flora : celle- ci
devient fon ennemie ; elle a trop de vices
pour fe rendre juftice , & la foif de la
vengeance fuccede à la foif du plaifir . Il
va lui devenir facile de le perdre : elle a
des intelligences avec le Cardinal , & le
Cardinal jaloux du grand mérite & de la
prodigieufe faveur de Cinqmars , le détefte
autant qu'il l'a aimé. Elle confie à ce
Miniftre tous les fentimens de la Princeffe ,
fa paffion & fon courroux. Celui - ci fouhaitoit
ardemment fon mariage avec Cafimir
, Roi de Pologne , auquel elle n'avoit
jamais voulu confentir. Connoiffant le
coeur humain & fes contraftes trop naturels
, il efpere que dans fon dépit , elle
acceptera la main qu'elle a obftinément
refufée. Il n'eft point trompé dans fon
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
attente. Gonfague n'étant plus à ellemême
, donne fa parole & croit fouhaiter
que ce mariage s'accompliffe . Le bruit en
eft bientôt répandu . Cinqmars veut mourir
, & ne cache point fa réfolution . Gonfague
l'aime toujours ; mais fon amour
même eft ce qui contribue le plus à fon
inflexibilité. Flora ne hait point encore
Cinq-Mars : un refte d'amour fait naître
une eſpérance folle ; elle s'imagine que ce
malheureux Amant , perdant la Princeffe
fans retour , pourra confentir à l'époufer ,
fi elle peut trouver un moyen de l'y contraindre
: ce moyen s'offre bientôt. Depuis
que le Cardinal haïffoit Cinqmars , Cinqmars
le haïffoit à fon tour , & d'autant
plus que ce Miniftre impérieux & vindicatif
cherchoit tous les jours à l'accabler des
débris de fon pouvoir. Dans un des accès
de cette haine tumultueufe , il étoit entré
dans une conjuration faite par l'Eſpagne
contre fon ennemi . Par une fuite d'événemens
imprévus , la lifte des Conjurés tombe
dans les mains de l'indigne Flora elle
peut efpérer d'affervir un Amant , elle
peut perdre une Victime . Elle lui montre
les armes dont elle eft pourvue , & lui
laiffe le choix de fon fupplice . Cinqmars
répond avec toute la colère d'un homme
au déſeſpoir , qui la déteſte & la méprife :
JUILLET. 1756. 107
fon refus eft l'arrêt de fa mort. Elle porte
au Cardinal la lifte fatale : Cinqmars eft
arrêté. Gonfague inftruite , emploie tout
pour fauver un Amant qu'elle aime alors
plus que jamais , & qu'elle fçait n'avoir
été infidele que par les artifices de
Flora. Elle va fe jetter aux genoux du
Roi , & réveille en effet en lui les fentimens
fi tendres qu'il a eus pour fon Favori.
Mais Cinqmars défefpéré d'avoir perdu
par fon crime tout ce qu'il aimoit , à trop
négligé le foin de fon pardon ; & lorfque
Louis voudroit lui pardonner , il eft déja
la Victime du Cardinal . Louis pénétré de
douleur, accable de reproches fon Miniftre
dont la mort prochaine eft attribuée au
chagrin qu'il eut de fe voir maltraiter par
un Roi dont il avoit été fi long- temps le
Maître. Flora meurt auffi par une chûte ,
que l'on regarde , affez naturellement ,
comme une punition de fes crimes , parce
qu'elle eft naturelle , quoique la cauſe ne
le foit pas. Mais Gonfague époufe Cafimir ,
& cela fâche le Lecteur , qui s'eft plu à
la regarder jufqu'à la fin comme une
Héroïne.
Ce Roman eft intéreffant . Il est l'ouvrage
d'un coeur tendre & d'une imagination
délicate : il amufe , il attendrit. On
applaudit à la contexture des faits , & l'on
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
applaudiroit à la vraiſemblance des caracteres
, qui eft le point important d'un
ouvrage d'imagination , fi celui de Flora
relfembloit , par le ton , à tous les autres.
Il eft outré , il revolte : elle a des vices
qui n'étoient pas néceffaires au rôle qu'on
lui fait jouer l'avarice infâme , par exemple
, & l'excès de cruauté. On invite l'Auteur
à continuer & à faire encore mieux .
Son Roman annonce moins une plume
qui commence , qu'un efprit qui promet
beaucoup.
Ce Roman fe trouve à Paris , chez Duchefne
, rue S. Jacques.
LE DICTIONNAIRE Portatif , Hiftorique
, Géographique & Moral de la Bible ,
que nous avons annoncé dans le Mercure
de Juin , & qui fe trouve à Paris chez
Mufier , Quai des Auguftins ; fe vend auffi
à Auxerre , chez François Fournier , Imprimeur-
Libraire , près l'Horloge.
HISTOIRE intéreffante , ou Relation des
Guerres du Nord & de Hongrie , au commencement
de ce fiecle , feconde Partie ;
à Paris , chez Duchefne , rue S. Jacques ,
1756. La premiere Partie contient ce qui
s'eft paffé de plus confidérable dans le
Nord , depuis l'année 1700 , jufqu'en
JUILLET. 1756. 109
1710 , avec le caractere des Princes qui
y ont eu part , & plufieurs particularités
curieufes fur le Roi de Suede Charles XII,
fur le Czar Pierre le Grand , & c .
L'Avertiffement nous affure que ce
morceau eft d'un Ambaffadeur de France
& qu'il eft auffi vrai qu'il eft bien écrit. La
feconde Partie comprend ce qui s'eft paffé
dans la Guerre de Hongrie , depuis le
commencement de la campagne de 1705 ,
jufqu'au mois de Mars 170S.Cette Relation ,
fuivant le même Avertiffement , eft encore
l'Ouvrage d'un homme en place . Si elle eft
moins élégante que la premiere , elle a
l'avantage d'être intéreffante par les faits ,
par le développement des motifs de la
Guerre de Hongrie , & par le véritable
caractere du Prince Ragotski , dont on a
tant parlé , & qu'on a fi mal peint juſqu'à
préfent .
LETTRES d'un Citoyen fur la permiffion
de commercer dans les Colonies , annonles
Puiffances neutres. cée
pour
Externo robore crefcet . Claud. 1756.
Il a déja paru quatre Parties de ces Lettres
, dont nous ne fçaurions faire une annonce
trop favorable. Elles le méritent doublement
par l'importance de la matiere, &
par la maniere dont elle eft difcutée.
110 MERCURE DE FRANCE.
PRINCIPES fur la nullité du Mariage
pour Cauſe d'Impuiffance ; par M *** ,
Avocat au Parlement ; avec le Traité de
M. le Préfident Bouhier , fur les Procédurés
qui font en ufage en France , pour la
preuve de l'Impuiffance de l'homme , &
quelques pieces curieufes fur ce fujet. A
Londres ; & fe trouve à Paris , chez
Briaffon , rue S. Jacques , à la Science ,
1756.
Suite des Livres nouvellement arrivés chez
le même Libraire , annoncés dans le précédent
Mercure.
Manfredi ( Enft. ) Ephemerides , in - 4° .
2 vol. Bononiæ , 1750.
Zinnani ( G. ) della vova è de i nidi degli
Uccelli ed offervazioni fopra varie fpecie di
Cavallette , in-4°. fig. Venezia , 1727.
Blanchini ( Fr.) de inftrumentis veterum
muficis, & de mufica veterum, in- 4° . Romæ,
fig. 1742.
Pafquini ( G. Cl. ) opere , in-4° . Arefo ,
1751.
Poefie di Fr. Lorenzini , in 8 ° . Paleſtrina
, 1747 .
Tacquet ( And. ) Elementa Euclidea
Geometria & Trigonometria , cum addit.
Guill. Wifton , & Trigonometria Spherica
Rog. J. Bofcowifch , & Sectiones conica G.
JUILLET. 1756 . IIL
Grandi , in- 8 ° . 2 vol. fig. Romæ , 1745.
Novelle di Francefc . Sacchetti , in - 8 ° .
2 vol . Firenze , 1724 .
Scilla ( Aug. ) de Corporibus marinis &
de Gloffopetris , in- 4° . fig. Romæ , 1752.
Gravina , ( Vinc. ) della Ragion Poetica ,
in- 8 ° . Napoli , 1731 .
Ciceronis opera ex editione Oliveti , in- 1 2.
20 vol. Glafquæ , 1748 .
Taciti (C.C.) Opera , ex editione Gronovii,
in- 12 . 4 vol. Glafquæ , 1753 .
Thucydidis oratio funebris periclis & de
pefte , in-12. gr. & Lat. Glaſguæ , 1755 .
Euripidis Oreftes , gr . lat. poft Barnefium
, in-8°. Glafque , 1753 .
Poeta Latini minores poft Burmannum ;
fcilicet G. Falifcus , Menefianus , Siculus ,
Rutilius , Samonicus , Marcellus , Famicus ,
Sulpicia , in- 8 ° . Glafquæ , 1752 .
Theocriti qua extant poft Acinfium , gracè,
in-4°. Glafque , 1746 .
Idem , in- 8 ° . ibid. & codem anno , gr.
& lat.
Salluftius , poft edit. J. Cortis , Glafquæ ;
1751 .
Differtation fur le commerce , par. Belloni
, traduit de l'Italien , in- 8 ° . La Haye ,
1755 .
Bibliotheque des Sciences & des Beaux-
'Arts , in - 8 ° . tom. 1 , 2 , 3 , & la premiere
112 MERCURE DE FRANCE.
partie du 4 , in - 8 ° . La Haye , 1754.
Effais fur la Fortification , in - 8 ° . fig. La
Haye , 1755.
Recueil de pieces fur l'inoculation , in-
8°. La Haye , 1755.
I
SENTIMENT d'un Harmoniphile fur différens
ouvrages de Mufique , feconde partie
, à Paris , chez Jombert , Le Loup
Lambert , & Duchefne. Prix 1 liv. 4 f.
COLLECTION de Décifions nouvelles &
de Notions relatives à la Jurifprudence
préfente , par M. Denifart , Procureur au
Châtelet de Paris , Tome VI & dernier.
Nous avons toujours annoncé cette collection
comme un très-bon ouvrage ,, mais
quelque bien que nous ayons dit des premiers
vol. Nous croyons que les derniers
font encore meilleurs. L'Auteur paroît
plus maître de fa matiere dans ceux - ci , &
en général , il nous femble que les principes
y font développés & rendus avec plus
d'ordre & d'énergie que dans les premiers.
Tout ce que dit M. Denifart dans ce
fixieme volume , eft concis, méthodique &
clair. A l'Art . Sacrement , il fe contente
rapporter les difpofitions des derniers
Reglemens intervenus fur cette matiere ,
fans propofer aucune réflexion : mais partout
ailleurs , on trouve non feulement
de
JUILLET. 1756. 113
des notions fur la Jurifprudence , comme
l'annonce modeftement le titre de l'ouvrage
, mais des principes généraux fur
chaque matiere civile , criminelle & canonique
, relative au texte de l'Article , appuyés
fur des décifions nouvelles qui ne
fe trouvent nulle part.
Les Articles qui nous ont paru les plus
utiles & les plus importans font ceux où
M. Denifart traite de Saifies- Arrêts , des
Saifies Exécutions , des Saifies - Féodales ,
des Saifies - Réelles , des Séparations entre
mari & femme , des Sépultures , des Sorciers
, des Subrogations , des Subftitutions,
des Succeffions , des Tailles , des Terriers,
des Teſtamens , des Tuteurs , des Ventes ,
du Vifa , des Vifires des Evêques , & des
Voeux. Ce dernier Article & celui des
Succeffions , nous ont même paru fupérieurs
à tous les autres.
Au refte , nous ne pouvons rien dire de
mieux en faveur du livre de M. Deniſart ,
que d'annoncer que le débic en eft prodigieux
, & que l'Auteur a la gloire d'être
cité non feulement par les Avocats du Tribunal
même dans lequel il n'eft que Procureur
, mais encore au Parlement : c'eft
un honneur qu'on ne fait guere aux Jurifconfultes
vivans , parce que leurs ouvrages
ont ordinairement befoin d'un long
114 MERCURE DE FRANCE.
noviciat pour acquérir la confiance publique
c'est un honneur enfin , qui ne fe
fait guere aux Procureurs , parce qu'il eft
rare & très- rare de les voir prendre la
route qu'a fuivie M. Denifart.
Il n'eft pourtant pas le feul des Procureurs
au Châtelet , qui ait enrichi la République
des Lettres . M. Defmarquets fon
Confrere , a auffi donné un Ouvrage qui a
pour titre , Style du Châtelet , & qui a
été fi bien reçu du Public , qu'on en
a fait fept à huit éditions depuis environ
25 ans. Ainfi , on peut dire en général ,
que fi les Procureurs ne font guere- de
livres , ils les font bons & utiles , quand
ils s'élevent au deffus de leur profeffion .
LETTRE
De M. l'Abbé Picault de la Rimbertiere ,
l'Auteur du Mercure.
JEE ne doute point , Monfieur , que ce ne
foit entrer dans vos vues & dans vos fentimens
, que d'ufer avec vous de cette liberté
littéraire que vous ne permettez pas
feulement , mais que vous applaudiffez en
tous ceux qui ont recours à vous . Pour
moi je le fais avec d'autant plus de confiance
, que j'ai reconnu plufieurs fois l'u
>
JUILLET . 1756. 115
tilité qu'il y a de fe foumettre à vos lumieres.
L'ouvrage que je vous préfente
aujourd'hui , & où le public , je penſe ,
pourra prendre quelque intérêt , ne m'a
encore coûté qu'une longue fuite de recherches
, digérées cependant de maniere
à en former bientôt un volume qui aura
pour titre , Traité historique des inventions ,
des découvertes , & des usages depuis l'origine
du monde , avec plufieurs Anecdotes &
faits intereffans , &c . Pline , & furtout Polydore
Virgile , ont été les modeles que je
me fuis appliqué davantage d'imiter , &
qui m'ont fouvent fourni les connoiffances
que je défirois. J'ai cru , pour vous
donner une idée jufte de cet ouvrage ,
devoir tranfcrire ici un Article pris indifféremment
, lequel j'ai l'honneur de vous
adreffer , en vous priant de me faire connoître
votre fentiment par la voie du
Mercure.
Je fuis , Monfieur , & c.
P. D. L. R.
Chanoine de l'Eglife d'Orléans .
A Orléans , ce 24 Mai , 1756.
ARTICLE SEPTIEME.
Qu'elle fut la matiere dont on s'eft fervi
fucceffivement pour écrire avant l'ufage du
116 MERCURE DE FRANCE.
papier fi néceffaire pour conferver à la
postérité les actions & les ouvrages des
grands hommes ; on a vu l'induftrie humaine
employer fucceffivement différentes
fortes de matieres pour écrire. D'abord
ce fur fur des feuilles que les premieres
productions de l'efprit furent tracées , in
palmarum foliis primò fcriptatum fuiffe.
Plin . Lib. 13 , cap. 11. ( 1)
Idée naturelle qui en fit éclorre une autre
d'écrire fur la peau la plus déliée qui fe
trouva fous la premiere écorce des arbres.
Dans des fecles plus raffinés que ces premiers
, on s'avifa de former des volumes
( 1 ) Les Indiens ont confervé long-tems cette
façon d'écrire fur des feuilles de différens arbres
fauvages qu'ils appelloient feuilles de palmiers ,
à caufe de la reflemblance. Le palmier , au rapport
de Guilandin , ne croiffant point dans les Indes
, ils s'y prenoient ainfi : Après avoir raſſemblé
plufieurs de ces feuilles , fur lefquelles avec une
aiguille ils avoient écrit les chofes qu'ils croyoient
dignes d'être confervées à la mémoire : ils les
tailloient toutes également , en perçoient enfuite
l'extrêmité , & y ajuftoient deux batons égaux :
alors les feuilles ainfi rangées dans leur ordre ,
formoient une efpece de relieure qui n'étoit pas
défagréable. Ils avoient grand foin d'y pratiquer
des liens , à la faveur defquels & moyennant plufieurs
noeuds , ils tenoient ces écrits foigneufement
fermés il eft à croire qu'ils ont procuré
quelque avantage à l'hiſtoire.
:
JUILLET . 1756. 117
de différentes fortes de métaux , en plomb,
en cuivre , en argent ( 1 ) ; c'eſt ce qu'on
peut remarquer au chap. 19 du Livre de
Job, qui défire que fes paroles foient écrites
fur une lame de plomb avec une plume
de fer , ou fur la pierre avec le ciſeau ,
Quis mihi tribuat ut fcribantur fermones mei ?
Quis mihi det ut exarentur in libro ftylo ferreo
& plumbi lamina , &c.
Les particuliers cependant écrivoient
affez communément fur des tablettes de
bois revêtues de cire avec une aiguille de
fer , ou avec la dent d'un animal , quelquefois
fimplement fur du bois avec des
pierres de différentes couleurs , d'autres
fur des tablettes faites de toile , non qu'el
les fuffent précisément de toile , mais
parce qu'on en colloit fous les feuilles dont
(1 ) En 1751 , & les années fuivantes , en fouil
lant les ruines d'Héraclée , on en trouva un femblable.
Ce volume étoit fait de lames d'argent ,
minces comme du papier , & dont le caractere
étoit grec : comme il paroiffoit un peu mutilé ,
on craignoit , avec raiſon , en le déroulant pour
le lire , de l'effacer encore davantage. On ſçait
que ce fut la premiere année deTitus & la foixan
te-dix- neuvieme de l'Ere Chrétienne , qu'Héraclée
& plufieurs autres Villes périrent par l'irruption du
Mont Véfuve , & dont les cendres étoufferent
Pline le Naturalifte. Ce volume en argent dont
je viens de parler , a été placé dans le Cabinet du
Roi de Naples & des deux Siciles .
118 MERCURE DE FRANCE.
on fe fervoit pour les garantir de boire
l'encre , & empêcher qu'elles ne fe déchiraffent
dans la main . Ils ufoient pour cela
d'un léger pinceau , & leur encre n'étoit
autre chofe que du charbon fait de coeur
de pin pulvérisé dans un mortier , & détrempé
auprès du feu ou au foleil avec de
la gomme pour lui donner de la confiftance.
Polignores & Mycon , Athéniens , l'un
& l'autre excellens Peintres , paffent pour
être les premiers qui ayent fait de l'encre
de marc de raifin que l'on nomma Tryginum
( 1 ) , qui veut dire , fait de lie de vin.
Les Empereurs & les Rois écrivoient avec
une encre pourprée , qui étoit composée
de coquilles pulvérifées & du fang tiré
de la pourpre , mêlé enſemble ; il n'étoit
permis qu'à eux d'écrire avec cette encre
appellée par les Latins encauftum. Pline
fait une remarque affez extraordinaire ,
que
les Parthes ne fe fervoient d'aucune
de ces matieres , mais qu'ils brochoient
leurs lettres fur du drap ou fur de la toile
en façon de broderie lorfqu'ils vouloient
écrire , ufage qui n'étoit guere commode
pour faire de longs ouvrages. Enfin de
toutes ces différentes matieres qui ont
fervi à écrire dans prefque tous les âges
du monde , il faut convenir qu'il n'y en a
(3) τρύγιστος
JUILLET. 1756. 119
point qui ait eu plus de cours que le pa-
Pyrus , dont le papier tire fon nom , découvert
par les Egyptiens plufieurs fiecles
même avant qu'Alexandre le Grand eût
fait la conquête de l'Egypte , quoi qu'en
difent Pline , Polidore Virgile & Pancirole
, ce que prouve avec une profonde
érudition Melchior Guilandin ( 1 ). Le Papyrus
eft un arbre qui croît dans les marais
de l'Egypte. Les meilleures feuilles
dont on fe fervoit pour écrire , étoient
celles qui fe prenoient au coeur de l'arbre
( 2 ) , & on les nommoient facrées ,
parce qu'on les employoit feulement aux
livres deſtinés à leur culte religieux : mais
depuis , pour flatter l'Empereur Augufte ,
on les nomma les feuilles d'Auguſte , &
celles qui n'étoient pas de cette même
beauté , on les appelloit Liviennes en faveur
de l'Impératrice Livie , femme d'Augufte.
Après ces deux genres de feuilles de
Papyrus , les Amphithéatiques étoient fort
recherchées , on les nommoit ainfi à cauſe
de l'amphithéâtre où on les fabriquoit ;
mais l'Empereur Claudius Céfar défendit
les feuilles ou le papier d'Augufte , com-
(1 ) Melchior Guilandinus , in Tractatu de Pa
pyro.
(2) Plinius , in Lib . 13 , cap. 12.
120 MERCURE DE FRANCE.
me étant trop mince , ne pouvant endurer
la plume , & rendant l'écriture de trèsmauvaife
grace. Il ordonna donc de fortifier
ce papier , de le faire plus épais &
plus large , de maniere que le papier
moyen avoit un pied de largeur , & le plus
grand un pied & demi ; quant à l'épaiffeur,
il étoit de trois feuilles de Papyrus , collées
& ajustées l'une fur l'autre. On avoit foin,
après avoir mis ce papier en preffe , afin
que les feuilles fe joigniffent mieux , de le
liffer avec une dent ou avec une coquille ,
& enfuite de le rogner. On jugeoit de fa
beauté , lorfqu'il étoit bien blanc , liffé &
fin comme on fait aujourd'hui par rapport
au nôtre. Pour ce qui étoit du papier qu'on
défiroit avoir pour fervir à des enveloppes
de marchandifes ou autres chofes femblables
, on fe fervoit de la plus groffe teille
qui eft celle qui fe trouve la plus proche
de l'écorce du Papyrus , mais fur laquelle
on ne pouvoit écrire .
Les Chartres fi renommées des Anciens ,
étoient auffi fabriquées de la teille la plus
proche de l'écorce du Papyrus , mais on y
donnoit un apprêt différent : on colloit plufieurs
grandes feuilles l'une fur l'autre , on
les expofoit enfuite au foleil pour fécher ,
comme la trop grande chaleur les faifoit
recoquiller & former quelques plis , on
les
JUILLET. 1756. [ 21
les redreffoit au marteau , tant pour les
étendre , que pour les rendre plus unies.
C'étoit fur de femblables Chartres qu'étoient
écrits les ouvrages de Cicéron , de
Virgile , & les livres de l'Empereur Augufte
, qui ont duré jufqu'au tems de
Pline qui dit les avoir vus plufieurs fois.
Nous remarquons encore ici qu'il y
avoit des livres écrits fur des inteftins
d'animaux , que l'Illiade d'Homere , fon
Odiffée avec l'hiftoire des Héros de fon
temps , l'étoient en lettres d'or fur ceux
d'un dragon long de 120 pieds , & que
ces livres furent brûlés avec la fameufe
bibliotheque de Conftantinople compofće
de cent vingt mille volumes.
Pour ce qui concerne le parchemin
Pline , Varron , Polydore Virgile &
Parcirole , l'attribuent à Eumenes , autrement
dit , Attalus , Roi de Pergame , qui
voyant que Ptolemée , Roi d'Egypte , ennemi
de la gloire & de la fcience des autres
Ptolemées fes prédéceffeurs , avoit
ruiné tous les Papyrus & Chartres du pays,
fut contraint d'ufer de parchemin , qu'on
pratiqua d'abord à Pergame , d'où il tire
fon nom , felon nos Auteurs , enfuite dans
tout le monde. Néanmoins ce fentiment
me paroît avec affez de fondement , contredit
par Jofephe l'Hiftorien dans le 12
I. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE:
Livre des Antiquités Judaïques , où il
rapporte que le Grand - Prêtre Eléazar envoya
à Prolemée Philadelphe , Roi d'Egypte
, foixante & douze hommes de Judée
chargés des livres de leur loi écrite fur
parchemin pour les traduire en grec. Si
cela eft ainfi , comme il n'y a pas lieu d'en
douter , alors il faut convenir que le parchemin
étoit inventé longtemps avant Eumenes
, mais que ce qui peut avoir contribué
à l'en faire regarder comme l'inventeur
, eft qu'il en fit préparer une
quantité prodigieufe dont l'Afie & la Grece
lui furent redevables.
eau ,
Au défaut de toutes les différentes matieres
dont je viens de traiter , la toile ( 1 )
lavée , trempée , broyée en des moulins à
fous des marteaux de bois , & mêlée
avec de la colle , a été une invention auffi
furprenante que les premieres. L'ufage
qui s'en eft fait depuis dans la plus grande
partie de l'Europe , n'a pas moins donné
d'étonnement aux Nations chez lef-
(1) Le papier en France fe fait avec du vieux
drapeau qui , lavé, trempé , broyé dans des moulins
à eau fous des marteaux de bois , ne paroît
plus que
comme de l'eau trouble : on enleve la
fuperficie avec un moule fait de fil de fer trèsdélié
on l'égoute , on le laiffe fécher entre deux
pieces de ferge qu'on tient très- fort en preffe , &
on le colle , afin qu'il ne boive point.
JUILLET. 1756. 123
1
quelles on le tranfportoit . Aujourd'hui il
eft connu dans prefque tous les Pays du
monde ; cependant les Chinois & les Ara
bes fe fervent encore de certaine foie non
tiffue , fur laquelle on peut facilement
écrire ; ce qu'il eft aifé de voir par les lettres
que les Miffionnaires écrivent de ces
pays-là. Au refte , quoique le temps de la
découverte du papier dont nous nous fervons
, ne foit pas bien certain , on le fait
cependant monter à plus de 600 ans ( 1 ) .
Ceux qui confervent des titres qui paffent
ce tems , font ou fur vélin ou fur ce papier
d'Egypte dont j'ai fait mention.
Nous exhortons l'Auteur à remplir fon
projet. Nous croyons qu'un tel ouvrage
ne peut manquer d'être intéreffant , &
qu'il doit piquer non feulement la curiofité
des Sçavans , mais encore celle des
gens du monde . Mais il feroit à fouhaiter
que le ftyle fût un peu plus foigné.
( 1 ) Clovis II , Roi de France , trois ans avant
fa mort , avoit accordé au Monaftere de S. Denis
en France , un privilege qu'on y conferve encore
en original , écrit fur du papier d'Egypte , & dont
l'écriture, le ftyle & l'ortographe marquent la barbarie
du fiecle.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
Suite des RÉFLEXIONS fur les trois premiers
Tomes de l'Hiftoire de la Ville & de
tout le Diocèfe de Paris , par M. l'Abbé
Lebeuf , de l'Académie Royale des Infcriptions
& Belles-Lettres ; pourfervir d'éclairciffemens
& de fupplément aux Nouvelles
Annales de Paris , par Dom Touffaint du
Pleffis , Religieux Bénédictin de la Congrégation
de S, Maur,
IV. Tome I , pag. 3. » Ceux que l'on re-
» garde comme les premiers fucceffeurs de
S. Denys , font 19. Mallo , le même peut-
» être
→ 2
que S. Mallon , qui aura depuis éten-
» du fon zele apoftolique jufqu'à Rouen :
2º. Maffus , qui peut auffi être le même
que Maximus , lequel mourut dans le
pays des Morins , en y prêchant l'Evangile
.
»
que
Réflexions. Ces deux peut-être- là ne nous
donnent aucun éclairciffement folide , puifque
fi Mallo peut être le même S. Mallon
, & Maffus le même que Maximus , il
fe peut faire auffi qu'ils ne foient pas les
mêmes. Au refte l'Eglife de Paris n'a point
mis fon évêque Mallon au rang des Saints ;
celle de Rouen au contraire a décerné un
culte public à fon faint Mallon , ou plutô
JUILLET. 1756. 125
Mellon. N'eft- ce pas là au contraire une
raifon de préfumer que ce font deux Evêques
très-différens l'un de l'autre , & qu'il
ne faut pas les confondre ?
و ر
V. Même page. « Nous n'avons point de
»monument plus ancien que le X fiecle ,
qui nous fourniffe une lifte d'Evêques
»fucceffeurs de S. Denys , où fe trouvent
Mallo , Maffus , Marcus , Adventus &
» Victurinus . On dreffa cette lifte vers l'an
و ر
" 940 ".
Réflexions. C'est ce qu'on peut ajouter
fur le témoignage de M. l'Abbé Lebeuf à
la page 80 de mes Annales , où je me contente
d'obferver que ces fortes de notices
ou de catalogues d'Evêques ont été dreſſés
trop tard pour mériter le nom de pieces
authentiques .
و د
VI. page 5. « Je n'ai point balancé à revendiquer
ici en faveur de l'Eglife cathédrale
de Paris , la piece de vers que
» Fortunat a intitulée de Ecclefiâ Pari-
»fiacâ , &c. »
ود
Réflexions. Je me fuis exprimé trop
foiblement
à ce fujet à la page 56 , en laiffant
douter fi cette piece de vers ne regarderoit
pas plutôt l'Eglife de S. Germain des Prés
que la cathédrale. M. l'Abbé Lebeuf prend
certainement ici le bon parti ; & il me femble
que les raifons fur lefquelles il s'ap-
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
puie font fans réplique. Ainfi Giflémar
s'eft trompé , & a entraîné dans l'erreur
M. l'Abbé de Vertot.
VII. page 6. « Je foupçonne Giflémar
» d'avoir attribué à l'égliſe de S. Germain
» des Prés , ce que l'on avoit dit de S. Germain
l'Auxerrois , que le vulgaire avoit
» appellé longtemps S. Germain le Téret ,
» c'est - à- dire , le Rond , & par corruption ,
» S. Germain le Toret , puis S. Germain le
»
>>
» Doret ".
Réflexions. M. l'Abbé Lebeuf n'a point
affez approfondi cette conjecture , qui eft
toute entiere d'imagination ; & dans ces
matieres- ci l'imagination feule eft un mauvais
guide. L'églife de S. Germain l'Auxerrois
s'appelloit en latin dès le IX fiecle
au plus tard , Ecclefia S. Germani Teretis.
Accordons à M. Lebeuf que dans la Langue
Françoiſe du même temps , on l'appelloit
S. Germain le Téret. On ne fçauroit lui accorder
de même que ce nom ait dégénéré
fi promptement en Toret , & de- là auffi
promptement encore en Doret , que Giflémar
qui vivoit à la fin du même IX fiecle ,
ait pu s'y méprendre jufqu'au point de fubftituer
le mot latin inauratus à l'ancien mor
Teres.Lapreuve du contraire faute aux yeux.
Tant s'en faut que du tems de Giflémar ce
mot Teres , qui fervoit à diftinguer nomJUILLET.
1756 . 127
#
mément l'églife de S. Germain l'Auxerrois
de celle de S. Germain des Prés , eût déja
fouffert aucune altération qui pût donner
lieu d'en faire un fynonime d'inauratus ,
que le Moine Abbon qui publia fon poëme
fur le fiege de Paris , en 898 au plus tard,
& qui emploie deux fois ce mot en parlant
de l'églife même de S. Germain l'Auxerrois
, ( Lib. I, 17 § , &Lib. II, 3 § . ) l'explique
dans fa glofe par rotondus. Mais ,
dit M. Lebeuf , Giflémar vivoit au XIe fiecle
, non dans le IX . C'eft ce que nous
examinerons plus bas No LVII ; & en attendant
, je dis qu'au XI fiecle même , on
pouvoit fi peu s'y méprendre , qu'au XII
fiecle encore , on ne fubftituoit à teres que
le rotundus de la glofe d'Abbon : car ce
n'eft ni inauratus , ni même deauratus
mais expreffément le mot rotundus , qui fe
trouve employé dans une Bulle du Pape
Alexandre III , de l'an 1165 , comme je l'ai
remarqué dans mes Annales. ( page 101. )
Laiffons donc là le Toret & le Doret de
M. l'Abbé Lebeuf , & croyons que c'eft
fans aucune confufion entre les deux églifes
que Giflémar a donné le nom de dorée ,
à celle de S. Germain des Prés.
ود
VIII . Même Page & page 7. « Grégoire
» de Tours , parlant de l'incendie qui ré-
" duifit en cendres toutes les maifons de
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
ود
l'Ile de Paris en l'an 586 , dit que les
» feules églifes furent exceptées. Cette pluralité
d'égliſes dans la Cité ne peut tom-
» ber que fur les églifes qui formoient depuis
peu la cathédrale , dont l'églife de
» S. Etienne pouvoit être la plus ancienne ,
» & celle qu'il appelle ailleursfenior eccléfia,
» & fur l'églife du baptiftaire. Car pour ce
qui eft de S. Martin , la petite églife qui
ود
» étoit alors fous fon nom vers l'endroit
» où eft aujourd'hui l'horloge du Palais ,
» n'étoit qu'un fimple Oratoire » .
Réflexions. 1 °. On ne voit pas bien clairement
que ce foit dans la Cité même que
cet incendie ait fait tant de ravage. J'ai dit
dans les Annales , & je le dis encore , qu'il
peut bien ne s'être étendu que dans l'enceinte
méridionale.
2°. L'Oratoire de S. Martin n'étoit ni
au Nord de la Cité , ni dans la Cité : il
étoit à l'extrêmité de cette même enceinte
méridionale , hors de la Cité .
Ces deux points ont une liaiſon intime
l'un avec l'autre ; & le premier paroît une
conféquence néceffaire du fecond. Or il
me femble que j'ai folidement prouvé dans
les Annales ( pages 76 77. ) ce que je
répete ici fur la pofition de l'Oratoire de
S. Martin. M. l'Abbé Lebeuf n'a donc
fait attention à la preuve que j'en donne
pas
JUILLET. 1756. 129
ou il a dédaigné de la réfuter , s'il l'a pu .
Comme il ne m'objecte rien , je ne vois
rien non plus qui m'oblige de changer de
fentiment .
3° Si Adrien de Valois a prouvé , comme
je le dis (page 29 ) , & comme je continue
de le croire , que l'églife cathédrale
portoit dès les premiers temps le nom de
la fainte Vierge , il s'enfuit que l'églife de
S. Etienne , qui a été l'une des trois de
cette cathédrale , ne doint point être regardée
comme la plus ancienne .
4. Mais quand même ce feroit la plus
ancienne des trois , il ne s'enfuivroit nullement
que ce fût celle que Grégoire de
Tours défigne fous le nom de Ecclefiafenior .
J'ai fait voir , ce me femble, ( page 54 )
que très- vraisemblablement celle - ci doit
être entendue de l'églife de S. Marcel .
و د
IX. Tome 1 , page 8. « Les Normans
» épargnerent l'églife de S. Etienne , fituée
dans Paris , laquelle fut rachetée ſuivant
»les Annales de l'an 857 "..
Réflexions. Ce n'eft point fuivant les
nouvelles Annales de Paris . Celles- ci difent
au contraire , ( page 147 ) & elles le
prouvent , que ce rachat regarde l'égliſe
de S. Etienne des Grez , hors de la Cité
non l'églife de S. Etienne dans la Cité , qui
faifoit partie de la cathédrale. Voyez en-
Fr
130 MERCURE DE FRANCE.
core plus bas , Nº XLIII , ce que je dis fur
le même fujet.
ور
X. Même page. « Il exiftoit au VIII ° fie-
» cle une églife de Notre Dame proche
» celle de S. Etienne , qui étoit la véritable
cathédrale rebâtie par Childebert.
» Les Normans y mirent le feu en 857 ».
Réflexions . Les Normans n'ont jamais mis
le feu à cette églife de Notre- Dame. Ils
n'ont même jamais pu l'y mettre , puifque:
jamais ils n'ont été maîtres de la Cité ,
comme je le foutiens au même endroit.
XI. Même page. « Erkanrad , qui fiégea
»un grand nombre d'années , &c. ».
Réflexions. Si M. l'Abbé Lebeuf ne reconnoiffoit
qu'un feul Erchanrad , Evêque
de Paris , dont l'épiſcopat fe fût étendu
depuis l'an 775 , ou environ , jufques vers
l'an 856 , il y auroit-là en effet plus de 80
ans ; & ce terme feroit bien long. Mais
puifqu'un peu plus bas ( page 23 ) il admer
Incade , il admet auffi néceffairement deux
Erchanrads. Or le fecond de ce nom n'a
fiégé que 24 ans , ou environ , depuis l'an
831 ou 832 , jufques vers l'an $ 56 ; &
cela ne fait pas un fi grand nombre d'années.
Cette remarque paroîtra peu impor
tante à ceux qui reconnoiffent , comme
M. l'Abbé Lebeuf & moi , deux Erchannads;
& cependant je n'en effacerai rien à
JUILLET. 1756. 13T
१
caufe de ceux qui, comme les Bollandiſtes,
n'en veulent admettre qu'un.
XII. page 12. « La ftatue qu'on a vue
plantée de bout en face du portail de
» l'Hôtel -Dieu jufqu'en l'an 1748 " .
33
و د
Page 23. La ftatue qui faifoit face à
»l'Hôtel-Dieu de Paris , & qu'on a ôtée
» de-là en 1748 » .
Réflexions. J'ai dit dans les Annales ( pag..
97 ) que cette ftatue a fubfifté jufqu'en
1747 ; & je ne me fouvenois pas alors fi ce
fut en 1747 précisément , ou en 1748 ,
qu'elle fut abattue . M. l'Abbé Lebeuf
peut bien avoir raiſon .
XIII. page 16. « Pour ce qui concerne
»le corps de S. Gendulfe , j'ai prouvé par
»un long Mémoire qui ne peut être inféré
» ici , & que je ferai imprimer féparément
, qu'il eft le même que le bienheu--
>> reux Teudulfe , Evêque de Paris , mort
vers l'an 920 ".
Réflexions. Il y aura donc là de quoi enrichir
les nouvelles Annales de Paris. Lorfque
je les compofai , je ne foupçonnois
feulement pas qu'il ne fallût pas diftinguer
Pun de l'autre. Je comprends néanmoins àpréfent
comment cela fe peut. Il eft fi aifé.
de confondre les deux lettres u & n dansles
manufcrits , qu'on aura lu Endulfus au
lieu d'Endulfus ; & à l'égard du G , il aura
Evj
132 MERCURE DE FRANCE.
و ر
«
pu être formé de maniere qu'il étoit aifé
de le prendre pour un T. Ainfi Gendulfus
a dégénéré en Tendulfus , puis en Teodulfus,
& Theodulfus.
XIV. Page 20. L'églife de S. Jean- le-
» Rond , qui étoit le Baptiftere de l'Eglife
» de Paris , n'avoit été primitivement
qu'une chapelle fituée fur le bord de la
» riviere , vers le bout du petit- Pont : il
» reſta dans ce lieu jufqu'à ce qu'un Evê-
» que le tranfporta à une chapelle de l'au-
" tre bord , où il refta affez longtemps. Ce
Baptiftere , voifin de la maiſon de fainte
» Geneviève , étoit encore connu fous le
» nom de S. Jean -Baptifte , lorfqu'en 881
»le corps de S. Germain , Evêque de Paris,
fut mis en fûreté contre la fureur des
» Normans . Enfin , il fut porté au côté de
»l'églife de Notre - Dame , oppofé à celui
» où étoit la bafilique de S. Etienne » .
و و
و ر
Réflexions. 1 ° . Cela veut dire que le Baptiftere
a été 1º. près de l'endroit où eft aujourd'hui
S. Germain - le- vieux ; 2 ° . près de
l'endroit où eft faint Julien- le- pauvre ;
3. contigu à l'églife de Notre-Dame du
côté du Nord. On peut paffer le premier
point , qui en effet ne manque pas de
de pro
babilité dans cette fuppofition-là j'accorde
le troifieme ; mais je demande des preuves
du fecond. Lorfque le Baptiftere fut
JUILLET. 1756. 133
transféré du côté de S. Julien , fuivant l'idée
de M. Lebeuf , ceffa- t'on de baptifer
dans la Cité ? M. Lebeuf lui-même n'en
convient pas : il falloit donc dire , non que
le Baptiftere fut transféré , mais qu'outre
celui de la Cité , on en établit un autre près
de S. Julien ; & la même obfervation doit
avoir encore lieu pour le retour de ce Baptiftere
dans la Cité , tout contre le mur
feptentrional de l'églife de Notre -Dame.
Mais nous reviendrons un peu plus bas
N° XXXII. à ce Baptiftere prétendu transféré
du côté de S. Julien.
2 °. Il s'agiroit maintenant du lieu précis
où étoit fituée la maifon de fainte Géneviève.
Nous en parlerons au N° LV.
3 °. Mais pour ce qui eft du corps de
S. Germain , il n'a jamais été emporté hors
de Paris pour le fouftraire à la fureur des
Normans , qu'en 845 , en 857 , & en 885,
non en SSI. Les Annales font formelles
là- deffus ; & on n'y avance rien fans
preuve.
XV. Page 22. « On a démoli en 1748.
l'églife de S. Jean- le-Rond » .
Réflexions . J'ai dit ( page 112 ) que ce fut
en 1749 qu'elle fut démolie ; & il peut
bien fe faire que ce foit moi qui me fois
trompé.
XVI. Même page. « On a débité juſ134
MERCURE DE FRANCE.
و ر
qu'ici des faits très - incertains , pour ne
pas dire faux , fur l'origine de l'églife de
» S. Chriftophe , en affurant qu'elle avoit
» été bâtie fur un fonds d'Erchinoald
»
Maire du Palais , qu'on a fait fans fondement
Comte de Paris au VIIe fiecle..
» Sauval a grande raifon de méprifer toutes
ces fables ».
"
Page 23. « Ce qu'on peut regarder
comme certain touchant l'égliſe de faint
» Chriftophe , eft que dès le VII fiecle
c'étoit un Monaftere de Filles voifines
de la cathédrale de Paris ».
وو
30
وو
و و
Page 25. « Pour en revenir à l'Hôtel-
Dieu , comme je n'ai point encore vu de
>> titre ou autre monument , qui puiffe.
"prouver que S. Landri , Evêque de Paris,
» en foit le fondateur , je ne puis encore
» embraffer cette opinion
Réflexions. 1 ° . Comme ces faits ne peutvent
pas être en même temps faux & incertains
, il étoit à propos de les diftinguer
, & de donner à chacun fa véritable
qualification , Il y en a ici trois le premier
, que l'Hôtel- Dieu ait été fondé par
S. Landri : le fecond , qu'il l'ait été ſur un
fonds d'Erchinoald : le troifieme , que ce
même Erchinoald ait été Comte de Paris ..
Or , il n'eft nullement prouvé qu'aucun de
ces trois faits foit faux : les deux premiers
JUILLET . 1756.
font incertains , ou douteux fimplement ;,
& le troifieme très- incertain .
2. Sauval ne mérite feulement pas.
d'être cité ici , fi ce n'eft pour avertir en
même temps qu'il fe contredit lui- même ,
comme on l'a montré évidemment dans les
Annales ( page 98 ).
3 ° . Par une espece de compenfation ,
loin qu'il faille regarder comme un fait
certain que S. Chriftophe ait été dans ces
premiers temps un Monaftere de filles
voifines de la cathédrale , on a fait voir.
dans les Annales , ( ibid. & page 99. ) que
jufqu'à préfent il demeure très-douteux fi
ce Monaftere n'étoit pas à Creteil plutôt
qu'à Paris.
4°.M. l'Abbé Lebeuf demande ici quelque
titre ou quelque monument pour le déterminer
à croire un fait . Mais où font donc
ceux qu'il a vus pour croire que S. Denys
a dit la meffe dans les deux endroits où
font aujourd'hui l'églife de S. Benoît , &
éelle des Carmelites du Fauxbourg S. Jacques
? Que c'eft un S. Siméon d'Auxerre ,
non , S. Siméon Stylite , qui fe recommandoit
aux prieres de fainte Géneviéve? Qu'en
un certain temps , on a tranfporté près de
S. Julien-le - pauvre le Baptiftere de la cathédrale
? Que fainte Géneviève mourut
136 MERCURE DE FRANCE.
quelques années après Clovis I ? Que , &c.
Et pourquoi avance- t'il donc fans titres ,
de fon propre aveu , que le Comte Roland
fonda l'églife de S. Marcel ? 2
XVII . Page 24. « Le bâtiment de l'é-
» glife de S. Chriftophe , qu'on a vu fubfifter
jufqu'à l'an 1747 » .
و د
Réflexions. J'ai dit ( page 98. ) qu'il fut
démoli en 1748 ; & en cela je puis fort
bien m'être trompé.
a
XVIII. Page 33. « M. Chriftophe de
Beaumont , Archevêque de Paris , à fait le
Dimanche 30 Août 1750. la diftribution
»des reliques tirées de S. Maur des Foffés,
à diverfes églifes de Paris ».
Co
Réflexions. Voilà un récit bien maigre.
Ce fut finguliérement pour honorer l'Abbaye
de S. Germain des Prés que fe fit la
cérémonie , dont le principal objet étoit
de transférer dans cet augufte Monaftere
le corps & le chef de S. Maur , Abbé des
foffés ; ce qui fe fit avec un grand appareil
: & deux ou trois autres églifes ont
feulement profité de l'occafion pour fe procurer
auffi quelques reliques tirées de la
même Collégiale de S. Maur ?
La fuite au prochain Mercure. >
4
JUILLET. 1756. 137
On trouve chez le Breton , Imprimeur
du Roi , rue de la Harpe , un nouvel Ouvrage
fur les affaires du temps , je veux
dire fur les conteftations qui fe font élevées
entre la France & l'Angleterre , au
fujet des limites de l'Amérique feptentrionale.
Il a pour titre : La Conduite des François
juftifiée , ou Obfervations fur un écrit
Anglois intitulé , Conduite des François à
l'égard de la nouvelle Ecoffe , depuis fon premier
établissement jufqu'à nos jours ; par le
Sieur D. L. G. D. C. Avocat en Parlement ;
à Utrecht. Cet Ouvrage a mérité le fuffrage
des perfonnes le plus en état d'en juger
par leurs places & par leurs connoiffances
fur cette matiere . Il eft divifé en fix Parties
, & tel eft le plan que l'Auteur nous
annonce dans fon Introduction.
Il démontre dans la premiere Partie ,
que les découvertes attribuées aux Cabots ,
font entièrement chimériques , & n'ont été
imaginées par les Anglois que pour fe
procurer des armes pour combattre la
priorité des François.
Il fait voir dans la feconde , que les
François ont pris poffeffion & poffédé les
premiers les pays de l'Amérique Septentrionale
, où Pune & l'autre Nation ont
actuellement des établiſſemens .
Il rapporte en abregé dans la troiſieme
13S MERCURE DE FRANCE.
les principaux événemens qui concernent
en particulier la nouvelle France Auftrale
ou Méridionale , connue depuis fous le
nom d'Acadie , & qui fe font paffés depuis
le Traité de S. Germain- en- Layé en 1632 ,
jufqu'à la fignature de celui d'Utrecht , en
1713 .
Il examine dans la quatrieme Partie les
deux questions importantes , qu'est- ce que
la nouvelle Ecoffe ? quelles font les anciennes
limites de l'Acadie ?
Il prouve dans la cinquieme que l'iņ- ·
terprétation que les François donnent au
Traité d'Utrecht , eft claire , préciſe , relative
aux négociations qui ont précédé la
fignature du Traité , & conforme à l'efprit
& à la lettre du Traité.
Enfin dans la fixieme & derniere Partie , il
fuit l'Auteur Anglois dans quelques écarts
qu'il a jugé à propos de fe permettre , & il
tâche en peu de mots de juftifier les principaux
objets de la critique de cet Ecrivain.
Il nous a paru que l'Auteur François
avoit rempli fon projet avec force & exactitude.
On y trouve beaucoup de traits
hiftoriques curieux , qui font honneur à la
Nation , & on peut entr'autres citer l'article
des Cabots , comme un morceau qu
n'avoit pas encore été traité & fur lequel
JUILLET. 1756. 139
on avoit eu jufqu'à préfent la complaifance
de s'en rapporter aux Anglois. On a eu
Fattention de ne citer que des Auteurs la
plûpart Anglois & Etrangers , & tous à
l'abri du moindre foupçon de partialité.
Les François y verront avec plaifir les
droits de la Couronne fur cette partie de
l'Amérique Septentrionale , mis dans tout
leur jour , & ne pourront qu'applaudir au
zele du Citoyen , qui d'office a bien voulu
fe livrer à un travail qui a dû être précédé
par des recherches & des lectures immenfes.
IL PAROÎT une quatrieme édition avec
Privilege du Roi , d'une Differtation en
forme de Lettre fur l'effet des topiques , &
en particulier fur celui du Sieur Arnoult ,
contre l'apoplexie, augmentée de plufieurs
pieces intéreffantes ; elle est écrite par un
Médecin de Paris à un Médecin de Province.
L'objet de cette brochure eft de
prouver la vertu de ce remede : l'Auteur
paroît y avoir bien réuffi . Il y fait voir
par plufieurs faits authentiques les dangers
auxquels on s'expofe en difcontinuant l'ufage
de ce remede , & prouve par des exemples
frappans , que plufieurs perfonnes
ayant eu des accidens d'apopléxie auparavant
, pendant plufieurs années qu'ils ont
140 MERCURE DE FRANCE.
porté ce topique , il ne leur eft arrivé
aucune rechûte ; qu'en en difcontinuant
l'ufage , ils font retombés dans ces accidens
peu de jours après , ce qui les a engagés à
recourir au Sachet du Sieur Arnoult , dont
ils ont fait un ufage affidu pendant plufieurs
années , fans qu'il leur foit arrivé
aucune nouvelle attaque d'apopléxie.
L'Auteur a furtout infifté fur l'éloge que
feu M. le Cardinal de Polignac a fait de
ce remede en pleine Académie , après avoir
cité douze Seigneurs de fes parens ou amis,
qu'il a certifié guéris d'apopléxie avec
l'ufage de ce même Spécifique : le témoignage
de M. le Duc de Gêvres , Gouverneur
de Paris , n'eft pas oublié : ceux des
Gens de l'Art ne font pas moins importans
, & l'on y en trouve fans nombre ,
entr'autres celui de MM . Garnier , Médecin
de la Faculté de Paris, & premier Médecin
du Roi à la Martinique ; Tayard , Médecin
à Sens ; Mauran , Médecin à Bergerac ;
Wolter , Premier Médecin de l'Empereur
Charles VI ; Gaulard , Médecin ordinaire
du Roi ; Sylva , Médecin de la Faculté de
Paris , & Confultant du Roi ; Larchevefque
, Médecin de Rouen ; Santeuil , Docteur
Régent de la Faculté de Paris ;
Dionis , Docteur - Régent de la Faculté
de Paris ; Befnier , Docteur - Régent
·
JUILLET. 1756. 145
de la Faculté de Paris ; Desjours , Fevrier ,
Dubertran , Chirurgiens - Jurés de Paris ;
Deport , Chirurgien ordinaire de la Reine
; Deformeaux , Chirurgien de Blois.
M. Mercier , Médecin des Hôpitaux du
Roi , va jufqu'à dire que le Sachet antiapoplectique
du Sieur Arnoult eft le fpécifique
unique , invariable & certain ,
contre les accidens & les fuites d'apopléxie
; qu'inutilement on a fait des recherches
pour conftater un feul malade péri
d'apoplexie depuis plus de 56 ans , muni
du Sachet du Sieur Arnoult.
Les lettres de MM. Fils , le Comte & de
la Croix , Médecins , & autres , méritent
une attention particuliere par les prodiges
qu'elles racontent du Sachet. Le certificat
de feu M. Chicoyneau , Confeiller d'Etat
& Premier Médecin du Roi , eft le plus
authentique de tous ; il confirme la vertu
de ce remede , & prouve évidemment que
le Sieur Arnoult , Droguifte , rue Quincampoix
, à Paris , eft feul poffeffeur de ce
-précieux Topique , & que tous les autres
qu'on diftribue fous fon nom , font faux
& contrefaits. Pour que le Public n'y foit
plus trompé , le Sieur Arnoult ne le difribue
qu'en y joignant un imprimé figné
de fa main,
142 MERCURE DE FRANCE.
LE PATRIOTE ANGLOIS , ou Réflexions
fur les hoftilités que la France reproche à
l'Angleterre , & fur la réponſe de nos Miniftres
au dernier Mémoire de S. M.T.C...
Pudet hac opprobria nobis & dici potuiffe ,
& non potuiffe refelli. Ouvrage traduit de
l'Anglois de John Tell Truth , par un
Avocat au Parlement de Paris. A Geneve ,
1756 ; & fe trouve à Lyon , chez Aimé
Laroche , & à Paris , chez Durand , rue
du Foin ; Deffaint & Saillant , rue S. Jean
de Beauvais , vis - à- vis le College , & Lambert
, rue & près la Comédie Françoiſe.
Ces Réflexions nous paroiffent écrites
avec autant de chaleur que de folidité.
L'Auteur , quelqu'il foit , fe montre également
inftruit des vrais intérêts des deux
Etats. S'il eft Anglois , comme il l'annonce
, on peut dire qu'il confeille très- bien
fa Nation ; qu'il la juge en homine impartial
, & qu'il la condamne fur fes torts
pour la mieux éclairer fur le chemin qu'elle
doit tenir. S'il eft François , nous penfons
qu'il a trouvé une maniere auffi ingénieufe
que convaincante de juftifier les plaintes
de la France , & la conduite du fage
Monarque qui la gouverne. Il parle furtout
en Ecrivain qui connoît l'intérieur
du gouvernement Anglois , & qui en a fait
une étude particuliere. Les morceaux que
JUILLET. 1756. 143
nous allons en tranfcrire perfuaderont
mieux nos Lecteurs de cette vérité , que
nos éloges , quelques juftes qu'ils foient
& fuffiront pour les mettre au fait du ftyle
& du ton de l'Ouvrage .
Il faut avouer , dit l'Auteur page 11 ,
que le fpectacle de l'inaction de la France
jufqu'à ce moment , eft peut- être le plus
fingulier & le plus intéreffant qui ait été
donné depuis long - temps à l'Europe . Quelle
conduite pour cette Nation guerriere &
turbulente contre l'ambition de laquelle
l'Angleterre a déclamé fi fort depuis foixante
ans ! D'un autre côté comment peuton
reconnoître à toutes nos hoftilités ce
peuple refpectable qui fe pique d'équité ,
& qui fe dit le gardien des libertés de
l'Europe , après avoir eu jufqu'ici la gloire
de les défendre ; il s'expofe au reproche
de les avoir violées plus directement qu'aucune
autre Nation ne l'a jamais fait . Que
la conduite du Roi de France foit l'effet
de fa modération ou de fa prudence , elle
fera toujours louée de tout l'univers fans
nous expoſer au plus grand ridicule , nous
ne pouvons ni la blâmer , ni nous en
plaindre.
Il s'en faut beaucoup , pourfuit- il , que
notre Cour ait fuivi des maximes auffi fages
que celle de Verfailles. Comme elle
144 MERCURE DE FRANCE.
peut avoir des intérêts féparés de ceux de
la Nation , il a fallu chercher à l'éblouir.
Mais on a beau nous dire que la France
viole les Traités les plus facrés , on n'en
croira pas nos Miniftres fur leur parole.
Depuis deux ans , on leur en demande des
preuves ; ils n'en ont encore donné aucune.
La haine du nom François n'aveugle que
la vile populace . Les Grands font les feuls
qui ayent les yeux fafcinés par la Cour :
tout le refte de la Nation voit clair. C'eft
l'ordre moyen , placé entre ces deux extrêmes
, qui dans tout pays doit par préférence
être confulté , parce que c'eft celui
où il y a le plus de puiffance , de lumiere
& d'honnêteté. Nos Pairs du Royaume ne
font plus que les Grands de la Cour
puifqu'ils y tiennent plus qu'à la Nation.
Il s'en faut beaucoup que les actes du
Parlement même foient toujours le voeux
public . On fçait avec quelle facilité le
Gouvernement dans l'une & dans l'autre
Chambre s'affure de la pluralité des voix :
Combien de fois notre augufte Sénat ne
s'eft-il pas entendu faire , & non fans fonment
, le reproche fanglant que Jugurtha
fit à la République Romaine !
D'ailleurs nos Miniftres ou ceux qui
cherchent à le devenir , ont encore une
reffource sûre : elle confifte dans l'art aifé
d'élever
JUILLET. 1756. 145
*
d'élever un cri populaire. C'est notre toclin
politique , auquel les uns ont recours pour
allumer le feu , comme d'autres pour l'éteindre.
La multitude enivrée , de même
qu'une troupe d'enfans , ſe joint auffi- tôt
àceux qui les premiers ont excité la clameur
& favorifé leurs projets , quoique
le but que les Chefs fe propofent , foit directement
contraire au cri qu'ils ont élevé ,
& au bien du peuple même.
:
Sur le terme de piraterie qui lui eft
échappé , il ajoute page 32 : On s'étonnera
peut-être qu'un Anglois fe ferve ici du
mot de piraterie ; la fierté de mes Compatriotes
pourra s'en offenfer : on fçait qu'il
a bleffé la délicateffe des oreilles de nos
Miniftres mais comment peuvent- ils s'en
plaindre , eux qui ont donné les ordres
pour exercer de pareils brigandages ? Je
fuis en droit de répondre à celui qui me
reprochera d'employer l'unique expreffion
qui réponde à la choſe : Quantùm à verborum
libertate , tantùm te à rerum turpitudine
fejungas. Quelle conduite fut jamais
plus indigne de la majefté du peuple Anglois
que nous affectons de vouloir établir
! Qui peut aimer fa Patrie , & n'avoir
pas regret de la voir fe deshonorer ! Nous
prenons le titre de Maîtres de la Mer ; notre
empire fût-il même bien établi , nous
1. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
convenoit-il de l'exercer en Tyrans , en
Pirates ? Il n'eft pas moins important à
une Nation qu'à un particulier de conferver
fon caractere parmi fes voifins : comme
lui elle perd tout en perdant fa réputation
.
L'Auteur fait voir enfuite que la Nation
Françoiſe a gagné ce que la fienne a perdu.
Tout y annonce , dit-il , un nouvel efprit
qu'elle doit aux lumieres philofophiques
de ce fiecle , & dont elle fait l'ufage le
plus utile à la fociété . Par où peut-on juger
de la façon de penfer d'un peuple, fi ce n'eft
par les objets dont il s'occupe ? Au lieu
de ces Romans & de tant d'autres écrits
frivoles , qui ont exercé fi long-tems les
beaux efprits de France , il ne nous vient
plus de Paris que des Effais fur l'Agriculture
, fur le Commerce , fur la Marine , fur
les Colonies , fur les Manufactures , fur les
Finances , & fur tous les objets qui peuvent
contribuer à la grandeur & aux richeffes
d'une Nation .
"
Tandis que nos jeunes gens vont à
Paris apprendre l'art fublime de la danſe ,
& la fcience merveilleufe des modes & de
toutes les frivolités de cette grande Ville ,
ceux des François qui viennent à préſent
parmi nous reportent dans leur Patrie des
connoiffances d'une toute autre importanJUILLET.
1756. 147
ce , & y mettent à profit les leçons d'économie
, politique & civile qu'ils font
gloire de tenir de nous . C'eft au commerce
que l'Angleterre doit l'extinction des Barons
Gothiques , il eft prêt à rendre à la
France le même fervice . Quelles ne feront
pas alors les reffources de cette Nation !
Le Patriote après avoir prouvé plus haut,
page 21 , que fa Nation doit être plus attentive
que toute autre à éviter la guerre ,
attendu qu'une grande partie du peuple
Anglois ne fubfifte que par le commerce :
Notre triomphe , dit-il , felon les apparences
, ne fera pas de durée. Les François
font affez puiffans pour avoir dans peu
une force fuffifante à nous oppofer par
terre & par mer. Notre imprudente jaloufie
les oblige à rétablir lear marine ; ils y
emploient tant d'argent , & ils y travaillent
avec tant d'activité , qu'ils peuvent
bientôt être en état non feulement de fe
défendre , mais de prendre une cruelle revanche
des infultes que nous leur avons
faites.
Nous finirons ce précis par la note fuivante
, qui répond à l'endroit que nous
venons de citer , & qui nous paroît des
plus heureuſes par l'application . Alors les
François pourront nous dire comme dans
la Tragédie de Shakeſpear : Quoique vous
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
nous ayez cru morts , nous ne faifions que
dormir. L'avantage eft un meilleur foldat
que la témérité. Le temps qui mûrit les plaies
donne plus de facilité pour les guérir : celles
que vos injures nous ont faites font déjafermées.
Le moment de la vengeance eft arrivé.
L'Angleterre fe repentira de fa folie , verra
fa foibleffe & admirera notre patience . Que
Son Roi penfe donc à des dédommagemens
proportionnés aux pertes que nous avons
faites à l'affront que nous avons digeré ,
&c. Henris , acte 3 .
NOUVEAUX Mémoires d'Hiftoire , de
Critique & de Littérature , pour fervir de
fupplément aux fix premiers volumes , pat
M. l'Abbé d'Artigny , Tome feptieme ;
chez Debure , l'aîné , Quai des Auguftins ,
1756.
Ce tome nous a paru répondre au mérite
de ceux qui l'ont précédé , & former
un fupplément qui compléte l'Ouvrage .
Le prix des fept volumes reliés eft de 21
livres . On les vendra féparément chacun
3 liv. jufqu'au premier Juin 1757 .
JUILLET . 1756 . 149
ARTICLE I I I.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
HISTOIRE.
SUITE DE LA DISSERTATION
Sur une Lettre de Saint Remi à Clovis.
Examen abrégé des Syftêmes de plufieurs
Auteurs.
LE fentiment de M. l'Abbé Dubos eſt
que Clovis avoit reçu d'Anaftafe la dignité
de Maître de la Milice , & que S. Remi
lui avoit écrit cette lettre pour l'en féliciter.
Comme ce grade étoit au deffous de
celui de Conful , qu'il y avoit déja eu précédemment
beaucoup de Princes François
honorés de cette charge , cette opinion eft
fujette à beaucoup moins de difficultés :
cependant elle ne fçauroit fe foutenir , comme
l'a très- bien prouvé M. le Préſident de
Montefquieu ( 1 ) & notre Differtateur. Je
(1 ) Cet Auteur a très-bien réfuté la plupart
des opinions que M. de la *** avance dans ces
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
renvoie le Lecteur à leurs ouvrages , afin
d'éviter la prolixité.
Le Comte de Boulainvilliers a fuppofé
que les Rois Francs n'étoient pas Générauxnés
de leurs troupes , & qu'ils ne montoient
à ce grade qu'après avoir acquis
une expérience fuffifante : ainfi , dans fon
idée , cette lettre a été écrite avant le baptête
de Clovis : mais ces paroles facerdotibus
tuis debes honorem deferre : hoc imprimis
agendum ut Domini judicium à te non
vacillet , conviennent - elles à un Prince
payen ? Sa fuppofition d'ailleurs eft toute
gratuite, & a befoin elle- même d'être bien
prouvée (1 ).
Dom Ruinart prétend que cette lettre
regarde le confulat de Clovis : il faut
avouer que cette opinion eft la plus vraifemblable.
M. de la *** lui forme plufieurs
objections que je ne crois pas fans
réponſe.
Premiere Objection.
Les Confuls fous les Empereurs , & furtout
fous Anaftafe , étoient fans fonctions.
deux Differtations fur la Nobleffe Françoife , &
fur les dons qu'elle offroit à fes Rois , quoiqu'il
ne connût vraisemblablement ni l'Auteur , ni
LOuvrage.
(1 ) Voyez la Differtation de M. de la ***.
JUILLET. 1756. 151
Seconde Objection.
Cette lettre n'a pu être écrite que peu de
tems après le baptême de Clovis. Or ce
Prince n'a reçu le confulat que plus de
douze ans après .
Troisieme Objection.
La troisieme eft tirée de ces mots , cum
juvenibus joca : donc Clovis étoit jeune ,
& il ne l'étoit pas douze ans après fon
baptême.
A l'égard de la premiere , fous Juftin les
Proconfuls avoient des fonctions . Par un
privilege fpécial , Anaftafe pouvoit avoir
accordé à Clovis celles de Conful : c'eſt à
Dom Ruinart à le prouver.
A l'égard de la feconde , la preuve de
M. de la Chapelle eft très -foible .
Quant à la troifieme elle n'eft pas recevable.
Cum juvenibus joca : dọnc Clovis
étoit jeune. Et moi je dis , cum fenibus
tracta : donc ce Prince étoit vieux. Ces deux
conféquences ne valent pas mieux l'une
que l'autre : nous reviendrons dans la fuite
à ce paffage .
Cependant cette lettre me paroît remplie
de tant de préceptes que je penfe qu'elle
n'a pu être adreffée qu'à un Néophite.
D'ailleurs , ni le fecundum , ni ces mots per
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
induſtriam humilitatis tuæ ad fummum culminis
pervenis , ne peuvent pas être expliqués
dans ce fyftême.
M. de Montefquieu , dont la vafte érudition
répond à la beauté de l'efprit , & la
beauté de l'efprit à la folidité du génie ,
s'explique ainfi : Quand le motif d'un fujer
nous eft connu , pourquoi avoir recours à
des caufes qui ne le font pas ? La lettre de
S. Remi eft un compliment de félicitation
que ce prélat fait à Clovis fur fon avénement
à la couronne.
Je fuis fâché de ne pouvoir pas être de
fon avis. Je fuis convaincu que s'il n'eût
pas traité cette matiere par occafion, comine
il a fait , qu'il n'auroit pas avancé cette
opinion . En effet , ces termes facerdotibus
uis debes honorem deferre... ad eorum confilia
recurrere , peuvent- ils convenir , comme
nous avons déja dit , à un Prince payen ?
Mais ce qui leve toute difficulté , & ne
permet pas de pouvoir adopter cette opinion
, & ce qui renverſe en même tems
tous les autres fyftêmes dont nous avons
parlé , font ces paroles : Per induftriam bumilitatis
tua ad fummum culminis pervenis.
Comment pouvoir appliquer ces mots à
l'avénement de Clovis à une dignité
mondaine , au confulat , à la préfecture
du prétoire , à la couronne , &c ? C'eſt par
JUILLET. 1756. 155
fucceffion ou par des faits éclatans , & non
par humilité que l'on s'éleve aux honneurs
, & que les Princes montent fur le
trône. Paffons au fecond fyftême de
M. de la ***
Réfutation du fecond Systême de M. de la ***
M. de la *** après avoir reconnu l'authenticité
de la lettre de S. Remi , authenticité
fur laquelle il avoit appuyé tout fon
fyftême , rejette actuellement & le fyftême
& la lettre , & fait tous fes efforts pour
prouver qu'elle est un ouvrage de quelque
fauffaire : voici fes preuves.
Premiere preuve de faux.
S. Remi étoit un prélat fort éloquent ,
& qui écrivoit très-poliment en profe &
en vers. Sidoine Appollinaire, & Grégoire
de Tours , l'ont dit. Or cette lettre de
S. Remi à Clovis , péche du côté de la
diction : donc cette lettre n'eft point de
S. Remi.
Voilà l'argument de M. de la ***. Saint
Remi étoit un prélar fort éloquent en profe
& en vers pour le fiecle où il vivoir ; d'ac
cord : & dans ce fiecle l'on écrivoit poliment
& éloquemment ; je le nie.
"
Depuis la mort d'Augufte , les Belles
Lettres & la pureté de la langue Latine
GY
I
*
154 MERCURE DE FRANCE.
❤commencerent à baiffer , & allerent toujours
en déclinant , d'autant plus que
>> ceux mêmes qui vouloient les redreffer ,
»les corrompoient davantage. La multi-
» tude de ceux qui avoient le goût mau-
23
"
vais l'emporta fur le petit nombre. Les
»vers fe foutinrent un peu plus longtemps .
»que la profe : par exemple , ceux d'Au-
»fone & de Sidonius font bien plus fup-
» portables que leur profe .On perdit la maniere
de raifonner & de parler jufte ; on
»fe rendit obfcur & embarraffé ; on intro-
» duifit de nouveaux mots , ou fabriqués ,
"
ou barbares ». Voilà le témoignage que
rend Mezerai aux fiecles poftérieurs à celui
d'Augufte. La corruption devoit donc être
des plus grandes du tems de S. Remi : on
peut en juger par Grégoire de Tours fon
panégyrifte. Le fameux Sidoine n'eft pas
exempt de critique. Mais comme notre
Differtateur nous cite, pour faire connoître
le mérite de Saint Remi , une lettre qu'il
écrivit à Clovis fur la mort de la foeur de
ce Prince , j'en ai extrait quelques morceaux
pour en faire la comparaifon .
Domino illuftri meritis Chlodovao Regi ,
Remigius Epifcopus..... Angit me & fatagit
veftra caufa triftitia , quod gloriofiffima memoria
germana veftra tranfiit Albochledis :
fed confolari meritò poffumus , quia talis de
JUILLET. 1756. 755
bac luce difceffit, ut recordatione magis fufcipi
debeat quam lugeri. Illius enim vita fuit quod
affumpia credatur à Domino , que à Deo
electa migravit ad celos . Vivit veftra fidei ,
& fi eft confpectu defiderio recepta ... Acrius
invigilabis Dominus meus repelle... Commendo
familiarem meum Maccolum quem direxi,
quafo ut tantis habeatis ignofcere qui quod
occurfum debui exhortatoria deftinare verba
prafumpfi.
Remarquez ces mots : veftra cauſa triftitia...
Tranfivit feul , pour è vitâ deceffit...
Recordatione magis fufcipi. Illius enim vitė
fuit quod... Vivit veftra fidei , & fi eft confpectu
defiderio recepta ... Dominus repelle ....
Invigilabis au fingulier , habeatis au pluriel .
Quelle reffemblance pour les folécifmes !
les tours embarraffés , la diction , le ſtyle,
furtout entre ces deux phrafes , commendo
familiarem meum , &c. & celle- ci de la prémiere
lettre , ubi tui meriti , qui per , &c.
Nous avons examiné la profe , paſſons aux
vers .
M. de la *** tâche de prouver l'éloquence
& les talens de S. Remi par les vers de
ce prélat qu'il nous cite. Mais , dit Mezerai
, les vers fe foutinrent un peu plus longtemps
que la profe : d'ailleurs , ceux de
S. Remi ne font pas des plus élégans.
Le premier de l'épitaphe que nous avons
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
cité eft fort bon , le fecond eft pitoyable ,
le dernier eft de la profe.
A l'égard de ces trois qu'il avoit fair
graver fur une coupe facrée.
Hauriat hinc populus vitam de fanguine
facro.
Injecto aternus quemfudit vulnere Chriftus.
Remigius Domino reddit fua votafacerdos.
Le premier eft excellent , le fecond fupportable
, quoique l'injecto ne s'entende
qu'avec peine & foit mal placé ; le troifieme
eft d'une platitude affreufe.
Voilà , je crois , des preuves fuffifantes
pour établir que la lettre dont je foutiens
Pauthenticité , étoit digne de S. Remi , &
que S. Remi étoit digne d'elle.
Seconde preuve de faux.
M. de la *** reproche à S. Remi d'avoir
manqué de refpect pour Clovis , & de ne
Jui avoir jamais donné le titre de gloria
veftra il eft facile de l'excufer. C'eſt un
pere qui écrit à fon fils , un prélat à fon
néophite. Eft il furprenant qu'il oublie ces
mots , & qu'il ne lui parle pas toujours au
pluriel ? Dans la lettre que cet Auteur nous
cite pour modele , il ne le fait pas toujours.
Dominus meus , repelle acriùs , invigilabis.
Voyez les lettres que Photius écrivoit au
JUILLET. 1736. 257
Prince des Bulgares qu'il appella 70 7xona
nuov. Vous y verrez plus d'éloquence
mais guere plus de refpect. Ne fçait- on
pas avec quelle fainte hardieffe les premiers
Evêques parloient aux Empereurs?
Troifieme preuve de faux.
Non eft novum ut coeperis , &c. On ne
peut point appliquer ces mots à Clovis ,
dit M. de la *** , parce que cette lettre a
été écrite après le baptême de Clovis , &
que ce Prince s'étoit précédemment diftingué
par de grands exploits , & avoit donné
beaucoup de marques de valeur , donc ,
& c.
Je réponds : Votre traduction , Monfieur
, ne peut point s'appliquer à Clovis ;
d'accord : Le paffage latin ne peut point luf
convenir ; je le nie : il ne faut pas traduire
comme vous avez fait , il n'eft pas étonnant
; il faut traduire , il n'eft pas nouveau
que vous ayez commencé , c'eft- àdire
, ce n'eft pas d'aujourd'hui que vous
vous êtes fait connoître : la preuve eft le
fecundum qui vous embarraffe fi fort. C'eft
pour la feconde fois : donc ce n'eft pas
nouveau. Ainfi cette phrafe loin de fignifier
que. Clovis ne s'étoit point encore diftingué
par fes exploits , comme vous le
prétendez, établit au contraire que la ré158
MERCURE DE FRANCE .
putation étoit faite depuis longtemps ( i ) {
Quatrieme preuve de faux.
Cives tuos erige , viduas fove , orphanos
nutri , &c. Notre Differtateur trouve que
ces confeils font indignes d'un monarque.
Il eſt bien fâcheux pour Ifaïe de fe voir
ainfi condamné par un même Arrêt avec
S. Remi. Ce Prophéte s'explique ainfi :
Apprenez à bien faire, recherchez la droi-
» ture , redreffez celui qui eft foulé , faites
»droit à l'orphelin , débattez la caufe de
>>la veuve (2 )
ور
و د
33.
Cinquieme preuve de faux.
Ne magis dona aut aliquid accipere velis .
Autre confeil indigne de S. Remi qui le
donne , & du Prince qui le reçoit , dit
M. de la ***. Je conviens qu'il pourroit
révolter quelqu'ignorant : mais , vous ,
Monfieur , comment pouvez-vous trouver
à redire à cer avis , vous , par la bouche
duquel Mezerai & le P. Daniel viennent
de nous apprendre dans votre differtation
que c'étoit prefqu'en cela feul que
confiftoit le revenu de nos rois. Le magis
marque la mefure , la grandeur des préfens
& la façon de les recevoir , de crainte
( 1 ) Il y a dans cette phraſe un tour grec.
(2) Traduction de l'Abadie.
JUILLET. 1756. 199
que le Prince ne péche ou par la maniere
d'éxiger , ou par l'excès du préfent
exigé.
Sixieme preuve de faux.
Cum juvenibus joca , cum fenibus tracta.
Beau confeil à donner à Clovis : n'eft- il
pas bien digne de la gravité de S. Remi &
de la majesté d'un Prince. Jouez avec les
jeunes gens , foyez libre avec les jeunes
gens , & férieux avec les vieillards .
Le précepte eft fort fenfé : je fuis bien
fâché de ne pouvoir dire la même chofe
de la traduction tracta , foyez férieux ; je
ne fçais de quelle Académie il faut être
pour traduire ainfi .
L'Auteur auroit dû remarquer que le
précepte ne tombe que fur le tracta cum
fenibus ; la premiere partie , cum juvenibus.
joca , eft purement incidente : pour lors on
auroit traduit ainfi :
Si vous mettez des jeunes gens
dans vos
parties de plaifirs , ne mettez que des vieillards
dans vos confeils ; je demande fi cet
avis eft fenfé. Heureux les Juifs , fi un de
leurs Princes infenfés l'avoit fuivi !
Septieme preuve defaux.
Je diftingue , dit M. de la *** , trois
époques principales dans le regne de Clo160
MERCURE DE FRANCE.
vis : l'année de fon avénement à la couronne
481 , l'année de fon baptême 496 ,
l'année de fa mort 511. Je dis que la lettre
n'a point été écrite entre la premiere &
la feconde époque , & je le prouve ; ( c'eſt
ce dont nous convenons avec lui ) . Si elle
a été écrite depuis l'époque du baptême
jufqu'à celle de fa mort , continue cet Auteur
, en ce cas ou c'eft un compliment fur
une victoire remportée , ou c'eft une félicitation
fur une dignité obtenue : or ce
n'eft ni l'un ni l'autre , il le prouve , & il
le prouve fort bien.
Pour répondre à cette obiection , il fuffit
de trouver un troifieme motif qui ait
engagé S. Remi à écrire à Clovis : c'eft ce
que nous allons rechercher. Cependant ,
comme ces fept preuves réunies enfemble
ne font pas capables d'en former une qui
puiffe faire impreffion , nous pouvons affurer
que la lettre de S. Remi eft très - authentique.
Etablissement d'un nouveau Systême.
Comme je n'apperçois autre chofe dans
cette lettre que des confeils qu'un pere
donne à fon fils , un pafteur à ſa brebis ,
un apôtre à fon néophite , j'ofe affurer
qu'elle a été écrite à Clovis après fon baptême;
qu'elle l'a été peu de temps après ;
JUILLET. 1756.
161
que ce baptême en eft le fujet princi
pal , & que l'on peut regarder les préparatifs
de guerre que faifoit ce Prince , comme
un fecond motif.
Pour prouver toutes ces propofitions ,
je ne veux expofer aux yeux du Lecteur
que la fimple traduction de cette lettre accompagnée
de quelques notes , mais fans
argumens , fans indictions , fans tirer
même aucune conféquence. Je commence
par un espece de prélude qui fervira d'explication.
Vous avez paffé des jours purs & faints,
des jours confacrés à Dieu pour le remercier
des graces qu'il
graces qu'il vous a faites en vous
mettant au nombre de fes enfans , & en
vous donnant le titre glorieux de chrétien ."
Vous avez été uniquement occupé des faveurs
que vous avez reçues du ciel durant
tout ce faint tems maintenant ( 1 ) .
Voilà le commencement de la lettre.
SEIGNEUR ,
Et la renommée en a porté la nouvelle
(1 ) Voilà l'explication du fecundum qui embarraffe
fi fort. Suivant la coutume de l'Eglife toute
affaire ceffoit , & l'on ne s'occupoit que de la
grace reçue par le Baptême , pendant les jours
que l'on appelle dies in albis . Après ce temps.
Clovis fe rendit de nouveau au gouvernement de
fon Royaume , & fit des préparatifs de guerre.
Voilà le motif de la Lettre de S. Remi.
162 MERCURE DE FRANCE.
éclatante jufqu'à mes oreilles . Vous recommencez
à prendre les rênes de l'état , &
vous vous chargez ( pour ainfi dire ) une
feconde fois du poids accablant de l'adminiftration
des affaires. Ce n'eft pas d'aujourd'hui
( 1 ) que vous vous êtes fait connoître
digne de la réputation de vos peres ( 2 ) ..
(3 ) Ayez foin furtout de ne point affoiblir
en vous le jugement du Seigneur
vous qui en faveur de vos mérites par
l'heureuſe induftrie d'une humilité toute
fainte avez obtenu le plus grand des
biens , le baptême (4) : ce fera la perfévérance
qui fera couronnée. Prenez pour
confeillers des perfonnes qui augmentent
la réputation que vous vous êtes acquife.
Confervez pur & fans tache le bienfait
( 1 ) Phrafe célebre fi peu embarraffante , & qui
a fi fort inquieté M. de la ***.
(2) Non eft novum ut coeperis , &c. On ne peut
point appliquer ces mots à Clovis , dit M. de la ***
dans notre fyftême & notre traduction ; l'application
eft très-facile.
(3 ) Voilà une phrafe qui feule fuffit pour renverfer
tous les fyftêmes que je viens d'expofer
fous les yeux du Lecteur , & qui feul eft une
preuve complette de la bonté de mon opinion.
(4) Telle eft l'explication que je donne au mot
beneficium : c'est là le fens naturel ; il eft déterniné
par la phrafe qui précede : il eft donc inutile
de chercher un fens allégorique , & une fignifica
tion étrangere & éloignée , ou métaphorique.
JUILLET. 1756. 163
que vous avez reçu du ciel ( l'innocence
dans le baptême ) . Rendez à vos Evêques
l'honneur qui leur eft dû . Ayez recours à
leurs confeils. Que fi vous vivez avec eux
en bonne intelligence , vous affermirez de
plus en plus votre puiffance. Relevez l'efpérance
de vos citoyens , foulagez les malheureux
, protégez les veuves , nourriffez
les orphelins ; car il eft de votre intérêt
d'apprendre aux peuples à vous aimer plutôt
qu'à vous craindre . Que votre bouche
foit l'organe de la juftice. N'exigez rien
des
pauvres ni des étrangers , & n'exigez
de vos peuples , foit à titre de don ou de
préfent , foit fous quelqu'autre titre que
ce puiffe être que ce qui vous eft légitimement
dû. Que votre prétoire foit
ouvert à tout le monde , de maniere que
perfonne n'en forte avec le chagrin de n'avoir
pas été entendu . Servez - vous des richeffes
que vos peres vous ont laiffées pour
en racheter des captifs , & les délivrer de
la fervitude. Lorfque quelqu'un paroîtra
devant vous , qu'il ne s'apperçoive pas
qu'il eft étranger. Si vous mettez des jeunes
gens dans vos parties de plaifir , ne
mettez que des vieillards dans vos confeils
, afin que l'on vous croie véritablement
digne du diadême.
164 MERCURE DE FRANCE.
PHYSIQUE.
IDEES fur la maladie de la nommée Michelot
, annoncée dans le premier Volume du
Mercure de Janvier 1756 , dans l'Article
des Nouvelles.
Tous les phénomenes de la nature ont
deux extrêmes ; fi l'un fe préfente moins
fouvent que l'autre , on ne doit s'étonner,
que de la détermination des accidens .
Le froid ne doit pas plus furprendre
que le chaud , un grande féchereffe qu'une
humidité intariffable , un mouvement violent
qu'un profond repos ; l'état de travail
comme celui d'inertie , font également naturels
on ne peut appeller miracle que
ce qui s'oppofe aux loix bien connues de
la nature .
La maladie de la nommée Michelot eft
fort éloignée de tenir du prodige ; on
pourroit au plus dire qu'elle arrive rarement
: fi quelque chofe pouvoit être furnaturel
dans une circonftance femblable
ce feroit un accident pareil , accompagné
de toutes les déperditions ordinaires de
fubftance , foit dans les hommes ou dans
les femmes.
JUILLET . 1756. 165
Quoique l'Auteur de la Relation ne
donne pas à cet égard tous les éclairciffemens
néceffaires , il paroît cependant par
le peu qu'il en dit , que fi l'on en excepte
quelque évacuation par les voies urinaires
, il ne s'en eft pas fait d'autre chez la
malade.
Sans l'avoir vue , on fe perfuade que la
tranſpiration inſenſible étoit interceptée ,
& la chaleur naturelle , pour ainſi dire ,
anéantie. Le détail donné annonce que le
moment des parties externes étoit confidérablement
diminué : toutes ces circonſtances
n'ont pas peu contribué au défaut
ou plutôt à l'inutilité de l'appétit , qui
n'eft autre chofe qu'un befoin de la nature
pour réparer la diffipation perpétuelle &
confidérable des parties du corps.
>
Une paralyfie qui n'affecteroit que les
parties externes , ne feroit pas à beaucoup
près capable d'opérer ces effets ; mais on
ne peut s'empêcher de croire qu'une paralyfie
de cette nature , qui affecteroit en
même temps plus ou moins les folides &
les fluides néceffaires à l'élaboration du
chyle , ne s'opposât en raifon proportionnelle
à la digeftion , & dans cet état , le
fymptôme le plus heureux eft la fuppreffion
des évacuations ordinaires : s'il en
étoit autrement , la mort feroit inévitable.
166 MERCURE DE FRANCE.
,
C'eft fous ce point de vue que l'on envifage
l'état de la fille du village de Ponfart
: l'impoffibilité où elle a été pendant
fix mois de rien avaler prouve affez que
la paralyfie avoit affecté la langue , le pharinx
, le mufcle oefophagien , les fibres
circulaires de fa tunique charnue , toutes
des parties qui par leur compreffion procurent
la defcente des alimens dans l'eftomac:
ce vifcere lui-même & fes glandes ,
la contraction de ſes fibres eft devenue infenfible
, l'action du diaphragme & des
-muſcles du bas - ventre a été ralentie >
tout a pris un état d'engourdiffement & la
digeftion eft devenue impoffible. Que ne
prouve pas encore pour la paralyfie la perte
de la parole ? Une inertie auffi effrayante
feroit devenue funefte , fi la tranfpiration
infenfible & les autres évacuations s'étoient
foutenues pendant peu de jours feulement :
elles ont heureufement ceffé , & pour
-lors le manger eft devenu inutile.
Le peu de diffipation
qui a pu fe faire
chez la malade a été abondamment
réparé
tant par l'air qui s'eft introduit
dans
les poumons
, que par celui qui s'eft infinué
par les pores ces idées nous menent
à penfer que le traitement
de cette maladie
, du moins pour en accélérer la guéri- fon , ne devoit pas différer de celui de la
:
JUILLET. 1756. 167
paralyfie. La nature a opéré chez la Malade
après un long efpace de temps ; ce qui
feroit arrivé dans un intervalle plus court ,
fi elle avoit été fecondée.
On ne parle ici que refpectivement aux
fymptômes caractéristiques de la maladie
de la Michelot on eft bien éloigné de
vouloir dire que la paralyfie feule puiffe
ôter la néceffité de manger. On peut voir
à ce fujet le Traité du Profeffeur Licetus ,
& ce qui eft rapporté par Sennert & Jonfton.
Le fol de Harlem , Jeanne Balam , la
fille de Spire & le Prêtre de Noyon , qui
tous ont vécu pendant différens temps affez
longs fans manger , n'éprouverent aucuns
des autres accidens de la Malade de
Ponfard.
Ces phénomenes font à la vérité peu
communs ; mais ils n'ont pas plus de quoi
furprendre que l'état de ces hommes infatiables
, qui effrayent autant par la quan
tité des alimens qu'ils prennent , que par
la promptitude & la continuité de leurs
digeftions : ce font les deux extrêmes , &
ils ne font ni l'un ni l'autre miraculeux.
DEBUSNEL , Avocat au Parlement de
Flandres , & Directeur des Poftes à
Philippeville...
168 MERCURE DE FRANCE.
SÉANCE
PUBLIQUE
De l'Académie Royale de Chirurgie , du 29
Avril 1756 .
M. Morand , Secretaire perpétuel , ouvrit
la Séance par le Difcours fuivant :
L'Académie avoit propofé pour le Prix
de 1754 , le fujet qui fuit : L'Amputation
étant abfolument néceffaire dans les plaies
compliquées de fracas des os , & principalement
celles qui font faites par armes à feu ,
déterminer les cas où il faut faire l'opération
fur le champ , & ceux où il convient
de la différer , & en donner les raisons.
L'Académie convient que cette matiere
étoit auffi difficile à traiter , qu'elle eft intéreſſante
, notamment pour la Chirurgie
Militaire : auffi de treize Mémoires envoyés
pour le Prix , aucun n'en approcha ,
& le même fujet fut propofé de nouveau
pour cette année avec promeffe d'un Prix
double.
L'Académie a reçu vingt - fix Mémoires ,
& a adjugé le Prix double au n° . 20 ,
ayant pour devife : Natura vim non patitur.
L'Auteur eft M. Faure , Chirurgien-
Major du Régiment Royal Vaiffeaux.
Le
JUILLET . 1756. 169
Le Mémoire n° . 19 a été jugé mériter
feul d'être imprimé à la fuite de la piece
couronnée ila même eu beaucoup de
voix pour partager le Prix , & il l'auroit
vraisemblablement partagé , fi la pratique
cût étayé la doctrine lumineufe qui y eft
établie . Il eſt écrit avec tant de méthode
& de préciſion , que l'on croit faire plaifir
au Public en donnant ici l'extrait de ce
Mémoire.
Sa divifion est toute - faite par l'énoncé
même du Programme.
Dans la premiere Partie, l'Auteur expoſe
les cas où il juge néceffaire de faire l'amputation
fur le champ , & il les réduit à fept.
1. Lorfqu'un des grands os des extrêmités
eft brifé dans fa continuité , de façon
que la réunion en foit phyfiquement impoffible.
2. Lorfqu'il y a plufieurs fractures , &
en différens endroits dans la continuité du
même os. }
3. Lorfque l'os eft brifé près de l'articu
lation.
4. A plus forte raiſon y ayant fracas
des pieces qui compofent l'articulation .
5. Lorfque le corps contondant étant
enclavé dans l'os de maniere à ne pouvoir .
en être tiré , il y a difpofition prochaine
aux plus grands accidens.
I. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
6. La principale artere étant déchirée ,
fans laiffer d'efpérance de pouvoir arrêter
l'hémorragie.
7. Une partie du membre étant plus ou
moins irréguliérement emportée par un
coup de feu.
L'Auteur détaille les motifs qui doivent
déterminer à l'amputation fur le champ
dans chacun de ces cas , & il y joint quelques
cas particuliers , qui fans être par
leur nature compris dans les claffes énoncées
, y rentrent par des accidens confécutifs
.
Comme quelques faits d'expérience ,
quoique rares , peuvent contredire les principes
généraux pofés & pris trop à la lettre,
la feconde partie du Mémoire fert de correctif
à la premiere. Ici l'Auteur examine
les cas où il faut différer l'amputation , &
il les fonde fur deux motifs très - raifonnables
; ou parce qu'il y auroit trop de danà
la faire fur le champ , ou parce qu'on
peut la différer fans un grand danger.
ger
C'eft fous le premier membre de cette
divifion qu'il range les fix cas fuivans.
1° La plaie compliquée de fracas de
l'os , & accompagnée d'une forte commotion.
2. Trop de vigueur dans le bleffé
, jointe à la commotion. 3. Vice des
liqueurs reconnu par les fignes proptes.
JUILLET. 1756 . 171
4. Perverfion des liqueurs par l'irrégula- .
rité des panfemens antécédens. 5. L'inflammation
de quelque vifcere principal .
6. Une mortification apparente & non
bornée.
Sous le fecond membre de la divifion ,
l'Auteur comprend :
La collifion faite par une caufe peu
violênte
, à plus forte raifon celle qui n'eſt
point faite par un coup d'arme à feu .
Le fracas de l'os dans fa partie moyenne
, la fracture étant à l'extrêmité inférieure
de l'os , fans que l'articulation foit
entâméé.
Enfin , les os de la main ou du pied
bleffés dans l'articulation fans être abfolument
fracaffés.
Il feroit difficile d'établir plus folidement
que l'Auteur l'a fait , une théorie
bâtie fur des notions exactes de Phifiologie.
Après avoir pofé des principes que la
faine Chirurgie adopte , l'Auteur , fuivant
des raifonnemens qui feroient avoués par
la meilleure logique , donne un réfumé fi
bien fait , qu'en le rapportant , il n'y a pas
moyen d'y changer un mot.
Le détail qu'on vient de lire , dit- il ,
préfente naturellement trois fortes de cas
décififs de l'accélération ou du retardement
de l'amputation : fçavoir , des ca-
Hij
•
172 MERCURE DE FRANCE.
preffans , ce font ceux de la premiere par
tie de ce Mémoire ; des cas nuifibles , ce
font ceux du premier article de la feconde
partie ; des cas neutres , ce font ceux du
fecond article de la feconde partie .
Les premiers font toujours preffans dès
le premier inftant , parce qu'ils peuvent
devenir nuifibles en très-peu de temps par
l'augmentation des accidens. Les feconds
peuvent être preffans , mais comme nuihbles
: ils font fi contraires à l'amputation ,
qu'ils la rendroient plus dangereufe que le
mal même , fi on la faifoit fur le champ.
Les troifiemes n'ont rien d'un côté qui foit
contraire à l'opération , ni rien de l'autre
qui oblige de la faire dans le premier tems,
Amputer fur le champ dans les cas preffans
, c'est employer l'unique moyen de
fauver le bleffé du péril prochain qui le
menace. Le faire de même dans les cas
nuifibles , quoique preffans d'ailleurs , c'eſt
rifquer de gaieté de coeur , d'abréger la
vie d'un homme , qui paroît à la vérité ,
devoir bientôt la perdre , mais dont il y
a toujours à espérer tant qquu''iill vviitt ,, & que
la nature peut être aidée par d'autres
fecours. Faire enfin l'amputation fur le
champ dans les cas neutres , c'eft peutêtre
, prévenir des accidens qui pourroient
la rendre impraticable , s'ils venoient à fe
JUILLET. 1756 . 173
44
développer jufqu'à un certain point ; mais
c'eft faire courir avant le tems les rifques
d'une opération qui met toujours la vie
du bleffé en danger.
Done la néceffité oblige de fe hâter
dans les cas preffans. L'humanité défend
d'agir fur le champ dans les cas nuifibles.
La prudence exige qu'on ne fe preffe point
dans les cas neutres. Delà , une premiere
regle générale : toujours différer l'amputation
dans les cas nuifibles & dans les cas
neutres , & ne la faire fur le champ que
dans les cas preffans.
Mais dans ces cas preffans , il y en a
qui font nuifibles dès le premier inftant
pour caufes de vices internes ; & l'on peur
s'y méprendre , foit parce que ces vices ne
font pas faciles à appercevoir , foit qu'ils
échappent à l'attention du Chirurgien
plus occupé de ce qu'il y a d'apparent dans
la plaie , que de ce qui rend intérieurement
l'habitude du corps ou du tempérament
vicieufe. Il y a d'autres cas qui n'étant
point nuifibles dès le premier mo
ment , le deviennent en très pen de temps
par un développement des accidens primitifs
, qui confinoient déja avec les confécutifs
à la premiere infpection de la
bleffare .
Or , amputer fur le champ dans ces
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
deux cas , c'eſt le faire à contre- tems ;
trop - tôt , pour ceux qui font nuifibles
dès le premier inftant ; trop- tard pour ceux
qui étoient preffans d'abord , mais qui
ceffent , pour ainfi dire , de l'être , étant
devenus nuiſibles.
Delà , une feconde regle générale : n'amputer
fur le champ, même dans les cas preffans
, que quand on eft fûr , autant qu'on
le peut être , qu'ils ne font point nuifibles
caufe de vices internes , ou qu'ils
ne touchent point aux accidens qui les
pour
rendroient nuifibles .
Si de la théorie qui fournit toutes ces
regles générales , nous rapprochons l'expérience
, nous y trouverons de quoi les
appuyer & en faire fentir les avantages.
Sans remonter à des tems reculés , arrêtons-
nous à la bataille de Fontenoy . Plus
l'époque en eft récente , plus il y aura de
perfections à préfumer dans la Chirurgie .
L'on vit à cette occafion , opérer tant d'habiles
mains , déja exercées depuis plufieurs
années que la guerre leur avoit fourni des
fujets fans nombre : cependant de ceux à
qui l'amputation fut faite fur le champ , à
peine en réchappa- t- il un tiers .
L'on croiroit volontiers que l'Auteur a
été témoin des faits de Chirurgie auxquels.
cette journée mémorable a donné lieu :
JUILLET. 1756. 175
.
mais il paroît n'en parler que d'après un
Mémoire de M. Boucher fur un autre fujet
, publié dans le fecond volume ; & fa
doctrine fe trouve être la même que celle
de M. Faure qui a remporté le Prix , mais
qui à une bonne théorie , quoique moins
développée , a joint beaucoup de faits de
- pratique.
Ces mêmes faits fimplement cités dans
le Mémoire de M. Boucher , & détail-
.lés par M. Faure lui - même dans le fien ,
nous apprennent qu'ayant fait après la
bataille de Fontenoi , l'amputation à dix
fujets en tout , dans les délais que fa prudence
& fes connoiffances avoient cru
devoir apporter , il avoit réuffi dans tous
les dix.
Ici l'Auteur du Mémoire dont j'ai rendu
le précis , fe fait cette question. M. Faure
eût il fauvé fes dix bleffés , s'il leur eût
fait l'opération dans le premier temps ?
En fûr il mort les deux tiers des autres ,
fi l'on fe fût moins preffé de la faire à la
plus grande partie Et il prétend que ce
n'eft point trop hazarder que d'attribuer
les mauvais fuccès à ce qu'on a confondu
les cas nuifibles avec les cas preffans : il eft
même permis , dit- il , de conjecturer que
du tiers qui s'eft fauvé , plufieurs étoient
dans le cas neutre , & par conféquent
Hiv
175 MERCURE DE FRANCE.
auroient pu guérir fans amputation . C'eſt
ce que l'Auteur foumet au jugement de
l'Académie. Ces derniers mots font fa devife.
L'Académie a cru devoir ajouter à cette
proclamation du Prix un avis important
aux Auteurs qui ont concouru . Plusieurs
ont donné dans leurs Mémoires des obfervations
intéreſſantes qui font perdues pour
le Public , parce que leur nom eft ignoré ,
& quand il feroit connu , nous n'en pourrions
faire ufage que de leur aveu .
Pour ne point laiffer perdre des faits.
de pratique très-utiles pour la plupart ,
l'Académie prie les Auteurs de fe déclarer
au Secretaire qui aura foin de détacher
de leurs Mémoires , en gardant le
-fecret pour le refte , les obfervations propres
à être employées aux travaux de l'Académie.
Cette invitation s'adreffe même à ceux
qui ont préfentés des Mémoires pour les
Prix , depuis que le Roi a adopté l'Académie
, c'eft- à dire depuis 1751. Il y a en
particulier fur l'ufage du feu ou cautere
actuel , des maladies des os envoyées en
nature avec des obfervations relatives ,
dont l'Académie feroit bien aife de faire
honneur à celui qui lui en a fait hom
mage.
JUILLET. 1756. 177
L'Académie n'a trouvé aucun Mémoire
digne du Prix d'émulation : elle en donnera
deux l'année prochaine. Entre ceux
qui ont été envoyés pour celle ci , il y en
a un fur les moyens de contenir la fracture
de la jambe réduite , dont les trois
quarts au moins font purement d'algebre.
Nous déclarons ne pouvoir faire ufage
d'un ouvrage où l'on a joint auffi peu de
Chirurgie à tant de fcience abftraite , &
nous croyons même devoir en avertir ceux
qui fe propoferoient d'en préfenter de
femblables.
Après cette lecture , M. Pipelet fut un
Mémoire fur la ligature de l'Epiploon .
M. Pibrac , fur l'abus des futures dans
la réunion des plaies.
M. Belloq , fur quelques moyens finguliers
d'arrêter certaines hémorragies.
M. Récolin termina la Séance par un
Mémoire fur le choix des faignées dans
l'efquinancie inflammatoire.
Nous donnerons des Extraits de ces
différens Mémoires.
L'Académie avertit qu'outre le prix
mentionné ci -deffus , elle a décerné cinq
médailles de cent livres chacune , fçavoir ,
à M. Defport , Académicien libre ; à M.
Récolin , Académicien libre ; à M. Caqué,
Correfpondant à Reims ; à M. Chaftenot ,
Ну
178 MERCURE DE FRANCE.
?
Correfpondant à Lille ; & à M. Bauchot ,
Chirurgien au Port - Louis , chacun ayanɛ
envoyé trois bonnes obfervations en 1755 .
1-
LETTRE
De M. Ferrand , Maître ès - Arts en l'Univerfité
de Paris, & Chirurgien à l'Hôtel-
Royal des Invalides , à l'Auteur du Mercure
.
Monfieur , vous avez eu la bonté d'inférer
dans votre dernier Mercure une Lettre
que j'adreffois à M. Vacher , au fujet
d'un Soldat invalide tué par le tonnerre..
J'ai oublié de dire que lors de l'ouverture
du cadavre , M. Morand notre Chirurgien
Major étoit abfent ; mais qu'à
fon retour je lui préfentai le détail de
nos obſervations , & qu'il a bien voulu les
approuver. Ayant l'honneur de lui être
fpécialement attaché , cette omiffion devient
pour moi une faute que je me hâte
de réparer , en vous priant de publier certe
Lettre. Au furplus , l'approbation d'un
Chirurgien auffi célebre , ne peut que rendre
l'obfervation très recommendable auprès
du Public. J'ai l'honneur d'être , &c.
FERRAND.
A Paris , ce 9 Juin 1756.
JUILLET. 1756. です
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQU E.
Il vient de paroître une nouvelle Cantatille
de M. le Febvre , qui a pour titre le
Lever de l'Aurore , dédiée à Madame la
Comtelle de Carcado : il en parut une du
même Muficien dans le mois de Mars ,
fous le titre du Rendez vous , dédiée à Madame
d'Argouges. On reconnoît l'Auteur
à la compofition harmonieufe & agréable
qui regne dans fes Ouvrages . Se vend chez
M. Bayard , rue Saint Honoré , à la Regle
d'or M. le Clerc , rue du Roule , à la
Croix d'or ; & Mile Caflagneri , rue des
Prouvaites , à la Mufique royale. Prix 1 l.
1.6 fol.
LES SONGES heureux & malheureux ,
Cantatille avec accompagnement , par Ma-
H vj
1So MERCURE DE FRANCE
demoifelle d'A*** , gravée par Mlle Vendôme
; & fe vend aux mêmes adreffes..
Le Triomphe de l'Amour , Cantate de
deffus , avec Symphonie , & la Sonate , Cantate
de baffe taille ,avec grande Symphonie,
par M. de la Garde , paroiffent actuellement
aux adreffes ordinaires.
Il va paroître inceffamment deux autres
Cantares du même Auteur , & un cinquieme
Livre de Duo.
GRAVURE.
>
J. Moyreau , Graveur du Roi en fon Académie
Royale de Peinture & Sculpture
vient de finir une nouvelle Estampe d'après
le tableau original de Pierre Wouvermens ,
qui a pour titre la Grotte de l'Abreuvoir ,
qui appartient à M. Crofat , Baron de
Thiers ; c'eft le n° . 81 de fa fuite . Sa demeure
est toujours rue des Mathurins , la
quatrieme porte cochere à gauche en entrant
par la rue de la Harpe.
JUILLET. 1756. 181
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
IL PAROÎT un Recueil de différens projets
d'Architecture de Charpente , & autres
concernant la conftruction des Ponts , par
feu M. Pitrou , Infpecteur Général des
Ponts & Chauffées de France , dirigé &
mis en ordre par le Sieur Tardif , Ingénieur
, & gendre de l'Auteur . Ce Recueil
eft divité en trois Parties .
La premiere comprend les deffeins d'une
Place dans l'lfle du Palais , pour y élever
la Statue du Roi. Son centre auroit été
devant la Magdeleine dans l'alignement
de la rue Saint Jacques & Saint Martin .
A cette Place fe trouve joint un Hôtel de-
Ville , un Quai de communication du Pont
Notre Dame à un Pont de pierre , qui feroit
fait au lieu du Pont Rouge , & fous
ce Quai un Port qui , par fon expofition au
Nord , feroit propre à la décharge des vins.
Les plans , détails , coupe & élévations de
tous ces projets , font en onze Planches .
La feconde partie eft compofée de ceinde
ponts de bois , d'échafaux & d'étres
,
182 MERCURE DE FRANCE.
tayement de différentes efpeces , avec les
détails de leurs affemblages, en treize Planches.
Dans la troifieme partie , on voit des
Ponts & des Ponceaux de différentes formes
& coupes,& le progrès de la manoeuvre
pour leurs fondations , en onze Planches.
Ces Planches font précedées des explications
néceffaires pour en faciliter l'intelligence
, & d'un Mémoire de l'Auteur für
le projet de la Place.
Cet Ouvrage forme un volume in folio
grand Chapeler. Il eft dédié au Roi , & lui
a été préfenté par MM. de Moras & Trudaine
, le 18 Mai dernier..
Le prix eft de 72 liv , broché. Il ſe trouve
chez la Dame Pirou , veuve de l'Auteur ,
rue des Noyers , vis à- vis la rue Saint Jean
de Beauvais , à Paris.
HORLOGERIE.
A L'AUTEUR DU MERCURE
Monfieur , vous avez inſeré dans le
Mercure de Mai une Lettre de M. Pierre le
Roy , célebre Horloger de Paris , dans laquelle
cet Artifte reclame , comme de fon
JUILLET. 1756. 183
invention , la Pendule que M. le Mazurier
avoit déja annoncée au Public , le 14 Février
, dans la Gazette de Paris ; au mois
d'Avril , dans le Mercure de France , & en
même tems dans une petite brochure , qui
a pour titre : Difcours fur l'Horlogerie , &
expofuion d'une nouvelle méchanique de Pen
dule , approuvée par MM. de l'Académie
Royale des Sciences. Comme amateur de
cer Art , ami de M. le Mazurier & admirateur
des talens de M le Roy , j'ai mis
toute mon application à examiner les prétentions
refpectives de ces deux Artistes.
dans la nouvelle conftruction de Pendule
qu'ils ont exécutée l'un & l'aurre. Il paroît
par les dates des Certificats de l'Académie ,
qu'ils ont été expé liés du même jour 10
Décembre 1755. Si la Pendule que M. le
Mazurier préfentoit à MM. les Commiffaires
n'eût été qu'une imitation de celle de
M. le Roy ( comme ce dernier le prétend ) ,
on n'auroit certainement fair aucun cas de
cet Ouvrage , tandis que fuivant le Certificat
du 24 Février 1756 , l'Académie a
prononcé que la Pendule du Sieur le
Mazurier méritoit d'être inferée dans le
Recueil des Machines approuvées. L'illufion
de M. le Roy fur cet objet n'eft pas
excufable & la queſtion entr'eux demeure
tellement décidée , qu'en lifant les Extraits
184 MERCURE DE FRANCE.
1
de l'Académie fur l'une & l'autre Pendule
, on voit une analyfe différente ,
quoiqu'elle porte fur une même force
motrice ; & à cet égard M. le Roy devoit fe
contenter de l'aveu que M. le Mazurier a
fait dans toutes fes annonces , que ce
principe de mouvement appartenoit à M. le
Roy, quoiqu'il ne foit pas l'inventeur des
chapelets à augets , dès long tems connus
dans la méchanique , & qu'il n'y ait d'au
tre part , que d'avoir eu l'idée de les appliquer
pour moteurs aux Horloges fixes. If
eft furprenant que fur une chofe de fait ,"
que le Public eft à portée de vérifier à
tout inftant , il fe foit élevé une contefta-'
tion fi peu fondée. M. le Mazurier eft trop
modefte pour fe parer de la gloire de M.
le Roy , & M. le Roy fans doute trop jufte
pour vouloir ravir à fon Confrere celle
qu'il mérite. Ainfi , Monfieur , rien ne
fçauroit diminuer l'eftime générale que
mérite l'ouvrage ingénieux de M. le Mazurier
, ni altérer les éloges qui font dûs'
perfonnellement à ce grand Artiſte,
J'ai l'honneur d'être , & c.
Ce 8 Juin 1756.
JUILLET. 1756 . 185
ORFEVRERIE.
EXTRAIT des Regiftres de l'Académie Royale
des Sciences , du 29 Mai 1756 .
Nous avons examiné , par ordre de l'Académie
, une nouvelle méthode pratiquée
par le Sieur Balzac , Marchand Orfévre à
Paris , pour travailler fur le tour & fans
foudure la vaiffelle plate d'argent à bordure
, qu'on appelle vaiffelle à contour.
La méthode ufitée dans l'orfévrerie ',
lorfque les pieces ne font pas rondes , eft
de les faire de deux parties , en ajoutant
à la piece d'argent préparée au marteau
pour former un plat ou une affiette , une
bordure fondue & moulée qu'on y joint
en la foudant. Il en réfulte plufieurs inconvéniens
. 1 °. La vaiffelle en eft moins
pure ; 2 °. elle eft moins folide ; 3 ° . les
bordures fondues n'étant pas toujours portées
à la marque ordonnée pour la police
de l'orfévrerie , fe trouvent affez fouvent
d'un titre inférieur à celui de la piece ; 4°.
la foudure eft fujete au verd- de gris.
On évite ces inconvéniens par la méthode
du Sieur Balzac . Il travaille la bordure
fur la piece même , en la façonnant
186 MERCURE DE FRANCE.
autour. Le plateau d'argent préparé au
marteau , eft fixé fur une platine perpendiculaire
à l'arbre du tour , & contenu
par une rofette , dont la figure regle & détermine
celle qu'on veut donner à la bordure
de la piece ronde ou ovale coupée
à contour .
Nous n'entrons pas dans un plus grand
détail fur la conftruction de la machine ,
pour ne pas priver le Sieur Balzac du produit
légitime de fon induftrie qu'il rient
fecrette & qu'il nous a confiée. Sa méthode
exige autant de rofettes , qu'on veut
exécuter de contours différens ; mais la dépenfe
qu'elles occafionnent eft bien compenfée
par la promptitude de l'opération
& par la perfection de l'ouvrage .
Nous n'avons pas connoiffance que perfonne
ait travaillé fur le tour avant le Sieur
Balzac , des pieces de vaiffelle ovale à contour
fans foudure ; ainfi nous regardons
fa méthode comme nouvelle. Elle eft avantageufe
au Public , & nous croyons qu'elle
mérire l'approbation de l'Académie.
Signé , CAMUS DE MONTIGNY.
Je certifie le préfent Extrait conforme à
fon original & au jugement de la Compagnie.
A Paris , ce ‹ Juin 176.
Signé , GRAND-JEAN DE FOUCHY, Sec.
perp. de l'Acad. R. des Sciences.
JUILLET . 1756. 187
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
LE Mercredi 26 Mai , les Comédiens
François ont donné pour la premiere fois
la Gageure de Village , Comédie en profe ,
en un Acte. Quoiqu'elle ait reçu un accueil
favorable , l'Auteur a jugé à propos de la
retirer après la cinquieme repréfentation .
Elle eft imprimée , & fe vend chez Duchefne,
rue S. Jacques. Le prix eft de 30 fols
avec la mufique , qui a été fort goûtée du
Public , & qui eft de M. Giraud.
Le Lundi 7 Juin , les mêmes Comédiens
ont remis Elope à la Ville , Comédie en
vers , en cinq Actes , de Bourfaut. Elle a
prefque l'agrément de la nouveauté. Il y a
trente ans qu'elle n'a éré jouée . Quoiqu'inférieure
à Efope à la Cour , nous croyons
qu'on peut la mettre au rang des pieces
qui doivent refter au Théâtre. Il va plufleurs
Scenes d'un bon comique . Elle joint
à ce mérite l'avantage d'être bien jouée.
188 MERCURE DE FRANCE.
Le rôle d'Efope qui tient le dez dans la
piece , eft rendu fupérieurement par M.
de la Noue. Celui de la Soubrette, quoique
médiocre par lui - même , devient excellent
par le jeu de Mlle Dangeville , qui embellit
tout ce qu'elle joue.
Le Mardi 8 , on a repréfenté Mérope.
Un Acteur nouveau y a débuté dans le
rôle d'Egifte , avec l'applaudiffement du
parterre.
Le Lundi 14 , il ajoué celui de Poliencte
dans la Tragédie qui porte ce titre ; & le
Mercredi 16 , celui de Seide dans le Mahomet
de M. de Voltaire .
COMÉDIE ITALIENNE.
LE 7 Juin , les Comédiens Italiens ont
donné la premiere repréfentation de l'Amant
Jardinier ou l'Amuſement de Campagne
, petite piece en un Acte , qui a été
reçue très - favorablement du Public . Mlle
Silvia y joue une Provençale dans une grande
vérité. On ne peut pas mieux copier
l'accent & le graffeyement Marfeillois.
Le Jeudi io du même mois , ils ont
donné la premiere repréfentation des
Amours de Mathurine ; Parodie Françoiſe
d'Alcimadure Paftorale Languedocienne de
JUILLET. 1756. 189
M. Mondonville. Les Ballers de M. Deheſſe
y jettent beaucoup d'agrément ; mais nous.
ne pouvons diffimuler que la Parodie eft
plus férieufe que l'ouvrage traveſti , ou
plutôt imité. L'Auteur nous paroît même
avoir moins parodié le Poëme que les airs.
Peut- être eût-il mieux fait de ne point s'écarter
de l'original : fon dénouement en
eût été plus heureux .
Le Samedi 12 , on a réuni les deux nouveautés.
EXTRAIT des Chinois , Comédie en un Ale
en vers , mêlée d'Ariettes ; Parodie del
Cinefe.
Cette petite Piece n'eft compofée que
de fix Scenes & de quatre Acteurs , avec
un perfonnage muet ; fçavoir Xiao , Mandarin
de la premiere claffe , pere d'Agéfie ,
M. Richard ; Agéfie , Mlle Catinon ; Tamtam
, Amant d'Agefie , Madame Favari , &
Chimca , Efclave Suivante d'Agéfie , Mlle
Defglands. Le Sieur Duclos repréfente le
cinquieme perfonnage , qui eft un Intendant
de Xiao qui ne dit mot. La ſcene fe
paffe au Palais du Mandarin dans l'appartement
des femmes.
Le Théâtre repréfente un appartement
décoré à la Chinoife : on voit dans le fond
l'horifon à travers une jaloufie briſée,
190 MERCURE DE FRANCE.
Xiao ouvre la Piece avec fon Intendant ,
à qui il donne l'ordre d'aller vîte préparer
une fête fomptueufe pour la nôce
de fa fille qu'il doit marier ce jour-là.
Refté feul , il exprime la joie qu'il aura
d'être grand-pere par l'Ariette fuivante :
Ariette du Chinois : Gia Colmo di piacer.
Je vois , grace à ma fille ,
Accroître ma famille :
Un tas d'enfans fourmille :
Ah ! je les vois déja.
Tandis que l'un fautille ,
L'autre à l'envi babille.
J'aurai de la famille :
Elle fera gentille ,
Et me reffemblera.
3 fois.
Je fuis , grace à ma fille ,
Grand pere de famille :
Un tas d'enfans fourmille ,
Auprès de moi fautille
En m'appellant papa.
Je ne me fens pas d'aife.
L'un grimpe fur ma chaife ,
En m'appellant papa ,
Et me baife.
L'un grimpe fur ma chaife ,
(bis.)
L'autre joue au dada
En m'appellant papa. (bis.)
JUILLET . 1756 . 191
Paix là. Taifez-vous , paix là ,
Paix là , vous dis je.
Encore ! ce bruit m'afflige ,
Il faut que je corrige...
Contrefaifant la voix d'un enfant.
Ah ! ah ! pardon ; pardon , pardon , mon grand papa
Je ne le ferai plus . Non , non.
Levez-vous donc,
Je vais , & c.
Agéfie fa fille entre avec fa Suivante , &
Xiao lui apprend qu'il doit la marier ce
jour- là même avec un jeune homme qui
revient d'un grand voyage ; que c'eſt
l'Empereur qui fait ce mariage , & qu'en
conféquence elle doit s'y difpofer. En la
quittant , il lui dit :
圈
Dépêche toi d'avoir beaucoup d'enfans :
Eternife mon fang par ta progéniture .
Elle lui répond ingénuement :
Je n'épargnerai rien , mon pere , je vous jure ,
Pour rendre vos défirs contens.
Chimca félicite fa jeune Maîtreffe fur
cet hymen : mais Agéfie lui avoue en confidence
qu'elle craint ce noeud , & qu'elle
voudroit bien que l'époux qu'on lui deftine
reffemblât au jeune homme qu'elle a
vu la ſemaine derniere de fa fenêtre , dont
192 MERCURE DE FRANCE.
un coup de vent avoit abattu la jaloufie :
elle ajoute qu'il fit arrêter fa barque pour
la contempler ; qu'il lui avoit paru charmant
, qu'il n'avoit de chinois que l'habit ,
& que fans l'avoir entretenu , elle lui avoit
trouvé beaucoup d'efprit fur les différens.
tranfports qu'il avoit fait paroître . Dans
ce moment le Chinois dont elle parle entre
la fenêtre dans fon appartement. Agefie
paroît d'abord effrayée , ainfi que fa
Suivante . Dans le premier mouvement que
la peur lui infpire , élle lui ordonne de
fortir mais un fentiment plus doux qui
fuccede à la crainte , l'oblige auffi- tôt à le
rappeller.
par
:
Tamtam ( c'eft le nom du jeune Chinois
) fait alors éclater fon ardeur par cette
Ariette , dont la morale fe trouve dans
plus d'un Opéra François.
Ariette du Chinois Zerbinotti d'Oggidi.
Que je baife cette main.
Mais pourquoi cet air mutin ?
Que vous fert- il d'être belle
Si vous êtes fi cruelle ?
Mais perfonne ne nous voit.
Qu'elle eft farouche !
Que je touche
Seulement le bout du doigt :
Mais perfonne ne nous voit.
"
Que
JUILLET. 1756. 193
Que vous fert-il d'être belle ,
Si vous êtes fi cruelle ?
Vous fouffrez de vos rigueurs.
C'est à notre âge
Que l'on s'engage.
Le primptems eft pour les fleurs ,
Et l'amour est pour nos coeurs :
La fageffe
Pour la vieilleffe ;
La tendreffe pour nos coeurs.
Agéfie fe défend , mais avec douceur.
Cependant Tamtam fe plaint de cette rigueur
prétendue , en s'écriant :
En France , où j'ai fait un voyage ,
Le ſexe n'eſt pas fi fauvage.
La curieufe Suivante lui demande comment
on fait l'amour à la Françoife. Tamtam
répond que fi fa Maîtreffe veut le permettre
, il va l'en inftruire :
Mais oui , dit Agefie : l'on eft bien aiſe
De fçavoir d'un pays les ufages , les moeurs,
Mais , lui replique- t’il ,
our donner au tableau de plus vives couleurs ,
Il faudroit , ne vous en déplaiſe ,
Me feconder & me prêter du jeu.
Ténez , figurez -vous que vous êtes l'Amante ;
Moi , l'Amant :
I. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
Agefie.
Soit.
Tautam à Chimca.
Vous , la Suivante
Que je vais engager à protéger mon feu .
Agéfie va s'affeoir , & prend le thé .
Cette fcene forme un tableau des plus
charmans elle fait la piece comme nous
l'avons dit ailleurs. Nous ajouterons qu'elle
vaut feule un Acte , & qu'elle paroît
d'autant meilleure au Théâtre , qu'elle eft
parfaitement rendue par les tro Actrices
qui la jouent. Tamtam commence par prier
Chimca de parler pour lui à fa Maîtreffe ,
de lui bien peindre fon amour ; & pour
mieux l'y déterminer , il lui offre une
bourfe qu'elle accepte après quelques façons.
Chimca inftruit Agéfie du feu dont
un jeune Amant brûle pour fes charmes ,
& lui demande la permiffion de l'introduire
auprès d'elle. Eh bien ! dit Agéfie ,
il peut paroître. Tamtam s'approche , s'incline
devant elle , & dit à Chimca de fe
tenir à deux pas . Enfuite il fe tourne vers
fa Maîtreffe , & lui peint l'état de l'Amant
qu'il repréfente par l'Ariette qui fuit , & .
qui eft des plus théâtrales :
7
JUILLET. 1756. 195.
Ariette : Ma detto ta mia mama.
Son coeur d'abord palpite :
Il veut , mais il héſite :
Il dit des mots fans fuite :
Certain trouble l'agite.
Il a peur de manquer d'égards ;
Et la crainte
Eft peinte
Dans les regards.
Bientôt l'Amour l'infpire.
Il vante les attraits :
Quels yeux charmans ! quels traits !
Après.
Agéfie.
Tamtam.
L'Amant foupire ,
Et l'ofe dire ,
Et l'aven ne déplaît pas.
Ainfi l'Amour pas à pas ,
Pour engager tend ſes lacs .
(bis.)
Agéfie avec un peu d'émotion.
La peinture intéreffe .
Chimca à part.
Ah ma pauvre Maîtreffe !
Commence à fe troubler.
Ah ! ma pauvre Maîtreſſe !
(bis. )
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Son coeur fe laiſſe aller ,
Se laiffe , laiffe , laiffe ,
Se laiffe , laiffe aller.
Tamtam.
Le coeur plus fort palpite :
On veut , mais on hélite :
On dit des mots fans ſuite ,
Un nouveau trouble agite.
L'Amour brille dans les regards ,
Et l'audace
Chaffe
Les vains égards.
La belle fe retire ,
Et paroît fe fâcher.
Agéfic.
Eh ! mais ! ....
Tamtam .
L'Amant foupire ,
Et faifit un bras.
Agéfie en Soupirant.
Tamtam .
Après.
Doucement il le flatte ;
(bis, )
Qu'il eft rond , blanc & frais !
Ah ! quelle peau délicate !
Que je le baile.
Agéfie.
Mais ...
JUILLET. $756. 197
1
}
Quoi !
Tamtam.
Agéfie troublée.
Quoi !
Tamtam lui baifant la main.
Le tendre Amant le baile.
Agéfie plus émue.
Tamtam.
Et le rebaife :
Elle s'appaiſe ,
Et ne fe défend pas.
Après.
Ainfi l'Amour pas à pas ,
La fait tomber dans fes lacs.
Chimca .
Ah ! ma pauvre Maîtreffe !
Je la vois fe troubler.
Ah ! ma pauvre Maîtreffe !
Son coeur fe laiffe aller "
( bis. )
Son coeur fe laiffe , laiffe , laiffe ,
Se laiffe , laiffe aller.
Agéfie revient de fon trouble , & repro
che un peu tard à Tamtam d'avoir trop
ofé. Il répare fon audace , en difant qu'il
l'adore & qu'il attend la mort à fes genoux.
I iij
F98 MERCURE DE FRANCE.
Agéfie lui répond tendrement :
On auroit à punir à la fois deux coupables.
Ah ! je le fuis autant que vous.
Mais elle lui déclare en même tems
qu'un époux , ou plutôt un maître , doit
s'unir avec elle inceffamment. Il demande
quel eft cet époux ? Je ne fçais , dit- elle .
J'ignore auffi , replique- t'il , celle que j'époufe
ce foir : je viens de recevoir à l'inftant
fon Portrait . Chimca prend ce Portrait
, l'examine , & s'écrie : Ah ! ma Maîtreffe
, c'est vous-même. Nos Amans fe livrent
à la joie mais elle eft tout à coup
troublée & changée en frayeur , par l'arrivée
du pere qui entre le fabre à la main ,
& qui veut tuer fon gendre fans le connoître.
Ce dernier le tire de fon erreur ,
en lui montrant le portrait d'Agéfie , que
Xiao lui a envoyé. Le Mandarin eft tranfporté
de joie à fon tour , & dit à Tamtam
de fortir fans être apperçu , & qu'il va au
plutôt l'unir à fa fille. Cer Acte fuivi du
Ballet des Nôces Chinoifes , forme un Spectacle
qui ne s'ufe point , & qu'on verra
toujours avec le même plaifir , quand il
fera exécuté
par
les mêmes Acteurs.
JUILLET. 1756. 199
CONCERT SPIRITUEL.
E Le Jeudi 27 Mai , jour de l'Afcenfion ,
le Concert a commencé par une fymphonie
, fuivie de Domine , in virtute tuâ , Motet
à grand choeur de M. Cordelet . Enfuite
Madame Veftris de Giardini a chanté
deux Airs Italiens . Madame Montbrun
a chanté un petit Motet de Mouret. M.
Balbaftre a joué fur l'Orgue un Concerto
de fa compofition. Le Concert a fini
Venite exultemus , Motet à grand choeur de
M. Mondonville.
par
Le Dimanche 6 Juin , jour de la Pentecôte
, le Concert a commencé par une fymphonie
; enfuite Diligam te , Motet à grand
choeur de M. Giles. Mlle Vincent a
chanté un petit Motet nouveau. M. Piffer
a joué un nouveau Concerto de violon de
fa compofition ; Mlle Fel a chanté Exultate
Deo, petit Motet de M. le Chevalier d'Herbain.
Le Concert a fini par Laudate Dominum
, quoniam bonus , Motet nouveau
à grand choeur de M. Mondonville , dans
lequel M. Balbaftre a joué de l'Orgue.
Le 17 , jour de la Fête - Dieu , le
Concert a commencé par une fymphonie
fuivie de Latatus fum , Motet à grand
Liv
200 MERCURE DE FRANCE.
choeur de M. Cordelet : enfuite Mlle
Vincent a chanté un petit Motet de M.
Mondonville. M. Piffet a joué un Concerto
de violon de fa compofition avec l'applaudiffement
général . M. Godart a chanté
un petit Motet de M. le Febvre . M. Balbaftre
a joué fur l'Orgue un Concerto de
fa compofition. Le Concert , qui a fini par
Bonum eft , Motet à grand choeur de M.
Mondonville , a paru très- agréable par le
choix & la variété des morceaux.
JUILLET . 1756. 201
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ITALI E
DE NAPLES , le 24 Avril.
Le Mont Vefuv
E Mont Vefuve , après avoir fait longtemps
entendre un grand bruit , a jetté pendant quatre
jours beaucoup de matiere bitumineule. Lorfque
cette éruption a ceffé , trois Seigneurs Angloisont
voulu monter au haut du Mont , pour examiner
les bouches du Volcan. Ils ont été prefque
fuffoqués par des nuages de cendres & de fumée
peu s'en eft fallu que leur curiofité ne leur air
fait éprouver le fort de Pline le Naturalifte .
&
DE VENISE , le 14 Mai.
Une Tartane , que commande le Comte Eva
nowitz , Dalmatien , fut attaquée le 19 du mois
dernier près des Bouches de Cattaro par un Chabec
de Tripoli , de quarante-deux canons , & de
cinq cens hommes d'équipage. Quoiqu'elle ne fût
montée que de quarante-fix Efclavons , elle s'eft
emparée du Bâtiment ennemi , après quatre heu
res de combat. Les Efclavons n'ont voulu accor--
der aucun quartier aux Tripolitains . La perte des.
premiers auroit été peu confidérable , fi le Chevalier
Evanowitz n'avoit pas été tué. Le Chabeç
I..
202 MERCURE DE FRANCE.
*
ayant été fi maltraité qu'il n'étoit plus en état de
fervir , on y a mis le feu.
PAYS- BAS.
DE LA HAYE , le 28 May.
Il fut décidé le 25 , dans l'affemblée des Etats
Généraux , que cette République obferveroit une
exacte neutralité dans la guerre qui s'eſt allumée
entre la France & la Grande- Bretagne.
GRANDE-BRE•TAGNE.
DE LONDRES , le 31 Mai.
Le Roi fe rendit le 27 à la Chambre des Pairs
avec les cérémonies accoutumées , & Sa Majefté
ayant mandé la Chambre des Communes , fit la
clôture des Séances du Parlement par le Difcours
fuivant. MYLORDS ET MESSTEURS , il est juste qu'après
avoir donné une application fi longue &fi conf
tante aux affaires publiques , vous preniez quelque
relâche . It eft jufte auſſi que je vousfaſſe més remerciemens
finceres de l'ardeur efficace , avec laquelle
vous m'avez aidé à foutenir la caufe dans laquelle
je me trouve engagé pour la Nation . Les infultes
2
les hoftilités commifes depuis quelque temps par
les François contre mes Etats & contre mes Sujets
viennent d'être fuivies d'une invafion dans l'Ifle
Minorque , quoique cette poffeffion me foit garantie
par toutes les Puillances de l'Europe , en particulier
par le Roi des François. Ainfi , pour défendre
l'honneur de ma Couronne les droits de mes
Sujets , j'ai été dans la néceffité de déclarer formel-
Tement la guerre à la France. Je me repose sur la
JUILLET. 1756. 203
Protection Divine & fur la vigoureuſe affiftance de
mes fideles Sujets dans une cauſeſi jußte. MESSIEURS
DE LA CHAMBRE DES COMMUNES , je vous remercie
de la promptitude avec laquelle vous m'avez accordé
des fecours fi confidérables. Vous pouvez être af
furés , qu'ils feront employés aux fins falutaires
pour lesquelles vous les avez donnés . MYLORDS ET
MESSIEURS , rien ne m'a plus fatisfait que la confiance
, que vous avez en moi. C'est la marque la
plus agréable , que je puiſſe recevoir de votre reconnoiffance.
Auffi vous devez être perfuadés , queje
n'en ferai ufage que pour votre avantage. Le maintien
de votre Religion , de vos Libertés de votre
Indépendance , eft fera toujours mon principal
objet. Je compte que de votre côté , vous ne vous
manquerez pas à vous-mêmes. Le Roi , en terminant
les Séances du Parlement , s'eft contenté d'ajourner
cette Affemblée ; & le Parlement eft cen
fé n'être point prorogé , mais fufpendre feulement
fes délibérations.
En conféquence de la Déclaration de guerre ,
publiée le 18 , le Roi a ordonné d'expédier des
Lettres de Marque aux Armateurs , pour les autorifer
à faire la courfe. Sa Majefté fe réſervera la
moitié de toutes les prifes qui fe feront , foit en
Navires Marchands , foit en Bâtimens Corſaires ;
& les fommes , qui proviendront de cette réferve
, feront employées à donner des gratifications
aux équipages qui s'empareront de quelques
Vaiffeaux de guerre des ennemis. La Fregate la
Lime rentra le 23 dans ce Port , extrêmement
maltraitée. Elle a recu quatre- vingts coups de canon
dans la voile de fon grand perroquet , cinquante-
quatre dans fa grande voile , & plufieurs à
fleur d'eau .
Depuis qu'on a publié la Déclaration de guerre,
-Lvj
204 MERCURE DE FRANCE.
il s'eft préfenté à la Banque un fi grand nombre
de perfonnes , pour retirer leurs fonds , que , ne
pouvant faire face à toutes les demandes , elle a
été obligée un de ces jours derniers , de fufpendre
pendant huit heures les payemens .
FRANCE.
'Nouvelles de la Cour , de Paris , & c..
LE 9 Mai , le Bourg de Ferechampenoiſe , un
des plus confidérables du Diocèfe de Châlonsfur-
Marne , a été prefque totalement détruit par.
un horrible incendie. Les habitans ont eu à peine.
temps de pourvoir à leur fûreté , & de fauver
leurs enfans. Dans l'intervalle d'une heure , près
de mille perfonnes fe font trouvées fans azyle &
fans reffources.
le
Le 11 , M. le Duc de Biron , après avoir fait la
revue des Gardes Françoifes dans la Plaine des
Sablons où le Régiment étoit campé , déclara que
le Roi avoit accordé une penfion de mille livres
fur le Tréfor Royal à M. le Comte d'Afpremont ,
Maréchal de Camp , Commandant du troiſieme
Bataillon de ce Régiment ; une pareille penfion à.
M. de Savary , Lieutenant de Grenadiers , ayant
Brevet de Colonel ; une de quatre cens francs ,,
auffi fur le Tréfor Royal , à M. de Chaffincourt-
Tilly , Sous- Lieutenant ; des Brevets de Colonels.
au Marquis de Rafilly , Lieutenant de Grenadiers
& au Comte du Dreneuc , Lieutenant ; & la Croix
de Saint Louis au Vicomte de Jaucourt , Lieutenant
à M. de Chaban , Sous- Aide- Major; au
JUILLET. 1756. 206
Chevalier de Palme , au Marquis de la Rochebouffeau
, à MM. de la Motte , de Termont , &
de Chieza , Sous- Lieutenans , & à M. de la Bordenne
, Enfeigne de Grenadiers.
Le Roi ayant porté à dix-fept Compagnies les
Bataillons de fon Infanterie Françoife ; & Sa Majefté
voulant que les Bataillons des Régimens de
fon Infanterie Suiffe & Grifonne , qui ne font actuellement
que de quatre cens-vingt hommes en
quatre Compagnies de cent vingt hommes chacune,
y compris les Officiers , foient rapprochés de la
compofition des Bataillons François , Sa Majefté a
ordonné que les douze Compagnies de chacun
des neuf Régimens Suiffes & de celui de Salis Grifon
, qui font à ſon ſervice , formaffent dorénavant
deux Bataillons compofés de fix Compagnies
chacun , au lieu d'être diftribuées , commé
elles font préfentement , en trois Bataillons de
quatre Compagnies. Veut Sa Majefté , que les fix
Compagnies , qui doivent compofer chacun des
deux Bataillons par Régiment , y foient placées
fuivant le rang d'ancienneté des Capitaines , &
dans l'ordre qu'éxige la nouvelle formation prefcrite
par la préfente Ordonnance . Chacune de
ces Compagnies continuera d'être compofée de
cent vingt hommes , y compris cinq Officiers ;
chaque Capitaine devant y entretenir deux Sergens
à vingt-cinq livres chacun , un troifieme
Sergent & un Fourrier à vingt livres chacun , un
Porte-Enfeigne & un Capitaine d'Armes à dixhuit
livres chacun , un Prevôt à quinze livres
quatre Caporaux , quatre Anfpeffades & cent Fufiliers
, les Tambours & les Fifres compris. Eatend
au furplus Sa Majefté que les Officiers
qui commandoient les troifiemes Bataillons defdits
Régimens Suiffes & Grifons , confervent, tant
106 MERCURE DE FRANCE.
qu'ils ne fe trouveront pas pourvus d'un grade
fupérieur , les prérogatives qui étoient attachées
à leur emploi.
Le 27 Mai , les Députés des Etats d'Artois ont
eu audience du Roi . Ils ont été préſentés à Sa
Majefté par M. le Duc de Chaulnes , Gouverneur
de la Province , & par M. le Comte d'Argenfon ,
Miniftre & Secretaire d'Etat , ayant le Département
de cette Province , & conduits par M. Def
granges , Maître des Cérémonies. La Députation
étoit compofée , pour le Clergé , de Dom de
Briois d'Hulluch , Abbé de Saint Vaaft d'Arras ;
du Comte de Beaufort , pour la Nobleffe ; & de M.
Harduin , Avocat en Parlement , & ancien Echevin
des Ville & Cité d'Arras , pour le Tiers-Etat.
Dans le travail du Roi avec M. le Comte d'Eu,
concernant le Régiment des Gardes Suiffes , Sa
Majefté a augmenté de cinq cens livres la penfion
de quinze cens que M. de Réding , Maréchal de
Camp, Premier Capitaine de ce Régiment, a fur le
Tréfor Royal . Elle a accordé une penfion de 1000 1.
auffi fur le Tréfor Royal , au Baron de Befenwald,
Brigadier , Capitaine d'une Compagnie dans le
même Régiment ; une pareille penfion , fur l'Ordre
de Saint Louis , à M. de Peftallozzi , Brigadier
, Capitaine-Commandant de la Compagnie
Lieutenante-Colonelle ; une de huit cens livres ,
fur le Tréfor Royal , à M. Altermatt , troifieme
Aide - Major ; une Commiffion de Colonel
à M. Schwitzer , Premier Lieutenant de la Compagnie
de Phiffer ; la Croix de S. Louis au Chevalier
de Maillaudor , Premier Lieutenant de la
Compagnie Générale , & à M. Schwitzer de Buonas
, fecond Lieutenant de la même Compagnie..
Depuis la defcente des troupes du Roi dans
1le Minorque, M. le Maréchal de Richelieu a
JUILLET. 1756. 207
été principalement occupé du foin de furmonter
les difficultés qui fe font rencontrées dans le
tranfport de l'artillerie à Mahon , & des munitions
de guerre & de bouche. Il eft enfin parvenu
à faire conftruire fur le Mont des Signaux une
batterie de cinq pieces de canon & d'autant de
mortiers , qui a commencé à tirer le 8 de Mai au
matin. Il afait occuper le 9 au foir le Fauxbourg,
dit la Ravale , par un Détachement de cent Volontaires,
par quatre Compagnies de Grenadiers &
parfixPiquets,aux ordres de M. le Comte de Briqueville
, Colonel , avec cinq cens Travailleurs , pour y
former des épaulemens & établir des batteries . Le
10,M. le Marquis de Roquepine Brigadier , ayant
fous lui MM . de Gaunay & d'Elva , Colonels , de
Magnac & de Virmont , Lieutenans Colonels , eft
parti dès le matin avec douze cens hommes , pour
fe porter du côté du Fort Marlboroug derriere la
Tour de Benifaïd. M. le Comte de Briqueville a
été relevé le foir par M. de la Serre , Brigadier
avec trois Compagnies de Grenadiers & neuf Piquets.
Auffitôt après , les deux Bataillons du Régiment
Royal , & le premier du Régiment Royal
Comtois , fe font portés à la droite du Fauxbourg,
le long d'une chaîne de maifons qui en forment
Fenceinte , pour protéger le travail , que M. le
Maréchal de Richelieu eft allé vifiter. M. d'Elva,
Colonel à la fuite du Régiment Royal Italien , a
été bleffé légérement à l'épaule. Les journées du
11 & du 12 Mai , ont été employées à conſtruire
des batteries à la gauche , à la droite & au centre
du Fauxbourg, dit la Ravale, fans que la Garnifon
Angloife ait inquiété les travailleurs autrement'
que par les bombes & le canon. Le 12 au foir
le Détachement du Fauxbourg fut compofé de
fept Compagnies de Grenadiers , huit Piquets &
208 MERCURE DE FRANCE.
trois Compagnies de Volontaires , & les batte
ries de bombes commencerent à tirer pendant la
nuit. Le 17 , la batterie de canons de la droite fe
trouva en état de tirer , & fut très- bien fervie. Le
18 , M. du Pinay , qui commandoit celle de la
gauche , fut tué, & le Prince Louis de Wirtemberg
, Maréchal de Camp , fut légérement bleſſé.
Le 19 , P'Efcadre Angloife ayant paru en mer ,
M. le Maréchal de Richelieu envoya treize Piquets
à M. le Marquis de la Galiffonniere , & fit
les difpofitions néceffaires pour empêcher toute
communication avec les Affiégés. Le 20 , les deux
Bataillons du Régiment Royal , aux ordres de
M. le Comte de Maillebois , Lieutenant- Général ,
fe rendirent le foir au dépôt de la tranchée , d'ou
ils envoyerent relever les poftes du Fauxbourg par
leurs Grenadiers & fix Piquets , avec cinq autres
Compagnies de Grenadiers & fix Piquets de différens
Corps. Une bombe ayant mis le feu à une de
nos batteries à deux heures après-midi , les affiégés
redoublerent leur feu , & firent une fortie de
la Lunette de la Reine , dans laquelle nos Grenadiers
les firent rentrer auffitôt. Pendant la journée
du 21 au 22 , on répara les anciennes batteries
, & l'on continua la conftruction des nouvelles.
Le 22 , l'Efcadre Françoife ayant réparu devant
le Port , l'Armée fit le foir une réjouiſſance
pour l'avantage que cette Efcadre avoit remporté
fur celle des Anglois. Le 23 , M. le Comte de
Lannion releva M. le Marquis du Mefnil à la
tranchée, avec les deux Bataillons de Royal la Marine
, indépendamment d'un pofte de Brigadier
établi dans le Fauxbourg. Cette journée & celle
du 24 ont été employées , comme les précédentes,.
aux réparations & nouvelles conftructions de bat
tories.
>
•
JUILLET. 1756. 209
Les Frégates du Roi l'Aquilon , de quarante
canons , & la Fidele , de vingt- quatre , comman
dées par MM. de Maurville , Capitaine , & de Lizardais
, Lieutenant de Vaiffeau , qui avoient ef
corté au large quelques Navires , revenoient à
Rochefort , lorfque le 17 elles ont eu connoiffance
vers l'Ile d'Oléron , d'un Vaiffeau de guerre
Anglois , de cinquante- fix canons , & d'une Frégate
, de trente , qui leur ont donné chaffe. Le
combat s'eft engagé à fix heures du foir entre le
Vaiffeau de guerre Anglois avec fa Frégate , & les
deux Frégates du Roi , de maniere que la Frégate
laFidele, a auffieffuyé d'abord quelques bordées du
Vaiffeau de guerre Anglois ; mais il eft enfuite
devenu particulier du Vaiffeau de guerre Anglois
avec la Frégate l'Aquilon , & de la Frégate Angloife
avec la Frégate la Fidele , qui ont été bientôt
hors de la vue des premiers. Le combat de la
Frégate de l'Aquilon contre le Vaiffeau de guerre
Anglois a duré près de huit heures ; & celui de la
Frégate la Fidele contre la Frégate Angloife
près de fix. Nonobftant la grande fupériorité de
l'artillerie du Vaiffeau Anglois & de la Frégate ,
tant en nombre de canons qu'en poids des boulets
, les deux Frégates du Roi les ont mis hors
de combat ; & les Anglois fe font retirés : mais il
n'a pas été poffible aux Frégates du Roi , qui
étoient défemparées de toutes leur manoeuvres, de
les pourfuivre. Elles font rentrées à Rochefort le
19 & le 20. On ne fçauroit donner trop d'éloges
à la bravoure que les Officiers , les Gardes de la
Marine & les Equipages , ont fait paroître dans
cette occafion. M. de Maurville a eu le bras droit
fracaffé dès le commencement du combat , &
Fon a été obligé de le lui couper fur le champ .
Malgré cet accident , qui l'a obligé de céder le
210 MERCURE DE FRANCE.
commandement à M. de la Filliere , Capitaine en
fecond , il n'a pas ceffé de donner des marques
de la plus grande fermeté. M. de la Filliere a reçu
trois bleffures. M. Héron , Premier Lieutenant ,
a été tué fur le gaillard d'avant ; & le Chevalier
de Cardaillac , qui commandoit le Détachement
des Gardes de la Marine , a eu un bras caffé. Il
n'y a eu aucun Officier de tué ni de bleffé ſur la
Frégate la Fidele. Dans les Equipages, la Frégate
l'Aquilon a eu quinze hommes tués & vingt-fix
bleflés ; & la Frégate la Fidele , huit tués & dixhuit
bleffés.
La Cour vient de rendre public un Ecrit qui a
pour titre , MEMOIRE concernant le précis des faits
avec leurs piecesjuftificatives , pour fervir de réponfe
aux OBSERVATIONS envoyées par les Miniftres
d'Angleterre dans les Cours de l'Europe . L'objet
des Obfervations fur le premier Mémoire de la
France étoit de juftifier le refus fait par l'Angleterre
de fatisfaire à la réquifition du Roi , du 21
Décembre dernier , & de reftituer les Vaiffeaux
pris en pleine paix . Le feul moyen de colorer ce
refus étoit d'imputer aux François des hoftilités
antérieures à celles des Anglois , & cette fauffe
´imputation eft réfutée dans l'Ecrit que nous annonçons.
On n'oppofe aux fuppofitions des Anglois
que l'expofé le plus fimple de tout ce qui
s'eft paffé entre les deux Nations , foit en Amérique
, foit en Europe , depuis le dernier Traité
d'Aix-la- Chapelle ; & l'on n'avance aucun fait
qui ne foit ou avoué des deux Cours , ou prouvé
par des pieces authentiques & irréprochables.
Parmi ces pieces font celles qui ont été trouvées
dans les papiers du Général Braddock , après le
combat dans lequel il a perdu la vie.
Il paroît une Déclaration du Roi , portant fuf-
1
JUILLET. 1756. 211
penfion du Dixieme de l'Amiral , & autres encouragemens
pour la Courſe.
M. le Marquis de Juigné ayant préféré de commander
une Brigade dans le Régiment des Grenadiers
de France , le Roi a difpofé du Régiment
de Forez , en faveur de M. le Comte de Puyfegur,
Colonel dans celui des Grenadiers de France.
Le Roi a conclu avec l'Impératrice Reine de
Hongrie & de Bohême , un Acte ou Convention
de Neutralité , & un Traité défenfif d'Alliance &
d'Amitié. Cette Convention & ce Traité furent
fignés à Verſailles le premier du mois de Mai , &
les Ratifications y ont été échangées le 28 du
même mois.
Le 17 Mai aufoir , M. le Marquis de la Galif
fonniere , commandant l'Efcadre du Roi dans fa
Méditerranée , fut informé par la Frégate la Gracieufe
, qui étoit en croifiere fur Mayorque , qu'el
le avoit découvert une Eſcadre Angloiſe , qui pouvoit
être alors à huit ou dix lieues dans le Sud. Le
18 , l'Eſcadre du Roi manoeuvra pour aller à la
rencontre de celle des Anglois , mais le calme en
empêcha. Le 19 au matin , on découvrit l'Eſcadre
Angloife du haut des mâts. Elle étoit au vent ,
& il ne fut pas poffible à l'Efcadre du Roi , de
l'approcher jufqu'à la portée du canon. Le 20
M. le Marquis de la Galiffonniere étoit parvenu
gagner le vent : mais dans le tems qu'il ſe trouvoit
dans cette pofition , le vent changea tout
d'un coup ; ce qui rendit cet avantage à l'Eſcadre
Angloife. A deux heures & demie après-midi , les
deux Efcadres fe trouverent en lignes , celle dés
Anglois compofée de dix-huit voiles , dont treize
Vaiffeaux de ligné , & celle du Roi , de douze
Vaiffeaux & quatre Frégates. Le combat fut engagé
par l'avant-garde de l'Efcadre du Roi , qui
212 MERCURE DE FRANCE.
attaqua l'arriere- garde de celles des Anglois. II
devint fucceffivement général : mais il ne le fut
pas pendant tout le tems de fa durée. Les Vaiffeaux
Anglois , qui étoient les plus maltraités
des bordées des Vaiffeaux du Roi , profitant de
l'avantage du vent , pour fe mettre hors de la
portée du canon. L'Efcadre Angloife , après avoir
porté fes plus grands efforts fur l'arriere- garde de
celle du Roi , qu'elle a trouvée fi ferrée , & dont
elle a effuyé un fi grand feu , qu'elle n'a pu l'entamer
, a pris le parti de s'éloigner. Elle avoit
toujours confervé l'avantage du vent , ce qui l'a
mife en état de ne point s'engager. Le combat a
duré près de quatre heures. En général , il n'y a
eu aucun Vaiffeau de l'Efcadre Angloife , qui ait
foutenu longtemps le feu des Vaiffeaux de l'Efca
dre du Roi , lefquels ont peu fouffert. Ils étoient
entiérement réparés dans la nuit , & en état de
combattre le lendemain. Nous n'avons eu que
trente-huit hommes tués , & cent quatre- vingtquatre
bleffés. Aucun Officier n'a été tué. Ceux
qui ont été bleffés , font MM . de Peruffy & de
Puty , Enfeignes , & M. de Gibanelle , Garde de
la Marine , fur le Vaiffeau le Foudroyant ; M. de
Seignoret , Garde de la Marine , fur le Téméraire;
M. de Gravier , Lieutenant fur le Guerrier ; le
Chevalier d'Urre , Lieutenant fur le Sage ; le
Chevalier de Beaucoufe , Lieutenant ; M. d'Alberas
, Enfeigne , & M. Dubeny , Garde de la Marine
, fur le Content..
Depuis l'arrivée de ces nouvelles qui font du
21 , il eft venu des lettres de l'Efcadre , datées du
25. L'Efcadre Angloife n'avoit point reparu , &
celle du Roi continuoit de croifer devant l'entrée
du Port- Mahon . Le Chevalier de Beaucouſe ,
Lieutenant de Vaiffeau , qui avoit eu une cuiffe.
JUILLET. 1756. 213
caffée dans le combat du 20 , & qui avoit été
tranſporté à terre à Mahon , y étoit mort le 24 .
M. de Gibanelle & de Seignoret , Gardes de la
Marine , étoient fort mal à bord des Vaiffeaux fur
lefquels ils ont été bleffés , le premier ayant eu
les reins brifés , & le fecond les deux jambes caffées
. Mais le Chevalier d'Urre , Lieutenant de
Vaifleau , qui a eu un bras caffé , donnoit beaucoup
d'efpérance de guérifon. Les autres bleffés
le font peu dangereufement.
Le 6 Juin , jour de la Pentecôte , les Chevaliers
, Commandeurs & Officiers de l'Ordre du
Saint- Elprit , s'étant affemblés vers les onze heu--
res du matin dans le Cabinet du Roi , Sa Majesté
tint un Chapitre. L'Information des vie & moeurs,
& la Profeffion de Foi , du Marquis de Saint Vital
& du Prince Jablonowski , qui avoient été propofés
le premier Janvier pour être Chevaliers ,
furent admifes , & ils furent introduits dans le
Cabinet , & reçus Chevaliers de l'Ordre de Saint
Michel. Le Roi fortit enfuite de fon apparte
ment , pour aller à la Chapelle. Sa Majesté , devant
laquelle les deux Huiffiers de la Chambre
portoient leurs Maffes , étoit en Manteau , le
Collier de l'Ordre par-deffus , ainfi que celui de
l'Ordre de la Toifon d'Or. Elle étoit précédée
de Monfeigneur le Dauphin , du Duc d'Or
léans , du Prince de Condé , du Comte de Charolois
, du Comte de Clermont , du Prince de Conty
, du Comte de la Marche , du Comte d'Eu ;
du Duc de Penthievre , & des Chevaliers , Commandeurs
& Officiers de l'Ordre. Les deux nouveaux
Chevaliers , en habit de Novices , marchoient
entre les Chevaliers & les Officiers. Après
la grande Meffe , qui fut célébrée par le Prince
Conftantin , Commandeur de l'Ordre , & Prejer
Aumônier du Roi , Sa Majefté monta fux,.
214 MERCURE DE FRANCE .
fon Trône , & revêtit des Marques de l'Ordre les
deux nouveaux Chevaliers. Le Marquis de Saint
Vital eut pour Parrain le Maréchal de Clermont-
Tonnerre. Le Marquis de Matignon fut celui du
Prince Jablonowski. Cette cérémonie étant finie,
le Roi fut reconduit à ſon appartement en la maniere
accoutumée.
M. Dufort , Introducteur des Ambaffadeurs ,
alla le 7 prendre dans les carroffes du Roi & de la
Reine , le Cardinal de Tavannes en fon Hôtel à
Verfailles , & il le conduifit chez le Roi avec
l'Abbé Durini , Camérier Secret du Pape , nommé
par Sa Sainteté pour apporter les Bonnets aux
Cardinaux de Tavannes , de Luynes & de Gefvres.
Avant la Meffe du Roi , l'Abbé Durini fut conduit
, avec les cérémonies accoutumées , à l'au
dience le Roi lui donna dans fon Cabinet
que
& il préfenta à Sa Majesté un Bref de Sa Sainteté.
Après cette audience ,le Roi defcendit à la Chapelle
, où le Cardinal de Tavannes ſe rendit à la fin de
la Meffe , étant conduit par le fieur Dufort , Introducteur
des Ambaffadeurs, Monfieur Defgranà
la
reçut ges , Maître des Cérémonies , porte
La Chapelle le Cardinal de Tavannes , lequel alla
fe placer près du Prié-Dieu du Roi , du côté de
PEvangile , & fe mit à genoux fur un carreau.
L'Abbé Dutini , revêtu de fon habit de cérémonie
, ayant remis entre les mains du Cardinal de
Tavannes le Bref du Pape , alla prendre fur la
Crédence Près de l'Autel , du côté de l'Epître
un Baffin de vermeil doré , fur lequel étoit le
Bonnet , & il le préfenta au Roi. Sa Majesté prit
le Bonnet , & le mit fur la tête du Cardinal de
Tavannes , qui en le recevant , fit une profonde
inclination , & à l'inſtant même fe découvrit.
Dès que le Roi fut en marche pour fortir de la
Chapelle , le Cardinal de Tavannes entra dans la
de
JUILLET. 1756 . 215
Sacriftie , où il prit les habits de fa nouvelle dignité.
Il montà enfuite chez le Roi , étant accompagné
du Maître des Cérémonies. M. Dufort ,
Introducteur des Ambaffadeurs , qui étoit toujours
refté auprès du Cardinal de Tavannes , l'introduifit
dans le Cabinet du Roi , où ce Cardinal fit
fon remerciement à Sa Majesté . Le Cardinal de
Tavannes fut conduit avec les mêmes cérémonies.
à l'audience de la Reine , à laquelle il préfenta
P'Abbé Durini , qui remit à Sa Majesté un Bref
du Pape. Pendant l'audience , on apporta un
tabouret , & le Cardinal de Tavannes s'affit . Il
fut conduit enfuite à l'audience de Monfeigneur
le Dauphin , de Madame la Dauphine , de Madame
, & à celles de Mefdames Victoire , Sophie
& Louife. Après toutes ces audiences , le Cardinal
de Tavannes fut reconduit par M. Dufort , Introducteur
des Ambaffadeurs , dans les carroffes
du Roi & de la Reine à fon Hôtel , avec les cérémonies
obfervées lorſqu'on étoit allé le prendre
pour l'amener chez le Roi.
Le 8 , le Cardinal de Luynes , & le 10 le Cardinal
de Gefvres reçurent des mains du Roi dans
la Chapelle, le Bonnet de Cardinal avec les mêmes
cérémonies.
L'Eglife de l'Abbaye Royale de Pantemont
été bénîte le 30 de Mai , par Dom Couthaud, Religieux
de l'Abbaye de Cîteau , Docteur de Sorbonne
, & Provifeur du College. La cérémonie
en fut édifiante , & fuivie d'une grand'Meffe
chantée par les Religieux , au milieu de laquelle
M. l'Abbé de la Paufe fit un Diſcours , dontl'ob
jet étoit relatif à la pureté du Temple intérieur
fignifié par la Bénédiction du Temple extérieur
qui venoit d'être faite. L'après -dinée , après Vêpres
chantées , il y eut un Salut , dont la mufique
216 MERCURE DE FRANCE.
fut dirigée par M. Balbaftre, & très - bien exécutée.
La Bénédiction fut donnée par le R. P. Général
des Bénédictins , & Madame la Ducheffe de Modene
y aflifta avec la cour & plufieurs perfonnes
de diftinction.
Le 3 Juin , Monfeigneur le Dauphin & Madame
, fe rendirent dans cette Abbaye pour nommer
deux Cloches de la nouvelle Eglife . A la porte
extérieure , ils furent reçus avec les cérémonies
accoutumées , & complimentés avec applaudiffement
par Dom Couthaud : delà arrivés à la
porte de la grille du Choeur , Madame l'Abbeffe
de Pantemont , avec fa croffe , à la tête de fa
Communauté , & accompagnée de plufieurs autres
Abbeffes , les conduifit à leur prie- Dieu en
chantant le Laudate . Dom Couthaud fit la cérémonie
, qui fut fuivie du Salut pendant l'une &
l'autre , la mufique exécuta plufieurs morceaux
& Motets choifis. Enfuite Monfeigneur le Dau
phin & Madame fuivis de leur cour , furent conduits
au Réfectoire , où trois jeunes Demoiſelles
habillées en Vierges , préfenterent trois corbeilles
remplies tant de fleurs que d'ouvrages , bourfes , -
facs & noeuds d'épée : chacune déclama différentes
pieces de vers avec autant de nobleffe que de modeftie
; Madame l'Abbeffe préſenta dans le même
Réfectoire la collation à Monfeigneur le Dauphin
& à Madame. Il y avoit , entr'autres fingularités ,
les meilleurs fruits de primeur , & les plus rares
pour la faifon ; des melons , des pêches , des cerneaux
, du raifin . Enfuite Monſeigneur le Dauphin
& Madame voulurent parcourir les Bâtimens , &
partout le Prince & la Princeffe marquerent leur
fatisfaction.
On doit obferver ici que le Monaftere & l'Eglife
de l'Abbaye de Pantemont ont été faits &
conduits
JUILLET . 1756 . 217
conduits fur les deffeins de M. Contant , Architecte
du Roi , de Monfeigneur le Duc d'Orléans
& de l'Académie d'Architecture . Il étoit réservé
au talent & à la réputation de cet Artifte de
donner un exemple public que l'on pouvoit
voûter les Dômes & les Eglifes , fuivant la conftruction
des voûtes qu'il a fait exécuter avec ſuccès
dans le Château de Biffy , appartenant à M. le
Maréchal Duc de Belleifle ; l'Eglife & le Dôme
de Pantemont font les premiers exemples exécutés
en France de cette conftruction , qui prouvent
que l'ufage de ces voûtes feroient d'une grande
utilité pour être employé à la conſtruction de
nos Eglifes modernes , & que l'on pourroit par
cette pratique leur donner avec le bon goût de
l'architecture , l'élégance & la légéreté des Eglifes
gothiques , dont la conftruction hardie & folide
caufe autant de regrets que d'admiration .
Compliment de Dom Couthaud à Monseigneur le
Dauphin.
Monfeigneur , ce Temple doit tout ce qu'il eff
à votre protection & à vos bienfaits ; auffi fera- ce
un monument précieux & durable de votre piété :
votre nom y eft gravé fur le marbre & fur l'airain
, en mémoire des deux Cérémonies que vous
avez daigné y honorer de votre préfence. Vos
bontés le font bien plus profondément dans le
coeur de celles qui en font les pierres vivantes :
que de voeux n'y ont- elles déja pas offert , & n'y
offriront- elles pas chaque jour pour le bonheur
d'un Prince , leur protecteur & leur bienfaicteur
l'amour & les délices de toute la France !
L. Vol
•
218 MERCURE DE FRANCE.
Autre Compliment de Dom Couthaud à Madame.
Madame , une grande partie de la pompe de
cette Cérémonie , lui vient de l'éclat de votre
préfence & de celui du nom que vous venez y
donner. Les Vierges de ce Sanctuaire reçoivent en
cette occafion une marque bien glorieuſe de votre
bienveillance pour elles : daignez recevoir ici les
premices de leur reconnoiffance , de leur empreffement
& du profond refpect dont elles vont
yous affurer elles-mêmes.
VERS
Faits par M. l'Abbé de Lataignant , pour
MADAME prononcés par Mademoiselle
de Bethify , de Meziere .
: 20
MADAME ,
Dieux ! quelle eft ma furpriſe extrême :
Que de grace ! que de beauté !
Et quel air de divinité !
Eft - ce donc à Flore elle-même
Que je viens offrir un bouquet ?
Tout dans un fi charmant objet
Etonne mon ame timide :
Mais fon regard plein de douceur ,
Anime & raffure mon coeur.
Cédons au tranfport qui me guide ,
Suivons une innocente ardeur ;
C'est l'adorable Adélaide.
JUILLET . 1756. 219
VERS
Faits par M. l'Abbé de Lataignant , pour
Monfeigneur le Dauphin ; prononcés par
Mademoiselle d'Aiguillon.
MONSEIGNEUR ,
L'Illuftre Mere des Ayeux ,
Dont vous fuivez fi bien l'exemple ,
Clotilde , qui du haut des Cieux ,
Et vous admire & vous contemple ,
A qui votre zele pieux
A fait dédier ce faint Temple ,
Me députe exprès en ces lieux
Pour vous exprimer par ma bouche
Combien cet hommage la touche ;
Et que pour répondre à vos voeux ,
Elle adopte avec complaisance
Get azyle de l'innocence
Bâti par vos foins généreux.
Cette augufte Reine de France
Efpere qu'avec bienveillance
Toujours vous nous protégerez ,
Et que vous nous honorerez
Quelquefois de votre préfence.
?
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
VERS
Faits par M. l'Abbé de Lataignant pour
Monseigneur le Dauphin , qui devoient
être prononcés par Mlle de Guerchy..
MONSEIGNEUR ,
DE fimples Vierges confacrées
A louer Dieu feul en tout temps ;
De ce faint devoir pénétrées
Ignorent l'art des complimens ;
Dans ce féjour de l'innocence ,
On ne connoit d'autre éloquence
Que ces tranfports refpectueux
De zele & de reconnoiffance
Que vous pouvez lire en nos yeux ,
Et qu'infpire votre préfence
Aux ames pures de ces lieux,
Le Fils du plus grand Roi du monde ;
Notre bienfaiteur , notre appui ,
Vient nous vifiter aujourd'hui :
Que les Clairons & les Trompettes
Annoncent partout fes hauts fairs.
Nos voix dans ces faintes retraites
Ne publiront que les bienfaits.
JUILLET. 1756. 221
VERS
Pour Monfeigneur le Dauphin , prononcés
par Mademoiselle de Guerchy.
MONSEIGNEUR,
Dans l'âge d'or , une fimple guirlande
Ornoit le Temple & paroit les Autels ;
Du lait , des fruits , étoient la feule offrande
Qu'une main pure offroit aux immortels.
Comme eux ici , vous , qui tenez leur place ,
Vous recevez l'hommage de nos coeurs ;
Et l'âge d'or à vos yeux ſe retrace
Par nos habits , fymbole de nos moeurs.
La vérité fans art & fans parure
Emprunte ici la voix du fentiment.
Daignez l'entendre , & recevez l'augure
Que nous infpire un tendre mouvement.
Dieu , que nos coeurs adorent en ce Temple ;
Rendra vos jours égaux à vos vertus ,
Et l'univers prendra de nous l'exemple
De les compter comme ceux de Titus.
Monfeigneur le Dauphin, au fortir de l'Abbaye
de Pantemont , fe rendit avec Madame au Palais
de Luxembourg, Madame la Dauphine , & Mef
dames Victoire , Sophie & Louife , y étoient arri
vées de Verfailles quelques momens auparavant
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
Monfeigneur le Dauphin , Madame la Dauphine
& Mefdames de France , firent un tour dans les
jardins , monterent enfuite à la galerie , & allerent
delà fe promener fur le Boulevard . Le foir ,
ce Prince & ces Princeffes retournerent à Verfailles.
Par les Lettres qu'on vient de recevoir de M. le
Chevalier d'Aubigny, Capitaine de Vaiffeau , on a
eu la confirmation de la nouvelle de la prife duVaiffeau
de guerre Anglois le Warwick ; mais les circonftances
n'en font pas telles qu'elles avoient
été annoncées par quelques Relations particulieres.
C'eft le 11 de Mars que M. le Chevalier d'Aubigny
rencontra ce Vaiffeau à l'attérage de la Martinique.
Dès qu'il en eut connoiffance , il lui
donna chaffe avec le Vaiffeau le Prudent qu'il
monte , & les Frégates l'Atalante & le Zéphyr ,
commandées par MM. du Chaffault , Capitaine de
Vaiffeau , & la Touche de Tréville , Lieutenant
de Vaiffeau , qui étoient fous fes ordres . 11 tint
un peu le vent. M. la Touche de Tréville coupa
fous le vent , & M. du Chaffault qui manoeuvra
pour ferrer le Warwick , le trouva après une
heure & demie de chaffe à portée d'engager le
combat par une fort belle manoeuvre. N'étant
qu'à une portée de piftolet de ce Vaiffeau , it
arriva tout à coup , lui donna fa bordée dans la
pouppe , & fe mit fous le vent à lui , afin de pouvoir
fe fervir plus facilement de tous les canons ,
dont il fit un feu très- vif. M. le Chevalier d'Aubigny,
qui avoit eu le temps de s'approcher , avoit
déja tiré fes canons de l'avant , lorfque le Warwick
lui envoya toute fa bordée & baiffa fon pavillon
. Ce Vaiffeau , commandé par le Capitaine
Shuldam , eft percé pour foixante - quatre pieces
de canon ; mais il n'en avoit que foixante de
JUILLET.. 1756 . 223
montés. Pendant qu'on lui donnoit chaffe , on
apperçut un autre Vaiffeau à trois lieues au vent ;
mais il difparut bientôt , & il ne fut pas poffibie
au Chevalier d'Aubigny d'aller à fa pourfuite.
M. Savalete de Magnanville s'étant démis de
P'Intendance de Touraine , pour prendre la Charge
de Garde du Tréfor Royal , vacante par la
mort de M. Savalete , fon pere , le Roi a donné
cette Intendance à M. Lefcalopier , Intendant de
la Généralité de Montauban.
Sa Majesté a accordé à M. le Marquis de Belloy,
l'agrément de la Lieutenance de Roi de la Province
d'Orléannois , dont M. le Marquis d'Arbouville
a donné fa démiffion .
Le 11 Juin , le Roi accompagné de Monfeigneur
le Dauphin , de M. le Comte de Clermont ,
Prince du Sang ; des Miniftres & des principaux
Seigneurs de fa Cour , fe rendit à l'Hôtel des
Chevaux- Légers de fa garde ordinaire , pour y
voir une partie des exercices qu'on montre à la
jeune Nobleffe élevée dans ce Corps.
Sa Majesté entra d'abord dans un manege couvert
, & le plaça dans un balcon , d'où elle vit
plufieurs éleves , qui manierent leurs chevaux avec
beaucoup de grace & d'adreffe.
Le Roi monta enfuite à la falle des exercices.
Sa Majesté y trouva un Bataillon fous les armes ,
compofé des plus jeunes Eleves . Ce Bataillon fir
le maniement des armes avec une préciſion furprenante
, à la feule meſure de la nouvelle marche
Françoiſe , & au fon d'une mufique guerriere ; il
fit auffi tous les pas prefcrits par l'Ordonnance ,
& les différentes évolutions d'Infanterie que le
terrein pouvoit permettre.
Après que ce Bataillon cût fini tous les mouve
mens , une feconde troupe compofée des plus
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
grands Eleves , coëffés avantageufement d'un
bonnet d'une forme & d'une conftruction nouvelle
, guêtrés & armés en guerre , déboucha dansle
fond de la falle , & fe forma derriere la premiere
troupe , qui s'ouvrit en bordant la haye de
'droite & de gauche pour démafquer cette feconde.
La divifion , qui étoit à la gauche du Roi
défila devant Sa Majefté , fit le falut du fufil , &
difparut avec la divifion de la droite , pour laiffer
le terrein libre au grand Bataillon : celui - ci fit
l'exercice à la muette & au coup de tambour ,
& toutes les autres manoeuvres du petit Bataillon
avec le même fuccès. La divifion de la gauche
défila devant le Roi , & falua fierement & de fort
bonne grace de l'efponton. Les trompettes , hautbois
, violons , cors-de-chaffe , les timballes &
les tambours , remplirent par des fanfares l'intervalle
du temps , qui étoit néceffaire aux Eleves
pour ſe préparer aux exercices de l'efcrime & du
veltiger.
Soixante Eleves en camifoles blanches & en
fandales , le fleuret à la main , fe formerent en
bataillon au fond de la falle ; ils avancerent au
pas redoublé , firent halte , ouvrirent leurs rangs
à droite & à gauche , fe mirent fur deux files , &
commencerent l'exercice de l'efcrime ; ils donnerent
par des attitudes fort nobles & par une jufte
exécution l'idée de tous les principes de cet art
& finirent cet exercice par plufieurs affauts , qui
intérefferent tous les fpectateurs.
?
Ils firent enfuite tous les tours du voltiger avec
beaucoup de légèreté & d'adreffe fur un cheval
rembourré. Dix-huit Eleves fauterent en felle fur.
un autre cheval conftruit d'après nature , à refforts,
& de la hauteur de quatre pieds neuf pouces , les
uns par la croupe , & les autres de côté, tenant la
JUILLET . 1756 . 225
Eriniere. Huit d'entr'eux firent ces fauts en bottes
fortes , en bottes molles , armés en guerre avec le
plaftron , le fabre à la main & le fufil en bandou-
Liere. Le cheval fut enfin élevé jufqu'à fept pieds :
quelques Eleves y fauterent deffus en felle au
grand étonnement des fpectateurs.
Le Roi defcendit de la falle des exercices dans
celle des plans , où Sa Majefté en vit plufieurs en
relief de différentes Places de guerre , un pare
complet d'artillerie avec toutes les machines &
uftenciles de guerre , même un pont jetté fur une
petite piece d'eau , imitant une riviere & des batteries
conftruites , le tout réduit dans de juftes
proportions felon les Ordonnances . Dans la même
falle , Sa Majefté examina des Deffeins & des
Plans en relief faits par les Eleves de l'Ecole . Delà
, le Roi fe rendit dans une galerie , d'où Sa
Majefté vit dans un grand manege découvert la
courfe des têtes à la lance , au dard , au piſtolet ,
à l'épée , en fabrant , en pointant & en plongeant.
Les Eleves y donnerent une image de la guerre
par plufieurs manoeuvres très - bien exécutées d'attaque
& de défenſe : il y eut des combats entre
deux Corps de Cavalerie , & entre des Corps de
Cavalerie & d'Infanterie . On entendit un bruit
continuel d'artillerie , de moufqueterie & d'inftrumens
de guerre ; & ce qui parut étonnant , c'eft
que les chevaux n'en furent point effrayés , &
qu'ils n'en furent pas moins dociles à la main &
aux aides des Cavaliers qui les montoient.
Les différens exercices dont on vient de parler ,
formoient un fpectacle digne du grand Roi qui
daignoit les honorer de fa prétence. Auffi a Majefté
en parut très - fatisfaite , ainfi que Monfeigneur
le Dauphin . Tous les fpectateurs furent
encore plus touchés de l'attention favorable que
KY
224 MERCURE DE FRANCE.
7.
grands Eleves , coëffés avantageufement d'un
bonnet d'une forme & d'une conftruction nouvelle
, guêtrés & armés en guerre , déboucha dansle
fond de la falle , & fe forma derriere la premiere
troupe , qui s'ouvrit en bordant la haye de
droite & de gauche pour démafquer cette feconde.
La divifion , qui étoit à la gauche du Roi ,
défila devant Sa Majefté , fit le falut du fufil , &
difparut avec la divifion de la droite ,
pour laiffer
le terrein libre au grand Bataillon : celui - ci fit
l'exercice à la muette & au coup de tambour ,
& toutes les autres manoeuvres du petit Bataillon
avec le même fuccès. La divifion de la gauche
défila devant le Roi , & falua fierement & de fort
bonne grace de l'efponton . Les trompettes , hautbois
, violons , cors-de- chaffe , les timballes &
les tambours , remplirent par des fanfares l'intervalle
du temps , qui étoit néceffaire aux Eleves
pour fe préparer aux exercices de l'efcrime & du
voltiger.
Soixante Eleves en camifoles blanches & en
fandales , le fleuret à la main , fe formerent en
bataillon au fond de la falle ; ils avancerent au
pas redoublé , firent halte , ouvrirent leurs rangs
à droite & à gauche , fe mirent fur deux files , &
commencerent l'exercice de l'efcrime ; ils donnerent
par des attitudes fort nobles & par une jufte
exécution l'idée de tous les principes de cet art
& finirent cet exercice par plufieurs affauts , qui
intérefferent tous les fpectateurs.
Ils firent enfuite tous les tours du voltiger avec
beaucoup de légéreté & d'adreffe fur un cheval
rembourré. Dix - huit Eleves fauterent en felle fur .
un autre cheval conftruit d'après nature , à refforts ,
& de la hauteur de quatre pieds neuf pouces , les
Mns par la croupe , & les autres de côté , tenant la
JUILLET. 1756 . 225
eriniere. Huit d'entr'eux firent ces fauts en bottes
fortes , en bottes molles , armés en guerre avec le
plaftron , le fabre à la main & le fufil en bandouliere.
Le cheval fut enfin élevé jufqu'à fept pieds :
quelques Eleves y fauterent deffus en felle au
grand étonnement des spectateurs.
Le Roi defcendit de la falle des exercices dans
celle des plans , où Sa Majefté en vit plufieurs en
relief de différentes Places de guerre , un pare
complet d'artillerie avec toutes les machines &
uftenciles de guerre , même un pont jetté fur une
petite piece d'eau , imitant une riviere & des batteries
conftruites , le tout réduit dans de juftes
proportions felon les Ordonnances . Dans la même
falle , Sa Majefté examina des Deffeins & des
Plans en relief faits par les Eleves de l'Ecole . Delà
, le Roi fe rendit dans une galerie , d'où Sa
Majesté vit dans un grand manege découvert la
courfe des têtes à la lance , au dard , au piſtolet ,
à l'épée , en fabrant , en pointant & en plongeant .
Les Eleves y donnerent une image de la guerre
par plufieurs manoeuvres très - bien exécutées d'attaque
& de défenſe : il y eut des combats entre
deux Corps de Cavalerie & entre des Corps de
Cavalerie & d'Infanterie. On entendit un bruit
continuel d'artillerie , de moufqueterie & d'inftrumens
de guerre ; & ce qui parut étonnant , c'eſt
que les chevaux n'en furent point effrayés , &
qu'ils n'en furent pas moins dociles à la main &
aux aides des Cavaliers qui les montoient .
>
Les différens exercices dont on vient de parler ,
formoient un ſpectacle digne du grand Roi qui
daignoit les honorer de fa prétence . Auffi a Majefté
en parut très - fatisfaite , ainfi que Monfeigneur
le Dauphin. Tous les fpectateurs furent
encore plus touchés de l'attention favorable que
KY
226 MERCURE DE FRANCE.
Sa Majefté & Monfeigneur le Dauphin daignerent
y prêter , que du fuccès éclatant de l'exécution.
On ne fçauroit donner trop d'éloges à M. le Duc
de Chaulnes fur l'établiſſement qu'il a fait dans le
Corps qu'il commande , d'une Ecole fi néceffaire
à la Nobleffe , & à laquelle on ne peut rien défrer;
ni trop louer M. le Comte de Luberfac de
Livron , fous-Lieutenant de la Compagnie des
Chevaux - Légers , qui a dirigé jufqu'à préfent cette
Ecole , fous les ordres du Duc de Chaulnes avec
une application finguliere. M. de Vezannes , Aide-
Major en chef de la Compagnie , & Brigadier des
Armées du Roi , mérite bien auffi qu'on faffe de
lui une mention honorable , par le zele continuel
avec lequel il a contribué au fuccès de cette Ecole.
Le Chevalier Louis Mocenigo , Ambaffadeur
Ordinaire de la République de Venife auprès du
Roi , mourut à Paris le 12 Juin dans la quarantefixieme
année de fon âge.
Le 13 Juin , pendant la Meffe du Roi , les Cardinaux
de Tavannes , de Luynes & de Gefvres ,
prêterent un nouveau ferment de fidélité entre les
mains de Sa Majeſté , ainfi qu'il eft d'ufage en
France , lorfque les Prélats y font revêtus de la
pourpre.
Le 16 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à quinze cens quarante livres les Billets
de la premiere Loterie Royale , à neuf cens douze ;
& ceux de la troifieme Loterie , à fix cens quarante-
quatre. Ceux de la feconde Loterie n'avoient
point de prix fixe.
ORDONNANCE du Roi , portant déclaration
de guerre contre le Roi d'Angleterre , du 9 Juin
1756. De par le Roi. Toute l'Europe fçait que
le Roi d'Angleterre a été en 1754 l'agreſſeur de
JUILLET. 1756. 117
poffeffions du Roi dans l'Amérique feptentrionale
, & qu'au mois de Juin de l'année derniere, la
Marine Angloife, au mépris du droit des gens & de.
la foi des Traités , a commencé à exercer contre
les Vaiffeaux de Sa Majesté , & contre la naviga- ,
tion & le commerce de fes fujets , les hoftilités
les plus violentes.
Le Roi juftement offenfé de cette infidélité , &
de l'infulte faite à fon pavillon , n'a fufpendu pendant
huit mois les effets de fon reffentiment , &
ce qu'il devoit à la dignité de fa Couronne , que
par la crainte d'expofer l'Europe aux malheurs.
d'une nouvelle
guerre.
C'eſt dans une vue fi falutaire que la France n'a
d'abord opposé aux procédés injurieux de l'Angleterre
, que la conduite la plus modérée.
Tandis que la Marine Angloife enlevoit par les
violences les plus odieufes , & quelquefois par les
plus lâches artifices , les Vaiffeaux François qui
navigeoient avec confiance fous la fauve-garde de
la foi publique , Sa Majesté renvoyoit en Angle
terre une Frégate dont la Marine Françoife s'étoit
emparée , & les Bâtimens Anglois continuoient
tranquillement leur commerce dans les Ports
de France.
Tandis qu'on traitoit avec la plus grande dureté
dans les Iſles Britanniques les Soldats & les
Matelots François , & qu'on franchiffoit à leur
égard les bornes que la loi naturelle & P'humanité
ont prefcrites aux droits même les plus rigoureux
de la guerre , les Anglois voyageoient & habitoient
librement en France fous la protection des
égards que les peuples civilifés fe doivent réci
proquement.
Tandis que les Minifties Anglois , fous l'apparence
de la bonne foi , en impofoient à l'Ambaf
K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
Tadeur du Roi par de fauffes proteftations , on
exécutoit déja dans toutes les parties de l'Amérique
feptentrionale , des ordres directement contraires
aux affurances trompeufes qu'ils donnoient
d'une prochaine conciliation .
Tandis que la Cour de Londres épuifoit l'art
de l'intrigue & les fubfides de l'Angleterre pour
foulever les autres Puiffances contre la Cour de
France , le Roi ne leur demandoit pas même les
fecours que des garanties ou des Traités défenfifs ,.
l'autorifoient à exiger , & ne leur confeilloit que
des mesures convenables à leur repos & à leur
sûreté .
Telle a été la conduite des deux Nations. Le
contrafte frappant de leurs procédés doit convaincre
toute l'Europe des vues de jaloufie , d'ambition
& de cupidité qui animent l'une , & des principes
d'honneur , de juftice & de modération fur
lefquels l'autre fe conduit.
Le Roi avoit eſpéré que le Roi d'Angleterre ne
confultant enfin que les regles de l'équité & les
intérêts de fa propre gloire , défavoueroit les excès
fcandaleux aufquels fes Officiers de mer ne ceffoient
de fe porter.
Sa Majefté lui en avoit même fourni un moyen
auffi jufte que décent , en lui demandant la reftitution
prompte & entiere des Vaiffeaux François
pris par la Marine Angloife , & lui avoit offert
fous cette condition préliminaire d'entrer en négociation
fur les autres fatisfactions qu'Elle avoit
droit d'attendre , & de fe prêter à une conciliation
am- able fur les différends qui concernent l'Amérique.
Le Roi d'Angleterre ayant rejetté cette propofition
, le Roi ne vit dans ce refus que la Déclaration
de guerre la plus authentique , ainfi que
JUILLET. 1756. 229
Sa Majefté l'avoit annoncé dans fa réquifition .
La Cour Britannique pouvoit donc fe difpenfer
de remplir une formalité devenue inutile : un
motif plus effentiel auroit de l'engager à ne pas
foumettre au jugement de l'Europe les prétendus
griefs que le Roi d'Angleterre a allégués contre la
France dans la Déclaration de guerre qu'il a fait
publier à Londres .
Les imputations vagues que cet écrit renferme ,
n'ont en effet aucune réalité dans le fonds ; & la
maniere dont elles font exposées , en prouveroit
feule la foibleffe , fi leur fauffeté n'avoit déja été
folidement démontrée dans le Mémoire que le
Roi a fait remettre à toutes les Cours , & qui contient
le précis des faits avec les preuves juftificatives
qui ont rapport à la préſente guerre & aux
négociations qui l'ont précédée.
Il y a cependant un fait important dont il n'a
point été parlé dans ce Mémoire , parce qu'il n'étoit
pas poffible de prévoir que l'Angleterre por
teroit auffi loin qu'elle vient de le faire , fon peu
de délicateffe fur le choix des moyens de faire
illufion .
Il s'agit des ouvrages conftruits à Dunkerque ,
& des troupes que le Roi a fait affembler fur fes
côtes de l'Océan .
Qui ne croiroit , à entendre le Roi d'Angleterre
dans fa Déclaration de guerre , que ces deux
objets ont déterminé l'ordre qu'il a donné de fe
faifir en mer des Vaiffeaux appartenans au Roi &
à fes ' ujets ?
Cepen tant perfonne n'ignore qu'on n'a com
mencé de travailler à Dunkerque , qu'après la
prife de deux Vaiffeaux de Sa Majesté , attaqués en
pleine paix par une efcadre de treize Vaiffeaux
Anglois. Il est également connu de tout , le
230 MERCURE
DE FRANCE .
monde , que la Marine Angloife s'emparoit de
puis plus de fix mois des Bâtimens François , lorfqu'à
la fin de Février dernier , les premiers Bataillons
que le Roi a fait paffer fur fes côtes maritimes
, fe font mis en marche.
Si le Roi d'Angleterre réfléchit jamais fur l'infidélité
des rapports qui lui ont été faits à ces
deux égards , pardonnera- t'il à ceux qui l'ont engagé
à avancer des faits dont la fuppofition ne
peut pas même être colorée par les apparences les
moins fpécieuſes ?
par
Ce que le Roi fe doit à lui- même & ce qu'il
doit à fes fujets , l'a enfin obligé de repouffer la
force la force ; mais conftamment fidele à fes
fentimens naturels de juftice & de modération ,
Sa Majesté n'a dirigé fes opérations militaires que
contre le Roi d'Angleterre fon agreffeur , & toutes
fés négociations politiques n'ont eu pour objet
que
de juftifier la confiance que les autres Nations
de l'Europe ont dans fon amitié & dans la droiture
de fes intentions.
feroit inutile d'entrer dans un détail plus
étendu des motifs qui ont forcé le Roi à envoyer
un Corps de fes troupes dans l'ile Minorque , &
qui obligent aujourd'hui Sa Majeſté à déclarer la
guerre au Roi d'Angleterre , comme Elle la lui
déclare par mer & pir terre .
En agiffant par des principes fi dignes de déterminer
ſes réſolutions , Elle eſt aſſurée de trouver
dans la juſtice de fa caufe dans la valeur de
fes troupes , dans l'amour de fes fujets les reffources
qu'elle a toujours éprouvées de leur part , &
Elle compte principalement fur la protection du
Dieu des Armées .
ORDONNE & enjoint Sa Majeſté à tous fes fu- |
jets , vaſſaux & ferviteurs , de courre fus aux ſujets
JUILLET. 1756. 231
du Roi d'Angleterre ; leur fait très- expreffes inhi
bitions & défenfes d'avoir ci- après avec eux aucu
ne communication , commerce ni intelligence
à peine de la vie : & , en conféquence , Sa Majefté
a dès-à-préfent révoqué & révoque toutes permiffions
, paffeports , fauvegardes & fauf-conduits
contraires à la préfente , qui pourroient avoir été
accordés par Elle ou par fes Lieutenans généraux
& autres fes Officiers , & les a déclarés nuls & de
nul effet & valeur ; défendant à qui que ce foit ,
d'y avoir aucun égard. MANDE & ordonne Sa Majefté
à Monfeigneur le Duc de Penthievre , Amiral
de France , aux Maréchaux de France , Gouverneurs
& Lieutenans Généraux pour Sa Majesté
en fes Provinces & Armées , Maréchaux de Camp,
Colonels , Meftres de Camp, Capitaines , Chefs &
Conducteurs de fes Gens de guerre, tant de cheval
que de pied , François & étrangers , & tous autres
fes Officiers qu'il appartiendra , que le contenu en
la préfente ils faffent exécuter, chacun à fon égard,
dans l'étendue de leur pouvoir & jurifdictions : CAR
TELLE EST LA VOLONTÉ DE SA MAJESTÉ , Laquelle
veut & entend que la préfente foit publiée & affichée
en toutes fes villes ,tant maritimes qu'autres &
en tous les Ports , Havres & autres lieux de fon
Royaume & terres de fon obéiffance que befoin
fera , à ce qu'aucun n'en prétende caufe d'ignorance.
Fait à Verſailles lé neuf Juin mil fept cent
cinquante-fix. Signé , LOUIS ; & plus bas , M. P.
DE VOYER D'ARGENSON.
Cette Déclaration de Guerre fut publiée le 16
Juin à Paris.
>
1
232 MERCURE DE FRANCE.
MARIAGES ET MORTS.
François- Saturnin de Galard , Marquis de Terraube
, époufa à Moiffac en Quercy , le 23 Fé-,
vrier 1756 , Demoiſelle Marie -Julie de Loftanges:
de Sainte Alvaire , fille d'Armand- Louis - Claude-
Simon de Loftanges , Marquis de Sainte- Alvaire
Grand Sénéchal & Gouverneur de Quercy , & c.
& foeur du Marquis de Loftanges , premier Ecuyer
de Madame Adelaïde..
fon
Le Marquis de Terraube eft de la même maique
les Comtes de Braffac . Cette maiſon l'une
des plus illuftres & autrefois des plus riches de la
Guienne , a pris fon nom de la terre de Galard
près de Condom . La confidération où elle étoit
dès le onzieme fiecle favorife la tradition de fon
origine qu'on rapporte aux Comtes du Condomois.
On trouve plufieurs Seigneurs de ce nom dès
l'an 1062 , parmi les bienfaiteurs de l'Abbaye de
Condom , & ce fut en faveur de Raimond de Galard
, que ce Monaftere fut érigé en Evêché par
le Pape Jean XXII en 13.17. Ces faits font tirés
de la Chronique de Condom , imprimée dans le
fpécilége de Dom Luc d'Acheri , tome 1.3. Voyez
auffi le Gallia Chriftiana , Edition nouvelle , tome
2 , page 970 &Suivantes.
Cette maifon s'eft divifée en plufieurs branches
dont l'une a donné un Grand Maître des Arbalêtriers
de France , nommé Pierre de Galard qui
exerça cette charge depuis l'an 1310 jufqu'en
1331. Il eut de Nauda de Caumont-Sainte -Baf
sille fa femme , Jean de Galard un des plus puiffans
feigneursde Guienne. Il poffédoit les terres
JUILLET. 1756 . 233
de Limeuil , de Miremont & autres grandes terres .
Un Traité que le Prince de Galles fit avec lui
pour l'attirer à fon parti contre le Roi de France ,
prouve la haute confidération dont il jouiffoit.
On apprend par ce Traité que le mariage de fa
fille avoit été arrêté avec le fils de Bernard- Ezy ,
fire d'Albret . Le Roi Edouard III , pere de ce Prince
, confirma le Traité par Lettres datées de
Weftminſter le 30 Juillet 1358 , rapportées dans
le Recueil des Actes publics d'Angleterre par Rymer
, tome 6, page 98. Le mariage de la fille de
Jean de Galard avec le fils du fire d'Albret , n'eut
point lieu , & elle epoufa Nicolas de Beaufort ,
frere du Pape Grégoire XI, & neveu du Pape Clément
VI. C'est par cette alliance que les biens de
cette branche pafferent dans la maiſon de Beau
fort , & de celle- ci dans celle de la Tour-Bouillon.
Les autres branches fe font également diftinguées.
On peut voir dans le Recueil de Rymer
déja cité , qu'elles figuroient avec les grands Vaffaux
de Guyenne dans les temps que cette Provin
ce obéiffoit aux Anglois.
Ses armes font d'or à trois Corneilles de fables ,
les pieds & les becs de gueules , ( ce font les mêines
que portoit Pierre de Galard , Grand-Maître des
Arbaleſtriers ).
La branche de Terraube eft féparée depuis
l'an 1300 de celle des Comtes de Braffac qui eft
l'aînée , & laquelle s'eft établie en Quercy vers l'an
1280 , à cause de l'alliance d'Eléonore d'Armagnac
qui leur apporta la Baronnie de Braffac. Cette
branche de Braffac porte fes armes écartelées de
de celles de Bearn qui font d'or à deux vaches paffantes
de gueules accollées & clarinées d'azur , pour
fatisfaire à une claufe du Contrat de mariage de
1508 de Jeanne de Bearn , Dame de S. Maurice,
234 MERCURE DE FRANCE.
avec François de Galard , Chevalier , feigneur de
Braffac , par laquelle il fut enjoint à leurs defcendans
de joindre les nom & armes de Bearn à ceux
de Galard. {
A l'égard de la maifon de Loftanges , l'une des
plus anciennes & des mieux alliées du Bas-Limofin
& du Périgord , voyez ce qui en eft dit dans
ce Journal à l'article de la mort du Marquis de
Loftanges -Beduer dans le Volume du mois de Mai
de cette année , page 258. -
Le 3 Novembre 1755 , eft décédée à Paris , dansla
quatre-vingt- quatorzieme année de fon âge ,
Dame Marie- Anne Deſchiens , veuve de Meſſire
Jean-Pierre de Cormis , Comte de S. Georges
Meftre de Camp de Cavalerie . Elle a été inhumée
aux Auguftins de la Place des Victoires , après
avoir été préfentée à S. Roch.
>
Dame Catherine -Henriette de Rageren , époufe
de Meffire Nicolas-Jofeph Foucault , Marquis
de Magny , Lieutenant Général des Armées du
Roi d'Espagne , eft morte à Paris, le 6 Novembre,
âgée de 72 ans , & a été inhumée le lendemain à
S. Sulpice.
Le 19 Mars 1756 , eft morte dans la foixantetreizieme
année de fon âge , Marie Pierrette- Fran
çoife Charlotte de Clermont- Tonnerre, foeur du Ma
réchal de Tonnerre , veuve depuis 1729 , de Jean
le Compaffeur-de Crequi- Monfort , Marquis de
Courtivron & de Tarfut , &c . auquel finifloit la
fubftitution faite en 1595 , des terres de Courtivron
& de Tarfut , par Claude le Compaffeur de
Courtivron , frere de fon bifayeul , qui réuniffoit
à fes droits ceux de Françoiſe de Malain , foeur du
Baron de Lux , veuve en 1592 , de Claude- François
le Compaffeur-de Crequi- Monfort , fieur de
Vitrey fon oncle.
JUILLET. 1756. 235
Les enfans de la Marquife de Courtivron
font, 1 ° . Gafpard le Compaffeur-de Crequi-Montfort
, Marquis de Courtivron , ci-devant Aide-
Maréchal Général des Logis de la Cavalerie des
Armées du Roi , & Chevalier de l'Ordre Royal
& Militaire de Saint Louis , qui par fon mariage
avec Marie-Rofe- Louiſe de S.- Cir- de Celi , décé- -
dée en 1753 , eft pere d'un fils en bas âge.
2° Marie- Therefe le Compaffeur de Courtivron
, alliée en 1724 , à Meffire Antoine Joli ,
Marquis de Blaifi , dont elle n'a point d'enfans.
3 °. Jeanne-Claude-Madeleine le Compaffeur de
Courtivron , alliée en 1733 , au Comte de Brancion,
duquel elle a une fille Gafparde de Brancion ,
mariée en 1749 , au Comte de Clermont-Mont-S..
Jean.
Voyez fur le nom de le Compaffeur , la Roque
Blanchard, les coutumes de Champagne , Paliot ,
& les grands Officiers de la Couronne.
AVIS.
Béchique fouverain ou Syrop pectoral , approuvé
par Brevet du 24 Août 1750 , pour les
maladies de poitrine , comme rhume , toux invétérées
, oppreflion , foibleffe de poitrine , & afthme
-humide. Ce Béchique ayant la propriété de fondre
& d'atténuer les humeurs engorgées dans le poulmon
, d'adoucir l'acrimonie de la lymphe en tant
que balfamique , & de rétablir les forces abattues
en rappellant peu à peu l'appétit & le fommeil ;
comme parfait reftaurant , produit des effets fi rapides
dans les maladies énoncées , que la bouteille
taxée à fix livres , fcellée & étiquetée à l'ordinai
re , eft fuffifante pour en éprouver toute l'effica
cité avec fuccès.
236 MERCURE DE FRANCE.
Il ne fe débite que chez la Dame veuve Mouton
Marchande Apothicaire de Paris , rue Saint Denis,
à côté de la rue Thevenot , vis -à- vis le Roi Fran
çois.
LA
AUTRE.
A veuve Simon Bailly continue à débiter les
véritables Savonnettes légeres , de pure crême de
favon , & Pains de pâte graffe pour les mains
dont elle a feule le fecret . Comme plufieurs perfonnes
fe mêlent de les contrefaire & les marquent
comme elle , pour n'y pas être trompé , il faut
s'adreffer chez elle , rue Pavée S. Sauveur , au bas
de celle du Petit Lion , à l'image S. Nicolas , une
porte cochere prefque vis-à-vis la rue Françoiſe ,
quartier de la Comédie Italienne.
Nous pouvons attefter la bonté de ces Savonnettes
par l'uſage journalier que nous en faiſons .
UN
AUTRE.
N Particulier de la Martinique a déposé une
fourniture confidérable d'excellent Sirop de Calebaffe
fort chargé du fuc du fruit de cette Plante
chez le fieur Becqueret, Marchand Apothicaire , à
Paris , rue de Condé , vis -à - vis celle des Foffés
M. le Prince.
AUTRE.
LE freur Rochefort , Maître Perruquier , Inven
teur des têtes artificielles dont il a été fait mention
- dans le Mercure du Mois d'Octobre 1755
JUILLET. 1756. 237
reçoit de Province beaucoup de lettres par lefquelles
on lai propofe d'acheter au lieu de perruques
quelques- unes de fes têtes . C'eft pourquoi
il eft obligé d'avertir qu'il n'en vend point , &
qu'il n'en vendra jamais à perfonne à quelque
prix que ce puiffe être , attendu qu'il veut le réferver
le fecret particulier de fa fabrique. Au refte,
il eft tellement occupé à continuer & perfectionner
ces têtes dont la précifion lui demande journellement
une fi grande application , qu'il ne lui
eft pas poffible de quitter pour aller prendre la
mefure à tous ceux qui le demandent. Il prie les
perfonnes qui demeurent à Paris , ( de quelque
qualité qu'elles foient) qui voudront avoir desPerruques
de fa façon , de venir fe faire prendre la
mefure chez lui , & il aura foin de leur faire porter
leur perruque chez eux. Il monte actuelle
ment toutes fortes de Perruques avec une précifion
mathématique. On fent tous les avantages
que cette jufteffe finguliere doit donner à tout ce
qui fort de fes mains , ainfi il ne répétera point
le détail qu'il en a fait , & le témoignage que lui
´ont rendu les Officiers de fa Communauté. Mais
il donne ayis aux perfonnes qui demeurent en
Province , & qui voudront avoir des Perruques de
fa façon , de lui écrire auparavant , afin qu'il envoye
un modele de mefure très - facile à prendre ,
& tel qu'il le faut , pour pouvoir y rapporter
exactement les proportions ; bien entendu que les
lettres feront affranchies. L'adrefle du fieur Rochefort
eft toujours à Paris , rue de la Verrerie ,
près la rue des Billettes.
238
e
J'A
APPROBATION.
' Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier
, le Mercure du mois de Juillet , & je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 29 Juin 1756.
ERRATA
GUIROY.:
pour le Mercure de Juin.
PAge 62 , ligne 1 , amours de chaffes , liſex ; amours de chaffe .
Page 69 , lig. 14 ,
Lifex,
Mais voyons quel en eft la fin.
Mais voyons quelle en eft la fin.
Page 115 , lig. 13 ,
lifex ,
Et plein d'ivreffe & de timidité ,
Et plein d'ivreffe & d'intrépidité ,
Page 129 , ligne derniere , tecouvrage , lifez , cet
ouvrage.
Page 174 , lig. 20 , trait pour traits , lifez , trait
pour trait.
Page 185 , lig. 18 ,
L'honnêté trompé s'éloigne & ne dit mot .
lifez ,
L'honnête homme trompé s'éloigne & ne dit mot,
Page 196 , lig. 21 ,
Du vulgaire idiot ſe ſoumettre à la loi.
lifex ,
Du vulgaire idiot ſe foumettre la loi .
239
Page 200 , lig.. puifqu'elle eft à , lifez , puiſ--
qu'elle eft là.
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN Prose.
V ERS à Daphné , fur un Miroir de toilette ,
page s
6
Réponſe ,
Calendes des Curés du Diocèſe de Beauvais , à
Mgr le Cardinal de Gefvre , ibid.
Le Scrupule, ou l'Amour mécontent de lui-même ,
Conte ,
9
Vers à Mile M ***, qui avoit eu mal aux yeux , 43
Compliment fait à M. le Duc de Mirepoix , &c.
Les Tombeaux , Poëme ,
ibid.
45
so
Réponse à l'examen de la Surdité & de la Cécité ,
par un Sourd ,
Vers à M. le Maréchal Duc de Richelieu , 55
Ode au Roi de Pruffe , ibid.
Dictionnaire portatif, ou Penſées libres d'un jeune
Militaire ,
Vers fur le préjugé des Auteurs ,
60
77
Les Songes de l'Amour , Idylle traduite du Grec ,
Vers familiers fur le Mariage ,
Vers à l'Auteur du Mercure ,
80
85
20
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
Mercure de Juin ,
Enigme & Logogryphe ,
Chanfon ,
93
94
97
240
"
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES .
Extraits , Précis ou Indications des livres nouveaux
,
99
149
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Hiftoire. Suite de la Differtation fur une Lettre de
S. Remi à Clovis ,
Plyfique. Idées fur la maladie de la nommée Michelot
, & c.
Séance publique de l'Académie Royale de Chirurgie
164
Lettre de M. Ferrand , à l'Auteur du Mercure
Mufique.
Gravure.
ART. IV. BEAUX- ARTS .
168
178
179
180
181
Architecture.
Horlogerie. Lettre au fujet de MM. Pierre le Roy
& le Mazurier , 182
Orfévrerie. Nouvelle Méthode pour travailler la
vaiffelle fur le tour & fans foudures ,
ART. V. SPECTACLES .
Comédie Françoiſe .
185
187
188
189
199
Comédie Italienne.
Extrait des Chinois ,
Concert Spirituel .
ARTICLE VI
Nouvelles étrangeres , 201
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 204
Mariages & Morts , 232
235
Avis divers.
+
La Chanfon notée doit regarder la page 97.
De l'Imprimerie de Ch. Anţ. Jombert,
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
JUILLET. 1756.
SECOND VOLUME.
Diverfité, c'eft ma devife. La Fontaine.
Chez
cachin
Filius inv
PapillonSculp 1778.
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais .
PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
Avec Approbation & Privilege du Rola
AVERTISSEMENT..
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON ,.Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis an
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer , francs
les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à lapartie littéraire, à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
de
port ,
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du portfur
leur compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raifon de 30 fols par volume , c'est- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreſſe ci - deſſus.
A ij
On Supplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la pofte , enpayant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance an
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
resteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfer
vera de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque semaine, aprèse
midi.
On peut fe procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainfi que les Livres
, Estampes & Mufique qu'ils annoncent :
On prie les perfonnes qui envoient des Livres
, Eftampes & Mufiques à annoncer
d'en marquer le prix.
J IIרדחה
I X www www www.
O
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET . 1756 .
ARTICLE PREMIER .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
EPITRE
A Mademoiselle Veftris , par ...
SE mor
E montrer & bientôt féduire ,
Aux attraits joindre les talens ,
Remplir le coeur d'un aimable délire ,
Charmer les yeux & captiver les fens ;
Des graces , du plaifir être la vive image :
Veftris , partager leur encens
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Que pourriez -vous défirer davantage ?
Mais je ne fais qu'ébaucher le portrait
De ces charmes qu'en vous on admire fans ceffe :
Ah ! j'en fuis trop rempli pour que dans fon
ivreffe
Mon efprit enchanté les rende trait pour trait.
Comment donc aujourd'hui , nouvelle Terpfichore
,
Effayer de vous peindre encore ?
Comment ofer vous célébrer
Telle que je vous vois , lorfqu'au Public avide
De vous voir , de vous admirer ,
Vous accourez d'un vol rapide ,
Le contraindre à vous adorer ?
Que de graces ! que de nobleffe &
Quelle aimable variété !
Tantôt c'eft Daphné dont l'adreffe
Evite un Amant redouté ;
Tantôt c'eft la tendre jeuneſſe
Dans les bras de la volupté.
L'amour vif & léger que retient la molleffe ,
Semble guider vos moindres mouvemens
Tel Zéphyr amoureux aux beaux jours du prin
temps ,
Agite tendrement la rofe qu'il careffe .
Quels plaifirs je goûtois , Dieux ! à me retracer
Les divers fentimens qu'en moi vous faites naître ,
Quand tout à coup je vous revis paroître ,
Et près de moi l'autre jour vous placer !
JUILLET . 1756. 7
De mon ame déja par votre danſe émue ,
Je fentis à l'inftant redoubler les tranfports s
Je voulois vous parler , mais ma voix retenue
Tenta d'inutiles efforts .
Cependant , ô bonheur extrême !
Damis pour vous me ravit un bouquet :
Je n'ofois vous l'offrir moi- même ;
Et de moi , feul blamant fon ftratagême ;
Vous le reçûtes en effet.
Enhardi par cet avantage ,
J'allois vous préfenter un don d'un plus haut
prix ;
Mais vos yeux me l'avoient furpris ,
Quand je voulus vous en offrir l'hommage.
ODE
(1 ) A la Pareffe.
Difparoiffez ,fublime ivreffe¸
Apollon , gardez vos tranſports ,
Ma déité , chere Pareffe ,
Viens feule infpirer mes accords.
( 1 ) L'Auteur de cette petite Piece ne veut exprimer
qu'un fentiment paffager : il eft permis
comme Poëte de chanter des paffions & des goûts
qui tiennent plus à l'esprit , qu'au coeur & à la
conduite.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Je reffens déja ta préſence :
De la gêne tu romps les fers.
Une facile négligence.
Avec toi coule dans mes vers.
Non , je ne porte point envie
A ce mortel trop généreux ,
Qui perd chaque jour de fa vie
Sans avoir le temps d'être heureux.
D'Anacréon & de la Fare
J'écoute les tendres leçons.
S'ils prenoient en main la guitarre ;
La Pareffe en dictoit les fons.
Pourquoi d'une bizarre orgie
Voudrois-je tenter les Fureurs ?
D'une amoureufe letargie
J'aime mieux goûter les erreurs.
L'art de jouir , l'art d'être aimable ,
Voilà l'étude que je fais.
L'honneur du fçavoir eſtimable
Peut- il racheter les ennuis ?
Tu chéris la paix , le filence ,
Dans tes bras dorment les Amours :
T
JUILLET. 1756. 9
.
Pareffe , heureuſe indifférence ,
Verfe tes douceurs fur mes jours.
Affuré contre la tempête ,
Fais moi braver les coupss du fort.
De ton voile couvre ma tête ,
Conduit moi mollement au port.
Comme on voit , en fuivant fa pente ,
Sous des fleurs fe perdre un ruiffeau ,
Ainfi qu'une volupté lente
Me faffe defcendre au tombeau.
Raoult.
« Le morceau qu'on va lire e de M.
» de Bury . Nos Lecteurs lui doivent d'au-
» tant plus de faveur , que l'Auteur mo
» defte ne fait paroître cet Effai que pour
» confulter leur goût fur la Vie intéref
» fante qu'il y annonce , & fe décider en-
» fuite d'après leur fentiment. Si nous
» ofions rifquer ici le nôtre , nous dirions
» que fon projet nous a paru écrit & dé-
» taillé de maniere à devoir faire défirer
» au Public l'exécution de l'Ouvrage en-
» tier. »
Αν
10 MERCURE DE FRANCE.
LA VIE DE JULES CÉSAR .
Avant-Propos.
J'ai toujours été furpris que dans le fiecle
ΑΙ
paffé & celui où nous fommes , qui ont
produit un grand nombre d'excellens Ecrivains
, aucun n'ait penfé à nous donner la
Vie de Jules Céfar. Cet Ouvrage eût été
d'autant plus facile à faire , que nous avons
pour l'hiftoire de ce grand homme beaucoup
de Mémoires & d'écrits qui nous
apprennent les belles qualités & les grandes
actions qui l'ont rendu fi recommendable.
Nous n'avons en notre Langue aucune
Hiftoire complete de fa vie ; car je
ne regarde pas comme telle la traduction
de celle que Suetone nous a laiffée : elle
ne nous découvre point fes projets , fes
vues & par quelles voies les actions qu'il
a faites l'ont conduit à la fouveraine puiffance
: il est trop nu & trop concis : c'eft
pourtant un excellent Ouvrage. L'Auteur
entre dans un grand détail des moeurs &
de la vie publique & privée de Céfar ,
& il doit être très - utile pour une Hiſtoire
entiere.
Nous avons encore celle que Plutarque
a écrite mais quoiqu'il foit un des plus
JUILLET. 1756. Ir
fages & des plus judicieux Ecrivains ; cependant
l'on remarque chez lui cette prédilection
blåmable qui lui a été reprochée
en faveur des illuftres Grecs fes compatriotes
, qu'il a comparés aux Romains. L'on
croit qu'il a affecté de faire d'Alexandre
un plus grand homme que Céfar. D'ailleurs,
il ne paroît pas avoir affez développé
le fonds de fon caractere & les motifs qui
l'ont fait agir les événemens y font trop
ifolés & ne nous font pas affez connoître
le jeu des paffions qui les ont conduits , &
cette politique raffinée , qui , jointe à fes
autres vertus , le rendirent maître abfolu
de la République ; enforte qu'il femble
que tout foit fortuit & non prémédité . De
plus , il ne paroît pas affez exact , n'étant
pas d'accord fur un grand nombre de faits
avec les Hiftoriens contemporains. Il ne
paroît pas avoir affez facrifié aux graces
en cherchant à embellir la vérité : enfin fes
Hiftoires ne font pas affez intéreffantes
quoique très bien compofées. Je n'en veux
donner qu'un exemple. Tout le monde
fçait ce trait d'Alexandre , lorfqu'il coupa
ce fameux nouf gordien qui , fuivant un
ancien Oracle , promettoit l'Empire de l'univers
à celui qui pourroit le dénouer.
Plutarque nous repréfente fimplement
Alexandre , lequel après plufieurs tenta-
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
tives , ne pouvant en venir à bout, le coupa
avec fon épée. Mais Q. Curce nous décrivant
cette même action , en forme un beau
tableau. Il repréfente Alexandre environné
de plufieurs Seigneurs Phrygiens & de fes
Capitaines Macédoniens , les premiers attentifs
à la réuffite , & les autres inquiets
de l'iffue que pourroit avoir la confiance
téméraire du Roi , qui de fa part appréhendoit
que fa tentative devenue inutile ,
ne fût d'un mauvais augure pour fes eſpérances
. Enfin après avoir long- temps lutté
contre l'obfcurité de ces noeuds , il importe
peu , dit-il , de quelle façon on les dénoue
, & les ayant coupé avec fon épée , il
accomplit ou éluda l'Oracle. Je laiſſe à dé
cider laquelle de ces deux façons de décrire
ce fait à le plus d'agrémens . On voit que
Q. Curce , fans en altérer la vérité , l'a embellie
& lui a donné des graces qui ne font
pas dans Plutarque. Au furplus , on pourroit
peut- être s'en prendre à fes Traducteurs
, dont le ftyle trop vieux , trop dur
ou trop littéral , n'a pu nous conferver les
beautés de l'original. Ainfi nous pouvons
dire que nous n'avons pas d'Hiftoire complette
de J. Céfar : car pour les commentaires
qui en font un précieux morceau ,
ils doivent être employés comme d'excellens
matériaux , mais qui ne font pas
JUILLET. 1756. 13
fuffifans pour conftruire tout l'édifice.
Ce n'eft pas que je prétende compoſer
une Hiftoire digne d'être mife au deffus
de celles qui nous ont été données par ces
Auteurs. Je n'ai pas cette témérité ; mais
j'ai tenté feulement de donner au Public
une Hiftoire plus circonftanciée & plus
étendue ; faire voir par quels moyens
Céfar eft parvenu à fe rendre le maître de
fa République ; quels étoient les génies &
les caracteres des grands hommes de fon
temps ; de quels moyens il s'eft fervi pour
vaincre les uns & employer utilement les
talens des autres pour arriver à fon but , &
enfin faire connoître cette fublimité de
génie & cette grandeur d'ame qui lui
avoient infpiré dès fa jeuneffe qu'il étoit
né pour commander à tout l'univers. J'ai
tâché de mettre en oeuvre les Mémoires
que l'on nous a confervés & de réunir
ces faits difperfés dans tous les écrits du
temps , pour préfenter au Public un ou→
vrage qui puiffe l'intéreffer & lui plaire.
Cependant dans l'incertitude où je fuis de
réuffir , je lui en offre quelques fragmens ,
afin de connoître par la façon dont ils
feront reçus , fi je dois abandonner ce projet
ou le continuer.
Rome étoit environ dans la fin du feptieme
fiecle de fa fondation , lorfque Silla ,
14 MERCURE DE FRANCE.
après s'être rendu maître du gouvernement
, & avoir abattu le parti de Marius
fon ennemi & fon concurrent , abdiqua le
fouverain pouvoir , dont il avoit ufé avec
la derniere tyrannie. Il venoit de rendre à
la République tous fes droits : il la laiffoit
'jouir de la liberté qu'il lui avoit ravie :
elle refpiroit après les troubles dont elle
avoit été agitée. Les Romains oubliant les
profcriptions & la cruauté de Silla , le
laiffoient jouir avec tranquillité du fruit
de fa modération , & fe voyoient avec plaifir
rentrés dans l'égalité.
Tel étoit alors l'état de la République
Romaine. Prefque tout l'univers étoit fubjugué.
L'Italie étoit tranquille : une partie de
la Gaule , c'eft- à- dire celle au delà des Alpes
& la Narbonnoife , obéiffoit aux Romains :
l'Eſpagne étoit foumife , à l'exception d'un
refte de profcripts , qui s'y étoit cantonné
fous la conduite de Sertorius : la ruine de
Carthage & la défaite de Jugurtha avoient
rendu tributaire la plus grande partie de
l'Afrique connue . Quoique l'Egypte ne
fût pas réduite en Province Romaine , fes
Rois étoient tellement dépendans de Rome,
qu'ils n'auroient ofé rien entreprendre fans
fon aveu. Les Provinces de l'Afie accoutumées
par leurs anciens Rois , comme elles
le font encore aujourd'hui , à un dur defJUILLET.
1756. 19
potifme , fe trouvoient plus heureufes fous
la domination douce & tempérée des Romains
. Le Royaume de Macédoine étoit
réduit en Province Romaine : quelques
petits Rois fubfiftoient encore ; mais ils
étoient tributaires : leur autorité étoit fi
foible , & leur pouvoir fi énervé , qu'on
pourroit les regarder comme les premiers
efclaves d'entre leurs peuples. Le feul Mithridate
à demi -vaincu , attendoit à l'ombre
d'une paix affez équivoque le moment
de fe relever & de fatisfaire fa haine contre
les Romains. La Grece autrefois l'arbitre
& le foutien de la liberté de fes voifins
n'ayant pas fçu conferver la fienne , l'avoit
abandonnée aux Romains : paifible fous
leur protection , elle fe contentoit de cultiver
les beaux Arts dans lefquels elle étoit
en poffeffion d'exceller , & jouiffoit de la
gloire d'en inftruire fes Vainqueurs. Toutes
les Ifles de la mer obéiffoient aux Romains
, & le commerce verfoit dans Rome
, comme dans le centre de l'Empire ,
toutes les richeffes de l'univers. On envoyoit
chaque année dans toutes ces Provinces
des Gouverneurs , dont le pouvoir
fans bornes difpofoit fouverainement de
tout ce qui regardoit la guerre , la juftice
& les finances , qu'ils adminiftroient à leur
gré. Enfin la République Romaine étoit
16 MERCURE DE FRANCE.
parvenue à ce haut point de gloire & de
grandeur , qui avoit envahi prefque tous
les Royaumes de l'univers , lorfque Jules
Cefar , l'un de fes Citoyens , né fimple particulier
, parut pour fe rendre maître abfolu
de cet Empire. Il ne falloit pas moins
qu'un génie auffi vafte que le fien , joint
aux belles qualités civiles & militaires
qu'il tenoit de la nature & de l'éducation ,
pour l'emporter fur un grand nombre de
concurrens , dont le mérite , quoique fort
inférieur au fien , pouvoit balancer & arrêter
la réuffite de fes projets. Les guerres
civiles de Marius & de Silla avoient fait
connoître aux plus ambitieux Citoyens, que
la République pouvoit fupporter un Maî
tre : mais de tous ceux qui tenterent de le
devenir , aucuns n'approcherent de Céfar .
S'ils eurent de belles qualités , ils eurent
auffi de grands vices qui les empêcherent
de réuffir s'il l'emporta fur eux , c'eft
qu'il fçut réunir toutes les qualités nécef
faires à un grand homme , fans aucun mê
lange de défauts , du moins de ces défauts
effentiels qui font avorter les plus beaux
projets. Il avoit un pouvoir fi abfolu fur
toutes fes paffions , qu'elles ne lui ont ja
mais fait faire aucune démarche contraire
à fes intérêts & à fes vues . La haine , la
colere , la vengeance , la cruauté , l'avarice
JUILLET. 1756. 17
auxquelles les Romains de fon temps
étoient affujettis , donnoient du luftre à la
clémence , l'oubli des injures , la douceur,
la magnanimité , la libéralité , la reconnoiffance
qu'il poffédoit dans un éminent
degré. Soit que ces vertus fuffent en lui
un don de la nature , ou l'effet de fa politique
, il ne s'en écarta jamais.
S'il fut fenfible aux douceurs de l'amour,
comme on le lui a reproché fouvent avec
trop d'animofité , jamais cette paffion ne
fut maîtreffe de fon coeur au point de l'affujettir.
Il n'y a que les grands hommes
qui fçachent la retenir dans fes véritables
bornes. Sans parler des autres engagemens
de Céfar , fon attachement pour Cléopâtre
, la plus belle Princeffe de fon temps ,
ne dura que le peu de temps qu'il mit à
conquérir l'Egypte. Il l'abandonne lorfque
la gloire l'appelle ailleurs. Pour ce qui eft
de la bonne chere , fes ennemis mêmes
font tombés d'accord que de tous ceux qui
ont tenté de renverfer la République , il
étoit le feul qui connût la fobriété. Mais
ce n'eſt pas ici le lieu d'entrer dans le détail
de fes grandes qualités : fes actions que
je me propofe d'écrire les feront affez connoître.
J'ai cru qu'avant que d'entrer en matiere,
il ne feroit pas hors de propos de parler de
18 MERCURE DE FRANCE.
ceux d'entre les principaux Romains qui
avoient part au gouvernement , lorfque
Céfar fe mit fur les rangs , afin de faire
connoître le génie & le caractere de ceux
qui s'oppoferent ou contribuerent à fon
élévation . Comme il faudroit trop s'écar.
ter par des digreffions , j'ai cru devoir
crayonner ici leurs portraits & rapporter
quelques-unes de leurs actions , qui ne
pourroient pas trouver de place dans là
vie de Céfat. J'appréhende qu'ils ne foient
un peu trop longs ; mais je fuivrai , pour
les raccourcir , les avis que les perfonnes
éclairées voudront bien me donner.
POMPÉE.
Le premier qui fe préfente eft Pompée ,
cet homme appellé grand dès l'âge de 24.
ans , & que l'on peut regarder comme le
principal rival de Céfar. Les grandes actions
qu'il avoit faites , les fervices qu'il
avoit rendus à la République , & enfuite
fa défaite à Pharfale , & fa mort indigne &
cruelle arrivée ſur un rivage étranger
avoient fi fort attendri fur lui le coeur des
Républicains , qu'ils lui ont prodigué
toutes fortes de louanges . Il en avoit effectivement
mérité de grandes : mais il faut
convenir que la feconde partie de fa vie
ne fut
pas digne de la premiere.
›
JUILLET. 1756 . 19
La guerre civile de Marius & de Silla
ayant enlevé ce qu'il y avoit de Citoyens
les plus recommendables , il n'y en avoit
aucun en état de fuivre l'exemple de Silla .
Le feul Pompée , quoique jeune encore ,
étoit le plus illuftre Citoyen de la Répu
blique ; & quoiqu'il eût fait des actions
qui lui avoient mérité le triomphe à l'âge
de 23 ans , foit qu'il n'eût pas affez d'ambition
, ou qu'il aimât mieux tenir de la
bienveillance de fes Citoyens , les honneurs
auxquels il afpiroit encore , il ne chercha
pas à devenir leur Maître malgré eux . La
liberté des élections laiffant aux Citoyens
vertueux la facilité de parvenir par leur
mérite aux plus hauts emplois , il attendoit
tranquillement la récompenfe de fes fervices.
Pompée s'étoit rendu maître de l'Efpagne
; il avoit fubjugué la Syrie , la Médie ,
T'Hibérie , le Royaume de Pont , la Judée.
Il avoit couronné toutes ces conquêtes par
la deſtruction du Royaume d'Arménie &
la défaite de Mithridate , qu'il avoit contraint
de fe donner la mort. Après tant de .
victoires & l'exemple récent de Silla , que
fes Concitoyens avoient encore devant les
yeux , ils avoient appréhendé que Pompée
n'abusât de fon pouvoir & n'employât les
troupes qu'il commandoit pour fe rendre
20 MERCURE DE FRANCE.
non pas
le maître : mais il vouloit être le Chef &
le Tyran de fa Patrie. En mettant
le pied dans l'Italie , il licencia fes troupes ;
il rentra dans Rome en fimple particulier ,
content d'un fuperbe triomphe qu'on lui
décerna autant pour fa modération que
pour les victoires.
Mais lorsque l'éclat en fut paffé & qu'il
eût vêcu quelque temps dans la vie privée ,
il fut furpris de fe voir prefque fans confidération
, fouvent contredit , même méprifé
par un nombre de Citoyens , ou jaloux
de fa gloire ou ambitieux de l'égaler .
Quelle différence pour lui , après avoir
parcouru prefque toute la terre à la têtedes
armées , toujours victorieux , arbitre
du fort des Rois , les détrônant ou les rétabliffant
à fon gré , de fe voir regardé
comme un fimple particulier ! Dans une
lettre que Ciceron écrit à Atticus , il lui
dit : Que j'apperçois dans nos Citoyens de
haine contre notre ami Pompée , dont le fur
nom de Grand s'ufe peu à peu ! Ce fut donc
pour conferver cette puiffance , qu'il fit ce
fameux Triumvirat entre Céfar , Craffus
& lui , qui les rendit tous trois Maîtres de
la République. Malheureufement pour
Pompée , il n'avoit pas ce génie néceffaire
pour fe rendre recommendable dans une
République. Il avoit été de trop bonne
JUILLET. 1756. 11
heure à la tête des armées : il y avoit contracté
par la douceur du commandement
un certain air de hauteur peu convenable à
un peuple jaloux à l'excès de fa liberté , qui
vouloit être flatté , & dont chaque Citoyen
eroyoit être maître de l'univers , parce
qu'il choififfoit parmi fes égaux ceux qu'il
jugeoit dignes de commander. Pompée
paroiffoit & parloit peu en public. Il avoit
négligé l'éloquence , un des plus sûrs
moyens de plaire à ce peuple . Grand homme
à la tête des armées , il ne fçut pas
conferver à Rome la confidération qu'il
avoit acquife au dehors. Il manqua prefque
toujours de prudence dans les actions
civiles de fa vie , & il eut la vue trop bornée
pour appercevoir où tendoient les def
feins & les actions de Céfar .
Malgré les louanges exceffives que les
Républicains ont prodigué à Pompée ,
on lui a reproché d'avoir établi fa gloire
aux dépens de celle des autres Généraux ;
que la guerre d'Efpagne contre Sertorius ,
dont il s'étoit attribué tout l'honneur
avoit été fi fort avancée par Metellus , qu'it
n'avoit eu que la peine de triompher par
la trahifon de Perpenna , qui lui apporta
la tête de Sertorius ; qu'il avoit cherché à
rabaiffer la gloire de Craffus par les lettres
faftueufes qu'il avoit écrites au Sénat ,
22 MERCURE DE FRANCE.
auquel il marquoit qu'il avoit coupé les
racines de la guerre des Efclaves , pour
en avoir taillé en pieces quelques débris
qui fe fauvoient du carnage que Craffus
en avoit fait , & qu'enfin il avoit attendu
que Lucullus eût chaffé de leurs Etats le
fameux Mithridate , Roi de Pont , & Tigra
nes , Roi d'Armenie , joints enſemble ,
après avoir remporté deux victoires confidérables
, pour le faire donner la conduite
de cette guerre , & profiter des travaux de
ce Général . Cette conduire lui attira bien
des envieux.
Nous verrons dans la fuite de cette
Hiftoire les fautes
que fit Pompée , foit en
travaillant à l'élévation de Céfar , foit dans
la conduite qu'il tint pendant la guerre
civile , qui lui fit perdre la réputation de
grand Général qu'il s'étoit acquife.
Quoique Pompée fût affez haut avec
ce que l'on appelloit le peuple , c'eft-à -dire
le Citoyen du moyen état , cependant il
étoit d'un commerce aifé avec fes égaux.
On ignore s'il connoiffoit les douceurs de
l'amitié , & ce commerce tendre & affectueux
qui naît & s'entretient par les vertus
,
les bonnes qualités & les fervices refpectifs
entre les amis. Il ne nous en reſte aucune
trace on apperçoit feulement que les
liaifons qu'il avoit contractées avec les
JUILLET. 1756. 23
Grands étoient dirigées par la politique ,
& dans la vue de foutenir fon rang & fes
honneurs. On l'a taxé d'une jaloufie fécrete
contre Ciceron de la gloire qu'il s'étoit
acquife par fon éloquence . Ce qui eft sûr ,
c'est que Pompée l'abandonna à l'animofité
de Clodius qui le fit exiler : on l'accufe
même d'y avoir contribué , quoique Ciceron
eûr toujours fait profeffion d'être de
fes amis. Les louanges exceffives qu'il lui
a données , font une preuve qu'il n'a pas
tenu à Ciceron de faire paffer Pompée
pour le plus grand homme de la Républi-
; & s'il le blâme dans les occafions où
ques
il a manqué de prudence , c'eft avec toute
la difcrétion d'un ami , qui fe plaint fans
envie & fans animofité des défauts de fon
ami.
Pompée n'a jamais paffé pour cruel ,
quoiqu'il eût été ami & compagnon de
Silla dans fes victoires. Il n'eut aucune
part aux profcriptions & aux rapines qui
furent exercées par ce Dictateur & fes autres
amis. On ne fçait pas comment il en
eût uſé , s'il eût été vainqueur à Pharfale :
cependant il fut fort blâmé d'avoir fait afficher
qu'il traiteroit comme ennemis ceux
qui refteroient en Italie pendant la guerre
civile.
Pompée fut toujours éloigné de ce luxe
24 MERCURE DE FRANCE.
dans lequel les autres Citoyens étoient
plongés. Il ne rechercha jamais , pour le
fatisfaire, les richeffes qu'il auroit pu amaffer
dans les différens commandemens qu'il
avoit eus : on lui a toujours rendu justice
fur fa modération à cet égard. On reconnoiffoit
dans fa maifon , fes meubles & fa
table , cette noble modeftie convenable à
un homme de condition , également éloignée
de la léfine & de la fuperfluité ; &
jufqu'aux Efclaves qui copient ordinairement
les vertus & les vices de leurs Maîtres
, tout fe reffentoit du caractere fage
& vertueux qui régnoit chez lui. Pompée
feroit donc obligé de mourir , dit-il un jour ,
fi Lucullus n'étoit pas voluptueux ; parce
que dans une maladie fon Médecin lui
avoit ordonné de manger d'un gibier qui ,
étant hors de faifon , ne fe trouvoit que
dans la ménagerie de Lucullus , & il n'en
voulut point.
Pompée étoit fort réglé dans fes moeurs.
Il méprifa toujours le commerce de ces
femmes voluptueufes, même des plus gran
des de Rome , qui faifoient un trophée de
leurs déréglemens : ce n'eft pas qu'il n'eût
le coeur fenfible , mais ce ne fut que pour
les femmes qu'il époufa , dont il avoit le
fecret de fe faire tendrement aimer , même
dans l'âge où les graces de la jeuneſſe
commencent
JUILLET. 1756. 25
commencent à difparoître. Cependant de
trois femmes qu'il eut , Mutia , qui fut la
premiere , lui donna quelque fujet de fe
plaindre , puifque fur des rapports peutêtre
fabuleux qu'on lui fit de fa conduite ,
il la répudia. S'il eft vrai que Mutia fut
infidelle à Pompée , elle pouvoit être un
peu excufable en ce que ce fut pendant
une longue abfence pour les affaires de la
République . L'amour eft un feu qui veut
être entretenu , finon il s'éteint. Céfar fut
foupçonné d'avoir rallumé en fa faveur
celui de Mutia. Sans l'abfence de Menelas ,
Pâtis n'eut peut-être pas triomphé de la
belle Helene au furplus , les grands hommes
de ce temps là étoient fort traitables
fur cette matiere. Nous verrons même
dans la vie de Céfar que ce grand homme,
le plus accompli de fon temps , ne fut pas
exempt des difgraces du mariage. Cependant
Pompée voulut bien encore courir les
mêmes rifques en époufant Julie , fille de
Céfar , & après la mort de Julie , Cornelie
, qui toutes deux le confolerent de l'infidélité
de Mutia , & joignirent à leurs
beauté & à la tendreffe qu'elles eurent
pour leur mari , des vertus qui ont fait
leur éloge , & celui de la ſenſibilité & des
graces de Pompée.
*
7%
* Les grands Hommes de ce tems- ci ne le font pas moins.
II.Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
On ne fçauroit s'empêcher d'admirer ici
l'enchaînement fingulier des circonftances,
qui produifent les événemens les plus .con-
Lidérables ! Qui auroit jamais pu imaginer
que Céfar corrompant la femme de Pompée
, les fuites de cette action feroient la
bafe & le fondement de fa puiffance . Quoiqu'accusé
d'avoir eu part aux infidélités de
Mutia , il ne fut pas pour cela brouillé
avec Pompée ; au contraire , il faifit l'occafion
de fon divorce pour fe lier plus étroitement
avec lui. Céfar lui offre fa fille en
mariage. Il connoiffoit le coeur tendre &
délicat de Pompée , qui très- reglé dans fes
moeurs , s'attacheroit aifément à Julie ,
dont la beauté , l'efprit , les graces & la
vertu , ne pouvoient manquer de lui plaire.
Céfar ne fut pas trompé dans fes efpérances.
Pompée enchanté de Julie l'aima uniquement.
Devenue fon époufe , elle fe
rendit maîtreffe de fon efprit comme de
fon coeur ; il n'eut plus d'autres fentimens
que ceux qu'elle lui infpira : conduite par
-fon pere , elle engagea fon mari à fe joindre
à lui ; leur union devint fi étroite , &
leur puiffance réunie devint fi forte , qu'ils
fe rendirent maîtres de la République . Its
mirent dans leur parti Craffus , le plus riche
& un des plus accrédités Citoyens qui
avoit beaucoup de mérite , & formerent
ce premier Triumvirat qui porta le preJUILLET.
1756 . 27
mier coup à la liberté Romaine. Ce fut
alors que Céfar beaucoup plus habile que
fes deux Collegues , attirant à lui & fe
fervant à propos de leur crédit , fe vit en
état d'exécuter ces projets qu'il avoit jufqu'alors
inutilement conçus. Ces trois
hommes s'emparerent de toute l'autorité.
Céfar fit donner à Craffus le Gouvernement
de l'Afie , à Pompée ceux de l'Efpagne
& de l'Afrique , & prit pour lui celui
des Gaules , dont la conquête achevée en
dix ans , après des actions extraordinaires
de valeur & de prudence , le porta à un fi
haut degré de puiffance › que lorfque
Pompée l'en voulut faire defcendre , il fe
trouva trop foible & en fut accablé.
-
CICERON.
Ce n'eft pas pour décider fi les vertus guerrieres
& la gloire qu'on acquiert par leur
moyen , font préférables aux vertus civiles
que j'en fais ici la comparaifon . Les premieres
ont quelque chofe de fi grand & de
fi flatteur pour l'ambition , le plaifir de
commander eft fi fatisfaifant , la victoire
porte avec elle un fi brillant éclat , que je
ne fuis pas furpris que la plupart des hommes
en ayent été éblouis , & en ayent fait
le comble de la grandeur & de la félicité.
Les vertus civiles , il eft vrai , ne font
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
pas accompagnées de tant de grandeur ;
elles évitent le fafte & l'orgueil : elles font
uniquement occupées à faire le bonheur
des Citoyens : l'utilité publique fait toute
leur gloire : la modération , la magnaniinité
, la tempérance , la juftice , le défintéreffement
, font des vertus qui peuvent
procurer un grand nom à ceux qui les
poffedent. Je trouve Ariftide , furnommé
le Jufte par fes Citoyens , comparable aux
grands Généraux de fon temps,
Je ne fçais fi l'on ne m'accufera pas de
trop de prévention , lorfque je dirai
que Ciceron poffédoit toutes ces vertus
dont il fit un ufage admirable à la tête
d'une République la plus puiffante qui fur
jamais , ayant préféré cette gloire à celle
qui s'acquiert par les armes.
Ciceron étoit de race de Chevalier Romain,
dont la famille n'avoit pas encore été
décorée de ces hautes Magiftratures qui faifoient
tout le luftre de ce qu'on appelloit la
Nobleffe. Ceux qui , nés dans ce fecond
ordre , cherchoient à s'élever aux premieres
dignités , étoient ordinairement fort
jaloufés. Il falloit avoir un mérite bien fupérieur
pour y parvenir : auffi celui de Cicéron
fut tel qu'il ne put être égalé par
aucun de fes contemporains. Il étoit né
avec un génie capable de toutes les fcienJUILLET.
1756. 29
ces , mais comme l'éloquence étoit un fûr
moyen de s'avancer , il cultiva avec tant
d'ardeur le talent qu'il avoit pour cet art ,
qu'il a été regardé comme le premier Orateur
de fon temps . Il joignit à cette étude
celle de la plus faine philofophie dans laquelle
il puifa cette morale pure & ce zele
éclairé dont il fit un fi grand ufage. Comme
il avoit acquis par fa vertu une eftime univerfelle
, il trouva toujours les efprits difpofés
à l'écouter favorablement , parce
que l'on fe laiffe plus volontiers perfuader
par ceux dont la probité nous eft connue ,
que par ceux dont la vertu eft équivoque.
Ce ne fut pas feulement dans les devoirs.
publics que Ciceron fit paroître fon mérite.
Il excelloit encore dans les devoirs particuliers.
Il a été un parfait modele de l'amitié.
Il fut bon parent : il aima tendrement
fes enfans : il mérita de fa femme
plus de tendreffe qu'elle n'en témoigna
dans fes difgraces dont elle fut en partie
caufe. Son défintéreffement alloit juſqu'au
fcrupule. Pour la régularité de fes moeurs ,
il ne fut jamais foupçonné d'y avoir donné
atteinte dans une ville aufi corrompue
que celle de Rome .
"
Les actions brillantes de fa vie , que
tout le monde fçait , font connoître qu'il
avoit une politique fage & une prudence
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
confommée , qu'il fçavoit employer à pro
pos , tantôt avec fermeté & tantôt avec
condefcendance fans les outrer , & felon
que les occafions le demandoient . Ne pou
vant empêcher la chûte de la République
qui fut forcée de fuccomber fous le mérite
& la fortune de Céfar , il la retarda du
moins , & l'empêcha de tomber entre les
mains de fcélérats qui l'auroient entiérement
ruinée fous la conduite de Catilina .
A l'égard de fon éloquence on en con
noît mieux l'excellence par la lecture de
fes ouvrages , qu'il n'eft facile de dire en
quoi elle confiftoit. Les genres en font fi
variés qu'il faudroit un volume entier
pour les faire connoître. Il étoit touchant
devant les Juges lorfqu'il défendoit des
accufés. Il étoit véhément lorfqu'il accufoit
des criminels. Ses difcours dans le
Sénat ont une grandeur & une majeſté
dignes de ces grands hommes auxquels il
parloit. Il prenoit un ton moins haut
lorfqu'il parloit devant le peuple. Ses lettres
font dictées par une politeffe , une
douceur & une fimplicité qui ne refpirent
que l'amitié la plus folide , & dévoilent .
en même temps les replis les plus fecrets
de fon coeur. A l'égard de fes ouvrages de
Philofophie morale , on peut dire qu'il eft
le feul Romain qui ait excellé dans cette
JUILLET . 1756. 31
fcience. Sa converfation étoit douce , aifée:
il fçavoir l'animer par les charmes de fon
efprit , d'une humeur toujours égale &
naturellement enjouée . Il railloit en homme
de qualité , mais fes railleries tomboient
ordinairement fur les ennemis.
Céfar n'avoit pas dédaigné de faire un
recueil des bons mots de Cicéron .
Il eut le bonheur de trouver un peuple
fage , éclairé , doué d'une folidité de génie
qu'on ne trouvoit dans aucun peuple du
monde . Les Romains avoient une équité
naturelle , & un amour pour la vertu , qui
leur faifoient rendre juftice aux belles qualités
de leurs concitoyens. Ils éleverent
Cicéron pour fon feul mérite à toutes les
dignités de l'Etat. Il avoit trouvé la route
de leur coeur. Comme ils l'avoient extrêmement
fenfible , ils fe laiffoient entraîner
aux charmes féduifans de fon difcours,
& à cette éloquence douce & engageante
qui faifoit fon principal caractere. Comme
ce peuple vouloit qu'on lui parlât équité
& raifon , il admiroit ceux mêmes qui lui
reprochoient fes défauts , & s'en corrigeoit.
Nous avons un fait qui prouve ce que j'avance
.
Othon étant Prêteur , avoit fait un Réglement
qui affignoit aux Chevaliers Romains
, dans les fpectacles , des places dif-
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
tinguées & différentes de celles du peuple,
L'année fuivante , Ciceron étant Conful
un jour qu'il fe difpofoit pour aller préfider
aux jeux , on vint lui dire qu'il y avoit
un grand tumulte au Théâtre ; qu'Othon
ayant paru , le peuple avoit commencé
par le fiffler & le huer , & enfuite à lui
dire des injures ; que les Sénateurs & les
Chevaliers avoient pris le parti d'Othon ;
qu'on s'échauffoit au point qu'on fe jetroit
déja des pierres , & qu'enfin la confufion
étoit telle qu'il en pourroit réfulter un
très- grand défordre . Ciceron envoie à la
hâte fes hérauts dire au peuple qu'il veut
lui parler au Temple de Bellone. Le peuple
s'y rend en foule. Ciceron lui fait fur
le champ un difcours convenable au ſujet.
Après lui avoir remontré de quelle conféquence
il étoit de conferver entre les différens
ordres de l'Etat , la fubordination néceffaire
, quel horrible défordre il arriveroit
fi cette fubordination étoit détruite, &
dans quelle confufion tomberoit la République
, fi fes Citoyens s'abandonnant fans
réflexion à leur colere , en venoient aux
mains les uns contre les autres.
Je ne reconnois pas en ce moment ,
dit-il , la fageffe du Peuple Romain , ni
» la modération dont fes Ancêtres lui ont
tant de fois donné l'exemple , eux qui
JUILLET . 1756. 33
ور
dans leurs plus grandes diffenfions avec
» la nobleffe , n'ont j'amais fait des actions
» violentes & emportées ,plus convenables à
» des barbares fans moeurs , qu'à des Ro-
"mains. N'eft- ce pas ce même Othon que
» vous aviez élu votre Préteur , pour vous
rendre la justice ? N'est- ce pas dans le
corps de ces Citoyens contre lefquels
» vous vous élévez avec tant de fureur, que
» vous choifiſſez ceux que leur mérite vous
>> engage à mettre à votre tête , ceux à qui
» vous confiez vos armées , vos haches ,
» vos faiſceaux , & tout cet appareil fou-
" verain qui fait trembler vos alliés & vos
» fujets , & auquel vous vous foumettez
avec tant de docilité , ces hommes fous
» la fage conduite defquels vous avez rem
» porté tant de victoires , & auxquels vous
>> rendez tant de refpects lorfqu'ils vous
» commandent? Devenus vos égaux , après
savoir rempli les fonctions de leurs dignités
, vous les infulterez , & lorfqu'ils
voudront bien partager vos plaifirs , vous
» leur refuferez une petite marque ' d'honneur
qui eft la feule diftinction qui leur
refte après les fervices qu'ils vous ont
» rendus . Allez , retournez aux Jeux : rendez
à vos Magistrats tout l'honneur que
" vous leur devez , & marquez par votre
»déférence & vos applaudiffemens , l'eſti-
»
»
Br
34 MERCURE DE FRANCE.
» me & la confidération que vous avez
»pour eux. Je vais me rendre au Théâtre
" pour être le témoin de votre modération
»& de votre fageffe ».
Le peuple retourne. Othon paroît , on
le reçoit avec toute forte d'applaudiffemens.
Les Sénateurs & les Chevaliers fe
mêlent avec le peuple , tout retentit d'ac
clamations : le calme fuccede , & l'on voit
régner la concorde & l'union . A peine les
applaudiffemens font ceffés , que Ciceron
fe montre. Les acclamations redoublent à
fon afpect , on ne fçait comment lui témoigner
fa reconnoiffance , il goûte avec
complaifance les fruits de fon éloquence ,
& jouit du plaifir de gouverner un peuple
fr docile & fi fage.
>
Je ne fçais fi une victoire remportée
une campagne couverte de morts & de
mourans , grand nombre de prifonniers
dans les fers , les acclamations des foldats
victorieux , & la gloire du vainqueur , ont
quelque chofe de plus fatisfaifant pour un
Général, que les applaudiffemens d'un peuple
bien uni , qui témoigne par fes cris
d'allégreffe le bonheur qu'il a de jouir tranquillement
des douceurs de la paix & de
Funion, fous la conduite d'un Prince doux ,
paifible , pacifique , qui met fon bonheur
à le rendre heureux.
JUILLET. 1756. 35
Je ne tracerai pas ici l'hiftoire du Confulat
de Ciceron ; elle eft affez répandue
dans les écrits de fon temps : je ne parlerai
pas non plus de la part qu'il eut dans
les affaires publiques , j'aurai affez d'occafions
d'en parler dans la vie de Céfar. Je
veux feulement rapporter un trait qui fait
connoître fa préfence d'efprit & la confidération
qu'il s'étoit acquife.
• Il étoit d'ufage à Rome que les Tribuns
préfentaffent au peuple les Confuls qui
fortoient de charge pour lui rendre une
efpece de compte de leur conduite par un
difcours qu'ils prononçoient devant lui.
Beſtia & Metellus Tribuns du peuple
avoient été amis de Catilina , & étoient
par conféquent ennemis de Cicéron . Ils
voulurent l'empêcher au fortir de fon Confulat
de parler au peuple , & de faire briller
fon éloquence : ils lui permirent feulement
de faire le ferment par lequel les
Magiftrats devoient jurer qu'ils avoient
fidelement adminiftré la République . Cicéron
ayant voulu commencer un difcours
qu'il avoit préparé , & fe voyant interrompu
par des gens apoftés par les Tribuns
pour faire du bruit , fe contenta de
faire le ferment ; mais il le fit d'une maniere
qui rendit inutiles les efforts de fes
ennemis. Il jura qu'il avoit fauvé la Répu
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
blique ; qu'il l'avoit empêché de fuccomber
fous les coups de Catilina & de fes
complices ; qu'il l'avoit préfervée du carnage
, de l'embrafement , du pillage , &
de toutes les horreurs que lui préparoient
les plus fcélérats de tous les hommes , que
c'étoient les Dieux immortels , confervateurs
de la République , qui lui avoient
infpiré le courage , & donné la force pour
venir à bout d'une fi grande entreprife . Il
en prit à témoin le peuple qui l'écoutoit .
A peine eut-il ceffé de parler que toute la
place retentit d'applaudiffemens . Le
ple jura auffi que Ciceron avoit dit la vé
rité ; & lorfqu'il defcendit de la tribune
en fimple particulier , après avoir quitté
les marques de fa dignité , & renvoyé fes
Licteurs & fon cortege confulaire , tout le
peuple le reconduifit à fa maifon comme
en triomphe , laiffant les Tribuns feuls ,
outrés de voir que l'affront qu'ils avoient
préparé à Ciceron , tournoit à leur confufion.
peu-
Cependant ce Confulat fi beau , fi utile
à la République fut caufe de l'exil de Ciceron.
Il fut accufé d'avoir fait mourir
dans la priſon , fans les avoir fait condamner
dans les formes ordinaires , Céthegus
, Lentulus , & d'autres Citoyens ,
convaincus d'être complices de Catilina,
JUILLET. 1756. 37
quoique cette exécution eût été faite par
ordre du Sénat , & pour arrêter une fédition
prête à éclater. Mais malgré l'impatience
avec laquelle Ciceron fupporta cet
exil , comme il l'exprime lui -même dans
fes lettres , je ne fçais fr , fenfible à la
gloire , comme il l'étoit , & à l'amour que
fes Citoyens témoignerent pour lui , il
n'eût pas été très - fâché de n'avoir pas éré
exilé . Son rappel a quelque chofe de fi
honorable , que je ne crois pas qu'il foit
arrivé rien de pareil à aucun Citoyen . Tous
les honnêtes gens de la République concoururent
avec plaifir aux efforts de Céfar
& de Pompée pour faire revenir Ciceron.
Son retour fut fi brillant & fi glorieux , il
reconnut fi bien l'amour que fes Citoyens
lui portoient , ils en témoignerent leur
joie d'une façon fi vive & fi naturelle ; il
s'en explique lui-même en des termes fi
magnifiques & fi reconnoiffans , qu'il im
prime dans le coeur de ceux qui le lifent
les mêmes fentimens que les Romains
avoient pour lui.
Il trouva à fon retour en Italie un nombreux
cortege de citoyens qui venoient le
féliciter , Sénateurs , Chevaliers , peuple ,
tous s'empreffoient à lui témoigner leur
joie. Il fembloit , dit- il avec exagération ,
que la ville de Rome fût fortie de fes fonde
38 MERCURE DE FRANCE.
mens pour venir au devant de moi . Tous les
peuples de l'Italie me porterent fur leurs bras
jufques dans ma patrie.
C'eft le fentiment de prefque tous ceux
qui croient connoître Ciceron de l'accufer
d'avoir manqué de courage ; mais je crois
que c'eft faute de l'avoir bien étudié. Les
plaintes , les regrets & les lamentations
répandues dans les lettres qu'il a écrites
pendant fon exil , ont donné lieu de mal
parler de lui du côté du courage : mais nẹ
pourroit-on pas attribuer à la fenfibilité de
fon coeur la façon peut- être trop trifte
dont il s'exprime , lorfqu'il penfoit que
Clodius , fon plus mortel ennemi , perfécutoit
avec la derniere rigueur fa femme ,
fes enfans , fon frere , fes amis , que fes
maifons de la Ville & de la campagne
avoient été brûlées & rafées , & fes biens
pillés ? Lorfqu'il fe voyoit hors de l'Italie ,
manquant des chofes néceffaires , éloigné
de Rome où il avoit été fi brillant , ne
lui étoit- il pas bien permis de fe plaindre
amérement ? Si l'on examine le cours de fa
vie , l'on verra que dans fa jeuneffe il avoit
été à la guerre comme tout Citoyen y étoit
obligé , fans qu'on lui eût reproché aucun
manque de courage , ainfi qu'on avoit fait
à Démofthene , pour avoir , en fuyant d'u
ne bataille , demandé la vie à un buiffon >
JUILLET. 1756. 32
auquel fon habit s'étoit accroché. L'on
fçait que Ciceron a été Gouverneur de
Cilicie , qu'il avoit commandé l'armée de
fa Province fans avoir reçu d'échec , &
avec aſſez de diſtinction pour avoir été
proclamé Empereur par fes foldats. Il eft
vrai qu'il avoit préféré à la gloire qui s'aquiert
par les armes , celle de fe rendre,
le maître des délibérations du Sénat & du
peuple ; en un mot de régner , pour ainfi
dire , à Rome , par fon éloquence , plûtôt
que d'expofer cette gloire à la difcrétion
de la fortune , qui a tant de part aux événemens
militaires : mais fon courage fe
fait bien connoître dans la découverte de
la conjuration de Catilina. Il fçavoit parfaitement
que la plupart des Grands de l'Etat
, que Céfar même , y trempoient , &
qu'il fe faifoit des ennemis jurés , des complices.
Cependant aucune crainte ne peut,
l'empêcher de punir les plus coupables.
C'est une grande marque de courage &
de fermeté d'avoir fçu méprifer les menaces
des amis de Catilina & leurs reffentimens
, auxquels il a été expofé toute fa
vie , & dont il a foutenu les attaques avec.
la derniere vigueur. La haine de Marc-
Antoine , jointe à fa puiffance , n'étonne- ,
rent pas Ciceron , & ne l'empêcherent pas
de s'élever contre lui avec cette force &
40 MERCURE DE FRANCE.
cette véhémence dont font remplies les
belles oraifons qu'il nous a laiffées .
Mais ce qui couronne fa gloire & fon
courage , c'elt fa mort. Pourfuivi par les
affaffins d'Antoine , après avoir pris d'inutiles
mefures pour les éviter , il leur préfente
fa tête avec une intrépidité qui les
étonne, & fufpend pour quelque tems leurs
coups. Aucuns regrets , aucunes plaintes
ne fortent de fa bouche. Il abandonne'
fans regret une vie qui étoit devenue un
fardeau pour lui , comme il s'en explique
dans fes lettres à fes amis , où il déclare
qu'il n'a confervé une vie qui lui eft odien-
Se , que pour rendre encore fervice à la République
, fi l'occafion s'en préfente.
Con bien peu de perfonnes fçavent ce
que c'est que le véritable courage. Tel a
affionté dans les combats & dans les fieges
une mort incertaine , qui , s'il la voyoit
devant les yeux , feroit peut - être voir une
indigne foibleffe , & tel qui n'a pu fuppor
ter avec courage fes infortunes & fes malheurs
, s'eft donné la mort pour les finiry
au lieu que Ciceron , fans la chercher , a
reçu avec fermeté & fans effroi , celle que
le deftin lui préparoit ; & l'on peut dire
qu'il mourut fans orgueil & fans foiblelle.
Il ne fera peut- être pas fi facile de juftifier
la vanité de Ciceron , qui révoke
JUILLET. 1756. 41
fouvent ceux qui lifent fes ouvrages ; on
y reconnoît du moins que fa vanité n'eft
pas accompagnée d'orgueil , vice infuportable
aux autres . L'on fouffie très-impatiemment
de fe voir avili par un orgueifleux
, qui manque fouvent de mérite , le
défaut d'efprit étant affez ordinairement
affocié avec l'orgueil : mais la vanité va ra
rement fans mérite. L'homme vain cher
che à être applaudi comme il eft ama
teur de la louange , il cherche à la méri
ter ; il n'en eft pas avare pour les autres
afin d'attirer leurs applaudiffemens. Il ne
heurte pas de front leur amour - propre
comme l'orgueilleux . La vanité étoit le
foible de Ciceron ; mais en récompenfe il
louoit avec le plus grand plaifir les bonnes
qualités des autres fes écrits font
remplis des louanges des grands hommes
de fon temps . Celles qu'il donnoit
étoient affaifonnées de tant de graces &
d'efprit , qu'on les goûtoit avec plaifir ,
& qu'on fe trouvoit volontiers difpofé à
lui paffer fa vanité . Je penſe d'ailleurs
qu'il croyoit cette vanité néceſſaire pour
fe faire valoir , parce qu'il y a des occa
fions où un homme d'Etat peut avoir de
bonnes raifons de fe donner des airs de
vanité en public. Les grands caracteres
doivent connoître leur prix , & fentir leurs
42 MERCURE DE FRANCE.
forces , furtout lorfqu'il eft question de
fervir l'Etat. Ils doivent produire leurs
talens au grand jour , afin qu'on en puiffe
faire ufage : rarement lorfqu'ils font connus
manque-t- on de les employer ; l'homme
modefte & craintif refte fouvent dans
Pobfcurité. Ainfi cette vanité n'étoit peutêtre
pas un vice dans Ciceron : c'étoit un
défir , peut- être trop ardent , de faire connoître
qu'il avoit été utile à la Républi
que , & qu'il cherchoit l'occafion de l'ê
tre encore après en avoir donné de fi belles
preuves. On peur donc lui pardonner
ces échappées de vanité qui partoient de
l'abondance du coeur , & on doit le faire
d'autant plus volontiers , que dans le fonds
il les bâmoit lui même . Il avoit fait en
plein Sénat un difcours dans lequel il avoit
parlé magnifiquement de fon Confulat ;
il est le premier à s'en mocquer , tant il
en fent le ridicule ; il écrit fur ce fujet à
fon ami Atticus. Vous connoiffez mes exclamationsfur
cette matiere ; ellesfurent figrandes
, que je ne daigne pas les rapporter ; vous
devez les avoir entendues d'Aibénes où vous
êtes.
La fuite au prochain Mercure.
JUILLET. 1756. 43.
TREMBLEMENT DE TERRE ,
Arrivé chez les Fourmis.
Près d'un
FABLE.
Rès d'un chêne entouré d'une fource féconde ,
Dames Fourmis depuis long- temps
Avoient & la Ville & les Champs.
Ce gîte leur fembloit toute la terre ronde :
Cette fource étoit l'Océan..
L'autre rive eût fans doute été le nouveau
monde ,
Si dans l'art de traverser l'onde ,
Hl fe fût trouvé là quelqu'Infecte fçavant.
Reines de l'univers , tout ce qui le décore
Leur offre des plaiſirs, ou charme leurs ennuis :
Pour réjouir leurs yeux on voit briller l'aurore.
Le Ciel en leur faveur fit les jours & les nuits ;
Il créa les faifons encore.
grace ,
Le Ciel eft trop flatté qu'une Fourmi l'honore :
Il le faut avouer , nous fommes d'un grand prix ! -
Ainfi parloit cette chétive race ,
Tandis qu'au Créateur elle eût dû rendre
De vivre de fétus , d'exifter feulement.
La frayeur rabattit leur caquet infolent.
Borée un jour fouffloit , & fur la fourmilliere
Il fit tomber un gland,
44 MERCURE DE FRANCE.
Sa chûte fut fatale à plus d'un habitant
Et répandit l'effroi jufques fur la frontiere,
Il pefe à la nature entiere .
La terre en a tremblé de l'Aurore au Couchant.
L'avez-vous fenti , ma Commere ?
Envain nous avons cru le Tout- puiffant jaloux
De notre fragile exiſtence.
Tout nous vient de lui feul , il n'attend rien de
nous.
Rendons grace à fa bienveillance ,
Et craignons fon jufte courroux.
'Ainfi l'orgueil fit place à la reconnoiffance .
Ce que les dons du Ciel n'avoient pu fur leur
coeur ,
Un coup de vent en eut l'honneur.
Autant en eft de nous , gens ingrats que nous
fommes.
Fourmis & moins encore aux yeux du Tout-puiffant,
Le caprice d'un élément
Fait fléchir devant Dieu l'orgueil altier des hom
1
mes ,
Tandis qu'aux dons de Dieu perfonne ne fe rend..
J. L. AUBERT.
JUILLET . 1756. 45
L'AVANTAGE DE LA RELIGION
Dans l'Adverfité.
ODE .
VAine & fiere philofophie ;
Tu m'enivres d'un fol espoir ,
Contre le fort qui m'humilie ,
Quand tu me vantes ton pouvoir.
Pour chaffer l'ennui qui me preffe
J'attends l'effet de ta promeffe ,
Inutile & foible fecours !
Malgré tón appui que j'implore
Le noir chagrin qui me dévore
Ne finira qu'avec mes jours.
Mon coeur fera-t'il donc fans ceffe
En proie aux cuifantes douleurs ?
Jamais d'une aimable alégreffe
Ne fentirai-je les douceurs ?
Quoi ! faut-il que dans l'amertume
Mon plus bel âge fe confume ,
Sans goûter jamais de plaifirs !
Tandis que d'illuftres coupables
Coulent , toujours infatiables ,
Des jours au gré de leurs défirs.
46 MERCURE DE FRANCE.
N'aurois-je eu du Ciel en partage
La raifon & le fentiment ,
Que pour le cruel avantage
De mieux reffentir mon tourment !
Dans ma fombre mélancolic
Je fuis près de porter envie
Au fort des plus vils animaux.
La raison qu'en nous on admire ,
Sur eux n'exerce point d'empire :
Il font fujets à moins de maux.
Mais quoi quelle vive lumiere
Soudain s'éleve dans mon coeur ?
Cede , raiſon frivole & fiere ,
Un Dieu diffipe mon erreur.
J'avois pu , m'oubliant moi - même,
Du Dieu qui m'a fait & qui m'aime ,
Ingrat , méprifer la bonté :
Mais , par fa grace qui m'éclaire ,
Je vois que l'homme fur la terre
Eft heureux dans l'adverfité.
Quel eft donc ce bonheur fuprême
Dont jouiffent tes favoris ?
Fortune aveugle , eft- ce le même
Que Dieu prodigue à fes amis ?
Plaifirs , amuſemens frivoles
Encens offert à des Idoles ,
JUILLET. 1756. 47.
Voilà ce bonheur fi vanté :
Mais dans ce pompeux étalage ,
Qu'apperçoivent les yeux du fage ?
Une ombre de félicité.
Riche , à quoi fert ton impofture ?
Tu veux que l'on te croye heureux :
Envain tu forces la nature ,
Tu ne tromperas pas mes yeux.
Ta fuperbe magnificence ,
Et ta fomptueufe opulence ,
Qu'offrent-elles à mes regards ?
Un fantôme , une ombre légere ,
Un manteau couvrant la mifere
Qui t'accable de toutes parts.
Réfléchis , & rends-toi juftice :
Ce vuide affreux que tu reffens ,
Ces plaifirs qui font ton fupplice ,
Te donnent-ils d'heureux momens ?
Par fes remords ta confcience
Sçait bien de toi prendre vengeance
Et troubler ta félicité :
Mais l'affligé que Dieu conſole ,
Privé de ta grandeur frivole ,
D'aucun regret n'eft tourmenté.
48 MERCURE DE FRANCE.
Vois cet innocent qu'on opprime ,
Daigne arrêter fur lui les yeux
Son innocence a fait fon crime ,
Son châtiment le rend heureux .
Oui , fon état eſt déſirable ,
Et fon malheur eft moins durable
Que l'éclair qui nous éblouit :
Mais fût- il plus à plaindre encore ;
Son Dieu le chérit ; il l'adore ,
Et fon tourment s'évanouit.
Jamais il ne fut far la terre
De vrais malheurs pour les Elus :
A Job Satan livre la guerre ,
Mais fes efforts font fuperflus.
Des horreurs de fon indigence.
Il efpere la délivrance ,
Et fon efpoir fait fon bonheur.
Que fon fier ennemi redouble ,
Job eft tranquille , & rien ne trouble
La paix qu'il goûte dans fon coeur,
Je ceffe , ô mon Dieu ! de me plaindre ;
Trop heureux dans mon trifte fort.
Je n'ai déformais rien à craindre ,
Ni l'adverfité , ni la mort :
Oui , quelques revers qui m'accable ,
Je louerai ton nom adorable ,
Ta
JUILLET. 1756 . 49
Ta volonté fera ma loi ;
Et malgré mes vives allarmes ,
Rien ne fera couler mes larmes
Que d'être féparé de toi .
DE LATTRE.
RÉPONSE
Al'Effai de M. Hume , fur le Caractere des
Nations , par M. l'Abbé Regley.
IL
n'y avoit qu'une chofe à dire fur la
nature de l'ame ; on en a fait des fyftêmes
par conjectures , & enfin ce ne font que
des conjectures. Les uns la rangent du
côté de la matiere , les autres veulent bien
la mettre dans la claffe des efprits. Un Sça--
vant a décidé que notre esprit eft conforme
aux lieux qui l'ont vu naître , & c'eſt depuis
ce moment que l'on fe repofe tranquillement
fur le climat du foin de former
les caracteres , & peut-être la penfée .
M. Hume vient de retirer ce privilege
au climat pour en faire un préfent aux
caufes morales . Ces caufes font un état
tranquille , ou plein de révolutions ; la
douceur ou la dureté d'un Gouvernement ;
Vabondance des récoltes , ou la difette des
II.Vol. C
fo MERCURE DE FRANCE.
grains ; la fituation d'un pays , & des circonftances
femblables.
Ce fentiment , quoiqu'il foit étayé par
l'érudition , fouffre des difficultés qu'il ne
détruit pas . M. Hume n'omet rien de tout
ce qui peut nous mener à la connoiffance
des difpofitions paffageres de l'efprit d'une
Nation , ou , fi l'on veut , de ces caracteres
d'emprunt que donnent les pertes , ou les
fuccès. Mais il eft un caractere habituel
qui tient à l'ame & au climat , & qui ne
fuit point les événemens : c'eft celui que
l'on trouve dans chaque individu . Il eft
particulier , il eft varié , il fe perd dans
l'infini , & fi on ne le prend pas dans la
combinaiſon des caufes phyfiques , il ne
peut être que l'effet du concours des caufes
phyfiques & morales .
On connoît le méchanifme des paffions ;
on fçait que l'union des deux fubftances
dans l'homme confifte dans la réciprocité
des mouvemens que l'une excite dans l'autre
, & que
toutes
deux
éprouvent
à la fois.
L'ame
, il eft vrai
, tient
les rênes
du Gouvernement
, mais
elle
a un
contrepoids
qui
l'entraîne
. Nous
avons
des
actions
dans
lefquelles
le corps
doit
donner
fon
fuffrage
. Et quelles
modifications
différentes
ne reçoit
- il pas dans
fes
organes
du
côté
de l'air
du climat
, par
les
humeurs
JUILLET. 1756.
qui l'animent , ou par les objets qui l'environnent
? Nous fommes forts par tempérament
, & foibles de même ; la trif
teffe & la gaieté n'ont- elles rien qu'elles
tiennent de lui ? Une mauvaife digeftion
nous affecte jufques dans l'ame , & on ne
veut pas que d'autres caufes puiffent produire
d'autres effets .
Si l'on parcourt le Tableau du génie des
Nations , les caufes extérieures & morales
paroîtront quelquefois en former les nuances
, mais l'avantage reftera toujours au
fol & à l'air natal. On a vu les Perfes ,
mous & efféminés , devenir comme par
hazard , laborieux & conquérans fous Cyrus
: c'eft un fleuve qui s'enfle par une
fonte de neiges. Bientôt ils font retombés
dans leur molleffe naturelle , fous des
Princes moins entreprenans , & le font
fait battre par une poignée de Macédoniens.
Les Romains au contraire , courageux
par orgueil , n'ont rien voulu rabattre
de leur fierté devant Pyrrhus & Annibal.
Les anciens Grecs étoient perfides ,
leurs defcendans le font encore . Les caufes
morales font-elles les mêmes ? Le Juif
porte toujours dans les yeux & dans les
traits le feu du climat dont il eft originaire
; avare & trompeur par la force du
fang qui fe perpétue dans fes veines. L'Ef-
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
pagnol , forcé autrefois d'être fous les armes
contre un ennemi préfent , eft rentré
dans l'inaction qui fait fon caractere , fitôt
qu'il n'a point eu de Maures ou de Hollandois
à combattre. Le Hollandois a toujours
eu un tempérament aquatique au
milieu de fes marais ; & le Suiffe un courage
égal dans fes pâturages ou dans fes
montagnes.
Il eft vrai que les Ilotes affervis par les
Lacédémoniens , les Efclaves que l'on vendoit
, les Serfs que l'on affujettiffoit , ont
pu ne pas montrer plus de fentimens que
les Negres que l'on trafique dans nos Colonies
; mais le germe en étoit -il éteint
dans eux , & de quoi leur eût fervi l'émulation
de la gloire ? Ces fituations , & de
femblables , peuvent prêter un caractere
factice , mais on ne les verra jamais en
déterminer un , en conftituer le fonds ,
ou le détruire.
Si la nature d'un Empire orgueilleux
de fes victoires , ou humilié par fes défaites
, déterminoit le caractere d'un peuple
entier , il faudroit que les membres qui
compofent ce peuple , fuiviffent le fort
de ces caufes accidentelles , & fe prêtaffent
à toutes leurs variations : mais files
caufes ne font que morales , d'où leur
viendra cette force de déterminer d'ailJUILLET.
1756. 53
leurs le vulgaire en eft- il jamais affez bien
inftruit pour prendre une habitude de
mours , ou la dépofer à leur gré. Le Payfan
cloué à fon village , n'eft jamais dans
le cas d'être informé de la perte ou du gain
des batailles , du progrès des fciences &
des Arts , des productions naturelles des
provinces , des manufactures , du commerce
, & même de la conftitution du
Gouvernement àpeine fçait-il le nom de
fon Roi. Sur qui donc tombera la dénomination
générale de fageffe , de fourberie
, de bravoure , de groffiéreté , d'ignorance
? Sur le Courtifan , ou fur ceux qui
cultivent les Lettres & les Arts : mais il y
a encore de la diffemblance entre eux , &
ils ne font que la moindre partie de la
Nation. On ne peut affeoir un jugement
fur les caracteres que par le détail des paffions
; quel moyen de parvenir à ce calcul
des individus ? La nature a mis autant de
variété dans les efprits qu'elle en a répandu
fur les vifages : on eft encore à cher
cher deux hommes exactement femblables.
A-t'on trouvé deux ames d'une fympathie
entiere dans les talens , dans les moeurs ,
dans les paffions & dans le goût ?
Que l'on ne fe rejette pas fur l'unifor
mité du caractere des Chinois , nous ne
connoiffons ce peuple que par les menfor .
C iij
54 MERCURE DE FRANCE .
ges de nos voyageurs qui fouvent n'ont
vu que les tours de Pekin avec des lunetres
d'approche. La France à moins de variations
dans fes climats , beaucoup de vaxiété
dans le génie de fes peuples. Quelle
différence ne remarque-t'on pas entre la
douceur du Bléfois & la dureté du Provençal
; entre l'épaiffeur du Limousin , &
le feu du Gafcon ? Le Bas- Breton n'eft femblable
qu'à lui - même ; & pour me fixer à
deux exemples , où font les degrés de fimilitude
entre le Bourguignon & le Normand?
Le Normand toujours prudent & rufé ,
met beaucoup de circonfpection dans fes
démarches . Il compaffe fes fourberies , &
trompe par combinaiſon. Brave par tempérament
, laborieux par goût , adroit
intéreffé,
Le Bourguignon auffi brave , & moins
circonfpect a plus de franchiſe & de feu:
tout eft action chez lui jufques dans le
difcours ; il ne fe fait point une étude de
l'art de tromper, & fouvent il eft trompé
lui-même.
La colere du Normand eft un feu lent
qui a peine à s'allumer & à s'éteindre
celle du Bourguignon eft un éclair paffager
qui brille , & ne laiffe aucunes traces
après lui. La fociété du Normand eft trif
>
JUILLET. 1756. 55
te , fes plaifirs font graves , il y a de la
péfanteur jufques dans fa gaieté : le commerce
du Bourguignon eft enjoué , fa volupté
eft riante , quelquefois même un peu
folâtre & enfantine .
Ces peuples cependant vivent dans un
même Empire , & les révolutions de l'Etat
font les mêmes pour eux. Pourquoi tant
d'oppofition dans les moeurs ? celle qui fe
trouve dans les productions de leur terroir
, dans la pofition des lieux , dans la
nature du tempérament , dans les alimens ,
Fair , le climat enfin. On montre même
des cantons en Normandie , dans lefquels
les Normands font plus Normands qu'ailleurs.
Les Canois n'ont pas varié un inftant
depuis Raoul jufqu'à nos jours.
La même différence fe remarque dans
ceux de ces peuples dont les Arts ont
échauffé le génie. Comparons encore les
Grands Hommes que la nature a pris plaifir
à Y former pour la Littérature & pour
les talens.
Rouen a vu naître le fçavant le Tourneux ,
qui dans un temps où il apprenoit encoreles
Sciences , fçut en faire naître le goût
au fameux le Tellier , & qui nous a laiffé
tant de pieux ouvrages.
Le Pere Sanadon connu dans le monde
littéraire par fes Traductions & par fes
Poélies. Giv
56 MERCURE DE FRANCE.
Le Pere Brumoi , Auteur du Théâtre
des Grecs.
Le Pere Daniel , fi verfé dans la Théologie
& dans l'Hiftoire.
Le Pere Alexandre Théologien , auffi
laborieux que modefte .
L'Abbé Desfontaines , auffi mordant
dans fes critiques, qu'il eft élégant dans fes
traductions.
Les Banages , S. Amand , l'Emery , qui
le premier a fçu débrouiller le cahos de la
Chimie , & l'art de l'enfeigner.
Lucas fçavant Antiquaire , & trop
Normand dans la relation de fes Voyages.
Jouvenet dont le génie pour la Peinture
s'eft affez développé par un pinceau
né pour le grand .
Enfin Pierre Corneille , qui feul me
difpenfe d'en nommer d'autres , & fon
illuftre frere , le fameux Cadet de Normandie.
Dijon a donné à la France le grand
Boffuet que l'Eglife eût mis au rang de
fes Peres dans des fiecles antérieurs ; Hif
torien , Théologien , Orateur , modele
inimitable dans tous ces genres.
Le Préfident Bouhier que la Jurifprudence
révere.
Le Miniftre Jeannin , fi cher à Henri
JUILLET . 1756. 57
fon intégrité , & fi inftructif dans
fes Mémoires .
IV par
Le célebre Moreau qui a fi bien fçu
donner à la Poéfie cet air naturel qui en
fait l'agrément.
L'aimable la Monnoie , judicieux dans
fa critique , amufant dans fes Noëls.
M. de Buffon à qui la nature elle-même
a pris la peine de dicter fon hiftoire.
M. de Crébillon , l'honneur du Cothurne
& les délices du Théâtre.
M. Piron qui a fait paffer dans fes veines
tout le feu d'Horace .
M. Rameau qui a montré à l'univers
des accords ignorés avant lui , admiré de
l'étranger , & fi cher à nos plaiſirs par
fublimes beautés de fes Opéra.
les
M. Balbaftre qui , fur les pas de ce
grand homme , vient de donner un nouveau
genre de Mufique dans notre Concert
Spirituel par des Concerto & fymphonies
d'Orgue ; génie heureux dans lequel
la compofition & l'exécution paroiffent
également fe difputer l'avantage.
•
Si je voulois fortir des bornes de la
Normandie & de la Bourgogne , je citerois
encore un de ces hommes qui feuls
feroient l'honneur de leur Province ; c'eft
M. Mondonville , né à Narbonne , &
que tout l'univers connoît. Quelqu'un a-
Су
38 MERCURE DE FRANCE.
t'il jamais rendu plus majestueufement les
vérités du Texte faint ? On diroit à entendre
fes Motets que la Mufique eft un
être qui refpire , & que la main du Maître
lui a donné l'intelligence & la penſée. Sa
Province n'eft pas la même que celle de
Meffieurs Rameau & Balbaftre , & il porte
cette différence jufques dans fes ouvrages.
Preuve nouvelle que la nature confulte
quelquefois la patrie pour diftribuer fes
dons , & qu'elle fçait varier les talens felon
les climats. Mais je reviens à mes Bourguignons
& à mes Normands .
La Normandie & la Bourgogne ont
fourni beaucoup de Sçavans à la France ,
& il n'eft aucun de ces Sçavans qui ne
porte dans fes écrits le caractere particulier
& propre à fa Province . Le ftyle du
Normand eft majestueufement trifte ; celui
du Bourguignon eft léger , & toujours
fleuri. Le Normand étend fes idées , le
Bourguignon reftreint les fiennes . Dans.
l'un on voit une imagination rêveufe qui
s'attache profondément à un objet pour en
développer tous les rapports ; dans l'autre,
cette imagination prend un vifage riant ,
& voltige fur les fleurs. On croit appercevoir
des couleurs naturelles , qui ne font
nuancées que par la gaieté du pinceau .
Enfin quelle que foit l'action des caufes
JUILLET. 1756 . 59
univerfelles & morales , il ne me paroit
pas qu'on doive leur attribuer tous ces
différens effets . Elles ne peuvent apporter
aucune détermination , parce qu'elles n'ont
toujours été qu'une occafion de fe déterminer.
Si leur influence eft femblable ,
leur prétendue opération devra l'être , ce
qui ne fe trouve pas. Mais qu'on leur
ajoute des cauſes particulieres , qui combinées
avec elles , affectent différemment ,
& modifient de même , je ne ferai plus.
étonné de voir fortir de ce mêlange la
prodigieufe diffemblance qui fe rencontre
dans l'efprit des hommes.
A proprement parler , il n'y a point de
caractere National. Je ne prétends pas
même en établir un qui convienne univerfellement
aux peuples de la Normandie &
de la Bourgogne. Mais il fe trouve dans
une Nation , dans une Province , dans une
campagne , un certain nombre de caracteres
qui approchent plus de telle verta , ou
de tel vice , & ils font l'effet du concours
des caufes générales & particulieres.
Cvjz
60 MERCURE DE FRANCE.
L'A FRANCE ,
Divertiffement héroïque & paftoral fur la
Naiffance de Monfeigneur le Duc de
Bourbon , à Leurs AA. SS. Monfeigneur
Madame la Princeffe de Condé .
La Mufique eft de M. Blainville.
La France , Troupe de Guerriers.
Qu
Choeur.
Ue tout applaudiffe ,
Que tout retentiffe ..
De nos concerts.
Que fans ceffe
Des chants d'alégreffe
Rempliffent les airs.
Que tout applaudiffe , &c .
La France feule , Air de récit.
Mars & l'Amour partagent mon Empire.
On ne reſpire
Dans ces climats
Que les plaifirs & les combats :
Mars & l'Amour partagent mon Empire.
Ariette.
Tandis que fur les flots mes généreux Guerriers
Vont cueillir de nouveaux lauriers ,
JUILLET. 1756.
61
L'Amour fenfible à notre gloire
Nous fait naître un Condé : ce don fi précieux
Eft un gage de la victoire
Qui doit voler au devant d'eux.
On reprend l'ouverture , & le Chaur :
Que tout , & c.
Un Guerrier feul.
Dans ces lieux confacrés à la Gloire , à l'Amour ,
Déja mille Bergers chargés des dons de Flore ,
Pour célébrer cet heureux jour ,
Conduits par le Dieu Pan , ont dévancé l'Aurore.
Pan , Troupe de Bergers & de Bergeres .
Les Acteurs précédens.
Un Berger & une Bergere.
Duo.
Nous avons du fond de nos bois
De la France entendu la voix .
Choeur.
Nous avons , & c.
Duo.
1
Nous venons rendre un hommage
Qu'aucun Héros ne partage ,
S'il n'eft né du ſang de nos Rois.
Choeur.
Nous venons , & c .
62 MERCURE DE FRANCE.
Pan , feul. Air de mufette.
Taifez-vous , bruyantes Trompettes ¿' .
Laiffez réfonner nos Mufettes .
Leurs tendres accords
Sont les interpretes
De nos tranſports.
Le Guerrier aux Bergers & Bergeres.
Ariette.
Des fleurs que le Printemps vous donne ;
Parez de cet Enfant les innocens appas
Hatez-vous , & n'attendez pas
Qu'il croiffe & fe couronne ,
De celles qu'un Condé moiffonne
Dès les premiers pas
Qu'il fait dans les champs de Bellone
Des fleurs que le Printemps , & c.
Un Berger & une Bergere .
Duo.
Danfons , chantons , livrons-nous
Aux tranſports les plus doux.
Choeur.
Danfons , &c.
Duo.
C'est par nos danfes légeres ,
C'eft par nos chants joyeux ,
Que nos coeurs finceres
JUILLET. 1756 .
63
Honorent les Dieux.
Choeur.
C'eft par , & c.
Un Berger feul.
Prince , dont la tendre jeuneffe
Cache encor un Héros
Sous les traits du Dieu de Paphos ,
Daignez dans ce jour d'alégreffe
Vous montrer fenfible à nos voeux :
Daiguez préfider à nos jeux.
Une Bergere feule .
Et vous , belle Princeffe ,
Si vous paroiffiez en ces lieux ,
Les Dieux defcendroient des Cieux.
Que la fête feroit brillante !
Nous les verrions accourir tous.
Chacun d'eux croiroit voir en vous
La Divinité qui l'enchante.
On reprend le Duo , & le Choeur dit
Danfons , chantons , & c.
64 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
;
Monfieur , la demande que vous me
faites par le Mercure de Juin du Madrigal
fur le Volant , m'a caufé autant de furprife
que de plaifir. Je ne me ferois jamais imaginé
que vous l'euffiez égaré, je penfois que
Yous l'aviez mis au rebut : quelques originaux
de ces cantons le croyoient auffi
ils ont eu même la politeffe de me le témoigner
je voyois que cette idée les réjouiffoit.
Les uns , ce font les Créfus d'ici
, affectant un vif intérêt pour ma fortune
, dont je ne fuis pas la dupe , difoient
: Cela le corrigera peut- être : les vers
empêchent un jeune homme de faire fon
chemin , & c. Les autres , étonnés de la façon
dont je prenois ce qu'ils appelloient
mon humiliation
, me qualifioient de Philofophe
, fans fe douter feulement de ce que
c'eft . Une femme à prétentions , choquée
de ce que je donne dans le fentiment , au
préjudice de fes graces , s'étoit rangée du
parti des raisonneurs , & fur quoi a- t- elle
raifonné ? Sur ma figure. Deux petits maîtres
( car ils gagnent la province ) ont épuiJUILLET.
1756. 65
fé le bel art des mines. Après avoir longtems
pirouetté avec une adreffe imcompréhenfible
, ils fe font , tour -à- tour , falués
dans une glace , & fatisfaits , on ne peut
davantage , de leurs jolies perfonnes , fe
font , en fortant , juré à l'oreille , c'est - àdire
, très -haut , que je devois être défefpéré.
Voilà , Monfieur , ce qui m'eft arrivé
exactement. Ce qui m'amufe beaucoup aujourd'hui
, ce font les efpeces de réparations
de tout ce peuple cenfeur . Je fus tranquille
dans mon revers , je fuis modefte
dans mon triomphe : je ne ceffe de répéter
que je n'en fuis redevable qu'à votre indulgence
, & mes critiques ne ceffent de me
contredire , & par- là , de fe contredire euxmêmes
, fpectacle fort plaifant felon moi.
Un Madrigal faire tant de bruit ! En vautil
la peine ? Je crains qu'on ne réponde
non. Je l'ai encore retouché , je vous en
laiffe néanmoins , Monfieur , entiérement
le maître. Vous me trouverez toujours
foumis à vos décifions , & je vous remercierai
, lors même que vous me refuferez ,
perfuadé qu'il n'eût pas été de mon avantage
d'être accepté . J'ai l'honneur d'être
, & c.
G. ***
66 MERCURE DE FRANCE.
>
LE VOLANT ,
MADRIGA L.
Voici la peinture fidelle
>>De cet Etre qu'on nomme Amant ;
Me dit Thémire , un jour que cette Belle
Avec moi jouoit au volant.
» De tous côtés voyez comme il voltige !
Hélas ! je vois , lui répartis-je ,
Qu'ainfi que ce volant vers vous toujours lancé ,
Mon coeur fans ceffe eft repouffé.
De Chartrait , près Melun , ce 21 Juin
1756.
LES YEUX D'IRIS ,
Rêve fingulier.
Dans un moment où j'éprouvois que
de fommeil n'eft pas toujours l'image du
trépas , les Cieux fe font ouverts , & j'y ai
vu une fi grande quantité de belles femmes
, que j'ai eu peur d'être devenu Mahométan
fans m'en douter. Je commençois
avec embarras mon examen de conſcience
, lorſqu'une fymphonie tendre &
JUILLET . 1756. 67
harmonieuſe a comblé le trouble de mes
fens , & m'a rendu affez indifférent fur
tout ce que je pouvois être. Je me fuis
approché d'un trône , dont la fingularité
m'a frappé : il étoit fait d'une feule rofe.
Un enfant (qui , s'il n'étoit pas l'Amour,
étoit bien digne de l'être ) , le rempliffoit
avec des yeux charmans & que je croyois
reconnoître . J'en ai quitté hier , difois - je
avec réflexion , qui reffembloient bien à
ceux - ci ; mais ce ne font pas eux : ils ne
peuvent tout à la fois être ici & là . Il eft
vrai que pour un être auffi borné que
toi , cet événement eft fingulier , me dit
l'enfant , qui occupoit le trône , & que
je reconnus bien alors : mais apprends que
lorfque j'eus fait ces yeux que tu admires
, les Dieux furent fi jaloux du bonheur
des mortels , qu'ils exigerent de moi que
je leur en ferois part , & voici l'expédient ,
qu'ils imaginerent pour cela , & qui fut
une bonne fortune pour un aveugle tel
moi. Ils conclurent ,
que
dès que
phée les auroit fermés , j'aurois foin de
m'en parer à leurs regards , afin qu'ils euffent
le plaifir de s'y mirer ; & comme je
fuis obligé de laiffer là -bas , pour la forme ,
les panpieres qui les embelliffent , ma mere
ici veut bien leur prêter les fiennes.
Cette explication me prouva ce dont je
que
Mor68
MERCURE DE FRANCE.
me doutois déja , que nous autres mortels
raifonnons toujours fans fçavoir ce que
nous difons.
LE PARNASSE FRANÇOIS ,
Executé en Bronze.
ODE
A M. Titon du Tillet.
EMbrafé d'une ardeur peut- être téméraire ,
Je me livre aux tranfports d'un zele impétueux :
Mufes , j'ofe porter dans votre Sanctuaire
Un pas refpectueux.
Titon feul eft l'objet du beau feu qui m'inſpire ;
11 eft de vos talens & l'honneur & l'appui :
Vous l'aimez , pourriez - vous refuſer à ma lire
Des fons dignes de lui ?
L'ivreffe me faifit , un Dieu m'eft favorable :
Déja , fendant des airs la vafte immenfité,
Dans le féjour où vit ce Neftor vénérable ,
Je me vois tranſporté.
Architectes , Sculpteurs , Graveurs , nouveaux
Appeles ,
Suivez – moi : de vos Arts il connoît tout le
prix.
JUILLET . 1756 .
69
Yenez & vous verrez vos plus rares modeles
Briller fous fes lambris ( 1 ).
Quel fpectacle charmant ! n'eft- ce point un preftige
?
Quelle main embellit ces magnifiques lieux ?
Que d'objets éclatans ! ô merveille ! un prodige.
Se préfente à mes yeux.
Dans un grouppe élégant , chef- d'oeuvre de l'hiftoire
,
Que d'illuftres mortels s'offrent à mes regards !
Par ce bronze , Titon éternife fa gloire
Et celle des beaux Arts.
Monument précieux , incomparable ouvrage ,
Mon ame avec tranſport contemple ta beauté :
Tu ne périras point ; jufques au dernier âge
Tu feras refpecté .
Ceffe de nous vanter , orgueilleufe Phocide
Des lauriers d'Apollon tes côteaux embellis :
Ta fable difparoît , le Dieu du goût réfide
Dans l'empire des lis.
Le Parnaffe n'eft plus cet être imaginaire
Qu'Horace a dans les vers tant de fois célébré :
Il exiſte aujourd'hui , je ne dois pas m'en taire :
J'ai vu ce Mont facré.
(1 ) Les appartemens de M. Titon du Fillet font
arnés des plus beaux morceaux de peinture , fculp70
MERCURE DE FRANCE.
vous! qui dans la nuit d'une extrême ignorance,
Ne connoiffez du Pinde encore que le nom ,
Vous , qui depuis long - temps niez fon exiſtence ,
Volez tous chez Titon.
Vous y verrez des Arts l'amateur & le pere ,
Des moeurs du fiecle d'or le plus noble héritier
Un front de la vertu portant le caractere
Ceint d'un double laurier ( 1 ).
Pour chanter à l'envi ſes bienfaits & fon zele ,
Auteurs fameux , fortez de la nuit du tombeau.
Sa main à vos talens d'une gloire immortelle
Vient de mettre le fceau.
Que fur vos noms envain la critique s'épuife ,
Vous vivrez à jamais en dépit des jaloux
Et l'illuftre Titon qui vous immortalife
Doit vivre autant que vous.
O regne de Louis ! empire aimable & jufte ,
Tout devoit être grand dans un fiecle auffi beau !
Il falloit qu'il parut fous un nouvel Auguſte
Un Mécene nouveau .
ture , &c. tous de main des plus habiles Maîtres.
( 1) M. Titon du Tillet a été Capitaine de Dragons.
MEUNIER , de la Société Littéraire de
Châlons-fur-Marne.
JUILLET. 1756. 75
LETTRE
De Remerciement de Mademoiſelle de R....
à M. de Baftide.
Quelle reconnoiffance ne vous dois- je
pas , Monfieur : vous avez mis mon coeur
d'accord avec ma raiſon . J'aimois tendrement
la Marquife de ... Séduite par le
préjugé , je croyois devoir la méprifer , &
j'en étois vivement affligée. Pour me tirer
d'embarras , je me fuis adreffée vous.
Vous me permettez de l'eftimer , je m'en
tiens à votre décifion : je fuis perfuadée
que vous n'en donnez que de très - juſtes ;
& de plus elle flatte trop mon coeur pour
en appeller. Je vois avec plaifir que la
foibleffe de mon amie ne la rend point
mépriſable à vos yeux. Je puis vous affurer
que je n'ai rien ajouté à fon caractere &
à fes fentimens : vous en feriez convaincu
fi vous voyez les lettres qu'elle a écrites au
Comte de ..... je crois même qu'elles
feroient utiles au Public : elles prouveveroient
aux femmes qu'une jolie figure ,
des fentimens & une tendreffe délicate ,
ne fuffifent pas toujours pour obtenir uncoeur
ou pour le conferver : elles feroient
>
72 MERCURE DE FRANCE.
fentir aux femmes vertueufes qui méprifent
fans pitié toutes les victimes de l'amour,
peut- être parce qu'elles n'ont jamais
reffenti cette paffion, qu'une vertu exempte
de foibleffe , eft une grace qui vient de
Dieu , & que trop de préfomption peut
aifément nous la faire perdre : j'efpere que
vous me rendrez la justice de croire que
je ne veux point parler de cet amour qui
n'a que les fens pour objet , il eft indigne
de l'humanité ; mais de cette tendreffe délicate
qui a fa fource dans le coeur , qu'on
ne reffent qu'une fois dans la vie , & qui
laiffe toujours du repentir. Si je fçavois
votre adreffe , Monfieur , je tâcherois de
déterminer la Marquife de ... à vous envoyer
fes lettres , à vous en faire le juge ;
& fur ce que vous en penferiez , vous laiffer
le maître de les mettre au jour , ou de
les condamner au feu. Je pourrois lui perfuader
que la perfonne pour qui elles ont
été écrites ayant ceffé de vivre , elle n'a
plus d'indifcrétion à craindre.
Je vous remercie , Monfieur , de l'éloge
flatteur que vous avez bien voulu faire du
petit Ouvrage que je vous ai adreſſé .
L'amitié feule la dicté : c'eft fans doute
ce fentiment qui m'a rendue éloquente .
Malgré tout ce que vous me dites d'obligeant
, je me garde bien de m'ériger en
Auteur :
JUILLET. 1756. 73
Auteur je gâterois tout. Ma plume ne
feroit pas toujours conduite par l'amitié ,
& votre façon de penfer fur mon compte
eft trop glorieufe pour moi , pour que je
veuille courir le hazard de vous en faire
changer ; mais l'anonyme que je garderai ,
& mon filence à l'avenir , ne m'empêcheront
pas , Monfieur , d'avoir pour vous
l'eftime la plus diſtinguée .
J'ai l'honneur d'être , &c.
M. de Baftide prie la Dame anonyme
d'engager la Marquife de ... à lui envoyer
fes Lettres , comme elle le lui
propofe
, & d'adreffer le paquet , en l'affranchiffant
, à M. de Boiffy , de l'Académie
Françoiſe , Auteur du Mercure de France ,
qui fera charmé d'en décorer fon Recueil ,
& qui loge rue de la Harpe , près la Place
S. Michel , vis-à- vis le Café de Condé . Si
ces Lettres font auffi bien écrites que celles
de fon amie , il y a tout lieu de croire
qu'elles feront très- agréables au Public ,
& pourront fervir de leçon aux femmes
qui voudront bien en profiter.
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
VERS
A Madame Privat- de Montgeron .
JoOindre à la beauté la fageffe ,
L'Efprit à la fincérité ;
Sçavoir bien aimer fans foibleffe
Fouler aux pieds la vanité ;
Ignorer feule qu'on eft belle ,
C'est le portrait d'une Divinité ,
Dira quelqu'un : non ; c'eft d'une Mortelle ;
Ce font fes traits . Ta curiofité
Voudroit connoître un fi parfait modele .
j
Quand je voudrois cacher fon nom ,
Ma peinture eft affez fidele
Pour reconnoître Montgeron."
Par M. PETIT , Receveur particulier des
Eaux & Fores de Château Neuf, en
Thimerais.
LE mot de l'Enigme du premier Volume
du Mercure de Juillet eft la lettre
u. Celui du Logogryphe eft Errata , où
l'on trouve rat , tare , Tarare ( Montagne
en Beaujolois ) , tarare ( adverbe ) , terra ,
re.
C
JUILLET. 1756. 75
Ce qui a donné lieu à ce Logogryphe
eft l'Errata qui fe trouve à la fin du Mercure
du mois de Mai 1756 , pour le premier
Volume d'Avril , où l'on dit , même
page 72 , ligne 19 , de gente différend , lifez ,
de genre différend ; & l'on ne trouve point
dans cette page 72 , ligne 19 , de gente dif
ferent , conféquemment erreur dans l'Errata.
Pour corriger cette erreur , lifez , page
92 , au lieu de 72 .
Cette obfervation remplit la note d'attente
du Logogryphe.
Pour corriger l'Errata pour le premier
Volume d'Avril .
ENIGM E.
AJonter de l'éclat à certaine lumiere ;
Ami Lecteur , c'eſt mon devoir .
Mais notez que chez moi la choſe eft finguliere ;
J'augmente la clarté fans moi-même en avoir.
LOGO GRYPH E.
D. Dix lettres , cher Lecteur , compofent ma
Ix
ftructure ,
D'un triangle tronqué je porte la figure .
Dij
74 MERCURE DE FRANCE.
VERS
A Madame Privat- de -Montgeron.
JoOindre à la beauté la fageffe ,
L'Efprit à la fincérité ;
Sçavoir bien aimer fans foibleffe ,
Fouler aux pieds la vanité ;
Ignorer feule qu'on eft belle ,
C'eft le portrait d'une Divinité ,
Dira quelqu'un : non ; c'eft d'une Mortelle ;
Ce font fes traits . Ta curiofité
Voudroit connoître un fi parfait modele.
Quand je voudrois cacher fon nom
Ma peinture eft aſſez fidele
Pour reconnoître Montgeron .
Par M. PETIT , Receveur particulier des
Eaux & Forêts de Château Neuf, en
Thimerais .
LEE mot de l'Enigme du premier Volume
du Mercure de Juillet eft la lettre
u. Celui du Logogryphe eft Errata , où
l'on trouve rat , tare , Tarare ( Montagne
en Beaujolois ) , tarare ( adverbe ) , terra ,
re.
C
JUILLET. 1756.
75
Ce qui a donné lieu à ce Logogryphe
eft l'Errata qui fe trouve à la fin du Mercure
du mois de Mai 1756 , pour le premier
Volume d'Avril , où l'on dit , même
page 72 , ligne 19 , de gente différend , lifez ,
de genre differend ; & l'on ne trouve point
dans cette page 72 , ligne 19 , de gente différent
, conféquemment
erreur dans l'Errata.
Pour corriger cette erreur , lifez , page
92 , au lieu de 72 .
Cette obfervation remplit la note d'attente
du Logogryphe .
Pour corriger l'Errata pour le premier
Volume d'Avril.
ENIGM E.
AJonter de l'éclat à certaine lumiere ;
Ami Lecteur , c'eft mon devoir.
Mais notez que chez moi la choſe eſt ſinguliere ;
J'augmente la clarté fans moi - même en avoir.
LOGO GRYPH E.
DIXIx lettres , cher Lecteur , compofent ma
ftru &ture ,
D'un triangle tronqué je porte la figure.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
En me décomposant tu trouveras en moi
De tous les animaux le plus fort & le Roi ;
Sur les bords de la Seine une fuperbe Ville ;
Un métal dangereux qui rend tout très - facile ;
Deux fleurs formant le teint de l'aimable Cloris ;
Deux notes de muſique , un décret de Thémis ;
La fille d'Inachus & de la belle Ifmene ;
La Ville qu'embrafa le fol amour d'Helene ,
Avec l'endroit du corps , où le fils de Thétis ,
Reçut le coup mortel de la main de Pâris :
Un Poëte fameux qu'a produit l'Italie ;*
L'affemblée où Céfar vit terminer fa vie ;
Un Philofophe Grec dont les fçavans écrits
Font l'admiration de tous les beaux efprits :
Un don du Ciel qui met l'homme au deſſus des
bêtes ;
Un fleuve de l'Egypte , un des petits Prophetes ;
Un oiſeau décoré des plus riches couleurs ;
Un bien plus eftimé que toutes les grandeurs ;
Une piece au échecs ; le contraire de Cime ;
D'un Couvent de Nonains le parfait ſynonime.
Par Mademoiselle de Sauret , cadette de
Sarlat Penfionnaire aux Dames de la
Foi. A Sainte- Foi , en Agenois.
JUILLET. 1756. 77
ROMANCE
Tirée du divertiſſement de la Gageure de
Village , petite Comédie jouée au Théâtre
François , le 26 Mai 1756.
*
Cole- te l'on a biau di- re
Que l'a-mour n'eft qu'un tourment, Lorſque
pour toi je fou- pi- re , Moi , je
le trou- ve char- mant . Con- tre
lui l'on fe dé- chaî ne , J'en crois
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
-*
bian mieux mes de- firs. Peut- on
trou ver de
la pei- ne , Dans la
fource des plai- firs.
Quand de ma feule préſence ,
Blaife , tu faifois ton bien ,
Tu m'abordois en filence ,
Mais ton coeur parloit au mien :
Un regard , un doux fourire
Suffifoient pour t'enflammer ,
Et tu n'ofois me le dire ;
Pouvois-je ne pas t'aimer ?
La Mufique eft de M. Girand.
JUILLET. 1756. 79
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Monfieur , la nouvelle Edition des Fables
de la Fontaine n'a pas reçu en ce Paysci
, les mêmes applaudiffemens qu'en France.
Nos connoiffeurs vrais ou prétendus
tels , y ont trouvé mille chofes à redire .
Les uns, & c'étoient, la plûpart , des Poëtes ,
fe font égayés fur la grandeur de l'entreprife
; les autres en ont blâmé le plan &
l'exécution. Le célébre M. Gottfched toujours
attentif à préferver l'Allemagne du
mauvais goût qui regne en France , s'eſt
particuliérement diftingué dans cette occafion.
Il entendoit le Public imbécille prodiguer
des éloges au crayon d'Oudry , au
burin de Cochin (1 ) ; & à prouver fottement
leurs productions par la feule raifon qu'elles
lui plaifoient. L'amour de la patrie du
(1 ) M. Cochin n'a point prêté fon burin à cet
Ouvrage. Il a feulement corrigé les Deffeins .
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
Profeffeur en fut allarmé & lui arracha un
avertiffement au Public dont j'ai l'honneur
, Monfieur , de vous envoyer une
traduction fidele & tout - à - fait littérale ( 1 ).
Voici d'abord un avis préliminaire que
M. Gottfched nous a donné au mois
d'Aout de l'année paffée.
« On va faire à Paris une nouvelle Edi-
» tion des Fables de la Fontaine en quatre
» volumes in-folio , accompagnée de deux
» cens foixante- feize planches , & ornée de
fleurons , &c. Qu'elle entrepriſe ! Pau-
" vre Efope ! t'imprimera- t'on jamais avec
» tant de magnificence ? ou ne le mérites-
» tu pas auffi-bien que tes Singes ? ....
Je paffe à la critique du corps de l'Ouvrage.
« C'eft M. Gottfched qui parle. La
premiere partie de la magnifique Edi-
» tion des Fables de la Fontaine que nous
» avons annoncée derniérement , vient de
paroître ». Le format eft grand in- folio :
le papier eft très- fort & très blanc ; les
caracteres font fort beaux & nouvellement
fondus mais ce ne font- là que des acceffoires
que nous poffédons auffi en Allemagne
& à Leipfic . Des objets plus effentiels ,
و ر
>
(1) Voyez Das neuefte aufs der Anmathigen
Gelehrsamkeis ou les Mémoires touchant les
Belles- Lettres du mois d'Août 1755 , article 16 , &
du mois d'Octobre 1755 , article 1.
JUILLET. 1756. 81
و ر
par lefquels cette Edition fe diftingue ,
ce font les ornemens gravés en bois , & furtout
les Planches : cependant nous ne diffimulons
pas que nous avons été moins
fatisfaits de celles - ci que des premieres.
M. Gottfched fait enfuite le détail des
Gravures en bois qui l'ont frappé le
plus , & conclut par avouer que la
plupart de ces figures font d'un grand
goût & d'une fineffe finguliere , qu'elles
» font toutes deffinées d'après nature , &
» que
l'on y retrouve avec plaifir.ces chefs-
» d'oeuvres des anciens Graveurs Allemands
qui ont inventé l'Art de graver en bois ,
» & dont les talens avoient été enfevelis
" avec eux. Cette habileté du Graveur &
» du Deffinateur , pourfuit le Profeffeur ,
» ne juftifie cependant pas les fantes qu'on
» a commifes dans l'invention & dans la
و د
ג כ
difpofition des figures. Par exemple , le
» fleuron du Frontifpice loge une ruche
» d'Abeilles & un mafque dans les nues. »
Ce déplacement n'eft il pas contraire à la
nature ? Où voit- on des ruches d'Abeilles
& des mafques voltiger dans les airs , ou
repofer fur des vapeurs ? La même inexactitude
caractériſe la vignette de la Dédicace.
Un Serpent cerclé en rond , qui mord
dans l'extrêmité de fa queue , eft entouré
de lys & de fleurs , & brille de rayons de
Dv
32 MERCURE DE FRANCE.
lumiere. D'où partent- ils ces rayons ? d'or
dinaire , les Serpens n'en répandent point ,
& je ne découvre nulle part ce foleil qui
puiffe les produire. Les Palmes qui traver
fent tout le corps de la figure ne font rien
moins que copiées d'après nature : & jamais
l'univers n'a vu l'original des autres
rameaux qui germent , pour ainfi dire , de
l'extrêmité des Palmes.
C'eft en vain que l'on voudra juftifier
des idées par le Pictoribus atque Poetis
d'Horace. J'y réponds avec le même Poëte :
Scimus , & hanc veniam damus , petimuf
que viciffim ;
Sed non ut placidis coeant immitia , non ut
Serpentes avibus geminentur , Tygribus
Agni
Tant que la nature doit fervir de modele
aux Beaux- Arts , les Connoiffeurs fe
récrieront conftamment contre les productions
de l'Art qui s'en écartent : les fouffrir
ou les approuver , c'eft faire renaître
le goût gothique & grotefque que nos Ancêtres
ont déja flétri & condamné .
Quant aux Planches , elles ont été deffinées
la plupart par J. B. Oudry : Cochin
le fils , les a gravées à l'eau- forte , & N..
Dupuis les a terminées au burin. L'on ne
peut difconvenir que ces trois Artiftes ne
JUILLET. 1756. 83
fe foient furpaffés . Le Deffein & les Ombres
ne fçauroient être plus corrects : j'excepte
plufieurs figures de quelques animaux
peu communs que le Deffinateur a
tracés de mémoire , ou d'après de mau
vaifes Copies , où il a péché contre l'exacte
reffemblance. Il n'en eft pas de même
de l'ordonnance de plufieurs Planches ; l'on
y trouve des défectuofités qu'on aura - de
la peine à juftifier .
сс
و ر
P. E. Le Frontifpice repréfente le Bufte
de La Fontaine élevé au milieu d'une fôret
fur un piedeſtal informe de pierres brutes.
Efope , dans l'attitude d'un homme vivant
, eft debout à côté du Bufte , &
» l'admire. Un large tapis fufpendu à des
» branches d'arbres & foulevé par une
Aigle , couvre cette figure. Trois Gue-
" nons , car il paroît aux queues que ce ne
"font point des Singes , font occupées ,
» l'une à orner le Bufte de feftons , l'autre
» à le couronner de lauriers , & la troi-
´» fieme à foutenir le tapis » . Que pensezvous
, ami Lecteur , de cette invention ?
Ceux qui ne s'arrêtent qu'à l'écorce des
chofes , ne confidérant ici que la beauté du
deffein & la fineffe du burin , admireront
fans doute les arbres ou les animaux ou
l'Efope. Mais un vrai Connoiffeur des
Beaux- Arts , un Critique éclairé , ne fe
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
contente pas de tout ceci . D'où vient ,
dira- t'il , cet Efope vivant à côté du Bufte
de La Fontaine ?
La Scene ne peut être ni dans ce mondeci
, ni dans les Champs Elifées ; & il n'y a
pas plus de bon fens dans cette idée , qu'à
placer Miltiade fous la ftatue de Thémiftocle
, ou à repréſenter Alexandre le Grand
admirant Jules - Céfar.
Ne paroitroît - il pas que La Fontaine a
été le maître & le génie d'Efope ; il eût
fallu placer Efope fur le piedeftal , & le
faire admirer par La Fontaine.
Qui eft-ce , continuera- t'il , qui a fufpendu
ce riche tapis dans un bois , & à
quelle fin s'y trouve- t'il ? Suppofons pour
un inftant qu'on ait érigé une ftatue à La
Fontaine au milieu d'une forêt ; idée grorefque
, & que les Animaux n'ont certainement
pas exécutée depuis quand la
mode eft - elle venue de couvrir les ftatues
de tapis ? Eft- ce pour garantir la perruque
du Poëte des frimats & des injures de l'air ?
Cela feroit ridicule ; puifque le tapis ne
dureroit jamais autant que la pierre ; &
pour dire tout en deux mots : Voit-on à
Vienne , à Dreſde , à Sans- Souci , à Hernenhaufen
, ou à Saczdal , ces belles ftatues
de marbre ombragées d'aucun tapis ?
La premiere Planche de la fable de la
JUILLET. 1756.
Fourmi & de la Sauterelle , fournit une
ample matiere à des réflexions de la même
nature . L'on y découvre une belle urne
chargée de bas reliefs , & une grande colonne
d'ordre Corinthien . Le Deffinateur attache
à cette colonne un riche tapis , & y
repréſente les deux beftioles qui s'entretiennent.
Quelle dépenfe inutile d'imagi
nation pour raffembler deux infectes qui
fe rencontrent par milliers dans tous les
champs. Ne s'écrira-t'on pas avec Horace ?
Inceptis gravibus ,
Sed nunc non erat hic locus.
Plufieurs autres Planches font fujettes
aux mêmes remarques , & je ne vois rien
qu'on puiffe alléguer en faveur du Deffinateur,
fi ce n'eft que ce font- là des bagatelles
auxquelles l'on ne doit point prendre garde.
Si cette excufe étoit recevable dans tout
l'univers , elle ne ferviroit de rien à des
François , à ce peuple fi fage & fi éclairé.
Ces orgueilleux Pédagogues , ces prétendus
modeles du genre humain , ne doivent
rien produire qui ne foit parfait. L'on veut
que leur goût foit le plus épuré & le plus
parfait. Ainfi l'on ne peut exiger qu'il ne
paroiffe pas le moindre défaut , pas une
ombre d'imperfection dans rout ce qu'ils
publient. Car s'ils commettent des fautes ,
86 MERCURE DE FRANCE.
le refte des imbécilles Européens les fuivront
en aveugles . Qu'il nous foit permis
à nous autres fots Allemands , dumme Leutfche
, de leur crier en cette occafion : Turpe
eft Doctori!
Je finis ici l'extrait des Mémoires de Littérature
de M. Gottfched , le refte de l'article
des Fables de La Fontaine n'étant
qu'une critique infipide de la Fable du
Meûnier , de fon fils & de leur Afne. Je
vous fupplie , Monfieur , de vouloir bien
publier cette traduction . Peut-être ferat'elle
connoître en France , cet Ariftarque
fameux que plufieurs de fes amis , établis
à Paris , dépeignent comme le premier
homme de l'Allemagne , & qui n'y brille
certainement qu'au dernier rang.
Jamais Auteur n'a fait voir un zele plus
patriotique , & ce qu'il dit dans ces remarques
n'en eft qu'un échantillon trèsfoible.
Sans M. Gottfched , toute l'Europe
feroit dans la fauffe perfuafion que les
François ont remporté une victoire éclatante
à la bataille de Fontenoi : mais graces
au foin généreux de ce Profeffeur, nous fçavons
que le Chantre de Henri IV eft un
flatteur qui veut en impofer au Public ;
que ce font les Alliés qui ont été les vainqueurs
; que même la victoire ne leur a
JUILLET. 1756.
81
été difputée que par les Allemands qui
combattoient dans l'Armée Françoife . Pour
éternifer cette action , il publia en 1746.
une Ode en réponſe de celle de M. de Vebtaire
dans laquelle il n'eft forte d'invectives
que le fouvenir de ce triomphe ne lui
faffe proférer contre notre nation.
Pour achever de peindre notre Apollon
Germanique , nous donnons à nos Lecteurs
la traduction de la premiere ſtrophe
d'un Poëme épique publié par M. Gottfched
en 1751 , intitulé Hermann ou Arminius.
Il nous affure que le Baron de Schoenaich
, Gentilhomme Siléfien , en eft l'Auteur
: mais il a grand foin de nous faire
fentir dans une vafte préface qu'il ya
ajouté , combien il a lui- même de part à ce
Poëme , & le Public connoiffeur lui rend
affez de juftice pour ne pas douter que du
moins la premiere ftrophe ne foit entiérement
fortie de fa plume , la voici met
pour mot. «Je chante le Héros dont le brås
» a défendu fa nation , dont le glaive brilla
pourfa patrie , en domptant les ennemis
» de la Germanie
, qui feul a pu abaiſſer
l'orgueil d'Augufte, & venger l'opprobre
»de la terre par la honte des Romains. Her-
» man, c'est toi que je veux célébrer, & mes
» Chants font confacrés à celui qui détruira
» un jour les Oppreffeurs
de la Germanie
23
و د
88 MERCURE DE FRANCE.
la Nation Françoife;qui femblable au pre
» mier Herman , brifera notre joug odieux ,
» & par qui l'orgueil des Lys fera foumis à
» l'Aigle ».
Ces traits fuffisent pour peindre la modération
, la bonne foi & le zele de M.
Gottfched. Eft-il étonnant qu'on en trouve
des veftiges dans tous fes autres Ecrits .
Nous finiffons par prier nos Lecteurs de
s'en rapporter à un Critique éclairé d'Allemagne
, qui dit il y a quelques années ,
que maintenant fon Pays pouvait fe glorifier
d'avoir porté le goût de la Poéfre
auffi loin qu'en France ; que felon l'aveu
des François mêmes , il falloit, pour rendre
un Poëme parfait , qu'il y eût de la rime
& de la raifon , & que fes Compatriotes
ipouvoient fe vanter de l'une & de l'autre ;:;
que MM. Klopftork & Hallec , montroient
dans leurs Ouvrages beaucoup de raiſon ,
& M. Gottfched y faifoit briller les plus
belles rimes.
J'ai l'honneur d'être , & c.
TRAITÉ complet de la G... virulente des
hommes & des femmes , où l'on fait voir
la différente maniere de la traiter , l'infuffifance
de la plupart des Méthodes , les
dangers qu'il y a de négliger cette maladie,
& les moyens de diftinguer dans les fem
JUILLET. 1756 .
89
mes les G... d'avec les fleurs blanches ;
fuivi d'un Mémoire fur la conftruction &
les avantages d'un nouvel inftrument pour
tirer l'urine de la veffie ; par M. Daran ,
Ecuyer , Chirurgien ordinaire du Roi
fervant par quartier. A Paris , chez Delaguette
, Imprimeur de l'Académie Royale
de Chirurgie , rue S. Jacques , à l'Olivier
, 1756.
Le nom de l'Auteur fuffit pour faire
l'éloge de ce Traité ; fon habileté reconnue
pour établir la confiance qu'on doit y prendre
, & la réuffite qui fuit toujours fes
opérations , pour prouver l'excellence de
fa méthode. M. Daran fe juftifie ſi bien
lui - même du reproche qu'on pourroit lui
faire de la tenir fecrette que nous allons
tranferire ici fes propres termes.
Je prévois , dit -il , qu'on ne manquera
pas de me dire que fi je poffede en propre
& exclufivement cette méthode fûre , je
dois en faire
la nature
part au Public ; que
de la profeffion que j'exerce , exige de moi
certe générofité , & qu'il eft d'ailleurs de
tout bon Citoyen de ne pas priver la fociété
d'un bien dont les avantages peuvent s'étendre
fi loin , & fur un fi grand nombre
de perfonnes. Je réponds à cela que
mon intention eft de le faire un jour ; que
je croirois me rendre coupable envers le
90 MERCURE DE FRANCE.
Public fi j'enterrois mon remede . Mais
que je dois craindre de le publier d'abord,
pour ne le point expofer à être décrié par
le mauvais ufage qu'on pourroit en
faire , & dont la faute pourroit retomber
fur moi. Il n'eft que trop de gens avides
de fecrets , dont l'ignorance pourroit
altérer ma méthode , l'adminiftrer mal
adroitement , & par là la rendre inefficace,
pour ne pas dire dangereufe. Alors on
pourroit s'en prendre à l'Auteur , & tout
ie mal feroit mis fur fon compre , quoique
fort injuftement. On ne doit donc pas trouver
mauvais que j'attende pour faire un
préfent général du fruit de mon étude , que
la bonté en ait été conftatée par des fuccès
qui feront toujours certains dans mes
mains , & qui feroient fort douteux dans
celle des autres par un excès d'avidité ou
de précipitation. Quand on fera bien convaincu
que cette méthode eft la plus fûre
jufqu'aujourd'hui , alors je fuis réfolu dè
la communiquer , & de publier avec fincérité
toutes les regles qu'il y faut obferver
pour ne point faire manquer fes effets.
On peut dire à la louange de M. Daran ,
qu'il écrit en Chirurgien défintéreffé . 11
emploie dans fon livre les couleurs les plus
propres à infpirer au Lecteur une horreur
falutaire pour la cruelle maladie qu'il a
JUILLET . 1756. 91
que
l'art de guérir. A le bien analyfer , ce Traité
que nous annonçons en eft un de morale,
les perfonnes du monde doivent acheter
par préférence. Nous exhortons furtout
nos jeunes gens à lire la préface . Elle
vaudra pour eux le meilleur des fermons ..
ON vient de rendre public un ouvrage
imprimé à la Rochelle , chez Desbordes .
C'eſt un Commentaire fur la coutume de
la Ville & gouvernement de la Rochelle ,
& du pays d'Aunis , en trois volumes in-
4. par M. Valin , ancien Avocat . On fera
peut- être furpris qu'une coutume de 68
articles ait pu fournir la matiere de trois
volumes : mais la furprife ceffera lorfqu'on
fera informé que cet Ouvrage n'eſt pas
feulement un Commentaire , mais un recueil
de Jurifprudence , où l'Auteur a difcuté
tous les points de notre Droit cou
tumier , dont le texte de fa coutume & les
ufages de fa Province , lui ont donné naturellement
occafion de parler.
Les raifons pour & contre y font rapportées
avec clarté , force & précifion
dans un ftyle , dont la noble fimplicité
convient fi bien à un Ouvrage didactique
de la nature de celui- ci . On y apperçoit
une vafte érudition dans la quantité confidérable
de recherches & de citations qui
92 MERCURE DE FRANCE.
s'y trouvent du refte l'Auteur ne s'eft
pas
toujours déterminé par le plus grand nombre
des autorités. Conféquent dans fes
décifions , il a le courage de préférer celles
qui lui paroiffent mieux liées avec les
principes ; & quand il eft forcé de céder
au torrent , il a foin d'expofer les raifons
qui doivent fervir de préfervatif contre
l'opinion dominante qu'il défapprouve
, & qui fixeront peut- être un jour la
Jurifprudence fur les points controverfés.
C'eft un excellent guide pour les jeunes
Avocats , qu'il inftruit en les conduifant
aux bonnes fources où ils doivent puifer
l'efprit de notre Droit François , & pour
les Praticiens à qui il indique les points
d'ufage , & trace la procédure qu'il faut
fuivre dans les matieres des retraits , criées ,
faction d'hommage , fourniffement d'aveu
ou dénombrement , & de déclaration
rôturiere , & c. Par - là il les met à même
de corriger les abus de leur ftyle , qu'il
condamne avec une généreufe fermeté.
Les Juges de la Province y reconnoîtront
auffi la Jurifprudence de leur fiege
, tant ancienne que moderne , fans lui
fçavoir mauvais gré des changemens qu'il
voudroit qu'on y fit en quelques points.
L'utilité de cet Ouvrage ne fe borne
pas aux Provinces voifines de Poitou ,
JUILLET . 1756. 93
Saintonge & Angoumois , dont les Loix
fymbolifent avec celles du Pays d'Aunis :
toutes les Provinces coutumieres de la
France y trouveront plufieurs difficultés
éclaircies , & les notions d'où il faut partir
pour réfoudre celles qui s'élevent journellement
, dépendantes de la Jurifprudence
générale du Pays coutumier .
RÉFLEXIONS CRITIQUES
Sur l'Etude des Humanités .
Depuis
un
fiecle
ou
environ
, l'étude
des
humanités
paroît
trop
longue
, trop
pénible
, trop
ennuyeufe
pour
la jeuneffe
.
On
a cherché
à l'abréger
, à la faciliter
,
à l'égayer
même
. Dans
ce deffein
on a propofé
différentes
méthodes
, dont
on
n'a
point
jugé
à propos
de faire
ufage
. L'ancien
plan
des
études
a toujours
eu le deffus
dans
les
Colleges
.
Jadis on ne connoiffoit pas toutes les
nouveautés qu'on voudroit introduire
dans l'étude des Langues mortes : en fçavoit-
on moins de Latin & de Grec que
l'on n'en fçait aujourd'hui ? Non fans doute.
De-là on infére que l'ancienne route
eft préférable aux nouvelles que l'on s'efforce
d'ouvrir.
94 MERCURE DE FRANCE.
Cette conclufion n'eft pas jufte. Autrefois
on fçavoit fort bien les Langues Latine
& Grecque l'on en convient . Cependant
les méthodes qu'on publie tous
les jours étoient tout - à - fait inconnues :
cela eft vrai. On peut donc apprendre le
Latin & le Grec fans ces nouveaux fecours :
oui mais ce n'eft pas là de quoi il eſt
queftion . Que l'on ait un peu entendu ces
deux Langues après une étude de huit ou
neuf ans , perfonne n'en doit être furpris .
On eût été bien à plaindre , fi un travail ſi
long n'eût pas procuré ce foible avantage.
Ny auroit-il pas moyen de rendre cette
étude plus facile & plus courte ? C'eft une
queftion qui partage les fentimens , & fur
laquelle l'ufage & l'expérience n'ont encore
pu s'accorder.
Bien des ufages ont ceffé , parce qu'on
en a reconnu l'abus : celui qu'on allegue
femble n'avoir d'autre foutien que le préjugé
. Nos peres , dit -on , fçavoient plus de
Grec & de Latin que nous n'en fçavons
maintenant : c'eft qu'ils lifoient beaucoup
les meilleurs Auteurs qui ont écrit en ces
deux Langues. Cette réflexion eft raiſonnable
; mais ne l'a- t- on pas oubliée , quand
on donne des louanges exceffives à des
abrégés , à des extraits , à des recueils ,
où les plus beaux ouvrages de ces génies
JUILLET. 1756. 95
fublimes font tellement défigurés . Ut nec
pes , nec caput uni reddatur forme. Un Sçavant
très-connu me dit un jour qu'il y
avoit de la barbarie à déchirer ainfi les
plus grands hommes de l'Antiquité . Je
penfe comme lui.
On ne fçauroit apprendre l'Histoire dans
Moréri , ni la fable dans le très - petit Dictionnaire
de M. de Chompré , ni le Latin
dans les livres des modernes .
Durant le cours ordinaire des Etudes
on ne peut lire tous les anciens Ecrivains
de la Grece & de Rome on le fçait. Mais
on foutient que la chofe n'eft pas néceffaire.
On peut voir entiérement les plus excellens
modeles , & parcourir feulement
les plus beaux endroits des autres. Les extraits
font donc inutiles : j'eftime même
qu'ils font contraires à la fin principale
des Etudes.
En apprenant le Latin & le Grec on ne
tend qu'à fe former le jugement & le goût,
& c'eſt à quoi ces fortes de livres ne font
nullement propres . Hiftoire , fable , éloquence
, philofophie , raiſonnement , ftyle
, liaifon , idées , maximes , tout y eft im
parfait , tronqué , mutilé , pour ainfi dire .
Cet inconvénient n'a pas lieu dans les originaux
, où tout eft exact , raifonné , lié
fuivi, Pourquoi abandonner en ce point
96 MERCURE DE FRANCE.
l'ancienne méthode , que l'on défend avec
tant de chaleur dans toutes fes autres parties
?
Dira- t-on que c'eft pour abréger
& faciliter
les Etudes ? Mais on n'abrege
que
les Auteurs : le cours des Etudes et toujours
le même , & l'on y fait moins de
progrès
que jamais. On en rejette la faute
fur la trop grande
indulgence
, ou fur
l'inattention
des parens , qui négligent
l'éducation
de ceux qui leur doivent
le jour.
Ce reproche
n'eft que trop fouvent
bien
fondé nous l'éprouvons
chaque jour. Cependant
il y a encore des peres & des meres
qui s'acquittent
exactement
de ce devoir
: leurs enfans ne profitent
pas toujours
de leurs foins & de leur bonne volonté .
La jeuneffe
de notre temps eft indocile
,
volage , inappliquée
, indifférente
pour les
belles connoiffances
. Le mauvais
exemple
eft affez ſouvent
la fource de ces défauts,
Les livres qu'on lui met entre les mains ,
font-ils propres à l'en corriger
? J'oſe aſsûrer
que non . Elle y rencontre
prefque
à
chaque
ligne des difficultés
qu'elle
ne
peut furmonter
, & on la punit pour des
fautes qu'elle fait néceffairement
. Voilà ce
qui la rebute ; voilà ce qui la dégoûte
entiérement
de l'étude.
Dans ces circonftances ne feroit- il pas
mieux
JUILLET. 1756. 97
mieux de ménager fa foibleffe , & d'imiter
la prudence des Médecins , qui donnent
le goût du miel ou du fucre aux potions
qu'ils font prendre aux jeunes enfans
?
L'éducation d'aujourd'hui eft toute différente
de celle des fiecles paffés . On veut
à préfent que les jeunes gens bien nés ſçachent
un peu de tout , & fouvent l'on n'a
pas tort. On fe moque d'un jeune homme
qui , à l'âge de dix- huit ou vingt ans ,
n'apporte dans le monde , où il veut entrer,
que du Latin & du Grec.
Que penferoit-on des Maîtres de l'Ecole
Militaire , s'ils fe bornoient à n'apprendre
que ces deux Langues à la jeune Nobleſſe ,
qu'ils font chargés d'inftruire ? C'eft avec
raifon que le temps de leurs éleves eft
partagé entre les divers exercices qui conviennent
à leur naiffance , à leurs difpofitions
, à la profeffion des armes , à laquelle
on les deſtine . Ils ne peuvent donner
par jour que peu d'heures à l'étude des
Langues anciennes.
Combien n'y a- t- il pas d'autres jeunes
gens à qui il faut donner la même éducation
? Ne pourroit- on pas trouver l'art
d'abréger pour eux l'étude des humanités ?
L'art qu'on voudroit connoître , nous
J'apprenons de M. Nicole. » Le grand fe-
II. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE..
» cret , dit-il , dans fon Traité fur l'éducation
» d'un Prince , pour donner aux enfans
l'intelligence du Latin , eft de les mettre
» le » le plutôt que l'on peut , dans la lecture
» des livres , & de les exercer beaucoup à
» traduire en François. »
و د
ןכ
و د
Profitons de cet avis : mettons de bonne
heure les enfans dans la lecture des
livres , c'est- à- dire , dans l'explication des
meilleurs Auteurs Latins : commençons à
les leur faire voir dès qu'ils fçavent les
déclinaifons des noms , les conjugaisons.
des verbes , & les principales regles de la
fyntaxe latine laiffons - là les extraits &
les compofitions des modernes : puifons
aux fources mêmes , & faifons-y puifer nos
difciples : pour les encourager , applaniffons
toutes les difficultés , & rendons- leur
facile & agréable , s'il fe peut , le travail
que nous exigeons d'eux : choififfons ce
que l'Antiquité a produit de plus excellent
, & tâchons de le mettre à leur por
tée. Un jeune enfant eft extrêmement flatsé
quand il s'apperçoit qu'il peut faire quelchofe
fans autre fecours que celui du que
livre que nous lui faifons expliquer.
Engagé par la réflexion de M. Nicole ,
j'ai entrepris de mettre les oeuvres de
Virgile en état d'être littéralement traduites
par un écolier de fixieme . Je n'ai enJUILLET.
1756. 99
core publié que les Eglogues ; ( 1 ) mais
les Géorgiques fuivront bientôt , enfuite
viendra l'Enéïde.
3
Après la lecture exacte d'un tel Auteur ,
la jeuneffe fe trouvera à portée de parcourir
les autres en peu de temps , & de s'exercer
beaucoup à traduire en François , en
quoi confifte le grand ſecret pour donner
bientôt aux enfans l'intelligence du Latin.
regar-
Je demande aux perfonnes qui ne font
ni prévenues , ni intéreffées , fi cet Ouvrage
n'eft pas préférable à ces extraits informes
, qui inondent aujourd'hui les Colleges
& les penfions. Le premier volume
que j'ai fait imprimer , ne doit être´
dé que comme le commencement d'un recueil
beaucoup plus ample , dont les différentes
parties fe fuccéderont les unes
aux autres , fi le Public paroît le défirer.
D'ailleurs les Eglogues , les Géorgiques
& l'Enéïde , font des ouvrages qui n'ont
entr'eux aucune connexion : ils peuvent
fe publier féparément du moins on l'a
déja fait bien des fois .
Je ne doute pas que le préjugé ne fe
de ces réflexions ; mais j'en appelle
à l'expérience , qui me réuffit tous les
moque
(1 ) Ce Livre imprimé à Senlis , chez Nicolas
des Rocques , fe trouve à Paris chez Hochereau ,
Quai de Conty, & fe vend 2 liv. 10 fols relié.
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
jours parfaitement bien , & je ne me croirai
convaincu d'erreur , que quand elle
aura montré que mes idées font frivoles.
Au refte je n'écris que pour ceux qui n'ont
pas le temps , la volonté , ou les facultés
de confacrer la cinquieme ou la fixieme
partie de leur vie à une étude feche &
défagréable , laquelle peut s'achever en
deux ou trois ans tout au plus , fi on ne
s'applique qu'à elle feule. Je confeille à
ceux qui fe propofent de refter oififs
quand leurs études feront finies , de fuivre
la route commune : c'eft le meilleur parti
qu'ils puiffent prendre pour éviter l'ennui
& le vice , fruits ordinaires de l'oifiveté.
Monfieur , les réflexions que je vous
adreffe ont été faites il y a long-temps. Je
vous prie de les inférer dans votre Mercure
, fi vous les jugez dignes de voir le
jour. Elles font critiques , mais elles n'attaquent
perfonne en particulier. Je compte
vous envoyer bientôt d'autres réflexions
fur les traductions des Poëtes Latins , lefquelles
pourront fervir à les rendre plus
littérales , plus fideles , & par conséquent
plus agréables & plus utiles. J'ai l'hon
neur d'être , & c.
A. BOURGEOIS , Principal du College de
Crépy , en Valois.
Crépy , le 26 Avril 1755 .
JUILLET . 1756.
101
Commentarii Societatis Regia Scientiarum
Gottingenfis , Tomus IV, ad annum 1754.
Gottinge , fumptibus Elix Luzac. Ce volume
fe trouve à Paris , chez Briaffon , rue
S. Jacques.
>
LE TOME fixieme de la Table générale
des Matieres contenues dans le Journal des
Sçavans , de l'édition de Paris , depuis l'année
1665 qu'il a commencé jufqu'en
1750 inclufivement , avec les noms des
Auteurs , les Titres des Ouvrages , & l'Extrait
des Jugemens qu'on en a portés , vient
de paroître , & fe vend à Paris , chez le
même Libraire , 1756,
LA RAISON triomphante des nouveautés
, où Effai fur les moeurs & l'incrédu
lité , par M. l'Abbé P *** D. en T. Sapientia
prima eft ftultitiâ caruiſſe. Horat. à Paris ,
chez Garnier , Imprimeur- Libraire de la
Reine & de Madame la Dauphine , rue
S. Jacques , vis- à-vis le College du Pleffis ,
à la Providence , 1756 .
Ce Livre édifiant eft dédié à MM. les
Beaux- Efprits. L'Auteur y emploie contre
eux les traits d'une pieufe ironie , pour leur
protefter qu'ils ne font aujourd'hui que les
très-foibles copiftes des Lucreces , des
Fauftes , des Hobbes & des Bayles , leurs
devanciers. Nous nous repofons fur des
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
Journaux plus férieux du foin d'en faire
l'éloge & l'extrait en forme dont ils s'acquitteront
mieux que nous. Engliffant fur la
Préface, nous nous contenterons d'indiquer
pour leur nouveauté , les fept chapitres
qui compofent la premiere partie. Le premier
parle de Paris en général ; le fecond,
du fyftême des Suffifans ; le troifieme , du
fyftême des Railleurs ; le quatrieme , du
fyftême dés Mifantropes ; le cinquieme ,
du fyftême des Voluptueux ; le fixieme ,
du fyftême des faux Politiques ; le feptieme
du fyftême des Sçavantaux. Ce font - là
fuivant l'Auteur , les différentes Sectes
qui divifent la capitale. Vanter , dit- il ,
fa propre fcience , dédaigner celle des autres
, vouloir fubjuguer tous les efprits , fe
perfuader que tous les applaudiffemens
yous font dûs : voilà le rôle naturel du
Suffifant. Pour les Railleurs , M. l'Abbé
P*** prétend que leur claffe eft la plus.
nombreufe , que femblables aux méprifables
infectes , ces hommes fe multiplient
à l'infini , & que tous les Etats ont les
leurs. Les Mifantropes , felon lui , font
plus rares , du moins les vrais qu'il diſtine
gue des faux Milantropes qu'il trouve trèscommuns
, & qui n'en ont que la brufque
apparence pour mieux cacher leur duplicité.
Buvez , mangez , réjouiffez- vous . Telle
JUILLET. 1756. 103
eft, pourfuit l'Auteur , la loi fondamentale
de la fociété nombreufe des Voluptueux.
Aifée dans la pratique , l'on peut
préfumer qu'elle manque peu d'obſervateurs.
La plupart en viennent même jufqu'au
fcrupule. Nous pafferons la claffe
des faux Politiques , Citoyens éternels de
nos Cafés & de nos jardins , pour en venir
à celle des Sçavantaux. C'eft un mot dont
nous avons l'obligation à l'Auteur d'avoir
enrichi notre Langue. Il appelle ainfi les
petits Sçavans qui fourmillent dans Paris ,
ces jolis efprits , qui fe répandent dans le
grand monde. ( jufqu'ici nous n'avions connu
que le terme de Sçavantaffes , pour dire
les gros Erudits. ) La maniere dont il peint
ces Sçaventaux , nous a paru fi finguliere ,
que nous n'avons pu réfifter à l'envie d'en
offrir les principaux traits aux yeux de nos
Lecteurs , & de tranfcrire les propres termes
de M. l'Abbé P *** . Faits , dit-il , pour
égayer la converfation , on les recherche :
on les engage de vous rendre vifite , (à vous
rendre feroit plus François ) : leurs petits
riens font amufans : la légéreté de leur hu
meur ne peut que divertir. Gens à la mode,
on m'entend affez : il eft du beau ton de
les fréquenter. Une table fe trouveroit
mal fervie , le dégoût y paroîtroit , il y
régneroit un ennui général... , fi ces Mef-
E. ive
104 MERCURE DE FRANCE.
fieurs nefuffent de la partie. ( Nous croyons
qu'il eût été mieux de dire n'étoient. ) Ils
ont remplacé les Chanteurs. Jadis la Mufique
faifoit le principal ornement d'un repas
, aujourd'hui elle en eft exclue : on
en a banni encore les Bouffons de métier ;
on fe contente d'y voir de beaux diſcoureurs
de profeffion. Mille jeunes gens ,
ajoute- t'il , ont fondé leur efpoir fur cette
bifarre coutume , ils ont embraffé le Sçavantifme.
Le métier nourrit fon homme ;
en voilà fuffiſamment . Nous adoptons ces
derniers mots , & nous terminons par eux
ce précis , qui fuffira pour donner une jufte
idée du zele & du goût de l'Auteur , ainſi
que du ftyle & du ton de l'ouvrage .
LETTRE de M*** à M. de Lavau , Prieur
d'Aytré , Directeur de l'Académie de la
Rochelle , fur fon Difcours contre la Latinité
des Modernes. Cui bono ? mot de Caffius
, 1756 .
L'extrait de ce difcours fe trouve dans
le Mercure de Mars de cette année. La
lettre de l'Anonyme contient une plainte
polie fur le mépris que M. de Lavau y tế-
moigne pour la Latinité moderne, & montre
en même- tems dans l'Auteur un grand
zele à la défendre. Nous ne citerons que
ces lignes pour le prouver. Puifque nous
prononçons , dit- il , il faut au moins que
JUILLET. 1756. 105
nous fçachions en quoi elle confifte ( la
Latinité moderne ) . Nous , dans un fiecle,
où l'on fçait tout , excepté le Grec & le
Latin ; qu'on eft effrayé d'un in-folio ; .que
F'on voltige de brochure ; & en brochure
que l'on ne parle que modes , nous l'aurons
attrappée , en dormant , caquettant ,
quadrillant , danfant , cabriolant , chantant
, fifflant , aux Boulevards , à l'Opéra,
à la Comédie , à la Foire , dans les Cafés ,
dans les Cercles : je vous le demande , M.:
à ce parallele , quel qu'il foit , feroit- il déraifonnable
de fufpendre fon jugement ? Je
n'ai garde , Monfieur , de vous confondre
avec ces inutiles qui fçavent tout fans avoir
rien appris..... Vous avez trop de fageffe
pour penfer , & trop de retenue pour dire
que tous ces hommes qui vous environnent
actuellement dans votre cabinet , &
que vous avez choifis pour votre confeil ,
ne foient que des fots ..... S'il en revenoit
quelques-uns de là -bas , de quel air nous
répondroient - ils Un Erafme ,
Manuce , un Muret , un Bembo , un Strada,
& prefque de nos jours un Jouvency ,
un Santeuil , un Grenan , un Rollin , um
Coffin , fe défendroient- ils fi mal ? Mais
non ; comme la plûpart étoient fimples &
modeftes , ils nous diroient peut-être d'un
on demi-railleur : Notre fiecle étoit le
un:
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
fecle des réflexions & des recherches , le
vôtre , Meffieurs eft celui du fçavoir & des
déciſions : vous naiffez Juges , nous fommes
morts Ecoliers.
Le zele dont l'Anonyme eft tranfportés
pour le Latin éclate avec une nouvelle force
à la fin de fa brochure à l'occafion du
fentiment de M. Dagai : Voici , dans le
Mercure d'Avril , s'écrie- t'il allarmé , une
nouvelle Thefe que je trouve encore contre
la Langue Latine. C'eft M. Dagai
Abbé de Soreze , Préfident de l'Académie
de Befançon , qui , ouvrant la Séance
par un parallele du François avec le Latin ,
prétend faire voir que le premier balance
le fecond ; s'il ne le furpaffe même. Seroitce
donc une confpiration concertée d'abolir
cette Langue ? A Dijon les lettres:
font dangereufes ; à la Rochelle il n'y a
plus de bonne latinité ; à Besançon le
Latin ne s'entend plus bientôt dans les
Provinces il ne fera pas plus queftion de
Latin que de Grec , & du Grec on en
parle prefqu'autant que de l'Arabe & du
Chinois. L'Anonyme trop zélé , nous paroît
avoir exagéré ce qui a été avancé dans
l'Académie de la Rochelle & dans celle de
Befançon. Nous croyons qu'on va trop loin
de part & d'autre , & qu'un parti moyen
eft le plus convenable , c'est- à- dire , que
JUILLET. 1756% 107
l'étude des bons Auteurs Latins anciens eft
néceffaire pour fe perfectionner le goût en
François , mais que le Latin moderne n'y
doit jamais fervir de regle , fans vouloir le
déprimer. A l'égard de la Langue Françoife
, il nous femble qu'elle peut être juftement
comparée à la Latine , & que fa
beauté réelle dépend des Ecrivains qui la
parlent. Nous penfons en conféquence
que le François de Racine & de Defpréaux
n'eft pas inférieur au Latin de Virgile &.
d'Horace. Tâchons d'enrichir de plus en
plus notre Langue fans en faire un jargon,.
& de furpaffer les anciennes , en les prenant
pour modele . Par cette raifon , nous
devons toujours les étudier & les refpecter
, quand même nous parviendrions à
obtenir la prééminence far elles..
Suite des RÉFLEXIONS fur les trois preamiers
Tomes de l'Hiftoire de la Ville & detout
le Diocèfe de Paris , par M. l'Abbé
Lebeuf, de l'Académie Royale des Infcrip--
tions & Belles - Lettres ; pourfervir d'éclairciffemens
& de fupplément aux Nouvelles
Annales de Paris ; par Dom Touffaint dis
Pleffis , Religieux Bénédictin de la Cons.
grégation de S. Maur.
·XIX. Tome I, page 37. « Je ne puis
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
ور
ور
le
» faire valoir que fur la foi d'autrui ,
» témoignage d'un ancien manufcrit , où
" on li que dès l'an 581 , l'églife de Saint
» Germain l'Auxerrois étoit l'une des qua-
» tre Abbayes qui environnoient Paris ».
Réflexions. Après ce qui a été obfervé
dans les Annales ( pag. 100 ) fur ce prétendu
manufcrit , M. l'Abbé Lebeuf devoir,
ce femble , non chercher à le faire valoir
mais n'en témoigner que du mépris .
XX. Même page. S. Ouen dans la vie
» de S. Eloi , marque qu'il y avoit à Paris.
» une Bafilique , dite tout fimplement de
ود
» S. Germain » .
Réflexions. Ce paffage de la vie de Saint
Eloi , que M. l'Abbé Lebeuf applique à,
l'églife de S. Germain l'Auxerrois , je l'ai
appliqué ( pag. 52. ) à celle de S. Germain
des Prés. Mais comme il ne fe trouve rien
dans le texte , qui favorife mon interprétation
plutôt que la fienne , il me femble
aujourd'hui
qu'il vaut mieux l'entendré
comme lui de celle de S. Germain l'Auxerrois
; car à peine l'autre étoit - elle nommée
alors autrement
que S. Vincent. De plus ,
en l'expliquant
ainfi , on écarte tout foupçon
d'interpolation
dans cet endroit de la
vie de S. Eloi.
XXI . pag. 37 & 38. « La Bafilique de
» Saint Germain l'Auxerrois étoit gouJUILLET.
1756. 109
-
"
vernée en 690 par un nommé Landebert
, qui eft qualifié Abbé , dans le
» fens que ce terme fignifie fupérieur ou
» premier. Dans un échange fait entre ce
» Landebert , & un autre Abbé nommé
Magnoald , le feing de Landebert eft
» fuivi de celui de Valgoald Prêtre , Ber-
» tin , Fladebert Prêtre , &c ..... Rien de
» tout cela ne défigne une égliſe Monaftique
».
"
29
ود
Page 51. « Il y auroit de quoi compofer
un Traité , pour montrer que les ter-
» mes Monafterium & Abbatia ont été
employés indifféremment pour défigner
» des églifes. féculieres. Je me . contente
» pour le préfent de renvoyer à la Chronique
de Cambrai , où la Cathédrale
d'Arras eft appellée Monafterium S. Ma-
» ria Atrebatenfis ».
"
Réflexions.. Cela n'eft- il pas dit d'un
ton trop décifif ?. Il faut prouver ce qu'on
avance quand on a des contradicteurs , G
on veut les faire changer de fentiment.
L'Auteur des Annales penfe , comme bien
d'autres , que fous la premiere race de nos
Rois , avant le gouvernement de Charles-
Martel , il n'y avoit ni Abbé qui ne fût
Moine , ni Monaftere qui ne fût une Communauté
de Moines ; & que par conféquent
s'il s'eft trouvé dans ces temps- là
no MERCURE DE FRANCE.
quelque Communauté de Clercs Séculiers,
cette Communauté n'étoit alors qualifiée
ni Abbaye , ni Monaftere , & le Supérieur
qui en étoit le chef, ne prenoit point le
titre d'Abbé . Si cela eft faux , qu'on nous
en démontre la fauffeté ; fans quoi nous
croirons toujours que Landebert étoit un
Abbé , Moine , & que S. Germain l'Auxerrois
, comme S. Quentin en Vermandois ,
S. Furfi de Péronne , S. Agnan d'Orleans ,
& tant d'autres femblables , n'étoient ni
plus ni moins des Abbayes de Moines ,
que celle de Saint Germain des Prés à
Paris.
2º. Je ne m'infcris point en faux contre
la Chronique de Cambrai . J'obferve ſeulement
d'abord qu'elle ne prouve pas tour
ce que M. l'Abbé Lebeuf veut prouver ,
puifque la Cathédrale d'Arras n'y eft point
nommée Abbatia ; & en fecond lieu , que
l'Auteur de cette Chronique étant bienpoftérieure
à Charles Martel , le raifonnement
de M. l'Abbé Lebeuf porte entiérement
à faux. Il faudra parler encore de
ceci un peu plus bas , No XXXII .
XXII. pag. 38. « Le Clergé de
" Saint Germain l'Auxerrois étoit chargé
" d'une partie de l'école de l'Eglife de-
» Paris : c'eft de- là qu'eft refté au canton
» voifin le nom de l'Ecole , dont on ne ſe
JUILLET. 1756.
11
fert plus qu'en parlant du Quai qui en.
"eft voifin ».
&
Réflexions . C'eſt- là une pure conjecturez
car la preuve ne s'en trouve nulle part ,
cependant on ne la donne point comme
telle. Or , conjecture pour conjecture ,
celle de l'Auteur des Annales , qui fuppofe-
(pag. 196. ) que le célebre Remi d'Auxerre
tint fon école publique près de S. Germain
l'Auxerrois , vaut bien celle de M..
l'Abbé Lebeuf. C'eft au Public à choisir.
"
XXIII: même page. « Dans l'énuméra-
» tion faite en l'an 811 des Eglifes qui
» devoient députer à l'anniverfaire
d'E-
» tienne , Comte de Paris , le jour qu'il
» devoit être célébré à la Cathédrale , on
» lit S. Germanum novum , qui eſt S. Germain
des Prés
Réflexions. Ce trait m'avoit échappé:
J'aurois dû en faire mention à l'endroit où
j'obferve que depuis la tranflation de
S. Germain , faite en 754 , l'églife de
S. Vincent n'a prefque plus été connue
que fous le nom de ce faint Evêque. Mais
il falloit la diftinguer de celle de S. Ger-.
main l'Auxerrois , qui n'avoit jamais changé
de nom. Quelques uns donc l'appellerent
S. Germain le neuf; & cela étoit affez
naturel cependant ce dernier nom n'a
pas fait fortune.
MERCURE DE FRANCE.
13
»
XXIV. pag. 39. « La Tudelle étoit un
champ fitué aux environs de ce qu'on
a appellé depuis la Ville- l'Evêque , &
» la Grange- Batailliere , dans lequel fe
" faifoient quelques exercices militaires ,
» d'où il tiroit fon nom de Tudelle ».
39
"
"
Page 119. A la Ville- l'Evêque étoit
le Pré-l'Evêque, dit autrement les Joutes,
à caufe des exercices qui s'y faifoient.
C'étoit un lieu deſtiné à ſe battre , ou à
faire l'exercice des troupes ; & c'eſt ce
» qui eft appellé Tudella dans le Diplôme
» de Louis le Débonnaire , c'est-à- dire , un
» lieu environné de haies , car Tutela , fe-
» lon le Gloffaire veut dire feptum . Non
» loin de- là étoit une grange , appellée par
»cette raifon dans un inventaire de l'an
» 1450 , ou environ , Granchia praliata ,
» c'est- à- dire , Grange Bataillieren.
29
ود
1
Réflexions. J'ai cru voir tout au contraite
que la Tudelle étoit un lieu fitué entre
l'églife de S. Merri & la rue de S. Germain
l'Auxerrois ; & c'est ainsi que je m'en
fuis expliqué dans les Annales. ( pag. $ 3.4 .)
Il eft vrai , que la Charte de Louis le Débonnaire
n'eft pas ici fans quelque obfcurité
, moins cependant par vice de conftruction
qu'à cauſe de l'omiffion d'un mot.
On a oublié certainement d'y inférer la
particule neque ,
immédiatement avant ces
JUILLET. 1756. 113
mots , in ruga S. Germani. Mais indépendamment
de cela , je trouve fi jufte l'explication
que donne M. l'Abbé Lebeuf au
mot Tudella , que je renonce fans façon à
la conjecture que j'avois hafardée au même
endroit fur l'intelligence de ce mot.
XXV. pag. 46. « Il m'a paru réfulter
» de toutes ces infcriptions , que le corps
»de S. Vulfran , Diacre , & c.
Réflexions. Dans ce texte , qui eft fort
long , M. l'Abbé Lebeuf conjecture qu'un
faint Diacre , nommé Vulfran , dont les
offemens fe font trouvés à S. Germain
l'Auxerrois , renfermés avec ceux de Saint
Landri dans une même Châffe , étoit un
Diacre de ce même faint Evêque . Ceci
méritoit place dans les Annales , du moins
comme conjecture ; & fi j'en avois eu connoiffance
, j'en aurois fait mention fous
l'épifcopat de S. Landri,
XXVI. pag. 49. « On ne voit point
» de Paroiffes dans Paris , dont les écoles
» aient eu une date fi ancienne & fi
per-
» pétuée que celle de S. Germain l'Auxer-
,, rois » .
Réflexions. Les Paroiffes de Paris , fans
en excepter même celle de S. Germain
l'Auxerrois , n'ont jamais eu d'écoles publiques
, fi ce n'eft dans ces derniers temps,
celles des Soeurs- grifes , ou d'autres établif
114 MERCURE DE FRANCE .
〃
femens pareils pour l'inftruction gratuite
des petits enfans . Mais dans l'étendue de
ces Paroiffes , il s'eft établi par fucceffion
de temps à droite & à gauche , des écoles,
des Colleges , des Académies , des Manufactures
; & comme ce n'eft pas pour elles
un honneur d'en avoir , ce n'eſt pas non
plus un deshonneur de n'en avoir point.
" XXVII. pag. 61. « L'étymologie
» la plus probable du mot de Louvre ,
» eft celle qui fait dériver ce nom du
» Saxon , où Lover fignifie un Château ,
› Caftellum » .
Réflexions. L'Auteur des Annales ( pag-
99. ) a formé quelque difficulté contre cette
étymologie ; & c'eft ce qu'il falloit réfuter
, ou ne la pas donner comme la plus
probable de toutes.
"
>
XXVIII . pag. 65. « Je ne vois rien
d'authentique dans le récit de la tranſlation
du corps de fainte Opportune
» faite au Diocefe de Paris , & c. .... Je
"fuis perfuadé qu'il faut attribuer à Louis
le Gros , ou à Louis le Jeune , la
donation des petits Marais de Cham- 22.
" peaux ".
Réflexions. 1 ° . Très - certainement ceci
n'eft pas exact. Eft - ce que la tranflation
du corps de fainte Opportune à Parismême
, n'eft pas authentique A la bonne
à
JUILLET. 1756. 115
heure qu'elle ne ſe ſoit pas
faite du temps
de Louis , Roi de Germanie : l'Auteur des
Annales n'en croit rien non plus que M. Le-
Beuf. Mais enfin elle s'eft faire à Paris , &
cela auffi certainement qu'elle s'étoit faite
auparavant à Moucy le neuf.
de
20. Ce ne fut point fous le regne
Charles le Chauve , mais fous celui de
Louis le Begue , que ces Reliques furent
apportées à Paris. Ce ne fut point non
plus ni Louis le Gros , ni Louis le Jeune ,
mais le même Louis le Begue qui fit donation
au Clergé de fainte Opportune de
quelques prés & de quelques champeaux
voifins de cette Eglife. Tout cela eft prouvé
dans les Annales , ( pages 161 & 162 ).
XXIX. pag. 69. « Je ne puis donner
qu'une fimple conjecture touchant l'origine
de l'églife de Saint Leufroi . Il pa-
» roît que c'eft quelque Seigneur ou Prince
, ou bien quelque riche Bourgeois
de Paris , qui ayant dévotion à ce Saint,
» & en ayant obtenu des Reliques , bâtit
» cette Eglife ».
Réflexions. Appelle- t'on cela une conjecture
? Puifque cette Eglife a exifté , il
falloit bien que quelqu'un l'eût bâtie , &
vraisemblablement ce quelqu'un- là n'étoit
pas de la lie du peuple . M. Lebeuf dans
Fénumération des Fondateurs a oublié quet116
MERCURE DE FRANCE.
que Dame de confidération , ou quelque
Princeffe , ou enfin quelque riche Bour
geoife.
L'églife de S. Leufroi a été occupée par
les Religieux de la Croix S. Leufroi pen
dant une vingtaine d'années , depuis l'an
898 , ou environ jufqu'en 918 , comme
on le marque dans les Annales ( pages 193
& 198. ) ou elle exiftoit avant eux ; &
alors il faut dire que l'origine en eft abfolument
inconnue : où ils l'ont bâtre euxmêmes
; & dans l'un & l'autre cas, on voit
pourquoi elle a pris le nom de S. Leufroi.
Il y a là plus qu'une conjecture , & pardeffus
cela une date certaine.
XXX. pag. 127. Dans le teftament
» d'Hermantrude , au fupplément de la
Diplomatique , page 93 , on
33
"3
trouve
parmi ceux qui fignent , un Baudacha-
»rius Defenfor ; & il femble que ce feroit
» de cet ancien Officier , ou Magiftrat de
» la ville de Paris , que la Porte Baudeyer
» & la Place voifine auroient tiré leur
ود
و ر
" nom ".
Réflexions. En fait de conjectures chacun
abonde en fon fens . J'ai trouvé ( pag.
72 ) dans le mot Baganda , une étymologie
fort probable , non feulement du nom
de cette Porte , mais encore de celui de
Badaud, que l'on donne depuis longtemps
JUILLET. 1756. 117
par fobriquet au peuple de Paris : c'eft
faire , comme on dit , d'une pierre deux
coups ; & peut-être par cette raifon mériter
la préférence.
XXXI. pag. 128. « L'églife de S. Gervais
étant devenue baptifmale , eut fes
» fonts dans une chapelle voifine , dite de
» S. Jean-Baptifte , fuivant l'ancien ufage ».
Réflexions. C'est une remarque que je
n'ai pas faite , & que j'aurois dû faire ( pag.
136. ) en parlant de cette églife de S. Jean
en Greve.
XXXII. pages 151 & fuiv. Quoique
» nous n'ayons point d'Auteur plus an-
» cien , & c ».
Réflexions. M. l'Abbé Lebeuf veur dans
cet Article , 1 °. Que S. Julien , Martyr
de Brioude , foit le Patron primitif de l'élife
de S. Julien le Pauvre. Cela fe peut ;
l'Auteur des Annales ( pag. 72. ) ne
' eft point propofé de détruire cette conecture
: on voit feulement qu'il penche
plutôt du côté de l'Abbé Chaftelain , qui a
cru que c'étoit S. Julien l'Hofpitalier. Il
n'y a pas de plus fortes raifons pour l'un
que pour l'autre.
Il veut 2 ° . que cette Eglife ait été une
de celles où l'Evêque ait envoyé quelques
Clercs pour la commodité des habitans du
quartier , lorfqu'ils ne pouvoient fe ren
118 MERCURE DE FRANCE .
dre à l'églife Cathédrale. Cela fe peut encore
: mais le contraire fe peut auffi.
Il veut 3. que la même Eglife ait eu dans
fon voifinage un Oratoire de S. Jean- Bap
tifte , pour y baptifer les enfans de ce même
quartier, lorfqu'on ceffa de les porter tous
à la Cathédrale ; & que c'est ce qui a donné
lieu au Clergé de S. Severin , qui a fuccédé
au Clergé de S. Julien , de reconnoître
S. Jean comme un de fes patrons. Mais
ceci demande à être bien prouvé , furtout
l'existence de ce Baptiftere de S. Jean , fous
la dépendance de S. Julien ; car M. l'Abbé
Lebeuf ne le fait nullement. Ce qu'il y a
de certain , c'eft qu'il n'en eft fait mention
dans aucun monument ancien ; & qu'il
ne fúffit pas que S. Jean , foit un des Patrons
de l'égliſe de S. Severin , pour nous
convainere qu'il y a eu autrefois près de- là
une Chapelle de ce nom dépendante de
S. Julien .
·
De plus , qu'entend - t'on par cette fucceffion
de Clergé ? Que celui de S. Severin
eft entré dans tous les droits de celui
de S. Julien ? Dans le droit même de bap
tifer? Comment cela ? En quel temps à
peu près ? Et pourquoi ? Car enfin dès le
premier moment où S. Severin a commencé
à jouir de ces droits - là , il a bien pu
les
acquérir immédiatement de la Cathédrale,
JUILLET. 1756 . 119.
& fans la moindre relation avec le Clergé
de S. Julien ; à plus forte raifon encore , fi
celui- ci n'a jamais eu le droit de baptifer :
ce qui pourroit fort bien être dans la plus
exacte vérité ,
M. l'Abbé Lebeuf veut 4° . que l'églife
de S. Julien n'ait point été dans fon origine
une Eglife de Moines ; & c'eft encore.
ce qu'il s'eft difpenfé de prouver , comme
le doit faire néanmoins tout homme qui,
avance pofitivement qu'une telle chofe eft
ou n'eft pas. S'il s'étoit contenté de dire,
qu'on ne prouve pas qu'il y ait eu dans les
premiers temps des Moines à S. Julien , on
n'auroit rien à lui répliquer . Auffi ne fou
tient - on pas la chofe comme certaine ,
L'Auteur des Annales a remarqué fimplement
, que Grégoire de Tours qui parle
en plus d'un endroit de l'églife de S. Julien
, l'honore du titre de Bafilique , &
que c'est une expreffion dont il fe fert fouvent
pour défigner une églife de Moines .
Grégoire de Tours , dit M. Lebeuf emploie
indifféremment le nom de Bafilique
pour les églifes Cléricales , comme pour
les Monaftiques. Cela ne fuffit pas pour
lui donner droit de foutenir pofitivement
que celle de S. Julien n'étoit pas du nombre
de ces dernieres , comme ce n'en feaffez
non plus pour pouvoir fouroit
pas
120 MERCURE DE FRANCE.
tenir qu'elle en eût été. Mais Grégoire de
Tours fe fert fouvent du mot de Bafilique,
pourdéfigner une églife Monaftique ; &
i emploie ce mot en parlant de celle de
S. Julien on conclut de- là très - légitimement
que S. Julien pouvoit donc bien être
une égliſe de Moines. Cependant , réplique
M. Lebeuf , dans un endroit où Grégoire
de Tours rapporte ce qui lui arriva
en 587 dans cette même églife , il ne fait
mention d'abord que d'un Clerc , puis de
quatre autres Clercs , & enfin du Prêtre.
Hé bien ! Y a-t'il rien là qui donne l'exclufion
à un Clergé Régulier ? M. Lebeuf
veut abfolument le mot de Moine , fans
quoi il ne voit ni à S. Julien , ni à S. Germain
l'Auxerrois , comme on l'a obfervé
plus haut N° XXI , ni nulle part ailleurs ,
qu'un Clergé Séculier . C'eft une idée que
d'autres Sçavans ont combattue avec tant
d'avantage , qu'il n'y a plus aujourd'hui làdeffus
, ou qu'il ne doit plus y avoir qu'un
feul & unique fentiment.
XXXIII. pag. 154. « Probablement
» la Bafilique de S. Julien , appellée fimplement
Chapelle en 1151 , avoit été long-
»temps en pauvre état , ou n'avoit été
» refaite que pauvrement ; ce qui l'auroit
»fait appeller par quelques- uns S. Julien
le Pauvre » .
"
Réflexions
JUILLET. 1756. 121
Réflexions. En vérité n'eft- ce pas là
abufer de la liberté que la critique la plus
relâchée accorde aux conjectures des Sçavans
? Incontestablement cette Eglife reconnoît
pour ſes Patrons S. Julien de
Brioude , & S. Julien l'Hofpitalier , dit
auffi S. Julien le Pauvre . Cela ne fuffit- il
pas pour expliquer très -fenfément le nom
de S. Julien le Pauvre qu'on lui a donné ,
& qu'on lui donne encore aujourd'hui ?
La fuite au prochain Mercure .
Les Tomes VI , VII & VIII de l'Hif
toire univerfelle facrée & profane , compofée
par ordre de Mefdames de France
viennent de paroître , à Paris , chez Gullaume
Defprez , Imprimeur ordinaire du
Roi , & de Mefdames de France , rue S.
Jacques , à S. Profper & aux trois Vertus.
Ces trois nouveaux Volumes nous ont paru
travaillés avec autant de foin que ceux qui
les ont précédés , & dont nous avons fait
un jufte éloge dans le Mercure de Février
1755. Il y regne le même ordre , la même
précifion , la même clarté , la même élégance
& la même pureté de ftyle qui caractériſent
tous les ouvrages de M. Hardion
de l'Académie Françoife. Nous penfons
que cette hiftoire , auffi intéreffante
qu'utile , eft faite pour réunir tous les fuf-
11. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE:
fages pour inftruire les gens du monde ,
& pour mériter l'eftime des gens de Lettres.
Les Tomes que nous annonçons , contiennent
les cinq premiers fiecles. Le fixieme
volume eft dédié à Madame Victoire-
Louife-Thérefe de France,
GÉOGRAPHIE pour les Jeunes Gens , dans
un goût nouveau , où Abrégés de l'Arithmétique
, de la Sphere , & de la Géogra
phie , par M. Clerget , Chevalier de l'Ordre
de Chrift , à Paris , chez Jofeph Barbou
, rue S. Jacques , aux Cicognes , &
Babuty fils , quai des Auguftins , à l'Etoile,
1756.
EDITION des Auteurs Latins , Hiftoriens
, Poëtes & Philofophes chez le même
Barbou.
Coutelier entreprit en 1742 , de don
ner dans le goût d'Elzevir , une collection
des Auteurs Latins. Les premiers parurent
fous fon nom , & Barbou devenu
poffeffeur de fon fonds , quant à cette
partie , continue cette entreprife. M. Philippe
fut éditeur des premiers , & un homme
de Lettres , éditeur du Céfar , a bien
voulu fe charger de revoir les fuivans.
HISTOIRE des Conjurations , Confpira
tions & Révolutions célebres , tant ancien
JUILLET. 1756. 123
nes que modernes , par M. Duport du
Tertre , Tomes IV , V & VI . A Paris ,
chez Duchefne , rue S. Jacques , 1756.
Cette fuite nous a paru intéreffante par
le choix des morceaux & par la maniere
dont ils font écrits & rédigés .
LETTRE fur le Méchaniſme de l'Opéra
Italien . Ni guelfe ni gibelin , ni wigh ni
thoris. A Naples ; & fe vend à Paris , chez
Duchesne , rue S. Jacques , & Lambert
rue de la Comédie Françoiſe .
Cette Lettre eft précédée d'une préface
de l'Editeur. Ce que nous allons extraire
de cette préface , fuffira pour donner une
jufte idée de l'ouvrage. L'Opéra François
dans fa forme actuelle , ( dit l'Editeur , )
doit néceffairement tomber malgré les
efforts qu'on fait pour l'étayer. L'Opéra
Italien , tel qu'il exifte en Italie , ne pour
roit fe foutenir en France. Quel parti prendre
! Il faudra donc fe paffer d'Opéra ?
Non. Que celui qui voudra fçavoir à quoi
il doit s'arrêter , s'inftruiſe d'abord avec
l'Auteur de ce petit Ouvrage , & il appren
dra fans donte avec furprife que
furprife que les Etran
gers s'ennuient à l'Opéra de Naples comme
à celui de Paris ; à l'un , parce qu'il ne
contente que les yeux , à l'autre , parce
qu'il ne charme que l'oreille . L'Opéra de
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
Paris ne leur offre que des décorations ,
des Ballets , des Machines , une brillante
affemblée & un grand filence ( 1 ) . Celui
de Naples ne leur préfente que de la Mufique
raviffante , des beautés invifibles &
un tumulte affreux. Tous fentent parfaitement
que des deux on en pourroit faire
un bon , mais perfonne juſqu'ici n'a penfé
à le propofer. Si le projet peut s'exécuter
, ce n'eft que par le parallele de ces
deux Opéra , & l'analyfe des parties qui
les compofent , qu'on peut tirer des conféquences
juftes , & parvenir à la conftruction
d'un Opéra , qui ne fera ni François ,
ni Italien , mais un compofé de l'un & de
l'autre , purgé des défauts de tous les deux,
dont le réſultat fera un Opéra national .
SUPPLÉMENT aux Tablettes Dramatiques
de M. le Chevalier de Mouhy de
l'Académie des Belles- Lettres de Dijon ,
depuis la rentrée du Théâtre jufqu'à la
clôture , pour les années 1755 & 1756 ;
contenant les pieces nouvelles , les pieces
remifes , les pieces imprimées , les débutans
, les Anecdotes du Théâtre depuis le
( 1 ) C'eft cette Nation qu'on peint toujours fi
folle ( la Françoife ) , qui fe montre pourtant la
plus fage dans les inftans & dans les lieux où il
faut l'être.
JUILLET. 1756. 125
dernier Supplément, & les Ballets . A Paris,
chez Jorry, quai des Auguftins , Lambert ,
rue de la Comédie Françoife , & Duchesne ,
rue S. Jacques.
On doit tenir compte à M. de Mouchy
de fon attention à renouveller tous les ans
un Ouvrage dont l'ufage eft très commode
pour le Public. Mais comme l'exactitude
en eft le principal ou plutôt le feul
mérite , nous croyons obliger l'Auteur de
l'avertir qu'il s'y trouve des erreurs qu'il
doit corriger. Nous ne citerons ici que celles
qui regardent trois de nos pieces qu'on
repréſente journellement. Il eft dit dans
les Tablettes que le Babillard étoit d'abord
en cinq Actes , qu'il a été réduit à un ,
& qu'il a eu feize repréfentations . Cette
Comédie a toujours été en un Acte , &
dans fa nouveauté elle a éré jouée vingtcinq
fois. L'Auteur ne donne au François à
Londres , & aux Dehors Trompeurs , que dixfept
repréſentations. La premiere piece
en a eu vingt- trois , & la feconde vingt
de fuite.
RECUEIL par ordre alphabétique des
principales queſtions de droit , qui fe jugent
diverfement dans les différens Tribunaux
du Royaume , avec des Réflexions
pour concilier la diverfité de la Jurifpru-
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
dence , & la rendre uniforme dans tous
les Tribunaux ; par M. Bretonnier ,
cien Avocat au Parlement , troifieme édi
tion , augmentée de nouvelles notes &
additions, par M. Boucher d'Argis, Ecuyer,
Avocat au Parlement , & Confeiller au
Confeil fouverain de Dombes , 2 vol. A
Paris , chez Prault Pere , quai de Geſvres,
au Paradis , 1756.
LOISIRS PHILOSOPHIQUES , ou l'Etude
de l'Homme , de M. B. A Londres , & fe
trouvent à Paris , chez Duchesne , rue S.
Jacques , 1756.
Nous nous contenterons de tranſcrire
l'Analyse d'une Préface qui eft à la tête de
l'ouvrage , pour en faire connoître le ton,
l'efprit & le coloris. Mandier , dit l'Anreur
, les fuffrages du Lecteur , & braver
les Satyres du Critique ; faire parade d'une
étudition déplacée , pour fe donner un
air d'Auteur , & plaifanter lourdement
pour faire croire qu'on a l'efprit aimable ;
prendre un ton avantageux pour donner à
penfer qu'on a fait les plus belles chofes
du monde , & dire des fottifes pour prouver
le contraire ; courir les infipides éloges
que prodiguent les petits beaux efprits
& fuir les fages avis des perfonnes de bon
fens ; vanter extrêmement fon ouvrage, &
JUILLET. 1756. 127
méprifer extrêmement celui des autres ; promettre
une infinité de chofes & n'en pas
tenir une voilà ce que c'eft qu'une préface
, & voilà ce que je n'ai point voulu
faire.
Nous ajouterons à cette anti - préface ,
la quarante- neuvieme réflexion tirée da
livre , page 203. Qu'est-ce que paffion ?
Pourquoi naiffons- nous avec des paffions ?
Quel a pu être le motif du fouverain être
en nous créant fujets aux paffions ? Taistoi
, animal indocile ; ne vois- tu pas que
c'eſt comme fi tu voulois fçavoir pourquoi
tu nais avec cette perfectibilité que tu ne
remarques point dans les Bêtes ? Trouvemoi
quelqu'un qui puiffe me dire exactement
ce que c'eft qu'efprit , ce que c'est
que matiere , ce que c'eft que toi- même ;
& enfuite je te répondrai . Mais , diras- tu,
je ne puis chercher que parmi les hommes.
Eh bien ! ne cherche point , & fais- moi
des queſtions auxquelles un homme puiffe
répondre. Nous croyons en effet , qu'il
n'y a rien à répondre à cela.
HISTOIRE CRITIQUE de la Philofophie ,
où l'on traite de fon origine , de fes progrès
, & des diverfes révolutions qui lui
font arrivées jufqu'à notre temps , par
M. Deflandes , Tome IV. A Amſterdam ,
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
chez François Changuion , 1756 , & fe
trouve à Paris , chez Giffart , rue S. Jacques.
Ce volume nous paroît mériter le fuccès
des trois premiers qui ont fait tant
d'honneur à l'Auteur . On ne peut le lire
fans en défirer vivement la fuite qu'il promet
, & qui doit terminer cet Ouvrage
eftimable. Nous croyons ne pouvoir mieux
louer M. Deflandes , qu'en répétant ici
l'éloge ou plutôt la juftice que tous les
Journaux lui ont rendue dans les mêmes
termes , qu'il cite lui même à la fin de
l'avertiffement , c'eſt d'avoir préféré à une
érudition faftueuse , & qui pour l'ordinaire
coûte peu à acquérir , ce choix & cette aitention
qui fervent à éclairer les hommes ; d'avoir
plusfongé à faire connoître le génie &
le caractere des anciens Philofophes , qu'à
rapporter leurs feniences , lurs bons mots ,
les titres de leurs Livres , & l'Olympiade où
ils ont vécu. L'Auteur avoue que cette
louange eft celle qui le flatte le plus. Voilà
pourquoi nous l'avons préférée ; & nous
la lui donnons d'après les autres , parce
que nous penfons qu'elle lui eft propre &
qu'il la mérite.
1
JUILLET. 1756. 129
LETTRE
A l'Auteur du Mercure , en lui envoyant un
文
Portrait de M. DE FONTENELLE . Le
26 Juin 1756 .
E crois vous faire autant de plaifir qu'au
Public , Monfieur , en vous envoyant pour
le Mercure un petit morceau , où votre
illuftre Confrere , M. de Fontenelle , eſt
d'autant mieux loué , qu'il y eft mieux
peint & mieux caractérisé. Ce morceau eft
tiré d'une Harangue latine prononcée le
6 Avril dernier, au College des Jéfuites de
Bourges , par le Pere Power , Profeffeur de
Rhétorique ; & je le tiens de M. Dodari ,
Intendant de Berry , qui m'honore depuis
long temps de fon amitié. Comme les
Belles- Lettres font fon délaffement , je lui
mande quelquefois des nouvelles littérai
res . Je lui avois donc parlé de la belle Harangue
du Pere Geoffroy Il me répondit
qu'il en avoit entendu auffi une très- belle
Bourges , & avec d'autant plus de plaifir
qu'il y avoit trouvé un éloge également
ingénieux & vrai de fon ami M. de Fontenelle
. Avec tout le zele que vous me connoiffez
pour la gloire du Neftor des Aca
démies , avec toute ma tendrelle pour un
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
homme auffi aimable qu'eftimable , vous
croyez bien que j'eus le plus vif empreffement
de voir cet éloge. Je le demandai à
M. Dodart. Il me l'envoya : il y joignit
un extrait , mais très - abrégé , de la Harangue.
Je vous envoie le tout , Monfieur ,
& fuis très - parfaitement votre très - humble
& très-obéillant Serviteur. TRUBLET.
EXTRAIT DE LA HARANGUE.
Le fujet de la Harangue eft : Si les Fran
gois peuvent égaler les Grecs & les Latins
dans l'Eloquence & dans la Poéfie. Le doute
fur cet objet pourra paroître injurieux à la
France & indigne d'un homme de Lettres ,
à ceux qui penfent que nous avons déja
égalé les Anciens : mais comme quelques
autres penfent le contraire , & furtout les
Nations étrangeres , l'Orateur s'eft cru fuffifamment
autorifé à propofer ce problême.
Son but a été de réfuter ce que les Admira•´
teurs outrés des Anciens ont fouvent avancé
, que non feulement nous n'avons pas
encore égalé ces Anciens dans l'éloquence
& la poéfie , mais que nous ne pouvons
pas efpérer de les égaler jamais. Il a remarqué
que les raifons dont ce paradoxe
étoit communément appuyé , fe réduifoient
à deux principales. 1 °. Que la trempe
JUILLET. 1756. 131
du génie n'étoit pas en France auffi propre
pour l'éloquence & la poéfie , qu'elle l'étoit
chez les Grecs & les Latins. 2 ° . Que
nous avions moins d'avantage que les Anciens
du côté de l'invention , du choix des
fujets & de la maniere de les traiter ; 1º .
parce que les Anciens fe font emparés de
tout ce qu'il y a de meilleur en fait de
penfées & de fentimens ; 2°. parce que la
différence des Gouvernemens , les révolutions
arrivées à la Religion & aux moeurs ,
ont fait difparoître entiérement quelques
genres de poéfie & d'éloquence , & ont
produit dans ceux qui nous reftent des
altérations auxquelles les Auteurs font
obligés de fe prêter. Le Difcours avoit deux
parties relatives aux affertions des Adverfaires.
Le Pere Power fait voir dans fa
premiere partie : 1 ° . Que les raifons que
ces Meffieurs ont apportées pour prouver
que l'efprit n'étoit pas auffi bon en France
qu'il l'étoit autrefois dans la Grece & dans
l'Italie , font ou évidemment fauffes , ou
purement conjecturales , & parconféquent
peu folides ; 2°. Que par le fait la France
avoit produit d'auffi grands génies que la
Grece & l'Italie ancienne . L'Orateur a fait
voir dans la feconde partie : 1 ° . Qu'il s'en
falloit infiniment que les Grecs & les Latins
fe fuffent emparés de tout ce qu'il y a
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
de meilleur dans les penfées & dans les
fentimens : 2 °. Que malgré les prétendues
caufes de dépériffement , ou d'altération
alléguées par fes adverfaires , les Anciens
n'avoient eu aucun avantage confidérable
fur nous par rapport au choix des fujers ,
ou à la maniere de les traiter , & que
nous avions même à ces deux égards plufieurs
avantages confidérables fur eux . Il a
parcouru les principales efpeces de poéfie
& d'éloquence , & en appliquant à chacune
les principes qui lui font propres , il a
tâché de prouver de chacune en particulier
, ce qu'il avoit avancé de toutes en
général.
Caractere de M. de Fontenelle .
Fontenellus , ut Pindari verbis utar ,
decerpens fummos fl fculos è virtutibus fingulis
, pretiofiffimum omnium fuccum in fe
uno colligit. Idem in rebus Philofophicis fubtilis
, nec tamen nugatorius , in Poeticis delicatus
nec tamen fractus ; in Oratoriis mollis
, nec tamen diffolutus ; in Hiftoricis non
fine fimplicitate comptiſſimus ; & quamvis
curâ forte nimius , negligenti tamen fimilis ;-
in omnibus ingenii feliciter prodigus ; mirum
in modum habilis obfcura perluftrare , humilia
attollere , minuta augere , horrida ex-`
polire , triftia exhilarare ; levibus pondus ,
JUILLET. 1756. 133
fcabrofis fuavitatem , diffiparis ordinem , incredibilibusfidem
, iis etiam que funt ab omni
fenfu remotiffima , formas colores & veluti
corpus addere ; virtutibus admirabilis , ipfis
vitiis dulciffimus , nulli veterum fimilis , &
neminem farte fui fimilem in pofteris habiturus.
Traduction.
I
Fontenelle , pour me fervir de l'expreffion
de Pindare , a extrait de tous les genres
d'efprit , ce qu'il y á dans chacun de
plus exquis , pour fe former de ce précieux
affemblage un caractere qui lui eft propre.
Subtil , fans être minutieux , dans fes ouvrages
Philofophiques ; délicat , fans être
énervé , dans fa Poéfie ; doux , fans fadeur
, dans fes Difcours académiques ;
brillant & fimple dans fes Eloges , & quoique
peut- être trop efclave de l'art , ne paroiffant
fuivre que la nature ; d'un efprit,
inépuiſable , qui ſe répand fur tout ce qu'il
traite avec une forte de profufion , & plaît
toujours , quoique prodigué. Jamais perfonne
ne pofféda dans un dégré auffi fupérieur
, le talent d'éclaircir les matieres
les plus obfcures ; d'élever , d'ennoblir les`
chofes les plus communes ; de donner aux,
objets les plus bornés une espece d'immenfité
; d'égayer les fujets les plus férieux ;
134 MERCURE DE FRANCE.
de donner un air d'intérêt aux plus petites
bagatelles ; de répandre de l'agrément fur
les difcuffions les plus épineufes , de rappeller
à un ordre lumineux un amas confus
d'idées fans liaiſon & fans fuite , de faire
prendre à un paradoxe les traits de la vérité
, de mettre les penfées les plus abftraires
à la portée de tous les efprits , & de
revêtir , fi j'ofe ainfi parler , de formes &
couleurs fenfibles les idées les plus méraphyfiques
: génie admirable dans fes perfections
, agréable jufques dans les défauts,
il fut fans modele dans l'antiquité , & il
fe trouvera difficilement dans la poſtérité
quelqu'un qui lui reſſemble.
Remarques & Additions de M. l'Abbé
Trublet ( 1).
ke
Ce qui diftingue plus particuliérement
M. de Fontenelle , c'eft l'union du bel-efprit
& de l'efprit philofophique , l'un & l'au
tre dans le plus haut degré.
Il y a toujours de la philofophie dans
ſes Ouvrages de bel - efprit , toujours du
(1 ) Je donne fous ce titre , à l'occafion de ce
qu'on vient de lire , partie d'un morceau fait il
y a long-temps , & lorfque M. de Fontenelle compofoit
encore. Tout le monde fçait qu'il eft aujourd'hui
dans fa centieme année , étant né le 11
Février 1657
JUILLET. 1756. 135
bel- efprit dans fes Ouvrages de philofophie.
Il a dit & prouvé , par fon exemple , que
rout eft du reffort de la philofophie , &
juſqu'aux agrémens mêmes , puifqu'ils ont
leurs cauſes.
II y a plufieurs fortes de bel- efprit . La
fineffe & la délicateffe caractériſent celui
de M. de Fontenelle .
S'il eft prodigue d'efprit , s'il eft riche
en traits fins & délicats , il l'eft encore
plus en penfées folides & lumineufes :
chez lui l'ingénieux eft toujours vrai , l'agréable
toujours utile , le beau toujours
bon.
La définition fi heureufe de l'efprit ,
raifon affaifonnée , femble avoir été faite
d'après l'efprit de Made Fontenelle.
Mais on lui reproche d'avoir trop cherché
à affaiſonner , de courir après l'efprit ;
en un mot , d'être affecté & de n'être point
naturel.
pour
Le reproche feroit grand , furtout
un Philofophe , s'il étoit mérité.
Si le bel efprit porte à l'affectation , l'efprit
philofophique en détourne , & devroit
en guérir.
M. de Fontenelle met beaucoup d'efprit
dans fes Ouvrages , parce qu'il en a naturellement
beaucoup. L'efprit lui vient fans
136 MERCURE DE FRANCE.
qu'il le cherche , & ne lui coûte rien ; les
Aeurs naiffent fous fes pas , & il cueille les
plus belles un coup d'oeil lui fuffit pour
le choix & l'arrangement.
:
Ce n'eft pas qu'il ne travaille avec foin ,
& , comme il dit , en confcience . Indépendamment
du Public qu'il refpecte beaucoup
, il veut fe contenter lui - même , & il
eft difficile. Après le bien , il cherche ie
mieux , quand ce mieux ne s'eft pas préfenté
d'abord : il cherche les meilleures
penfées , & la meilleure maniere de les
rendre , un vrai neuf , & l'expreffion la
plus jufte , la plus précife & la plus nette .
Ordinairement cette expreffion eft encore
ingénieufe , auffi bien que la pensée même ;
c'eft mérite complet.
Voici la méthode de M. de Fontenelle en
compofant. Il médite paisiblement fon fujer
il ne fe met à écrire qu'après avoir
achevé de penfer ; mais la plume une fois
prife , marche fans interruption : point de
brouillons , une copie unique , & prefque
fans ratures . L'Ouvrage reftera comme il
eft ; il aura donc l'air facile : on y trouvera
même quelques négligences , mais aucune
de celles qui rendent une phrafe louche ,
embarraffée , obfcure . Le ftyle de M. de
Fontenelle n'eft pas un ſtyle léché , compaffé
il n'arrange pas au cordeau chaque
JUILLET. 1756. 137
mot , mais il ne manque jamais le mot
propre.
M. de Fontenelle eft auffi naturel qu'il
pouvoit l'être , étant auffi ingénieux : c'eft
même une des chofes que j'admire le plus
en lui , qu'étant fi ingénieux , il foit néanmoins
fi naturel , & fouvent même fi fimple.
On a beau aimer l'efprit ; il laffe & fatigue
bientôt , s'il n'eft pas aifé & naturel.
Mais M. de Fontenelle ne laffe & ne fatigue
jamais s'il exige de l'attention , il l'attire
, & on la lui donne fans effort : on le
lit comme il compofe ( 1 ) .
1
L'opinion que M. de Fontenelle n'eſt pas
naturel , eft venue des Critiques plus que
des Lecteurs , des gens de Lettres plus que
des gens du monde , de la réflexion plus
que du fentiment .
Les gens du monde ont dit que M. de
Fontenelle avoit infiniment d'efprit : quelques
gens de Lettres ont dit qu'il en avoit
trop .
La poftérité ne lui fera pas le même
( 1 ) M. de Fontenelle a mené une vie très heu
reufe , & une partie de fon bonheur a confifté
dans une grande réputation , acquife par un travail
affidu , mais facile. Aucun Auteur peut- être
n'a moins éprouvé que lui les inconvéniens de la
Littérature , fi bien expofés par M. de Voltaire.
138 MERCURE DE FRANCE.
reproche ; elle fera même furprife qu'on
le lui ait tant fait.
Ses Eloges académiques ne paroiffent
que des hiftoires , & ne fentent point le
panégyrique : il loue d'autant mieux qu'à
peine femble-t'il louer.
11 raconte les faits de la maniere la
plus intéreffante , & peint les caracteres
avec la plus grande vérité. Ecrivain moral
, il peint l'homme avec l'Académi
cien.
Efprit attentif & pénétrant , il voit
dans les objets les plus ordinaires ce qu'on
n'y avoit point encore vu : efprit folide , il
néglige les minuties , les petits détails , &
écarte tout l'inutile.
La marche, l'enchaînement, & la gradation
des idées , eft un des principaux carac
teres de fon ftyle. Tout fe tient , tout fe
fuit : cependant court & concis , il fupprime
beaucoup ; mais on ne s'en apperçoit
jamais par la difficulté d'entendre
& le befoin de deviner. Ce qu'il dit ,
exprime ce qu'il omet : il faut à fes Lecteurs
plus d'attention que d'efprit . Son
expreffion , je le répéte , eft toujours claire
& précife , toujours l'image exacte &
diftincte de fa penfée. Il voit nettement &
rend de même.
Par la feule maniere d'amener & de
JUILLET. 1756. 139
préfenter une vérité toute nouvelle , contraire
même à l'opinion commune , il la
prouve & la perfuade. Si pourtant on eft
tenté de lui faire quelque objection , on
voit bientôt qu'il l'a prévenue & réfolue
*
d'avance.
Il eſt toujours fi raifonnable qu'il n'a
pas befoin d'être raisonneur ; & fi Moliere
a dit des écrits de certains Philofophes
,› que le raifonnement en bannit la
raifon , on pourroit dire de ceux de M.
de Fontenelle , que la raison en bannit le
raifonnement , ou du moins l'appareil & les
longueurs de la dialectique.
Je conclus comme le P. Power. M. de
Fontenelle eft un Ecrivain original : il n'a
point imité ; je le crois inimitable , & je
confeille aux jeunes Auteurs de le croire
tel auffi .
Je lui appliquerois volontiers , mais
dans un fens différent , ce qu'un Confrere
du Pere Power ( 1 ) a dit ingénieuſement
d'Alexandre , dans une de fes Harangues :
Nulli imitabilis , neque forfan imitandus.
Il ne faudroit pas imiter en tout Alexandre
, parce qu'il avoit des vices , ni M.
de Fontenelle , parce que fes beautés mal
imitées , deviendroient des défauts . J'ai
diftingué en lui deux Auteurs , le bel
(1) Le Pere Perée.
140 MERCURE DE FRANCE.
efprit & le Philofophe. Le premier feroit
un modele dangereux , le fecond en feroit
un très utile , & même le pius parfait , à
mon avis , qu'on pût fe propofer . Perfonne
n'a mieux traité que M. de Fonte
nelle les matieres de philofophie.
Son Hiftoire de l'Académie des Sciences
eft plus eftimée & plus célebre que connue
, parce qu'elle n'eft pas affez répandue.
Un fi grand nombre de Volumes in 4° .
ne peuvent être achetés que par
des
gens riches qui lifent peu . Je fouhaiterois
donc qu'on imprimât cette Hiftoire féparément
, & fans les Mémoires , c'eſt-à- dire
les extraits des Mémoires , les obfervations
de Phyfique générale & particuliere ; en
un mot tout ce qui compofe la partie hiftorique
, à l'exception des Eloges qu'on a
déja avec les autres OEuvres de l'Auteur.
On réduiroit aifément à dix in- 12 , les
quarante-deux in- 4° , auxquels M. de Fontenelle
a eu part. Que de beautés de toute
efpece dans cette Hiftoire ! Faits curieux
bien expofés , réflexions ingénieufes , vues
lumineufes ajoutées à celles des Auteurs
des Mémoires , foit par de nouvelles conféquences
de leurs principes , foit par des
applications de ces principes à d'autres
fujets , foit même par de nouveaux principes
plus étendus & plus féconds. Mais
JUILLET. 1756. 141
indépendamment du mérite du fonds ,
plufieurs des extraits de M. de Fontenelle
font autant de chef-d'oeuvres par le feul
mérite de la forme , comme fon grand
Ouvrage de Géométrie ( 1 ) eft un édifice
admirable , du moins par l'architecture.
Or un grand Architecte eft certainement
un homme de génie . J'ofe donc le dire :
refufer cette derniere qualité à M. de Fontenelle
, & ne lui accorder que beaucoup
d'efprit , ce ne feroit pas lui rendre toute
la juftice qui lui eft dûe. On honore
du nom de génie des talens moins agréables
, moins utiles & moins rares que
celui qui caractériſe principalement ce
grand homme & dans lequel il n'a point
d'égal , le talent de la belle ordonnance
du bel enfemble . Les belles parties font
communes en comparaifon des beaux
touts ; & , comme l'a dit lui-même M. de
Fontenelle: Il y a beaucoup plus de bons Livres
, que de Livres bienfaits.
NOUVEAUX Elémens d'Odontalgie ;
par M. Jourdain , Expert pour les dents ,
reçu à Paris. Chez Guillaume Desprez ,
Imprimeur du Roi , rue S. Jacques ,
S. Profper , & aux trois Vertus.
Cet Ouvrage peu confidérable
(1) Elémens de la Géométrie de l'Infini,
par
fon
142 MERCURE DE FRANCE.
volume , le devient par les matieres qui
y font contenues , & que l'Auteur a traité
avec beaucoup d'ordre & de préciſion.
Perfuadé de la néceffité de connoître parfaitement
les parties , fur lefquelles on
opere , il préfente l'anatomie de la tête
dans la premiere partie de fon Ouvrage .
Il a eu foin de ne faire entrer dans fes
defcriptions que ce qui a du rapport à fon
Art ; qualité effentielle dans les Ouvrages ,
& qui eft une marque certaine de la bonté
de ceux où elle fe trouve. Les hémorragies
qui viennent à la fuite de l'extraction
d'une dent , ne font pas ordinairement
dangereuſes , mais elles peuvent l'être
quelquefois. L'Auteur propofe dans la
feconde partie de fon livre , un moyen de
les arrêter , toujours fûr , & qui eft la
fimplicité même. La maniere d'ouvrir les
abcés , de trepaner les dents , d'extirper
l'epulie , le traitement enfin des fluxions
& du fcorbut , pour ce qui concerne fon
Art , avec les fignes & les caufes de ces
maladies , font autant de matiere fur lef
quelles il n'a rien oublié pour répandre
un nouveau jour . Je n'entrerai point
dans un plus long détail , je me contenterai
d'avertir , qu'on trouve à la fin du
livre la deſcription & l'ufage des trois
inftrumens nouveaux , dont l'Auteur a
enrichi l'Art qu'il profeffe.
JUILLET. 1756. 143
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
PHYSIQ U E.
RÉPONSE
A la Lettre à un Académicien de Dijon ,
inférée dans le Mercure de Mai 1756.
Monfieur, je ne prétends pas vous difputer
le droit que vous prétendez avoir à
la découverte du vrai méchanifme de la
gravité. C'est au Public , & non à un par
ticulier , à vous ôter ce droit , s'il ne vous
appartient pas , ou à vous le confirmer , s'il
Vous appartient,
Je n'afpire pas non plus à la gloire d'ê
tre inventeur. Je n'ignore pas que plu
fieurs perfonnes avant moi fe font fervis
de l'impulfion de la lumiere pour expliquer
les phénomenes de la gravité. Mon
deffein , dans le difcours dont on a vu
l'extrait dans le Mercure de Février , a été
feulement de faire ufage de ce principe
144 MERCURE DE FRANCE.
dans la Philofophie de Newton , où perfonne
, que je fçache , ne l'a encore employé.
Et voici les raifons qui m'ont déterminé
à le faire .
Jaloux de la gloire de ce grand homme ,
j'ai voulu fauver la contradiction dans
laquelle on l'accufe d'être tombé , lorfqu'il
a fait confifter la lumiere dans des corpufcules
pouffés avec grande force par les
étoiles & le foleil , tandis que les planetes
elles- mêmes , qui font infiniment plus
groffes que ces corpufcules , font attirées
par cet aftre , & tomberoient fur lui , fi
la force de projectile ne les en éloignoit
fans ceffe .
-
On ne doit pas douter que Newton n'ait
fenti cette contradiction : elle eft trop palpable
pour
n'avoir pas été apperçue par ce
grand & vafte génie , ou plutôt ce n'en eft
pas une dans fes principes. L'attraction eſt
une maniere d'expliquer mathématiquement
les phénomenes , & l'impulfion d'un
fluide tel que la lumiere en peut être la
caufe phyfique.
On peut voir comme il s'en explique à
la fection onzieme de la premiere partie.
Pergo , dit- il , motum exponere corporum
fe mutuò trabentium confiderando vím centripetam
tanquam attractiones ; quamquam fortaffe
,fiphyficè loquamur , verius dicantur impulfus.
JUILLET. 1756 . 145
pulfus. In mathematicis enim verfamur ; &
proptereà miffis difputationibus phyficis , familiari
utimur fermone , quo poffimus à lectoribus
mathematicis faciliùs intelligi .
Ayant compris par ces paroles que fi
Newton avoit voulu expliquer phyfiquement
les phénomenes de la gravité , il
eût eu recours à l'impulfion , j'ai tenté
moi-même de le faire , en prenant pour
la caufe phyfique de ces phénomenės la
lamiere elle -même , à laquelle il donne un
mouvement d'impulfion .
J'ai cru en fecond lica que ceux qui ont
à coeur l'honneur du grand Newton , ne
feroient pas fâchés que quelqu'un tentât
de fubftituer l'impulfion d'un fluide à ce
qu'il entend par fon attraction mathématiques
que par mon travail je juftifierois
fon admirable philofophie des reproches ,
que cette attraction lui attire de la part de
ceux qui ne la connoiffent qu'imparfaitement
& que détruifant la répugnance
qu'un grand nombre de Philofophes ont
pour ce principe , le nombre de fes difciples
en augmenteroit de plus en plus.
>
Vous voyez , Monfieur , par ce que je
viens de dire , que mon fyftême pourroit
avoir quelque chofe de nouveau , quand
même j'aurois profité de quelques- unes des
découvertes de ceux qui ont écrit avant
II.Vol.
G
146 MERCURE DE FRANCE.
moi ; mais fans entrer dans cette vaine
queftion , je paffe aux objections que vous
me faites pour y répondre le mieux qu'il
me fera poffible.
Vous prétendez d'abord que mon fyftêmeapproche
de celui de M. Bernoulli dans
fa nouvelle Phyfique Célefte , & que plufeurs
des difficultés qu'on peut oppoſer à
fon fyftême , peuvent être oppofées au
mien. Une de ces difficultés , c'eft , ditesvous
, que les rayons de la lumiere , à l'extrêmité
des tourbillons , font trop rates
pour fe choquer les uns les autres , & former
ces pelotons qui font la caufe du mouvement
des planetes , felon ce grand Géometre.
Il y a deux chofes à confidérer dans cette
objection , la rareté des rayons & leur formation
en pelotons. Leur formation en pelotons
ne peut m'être objectée. La lumiere
que j'admets d'après Newton , & que
j'établis pour caufe phyfique de la gravité ,
eft telle qu'elle vient du foleil & des étoiles.
Ses corpufcules nagent dans le vuide.
Quoique pouffés avec grande force en direction
contraire , ils ne fe choquent point
les uns les autres , ne fe joignent point en
pelotons , mais paffent à côté l'un de l'autre
fans le détourner fenfiblement de leur
chemin , fe croifent en un mot fans fe déJUILLET.
1756. 147
truire. ( C'est le troifieme principe fur lequel
je fonde mon fyftême dans l'extrait
de ma Differtation imprimée ) . Je le prouve
dans la Differtation même par cette expérience.
Mettez deux fpectateurs dans
deux coins d'une chambre , & que chacun
d'eux regarde un objet qui foit fitué
dans celui des deux autres coins qui lui eft
diagonalement oppofé , les rayons qui
viennent de ces deux objets fe croifent
dans le milieu de la chambre avant que de
venir à leurs yeux , & ne s'empêchent en
aucune maniere , puifque les deux objets
feront vus des deux fpectateurs avec toutes
leurs couleurs & tous leurs traits.
Pour ce qui eft de la rareté des rayons
que vous croyez être très-grande à l'extrê
mité des tourbillons , je conviens que s'ils
étoient auffi rares que vous le prétendez ,:
ils n'auroient pas affez de force , ni dans .
le fyftême de M. Bernoulli , ni dans le
mien , pour pouffer les planetes vers le foleil.
Ceux du foleil même , quoiqu'il en
darde davantage fur elles que chaque étoile
en particulier , à caufe qu'il en eft plus
proche , ne paroiffent pas encore affez forts
pour foutenir à une certaine élévation ces
énormes maffes.
Mais je dis
que ce nefont
les rayons du foleil , ou d'une étoile fixe ,
pas
feulement
G ij
148 MERCURE DE FRANCE.
qui font graviter une planete , ou quelque
autre corps que ce foit , & qu'il faut attribuer
cet effet aux rayons de toutes les étoiles
qui en envoient fur cette planete , ou
fur ce corps. Or il y en a une infinité. ( On
peut voir dans le même extrait que c'eſt
encore un des principes fur lequel je fonde
mon fyftême ) .
Une preuve fenfible de ce que j'avance ,
c'eft qu'il n'y a aucun point de l'un des hémifpheres
d'une planete , de la terre par
exemple , d'où l'oeil d'un fpectateur ne
puiffe voir toutes les étoiles de l'hémifphere
du Ciel , qui fe montre à lui pendant
une belle nuit. Or fi l'oeil apperçoit toutes
ces étoiles , il faut que chacune d'elles envoie
fur ce point un grand nombre de
rayons ; c'est-à- dire , qu'il vient fur ce
point une infinité de rayons , dont les forces
réunies doivent le pouffer avec une
grande force.
Excluons , fi vous voulez , de ces rayons
ceux qui frappent la planete de côté , ou
qui ne font avec fon diametre qu'un angle
de peu d'inclinaifon : refteront toujours
ceux des étoiles de plus des trois quarts
d'un des hémispheres du Ciel.
Ramaffons à préfent toutes ces étoiles
éparfes , & formons-en par la penfée des
globes lumineux , égaux à celui de notre
JUILLET. 1756. 149
foleil. Il est évident qu'on en pourroit former
un affez grand nombre : d'où je conclus
que les planetes font repouffées vers
le foleil par une bien plus grande quantité
de rayons qu'il n'en vient du foleil même.
Il en eft de même des rayons qui foutiennent
les planetes à une certaine diftance
du foleil . Ce ne font pas feulement ceux
de cet aftre ; mais tous ceux des étoiles de
la glus grande partie de l'hemifphére dů
ciel oppofé , à l'hémifphére de la planete
qui regarde le foleil .
Vous trouverez encore à redire au fyftême
de M. Bernoulli , en ce que dans fon
hypothefe la gravité des grands corps ne
feroit pas le réfultat de la gravité mutuelle
de leurs petites parties. Si c'eft parce
que les pelotons ne font pas affez déliés
pour pénétrer dans l'intérieur des corps ,
& imprimer de la force à leurs moindres
parties , cette objection ne porte point fur
mon fyftême , dans lequel les corpufcules
de la lumiere font de toutes les parties de
la matiere les plus fubtils , & pénetrent
les pores des corps les plus compactes.
Les Pelotons gravifiques de M. Bernoulli
fe meuvent plus lentement , ajoutez-
vous , que la lumiere , à cauſe que leur
mouvement a été ralenti : mais dans le fyftême
de Newton & dans le mien , rien
G iij
jo MERCURE DE FRANCE:
ne ralentit le mouvement de la lumiere ;
elle va de tourbillon en tourbillon porter
fes rayons jufqu'aux extrêmités de l'Univers
, avec une vîteffe qui furpaffe l'imagination.
Comme je n'ai pas befoin dans mon fyftême
des pelotons de M. Bernoulli , je ne
crois pas non plus avoir befoin d'y faire le
changement que vous m'indiquez , qui feroit
d'admettre des corpufcules beaucoup
plus fubtils que la lumiere , & qui auroient
plus de rapidité qu'elle . J'aurois de
la répugnance à admettre cette nouvelle
efpece de fluide , parce qu'il tient de l'hypothefe
& de la fuppofition qu'il faut bannir
de la phyfique autant qu'il eft poffible ;
au lieu que l'exiftence de la lumiere , la
fubtilité de fes parties , & fon mouvement
rapide , font reconnus de tout le monde.
Ce que j'ai dit de la multitudé des rayons
qui frappent chaque point d'une planete
ou d'un corps qui tombe , me fournit la
réponſe à l'une des objections les plus fpécieufes
que l'on puiffe faire contre mon
fyftême , & qui n'a point échappé à votre
pénétration ; c'eft qu'il tend à rendre inégales
les pefanteurs d'un même corps le
jour & la nuit , quoiqu'on n'apperçoive
point une pareille inégalité
Cette objection n'ébranlera perfonne ,
JUILLET. 1756.
l'on fait attention que les rayons qui viennent
des étoiles frapper le corps qui tombe
, font en bien plus grand nombre que
ceux du foleil , comme nous l'avons dé-
- montré. Suppofons , par exemple , que le
nombre des rayons de ces étoiles foit deux
cent fois plus grand que celui des rayons
du foleil , il s'enfuiyroit feulement que les
corps qui tombent n'auroient qu'un deuxcentieme
de force plus pendant le jour ,
que pendant la nuit ; ce qui feroit une difference
trop petite pour qu'on s'en apperçûr.
N'y a-t- il pas déja certaines différences
dans la pefanteur dont on ne s'apperçoit
pas ? Qui doute , par exemple , que le froid
de la nuit ne condenfe l'air , & ne rende
. par conféquent plus lentes les ofcillations
des pendules ? On ne s'apperçoit pas pour
cela d'aucune différence dans les heures du
jour & de la nuit on pourroit bien de
même ne pas s'appercevoir de la différence
que caufe l'abfence du foleil , d'autant
plus qu'on ne pourroit s'en appercevoir
qu'au moyen des horloges , & que toutes
les horloges dans ce cas feroient également
retardées .
C'eſt par la même raifon que la différente
pofition des étoiles fur un endroit de
la terre , caufée par leur révolution en 24
Giv
152 MERCURE DE FRANCE:
heures , ne produiroit aucun changement
fenfible dans les meilleures pendules.
Je crois avoir démontré que les corps
qui tombent , & la lune elle-même , gravitent
fur la terre en raiſon inverfe du quarré
de leur diftance à fon centre , & que
les autres planetes gravitent fur le foleil
en même raifon , en difant , que plus les
corps qui tombent font éloignés des af
tres , & plus leur gravité augmente , à caufe
que la colonne de lumiere qui les frappe
eft plus grande.
Faifant confifter l'accélération du mouvement
des corps qui tombent dans les
coups redoublés que portent à ces corps les
corpufcules lumineux qui vont incomparablement
plus vite qu'eux , je dis que plus
un corps eft diftant des aftres , dont les
rayons le pouffent vers un centre , & plus
grande eft fa gravité ; qu'au contraire ,
moins il en eft diftant , & moins il en
reçoit, & moins grande eft fa gravité . Donc
plus la colonne de lumiere qui pouffe un
corps eft grande , & plus grande eft fa gràvité
: moins elle eft grande, & moins grande
eft fa gravité.
Il eft facile de démontrer dans ce fyftême
, que les efpaces que parcourent les
corps qui tombent , font comme le quarré
des temps ou des vîteffes , ainfi que l'a déJUILLET
. 1756 . 153
montré Galilée ; & après avoir démontré
que les efpaces parcourus font comme les
quarrés des tems , on peut démontrer avec
Newton , que la gravité de la lune qui
tombe vers la terre , & la gravité des autres
planetes qui tombent vers le foleil ,
eſt en raiſon inverfe du quarré des diftances
du centre où elles tendent.
Il n'y a que les grands Philofophes
comme vous, Monfieur , qui peuvent voir
d'un feul coup-d'oeil toutes les conféquences
que l'on peut tirer du principe de la
gravité en raifon inverfe du quarré des
diſtances. Le plus grand nombre eft de ceux
qui ne les voient point d'abord. C'eft pour
ceux-là que l'on indique les phénomenes
qui découlent géométriquement de cette
foi , tels que l'inégalité de pefanteur dans
les différentes régions.
Par rapport aux phénomenes où vous
dites que la gravité univerfelle n'a aucune
prife , comme eft la diftance des planetes
au foleil , leur excentricité , les inclinaifons
mutuelles de leurs orbites , leur mouvement
de rotation , l'obliquité de chaque
axe de ces mouvemens fur fon orbite
&c. en un mot tous ceux que Newton
n'explique pas , ou qu'il fait dépendre de
l'impreffion que les planeres ont reçu dès
le commencement de la main du Créateur,
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
je crois que s'il n'en dit rien , c'est parce
que l'attraction mathématique à laquelle il
s'étoit borné , ne pouvoit lui en fournir
l'explication ; mais que s'il eût affigné uné
caufe phyfique à la gravité , & qu'il fe fût
appliqué à en rechercher tous les effets , il
eût pu parvenir jufqu'aux phénomènes ,
qu'il a laiffe fans explication .
C'est encore un avantage que l'on trouveroit
, à fubftituer l'impulfion à l'attraction
dans le fyftême de Newton . On le rendroit
par -là plus fimple & plus complet
qu'il n'eft. La force de projectile , dont
la combinaiſon avec l'attraction caufe le
mouvement des planetes , eft un fecond
principe de fa philofophie , & même un
principe arbitraire , puifqu'il faut fuppofer
cette force différente dans chaque pla
nete ; ce qui rend cette philofophie chargée
de fuppofitions. Or on fçait qu'un fyftême
eft d'autant plus imparfait , qu'il admet
plus de principes , & que le meilleur
au contraire eft celui qui n'en admet qu'un ,
& qui en déduit tous les phénomenes .
Il n'eft pas impoffible , comme on l'a vu,
dans l'expofition du nouveau fyftême , de
trouver dans l'impulfion de la lumiere la
caufe du mouvement même de projectile
des planetes , & celle des autres phénomenes
, qui ne peuvent s'expliquer par l'at
JUILLET. 1756. ” 155
traction. Si j'en ai pu donner une explication
plaufible , que feroit-ce , fi le grand
Newton lui-même fe fût appliqué à cette
partie de fon fyftême ? ou fi quelque Philofophe
plus habile que moi , vouloit, fans
fortir de fes principes , s'en donner la peine
! Jai l'honneur d'être , &c .
A Dijon , ce 28 Mai 1756 .
JURISPRUDENCE.
A L'AUTEUR DU MERCURE.
.
Monfieur , ce petit Mémoire que je
vous envoie ne paroîtra utile qu'à la réflexion
. Il ne fera d'ailleurs
agréable
qu'aux ' Bretons , qui remarqueront
du
moins mon zele pour le bien public , fi
l'obfcurité dans laquelle je vis , leur donne
de confiance dans ce que je promets
peu
par mon Mémoire. Quoiqu'il en foit ,
je m'efforcerai de tenir parole ; & fi mon
exemple trouve des imitateurs , il y a lieu
d'efpérer que
la rédaction que je projette ,
pourra fe trouver complette pour les Etatsde
1758..
Vous remarquerez que je n'ai pas voulu s
expliquer ce que c'est que le domaine com
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
geable , & qu'elles font les caufes & les
effets de la Baillée qu'en font les Seigneurs
à leurs Vaffaux tous les neuf ans , pour
avoir un droit qu'ils appellent de Commif
fion. Deux raifons m'en ont empêché : la
premiere , c'eft que je hais tout ce qu'on
appelle Commentaire. La feconde , c'eſt
que les Curieux pourront s'en inftruire , en
confultant la table de quelques-uns de nos
Auteurs Coutumiers. J'aurois pu en ajouter
une troisieme , je veux dire, la crainte
de faire un Mémoire trop long ; mais c'auroit
été douter de votre zele pour le bien
public , qui , en fait d'ouvrages utiles ,
n'en confidere pas la longueur pour fe déterminer
à accorder ou à refufer une place
dans votre Mercure. C'eft pourquoi j'ef
pere que le mien , quelque mal écrit qu'il
foit , y fera inféré en faveur de l'importance
de la matiere . J'ai l'honneur d'être , &c.
Girard , Avocat.
ANantes , ce 14 Février , 1756.
MÉMOIRE
Sur la Coutume de Bretagne , contenant un
plan facile pour la rédiger fans frais , Ór
la rendre conforme à la Jurifprudence
actuelle.
Si le but des Loix Civiles eft d'empêcher
JUILLET. 1756. 157
les procès , il eft du devoir des Jurifconfultes
& des Légiflateurs de rendre ces
loix claires , & de les varier à mesure que
les moeurs changent pour épargner aux
jeunes Avocats cette étude pénible que
leur coûte la lecture de tant d'anciens Auteurs
, qui interpretent différemment ces
loix obfcures & mal rédigées.
Quand on dit de les rendre claires , &
de les conformer aux moeurs du fiecle ,
L'on ne veut parler que de ces vieilles Loix
Municipales , dont le ftyle gothique & la
bizarrerie rebutent , non-feulement les Citoyens
qui voudroient les apprendre, pour
ne pas entreprendre ni foutenir de mauvais
procès , mais même les plus laborieux
Candidats , dont le devoir eft d'étudies
fans ceffe ces Loix pour pouvoir bien guider
les ignorans , & bien défendre les
opprimés. Par exemple , notre Coutume
de Bretagne , dont la derniere rédaction a
deux fiecles , ne devient intelligible à force
de la relire que pour montrer ou la bizarrerie
, ou la rigueur , ou l'injuftice de plus
de deux cens Articles ; & encore ne les remarque-
t'on , qu'à l'aide d'une foule de
Commentateurs ( vingt ou environ ) qui
très fouvent même ne s'accordent pas fur
le véritable fens de ces Articles. Il feroit
donc très- avantageux à la fociété de rajeu
158 MERCURE DE FRANCE.
nir nos Loix Municipales , d'en retrant
cher tous les articles qui ne font plus en
uſage , & d'y fubftituer ceux que les Arrêts
auront changé , ou que les Loix géné--
rales du Royaume fourniront.
Cette nouvelle rédaction pourra former
un corps entier du Droit François , puifque
chaque titre de notre Coutume peut
fournir à un efprit juſte & étendu matiere
à rappeller toutes les maximes qui auroient
rapport à l'objet du titre : mais il
faudroit que ces maximes fuffent rédigées
en articles avec le plus d'ordre , de précifion
& de clarté que l'on pourroit.
A l'égard des titres qui contiendroient
des maximes particulieres à la Province ;
on auroit attention de les diftinguer par
un caractere italique , pour fatisfaire ceux.
des Bretons qui font jaloux de leurs -ufa
ges. Tel fera le titre des Mineurs que l'on
fe propofe d'incorporer dans l'Edir des Tutelles
, à chaque article duquel on ajoutera,
ou du moins l'on fera remarquer celui de
notre Coutumé qui y a rapport , pour fervir
d'exemple à ceux qui voudront bien fe
charger de quelqu'autre titre pour en fairė
une loi claire , préciſe & puifée dans les
Loix générales du Royaume.
Voilà déja les premieres lignes du Plan
que l'on veut tracer pour réédifiér notre
JUILLET . 1756. 139
Coutume antique. Mais comme cet ouvrage
feroit trop long & trop embarraffant
pour un feul Avocat , l'on invite tous ceux
qui ont à coeur le bien public , de choifirchacun
un titre & de Pannoncer dans les
Journaux publics , pour que l'on puiffe fe
régler de maniere que chaque titre ait fon
redacteur. Il feroit même à propos que
plufieurs Jurifconfultes joigniffent leurs
travaux & leurs lumieres pour pouvoir
rendre plus parfaite la rédaction du titre
qu'ils entreprendroient. Il feroit auſſi à
fouhaiter que quelques Avocats Bas- Bre
tons fourniffent un Mémoire pour prouver
qu'il feroit très-utile au bien public
de fubftituer au droit de congédier les Vaf
faux , celui qui eft établi dans la Haute-
Bretagne où l'on ne connoît point le Domaine
congéable , qui eft fi nuifible auxcolons
de Baffe- Bretagne ; mais en mêmetems
il faudroit trouver un moyen facile
pour y faire confentir leurs Seigneurs , foit
en augmentant leurs rentes foncieres , foit
en fixant un certain droit de Baillée tous
les neufans ; & quelques confidérables que
feroient ces augmentations de rentes , les
Vaffaux s'en trouveront toujours mieux >
puifqu'ils pourront lors fe regarder tranquilles
poffeffeurs de leurs héritages , &
que les frais des inftances de congément ,
160 MERCURE DE FRANCE.
& des Procès-verbaux d'Experts , par- la
évités , pourront augmenter le prix de
leurs terres .
En effet , tel qui eût facrifié trois cens
livres pour les frais d'un pareil congément,
y gagneroit encore , payât-il un Domaine
deux cens livres plus qu'il ne vaudroit ;
& il auroit en outre la fatisfaction de ne
pas entrer dans l'héritage de fon voiſin ou
de fon parent , malgré lui , à la faveur d'une
loi rigoureufe qui caufe bien des troubles
& des inimitiés dans les campagnes , &
qui auroit dû ceffer avec l'ancien efclavage
de la France.
Ces courtes réflexions ne feront impreffion
que fur ceux qui connoiffent le Domaine
congéable de Baffe - Bretagne ; mais
auffi il n'y a qu'eux qui puiffent faire fentir
les inconvéniens de ces loix particulieres
à cette partie de la Province ; & ce
n'eft qu'à eux qu'on adreffe ces réflexions ,
perfuadé qu'ils leur donneront toute l'étendue
qu'elles exigent.
La rédaction du premier titre de notre
Coutume où l'on a voulu fixer le nombre,
le pouvoir , & la compétence des Juges
Laïcs & Eccléfiaftiques , peut auffi fournir
matiere à d'utiles réflexions fur l'abus
qui réfulte de la multiplicité de ces Jurifdictions
fubalternes, qui ne conduisent que
JUILLET. 1756. 161
par plufieurs dégrés au Tribunal fouverain
; mais ceux qui fe propoferont de faire
réunir ces petites Jurifdictions aux Sieges
Royaux voifins , ne doivent pas manquer
de propofer auffi des moyens faciles pour
dédommager les Seigneurs de ces Jurif
dictions. Čar en faifant le bien du public,
il faut faire auffi celui de la Nobleffe dont
la fortune eft auffi néceffaire que le courage
au foutien de l'état , & dont la plus
grande partie compofe cet augufte Parlement
, qui fe diftingue dans le Royaume
par la fageffe de fes Arrêts, & par le défintéreffement
qu'elle marque dans ceux qui
pourroient même les regarder , par rapport
aux droits Seigneuriaux.
A l'égard des femens particuliers , il conviendroit
de les rendre généraux pour tous
les biens de ville , comme pour tous ceux
de campagne. Pour ceux de villes , il feroit
utile d'en faire un titre particulier , &
d'y ajouter ce que les Arrêts modernes
peuvent indiquer de nouveau . Quant à
ceux de campagne , l'on veut dire ceux de
Cornouaille , de Rohan , & de Broucrée ,
on les fupprimeroit entiérement , pour ne
s'arrêter qu'à l'ufage général de la Province
& du Royaume , qui feroit réparti fuivant
la matiere , fur chacun des titres de
la Coutume.
162 MERCURE DE FRANCE.
L'on voit que chacun de ces objets eft
bien fuffifant pour occuper non feulement
un Avocat de chaque ville , mais même
les plus habiles Jurifconfultes de Rennes ,
qui auroient à préſent de la peine à juſtifier
la bizarre différence de tous ces ufemens
particuliers , qui ne fervent qu'à jetter
de la confufion parmi des Loix qui
devroient être générales dans tous les Evêchés
de la Province.
Ceux qui feront des Mémoires fur ces
trois parties de notre Coutume , doivent
avoir attention de les féparer du titre
qu'ils rédigeront par articles ( tirés de la
Jurifprudence actuelle , ) parce que ce ne
font pas des Commentaires que l'on demande
, mais un Code complet de Loix
claires , préciſes & faciles à retenir , pour
être approuvé par Sa Majefté , & par les
Etats , quand il fera parfait.
L'on doit entrevoir dès- a- préfent que
l'ouvrage que l'on projette , eft tout- àfait
différent de celui de M. Du Parc- Poulain
, lequel cependant ne laiffera pas que
d'être très-utile , à ceux qui entreprendront
de rédiger chaque titre de notre Coutume
fur celles de nos Loix , qui feront en vigueur
, & fur le droit général de la France
mais on le répete , on les exhorte à ne
fe charger que d'un titre , pour pouvoir
JUILLET. 1756. 163
donner tous les foins néceffaires à fa perfection
. Car telles font les bornes de notre
efprit , qu'il ne peut fuffire au travail
d'un trop grand ouvrage . C'eft pourquoi ,
le Rédacteur de ce Mémoire n'a choift
pour fon lot que le titre des Mineurs , qui
d'ailleurs fe trouve facilité par l'Edit des
Tutelles , & par conféquent plus à la portée
d'un jeune Avocat comme lui.
L'on preffent fans doute que chaque
titre aura fes articles féparés , à l'exemple
de nos Ordonnances modernes , & à la
différence de notre Coutume dont les Articles
fe fuivent fans être coupés par les
titres multipliés qui la compofent.
Cette féparation néceffaire dans le cas
préfent , peut paroître une nouvelle raifon
& un nouveau moyen pour appliquer à chaque
titre & à chaque article , ce que la
matiere de l'un , & les liaifons de l'autre.
exigeront abfolument ; & c'eft dans cet
ordre bien obfervé que confiftera un des
principaux avantages de la rédaction projettée.
Ceux qui auront travaillé à quelque
titre , & qui croiront leur ouvrage achevé
, pourront l'envoyer à l'Auteur du Mersure
( 1 ) , qui ne manquera fans doute pas
(1 ) Quelque envie que nous ayons de nous
164 MERCURE DE FRANCE.
de l'y inférer , ainfi que les critiques qu'on
en pourra faire , quand elles feront courtes
& polies. Et telles feront fans doute
celles des trois Avocats de Nantes , qui fe
diftinguent par leur amour pour le travail
par leur zele pour l'honneur de la profeffion
, par leur union intime , par la confor
mité de leur caractere , par leur déſintéreffement
dans les affaires , par leur affa
bilité dans les converfations , enfin par tout
ce qui fait le parfait Avocat , foit du côté
de la fcience & des talens , foit du côté des
qualités & des moeurs.
prêter à tous les genres , nous ne fçaurions prendre
d'engagement à cet égard : la préciſion od
nous fommes obligés de nous renfermer , he nous
permet d'accorder qu'un champ très- étroit à ces
fortes de difcuffions. Ce n'eft qu'à titre de précis
que nous pouvons les inférer dans notre Re
cueil.
EXTRAIT
Des Mémoires qui ont été lus à la Séance
publique de l'Académie Royale de Chirurgie
, le Jeudi 29 Avril 1756.
M. Pipeler , dans un Mémoire fur la
ligature de l'épiploon ( c'eft le nom de la
membrane grailleufe qui recouvre les inJUILLET.
1756. 165
reftins ) , s'eft propofé l'examen des bons
Se des mauvais effets attribués à ce moyen.
Lorfque l'épiploon eft expofé à l'air dans
une plaie du bas- ventre , ou étranglé dans
une defcente , il devient froid , livide & tombe
en mortification . Dans cet état , il ne feroit
pas convenable qu'on en fît la réduction
, fans avoir retranché toute la portion
altérée & corrompue. Ce premier précepte
amene naturellement celui de faire la
ligature de l'épiploon , dont les vaiſſeaux
fanguins en grand nombre pourroient ,
fans cette précaution , donner beaucoup de
fang & faire périr les malades. Tous les
Auteurs , depuis Galien jufqu'à nos jours ,
ont recommandé cette ligature : il eft certain
qu'elle a été faite plufieurs fois fans
inconvénient ; il y auffi plufieurs obfervations
fur les mauvais effets . Sera-ce donc
fur l'événement qu'on établira la néceffité
de lier l'épiploon , ou la profcription de
cette ligature ? M. Pipelet obferve judicieufement
que l'événement peut être déterminé
par tant de caufes auxquelles la
ligature pratiquée ou omife n'auroit aucune
part ; qu'on ne peut rien décider ,
c'est-à-dire , qu'on ne peut établir aucun
dogme fur un point auffi important , d'après
la fimple allégation des réuffites ou
des mauvais fuccès. L'Auteur a apprécié
166 MERCURE DE FRANCE.
avec beaucoup de difcernement les différens
faits de pratique dont il a fait uſage ,
& il montre partout une grande fagacité
dans les conféquences qu'il en tire . L'état
de la portion de l'épiploon fur laquelle la
ligature a porté , & qui étoit fain ou flétri ,
froid ou enflammé , en grande ou en petite
quantité ; la proximité ou l'éloignement
des parties auxquelles l'épiploon a des attaches
; l'examen de la caufe des différens
défordres qui fe font étendus jufqu'à ces
parties par la communication des vaiffeaux
& la continuité des membranes ; toutes ces
circonftances effentielles fervent à juger
des faits & de la doctrine établie fur la ligature
de l'épiploon.
Le cas qui paroît préfenter le moins de
difficulté , c'eft quand l'épiploon fort par
une plaie étroite dans laquelle il eft étranglé
, ou fimplement gêné , de façon qu'on
ne pourroit en faire la réduction qu'en
agrandiffant la plaie par une incifion. La
Chirurgie moderne prefcrit en général
d'éviter cette incifion . On doit laiffer l'épiploon
dans la plaie , fi aucune raifon particuliere
n'exige qu'il foit réduit . Quelques
Auteurs prétendent qu'il ne faut pas
en faire la ligature , & qu'il feroit beaucoup
mieux de le couper au niveau de la peau ,
après avoir examiné s'il ne renfermeroit
JUILLET: 1756. 167
pas quelque circonvolution d'inteftin . Si
la portion étoit faine , il ne faudroit pas
la couper , parce qu'elle pourroit rentrer
dans le ventre par les mouvemens du bleffé,
& dans ce cas , les vaiffeaux récemment
coupés fourniroient du fang dans la capacité
; ce qui pourroit être très-dangereux.
M. Pipelet eftime qu'il n'y auroit aucun
inconvénient à couper la portion d'épiploon
qui feroit flétrie : mais dans ce cas
là même , il ne voit pas pourquoi on rejetteroit
la ligature faite extérieurement
au niveau de la peau , fur une partie privée .
de chaleur & de mouvement. Elle ne peut
avoir aucun inconvénient; & elle abrégera
la cure , en procurant plus promptement la:
chûte d'une membrane inutile .
Il femble que les hoquets & les vomiffemens
qui furviendroient dans le cas que
nous venons d'expofer , obligeroient néceffairement
à débrider la plaie pour faire la
réduction de l'épiploon ; parce qu'il eft na
turel de regarder le tiraillement de l'eftomac
, par l'épiploon étranglé dans la plaie ,
comme la caufe de ces accidens . M. Louis,
le pere , Lieutenant de M. le premier Chirurgien
du Roi , à Metz , a communiqué.
une obfervation à l'Académie , avec des
remarques judicieufes fur un fait de cette
nature dont M. Pipelet fait ufage , & qui
168 MERCURE DE FRANCE.
;
prouve que les naufées & le vomiffement
font des accidens des plaies du bas-ventre ,
fans iffue de l'épiploon . C'eft en faiſart
effayer aux bleffés des pofitions différentes,
qu'on connoîtra fi le tiraillement a lieu
& lorfque la fituation qui doit le manifefter
, ne produit aucune fenfation douloureufe
, de la plaie à l'eftomac , on peut juger
que l'agacement de cet organe eft fympathique
; que les faignées , le régime & les
calmans feront finir les accidens ; & l'on
épargnera aux bleffès une opération douloureufe
, abfolument inutile , qui les expoferoit
pour la fuite à la hernie ventrale.
Le précepte reçu fur la ligature de l'épiploon
, eft de le tirer jufqu'à ce qu'on
découvre la partie faine. M. Pipelet remarque
les dangers de tirer une membrane
auffi délicate , qu'on ne peut manier avec
trop de ménagement. Tous les Anatomiftes
fçavent avec quelle dextérité il faut la
toucher , fi l'on veut réuffir à la fouffler
dans les démonftrations anatomiques. Sur
le vivant , on rifque de meurtrir fes vaiffeaux
, & d'y attirer l'inflammation qui
fera bientôt fuivie de fuppuration & de
gangrene. S'il y a du rifque à tirer l'épiploon
, la ligature ne pourra donc jamais
être pratiquée , fans de grands inconvéniens
, qu'un peu au deffus de la partie
qu'on
JUILLET. 1756. 169
qu'on découvre à l'extérieur. Mais fi cette
partie , qui doit être étranglée par la ligature
, eft enflammée , quels accidens n'en
doit-il pas réfulter l'inflammation fera
des progrès , & le malade périra infailli
blement on en fent affez les raifons ; elles
font exposées dans les principes de chirurgie
fur les inflammations en général. Il y
auroit bien moins de danger , fi la ligature
étoit pratiquée fur une portion de l'épiploon
, qui nnee feroit pas fufceptible d'être
ranimée par la chaleur des entrailles : ce
n'eft peut-être que dans ce cas- là qu'elle a
réuffi fans le moindre inconvénient . M.
Pipelet ne veut point charger inutilement
fa Differtation des faits qu'il a obfervés
dans les Hôpitaux fur les mauvais effets de
la ligature , & qui font à la connoiffance
de tous ceux qui ont voulu y donner
attention : il fe contente de rapporter une!
obfervation qui lui eft particuliere. Il y
parle d'un homme à qui il fit la ligature ,
de l'épiploon dans l'opération d'une hernie
épiplocele. Le hoquet & le vomiſſemiffement
qui avoient précédé , fubfiſterent
après l'opération , & le malade mourut
en 36 heures. L'omiffion de la ligature
n'auroit probablement pas empêché ce
triſte événement ; mais il eft certain qu'elle
ne pouvoit pas contribuer à la ceffation
II:Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
des accidens . L'ouverture du cadavre fit
voir l'épiploon gangréné ; l'eftomac & les
inteftins étoient dans l'état d'inflammation
qui annonce une difpofition gangréneufe.
Une obfervation femblable , quant à l'événement
, mais qui renferme une circonftance
remarquable fur le mauvais effet de
la ligature de l'épiploon , confirme le fentiment
de M. Pipelet.Cette obfervation dont
M. Pouteau , le fils , Chirurgien de l'Hôtel
- Dieu de Lyon , eft l'Auteur, porte qu'il
fit l'opération de la hernie à un homme
pour l'étranglement de l'inteftin . Après la
réduction , il auroit fort défiré faire celle
de l'épiploon ; mais fon volume dans la
hernie étoit fi conſidérable , qu'il auroit
fallu faire une trop grande incifion à l'anneau
pour le replacer dans le ventre. M.
Pouteau fit la ligature : le malade fut foulagé
d'abord des accidens que caufoit l'étranglement
de l'inteſtin' : le vomiſſement
ceffa , & il y eut dés évacuations par les
felles. Peu de temps après le malade fe
plaignit d'une douleur dans tout le ventre :
it fut faigné cinq fois : on fit des fomentations
émollientes , & il mourut 36 heures
après l'opération , de la gangrene de l'épiploon
, comme l'ouverture du cadavre l'a
démontré. Voilà un effet bien marqué du
mauvais fuccès de la ligature de l'épiploon.-
4
#
JUILLET. 1756. 7171
Pour ne rien laiffer à défirer fur les con
féquences qui résultent de pareilles obfervations
, M. Pipelet a fait avec M. Louis
des expériences fur des animaux vivans :
elles ont confirmé ce que les faits de pra
tique ne montrent , on peut le dire, qu'imparfaitement
, faute de pouvoir être affez
multipliés , & de préfenter des difpofitions
affez variées. Le réfultat de ces expérien
ces , dont M. Pipelet expofe un détail inté
reffant , eft que ces animaux confervés
jufqu'à la guériſon parfaite , ont été enfuite
ouverts. On a trouvé conſtamment
tous les épiploons qui n'avoient pas
été
liés , dans l'état naturel ; à l'exception d'une
adhérence au péritoine dans l'endroit
de la plaie ; mais adhérence fimple , fans
dureté , ni aucune autre difpofition contre
nature. Quelque précaution qu'on ait prife
dans la réduction de l'épiploon après la
ligature , l'adhérence à la partie intérieure
de la plaie s'eft trouvée la même ; mais
dans tous les cas , fans exception , l'épiploon
formoit au deffus de l'endroit que
la ligature avoit ferré , un corps calleux ,
fans inflammation , du volume d'un petit
oeuf , dans les animaux auxquels la ligature
avoit embraffé une affez grande portion
d'épiploon , moindre dans d'autres ,
aproportion de la quantité qui avoit été
で
Ĥ ij
172 MERCURE DE FRANCE,
liée. Le tubercule qui paroiffoit fimplement
fquirreux & formé par l'induration
de l'humeur adipeufe , contenoit dans
fon centre un abcès bien caractérisé , rempli
d'un pus épais & d'un blanc verdâtre.
On ne peut point dire que ce foit là l'effet
d'une difpofition particuliere en quelques
animaux ; car on ne l'a vu qu'à la fuite de
la ligature , & conftamment fur tous ceux
qui l'avoient foufferte. Ces accidens confécutifs
de la ligature ne fe feroient manifeftés
que tardivement , & lorfqu'on auroit
été dans la plus parfaite fécurité fur l'événement
de l'opération .
Si l'on objecte contre ces expériences
des obfervations qui atteftent la parfaite
guérifon , après la ligature de l'épiploon ,
ne pourroit-on pas dire que dans ces cas
la partie qu'on a liée s'eft trouvée dans une
difpofition favorable ? M. Pipelet remarque
que , fans être froide ni livide , les fucs
graiffeux peuvent déja y avoir été figés ,
de façon que la ligature faite fur une partie
faine en apparence , n'aura réellement
porté que fur une partie où la circulation
des fucs étoit déja fufpendue ; & les ma-
-lades ont dû leur falut à cette conjoncture :
du moins il ne paroît pas que les faits
qu'on rapporte fur les bons & les mauvais
effets de la ligature de l'épiploon puiſſent
-
JUILLET. 1756. 173
être conciliés , qu'en établiffant , avec M.
Pipelet, cette difpofition en faveur du fuccès
de la ligature ; fuccès , comme il le dir ,
qui n'eft pas d'ailleurs conftaté par un affez
grand nombre d'obfervations , tandis que
tout ce qui peut porter quelque conviction
, concourt à en établir les mauvais
effets.
Les bornes d'un extrait ne permettent
point de faire mention des obfervations
communiquées par différens Chirurgiens ,
& que M. Pipelet a inférées dans fon Mémoire.
Il y en a qui établiffent le dérangement
de l'eftomac par les adhérences que
l'épiploon contracté dans l'anneau , à la fuite
des opérations de hernies . M. Pipelet en tire
une conféquence bien utile fur la néceflité
de la plus exacte réduction de cette membrane
, à laquelle on ne fait quelquefois
pas affez d'attention . Enfin l'Auteur examine
un cas qui ne mérite pas d'être paflé
fous filence : Si l'humidité , la chaleur de
l'épiploon , & la couleur vive du fang
qui paroît à travers les vaiffeaux , faifoient
connoître que les humeurs vivifiantes circulent
dans fa fubftance au deffus d'une
adhérence , & dans l'endroit où il faudroit
couper , il y auroit certainement de l'im
prudence à faire cette fection fans ligature ,
fi l'on réduifoit l'épiploon fur le champ :
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
mais on a la reffource de pouvoir retenir
un jour ou deux cette portion dans l'anneau
, & d'arrêter l'hémorrhagie, de fes
petits vaiffeaux , en les touchant avec de
Fefprit de térébenthine. On feroit enfuite
la réduction fans aucun rifque.
M. Pibrac lut enfuite un Mémoire fur
l'abus des futures dans la réunion des
plaies. On convient en général que les
futures font des moyens violens , auxquels
on ne doit avoir recours que dans les cas
où il ne feroit pas poffible de maintenir les
levres de la plaie rapprochées par la fituation
& à l'aide d'un bandage méthodique.
M. Pibrac croit que ces circonftances font
extrêmement rares ; l'objet de fon Mémoire
eft de prouver qu'on peut reftraindre l'ufage
des futures , en étendant le principe
général au plus grand nombre des cas qui
peuvent fe préfenter ; & cet objet eft bien
rempli . On voit avec plaifir la chirurgie
fe perfectionner par une fage réforme des
moyens douloureux , & les opérations néceffaires
& indifpenfables devenir plus
douces & moins dangereufes par l'habileté
des grands Maîtres qui les pratiquent.
M. Pibrac rapporte des obfervations fur
l'efficacité du bandage dans plufieurs occafions
, où l'on auroit pu faire la future
fans déroger aux regles ordinaires . Le
JUILLET. 1756. 173
détail dans lequel il entre fur les inconvéniens
qui peuvent réfulter de cette opé
ration , & l'examen des reffources de la
nature & de l'art , lorfque les futures qu'on
avoit cru néceffaires , ont manqué leur
effet , font autant de moyens que l'expé
rience fournit à l'Auteur , pour établir
qu'il n'y a prefque point de cas où l'on ne
puiffe , & parconféquent où l'on ne doive
fe difpenfer de faire des futures.
Cet Ouvrage n'eft point une differtation
de fimple raifonnement , où l'on auroit
pu fe contenter de faire une bonne théorie
, & d'établir des principes que la fpéculation
auroit admis, & que chacun auroit
enfuite vérifiés dans fa pratique. M. Pibrac
n'avance rien que d'après des faits particuliers
& affez multipliés : c'eft l'expérience
même qui parle. Il parcourt les différentes
parties du corps: dans l'expofition
des bleffures qu'elles peuvent effuyer ; &
T'on trouve prefque partout que le fentiment
de l'Auteur eft fortifié par les faits
qu'il emprunte de ceux qui ont fait le plus
de cas du moyen qu'il cherche à profcrire.
Sur les plaies du bas- ventre , il rapporte
deux obfervations intéreffantes de guérifon
obtenue par un appareil & un bandage
méthodique. Mais y a t'il jamais des divi-
Hiv
175 MERCURE DE FRANCE:
fions qui paroiffent plus exiger la future ;
que l'incifion par laquelle on pénetre dans
la cavité du bas - ventre pour l'opération
Céfarienne ? Qu'on ouvre les Auteurs , on
lit que
la future a été pratiquée ; que les
points ont manqué ; qu'on a été obligé de
fe contenter du bandage , & les malades
font guéris. Voilà des faits pofitifs dont M.
Pibrac étaie le récit des cures qu'il a faites
, & qui lui donnent un très - grand
poids.
La réunion de la plaie qui réfulte de
l'opération du bec de lievre ou de l'extirpation
d'un cancer aux levres , a toujours
paru exiger la future. Il y en a même une
efpece particuliere pour ce cas ; on la nomme
future entortillée : elle contient plas
fortement qu'une future fimple ; & c'est ,
fuivant l'Auteur , ce qui la rend plus nuifible.
Parce qu'il y a déperdition de fubftance
, on croit qu'il faut une future qui
réfifte davantage mais plus la future réfiftera
, plus il y a à craindre les efforts des
levres de la plaie fur elle : c'eft ce qu'à
très-bien remarqué un Auteur moderne
dans une obfervation fur un bec de lievre
très-compliqué. Le fuccès de l'opération
dépend de l'appareil qui empêche les points
de déchirer les parties qu'ils embraffent.
De cette réflexion , il n'y a qu'un pas à faire
JUILLET . 1756. 177
pour appercevoir la néceffité de profcrire
abfolument la future dans le plus grand
nombre des cas . M. Pibrac rapporte fur le
bec de lievre deux obfervations , l'une de
M. de la Faye , & l'autre de M. Quefnay ,
qui par des languettes d'emplâtre agglutinatif,
ont réuni très heureufement les parties
déchirées par l'effort des levres fur les
futures. Le fuccès de cette méthode amene
une conféquence bien fimple , & qu'on
pourroit dire fans replique . Le bon effet
du bandage appliqué après le déchirement
de la levre , auroit été produit avec bien
plus de facilité , fi l'on y avoit eu recours
d'abord. Les malades n'auroient fouffert
ni la douleur de l'opération , ni celle du
déchirement ; ils n'auroient pas été expofés
aux accidens qui auroient pu en réfulter ,
ni aux rifques d'une difformité permanente
& incurable , dont il n'y a que trop d'exemples.
Le bandage , ajoute M. Pibrac , eft
un moyen plus doux que la future ; &,
puifqu'il peut en réparer efficacement les
défordres , quelle raifon auroit- on de ne
le regarder que comme une reffource dans
ce cas pourquoi n'en pas faire le moyen.
capital & primitif de la réunion des plaies
des levres , même avec déperdition de fubftance
? L'Auteur rapporte deux ou trois
obfervations fur les avantages de cette
méthode. Hy
178 MERCURE DE FRANCE.
Il y a apparence que les futures ont
prévalu dans prefque tout les cas , fur les
autres moyens de réunion , parce qu'il a
toujours été plus facile d'en faire ufage
que d'appliquer fon efprit dans des circonftances
difficiles , à imaginer un bandage
qui remplît par un procédé nouveau
toutes les intentions de l'art en favorifant
celles de la nature . Mais on doutera
dorénavant moins que jamais de la
poffibilité de réunir des plaies qu'on
n'auroit pas cru pouvoir l'être par le
moyen des bandages , l'orfqu'on verra
dans la fuite des Mémoires de l'Académie
, l'inftrument ingénieux que M. Pibrac
a imaginé pour la réunion des plaies
de la langue coupée par les dents . Cette
machine eft liée à une obſervation des
plus curieuſes : nous n'en dirons rien de
plus , parce qu'il faudroit le fecours d'une
figure , toujours plus frappante qu'une
defcription qui ne donneroit aucune idée à
ceux qui n'auroient pas vu la chofe.
Dans les plaies tranfverfales de la gorge
, on fçait que la feule fituation de la
partie fuffit avec le bandage pour obtenir
la réunion. Le premier volume des Mémoires
de l'Académie Royale de Chirurgie
contient fur ce cas trois obfervations que
M. Pibrac prend pour le fujet de fes reJUILLET.
1736. 179
marques. Il ne blâme point les auteurs de
la conduite qu'ils ont tenue , puifqu'ils y
étoient autorisés par l'ufage & par les préceptes
adoptés par les grands Maîtres. Mais
il n'eft pas moins certain qu'ils ont pratiqué
la future auffi inutilement qu'elle a
été recommandée : c'est ce que l'on prouve
par leur propre expofé.
Sur les plaies des tendons , M. Pibrac
paie au célebre M. Petit un jufte tribut d'éloges
fur l'invention du bandage pour
la ‹
réunion du tendon d'Achille , & fait connoître
que la fituation de la partie , aidée
d'un bandage convenable, eft le feul moyen
qui puiffe réuffir pour réunir les tendons
en général. Il y a déja long-temps que la
future étoit proferite de la pratique dans
des cas de cette nature.
Enfin on rapporte dans ce Mémoire ,
rempli de folides inftructions fur tous les
cas , les inconvéniens qu'on a vus dans différentes
occafions de la part des futures ; &
il y a tout lieu d'efpérer , qu'après la lecture
de cet Ouvrage , les jeunes Chirurgiens ,
s'ils pratiquent jamais la future , auront
du moins l'attention d'examiner s'il n'y
auroit pas moyen de réuffir par des voies
plus douces & plus conformes aux vues de
la nature , pour laquelle la future eft un
moyen violent peut - être dira-t- on un :
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
jour avec Paracelfe que la future eſt étran
gere à l'art.
que
M. Bellog a fait part à la Compagnie
des moyens qu'il a employés avec fuccès
pour arrêter des hémorragies particulieres
, contre lefquelles les fecours connus
avoient été adminiftrés inutilement . L'hé
morragie qui furvient après l'extraction
des dents , eft l'objet de fes premieres obfervations.
Il expofe les fuites funeftes
cet accident á eu , probablement
par l'impéritie
de ceux qui s'étoient chargés d'y
remédier. Pour peu qu'on foit inftruit , on
fçait que l'efpece d'hémorragie dont il
s'agit , cede ordinairement
& avec facilité
à une compreffion méthodique. Il peut
néanmoins fe préfenter des circonftances
très-embarraffantes
. M. Belloq a vu un cas
où ce moyen , appliqué avec toute l'attention
poffible , ne fut d'aucune reſſource ,
parce qu'une portion des parois de l'alveole
incruftée de matiere tartareuſe , mettoit
le vaiffeau à l'abri de la compreffion
, en
foutenant la charpie qu'on mettoit dans
l'alveole , & empêchant qu'on ne pût la
remplir exactement . On avoit déja beaucoup
perdu de temps en tentatives infructueufes
, lorfque M. Belloq fut appellé.
Dans le danger preffant où étoit le malade
, il falloit un fecours très- prompt. M.
JUILLET. 1756. 181
Belloq l'imagina fur le champ. Il ramollit
un morceau de cire entre fes doigts , il en
remplit l'alveole , & maftiqua , pour ainfi
dire , tout le vuide. Ce moyen réuffit parfaitement
l'Auteur en a éprouvé une autre
fois le bon effet dans une occafion femblable.
Il parle enfuite de l'hémorragie après
l'opération de la paracenthefe , ou ponction
, qu'on fait au bas- ventre des hydropiques
pour l'évacuation des eaux qui y
font contenues . Cette hémorragie eft extraordinairement
rare. Les moyens de
l'arrêter font d'autant plus recommandables
, que faute d'être prévenus fur la poffibilité
de cet accident , plufieurs Chirurgiens
qui n'auroient pas le génie de l'invention
dans une pareille circonftance , auroient
la douleur amere de voir périr fous
leurs yeux un malade , à l'occafion d'une
opération qui devoit lui être falutaire . M.
Belloq ayant tiré les eaux d'un hydropique,
retira la canule du trois quarts , &
vit qu'il fortoit du fang de la plaie . Il appliqua
un appareil qui fut bientôt imbibé
de fang. Il en appliqua un fecond avec plus
de foin & de précaution ; le fang le pénétra
de même. M. Belloq penfa alors qu'une
compreffion plus exacte par laquelle il auroit
fupprimé hémorragie extérieure182:
MERCURE DE FRANCE.
ment , détermineroit le cours du fang vers
l'intérieur ; ce qui feroit tout auffi funefte
au malade : ainſi en fuivant les principes
qui doivent conduire pour arrêter effica
cement une hémorragie , M. Belloq jugea
qu'il falloit une compreffion qui agît immédiatement
fur l'ouverture du vaiffeau.
Le bon effet qu'il avoit éprouvé de l'uſage
de la cire dans l'hémorragie des alveoles
, lui fuggéra de faire un petit cylindre
de cire , gros comme la canule du trois
quarts, & de l'infinuer dans la plaie . Le fuccès
répondit à fes vues ; M. Belloq ne diffimule
pas l'inconvénient qu'il a apperçu en
voulant retirer cette cire : elle fe rompit
& ce qui étoit reſté dans la plaie ne fortit
qu'au bout de quelques jours après une
legere fuppuration que ce corps étranger
occafionna. L'on n'éprouvera plus cette difficulté
, fi les Chirurgiens , attentifs à profiter
de cet exemple , fuivent le confeil de
M. Belloq , c'eft d'être munis d'une bougie
propre à être mise à la place de la canule
, en cas de befoin La meche , qui fert
de baſe & de foutien à la cire , ne permettra
pas que la bougie fe rompe . M. Belloq
s'eft fervi de ce moyen pour fufpendre l'écoulement
des eaux après l'opération de la
paracenthefe. L'art eft véritablement enrichi
par ces inventions qui , toutes fimples
༥
>
JUILLET. 1756. 183
qu'elles paroiffent , font fort ingénienfes ,
& d'une utilité admirable..
M. Recolin a terminé la féance par la
lecture d'un Mémoire très- intéreffant fur
le choix des faignées , & le danger de la
métaftafe fur le poumon dans les maux de
gorge inflammatoires. Perfonne ne doute
de la néceffité abfolue des faignées dans
cette affection , que les Auteurs les plus célebres
ont mife au nombre des maladies
chirurgicales. Les obfervations particulieres
de M. Recolin lui ont démontré qu'il
y a des circonstances où la faignée du pied ,
qui a prévalu dans la pratique vulgaire ,
par l'opinion qu'elle dégage puiffamment
les parties fupérieures , occafionnoit des
méraftafes funeftes , en attirant l'humeur
fur la poitrine. Il en rapporte des faits bien
circonftanciés. Cet accident eft très-fréquent.
Tous les Praticiens l'ont obfervé.
L'Auteur s'appuie du témoignage d'Hippocrate
, du fçavant Duret , & de l'illuftre
Van Swieten , & il demande fr la faignée
du pied ne pourroit pas être une caufe
occafionnelle de cette fâcheufe terminaifon.
Cette faignée a une grande vertu pour
débarraffer les parties fupérieures ; c'eſt
par cet effet même qu'elle attire la matiere
morbifique fur les parties internes.
M. Bertrandi a prouvé dans un Mémoire
für les abfcès du foie à la fuite des plaies.
184 MERCURE DE FRANCE .
de tête , que la faignée du pied favorifoit
l'engorgement du foie dans ces cas , parce
que la force de la colonne fupérieure du
fang en étoit augmentée , & qu'elle diminuoit
la réfiftance de la colonne inférieure
qui revient au coeur. Cette théorie
fondée fur l'expérience , eft applicable aux
maux de gorge inflammatoires. La difpofition
vicieufe de la circulation du fang ,
eft la même dans les efquinancies violentes
, que dans les affections comateufes les
plus fortes ; tous les vaiffeaux de la tête
font également engorgés , & l'engorgement
confécutif du foie eft auffi un accident
de l'efquinancie. Hippocrate- dit ex-.
preffément dans fes pronoftics , que la
douleur de l'hypocondre à la fuite des ef-.
quinancies , eft une caufe de mort inopinée
, quoique les malades paroiffent hors
de danger ; & M. Van Swieten , dans le
Commentaire fur l'aphorifme 807 deBoerhaave
, reconnoît l'engorgement du foie ,
comme un effet de l'embarras des parties
fupérieures dans l'efquinancie. Les faits
que M. Recolin expofe , montrent que,
l'embarras du poumon a fuivi immédiatement
la faignée du pied & le dégagement
de la gorge elle doit donc être extrêmement
fufpecte par cette feule obfervation
bien constatée par des événemens multipliés.
Suivant les principes pofés , la métaf-
:
JUILLET. 1756 .
185
tafe devroit fe faire fur le foie : mais l'Autear
du Mémoire , remarque que les caufes
reconnues capables d'attirer l'engorgement
du foie , produiront plus fréquemment
celui du poumon ; puifque dès le commencement
de la maladie , la difficulté de refpirer
gêne la circulation du fang dans ce
vifcere ; & fi la moindre réfiftance de la
colonne inférieure du fang dans la veine
cave afcendante , eft un effet méchanique
de la faignée du pied , d'où il peut réfulter
un dégorgement des vaiffeaux qui font le
fiege de l'inflammation dans la gorge , le
fang qu'ils contenoient paffera rapidement
dans l'oreillette droite , d'où il fera porté
dans le poumon. Or comme ce vifcere
fouffroit déja de l'embarras de ſes vaiffeaux
à l'occafion de la difficulté de refpirer
, celui qui y arrivera de furcroît par
une révulfion que la faignée du pied déter
mine , doit produire une furcharge dont
l'expérience n'a montré que trop fouvent
les effets funeftes.
M. Recolin expofe la conduite des Anciens
fur le choix des faignées dans ces
fortes de cas. Elle n'eft point à l'avantage
de la faignée du pied , qu'ils n'admettoient
que dans le cas de la fuppreffion des menftrues
aux femmes , ou du flux hémorroïdal
aux hommes qui y étoient fujets . Cette
partie du Mémoire eft très - fçavante &
186 MERCURE DE FRANCE.
pleine d'érudition. On y admire les An
ciens dont la doctrine eft bien refpectable
à beaucoup d'égards. Rien de fi beau que
ce que M. Recolin rapporte d'après Alexandre
de Tralles , célebre Chirurgien
qui vivoit dans le fixieme fiecle , fur la
cure de l'efquinancie . Suivant le témoigna
ge de M. Freind , à peine y pourrions- nous
ajouter quelque chofe après les découver
res & les progrès qu'on a faits en Médecine.
Le mauvais effet des gargarifmes répercuffifs
eft encore un point bien touché dans
le Mémoire de M. Recolin . Il joint fon
expérience aux obfervations des plus
grands Maîtres , & il remarque que les
Anciens qui recommandoient en général
les topiques repercuffifs dans le commencement
de toutes les inflammations , ont
pofé pour exception , les cas où la métaf
tafe étoit à craindre. Pourquoi ne pas
faire l'application d'un principe fi lumineux
& fi fûr , aux efquinancies inflam
matoires ? Les remedes froids dont on uſe
impunément dans les inflammations legeres
, font prefque toujours refluer l'humeur
fur le poumon , lorfque la fluxion a
faifi vivement . M. Recolin finit fon Mémoire
par de bonnes obfervations fur les
efquinancies qui fe terminent par fuppuration
, & donne des regles pour faire avec
méthode l'ouverture de ces abcês..
JUILLET. 1756.
187
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS AGRÉABLE S.
PEINTURE.
SUITE des Mémoires d'une fociété de
Gens de Lettres , publiés en l'année 235.5..
LE fixieme Mémoire eft de M. Findfault,
& traite de la Peinture ancienne. Les re+
cherches de cet Auteur ont pour but de
découvrir les vêtemens & les ufages des
anciens François , par le moyen des por
traits , qui fe retrouvent dans les cabi
ners des curieux. La plupart de ces portraits
paroiffent , à en juger par les noms ,
avoir été faits dans l'ancienne ville de Par
ris. Il s'en rencontre cependant quelquesuns
qu'on croit peints dans l'Ile de la
Grande- Bretagne : mais ceux qu'on attri
bue ( 1 ) aux habitans de cette Iſle ne font
pas les plus eftimés.
(1 ) Quelques Auteurs ont avancé qu'autrefois
188 MERCURE DE FRANCE.
M. Findfault paffe rapidement fur le
petit nombre de ceux que nous avons de la
fin du feizieme fiecle & du commencementdu
fuivant. Il n'y trouve rien à noter
que quelques modes affez ridicules , comme
des rabats à tous les hommes , & aux
femmes une piramide de linge à petits plis
fur la tête. Ces ufages ne lui paroiffent
dignes de la curiofité d'un fçavant tel que
lui , qu'en ce qu'il eft difficile de deviner
par quelle induftrie on pouvoit foutenir
en l'air une chofe auffi mobile que le linge.
Il donne là - deffus plufieurs conjectures
affez fatisfaifantes qu'il faut lire dans l'original.
Ce qu'il y trouve de fingulier ,
e'eft que quelques années auparavant cette
abondance de linge étoit placée autour du
col dont elle cachoit toute la beauté. On
ne fçait pourquoi , ni dans quelle année
on la fit paffer du col au front où elle étoit
encore plus ridicule.
Ses recherches deviennent plus intéreffantes
lorfqu'il les applique aux ufages de
la fin du dix- feptieme fiecle & d'une partie
cette Ifle s'étoit fouftraite pour un temps à l'obéiffance
qu'elle devoit à nos Rois , & s'étoit érigée
en Royaume fous le nom d'Angleterre. Ce qu'il y
a de certain , c'eft que depuis plufieurs fiecles elle
eft une des Provinces de la France , & qu'on n'apporte
aucune preuve bien folide qu'elle en ait
jamais été féparée.
JUILLET. 1756. 189
du fuivant. Il obferve premiérement, qu'on
voit dans tous les portraits de ces temps
des cheveux blancs aux perfonnes de tout
âge & de tout fexe , & que cette fingularité
ne fe trouve que dans ceux du dixhuitieme
fiecle. Quel a pu être le but d'un
pareil ufage & quelle raifon peut avoir
engagé les perfonnes les plus jeunes & les
plus aimables à porter les marques caractéristiques
de la vielleffe & à s'en croire
parées ! Comment penfer que les blondes
ayent pu fe réfoudre à fe priver de la beauté
naturelle de leur chevelure , & les brunes
de l'éclat dont ce contrafte fenfible fait
briller leur teint.
?
En fecond lieu , il remarque qu'on voit
dans prefque tous les portraits de femmes ,
les vifages d'un coloris rouge foncé qui ne
tient en rien de la couleur naturelle . Dans
qu'elle vue les Dames fe feroient - elles
peintes ainfi Il n'y a aucune apparence à
fuppofer que c'ait été dans le deffein de
plaice : rien n'y pourroit être plus contraire
qu'une couleur outrée qui détruiroit
toute la fraîcheur de leur teint ; &
certainement on peut s'en rapporter au
beau fexe pour n'accepter aucunes modes
que celles qui relevent leurs agrémens. De
plus , quand il ferdit affuré que les Dames
auroient été forcées de s'affujettir à un.
190 MERCURE DE FRANCÈ.
pour ne
ufage qui les auroit défigurées par des raifons
qui nous font maintenant inconnues,
feroit - il concevable que les Peintres d'un
mérite diftingué s'y fuffent affujettis &
ne doit-on pas penfer que les habiles gens
ont toujours eu affez de fermeté
point gâter leurs tableaux par une complaifance
auffi ennemie de l'art ? Il eft cependant
certain que ces portraits ont ce
ridicule , d'où M. Findfault conclut que
ceux qui nous reſtent de ces temps ne font
pas des Attiftes du premier ordre d'alors ,
qui auroient affez chéri leur gloire pour
réfifter au torrent. Si cela eft , quelle opinion
ne doit-on pas avoir de l'excellence
des Peintres anciens ? puifqu'avec ce défaut
il s'en trouve qui font , à tout autre
égard, d'une fi grande beauté , & qui cependant
dans cette fuppofition , ne feroient
pas des meilleurs Peintres.
} Quelques Auteurs ont avancé diverfes
conjectures fur ce fujet que notre, Auteur
rejette . Il aime mieux renoncer à en donner
aucune explication décidée. Ce font
de ces obfcurités de l'antiquité difficiles à
pénétrer , fur lefquelles il invite tous les
Sçavans à communiquer leurs réflexions ,
ને
& qui font bien dignes de les occuper fé
rieufement.
Laiffant cette matiere , il paffe à d'autres
JUILLET. 1756. 191
recherches fur les habillemens . Il remar
que , à la gloire de la nation , que tous ces
portraits annoncent l'opulence ; que le vefours
de toute couleur y eft prodigué auffi
bien que les broderies d'or & d'argent :
il obferve auffi combien les Sciences & les
Arts étoient déja floriffans dans ce temslà
, & le prouve par la richeffe des Scavans
& des Artiftes . En effet , fi l'on regarde
plufieurs portraits des hommes célebres
, foit dans les Sciences , foit dans
les Arts , peints par ce Rigaud fi fameux
dans l'antiquité , il n'en eft aucun qui ne
foit vêtu magnifiquement & environné
d'une piece de velours très- ample , qu'ils
portoient fur les bras & autour des épaules
; mode très- favorable à la Peinture
Leurs appartemens font toujours ornés de
colonnes de marbre avec des bafes de
bronze doré : quelques- unes de ces colonnes
font entourées de rideaux très- amples
d'étoffe d'or , & ces rideaux n'y font mis
que pour marquer la richeffe des perfonnes
: car ils ne peuvent fervir à rien n'étant
point attachés à des tringles fur lef
quelles ils puiffent gliffer , mais fimplement
noués autour de la colonne. De plus
ce qui marque une opulence encore plus
extraordinaire , c'eft que ces appartemens
dans lefquels on les voit , ne peuvent être
2
192 MERCURE DE FRANCE.
que des pieces de parade , n'y ayant point
de fenêtres. C'étoit apparemment des veftibules
ou galeries fervant à décorer magnifiquement
leurs Palais. Il remarque encore
que tous les hommes de ce temps là
devoient être fort fçavans , puiſqu'il n'en
eft prefque aucun qui n'ait une Bibliotheque
fort riche , de livres qui à la vérité
nous font pour la plu.ande partie inconnus
, mais qui vraisemblablement étoient
fort eftimés alors . Peut-être pourroit-on
penfer que c'étoient des Bibliotheques de
parade de livres qu'on ne lit point , comme
c'eſt affez l'ufage de nos jours. Mais il
faut obferver que dans ces portraits on
voit véritablement le défordre du cabinet
d'un fçavant. Les livres font répandus fur
les tables , à terre , mêlés avec des fpheres
renverfées , & des inftrumens de Mathé
matiques. Enfin , à en juger par ces tableaux
, les hommes de ce tems avoient la
fcience univerfelle. Ce qu'on peut trouver
de plus étonnant dans les portraits qui
fe font faits depuis , dans ce même fiecle ,
c'eft la variété des ajuftemens des Damés.
On ne conçoit pas comment on peut avoir
adopté une fi grande quantité de vêtemens
différens. On en voit qui femblent contraires
à la décence , & où les Dames font
prefque nues , avec une fimple chemife
qui
JUILLET . 1736. 195
qui leur laiffe la gorge , les bras & les cuiffes
à découvert. C'étoit apparemment les
vêtemens qu'elles portoient en négligé
dans leur appartement pendant l'été. A
cet habillement qui n'en eft pas un , fe
joint une piece d'étoffe de foie bleue , violette
, ou d'autre couleur , qui ne fert à
rien couvrir : elle le par derriere la perfonne
, & revient une cuiffe. Il eft difficile
d'imaginer comment cet ajuſtement
ne tomboit pas à terre n'étant attaché à
rien , ou qu'il ne fût pas embarraſſant à
porter , puifqu'il paroît contenir plufieurs
aunes d'étoffes. Quelques - unes de ces
Dames fe coëffoient avec des fleurs , d'autres
avec des rofeaux , avec des épis de
bled ou autres ornemens à leur fantaifie ,
qu'elles mêloient de perles ( 1 ) . Il paroît
qu'elles prenoient pla fir à s'appuyer fur
des pots de terre remplis d'eau , qu'elles
renverfoient apparemment pour arrofer
leurs jardins : ce qui donneroit lieu de croire
qu'elles fe plaifoient beaucoup à l'agri
( 1 ) Notre Auteur fait l'éloge d'une coëffure de
femme qu'il croit avoir été en ufage dans le milieu
du dix huitieme fiecle . Ce font des cheveux
nattés & relevés enfuite fur le derr ere de la tête :
il la trouve naturelie & très- agréable ; mais il
obferve en même temps qu'elle a peu duré
& qu'elle fe voit très - rarement dans ces ta
bleaux.
II.Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
culture , & ce qui fe confirme encore, par
ce que dans cet habillement elles font toujours
repréſentées en pleine campagne.
On a lieu de croire qu'un de leurs princi
paux amuſemens étoit d'élever des oiſeaux,
même les plus difficiles à apprivoifer , tels
que des aigles à qui elles donnoient du
vin blanc dans des coupes d'or : on en
voit qui nourriffoient des tourterelles ;
c'étoit apparemment des perfonnes mélan
coliques , que le roucoulement de ces oifeaux
entretenoit dans une douce , langueur
d'autres plus gaies s'amufent à dan
fer dans leur appartement avec un tambour
de bafque , la tête entourée de pampres.
On ne finiroit point , fi l'on vouloit
nombrer la quantité de modes qui furent
en ufage parmi les femmes dans ce fiecle.
M. Findfault croit cependant que ces
modes n'ont été ufitées que dans l'intérieur
des appartemens ; car ilne lui paroît pas
poffible de fuppofer qu'on eût ôfé le préfenter
en public avec de tels ajuſtemens
qui , outre l'indécence , auroient fait paffer
les François pour une nation de fous. An
refte , il réfute pleinement quelques Auteurs
qui avoient avancé que tous ces ajuftemens
étoient des fantaifies des Peintres
d'alors. Il fait voir qu'il eft impoffible que
des Dames qui à leur ordinaire auroient
JUILLET. 1756 . 195
été vêtues modeftement , euffent fouffert
qu'on les eût traduites en peinture d'une
maniere oppofée à leurs moeurs. Il remar
que d'ailleurs que lés étoffes qui y font
peintes , font celles qui étoient véritablement
en ufage dans ce temps là : c'est- àdire
, des taffetas , des fatins , des velours ,
& c. : de plus ce qui engage à fe faire peindre
, eſt le défir d'être reconnu dans fon
portrait : or rien ne feroit plus capable de
détruire la reffemblance qu'une coëffure
& des vêtemens imaginaires. Enfin il fou
tient qu'il eft dans la nature de fe faire
peindre dans l'habit où l'on eft le plus ordinairement
, ou dans celui qui caractériſe
fon états que de tout temps dans les portraits
, on a eu en vue , en confervant fa
reffemblance à la poftérité , de conferver
les ufages de fon fiecle. Quant à ce que
l'on a cru pouvoir prendre les animaux
qui font joints à ces portraits pour des
fymboles du caractere de la perfonne , il
fait voir qu'il n'eft pas vraifemblable qu'on
ait voulu fe donner à connoître par fes
défauts ou par fes foibleffes , comme cela
feroit , fi l'aigle défignoit une femme altiere
, & les tourterelles une femme trifte
ou de complexion amoureufe : ce qu'il dit
là-deffus eft irréſiſtible .
On trouve quelques portraits plus ha-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
billés , mais où il fe rencontre une autre
énigme. On voit bien la figure & la taille
d'une femme jufqu'à la ceinture , mais
delà jufqu'aux pieds , qu'on ne découvre
qu'à peine , on ne fçait ce qu'elle eft devenue.
A fa place on voit une forte de pyramide
prefque auffi large que la perfonne
eft haute , qu'on pent comparer à cette
petite machine dans laquelle on met les
énfans pourles accoutumer à marcher , en
la fuppofant couverte d'étoffe. Quelques
recherches qu'ait pu faire M. Findfaut fur
la fingularité d'une pareille décoration , il
n'a rien trouvé de fatisfaifant , ni qui donne
l'idée de fa poffibilité. Une telle machine
doit avoir été d'une péfanteur extrê
me , de quelque matiere qu'on la fuppofe ,
ne fût ce que par la quantité d'étoffe qu'ellefourient.
D'ailleurs , comment auroit- on
pu paffer par une porte , ou par un eſcalier
auffi étroit que la plupart de ceux
qu'on a trouvés dans les reftes des maiſons
particulieres de ces temps-là ? Il n'y a nulle
apparence que ç'ait été pour fe donner un
air de dignité : il eft naturel de penfer
que de tout temps l'abondance d'étoffe a
été la marque de l'opulence , mais qu'on
fe foit cru plus confidérable en conféquence
du plus grand efpace qu'on occupoit
, c'eft ce qu'il n'eft pas poffible de fe
JUILLET . 1756. 197
figurer. Cette mode , fi elle a eu lieu , ne
peut avoir été imaginée que par les femmes
qui avoient les jambes mal conformées
: il eft cependant difficile de pnfer
que celles qui les avoient bien faites ,
ayent eu la complaifance de les cacher
pour ne pas mortifier celles qui les avoient
défectueuses. On peut donc croire qu'on
n'a repréſenté que ces dernieres avec cet
ajuftement , & que les perfonnes bien faites
fe faifoient peindre dans les habillemens
dont nous avons parlé ci deffùs.
Une difficulté à peu près femblable fe
rencontre dans les habits d'hommes : on
leur voit dans ces portraits anciens une
femblable pyramide attachée aux hanches,
mais beaucoup plus petite : elle femble
d'autant plus ridicule que tout le refte de
l'habillement eft fort étroit , & contraint
au point qu'il ne paroît pas poffible qu'on
ait pu fe mouvoir. On ne fçait pourquoi
certe abondance de plis à cet endroit , ni
par quel artifice on pouvoit les foutenir
auffi roides qu'une planche. A la vérité ,
on ne peut pas dire que les hommes aient
eu pour but de cacher la difformité de
leurs jambes , puifqu'elles n'en font point
couvertes ; ils n'ont pu adopter cette mode
que pour fe rendre le plus femblable aux
femmes qu'il leur étoit poflible ; foibleffe
I iij
# 98 MERCURE DE FRANCE.
·
qui eft encore affez commune de nos jours.
On a quelque lieu de croire que ceux qui
fe trouvoient difgraciés de la nature , ne
fe faifoient peindre que jufqu'an genouil ,
& que c'est pour cela que nous voyons
tant de portraits ainfi mutilés. Il y a encore
une autre chofe également inexplicable
, c'est une piece d'étoffe fur le bras ,
qui pend de part & d'autre. A quel ufage
pouvoit-elle fervir & quel avantage y
trouvoit on qui pût dédommager de fon
incommodité ? Une autre fingularité que
M. Findfault renonce à expliquer , c'est
cet accroiffement prodigieux de cheveux
qu'on voit à la tête des François fur la fin
du dix -feptieme fiecle , tandis qu'environ
trente années après , à peine en ont- ils de
quoi fe parer des intempéries de l'air. Il
n'eft pas difficile d'imaginer qu'on ait eu
la fantaisie de fe faire couper les cheveux
extrêmement courts : mais comment a- t'on
forcé la nature à produire la quantité de
cheveux qu'on voit aux plus jeunes hommes
dans les portraits de ces temps , d'une
affez grande longueur pour defcendre plus
bas que la poitrine , & de nature à fe foutenir
en pyramide fort élevée au deffus de
la tête c'eft ce qu'il eft d'autant plus difficile
d'imaginer , qu'on ne voit plus d'hommes
à qui il arrive rien de femblable.
JUILLET. 1756. 199
A l'occafion de ces portraits M. Findfault
dit que quelques Auteurs ont révoqués
en doute fi la perfpective étoit connue
alors , parce que beaucoup de ces portraits
font ornés de tables dont on voit le
deffus , quoique l'horifon foit fort audeffous
dans le tableau. Mais comme il
s'en trouve plufieurs où les objets font
dans l'exactitude de cette fcience , il aime
mieux croire qu'alors on faifoit ufage de
tables dont le deffus n'étoit pas de niveau ,
& que tous les meubles qu'on y poſoit ,
avoient des petits crochets pour les empêcher
de gliffer, ou y étoient attachés avec
quelque gomme. Cela eft d'autant plus
évident que ce ne peut point être par
hazard
& fans connoiffance des regles , que
quelques- uns fe trouvent d'une perfpective
exacte or ces regles étant connues ,
il n'eft pas vraisemblable qu'aucun Peintre
ait négligé des connoiffances fi faciles
à acquérir , & fi importantes pour fon
Art.
*
Je paffe beaucoup d'autres obfervations
non moins confidérables que fait M. Findfault
fur ce fujet , & qu'on peut voir dans
l'original . Je rapporterai feulement ce qu'il
dit , que toutes les femmes avoient les
yeux fi extraordinairement grands , qu'on
a peine à comprendre qu'ils puffent être
Liv
200 MERCURE DE FRANCE.
contenus dans l'eſpace ' qui leur eſt deſtiné,
que les Peintres appellent la châpe de l'oeil.
Il trouve plus raifonnable de penfer que
la nature étoit telle , que d'adopter le fentiment
de quelques Auteurs , qui prétendent
, que comme c'eft une beauté que d'avoir
les yeux grands , quand il n'y a pas
d'excès , les Peintres , pour flatter les Dames
, les leur faifoient tels , quelques petits
qu'elles les euffent ; qu'elles portoient
leur foibleffe fur ce point à tel degré , que
quelque mal que fût leur portrait à d'autres
égards , elles en étoient toujours fatiffaites
lorfqu'elles s'y voyoient de grands
yeux ; que c'étoit même le plus sûr chemin
à la fortune pour un Peintre , que le
talent des grands yeux , & des petites bouches.
M. Findfault refufe d'accepter cette
idée , parce qu'il prétend qu'avec une telle
complaifance il feroit impoffible de faire
reffembler, & qu'il ne lui paroît pas croyable
qu'on ait préféré une belle figure idéale
à fa propre reffemblance.
Il attribue à l'extrême gaieté des anciens
François le rire que l'on voit à tous leurs
portraits ce ne font pas feulement les
femmes , qu'on pourroit croire l'avoir fouhaité
ainfi , parce que c'eft ce qui les rend
les plus agréables ; les hommes même , à
qui le rire femble le moins convenable ,
1
JUILLET. 1756. 201
comme les Eccléfiaftiques , les Magiftrats ,
&c., font également peints dans cette fituation.
Il en infere qu'on faifoit tout alors
en riant , que les Juges rioient à l'Audience
, les Avocats en plaidant , & ainfi des
autres. « Combien , s'écrie-t- il , fommes-
» nous dégénérés de nos ancêtres ! nous regarderions
comme une indécence de repréfenter
ainfi un homme vêtu dans le
» caractere d'un état grave.
23
Notre Auteur a cherché de plus dans ces
portraits les manierès ordinaires aux anciens
François : il lui paroît qu'ils portoient
fort rarement la tête droite devant eux.,
& que leur habitude naturelle , ou acquife
par l'éducation , étoit de la tourner vers
l'épaule gauche. On trouvoit vraisemblablement
de la grace dans cette attitude
peu naturelle , on bien il y avoir quelque
raifon de cet ufage qui nous eft inconnu ,
femblable à celle qui engageoir les fucceffeurs
d'Alexandre à porter la tête penchée
d'un côté , à fon imitation.
Il étoit auffi apparemment du be! ufage
d'accoutumer de jeuneffe fes mains à un
tortillement forcé dans le petit doigt , &
de diriger les doigts de maniere que le
petit étant fort écarté , celui qui le fuir fût
joint à fon voifin , tandis que le quatrieme
ou index , s'en éloignoit le plus qu'il
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
lui étoit poffible. Il a fallu que cette regle
fût bien inviolable , puifqu'on la trouve
. exactement obfervée jufques dans des
mains qui font fimplement appuyées ou
même qui font quelqu'action . On y voit
encore que la maniere la plus ordinaire
de porter fa main droite étoit de la placer
fur la poitrine comme fi l'on faifoit quelque
proteftation . Toutes ces manieres qui
paroiffoient alors avoir de la grace nous
fembleroient maintenant ridiculement affectées.
11 paffe légérement fur le peu de rapport
qui fe trouve fouvent entre le caractere
des mains & celui de la tête & croit
tout fimplement que dans ce temps - là il
étoit fort ordinaire qu'une perfonne eût
de l'embonpoint fans que fes mains y participaffent.
Il obferve encore que l'attitude la plus
générale pour les hommes étoit de porter
une main appuyée fur la hanche , pofition
qui pafferoit maintenant pour une indécence
dans un lieu public.
Il feroit trop long de
rapporter toutes
les lumieres que M. Findfault tire de ces
portraits pour nous inftruire des manieres
des anciens François : il vaut mieux confalter
fon Mémoire qui eft un prodige de
fagacité.
JUILLET. 1756. 203
GRAVURE.
LE fieur Ouvrier vient de donner un
joli pendant aux Villageois de l'Apennin
annoncés dans le Mercure d'Août 17557
Cette nouvelle Eftampe a pour titre : Les
Jardinieres Italiennes au Marché. Elle eſt
gravée d'après le tableau peint par M.
Pierre à qui le Graveur l'a dédié. On y
reconnoît un digne Eleve de M. Cochin ,
& nous croyons qu'on ne peut trop applau
dir aux progrès marqués que fait tous les
jours ce jeune Artiſte . On trouve cette
Eftampe chez lui , rue des Noyers , chez
M. Bertrand , Chirurgien.
Le fieur Wille , Graveur du Roi , vient
de mettre au jour une Eftampe qu'on ne
peut trop louer. Il l'a gravée d'après le
Tableau original de Gabriel Melzu , excellent
Peintre Hollandois , du fiecle paffé.
Ce Tableau eft dans le Cabinet de M. le
Comte de Vence. L'Eftampe a pour titre :
La Cuisiniere Hollandoife. C'eſt une jeune
fille affife , vue prefque entiere , qui tient
une Poularde en broche , au deffus d'an
plat , & qui fait apperit à la voir par l'air
de propreté qui la caractérife. Le fond et
I vj
204 MERCURE DE FRANCE .
une cheminée de cuifine avec du gibier &
de fruits. Ce morceau réuni le burin au
travail à l'eau forte. On peut dire qu'il eft
fioi , & que l'Aureur ne pouvoit donner un
plus digne pendant à la Devidenfe qu'il a
gravée d'après Gerard Douw. Cette nouvelle
Eftampe fe vend chez lui , quai des
Auguftins , près l'Hôtel d'Auvergne , à
Paris.
Le fieur Lebas , vient d'enrichir fon cuvre
de David Teniers de quatre nouvelles
Estampes. Cer habile Artifte ne néglige
rien pour étendre la réputation du modele
qu'il a fi parfaitement imité. Il nous
l'a repréfenté , comme le premier , pour
peindre la nature dans fa naïveté : il veut
auffi nous donner des exemples que Teniers
avoit mérité le titre d'imitateur de la
nature dans toute fon étendue. Après l'avoir
donné comme Peintre d'Hiftoire.
de Fêtes de Village , de Converfation , il
fait voir à quel point il a réuffi à peindre
les animaux.
Des quatre Estampes , deux repréfentent
des Canards dans l'eau & volans en
l'air ; on y voit les différens mouvemens de
ces animaux : elles font toutes deux dédiées
à M. le Baron de Nagel , Chambellan de
l'Electeur de Cologne , & c . Les deux autres
JUILLET. 1756. 205
Eftampes font auffi des Payfages avec figures
, l'une intitulée le Jour naiffant , &
l'autre la Fin du Jour.
On trouve chez le même Auteur , rue
de la Harpe , vis -à- vis la rue Percée , une
grande Eftampe , gravée par le fieur Bacheley
, Eleve du fieur Lebas , fous le titre
de Vue du Tibre :
Et fix feuilles compofées par M. Jacques,
à l'ufage de la décoration des Théâtres
Panneaux & Carolles.
Il paroît chez la Dame veuve de Larmeffin
, rue des Noyers , à Paris , une Eftampe
nouvelle d'après le célebre François
le Moine , fort bien gravée. C'eft un fujet
de la Fable qui repréfente Latone avec fes
deux enfants , Diane & Apollon , au bord
d'un étang ; & des Payfans dedans qui reffentent
les effets de la priere qu'elle adreffe
à Jupiter pour qu'ils foient changés en
Grenouilles . Cette Eftampe eft d'une compofition
qui annonce la fupériorité du génie
de l'illuftre Artiste qui en a peint le
Tableau .
Il paroît actuellement une Eftampe nouvelle
, la quatorzieme de l'OEuvre de M.
de Marcenay qu'il a gravée d'après un
morceau de M. Vernet dont les talens fu206
MERCURE DE FRANCE.
périeurs pour le Paysage font généralement
applaudis.
Ce Tableau repréfente une belle nuit
d'éré , ou la Lune plus éclatante qu'à l'ordinaire
, femble prolonger le cours du
Soleil . Le choix de la lumiere qui part du
fond , les Réveillons qu'elle produit fur
des eaux légérement agitées , de beaux
Plans , leurs variétés , leurs oppofitions ,
une belle touche , beaucoup de vérité
des accidens habilement ménagés , tout en
un mot , femble réuni pour rendre ce
morceau des plus piquans.
L'Auteur de l'Estampe l'a dédiée à M.
de Marcenay fon parent & fon ami , dont
la façon de penfer eft auffi rare qu'elle eft
eftimable , ainfi que le dit ce beau paffage
de Cicéron qui lui eft appliqué : Qui
igitur utrâque in re gravem , conftantem ,
ftabilem fe in amicitia præftiterit , Hunc ,
ex maximè rarò hominum genere judicare
debemus , ac penè divino . Cic. de Amic.
On a bien raifon de s'eftimer heureux
quand on rencontre de pareils amis dans
des parens. A Paris , chez l'Auteur , rue
des Vieux Auguftins , près la rue Montmartre
, & chez M. Lutton , Commis au
recouvrement du Mercure de France , rue
fainte Anne.
JUILLET. 1756. 207
Le fieur le Rouge , Ingénieur , Géographe
du Roi & de S. A. S. M. le Comte de
Clermont , vient de faire graver la Méditerranée
en deux feuilles , par Michelot.
Une preuve que cette Carte eft eftimée
dans la Méditerranée , c'est que les Navigateurs
de Rome & de Naples , engagerent
Girou , Libraire de Rome , de la
faire graver à Paris en 1750 ; ce qu'il fit :
& il emporta les Planches. A Rome . Prix
2 liv.
Plus , les Illes de Gerfey , Gerneſey &
Origny, tirées des meilleures Cartes gravées
& manufcrites en une feuille . Prix
2 liv . lavées . liv . 4 fols , en blanc.
Plus , le Détroit de Gibraltar avec les
Courans , & une Vue , par feu M. de la
Penne , Chef d'Efcadre des Galeres du
Roi. Prix 1 liv. 4 fols , lavé. En blanc ,
12 fols.
Plus , un Plan du Fort Philippe de Mahon
, tiré fur un deffein levé fur les lieux ,
par M. de ***. Prix 1 liv. 4 fols , lavé .
En blanc , 12 fols.
Plus , un Plan du Camp & des Batteries
devant le Fort Philippe , envoyé par un
Officier de l'Armée . Prix 12 fols.
208 MERCURE DE FRANCE.
IL
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
paroît chez P. Patte , Architecte &
Graveur , rue des Noyers , la fixieme porte
cochere , à droite , en entrant par la rue
S. Jacques , dix grandes Planches compofant
les développemeus & profils des décorations
intérieures de tous les appartemens
de l'Hôtel de Soubife , à Paris , levées ,
deffinées & gravées par M. Babel . Prix
6 liv. fur le papier raifin , & 9 liv. fur le
papier Nom de Jefus.
De plus , il paroît auffi chez le même
Artifte , fix autres Eftampes de Perſpective
& d'Architecture compofées par le célebre
Piranefe , & gravées par l'Auteur : elles
font allufion à divers édifices antiques , &
font très propres par leurs effets piquans
à fervir d'ornemens aux Boetes d'optiques.
Le prix eft 4 liv. 10 fols enfemble.
JUILLET. 1756. 209
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
LE Mercredi , 7 de ce mois , les Comédiens
François ont repréſenté Alzire & le
Dédit . Ces deux pieces ont été fuivies d'un
divertiffement nouveau , intitulé : le Généreux
Tartare , dans lequel le fieur Bouqueton
& fa niece ont danté avec l'applau
diffement général.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Monfieur , je ne puis trop vous remercier
de l'analyse précife & favorable que
yous avez bien voulu faire de ma piece . Les
louanges dont vous m'honorez , me flattent
d'autant plus qu'elles partent d'un homme
exercé dans le même gente , d'un connoiffeur
en état de rendre un bon compte de fes
fuffrages, d'un auteur que fes fréquens fuc210
MERCURE DE FRANCE.
}
cès ont élevé beaucoup au deffus de toute
partialité . Mais permettez - moi , Monfieur ,
de défendre du moins auprès de vous , fi
vous ne jugez pas à propos de publier ma
lettre , permettez- moi , dis-je , de défendre
le titre de ma comédie.
J'ai prétendu faire la Coquette corrigée ;
j'avoue même que j'ai pris ces deux termes
dans toute l'étendue de leur fignification ;
de forte que fi ma Julie n'eft pas, & ne paroît
pas vraiment Coquette , j'ai manqué
la moitié de mon objet.
D'abord convenons des termes . J'appelle
Coquette une jolie femme , ivre d'ellemême
, ambitieufe de plaire , livrée par
goût au grand monde , uniquement occupée
à faire naître, à nourrir , à tromper des
paffions fauffes ou véritables , une femme
enfin plus jaloufe de la multiplicité que de
la valeur de fes conquêtes.
Si vous admettez cette définition , que
je crois jufte, je penfe être en état de prouver
que la Julie de ma piece eft tout ce que
je dis là.
Le premier acte entier eft employé à la
peindre fous tous les traits de cette définition.
Orphife , Clitandre , Erafte , le Marquis
, ont beau varier les portraits qu'ils
en font , ils la voient , ils la repréfentent
tous coquette , diffipée , brûlant de plaire ,
JUILLET. 1756. 211
de briller , de foumettre. Elle paroît un
inftant , elle trompe le vieux Comte , elle
agace Clitandre , elle parle d'enlever le
coeur d'un troisieme .
Pendant tout le fecond & le troifieme
acte , elle est encore tout ce qu'elle a paru
dans le premier ; fes fcenes avec Clitandre
ne font autre chofe qu'un jeu perpétuel de
fon amour -propre, excité par les obftacles :
regards , louanges , colere , ironies , traits
d'efprit , tous les refforts de la Coquetterie
font tendus pour engager Clitandre , pour
l'enlever à cette amante ignorée , qu'elle
lui fuppofe ; & ce n'eft qu'à la fin du troifieme
acte que Julie commence à foupçonner
que les moyens qu'elle emploie contre
lui , les feuls que fa coquetterie lui a fournis,
les feuls qu'elle a connus jufqu'à ce moment
, pourroient bien être des moyens
non feulement inutiles , mais nuifibles même
à fon grand projet.
Je fçais bien que dans une partie du
cours de ma piece , la coquetterie de Julie
a toujours le même objet. Elle a rompu
avec Eraſte , elle fe moque ouvertement
du Comte , Clitandre refte feul en butte à
toutes les agaceries , à tous les efforts.
Mais , Monheur , ne me fuffit- il pas de
l'avoir, peinte d'avance relle qu'elle a été
jufqu'à ce moment? En entrant fur la fcene,
212 MERCURE DE FRANCE.
que dis-je pendant plus d'un tiers de la
piece elle eft purement & véritablement
coquette : cela ne fuffit-il pas pour juftifier
mon titre ?
Dans une piece d'intrigue on fuppofe
les trois quarts de l'action déja paffée ; on
prend le dernier moment , le moment qui
doit le plus frapper : qu'ai-je fait autre
chofe pour mon caractere ? Avant qu'il
paroiffe je l'ai expofé dans fes divers déve
loppemens ; je l'ai peint fous différentes
attitudes, & je l'ai produit d'abord tel que
je l'ai peint c'est tout ce que je penfe
qu'on pouvoit exiger de moi .
Si je n'avois eu à repréfenter qu'une coquette
, je me ferois bien gardé de l'en- .
tourer d'aufli peu de monde ; j'aurois multiplié
fes amans & fes intrigues ; j'aurois
varié les rufes , les détours , les incidens ;
punie ou triomphante , fon caractere eût
toujours été le même ; mais , Monfieur ,
j'ai voulu la corriger.
Vous convenez que cette partie eſt trai .
tée paffablement : je m'en tiens à votre fuffrage
; il me flatte & me raffure : puiſſaije
ne le pas devoir tout entier à l'amitié
dont vous m'honorez depuis fi long- temps !
J'ai l'honneur d'être , & c.
DE LA NOUE.
A Paris , ce 8 Juillet 1756 .
JUILLET. 1756. 213
6
P. S. Quant au peu d'action que l'on
me reproche dans mon fecond & mon troihieme
acte , j'ai peine encore à paffer condamnation,
fur cet article. J'ai prétendu
mettre toute ceste action dans le coeur de
Julie ; tous ceux à qui j'ai lu ma piece l'y
ont reconnue ; aucun ne m'en a demandé
davantage ; peut être le public l'a - t- il cherchée
ailleurs ; peut- être aufli le théâtre demandoit-
il plus de chaleur. La repriſe de
ma piece achevera de ni'éclairer , & l'on
me verra toujours autfi docile à reconnoître
mes fautes , que reconnoiffant des applaudiffemens
que l'on a bien voulu donner
aux endroits les moins imparfaits de
mon ouvrage.
Nous convenons , avec M. de la Noue ,
que par Coquette on entend une jolie femme,
ivre d'ele même, ambitieufe de plaire,
livrée par goût au grand monde, & c ; mais
nous croyons que c'eft la maniere dont elle
eft tout ce qu'il détaille ſi bien , qui la
conftitue telle , & qui la diftingue de l'Etourdie,
ou , fi l'on veut , de la Petite Maitreſſe ,
dont le travers eft celui de la jeuneffe inconfidérée
, & n'eft pardonnable qu'à cet
âge. Tout dépend ici des nuances. La Coquette,
felon l'idée que nous avons attachée
à ce mot jufqu'à préfent , eft celle dont le
214 MERCURE
DE FRANCE
.
caractere permanent eft de plaire fans's'attacher
, & d'enchaîner mille amans à fon
char , fans avoir aucun favori . Pour y par
venir , elle est toujours attentive à ménager
la délicateffe des hommes ; elle a l'art
de les attirer par degrés , mais avec décence,
& fans jamais fe jetter à leur tête. Sûre
que le trop d'avance ou de facilité leur inf
pire du dégoût , elle fe tient toujours dans
ce milieu prudent , qui fait naître l'efpoir
& les défirs , mais qui ne la met jamais
dans le cas de les fatisfaire : voilà le manege
adroit qui la caractériſe. La Petite Maitreffe
, au contraire , vraie émule du Petit
Maître, fe livre au tourbillon en étourdie :
elle ne connoît point les ménagemens; elle
veut fubjuguer aux dépens des bienféances
qu'ellé brave ; elle fait gloire d'affrontér le
danger , ofe tout pour faire du bruit ; &
fi elle n'eft arrêtée en chemin par un revers
falutaire , elle paffe rapidement de l'indécence
à la dépravation , & finit par être la
Femme fans moeurs . Julie nous a paru être
dans ce courant , & fur le bord du préci
pice , ainfi qu'elle le dit elle - même.
Comme on donne aujourd'hui des noms
honnêtes aux chofes qui le font le moins ,
peut-être eft-on convenu de nommer Coquetterie
ce qu'on appelloit autrefois galan
serie , dans toute la force du terme. Sui
JUILLET. 1756. 215
>
vant cette nouvelle acception , nous demeurons
d'accord que Julie eft vraiment
Coquette , & qu'elle trouve dans le grand
monde plus d'un modele. Dans un fiecle
plus naïf on eût pu lui donner la qualification
dont l'injufte Clopinel honora jadis
toutes les femmes mais nous penfons
que dans ce fiecle poli , pour éviter toute
équivoque on pourroit l'intituler :
La Coquette du jour corrigée. Ce qui nous
détermine à le propofer eft la perfuafion
où nous fommes que cette Coquette de
création nouyelle eft la feule qui foit fufceptible
de converfion . Nous ajouterons
pour mieux motiver notre fentiment
qu'on revient fouvent d'un vice que la
mode occafionne , mais jamais d'un défaut
qu'on tient de la nature,
>
Si nous avions moins eftimé l'Auteur &
l'Ouvrage , nous n'aurions point hazardé
ces foibles remarques. Nous prions M. de
la Noue de nous les pardonner & de croire
que nous les offrons ici comme de fimplesdoutes
, & des conjectures fans prétention.
Il nous permettra d'en rifquet encore une
dans le même efprit fur le peu d'action
que nous avons dit avoir apperçu dans le
fecond & le troifieme Acte de fa piece.
Par le mot d'action , nous avons entendu
les incidens qui la font naître dans un
216 MERCURE DE FRANCE.
Ouvrage dramatique , & nous avouerons
franchement que ces Actes nous en ont
paru dénués , ainfi qu'au Public. Il eſt vrai
que l'Auteur y a fuppléé par la chaleur
du dialogue , & par l'agitation qu'il a miſe
dans le coeur de Julie. Mais cette action , fi
c'en eft une , dépend toute du jeu feul des
Acteurs , & ne forme point au Théâtre ces
changemens fubits qui excitent la curiofité
des fpectateurs , qui les tiennent en fufpens
, qui produifent enfin l'intérêt , &
fervent à dévoiler les caracteres jufques
dans leurs moindres replis.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Samedi 10 , les Comédiens Italiens
ont donné la Pipée , Piece en deux Actes
mêlée d'Ariettes , fuivie des Artiſans, Ballet
Pantomine dans lequel on a chanté les couplers
fuivans ( 1 ) au ſujet de la priſe du
Port Mahon.
(1 ) Ils viennent du bon faifeur . Il font de M.
Favart.
COUPLETS
JUILLET. 1756. 217
COUPLETS
fur l'Air : Ils ont voulu , ils n'ont pas pu ,
QUe ce grand jour
Pour nous , m'amour ,
Eft un grand jour de fête !
Apprens , Fanchon ,
Que d'Port Mahon
J'avons fait la conquête :
Mais de c'que j'lavons fitôt pris ;
In faut pas que l'on foit furpris ,
Not Maréchal ,
Grand Général ,
Etoit à notre tête.
D'aller aux coups ,
Plus vit que nous
Son courage pétille.
C'est trop ofer ,
C'est s'expofer ,
Mais c'eft en ça qu'il brille :
Et comme il eft entreprenant ,
Ce Héros prend toujours le d'vant ,
Et tout d'abord ,
Il brufque un Fort
Com le coeur d'une Fille.
II. Vol
K
218 MERCURE DE FRANCE.
L'Zanglais voyant
Son air pinpant ,
Difoient : Soldats de France ,
Vot Général
Va-t'il au bal
Avec cette élégance ?
Oui , Meffieurs : vous dans'rez pour nous ,
Et vous danferez malgré vous :
Ils ont voulu ,
Ils n'ont pas pu
Lui faire réfiftance.
'Au premier fon
De not canon ',
Leur mine fe refrogné ,
Loin d's'approcher ,
Y vont s'cacher ,
De peur qu'on ne les empogne.
Y voyont bien que c'Maréchal
Avec fon petit air jovial ,
Eft un vivant
Mauvais plaifant
Qui va droit en befogne,
Nul ne s'en plaint.
Si l'on le craint >
On l'en aim' davantage ,
Il fait tout bien,
JUILLET. 1756. 219
Sarpedié rien
N'réfifte à fon courage ;
Quand d'chacun on a l'amitié ,
On eft vainqueur plus d'à moitié ,
Avec l'efprit
Quand l'coeur agit ,
C'est qu'on fait bien d'louvrage.
Tous les Bourgeois ,
A haute voix ,
Lui font offrir azyle ,
Leur femme auffi
D'un ton póli ,
Lui font dire en beau ſtyle :
Monfeigneur , dès que j'vous ons yu ,
J'ons dis foyez le bien venu :
Il s'eft montré ,
Il eft entré
Do
Tout de go dans la Ville,
Kij
M
220 MERCURE DE FRANCE.
E
OPERA COMIQUE.
Le Samedi 26 Juin , l'Opéra Comique fir
l'ouverture de fon Théâtre par Nicaife ,
Zéphyr & la Lune , & les Nymphes de Diane,
Pieces remifes , qui furent fuivies d'un
divertiffement intitulé : Diane & Endimion.
Le fieur Renard , de Marfeille , qui eft
engagé à ce Spectacle pour remplir les
rôles d'amoureux , y a débuté par celui
d'Agenor dans les Nymphes de Diane , avec
l'applaudiffement du Public & l'approbation
des Connoiffeurs.
naid got
esatnom sa (I'
o
JUILLET. 1756.
221
ARTICLE NLE
V
I.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ALLEMAGNE.
DE FRANCFORT , le 25 Juin.
ItLy eut ici le 19 de ce mois une affreufe
tempête. Les perfonnes les plus âgées ne fe fouviennent
pas d'en avoir vu une femblable.
La plupart des toits ont été emportés par le vent ,
ou brifés par la grêle , dont plufieurs grains
étoit de la groffeur d'un ceuf de poule. Un grand
nombre d'animaux ont été tués dans la campagne ,
Le dommage qu'elle a fouffert , eft d'autant
plus à déplorer , qu'on avoit l'efpérance d'une
abondante récolte. On a éprouvé les mêmes accidens
le même jour à Cologne .
D'AIX LA CHAPELLE , le 8 Juin.
·
Il y eut ici le 3 Juin une fecouffe de tremblement
de terre. On a reçu avis qu'elle avoit
été beaucoup plus violente à Duren , à Sittart ,
à Maeftricht , à Liége & à Cologne. Heureufement
elle n'a cauſé nulle part aucun dommage.
ITALI E.
DE ROME, le 29 Mai.
On a trouvé dans les fondemens de la maifon
K iij
222 MERCURE DE FRANCE.
du Comte Bolognetti une très- belle Statue
seprefentant un Hermaphrodite.
DE GENES , le 20 Juin.
On a été informé par une Pinque de Barcelone ,
que des Corfaires d'Alger avoit fait une defcente
près du Cap de Créau en Catalogne ; mais que
ies Païfans de la côte ayant auffitôt pris les armes ,
ces Pyrates avoient été obligés de fe rembarquer
précipitamment ; que cependant ils avoient eu le
tems de faire quelques efclaves , du nombre
defquels étoit le Marquis Ferreri.
PAYS - BAS.
*
D'AMSTERDAM , le 23 Juin.
Bien loin que les Anglois ayent relâché aucun
des Navires Hollandois , dont ils fe font emparés
depuis quelque tems , ils viennent d'en conduire
encore plufieurs aux Dunes , où ils en détiennent
actuellement quarante. Les Patrons de
ces Bâtimens fe font rendus à Londres , & ont
porté leurs plaintes au Lieutenant Général Hop ,
Envoyé Extraordinaire de cette République auprès
du Roi de la Grande - Bretagne. Ce Miniftre a
donné part des circonftances de cette affaire aux
Etats Généraux . Il les a informés que la plupart
des Navires , qui ont été enlevés , venoient de
Ceudres , & que leurs cargaifons confiftoient feulement
en fel.
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 28 Juin.
Les fubfides , accordés par le Parlement pour
Ε
JUILLET. 1756. 223
le fervice de cette année , montent à la fomme
de fept millions deux cent vingt -neuf mille cent
dix fept livres sterlings . On a reçu avis de Falmouth
, que le Vaiffeau le Colchester y avoit
relâché , extrêmement maltraité du combat qu'il
a foutenu conjointement avec la Frégate la Lime ,
près de Rochefort , contre deux Frégates Francoifes.
On a coulé à fond quinze ou feize des
prifes Françoifes , dont la cargaison confiftant en
poiffon s'étoit corrompue . Le Lord Anfon a
propofé d'armer quarante ou cinquante Bâtimens
de Pêcheurs , & de les faire croifer dans la Manche.
Il prétend que cet armement ne coûtera que
quarante - trois mille livres fterlings par an , &
qu'il fuffira pour la défenſe des côtes de la Grande-
Bretagne. Ces Bâtimens , qui avec leur charge
entiere ne tirent que fept pieds d'eau , font en
*état de porter dix-huit canons , trente matelots &
cinquante foldats .
Dans un des Confeils tenus à Kenfington , il a
été pris divers arrangemens pour la défenfe dés
ifles de Jerfey & de Garneley. En conféquence ,
l'Amirauté a donné ordre d'équiper une Eſcadre ,
que commandera le Chef d'Efcadre Howe , &
qui fera compofée d'un Vaiffeau de foixante
canon , d'un de cinquante , de deux de vingt ,
& de deux Chaloupes de guerre. Le Régiment
de Bochland s'eft embarqué pour ces Ifles , ou
P'on fe propofe d'envoyer quelques autres troupes.
Le 16 de ce mois , les Amiraux Hawke &
Sawnders partirent de Portſmouth , à bord du
Vaiffeau de guerre l'Antelope , pour aller joindre
P'Efcadre de l'Amiral Byng à Gibraltar
Kir
224 MERCURE DE FRANCE.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
Monfeigneur le Dauphin & Madame la Dauphine
partirent de Verfailles le 19 Juin , vers
les neuf heures & demie du matin , pour fe
rendre à Chartres. Ce Prince & cette Princeffe
y arriverent à trois heures après- midi , &
ils defcendirent à l'Evêché , où ils dînerent.
Ils y ont féjourné le 20 , & ils font revenus
ici le 21 au matin. L'Evêque de Chartres , qui
a eu l'honneur de recevoir chez lui Monfeigneur
le Dauphin & Madame la Dauphine
avec les Seigneurs & Dames de leur fuite , n'a
rien laiffé à défirer de tout ce qui pouvoit contribuer
à la magnificence de la réception..
Le 23 , Monfeigneur le Dauphin & Mada
me tinrent fur les Fonts , dans la Chapelle
du Château , le fils du Marquis de Loftanges ,
Meftie de Camp du Régiment des Cuiraffiers ,
& Premier Ecuyer de Madame , en furvivance
; & de Dame Gallucci de l'Hôpital , une des
Dames nommées pour accompagner Madame.
Le Prince Conftantin , Premier Aumônier du
Roi , fuppléa les cérémonies du Baptême , en
préfence du Curé de l'Eglife Paroiffiale de Notre-
Dame , à l'enfant qui fut nommé Henri .
Le 20 Juin , M. Gualtieri , Archevêque de
Mira , Nonce Ordinaire du Pape , fit fon Entrée
publique à Paris. Le Prince Camille , &
M. Dufort , Introducteur des Ambaſſadeurs ,
JUILLET. 1756. 225
allerent le prendre dans les carroffes de Leurs
Majeftés au Couvent de Picpus , d'où la marche
fe fit en cet ordre . Le carroffe de l'Introducteur
; le carroffe du Prince Camille ; un Suiffe
du Nonce , à cheval ; fa Livrée , à pied ; fon
Maître d'Hôtel & fix de fes Officiers ; fon
Ecuyer & fes Pages , à cheval : le carroffe du
Roi , aux côtés duquel marchoient la Livrée
du Prince Camille & celle de M. Dufort ; le
carroffe de la Reine ; celui de Madame la Dauphine
; ceux du Duc d'Orléans , de la Ducheffe
d'Orléans , du Prince de Condé , de la
Princeffe de Condé , du Comte de Charolois ,
du Comte de Clermont , de la Princeffe Douairiere
de Conty , du Prince de Conty , du Comte
de la Marche , du Comte d'Eu , de la Comteffe
de Toulouſe , du Duc de Penthievre ; &
celui de M. Rouillé , Miniftre d'Etat ayant le
Département des Affaires Etrangeres. A une
diftance de trente ou quarante pas marchoient
les quatre carroffes du Nonce , précédés d'un
Suiffe à cheval . Lorsqu'il fut arrivé à fon Hôtel
, il fut complimenté , de la part du Roi ,
par M. le Duc de Gefvres , Premier Gentilhomme
de la Chambre de Sa Majefté ; de la part
de la Reine , par M. le Comte de Saoly Tavannes
, fon Chevalier d'Honneur ; de la part de
Madame la Dauphine, par M. le Marquis de Muy,
fon Premier Maître d'Hôtel ; & de la part de
Madame , par M. le Marquis de l'Hôpital ,
Premier Ecuyer de cette Princeffe .
Le 22 , le Comte de Brionne , Grand Ecuyer
de France , & M. Dufort , Introducteur des
Ambaffadeurs , allerent prendre le Nonce du
Pape en fon Hôtel , & le conduifirent avec les
carroffes de Leurs Majeftés , à Verfailles , où il
Κν
226 MERCURE DE FRANCE.
eut fa premiere audience publique du Roi. Le
Nonce trouva à fon paffage , dans l'avantcourt
du Château , les Compagnies des Gardes Françoifes
& Suiffes , fous les armes ; les Tambours
appellant ; dans la cour , les Gardes de la Pors
te & ceux de la Prevôté de l'Hôtel , auffi ſous
les armes , à leurs poftes ordinaires ; & fur l'efcalier
, les Cent- Suiffes , en habit de cérémonie
, la hallebarde à la main. Il fut reçu en dedans
de la Salle des Gardes par M. le Duc
d'Ayen , Capitaine des Gardes du Corps , qui
étoient en haie & fous les armes. Après l'audience
du Roi , le Nonce, fut conduit à l'audience
de la Reine , & à celles de Monſeigneur
le Dauphin & Madame la Dauphine
par M. le Comte de Brionne & par M. Dufort.
Il eut enfuite audience de Madame , &
de Mefdames Victoire , Sophie & Louiſe ; &
après avoir été traité par les Officiers du Roi ,
ilfut reconduit à Paris dans les carroffes de Leurs
Majeftés avec les cerémonies accoutumées.
>
Le même jour , le Roi fit à Verſailles dans
la Cour du Château , la revue des deux Com .
pagnies des Moufquetaires de fa Gardė Ordi ,
naire. Le Roi paffa dans les rangs , & après
que les Compagnies eurent fait l'exercice , Sa
Majefté les vit défiler. Monfeigneur le Dauphin
accompagna le Roi à cette revue. La Reine
Madame la Dauphine , Madame , & Mefdames
Victoire , Sophie & Louife , la virent de l'appartement
du Comte de Clermont..
"
M. Le Marquis de Peruffy , Premier Sous-
Lieutenant de la Premiere Compagnie des
Moufquetaires , ayant demandé la permiffion de
fe retirer , M. le Comte de Carvoifin , fecond
Sous-Lieutenant de cette Compagnie , en eft
JUILLET. 1756. 227
devenu Premier Sous-Lieutenant ; M. le Chevalier
de la Cheze , qui étoit Premier Enſeigne ,
a monté à la place de Second Sous - Lieutenant ;
M. le Marquis de Cucé , Second Enfeigne , a paflé
à la premiere Enfeigne ; M. le Marquis de la Vaupaliere
premier Cornette , a été nommé fecond
Enfeigne , & M. le Marquis de Montillet , Second
Cornette , eft devenu Premier Cornette . Le Roi a
accordé à M. le Comte de Merle l'agrément de la
place de Second Cornette , vacante par ces mutations.
En conféquence de la retraite de M. du Rouret
, Maréchal des Logis de la même Compagnie ,.
Sa Majesté a nommé M. de Sarcé Maréchal des
Logis , M. de Charlary Brigadier , M. de Fa
jac Sous- Brigadier & Sous- Aide Major ; & MM.
de Chanvallon , Villiers & Monneron , ont obtenu
les Sous- Brigades vacantes dans la Compagnie.
Par la retraite de MM. de Vervan , du Fou &
de Sampigny , Maréchaux des Logis de la feconde
Compagnie des Moufquetaires , le Chevalier de la
Douze & MM. de Mancy & de Vandômois font
devenus Maréchaux des Logis de cette Compagnie.
MM. de Launay , de Blaignac & de Gouberville ,
en ont été nommés Brigadiers ; & MM. de Beau
chefne , de Tremenec & de Vefins , ont obtenu
des places de Sous- Brigadiers .
Suivant les nouvelles écrites de Minorque le
14 Juin , on avoit employé plufieurs jours à
faire des tranfports de terre , pour élever de nouvelles
batteries , qui avoient commencé à tirer
le 5 au matin , & dont le feu fucceffif avoit ruiné
une grande partie des defenfes des Affiégés.
Le 8 M. Bélon , Capitaine au Régiment de Talaru
, a été bleffé . M. de Saint-Alby , Capitaine
de Grenadiers au Régiment de Bretagne , a été
sué le 9. Le 10 , M. la Rivétifon , Capitaine
K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
au Régiment Royal , fut bleffé légérement. Le
12 M. Pupille , Lieutenant du Corps Royal d'Ar
tillerie & du Génie , a auffi été bleffé légèrement
d'un éclat de bombe.
Afin de prévenir le dépériffement des Navires
Anglois , détenus dans les Ports du Royaume
, & d'empêcher qu'ils ne foient confondus
avec les prifes qui pourront être faites durant
la guerre que le Roi de la Grande- Bretagne a
déclarée à la France , le Roi a donné ordre qu'il
fût procédé à la vente de ces Bâtimens & de leurs
chargemens. Veut Sa Majefté , que le produit
defdites ventes foit mis en dépôt , pour y refter
jufqu'à ce qu'il en ait été par Elle autrement
ordonné. j
M. de Maupertuis , un des Quarante de l'Académie
Françoife , & Préfident de l'Académie des
Sciences & Belles - Lettres de Pruffe , & M. Godin ,
ont été déclarés Penfionnaires Vétérans de l'Aca
démie Royale des Sciences , dans l'Affemblée que
cette Compagnie tint le 16.
Sa Majefté a donné à M. le Comte de Saint-
Florentin , Miniftre & Secretaire d'Etat , Chancelier
de la Reine , & Commandeur- Secretaire des
Ordres de Saint Michel & du Saint Efprit , la
charge de Commandeur- Chancelier , Garde des
Sceaux , & Sur Intendant des Finances defdits
Ordres , qui vaquoit par la mort de M. l'Abbé
de Pomponne. M. le Marquis de Marigny ,
Directeur & Ordonnateur Général des Bâtimens
Arts , Jardins & Manufactures , a eu l'agrément
du Roi , pour fuccéder à M. le Comte de Saint-
Florentin dans la charge de Commandeur- Secretaire
des Ordres de Sa Majesté.
La place de Confeiller d'Etat Eccléfiaftique
de M. l'Abbé de Pomponne paffe à M. l'Abbé
JUILLET. 1756. 229
Comte de Bernis , nommé Ambaffadeur de Sa
Majefté à la cour de Madrid , lequel avoit l'expectative
pour la premiere qui viendroit à vaquer.
M. le Marquis de Puyziculx ayant demandé
la permiffion de fe retirer du Confeil , Sa Majesté
Jui a confervé la penfion de Miniftre , & il
continuera d'avoir un logement à la Cour.
Monfeigneur le Dauphin , Madame la Dauphine
, Madame , & Mefdames Victoire , Sophie &
Louife , vinrent le 27 Juin fe promener fur le
Boulevard de cette Ville. Il vifiterent le réfervoir
qui fert à nettoyer le grand égout qui l'entoure.
Le défir de jouir de la préfence de ce Prince
& de ces Princeffes , attira fur le Boulevard une
multitude innombrable de perfonnes de toutes
les conditions.
Par des lettres du Canada , on a appris le
détail fuivant. M. de Vaudreuil , Gouverneur Général
, ayant été informé que les Anglois avoient
établi à vingt lieues de Choueguen , un Fort , ou
étoit le principal entrepôt de tous les approvifionnemens
deftiné pour l'entrepriſe projettée
contre les Forts de Niagara & de Frontenac , fit
partir à la fin du mois de Février un Détachement
commandé par M. de Lery , Lieutenant
des Troupes , & compofé de cinq cens hommes
tant Soldats que Canadiens & Sauvages ,
pour aller détruire ce Fort , appellé de Bull.
Le 27 Mars , M. de Lery rencontra un convoi
de neuf charrettes chargées de vivres , qu'un Détachement
Anglois conduifoit à Choueguen. Après
avoir pris ce convoi & l'efcorte , il marcha
vers le Fort de Bull , dont il étoit déja aſſez
près. Comme il avoit été découvert , il trouva
que le Commandant de ce Fort s'étoit mis en
défenſe avec la garnison , qui étoit compoſée
230 MERCURE DE FRANCE .
d'environ cent hommes. Quoique M. de Lery
n'eût point dans ce moment tout fon détachement
avec lui , une partie des Sauvages étant restée
en arriere , il inveftit le Fort , & fit fommer
le Commandant de fe rendre : mais celui – ci
ne lui répondit que par un feu très- vif de grenades
& de moufqueterie . Ce feu n'empêcha
pas M. de Lery , de faire fon attaque, Pendant
que les Canadiens faifoient des breches fur les
derrieres du Fort , il fit rompre la porte à coups
de hache , & fomma de nouveau le Commandant,
de fe rendre . Cette nouvelle ſommation ne fervit
qu'à faire redoubler le feu des Anglois ; mais bientôt
les Affiégeans entrerent avec précipitation
dans le Fort , & pafferent toute la Garniſon
au fil de l'épée , à l'exception de trois ou quatre
hommes que M. de Lery trouva le moyen de
fauver , & qui furent faits prifonniers. Dans le
tems qu'il vifitoit les magafins où il avoit déja
trouvé près de quarante milliers de poudre ,
une grande quantité de bombes , grenades, boulets
& autres munitions , avec une provifion
très- confidérable de vivres prêts à être tranfpor
tés, on s'apperçut que le feu étoit dans les magafins.
M. de Lery étoit à peine retiré avec tout
fon monde , que les magafins fauterent avec
tout les bâtimens & toute l'enceinte même du
Fort , de maniere qu'il n'en refta point de veftiges.
Après cette expédition dans laquelle ledétachement
François n'a eu qu'un Soldat & un Sauvage de tués ,
avec deux Soldats , deux Canadiens & trois Sauvages
bleffés , M. de Lery a marché contre un
Détachement Anglois , qui venoit au ſecours du
Fort ; mais il ne lui a pas été poffible de le
joindre.
Le 2 Juillet , le Roi accompagné de Monfei
JUILLET. 1756. 231
gneur le Dauphin , de Madame la Dauphinede
Madame , & de Mefdames Victoire , Sophie
& Louife , fe rendit à Compiegne du Châteaude
la Meute , où Sa Majefté avoit couché la
nuit précédente . Le Roi a fait l'honneur à
M. de Machault , Garde des Sceaux de France
, & Secretaire d'Etat ayant le Département
de la Marine , de s'arrêter une heure au Château
d'Arnouville . Monfeigneur le Dauphin étoit
avec Sa Majefté. La Reine arriva de Verſailles
le 3.
Le Roi a difpofé de la charge de Grand Aumônier
de France , vacante par la mort du Cardinal
de Soubife , en faveur du Cardinal de la
Rochefoucauld.
Sa Majefté a donné au Vidame d'Amiens , fils de
M.leDuc de Chaulnes , une Commiffion de Cornette
, avec Brevet de Mestre de Camp , à la fuite de
la Compagnie des Chevaux- Légers de la Garde..
En même tems , Sa Majesté a accordé une gratification
annuelle de huit mille livres à M. le Comte
de Luberfac de Livron , fecond Sous- Lieutenant
de cette Compagnie. Le Roi a accordé auffi
des Commiffions de Capitaines de Cavalerie , &.
plufieurs penfions & gratifications , aux Chevaux-
Légers , qui fe rendent utiles à l'Ecole établie
dans ce Corps , & qui fe font diftingués dans lesexercices
que Sa Majeſté a honorés de fa préfence.
Le Bureau des Affaires Eccléfiaftiques , qu'avoit
le feu Abbé de Pomponne , a été donné par
Sa Majesté à M. Feydeau de Brou , Conſeiller
d'Etat Ordinaire , & au Confeil Royal ..
Le 8 de ce mois , les Actions de la Compagnie
des Indes étoient à quinze cens quarante- cinq
livres les Billets de la troisieme Loterie Royale
232 MERCURE DE FRANCE.
à fix cens quarante- quatre ; ceux de la premiere
Loterie , & ceux de la feconde , n'avoient point
de prix fixe .
MARIAGES ET MORTS.
MEffire Philippe-Chriſtophe- Amateur de Galliffet
, Comte de Galliffet , Baron de Dampierre ,
Brigadier de Cavalerie , Lieutenant-Général de la
Province de Bourgogne , Gouverneur de Mâcon ,
& Meftre de Camp , Lieutenant du Régiment de
la Reine , époufa le 22 Janvier 1756 , Marie de
Levis- Lugny , fille de Marc- Antoine de Levis-
Lugny , appellé Marquis de Levis , & de Marie-
Françoile de Gelas de Leberon , niéce du Comte
de Lautrec , Chevalier des Ordres du Roi , Lieutenant-
Général de fes Armées , & c. La Bénédiction
Nuptiale leur fut donnée à S. Ouen dans la
chapelle particuliere du Comte de Jarnac , par
l'Abbé d'Harbouft , Vicaire Général de l'Evêché
de Meaux. Leur Contrat de mariage avoit été
figné par le Roi le 19 du même mois.
Le Comte de Galliffet ett d'une famille noble
& ancienne , originaire de S. Laurent-du- Pont en
Dauphiné , & qui s'eft répandue dans le Comtat ,
en Savoye , en Provence , dans le Pays d'Aunis &
à Paris . Elle s'eft également diftinguée dans l'épée
& dans la robe. La perte de la plus grande partie
des titres de cette famille , occafionnée par
guerres avec la Savoye , eft caufe qu'elle ne peut
remonter avec certitude que jufqu'à Guillaume
de Galliffet , qualifié Noble , qui vivoit en 1489.
Ce Guillaume fut pere de Georges & de Jacques
de Gallifer ; celui- ci eft la tige d'une branche qui
les
JUILLET . 1756. 233
a toujours fervi , foit en France , foit en Savoye ,
où elle eft établie .
Georges de Galliffet , fils aîné de Guillaume ,
fut Capitaine & Châtelain de S. Laurent-du-Pont ,
& de la Marche d'Antremont. Claude de Galliffer,
Archer de la Garde du Roi , & Georges II , deux
de fes fils furent auffi Capitaines & Châtelains ,
l'un de S. Laurent- du- Pont , & l'autre de la Marche
d'Antremont. Genton , le feptieme de fes enfans
fut un des cent Gentilshommes de la Chambre
de Henri II . Ils furent tous compris dans les
montres des Gentilshommes des années 1518
1524 , & 1549. Jacques de Galliffet , fils aîné de
Georges I , s'établit à Avignon , & fut pere d'Alexandre
I , dont une fille épousa Claude d'Eyguieres.
Ses preuves furent admifes à Malte à la
réception de fes petits- fils Jacques de Meyran en
1643 , & Claude d'Eyguieres en 1666. Alexandre
II , fils aîné d'Alexandre I , entra dans le Parlement
de Provence , & fut Préfident aux Enquêtes en
1615 , & Confeiller d'Etat en 1648. Il eut entr'autres
enfans Pierre & Jacques , qui ont formé
deux branches .
Pierre , fut pere de quatre
filles & de quatre
garçons qui tous fervirent ainfi que leurs Ancêtres
. Alexandre
III, l'aîné , Capitaine dans le Régiment
de Picardie , a laiffé pour fils unique Louis-
François de Galliffet, Baron de Preuilly , Enfeigne
au Régiment
des Gardes-Françoifes
, allié en
1730 à Marie-Deniſe- Elifabeth Pucelle . Jofeph ,
le fecond , eft mort en 1706 , ayant été Gouverneur
de l'Ile de Sainte- Croix , & commandant
les Colonies Françoifes aux Quartiers du Cap &
Côtes de S. Domingue. François , troifieme fils
de Pierre , Chevalier de S. Louis , Gouverneur
de
la Ville des Trois Rivieres en Canada , a eu pour
234 MERCURE DE FRANCE.
enfans Charles- François de Galliffet , mort en
1748 , Capitaine au Régiment des Gardes- Fran
Coifes , & Chevalier de S Louis , & Marie de Galliffet
vivante. Philippe de Galliffet , quatrieme fils
de Pierre , Chevalier de S. Louis , Lieutenant de
Vaiffeaux du Roi , eft pere par fa femme Marie-
Marguerite- Sufanne Huet , 1º . du Comte de Galliffet
, qui donne heu à cet article . 2°. De Louis-
Gabriel de Galliffet , Abbé de Fontaine-Danicl &
de S. Cheron , & Grand Vicaire du Diocèſe d'Air.
3°. De Paul -Alexandre , mort en 1741 , Chevalier
de Malte , & Capitaine dans le Régiment de
la Couronne.
Jacques de Galliffet , fecond fils d'Alexandre II,
eft Auteur de la branche établie en Provence. Il
fut Préfident aux Enquêtes du Parlement d'Aix ,
de même qu'Alexandre un de fes fils , dont le frere
Gabriel fut admis à Malte en 1695. Un de fes
autres enfans nommé Nicolas , eft mort en 1744,
Chevalier de S. Louis & Chef d'Efcadre des Armées
Navales du Roi , laiffant entr'autres enfans
Simon-Alexandre -Jean de Galliffet , feigneur du
Tholonet & de Montbijoux , Préfident aux Enquêtes
du Parlement de Provence , qui de ſon mariage
avec Magdeleine de Léotard , a un garçon
& une fille , & Louis de Galliffet , dit le Chevalier
de Gallifet , Capitaine dans le Régiment de la
Reine.
GALLIFFET porte pour armes, de gueules au chevron
d'argent , accompagné de trois treffles d'or.
Dame Marie- Sufanne le Berfeur de Fontenay ,
Abbeffe de Cordillon , eft morte en fon Abbaye
le 9 Novembre 1755 , dans fa foixante- douxieme
année. Son tendre attachement pour cette maifon
,luiavoit fait refufer l'Abbaye - aux- Bois, fituée
dans Paris , à laquelle le Roi la nomma en.1745.
JUILLET. 1756. 235
L'Abbaye de Cordillon ayant vaqué en 1751 , par
la mort de la Dame de Froulay , toute la Communauté
fit de vives inftances , afin d'avoir la Dame
de Fontenay pour Abbeffe., & Sa Majefté accorda
cette grace aux voeux unanimes des Religieufes.
Melfire Philibert- François Thiroux de Gerfeuil
Confeiller Honoraire de la Cour des Aides , &
Intendant Général des Poftes & Relais de France ,
âgé de près de 64 ans, eft mort le 11 Novembre,à
Vermanton près d'Auxerre , où il a été inhumé.
Dom Etienne- Gabriel Brice , natif de Paris ,
Religieux Bénédictin de la Congrégation de Saint
Maur , eft décédé le 13 à l'Abbaye S. Germain
des Prés , âgé d'environ 60 ans. Il travailloit de
puis plufieurs années conjointement avec Dom
Felix Hodin & Dom Tachereau au grand ouvrage
du Gallia Chriftiana , dont ils avoient déja donnés
fix volumes in-folio , les quatre précédens
ayant été publiés par Dom de Sainte -Marthe .
Meffire Jean-Omer Joly de Fleury , Abbé de
l'Abbaye d'Aumale , Ordre de S. Benoît , diocèſe de
Rouen ; & de celle de Chezi , même Ordre , diacè
e de Soiffons , & Chanoine de l'Eglife Métropolitaine
de Paris , mourut en cette Ville le 27 ,
âgé de 5 ans.
N... de Carbonieres , Marquis de la Capelle , eft
mort au mois de Novembre en fon Château de la
Capelle en Agenois , âgé de 63 ans . Il laiffe veuve
fans enfans fon époufe Angélique- Céfarine de
Foix, fille de François- Gafton , Comte de Foix ,
& de fa feconde femme Claude du Faur de Saint-
Jory. Il a ordonné par fon Teftament que fes
biens après la mort de la Marquife de la Capelle ,
qui en a la jouiffance , pafferont au Comte de Sa
bran , petit fils de Louife- Charlotte de Foix , veuve
de Jean -Honoré , Comte de Sabran , & foeur
238 MERCURE DE FRANCE.
de. Mais ce qui doit intéreſſer davantage le Pu
blic , c'eft qu'il a trouvé le moyen de tranfporter
ce remede dans tous les lieux fans altération ,
donnant la maniere de s'en fervir fans inconvénient
, & fans employer la main du Chirurgien ,
pour peu qu'on foit attentif au Mémoire qu'il
fournira pour s'en fervir. Ceux qui auront recours
à lui , auront la bonté d'affranchir les lettres , &
d'indiquer la voie par laquelle ils voudront qu'on
leur faffe tenir le fufdit remede.
APPROBATION.
J'ier , le Mercure du mois de Juillet , & je n'y
" Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chance
ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſſion.
A Paris , ce 13 Juillet 1756.
ERRAT A
GUIROY.
pour le Mercure de Juillet.
Page 27, ligne 19 , ces coeurs fimples & bruts;
lifez , brutes.
Page 265 , liga 125 moment des parties , lifer}
gmouvement.
el. 19 ›audit & li'up one .
239
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VARS ET EN PROSE,
EPITRE à Mademoiſelle Veftris ,
Ode à la Pareffe >
page s
7
10
La Vie de Jules Célar , par M. de Bury ,
Tremblement de terre , arrivé chez les Fourmis
Fable ,
L'avantage de la Religion fur l'adverfité , Ode ,
43
45
Réponſe à l'Effai de M. Hume, fur le caractere des
Nations , 49
La France , divertiffement fur la naiffance de
Monſeigneur le Duc de Bourbon ,
Lettre à l'Auteur du Mercure ,
Le Volant , Madrigal ,
Les Yeux d'Iris , rêve fingulier ,
60
64
66
ibid
Le Parnaffe François , Ode à M. Titon , 6.8
Lettre de Remerciement de Mlle de R. à M. de
Baftide ,
Vers à Madame Privat -de Montgeron ,
71
74
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
premier Volume du Mercure de Juillet , ibid.
Enigme & Logogryphe ,
Chanſon ,
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
75
077
Lettre à l'Auteur du Mercure , au fujet des Fables
de la Fontaine , 79
Extraits , Précis ou Indications des livres nouveaux
Portrait de M. de Fontenelle ,
*88
128
238 MERCURE DE FRANCE.
de. Mais ce qui doit intéreffer davantage le Pu
blic , c'eft qu'il a trouvé le moyen de tranſporter
ce remede dans tous les lieux fans altération ,
donnant la maniere de s'en fervir fans inconvénient
, & fans employer la main du Chirurgien ,
pour peu qu'on foit attentif au Mémoire qu'il
fournira pour s'en fervir. Ceux qui auront recours
à lui , auront la bonté d'affranchir les lettres , &
d'indiquer la voie par laquelle ils voudront qu'on.'
leur faffe tenir le fufdit remede.
J'e
APPROBATION.
" Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chance
lier , le Mercure du mois de Juillet , & je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion .
A Paris , ce 13 Juillet 1756.
GUIROY.
ERRATA
pour le Mercure de Juillet.
Page 27 , ligne 19 , ces coeurs fimples & bruts;
lifez , brutes.
Page 265 , lig 12 moment des parties, lifesy
gmouvement. od P
T. OT
239
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VARS ET EN PROSE.
EPITRE à Mademoiſelle Veftris ,
Ode à la Pareffe
page s
7
10
La Vie de Jules Céfar , par M. de Bury ,
Tremblement de terre , arrivé chez les Fourmis
Fable ,
L'avantage de la Religion fur l'adverfité , Ode ,
43
45
Réponse à l'Effai de M. Hume, fur le caractere des
Nations , 49
La France , divertiffement fur la naiffance de
Monſeigneur le Duc de Bourbon ,
Lettre à l'Auteur du Mercure ,
Le Volant , Madrigal ,
Les Yeux d'Iris , rêve fingulier ,
Le Parnaffe François , Ode à M. Titon ,
60
64
66
ibida
68
Lettre de Remerciement de Mlle de R. à M. de
Baftide ,
Vers à Madame Privat -de Montgeron ,
71
74
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
premier Volume du Mercure de Juillet , ibid.
Enigme & Logogryphe ,
Chanfon ,
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
75
77
Lettre à l'Auteur du Mercure , au fujet des Fables
de la Fontaine , 79
Extraits , Précis ou Indications des livres nouveaux
Portrait de M. de Fontenelle ,
88
129
240
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Phyfique. Réponſe à la Lettre d'un Académicien
de Dijon inférée dans le Mercure de Mai , 143
Jurifprudence,
Extrait des Mémoires qui ont été lus à la féance
publique de l'Académie Royale de Chirurgie ,
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ISS
164
Peinture. Suite des Mémoires d'une fociété de
Gens de Lettres , publiés en l'année 2355 ,
Gravure.
Architecture.
187
203
208
ART. V. SPECTA LES.
Comédie Françoiſe . 209
Lettre de M. de la Noue , à l'Auteur du Mercure,
au fujet de la Coquette corrigée , ibid.
Comédie Italienne. 216
Couplets fur la priſe du Port Mahon , 217
Opéra comique .
220
ARTICLE VI
Nouvelles étrangeres , 221
Nouvelles de la Cour , de Paris ,
&c. 224
Mariages & Morts , 232
Avis divers. 236
La Chanfon notée eft à la page 77
2
De l'Imprimerie de Ch. Ant. Jomber.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
Chéz
AOUST. 1756.
Diverfité, c'eft ma devife . La Fontaine.
Co.hin
Filius inve
FinSculp 1715.
A PARIS ,
CHAUBERT, rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU, quai des Auguftins.
Avec Approbation & Privilege du Roi,
t
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eſt chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis an
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'eſt à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour ſeize volumes , à raiſon
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pourfeize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raifon de 30 fols par volume , c'est- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des Pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreffe ci- deffus.
A ij
On fupplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la pofte , enpayant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine , aprèsmidi.
cure ,
On peut se procurer par la voie du Merles
autres Journaux , ainſi que les Livres
, Eftampes & Mufique qu'ils annoncent.
On prie les perſonnes qui envoient des Livres
, Eftampes & Mufiques à annoncer ,
d'en marquer le prix,
000
ทอง อ ล
MERCURE
DE FRANCE.
AOUST . 1756 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
EPITRE
A M. de Saint-Martial , en lui
une paire de pigeons.
envoyant
AImable Fils du plus aimable Pere ,
Ami fincere & généreux ,
Qu'à vingt ans déja l'on révere :
Vous , le tendre objet de mes væur ;
Qui poffédez fi bien l'heureux talent de plaire ,
Es qui, tel qu'on nous peint le plus jeune des Dieux,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE .
Pourriez à la Cour de Cythere
Soumettre tout , allumer mille feux ,
Si vous ne méprifiez cette gloire légere ,
Si vous étiez moins vertueux.
Mais de bonne heure inftruit par la fageffe ,
Vos tendres mains écartent les erreurs ,
Que la Folie infpire à la jeuneffe.
Vous échappez aux preftiges trompeurs ,
Dont le plaifir , Syrene enchantereffe ,
Eblouit , enchaîne les coeurs ;
Et vous cueillez le fruit de la vieilleffe
Dans l'âge ingrat des frivoles douceurs.
Vous avez donc quitté la demeure fertile
De vos vergers délicieux ;
Et vous voilà de retour à la Ville
Occupé du foin précieux .
De donner à l'Etat un Citoyen utile ,
Au Citoyen , un Juge integre , habile ,
A Thémis , un Miniftre égal à vos ayeux.
Mais fouffrez qu'ici je m'arrête :
Pour ce haut ton mon luth n'eft point monté :
Je me fuis vu par mon zele emporté ;
Il a tracé cette ébauche imparfaite :
Ce n'étoit point le deffein du Poëte;
Il eût été par trop ambitieux.
Vous faire humblement fes adieux ,
Vous demander indulgence pléniere
Pour les propos mauffades , ennuyeux ,
Etoit fon but à la ligne premiere ;
A O UST. 1756. 7
Puis d'offrir à votre voliere
Deux Hôtes frais & vigoureux ,
L'honneur de la gent colombiere ,
Qui propres au tendre myftere ,
Brûlent déja de fignaler leurs feux ,
Et n'auront rien de mieux à faire
Que de créer force neveux :
Or à ce titre , ils font en droit de plaire.
Ce n'est pas tout : de noble race iffus ,
Ils feroient leur preuve complete
De feize quartiers révolus ;
Et pour avoir accueil honnête ,
Que faut-il aujourd'hui de plus ?
Mais que ceci , Seigneur , ne vous étonne ,
Vous connoiffez les pigeons de Dodone,
Et juſtement les miens en font venus :
Ils pourroient bien être auffi defcendus
De ces Oiseaux , de qui d'aile dorée
Trainoit jadis fur la voûte azurée
Le cabriolet de Vénus.
Quoi qu'il en foit , veuillez , on non le croire ,
Bien eft-il vrai qu'ils font gras & dodus ;
Et peu leur chaut de vivre dans l'hiſtoire ,
S'ils vivent bien dans votre réfectoire :
S'ils font chez vous bien gîtés , bien repus ,
Ce fera là leur plus folide gloire ,
Comme la mienne à vous faire ma cour.
Agréez-en cette preuve légere
Que l'amitié vous préfente en ce jour :
A iv
MERCURE DE FRANCE.
A peu de frais pouvez la fatisfaire ;
Un fentiment fuffit pour tout retour.
Adieu: que le deftin vous foit toujours profpere :
Mais fixer le bonheur fur vos pas , pour
Devenez un peu moins auftere.
Car entre nous je ne dois point vous taire ,
Que le Dieu qui préfide aux amoureux ébats
De vos rigueurs fe défefpere.
Vous détruifez tous les projets :
Sur vous il fondoit fon empire ,
Et vous évitez tous les traits .
Vous pourriez bien quelque peu lui fourire ;
Sans que Thémis vous en fît un procès ,
Que la Sageffe y trouvât à redire.
Le coeur d'un Sage qui foupire ,
Fut toujours exempt de regrets.
Croyez-moi , faites votre paix :
Avec les Dieux point de querelles ;
pour concilier leurs divers intérêts ,
Que Thémis dicte vos Arrêts ;
Et
Qu'Amour , par vous dompte les Belles :
Mais n'en aimez qu'une jamais.
Par M. FINIEL , Procureur du Roi ,
au Vigan.
A OUST. 1756. 9
LES FAVEURS,
CONTE.
UN homme qui ne peut plus compter
fes bonnes fortunes , eft de tous , celui qui
connoît le moins les Faveurs . C'est le coeur
qui les accorde, & ce n'eft pas le coeur qu'un
homme à la mode intéreffe. Plus on eft prôné
par les femmes , plus il eft facile de les
avoir , mais moins if eft poffible de les enflammer.:
Les Faveurs font le prix de la paffion réciproque.
Elles ne fubfiftent que dans le
fentiment le plus vif , le plus mutuel ; il
faut l'accord le plus exact de defirs , d'attendriffement
: fans cela , ce qu'on appelle
·Faveurs , ne font que des plaifirs comme
mille autres .
En partant de ce principe on peut dire
qu'il n'y a rien de fi rare que les Faveurs .
Pénétré de cette vérité , qui n'eft pas la
moins trifte de celles qui frappent dans
l'hiftoire du coeur humain , il m'a pris envie
d'offrir une confolation aux coeurs tendres
dans une anecdote récente & atteſtée , qui ,
en prouvant combien les Faveurs font précieufes
, prouve auffi combien elles font
refpectables.
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Eglé aimoit tendrement Zamor , & Zamor
ne vivoit que pour Eglé : c'étoit en tout , de
ces Amans que la nature fait quelquefois
l'un pour l'autre. Ils penfoient fi bien enfemble
, qu'en rien , ils n'avoient la peine
de fe deviner. Leur bonheur étoit extrême ;
mais le mot d'amour manquoit encore à
leur bonheur ; ils n'ofoient ni l'un ni l'autre
le prononcer : le même principe arrêtoit
leurs levres . Toujours prêts à fe trahir
, ils fçavoient qu'une déclaration eft
une façon honnête de demander & de promettre
des Faveurs."
Après une longue contrainte il fallut
s'expliquer. Quel embarras ! quel trouble
! Auquel des deux eft- il plus permis
de parler le premier ? C'eft à celui qui aime
le plus à ofer davantage : mais une égale
tendreffe leur imprime une égale timidité.
Zamor veut enfin parler , l'ufage le détermine
; il s'y eft préparé depuis deux
jours ; il a fes difcours tout arrangés fur fes
levres fon parti eft pris. Il aborde Eglé.
Ses regards l'ont déja inftruite ; elle a déja
répondu par les fiens : il ne faut plus qu'un
mot , & il n'a pas la force de le prononcer.
Son trouble eft une douleur muette. Eglé
en eſt attendrie , & la pitié qu'elle fent lui
paroît un devoir à remplir. Ah ! Zamor ,
lui dit-elle , à quoi voulez-vous me réA
O UST. 1756 . II
à me
duire ... A mériter mon adoration , répondit-
il , en tombant à fes genoux ,
montrer l'exemple du bonheur. Mais non ,
c'eſt à moi à vous dire le premier que je
vous adore : ſi c'eft un plaifir pour vous de
l'apprendre , c'eft un tribut que je vous
dois .
Eglé , quoiqu'elle n'eût dit qu'un mot ,
ne fe diffimuloit pas qu'elle s'étoit expliquée
avant lui. Le plaifir de répondre à un
aveu enchanteur n'empêcha pas qu'un peu
de honte ne parût dans fes yeux. Zamor
goûta cette douceur inexprimable de faire
fuccéder la naïveté à la confufion .
Je m'imaginois , lui dit- il , qu'un aveu
coûtoit beaucoup à faire , & beaucoup à
entendre , parce qu'il fuppofe le défir des
Faveurs ; je croyois encore que la timidité
le fuivoit toujours lorfqu'il étoit favorablement
écouté. Que vous m'avez aifément
détrompé ! Vous faites plus que m'entendre
, plus que m'écouter , vous daignez
・me répondre , vous comblez tous mes
& nous ne confervons aucune timidité
; c'eft que ce qui eft Faveur dans
une tendreffe innocente , eft innocent
comme elle.
voeux ,
Cette réflexion dans la bouche d'un autre
què Zamor , n'eût pas eu pour Eglé
l'autorité d'une maxime. Il y a des vérités ya
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
que l'amour feul peut perfuader. Egle jugea
par fa fécurité que Zamor raifonnoit
jufte : elle n'ofa pourtant pas le dire , mais
elle le regarda tendrement.
Leur converfation , celle du lendemain,
celle de plufieurs jours , fut une fuite de la
réflexion qu'il avoit faite , & de la jufteffe
qu'Eglé y avoit trouvée. Il n'avoit
pas voulu s'en faire un avantage pour l'avenir
mais éclairé par l'amour , il fentit
qu'il s'étoit fait un droit. Il ofa le faire
valoir effentiellement. Les raiſonnemens
fur lefquels il établiſſoit fes témérités , ne
fuffifoient pas comme la premiere fois ,
pour raffurer Eglé : mais le fentiment devenu
plus vif , tenoit lieu de féduction
d'efprit ; & pour céder à l'amant qu'on aime
, il eft égal que ce foit l'efprit ou le
coeur qui agiffe.
Ce premier triomphe fut pour Zamor
une raifon de tout efpérer , & une raiſon
de tout entreprendre. Eglé n'eut ni cette
terreur des femmes qui n'aiment point affez
, ni cette complaifance des femmes qui
aiment trop . Elle avoit prévu qu'elle céderoit
, mais elle noublioit pas qu'elle ne
devoit point céder. Sa réfiftance fur une Faveur
qui les renfermoit toutes. Zamor obtint
mille chofes qui échappent dans un
bonheur trop facile . Il éprouva que les
A O UST. 1756.
Faveurs , qu'une femme peut accorder ,
font innombrables , & que la derniere ne
furpaffe les autres que parce qu'on l'a mieux
méritée.
Ce moment fi fouhaité arriva enfin.
Tous deux y puiferent une nouvelle tendreffe
: jamais on n'éprouva mieux le plaifir
, jamais on ne l'exprima moins . Ils vouloient
fe parler , fe communiquer leurs
idées délicieuſes , les mots les plus familiers
de la tendreffe expiroient fur leurs
bouches: ils fe regardoient ; & leurs yeux
chargés d'amour , remplis de volupté
avoient auffi leur difficulté à s'exprimer.
Tout n'étoit pas fait , tout n'étoit pas
obtenu . Ce n'eft que dans les engagemens
ordinaires que la derniere Faveur eft précifément
la derniere . Zamor avoit des Rivaux
Eglé ne leur laiffoit aucune eſpérance
, mais Zamor les voyoit encore auprès
d'elle elle ne crut pas comme mille
autres qu'il lui fuffifoit de ne les pas écouter.
Sans fçavoir s'il avoit affez de connoiffance
des femmes pour ne pouvoir être
tranquillifé que par une fuite abfolue , elle
lui fuppofe la défiance la plus éclairée ;
& tous les Rivaux , ceux même qu'il auroit
exceptés , furent fuis fans exception . Zamor
qui connoiffoit toute la coquetterie
des femmes , fentit combien la réfolution
12 MERCURE DE FRANCE.
que l'amour feul peut perfuader . Eglé jugea
par fa fécurité que Zamor raifonnoit
jufte : elle n'ofa pourtant pas le dire , mais
elle le regarda tendrement.
Leur converſation , celle du lendemain,
celle de plufieurs jours , fut une fuite de la
réflexion qu'il avoit faite , & de la jufteffe
qu'Eglé y avoit trouvée. Il n'avoit
pas voulu s'en faire un avantage pour l'avenir
mais éclairé par l'amour , il fentit
qu'il s'étoit fait un droit. Il ofa le faire
valoir effentiellement. Les raisonnemens
fur lefquels il établiffoit fes témérités , ne
fuffifoient pas comme la premiere fois ,
pour raffurer Eglé : mais le fentiment devenu
plus vif , tenoit lieu de féduction
d'efprit ; & pour céder à l'amant qu'on aime
, il eft égal que ce foit l'efprit ou le
coeur qui agiffe.
Ce premier triomphe fut pour Zamor
une raifon de tout espérer , & une raiſon
de tout entreprendre. Eglé n'eut ni cette
terreur des femmes qui n'aiment point af
fez , ni cette complaifance des femmes qui
aiment trop. Elle avoit prévu qu'elle céderoit
, mais elle noublioit pas qu'elle ne
devoit point céder. Sa réfiftance fur une Faveur
qui les renfermoit toutes. Zamor obtint
mille chofes qui échappent dans un
bonheur trop facile. Il éprouva que les
A O UST. 1756.
Faveurs , qu'une femme peut accorder >
font innombrables , & que la derniere ne
furpaffe les autres que parce qu'on l'a mieux
méritée.
Ce moment fi fouhaité arriva enfin.
Tous deux y puiferent une nouvelle tendreffe
: jamais on n'éprouva mieux le plaifir
, jamais on ne l'exprima moins. Ils vouloient
fe parler , fe communiquer leurs
idées délicieuſes , les mots les plus familiers
de la tendreffe expiroient fur leurs
bouches : ils fe regardoient ; & leurs yeux
chargés d'amour remplis de volupté ,
avoient auffi leur difficulté à s'exprimer.
,
Tout n'étoit pas fait , tout n'étoit pas
obtenu. Ce n'eft que dans les engagemens
ordinaires que la derniere Faveur est précifément
la derniere . Zamor avoit des Rivaux
: Eglé ne leur laiffoit aucune eſpérance
, mais Zamor les voyoit encore auprès
d'elle elle ne crut pas comme mille
autres qu'il lui fuffifoit de ne les pas écouter.
Sans fçavoir s'il avoit affez de connoiffance
des femmes pour ne pouvoir être
tranquillifé que par une fuite abfolue , elle
lui fuppofe la défiance la plus éclairée ;
& tous les Rivaux , ceux même qu'il auroit
exceptés , furent fuis fans exception . Zamor
qui connoiffoit toute la coquetteric
des femmes , fentit combien la réfolution
1
14 MERCURE DE FRANCE.
d'Eglé étoit une Faveur . Ah ! lui dit- il ,
je ne fuis pas digne de tant de bonté. L'amour
n'a pas fait pour moi toutes ces
Faveurs en me les prodiguant toutes ,
vous me faites fentir combien vous avez
d'avantages fur moi , malgré l'excès de
mon amour.
Eglé étoit jeune , belle & charmante :
elle avoit tout ce que les hommes peuvent
fouhaiter , excepté la fortune. Malgré fa
retraite , elle enflammoit tous les coeurs ;
il fuffifoit qu'elle eût été quelque part un
moment , pour y plaire toujours ceux
qui y venoient après elle , la retrouvoient
toute entiere dans l'impreffion qu'elle avoit
laiffée .
Zamor auffi aimable qu'elle , avoit le
même reproche à faire à la fortune. Il en
foupiroit quelquefois. Il craignoit qu'on
n'offrît à Eglé un fort plus digne d'elle , &
que les Faveurs ne fuffent pas inépuifables.
Il cachoit fes terreurs , il en fouffroit davantage.
Ce qu'il avoit craint arriva. Eglé fe vit
dans le cas , fi peu embarraffant pour bien
des femmes , d'avoir à choifir entre un
Amant pauvre & un Mari très- riche . Ce
dernier joignoit à une grande fortune , la
naiffance & le mérite . Il adoroit Eglé , il
s'offrit lui-même fa propofition fut la
AQUST. 1756 . 15
déclaration la plus tendre ; Zamor ne s'étoit
jamais exprimé fi tendrement . Eglé
éprife d'amour , ne connoiffant de bonheur
que de vivre pour fon Amant , ne
fut point embarraffée à répondre : elle
fçavoit qu'elle avoit affaire à un honnête
homme. L'aveu de fa paffion fut l'excufe
de fon refus . Rizis admira fa vertu , refpecta
fon fecret , & déguifa fa douleur
pour lui épargner une pitié qu'une ame
auffi tendre ne refufe jamais , & qui auroit
troublé un bonheur fi refpectable.
Eglé avoit fait ce facrifice fans violence
; il ne lui en coûta pas plus de le faire
fans indifcrétion : elle eût voulu l'apprendre
à Zamor , non pour s'en vanter , mais
pour lui prouver toute fa paffion. La crainte
de l'humilier & de lui donner des inquiétudes
pour l'avenir , l'emporta fur le
penchant le plus doux à fuivre ; & dès
qu'elle eût fenti tout ce que Zamor pouvoit
y perdre , elle ne vit plus ce qu'elle
pouvoit y gagner : mais Rizis n'étoit pas
obligé à la même difcrétion : fa douleur
extrême avoit befoin d'un foulagement.
Demille qui s'offrirent à fon imagination ,
il préféra celui qui s'accordoit mieux avec
le refpect qu'Eglé lui avoit infpiré . Il
écrivit cette lettre à Zamor :
« Vous poffédez un tréſor , en connoif16
MERCURE DE FRANCE.
"
"
ود
» fez - vous le prix ? Souvent l'excès du
» bonheur nous empêche de le connoître .
» Un Rival malheureux peut vous fournir
» des lumieres nouvelles ; c'eft tout ce
qu'il ofera jamais fe permettre d'une
paffion immortelle , réduite au refpect
», & à l'admiration. Mais quand je vous
apprends combien Eglé eft au deffus de
» l'opinion que vous avez pu prendre
d'elle ; quand je vous rends un fervice
qui ne peut être reconnu , me rendrez-
» vous ce que vous me devez , me donnerez-
vous la confolation d'avoir été utile
» à Eglé ? Vous le pouvez , vous le devez :
ici le devoir devient plaifir ; heureux
qui peut en avoir de fi doux à remplir !
و د
و د
"3
ود
و د
Vous connoiffez mon rang & ma fortu-
» ne : Eglé vient de me refufer à fes ge-
" noux. L'offre d'un établiffement brillant ,
» les fermens de l'amour , les larmes du
"
"""
و ر
و د
défefpoir n'ont abouti qu'à augmenter
» fa paffion par le plaifir de vous les
facrifier. Jugez du coeur d'une femme fi
tendre , fi généreufe : jugez auffi de vos
» devoirs ; ils ne peuvent être remplis que
» par une paffion qui égale la mienne .
» Une ardeur extrême vient d'apprendre
» à Eglé combien elle mérite d'être aimée ;
» & fi elle ne retrouvoit pas mes fenti-
» mens dans les vôtres , elle feroit en droit
A O UST. 1756 . 17
de vous accufer d'ingratitude . Ne méri-
» tez jamais ce reproche deshonorant ; tout
» vous y invite. Hélas ! vous devez juger
» de la douceur qu'on goûte à mériter
» d'être aimé , par les confolations que je
» trouve dans la délicateſſe de mes fenti-
» mens. »
Zamor vola au genoux d'Eglé : ce n'étoit
que
là qu'il pouvoit reconnoître la
nouvelle Faveur qu'elle venoit de lui
accorder. Une générofité auffi admirable
lui imprimoit un refpect qui paffoit dans
tous fes fentimens. Eglé répondit à fes
difcours avec cette modeftie des coeurs qui
regardent leurs bienfaits , comme un avantage
fur les autres qu'ils doivent leur
adoucir. Vous donnez un trop beau nom
à ce que j'ai fait , lui dit-elle ; les plus
grandes preuves d'amour ne font plus des
Faveurs , dès qu'on y trouve foi - même
un charme qui en eft la récompenfe . Ah !
Eglé , Eglé , répondit Zamor , ne retranchez
rien de vos bienfaits ; laiffez- moi
croire qu'à force de les fentir , je puis les
mériter.
Les parens de Zamor avoient pour lui
une tendreffe qui n'étoit que de l'ambition.
Ils voulurent l'établir avantageufement
pour éviter les importunités cruelles
, il s'expliqua dès la premiere fois qu'ils
18 MERCURE DE FRANCE.
lui en parlerent. Ils fçavoient qu'il voyoit
Eglé tous les jours ; ils foupçonnerent fa
paffion , & l'éloignement le plus prompt
fut le remede qu'ils apporterent à ce qu'ils
appelloient fa phrénéfie. Il fallut obéir :
mais où trouver des confolations ? Il alloit
perdre Eglé , & elle ne feroit plus défendue
par fon ardeur contre les perfécutions
que fes charmes lui attiroient de toutes
parts. Il partit dans cette prévention affreufe
: il aimoit trop pour n'être
juſte.
t
pas
in-
Il fut à peine arrivé au lieu de fon exil ,
qu'il tomba malade . Il fut bientôt en danger
: fes parens en furent informés ; le
bruit s'en répandit. Que devint la fenfible
Eglé en apprenant cette nouvelle ! Elle
avoit épuifé l'effort des bienséances en
confentant au départ d'un Amant adoré :
Zamor lui avoit propofé les partis extrêmes
; elle avoit préféré de le pleurer toujours
, à l'expofer un moment . Mais toutes
les confidérations cedent au défefpoir où
la plonge une nouvelle accablante ; elle
prévoit toutes les fuites de fa démarche ,
& fes réflexions qu'elle fait malgré elle ,
& qu'elle fe reproche , lui prêtent une
nouvelle ardeur : elle vole où l'amour
transformé en vertu vient de marquer fa
place. Elle trouve Zamor expirant : fes
A OUST. 1736. 19
larmes bienfaifantes coulent dans le fein
d'un Amant , qui ne peut plus vivre qu'en
s'en abreuvant. Zamor renaît , & fa guérifon
fubite le flatte plus par la Faveur ,
qui en eft le principe , que par tous les
plaifirs qui en font l'effet .
Il revoit à peine la lumiere ; il jouit à
peine des embraffemens d'une Maîtreffe
adorable , qu'il n'eft plus occupé que du
danger où elle eft expofée . Il lui propoſe
la fuite la plus prompte. Eglé n'a pas les
mêmes terreurs que lui : elle aime affez
pour braver les murmures de la gloire &
le courroux de fes parens : mais on a voulu
la féparer de Zamor ; on prendroit des
précautions pour l'en féparer à jamais.
Cette idée fe grave dans fon efprit , &
décide fa réponſe. Ils partent : Eglé y excite
Zamor ; c'eſt elle qui a tout préparé
pour leur départ . Elle eft dans l'âge des
graces , des plaifirs & des amours : elle
eût pu vivre heureufe & brillante ; mille
fortunes lui étoient offertes , mille Amans
n'attendoient qu'un regard pour tomber à
fes pieds elle va perdre tout l'honneur
de la beauté , elle vivra dans une folitude
obfcure. Elle fentira l'affreufe indigence :
tout ce qu'elle va perdre & tout ce qu'elle
va ſouffrir , eſt un nouvel aiguillon pour
elle. L'excès de fon courage naît de fes
20 MERCURE DE FRANCE.
facrifices ; le nom de Faveur que Žamor
donne à tout ce qu'elle fait pour lui ,
la flatte plus que toutes les Couronnes .
Un héroïfme fi touchant trouve des
protecteurs dans le ciel & dans les hommes.
ils arrivent dans une Ville où ils fe croient
en sûreté fous un nom étranger ; ils font
reconnus par un oncle de Zamor , que fes
affaires viennent d'y conduire : c'eft un
Dieu tutélaire que l'Amour a placé fur
leur paffage. Il eft affez tendre pour protéger
des Amans , il eft affez riche pour
faire des heureux : il leur fait bientôt
éprouver l'un & l'autre. Il écrit aux Maîtres
de leur deſtinée : il demande leur
aveu pour une union qu'il croit déja fignée
dans le Ciel ; il l'obtient , & tout fon
bien eft le prix de leur confentement.
Eglé & Zamor reçoivent la récompenfe
de leur grand amour. Leur joie pénétre les
témoins ils femblent fe voir & s'aimer
pour la premiere fois. Eglé toujours plus
tendre , paroît tous les jours plus nouvelle
à Zamor : en lui prodiguant tous les plaifirs
de la paffion , elle en fait autant de
Faveurs par l'air d'accorder qu'elle a , fans
le prendre. Il reçoit encore ce qu'il a
épuifé.
Nous ofons nommer ces Faveurs les
Faveurs bien traitées.
A O UST. 1756 . 21
ODE
Lue à la premiero diftribution des Prix qui
s'eft faite dans le College des PP. de la
Doctrine Chrétienne de Villefranche , en
Rouergue , le 31 Août 1755 .
Q Uel bruit quelle pompe nouvelle
Nous raffemble de toutes parts ?
Quelle Déïté me rappelle
Au Temple du Goût & des Arts
Trop longtems de ces lieux bannie , ( 1 )
C'est vous , fçavante Polymnie ,
Que je revois en ce beau jour,
Pour fe rapprocher de nos rives ,
Vos foeurs , avec vous fugitives ,
N'attendoient que votre retour.
Vous paroiffez , & la nature
S'embellit de nouveaux appas,
Brillant d'une clarté plus pure
Phoebus a devancé vos pas.
Les doux zéphirs , de votre trône
(1 ) Ily avoit quelques années qu'on avoit in
terrompu les Exercices littéraires , pareils à celui
qui a précedé cette année la diſtribution des nou➡
veaux Prix.
22 MERCURE DE FRANCE .
Ecartant l'ardente Erigone ,
Rendent la vie à mille fleurs ,
Et de ces fruits de leurs haleines
S'empreffent de former les chaînes
Que vous préparez à nos coeurs .
Regnez , commencez un Empire
Qui paffe à nos derniers neveux ;
Que ce jour que chante ma lyre
Soit à jamais facré pour eux.
Jour mémorable ! où ma patrie
A fon antique barbarie
Porte enfin le coup affuré ;
Ou , rivale du Tectofage , (1)
Elle confacre d'âge en âge
Des autels au Goût épuré.
Et vous , fes enfans & fes peres ,
Et qu'à tant de titres divers
Elle a fait les dépofitaires
De fes intérêts les plus chers ;
Magiftrats ! (2 ) goûtez l'avantage.
De recevoir ici l'hommage
Des Arts & de leurs Amateurs ;
(1 ) Allufion aux Prix de l'Académie des Jeux
Floraux de Toulouse , notre voisine notre modele.
(2) Les Maire & Confuls , Fondateurs des nouyeaux
Prix.
A O UST. 1756.
Hommage libre , mais fincere ,
Et que l'Empire littéraire
Ne rend qu'à fes reftaurateurs.
Vous furtout , qu'avec complaifance
Je vois préfider à ces jeux , (1 )
A qui dès la premiere enfance
Je tiens par les plus tendres noeuds ;
Souffrez qu'en cette augufte fête
Ma Mufe , fidele interprete
Des fentimens de tous les coeurs ¿
Décerne à l'ami que j'eftime
Le titre auffi doux que fublime
De pere & d'ami des neuf foeurs.
Sous un nom fi cher au Parnaſſe ;
Ainfi qu'à la poſtérité ,
Prenez aujourd'hui votre place
Dans les faftes de la Cité.
Que des tems bravant les injures
Elle y montre aux races futures
L'inftituteur de ces combats ,
Et s'en remette à leur hiftoire
Du foin d'affurer la mémoire
Du Mécene de nos climats.
(1 ) M. Cardalhac , ancien ami & condifciple de
l'Auteur , Maire de la Ville de Villefranche en
cette année 1755.
24 MERCURE DE FRANCE.
Déja fous les heureux aufpices ,
Plus d'un Athlete de ces bords ,
Fier du fuccès de fes prémices,
Tente de plus nobles efforts.
Eleve des Mufes champêtres ,
Tircis chante à l'ombre des hêtres ,
Les bois , l'amour & l'amitié
Tandis qu'au gré de Melpomene
Son Rival répand fur la ſcene
Et la terreur & la pitić. ( 1 )
Plus modefte & non moins nerveuſe ,
L'éloquence avec dignité
De fa courfe majestueufe
Preffe , ou fufpend l'activité ,
Telle , avec douceur répandue ,
La rofée enfin s'infinue ,
Ou tel , un fleuve impétueux
Qu'irrite une barriere vaine ,
Franchit l'obftacle , inonde , entraîne
Tout ce qui s'oppoſe à ſes voeux. (2).
Que vois- je l´à la céleste voûte
S'élance un nouveau Phaëton.
Va-t'il s'égarer dans la route
De Galilée ou de Newton ?
(1) Les divers genres de Poëfie .
(2 ) Le genre oratoire , les talens de la chaire ,
du Barreau, &c.
Mais
A O UST. 1756.
28
Mais à peine a-t'il pris pour guide
Le docte compas dont Euclide
Ofa mefurer l'Univers ;
Que dédaignant la terre entiere ,
Il va du monde planétaire
Parcourir les vaſtes déferts. ( 1 )
Ainfi les dons de ce Lycée
Vont par un choix judicieux
A la vertu récompensée
Servir d'aiguillons précieux :
Ainfi des mains d'un fçavant Maître
Rendus au fein qui les vit naître ,
Et bientôt en tous lieux épars
Ceux , qu'une premiere victoire
Va mettre au chemin de la gloire ,
Feront celle de nos remparts.
Vous donc (2 ) , que d'un bienfait fi rare
La patrie honore aujourd'hui ,
(1 ) .... Coelique, meatus
Defcribent radio , & furgentiafidera dicent. Virg.
Allufion au projet d'un Cours de Phyfique expérimentale
& de Mathématique , dont on eft redevable
au zele de M. Cardalhac , Maire , lequel a
déja procuré l'impofition d'une fomme confidérable
, pour l'achat des premieres Machines propres
à ce double objet , fous la direction , & du
choix de l'illuftre M. l'Abbé Nollet.
(2) Le Répondant,
B
26 MERCURE DE FRANCE.
Vous que le Dieu des Arts fépare
D'un vulgaire indigne de lui ,
Heureux enfant avec audace ,
Dans quelque route qu'il vous trace
Marchez , foutenez vos effais ;
Et fongez qu'en cette carriere ,
Ofer regarder en arrière ,
C'eft ternir fes premiers fuccès.
Mais déja bleffé d'un langage ,
Peu digne de vos voeux naiffans ,
J'entends votre jeune courage
Murmurer de mes vains accens ;
Cedez au penchant qui l'entraîne ;
De la Tribune & d'Hypochrene
Les deux fentiers vous font ouverts ;
Allez dans l'une ou l'autre lice
Braver l'envie & l'injuſtice ,
Et juftifier mes concerts.
Que dis-je ! eft- ce à ma foible verve
De vous initier aux Arts ?
Vous , qu'ici plus d'une Minerve
Daigne animer de fes regards ?
Privilege heureux de votre âge !
Vous y lifez le doux préſage
De mille glorieux progrès ;
Tandis qu'encore je ſoupire
A O UST. 1756. 27
De n'avoir pu jamais y lire
Que les plus finiftres Arrêts.
Tout beau, mon coeur ! quoi qu'il t'en coûte
Les Arts qu'on honore en ces lieux ,
Doivent au fexe qui m'écoute
Un hommage plus férieux.
Juge délicat & févere ,
Par fes attraits jaloux de plaire
Moins encor que par fes talens ;
Il fçait d'un encens infipide
Diftinguer l'éloge folide ,
Et le vrai beau des faux brillans.
Ceffez de nous vanter vos Muſes ,
Chantres du fabuleux vallon ?
Nos Deshoulieres , nos la Sufes
M'ont fait oublier Apollon :
Vieilles filles de Mnemosyne ,
En vain de la double Colline
Vous m'invitez à vos leçons ;
Ici , mieux qu'aux bords du Permeffe,
L'efprit , les graces , la jeuneffe ,
Sont les arbitres de mes fons.
*
De l'ébauche la plus légere ,
Belles , daignez -vous contenter ;
Tout l'art du Pinde & de Cythere
Pourroit-il mieux s'en acquitter ?
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
S'il eft toutefois un Appele ,
Dont la main hardie & fidelle
Acheve un tableau fi charmant ;
Peu jaloux de fon avantage ,
J'aime à devoir votre fuffrage
Moins au pinceau qu'au fentiment.
Par M. DE LA VERGNE , Conf. au Préfid.
SUITE
DE LA VIE DE JULES CESAR.
MARC - ANTOINE.
JE crois que l'on peut mettre Marc- Antoine
au rang de ceux que la fortune a
élevés lorfqu'elle a voulu faire connoître
toute l'étendue de fon pouvoir & de fes
caprices. Il fe trouva lors de la mort de
Cefar dans des conjonctures favorables ,
qui lui frayerent le chemin d'une fouveraineté
, à laquelle il ne devoit pas s'attendre
, & qu'il conferva jufqu'à ce qu'il
en fût précipité par des vices & des défauts
qui avoient été retenus pendant le gouvernement
de Céfar.
Antoine étoit né avec des inclinations
nobles & élevées , un génie décidé pour la
guerre & un courage au deffus du commun
, qui ne fe laiffoit point amollir par
A O UST. 1756. 29
les plaifirs i les oublioit dans les occafions
où il s'agiffoit d'acquérir de la gloire.
Mais lorsqu'il étoit rendu à lui-même , il
fe livroit à tous les excès & les genres de débauches
auxquels la jeuneffe de fon temps
étoit adonnée. Antoine , après avoir ſervi
dans les Gaules fous Céfar , avoit été Lieutenant
de Gabinius , lors de la conquête
de l'Egypte pour remettre fur le trône de
ce Royaume Ptolomée- Aulets chaffé par fes
fujets. Il avoit encore remporté une victoire
fignalée fur les Juifs , & avoit pris
prifonnier leur Roi Ariftobule.
De retour à Rome , il en avoit trouvé
toute la puiffance entre les mains de Pompée
, de Céfar & de Craffus. Comme il
avoit confommé de très- bonne heure un
riche patrimoine , il ne pouvoit efpérer de
rétablir fes affaires qu'en s'attachant à l'un
de ces trois hommes , qui pût lui procurer
quelque commandement fupérieur cù il
trouveroit le moyen de s'enrichir comme
faifoient la plupart des Romains de fon
temps. Céfar qui connoiffoit fon mérite ,
lui fit de fi belles offres , & l'acheta fi cher ,
qu'il fe l'attacha fans réſerve. Il étoit Tribun
du Peuple, lorfque Céfar & Pompée ſe
brouillerent après la mort de Craffus. En fa
qualité de Tribun , il s'oppofa fi hautement
à toutes les délibérations. violentes
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
que l'on propofa contre les intérêts de
Céfar , que le parti de Pompée ayant prévalu
à Rome , Antoine fut chaffé du Sénat ,
& obligé de fe fauver auprès de Céfar qui
lui confia les emplois les plus importans .
Antoine commandoit l'aîle gauche à la bataille
de Pharfale. Il s'y comporta avec
une valeur & une capacité qui contribuerent
beaucoup à la victoire. Ses belles qualités
brillerent encore davantage à la bataille
de Philippes . Il avoit partagé avec
Céfar la gloire de Pharfale , mais à Philippe
, il en eut feul tout l'honneur . Il défit
entiérement le corps d'armée qu'il avoit
en tête , commandé par Caffius dans le
temps que Brutus mettoit en déroute celle
que commandoit Augufte. Antoine vole à
fon fecours , & arrache à Brutus l'avantage
qu'il étoit prêt de remporter. Tout plie
devant lui : il remporte une victoire completre
qui porta le dernier coup à la liberté
Romaine . La victoire de Philippe fut
le terme de la gloire d'Antoine ; le refte
de fa vie n'eft plus qu'un tiffu de vices &
de foibleffes qui le perdirent . Il n'avoit
pas la tête affez forte pour foutenir le
poids de fa grandeur. Il avoit partagé
l'empire du monde avec Augufte : les Provinces
de fa domination étoient dans la
derniere foumiffion ; il avoit des troupes
A O UST. 1756. 31.
nombreuſes & aguerries , dont il étoit
adoré : il pouvoit gouverner pailiblement
tout l'Orient fans craindre la puiffance
d'Augufte dont la politique raffinée réparoit
ce qu'il lui manquoit du côté de la
valeur.
"
Mais Antoine fe laiffa furprendre par la
beauté de Cléopâtre , la Reine de fon
temps , la plus belle , la plus fpirituelle &
la plus fçavante en l'art d'inventer , varier
& multiplier les plaifirs. Ayant connu
l'afcendant qu'elle avoit pris fur le coeur
d'Antoine , elle l'entraîna dans des malheurs
dont il ne put jamais fe relever. Les
dépenfes , le luxe , & les plaifirs auxquels
il s'étoit livré dans fa jeuneffe , ne furent
rien en comparaifon de ceux dans lesquels
cette Reine le plongea . Pour les fatisfaire ,
il remplit l'Afie de concuffions & de rapines
: il épuifa avec une prodigalité exceffive
les revenus de la République. Les peuples
le détefterent , fes foldats le mépriſerent
, fes ennemis l'infulterent : il fut honteufement
battu par les Parthes , enfin fes
anciens amis & fes Généraux ne pouvant
plus fouffrir les hauteurs & les caprices de
Cléopâtre qui leur commandoit en fouveraine
, l'abandonnerent ; & Augufte lui
déclarant la guerre dans cette fituation ,
n'eût pas de peine à le vaincre. Quelle
Biv
34 MERCURE DE FRANCE.
>
tout le monde , & principalement des foldats.
Il avoit appris de Jules-Céfar la maniere
dont il falloit les traiter pour s'en
faire aimer. Ils avoient été témoins de l'eftime
de ce grand homme , qui avoit toujours
confié à Antoine les premiers emplois
de fon armée. Lorfque les foldats font
fûrs du courage & de la capacité de leur
Général , ils lui donnent volontiers toute
leur confiance. Antoine avoit acquis leur
amitié par fes careffes & fes largeffes. It
alloit voir les malades dans leurs tentes
s'informoit de leurs befoins & y pourvoyoit
avec une exactitude admirable ,
auffi fut- il redevable à fes foldats , de la
haute fortune où il parvint après la mort
de Céfar. Ayant été chaffé du Sénat & de
Rome , vaincu à Modene par l'armée de la
République , & fuyant avec une partie de
fes troupes , il traverfa les Alpes , dénué
de tout , fans rien perdre de l'autorité de
Général , ni de l'amitié de fes foldats , auxquels
, dans la difette où il fe trouva , it
donnoit le premier l'exemple de fobriété
& de patience , fouffrant également avec
eux la faim & la foif, & leur faifant diftribuer,
préférablement à lui , le peu de vivres
qu'il avoit. Il arrive dans les Gaules
dans le deffein de ſe joindre à Lépidus qui
commandoit un corps confidérable. Lepi
A O UST. 1756. 35
dus faifant quelques difficultés de le recevoir
, fes foldats l'abandonnent gagnés par
ceux d'Antoine , & lui déferent le commandement.
Il eut cependant la générosité
de le partager avec Lépidus qu'il en pouvoit
dépouiller ; & tous deux joints enfemble ,
forcerent Augufte de s'accommoder avec
eux .
Antoine n'eût peut-être pas été accufé de
cruauté fans l'acharnement avec lequel il
pourſuivit la perte de Ciceron. Il est vrai
qu'il en avoit été furieufement maltraité
dans les Oraifons qu'il prononça contre
lui pour le faire déclarer ennemi de la
République. Il n'eft pas étonnant de voir
Antoine joindre à fes autres vices , l'efprit
de vengeance : cependant il eft certain que
des trois Triumvirs il fut le moins cruel .
Il dit , en voyant la tête de Ciceron : Mes
vengeances font finies ; au lieu qu'Augufte
feul facrifia depuis à la fienne beaucoup
plus de Citoyens qu'Antoine & Lépidus
n'en avoient fait périr.
CATON.
Caton , furnommé d'Utique , étoit un
homme dont la vertu trop auftere , jointe
à un caractere dur & inflexible , avoit
plutôt fait un Philofophe d'une efpece fort
finguliere qu'un homme capable de fe mê-
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
ler des grandes affaires. Il avoit choifi un
gente de Philofophie conforme à fon humeur.
C'étoit la Stoïcienne dont la bafe
étoit un orgueil infupportable , & qui fous
prétexte de la vertu la plus épurée , mépri
foit avec hauteur le refte des humains. Le
Stoïcien, en mettant le fouverain bien dans
la fageffe commençoit par fe l'accorder à
lui-même. Il fe croyoit feul infaillible &
affranchi de toutes les paffions , & s'attribuoit
non feulement toutes les vertus ,
mais encore les dons.de la nature . Je
ne fçais fi dans fon coeur il ne fe comparoit
pas aux Dieux mêmes. Il falloit cependant
que cette Philofophie ne fût pas
en grande eftime à Rome , puifque Ciceron
lui donna un grand ridicule dans le
difcours qu'il prononça étant Conful , pour
défendre Murena accufé de brigue par Caton.
Voici les termes dans lefquels il s'exprime.
Les Stoïciens diſent.que toutes les fantesfont
égales , que le moindre manquement
eft un crime , que le Sage ne doute de rien ,
ne fe trompe en rien , & ne change jamais de
fentiment. Tellesfont les maximes que le merveilleux
génie de Caton s'eft appropriées pour
en faire la regle de fa conduite. Des malheureux
viennent - ils humblement vous demander
grace , vous êtes unſcélérat , fi vous leur accordez
quelque chofe par compaffion. QuelA
O UST. 1756 . 37
qu'un vous avouera qu'il a failli & vous en
demandera pardon , c'eft un crime que de
pardonner un crime . Eft- il échappé à ce Sage
quelque parole , c'eſt chofe irrévocable . Vous
lui dites qu'il s'eft trompé dans quelque affaire,
il le prend pour une injure. On lui reproche
d'avoir dit telle chofe en colere , le Sage ne s'y
met jamais. Agir autrement dans un temps
que dans un autre, c'eft être un fourbe ; changer
de fentiment c'est une infamie. J'avouerai
franchement , Caton , que vous êtes naturellement
formé pour l'honneur , la gravité , la
modération , la magnanimité , la justice , en
un mot , pour toutes les vertus dignes d'un
grand homme. Mais à tant de belles qualit's
vous avezjoint une morale nullement flexible
ni tempérée , un peu plus dure & plus âpre
que la nature & la raison ne le demandent.
Vous auriez dû répandre un peu de complai
fance & de douceur fur l'austérité de votre
fageffe vous ne la rendriez pas plus excellente
qu'elle ne l'eft déja; mais il faut convenir
qu'elle en feroit plus agréablement affaiſonnée .
Les vertus font renfermées dans un jufte milieu
qui leur donne leur véritable valeur.
:
•
Teleft le portrait de Caton que Ciceron
peignit en préſence de toute la ville de
Rome. Peut- être étoit- il un peu trop chargé
par l'envie qu'avoit Ciceron de faire
abfoudre fon ami Murena dans une affaire
38 MERCURE DE FRANCE.
où il ne s'agiffoit pas moins pour lui que
d'être privé du Confulat & envoyé en exil.
Cette maniere de s'exprimer de Ciceron ,
ne l'empêchoit pas de rendre juftice au
mérite de Caton , mais fans l'approuver
dans toute fa conduite. Dans une lettre à
Atticus il lui mande , Caton eft le feul qui
s'intéreffe au foutien de la République , mais, à
mon avis , avec plus de fermeté & d'intégrité
que d'efprit & de prudence. Dans une autre
lettre , Pour ce qui eft de Caton , je l'aime
bien autant que vous l'aimez , mais je ne laiffe
pas de voir qu'avec les meilleures intentions
& la meilleure foi du monde , il nuit quel- .
quefois beaucoup à la République. Il opine
dans une ville corrompue , comme il pourroit
faire dans la République de Platon.
Caton étoit fort éloquent : fes difcours
étoient folides , fans enfure , ferrés , preffans
& affaifonnés de fentences graves &
agréables qui lui attiroient l'attention de
fes auditeurs. Etant né avec un bien fort
honnête , il fit de fes richeffes un ufage
modéré , également éloigné de l'avarice &
de la prodigalité. Libéral avec difcernement
, il aidoit fes amis de fon argent fans
en tirer d'intérêt . Pour fes vertus militaires
n'ayant pas eu de commandement fupérieur
, il n'eut pas l'occafion de les faire
valoir, Tout ce qu'on fçait , eft qu'ayant
A O UST. 1756. 39
eu le commandement d'une légion , il s'en
acquitta avec beaucoup de diftinction ;
qu'il fe fit fort aimer des foldats , ne mettant
d'autre différence entr'eux & lui dans
fa maniere de vivre & de marcher en campagne
, que d'être le premier à leur montrer
l'exemple.
Mais ce qui rendit Caton plus recommendable
, c'est que fa vertu en cela plus
pure que celle des Stoïciens , étoit fans
orgueil & fans affectation . Il n'agiffoit que
dans la feule vue de faire le bien fans en
rechercher ni gloire ni récompenfe . Mais
il gâtoit cette vertu par une durété & une
inflexibilité outrées . Pendant que Caton
étoit Tribun du peuple , les affaires fe
brouillerent à Rome au point que l'on fut
obligé d'élite Pompée feul Conful avec un
pouvoir fort étendu . Lorſque la propofition
en fut faite au Sénat , comme elle
étoit contre les Loix , on comptoit que
Caton s'y oppoferoit , comme il le
voit faire par le droit de fa charge , mais
au contraire il l'approuva. Pompée l'en remercia
très-affectueufement en plein Sénat,
le priant de l'affifter en particulier de fes
confeils , qu'il fe feroit toujours gloire de
faivre en toute occafion. Caton lui répondit
qu'il ne devoit lui en avoir aucune obliga
tion ; que ce n'étoit pas pour l'amour de luŵ
pou40
MERCURE DE FRANCE.
qu'il avoit confenti à fon élection , mais parce
qu'ilpenfoit qu'elle étoit utile à la République,
qu'il l'aideroit volontiers de fes confeils en
particulier , lorsqu'il le fouhaiteroit , mais que
s'il les défaprouvoit , cela ne l'empêcheroit
pas de dire toujours en pleine affemblée ce
qu'il croiroit le plus convenable pour P'utilité
de la République.
Caton n'eut jamais l'ambition d'entrer
dans les magiftratures. S'il demanda la
charge de Tribun , ce ne fut que pour s'oppofer
aux pernicieux deffeins de fes collegues
, qui trop livrés à Céfar & à Pompée ,
vouloient faire paffer des Loix contraires
au bien de l'Etat . Nous verrons dans la vie
de Céfar , les affauts qu'il eut à foutenir
contr'eux dans ces occafions.
Lorfque la Guerre Civile fut déclarée ,
il ne voulut accepter aucun commandement
, fe contentant de gémir fur les horreurs
de la guerre qui facrifioit à l'ambition
de fes Auteurs tant de vertueux Citoyens.
Il fit tous fes efforts pour engager
Pompée à faire la paix avec Céfar , difant
hautement qu'il préféroit la fervitude à
une Guerre Civile , & il obtint dans un
grand confeil , tenu dans le camp de Pompée
, qu'on ne feroit mourir aucun Citoyen
hors du combat.
Enfin le parti de Pompée ayant été enA
O UST. 1756:
tiérement abattu , Caton prit la réfolution
de fe donner la mort. Ce fut par une fuite
des fentimens dont l'avoit imbu la Philofophie
Stoïcienne , qu'il prit un parti fi
violent. L'opinion trop rigide qu'il s'étoit
faite de la fageffe , lui faifoit regarder
comme des fcélérats ceux qui penfoient
autrement que lui: Comme la dureté de
fon caractere lui avoit ôté tout fentiment
de douceur , il ne crut jamais que Céfar
fût capable de lui pardonner. C'eft peutêtre
dans Caton une marque de courage
de n'avoir pas voulu fupplier fon
Vainqueur : c'eft peut-être auffi une marque
d'orgueil d'avoir méprifé fa générofité
& fa clémence dont il avoit donné tant
d'exemples. Céfar avoit l'ame trop grande
, & il fçavoit trop bien ce que c'étoit
que vertu pour ne pas admirer & rendre
juftice à celle de Caton.
BRUTUS.
⚫ Quoique Brutus n'ait eu aucune part
aux événemens qui changerent le gouvernement
de Rome , & quoiqu'il y ait mené
une vie affez obfcure jufqu'à la mort de
Céfar , cependant ayant été regardé comme
le principal Auteur de la conjuration
qui le fit périr , je crois qu'on peut tracer
quelques traits de lui pour faire connoître
42 MERCURE DE FRANCE.
quel étoit fon génie & fon caractere.
Il étoit fils de M. Brutus que Pompée
fit mourir pour avoir été dans le parti de
Marius contre Silla : fa mere étoit Servilie
, foeur de Caton , cette maîtreffe fi chérie
par Céfar , & qu'il diftingua toujours
malgré les attachemens paffagers auxquels
il fe livra. Cefar eut pour Brutus une
tendrelle fi marquée , il le combla , ainfi
que fa mere , de tant de biens que tout le
monde le regardoit comme fon fils. Cefar
avoit donné des ordres pofitifs à fes Officiers
& à fes foldats lors de la bataille de
Phatfale , de conferver Brutus qui étoit
dans l'armée de Pompée.
Brutus avoit été élevé par fon oncle
Caton dans la Philofophie Stoïcienne qu'il
avoit embraffée avec une ardeur incroyable.
Il avoit acquis une réputation de vertu
qui ne paroiffoit pas équivoque aux
yeux de fes Concitoyens . Il falloit cependant
que cette vertu ne fût pas parfairement
épurée de certains défauts , puifque
Ciceron fe plaint amérement de Brutus
qui avoit voulu l'engager d'employer les
extorfions les plus odieufes contre les
peuples de fon gouvernement , pour le
faire payer de fommes confidérables qu'ils
Jui devoient ; fur les plaintes que Brului
en avoit fait faire : Si ce n'eft qu'à ce
A O UST. 1756. 43
prix , écrivoit Ciceron à Atticus , que je
puis conferver l'amitié de Brutus , je fuis
bien aife qu'il fçache qu'il peut chercher
d'autres amis que moi. Il lui reproche ailleurs
une hauteur & une dureté dans le
caractere peu convenables à des Citoyens.
civilifés ; & quoique dans d'autres endroits
de fes écrits , il lui donne des louanges
exceffives , il l'accufe cependant de
s'être mal conduit après la mort de Céfar,
& d'avoir, par fon peu de prudence & d'expérience
, rendu inutile le deffein qu'il
avoit conçu de rendre la liberté à fa patrie.
Cela n'a pas empêché tous les zélés Répu-.
blicains d'exalter la conjuration que Brutus
forma & exécuta contre la vie de Céfar,
de la regarder comme le chef-d'oeuvre de
la vertu , & de l'appeller le dernier des
Romains .
Tout le monde n'en conviendra peut-être
pas , & que Brutus fut doué de cette éminente
vertu qu'on lui a attribuée , furtout
fi les dernieres paroles qu'il proféra , font
véritablement forties de fa bouche , comme
les Hiſtoriens le rapportent. Ayant été
défait à la bataille de Philippe , fùyant
prefque feul , abandonné de tous fes amis
& de fes foldats , regardant le parti de
la République comme entiérement abattu
& fans reffource , prêt à fe jetter fur la
1
44 MERCURE DE FRANCE.
pas
pointe de fon épée , il s'écria : Vertu qué
j'ai fuivie toute ma vie , pour laquelle j'ai
quitté plaifirs , biens &fortune , tu n'es qu'un
vain phantome fans pouvoir: le vice a toujours
l'avantage fur toi ; & déformais est- il un
mortel qui doive s'attacher à ton inutile puiffance
? 11 paroît que Brutus connoiffoit
affez mal la vertu après avoir paffé toute fa
vie à s'en inftruire. Il s'en plaint parce
qu'elle n'a fait réuffir les projets qu'il
avoit formés pour le rétabliſſement de la
République. Falloit- il donc que la vertu
ou plutôt cet Etre fuprême qui eft la vertu
même , fît un miracle en faveur d'un homme
qui ne la connoiffoit feulement pas ?
Il veut qu'elle faffe réuffir des deffeins mal
conçus , & parce qu'il a été trompé dans
fes efpérances , il la traite d'un vain phantôme
; parce qu'il plaît à Brutus de regarder
Céfar comme un Tyran , & de regarder
comme un Acte de la fouveraine vertu de
le punir de fon ambition & de lui ôter la
vie , il faudra que tous les événemens ſe
rangent à fon gré pour rendre à fa patrie une
imaginaire liberté qu'elle ne pouvoit plus
conferver. Mais avant que de commettre
cette action , s'il avoit fait de férieufes
réflexions fur l'état de cette République
s'il avoit examiné les génies , les caracteres
, les vertus & les vices de ceux qui la
A O UST. 1756. 45
compofoient , dont aucun ne fe croyoit inférieur
à Céfar, & dont la plupart avoit des
deffeins auffi ambitieux que lui , il auroit
reconnu qu'il étoit impoffible qu'elle pût
fe rétablir , qu'elle avoit befoin néceffairement
d'un Maître , & qu'il alloit commettre
un crime dont elle ne retireroit aucun
fruit. Il arriva que fa vertu , faute
d'être conduite par la fageffe & la prudence
, produifit des effets tout contraires à
ceux qu'il s'étoit propofés. Qu'a produit
cette action à laquelle on a donné tant de
louanges ? Elle n'a fait qu'accélérer la
chûte de la République : il renaît des cendres
de Céfar trois monftres fous le nom
de Triumvirs qui fe réuniffent pour remplir
tout l'univers de rapines,de fang & de
carnage , & le partager entr'eux ,
en
attendant que l'un des trois déteftant dans
fes deux autres concurrens l'ambition , l'ayarice
, la cruauté , la débauche dont il
étoit lui - même dévoré , trouve le moyen
de les faire périr & de fe rendre , fous le
faftueux nom d'Augufte qu'il ne mérita
jamais , feul maître de l'Empire.
Mais fi faifant un retour fur lui-même ,
Brutus avoit examiné quel homme il alloit
affaffiner , celui qui avoit confervé une
vie qu'il pouvoit lui ôter pour avoir porté
les armes contre lui , qui peut- être étoit
46 MERCURE DE FRANCE.
fon pere , (car enfin Brutus pouvoit-il être
le feul dans Rome qui dût ignorer le commerce
de fa mere Servilie avec Céfar )
quelles réflexions ces circonstances ne devoient-
elles pas produire dans fon efprit ?
Quel effet la reconnoiffance n'auroit- elle
pas dû faire fur fon coeur ? La vertu doitelle
donc faire des ingrats & des Parricides
? Quels reproches n'a-t'il pas dû effuyer
de fa mere Servilie ? il affaffine fon amant
toujours conftamment aimé ? De quel oeil
devoit-elle regarder ce fils , peut- être le
fruit de fes amours avec Céfar ? Brutus n'a
reçu d'autre récompenfe de cette vertu
imaginaire & mal entendue , qu'une mort
prématurée arrivée à la fleur de fon âge ,
après avoir fans doute éprouvé tous les
remords que devoient lui caufer la mort
d'un fi grand homme , dont les fuites furent
cent fois plus funeftes à la République
que fon ambition n'avoit caufé de
maux.
A O UST. 1756 . 47
VERS
Sur la guerre préfente.
Quand Uand fecondé de la victoire ,
De la fiere Albion Louis brave les traits ,
Il eft moins jaloux de fa gloire
Que du bonheur de ſes Sujets .
OLIVIER , Av.
CHANSONS.
Pour célébrer la venue de Monfeigneur le
Dauphin & de Madame la Dauphine ,
dans la Ville de Chartres .
Sur l'Air Lifette eft faite pour Colin.
Mufe,
Ufe , puifque de nouveaux Dieux
Viennent fur ce rivage ,
Cherche des fons mélodieux
Pour offrir ton hommage :
Ou plutôt , grand Dieu de Délos !
Prends toi-même ta Lyre ,
Pour chanter de jeunes Héros
Soutiens de ton Empire.
48 MERCURE DE FRANCE.
Sur l'Air : Que je chéris, mon cher Voifin.
Cupidon
chargé par Cypris
D'un billet d'importance ,
Preffé d'arriver à Paris ,
Voloit en diligence ;
Mais en paffant par Maintenon ;
Un brillant équipage
En fixant fon attention >
Retarda fon voyage.
Sur l'Air Dedans mon petit Réduit.
CE
:
E Dieu curieux & , fin ,
Autant que volage ,
Reconnoiffant du Dauphin
L'air plein de courage ;
En fecouant fon carquois ,
Il s'écria par deux fois :
Voilà mon ouvrage , ô gué !
Voilà mon ouvrage.
Bon , dit- il , aux Ris , aux Jeux ,
J'aime ce voyage :
C'eft des plus aimables feux
Un précieux gage
Ah
A O UST. 1756.
Ah ! filons des jours heureux ,
A ce couple vertueux ;
Car c'eſt mon ouvrage , ô gué
Car c'est mon ouvrage.
Sur l'Air : Nous jouiſſons dans nos hameaux.
UN Ris novice , qui jamais
N'avoit quitté Ciprine ,
Enchanté , ravi des attraits
De l'aimable Dauphine ,
Ah ! dit-il , d'un air innocent :
C'eft Pfyché , oui c'eſt elle.
Non , dit l'Amour , en rougiffant ;
Pfyché n'eft pas fi belle.
Les Nymphes de notre Pays
Voyant cette Princeſſe ,
Se demandent d'un air furpris
Quelle eft cette Déeffe ?
Que de majesté ! que d'appas !
On la prendroit pour Flore :
Elle joint au port de Pallas
La fraîcheur de l'Aurore.
Sur l'Air : De tous les Capucins du monde.
Mais que fon Epoux eft aimable !
Qu'il a l'air grand , doux , noble , affable
Ah ! s'ils habitoient nos hameaux
L'Amour verroit peu de rébelles :
C
30 MERCURE DE FRANCE.
Tous nos Bergers feroient rivaux ,
Et nos Bergeres infidelles ..
PLISSON .
Nous prions l'Auteur de finir la Promenade
de Province.
VERS
A M. de la Motte , Médecin de la Faculté
de Paris , fur la convalefcence de M. de
la Poupeliniere , Fermier Général.
Nfin par ton fçavoir, autant que par ton zele ,
La Poupliniere encor eft au rang des humains :
Malgré l'arrêt des Médecins
On a vu le ciſeau de la Parque cruelle
A ta voix tomber de fes mains.
>
La Motte , reçois en mon compliment fincere :
Je t'avouerai pourtant que j'en fuis peu furpris.
Dans les foins conftans que tu pris
Efculape , dit- on , t'aida de fa lumiere.
Si ce fils d'Apollon dans ce preffant danger
Seconda fi bien ta prudence ,
Ses propres intérêts l'y fçurent engager ,
Et c'est moins un bienfait qu'une reconnoiffance
Le fils du Dieu des Arts devoit fon affiftance
Au généreux ami qui fçait les protéger.
PANARD,
A O UST. 1756. ST
LETTRE
A M. le C . De ... •
Urit enim fulgore fuo , qui prægravat artes
Infra fe pofitas : extinctus amabitur idem.
Horat. Ep. 1. lib. 11.
ENN vérité , Monfieur , ce n'eft pas la
peine de réfuter férieufement ceux qui
font de ce fiecle - ci l'objet de leur cenfure.
Quelque bonne plaifanterie leur donneroit
peut-être plus à penfer. Mais vous
voulez un peu de détail , & qu'est- ce que
votre amitié n'obtient point de moi ?
Ce n'eft pas l'efprit qu'on refufe à ce
fiecle on dit au contraire qu'il eft trop
commun. C'est lui qu'on accufe de fe confier
trop à fes propres forces , d'étouffer le
génie , d'être la fource de plufieurs travers
, & la caufe de la décadence de la
Littérature. Les méconténs de leurs contemporains
, prétendent que c'eft par une
vicieuſe affectation d'efprit qu'on parvient
à plaire aujourd'hui. Ils ne veulent pas
s'appercevoir qu'on réimprime tous les
jours les Auteurs les plus éloignés de ce
vice , tels que le M. de la Fare , l'Abbé
de Chaulieu ; que nous faifons encore nos
Cij
32 MERCURE DE FRANCE.
délices de Marot , de Montagne , tandis
qu'on lit à peine Voiture.
Mais , dira-t'on , n'eft- ce pas une preuve
de la décadence du goût , que ces fuccès
qu'ont eus dans le genre frivole certains
Auteurs qui n'ont fait d'autre ufage des
charmes de leur efprit que celui de nous
inonder de brochures romanefques.
Quoi ! parce qu'il y a des hommes fri
voles , ennemis du férieux & des grandes
chofes , doit -on en conclure qu'en général
l'efprit eſt énervé , que les Lettres font
en décadence ? Parce qu'il y a des efprits
fuperficiels , dont le loifir n'eft occupé que
par les Romans , ou les vers de fociété ,
ignorerons- nous affez le monde Littéraire,
pour ne nous pas récrier fur l'abondance
des productions admirables dont nous
jouiffons Sont- elles reléguées dans les
magafins poudreux des Libraires ? & dès
qu'elles paroiffent ne font elles pas enlevées
pour faire l'ornement des grandes
bibliotheques , & même des cabinets des
particuliers ? Ne font-elles point lues , &
fervent- elles feulement de parade & de
décoration ? A qui doit notre fiecle ce
furnom de Philofophe fi fouvent répété ,
eft- ce aux Romanciers , aux Poëtes de
ruelles ?
Le fiecle de Louis XIV qu'on a nommé
A O UST. 1756: 53
le fiecle de la belle Littérature , ne produifoit-
il pas un grand nombre de ces
difficiles bagatelles telles que les Boutsrimés
, les Acroftiches , & autres infipides
denrées du Parnaffe , pénibles efforts
des petits- efprits ? Etoit- il moins inondé
que le nôtre de Romans , de Contes , d'Hif
toriettes N'y a -t'il aujourd'hui que de
femblables ouvrages qui amufent le monde
poli , & les Belles - Lettres font - elles
exilées dans les Cloitres & dans les Colle
ges ? Toutes ces invectives contre le goût
prétendu dominant de notre fiecle , font
des déclamations qui n'impoferont point.
On prend une partie pour le tout , & encore
quelle partie !
y a
Le fiecle où nous vivons n'eft pas
exempt de certains maux : il de petits
Auteurs fans doute , mais leur petiteffe eft
plus marquée dans ce fecle- ci , où l'on
voit les vrais Sçavans difpofés à ramener
les connoiffances humaines à l'utilité générale
, & au bien de la fociété . Ce font
nos contemporains qui fe font efforcés , &
qui s'efforceront encore de mettre les
Sciences les plus difficiles à la portée de
tout le monde : ce font eux qui ont achevé
de s'affranchir des vieux préjugés , qui
ont écrasé le merveilleux , & qui ont acquis
tant de nouvelles connoiffances.
Ciij
34 MERCURE DE FRANCE.
L'efprit Philofophique de ce fiecle révolte
certaines gens . Préféreroient -ils celui
où une Religion auffi fage , auffi fublime
que la nôtre étoit dégradée par l'ignorance
& par la fuperftition ? Quant aux Moraliftes
, ils déclameront toujours contre la
corruption du fiecle où ils vivront : les
livres de libertinage feront fans ceffe l'objet
de leur zele . Notre fiecle en a été
inondé fans doute : mais n'a -t'il pas été
édifié de tant d'ouvrages qui ne refpirent
que la Religion , la piété? N'a - t'on pas
tout rapporté à ces deux objets dans des
Livres d'Hiftoire & de Littérature ? M. Rollin
, & quelques- autres fe font extrêmement
diftingués dans ce genre.
Si notre fiecle a déchu du luftre où
étoit le précédent , pourquoi tant d'Auteurs
fe plaignent-ils de la difficulté qu'il
ya à contenter un fiecle auffi délicat que
le nôtre ? On veut le cenfürer à tout propos
: c'eft pourtant celui où l'on convient
( 1 ) que les efprits font dans un mouvement
général par rapport aux objets immenfes
de la Politique , du Commerce ,
de l'Agriculture , de la Philofophie mife
dans tous les points de vue . Le fiecle de la
décadence des Lettres fera marqué par le
peu de cas que l'on fera des meilleurs ou
vrages. Nous fommes bien éloignés d'é-
(1 ) Journal de Trévoux , Août 1754 , p. 2100
A O UST. 1756: SS
prouver un tel malheur , nous qui avons
vu & qui voyons encore avec quels applaudiffemens
, avec quel refpect on parle des
Montefquieu , des Buffon , & de leurs ouvrages.
C'eft furtout relativement aux ouvrages
de Pocfie & d'Eloquence , qu'on veut
établir la fupériorité du fiecle précédent
car il n'y a pas apparence qu'on ait aucue
prétention fur ce qui a rapport aux Sciences
exactes. Quant au premier article ,
nous fommes pénétrés de tout ce que doit
notre Théâtre au grand Corneille , à l'har
monieux Racine . Nous ne ferons pourtant
point humiliés tant que nous aurons
des Crébillon , des Voltaire . Si du Dramatique
nous paffons aux autres pieces de
Poëfie , notre avantage eft trop évident
pour nous y arrêter. L'éloquence de la
chaire a triomphé dans le fiecle dernier : je
doute qu'on puiffe en dire autant de celle
du Barreau , & des Difcours Académiques
. Tel qui auroit paffé pour un prodige
il y a cent ans , eft aujourd'hui confondu
dans la foule . Mais déclamer contre
l'efprit de fon fiecle , c'eft une espece de
mode. Que fçais-je , fi ce n'eft point l'effet
du raffinement de l'amour-propre? Ce qu'il
ya de conftaté , c'eft qu'il s'imprime aujourd'hui
un bien plus grand nombre de
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
livres utiles que dans le fiecle précédent ;
que les Sciences & les Arts y font plus
cultivés & avec beaucoup plus de fuccès ;
enfin que les Sonnets de Job & d'Uranie
ne mettroient point la Cour en mouvement,
& ne la diviferoient point du tout
aujourd'hui .
Nous ne céderons donc pas la prééminence
au fiecle précédent pour les Belles-
Lettres & les Arts agréables , & nous la
prétendrons abfolument pour les Sciences
& les Arts utiles. Les progrès de celles qui
dépendent du calcul & des obfervations ,
ont été fi rapides que l'efprit humain en a
été dans l'étonnement.
Qu'on s'exerce tant qu'on voudra fur
les articles fi rebattus de la frivolité du
fiecle , nous aurons bien des faits à oppofer
à tant de fpéculations . Quand le Roi
a fondé une chaire de Phyfique expérimentale
dont M. l'Abbé Nollet a été nommé
Profeffeur , l'affluence a été fi grande
qu'on a toujours compté plus de quatre
cens Auditeurs. Dira t'on que les établiffemens
du fiecle précédent ne font pas
maintenus ? Oferoit - on nier qu'ils ne
foient perfectionnés , & même amplifiés ?
L'inftruction gratuite a été établie par
Louis XV dans l'Univerfité de Paris : la
Bibliotheque Royale a été extrêmement
A O UST. 1756. 57
augmentée. Voit-on ceux qui joignent au
génie & au talent une conduite raifonnable,
éloignés des diftinctions & des récompenfes
? N'est- ce pas dans ce fiecle , & fous
ce regne brillant que des hommes à jamais
célebres ont bravé le ciel brûlant
de Quito , & les glaces de Torneo , pour
perfectionner la connoiffance de la figure
de la terre ?
Que n'ont pas gagné l'Aftronomie & la
Geographie dans ce fiecle ? Les globes de
Coronelli de 1695 , ne font plus d'ufage ::
ils ont été remplacés par ceux de Nuremberg.
Au lieu du catalogue des étoiles fixes.
compofé par Flamsteed , on a fuivi le nombre
& l'arrangement expofé par MM. Bevis
& Bradley (1 ) .
C'eft étayer la pateffe , c'eft autorifer le
découragement que de crier fans ceffe fur
le ton chagrin que toute bonne littérature,
toute production de goût , enfin tout talent
a difparu avec Louis XIV. On s'eft:
peut - être trop accoutumé à un certain parallele
du fiecle de ce grand Roi & de celui
d'Augufte . L'excès des louanges qu'ils
ont reçues a fait croire que la nature épui--
fée , ne pouvoit aller plus loin , qu'il falloit
même qu'elle déchût ; & comme cela
étoit effectivement arrivé après Augufte
(1).Voyez l'Uranographia Britannica.
x>
C.V
36 MERCURE DE FRANCE.
livres utiles que dans le fiecle précédent ;
que les Sciences & les Arts y font plus
cultivés & avec beaucoup plus de fuccès ;
enfin que les Sonnets de Job & d'Uranie
ne mettroient point la Cour en mouvement
, & ne la diviferoient point du tout
aujourd'hui.
Nous ne céderons donc pas la prééminence
au fiecle précédent pour les Belles-
Lettres & les Arts agréables , & nous la
prétendrons abfolument pour les Sciences
& les Arts utiles. Les progrès de celles qui
dépendent du calcul & des obfervations ,
ont été fi rapides que l'efprit humain en a
été dans l'étonnement .
Qu'on s'exerce tant qu'on voudra fur
les articles fi rebattus de la frivolité du
fiecle , nous aurons bien des faits à oppofer
à tant de fpéculations . Quand le Roi
a fondé une chaire de Phyfique expérimentale
dont M. l'Abbé Nollet a été nommé
Profeffeur , l'affluence a été fi grande
qu'on a toujours compté plus de quatre
cens Auditeurs . Dira t'on que les établiffemens
du fiecle précédent ne font pas
maintenus ? Oferoit- on nier qu'ils ne
foient perfectionnés , & même amplifiés ?
L'inftruction gratuite a été établie par
Louis XV dans l'Univerfité de Paris : la
Bibliotheque Royale a été extrêmement
A O UST. 1756 . 57
augmentée . Voit-on ceux qui joignent au
génie & au talent une conduite raifonnable,
éloignés des diftinctions & des récompenfes
? N'eft- ce pas dans ce fiecle , & fous
ce regne brillant que des hommes à jamais
célebres ont bravé le ciel brûlant
de Quito , & les glaces de Torneo , pour
perfectionner la connoiffance de la figure
de la terre ?
Que n'ont pas gagné l'Aftronomie & la
Geographie dans ce fiecle ? Les globes de
Coronelli de 1695 , ne font plus d'ufage ::
ils ont été remplacés par ceux de Nuremberg.
Au lieu du catalogue des étoiles fixes.
compofé par Flamsteed , on a fuivi le nombre
& l'arrangement exposé par MM. Bevis
& Bradley ( 1 ) .
$
C'eft étayer la pareffe , c'eft autorifer ledécouragement
que de crier fans ceffe fur
le ton chagrin que toute bonne littérature ,
toute production de goût , enfin tout talent
a difparu avec Louis XIV. On s'eft :
peut- être trop accoutumé à un certain parallele
du fiecle de ce grand Roi & de celui
d'Augufte . L'excès des louanges qu'ils
ont reçues a fait croire que la nature épui--
fée , ne pouvoit aller plus loin , qu'il falloit
même qu'elle déchût ; & comme, cela
étoit effectivement arrivé après Augufte
- (1 ) .Voyez l'Uranographia Britannica.
C. VA
16 MERCURE DE FRANCE.
livres utiles que dans le fiecle précédent ;
que les Sciences & les Arts y font plus
cultivés & avec beaucoup plus de fuccès ;
enfin que les Sonnets de Job & d'Uranie
ne mettroient point la Cour en mouvement
, & ne la diviferoient point du tout
aujourd'hui.
Nous ne céderons donc pas la prééminence
au fiecle précédent pour les Belles-
Lettres & les Arts agréables , & nous la
prétendrons abfolument pour les Sciences
& les Arts utiles. Les progrès de celles qui
dépendent du calcul & des obfervations ,
ont été fi rapides que l'efprit humain en a
été dans l'étonnement.
Qu'on s'exerce tant qu'on voudra fur
les articles fi rebattus de la frivolité du
fiecle , nous aurons bien des faits à
oppo
fer à tant de fpéculations . Quand le Roi
a fondé une chaire de Phyfique expérimentale
dont M. l'Abbé Nollet a été nommé
Profeffeur , l'affluence a été fi grande
qu'on a toujours compté plus de quatre
cens Auditeurs. Dira t'on que les établiffemens
du fiecle précédent ne font pas
maintenus ? Oferoit - on nier qu'ils ne
foient perfectionnés , & même amplifiés ?
L'inftruction gratuite a été établie par
Louis XV dans l'Univerfité de Paris : la
Bibliotheque Royale a été extrêmement
A O UST. 1756 . 57
augmentée. Voit-on ceux qui joignent au
génie & au talent une conduite raifonnable,
éloignés des diſtinctions & des récompenfes
? N'eft- ce pas dans ce fiecle , & fous
ce regne brillant que des hommes à jamais
célebres ont bravé le ciel brûlant
de Quito , & les glaces de Torneo , pour
perfectionner la connoiffance de la figure
de la terre ?
Que n'ont pas gagné l'Aftronomie & la
Geographie dans ce fiecle ? Les globes de
Coronelli de 1695 , ne font plus d'ufage ::
ils ont été remplacés par ceux de Nuremberg.
Au lieu du catalogue des étoiles fixes
compofé par Flamsteed , on a fuivi le nombre
& l'arrangement expofé par MM . Bevis
& Bradley ( 1 ) .
६ C'est étayer la pareſſe , c'eft autorifer le
découragement que de crier fans ceffe fur
le ton chagrin que toute bonne littérature,
toute production de goût , enfin tout talent
a difparu avec Louis XIV. On s'eft :
peut-être trop accoutumé à un certain parallele
du fiecle de ce grand Roi & de celui
d'Augufte. L'excès des louanges qu'ils
ont reçues a fait croire que la nature épui--
fée , ne pouvoit aller plus loin , qu'il falloit
même qu'elle déchût ; & comme cela
étoit effectivement arrivé après Augufte
(1 ). Voyez l'Uranographia Britannica.
C.V
MERCURE DE FRANCE.
on a voulu auffi trouver le parallele de
cette décadence après Louis XIV. L'opinion
peu approfondie a paffé en crainte ,
& la crainte a offufqué le jugement . Delà
ces injuftices fur les preuves éclatantes
de goût & de génie que fournit notre fiecle.
De- là cette infenfibilité fur tout ce que les
Sçavans & les génies les plus diftingués
offrent de plus intéreffant. Mais dans la
Grece les Lettres fe maintinrent longtemps
dans leur fplendeur. Quoique les
fiecles de Périclès & d'Alexandre foient
en poffeffion des fuffrages univerfels , la
ville d'Athenes n'avoit pas dégénéré fous
les premiers Céfars. On n'auroit pas cru ,
dans les familles les plus diftinguées de
Rome , donner une éducation perfectionnée
aux enfans , fi on ne les eût envoyés
écouter les leçons des Orateurs & des
Philofophes Grecs. Plutarque , quel Hiftorien
! vivoit plus de cinq cens ans après
Périclès.
Je m'abftiendrai de parler d'une chofe
univerfellement connue , que les reffources
qu'on trouve dans la Capitale pour les
Sciences & les Arts ; elle eft la fource
abondante de tout ce qui peut contribuer
à la durée de l'Empire littéraire : mais je
dirai
que les principales villes des Provinces
ne font plus , comme autrefois , réduiAOUST.
1756. 59
tes aux élémens fimples , quelquefois groffiers
, des Sciences . Les Académies établies,
les Bibliotheques plus communes , les Cabinets
des Sçavans moins rares & plus acceffibles
par la politeffe qui caractériſe particuliérement
notre fiecle ; que de motifs
pour
ceffer de craindre la chûte des Lettres !
Concluons donc , Monfieur , que toutes
ces déclamations fur la frivolité du goût
de notre fiecle , réduites à leur jufte valeur,
font des exagérations , ou , fi vous voulez ,
des monitions outrées de ceux qui fe
croient en droit d'ufer du ton de Cenfeur,
& de prendre d'étranges licences avec leurs
confreres les Auteurs . D. L.
AVauréas , le 7 Juin , 1756.
ODE
Sur la prise de Port - Mahon.
Du Temple de Janus , Mars vient d'ouvrir les
portes :
Je l'ai vu , l'oeil en feu , raffembler nos cohortes
Précedé de la mort , il conduifoit leurs pas.
Sa victoire en leurs mains avoit remis ces armes.
Qui fement les allarmes ,
Et dont jamais envain Louis n'arma leurs bras.
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Tremble , fiere Albion . Au fein de l'opulence ,
Tu difois en ton coeur : Tout cede à ma puiſſance.
Princes , refpectez-moi : je fuis Reine des Mers.
Sous mes nombreux Vaiffeaux Thétis courbe fes
ondes :
J'ai forcé les deux mondes
A m'offrir le tribut de leurs climats divers
Tu difois , & bientôt dans ton ardeur avide ,
Sans craindre Nemefis , l'injuftice pour guide ,
On te vit provoquer de fuperbes Lions ;
Mais éprouve en ce jour , rivale de Carthage ,
Que malgré ton courage ,
Tour dompter ton orgueil , Rome a des Scipions.
Neptune eft ton appui mais qu'importe s'il
t'aime ?
Louis va te frapper fous les yeux du Dieu même..
Il veut , & les deux Mers fe couvrent de Vaiffeaux.
Comme un torrent fougueux,, nos légions guer-
Fieres
Franchiffent les barrieres
Qu'oppofoient à leur courfe & les vents & les flots.
Le jour fuit , le Ciel gronde : entouré de nau
frages ,
Le front ceint de vapeurs , porté fur les orages ;
Le Souverain des Mers ſe montre à nos Guerriers,
AOUST. 1756 .
&r
Je protege Albion : retournez fur vos traces ,
Ou d'affreufes difgraces
Yous offrent à cueillir des cyprès pour lauriers
Sa fureur à ces mots s'épuife en vains obftacles :
Louis avoit parlé : faut-il d'autres oracles ?
Le François à fa voix fçait triompher des Dieux.
Neptune envain frémit : déja la foudre tombe;
Et Mahon qui fuccombe ,
Arbore fur les murs nos drapeaux glorieux..
De cette autre Ilion quelle étoit l'eſpérance ?
L'art , les Dieux , la nature affuroient fa défenſe :
Ses remparts enfermoient des milliers de Héros.
Mais peut-on réfifter à ce Chef intrépide ,
Avec lequel Alcide
Eût voulu partager fa gloire & fes travaux ?
Rien ne change du Ciel le décret immuable :
Envain pour prévenir ce coup inévitable ,
Byng au milieu des flots tranfportoit les forêts ::
Tout cede à la valeur. Cette affreuſe tempête
Retombe fur la tête ,
Et de notre triomphe il a fait les apprêts.
Comme on voit dans les Cieux , par une prompte
fuite,
Les habitans de l'air éviter la pourſuise.
62. MERCURE DE FRANCE.
De l'Aigle que contr'eux ils avoient courroucé
Ainfi Byng allarmé , par une fuite heureuſe
De fa flotte nombreuſe ,
Déroboit à nos coups le refte difperfé.
܀
La honte fur le front , & la rage dans l'ame ;'
Malgré la vive ardeur qui l'irrite & l'enflamme :
Sans l'avoir pu défendre , il voit Mahon réduit.
N'irritons plus , dit-il , ces Lions formidables :
Ils font invulnérables ,
Louis regne fur eux , Richelieu les conduit.
Richelieu , qu'à ce nom ta cendre fe ranime :
Ombre chere aux François , efprit vafte & fu
blime :
Contemple ce Héros : il eft digne de toi.
Près de lui de ta perte Apollon fe confole :
Des Genois c'est l'idole , ( i )
Le foutien de la France , & l'ami de fon Roi.
Contemple à fes côtés , au fein de la victoire ,
Fronsac que les deftins , foigneux de notre gloire ,
Des portes de la mort rendirent à nos voeux :
Tel aux champs d'ilion , plein d'une noble au
dace
(1 ) Les Genois ont érigé une Statue à M. le
Maréchal de Richelieu.
1
A O UST. 1756. 63
Ton Fils , Dieu de la Thrace ,
A cueillir des lauriers s'exerçoit fous tes yeux.
Et toi de notre coeur l'amour & les délices ;
Tandis que Richelieu vaincra fous tes aufpices #
Prince , de qui le Ciel feconde les projets ;
Fais toujours le bonheur d'un peuple qui t'adore
Et fois long-temps encore
Céfar pour l'ennemi , Titus pour tes fujets.
L. P. J.
Mâcon , ce 9 Juillet 1756.
PORTRAIT DE M. R....
Sous le nom d'Iphis.
Quoique les traits du vifage d'Iphis ne
forment pas ce qu'on appelle un bel homme
, il a néanmoins beaucoup d'agrément
dans la phyfionomie , furtout lorfqu'il eft
animé par quelque doux fentiment . Son
ame paffe alors dans fes yeux , & fait difparoître
l'air froid , & même un peu fombre
qu'il a naturellement. Son teint eft.
brun , fes fourcils & fes cheveux noirs , fa
bouche ni grande , ni petite , eft très- bien i
bordée , & d'un très - beau coloris . Ses
dents font affez belles ; fa voix eft touchan
64 MERCURE DE FRANCE.
te. Il a un fourire gracieux , qui en répan
dant une aimable expreffion fur fon vifa
ge , marque encore dans fes joues deux
petites foffettes qui l'embelliffent .
Iphis eft d'une taille au deffus de la médiocre
, affez fournie ; mais il n'en tire pas
tout l'avantage qu'il pourroit s'en promettte.
Il fe voûte un peu , & laiffe aller
fa perfonne , fans fonger , comme tant
d'autres , à fe donner un air de repréfentation
. Son maintien eft modefte & réſervé.
Le goût & la décence regnent dans
fa façon de fe mettre. Il eft extrêmement
propre ; mais cette qualité , fi néceffaire
pour rendre une infinité de gens fupporta-
Bles , eft dans Iphis plas aimable qu'utile.
La nature lui épargne là - deffus mille foins.
Une bonne conftitution , une vie reglée
entretiennent . fa fanté & fa fraîcheur dans
un état que tout l'art ne fçauroit procurer .
Iphis eft dans cet âge heureux qu'il·
feroit à fouhaiter qu'on pût fixer , où les
charmes de la jeunelle s'uniffent , pourainfi
dire , avec les qualités folides de lamaturité.
Son caractere plein de franchiſe
& de droiture , fon humeur douce , toujours
égale , & la fimplicité de fes manieres
en font un homme d'une fociété charmante.
Sa converfation eft très-amufante
quand ileft à fon aife ; il peint les gens
A O UST. 1756.. 64
d'une maniere fort plaifante , & dit de
très - bonnes chofes fans y rêver. Mais en
grande compagnie , une honnête & modefte
retenue que les impudens nomment
fottife ou mauvaiſe honte , cache la meilleure
partie de fon efprit & de fes connoiſfances.
S'il ne fe fait pas admirer de ceux
qui veulent être éblouis , il aura toujours
dans fon parti toutes les perfonnes fenfées,
qui font plus de cas du jugement & de la
raifon , que de ces faillies hazardées , & de
cette gaieté brillante dont on fe pare fouvent
aux dépens de l'un & de l'autre.
C'eft dans l'ame que réfide le vrai mérite ,
tout ce qui ne découle pas
d'une fi belle
fource , n'eft pas digne de ce nom , & la
mefure de l'eftime doit être celle des vertus.
Qu'Iphis eft eftimable ! Il a l'ame noble
, généreufe , compatiffante , & tellement
portée au bien qu'il lui feroit impoffible
d'agir autrement . Remplir fes devoirs
, faire des bonnes actions , font pour
lui des chofes toutes fimples . Il eſt exempt
de trouble & de remords , parce qu'il ne
connoît ni les grandes paffions ni les vices .
Il jouit de cette paix intérieure qui fait le
bonheur d'un homme fage. L'ambition &
l'intérêt , ces deux tyrans du monde , auxquels
tant de mortels facrifient leur repos
, & même leur honneur , n'alterent
66 MERCURE DE FRANCE.
point fa tranquillité. Régner fur un coeur
pofféder ce qu'il aime , borne tous fes
voeux , & comble tous fes défirs.
On a dit que pour bien connoître quelqu'un
, il faut le voir ou dans l'amitié ou
dans l'amour. Qui n'a pas vu Iphis dans
un de ces deux fentimens , ne le connoît
qu'imparfaitement ? C'eft alors qu'il fe
développe tout entier. Il ouvre les tréfors
de fon ame , mille vertus ,
mille vertus , mille qualités
aimables que fa modeftie voiloit à des
yeux indifférens , paroiffent aux regards
de ceux qui vivent avec lui intimement.
On eft furpris , on eft enchanté de trouver
fon commerce auffi agréable que fûr.
Ce beau nom , ce facré nom d'ami , profané
indignement de la plupart des hommes
, ou tout au moins fans force & fans
pouvoir , eft pris & révéré par Iphis dans
toute fon étendue . Son amitié tendre
conftante , difcrete , eft pleine de chaleur
& de zele. Il a dans tous fes procédés une
candeur , une générofité admirable , &
beaucoup de cette charmante délicateffe ,
fans laquelle on ne va guere loin dans les
fentimens..
Iphis eft en amour comme en amitié .
Son goût le porte vers les femmes , mais
c'eft un goût épuré qui lui fait moins défirer
de jouir que fouhaiter d'être aimé,
A O UST. 1756. 67
Avec un air qui paroît froid , inattentif,
perfonne ne fent mieux , & ne démêle avec
plus de jufteffe les agrémens & les qualités
du beau fexe . Les charmes d'un joli minois
, les talens agréables , les graces plus
féduifantes que la beauté même , toutes
ces chofes ne font fur Iphis qu'une médiocre
impreffion , c'eſt à de plus nobles.
attraits qu'il rend les armes. En vain on
émeut fes fens , fi on ne touche pas fon
ame , & ce ne peut être que par un rapport
avec la fienne. Iphis veut une femme
tendre , qui ait de la dignité dans le fentiment
, de la douceur dans le caractere ,
& qui foit d'un efprit folide & raifonnable
: En un mot il veut trouver un ami
dans une maîtreffe .
Les hommes en général fe dégoûtent &
fe réfroidiffent par les faveurs qu'on leur
accorde , Iphis en devient plus ardent. Son
bonheur l'attache plus fortement , fes foins
augmentent , fes attentions redoublent . Il
fait pour conferver fa conquête tout ce
qu'on fait communément pour l'obtenir."
Enfin on peut dire avec vérité qu'Iphis eft
un parfait amant , un bon ami , un homme
aimable dans la fociété , & tel qu'il
feroit heureux pour la fatisfaction des autres
que beaucoup de perfonnes lui reffemblaffent.
68 MERCURE DE FRANCE.
VERS
A Meffieurs Gabriel , fils , à l'occafion de
quelques Airs de Chant & de Symphonie.
ELeves d'Apollon , ainfi que de Minerve , "
O vous ! à qui je dois plus d'un fruit de ma verve ;
Emules des talens , des vertus & des Arts ,
Que l'on voit près de vous briller de toutes parts ,
Et que la jeune Aglé ſemble animer fans ceffe , ( 1 )
A vos fages plaifirs ici je m'intéreffe :
Enfin voilà ces Airs que vous vouliez de moi.
Tandis que votre Pere , en l'honneur de fon Roi ,
Enfante chaque jour merveilles fur merveilles , ( 2)
Quand vous aurez rempli ce qui plaît à ſes yeux ,
Et ce qui doit vous rendre égaux à vos Ayeux ,
Par ces accords flatteurs , contraftes de fes veilles ;
De cet Artifte illuftre amufez les oreilles :
Mais faites que toujours, pour combler fes deftins,
Vos travaux à l'envi ( 3 ) fecondent ſes deffeins,
(1 ) Mademoiselle Gabriel joint à beaucoup de
graces plufieurs talens , entr'autres celui dejouer du
Clavecin d'une façon très- diftinguée.
(2) Telles que l'Ecole Militaire & la Place de
Louis XV, à Paris.
(3) Ces Meffieurs , quoique jeunes encore , font
très-avancés dans l'Architecture , dont ils font leur
A O UST. 1756: 6.9.
LE COUP D'OEIL
Dans un Général d'Armée.
UN mal de tête cruel qui m'a tourmenté
toute la nuit , & qui dure encore avec
affez de violence , ne m'empêche pas , mon
cher D... de tenir la parole que je vous ai
donnée. Vous ne pouvez douter que le mé
nagement de votre poitrine ne foit un des
principaux objets qui me déterminent à
vous écrire. Je l'avois mis hier en plaiſantant
dans une espece de Préface : mon
amitié vous le répere aujourd'hui plus férieufement
& avec la même vérité. Je vous
affure que l'envie d'avoir raifon n'entre
que pour fort peu dans les fuites d'une
difpute , où la décifion de plufieurs anciens
Militaires me donne trop d'avanta
ge. Cependant pour vous mettre à même
de combattre leur jugement , voici ce que
je penſe.
Tous les hommes qui , dans leur état
( quel qu'il foit ) ont été ou font aujourd'hui
les premiers , s'ils ne font pas parvecapital.
Ils s'occupent dans leur loifir, ainsi que Ma
demoiselle leur four , des talens agréables , & tien
nent en cela de feu Madame Gabriel , leur aycule
qui jouoit fupérieurement du Clavecin
fo MERCURE DE FRANCE.
nus à ce point par la protection , n'ont pu
s'y élever que par le génie ; c'eft un don
de la nature , que dans l'art de la Guerre ,
furtout , on ne peut acquérir ni par
la
théorie , ni par la pratique. Quiconque
n'eſt pas né grand Général , ne fera jamais,
quoi qu'il faffe , qu'un Général médiocre.
Le caractere du premier s'annonce par la
promptitude & la jufteffe du Coup - d'oeil ,
fur lequel il établit dans un inftant toutes
fes opérations. La lenteur des combinaiſons
du fecond ne prouve que l'infuffifance de
fes lumieres, oblige de fe conformer à celles
des autres , & de réflechir fouvent lorfqu'il
faudroit agir. Deux Généraux arri
yent, en préfence : l'un yoit dans une minute
le terrein le plus avantageux pour
combattre , l'autre réfléchit , & chacune
de fes combinaiſons font autant d'avantages
qu'il donne à fon ennemi , qui a déja
fixé la victoire , pendant que celui - ci cher
che en vain à fe l'affurer. Le fuccès incertain
d'une bataille engagée fe décide par
le Coup-d'ail. L'habileté de cet ( 1 ) homme
, auffi grand à la guerre , qu'illuftre
à la Cour , l'a prouvé à Fontenoy. La manoeuvre
du Maréchal de Broglio ( 2 ) en
Bohême , prouve combien le Coup- d'oeil
fert à la sûreté d'une retraite. Ce Général fur-
( 1 ) M. de Richelieu, (2 ) A Pifck
A O UST. 1756. 71
>
pris par les ennemis , au nombre de cinquante
mille hommes , lui n'en ayant pas
la moitié , prend fon parti dans le moment
, & par l'avantage du terrein dont il
s'empare , rend abfolument inutile la fupériorité
du nombre . Il réduit fes ennemis
à l'admirer fans ofer l'attaquer. Coupd'oeil
heureux , qui fauva l'élite des troupes
de France d'une défaite , dont toute
leur valeur n'auroit pu les garantir , fi la
·lenteur des combinaifons eût fait manquer
à leur Général le prompt & feul moyen
d'éviter un combat trop inégal. J'en étois
refté là hier , mon cher D..... comptant
bien , que lorfque je vous reverrois
vous me fourniriez des matériaux pour
continuer. Vous m'avez fait fentir le tort
que j'ai eu de ne pas commencer par définir
ce mot Coup - d'oeil , qui fait notre débat
; mais je croyois qu'il s'entendoit de
refte. Cependant pour ne vous laiffer rien
à défirer , je diftingue deux efpeces de
Coup-d'oeil , qui partent tous deux du génie
, & qui le prouvent également ; l'un eft
celui qui , dans un cas preffé , comme ceux
que j'ai cités ci-devant , dans l'indécifion
d'une bataille , ou dans la difficulté d'une
retraite , fait prendre un parti fage &
prompt. L'autre eft celui , qui au commencement
d'une campagne ,
donne au
72 MERCURE DE FRANCE.
:
Général l'idée sûre & précife de tout ce
qu'il fera. Ce dernier ne me rapproche- t- il
pas un peu de ce que vous penfez ? N'allezvous
pas croire , mon cher D .... que
je viens tout doucement à votre ſyſtême ?
J'y confens mais il faut que vous paſfiez
par mon Coup- d'oeil, & que vous conveniez
que s'il n'eft pas la bafe de toutes
vos combinaiſons , elles ne feront jamais
que foibles & impuiffantes. Servons- nous
d'une comparaifon dites-moi , je vous :
prie , par quel Chirurgien préféreriez - vous
d'être faigné , par celui qui , tâtonnant
une heure , chercheroit votre veine avec
une prudence effrayante , & qui annonce
fouvent la maladreffe , ou par celui qui ,
du premier coup , enfonce d'une main sûre
le fer qui vous rend la fanté ? Je ſens
combien cette comparaifon méchanique
cloche ; mais comme nous n'écrivons que
pour nous , nous pouvons , fans égard pour
les mots ni le ſtyle , nous fervir de tout ce
qui pourra nous donner une idée jufte des
chofes fur lefquelles nous difputons. Ec
que fçait-on peut- être fommes-nous du
même avis fans nous entendre ; je croirois
trop y gagner pour ne pas le défirer.
Quelle foule de citations , mon cher
D... Je loue Dieu de vous avoir donné
une fi belle mémoire : mais encore une
fois
AOUST. 1756. 75¹
fois , vous vous refuſez à l'évidence. Vous
croyez que le Coup - d'oeil dont je parle
n'eft uniquement que ce qui frappe les
yeux, comme un terrein, ou un pofte avantageux
dont il s'agit de profiter : celui - là
eft réellement une des plus effentielles parties
du Général ; mais ce n'eft pas le premier
dans mon fyftême : il en eft un autret
fans lequel , commandât- on toute la terre ,
on ne feroit jamais qu'un génie médiocre.
Celui- ci eft pour les aveugles comme pour
ceux qui y voient le mieux ; il gît dans l'imagination
; c'eft lui qui enfante avec feu
ces grands projets qui étonnent les Nations .
Vos combinaifons ne font que les ouvrieres
qui travaillent fous lui , & qui dirigent
leur exécution ; mais elles ne font que cela ,
& ne font par conféquent pas le caractere
précis & diftinctif du grand Général .
EPITRE ou plutôt ELEGIE
A Mademoiselle Br ***.
CHer & cruel objet d'une flamme éternelle ,
Tu vis à tes genoux l'Amant le plus fidele
En faveur de toi feule oubliant fa fierté
Jurer par
fon amour jater par ta beauté ,
De vivre déſormais fous ta loi fouveraine ;
D
74 MERCURE DE FRANCE.
Efclave , glorieux d'une fi belle chaîne ,
De ne réfpirer plus qu'afin de te fervir ,
De n'adorer que toi jufqu'au dernier ſoupir ;
De livrer à tes yeux , aux flammes dévorantes ,
Les lettres qu'il reçut jadis de ſes Amantes.
A peine cependant tu daignois m'écouter.
Parle , ingrate , à quel prix puis- je te mériter ?
Veux-tu que mon épée abrege mon fupplice ?
D'un coeur au défefpoir reçois ce facrifice .
Tu dédaignes mes pleurs , c'eft demander mon
Lang.
Mais non ... fans que le fer en épuiſe mon flanc ,
Il fuffit de tes yeux ... leur atteinte eft plus sûre ,
Leurs traits laiffent toujours la mort dans la bleffure.
Ils ont du diamant tout l'éclat radieux :
Mais il cede à l'acier ce caillou précieux ;
Ton coeur , cent fois plus dar , à mes efforts
réfifte .
La froide indifférence eft un plaifir bien triſte.
Ce fommeil léthargique , image de la mort ,
De ton ame affoupie énerve le reffort .
Ah ! crois- moi ... l'amour feul eft le Dieu de ton
âge :
Le temps fuit fans retour : jouir , 'c'eſt être fage.
Tu ne reçus du Ciel que le don de charmer ,
Don ftérile pour toi fi tu ne ſçais aimer.
Que n'ai- je point tenté pour verſer dans ton ame
L'impétueufe ardeur de ma naiffante Aamme!
AO US T. " 75 1756.
Muette à mes fermens & fourde à mes fanglots ,
J'ai cru voir ton orgueil infulter à mes maux ;
La honte , le dépit , la douleur me ſaiſiſſent ;
Soudain mon front pálit , mes regards s'obfcur
ciffent :
Ma voix tremble , s'éteint ... tout mon fang s'eft
glacé ...
Tu vis alors le trait dont tu m'avois bleſſé ;
Tu daignas me parler d'une voix attendrie ,
Et d'un regard plus doux tu me rendis la vie .
Ciel que ne dois - je pas à ces tendres fecours !
Quels droits , belle Doris , n'as - tu pas fur des
jours +
Sauvés par tes bienfaits , confacrés à te plaire .
Mais ces jours ne feroient qu'un don de ta colere ,
Si toujours infléxible à mes plus tendres voeux ,
Tu ne couronnois point ma confla.ce & mes
feux .
Garde pour mes rivaux cette fierté ſauvage ,
Ta fenfibilité doit être mon ouvrage.
Apollon & l'Amour font les Dieux que je fers.
C'est moi qui le premier te confacrai des vers ,
Qu'Amour ſeul à dictés , qu'Amour ſeul peut entendre
,
Que tu daignes relire avec un fouris tendre ;
Ils t'ont même infpiré le défir glorieux
De parler avec moi le langage des D eux.
Tu daignas me choifir pour guider ta jeuneffe
Vers ces bois de lauriers qu'arrofe le Permeffe :;
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
La main des doctes Soeurs doit en parer ton front
De tes charmes naiffans ces lieux s'embelliront.
Je conduirai tes pas vers ces belles retraites ,
Où ces Maîtres de l'Art que l'Amour fit Poëtes,
Tibulle , Anacréon , cueilloient jadis ces fleurs ,
Que l'Aurore en naiflant yoit naître de fes pleurs.
Ton éclat le difpute à la rofe vermeille ,
Ton haleine eft plus douce , & ta fraîcheur pareille,
Des rofiers hérifiés d'une forêt de dards ,
Ma main féra tomber les perfides remparts,
Mais , Doris , fi mes foins fideles à te plaire ,
Sont dignes à tes yeux d'obtenir leur ſalaire ,
Il eft dans ces bofquets des myrthes amoureux ;
Azyle , où le plaifir endort l'Amour heureux ,
Ou la décence étend les voiles du myftere ...
Viens y parer mon front des rofes de Cithere.
G. H. LE Roy .
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE ,
"Au fujet de la Leure & du Logogryphe de
Mile de Car... de Toulouse , inférés dans.
le Mercure du mois de Mai 1756.
ILYy a eu , Monfieur
, des gens à qui une
pantoufle
mignonne
a fait tourner
l'efprit
,
& qui fe font avifés
, dit- on , d'aimer
juf-
1
A O UST. 1756. 77
qu'à en devenir fous , une femme dont ils
n'avoient jamais vu que cela. Ces gens un
peu prompts à s'enflammer , féduits par les
phantômes de leur imagination , fe mettoient
dans la tête que le joli pied pour
qui étoit destinée cette jolie pantoufle , ne
pouvoit manquer d'être le pied d'une jolie
perfonne. S'ils avoient raifon ou non , de
juger favorablement des appas d'une femme
fur la petiteffe du pied , c'eft ce que je
laiſſe à décider à ceux qui ont une expérience
confommée dans ces fortes de matieres.
Pour moi , il me femble qu'on fe
doit prendre plus aifément d'amour pour
une perfonne que l'on ne connoît pas ,
en lifant quelque production ingénieufe
échappée à fa plume , telle que la lettre &
le logogryphe de Mademoifelle de Car.....
dont vous avez enrichi le Mercure de Mai ,
qu'en voyant une de fes pantoufles , fûtelle
plus mignonne mille fois que la petite
pantoufle verte , dont parle un certain conte
des Fées. Folie pour folie , puifqu'il
faut que la tête tourne d'une ou d'autre
façon , pour devenir amoureux , je préférois
la derniere .
Il femble au premier coup d'oeil , qu'il
y ait moins à rifquer d'être dupe de ſa
paffion . En effet , il pourroit arriver que
la perfonne au petit- pied , quand on vien
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
droit à la connoître , eût la taille épaiffe ,
de petits yeux , une grande bouche , & le
nez de travers , & que par detfus cela ,
fon efprit fût comme fa taille. L'amoureux
à la pantoufle feroit alors bien for .
Car que faire d'un petit pied tout feul ?
Au lieu qu'il ne paroît pas d'abord vraifemblable
que l'autre amant dût fe trouver
auffi dénué de reffources . Dès que l'on
fuppofe du génie dans le morceau qui lui
auroit infpiré une violente paffion pour la
Mufe à qui il feroit attribué , cet amoureux
auroit toujours de quoi fe dédommager
, en tournant fes foupirs du côté de
Fefprit , s'il arrivoir , quand il connoîtroit
cette Erato , qu'il n'eût pas le cou
rage de foupirer pour fes charmes . Eh ?
de quoi l'efprit ne dédommage-t'il pas ?
Cependant comme on triche de plus
d'une maniere en fait de production Littéraire
, il y a une circonftance qui n'eſt
pas à craindre pour le premier amant , mais
qui peut être pour le dernier ; c'eft que
l'ouvrage qui auroit donné de l'amour à
celui - ci , ayant paru fous un nom fuppofé,
ne vînt de quelqu'un pour qui il ne lui
fût pas poffible phyfiquement d'en avoir .
Une pantoufle mignonne , pointue , &
montée fur un talon de trois ou quatre
pouces , ne peut manquer d'être la pantouAOUSE
1756. 79
fle d'une femme ; & quand l'amour niché
dans le fond de cette chauffure , blefferoit
de- là le coeur d'un homme pour une fem→
me fort laide , il ne feroit après tour que
ce que nous lui voyons faire ch que jour
plus à découvert ne lui arrive-t'il pas
communément de forcer te coeur d'un gas
lant homme , d'adorer du blanc & du rouge
, qui couvrent une vilaine peau ? Mais
enfin cette peau eft la peau d'une femme.
Au lieu que des vers travaillés avec quel
que foin , & où l'on'apperçoit de la force ,
pourroient bien être l'ouvrage d'Apollon ,
plutôt que d'Euterpe .
Parlons fans fiction : Si quelques habitans
du Parnaffe ont eu le malheur de concevoir
des fentimens bien tendres pour la
jeune Touloufaine dont vous avez loué
avec juftice la lettre & les vers je puis
vous affurer , Monfieur , que je les plains
fort. C'est un méchant tour que l'amour
leur a joué. Non pas que cette perfonne
ne foit fort aimable ; mais je ne l'ai jamais
cru propre à devenir la maîtreffe de quelqu'un.
Je commence à n'être plus entendu
, & jufqu'ici ma lettre reffemble affez
à un logogryphe. Hé bien , Monfieur , en
voici le mot : j'ai levé le mafque qui couvroit
Mademoiſelle de Car... & j'ai trouvé
au lieu d'elle , mon ami , M. Le Riche , à
Div
80 MERCURE DE FRANCE:
qui je connois toutes les qualités imaginables
pour faire des amis , & point du
faire des amans , mais bien pour
tout
pour
l'être. Je fuis , &c.
Ce 8 Juillet 1756.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Votre goût pour les Lettres vous rendant
le protecteur de tous ceux qui les cultivent
, & votre Ouvrage périodique étant
confacré par vos foins à encourager les talens
, comme à les immortalifer , j'oſe me
flatter que vous voudrez bien inférer dans
un des Mercures du mois prochain la petite
Piece que j'ai l'honneur de vous adreſſer
D'une Mufe encore écoliere ,
Ce font là les premiers effais.
L'Amour me flatte du fuccès :
Mais l'Amour en telle matiere ,
N'eft pas , je crois , bien connoiffeur ;
Et puis c'est un fi grand trompeur,
Que je tremble qu'il ne m'abufe.
Si je réuffis , quel bonheur !
Sinon mon ſexe eft mon excufe ;
Et l'âge parle en ma faveur.
A O UST. 1756 .
Tout foible que foit mon ouvrage ,
On ne peut que m'en eſtimer :
Peu de filles , & c'eft dommage ,
Ont l'heureux , talent de rimer.
Pour une ou deux dont le génie
Fut favorisé d'Apollon ,
Il en eft cent qui de leur vie
N'ont connu le facré vallon.
Ainfi , Monfieur , j'efpere que fous vos
aufpices , le Public me tiendra compte de
la hardieſſe de l'entreprife , & que ma
bonne volonté fera oublier mon peu de
talent. Que je fuis fâchée de vous importuner
pour fi peu de chofe , & de vous
demander dans votre Recueil une place ,
que par le choix judicieux qui vous guide
toujours , vous pourriez remplir plus avantageufement
pour vos Lecteurs ! mais pardonnez
à ma jeuneffe la fureur de fe voir
imprimer , ou plutôt le défit de regagner
un infidele. Cet aveu m'eft échappé , &
j'en rougis :
Mais quoi ! quand l'amour eft extrême :
Le dire , c'eft le foulager. "
Ah ! quand on perd tout ce qu'on aime ,
On n'a plus rien à ménagér !
J'ai l'honneur d'être , &c.
Cb ***
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
EPITRE
A M. B****
QUoi ! pour aimer une autre belle
Ingrat ! vous ofez me quitter !
Mon coeur pourroit s'en irriter ;
Mais vous êtes un infidele ?
Que je ne veux point regretter.
Si je vous en faifois querelle ,
Vous croiriez que je vous rappelle ,
Et ce feroit trop vous flatter.
De votre conquête nouvelle
Jouiffez tant que vous pourrez ;
Je ne fuis point jalouſe d'elle ,
' Et tous deux vous m'amuferez ,
D'aimer toujours avec conftance ,
Vous avez fait mainte afsûrance ;
Je ne fçais trop fi vous tiendrez :
enflammer ma rivale , Mais pour
Vous aimez donc bien ardemment ?
Une fontaine minérale
Ne s'échauffe pas aisément
Si votre famme la confume ,
Je vous en fais mon compliments
Mais un feu qui fi fort s'allume ,
Souvent s'éteint plus promptement ,
Et je craindrois à votre place
A O UST. 1756. $5
•.
C
D'en être la dupe à la fin .
Si vous alliez un beau matin
Vous métamorphofer en glace ,
N'auriez-vous pas bien réuffi ?
Oh ! pour le coup , notre beau Sire ,
Vous regretteriez notre empire;
Mais ce feroit trop tard auffi :
Pour moi , je n'en ferois que rire ,
Et de bon coeur afsûrément.
Pourquoi d'une Nymphe aquatique
Vous avifez-vous d'être Amant ?
Déja ce froid engagement
Vous a rendu mélancolique :
Ce n'eft point là votre élément ,
Et votre coeur eft de fabrique
A traiter l'amour plus gaîment .
De ceci n'allez pas conclure
Que je cherche à vous ratrapper ;
J'y perdrois trop , je vous le jure ,
Et puis à la moindre avanture.
Vous pourriez encore m'échapper.
Il faudroit donc paffer ma vie-
A courir après votre coeur.
Oh le rôle feroit flatteur !!
Je ne me crois pas très -jolies
Mais à mon âge , en vérité ,
On peut encor fans vanité ,
Attendre qu'un Amant nous prie..
Vous pourriez fort bien me prier ..
107
2
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
Sans en obtenir davantage ::
Votre inconftance eft un outrage ..
Qu'il n'eft pas aifé d'oublier.
Mais fi j'en étois là , peut- être
L'amour pourroit me ramener.
Adieu , je vous fais trop connoître
Qu'on peut encor vous pardonner.
Par Mlle Ch *** .
LE mot de l'Enigme du fecond Volume
du Mercure de Juillet eft les Mouchettes .
Celui du Logogryphe eft Pfalterion , dans
lequel on trouve Lion , Paris , or roſe ,
lis , fi , re , Loi, o , Troye , talon , Ariofte ,
Sénat , Platon , raifon , Nil , Jonas , paon ,
Santé , pion , pié , prifon , penfionnaire .
ENIGME
Aloux de conferver ma place ;
Je me mets fur les bras de dangereux rivaux
En la cédant de bonne grace ,
Que je m'épargnerois de maux !
Pour réfifter aux violences
Que l'on me fait pour fe l'approprier
Sans être loup ni fanglier ,
Je fais voir que j'ai des défenſes.
A O UST. 1756.
On me perce
On me bat , on m'enleve la peau ,
de coups , on me faute à la faces
Je bats des flancs , & je terraffe :
On m'attaque tout de nouveau .
Si le Cavalier que je porte
Ne fe hâte dans ce moment ,
S'il ne me prête pas main forte ;
Ou s'il le fait trop foiblement ,
Mon ennemi , redoublant fon audace ;
Me fait à la gorge ; & plein d'acharnement ;
S'obftine à me preffer impitoyablement
Jufqu'à ce qu'il foit le maître de ma place.
LOGOGRYPHE.
TEl qu'un éclair perçant la nuë ;
Je fuis & j'échappe à la vue.
A peine forti du néant ,
J'y retombe dans le moment ;
Et l'inftant qui me donne l'être ,
M'éclipfe & me fait difparoître.
Malgré mon état paffager ,
Lorſque l'on veut me partager ,
Par d'heureufes métamorphofes ,
On me transforme en bien des chofes
Et je préfente aux yeux
Du Lecteur curieux ,
Un Tribunal Romain ; l'Amante de Narciffe ;
MERCURE DE FRANCE.
Un péché capital ,
Qui met l'homme au niveau d'un féroce animal?
Ce qu'on nomme en françois un foupir à la
Suiffe :
Un Favori de l'aveugle Plutus ;
Et la Prêtreffe de Vénus ,
Qu'un défefpoir affreux ( effet d'un coeur trop
tendre )
Unit au fort fatal du malheureux Léandre :
La Nymphe , mere d'Epaphus ,
Donnée en garde au furveillant Argus :
Une note en plain- chant , un terme de mufique
Un produit de l'abeille ,un Saint de Montpellier ,
Qui tient rang aù mois d'Août dans le Calendrier ;
Une Ville au corps Helvétique ;
Pour les Chaffeurs , un bruyant inftrument ;
Pour les Prélats un vêtement ;'
Pour lever des fardeaux , un Engin méchanique :
L'Oiseau chéri des anciens Romains ,
Qui fauva par fes cris ces fiers Républicains :
Une voiture publique
Avec fon conducteur :
Une certaine plante
Qui , par le frottement de fa feuille piquante,
Sur la peau des humains , caufe de la douleur :
L'objet ruineux d'un fouffleur.
Si mes huit membres tu tranfpofes ,
Tu formeras , Lecteur , toutes ces chofes ;
Mais tu voudrois fçavoir mon nom ! !
4
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR , LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
Chanfon
Lent et tendre.
Toutditqu'ilfaut aimer Coutdit qu'il fautse
w
= rendre Mais qui sçait s'enflam
= mer Peut seul le bien compren :
= dre On nous oppose en vain La rai=
= son
rigoureu- se Le plaisir est cer :
the
tain Et la peine est douteuse
Gravée par M Leclair la fille.
Imprimée par Cournelle . Aoust 1756.
A O UST. 1756.
On s'en apperçoit à ta miné :
Arrange, difpofe , combine ,
Tu l'apprendras par la combinaifon,
CHANSON.
Tout dit qu'il faut aimer
Tout dit qu'il faut fe rendre :
Mais qui fçait s'enflammer ,
Peut feul le bien comprendre.
On nous oppofe envain
La raiſon rigoureuſe ;
Le plaifir eft certain
Et la peine eft douteufe.
L'onde fuit un penchant
Comme la tourterelle.
C'eft par le fentiment .
Que tout feerenouvelle .
Dans l'hyver tout languit ,
Et tout perd fa parure.
L'indifférence nuit
A toute la nature.
Près d'un charmant objet ;
Quelquefois on fommeille,
Le bien le plus parfait
$ 8 MERCURE DE FRANCE
N'a rien qui nous réveille ;
C'eft qu'il faut du défir ,
Sentir la pointe aimable
Pour goûter du plaifir
Le charme inexprimable.
Eglé perd fes appas ,
Elle eft méconnoiffable ;
C'eft qu'elle n'aime pas ,
Ou qu'elle eft intraitable.
Si de fon jeune Amant
Elle effuioit les larmes ,
Un jour , un feul moment
Lui rendroit tous fes charmes.
A Philis l'autre jour
Je tenois ce langage ;
Elle craignoit l'amour
On le craint à fon âge .
De mes tendres difcours
Son coeur fut le falaire :
On réuffit toujours
Quand on a l'art de plaire.
Les paroles font de M. de B... la mufique,
de M. de la Garde , Maître de Musique des
Enfans de France.
Les Vers fur Mahon au prochain Mercure.
A O UST. 1756.
89
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie Royale de Nîmes , qui fe tint
le 13 Mai 1756 , dans la Salle de l'Hôtel
de Ville.
M. l'Abbé de Mérés , Vicaire Général
du Diocèfe & Directeur de l'Académie
ouvrit la Séance par un Difcours fur les
véritables caufes de la décadence du goût.
Il ramaffa d'abord ce qu'ont dit les anciens
Auteurs fur ce fujet. Ils fe plaignoient de
leur temps de la décadence du goût , du
dépériffement des Belles - Lettres , de la
chûre des Arts & de la véritable éloquence
; mais dans toutes ces Differtation's , il
n'en eft aucune qui donne la raifon d'un
fi grand défordre dans la République Littéraire
. Ce ne font que des conjectures
jettées au hazard fur le papier , des raifon
nemens vagues qui ne déterminent rien .
C'eft la jaloufie du deftin , la loi fatale des
temps qui détruit toutes chofes , la nature
98 MERCURE DE FRANCE.
même des chofes humaines dont le fort
eft de périr miférablement , quand elles
font arrivées à un certain point de grandeur.
Il n'auroit pas dû fuffire à des Auteurs
fi renommés d'ailleurs , de parler &
de gémir fur de fi grands maux , fans en
indiquer en même temps les caufes & les
remedes .
La plupart des Auteurs modernes ont
déploré , comme les Anciens , la décadence
du goût , fans être plus exacts ni plus heureux
à en découvrir les véritables caufes.
C'eft ne rien dire en effet que d'attribuer
aux caufes phyfiques la chute des Arts &
la décadence des efprits . Peut- on croire
que le climat & la différente température
de l'air air influé fur le goût d'une Nation
& changé l'efprit d'un fiecle ? C'eft un air
qui regne pendant un certain temps dans
une contrée ; il difpofe mieux les organes ,
il affecte le fentiment , il donne une plus
grande intelligence... Il valoit autant que
ces Auteurs ajoutaffent que c'eft un bon
vent qui fouffle la littérature & qui la conduit
à bon port. Mais ce fyftême tout ingénieux
qu'il a paru à bien des gens ( Amateurs
fans doute de tout ce qui porte l'em+
preinte de la nouveauté ) , comment lé
concilier avec cette inégalité de génie &
de talens dans les hommes d'une même
A O UST. 1756.
Nation & d'un même fiecle ? Le dégré du
thermometre devroit être égal , ce femble ,
pour les uns & pour les autres.
à
M. l'Abbé de M. après avoir rapporté &
réfuté en partie ce que la plupart des Auteurs
ont imaginé fur ce fujet , s'eft attaché
prouver en peu de mots que la décadence
du goût ne venoit en effet que de ce qu'on
négligeoit les exercices Académiques , ou
de ce qu'en les fréquentant , on ne s'entietenoit
pour l'ordinaire dans ces Séances
littéraires , que d'inutilités , de minuties ,
de frivolités , de difputes de mots , &
qu'on ne s'y occupoit prefque plus de ce
qui pouvoit intéreffer le progrès des Arts
& des Sciences.
*
M. Razoux , Docteur en Médecine , lut
enfuite un Mémoire qu'il divifa en trois
parties. Dans la premiere , il traita des
apothéofes en général , de leur origine &
des cérémonies qu'on y obfervoit . Dans
la feconde , il fit voir ce que l'apothéose
d'Augufte eut de particulier ; & dans la
troifieme , il parla du Temple élevé dans
Nîmes à ce Prince déifié , & des Prêtres
qui le deffervoient . Comme les deux premieres
parties de ce Mémoire roulent fur
des matieres affez connues , nous nous contenterons
d'en avoir rapporté les titres , &
nous nous bornerons à donner un Extrait
de la derniere.
92 MERCURE DE FRANCE.
M. R. après avoir décrit les particularités
de l'apothéofe d'Augufte , & avoir
parlé des Temples qui furent érigés à ce
Prince dans Rome & dans les Provinces de
l'Empire , s'exprime ainfi : « Il eft aifé de
"
"
comprendre qu'après tous les bienfaits
» que nos Ancêtres avoient reçu d'Auguf-
» te , qui leur avoit envoyé une Colonie ,
qui leur avoit accordé le droit latin , qui
» avoit rendu cette Ville , pour ainfi dire ,
» l'émule de Rome ; il eft , dis- je , aiſé de
» comprendre que nos Concitoyens ne
»furent pas des derniers à fui élever un
Temple : il étoit même jufte qu'ils lui
témoignaffent par là leur gratitude. Les
ود
"3
"
» Hiftoriens de notre Patrie conviennent
" tous de ce fait , & donnent plufieurs de
»nos Infcriptions pour garans. Comme
» elles font affez connues , je ne rapporte
» rai que celle- ci :
SANCTITATI IOVIS ET AVGVSTI
SACRVM LVCILIVS CESTI F.
» Peut- être pourroit- on rapporter au mê-
» me fait les quatre fuivantes , qui ont
» été trouvées dans les déblais de notre
» Fontaine. Elles font dépofées dans le
» Temple vulgairement nommé le Temple
» de Diane , & elles n'ont point encore été
publiées. La premiere eft ainfi :
29
A O UST. 1756 . 93
MARTI AVGVST. SACRVM
CN. POMP . CN. F. VOLENS , Id eft. datus decreto
D. D. D. L. pecurionum locus.
» La feconde eſt un peu frufte , on la remet
facilement , la voici telle qu'elle eft :
و د
VICTOR ... AVG. M. VALERIVS
T
SEVERVS PONIF . EX STIPE VELA
ET ARAM
Il peat y avoir au commencement victori
» Augufto , ou victoria Auguſta , & à la fin ,
» pofuit ou dicavit.
La troifieme confifte en ces deux mots :
VENERI AVGVST,
La quatrieme eſt ainfi :
NYMPHIS , AVGVSTIS SACRVM
TERTIVS BAEBI . F. L. DECVMIVS
DECVM. L. PONTINVS . MARTIA.
L. ANNIVS ALLOBROX . DE SVO.
a Mais il faut convenir qu'on ne peut
tirer de ces monumens que de bien legeres
inductions , & que fi nous n'avions
pas d'autres preuves du fait que nous
» avançons , on pourroit fort raifonnable-
» ment douter qu'Augufte , eût jamais eu
» un Temple à Nîmes. Mais l'exiftence
des Prêtres établis en l'honneur de ce
I
94 MERCURE DE FRANCE.
»Prince dans cette colonie eft fans contre-
» dit une démonſtration à laquelle on ne
» peut réfilter , car il ne peut y avoir des
» Miniftres & un culte établi qu'il n'y ait
» des Temples , & c » .
"
« Où étoit fitué ce, Temple ? continue
» M. R. C'est une queftion à laquelle le
" peu de veftiges qui reftent de ce monu-
» ment ne nous permet pas de répondre
» d'une maniere fatisfaifante ». Ici , M. R.
rapporte les diverfes conjectures des Auteurs
qui ont écrit fur les antiquités de la
ville de Nîmes , & en montre le peu de
folidité. « Pour moi , ajoute-t'il , ne vou
lant point hafarder de légeres conjectu-
»res fur un fujet fi douteux , j'aime mieux
dire fi on eft moralement affuré de
que
l'existence de ce Temple , on eft extrê-
» mement en doute du lieu où il étoit placé.
S'il falloit cependant donner mon
avis , je croirois volontiers que ce Temple
devoit être fitué aux environs de
» notre Fontaine près du baffin que nous
appellons des Romains . Les infcriptions
qu'on a trouvées en grand nombre dans
cet endroit , les colonnes , les chapiteaux,
»les marbres , les ftatues , & bien d'autres
2 reftes précieux me décideroient. Mais ce
33
و د
33
qui me paroît furtout bien convainquant
, c'eft un frontifpice que j'y ai vu
A O UST. 1756. 23
moi -même déterrer , & qui ne peut être
» que celui d'un Temple : il eft d'une trèsbelle
architecture d'ordre Corinthien.
" On y lit fur la frife en gros caracteres
» l'infcription fuivante : les lettres ont en-
" viron huit pouces de hauteur : elles font
» taillées dans la pierre à cinq ou fix lignes
» de profondeur : on diftingue encore la
place des crampons qui tenoient des lettres
de cuivre ou de quelqu'autre métal
و ر
"» doré.
RESPUBLICA NE ... / .... SESIS ..., RMO QUE
IMPERATORIS CI... SARIS . AV . IŠTI. TE.
و د
Et au - deffous , fur la pierre qui paroît
» avoir formé l'architrave , en plus petits
», caracteres ,
ود
M. GRIPPA.
Tout le monde fçait qu'Agrippa , gen-
» dre d'Auguſte , fut Proconful des Gaules
, ne feroit- ce pas lui qui auroit fais
la dédicace de ce Temple ? &c» .
M. R. parle enfuite des Sextumvirs Auguftaux
, fait voir qu'elles étoient leurs
fonctions , & rapporte les infcriptions qui
lui fervent de preuves. En voici deux qui
font moins connues que les autres. La pre
miere eft dédiée aux Sextumvirs .
VI. VIRIS AVGVSTALIBVS.
41
96 MERCURE DE FRANCE.
On a trouvé la feconde dans un jardin de
cette ville , fur une pierre de trois pieds
de haut , & d'un pied onze pouces de
large.
.ec
"3
L. IVLIO Q. F. VOL . NIGRO
ÌÏIÏVIR. AB. AER. IIÏVIR. AVG.
P
COR. NEMAVSENS . L. P. D. D.
Mais les plus fingulieres de toutes ces
infcriptions , font celles qui parlent des
» Flamines Auguftales. Nous en avons plufieurs
rapportées par les Antiquaires ».
M. R. fait voir que Gruter & Jufte Lipfe
n'ont pas donné celle-ci exactement. Grut.
pag. 323. Num. 11 .
,,
D. M.
SAMIAE ET FIL. SAVERINAE FLAMINI
AVG. NEM. C. TERENTIVS ANICETVS
"
AMICAE OPTIMAE ET SIBI.
Jufte Lipfe , fol. 152. No 18. au lieu
de ET FIL , met Q. FIL. & il ajoute à la fin
V. P. Vivens , pofuit. Ce dernier Auteur
s'eft moins écarté de la véritable leçon :
nous pouvons affurer cependant que le
V. P. n'y eft point. Quant au change-
» ment des deux premieres lignes , nous
ne pouvons en décider , parce qu'on a
» adoffé un éperon contre le mur où eft
cette pierre , qui par-là eft cachée en
» partie.
A O UST. 1756. 97
2
و د
39
20
و د
partie . La voici très -exactement copiée ,
telle qu'elle paroît .
•
M.
. MIAE. Q. FIL.
• SRINAE
• INI AVG. NEM.
.RENTIVS
. ETVS AMICAE.
• MAE ET SIBI .
« Si l'on me demande , continue M. R.
qu'étoient ces Flamines ? je répondrai
qu'elles étoient fans contredit les Prê-
»treffes d'Augufte : mais le mot flamine
n'emporte- t'il point avec lui la fignifica-
»tion de Prêtreffes à oracles , nam flamen
» à flatu ? Je tiendrois pour l'affirmative
» & en ce cas le Temple d'Augufte à Nî-
» mes , auroit un Temple à oracles. Je
» fuis bien certain au moins que ce Prince
»en a eu de pareils. Prudence nous l'af-
"fure , & cela peut fortifier ma conjecture.
Mais ces Flamines ne feroient-
» elles pas les femmes des Prêtres Auguf
taux Si l'on adoptoit ce fentiment ,
"nous n'y perdrions rien , & au lieu de
Flamines Auguftales , nous aurions des
Flamines Auguftaux . Il feroit cependant,
» affez fingulier que les Infcriptions nous
euffent confervé les noms des femmes
ور
22
E
100 MERCURE DE FRANCE.
50
99
ود
→ fait dans le monde ; c'eft pour la premiere
fois qu'elle fe montre dans un cercle ,
» elle n'apporte pour parure que fa candeur
& fon ingénuité : c'eft le feul fard
qu'elle connoiffe . Autour d'elle fe ran-
» gent l'envie , la diffimulation , la duplicité
: fur fes levres & fur fes yeux fe peignent
fa candeur & fon innocence , elle
» jouit du calme le plus précieux : que ne
peut- elle prolonger un jour fi férein & fi
beau ! Mais non , fon bonheur ſera de
» peu de duré tant de graces & de naï-
» veté attachent & font impreffion. Déja
je vois des hommes empreffés à lui plaire,
» lui préparer mille écueils qu'elle ne connoît
feulement pas : quels fecours aura-
» t'elle pour les éviter ? Les bienfaits , les
foins , les égards , font les armes employées
à fa défaite : l'exemple eſt ſon
» premier féducteur. Bientôt on lui fait
» entendre que la vertu eft un vain nom
و د
»
la modeftie un art , la retenue une foi-
» bleffe de tous les pieges qui l'environ-
» nent , le plus délicat eft celui des bienfaits
: la reconnoiffance eft un fentiment
» dont elle connoît le langage ; elle de-
» mande des droits que le devoir refuſe ,
» ce font deux fentimens qui fe combat-
» tent l'un l'autre : fi le penchant écarte
» la barriere qui arrêtoit encore ce coeur
A OUST 1756. 101
» irréfolu , peut- il ne pas fe laiffer furprendre
il falloit lui faire connoître
» plutôt le monde , & fes pas euffent été
» moins difficiles & moins dangereux . »
M. G. prouve par des exemples connus ,
que les femmes font capables d'acquérir
en tout genre la même gloire que les plus
grands hommes . Les Jeannes d'Arc, les Elifabeth
, les Souveraines de Hongrie & de
Ruffie, d'une part ; de l'autre , les Sapho , les
Sévigné, les Graffigni , &c. font les preuves
qu'il en apporte. «On ne les croit , ajoutet'il
, incapables des grandes vertus , que
" parce qu'on n'a rien fait pour les faire ود
ود
"3
éclorre : mais elles ne nous font voir
» que trop fouvent qu'elles ne les doivent
» qu'à elles feules , & alors elles n'en font
» que plus éclatantes. Ne pouvant confer-
» ver une fupériorité qui nous échappe &
» qu'on fent bien qu'on a ufurpée , on
voudroit par de fauffes accufations jouir
plus long- temps d'un droit dont on con-
» noît toute la foibleffe : on ne ceffe ni de
» les aimer , ni de s'en plaindre : il femble
qu'il fait auffi difficile de fe défendre de
» l'un que de l'autre . Elles font , dit- on ,
» inconftantes , légeres , ce font là les re-
» proches qu'on leur fait chaque jour :
» mais les hommes font- ils moins inconftans
, moins légers qu'elles ? &c. ... Ik
"
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
» faut que les femmes ayent des vertus
»bien folides , puifque malgré nos mau
"
93
vais exemples , & avec un coeur ouvert
» aux paffions , elles ont de la retenue ;
puifque malgré notre art pour les fur-
» prendre , elles ont des moeurs ; puifque
malgré notre irréligion & nos fauffes
» maximes , elles ont de la piété : bien
» loin de chercher à fortifier des vertus fi
" effentielles , on cherche le plus fouvent
» à les détruire ; il faut qu'elles luttent
» fans ceffe , & contre elles- mêmes & contre
nos efforts : eft- il une victoire plus
» difficile & plus flatteufe ? »
ود
M.G. termine fon Difcours en difant que
les femmes doivent rentrer dans leurs droits
La nature l'ordonne , dit-il , & c'est par
» la voie des fentimens qu'elle nous montre
la place qu'elles doivent tenir. Si elles
apportent au monde plus de dons naturels
, pourquoi en être jaloux ? C'eſt un
dépôt que leur fait la nature pour les
dédommager des peines dont elle nous
difpenfe : nous fommes coupables fi nous
rendons fes bienfaits inutiles. »
»
ود
53
M. le Beau de Schofne , dis Académies
'de Nîmes & d'Auxerre , fit la lecture d'une
Ode fur la Guerre préſenté.
M. de Serviés Vallongue , Chancelier ,
termina la Séance par le Difcours fuivant :
A O UST. 1756. 7103
Le génie eft-il préférable à l'efprit 2
ce paradoxe eft révoltant au premier, coup
d'ail: mais combien de queftions que
l'on regarde comme décidées rentreroient
du moins dans la claffe des problèmes ,
fi nous arrachions le bandeau de la prévention
& du préjugé. Le génie eft fans
doute une des plus belles prérogatives de
l'humanité : il a les plus grands avantages ,
mais il eft fujet aux plus grands écarts.
Il eft fouvent dangereux pour la fociété.
L'efprit orne les productions du génie ,
il eft l'ame de la fociété , il en fait les
délices .
"
« Tel eft le fort des plus brillantes
facultés humaines : elles portent d'un côté
l'empreinte de la Divinité dont elles
émanent ; de l'autre , le caractere ineffaçable
de notre mifere & de notre
néant. Le génie eft fujet à cette loi
»commune : plus il éleve l'homme au def-
» fus de lui -même , plus il l'abaiſſe & l'hu-
» milie par fes écarts. »
"
"
Ici l'Orateur parcourt les divers genres
de littérature , & prouve.combien le génie
eft inégal & quelquefois inférieur à luimême.
Newton a renouvellé dans fon
fyftême fur la lumiere & les couleurs , les
abfurdités de la vieille philofophie , en
difant que la matiere lumineufe a une
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
efpece d'horreur du vuide . Rouffeau eft
tout à la fois l'Auteur de l'Ode à la Fortune
, des Poëfies facrées , &c. & de plufieurs
Pieces de Théâtre indignes d'un fi grand
homme. Plufieurs exemples lui fervent à
démontrer que le génie eft fujet à de
grands écarts dans la littérature. Il n'eft pas
moins dangereux pour la fociété. Le génie
connoît fa fupériorité , il ne peut fouffrir
de rivaux. En effet , une fociété dont tous
les Membres feroient des génies fupérieurs,
ne pourroit fubfifter : bientôt tous les états
confondus travailleroient à détruire cette
harmonie , cette dépendance réciproque
qui eft l'ame de toute efpece de gouvernement
chacun fe fentant en état de
commander , perfonne ne voudroit obéir.
» Reconnoiffons ici la Souveraine Provi-
» dence qui a mis dans nos ames , comme
dans nos fortunes , une différence nécefpour
maintenir l'équilibre. Le génie
feroit moins rare s'il n'étoit dange-
» faire
و د
a reux.
Dans la feconde Partie , l'Orateur parcourt
les avantages de l'efprit.
de l'efprit . « L'efprit
" dit- il , prête de nouvelles graces à toutes
» les parties de la littérature ; il répand des
charmes non feulement fur la poëfie ,
l'éloquence , les pieces de théâtre ( c'eft
» là pour ainfi dire fon domaine ) , mais
199
A O UST. 1756 : 105
» même fur les fciences plus abftraites.
» Nous devons les progrès qu'a fait pref-
» que de nos jours la Phyfique à des Phi-
"
ود
"
و ر
و د
و د
و د
و د
lofophes aimables , qui l'ont dépouillée
» de l'air pédant & fcientifique qu'elle
» avoit confervé fi long- temps , & ont
» ſubſtitué à un jargon barbare & inintelligible
les graces d'un ftyle pur & léger
qui , s'il ne diminue les difficultés , les
préfente du moins fous un afpect riant
» & c'est beaucoup. Il faut convenir , con-
» tinue l'Orateur , qu'il eft des genres où
l'efprit lui-même eft un écueil . Combien
d'Orateurs Sacrés ont la ridicule manie
» de coudre de l'efprit partout ,, de mettre
» l'Evangile en épigrammes ! Combien
d'Hiftoriens diffus trop chargés de fleurs,
» enfeveliffent la vérité de l'hiftoire fous
» un tas d'ornemens étrangers ! Il est une
éloquence propre de chaque fujet dont
l'efprit doit nous faire appercevoir les
» nuances. Si quelquefois il s'égare , il
plaît jufques dans fes écarts ; il eft l'ame
» de la fociété , il eft le de l'enjoucpere
»ment & de ces faillies aimables qui font
le charme des converfations. L'efprit in-
Alue fur nos fentimens : fans lui l'on ne
peut fentir avec une certaine délicateffe
» l'amitié , la reconnoiffance , paffions
douces & tranquilles qui donnent fans
و و
ود
ود
و د
و د
ود
»
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
ور
doute les feuls vrais plaifirs , parce qu'ils
» font fans remords.... L'efprit adoucit
» nos défauts ; par lui l'orgueil devient
plus traitable , l'opiniâtreté moins aigre ,
l'humeur plus liante , la débauche même
» moins crapuleufe....
ود
و ر
و ر
» Enfin l'efprit corrige les écarts du gé-
» nie , il orne fes productions. C'eft lui
qui fait d'un Mathématicien , d'un Géo-
» metre profond un homme aimable , qui
fçait répandre de l'agrément fur les ma-
» tieres les plus arides : en un mot , l'efprit
» eft néceffaire au génie , je ne fçais fi le
génie eft auffi néceffaire à l'efprit.
و د
"3 99
M. de Serviés Vallongue réfuma enfuite
de mots les Difcours prononcés à la
en
peu
Séance.
PROJET d'un Gloffaire François . Ce
Projet que l'on trouvé chez Guérin & De
la Tour , rue S. Jacques , à S. Thomas
d'Aquin , mérite la reconnoiffance des Sçavans
, & l'applaudiffement de toutes les
perfonnes qui veulent pofféder la Langue
Françoife dans fon origine , & particuliérement
de celles dont l'état exige cètre
connoiffance fi rare & jufqu'à préfent fi
difficile . Pour donner une idée exacte de
la perfection avec laquelle il fera exécuté ,
il fuffiroit de nommer ' M. de S. P ... de
A O UST. 1756.. 107
fe
Académie des Belles - Lettres , par qui il
a été formé , & M. l'Abbé Guiroy , Cenfeur
Royal , que cet Académicien s'eft
affocié pour s'adoucir le poids de fa charge,
& pour le répondre à lui - même du
fuccès de fon travail . On doit regarder ce
Gloffaire comme une fource féconde &
intariffable d'avantages pour les Lettres ,
& conféquemment pour la Nation . On enrend
par Gloffaire , une explication générale
& authentique des termes inufités de
la Langue ancienne d'un pays . Nous avons
donc bien raifon d'appeller préfent ineftimable
, le Gloffaire qu'on nous annonce.
L'on n'ignore point que c'eft dans la Langue
de nos Ayeux que font confignés les
termes de nos Loix , de notre Coutume ,
de notre Droit Féodal , & des redevances
qui en résultent ; de notre Milice , de nos
Arts , & de nos Métiers , de nos Manufactures
, de notre Commerce , de nos
Monnoies , des Mefures tant de nos grains
& de nos boiffons , que de nos héritages ,
& une infinité d'autres qu'il eft aifé de
fuppléer ( 1 ) . Quoique le but principal de-
(1 ) A combien d'erreurs ne remédiera pas la
lumiere bienfaifante qu'on va répandre fur ces
termes , dont la plupart fent fi inexplicables fans
ce fecours , & beaucoup d'autres fi nécefaires, à
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
cet Ouvrage foit de donner ou de faciliter
l'intelligence du langage de nos anciens
Ecrivains , on ne fe bornera pas cependant
à rapporter tous les mots dont ils fe
fervent , & qui font maintenant inufités :
on y joindra les mots qui nous font encore
familiers , mais qui eurent autrefois une
fignification différente de celle que nous
leur donnons. On s'attachera dans tous ces
articles à démêler d'abord leur fens propre ;
enfuire on expliquera , fuivant l'ordre progreffif
des idées , qui paroîtra le plus naturel
, les autres fignifications plus étendues
& quelquefois détournées qu'ils ont
eues depuis ; foit qu'ils aient confervé la
même forme , foit qu'ils aient éprouvé
quelques altérations. Ainfi les efprits les
plus difficiles , de même que les plus pareffeux
& les moins intelligens , auront
également lieu d'être fatisfaits & de profiter
infiniment . Il faut s'inftruire dans le
projet même de toutes les vues de l'Auteur
& de toutes les parties qu'aura l'Ouvrage.
Nous penfons qu'après l'avoir lu ,
on trouvera nos louanges bien foibles , &
qu'on aura autant d'impatience que nous de
voirparoître dans fa perfection ce tréfor lit-
Pintelligence de tout un article , & fouvent de
toute une loi , ou de tout un uſage.
A O UST. 1756. 109
la
téraire. Comme M. de S. P ... & M. l'Abbé
Guiroy , font pour la Langue Françoife ,
ce que le célebre Du Cange a fait pour
Langue Latine ; il y a tout lieu de préfumer
qu'ils auront le même fuccès . Ils font
fondés d'autant plus à s'en flatter que leur
travail eft plus intéreffant pour nous ,
puifqu'il tend à mieux éclaircir notre
idiôme.c
cée
pour
PRÉCIS de l'Effai fur les intérêts du
Commerce national pendant la guerre , ou
des Lettres d'un Citoyen fur la permiffion
de commercer dans les Colonies , annonles
puiffances neutres .
Perfonne n'ignore dans les circonftances
où le trouve aujourd'hui la France , combien
il eft intéreffant pour elle que fes Colonies
ne fouffrent point d'une guerre auffi
odicule qu'imprévue. Le projet de permettre
aux puiflances ncutres de commercer
dans nos Colonies pendant la guerre ,
a été propofé comme un des moyens les
plus favorables pour y entretenir l'abondance
& le débouché de leurs denrées.
C'est ce projet qui depuis longtemps a excité
tant de murmures , de plaintes , de
mouvemens , & de fermentation dans les
villes maritimes , & dans l'efprit de la plûdes
Négocians ; c'est ce projet infpir part
TO MERCURE DE FRANCE.
par un homme de génie , préfenté par les Dé+
putés du Commerce , applaudi par un Minifte
éclairé , dont l'Auteur de l'Effai fur
les intérets du Commerce national , ou
des Lettres d'un Citoyen , a entrepris d'établir
& de prouver folidement les avantages
; & on peut dire qu'il y a très bien
réuffi . Il paroît s'être propofé trois objets
principaux. 1 ° . De faire voir le peu de
raifons qu'ont eu de fe plaindre de ce projet
ceux furtout qui ont été les premiers à
élever la voix. 20. De réfuter les objections
formées contre ce projet. 3 °. D'en
développer les principaux avantages tant
par rapport aux Colonies que pour l'Etat ,
& pour les objets mêmes für lefquels tombent
les objections..
Après avoir mis, dans fa premiere lettre,
le Lecteur au fait de l'état de la queſtion ,
& lui avoir indiqué la route qu'il va tenir,
l'Auteur dans la feconde , fait voir que de
toutes les villes de Commerce qui fe font
foulevées contre le projet de l'admiſſion
des Neutres au Commerce de nos Colonies
, Nantes qui a été la premiere à les
exciter , eft précisément celle qui y a le
moins d'intérêts parce qu'en général fon
Commerce ne confifte que dans le fret &
la commiffion ; qu'elle n'a aucuns fonds
réels
que ceux qu'elle tient de fon induf
A O UST. 1756. III
trie ; qu'elle eft comme ifolée entre les autres
Ports , fans relation fuivie avec les produits
de nos terres , fans intérêts directs dans le fort
de nos Manufactures , & de l'intérieur du
Royaume ; mais il leve le voile qui couvroit.
le véritable fujet des plaintes.
L'Auteur va plus loin , & prouve dans .
fa troifieme lettre que ce projet avanta
geux à toutes les Villes de Commerce , le
fera encore plus particuliérement à Nantes
qu'à toute autre .
#
Delà l'Auteur paffe dans fa quatrieme
Lettre aux Villes qui font le Commerce de
Cargaifon. Il établit ce que c'eft que le.
Commerce en général , & ce qui peut réellement
l'intéreffer. Il fait voir que la quef
tion des Neatres , devient par les circonf
tances , non une fimple queftion de négoce
, mais une queftion d'Etat. Pour la réfoudre
, il examine qu'elle fera l'influence
avantageufe ou défavantageufe de la permiffion
accordée aux Neutres , tant pour
nos denrées nationales , que pour le commerce
des Negres , & pour nos Manufactures.
Pour nos denrées nationales , il choifit
dans fa cinquième Lettre la ville de Bordeaux
pour exemple ; & après une peinture
vive & brillante de cette ville & du ca-
-ractere de fes habitans , qu'il tourne en
112 MERCURE DE FRANCE .
preuve pour fon fyftême , il fait voir que
les vins & les farines de Bordeaux , les
deux principales branches de fon Commerce
, ne fe déboucheront pas moins en
admettant les Neutres , qu'ils ne fe débouchent
ordinairement
en temps de guerre ,
& même qu'ils fe déboucheront plus favorablement
pour les Propriétaires. Les vins,
parce que ce font les feuls qui tranfportés
aux Colonies y foient potables ; plus favorablement
, parce que les Etrangers débiteurs
folides , n'enleveront que la partie
des vins dont fe fuffent chargés de petits
Armateurs témérairement entreprenants
,
fouvent infideles , toujours infolvables au
moindre échec , à qui le caractere des Habitans
, pétri d'ambition & de molleſſe
les leur eût fait confier trop légérement :
les farines , en ce que par la fupériorité
de leur nature & de leur qualité fur toutes
les farines étrangeres
elles confervent
aux Colonies cette même fupériorité dans
les prix , & qu'il fera bien plus de l'inté
rêt des Etrangers d'emporter aux Colonies
une moindre quantité de nos farines à
plus haut prix , pour importer au retour ,
une plus grande quantité de denrées coloniales
, que d'exporter une plus grande
quantité de farines étrangeres à plus bas
prix , pour ne charger au retour qu'une
>
•
A O UST. 1756. 113
moindre quantité de denrées des Colonies ;
que d'ailleurs , quand les Etrangers ne les
enleveroient pas , la quantité de farines
néceffaires pour l'approvifionnement des
Colonies eft fi peu confidérable , en comparaiſon
de celle du total du Royaume ,
que cette furcharge , bien loin de lui être
onéreufe , pourroit même tourner à fon
avantage.
Le commerce des Negres qui fait le fujet
de la fixieme Lettre , eft de la derniere
conféquence pour nos Colonies qui ne
peuvent cultiver leur territoire fans Efclaves
, & par conféquent pour le Royaume
qui profite de leurs cultures. Les Natio
naux ne pouvant continuer ce Commerce
pendant la guerre , du moins en proportion
fuffifante pour l'entretien des Colonies
, & le défaut d'importations de Negres
les faifant dépérir , comme il arriveroit par
l'exclufion des Neutres , l'intérêt même
des Négocians demande leur admiffion ,
qui confervera & augmentera même la
valeur des Colonies par d'utiles & abondantes
importations d'Efclaves dont les
profits reftés à la paix dans nos ports , dédommageront
avec ufure les Commerçans
d'une perte apparente ou momentanée .
L'objet des Lettres 7 , 8 & 9 fur l'intérêt
de nos Manufactures eft un des plus
114 MERCURE DE FRANCE.
intéreffans pour l'Etat , & qui a fourni la
matiere des plus fpécieufes objections , par
la crainte du déchet de nos Manufactures ,
& de la perte ou enlèvement de nos Ouvriers
, conféquente du premier malheur.
L'Auteur montre d'abord qu'il y a un trèspetit
nombre de Manufactures intéreſſées
à l'admiffion ou à l'exclufion des Neutres ,
& que ce petit nombre l'eft pour une trèspetite
partie de Denrées manufacturées.
2°. Que les Etrangers , en fuppofant leur
admiffion , enleveront à peu près la même
quantité de nos Denrées manufacturées
qu'ils enleveroient en temps de guerre ,
que tout fe réduit à un changement dans
l'efpece des Denrées enlevées. 3 °. Que
l'enlévement prétendu de ceux de nos Ouvriers
qu'on fuppoferoit fans occupation
par le déchet de nos Manufactures , eſt
une crainte purement chimérique , & que
quand ils s'en trouveroit quelques- uns par
le petit nombre & la nature de ceux qui
feroient fans emploi , les Etrangers n'en
pourroient pas profiter à nos dépens. C'eft
ce que l'Auteur prouve par des détails , &
des calculs de comparaifon d'une exactitude
& d'une préciſion bien peu commune
dans ces fortes de matieres.
Par une gradation ' fenfible d'intérêts
pour l'Etat , l'Auteur , dans les Lettres 10 ,
1
AOUST. 1756.
11 & 12 , paffe à l'examen de celui des
Colonies dans la queſtion actuelle . Il confidere
les Colonies comme Manufactures ,
& les Colons comme Propriétaires de terres
. Sous le premier rapport , les Colonies
font des Manufactures encore bien plus
précieufes que celles du Royaume . La part
que doivent avoir des Manufactures dans
l'intérêt général de l'Etat , fe calcule fur
leur produit numéraire , & fur l'emploi
plus ou moins confidérable des hommes
qu'elles occupent. C'eft par cette double
raifon que quand même ( ce que l'Auteur
n'admet pas ) l'interêt des Colonies fe
trouveroit en balance avec celui des Mar
nufactures de l'intérieur , les Colonies dee
vroient toujours emporter de beaucoup la
balance par leur poids politique ; 10. parce
qu'elles créent réellement les valeurs qu'elles
mettent en oeuvre , & qu'elles produifent
numérairement beaucoup plus fans
aucune comparaiſon , que la partie des Manufactures
du Royaume employée aux objets
de leurs conſommations ; 2 ° . parce
qu'elles occupent un bien plus grand nombre
d'hommes , & que leur dépériffement
en laifferoit beaucoup plus auffi fans emploi
& de bien plus propres à être enlevés
par les Etrangers.
Le point de vue fous lequel l'Autent
116 MERCURE DE FRANCE.
préſente les objections par lefquels les Négocians
veulent oppoſer l'intérêt du Commerce
à celui des Colonies , me rappelle
la Fable de la Poule aux oeufs d'or , dont le
maître l'égorgea pour jouir tout d'un coup
d'un tréfor qu'il croyoit trouver dans ſon
corps , & perdit ainfi par fa fottife le reve
nu qu'elle lui eût produit journellement ,
fi fa cruelle & imprudente avarice ne s'étoit
pas punie elle-même , en fe privant de
tout pour toujours par une avidité prématurée
& mal entendue. Tel eft le tableau
qu'il nous préfente des Négocians en général
dans cette occafion . Les Colonies font
l'ame de ce commerce dont ils reclament
fi haut les intérêts. Il ne fubfifte que par
elles & pour elles . Ils fe priveroient euxmêmes
comme l'homme de la Fable , des
gains que l'Etat floriffant des Colonies leur
eût procuré un peu plus tard , fi par l'excès
d'une avidité aveugle & mal concertée ,
ils vouloient fe conferver exclufivement
aux dépens des Colonies , & en les accablant
, un gain actuel & exhorbitant , dont
peut- être même les circonstances ils ne
jouiroient pas.
J
par
C'eft furtout dans la douzieme Lettre
où l'Auteur confidere les colons comme
Propriétaires & comme Citoyens , que l'on
peut juger de fes talens & de fa capacité.
A O UST. 1756. 117
Jufques là une grande connoiffance des
matieres dont il a été queſtion , des preuves
de fait bien développées , des calculs
& des détails bien approfondis avec beaucoup
de jugement , pourroient fuffire ; ici
l'éloquence & le raifonnement font les feules
armes qu'il puiffe employer pour prouver
la part que les Colons doivent avoir
dans cette portion de félicité diftributive
que l'Etat doit à tous les fujets qui le compofent.
C'eft furtout dans cette Lettre que
l'on eft à portée de juger de ce qu'auroit
pu l'Auteur dans une matiere plus amufante.
Contens de toutes , c'eſt une de
celles qui nous ont fait le plus de plaifir.
Satisfaits partout de l'étendue des lumieres
de l'Auteur , de la profondeur de fes
vues , de la jufteffe de fes raifonnemens ,
de la vivacité de fon zele patriotique , de
la force de fon coloris , on lit furtout avec
plaifir le tableau qu'il nous préfente du
luxe & de l'opulence de Nantes , dûs , ſelon
lui , à la feule induftrie ; celui de Bordeaux
& du caractere de fes habitans , &
cette douzieme Lettre qui termine ce petit
ouvrage , dont on trouve encore quelques
exemplaires à Paris , chez Duchefne , Libraire
, rue S. Jacques , au Temple du
Goût. Mais nous espérons que cet ouvrage
ne fera pas le dernier de l'Auteur , &
18 MERCURE DE FRANCE.
nous fçavons même de bonne part qu'il
fera inceffamment fuivi d'un autre de la
-même main , fur une matiere auffi inftructive
& auffi intéreffante , mais plus curieufe
& plus amufante pour la plupart
des Lecteurs . 1
LETTRE.
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Monfieur , j'ai lu dans le Mercure de
Juin la méthode que donne M. Pierre
Duval , pour trouver facilement & fûrement
la fomme qu'il convient de faire
affurer , pour être remboursé de fon capi
tal jufqu'à la plus petite fraction. Son opé
ration eft jufte , mais j'aurois défité que
l'explication en eût été plus claire , &
mieux raifonnée , je veux dire dans les termes
de l'Art . Il me femble que , fuivant le
principe de M. Duval , il eût été mieux dé
s'énoncer ainfi.t bandar teruk
Du nombre 100 qui fert de proportion,
il faut déduire le prix de la prime ; & comparant
le nombre qui refte avec le même
nombre 100 , dire : Si tel nombre , prime
déduire , eft la fomme que je reçois pour
Too 1. d'afurances pour recevoir le capi
A O UST. 1756: 119
tal de mes rifques , quelle fomme dois - je
faire affurer ?
Faifant l'application de ce principe à la
queftion propofée , on a cette proportion ,
100 17== 83 : 100 :: 1000 : x. C'eſtà
dire , 100 moins 17 , égal à 83 , eft à
100 nombre de proportion , comme 1000
capital de rifques , eft à x quatrieme terme
de la proportion . Achevant la regle de trois ,
il viendra pour la valeur de x la même
fomme de 204 l . 16 f. 4 d. qu'a trou
vée M. Duval. Mais il n'eft point d'uſage
de dire fi 83 eft égal à 1000 , à combien
100 le fera t'il ? Ce raifonnement eft faux.
Un nombre quelconque ne peut être égal
qu'à lui- même : 83 n'eft point égal à 1000 .
D'ailleurs , M. Duval devoit comparer 8:3
à 100 qui font les nombres de proportion,
quoique cet arrangement foit indifférent
pour l'opération , puifque les moyens
font toujours les mêmes.
*
J'ai eu l'honneur de vous envoyer la
folution du même Problême , quoique
j'aye opéré for un principe différent de
celui de M. Duval : mon calcul me donne
la même proportion.
830 : 1000 :: 1000 : x , car 83 : 100 ::
830 : 1000 par conféquent j'ai pour la
valeur de x la même fomme de 1204 liv.
16 f. 4 d. 13
1
52
83•
120 MERCURE DE FRANCE.
Pour avoir ma proportion , j'ai confidéré
, c'est-à- dire , 100 divifé par 17
comme l'expofant d'une progreffion Géométrique
defcendante , dont le premier
terme eft le capital de mes rifques , & le
dernier doit être zero.
Ainfi dans le Problême propofé , divifant
1000 par l'expofant , j'ai pour le
fecond terme de ma progreffion 170 : divifant
ce fecond terme par le même expofant,
j'ai 28 1. 18 f. pour troifieme terme : continuant
les divifions à l'infini , je trouverois
tous les termes de la progreffion . Mais
comme il fuffit d'avoir les deux premiers
termes d'une progreffion pour en
trouver tous les termes , je me fuis fervi
de cette analogie : 830 , différence des
deux premiers termes 1000 & 170 , eft au
premier terme 1000 , comme le même
premier terme 1000 eft à la fomme de
tous les termes ; ce qui s'exprime ainfi :
830 : 1000 :: 1000 : X.
De cette proportion je tire une regle
générale pour la folution de ce Problême
ou autre femblable. Il faut quarrer le capital
des rifques , c'eſt- à - dire , le multiplier
par lui-même & divifer le produit
par la différence qui fe trouve entre ce
même capital & le prix de fa prime : le
quotient donnera le nombre demandé.
Dans
A O UST. 1756. 121
Dans le même exemple le quarré de
1000 eft 1000000,
Le prix de la prime eft 170
La différence eſt 830 & divifant
1000000 par 830 , le quotient donnera
1204 l . 16 f. 4 d. , & c'eft la fomme
qu'il faut faire affurer pour être rembourfé
en plein ; Démonftration , 100 : 17 :
1204 l . 16 £. 4 d. 13 : 204 l . 16 f. 4 d . 1 . f. 8
83
L'article de l'Ordonnance de la Marine
fur laquelle M. Duval demande une explication
, eft énoncée dans les mêmes termes
dans toutes les éditions : quoique fa
difpofition lui paroiffe contraire à l'équité,
en ce que de deux perfonnes qui courent
en apparence le même rifque , le Donneur
à la groffe eft préféré à l'Affureur : cependant
, en l'examinant dans l'efprit du Légiflateur
, il eft également jufte & raifonnable.
Le Donneur à la groffe dans l'hypotheſe
de M. Duval ,, a réellement fourni une
fomme de 1500 liv . au lieu que l'Affureur
a reçu la prime fur une pareille fomme
de 1500 liv . Dès-lors ils ne font donc
plus à conditions égales. L'argent du premier
a fervi à l'achapt des effets qui compofent
le chargement du Navire, l'autre n'y
contribue en rien ; enfin il y a confufion
des effets provenans de l'argent de groffe ,
F
122 MERCURE DE FRANCE.
& des effets affurés , & il eft raisonnable
& jufte que celui qui a fourni fon argent ,
& contribué au chargement du Navire ,
foit préféré à un Affureur qui n'a rien
d'effectif fur le Navire perdu.
Monfieur , je vous ai envoyé la folution
d'un Problême inféré dans le fecond
volume du Mercure de Juin 1755 : depuis
je vous ai prié de demander à l'Auteur la
folution de fon Problême. J'ignore pourquoi
vous n'avez point eu d'égard à ma
priere ; c'eft ce qui m'engage à vous folliciter
de nouveau , de fatisfaire à ma demande.
Il est étonnant que l'Auteur qui
paroiffoit defirer un commerce mathématique
par la voie de votre Mercure , en
foit demeuré là. Obligez -moi , Monfieur ,
de lui rappeller fes engagemens & l'obligation
où il eft de donner la folution de
fon Problême. Les plus petits nombres qui
fatisfont la queftion font ,
241. en 21 pieces,
21 en 18
19 de 24..22 1.16 f. )
2 de 12 .. I 4
17 de 24..20
de 12..
S
241.
2 I
12
6 de 24.. 7 4
18 en 24
18 de 12..10
J'ai l'honneur d'être , &c.
16 }18
D. L. A.
A O UST. 1756 . 123
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Monfieur , j'ai vu dans quelques uns de
vos derniers Mercures des questions intéreffantes
pour le Commerce ; cela m'engage
à vous prier d'en propofer une , qui
donne actuellement lieu à un differend entre
Jean , de Marſeille , & Pierre , de Rouen .
Le premier s'eft fait affurer à Rouen , à
quatre pour cent & trente pour cent d'augmentation
en cas de guerre ou hoftilités
de la part des Anglois , la fomme de mille
livres fur les facultés de fon vaiffeau de
fortie d'Amerique à Marſeille.
>
Le vaiffeau eft arrivé à Cadix : les hoftilités
ont eu lieu . Jean devra donc à Pierre
fon Affureur de Rouen , 4 p de prime
& 30 p d'augmentation , fi fon vaiffeau
vient heureuſement à Marſeille , jufqueslà
on eft d'accord ; mais voici le noeud.
Jean propoſe à Pierre ſon Aſſureur , de
faire décharger fon vaiffeau à Cadix , &
de lui épargner par conféquent le rifque
de Cadix à Marfeille , s'il veut fe contenter.
de 15 , 18 , ou 20 p d'augmentation , au
lieu de 30 p que porte la police d'affurance.
Il femble que cette propofition con-
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
vient à l'Afsûreur comme à l'Affuré : néanmoins
Pierre la refufe , & Pierre en eft le
maître. Mais comme Pierre n'a affuré
que
1000 liv. jufques à Marseille , n'eft- il pas
permis à Jean , qui a pour 3000 liv . de
facultés chargées fur fon vaiffeau , d'en faire
décharger à Cadix 2000 liv. & faire
continuer fa route au navire , en y laif
fant à bord les facultés , faifant la fomme
áffurée de l'Amérique à Marſeille : cela eſt
permis , je crois . Or , Monfieur , dans ce
cas propofé, Pierre, de Rouen, prétend que
la prime de 4 p & 30 p d'augmentation
lui eft déja acquife fur une bonne partie
des 1000 liv. qu'il a affurée , & cela
dans la même proportion que font entr'ele
les lefdites 1000 liv. & le reftant des fa
cultés ; il prétend , dis- je , qu'elles lui font
déja acquifes à Cadix même , & cela , malgré
qu'il ait affuré fimplement 1000 liv.
d'Amérique à Marseille , & que ces 1000
liv. foient encore en rifque. Par- là Jean de
Marſeille auroit les deux tiers des mille livres
en rifque , bien qu'il fe fût fait allurer
cette fomme en entier.
Permettez que pour faciliter la décifion
de ce cas , je dife un mot des raisons
par lesquelles l'un & l'autre foutiennent
leurs intérêts.
Pierre dit : J'ai figné le tiers de la fome
A O UST. 1756. 125
the qui eft fur le vaiffeau de Jean , & pour
cette partie je me fuis mis à la place de
Jean. Si donc Jean décharge les deux tiers.
des facultés à Cadix , mon rifque doit diminuer
des deux tiers , & la prime de
p & 30 p d'augmentation ,
4
doit
m'être déja acquife à Čadix fur les deux
riers des mille livres que j'ai affuré , puifqu'il
n'a dépendu que de Jean que toutes
les facultés vinffent à Marfeille , ayant
affuré le tiers de la fomme : c'est tout
comme fi j'étois devenu propriétaire & cointéreffé
avec Jean, fur les facultés , & cela
pour ce même tiers . Je dois donc avoir part Pour
à ce qui peut , dans le voyage , foulaget
mon rifque , tout comme Jean prétendroit
que je fuffe refponfable de ce qui
pourroit lui nuire.
De plus , il peut arriver arriver que Jean laiffe
dans le vaiffeau les effets les plus fufceptibles
d'avarie ; ce qui retourneroit à me
charge , & qui n'eft pas jufte , &c.
Jean dit Premiérement pour mettre
fin , & couper cours à cette derniere objection
, je fais & déclare nulles les avaries
qu'il pourroit y avoir aux facultés de
Cadix à Marfeille , toutefois fans convenir
que la loi pût m'y obliger : ainfi cette
objection n'eft d'aucun poids.
Ce n'eft pas le tiers ou le le tiers ou le quart , &c. que
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
Pierre de Rouen a figné ſur les facultés de
mon vaiffeau , mais c'eft la fomme de mille
livres. Ainfi quand 1000 liv. viendront
de Cadix à Marfeille , ils feront aux rifques
de Pierre , fans qu'il ait à s'embarraffer
& à me demander compte du furplus
de la cargaifon déchargée à Cadix .
Si l'on nous juge , dit encore Jean , ce
fera fur les claufes & les termes de la police
d'affurance , puifque c'eft le contract
qui nous lie or la police dit fimplement
que Pierre affure mille livres des facultés
d'Amérique à Marfeille ; le rifque de Pierre
eft donc fur mille livres , & jufques à
Marſeille. Quand donc Jean fera venir de
Cadix à Marſeille fon vaiffeau avec des facultés
pour la fomme de mille livres , l'affurance
aura fon plein effet , & la prime
fera juftement gagnée à leur arrivée à
Marſeille .
Que j'aie fait faire des affurances , ajoute
Jean , ou que je n'en aie point fait fur
les 2000 liv. cela ne regarde pas Pierre ,
& il ne doit y avoir aucun rapport de ces
2000 liv. & de leur fort avec celui des
1000 liv Or je fuppofe m'être fait affurer
les fufdites 2000 , liv. d'Amérique à
Cadix , elles y font arrivées , la prime eft
juftement gagnée pour l'Affureur de Cadix
, & je fuis quitte avec lui. Comment
AOUST. 1756. 127
dans ce cas , Pierre Affureur des 1000 liv.
peut-il exiger être déchargé des deux tiers.
de fon rifque à Cadix , puifqu'alors je me
trouverois payer 4 p de prime , & 30
p d'augmentation fur 2666 liv . 13 f. 4
d. tandis que je n'aurois à couvert à Cadix
que pour 2000 liv. de facultés , & que ce
feroit à Cadix même que cette forte prime
feroit déja gagnée.
A toutes ces raifons , Jean en joint bien
d'autres , qu'il feroit trop long de déduire :
celles-ci fuffifent pour faciliter l'intelligence
de la queftion . Je ferai d'une impatience
extrême jufqu'à ce que quelque Mercure
en annonce la décifion. J'ai l'honneur
d'être , & c.
LE GRAND TRICTRAC , ou Méthode facile
pour apprendre fans Maître la marche
, les termes , les regles , & une grande
partie des fineffes de ce jeu , enrichie de
270 planches ou figures , feconde Edition ,
revue , corrigée , & confidérablement augmenté
, par M. l'Abbé Soumille , Corref
pondant des Académies Royales des Sciences
de Paris & de Touloufe. A Avignon ,
chez Alexandre Giroud , feul Imprimeur
de Sa Sainteté , & à Paris , chez Giffart ,
rue S. , Jacques , à fainte Théreſe, 1756 .
Ce livre eft divifé en trois parties , dont
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
Ja premiere , qui contient 144 pages , forme
un tour complet de Trictrac , où tous
les
coups font joués de fuite & repréſentés
par autant de planches ou figures particulieres.
La conduite en paroît négligée &
fans deffein , telle à peu près qu'on doit
d'attendre de deux véritables commençans ,
qui ne vifent qu'à s'inftruire de la marche
, des termes & des premieres regles de
ce jeu. On a même affecté d'y répandre des
fautes groffieres pour leur apprendre à les
éviter.
La feconde partie acheve d'expliquer
les regles
particulieres qui n'ont pas pu
trouver place dans le premier tour de Trictrac.
Même ordre pour la fuite des coups ,
même fecours des figures pour foulager l'imagination
, & l'on y trouve un exemple
complet du jan- de-retour , pouffé jufqu'à
l'entiere fortie des Dames ; exemple d'autant
plus néceffaire qu'il eft plus rare dans
la pratique , & qu'on eft par- là plus en
danger d'en oublier le détail .
Vient enfuite la troifieme partie qui
préfente des vues générales & particulieres
fur la maniere de cafer avec avantage,
& fur les combinaisons des Dez : on y voit
auffi des modeles de réflexions pour prendre
ou ne pas prendre fon coin ; pour tenir
ou s'en aller à propos , & tout l'ouvrage eft
A O UST. 1756.. 129
terminé par une récapitulation générale
des Ecoles , qui ne laiffe rien à défirer en
ce genre.
Tel eft en gros le plan de ce traité, qu'u
ne table alphabétique & bien détaillée
rend extrêmement commode , pour trouver
à point nommé les regles dont on peut
avoir befoin. Outre qu'elles font répandues
& expliquées fort au long dans le
corps de l'Ouvrage , on a eu foin de les
raffembler toutes fous cinq points de vue ,
qui font les loix du coin , du plein , du retour
, de la fortie des dames , & de la fauffe
cafe.
1-
Il réfulté de tout ceci que les commençans
y trouveront des moyens avantageux
de s'inftruire , & que toutes fortes de
Joueurs , même les plus habiles , ne feront
pas fâchés d'avoir ce livre pour abré
ger les conteftations qui naiffent fi fou
vent dans la pratique . On pent d'autant
mieux s'en rapporter aux décifions qu'il
renferme , qu'on a pris plus de foin de confulter
les grands Maîtres ; & quand même
il s'en trouveroit quelqu'une, fur lefquelles
les deux Joueurs ne tomberoient pas également
d'accord , il fuffit de convenir au
commencement du Jeu qu'on s'en tiendra
mutuellement au livre , pour que tome
difpute finiffe dans l'inftant.
Ev
124 MERCURE DE FRANCE.
vient à l'Afsûreur comme à l'Affuré : néanmoins
Pierre la refufe , & Pierre en eft le
maître. Mais comme Pierre n'a affuré que
1000 liv. jufques à Marſeille , n'eft- il pas
permis à Jean , qui a pour 3000 liv . de
facultés chargées fur fon vaiſſeau , d'en faire
décharger à Cadix 2000 liv. & faire
continuer fa route au navire , en y laif
fant à bord les facultés , faifant la fomme
áffurée de l'Amérique à Marſeille : cela eft
permis , je crois . Or , Monfieur , dans ce
cas propofé, Pierre, de Rouen, prétend que
la prime de 4 p & 30 p d'augmentation
lui eft déja acquife fur une bonne partie
des 1000 liv. qu'il a affurée , & cela
dans la même proportion que font entr'el
les lefdites 1000 liv. & le reftant des fa
cultés ; il prétend , dis-je , qu'elles lui font
déja acquifes à Cadix même , & cela , malgré
qu'il ait affuré fimplement 1000 liv.
d'Amérique à Marfeille , & que ces 1000
liv . foient encore en rifque. Par-la Jean de
Marſeille auroit les deux tiers des mille livres
en rifque , bien qu'il fe für fait allurer
cette fomme en entier.
Permettez que pour faciliter la décifion
de ce cas , je dife un mot des raifons
par lesquelles l'un & l'autre foutiennent
leurs intérêts .
Pierre dit : J'ai figné le tiers de la fome
A O UST. 1756. 725
The qui eft fur le vaiffeau de Jean , & pour
cette partie je me fuis mis à la place de
Jean. Si donc Jean décharge les deux tiers
des facultés à Cadix , mon rifque doit diminuer
des deux tiers , & la prime de 4
p & 30 p d'augmentation
, doit
m'être déja acquife à Cadix fur les deux
riers des mille livres que j'ai affuré , puifqu'il
n'a dépendu que de Jean que toutes
les facultés vinffent à Marfeille , ayant
affuré le tiers de la fomme c'est tout
comme fi j'étois devenu propriétaire & cointéreffé
avec Jean, fur les facultés, & cela
pour ce mêmetiers . Je dois donc avoir part
à ce qui peut , dans le voyage , foulaget
mon rifque , tout comme Jean prétendroit
que je fuffe refponfable de ce qui
pourroit lui nuire.
De plus , il peut arriver que Jean laiſſe
dans le vaiffeau les effets les plus fufcepti
bles d'avarie ; ce qui retourneroit à me
charge , & qui n'eft pas juſte , &c.
Jean dit Premiérement pour mettre
fin , & couper cours à cette derniere objection
, je fais & déclare nulles les avaries
qu'il pourroit y avoir aux facultés de
Cadix à Marfeille , toutefois fans convenir
que la loi pût m'y obliger : ainfi cette
objection n'eft d'aucun poids.
Ce n'eft pas le tiers ou le quart , & c. que
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
Pierre de Rouen a figné ſur les facultés de
mon vaiffeau , mais c'eft la fomme de mille
livres. Ainfi quand 1000 liv . viendront
de Cadix à Marfeille , ils feront aux rifques
de Pierre , fans qu'il ait à s'embarraffer
& à me demander compte du furplus
de la cargaifon déchargée à Cadix .
Si l'on nous juge , dit encore Jean , ce
fera fur les claufes & les termes de la police
d'affurance , puifque c'eft le contract
qui nous lie or la police dit fimplement
que Pierre affure mille livres des facultés
d'Amérique à Marfeille ; le rifque de Pierre
eft donc fur mille livres , & jufques à
Marſeille. Quand donc Jean fera venir de
Cadix à Marſeille fon vaiffeau avec des facultés
pour la fomme de mille livres , l'affurance
aura fon plein effet , & la prime
fera juftement gagnée à leur arrivée à
Marſeille.
Que j'aie fait faire des affurances , ajoute
Jean , ou que je n'en aie point fait fur
les 2000 liv. cela ne regarde pas Pierre ,
& il ne doit y avoir aucun rapport de ces
2000 liv. & de leur fort avec celui des
1000 liv Or je fuppofe m'être fait affurer
les fufdires 2000 , liv. d'Amérique à
Cadix , elles y font arrivées , la prime eft
juftement gagnée pour l'Affureur de Cadix
, & je fuis quitte avec lui. Comment
A O UST. 1756. 127
dans ce cas , Pierre Affureur des 1000 liv.
peut- il exiger être déchargé des deux tiers
de fon rifque à Cadix , puifqu'alors je me
trouverois payer 4 p de prime , & 30
p d'augmentation fur 2666 liv . 13 f. 4
d. tandis que je n'aurois à couvert à Cadix
que pour 2000 liv . de facultés , & que ce
feroit à Cadix même que cette forte prime
feroit déja gagnée.
A toutes ces raifons , Jean en joint bien
d'autres , qu'il feroit trop long de déduire
celles- ci fuffifent pour faciliter l'intelligence
de la queftion . Je ferai d'une impatience
extrême jufqu'à ce que quelque Mercure
en annonce la décifion. J'ai l'honneur
d'être , &c.
LE GRAND TRICTRAC , ou Méthode facile
pour apprendre fans Maître la marche
, les termes , les regles , & une grande
partie des fineffes de ce jeu , enrichie de
270 planches ou figures , feconde Edition ,
revue , corrigée , & confidérablement augmenté
, par M. l'Abbé Soumille , Correlpondant
des Académies Royales des Sciences
de Paris & de Toulouſe. A Avignon ,
chez Alexandre Giroud , feul Imprimeur
de Sa Sainteté , & à Paris , chez Giffart ,
rue S. Jacques , à fainte Thérefe , 1756 .
Ce livre eft divifé en trois parties , dont
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
Ja premiere , qui contient 144 pages , forme
un tour complet de Trictrac , où tous
les coups font joués de fuite & repréſentés
par autant de planches ou figures particulieres.
La conduite en paroît négligée &
fans deffein , telle à peu près qu'on doit
d'attendre de deux véritables commençans ,
qui ne vifent qu'à s'inftruire de la marche
, des termes & des premieres regles de
ce jeu. On a même affecté d'y répandre des
fautes groffieres pour leur apprendre à les
éviter.
La feconde partie acheve d'expliquer
les regles particulieres qui n'ont pas pu
trouver place dans le premier tour de Trictrac.
Même ordre pour la fuite des coups ,
même ſecours des figures pour foulager l'imagination
, & l'on y trouve un exemple
complet du jan-de-retour , pouffé jufqu'à
l'entiere fortie des Dames ; exemple d'autant
plus néceffaire qu'il eft plus rare dans
la pratique , & qu'on eft par -là plus en
danger d'en oublier le détail.
Vient enfuite la troifieme partie qui
préfente des vues générales & particulieres
fur la maniere de cafer avec avantage,
& fur les combinaisons des Dez : on y voit
auffi des modeles de réflexions pour prendre
ou ne pas prendre fon coin ; pour tenir
ou s'en aller à propos , & tout l'ouvrage eft
A O UST. 1756.. 129
terminé par une récapitulation générale
des Ecoles , qui ne laiffe rien à défiter en
ce genre .
1 Tel eft en gros le plan de ce traité, qu'une
table alphabétique & bien détaillée
rend extrêmement commode , pour trou
ver à point nommé les regles dont on peut
avoir befoin. Outre qu'elles font répandues
& expliquées fort au long dans le
corps de l'Ouvrage , on a eu foin de les
taffembler toutes fous cinq points de vue ,
qui font les loix du coin , du plein , du retour
, de la fortie des dames , & de la fauf-
Le cafe.
Il réfulté de tout ceci que les commençans
y trouveront des moyens avantageux
de s'inftruire , & que toutes fortes de
Joueurs , même les plus habiles , ne feront
pas fâchés d'avoir ce livre pour abré+
ger les conteftations qui naiffent fi fou
vent dans la pratique. On pent d'autant
mieux s'en rapporter aux décifions qu'il
renferme , qu'on a pris plus de foin de confulter
les grands Maîtres ; & quand même
il s'en trouveroit quelqu'une , fur lefquelles
les deux Joueurs ne tomberoient pas également
d'accord , il fuffit de convenir au
commencement du Jeu qu'on s'en tiendra
mutuellement au livre , pour que tome
difpute finiffe dans l'inftant.
Ev
130 MERCURE DE FRANCE.
L'ART de la Cavalerie , ou la maniere
de devenir bon Ecuyer , par des regles
aifées & propres à dreffer les chevaux
à tous les ufages que l'utilité & le plaifir
de l'homme exigent , tant pour le manége ,
que pour la guerre , la promenade , l'attelage
, la courfe , le tournois ou carroufel
, &c ; avec des remarques curieufes
fur les Haras ; une idée générale des
maladies des chevaux ; l'explication de
toutes les pieces qui compofent les différentes
fortes d'equipages , & des obfervations
fur tout ce qui peut bleffer ou
gêner les chevaux ; par M. Gafpard de
Saunier , ci devant Ecuyer de l'Académie
de l'Univerfité de Leyde. Imprimé à Amfterdam
, & fe trouve à Paris chez Ch.
Ant. Jombert , Imprimeur- Libraire du Roi ,
pour le Génie & l'Artillerie , rue Dauphine
, à l'Image Notre - Dame , 1756.
Ce Livre doit être d'autant plus favorablement
reçu des Amateurs de l'Art du
Manege , que fon Auteur eft déja connu
avantageufement , par le Traité qu'il mit
au jour , il y a environ vingt ans , fur la
Connoiffance des Chevaux. Il fuffit de voir
dans la Préface placée à la tête de cetexcellent
ouvrage , le récit des différens
emplois qui ont été confiés fucceffivement
à cet Homme illuftre , foit dans les Haras ,
A OUST. 1756. 131
dans le Manege , ou dans les Armées , &
les différentes Ecoles où il s'eft perfectionné
dans fa profeffion , tant en France
que dans les Pays Etrangers , pour concevoir
une haute idée du Livre qu'on
annonce aujourd'hui . Il s'agit d'un volume
in -folio , de cinquante feuilles . d'impreſ
fion , avec trente Planches bien gravées ,
dont plufieurs occupent la feuille entiere.
Comme le Libraire de Hollande n'a tiré
ce Livre qu'à un très-petit nombre , on
n'en propofe que 200 exemplaires au
Public. Les perfonnes qui l'acheteront
d'ici à la fin de cette année , le payeront
quinze livres , relié. Ceux qui ne l'auront
pas acheté avant le dernier Décembre
le payeront vingt livres , auffi relié : il
y a même toute apparence qu'il augmentera
de prix , vu le peu d'Exemplaires
qui resteront alors.
On trouve auffi chez Jombert , les
Euvres complettes de M. de Voltaire ,
faites fous les yeux l'Auteur , 10 volumes
in-89. imprimé à Genève. Prix 30 liv. en
feuilles.
Le même Libraire a mis fous - preffe un
Dictionnaire portatif de la Marine , fait
avec beaucoup de foin , & contenant
tout ce que cette fcience offre d'utile &
de curieux , 1 vol . in - octavo . Il vient aufli I
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
de mettre enfin au jour le quatrieme
volume de l'Architecture Françoife , qui
eft un des plus intéreffans de ce grand
Ouvrage.
·
L'HEUREUSE VICTIME , ou le triomphe
du plaifir. Ce Roman , dans le genre
poétique , contient très peu de faits.
Ceux qui aiment les comparaifons , les
defcriptions , les récits & les converfations
, auront beaucoup de plaifir en un
quart-d'heure , qui eft le temps que demande
la lecture de cette Brochure , de
88 pages. Ceux qui aiment à trouver le
fentiment dans un Roman , où il n'eft
queftion que d'amour , qui aiment les idées
naturelles , les expreffions propres , les fi
tuations intéreffantes , ne trouveront pas
leur temps auffi bien employé . Nous nous
ferions contentés d'annoncer ce Roman
informe , mais nous avons cru devoir facrifier
notre répugnance à critiquer , à l'intérêt
que nous prenons naturellement à
tout Auteur qui montre de l'efprit , & à
qui il ne manque que d'être éclairé pour
acquérir le talent.
Se trouve à Paris , chez Cailleau , Libraire
, Quai des Auguftins , à Saint
André.
A O UST. 1756. 133
ODE fur la ruine de Lifbonne . Cette
Ode eft de M. Barthe , de Marfeille , qui a
été plufieurs fois couronné à différentes
Académies. L'Auteur foutient fa réputation
dans cet Ouvrage , & furtout dans les
deux ftrophes que nous allons citer , qui
Hous ont paru également poétiques & touchantes::
Quelles peintures effroyables
Ont jamais offert tant d'horreurs !
Et quels défaftres lamentables.
Ont mieux juftifié nos pleurs !
L'amitié , l'amour , l'hymenée
A l'humanité confternée .
Tracent mille effrayans tableaux
La nature , en ce jour terrible ,
Voit , par une main inviſible ,
Ouvrir d'innombrables tombeaux.
Hélas ! en ce moment terrible ( 1 ) ,
Que fais-tu , Roi de tant de morts ?
Sur ton char , & d'un front paifible ,
Tu voles vers ces triftes bords :
Mais des clameurs interrompues.
Frappent tes entrailles émtes ;
Tes Courfiers reculent d'effroi :
Tu fens ébranler ta Couronne ;
(1) Le Roi de Portugal revenoit alors de Bélem ,
Maifon royale.
134 MERCURE DE FRANCE.
Tes yeux fe fixent fur Lifbonne....
C'est elle quel objet pour toi !
Se vend chez Lottin , rue S. Jacques ;
Lambert , rue de la Comédie Françoife , &
Duchefne , rue S. Jacques.
>
- LETTRE à l'Auteur de la Nobleffe commerçante.
Tous les Livres qui font du
bruit , font comme le fignal de mille cenfures.
Nous ne voulons pas inférer delà
que la critique doive être bannie de la République
des Lettres ; nous fommes , au
contraire bien perfuadés que les plus
grands efprits ont encore befoin d'être
éclairés en bien des chofes ; mais nous fouhaiterions
qu'on les éclairât par une lumiere
douce & bienfaifante. Il ne fuffit
pas de vouloir faire du bien , il faut
encore fçavoir le faire ; c'eft le genre de
fervice qui demande le plus de ménagement.
La Lettre à M. l'Abbé Coyer nous
arrache cette réflexion . L'Auteur n'a point
affez confulté la politeffe : il a de l'efprit ,
il fçait écrire & penfer ; mais il eſt allé
jufqu'à la fatyre , & il eft à peine permis
d'aller jufqu'au badinage . En fuppofant
qu'il n'a été trop loin que par vivacité
d'efprit , nous fommes encore en droit de
lui reprocher de ne voir dans M. l'Abbé
Coyer qu'un Auteur de petites critiques
A O UST. 1756. 135
morales. Cette prévention eft démentie par
les Ouvrages même qui l'ont fait naître ;
les Bagatelles morales & les deux Differtations
( 1 ) , qu'on a l'air de vouloir ici reprocher
à l'Auteur en lui confeillant d'en
faire fes modeles conftans , font des productions
qui décelent autant de profondeur
d'efprit , qu'elles prouvent de délicateffe
d'imagination . M. l'Abbé Coyer qui
avoit fait connoître qu'il penfoit bien ,
vient de prouver qu'il penfe beaucoup , &
le Public ne fe feroit pas imaginé , après la
publication de la Nobleffe Commerçante,
qu'un homme qui a de l'efprit pût l'accufer
de n'être qu'un Auteur très- fuperficiel.
Cette cenfure hazardée eft pourtant tout
le but qu'on paroît s'être propofé dans la
Lettre dont nous faifons ici mention. Le
raiſonnable , dans cette Lettre , eſt ſi fort
noyé dans le fatyrique , qu'on peut dire
hardiment qu'il eft comme perdu . L'Auteur
pouvoit prendre un meilleur ton : nous
l'en croyons très- capable ; & notre critique
n'a certainement pour but que de l'y
engager . Se vend chez Lottin.
(1) Sur le mot peuple & fur le mot patrie.
PRECIS de l'Effai fur la maniere de
perfectionner l'efpece humaine , par M. Vandermonde
, Docteur-Régent de la Faculté
116 MERCURE DE FRANCE.
de Médecine de Paris , deux volumes in-
12. A Paris , chez Vincent , Imprimeur-
Libraire , rue S. Severin, à l'Ange, Ouvrage
annoncé dans le Mercure de Mai , 17567
M. Vandermonde a divifé cet Ouvrage
en quatre parties. Dans la premiere , on
Frouve raffemblé fous un feul point de
vue toutes les qualités requifes dans les
deux fexes pour avoir des enfans auffi
parfaits qu'on le peut défirer. On voit que
c'eft fouvent de la conformation des peres
& meres que dépend celle de leurs en
fans , & que d'un affemblage bizarre &
mal concerté , il doit réfulter une produc
tion bizarre & contraire àla belle nature.
L'Auteur parcourt ici tous les défauts
effentiels qui empêchent les peres d'avoir
une belle & forte poftérité ; & il prétend
qu'avant que d'avoir des enfans parfaits ,
il faut que les peres & meres commencent
à l'être eux -mêmes. L'Auteur conduit
delà fon Lecteur aux attentions que l'on
doit apporter dans le mariage , aux regles
que l'on doit obferver relativement aux
temps , à la nourriture , aux circonftances
& aux précautions qui peuvent rendre les
fruits du mariage plus ou moins féconds.
Dans le fecond chapitre , l'Auteur donne
les moyens d'affortir convenablement tous
AQUST. 1736. 137
pules
mariages. Il exige d'abord qu'il n'y ait
pas une trop grande difproportion d'âge
entre l'homme & la femme. Il démontre
les inconvéniens qui en proviennent. Il
ne confeille pas non plus de marier les enfans
auffitôt qu'ils ont atteint l'âge de
berté , parce qu'il en réfulte tous les jours
des exemples funeftes , & que c'eft un
moyen fûr de n'avoir jamais que des enfans
foibles & mal conftitués. Hy a ici
des dérails qui pourront amufer le Lecteur
ou du moins l'intéreffer. Il confeille auffi
d'éviter les mariages difproportionnés par
la taille , de ne pas affortir une borgne avec.
un homme qui a l'ufage de fes deux yeux ,
un homme bienfait avec une boiteufe , ou ,
ee qui eft encore plus à craindre , un fourd
& un aveugle. Si le hazard a fait dégénérer
l'efpece humaine , l'art peut auffi la
perfectionner. L'Auteur rapporte ici toutes
les tentatives que l'on a faites fur les
animaux , & nous dit que nous avons
par le moyen d'un affemblage fait avec
intelligence , des races de chevaux , de
chats d'une variété finguliere , que l'on
eft parvenu à perfectionner les chiens , les
poules , les pigeons , les fereins ; & que
par conféquent , on peut faire quelques
tentatives analogues fur l'efpece humaine .
A croir que l'on pourroit par ce moyen
138 MERCURE DE FRANCE.
perfectionner des talens agréables à la
fociété , en affortiffant , par exemple , un
danfeur François avec une danfeufe Italienne
ou Anglife , ou un chanteur
Anglois avec une Italienne qui auroit une
belle voix . Il cite pour exemple de comparaifon
le chardonneret måle avec la
ferine : le mulet qui en provient a un chant
plus agréable & plus flatteur que celui de
l'un & de l'autre.
L'Auteur termine fa premiere partie par
la reffemblance que l'on obferve de pere en
fils. Il explique ce qui la forme , la ſoutient
, l'altere & la détruit , & il donne les
moyens de la varier ou de la rendre héréditaire
felon le befoin ou le defir que l'on
en a. La feconde partie commence à l'inf
tant où l'on fuppofe la femme enceinte ,
après avoir fuivi toutes les regles qu'on
lui a prefcrites . On trouve ici toutes les
précautions qu'une mere doit obferver
par rapport à fon enfant dont elle devient
la dépofitaire. On lui indique l'air
qu'elle doit refpirer , celui qu'elle doit
éviter , ce qu'il peut fur fon corps, De
là on fait une revue générale de tous les
alimens on fait voir quelle eft la partie
propre à nourrir : on marque jour par
jour les alimens qui conviennent aux femmes
enceintes , ceux qu'elles doivent fuir
A O UST. 1756 . 139
ou qu'elles doivent prendre felon les befoins
de leur fruit , & felon les differens
temps de leur groffeffe . Le chapitre de
l'air & celui des alimens qui font deux
des plus intéreffans pour les femmes enceintes
, forment deux traités complets fur
ces deux matieres , & peuvent être utiles à
toutes les perfonnes qui veulent appiendre
à diriger elles -mêmes leur fanté. Il s'agit
enfuite de l'exercice & du repos : on
prouve ce qu'ils peuvent fur les femmes &
fur l'enfant qu'elles portent . De là on leur
prefcrit les regles qu'elles ont à fuivre dans
le fommeil & la veille , les foins qu'elles
doivent prendre pour foutenir ou diminuer
leurs évacuations qui font dépendantes
de l'état de groffeffe . Après avoir travaillé
pour le corps , l'Auteur tourne toutes
fes vues du côté de l'ame dont il tâche
de développer la méchanique relativement
au corps . Il remarque que toutes les
ames font les mêmes. « Que celle d'un
», enfant qui vient de naître , & celle
d'un grand Philofophe ne different en
rien ; que l'une cependant s'annonce par
» des pensées fpirituelles , des refſources
ingénieufes , des mefures réfléchies &
» judicieufes ; que l'autre ne paroît que
» fous des dehors innocens , des fentimens
puériles , des mouvemens enfantins ;
"
"3
و د
99
$
140 MERCURE DE FRANCE.
qu'une dofe d'opium rend un Mathéma
ticien incapable de penfer , & l'Athlete
» le plus robufte incapable de combattre ;
» que quand le médicament a achevé fon
» effet , la fcience revient à l'un , la for-
> ce à l'autre , & la raifon àtous les deux »
L'Auteur conclud delà que tout ce qui
peut altérer & changer le corps , fait éprou
ver à l'ame les mêmes modifications , &
que par conféquent les meres doivent être
très-attentives à réprimer leurs paffions , &
que la délicateffe des femmes fait qu'elles
doivent encore plus fe garantir des effets
qui en peuvent réfulter. L'Auteur fronde
enfuite le préjugé des femmes fur les effets
de l'imagination , & leur prouve qu'il eft
tout auffi égal pour une femme enceinte
de voir un homme laid qu'un beau , que
ce font les objets feuls qui font naître des
idées , mais que les idées feules ne for
ment pas des objets réels. Il s'agit après
des ajuſtemens des femmes enceintes . On
tâche de faire comprendre comment ils
peuvent altérer ou réformer la beauté de
Ja mere , & la conformation naturelle de
l'enfant. Cette feconde partie finir par
Faccouchement , où l'on donne les moyens
de réparer les torts qu'il peut faire fur l'enfant
, & où l'on fait connoître quel eft le
devoir de l'Accoucheur pour fauver la
A O UST. 1756 . 141
beauté & la force des parties. Dans la
troifieme partie , on voit l'homme naiſfant.
Après avoir détaillé les méthodes
différentes d'élever les enfans , l'Auteur
adopte les unes & donne l'exclufion aux
autres, I attaque fans ménagement tous
les préjugés qu'il a cru pouvoir porter
atteinte à la conformation naturelle du
corps. Il ne confeille ni le lait des nour+
rices , ni celui de la mere , & prétend que
le meilleur que l'on puiffe donner aux en
fans , c'eft le lait de vache ou des autres
bêtes domestiques. On prie le Lecteur de
faire attention à ce chapitre qui eſt trèsdétaillé
, & qui eft un des plus importans
de l'éducation des enfans . L'Auteur condamne
les maillots dont on fe fert , & il
les regarde comme une des fources les plus
communes de la difformité de la plupare
des enfans. Il défaprouve les corps à baleine
, & démontre les inconvéniens auxquels
on s'expofe tous les jours en les mettant
en ufage ; il fuit l'enfant dans l'air
qu'il refpire , dans fen exercice & fon repos
, quand il dort , quand il veille. Il
donne des regles pour le conduire dans fes
évacuations , & traite des effets de fes paf-
Gions fur la conformation de fon corps. On
a vu dans le premier volume la Médecine
préfervative des femmes enceintes , dang
1
142 MERCURE DE FRANCE.
celui -ci on trouve celle des enfans. Ces
deux objets n'ont pas été encore fuivis par
aucuns Médecins , & M. Vandermonde
les a réduits en corps de doctrine. Cette
troifieme partie contient beaucoup de chofes
néceffaires à l'éducation des enfans
dont les peres & meres ne fçauroient trop
s'occuper. Après avoir choisi tous les différens
moyens d'améliorer la conformation
du corps des enfans , après avoir préfenté
aux meres le modele qu'elles ont à
fuivre pour remplir ce projet , & pour ne
pas s'écarter de la route naturelle , l'Auteur
commence cette quatrieme partie par
la force de l'habitude. Il entre ici dans un
très-grand détail : il fait obferver que l'habitude
pêtrit tous les hommes à fon gré ;
qu'elle donne de la force aux uns , & qu'el
le rend foibles les autres ; qu'elle affujettit
pour toute la vie à une trifte uniformité
ceux qui fe font ménagés en tout
point , & qu'elle fait payer chérement les
imprudences qu'ils font ; que ceux au contraire
qui s'accoutument à tout n'ont rien
à craindre ni de la viciffitude des faifons
qui moiffonne les trois quarts des hommes,
ni de l'intempérance qui eft l'écueil de la
jeuneffe. Il dit enfin « qu'un homme robufte
, ou qui cherche à l'être , doit ne
℗ s'affujettir à aucun régime. S'il craint le
A O UST. 1756. 143
» mal , il faut qu'il fe familiarife avec la
» peine ; fa vie doit être continuellement
» variée. Tantôt il faut qu'il foit à la
campagne , & tantôt à la ville , qu'il
» s'exerce , qu'il fe repofe , qu'il dorme ,
qu'il veille : le repos appéfantit le corps,
93
le travail le réveille ; fi l'un hâre la vieil-
»leffe , l'autre prolonge la jeuneffe . Il
doit quelquefois affifter aux grands repas
, & manger beaucoup , tantôt man-
"ger moins , & fuir les feftins ; s'habituer
» à prendre de la nourriture à toute heure,
» en un mot , ſe faire en général à tout , &
ne s'habituer à rien en particulier
Telle est l'éducation que M. Vandermonde
croit que l'on doit donner aux enfans
pour les rendre vigoureux & d'une
fanté conftante. Telle eft la conduite qu'il
prétend que l'on peut fuivre jufqu'à l'âge
de puberté. L'Auteur finit certe derniere
partie par un Traité des Sens : jufqu'ici il
a travaillé pour le corps , fes efforts vont
tendre directement à former l'efprit. Comme
prefque tout ce que nous fçavons ne
nous vient que par nos fens , & que c'eft
le nombre & la nature de nos connoiffances
, qui nous donnent plus ou moins
d'efprit , l'Auteur a cru qu'en propofant
les moyens de rectifier nos fens dès l'enfance
, que notre ame étant mieux inſtrui144
MERCURE DE FRANCE.
de
te , nous ferions plus parfaits , & que
cette maniere , on pourroit rendre tous les
hommes plus fpirituels qu'ils ne le font.
Après avoir expliqué la méchanique des
fens en général , M. Vandermonde entre
dans le particulier , & donne des moyens
fimples & faciles à exécuter , tirés de la
Phyfique , de la Médecine , & de la raifon
, pour rendre les fens des enfans auffi
parfaits & aufli prématurés qu'ils peuvent
l'être. On trouvera dans cette derniere
partie plufieurs idées neuves qui ne peuvent
que concourir à donner plus de force
au corps des enfans , & à leur efprit plus
de jufteffe & plus d'étendue.
LE DROIT NATUREL , Civil , Politique
& Public , réduit à un feul principe , par
M. l'Abbé Yvon , en 12 volumes....Incedo
per ignes fuppofitos cineri dolofo . A la
Haye , chez la veuve d'Adrien Moetjens.
1756 .
Cet Ouvrage , dont la Préface vient
d'être imprimée , & qu'on doit délivrer par
foufcription , fera divifé en quatre parties ,
qui contiendront chacune plufieurs volu
mes. La premiere aura pour titre les Principes
de Droit Naturel ; la feconde , l'homme
dans l'état de nature ; la troisieme ,
l'homme dans la fociété civile ; la quarrie
me
A O UST. 1756. 145
me , les Nations confidérées en elles -mêmes
& dans les rapports qu'elles ont les
unes avec les autres . Cette divifion promet
un Ouvrage auffi profond qu'utile. Le nom
de l'Auteur & fa Préface donnent tout lieu
de préfumer, que l'exécution répondra parfaitement
à l'annonce. Pour donner un
précis des trois premieres parties , & faire
connoître en même tems le ftyle & le
ton de la Préface , nous allons en extraire
quelques pages , qui développent prefque
le plan de ce Traité.
Dans la premiere Partie , dit l'Auteur ,
j'ai pofé les fondemens du Droit de nature
, afin que dans les fuivantes je n'aye
plus qu'à m'abandonner au cours paifible
des conféquences qui en coulent naturellement.
Je m'y fuis attaché fur tout à développer
dans toute leur étendue les diverfes
branches de la Loi naturelle, qui doit avoir
une fi grande influence furtout le refte de
l'Ouvrage. Dans la deuxieme , j'ai confidéré
l'homme dans l'état de nature avec
tous les droits & toutes les prérogatives
qui accompagnent cet état ; & comme
mon intention eft de tirer de cet état primitif
des inductions qui s'étendent aux
fociétés civiles , envifagées dans les rapports
qu'elles ont les unes avec les autres
je n'ai pas cru devoir leur propofer pour
G
...
146 MERCURE DE FRANCE.
modele de conduite l'homme tel que nous
le peint M. Rouffeau dans cet état , c'est-àdire
, fauvage , borné à des fonctions animales
, né avec une imagination qui ne lui
peint rien , avec un coeur qui ne lui demande
rien , avec un efprit qui ne ſçait
pas s'étonner des plus grandes merveilles .
Comme cet homme eft moins homme que
bête il ne peut être affujetti à aucune loi qui
foit
propre
à un être
moral
, c'eſt
- àdire
, intelligent
& libre
; il ne fçauroit
être
vertueux
ni vicieux
. J'ai
traité
des
droits
refpectifs
que
nous
avons
les uns
avec
les autres
, de l'origine
des
Domaides
droits & des obligations qui en
réfultent , des différentes manieres de s'engager
les uns envers les autres , & de faire
ceffer les obligations contractées. Comme
la focieté paternelle ou domeftique
tient à l'état de nature , qu'elle eft antérieure
aux fociétés civiles , dont elle dépend
à certains égards lorfqu'elle eft une
fois reçue dans leur fein , j'en ai parlé dans
cette feconde Partie .
La troifieme Partie devroit naturellement
s'ouvrir par le fpectacle de l'homme
placé dans l'état civil ; mais avant que
d'en venir là , je prends l'homme fortant
des mains de la nature ; je le fuis à travers
tous les changemens que la fucceffion
A O UST. 1756. 147
des tems & des chofes a dû produire dans
fa conftitution originelle ; je démêle ce
qu'il tient de fon propre fonds d'avec ce
que les circonstances & fes progrès ont
ajouté ou changé à fon état primitif ; enfin
je marque dans le progrès des chofes le
moment où le droit fuccédant à la violence
, la nature fut foumiſe à la loi.
Lorfque je fuis parvenu à placer l'hom
me dans l'état civil , je mefure l'intervalle
immenfe qui le fépare de l'homme fauvage
, & balance les avantages des deux états.
On imagine bien que je ne fuis pas affez
mifantrope pour donner la préférence à
l'homme fauvage fur l'homme civil . Si le
calme des paffions & l'ignorance du vice
empêchent le premier de faire mal , le foible
développement de fes lumieres ne lui
permet pas de faire tout le bien qu'il
pourroit , fi fa raifon étoit plus perfectionnée
. Si le fecond a plus de vices , il a auffi
plus de vertus , & cela feul fuffit pour décider
la queftion , quand d'ailleurs il feroit
prouvé qu'il y a moins de vertus que
de vices parmi les hommes civilifés ....
La raison du fauvage étant enveloppée
dans un fombre nuage , & fes facultés fpirituelles
dans une espece d'engourdiffement
, il eſt comme s'il n'exiftoit point.
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
L'animal feul exifte chez lui , & l'homme
eft encore à naître , &c..
Forcés de nous arrêter par les limites
que nous nous fommes impofées , nous
paffons à cet endroit de la Préface , où
l'Auteur a mis , pour ainfi dire , tout le
germe de fon traité , & nous nous y renfermons.
Dans tout Ouvrage bien fait ,
on trouve , dit-il , une idée dominante
qui fe développe , s'étend , ſe ramifie , en
fe nourriffant de toutes les autres qui s'en
rapprochent comme d'elles- mêmes. Voici
celle qui eft comme la baſe de tout mon
Ouvrage , & à laquelle fe rapporte néceffairement
tout ce que j'y dis. » La Nature
» nous fait une loi de nous porter aux ac-
» tions qui tendent à notre perfection & à
» celle de notre état , & par la raiſon des
» contraires , de nous abftenir de toutes
» celles qui ne peuvent nous détériorer ,
»ainfi que tous les objets qui ont des rap-
" ports immédiats avec nous ces actions
» doivent être déterminées par les mêmes
» raifons finales , que le font nos actions
» naturelles , parce que ce font les feules
qui contribuent à notre perfection & à
» notre bonheur. » Ce principe général du
Droit de la Nature eft fi fécond , qu'il n'y
a rien dans toute l'étendue de ce Droit ,
ور
"
ود
A O UST. 1756. 149
qui ne s'en déduife par un enchaînement
de conféquences néceffaires.
On annonce dans le Projet de Soufcrip .
tion , qu'on ne négligera rien pour donnet
une Edition extrêmement correcte & digne
de l'importance des matieres qu'on
préfente au Public . Les Soufcripteurs paye
ront 21 florins de Hollande en quatre
payemens, chacun de S5 florins , 5 f. ou un
ducat , dont le premier ſe fera en ſouſcrivant
, le fecond , en recevant les tomes
1 & 2 , le troifieme , en recevant les tomes
3 & 4 , le quatrieme , en recevant
les tomes 5 , 6 , 7 & 8 : les tomes 9 ,
10 , 11 & 12 feront donnés gratis . Le
prix fera arbitraire pour ceux qui n'auront
pas foufcrit. La Soufcription fera ouverte
jufqu'au premier Janvier 1757. On imprimera
à la tête le nom des Soufcripteurs.
Les tomes 1 & 2 fe délivreront le premier
Avril 1757 ; les tomes 3 & 4 le premier
Juillet , les tomes 5 , 6, 7 & 8S le premier
Janvier 1758 ; les tomes 9 , 10 , II &
12 le premier Juillet 1758. On foufcrira à
Paris , chez le Breton , David , Durand ,
Briaffon & Lambert .
pro- DISCOURS fur les Vignes. L'on fe
poſe dans cet Ouvrage de faire voir les
rapports que les vignes ont avec les autres
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
prouparties
de l'Etat , & avec l'intérêt commun
& particulier. En 1731 , le Roi rendit un
Arrêt, par lequel il fut défendu de ne faire
aucune nouvelle plantation de vignes dans
toute l'étendue des Provinces & Généralités
du Royaume , & de réparer même
tout ancien plant qui auroit été deux ans
fans être cultivé , fans une permiffion expreffe
de Sa Majefté , fous peine de 3000 1.
d'amende. Le but de l'Auteur eſt de
ver que l'abondance des plantations ne
peut nuire à l'intérêt de l'Etat , du Prince
& du particulier : il veut même prouver
que cette abondance qui ne peut être ,
nulle part du Royaume , un mal , peut
être en beaucoup d'endroits un bien. Il
met fous les yeux toutes les raifons qui
ont déterminé les Intendans à folliciter cet
Arrêt , & il oppofe raifon à raifon pour
établir fon fyftême. Pour nous renfermer
dans les bornes que nous nous fommes
prefcrites , nous nous contenterons de dire
que cet Ouvrage refléchi & élégamment
écrit , eft d'un homme qui a déja montré
les fentimens d'un Citoyen & l'efprit d'un
Philofophe.
C'eft une Brochure de 68 pages . On la
trouve chez Piffot , à la defcente du Pont-
Neuf.
A O UST. 1756. 157
L'INOCULATION , Poëme à Mgr le Duc
M. Poinfinet , le jeune.
d'Orléans ; par
Principis obfta : fero medicina paratur ,
Cùm mala per longas invaluére moras.
Ovide.
A Paris , fans nom de Libraire , 1756 .
L'Auteur a divifé ce Poëme en trois
parties . Dans la premiere , il peint l'origine
de la petite- vérole en Arabie , fes
progrès & quelques-uns de fes effets . Dans
la feconde , il chante l'heureufe découverte
de l'inoculation , fes fuccès , nomme les
lieux où elle fleurit , & trace en vers la
maniere d'inoculer. Dans la troifieme &
derniere partie , il juftifie l'inoculation
contre fes Antagonistes. Si ce fujet offre
plutôt la matiere d'une Differtation que
celle d'un Poëme , il a du moins l'avantage
d'être neuf ; d'ailleurs le talent fçait fe
rendre tout propre :
( 1 ) Et c'eft du fein des grands obftacles
Que naiffent les grandes beautés.
M. Poinfinet le prouve par fon Ouvra
ge. On peut dire , fans trop le flatter , qu'il
trouve fouvent l'art d'y répandre de la
la poëfie qui le difpenfe du raifonnement.
(1) M. de la Mothe-Houdart dans fes Odes
Giv
152. MERCURE DE FRANCE.
Pour en convaincre le Lecteur , nous allons
tranfcrire ici quelques tirades qui nous
ont paru heureufement verfifiées . Telle eft
la naiffance poétique de la petite-vérole
dans la premiere partie :
Du centre des déferts , de l'inculte Arabie ,
Quelle fombre vapeur s'exhale dans les airs !
De nuages épais les aftres font couverts :
Le jour s'éclipfe , il fuit : l'atmoſphere obſcurcie
Ne laiffe plus briller que le feu des éclairs .
Tout à coup le nuage & groffit & s'avance :
La terré l'enfanta , le foleil le condenſe ;
Son ardeur le refferre , & n'offre plus aux yeux
Que l'immenfe contour d'un globe ténébreux,
Il s'ouvre; quelle horreur ! quel monftre épouvantable
!
C'eſt le fils de la mort que nous vomit l'enfer.
Il s'élancé fur nous, Dieux ! fa gueule effroyable
Eft d'un poifon mortel , la fource intariffable.
De cet hydre effrayant qui pourra triompher ?
Il baigne dans le fang fes aîles meurtrieres ;
De fon haleine impure , il infecte les Cieux.
Son corps et tout couvert ( 1 ) de jauniffans ul-
..ceres ,
D'où découle fans ceffe un fiel contagieux.
(1) Ce Vers a un grand air de ressemblance
avec celui-ci qui eft dans Phedre :
Tout fon corps eft couvert d'écailles jauniſſantes.
A O UST. 1756 .
155
Lui-même fe repaît , lui- même s'enfanglante ,
Se déchire , & toujours l'Ange exterminateur
Lui porte fous les flancs une torche brûlante ,
Qui ranime fa rage & nourrit fa douleur.
tout va mourir , tout cede à fa fu-
Tout meurt ,
reur.
Femmes , enfans , vieillards , malheureufes vio
times ,
Vous , levez vers les Cieux vos regards effrayés.
Sous vos fables brûlans vous cherchez des abys
mes ,
Et vous trouvez partout la mort que vous fuyez.
Le Poëte fait enfuite cette galante apoftrophe
:
Défendez , Dieux vengeurs , votre plus bel ou
vrage ;
Er toi , fils de Vénus , veille fur la beauté :
Elle affure ton culte , en offrant ton image.
Viens purger l'univers de ce monftre indompté.
Ce n'eft qu'aux humains feuls que s'acharne fa
rage.
Plus fortunés que nous , ces groffiers animaux ,
Tandis que nous mourons , moiffounent la vers
dure.
Ils jouiffent en paix des dons de la nature
Et goûtent nos plaifirs fans éprouver nos maux.
Voici comme l'Auteur décrit dans le
Gr
154 MERCURE DE FRANCE.
feconde partie , la maniere dont une beauté
eft inoculée à la faveur du bain :
Dans l'onde la plus pure Artemire baignée ,
Fait couler en fon fein une fraîche liqueur.
Efculape l'approche , il raffure fon coeur ,
Et cache entre les mains une étoupe imprégnée ,
De ce même venin fi funefte aux appas.
'Artemire le voit ; mais d'une ame affurée ,
Et dès que de fon fang la maffe eft épurée ,
Un acier falutaire entr'ouvre fon beau bras.
Dans la plaie à l'inftant l'étoupe eft inférée ,
Et ce fiel jufqu'alors , principe du trépas ,
Dans un corps où fa route est déja préparée ,
Coule , altere le fang , mais ne le corrompt pas.
A l'art qui l'a dompté , fa violence cede ;
Et des maux qu'il caufoit il devient le remede.
Ainfi cet animal ( 1 ) venimeux , infecté ,
Dont un trépas certain fuit de près la morfure ,
Ecrafé fur la plaie en guérit la bleſſure ,
Et lave de fon fang le fiel qu'il a jetté.
Nous ne pouvons mieux terminer ce
court précis que par les vers qu'on va
fire , & qui contiennent des éloges & bien
mérités :
Dans les murs de Paris , fous les yeux de la France ,
Cet art étale enfin fes fuccès éclatans :
(1 ) Le Scorpion
A O UST. 1756. 133
Comte ( 1 ) , pour t'affurer un éternel printemps ,
Il ne t'en a coûté qu'un iaftant de fouffrance ;
Tu conferves tes jours , tu rends à l'eſpérance
L'héritiere du nom & des appas d'Hortenfe.
Suis déformais le cours de tes deſtins brillans :
Vole , & que fous tes loix nos foldats triomphans
Du grand Belle- Ifle en toi retrouvent la vaillance :
Mais qui t'a pu donner des exemples frappans ?
Qui t'a de ce grand art démontré l'excellence ?
C'eſt un Prince , un Héros dont la tendre prudence
Pour les fauver tous deux , y foumet fes enfans.
Peu fenfible aux clameurs d'un peuple téméraire
Toujours prompt à blâmer ce qu'il ne comprend
pas ,
Il penſe en Philofophe , il fe conduit en pere.
Le fuccès va bientôt confondre ces éclats .
Levons les yeux , voyons fon augufte famille.
Dans leurs regards fereins , c'eft la fanté qui
brille :
Ils vivront ces enfans , & c'eft pour nous aimer.
Rendons graces à l'art qui les a fait renaître ,
Et chantons ce Héros que je n'ofe nommer ..
Mais que dis-je ! à ces traits , qui le peut méconnoître
?
C'eft Philippe , la gloire & l'appui de nos lys ;
(1) Mile Comte de Gifors.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
C'eft l'ame de mes vers , mon bienfaicteur , mon
Maître ,
Qui rend à nos tranfports & fa fille & ſon fils,
HISTOIRE raifonnée des premiers fiecles
de Rome , depuis fa fondation jufqu'à la
République , , par M. Paliffor de Montenoy
, de la Société Royale & Littéraire de
Lorraine , & de l'Académie des Belles-
Lettres de Marfeille.
Tanta molis erat romanam condere gentem.
Virg. Eneid.
Deux Volumes . A Londres , 1756. Se trouve
à Paris , chez l'Auteur , rue du Dauphin
, maifon de M. de Gaumont ; & fe
vend à Avignon , chez Jacques Garignan ,
Libraire . Prix 2 liv. in 8°.
Cette Hiftoire eft dédiée au Roi de Pologne
( Stanislas ) , & précédée d'un Dif
cours fur l'Hiftoire à Madame D *** , que
nous avons trouvé rempli d'excellentes
réflexions. Quand on penfe auffi bien fur
l'hiftoire , on eft fait pour la bien écrire.
M. Paliffot nous paroît juftifier le titre de
celle que nous annonçons , & rajeunir un
fonds ufé par la maniere nouvelle dont il
le traite. L'Hiftorien voit toujours en Philofophe
, & fait marcher la raifon à côté
de l'élégance. Les endroits que nous allons
A O UST. 1756. 157
extraire , prouveront la vérité de cet éloge.
Nous les prenons au hazard dans la vie
de Romulus & dans celle de Numa .
وو
ور
"
Le peuple brifa la prifon de Rhéa Sil-
» via , & remit à Numitor la Couronne
» de fes peres. La pitié que l'on a toujours
pour les illuftres malheureux lui gagna
» tous les fuffrages ; c'eft un mérite aux
» yeux du peuple d'avoir été l'objet des
» perfécutions d'un Tyran , la compaffion
» devient amour , & l'élévation de l'opprimé
met le comble à la joie publique .
» Un fentiment en apparence fi définté-
» reffé, n'a peut- être d'autre fource que l'ef-
» poir fécret des récompenfes. Rarement
» les hommes fe perdent de vue dans leurs
» actions. L'encens qui fume aux pieds des
» Autels , ne s'allume pas toujours pour
» la Divinité que l'on y révere ; l'intérêt a
» fes temples comme elle , & peut- être
plus de miniftres . Il fe cache dans l'amitié
, dans l'amour même , & la réflexion
l'y furprendroit fans peine , malgré
» fes déguiſemens.
"
ود
"
» Après avoir remis le calme dans l'Etat,
» il étoit digne de ce grand homme ( de
» Numa ) d'y faire régner l'abondance . Il
voulut attacher fon peuple à l'agricul-
» ture . Cette profeffion , la premiere , la
» plus utile , & peut-être la plus honora158
MERCURE DE FRANCE.
"3
39
» ble , eft en même temps la véritable richeffe
d'un Empire : un Roi qui veut être
» le pere de fes fujets , ne peut l'encourager
par trop d'exemptions & de privileges.
» Dans un Etat où le luxe auroit fait une
» idole du fuperflu , & qui par-là même
" feroit plus voifin de fa ruine , on ne
doit pas craindre de répéter trop fou-
» vent que l'agriculture feule eft fa fource
» réelle : mais fi le Laboureur accablé trou-
» ve à peine dans un travail ingrat &
pénible dequoi fatisfaire à l'avidité des
Exacteurs , bientôt les terres en friche ,
» mal cultivées du moins , peut-être abandonnées
, n'offriront plus , au lieu du
» riant tableau d'une campagne fertile ,'
que le fpectacle affreux de l'indigence &
» de la défolation . Tous les canaux d'où
» circule l'abondance tariffent , le com-
» merce languit , le nombre des Citoyens
» diminue , l'amour de la patrie s'éteint
» & le luxe même , qui n'eft que le fard
» des miferes publiques , s'évanouit avec
» l'Etat devenu fa victime. »
"
"3
"
"
Nous finirons par ce trait qui regarde
les Veftales. Leur regle , dit l'Auteur , les
condamnoit à refter trente ans au fervice
de la Déeffe , dont dix s'écouloient dans
P'étude des fonctions de leur miniftere ;
dix pour l'exercer , & les dix dernieres
A O UST. 1756 : 159
pour inftruire celles qui devoient les remplacer
au bout de ce temps , il leur étoit :
libre de fortir du Temple & de fe marier.
Peu d'entr'elles profitoient de cette liberté.
La fuperftition remarqua même que celles
qui le firent , ne furent point heureuſes.
Mais il ne paroît pas étonnant que de
vieilles filles , fieres de la vénération que
l'on avoit eue pour elles , n'infpiraffent
point à leurs maris des paffions bien violentes
: le contraire eût été plus digne d'être
obfervé.
LES VIES des Hommes Illuftres comparés
les uns avec les autres , à commencer
depuis la chûte de l'Empire Romain jufqu'à
nos jours.
Il feroit difficile & trop long de faire
l'extrait de cet ouvrage dont on donne aujourd'hui
deux tomes , & qui doit en
avoir plufieurs. L'Auteur ( M. Richer )
déja eftimé & connu , dit dans fa Préface,
que le plan de fon Ouvrage ne lui paroît
pas mauvais , & nous croyons qu'il a raifon.
« S'il eft mal rempli , continue-t'il ,
» je fuis prêt à céder la plume à un autre ,
» pour la fuite » . Cette modeftie eftimable
, prépare agréablement les efprits au
plaifir que doit caufer & que caufe une
lecture variée & intérellante. Celui qu'elle
160 MERCURE DE FRANCE.
nous a procuré nous engage à le raffurer
fur fes craintes. Il faut lire l'ouvrage en
entier pour pouvoir l'apprécier ce qu'il
vaur. Nous nous contenterons d'en donner
une légere idée qui renfermera pourtant
tout fon plan. M. Richer s'eft propofé
de repréfenter les hommes illuftres dans
leurs actions les plus éclatantes depuis la
décadence de l'Empire Romain jufqu'à nos
jours. Chaque hiftoire eft donc un tableau
raccourci , mais fidéle : tout ce qui eft effentiel
eft rapporté. L'Auteur a joint au def- ›
fein de peindre le deffein de juger. Pendant
tout l'ouvrage ces hommes illuftres
font placés à côté l'un de l'autre ; on les
voit , pour
ainfi dire , deux à deux ; un
parallele court & exact les repréſente encore
dans un point de vue plus rapproché
après qu'on les a vus dans leurs actions.
Attila eft comparé à Clovis ; Théodoric
l'Omale , à Guillaume le Conquérant
; Aëtius , Général des Armées Romaines
, à Bélifaire , autre Général des
mêmes Armées ; Charles Martel , à Saladin
, Sultan d'Egypte ; Amalafonte , Reine
des Oftrogots , à Brunehaut , Reine de
France. Les jugemens de l'Auteur nous ont
paru fenfés. Pour donner une idée de fon
ftyle , nous allons rapporter quelques morceaux
pris dans les paralleles. « Le Roi
A O UST. 1756. 161
» des Huns ( Attila ) ne faifoit ufage de
»fes victoires que pour affliger les hom-
» mes ; il faifoit maffacrer ceux que la
» guerre avoit épargnés. Ce n'étoit qu'un
» deftructeur qui mettoit tout fon plaifir à
» ruiner tout ce qu'il rencontroit , & à
»voir fes lauriers enfanglantés. Clovis
» confervoit les villes , les palais , com-
» me le prix de fa victoire ; des vaincus ,
" il fçavoit en faire des fujets fideles , &
» de Conquérant , il devenoit un Roi .....
» Clovis fut plus courageux qu'Attila . Il
» avoit peut- être le fonds du caractere
» auffi cruel : mais il étoit plus prudent .....
» Guillaume ne vit d'autre moyen pour
» conferver fes Etats , que la guerre : il
ور
ود
"
paffa fa vie fous les armes. Théodoric
» n'amalfoit des richeffes que pour les dif-
» tribuer au mérite. Les coffres de Guil-
» laume étoient un gouffre où l'or & l'ar
" gent de la Normandie & de l'Angle-
» terre venoient s'engloutir. Ils fçavoient
" tous deux repréfenter , le Roi d'Italie
» par magnificence , le Roi d'Angleterre
» par ambition . Tous deux vivoient avec
frugalité : les femmes eurent peu d'em- c
pire fur leur coeur. Théodoric agiffoit
»par philofophie , Guillaume n'aimoit que
» les armes , & ne fongeoit qu'aux armes...
Joferois dire que Théodoric étoit un
و و
و ر
162 MERCURE DE FRANCE.
"
و د
>
» grand Roi , Guillaume un grand géné-
" ral d'armées ..... Aëtius & Bélifaire arrê-
»terent la chûte de l'empire chancelant :
"ils appellerent les Romains , les affem-
» blerent autour d'eux , releverent leur
les armerent , courage abattu & les
"accoutumerent encore à vaincre. Tous
» deux élevés dans les Camps , ils fe fami-
»liariferent avec les armes , & apprirent
» à commander en obéiffant..... Alors l'am-
»bition d'Aëtius fe développe : il ne vou
»lut partager avec perfonne les faveurs
" du Prince & les honneurs. Il obtint du
" crime ce que la vertu lui refufoit .....
Bélifaire vouloit des honneurs , il vou
» loit encore les mériter. Pour les obtenir,
» il faifoit parler fes actions .... En parlant
de Charles Martel & de Saladin , il
dit : Le premier entend la voix de la
»fortune , trompe fes gardes , brife fes
» chaînes , court au moment qu'elle l'appelle
, paroît au milieu des Auftrafiens ,
profite de leur crédulité , leur annonce
»un miracle , les étonne , les range fous
» fon obéïffance , affiége le Trône , & fe
» fait déclarer chef des François . L'autre
» n'agit que quand il eftfûr de réuffir . Sitôt
qu'il fe voit la force en main , il fe lance
»fur ceux qui s'oppofent à fon paffage , les
renverfe tous & faifit le fceptre ».
و د
ود
و د
"
A O UST. 1756. 163
On doit fçavoir gré à M. Richer d'avoir
enrichi les bibliotheques d'un livre utile.
S'il exécute fon plan jufqu'à la fin , & fi
fon travail eft foutenu , ce fera un préfent
qu'il aura fait aux gens d'efprit , & un
fervice qu'il aura rendu aux Sçavans . Tout
l'ouvrage eft plein de recherches qui pourront
épargner beaucoup d'ennui aux premiers
qui veulent s'inftruire , & beaucoup
de peine aux autres qui veulent écrire . Se
vend chez Praultfils , au bas du Pont neuf,
à la Charité , & chez Piffot , à la defcente
du Pont- neuf , avec Approbation & Privilege
du Roi.
TRAITÉ de l'accroiffement , tant en fucceffion
légitime que teftamentaire , par
M *** , Avocat au Parlement. A Paris ,
chez Delormel , rue du Foin , 1756. Prix
3 liv. relié .
*
DISSERTATION , qui a remporté le prix
au jugement de l'Académie Royale des
Sciences , des Belles- Lettres & des Arts de
Rouen , en 1755 ; par M. Teulieres de
Montauban , Avocat au Parlement de
Toulouſe. A Montauban , chez J. F. Tenlieres
, Imprimeur du Roi , 1756.
Cette Differtation qui a pour fujet ,
dans quels genres de poëfie les François font
164 MERCURE DE FRANCE .
ils fupérieurs aux Anciens ? nous paroît
traitée avec autant de goût, qu'elle eſt écrite
avec élégance , en conféquence trèsdigne
du prix qu'elle a remporté .
Le trop d'étendue que D. Touffaint du
Pleffis a donné à fes Réflexions fur l'Hiftoire
de Paris , par M. l'Abbé le Beuf , ne nous
permet pas d'en donner la fuite entiere.
Elles occupent fucceffivement trop de
place dans la partie Littéraire , qui eft
deftinée particuliérement aux annonces &
aux extraits des Livres nouveaux. Nous
avons été obligés pour les inférer dans
trois Mercures confécutifs , de retarder
l'indication ou le précis de plufieurs de ces
Ouvrages , dont nous devons parler par
préférence. La diverfité d'ailleurs que nous
profeffons , nous fait un devoir de n'admettre
dans notre Recueil que des morceaux
courts pour y en faire entrer un
plus grand nombre , & obferver par là
cette variété qui fait l'effence & le mérite
de ce Livre périodique. Pour abréger
cette difpute littéraire , au prochain Merre
nous pafferons du n° . 33 au n°. 64 , &
nous donnerons laRéponse à ces réflexions.
Elle eft d'un ami de M. l'Abbé le Beuf ,
que fon grand âge & fes infirmités ont mis
hors d'état d'y répondre lui- même.
A O UST. 1756.
IGS
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
GÉOMETRIE.
THÉORÊME.
Concernant la quadrature des Courbes ;
par J. G. Maron.
Dans une courbe
quelconque ABC ,
le rectangle
élémentaire
B L, qui lui eft
circonfcrit
, eft à fon
rectangle
correfpondant
AI circonfcrit
G
au complément
, comme
la foutangente B
D , eft à l'abfciffe correfpondante
BC. AN
M
BM : AN faut prouver que A B x BM : AN x
NI :: BD : B C.
Démonftration.
En confidérant la partie infiniment
petite AS de la courbe , comme une par1.66
MERCURE DE FRANCE.
tie de fa tangente AD , les triangles femblables
ANS , ABD donnent cette proportion
, AN : NS :: AB : BD ; mais NS =
BM : donc AN : BM :: AB : BD' : donc
AN X BD AB X BM : mais
NIBC. Ainfi multipliant ces deux
égalités l'une par l'autre , on aura AN x
BD X NI AB X BM X BC ;
d'où l'on tire la proportion AB x BM : AN
× NI :: BD : BC. C. Q. F. D.
-
Je ne crois pas devoir m'étendre ici fur
l'ufage qu'on peut faire de ce Théorême.
Les Géomêtres éclairés verront d'abord
qu'il donne la quadrature de toutes les
paraboles d'une maniere plus fimple &
beaucoup plus claire , que les Méthodes
dont on s'eft fervi jufqu'à préfent. Quant
à l'application qu'on en peut faire aux
autres courbes ; elle eft plus difficile à ſaifir
, parce qu'elle fuppofe une théorie particuliere
des Séries , que perfonne n'a encore
donnée : mais elle fe trouvera dans
lafeconde Partie de mes Elémens des Séries ;
& je compte que cette feconde partie fuivra
de près la premiere , qui doit bientôt
paroître .
C'eſt après avoir fait part de ce Théorême
à des Mathématiciens de la plus
grande réputation , que je me fuis déterminé
à le publier d'avance , priant en
AOUST. 1756. 167
même tems les Géometres de m'apprendre
s'il fe trouve dans le cinquieme livre
des Sections coniques du Marquis de l'Hôpital.
J'attends leur décifion fur ce fait
avec d'autant plus d'impatience , qu'ayant
lu plufieurs fois cet ouvrage , je n'y ai
point vu mon Théorême , quoiqu'on m'ait
foutenu très-affirmativement qu'il y étoit
contenu .
PHYSIQUE.
EXPÉRIENCE qui démontre que l'air de
la refpiration paffe dans le fang.
Cette question fi l'air paſſe- dans le fang ,
a de tout temps infiniment intéreffé les
Phyficiens. Ce n'eft pas ici une de ces
queftions purement fpéculatives , ou qui
regardent des objets éloignés de nous. Ĉar
enfin la vie dépend de la refpiration , &
fi l'air que nous refpirons , s'introduit
dans le torrent de la circulation , il eft
évident que ceux que le devoir de leur
état , ou le malheur des circonstances , ou
les liens de l'amitié & de la parenté , obligent
de vivre dans des lieux infectés , foit
par des maladies contagieufes , foit par
163 MERCURE DE FRANCE.
des exhalaifons putrides de quelque part
qu'elles viennent , ont d'autres mesures à
prendre que fi l'air de la refpiration ne
l'infinue dans le fang. pas
Ces conféquences fi différentes en ellesmêmes
, & fi intéreffantes pour notre confervation
, ont engagé dans tous les temps
les Phyficiens aux recherches les plus opiniâtres
, pour pouvoir enfin décider fi
l'air de la refpiration paffe ou ne paſſe
point dans le fang. Mais comme ces recherches
n'ont produit qu'un conflit d'opinions
qui nous a prefque laiffés dans la
même incertitude , l'Auteur d'un ouvrage
qui paroît depuis quelques mois fur la
Phyfique des corps animés , a cru devoir
traiter la même queftion . Il l'a fait avec
une fagacité qui n'eft point commune ,
comme on peut s'en convaincre dans l'ouvrage
même , qui fe vend chez les fieurs
Guerin , Delatour , & Lottin. Il a raffemblé
un très- grand nombre d'expériences
dont la plupart font de lui , les autres
font des Auteurs les plus eftimés , tels que
MM. Hales , Boerhaave , Winflow , &
qui font un corps de preuve capable de
perfuader tous ceux qui voudront l'être
de bonne foi.
1
A ces expériences il vient d'en ajouter
une nouvelle , à laquelle les plus obſtinés
mêmes
AQUST. 1756. 169
mêmes feront obligés de fe rendre. Nous
croyons faire plaifir aux Phyficiens de la
leur communiquer. Il a plongé jufqu'au
col un animal , dans l'eau chaude juſqu'au
point d'y pouvoir à peine tenir la main .
Il lui a découvert une artere dans l'aîne .
& a renversé par deffus un récipient de
verre plein d'eau chaude , lequel s'élevoit
au- deffus de celle dans laquelle l'animal
étoit plongé. Enfuite il a ouvert cette
artere ; & il a vu de petites bulles d'air
monter au haut du récipient , pendant
tout le temps que le fang a coulé. Il en a
tiré cette conféquence qu'on aura de la
peine à lui contefter , que cet air eſt une
partie de celui qui entre dans les pou
mons à chaque inſpiration , & qui paffe
en petites bulles dans les vaiffeaux fanguins.
On pourra tourner cette expérience
de cent autres façons : on pourra , par
exemple , prendre une plus grande artere
dans le tronc même de l'animal , afin que
l'air monte en plus grande quantité & qu'il
foit plus fenfible dans le récipient ; en un
mot on pourra faire tel autre changement
qu'on jugera convenable.
H
170 MERCURE DE FRANCE.
#
MEDECINE.
1
RÉPONSE
De M. T. C. Docteur & Profeffeur en Médecine
, à l'Auteur d'une Lettre inferée
dans le Mercure du mois de Juillet 1755 .
Monfient , j'ai lu dans le Mercure du
$ mois de Juillet 1755 , pag. 128. une
lettre que vous avez fouhaité qu'on y inférât
, dans laquelle , après avoir témoigné
des doutes obftinés fur la poffibilité de
connoître infailliblement par l'ouverture
des cadavres les caufes éloignées & immé
diates des maladies du corps humain , vous
combattez l'idée de M. l'Abbé Raynal
qui , dans le Mercure de Septembre 1758 ,
donne l'ouverture des cadavres , comme
propre à foumettre les caufes des maladies
à l'examen des fens ;
Et comme l'idée de M. l'Abbé Raynal ,
porte fur les Obfervations Anatomiques
tirées de l'ouverture des cadavres , par
M. Barrere , Médecin à Perpignan ( fans
doute dans la premiere édition de fon ouvrage
qui eft de 1751 , ) vous ajoutez
A O UST. 1756. 171
qu'ayant parcouru avec des yeux avides
& avec toute l'application poffible celle de
1753 , vous n'y avez pas trouvé ce que
cet Auteur & M. l'Abbé Raynal promettent
:
Les affurances que vous donnez de ne
vouloir diminuer en rien le mérite de
l'ouvrage de M. B. ne vous ont pas empêché
d'en porter un jugement tendant à le
donner comme un homme qui a pris les
effets de la maladie pour fa caufe , & à
faire voir qu'au lieu de réuffir à montrer ,
comme il l'avoit promis , les caufes des
maladies par l'ouverture des cadavres , il
ne fait qu'indiquer celles de la mort , &
les effets de la maladie.
Quelqu'éloigné que je fois , Monfieur ,
de croire qu'on puiffe toujours connoître
ni aifément , ni infailliblement les cauſes
des maladies par l'ouverture des cadavres ,
& quelque convaincu que je fois que les
vices des parties , que leur ouverture nous
offre , en font le plus fouvent les effets &
les fuites , je ne fuis pas moins perfuadé
que cette partie de l'Anatomie pratique
nous procure quelquefois la connoiffance
de la caufe de la maladie . Comme cependant
les imputations faites à M. B. font le
feul objet de cette réponſe qui n'eſt dictée
par aucun motif d'adulation , mais
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
*
uniquement par le défir de rendre juſtice
à la vérité , je ne m'attacherai pas à une
difcuffion qui m'écarteroit trop de mon
fujer.
L'édition de 1753 , que vous avez par
courue avec des yeux avides , ne préfente
rien d'où l'on puiffe inférer que M. B. ait
envifagé les vices des parties , qu'il a trouvés
en fouillant dans les cadavres , comme
les caufes des maladies. Il avertit au contraire
, avant d'entrer en matiere , qu'il
expofera nuement ce qu'il a trouvé à leur
ouverture , fans le préfenter ni comme la
cauſe , ni comme l'effet de la maladie.
L'accufation portée contre lui n'eft donc
pas jufte fi elle eft fondée fur cette édition.
Ileft vrai que dans celle de 1751 , M. B.
dit qu'en ouvrant un très-grand nombre
de cadavres , il s'eft propofé de vérifier
lui-même les caufes connues des maladies
, & d'en développer les caufes cachées
, & qu'il y ajoute que les fréquentes
ouvertures des cadavres font la voie la
plus fûre pour parvenir à la connoiffance
des caufes des maladies.
par
Peut-on cependant conclure delà que
-M. B. ait pris pour caufe de la maladie
les effets qu'elle a produit , & les vices des
parties qu'il a trouvés par l'ouverture des
cadavres ? Bien loin que la lecture de fes
A O UST. 1756. 173
Obfervations préfente rien qui juftifie cette
induction , elle eft au contraire détruite
par celles qui font contenues dans la premiere
fection , où cet Auteur donne l'engorgement
du cerveau qu'il a obfervé dans
différens cadavres , non comme la caufe ,
mais bien comme le produit de la Noftalgie.
Les veftiges que la maladie laiffe dans
le cadavre , ne peuvent- ils pas fouvent
fervir de guide à un Médecin éclairé pour
parvenir à la connoiffance de la caufe ?
M. B. peut donc avoir regardé l'ouverture
des cadavres comme une voie propre à fe
la procurer , fans que pour cela il mérite
d'être accusé d'avoir pris ce qu'il a trouvé
dans les cadavres pour la caufe des maladies.
la
J'ai parcouru l'ouvrage de M. B. Ses
obfervations ne m'ont prefque préfenté
partout que les effets de la maladie : mais
je n'ai pas trouvé qu'il les donnât pour
caufe. J'ai même trouvé différens vices
des parties internes , qui ne fçauroient
être regardés que comme les caufes des
maladies qui ont enlevé ceux qui en
étoient attaqués , quoique primitivement
ils puiffent avoir été les effets d'autres
maux. Car l'oedeme du poumon n'a- t'il
pas été la cauſe de l'oppreffion , de la toux,
H iij
174 MERCURE DE FRANCE .
L
du pouls petit , fréquent & comme tout
embrouillé , que fouffroient les malades
qui font l'objet de différentes obfervations
? L'adhérence du poumon au diaphragme
n'avoit- elle pas produit l'oppref
fion confidérable , le pouls petit , fréquent,
& la douleur vive au côté gauche de la
poitrine , que le malade rapportoit vers
Phypocondre gauche? Le vomiffement habituel
dont parle M. B. ne dépendoit- il pas
de l'obftruction cartilagineufe du pylore ?
L'égarement , la fureur , les convulfions ,
& nombre d'autres fymptômes, dont étoient
attaqués les malades dont il eſt parlé en
différentes obfervations , & l'inflammation
du cerveau qu'a préfenté l'ouverture
de leurs cadavres , n'avoient- elles pas été
produites par l'ufage qu'ils avoient fait de
la jufquiame & de la pomme épineufe ,
dont l'action porte au cerveau & fur le
fyftême nerveux .
Quoique la connoiffance des caufes des
maladies puiffe avoir eu quelque part dans
les vues de M. B. elle n'a pourtant pas
fait le principal objet de fes recherches.
Les conféquences qu'il tire des vices qu'il
a obſervé dans les parties par l'ouverture
des cadavres , & qu'il expofe d'une maniere
pure & fimple , & fans difcuter s'ils
font les cauſes où les effets des maladies ,
A O UST. 1756. 173
font affez voir qu'elles fe font étendues
plus loin , & que cet Auteur les fait fervir
à établir les fignes propres à connoître
certaines maladies dont le diagnoſtic eſt
plus qu'incertain , & à les diftinguer de
celles avec lefquelles elles paroiffent avoir
quelque analogie , comme auffi à découvrir
les moyens propres à combattre les
maladies , & à en écarter les fâcheufes
fuites.
L'ouverture des cadavres ne nous préfentât
elle que les effets de la maladie
elle ferviroit toujours à trouver plus aiſément
les moyens de les prévenir , & n'en
feroit par conféquent pas moins intéreſſante.
C'est là un des principaux objets que
paroît avoir eu en vue un célebre Médecin
dans l'ample & riche collection d'obfer
vations anatomiques qu'il nous a laiffée :
Anatome cadaverum morboforum vitia intus
abfcondita expromit , eo fine ut qui talia
in finu fuo fe fovere deprehendet , imminens
indè exitium pracavere ftudeat , ab eo maturè
fe fubducat , fiatque ex alieno periculo
cauftus ( 1 ) ; & quand même M. B. ſe
feroit égaré en donnant les effets des maladies
pour leurs caufes , ce qui n'eft certainement
pas , le zele avec lequel ce Médecin
, marchant fur les traces de Wepfer ,
(1) Bouet, in Prof. fepul. anat.
Hiv
175 MERCURE DE FRANCE.
de Bartholin , s'eft attaché à fouiller dans
les cadavres pour s'éclairer , & nous inftruire
fur la production des maladies & fur
leurs effets , & pour en tirer des conféquences
utiles dans l'art de guérir , n'offre
pas moins un exemple à imiter par tous
ceux qui ne trouvent pas d'obftacle à remplir
une partie fi effentielle. Je l'imiterois
avec d'autant plus de zele , fi j'occupois
jamais une place où on a la liberté de
fouiller dans les cadavres , que j'ai de tout
temps regardé leur ouverture comme un
des moyens les plus propres à enrichir la
profeffion , & je fuis furpris qu'on n'ait
jamais pensé à nous donner une Patholo
gie fondée fur l'Anatomie pratique , dans
un fiecle furtout auffi fécond & auffi éclai-
Lé , & où l'Académie Royale des Sciences ,
celle des Curieux de la nature , la Société
de Londres , les Ouvrages de M. B. & de
tant d'hommes célebres , fourniſſent une
infinité d'obfervations anatomiques , qui
feroient d'un grand fecours pour établir la
nature , le fiege , les caufes , les fignes &
les effets des maladies.
*
t
J'ai l'honneur d'être , &c.
A Perpignan , les Août 1755 .
La Relation détaillée de la prife du Fort
Saint- Philippe , que les circonstances nous
A O UST. 1756 . 177
font un devoir d'inférer dans ce Volume ,
nous oblige de remettre en Septembre la
Lettre fur la taille par M. Chaſtanet.
ACADÉMIE
Des Belles Lettres de Marſeille , 1756.
L'Académie , qui n'annonce ordinairement
le fujet qu'elle propofe pour le Prix ,
que dans fa Séance Publique , fixée au 25
Aoûr , Fête de S. Louis , croit devoir cette
année , pour des raifons qui feront vraifemblablement
approuvées , prévenir ce
jour.
25
Elle fe hâre d'avertir le Public que le
Août , Fête de S. Louis de l'année prochaine
1757 ,
elle adjugera le Prix fondé
par M. le Maréchal - Duc de Villars , fon
premier Protecteur , à une Ode de cent
cinquante vers au plus & de cent vers au
moins , à l'exclufion de rout Poëme dont le
fujer fera la Conquête de l'Ifle de Minorque.
Le Prix qu'elle décerne eft une Médaille
d'or de la valeur de 300 liv . portant d'un
côté le bufte de M. le Maréchal- Duc de
Villars , fon Fondateur & fon premier Protecteur
; & fur le revers , ces mots entourés
d'une Couronne de laurier : Pramium Academia
Maffilienfis.
Hv
178 MERCURE DE FRANCE:
*
Les Auteurs ne mettront point leur nom
au bas de leur Ouvrage , mais une Sentence
de l'Ecriture-fainte , des Peres de l'Eglife
, ou des Auteurs Profanes. Ils marqueront
à M. le Secretaire une adreffe à laquelle
il enverra fon Récépiffé. Ils prendront
les mesures néceffaires pour n'être
point connus avant la décifion de l'Académie
ils ne figneront point les Lettres
qu'ils pourront écrire à M. le Secretaire
ou à tout autre Académicien. Ils s'abftiendront
de tout plagiat , de toute idée & de
toute expreffion fatyrique , indécente ,
contraire à la Religion & au Gouvernement
, enfin de toute follicitation , fous
peine d'exclufion du concours .
On adreffera les Ouvrages à M. de Chalamont
de la Vifclede , Secretaire perpétuel
de l'Académie , rue de l'Evêché. On affranchira
les paquets à la pofte , fans quoi ils
ne feront point retirés. Ils ne feront reçus
que jufqu'au premier Mai inclufivement.
Une feule Copie fuffira pourvu qu'elle foit
bien lifible.
L'Auteur qui aura remporté le Prix ,
viendra , s'il eft à Marfeille , le recevoir
dans la falle de l'Académie le jour de Saint
Louis , & s'il eft abfent , enverra à une perfonne
domiciliée à Marſeille , le Récépiffé
de M. le Secretaire , & le Prix lui fera remis.
I
A O UST. 1756. 179
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLE S.
MUSIQU E.
SEi concerti àfeiftrumenti , cimbalo ò organo
, obligati , tre violini , flauti , alto viola
e violoncello da Michelle Corrette , Organifta
dei Grand Giefuiti. Opera 26 .
L'Auteur avertit que fur l'orgue il faut
toucher les allegro fur le grand jeu , les
adagio fur les flûtes , & les folo fur le cornet
de récit , à l'exception du troifieme
concerto ; les autres peuvent fe toucher
fans fymphonie. La partie de flûte n'eft néceffaire
que lorfqu'on exécute ces concerto
fur l'orgue , & les pizzicati dans les
parties de violon , ne doivent avoir lieu
que quand on les exécutera fur le claveçin.
Se trouvent chez l'Auteur , rue Montorgueil
, à la Croix d'argent , près la Comédie
Italienne , & aux adreffes ordinai
res , prix 12 liv..
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
GRAVURE.
LE fieur Chenu vient de mettre au jour
le Buveur & le Grivois , deux Eftampes qu'il
a gravées d'après les Tableaux originaux
d'Adrien Van Oftade , tirés du Cabinet de
M. le Comte de Vence. L'efprit & le caractere
en font très - bien rendus. Elles fe
trouvent chez l'Auteur , rue de la Harpe ,
vis-à- vis le Caffé de Condé .
Le fieur de Vezou , Ingénieur- Géographe
, Maître de Typographie , de Géographie
& d'Hiftoire , vient de mettre au jour
deux Plans Topo-hydrographiques. Le premier
repréfente le détroit de Gibraltar
dirigé en partie fur la Carte Hollandoife
d'Henri Linflager , & traduite du Hollandois
en François , avec des détails intéreffans
. Le fecond repréfente la Baie de Gibraltar
, d'après le deffein du Chevalier
Renaud , avec les defcriptions des Villes ,
Baie , Montagne & vieux Gibraltar .
Le fieur de Vezou s'eft déja fait connoître
par fa Mappe
-Monde
Géo- Sphérique
,
dont
l'utilité
eft fi grande
pour
tout
le
monde
, & en particulier
pour
les Etudians
,
qu'en
moins
de quinze
jours
l'on
fçait
tous
AOUST. 1756. 180
=
les principes généraux de la Sphere Armillaire
, & le rapport que cette même Sphere
a avec des Globes Célefte & Terrestre. II
eft auffi connu par la maniere dont il enfeigne
à lire par le Bureau Typographique
( méthode très rare & très - bonne , qui
abrege de plus des trois quarts , le temps
que les enfans mettent à apprendre par
l'ancienne méthode ) .
募
Le fieur de Vezou , fon frere , Maître
de Littérature des Enfans de M. le Duc
d'Orléans , qui demeure rue de Beaune
Fauxbourg S. Germain , vis-à vis l'Hôtel
d'Aumont , enfeigne auffi avec beaucoup
de fuccès la lecture & les Langues Françoife
& Latine , par le Bureau Typogra
phique , & il fauve par cette méthode plus
de deux années d'étude. "
1 A Paris , chez l'Auteur , rue S. Martin ,
près la rue aux Ours , vis- à- vis un Charron ;
de Palmeus , fils , Ingénieur- Deffinateur-
Géographe de S. A. S. Mgr. le Prince de
Conti , rue Tictonne , chez M. Aufonne ,
Avocat aux Confeils du Roi ; Lonchamp ,
Géographe , rue S. Jacques , à la Place
des Victoires .
182 MERCURE DE FRANCE.
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Monfieur , puifque vous avez fait dans
votre Mercure un Article particulier des
Arts , je crois pouvoir vous adreffer la
copie d'une lettre qui m'a paru affez finguliere
pour y- occuper une place.
Une Dame a acheté une très - belle terre
dans laquelle entr'autres objets d'agrément
, il fe trouve un grand jardin planté
par le célebre Le Notre : elle a envoyé un
de nos meilleurs Architectes pour lui faire
un jardin agréable. L'Architecte a trouvé
celui-ci tel que , malgré le défir qu'il avoit
de la contenter , il n'a pu s'empêcher de lui
écrire que ce qu'elle défiroit réformer ou
détruire , lui paroiffoit d'une fi grande
beauté , qu'il fe reprocheroit comme un
crime la hardieffe d'y faire aucun changement
: voici ce qu'elle lui a répondu .
Il ne fert de rien , Monfieur , de m'alléguer
vos anciens principes de l'Art : ils
A O UST. 1756. 183-
نم
font abrogés par le non ufage. En vain
me direz vous que la véritable beauté d'un
arbre eft deformer une belle voûte de part &
d'autre , qui fans être taillée avec affectation
, foit cependant affujenie à des regles ,
dont le but est d'imiter la plus belle maniere
d'être d'un arbre venu naturellement. Non
feulement je veux que vous me coupiez
tous mes arbres de haute futaie à la moitié
de leur hauteur , en facrifiant fans miféricorde
ce que vous appellez leur belle
tête , mais j'entends encore que vous les
faffiez tailler en paliffade ou en éventail
dans le dernier goût. Je ne trouve pas cette
uniformité continuée pendant de longs eſpaces,
où , pour ainsi dire , une feuille ne paffe pas
l'autre , auffi ennuyeufe que vous le dites.
Vous ajoutez que les branches chargées de
leursfeuilles paroiffent destinées par la nature
à donner de l'ombrage pendant les chaleurs ·
de l'été , & qu'en taillant les arbres en
paliffades , ce qu'il vous plaît d'appeller
en muraille , on ne trouve plus aucun lieu
où l'on puiffe fe mettre à l'abri du foleil.
Cette réflexion a quelque chofe de fpécieux
, mais elle tombe d'elle-même lorfque
l'on confidere que c'eft la mode , &
que toutes les perfonnes qui fe piquent
d'un goût délicat les font tailler ainfi . Je
compte de plus que tout le deffus des ar
184 MERCURE DE FRANCE.
bres plantés en quinconces, que vous m'accourcirez
, formera une fuiface auffi unie
que le deffus d'une table. J'imagine un
agrément inexprimable dans le coup d'oeil
que cela produira lorfqu'on fera au haur
du château ' , quoique vous prétendiez que
ce foit une chofe très infipide qu une telle
efplanade verte fans aucune variété. Vous
croyez être appuyé bien folidement , lorfque
vous citez ce que vous appellez le magnifique
berceau de la grande allée du Palais
Royal , & ceux de la grande allée & des
contre- allées des Tuileries , fur leiquelles
vous criez à la merveille ! mais j'ai à
vous répondre que fi l'on plantoit ces jar
dins maintenant , on fe garderoit bien de
les faire tels qu'ils font , & que fi ceuxqui
les dirigent & qui les entretiennent ,
étoient bien confeillés , loin de laiffer ces
voûtes obfcures qui empêchent qu'on ne
puiffe y refpirer , ils feroient tailler tous>
ces arbres en éventail. Vous faites grand
cas des allées qui laiffent voir toute l'é->
tendue d'un jardin . Mon intention eft au
contraire qu'il n'y en ait pas une feule
droite dans le mien autant que cela me
fera poffible. Dans ce que je ferai de nouveau
, elles feront fi tournoyantes qu'on
ne s'y verra plus à fix pieds de diſtance ,
& tellement étroites qu'on n'y paffera que
AOUST. 1756. 185
deux de front. Il eft fâcheux que nous
nous trouvions de goût fi contraire , que
la réflexion que vous m'oppofez à ce fujet
eft préciſement cei m'y détermine.
Vous m'objectez que cela aura l'air d'un
labyrinthe , & que cette mauvaife plaifanterie
eft paffée de mode , parce qu'on s'eft
apperçu qu'ils prenoient un terrein dont
on ne faifoit aucun ufage , s'ils étoient bien
embarraſſans , on ne s'y engageoit point , de
crainte de n'en pas fortir quand on le voudroit
; s'ils étoient faciles , le but qu'on fe
propofoit étoit manqué , tout leur mérite confiftant
dans la difficulté de retrouver son
chemin j'ai juftement un goût décidé
pour les labyrinthes. Qu'eft- ce en effet
qu'un jardin où l'on ne peut s'égarer ?
Je fuis bien éloignée d'accepter ces grands
efpaces que vous me propofez pour mes
bofquets. Je les veux extrêmement petits
& multipliés , pour ainsi dire , à l'infini .
Si j'ai particuliérement quelque chofe à
blâmer dans les jardins publics , ce font ces
grands efpaces vuides , qui , dites - vous ,
y donnent de la dignité , & que je vous
foutiens n'être que la preuve du défaut de
génie. Quelqu'un qui fçauroit employer
le terrein , trouveroit à faire vingt bofquets
, tous plus agréables les uns que
les autres , dans l'étendue que vous
186 MERCURE DE FRANCE.
donnez à un feul . J'exige donc beaucoup
de bofquets , qu'ils foient faits en treillage
à la mode , & que les arbres y foient plantés
fi ferrés , qu'ils foient couverts dès la
premiere année. Vous aurez beau me dire
qu'ils ne pourront jamais venir en futaie
ni dans leur beauté naturelle ; que leurs
branches & leurs racines s'embarraſſeront de
telle maniere ; qu'ils ne conferveront plus le
deffein qu'ils auront formé dans leur plantation
, & ne produiront qu'une forêt confuſe ;
cela feroit vrai , fi mon deffein étoit de les
laiffer croître ; mais je les ferai couper fi
fouvent que , duffent -ils en périr , ils s'affujettiront
à mes volontés . S'ils forcent les
loix que je leur veux impofer , je les ferai
arracher , & j'aurai le plaifir d'en planter
d'autres felon la mode qui régnera alors.
Ne voyez - vous pas que tous ceux qui
achetent des Jardins , ne manquent pas de
détruire tous ces grands arbres que vous
trouvez fi beaux , & que vous regrettez
tant ? Quel dommage , dites- vous , de facrifier
des beautés que l'on a attendues foixante
années ! N'oubliez pas qu'il me faut quantité
d'arbres en pommes , & que ce ne
fera qu'à la faveur de cette décoration que
je pourrai vous paffer quelques longues
allées : cela fera de petit goût fi vous voulez
, il ne m'importe. Mettez - moi dans
A O UST. 1756. 187
mon parterre quantité de corbeilles , c'eſt
encore une invention nouvelle qui me
plaît infiniment plus que cette belle variété
dont vous croyez que les parterres
deffinés font fufceptibles. Ceux des Tuileries
feroient bien plus agréables , fi chacun
deux n'étoit qu'une feule corbeille . Vous
n'aimez pas les corbeilles , parce que, ditesvous
, leurs rebords ne fervent qu'à faire
tomber. Qui eft - ce qui ne voit pas à fes
pieds ? Faites- les élever : je ne goûte point la
propofition que vous me faites de ne les
mettre qu'à la moitié de la hauteur ordinaire,
fous prétexte qu'il fuffit de celle qui eft
néceffaire pour retenir la terre : ce ne feroient
plus des corbeilles . Si vous craignez
qu'ils ne bleffent les jambes , je confens
que vous évitiez les angles aigus ; mais
furtout donnez leur toutes fortes de formes
agréables & jamais de lignes droites
, c'eft dans ces chofes que le génie fe
déploie. Je m'entretiendrai plus au long
avec vous fur ce fujet : fouvenez- vous
feulement que je veux être à la mode
& qu'elle est toujours ce qu'il y a de
mieux ; d'ailleurs c'eft pour moi , & je
veux me fatisfaire.
J'ai l'honneur d'être , &c.
188 MERCURE DE FRANCE.
Dem. Que voulez - vous que faffe un
Architecte en pareil cas ?.
Rép. Ce qu'on lui demande .
Auffi font-ils.
M. le Chevalier de Beaurain , Géographe
ordinaire du Roi , délivre actuellement
la Carte Topographique du Détroit
de Gibraltar , avec des tables calculées
pour les marées de ce Détroit , & des explications
fur la fingularité des courans ,
& c .
Plan Géométral de Gibraltar , avec les
Vues de la Montagne , & des defcriptions
hiftoriques.
Plan du Siege du Fort S. Philippe , envoyé
par un Ingénieur de l'Armée de M. le
Maréchal Duc de Richelieu . A Paris , chez
le Chevalier de Beaurain , rue Pavée , la
premiere porte à gauche , en entrant par
le Quai des Auguſtins.
A O UST. 1756. 189
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
LE Lundi 1 2 Juillet , Mademoiſelle Alart
a danfé pour la premiere fois fur ce Théâtre
avec le plus grand fuccès. Dans le premier
divertiffement qui fut donné après la
Comédie du Muet , elle annonça de gran.
des difpofitions pour la danfe noble ( 1 ) .
Dans la Pantomime qui fuivit la petite
piece , elle déploya tout fon talent , &
enleva tous les fuffrages. Elle joint à une
figure très- aimable , la jambe & l'exécution
la plus brillante. Son feu égale fa précifion
, & ne laiffe rien à défirer . Une
preuve fûre de fa pleine réuffite eft le
monde qu'elle attire. Le Samedi 17 , la
repréſentation étoit comble : c'étoit une
chambrée d'hyver. On peut dire , fans flat-
(1 ) Quels progrès ne doit-on pas attendre d'elle
dans ce genre , avec les dous qu'elle a reçus de la
nature , & les leçons d'un auffi grand Maître
M.Veftris , dont elle eft la digne éleve !
que
190 MERCURE DE FRANCE.
cer Mademoiſelle Alart qu'elle en parta
geoit tout au moins la gloire avec Zaïre
que les Comédiens François donnerent ce
jour- là. Leur fpectacle fi fupérieur à tous
les autres par l'efprit , par l'excellence des
pieces , &
des Acteurs , peut le jeu
préfent leur être comparé par la danſe &
par les agrémens qui n'y font qu'acceffoires.
par
૩
Le Jeudi 22 , la repréſentation fut d'autant
plus brillante que Madame d'Egmont
l'embellit de fa préfence. Le choix des
pieces répondit a la beauté de l'affemblée.
On donna Cénie & l'Oracle. Pour
qu'il ne manquât rien à ce fpectacle charmant
, Mademoiſelle Alart y danſa avec
l'acclamation générale , & Mademoiſelle
Gauffin chanta après l'Oracle , les couplers
fuivans , qui furent applaudis à plufieurs
repriſes :
EN vain dans un Fort redoutable ,
L'ennemi fe croit imprenable ,
Et du haut de fon roc infulte à nos foldats ,
Quand notre Maréchal commande ,
Il faut que la place fe rende :
Cet Oracle eft plus fûr que celui de Calcas
A O UST. 1756. 194
A Madame d'Egmont.
LA victoire a féché vos larmes ,
A l'Hymen prodiguez vos charmes :
Donnez-nous des Héros qui guident nos foldats
Votre fang leur donnant la vie ,
Vaudra tous les dons de Fêrie :
Cet Oracle eft plus fûr que celui de Calcas .
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Jeudi 15 Juillet , les Comédiens Ita
liens donnerent la premiere repréſentation
du Retour imprévu , Comédie en vers,
en trois Actes . Cette piece qui a été bien
reçue du Public , eft un ouvrage pofthume
de M. De la Chauffée , de l'Académie
Françoife. Il y a des beautés de détail
dignes de la réputation de l'Auteur ; &
fi elle avoit été jouée dans une faifon plus
favorable , nous ne doutons pas qu'elle
n'eût réuffi .
OPERA COMIQUE.
L'Opéra Comique juſqu'à préſent , n'a
rien donné de nouveau que l'Amour inpromptu
, parodie de la troiſieme entréo
192 MERCURE DE FRANCE.
:
des talens lyriques ; encore cette parodie
n'eft-elle que remife mais elle mérite
qu'on en faffe mention , parce qu'elle eſt
bien faite , & qu'elle eft de M. Favart ,
qui a fait longtems la gloire de ce Théâtre ,
& qui ne peut être aujourd'hui remplacé
que par M. Vadé . L'un & l'autre a célébré
la prife du Fort S. Philippe par
des
couplets . Nous avons inférés ceux de M.
Favart dans le ſecond Mercure de Juillet ,
nous allons mettre dans celui de ce mois ,
les couplets de M. Vadé : quoiqu'ils n'ayent
pas été chantés à ce fpectacle , ils font d'un
ton & d'un genre à trouver mieux leur
place ici qu'ailleurs .
CHANSON
Sur l'Air de la Marche du Roi de Prufe
par M. VADE.
TEnez, Meffieurs les Anglois ,
Laiffez là les François.
Ils vous don'ront fur l'nés ,
Comme des damnés.
Premiérement vous avez tort ,
Secondement ils font retort ; /
Vous aurez beau vous fauver ,
Ils fçauront bien vous trouver,
Et
A O UST. 1756.
193
Et nos Grenadiers plutôt que plus tard
Vous relicheront dans Gibatard,
Vous venez d'avoir le favon
• Dans l'Port Mahon ;
Pargué l'danger
Devroit vous corriger.
Și , felon vous , votre Amiral Binq
En valloit cinq ,
Convenez , n'en déplaife à ce beau Phénix ,
Qu'la Galiffoniere en vaut dix ;"
Et par là deffus Richelieu ,
Qui tenoit le bout du milieu ,
Avec d'Egmont & Fronfac ,
Vous donnent vos quilles & vot'fac
Puis vous fçavez dé quel bois
n'a
Se chauffe ce Monfieur d'Maillebois.
Vous voyez que c'eſt un vivant
Qui prend le monde pardevant.
Croyez-moi , ne vous obftinez pus ,
Car fans ça vous êtes perdus .
La Mahanoife , Comédie nouvelle. A
Ciutadella , 1756. Cette petite Piece , qui
pas été jouée , nous a paru bien écrite
& bien dialoguée . On s'y eft permis , dit
l'Anonyme , quelques plaifanteries qui ne
reffemblent en rien aux injures groffieres
dont la Scene de Londres a retenti . Les
I
194 MERCURE
DE FRANCE.
Acteurs font au nombre de cinq. Picolette
, Mahonoife ; fabelle , fa Gouvernante ;
Sir Faith-leff, Anglois ; D. Fernand , Efpagnol
; le Marquis de Francheville , François.
La Scene eft à Minorque. La Gouvernante
, fenfible aux guinées , favorife
l'Anglois , qui ne recherche Picolette queedans
la vue de faire un mariage utile à-»
fon commerce. Picolette aime D. Fernand,
& détefte Faith- leff ; mais Ifabelle brouille
l'Eſpagnol avec fa Maîtreffe , pour fervir
Faith- leff. Le Marquis François paroît dans
cette pofition , & plaît à Picolette par fon
mérite & par fes agrémens. La manoeuvre
d'Ifabelle étant découverte , le François
époufe Picolette ; l'Efpagnol s'unir à la
foeur de la Mahonoife , & l'Anglois dont
on a reconnu l'avarice eft congédié
honteufement. Il menace , en partant , le
Marquis , qui lui répond : Je crains peu
ces injuftes menaces. Vangez vous en brave
homme , on ne vous craindra pas. Ifſabelle
emmenant l'Anglois , lui dit : Kenez , venez
vous tuer pour lui faire piece . D. Fernand
termine la Piece en s'écriant : Le beau
fujet de Tragédie pour le Polichinelle de Londres
!
A O UST. 1756. 195
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES:
DU NORD.
DE STOCKHOLM , le 2 Juillet.
ON a fait ici la découverte d'une des plus hora
ribles confpirations qui aient été formées contre
la liberté des Etats. Elle devoit éclater la nuit du
22 au 23 du mois dernier ; mais , par les bonnes
mefures qu'on a prifes , on en a prévenu
F'exécution , & la tranquillité eft actuellement affurée
. Les Etats ont fait chanter le 27 un Te Deum
avec pompe dans toutes les Eglifes de la Ville
pour remercier Dieu d'avoir préfervé la Suede
d'un auffi grand danger . Ils ont ordonné que tous
les ans on célébreroit cet événement , de la même
façon , le jour de Saint Jean , pour confacrer
à perpétuité cette grace du Ciel & leur reconnoiffance.
ALLEMAGNE..
DE VIENNE , le 30 Juin.
Un paylan , en labourant fon champ dans la
Seigneurie de Corinsh en Moravie , a trouvé dans
la terre un coffre de fer , rempli d'efpeces d'or.
On conjecture qu'elles ont été enterrées en cet
endroit , lorfque Charles XII , Roi de Suede , porta
la terreur de fes armes dans l'Empire...
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
DE HAMBOURG , le 9 Juillet.
Ce matin , il y a eu un grand incendie dans
cette Ville . La Manufacture des toiles de coton
peintes , & plufieurs autres maiſons , ont été la
proie des flammes. On mande de Croden que ce
Bourg a été prefqu'entiérement confumé par le
feu duCiel,
ESPAGNE.
DE LISBONNE , le 7 Juin.
Depuis trois ſemaines on n'a entendu ici aucun
bruit fouterrein , ni fenti aucune feçouffe . Mais
le 29 Juin on en éprouva une à quatre lieues de
cette Ville dans les environs des montagnes de
Cintra. Il y eut le 24 du même mois , & les deux
jours fuivans , une horrible tempête . Ce ne fur
qu'avec beaucoup de peine qu'on empêcha les
Tentes de la Famille Royale , d'être emportées
par le vent . Le 30 Leurs Majeftés partirent avec
les Infans Don Pedre & Don Antoine , pour Salvaterra
.
Les maladies font de grands ravages dans la
Province d'Alentejo .
La ville d'Elvas & ſes environs , non feulement
ont partagé tous les défaftres communs au refte
du Royaume , mais encore ont éprouvé un féau
particulier. Le ciel fe couvrit fubitement , il y a
quelques jours , d'un nuage fi épais , que la lumière
du foleil en fut prefque toralement éclipfée . Bientôt
ce nuage defcendit jufqu'à terre , & l'on s'apperçut
qu'il n'étoit autre chofe qu'une multitude
infinie de fauterelles . Elles fe répandirent en un
inftant dans toute la campagne ; & il y en avoit
A O UST. 1756. 197
'dans plufieurs endroits jufqu'à la hauteur de deux
palmes. En vain les païfans eurent- ils recours à
tous les moyens poffibles , pour exterminer ces.
infectes. Il en paroiffoit le lendemain un plus
grand nombre , qu'on n'en avoit détruit la veille .
Les champs n'en ont été délivrés , qu'après avoir
été entiérement ravagés. Une partie de ces animaux
voraces eft allée ſe précipiter dans la Guadiana
& dans d'autres rivieres : une autre partie eft
venue fondre fur cette Ville , & s'ils n'y ont pas
caufé le même dommage qu'à la campagne , ils y
ont caufé beaucoup d'incommodité.
DE BARCELONE , le 27 Juin .
Don Antoine Barcelos , Commandant le Cha
bec le Courier de Mayorque , étant parti d'ici
pour Palma , découvrit le 13 de ce mois , entre
deux & trois heures du matin , fur la pointe de
Lio- Liobnegat , deux Galiotes Barbareſques , qui
avoient les voiles ferrées. Dès que les Galiotes
l'apperçurent , elles mirent leurs voiles au vent ,
& s'aidant en même- tems de leurs rames , elles
vinrent fur lui . Lorfqu'elles furent à deux portées
de canon , elles reconnurent à la manceuvre
que le Chabec n'étoit pas un Navire Marchand.
Elles revirerent de bord , dans le deffein de
prendre la fuite. Don Barcelo gagna le vent. Un
calme qui furvint , facilita à l'un des Corfaires
le moyen de dériver fur le Chabec. Les Elpagnols
préfenterent la proue à l'ennemi , qui eut
fon éperon & fa vergue de trinquet rompus . Cet
accident ne le rebuta point . Quelques-uns de fes
gens fauterent avec intrépidité dans le Chabec ,
mais ils furent fur le champ maſſacrés. Tous
ceux qui les fuivirent , eurent le même fort ; &
I j
198 MERCURE DE FRANCE.
les autres furent obligés de fe rendre. La Galiote
étoit armée de deux canons & de douze
pierriers . Il y avoit à bord vingt-quatre Turcs &
quarante-cinq Maures. Cinquante & un hommes
de cet équipage ont été tués à l'abordage ; &
douze , du nombre defquels eft le Capitaine nommé
Ali , ont été bleffés. Perfonne n'a été tué du
côté des Eſpagnols , & ils n'ont eu de bleffés que
leur Contre-Maître & cinq Matelots. Le fuccès de
ce combat fait d'autant plus d'honneur à Don Barcelos
, que fon équipage n'étoit compofé que
de quarante-quatre hommes , y compris huit
Mouffes. On a fçu par le Capitaine Ali , que
la Galiote dont on s'eft emparé , appartenoit au
Bey d'Alger. L'autre Galiote , qui a pris la fuite
pendant l'action , eft plus forte que celle- ci ea
équipage.
ITALI E.
DE NAPLES , le 22 Juin.
Deux Galiotes du Roi ont amenées dans ce port
deux prifes Algériennes , dont elles fe font emparées
après un long combat dans les mers de
Sardaigne. On a fait fur ces Bâtimens deux cens
vingt efclaves . Les Barbarefques ont eu cent hommes
tués dans cette action. Il n'y a eu du côté des
Napolitains que onze hommes tués , & trente
bleffés.
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 12 Juillet.
Selon les lettres de Gibraltar , l'Amiral Byng
y est arrivé le 21 du mois dernier , & fe difpofoit
à en repartir pour l'Ile Minorque. L'Amiral
ADUST. 1756. 199
Hawke eften route fur la Frégate l'Antelope ,
de cinquante canons , pour prendre le commandement
de l'Efcadre à la place de l'Amiral Byng.
Al auta fous fes ordres les Contre-Amiraux Weft
& Saunders. On a appris que le Chef d'Eſcadre
Howe étoit arrivé à l'Ifle de Garneſey avec ſon
Efcadre , & avec les Bâtimens de tranfport fur
lefquels le Régiment de Bockland s'eft embarqué.
Plufieurs Navires ayant à bord deux Régimens
deftinés à renforcer la Garnifon de Gibraltar ,
font partis de Plymouth le 25 du mois dernier ,
fous l'escorte de quelques Vaiffeaux de guerre.
Quatre Vaiffeaux de l'Efcadre de l'Amiral Boſcawen
, qui ont été endommagés dans leurs mâts
& dans leurs agrets , font rentrés dans ce dernier
Port , afin de s'y radouber. Ils feront remplacés
par cinq Vaiffeaux , qui feront voile aux
ordres de l'Amiral Moſtyn.
Les Commiffaires de l'Amirauté ont fait publier
la Lettre , par laquelle l'Amiral Byng leur a
rendu compte du combat naval du 20 Mai , &
dont voici le contenu : « Ayant appareillé le 8 ,
» de Gibraltar j'arrivai le 19 à la hauteur de Port-
Mahon. Le Vaiffeau le Phoenix m'avoit joint
deux jours auparavant. Le vent étoit calme , &
j'eus d'abord connoiffance de la Flotte Françoife.
Il étoit cinq heures du foir avant que j'euffe
pu former ma ligne , & eftimer la manoeuvre
» de l'ennemi , dont je ne pus apprécier la force.
Les François s'approcherent de nous en ligne
» formée ; mais fur les fept heures ils revirerent ,
» ce qui me fit juger qu'ils avoient intention de
> gagner le vent fur moi dans la nuit. Comme il
étoit tard , je revirai auffi pour conferver le
-> vent de terre. Le temps s'étant enfuite brouillé ,
nous fumes forcés de nous éloigner à près de
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
» cinq lieues de la côte. Vers les onze heures nous
» avançâmes de nouveau ; mais nous ne découvrî-
» mes rien de l'ennemi , à l'exception de deux
» Tartanes , qui étoient à peu de diftance de no-
» tre arriere-garde. J'ordonnai au Vaiffeau la
» Princeffe Louise de courir fur l'une , & je fis au
» Contre-Amiral un fignal de détacher quelques
» Bâtimens , pour donner la chaffe à l'autre . Les
Vaiffeaux la Princeſſe Louiſe , la Défiance & le
Capitaine , s'éloignerent beaucoup de nous , &
la Défiance s'empara d'une de ces Tartanes , à
» bord de laquelle étoient deux des treize Piquets ,
» que le Maréchal Duc de Richelieu avoit envoyés
la veille au Marquis de la Galiffoniere. Le
» Phénix s'offrit à fervir de brulot . Le lendemain
» 20 , nous découvrîmes du haut des mâts la Flotte
Françoife. Je fis revenir les Vaiffeaux que j'avois
» détachés. Quand ils furent à moi , je virai l'en-
» nemi , & je formai ma ligne. Je remarquai que
>> les François faifoient tous leurs efforts pour
» gagner le vent. Ils le gagnerent effectivements
» mais le vent ayant changé prefqu'auffi tôt , ils
» perdirent cet avantage. Ils avoient douze Vaiffeaux
de ligne & quatre Frégates. Dès que j'eus
remarqué que notre arriere-garde étoit de la
» longueur de notre avant -garde , nous virâmes
» enſemble , & je fis fortir de la ligne le Vaiffeau
» le Deptfort , afin que nous fuffions égaux en
» nombre. A deux heures je donnai le fignal du
>> combat , & fuivant, une méthode que j'ai tou-
» jours reconnue fort jufte , j'ordonnai que chaque
Vaiffeau s'attachât à combattre celui qui
» lui tomberoit en partage. Je dois témoigner la
» parfaite fatisfaction que j'ai de la valeur avec
» laquelle le Contre- Amiral Weſt donna l'exemple
, en fondant fur le Vaiffeau qu'il devoit
A O UST. 1756. 201
attaquer. Le combat fut engagé par l'avant-
» garde de l'Eſcadre Françoife , qui attaqua notre
>> arriere garde. Je fis force de voiles contre le
» Vaiffeau qui étoit vis- a - vis de moi , & j'en ef-
» fuyai un feu très -violent . Dès le commencement
» l'Intrépide eut fon grand mâts entiérement brifé
» & fes cordages coupés ; ce qui le mit hors d'état
» de fe gouverner , & le fit donner contre le Vaiffeau
le plus proche , qui fut , ainfi que quelques-
>> autres , dans la néceffité de fe retirer. J'en fis
» de même pour quelques minutes , afin qu'ils ne
>> tombaffent pas fur moi. Je ne le fis cependant
» qu'après avoir fait quitter la ligne à l'ennemi.
» Son centre ne fut plus attaqué , & pendant un
» peu de temps la divifion du Contre- Amiral refta
» à découvert . Pendant cet intervalle les ennemis.
» nous cauferent un grand dommage dans nos
» manoeuvres. Quoique je ferraffe de près le Con-
» tre- Amiral , je trouvai que je ne pouvois plus
» ferrer l'Eſcadre Françoiſe . Il étoit alors fix heu-
>> res du foir. Par le mouvement que fit cette Ef-
» cadre , je jugeai qu'elle vouloit former une nou
» velle ligne. Je fis un fignal pour manoeuvrer ,
» deforte que je puffe me mettre entre la division
du Contre -Amiral & l'ennemi , & couvrir l'Intrépide
, dont j'avois apperçu le mauvais état.
» A huit heures du foir , après avoir fait d'inutiles
>> tentatives pour entamer l'arriere- garde de l'Ef-
» cadre du Roi Très -Chrétien , & après avoir raf-
>> femb.é les Vaiffeaux de l'Efcadre Anglo :fe le
» plus promptement que je pus , je pris le parti
» de me retirer. Nous étions pour lors à dix ou
>> onze lieues de Port - Mahon , & il fe trouvoit à
» notre N. N. Oueft. J'envoyai des Vaiffeaux àla
» découverte de l'Intrépide & du Chesterfield , qui
» vinrent me rejoindre le lendemain . Les Vaif-
>
1
Iv
202 MERCURE DE FRANCE..
feaux le Capitaine & la Défiance n'ayant pas été
» moins maltraités que l'Intrépide , je jugeai à
» propos dans une pareille fituation de tenir un
>> Confeil de guerre , avant d'aller de nouveau
chercher l'ennemi . Je fis inviter le Générał
>> Stuart , le Lord Effingham , le Lord Robert
>> Bertie , & le Colonel Cornwallis , de fe rendre fur
» mon bord. Le parti de la retraite fut unanime
ment jugé indifpenfable Les Vaiffeaux le Ramillies
, le Culloden , la Revenche , le Trident , le
» Kingften & le Deptford , n'ont fait aucune perte.
Il y a eu trois hommes tués & fept bleffés , fur
» le Buckingham ; fix tués & trente bleffés , fur
» le Capitaine ; un tué & quatorze bleffés , fur
» le Lancaftre ; neuf tués & trente - neuf bleffés ,
»fur l'Intrépide ; quatre tués & treize bleffés , fur
ע
la Princeffe- Louife , fix tués & vingt bleffés ,
» fur le Portland ; quatorze tués & quarante-cinq
» bleffés , fur la Défiance. Le Sr Andrews, qui com-
» mandoit ce dern er Bâtiment , a été tué , & j'ai
» confié le commandement dudit Vaiffeau au
» Capitaine Hervey , qui montoit le Phoenix »
Quoiqu'il ne paroiffe point que la conduite de
P'Amiral Bing foit répréhenfible , le peuple eft
fort irrité contre lui . Cet Amiral a été brûlé en
effigie dans quelques Bourgs. Un magnifique
Château , qu'il a fait conftruire , a couru rifque
d'être pillé & réduit en cendres.
PAYS- BAS.
DE LA HAYE , le 16 Juillet .
La Réponse que M. le Comte d'Affry , a
remife le 14 du mois dernier aux Etats Géné
taux , fur leur réfolution du 25 Mai , a été
AOUST. 1756. 203
rendue publique . Elle eft conçue en ces termes :
» HAUTS ET PUISSANS SEIGNEURS , la réfolu-
» tion que les Etats Généraux des Provinces-
» Unies ont prife , &c , a confirmé S. M. dans
>> l'opinion qu'Elle avoit déja de la fageffe & de
l'équité de leurs délibérations . Le Roi a vu
» avec plaisir , dans cette réfolution , da Décla
» ration que les Etats Généraux ont faite , que
» comme Leurs Hautes Puiffances n'ont pris juf-
» qu'à préfent aucune part , ni aux troubles &
» différends touchant les Poffeffions Américaines
ni à leurs fuites , & ne s'en font mêlées ni direc-
» tement ni indirectement ; qu ' Elles n'ont auffi au-
» cunement intention d'y prendre part , ni aux fuites
qui en pourront résulter , mais qu'Elles ont au
» contraire résolu d'obferver à cet égard une exacte
» neutralité ; le tout , fans préjudicier aux Al-
» liances que la République a contractées , aux-
» quelles L. H. P. ne prétendent déroger. S. M.
s pour témoigner aux Etats Généraux le gré
» qu'Elle leur fçait de la conduite qu'ils ont
» tenue dans cette occafion , & pour leur donner
» une nouvelle preuve du véritable intérêt qu'-
» Elle prend à leur repos & à leur fûreté , leur
» déclare de fon côté , de la maniere la plus précife
, que le territoire de la République fera à
» l'abri de toutes les menaces & infultes de la
» part des forces de S. M. Quant aux Pays- Bas
» Autrichiens , le Roi renouvelle volontiers aux
>> Provinces- Unies les affurances qu'il a déja don-
» nées à cet égard à l'Impératrice Reine de Hon-
>> grie & de Bohême , par l'Acte ou Conventions
» de Neutralité , qui a été figné à Verfailles le
» premier Mai dernier , & dont S. M. a fait re-
>> mettre Copie à L. H. P. Le Roi contri&ta di-
» rectement avec Elles un femblable engage
I vjs
204 MERCURE DE FRANCE.
» ment en 1733 , parce que S. M. étant alors en
» guerre avec le Souverain des Pays - Bas Autri-
» chiens , toute correfpondance entre Elle & ce
» Prince étoit interrompue . Mais le Roi vivant
» heureulement dans la plus parfaite intelligence
» avec l'Impératrice Reine de Hongrie & de Bo-
» héme , & voulant refferier de plus en plus ,
» ( comme il vient de le faire , ) les liens de l'a-
» mitié & de l'alliance , qui les réuniffent dans
un fyltême uniforme de defirs & de vues pou
» le repos & le bonheur de l'Europe , c'étoit
» avec S. M. Imp . qu'il convenoit de tranfiger fur
» le fort d'un pays qui lui appartient . Cependant
» un des principaux motifs qui a déterminé le
» Roi à ftipuler expreffément la Neutralité des
» Pays - Bas Autrichiens , & qui lui a été commun
» avec l'impératrice Reine , a été de procurer
» aux Provinces Unies la fûreté qu'elles défi-
» roient avec raifon , par rapport à leur territoire
& à leur voifinage . Le Roi juftifiera
» toujours , par les fentimens pour les Etats
» Généraux , la confiance qu'ils continuent de
» lui témoigner , & S. M. profitera de toutes les
>> occafions qui la mettront à portée de leur
» marquer fon amitié fincere , & fa conftante
» difpofition à leur en faire éprouver les effets les
» plus utiles & les plus agréables » . •
La femme du nommé Jacob- Van- Hulft accoucha
le 8 de trois fils , dont la Princeffe Gouvernante
a été mareine , & dont l'aîné a été nom
mé Anne.
A O UST. 1756. 201
FRANCE.
-
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
RELATION HISTORIQUE
De la Prife de l'Iſle de Minorque , & principalement
des Port-Mahon & Fort Saint-
Philippe ; envoyée par un Officier de l'Armée.
Du Fort S. Philippe , le 30 Juin 1756.
JEE crois avant que d'entrer dans le détail du
Siege du Fort Saint- Philippe , devoir donner une
idée fuccincte, géographique & hiftorique de cette
In e.
L'Ile Minorque fituée dans la Méditerrannée ,
placée précisément au quatrieme degré de latitu
de , à foixante- dix lieues de Marfeille , & à quinze
des côtes de l'Afrique , faifoit anciennement partie
des Iles appellées Baléares , du nom d'un
Grec nommé Baléus , qui fut le premier qui en
fit la découverte .
Sa fituation eft oblongue ; elle a dix- huit lieues
de longueur fur- neuf dans fa plus grande largeur.
Son climat eft fort fain , l'air paffablement tempé
ré il y egne cependant des chaleurs infupporta.
bles pendant les mois de Mai , Juin , Juiller
& Août le refte de l'année est un printemps
continuel : rarement y voit - on de la gelée . Son
local n'eft pas montagneux , quoiqu'affez inégal
206 MERCURE DE FRANCE .
Le terrein produit de tout ce qui est néceffaire
à la vie , furtout de très- bon gibier , d'excellent
mufcat : tous les fruits y font délicieux .
L'Ille eft divifée en cinq territoires, dont chacun
porte le nom de la Ville principale ou Chef-lieu.
Le premier eft Ciutadella qui peut avoir aux
environs de 7 à 8 mille Habitans. Anciennement
les Gouverneurs faifoient leur réfidence encerre
Ville , où on compte actuellement juſqu'à 600
maifons. Le fecond territoire eft Ferrorias , qui
a tout au plus douze cens Habitans: Marcadal
eft le troifieme , dont le nombre d'Habitans ne
paffe pas dix-huit cens. Aleyor eft le quatrieme ,
& eft plus confidérable ; auffi peut- il fournir près
de cinq mille Habitans . Mahon eft le cinquieme
& . dernier territoire. La Ville de Mahon eft la
Capitale de toute l'Ifle : c'eft la réfidence du
Gouverneur & des Corps de Juftice : fon beau
Port & le voisinage du Fort Saint- Philippe , la
rendent infiniment plus confidérable : elle peut
compter au nombre de vingt mille Habitans.
Ily a dans l'Ile deux ports capables de recevoir
les plus gros Vaiffeaux le Port Fornelle , & le
Port Mahon ; il y a encore plufieurs Cales où les
Bâtimens Marchands peuvent mouiller.
2
L'entrée du Port Mahon eft défendue à l'Ouest
par le Fort S. Philippe , & à l'Eft par le Fort
Philippet. Je me tais fur le refte de l'ifle , parce
qu'il n'y a rien qui mérite votre attention .
Comme les Habitans de l'Ifle font originaired'Efpagne
, la Religion Catholique s'y eft confervée.
C'étoit le Gouverneur Anglois qui nommoit
aux Bénéfices , fuivant un article du Traité
d'Utrecht.
Les Cartaginois furent anciennement les Maî→
tres des Illes Baléares , dont l'Ile Minorque faifoit.
AOUST. 1756. 207
partie. Après la feconde guerre Punique , les
Romains en devinrent les Poffeffeurs j'ufqu'à
Pinondation des Goths & Vandales , vers l'an
421. Ceux - ci les conferverent jufqu'au huitieme
fiecle , que les Sarrazins en firent la conquête.
Minorque fut foumiſe à ces derniers , jufqu'à l'an
1210 qu'ils perdirent la fameuſe Bataille de Loza ,
où il périt deux cens mille Maures . Les Minorcains
refterent jufqu'en 1287 dans une espece d'indépendance
, en payant feulement un tribut annuel
aux différens Princes d'Efpagne qui les proté
geoient. Les naturels du Pays fe trouvoient dès ce
temps confondus avec un refte de Sarrazins : la
Religion Mahométane y étoit la dominante. Les
Minorcains voulant s'affranchir du tribut qu'ils
payoient à l'Espagne, attirerent dans leur Ifle quantité
de Barbares de l'Afrique , leurs voifins : mais
Alphonfe , Roi d'Arragon , ayant eu vent du complot,
fit une defcente dans l'Ifle, avec une armée qui
mit tout à feu & à fang , contraignit le gros des
Habitans de ferenfermer dans laFortereffe du Mont
Sainte- Agatte , les affiégea , les prit , La plûpart
périrent par les armes : quelques-uns furent envoyés
en Afrique , & d'autres ne fauverent leur vie qu'en
perdant leur liberté , c'est- à- dire , qu'ils devinrentefclaves
des Espagnols , qui s'établirent dans l'Ile
fous la protection des Rois d'Efpagne . Les Princes
d'Efpagne ont confervé une autorité fouveraine
dans l'ifle Minorque , jufqu'en 1708 que les
Anglois formerent le deffein de s'en rendre les
maîtres.
En effet le 14 Décembre , le Général Comte de
Stenhope y débarqua avec trois mille hommes ,
42 pieces de canon & 15 mortiers. Les troupes
qui étoient répandues dans les différens quartiers .
de l'Ile , fe renfermerent dans les Forts Fornelle
208 MERCURE DE FRANCE.
& Saint-Philippe . Les premieres opérations des An
glois furent d'attaquer Fornelle , qu'ils prirent ea
deux jours. Auffi - tôt après cette réduction , ils
dirigerent leurs forces contre le Fort S. Philippe ,
qui ne tint que quinze jours : la Garnifon compofée
de François & d'Elpagnols , fut renvoyée
partie en France , partie en Espagne. Dès ce moment
les Anglois s'établirent dans Minorque , &
la poffeffion leur en a été affurée par le Traité de
Paix conclu à Utrecht , le 13 Juillet 1713. Ils en
ont été les maîtres pendant 48 ans. Ils le feroient
encore , fi leur pyraterie n'eût obligé notre glorieux
Monarque à punir l'infulte que cette Nation
3
ne ceffe de faire depuis deux ans au Pavillon François.
Il vous paroîtra fingulier , Monfieur , que nous
ayons été fi long - teins à nous rendre les maîtres
de cette Place , pendant que des Anglois en
avoient fait la conquête en moins de trois femaines.
Votre furpriſe ceffera quand vous ferez
inftruit des travaux immenfes que cette nation
a fait au Fort S. Philippe , dont la dépenſe ſe
monte à plus de cent millions , c'eſt - à - dire , plus
que toute l'ile ne peut valoir , fi on en excepte
toutefois la grande reffource dont elle étoit pour
le Commerce des Anglois au Levant.
Voici à peu près la defcription du Fort S. Philippe
, & vous conviendrez , avec toute l'Europe
, qu'il n'a pas fallu moins de prudence que de
courage & de fermeté , pour triompher de tous
les obftacles qui fe rencontroient à chaque pas.
Il est conftruit fur une langue de terre qui
avance dans la mer. Quatre baftions , autant de
courtines , environnés d'un large & profond foffé ,
taillés dans le roc vif , font le principal corps
de la Place : les ouvrages extérieurs , qui font ea
A O UST. 1756. 209
très-grand nombre , s'étendent jufqu'aux rivages
des deux côtés de la langue de terre : les mines
y font abondantes & fi bien diftribuées , qu'elles
fe communiquent au moyen de différens fouterreins.
Les fouterreins font immenfes , & fourniffent
des logemens fuffifans pour une garnifon
des plus confidérables , à l'abri des bombes
& du canon , & dont les approches font minées
& contreminées : avant que de parvenir à
pouvoir battre en breche , il faut s'emparer des
forts de Malbourough , de S. Charles , de Strugen
, d'Orgil & de la Reine , qui entourent les
grands ouvrages du Fort , & fe communiquent
aux autres au moyen des chemins couverts taillés
dans le roc ; enfin le Plan qui vient d'en être
levé, & que vous trouverez fans doute à Paris ( 1 ) ,
vous fuffira pour juger par vous - même des
Ouvrages immenfes que les Anglois y ont faits
depuis qu'ils en étoient en poffeffion . Ajoutez
à tous ces ouvrages trois fontaines intariffables ,
& une citerne,contenant de l'eau pour fix mois
à une garnifon de quatre mille hommes , à l'épreuve
de tout accident : ces avantages font
d'une reffource encore au deffus de toutes les
fortifications.
Quoique les Gazettes vous aient pu inftruire
de toutes nos opérations juſqu'au jour de l'atta
que
des Forts , dont nous nous fommes rendus les
maîtres l'épée à la main , vous ne trouverez pas
mauvais que je vous en donne un détail abrégé.
Notre Flotte , aux ordres de M. le Marquis de la
Galiffoniere , partit de Toulon le 8 Avril M. le
Maréchal de Richelieu monta le Foudroyant avec
(1 ) Ilfe trouve chez le fieur Beaurain & chez
Je fieur le Rouge.
210 MERCURE DE FRANCE.
1
M. de la Galiffoniere. Nous arrivâmes â Ciutaš
della le jour de Pâques 18 du mois , après avois
effuyé quelques coups de vent qui retarderent
notre marche , & féparerent quelques vaiffeaux
de l'Efcadre. Le premier foin de M. le Maréchal
fut de faire chanter le Te Deum dans l'Eglife Collégiale
de la Ville , en action de graces de notre
heureux abordage . Les 18 , 19 , & 20 furent employés
au débarquement des troupes & de l'artil
lerie , fans aucune oppofition de la part des Anglois
; ceux- ci s'étant retirés , aux premieres nouvelles
de notre eſcadre , dans le Fort S. Philippe ,
après y avoir fait entrer tout ce qui pouvoit leur
-être néceffaire pour une longue réfiftance , &
avoir commis les hoftilités les plus fâcheufes, tant
fur les habitans que fur les beftiaux qu'ils ne purent
emmener avec eux.
Le 20 notre armée fe mit en marche par deux
chemins pour fe rendre à Mahon . Vingt - quatre
Compagnies de Grenadiers , & la Brigade de
Royal tinrent la gauche fous les ordres de ' MM.
Damefnil & de Monteynard , pendant que le gros
de l'armée marchoit à droite pour former Pinveftiffement
du Fort S. Philippe. Le 22 nous entrames
dans Mahon aux acclamations du Peuple ,
qui commençoit à nous regarder comme fes Libérateurs
.
Il n'eft pas poffible de vous exprimer les peines
& les travaux qu'il a fallu faire pour conduire notre
artillerie de Ciutadella ici , par lá précaution que
les Anglois avoient eue de rendre toutes les avenues
impraticables.
M. le Maréchal de Richelieu fit conftruire les
premieres batteries fur le Mont des Signaux , une
des pieces de canons , une de mortiers pareils en
nombre , qui commencerent à tirer dès le 8 Mai.
A O UST. 1756. 211
Le7, le Fauxbourg de la Ravale ( 1 ) fut occupé par
un détachement de 100 Volontaires , quatre compagnies
de Grenadiers & fix piquets , aux ordres
du Comte de Briqueville , avec 600 Travailleurs
pour y former des épaulemens , & y établir des
batteries.
Le 10 , M. le Marquis de Roquépine fe rendit
avec douze cens hommes , pour occuper les dehors
du Fort Malbourough.
Les 11 & 12 furent employés à conftruire les
batteries de droite , de gauche & du centre du
Fauxbourg de la Ravale la batterie des mortiers
commença à tirer dès la nuit du 12 au 13.
Le 17 ,
12
la batterie de canons de la droite fe
trouva en état de tirer.
Le 18 , M. Dupinay , qui commandoit la batterie
de la gauche , fut tué , & M. le Prince de
Wirtemberg légérement bleffé.
Le 19 , l'Efcadre Angloife ayant paru à la hauteur
de l'Ile pour attaquer la nôtre qui fermoit
l'embouchure du Port- Mahon , notre Général envoya
à M. le Marquis de la Galiffoniere un renfort
de 13 piquets . Notre Chef d'Efcadre fit toules
opérations néceffaires pour empêcher toute
communication avec les Affiégés .
Le 20 , une bombe des ennemis ayant mis le
feu à une de nos batteries , la Garnifon du Fort
S. Philippe animée par la préfence de l'Eſcadre
Angloife , fit une fortie confidérable : mais nos
(1), Ce Fauxbourg doit avoir un autre_nom :
le mot Arrabal fignifie un Fauxbourg , en Langue
Espagnole , & c'eft fans doute par erreur que nos
Officiers, qui les premiers ont entendu nommer aux
Habitans de l'Ifle Minorque ce Fauxbourg Arrabal
Pont écrit la Ravalle.
212 MERCURE DE FRANCE.
Grenadiers l'obligerent de rentrer avec autant de
précipitation que de perte.
Les 21 & 22 furent employés à réparer nos
batteries , que le feu violent des ennemis avoient
prefque démontées.
Le foir même du 22 , notre armée fit des
réjouiffances à l'occafion de l'avantage que
notre Efcadre avoit remporté fur celle des
Anglois. ( Vous avez fans doute vu la Rélation
de ce Combat Naval , dans lequel on ne fçauroit
trop exalter la bonne manovre de M. le Marquis
de la Galiffoniere , qui obligea l'Amiral Byng de
fe retirer avec beaucoup de dommages ) .
Le feu des Ennemis devint fi fort, que nous fûmes
obligés d'abandonner le Fauxbourg de la Ravale`,
dont toutes les maifons ont été renversées par
l'artillerie du Fort , ce qui obligea M. le Maréchal
de Richelieu à changer le plan général de fon attaque
fur le Fort Philippe.
Il fallut employer plufieurs jours pour le tranfport
de terre , pour élever de nouvelles batteries
dont le feu ne put commencer que le s Jain.
Dès ce moment le feu fuccefif de nos batteries
de temps une grande partie des travaux
extérieurs de la Place.
ruina en peu
On commença dès le 15 à déblayer les maifons
où l'on avoit réfolu d'établir une nouvelle batterie
de 12 pieces de canons en avant du Fauxbourg
de la Ravale , afin de détruire entiérement la Redoute
de la Reine & la lunette de Ken , & de bat.
tre la contre-garde de l'ouvrage à cornes ; ce qui
fit des merveilles .
Nous avons eu depuis ce temps là 84 pieces de
canons de 24 livres de balles , & 22 mortiers dif
tribués dans douze batteries . Elles n'ont point dif
continué de battre depuis le 16 Juin. La plupar
A OUST. 1756. 213
ne fervoient qu'à demonter les batteries ennemies.
Il ne falloit pas moins aux Affiégés que les
250 pieces de canons & les 40 mortiers qu'ils
avoient , pour faire la défenfe qu'on a éprouvée
jufqu'à la fin. Ce grand nombre de pieces leur
donnoit la facilité de remplacer celles que nous
leur démontions tous les jours.
Voici le détail de l'attaque qui mit nos En
nemis à la raiſon , & qui fera naître dans le coeur
des bons Francois , la joie qu'une longue réſiſtan
ce avoit fans doute altéréë.
>
M. le Maréchal ayant jugé qu'il étoit indifpenfable
d'accélérer l'attaque des ouvrages exté
rieurs , & voulant la favorifer en occupant
l'Ennemi dans plufieurs points de fa défenſe , ordonna
pour le 27 une attaque qui fut diviſée en
quatre points principaux .
M. le Marquis de Laval , de tranchée , fut
chargé de l'attaque de la gauche , divifée fur les
Forts de Strugen & d'Orgil , fur la Redoute de
la Reine , & fur celle de Ken : il avoit à fes ordres
16 Compagnies de Grenadiers , & quatre
Bataillons pour foutenir l'attaque .
Il avoit fous lui M. le Marquis de Monti &
M. de Briqueville , Colonel , dont le Régiment
étoit Chef de tranchée : Royal-Comtois étoit le
deuxieme Régiment.
M. de Monti fut deftiné à attaquer Strugen &
Orgil , à la tête des Compagnies de Grenadiers
de Royal-Comtois , Vermandois , Nice & Rochefort
, & de deux piquets foutenus par le premier
Bataillon de Royal - Comtois.
M. de Briqueville devoit fe porter fur Ken &
le chemin couvert , entre cet ouvrage & celui de
la Reine , à la tête de cinq Compagnies de Grenadiers
de Briqueville , Medoc & Cambis , & de
deux piquets.
214 MERCURE DE FRANCE:
M. de Sade , Lieutenant-Colonel de Brique
ville , devoit attaquer la Redoute de la Reine à la
tête de quatre Compagnies de Grenadiers d'Haynaut
, Cambis & Soiffonnois.
Il y avoit à la fuite de chacune de ces trois attaques
, deux Ingénieurs & 150 Travailleurs , un
Officier du Corps Royal & dix Canonniers , une
Brigade de Mineurs , & un détachement de 60
Volontaires portant dix échelles.
L'attaque du centre étoit dirigée ſur la Redoute
de l'Ouest & la Lunette Caroline , & commandée
par M. le Prince de Bauveau. Il y avoit à fes ordres
deux Brigadiers avec lefquels il devoit foutenir
la tranchée en cas de befoin.
La premiere attaque de la droite commandée
par M. le Comte de Lannion , é.oit dirigée fur le
Fort de Malboroug Il avoit à fes ordres la Brigade
de Royal & le Régiment de Bretagne , aina
que M. de Roquépine qui , à la tête de 400 Volontaires
& de roo Grenadiers , devoit débarquer
dans la Cale de S. Etienne , pour delà marcher
au Fort de S. Charles . On devoit avoir pour cet
effet 100 Chaloupes de l'Eſcadre : mais comme
elles ne purent arriver à temps , on y fuppléa par
celles qu'on put raffembler dans la journée.
La feconde attaque de la droite , aux ordres de
M. le Marquis de Monteynar , commandant la
Brigade de Royal - la Marine & Talaru , avoit
pour objet de s'emparer de la Lunette de Sud-
Ouest , de longer la Langue de S. Etienne , qui
eft entre la Place & le Fort Malboroug ; de fe
communiquer avec l'attaque du Fort S. Charles ,
& de couper la communication du Fort Malboroug
avec le Fort de S. Philippe.
En même temps que toutes ces attaques ſe faifoient
, M. de Beaumanoir , Lieutenant- Colonel ,
A O UST. 1756. 215
commandant à la Tour des Signaux , devoit avec
fon détachement partir dans les Chaloupes de la
Cale , qui eft entre le Fort Saint- Philippe & la
Tour des Signaux , pour venir favorifer l'attaque
de M. de Monti , & tâcher de fe gliffer dans le
chemin couvert , entre la demi-lune & le Fort
d'Orgil.
M. de Fortouval , Capitaine d'Haynaut , de
voit avec 100 hommes de détachement débarquer
au pied de la grande batterie des Ennemis , du
côté du Pont.
A.dix heures du foir , toutes nos batteries ayant
ceffé , le fignal de l'attaque fut donné par un
coup de canon & quatre bombes tirées de la Tour
des Signaux.
M. de Monti déboucha fur Strugen & Orgil ,
& fucceffivement MM . de Briqueville & de Sade
fe porterent avec vivacité fur leur point d'attaque
de Ken & de la Reine .
Nos troupes marcherent avec la plus grande
valeur , & après un feu très-vif , très-long & trèsmeurtrier
, elles parvinrent à s'emparer de Strugen
, d'Orgil, & du Fort de la Reine. Les Ennenis
firent jouer quatre fourneaux qui nous ont
coûté environ so hommes .
On travailla fur le champ au logement de
cette partie , qui étoit la principale attaque ,
pendant que les autres faifoient leur diverfion.
L'ardeur des Grenadiers que commandoit M.
de Bricqueville les ayant emportés , ils fe jetterent
fur la Redoute de la Reine , au lieu de fe
porter fur Ken qu'ils devoient attaquer .
M. le Prince de Bauveau ayant fait marcher
les Grenadiers de Vermandois & 100 hommes
de chaque Brigade fur la Redoute Caroline , &
les Grenadiers de Royal-Italien , avec 1oo hom216
MERCURE DE FRANCE.
mes de cette Brigade , à la Redoute de l'Oueſt ;
il s'empara du chemin couvert , & y fit enclouer
douze pieces de canon le logement y étant
impraticable , parce que la Redoute de Ken
n'étoit pas prife , & qu'il ne pouvoit dans la
nuit affurer fa communication , il fe contenta
de faire couper les paliffades , de faire brifer
les affûts , & de foutenir quelque temps cette
attaque qui favorifoit la principale.
Elle fut faite avec la plus grande intelligence
& la plus grande valeur.
Les attaques de MM. de Lannion & de Mon
teynard , dépendant prefque du fuccès du For
s. Charles , ils attendoient le fignal que devoir
faire M. de Roquépine ; mais les Ennemis s'étant
apperçus de beaucoup de mouvemens dans
cette partie , par les manoeuvres que les Chaloupes
avoient été obligées de faire , ſe tinrent
fur leurs gardes , & ne permirent pas à M. de
Roquépine de faire le débarquement qu'il avoit
tenté , & qui ne pouvoit réuffir que par une
furpriſe.
>
Pendant ce temps - là M. de Lannion fit inquiéter
le Fort Malborough . La divifion de tous
ces feux & la combinaifon de toutes ces attaques
, donnerent le temps à celles de la gauche
d'aflurer fon fuccés, de facon qu'à la pointe
du jour nous pumes établir 400 hommes dans
le Fort de la Reine , & 200 dans Strugen &
Orgil.
M. le Maréchal s'étoit placé au centre des attaques
de la gauche , & avoit avec lui MM . de Maillebois
, du Mefnil , & le Prince de Wirtemberg.
Il a donné pendant toute l'action les confeils
néceffaires au fuccès de l'attaque , dans lefquels
on n'a pu s'empêcher d'admirer les difpofitions
A O
UST.
1756.
217
tions de notre Général & les prodiges de notre
Infanterie.
M. de Lannion a eu une légere contufion à
' épaule , & M. le Marquis de S. Tropès , Aide
de Camp de M. de Maillebois , a été
légérement
bleffé au visage .
A cinq heures du matin on a demandé réciproquement
une fufpenfion d'armes pour retirer
les morts , & elle a été accordée. Nous
avons eu environ 25 Officiers de tués ou bleffés ,
& 400 Soldats..
· M. de Huetton , le Lieutenant de Vaiffeau
qui
commandoit les Chaloupes de l'attaque du
Fort S. Charles , a été tué.
On doit le fuccès de
l'attaque , de la gau
che furtout , à la bonne
conduite de M. de
Monti , qui a fuivi avec la plus grande valeur
& la plus grande fermeté les
difpofitions qu'avoit
faites M. de Laval.
On a pris beaucoup de mortiers & de canons
dans les Forts de Strugen , d'Orgil & de la Reine.
On a fait quinze
prifonniers , du nombre deſquels
eft le fecond
Commandant des Ennemis qui fai
foit le détail de la défenſe.
Le 28 , à deux heures après-midi , trois Députés
de la Place
demanderent à parler à notre
Général. Le réſultat de cette
conférence étoit
qui leur fut accordé vingt- quatre heures pour
dreffer les articles de
Capitulation : on leur accorda
jufqu'à huit heures du foir. Il en revint
un à l'heure marquée , qui apporta à M. le Maréchal
un projet d'articles ,
auxquels il fut ré
pondu le lendemain matin.
१
K
218 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLES de la Capitulation propofee
par Son Excellence le Lieutenant - Général
BLAKNEY , pour la Garnifon de Sa Majefté
Britannique du Château S. Philippe ,
Ifle Minorque.
Articles demandés par Articles accordésparMon
le Gouverneur.
Q
fieur le Maréchal do
Richelieu.
ARTICLE PREMIER. - ·
Ue tous les actes d'hoftilités cefferont jufqu'à
ce que les Articles de la Capitulation foient convenus
& fignés .
ARTICLE II.
Qu'on accordera
A la Garnifon à fa
reddition tous les
honneurs de la guerre
, comme de fortir
le fufil fur l'épaule,
tambour battant
, enfeignes dé
ployées , 24 coups
à tirer par homme ,
mêche allumée ,
pieces de canon &
2 mortiers , avec 20
coups à tirer par cha-
4
La belle & courageufe
défenfe que les Anglois
ont faite , méritant toutes
les marques d'eſtime
& de véneration que tout
Militaire doit rendre à de
telles actions , & M. le
Maré hal de Richelieu
voulant faire connoître à
fon Excellence M. le Général
Blkuey fa confidération
& celle que mérite
la défenſe qu'il vient de
faire , accorde à la Garnifon
tous les honneurs militaires
dont elle peut
jouir dans la circonftanque
piece , un char- ce de fa fortie pour un
AOUST. 1756. 219
embarquement : fçayoir , riot couvert pour le
le fufil fur l'épaule , tambour
battant , drapeaux
déployés , 20 cartouches
par homme , & même
mêche allumée. Il con-
Tent que le Lieutenant
Général
Blakney & fa
Garniſon , pourront emporter
tous les effets
leur
appartiendront
&
qui pourront
tenir dans
des coffres : il leur feroit
inutile d'avoir des charriots
couverts , il n'y en
a point dans l'ifle ; ainfi
ils font refufés.
qui
Gouverneur , & 4
autres pour la Garnifon
, qui ne ſeront
vifités en aucun
cas.
ARTICLE
Toute la Garniſon Mi-
III.
Que toute la Gar
litaire & Civile ,
comprenifon
comprenant
nant fous le nom de citous
les Sujets de
S. M. Britannique ,
Civile comme Militaire
, auront tous
vile les Officiers de juftice
& de police , à la réferve
des naturels de
Pie , auront la permiffion
d'emporter leurs leurs bagages & efeffets
, & d'en difpofer
comme il vient d'être fets affurés , avec la
dit : mais toutes les dettes
de la Garnifon , qui auront
été connues légitimes
, envers les Sujets de
permiffion de les
emmener , & d'en
difpofer comme ils
fa Majefté très-Chrétien- jugeront à propos.
ne , parmi lesquels les
Minorcains doivent être compris , feront payées,
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
>
ARTICLE IV.
Que la Garnifon ,
comprenant les Officiers
, ouvriers , foldats
, & autres Sujets
de S. M. Britan
nique avec leurs
familles , qui voudront
quitter l'Ifle , conduiront par la plus
feront pourvus de fûre navigation jufqu'à
vaiffeaux de tranf- Gibraltar , dans le plus
ports convenables , court délai qu'il fera pof-
& conduits à Gi- fible , & les y débarqueront
tout de fuite , bien
braltar par la navi- entendu qu'après ce dégation
la plus cour- barquement , il fera fourte
& la plus directe , ni à ces bâtimens des paf-
& qu'ils y feront feports valables , afin de
débarqués auffitôt
leur arrivée , aux
dépens de la Couronne
de France , &
que les provifions
Il fera fourni les vaiffeaux
de tranfport de
de Sa Majefté très Chré
ceux qui font aux gages
tienne , & convenable
à
la Garnifon Militaire &
Civile du Fort S. Philippe
pour eux & leur famille
: ces Vaiffeaux les
leur feront fournies
de celles qui peuvent
être encore
exiftantes dans la
Place au moment
de la reddition >
leur
n'être pas inquietés dans
retour jufqu'aux
ports de France , où ils
devront aller , & il ſera
laiffé des ôtages pour la
tranfport & de leurs équipages
, que l'on remettra
au premier Bâtiment neutre
qui viendra les chercher
après le retour defdits
Bâtimens dans le
port
de France.
Il fera auffi accordé à
fûreté des Bâtimens de
pour le temps qu'ils la Garnifon des fubfiftanA
O UST. 1756. 221
'ces tant pour fon féjour
dans l'Iffe , que pour 12
jours de voyage , qui feront
prifes de celles qui
feront trouvées dans le
Fort Saint-Philippe , &
diftribuées fur le pied
qu'on a coutume de les
fournir à la garniſon Angloife
: & fi on a befoin
d'un fupplément , il fera
fourni en payant fuivant
ce qui fera réglé par les
Commiffaires de
d'autre.
part &
refter
pourroient
dans l'Ifle , & pour
celui de leur voyage
fur mer , & cela
dans la même proportion
qu'on leur
fournit actuellement.
Mais fi on
avoit befoin d'un
plus grand nombre ,
qu'ils feroient fournis
aux dépens de
la Couronne
France .
ARTICLE V.
Les bâtimens étant
prêts pour le tranfport
de
Que l'on fournira
des quartiers convenables
à la Garnifon
, avec un hôpital
propre pour les
malades & bleffés ,
pendant le temps
de la Garniſon , la fourniture
des quartiers demandés
devient inutile :
elle fortira de la Place
dans le plus court délai ,
pour le rendre à Gibraltar.
Et à l'égard de ceux
qui ne pourront être em- que l'on préparera
barqués tout de fuite , ils les bâtimens de
auront la liberté de refter tranfport : lequel
dans l'Ifle ; & il leur fera temps ne pourra pas
excéder celui d'un
fourni tous les fecours
dont ils auront befoin
pour fe rendre à Gibral- mois , à compter du
tar. Lorfqu'ils feront en jour de la fignature
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
de cette Capitulation
& à l'égard
de ceux qui fe trou
veront hors d'état
d'être embarqués ,
qu'ils pourront refter;
& il enfera pris
foin jufqu'à ce qu'ils
foient en état d'être
envoyés à Gibraltar
par une autre occafion.
état d'être embarqués , il
en fera dreflé un état , &
on laiffera aux vaiffeaux
les pafleports néceflaires
pour aller & revenir. Il
fera de même fourni un
hôpital pour les malades
& bleffés , ainfi qu'il fera
réglé par les Commiffaires
refpectifs.
ARTICLE VI.
Que le Gouverneur
ne pourra pas
être comptable pour
toutes les maifons
qui auront été brûlées
pendant le
Liege.
Accordé pour les maifons
détruites ou brûlées
pendant le fiege : mais on
reftituera plufieurs effets
& titres du Tribunal de
l'Amirauté , qui avoient
été tranſportés dans le
Fort , ainfi que les papiers
de l'Hôtel de Ville qui
ont été emportés par le
Receveur ,& les papiers & titres des Vaiffeaux marchands
François , concernant leur chargement , qui
ont été pareillement retenus.
ARTICLE VII.
Quand la Garni- On n'excitera aucun
fon fortira de la Place
, il ne fera permis
à perfonne de
débaucher les folfoldat
à déferter , & les
Officiers auront une entiere
autorité ſur eux júfqu'au
moment de l'embarquement.
A O UST. 1756. £23
dats pour les faire
déferter de leurs régimens
; & leurs
Officiers auront accès
auprès d'eux en
tout temps.
ARTICLE VIII.
Accordé.
On obfervera de
part & d'autre une
exacte difcipline
.
ARTICLE IX.
Son Excellence M. le
Général Blakney & M. le
:
Maréchal de Richelieu
.ne peuvent fixer ou éten
dre l'autorité des Rois
leurs Maîtres fur leurs
Sujets ce feroit y met
tre des limites que d'obliger
de recevoir dans
leurs Etats ceux qu'ils ne
jugeroient pas à propos
qui y fuflent ftables.
Que ceux des Habitans
de l'Ifle qui
ont joint les Anglois
pour la défenfe
de la Place , auront
permiffion
de
refter & de jouir de
leurs biens & effets
dans l'Ifle , fans être
inquiétés
.
ARTICLE X.
On reprendra de part Que tous les pri
& d'autre tous les prifonfonniers
de guerre
niers qui ont été faits de part & d'autre
pendant le fiege ; ainfi
les François en rendant feront rendus.
ceux qu'ils ont , il leur
fera reftitué les piquets
qui ont été pris en allant
joindre l'Efcadre Fran-
5 .
Kig
214 MERCURE DE FRANCE.
coife le jour que parut
PAmiral Bing devant
Mahon.
ARTICLE XI.
Que M. de Cuffinghan
, Ingénieur,
faifant le fervice de
volontaire pendant
le Siege , aura un
paffeport , & la permiffion
de fe retirer
où fes affaires
l'appelleront.
Accordo.
ARTICLE XII.
Sous les conditions
précédentes ,
Son Excellence M.
le Lieutenant Général
, Gouverneur ,
après que les ôtages
auront été donnés
de part & d'autre
pour la fidelle exécution
des Articles
ci- deffus ,
fent de livrer la
con-
Dès que les articles cideffus
auront été fignés ,
il fera livré une des portes
du Château aux François
, avec les Forts Malborough
& de S. Charles
, après avoir envoyé
les otages de part & d'autre
pour la fidelle éxécu–
tion des articles ci- deffus.
L'Eftacade qui eft dans
le Port , ſera levée ; &
l'entrée & fortie en feront
rendues libres à la
difpofition des François ,
jufqu'à l'entiere fortie de Place à Sa Majefté
Très -Chrétienne , la Garnifon ; & en attenavec
tous les maga- dant , les Commiffaires
de part & d'autre travail
A O UST. 1756 . 225
Ieront de la part de fon
Excellence M. de Blakney
, à faire les états des
magaſins militaires &
autres , & de la part de
fon Excellence M. le Maréchal
de Richelieu , à en
recevoir pour les livrer
aux Anglois ; ce qui a
convenu : il fera auffi livré
les Plans des Galleries
, Mines & autres ouvrages
fouterreins.
été
.
fins militaires , munitions
, canons &
mortiers , à la réferve
de ceux mentionnés
dans l'Article II :
comme auffi de
montrer aux Ingénieurs
toutes les
mines & les ouvrages
fouterreins.
Fait au Château
Fait à Saint-Philippe , de S.
Philippe , le
le 29 Juin 1756.
Approuvé , Guillaume
BLAKNEY.
28 Juin 1756.
Signé , Guillaume
BLAKNEY.
Tous les Articles ci - deffus fignés , &les ôtages
donnés , M. le Maréchal de Richelieu est entré dans
la Place leditjour 29 Juin , entre 89 heures du
matin. Il s'eft fait rendre compte de tout ce qui étoit
dans le Fort , dont voici le détail.
Garnifon trouvée au moment de fa reddition
2963 hommes de troupes.
240 pieces de canon faines & entieres , fans:
compter 40 autres pieces que M. le Maréchal avoit
fait enclouer pendant l'attaque..
Environ 70 Mortiers.
.700 milliers de poudre..
12000 Boulets .
15000 Bombes,
Les Ennemis ont perdu pendant le fiege beaucoup
moins de monde que nous , attendu les retraites.
les Cafmattes immenfes où ils fe retiroient , taillées
K.v.
226 MERCURE DE FRANCE.
dans le roc, & à l'abri du boulet & de la bombe.
Les François ont eu , depuis le commencement du
fiege jufqu'à la reddition du Fort , environ 1500
hommes tant de tués que de bleffés : il eft mort peu
de bleffés , parce que la cure des plaies réuſſiſſoit
fort bien dans cette Ifle. Les Chirurgiens même en
étoient étonnés.
Il s'eft trouvé dans le Fort beaucoup de vivres ;
als en avoient encore pour un temps confidérable :
mais lors de fa reddition , il y avoit huit jours que
les Affiégés n'avoient plus ni Vin , ni Eau - de- vie.
Depuis le commencement du Siege jufqu'à la red
dition , il n'y a jamais eu à l'Hôpital de l'armée
Françoife plus de 150 malades couramment ; &
que M. de Fronfac eft parti de Mahon ,
il n'y en avoit que ce nombre.
au moment
On laiffe pour Garniſon les Régimens ſuivans.
Le Royal Italien ; Médoc ; Talaru ; Royal Comtois
& Vermandois.
La Garnison Angloife a dû fortir de l'Ifle le &
Juillet.
M. le Comte de Lannion commandera en chef
les Forts de Pife Minorque.
M. le Duc de Fronfac , qui a porté la nouvelle
'de la prife des Forts , arriva à Paris la nuit du 9
au 10 Juillet : M. le Comte d'Egmont , qui a apporté
les articles de la Capitulation & la nouvelle
de l'évacuation entiere de la Place par les Anglois
, eft arrivé à Paris la nuit du 14 au 15 fuiwant.
M. de Fronfac eft parti le 26 Juillet de Paris
, pour aller rejoindre M. le Maréchal de Richelieu
, qui ne revient point.
Nous ne pouvons mieux terminer cette Relation
que par les Vers fuivans , qui font de M. de
Voltaire , & qui nous ont paru dignes de lui & da
Héros qu'ils célebrent .
A O UST. 1756 . 227
VERS
De M. de Voltaire à M. le Maréchal Duc
de Richelieu , fur la Conquête de Mahon.
Depuis plus de quarante années
Vous avez été mon Héros :
J'ai préfagé vos deſtinées .
Ainfi quand Achile à Syros
Paroiffoit fe livrer en proye
Aux jeux , aux amours , au répos ,
Il devoit un jour , fur les flots ,
Porter la flamme devant Troye ;
Ainfi quand Phriné , dans fes bras
Tenoit le jeune Alcibiade ,
Phriné ne le poffédoit pas ;
Et fon nom fut dans les combats
Egal au nom de Miltiade.
Jadis les Amans , les Epour
Trembloient en vous voyant paroître.
Près des Belles & près du Maître ,
Vous avez fair plus d'un jaloux :
Enfin c'eft aux Héros à l'être.
C'eft rarement que dans Paris
Parmi les feftins & les ris ,
On démêle un grand caractere
Le préjugé ne conçoit pas
Que celui qui fçait l'art de plaire ;
Kvi
228 MERCURE DE FRANCE
Sçache aufli fauver les Etats :
Le grand Homme échappe au vulgaire.
Mais lorsqu'aux champs de Fontenoi ,
Il fert fa Patrie & fon Roi ;
Quand fa main des peuples de Genes
Défend les jours & rompt les chaînes ;
Lorſqu'auffi prompt que les éclairs ,
Il chaffe les Tyrans des mers
Des murs de Minorque opprimée ,
'Alors ceux qui l'ont méconnu ,
En parlent comme fon armée :
Chacun dit : Je l'avois prévu :
Le fuccès fait la renommée.
Homme aimable , illuftre Guerrier ,
En tout temps Phonneur de la France ,
Triomphez de l'Anglois altier ,
De l'envie & de l'ignorance.
Je ne fçais fi dans Port-Mahon
Vous trouverez un ftatuaire ;
Mais vous n'en avez plus à faire.
Vous allez graver votre nom
Sur les débris de l'Angleterre:
Il feroit béni chez l'Ibere , at.. ?
Et chéri dans ma Nation.
Des deux Richelieu fur la terre
Les exploits feront admirés..
Déja tous deux font comparés ,
Et l'on ne fait qui l'on préfere.
Le Cardinal affermiffoit
A O UST. 1756: 2.20
Et partageoit le rang fuprême
D'un Maître qui le haïffoit ,
Vous vengcz un Roi qui vous aime.
Le Cardinal fut plus puiffant
Et même un peu trop redoutable :
Vous me paroiffez bien plus grand ,
Puifque vous êtes plus aimable .
Le 1 I Juillet , M. le Cardinal de la Rochefoucauld
prêta ferment entre les mains du Roi ,
dans le Cabinet de fa Majefté , pour la charge de
Grand Aumônier de France. Ce Cardinal entra lè
même jour en exercice des fonctions de cette
charge près de fa Majefté.
"
Le 15 Juillet , pendant la Meffe du Roi , la.
Mufique a chanté le Te Deum , de la compofition
de M. Colin de Blamont , Surintendant de la Mufique
de la Chambre , & Chevalier de l'Ordre de
S. Michel , qui l'a fait exécuter. Cette Hymne a
été entonnée par l'Abbé de Gandras , Chapelam
de la Chapelle-Mufique. Le Corps de Ville a fait
tirer le canon , & fonner le tocfin , ainfi que toutes
les cloches de la Ville. A fix heures du fóir ,
le Corps de Ville a allumé un feu dans la place de
-PHôtel de Ville , fous les ordres du Duc de Gefvres
, Gouverneur de l'Ile de France. Le Corps .
de Ville illumina fon Hôtel, & il y eut des lumieres
fur toutes les fenêtres des maifons . L'Hôtel du
Duc de Gefvres fut illuminé fuivant fon ordre
d'Architecture. Ce Seigneur fit couler pendanttoute
la nuit du vin pour le peuple , & lui fit diftribuer
des vivres.
Madame la Marquise de Pompadour à cette
occafion donna une fête dans fa maiſon hors de la
230 MERCURE DE FRANCE.
Ville. Le Roi lui fit l'honneur d'y affifter. y eut
avant le fouper un feu d'artifice très-bien exécuté,
qui fut fuivi d'une illumination élégante , analogue
aux deffeins des parterres & des jardins , &
dont l'effet a fait la furpriſe de tous les Spectateurs .
Le Roi a accordé les entrées de la Chambre à
M. Hénault , Préfident Honoraire en la premiere
Chambre des Enquêtes ; Surintendant des Finances
, Domaines & Affaires de la Reine ; un des
Quarante de l'Académie Francoife ; Honoraire
de l'Académie Royale des Belles- Lettres , & Membre
des Académies Royales de Nancy , de Berlin
& de Suede.
Le Roi ayant prefcrit par fon Ordonnance da
1 Août 1755 , la levée de quatre Compagnies dans
chacun des Bataillons de fon Infanterie Françoiſe ,
& voulant régler le temps que commencera à
courir la maffe deſtinée à l'habillement & aux menues
réparations defdites Compagnies : Sa Majesté
ordonne , qu'outre la folde réglée pour lesdites
Compagnies , le paiement de leur maffe fera fait
fur le pied complet , à commencer du 1 Janvier
de la prefente année.
I
Sa Majefté a réglé auffi , que le décompte de la
maffe échue aux Régimens de Dragons leur feroit
fait jufqu'au 1 Janvier 1756 , fur le pied de
leur précédente compofition , & qu'à compter dudit
jour ils en recevroient le paiement fur le pied
complet de quarante hommes par chacune des
feize compagnies , dont ils font actuellement
composés.
Il paroît deux Arrêts du Confeil d'Etat , qui
-permettent , l'un à la ville de Cherbourg , l'autre
à celle de Libourne , de faire directement , chacune
par fon Port , le commerce des Iſles & Co-
Jonies Françoifes de l'Amérique
AOUST. 1756. .231
La Ville de Saint - Etienne en Forès le diftingue
de plus en plus par la perfection des armes qui s'y
fabriquent. Le Sieur Jean - Louis Carrier , Entrepreneur
d'armes de cette Ville , & qui a en même
temps l'entreprife des Meffageries de Forès , a
préfenté derniérement à M. le Duc de la Valliere
un fufil , dont tous les connoiffeurs ont admiré
la finguliere beauté.
Le 18, M.le Chevalier deTourville arriva àCompiegne
, revenant du Canada , avec la nouvelle
que l'Efcadre & les troupes du Roi , parties de
Breft au mois d'Avril , s'étoient rendues à Quebec
, ainfi que la plupart des navires , qui ont
été expédiés fucceffivement des différens Ports du
Royaume avec des recrues & des provifions de
toute efpece. On a appris auffi par les lettres qu'il
a apportées , qu'il y a eu pendant tout l'hyver
des partis de Canadiens & de Sauvages , qui ont
fait des incurfions fur les Colonies Angloifes , ou
ils ont tué beaucoup de monde , & fait un nombre
affez confidérable de prifonniers. Les mêmes
lettres portent , que les Anglois de leur côté fe
difpofoient à reprendre cette année les attaqués
qu'ils tenterent inutilement l'année derniere contre
le Canada. M. le Chevalier de Tourville commandoit
la Frégate la Sauvage , dans l'Eſcadre
partie de Breft. Il a été fait Capitaine de Vaiffeau ;
& le Roi a eu la bonté de lui annoncer lui-même
cette grace , lorfqu'il a été préfenté à Sa Majesté
par M. de Machault , Garde des Sceaux de France
, & Secretaire d'Etat ayant le département de
la Marine.
M. le Chevalier de Tourville eft neveu du
Maréchal de ce nom. Il est le feul qui refte du
nom de Tourville avec un frere , que fa foible
fanté a obligé de quitter le ſervice de la Marine.
232 MERCURE DE FRANCE.
Il fait fa réfidence dans fes terres en Norman
die , où il s'eft marié , & n'a point de postérité.
Un Courier arrivé de Toulon le 20 de Juillet ,
à cinq heures du matin , a apporté la nouvelle
que l'Efcadre du Roi , commandée par M. le
Marquis de la Galiffoniere , à mouillé en rade
le 16 à trois heures après midi. Cette Eſcadre
étoit partie de fa croifiere devant le Port-Mahon
le 8 , auffi- tôt que M. le Maréchal Duc de Richelieu
fe fut rendu à bord du aiffeau le Fondroyant.
Les Officiers Généraux & les Compagnies
de Grenadiers font revenus à bord de
cette Efcadre , & le furplus des troupes fur des
Bâtimens de tranfport . Pendant la traverſée ,
que les vents contraires & les mauvais temps ont
rendue affez longue , M. le Marquis de la Galiffoniere
a profité le 13 d'un caline , pour faire
chanter le Te Deum à bord du Foudroyant ,
l'occafion de la prife du Port Saint- Philippe ;
& cette cérémonie a été accompagnée des falves
ordinaires de l'artillerie & de la moufqueterie
de tous les Vaiffeaux de PEfcadre. M. le
Maréchal de Richelieu , en débordant en rade
du Vaiffeau le Foudroyant , a été falué de la voix &
fucceffivement du canon de tous les Vaiffeaux de
l'Eſcadre , ainfi que de celui du Vaiffeau Amiral ,
forfqu'il eft entre dans le Port . Cette Efcadre qui
avoit été jointe à Port - Mahon par deux des Vailfeaux
dont Sa Majesté avoit ordonné l'armement ,
a trouvé en..rade les autres Vaiffeaux de ce nouvel
armement , dont le départ avoit été retardé
par la nouvelle de fon retour , & toute cette Elcadre
a eu ordre de refter en rade.
à
La Frégate la Rofe , commandée par M. Paftour
de Coftebelle , Capitaine de Vaiffeau , s'eft
féparée de l'Efcadre fur Toulon , pour débarquer,
A O UST. 1756. 233
à Marseille les Otages , qui doivent y attendre
le retour des Navires qui portent à Gibraltar la
Garnifon du Fort Saint - Philippe.
M.le Marquis de Paulmi , Secretaire d'Etat de
la Guerre , en furvivance du Comte d'Argenfon,
& l'un des Quarante de l'Académie Françoife , a
été élu Académicien Honoraire de l'Académie
Royale des Belles - Lettres , à la place du Feu
Abbé de Pomponne.
Le 22 Juillet , les Actions de la Compagnie
des Indes étoient à quinze cens cinquante livres:
les Billets de la premiere Loterie Royale , à
neufcens quarante ; ceux de la feconde Loterie ,
à fept cens foixante- quatre , & ceux de la troificme
Loterie , à fix cens quarante- quatre .
MARIAGES ET MORTS.
MEffire Pierre , Marquis de Pons , fils de feu
Meffire Pierre , Comte de Pons , & de Dame
Marie -Elifabeth d'Aurelle de Terneyre , fut masié
le 7 Février à Demoiſelle Claude- Renée de Noga.
ret , fille de Meffire Jean- Luc de Nogarét , Vicomte
de Trelans ; & de Dame Marie-Joſephe
du Puy Saint-Pierre de Belleveze. L'Evêque de
Quebec leur donna la Bénédiction nuptiale dans
l'églife Paroiffiale de Chaillot.
On nous mande de Befançon que Meffire
Charles - Marie - Jofeph Guillaume , Seigneur
de Gevigney , Mercey , Percée , & c. Maître
des Comptes en la Chancellerie de Dole , fils
de Meffire Léopold - Hugues - Jofeph - Alexandre
Guillaume , Préfident Honoraire à la Chambre
des Comptes de la même Chancellerie , Di234
MERCURE DE FRANCE.
recteur de l'Aumône générale de l'Hôpital Saint-
Jacques de Belançon , y époufa le 10 de Février,
Demoiſelle Thérete- Marie- Barbe Richer , fille de
Meffire Bonaventure Edouard Richer , ancien Capitaine
Suiffe au Régiment de Courten , Infanterie
, Chevalier de Ordre Royal & Militaire de
S. Louis , La Bénédiction nuptiale leur fut donnée
dans l'églife Métropolitaine par l'Archevêque de
Befa çon . Leur contrat de mariage avoit éte ſigné
le 3 du même mois par le Duc de Randan , l'Archevêque
de Belançon , le Premier Préfident ,
l'Intendant, & tout ce qu'il y avoit de plus quali
fié dans la Ville.
Meffire Jofeph- Charles- Roch- Palamede de
Forbin- Maynier , Baron d'Oppede , Capitaine-
Lieutenant des Chevaux - Légers de Monfeigneur
le Duc de Bourgogne , époufa le 23 Février
Dame Marie- Françoile de Bauffan , veuve de Melfire
Alexandre de Bauffan , Maître des Requêtes ,
mort le 19 Janvier 1754. La Bénédiction nuptiale
leur fut donnée dans l'églife Paroiffiale de
S. Paul , par l'Abbé d'Oppede. Leur contrat de
mariage avoit été fignés par Leurs Majeftés , le is
du même mois.
Meffire Jean Jacques-Philippe- Jofeph Lefmerie
, Marquis d'Efchoify , époufa le 24 dans la
Chapelle du Palais Royal , Demoiſelle Claudine-
Céfarine de la Tour- Dupin- de- Montauban , fille
de Meffire Louis de la Tour - Dupin , Comte de
Montauban , Premier Ecuyer de S. A. S. Monfeigneur
le Duc d'Orleans , & de Dame Marie-
Olimpe de Vaulferre des Adrets. La Bénédiction
nuptiale leur fut donnée par l'Evêque d'Auxerre.
Leur contrat de mariage avoit été ſigné le IS
même mois par Leurs Majeftés.
du
Meffire Jean- Baptifte- Gabriel Caffart , Comie
A OUST 1756. 235
E
Elpiés , Brigadier de cavalerie , fut marié le
même jour à Demoifelle Marie - Géneviève de
Chambon d'Arbouville , ' fille de feu Meffire Pierre
de Chambon , Marquis d'Arbouville , Maréchal
des Camps & armées du Roi , & Gouverneur des
ville & Château de Sheleſtat , & de feu Dame Marie-
Anne- Françoife de Montmorin . L'Evêque Duc
de Langres leur donna la Bénédiction nuptiale
dans l'églife de S. Sulpice.
Meffire Célar-Augufte , Comte de Mafting
Fauconnier de Monfeigneur le Duc d'Orléans ,
veuf de N. de Boulainvilliers , a époufé en fecondes
nôces , le Février 1716 Demoiſelle Marie-
Magdeleine le Franc des Effarts , fille de feu Meffire
Louis le Franc des Eflarts , & de Damoifelle
N. Mignot , foeur de l'Abbé Mignot.
Jean-François- Gafton de Rochechouari-Fau
daas , Abbé de l'Abbaye de Bonnefont , Ordre de
Câteaux , Diocèfe de Comminges , eft mort le 27
Décembre , dans la quarante- cinquieme année de
fon âge.
L'Abbé de Rochechouart étoit fils de Charles
de Rochechouart , dit le Comte de Clermont , Vicomte
de Soulan , feigneur d'Aureville , & c . & de
Françoile de Montefquiou , fille de Jean Hyacinthe
, Baron de la Tour de France , & de Marie-
Anne de Roux- Montet. Il avoit pour freres ,
10. François- Charles , dit le Comte de Rochechouart
, Marquis de Faudoas , Baron des Etats
de Languedoc , &c. Lieutenant Général des Armées
du Roi , marié le 13 Décembre 17 8 , à
Marie-Françoife de Conflans - d'Armentieres , aujourd'hui
une des Dames de Madame la Dauphine
, dont un fils & deux filles , dont l'aînée a
époufé le Comte du Châtelet , Colonel du Régiment
de Querci , & Menin de Monſeigneur le
Dauphin.
236 MERCURE DE FRANCE..
2°. Jean-François -Jofeph de Rochechouart ;
Evêque , Duc de Laon , fecond Pair de France ,
Abbé de S. Remi de Rheims, &c , facré le 15 Octobre
1741 .
3. Jean- Louis-Roger de Rochechouart qui a
quitté l'Ordre de Malte en 1751 , appellé Marquis
de Rochechouart , Brigadier d'Infanterie , & Colonel
du Régiment d'Anjou , marié le 3 Juin 1751 .
à Charlotte- Françoife Faulcon de Rys , nommée
la même année Dame de Mefdames de France.
4. Pierre - Paul- Etienne , dit le Vicomte de
Rochechouart , Lieutenant de Vaiffeaux , né en
1723.
La Maifon de Rochechouart eft une des plas
illuftres du Royaume , puifqu'elle rapporte fon
origine aux anciens Vicomtes héréditaires de Limoges.
Elle eft partagée dès l'an 1245 , en deux
branches principales. De la cadette font fortis les
Ducs de Mortemart. Voyez fur cette Maiſon
l'hiftoire des Grands Officiers de la Couronne ,
Tome IV .
&
Le Chevalier d'Aultry , Brigadier d'infanterie ,
eft mort le 2 Janvier , au Château de la Mivoye ,
âgé de 69 ans.
Meffire Louis - Antoine du Fos , Marquis de
Mery , eft mort le 12 au Château de la Taulle en
Picardie , dans la cinquante- fixieme année de fon
âge .
Meffire Louis-Jean -Jacques Touftain de Richebourg
, eft mort le 15 dans fon château de Malemains
en Normandie , âgé de 37 ans.
Meffire N. Elian , Abbé de l'Abbaye de Bellaigue
, y eft mort au commencement du mois de
Février dans la quatre- vingt- quatorzieme année
de fon âge. Il étoit Titulaire de cette Abbaye depuis
1677 , & le plus ancien des Abbés Commen
dataires de France.
A O UST. 1756. 237
AVIS.
LE Sieur Brouet , Marchand Epicier , rue Dau
phine , au Magafin de Montpellier ; vend une
nouvelle liqueur appellée Eau de Minorque .
Cette liqueur eft des plus agréables , & a été
généralement approuvée,
AUTRE.
LE Sieur Maille , Vinaigrier- Diftillateur or
dinaire de Leurs Majeftés Impériales , & le feul
pour la compofition des Vinaigres de propriétés ,
donne avis qu'il continue avec les plus heureux
fuccès , la vente du Vinaigre de Turbie ,
pour la guérifon des maux de dent , ainfi que
celle du Vinaigre Romain , qui les blanchit parfaitement
, arrête le progrès de la carie , & empêche
que les autres dents ne cariffent , & les raffermit
dans leur alvéole , guérit tous les chancres
de la bouche , & previent l'haleine forte. Les heureux
effet que ce Vinaigre a produits dans la bouche
d'un très - grand nombre de perfonnes , fait
connoître que cette compofition eft la plus parfaite
que l'on ait encore trouvée , & qu'elle renferme
des propriétés admirables pour la confervation
de la bouche . Il fe trouve chez ledit Sieur
Maille , différens Vinaigres fervant à l'uſage de la
peau , foit pour en ôter les boutons , dartres
farineufes , taches de rouffeurs , & la blanchir ,
noircir les cheveux & fourcils roux ou blancs ,
fans que cela foit préjudiciable à la tête ni aux
yeux. Ledit Sieur Maille tient magaſin général
de toutes fortes . de Vinaigres , tant pour la ta
238 MERCURE DE FRANCE.
ble que pour les bains & toilettes , au nombre
de cent foixante - deux fortes , & différens fruits
confits au vinaigre. L'on continue le débit de
la nouvelle Moutarde des fix graines , & l'excellente
Moutarde aux capes & anchois , par extrait
d'herbes fines à quatre livres le pot de pinte.
Les perfonnes des Provinces de France & des
Royaumes étrangers , font avertis qu'il n'y a que
1 : dit Sieur Maille qui fait & compofe ces fortes
de Vinaigres. Les perfonnes qui feront dans le cas
d'en avoir befoin , en écrivant une lettre d'avis
audit Sieur , & remettant l'argent par la pofte
tout affranchi de port , on leur enverra exactement
le Vinaigre dont elles auront beſoin , avec la
façon de s'en fervir. Les moindres bouteilles de
cès fortes de Vinaigres de propriété , ſoit pour
les dents ou le vifage , font de trois livres .
Il demeure à Paris rue de l'Hirondelle , aux
armes Impériales .
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier, Ai
le Mercure du mois d'Août , & je n'y ai rien trouvé
qui puiffe en empêcher l'impreſſion . A Paris ,
ce 29 Juillet 1756.
ERRATA
GUIROY.
Pour le fecond Volume de Juillet..
PAze 9 , ligne 6.
Conduit-moi mollement au port.
Lifez ,
Conduis- moi mollement au port
239
"ag. 125 , lig. 5. à M. de Mouchy , lifez à M. de
Mouhy .
Pag . 207 , lig . 11. Gernefey , lifez , Garneley.
Page 156 de ce Volume d'Août , lig. 16 , au lieu
de Prix 2 liv. 80. lifez , Prix 3 liv, in- 12.
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
E
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
PITRE à M. de Saint-Martial en lui envoyant
une paire de Pigeons ,
Les Faveurs , Conte ,
Ode ,
Suite de la Vie de Jules Céfar ,
Vers fur la Guerre préſente ,
page s
9
21
28
47
Chanfons pour célébrer la Venue de M. le Dauphin
à Chartres ,
Vers à M. de la Motte ,
Lettre à M. le C... de ...
Ode fur la prise de Port-Mahon ,
Portrait de M. R.
Vers à MM . Gabriel , fils ,
Le Coup d'Eil dans un Général d'armée ,
Elégie à Mademoiſelle B * * * **** ,
Lettre à l'Auteur du Mercure ,
Autre Lettre avec une Epître à M. B *** ,
ibid.
So
St
59
63
68
73
76
80
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
fecond Volume du Mercure de Juillet ,
Enigme & Logogryphe ,
Chanfon ,
84
ibid.
87
89
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
Séance publique de l'Académie de Nîmes ,
Extraits , Précis ou Indications des livres nouveaux
,
306
240
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Géométrie. Théorême concernant la Quadrature
des Courbes , 165
Phyfiue . Expérience qui démontre que l'air de la
refpiration paffe dans le fang , 167
Médecine. Réponſe de M. T. C. à l'Auteur d'une
Lettre inférée dans le Mercure du mois de Juillet
1755 ,
Académie des Belles - Lettres de Marſeille ,
ART. IV. BEAUX - ARTS.
170
177
Mufique.
Gravure.
179
180
Architecture. Lettre à l'Auteur du Mercure fur la
Décoration des Jardins ,
ART. V. SPECTACLES.
Comédie Françoiſe.
Comédie Italienne.
Opéra comique.
182
189
191
ibid.
Chanfon de M. Vadé , fur la Priſe du Port-Mahon
.
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
192
195
205
Relation hiftorique de la Prife de l'Ifle Minorque ,
avec la Capitulation du Fort S.Philippe , & c. 218
Vers de M. de Voltaire , à M. le Maréchal de Ri-
-chelieu fur cette priſe ,
Mariages & Morts ,
Avis divers .
La Chanson notée doit regarder la page 87.
De l'Imprimerie de Ch. Ant. Jombert,
227
233
237
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
SEPTEMBRE. 1756.
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine.
Cochin
Silive inv.
Papillon Sculp
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
Chez PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins .
Avec Approbation & Privilege du Roi.
AVERTISSEMENT
LE Bureau du Mercure eft chex M.
9
LUTTON , Avocat & Greffier - Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis an
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Rock , entre deux Selliers .
C'est à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY ,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raifon
de 30 fols pice.
par
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure la p fte , payeront
pour feize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafion pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du pori fur
leur compte , ne payeront , comme à Paris
qu'à raifon de 30 fals par volume , c'eſt- àdire
24 livres d'avance , en s'abonani pour
16 volumes .
Les Libraires des provinces on des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mer
eure , écriront à l'adreſſe ci - deſſus.
A ij
On fupplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la poſte , enpayant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à ſon Bureau les Mardi
Mercredi & Jeudi de chaque femaine, aprèsmidi
.
cure ,
On peut fe procurer par la voie du Merles
autres Journaux , ainfi que les Liures,
Eftampes & Mufique qu'ils annoncent.
On prie les perfonnes qui envoient des Livres
, Eftampes & Mufique à annoncer į
d'en marquer le prix.
MERCURE
DE FRANCE.
SEPTEMBRE . 1756 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PRÓSE.
LA MAIN DROITE
ET LA MAIN GAUCHE.
L'Hom
FABLE.
'Homme eft plein de befoins : pour les foula
ger mieux ,
Il a reçu deux mains des Dieux.
Mais dans les champs de Mars , fiere de le défene
dre ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
La main droite , dit -on , dès le commencement
Ofa refufer hautement
Les fervices communs qu'elle devoit lui rendre .
Bien qu'elle tînt au corps , le corps n'en recevoit
Le manger , ni le boire : il avoit beau prétendre ,
La Dame fe tranquilifoit :
Elle eût cru déroger en nourriffant fon pere.
La main gauche étoit roturiere ,
Et cet emploi la regardoit.
Je protege vos jours & vos biens à la guerre ,
N'eft- ce pas faire affez pour vous ?
Je forte aux ennemis les plus terribles coups ;
Je dirige le fer , la fronde & la maffue ;
Et quand j'ai fatisfait à des devoirs fi beaux ,
Pour vaquer aux plus vils travaux
Vous voulez que je me remue ?
Ne me vante point tant ton pénible ſecours ;
Dit l'homme ta compagne aide mieux ma foi
bleffe .
Je n'ai point d'ennemis qui m'attaquent fans
ceffe ,
Au lieu que j'ai faim tous les jours.
Les mets que ta foeur me préſente
Rendent la vie à tous mes fens ;
Elle engraiffe d'autant , & fa force en augmente.
Tu dédaignés cés alimens ,
Sans eux tu ferois languiffante .
L'art de se battre eft noble , on ne fçait pas pour
quoi :
*
7
SEPTEMBRE
. 1756.
J'eftime bien mieux l'art d'éviter la difette.
Mourir de faim eft , felon moi ,
La roture la plus complette.
LETTRE
**
A Monfieur *
JE prends la liberté , Monfieur , de vous
envoyer un badinage que je viens de faire
au fujer d'une gageure qu'une Dame de
certe Ville & un Anglois qui y féjourne
ont faite ,
, pour & contre la prife du Fort
Saint Philippe .
A Monfieur ***.
Enfin
, Milord
, je fuis Prophéte
,
Nous voilà maîtres de Mahon ;
Et votre fage Garnifon
De fes exploits très- fatisfaite ,
Se moque du qu'endira- t'on ,
Et déloge enfin fans trompette.
Votre réponſe eft déja faite :
>>Peut- on défendre un Baftion
>> Contre cent machines guerrieres ,
Qui portant la deftruction ,
>>Brifent les plus fortes barrieres ?
A iv
8 MERCURE DE FRANCE
>> Et puis vingt mille téméraires ,
>>Bravant la mine & le canon ,
» Et guidés par un Scipion ,
>>Sont de terribles adverfaires !
>>Et comment diable , tenir bon
>>Contre ces forces meurtrieres ?
>> Euffions-nous un coeur de lion ,
>> Fuffions -nous cent fois plus Corfaires ,
»Il faut bien , qu'on le veuille ou non ,
» Souffrir enfin les étrivieres.
Eh ! Milord , vous avez raiſon :
Devant nos milices Françoifes
Toutes vos phalanges Angloifes
Peuvent baiffer leur pavillon ,
Sans jamais perdre leur renom .
Pour vous , dorénavant plus fage ,
Ne hazardez plus vos Chelings
En faveur de vos Citadins ;
Avant qu'ils euffent . l'avantage
Vous perdriez , trifte préfage ,
Cent millions de livres sterlings
Leur haine qu'anime la rage
Ne vaut pas le noble courage
De leurs redoutables voifins.
Mais pour Louis & fa fortune ;
Je vous offrirois pour enjeu
Cent mille piftoles contre une ,
Et j'aurois encor très -beau jeu .
Par M***
SEPTEMBRE . 1756 .
SUR LE CHOIX DES SOCIÉTÉS ,
A une jeune perfonne qui doit entrer incef-
Samment dans le monde ; par Madame
du S. ···
JEE viens d'avoir la plus finguliere converfation
avec une femme aimable , qui
m'eft chere , que les principes d'une pieuſe
éducation ont prévenue contre les grands
défordres , mais que le torrent du monde
entraîne , & qui s'y trouve prodigieufement
livrée. Dans les deffeins que je forme
pour vous , ma chere Julie , j'imagine qu'il
n'eft point hors de propos de vous en faire
part.
Je fuis , m'a-t -elle dit , furpriſe qu'une
vie auffi remplie que le paroît la mienne ,
me laiffe fufceptible de l'ennui qui me
domine quelquefois ; qu'environnée de
tout ce qu'il y a de féduifant , j'éprouve
un vuide extrême. J'ai tout ce que je puis
défirer , & je cherche , pour ainfi dire , autour
de moi : je ne vois pas ce qui me
manque , mais il me manque quelque
choſe. La nature & la fortune m'ont bien
traitée ( l'on peut s'exprimer ainfi vis- à - vis
d'une vraie amie ) . Mon mari fait un per-
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
fonnage dans le monde : il a de bonnes
manieres pour moi ; & quand il en diminueroit
quelque chofe , pourvu que cela
n'allât pas à la contrainte , en vérité je
n'aurois pas le temps de m'en appercevoir,
Je fuis obfédée en fortant du lit ; obligée
de dérober les circonftances fécrettes de
ma toilette , j'ai cent témoins des autres :
on m'enleve de chez moi. Un petit voyage
de campagne , un dîné , une fête , fouvent
une partie qui n'a offert d'agrément que
dans le projet , nous mettent en mouvement.
Paris offre mille façons de diverfifier
les plaifirs ; je les admets toutes , quelquefois
même plufieurs à la fois : promenade
pour le brillant des équipages , autres
promenades où l'on étale avec avantage
les agrémens & la parure . Enivrée
d'éloges , foulant aux pieds les plus féduifantes
Aeurettes , on rentre chez foi ou
chez quelqu'autre : un délicat foupé raffemble
une petite troupe d'élite ; la cohue
que je ne hais point dans le cours de la
journée me déplaît à table , il faut qu'on y
foit afforti : j'élague celle qui m'environne,
elle forme ma cour & non ma fociété : la
gaieté , la faillie regnent , la nuit arrive , &
je me conche le plus fouvent fans avoir
eu le temps de penfer que je m'étois lévée.
Cette vie eft charmante ; je me veux un
SEPTEMBRE. 1756 .
TI
mal mortel d'en être quelquefois dégoûtée.
Je crains de devenir bizarre & cauftique :
car enfin il faut que je vous l'avoue , ma
bonne , il eft des momens où je voudrois
être plus à moi je hais quelquefois le
jour qui me replonge dans le tourbillon ;
& quand quelqu'heureux hazard écarte
cette turbulente troupe , je fuis enchantée
d'être livrée à moi même fans qu'il paroiffe
de l'inégalité dans ma conduite ; &
quoique les réflexions dont je m'occupe
alors me donnent de l'humeur , parce qu'elles
font naître d'ennuyeux fcrupules ,
j'aime à m'y livrer : je trouve cette penfée
fauffe de dire qu'elles font inutiles : réellement
il en faut quelquefois , je voudrois
que ma façon de vivre fût plus relative à
mes préjugés ma raifon trouve bien l'incompatible
; mais elle me laiffe après me
l'avoir dit , & ne me fournit aucun milieu.
A vingt ans fe réduire à une vie unifor
fe coucher , fe lever à des heurés féglées
, s'occuper de Dieu premiérement ,
de fa famille , de fon domeſtique , inſtruire
& régler... Que de miferes dans ces
dérails :: que diroient Cidalife & le jeune
Comte ? L'une eft mon amie , l'autre , fans
être amoureux , a mille complaifances qui
m'amufent : tous deux répandent un affreux
ridicule fur le malheur d'une éduca
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
tion qu'ils qualifient de bourgeoife , dont
ils prétendent que l'impreffion me met
toujours à la veille de leur échapper , de
m'enfevelir , de m'enterrer , en un mot
d'être comptée pour rien . Ils me font chers,
mais affurément fans conféquence . Je connois
Cidalife depuis peu : c'eft une femme
confommée dans l'ufage du grand monde.
Sans retourner fur fa jeuneffe dont les commencemens
ont quelque chofe d'affez révoltant
, elle eft revenue à mettre de l'ordre
dans fa conduite. Elle m'a fouvent fait
l'hiſtoire de fa vie. Ah ! ma Bonne , qu'il y
a de jolis endroits ! Le Duc de ... l'a aimée !
quel homme fait pour plaire ! quels triomphes
! Elle le fuivit dans fon Gouvernement
; & fans qu'ils euffent l'air d'avoir
rien à démêler enſemble , il parut la voir
pour la premiere fois au Spectacle : elle
paffoit pour la Comteffe de ... il lui avoit
donné un équipage , & tout ce qu'il falloit
pour en foutenir le perfonnage. Une des
plus belles perfonnes de la Ville eut des
prétentions : il en parut touché ; mon amie
trembla. Le Marquis de ... s'offroit à la
dédommager ; mais il y avoit du fentiment
dans cette affaire , il ne fervit qu'à ranimer
l'amour du Duc , & d'ornement à la conquête
tout fut facrifié de bonne-foi de
part & d'autre. Quels jours ! quels inftans !
SEPTEMBRE. 1756. 13
ile ne m'a rien caché : oh ! c'eft une
femme bien fincere : j'aurois quelquefois
fouhaité qu'elle le fût moins ; mais elle
donne à tout des couleurs ... En vérité
les circonftances qui l'ont entraînée étoient
infurmontables.
Pour le Comte , vous fçavez qu'il eft
plus aimable que tout ce qu'on voit dans
le monde , rien ne lui reffemble à tous
égards : s'il étoit amoureux , il feroit à craindre
: j'en ferois au défefpoir ; car , qu'en
penfez-vous, ma Bonne, il faudroit renoncer
à le voir ? Cidalife me difoit , non ;
mais feulement éviter le tête à tête : au
furplus que craindriez- vous ? s'il vous aime
, il vous refpectera : c'eft le plus intime
de votre mari ; vous fçavez comme il en
parle. Avec tout cela , ma Bonne , & l'indifférence
dont il fe pique , je le crains ,
parce qu'il y a des jours où je le trouve
néceffaire , & d'autres où ma raifon le
trouve de trop tel fut , par exemple , celui
dont vous vouliez me détourner de
remplir les engagemens . J'aurois dû vous
en croire , cette partie étoit légere . La
crainte des ridicules auxquels je me ferois
offerte en m'y refufant , me détermina : j'y
porrai de l'inquiétude & des réflexions :
on eft fouvent déplacée quand on penfe.
J'eus peine à partager la gaieté commune.
:
14 MERCURE DE FRANCE.
Nous allâmes , comme vous fçavez , dans
cette jolie maiſon du Prince de ... 11 ne
devoit point s'y trouver ; cependant il y
vint : j'en fus bien aiſe ; car j'avois réellement
de l'humeur . J'imaginai que fa préfence
impoferoit , & que nous ferions
obligés de reprendre le chemin de Paris :
point du tout . J'aurois foupçonné du concert
, tant il parut d'intelligence avec ma
fociété . Cidalife m'a toujours affaré que
non. Quoi qu'il en foit , tout continua fur
le même ton : il nous fit entendre une
mufique admirable pendant le dîné , il fe
donna lui- même la peine de nous conduire
dans les jardins , & de nous faire remarquer
les beautés d'un fingulier labyrinthe ,
où mon amie n'ayant pu nous fuivre ,
parce qu'un foudain mal de tête l'avoit
faifie , le Comte , qui lui donnoit le bras ,
la conduifit au Château : Emilie , Cephife
& leurs Ecuyers difparurent , je ne fçais
comment fans m'en être apperçue , je
me trouvai feule avec le Maître du logis
qui me faifoit l'honneur de m'aider à marcher.
A quelle fcene fus- je expofée ! J'étois
déja fort intimidée du tête à tête avec
un homme de ce rang , que je voyois pour
la premiere fois. Ce fut bien aurre chofe
quand me forçant prefque de m'affeoir , je
le vis à mes pieds avec un air ému , des
SEPTEMBRE 1756. 15
regards fixes & languiffans : je ne fis qu'un
faut dans la premiere toute : me croyant
fuivie , je les parcourois avec effroi , cherchant
une iflue : j'apperçus le Comte , qui
d'un air inquiet s'en barraffoit de fon côté :
mon agitation le furprit moins qu'elle ne
parut l'affliger ; je crus qu'il en fçavoit la
canfe . Tout eft-il découvert , lui dis-je ?
Quelles façons d'agir ! qu'eft- ce que cette
manoeuvre ! Je l'ignore , me répondit- il :
mais de tous les hommes je fuis le moins
propre à m'y prêter ; & fi vous me permettiez
de vous inftruire de mes fentimens
pour vous , j'aurois bientôt dequoi vous
en convaincre. Vous êtes dans une fociété
dangereufe , belle Horrence , ajouta- t'il ;
les confeils d'un homme de mon âge peuvent
être fufpects ; mais réfléchiffez- y , ils
auront des partifans dans vos inclinations
heureuſes. Echappez aux pieges , croyezmoi
l'on abufel de votre confiance. Il
;
me difoit cela d'un air qui m'attendrifſoit ,
ma Bonne je lui fçavois gré de ce vertueux
intérêt ; & fans être en garde contre
lui- mêmes , nous cherchions de concert à
fortir de ce dédale . Nous entrâmes enfin
dans un grand bois je me jettai fans autre
réflexion fur le premier banc : quelle furprife
! je levis à mes genoux : j'étois trop
laffe , je ne pouvois plus fuir que cela
16 MERCURE DE FRANCE.
eft embarraſſant ! C'en eft trop pour un
jour , m'écriai - je ! Comte , que faitesvous
? quelle fituation ! .. Affeyez- vous ,
je ne puis vous entendre autrement . Il
ferroit les mains que je lui tendois pour
le relever je crois qu'il les baifoit ; car
en vérité je n'en fçais rien. J'étois fi émue ,
fi troublée , le feu de fes yeux , un certain
air animé , entreprenant ... j'avois grand
befoin que l'on nous rejoignît : toute la
compagnie reparut en effet de différentes
allées je me plaignis à Cidalife ; elle
éclata de rire Quelle enfance ! qu'avezvous
imaginé , dit- elle ? que l'on eft crédule
quand on est fans expérience , &
qu'un peu d'amour- propre s'en mêle ! Un
badinage , une feinte vous effrayent. Elle
prit enfuite un ton plus férieux , & me
prouva fi bien que je n'avois pas eu lieu
de prendre la chofe au férieux , que j'eus
honte de ma fuite. Le Prince de ... ne
parut plus. Nous rentrâmes dans nos caléches
: l'enjouement & l'air fatisfait s'émbarquerent
avec nous . Le Comte feul me
parut rêveur & diftrait il étoit apparemment
fâché d'avoir fait un moment un
perfonnage oppofé à fon ton philofophe &
réfléchi . Pour moi , je ne l'érois point de
l'avoir vu faire comme les autres : cette
maniere foumife & refpectueufe a quelque
SEPTEMBRE. 1756. 17
chofe de féduifant . L'on vit fi férieufement
entre mari & femme , la fupériorité fe fait
toujours fentir : tout eft demandé & obtenu
comme devoir , c'eft le plus froid
commerce , jamais on ne fçait fi l'on eft
plus jolie un jour que l'autre ; c'eſt un
uniforme , une égalité infipide qui révolte.
Vous le fçavez , ma Bonne , tout le
monde a fes jours & fes parures avantageufes
: Cidalife & le Comte ont une flatteufe
attention à me les faire remarquer.
Croiriez - vous qu'il y a plus d'un an que
M. de ... n'en a fait aucune à mes habits :
quand je veux attirer fes regards fur quelque
nouvel ajustement , il fe contente de
me répondre d'un air froid , fans même
me regarder : vous êtes toujours également
bien à mes yeux , en vérité cela défole.
Le Public eft plus obligeant , fi j'obtenois
chez moi la plus petite partie des éloges
qu'il me prodigue , je crois que je ne fortirois
jamais. Pour le Comte , je l'avoue
ce qu'il fit à ... me revient fans ceffe fous
yeux il y a dans cette avanture quelque
chofe qui m'étonne ; car réellement
il n'eft point amoureux. Il déclame fans
mefure contre ceux qui le font ; il les
tourne en ridicule que gagneroit - il à
cela ? il ſeroit tout fimple qu'il fe déclarat.
Cette penfée me raffure, mais elle ne m'emles
18 MERCURE DE FRANCE.
pêche pas de craindre de me trouver feule
avec lui , & je ne pris point de plaifir à
la mauvaiſe plaifanterie de Cidalife qui
nous enferma hier. Le Comte m'offença ;
je criai : la porte s'ouvrit , je me plaignis.
Elle me plaifanta fur ma mauvaiſe humeur,
elle fit la mine enfuite . Je fus encore affez
bonne pour faire les premieres démarches
du raccommodement , & voilà plufieurs
o cafions où je remarque que je fais tous
les frais de l'amitié qui nous lie.
Voilà ce qu'on peut appeller une furieufe
tirade , ma chere Julie. Elle étoit tou e à
fes idées ; je la livrai à fon enthouſiaſme ,
fans prefque l'interrompre : je l'attendois
à cette conclufion . Je crus devoir profiter
des difpofitions qu'elle faifoit paroître
pour l'éclairer fur des dangers qu'elle ne
foupçonne pas. Je pourrois vous épargner
la fuite de notre converfation , qui ne
contient plus que des réflexions férieufes
& des inftructions ; mais elles entrent dans
l'ordre de mes deffeins fur vous : ainfi je
ne vous ferai grace de rien . Je lui tins donc
ce propos :
Vous êtes , je l'avoue , ma chere Hortence
, dans une pofition d'autant plus délicate
, que malgré beaucoup d'efprit, vous
ne le fentez pas , & que vos penchans aident
à vous féduire. Une dangereuſe amie
SEPTEMBRE. 1756 . 19
>
tend imperceptiblement un million de
pieges à votre vertu. Pour le Comte , il y
va de bonne foi , il eft amoureux . ( Elle
voulut m'interrompre ) . Ecoutez - moi
lui dis- je accordez cette complaifance à
de vrais fentimens dont on ne vous fait
voir ailleurs que l'apparence. Il vous aime
belle Hortence , mais il craint une fageffe
qui fe feroit un devoir de l'éloigner , s'il ſe
déclaroit fon manege lui réuffit mieux ;
il vient à fon but par un détour , & prend,
fans que vous vous en doutiez , la place où
il afpire. Si vous conceviez combien il y
a peu de distance du chemin que vous
avez fait aux dernieres démarches , vous
en frémiriez. Hélas ! un moment plus tard
peut-être mes confeils perfuaderoient- ils
envain votre raifon : il en eft temps encore.
Arrachez - vous aux vains engage
mens qui vous retiennent une amie du
caractere de Cidalife eft indigne de vous :
avec quelle affurance ofez-vous vous livrer
à fa conduite ! Elevée fans préjugés , elle à
vécu fans principes ; criminelle par goût ,
elle n'a pas même refpecté les dehors de
la vertu che a borné fon ambition aux
plus méprifables qualités de fçavoir attirer
& retenir beaucoup d'adorateurs ; triomphes
déplorables qui coûtent le feul mérite
qui met de la différence entre les
20 MERCURE DE FRANCE.
femmes. Quoi ! ma chere Hortence , ne
devinez - vous pas ce qui manque à votre
félicité Le repos d'une confcience qui ne
fe reproche rien , la fatisfaction de pouvoir
fe dire à foi-même , mes devoirs me
font chers , j'en fais mon unique étude.
Eprouvez la différence d'une vie appliquée,
faites un nouveau plan ; demandez vous ,
fans complaifance, ce que vous vous devez
comme Chrétienne , comme femme , comme
mere , & comme maîtreffe de maiſon ;
voyez fi vous l'avez rempli dans cette vie
tumultueufe & répandue . Vous ne deviez
point fuivre M. de ... dans fes terres.
Changez vos deffeins , fuyez- le , ma chere.
Rendue à vous-même , éloignée des dan.
gereux objets qui vous obfedent , vous
apprendrez qu'il eft des plaifirs dans une
vie d'ordre ; que ce qu'on qualifie de mifere
renferme d'inépuifables fatisfactions.
Rendez tout votre attachement à qui vous
le devez , & qui en eft fi digne ; apprenez
par pratique à préférer à tout le plus précieux
des biens ; je veux dire la vertu :
c'est elle qui peut feule remplir le coeur :
tout eft réellement fans elle illufion &
preftige : reconnoiffez- la : c'eſt à ce cri fécret
qui fortoit du vôtre né pour elle , que
vous deviez les dégoûts répandus fur les
faux plaifirs que vous lui préfériez . Je veux
SEPTEMBRE . 1756. 21
vous faire éprouver ceux qu'ellepermet :
j'efpere qu'ils acheveront de vous arracher
aux autres . Je vais à ma terre pour quelques
jours vous en connoiffez la diſtance ,
c'eft un voyage d'après - dîné : je compte y
recevoir plufieurs de mes amis & amies,
Soyez des nôtres , ma chere Hortence .
Vous verrez des tons & des allures différentes
; mais vous trouverez de la nobleffe
, de la décence , de l'efprit , de la gaieté,
& vous apprendrez que la vertu fociable
renferme de réels agrémens.
Elle ne m'écoutoit prefque plus depuis
un moment. Plongée dans la plus profonde
rêverie , elle effuyoit le plus violent.
combat ; de tendres larmes rempliffoient
fes yeux , & couvroient fon beau vifage :
elle s'eft enfin jettée dans mes bras . Je ne
le verrai plus, ma Bonne , vous triomphez ;
non, je ne le verrai plus ... A quel danger
courrois- je ! je le fens à ce qu'il m'en
coûte pour former cette réfolution ; mais
je la foutiendrai , ne m'abandonnez pas.
Je vais un moment chez moi pour préve
nir M. de ... du petit voyage que vous
me propofez , & de celui qui le fuivra .
Tout à coup elle s'eft écriée : Ah ! pauvre
Comte ... & rougiffant de fon tranfport ,
elle m'a regardée. C'eft pour la derniere
fois , m'a -t-elle dit , je ne veux pas même
22 MERCURE DE FRANCE .
le nommer. Elle eft fortie : un de fes gens
vient de me dire qu'elle feroit ici à deux
heures , & je l'attends.
Adieu , ma chere Julie . Il ne vous fera
pas difficile de pénétrer mes deffeins par
ce long récit ; je le livre à vos réflexions :
voilà bien affez écrire : heureufement
mon amitié pour vous eft au deffus des
expreffions , cela vous fauve un furcroît
de paroles.
EPITRE
A Madame d'Al... en fon Château de ...
· Scribere juffit amor.
Ovid. Heroid. Ep. I.
A U fein d'une douce langueur ,
Tandis qu'à peine je reſpire ,
Et
que
la
fecourable
erreur
,
Dans
les tourbillons
du délire
,
Emporte
& voile
mon
malheur
,
Vous
me promettez
un fourire
,
Des
oeillets
, un regard
fatteur
,
Si , reprenant
pour
vous
ma lyre
,
Je vous
fais fentir
du bonheur
Les
influences
& l'empire
;
Et fi par
més
accords
j'attire
SEPTEMBRE . 1756. 23
Le doux plaifir dans votre coeur.
Puis-je vous rendre un tel fervice ,
Moi , que les Dieux d'un ceil propice
N'ont jamais daigné regarder
Pouvez -vous me le demander ,
Vous qui reçûtes en partage ,
De la nature enfant gâté ,
Toutes les graces fans fierté ;
De l'efprit fans faux étalage ,
De la vertu fans âpreté ;
Un peu d'humeur , un goûr volage ,
Mais fans fiel & fans fauffeté ?
Si l'Euménide de Tantale
Empoifonne ces dons heureux ;
S'il eft toujours quelque intervale
Entré le bonheur & vos voeux ;
Si du fombre ennui l'influence
Verfe en un coeur fait pour les jeux ,
De tout défir cette impuiffance ,
Cet embarras de l'existence ,
Qui , d'un peuple fier & fameux ,
Epuifent fouvent la conftance ;
A cette finiftre langueur
Pour oppoſer de fûres armes ,
Donnez , belle Eglé , votre coeur
Au Dieu qui vous donna les charmes .
Un Amant voltige enchanté
Des vrais pla firs aux doux menfonges s
Pour lui l'aimable volupté ,
24
MERCURE DE FRANCE.
Reproduite dans de beaux fonges ,
Survit à la réalité .
Cet Univers n'a qu'une allure
Pour ceux dont les timides fens ,
Plongés dans une nuit obfcure ,
Des amoureux engagemens
Repouffent l'aimable impofture.
Mais aux yeux des tendres Amans
Le domaine de la nature
De leur coeur fuit les mouvemens ,
Et fon afpect & fa parure
Changent avec leurs fentimens.
Regardez l'ingénue Aminte
Qui , foulant l'art & la contrainte ,
Adreffe à Licas des fouris :
Un berceau dans fa fombre enceinte
Voit de leurs noeuds ferrer l'étreinte.
Aminte fort : fon coloris
Du doux plaifir porte l'empreinte ,
Et fon front où la joie eft peinte ,
Eft le trône où s'affied Cypris.
Life , Bergere de même âge ,
A plus d'efprit , autant d'attraits ;
Mais la langueur dans un nuage
Enveloppe fes fombres traits :
Rêveufe , indolente , diftraite
Parce qu'elle vit fans amour
Avec des fleurs & fa houlete ;
Elle manque la fin du jour.
II
SEPTEMBRE . 1756. 25
Il faut furtout , pour ſe bien plaire
Dans un azyle folitaire ,
>
Nourrir de tendres fentimens.
Autour d'une perfonne chere
Tout le revêtit d'agrémens ;
Mais fi , concentré dans Cythere ,
L'Amour n'embellit point nos champs ;
Les bois , les prés & la fougere
Laiffent au jour tous les momens.
Beaux lieux où la Reine de Gnide
Eût dédaigné Chypre & Paphos !
Non , vous ne touchez point Armide ;
Son coeur , que la volupté guide ,
N'aime en vous qu'un jeune Héros .
Une ame qu'Amour a bleffée
Se voit & fe trouve partout :
Tout fait revivre en fa penſée
Ses amuſemens & fon goût.
Ce lit de fleurs & de verdure
Que rafraîchiffent les Zéphirs ,
De quelque amoureuſe aventure
Lui retrace tous les plaifirs.
Intéreffante Philomele ,
Votre mufique lui rappelle
D'un Berger la touchante ardeur ;
Quand par mille cadances vives
Les Serins animent ces rives ,
Elle entend le cri du bonheur.
Ainfi dans les champs tout confpire
B
26 MERCURE DE FRANCE.
A nous fournir un doux emploi :
On y jouit d'un beau délire ,
Parce qu'on y jouit de foi .
C'eſt là que l'Amour favorable
De chaque Amant fait un heureux :
A la Ville on veut être aimable ;
Mais y fçait-on être amoureux ?
On y méconnoît la nature ,
Y connoîtrait-on fes plaifirs ?
Du fein vuide de l'impoſture
Peut-il germer de vrais déſirs ?
Dans ces brillantes affemblées
Où l'art triomphe avec fierté ,
Aux écarts de la vanité
J'ai vu les graces immolées.
J'ai vu plus d'un fade blondin ,
Au fond de fon coeur incertain
Balancer l'aimable Corine
Avec des Magots de la Chine
Avec le vernis de Martin ,
J'ai vu l'abfurde perfifflage
Lier à fon char la raiſon ,
Et le plus futile jargon
Triompher de ce beau langage ,
Qui s'attire mon jufte hommage
Dans Voltaire & dans Fénélon .
J'ai vu des petites Maîtreffes
S'épuifer en tendres careffes ,
Se pâmer pour un Angola :
SEPTEMBRE . 1756. 27
Et des Abbés vermeils fourire ,
Mordre leurs levres & rédire
Tous les traits faillans du Sopha.
Sous une immenſe chevelure ,
J'ai vu les enfans de Thémis
Envier la brillante allure
De nos frivoles Adonis.
Galans fans choix , légers fans graces ;
Ils dorment fur des faux fuccès :
Quand on a ri de leurs grimaces
On les renvoie à leurs procès.
De ces odieufes images
C'est beaucoup trop fouiller vos yeux;
Belle Eglé , fur d'autres rivages ,
Parmi des fleurs & des bocages ,
Voyez le plus jeune des Dieux
Rendre en plaifirs délicieux
Tout ce qu'il reçoit en hommages.
Sur l'aîle des légers Zéphirs
Parcourez l'azyle ruftique ,
Ou Médor & fon Angélique
Bégaïoient de tendres fou irs ,
Et couverts d'un feuillage antique
Se jouoient avec les plaifirs.
Dans les champs qu'embellit Vaucluſe ;
Venez admirer ce féjour ,
Où , plein de Laure & de fa muſe ,
L'heureux Petrarque tour à tour
Vit pour la gloire & pour l'amour.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Lieux fortunés , belle Contrée ,
Où coulent les eaux du Lignon ,
Apprenez - nous comment Aftrée
Gênant fon goût pour Céladon
Prêchoit à fon ame épurée
Le Quiétifme de Platon ?
Daignez encore nous rédire
Combien de fois changeant de ton ,
De l'amour le fougueux délire
Prévalut fur ce beau jargon
Puifez une auffi douce yvreffe
Dans les yeux d'un charmant vainqueur ;
Si vous vous devez au bonheur
Vous vous devez à la tendreffe :
Puifque de vos heureux foupirs
Ce bonheur doit être l'ouvrage ,
Hâtez-vous , formez des défirs
Qui faffent honneur à votre âge ,..
Et fongez qu'un efprit trop fage
Eft l'épouvantail des plaifirs.
CHAUVEL , Avocat.
L'Auteur de la vie de Céfar dont on a
lu l'avant- propos dans les deux Mercures
précédens , a cru devoir en détacher les
fragmens que nous inférons dans celui- ci
pour mieux preffentir encore le goût du
Public , & pour le mettre mieux en état
SEPTEMBRE . 1756. 29
de juger par eux du ton dont l'enfemble
eft écrit & compofé.
: SUITE
DE LA VIE DE JULES CESAR.
MORT DE POMPÉE.
Pompée ayant vu fa cavalerie défaite , &
mis en
fe défiant de l'iffue de cette journée , fe
retira dans fon camp. Il dit aux Officiers
qui étoient à la Porte Prétorienne , commandés
pour la garde des retranchemens :
S'il arrive quelques défordres , ayez ſoin de
défendre le camp , je vais vifiter les autres
poftes & donner ordre à tout. Enfuite il
fe retira dans fa tente pour attendre l'événement
de la bataille. Céfar ayant
fuite les foldats dePompée , & ne voulant
leur donner aucun relâche , exhorta les
fiens à couronner leur victoire par l'attaque
& la prife du camp ennemi , quoiqu'ils
fuffent fatigués par la chaleur , car le combat
avoit duré jufqu'au milieu du jour.
Ils lui obéirent courageufement : ils n'eurent
affaire qu'à quelques cohortes foutenues
par les Thraces , & d'autres troupes
auxiliaires qui les arrêterent quelque
temps ; car pour celles de Pompée qui
Bij
30 MERCURE DE FRANCE.
avoient déja combattu , étonnées de leur
défaite & accablées de laffitude , n'étant
pas auffi accoutumées à la fatigue que celles
de Céfar , ayant jetté leurs armes &
abandonné leurs enfeignes , elles fongerent
plutôt à fuir qu'à défendre le camp :
les foldats de Céfar, après quelque réfiftance
, y entrerent de toutes parts. Quoi , jufques
dans mon camp ! s'écria Pompée , tout
éperdu , voyant les ennemis qui franchiffoient
les retranchemens , auffi ôt ayant
jetté les marques de fa dignité , il monta à
cheval & prit la fuite. Il fe retira avec précipitation
dans la ville de Lariffe , & fans
s'y arrêter , efcorté feulement d'environ
trente chevaux qui l'avoient joints il marcha
toute la nuit. Il arriva au bord de la
mer , ou trouvant un vaiffeau marchand ,
il s'embarqua , & fit auffitôt mettre à la
voile , fe plaignant fouvent que fes efpérances
avoient été trompées , que le commencement
de la défaite étoit venu par la
fuite de ceux auxquels il avoit eu le plus
de confiance , & qu'il avoit été trahi .
Si l'on confidere à quelles triftes réflexions
ce grand homme fe trouva livré à
l'inftant de fa défaite , il eft difficile de ne
Le pas laiffer attendrir fur fon fort. Toujours
victorieux fans avoir jamais reçu aucun
échec , ayant toujours eu des commanSEPTEMBRE
. 1756. 31
,
demens confidérables & prefque fouverains
, lui qui n'étoit jamais entré à Rome
qu'en triomphe après fes expéditions militaires
, lui qui dans l'inftant de ce fatal
combat , commandoit à tout le Sénat , & à
ce qu'il y avoit de plus grand dans la République
, à plufieurs Rois qui lui avoient
amené leurs troupes auxiliaires , à la tête
d'une armée de plus de cent mille hommes
, fe croyant fûr de la victoire , & méprifant
l'armée de Céfar , moins nombreufe
que la fienne , il fuit prefque feul
dépouillé des ornemens de fa dignité, fans
amis , fans domeftiques : il arrive à Mitilene
dans l'ifle de Lefbos , où il avoit laiffé
fa femme Cornélie . Il la fait avertir de le
venir joindre , dans la crainte qu'elle ne
tombe entre les mains du Vainqueur . Elle
reconnoît à la trifteffe , & au peu de cortege
du meffager que Pompée eft vaincu :
cette femme qui adoroit fon mari , qui
partageoit fa gloire avec lui , qui attendoit
avec confiance la nouvelle d'une victoire
dont elle ne doutoit pas , apprend
dans l'inftant qu'il fuit fes ennemis , qu'après
avoir commandé toutes les flottes de
la République , s'être vu à la tête de cinq
cens voiles , il eft feul dans un vaiffeau
d'emprunt. Frappée d'un fi fubit & fi cruel
revers , elle fuccombe à fa douleur , elle
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
:
s'évanouit . Elle ne reprend fes fens que
pour fentir toute l'étendue de fon malheur
mais fon courage ne l'abandonne
pas , elle ne connoît plus d'autre bonheur
que celui de partager les infortunes de
fon mari , elle fe rend au port. Son abord
tendre & compatiffant n'a rien qui marque
la foibleffe de fon fexe , elle s'embarque
avec lui & avec quelques- uns de leurs
amis . Ils fe flattoient de trouver un afyle
en Egypte. Le pere du Prince qui y régnoit ,
autrefois chaffé de fon royaume par fes
fujets , devoit fa couronne & fon rétabliffement
à Pompée ; mais il n'avoit jamais
éprouvé de revers . Il ignoroit que
l'infortune eft le premier aiguillon qui
excite l'ingratitude des hommes. Il aborde
en Egypte. Le bruit de fa défaite avoit
déja prévenu fon arrivée , lui qui regardoit
comme indigne de fa grandeur , d'avoir
obligation à Céfar fon Beau pere , eſt
obligé de mandier le fecours d'un jeune
Prince qui , quelques jours auparavant ,
eût été fort heureux de lui faire fa cour &
de lui demander fa protection. Pompée eft
furpris de ne voir venir perfonne au devant
de lui . Un feul efquif chargé de quelques
foldats fe préfente pour le recevoir.
On lui dit que le Roi l'attend fur le rivage.
A peine eft- il defcendu , accompagné de
SEPTEMBRE . 1756. 33
deux de fes amis & d'un affranchi , qu'à
quelque diftance de fon vaiffeau , il e
poignardé à la vue de fon époufe & de
Les amis qui font obligés de s'éloigner de
la côte , de peur d'être pris par d'autres
vaiffeaux qui fe préparoient à les joindre.
11 eft plus facile de fentir que d'exprimer
la douleur de Cornélie , à qui il ne refta
plus de courage que pour avoir recours à
la clémence de Céfar dans l'efpérance qu'il
fçaura la venger de la cruauté & de l'ingratitude
du Roi d'Egypte . Le corps de
Pompée féparé de fa tête , demeura nud ,
expofé fur le rivage où fon affranchi Philippe
refté feul , lui dreffa un bucher avec
les débris d'un vieux bateau de pêcheur ,
qui fe trouverent par hazard. Telle fut la
fin du grand Pompée privé des honneurs
de la fepulture , fans avoir reçu dans fa
patrie au milieu des trophées dont il l'avoit
ornée , les éloges funebres qu'avoient
mérité fes belles actions.
Pendant que ces chofes fe paffoient ,
Céfar pourfuivoit la victoire avec une
ardeur incroyable . Il croyoit n'avoir vaincu
que lorfqu'il avoit mis fes ennemis
hors d'état de fe relever . Il ne penfoit qu'à
empêcher Pompée de renouveller la guerre
, en ralliant fes troupes fugitives , ou
procurant de nouveaux fecours . Céfar fe
By
34 MERCURE DE FRANCE.
apprit que Pompée s'étoit embarqué prefque
feul , & conjecturant qu'il ne pouvoit
trouver de retraite qu'en Egypte , il
prit de juftes mefures pour le fuivre : à
peine fe donna - t'il le temps de raffembler
une médiocre flotte fur laquelle il s'embarqua
avec environ 3000 hommes. Il approchoit
de l'ifle de Chypre où il avoit
appris que Pompée avoit paru , lorſqu'il
rencontra une flotte ennemie commandée
par Caffius Lieutenant de Pompée , mais
beaucoup plus forte que la fienne. H fe
préfente avec cette confiance que donne la
victoire. La défaite de Pompée avoit jetté
la terreur dans le coeur de tous fes amis.
La flotte fe rend à Céfar : il monte en triomphant
fur la Galere de Caffius . Cet homme
qui eut la hardieffe quelques années
après de le poignarder en plein Sénat , ne
peut foutenir le regard du Vainqueur : il
fe jette aux pieds de Céfar & lui demande
humblement la vie . Céfar lui pardonne ,
s'empare de la flotte , continue fa route &
arrive en Egypte. A la defcente de fon
Vaiffeau on lui préfente la tête de Pompée.
A ce trifte objet , il frémit , il détourne la
vue , fa haine fait place à la compaffion
fon coeur eft attendri , les larmes coulent
de fes yeux , il plaint la trifte deftinée de
cet homme fi grand , fi glorieux , qui avoit
>
SEPTEMBRE . 1756. 35
été fi étroitement joint avec lui par les
liens du fang & de l'amitié , auquel il étoit
lui -même redevable d'une partie de fa fortune
, & qu'un inftant avoit précipité du
faîte de la grandeur. Quelles réflexions ne
dut-il. pas faire fur l'inftabilité de la fortune
& fur les revers auxquels l'ambition
expofe les hommes , lorfqu'ils ne fçavent
la modérer . pas
LUCULLU S.
Lorfque Silla cut abdiqué le fouverain
pouvoir qu'il avoit ufurpé , Lucullus fe
trouva , après Pompée , le citoyen le plus
accrédité de la République. S'il eût eu autant
d'ambition que de mérite , il eût peutêtre
été le premier de Rome . C'étoit celui
de fes Lieutenans , pour lequel Silla avoit
le plus d'amitié. Il lui donna une grande
marque de confiance en lui dédiant fes
Commentaires , & l'inftituant Tuteur de
fon fils , à l'exclufion de Pompée , qui en
conçut une jaloufie qu'il conferva toute fa
vie. Les fervices que Lucullus avoit rendus
à Silla étoient moins brillans que ceux
de Pompée , mais ils étoient plus utiles.
Silla affiégé dans Athenes , envoya Lucullus
parcourir tous les Ports de la Méditerranée
, pour raffembler les flottes de la
République & venir le dégager . Il fçut
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
éviter les flottes de Mithridate contre lef
quelles il ne voulut rien hafarder , difant
que fon Général ne l'avoit pas envoyé pour
combattre, mais pour lui amener un prompt
fecours ; & quoiqu'il fût encore jeune , il
fçur préférer fon devoir à la gloire qu'il
pouvoit acquérir , aimant mieux contribuer
à celle de fon général qu'à la fienne
propre. Le fecours qu'il lui amena à propos
, mit Silla en état de vaincre Mithri
date.
Silla étant obligé de fe rendre en Italie
pour s'opposer à Marius , laiffa Lucullus
en Afie avec la dure commiffion de lever
fur les Provinces vingt mille talens , fomme
exhorbitante . Il exerça cette commiffion
toute odieufe qu'elle étoit , avec tant
de douceur & de modération , qu'il fe fit
univerfellement aimer . Il eut le bonheur
d'être abſent de Rome pendant les profcriptions
de Silla : il n'eut aucune part à
fes cruautés, & ne profita pas , comme tous
les amis de Silla , des rapines qu'il exerçoit
; auffi à fon retour à Rome fut- il reçu
avec une confidération qui lui donna un
grand crédit. Il fut élu conful avec l'applaudiffement
de tous les Citoyens. Ce fut
pendant fon Confulat que Mithridate rompit
la paix qu'il avoit faite avec les Romains
, & pour premier exploit , fit mafSEPTEMBRE.
1756. 37
facrer tous ceux qui étoient dans fes Etats.
Il fallut envoyer une armée contre lui . I
n'y avoit alors à Rome aucun Général capable
de conduire cette guerre. Pompée
étoit occupé à la guerre d'Efpagne contre
Sertorius : Céfar étoit trop jeune & commençoit
à peine à briguer les premiers emplois
Cicéron travailloit à fe rendre recommandable
par fon éloquence , & Craf
fus ne penfoit qu'à accumuler fes richeffes ,
& qu'à fatisfaire fon avarice. Lucullus ayant
obtenu la conduite de cette guerre , il la
conduifit avec tant de fageffe , de prudence
& de courage , qu'il contraignit Mithri
date d'abandonner fes Etats & de chercher
une retraite chez Tigranes fon gendre
Roi d'Arménie , & fur le refus qu'il fit de
lui livrer cet ennemi des Romains , il lui
déclara la guerre. Tigranes fut vaincu . La
ville de Tigranocerta que ce Prince avoit
fait bâtir , & dont il avoit fait la capitale
de fon empire , fur prife par les Romains :
chaque foldat eur huit cens pieces d'argent
pour fa part du pillage . Lucullus fournit
aux Grecs , que Tigranes y avoit tranfportés
pour la peupler , les commodités & les
vivres néceffaires pour retourner dans leur
patrie. Cet acte de générofité le rendit fi
cher à toute la Grece , qu'elle le regardoit
comme fon dieu tutélaire , & lui dreffa des
ftatues.
38 MERCURE DE FRANCE.
.
Lucullus étoit fur le point de terminer
cette guerre , lorfqu'il fut arrêté par la révolte
de fes foldats : il apprit en mêmetemps
que Pompée par fes brigues, s'en étoit
fait donner la conduite ; qu'à peine il avoit
mis le pied dans l'Afie , qu'il avoit caffé
toutes les ordonnances de Lucullus ; qu'il
avoit défendu de lui obéïr , & lui avoit
débauché une partie de fes foldats . Tout
le monde fut indigné de la conduite de
Pompée ; Lucullus ne s'en vengea que par
le mépris. Il lui reprocha que fon ambition
démesurée & fa baffe jaloufie le rendoient
ennemi de tous ceux qui acquéroient
de la gloire ; qu'il attendoit que les
autres Généraux euffent affoibli & ruiné
les ennemis de la République pour fe faire
donner leurs commandemens & profiter
plus aifément de leurs travaux .
Lucullus de retour à Rome, reçut les honneurs
du triomphe fous le Confulat de Cicéron
, malgré les intrigues des amis de
Pompée , & avec les applaudiffemens de
tous les honnêtes gens. Il conferva toute
fa confidération dans la République jufqu'au
Triumvirat de Pompée , de Céfar &
de Craffus. Ayant voulu s'oppofer à une loi
qu'ils avoient propofée contre l'intérêt public,
Céfar qui étoit Conful , le traita avec
tant de hauteur , & lui fit de fi terribles
SEPTEMBRE . 1756 . 39
:
menaces , qu'il l'obligea de fe jetter à fes
pieds pour lui demander pardon . Alors il
fçut mettre des bornes à fon ambition.
Content de la gloire qu'il avoit acquife &
des honneurs dont il jouiffoit , il ne fe
mêla plus du gouvernement. On a dit de
lui qu'il fut bon frere , bon parent , bon
ami , bon citoyen , bon Général , enfin
qu'il joignit aux vertus Militaires toutes
les vertus civiles fans mêlange d'aucun
défaut . Il fut fujet aux mauvaiſes influences
des mariages de fon temps . Claudia
fa premiere femme , fe laiffa corrompre
par fon propre frere il éprouva encore
l'infidélité de Servilie fa feconde , devenue
trop fenfible aux belles qualités de
Céfar. Après l'avoir répudiée , il fe jetta
dans un fpirituel & voluptueux loifir . II
fit connoître que les richeffes qu'il avoit
amaffées , n'étoient point en lui l'effet
d'une baffe cupidité , & d'une fordide
avarice : tout le monde fçavoit auffi qu'elles
n'étoient pas le fruit des brigandages
exercés fur les malheureux. Il les répandit
avec un goût & un difcernement qui
lui acquirent le furnom de Magnifique.
Il alloit au devant de l'indigence vertueufe
pour la foulager. Ses maifons de la ville
& de la campagne étoient fuperbes. Il avoit
formé avec beaucoup de foin & de dépenfe
40 MERCURE DE FRANCE .
une nombreuſe bibliotheque dont l'ufage
étoit deftiné à tous les fçavans. Il avoit fait
bâtir des galeries qui leur étoient toujours
ouvertes , dans lesquelles il paffoit une
partie de fon temps à converfer avec les
Philofophes , & à écouter leurs difputes.
Quelques uns l'ont blâmé de la délicareffe
& de la profufion de fa table : mais Cicé
ron ſevere autant que perfonne fur les
moeurs, ne blâmoit pas cet excès. Il le louoit
que
& l'admiroit au contraire. Il difoit
Lucullus devoit rendre à la République
des richeffes qu'on l'accufoit d'avoir amaf
fé par avarice.
Lucullus ne vécut pas longtemps dans
cette vie agréable . Son efprit s'affoiblit , à
ce qu'on prétend , par un breuvage empoifonné
, & il mourut regretté de tous les
honnêtes gens.
Caractère de la Nation Gauloife.
La conduite que Céfar avoit tenue pendant
fon Confulat , avoit fait voir qu'il
étoit réfolu de pouffer fes projets jufqu'à
leur dernier période . Il avoit choiſi dans
toutes les Provinces de la République cel-
Jes qui pourroient lui donner plus d'occafions
d'acquérir de la gloire. L'Efpagne &
l'Afrique étoient tranquilles : pour les Peuples
de l'Afie , ils étoient tellement amolMERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
SEPTEMBRE. 1756.
Diverfité, c'eft ma devife. La Fontaine.
Cochin
Saliva inve
PopilenSculp
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
Chez PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
1
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier - Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis an
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raifon
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la p fte , payeront
pour feize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafion pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du pari fur
leur compte , ne payeront , comme à Paris
qu'à raifon de 30 fals par volume , c'eſt- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnani pour
16 volumes .
Les Libraires des provinces on des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mereure
, écriront à l'adreſſe ci - deſſus.
A ij
Onfupplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la poste , en payant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que llee ppaaiieemmeenntt en foit fait d'avance au
Bureau.
4
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine , aprèsmidi.
On peut fe procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainsi que les Liures
, Eftampes & Mufique qu'ils annoncent.
On prie les perfonnes qui envoient des Livres
, Estampes & Mufique à annoncer ¿
d'en marquer le prix.
MERCURE
DE FRANCE.
SEPTEMBRE . 1756 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LA MAIN DROITE
ET LA MAIN GAUCHE.
L'Homm
FABLE.
'Homme eft plein de befoins : pour les foula
ger mieux ,>
Il a reçu deux mains des Dieux .
Mais dans les champs de Mars , fiere de le défene
dre ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
La main droite , dit-on , dès le commencement
Ofa refufer hautement
Les fervices communs qu'elle devoit lui rendre.
Bien qu'elle tint au corps , le corps n'en recevoit
Le manger , ni le boire : il avoit beau prétendre ,
La Dame fe tranquilifoit :
Elle eût cru déroger en nourriffant fon pere.
La main gauche étoit roturiere
Et cet emploi la regardoit.
Je protege vos jours & vos biens à la guerre ,
N'eft-ce pas faire affez pour vous ?
Je forte aux ennemis les plus terribles coups ;
Je dirige le fer , la fronde & la maffue ;
Et quand j'ai fatisfait à des devoirs fi beaux
Pour vaquer aux plus vils travaux
Vous voulez que je me remue ?
Ne me vante point tant ton pénible ſecours ,
Dit l'homme ta compagne aide mieux ma foibleffe
.
Je n'ai point d'ennemis qui m'attaquent fans
ceffe ,
Au lieu que j'ai faim tous les jours.
Les mets que ta foeur me préfente
Rendent la vie à tous mes fens ;
Elle engraiffe d'autant , & fa force en augmente.
Tu dédaignes cés alimens ,
Sans eux tu ferois languiffante .
L'art de fe battre eft noble , on ne fçait pas pour
quoi :
SEPTEMBRE. 1756. 7
J'eftime bien mieux l'art d'éviter la difette.
Mourir de faim eft , felon moi ,
La roture la plus complette .
LETTRE
A Monfieur ***.
Je prends la liberté , Monfieur , de vous E
envoyer un badinage que je viens de faire
au fujer d'une gageure qu'une Da ne de
cette Ville & un Anglois qui y féjourne
ont faite , pour & contre la prife du Fort
Saint Philippe.
A Monfieur *** .
Enfin , Milord , je fais Prophéte ,
Nous voilà maîtres de Mahon ;
Et votre fage Garnifon ,
De fes exploits très- ſatisfaite ,
Se moque du qu'endira-t'on ,
Et déloge enfin fans trompette.
Votre réponſe eft déja faite :
>>Peut-on défendre un Baftion
>> Contre cent machines guerrieres ,
»Qui portant la deftruction ,
Brifent les plus fortes barrieres ?
A iv
& MERCURE DE FRANCE
» Et puis vingt mille téméraires ,
>> Bravant la mine & le canon ,
» Et guidés par un Scipion ,
>> Sont de terribles adverſaires !
»Et comment diable , tenir bon
>> Contre ces forces meurtrieres ?
>> Euffions-nous un coeur de lion ,
>>Fuffions-nous cent fois plus Corfaires ,
>> Il faut bien , qu'on le veuille ou non ,
» Souffrir enfin les étrivieres.
Eh ! Milord , vous avez raiſon :
Devant nos milices Françoiſes
Toutes vos phalanges Angloifes
Peuvent baiffer leur pavillon ,
Sans jamais perdre leur renom.
Pour vous , dorénavant plus fage ,
Ne hazardez plus vos Chelings
En faveur de vos Citadins ;
Avant qu'ils euffent l'avantage
Vous perdriez , trifte préfage ,
Cent millions de livres sterlings ;
Leur haine qu'anime la rage
Ne vaut pas le noble courage
De leurs redoutables voifins.
Mais pour Louis & fa fortune ;
Je vous offrirois pour enjeu
Cent mille piftoles contre une ,
Et j'aurois encor très - beau jeu.
Par M ***
SEPTEMBRE . 1756 .
SUR LE CHOIX DES SOCIÉTÉS ,
A une jeune perfonne qui doit entrer incef-
Samment dans le monde ; par Madame
du S...
JE Je viens d'avoir la plus finguliere con- E
verſation avec une femme aimable , qui
m'eft chere , que les principes d'une pieuſe
éducation ont prévenue contre les grands
défordres , mais que le torrent du monde
entraîne , & qui s'y trouve prodigieufement
livrée . Dans les detfeins que je forme
pour vous , ma chere Julie , j'imagine qu'il
n'eft point hors de propos de vous en faire
part.
Je fuis , m'a-t- elle dit , furprife qu'une
vie auffi remplie que le paroît la mienne
me laiffe fufceptible de l'ennui qui me
domine quelquefois ; qu'environnée de
tout ce qu'il y a de féduifant , j'éprouve
un vuide extrême. J'ai tout ce que je puis
défirer , & je cherche , pour ainſi dire , autour
de moi : je ne vois pas ce qui me
manque , mais il me manque quelque
choſe. La nature & la fortune m'ont bien
traitée ( l'on peut s'exprimer ainfi vis - à- vis
d'une vraie amie ) . Mon mari fait un per-
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
fonnage dans le monde : il a de bonnes
manieres pour moi ; & quand il en diminueroit
quelque chofe , pourvu que
cela
n'allât pas à la contrainte , en vérité je
n'aurois pas le temps de m'en appercevoir.
Je fuis obfédée en fortant du lit; obligée
de dérober les circonftances fécrettes de
ma toilette , j'ai cent témoins des autres :
on m'enleve de chez moi. Un petit voyage
de campagne , un dîné , une fête , fouvent
une partie qui n'a offert d'agrément que
dans le projet , nous mettent en mouvement.
Paris offre mille façons de diverfifier
les plaifirs ; je les admets toutes , quelquefois
même plufieurs à la fois : promenade
pour le brillant des équipages , autres
promenades où l'on étale avec avantage
les agrémens & la parure. Enivrée
d'éloges , foulant aux pieds les plus féduifantes
fleurettes , on rentre chez foi ou
chez quelqu'autre : un délicat foupé raffemble
une petite troupe d'élite ; la cohue
que je ne hais point dans le cours de la
journée me déplaît à table , il faut qu'on y
foit afforti : j'élague celle qui m'environne,
elle forme ma cour & non ma fociété : la
gaieté , la faillie regnent , la nuit arrive , &.
je me conche le plus fouvent fans avoir
eu le temps de penfer que je m'étois lévée.
Cette vie eft charmante ; je me veux un
SEPTEMBRE.. 1756.
mal mortel d'en être quelquefois dégoûtée .
Je crains de devenir bizarre & cauftique :
car enfin il faut que je vous l'avoue , ma
bonne , il eft des momens où je voudrois
être plus à moi je hais quelquefois le
jour qui me replonge dans le tourbillon ;
& quand quelqu'heureux hazard écarté
cette turbulente troupe , je fuis enchantée
d'être livrée à moi même fans qu'il paroiffe
de l'inégalité dans ma conduite ; &
quoique les réflexions dont je m'occupe
alors me donnent de l'humeur , parce qu'elles
font naître d'ennuyeux fcrupules ,
j'aime à m'y livrer : je trouve cette penfée
fauffe de dire qu'elles font inutiles réellement
il en faut quelquefois , je voudrois
que ma façon de vivre fût plus relative à
mes préjugés ma raifon trouve bien l'incompatible
; mais elle me laiffe après me
l'avoir dit , & ne me fournit aucun milieu.
A vingt ans fe réduire à une vie unifor
me , fe coucher , fe lever à des heurés féglées
, s'occuper de Dieu premiérement ,
de fa famille , de fon domestique , inſtruire
& régler... Que de miferes dans ces
détails : que diroient Cidalife & le jeune
Comte ? L'une eft mon amie , l'autre , fans
être amoureux , a mille complaifances qui
m'amufent : tous deux répandent un affreux
ridicule fur le malheur d'une éduca-
:
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
tion qu'ils qualifient de bourgeoife , dont
ils prétendent que l'impreffion me met
toujours à la veille de leur échapper , de
m'enfevelir , de m'enterrer , en un mot
d'être comptée pour rien. Ils me font chers,
mais affurément fans conféquence. Je connois
Cidalife depuis peu : c'eft une femme
confommée dans l'ufage du grand monde.
Sans retourner fur fa jeuneffe dont les commencemens
ont quelque chofe d'affez révoltant
, elle eft revenue à mettre de l'ordre
dans fa conduite. Elle m'a fouvent fait
l'hiſtoire de fa vie . Ah ! ma Bonne , qu'il y
a de jolis endroits ! Le Duc de... l'a aimée !
quel homme fait pour plaire ! quels triomphes
! Elle le fuivit dans fon Gouvernement
; & fans qu'ils euffent l'air d'avoir
rien à démêler enſemble , il parut la voir
pour la premiere fois au Spectacle : elle
paffoit pour la Comteffe de ... il lui avoit
donné un équipage , & tout ce qu'il falloit
pour en foutenir le perfonnage. Une des
plus belles perfonnes de la Ville eut des
prétentions : il en parut touché ; mon amie
trembla. Le Marquis de ... s'offroit à la
dédommager ; mais il y avoit du fentiment
dans cette affaire , il ne fervit qu'à ranimer
l'amour du Duc , & d'ornement à la conquête
tout fut facrifié de bonne- foi de
part & d'autre. Quels jours ! quels inftans !
(
SEPTEMBRE . 1756. 13
le ne m'a rien caché : oh ! c'est une
femme bien fincere : j'aurois quelquefois
fouhaité qu'elle le fût moins ; mais elle
donne à tout des couleurs ... En vérité
les circonftances qui l'ont entraînée étoient
infurmontables .
Pour le Comte , vous fçavez qu'il eft
plus aimable que tout ce qu'on voit dans
le monde , rien ne lui reffemble à tous
égards : s'il étoit amoureux , il feroit à craindre
: j'en ferois au défeſpoir ; car , qu'en
penfez -vous, ma Bonne, il faudroit renoncer
à le voir ? Cidalife me difoit , non ;
mais feulement éviter le tête à tête : au
furplus que craindriez- vous ? s'il vous ai
me , il vous refpectera : c'eft le plus intime
de votre mari ; vous fçavez comme il en
parle. Avec tout cela , ma Bonne , & l'indifférence
dont il fe pique , je le crains ,
parce qu'il y a des jours où je le trouve
néceffaire , & d'autres où ma raifon le
trouve de trop : tel fut , par exemple , celui
dont vous vouliez me détourner de
remplir les engagemens. J'aurois dû vous
en croire , cette partie étoit légere. La
crainte des ridicules auxquels je me ferois
offerte en m'y refufant , me détermina : j'y
portai de l'inquiétude & des réflexions :
on eft fouvent déplacée quand on penfe.
J'eus peine à partager la gaieté commune .
14 MERCURE DE FRANCE.
Nous allâmes , comme vous fçavez , dans
cette jolie maiſon du Prince de ... Il ne
devoit point s'y trouver ; cependant il y
vint : j'en fus bien aiſe ; car j'avois réellement
de l'humeur. J'imaginai que fa préfence
impoferoit , & que nous ferions
obligés de reprendre le chemin de Paris :
point du tout. J'aurois foupçonné du concert
, tant il parut d'intelligence avec ma
fociété. Cidalife m'a toujours affuré que
non. Quoi qu'il en foit , tout continua fur
le même ton : il nous fit entendre une
mufique admirable pendant le dîné , il ſe
donna lui -même la peine de nous conduire
dans les jardins , & de nous faire remarquer
les beautés d'un fingulier labyrinthe,
où mon amie n'ayant pu nous fuivre ,
parce qu'un foudain mal de tête l'avoit
faifie , le Comte , qui lui donnoit le bras ,
la conduifit au Château : Emilie , Cephife
& leurs Ecuyers difparurent , je ne fçais
comment : fans m'en être apperçue , je
me trouvai feule avec le Maître du logis
qui me faifoit l'honneur de n'aider à mar
cher. A quelle fcene fus- je expofée ! J'é
tois déja fort intimidée du tête à tête avec
un homme de ce rang , que je voyois pour
la premiere fois. Ce fut bien aurre chofe
quand me forçant prefque de m'affeoir , je
le vis à mes pieds avec un air ému , des
SEPTEMBRE 1756 15
regards fixes & languiffans : je ne fis qu'un
faut dans la premiere toute me croyant
fuivie , je les parcourois avec effroi , cherchant
une iflue : j'apperçus le Comte , qui
d'un air inquiet s'en barraffoit de fon côté :
mon agitation le furprit moins qu'elle ne
parut l'Aliger ; je crus qu'il en fçavoit la
caufe. Tout eft il découvert , lui dis-je ?
Quelles façons d'agir ! qu'est - ce que cette
manoeuvre ! Je l'ignore , me répondit-il :
mais de tous les hommes je fuis le moins
propre à m'y prêter ; & fi vous me permettiez
de vous inftruire de mes fentimens
pour vous , j'aurois bientôt dequoi vous
en convaincre . Vous êtes dans une fociété
dangereufe , belle Horrence , ajouta- t'il
les confeils d'un homme de mon âge peuvent
être fufpects ; mais réfléchiffez- y , ils,
auront des partifans dans vos inclinations
heureuſes. Echappez aux pieges , croyezmoi
l'on abufel de votre confiance. Il
me difoit cela d'un air qui m'attendriffoit ,
ma Bonne : je lui fçavois gré de ce vertueux
intérêt ; & fans être en garde contre
lui-même , nous cherchions de concert à
fortir de ce dédale. Nous entrâmes enfin
dans un grand bois : je me jettai fans autre
réflexion fur le premier banc : quelle furprife
! je le vis à mes genoux : j'étois trop
laffe , je ne pouvois plus fuir qué cela
16 MERCURE DE FRANCE.
eft embarraſſant ! C'en eft trop pour un
jour , m'écriai - je ! Comte , que faitesvous
? quelle fituation ! .. Affeyez- vous ,
je ne puis vous entendre autrement . Il
ferroit les mains que je lui tendois pour
le relever je crois qu'il les baifoit ; car
en vérité je n'en fçais rien . J'étois fi émue ,
fi troublée , le feu de fes yeux , un certain
air animé , entreprenant ... j'avois grand
befoin que l'on nous rejoignît : toute la
compagnie reparut en effet de différentes
allées je me plaignis à Cidalife ; elle
éclata de rire : Quelle enfance ! qu'avezvous
imaginé , dit- elle ? que l'on eft crédule
quand on eft fans expérience , &
qu'un peu d'amour- propre s'en mêle ! Un
badinage , une feinte vous effrayent. Elle
prit enfuite un ton plus férieux , & me
prouva fi bien que je n'avois pas eu lieu
de prendre la chofe au férieux , que j'eus
honte de ma fuite. Le Prince de ... ne
parut plus. Nous rentrâmes dans nos caléches
: l'enjouement & l'air fatisfait s'embarquerent
avec nous. Le Comte feul me
parut rêveur & diftrait : il étoit apparemment
fâché d'avoir fait un moment un
perfonnage oppofé à fon ton philofophe &
réfléchi. Pour moi , je ne l'érois point de
l'avoir vu faire comme les autres : cette
maniere foumife & refpectueufe a quelque t
SEPTEMBRE. 1756 . 17
chofe de féduifant. L'on vit fi férieufement
entre mari & femme , la fupériorité ſe fait
toujours fentir : tout eft demandé & obtenu
comme devoir , c'eft le plus froid
commerce , jamais on ne fçait fi l'on eft
plus jolie un jour que l'autre ; c'eſt un
uniforme , une égalité infipide qui révolte.
Vous le fçavez , ma Bonne , tout le
monde a fes jours & fes parures avantageufes
: Cidalife & le Comte ont une flatteuſe
attention à me les faire remarquer.
Croiriez- vous qu'il y a plus d'un an que
M. de ... n'en a fait aucune à mes habits :
quand je veux attirer fes regards fur quelque
nouvel ajustement , il fe contente de
me répondre d'un air froid , fans même
me regarder : vous êtes toujours également
bien à mes yeux , en vérité cela défole.
Le Public eft plus obligeant , fi j'obtenois
chez moi la plus petite partie des éloges
qu'il me prodigue , je crois que je ne fortirois
jamais. Pour le Comte , je l'avoue ,
ce qu'il fit à ... me revient fans ceffe fous
les yeux il y a dans cette avanture quelque
chofe qui m'étonne ; car réellement
il n'eft point amoureux . Il déclame fans
mefure contre ceux qui le font ; il les
tourne en ridicule : que gagneroit - il à
cela il feroit tout fimple qu'il fe déclarar .
Cette penfée me raffure, mais elle ne m'em-
:
18 MERCURE DE FRANCE.
pêche pas de craindre de me trouver feule
avec lui , & je ne pris point de plaifir à
la mauvaiſe plaifanterie de Cidalife qui
nous enferma hier. Le Comte m'offença ;
je criai : la porte s'ouvrit , je me plaignis.
Elle me plaifanta fur ma mauvaiſe humeur,
elle fit la mine enfuite. Je fus encore affez
bonne pour faire les premieres démarches
du raccommodement , & voilà plufieurs
• cafions où je remarque que je fais tous
les frais de l'amitié qui nous lie.
Voilà ce qu'on peut appeller une furieuſe
tirade , ma chere Julie. Elle étoit tou e à
fes idées ; je la livrai à fon enthouſiaſme ,
fans prefque l'interrompre : je l'attendois
à cette conclufion . Je crus devoir profiter
des difpofitions qu'elle faifoit paroître
pour l'éclairer fur des dangers qu'elle ne
foupçonne pas. Je pourrois vous épargner
la fuite de notre converfation , qui ne
contient plus que des réflexions férieufes
& des inftructions ; mais elles entrent dans
l'ordre de mes deffeins fur vous : ainfi je
ne vous ferai grace de rien. Je lui tins donc
ce propos :
Vous êtes , je l'avoue , ma chere Hortence
, dans une pofition d'autant plus délicate
, que malgré beaucoup d'efprit , vous
ne le fentez pas , & que vos penchans aident
à vous féduire. Une dangereuſe amie
SEPTEMBRE. 1756. 19
•
tend imperceptiblement un million de
pieges à votre vertu. Pour le Comte , il y
va de bonne foi , il eft amoureux. ( Elle
voulut m'interrompre ) . Ecoutez - moi ,
lui dis- je accordez cette complaifance à
de vrais fentimens dont on ne vous fait
voir ailleurs que l'apparence. Il vous aime ,
belle Hortence , mais il craint une fagelle
qui fe feroit un devoir de l'éloigner , s'il fe
déclaroit fon manege lui réuffit mieux ;
il vient à fon but par un détour , & prend ,
fans que vous vous en doutiez , la place où
il afpire. Si vous conceviez combien il y
a peu de diftance du chemin que vous
avez fait aux dernieres démarches , vous
en frémiriez. Hélas ! un moment plus tard
peut- être mes confeils perfuaderoient- ils
envain votre raiſon : il en eft temps encore.
Arrachez - vous aux vains engagemens
qui vous retiennent une amie du
caractere de Cidalife eft indigne de vous :
avec quelle affurance ofez -vous vous livrer
à fa conduite ! Elevée fans préjugés , elle a
vécu fans principes ; criminelle par goût ,
elle n'a pas même refpecté les dehors de
la vertu ele a borné fon ambition aux
plus méprifables qualités de fçavoir attirer
& retenir beaucoup d'adorateurs ; triomphes
déplorables qui coûtent le feul mérite
qui met de la différence entre les
20 MERCURE DE FRANCE.
femmes. Quoi ! ma chere Hortence , ne
devinez - vous pas ce qui manque à votre
félicité ? Le repos d'une confcience qui ne
fe reproche rien , la fatisfaction de pouvoir
fe dire à foi-même , mes devoirs me
font chers , j'en fais mon unique étude.
Eprouvez la différence d'une vie appliquées
faites un nouveau plan ; demandez vous ,
fans complaifance, ce que vous vous devez
comme Chrétienne , comme femme , comme
mere , & comme maîtreffe de maiſon ;
voyez fi vous l'avez rempli dans cette vie
tumultueufe & répandue . Vous ne deviez
point fuivre M. de ... dans fes terres.
Changez vos deffeins , fuyez-le , ma chere.
Rendue à vous-même , éloignée des dan
gereux objets qui vous obfedent , vous
apprendrez qu'il eft des plaifirs dans une
vie d'ordre , que ce qu'on qualifie de mifere
renferme d'inépuifables fatisfactions.
Rendez tout votre attachement à qui vous
le devez , & qui en eft fi digne ; apprenez
par pratique à préférer à tout le plus précieux
des biens ; je veux dire la vertu :
c'est elle qui peut feule remplir le coeur :
tout eft réellement fans elle illufion &
preftige : reconnoiffez - la : c'eft à ce cri fécret
qui fortoit du vôtre né pour elle , que
vous deviez les dégoûts répandus fur les
faux plaifirs que vous lui préfériez . Je veux
SEPTEMBRE . 1756 . 21
vous faire éprouver ceux qu'elle permet :
j'efpere qu'ils acheveront de vous arracher
aux autres. Je vais à ma terre pour quelques
jours : vous en connoiffez la diſtance ,
c'eft un voyage d'après -dîné : je compte y
recevoir plufieurs de mes amis & amies,
Soyez des nôtres , ma chere Hortence.
Vous verrez des tons & des allures différentes
; mais vous trouverez de la nobleffe
, de la décence , de l'efprit , de la gaieté,
& vous apprendrez que la vertu fociable
renferme de réels agrémens.
...
Elle ne m'écoutoit prefque plus depuis
un moment. Plongée dans la plus profonde
rêverie , elle effuyoit le plus violent
combat ; de tendres larmes rempliffoient
fes yeux , & couvroient fon beau vifage :
elle s'eft enfin jettée dans mes bras. Je ne
le verrai plus , ma Bonne, vous triomphez ;
non , je ne le verrai plus . A quel danger
courrois- je je le fens à ce qu'il m'en
coûte pour former cette réfolution ; mais
je la foutiendrai , ne m'abandonnez pas .
Je vais un moment chez moi pour préve
nir M. de ... du petit voyage que vous
me propofez , & de celui qui le fuivra .
Tout à coup elle s'eft écriée : Ah ! pauvre
Comte ... & rougiffant de fon tranfport ,
elle m'a regardée. C'eft pour la derniere
fois , m'a -t-elle dit , je ne veux pas même
22 MERCURE DE FRANCE.
le nommer. Elle eft fortie : un de fes gens
vient de me dire qu'elle feroit ici à deux
heures , & je l'attends .
Adieu , ma chere Julie. Il ne vous fera
pas difficile de pénétrer mes deffeins par
ce long récit ; je le livre à vos réflexions :
voilà bien affez écrire : heureuſement
mon amitié pour vous eft au deffus des
expreffions , cela vous fauve un furcroît
de paroles.
EPITRE
'A Madame d'Al………en fon Châtean de .
· Scribere juffit amor.
Ovid. Heroid. Ep. 17.
Au fein d'une douce langueur ,
Tandis qu'à peine je reſpire ,
Et que la fecourable erreur ,
Dans les tourbillons du délire ,
Emporte & voile mon malheur ,
Vous me promettez un fourire ,
Des oeillets , un regard Batteur ,
Si , reprenant pour vous ma lyre ,
Je vous fais fentir du bonheur
Les influences & l'empire ;
Et fi par més accords j'attire
·
SEPTEMBRE. 1756. 23
Le doux plaifir dans votre coeur.
Puis-je vous rendre un tel fervice ,
Moi , que les Dieux d'un ceil propice
N'ont jamais daigné regarder
Pouvez -vous me le demander ,
Vous qui reçûtes en partage ,
De la nature enfant gâté ,
Toutes les graces fans fierté ;
De l'efprit fans faux étalage ,
De la vertu fans âpreté ;
Un peu d'humeur , un goûr volage ,
Mais fans fiel & fans fauffeté ?
Si l'Euménide de Tantale
Empoisonne ces dons heureux ;
S'il est toujours quelque intervale
Entré le bonheur & vos voeux ;
Si du fombre ennui l'influence
Verfe en un coeur fait pour les jeux ,
De tout défir cette impuiffance ,
Cet embarras de l'existence ,
Qui , d'un peuple fier & fameux
Epuifent fouvent la conftance ;
A cette finiftre langueur
Pour oppofer de fûres armes ,
Donnez , belle Eglé , votre coeur
Au Dieu qui vous donna fes charmes .
Un Amant voltige enchanté
Des vrais plaifirs aux doux menſonges &
Pour lui l'aimable volupté , -
24
MERCURE DE FRANCE.
Reproduite dans de beaux fonges ,
Survit à la réalité.
Cet Univers n'a qu'une allure
Pour ceux dont les timides fens ,
Plongés dans une nuit obfcure ,
Des amoureux engagemens
Repouffent l'aimable impofture .
Mais aux yeux des tendres Amans
Le domaine de la nature
De leur coeur fuit les mouvemens ,
Et fon afpect & fa parure
Changent avec leurs fentimens.
Regardez l'ingénue Aminte
Qui , foulant l'art & la contrainte ,
Adreffe à Licas des fouris :
Un berceau dans fa fombre enceinte
Voit de leurs noeuds ferrer l'étreinte.
Aminte fort : fon coloris
Du doux plaifir porte l'empreinte ,
Et fon front où la joie eft peinte ,
Eft le trône où s'affied Cypris.
Life , Bergere de même âge ,
A plus d'efprit , autant d'attraits ;
Mais la langueur dans un nuage
Enveloppe fes fombres traits :
Rêveuſe , indolente , diftraite
Parce qu'elle vit fans amour
Avec des fleurs & fa houlete ,
Elle manque la fin du jour.
"
A f
II
SEPTEMBRE . 1756. 25
Il faut furtout , pour ſe bien plaire
Dans un azyle folitaire ,
Nourrir de tendres fentimens.
Autour d'une perfonne chere
Tout le revêtit d'agrémens ;
Mais fi , concentré dans Cythere ,
L'Amour n'embellit point nos champs ;
Les bois , les prés & la fougere
Laiffent au jour tous les momens.
Beaux lieux où la Reine de Gnide
Eût dédaigné Chypre & Paphos !
Non , vous ne touchez point Armide ;
Son coeur , que la volupté guide ,
N'aime en vous qu'un jeune Héros .
Une ame qu'Amour a bleffée ,
Se voit & fe trouve partout :
Tout fait revivre en fa penſée
Ses amuſemens & fon goût.
Ce lit de fleurs & de verdure
Que rafraîchiffent les Zéphirs ,
De quelque amoureuſe aventure
Lui retrace tous les plaifirs.
Intéreffante Philomele ,
Votre mufique lui rappelle
D'un Berger la touchante ardeur ;
Quand par mille cadances vives
Les Serins animent ces rives ,
Elle entend le cri du bonheur.
Ainfi dans les champs tout confpire
B
26 MERCURE DE FRANCE.
>
;
A nous fournir un doux emploi :
On y jouit d'un beau délire ,
Parce qu'on y jouit de ſoi.
C'est là que l'Amour favorable
De chaque Amant fait un heureux :
A la Ville on veut être aimable
Mais y fçait - on être amoureux ?
On y méconnoît la nature
Y connoîtrait- on fes plaifirs ?
Du fein vuide de l'imposture
Peut-il germer de vrais déſirs ?
Dans ces brillantes affemblées
Où l'art triomphe avec fierté ,
Aux écarts de la vanité
J'ai vu les graces immolées.
J'ai vu plus d'un fade blondin ,
Au fond de fon coeur incertain ,
Balancer l'aimable Corine
Avec des Magots de la Chine ,
Avec le vernis de Martin.
J'ai vu l'abfurde perfifflage
Lier à fon char la raiſon ,
Et le plus futile jargon.
Triompher de ce beau langage ,
Qui s'attire mon jufte hommage
Dans Voltaire & dans Fénélon .
J'ai vu des petites Maîtreffes
S'épuifer en tendres careffes ,
Se pâmer pour un Angola ;
SEPTEMBRE. 1756. 27
Et des Abbés vermeils fourire ,
Mordre leurs levres & rédire
Tous les traits faillans du Sopha.
Sous une immenſe chevelure ,
J'ai vu les enfans de Thémis
Envier la brillante allure
De nos frivoles Adonis.
Galans fans choix , légers fans graces ;
Ils dorment fur des faux fuccès :
Quand on a ri de leurs grimaces
On les renvoie à leurs procès .
De ces odieuſes images
C'est beaucoup trop fouiller vos yeux;
Belle Eglé , fur d'autres rivages ,
Parmi des fleurs & des bocages ,
Voyez le plus jeune des Dieux
Rendre en plaifirs délicieux
Tout ce qu'il reçoit en hommages,
Sur l'aîle des légers Zéphirs
Parcourez l'azyle ruftique ,
Où Médor & fon Angélique
Bégaïoient de tendres fou irs ,
Et couverts d'un feuillage antique
Se jouoient avec les plaifirs.
Dans les champs qu'embellit Vauclufe ;
Venez admirer ce féjour ,
Où , plein de Laure & de fa mufe ,
L'heureux Petrarque tour à tour
Vit pour la gloire & pour l'amour.
Bij
18 MERCURE DE FRANCE.
Lieux fortunés , belle Contrée ,
Où coulent les eaux du Lignon ,
Apprenez -nous comment Aftrée
Gênant fon goût pour Céladon ,
Prêchoit à fon ame épurée
Le Quiétifme de Platon ?
Daignez encore nous rédire
Combien de fois changeant de ton ,
De l'amour le fougueux délire
Prévalut fur ce beau jargon
Puifez une auffi douce yvreffe
Dans les yeux d'un charmant vainqueur ;
Si vous vous devez au bonheur
Vous vous devez à la tendreffe :
Puifque de vos heureux foupirs
Ce bonheur doit être l'ouvrage ,
Hâtez-vous , formez des défirs
Qui faffent honneur à votre âge ,
Et fongez qu'un efprit trop fage
Eft l'épouvantail des plaiſirs,
CHAUVEL , Avecat.
L'Auteur de la vie de Céfar dont on a
lu l'avant - propos dans les deux Mercures
précédens , a cru devoir en détacher les
fragmens que nous inférons dans celui-ci
pour mieux preffentir encore le goût du
Public , & pour le mettre mieux en état
SEPTEMBRE . 1756. 29
de juger par eux du ton dont l'enſemble
eft écrit & compofé.
: SUITE
DE LA VIE DE JULES CESAR.
MORT DE POMPÉE.
Pompée ayant vu fa cavalerie défaite , &
fe défiant de l'iffue de cette journée , fe
retira dans fon camp. Il dit aux Officiers
qui étoient à la Porte Prétorienne , commandés
pour la garde des retranchemens :
S'il arrive quelques défordres , ayez foin de
défendre le camp , je vais vifiter les autres
poftes donner ordre à tout. Enfuite il
fe retira dans fa tente pour attendre l'événement
de la bataille, Céfar ayant mis en
fuite les foldats de Pompée , & ne voulant
leur donner aucun relâche , exhorta les
fiens à couronner leur victoire par l'attaque
& la prife du camp ennemi , quoiqu'ils
fuffent fatigués par la chaleur , car le com
bat avoit duré jufqu'au milieu du jour.
Ils lui obéirent courageufement : ils n'eurent
affaire qu'à quelques cohortes foutenues
par les Thraces , & d'autres troupes
auxiliaires qui les arrêterent quelque
temps ; car pour celles de Pompée qui
Bilj
30 MERCURE DE FRANCE.
avoient déja combattu , étonnées de leur
défaite & accablées de laffitude , n'étant
pas auffi accoutumées à la fatigue que celles
de Céfar , ayant jetté leurs armes &
abandonné leurs enfeignes , elles fongerent
plutôt à fuir qu'à défendre le camp :
les foldats de Céfar, après quelque réfiftance
, y entrerent de toutes parts. Quoi , jufques
dans mon camp ! s'écria Pompée , tout
éperdu , voyant les ennemis qui franchiſfoient
les retranchemens , auffi ôt ayant
jetté les marques de fa dignité , il monta à
cheval & prit la fuite. Il fe retira avec précipitation
dans la ville de Lariffe , & fans
s'y arrêter , efcorté feulement d'environ
trente chevaux qui l'avoient joints il marcha
toute la nuit. Il arriva au bord de la
mer , ou trouvant un vaiffeau marchand
il s'embarqua , & fit auffitôt mettre à la
voile , fe ppllaaiiggnnaanntt fouvent que fes efpérances
avoient été trompées , que le commencement
de la défaite étoit venu par la
fuite de ceux auxquels il avoit eu le plus
de confiance , & qu'il avoit été trahi.
Si l'on confidere à quelles triftes réflexions
ce grand homme fe trouva livré à
l'inftant de fa défaite , il eft difficile de ne
Le pas laiffer attendrir fur fon fort. Toujours
victorieux fans avoir jamais reçu aucun
échec , ayant toujours eu des commanSEPTEMBRE.
1756. 31
demens confidérables & prefque fouverains
, lui qui n'étoit jamais entré à Rome
qu'en triomphe après les expéditions militaires
, lui qui dans l'inftant de ce fatal
combat , commandoit à tout le Sénat , & à
ce qu'il y avoit de plus grand dans la République
, à plufieurs Rois qui lui avoient
amené leurs troupes auxiliaires , à la tête
d'une armée de plus de cent mille hommes
, fe croyant fûr de la victoire , & méprifant
l'armée de Céfar , moins nombreufe
que la fienne , il fuit prefque feul ,
dépouillé des ornemens de fa dignité, fans
amis , fans domeftiques : il arrive à Mitilene
dans l'ifle de Leſbos , où il avoit laiffé
fa femme Cornélie . Il la fait avertir de le
venir joindre , dans la crainte qu'elle ne
tombe entre les mains du Vainqueur . Elle
reconnoît à la trifteffe , & au peu de cortege
du meffager que Pompée eft vaincu :
cette femme qui adoroit fon mari , qui
partageoit fa gloire avec lui , qui attendoit
avec confiance la nouvelle d'une victoire
dont elle ne doutoit pas , apprend
dans l'inftant qu'il fuit fes ennemis , qu'après
avoir commandé toutes les flottes de
la République , s'être vu à la tête de cinq
cens voiles , il eft feul dans un vaiffeau
d'emprunt. Frappée d'un fi fubit & fi cruel
revers , elle fuccombe à fa douleur , elle
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
:
s'évanouit. Elle ne reprend fes fens que
pour fentir toute l'étendue de fon malheur
mais fon courage ne l'abandonne
pas , elle ne connoît plus d'autre bonheur
que celui de partager les infortunes de
fon mari , elle fe rend au port. Son abord
tendre & compatiffant n'a rien qui marque
la foibleffe de fon fexe , elle s'embarque
avec lui & avec quelques- uns de leurs
amis . Ils fe flattoient de trouver un afyle
en Egypte. Le pere du Prince qui y régnoit,
autrefois chaffé de fon royaume par fes
fujets , devoit fa couronne & fon rétabliffement
à Pompée ; mais il n'avoit jamais
éprouvé de revers. Il ignoroit que
l'infortune eft le premier aiguillon qui
excite l'ingratitude des hommes. Il aborde
en Egypte. Le bruit de fa défaite avoit
déja prévenu fon arrivée , lui qui regardoit
comme indigne de fa grandeur , d'avoir
obligation à Céfar fon Beau pere , eft
obligé de mandier le fecours d'un jeune
Prince qui , quelques jours auparavant ,
eût été fort heureux de lui faire fa cour &
de lui demander fa protection . Pompée eft
furpris de ne voir venir perfonne au devant
de lui . Un feul efquif chargé de quelques
foldats fe préfente pour le recevoir.
On lui dit que le Roi l'attend fur le rivage.
A peine eft-il defcendu , accompagné de
SEPTEMBRE . 1756. 33
deux de fes amis & d'un affranchi , qu'à
quelque diftance de fon vaiffeau , il en
poignardé à la vue de fon époufe & de
fes amis qui font obligés de s'éloigner de
la côte , de peur d'être pris par d'autres
vaiffeaux qui fe préparoient à les joindre.
11 eft plus facile de fentir que d'exprimer
la douleur de Cornélie , à qui il ne refta
plus de courage que pour avoir recours à
la clémence de Céfar dans l'efpérance qu'il
fçaura la venger de la cruauté & de l'ingratitude
du Roi d'Egypte. Le corps
de
Pompée féparé de fa tête , demeura nud ,
expofé fur le rivage où fon affranchi Philippe
refté feul , lui dreffa un bucher avec
les débris d'un vieux bateau de pêcheur ,
qui fe trouverent par hazard. Telle fut la
fin du grand Pompée privé des honneurs
de la fépulture , fans avoir reçu dans fa
patrie au milieu des trophées dont il l'avoit
ornée , les éloges funebres qu'avoient
mérité fes belles actions.
Pendant que ces chofes fe paffoient ,
Céfar pourfuivoit fa victoire avec une
ardeur incroyable. Il croyoit n'avoir vaincu
que lorsqu'il avoit mis fes ennemis
hors d'état de fe relever. Il ne penfoit qu'à
empêcher Pompée de renouveller la guerre
, en ralliant fes troupes fugitives , ou
fe procurant de nouveaux fecours . Céfar
By
34 MERCURE DE FRANCE.
apprit que Pompée s'étoit embarqué prefque
feul , & conjecturant qu'il ne pouvoit
trouver de retraite qu'en Egypte , il
prit de juftes mefures pour le fuivre : à
peine fe donna- t'il le temps de raffembler
une médiocre flotte fur laquelle il s'embarqua
avec environ 3000 hommes. Il approchoit
de l'ifle de Chypre où il avoit
appris que Pompée avoit paru , lorsqu'il
rencontra une flotte ennemie commandée
par Caffius Lieutenant de Pompée , mais
beaucoup plus forte que la fienne. I fe
préfente avec cette confiance que donne la
victoire. La défaite de Pompée avoit jetté
la terreur dans le coeur de tous fes amis.
La flotte fe rend à Céfar : il monte en triomphant
fur la Galere de Caffius. Cet homme
qui eut la hardieffe quelques années
après de le poignarder en plein Sénat , ne
peut foutenir le regard du Vainqueur : il
fe jette aux pieds de Céfar & lui demande
humblement la vie. Céfar lui pardonne ,
s'empare de la flotte , continue fa route &
arrive en Egypte. A la defcente de fon
Vaiffeau on lui préfente la tête de Pompée.
A ce trifte objet , il frémit , il détourne la
vue , fa haine fait place à la compaffion
fon coeur eft attendri , les larmes coulent
de fes yeux , il plaint la trifte deftinée de
cet homme figrand , fi glorieux , qui avoit
>
SEPTEMBRE . 1756. 35
été fi étroitement joint avec lui par les
liens du fang & de l'amitié , auquel il étoit
lui-même redevable d'une partie de fa fortune
, & qu'un inftant avoit précipité du
faîte de la grandeur. Quelles réflexions ne
dut-il pas faire fur l'inftabilité de la fortune
& fur les revers auxquels l'ambition
expoſe les hommes , lorfqu'ils ne fçavent
pas la modérer.
LUCULLU S.
Lorfque Silla cut abdiqué le fouverain
pouvoir qu'il avoit ufurpé , Lucullus fe
trouva , après Pompée , le citoyen le plus
accrédité de la République . S'il eût eu autant
d'ambition que de mérite , il eût peutêtre
été le premier de Rome. C'étoit celui
de fes Lieutenans , pour lequel Silla avoit
le plus d'amitié . Il lui donna une grande
marque de confiance en lui dédiant fes
Commentaires , & l'inftituant Tuteur de
fon fils , à l'exclufion de Pompée , qui en
conçut une jaloufie qu'il conferva toute fa
vie. Les fervices que Lucullus avoit rendus
à Silla étoient moins brillans que ceux
de Pompée , mais ils étoient plus utiles.
Silla affiégé dans Athenes , envoya Lucullus
parcourir tous les Ports de la Méditerranée
, pour raffembler les flottes de la
République & venir le dégager. Il fçut
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
que
il
éviter les flottes de Mithridate contre lef
quelles il ne voulut rien hafarder , difant
fon Général ne l'avoit pas envoyé pour
combattre, mais pour lui amener un prompt
fecours ; & quoiqu'il fût encore jeune ,
fçur préférer fon devoir à la gloire qu'il
pouvoit acquérir , aimant mieux contri
buer à celle de fon général qu'à la fienne
propre. Le fecours qu'il lui amena à propos
, mit Silla en état de vaincre Mithri
date.
Silla étant obligé de fe rendre en Italie
pour s'oppofer à Marius , laiffa Lucullus
en Afie avec la dure commiffion de lever
fur les Provinces vingt mille talens , fomme
exhorbitante. Il exerça cette commiffion
toute odieufe qu'elle étoit , avec tant
de douceur & de modération , qu'il fe fit
univerfellement aimer . Il eut le bonheur
d'être abſent de Rome pendant les profcriptions
de Silla : il n'eut aucune part à
fes cruautés, & ne profita pas , comme tous
les amis de Silla , des rapines qu'il exerçoit
; auffi à fon retour à Rome fut- il reçu
avec une confidération qui lui donna un
grand crédit. Il fut élu conful avec l'applaudiffement
de tous les Citoyens . Ce fut
pendant fon Confulat que Mithridate rompit
la paix qu'il avoit faite avec les Romains
, & pour premier exploit , fit mafSEPTEMBRE.
1756. 37
facrer tous ceux qui étoient dans fes Etats.
11 fallut envoyer une armée contre lui . I
n'y avoit alors à Rome aucun Général ca,
pable de conduire cette guerre . Pompée
étoit occupé à la guerre d'Efpagne contre
Sertorius : Céfar étoit trop jeune & commençoit
à peine à briguer les premiers emplois
Cicéron travailloit à fe rendre recommandable
par fon éloquence , & Craffus
ne pensoit qu'à accumuler ſes richeſſes ,
& qu'à fatisfaire fon avarice . Lucullus ayant
obtenu la conduite de cette guerre , il la
conduifit avec tant de fageffe , de prudence
& de courage , qu'il contraignit Mithri
date d'abandonner les Etats & de chercher
une retraite chez Tigranes fon gendre
Roi d'Arménie , & fur le refus qu'il fit de
lui livrer cet ennemi des Romains , il lui
déclara la guerre . Tigranes fut vaincu . La
ville de Tigranocerta que ce Prince avoit
fait bâtir , & dont il avoit fait la capitale
de fon empire , fut prife par les Romains :
chaque foldat eut huit cens pieces d'argent
pour fa part du pillage. Lucullus fournit
aux Grecs , que Tigranes y avoit tranſportés
pour la peupler , les commodités & les
vivres néceffaires pour retourner dans leur
patrie. Cet acte de générofité le rendit fi
cher à toute la Grece , qu'elle le regardoit
comme fon dieu tutélaire , & lui dreffa des
ſtatues.
38 MERCURE DE FRANCE.
Lucullus étoit fur le point de terminer
cette guerre , lorsqu'il fut arrêté la répar
volte de fes foldats : il apprit en mêmetemps
que Pompée par fes brigues, s'en étoit
fait donner la conduite ; qu'à peine il avoir
mis le pied dans l'Afie , qu'il avoit caffé
toutes les ordonnances de Lucullus ; qu'il
avoit défendu de lui obéir , & lui avoit
débauché une partie de fes foldats . Tout
le monde fut indigné de la conduite de
Pompée ; Lucullus ne s'en vengea que par
le mépris. Il lui reprocha que fon ambition
démesurée & fa baffe jaloufie le rendoient
ennemi de tous ceux qui acquéroient
de la gloire ; qu'il attendoit
que les
autres Généraux euffent affoibli & ruiné
les ennemis de la République pour fe faire
donner leurs commandemens & profiter
plus aifément de leurs travaux .
Lucullus de retour à Rome, reçut les honneurs
du triomphe fous le Confulat de Cicéron
, malgré les intrigues des amis de
Pompée , & avec les applaudiffemens de
tous les honnêtes gens. Il conferva toute
fa conſidération dans la République jufqu'au
Triumvirat de Pompée , de Céfar &
de Craffus. Ayant voulu s'oppofer à une loi
qu'ils avoient propofée contre l'intérêt public,
Céfar qui étoit Conful , le traita avec
tant de hauteur , & lui fit de fi terribles
SEPTEMBRE. 1756. 41
lis par le luxe , qu'il n'y avoit plus aucune
gloire à triompher d'eux. D'ailleurs Céfar
ne vouloit pas trop s'éloigner de Rome
pour être à portée de fçavoir ce qui s'y pafferoit
pendant fon abfence : c'eft pourquoi
il avoit pris le gouvernement des Gaules.
Il vouloit faire connoître à fes Citoyens
qu'il ne lui fuffifoit pas d'avoir été élevé
par leur bienveillance & leurs fuffrages aux
premieres charges de la République , mais
qu'il prétendoit s'en rendre digne par des
conquêtes au moins auffi belles & auffi
brillantes que celles qui avoient rendus
illuftres Marius , Silla , Pompée & les autres
grands hommes qui l'avoient précédé.
Nous verrons par le récit de la guerre
des Gaules , qu'il ne falloit pas moins
qu'un auffi grand homme que Céfar pour
affujettir une nation , qui avoit autrefois
donné tant d'affaires aux Romains , nation
dont la nobleffe faifoit alors comme elle
fait encore aujourd'hui fa principale occupation
du métier de la guerre , qui avoit
autrefois faccagé la ville de Rome , qui
avoit fait des conquêtes & de grands éta
bliffemens jufques dans l'Afie , & qui avoit
fait dire d'elle ce proverbe fi connu : Qu'il
n'y avoit point de guerres dans l'Univers
où l'on ne vit briller la valeur des Gaulois,
42 MERCURE DE FRANCE.
C'eft le courage de cette nation , & la réſiftance
qu'il éprouva pendant dix années de
guerre pour l'affujettir , qui ont fait toute la
gloire de Céfar & qui l'ont fait connoître
pour le plus grand Capitaine de l'univers.
La bataille de Pharfale, il eft vrai , l'a rendu
maître de la République , mais ce fut l'ouvrage
d'une campagne. Il fuffit de lire cet
exploit dans fes Commentaires , & l'on
peut s'en rapporter à lui on y verra avec
quelle facilité il obtint cette victoire . Auffi
fçut-il bien- dire par la fuite , lorfqu'après
cette bataille il parcourut en vainqueur
tout l'Orient , lorfqu'il eut conquis l'Egypte
en moins de deux mois , lorſqu'il
n'eut que la peine de fe montrer pour vain.
cre Pharnace , Roi de Pont , fils de Mithridate
( 1 ) , & lorfqu'il fe rendit maître de
l'Afrique en très - peu de tems , que Pompée
par les victoires qu'il avoit remportées
fur ces peuples , avoit bien aifément acquis
le furnom de Grand , & que s'il avoit
eu affaire aux Gaulois , il l'auroit acheté
bien plus cher. Lorfqu'on lira fans prévention
les conquêtes d'Alexandre & celles de
Pompée , on verra ces grands hommes
( 1 ) Ce fut à l'occafion de cette victoire qu'il
dit ces trois mots , qui marquoient fon mépris
pour ces fortes d'ennemis : Veni , vidi , vici , je
fuis venu , j'ai vu , j'ai vaincu,
SEPTEMBRE. 1756. 4I
lis par le luxe , qu'il n'y avoit plus aucune
gloire à triompher d'eux . D'ailleurs Céfar
ne vouloit pas trop s'éloigner de Rome
pour être à portée de fçavoir ce qui s'y pafferoit
pendant fon abfence : c'eft pourquoi
il avoit pris le gouvernement des Gaules.
Il vouloit faire connoître à fes Citoyens
qu'il ne lui fuffifoit pas d'avoir été élevé
par leur bienveillance & leurs fuffrages aux
premieres charges de la République , mais
qu'il prétendoit s'en rendre digne par des
conquêtes au moins auffi belles & auffi
brillantes que celles qui avoient rendus
illuftres Marius , Silla , Pompée & les autres
grands hommes qui l'avoient précédé.
Nous verrons par le récit de la guerre
des Gaules , qu'il ne falloit pas moins
qu'un auffi grand homme que Céfar pour
affujettir une nation , qui avoit autrefois
donné tant d'affaires aux Romains , nation
dont la nobleffe faifoit alors comme elle
fait encore aujourd'hui fa principale occupation
du métier de la guerre , qui avoit
autrefois faccagé la ville de Rome , qui
avoit fait des conquêtes & de grands éta
bliffemens jufques dans l'Afie , & qui avoit
fait dire d'elle ce proverbe fi connu : Qu'il
n'y avoit point de guerres dans l'Univers
où l'on ne vit briller la valeur des Gaulois,
44 MERCURE DE FRANCE.
nat les plus illuftres d'entre les Gaulois : il
leur donna des emplois confidérables dans
fes armées : ils faifoient la principale force
de fa cavalerie : auffi en fut-il admirablement
fervi dans la guerre civile & dans les
autres qu'il eut à foutenir.
Ce qui fait l'éloge de la nation Gauloife
, c'eft que depuis qu'elle eut goûté
la fageffe & la douceur du Gouvernement
de Céfar , depuis qu'elle eut trouvé de
l'emploi continuel & honorable dans les
armées de la République , où elle avoit le
moyen de fatisfaire fon inclination pour
la guerre , elle demeura inviolablement
attachée aux Romains avec lefquels elle
étoit , pour ainsi dire , incorporée , fans
qu'elle ait jamais penſé à ſe révolter : mais
lorfqu'après la deftruction de fon empire ,
elle eut été rendue à elle-même fous le
gouvernement des Rois fortis du propre
fein de la nation , fous le regne de Hugues
Capet & de fes fucceffeurs , fon empire
n'a jamais été fujet à aucune révolution .
Son obéiffance & fon attachement pour fes
fouverains n'ont jamais fouffert la moindre
altération . On ne voit point dans fes
annales de ces ufurpations violentes qui
ont renversé de leurs trônes fes Princes
naturels : ils n'ont jamais vu leurs fujets
armés contr'eux , acharnés à changer, à
SEPTEMBRE . 1756. 43
n'ayant à combattre que des nations éfféminées
& fans courage ; l'on fentira la
différence qu'il y avoit entr'elles & la nation
Gauloife , & l'on fe convaincra que
la conquête que Céfar en fit , l'a mis à
juftre titre au - deffus des autres Conquérans.
Peut-être qu'il n'en eût pas triomphé
fi aifément , fi cette nation , au lieu d'être
divifée en petites Républiques , & en différens
petits Etats jaloux les uns des autres
, & cherchant à s'agrandir aux dépens
de leurs voifins , eût été bien unie
comme elle l'eft depuis fi longtemps fous
le gouvernement de fes Rois . Leur puiffance
eft fondée fur le refpect , l'attachement
& l'amour inviolable qu'elle a pour
eux , dont elle leur donne des preuves en
facrifiant tout pour leur gloire & leur intérêt:
auffi en eft- elle bien récompenſée par
la douceur de leur gouvernement & leur
attention continuelle à la rendre heurenſe
.
Céfar , pendant le temps qu'il fit la
guerre dans les Gaules , connut fi bien le
caractere de cette nation , qu'il fe l'attacha
par toutes fortes de moyens. Honneurs
, récompenfes , confiance , tout fut
employé pour la gagner , il donna aux
habitans de plufieurs villes le droit de Citoyens
Romains ; il fit entrer dans le Sé44
MERCURE DE FRANCE .
nat les plus illuftres d'entre les Gaulois : il
leur donna des emplois confidérables dans
fes armées : ils faifoient la principale force
de fa cavalerie : auffi en fut- il admirablement
fervi dans la guerre civile & dans les
autres qu'il eut à foutenir.
Ce qui fait l'éloge de la nation Gauloife
, c'eft que depuis qu'elle eut goûté
la fageffe & la douceur du Gouvernement
de Céfar , depuis qu'elle eut trouvé de
l'emploi continuel & honorable dans les
armées de la République , où elle avoit le
moyen de fatisfaire fon inclination pour
la guerre ,
elle demeura inviolablement
attachée aux Romains avec lefquels elle
étoit , pour ainsi dire , incorporée , fans
qu'elle ait jamais penſé à ſe révolter : mais
lorfqu'après la deftruction de fon empire ,
elle eut été rendue à elle-même fous le
gouvernement des Rois fortis du propre
fein de la nation , fous le regne de Hugues
Capet & de fes fucceffeurs , fon empire
n'a jamais été fujet à aucune révolution.
Son obéiffance & fon attachement pour fes
fouverains n'ont jamais fouffert la moindre
altération. On ne voit point dans fes
annales de ces ufurpations violentes qui
ont renversé de leurs trônes fes Princes
naturels ils n'ont jamais vu leurs fujets
armés contr'eux , acharnés à changer, à
SEPTEMBRE . 1756. 47
1
nérofité plus politique que fincere ne feroit
pas place à la colere & au défir de fe venger
lorfqu'il n'auroit plus rien à craindre.
Nous voyons par plufieurs lettres de Cicé
ron & d'autres Romains du même temps ,
que leurs craintes n'avoient pas été diffipées
par les premiers actes de clémence
que Céfar avoit faits : mais lorsqu'il fut
de retour à Rome , la conduite qu'il tint,
perfuada tout le monde qu'il avoit pardonné
généreufement & fans retour , &
que la clémence étoit une vertu qui avoit
fa fource dans la bonté de fon coeur. Tout
le monde fçait que quelque violente haine
qu'il eût conçue contre ceux qui l'avoient
infulté , il fe raccommodoit avec les ennemis
avec une facilité admirable , furtout
lorfqu'il lui marquoit le moindre repentir.
Nous avons déja rapporté plufieurs
actes de modération & de clémence qu'il
avoit fait dans différentes occafions : mais
en voici encore un exemple qui fit trop de
bruit
pour ne pas trouver place ici .
Il y avoit un Citoyen Romain appellé
Q. Ligarius , contre lequel Céfar étoit indifpofé
au point qu'il avoit réfolu de le
faire périr s'il tomboit entre fes mains ,
malgré les follicitations que faifoient pour
lui les perfonnes les plus confidérables .
Quelques amis de Céfar lui dirent que
46 MERCURE DE FRANCE.
font pas les moins dignes d'amour & d'admiration
, qui femblables à notre auguste
Monarque ont préféré la qualité de Princes
pacifiques à celle de Conquérans ,
après avoir fait connoître qu'ils fçavoient
repouffer les outrages de ceux de leurs ennemis
qui croyoient pouvoir abuſer impu
nément de leur modération.
Clémence de Céfar.
Nous fommes arrivés au temps le plus
brillant de la vie de Céfar . Après avoir
parcouru en peu de temps , depuis la victoire
de Pharfale , tout l'univers plutôt en
triomphateur qu'en Conquérant , par la
facilité avec laquelle il avoit foumis ou détruit
ceux de fes ennemis qui s'étoient fauvés
de la défaite , n'en ayant plus à craindre
, il revenoit à Rome couvert de gloire:
il faifoit à chaque inftant des actes de clémence
& de générofité. A l'exception d'un
petit nombre de ſes plus déterminés enne
mis , qui cachés dans l'obfcurité , s'étoient
mis à couvert de fa colere , il avoit pardonné
à tous les autres , & leur avoit permis
de revenir dans leur patrie. Cependant
les zélés Républicains qui le haïffoient
dans le fonds du coeur , & ne pouvoient
lui pardonner d'être devenu leur
maître , étoient encore incertains fi fa géSEPTEMBRE
. 1756. 47
nérofité plus politique que fincere ne feroit
pas place à la colere & au défir de fe venger
lorfqu'il n'auroit plus rien à craindre.
Nous voyons par plufieurs lettres de Cicé
ron & d'autres Romains du même temps ,
que leurs craintes n'avoient pas été diffipées
par les premiers actes de clémence
que Céfar avoit faits : mais lorsqu'il fut
de retour à Rome , la conduite qu'il tint,
perfuada tout le monde qu'il avoit pardonné
généreufement & fans retour , &
que la clémence étoit une vertu qui avoit
fa fource dans la bonté de fon coeur. Tout
le monde fçait que quelque violente haine
qu'il eût conçue contre ceux qui l'avoient
infulté , il fe raccommodoit avec les ennemis
avec une facilité admirable , furtout
lorfqu'il lui marquoit le moindre repentir.
Nous avons déja rapporté plufieurs
actes de modération & de clémence qu'il
avoit fait dans différentes occafions : mais
en voici encore un exemple qui fit trop de
bruit pour ne pas trouver place ici.
Il y avoit un Citoyen Romain appellé
Q. Ligarius , contre lequel Céfar étoit indifpofé
au point qu'il avoit réfolu de le
faire périr s'il tomboit entre fes mains ,
malgré les follicitations que faifoient pour
lui les perfonnes les plus confidérables .
Quelques amis de Céfar lui dirent que
48 MERCURE DE FRANCE.
Cicéron fe diſpoſoit à lui parler en faveur
de Ligarius pour obtenir fa grace , Céfar
répondit : Ily a longtemps que nous n'avons
entendu parler Ciceron , je l'écouterai avec
plaifir : mais fon éloquence , quelque perfuafive
qu'elle puiffe être, ne me fera pas changer
de fentiment pour Ligarius . Cette réponſe
fut rapportée à Cicéron , qui joignant à la
vanité dont il n'étoit que trop fufceptible ,
le défir de rendre fervice à Ligarius , employa
dans le difcours qu'il prononça en
préfence de Céfar , tous les traits que fon
éloquence put lui fuggérer , & qu'il crut
les plus perfuafifs . L'Hiftoire nous a confervé
que Céfar ayant entendu le difcours
de Ciceron , en fut fi vivement pénétré
qu'il tomba dans une efpece de raviffement
, qu'il laiffa échapper des papiers
qu'il tenoit entre les mains , & que revenant
à lui- même , il dit avec une émotion
dont il ne fut pas le maître : Je pardonne à
Ligarius ( 1) .
On ne doit point être furpris que l'éloquence
de Ciceron ait produit un fi grand
effet : c'étoit un enchanteur dont les charmes
confiftoient dans un ſtyle doux , engageant
, agréable , abondant , vif , preffant,
(1 ) Ce difcours fut prononcé dans la maifon
de Célar , en prefence de fes amis & d'un grand
nombre de perſonnes,
1
qui
SEPTEMBRE. 1756 . 49.
qui ne donnoit pas le temps de refpirer ;
il connoiffoit toutes les routes qu'il falloit
prendre pour pénétrer dans le coeur de
ceux à qui il parloit ; il connoiffoit le caractere
& le génie de tous les Romains
de fon temps ; il fçavoit admirablement
manier leurs paffions , & en faire jouer à
fon gré tous les refforts pour parvenir à
fon but .
Il étoit question d'arracher à Céfar par
une douce violence , une grace qu'il avoit
réfolu de refufer ; il falloit toucher bien
fenfiblement le coeur d'un homme déja
prévenu ; il falloit une louange bien délicate
& bien fine pour la faire favourer à
un homme auffi délicat & d'un auffi grand
mérite ; il falloit enfin que cette louange
eût pour objet des actions bien dignes
d'être louées .
Céfar par fes grands exploits , étoit parvenu
au point de fe rendre fouverain dans
fa République ; action qui étoit regardée
par la plus grande partie de fes citoyens
comme un acte de la plus haute tyrannie.
guer-
Ciceron commence fon difcours par
colorer & affoiblir ce qu'il y avoit d'odieux
dans la conduite de Céfar & dans la
re civile qu'il avoit faite : il en rejette la
faute fur les Romains & la fait
par les Dieux .
approuver
C
52 MERCURE DE FRANCE.
"
و د
»
s'exprime ainfi : « Dès que la guerre fut
entreprife , & déja même affez avancée
» fans que rien m'y contraignît ; après une
mure délibération , j'ai pris les armes ,.
» & je fuis parti pour me joindre à ceux
» qui combattoient contre vous : j'étois
» dans le camp de Pompée ; mais devant
qui tiens- je ce langage ? c'eft devant celui
qui fçachant ma conduite , ma rendu
à la République avant de m'avoir vu ,
qui de l'Egypte m'écrivit que je demeu
raffe le même que j'avois toujours été ;
» enfin qui n'a cru me donner la vie qu'en
me la laiffant accompagnée des biens &
des honneurs dont j'avois joui : qui eſt-
» ce donc qui s'imagine trouver du crime
» dans Ligarius pour avoir porté les armes
» contre Célar ? c'eſt vous , Tuberon , qui
l'en accufez mais que faifiez- vous de
votre épée nue à la bataille de Pharfale ?
» à quels flancs en vouloit- elle ? quel étoit
l'objet de vos armes , de votre efprit ,
de vos yeux , de vos mains , de votre ardeur
, de votre courage ? que défiriezvous
? quels étoient vos deffeins ? mais
je vois que je vous preffe trop , vous en
paroiffez ému : je reviens à moi ; j'étois
armé pour le même intérêt que vous :
enfin , Tuberon , que prétendions
- nous ,
#finon d'être auffi puiffans que Céfar l'ef
و د
89
. و و
59
SEPTEMBRE . 1756. 53
aujourd'hui ! faut - il donc , Céfar , que
» ceux qui font redevables à votre clémen-
» ce de leur entiere fûreté , foient les pre-
» miers à vous exhorter par leurs difcours
» à devenir cruel ? Prenez garde, Tuberon ,
» à être dans l'erreur en croyant Céfar irrité
& inflexible contre vos ennemis ,
après qu'il a pardonné à tous les fiens.
ود
ود
"
"
» J'ai plaidé plufieurs caufes , Céfar , &
» même avec vous quand les fonctions de
» vos dignités vous retenoient au Barreau ;
» j'ai défendu grand nombre d'accufés , je
» n'ai jamais tenu ce langage . Pardonnez-
» lui , Meffieurs , c'eft une erreur , c'eft un
» faux pas ; il n'y penfoit pas , il n'y retour
» nera plus ; c'eft comme on parle devant
» un pere : devant des Juges , il ne la
point fait , il n'en a jamais eu la penfée ;
» les témoins font faux , l'accufation eft
forgée ; voilà comme on parle devant
» des Juges. Mais , Céfar , je parle devant
un pere : j'ai failli , dit Ligarius , je me
» fuis conduit témérairement , je me re-
» pens , je m'abandonne
à votre clémen-
» ce ; je reconnois ma faute , je vous prie
» de me la pardonner : fi vous n'avez en
pitié de perfonne , je fuis un préfomp .
» tueux ; mais fi vous avez pardonné à
» tant d'autres , donnez le fecours après
→ avoir donné l'efpérance. Les hommes ne
ور
و د
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
1
"
fçauroient en rien approcher plus près
» des Dieux qu'en donnant la vie à d'autres
hommes. Ce que la fortune & la victoire
ont fait de plus grand pour vous ,
c'eft de vous avoir donné le pouvoir de ·
fauver un très -grand nombre de Citoyens ,
& ce que la nature a fait de meilleur , c'eft
de vous en avoir donné la volonté peut
être l'importance de la cause exigeroit un
plus long difcours , mais pour le caractere
de votre coeur , un plus court auroit ſuffi.
Pour peu que l'on porte dans le coeur
quelque portion de cette grandeur d'ame
, que Céfar poffédoit dans un dégré fi
éminent , & que l'on fe mette un moment
en fa place , il eft impoffible de n'être pas
fenfiblement touché d'une fi belle louange,
& l'on ne doit point être furpris qu'elle
ait fait fur lui le prodigieux effet que l'on
vient de rapporter. Ciceron étoit l'homme
de fon temps qui avoit le plus de véritable
mérite & de probité. Il rendoit dans fon
coeur à Céfar la juftice qu'il méritoit .
Quoique dans les lettres qu'il écrivoit à
fes amis particuliers , il fût de mauvaiſe
humeur contre lui pour avoir envahi le
fouverain pouvoir, cependant dans d'autres
lettres il ne peut s'empêcher de le louer.
Dans une lettre , entr'autres , qu'il écrit à
Cecina , dont il follicitoit la grace auprès
SEPTEMBRE . 1756. S.S
"
de Céfar. « En quoi , dit - il , j'admire fou-
» vent la grandeur , la juftice & la fageffe
»de Céfar , c'eft qu'il ne parle jamais
qu'honorablement de Pompée. Il par-
» donne volontiers à ceux qui ont eu bon-
» ne intention dans le choix qu'ils ont fait
» d'un parti , & qui s'y font laiffés engager
plutôt par devoir ou reconnoiffance, que
» par vanité ou ambition. »
ور
و ر
La magnanimité & la clémence de Céfar
paroiffoient alors d'autant plus admirables
, qu'il avoit été extraordinairement
maltraité par les ennemis ; que l'on fortoit
des guerres civiles de Marius & de
Silla , qui avoient produit les actes les plus
horribles d'injuftice , de vengeance & de
cruauté. Non feulement ils n'avoient l'un
& l'autre pardonné à aucuns de leurs ennemis
, mais ils avoient encore profcrit
les ennemis de leurs amis. Silla furrout
avoit exercé ſes vengeances avec une barbarie
& un fang froid qui avoient fait
connoître toute l'inhumanité de fon coeur ;
au lieu que Céfar , content d'avoir triomphé
de fes ennemis , s'abandonna à toute
la bonté de fon caractere . Il leur pardonna
avec une générofité fans réferve & fans
fafte : Le plus doux fruit que je recueille de
ma victoire , écrivit-il à un de fes amis ,
eft la fatisfaction & le plaifir de fauver tous
Civ
16 MERCURE DE FRANCE.
les jours la vie à un grand nombre de Ci-
1oyens.
Je ne fçaurois quitter la clémence de
Céfar ; le pardon des injures a quelque
chofe de fi grand , que je ne puis réſiſter
au plaifir d'en rapporter encore un exemple
qui fit briller l'éloquence de Ciceron .
A la follicitation de tout le Sénat & des
plus honnêtes gens de Rome , Céfar pardonna
à Marcellus un des plus diftingués
Citoyens , mais le plus violent de fes ennemis
, & qui fut une des principales caufes
de la guerre civile , ayant empêché
Pompée , déterminé par les avis de Cicéron
, d'accéder aux propofitions de paix
que
Céfar lui avoit faites. Il avoit fait ôter
à Céfar le Gouvernement des Gaules , &
l'avoit empêché d'obtenir un fecond Confulat.
Cet acte de clémence nous a procuré
une des plus belles Oraifons de Ciceron ,
qu'il prononça en plein Sénat pour remercier
Céfar d'avoir pardonné à Marcellus.
Après avoir fait voir dans ce difcours
que la gloire des victoires d'un Général
fe partage entre les foldats & la fortune ,
il lui dit : « Mais Céfar pour cette gloire
» que vous venez d'aquérir en pardonnant
» à Marcellus , elle ne vous eft commune
» avec perfonne ; la fortune elle - même ,
» cette maîtreffe des événemens humains ,
SEPTEMBRE . 1756. 57
ود
33
93
» ne vient point y prendre part ; elle vous la
» cede , elle avoue qu'elle vous eft propre
» & qu'elle vous appartient à vous feul.
" Quand vous avez vaincu des Nations
fauvages & féroces , innombrables par
» leur multitude , abondantes en tout
"genre de richeffes , vous avez vaincu ce
qui n'étoit
invincible ; mais vaincre
pas
fon propre coeur , éteindre fes reffenti-
» mens , ralentir l'ardeur de fa victoire
relever un ennemi diftingué par fon efprit
, par fes vertus , par l'eftime géné-
» rale qu'il s'eft acquife , ajouter même
encore à fon ancienne fplendeur , qui-
» conque en fait autant , je ne le compare
»pas aux plus grands hommes , je le trouve
femblable aux Dieux immortels.
Quand on nous raconte ou que nous
» lifons des faits qui font briller la clémen-
» ce , la justice , la douceur , la modéra
» tion , la fageffe , furtout au milieu de la
» colere toujours ennemie de la réflexion ,
» & dans le fein de la victoire naturelle-
» ment fiere & infolente , avec quelle ar-
» deur , au feul afpect de ces actions , nous
» fentons- nous portés à aimer des gens
que nous n'avons jamais vus »! Telles
font les louanges que Céfar par fa clémence
& fa modération s'étoit attirées de la
part de Ciceron : il en devoit être d'autor
ל כ
»
ود
C.v
SS MERCURE DE FRANCE.
plusflatté , qu'elles étoient fondées fur la
vérité.
VERS
De M.le Président de Ruffey à M. de Voltai
re , fur la prise de Port- Mahon.
Voltaire , un Dieu fans doute éclairoit ton
efprit ;
Le fuccès fuit nos voeux, fuccès par toi prédit ( 1 ).
Defcends du Temple de Mémoire ,
Oublie en ce moment tes maux ;
Viens , vois , admire ton Héros.
Il rapporte , comblé de gloire ,
Les foudres de Louis à fon bras confiés.
Sur les aîles de la victoire
Il revient triomphant des Anglois foudroyés.
C'eft fur ces mêmes bords que le fameux Alcide
A jadis vengé l'Univers
(1) M. de Voltaire, dans fa Lettre à M. le Préfident
de Ruffey , du 12 Avril 1756 , s'exprime
ainfi : Je fuis fort en peine actuellement de M. le
Maréchal de Richelieu : j'ai bien peur qu'il ne
trouve des Vaiffeaux Anglois dans fon chemin
avant que d'arriver à Minorque ; mais s'il peut
ou les devancer , ou les battre , il prendra Port-
Mahon, il vengera la France, & reviendra comblé
de gloire.
SEPTEMBRE . 1756.
59
Des fureurs d'un Monftre perfide (1 ),
Dont la rage infeftoit ces Mers :
Même projet , même vaillance
'Apiment Richelieu combattant pour Louis :
Il paroît , il vange la France ,
Et contraint Albion à refpecter fes Lys.
L'art fecondé par la nature ,
Pour te munir , Mahon , épuiſoit ſon effort ;
Cent murs d'effrayante ftructure
Défendoient l'accès de ton Port ;
D'airain_mille bouches tonnantes ,
Au loin fur tes rives fumantes
Vomiffoient la flamme & la mort :
L'enfer armé pour te défendre ,
Menaçoit de réduire en cendre
Quiconque affiégeroit ton Fort.
Mais en vain , ta prife eft jurée ,
Louis veut t'arracher au joug de tes Tyrans ;
Albion violant des loix la plus facrée ,
Ofa le braver trop long-temps :
Il commande , & bientôt les vents
Tranſportent des François les légions terribles.
L'afpect d'obstacles invincibles
Pourra-t'il ralentir leur généreuse ardeur ?
Il n'eft point de chemins fermés à leur courage ,
Et l'excès du péril redouble leur fureur :
(1 ) Geryon , Roi des Ifles Baleares , qui faifoit
manger à des boeufs furieux les Etrangers qui
abordoient dans fes Etats.
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
A travers mille morts , à travers le carnage
Ils franchiffent tes rocs aux yeux de l'Univers ;
Et l'Anglois accablé , tombe & porte leurs fers
Des tréfors d'Apollon , heureux dépofitaire ,
Tu peux feul , illuftre Voltaire ,
Célébrer ce grand jour , annoncer nos ſuccès ,
Et chanter dignement la gloire des François..
SONNET
Sur la prise du Fort S. Philippe , préſenté an
Roi la 14 Juillet 175.6 . Par le Pere Jean-
Baptifte de Pradal , Capucin de la. Province
de Guyenne.
Dans le coeur de Louis , la gloire de la France
Combattoit fa douceur & l'amour de la paix.
Toujours prêt à répandre en tous lieux fes bienfaits
,
Toujours lent à punir , il gardoit le filence.
Mais un peuple jaloux épuifant fa clémence ,
De l'Europe attentive il remplit les fouhaits.
Il parle , & Richelieu plus ardent que jamais ,
Signale au Port-Mahon fa noble impatience..
Le Léopard frémit ; des remparts menaçans.
( Malgré tant d'efforts impuiffans )
A l'ordre de mon Roi le réduifent en poudre .
SEPTEMBRE . 1756. 61
Ennemis obstinés de nos Lys triomphans !
Pourquoi l'obligez-vous à lancer une foudre ,
Dont il a retenu les éclats fi long-temps.
VERS
Au Maréchal Duc de Richelieu.
Toujours cher à l'Amour , & favori de Mars ;
Tu fçus briller partout , au milieu des ha
zards ,
Et dans la cour de Cytherée
Le myrthe & le laurier ornent tes étendarts
Triomphateur de toutes parts ,"
Tu te fais un renom d'éternelle durée ;
Tes exploits font gravés au Temple de Paphos
Dans les travaux guerriers tu n'es pas moins
Héros ,
Et je vois en tous lieux ta valeur célebréa
Aux champs de Fontenoy
( Mémorable journée ! )
La victoire par toi
A nos drapeaux eft ramenée.
Genes , prête à fubir de tyranniques loir
Doit à ton bras fa deftinée :
Tu la rétablis dans fes droits ;
Et par un trait nouveau de gloire
Digne à jamais d'illuftrer ta mémoire
62 MERCURE DE FRANCE.
Malgré leurs fiers remparts Minorque & tous fes
Forts ,
Ferme abri de l'Anglois , tombent fous tes efforts.
VERS
AM. le Maréchal Duc de Richelieu.
Ux Champs de Fontenoi fans tes fages avis ,
Ainfi l'a publié Voltaire ,
L'Anglois eût triomphé des Lys.
Dans Minorque aujourd'hui ce Peuple téméraire ,
Dompté par ta valeur a reconnu ta loi ; រ
Que l'on chante à l'envi ta brillante conquête ,
Tu peux toujours fervir ta Patrie & ton Roi ,
Ton bras leur eft utile auffi- bien que ta tête.
Par Madame BOURETTE.
(1 ) M. de Voltaire a dit dans fon Difcours de
Réception à l'Académie Françoise en 1746 : Jouiffez
, Meffieurs , du plaifir d'entendre ces propres
paroles que votre Protecteur dit au Neveu de votre
Fondateur fur le Champ de Bataille de Fontenoi.
SEPTEMBRE . 1756. 63
LES CONDITIONS INUTILES,
NOUVELLE
Emilie avoit confenti d'aimer S. Iſle ;
il lui eût été impoffible de s'en défendre :
mais elle avoit fait fes conventions. Un
excès de vertu exigeoit d'elle un excès de
rigueur ; elle croyoit s'être fauvée de tout
danger en difant , je n'en veux courir aucun.
S. Ifle avoit confenti à tout. Il connoiffoit
le coeur , il connoiffoit la tendreffe
d'Emilie , & il étoit bien tranquille fur
l'avenir , malgré fes fermens. Il avoir promis
de pouffer le refpect jufqu'où il peut
aller ; fon exactitude même l'amufoit : elle
fourniffoit des fcenes muertes que l'art
veut en vain imiter dans les engagemens
ordinaires , & qui font fur les fens plus
d'effet que le plaifir même. Les gens qui
jugent auffi rapidement qu'ils pirouettent ,
difoient tout haut que S. Ifle avoit perdu
l'efprit. Ils ne concevoient pas qu'un engagement
auffi fingulier pût avoir des
charmes ; mais l'amant délicat d'Emilie
les laiffoit dire & jouiffoit.
Emilie montroit une fenfibilité trèsvive
; cela formoit une oppofition avec fa
64 MERCURE DE FRANCE.
vertu , dont S. Ifle ne fçavoir quelquefois
que penfer. Il connoiffoit trop fes moeurs
irreprochables pour la foupçonner de fe
faire plus vertueufe qu'elle n'étoit : mais
le contrafte qui le frappoit , l'autoriſant à
croire qu'il y avoit là - deffous quelque
chofe de furnaturel , il ofoit penfer qu'Emimilie
ne ſe montroit fi vertueufe, que parce
qu'elle fe connoiffoit très- fenfible.
On juge affez de tout le courage que
lui prêtoient les conjectures. Il n'y a point
de violence qu'on ne puiffe aifément fe
faire auprès d'une femme , lorfqu'on eft
dédommagé par celle qu'elle fe fait ellemême
de l'exiger.
Malgré la monotonie , apparente , il n'y
avoit rien de fi animé que leur commerce.
Emilie trop févere , reffentoit tout le feu
de la paffion. Dans ces privations exceffives
, les fens font amufés par le feu même
qui les confume ; mais il faut pour cela la
préfence de l'objet aimé : auprès de lui ce
feu eft un plaifir très- vif , loin de lui c'eft
une ardeur importune. S. Ifle ne pouvoit
pas toujours être à fes côtés : il avoit fes
affaires ; il avoit la malice d'en prétexter.
Ses abfences étoient autant de fupplices
pour elle . Elle ne fe communiquoit plus ,
ne voyoit plus perfonne ; le feul temps
qu'elle voulut dérober à fa paſſion , étoit
SEPTEMBRE . 1756. 65
celui qu'elle donnoit à fa toilette , encore
lui paroiffoit il très-long . Elle fe plaignoit
de ne le pas voir affez , elle auroit voulu
le retenir ou le fuivre. Comment réfifter
longtemps à un amant que l'on veut voir
toujours !
-
Comme il avoit promis de la refpecter
& qu'il tenoit parole , tout étoit dit à cet
égard. Elle ne parloit plus de fa vertu , &
ne fongeoit pas même qu'elle en eût . S. Ifle
prévoyoit les fuites de cette fécurité prodigieufe
; & quoique trop amoureux pour
n'avoir pas des défirs , fa pénétration &
l'amufement de fes fens lui faifoient une
fituation délicieuſe qui le laiffoit le maître
de commander à fon impatience .
Dans le cours de plus de trois mois ,
jamais il ne lui échappa un mot , un mouvement
, un foupir qui pût déceler fon innocent
artifice. Il avoit formé un projet
qui demandoit toute cette difcrétion . I
vouloit qu'Emilie fût affervie par l'habitude
de l'aimer , avant que de lui faire
connoître les véritables fentimens ; il vouloit
auffi ne fe découvrir que par un mot
qui pût faire travailler l'imagination de fa
maîtreffe , & mettre en jeu toute fa paffion
fans lui atrirer légitimement des reproches.
Ce projet ne pouvoit entrer que
dans la tête d'un homme extrêmement déli66
MERCURE DE FRANCE.
&
pour cat , &
habile.
le faire réuffir , il falloit être
pas Le moment de s'expliquer ne tarda
à s'offrir ; il le faifit. Quelques perfonnes
affemblées chez Emilie avoient fait tomber
la converfation fur l'amour purement
fpirituel. Depuis plus d'une heure qu'on
étoit fur cette matiere , S. Ifle n'avoit pas
dit un mot. Forcé de parler comme les autres
: Je conçois , dit -il , qu'il puiffe y avoir
des attachemens auffi refpectables , mais je
ne concevrai jamais qu'ils foient capables
de remplir tout le coeur d'un homme bien
amoureux. J'ai vu de ces amans fi admirables
: l'ennui répandu fur leurs traits ,
les faifoit aisément difcerner ; j'en ai vu
même quelques-uns qui ne voulant jamais
trahir leurs fermens tyranniques , avoient
fini par renoncer à la maîtreffe la plus aimable
, contraints d'opter entre le défefpoir
& l'infidélité .
La converfation finit là pour Emilie.
Frappée comme par un coup de foudre ,
elle porta les yeux fur S. Ifle qui dans ce
moment , avoit les fiens attachés fur elle.
Elle avoit compris tout ce qu'il avoit voulu
dire ; une confidence entiere ne l'eût
pas mieux inftruite adorable pénétration
qui la rendit cent fois plus tendre & cent
fois plus belle !
SEPTEMBRE . 1756. 67
Agitée par les mouvemens les plus tumultueux
, elle eût voulu parler à S. Ifle ,
l'interroger , fe plaindre , lui dire tout fon
amour , & lui demander compte de toutes
fes penfées. La compagnie qui fe trouvoit
chez elle l'importunoit : elle cût donné fa
vie pour pouvoir chaffer tout le monde.
S. Ifle lui avoit dit qu'il ne fouperoit pas
ce foir-là chez elle , il étoit déja tard , il
pouvoit fortir fans qu'elle lui eût parlé.
Quelle fituation pour une femme qui fe
refpecte , qui fe craint , qui craint tous
les yeux , & qui fe fent obligée à plus de
réferve à mesure qu'elle éprouve plus d'agitation
!
Ce qu'elle avoit craint arriva en effet .
S. Ifle profita du premier moment favorable
pour fortir fans être apperçu. Son
départ fut le ſignal de la plus violente migraine.
On comprit qu'il falloit la laiffer
feule : peut-être en devina- t'on la raifon ,
car le monde fourmille de devins & de
prophetes.
Il ne doit pas être difficile de fe faire
une idée de la nuit qu'elle paffa. Elle étoit
perfuadée que S. Ifle la refpectoit de bonne
foi , & que c'étoit très-fincérement qu'il
lui avoit promis de fe contenter du don de
fon coeur. L'air de vérité répandu fur fes
traits , la franchiſe de ſes manieres , le
68 MERCURE DE FRANCE.
plaifir qu'il goûtoit à la voir , fembloient
garantir la folidité & la droiture de fes
promeffes . Cependant il venoit de fe contrarier
étrangement par fes difcours : il
paroiffoit deux façons de penfer dans le
même homme. Il avoit dir qu'un fcrupule
éternel étoit un obftacle infurmontable au
bonheur de l'amant même le plus tendre ;
penfoit- il réellement ce qu'il venoit de
dire ? S'il le penfoit , il n'y avoit plus pour
elle de fonds à faire fur fes fermens . Un
homme qui a de pareilles idées ne réſiſte
pas longtemps au cri de la nature .
Le jour la trouva dans la même agitation
, également incertaine de ce qu'elle
avoit à penfer & de ce qu'elle avoit à faire.
Il n'y avoit que l'objet de tant de trouble
qui pût ramener le calme , mais ce n'étoit
pas l'intention de l'adroit S. Ifle. Il revint
le lendemain & plus tard qu'il n'avoit jamais
fait . Il affecta de la trouver changée ,
& ne manqua pas de lui repréfenter qu'un
amour trop tendre prenoit fur fa fanté . Il
ne dit qu'un mot , & ce mot fuffic pour
allarmer un coeur dont la trifteffe commençoit
à s'emparer.
Elle lui demanda pourquoi il venoit fi
tard. Il répondit que malgré lui , il avoit
été occupé d'affaires importantes qu'il
avoit négligées le matin , parce qu'il ne
SEPTEMBRE . 1756. 69
s'étoit
pas couché de bonne heure. Vous
vous êtes donc beaucoup amufé à votre
Loupé , reprit- elle ; beaucoup , répondit-il,
du ton le plus ingénu . C'eft du moins
quelque chofe pour moi , que vous daigniez
l'avouer , fourfuivit- elle ; en pareil
cas on eft fouvent plus difcret..... Et vous
trouvez fans doute , qu'on l'eft trop , demanda-
t'il ? & tout de fuite , fans attendre
fa réponse ; que j'aime à vous voir une
façon de penfer fi noble & fi rare ! elle
feroit feule mon bonheur . Emilie fourit >
mais avec un férieux qui cachoit bien de
l'ironie. Qui aviez - vous en femmes , demanda-
t'elle ? La Marquife de *** , Artemife
, & Bélife , répondit-il, Au nom de
Bélife , Emilie pâlit ; S. Ifle avoit déja
parlé d'elle avec complaifance , en deux ou
trois occafions , & Emilie y avoit fait plus
d'attention qu'elle n'auroit voulu .
Ils furent interrompus par quelqu'un
qui s'étoit juftement trouvé à ce fouper
fatal . C'étoit un de ces hommes qui jugent
de tout fur les apparences , qui fe
permettent de tout dire , & qui ne diftinguent
point , parce qu'ils ne penfent pas.
S. Ifle fut fort aife de le voir arriver , il
fe promit beaucoup de fon bayardage , &
fes efpérances ne furent point trompées.
Placé , la veille , à côté de Bélife , & la
préférant à d'autres femmes pour l'amufe70
MERCURE DE FRANCE.
ment de la converfation & de la table , il
avoit eu pour elle des attentions , & la
compagnie n'avoit pas manqué de l'en
railler familiérement . Le bavard qui venoit
d'entrer s'en étoit mêlé comme les
autres , & fon premier foin fut de faire
revenir cette converfation devant Emilie ,
fans y entendre fineffe . S. Ifle pour qui
ce badinage étoit un coup décifif , fe défendit
avec un art admirable , c'eft- à- dire,
comme un homme convaincu devant fon
juge & à qui il ne refte pas la moindre
préfence d'efprit. Emilie avoit les yeux
fur lui. Quel coup de foudre pour elle !
Son accablement fut fi grand que S. Ifle
même n'y auroit pu réfifter s'il avoit été le
maître de fe livrer à fes mouvemens . Emilie
ne pouvant plus fe contenir , fut obligée
de paffer dans une autre piece , &
lorfqu'elle revint , il fut aifé à S. Ifle de
voir qu'elle venoit de pleurer .
Auffi affligé qu'elle , il auroit tout facrifié
au plaifir de la raffurer , & il auroit
tout perdu s'il l'avoit fait . Heureuſement il
furvint d'autres perfonnes , & le chagrin
d'Emilie parut fe diffiper. Devenu plus
tranquile , il comprit combien le dénouement
de cette intrigue dépendoit de fon
courage ; & pour l'accélérer encore , il
prit la réfolution d'être inexorable. Il
pouffa les chofes auffi loin qu'il le falloit,
SEPTEMBRE . 1756. 71
Emilie fe vit négligée , fe crut tráhie ,
n'eut plus que des penfées cruelles , & ne
connut plus que les larmes. Bélife ne lui
fortoit pas de la tête : elle étoit bien convaincue
que S. Ifle l'adoroit & ne la quittoit
plus ; dans fa prévention , elle le voyoit
auffi aimé qu'amoureux , ne vivant plus
que pour elle , ne fe fouvenant plus d'une
amante défefpérée , & fupportant à peine
des fers rompus.
-
Dans un de ces momens où la douleur
au comble réalife toutes les chimeres , elle
fe le repréfenta aux genoux de Bélife , la
conjurant de fe rendre à fes ardens défirs ,
& ayant dans les yeux cette impreffion de
plaifir qui naît de la certitude du fuccès,
Elle fe rappella alors ce qu'elle lui avoit
oui dire quelques jours auparavant touchant
l'amour défintéreffé , & qui lui avoit
fait faire de fi triftes réflexions . Ah ! s'écria-
t'elle , je n'avois que trop deviņé ,
l'ingrat m'avoit caché fon coeur ! La tendreffe
du mien ne pouvoit remplir fes
voeux ; il n'avoit voulu que faire une
épreuve , ou fe procurer un amuſement :
il ceffe de diffimuler lorfqu'il a réuffi .
Elle étoit un jour abîmée dans ces
fombres penfées . Préancour entra fans
être annoncé , & la furprit dans cet état.
Préancour étoit un de ces amis communs ,
12 MERCURE DE FRANCE.
qu'un excès d'eftime & de conformité
d'humeur rend médiateurs , & confidents.
Il fçavoit non feulement tout l'amour
qu'ils avoient l'un pour l'autre , mais
même les conditions de leur engagement.
C'étoit S. Ifle qui l'envoyoit : il
avoit fa leçon toute faite.
Dans quel état vous vois- je , lui dit-il
que fignifient ces larmes ! Elles fignifient
que je fuis la plus malheureufe perfonne
du monde , répondit- elle . Vous eftimiez
S. Ifle il n'eſt plus digne que de votre
mépris. De mon mépris ! reprit- il : cela
eft-il croyable ? Excufez , fi j'en doute : on
ne croit point ce qu'on ne conçoit pas. Ah ,
pourfuivic- elle , j'ai eu autant de peine
que vous-même à le croire. Un homme
que j'ai tant aimé, qui paroiffoit fi fincere ,
n'a pas dû trouver en moi un juge trop
prompt & trop févere.
1 .
Elle lui apprit alors fa jaloufie & les
raifons qu'elle avoit d'être jaloufe. Après
avoir exhalé fa douleur , elle lui demanda
s'il croyoit encore qu'elle eût tort. Je ne
fçais que répondre , lui dit -il . Vous pouvez
avoir raifon , vous pouvez avoir tort :
je crois pourtant que vous êtes fondée.
Mais en condamnant S. Ifle , je vois du
moins qu'il n'eft pas auffi coupable que
vous vous l'imaginez. Comment ? repritelle
SEPTEMBRE . 1756. 73
:
elle avec vivacité , vous le croyez infidele ,
& vous ne le trouvez pas criminel ? Ah ,
Madame ! répondit - il , je fçais ce que je
dis vous ne pouvez pas raifonner fur
cela comme moi . Je conviens que S. lfle
étoit engagé ; vous aviez fa parole , votre
tendrelle devoit l'enchaîner autant que
fes fermens vous êtes jeune & belle
Bélife ne vous vaut pas ; mais elle n'eſt
point incapable de foibleffe comme vous ,
& voilà la caufe évidente de fon triomphe.
La beauté fe fait adorer , mais elle féduit :
elle enflamme , elle donne des défirs , ce
font autant d'engagemens qu'elle prend &
qu'elle eft obligée de remplir tôt ou tard .
Si elle veut s'en difpenfer , elle a toujours
à craindre le refroidiffement ou l'infidélité.
Je vous entends , Monfieur , répondit-
elle affez féchement : j'aurois du penfer
comme Bélife , & me livrer ..... Je ne
vous dis pas ce que vous auriez dû faire
reprit- il . Je ne me mêle point de donner
des confeils Mais vous accufez mon ami
vous lui reprochez légèrement un crime
& je vous dis qu'il n'eft point auffi criminel
que vous vous l'imaginez. Au fur plus ,
Madame , pourfuivit il malicieufement
ce que vous croyez n'eft peut être pas vrai :
on fe fait fouvent des monftres . Je l'interrogerai
, fi vous voulez : je lui parlerai ;
Ꭰ
74 MERCURE DE FRANCE.
tout ce que vous n'aurez pas la force de
lui dire , je le lui dirai moi même vos
intérêts feront en bonne main . Non , Monfieur
, répondit-elle en fondant en larmes ,
je n'ai plus rien à lui dire , je n'ai plus qu'à
mourir. Je vous remercie de vos foins ,
j'ai trop compris combien ils me feroient
inutiles.
Il alloit continuer , S. Ifle parut. Venez,
Monfieur , lui dit Préancour , venez vous
défendre fi vous le pouvez , on vous atraque
vivement pour moi je me fauve ,
car je ne fçaurois tenir à ces chofes-là.
"
Préancour fortit . Emilie étoit dans un
fauteuil , la tête appuyée fur fa main
ayant un mouchoir fur les yeux . Que fignifie
tout ceci , lui demanda doucement
S. If aurois je le malheur de vous avoir
déplu ? Qu'avez vous , qu'ai -je fait ? Rien ,
répondit- elle , en tournant fur lui fes beaux
yeux ; vous n'avez rien fait dont je puiffe
me plaindre , vous ne pouviez pas prévoir
ce qui arrive , & je vous crois innocent.
Non , reprit il , en fe mettant à fes genoux
, je ne fuis plus innocent quand vous
verfez des pleurs ; l'amour m'accufe , je
devois tout prévoir ; mais de quoi eft-il
donc queftion , qu'eft il arrivé ? Rien que
de très - naturel , répondit - elle , vous m'aimiez
, vous ne m'aimez plus , c'eft un malSEPTEMBRE.
1756. 75
heur pour moi ; mais j'y fuis fenfible fans
vous en accufer : j'avois trop exigé de
vous. Ah ! Emilie , reprit S. Ifle , il faudroit
pour ne vous plus aimer , qu'il fe fût
fait un prodigieux changement en moi.
D'où peuvent vous venir ces injuftes idées ;
par où ai-je pu mériter qu'elles entraffent
dans votre efprit. Je vous répete que vous
n'avez aucun tort , lui dit- elle : foyez donc
très tranquille. Je fouffrirai , je vivrai dans
les larmes , mais je ne vous ferai jamais
aucuns reproches ; & lorfque vous ne daignerez
plus me voir , lorfque vous m'aurez
entiérement oubliée dans les plaifirs
d'une nouvelle chaîne , mes larmes n'iront
pas vous chercher pour troubler votre bonheur.
Ah ! dit- il , en lui baifant tendrement
la main , pourroit- il y avoir un bonheur
pour moi que vous ne partageriez
point. Mais je n'entends que trop ce que
vous craignez de me dire. Vous avez ouvert
votre coeur à la jaloufie : c'eſt à moi
de deviner , de m'accufer , de me juger ;
l'honneur & l'amour m'en impofent également
la loi , je dois leur obéir . Chere
Emilie , il n'eft point vrai que je vous fois
infidele , tout mon coeur eft encore à vous.
Vous me verriez plus trifte , plus troublé ,
fi j'avois le malheur de ne vous plus aimer.
Il n'y a que vous qui puiffiez me faire ce
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
bonheur qui remplit le coeur d'un amant.
Après cet aveu je ne vous diffimulerai pas
ce qui m'eft arrivé depuis quelques jours.
Vous fçavez les conditions que vous m'avez
impofées , je m'y fuis foumis aveuglément
: je ne voulois qu'être heureux , je
l'étois ; je ne faifois point de réflexions.
J'aurois toujours penfé de même , fi je n'avois
pas vu Bélife : j'ofe la nommer , parce
qu'il me femble que m'ouvrir entiérement,
c'eft prefque me juftifier . Bélife a des principes
moins refpectables que les vôtres . Je
lui ai plu fans fonger à lui plaire . Ce goût
pour un homme qui ne cherchoit pas à lui
en infpirer , l'a rendue careffante , vive ,
féduifante enfin . Elle a voulu m'enflammer
, elle n'y a pas réuffi : elle n'a rien diminué
de ma tendreffe , mais elle a altéré
mon innocence. Malgré moi , j'ai fenti
que je n'étois plus également heureux : j'ai
fouhaité de la voir , j'ai craint votre préfence
, j'ai rougi de me trouver fi différent
de moi-même ; & dans la confufion de ce
changement , j'aurois donné ma vie pour
retrouver ma premiere vertu , ou pour
vous rendre votre premiere indifférence .
Voilà l'état où je me trouve. Je ne m'explique
pas mieux ; j'aurois honte de répandre
un plus grand jour fur un caprice
qui me donne des remords. J'ofe du moins
SEPTEMBRE . 1756 . 77
vous protefter que vous êtes encore la maîtreffe
abfolue de mon coeur. Bélife m'inf
pire des défirs , vous m'infpirez des fentimens.
Je ne fuis donc pas infidele , je ne
fuis criminel ; mais c'eft affez pour
que
être indigne de vous : auffi n'aurai - je pas
la témérité d'attendre que vous m'appreniez
mon devoir. Après l'aveu que je viens
de faire , je dois fçavoir que mes foins
vous outrageroient : ils vous feroient toujours
fufpects , malgré moi- même ils feroient
intéreffés ; je ne pourrois m'empêcher
de me plaindre & peut- être de vous
offenfer ... Cette idée renferme mon arrêr,
je n'ai plus qu'à vous fuir , & c'eft le parti
que je vais prendre .
Il étoit aux genoux d'Emilie , il fe leva .
Quelque coupable que je puiffe vous paroître
, lui dit- il , d'un ton mal affuré
j'ofe efpérer que vous ne me haïrez point.
Si vous n'aviez pas été fi vertueufe , mes
defirs n'auroient point été des crimes , &
nous euffions goûté dans une tendreffe
éternelle des plaifirs qui vous auroient
charmée vous-même . Il appuia alors fes
levres fur la main d'Emilie . Que je vais
Vous regretter , reprit il ! le plaifir fuffirat'il
pour remplir le vuide d'un coeur à qui
vous étiez fi néceffaire ? Je vous quitte bien
moins que je ne vous perds : je m'immole
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
à mon refpect , & le courage dont j'ai
befoin , me fait fentir toute la perte que
je fais ..... Il fembloit toujours qu'il alloit
partir , il ne partoit point : il attendoit la
réponſe d'Emilie. Voyant qu'elle ne diſoit
pas un mot , Adieu , Madame , pourfuivit-
il , en faiſant ſemblant de s'effuyer les
yeux . Vous ne répondez rien , & j'explique
votre filence . Mes difcours , ni mes
remords ne fçauroient vous toucher , c'eſt
du moins une confolation pour moi , de
penfer qu'une féparation qui me coûtera
chaque jour des larmes , ne vous coûtera
pas même des regrets... Ah , cruel ! lui dit
enfin Emilie , vous voulez me faire mourir.
Que vous ai -je fait ? pourquoi me perfécuter
? pourquoi ..... Ah , S. Ifle , qui
m'eût dit que je vous perdrois , que vous
ne vivriez plus pour moi ! ... Je voudrois ,
répondit il , pouvoir me conferver à vous,
il n'eft point de bonheur qui fût égal au
mien. Pourquoi faut- il que vous vous faffiez
refpecter par l'amant même que votre
vertu défpere ? Mais quoi , reprit- elle , eftce
un mal fans remede ? Seroit- il impoffible
que ma tendreffe vous fuffit ? Ah, S.Ifle,
vous ne fçavez pas combien je vous aime !
vous ignorez... Je fçais combien je vous
aime moi- même , répondit- il : tout le charme
de votre amour eft dans l'excès du
SEPTEMBRE. 1756. 79
mien. Malgré cela , je ne ferois plus parfaitement
heureux . Je me connois , je me
fens , je fubis toute la rigueur des caprices
de la nature. Je voudrois vainement
me fouftraire à fes loix impérieufes ; l'efclave
enchaîné par un tyran , n'a plus qu'un
courage inutile. A ces mots , il lui baifa
encore la main longtemps . Adieu , lui ditil
, je refte trop auprès de vous , je m'attendris
trop , je fens que je vous expofe ,
il est temps que je fuye... Il partoit . Un
mouvement d'Emilie le ramena à fes
genoux
, il profita de l'aveu le moins fufpect.
Sa témérité fut fi prompre qu'elle lui fauva
les reproches , & que fon bonheur en fut
le prix .
ÉPIGRAM M E.
Milord Craff, l'autre jour chez un Marquis
François ,
Difputoit avec véhémence
Sur la grandeur & la puiffance
Qui caractérisent les Rois.
Brunſwick doit fur le vôtre avoir la préférence ,
Dit l'Anglois au Marquis ; car il tient la balance.
Mais , répond le François , Louis y met les poids.
Div
So MERCURE DE FRANCE.
VERS
A Son Eminence Monfeigneur le Cardinal
de Luynes , Archevêque de Sens , Premier
Aumônier de Madame la Dauphine.
Prélat illuftre , autant qu'aimable ,
Toi , que chérit le Dieu des chaftes foeurs ,
Toi , qu'un mérite véritable
Vient de placer au faîte des grandeurs ;
De Layne , fois l'appui d'une muſe timide :
L'efpoir lui promet l'agrément ,
Si le fage efprit qui te guide
Trouve qu'elle a rempli fon fujet dignement.
L'HOMMAGE rendu à la Ste Vierge ,
par Monfeigneur le Dauphin & Madame
Marie Jofephe de Saxe , Dauphine , à
Chartres.
Que
OD E
Ue vois-je ! ... quel brillant fpectacle
Ravit , furprend l'humanité !
Je vois du facré Tabernacle
Sortir une Divinité ! ...
Ayez plus d'amour que de crainte ,
SEPTEMBRE. 1756 . 8 1
Peuples : c'eft la piété fainte
Qui vient , fur l'aîle des efprits ,
Vous montrer deux Epoux fideles ,
De la vertu les vrais modeles ,
Jofephe de Saxe & Louis,
Loin d'ici perfide héréfie ;
Aux regards de la piété
Se renverfe l'Idole impie :
Tu rentres dans l'obfcurité .
Que peut ton impuiſſante rage ,
Quand de Saxe vient rendre hommage
A la Reine de pureté ?
Fuis , erreur , fuperbe ennemie :
Quand Louis Dauphin s'humilie ,
Il détruit ton autorité.
Vains fcrutateurs de tout Myftere ,
Enfans de l'incrédulité ,
Préférerez -vous la chimere
A l'adorable vérité ?
Soumettez-vous à cet exemple ;
Louis , de Saxe , dans fon Temple
Prouvent votre témérité ,
Et marquent quelle eſt la diſtance
Entre la terreftre puiffance
Et la célefte majeſté .
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
Grandeur , faux charme de la vie ,
Séduifez le foible mortel ,
Qui de la même main impie
Encenfe le Trône & l'Autel :
Fils d'un Héros que tout revere ( 1 ) ,
Louis profterné nous éclaire :
Ainfi Conftantin autrefois
Quittoit le Sceptre & la Couronne ,
Et du Souverain qui la donne ,
Prenoit en main le facré bois.
A Louis s'unit la Princeffe ,
Pour nous elle implore les Cieux :
Quelle douceur ! quelle nobleffe !
La vertu brille dans fes
yeux .
Grand Dieu ! c'eft ta plus digne image ;
Et qui lui refufe l'hommage ,
Infulte à ta Divinité ;
Puifque ta fageffe repoſe ,
Dans fon coeur , où l'amour difpofe
Mille Autels à ta fainteté .
Chartres , tu vois tous ces miracles ;
Et Fleury , ce Prélat heureux ,
Te prouve qu'il n'eft point d'obftacles ,
Quand il faut répondre à tes voeux.
Quelles Villes te font égales ...
· (1) Louis XV.
SEPTEMBRE . 1756. $3
Qu'ils foient écrits dans tes annales
Ces jours fortunés & chéris ,
Et qu'à jamais dans ton hiftoire ,
On life , gravés par la gloire ,
Les noms de Saxe & de Louis.
SUR LA NOBLESSE.
A M. le C ... de ...
E m'attendois bien , Monfieur , que vous
ne prendriez pas fi - tôt votre parti , & votre
indétermination ne me furprend point.
L'Ouvrage de M. l'Abbé Coyer fur la
Nobleffe Commerçante , celui de M. le
Chevalier d'Arc fur la Nobleffe Militaire ,
laiffent l'efprit dans cet état flottant qui
caractériſe l'embarras du choix . Tel eft
l'effet que doit produire une controverfe
auffi bien maniée , quoique dans des goûts
différens . Vous ne me dites mot des Obfervations
du Parlement de Dauphiné :
fouhaiteriez- vous , comme moi , de voir
auffi celles des Parlemens des Provinces
Maritimes. J'en excepte celui de Languedoc
, où les ports de mer ne font pas un
objet.
Il n'y a guere de fujet fur lequel on
ait tant écrit que fur la Nobleffe : il y en a
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
peu où l'on fe foit donné de fi étranges
licences. Comment les Généalogiftes auroient-
ils pu fe tenir toujours en garde
contre les prétentions , & ne pas fe dédommager
de la féchereffe extrême qui
eft attachée à leur travail , en fe livrant
aux pieges féduifans qu'on n'a jamais ceſſé
de tendre à leur fincérité ? Chaque Province
a fon nobiliaire : ce font la plupart
des compilations ( 1 ) informes . Les Dictionnaires
Hiftoriques fourmillent d'articles
Généalogiques , qui en ont multiplié les
volumes & les ont rendus pour le moins
fort incommodes par leur groffeur.
Philofophiquement parlant , les premiers
Nobles ne peuvent être que ceux
qui fe font tirés de l'égalité naturelle par
la force , par la richeffe ou par le mérite.
Chez les peuples du Nord , les perfonnes
diftinguées ne fçaveient que fe battre
& chaffer. Les Romains avoient du mépris
pour cette derniere occupation ; mais elle
faifoit furtout les délices des Francs , qui
plongés dans une profonde ignorance , fe
réfervoient en vainqueurs ce qui fattoit
leur goût , l'ufage des armes , & laifferent
aux vaincus ( les Romains & les Gaulois )
tout ce qui étoit relatif aux lettres . Ce fut
en vain que les diftinctions furent enfuite
(1 ) Tout Nobiliaire doit être hiſtorique.
SEPTEMBRE. 1756. 85
accordées à l'exercice des loix : l'efprit de
la Nation fut inébranlable fur ce principe ,
& la prééminence refta toujours à l'exercice
des armes .
On doit donc en France attribuer l'origine
de la Nobleffe aux Vainqueurs , qui
furent les Francs , tandis que les Gaulois
affujettis au tribut qu'exigeoient les Empereurs
, ne firent que changer de Maîtres
& refter dans les rôles nommés Defcriptiones
Rotuli. C'eft de ce dernier mot qu'eft
fans doute formé celui de Roturiers , Ro
tularii. Il n'eft pas fans vraiſemblance que
certains riches Gaulois ou Romains , habitans
dans les Gaules , s'attachant à la
perfonne du Prince , & le fuivant à la
guerre , n'ayent joui du privilege des Vainqueurs
. Du mot latin Comites , Compagnons
, on a fait infenfiblement le mot de
Comtes qui eft devenu un titre . L'exemption
de la taille en faveur de la Nobleffe ,
n'eſt pas une diftinction , c'eft une juftice
dûe au fervice dont la Nobleffe s'eft toujours
fi bien acquittée dans le Royaume.
Auffi François premier , dans une Ordonnance
pour des fubfides extraordinaires
dont il exemptoit les Nobles , fondoit cette
exemption fur deux motifs ; l'un , que fes
Nobles défendoient le Royaume ; l'autre ,
que leurs revenus qu'ils prodiguoient aux
86 MERCURE DE FRANCE.
frais de la guerre , y fuffifoient à peine.
Nous avons auffi dans le Royaume une
forte de Nobleffe dont les fources font ,
ou les privileges attachés à certaines Charges
de la Robe , ou les Lettres d'ennobliffement
par les Souverains , ou l'ufurpation
. Il n'y a que cette derniere Nobleffe
qui foit abufive. L'introduction des deux
autres eft relative aux befoins de l'Etat.
Ce font des reffources qu'il s'eft préparé
pour remplacer tant d'anciennes Maifons
qui s'éteignent ( 1 ) .
Il a été un temps où l'épée & la robe
n'ont point fait deux états diftincts , parce
que l'adminiſtration de la Juftice & la Nobleffe
ou Chevalerie , n'étoient point féparées
chez les anciens François ( 2 ) , &
que les Loix Saliques défendoient de quit .
ter l'Ecu , même en rendant la Juftice dans
les Plaids (3 ).
(1 ) A Veniſe on crée de temps en temps de
nouveaux Nobles pour réparer les anciennes familles
qui s'éteignent . Sans cette précaution l'Oligarchie
prendroit bientôt le deffus fur l'Ariftocratie.
(2 ) En Italie , dans ce qu'on appelle le moyen
âge , les Podeftats qui étoient choifis parmi la
plus haute Nobleffe , commandoient les troupes, &
rendoient eux-mêmes la Juftice à leurs Citoyens.
Voyez Muratori , Ant. Ital. medii avi , &e,
(3 ) On nommoit ainfi l'Affemblée tenue par le
SEPTEMBRE . 1756. 87
Les Romains , comme l'on fçait , ne
connurent point cette diftinction de l'épée
& de la robe. Il eft vrai que l'Empereur
Gallien interdit la milice aux Sénateurs ,
craignant que l'éclat de leur dignité , joint
au commandement des troupes , ne leur
donnât plus de facilité pour envahir là
puiffance fuprême . Ce fut donc alors que
s'établit dans l'Empire une distinction inconnue
jufques- là , & les gens d'épée firent
un état féparé des gens de robe .
En France , les guerres exceffivement
deftructives fous la feconde Race , & l'autorité
que s'attribuerent les différens Seigneurs
au commencement de la troifieme ,
rendirent l'exercice des armes fi néceffaire
& fi général , qu'il en réfulta une négligence
totale des lettres. C'eft alors que les
ténebres les plus épaiffes fe répandirent
principalement fur les Généalogies. Delà
vint qu'on fut obligé dans la fuite de fe
contenter de la preuve par témoins de la
filiation & nobleffe de ceux qui fe préfentoient
pour être admis aux Tournois.
Les Nobles fe trouvant donc plongés
Roi pour rendre la Juftice dans les lieux ouverts
& publics , en plein champ , fous des arbres , ou
devant la porte d'un Château. Ce mot vient de
Placita. Les Seigneurs particuliers en tenoient
auffi qu'on nommoit Affifes.
88 MERCURE DE FRANCE.
dans l'ignorance , les Roturiers profiterent
de cette conjoncture : ils étudierent la Jurifprudence
; & s'étant rendus capables, ils
furent élevés aux Charges. Ce fut fous
Saint Louis que des Gens de Lettres commencerent
d'être admis aux Séances de ces
Parlemens , dans lefquels des Chevaliers
qui fçavoient à peine lire , décidoient fouverainement
de la fortune des particuliers .
La conftitution de l'Etat , où les Vaffaux
les plus puiffans confervoient encore
une grande autorité , ne permit pas que
cet ufage fût d'abord reçu généralement.
En 1498 , Louis XII fit une Ordonnance
par laquelle les Baillifs & Sénéchaux
devoient être gradués , attendu que
la juftice ne pouvoit raifonnablement être
adminiftrée par des hommes de guerre ,
qui n'avoient aucune connoiffance des
loix. Cette Ordonnance n'eut pas un grand
effer , & ces Guerriers gradués n'en étoient
pas moins ignorans. C'eft apparemment
dans ces temps-·là que s'introduifirent les
titres de Chevalier en loix , & de Bachelier
en armes . Quoi qu'il en foit , l'abus de l'adminiſtration
de la juftice par les Seigneurs
étant devenu exceffif , Charles IX
la leur ôta en 1560 , & elle fut confiée à
leurs Lieutenans , qui étoient hommes de
Lettres & Gradués .
L
SEPTEMBRE . 1756. 89
Quand les Nobles , ceux même de la
plus haute naiffance furent privés de cette
belle prérogative de leur état , les Souverains
furent obligés d'accorder le titre
de Noble , & d'agréger au Corps le plus
refpectable du Royaume , ceux qui , par
leur attachement pour lui , par
› par leur fçavoir
, par leur mérite , étoient parvenus à
le repréfenter dans l'adminiftration de la
juftice . Pouvoient- ils s'en difpenfer , &
ne pas décorer des Corps pour lefquels le
peuple doit avoir tant de refpect , tant de
confiance ? L'ancienne Nobleffe murmura
un peu de cette nouveauté , & il faut convenir
qu'elle n'a pas encore fupprimé les
marques de fon dépit. Mais comment prétend
- t'elle que les premieres Magiftratures
chargées du dépôt & de la manutention
des Loix & des Coutumes du Royaume ,
placées entre le Souverain & les Sujets ,
organes des volontés de l'un & des befoins
de l'autre , ne foient point décorées de
prérogatives ? Veut- elle que ce foient des
Bourgeois , des Roturiers qui décident
fouverainement de leur fortune , quelquefois
de leur vie , & qui repréfentent le
Souverain ?
Quant aux Lettres d'ennobliſſement , ce
fut Philippe le Hardi qui accorda les premieres
à un Orfevre , nommé Raoul . Les
90 MERCURE DE FRANCE.
Souverains uferent d'abord avec beaucoup
de réferve de cette maniere de faire
des Nobles. Mais à mefure que les fciences
reprirent un nouveau luftre fous François I,
les honneurs & les prérogatives de la Nobleile
furent moins ménagés, peur être mê
me un peu prodigués aux Gens de Lettres.
Ce Prince paffant à Toulouſe en 15 3 3 , accorda
aux Docteurs- Regens de l'Univerfité
de cette Ville le privilege ( 1 ) « de
و ر
ور
créer , ériger , & promouvoir à l'Ordre
» de Chevalerie , ceux qui auroient ac-
» compli le temps d'étude & réfidence en
» ladite Univerfité , ou autres qui feront
» par eux promus & agrégés au dégré Doc-
» toral & Ordre de Chevalerie . »
Un Duc de Lorraine ennoblit un Bourgeois
de Bar en 15 54 , pour lui avoir don
né deux chiens de chaffe.
Jufques là les Souverains s'étoient contentés
de faire des Nobles. Charles -Quint
voulut faire un Gentilhomme ( 2 ) : il accorda
à un Bourgeois , homme de mérite
nommé George Sabin , la Nobleffe de quatre
degrés , tant paternels que maternels ,
même de Chevalerie , & voulut qu'il fût
(1 ) Voyez , Hiftoire générale de Languedoc ,
Tome V.
(2) Dans l'idée communément reçue , le Gentilhomme
eft le petit- fils de l'ennoblį.
SEPTEMBRE . 1756 . 91
reconnu tel de tous les Etats de l'Empire ,
& qu'il jouît, lui & fa poftérité , de tous les
privileges des anciens Nobles Militaires.
>>
Je n'ai plus qu'un mot à dire de la Nobleffe
ufurpée . Ce n'eft pas d'aujourd'hui
qu'on fe plaint de cette ufurpation . Brantome
, dans l'Eloge de Charles VIII , parlant
de la différente façon de fe faire recevoir
Chevalier, ajoute : « Et auffi qu'aujourd'hui
l'on fe difpenfe affez d'ailleurs
pour fe faire Chevaliers , que les moin-
» dres fe créent d'eux mêmes fans aller au
» Roi , deforte qu'on peut dire qu'il y
» a aujourd'hui plus de Chevaliers tels
quels , & de Dames leurs femmes , que
jadis il y avoit d'Efcuyers & de Damoi-
» felles . Tant eft grand l'abus parmi la
» Chevalerie. »
93
ور
ور
Montagne parlant des Chevaliers dont
la diftinction étoit de porter des éperons
dorés , ajoute : « Et l'Ecuver les portoit
» blancs , ne lui étoit loifible les porter
» dorés. Maintenant le Roturier les
por-
» te ; tant tout ordre ancien & bon à été
» peu peu abattu , & des défordres la
» confufion , mere de toute licence , eft
» entrée en regne par tolérance . ».
و ر
D. L.
A Vauréas , le 21 Juin 1756 .
a
92 MERCURE DE FRANCE.
VERS.
Sur la prise du Fort S. Philippe ( 1 ) .
Fiers Anglois ! avides Corfaires !
Fléaux des Mers ! Peuples ingrats !
Notre Monarque eft enfin las
De vos procédés téméraires ,
Et vous allez fentir la force de fon bras.
C'eft en vain que dans S. Philippe
Vous vous êtes réfugiés ;
Il frappe votre orgueil tout à coup fe diffipe
Sur les débris fanglans de vos murs foudroyés.
A quoi fert la valeur fans moeurs & ſans juſtice ›
L'univers indigné fait des voeux contre vous.
De vos crimes , voiſins jaloux ,
Il eft temps que l'on vous puniffe ; -
C'est ce qu'ont fait nos premiers coups.
Nous fecondons du Ciel la vengeance fuprême ;
Et nous fommes certains de vous donner la loi ,
Quand nous combattons pour un Roi
Que nous aimons & qui nous aime.
Pour moi , j'avourai hautement
( 1 ) Ces Vers ont été faits ¿ préſentés une demiheure
après la nouvelle de cet événement , à M. le
Marquis de Paulmy , qui étoit pour lors à Dunkerque
, où le Régiment de Poitou , dans lequel fert
l'Auteur , étoit en garnison.
SEPTEMBRE . 1756. 23
Que je voudrois un jour au ſein d'Albion même ,
De tout mon fang verfé fceller ce fentiment.
Le Chev. DE PIERRES , de Fontenailles.
VERS
Sur la Conquête de Port- Mahon.
Richelieu venge enfin l'injure
Que nous a faite une race parjure.
Elle a vu de ſes bataillons ,
Le fang inonder fes fillons.
Elle a vu fon Efcadre fiere ,
Fuir devant La Galiffonniere ,
Et le Neveu du grand Armand
Auffi vigilant qu'intrépide ,
Braver par un affaut rapide ,
Les vains fecours d'un nouvel armement.
Elle a yu l'éclatante foudre ,
Réduire fes rochers en poudre ,
Nos Drapeaux flottans fur fes Forts ,
Appeller triomphans, nos Vaiffeaux dans fes Ports
Que de travaux confacrés à la gloire
Que d'exploits dignes de mémoire ,
De nos troupes pleines d'ardeur ,
Ont à Minorque illuftré la valeur !
94
MERCURE DE FRANCE .
D'un jufte courroux animée ,
L'ombre de Jumonville ( 1 ) erre dans notre Armée
:
Son fang qui coule encor , parle à chaque Soldat ,
Et l'excite à punir un lâche affaffinat.
Elle- même en ces mots s'exprime :
« J'allois fommer par un droit légitime ,
» L'Anglois d'abandonner un projet clandeftin ;
>> Sur fon front la terreur s'imprime ;
» La Perfidie enfantoit un deffein .
>> Feignant de m'écouter , on me perce le fein » .
Elle dit : & bientôt cent bras , vengeurs des crimes
,
A cette ombre plaintive immolent cent victimes.
Contente , elle s'appaife alors ,
Et les fuit jufqu'aux ſombres bords.
Les enfans d'Albion , en forme d'Hécatombe ,
Defcendent ainfi fous la tombe .
Jufques à quand , nous préparant des fers ,
Ces maîtres prétendus des mers ,
Que la feule audace autorife ,
( 1 ) Toute l'Europe fçait que cet Officier fut envoyé
par fon Commandant en Canada , pour ſommer
les Anglois d'évacuer un Fort qu'ils occupoient fur
les terres du Roi ; & que , malgré le caractere dont
M. de Jumonville étoit revêtu , & qui devoit rendre
fa perfonne inviolable , les Anglois , comme il
lifoit l'écrit qui contenoit fa Miffion , firent une décharge
fur lui & fur fa petite troupe , qu'il y fut
tué , & jix oufept autres.
SEPTEMBRE. 1756. 95
Oferont- ils des bords de la Tamife ;
Au fein des révolutions ,
Dicter des loix aux Nations ?
*
vous , qui dominez le Danube & le Tage !
Qu'à Louis pour jamais un ſaint noeud vous engage.
La publique tranquillité
Sera le glorieux partage
De ce lien fi long- temps fouhaité.
Contre cette Puiffance altiere ,
De tous vos intérêts n'en compoſez plus qu'un ,
Et pour calmer l'Europe entiere ,
Lancez vos traits fur l'Ennemi commun .
Sinon , vos Ports , vos Villes , vos Rivages ,
En proie à tous les brigandages ,
•
Par des procédés inhumains ,
Pafferont bientôt dans fes mains.
*
Mais , quoi mes fouhaits s'accompliffent.
Les Lys & l'Aigle enfin s'uniffent :
Léopold l'avoit défiré .
Lorſqu'à Rifwick , la Paix qu'on eſpéroit à
peine ,
Defcendit fur un char des Graces entouré ,
Miniftre de Louis , Villars fut à Vienne.
L'Empereur , jaloux de fa foi ,
96 MERCURE DE FRANCE.
Lui dit , ( 1 ) dès qu'il le vit paroître :
Nous voilà bons amis & votre Maître & moi ;
» Ah ! s'il ſe peut , ne ceffons point de l'être,
Lorfque la Difcorde en courroux
T
A foufflé fon poiſon fur nous ,
Pour de foibles fecours , à des Princes avides ,
4flies to jours dangereux
Nos prodiguent les fubfides,
» A tous ces pas onéreux ,
» Ils fçavent même nous contraindre ;
» Pear vaincre ou fe defendre , il faut tout raf
>> ſembler.
>> Tels Etats alors fe font craindre ,
» Qui devant nous devroient trembler.
» Leur Milice mal aguerrie ,
» Et que n'anime point l'amour de la Patrie ,
» De nos fujets trop fouvent fuit les pas ,
»Pour être feulement témoins de leurs combats.
» De nos diffenfions les fuites ordinaires ,
» Sont du moins d'enrichir des Troupes mercenaires.
» Si contre toute intrigue à jamais prémunis ,
» Nous étions conftamment unis ,
» Nous verrions ces puiffances mêmes ,
>> Se conformer à nos décrets fuprêmes ;
(1) L'Auteur tient cette particularité de M,
l'Abbé Baillard , à qui M. le Maréchal de Villars
la raconta enfe promenant avec lui à Petit-Bourg
en 1710.
» Et ;
SEPTEMBRE. 1756. 97
» Et , pour combler tous nos fouhaits ,
» Régner une éternelle paix » .
*
Ainfi parla ce Prince véridique ,
Source de fentimens par le ciel infpirés
Mufes , dans vos faftes facrés ,
Gravez de Léopold le difcours hér ›ïque.
Son fang , la fiile des Céfars ,
Qui , d'un grand Roi , fur elle a fixé les regards ;
Avec lui va mettre en pratique
Cette divine politique.
Par un autre Monarque ils feront fecondés ,
Et mes préfages font fondés
Sur le zele pur qui l'enflamme ;
Le repos des mortels touchera fa grande ame.
Ainfi ces fages Potentats ,
Eteignant le feu de la guerre ;
Réprimeront les attentats
Des Tyrans qui voudroient envahir leurs Etats.
Jadis les Enfans de la terre ,
Ancelade , Ægeon , Titans audacieux ,
Conçurent le deffein d'efcalader les Cieux.
Minerve, Jupiter , & le Fils de Semele ,
Şuffirent pour dompter cette Troupe rebelle.
Cette Piece eft de M. Tanevot : elle a é é
imprimée à Compiegne chez Louis Berır nd,
Libraire-Imprimeur du Roi & de la Ville
E
98 MERCURE DE FRANCE.
་
Nous aurions pu , fuivant la regle , nous
borner à l'annoncer ou à ne l'extraire qu'en
partie dans les Nouvelles littéraires , mais
nous avons préféré de l'inférer toute entiere
dans cet article . L'Auteur & l'ouvrage nous
ont paru mériter cette diftinction.
Les vers fur cette priſe , nous font venus
avec tant d'abondance que nous pouvons
dire que c'eſt un vrai débordement ,
& qu'ils en portent le caractere , c'est -àdire
, qu'ils entraînent avec eux beaucoup
de limon. Cette double raifon nous oblige
d'y mettre une digue. Pour continuer
la figure, nous avons puifé , dans le torrent,
les moins bourbeux . Par malheur , il en
reſte encore de quoi remplir trois volumes
complets. Les Auteurs des pieces rejettées,
nous taxeront de trop de rigueur , mais
nous craignons encore plus que le Public ne
nous blâme de trop d'indulgence. Les premiers
auront beau crier qu'on doit accueillir
dans cette occafion le zele comme le
talent , & tout pardonner en faveur du
fujet. Nous penfons tout au contraire que
plus le fujet eft intéreffant , plus il doit
être traité avec diftinction , & que c'eſt
en quelque façon avilir nos conquêtes que
de les célébrer par un déluge de mauvais
vers. Voilà furtout le cas où l'abondance
ne remplace pas la bonté.
SEPTEMBRE. 1756 . 99
VERS
Sur leTraité d'Alliance entre le Roi de Fran
ce & l'Impératrice , Reine de Hongrie.
LAA nature , en formant & Thérefe & Louis ,
Voulut par leurs vertus éprouver la puiffance :
Chef-d'oeuvres de ſes dons , une heureufe Alliance
Devoit forcer le fort à les voir réunis.
Par M. DE LANEVERE , ancien Moufque
taire du Roi.
A Dax , le 10 Juillet 1756.
LEE mot de l'Enigme du Mercure d'Août
eft Front de fortification Celui du Logogryphe
et Ricochet , où l'on trouve Rote
écho , ire , rot , riche , Hero , lo , lo , ré
croche , cire , roch , Coire , cor , rocket
cric , oie , coche , cocher , ortie & ør.
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
ENIGM E.
Sans être poule j'ai mon coq ;
J'ai mon cordon fans être fous le froc ;
J'ai mon fufeau , j'ai mon aiguille
Sans être ni femme , ni fille.
Mais j'en dis trop pour un Lecteur madré :
Tu me connois déja , ſans doute ?
Pas encor : eh bien ! écoute :
Sans être fou , j'ai le cerveau timbré ,
Et j'ai ma clef ſans être voûte .
LOGOGRYPHE.
A la prolixité je dois mon exiſtence :
Ce
Lecteur , je fuis de mots une furabondance.
Combine mes neuf pieds , tu trouves fans effort
que cherche un Héros en affrontant la mort ,
Et qu'au prix de fon fang fort fouvent il achete :
Des oifeaux le plus vain : la plus ftupide bête :
Un morceau délicat logé dans fon étui ,
Qu'Anubis en jappant dit n'être dû qu'à lui :
Un terme injurieux piquant & fatyrique ,
D'Iris en négligé trop mordante critique :
Celui qui , difpofant d'un fouffle impétueux ,
Eleve & fçait calmer des flots tumultueux :
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY .
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS,
CHANSON
ur la Prise du Port Mabon .
Ces braves Insulaires quisont qui fontsur
ner les corsaires Ailleurs ne tiennent guer
res;Le Port Mahon estpris, il estpris , il est
ris, il estpris, ilestpris, Ils en sont tous sur:
pris, Il estpris il estpris ! Ces forbans d'angle
terre, Cesfou : ces fou: ces foudre de guer=
eSurmer come sur terre desquils sontcombat
is, sontbattus, sont battus,sontbattus,sontbattis
Mois de 7bre 1756.
SEPTEMBRE . 1756. 101
Un Royaume d'Eſpagne , un grand Pape , une
Ville
Connue à l'embonpoint d'un peuple volatile.
Dans mon fein , j'en rougis , je porte un ſcélérat ;
Le plus parfait qui fût fous le Triumvirat.
La plus noble motié de tout ce qui refpire ,
Qui feule des François peut gouverner l'Empire :
Un difcours mefuré , fublime , harmonieux ,
Appellé mille fois le langage des Dieux :
Ce qui fait d'un concert toute la mélodie.
C'en eft fait. Je finis par une maladie.
O malheureux effet de fon impreffion !
Je me trouve fans voix , fans refpiration.
Par M. R. à Doulens. •
CHANSON
La meilleure qu'on ait faite fur la Prife de
Mahon. Par M. Collé.
CEs braves
Infulaites .
Qui font , qui font fur mer les Corſaires ,
Ailleurs ne tiennent gueres ;
Le Port-Mahon eft pris.
Il eft pris. ( 3 fois. )
Ils en font tous furpris
Il eft pris , il eft pris !
Ces forbans d'Angleterre ,
Ces fou- ces fou- ces foudres de guerre ,
E inj
102 MERCURE DE FRANCE.
Sur mer comme fur terre ,
Dès qu'ils font combattus ,
Sont battus. ( 3 fois . )
Anglois , vos railleries ,
Ces traits , ces mots , ces plaifanteries
Seroient- elles taries ?
Seriez-vous moins plaifant
A préfent ? ( 3 fois. )
Raillant ou combattant ,
L'Anglois vaut tout autant
Avec les mêmes graces ,
Il rit , défend & nous rend fes Places
Ses bons mots , les menaces
Ont le même fuccès
A peu près. ( 3 fois. )
Beaux railleurs d'Angleterre ,
Nogent ( 1 ) , Melun , le coche d'Auxerre ;
A vos Vaiffeaux de guerre
Ont pendant cet été
Réfifté. ( 3 fois. )
Ils les ont maltraités ,
Ils les ont écartés :
Notre flotte d'eau douce ,
Vous voit , vous joint , combat , vous repouffe ,
Et jufqu'au moindre mouffe ,
Tout eft fur nos Vaiffeaux
Des Héros. ( 3 fois . )
(1)Noms que les Anglois ont donné à nos Vais
feaux par dérifion
SEPTEMBRE . 1756. 103
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
Suite des RÉFLEXIONS fur les trois premiers
Tomes de l'Hiftoire de la Ville & de
tout leDiocèſe de Paris , par M. l'Abbé
Lebeuf, de l'Académie Royale des Infcriptions
& Belles - Lettres ; pourfervir d'éclairciffement
& defupplément aux Nouvelles
Annales de Paris ; par Dom Touffaint du
Pleffis , Religieux Bénédictin de la Congrégation
de S. Maur.
»
N°. LXIV . Tome III , pag. 174. « Il faut
fe figurer à l'endroit qui compofe aujour-
» d'hui la ville de S. Denys , d'abord fur
» le grand chemin de Pontoife , & affez
près du bord de la Seine , un lieu habité ,
appellé Catolacum , & à droite de ce
» chemin , en venant de Paris , un champ ,
» où le premier édifice qu'on y conftruifit ,
»fut une Chapelle fur la fépulture de
» S. Denys .
"
و د
. و و
">
Et page 175. « L'églife de S. Martin
» de l'Etrée , & celle de S. Marcel , furent
» les premieres églifes paroiffiales du lieu
» de Catolacum . La Bafilique du Sépulcre
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
» des Saints étoit à l'écart , & dans un lieu
→folitaire. »
Réflexions. En voilà affez pour nous
prouver que , fuivant M. l'Abbé Lebeuf,
le lieu où font aujourd'hui les Paroiffes
de S. Martin de l'Etrée & de S. Marcel ,
au delà de l'Abbaye de S. Denys , étoit
un lieu habité fous le nom de Catolacum
ou Carolocus , pendant que le lieu où eft
fituée cette Abbaye , faifant partie , fi
l'on veut , du même territoire , étoit encore
un lieu inhabité , un lieu folitaire ,
& à l'écart. Il faut conclure delà que
ce lieu folitaire fe trouvoit fur le chemin
qui conduifoit de Paris à Catolocns ; &
voilà tout ce que je cherchois en compofant
mes nouvelles Annales . Je ne
fçavois où étoit ce Catolocus , qui devoit
être au delà de l'Abbaye de S. Denys ;
je foupçonnois ( pag. 23 & S8 . ) , fans
ofer pourtant l'affurer , que ce pourroit
bien être Chantilly : j'abandonne préfentement
cette idée ; & je vois clairement
que ce fut en effet en deça du lieu où
font fituées les églifes de S. Martin de
l'Etrée & de S. Marcel , & fur le chemin
qui y conduifoit , que Dagobert
transféra les Reliques de S. Denys , en
les retirant d'un endroit de ce chemin ,
voifin de Paris , pour les rapprocher de
SEPTEMBRE . 1756. 105
ce lieu - là même , & du Palais qu'il y
avoit , s'il eft pourtant vrai qu'il en eût
là un ; fur quoi je veux bien n'en rapporter
à M. l'Abbé Lebeuf , plutôt que
de lui demander fi ce Palais là n'étoit
pas fitué un peu plus loin , je veux dire à
Epinai fur Seine .
Cela pofé , on comprend auffi très-aifément
comment il eft arrivé que le quartier
qui environne l'Abbaye même , étant devenu
habité par la fuite , & ne formant
plus qu'un feul Bourg avec l'ancien Catolocus
ou Catolacum , ait pris également le
nom de Catulliacum , ou d'autres noms
approchant de celui - là , tels qu'on les
lit dans les titres & dans un grand nombre
d'Ecrivains poftérieurs au regne de Dagobert.
LXV. Pag. 179. « Un Ecrivain moderne
» vient d'annoncer dans fes nouvelles An-
" nales de Paris , que la fameufe Eglife de
» S. Denys étoit fituée avant le regne de
Dagobert I , tout près de Paris même ,
» vers la rue Aubry-le- Boucher ; ce qui
» n'a pas la moindre ombre de fondement
» dans l'hiftoire. »
Réflexions. M. l'Abbé Lebeuf s'eft difpenfé
de citer la page où j'avance ce qu'il
me fait dire fi gratuitement ; & en effet ,
il auroit eu bien de la peine à le faire.
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
que
Je vais lui en citer une , où je dis au
contraire très- pofitivement que je ne fcais
pas en quel endroit précisément cette églife
étoit fituée : Où étoit elle donc fituée ?
( ce font mes propres paroles à la pag. 40 )
fur le chemin qui alloit de Paris à Catolocus ,
dans la rue S. Denys même , ou dans le
voifinage de cette rue. Mais en quel endroit
précisément ? c'est ce que l'on ignore . Il me
femble que c'eft - là dire bien nettement
que je l'ignore moi -même auffi - bien
les autres. Cependant à cette même page ,
me dira- t- on , j'indique la rue Aubry le-
Boucher. Oui ; mais en exprimant trèsformellement
mon doute : peut- être , disje
, étoit elle futuée à l'un des deux bouts
de la rue Aubry le Boucher. Pourquoi altérer
mes paroles ? eft- ce pour me combattre
avec plus d'avantage ? Cette méthode eft
vraiment très-commode ; mais elle eft
en même temps très- illicite. Je ne tranfcris
pas toujours ici avec la derniere précifion
les textes de M. l'Abbé Lebeuf ;
mais je ne les défigure point : je les abrege
feulement fans en changer le fens.
Cependant , pourra - t- il infifter , cette
pofition même douteufe , que je donne à
l'Abbaye de S. Denys dans les premiers
temps de fa fondation , n'a pas la moindre
ombre de fondement dans l'hiftoire. ParSEPTEMBRE.
1756. 107
donnez moi. J'y trouve non pas une ombre
de fondement , mais un très- grand
fondement. La Vie de Sainte Géneviéve
& le Poëme d'Abbon , font des monumens
biftoriques , contre lefquels il n'eft
pas poffible de s'infcrire en faux. Or je
prouve par l'une & par l'autre ( pages 22 ,
23 , 39 , 40, 147 , 252 , 307 & 308 ) ,
qu'il eft infoutenable que l'Abbaye de S.
Denys ait été fondée primitivement dans
le lieu où elle eft aujourd'hui qu'il faut
même reconnoître néceffairement qu'elle
étoit dans ces premiers temps beaucoup
plus voifine de Paris que n'eft la montagne
de Montmartre. Voilà déja une
grande avance ; & il ne s'agit plus que
de déterminer le lieu fi proche de Paris ,
où cerre Abbaye aura été fondée : mais
comme là deffus nous n'avons rien de
précis , il faut fe contenter d'un à peit
près , ou d'un peut-être ; & ce peut- être
là , je le prouve encore par un troifieme.
monument hiftorique. L'Auteur des Geftes
de Dagobert nous apprend que ce
Prince la transféra ex vico , qui Catulliacus
dicitur , in alium ejufdem vici locum.
Ce n'eft pas là où eft le peut - être ; l'Auteur
eft pofitif fur la tranflation : quoiqu'il
débite quelques fables , on n'a pas
prouvé que c'en fût là une , & on ne le
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
pourroit que par pétition de principe ; la
chofe d'ailleurs eft fi peu merveilleufe !
Enfin puifqu'avant toutes chofes on doit
regarder comme certain que l'Abbaye n'a
pas toujours été à l'endroit où elle eſt aujourd'hui
, il faut bien de néceffité qu'elle
ait été transférée .
y
Mais que faut-il entendre par Vicus Catulliacus
? Le Bourg même de Saint Denys ?
Non affurément . Deux claffes de fçavans
s'y oppoferoient les uns , parce qu'ils ne
reconnoiffent point de Bourg en ce lieu
plus ancien que l'Abbaye même , quoiqu'à
tort, felon M. Lebeuf, comme on vient de
le voir n ° . LXIV ; les autres , parce qu'ils
feroient beaucoup mieux fondés à foutenir
que les Reliques des Saints Martyrs
n'ont point été fucceffivement en deux
lieux différens de ce Bourg . Refte donc à
expliquer le mot latin vicus , par le mot
françois rue ou chemin. Or cela pofé , il s'en
fuit que les Reliques & l'Abbaye de Saint
Denys ont été transférées d'un endroit du
chemin de Catolocus , en un autre endroit
du même chemin , par conféquent en un
endroit qui conduifoit de Paris au lieu précifément
où eft fituée préfentement cette
Abbaye , & nous touchons enfin au but.
Car je demande maintenant à M. Lebeuf
& à tous mes Lecteurs , quel peut être ce
SEPTEMBRE . 1756 . 109
chemin , fi ce n'eft la rue Saint Denys ?
& comme il faut fuppofer que l'Abbaye
de ce nom étoit hors de l'enceinte , ou la
mettre mieux que vers l'un des coins de la
rue Aubry- le- Boucher ? Si M. l'Abbé Lebeuf
s'etoit coëffé de cette opinion , il
ne fe contenteroit pas , comme j'ai fait ,
d'un fimple peut - être ; il trancheroit le
mot , & diroit hardiment qu'il ne fait aucun
doute que la chofe n'ait été ainfi .
Dans cette controverfe , tout dépend
des deux textes de la vie de Sainte Géneviéve
& du Poëme d'Abbon ; & l'Auteur
des Geftes vient encore à l'appui , puifqu'il
dépofe en faveur d'une tranflation faite du
temps de Dagobert , fans qu'on puiffe en
cela le convaincre de faux , ni accufer les
trois Auteurs de la moindre collufion entre
eux. Que l'on veuille à toute force les entendre
autrement que moi , je ne fçaurois
m'y oppoſer mais que l'on me montre
donc que je prends à gauche , & fur le
champ je me rendrai ; je viens de prouver
en plus d'un endroit de cet écrit , que je ne
m'aheurte pas trop pas trop à mon mon propre fens .
LXVI . Même page . « Quoique l'Eglife de
» Catolocum , où les Saints repofoient, foit à
deux lieues de Paris , elle a fouvent été
dite fituée à Paris même » .
ور
cr
Réflexions. Ces fortes de manieres de
110 MERCURE DE FRANCE .
s'exprimer font affez impropres. Cependant
je reconnois qu'elles ont été d'uſage
en bien des occafions : mais auffi n'eft- ce
pas uniquement là deffus que je me fonde ;
c'eft principalement fur ce qu'il eft prouvé
d'ailleurs que l'Eglife de Saint Denys étoit
en effet dans fon origine fi voifine de Paris ,
qu'elle touchoit , pour ainfi dire du temps
de Dagobert I , aux murs de l'enceinte feptentrionale
. Et delà il faut conclure néceffairement
que quoiqu'en géneral on air pu
dire lato modo, qu'une Eglife fituée à deux
lieues de Paris ou de Lyon , étoit à Lyon
ou à Paris , ceux qui ont affuré que l'Eglife
de Saint Denys étoit à Paris, doivent
être entendus ftricto modo , comme ayant
parlé d'une Abbaye fituée , non à deux
lieues de Paris , mais à Paris même. Ĵe renvoie
le Lecteur fur ces manieres de parler
à ce que j'en ai dit dans les Annales
( page 123 ) , à l'occafion de la mort de
Pepin- le-Bref.
LXVII. Même page. « Le chevet ou abfide
» de l'Eglife de S. Denys , étoit apparem-
" ment le lien où le Roi Dagobert fit
» tranfporter les trois corps Saints d'un
» autre lieu de la même Eglife ».
Reflexions. Voilà donc M. l'Abbé Lebeuf
qui veut bien reconnoître avec nous , que
du temps du Roi Dagobert , il fe fit une
SEPTEMBRE. 1756 . 112
tranflation des Reliques de Saint Denys ,
& des Compagnons de fon martyre . Mais
dans quel Hiftorien , ou fur quel monument
authentique a-t-il vu qu'il foit parlé de cette
tranſlation ? Je n'en vois point d'autre
que l'Auteur même des Geftes du Roi
Dagobert , cet Auteur fi fabuleux , diton,
& par cette raifon fi décrié dans l'efprit
de bien des Critiques. Or il ne di
pas que Dagobert transféra les Reliques.
d'un endroit de l'Eglife dans un autre endroit
de la même Eglife , mais d'un endroit
du chemin de Catolocus , dans un
autre endroit du même chemin , in alium
ejufdem vici locum , non ejufdem Ecclefia.
M. Lebeuf feroit- il donc plus clairvoyant
que cet Ecrivain , qui cependant , fuivant
Dom Martin Bouquet , étoit fort inftruit
de ce qui regardoit l'Abbaye de Saint
Denys , dont il étoit Religieux ?
LXVIII. page 190. « Ce fut beaucoup
d'obtenir des Normans en 857 , qu'ils
ne miffent point le feu à l'Eglife de S.
" Denys en France ».
Réflexions. Je remarque dans les Annales
( pages 146 & 147 ) que l'églife de
S. Denys qui fut épargnée cette année - là
par les Normans , étoit l'ancienne églife
Abbatiale de ce nom , laquelle étoit encore
fur pied aux portes de Paris ; ce qui
11 MERCURE DE FRANCE.
n'empêche pas que le Monaftere de S. Denys
en France n'ait pu être brûlé alors ,
comme il le fut en effet , s'il en faut croire
une ancienne chronique que je cite au
même endroit. Et pourquoi ne la croiroit-
on pas ?
LXIX. Pag. 192. « Quoique communé-
» ment l'on croye qu'il y eut des Moines à S.
Denys dès le regne de Dagobert , & c. ».
22
Réflexions. Dans cette page & dans les
fuivantes , il y a bien des chofes qui demanderoient
une longue difcuffion . J'y remarque
furtout , auffi-bien que dans plufieurs
endroits du même tome & des tomes
précédens , une affectation marquée de
renvoyer au temps des chimeres , non feulement
ce que les Moines ont foutenu &
foutiennent encore , que certaines Eglifes
en affez grand nombre , aujourd'hui féculieres
, leur ont autrefois appartenues ,
mais encore les privileges & les exemptions
de plufieurs de leurs Monafteres.
Ce n'eft point ici le lieu d'entrer en lice fur
ces matières-là contre le fçavant Académicien
, puifque je ne devois prefque me propofer
dans cet écrit qu'un nouvel examen
de quelques dates , & de quelques faits arrivés
fous les deux premieres Races de
nos Rois , fur lefquels lui & moi nous
ne fommes pas de même avis . Que feroitSEPTEMBRE.
1756. 113
ce s'il falloit parcourir de même la troifieme
Race , qui eft bien autrement étendue
, & qui fournit beaucoup plus de matiere
à réflexions que les deux autres.
LXX. Je n'ajouterai donc rien de plus
à ce petit nombre d'obfervations que ces
trois Volumes m'ont arrachées , pour
ainfi dire , dans un temps où je ne voulois
plus qu'il fût parlé de moi dans la
République des Lettres . Je le prierai feulement
de ne m'en fçavoir aucun mauvais
gré , puifque je n'en honore pas moins &
fa perfonne & fon fçavoir. Il y a déja plufieurs
années que je pris la liberté de mefurer
mes forces contre les fiennes au fujet
de la vraie fignification du mot Celtique
Dun ; & depuis ce temps - là nous n'avons
changé de fentiment ni l'un , ni l'autre
fans que le refpect , dont je ne me dérartirai
jamais à fon égard , en ait fouffert la
moindre altération . Mais fur ce même fujet
de difpute , il s'eft préfenté un nouvel
Antagoniſte que je n'avois garde de foupçonner
, & auquel , puifqu'il m'a fait
l'honneur de me nommer , je dois auffi
par occafion un petit mot de réponſe.
LXXI . M. l'Abbé Fénel , dans une
Differtation fur le mot Dunum , que l'on
trouve imprimée dans les Mémoires de
l'Académie des Infcriptions & Belles Let114
MERCURE DE FRANCE.
و د
ور
"
tres ( tome XX ) , s'exprime ainfi à mon
fujet ( page 41. ) : « Cette affertion nous
rappellera le fouvenir de ce que Dom
Touffaints du Pleffis a avancé avec une fi
»grande hardieffe , que le mot Dun ou
» Doun , ne fe trouvoit dans le bas Breton
» que pour fignifier Profond , & qu'il n'y
fignifioit jamais un lieu élevé . Il paroît
» que ce Pere a en cela confondu Dun &
» Doun , &c. Et page 42 : Il eſt affurément
» très-fingulier que Dom du Pleffis & les
Cangiftes , ayent ofe parler fi affirmati-
» vement fur l'abfence de la racine Dun
» hors de la langue Baffe - Bretonne , puif
qu'en un quart d'heure j'ai trouvé cette
» racine , ou une autre , qui y a un rap-
» port évident en quatre endroits du Dic-
» tionnaire de Roftrenen ».
сс
ود
Franchement , ne faut- il pas être bien
bardi pour ofer adopter fur l'interprétation
d'un mot Celtique l'idée qu'en a conçu
un homme qui a paffé la plus grande partie
de fa vie en Baffe- Bretagne , qui y a fait
une étude particuliere de la langue du
pays , qui en a fait un Dictionnaire raifonné
, & qui a employé près de trente ans
à la compofition de cet Ouvrage ? Cet
homme , c'eft Dom Louis le Pelletier , Religieux
Bénédictin de la Congrégation de
Saint Maur , que je crois avoir cité comme
SEPTEMBRE . 1756. IIS
mon garant dans la difpute qui s'etoit
élévée entre M. Lebeuf & moi . Son Dictionnaire
que j'avois entre les mains ,
n'étoit encore que manufcrit : on l'a imprimé
depuis , & voici ce qu'il porte en
propres termes :
DOUN , que l'on peut écrire Doufn , &
encore mieux Doumn , profond. Dounder ,
profondeur. Douna , approfondir , creuſer.
Les Irlandois difent Dein , profond. L'ancien
nom de region Domnonia , vient apparemment
de Doumn , mais mal repréſenté
par les Ecrivains Latins, qui l'ont écrit Danmonia
Dunmonia , nom que Cambden
fait venir de ab habitatione fub montibus
, parce qu'en Breton Dan fignifie deffous
, & Menez , montagne. Mais fi l'on
y fait attention , les lieux qui font fous les
montagnes ,font profonds ou bas ; & par confequent
Domnonia eft plus naturellement le
nom d'un pays de vallées , puifqu'il eſt fait de
Doumn , profond .... De notre Doumn
on Doûn , on a pufaire en y ajoutant Doûr ny
eau , le nom de Dordogne , ean profonde
& même plufieurs noms d'anciennes villes des
Gaules , lefquels finiffent en Dunum , qui eft
Dounum. Si elles font fuuées fur les hauteurs
, ily a des profondeurs . Le mot Dune ,
eft même fort équivoque ; car s'il fignifie
bauteur , il peut également marquer une
116 MERCURE DE FRANCE.
profondeur. En latin Altus a ces deux
fignifications. La plupart des Sçavans ont cru
que l'ancien mot Dun a fignifié une montagne
chez les Celies & chez les Gaulois. Ils appuient
cette opinionfur les élévations de fable
que l'on voit fur le bord de la mer , le long
des côtes de Flandre , & que l'on appelle encore
aujourd'hui les Dunes. Maisfi cette raifon
étoit valable , il faudroit en conclurre
que toutes les villes , dont le nom eft formé en
partie de Dun , ont été bâties fur des monceaux
, ou élévations de fable ; ce qui est
faux & ridicule .
Je ne prétends pas que tout ceci foit
écrit bien correctement , comme l'auroit
pu faire un Académicien : je n'adopte pas
non plus la conféquence que Dom Pelletier
tire du fentiment contraire au fien ,
que fi ce fentiment étoit vrai , toutes les
Villes , dont le nom eft formé en partie
du mot Dun , devroient être bâties fur
des monceaux de fable : cette conféquence
eft fauffe. Il devoit dire fimplement fur
des hauteurs , fur des montagnes , ou fur
des collines . Mais il n'en réfulte pas moins
de cet extrait du Dictionnaire de ce fçavant
Bénédictin, que, felon lui, le mot Dun
en bas - Breton ou en Celtique , ne fignifie
originairement & foncièrement que preford.
SEPTEMBRE . 1756. 117
Ce n'étoit donc pas moi , mais Dom
Louis le Pelletier , qu'il falloit taxer de
trop de hardieffe , fi en effet la thefe qu'il
foutient , après l'avoir étudiée pendant un
fi grand nombre d'années , étoit malgré
cela infoutenable. Mais je veux bien que
l'on s'en prenne à moi , quoique je n'y
fois pour rien , plutôt qu'à lui . Pourquoi
donc cette thefe eft- elle fi infoutenable ?
C'eft , dit M. l'Abbé Fénel , qu'il eft conftant
, ne fût ce que par le Dictionnaire du
R. P. de Roftrenen , Capucin , que Dun
en bas- Breton fe prend fouvent pour une
hauteur ou pour une élévation . Hé bien !
n'eft -ce pas là perdre abfolument de vue
l'état de la queftion ? On ne demande pas
ce que ce mot fignifie quelquefois , ou
fouvent , aujourd'hui , & depuis un certain
nombre de fiecles , dans la langue
Bretonne : on veut fçavoir ce qu'il fignifioit
primitivement chez les Celtes , finon
dans les fiecles les plus reculés , du moins
quelque temps avant que cette langue ait
été altérée par le commerce des Bretons
avec les Teutons , les Francs & les
Saxons. Je m'en fuis toujours tenu là dans
ma difpute avec M. Lebeuf; & je m'y
tiens fi bien encore , qu'il faut me forcer
dans ce retranchement , ou avouer de
bonne foi qu'on ne peut en venir à bout.
118 MERCURE DE FRANCE.
Mais n'y a- t'il pas de l'injuftice dans
mon procédé ? Car enfin exiger que l'on
me prouve que du temps de Céfar , par
exemple , le mot Dun fignifioit chez les
Celtes une colline ou une montagne , c'eſt
exiger l'impoffible. Avons- nous des écrits
Celtiques de ce temps- là , pour en pouvoir
venir à une preuve de cette nature ?
Je n'en fçais rien , car je n'ai pas feulement
appris les premiers élemens de cette
Langue. Tout ce que je fçais , c'eſt que
Dom Louis Pelletier , après l'étude profonde
qu'il en a faite , n'a point trouvé
au mot Dun ou Doun , d'autre fignification
que celle de bas ou profond ; non pas cependant
qu'il n'ait été un temps où on
le trouve auffi employé pour fignifier une
colline ou une élévation. Et c'est ce que
j'ai accordé bien formellement à M. Lebeuf
pendant tout le cours de la difpute
qui
nous a divifés , fans que j'aie eu befoin
pour cela de m'en rapporter au Dictionnaire
de Roftrenen , que je ne connois
feulement pas. Mais , ajoutois- je en même
temps , cette feconde acception ou fignification
du mot, n'eft pas du propre fonds de
la langue Celtique : ce doit être un emprunt
tiré de la Teutonique. En effet , M.
РАБЪ
l'Abbé Fénel nous apprend ici lui - même
( page 49 ) , que Dun dans la langue TeuSEPTEMBRE
. 1756. 119
tonne fignifie mons , collis , tumulus . Je
fuis bien fâché que Dom le Pelletier ,
n'ait pas fait attention à cela ; il auroit expliqué
avec moins d'embarras pourquoi
Dun en bas Breton fignifie aujourd'hui
bauteur , auffi bien que profondeur.
te
Car ce qu'il dit après tous les Grammairiens
, que le mot Latin alius fignifie
également haut & profond , ne fert de rien .
pour éclaircir la difficulté . Perfonne n'ignore
que dans toutes les Langues il y a
certaines expreffions qui fignifient les deux
contraires. C'eſt ainſi qu'en Latin encore
elevare fignifie élever & déprimer , quefperare
fignifie efpérer & craindre , &c. Tout
cela eft vrai généralement parlant : mais il
eft vrai auffi que ce n'eft qu'à certains
égards , & dans certaines circonstances
que l'on peut prendre l'un pour l'autre ,
fans quoi ce feroit abufer des termes &
confondre toutes les idées. Seroit- il permis
, par exemple , de dire mons profundus ,
au lieu de mons altus ou turris profunda ,
au lieu de turris alta , comme on pourroit
dire indifféremment puteus alius ou profundus.
Que M. l'Abbé Fénel ne dife donc plus
en taxant de trop de hardieffe Dom du
Pleffis , que ce Pere a confondu Dun &
Doun , puifque s'il y a ici de la confuſion ,
120 MERCURE DE FRANCE.
"
ce qu'il ne faut pourtant pas croire , elle
doit retomber toute entiere fur Dom le
Pelletier . Que cet Académicien dife encore
moins ( page 43. ) : " Qu'il croit avoir
prouvé fans replique , que le mot Dun
" ou Tun eft encore fubfiftant dans la langue
» des Bas- Bretons , pour fignifier une Colline
». Je prouverois de même , fi c'étoit
là ma façon de prouver , qu'un enfant
né le 31 Décembre 1755 , étoit encore en
vie en 1755.
»
LXXII. Mais revenons aux nouvelles
Annales de Paris , fur lefquelles il me
refte encore trois ou quatre réflexions à
faire pour ma juftification , foit devant le
Public , foit devant le fçavant Ecrivain qui
en a donné l'extrait dans le Journal des
Sçavans , au premier volume de Décembre
1753. Je traite , dit- il , de puérilités les
étymologies du mot Parifii que plufieurs
ont tirées du grec ; & cependant j'adopte
celle des Bollandiftes , qui le dérivent de
la prépofition Greque , propè , juxtà ,
& du mot Ifia , qui eft le nom propre
de la riviere d'Oife. Cela eft vrai : mais
outre que la fyllabe par pourroit bien
n'être pas plus Greque que Celtique , Ifia
de fon côté n'eft pas un mot Grec ; d'où il
s'enfuit que le mot entier ne feroit pas
Grec d'origine , comme l'ont imaginé
quelques - uns
SEPTEMBRE . 1756. 121
quelques-uns de ceux dont je blâme avec
raifon les étymologies , ceux , par exemple,
qui veulent que Parifii foit pour Parrhifii.
Je crois , fuivant le même fçavant Journaliſte
, que le mot latin Locuticius , donné
à la montagne Sainte Géneviéve , eft
dérivé du Celtique Leng- tec , qui fignifie
Belle-pierre ; & dans le deffein de donner
une preuve de cette étymologie , je renvoie
, dit- il , à l'endroit où je dis que le
Parloir des Bourgeois , Locutorium Civium,
étoit au pied de cette montagne : ce qui
paroît détruire entierement l'explication
que je veux établir , puifqu'il eft bien plus
fimple de dériver Locuticius de Locutorium ,
que de Leng- tec. Mais moi , je crois tout
au contraire , & je ne ferai pas feul de
mon avis : 1°. Que le nom de la Ville
étant précisément le même que celui de la
Montagne , il doit auffi avoir de part &
d'autre la même fignification ; à moins
qu'on ne veuille que le Parloir ait auffi -
donné fon nom à la Ville , ce qui feroit
abfurde : 2°. Que la montagne étant plus
ancienne que la Ville , étoit par conféquent
plus ancienne que le Parloir ; & qu'avant
qu'il y eût à Paris un Parloir des Bourgeois,
avant même les Parifiens fçuffent parler
Latin , cette Montagne devoit avoir un
que
F
122 MERCURE DE FRANCE.
nom ; que parconféquent ce nom ne pouvoit
point tirer fon origine du mot latin
Locutorium : d'ou il réfulte néceffairement
qu'il en faut revenir au pur Celtique lengtec:
3 ° . Que fi la Montagne avoit tiré fon
nom de celui du Parloir , on l'auroit appellée
en Latin , non Locuticius , mais Locutorius.
Et par toutes ces raifons je perfifte
dans ma conjecture , fi cependant on
doit l'appeller ainfi , & fi ce n'eft pas plutôt
une de ces étymologies qui , comme le dit
le fçavant Journaliſte , font frappantes par
leur jufteffe.
Eft- il vrai que , felon moi , il n'y avoit
point anciennement à Paris d'Officiers
municipaux , fous le titre de Défenseurs de
Cité ? Pour fçavoir ce qui en eft , je renvoie
le Lecteur aux pages 8 & 13 , où
je fuppofe manifeftement qu'il y en
avoit , ou qu'il pouvoit y en avoir , mais
feulement depuis l'Empereur Valentinien
I.
Enfin , s'il en faut croire le fçavant Journaliſte
, je fixe à l'an 250 de J. C. l'arrivée
de Saint Denys à Paris ou dans les
Gaules mais il me permettra de lui repondre
que je la fixe & en titre , & dans le
corps du difcours , avant l'an 250. J'y
combats même de toutes mes forces cette
date préciſe de l'an 250 ; & j'infifte ici
SEPTEMBRE . 1756 . 123
là deffus , parce que la chofe eft de conféquence.
Il y a encore dans le même article du
Journal quelques endroits qui font viſiblement
répréhenfibles : par exemple , que s'il
faut ajouter foi à mes Annales , la Compagnie
des Négocians par eau à Paris , fous
le nom de Nautes , fut établie l'an 200 de
J. C. il falloit dire vers l'an 20 de J.C :
que la Montagne qui eft au Nord- oueft
de la Ville , portoit autrefois le nom de
Mary- Mont- Martis , d'où l'on a formé.
celui de Mont- martre , & c. Je n'entends
rien à ce Mary. Mais ce font-là fans doute
des fautes d'impreffion , c'eft à- dire de
vraies minuties auxquelles il eft inutile
de s'arrêter.
RÉPONSE
Aux Réflexions de Dom Touffaint Dupleffis ,
Bénédictin , inférées dans les Mercures de
Juin , Juillet & Août , contre l'Hiftoire
de Paris , par M. l'Abbé Lebcuf, de l'Académie
des Belles- Lettres .
Mon R. P. on ne peut
qu'approuver
le parti que vous avez pris de publier
dans le Mercure vos Annales de Paris ;
Fij
124 MERCURE DE FRANCE
c'eft un bon moyen de les faire con
noître.
Votre annonce fuppofe qu'elles ont
befoin d'un fupplément. Je n'ai pas intention
d'infirmer ce jugement : je veux feulement
répondre aux difficultés que vous
formez dans le cours de vos réflexions
contre l'Hiftoire de M. l'Abbé Lebeuf.
Ces réflexions font de trois fortes : 1 °.
les unes attaquent l'Académicien dans fes
conjectures ; 2. la plûpart énoncent qu'à
certains égards vous penfez comme lui ; 3 ° .
quelques- unes enfin lui font abfolument
oppofées , & ont un air de vraiſemblance
qui demande qu'on les réfute. Je néglige
celle à qui le texte de l'Auteur fert de
réponſe.
1. Votre premier grief me paroît deftitué
de fondement. Qu'y a t'il d'irrégulier
dans la méthode d'un Sçavant qui propoſe
ſes doutes avec réferve ? Lequel eft
plus raifonnable de celui qui donne
pour évident ce qui n'eft que vraisembla
ble , ou de celui qui prend le ton de l'évidence
pour autorifer fes doutes . Cependant
vous trouvez mauvais que dans fes conjectures
, M. l'Abbé Lebeuf emploie ordinairement
le mot de peut-être ?
2. Il est affurément fort flatteur pout
votre Adverfaire de fe rencontrer avec vous.
SEPTEMBRE . 1756. 125
Si vous penfez comme lui , pourquoi publier
cette conformité fous l'appareil de la
critique ? A chaque inftant vous citez votre
ouvrage comme une pierre de touche
qui doit fervir d'épreuve, & décider du mérite
de l'Hiftoire de Paris : peut- être M.
l'Abbé Lebeuf a- t'il pour vous la déférence
que vous exigez mais le Public qui fe
plaît à interpréter malignement les chofes ,
quel jugement portera-t'il de cette affectation
?
:
3. A la page 21 de l'Avertiſſement
du premier tome de l'Hiftoire de Paris ,
eft une conjecture placée en note : l'Auteur
la donne pour telle . Mais comme le ton
conjectural ne vous plaît pas , vous ſemblez
vous armer de toutes pieces pour la
combattre.
Que porte cette conjecture ? Elle confifte
à dire , 1 ° . que les Relations de
Sainte Géneviève avec Saint Simeon Stylite
, ne font pas un fait certain ; 2 ° . qué
fi l'on perfifte à admettre quelque corref
pondance entre cette Sainte & un Saint
Simeon , il faut l'entendre d'un Saint
Simeon Solitaire de l'Auxerrois , en l'honneur
de qui il y avoit une Eglife érigée au
feptieme fiecle , fur le chemin d'Auxerre
à Paris.
Si cette opinion produite fous un titre
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
auffi modefte , vous révolte , quel blâme
n'encourroit pas de votre part tout Littérateur
affez ofé pour en faire un fentiment
? Effayons pourtant de montrer qu'il
approcheroit infiniment de la vérité .
1. Il eft peu de Légendaires au témoignage
defquels il n'y ait quelque chofe
retrancher ou bien à ajouter . Ils donnoient
trop au merveilleux , outre que
fouvent ils écrivoient fur des oui - dire &
fur des rapports fufpects . N'allez pas nier
cette maxime ; vous vous trouveriez en
contradiction avec les plus éclairés de nos
Critiques , avec feu M. l'Abbé des Thuilleries
en particulier . J'ai vu une lettre de ce
Sçavant adreffée à M. Lebeuf , où ce principe
eft développé fort au long comme une
vérité reconnue.
Il y a , dites- vous , plufieurs Vies de
Sainte Géneviève ; on le fçait : mais parmi
ces Vies , la premiere eft la feule authentique
; les autres n'en font que des copies
informes ; & M. Baillet qui les avoit
fous les yeux , décide que ces Vies poftérieures
ne font pas recevables. L'Auteur de
la premiere eft le feul qui mérite le nom de
Compofiteur. Il écrivoit au plutôt en 5 20.
Il y avoit alors près de 60 ans que Saint
Simeon Stylite n'étoit plus. Soixante ans
dans un fiecle d'ignorance ne font-ils paş
SEPTEMBRE . 1756. 127
un efpace fuffifant pour fuppofer que la
tradition a pu être altérée ?
Mais encore que porte le texte de cette
premiere Vie ? affirme- t'il la chofe ? Voici
fes termes : Saint Simeon ... Quem aiunt
negotiatores de Santâ Genovefa interrogaffe ...
, utfui memor effet , popofciffe ferunt . Cet
aiunt & ce ferunt expriment certainement
un doute bien favorable au fentiment qui
fait ombrage à vos lumieres. Montrons préfentement
que fi l'on perfifte à reconnoître
un S. Simeon qui s'eft recommandé aux
prieres de Sainte Géneviève , on ne doit
point l'aller chercher ailleurs que dans
l'Auxerrois .
2. Les Annales de votre Ordre au lieu
cité apprennent qu'au feptieme fiecle , il y
avoit près d'Auxerre une Eglife érigée en
l'honneur d'un S. Simeon Solitaire , originaire
du canton . M. l'Abbé Lebeuf, dans le
cours de fes recherches , a decouvert deux
légendes manufcrites reliées enſemble :
l'une eft la Vie du Solitaire de l'Auxerrois ;
l'autre eft la Vie du Stylite d'Orient . La
tradition porte qu'autrefois l'Eglife où l'on
a decouvert le double manufcrit étoit fous
l'invocation du premier ; que par le laps
des temps , le culte du deuxieme a prévalu
à caufe du merveilleux de fa vie. Aujour- ,
d'hui cette Eglife eft fous l'invocation du
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
Stylite. Je tire delà une conféquence unique
, fçavoir que dans l'Auxerrois on a
confondu , à la faveur de la reſſemblance
des noms , un Solitaire du Canton avec le
Stylite d'Orient .
Revenons préfentement au texte des
Annales de votre Ordre. Fixer au jufte le
temps où vivoit le Saint Simeon honoré
dans l'Eglife fituée fur le chemin d'Auxerre
à Paris, feroit une entrepriſe impoffible.
Aucun monument ne fournit cette date.
Quelque ennemi que vous foyez des conjectures
, je vous propofe celle- ci : elle
tend à demontrer que le Saint Simeon en
queftion , étoit au moins contemporain de
Sainte Géneviève & du Stylite.
Le témoignage qui attefte l'exiſtence
d'une Eglife de Saint Simeon au feptieme
fiecle , ne dit pas que la Bafilique érigée
en l'honneur de ce Saint du canton , fur
récemment bâtie. Le texte qui me fert d'appui
bien médité , donne à entendre que
le temps de ce récit doit être placé au
commencement du feptieme fiecle . L'efpace
écoulé depuis que l'Eglife étoit bâtie
joint à celui de la canoniſation du Saint ,
en conféquence de fes miracles par le ſuffrage
des peuples , font deux circonftances
bien fuffifantes pour remplir ce qui s'eft
écoulé depuis Ste Géneviève ou le S.Simeon
SEPTEMBRE . 1756. 129
d'Orient , jufqu'à l'époque en queftion.
Le bruit des vertus de Sainte Géneviéve
pouvoit avoir été répandu dans l'Auxerrois
par deux moyens bien fimples ; le
commerce de l'Yone & de la Loire ; l'intimité
qui fubfiftoit entre Sainte Géneviève
& Saint Germain , Evêque d'Auxerre.
Premiérement , fi vous aviez lu la Differtation
M. l'Abbé Lebeuf a autrefois
compofée fur les vins d'Auxerre
vous fçauriez que ces vins étoient déja célebre
au cinquieme & fixieme fiecles . Voici
à ce fujet un trait qui eft fans réplique :
que
Il eft dit dans la Vie de Saint Germain
( vers l'an 440 ) , que le Saint Prélat
ayant raffemblé quelques Difciples en
Communauté , il leur donna un vignoble
fitué fur un coteau ( Monticellus : on
croit dans le pays que c'eft Mêve ) . Voyez
l'Abbé M. S. part. 1 , cap. 7 , p. 415. La
citation que vous produifez eft poſtérieure
à celle- ci de plus de 500 ans.
Ignorez- vous l'ancienneté du commerce
de l'Yone ? Lifez la fçavante Differtation
de M. le Roi fur les Nauta Parifiaci ,
placée à la tête de l'Hiftoire de Paris , par
D. Félibien. On en fait une pareille mention
dans une Differtation fur le Commercede
la France , fous les Rois de la premiere
Race , imprimée à Amiens en 1753.
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
Tout ceci montre que M. l'Abbé Lebeuf
connoît mieux que perfonne le local de
l'Auxerrois ; & quand vous prétendez
que l'amour de la patrie eft un foible qui
induit en erreur , à combien de Poëtes
élégans & de graves Hiftoriens rompezvous
en vifiere , lorfqu'ils vantent cet
amour comme un fentiment naturel qui
honore celui qu'il affecte ? Quelle que foit
au refte votre façon de penfer , jamais
votre opinion n'infirmera cette maxime ;
qu'un habile homme confommé dans la
connoiffance des ufages & de l'Hiftoire de
fon pays , doit y découvrir bien des chofes
qui peuvent naturellement échapper à
d'autres.
Je pourrois beaucoup infifter fur les
relations de Sainte Géneviéve & de Saint
Germain d'Auxerre. Combien n'eft-il
pas
maturel de penfer que le Prélat témoin de la
vie exemplaire de la Sainte , l'aura propofée
pour un modele de conduite à ceux qu'il
avoit raffemblés en communauté ? Qui
fçait même fi le Solitaire en queftion n'étoit
pas de fes Difciples ? Ce foupçon feroit
très légitime .
Mercure de Juin , page 106. Vous voulez
apparemment égayer la matiere par une
contrevérité plaifante , quand vous foutenez
que Saint Denis n'eft pas venu à Paris
SEPTEMBRE . 1756. 131
par le grand chemin ; il n'y a pourtant pas
d'apparence qu'il y foit venu à travers
champ.
:
Le raifonnement dé M. Lebeuf eft bien
fimple appuyé fur le texte de l'itinéraire
d'Antonin , il rappelle à fon Lecteur
qu'il y avoit aux premiers temps de l'Ere
chretienne , une chauffée fameufe par
laquelle on arrivoit de Rome à Lyon ;
qu'une autre chauffée conduifoit de Lyon à
Paris. Confultez D. Bouquet , tome premier
, page 106 , vous trouverez que cette
voie fameufe paffoit fucceffivement par
Cone-fur- Loire , Briare , Belca , Cenabum ,
& Salioclita , proche Eftampes. C'eſt une
verité encore plus évidente que cette route
aboutiffoit à Paris vers le Fauxbourg Saint
Jacques cent monumens l'atteftent.
Parlez -vous férieufement quand vous
avancez qu'il eft plus aifé de fe cacher au
milieu d'une Ville bien fréquentée que
dans un coin folitaire de fes Fauxbourgs ?
Prêter à Saint Denis une telle conduite ,
n'eft- ce pas le fuppofer deftitué de la prudence
la plus commune ?
En effet , comparons la miffion de cet
Apôtre & de fes Compagnons à l'expédition
d'un peloton de braves gens , &
nous ne pécherons pas contre la vraifemblance.
Ils venoient déclarer la guerre
F vj
132 MERCURE DE FRANCE .
aux paffions , & ruiner l'empire de l'idolâtrie.
Que fait un Capitaine pour s'emparer
d'une Ville ? Il ne va pas braver le
danger par une fougue indifcrete : ainfi
eft- il probable que Saint Denis aura d'abord
fixé fon féjour dans quelque endroit
écarté , pour y méditer les moyens de
gagner des ames à Dieu.
Les réflexions inférées dans le Mercure
de Juillet , ne demanderoient pas de
replique , fi à la page 1 30 , no. 10 , vous
n'euffiez pas avancé ce qui fuit :
Je foutiens dans mes Annales ... dites
vous , que jamais les Normands n'ont été
maîtres de la Cité de Paris : Il falloit ajouter
ces mots malgré l'autorité de Prudence ,
Ecrivain contemporain ; car cet Auteur
expoſe ainfi l'événement que M. Lebeuf
raconte Pirata ( 1 ) Dani 5. Kalend. Januar.
Lutetiam Parifiorum invadunt atque
incendio tradunt . A un témoignage auffi
ancien & auffi formel , qu'oppofez- vous ?
Vos propres Annales : il leur manque un
titre pour mériter cette préférence , c'eft
d'avoir 900 ans de plus.
Initié dans le fecret de connoître par
vous-même ce qui fe paffoit dans les temps
anciens , vous avancez dans vos Annales
plus d'une opinion de ce genre. A quel
(1 ) Annal. Bertin , ann. 857.
SEPTEMBRE. 1756. 1330
titre prétendez - vous , par exemple , qu'il
avoit autrefois une Eglife de Saint Denis .
dans la rue Aubry-le- Boucher ? A qui propofez-
vous votre conjecture de Catolocus ,
pour Chantilly qui n'exiftoit pas , pendant
que les Sçavans conviennent que ce Catolocus
eft Saint Denis ?
Permettez-moi , mon R. P , de vous
dire que le foin de revifer vos Annales
vous occuperoit plus utilement que l'attention
de ( 1 ) retoucher certains textes de
'Hiftoire de Paris , les abrégeant quelquefois
pour la commodité du Lecteur. Vous vous
appliqueriez plus d'une fois dans le fecret
le reproche que vous faites à votre Adverfaire
de (2 ) croire ce qu'il ne faut pas
croire du tout , pas même comme une chofe
qui ait quelque apparence de preuves.
La prolixité n'a jamais été le défaut de
M. Lebeuf : vous en convenez. Quand à
l'occafion de la diftribution des Reliques
de la Collégiale de Saint Maur , vous
dites ( 3 ) que voilà un récit bien maigre. M.
Lebeuf en dit affez.
Devroit - il ajouter que M. l'Archevêque
l'appella à cette diftribution ; qu'il
fut confulté avec diſtinction ; que fon habi
( 1 ) Mercure de Juin , p . 100 ,
(2 ) Ibid. p. 105.
(3) Juillet , p. 136.
#34 MERCURE DE FRANCE.
leté à déchiffrer plufieurs billets d'une écriture
antique & barbare , furprit les affiftans
; que même il combla de joie D. Lanneau
votre Général, & vos premiers Supérieurs
, en leur indiquant des titres qui
leur manquoient pour conftater l'authenticité
d'une partie des Reliques de S. Maur ?
Cet aveu lui eût trop couté : d'ailleurs il
cût dérogé au caractere de modeftie & de
fimplicité qui le diftingue.
J'ai l'honneur d'être , &c.
LETTRE A M. DE BOISST
Permettez - moi , Monfieur , de joindre
ma foible voix aux applaudiffemens que
votre Mercure reçoit à fi jufte titre. Si les
louanges peuvent récompenfer un Auteur ,
vous n'avez pas à vous plaindre. Souffrez ,
s'il vous plaît , Monfieur , que j'aye l'honneur
de vous adreffer cette lettre qui tirera
tout fon mérite de l'ufage que vous voudrez
bien en faire .
Il est bien vrai que l'erreur citée par
l'Auteur de la lettre du fecond volume du
Mercure de Janvier 1756 , à la
page 111 ,
n'eft pas plus dans mon exemplaire de
l'ouvrage de M. de la Rue , que dans ceux
des Auteurs des lettres du fecond volume
SEPTEMBRE. 1756. 135
d'Avril , page 99 & fuiv. La fauffeté de
l'exemplaire où elle a été trouvée eſt la
caufe de tout le mal . Au refte , fi j'entreprends
de faire cette opération avec fa
preuve tant fur l'envoi de la fomme propofée
que fur le retour , c'eft uniquement
afin que la réponſe foit exacte & que les
reftes n'y foient pas négligés.
Change de France fur Hambourg.
1730 l. 18 f. 6 d. de France font dûes à
Hambourg, le change a 1771. de France .
pour 100 marcs lubs d'Hambourg ; on demande
combien on aura defdits marcs ,
lubs , fols , & c.
Opération.
Si 1771. donnent 100
355, je prens le
5° 71
200
marcs d'Hamb.
combien aurat'on
de marcs
avec 1730 l. 18 f. 6 d .
40
69237 ( 71
533
367
975 m.2f.Sd. 37.
12
192
so
600
refte
32
136 MERCURE DE FRANCE:
La réponfé eft donc que l'on aura 975
marcs , 2 fols , 8 deniers , 3. La fraction
eft inutile à la vérité pour l'opération :
mais elle fert au moins pour la juſteſſe de
la preuve.
M. de la Rue dit à la page 360 de fon
livre , que le change de 1771. pour 100
marcs , eft égal à 27 fols lubs pour 3 k
cela n'eft pas exactement vrai , c'eft 27 f.
o d . 363 , comme on le verra par la preuve .
Si je releve cette petite erreur , ce n'eft
que pour fatisfaire à l'obligation que je
me fuis impofée de ne rien négliger.
Preuve.
l. Si 27 f.od.... 3 1. :: 975 m . 2 f. 8 d . 32.
324
71
16
15602 f.
187232 d.
71
23040 pren.le 12. 13 293 504
1920 le 12° 1107792
92316
160 le 10°
16
le 4
e
9234 12
4
le 4
2307 18
I 576 19 6
je multiplie par 31.
Réponse 1730 1. 18 f. 6 d .
SEPTEMBRE. 1756. 137
preuve
Cette donnant le retour précis ,
me paroît d'autant meilleure , que je la
crois moins embarraffante que
celle
que
l'on
fait
par
la méthode
ordinaire
: c'eft
aux
connoiffeurs
, à qui
je la foumets
, à en
décider
. Cette
maniere
d'opérer
paroîtra
hafardée
mais
examinée
de près
, elle
pourra
mériter
quelques
fuffrages
.
J'ai encore trouvé à la page 103 du
même Mercure d'Avril une opération
pour fçavoir combien 273 chofes à 19 f.
doivent rapporter. La façon dont cette
regle eft faite , n'eft autre chofe que la
maniere d'opérer par la piece de 2 fols ,
maniere déja ancienne & pratiquée par
prefque tous les Arithméticiens . Outre fa
longueur , l'inftruction qui la développe ,
me paroît difficile à entendre pour ceux
qui ne font pas bien au fait du calcul , &
encore faut-il opérer pour le fol qui reſte
après le 18 , ce qui fait deux opérations
fans l'addition qui en fait une troifieme ;
il me femble qu'on peut abréger en diſant ;
273
19
5187
Réponſe 2591.7f
.
On pourroit encore plus abréger cette
opération , en confidérant qu'il ne s'en
•
138 MERCURE DE FRANCE.
faut que d'une unité de fols ou un 20° , que
nous n'ayons 273 1. fi le prix étoit à 20 f.
ou 1. Il fuffit donc de tirer ce 20º de la
quantité & de le fouftraire : la réponſe
vient de fuite , ainfi qu'on va le voir.
273
tirez le 20°
13 l. 13 f.
Réponſe 2591. 7 f.
J'ai l'honneur d'être , &c.
LABASSEE , Graveur de Muſique.
ce 16 Juin 1756 .
BIBLIOGRAPHIE médicinale , raifonnée ,
ou Effai fur l'expofition des Livres les plus
utiles à ceux qui fe deftinent à l'étude de
la Médecine.
Ce Livre contient les réflexions de l'Auteur
fur les meilleurs Ouvrages qu'un jeune
Médecin doit principalement étudier
avant que de pénétrer dans le labyrinthe
de l'étude des maux qui affiégent l'humanité.
Nous répétons ici fes propres termes.
Il pourra lui fervir comme de guide dans
la diftribution de fes études. L'Auteur a
fait ce qu'il auroit fouhaité qu'on eût fait
avant lui , lorsqu'il commença à étudier la
Médecine. Un Ouvrage où les jeunes
Médecins trouveront rangés par ordre les
Livres François & Latins qu'ils doivent
SEPTEMBRE . 1756 . 139
lire d'abord , a donc quelque droit à l'eftime
du Public , s'il eft bien fait . C'eft aux
Maîtres de l'Art à prononcer fur le mérite
du Livre ; nous ne prononcerons que fur
l'intention de l'Auteur qui eft fans doute
très louable. Beaucoup de recherches
beaucoup de réflexions , beaucoup de travail
enfin , auront toujours un prix indépendant
du fuccès , quand le deffein d'être
utile en aura été le motif.
Cette Brochure de près de 500 pages ,
fe vend chez Ganeau , rue Saint Severin , à
Paris.
Le premier Volume de la NOUVELLE
MÉTHODE pour apprendre la Langue Latine
, &c. par M. de Launay, vient de paroître
chez la veuve Robinot , Quai des Auguftins
, & Babuty , fils , même Quai ,
1756.
NOUVEL Effai de Poëfies Sacrées , ou
nouvelle interprétation en vers de Cantiques
de l'écriture & de Pfeaumes , dans
laquelle on s'attache fcrupuleufement au
vrai fens de l'Auteur Sacré ouvrage accompagné
de Cantates fur des fujets pris
dans les Livres faints ; par M. l'Abbé Séguy
, de l'Académie Françoife , Abbé de
Genlis & Chanoine de Meaux. A Meaux ,
140 MERCURE DE FRANCE.
chez Laurent Courtois , Imprimeur de M.
l'Evêque .
Le Traducteur déclare dans fa Préface
qu'il a fuivi pas à pas l'Auteur Sacré , &
qu'il n'a ajouté au texte que quand la
néceffité de le faire entendre l'y a forcé.
Il nous a paru que l'exactitude n'a rien
pris fur la force des images , & que M.
l'Abbé Séguy n'a pas été moins fidele à
rendre l'efprit que la lettre. Quelques endroits
que nous allons extraire du Cantique
de Judith , le prouveront mieux que
nos éloges :
Arbitre des allarmes ,
Le Seigneur à fon gré met en poudre les armes
Des Conquérans foumis.
Au milieu de fon peuple , étoit quoiqu'invifible ,
Etoit fon camp terrible ,
Pour fauver Iſrael d'un monde d'ennemis.
Defcendu des montagnes ,
Le Chef Affyrien rangeoit dans mes campagnes
Ses nombreux bataillons .
Jufques dans les torrens , fon armée épandue
Epouvantoit la vue ,
Ses efcadrons preffés inondoient les vallons.
Il juroit , plein de rage ,
Qu'il porteroit chez moi la flamme & le ravage
En Vainqueur irrité,
SEPTEMBRE . 1756 . 141
Il devoit n'épargner enfance ni vieilleffe ,
La mort à la jeuneffe ,
A mes filles , l'opprobre & la captivité.
Mais dans fa fougue extrême ,
Loin de porter ces coups , il va tomber lui-même
Sous ceux de l'éternel .
Dieu le livre , enchaînant les fureurs de fon ame
Au pouvoir d'une femme :
Par les mains d'une femme , il frappe le cruel.
RELATION de la pefte dont la Ville de
Toulon fut affligée en 1721 , avec des
obfervations inftructives pour la postérité.
On a pour objet l'utilité publique en
publiant cet Ouvrage. M. d'Entrechaus ,
qui en eft l'Auteur , étoit premier Conful
de cette Ville pendant ladite année. Son
expérience le met en état de propofer
nos defcendans les moyens de fe garantir
de la pefte ou d'en arrêter les progrès. Il a
divifé fon Ouvrage par Chapitres. Après
avoir démontré quelles font les premieres
précautions qui peuvent garantir une Ville
de ce fléau , il entre dans le détail des
malheurs que Toulon éprouva.
A Paris , chez les freres Eftienne , rue
S. Jacques , à la Vertu.
LETTRE à Madame de ... fur les affaires
du jour , ou réflexions politiques fur l'a142
MERCURE DE FRANCE .
fage qu'on peut faire de la conquête de
Minorque , fuivies d'un état circonftancié
des Inles de Gerzey & de Guernezey , &
précédées de l'analyfe hiftorique de nos
conteftations avec les Anglois. Cet Ouvrage
eft celui d'un Citoyen zélé & d'un politique
raifonnable. On le lit avec plaifir ,
& on y applaudit naturellement. C'eſt un
efprit bienfait qui a conduit une plume
ingénieufe.
Brochure de 77 pages , fans nom d'Auteur
ni de Libraire.
VOYAGES récréatifs du Chevalier de
Quévédo , écrits par lui -même , rédigés &
traduits de l'Eſpagnol , 1756. Se trouvent
à Paris , chez Lottin , rue Saint Jacques ;
Lambert , rue de la Comédie Françoiſe ;
Piffot , Quai de Conti , & Duchesne , ruc
S. Jacques.
Sans vouloir déprimer le mérite de la
traduction , nous craignons que les faillies
de Quévedo ne faffent pas en France
la fortune qu'elles ont faite en Eſpagne.
La plaifanterie eſt un genre où nous fommes
d'autant plus difficiles , que nous y
fommes plus exercés , & qu'il faut qu'elle
joigne , pour nous plaire , les graces de la
fineffe au piquant de la nouveauté. Voilà
pourquoi les plaifantéries étrangeres ,
SEPTEMBRE. 1756. 143
quelque bien qu'on les traduife , font rarement
de notre goût , & bleffent ce que
nous appellons le bon ton.
»
وو
MÊLANGES LITTÉRAIRES . Brochure in-
12. où l'on trouve de l'efprit , & quelquefois
des chofes . Parmi quelques differtations
ou lettres , il y en a une fur le goût
des François en matiere de littérature qui
nous fournit quelques réflexions. L'Auteur
débute ainfi : « Qu'est- ce que le goût ? Je
» n'en fçais rien , & fi je le fçavois je ne le
dirois de pas trop gens ont intérêt que
» les idées de l'efprit & du goût ne foient
» jamais fixées » . Nous ne penfons pas de
même à beaucoup près. Le goût n'eft ni
auffi inexplicable ni auffi indéfini , que
l'Auteur veut le dire. On en a donné des
définitions qui ont du moins fervi à le
faire entrevoir , ce qui prouve toujours
affez contre l'opinion de ceux qui prétendent
qu'on ne fçauroit abfolument dire
ce qu'il eft. A l'égard de la réferve que
l'Auteur dit qu'il auroit s'il le connoiffoit
mieux , c'eſt facrifier la charité aux égards.
L'Auteur , par cet aveu , s'expofe à faire
penfer qu'il ne fe foucie pas beaucoup
d'inftruire & d'être utile. Autre queſtion .
Ya- t'il quelque chofe qu'on puiffe appel-
» ler le goût général d'une nation en ma144
MERCURE DE FRANCE.
tiere de littérature » ? Oui , fans doute:
Un bon ouvrage réunit toujours les fuffrages
de toute une Nation : cette unanimité
prouve certainement un goût général;
c'eft un oracle formé de toutes les voix. Il
y a bien toujours quelques légeres parties
du tout le plus admiré , qui effuient quelques
conteftations , & fur le mérite defquelles
il n'eft pas même poffible que les
efprits foient bien d'accord ; mais l'enfemble
refte toujours en poffeffion d'une approbation
unanime. Il nous femble que cela
prouve un goût général dans une Nation ,
& que la chofe n'eft point du tout problématique.
Dans le cours de fa Lettre l'Auteur
dit : « Un des progrès de l'efprit philo-
» fophique dans le dix-huitieme fiècle , eſt
» de n'en pas toujours croire Defpréaux fur
» fa parole. Mais devons- nous croire da-
» vantage cette voix qui nous crie fans
» ceffe le goût tombe , les talens dégénerent ,
» le bel- eſprit a tout perdu , les beaux jours
» des Lettres font paffes, & c » ? Nous croyons
qu'on doit écouter cette voix fans la méprifer
ni la croire tout- à- fait , à peu près
comme on écoute un radoteur qui laiffe
voir quelque raifon.
Nous ne paffons point aux autres articles
qui méritent pourtant d'être lus. Le
premier eft une Lettre hiftorique fur Gaſton
de
t 145 SEPTEMBRE . 1756.
de Foix , Duc de Nemours. On y trouve
des anecdotes affez curieufes.
Ces mêlanges finiffent par quelques
Pieces de Poëfie , où l'on rencontre quelquefois
des vers ( ce qui eft plus rare aujourd'hui
qu'on ne penfe ) . Telle eſt celle
que nous allons ici tranfcrire , & qui eſt
la derniere du Livre. C'eft une Epître de
Madame de ...à M. le Comte de ... qui
étoit parti pour l'armée fans lui dire adieu :
Comte charmant , que chaque Belle
A droit d'enflammer à fon tour ,
Vous , dont l'ardeur univerfelle
Embraffe la Ville & la Cour ,
Vous , qui du regne de l'Amour
N'avez jamais vu que l'Aurore ,
Vous , partez : vous jouez ce tour
A Life , qui pendant un jour
Vouloit fur vous régner encore ;
Et qui pour ce projet fi beau
Avoit d'un caprice nouveau
Inventé l'heureux artifice !
Vous jouez ce tour à Clarice
Qui s'arrangeoit pour vous bouder demain ;
Et qui devoit le lendemain
Des billets de Damon vous faire un ſacrifice ! ..
J'entends , vous foupirez , je reſpecte vos pleurs :
Je fuis votre parente , & de plus votre amie ,
Le devoir rigoureux & la gloire ennemie
G
146 MERCURE DE FRANCE.
Vous arrache ( 1 ) à tant de douceurs :
Confolez-vous pourtant de cette barbarie ;
Vous trouverez partout & des yeux & des coeurs ,
De la mode de la folie.
Victime de l'Amour & du courroux des Dieux ,
Ovide gémiffoit loin des bords d'Italie :
Il vit un tendron de Scythie
A l'air gauche , au ton plat , excédant , ennuieux ;
Mais laBrunette étoit jolie :
Il la mit à la mode , & bientôt dans les yeux
Il retrouva Rome & Julie.
Vous ferez comme lui, Comte , & peut-être mieux.
Mais non , la trahifon pourtant feroit trop noire :
Vous m'aimez , vous n'aimez que moi ;
Vous me l'avez dit , je le croi :
Que gagnerois- je à n'en rien croire ?
Vous m'avez épargné de regrets fuperflus :
Mais votre coeur au mien a fçu fe faire entendre,
Ce brufque départ m'en dit plus ,
Que n'eût fait l'adieu le plus tendre .
Avis au Public au fujet d'un Ouvrage
intitulé Defcription hiftorique de l'Hôtel
Royal des Invalides , par M. l'Abbé Pérau ,
Licentié en Théologie de la Maiſon &
Société de Sorbonne ; avec les plans , coupes
, élévations géométrales de ce magnifi
édifice , & des que gravures qui repréfentent
les peintures & les fculptures de l'E-
(1) Il falloit dire , vous arrachent,
SEPTEMBRE. 1756 . 147
glife , en cent huit Planches deffinées &
gravées par le Sieur Cochin , Graveur du
Roi , de l'Académie Royale de Peinture &
Sculpture. A Paris , chez Guillaume Defprez
, rue S. Jacques.
Cette Defcription eft précédée d'un Difcours
préliminaire , dans lequel on examine
d'abord quels étoient les moyens dont
on fe fervoit autrefois pour foulager les Militaires
,, que leur âge ou leurs bleffures
mettoient hors d'état de fervir . On fait
voir enfuite qu'il n'y avoit qu'un établiſfement
public qui pût fatisfaire à tous
égards à ce que la Religion , l'humanité ,
la reconnoiffance femblent exiger en faveur
de ceux qui fe facrifient pour le bien
& la gloire de l'état.
Cet Ouvrage , qui eft de la plus riche
exécution , forme un volume in -folio de
trente feuilles d'impreffion , & de centhuit
Eftampes , comme le titre l'annonce ;
le tout en papier grand raifin double . Ceux
qui voudront en faire l'acquifition d'ici
au premier Janvier 1757 , l'auront pour
la fomme de 36 liv . relié très-proprement
en veau : paffé ce terme , on n'en délivrera
aucun Exemplaire à moins de 48 liv . Le
Libraire prévient le Public que cet Ouvrage
étant d'une très - grande dépenfe , il
n'en fera tiré & relié qu'à mefure du débit,
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
& qu'on trouvera toujours un Exemplaire
chez lui , pour ceux qui voudront fatisfaire
leur curiofité avant l'acquifition .
PROJET pour la perfection de la Carte
de la France , par M. Caffini de Thury.
Dans ce nouveau projet qui a été préfenté
au Roi , l'Auteur nous dit que depuis
1750 qu'on a commencé à lever des Cartes
détaillées , il estime qu'il y a un tiers de l'ouvrage
entiérement fini ; fçavoir , toute la
Généralité de Paris , qui comprend une
très-grande étendue de terrein , & s'étend
jufqu'à Vezelay ; une partie de nos Frontieres
depuis Dunkerque jufqu'à Metz , &
toutes les Côtes de la Manche depuis Dunkerque
jufqu'à Cherbourg . Pour achever ,
ajoute- t'il , ce qui refte à faire , on fe propofe
d'augmenter le nombre des Ingénieurs
, & de les porter jufqu'à trente- quatre.
Deux de ces Ingénieurs feront deſtinés
à lever les grands triangles & à procurer
des bafes pour le travail de ceux qui feront
chargés de la defcription des Cartes
particulieres , & quatre autres feront chargés
de vérifier les Cartes avant qu'on les
donne au Public , de les communiquer à
tous les Seigneurs & Curés , & de prendre
leurs avis pour donner à ces Cartes la plus
grande perfection poffible . On fe propofe
de donner tous les ans dix à douze feuilles ,
SEPTEMBRE . 1756. 149
& de les vendre quatre livres la feuille .
On a commencé à vendre la premiere
feuille le
IS
du mois d'Août de cette année
1756 , & on en donnera tous les mois
une nouvelle feuille chez le Sieur Séguin ,
Artificier du Roi , rue Dauphine , & chez
M. Caffini , à l'Obfervatoire.
Si les Etats de Bretagne , à l'exemple de
ceux de Bourgogne , de Bugey & d'Artois ,
veulent contribuer pour la Carte de leur
Province , & fi MM. les Evêques de France
défirent avoir la Carte de leur Diocèfe ,
ils pourront s'adreffer ( 1 ) à la Compagnie
qui traitera avec eux pour la levée & la
gravure de leurs Cartes particulieres . On
peut les affurer que l'Ouvrage fera mieux
fait & à moins de frais.
DICTIONNAIRE Iconologique , ou Introduction
à la connoiffance des Peintures,
Sculptures , Médailles , Eftampes , &c.
avec des defcriptions tirées des Poëtes anciens
& modernes , par M. D. P. A Paris ,
chez Théodore de Hanfy , fur le Pont au
Change , à S. Nicolas , 1756 .
Le Difcours préliminaire nous a paru
écrit avec élégance , le Dictionnaire fait
(1 ) Cette Compagnie eft compofée de cinquante
Affociés , parmi lefquels on compte des
perfonnes de la plus grande diftinction.
G iij
150 MERCURE DE FRANCE .
avec foin , & les mots qui le compofent
expliqués avec goût. Quelques exemples
pris au hazard ferviront de preuve.
ANTIQUITÉ ( ' ) mérite nos hommages
par les chef-d'oeuvres en tout genre qu'elle
nous a procurés. Elle fe préfente à nous
couronnée de laurier & affife fur un trône
foutenu par les Génies des beaux Arts , &
que les Graces environnent : elle eft habilfée
à la Greque. Les plis de fes draperies
font grands , mais fans affectation : elle
tient d'une main les Poëme d'Homere &
de Virgile , les plus beaux monumens de
l'antiquité & de l'efprit humain , & montre
de l'autre les Médaillons des plus
grands Génies d'Athènes & de Rome , attachés
au Temple de Mémoire : ce Temple
réunit les trois Ordres Grecs , les feuls véritablement
beaux ; l'on voit au pied du
trône & fur un riche tapis les fameux morceaux
de fculpture qui nous reftent de
l'antiquité , tels que la Vénus , l'Apollon ,
l'Hercule , le Torfe , le Lacoon , & c.
MIRACLE . Dans un tableau qui repréfente
Sainte Clotilde faifant fa priere devant
le tombeau de Saint Martin , M. V.
a défigné d'une maniere bien ingénieuſe
les Miracles qui s'operent par l'interceffion
du Saint , & l'effet favorable de la priere
de Clotilde. Il a repréſenté cette Reine
SEPTEMBRE . 1756. 151
dans le moment d'une priere active ; elle
eft à genoux , fes bras ouverts & étendus ,
. & fes yeux font fixés fur le tombeau . On
comprend aifément qu'elle vient d'être
exaucée , parce que l'on voit un rayon de
lumiere avec des têtes de Chérubins , qui
du haut du Ciel defcendent fur les faintes
Reliques.
MODESTIE ( la ) fe préſente toujours à
nous coëffée d'un voile , & portant un
fceptre , au haut duquel il y a un oeil ,
pour nous faire entendre que c'eſt cette
vertu qui doit régler nos penfées & veiller
fur nos actions. Ce hieroglyphe eft emprunté
des Egyptiens , qui avoient couttime
de défigner par cet attribut celui qui
avoit une infpection fur les autres.
La Veuve Delaguette diftribue un Imprimé
de huit pages in -4° . qui a pour titre :
Lettre à M. Keyfer , Inventeur des Dragées
anti-Vénériennes par M. Dibon , Chirurgien
ordinaire du Roi dans la Compagnie
des Cent- Suiffes de Sa Majesté . Cet écrit eft
la Réponse à une Lettre anonyme adreffée
à M. Dibon , & dont visiblement l'objet
étoir de le commettre avec M. Keyſer.
En effet , après avoir infinué que le remede
de ce nouveau Praticien eft égal ou ſupérieur
à celui de M. Dibon , l'Anonyme
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
+
ouvre l'idée d'un défi , qu'il paroît défirer
que les deux Artiftes acceptent. M. Dibon
qui s'adreffe ici directement à M. Keyſer ,
répond d'abord avec beaucoup de modération
à l'éloge affecté qu'on fait des Dragées
anti - Vénériennes. Enfuite il accepte
le défi , ou le propofe de nouveau , en faifant
voir les avantages qui peuvent en
réfulter pour le Public. Sa Lettre nous a
paru bien faite & intéreffante à plufieurs
égards. Quant à celle de l'Anonyme nous
ne la connoiffons que par l'idée qu'il en
donne.
On trouve chez la Veuve Delaguette
tous les Ouvrages de M. Dibon.
INSTRUCTION fur la maniere d'élever
& de perfectionner les Bêtes à laine , compofée
en Suédois par Fréderic W. Haftfer ;
mife en François par M ***
2 volumes.
A Paris , chez Guillyn , Quai des Auguftins
, & à Dijon , chez François Defventes ,
Libraire , 1756.
LE fieur Defbordes , Imprimeur- Libraire
de la ville de la Rochelle , avertit
les amateurs de la Langue Sainte , que
l'ouvrage qu'il a fous preffe , intitulé Praxis
Lingue facra , &c. avance heureuſement
& paroîtra avant la fin de la préſente année
1756.
>
SEPTEMBRE. 1756. 1'5'3"
L
Cet ouvrage contient 1. une Grammaire
Hébraïque & Chaldaïque , fans
points voyelles. Outre la maniere de prononcer
l'Hébreu , propofée par M. Maſclef,
on y en ajoute une autre plus fimple encore
, plus claire & plus aifée. 2º. Un
Dictionnaire Hébreu & Chaldéen dans le
goût du Dictionnaire Grec de Schrével ,
c'est- à-dire , qu'on y trouvera par ordre
alphabétique non feulement tous les mots
de la Bible expliqués & rapportés à leurs
racines , avec tous les noms propres , mais.
encore toutes les inflexions des noms &
des verbes qui pourroient avoir la moindre
difficulté : enforte qu'avec cet ouvrage
chacun pourra par foi- même , & en peu
de tems , fans le fecours d'aucun Maître ,
apprendre l'Hébreu & le Chaldéen , & fe
mettre en état d'entendre le Texte facré
des Saints Livres écrits en ces langues .
Tout l'ouvrage fera compris dans un
feul volume in- 4° de 600 pages , beau
papier & caractere neuf de Cicero. Il fe
vendra à la Rochelle , chez ledit Defbordes
Imprimeur-Libraire , & à Paris , chez la
veuve Bordelet , rue S. Jacques , près le
college de Louis - le- Grand.
9
零
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
SUITE du Traité hiſtorique des inventions
, des découvertes & des ufages, depuis
l'origine du monde , &c . de M. l'Abbé
Picault de la Rimbertiere , Chanoine de
l'Eglife d'Orléans , dont le Projet a été
annoncé dans le Mercure de Juillet dernier.
ARTICLE
Des Lettres & de leurs premiers Inventeurs.
Si l'on cherche l'origine des lettres , &
qu'on veuille avoir quelque déférence
pour le témoignage des Anciens ( 1 ) on ne
pourra s'empêcher de reconnoître que leur
inventeur fut Tautus appellé par les Egyptiens
Thoth ; les Grecs le nommoient Hermés
, & depuis les Latins le nommerent
Mercure.
Tautus vivoit vers l'an 1600 avant J. C.
Après avoir été le Miniftre & le Confident
d'Oſiris , il régna enfuite lui -même. Ce fut
par fes foins & à fon amour pour les Arts ,
qu'on vit fleurir dans l'Egypte l'Agricul
ture , la Géométrie , l'Aftronomie ; en un
mot , toutes les Sciences qui tendent à la
perfection de l'efprit & au bonheur même
(1 ) Diodorus , lib. 1 , Cicer. lib . 3, de Naturâ
Deorum. Tacit. ann, lib. 3. Plin. lib . 7.
7:
SEPTEMBRE. 1756. 155
4+4
d'un Etat. Et fi l'on en croit ces mêmes
Auteurs , les Phéniciens ( 1 ) font redevables
aux Egyptiens de cette découverte qui
paffa chez ce peuple à la faveur d'Agénor
qui alla régner à Tyr , comme la Grece le
fut à fon fils Cadmus qui vers l'an 1519 ,
avant l'Ere chrétienne , lui donna la connoiffance
des feize premieres lettres de
l'Alphabet. Palamede durant la guerre
de Troie en ajouta quatre , & Simonide ,
dit Lymbique , quatre autres.
Cependant ces fentimens tout refpectables
qu'ils nous paroiffent , font contredits
ici par Eufebe l'Hiftorien , qui attribue
à Moïfe l'invention des lettres , &
qui dit que Moïfe en donna la connoiffance
aux Hébreux , les Hébreux aux Phéniciens
, & les Phéniciens aux Grecs. Mais
parmi ces différentes opinions , notre
doute fur celui qui eft l'inventeur des
lettres , ne pourra- t'il pas être levé ? Si
l'on s'en rapporte à l'excellente chronique
Chinoiſe achevée en 1749 , & envoyée
de Pekin par le P. Gaubin , Miffionnaire ,
(1) Suivant ce fentiment , n'est - ce point à tort
que Lucain dans fes vers en attribue l'honneur
aux Phéniciens ?
Phenices primi , fuma fi credimus , auſi
Manfuram rudibus vocem fignare figuris.
Lucan. lib. 3 , Pharfalia.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
Jéfaite très - verfé dans la connoiffance des
monumens de cette nation , qui nous apprend
qu'on y trouve infcrit le nom de
Fobi ou Foubi ; que ce Fohi , qui veut dire
Noë , vivoit vers l'an 3468 avant l'Ere
Chrétienne ; qu'il étoit de la province de
Xenfi , & qu'il fut l'inventeur des caracteres
pour l'écriture , que c'eſt lui qui établit
les noms & furnoms pour diftinguer les
familles ; & alors , ne faudra-t'il pas faire
remonter l'invention des lettres longtemps
avant Moïfe ? Que dis-je ! Si nous confidérons
ce que Jofephe l'Hiftorien rapporte :
Que les defcendans de Seth , pour conferver
à la poſtérité la mémoire des obſervations
céleftes qu'ils avoient faites , en écrivirent
les principales fur deux colonnes ,
l'une de pierre & l'autre de brique ; que
celle de pierre réſiſta aux eaux du déluge ,
& que de fon temps même , on en voyoit
encore des veftiges dans la Syrie : Suo adhuc
tempore in Syria extitiffe teftatur Jofeph.
Lib. 1 , Antiq. Judaïc.
Les defcendans de Seth ne feront- ils pas
regardés avec raifon comme les véritables
inventeurs des lettres ou fignes qui y ont
donné lieu ?
Mais pour ne me point éloigner du ſentiment
d'Eufebe qui attribue , comme j'ai
fait voir , l'invention à Moïfe , on peut
SEPTEMBRE. 1756. 1571
croire , & je le penfe même , que ce conducteur
du peuple Juif, ayant fçu par l'inf
pection de ces colonnes , découvrir les caracteres
propres du temps , & la fcience
des chofes qui y étoient contenues , en
donna l'intelligence à fon peuple & fit revivre
, en un mot , un art que tant de
fiecles avoient entiérement obfcurci .
Après l'expofé de ces différens fentimens
, attachons - nous donc à quelque
chofe qui paroiffe certain , & tout- à-fait
indubitable , & convenons avec M. Wachter
qu'il a fallu que celui qui a le premier
inventé les lettres , ait étudié les combinaifons
de la langue , des levies & des
autres inftrumens du langage , pour pouvoir
être en état de former les caracteres.
dont il vouloit compofer une écriture fuivie
par exemple , la lettre O , comme un
cercle , parce que la bouche eft forcée de
prendre cette configuration en énonçant
cette voyelle , & qu'il fe foit auffi étudié
-particuliérement à peindre les chofes avant
les mots. Cette réflexion , ajoute ce même
Auteur , peut fuffire pour perfuader que
les premiers fignes dont les hommes fe font
fervis pour repréfenter leurs penfées , furent
les images même des chofes , plutôt -
que des caracteres deftinés à former des
mots. En effet , vouloient-ils parler du
158 MERCURE DE FRANCE.
foleil ils formoient fur la terre ou fur
toute autre chofe un cercle , & faifoient
connoître par - là que leur intention étoit
de décrire la figure de cet aftre lumineux :
s'ils parloient de la Lune , ils ne formoient
qu'un demi- cercle ou un croiffant ; des
ondulations tracées par une main légere ,
avertiffoient qu'on vouloit parler d'un
fleuve. Enfin toute leur étude étoit qu'on
pénétrât leur penſée par la figure qu'ils décrivoient.
Delà il eft aifé de voir que la
nature a enfeigné aux hommes le deffein
avant qu'ils euffent trouvé des caracteres
pour écrire , & c'eft ce qui fe prouve encore
par les figures hiftoriques des Egyptiens
dont leurs obélifques étoient chargés.
Leurs lettres n'étoient que des figures compofées
de quelques parties du corps humain
, d'animaux , d'oifeaux , de plantes ,
& de tout ce qu'on appelle hieroglyphes ou
fymboles mystérieux . Le boeuf indiquoit
la terre ; le lion , le courage ; le chien , la
fidélité , &c. animalium effigies loco litterarum
erant , quippeque fenfus mentis repreſentabant
( 1 ) .
Mais de tous les peuples que nous connoiffons
, qui ont confervé plus longtemps
cette façon d'écrire , ce font les Américains.
L'hiftoire nous apprend qu'à la dé-
( 1 ) Polid, Virg. lib. 1.
SEPTEMBRE . 1756. 159
9
couverte qu'on fit de cette partie du monde
, furtout au Royaume de Mexique
leurs livres n'étoient compofés que de figures
au lieu de lettres , qui avoient beaucoup
de rapport aux hiéroglyphes des
Egyptiens le Roi même Montezuma ,
parmi les préfens qu'il fit à Ferdinand Cor.
tez l'an 118 , lui donna plufieurs de ces
livres ( 1 ).
Depuis , chaque peuple fans doute , fur
le modele de celui qui en avoit le premier
donné l'exemple , s'eft formé des lettres à
fa guife , adoptant celles qui pouvoient
lui convenir. On vit les uns écrire de la
droite à la gauche , comme les Hébreux ,
les Samaritains , les Caldéens , les Turcs ,
les Arabes , les Perfans ; les autres de la
gauche à la droite , comme les Grecs , les
Latins , les Arméniens , les Ethiopiens
les Indiens & tous les Européens : pour les
Chinois ( 1 ) , Japonnois & Siamois ils
écrivoient du haut en bas.
>
(1 ) Ferdinan Cortez , Gentilhomme Elpagnol,
natif de Medalino , entra dans le Mexique l'an
1518 , & conquit ce Royaume qu'on a nommé
depuis la nouvelle Eſpagne.
(2 ) Les Chinois au lieu de lettres , fe fervent
de différens chiffres pour exprimer chaque mot.
Cet art mystérieux d'écrire étoit autrefois en ufage
chez les Lacédémoniens,
160 MERCURE DE FRANCE.
L'écriture Hébraïque dont l'alphabet eſt
compofé de vingt- deux lettres eft regardée
comme la mere de celles de toutes les
autres nations , ayant prefque toutes confervé
l'ordre & le nom des lettres Hébraïques.
On trouvera le 15 de ce mois chez Jombert
, rue Dauphine , les Mémoires des deux
dernieres Campagnes de M. de Turenne en
Allemagne , & de ce qui s'eft paffé depuis
fa mort fous le commandement du Comte
de Lorge , 1 vol. in- 12 . C'eft la réimpreffion
d'un Ouvrage fort rare & très- eftimé.
Il a été revu , corrigé & augmenté d'une
Préface .
On trouve chez le même Libraire les
Elémens d'Algebre , de M. Saunderſon ,
traduits de l'Anglois , & augmentés de
quelques remarques , par M. de Joncourt ,
2 vol. in-4° . fig. 18 liv. & RELATion du
fameux Siege de Grave , en 1674 , & du
Siege de Mayence , en 1689 ; avec le Plan
de ces deux Villes , in- 12 . 3 liv.
SEPTEMBRE. 1756. 161
ARTICLE III.
- SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
PHYSIQ U E.
MÉMOIRE
Sur la caufe des Tremblemens de terre , &
des Secouemens d'air ; par M. l'Abbé de
Brancas.
LE fecond verfet du Pfeaume 23 & d'autres
textes divins , déclarent la terre fondée
fur les eaux , fur les mers & les fleuves
qui s'y rendent , felon l'Eccléfiafte ,
Chap. 1 , 7 , afin de retourner aux fources
à travers les montagnes ; Cant. d'Habacuc:
c'eft fans doute par des conduits.
fouterreins & foumarins , qu'il faut reconnoître
, avec les concaves du Rhône , de la
Guadiana , de l'Umoa pour ce cours inteftin
& extérieur mutuellement dépendant ,
dont provient la caufe principale des tremblemens
& fecouemens des contrées & d'autres
accidens , la formation & la deftruc162
MERCURE DE FRANCE.
tion des Volcans même , des Carrieres ,
des Marbrieres & des minieres de toute
efpece , fans art & travail humain . L'infertion
de coquillages , d'offemens & de
végétaux , & d'oeufs d'infectes que l'élec
tricité fait éclorre , comme crapaux & grenouilles
, dans des marbres & des minéraux
; la difperfion & le raffemblage de
divers foffiles , en toute profondeur , les
pétrifications , & le mélange des paillettes
d'or & d'autres métaux avec le fable des
rivieres , n'ont pas d'autre principe : le Pactole
qui en étoit fameux ne mérite plus de
l'être , & d'autres fleuves ont acquis cet
avantage paffager d'en entraîner ; l'origine
des fources & fontaines , & furtout des
mines fouillées & renouvellées en Veftphalie
, dans la Thuringe , & dans l'Ifle
d'Elbé , fans main d'oeuvre , paroît inexplicable
fans la circulation des eaux , à
raifon de la vraie figure de la terre en cylindroïde
arrondi & boffué par fes bafes ,
mais criblé & percé en diverfes directions ,
couches & profondeurs , par de tels canaux
changeans ou permanens . Voyez nos
Ephémérides de 1754, 8, & notre explication
du flux & reflux dans les articles indiqués
par fa table.
Ainfi l'eau coulant dans terre comme
fur terre , produit des inondations , des
SEPTEMBRE . 1756. 163
mutations & excavations inteftines , comme
extérieures , dépofte divers volumes
d'air , à mesure qu'elle furabonde dans ces
divers conduits , où elle laiffe rentrer de
cet élément en y diminuant d'affluence ;
de même que dans des tuyaux de plomb ,
fouvent l'air entraîné & intercepté dans
des coudes , arrête ou embarraffe l'écoulement
felon les faifons ; & que les eaux des
rivieres fuperficielles foulevent , déplacent
& repouffent dans toute l'étendue de leur
courant , un volume proportionnel d'air à
celui qui domine avant leur crue , & le laiffent
revenir au deffus à meſure & à pro--
portion qu'elles s'abaiffent & fe retirent :
l'air qui circule ainfi avec l'électre & l'eau
prefque autant dans la maffe terreftre que
fur fa fuperficie , produit conjointement
ou féparément une multitude de phénomenes
expofés & expliqués dans nos éphémérides
cofmographiques , & renouvellés
en partie chaque année en diverſes contrées
, fans avoir attiré la même attention,
que depuis la ruine de Liſbonne .
Si dans ces canaux internes qui font
voûte de tous côtés comme des efpeces
de bornaux qui reçoivent des obftructions
& des embarras par des fédimens , des
enfondremens & éboulemens , les eaux
par leur affluence , leur chûte & vîteſſe ,
164 MERCURE DE FRANCE.
viennent à trop refferrer, & comprimer audeffus
de leur fuperficie , & dans une concavité
verticale , un grand volume d'air
qui ne peut s'échapper dans l'atmoſphere ,
pour s'y ranger en équilibre comme ceux
que les fleuves en plein vent déplacent felon
leur crue , que doit-il réfulter ? La forte
compreffion ou le refferrement exceffif de
cet air empriſonné , comme dans la canne
ou fufil , ou arquebufe à vent , lui fait
acquérir affez d'élafticité pour repouffer
les eaux qui lui cédent alors de l'efpace ,
& le repouffant tour à tour , caufent des
éboulemens , & lui font exciter des fecouffes
, des lézardes & crevaffes jufqu'à la
furface de la terre ; ou bien cet air eft réduit
à pénétrer par des fentes éventuelles
dans d'autres endroits concaves & caverneux
, où fouvent les mêmes caufes le
forcent encore à fecouer leurs parois avec
exploſion , ou du moins ces eaux qui contractent
trop fon volume , ou bien à former,
s'il eft plus aifé , un bouillonnement
pour s'échapper par pelotons à travers cet
élément dans toute fa continuité.
Voilà ce qui détermine les diverfités &
différences de plufieurs défaftres analogues
en leur principe , qui de tout temps
ont été reffentis , & le feront toujours ,
mais en particulier la durée , la force &
F
C
C
SEPTEMBRE . 1756. 165
les repriſes des tremblemens de terre , des
fecouemens d'air , & leur extenfion fimultanée
ou fucceffive à diverfes contrées peu
ou fort éloignées ; comme il eft arrivé le
premier Novembre & le 18 Février dernier
, & avant & depuis : c'eft parce qu'à
raifon des autres , des canaux fubjacens &
correfpondans à diverfe profondeur , l'air
intérieurement répandu fur la fuperficie
des eaux qui le refferrent trop , peut exercer
à la même heure ou fucceffivement
les effets indicibles de fon élasticité , jufqu'à
ce que l'équilibre interne comme l'externe
entre ces deux élémens , foit rétabli
naturellement ou furnaturellement : combien
plus augmentée & puiffante deviendroit
l'élafticité de cet air comprimé , à
proportion qu'il feroit en même -tems électrifé
& échauffé par diverſes cauſes accidentelles
.
>
Eft-il befoin pour les indiquer de rappeller
ici ce qu'operent les volcans , les
feux & les météores fouterrains & aériens,
la Pirothecnie & le Génie par diverfes
pieces d'artillerie , & les mines artificielles
& la Phyfique expérimentale , par le
fimple mêlange des matieres effervefcentes
? Repréfentons - nous fimplement les
effers de l'arquebufe a vent plus que de
l'arquebufe à feu ; & concevons par cette
166 MERCURE DE FRANCE.
comparaiſon , dans une difparité pareille
à celle des volcans & des mortiers , que
des volumes d'air qui deviennent trop
refferrés par les eaux affluentes avec excès
dans des concavités fouterreines , fans
avoir même befoin d'être électrifés extraordinairement
, font la caufe des tremblemens
de terre , des enfondremens & même
des exploſions , élancemens & tranflations
de terrein à une diftance étonnante , comme
une ifle élancée en partie à plus de
demi - lieue fur le continent auprès de
Lima , en Octobre 1746 , en a réïtéré
un exemple fourni dès 1698 ; & qu'enfin
tous les fecouemens & événemens refpectifs
fimultanés ou fucceffifs depuis la
Touffaint 1755 , comme avant , font plus
ceux d'un air trop comprimé par les eaux
dans des concavités , qu'électrifé & raréfié
par des feux accidentels ; quoique fes
effets doivent être plus grands , à proportion
de fa contraction , & d'une forte
électrifation & explofion qui furviendroit :
les expériences du Termometre à air & à
eau ou à figure , qui font trop peu connues
, le prouvent parfaitement.
S'il faut rendre raifon de tous les phénomenes
analogues par un même principe
naturel & univerfel , non miraculeux ni
fingulier , en eft- il d'autre que celui qui
SEPTEMBRE. 1756. 167
vient d'être expofé ? Nulle flamme , nul
tourbillon de fumée & de cendres , mais
feulement de pouffiere & de fable , nulle
apparence de feu interne accompagnant ces
événemens , qui font prefque toujours
fuivis , ou précédés en diverfes contrées
peu ou fort diftantes en longitude & latitude
, d'ouragans , de torrens d'eaux troubles
ou mêlées de beaucoup d'ingrédiens
hétérogenes , & du tariffement paffager
ou intermittant de plufieurs fources d'une
crue ou d'une diminution fubite & notale
dans les eaux de plufieurs rivieres voiines
& éloignées , d'un bouillonnement
& foulevement des flots dans les plages de
mer & les lacs où ces canaux ont leur entrée
ou iffue. La région imminente de
l'atmoſphere fubit auffi de violentes agitations
par l'éruption des volumes étrangers
d'air & d'eau interne , qui s'échappans
ainfi , dérangent l'équilibre jufqu'à
ce qu'ils s'y rangent , à force de fecouemens
, & de déplacemens d'autres volumes
d'air & d'eau fuperficielle . La plûpart
des fecouffes qu'on a cru fubir , comme
le 30 Avril dernier , n'ont été que
des fecouemens d'air par un volume extraordinairement
expulfé d'une concavité
fouterreine : ce volume étant étranger
& fuperflu dans l'atmoſphere , eft obligé
168 MERCURE DE FRANCE.
"
de former une tempête , ou tout au moins
un courant & un fecouement d'air fur
fa route , dont provient dans les édifices
une agitation & un trémouffement de
haut en bas : c'eft ce que la combinaiſon
de toutes les circonftances dans ma chambre
, où je l'ai éprouvé , m'a fait reconnoître
indubitablement avec la relation de
tous les tremblemens , qui en différentes
contrées ont été réels ou préfumés à raiſon
d'un tel effet.
A l'exception des tempêtes qui proviennent
des nuages répandus & pouffés dans
l'atmosphere par des vents rivaux ou oppofés
en direction , dont le combat fait même
élever dans leur point de rencontre ,
des
trombes fur l'Océan , & des échillons fur
les lacs , ou au contraire précipiter des
nuées entieres fur des montagnes , la plupart
des tempêtes , des ouragans & des
vents impétueux & extraordinaires fur les
mers & les continens , proviennent de ces
volumes d'air déplacés , comme fortis de
terre avec des exhalaiſons , ou par deffous
dés lacs , & l'Océan, à travers les colonnes
de leur élément qui en font foulevées ,
étant expulfés avec des eaux , à cauſe de
leur affluence trop forte dans ces canaux
inteftins , par un effet analogue à ceux de
l'arquebufe à vent , ou même de l'arquebufe
SEPTEMBRE . 1756. 169
bufe à vent & de l'arquebufe à feu tout
enfemble , dont alors ces canaux tiennent
lieu en infiniment grand.
Leur exiſtence & communication eft
prouvée dans notre explication du flux &
reflux , & dans nos Ephémérides . cofmographiques
: renvoyons- y donc auffi pour
nos preuves , qu'intérieurement comme
extérieuremenr à diverfe profondeur les
eaux forment des lacs , des fleuves , des
rivieres , des ruiffeaux , des concavités ,
des excavations , des comblemens , des
attériffemens , des éboulemens , & enfondremens
, malgré les canaux & réſervoirs
permanens , à raifon de la contexture de
leurs parois , qui fans avoir été détruits
par le déluge pour fa production , plus que
rétablis pour fa ceffation , ont été formés
divinement au fecond jour de la création
avec toutes les éminences & profondeurs
effentielles , afin de laiffer paroître la
maffe de l'aride , & que le cours , des eaux
douces & falées fuffit pour creufer , tuiner
& combler d'autres canaux , qui bien
moins que ftables & durables , abſorbent
pareillement comme des gouffres , ou du
moins reçoivent & conduisent comme des
bornaux , les eaux de la mer , des lacs &
des grands fleuves , & celles qui pénétrent
à travers diverfes couches de terrein par
H
170 MERCURE DE FRANCE.
filtration : ces canaux modernes facilitent
comme les anciens également inconnus ,
& comme ceux qui ne font pas occultes ,
dont il eft mention plus haut , un cours à
l'eau , à l'air & à l'électre toujours mélangé
; & ce cours eft auffi aifé qu'un engloutiffement
& dégorgement de ces élémens ,
pourvu que les jambages ou rameaux de
ces conduits finueux & anfractueux faffent
des angles plus grands que 90 degrés ,
& ne fubiffent point d'obſtructions trop
fortes.
de
L'air inteftin & renfermé étant devenu
trop comprimé en différentes concavités
dont il ne pouvoit fortir , l'eau même qui
le contractoit par fon affluence , lui fermant
toute iffue fans lui laiffer , comme
en d'autres endroits , la voie de s'échapper
enſemble , en gros ou petit volume
ou féparément & par bouillons , aura été
forcé de fecouer les eaux inférieures & les
parois latéraux & verticaux des concavités
où il étoit trop contraint , jufqu'à ce qu'il
ait pu fortir en bouillonnant & mugiffant
ravers cet élément , ou même par éruption
& exploſion , ainfi que par les fentes
& overtures que fes fecoufles ont produites,
jufqu'à ce que devenant moins
reffer é , il ait pu reprendre l'équilibre
pour circuler avec l'eau dansde nouveaux
•
SEPTEMBRE. 1736. 171
conduits & receptacles ou dans les mêmes
comme auparavant .
Jufqu'alors des fecouffes font & feront
fenties au deffus des canaux occultes &
inteftins , ou ces deux élémens n'ont pas
repris , ou perdent & perdront encore fucceffivement
l'équilibre de circulation & de
compreffion mutuelle ; & encore plus , fi
une chaleur accidentelle & extraordinaire
agit fur l'un ou fur l'autre : de ces efforts
qui fe perpétuent jufqu'à ce que cet air
qui ne peut fouffrir qu'un certain degré de
contraction & de compreffion , trouve à ſe
mettre au large , ou moins à l'étroit , en
repouffant ces eaux trop comprimantes ,
qui à leur tour le dépoftent & refferrent
par la hauteur & le poids de leurs colonnes,
ou bien en s'échappant dans d'autres
cavités , & dans l'amofphere par des ouvertures
, des lézardes & des fentes évenruelles
: il eft naturel qu'il réfulte fur divers
antres correfpondans , des fecouemens ,
des bouleverfemens & des abîmes , &
ailleurs des courans & fecouemens d'air par
des volumes échappés & furvenus dans
l'atmoſphere , avec les autres effets que
l'expérience n'a que trop appris au voifinage
des contrées où ces volumes d'air &
d'eau s'élancent.
1
༣ །
Avec ce feul principe , tous les phéno-
1
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
menes relatifs , qui font rapportés dans les
Mercures avec exactitude , font explicables
: faut-il donc recourir aux feux fouterreins
, qui fans la contraction de l'air ,
ne feroient point propres à rendre raifon
d'événemens finchrones & confécutifs aufli
diverfifiés , qui étant accidentels comme
´les inflammations d'anciens volcans , produiroient
des fecouffes encore moins étendues
, & qui devroient cependant par des
ouvertures & des fentes , fufciter des torrens
d'eaux auffi chaudes que les Thermales
, qu'échauffe la feule effervefcence de
leurs ingrédiens , & produire des tourbillons
de fumée , à travers la profondeur
même des mers , tandis que dans les défaftres
de Lisbonne , de Conftantinople , du
Caire , de Lima , de Quito , de Tauris ,
nul fymptôme n'en a paru , malgré les incendies
qui ont fuivi par négligence &
accident ; tandis qu'aucun nouveau volcan,
ne s'eſt formé à une modique ni grande
diſtance de ces villes infortunées , & que
nul des volcans anciens n'a fait une éruption
que plus hâtive & plus tardive de
plufieurs mois.
C'eſt affez de reconnoître fous les royaumes
de Portugal , d'Efpagne & de Maroc ,
comme partout ailleurs , d'après des textes
facrés & les Naturaliftes , des canaux fouSEPTEMBRE
. 1756 .. 173
terreins plus ou moins profonds , larges ,
étendus & anfractueux , qui abforbent ou
dégorgent les eaux , & les font paſſer par
d'autres conduits comme autant de ramaux
fous différentes contrées , dont la latitude
& la longitude différent peu ou beaucoup ,
afin de rendre par un air qui y eft devenu
trop refferré par les eaux , & peut être
auffi électrifé & échauffé par accident , la
raifon la plus fimple & la plus naturelle
du grand tremblement de terre qui a
été fi tragique le même jour à ces trois
Etats , & qui s'eft fait fentir fort inégalement
en même temps dans une partie de
la France , de l'Italie , de l'Allemagne &
de la Suede , & depuis dans les mêmes, ou
dans des contrées fort différentes , en Amérique
même comme en Afrique , & peutêtre
dans l'Afie.
Un refferrement d'air approchant étant
arrivé en 1530 dans les canaux anciennement
formés , a été d'autant plus aiſément
renouvellé en 1755 , dans les canaux depuis
rétablis par les eaux , & en partie
ébranlés fous la capitale du Portugal &
fes environs , à proportion qu'une grande
féchereffe durant les années précédentes ,
y a plus laiffé rentrer d'air , & que les
fortes pluies & les inondations y ont plus
ramené de l'eau , il femble que Paul Jove,
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
en décrivant le défaftre que Liſbonne effuya
de fon temps , ait expofé celui que
cette ville vient de fubir 225 ans après ,
par une même caufe renouvellée , que
toutes les circonftances combinées décelent
avec la correfpondance de ces canaux.
Eft- il donc moins formidable qu'incertain,
s'ils n'ont été comblés ? fi les eaux intef
rines n'en forment d'autres , ou ne les
rétabliffent convenablement , & n'y renouvellent
point un effet analogue , c'eſt- àdire
, fi l'air & l'eau n'y ont repris & n'y
confervent un cours équilibrien , que toutes
les contrées qui par des fouterreins ont
éprouvé des fecouffes fimultanées & fucceffives
, n'en fubiffent inopinément de
plus ou moins fortes , après un laps de
temps le plus indéterminable ?
Qu'est-ce qui a été , ce qui fera ? Qu'eſtce
qui fera , que ce qui a été ? Rien de
nouveau fous le foleil. Ecclefiaftes , chap.
1 , V. 9 .
SEPTEMBRE. 1756. 175
CHIRURGIE
.
LETTRE
Sur la Lithotomie ; par M. Chastanet , Correfpondant
de l'Académie Royale de Chirurgie
, Chirurgien aide Major des Hôpitaux
Militaires , & Maure en Chirurgie
à Lifle.
Quoiqu'il y ait long -temps que la haine
& l'envie s'exercent contre moi & contre
mes OEuvres , je n'y ai point fait autrement
attention , ou j'en ai méprifé les
traits ; mon amour- propre en étoit même
quelquefois flatté . La jaloufie , difois - je ,
ne s'en prend point ordinairement à l'ignorance.
J'avoue cependant que j'ai été fenfible
aux dernieres calomnies que la méchanceté
de mes ennemis a fourdement répandues
. Malgré cela , fi ma réputation
feule avoit été compromife , peut- être n'aurois-
je point entrepris de me juftifier . Mais
l'on attaque en même temps l'excellence
d'un Lithotome dont toute la France admire
& chérit la nouvelle invention . C'en
eft affez pour me déterminer à rompre le
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
filence ; il y va du bien public. C'eſt auffi
au Public que je m'adreffe , c'eft lui que je
prends pour Juge.
Plufieurs Maîtres de l'Art fe font étudiés
à perfectionner l'opération de la Taille
, la plus dangereufe & la plus difficile
de la Chirurgie. Nous devons beaucoup à
leurs travaux & à leur génie créateur. Ils
étoient parvenus à délivrer les Pierreux ,
finon fans danger , du moins avec efpérance
de guérifon . Mais la diverfité des
méthodes qu'ils ont imaginées , & qui ont
eu conftamment des partifans & des contradicteurs
, prouve d'une maniere fenfible
que l'opération de la Taille n'étoit point
encore portée au point de perfection dont
elle étoit fufceptible.
Cette précieufe découverte étoit réfervée
aux talens fupérieurs du Frere Cofme
, Religieux -Feuillant , à Paris. C'eſt lui
qui a inventé & qui a enrichi l'art du Lithotome
caché , inftrument admirable qui réunit
à la fois tous les avantages des autres
manieres de tailler , fans expofer le Malade
à aucun des inconvéniens qui en font
inféparables . Ainfi l'on peut dire que l'opération
de la Taille , dont le fuccès n'étoit
que douteux avant l'invention du Lithotome
caché , eft devenu prefque infaillible
depuis que le Frere Cofme nous a
SEPTEMBRE. 1756 . 177
communiqué fa façon d'opérer , auffi facile
qu'ingénieufe.
Je ne diffimule point qu'elle trouva d'abord
une foule de critiques. Les Chefs de
parti , guidés par l'amour- propre , les Praticiens
conduits par llee pprrééjjuuggéé , s'éleverent
contre l'utilité du Lithotome caché.
Mais les uns ramenés par la raifon , les
autres par l'expérience , lâcherent bientôt
prife , & rendirent hommage à l'Auteur
d'une découverte qui lui affure l'immortalité.
Des fuccès nombreux ont depuis
mis le comble à fa gloire , & ne permettent
plus de douter de la fupériorité de cet
Inftrument fur tous ceux qui ont été inventés
jufqu'à ce jour.
Il faut un certain temps pour que ce
qu'il y a de nouveau dans la Capitale ,
circule aux extrêmités du Royaume. La
prémiere fois que je vis le Lithotome caché
, je formai le deffein d'examiner , fi
les priviléges que la renommée lui attribuoit
étoient réels, & certains . Je
m'affociai à une Compagnie de Chirurgiens
qui avoient conçu le même projet.
Nous opérâmes de concert plufieurs cadavres.
Nous réitérâmes pendant deux ans
nos épreuves , nos examens , & nous fùmes
convaincus que les perfections du Lithotome
du Frere Cofme furpaffoient l'i-
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
dée avantageufe que nous nous en étions
formée.
Après un noviciat auffi long , je crus
pouvoir vouer au Public le nouveau talent
que j'avois acquis , & m'annoncer comme
Lithotomifte ; comptant moins fur mes
connoiffances & ma capacité , que fur la
bonté & la certitude de la méthode du
Frere Cofme. Je fupportois d'ailleurs impatiemment
que des Lithotomiftes de Lille
dédaignaffent , par un préjugé fatal à l'humanité,
ou par des confidérations plus condamnables
, un Inftrument merveilleux
qui faifoit partout ailleurs la confolation
& la fûreté des malheureux attaqués de la
pierre . Car s'ils s'en étoient fervis , ç'avoit
été pour lui faire jouer tour-à- tour les rôles
que leur caprice & leur intérêt avoient
fucceffivement éxigés.
Quoi qu'il en foit , un pierreux ne tarda
point à fe préfenter , ce fut le nommé
Augufte , âgé de fept ans & demi , fils
de Henri Cantinier , au Quartier de la
Magdeleine. Depuis l'âge de deux ans &
demi il étoit attaqué de la pierre , fource
de douleur violentes & d'une infinité d'accidens.
A la premiere vifite que je lui fis
au mois de Juillet 1754 , je propofai l'opération
mais les parens inquiets fur la
réuite, ne voulurent point alors s'y prêter.
SEPTEMBRE . 1756. 179
Au mois de Décembre fuivant ils m'appellerent
de nouveau. Je trouvai le Malade
dans un état déplorable . Il ne dormoit
plus depuis plufieurs jours . La pierre irritoit
fi vivement la veffie , que toutes les
parties du ventre en étoient dans une
contraction violente. L'inteftin rectum
étoit pouffé avec force bien loin au- delà de
l'anus . A ces accidens fe joignit encore une
hémorragie affez confidérable de cet inteftin.
Alors les parens accepterent l'opération
que je leur propofai une feconde fois,
non fans leur faire des vifs reproches de ce
qu'ils m'avoient empêché de tailler leur enfant
au mois de Juillet précédent , dans la
belle faifon , & tandis qu'il étoit beaucoup
moins épuisé.
Que l'on me permette ici une réflexion.
Voilà donc une pierre exiftante dans la veffie
qui va faire périr le malade . Des accidens
multipliés , une hémorragie mortelle
l'ont reduit à toute extrêmité. Si je
n'euffe confulté que l'intérêt de ma réputation
, peut -être aurois- je reculé & abandonné
le malade à fon trifte fort . Mais
fes fouffrances , le danger imminent où il
étoit , me follicitoient trop puiffamment
pour ne point lui procurer les fecours poffibles.
J'avois d'ailleurs tant de confiance
dans la nouvelle méthode , que je ne diffé-
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
差
rai l'opération que jufqu'au lendemain
matin, perfuadé que le Lithotome du Frere
Cofme étoit fait pour opérer des miracles.
- Un autre motif, le défir extrême d'accréditer
à Lille la nouvelle méthode &
de confondre fes Cenfeurs , me détermina
encore à opérer. Un fuccès que j'obtien
drois fur un mauvais fujet à tous égards &
dans la plus mauvaiſe faifon de l'année ,
devoit leur en impofer & leur fermer la
bouche. L'on n'auroit pu en effet attribuer
une cure auffi éclatante qu'à l'excellence
de la méthode du Frere Cofme.
Mon parti pris , j'appellai quantité de
Chirurgiens tous en état de m'aider de leurs
lumières , mais qui n'étoient point également
partifans de la méthode que j'allois
pratiquer. M.Baftide , Chirurgien - Major de
Royal Dragons , partifan d'une méthode
oppofée , étoit un témoin non fufpect. Je
le priai de fe trouver à mon opération avec
MM. Payerne , Chirurgien - Major du
Régiment d'Eu , Infanterie , Marchand , de
celui de Betheim ; Plancque , de l'Hôpital
Militaire de Lille ; Prévôt , Maître en
Chirurgie , & Defombrages , Médecin de
la même Ville.
En travaillant ainfi à rendre le fait auque
thentique , je ne faifois fuivre
le penchant
naturel que j'ai à ne travailler qu'au
SEPTEMBRE. 1756. 181
grand jour : jamais je n'ai appréhendé que
des yeux intelligens éclairaffent mes opérations.
Je connois cependant des Chirurgiens
qui tiennent une conduite toute
oppofée , qui ont grand foin de chercher
l'obfcurité , qui n'operent qu'en préſence
d'un Confrere affidé , & qui engagent
enfuite les parens , à quelque prix que ce
foit , à fe taire fur le vice de leur opération.
C'eſt une politique dont ils ont fans
doute befoin. Elle cache la mifere de leurs
prétendues connoiffances en Lithotomie ,
& la longue expérience dont ils fe targuent
avec tant d'orgueil , n'eft qu'un piége
qu'ils tendent à la crédulité publique.Je
laifle à penfer s'il n'eft point de la prudence
de fe défier de ces Opérateurs clandef
tins , qui dérobent fi foigneufement leurs
traces aux regards des Experts de l'Art , &
je reviens à mon fujet.
Les Spectateurs que je viens de nommer
affemblés , je plaçai mon malade dans la
fituation horizontale ( 1 ). Je l'opérai, & je
tirai avec une extrême facilité une pierre
groffe comme un ceuf de pigeon , & du
(1) Cette fituation eft de la méthode du Frere
Cofme , qui en eft également l'inventeur ; elle a
des avantages fi réels , qu'il eft inutile de s'y arrêter.
On peut là- deffus avoir recours à ce qu'il en
dit dans fon Recueil , &c.
182 MERCURE DE FRANCE.
poids d'une demi -once , en portant fimple
ment mon Lithotome au feptieme dégré
d'écartement. Les Spectateurs furent enchantés
, & rendirent juſtice à la méthode.
M. Baftide lui- même , ne put s'empêcher
d'entretenir en particulier M. Prévoft
, l'un des Chirurgiens confultans ,
de la facilité avec laquelle j'avois exécuté
l'opération ; cette circonftance méritoit
ici une place . Enfin les fuites de l'opération
furentfi heureuſes , qu'après dix- neuf
jours le malade fut parfaitement guéri ,
malgré la rigueur de la faifon , malgré le
trouble que l'irritation de la pierre avoit
eu le temps de caufer dans l'economie
animale . Tant d'obftacles vaincus fans réfiſtance
, juſtifient bien que la méthode
du Frere Cofme réunit le double avantage
d'être facile à éxecuter & prompt
guérir.
L'honneur de cette cure me flatta moins
que l'efpérance de ramener par- là les Cenfeurs
Lillois à la façon commune de penfer.
Quelle honte y avoit- il pour eux de
convenir de bonne- foi qu'ils s'étoient
trompés fur le fort du Lithotome caché ?
Une plus longue réfiftance pouvoit feule
ternir leur réputation , s'il eft vrai que
l'opiniâtreté foit l'effet de la petiteffe de
l'efprit, Tous mes efforts ayant néanmoins
SEPTEMBRE. 1756 . 183
été infructueux , je pris le parti d'inftruire
le Public ( par une Lettre imprimée dans
le Mercure de France , mois de Mars
1755 , page 124. ) que je taillois à la
méthode du Frere Cofme ; & je lui donnai
en même-temps l'hiftoire de ma premiere
Taille , telle que je viens de la tracer .
L'excès de mon zele ne fit qu'irriter mes
jaloux. Dès -lors ils formerent le noir projet
de décréditer ma premiere opération.
Comment y parvenir ? Il y avoit un moyen
tout fimple. Si ma cure n'avoit point été
auffi complette que le Mercure l'avoit annoncée
, rien ne les empêchoit de fe fervir
de la même voie pour me démentir. Mais
la calomnie n'aime point le grand jour ,
elle forge fes traits dans les ténebres , &
prend des mefures traîtreffes pour parvenir
à fon but. Quelle indigne reffource ! Mes
ennemis n'en ayant point d'autre , furent
forcés d'y recourir & furent affez méchans
pour l'employer.
Ils commencerent pár infinuer fourde
ment que j'avois eftropié mon malade , &
qu'il étoit resté fiftuleux de la taille que
je lui avois faite : ils fomenterent enfuite
par eux-mêmes & par leurs Emiffaires , les
faux bruits qu'ils avoient femés. Je n'en
voulus d'abord rien croire. Je ne pouvois
concevoir qu'il y eûr des hommes affez
184 MERCURE DE FRANCE.
pervers & affez imbécilles pour débiter &
foutenir une impoſture de la faufferé de
laquelle un chacun pouvoit fe convaincre
en jettant les yeux fur celui que j'avois
parfaitement guéri . Ma fécurité me coûta
cher. La calomnie trouva accès chez des
perfonnes refpectables, mais trop crédules ,
& prit au point que plufieurs pierreux me
déferterent. Ce qu'il y a de plus criant ,
c'eft que l'on a rendu l'Inftrument du Frere
Cofme complice du défaut que l'on imputoit
à mon opération .
Je n'entrerai point dans le détail des
baffeffes & des indignités que mes ennemis
ont mises en ufage pour donner du corps
à leur calomnie ; je ne leur en ferai même
aucun reproche . Leurs remords me vangent
affez , s'ils en font fufceptibles ; &
s'ils font parvenus à les étouffer , ils font
perdus d'honneur & de probité . Je les
abandonne à leur mauvais fort. S'ils prof
perent , ils ne jouiront que de la profpérité
des méchans .
Je ne dirai que deux mots pour faire
tomber la calomnie , & défabufer ceux qui
ont eu la facilité d'y croire. Augufte eft
vivant ; il demeure toujours au Quartier
de la Magdeleine ; il eft dans l'état où je
l'ai laiffe dix- neuf jours après : allez &
voyez. Il n'eſt pas plus eftropié que tous
SEPTEMBRE . 1756. 185
ceux qui n'ont jamais été accidentés de la
pierre ; ou fi vous ne voulez point vous
en donner la peine , lifez du moins le Certificat
que je vais tranfcrire : la vérité
parle par la bouche de huit Chirurgiens
de poids.
CERTIFICAT.
y
Nous , fouffignés , ayant été requis par M.
Chaftanet , Correfpondant de l'Académie
Royale de Chirurgie , Chirurgien aide - Major
des Hôpitaux Militaires & Maître en Chirurgie
à Lille , de nous trouver aujourd'hui
7 Avril 1756 , deux heures de relevée , à
l'Hôpital Militaire , où le Sieur Chaſtanet nous
a dit que le 21 Décembre 17 54 , il avoit taillé
avec le Lithotome caché du Frere Cofme , le
nommé Augufte , âgé de fept ans & demi ,
fils de Henri Cantinier , au Quartier de la
Magdeleine à Lille ; que par cette opération ;
il avoit tiré une pierre de la groffeur d'un
eufde pigeon , & du poids d'une demi-once ;
les fuites de cette taille ayant été auffi heureuſes
qu'on pouvoit le défirer , cet Enfant
avoit été parfaitement guéri au bout de dixneufjours
que cependant ledit Sieur Chaf
tanet avoit appris avec douleur que depuis
quelque temps il s'étoit répandu un bruit
dans la Ville que cet Enfant étoit resté fiſtuleux
'; enforte que cette calomnie commençant
:
186 MERCURE DE FRANCE.
à s'accréditer dans le Public , il ne pouvoit
qu'en résulter une tache à fon bonneur & à
Ja réputation : que nous ayant propofe de nous
conduire chez ledit Sieur Henri pour viſuer
cet Enfant , il requerroit enfuite acte de l'état
où nous l'aurions trouvé.
En confequence , nous nous fommes tranf
portés au Quartier de la Magdeleine , chez le
Sieur Henri Cantinier , lequel nous ayant
repréſenté le petit Auguſte , ſon enfant , nous
Taurions vifué , & trouvé une cicatrice à la
peau parfaitement confolidée , s'étendant depuis
le col de la veſſie jufqu'à la tubérofité
de l'ifchion fur le progrès du muscle accélé
rateur gauche. Cette cicatrice étoit le produit
de la taille que lui avoit faite le Sieur Chaf
tanet. Ce qui nous a été certifié véritable par
le Sieur Plancque & par le Sieur Prevost ,
qui furent tous les deux préfens à ladite opération.
Nous ne pouvons refufer au Sieur Chaf
tanet d'attefter que jamais opération de taille
n'a mieux réuſſi que celle qu'il a faite audit
Augute , lequel jouit préſentement d'une parfaite
fanté , & qu'il ne lui reste aucune incommodité
réfultante de l'opération ; ce qui
fait tout à la fois la bonte des calomniateurs ,
l'éloge de l'adreſſe & de la capacité du
Sieur Chastanet. Ce que nous certifions véritable
. Fait à Lille , ce 7 Avril 1756. Signés,
SEPTEMBRE. 1756. 187
Guffroy , Lieutenant de M. le premier Chirurgien
du Roi. Plancque , Chirurgien-
Major de l'Hôpital Militaire. Dageft , Chirurgien
Major du Régiment de Bourbonnois.
C. J. Vinchant , l'aîné ; J. F. Vinchant , le
jeune ; Robert ; L. L. Prevoft , A. Warocquier
, Maitres en Chirurgie à Lille .
La calomnie & mes calomniateurs ainfi
confondus , ma juftification eft complette.
Mais s'il pouvoit refter quelques doutes
fur l'excellence du Lithotome caché , j'ofe
me flatter qu'ils difparoîtront après le détail
d'une cure récente , que je peux appeller
le triomphe de cet admirable Inftrument.
Je ne crains point qu'elle me foit
conteſtée : je dis plus , l'on n'oferoit nier
que le malade ne doive la vie à mon opération.
Dans le courant du mois d'Avril 1756 ,
je fus demandé chez le nommé Pierre-
Jofeph Sance , Facteur de Guy , demeurant
dans la Cour des Bons -Enfans en cette
Ville , pour y voir Philippe Jofeph Sance ,
fon fils , qui fe plaignoit d'une incontinence
d'urine , accompagnée de douleurs
fort aigues dans la région de la veffie.
J'interrogeai d'abord le malade fur les
fymptômes de la pierre , & je fus fort
étonné d'apprendre qu'il avoit déja été
taillé deux fois infructueufement. Le Litho
188 MERCURE DE FRANCE.
tomifte qui l'avoit opéré n'avoit pu le délivrer
de la pierre. Deux fois il avoit tenté
d'y parvenir , deux fois l'épreuve avoit été
fatale au malade.
La premiere opération lui avoit été faite
au mois de Mai 1754 ; quoique la tenette
de l'Opérateur eût pénétré dans la veffie ,
il n'en avoit tiré que quelques petits fragmens
d'une pierre affez groffe faiſant la
totalité du corps étranger ; & après plufeurs
tentatives , il avoit renoncé à la
gloire de l'extraire en entier. Le fils de
Sance n'en fut pas quitte pour les douleurs
de l'opération manqué : il refſta fiſtuleux
, & l'incontinence fe joignant dès ce
moment à la fiftule , rendit fon état plus
trifte qu'auparavant,
La feconde taille lui avoit été faite cinq
femaines ou environ après la premiere ,
fur la promeffe de l'Opérateur qu'il le délivreroit
de la pierre & le guériroit de la
fiftule ; mais il ne fut pas plus heureux
que la premiere fois. Il eut beau faire , la
pierre fut rebelle à l'extraction , & refufa
conftamment d'accompagner & de fortir
avec la tenette . Pour comble de malheur ,
la feconde opération , bien loin d'emporter
la premiere fiftule, en produifit une feconde
que l'Opérateur panfa inutilement pendant
quatre mois.
S
1
SEPTEMBRE . 1756. 189
Il n'en falloit point davantage pour
laffer la conftance du malade , & faire
avouer à l'Opérateur fon infuffifance. Il
propofa néanmoins une troifieme épreuve ;
mais il ne lui fut pas poffible d'y déterminer
le pere & la mere , qui prirent la réfolution
de laiffer expirer leur enfant , fans
qu'on pût leur reprocher d'avoir confenti
à ce qu'il fût mis derechef à la torture ,
Sa derniere heure approchoit , lorfqu'ils ,
prirent le parti de m'appeller deux ans
après ou environ , & comme j'ai déja dit
au mois d'Avril 1756. Son état excitoit la
pitié. A peine dormoit- il une heure chaque
nuit : des douleurs prefque continuelles
lui faifoient jetter des cris fi perçans
que les voifins en étoient incommodés .
Une fievre lente qui redoubloit le foir ,
des friffons irréguliers , un cours- de-ventre
féreux , une incontinence d'urine qui n'avoit
point difcontinué depuis la premiere
taille , ou plutôt il ne fentoit plus fes
urines paffer ; elles fe filtroient fans ceffe
au travers des deux fiftules , & le peu qu'il
en fortoit par les voies naturelles ne fe
faifoit que peu ou point remarquer : tant
d'accidens réunis avoient fait tomber
pen le fils Sance dans le defféchement &
dans le marafme."
à
1
peu
Ilne paroiffoit pas poffible de le tirer
190 MERCURE DE FRANCE.
de cet état pitoyable. Quelle apparence en
effet de tenter l'extraction de la pierre qui
précipitoit fa derniere journée ? Ce n'eft
pas que je craigniffe le fort du premier
Opérateur : non ; le vice de fon opération
m'étoit connu , & les deux fiftules placées
fur les progrès de fon incifion annonçoient
affez le peu de réuffite que ce Lithotomifte
devoit naturellement avoir : mais j'appré
hendois l'extrême foibleffe du malade &
la double fiftule que je ne pouvois comprendre
dans mon opération. D'un autre
côté j'étois fi pénétré des avantages & des
reffources du Lithotome caché , que je ne
défefperois pas qu'il pût être fon fauveur.
Si je ne l'opérois point , la mort étoit certaine
; fi je le taillois à la méthode du Frere
Cofmé , il pouvoit guérir . J'entrepris l'opération
,
Mais afin que mon zele & ma charité
ne tournaffent plus cette fois à mon défavantage
, je pris la précaution d'affembler
plufieurs Chirurgiens pour conftater avant
tout l'état du fils Sance . Ils le firent , après
quoi ayant placé mon malade dans la fituation
horizontale , je l'opérai devant eux . Je
portai mon Lithotome au neuvieme degré
d'écartement , & je tirai fans difficulté &
très-promptement une pierre groffe.comme
un petit cuf de pigeon alongé , du poids
SEPTEMBRE. 1756. 191
par
de deux dragmes & demie. A peine l'opération
fut -elle achevée , que le fils Sance
rendit pour la premiere fois depuis deux,
ans un gobelet d'urine les voies naturelles.
La joie s'empara de fon coeur à la
vue du corps étranger qui lui avoit caufé
tant de peines & tant de fouffrances. Il
rendit publiquement témoignage du peu
de douleur qu'il avoit reffenti pendant
mon opération , & les Chirurgiens fpectateurs
drefferent le Certificat & le Procèsverbal
de tout ce qu'ils avoient vu & remarqué.
Peu après l'opération , un fommeil naturel
appefantit la paupiere du malade jufqu'au
foir que je le vifitai ; ce qui me fit
concevoir les efpérances les plus flatteufes.
Il fe rendormit enfuite & ne fe reveilla
que le lendemain matin . La nature ſe trouvant
à l'aife & débarraffée du corps étranger
qui l'accabloit , s'abandonna conftamment
pendant toure la cure à un fommeil fi paifible
& fi profond , qu'à peine pouvoit-on
reveiller le fils Sance une feule fois pendant
la nuit pour lui donner fes alimens.
La fievre difparut avec les douleurs , le
cours de ventre s'arrêta , & quoique le
malade fût à la diette , l'on voyoit fenfiblement
fon vifage fe décraffer & reprendre
du coloris. Enfin des urines cefferent
192 MERCURE DE FRANCE.
de paffer par la plaie le fixieme jour , & le
douzieme elle fut parfaitement cicatriſée.
Reftoit à terminer les deux fiftules réfultantes
des deux premieres opérations.
L'une étoit placée à l'urethre & paroiffoit
fournir feule l'urine qui s'échappoit. L'autre
étoit placée un demi- pouce plus bas ,
fur la même ligne , & à côté du rectum ,
dont elle étoit fi voifine , que les Chirurgiens
confultans avoient été extrêmement
furpris que cet inteftin n'eût point été entamé.
J'ai réuffi , & rien ne manque au
triomphe de la méthode du Frere Cofme.
Sans ajouter à l'effet du Lithotome caché ,
qu'un peu de colophane en poudre fur les
fiftules › la premiere fuit cicatrifée le
vingt-fixieme jour , & la feconde le quarante-
neuvieme jour après mon opération.
Que l'on ne me faffe point l'injure de
croire que je veuille quêter des éloges &
m'attirer la confiance des pierreux. Je le
répete , le bien public eft mon but. C'eft
au Lithotome caché dont je publie les fuccés
, plus que les miens , auquel j'aſpire
de faire icí des partifans pour l'avantage
de l'humanité. Bien loin qu'un fordide intérêt
me guide , j'annonce avec plaifir
que cet Inftrument a réuffi à Lille à
Tournai , en d'autres mains que les miennes.
M. Plancque , M. Robert , M. Maifonfort
SEPTEMBRE , 1756. 193
fonfort viennent de tailler , les deux pre-.
miers à Lille , le troifieme à Tournai ,
à la méthode du Frere Cofme , & leurs
opérations ont été fuivies d'une prompte
guérifon. Je dirai même que tous les Chirurgiens
peuvent avec confiance être Lithotomiftes
à la fuite du Frere Cofme. Il a
tiré la taille de la claffe des opérations qui
demandent une étude particuliere & des
talens diftingués. En un mot , elle n'a plus
rien de merveilleux que l'Inftrument avec
lequel elle s'exécute. Puiffe l'habile Artiſte
qui l'a inventé avoir la fatisfaction de
jouir long- temps de cette confolante idée
que perfonne ne s'eft rendu plus que lui
utile à la fociété !
CERTIFICAT.
W
3
Nous, fouffignés, déclarons nous être affemblés
aujourd'hui Lundi douze Avril milfept
cens cinquante-fix , à la réquifition du Steur
Chaftanet , Chirurgien aide - Major des Hôpitaux
Militaires , & Maître en Chirurgie à
Lille , chez le Sieur Pierre- Jofeph Sance
Facteur de Guy , demeurant dans la Cour
des Bons- Enfans audit Lille , où sa femme
nous a déclarée qu'au commencement du mois
de Mai mil fept cens cinquante- quatre le Sr
Wandergracht , Maître en Chirurgie
penfionné de Meffieurs du Magiftrat pour la
t
I
194 MERCURE DE FRANCE.
Lithotomie, avoit taillé Philippe-Jofeph Sance
fon fils , âgé alors de huit ans & demi ; mais
que cette opération n'avoit nullement foulagé
ce pauvre enfant , puifque le Sieur Wandergracht
, malgré des efforts réitérés n'avoit pu
tirer que quelques morceaux de pierre , &
avoit été obligé de laiffer dans la veffie celle
quifaifoit la totalité du corps étranger. Ladite
Sance ayant remis en préfence de tous les
Confultans , tous les petits fragmens tirés par
le Sieur Wandergracht , entre les mains du
Sieur Vinchant , Maître en Chirurgie , lequel
ayant ouvert le papier , nous avons trou
vé deux morceaux des débris d'une pierre
dont chacun eft auffi gros que la moitié d'une
feve de haricot. Trois autres morceaux des
mêmes débris , gros chacun comme la moitié
d'une lentille , & huit petites parcelles groffes
chacune comme la tête d'une moyenne épingle,
lefquels fragmens peſent tout enſemble vingt,
buit grains.
Ladite Sance nous a dit auffi qu'environ
un mois ou cingfemaines après ladite opération
, le Sieur Wandergracht ayant reconnu
qu'elle feroit infructueuse , lui en avoit fait
Souffrir une feconde ; mais que par cette derniere
opération il n'avoit tiré ni pierre , ni
fragmens ; enforte que le malade a ſouffert
inutilement ces deux opérations , puiſqu'il n'a
pu par leur moyen-être délivré de lapierre :
SEPTEMBRE . 1756. 195
au contraire ayant refté toutes les deux fiftuleufes
, elles n'ont fait qu'aggraver fes fouffrances
, & le réduire dans l'état le plus trifte.
qu'on puiffe imaginer. C'est ainsi que ce pauvre
petit malheureux a langui l'espace de
deux ans , & jufqu'au moment qu'on a appellé
le Sieur Chastanet , qui par un acte de
charité l'a opéré à la méthode & avec le Lithotome
caché du Frere Cofme ; ce qu'il a fait
devant nous aujourd'hui douze Avril mil ſept
cens cinquante-fix , avec beaucoup de pruden
ce& de dextérité que par cette opération il
a tiré fans peine & avec beaucoup de facilité
une pierre du poids de deux dragmes &
demie , de la figure d'un oeuf de pigeon ↳ & à
peu près de la même graffeur. Ce que nous
certifions véritable , & en foi de quoi avons
fignés.
Fait à Lille , ce 12 Avril 1756. Signés ;
Plancque , Chirurgien Major des Hôpitaux
Militaires. Dageſt , Chirurgien- Major du
Régiment de Bourbonnois. Vinchant , le
jeune. Prevoft , Robert & Waroquier
Maîtres en Chirurgie à Lille .
N. B. J'ai taillé depuis l'impreffion de
cette Lettre , le nommé André Jofeph le
Fer , âgé de onze ans , fils dudit le Fer ,
Battelier de la Baffe Deûle. La pierre
m'ayant paru affez groffe , je mis mon Lithotome
au onzieme degré d'écartement ,
-
I ij
195 MERCURE
DE FRANCE .
& je tirai très -facilement une pierre du
poids d'une once. J'ai fait cette opération
le huit du préfent mois de Juin , en préfence
de MM . Robert , Prevolt , Vinchant
le jeune , la Buiffiere & Wanftiwoort ,
tous Maîtres en Chirurgie à Lille , Plancque
, Chirurgien-Major des Hôpitaux Militaires
, & Dirat , Médecin de la même
Ville .
Le malade n'a éprouvé depuis l'opération
ni fievre , ni douleur ; la plaie fe
réunit à vue d'oeil , & je compte qu'il fera
inceffamment guéri.
P. S. Ledit le Fer a été parfaitement
guéri avant la fin du mois de Juin , fans
avoir éprouvé ni fievre , ni aucun accident.
COMMERCE
( 1 ) .
LA Lettre de M. de Séchelles à M. Polycard
, Négociant à Bordeaux , inférée
avec la permiffion des Supérieurs , dans le
premier volume du Mercure d'Avril , fembloit
devoir décider la grande queftion qui
(1) Ce morceau auroit dû être placé dans les
Nouvelles Littéraires ; mais comme il nous a été
envoyé trop tard , pour ne le point différer, nous
avons can pouvoir l'inférer dans cet article,
SEPTEMBRE . 1756. 197
>
s'eft élevée au fujet de la faculté de commercer
en gros fans déroger à la Nobleffe . La
profondeur & la fageffe des vues du Miniftre
qui l'avoit écrite auroient fuffi
pour en accréditer les principes dans la
Nation , quand même divers Edits enregiftrés
ne leur auroient pas donné force de
loi dans l'Etat. Cependant on a prétendu
depuis jetter des doutes fur les avantages
de la permiffion de commercer en gros
fans déroger. Les objections que fe font
efforcées quelques perfonnes de former
contre cette permiffion , font l'objet d'un
Ouvrage intitulé : Examen politique des
prétendus inconvéniens de la faculté de commercer
engros fans déroger à la Nobleſſe.
Sans s'égarer dans les conjectures fur
lefquelles font établis prefque tous les
fyftêmes fur l'origine des peuples & fur
leurs premieres loix , l'Auteur remonte à
un principe fimple pris dans la nature des
chofes. Les fervices rendus à l'Etat font
fûrement l'origine de la Nobleffe , & les
fervices dans le principe ont été militaires.
Prefque tous les Empires fe font établis &
accrus par les armes , & jufqu'à ce qu'ils
aient pris une confiftance indépendante de
guerre , le fervice militaire a fait le feul
objet des attentions du Légiflateur. Mais
à mesure que la pofition d'un Etat devient
la
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
plus folide & plus tranquille , le Légiflateur
envifage d'autres fources d'accroiffement
dans fa puiffance que les conquêtes ,
d'autres genres de fervices . Il les récompenfe
par la diftinction la plus flatteufe
qu'il lui foir poffible d'accorder , en faifant
paffer un fajet d'une claffe inférieure
dans une fupérieure . C'eft ainfi qu'en France
, quelque temps après que la Nobleffe
eût abandonné aux Légiftes le foin de rendre
la juftice , les Rois attacherent à ces
emplois le même honneur qu'au fervice
militaire. Depuis on a reconnu de nouveaux
moyens d'augmenter la fortune de
l'Etat , & les Arts ont été admis à leur
tour aux mêmes honneurs qu'avoit mérité
l'exercice de la Juſtice , & qui avoient été
inftitués pour le ſervice militaire. En effet ,
m'eft il qu'unefeule maniere de bien mériter
de la Patrie n'eft il qu'une forte de gloire ?
car les expreffions font fynonimes ; & fi l'Etat
a reconnu divers genres de fervices dignes de
ta Nobleffe , ne feroit- il pas de la derniere
inconféquence d'imaginer qu'un Citoyen ne
peut plus , dès qu'il eft ennobli , exercer
l'emploi qui lui a mérité cette faveur de fon
Prince ?
La Nobleffe confifte donc dans un engagement
authentique & glorieux que le premier
Noble d'une famille contracte avec l'Etat de
SEPTEMBRE . 1756. 199
lui rendre fa postérité plus particuliérement
utile , & de précéder les autres hommes dans
le chemin de la vertu. Mais quoique divers
chemins ayent été ouverts pour arriver
aux honneurs de la Nobleffe , les hommes
n'en ont pas moins confervé le premier
rang à la vertu militaire. Quoique la prérogative
du Magiftrat Noble , du Financier
Noble & ennobli foient intrinféquement
la même , les uns & les autres fe
tiennent d'eux - mêmes aux rangs inférieurs
que l'opinion publique & l'ufage leur affignent.
Le Gouvernement a même eu
foin de marquer les bornes de ces diverſes
claffes de Nobleffe par les diftinctions qu'il
accorde à chacune , fuivant fon rang & fes
fonctions.
De ce que les Nobles peuvent , fans déroger
, exercer les profeffions libres qui
font ouvertes aux Roturiers , il n'en rêfulte
aucune confufion , parce que l'exalte
diſtinction des trois Ordres dépend des titres ,
des préféances , de l'ufage des prérogatives
attachées à chacun d'eux . Si quelque chofe
eût été capable d'opérer cette confufion ,
c'eût été certainement le mêlange des
familles Nobles avec les familles Roturieres
par les alliances , ainfi que la faculté
d'acheter la Nobleffe. Quoique l'Aureur
ne paroiffe pas approuver qu'on ait mis à
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
prix les
graces du Prince
, il en infére
, avec raifon
, que la faculté
de commercer
ne peut opérer
la confufion
des Ordres
. Il foutient avec la même
évidence
que ce n'eſt point
introduire
la conftitution
de la Démocra- tie dans
le Gouvernement
Monarchique
, puifque
cette liberté
accordée
à la Nobleffe de commercer
, n'a rien de commun
avec un pouvoir
légiflatif
réfidant
dans
le corps du peuple
, & que cette liberté
ne peut donner
au Négociant
Roturier
aucune part aux prérogatives
, aux préféances
,
aux titres attachés
à l'Ordre
de la Nobleffe
& qui la diftinguent
.
C'eſt avec auffi peu de fondement que
l'on craint que toute la Nobleffe ne ſe
tourne uniquement du côté du Commerce.
L'Auteur prouve que cela eft impoffible ,
parce que la Nobleffe n'y trouveroit pas les
honneurs ; parce qu'il fera toujours plus
facile & plus für pour la plupart des Nobles
d'arriver aux places lucratives & diftinguées
, qu'aux richeffes incertaines d'une
profeffion , qui par elle-même ne donne
aucun rang , par l'expérience conftante de
divers où la Nobleffe commerce ; enpays
fin par celle des diverfes profeffions libres
& lucratives , que le préjugé n'interdit
point à la Nobleffe parmi nous , & qui ne
font pas cependant exercées uniquement
par des Nobles.
SEPTEMBRE . 1756. 201
Cette crainte de voir abandonner le
fervice Militaire & celui de la Magiftrature
, paroît le fonder fur le luxe que produira
l'augmentation des richeffes par le
Commerce. On la diffipe pleinement en
prouvant par des détails fur les circulations
opérées par le Commerce , que fur un million
entré par cette voie dans l'Etat , il en
revient au moins 600 mille livres au produit
des terres , de maniere que le luxe
introduit par le Commerce , eft une fuite
de l'augmentation du revenu des propriétaires
des terres , & non pas un luxe d'imitation
introduit par le Commerçant dont
la profpérité eft fondée fur l'économie.
L'Auteur montre que l'efprit de paix
dans un Etat n'eft point particulier à l'efprit
de Commerce , puifque les Etats commerçans
ont entrepris & foutenu des guerres
célebres dans des vues de Commerce ,
& qu'à l'exception de deux ou trois cens
mille hommes , fur dix-fept à dix- huit millions
, la confervation de la paix a toujours
intéreffé la totalité de la Nation , fans
qu'on l'ait jamais vue dans la guerre former
des voeux oppofés à la gloire de l'Etat.
Il fait voir que les exemples de Tyr & de
Carthage , fi fouvent cités dans les matieres
, font favorables à l'efprit de Commerce,
fans lequel elle n'euffent jamais mérité
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
que l'hiftoire eût confervé l'époque de
leur deftruction ; le Commerce les avoit
rendues formidables à leurs ennemis , &
leur ruine a eu des caufes fort étrangeres à
leurs richeffes !
C'est une grande erreur en politique de
croire qu'il foit utile que les riches Négocians
abandonnent leur négoce. Au contraire
, l'objet actuel du Gouvernement
n'eft pas tant de porter toute la Nobleffe
au Commerce , que de lui accorder la faculté
de commercer , afin que cette profeffion
en foit honorée , & que la vanité
ne follicite plus un Négociant de quitter
une profeffion , où il rend de plus grands
fervices au Public en raifon de fa plus
grande opulence pour paffer dans d'autres
conditions. Ces principes ont été adoptés
en France depuis long- temps . Louis XIII ,
particuliérement dans une Déclaration du
24 Février 1627 , annonce que fon inten
tion eft de rétablir le Commerce , de renouveller
& d'amplifier fes privileges , de faire
enforte que la condition du trafic foit tenue
en l'honneur qu'il appartient , & rendue
confiderable entre fes Sujets , afin que chacun
У demeure volontiers fans porter envie aux
autres conditions.
Enfin après avoir démontré que la prétendue
néceffité d'une proportion dans le
9
SEPTEMBRE. 1756. 203
nombre des perfonnes qui compofent le
tiers- Ordre avec celui des perfonnes qui
compofent les deux autres Ordres de l'Etat
est une chimere ; que la diftinction du
Négociant en gros & du Marchand en
détail , naît de la nature même de leurs
Occupations , puifque le premier eft un
Citoyen utile à l'Etat , & le fecond fimplement
un Citoyen commode au Public ,
l'Auteur s'étonne qu'on ait pu mettre en
queftion une chofe décidée en diverfes
occafions par nos Rois depuis plus de
a50 ans , & particuliérement en 1669 &
en 1701. Louis le Grand ne fçavoit- il pas
mieux qu'aucun Gentilhomme de fon Royan
me , ce qui étoit Noble ou ne l'étoit pas ?
PRIX propofe par l'Académie Royale des
Sciences & Belles- Leures de Pruffe , pour
l'année 1758.
LEE Prix référvé de la Claffe de Mathé
matique , fur le mouvement diurne de la
Terre , a été adjugé dans l'Affemblée publique
du 3 Juin 1756 , à M. Paul Irifius ,
Clerc Régulier de la Congrégation de S.
Paul , & Profeffeur dans l'Univerfité de
Pife . Celui de Belles-Lettres a été renvoyé
à l'année 1758 , & on en retrouvera
I vi
204 MERCURE DE FRANCE.
l'annonce à la fin de ce Programme.
La Claffe de Mathématique propofe
pour le Prix ordinaire de 1758 , la queftion
fuivante : Si la vérité des Principes de
la Statique & de la Mécanique , eft nécef
faire ou contingente ? On invite les Sçavans
de tout pays , excepté les Membres ordinaires
de l'Académie , à travailler fur cette
Queſtion. Le Prix , qui confifte en une
Médaille d'or du poids de cinquante ducats
, fera donné à celui qui , au jugement
de l'Académie , aura le mieux réuffi. Les
Pieces écrites d'un caractere lifible feront
adreffées à M. le Profeffeur Formey , Secretaire
perpétuel de l'Académie. Le terme
pour les recevoir eft fixé jufqu'au premier
Janvier 1758 , après quoi on n'en recevra
abfolument aucune , quelque raifon de retardement
qui puiffe être alléguée en fa
faveur. On prie auffi les Auteurs de ne
point fe nommer , mais de mettre fimplement
une Devife , à laquelle ils joindront
un billet cacheté , qui contiendra avec la
Devife , leur nom & leur demeure. Le
jugement de l'Académie ſera déclaré dans
l'Affemblée publique du 31 Mai 1758.
On a été averti par le Programme de
l'année précédente , que le Prix de la Claffe
de Philofophie expérimentale , qui fera
adjugé le 31 Mai 1757 , & pour lequel les
3
SEPTEMBRE . 1756. 105
Pieces feront reçues jufqu'au premier Janvier
de la même année , concerne la Queftion
énoncée en ces termes : Déterminer
fi l'Arfenic , quife trouve en grande quantité
dans les Mines métalliques de divers genres ,
eft le véritable principe des métaux , ou bien ,
fi c'est une fubftance qui en naît & en forte
par voie d'excrétion : ce qu'il faut établir par
des expériences folides & fuffisamment réi
térées.
Le Prix de la Claffe de Belles- Lettres eft
renvoyé à l'année 1758 , & a pour objet
les Monnoyes de Brandebourg , depuis le
temps qu'on a commencé d'en frapper jufqu'à
la fin du 16° fiecle. On fouhaite que
ceux qui travailleront pour ce Prix , examinent
en fuivant l'ordre chronologique :
1º. A qui appartenoit proprement le droit
de battre monnoie ? De quelle maniere il étoit
exercé par le Prince ? Et quelles étoient les
Villes qui avoient le privilege de frapper des
efpeces ?
2°. Quelles étoient les différentes fortes de
monnoie dont on fe fervoit dans la Marche
de Brandebourg? Quelle étoit la forme , le
coin , le titre , l'alliage , le poids , & en un
mot le prix intrinfeque de la monnoie ?
3 °. Quel étoit le prix extrinfeque , ou courant
de la monnoie , c'est - à- dire la propor
tion où elle fe trouvoit avec les biens fonds ,
205 MERCURE DE FRANCE.
les marchandifes , les vivres , le falaire des
Ouvriers , & les autres chofes qui entrent
dans le commerce ?
4. On voudroit enfin , qu'après avoir
déterminé la difference qu'il y a entre l'ancienne
monnoie & la nouvelle , par rapport
au prix extrinfeque & intrinfeque , on déci
dât , par la voie du calcul , les effets généraux
qui en résultent par rapport aux richeffes de
l'Etat & des particuliers.
Les Pieces feront reçues au concours
jufqu'au premier Janvier 1758.
SEPTEMBRE . 1756. 207
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
M. le Febvre vient de mettre au jour
un Motet à voix feule avec fymphonie
qui a pour titre Conferva me. Ce morceau
, dont la mufique eft fi agréable , &
que M. Godard a chanté plufieurs fois au
Concert Spirituel avec tant de fuccès , fe
trouve chez l'Auteur , rue des Prouvaires ,
& aux adreffes ordinaires.
PEINTURE.
DISSERTATION
Lue à l'Académie de Peinture .
De la légèreté d'Ontil.
Si la légèreté d'outil n'eft pas une partie
des plus effentielles au Peintre , elle est
208 MERCURE DE FRANCE.
du moins une des plus agréables , & qui
en rend les opérations féduifantes. Ce
qu'on entend par cette façon de s'exprimer
, ne me paroît avoir été traité ni défini
par aucun Auteur : il n'en a point été fait
mention dans vos conférences. Ces raifons
ont donné naiffance à ce Mémoire , &
m'ont déterminé à chercher l'explication ,
ainfi qu'à faire fentir la force & l'étendue
d'une expreffion fréquemment employée.
Vous jugerez , Meffieurs , de la jufteffe ,
ou de l'erreur de mes réflexions.
les
Les définitions courtes & précifes font
difficiles à donner fur des matieres , qui
même n'ont point été mal préfentées , &
qui fines & délicates en elles- mêmes , tiennent
à plufieurs égards à la métaphyſique
d'un art. Le moyen le plus affuré pour
trouver , eft , ce me femble , de conclure ,
en conféquence des difcuffions établies ſur
la matiere même , & de fe laiffer conduire
à l'Analyſe par des defcriptions & des
comparaifons. Cette voie et la plus affurée
pour fixer des matieres indécifes &
fouvent confondues , même dans la langue
de l'art. A force de fe convaincre & de
prouver que ce n'eft pas une telle chofe ,
on peut approcher de la vérité & diftinguer
plus clairement l'idée que l'objet préfente
à l'efprit. Conféquemment à ce
SEPTEMBRE . 1756 . 209
moyen , la difficulté , la pefanteur dans la
peinture , étant reconnues pour la peine &
la fatigue , qui ne font elles - mêmes qu'une
production malgré Minerve , la légèreté
d'outil devroit être la facilité . Elle en eft
une partie , elle en eft dépendante : mais
il faut convenir que cette oppofition n'eft
pas complette , & qu'elle ne peut donner
une définition exactement vraie ni exactement
jufte , du moins elle n'eft pas conforme
à l'acception ordinaire.
Voilà donc un exemple de la difficulté
de mon fujer.
}
Plus la légèreté d'outil eft renfermée
dans cette métaphyfique , plus nous devons
la fimplifier , l'éclaircir & rendre nos idées
avec netteté ; en premier lieu pour nous
mêmes , & nous fommes obligés en
fecond lieu d'expliquer les termes de l'art
au Public. Il n'a jamais autant aimé la
peinture qu'il l'aime , ou du moins il
n'en a parlé dans aucun temps avec une
une fi grande affectation . Les Poëtes , les
Hiftoriens , en un mot tous les Auteurs ,
grands & petits, ne croiroient pas avoir fait
la plus médiocre brochure , s'ils n'avoient
tiré des comparaifons de la peinture : c'eſt
l'élégance du jour. Nous pouvons nous
amufer entre nous de leurs façons de parler
, fouvent fauffes & rarement préciſes.
210 MERCURE DE FRANCE.
Il ne nous appartient point de les critiquer
publiquement ; la réponſe feule nous feroit
permife , s'ils nous attaquoient : mais il
eft de notre devoir de les éclairer fans affectation
, en définiffant fucceffivement
toutes les parties dont vos arts font compofés
. Nous devons d'autant plus dépofer
dans votre fein la préciſion des idées &
la véritable valeur des mots de la langue
de l'art , que vous en êtes les feuls juges :
j'ofe dire que cette langue eft plus vivante
qu'aucune autre , que par conféquent elle
a plus de variété & fe reffent toujours du
feu qui l'a fait naître , & qui , pour ainfi
dire , l'enrichit chaque jour. Les examens
pareils à celui que j'entreprends ont plus
d'une utilité . La précifion de l'idée renferme
l'efprit dans des bornes plus étroites
: elle l'engage à s'occuper plus avantageufement
de tout ce qu'une partie
peut exiger , & conféquemment à faire
plus aifément les efforts néceffaires pour
la remplir. Une utilité moins grande de
ces fortes d'examens , & qui peut évitet
plufieurs autres embarras , eft celle de faire
diftinguer quelque manieres de s'exprimer
dans la langue de l'art , abfolument
dans le cas de la facilité & de la légéreté
dont j'ai rapporté l'exemple , c'est- à- dire
pour prouver que ces façons de parler dif
SEPTEMBRE. 1756. 211
ferent , quoiqu'elles paroiffent fynonimes.
En effet , cette légèreté n'eft point dans la
langue de l'art , une oppofition exacte de
la peine & de la difficulté : cependant elle
préſente cette idée dans la langue familiere.
Un Peintre facile eft celui qui compoſe
aifément , qui peint avec promptitude &
fans fatigue ; mais qui le plus fouvent par
ces mêmes raifons , content d'indiquer le
premier feu de fon efprit , eft ennemi de
l'étude , de l'empâtement , de la recherche
du pinceau , & des fineffes de l'harmonie.
Ces parties véritablement effentielles à
l'Artifte ne fe trouvent donc pas toujours
jointes à la facilité , & ces mêmes parties
peuvent , abfolument parlant , fubfifter
fans la légèreté de l'outil.
Je conviens que le Peintre qui faifit
promptement la nature , fera regardé par
ceux qui n'approfondiffent point la vérité
des termes , comme étant doué de cette lé
géreté d'outil dont il eft ici queftion ; cependant
, à le bien prendre , il ne fera que
facile. Paul Matei , Pelegrini & plufieurs
autres peuvent en ce cas nous fervir d'exem
ples. Jamais on n'a fait ni dû faire l'éloge
de leur légéreté leur peu de terminé , leur
impatience , ou leur promptitude n'ont
été que des apparences , ou des faux fem
blans de cette partie ; & jamais un hom
:
212 MERCURE DE FRANCE.
me au fait de l'art n'a pu s'y tromper. Je
crois même qu'on ne pourroit tomber dans
cette erreur pour le plus grand nombre
des Tableaux du Tintoret , lequel est peutêtre
le premier des modernes qui a donné
l'exemple d'une facilité qui a autorifé &
perdu un figrand nombre d'Artiftes, d'autant
plus qu'ils étoient incapables de l'imiter
dans les ouvrages arrêtés qu'il a
produit.
Je dois dire avant que d'entrer dans un
plus grand détail , que plufieurs grands
Peintres ont été privés de la légèreté d'outil
, qu'ils ne l'ont point recherchée , ou
n'en ont point été affectés . Il feroit inutile
de rapporter leurs noms , l'exemple du
Dominicain nous doit fuffire . Grand ,
précis pour le deffein , & moins touché de
la couleur , la légèreté d'outil ne l'a point
affecté. Le Titien au contraire , & le plus
grand nombre des coloriftes ont été plus
fenfibles à cette fineffe de l'Art. Ainfi la
difcuffion que j'ai entrepriſe , ou plutôt ce
léger examen , ne peut convenir qu'à ces
derniers. L'étude de leurs ouvrages me
perfuaderoit que la légéreté d'outil n'excede
point la fuperficie , qu'elle eft cette derniere
touche qui fait le plus d'impreffion
fur l'efprit du fpectateur , celle qui le féduit
; & dans ce dernier cas , elle eſt la
1
SEPTEMBRE . 1756. 213
derniere main de la facilité dont elle eft
dépendante. Telle que puiffe être cette
légéreté , il eft conftant qu'elle ne peut
mériter d'éloges , qu'autant qu'elle eft
établie fur une bafe auffi ferme & auffi
folide que la jufteffe des études , la belle
compofition , la bonne préparation , l'imitation
de la nature dont elle eft le dernier ,
comme le plus bel effet , par l'augmentation
de l'accord & de l'harmonie . Enfin la
légéreté d'outil me paroît le dernier dégré
de ces parties effentielles : elle termine la
rondeur fi néceffaire à l'expreffion de tous
les corps : elle préfente ce duvet des fruits,
cette fraîcheur des fleurs , ou plutôt encore
le charme de la jeuneffe ; elle eſt compofée
de ces laiffés qu'on ne peut comparer
qu'à ces fous-entendus , à ces mots fufpendus
qui font l'agrément de la converfation
; on peut les fentir & non les définir
: ils difent ce qu'il faut fans s'appéfantir
& fans abufer de la fineffe. Une autre
comparaifon donneroit une idée plus jufte
dans toutes fes parties , de cette même
légéreté d'outil ; je la trouve dans le procédé
d'un homme fage & éclairé qui veut
inftruire ou convaincre , quand il a folidement
établi les principes & les raifons.
Le dernier moyen de la perfuafion & de
la féduction confifte dans la légéreté qu'il
214 MERCURE DE FRANCE .
emploie à repaffer tous les points , à n'infifter
que fur les objets néceffaires ; ce qu'il
fait plus ou moins fuivant les caracteres ,
l'importance & le germe de la matiere :
c'eft ainfi qu'il perfuade ou ramene l'homme
le plus éloigné de fon fentiment.
La vérité de cette opération de l'efprit
eſt fondée fur la nature. En agiſſant ainſi ,
il flatte l'amour- propre de celui qu'il veut
perfuader. Loin de le dégoûter ou de le
révolter par une répétition détaillée
le traite en homme éclairé , qui croit ſentir
& s'imaginer par lui- même ce qu'on
vient de lui fuggérer.
il
La Fontaine , le plus agréable des Auteurs
,eft celui qui préfente le plus d'exemples
de ces fous- entendus , de ces réfumés,
enfin de cette légèreté fi défirable . Je ne
rapporterai que trois exemples choifis dans
le nombre de ceux que cet Auteur nous
-préfente .
Quelle confirmation de fon récit , ou
plutôt quelle augmentation , quel agré
ment & quel moyen de féduction ce grand
homme met- il en ufage pour confirmer &
réfumer la fable de l'OEil du Maître !
Quant à moi , ( dit- il ) y mettrois encor l'Eil
de l'Amant.
Quelle légéreté d'outil , pour ainfi dire
›
SEPTEMBRE. 1756. 215
dans le trait fuivant : pour confirmer ce
qu'il a raconté dans la Courtiſanhe amoureufe
; il dit :
Je voudrois bien déchauffer ce que j'aime.
Que de graces & de fineffes il témoigne
en finiffant le même conte il s'en rapporte
au Lecteur ; il flatte la paffion la plus
douce , il en rappelle le fouvenir par ce
mot :
Quiconque aime le die.
Ces traits divins font des augmentations
fublimes , fans être appéfantis : ils répétent
, mais ils paroiffent nouveaux , &
le font en effet , d'autant qu'ils ajoutent
& confirment dans le lieu où le goût de
l'Auteur les a placés ; enfin ils donnent
des exemples de cette légéreté dont la
poéfie nous offre des exemples avec tous
les rapports de graces & de fineffe que la
Peinture nous préfente à fon tour . On peut
donner des éloges à ceux qui ont confacré 2
leur goût dans l'un & l'autre Art par des
traits de ce genre de délicateffe ; mais comme
je l'ai déja fait entendre , on ne peut
mettre perfonne fur les voies : ce font des
émanations du goût & du fentiment ; un
don de la nature met feul en état de les
produire : quiconque voudroit y parvenir
par efprit, comme a fait La Motte dans
216 MERCURE DE FRANCE.
fes fables , feroit pefant & affecté . Enfin
pour augmenter l'exemple d'une liaiſon
particuliere entre les deux Arts , & confirmer
Horace , quand il dit : Ut Pictura
Poefis. Tel le Poëte vous a paru dans les
vers que j'ai cités , tel eft le Peintre dans
la partie de fon Art dont je vous entretiens.
Ses études font faites , fa compofition
est arrêtée , les caracteres font traités
avec la jufteffe & la précifion dont il eſt
capable. Des yeux moins délicats trouveroient
l'ouvrage achevé , mais fon tableau
ne lui paroît pas fini . Eclairé par fon goût,
d'une main légere il répand les fleurs , il
promene les graces , fa délicateffe les conduit
; il diſtribue à fon gré , l'air & la chaleur
; il n'eft plus occupé des grandes raifons
de l'Art , le génie fe joue & s'exprime
fans fatigue pour déguifer & cacher les
peines qu'il a éprouvées , & les difficultés
qu'il a furmontées jufqu'alors. Il careffe ,
il fe promene , il jouit : femblable à l'Aurore
d'Homere, il a les doigts de rofes, & comme
elle , il les répand fur l'étendue de la na
ture qu'il a embraffée. Ce n'eftpoint un effet
idéal auquel il foit conduit par une envie
de plaire ou de féduire , c'eſt une imitation
réelle, mais fine , mais délicate de la nature.
Car il eft conftant que toutes les fuperficies
de la terre font légeres , du moins elles le
paroiffent
SEPTEMBRE. 1756. 217
paroiffent aux yeux du Peintre. Les impreffions
de l'air , la diſtance de l'objet à
l'oeil , préfentent une ruption de couleurs
que le grand Artifte fçait démêler , faifir
& rendre , tandis que ces tréfors font cachés
au Peintre médiocre : il voit les corps
du côté de la pefanteur , il en eft accablé,
pour ainfi dire , il fuccombe fous leur
poids , il les rend comme il les voit , il ne
peut allegir leurs maffes , fes paffages font
cruds , & s'écartent de cette élégante &
légere harmonie que le grand maître exprime
en confervant la vérité avec une
délicateffe féduifante , qui n'eſt que la
légéreté , & qu'on peut regarder comme
une des parties qui concourent au fublime
de l'Art. Je crois devoir ajouter que la
légéreté ne doit & ne peut jamais être confondue
avec la propreté & le terminé des
Flamands & des Hollandois . Pour être
brillans , ils ne font pas plus légers ; &
conftamment avec de la patience on pourroit
arriver à l'imitation du plus grand
nombre, & je prouverai dans un moment
combien cette imitation eft difficile pour
les compofitions fieres , grandes & hardies
de ceux que l'on regarde avec raifon comme
les grands Maîtres dans le nombre defquels
je comprends Vandick & Rubens.
David Teniers paroîtroit devoir être ex-
K
218 MERCURE DE FRANCE.
cepté de cette regle générale : cependant
après un mûr examen, on trouvera, je crois,
qu'il indique plutôt une grande facilité
que la recherche de la légèreté d'outil,
Ön fent encore mieux qu'on ne peut confondre
la légèreté de l'outil avec les glacis;
leur folidité eft fouvent douteufe. La légé.
reté que j'entends, repaffe, refait & repeint
plus ou moins tout le tableau .
François Lemoine que nous avons tous
connu , étoit fi perfuadé de la néceffité de
cette belle partie de la Peinture , qu'il paffoit
un temps confidérable à careffer fon
ouvrage pour cacher la peine qu'il avoit
eu à le produire. Non feulement on peutdire
qu'il a reuffi dans ce projet , mais que
cette attention a autant contribué à le
faire paffer pour un Peintre aimable , que
la beauté de fa couleur. Cette fuperficie
qu'il ajoutoir à propos , cette légèreté
d'outil pour laquelle il fe donnoit tant de
foins , fervira dans tous les temps à faire
excufer fes défauts , c'eft- à- dire , les incor
rections & la molleffe de fon deffein ; reproches
effentiels qu'il eft poffible de faire
à fon talent , & que les graces qui les couvrent
ou qui les accompagnent , engagent
d'autant plus à excufer , que ce qui plaît
eft toujours repris avec douceur. L'Artifte
eft en ce cas ſemblable à un homme du
SEPTEMBRE . 1756. 219
monde qui parle avec agrément , qu'on
écoute avec plaifir : il fait fi bien oublier
le défaut de correction d'une langue qu'il
ne parle ni purement ni exactement , que
l'on certifieroit qu'il eft impoffible de s'énoncer
ni mieux ni autrement. Cette illufion
ne dépend point du fonds d'étude :
elle prend fa fource dans la féduction ou
l'agrément produits par le tour ,
tour , le ton &
l'à- propos.
Enfin , Meffieurs , s'il a été poffible à
Lemoine , à qui le travail coûtoit tant de
peines , de préfenter par la feule impreffion
du fentiment , une partie auffi délicate
que la légèreté , il eft prouvé que cette
légéreté d'outil ne tient point à ce qu'on
appelle la facilité , qu'elle en eft abfolument
indépendante , qu'elle émane du goût
feul que l'on fçait n'être pas toujours ni
fçavant ni exact . Par une conféquence néceffaire
, cette belle partie doit acquérir
confidérablement dans les mains d'un plus
grand Deffinateur & d'un Artiſte plus occupé
des paffions & du caractere des têtes.
Après vous avoir rapporté , Meffieurs ,
les idées que m'a fait naître l'expreffion de
la égéreté d'outil dans la Peinture , je
croirois qu'on peut définir ce produit du
goût , de l'efprit & du pinceau , en diſant ,
que ce font les dernieres touches qui , con
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
duites par un fentiment exquis , fleuriſſent
toutes les parties d'un tableau. Le terme de
Fleuri eft allégorique , & conféquemment
ne convient point à une définition ; mais
je n'en connois point qui exprime plus
précisément cette légéreté. D'ailleurs je
préfente un doute , & je ferai charmé d'étre
éclairé. Je ne dois point finir cet article
fans avoir dit que ces careffes plus lentes
pour le cifeau dans la Sculpture , ne
font pas moins les mêmes que celles du
pinceau.
La Peinture eft compofée dans tous les
pays qu'elle décore , de deux claffes : l'une,
de ceux qui produifent & exécutent ; l'autre
, de ceux qui connoiffent & qui aiment.
J'ai fait fentir , autant qu'il eft en moi , la
néceffité , les avantages & les charmes de
la légéreté d'outil pour les premiers ; ce
qui me refte à dire , regarde les feconds.
Sans mettre en ligne de compte le plaifir
que peut caufer la connoiffance
d'une copie ou d'un original , je crois
qu'il eft difficile de comparer le chagrin
que reffent un curieux qui fe plaît à raffembler
les beaux ouvrages de l'Art , lorfqu'il
voit démentir fon goût & fa connoiffance
par le mépris témoigné pour un
choix qu'il a regardé comme étant fans
appel . C'eſt en vain que pour défendre fon
SEPTEMBRE. 1756. 221
fentiment , il allegue la prévention des
autres , qu'il accufe leurs mauvais yeux, &
qu'il s'appuie fur l'hiftoire de fon tableau ;
il fouffre intérieurement , & la différence
confidérable du prix n'eft rien en comparaifon
de la vive douleur de fon amourpropre
bleffé. D'un autre côté , il eft quelquefois
effentiel à la fortune de fçavoir
diftinguer une copie d'avec un original .
Voici donc quelques idées ou quelques
moyens de plus que je propoferois aux
curieux pour fixer leur décifion : car ils ne
font pas tous connoiffeurs.
*
1
Indépendamment de la hardieffe du
trait & de la fermeté de la touche par lefquelles
on eft ordinairement déterminé à
la connoiffance d'un original , la légéreté
d'outil me paroît un des meilleurs & des
plus fürs moyens pour déterminer fon jugement
, du moins par rapport aux ouvrages
des Coloriftes ; car il ne faut point
oublier la diftinction que j'ai faite plus
haut : on fçait de plus qu'il n'y a point de
regle fans exception . Un habile homme
conduit par de puiffans intérêts , voudra
copier exactement un tableau capital : il
eft certain qu'il fentira d'abord la légéreté
d'outil , & qu'il en fera féduit , peut- être
même ébloui , d'autant qu'il fe trouvera
dans la néceffité de la percer en quelque
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
façon pour démêler le fonds , eftimer &
diftinguer la préparation & la manoeuvre
de l'Auteur original. Quand le Copiſte a
fait fa préparation à laquelle il n'eft pas
toujours affuré de parvenir par les mêmes
voies , ce qui peut encore le déceler , s'il
veut rendre la légèreté d'outil telle que
l'Auteur l'a produite , ou telle qu'il la voit
encore , ( car le tems en a fouvent détruit
une partie ) , il ne pourra prefque ja
mais y parvenir que par des équivalens
, fur lefquels il lui eft non feulement
facile de fe tromper , mais fa recherche ,
fes foins & fes efforts pour rendre cette
fuperficie , cette fleur qui fait le charme
de l'Art , ferviront d'autant plus à reconnoître
la copie , que la légèreté n'a jamais
d'efforts ni de peines. Ce n'eft pas tout ,
quand même le faire de l'Auteur original
feroit inconnu , on fent aifément que cette
fuperficie ou cet efprit font affectés &
étrangers aux autres parties. On en conviendra
fi l'on penfe qu'un homme , quelque
fçavant qu'il puiffe être dans les langues
, conferve toujours fon premier acl'accent
de fa Nation , fi ce n'eft fur
tous les mots , c'eft au moins fur quelquesuns.
Ainfi la légéreté imitée ne fe trouvera
prefque jamais que par lambeaux dans la
copie , & ces parties découfues font autant
SEPTEMBRE . 1756. 223
:
d'échantillons pour connoître la qualité
de l'étoffe. Le fait eft fi certain , que plus
le Peintre fera fçavant & capable de produire
par lui-même , plus il fe trouvera
dégoûté d'une imitation dont l'objet lui
paroît au moins foible , peu néceffaire peutêtre
, & plus certainement repréhenfible
par le peu de reffemblance qu'il trouve
avec fa façon particuliere d'opérer : par
conféquent moins il approchera de cette
légéreté qu'il a fentie & qu'il a voulu
rendre ; moins il s'en prendra à lui- même ,
& plus il critiquera le grand Maître qu'il
copie. Il croira faire mieux , il aura peutêtre
raiſon mais le mieux ou le plus mal
ferviront également à le reconnoître. Le
dégoût & l'impatience produiront le même
effet car la foumiffion d'un efprit libre ,
né pour l'être ( & c'eft l'appanage des Artiftes
) , conduit prefque toujours à la révolte
, & tout au moins à la pefanteur.
Enfin que de moyens pour fe faire reconnoître
ont fourni de tous les temps ceux
qui veulent fe cacher ! Il faut cependant
convenir que la nature préfente tous les
jours un exemple pour l'excufe du Copiſte ,
& principalement fur l'imitation de la
légéreté d'outil . On fait des amitiés paffageres
à l'enfant d'autrui , un pere ne s'apperçoit
point du temps qu'il emploie à
K iv
224 MERCURE DE FRANCE:
careffer fon propre fils. Pour confirmer la
difficulté des copies dans la Peinture , je
crois devoir rappeller l'exemple de Ciceron.
Il a traduit plufieurs paffages des
Poëtes Grecs avec un feu , une vérité &
une nobleffe dignes des originaux : mais
ces traductions ne font que des paffages ou
des tirades , que des impreffions momentanées
, pour ainfi dire , lui ont permis
de rendre avec chaleur. Ce grand Orateur
n'auroit certainement pas traduit l'ouvrage
entier avec le même feu & la même
élégance : les tranfitions l'auroient arrêté, il
auroit fouvent défapprouvé leur foibleffe ,
une foule de moyens différens auroient
occupé fon efprit . Il n'avoit ni les défauts
de fes enfans à cacher , ni leur beauté à
faire valoir. Un Peintre échauffé par la
vue d'un bel ouvrage de l'Art , faifira de
même une partie , & pourra la rendre avec
le feu & la légèreté d'outil que préfente
l'original. On admire avec raifon ce fragment
, cette portion ; mais ce feroit à tort
que l'on feroit fâché de ne pas voir la totalité
de ce même Tableau copiée . Comme
Ciceron , le Peintre ne pourroit que faifir
& rendre une partie : il auroit pu, comme
ce grand Orateur , donner une idée juſte
& complette de l'ouvrage entier , c'est-àdire
avec fon crayon prendre l'efprit du
SEPTEMBRE. 1756. 225
Tableau , en faire une efquiffe capable de
faire fentir le mérite de l'enfemble : mais
ce produit d'une imagination échauffée
fera fait dans la chaleur , fans fatigue , fans
réflexion , pour ainfi dire , fans être affujetti
au terminé , fans être foumis à un
accord auffi étendu que la fuperficie , on
plutôt la légéreté d'outil.
J'ai fuppofé qu'un habile homme &
capable de produire , avoit de puiffans intérêts
pour fe foumettre à une copie entiere
: nous en avons cependant plufieurs
exemples . Mais vous fçavez mieux que
moi , Meffieurs , qu'on reconnoît affez généralement
dans ces mêmes imitations
non feulement le Maître , mais celui qui
a fait la copie. Cette reconnoiffance entre
de droit dans la partie du faire & de la
maniere. Je ne blâme affurément point ce
moyen pour la décifion d'un original ou
d'une copie : je le joins à ceux de la hardieffe
du trait & de la fermeté de la touche
dont j'ai parlé plus haut ; mais je perfifte
à croire que la légéreté d'outil eft
une reconnoiffance des plus certaines .
C'eſt donc la partie à laquelle je voudrois
exhorter nos curieux à s'attacher plus particuliérement.
Il leur eft d'autant plus aifé
de la diftinguer , qu'elle exige peut être
moins de connoiffance dans la pratique ,
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
& qu'elle eft abfolument dépendante de
l'efprit & du goût ; & c'eft encore par
refpect pour cette fleur que l'on doit
toucher aux Tableaux le moins qu'il eft
poffible. La virginité eſt délicate , un rien
peut bleffer. la
GRAVURE.
IL paroît une nouvelle Eſtampe gravée
d'après le Tableau original de D.Teniers ,
qui eft dans le cabinet de M. le Comte de
Vence. Ce beau morceau pourroit s'intituler
, Teniers Vengé ( 1 ) . M. de Voltaire ,
dans fes Anecdotes fur Louis XIV , cite
pour preuve du goût naturel de ce Prince ,
qu'ayant vu dans fon cabinet quelques
Tabagies de Teniers mêlées parmi des Tableaux
d'Italie , il dit avec mépris : Qu'on
m'ôte delà ces magots . Le Tableau dont il eſt
queftion n'auroit point encouru la cenfure
de ce grand Roi. On y voit une figure de
femme à demi nue , deffinée de très-bon
goût , peinte avec la plus grande fraî
cheur , & une Morbidezze , comme difent
les Italiens , vraiment enchantereffe . Elle
(1 ) Latone vengée. C'eft le titre que porte-
P'Eftampe.
SEPTEMBRE. 1756. 227
eft grouppée avec fes deux enfans ( Apollon
& Diane) , dont l'un eft à fes genoux ,
& l'autre repofe entre fes bras. Ces deux
enfans font charmans & dignes de leur
mere , dont la figure noble exprime la douleur
la plus intéreffante. Le fond du Tableau
eft un payſage , comme on fçait que
les faifoit Teniers , & un ciel vague plein
de touches larges & mouvantes. Des pêcheurs
font fur le devant de la fcene :
quelques-uns font déja métamorphofés ;
les autres font prêts à fubir la même peine
de leur inhumanité. On peut dire , fans
flatter l'Auteur de l'Eftampe qui a déja fait
fes preuves , que tout le mérite du Tableau
fe trouve dans fa
gravure.
Ce morceau large de 16 pouces & haut
de 12 , c'est- à- dire de même grandeur que
le Tableau original , fe trouve chez le
Sieur le Mire , rue S. Jacques , vis -à - vis le
College du Pleffis.
Le Sieur de Fehrt , Graveur , Quay des
Auguftins , chez Barrois , Libraire , vient
de donner au Public deux différentes
Vues de l'Ifle de Minorque , du Fort Saint
Philippe & de Port-Mahon , gravées d'après
les Tableaux peints d'après nature.
Le Sieur Beauvarlet , vient de les
graver
Savoyardes , d'après le Tableau de M.
K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
Jeaurat , expofé au dernier fallon. Cette
Eftampe nous a paru rendre très-bien l'original.
La gaieté Savoyarde y eft furtout
exprimée dans une grande vérité. Ce jeune
Graveur a fait paroître en même temps
le Jardinier , & fon pendant la Fruitiere ,
d'après M.Vanaffe . Ces trois morceaux fe
vendent chez l'Auteur , rue S. Jacques ,
au Temple du Goût.
Le Sieur Feffard , Graveur du Roi , &
de fa Bibliothéque , vient de mettre au
jour les quatre Arts , la Mufique , l'Architecture
, la Peinture & la Sculpture , d'àprès
les tableaux du célebre M.Vanloo. Les
gravures que nous annonçons font les premiers
des tableaux qui décorent le château
de Bellevue , & en particulier le fallon de
ce château . Le Graveur les a dédiées à Madame
la Marquife de Pompadour , dame
du palais de la Reine. Elles fe trouvent
chez l'Auteur , rue faint Thomas du Louvre
, la troifieme porte cochere à gauche ,
en entrant par la place , & au bureau du
Mercure , chez M. Lutton.
Le peu d'efpace qui refte pour les Nouvelles
, nous oblige de remettre la Réponſe
de M. le Roi à M. le Mazurier , au Mercure
prochain.
*
SEPTEMBRE. 1756 229.
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
LE Lundi 26 Juillet , les Comédiens
François donnerent la premiere repréfentation
de Sémiramis , Tragédie remife de
M. de Voltaire . Elle a été encore plus
fuivie à cette reprife que dans fa nouveauté.
Le jeu des Acteurs n'a pas moins
contribué au fuccès que la pompe du;
fpectacle , la beauté des vers & les détails
de la Piece. La derniere Scene du qua-.
trieme Acte où Sémiramis reconnoît
Arface pour fon fils , & voit tous fes
crimes dévoilés , eft une des plus belles
Scenes & des mieux jouées qui foient
au Théâtre. C'est le triomphe de Mademoifelle
Dumeni & de M. Lekain. Le rôle
du Grand-Prêtre a été parfaitement rempli
par M. Grandyal : Mlle Hus, dont le talent
fe perfectionne tous les jours , a rendu
celui d'Azéma de maniere à y faire applaudir
des beautés qu'on n'y avoit pas
230 MERCURE DE FRANCE.
autrefois apperçues. La Piece a eu neuf
repréfentations de fuite , & fera repriſe cet
hyver. Mlle Alart continue à danfer avec
la même réuffite , & le Théâtre François à
avoir feul des fpectateurs.
COMÉDIE ITALIENNE.
Le Jeudi 5 Août , les Comédiens Italiens
ont joué pour la premiere fois les
François au Port Mahon , Comédie nouvelle
en vers en un Acte , fuivie de la
Marfeilloife , Divertiffement nouveau .
L'indifpofition d'un Acteur n'a pas permis
qu'on en donnât une feconde repréſentation
.
Le Jeudi 19 , les mêmes Comédiens
ont repréſenté Arlequin Sauvage , fuivi
des Débuts , petite Piece où Mademoiſelle
Victoire a paru pour la premiere fois dans
le rôle de la Débutante , qu'elle a rempli en
Actrice faite. Elle a reçu les plus grands applaudiffemens
, & nous croyons qu'elle les
mérite. Elle a montré autant d'efprit & de
fineffe dans les fcenes qu'elle a jouées ,
qu'elle a fait voir de goût , d'ame & d'expreffion
dans celle qu'elle a chantée . Elle
a rendu furtout une Ariette ou un air
Italien auffi parfaitement qu'une Françoiſe
SEPTEMBRE . 1756 . 23F
puiffe le rendre, Nous ofons dire d'après
la voix publique , qu'elle annonce un vrai
talent dans les deux genres.
E
OPERA COMIQUE.
Le même jour, l'Opéra Comique a donné
la premiere repréfentation du Diable à
quatre , piece en trois Actes , mêlée d'Ariettes.
Ce drame eft une imitation de la
farce Angloife , qui porte le même titre ,
& qui a été fi heureufement traduite par
M. Patu. Le Public l'a beaucoup applaudi ;
il est très-bien décoré , & préfente un fpectacle
& des fituations rifibles qui font faires
pour ce Théâtre. On y avoit joué précédemment
une autre Piece nouvelle en un
Acte , mêlée auffi d'Ariettes , intitulée les
Amans trompés. Elle a été repréſentée quelque
temps , & affez bien reçue. Elle a dû
cet accueil favorable au choix des airs , &
à la maniere dont Mlle Rofaline & le Sr
la Ruette les ont exécutés.
A Mademoiselle Baptifte , jouant le rôle de
Finette dans les Amans trompés.
Air : L'autre jour étant affis.
QUe tu mets dans tout ton jeu
132 MERCURE DE FRANCE.
Digne éleve de Thalie ,
D'ame , d'efprit & de feu
Quand tu trahis Emilie !
Ton art eft de charmer ,
D'être en tout applaudie
Et de nous faire aimer
Jufqu'à ta perfidie .
•
>
Par M. BRUNET.
CONCERT SPIRITUEL.
LE
E Concert du 15 Août , jour de l'Affomption
, a été auffi beau qu'applaudi.
Il a commencé par le Te Deum , Motet à
grand choeur de la Lande. Enfuite M. Godart
a chanté Conferva me , petit Motet de
M. le Febvre. M. Pifet a joué un Concerto
de violon de fa compofition , avec un feu ,
une aifance & une précision qui ont arraché
des applaudiffemens aux mains les plus pareffeufes.
MM. Gelin & Larivée ont chanté
en Duo un petit Motet. Mlle Fel a chanté
un petit Motet nouveau , avec cette fupériorité
qui ne laiffe rien à défirer , & qui
enleve tous les fuffrages . Le Concert a fini
par Dominus regnavit , Motet à grand
choeur de M. Mondonville. L'exécution
par Mlles Fel & Chevalier , a repondu à
l'excellence du morceau.
SEPTEMBRE. 1756. 233
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU NORD.
DE STOCKHOLM , le 24 Juillet.
LE 16 de ce mois, la Commiffion établie par les
Etats pour juger le Comte de Brahé , le Baron de
Horn , le Capitaine Stalfward , le fieur Puke , &
les nommés Mozelius , Ernft , Ercolin , Chriftienin
& la Chapelle , les a condamnés à avoir la
tête tranchée. On leur lut leur Sentence , & le
Procureur Général de la Commiffion ayant fait le
lendemain aux Etats le rapport des preuves fur
leſquelles eft fondé le jugement , il a été confirmé.
Les quatre premiers ont été décapités aujourd'hui
dans la Place du Ridderholm . Cette exécution
s'eft faite tranquillement & fans aucune rumeur.
On avoit pofté près de la Place du Ridderholm
, plufieurs détachemens de troupes réglées ,
& les Compagnies de la Milice Bourgeoife à che
val. Les Compagnies d'Infanterie de cette Milice
étoient fous les armes dans les autres Places publiques
de la Ville & dans les Fauxbourgs . Les
familles du Comte de Brahé & du Baron de Horn
ont obtenu la permiffion de faire enlever les corps
de ces deux Seigneurs pour leur donner la ſépulture.
Mozelius , Eraft , Ercolin , Chriftienin &
la Chapelle feront conduits après - demain au fupplice.
Les Etats ont envoyé ordre aux Ambaffa
234 MERCURE DE FRANCE.
deurs , Miniftres , Agens & Confuls de Suede
dans les pays étrangers , de réclamer le Comte de
Hardt , le Baron Eric de Wrangel & le Capitaine
Gyllenpetz , partout où l'on pourra découvrir ces
fugitifs.
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 10 Août .
On eft içi fort ſenſible à la priſe de l'Iſle Minor
que. La perte que la Nation fouffre par cet événement
, eft eftimée à plus d'un million de livres
fterlings , fans compter le dommage qui en réfultera
pour la navigation & pour le commerce. Il
paroît qu'on eft dans la ferme réfolution d'examiner
les caufes qui ont empêché que le Fort
Saint-Philippe n'ait été fecouru , & de punir felon
la rigueur des loix ceux qui feront reconnus avoir
défobéi aux ordres qu'ils avoient reçus relativement
à cet objet . Les Amiraux Byng & Weft
font arrivés à Spithéad , le premier ayant été
renvoyé fous arrêts par l'Amiral Hawke . Le
Public attend avec impatience les réponfes que
l'Amiral Byng fera fur les différens chefs d'accufation
intentés contre lui. Surtout on défire de
fçavoir pourquoi il a employé tant de temps à
retourner à Gibraltar après le combat du 20 Mai.
L'Amiral Weft s'eft rendu à Kenſington , pour
informer le Roi de toutes les circonftances du
combat naval du 20 Mai. Sa Majefté a témoigné
être parfaitement fatisfaite de la conduite qu'il a
tenue dans cette action . On garde étroitement
P'Amiral Byng. M. Edouard Byng , fon frere ,
quoique malade , alla le 28 à Portfmouth pour le
voir . Au moment qu'ils s'embraffoient , il arriva
SEPTEMBRE . 1756. 235
un Meffager d'Etat qui venoit prendre l'Amiral
fous fa garde. Cette vue fit une telle impreffion
fur le fieur Edouard Byng , qu'il expira fur le
champ fans proférer une feule parole . Les deux
principales fautes qu'on reproche à l'Amiral
Byng , font de n'avoir pas fait avancer plus de
Vaiffeaux à l'ordre de bataille de l'Amiral Weft ,
& de n'avoir pas tenté à tout hazard l'entrée du
Havre de Mahon , puifque fes ordres étoient pofitifs
à cet égard . Le Général Fowk , ci- devant
Gouverneur de Gibraltar , doit auffi fubir l'examen
d'un Confeil de Guerre , pour n'avoir pas
donné le Régiment que demandoit cet Amiral .
Le Chef d'Eſcadre Howe ayant fait une defcente
dans une petite Ine appartenante aux François,
& fituée à quelque diftance de l'ifle de Guarnefey
, cinquante hommes qui y étoient en garnifon
ont capitulé , & on leur a accordé les honneurs
de la guerre. On a reçu avis que l'Eſcadre ,
qui depuis quelque temps a établi fa croifiere devant
Louisbourg , s'eft emparé du Vaiffeau de
guerre François l'Arc-en - Ciel , de cinquante canons
, & qu'elle a enlevé aufli deux Navires de la
même Nation chargés de provifions , l'un pour
l'ifle Royale , l'autre pour celle de Saint- Jean.
Selon les nouvelles de la Caroline Méridionale ,
le feu a pris à Charles Town dans les magaſins ,
& a confumé une grande quantité de fucre , de
ris & de rhum. Il y a eu auffi un grand incendie à
Bridgeton dans l'Ile de la Barbade. Soixante-cinq
maiſons ont été réduites en cendres , ainfi qu'un
magafin rempli de coton , d'huile , de foufre , &
de plufieurs autres marchandiſes. Le dommage
monte à trois cens cinquante mille livres fterlings .
L'Amirauté a envoyé ordre à Portſmouth , à
Plymouth & à Douvres , de relâcher les Bâtimens
236 MERCURE DE FRANCE.
Hollandois , qui y ont été conduits depuis que la
Grande Bretagne a déclaré la guerre à la France.
Il eft parti ces jours - ci de Spithéad une nouvelle
Eſcadre de dix Vaiffeaux fous les ordres de l'Amiral
Holbourne , pour aller croiſer conjointement
avec l'Amiral Bofcawen fur les côtes de
Bretagne & du Pays d'Aunis. Le Gouvernement
vient de prendre à fon fervice un grand nombre
de Bâtimens de tranſport , dont les Capitaines ont
ordre de s'approvifionner pour un voyage de long
cours.
Aujourd'hui le Général Fowke a fubi un interrogatoire
devant un Confeil de guerre compofé
de quatorze Officiers Généraux . On avoit fait
partir l'Amiral Byng de Portſmouth pour le conduire
ici ; mais on a été obligé de lè remener કે
fon bord , afin de le fouftraire à la fureur de la
populace , qui s'étoit attroupée fur la route dans
le deffein de fe venger fur lui des avantages remportés
par les François.
FRANCE.
DE LA ROCHELLE , le 17 Juillet.
LE Bâtiment l'Heureuse Marie , de Saint -Briac ,
chargé de fel & deſtiné pour Saint- Malo , fut arrêté
le de ce mois à cinq lieues au large de l'Ifie
Dieu par un Corfaire Anglois , qui le rançonna
pour la fomme de deux mille livres. Ce Bâtiment
continuant la route fur la foi de cette rançon fut
rencontré quatre jours après par un autre Corfaire
Anglois , qui exigea une nouvelle rançon de
pareille fomme de deux mille livres , & qui prie
SEPTEMBRE. 1756. 237
un ôtage pour fûreté de fon paiement. Le len
demain , il est tombé encore dans les mains d'un
troifieme Corfaire de la même Nation , lequel
s'eft emparé des deux billets de
rançon , a enlevé
le Bâtiment & l'a conduit en Angleterre. Ces
traits de piraterie font conftatés par la déclaration
juridique , qui en a été faite hier au Greffe de
l'Amirauté de cette Ville par le Capitaine & par
deux hommes de l'équipage François , qui font
revenus dans un Bâtiment Suédois , où ils ont été
mis par le Corſaire Anglois qui l'a rencontré à la
mer.
DE BELLE- ISLE , le 20 Juillet.
Le 4 le Navire le Jahans , de Suede , Capitaine
Petter Jonffon , fe préfenta ici , & demanda unt
Pilote Côtier , qui lui fut donné pour le conduire
au Croific , où il alloit prendre un chargement de
fel. Mais ce Pilote lui fut enlevé le même jour
par un Corfaire Anglois , malgré toutes les repréfentations
que le Capitaine Suédois pût faire à ce
Corfaire fur les dangers auxquels il l'expofoit. Ce
Capitaine fut obligé de revenir ici pour avoir un
fecond Pilote , qui lui fut fourni fur le certificat
qu'il donna de l'enlèvement du premier. Des violences
de cette efpece peuvent avoir les fuites les
plus fâcheufes pour la navigation générale.
DE BORDEAUX , le 3 Août.
La plupart des Bâtimens Hollandois qui font
entrés depuis quelque temps dans ce Port , y ont
fait les rapports les plus étonnans des pyrateries
qu'ils ont eu à fouffrir de la part des Corfaires
Anglois qu'ils ont eu le malheur de rencontrer
dans leur navigation . Ces Corfaires leur ont
enlevé leurs uftenfiles , effets , cordages , voiles
238 MERCURE DE FRANCE.
&
bouffoles , cartes , légumes , poiffon falé , viandes
, porcelaine , vins , liqueurs , provifions ,
mêmejufqu'à leurs habits. Le Capitaine Heynde
rick Stoffe n'a pu fortir de leurs mains , qu'après
qu'ils lui ont emporté genéralement tout ce qu'il
avoit. L'Agent auquel les Capitaines Hollandois
Padreffent ici a été fi touché de leur plaintes ,
qu'il a cru devoir les faire parvenir à M. l'Eſtevenon
de Berkenroode , Ambaffadeur des Etats Généraux
des Provinces-Unies auprès du Roi , en
frant à cet Ambaſſadeur de lui en envoyer des
atteftations authentiques.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
Sa Majefté a accordé les grandes entrées à M. le
A
Maréchal Duc de Belle- Ifle .
Le jour que M. le Comte d'Egmont apporta au
Roi les articles de la Capitulation du Fort Saint-
Philippe , le Corps de Ville fit tirer à cinq & à fept
heures du foir les boîtes d'artillerie & le canon
de la Ville. Sur les neuf heures , il y eut une pareille
falve d'artillerie , pendant laqucile les Prévôt
des Marchands & Echevins allumerent , avec les
cérémonies accoutumées , le bucher qui avoit
été dreffé dans le milieu de la Place de l'Hôtel de
Ville. On tira enfuite une grande quantité de
fufées volantes. La Ville fit en même temps couler
trois fontaines de vin , & diftribuer des viandes au
peuple dans la même Place . Près de chaque fontaine
de vin étoit une Orcheſtre remplie de
Joueurs d'Inftrumens . La Place étoit éclairée par
un grand nombre d'ifs , qui portoient des lumie
res , & la façade de l'Hôtel de Ville l'étoit par
trois filets de terrines fuivant l'Ordre de l'Architecture.
L'Hôtel de M. le Duc de Gefvres , Gou
SEPTEMBRE . 1756. 239
verneur de Paris ; celui du Prevôt des Marchands,
& les maifons des Echevins & des principaux Officiers
de l'Hôtel de Ville , furent auffi illuminés.
Le Roi ayant écrit à l'Archevêque de Paris
pour faire rendre de folemnelles actions de graces
à l'occafion de la conquête de l'Ifle Minorque
on chanta le 25 Juillet le Te Deum dans l'Eglife
Métropolitaine , & P'Abbé de Saint - Exupery ,
Doyen du Chapitre , y officia. M. de Lamoignon ,
Chancelier de France , & M. de Machault , Garde
des Sceaux , accompagnés de plufieurs Confeillers
d'Etat , & Maîtres des Requêtes , y affifterent ,
ainfi que le Parlement , la Chambre des Comptes
, la Cour des Aides & le Corps de Ville , qui
y avoient été invités de la part de Sa Majesté par
M. Defgranges , Maître des Cérémonies.
On tira le même jour dans la Place de l'Hôtel
de Ville , par ordre des Prevôt des Marchands &
Echevins , un Feu d'artifice dont l'exécution ne
laiffa rien à défirer. La décoration repréfentoit
un grand trophée de guerre , élevé à la gloire du
Roi fur les débris d'un Fort . Le corps de ce tro
phée , étoit une pyramide quadrangulaire de
foixante douze pieds de haut , pofée au milieu de
la principale place d'armes du Fort ſur pluſieurs
canons démontés. Des maffes d'armures antiques ,
des efpeces de foleils formés avec les armes enlevées
aux ennemis , & des médaillons au chiffre
du Roi , ornoient les quatre faces de la pyramide.
La boule de France , furmontée d'une couronne ,
lui fervoit d'amortiffement. Cette pyramide étoit
accompagnée de deux colonnes roftrales de cinq
pieds de diametre , conftruites fur les pointes des
Ravelins , & auxquelles étoient attachés des becs
& des proues de Navires. A l'entrée des attaques
on avoit placé diverfes figures allégoriques. Qua
240 MERCURE DE FRANCE.
tre palmiers étoient plantés fur les quatre contre
gardes , qui enveloppoient le corps de la Place ,
& qui enfermoient la feconde enceinte. Les tiges
de ces arbres étoient chargées de dépouilles remportées
par les vainqueurs , & les rameaux étoient
entrelacés de guirlandes auxquelles des couronnes
de laurier de différentes grandeurs étoient fufpendues.
On voyoit au haut des deux colonnes deux
figures, qui repréfentoient, l'une Neptune , l'autre
Le Génie Tutelaire de la Place. La France , entourée
de plufieurs Génies & d'une troupe de Héros ,
paroiffoit à l'endroit de la principale attaque ,
confacrant ce monument en préſence de Mars &
de Minerve.
Cette décoration enrichie de peinture & de
rondeboffe , avoir quatre-vingt-huit pieds de longueur.
Elle étoit difpofée fur plufieurs plans concentriques
, élevés les uns au- deffus des autres , &
elle préfentoit au naturel le tableau d'une fête
militaire , donnée dans un Fort qui venoit d'être
emporté d'affaut. Les différens jeux de l'artifice
exprimerent l'attaque & la défenfe d'une Place.
Ils furent terminés par un coup de feu très-bril
lant , & par un bouquet en réjouiffance de la
victoire.
Au Feu d'artifice fuccéda une magnifique illu
mination. Un triple cordon de lumieres deffinoit
l'architecture de la façade & du grand comble de
l'Hôtel de Ville . Plufieurs luftres garnis de lanternes
de verre éclairoient diverfes parties du bâ
timent. Toute l'enceinte de la Place étoit illuminée
, ainfi que le pourtour du Feu , par des ifs
chargés de lampions .
Il y eut auffi de très- belles illuminations aux
Hôtels de M. le Duc de Gefvres & du Prevôt des
Marchands , & aux maiſons des Echevins & des
principaux
SEPTEMBRE. 1756. 245
principaux Officiers de l'Hôtel de Ville . Des fontaines
de vin coulerent , & l'on diſtribua du pain
& des viandes au peuple dans tous ces différens
endroits, de même que dans la Place de Louis XV ,
dans celle de Louis le Grand , dans celle des Victoires
, dans celle du Carroufel , dans la Place
Royale , dans les Halles , dans le Marché- Neuf ,
à la Place Maubert & à la Croix- Rouge. On
avoit mis des Orcheſtres partout où le faifoient
ces diſtributions , & le peuple jufqu'à cinq heures
du matin témoigna par les danfes la joie que lui
caufoit la profpérité des armes du Roi. Pendant
toute la nuit , la Place devant l'Hôtel de Ville fut
remplie de carroffes.
Deux Armateurs de Calais ont fait deux prifes
affez confidérables . Un Armateur de Dunkerque
a enlevé un Navire Anglois qui forto t d´´la Tamife
, & il l'a conduit à Oftende. Le chargement
de cette derniere priſe eſt eſtimé trois cens mille
livres.
Le Roi a donné le Gouvernement général de
l'Ile Minorque à M. le Comte de Lannon , Maréchal
de Camp . Sa Majefté a fait Marécha x e
fes Camps & Armées MM. de la Serre , Brigadier,
Lieutenant- Colonel du Régiment Royal la Ma
rine; de la Bliniere , Brigadier , Lieutenant- Colonel
du Régiment Royal Infanterie ; le Marquis
de Roquepine , Brigadier , Colonel du Régi
ment Royal Comtois ; le Marquis de Monti , Bi
gadier , Colonel du Régiment Royal Italien ; le
Marquis de Trainel , Brigadier , Colonel d'un
Régiment d'Infanterie ; le Comte d'Egmont , Brigadier
; Meftre de Camp d'un Régiment de Cavalerie
, & le Chevalier de Redmont , Brigadier ,
Meftre de Camp Réformé de Cavalerie. Sa Majeſté
a fait Brigadier de Dragons M. le Duc de
L
242 MERCURE DE FRANCE.
Fronfac , Mestre de Camp de Dragons ; & Elle a
fait Brigadiers d'Infanterie M. le Prince de Rohan-
Rochefort , Colonel d'un Régiment d'Infanterie ;
le Comte de Levis- Leran , Colonel du Régiment
Royal la Marine ; le Chevalier de Clermont d'Amboife
, Colonel du Régiment de Bretagne , & le
Comte de Rochambeau , Colonel du Régiment
de la Marche.
Il y a eu , tant pendant le cours du fiege da
Fort Saint- Philippe , qu'à l'attaque faite des ouvrages
de ce Fort dans la nuit du 27 au 28 Juin ,
treize Officiers tués , & quatre vingt- douze bleffés.
Quatre cens dix -neuf Soldats ont été tués , &
le nombre de ceux qui ont été bleffés monte à
neuf cens quatre- vingt- feize.
Les habitans de Rouen ayant été informés que
M. le Cardinal de Tavannes devoit y arriver le 19
Juillet , le Chapitre de l'Eglife Métropolitaine ,
& tous les Ordres de la Ville , fe font empreffés à
l'envi de lui marquer la part qu'ils prenoient à fa
promotion au Cardinalat . Les Compagnies de la
Bourgoifie , à cheval , avec leurs trompettes &
leurs étendards , font allées au devant de lui ,
à l'entrée du Fauxbourg , dans le lieu où il devoit
fe revêtir de fes habits de cérémonie. Toutes les
Brigades de la Maréchauffée , le Grand Prevôt à
leur tête , fe font rendues au même lieu , & toutes
les perfonnes de confidération y ont envoyé leurs
carroffes, pour former un cortége pompeux . L'im- :
patience de voir le Cardinal avoit fait fortir de la
Ville une partie du peuple ; le refte rempliffoit les
rues & les places publiques. Le Cardinal , en entrant
dans Rouen , a été falué par le canon de la
Ville & par celui du vieux Palais. Le Régiment
de Lyonnois , fous les armes , formoit une doable
Laie depuis la porte du Pont juſqu'au grand Por
SEPTEMBRE . 1756. 243
tail de l'Eglife Métropolitaine , dont l'interieur
étoit gardé par les deux Compagnies de Grenadiers
de ce Corps . Lorfque le Cardinal a été prêt
d'entrer dans la grande Place qui eft devant l'E-`
glife , le Chapitre eft forti proceffionellement ,
pour aller au devant de Son Eminence. Le Haut
Doyen l'a complimentée au nom des Chanoines ,
& elle a été conduite dans le choeur de l'Eglife
Métropolitaine , où les principaux Membres du
Parlement & de la Chambre des Comptes , le
Corps de Ville , les Curés , les Supérieurs des
Communautés Régulieres , & un grand nombre
de perfonnes de diftinction , étoient placés avec
un ordre dont tout le monde a été fatisfait . On a
chanté le Te Deum en mufique & avec fymphonie.
A l'entrée de la nuit , la partie extérieure du
choeur de l'Eglife Métropolitaine , qui termine
d'un côté la cour de l'Archevêché , a été illuminée
, ainfi que toutes les maifons des Chanoines ,
les Communautés Religieufes & plufieurs autres
maifons de la Ville.
"
Le premier d'Août , les Officiers de la Garnifon
de la Rochelle , compofée des Régimens d'Infanterie
de la Sarre & de Breffe , & du Régiment
Royal Dragons , célébrerent par une fête éclatante
la prife du Fort Saint- Philippe . La grande
Place de la Ville étant plantée de plufieurs allées
d'arbres , paroiffoit faite exprès pour rendre ce
fpectacle agréable. Après que les troupes y eurent
formé plufieurs faifceaux de leurs armes , l'Aumônier
du Régiment de la Sarre dit la Meſſe fur un
Autel qu'on dreffa dans l'inftant . Enfuite les foldars
des trois Régimens que l'on mêla exprès ,
prirent leurs places aux différentes tables qui leur
étoient deſtinées , & qui furent fervies avec la
plus grande abondance . On avoit préparé des ta-
Lij
244 MERCURE DE FRANCE.
bles particulieres pour les Maréchaux des Logis &
pour les Sergens . M. de Montpouillan & les
Comtes de Carcado & de la Blache , Colonels , accompagnés
de MM. le Blanc & de Labadie , Lieutenans-
Colonels , & de MM. du Menil , de S. Mery
& de Murat, Majors , allerent inviter M. le Marquis
de Clermont- Gallerande, Lieutenans-Général, qui
commande dans la Province , & M. le Marquis de
Dreux employé fous les ordres en qualité de Maréchal
de Camp , à porter la fanté du Roi & celles
de la Famille Royale. Ces fantés furent bues au
bruit de cinq pieces de canon . Pluſieurs inftrumens
de guerre & de mufique augmenterent la
joie de ce feftin militaire. La fête fut fuivie d'un
magnifique repas fervi à une table de cent cinquante
couverts que donna le Marquis de Gallerande.
Le foir , l'Hôtel de ce Lieutenant Général
fut illuminé en tranſparent. La décoration repréfentoit
le Port-Mahon . Au deffus , on lifoit ce vers :
Difcite juftitiam moniti , &non temnere Divos.
La fête que le Prince de Croy a donnée le
même jour au Camp fous Calais , a été de la plus
grande magnificence. Quarante- cinq Dames y
avoient été invitées , ainfi que M. d'Invault , Intendant
de Picardie , & tous les Officiers des Etats
Majors des Villes , Citadelles & Forts des environs
du Camp . On fervit pour cette Compagnie &
pour les Officiers des troupes dont le Camp eft
compofé , plufieurs tables fous des baldaquins à
la Chinoife , dont les bords étoient feftonnés par
des guirlandes de fleurs . Ces mêmes guirlandes
defcendoient par diverfes circonvolutions autour
des colonnes qui foutenoient les baldaquins. Pendant
le repas, qui dura depuis quatre heures aprèsmidi
jufqu'à fept , & dans lequel il régna autant
de profufion que de délicateffe , on diftribua dụ
pain , de la viande & de la biere aux foldats. Les
SEPTEMBRE . 1736. 245
Comédiens jouerent la Comédie gratis ; & comme
la falle du Spectacle ne pouvoit contenir qu'une
petite partie des troupes , on avoit placé des Farceurs,
des Danfeurs de cordes & des Joueurs de gobelets,
à la tête de chaque Brigade . Sur les fept heures
& demie , on chanta le Te Deum dans la Chapelle
du Camp , au bruit de tous les inftrumens de
guerre. Lorfque la nuit commença , trois fufées
partirent d'une montagne à deux lieues du Camp ,
qui eft précisément vis - à-vis de Douvres . La Ville
& la Citadelle de Calais , & tous les Forts des
ennemis répondirent à ce fignal par des falves
générales de leur artillerie. Ces falves furent repétées
trois fois . Elles furent fuivies d'un Feu
d'artifice , dont la décoration repréfentoit un
Fort quarré à double enceinte , femblable à celui
de Saint-Philippe . A la fin du Feu , il tomba fur
le Fort une fleur de lys enflammée. Plufieurs fougaffes
jouerent en même temps , & renverferent
tous les ouvrages . On demeura un inftant dans
une grande obfcurité . Puis on vit s'élever par
dégrés un foleil d'artifice . Les Armes de France
parurent deffinées en feu brillant . Au deffus étoit
un Vive le Roi en caracteres lumineux , parfaitement
exécuté .
La Ville de Saint- Malo ne s'eft pas moins
diftinguée par les réjouiffances qu'elle a faites le
8 , à l'occafion de la conquête de l'Ile Minorque.
Voici le Mandement de M. l'Evêque de cette Ville ,
qui a ordonné de chanter le Te Deum à ce fujet.
MANDEMENT de Monseigneur l'Evêque
de Saint- Malo , à l'occasion de la Conquête de
L'Ife Minorque .
Ean
Ean - Jofeph de Fogaffes de fa Baftie , par la
miféricorde de Dieu ., & c. Salut.
Lij
246 MERCURE DE FRANCE.
Les actions de graces folemnelles que nous vous
annonçons , MES TRÈS-CHERS FRERES , ne doivent
pas être regardées comme de vaines cérémonies
, ou comme de fimples démonftrations de
la joie que nous caufent les événemens qui en
font l'objet. On protefte publiquement par ces
fignes extérieurs de reconnoiffance , que le Sei
gneur eft le Dieu des Armées ( 1 ) & que fa providence
en dirige toutes les opérations , fuivant l'ordre
de fes décrets toujours infiniment fages & infiniment
juftes , quoique fouvent impénétrables.
Les Puiffances de la terre fe glorifient en vain
dans le nombre de leurs Troupes ou de leurs Vaiffeaux
. Il y a dans le Ciel un fouverain Maître à
qui la mer & la terre appartiennent également ,
& qui déconcerte , quand il lui plaît , tous les projets
des hommes .
Comment êtes- vous tombée ( 2 ) difoit autrefois le
Seigneur par fes Prophétes à une Nation qui fe
vantoit de pofféder l'empire de la mer , Comment
êtes-vous tombée , vous , qui habitiez dans la mer,
qui étiezfiforte fur cet élement , dont les habitans
s'étoient rendus redoutables tout le monde ? vous
qui difiez ( 3 ): Je fuis placée au milieu de la mer, je
fuis le fiege du commerce du trafic des Peuples ?
vous (4) dont les Négocians étoient des Princes ,
dont les Marchands étoient les perfonnes les plus il-
(1 )Tu Domine exercituum Deus , 2 Reg. 7. ¥.27
(2) Quomodo perifti qua habitas in mari , urbs
inclyta qua fuifti fortis in mari cum habitatoribus
tuis quos formidabant univerfi. Ezech . 26. ¥. 17. ·
(3) Negociationi populorum ad infulas multas....
tu dixifti perfecti decoris ego fum & in corde maris
fita. Ezech. 17. V. 3 & 4.
(4 ) Cujus negotiatores principes , inftitores ejus
inclyti terra. Ifaie 23. V. 8 .
SEPTEMBRE . 1756. 247
luflres de la terre ? Les Vaiffeaux ( 1 ) maintenant
ferontfaijs d'étonnement , lorsque vous ferez pouse
même faifie de frayeur : les Ifles feront troublées
dans la mer , parce que perfonne ne fortira de chez
vous. C'est le Seigneur ( 2 ) qui a prononcé cet arrêt,
qui a refolu de vous traiter de la forte pour ren➡
verfer toute la gloire des fuperbes. C'eft ( 3 ) parce
que votre coeur s'eft élevé que vous avez dit : Je
fuis affis comme un Dieu au milieu de la mer : c'eſt
pour cela , dit le Seigneur , que je ferai marcher
contre vous les plus puiffans d'entre les peuples qui
viendront l'épée à la main confondre votre prétendue
fageffe.
Ces événemens , quoique predits par Pefprit
de Dieu long- temps auparavant , furent regardés
lorfqu'ils arriverent , comme les effets ordinaires
de l'ambition & de la politique . Mais fi Dieu ,
pour exercer notre foi , fe plaît à cacher les opérations
fous le voile des caufes naturelles , il n'en
eft pas moins la caufe premiere & principale à la
quelle toutes les autres font fubordonnées , & qui
les fait toutes fervir à l'exécution de fes deffeins.
C'eft lui qui préfide au Confeil des Rois & qui
eft l'auteur de la fageffe des projets qu'ils forment .
C'est lui qui répand dans le foldat cette valeur à
qui rien ne réſiſte , & cette conſtance que rien ne
›
(1 ) Nunc ftupebunt naves in die pavoris tui:
turbabuntur infula in mari , eo quòd nullus egrediatur
ex te. Ezech. 26. V. 18.
(2) Dominus exercituum cogitavit hoc, ut detraheret
fuperbiam omnis gloria. Ilaïe 23. V. .9 .
.... Toin
(3 ) Eo quòd elevatum eft cor tuum & dixifti...
Deus ego fum, & ... fedi in corde maris ... propterea
dicit Dominus .... ecce ego adducam fuper te
buftiffimos gentium , &nudabunt gladios fuosfuper
pulchritudinem fapientia tua . Ezech . 28. V. 2 , 6, 7.
248 MERCURE DE FRANCE.
rebute. C'est lui qui inſpire aux Généraux l'activité
, la prudence , le courage & la fermeté . Ceſt
lui qui les fait triompher des obftacles multipliés ..
que leur oppofent la nature , l'art , les contretemps
& la défenfe la plus opiniâtre . C'est à lui
par conféquent & à lui feul que doit fe rapporter
toute la gloire des ſuccès.
Tel eft M. T. C. F. l'efprit qui doit animer les
chants d'allégreffe & les Cantiques de louange
que nous allons offrir au Seigneur en reconnoiffance
de la conquête de l'Ile Minorque . Il eſt naturel
que cette reconnoiffance s'étende à ceux dont
Dieu s'est fervi pour une conquête fi glorieufe &
fi utile à la Nation . La Religion autorife ces fentimens
loin de les condamner , & nous avons dans
cette Province & prefque fous les murs de cette
Ville , un motif bien intéreffant de nous y livrer.
( 1 ) Mais n'oublious jamais que c'eft ( 2 ) le Šeigneur
qui, fans avoir égard à la puissance des armes , donne
la victoire , comme il lui plait , à ceux qui en
font dignes. Implorons donc fon ſecours avec confiance
demandons- lui qu'il continue de bénir
les entrepriſes du plus puiffant , du plus jufte & du
plus pacifique de tous les Rois. Après les preuves
de modération que fes Ennemis même ont dû
admirer en lui , prier pour la profpérité de fes Armes
, c'eft prier pour le repos & pour le bonheur
de toute l'Europe. A ces cauſes , &c.
( 1 ) Il y a un Camp auprè de Saint -Malo.
(2) Non fecundùm armorum potentiam , ſed, prout
ipfi placet , dat dignis victoriam. 1. Mach. 15. Ý. 21 .
Voici une Piece de Vers qui nous a été envoyée
trop tard pour être inférée à la Partie Fugitive ,
& que nous plaçons ici par addition .......
1
१
SEPTEMBRE . 1756 . 249
EPITRE de M. de Voltaire à M. des Mabys
, aux Delices , 24 Juillet.
1
Vous ne comptez pas trente hyvers :
Les graces font votre partage ;
Elles ont dicté vos beaux vers ;
Mais je ne fçais par quel travers
Vous vous proposez d'être fage.
C'eſt un mal qui prend à mon âge ,
Quand le reffort des paffions ,
Quand de l'amour la main divine ,
Quand les belles tentations
Ne foutiennent plus la machine.
Trop tôt vous vous défefpérez ;
Croyez- moi , la raiſon févere
Qui trompe vos fens égarés ,
N'eſt qu'une attaque paffagere.
Vous êtes jeune & fait pour plaire,
Soyez fûr que vous guérirez :
Je vous en dirois d'avantage
Contre ce mal de la raifon
Que je hais d'un fi bon courage ;
Mais je médite un gros Ouvrage
Pour le Vainqueur de Port-Mahon.
Je veux peindre à ma Nation
Ce jour d'éternelle mémoire.
Je dirai , moi , qui fçais l'histoire ,
Qu'un géant nommé Gérion
Fut pris autrefois par Alcide
250 MERCURE DE FRANCE.
Dans la même Iſle , au même lieu ,
Où notre brillant Richelieu
A vaincu l'Anglois intrépide
Je dirai qu'ainfi que Paphos
Minorque à Vénus fut foumife :
Vous voyez bien que mon Héros
Avoit double droit à ſa priſe.
Je fuis Prophète quelquefois.
J'ai prédit fes heureux exploits ,
Malgré l'envie & la critique ;
Et l'on prétend que je lui dois
Encor une Ode pindarique.
Mais les Odes ont peu d'appas
Pour les Guerriers & pour moi- mêmé ;
Et je conviens qu'il ne faut pas
Ennuyer les Héros qu'on aime .
Nous annonçons auffi par Supplémentfix
Trio, & une piece intitulée le Port- Mahon,
dont la compofition a paru aux Connoiffeurs
auffi piquante que finguliere. M. Lanzetti
, ce Muficien célébre , & qu'on peut
appeller l'Orphée du violoncelle , en eft
l'Auteur.
"
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le Mercure du mois de Septembre , & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion . A
Paris , ce 29 Août 1756. GUIROY
251
TABLE DES ARTICLES.
The ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
LA Main droite & la Main gauche , Fable ,
Vers fur les Anglois
Sur le Choix des fociétés ,
Epître à Madame d'Al ....
page s
7
9
22
Suite de la Vie de Jules Céfar , 29
Vers de M. le Préſident de Ruffey , à M. de Voltaire
, fur la prife de Port- Mahon ,
Sonnet fur le même fujet ,
Vers au Maréchal Duc de Richelieu ,
Les Conditions inutiles. Nouvelle ,
Epigramme fur l'Angleterre ,
58
60
61
63
79
Vers à Son Eminence le Cardinal de Luynes , 80
L'Hommage rendu à la Sainte Vierge , par Monfeigneur
le Dauphin & Madame la Dauphine ,
à Chartres , Ode ,
Lettre fur la Nobleffe ,
Vers fur la Prife du Fort S. Philippe ,
Autres fur le même ſujet ,
ibid.
83
92
93
୨୨
Vers fur le Traité d'alliance entre le Roi de Fran
ce & l'Impératrice , Reine de Hongrie ,
Epître de M. de Voltaire , à M. des Mahys ,
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
Mercure d'Août ,
Enigme & Logogryphe ,
Chanfon ,
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
249
99
100
ΙΟΣ
Suite des Réflexions ſur l'Hiſtoire de la Ville de
Paris , & c.
103,
252
Réponse à ces Réflexions , & c.
Lettre à M. de Boiffy , fur le Change ,
123
134
Extraits , Précis ou Indications des livres nouveaux
,
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES,
138
Phyfique. Mémoire fur la caufe des Tremblemens
de Terre ,
Chirurgie. Lettre fur la Lithotomie , &c.
Commerce.
161
375
196
203
207 & 250
Prix propofé par l'Académie de Berlin ,
Mufique.
ART. IV. BEAUX - ARTS.
Peinture. Differtation lue à l'Académie de Peinture
,
Gravure.
207
226
ART. V. SPECTACLES.
Comédie Françoife . 229
Comédie Italienne.
230
Opéra comique. 231
Concert Spirituel . 232
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres , 233
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 238
La Chanfon notée doit regarder la page 101.
De l'Imprimerie de Ch. Ant. Jombert.
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
JUILLET. 1756 .
PREMIER VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine .
fc.
Chez
Cochin
Filius inv
PapillonSculp
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais .
PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Anguftins.,
Avec Approbation & Privilege da Roi,
HE NEW YORK
UBLIC LIBRARY
335202
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1905
AVERTISSEMENT.
E Bureau du Mercure eft cher M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis an
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à lapartie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la poſte , payeront
pourfeize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payéront comme à Paris
qu'à raison de 30 fols par volume , c'eſt-àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreſſe ci - deſſus.
A ij
On Supplie lesperfonnes des provinces d'en-"
voyerpar la poste , enpayant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance an
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis
resteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ;
Mercredi & Jeudi de chaque femaine , aprèsmidi,
On peut se procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainſi que les Livres
, Eflampes & Mufique qu'ils annoncent,
On prie les perfonnes qui envoient des Li
vres , Eftampes & Mufiques à annoncer ,
d'en marquer le prix,
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET . 1756.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
A Daphné , fur un Miroir de Toilette.
Cette glace à mon coeur va devenir ſemblable ;
Elle doit recevoir l'éclat de vos attraits :
Je jouirai pourtant d'un deftin préférable ;
Ce Miroir , en ceffant de rencontrer vos traits ,
Ceffera d'exprimer votre figure aimable ,
Et mon coeur plus conftant ne la perdra jamais.
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
RÉPONSE.
Non , je n'en croirai point le galant parallele
Que me fait Coridon du coeur & du Miroir ;
L'un eft plus féduiſant , mais l'autre eft plus fidele ::
L'un rend ce qu'il a vu , l'autre ce qu'il croit voir.
Petits amours , charmans Apelles ,
Vos fragiles couleurs ne durent qu'un printemps :
Dans le coeur des Bergers vous nous peignez bien
belles ;
Mais vous ne peignez pas long- tems.
A MONSEIGNEUR
LE CARDINAL DE GES VRES.
Calendes des Curés du Diocèse de Beauvais.
Quan Uand le canon de vos remparts ,
Retentiffant de toutes parts ,
Eut ronflé l'heureufe nouvelle
Qui fatisfait notre amour
notre zele ,
Nos Curés difpos & gaillards
Furent remplis , fous leurs toits campagnards
D'une alégreffe mutuelle..
Pour marquer en ces jours fameux
Toute notre réjouiffance ,
JUILLET . 1756. 1
Et demander par mille voeux
Le bonheur de votre Eminence ,
Qui doit faire plus d'un heureux ,
On adreffa dans tous nos Prefbyteres
Beaucoup de lettres circulaires ,
Qui condamnoient aux dépens des repas
Tous ceux qui ne s'y rendroient pas.
Maints jours de fête & de calendes
Par ces lettres l'on indiqua :
Pas un d'entre nous n'y manqua',
(Non que l'on eût peur des amandes ,
Mais le plaifir nous ý porta ) :
Dans tous les lieux qu'on nous marqua
On nous vit arriver par bandes.
Le dîner fur table fervi
Avec le fouper tout- enfemble ,
( L'un de l'autre eft toujours fuivi
Lorfque le plaifir nous raffemble ) ,
L'on parla peu d'abord , l'on tint menus propos's
Il faut que la faim fe foulage ,
Et que l'on vuide quelques pots :
Mais l'on s'étendit davantage
Sur le chapitre des chapeaux.
A ce mot feul on fe réveille ,
On reffent un charme fecret ,
Et chacun de vous dit merveille :
Peut-on tarir fur ce fujet ? -
L'un loua cette politeffe
Qui nous éleve juſqu'à vous ,
A iv
8 MERCURE DE FRANCE .
L'autre parla de la tendreffe
Que votre Eminence a pour nous :
Tous releverent la fageffe
Du gouvernement le plus doux.
Pas un feul mot de Bénéfice ,
On ne permuta point ce jour ;
Mais l'on répéta tour à tour
Qu'on vous avoit rendu juſtice.
Perfonne de nous ne finit
Sur un fujet auffi louable :
De notre Prélat refpectable
Nous dîmes ce qu'un enfant dit
D'un pere ami , d'un pere aimable
Qu'il refpecte , honore & chérit.
Tels étoient les propos de table ,
Lorfqu'un gros Curé réjoui ,
Dont le menton à triple étage
Etoit le pendant d'un viſage
Par le champagne épanoui ;
Allons , dit- il , chers camarades ,
Qu'on nous ferve à pleines rafades :
Chacun entendit le fignal ;
Et pour entrer dans ſa penſée ,
Tout notre cercle clérical
But la liqueur bientôt verſée
la fanté du nouveau Cardinal.
On redoubla , tripla ; nos verres
Sont auffi - tôt remplis que bus :
Comme le vin ne manquoit gueres ,
JUILLET. 1756. 9
On but à toutes vos vertus.
Si votre fanté n'eſt pas bonne ,
C'eft grand dommage , Monfeigneur ;
Nous l'avons bue & de grand coeur
Plus de cent fois , Dieu me pardonne ,
Pleins de bon fens & de raiſon ,
( Quand on boit à votre fervice ,
On ne la perd jamais ) chacun de ſa maiſon
Prend la route , fans préjudice
Au mot donné d'aller chez le voiſin
Reprendre un pareil exercice :
Tout au plus tard le lendemain .
Par un Curé de Village , du Diocèse de
Beauvais.
Le premier Mai 1756 .
LE SCRUPULE ,
Ou l'Amour mécontent de lui - même.
LE Ciel foit loué , dit Belife en quittant
le dueil de fon époux , je viens de remplir
un devoir bien affligeant & bien pénible :
il étoit temps que cela finîr . Se voir livrée
des l'âge de feize ans à un homme qu'on ne
conroît pas ; paffer les plus beaux jours
de fa vie dans l'ennui , la diffimulation
la fervitude ; être l'efclave & la victime
A v
to MERCURE DE FRANCE .
d'un amour qu'on infpire & qu'on ne
fçauroit partager , quelle épreuve pour la
vertu ! Je l'ai fubie , m'en voilà quitte. Je
n'ai rien à me reprocher : car enfin je n'ai
point aimé mon époux ; mais j'ai fait femblant
de l'aimer , & cela eft bien plus héroïque.
Je lui ai été fidelle malgré fa ja
loufie : en un mot , je l'ai pleuré. C'eſt ,,
je crois , porter la bonté d'ame auffi loin
qu'elle peut aller. Enfin rendue à moimême
, je ne dépends plus que de ma volonté
, & ce n'eft que d'aujourd'hui que je
vais commencer à vivre . Ah ! comme mon
coeur va s'enflammer , fi quelqu'un parvient
à me plaire : mais confultons- nous.
bien avant que de livrer notre coeur , & ne
courons , s'il eft poffible , ni le rifque de
ceffer d'aimer , ni celui de ceffer d'être
aimée. Ceffer d'être aimée ! cela eft difficile
, reprit- elle en confultant fon miroir ;
mais ceffer d'aimer eft encore pis. Lemoyen
de feindre long-temps un amour:
qu'on ne fent plus , je n'en aurois jamais
la force : quitter un homme après l'avoir
pris , eft une effronterie qui me paffe ; &
puis , les plaintes , le défefpoir , les éclats
d'une rupture , tout cela eft affreux. Aimons :
puifque le Ciel nous a donné un coeur
fenfible ; mais aimons pour toute la vie ,
ne nous flättons point fur ces goûts
JUILLET. 1736.
paffagers , ces fantaifies capricieufes qu'on
prend fi fouvent pour l'amour. J'ai le
temps de choisir & de m'éprouver : il ne
s'agit , pour éviter toute furprife , que de
me former une idée bien claire & bien
précife de l'amour. J'ai lu que l'amour eft
une paffion qui de deux ames n'en fait
qu'une , qui les pénétre en même temps &
les remplit l'une de l'autre , qui les détache
de tout , qui leur tient lieu de tout ,
& qui fait de leur bonheur mutuel leur
foin & leur défir unique . Tel eft l'amour
fans doute ; & d'après cette idée , il me
fera bien aiſé de diftinguer en moi-même
& dans les autres l'illufion de la réalité.
Sa premiere épreuve fe fit fur un jeune
Magiftrat avec qui le partage de la fucceffion
de fon époux l'avoit mife en relation ..
Le Préfident de S.. avec une figure aimable,.
un efprit cultivé , un caractere doux &
fenfible , étoit fimple dans fa parure , na--
turel dans fon maintien , modefte dans fes
propos. Il ne fe piquoit d'être connoiffeur
ni en équipages , ni en pompons : Il ne parloit
point de fes chevaux aux femmes , ni
de fes bonnes fortunes aux hommes. 11 .
avoit tous les talens de fon état fans oftentation
, & tous les agrémens d'un homme
du monde fans ridicule . Il étoit le mêmeau
palais & dans la fociété , non qu'il
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
opinât dans un ffoouuppeerr , ni qu'il plaifantât
à l'audience ; mais comme il n'affectoit
rien , il n'étoit jamais déguisé.
Belife fut touchée d'un mérite fi rare. Il
avoit gagné fa confiance : il obtint fon
amitié , & fous ce nom le coeur va bien
loin. La fucceffion du mari de Beliſe étant
réglée , me feroit- il permis , dit un jour le
Préfident à la veuve , de vous demander
une confidence ? vous propofez-vous de
demeurer libre , ou le facrifice de votre
liberté fera- t'il encore un heureux ? Non
Monfieur , lui dit- elle , j'ai trop de délicateffe
pour faire jamais un devoir à perfonne
de ne vivre que pour moi. Ce devoir
feroit bien doux , reprit le galant Magiftrat
, & je crains bien que fans votre aveu
plus d'un amant ne fe l'impofe. A la bonne
heure , dit Belife , qu'on m'aime fans y être
obligé , c'eſt le plus flatteur de tous les
hommages. Cependant , Madame , je ne
vous foupçonne point d'être coquette . Oh !
vous auriez tort : j'ai la coquetterie en
horreur. Mais vouloir être aimée fans aimer....
Et qui vous dit , Monfieur , que je
n'aimerai point ? on ne prend pas de ces
réſolutions à mon âge. Je ne veux ni gêner,
ni être gênée : voilà tout. Fort bien , vous
voulez que l'engagement ceffe où finira
le penchant. Je veux que l'un & l'autre
JUILLET. 1756. 13
foit éternel , & c'eft pour cela que je veux
éviter jufqu'à l'ombre de la contrainte . Je
me fens capable d'aimer toute ma vie en
liberté ; mais à vous parler vrai , je ne
répondrois pas d'aimer deux jours dans
l'esclavage .
Le Préfident vit bien qu'il falloit ménager
fa délicateffe , & fe contenter avec
elle de la qualité d'ami . Il eut la modeſtie
de s'y réduire , & dès- lors tout ce que
l'amour a de plus tendre fut mis en ufage
pour la toucher. Il y parvint. Je ne vous
dirai point par quels degrés la fenfibilité
de Belife étoit chaque jour plus émue ;
qu'il vous fuffife de fçavoir qu'elle en
étoit au point où la fageffe en équilibre
avec l'amour , n'attend plus qu'un léger
effort pour laiffer pencher la balance. Ils
en étoient là , & ils étoient tête à tête . Les
yeux du Préfident enflammés d'amour , dévoroient
les charmes de Belife , il preffoit
tendrement fa main . Belife tremblante ,
refpiroit à peine. Le Préfident la follicitoit
avec l'éloquence paffionnée du défir. Ah !
Préfident , lui dit- elle enfin ' , feriez- vous
capable de me tromper ? A ces mots le
dernier foupir de la pudeur fembloit expirer
fur fes levres. Non , Madame , lui
dit- il , c'eft mon coeur , c'eft l'amour même
qui vient de parler par ma bouche , & que
16 MERCURE DE FRANCE.
lui , & je ne balance point à prendre parti
pour ce petit animal contre l'homme du
monde que je croyois aimer le plus . N'eftce
point là un amour bien vif, bien folide
& bien tendre ? & voilà comme nous prenons
nos idées pour les fentimens : on s'eft
échauffé la tête , & l'on croit avoir le coeur
enflammé on part delà pour faire toutes
fortes de fottifes. L'illufion ceffe , le dégoût
furvient ; il faut effuyer l'ennui d'être conftante
fans amour , ou changer avec indécence.
Oh ! mon cher Joujou , que ne te
dois-je pas ? C'est toi qui m'as détrompée :
fans toi je ferois , peut- être en ce moment
, accablée de confufion & déchirée
de remords . Soit que Belife aimât ou n'aimât
point le Préfident , car ces fortes de
queftions ne roulent guere que fur l'équi
voque des termes , il eft certain qu'à force
de fe dire qu'elle ne l'aimoit pas ,
elle
vint à s'en convaincre ; & un jeune Militaire
acheva bientôt de le lui perfuader.
par-
Lindor venoit d'obtenir une Compagnie
de Cavalerie , au fortir des Pages. La fraî
cheur de la jeuneffe , l'impatience du défir ,
l'étourderie & la légereté , qui font des
graces à feize ans , & des ridicules à trente ,
rendirent intéreffant aux yeux de Belife
cet enfant bien né , qui avoit l'honneur
d'appartenir à la famille de fon époux.
JUILLET. 1756. 17
Lindor s'aimoit beaucoup lui - même
comme de raiſon ; il fçavoit qu'il étoit
bien- fait , & d'une figure charmante. Il le
difoit quelquefois ; mais il rioit de fi bon
coeur après l'avoir dit ; il montroit en riant
une bouche fi fraîche & de fi belles dents ,
qu'on pardonnoit ces naïvetés à fon âge. Il
mêloit d'ailleurs des fentimens fi fiers & fi
nobles aux enfantillages de l'amour- propre,
que tout cela enſemble n'avoit rien que
d'intéreſſant : il vouloit avoir une jolie
Maîtreffe , & un excellent cheval de bataille
; il fe regardoit dans une glace faifant
l'exercice à la Pruffienne. Il prioit Belife
de lui prêter le Sopha couleur de rofe , & lui
demandoit fi elle avoit lu le Polibe de Folard.
Il lui tardoit d'être au printemps
pour avoir un habit délicieux en cas de
paix ,, ou pour entrer en campagne s'il y
avoit guerre. Ce mêlange de frivolité &
d'héroïſme , eft peut-être ce qu'il y a de
plus féduifant aux yeux d'une femme. Un
preffentiment confus que cette jolie petite
créature qui badine à une toilette , qui
fe careffe , qui fe mire va peut -être
dans deux mois fe précipiter à travers les
batteries dans un bataillon ennemi , ou
grimper comme un Grenadier fur une
breche minée ; ce preffentiment donne
aux gentilleffes d'un petit- maître un carac
>
Presentedby
John Bigolou
tothe
Century
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Presented by
entury Association
to the
New
40
Library
* DM
Mercure
тение
ЖІМ
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tothe
Century
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New
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to the
Associatio
Library
DM
Mercure
Mereer
ЖІМ
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU
ROI.
JUILLET. 1756 .
PREMIER VOLUME.
Diverfité, c'est ma devife. La Fontaine.
Chez
Cochin
Filius inv
Pillon Sculp
1715.
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
Avec Approbation & Privilege du Roi,
HE NEW YORK
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ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1905
1
15
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eſt chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY ,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles ore
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du portfur
leur compte , ne payéront comme à Paris
qu'à raifon de 30 fols par volume , c'eſt-àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreſſe ci - deſſus.
A ij
On fupplie les perfonnes des provinces d'en-`
voyerpar la poſte , en payant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis
refteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obſervera
de rester à fon Bureau les Mardi ;
Mercredi & Jeudi de chaque femaine, aprèsmidi.
On peut fe procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainfi que les Livres
, Eflampes & Mufique qu'ils annoncent,
On prie les perfonnes qui envoient des Li
vres , Eftampes & Mufiques à annoncer ɔ
d'en marquer le prix,
*
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET. 1756.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE .
VERS
A Daphné , fur un Miroir de Toilette.
Cette glace à mon coeur va devenir ſemblable ;
Elle doit recevoir l'éclat de vos attraits :
Je jouirai pourtant d'un deſtin préférable ;
Ce Miroir , en ceffant de rencontrer vos traits ,
Ceffera d'exprimer votre figure aimable ,
Et mon coeur plus conftant ne la perdra jamais.
A iij
8 MERCURE DE FRANCE.
L'autre parla de la tendreffe
Que votre Eminence a pour nous :
Tous releverent la fageffe
Du gouvernement le plus doux.
Pas un feul mot de Bénéfice ,
On ne permuta point ce jour ;
Mais l'on répéta tour à tour
Qu'on vous avoit rendu juſtice.
Perfonne de nous ne finit
Sur un fujet auffi louable :
De notre Prélat refpectable
Nous dîmes ce qu'un enfant dit
D'un pere ami , d'un pere aimable
Qu'il refpecte , honore & chérit .
Tels étoient les propos de table ,
Lorfqu'un gros Curé réjoui ,
Dont le menton à triple étage
Etoit le pendant d'un vifage
Par le champagne épanoui ;
Allons , dit-il , chers camarades ,
Qu'on nous ferve à pleines rafades :
Chacun entendit le fignal ;
Et pour entrer dans fa penſée ,
Tout notre cercle clérical
But la liqueur bientôt verféela
fanté du nouveau Cardinal .
On redoubla , tripla ; nos verres
Sont auffi - tôt remplis que bus :
Comme le vin ne manquoit gueres ,
JUILLET.. 1756 . 9
♦
On but à toutes vos vertus.
Si votre fanté n'eſt pas bonne ,
C'eft grand dommage , Monſeigneur ;
Nous l'avons bue & de grand coeur
Plus de cent fois , Dieu me pardonne ,
Pleins de bon fens & de raifon ,
( Quand on boit à votre ſervice ,
On ne la perd jamais ) chacun de fa maiſon
Prend la route , fans préjudice
Au mot donné d'aller chez le voiſin
Reprendre un pareil exercice
Tout au plus tard le lendemain.
Par un Curé de Village , du Diocèse de
Beauvais.
Le premier Mai 1756.
LE SCRUPULE ,
Ou l'Amour mécontent de lui - même.
Le Ciel foit loué , dit Beliſe en quittant
le dueil de fon époux , je viens de remplir
un devoir bien affligeant & bien pénible :
il étoit temps que cela finît . Se voir livrée
des l'âge de feize ans à un homme qu'on ne
conroît pas ; paffer les plus beaux jours
de fa vie dans l'ennui , la diffimulation ,
la fervitude ; être l'esclave & la victime
A v
To MERCURE DE FRANCE.
d'un amour qu'on infpire & qu'on ne
fçauroit partager , quelle épreuve pour la
vertu ! Je l'ai fubie , m'en voilà quitte. Je
n'ai rien à me reprocher : car enfin je n'ai
point aimé mon époux ; mais j'ai fait femblant
de l'aimer , & cela eft bien plus héroïque.
Je lui ai été fidelle malgré ſa jaloufie
: en un mot , je l'ai pleuré . C'eft ,.
je crois , porter la bonté d'ame auffi loin
qu'elle peut aller. Enfin rendue à moimême
, je ne dépends plus que de ma volonté
, & ce n'eft que d'aujourd'hui que je
vais commencer à vivre. Ah ! comme mon
coeur va s'enflammer , fi quelqu'un parvient
à me plaire : mais confultons- nous
bien avant que de livrer notre coeur , & ne
courons , s'il eft poffible , ni le rifque de
ceffer d'aimer , ni celui de ceffer d'être
aimée. Ceffer d'être aimée ! cela eft difficile
, reprit-elle en confultant fon miroir ;
mais ceffer d'aimer eft encore pis. Lemoyen
de feindre long-temps un amour:
qu'on ne fent plus , je n'en aurois jamais
la force : quitter un homme après l'avoir
pris , eft une effronterie qui me paffe ; &
puis , les plaintes , le défefpoir , les éclats
d'une rupture , tout cela eft affreux. Aimons :
puifque le Ciel nous a donné un coeur
fenfible ; mais aimons pour toute la vie ,
& ne nous flättons point fur ces goûts
JUILLET. 1736.
paffagers , ces fantaiſies capricieuſes qu'on
prend fi fouvent pour l'amour. J'ai le
temps de choisir & de m'éprouver : il ne
s'agit , pour éviter toute furprife , que de
me former une idée bien claire & bien
précife de l'amour. J'ai lu que l'amour eft
une paffion qui de deux ames n'en fait
qu'une , qui les pénétre en même temps &
les remplit l'une de l'autre , qui les détache
de tout , qui leur tient lieu de tout ,
& qui fait de leur bonheur mutuel leur
foin & leur défir unique. Tel eft l'amour
fans doute ; & d'après cette idée , il me
fera bien aifé de diftinguer en moi-même
& dans les autres l'illufion de la réalité.
Sa premiere épreuve fe fit fur un jeune
Magiftrat avec qui le partage de la fucceffion
de fon époux l'avoit mife en relation .
Le Préfident de S .. avec une figure aimable,.
un efprit cultivé , un caractere doux &
fenfible , étoit fimple dans fa parure , na--
turel dans fon maintien , modefte dans fes
propos. Il ne fe piquoit d'être connoiſſeur
ni en équipages , ni en pompons : Il ne parloit
point de fes chevaux aux femmes , ni
de fes bonnes fortunes aux hommes. Il :
avoit tous les talens de fon état fans oftentation
, & tous les agrémens d'un hommedu
monde fans ridicule . Il étoit le même.
au palais & dans la fociété , non qu'il
Avj
12 MERCURE DE FRANCE.
opinât dans un fouper , ni qu'il plaifantât
à l'audience ; mais comme il n'affectoit
rien , il n'étoit jamais déguiſé.
Belife fut touchée d'un mérite fi rare . Il
avoit gagné fa confiance : il obtint fon
amitié , & fous ce nom le coeur va bien
loin. La fucceffion du mari de Belife étant
réglée , me feroit- il permis , dit un jour le
Préfident à la veuve , de vous demander
une confidence ? vous propofez- vous de
demeurer libre , ou le facrifice de votre
liberté fera- t'il encore un heureux ? Non ,
Monfieur , lui dit- elle , j'ai trop de délicateffe
pour faire jamais un devoir à perfonne
de ne vivre que pour moi. Ce devoir
feroit bien doux , reprit le galant Magiftrat
, & je crains bien que fans votre aveu
plus d'un amant ne fe l'impoſe. A la bonne
heure , dit Belife , qu'on m'aime fans y être
obligé , c'eft le plus flatteur de tous les
hommages. Cependant , Madame , je ne
vous foupçonne point d'être coquette . Oh !
vous auriez tort : j'ai la coquetterie en
horreur. Mais vouloir être aimée fans aimer....
Et qui vous dit , Monfieur , que je
n'aimerai point ? on ne prend pas de ces
réfolutions à mon âge. Je ne veux ni gêner,
ni être gênée : voilà tout . Fort bien , vous
voulez que l'engagement ceffe où finira
le penchant. Je veux que l'un & l'autre
JUILLET. 1756. 13
foit éternel , & c'eft pour cela que je veux
éviter jufqu'à l'ombre de la contrainte . Je
me fens capable d'aimer toute ma vie en
liberté ; mais à vous parler vrai , je ne
répondrois pas d'aimer deux jours dans
l'esclavage.
nager
Le Préfident vit bien qu'il falloit méfa
délicateffe , & fe contenter avec
elle de la qualité d'ami . Il eut la modeftie
de s'y réduire , & dès-lors tout ce que
l'amour a de plus tendre fut mis en ufage
pour la toucher. Il y parvint. Je ne vous
dirai point par quels degrés la fenfibilité
de Belife étoit chaque jour plus émue ;
qu'il vous fuffife de fçavoir qu'elle en
étoit au point où la fageffe en équilibre
avec l'amour , n'attend plus qu'un léger
effort pour laiffer pencher la balance. Ils
en étoient là , & ils étoient tête à tête. Les
yeux du Préfident enflammés d'amour, dévoroient
les charmes de Belife , il preffoit
tendrement fa main. Belife tremblante ,
refpiroit à peine. Le Préfident la follicitoit
avec l'éloquence paffionnée du défir . Ah !
Préfident , lui dit- elle enfin ', feriez - vous
capable de me tromper ? A ces mots le
dernier foupir de la pudeur fembloit expirer
fur fes levres. Non , Madame , lui
dit- il , c'eft mon coeur , c'eft l'amour même
qui vient de parler par ma bouche , & que
14 MERCURE DE FRANCE.
je meure à vos pieds , fi ... comme il tomboit
aux pieds de Belife fon genou porta
fur une patte de Jonjou, le chien favori de
la jeune veuve. Joujou fit un cri de douleur.
Ah ! Monfieur , que vous êtes maladroit
, s'écria Belife avec un mouvement
de colere. Le Préfident rougit , & fut déconcerté.
Il prit Jonjou dans fon féin , lui» -
baifa la patte offenfée , lui demanda mille
fois pardon , & le pria de folliciter fa gra
ce. Jonjon revenu de fa douleur , rendit
au Préfident fes careffes. Vous le voyez ,
Madame , il a le coeur bon ; il me pardon--
ne : c'eſt un bel exemple pour vous . Belife
ne répondit point. Elle étoit tombée dans ·
une rêverie profonde & dans un férieux
glacé. Il voulut d'abord prendre ce férieux
pour un badinage , & fe remettre aux ge--
noux de Belife pour l'appaifer. De grace ,
Monfieur , levez - vous , lui dit- elle , ceslibertés
me déplaifent , & je ne crois pas y
avoir donné lieu.
Qu'on s'imagine l'étonnement du Préfi
dent . Il fut deux minutes confondu fans
proférer une parole . Quoi ! Madame , lui
dit-il enfin , feroit - il poffible qu'un accident
auffi léger m'eût attiré votre colere ?
Point du tout , Monfieur , mais je puis
fans colère trouver mauvais qu'on foit à
mes genoux : c'eft une fituation qui ne
"
is
JUILLET. 1756. 15a
›
convient qu'aux amans heureux , & je
vous eftime trop pour vous foupçonner
d'avoir ofé prétendre à l'être. Je ne vois
point , Madame , repliqua le Préfident
avec émotion , en quoi un espoir fondé
fur l'amour me rendroit moins eftimable ;.
mais oferois-je vous demander , puifque
l'amour est un crime à vos yeux , quel eft
le fentiment que vous m'avez témoigné ?
De l'amitié , Monfieur , de l'amitié , &
je vous prie très-fort de vous en tenir là. Je
vous demande pardon , Madame , j'aurois
juré que c'étoit autre chofe ; je vois bien
que je ne m'y connois pas.. Cela fe peut
Monfieur bien d'autres que vous s'y
trompent. Le Préfident ne put foutenir
plus long-temps un caprice auffi étrange.
Il fortit le défefpoir dans l'ame , & il ne
füt point rappellé. Dès que Belife fut feule ::
N'allois-je pas faire une belle folie , ditelle
avec dépit j'ai vu le moment où ma
foibleffe cédoit à un homme que je n'aimoispas.
On a bien raifon de dire qu'on ne
connoît rien moins que foi-même. J'aurois
juré que je l'adorois , qu'il n'étoit rien
dont je ne fuffe difpofée à lui faire le facrifice
; point du tout : il lui arrive , fans le
vouloir , de faire du mal à mon petit
chien , & cet amour fi paffionné fait place
à la colere. Un chien me touche plus que
"
16 MERCURE DE FRANCE.
lui , & je ne balance point à prendre parti
pour ce petit animal contre l'homme du
monde que je croyois aimer le plus . N'eftce
point là un amour bien vif , bien folide
& bien tendre ? & voilà comme nous prenons
nos idées pour les fentimens on s'eft
échauffé la tête , & l'on croit avoir le coeur
enflammé on part. delà pour faire toutes
fortes de fottifes . L'illufion ceffe, le dégoût
furvient ; il faut effuyer l'ennui d'être conftante
fans amour , ou changer avec indécence.
Oh ! mon cher Joujou , que ne te
dois-je pas ? C'est toi qui m'as détrompée
:
fans toi je ferois , peut- être en ce moment
, accablée de confufion & déchirée
de remords. Soit que Belife aimât ou n'aimât
point le Préfident , car ces fortes de
queftions ne roulent guere que fur l'équi
voque des termes , il eft certain qu'à force
de fe dire qu'elle ne l'aimoit pas , elle
parvint
à s'en convaincre ; & un jeune Militaire
acheva bientôt de le lui perfuader.
Lindor venoit d'obtenir une Compagnie
de Cavalerie , au fortir des Pages. La fraî
cheur de la jeuneffe , l'impatience du défir ,
l'étourderie & la légereté , qui font des
graces à feize ans , & des ridicules à trente ,
rendirent intéreffant aux yeux de Belife
cet enfant bien né , qui avoit l'honneur
d'appartenir à la famille de fon époux.
JUILAET. 1756. 17
>
Lindor s'aimoit beaucoup lui - même
comme de raiſon ; il fçavoit qu'il étoit
bien- fait , & d'une figure charmante. Il le
difoit quelquefois ; mais il rioit de fi bon
coeur après l'avoir dit ; il montroit en riant
une bouche fi fraîche & de fi belles dents ,
qu'on pardonnoit ces naïvetés à fon âge. Il
mêloit d'ailleurs des fentimens fi fiers & fi
nobles aux enfantillages de l'amour- propre,
que tout cela enſemble n'avoit rien que
d'intéreſſant : il vouloit avoir une jolie
Maîtreffe , & un excellent cheval de bataille
; il fe regardoit dans une glace faifant
l'exercice à la Pruffienne. Il prioit Belife
de lui prêter le Sopha couleur de rofe , & lui
demandoit fi elle avoit lu le Polibe de Folard.
Il lui tardoit d'être au printemps
pour avoir un habit délicieux en cas de
paix , ou pour entrer en campagne s'il y
avoit guerre. Ce mêlange de frivolité &
d'héroïſme , eſt peut-être ce qu'il y a de
plus féduifant aux yeux d'une femme . Un
preffentiment confus que cette jolie petite
créature qui badae à une toilette , qui
fe careffe , qui fe mire , va peut - être
dans deux mois fe précipiter à travers les
batteries dans un bataillon ennemi , ou
grimper comme un Grenadier fur une
breche minée ; ce preffentiment donne
aux gentilleffes d'un petit-maître un carac18
MERCURE DE FRANCE.
tere de merveilleux qui étonne & qui
attendrit : mais la fatuité ne fied qu'à la
jeuneffe militaire. C'eft un avis que je
donne en paffant aux petits- maîtres de
> tous états.
Belife fut donc fenfible aux graces naïves
& légeres de Lindor. Il s'étoit paffion
né pour elle dès la premiere vifite. Un
jeune Page eft preffè d'aimer. Ma belle
Coufine , lui dit-il un jour ( car il la nonmoit
ainfi à caufe de leur alliance ) , je ne
demande au Ciel que deux chofes , de
faire mes premieres armes avec les Anglois
& avec vous. Vous êtes un étourdi , lui
dit- elle , & je vous confeille de ne défirer
ni l'un , ni l'autre ; l'un n'arrivera peutêtre
que trop tôt , & l'autre n'arrivera
jamais. Jamais ! cela eft bien fort , ma
belle Coufine. Mais je m'attendois à cette
réponſe , elle ne me rebute point . Tenez ,
je gage qu'avant ma feconde campagne ,
vous cefferez d'être cruelle . Je crois bien
qu'à préfent je n'ai pour moi que mon
âge & ma figure , vous me traiterez comme
un enfant ; mais quand vous aurez entendu
dire il s'eft trouvé à telle affaire
fon Régiment a donné dans telle occafion ;
il s'eſt diſtingué , il a pris un pofte , il a
couru mille dangers , c'eft alors que votre
petit coeur palpitera de crainte , de plaifir
JUILLET. 1756. 19
peut-être d'amour. Que fçait-on ? fi j'étois
bleffé , par exemple . Oh ! cela eft bien touchant
: pour moi fi j'étois femme , je voudrois
que mon amant eût été bleffé à la
guerre. Je baiferois fes cicatrices , je trouverois
une volupté infinie à les compter.
Ma belle Coufine , je vous montrerai les
miennes. Vous n'y tiendrez pas.
Allez jeune
fou , faites votre devoir en galant homme
, & ne m'affligez point par des préfages
qui me font trembler. Voyez-vous fi je n'ai
pas dit vrai ? Je vous fais trembler d'avance
: & fi la feule idée vous touche , que fera
la réalité 2 Car , ma belle Coufine , vous
pouvez vous fier à moi : ne me donnerezvous
point quelque à compte fur les lauriers
que je vais cueillir.
C'étoient tous les jours de femblables folies
. Belife , qui faifoit femblant d'en rire ,
n'en étoit pas moins fenfiblement touchée :
mais cette vivacité qui faifoit tant d'impreffion
fur fon ame empêchoit Lindor de
s'en appercevoir. Il n'étoit ni affez éclairé ,
ni affez attentif pour obferver en elle les
gradations du fentiment , & pour en tirer
avantage. Ce n'eft pas qu'il ne fût auffi
entreprenant que la politeffe l'exige : mais
un regard l'intimidoit , & la crainte de
déplaire balançoit l'ardeur de vaincre..
Ainfi deux mois fe pafferent en légeres
20 MERCURE DE FRANCE.
tentatives fans aucun fuccès décidé. Cependant
leur amour mutuel s'animoit de
plus en plus ; & quelque foible que fûr la
réfiftance de Belife , elle en étoit laffe
elle-même , lorfque le fignal de la guerre
'vint donner l'alarme aux amours . A ce
fignal terrible tous leurs travaux font fufpendus
: l'un s'envole fans attendre la réponſe
au billet le plus galant ; l'autre manque
au rendez - vous où l'on devoit le
couronner c'eft une révolution générale
dans tout l'empire des plaifirs. Lindor eut
à peine le temps de prendre congé de Belife
; elle s'étoit reproché cent fois les rigueurs
qu'elle n'avoit pas. Ce pauvre enfant
, difoit - elle , m'aime de toute fon
ame : rien de plus naturel ni de plus tendre
que l'expreffion de fes fentimens. Il eft
fait à peindre , il eft beau comme le jour ,
il est étourdi , qui ne l'eft pas à fon âge ?
mais il a le coeur excellent . Il ne tient qu'à
lui de s'amufer , il trouveroit peu de cruelles
cependant il ne voit que moi , il ne
refpire que pour moi , & je le traite avec
hauteur : je ne fçais pas comment il y tient.
J'avoue que fi j'étois à fa place , je laifferois
bien vîte cette Belife fi févere s'ennuyer
avec fa vertu ; car enfin la fageffe
eft bonne quelquefois , mais toujours de
la fageffe. Comme elle faifoit ces réfleJUILLET.
1756. 21
xions , on vint lui dire que les négociations
de la paix étoient rompues , & que
les Officiers avoient ordre de rejoindre
leurs Corps fans différer d'un feul inſtant.
A cette nouvelle tout fon fang fe gela dans
fes veines. Il va partir , s'écria- t'elle le
coeur faifi & pénétré ! il va fe battre , il va
mourir peut-être , & je ne le verrai plus !
Lindor arrive en uniforme . Je viens vous
dire adieu , ma belle Coufine ; je pars ;
nous allons nous voir de près avec l'ennemi.
La moitié de mes voeux eft remplie , &
j'efpere qu'à mon retour vous remplirez
l'autre moitié. Je vous aime bien , ma
belle Coufine ; fouvenez-vous un peu de
votre petit Coufin : il reviendra fidele , il
vous en donne fa parole . S'il eft tué , il ne
reviendra pas ; mais on vous remettra ma
bague , ma montre . Vous voyez ce petiɛ
chien d'émail : il vous rappellera mon image
, ma fidélité , ma tendreffe , & vous le
baiferez quelquefois . En prononçant ces
dernieres paroles , il fourioit tendrement ,
& fes yeux étoient mouillés de larmes .
Belife qui ne pouvoit plus retenir les fiennes
, lui dit de l'air du monde le plus af-
Aligé Vous nous quittez bien gaîment
Lindor. Vous dites que vous m'aimez ;
font - ce là les adieux d'un Amant ? Je
croyois qu'il étoit affreux de s'éloigner de
22 MERCURE DE FRANCE.
: de
ce qu'on aime mais il n'eft pas temps
vous faire des reproches ; venez, embraffezmoi.
Lindor tranfporté , ufa de cette permiffion
jufqu'à la licence , & Belife ne
s'en fâcha point. Et à quand votre départ ,
lui dit- elle? Tout à l'heure : tout à l'heure.
Quoi ! vous ne foupez point avec moi ?
Cela eft impoffible. J'avois mille chofes à
vous dire. Dites-les moi bien vîte : mes
chevaux m'attendent. Vous êtes bien cruel
de me refufer une foirée. Ah ! ma belle
Coufine , je vous donnerois ma vie ; mais
il y va de mon honneur : mes heures font
comptées ; il faut que j'arrive à la minute.
Songez s'il y avoit une affaire & que je
n'y fuffe point , je ferois perdu : votre petit
Coufin ne feroit plus digne de vous ;
laiffez-moi vous mériter. Belife l'embraffa
de nouveau en le baignant de fes larmes .
Allez , lui dit-elle , je ferois au défeſpoir
de vous attirer un reproche ; votre honneur
m'eſt auſſi cher que le mien : ſoyez
fage , ne vous expofez qu'autant que le
devoir l'exige , & revenez tel que je vous
vois. Vous ne me donnez pas le temps de
vous en dire davantage ; mais nous nous
écrirons : adieu . Adieu , ma belle Coufine :
adieu , adieu , mon cher enfant . C'eſt ainſi
que parmi nous la galanterie eft l'ame du
point d'honneur qui eft celle de nos armées.
JUILLET . 1756. 23
Nos femmes n'ont pas befoin d'aller , comme
les Sabines , au devant de nos Guerriers
pour les renvoyer au combat ; mais le mépris
dont elles accablent un lâche , & l'accueil
qu'elles font aux hommes courageux
rendent leurs Amans intrépides.
Belife paffa la nuit dans la plus profonde
douleur : fon lit fut baigné de fes larmes.
Le jour fuivant , elle écrivit à Lindor : tout
ce qu'une ame tendre & délicate peut infpirer
de plus touchant étoit exprimé dans
fa lettre. O vous qu'on éleve fi mal ! qui
vous apprend à fi bien écrire ? La nature
fe plaît- elle à nous humilier en vous vengeant
? Lindor dans fa réponſe pleine de
feu & de défordre , exprimoit tour à tour
les deux paffions de fon ame , l'ardeur militaire
& l'amour. L'impatience de Belife ne
lui laiffa aucun repos qu'elle n'eût reçu cette
réponſe. Leur relation s'établit , fe foutint
fans interruption la moitié de la campagne;
&la derniere lettre qu'on écrivoit étoit toujours
la plus vive , la derniere qu'on attendoit
étoit toujours la plus défirée . Lindor
pour fon malheur eut un Confident jaloux.
Tu es enchanté , lui dit celui- ci , de
la paffion que tu infpires : fi tu fçavois à
quoi tout cela tient . Je connois les femmes.
Veux tu faire une épreuve fur celle que tu
aimes ? écris-lui que tu as perdu un oeil
24 MERCURE DE FRANCE.
:
je gage qu'elle te confeille de prendre pa
tience & de l'oublier ? Lindor bien sûr de
fon triomphe , confentit à cette épreuve ; &
comme il ne fçavoit pas mentir , fon ami
dicta cette lettre . Belife fut au défe ſpoir
l'image de Lindor vint s'offrir à fon efprit ,
mais avec un oeil de moins . Cette grande
mouche noire le rendoit méconnoiffable.
Quel dommage ! difoit - elle en foupirant.
Ses deux yeux étoient fi beaux ! les miens
les rencontroient avec tant de plaifir , l'amour
s'y peignoit avec tant de charmes !
mais il n'en eft que plus intéreffant , & je
dois l'en aimer davantage. Il doit être
défolé : il tremble furtout de m'en paroître
moins aimable . Ecrivons- lui pour le
raffurer , pour le confoler , s'il eft poffible.
C'étoit la premiere fois que Belife avoit
été obligée de fe dire , écrivons lui . Sa lettre
fut froide malgré elle : elle s'en apperçut ,
la déchira , l'écrivit de nouveau . Les ex--
preffions étoient affez fortes , mais le tour
en étoit contraint & le ftyle recherché.
Cette mouche noire à la place d'un bel oeil
lui offufquoit l'imagination & lui glaçoit
le fentiment. Hé ! ceffons de nous flatter ,
dit- elle , en déchirant une feconde fois fa
lettre ce pauvre enfant n'eft plus aimé :
un oeil perdu bouleverfe mon ame . J'ai
voulu faire l'héroïne , je fuis une femmelette
:
JUILLET. 1756. 25
lette n'affectons point des fentimens audeffus
de mon caractere. Lindor ne mérite
point qu'on le trompe : il compte fur une
ame généreufe & fenfible.Si je ne le fuis pas
affez pour l'aimer encore , je dois l'être affez
pour le défabufer ; fon mépris deviendra ma
peine . Je fuis déſolée , lui écrivit - elle , &
bien plus à plaindre que vous vous
n'avez perdu qu'un agrément , & je vais
perdre votre eſtime comme j'ai perdu la
mienne. Je me croyois digne de vous aimer
& d'être aimée de vous , je ne le fuis
plus ; mon coeur fe flattoit d'être au deffus
des événemens , un feul accident m'a changée.
Confolez-vous , Monfieur , vous aurez
toujours de quoi plaire à une femme
raifonnable ; & après l'humiliant aveu que
je viens de vous faire , vous n'avez plus
à me regretter. Lindor fut au défefpoir à la
lecture de ce billet : le Monfieur furtout
lui parut une injure atroce. Monfieur !
s'écrioit - il. Ah ! la perfide. Son petit
Coufin, Monfieur ! On donne du Monfieur
à un borgne qu'on méprife . Il alla trouver
fon ami. Je te l'avois bien dit , mon
cher , lui dit le Confident . Voilà le moment
de te venger , fi tu n'aimes mieux attendre
la fin de la campagne pour ménager
à ton Héroïne le plaifir de la furpriſe .
Non , je veux la confondre dès aujour-
I. Vol. B
25 MERCURE DE FRANCE.
d'hui , lui dit le malheureux Lindor. Il lui
écrivit donc qu'il étoit enchanté de l'avoir
éprouvée ; que Monfieur avoit encore fes
deux yeux , mais que ces yeux ne la verroient
plus que comme la plus ingrate de
toutes les femmes.. Belife fut anéantie , &
prit dès ce moment le parti de renoncer au
monde & de s'enfevelir à la campagne. ALlons
vegetter , diſoit- elle , je ne fuis bonne
qu'à cela.
Dans le voisinage de cette campagne
étoit auffi une espece de Philofophe dans
la vigueur de l'âge , qui après avoir joui de
tout pendant fix mois de l'année à la
Ville , venoit jouir fix mois de lui- même
dans une folitude voluptueule . Il rendit
fes devoirs à Belife Vous avez , lui ditelle
, la réputation d'être fage ; dites- moi
quel est votre plan de vie ? De plan ,
Madame je n'en eus jamais , repondit le
Comte de P.. je fais tout ce qui m'amufe , je
recherchetout ce que j'aime , & j'évite avec
foin ce qui m'ennuie ou me déplaît . Vivezvous
feul , voyez-vous du monde ? Je vois
quelquefois notre Paſteur à qui j'enſeigne
la morale ; je caufe avec des Laboureurs ,
plus instruits que tous nos Sçavansje
donne le bal à de petites Villageoifes les
plus jolies du monde , & je fais
pour elles
des loteries de dentelles & de rubans , &
JUILLET. 1756. 27
je marie les plus amoureufes. Quoi ! dic
Belife avec étonnement , ces gens -là connoiffent
l'amour ? Mieux que nous , Madame
, mieux que nous cent fois . Ils s'aiment
comme des tourterelles : ils me donnent
appétit d'aimer .Vous avouerez cependant
que cela aime fans délicateſſe . Hé !
Madame , la délicateffe eft un raffinement
de l'art; ils ont l'inftinct de la nature , & cet
inſtinct les rend heureux . On parle d'amour
à la ville , on nele fait que dans les champs.
Ils ont en fentiment ce que nous avons en
efprit. J'ai effayé comme un autre d'aimer
& d'être aimé dans le monde ; le caprice
, les convenances arrangent & dérangent
tout , une liaiſon n'eft qu'une rencontre.
Ici le penchant fait le choix : vous
verrez dans les jeux que je leur donne ,
comment ces coeurs fimples & bruts fe
cherchent fans le fçavoir , & s'attirent tour
àtour. Vous me faites , reprit Belife , un
tableau de la campagne auquel je ne
m'attendois pas. On dit ces gens- là fi à
plaindred Is l'étoient , Madame , il y a
quelques années ; mais j'ai le fecret de
rendre leur condition plus douce. Oh !
vous me direz votre fecret , interrompit
Belife avec vivacité ; je veux auffi en faire
ufage. Il ne tient qu'à vous. Le voici :
J'ai quarante mille livres de rente ; j'en
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
4
dépenfe dix ou douze à Paris dans les
deux faifons que j'y paffe , huit ou dix
dans ma maifon de campagne ; & par
cette économie , j'ai 20000 liv . à perdre
fur les échanges que je fais. Et quels échanges
faites- vous ? J'ai des champs bien cultivés
, des prairies bien arrofées , des vergers
clos & plantés avec foin . Hé bien ? hé
bien , Lucas , Blaife , Nicolas , mes voisins
& mes bons amis ont des terreins en friche
ou appauvris ; ils n'ont pas de quoi les cultiver
, je leur cede les miens troc pour troc
& la même étendue de terrein qui les
nourriffoit à peine , les enrichit dans
deux moiffons. La terre ingrate fous leurs
mains devient fertile dans les miennes . Je
lui choifis la femence , le plan , l'engrais ,
la culture qui lui convient , & dès qu'elle
eft en bon état , je penfe à un nouvel
échange : ce font là mes amuſemens. Cela
eft charmant , s'écria Belife ! vous . fçavez
donc l'agriculture ? Un peu , Madame , &
'je m'en inftruits ; je confronte la théorie
des Sçavans avec l'expérience des Laboureurs
; je tâche de corriger ce que je vois
de défectueux dans les fpéculations des uns
& dans la pratique des autres : c'eſt une
étude amufante. Oh ! je le crois , & je
veux m'y livrer auffi . Comment donc ?
mais vous devez être adoré dans ces canJUILLET.
1756. 29
tons ; ces pauvres Laboureurs doivent vous
regarder comme leur pere . Oui , Madame ,
nous nous aimons beaucoup. Je fuis bienheureufe
, Monfieur le Comte , que le
hazard m'ait procuré un voifin tel que
yous. Voyons- nous fouvent , je vous prie :
je veux fuivre vos travaux , prendre votre
méthode & devenir votre rivale dans le
coeur de ces bonnes gens. Vous n'aurez ,
Madame , ni rivaux , ni rivales par tout où
vous voudrez plaire , & lors même que
vous ne le voudrez pas . Telle fut leur
premiere entrevue ; & dès ce moment ,
voilà Belife villageoife , toute occupée de
l'agriculture , converfant avec fes Fermiers
, & ne lifant que la Maifon Ruftique.
Le Comte l'invita à l'une des fêtes qu'il
donnoit les jours confacrés au repos ; &
la préfenta à fes Païfans comme une nouvelle
bienfaictrice , ou plutôt comme leur
Souveraine. Elle fut témoin de l'amour &
du refpect qu'ils avoient pour lui. Ces
fentimens fe communiquent : ils font fi
naïfs & fi tendres ; c'eft le plus fublime
de tous les éloges , & Belife en fut touchée
au point d'en être jaloufe : mais cette jaloufie
étoit bien loin de la haine . Il faut
avouer , difoit- elle , qu'ils ont bien raiſon
de l'aimer. Indépendamment de fes bienfaits
, perfonne au monde n'eft plus aimable.
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
Il s'établit dès ce jour entr'eux la liaifon
la plus intime & en apparence la plus philofophique
; leurs entretiens ne rouloient
que fur l'étude de la nature , fur les moyens
de rajeunir cette terte notre vieille nourrice
, qui s'épuife pour fes enfans. La Botanique
leur indiquoit les plantes falutaires
aux troupeaux & celles qui leur étoient
pernicieufes ; la Méchanique leur donnoit
des forces pour élever les eaux à peu de
frais fur les collines altérées , & pour foulager
le travail des animaux déftinés aux
labourage. L'Hiftoire naturelle leur apprenoit
à calculer les inconvéniens & les avantages
économiques dans le choix de ces
animaux laborieux . La pratique confirmoit
ou corrigeoit leurs obfervations , & on faifoit
les expériences en petit , afin de les
rendre moins coûteufes. Le jour du repos
revenoit , & les jeux fufpendoient les
études.
Belife & le Philofophe fe mêloient aux
danfes de ces Villageois. Belife s'apperçut
avec furpriſe qu'aucun d'eux ne s'occupoit
d'elle . Vous allez , dit- elle à fon ami , me
foupçonner d'une coquetterie bien étrange
, mais je ne veux rien vous diffimuler :
on m'a dit cent fois que j'étois jolie , j'at
pardeffus ces Païfannes l'avantage de la
parure ; cependant je ne vois dans les yeux
JUILLET. 1756.
des jeunes Païfans aucune trace d'émotion
à ma vue. Ils ne penfent qu'à leurs compagnes
; ils n'ont des ames que pour elles.
Rien n'eft plus naturel , Madame , lui dit
le Comte : le défir ne vient jamais fans
quelque lueur d'espérance ; & ces gens - là
ne vous trouvent belle que comme ils trouvent
belles les étoiles & les fleurs . Vous
me furprenez , dit Belife ; eft- ce l'efpérance
qui rend fenfible ? Non , mais elle dirige
la fenfibilité. On n'aime donc qu'avec
l'efpoir de plaire ? Non fans doute , Madame
, & fans cela qui pourroit ne pas
vous aimer ! Un Philofophe eft donc galant
, reprit Belife avec un fourire ? Je fuis
vrai , Madame , & ne fuis point Philofophe
; mais fi je méritois ce nom , je n'en
ferois que plus fenfible : un vrai Philofophe
eft homme & fait gloire de l'être . La
fageffe ne contredit la nature que lorfque
la nature a tort. Belife rougit , le Comte
fe troubla , & ils furent quelque- temps
les yeux baillés fans ofer rompre le filence.
Le Comte voulut renouer l'entretien fur
les charmes de la campagne ; mais leurs
propos furent confus , entrecoupés & fans
fuite on ne fçavoit plus ce qu'on avoit
dit , encore moins ce qu'on alloit dire. Ils
fe quitterent enfin , l'une rêveufe , l'autre
diftrait , & craignant tous deux d'en avoir
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
:
trop dit. La jeuneffe des Villages voiſins
s'affembla le lendemain pour leur donner
une fête la gaieté en faifoit l'ornement .
Belife en fut enchantée ; mais le dénouement
la furprit. Le Magiſter avoit fait des
chanfons à la louange de Relife & du Comte
, & les couplets difoient que Belife étoit
l'Ormeau & que le Comte étoit le Lierre.
Celui-ci ne fçavoit s'il devoit leur impofer'
filence , ou prendre la chofe en badinant ;
mais Belife en fut offenfée . Je vous demande
pardon pour eux , Madame , lui dit le
Comte en la remenant ; ces bonnes gens
difent ce qu'ils penfent , ils n'en fçavent
pas davantage. Je les aurois fait taire , fi
j'avois eu le courage de les affliger. Belife
ne lui répondit rien , & il fe retira pénétré
de douleur de l'impreffion qu'avoit fait
fur elle cet innocent badinage.
Que je fuis malheureufe, dit Belife après
le départ du Comte , voilà encore un homme
que je vais aimer ; cela eft fi clair
que
ces Païfans s'en apperçoivent , ce fera comme
avec les autres un feu léger , une étincelle.
Non , je ne veux plus le voir : il eſt
honteux de vouloir infpirer une paffion ,
quand on n'en eft pas fufceptible . Le
Comte fe livreroit à moi fans réſerve &
de la meilleure foi : c'eft un homme refpectable
dont je ferois le malheur fi je
JUILLET. 1756. 33
venois à m'en détacher. Le lendemain , il
envoya fçavoir fi elle étoit vifible . Quel
parti prendre ? fi je le refufe aujourd'hui ,
il faudra le recevoir demain ; fi je perfifte
à ne le plus voir , que va -t'il penfer de ce
changement ? qu'a- t'il fait qui ait pu me
déplaire ? lui laifferois-je croire que je me
défie de lui ou de moi-même ? après tout ,
qui m'affure qu'il m'aime , & quand il
m'aimetoit , fuis- je obligée de l'aimer ? Je
lui ferai entendre raifon , je lui peindrai
mon caractere , il m'en eftimera davantage
: il faut le voir . Le Comte vint. Je vais
bien vous furprendre , lui dit- elle ; j'ai été
fur le point de rompre avec vous. Avec
moi , Madame ; & pourquoi ? quel eft
mon crime ? d'être aimable & dangereux.
Je vous déclare que je fuis venue chercher
le repos ; que je ne crains rien tant que
l'amour ; que je ne fuis pas faite pour un
engagement folide ; que j'ai l'ame` la plus
légere , la plus inconftante qui fût jamais ,
que je méprife les goûts paffagers , & que
je n'ai pas un affez grand fonds de fenfibilité
pour en avoir de durable, Voilà mon caractere
je vous en avertis. Je réponds de
moi pour ll''aammiittiiéé ; mais ; mais pour l'amour , il
n'y faut pas compter ; & afin de n'avoir
aucun reproche à me faire , je ne veux abfolument
ni en infpirer , ni qu'on m'en
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
infpire. Votre fincérité encourage la mienne
, lui répondit le Comte ; vous allez me
connoître à mon tour . J'ai pris pour vous ,
fans m'en douter & fans le vouloir , l'amour
le plus tendre & le plus violent; c'eſtce
qui pouvoit m'arriver de plus heureux ,
& je m'y livre de tout mon coeur, quoi que
vous puiffiez me dire. Vous vous croyezlégere
& inconftante : il n'en eft rien . Je
crois connoître mieux que vous le caractere
de votre ame. Non , Monfieur , je me
fuis éprouvée , & vous allez en juger . Elle
lui raconta l'hiftoire du Préfident & celle
du jeune Page . Vous les aimiez , Madame ,
vous les aimiez vous vous êtes découragée
mal à propos votre colere contre le
Préfident étoit fans conféquence , le premier
mouvement eft toujours pour le chien,
le fecond eft pour l'Amant , ainfi l'a voulu
la nature . Le refroidiffement de votre }
amour pour le Page n'auroit pas été plus
durable : un oeil de moins produit toujours
'cet effet ; mais peu à peu on s'y accoutume.
Quant à la durée d'une paffion , il faut
être jufte. Quel eft l'infenfé qui exige l'im - 1
poffible ? Je défice ardemment de vous
plaire , j'en ferai ma félicité ; mais fi votre
penchant pour moi venoit à s'affo: blir , ce
feroit un malheur , ce ne feroit pas un
crime. Hé quoi ! parce qu'il n'eft point
JUILLET. 1756. 35
dans la vie de plaifir fans mêlange , faut- il
fe priver de tout , renoncer à tout ? Non ,
Madame , il faut tirer parti de ce qu'on a
de bon , fe pardonner à foi-même & aux
autres ce qui eft moins bien ou ce qui eft
mal. Nous menons ici une vie douce &
tranquille ; l'amour nous manque , il peut
Pembellir laiffons -le faire ; s'il s'en va ,
l'amitié nous refte ; & quand la vanité ne
s'en mêle point , l'amitié qui furvit à l'a
mour en eft bien plus douce , plus intime
& plus tendre. En vérité , Monfieur , voilà
une morale bien étrange. Elle eft fimple &
naturelle. Je ferois des romans tout comme
une autre ; mais la vie n'eft pas un roman:
nos principes comme nos fentimens
doivent être pris dans la nature . Rien n'eft
plus facile que d'imaginer des prodiges en
amour ; mais tous ces héros n'exiftent que
dans la tête des Auteurs : ils difent ce qu'ils
veulent , nous faifons ce que nous ponvons.
C'eft un malheur fans doute de ceffer
de plaire , c'en eft un plus grand de ceffer
d'aimer ; mais le comble du malheur , c'eft
de paffer fa vie à fe craindre & à fe combattre.
Fiez-vous à vous même , Madame ,
& daignez vous fier à moi. Il eſt affez
cruel de ne pouvoir pas aimer toujours
fans fe condamner à n'aimer jamais imitons
nos Villageois ; ils n'examinent pas
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
s'ils s'aimeront long-tems , il leur fuffic
de fentir qu'ils s'aiment. Je vous étonne :
vous avez été élevée dans le pays des
chimeres ; croyez- moi , vous êtes bien née ;
revenez à la vérité , laiffez - vous guider
par la nature , elle vous conduira beaucoup
mieux qu'un art qui fe perd dans le vuide ,
qui réduit le fentiment à rien à force de
l'analyfer. Si Belife ne fut point perfuadée ,
elle fut bien moins affermie dans fa premiere
réfolution , & dès que la raifon
chancelle , il eft aifé de la renverfer ; celle
de Belife fuccomba fans peine , & jamais
un amour mutuel ne rendit deux coeurs
plus heureux. Livrés l'un à l'autre en liberté
, ils oublioient l'univers, ils s'oublioient
eux mêmes toutes les facultés de leurs
ames réunies en une feule , ne formoient
plus qu'un tourbillon de feu dont l'amour
étoit le centre , dont le plaifir étoit l'aliment.
Cette premiere ardeur fe ralentit ,
& Belife en fut alarmée ; mais le Comte
la raffura . On revint aux amuſemens champêtres.
Belife trouva que la nature s'étoit
embellie , que le ciel étoit plus férein & la
campagne plus riante ; les jeux des Villageois
lui plaifoient davantage , ils lui rappelloient
un fouvenir délicieux ; leurs travaux
l'intéreffoit beaucoup plus. Mon
Amant , difoit- elle en elle-même , eft le
JUILLET. 1756. 37
Dieu qui les encourage ; fon humanité
fa bienfaifance font comme des ruiffeaux
qui fertilifent ces champs. Elle aimoit à
s'entretenir avec les Laboureurs des bienfaits
que répandoient fur eux ce mortel
qu'ils appelloient leur pere. L'Amour lui
rendoit perfonnel tout le bien qu'on difoit
de lui. Elle paffa ainfi toute la belle
faifon à l'aimer , à l'admirer , à lui voir
faire des heureux & à les rendre heureux
elle-même.
Belife avoit propofé au Comte de paffer
l'hyver loin de la Ville , & il lui avoit répondu
en fouriant : Je le veux bien. Mais
dès que la campagne commença à fe dépouiller
,› que la promenade fut interdite
, que les jours furent pluvieux , les matinées
froides & les foirées longues , Belife
fentit avec amertume que l'ennui s'emparoit
de fon ame & qu'elle défiroit de revoir
Paris. Elle en fit l'aveu à fon Amant
avec fa franchiſe ordinaire . Je vous l'avois
prédit , vous n'avez pas voulu me croire :
l'événement ne juftifie que trop la mauvaife
opinion que j'avois de moi-même.
Quel est donc cet événement ? Mon cher
Comte , puifqu'il faut vous le dire , je
m'ennuie , je ne vous aime plus . Vous
vous ennuyez , cela eft poffible , lui répondit
le Comte avec un fourire ; mais
38 MERCURE
DE FRANCE .
vous ne m'en aimez pas moins : c'eft la campagne
que vous n'aimez plus. Hé ! Monfieur
, pourquoi me flatter ? tous les lieux ,
tous les temps font agréables avec ce qu'on
aime . Oui , dans les romans , je vous l'ai
déja dit ; mais non pas dans la nature.
Vous avez beau dire , infifta Belife , je
fens très bien qu'il y a deux mois que
j'aurois été heureufe avec vous dans un
défert. Sans doute , Madame , telle eft
l'ivreffe d'une paffion naiffante ; mais ce
premier feu n'a qu'un temps , l'amour heureux
fe calme & fe modere , l'ame dès - lors
moins agitée commence à devenir fenfible
aux impreffions du deliors : on n'eft plus
feul dans le monde : on éprouve le befoin
de fe diftraire & de s'amufer. Ah ! Monfieur
, à quoi réduiſez -vous l'amour ? A la
vérité , ma chere Belife. Au néant , mon
cher Comte , au néant. Vous ceffez de me
fuffire , j'ai donc ceffé de vous aimer .
Non , tout ce que j'adore , non , je n'ai
point perdu votre coeur , & je vous ferai
toujours cher. Toujours cher ? Oui , fans
doute . Mais comment ? Comme je veux
l'être. Ah ! je fens trop mon injuftice
pour me la diffimuler. Non , Madame ;
vous n'êtes point injufte. Vous m'aimez
affez ; j'en fuis content , & je ne veux pas
être aimé davantage . Serez- vous plus
JUILLET. 1756. 39
difficile
pu
que moi-même ? Oui , Monfieur :
je ne me pardonnerai jamais d'avoir
m'ennuyer avec l'homme du monde le plus
aimable. Et moi , Madame , & moi qui ne
me vante de rien ; je m'ennuie auffi parfois
avec la plus adorable de toutes les
femmes , & je me le pardonne. Quoi !
Monfieur , vous vous ennuyez avec moi ?
Avec vous -même. Et je ne laiffe pas de
vous aimer plus que ma vie . Etes vous
contente ? Allons , Monfieur , retournons
à Paris. Oui , Madame , j'y confens ; mais
fouvenez vous que le mois de Mai nous
retrouvera à la campagne.... Je n'en crois
je vous l'affare :
& plus amoureux
rien ,
que
jamais
.
Belife , de retour à la Ville , commença
par fe livrer à tous les amufemens que l'hyver
raffemble , avec une avidité qu'elle
croyoit infatiable. Le Comte de fon côté
s'abandonna au torrent du monde , mais
avec moins de vivacité. Peu à peu l'ardeur
de Belife fe ralentit . Les foupers lui paroiffoient
longs ; elle s'ennuyoit au ſpectacle.
Le Comte avoit foin de la voir rarement
; fes vifites étoient courtes , & il
prenoit les heures où elle étoit environnée
d'une foule d'adorateurs. Elle lui demanda
un jour tout bas : Que vous ſemble
de Paris ? Tout m'y ennuie, & rien ne m'y
40 MERCURE DE FRANCE.
attache Pourquoi ne venez - vous pas fouper
avec moi ? Vous m'avez tant vu ,
Madame , je fuis difcret ; le monde a fon
tour , j'aurai le mien . Vous êtes donc toujours
perfuadé que je vous aime ? Je ne
parle jamais d'amour à la Ville. Que penfez
vous , Madame , du nouvel Opéra ,
pourfuivit- il à haute voix ? Et la converfation
devint générale.
Belife comparoit toujours le Comte à ce
qu'elle voyoit de mieux , & toujours la
comparaifon concluoit à fon avantage.
Perfonne , difoit - elle , n'a cette candeur ,
cette fimplicité , cette égalité de caractere ;
perfonne n'a cette bonté d'ame & cette élévation
de fentimens. Quand je me rappelle
nos entretiens , tous nos jeunes gens ne
me femblent que des perroquets bien inftruits.
Il a bien raifon de douter qu'on
ceffe de l'aimer après l'avoir connu ; mais
non , ce n'eſt pas l'eftime qu'il a de luimême
, mais l'eftime qu'il a de moi qui
lui donne cette confiance. Que je ferois
heureuſe fi elle étoit fondée ! Telles étoient
les réflexions de Belife ; & plus elle fentoit
renaître fon inclination pour lui , plus elle
fe trouvoit bien avec elle- même. Enfin
le défir de le voir devint fi preffant , qu'elle
ne put réfifter à celui de lui écrire . Il
fe rendit auprès d'elle , & l'abordant avec
JUILLET. 1756. 41
:
un fourire : Quoi , Madame , lui dit- il ,
un tête à tête ! Vous m'expoſez à faire des
jaloux . Perfonne , Monfieur , n'a droit de
l'être , lui dit Belife ; & vous fçavez que
je n'ai plus que des amies mais vous ,
ne craignez- vous pas d'inquiéter quelque
nouvelle conquête ? Je n'en ait fait qu'une
en ma vie , repondit le Comte ; elle m'attend
à la campagne , & j'irai la voir ce
printemps. Elle feroit à plaindre fi elle
étoit à la Ville ; vous y êtes fi occupé
qu'elle rifqueroit d'être négligée. Elle s'y
amuferoit , Madame , & n'y penferoit pas
à moi. Laiffons - là les détours , pourfuivit-
elle ? pourquoi vous vois- je fi rarement
&fi peu ? Pour vous laiffer jouir en liberté
de tous les plaifirs de votre âge. Vous
ne ferez jamais de trop , Monfieur , & je
l'exige de vous. Non , Madame , n'exigez
rien ; je ferois au défefpoir de vous dé
plaire , mais permettez- moi de ne vous revoir
qu'au retour de la belle faifon . Allez ,
Monfieur lui dit Belife avec dépit , allez
chercher des plaifirs où je ne ferai pas ;
j'ai mérité votre inconftance. Dès ce jour
elle n'eut pas un moment de repos ; elle
s'informoit de fes démarches ; elle le
cherchoit , & le fuivoit des yeux aux promenades
& aux fpectaclès ; les femmes
qu'il voyoit lui devinrent odieufes ; elle
..
42 MERCURE DE FRANCE.
ne ceffoit de queftionner les amis. L'hyver
lui parut d'une longueur mortelle.
Quoiqu'on ne fût encore qu'au commencement
du mois de Mars , quelques beaux
jours étant venus ; il faut , dit- elle , que je
le confonde & que je me juftifie . J'ai eu
tort jufqu'à préfent , il a fur moi cet avantage
; mais demain , il ne l'aura plus. Elle
le fit prier de fe rendre chez elle ; tout étoit
prêt pour le départ. Le Comte arrive .
Donnez-moi la main , lui dit Belife , pour
monter dans mon carroffe. Où allons- nous
donc , Madame , lui dit- il ? Nous ennuyer
à la campagne. Le Comte fut tranfporté
de joie à ces mors. Belife au mouvement
de la main qui la foutenoit , s'apperçut du
faififfement & de l'émotion qu'elle faifoit
naître. O mon cher Comte , lui dit-elle en
preffant cette main qui trembloit fous la
fienne ! que ne vous dois- je pas ? Vous
m'avez appris à aimer , vous m'avez convaincue
que j'en étois capable ; & en m'éclairant
fur mes fentimens , vous m'avez
fait la plus douce des violences : vous
m'avez forcée à m'eftimer moi -même & à
me croire digne de vous. L'Amour eft content.
Je n'ai plus de fcrupule , & je fuis
heurenfe.
JUILLET. 1756. 43
VERS
A M. M ***, qui avoit eu mal aux yeux.
Venustrouvant fon Fils rebelle ,
Vous aveugloit , afin que l'on vous prît
Pour cet Enfant qui vous jugeoit fi belle ,
Qu'entr'elle & vous fouvent il fe méprit :
L'Amour voit fon deffein , fe venge , vous guérit ,
Certain qu'on vous prendra pour elle.
COMPLIMENT
Fait à Monfeigneur le Duc de Mirepoix ;
fur fa promotion à la feconde Compagnie
des Gardes-du- Corps du Roi , le jour de
réception , par M. Thomaffin de Juilly ,
Garde du-Corps de Sa Majesté.
es
EN nous confiant à tes loix ,
Que Louis nous fait voir de bonté , de fageffe !
Que fon amour pour nous a fçu faire un bean
choix !
Il charme tous les coeurs que ta gloire intéreffe.
De ce Corps qui t'admire , illuftre Mirepoix ,
Juge des fentimens par fa vive alegreffe ;
44 MERCURE DE FRANCE.
Souffre qu'à tant de zele , ofant prêter ma voix ;
Je t'exprime en ce jour fes tranfports , fa tendreffe.
Non , il ne manquoit plus aux voeux de ces Guerriers
Que l'honneur de te fuivre , ainfi que de te plaire ;
Comme il ne manquoit plus à tes brillans lauriers
Que d'être & leur Guide & leur Pere.
M. le Duc de Mirepoix ayant eu la bonté
de recevoir ces Vers avec les applaudiffemens
les plus flatteurs , l'Auteur en fit
l'envoi fuivant à Madame la Ducheffe.
Envoi à Madame la Ducheffe de Mirepoix.
O vous , qui de nos coeurs partagez les fuffrages
Avec ce Héros votre Epoux !
Permettez que nos voeux , nos refpects , nos hommages
Deviennent communs entre vous.
JUILLET. 1756. 45
LES TOM BEAUX ,
POEME ,
A S. A. Monfeigneur le Prince de S...
Difcendum eft mori , cùm mori neceffe eft.
AUx pieds de ces côteaux , où loin du bruit des
Cours ,
Sans crainte , fans défirs , je coule d'heureux
jours ,
Où des vaines grandeurs je connois le menfonge ;
Où tout , jufqu'à la vie , à mes yeux eftun fonge,
S'éleve un édifice , azyle des mortels
Aux larmes dévoués , confacrés aux Autels.
Une épaiffe forêt , de la demeure fainte ,
Aux profanes regards cache l'auftere enceinte :
L'afpect de ce féjour fombre , majestueux ;
Sufpend des paffions le choc impétueux ;
Et portant dans nos coeurs une atteinte profonde ,
Il y peint le néant des plaifirs de ce monde.
Lear Temple väfte , fimple , & des temps refpecté
,
Infpire la terreur par fon obfcurité.
Là , cent Tombeaux pareils aux rouleaux des
1. Prophetes ,
Sont des loix de la mort les triftes interpretes :
46 MERCURE DE FRANCE.
Ces marbres éloquens , monumens de l'orgueil ,
Ne renferment , ainfi que le plus vil cercueil ,
Qu'une froide pouffiere autrefois animée ,
Et qu'enivroit fans ceffe une vaine fumée.
De ces lieux font bannis l'ambition , l'eſpoir ,
La dure fervitude & l'odieux pouvoir.
Là , d'un repos égal jouiffent l'opulence ,
La pauvreté , le rang , le fçavoir , l'ignorance.
Orgueilleux ! c'eft ici que la mort vous attend
Connoillez-vous ... peut-être il n'eft plus qu'un
inftant :
Coeurs foibles ! qui craignez fon trait inévitable ,
Ofez voir , fans frémir , ce féjour redoutable :
Parcourez ces Tombeaux , venez , fuivez mes pas ,
Et préparez vos yeux aux horreurs du trépas.
Quel eft ce monument dont la blancheur extrême
De la rendre innocence eſt ſans doute l'emblême
C'eſt celui d'un Enfant qu'un deftin fortuné
Enleva de ce monde aufli -tôt qu'il fut né .
Il goûta feulement la coupe de la vie ;bata
Mais fentant fa liqueur d'amertume ſuivie
Il détourna la tête , & regardant les Cieux ,
A l'inftant , pour toujours , il referma les yeux.
Meres ! féchez vos pleurs ; ces enfans , dans la
gloire ,
Jouiront fans combats des fruits de la victoire.
Ici font renfermés l'efpoir & la douleur
D'un Pere que foutient l'aliment du malheur ;
JUILLET. 1756. 47
Il demande fon Fils , l'appui de fa vieilleffe ,
L'unique rejetton de fa haute nobleffe ;
Il le demande en vain : l'impitoyable mort
Au midi de fes jours a terminé fon fort.
Sa couche nuptiale étoit déja parée.
A marcher aux Autels , l'Amante préparée
Attendoit fon Amant pour lui donner ſa foi ,
Mais la fête fe change en funebre convoi.
Calmez-vous , jeune Elvire : infenfible à vos larmes
,
Dans les bras de la mort Iphis brave vos charmes.
Quels font les attributs de cet autre Tombeau ?
Dans un ruiffeau de pleurs l'Amour plonge un
flambeau :
On voit à les côtés les Graces gémiffantes ,
Baiffer un trifte front & des mains languiffantes ;
La jeuneſſe éplorée & les jeux éperdns ',
Semblent encor chercher la beauté qui n'eft plus .
Quelle main oferoit en tracer la peinture !
Hortenfe fut , hélas ! l'orgueil de la nature.
Mais de cette beauté , fiere de ſes attraits ,
Olons ouvrir la tombe & contempler les traits .
O Ciel ... de tant d'éclat ... quel changement
funefte !
Une maffe putride eſt tout ce qui lui reſte :
Vous frémiffez ... ainfi nos corps dans ce féjour
D'infectes dévorans feront couverts un jour..
48 MERCURE DE FRANCE.
Hommes vains & diftraits ! quelle trace fenfible
Laiffe dans vos efprits ce fpectacle terrible ?
La même , hélas ! qu'empreint le dard qui fend les
airs ,
Ou le vaiffeau léger qui fillonne les mers.
Des fépulcres des Grands voici la fombre entrée :
De quelle horreur votre ame eft- elle pénétrée ?
Tout eft tranquille ici : fuivons ces pâles feux ,
Le filence & la mort regnent feuls en ces lieux.
La terreur qui les fuit , errante fous ces voûtes ,
Ne peut nous en cacher les ténébreuſes routes :
Deſcendons , parcourons ces Tombeaux fouterreins
,
Où , féparés encor du refte des humains
Ces Grands , dont le vulgaire encenfoit la naiffance
,
Ont voulu conferver leur trifte préféance.
De l'humaine grandeur pitoyables débris !
Eh ! que font devenus ces fuperbes lambris ,
Ces plaifirs , ces honneurs , ces immenfes richeffes ,
Ces hommages profonds ... ou plutôt ces baffeffes
?
Grands ! votre éclat , femblable à ces feux de la
nuit ,
Brille un moment , nous trompe , & foudain fe
détruit.
APobfcure clarté de ces lampes funébres ,
Sur ces marbres infcrits voyons leurs noms céle
bres ,
Lifons :
JUILLET. 1756.
49
Lifons : Ci-git le Grand ... Briſez- vous impofteurs
!
Eh ! quoi ! des os en poudre ont encor des flatteurs
!
Je l'ai vu de trop près : dédaigneux & bizarre ,
Il fut à la fois haut , rampant , prodigue , avare ;
Sans vertus , fans talens , & dévoré d'ennui ,
Il cherchoit le plaifir qui fuioit loin de lui.
De cet autre , ô regrets ! l'Epitaphe eft fincere.
Il fut des malheureux le protecteur , le pere :
Affable , jufte , vrai , rempli d'humanité ,
Il prévint les foupirs de l'humble adverfité :
La patrie anima fon zele , fon courage ,
Soub.... Il eut enfin tes vertus en partages.
Des vrais Grands , par ces traits , connoiffons tout
le prix ;
Mais leurs phantômes vains font dignes de mépris.
Dans ces lieux , un moment , recueille toi , mon
ame !
Tombeaux ! votre éloquence , avec un trait de
Aamme ,
A gravé dans mon coeur le néant des plaifirs :
Ceffons donc ici- bas de fixer nos défirs ;
Tout n'eft qu'illuſion d'illuſions ſuivie ,
Et ce n'eft qu'à la mort où commence la vie.
Par M. FEUTRY , de Lille en
I. Vol.
Flandres.
C
50 MERCURE DE FRANCE.
Ce Poëme nous paroît d'autant plus eftí .
mable , qu'il n'eft pas moins l'ouvrage
d'un Chrétien que celui d'un Poëte. Nous
n'avons pu le lire fans être tranfportés de
la force des images , & pénétrés de la fainte
horreur qui femble l'avoir infpiré. C'eſt
un beau fermon en vers , qui prouve que
la Poéfie difpute à la Profe l'art de bien
prêcher.
RÉPONSE
Al'examen de la Surdité & de la Cecité s
par un Sourd.
Experto crede Roberto.
J'ai lu , Monfieur , votre Diſſertation
fur la Surdité & la Cécité. Vous ne devez
pas vous étonner d'avoir trouvé jufqu'ici
peu de perfonnes de votre avis fur la
question propofée. Ce n'eft point la conplaifance
qui engage les hommes à vous
combattre aujourd'hui en préfence des
femmes ; c'est l'expérience. Vous fixez les
regards fur un Sourd qui peur fatisfaire
tous les défirs , qui a de l'efprit , du génie ,
un femme charmante & refpectable dont
il eft adoré , & vous le jugez plus malheureux
qu'un Aveugle ; il faut , Monfieur ,
JUILLET. 1756. St
que les Sourds que vous avez connus
foient étrangement affectés de leur infirmité.
Un Sourd riche peut avoir toujours
quelqu'un auprès de lui , qui lui explique
par figne tout ce qu'il veut fçavoir & tout
ce qu'on veut lui dire , & dès-lors il n'eſt
plus qu'à la rigueur privé de ce fens dont
la perte vous paroît fi irréparable. Il voudra
qu'on ne lui rende que les chofes
agréables ou néceffaires ; il fera difpenfé
d'entendre cent bétifes , & d'y répondre :
quelle compenfation de la plus fine ouie ?
A table ou dans un cercle , il jouira de l'attention
accordée à un homme d'efprit qui
s'y fera écouter ; il pourra voir les graces
d'une jolie femme que le chant développeil
croira les entendre ; il devinera ce
qu'elles difent , & fera d'autant plus agréa
blement affecté , qu'aucun bruit importun
ne contrariéra la douceur de fon attention .
Pour l'Aveugle , ce ne fera qu'un amuſement
; pour lui , ce fera un plaifir intime
, parce qu'il y entrera de l'occupation.
Il n'aura d'ailleurs jamais le chagrin d'entendre
ces voix funeftes , reproduites partout
, applaudies en tant de lieux , & prefqu'auffi
infupportables que les louanges
qu'on leur donne . L'Aveugle les entend
fans pouvoir leur échapper , parce qu'il eft
Cij
52 MERCURE
DE FRANCE
.
fans diſtraction , & dès lors s'il n'eft pas
l'homme du monde le moins délicat , il
devient l'homme du monde le plus malheureux.
Une faillie d'un Sourd, une réponſe
, un mot à propos raviffent tout un
cercle on croit toujours qu'il n'a pu bien
dire ou bien répondre qu'à force d'intelligence
; l'air riant qui accompagne les applaudiffemens
qu'on lui donne , lui garantiffent
la fincérité du plaifir qu'on goûte à
le voir ; deux avantages qu'il a fur l'Aveugle
, qui ne peut jamais être ni fi applaudi
d'avoir bien dit , ni fi sûr d'avoir
plu. On prétend qu'un Aveugle eft plus
cauftique qu'un Sourd : la raifon en eſt
bien fimple ; il ne peut jamais lire dans
les phyfionomies , & fe prévenir , par l'extérieur
, en faveur de perfonne. Quel affreux
défagrément pour un Aveugle de ne
pas voir ce qu'il mange & ce qu'on fert !
Il n'y a pour lui ni repas , ni fêtes , ni
fpectacles , le charme de prefque tous les
arts eft étranger pour lui ; dans le plus
affreux cachot , s'il ignore qu'il y eft , &
s'il peut entendre quelques fons agréables ,
quelques beaux vers , il aura épuifé tous
les bienfaits de l'art & de la nature. Placezle
dans le milieu des Tuileries , & diteslui
, vous êtes dans une prifon ténébreuſe ,
il le croira : conduifez - le dans une caverne
JUILLET. 1756. 53
un peu fpacieuſe , & dites -lui , vous êtes
dans les jardins de Verſailles , il y ajoutera
la même foi. Il n'y a point de fille ni de
femme qui ne s'attache plus aifément &
avec plus de raifon à un Sourd qu'à un
Aveugle : la nature infpire cette préférence.
L'Aveugle eft donc plus malheureux .
Il y a des Hôpitaux pour les Aveugles , je
n'en connois point en faveur des Sourds ;
les Sourds font donc jugés moins à plaindre
. On ne fçauroit difconvenir qu'il n'y
ait infiniment plus à voir dans le monde
qu'à entendre '; donc l'Aveugle eft plus
malheureux. Le Sourd peut jouer , danfer ,
faire de la mufique , en compofer , aller à
la chaffe , à la promenade , au bal , & c.
l'Aveugle ne peut rien faire de tout
cela ; donc le Sourd eft moins infortuné.
Tout dépend pour un Sourd fans remede
d'être convaincu qu'il ne guérira jamais :
dès qu'il aura cette conviction , il reprendra
fa gaïeté. Je fuis fourd depuis douze
ans ; j'ai reffemblé parfaitement à votre
Sourd , Monfieur , tant que j'ai eu l'efpérance
de guérir . Dès qu'elle s'eft évanouie ,
j'ai pris mon parti : je m'amufe de mille
chofes , je me fais mille plaifirs , & je fens
que dans ceci ce qui eft vrai pour moi eft
très- poffible pour les autres. Vous pouvez
vous informer , Monfieur , à Strasbourg
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
& à Metz , s'il eft vrai qu'il y existe un
Sourd tel que je viens de me repréſenter
vous ferez bientôt convaincu que je n'exagere
point. Je n'ai quelques momens de
mélancolie par que par la médiocrité de ma
fortune. Si j'avois aujourd'hui mille écus
de penfion du Roi , il pourroit dire avec
sûreté , j'ai fait un heureux de plus dans
mes Etats . Je vous affure , Monfieur , qu'avec
ces trois mille livres , je ferois non
feulement plus heureux que le Plutus des
aveugles & des fourds , mais encore de
tous les hommes de l'univers , par le plan
de vie que je proportionnerois à mon aifance.
Avec ces mille écus , je défirerois le
Cordon de Saint Michel , en qualité d'un
Sourd heureux & le plus intelligent de
tous les Sourds du Royaume , s'il eft vrai
que tous les Sourds , excepté moi , reffemblent
au vôtre.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Le B. D. C. Sourd & très fourd.
JUILLET. 1756. 33
VERS
A M. le Maréchal , Duc de Richelieu .
Modele des Sçavans , des Sages , des Guerriers
;
Toi qui de Paphos & de Thrace
As fçu moiffonner les lauriers ,
Sans dédaigner ceux du Parnaffe :
Tu vas donc prodiguer , au gré de ta valeur ,
Les reftes précieux de ton illuftre vie.
Hâte-toi de punir la lâche perfidie
D'un Ennemi qui brave , & les loix & l'honneur.
Immortel Richelieu , que ton fort eſt flatteur !
En toi , pendant la paix , l'oeil même de l'envie
Voit l'ornement de ta patrie ,
Et dans la guerre , fon vengeur.
D. M. M.
ODE
Au Roi de Pruffe.
D'où part cette famme agiffante ;
Qui frappe & ranime mes fens
Tout à coup ma voix languiffante
Rend des fons vifs & pénétrans.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Fuyez , fuyez fçavantes Fées ,
Allez offrir à nos Orphées
Les tréfors du facré vallon :
Qu'ai- je à faire de votre lyre ?
Celui que je chante m'infpire :
Mon Héros eft mon Apollon.
+
Les Souverains font fur la terre ;
Ce qu'en l'Olympe font les Dieux.
Comme eux , ils lancent le tonnerre ,
Et font tout trembler fous leurs yeux.
Au lieu d'Autel , ils ont un trône ,
Où tout ce qui les environne
S'empreffe de les honorer :
Mais fouvent une crainte vile
Enfante un hommage fervile ,
Quand l'amour feul doit l'infpirer.
Loin d'ici ce culte vulgaire ,
Qui n'eft digne que des Tyrans.
Sous le dais où je te révere ,
Mon coeur brûle un plus pur encens.
Grand Frédéric , le zele anime
Des voeux confacrés par
Au temple de la vérité ,
l'eftime.
Le fceptre eſt un brillant phantôme : ·
Ce n'eft point au Roi , c'eft à l'homme
Que j'offre un tribut mérité.
JUILLET. 1756. 57
Quels traits préfente ton image ?
Es-tu Céfar ou Salomon ?
Que dis-je ! à la fois Héros , Sage ,
Tu mérites ce double nom .
Au ſein même de la victoire ,
Ta bonté s'oppose à ta gloire ,
Ton bras à ton coeur eft foumis ;
Sous une tente & fur le trône ,
Tu tiens le glaive de Bellone
Et la balance de Thémis.
Où vont ces nouveaux Alexandres ,
La flamme & le fer à la main ?
Veulent-ils mettre tout en cendres ,
Et détruire le genre humain ?
Dans les accès de leur délire
Les limites d'un vafte Empire
Ne peuvent point les contenir ;
Ufurpateurs illégitimes ,
Leurs exploits font autant de crimes
Que le Ciel a droit de punir.
Vous , chez qui l'amour de la gloire
A pu fe changer en fureur :
Arrêtez ... la feule victoire
Ne conduit pas à la grandeur.
Maîtres fur la terre & fur l'onde ,
Quoi ! vous avez conquis le monde !!
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
Vous n'êtes point Héros encor ,
Votre triomphe eft inutile :
Que fervent les exploits d'Achile
Sans la fageffe de Neftor ?
O grand Roi ! l'Europe t'admire !
Sur toi s'attachent fes regards :
Elle croit voir dans ton Empire
L'école des Loix & de Mars.
Ici tu fixes dans tes Villes
L'abondance , les Arts utiles ,
Qui d'un Etat font le bonheur ;
Et là , te couvrant de pouffiere ,
Tu formes ta troupe guerriere
A vaincre ou mourir pour l'honneur.
Que vois-je ! quels talens fublimes !
Rival , mais ami des Sçavans ,
Tu les conduis & les aimes
Par tes leçons & tes préfens.
Tels que dans Rome & dans Athenes ,
Les Cicerons , les Démofthenes
Naiffent en foule dans Berlin ;
Et des régions étrangeres ,
Les Virgiles & les Homeres
Y volent fixer leur deftin .
JUILLET. 1756. 99
Le feu , le goût & le génie
Animent partout tes accens.
Quelle force quelle harmonie !
Qu'il eft doux d'entendre tes chants !
Quelquefois du Berger d'Admete ,
Tu prends en main l'humble mufete ;
Et te pares de fimples fleurs ;
Souvent fur la trompette altiere
Tu chantes la vertu guerriere ,
Et cueilles des lauriers vainqueurs.
*
Pour percer fous l'immenfe voûte ,
Eternel féjour des deltins ,
Les Dieux ouvrent plus d'une route
A l'ambition des humains.
Le fage y va par la prudence ,
Le conquérant par la vaillance ,
L'homme docte par les talens.
Mais , comme toi , nul n'à la gloire
D'aller au temple de mémoire
Par ces trois fentiers différens.
Quel froid me faifit ! je friffonne !!
La crainte glace mes efprits.
Mon feu s'éteint , il m'abandonne :
Ma voix , mes fens font interdits.
Où fuis-je ! ou vais -je ! je m'égare !
Suivrai- je dans les airs Icare ,
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Ou Phaéton audacieux ?
Non , non , du féjour du tonnerre ,
Je vole humblement
fur la terre ,
Et laiffe Frédéric aux cieux.
DICTIONNAIRE PORTATIF,
Ou Penfées libres d'un jeune Militaire qui
s'amufe à réfléchir les matins , n'ayant rien
de mieux à faire ; par ordre alphabérique.
ESPECE DE PRÉFACE.
JE réfléchis , en voici la preuve . Qui me
la difputeroit , ne prouveroit que de l'humeur.
J'écris fur tant de fujets , qu'il eft
impoffible que je ne me contrediſe pas.
Toutes mes penfées dépendent de la difpofition
de mes organes. Je voudrois que
quelqu'un me dît s'ils étoient bien ou mal
difpofés quand j'ai fait cette préface : on.
ne peut me faire plus de plaifir que de me
parler librement ; car je fuis toujours sûr
de me divertir des jugemens des autres.
A.
A , B , C , fcience de bien des gens qui
s'en croient davantage.
JUILLET. 1756. 61
ABUS. Voifins dangereux de la juftice &
de la raifon.
ACADÉMIES. Sociétés comiques , où l'on
garde fon férieux .
ACCOUCHEMENT. Action naturelle que
l'art a rendue dangereufe.
AMIS. Ce feroit trop me vanter que de
dire ce que j'en penſe.
AMITIÉ. Sentiment qu'on profane tous
les jours.
AMOUR. Plaifanterie ou fottife . Plaifanterie
, lorfqu'on adore toutes les femmes
: fottife , lorfqu'on s'attache de bonne
foi à une feule .
ANGLOIS . Peuple féroce toujours prêt à
facrifier fon honneur & fon repos à un
phantôme de liberté qui s'évanouit tous les
jours.
APPARENCE . Rideau fous lequel on peut
faire tout ce qu'on veut , mais qu'il eſt
effentiel de tirer.
ARTIFICE. Monnoie courante.
AUTEURS . De deux fortes . La vanité des
uns révolte. L'efprit des autres ennuie.
B.
BATAILLE . Cruelle frénéfie de plufieurs
qui s'égorgent fouvent pour une querelle
qui ne leur fair rien.
BERCEAU, Etat dont l'homme devroit
61 MERCURE DE FRANCE.
fe fouvenir dans fes plus grandes actions ;
cela tempéreroit fon orgueil .
BETES . Combien j'en vois de figure humaine
!
BIEN ( le vrai ) eft de ne dépendre que
de fes fentimens .
BIENFAIT. Bonheur pour les gens fenfibles
, fupplice pour les ingrats..
BONHEUR. Réalité dont Dieu laiffe aux
hommes la chimere , pour leur prouver
leur impuiffance .
BRAVOURE. Premiere vertu du foldat
derniere de l'Officier.
C.
CALCUL . Chofe la plus ennuyeufe & la
plus néceffaire.
CANDEUR. Signe toujours sûr de la
probité.
CARACTERE. C'eft fe vanter
ler du fien , quel qu'il foit.
que
de
par
CHEF. Homme dont il y a fouvent à
parier , que la tête eft moindre que celles
qu'il conduit. Ceci n'eft pourtant pas sûr.
Je parle peut-être trop d'après ce que j'ai
vu.
CIRCONSTANCES . Font plus de criminels
que la réfléxion.
CITOYEN Jadis ce mot fignifioit tour
ce qu'il y a de plus grand : aujourd'hui il
JUILLET. 1756. 63
n'annonce qu'un homme qui paie la
taille.
CLIMAT. Heureux celui qui vit naître
le grand homme qui en a fr bien connu
toutes les influences !
COEUR. Mot vague qui entre dans l'éducation
, & qu'on prodigue à tout propos.
On parle de fon coeur , on aime de tout
fon coeur ; les trois quarts des gens qui
mettent leur coeur partout , font les moins
fûrs d'en avoir un. La reconnoiffance &
l'amour m'ont éclairé fur le mien .
COLERE. Vice du tempérament , pardonnable
un inftant.
COMÉDIE . Prétendue école des moeurs ,
qui ne l'est que de l'efprit.
COMPLIMENT. Ennuyeufe harangue qui
ne prouve rien.
CONVERSATION. Semblable au Pactole.
Les penfées font des grains d'or qu'on y
trouve dans un torrent de mors,
CRÉANCIERS, Honnêtes gens qui ont
toujours tort , & qui enfeignent la politeſſe.
CRÉDIT. Façon trop ordinaire d'égaler
les grands en pillant les peti's .
CRIME. C'en eft un que de donner ce
nom à mille actions qui ne font que des
fautes.
CRUAUTÉ. Vice d'optique.
64 MERCURE DE FRANCE.
D.
DÉCISION. Autorité des fots. L'homme
d'efprit ne décide que pour lui .
DEFENSE. Qu'on eft heureux quand on
peut charger le plaifir de la régler !
DÉSIRS . Souvent plus que les plaifirs .
DOUCEUR. Qualité qui embellit toutes.
les autres , fans laquelle elles ne font rien .
DUEL. Crime néceffaire. Abus des loix
& des préjugés.
E.
ECONOMIE. Vertu que j'ai fouvent entendu
vanter , & dont j'imagine à peu près
la néceffité.
EDUCATION . Source de maux ou de
biens. On ne réfléchit pas affez fur fon
importance. La lecture devroit en être regardée
comme la partie la plus effentielle.
EFFRONTERIE . Moyen de réuffir quand
elle eft foutenue de beaucoup d'efprit :
car un effronté qui en manque eft l'âne de
la fable qu'on chaffe à coups de bâton .
ELOQUENCE. Abus de la parole. Je n'en
connois qu'une vraie qui me perfuade ,
c'eft celle des procédés.
ESPERANCE. Jolie marchande de vent ,
dont le bon marché fait le débit.
ESPRIT. Reffemble à ces météores qui
égarent les voyageurs.
JUILLET. 1756 . 65
ESTIME . Sentiment froid dont on ne fe
contente que dans les gens de qui la façon
de penſer nous eft prefqu'égale.
ETONNEMENT. Caractere de l'efprit foible.
ETOURDI. Ne l'eft pas toujours qui en a
l'air.
ETUDE . Reffource en tous lieux , remede
contre tous maux. Moyen de ne pas
regretter la perte du tems.
ENVIE. Vice exécrable dont la définition
fouilleroit ma plume.
F.
FABLE. Plus commune & plus néceffaire
que l'hiſtoire.
FANTAISIE . Regle trop ordinaire de ce
qui nous paroît le plus folide.
FAT. Animal à mettre dans une ménagerie
, non pas pour fa rareté .
FATALITÉ . Soeur du Deftin , auffi vieille
& auffi bêre que lui.
FEMME . Etre charmant dont la puiffance
approche le plus de celle de la Divinité ,
dont les graces font paffer les défauts &
même les vices.
FIGURE. Chofe fur laquelle il eft bien
faux de fe prévenir. Foible avantage fur
lequel il eft fou de s'enorgueillir.
FLATTEUR. Homme qui ne cherche à
66 MERCURE DE FRANCE.
nous élever que pour être lui-même aut
deffus de nous , en donnant un vice de
plus , l'orgueil .
FLATTERIE. N'eft dangereufe que pour
les fots , à moins qu'elle ne foit donnée
par un homme de beaucoup d'efprit ; car
il en faut ( calcul fait ) deux fois plus pour
y réfifter, que n'en a celui qui flatte.
FLEURS. Colifichets de la nature.
FOLIE. Ame du monde.
FORCE DU CORPS . Mince avantage qu'on
partage avec les bêtes. Force d'efprit , don
précieux qui nous diftingue entre les hommes.
FORTUNE. C'eft une aveugle qu'il faut
conduire .
FRANCHISE. Vieille vertu de nos ayeux.
FRANÇOIS. Peuple aimable , qui a plus
de ridicules que de vices , mais qui a de
bonnes qualités dans le coeur.
FRIVOLE . Il est heureux de pouvoir l'être.
Ces deux mots fe fuccedent à propos ;
J'un eft l'épithete de l'autre.
G.
GAIETE. Source intariffable de tous
biens.
GÉNIE. Etincelle de ce feu divin que
Prométhée vola , & qui prouve le plus
Fimmortalité de l'ame .
JUILLET. 1756. 67
GLOIRE. Chimere qui varie à l'infini .
GRACES ( les ) . Ne peuvent être définies
que par le fentiment.
GRANDEUR D'AME . La véritable eft le
mépris des biens & des maux.
GRAVITE. Trifte effet d'un fang trop
froid .
GUERRE . Folie refpectable.
GUERRE CIVILE. Fureur déteftable.
H.
HABITS . Diftinction pour les fots.
HEROS. Etre de raifon , homme qui
fçait vaincre fes paffions.
HEROS. Tyran , meurtrier que la fortune
couronne par les mains de la victoire.
HISTOIRE. Archives de la vanité .
HOMME. Etre indéfiniffable , mais que
je crois plutôt porté au mal qu'au bien .
Qu'on ne m'en croie cependant pas fur
cette définition : elle peut n'être qu'une
conféquence des évéremens de ma vie.
HONNEUR. Mot dont la fignification eft
immenfe & très rarement entendue ..
HUMANITÉ. Foibleffe , mifere , orgueil ,
impuillance.
I.
JEU. Supplément à l'efprit , ou reffource
de l'avarice .
68 MERCURE DE FRANCE.
JEUNESSE. Saifon où les orages compenles
beaux jours. fent trop
ILLUSION . Reine des hommes.
IMAGINATION . Magaſin d'extravagances
en tout genre .
IMPORTUNITÉ. Politeffe de bien des
gens .
INDIGNATION. Sentiment trop commun,
qu'il faut réprimer.
INFORTUNE. Creufet de la fageffe.
INFINI. Ligne immenfe à laquelle nous
ne croyons point de bout , parce que nous
ne pouvons le découvrir.
INGRATS. Efpece de gens qu'on eft encore
trop heureux de faire .
INGRATITUDE . Vice horrible qui naît de
l'orgueil.
INSTANT. Terme de nos plaifirs . Image
de notre vie .
INSTINCT. Plus fûr que la raifon. La
preuve en eft partout.
IRONIE. Affront le plus fanglant qu'on
puiffe effuyer.
JUSTICE. Sa caducité touche au néant.
L.
LECTURE. Bonne ; nourriture de l'ame :
mauvaiſe ; poifon de l'efprit .
LIBERTÉ . Bien fuprême qui n'exifta que
dans le premier âge du monde.
JUILLET . 1756. 69
LIBERTÉ. Bien qu'un fexe charmant
nous enleve tous les jours. N'enleve qu'aux
fots.
LIVRES. Leur choix fait la preuve & la
richeffe des gens de goût.
LOI NATURELLE . Bafe du bonheur & de
la probité.
Loix. Chofes fimples & néceffaires , qu'on
rend dangereufes en les embrouillant tous
les jours elles font fufceptibles de trop
d'interprétations .
LUMIERES. Les plus brillantes touchent
aux ténebres.
M.
MAJESTÉ. Chofe qu'on fixe plus aifément
que le foleil , & qui eft fujette à plus
d'éclipfes.
MAÎTRE. Homme à qui il eſt bien difficile
de fe faire aimer.
MARIAGE. Efpece de loterie où les bons
billets font bien rares. La raifon & l'efprit
viennent de faire un excellent livre fur
ceux des Proteftans .
MÉMOIRE. Quand on n'a pas le fonds ,
elle ne donne que l'efprit des autres.
MÉRITE. Il faut en avoir
noître.
pour s'y con-
MISERE. Etat naturel de l'homme.
MODESTIE. Vertu des dupes.
70 MERCURE DE FRANCE.
MOINE. Homme qui promet plus qu'il
ne peut tenir.
MORALE. Chacun a la fienne . Elle eſt
cependant comme la vérité : elle eft une .
MORT. But fur lequel on doit moins
s'étourdir que s'aguerrir.
N.
NAISSANCE . La haute eft un fardeau.
La baffe eft un fujet d'émulation . Combien
de gens traînent la leur !
NATURE . Mere de bien des ingrats.
Tréforiere inépuifable du Philofophe.
NAUFRAGES. Il y en a partout.
O.
OPINIATRETÉ . Dureté d'efprit ; qualité
qui fait hair celui qui l'a .
ORGUEIL . Vrai Dieu de l'univers , qui
fait tous les jours des miracles ou des
fottifes.
P.
PASSIONS. Puiffances contre lefquelles
il faut lutter de bonne - heure. Divinités
charmantes ou Megeres horribles . Myrthe
ou Aconit. Souvent l'un & l'autre .
PATIENCE . Vertu facile à prêcher.
PAUVRE. Homme dont le mérite eft
chofe perdue.
PAUVRETÉ. Malheur de convention qui
1
JUILLET . 1756 . 71
eft plus à éviter que le vice. Cette définition
n'eft pas un confeil , mais une vérité.
PERE. Homme que fa tendreffe doit
éclairer fur fes devoirs.
PERFECTION . Point dont chaque hom→
me fe fait une idée chimérique , mais qui
ne peut être entrevu par aucun.
PETITS. Ce font les hommes en général
. Pigmées , ce font les grands .
PEUPLE . Toujours vil & méprifable . Il
y en a bien dans ce qu'on nomme la bonne
compagnie.
PEUR. Maladie avec laquelle nous naiffons
& nous mourons tous , malgré le
pouvoir & la vanité.
PHILOSOPHE . Homme qui fçait être
heureux par lui- même , fans le fecours d'aucun
bien.
PHILOSOPHIE. Reffemble au grand cuvre.
Bien des foux la cherchent.
PLAISIR. Phantôme qui nous enchante ,
mais qui fuit dès que nous voulons le
toucher .
POLITESSE Lien général dont on abuſe,
PREJUGÉS. Vieux ennemis du bon fens ,
qu'on dit qu'il faut fuivre cependant pour
en avoir.
PRÊTRE. Homme dont les devoirs font
bien difficiles.
PRÉVENTION. Regle de la plupart de
7.2 MERCURE DE FRANCE.
nos jugemens ; je dirois même de tous , fi
je ne craignois qu'on ne m'en accusât.
PROBITÉ. Vertu qui fut précieufe à nos
ancêtres , & qui ne fait plus que des dupes.
PROJETS . Mauvais ; fort aifés à faire :
bons ; difficiles à executer.
PRUDENCE . Façon de prendre fon parti
de fang froid dans tous les événemens ;
vertu que rien ne peut déranger. Et où
exifte cette belle chimere ?
Q.
QUERELLE. Faute quand on fe l'attire ;
bêtife quand on ne la prévient pas , &
malheur lorfqu'on n'a pu l'éviter.
QUESTION. Chofe qu'il eft difficile de
faire bonne.
QU'IMPORTE. Mot avec lequel le fage fe
confole de tout.
R.
RAISON. En parle qui voudra ; Dieu
me préſerve de m'y connoître.
RARETÉ. Probité abfolument défintéreffée.
REFLEXION . Trifte meuble dont il faut
fe fervir quelquefois.
REGNER . Science bien difficile.
REPONSE. Chofe fort ennuyeuſe à faire .
REPUBLIQUE .
JUILLET . 1756. 73
RÉPUBLIQUE, Etat qui ne peut longtemps
exifter , à moins que les divifions
intérieures ne cedent toujours à la cauſe
commune.
RÉPUTATION . Dépend du ton plus que
du fonds des choſes.
RIEN. Etendue de nos connoiffances.
RIME. Entraves de l'efprit qu'on ne devroit
jamais donner au fentiment.
RIRE. Mouvement convullif qui n'annonce
pas toujours la joie.
Rois . Premiers ou derniers des hommes.
S.
SAGESSE. La vraie confifte à fçavoir
perpétuer les plaiſirs , & à les varier à
l'infini .
SAINTETÉ . Effet de cent mille écus
fur lequel on ne trouveroit pas un fol
dans ce fiecle .
SAINT. Etre que je ne connois que de
réputation.
SANTÉ . Dans la meilleure , il n'y a pas
deux à parier contre un que l'on vivra .
SCIENCES. Labyrinthe où l'orgueil nous
égare .
SÉDITION. En France feu follet. Orage
en Angleterre.
SENTIMENT. La plus précieufe préroga-
1.Vol. D
T
74 MERCURE DE FRANCE.
tive de l'homme ; mais qui en eſt trop peu
connue .
SIFCLE. Jadis ce mot vouloit dire quel
que chofe , aujourd'hui frivolité & lui font
fynonimes. Peut-être nós Neveux lui rèndront-
ils fa premiere fignification .
SOCIETE . L'efprit de fociété , en général
, n'eft qu'un vil intérêt.
l'hu-
SOUPIR. Effet délicieux du fentiment,
SUPPLICE. Rien de fi humiliant , j'ajoute
même de fi deshonorant pour
manité que la néceffité des fupplices .
SYMPATHIE . Sentiment précieux : mal
heur à qui ne le connoît pas.
T.
TÉMÉRITÉ. Action qui prend un plus
beau nom , fi elle réuffit .
TEMPERAMENT. Maître & directeur abfolu
de l'ame & du corps. Cette définition
eft mortifiante pour la vanité ; mais qu'on
réfléchiffe , elle est vraie ,
y
TEMPS . N'eft un vieillard que pour
ceux qui le perdent ; c'eft toujours un enfant
pour qui fçait l'employer.
TITRES. Ne décorent point. C'est la
façon de les mériter. En donner à ceux qui
n'en ont point , c'eft bêtife ou méchanceté,
TOURTERELLES . Tendres oiſeaux dont
bien peu de gens ont l'efprit d'envier le fort,
JUILLET. 1756. 75
TRANQUILLITÉ . Etat le plus déſirable du
monde , lorfqu'il porte fur une parfaite indépendance.
TRIOMPHE. Tel a fçu le mériter , qui
n'auroit fçu le réfuſer.
TRISTESSE. Etat cruel qui exiſte ſouvent
fans caufe , & que je crois dans la nature
de l'homme .
V.
VANITÉ . Fille de l'honneur & de la
fottife.
VENGEANCE. Sentiment de vanité qui
ne doit fa force qu'aux circonftances.
VERS. La gloire d'en faire de bons n'en
paye pas la peine .
VERITÉ. Si elle n'eft pas la regle de toutes
les actions des hommes fans exception ,
elle fera plus de mal que de bien.
VERTU. Chofe admirable dont chaque
homme fe forme une idée particuliere
qu'il chérit , mais à laquelle il facrifie
rarement fes paffions.
VICTOIRE. Crime que la néceffité change
en vertu.
VIE. Tiffu de maux & d'ennui , dont
nous avons la fottife de redouter la fin .
VILLES. Leur origine vient plutôt des
befoins mutuels des hommes que de leur
caractere fociable .
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
VIOL. On devroit admirer un homme
qui prend la peine de commettre ce crime.
VOYAGES . Ne valent que par la réflexion."
VOLUPIÉ. La plus féduifante & la plus
mal fervie de toutes les Déeffes ; elle a
des Autels & des parfums différens. Les
plus exquis brûlent pour le fentiment , &
font entretenus par l'efprit . Il n'y a pas
trois perfonnes par fiecle qui fçachent
l'adorer , comme elle le veut.
Y.
YEUX. Sont la plus noble partie de
l'homme , mais il faut que l'efprit & la
fermeté les dirigent.
YVRAYE. Celui de l'Evangile eft bien
commun .
YVRESSE . Toutes celles du plaifir font
dangereufes ; toutes les autres font deshonorantes.
Z.
ZEPHYR. Ennuyeux petit vent qu'on
trouve partout .
ZINGISKAN. Orphelin qui doit beaucoup
à fa mere adoptive .
ZIST & ZESTE. Notre vie fe paffe entre
ces deux mots.
& c.
ET CETERA. Le meilleur de mes Ouvrages.
•
JUILLET. 1756. 77
Nous croyons que ce Dictionnaire doit
plaire d'autant plus par fa briéveté , qu'on
y trouve des chofes , & qu'il prouve en
peu de paroles que nos Militaires penfent
aujourd'hui & penfent de bonne heure .
Cependant quelque court qu'il foit , nous
en connoiffons un plus fuccinct , mais qui
lui eft très- inférieur ; c'eſt le Dictionnaire
que nous a envoyé un vieux Abbé qui a
troqué fes idées contre des fenfations . Il fe
borne à quatre lettres qui ne contiennent
que quatre mots renfermés dans cette ligne.
B. Boire. D. Dormir . M. Manger. V..
Végéter.
Qu
VERS
Sur le Préjugé des Auteurs.
Ui pourroit m'indiquer ou demeure l'envie ?
J'entends partout maint Auteur s'écrier ,
Ah l'envie ! ah l'envie ! On a beau la prier ,
La cruelle qu'elle eft , par la rage fuivie
Répand à chaque inftant fes poifons fur ma vie.
Sur votre vie ! O ciel ! que vous êtes heureux !
Illuftre Auteur entouré d'envieux.
Que je vous voye : hélas ! tant de mérite
Avoit le droit d'exciter leurs fureurs.
Tempérez par bonté l'éclat qui les irrite ;
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
Vous deviez vous attendre à toutes ces horreurs :
Vous êtes trop grand homme ; & moi , qui vous
regarde ,
Et qui ne vous connois que depuis un inftant ,
Je me fens... Ah ! grands dieux , oui , ſi je n'y
prends garde ,
Je me fens fi petit , quand je vous vois fi grand,
Qu'à vos jaloux mon coeur ajoute un concurrent.
Ce que c'eft que d'avoir un fi vafte génie ,
L'efprit de Cicéron , & l'ame de Brutus ,
L'intelligence à la fageffe unie ,
Du concert des humains on trouble l'harmonie
On accable les gens du poids de fes vertus.
Monfieur l'Auteur , oui , je parie ,
Quoique je n'aie encor vu que votre profil ,
Que fi de vos triftes années ,
La Parque retordoit le fil ,
Vous refuferiez net vos grandes deftinées ,
Vous choifiriez plutôt la douce obfcurité
D'un Citoyen que rien n'agite ,
Et qui dans la tranquillité ,
'Arrive doucement fur les bords du Cocyte
Par les fentiers unis faits pour l'oifiveté :
Oui , vous immoleriez votre nom , votre gloire ,
Vous voudriez, plongé dans les ombres du temps,
N'être pas plus célebre au Temple de mémoire ,
Que moi , rimeur obfcur , de qui les vers rampans
.....
Non. Comment , non ? ...
Je vous entends.
JUILLET. 1756. 79
Vous voulez des lauriers , & les cueillir fans peine,
Vous êtes un Seigneur qui , porté mellement
Sur des refforts à la d'Alêne ,
Se plajnt du bruit impertinent
Que fait fon carroffe en marchant.
Que ne va- t'il à pied Il entre chez Hortenfe ,
Il s'écrie avec pétulance :
Mes gens font des coquins , mes fermiers , des
fripons ,
Mon intendant , mes fecretaires ,
Mes bois , mes gardes , & mes terres ,
Tout va mal , on me pille , ils font tous des
larrons !
On double , on triple ma dépenfe ,
J'irois à l'Hôpital tout droit ,
Si je n'avois une fortune immenfe . !
Marquis , tour ce courroux n'eft qu'un moyen
adroit
Pour parler de votre opulence ,
Ah , l'Envie ! ah , l'Envie ! Auteurs , on vous croiroit
04
Plus piqués de fon infolence ,
Si vous aviez moins d'éloquence.
A peindre les fureurs de fon acharnement.
Oui , dans les plaintes que nous forge
Votre coeur dupe alors de fon reffentiment ,
Notre amour-propre clairement
Voit le vôtre qui fſe rengorge.
Ma raifon y voit plus , & j'ai prefque deffeip
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
De penfer mal d'un Auteur fi chagrin :
Car cette envie au comble parvenue ,
Dont il offre à nos yeux les vifs emportemens ,
Et les transports & les raffinemens ,
La peindroit- il fi bien , s'il ne l'avoit connue ?
Tout grand homme va droit , & fimple , il ne
croit pas
Qu'il puiffe être l'objet d'une jaloufe rage. ; .
Si quelque vil roquet jappe fur fon paffage ,
Il marche fans fe plaindre , & laiffe fur les pas
Aboyer les chiens du village. >
Je pourrois citer plus d'un fage
Montefquieu , Fontenelle , ou Caton ;
Mais ce difcours auroit l'air d'un fermon.
Ne citons rien , & fans cérémonie ,
Finiffons , chers Auteurs , par un trait d'amitié :
Tel d'entre vous croit faire envie ,
Qui fouvent ne fait que pitié.
LES SONGES DE L'AMOUR ,
Idylle traduite du Grec ( 1 ) .
CE n'eft point à Paphos où l'amour établit
fon empire , c'eft dans les lieux où il
(1 ) Le manufcrit grec dont on a tiré cette traduction
, a été trouvé à Sayde en Syrie , où l'on en
a donné une copie à un Marchand de la Rochelle.
JUILLET. 1756 . 31
reçoit les voeux les plus tendres . Je vis
Eglé à l'inttan. même il fe fixa dans nos
bocages. Que de charmes il y fait naître !
Le Dieu du Jour y eft amant de Flore ;
on le voit briller de tous les feux qu'il
veut porter dans fon fein : mais le Zéphyr
jaloux les arrête par fes foupirs. Mille
Nayades fe joignent à lui pour défendre
la timide Flore : leur fecours la rend plus
touchante & plus belle.
Diane vient enfin de fentir le pouvoir du
Maître de nos coeurs. Elle furprit un jour
le Dieu des Forêts pendant qu'il fe baignoit
dans une onde pure . Cet objet lui
paroît plus digne de fes ris que de fa
colere , mais l'Amour que le fouvenir des
graces du jeune Actéon irrite contre ſa
fierté , arme fon arc d'un trait vainqueur :
les yeux de la Déeffe fe troublent , fon
coeur eft bleffé , & les Satyres applaudiffent.
Depuis ce tems elle foupire fans ceffe , &
cherche les ombrages épais. O Déeffe trop
cruelle ! Actéon fera bientôr vengé . Les
Sylvains préparent déja leurs antres fecrets ,
& les Dryades y fement de fleurs les ga
zons les plus verds..
Le ftyle eft celui d'un Auteur du bas Empire. I
paroît avoir été corrigé & altéré par des modernes
Grecs & Arabes ; car il s'y trouve des corrections
dans cette derniere Langue.
Dv
S2 MERCURE DE FRANCE.
L'Amour m'a révélé ces fecrets cachés
aux yeux des Bergers , pendant que je
goûtois les charmes du fommeil fous l'ombre
d'un Tilleul (1 ) . Je dis à ce Dieu : La
reconnoiffance plaît aux Immortels : mais
quels dons pourrois- je t'offrir ? Eglé m'a
ravi le plus précieux de tous. Amour ,
prends-la pour victime , il n'en eft point
de fi digne de toi ! O Dieu charmant, fais
le bonheur d'Eglé : fais qu'elle aime , &
qu'elle aime comme moi . Alors je facrifierai
tous les jours une hécatombe ſur tes
Autels.
M'aurois - tu déja tranfporté dans ton
Temple ? Mais d'où vient la trifteffe que
j'y vois régner ? Pourquoi ces rofes dont
tes Autels font ornés ? Ont- elles perdu
leur vif éclat ? Helas ! je ne vois point
briller res feux facrés ; auroient- ils tous
paffés dans mon coeur ?
Cependant Eglé me tend les bras. Les
Dieux me font témoins , dit- elle , que je
t'aime plus que ma vie. Mais une Divinité
jaloufe m'a plongée dans les eaux
du mortel Achéron : mon coeur feul n'en
a point fenti l'effet. Je meurs , puifque je
pu te prouver mon amour . Mon ame
prête à m'abandonner est déja paffée fur
D'ai
(1 ) Il y a dans le Grec un Cormier.
JUILLET. 1796.
mes levres: reçois la , cher Lifis , & puiffet'elle,
unie à la tienne , n'avoir plus qu'un
même corps pour ne le quitter jamais !
O fils de Venus ! détruis ce cruel enchantement.
Prends dans mon coeur tous les
feux qu'Eglé y alluma , porte les dans fon
fein . Tu m'exauces ! Ces beaux myrthes
s'agitent & répandent un doux parfum :
les voûtes du Temple s'ouvrent . Je te
vois , Dieu charmant , fur un trône de rofes
qu'arrofent fans ceffe de leurs larmes l'Au-
Fore & la Volupté . Suis- moi , chere Eglé ;
pénétrons jufqu'à ce Dieu même. Mais
quoi ! tes forces t'abandonnent ! Eglé , ma
chere Eglé , ne ferme pas ces beaux yeux.
Que ton ame demeure dans le délicieux
féjour quelle habite reçois y plutôt la
mienne .
A ces mots , le fils de Venus fit un doux
fourire Ne crains plus , dit- il , pour Eglé ;
tes feux ont confervé fes jours : ils pourroient
les détruire , le froid Acheron même
en feroit enflammé . Mais airft qu'une
fleur tendre & délicate ne peut réfifter aux
ardeurs brûlantes du midi , tant de feux
pourroient confumer la fenfible Eglé : je
veux les appaifer ... A l'inftant il répandit
des flots de ce nectar qui tient les immortels
dans une éternelle yvreffe , mais qui
n'éteignit nos feux que pour les rallumer
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
plus vivement encore , & leur donner
l'immortalité des Dieux.
O fommeil fi doux & fi court ! ô fonge
divin ! ne jouirai - je plus de vos charmantes
erreurs ? Obonheur ! dont chaque trait
eft fi bien gravé dans mon coeur , & ne
s'effacera jamais , que ton image délicieufe
ait dans ce moment pour Eglé tous les
charmes de la vérité !
Vous , que l'on révere à Gnide , & que
la main des Graces a plantés pour orner le
Temple du Dieu qu'on y adore , vous , qui
cachez fous vos ombrages les fecrets que
Prométhée ravit aux Dieux , beaux Myrthes,
ne foyez point jaloux fi l'Amour vous
a dépouillés de quelques rameaux pour
couronner mes feux. Je les arroferai de
mes pleurs en coulant dans vos rameaux ,
ils rendront mon amour & ma conftance
éternelles comme vous.
Par Paul Stue , Muficien & Serpent de
la Cathédrale de la Rochelle.
JUILLET. 1756. 85
VERS FAMILIERS
Sur le Mariage.
Pour femme prendra qui voudra
Celles que le Mercure annonce : ( 1 )
J'en veux une qui me plaira ,
Ou bien à l'Hymen je renonce .
Si j'aime , fi je fuis aimé ,
Des noeuds c'eft le plus reſpectable :
Par l'intérêt s'il eft formé ,
En eft- il un plus redoutable ?
Amour feul dictoit les accords
Dans cet heureux fiecle d'Aftrée :
Bon renom , difoit - on alors ,
Vaut mieux que ceinture dorée .
Aujourd'hui c'est tout différent ,
On prend peu garde à la perfonne :
Eft-elle bien riche , on la prend ,
Ne fut- elle belle ni bonne.
Bonne femme en fut- il jamais ?
( Diront quelques maris bizarres ).
Oui , fans doute , il s'en trouve : mais
De tels oifeaux font un peu rares .
(1) Dans le fecond Volume de Janvier 1756,
S6 MERCURE DE FRANCE.
秦
Au refte , je ne prétends point
Avoir une femme parfaite :
Or voici , pour être à mon point ,
Comme je veux qu'elle foit faite.
Par l'âge foyons affortis ,
Ainfi que par le caractere :
Qu'elle n'époufe point fon fils ,
Et que je ne fois point fon pere.
Peu m'importe que chez d'Hozier
Elle ait fa généalogie :
J'honore dans un Roturier
La vertu qui s'y réfugie.
Un Noble , qui de ſes ayeux
Vient m'étaler la longue fuite ,
Eft fort peu de chofe à mes yeux ,
Quand il n'a pas d'autre mérite.
Que de gens traînent de grands noms !
Et
que de veaux d'or l'on encenfe !
A ma future revenons :
Mufe , tu prends trop de licence.
Qu'elle ait peu d'apas , j'y confens :
Faut- il être belle pour plaire ?
Qu'elle ait moins d'efprit que de fens :
L'un éblouit , & l'autre éclaire .
Que fans fineffe , fans détour ,
Elle ne foit point trop naïve
JUILLET. 1756.
87
-
Que , fans avoir le ton du jour ,
Elle foit enjouée & vive .
On fçait qu'à la malice enclin ,
Le beau fexe a droit de tout dire :
Que de fa part un trait malin
Ne puiffe ni fâcher , ni nuire.
Ce que
femme veut Dieu le veut ;
Ma volonté fera la Genne :
Sans conféquence , s'il fe peut ,
Par fois elle fera la mienne.
Se gêner fur tous fes défirs ,
C'eft végéter , ce n'eft point vivre :
Dans l'âge fait pour les plaiſirs ,
Qu'avec décence elle s'y livre.
Quand la raifon les interdit ,
Qu'à leur attrait elle s'arrache :
Qu'à fa famille qui grandit ,
En bonne mere elle s'attache.
Qu'elle aime un fils fans néanmoins
Avoir le foible d'une mie ;
Et que fa fille , par les foins ,
Dans la vertu foit affermie.
De traiter fes gens fans hauteur
Quelle fe faffe une habitude ,
Et qu'au contraire fa douceur
Leur faffe aimer leur fervitude.
88 MERCURE DE FRANCE .
En voyant tant de fots Créfus ,
D'être moins riche on fe confole :
Pour envier leurs revenus ,
Qu'elle ne foit point affez folle.
Du peu que le fort me donna ,
Elle fera bien la maîtreffe :
Sçavoir jouir de ce qu'on a ,
Du vrai fage c'eſt là richeſſe ..
J'abhorre un avaricieux ;
Mais je crains tout pour un prodigue::
Qu'à cet excès pernicieux .
་ས
Şa raifon oppoſe une digue.
Du jen , fait pour l'amufement ,.
Que jamais elle ne s'occupe ,
Et qu'elle fçache noblement
Y perdre , mais fans être dupe.
Pauvres maris , qu'à votre honneur -
Cette paffion eft funeſte !
Combien de femmes , en malheur ,,
A-t'on vu jouer de leur refte !!
Que dans le choix de fes amis
Elle fe rende difficile :
Qu'à leurs falutaires avis
Son ame fe montre docile.
D'un fentiment trop dangereux
Que fon tendre coeur ſe défie ; :
JUILLET. 1756 . 89
•
Que ce coeur toujours vertueux
Au préjugé le facrifie .
Que je vous plains fexe charmant
L'homme , qui cherche à vous furprendre
Vous attaquant à tout moment ,
Yous fait un crime de vous rendre.
Affervis aux plus dures loix ,
Vos coeurs plus foibles que les nôtres ,
' Peuvent- ils combattre à la fois
Nos tendres ardeurs & les vôtres
Je fçaurois , en mari prudent ,
Sur certain article me taire ;
Je ne voudrois pas cependant
Paffer pour mari débonnaire.
Que ma moitié faffe fi bien ;
Que ce foit pour moi lettre cloſe :
Quand on l'ignore ce n'eft rien ,
Quand on le fait c'eft quelque chofe.
ᏚᎥ par fon art un Médecin-
Vient de les jours trancher la trame
Que ce foit l'unique chagrin
Que me cauſe une telle femme.
DU L. AKAKIA..
A Paris , ce 17 Mars 1756.
90 MERCURE DE FRANCE.
VERS
A L'AUTEUR DU MERCURE
JEE crois , Seigneur , ce badinage
Peu digne de votre Lecteur
Encor moins de votre luffrage.
Mais on peut , fans prifer l'Auteur ; {
En faveur du fujer , faire grace à l'ouvrage.
A Mademoiselle de Car... de Toulouse.
A Pprendrez vous , Sphinx adorable
Et fans mépris & fans couroux ,
Les fentimens qu'a pris pour vous(0)
Un Lecteur peu conſidérable s
Grace à mon incapacité ,
Je n'ai pas le goût difficile :
Je lis tout fans févérité.
}
Au fond de mon ruftique azyle ,
Qu j'encenfe l'oifiveté ,
Un Logogryphe en mauvais ftyle ;
Mal rimaillé , mal fagotté ,
N'a jamais excité ma bile ,
Ni troublé ma tranquillité.
D'où vient donc que votre critique
Fait naître aujourd'hui dans mon coeur
JUILLET. 1756. ༡ ་
Un tendre intérêt qui s'explique
Et s'anime en votre faveur ?
Voici tout ce que j'en augure :
Le fujet ne me touche en rien ;
Mais je l'éprouve & le fens bien ,
J'aime l'Auteur de la cenfure.
N'allez pas vous en gendarmer ;
Et fongez , en Juge équitable ,
Qu'il eft permis de vous aimer ,
S'il vous eft permis d'être aimable.
Vous vous peignez par des couleurs
Qui , réuniffant tous les charmes ,
de toutes les armes ,
Vous parent
Dont l'Amour ſe loumet les coeurs.
Si ce portrait eft véritable ,
Pour la moitié du genre humain
Je vous crois auffi redoutable
Que le fut le monftre Thébain.
De l'Enigme la plus abftraite ,
Tel peut brifer le voile épais ,
Qui doit compter fur la défaite,
S'il eft en butte à vos attraits.
L'efprit , la beauté , la jeuneffe
Brillent chez vous tout à la fois:
Qui dit l'efprit , dit la fageffe ;
Et fur ce pied-là , je conçois
Que dans une feule Déeffe
Toulouſe adore fous fes toits
Les attributs qui dans la Grece
92 MERCURE DE FRANCE.
Firent le partage de trois.
Ne foupçonnez pas que j'afpire
A m'illuftrer par les fermens
Qu'efclaves d'un tendre martyre
Font fur vos Autels mille Amans.
De tous les noms que l'Epigramme
Offre à nos yeux dans vos écrits ,
Celui de l'amoureux Pirame
N'eft pas chez moi du plus haut prix.
Prefqu'à la fin de mon automne
Le titre de votre Mari
Me conviendroit moins qu'à perfonne
Le nom charmant de votre Ami
Eft le feul que j'ambitionne.
Il faut vous dire un mot de moi,
Afin d'éviter le reproche
De n'être pas de bonne foi ,
Et de vous vendre chat en poche.
En deux vers , voici mon portrait ,
Pendant. & contrafte du vôtre :
Je fuis,garçon , vieux & fort laid ,
Simple , ignorant , mais bon Apôtre..
Tel eft votre ami . S'il vous duit ,
Notre marché peut fe conclure.
Je me tiendrai pour bien inſtruit
De mon deftin par le Mercure:
1.5. Mai 1756..
JUILLET. 1756 . 93.
Comme le Logogryphe de la charmante
Touloufaine mérite qu'on s'y intéreffe ..
j'aurois fouhaité qu'on y eût corrigé ce
Vers de dix fyllabes , dont la céfure eft
défectueuſe :
Préfide à cette admirable ftructure .
Je crois qu'on auroit pu remplacer ce
Vers par celui -ci :
Compofa de mon chef l'étonnante ſtructure ,
En mettant deux Vers après : Hl conferve,
au lieu de je conferve..
LEE
mot de l'Enigme du Mercure de
Juin eft le Confin. Celui du Logogryphe
Caractere d'Imprimerie , dans lequel on
trouve terre , rat , artere , carat , ovale
crête , Ccte , arc , écart , rare , Tarare , rater,
écarter , pacte , & aile.
94 MERCURE DE FRANCE.
ENIGM E.
Juſqu'au milieu du Sanctuaire ,
J'ofe en tout temps porter mes pas :
Je fuis auffi formé pour fervir à la guerre ,
Sans qu'il me foit permis de paroître aux combats:
Toujours dans la moindre déroute ,
J'accompagne tous les Fuiards ,
Soit nature ou caprice , au milieu de la route ,
Je m'attache aux Drapeaux & non aux Etendards
Nouvel animal amphibie ,
J'habite le feu comme l'eau :
Le croiroit- on ? je fuis en vie ,
Sans jamais forur du tombeau.
Je me gliffe & deviens utile ,
Jufques chez Vénus & l'Amour :
Je vais jouer mon rôle en Ville ,
Et des Rois compofer la Cour.
Delà , dans un vallon , fur le bord d'un rivage .
Je vole accompagner la flûte & le hautbois :
J'évite des Oiseaux le plus tendre ramage ,
Préférant de m'unir aux douceurs de la voix ...
En un mot dans ton coeur , au fein de la nature ,
Lecteur , regarde bien , tu verras ma figure .
JUILLET. 1756.. 95
LOGOGRYPHE.
Souvent la coupe la plus pure
Contient le plus affreux poiſon ,
Cette comparaiſon fait affez ma meſure.
Oui , fans vous , Auteur du Mercure ,
J'afficherois encor ma réputation .
Mais vous n'avez rendu complice ,
Sans le vouloir , de certain vice , ( 1 )
Qui rabaiffe beaucoup mon oftentation
Il dégrade mon origine.
Jufques 'ici je fus Caton , ( 2 ) ,
Et fi chez vous l'on m'examine ,
On ne trouve plus que Néron.
Mais quoi je donne dans l'emphaſe .
Et je ne fuis qu'un vrai fétu ;
Paffons vite à la paraphrafe ,
Décompofons l'individu.
Chez moi , comme chez tout le monde ,
On trouve certain animal ,
Que le Mahométan regarde comme immonde ( 3) ;
Et qui rend l'homme en général ,
(1 ) Note d'attente , & qu'on ne donnera qu'avec
Le mot du Logogryphe.
(2 ). Le Cenfeur.
(3) Voyez la troifieme Lettre Perfanne de Mehemet-
Aly , Serviteur des Prophetes , à Ufbec..
96 MERCURE DE FRANCE.
Paffablement original :
Item , certain déchet fur toute marchandiſe ,
Pour peu qu'elle fouffre de crife ;
Une montagne en Beaujolois ;
Un terme honnêtement grivois ,
Quand nous voulons traiter de fort peu d'impor
tance,
Avis , leçon , ou remontrance :
De plus , le mot latin du ſolide élément ,
Dont les entrailles entr'ouvertes ,
En Novembre dernier ,, jour des plus folemnels.
Aux triftes Portugais cauferert plus de pertes
Que le féau le plus cruel .
Mais de ce fpectacle tragique ,
Détournons , cher Lecteur , promptement les re
gards,
Et qu'une note de mufique ,
Symbole du plaifir , termine à tous égards
Mon ouvrage logogryphique ,
Ta rêverie , & mes écarts.
ENVOI
A Mademoiselle de Car.... Toulousaine , au
fujet de fa Lettre inférée au Mercure du
mois de Mai 1756 , pag. 84.
AImable &jeune Toulouſaine ,
Vous voulez me bannir de la fociété ( 1 ) ;
(1) C'eft le Logogryphe qui parle.
St
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
,
96 MERCURE DE FRANCE .
Paffablement original :
Item , certain déchet fur toute marchandiſe ,
Pour peu qu'elle fouffre de crife ;
Une montagne en Beaujolois ;
Un terme honnêtement grivois ,
Quand nous voulons traiter de fort peu d'impor
tance,
Avis , leçon , ou remontrance :
De plus , le mot latin du folide élément ,
Dont les entrailles entr'ouvertes ,
En Novembre dernier ,, jour des plus folemnels ;
Aux triftes Portugais cauferert plus de pertes
Que le féau le plus cruel.
Mais de ce fpectacle tragique ,
Détournons , cher Lecteur , promptement les re
gards ,
Et qu'une note de mufique ,
Symbole du plaifir , termine à tous égards
Mon ouvrage logogryphique ,
Ta rêverie , & mes écarts.
ENVOI
A Mademoiselle de Car.... Toulousaine , au
fujet defa Lettre inférée au Mercure du
mois de Mai 1756 , pag. $4.
AImable & jeune Toulouſaine ,
Vous voulez me bannir de la fociété ( 1) ;
(1) C'eft le Logogryphe qui parle.
Si
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
,
CHANSON.
Cendrem
2
Vous fuyez sans vouloir m'entendre
Charmant objet de mes Amours .
Si vous trouvés mon coeur trop tendr
Eglé vous me fuyrez toujours.
Les paroles de Mt de B ×× .
et la Musique par Mad Papavoine .
Juillet 1756. Imprimée par Cournelle .
JUILLET. 1756. 97
Si vous euffiez mieux fupputé ,
Vous m'auriez juré moins de haine.
Entre une fille & moi , que je vois de rapports !
Pour venir à vos fins , trop perfides Amantes ,
Ah ! que de formes différentes ,
Prend votre esprit & votre corps !
De vos coeurs la triple enveloppe ,
Nous dérobe mille replis ;
Et quand je cherche Pénelope ,
Je ne trouve louvent que Phriné , que Laïs.
Pardonnez - moi ce petit coup de griffe ;
Il n'eft pas fait pour vous : calmez vos fens émus.
Modele des talens , vous l'êtes des vertus.
Mais je foutiens toujours fans paroître apocryphe,
Qu'une fille en tous fens , n'eft qu'un vrai logogryphe.
Par unfrere Ignorantin , de la chapelle du
Pont d'If .. en Berry.
CHANSON.
Vous fuyez fans vouloir m'entendre ;
Charmant objet de mes amours a
Si vous trouvez mon coeur trop tendre ,
Eglé , vous me fuirez toujours ,
I.Vol. EFri
98 MERCURE DE FRANCE.
L'amour pourroit - il fe contraindre ,
Quand c'est vous qui fçavez charmer ;
Votre rigueur me le fait craindre ,
Mais vos yeux me le font aimer.
Sans regrets vous voyez mes larmes
Hélas ! que vais-je devenir ?
Si vous me privez de vos charmes
Otez m'en donc le fouvenir.
Pour être fous votre puiffance
Ai-je mérité vos mépris ?
Plus vous dédaignez ma conſtance
Plus vous en augmentez le prix.
Ne rendez-vous mon coeur fidele
Que pour mieux faire fon tourment ?
Hélas ! que n'êtes vous moins belle ,
Ou que ne puis- je être inconftant !
JUILLET. 1756. 99
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
EXTRAIT
De la Princeffe de Gonfague ; Roman hiftorique
en deux Parties .
Marie - Louife de Gonfague , petite
niece de Marie de Médicis , & parente
d'Anne d'Autriche , étoit née avec toutes
les qualités de la plus grande Princeffe &
toutes les vertus de la plus aimable femme.
Elle n'avoit jamais aimé , parce qu'elle
regardoit l'amour comme une paffion funefte
; & fans perdre fa prévention , elle
aima Cinqmars , ce Cinqmars fi célebre
fous le regne de Louis XIII , dont tant
d'Ecrivains ont parlé avec complaifance ,
& qui, par fon efprit, fa figure & fes grands
talens , étoit encore au deffus de l'amour
de fon Maître & de l'amour des femmes.
Gonfague commença à fentir toute la force
de fa paffion par le murmure de la vertu.
L'amour ne paroît point dangereux qu'il
ne paroiffe criminel . Elle combattit , &
E ij
$35202
100 MERCURE DE FRANCE.
fuccomba. L'attrait des confidences s'offric
comme une confolation . Une femme de la
Cour , déguifée ici fous le nom de Flora ,
avoit fçu gagner fon amitié. Ce fut à elle
qu'elle ouvrit fon coeur : mais cette amie
perfide , née avec tous les vices , jalouſe de
tous les fentimens , étoit d'autant plus intéreffée
à abufer de la confiance de la Princeffe
, qu'une jaloufie fecrete lui faifoit
des tourmens des vertus de fon augufte
Rivale , titres de préférence , toujours redoutés
à proportion qu'on eft vicieux. Le
triomphe de Cinqmars feroit toujours
refté entre Gonfague & Flora , s'il n'avoit
été qu'aimable ; mais il aimoit , & une
femme n'a plus affez de force pour taire
fon fecret , lorfqu'elle n'eft plus défendue
par la crainte de n'être pas fincérement aimée.
Ce mérite brillant , qui n'auroit pas
fuffi pour éblouir une raifon éclairée , fuffit
pour embrafer un coeur juftifié par le
retour, Raffurez tous deux par ce rapport ,
par cette voix fympatique du coeur , qui
bannit en même temps la crainte des rigeurs
& la crainte de l'impofture , tous
deux fe prêterent encore des forces par les
plus tendres regards , & tous deux en fe
jurant qu'ils s'aimeroient toujours , fenti
rent autant la perfuafion que l'amour. La
Princeffe n'ayant jamais aimé , croyoit
JUILLET. 1756. 101
peut-être que tout l'amour étoit dans le
fentiment. Elle fut bientôt détrompée
par un Amant qu'elle mettoit elle-même ,
par fa tendreffe , hors d'état de refpecter
fon erreur. Cinqmars tomba malade , &
privé de voir tout ce qu'il aimoit , il ofa
folliciter cette vue précieufe . L'amour fut
confulté , mais la décence l'emporta. La
Princeffe confia tous fes regrets au papier
& à Flora , qu'elle chargea de confolerfon
Amant par l'expreffion de tout ce qu'elle
fouffroit à fe priver d'aller chez lui . Cinqmars
fentit intérieurement qu'il ne devoit
pas fe plaindre , & ne s'en plaignit pas
moins. Lorfqu'il fut rétabli , il exigea un
tête à tête. L'abfence fait mille droits à un
Amant aimé. Gonfague confentit à le recevoir
chez elle dans la nuit . Refpectée
jufqu'alors par un Amant moins fcrupuleux
qu'habile , elle ne croyoit accorder
qu'une faveur. Il arrive ; c'eft par elle- même
que la porte lui eft ouverte : ce premier
bienfait décide tout fon danger. Cinqmars
qui n'apperçoit point de témoins ,
qui voit toute la foibleffe d'une femme ,
ne fent & n'écoute que les raifons d'en
abufer. Son premier tranfport annonce
toute fa réfolution : mais le plus tendre
amour eft dans fes yeux , & Gonfague n'y
voit point le crime . Il embraffe fes genoux,
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
*
la ferre dans fes bras : toute fa paffion
parle à la fois , toute fa perfonne l'exprime.
La Princeffe en voit les mouvemens, & n'en
eft point effrayée , en adore les expreffions,
& les fent paffer dans fon coeur : le trouble
les fuit il écarte la réflexion ; les yeux
font eux- mêmes troublés . Cinqmars l'entraîne
vers un canapé ; elle ne le voit
point , elle ne fçauroit le voir tous fes
fens lui font une égale trahifon. Il n'y a
qu'une derniere témérité qui puiffe ramener
fes efprits : Cinqmars ofe fe la permettre
, & Gonfague eft fauvée . Quel moment
fuccede à un moment fi doux ! La
vertu , en détruifant fon bonheur , ne lui
en paroît pas moins refpectable : elle la
fent agir dans fon coeur , & tout fon plaifir
, toute l'ivreffe de fon Amant font facrifiés
à l'autorité des remords . Elle fe
plaint d'un égarement qu'elle ne conçoit
que parce qu'elle en rougit , & elle a la
confolation de n'avoir point à menacer
pour ſe voir reſpectée. Cinqmars accoutumé
aux faveurs , inftruit par les femmes
de la foibleffe des femmes , aimé , adoré ,
amoureux de celle de toutes en qui la
paffion lui ait jamais paru plus vraie &
plus vive , n'en diftingue pas moins la
vérité dans fes reproches. Il s'accufe
s'impofe les peines qu'il paroît mériter ;
JUILLET. 1756. 103
& quoique confervant dans les yeux le
regret de n'avoir pu fe rendre plus coupable
, il fe fait pardonner de l'être devenu .
Gonfague honteufe & trifte , fe retira dans
un Couvent : fi près encore du précipice
où elle avoit failli de tomber , elle ne
croyoit pas pouvoir fuir affez tôt. Cinqmars
étoit charmant , & il n'y avoit que
la fuite qui pût être une réſiſtance certaine.
Mais elle éprouva bientôt que l'amour
dévance dans la folitude les coeurs que la
crainte de fon pouvoir y conduit. Cinqmars
défefpéré , écrivoit les lettres les plus
paffionnées : il falloit le rejoindre où le
perdre par un défefpoir qu'elle ne pouvoir
blâmer . Quelle alternative quand on eft
auffi vertueufe que fenfible ! Pour concilier
l'amour & la vertu , elle prit la réfolution
de l'époufer. Les plus grandes
Charges , l'exceffive amitié du Cardinal
Miniftre, & l'amour déclaré de fon Maître,
répandoient fur lui un fi grand éclat , qu'il
devenoit permis à une grande Princeffe de
l'élever jufqu'à elle . Sans lui dire d'abord
fa réfolution , elle lui écrivit tout ce que
la paffion peut dicter de plus confolant ;
& dans cette lettre , elle lui en annonçoit
une qu'il recevroit bientôt , & dans laquelle
il trouveroit un fecret qui l'étonneroit
& combleroit fon bonheur. Elle n'eut
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
la
•
pas la même difcrétion avec Flora , à qui
elle confioit aveuglément toutes fes penfées
& tout fon amour . Celle- ci qui nourriffoit
une violente paffion pour Cinq
mars , & à qui la jaloufie & l'amour ef
frené du plaifir donnoient le courage de
toutes les trahifons , ne fongea plus qu'à
fe fatisfaire & à fe venger. Cinqmars
vivoit dans l'impatience de recevoir cette
lettre , qui devoit renfermer fa deftinée : il
reçut , & ce qu'elle contenoit rendit fon
étonnement plus grand encore que fon
bonheur. Gonfague lui apprenoit que
vaincue
par fes défirs , elle confentoit à les
partager : elle l'invitoit à fe préfenter dans
la nuit à la porte de fon appartement . C'eſt
par Flora qu'il reçoit cette lettre : elle eft
dans la confidence , & rien n'eft moins
équivoque. Il fe laiffe en tout conduire
par elle. Le moment qui doit couronner fa
flamme n'arrive point affez tôt au gré de
la perfide confidente . Il arrive enfin le
crime qu'il couronne eft couvert des voiles
les plus impénétrables , & Cinq-Mars n'eſt
défabufé que par les rayons du jour. Il
éclate en voyant Flora à la place de Gonfague
: il veut fe porter à toutes les extrê
mités ; mais il eft jeune , elle est belle ; il
eft adoré , il vient de goûter des plaifirs
vrais qu'il fe rappelle , des plaifirs que
JUILLET. 1756. 105
Gonfague lui refufe & que Flora doit infpirer.
Il écoute la coupable après l'avoir
menacée , il la plaint d'aimer fi vivement ,
& la pitié lui donne autant de foibleffe
que Flora peut en efpérer. Sans l'aimer , il
confent à un commerce fecret avec elle :
ce commerce le perd. Il eft furpris par
Gonfague dans les bras de Flora : il eft
jugé avec toute la févérité par une Amante
avilie. Il a beau faire éclater fes remords ,
il n'est ni cru , ni écouté : il ne doit point
l'être , il le fent , & tout fon défefpoir fe
tourne en fureur contre Flora : celle- ci
devient fon ennemie ; elle a trop de vices
pour fe rendre juftice , & la foif de la
vengeance fuccede à la foif du plaifir . Il
va lui devenir facile de le perdre : elle a
des intelligences avec le Cardinal , & le
Cardinal jaloux du grand mérite & de la
prodigieufe faveur de Cinqmars , le détefte
autant qu'il l'a aimé. Elle confie à ce
Miniftre tous les fentimens de la Princeffe ,
fa paffion & fon courroux. Celui - ci fouhaitoit
ardemment fon mariage avec Cafimir
, Roi de Pologne , auquel elle n'avoit
jamais voulu confentir. Connoiffant le
coeur humain & fes contraftes trop naturels
, il efpere que dans fon dépit , elle
acceptera la main qu'elle a obftinément
refufée. Il n'eft point trompé dans fon
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
attente. Gonfague n'étant plus à ellemême
, donne fa parole & croit fouhaiter
que ce mariage s'accompliffe . Le bruit en
eft bientôt répandu . Cinqmars veut mourir
, & ne cache point fa réfolution . Gonfague
l'aime toujours ; mais fon amour
même eft ce qui contribue le plus à fon
inflexibilité. Flora ne hait point encore
Cinq-Mars : un refte d'amour fait naître
une eſpérance folle ; elle s'imagine que ce
malheureux Amant , perdant la Princeffe
fans retour , pourra confentir à l'époufer ,
fi elle peut trouver un moyen de l'y contraindre
: ce moyen s'offre bientôt. Depuis
que le Cardinal haïffoit Cinqmars , Cinqmars
le haïffoit à fon tour , & d'autant
plus que ce Miniftre impérieux & vindicatif
cherchoit tous les jours à l'accabler des
débris de fon pouvoir. Dans un des accès
de cette haine tumultueufe , il étoit entré
dans une conjuration faite par l'Eſpagne
contre fon ennemi . Par une fuite d'événemens
imprévus , la lifte des Conjurés tombe
dans les mains de l'indigne Flora elle
peut efpérer d'affervir un Amant , elle
peut perdre une Victime . Elle lui montre
les armes dont elle eft pourvue , & lui
laiffe le choix de fon fupplice . Cinqmars
répond avec toute la colère d'un homme
au déſeſpoir , qui la déteſte & la méprife :
JUILLET. 1756. 107
fon refus eft l'arrêt de fa mort. Elle porte
au Cardinal la lifte fatale : Cinqmars eft
arrêté. Gonfague inftruite , emploie tout
pour fauver un Amant qu'elle aime alors
plus que jamais , & qu'elle fçait n'avoir
été infidele que par les artifices de
Flora. Elle va fe jetter aux genoux du
Roi , & réveille en effet en lui les fentimens
fi tendres qu'il a eus pour fon Favori.
Mais Cinqmars défefpéré d'avoir perdu
par fon crime tout ce qu'il aimoit , à trop
négligé le foin de fon pardon ; & lorfque
Louis voudroit lui pardonner , il eft déja
la Victime du Cardinal . Louis pénétré de
douleur, accable de reproches fon Miniftre
dont la mort prochaine eft attribuée au
chagrin qu'il eut de fe voir maltraiter par
un Roi dont il avoit été fi long- temps le
Maître. Flora meurt auffi par une chûte ,
que l'on regarde , affez naturellement ,
comme une punition de fes crimes , parce
qu'elle eft naturelle , quoique la cauſe ne
le foit pas. Mais Gonfague époufe Cafimir ,
& cela fâche le Lecteur , qui s'eft plu à
la regarder jufqu'à la fin comme une
Héroïne.
Ce Roman eft intéreffant . Il est l'ouvrage
d'un coeur tendre & d'une imagination
délicate : il amufe , il attendrit. On
applaudit à la contexture des faits , & l'on
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
applaudiroit à la vraiſemblance des caracteres
, qui eft le point important d'un
ouvrage d'imagination , fi celui de Flora
relfembloit , par le ton , à tous les autres.
Il eft outré , il revolte : elle a des vices
qui n'étoient pas néceffaires au rôle qu'on
lui fait jouer l'avarice infâme , par exemple
, & l'excès de cruauté. On invite l'Auteur
à continuer & à faire encore mieux .
Son Roman annonce moins une plume
qui commence , qu'un efprit qui promet
beaucoup.
Ce Roman fe trouve à Paris , chez Duchefne
, rue S. Jacques.
LE DICTIONNAIRE Portatif , Hiftorique
, Géographique & Moral de la Bible ,
que nous avons annoncé dans le Mercure
de Juin , & qui fe trouve à Paris chez
Mufier , Quai des Auguftins ; fe vend auffi
à Auxerre , chez François Fournier , Imprimeur-
Libraire , près l'Horloge.
HISTOIRE intéreffante , ou Relation des
Guerres du Nord & de Hongrie , au commencement
de ce fiecle , feconde Partie ;
à Paris , chez Duchefne , rue S. Jacques ,
1756. La premiere Partie contient ce qui
s'eft paffé de plus confidérable dans le
Nord , depuis l'année 1700 , jufqu'en
JUILLET. 1756. 109
1710 , avec le caractere des Princes qui
y ont eu part , & plufieurs particularités
curieufes fur le Roi de Suede Charles XII,
fur le Czar Pierre le Grand , & c .
L'Avertiffement nous affure que ce
morceau eft d'un Ambaffadeur de France
& qu'il eft auffi vrai qu'il eft bien écrit. La
feconde Partie comprend ce qui s'eft paffé
dans la Guerre de Hongrie , depuis le
commencement de la campagne de 1705 ,
jufqu'au mois de Mars 170S.Cette Relation ,
fuivant le même Avertiffement , eft encore
l'Ouvrage d'un homme en place . Si elle eft
moins élégante que la premiere , elle a
l'avantage d'être intéreffante par les faits ,
par le développement des motifs de la
Guerre de Hongrie , & par le véritable
caractere du Prince Ragotski , dont on a
tant parlé , & qu'on a fi mal peint juſqu'à
préfent .
LETTRES d'un Citoyen fur la permiffion
de commercer dans les Colonies , annonles
Puiffances neutres. cée
pour
Externo robore crefcet . Claud. 1756.
Il a déja paru quatre Parties de ces Lettres
, dont nous ne fçaurions faire une annonce
trop favorable. Elles le méritent doublement
par l'importance de la matiere, &
par la maniere dont elle eft difcutée.
110 MERCURE DE FRANCE.
PRINCIPES fur la nullité du Mariage
pour Cauſe d'Impuiffance ; par M *** ,
Avocat au Parlement ; avec le Traité de
M. le Préfident Bouhier , fur les Procédurés
qui font en ufage en France , pour la
preuve de l'Impuiffance de l'homme , &
quelques pieces curieufes fur ce fujet. A
Londres ; & fe trouve à Paris , chez
Briaffon , rue S. Jacques , à la Science ,
1756.
Suite des Livres nouvellement arrivés chez
le même Libraire , annoncés dans le précédent
Mercure.
Manfredi ( Enft. ) Ephemerides , in - 4° .
2 vol. Bononiæ , 1750.
Zinnani ( G. ) della vova è de i nidi degli
Uccelli ed offervazioni fopra varie fpecie di
Cavallette , in-4°. fig. Venezia , 1727.
Blanchini ( Fr.) de inftrumentis veterum
muficis, & de mufica veterum, in- 4° . Romæ,
fig. 1742.
Pafquini ( G. Cl. ) opere , in-4° . Arefo ,
1751.
Poefie di Fr. Lorenzini , in 8 ° . Paleſtrina
, 1747 .
Tacquet ( And. ) Elementa Euclidea
Geometria & Trigonometria , cum addit.
Guill. Wifton , & Trigonometria Spherica
Rog. J. Bofcowifch , & Sectiones conica G.
JUILLET. 1756 . IIL
Grandi , in- 8 ° . 2 vol. fig. Romæ , 1745.
Novelle di Francefc . Sacchetti , in - 8 ° .
2 vol . Firenze , 1724 .
Scilla ( Aug. ) de Corporibus marinis &
de Gloffopetris , in- 4° . fig. Romæ , 1752.
Gravina , ( Vinc. ) della Ragion Poetica ,
in- 8 ° . Napoli , 1731 .
Ciceronis opera ex editione Oliveti , in- 1 2.
20 vol. Glafquæ , 1748 .
Taciti (C.C.) Opera , ex editione Gronovii,
in- 12 . 4 vol. Glafquæ , 1753 .
Thucydidis oratio funebris periclis & de
pefte , in-12. gr. & Lat. Glaſguæ , 1755 .
Euripidis Oreftes , gr . lat. poft Barnefium
, in-8°. Glafque , 1753 .
Poeta Latini minores poft Burmannum ;
fcilicet G. Falifcus , Menefianus , Siculus ,
Rutilius , Samonicus , Marcellus , Famicus ,
Sulpicia , in- 8 ° . Glafquæ , 1752 .
Theocriti qua extant poft Acinfium , gracè,
in-4°. Glafque , 1746 .
Idem , in- 8 ° . ibid. & codem anno , gr.
& lat.
Salluftius , poft edit. J. Cortis , Glafquæ ;
1751 .
Differtation fur le commerce , par. Belloni
, traduit de l'Italien , in- 8 ° . La Haye ,
1755 .
Bibliotheque des Sciences & des Beaux-
'Arts , in - 8 ° . tom. 1 , 2 , 3 , & la premiere
112 MERCURE DE FRANCE.
partie du 4 , in - 8 ° . La Haye , 1754.
Effais fur la Fortification , in - 8 ° . fig. La
Haye , 1755.
Recueil de pieces fur l'inoculation , in-
8°. La Haye , 1755.
I
SENTIMENT d'un Harmoniphile fur différens
ouvrages de Mufique , feconde partie
, à Paris , chez Jombert , Le Loup
Lambert , & Duchefne. Prix 1 liv. 4 f.
COLLECTION de Décifions nouvelles &
de Notions relatives à la Jurifprudence
préfente , par M. Denifart , Procureur au
Châtelet de Paris , Tome VI & dernier.
Nous avons toujours annoncé cette collection
comme un très-bon ouvrage ,, mais
quelque bien que nous ayons dit des premiers
vol. Nous croyons que les derniers
font encore meilleurs. L'Auteur paroît
plus maître de fa matiere dans ceux - ci , &
en général , il nous femble que les principes
y font développés & rendus avec plus
d'ordre & d'énergie que dans les premiers.
Tout ce que dit M. Denifart dans ce
fixieme volume , eft concis, méthodique &
clair. A l'Art . Sacrement , il fe contente
rapporter les difpofitions des derniers
Reglemens intervenus fur cette matiere ,
fans propofer aucune réflexion : mais partout
ailleurs , on trouve non feulement
de
JUILLET. 1756. 113
des notions fur la Jurifprudence , comme
l'annonce modeftement le titre de l'ouvrage
, mais des principes généraux fur
chaque matiere civile , criminelle & canonique
, relative au texte de l'Article , appuyés
fur des décifions nouvelles qui ne
fe trouvent nulle part.
Les Articles qui nous ont paru les plus
utiles & les plus importans font ceux où
M. Denifart traite de Saifies- Arrêts , des
Saifies Exécutions , des Saifies - Féodales ,
des Saifies - Réelles , des Séparations entre
mari & femme , des Sépultures , des Sorciers
, des Subrogations , des Subftitutions,
des Succeffions , des Tailles , des Terriers,
des Teſtamens , des Tuteurs , des Ventes ,
du Vifa , des Vifires des Evêques , & des
Voeux. Ce dernier Article & celui des
Succeffions , nous ont même paru fupérieurs
à tous les autres.
Au refte , nous ne pouvons rien dire de
mieux en faveur du livre de M. Deniſart ,
que d'annoncer que le débic en eft prodigieux
, & que l'Auteur a la gloire d'être
cité non feulement par les Avocats du Tribunal
même dans lequel il n'eft que Procureur
, mais encore au Parlement : c'eft
un honneur qu'on ne fait guere aux Jurifconfultes
vivans , parce que leurs ouvrages
ont ordinairement befoin d'un long
114 MERCURE DE FRANCE.
noviciat pour acquérir la confiance publique
c'est un honneur enfin , qui ne fe
fait guere aux Procureurs , parce qu'il eft
rare & très- rare de les voir prendre la
route qu'a fuivie M. Denifart.
Il n'eft pourtant pas le feul des Procureurs
au Châtelet , qui ait enrichi la République
des Lettres . M. Defmarquets fon
Confrere , a auffi donné un Ouvrage qui a
pour titre , Style du Châtelet , & qui a
été fi bien reçu du Public , qu'on en
a fait fept à huit éditions depuis environ
25 ans. Ainfi , on peut dire en général ,
que fi les Procureurs ne font guere- de
livres , ils les font bons & utiles , quand
ils s'élevent au deffus de leur profeffion .
LETTRE
De M. l'Abbé Picault de la Rimbertiere ,
l'Auteur du Mercure.
JEE ne doute point , Monfieur , que ce ne
foit entrer dans vos vues & dans vos fentimens
, que d'ufer avec vous de cette liberté
littéraire que vous ne permettez pas
feulement , mais que vous applaudiffez en
tous ceux qui ont recours à vous . Pour
moi je le fais avec d'autant plus de confiance
, que j'ai reconnu plufieurs fois l'u
>
JUILLET . 1756. 115
tilité qu'il y a de fe foumettre à vos lumieres.
L'ouvrage que je vous préfente
aujourd'hui , & où le public , je penſe ,
pourra prendre quelque intérêt , ne m'a
encore coûté qu'une longue fuite de recherches
, digérées cependant de maniere
à en former bientôt un volume qui aura
pour titre , Traité historique des inventions ,
des découvertes , & des usages depuis l'origine
du monde , avec plufieurs Anecdotes &
faits intereffans , &c . Pline , & furtout Polydore
Virgile , ont été les modeles que je
me fuis appliqué davantage d'imiter , &
qui m'ont fouvent fourni les connoiffances
que je défirois. J'ai cru , pour vous
donner une idée jufte de cet ouvrage ,
devoir tranfcrire ici un Article pris indifféremment
, lequel j'ai l'honneur de vous
adreffer , en vous priant de me faire connoître
votre fentiment par la voie du
Mercure.
Je fuis , Monfieur , & c.
P. D. L. R.
Chanoine de l'Eglife d'Orléans .
A Orléans , ce 24 Mai , 1756.
ARTICLE SEPTIEME.
Qu'elle fut la matiere dont on s'eft fervi
fucceffivement pour écrire avant l'ufage du
116 MERCURE DE FRANCE.
papier fi néceffaire pour conferver à la
postérité les actions & les ouvrages des
grands hommes ; on a vu l'induftrie humaine
employer fucceffivement différentes
fortes de matieres pour écrire. D'abord
ce fur fur des feuilles que les premieres
productions de l'efprit furent tracées , in
palmarum foliis primò fcriptatum fuiffe.
Plin . Lib. 13 , cap. 11. ( 1)
Idée naturelle qui en fit éclorre une autre
d'écrire fur la peau la plus déliée qui fe
trouva fous la premiere écorce des arbres.
Dans des fecles plus raffinés que ces premiers
, on s'avifa de former des volumes
( 1 ) Les Indiens ont confervé long-tems cette
façon d'écrire fur des feuilles de différens arbres
fauvages qu'ils appelloient feuilles de palmiers ,
à caufe de la reflemblance. Le palmier , au rapport
de Guilandin , ne croiffant point dans les Indes
, ils s'y prenoient ainfi : Après avoir raſſemblé
plufieurs de ces feuilles , fur lefquelles avec une
aiguille ils avoient écrit les chofes qu'ils croyoient
dignes d'être confervées à la mémoire : ils les
tailloient toutes également , en perçoient enfuite
l'extrêmité , & y ajuftoient deux batons égaux :
alors les feuilles ainfi rangées dans leur ordre ,
formoient une efpece de relieure qui n'étoit pas
défagréable. Ils avoient grand foin d'y pratiquer
des liens , à la faveur defquels & moyennant plufieurs
noeuds , ils tenoient ces écrits foigneufement
fermés il eft à croire qu'ils ont procuré
quelque avantage à l'hiſtoire.
:
JUILLET . 1756. 117
de différentes fortes de métaux , en plomb,
en cuivre , en argent ( 1 ) ; c'eſt ce qu'on
peut remarquer au chap. 19 du Livre de
Job, qui défire que fes paroles foient écrites
fur une lame de plomb avec une plume
de fer , ou fur la pierre avec le ciſeau ,
Quis mihi tribuat ut fcribantur fermones mei ?
Quis mihi det ut exarentur in libro ftylo ferreo
& plumbi lamina , &c.
Les particuliers cependant écrivoient
affez communément fur des tablettes de
bois revêtues de cire avec une aiguille de
fer , ou avec la dent d'un animal , quelquefois
fimplement fur du bois avec des
pierres de différentes couleurs , d'autres
fur des tablettes faites de toile , non qu'el
les fuffent précisément de toile , mais
parce qu'on en colloit fous les feuilles dont
(1 ) En 1751 , & les années fuivantes , en fouil
lant les ruines d'Héraclée , on en trouva un femblable.
Ce volume étoit fait de lames d'argent ,
minces comme du papier , & dont le caractere
étoit grec : comme il paroiffoit un peu mutilé ,
on craignoit , avec raiſon , en le déroulant pour
le lire , de l'effacer encore davantage. On ſçait
que ce fut la premiere année deTitus & la foixan
te-dix- neuvieme de l'Ere Chrétienne , qu'Héraclée
& plufieurs autres Villes périrent par l'irruption du
Mont Véfuve , & dont les cendres étoufferent
Pline le Naturalifte. Ce volume en argent dont
je viens de parler , a été placé dans le Cabinet du
Roi de Naples & des deux Siciles .
118 MERCURE DE FRANCE.
on fe fervoit pour les garantir de boire
l'encre , & empêcher qu'elles ne fe déchiraffent
dans la main . Ils ufoient pour cela
d'un léger pinceau , & leur encre n'étoit
autre chofe que du charbon fait de coeur
de pin pulvérisé dans un mortier , & détrempé
auprès du feu ou au foleil avec de
la gomme pour lui donner de la confiftance.
Polignores & Mycon , Athéniens , l'un
& l'autre excellens Peintres , paffent pour
être les premiers qui ayent fait de l'encre
de marc de raifin que l'on nomma Tryginum
( 1 ) , qui veut dire , fait de lie de vin.
Les Empereurs & les Rois écrivoient avec
une encre pourprée , qui étoit composée
de coquilles pulvérifées & du fang tiré
de la pourpre , mêlé enſemble ; il n'étoit
permis qu'à eux d'écrire avec cette encre
appellée par les Latins encauftum. Pline
fait une remarque affez extraordinaire ,
que
les Parthes ne fe fervoient d'aucune
de ces matieres , mais qu'ils brochoient
leurs lettres fur du drap ou fur de la toile
en façon de broderie lorfqu'ils vouloient
écrire , ufage qui n'étoit guere commode
pour faire de longs ouvrages. Enfin de
toutes ces différentes matieres qui ont
fervi à écrire dans prefque tous les âges
du monde , il faut convenir qu'il n'y en a
(3) τρύγιστος
JUILLET. 1756. 119
point qui ait eu plus de cours que le pa-
Pyrus , dont le papier tire fon nom , découvert
par les Egyptiens plufieurs fiecles
même avant qu'Alexandre le Grand eût
fait la conquête de l'Egypte , quoi qu'en
difent Pline , Polidore Virgile & Pancirole
, ce que prouve avec une profonde
érudition Melchior Guilandin ( 1 ). Le Papyrus
eft un arbre qui croît dans les marais
de l'Egypte. Les meilleures feuilles
dont on fe fervoit pour écrire , étoient
celles qui fe prenoient au coeur de l'arbre
( 2 ) , & on les nommoient facrées ,
parce qu'on les employoit feulement aux
livres deſtinés à leur culte religieux : mais
depuis , pour flatter l'Empereur Augufte ,
on les nomma les feuilles d'Auguſte , &
celles qui n'étoient pas de cette même
beauté , on les appelloit Liviennes en faveur
de l'Impératrice Livie , femme d'Augufte.
Après ces deux genres de feuilles de
Papyrus , les Amphithéatiques étoient fort
recherchées , on les nommoit ainfi à cauſe
de l'amphithéâtre où on les fabriquoit ;
mais l'Empereur Claudius Céfar défendit
les feuilles ou le papier d'Augufte , com-
(1 ) Melchior Guilandinus , in Tractatu de Pa
pyro.
(2) Plinius , in Lib . 13 , cap. 12.
120 MERCURE DE FRANCE.
me étant trop mince , ne pouvant endurer
la plume , & rendant l'écriture de trèsmauvaife
grace. Il ordonna donc de fortifier
ce papier , de le faire plus épais &
plus large , de maniere que le papier
moyen avoit un pied de largeur , & le plus
grand un pied & demi ; quant à l'épaiffeur,
il étoit de trois feuilles de Papyrus , collées
& ajustées l'une fur l'autre. On avoit foin,
après avoir mis ce papier en preffe , afin
que les feuilles fe joigniffent mieux , de le
liffer avec une dent ou avec une coquille ,
& enfuite de le rogner. On jugeoit de fa
beauté , lorfqu'il étoit bien blanc , liffé &
fin comme on fait aujourd'hui par rapport
au nôtre. Pour ce qui étoit du papier qu'on
défiroit avoir pour fervir à des enveloppes
de marchandifes ou autres chofes femblables
, on fe fervoit de la plus groffe teille
qui eft celle qui fe trouve la plus proche
de l'écorce du Papyrus , mais fur laquelle
on ne pouvoit écrire .
Les Chartres fi renommées des Anciens ,
étoient auffi fabriquées de la teille la plus
proche de l'écorce du Papyrus , mais on y
donnoit un apprêt différent : on colloit plufieurs
grandes feuilles l'une fur l'autre , on
les expofoit enfuite au foleil pour fécher ,
comme la trop grande chaleur les faifoit
recoquiller & former quelques plis , on
les
JUILLET. 1756. [ 21
les redreffoit au marteau , tant pour les
étendre , que pour les rendre plus unies.
C'étoit fur de femblables Chartres qu'étoient
écrits les ouvrages de Cicéron , de
Virgile , & les livres de l'Empereur Augufte
, qui ont duré jufqu'au tems de
Pline qui dit les avoir vus plufieurs fois.
Nous remarquons encore ici qu'il y
avoit des livres écrits fur des inteftins
d'animaux , que l'Illiade d'Homere , fon
Odiffée avec l'hiftoire des Héros de fon
temps , l'étoient en lettres d'or fur ceux
d'un dragon long de 120 pieds , & que
ces livres furent brûlés avec la fameufe
bibliotheque de Conftantinople compofće
de cent vingt mille volumes.
Pour ce qui concerne le parchemin
Pline , Varron , Polydore Virgile &
Parcirole , l'attribuent à Eumenes , autrement
dit , Attalus , Roi de Pergame , qui
voyant que Ptolemée , Roi d'Egypte , ennemi
de la gloire & de la fcience des autres
Ptolemées fes prédéceffeurs , avoit
ruiné tous les Papyrus & Chartres du pays,
fut contraint d'ufer de parchemin , qu'on
pratiqua d'abord à Pergame , d'où il tire
fon nom , felon nos Auteurs , enfuite dans
tout le monde. Néanmoins ce fentiment
me paroît avec affez de fondement , contredit
par Jofephe l'Hiftorien dans le 12
I. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE:
Livre des Antiquités Judaïques , où il
rapporte que le Grand - Prêtre Eléazar envoya
à Prolemée Philadelphe , Roi d'Egypte
, foixante & douze hommes de Judée
chargés des livres de leur loi écrite fur
parchemin pour les traduire en grec. Si
cela eft ainfi , comme il n'y a pas lieu d'en
douter , alors il faut convenir que le parchemin
étoit inventé longtemps avant Eumenes
, mais que ce qui peut avoir contribué
à l'en faire regarder comme l'inventeur
, eft qu'il en fit préparer une
quantité prodigieufe dont l'Afie & la Grece
lui furent redevables.
eau ,
Au défaut de toutes les différentes matieres
dont je viens de traiter , la toile ( 1 )
lavée , trempée , broyée en des moulins à
fous des marteaux de bois , & mêlée
avec de la colle , a été une invention auffi
furprenante que les premieres. L'ufage
qui s'en eft fait depuis dans la plus grande
partie de l'Europe , n'a pas moins donné
d'étonnement aux Nations chez lef-
(1) Le papier en France fe fait avec du vieux
drapeau qui , lavé, trempé , broyé dans des moulins
à eau fous des marteaux de bois , ne paroît
plus que
comme de l'eau trouble : on enleve la
fuperficie avec un moule fait de fil de fer trèsdélié
on l'égoute , on le laiffe fécher entre deux
pieces de ferge qu'on tient très- fort en preffe , &
on le colle , afin qu'il ne boive point.
JUILLET. 1756. 123
1
quelles on le tranfportoit . Aujourd'hui il
eft connu dans prefque tous les Pays du
monde ; cependant les Chinois & les Ara
bes fe fervent encore de certaine foie non
tiffue , fur laquelle on peut facilement
écrire ; ce qu'il eft aifé de voir par les lettres
que les Miffionnaires écrivent de ces
pays-là. Au refte , quoique le temps de la
découverte du papier dont nous nous fervons
, ne foit pas bien certain , on le fait
cependant monter à plus de 600 ans ( 1 ) .
Ceux qui confervent des titres qui paffent
ce tems , font ou fur vélin ou fur ce papier
d'Egypte dont j'ai fait mention.
Nous exhortons l'Auteur à remplir fon
projet. Nous croyons qu'un tel ouvrage
ne peut manquer d'être intéreffant , &
qu'il doit piquer non feulement la curiofité
des Sçavans , mais encore celle des
gens du monde . Mais il feroit à fouhaiter
que le ftyle fût un peu plus foigné.
( 1 ) Clovis II , Roi de France , trois ans avant
fa mort , avoit accordé au Monaftere de S. Denis
en France , un privilege qu'on y conferve encore
en original , écrit fur du papier d'Egypte , & dont
l'écriture, le ftyle & l'ortographe marquent la barbarie
du fiecle.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
Suite des RÉFLEXIONS fur les trois premiers
Tomes de l'Hiftoire de la Ville & de
tout le Diocèfe de Paris , par M. l'Abbé
Lebeuf , de l'Académie Royale des Infcriptions
& Belles-Lettres ; pourfervir d'éclairciffemens
& de fupplément aux Nouvelles
Annales de Paris , par Dom Touffaint du
Pleffis , Religieux Bénédictin de la Congrégation
de S, Maur,
IV. Tome I , pag. 3. » Ceux que l'on re-
» garde comme les premiers fucceffeurs de
S. Denys , font 19. Mallo , le même peut-
» être
→ 2
que S. Mallon , qui aura depuis éten-
» du fon zele apoftolique jufqu'à Rouen :
2º. Maffus , qui peut auffi être le même
que Maximus , lequel mourut dans le
pays des Morins , en y prêchant l'Evangile
.
»
que
Réflexions. Ces deux peut-être- là ne nous
donnent aucun éclairciffement folide , puifque
fi Mallo peut être le même S. Mallon
, & Maffus le même que Maximus , il
fe peut faire auffi qu'ils ne foient pas les
mêmes. Au refte l'Eglife de Paris n'a point
mis fon évêque Mallon au rang des Saints ;
celle de Rouen au contraire a décerné un
culte public à fon faint Mallon , ou plutô
JUILLET. 1756. 125
Mellon. N'eft- ce pas là au contraire une
raifon de préfumer que ce font deux Evêques
très-différens l'un de l'autre , & qu'il
ne faut pas les confondre ?
و ر
V. Même page. « Nous n'avons point de
»monument plus ancien que le X fiecle ,
qui nous fourniffe une lifte d'Evêques
»fucceffeurs de S. Denys , où fe trouvent
Mallo , Maffus , Marcus , Adventus &
» Victurinus . On dreffa cette lifte vers l'an
و ر
" 940 ".
Réflexions. C'est ce qu'on peut ajouter
fur le témoignage de M. l'Abbé Lebeuf à
la page 80 de mes Annales , où je me contente
d'obferver que ces fortes de notices
ou de catalogues d'Evêques ont été dreſſés
trop tard pour mériter le nom de pieces
authentiques .
و د
VI. page 5. « Je n'ai point balancé à revendiquer
ici en faveur de l'Eglife cathédrale
de Paris , la piece de vers que
» Fortunat a intitulée de Ecclefiâ Pari-
»fiacâ , &c. »
ود
Réflexions. Je me fuis exprimé trop
foiblement
à ce fujet à la page 56 , en laiffant
douter fi cette piece de vers ne regarderoit
pas plutôt l'Eglife de S. Germain des Prés
que la cathédrale. M. l'Abbé Lebeuf prend
certainement ici le bon parti ; & il me femble
que les raifons fur lefquelles il s'ap-
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
puie font fans réplique. Ainfi Giflémar
s'eft trompé , & a entraîné dans l'erreur
M. l'Abbé de Vertot.
VII. page 6. « Je foupçonne Giflémar
» d'avoir attribué à l'égliſe de S. Germain
» des Prés , ce que l'on avoit dit de S. Germain
l'Auxerrois , que le vulgaire avoit
» appellé longtemps S. Germain le Téret ,
» c'est - à- dire , le Rond , & par corruption ,
» S. Germain le Toret , puis S. Germain le
»
>>
» Doret ".
Réflexions. M. l'Abbé Lebeuf n'a point
affez approfondi cette conjecture , qui eft
toute entiere d'imagination ; & dans ces
matieres- ci l'imagination feule eft un mauvais
guide. L'églife de S. Germain l'Auxerrois
s'appelloit en latin dès le IX fiecle
au plus tard , Ecclefia S. Germani Teretis.
Accordons à M. Lebeuf que dans la Langue
Françoiſe du même temps , on l'appelloit
S. Germain le Téret. On ne fçauroit lui accorder
de même que ce nom ait dégénéré
fi promptement en Toret , & de- là auffi
promptement encore en Doret , que Giflémar
qui vivoit à la fin du même IX fiecle ,
ait pu s'y méprendre jufqu'au point de fubftituer
le mot latin inauratus à l'ancien mor
Teres.Lapreuve du contraire faute aux yeux.
Tant s'en faut que du tems de Giflémar ce
mot Teres , qui fervoit à diftinguer nomJUILLET.
1756 . 127
#
mément l'églife de S. Germain l'Auxerrois
de celle de S. Germain des Prés , eût déja
fouffert aucune altération qui pût donner
lieu d'en faire un fynonime d'inauratus ,
que le Moine Abbon qui publia fon poëme
fur le fiege de Paris , en 898 au plus tard,
& qui emploie deux fois ce mot en parlant
de l'églife même de S. Germain l'Auxerrois
, ( Lib. I, 17 § , &Lib. II, 3 § . ) l'explique
dans fa glofe par rotondus. Mais ,
dit M. Lebeuf , Giflémar vivoit au XIe fiecle
, non dans le IX . C'eft ce que nous
examinerons plus bas No LVII ; & en attendant
, je dis qu'au XI fiecle même , on
pouvoit fi peu s'y méprendre , qu'au XII
fiecle encore , on ne fubftituoit à teres que
le rotundus de la glofe d'Abbon : car ce
n'eft ni inauratus , ni même deauratus
mais expreffément le mot rotundus , qui fe
trouve employé dans une Bulle du Pape
Alexandre III , de l'an 1165 , comme je l'ai
remarqué dans mes Annales. ( page 101. )
Laiffons donc là le Toret & le Doret de
M. l'Abbé Lebeuf , & croyons que c'eft
fans aucune confufion entre les deux églifes
que Giflémar a donné le nom de dorée ,
à celle de S. Germain des Prés.
ود
VIII . Même Page & page 7. « Grégoire
» de Tours , parlant de l'incendie qui ré-
" duifit en cendres toutes les maifons de
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
ود
l'Ile de Paris en l'an 586 , dit que les
» feules églifes furent exceptées. Cette pluralité
d'égliſes dans la Cité ne peut tom-
» ber que fur les églifes qui formoient depuis
peu la cathédrale , dont l'églife de
» S. Etienne pouvoit être la plus ancienne ,
» & celle qu'il appelle ailleursfenior eccléfia,
» & fur l'églife du baptiftaire. Car pour ce
qui eft de S. Martin , la petite églife qui
ود
» étoit alors fous fon nom vers l'endroit
» où eft aujourd'hui l'horloge du Palais ,
» n'étoit qu'un fimple Oratoire » .
Réflexions. 1 °. On ne voit pas bien clairement
que ce foit dans la Cité même que
cet incendie ait fait tant de ravage. J'ai dit
dans les Annales , & je le dis encore , qu'il
peut bien ne s'être étendu que dans l'enceinte
méridionale.
2°. L'Oratoire de S. Martin n'étoit ni
au Nord de la Cité , ni dans la Cité : il
étoit à l'extrêmité de cette même enceinte
méridionale , hors de la Cité .
Ces deux points ont une liaiſon intime
l'un avec l'autre ; & le premier paroît une
conféquence néceffaire du fecond. Or il
me femble que j'ai folidement prouvé dans
les Annales ( pages 76 77. ) ce que je
répete ici fur la pofition de l'Oratoire de
S. Martin. M. l'Abbé Lebeuf n'a donc
fait attention à la preuve que j'en donne
pas
JUILLET. 1756. 129
ou il a dédaigné de la réfuter , s'il l'a pu .
Comme il ne m'objecte rien , je ne vois
rien non plus qui m'oblige de changer de
fentiment .
3° Si Adrien de Valois a prouvé , comme
je le dis (page 29 ) , & comme je continue
de le croire , que l'églife cathédrale
portoit dès les premiers temps le nom de
la fainte Vierge , il s'enfuit que l'églife de
S. Etienne , qui a été l'une des trois de
cette cathédrale , ne doint point être regardée
comme la plus ancienne .
4. Mais quand même ce feroit la plus
ancienne des trois , il ne s'enfuivroit nullement
que ce fût celle que Grégoire de
Tours défigne fous le nom de Ecclefiafenior .
J'ai fait voir , ce me femble, ( page 54 )
que très- vraisemblablement celle - ci doit
être entendue de l'églife de S. Marcel .
و د
IX. Tome 1 , page 8. « Les Normans
» épargnerent l'églife de S. Etienne , fituée
dans Paris , laquelle fut rachetée ſuivant
»les Annales de l'an 857 "..
Réflexions. Ce n'eft point fuivant les
nouvelles Annales de Paris . Celles- ci difent
au contraire , ( page 147 ) & elles le
prouvent , que ce rachat regarde l'égliſe
de S. Etienne des Grez , hors de la Cité
non l'églife de S. Etienne dans la Cité , qui
faifoit partie de la cathédrale. Voyez en-
Fr
130 MERCURE DE FRANCE.
core plus bas , Nº XLIII , ce que je dis fur
le même fujet.
ور
X. Même page. « Il exiftoit au VIII ° fie-
» cle une églife de Notre Dame proche
» celle de S. Etienne , qui étoit la véritable
cathédrale rebâtie par Childebert.
» Les Normans y mirent le feu en 857 ».
Réflexions . Les Normans n'ont jamais mis
le feu à cette églife de Notre- Dame. Ils
n'ont même jamais pu l'y mettre , puifque:
jamais ils n'ont été maîtres de la Cité ,
comme je le foutiens au même endroit.
XI. Même page. « Erkanrad , qui fiégea
»un grand nombre d'années , &c. ».
Réflexions. Si M. l'Abbé Lebeuf ne reconnoiffoit
qu'un feul Erchanrad , Evêque
de Paris , dont l'épiſcopat fe fût étendu
depuis l'an 775 , ou environ , jufques vers
l'an 856 , il y auroit-là en effet plus de 80
ans ; & ce terme feroit bien long. Mais
puifqu'un peu plus bas ( page 23 ) il admer
Incade , il admet auffi néceffairement deux
Erchanrads. Or le fecond de ce nom n'a
fiégé que 24 ans , ou environ , depuis l'an
831 ou 832 , jufques vers l'an $ 56 ; &
cela ne fait pas un fi grand nombre d'années.
Cette remarque paroîtra peu impor
tante à ceux qui reconnoiffent , comme
M. l'Abbé Lebeuf & moi , deux Erchannads;
& cependant je n'en effacerai rien à
JUILLET. 1756. 13T
१
caufe de ceux qui, comme les Bollandiſtes,
n'en veulent admettre qu'un.
XII. page 12. « La ftatue qu'on a vue
plantée de bout en face du portail de
» l'Hôtel -Dieu jufqu'en l'an 1748 " .
33
و د
Page 23. La ftatue qui faifoit face à
»l'Hôtel-Dieu de Paris , & qu'on a ôtée
» de-là en 1748 » .
Réflexions. J'ai dit dans les Annales ( pag..
97 ) que cette ftatue a fubfifté jufqu'en
1747 ; & je ne me fouvenois pas alors fi ce
fut en 1747 précisément , ou en 1748 ,
qu'elle fut abattue . M. l'Abbé Lebeuf
peut bien avoir raiſon .
XIII. page 16. « Pour ce qui concerne
»le corps de S. Gendulfe , j'ai prouvé par
»un long Mémoire qui ne peut être inféré
» ici , & que je ferai imprimer féparément
, qu'il eft le même que le bienheu--
>> reux Teudulfe , Evêque de Paris , mort
vers l'an 920 ".
Réflexions. Il y aura donc là de quoi enrichir
les nouvelles Annales de Paris. Lorfque
je les compofai , je ne foupçonnois
feulement pas qu'il ne fallût pas diftinguer
Pun de l'autre. Je comprends néanmoins àpréfent
comment cela fe peut. Il eft fi aifé.
de confondre les deux lettres u & n dansles
manufcrits , qu'on aura lu Endulfus au
lieu d'Endulfus ; & à l'égard du G , il aura
Evj
132 MERCURE DE FRANCE.
و ر
«
pu être formé de maniere qu'il étoit aifé
de le prendre pour un T. Ainfi Gendulfus
a dégénéré en Tendulfus , puis en Teodulfus,
& Theodulfus.
XIV. Page 20. L'églife de S. Jean- le-
» Rond , qui étoit le Baptiftere de l'Eglife
» de Paris , n'avoit été primitivement
qu'une chapelle fituée fur le bord de la
» riviere , vers le bout du petit- Pont : il
» reſta dans ce lieu jufqu'à ce qu'un Evê-
» que le tranfporta à une chapelle de l'au-
" tre bord , où il refta affez longtemps. Ce
Baptiftere , voifin de la maiſon de fainte
» Geneviève , étoit encore connu fous le
» nom de S. Jean -Baptifte , lorfqu'en 881
»le corps de S. Germain , Evêque de Paris,
fut mis en fûreté contre la fureur des
» Normans . Enfin , il fut porté au côté de
»l'églife de Notre - Dame , oppofé à celui
» où étoit la bafilique de S. Etienne » .
و و
و ر
Réflexions. 1 ° . Cela veut dire que le Baptiftere
a été 1º. près de l'endroit où eft aujourd'hui
S. Germain - le- vieux ; 2 ° . près de
l'endroit où eft faint Julien- le- pauvre ;
3. contigu à l'églife de Notre-Dame du
côté du Nord. On peut paffer le premier
point , qui en effet ne manque pas de
de pro
babilité dans cette fuppofition-là j'accorde
le troifieme ; mais je demande des preuves
du fecond. Lorfque le Baptiftere fut
JUILLET. 1756. 133
transféré du côté de S. Julien , fuivant l'idée
de M. Lebeuf , ceffa- t'on de baptifer
dans la Cité ? M. Lebeuf lui-même n'en
convient pas : il falloit donc dire , non que
le Baptiftere fut transféré , mais qu'outre
celui de la Cité , on en établit un autre près
de S. Julien ; & la même obfervation doit
avoir encore lieu pour le retour de ce Baptiftere
dans la Cité , tout contre le mur
feptentrional de l'églife de Notre -Dame.
Mais nous reviendrons un peu plus bas
N° XXXII. à ce Baptiftere prétendu transféré
du côté de S. Julien.
2 °. Il s'agiroit maintenant du lieu précis
où étoit fituée la maifon de fainte Géneviève.
Nous en parlerons au N° LV.
3 °. Mais pour ce qui eft du corps de
S. Germain , il n'a jamais été emporté hors
de Paris pour le fouftraire à la fureur des
Normans , qu'en 845 , en 857 , & en 885,
non en SSI. Les Annales font formelles
là- deffus ; & on n'y avance rien fans
preuve.
XV. Page 22. « On a démoli en 1748.
l'églife de S. Jean- le-Rond » .
Réflexions . J'ai dit ( page 112 ) que ce fut
en 1749 qu'elle fut démolie ; & il peut
bien fe faire que ce foit moi qui me fois
trompé.
XVI. Même page. « On a débité juſ134
MERCURE DE FRANCE.
و ر
qu'ici des faits très - incertains , pour ne
pas dire faux , fur l'origine de l'églife de
» S. Chriftophe , en affurant qu'elle avoit
» été bâtie fur un fonds d'Erchinoald
»
Maire du Palais , qu'on a fait fans fondement
Comte de Paris au VIIe fiecle..
» Sauval a grande raifon de méprifer toutes
ces fables ».
"
Page 23. « Ce qu'on peut regarder
comme certain touchant l'égliſe de faint
» Chriftophe , eft que dès le VII fiecle
c'étoit un Monaftere de Filles voifines
de la cathédrale de Paris ».
وو
30
وو
و و
Page 25. « Pour en revenir à l'Hôtel-
Dieu , comme je n'ai point encore vu de
>> titre ou autre monument , qui puiffe.
"prouver que S. Landri , Evêque de Paris,
» en foit le fondateur , je ne puis encore
» embraffer cette opinion
Réflexions. 1 ° . Comme ces faits ne peutvent
pas être en même temps faux & incertains
, il étoit à propos de les diftinguer
, & de donner à chacun fa véritable
qualification , Il y en a ici trois le premier
, que l'Hôtel- Dieu ait été fondé par
S. Landri : le fecond , qu'il l'ait été ſur un
fonds d'Erchinoald : le troifieme , que ce
même Erchinoald ait été Comte de Paris ..
Or , il n'eft nullement prouvé qu'aucun de
ces trois faits foit faux : les deux premiers
JUILLET . 1756.
font incertains , ou douteux fimplement ;,
& le troifieme très- incertain .
2. Sauval ne mérite feulement pas.
d'être cité ici , fi ce n'eft pour avertir en
même temps qu'il fe contredit lui- même ,
comme on l'a montré évidemment dans les
Annales ( page 98 ).
3 ° . Par une espece de compenfation ,
loin qu'il faille regarder comme un fait
certain que S. Chriftophe ait été dans ces
premiers temps un Monaftere de filles
voifines de la cathédrale , on a fait voir.
dans les Annales , ( ibid. & page 99. ) que
jufqu'à préfent il demeure très-douteux fi
ce Monaftere n'étoit pas à Creteil plutôt
qu'à Paris.
4°.M. l'Abbé Lebeuf demande ici quelque
titre ou quelque monument pour le déterminer
à croire un fait . Mais où font donc
ceux qu'il a vus pour croire que S. Denys
a dit la meffe dans les deux endroits où
font aujourd'hui l'églife de S. Benoît , &
éelle des Carmelites du Fauxbourg S. Jacques
? Que c'eft un S. Siméon d'Auxerre ,
non , S. Siméon Stylite , qui fe recommandoit
aux prieres de fainte Géneviéve? Qu'en
un certain temps , on a tranfporté près de
S. Julien-le - pauvre le Baptiftere de la cathédrale
? Que fainte Géneviève mourut
136 MERCURE DE FRANCE.
quelques années après Clovis I ? Que , &c.
Et pourquoi avance- t'il donc fans titres ,
de fon propre aveu , que le Comte Roland
fonda l'églife de S. Marcel ? 2
XVII . Page 24. « Le bâtiment de l'é-
» glife de S. Chriftophe , qu'on a vu fubfifter
jufqu'à l'an 1747 » .
و د
Réflexions. J'ai dit ( page 98. ) qu'il fut
démoli en 1748 ; & en cela je puis fort
bien m'être trompé.
a
XVIII. Page 33. « M. Chriftophe de
Beaumont , Archevêque de Paris , à fait le
Dimanche 30 Août 1750. la diftribution
»des reliques tirées de S. Maur des Foffés,
à diverfes églifes de Paris ».
Co
Réflexions. Voilà un récit bien maigre.
Ce fut finguliérement pour honorer l'Abbaye
de S. Germain des Prés que fe fit la
cérémonie , dont le principal objet étoit
de transférer dans cet augufte Monaftere
le corps & le chef de S. Maur , Abbé des
foffés ; ce qui fe fit avec un grand appareil
: & deux ou trois autres églifes ont
feulement profité de l'occafion pour fe procurer
auffi quelques reliques tirées de la
même Collégiale de S. Maur ?
La fuite au prochain Mercure. >
4
JUILLET. 1756. 137
On trouve chez le Breton , Imprimeur
du Roi , rue de la Harpe , un nouvel Ouvrage
fur les affaires du temps , je veux
dire fur les conteftations qui fe font élevées
entre la France & l'Angleterre , au
fujet des limites de l'Amérique feptentrionale.
Il a pour titre : La Conduite des François
juftifiée , ou Obfervations fur un écrit
Anglois intitulé , Conduite des François à
l'égard de la nouvelle Ecoffe , depuis fon premier
établissement jufqu'à nos jours ; par le
Sieur D. L. G. D. C. Avocat en Parlement ;
à Utrecht. Cet Ouvrage a mérité le fuffrage
des perfonnes le plus en état d'en juger
par leurs places & par leurs connoiffances
fur cette matiere . Il eft divifé en fix Parties
, & tel eft le plan que l'Auteur nous
annonce dans fon Introduction.
Il démontre dans la premiere Partie ,
que les découvertes attribuées aux Cabots ,
font entièrement chimériques , & n'ont été
imaginées par les Anglois que pour fe
procurer des armes pour combattre la
priorité des François.
Il fait voir dans la feconde , que les
François ont pris poffeffion & poffédé les
premiers les pays de l'Amérique Septentrionale
, où Pune & l'autre Nation ont
actuellement des établiſſemens .
Il rapporte en abregé dans la troiſieme
13S MERCURE DE FRANCE.
les principaux événemens qui concernent
en particulier la nouvelle France Auftrale
ou Méridionale , connue depuis fous le
nom d'Acadie , & qui fe font paffés depuis
le Traité de S. Germain- en- Layé en 1632 ,
jufqu'à la fignature de celui d'Utrecht , en
1713 .
Il examine dans la quatrieme Partie les
deux questions importantes , qu'est- ce que
la nouvelle Ecoffe ? quelles font les anciennes
limites de l'Acadie ?
Il prouve dans la cinquieme que l'iņ- ·
terprétation que les François donnent au
Traité d'Utrecht , eft claire , préciſe , relative
aux négociations qui ont précédé la
fignature du Traité , & conforme à l'efprit
& à la lettre du Traité.
Enfin dans la fixieme & derniere Partie , il
fuit l'Auteur Anglois dans quelques écarts
qu'il a jugé à propos de fe permettre , & il
tâche en peu de mots de juftifier les principaux
objets de la critique de cet Ecrivain.
Il nous a paru que l'Auteur François
avoit rempli fon projet avec force & exactitude.
On y trouve beaucoup de traits
hiftoriques curieux , qui font honneur à la
Nation , & on peut entr'autres citer l'article
des Cabots , comme un morceau qu
n'avoit pas encore été traité & fur lequel
JUILLET. 1756. 139
on avoit eu jufqu'à préfent la complaifance
de s'en rapporter aux Anglois. On a eu
Fattention de ne citer que des Auteurs la
plûpart Anglois & Etrangers , & tous à
l'abri du moindre foupçon de partialité.
Les François y verront avec plaifir les
droits de la Couronne fur cette partie de
l'Amérique Septentrionale , mis dans tout
leur jour , & ne pourront qu'applaudir au
zele du Citoyen , qui d'office a bien voulu
fe livrer à un travail qui a dû être précédé
par des recherches & des lectures immenfes.
IL PAROÎT une quatrieme édition avec
Privilege du Roi , d'une Differtation en
forme de Lettre fur l'effet des topiques , &
en particulier fur celui du Sieur Arnoult ,
contre l'apoplexie, augmentée de plufieurs
pieces intéreffantes ; elle est écrite par un
Médecin de Paris à un Médecin de Province.
L'objet de cette brochure eft de
prouver la vertu de ce remede : l'Auteur
paroît y avoir bien réuffi . Il y fait voir
par plufieurs faits authentiques les dangers
auxquels on s'expofe en difcontinuant l'ufage
de ce remede , & prouve par des exemples
frappans , que plufieurs perfonnes
ayant eu des accidens d'apopléxie auparavant
, pendant plufieurs années qu'ils ont
140 MERCURE DE FRANCE.
porté ce topique , il ne leur eft arrivé
aucune rechûte ; qu'en en difcontinuant
l'ufage , ils font retombés dans ces accidens
peu de jours après , ce qui les a engagés à
recourir au Sachet du Sieur Arnoult , dont
ils ont fait un ufage affidu pendant plufieurs
années , fans qu'il leur foit arrivé
aucune nouvelle attaque d'apopléxie.
L'Auteur a furtout infifté fur l'éloge que
feu M. le Cardinal de Polignac a fait de
ce remede en pleine Académie , après avoir
cité douze Seigneurs de fes parens ou amis,
qu'il a certifié guéris d'apopléxie avec
l'ufage de ce même Spécifique : le témoignage
de M. le Duc de Gêvres , Gouverneur
de Paris , n'eft pas oublié : ceux des
Gens de l'Art ne font pas moins importans
, & l'on y en trouve fans nombre ,
entr'autres celui de MM . Garnier , Médecin
de la Faculté de Paris, & premier Médecin
du Roi à la Martinique ; Tayard , Médecin
à Sens ; Mauran , Médecin à Bergerac ;
Wolter , Premier Médecin de l'Empereur
Charles VI ; Gaulard , Médecin ordinaire
du Roi ; Sylva , Médecin de la Faculté de
Paris , & Confultant du Roi ; Larchevefque
, Médecin de Rouen ; Santeuil , Docteur
Régent de la Faculté de Paris ;
Dionis , Docteur - Régent de la Faculté
de Paris ; Befnier , Docteur - Régent
·
JUILLET. 1756. 145
de la Faculté de Paris ; Desjours , Fevrier ,
Dubertran , Chirurgiens - Jurés de Paris ;
Deport , Chirurgien ordinaire de la Reine
; Deformeaux , Chirurgien de Blois.
M. Mercier , Médecin des Hôpitaux du
Roi , va jufqu'à dire que le Sachet antiapoplectique
du Sieur Arnoult eft le fpécifique
unique , invariable & certain ,
contre les accidens & les fuites d'apopléxie
; qu'inutilement on a fait des recherches
pour conftater un feul malade péri
d'apoplexie depuis plus de 56 ans , muni
du Sachet du Sieur Arnoult.
Les lettres de MM. Fils , le Comte & de
la Croix , Médecins , & autres , méritent
une attention particuliere par les prodiges
qu'elles racontent du Sachet. Le certificat
de feu M. Chicoyneau , Confeiller d'Etat
& Premier Médecin du Roi , eft le plus
authentique de tous ; il confirme la vertu
de ce remede , & prouve évidemment que
le Sieur Arnoult , Droguifte , rue Quincampoix
, à Paris , eft feul poffeffeur de ce
-précieux Topique , & que tous les autres
qu'on diftribue fous fon nom , font faux
& contrefaits. Pour que le Public n'y foit
plus trompé , le Sieur Arnoult ne le difribue
qu'en y joignant un imprimé figné
de fa main,
142 MERCURE DE FRANCE.
LE PATRIOTE ANGLOIS , ou Réflexions
fur les hoftilités que la France reproche à
l'Angleterre , & fur la réponſe de nos Miniftres
au dernier Mémoire de S. M.T.C...
Pudet hac opprobria nobis & dici potuiffe ,
& non potuiffe refelli. Ouvrage traduit de
l'Anglois de John Tell Truth , par un
Avocat au Parlement de Paris. A Geneve ,
1756 ; & fe trouve à Lyon , chez Aimé
Laroche , & à Paris , chez Durand , rue
du Foin ; Deffaint & Saillant , rue S. Jean
de Beauvais , vis - à- vis le College , & Lambert
, rue & près la Comédie Françoiſe.
Ces Réflexions nous paroiffent écrites
avec autant de chaleur que de folidité.
L'Auteur , quelqu'il foit , fe montre également
inftruit des vrais intérêts des deux
Etats. S'il eft Anglois , comme il l'annonce
, on peut dire qu'il confeille très- bien
fa Nation ; qu'il la juge en homine impartial
, & qu'il la condamne fur fes torts
pour la mieux éclairer fur le chemin qu'elle
doit tenir. S'il eft François , nous penfons
qu'il a trouvé une maniere auffi ingénieufe
que convaincante de juftifier les plaintes
de la France , & la conduite du fage
Monarque qui la gouverne. Il parle furtout
en Ecrivain qui connoît l'intérieur
du gouvernement Anglois , & qui en a fait
une étude particuliere. Les morceaux que
JUILLET. 1756. 143
nous allons en tranfcrire perfuaderont
mieux nos Lecteurs de cette vérité , que
nos éloges , quelques juftes qu'ils foient
& fuffiront pour les mettre au fait du ftyle
& du ton de l'Ouvrage .
Il faut avouer , dit l'Auteur page 11 ,
que le fpectacle de l'inaction de la France
jufqu'à ce moment , eft peut- être le plus
fingulier & le plus intéreffant qui ait été
donné depuis long - temps à l'Europe . Quelle
conduite pour cette Nation guerriere &
turbulente contre l'ambition de laquelle
l'Angleterre a déclamé fi fort depuis foixante
ans ! D'un autre côté comment peuton
reconnoître à toutes nos hoftilités ce
peuple refpectable qui fe pique d'équité ,
& qui fe dit le gardien des libertés de
l'Europe , après avoir eu jufqu'ici la gloire
de les défendre ; il s'expofe au reproche
de les avoir violées plus directement qu'aucune
autre Nation ne l'a jamais fait . Que
la conduite du Roi de France foit l'effet
de fa modération ou de fa prudence , elle
fera toujours louée de tout l'univers fans
nous expoſer au plus grand ridicule , nous
ne pouvons ni la blâmer , ni nous en
plaindre.
Il s'en faut beaucoup , pourfuit- il , que
notre Cour ait fuivi des maximes auffi fages
que celle de Verfailles. Comme elle
144 MERCURE DE FRANCE.
peut avoir des intérêts féparés de ceux de
la Nation , il a fallu chercher à l'éblouir.
Mais on a beau nous dire que la France
viole les Traités les plus facrés , on n'en
croira pas nos Miniftres fur leur parole.
Depuis deux ans , on leur en demande des
preuves ; ils n'en ont encore donné aucune.
La haine du nom François n'aveugle que
la vile populace . Les Grands font les feuls
qui ayent les yeux fafcinés par la Cour :
tout le refte de la Nation voit clair. C'eft
l'ordre moyen , placé entre ces deux extrêmes
, qui dans tout pays doit par préférence
être confulté , parce que c'eft celui
où il y a le plus de puiffance , de lumiere
& d'honnêteté. Nos Pairs du Royaume ne
font plus que les Grands de la Cour
puifqu'ils y tiennent plus qu'à la Nation.
Il s'en faut beaucoup que les actes du
Parlement même foient toujours le voeux
public . On fçait avec quelle facilité le
Gouvernement dans l'une & dans l'autre
Chambre s'affure de la pluralité des voix :
Combien de fois notre augufte Sénat ne
s'eft-il pas entendu faire , & non fans fonment
, le reproche fanglant que Jugurtha
fit à la République Romaine !
D'ailleurs nos Miniftres ou ceux qui
cherchent à le devenir , ont encore une
reffource sûre : elle confifte dans l'art aifé
d'élever
JUILLET. 1756. 145
*
d'élever un cri populaire. C'est notre toclin
politique , auquel les uns ont recours pour
allumer le feu , comme d'autres pour l'éteindre.
La multitude enivrée , de même
qu'une troupe d'enfans , ſe joint auffi- tôt
àceux qui les premiers ont excité la clameur
& favorifé leurs projets , quoique
le but que les Chefs fe propofent , foit directement
contraire au cri qu'ils ont élevé ,
& au bien du peuple même.
:
Sur le terme de piraterie qui lui eft
échappé , il ajoute page 32 : On s'étonnera
peut-être qu'un Anglois fe ferve ici du
mot de piraterie ; la fierté de mes Compatriotes
pourra s'en offenfer : on fçait qu'il
a bleffé la délicateffe des oreilles de nos
Miniftres mais comment peuvent- ils s'en
plaindre , eux qui ont donné les ordres
pour exercer de pareils brigandages ? Je
fuis en droit de répondre à celui qui me
reprochera d'employer l'unique expreffion
qui réponde à la choſe : Quantùm à verborum
libertate , tantùm te à rerum turpitudine
fejungas. Quelle conduite fut jamais
plus indigne de la majefté du peuple Anglois
que nous affectons de vouloir établir
! Qui peut aimer fa Patrie , & n'avoir
pas regret de la voir fe deshonorer ! Nous
prenons le titre de Maîtres de la Mer ; notre
empire fût-il même bien établi , nous
1. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
convenoit-il de l'exercer en Tyrans , en
Pirates ? Il n'eft pas moins important à
une Nation qu'à un particulier de conferver
fon caractere parmi fes voifins : comme
lui elle perd tout en perdant fa réputation
.
L'Auteur fait voir enfuite que la Nation
Françoiſe a gagné ce que la fienne a perdu.
Tout y annonce , dit-il , un nouvel efprit
qu'elle doit aux lumieres philofophiques
de ce fiecle , & dont elle fait l'ufage le
plus utile à la fociété . Par où peut-on juger
de la façon de penfer d'un peuple, fi ce n'eft
par les objets dont il s'occupe ? Au lieu
de ces Romans & de tant d'autres écrits
frivoles , qui ont exercé fi long-tems les
beaux efprits de France , il ne nous vient
plus de Paris que des Effais fur l'Agriculture
, fur le Commerce , fur la Marine , fur
les Colonies , fur les Manufactures , fur les
Finances , & fur tous les objets qui peuvent
contribuer à la grandeur & aux richeffes
d'une Nation .
"
Tandis que nos jeunes gens vont à
Paris apprendre l'art fublime de la danſe ,
& la fcience merveilleufe des modes & de
toutes les frivolités de cette grande Ville ,
ceux des François qui viennent à préſent
parmi nous reportent dans leur Patrie des
connoiffances d'une toute autre importanJUILLET.
1756. 147
ce , & y mettent à profit les leçons d'économie
, politique & civile qu'ils font
gloire de tenir de nous . C'eft au commerce
que l'Angleterre doit l'extinction des Barons
Gothiques , il eft prêt à rendre à la
France le même fervice . Quelles ne feront
pas alors les reffources de cette Nation !
Le Patriote après avoir prouvé plus haut,
page 21 , que fa Nation doit être plus attentive
que toute autre à éviter la guerre ,
attendu qu'une grande partie du peuple
Anglois ne fubfifte que par le commerce :
Notre triomphe , dit-il , felon les apparences
, ne fera pas de durée. Les François
font affez puiffans pour avoir dans peu
une force fuffifante à nous oppofer par
terre & par mer. Notre imprudente jaloufie
les oblige à rétablir lear marine ; ils y
emploient tant d'argent , & ils y travaillent
avec tant d'activité , qu'ils peuvent
bientôt être en état non feulement de fe
défendre , mais de prendre une cruelle revanche
des infultes que nous leur avons
faites.
Nous finirons ce précis par la note fuivante
, qui répond à l'endroit que nous
venons de citer , & qui nous paroît des
plus heureuſes par l'application . Alors les
François pourront nous dire comme dans
la Tragédie de Shakeſpear : Quoique vous
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
nous ayez cru morts , nous ne faifions que
dormir. L'avantage eft un meilleur foldat
que la témérité. Le temps qui mûrit les plaies
donne plus de facilité pour les guérir : celles
que vos injures nous ont faites font déjafermées.
Le moment de la vengeance eft arrivé.
L'Angleterre fe repentira de fa folie , verra
fa foibleffe & admirera notre patience . Que
Son Roi penfe donc à des dédommagemens
proportionnés aux pertes que nous avons
faites à l'affront que nous avons digeré ,
&c. Henris , acte 3 .
NOUVEAUX Mémoires d'Hiftoire , de
Critique & de Littérature , pour fervir de
fupplément aux fix premiers volumes , pat
M. l'Abbé d'Artigny , Tome feptieme ;
chez Debure , l'aîné , Quai des Auguftins ,
1756.
Ce tome nous a paru répondre au mérite
de ceux qui l'ont précédé , & former
un fupplément qui compléte l'Ouvrage .
Le prix des fept volumes reliés eft de 21
livres . On les vendra féparément chacun
3 liv. jufqu'au premier Juin 1757 .
JUILLET . 1756 . 149
ARTICLE I I I.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
HISTOIRE.
SUITE DE LA DISSERTATION
Sur une Lettre de Saint Remi à Clovis.
Examen abrégé des Syftêmes de plufieurs
Auteurs.
LE fentiment de M. l'Abbé Dubos eſt
que Clovis avoit reçu d'Anaftafe la dignité
de Maître de la Milice , & que S. Remi
lui avoit écrit cette lettre pour l'en féliciter.
Comme ce grade étoit au deffous de
celui de Conful , qu'il y avoit déja eu précédemment
beaucoup de Princes François
honorés de cette charge , cette opinion eft
fujette à beaucoup moins de difficultés :
cependant elle ne fçauroit fe foutenir , comme
l'a très- bien prouvé M. le Préſident de
Montefquieu ( 1 ) & notre Differtateur. Je
(1 ) Cet Auteur a très-bien réfuté la plupart
des opinions que M. de la *** avance dans ces
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
renvoie le Lecteur à leurs ouvrages , afin
d'éviter la prolixité.
Le Comte de Boulainvilliers a fuppofé
que les Rois Francs n'étoient pas Générauxnés
de leurs troupes , & qu'ils ne montoient
à ce grade qu'après avoir acquis
une expérience fuffifante : ainfi , dans fon
idée , cette lettre a été écrite avant le baptête
de Clovis : mais ces paroles facerdotibus
tuis debes honorem deferre : hoc imprimis
agendum ut Domini judicium à te non
vacillet , conviennent - elles à un Prince
payen ? Sa fuppofition d'ailleurs eft toute
gratuite, & a befoin elle- même d'être bien
prouvée (1 ).
Dom Ruinart prétend que cette lettre
regarde le confulat de Clovis : il faut
avouer que cette opinion eft la plus vraifemblable.
M. de la *** lui forme plufieurs
objections que je ne crois pas fans
réponſe.
Premiere Objection.
Les Confuls fous les Empereurs , & furtout
fous Anaftafe , étoient fans fonctions.
deux Differtations fur la Nobleffe Françoife , &
fur les dons qu'elle offroit à fes Rois , quoiqu'il
ne connût vraisemblablement ni l'Auteur , ni
LOuvrage.
(1 ) Voyez la Differtation de M. de la ***.
JUILLET. 1756. 151
Seconde Objection.
Cette lettre n'a pu être écrite que peu de
tems après le baptême de Clovis. Or ce
Prince n'a reçu le confulat que plus de
douze ans après .
Troisieme Objection.
La troisieme eft tirée de ces mots , cum
juvenibus joca : donc Clovis étoit jeune ,
& il ne l'étoit pas douze ans après fon
baptême.
A l'égard de la premiere , fous Juftin les
Proconfuls avoient des fonctions . Par un
privilege fpécial , Anaftafe pouvoit avoir
accordé à Clovis celles de Conful : c'eſt à
Dom Ruinart à le prouver.
A l'égard de la feconde , la preuve de
M. de la Chapelle eft très -foible .
Quant à la troifieme elle n'eft pas recevable.
Cum juvenibus joca : dọnc Clovis
étoit jeune. Et moi je dis , cum fenibus
tracta : donc ce Prince étoit vieux. Ces deux
conféquences ne valent pas mieux l'une
que l'autre : nous reviendrons dans la fuite
à ce paffage .
Cependant cette lettre me paroît remplie
de tant de préceptes que je penfe qu'elle
n'a pu être adreffée qu'à un Néophite.
D'ailleurs , ni le fecundum , ni ces mots per
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
induſtriam humilitatis tuæ ad fummum culminis
pervenis , ne peuvent pas être expliqués
dans ce fyftême.
M. de Montefquieu , dont la vafte érudition
répond à la beauté de l'efprit , & la
beauté de l'efprit à la folidité du génie ,
s'explique ainfi : Quand le motif d'un fujer
nous eft connu , pourquoi avoir recours à
des caufes qui ne le font pas ? La lettre de
S. Remi eft un compliment de félicitation
que ce prélat fait à Clovis fur fon avénement
à la couronne.
Je fuis fâché de ne pouvoir pas être de
fon avis. Je fuis convaincu que s'il n'eût
pas traité cette matiere par occafion, comine
il a fait , qu'il n'auroit pas avancé cette
opinion . En effet , ces termes facerdotibus
uis debes honorem deferre... ad eorum confilia
recurrere , peuvent- ils convenir , comme
nous avons déja dit , à un Prince payen ?
Mais ce qui leve toute difficulté , & ne
permet pas de pouvoir adopter cette opinion
, & ce qui renverſe en même tems
tous les autres fyftêmes dont nous avons
parlé , font ces paroles : Per induftriam bumilitatis
tua ad fummum culminis pervenis.
Comment pouvoir appliquer ces mots à
l'avénement de Clovis à une dignité
mondaine , au confulat , à la préfecture
du prétoire , à la couronne , &c ? C'eſt par
JUILLET. 1756. 155
fucceffion ou par des faits éclatans , & non
par humilité que l'on s'éleve aux honneurs
, & que les Princes montent fur le
trône. Paffons au fecond fyftême de
M. de la ***
Réfutation du fecond Systême de M. de la ***
M. de la *** après avoir reconnu l'authenticité
de la lettre de S. Remi , authenticité
fur laquelle il avoit appuyé tout fon
fyftême , rejette actuellement & le fyftême
& la lettre , & fait tous fes efforts pour
prouver qu'elle est un ouvrage de quelque
fauffaire : voici fes preuves.
Premiere preuve de faux.
S. Remi étoit un prélat fort éloquent ,
& qui écrivoit très-poliment en profe &
en vers. Sidoine Appollinaire, & Grégoire
de Tours , l'ont dit. Or cette lettre de
S. Remi à Clovis , péche du côté de la
diction : donc cette lettre n'eft point de
S. Remi.
Voilà l'argument de M. de la ***. Saint
Remi étoit un prélar fort éloquent en profe
& en vers pour le fiecle où il vivoir ; d'ac
cord : & dans ce fiecle l'on écrivoit poliment
& éloquemment ; je le nie.
"
Depuis la mort d'Augufte , les Belles
Lettres & la pureté de la langue Latine
GY
I
*
154 MERCURE DE FRANCE.
❤commencerent à baiffer , & allerent toujours
en déclinant , d'autant plus que
>> ceux mêmes qui vouloient les redreffer ,
»les corrompoient davantage. La multi-
» tude de ceux qui avoient le goût mau-
23
"
vais l'emporta fur le petit nombre. Les
»vers fe foutinrent un peu plus longtemps .
»que la profe : par exemple , ceux d'Au-
»fone & de Sidonius font bien plus fup-
» portables que leur profe .On perdit la maniere
de raifonner & de parler jufte ; on
»fe rendit obfcur & embarraffé ; on intro-
» duifit de nouveaux mots , ou fabriqués ,
"
ou barbares ». Voilà le témoignage que
rend Mezerai aux fiecles poftérieurs à celui
d'Augufte. La corruption devoit donc être
des plus grandes du tems de S. Remi : on
peut en juger par Grégoire de Tours fon
panégyrifte. Le fameux Sidoine n'eft pas
exempt de critique. Mais comme notre
Differtateur nous cite, pour faire connoître
le mérite de Saint Remi , une lettre qu'il
écrivit à Clovis fur la mort de la foeur de
ce Prince , j'en ai extrait quelques morceaux
pour en faire la comparaifon .
Domino illuftri meritis Chlodovao Regi ,
Remigius Epifcopus..... Angit me & fatagit
veftra caufa triftitia , quod gloriofiffima memoria
germana veftra tranfiit Albochledis :
fed confolari meritò poffumus , quia talis de
JUILLET. 1756. 755
bac luce difceffit, ut recordatione magis fufcipi
debeat quam lugeri. Illius enim vita fuit quod
affumpia credatur à Domino , que à Deo
electa migravit ad celos . Vivit veftra fidei ,
& fi eft confpectu defiderio recepta ... Acrius
invigilabis Dominus meus repelle... Commendo
familiarem meum Maccolum quem direxi,
quafo ut tantis habeatis ignofcere qui quod
occurfum debui exhortatoria deftinare verba
prafumpfi.
Remarquez ces mots : veftra cauſa triftitia...
Tranfivit feul , pour è vitâ deceffit...
Recordatione magis fufcipi. Illius enim vitė
fuit quod... Vivit veftra fidei , & fi eft confpectu
defiderio recepta ... Dominus repelle ....
Invigilabis au fingulier , habeatis au pluriel .
Quelle reffemblance pour les folécifmes !
les tours embarraffés , la diction , le ſtyle,
furtout entre ces deux phrafes , commendo
familiarem meum , &c. & celle- ci de la prémiere
lettre , ubi tui meriti , qui per , &c.
Nous avons examiné la profe , paſſons aux
vers .
M. de la *** tâche de prouver l'éloquence
& les talens de S. Remi par les vers de
ce prélat qu'il nous cite. Mais , dit Mezerai
, les vers fe foutinrent un peu plus longtemps
que la profe : d'ailleurs , ceux de
S. Remi ne font pas des plus élégans.
Le premier de l'épitaphe que nous avons
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
cité eft fort bon , le fecond eft pitoyable ,
le dernier eft de la profe.
A l'égard de ces trois qu'il avoit fair
graver fur une coupe facrée.
Hauriat hinc populus vitam de fanguine
facro.
Injecto aternus quemfudit vulnere Chriftus.
Remigius Domino reddit fua votafacerdos.
Le premier eft excellent , le fecond fupportable
, quoique l'injecto ne s'entende
qu'avec peine & foit mal placé ; le troifieme
eft d'une platitude affreufe.
Voilà , je crois , des preuves fuffifantes
pour établir que la lettre dont je foutiens
Pauthenticité , étoit digne de S. Remi , &
que S. Remi étoit digne d'elle.
Seconde preuve de faux.
M. de la *** reproche à S. Remi d'avoir
manqué de refpect pour Clovis , & de ne
Jui avoir jamais donné le titre de gloria
veftra il eft facile de l'excufer. C'eſt un
pere qui écrit à fon fils , un prélat à fon
néophite. Eft il furprenant qu'il oublie ces
mots , & qu'il ne lui parle pas toujours au
pluriel ? Dans la lettre que cet Auteur nous
cite pour modele , il ne le fait pas toujours.
Dominus meus , repelle acriùs , invigilabis.
Voyez les lettres que Photius écrivoit au
JUILLET. 1736. 257
Prince des Bulgares qu'il appella 70 7xona
nuov. Vous y verrez plus d'éloquence
mais guere plus de refpect. Ne fçait- on
pas avec quelle fainte hardieffe les premiers
Evêques parloient aux Empereurs?
Troifieme preuve de faux.
Non eft novum ut coeperis , &c. On ne
peut point appliquer ces mots à Clovis ,
dit M. de la *** , parce que cette lettre a
été écrite après le baptême de Clovis , &
que ce Prince s'étoit précédemment diftingué
par de grands exploits , & avoit donné
beaucoup de marques de valeur , donc ,
& c.
Je réponds : Votre traduction , Monfieur
, ne peut point s'appliquer à Clovis ;
d'accord : Le paffage latin ne peut point luf
convenir ; je le nie : il ne faut pas traduire
comme vous avez fait , il n'eft pas étonnant
; il faut traduire , il n'eft pas nouveau
que vous ayez commencé , c'eft- àdire
, ce n'eft pas d'aujourd'hui que vous
vous êtes fait connoître : la preuve eft le
fecundum qui vous embarraffe fi fort. C'eft
pour la feconde fois : donc ce n'eft pas
nouveau. Ainfi cette phrafe loin de fignifier
que. Clovis ne s'étoit point encore diftingué
par fes exploits , comme vous le
prétendez, établit au contraire que la ré158
MERCURE DE FRANCE .
putation étoit faite depuis longtemps ( i ) {
Quatrieme preuve de faux.
Cives tuos erige , viduas fove , orphanos
nutri , &c. Notre Differtateur trouve que
ces confeils font indignes d'un monarque.
Il eſt bien fâcheux pour Ifaïe de fe voir
ainfi condamné par un même Arrêt avec
S. Remi. Ce Prophéte s'explique ainfi :
Apprenez à bien faire, recherchez la droi-
» ture , redreffez celui qui eft foulé , faites
»droit à l'orphelin , débattez la caufe de
>>la veuve (2 )
ور
و د
33.
Cinquieme preuve de faux.
Ne magis dona aut aliquid accipere velis .
Autre confeil indigne de S. Remi qui le
donne , & du Prince qui le reçoit , dit
M. de la ***. Je conviens qu'il pourroit
révolter quelqu'ignorant : mais , vous ,
Monfieur , comment pouvez-vous trouver
à redire à cer avis , vous , par la bouche
duquel Mezerai & le P. Daniel viennent
de nous apprendre dans votre differtation
que c'étoit prefqu'en cela feul que
confiftoit le revenu de nos rois. Le magis
marque la mefure , la grandeur des préfens
& la façon de les recevoir , de crainte
( 1 ) Il y a dans cette phraſe un tour grec.
(2) Traduction de l'Abadie.
JUILLET. 1756. 199
que le Prince ne péche ou par la maniere
d'éxiger , ou par l'excès du préfent
exigé.
Sixieme preuve de faux.
Cum juvenibus joca , cum fenibus tracta.
Beau confeil à donner à Clovis : n'eft- il
pas bien digne de la gravité de S. Remi &
de la majesté d'un Prince. Jouez avec les
jeunes gens , foyez libre avec les jeunes
gens , & férieux avec les vieillards .
Le précepte eft fort fenfé : je fuis bien
fâché de ne pouvoir dire la même chofe
de la traduction tracta , foyez férieux ; je
ne fçais de quelle Académie il faut être
pour traduire ainfi .
L'Auteur auroit dû remarquer que le
précepte ne tombe que fur le tracta cum
fenibus ; la premiere partie , cum juvenibus.
joca , eft purement incidente : pour lors on
auroit traduit ainfi :
Si vous mettez des jeunes gens
dans vos
parties de plaifirs , ne mettez que des vieillards
dans vos confeils ; je demande fi cet
avis eft fenfé. Heureux les Juifs , fi un de
leurs Princes infenfés l'avoit fuivi !
Septieme preuve defaux.
Je diftingue , dit M. de la *** , trois
époques principales dans le regne de Clo160
MERCURE DE FRANCE.
vis : l'année de fon avénement à la couronne
481 , l'année de fon baptême 496 ,
l'année de fa mort 511. Je dis que la lettre
n'a point été écrite entre la premiere &
la feconde époque , & je le prouve ; ( c'eſt
ce dont nous convenons avec lui ) . Si elle
a été écrite depuis l'époque du baptême
jufqu'à celle de fa mort , continue cet Auteur
, en ce cas ou c'eft un compliment fur
une victoire remportée , ou c'eft une félicitation
fur une dignité obtenue : or ce
n'eft ni l'un ni l'autre , il le prouve , & il
le prouve fort bien.
Pour répondre à cette obiection , il fuffit
de trouver un troifieme motif qui ait
engagé S. Remi à écrire à Clovis : c'eft ce
que nous allons rechercher. Cependant ,
comme ces fept preuves réunies enfemble
ne font pas capables d'en former une qui
puiffe faire impreffion , nous pouvons affurer
que la lettre de S. Remi eft très - authentique.
Etablissement d'un nouveau Systême.
Comme je n'apperçois autre chofe dans
cette lettre que des confeils qu'un pere
donne à fon fils , un pafteur à ſa brebis ,
un apôtre à fon néophite , j'ofe affurer
qu'elle a été écrite à Clovis après fon baptême;
qu'elle l'a été peu de temps après ;
JUILLET. 1756.
161
que ce baptême en eft le fujet princi
pal , & que l'on peut regarder les préparatifs
de guerre que faifoit ce Prince , comme
un fecond motif.
Pour prouver toutes ces propofitions ,
je ne veux expofer aux yeux du Lecteur
que la fimple traduction de cette lettre accompagnée
de quelques notes , mais fans
argumens , fans indictions , fans tirer
même aucune conféquence. Je commence
par un espece de prélude qui fervira d'explication.
Vous avez paffé des jours purs & faints,
des jours confacrés à Dieu pour le remercier
des graces qu'il
graces qu'il vous a faites en vous
mettant au nombre de fes enfans , & en
vous donnant le titre glorieux de chrétien ."
Vous avez été uniquement occupé des faveurs
que vous avez reçues du ciel durant
tout ce faint tems maintenant ( 1 ) .
Voilà le commencement de la lettre.
SEIGNEUR ,
Et la renommée en a porté la nouvelle
(1 ) Voilà l'explication du fecundum qui embarraffe
fi fort. Suivant la coutume de l'Eglife toute
affaire ceffoit , & l'on ne s'occupoit que de la
grace reçue par le Baptême , pendant les jours
que l'on appelle dies in albis . Après ce temps.
Clovis fe rendit de nouveau au gouvernement de
fon Royaume , & fit des préparatifs de guerre.
Voilà le motif de la Lettre de S. Remi.
162 MERCURE DE FRANCE.
éclatante jufqu'à mes oreilles . Vous recommencez
à prendre les rênes de l'état , &
vous vous chargez ( pour ainfi dire ) une
feconde fois du poids accablant de l'adminiftration
des affaires. Ce n'eft pas d'aujourd'hui
( 1 ) que vous vous êtes fait connoître
digne de la réputation de vos peres ( 2 ) ..
(3 ) Ayez foin furtout de ne point affoiblir
en vous le jugement du Seigneur
vous qui en faveur de vos mérites par
l'heureuſe induftrie d'une humilité toute
fainte avez obtenu le plus grand des
biens , le baptême (4) : ce fera la perfévérance
qui fera couronnée. Prenez pour
confeillers des perfonnes qui augmentent
la réputation que vous vous êtes acquife.
Confervez pur & fans tache le bienfait
( 1 ) Phrafe célebre fi peu embarraffante , & qui
a fi fort inquieté M. de la ***.
(2) Non eft novum ut coeperis , &c. On ne peut
point appliquer ces mots à Clovis , dit M. de la ***
dans notre fyftême & notre traduction ; l'application
eft très-facile.
(3 ) Voilà une phrafe qui feule fuffit pour renverfer
tous les fyftêmes que je viens d'expofer
fous les yeux du Lecteur , & qui feul eft une
preuve complette de la bonté de mon opinion.
(4) Telle eft l'explication que je donne au mot
beneficium : c'est là le fens naturel ; il eft déterniné
par la phrafe qui précede : il eft donc inutile
de chercher un fens allégorique , & une fignifica
tion étrangere & éloignée , ou métaphorique.
JUILLET. 1756. 163
que vous avez reçu du ciel ( l'innocence
dans le baptême ) . Rendez à vos Evêques
l'honneur qui leur eft dû . Ayez recours à
leurs confeils. Que fi vous vivez avec eux
en bonne intelligence , vous affermirez de
plus en plus votre puiffance. Relevez l'efpérance
de vos citoyens , foulagez les malheureux
, protégez les veuves , nourriffez
les orphelins ; car il eft de votre intérêt
d'apprendre aux peuples à vous aimer plutôt
qu'à vous craindre . Que votre bouche
foit l'organe de la juftice. N'exigez rien
des
pauvres ni des étrangers , & n'exigez
de vos peuples , foit à titre de don ou de
préfent , foit fous quelqu'autre titre que
ce puiffe être que ce qui vous eft légitimement
dû. Que votre prétoire foit
ouvert à tout le monde , de maniere que
perfonne n'en forte avec le chagrin de n'avoir
pas été entendu . Servez - vous des richeffes
que vos peres vous ont laiffées pour
en racheter des captifs , & les délivrer de
la fervitude. Lorfque quelqu'un paroîtra
devant vous , qu'il ne s'apperçoive pas
qu'il eft étranger. Si vous mettez des jeunes
gens dans vos parties de plaifir , ne
mettez que des vieillards dans vos confeils
, afin que l'on vous croie véritablement
digne du diadême.
164 MERCURE DE FRANCE.
PHYSIQUE.
IDEES fur la maladie de la nommée Michelot
, annoncée dans le premier Volume du
Mercure de Janvier 1756 , dans l'Article
des Nouvelles.
Tous les phénomenes de la nature ont
deux extrêmes ; fi l'un fe préfente moins
fouvent que l'autre , on ne doit s'étonner,
que de la détermination des accidens .
Le froid ne doit pas plus furprendre
que le chaud , un grande féchereffe qu'une
humidité intariffable , un mouvement violent
qu'un profond repos ; l'état de travail
comme celui d'inertie , font également naturels
on ne peut appeller miracle que
ce qui s'oppofe aux loix bien connues de
la nature .
La maladie de la nommée Michelot eft
fort éloignée de tenir du prodige ; on
pourroit au plus dire qu'elle arrive rarement
: fi quelque chofe pouvoit être furnaturel
dans une circonftance femblable
ce feroit un accident pareil , accompagné
de toutes les déperditions ordinaires de
fubftance , foit dans les hommes ou dans
les femmes.
JUILLET . 1756. 165
Quoique l'Auteur de la Relation ne
donne pas à cet égard tous les éclairciffemens
néceffaires , il paroît cependant par
le peu qu'il en dit , que fi l'on en excepte
quelque évacuation par les voies urinaires
, il ne s'en eft pas fait d'autre chez la
malade.
Sans l'avoir vue , on fe perfuade que la
tranſpiration inſenſible étoit interceptée ,
& la chaleur naturelle , pour ainſi dire ,
anéantie. Le détail donné annonce que le
moment des parties externes étoit confidérablement
diminué : toutes ces circonſtances
n'ont pas peu contribué au défaut
ou plutôt à l'inutilité de l'appétit , qui
n'eft autre chofe qu'un befoin de la nature
pour réparer la diffipation perpétuelle &
confidérable des parties du corps.
>
Une paralyfie qui n'affecteroit que les
parties externes , ne feroit pas à beaucoup
près capable d'opérer ces effets ; mais on
ne peut s'empêcher de croire qu'une paralyfie
de cette nature , qui affecteroit en
même temps plus ou moins les folides &
les fluides néceffaires à l'élaboration du
chyle , ne s'opposât en raifon proportionnelle
à la digeftion , & dans cet état , le
fymptôme le plus heureux eft la fuppreffion
des évacuations ordinaires : s'il en
étoit autrement , la mort feroit inévitable.
166 MERCURE DE FRANCE.
,
C'eft fous ce point de vue que l'on envifage
l'état de la fille du village de Ponfart
: l'impoffibilité où elle a été pendant
fix mois de rien avaler prouve affez que
la paralyfie avoit affecté la langue , le pharinx
, le mufcle oefophagien , les fibres
circulaires de fa tunique charnue , toutes
des parties qui par leur compreffion procurent
la defcente des alimens dans l'eftomac:
ce vifcere lui-même & fes glandes ,
la contraction de ſes fibres eft devenue infenfible
, l'action du diaphragme & des
-muſcles du bas - ventre a été ralentie >
tout a pris un état d'engourdiffement & la
digeftion eft devenue impoffible. Que ne
prouve pas encore pour la paralyfie la perte
de la parole ? Une inertie auffi effrayante
feroit devenue funefte , fi la tranfpiration
infenfible & les autres évacuations s'étoient
foutenues pendant peu de jours feulement :
elles ont heureufement ceffé , & pour
-lors le manger eft devenu inutile.
Le peu de diffipation
qui a pu fe faire
chez la malade a été abondamment
réparé
tant par l'air qui s'eft introduit
dans
les poumons
, que par celui qui s'eft infinué
par les pores ces idées nous menent
à penfer que le traitement
de cette maladie
, du moins pour en accélérer la guéri- fon , ne devoit pas différer de celui de la
:
JUILLET. 1756. 167
paralyfie. La nature a opéré chez la Malade
après un long efpace de temps ; ce qui
feroit arrivé dans un intervalle plus court ,
fi elle avoit été fecondée.
On ne parle ici que refpectivement aux
fymptômes caractéristiques de la maladie
de la Michelot on eft bien éloigné de
vouloir dire que la paralyfie feule puiffe
ôter la néceffité de manger. On peut voir
à ce fujet le Traité du Profeffeur Licetus ,
& ce qui eft rapporté par Sennert & Jonfton.
Le fol de Harlem , Jeanne Balam , la
fille de Spire & le Prêtre de Noyon , qui
tous ont vécu pendant différens temps affez
longs fans manger , n'éprouverent aucuns
des autres accidens de la Malade de
Ponfard.
Ces phénomenes font à la vérité peu
communs ; mais ils n'ont pas plus de quoi
furprendre que l'état de ces hommes infatiables
, qui effrayent autant par la quan
tité des alimens qu'ils prennent , que par
la promptitude & la continuité de leurs
digeftions : ce font les deux extrêmes , &
ils ne font ni l'un ni l'autre miraculeux.
DEBUSNEL , Avocat au Parlement de
Flandres , & Directeur des Poftes à
Philippeville...
168 MERCURE DE FRANCE.
SÉANCE
PUBLIQUE
De l'Académie Royale de Chirurgie , du 29
Avril 1756 .
M. Morand , Secretaire perpétuel , ouvrit
la Séance par le Difcours fuivant :
L'Académie avoit propofé pour le Prix
de 1754 , le fujet qui fuit : L'Amputation
étant abfolument néceffaire dans les plaies
compliquées de fracas des os , & principalement
celles qui font faites par armes à feu ,
déterminer les cas où il faut faire l'opération
fur le champ , & ceux où il convient
de la différer , & en donner les raisons.
L'Académie convient que cette matiere
étoit auffi difficile à traiter , qu'elle eft intéreſſante
, notamment pour la Chirurgie
Militaire : auffi de treize Mémoires envoyés
pour le Prix , aucun n'en approcha ,
& le même fujet fut propofé de nouveau
pour cette année avec promeffe d'un Prix
double.
L'Académie a reçu vingt - fix Mémoires ,
& a adjugé le Prix double au n° . 20 ,
ayant pour devife : Natura vim non patitur.
L'Auteur eft M. Faure , Chirurgien-
Major du Régiment Royal Vaiffeaux.
Le
JUILLET . 1756. 169
Le Mémoire n° . 19 a été jugé mériter
feul d'être imprimé à la fuite de la piece
couronnée ila même eu beaucoup de
voix pour partager le Prix , & il l'auroit
vraisemblablement partagé , fi la pratique
cût étayé la doctrine lumineufe qui y eft
établie . Il eſt écrit avec tant de méthode
& de préciſion , que l'on croit faire plaifir
au Public en donnant ici l'extrait de ce
Mémoire.
Sa divifion est toute - faite par l'énoncé
même du Programme.
Dans la premiere Partie, l'Auteur expoſe
les cas où il juge néceffaire de faire l'amputation
fur le champ , & il les réduit à fept.
1. Lorfqu'un des grands os des extrêmités
eft brifé dans fa continuité , de façon
que la réunion en foit phyfiquement impoffible.
2. Lorfqu'il y a plufieurs fractures , &
en différens endroits dans la continuité du
même os. }
3. Lorfque l'os eft brifé près de l'articu
lation.
4. A plus forte raiſon y ayant fracas
des pieces qui compofent l'articulation .
5. Lorfque le corps contondant étant
enclavé dans l'os de maniere à ne pouvoir .
en être tiré , il y a difpofition prochaine
aux plus grands accidens.
I. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
6. La principale artere étant déchirée ,
fans laiffer d'efpérance de pouvoir arrêter
l'hémorragie.
7. Une partie du membre étant plus ou
moins irréguliérement emportée par un
coup de feu.
L'Auteur détaille les motifs qui doivent
déterminer à l'amputation fur le champ
dans chacun de ces cas , & il y joint quelques
cas particuliers , qui fans être par
leur nature compris dans les claffes énoncées
, y rentrent par des accidens confécutifs
.
Comme quelques faits d'expérience ,
quoique rares , peuvent contredire les principes
généraux pofés & pris trop à la lettre,
la feconde partie du Mémoire fert de correctif
à la premiere. Ici l'Auteur examine
les cas où il faut différer l'amputation , &
il les fonde fur deux motifs très - raifonnables
; ou parce qu'il y auroit trop de danà
la faire fur le champ , ou parce qu'on
peut la différer fans un grand danger.
ger
C'eft fous le premier membre de cette
divifion qu'il range les fix cas fuivans.
1° La plaie compliquée de fracas de
l'os , & accompagnée d'une forte commotion.
2. Trop de vigueur dans le bleffé
, jointe à la commotion. 3. Vice des
liqueurs reconnu par les fignes proptes.
JUILLET. 1756 . 171
4. Perverfion des liqueurs par l'irrégula- .
rité des panfemens antécédens. 5. L'inflammation
de quelque vifcere principal .
6. Une mortification apparente & non
bornée.
Sous le fecond membre de la divifion ,
l'Auteur comprend :
La collifion faite par une caufe peu
violênte
, à plus forte raifon celle qui n'eſt
point faite par un coup d'arme à feu .
Le fracas de l'os dans fa partie moyenne
, la fracture étant à l'extrêmité inférieure
de l'os , fans que l'articulation foit
entâméé.
Enfin , les os de la main ou du pied
bleffés dans l'articulation fans être abfolument
fracaffés.
Il feroit difficile d'établir plus folidement
que l'Auteur l'a fait , une théorie
bâtie fur des notions exactes de Phifiologie.
Après avoir pofé des principes que la
faine Chirurgie adopte , l'Auteur , fuivant
des raifonnemens qui feroient avoués par
la meilleure logique , donne un réfumé fi
bien fait , qu'en le rapportant , il n'y a pas
moyen d'y changer un mot.
Le détail qu'on vient de lire , dit- il ,
préfente naturellement trois fortes de cas
décififs de l'accélération ou du retardement
de l'amputation : fçavoir , des ca-
Hij
•
172 MERCURE DE FRANCE.
preffans , ce font ceux de la premiere par
tie de ce Mémoire ; des cas nuifibles , ce
font ceux du premier article de la feconde
partie ; des cas neutres , ce font ceux du
fecond article de la feconde partie .
Les premiers font toujours preffans dès
le premier inftant , parce qu'ils peuvent
devenir nuifibles en très-peu de temps par
l'augmentation des accidens. Les feconds
peuvent être preffans , mais comme nuihbles
: ils font fi contraires à l'amputation ,
qu'ils la rendroient plus dangereufe que le
mal même , fi on la faifoit fur le champ.
Les troifiemes n'ont rien d'un côté qui foit
contraire à l'opération , ni rien de l'autre
qui oblige de la faire dans le premier tems,
Amputer fur le champ dans les cas preffans
, c'est employer l'unique moyen de
fauver le bleffé du péril prochain qui le
menace. Le faire de même dans les cas
nuifibles , quoique preffans d'ailleurs , c'eſt
rifquer de gaieté de coeur , d'abréger la
vie d'un homme , qui paroît à la vérité ,
devoir bientôt la perdre , mais dont il y
a toujours à espérer tant qquu''iill vviitt ,, & que
la nature peut être aidée par d'autres
fecours. Faire enfin l'amputation fur le
champ dans les cas neutres , c'eft peutêtre
, prévenir des accidens qui pourroient
la rendre impraticable , s'ils venoient à fe
JUILLET. 1756 . 173
44
développer jufqu'à un certain point ; mais
c'eft faire courir avant le tems les rifques
d'une opération qui met toujours la vie
du bleffé en danger.
Done la néceffité oblige de fe hâter
dans les cas preffans. L'humanité défend
d'agir fur le champ dans les cas nuifibles.
La prudence exige qu'on ne fe preffe point
dans les cas neutres. Delà , une premiere
regle générale : toujours différer l'amputation
dans les cas nuifibles & dans les cas
neutres , & ne la faire fur le champ que
dans les cas preffans.
Mais dans ces cas preffans , il y en a
qui font nuifibles dès le premier inftant
pour caufes de vices internes ; & l'on peur
s'y méprendre , foit parce que ces vices ne
font pas faciles à appercevoir , foit qu'ils
échappent à l'attention du Chirurgien
plus occupé de ce qu'il y a d'apparent dans
la plaie , que de ce qui rend intérieurement
l'habitude du corps ou du tempérament
vicieufe. Il y a d'autres cas qui n'étant
point nuifibles dès le premier mo
ment , le deviennent en très pen de temps
par un développement des accidens primitifs
, qui confinoient déja avec les confécutifs
à la premiere infpection de la
bleffare .
Or , amputer fur le champ dans ces
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
deux cas , c'eſt le faire à contre- tems ;
trop - tôt , pour ceux qui font nuifibles
dès le premier inftant ; trop- tard pour ceux
qui étoient preffans d'abord , mais qui
ceffent , pour ainfi dire , de l'être , étant
devenus nuiſibles.
Delà , une feconde regle générale : n'amputer
fur le champ, même dans les cas preffans
, que quand on eft fûr , autant qu'on
le peut être , qu'ils ne font point nuifibles
caufe de vices internes , ou qu'ils
ne touchent point aux accidens qui les
pour
rendroient nuifibles .
Si de la théorie qui fournit toutes ces
regles générales , nous rapprochons l'expérience
, nous y trouverons de quoi les
appuyer & en faire fentir les avantages.
Sans remonter à des tems reculés , arrêtons-
nous à la bataille de Fontenoy . Plus
l'époque en eft récente , plus il y aura de
perfections à préfumer dans la Chirurgie .
L'on vit à cette occafion , opérer tant d'habiles
mains , déja exercées depuis plufieurs
années que la guerre leur avoit fourni des
fujets fans nombre : cependant de ceux à
qui l'amputation fut faite fur le champ , à
peine en réchappa- t- il un tiers .
L'on croiroit volontiers que l'Auteur a
été témoin des faits de Chirurgie auxquels.
cette journée mémorable a donné lieu :
JUILLET. 1756. 175
.
mais il paroît n'en parler que d'après un
Mémoire de M. Boucher fur un autre fujet
, publié dans le fecond volume ; & fa
doctrine fe trouve être la même que celle
de M. Faure qui a remporté le Prix , mais
qui à une bonne théorie , quoique moins
développée , a joint beaucoup de faits de
- pratique.
Ces mêmes faits fimplement cités dans
le Mémoire de M. Boucher , & détail-
.lés par M. Faure lui - même dans le fien ,
nous apprennent qu'ayant fait après la
bataille de Fontenoi , l'amputation à dix
fujets en tout , dans les délais que fa prudence
& fes connoiffances avoient cru
devoir apporter , il avoit réuffi dans tous
les dix.
Ici l'Auteur du Mémoire dont j'ai rendu
le précis , fe fait cette question. M. Faure
eût il fauvé fes dix bleffés , s'il leur eût
fait l'opération dans le premier temps ?
En fûr il mort les deux tiers des autres ,
fi l'on fe fût moins preffé de la faire à la
plus grande partie Et il prétend que ce
n'eft point trop hazarder que d'attribuer
les mauvais fuccès à ce qu'on a confondu
les cas nuifibles avec les cas preffans : il eft
même permis , dit- il , de conjecturer que
du tiers qui s'eft fauvé , plufieurs étoient
dans le cas neutre , & par conféquent
Hiv
175 MERCURE DE FRANCE.
auroient pu guérir fans amputation . C'eſt
ce que l'Auteur foumet au jugement de
l'Académie. Ces derniers mots font fa devife.
L'Académie a cru devoir ajouter à cette
proclamation du Prix un avis important
aux Auteurs qui ont concouru . Plusieurs
ont donné dans leurs Mémoires des obfervations
intéreſſantes qui font perdues pour
le Public , parce que leur nom eft ignoré ,
& quand il feroit connu , nous n'en pourrions
faire ufage que de leur aveu .
Pour ne point laiffer perdre des faits.
de pratique très-utiles pour la plupart ,
l'Académie prie les Auteurs de fe déclarer
au Secretaire qui aura foin de détacher
de leurs Mémoires , en gardant le
-fecret pour le refte , les obfervations propres
à être employées aux travaux de l'Académie.
Cette invitation s'adreffe même à ceux
qui ont préfentés des Mémoires pour les
Prix , depuis que le Roi a adopté l'Académie
, c'eft- à dire depuis 1751. Il y a en
particulier fur l'ufage du feu ou cautere
actuel , des maladies des os envoyées en
nature avec des obfervations relatives ,
dont l'Académie feroit bien aife de faire
honneur à celui qui lui en a fait hom
mage.
JUILLET. 1756. 177
L'Académie n'a trouvé aucun Mémoire
digne du Prix d'émulation : elle en donnera
deux l'année prochaine. Entre ceux
qui ont été envoyés pour celle ci , il y en
a un fur les moyens de contenir la fracture
de la jambe réduite , dont les trois
quarts au moins font purement d'algebre.
Nous déclarons ne pouvoir faire ufage
d'un ouvrage où l'on a joint auffi peu de
Chirurgie à tant de fcience abftraite , &
nous croyons même devoir en avertir ceux
qui fe propoferoient d'en préfenter de
femblables.
Après cette lecture , M. Pipelet fut un
Mémoire fur la ligature de l'Epiploon .
M. Pibrac , fur l'abus des futures dans
la réunion des plaies.
M. Belloq , fur quelques moyens finguliers
d'arrêter certaines hémorragies.
M. Récolin termina la Séance par un
Mémoire fur le choix des faignées dans
l'efquinancie inflammatoire.
Nous donnerons des Extraits de ces
différens Mémoires.
L'Académie avertit qu'outre le prix
mentionné ci -deffus , elle a décerné cinq
médailles de cent livres chacune , fçavoir ,
à M. Defport , Académicien libre ; à M.
Récolin , Académicien libre ; à M. Caqué,
Correfpondant à Reims ; à M. Chaftenot ,
Ну
178 MERCURE DE FRANCE.
?
Correfpondant à Lille ; & à M. Bauchot ,
Chirurgien au Port - Louis , chacun ayanɛ
envoyé trois bonnes obfervations en 1755 .
1-
LETTRE
De M. Ferrand , Maître ès - Arts en l'Univerfité
de Paris, & Chirurgien à l'Hôtel-
Royal des Invalides , à l'Auteur du Mercure
.
Monfieur , vous avez eu la bonté d'inférer
dans votre dernier Mercure une Lettre
que j'adreffois à M. Vacher , au fujet
d'un Soldat invalide tué par le tonnerre..
J'ai oublié de dire que lors de l'ouverture
du cadavre , M. Morand notre Chirurgien
Major étoit abfent ; mais qu'à
fon retour je lui préfentai le détail de
nos obſervations , & qu'il a bien voulu les
approuver. Ayant l'honneur de lui être
fpécialement attaché , cette omiffion devient
pour moi une faute que je me hâte
de réparer , en vous priant de publier certe
Lettre. Au furplus , l'approbation d'un
Chirurgien auffi célebre , ne peut que rendre
l'obfervation très recommendable auprès
du Public. J'ai l'honneur d'être , &c.
FERRAND.
A Paris , ce 9 Juin 1756.
JUILLET. 1756. です
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQU E.
Il vient de paroître une nouvelle Cantatille
de M. le Febvre , qui a pour titre le
Lever de l'Aurore , dédiée à Madame la
Comtelle de Carcado : il en parut une du
même Muficien dans le mois de Mars ,
fous le titre du Rendez vous , dédiée à Madame
d'Argouges. On reconnoît l'Auteur
à la compofition harmonieufe & agréable
qui regne dans fes Ouvrages . Se vend chez
M. Bayard , rue Saint Honoré , à la Regle
d'or M. le Clerc , rue du Roule , à la
Croix d'or ; & Mile Caflagneri , rue des
Prouvaites , à la Mufique royale. Prix 1 l.
1.6 fol.
LES SONGES heureux & malheureux ,
Cantatille avec accompagnement , par Ma-
H vj
1So MERCURE DE FRANCE
demoifelle d'A*** , gravée par Mlle Vendôme
; & fe vend aux mêmes adreffes..
Le Triomphe de l'Amour , Cantate de
deffus , avec Symphonie , & la Sonate , Cantate
de baffe taille ,avec grande Symphonie,
par M. de la Garde , paroiffent actuellement
aux adreffes ordinaires.
Il va paroître inceffamment deux autres
Cantares du même Auteur , & un cinquieme
Livre de Duo.
GRAVURE.
>
J. Moyreau , Graveur du Roi en fon Académie
Royale de Peinture & Sculpture
vient de finir une nouvelle Estampe d'après
le tableau original de Pierre Wouvermens ,
qui a pour titre la Grotte de l'Abreuvoir ,
qui appartient à M. Crofat , Baron de
Thiers ; c'eft le n° . 81 de fa fuite . Sa demeure
est toujours rue des Mathurins , la
quatrieme porte cochere à gauche en entrant
par la rue de la Harpe.
JUILLET. 1756. 181
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
IL PAROÎT un Recueil de différens projets
d'Architecture de Charpente , & autres
concernant la conftruction des Ponts , par
feu M. Pitrou , Infpecteur Général des
Ponts & Chauffées de France , dirigé &
mis en ordre par le Sieur Tardif , Ingénieur
, & gendre de l'Auteur . Ce Recueil
eft divité en trois Parties .
La premiere comprend les deffeins d'une
Place dans l'lfle du Palais , pour y élever
la Statue du Roi. Son centre auroit été
devant la Magdeleine dans l'alignement
de la rue Saint Jacques & Saint Martin .
A cette Place fe trouve joint un Hôtel de-
Ville , un Quai de communication du Pont
Notre Dame à un Pont de pierre , qui feroit
fait au lieu du Pont Rouge , & fous
ce Quai un Port qui , par fon expofition au
Nord , feroit propre à la décharge des vins.
Les plans , détails , coupe & élévations de
tous ces projets , font en onze Planches .
La feconde partie eft compofée de ceinde
ponts de bois , d'échafaux & d'étres
,
182 MERCURE DE FRANCE.
tayement de différentes efpeces , avec les
détails de leurs affemblages, en treize Planches.
Dans la troifieme partie , on voit des
Ponts & des Ponceaux de différentes formes
& coupes,& le progrès de la manoeuvre
pour leurs fondations , en onze Planches.
Ces Planches font précedées des explications
néceffaires pour en faciliter l'intelligence
, & d'un Mémoire de l'Auteur für
le projet de la Place.
Cet Ouvrage forme un volume in folio
grand Chapeler. Il eft dédié au Roi , & lui
a été préfenté par MM. de Moras & Trudaine
, le 18 Mai dernier..
Le prix eft de 72 liv , broché. Il ſe trouve
chez la Dame Pirou , veuve de l'Auteur ,
rue des Noyers , vis à- vis la rue Saint Jean
de Beauvais , à Paris.
HORLOGERIE.
A L'AUTEUR DU MERCURE
Monfieur , vous avez inſeré dans le
Mercure de Mai une Lettre de M. Pierre le
Roy , célebre Horloger de Paris , dans laquelle
cet Artifte reclame , comme de fon
JUILLET. 1756. 183
invention , la Pendule que M. le Mazurier
avoit déja annoncée au Public , le 14 Février
, dans la Gazette de Paris ; au mois
d'Avril , dans le Mercure de France , & en
même tems dans une petite brochure , qui
a pour titre : Difcours fur l'Horlogerie , &
expofuion d'une nouvelle méchanique de Pen
dule , approuvée par MM. de l'Académie
Royale des Sciences. Comme amateur de
cer Art , ami de M. le Mazurier & admirateur
des talens de M le Roy , j'ai mis
toute mon application à examiner les prétentions
refpectives de ces deux Artistes.
dans la nouvelle conftruction de Pendule
qu'ils ont exécutée l'un & l'aurre. Il paroît
par les dates des Certificats de l'Académie ,
qu'ils ont été expé liés du même jour 10
Décembre 1755. Si la Pendule que M. le
Mazurier préfentoit à MM. les Commiffaires
n'eût été qu'une imitation de celle de
M. le Roy ( comme ce dernier le prétend ) ,
on n'auroit certainement fair aucun cas de
cet Ouvrage , tandis que fuivant le Certificat
du 24 Février 1756 , l'Académie a
prononcé que la Pendule du Sieur le
Mazurier méritoit d'être inferée dans le
Recueil des Machines approuvées. L'illufion
de M. le Roy fur cet objet n'eft pas
excufable & la queſtion entr'eux demeure
tellement décidée , qu'en lifant les Extraits
184 MERCURE DE FRANCE.
1
de l'Académie fur l'une & l'autre Pendule
, on voit une analyfe différente ,
quoiqu'elle porte fur une même force
motrice ; & à cet égard M. le Roy devoit fe
contenter de l'aveu que M. le Mazurier a
fait dans toutes fes annonces , que ce
principe de mouvement appartenoit à M. le
Roy, quoiqu'il ne foit pas l'inventeur des
chapelets à augets , dès long tems connus
dans la méchanique , & qu'il n'y ait d'au
tre part , que d'avoir eu l'idée de les appliquer
pour moteurs aux Horloges fixes. If
eft furprenant que fur une chofe de fait ,"
que le Public eft à portée de vérifier à
tout inftant , il fe foit élevé une contefta-'
tion fi peu fondée. M. le Mazurier eft trop
modefte pour fe parer de la gloire de M.
le Roy , & M. le Roy fans doute trop jufte
pour vouloir ravir à fon Confrere celle
qu'il mérite. Ainfi , Monfieur , rien ne
fçauroit diminuer l'eftime générale que
mérite l'ouvrage ingénieux de M. le Mazurier
, ni altérer les éloges qui font dûs'
perfonnellement à ce grand Artiſte,
J'ai l'honneur d'être , & c.
Ce 8 Juin 1756.
JUILLET. 1756 . 185
ORFEVRERIE.
EXTRAIT des Regiftres de l'Académie Royale
des Sciences , du 29 Mai 1756 .
Nous avons examiné , par ordre de l'Académie
, une nouvelle méthode pratiquée
par le Sieur Balzac , Marchand Orfévre à
Paris , pour travailler fur le tour & fans
foudure la vaiffelle plate d'argent à bordure
, qu'on appelle vaiffelle à contour.
La méthode ufitée dans l'orfévrerie ',
lorfque les pieces ne font pas rondes , eft
de les faire de deux parties , en ajoutant
à la piece d'argent préparée au marteau
pour former un plat ou une affiette , une
bordure fondue & moulée qu'on y joint
en la foudant. Il en réfulte plufieurs inconvéniens
. 1 °. La vaiffelle en eft moins
pure ; 2 °. elle eft moins folide ; 3 ° . les
bordures fondues n'étant pas toujours portées
à la marque ordonnée pour la police
de l'orfévrerie , fe trouvent affez fouvent
d'un titre inférieur à celui de la piece ; 4°.
la foudure eft fujete au verd- de gris.
On évite ces inconvéniens par la méthode
du Sieur Balzac . Il travaille la bordure
fur la piece même , en la façonnant
186 MERCURE DE FRANCE.
autour. Le plateau d'argent préparé au
marteau , eft fixé fur une platine perpendiculaire
à l'arbre du tour , & contenu
par une rofette , dont la figure regle & détermine
celle qu'on veut donner à la bordure
de la piece ronde ou ovale coupée
à contour .
Nous n'entrons pas dans un plus grand
détail fur la conftruction de la machine ,
pour ne pas priver le Sieur Balzac du produit
légitime de fon induftrie qu'il rient
fecrette & qu'il nous a confiée. Sa méthode
exige autant de rofettes , qu'on veut
exécuter de contours différens ; mais la dépenfe
qu'elles occafionnent eft bien compenfée
par la promptitude de l'opération
& par la perfection de l'ouvrage .
Nous n'avons pas connoiffance que perfonne
ait travaillé fur le tour avant le Sieur
Balzac , des pieces de vaiffelle ovale à contour
fans foudure ; ainfi nous regardons
fa méthode comme nouvelle. Elle eft avantageufe
au Public , & nous croyons qu'elle
mérire l'approbation de l'Académie.
Signé , CAMUS DE MONTIGNY.
Je certifie le préfent Extrait conforme à
fon original & au jugement de la Compagnie.
A Paris , ce ‹ Juin 176.
Signé , GRAND-JEAN DE FOUCHY, Sec.
perp. de l'Acad. R. des Sciences.
JUILLET . 1756. 187
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
LE Mercredi 26 Mai , les Comédiens
François ont donné pour la premiere fois
la Gageure de Village , Comédie en profe ,
en un Acte. Quoiqu'elle ait reçu un accueil
favorable , l'Auteur a jugé à propos de la
retirer après la cinquieme repréfentation .
Elle eft imprimée , & fe vend chez Duchefne,
rue S. Jacques. Le prix eft de 30 fols
avec la mufique , qui a été fort goûtée du
Public , & qui eft de M. Giraud.
Le Lundi 7 Juin , les mêmes Comédiens
ont remis Elope à la Ville , Comédie en
vers , en cinq Actes , de Bourfaut. Elle a
prefque l'agrément de la nouveauté. Il y a
trente ans qu'elle n'a éré jouée . Quoiqu'inférieure
à Efope à la Cour , nous croyons
qu'on peut la mettre au rang des pieces
qui doivent refter au Théâtre. Il va plufleurs
Scenes d'un bon comique . Elle joint
à ce mérite l'avantage d'être bien jouée.
188 MERCURE DE FRANCE.
Le rôle d'Efope qui tient le dez dans la
piece , eft rendu fupérieurement par M.
de la Noue. Celui de la Soubrette, quoique
médiocre par lui - même , devient excellent
par le jeu de Mlle Dangeville , qui embellit
tout ce qu'elle joue.
Le Mardi 8 , on a repréfenté Mérope.
Un Acteur nouveau y a débuté dans le
rôle d'Egifte , avec l'applaudiffement du
parterre.
Le Lundi 14 , il ajoué celui de Poliencte
dans la Tragédie qui porte ce titre ; & le
Mercredi 16 , celui de Seide dans le Mahomet
de M. de Voltaire .
COMÉDIE ITALIENNE.
LE 7 Juin , les Comédiens Italiens ont
donné la premiere repréfentation de l'Amant
Jardinier ou l'Amuſement de Campagne
, petite piece en un Acte , qui a été
reçue très - favorablement du Public . Mlle
Silvia y joue une Provençale dans une grande
vérité. On ne peut pas mieux copier
l'accent & le graffeyement Marfeillois.
Le Jeudi io du même mois , ils ont
donné la premiere repréfentation des
Amours de Mathurine ; Parodie Françoiſe
d'Alcimadure Paftorale Languedocienne de
JUILLET. 1756. 189
M. Mondonville. Les Ballers de M. Deheſſe
y jettent beaucoup d'agrément ; mais nous.
ne pouvons diffimuler que la Parodie eft
plus férieufe que l'ouvrage traveſti , ou
plutôt imité. L'Auteur nous paroît même
avoir moins parodié le Poëme que les airs.
Peut- être eût-il mieux fait de ne point s'écarter
de l'original : fon dénouement en
eût été plus heureux .
Le Samedi 12 , on a réuni les deux nouveautés.
EXTRAIT des Chinois , Comédie en un Ale
en vers , mêlée d'Ariettes ; Parodie del
Cinefe.
Cette petite Piece n'eft compofée que
de fix Scenes & de quatre Acteurs , avec
un perfonnage muet ; fçavoir Xiao , Mandarin
de la premiere claffe , pere d'Agéfie ,
M. Richard ; Agéfie , Mlle Catinon ; Tamtam
, Amant d'Agefie , Madame Favari , &
Chimca , Efclave Suivante d'Agéfie , Mlle
Defglands. Le Sieur Duclos repréfente le
cinquieme perfonnage , qui eft un Intendant
de Xiao qui ne dit mot. La ſcene fe
paffe au Palais du Mandarin dans l'appartement
des femmes.
Le Théâtre repréfente un appartement
décoré à la Chinoife : on voit dans le fond
l'horifon à travers une jaloufie briſée,
190 MERCURE DE FRANCE.
Xiao ouvre la Piece avec fon Intendant ,
à qui il donne l'ordre d'aller vîte préparer
une fête fomptueufe pour la nôce
de fa fille qu'il doit marier ce jour-là.
Refté feul , il exprime la joie qu'il aura
d'être grand-pere par l'Ariette fuivante :
Ariette du Chinois : Gia Colmo di piacer.
Je vois , grace à ma fille ,
Accroître ma famille :
Un tas d'enfans fourmille :
Ah ! je les vois déja.
Tandis que l'un fautille ,
L'autre à l'envi babille.
J'aurai de la famille :
Elle fera gentille ,
Et me reffemblera.
3 fois.
Je fuis , grace à ma fille ,
Grand pere de famille :
Un tas d'enfans fourmille ,
Auprès de moi fautille
En m'appellant papa.
Je ne me fens pas d'aife.
L'un grimpe fur ma chaife ,
En m'appellant papa ,
Et me baife.
L'un grimpe fur ma chaife ,
(bis.)
L'autre joue au dada
En m'appellant papa. (bis.)
JUILLET . 1756 . 191
Paix là. Taifez-vous , paix là ,
Paix là , vous dis je.
Encore ! ce bruit m'afflige ,
Il faut que je corrige...
Contrefaifant la voix d'un enfant.
Ah ! ah ! pardon ; pardon , pardon , mon grand papa
Je ne le ferai plus . Non , non.
Levez-vous donc,
Je vais , & c.
Agéfie fa fille entre avec fa Suivante , &
Xiao lui apprend qu'il doit la marier ce
jour- là même avec un jeune homme qui
revient d'un grand voyage ; que c'eſt
l'Empereur qui fait ce mariage , & qu'en
conféquence elle doit s'y difpofer. En la
quittant , il lui dit :
圈
Dépêche toi d'avoir beaucoup d'enfans :
Eternife mon fang par ta progéniture .
Elle lui répond ingénuement :
Je n'épargnerai rien , mon pere , je vous jure ,
Pour rendre vos défirs contens.
Chimca félicite fa jeune Maîtreffe fur
cet hymen : mais Agéfie lui avoue en confidence
qu'elle craint ce noeud , & qu'elle
voudroit bien que l'époux qu'on lui deftine
reffemblât au jeune homme qu'elle a
vu la ſemaine derniere de fa fenêtre , dont
192 MERCURE DE FRANCE.
un coup de vent avoit abattu la jaloufie :
elle ajoute qu'il fit arrêter fa barque pour
la contempler ; qu'il lui avoit paru charmant
, qu'il n'avoit de chinois que l'habit ,
& que fans l'avoir entretenu , elle lui avoit
trouvé beaucoup d'efprit fur les différens.
tranfports qu'il avoit fait paroître . Dans
ce moment le Chinois dont elle parle entre
la fenêtre dans fon appartement. Agefie
paroît d'abord effrayée , ainfi que fa
Suivante . Dans le premier mouvement que
la peur lui infpire , élle lui ordonne de
fortir mais un fentiment plus doux qui
fuccede à la crainte , l'oblige auffi- tôt à le
rappeller.
par
:
Tamtam ( c'eft le nom du jeune Chinois
) fait alors éclater fon ardeur par cette
Ariette , dont la morale fe trouve dans
plus d'un Opéra François.
Ariette du Chinois Zerbinotti d'Oggidi.
Que je baife cette main.
Mais pourquoi cet air mutin ?
Que vous fert- il d'être belle
Si vous êtes fi cruelle ?
Mais perfonne ne nous voit.
Qu'elle eft farouche !
Que je touche
Seulement le bout du doigt :
Mais perfonne ne nous voit.
"
Que
JUILLET. 1756. 193
Que vous fert-il d'être belle ,
Si vous êtes fi cruelle ?
Vous fouffrez de vos rigueurs.
C'est à notre âge
Que l'on s'engage.
Le primptems eft pour les fleurs ,
Et l'amour est pour nos coeurs :
La fageffe
Pour la vieilleffe ;
La tendreffe pour nos coeurs.
Agéfie fe défend , mais avec douceur.
Cependant Tamtam fe plaint de cette rigueur
prétendue , en s'écriant :
En France , où j'ai fait un voyage ,
Le ſexe n'eſt pas fi fauvage.
La curieufe Suivante lui demande comment
on fait l'amour à la Françoife. Tamtam
répond que fi fa Maîtreffe veut le permettre
, il va l'en inftruire :
Mais oui , dit Agefie : l'on eft bien aiſe
De fçavoir d'un pays les ufages , les moeurs,
Mais , lui replique- t’il ,
our donner au tableau de plus vives couleurs ,
Il faudroit , ne vous en déplaiſe ,
Me feconder & me prêter du jeu.
Ténez , figurez -vous que vous êtes l'Amante ;
Moi , l'Amant :
I. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
Agefie.
Soit.
Tautam à Chimca.
Vous , la Suivante
Que je vais engager à protéger mon feu .
Agéfie va s'affeoir , & prend le thé .
Cette fcene forme un tableau des plus
charmans elle fait la piece comme nous
l'avons dit ailleurs. Nous ajouterons qu'elle
vaut feule un Acte , & qu'elle paroît
d'autant meilleure au Théâtre , qu'elle eft
parfaitement rendue par les tro Actrices
qui la jouent. Tamtam commence par prier
Chimca de parler pour lui à fa Maîtreffe ,
de lui bien peindre fon amour ; & pour
mieux l'y déterminer , il lui offre une
bourfe qu'elle accepte après quelques façons.
Chimca inftruit Agéfie du feu dont
un jeune Amant brûle pour fes charmes ,
& lui demande la permiffion de l'introduire
auprès d'elle. Eh bien ! dit Agéfie ,
il peut paroître. Tamtam s'approche , s'incline
devant elle , & dit à Chimca de fe
tenir à deux pas . Enfuite il fe tourne vers
fa Maîtreffe , & lui peint l'état de l'Amant
qu'il repréfente par l'Ariette qui fuit , & .
qui eft des plus théâtrales :
7
JUILLET. 1756. 195.
Ariette : Ma detto ta mia mama.
Son coeur d'abord palpite :
Il veut , mais il héſite :
Il dit des mots fans fuite :
Certain trouble l'agite.
Il a peur de manquer d'égards ;
Et la crainte
Eft peinte
Dans les regards.
Bientôt l'Amour l'infpire.
Il vante les attraits :
Quels yeux charmans ! quels traits !
Après.
Agéfie.
Tamtam.
L'Amant foupire ,
Et l'ofe dire ,
Et l'aven ne déplaît pas.
Ainfi l'Amour pas à pas ,
Pour engager tend ſes lacs .
(bis.)
Agéfie avec un peu d'émotion.
La peinture intéreffe .
Chimca à part.
Ah ma pauvre Maîtreffe !
Commence à fe troubler.
Ah ! ma pauvre Maîtreſſe !
(bis. )
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Son coeur fe laiſſe aller ,
Se laiffe , laiffe , laiffe ,
Se laiffe , laiffe aller.
Tamtam.
Le coeur plus fort palpite :
On veut , mais on hélite :
On dit des mots fans ſuite ,
Un nouveau trouble agite.
L'Amour brille dans les regards ,
Et l'audace
Chaffe
Les vains égards.
La belle fe retire ,
Et paroît fe fâcher.
Agéfic.
Eh ! mais ! ....
Tamtam .
L'Amant foupire ,
Et faifit un bras.
Agéfie en Soupirant.
Tamtam .
Après.
Doucement il le flatte ;
(bis, )
Qu'il eft rond , blanc & frais !
Ah ! quelle peau délicate !
Que je le baile.
Agéfie.
Mais ...
JUILLET. $756. 197
1
}
Quoi !
Tamtam.
Agéfie troublée.
Quoi !
Tamtam lui baifant la main.
Le tendre Amant le baile.
Agéfie plus émue.
Tamtam.
Et le rebaife :
Elle s'appaiſe ,
Et ne fe défend pas.
Après.
Ainfi l'Amour pas à pas ,
La fait tomber dans fes lacs.
Chimca .
Ah ! ma pauvre Maîtreffe !
Je la vois fe troubler.
Ah ! ma pauvre Maîtreffe !
Son coeur fe laiffe aller "
( bis. )
Son coeur fe laiffe , laiffe , laiffe ,
Se laiffe , laiffe aller.
Agéfie revient de fon trouble , & repro
che un peu tard à Tamtam d'avoir trop
ofé. Il répare fon audace , en difant qu'il
l'adore & qu'il attend la mort à fes genoux.
I iij
F98 MERCURE DE FRANCE.
Agéfie lui répond tendrement :
On auroit à punir à la fois deux coupables.
Ah ! je le fuis autant que vous.
Mais elle lui déclare en même tems
qu'un époux , ou plutôt un maître , doit
s'unir avec elle inceffamment. Il demande
quel eft cet époux ? Je ne fçais , dit- elle .
J'ignore auffi , replique- t'il , celle que j'époufe
ce foir : je viens de recevoir à l'inftant
fon Portrait . Chimca prend ce Portrait
, l'examine , & s'écrie : Ah ! ma Maîtreffe
, c'est vous-même. Nos Amans fe livrent
à la joie mais elle eft tout à coup
troublée & changée en frayeur , par l'arrivée
du pere qui entre le fabre à la main ,
& qui veut tuer fon gendre fans le connoître.
Ce dernier le tire de fon erreur ,
en lui montrant le portrait d'Agéfie , que
Xiao lui a envoyé. Le Mandarin eft tranfporté
de joie à fon tour , & dit à Tamtam
de fortir fans être apperçu , & qu'il va au
plutôt l'unir à fa fille. Cer Acte fuivi du
Ballet des Nôces Chinoifes , forme un Spectacle
qui ne s'ufe point , & qu'on verra
toujours avec le même plaifir , quand il
fera exécuté
par
les mêmes Acteurs.
JUILLET. 1756. 199
CONCERT SPIRITUEL.
E Le Jeudi 27 Mai , jour de l'Afcenfion ,
le Concert a commencé par une fymphonie
, fuivie de Domine , in virtute tuâ , Motet
à grand choeur de M. Cordelet . Enfuite
Madame Veftris de Giardini a chanté
deux Airs Italiens . Madame Montbrun
a chanté un petit Motet de Mouret. M.
Balbaftre a joué fur l'Orgue un Concerto
de fa compofition. Le Concert a fini
Venite exultemus , Motet à grand choeur de
M. Mondonville.
par
Le Dimanche 6 Juin , jour de la Pentecôte
, le Concert a commencé par une fymphonie
; enfuite Diligam te , Motet à grand
choeur de M. Giles. Mlle Vincent a
chanté un petit Motet nouveau. M. Piffer
a joué un nouveau Concerto de violon de
fa compofition ; Mlle Fel a chanté Exultate
Deo, petit Motet de M. le Chevalier d'Herbain.
Le Concert a fini par Laudate Dominum
, quoniam bonus , Motet nouveau
à grand choeur de M. Mondonville , dans
lequel M. Balbaftre a joué de l'Orgue.
Le 17 , jour de la Fête - Dieu , le
Concert a commencé par une fymphonie
fuivie de Latatus fum , Motet à grand
Liv
200 MERCURE DE FRANCE.
choeur de M. Cordelet : enfuite Mlle
Vincent a chanté un petit Motet de M.
Mondonville. M. Piffet a joué un Concerto
de violon de fa compofition avec l'applaudiffement
général . M. Godart a chanté
un petit Motet de M. le Febvre . M. Balbaftre
a joué fur l'Orgue un Concerto de
fa compofition. Le Concert , qui a fini par
Bonum eft , Motet à grand choeur de M.
Mondonville , a paru très- agréable par le
choix & la variété des morceaux.
JUILLET . 1756. 201
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ITALI E
DE NAPLES , le 24 Avril.
Le Mont Vefuv
E Mont Vefuve , après avoir fait longtemps
entendre un grand bruit , a jetté pendant quatre
jours beaucoup de matiere bitumineule. Lorfque
cette éruption a ceffé , trois Seigneurs Angloisont
voulu monter au haut du Mont , pour examiner
les bouches du Volcan. Ils ont été prefque
fuffoqués par des nuages de cendres & de fumée
peu s'en eft fallu que leur curiofité ne leur air
fait éprouver le fort de Pline le Naturalifte .
&
DE VENISE , le 14 Mai.
Une Tartane , que commande le Comte Eva
nowitz , Dalmatien , fut attaquée le 19 du mois
dernier près des Bouches de Cattaro par un Chabec
de Tripoli , de quarante-deux canons , & de
cinq cens hommes d'équipage. Quoiqu'elle ne fût
montée que de quarante-fix Efclavons , elle s'eft
emparée du Bâtiment ennemi , après quatre heu
res de combat. Les Efclavons n'ont voulu accor--
der aucun quartier aux Tripolitains . La perte des.
premiers auroit été peu confidérable , fi le Chevalier
Evanowitz n'avoit pas été tué. Le Chabeç
I..
202 MERCURE DE FRANCE.
*
ayant été fi maltraité qu'il n'étoit plus en état de
fervir , on y a mis le feu.
PAYS- BAS.
DE LA HAYE , le 28 May.
Il fut décidé le 25 , dans l'affemblée des Etats
Généraux , que cette République obferveroit une
exacte neutralité dans la guerre qui s'eſt allumée
entre la France & la Grande- Bretagne.
GRANDE-BRE•TAGNE.
DE LONDRES , le 31 Mai.
Le Roi fe rendit le 27 à la Chambre des Pairs
avec les cérémonies accoutumées , & Sa Majefté
ayant mandé la Chambre des Communes , fit la
clôture des Séances du Parlement par le Difcours
fuivant. MYLORDS ET MESSTEURS , il est juste qu'après
avoir donné une application fi longue &fi conf
tante aux affaires publiques , vous preniez quelque
relâche . It eft jufte auſſi que je vousfaſſe més remerciemens
finceres de l'ardeur efficace , avec laquelle
vous m'avez aidé à foutenir la caufe dans laquelle
je me trouve engagé pour la Nation . Les infultes
2
les hoftilités commifes depuis quelque temps par
les François contre mes Etats & contre mes Sujets
viennent d'être fuivies d'une invafion dans l'Ifle
Minorque , quoique cette poffeffion me foit garantie
par toutes les Puillances de l'Europe , en particulier
par le Roi des François. Ainfi , pour défendre
l'honneur de ma Couronne les droits de mes
Sujets , j'ai été dans la néceffité de déclarer formel-
Tement la guerre à la France. Je me repose sur la
JUILLET. 1756. 203
Protection Divine & fur la vigoureuſe affiftance de
mes fideles Sujets dans une cauſeſi jußte. MESSIEURS
DE LA CHAMBRE DES COMMUNES , je vous remercie
de la promptitude avec laquelle vous m'avez accordé
des fecours fi confidérables. Vous pouvez être af
furés , qu'ils feront employés aux fins falutaires
pour lesquelles vous les avez donnés . MYLORDS ET
MESSIEURS , rien ne m'a plus fatisfait que la confiance
, que vous avez en moi. C'est la marque la
plus agréable , que je puiſſe recevoir de votre reconnoiffance.
Auffi vous devez être perfuadés , queje
n'en ferai ufage que pour votre avantage. Le maintien
de votre Religion , de vos Libertés de votre
Indépendance , eft fera toujours mon principal
objet. Je compte que de votre côté , vous ne vous
manquerez pas à vous-mêmes. Le Roi , en terminant
les Séances du Parlement , s'eft contenté d'ajourner
cette Affemblée ; & le Parlement eft cen
fé n'être point prorogé , mais fufpendre feulement
fes délibérations.
En conféquence de la Déclaration de guerre ,
publiée le 18 , le Roi a ordonné d'expédier des
Lettres de Marque aux Armateurs , pour les autorifer
à faire la courfe. Sa Majefté fe réſervera la
moitié de toutes les prifes qui fe feront , foit en
Navires Marchands , foit en Bâtimens Corſaires ;
& les fommes , qui proviendront de cette réferve
, feront employées à donner des gratifications
aux équipages qui s'empareront de quelques
Vaiffeaux de guerre des ennemis. La Fregate la
Lime rentra le 23 dans ce Port , extrêmement
maltraitée. Elle a recu quatre- vingts coups de canon
dans la voile de fon grand perroquet , cinquante-
quatre dans fa grande voile , & plufieurs à
fleur d'eau .
Depuis qu'on a publié la Déclaration de guerre,
-Lvj
204 MERCURE DE FRANCE.
il s'eft préfenté à la Banque un fi grand nombre
de perfonnes , pour retirer leurs fonds , que , ne
pouvant faire face à toutes les demandes , elle a
été obligée un de ces jours derniers , de fufpendre
pendant huit heures les payemens .
FRANCE.
'Nouvelles de la Cour , de Paris , & c..
LE 9 Mai , le Bourg de Ferechampenoiſe , un
des plus confidérables du Diocèfe de Châlonsfur-
Marne , a été prefque totalement détruit par.
un horrible incendie. Les habitans ont eu à peine.
temps de pourvoir à leur fûreté , & de fauver
leurs enfans. Dans l'intervalle d'une heure , près
de mille perfonnes fe font trouvées fans azyle &
fans reffources.
le
Le 11 , M. le Duc de Biron , après avoir fait la
revue des Gardes Françoifes dans la Plaine des
Sablons où le Régiment étoit campé , déclara que
le Roi avoit accordé une penfion de mille livres
fur le Tréfor Royal à M. le Comte d'Afpremont ,
Maréchal de Camp , Commandant du troiſieme
Bataillon de ce Régiment ; une pareille penfion à.
M. de Savary , Lieutenant de Grenadiers , ayant
Brevet de Colonel ; une de quatre cens francs ,,
auffi fur le Tréfor Royal , à M. de Chaffincourt-
Tilly , Sous- Lieutenant ; des Brevets de Colonels.
au Marquis de Rafilly , Lieutenant de Grenadiers
& au Comte du Dreneuc , Lieutenant ; & la Croix
de Saint Louis au Vicomte de Jaucourt , Lieutenant
à M. de Chaban , Sous- Aide- Major; au
JUILLET. 1756. 206
Chevalier de Palme , au Marquis de la Rochebouffeau
, à MM. de la Motte , de Termont , &
de Chieza , Sous- Lieutenans , & à M. de la Bordenne
, Enfeigne de Grenadiers.
Le Roi ayant porté à dix-fept Compagnies les
Bataillons de fon Infanterie Françoife ; & Sa Majefté
voulant que les Bataillons des Régimens de
fon Infanterie Suiffe & Grifonne , qui ne font actuellement
que de quatre cens-vingt hommes en
quatre Compagnies de cent vingt hommes chacune,
y compris les Officiers , foient rapprochés de la
compofition des Bataillons François , Sa Majefté a
ordonné que les douze Compagnies de chacun
des neuf Régimens Suiffes & de celui de Salis Grifon
, qui font à ſon ſervice , formaffent dorénavant
deux Bataillons compofés de fix Compagnies
chacun , au lieu d'être diftribuées , commé
elles font préfentement , en trois Bataillons de
quatre Compagnies. Veut Sa Majefté , que les fix
Compagnies , qui doivent compofer chacun des
deux Bataillons par Régiment , y foient placées
fuivant le rang d'ancienneté des Capitaines , &
dans l'ordre qu'éxige la nouvelle formation prefcrite
par la préfente Ordonnance . Chacune de
ces Compagnies continuera d'être compofée de
cent vingt hommes , y compris cinq Officiers ;
chaque Capitaine devant y entretenir deux Sergens
à vingt-cinq livres chacun , un troifieme
Sergent & un Fourrier à vingt livres chacun , un
Porte-Enfeigne & un Capitaine d'Armes à dixhuit
livres chacun , un Prevôt à quinze livres
quatre Caporaux , quatre Anfpeffades & cent Fufiliers
, les Tambours & les Fifres compris. Eatend
au furplus Sa Majefté que les Officiers
qui commandoient les troifiemes Bataillons defdits
Régimens Suiffes & Grifons , confervent, tant
106 MERCURE DE FRANCE.
qu'ils ne fe trouveront pas pourvus d'un grade
fupérieur , les prérogatives qui étoient attachées
à leur emploi.
Le 27 Mai , les Députés des Etats d'Artois ont
eu audience du Roi . Ils ont été préſentés à Sa
Majefté par M. le Duc de Chaulnes , Gouverneur
de la Province , & par M. le Comte d'Argenfon ,
Miniftre & Secretaire d'Etat , ayant le Département
de cette Province , & conduits par M. Def
granges , Maître des Cérémonies. La Députation
étoit compofée , pour le Clergé , de Dom de
Briois d'Hulluch , Abbé de Saint Vaaft d'Arras ;
du Comte de Beaufort , pour la Nobleffe ; & de M.
Harduin , Avocat en Parlement , & ancien Echevin
des Ville & Cité d'Arras , pour le Tiers-Etat.
Dans le travail du Roi avec M. le Comte d'Eu,
concernant le Régiment des Gardes Suiffes , Sa
Majefté a augmenté de cinq cens livres la penfion
de quinze cens que M. de Réding , Maréchal de
Camp, Premier Capitaine de ce Régiment, a fur le
Tréfor Royal . Elle a accordé une penfion de 1000 1.
auffi fur le Tréfor Royal , au Baron de Befenwald,
Brigadier , Capitaine d'une Compagnie dans le
même Régiment ; une pareille penfion , fur l'Ordre
de Saint Louis , à M. de Peftallozzi , Brigadier
, Capitaine-Commandant de la Compagnie
Lieutenante-Colonelle ; une de huit cens livres ,
fur le Tréfor Royal , à M. Altermatt , troifieme
Aide - Major ; une Commiffion de Colonel
à M. Schwitzer , Premier Lieutenant de la Compagnie
de Phiffer ; la Croix de S. Louis au Chevalier
de Maillaudor , Premier Lieutenant de la
Compagnie Générale , & à M. Schwitzer de Buonas
, fecond Lieutenant de la même Compagnie..
Depuis la defcente des troupes du Roi dans
1le Minorque, M. le Maréchal de Richelieu a
JUILLET. 1756. 207
été principalement occupé du foin de furmonter
les difficultés qui fe font rencontrées dans le
tranfport de l'artillerie à Mahon , & des munitions
de guerre & de bouche. Il eft enfin parvenu
à faire conftruire fur le Mont des Signaux une
batterie de cinq pieces de canon & d'autant de
mortiers , qui a commencé à tirer le 8 de Mai au
matin. Il afait occuper le 9 au foir le Fauxbourg,
dit la Ravale , par un Détachement de cent Volontaires,
par quatre Compagnies de Grenadiers &
parfixPiquets,aux ordres de M. le Comte de Briqueville
, Colonel , avec cinq cens Travailleurs , pour y
former des épaulemens & établir des batteries . Le
10,M. le Marquis de Roquepine Brigadier , ayant
fous lui MM . de Gaunay & d'Elva , Colonels , de
Magnac & de Virmont , Lieutenans Colonels , eft
parti dès le matin avec douze cens hommes , pour
fe porter du côté du Fort Marlboroug derriere la
Tour de Benifaïd. M. le Comte de Briqueville a
été relevé le foir par M. de la Serre , Brigadier
avec trois Compagnies de Grenadiers & neuf Piquets.
Auffitôt après , les deux Bataillons du Régiment
Royal , & le premier du Régiment Royal
Comtois , fe font portés à la droite du Fauxbourg,
le long d'une chaîne de maifons qui en forment
Fenceinte , pour protéger le travail , que M. le
Maréchal de Richelieu eft allé vifiter. M. d'Elva,
Colonel à la fuite du Régiment Royal Italien , a
été bleffé légérement à l'épaule. Les journées du
11 & du 12 Mai , ont été employées à conſtruire
des batteries à la gauche , à la droite & au centre
du Fauxbourg, dit la Ravale, fans que la Garnifon
Angloife ait inquiété les travailleurs autrement'
que par les bombes & le canon. Le 12 au foir
le Détachement du Fauxbourg fut compofé de
fept Compagnies de Grenadiers , huit Piquets &
208 MERCURE DE FRANCE.
trois Compagnies de Volontaires , & les batte
ries de bombes commencerent à tirer pendant la
nuit. Le 17 , la batterie de canons de la droite fe
trouva en état de tirer , & fut très- bien fervie. Le
18 , M. du Pinay , qui commandoit celle de la
gauche , fut tué, & le Prince Louis de Wirtemberg
, Maréchal de Camp , fut légérement bleſſé.
Le 19 , P'Efcadre Angloife ayant paru en mer ,
M. le Maréchal de Richelieu envoya treize Piquets
à M. le Marquis de la Galiffonniere , & fit
les difpofitions néceffaires pour empêcher toute
communication avec les Affiégés. Le 20 , les deux
Bataillons du Régiment Royal , aux ordres de
M. le Comte de Maillebois , Lieutenant- Général ,
fe rendirent le foir au dépôt de la tranchée , d'ou
ils envoyerent relever les poftes du Fauxbourg par
leurs Grenadiers & fix Piquets , avec cinq autres
Compagnies de Grenadiers & fix Piquets de différens
Corps. Une bombe ayant mis le feu à une de
nos batteries à deux heures après-midi , les affiégés
redoublerent leur feu , & firent une fortie de
la Lunette de la Reine , dans laquelle nos Grenadiers
les firent rentrer auffitôt. Pendant la journée
du 21 au 22 , on répara les anciennes batteries
, & l'on continua la conftruction des nouvelles.
Le 22 , l'Efcadre Françoife ayant réparu devant
le Port , l'Armée fit le foir une réjouiſſance
pour l'avantage que cette Efcadre avoit remporté
fur celle des Anglois. Le 23 , M. le Comte de
Lannion releva M. le Marquis du Mefnil à la
tranchée, avec les deux Bataillons de Royal la Marine
, indépendamment d'un pofte de Brigadier
établi dans le Fauxbourg. Cette journée & celle
du 24 ont été employées , comme les précédentes,.
aux réparations & nouvelles conftructions de bat
tories.
>
•
JUILLET. 1756. 209
Les Frégates du Roi l'Aquilon , de quarante
canons , & la Fidele , de vingt- quatre , comman
dées par MM. de Maurville , Capitaine , & de Lizardais
, Lieutenant de Vaiffeau , qui avoient ef
corté au large quelques Navires , revenoient à
Rochefort , lorfque le 17 elles ont eu connoiffance
vers l'Ile d'Oléron , d'un Vaiffeau de guerre
Anglois , de cinquante- fix canons , & d'une Frégate
, de trente , qui leur ont donné chaffe. Le
combat s'eft engagé à fix heures du foir entre le
Vaiffeau de guerre Anglois avec fa Frégate , & les
deux Frégates du Roi , de maniere que la Frégate
laFidele, a auffieffuyé d'abord quelques bordées du
Vaiffeau de guerre Anglois ; mais il eft enfuite
devenu particulier du Vaiffeau de guerre Anglois
avec la Frégate l'Aquilon , & de la Frégate Angloife
avec la Frégate la Fidele , qui ont été bientôt
hors de la vue des premiers. Le combat de la
Frégate de l'Aquilon contre le Vaiffeau de guerre
Anglois a duré près de huit heures ; & celui de la
Frégate la Fidele contre la Frégate Angloife
près de fix. Nonobftant la grande fupériorité de
l'artillerie du Vaiffeau Anglois & de la Frégate ,
tant en nombre de canons qu'en poids des boulets
, les deux Frégates du Roi les ont mis hors
de combat ; & les Anglois fe font retirés : mais il
n'a pas été poffible aux Frégates du Roi , qui
étoient défemparées de toutes leur manoeuvres, de
les pourfuivre. Elles font rentrées à Rochefort le
19 & le 20. On ne fçauroit donner trop d'éloges
à la bravoure que les Officiers , les Gardes de la
Marine & les Equipages , ont fait paroître dans
cette occafion. M. de Maurville a eu le bras droit
fracaffé dès le commencement du combat , &
Fon a été obligé de le lui couper fur le champ .
Malgré cet accident , qui l'a obligé de céder le
210 MERCURE DE FRANCE.
commandement à M. de la Filliere , Capitaine en
fecond , il n'a pas ceffé de donner des marques
de la plus grande fermeté. M. de la Filliere a reçu
trois bleffures. M. Héron , Premier Lieutenant ,
a été tué fur le gaillard d'avant ; & le Chevalier
de Cardaillac , qui commandoit le Détachement
des Gardes de la Marine , a eu un bras caffé. Il
n'y a eu aucun Officier de tué ni de bleffé ſur la
Frégate la Fidele. Dans les Equipages, la Frégate
l'Aquilon a eu quinze hommes tués & vingt-fix
bleflés ; & la Frégate la Fidele , huit tués & dixhuit
bleffés.
La Cour vient de rendre public un Ecrit qui a
pour titre , MEMOIRE concernant le précis des faits
avec leurs piecesjuftificatives , pour fervir de réponfe
aux OBSERVATIONS envoyées par les Miniftres
d'Angleterre dans les Cours de l'Europe . L'objet
des Obfervations fur le premier Mémoire de la
France étoit de juftifier le refus fait par l'Angleterre
de fatisfaire à la réquifition du Roi , du 21
Décembre dernier , & de reftituer les Vaiffeaux
pris en pleine paix . Le feul moyen de colorer ce
refus étoit d'imputer aux François des hoftilités
antérieures à celles des Anglois , & cette fauffe
´imputation eft réfutée dans l'Ecrit que nous annonçons.
On n'oppofe aux fuppofitions des Anglois
que l'expofé le plus fimple de tout ce qui
s'eft paffé entre les deux Nations , foit en Amérique
, foit en Europe , depuis le dernier Traité
d'Aix-la- Chapelle ; & l'on n'avance aucun fait
qui ne foit ou avoué des deux Cours , ou prouvé
par des pieces authentiques & irréprochables.
Parmi ces pieces font celles qui ont été trouvées
dans les papiers du Général Braddock , après le
combat dans lequel il a perdu la vie.
Il paroît une Déclaration du Roi , portant fuf-
1
JUILLET. 1756. 211
penfion du Dixieme de l'Amiral , & autres encouragemens
pour la Courſe.
M. le Marquis de Juigné ayant préféré de commander
une Brigade dans le Régiment des Grenadiers
de France , le Roi a difpofé du Régiment
de Forez , en faveur de M. le Comte de Puyfegur,
Colonel dans celui des Grenadiers de France.
Le Roi a conclu avec l'Impératrice Reine de
Hongrie & de Bohême , un Acte ou Convention
de Neutralité , & un Traité défenfif d'Alliance &
d'Amitié. Cette Convention & ce Traité furent
fignés à Verſailles le premier du mois de Mai , &
les Ratifications y ont été échangées le 28 du
même mois.
Le 17 Mai aufoir , M. le Marquis de la Galif
fonniere , commandant l'Efcadre du Roi dans fa
Méditerranée , fut informé par la Frégate la Gracieufe
, qui étoit en croifiere fur Mayorque , qu'el
le avoit découvert une Eſcadre Angloiſe , qui pouvoit
être alors à huit ou dix lieues dans le Sud. Le
18 , l'Eſcadre du Roi manoeuvra pour aller à la
rencontre de celle des Anglois , mais le calme en
empêcha. Le 19 au matin , on découvrit l'Eſcadre
Angloife du haut des mâts. Elle étoit au vent ,
& il ne fut pas poffible à l'Efcadre du Roi , de
l'approcher jufqu'à la portée du canon. Le 20
M. le Marquis de la Galiffonniere étoit parvenu
gagner le vent : mais dans le tems qu'il ſe trouvoit
dans cette pofition , le vent changea tout
d'un coup ; ce qui rendit cet avantage à l'Eſcadre
Angloife. A deux heures & demie après-midi , les
deux Efcadres fe trouverent en lignes , celle dés
Anglois compofée de dix-huit voiles , dont treize
Vaiffeaux de ligné , & celle du Roi , de douze
Vaiffeaux & quatre Frégates. Le combat fut engagé
par l'avant-garde de l'Efcadre du Roi , qui
212 MERCURE DE FRANCE.
attaqua l'arriere- garde de celles des Anglois. II
devint fucceffivement général : mais il ne le fut
pas pendant tout le tems de fa durée. Les Vaiffeaux
Anglois , qui étoient les plus maltraités
des bordées des Vaiffeaux du Roi , profitant de
l'avantage du vent , pour fe mettre hors de la
portée du canon. L'Efcadre Angloife , après avoir
porté fes plus grands efforts fur l'arriere- garde de
celle du Roi , qu'elle a trouvée fi ferrée , & dont
elle a effuyé un fi grand feu , qu'elle n'a pu l'entamer
, a pris le parti de s'éloigner. Elle avoit
toujours confervé l'avantage du vent , ce qui l'a
mife en état de ne point s'engager. Le combat a
duré près de quatre heures. En général , il n'y a
eu aucun Vaiffeau de l'Efcadre Angloife , qui ait
foutenu longtemps le feu des Vaiffeaux de l'Efca
dre du Roi , lefquels ont peu fouffert. Ils étoient
entiérement réparés dans la nuit , & en état de
combattre le lendemain. Nous n'avons eu que
trente-huit hommes tués , & cent quatre- vingtquatre
bleffés. Aucun Officier n'a été tué. Ceux
qui ont été bleffés , font MM . de Peruffy & de
Puty , Enfeignes , & M. de Gibanelle , Garde de
la Marine , fur le Vaiffeau le Foudroyant ; M. de
Seignoret , Garde de la Marine , fur le Téméraire;
M. de Gravier , Lieutenant fur le Guerrier ; le
Chevalier d'Urre , Lieutenant fur le Sage ; le
Chevalier de Beaucoufe , Lieutenant ; M. d'Alberas
, Enfeigne , & M. Dubeny , Garde de la Marine
, fur le Content..
Depuis l'arrivée de ces nouvelles qui font du
21 , il eft venu des lettres de l'Efcadre , datées du
25. L'Efcadre Angloife n'avoit point reparu , &
celle du Roi continuoit de croifer devant l'entrée
du Port- Mahon . Le Chevalier de Beaucouſe ,
Lieutenant de Vaiffeau , qui avoit eu une cuiffe.
JUILLET. 1756. 213
caffée dans le combat du 20 , & qui avoit été
tranſporté à terre à Mahon , y étoit mort le 24 .
M. de Gibanelle & de Seignoret , Gardes de la
Marine , étoient fort mal à bord des Vaiffeaux fur
lefquels ils ont été bleffés , le premier ayant eu
les reins brifés , & le fecond les deux jambes caffées
. Mais le Chevalier d'Urre , Lieutenant de
Vaifleau , qui a eu un bras caffé , donnoit beaucoup
d'efpérance de guérifon. Les autres bleffés
le font peu dangereufement.
Le 6 Juin , jour de la Pentecôte , les Chevaliers
, Commandeurs & Officiers de l'Ordre du
Saint- Elprit , s'étant affemblés vers les onze heu--
res du matin dans le Cabinet du Roi , Sa Majesté
tint un Chapitre. L'Information des vie & moeurs,
& la Profeffion de Foi , du Marquis de Saint Vital
& du Prince Jablonowski , qui avoient été propofés
le premier Janvier pour être Chevaliers ,
furent admifes , & ils furent introduits dans le
Cabinet , & reçus Chevaliers de l'Ordre de Saint
Michel. Le Roi fortit enfuite de fon apparte
ment , pour aller à la Chapelle. Sa Majesté , devant
laquelle les deux Huiffiers de la Chambre
portoient leurs Maffes , étoit en Manteau , le
Collier de l'Ordre par-deffus , ainfi que celui de
l'Ordre de la Toifon d'Or. Elle étoit précédée
de Monfeigneur le Dauphin , du Duc d'Or
léans , du Prince de Condé , du Comte de Charolois
, du Comte de Clermont , du Prince de Conty
, du Comte de la Marche , du Comte d'Eu ;
du Duc de Penthievre , & des Chevaliers , Commandeurs
& Officiers de l'Ordre. Les deux nouveaux
Chevaliers , en habit de Novices , marchoient
entre les Chevaliers & les Officiers. Après
la grande Meffe , qui fut célébrée par le Prince
Conftantin , Commandeur de l'Ordre , & Prejer
Aumônier du Roi , Sa Majefté monta fux,.
214 MERCURE DE FRANCE .
fon Trône , & revêtit des Marques de l'Ordre les
deux nouveaux Chevaliers. Le Marquis de Saint
Vital eut pour Parrain le Maréchal de Clermont-
Tonnerre. Le Marquis de Matignon fut celui du
Prince Jablonowski. Cette cérémonie étant finie,
le Roi fut reconduit à ſon appartement en la maniere
accoutumée.
M. Dufort , Introducteur des Ambaffadeurs ,
alla le 7 prendre dans les carroffes du Roi & de la
Reine , le Cardinal de Tavannes en fon Hôtel à
Verfailles , & il le conduifit chez le Roi avec
l'Abbé Durini , Camérier Secret du Pape , nommé
par Sa Sainteté pour apporter les Bonnets aux
Cardinaux de Tavannes , de Luynes & de Gefvres.
Avant la Meffe du Roi , l'Abbé Durini fut conduit
, avec les cérémonies accoutumées , à l'au
dience le Roi lui donna dans fon Cabinet
que
& il préfenta à Sa Majesté un Bref de Sa Sainteté.
Après cette audience ,le Roi defcendit à la Chapelle
, où le Cardinal de Tavannes ſe rendit à la fin de
la Meffe , étant conduit par le fieur Dufort , Introducteur
des Ambaffadeurs, Monfieur Defgranà
la
reçut ges , Maître des Cérémonies , porte
La Chapelle le Cardinal de Tavannes , lequel alla
fe placer près du Prié-Dieu du Roi , du côté de
PEvangile , & fe mit à genoux fur un carreau.
L'Abbé Dutini , revêtu de fon habit de cérémonie
, ayant remis entre les mains du Cardinal de
Tavannes le Bref du Pape , alla prendre fur la
Crédence Près de l'Autel , du côté de l'Epître
un Baffin de vermeil doré , fur lequel étoit le
Bonnet , & il le préfenta au Roi. Sa Majesté prit
le Bonnet , & le mit fur la tête du Cardinal de
Tavannes , qui en le recevant , fit une profonde
inclination , & à l'inſtant même fe découvrit.
Dès que le Roi fut en marche pour fortir de la
Chapelle , le Cardinal de Tavannes entra dans la
de
JUILLET. 1756 . 215
Sacriftie , où il prit les habits de fa nouvelle dignité.
Il montà enfuite chez le Roi , étant accompagné
du Maître des Cérémonies. M. Dufort ,
Introducteur des Ambaffadeurs , qui étoit toujours
refté auprès du Cardinal de Tavannes , l'introduifit
dans le Cabinet du Roi , où ce Cardinal fit
fon remerciement à Sa Majesté . Le Cardinal de
Tavannes fut conduit avec les mêmes cérémonies.
à l'audience de la Reine , à laquelle il préfenta
P'Abbé Durini , qui remit à Sa Majesté un Bref
du Pape. Pendant l'audience , on apporta un
tabouret , & le Cardinal de Tavannes s'affit . Il
fut conduit enfuite à l'audience de Monfeigneur
le Dauphin , de Madame la Dauphine , de Madame
, & à celles de Mefdames Victoire , Sophie
& Louife. Après toutes ces audiences , le Cardinal
de Tavannes fut reconduit par M. Dufort , Introducteur
des Ambaffadeurs , dans les carroffes
du Roi & de la Reine à fon Hôtel , avec les cérémonies
obfervées lorſqu'on étoit allé le prendre
pour l'amener chez le Roi.
Le 8 , le Cardinal de Luynes , & le 10 le Cardinal
de Gefvres reçurent des mains du Roi dans
la Chapelle, le Bonnet de Cardinal avec les mêmes
cérémonies.
L'Eglife de l'Abbaye Royale de Pantemont
été bénîte le 30 de Mai , par Dom Couthaud, Religieux
de l'Abbaye de Cîteau , Docteur de Sorbonne
, & Provifeur du College. La cérémonie
en fut édifiante , & fuivie d'une grand'Meffe
chantée par les Religieux , au milieu de laquelle
M. l'Abbé de la Paufe fit un Diſcours , dontl'ob
jet étoit relatif à la pureté du Temple intérieur
fignifié par la Bénédiction du Temple extérieur
qui venoit d'être faite. L'après -dinée , après Vêpres
chantées , il y eut un Salut , dont la mufique
216 MERCURE DE FRANCE.
fut dirigée par M. Balbaftre, & très - bien exécutée.
La Bénédiction fut donnée par le R. P. Général
des Bénédictins , & Madame la Ducheffe de Modene
y aflifta avec la cour & plufieurs perfonnes
de diftinction.
Le 3 Juin , Monfeigneur le Dauphin & Madame
, fe rendirent dans cette Abbaye pour nommer
deux Cloches de la nouvelle Eglife . A la porte
extérieure , ils furent reçus avec les cérémonies
accoutumées , & complimentés avec applaudiffement
par Dom Couthaud : delà arrivés à la
porte de la grille du Choeur , Madame l'Abbeffe
de Pantemont , avec fa croffe , à la tête de fa
Communauté , & accompagnée de plufieurs autres
Abbeffes , les conduifit à leur prie- Dieu en
chantant le Laudate . Dom Couthaud fit la cérémonie
, qui fut fuivie du Salut pendant l'une &
l'autre , la mufique exécuta plufieurs morceaux
& Motets choifis. Enfuite Monfeigneur le Dau
phin & Madame fuivis de leur cour , furent conduits
au Réfectoire , où trois jeunes Demoiſelles
habillées en Vierges , préfenterent trois corbeilles
remplies tant de fleurs que d'ouvrages , bourfes , -
facs & noeuds d'épée : chacune déclama différentes
pieces de vers avec autant de nobleffe que de modeftie
; Madame l'Abbeffe préſenta dans le même
Réfectoire la collation à Monfeigneur le Dauphin
& à Madame. Il y avoit , entr'autres fingularités ,
les meilleurs fruits de primeur , & les plus rares
pour la faifon ; des melons , des pêches , des cerneaux
, du raifin . Enfuite Monſeigneur le Dauphin
& Madame voulurent parcourir les Bâtimens , &
partout le Prince & la Princeffe marquerent leur
fatisfaction.
On doit obferver ici que le Monaftere & l'Eglife
de l'Abbaye de Pantemont ont été faits &
conduits
JUILLET . 1756 . 217
conduits fur les deffeins de M. Contant , Architecte
du Roi , de Monfeigneur le Duc d'Orléans
& de l'Académie d'Architecture . Il étoit réservé
au talent & à la réputation de cet Artifte de
donner un exemple public que l'on pouvoit
voûter les Dômes & les Eglifes , fuivant la conftruction
des voûtes qu'il a fait exécuter avec ſuccès
dans le Château de Biffy , appartenant à M. le
Maréchal Duc de Belleifle ; l'Eglife & le Dôme
de Pantemont font les premiers exemples exécutés
en France de cette conftruction , qui prouvent
que l'ufage de ces voûtes feroient d'une grande
utilité pour être employé à la conſtruction de
nos Eglifes modernes , & que l'on pourroit par
cette pratique leur donner avec le bon goût de
l'architecture , l'élégance & la légéreté des Eglifes
gothiques , dont la conftruction hardie & folide
caufe autant de regrets que d'admiration .
Compliment de Dom Couthaud à Monseigneur le
Dauphin.
Monfeigneur , ce Temple doit tout ce qu'il eff
à votre protection & à vos bienfaits ; auffi fera- ce
un monument précieux & durable de votre piété :
votre nom y eft gravé fur le marbre & fur l'airain
, en mémoire des deux Cérémonies que vous
avez daigné y honorer de votre préfence. Vos
bontés le font bien plus profondément dans le
coeur de celles qui en font les pierres vivantes :
que de voeux n'y ont- elles déja pas offert , & n'y
offriront- elles pas chaque jour pour le bonheur
d'un Prince , leur protecteur & leur bienfaicteur
l'amour & les délices de toute la France !
L. Vol
•
218 MERCURE DE FRANCE.
Autre Compliment de Dom Couthaud à Madame.
Madame , une grande partie de la pompe de
cette Cérémonie , lui vient de l'éclat de votre
préfence & de celui du nom que vous venez y
donner. Les Vierges de ce Sanctuaire reçoivent en
cette occafion une marque bien glorieuſe de votre
bienveillance pour elles : daignez recevoir ici les
premices de leur reconnoiffance , de leur empreffement
& du profond refpect dont elles vont
yous affurer elles-mêmes.
VERS
Faits par M. l'Abbé de Lataignant , pour
MADAME prononcés par Mademoiselle
de Bethify , de Meziere .
: 20
MADAME ,
Dieux ! quelle eft ma furpriſe extrême :
Que de grace ! que de beauté !
Et quel air de divinité !
Eft - ce donc à Flore elle-même
Que je viens offrir un bouquet ?
Tout dans un fi charmant objet
Etonne mon ame timide :
Mais fon regard plein de douceur ,
Anime & raffure mon coeur.
Cédons au tranfport qui me guide ,
Suivons une innocente ardeur ;
C'est l'adorable Adélaide.
JUILLET . 1756. 219
VERS
Faits par M. l'Abbé de Lataignant , pour
Monfeigneur le Dauphin ; prononcés par
Mademoiselle d'Aiguillon.
MONSEIGNEUR ,
L'Illuftre Mere des Ayeux ,
Dont vous fuivez fi bien l'exemple ,
Clotilde , qui du haut des Cieux ,
Et vous admire & vous contemple ,
A qui votre zele pieux
A fait dédier ce faint Temple ,
Me députe exprès en ces lieux
Pour vous exprimer par ma bouche
Combien cet hommage la touche ;
Et que pour répondre à vos voeux ,
Elle adopte avec complaisance
Get azyle de l'innocence
Bâti par vos foins généreux.
Cette augufte Reine de France
Efpere qu'avec bienveillance
Toujours vous nous protégerez ,
Et que vous nous honorerez
Quelquefois de votre préfence.
?
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
VERS
Faits par M. l'Abbé de Lataignant pour
Monseigneur le Dauphin , qui devoient
être prononcés par Mlle de Guerchy..
MONSEIGNEUR ,
DE fimples Vierges confacrées
A louer Dieu feul en tout temps ;
De ce faint devoir pénétrées
Ignorent l'art des complimens ;
Dans ce féjour de l'innocence ,
On ne connoit d'autre éloquence
Que ces tranfports refpectueux
De zele & de reconnoiffance
Que vous pouvez lire en nos yeux ,
Et qu'infpire votre préfence
Aux ames pures de ces lieux,
Le Fils du plus grand Roi du monde ;
Notre bienfaiteur , notre appui ,
Vient nous vifiter aujourd'hui :
Que les Clairons & les Trompettes
Annoncent partout fes hauts fairs.
Nos voix dans ces faintes retraites
Ne publiront que les bienfaits.
JUILLET. 1756. 221
VERS
Pour Monfeigneur le Dauphin , prononcés
par Mademoiselle de Guerchy.
MONSEIGNEUR,
Dans l'âge d'or , une fimple guirlande
Ornoit le Temple & paroit les Autels ;
Du lait , des fruits , étoient la feule offrande
Qu'une main pure offroit aux immortels.
Comme eux ici , vous , qui tenez leur place ,
Vous recevez l'hommage de nos coeurs ;
Et l'âge d'or à vos yeux ſe retrace
Par nos habits , fymbole de nos moeurs.
La vérité fans art & fans parure
Emprunte ici la voix du fentiment.
Daignez l'entendre , & recevez l'augure
Que nous infpire un tendre mouvement.
Dieu , que nos coeurs adorent en ce Temple ;
Rendra vos jours égaux à vos vertus ,
Et l'univers prendra de nous l'exemple
De les compter comme ceux de Titus.
Monfeigneur le Dauphin, au fortir de l'Abbaye
de Pantemont , fe rendit avec Madame au Palais
de Luxembourg, Madame la Dauphine , & Mef
dames Victoire , Sophie & Louife , y étoient arri
vées de Verfailles quelques momens auparavant
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
Monfeigneur le Dauphin , Madame la Dauphine
& Mefdames de France , firent un tour dans les
jardins , monterent enfuite à la galerie , & allerent
delà fe promener fur le Boulevard . Le foir ,
ce Prince & ces Princeffes retournerent à Verfailles.
Par les Lettres qu'on vient de recevoir de M. le
Chevalier d'Aubigny, Capitaine de Vaiffeau , on a
eu la confirmation de la nouvelle de la prife duVaiffeau
de guerre Anglois le Warwick ; mais les circonftances
n'en font pas telles qu'elles avoient
été annoncées par quelques Relations particulieres.
C'eft le 11 de Mars que M. le Chevalier d'Aubigny
rencontra ce Vaiffeau à l'attérage de la Martinique.
Dès qu'il en eut connoiffance , il lui
donna chaffe avec le Vaiffeau le Prudent qu'il
monte , & les Frégates l'Atalante & le Zéphyr ,
commandées par MM. du Chaffault , Capitaine de
Vaiffeau , & la Touche de Tréville , Lieutenant
de Vaiffeau , qui étoient fous fes ordres . 11 tint
un peu le vent. M. la Touche de Tréville coupa
fous le vent , & M. du Chaffault qui manoeuvra
pour ferrer le Warwick , le trouva après une
heure & demie de chaffe à portée d'engager le
combat par une fort belle manoeuvre. N'étant
qu'à une portée de piftolet de ce Vaiffeau , it
arriva tout à coup , lui donna fa bordée dans la
pouppe , & fe mit fous le vent à lui , afin de pouvoir
fe fervir plus facilement de tous les canons ,
dont il fit un feu très- vif. M. le Chevalier d'Aubigny,
qui avoit eu le temps de s'approcher , avoit
déja tiré fes canons de l'avant , lorfque le Warwick
lui envoya toute fa bordée & baiffa fon pavillon
. Ce Vaiffeau , commandé par le Capitaine
Shuldam , eft percé pour foixante - quatre pieces
de canon ; mais il n'en avoit que foixante de
JUILLET.. 1756 . 223
montés. Pendant qu'on lui donnoit chaffe , on
apperçut un autre Vaiffeau à trois lieues au vent ;
mais il difparut bientôt , & il ne fut pas poffibie
au Chevalier d'Aubigny d'aller à fa pourfuite.
M. Savalete de Magnanville s'étant démis de
P'Intendance de Touraine , pour prendre la Charge
de Garde du Tréfor Royal , vacante par la
mort de M. Savalete , fon pere , le Roi a donné
cette Intendance à M. Lefcalopier , Intendant de
la Généralité de Montauban.
Sa Majesté a accordé à M. le Marquis de Belloy,
l'agrément de la Lieutenance de Roi de la Province
d'Orléannois , dont M. le Marquis d'Arbouville
a donné fa démiffion .
Le 11 Juin , le Roi accompagné de Monfeigneur
le Dauphin , de M. le Comte de Clermont ,
Prince du Sang ; des Miniftres & des principaux
Seigneurs de fa Cour , fe rendit à l'Hôtel des
Chevaux- Légers de fa garde ordinaire , pour y
voir une partie des exercices qu'on montre à la
jeune Nobleffe élevée dans ce Corps.
Sa Majesté entra d'abord dans un manege couvert
, & le plaça dans un balcon , d'où elle vit
plufieurs éleves , qui manierent leurs chevaux avec
beaucoup de grace & d'adreffe.
Le Roi monta enfuite à la falle des exercices.
Sa Majesté y trouva un Bataillon fous les armes ,
compofé des plus jeunes Eleves . Ce Bataillon fir
le maniement des armes avec une préciſion furprenante
, à la feule meſure de la nouvelle marche
Françoiſe , & au fon d'une mufique guerriere ; il
fit auffi tous les pas prefcrits par l'Ordonnance ,
& les différentes évolutions d'Infanterie que le
terrein pouvoit permettre.
Après que ce Bataillon cût fini tous les mouve
mens , une feconde troupe compofée des plus
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
grands Eleves , coëffés avantageufement d'un
bonnet d'une forme & d'une conftruction nouvelle
, guêtrés & armés en guerre , déboucha dansle
fond de la falle , & fe forma derriere la premiere
troupe , qui s'ouvrit en bordant la haye de
'droite & de gauche pour démafquer cette feconde.
La divifion , qui étoit à la gauche du Roi
défila devant Sa Majefté , fit le falut du fufil , &
difparut avec la divifion de la droite , pour laiffer
le terrein libre au grand Bataillon : celui - ci fit
l'exercice à la muette & au coup de tambour ,
& toutes les autres manoeuvres du petit Bataillon
avec le même fuccès. La divifion de la gauche
défila devant le Roi , & falua fierement & de fort
bonne grace de l'efponton. Les trompettes , hautbois
, violons , cors-de-chaffe , les timballes &
les tambours , remplirent par des fanfares l'intervalle
du temps , qui étoit néceffaire aux Eleves
pour ſe préparer aux exercices de l'efcrime & du
veltiger.
Soixante Eleves en camifoles blanches & en
fandales , le fleuret à la main , fe formerent en
bataillon au fond de la falle ; ils avancerent au
pas redoublé , firent halte , ouvrirent leurs rangs
à droite & à gauche , fe mirent fur deux files , &
commencerent l'exercice de l'efcrime ; ils donnerent
par des attitudes fort nobles & par une jufte
exécution l'idée de tous les principes de cet art
& finirent cet exercice par plufieurs affauts , qui
intérefferent tous les fpectateurs.
?
Ils firent enfuite tous les tours du voltiger avec
beaucoup de légèreté & d'adreffe fur un cheval
rembourré. Dix-huit Eleves fauterent en felle fur.
un autre cheval conftruit d'après nature , à refforts,
& de la hauteur de quatre pieds neuf pouces , les
uns par la croupe , & les autres de côté, tenant la
JUILLET . 1756 . 225
Eriniere. Huit d'entr'eux firent ces fauts en bottes
fortes , en bottes molles , armés en guerre avec le
plaftron , le fabre à la main & le fufil en bandou-
Liere. Le cheval fut enfin élevé jufqu'à fept pieds :
quelques Eleves y fauterent deffus en felle au
grand étonnement des fpectateurs.
Le Roi defcendit de la falle des exercices dans
celle des plans , où Sa Majefté en vit plufieurs en
relief de différentes Places de guerre , un pare
complet d'artillerie avec toutes les machines &
uftenciles de guerre , même un pont jetté fur une
petite piece d'eau , imitant une riviere & des batteries
conftruites , le tout réduit dans de juftes
proportions felon les Ordonnances . Dans la même
falle , Sa Majefté examina des Deffeins & des
Plans en relief faits par les Eleves de l'Ecole . Delà
, le Roi fe rendit dans une galerie , d'où Sa
Majefté vit dans un grand manege découvert la
courfe des têtes à la lance , au dard , au piſtolet ,
à l'épée , en fabrant , en pointant & en plongeant.
Les Eleves y donnerent une image de la guerre
par plufieurs manoeuvres très - bien exécutées d'attaque
& de défenſe : il y eut des combats entre
deux Corps de Cavalerie , & entre des Corps de
Cavalerie & d'Infanterie . On entendit un bruit
continuel d'artillerie , de moufqueterie & d'inftrumens
de guerre ; & ce qui parut étonnant , c'eft
que les chevaux n'en furent point effrayés , &
qu'ils n'en furent pas moins dociles à la main &
aux aides des Cavaliers qui les montoient.
Les différens exercices dont on vient de parler ,
formoient un fpectacle digne du grand Roi qui
daignoit les honorer de fa prétence. Auffi a Majefté
en parut très - fatisfaite , ainfi que Monfeigneur
le Dauphin . Tous les fpectateurs furent
encore plus touchés de l'attention favorable que
KY
224 MERCURE DE FRANCE.
7.
grands Eleves , coëffés avantageufement d'un
bonnet d'une forme & d'une conftruction nouvelle
, guêtrés & armés en guerre , déboucha dansle
fond de la falle , & fe forma derriere la premiere
troupe , qui s'ouvrit en bordant la haye de
droite & de gauche pour démafquer cette feconde.
La divifion , qui étoit à la gauche du Roi ,
défila devant Sa Majefté , fit le falut du fufil , &
difparut avec la divifion de la droite ,
pour laiffer
le terrein libre au grand Bataillon : celui - ci fit
l'exercice à la muette & au coup de tambour ,
& toutes les autres manoeuvres du petit Bataillon
avec le même fuccès. La divifion de la gauche
défila devant le Roi , & falua fierement & de fort
bonne grace de l'efponton . Les trompettes , hautbois
, violons , cors-de- chaffe , les timballes &
les tambours , remplirent par des fanfares l'intervalle
du temps , qui étoit néceffaire aux Eleves
pour fe préparer aux exercices de l'efcrime & du
voltiger.
Soixante Eleves en camifoles blanches & en
fandales , le fleuret à la main , fe formerent en
bataillon au fond de la falle ; ils avancerent au
pas redoublé , firent halte , ouvrirent leurs rangs
à droite & à gauche , fe mirent fur deux files , &
commencerent l'exercice de l'efcrime ; ils donnerent
par des attitudes fort nobles & par une jufte
exécution l'idée de tous les principes de cet art
& finirent cet exercice par plufieurs affauts , qui
intérefferent tous les fpectateurs.
Ils firent enfuite tous les tours du voltiger avec
beaucoup de légéreté & d'adreffe fur un cheval
rembourré. Dix - huit Eleves fauterent en felle fur .
un autre cheval conftruit d'après nature , à refforts ,
& de la hauteur de quatre pieds neuf pouces , les
Mns par la croupe , & les autres de côté , tenant la
JUILLET. 1756 . 225
eriniere. Huit d'entr'eux firent ces fauts en bottes
fortes , en bottes molles , armés en guerre avec le
plaftron , le fabre à la main & le fufil en bandouliere.
Le cheval fut enfin élevé jufqu'à fept pieds :
quelques Eleves y fauterent deffus en felle au
grand étonnement des spectateurs.
Le Roi defcendit de la falle des exercices dans
celle des plans , où Sa Majefté en vit plufieurs en
relief de différentes Places de guerre , un pare
complet d'artillerie avec toutes les machines &
uftenciles de guerre , même un pont jetté fur une
petite piece d'eau , imitant une riviere & des batteries
conftruites , le tout réduit dans de juftes
proportions felon les Ordonnances . Dans la même
falle , Sa Majefté examina des Deffeins & des
Plans en relief faits par les Eleves de l'Ecole . Delà
, le Roi fe rendit dans une galerie , d'où Sa
Majesté vit dans un grand manege découvert la
courfe des têtes à la lance , au dard , au piſtolet ,
à l'épée , en fabrant , en pointant & en plongeant .
Les Eleves y donnerent une image de la guerre
par plufieurs manoeuvres très - bien exécutées d'attaque
& de défenſe : il y eut des combats entre
deux Corps de Cavalerie & entre des Corps de
Cavalerie & d'Infanterie. On entendit un bruit
continuel d'artillerie , de moufqueterie & d'inftrumens
de guerre ; & ce qui parut étonnant , c'eſt
que les chevaux n'en furent point effrayés , &
qu'ils n'en furent pas moins dociles à la main &
aux aides des Cavaliers qui les montoient .
>
Les différens exercices dont on vient de parler ,
formoient un ſpectacle digne du grand Roi qui
daignoit les honorer de fa prétence . Auffi a Majefté
en parut très - fatisfaite , ainfi que Monfeigneur
le Dauphin. Tous les fpectateurs furent
encore plus touchés de l'attention favorable que
KY
226 MERCURE DE FRANCE.
Sa Majefté & Monfeigneur le Dauphin daignerent
y prêter , que du fuccès éclatant de l'exécution.
On ne fçauroit donner trop d'éloges à M. le Duc
de Chaulnes fur l'établiſſement qu'il a fait dans le
Corps qu'il commande , d'une Ecole fi néceffaire
à la Nobleffe , & à laquelle on ne peut rien défrer;
ni trop louer M. le Comte de Luberfac de
Livron , fous-Lieutenant de la Compagnie des
Chevaux - Légers , qui a dirigé jufqu'à préfent cette
Ecole , fous les ordres du Duc de Chaulnes avec
une application finguliere. M. de Vezannes , Aide-
Major en chef de la Compagnie , & Brigadier des
Armées du Roi , mérite bien auffi qu'on faffe de
lui une mention honorable , par le zele continuel
avec lequel il a contribué au fuccès de cette Ecole.
Le Chevalier Louis Mocenigo , Ambaffadeur
Ordinaire de la République de Venife auprès du
Roi , mourut à Paris le 12 Juin dans la quarantefixieme
année de fon âge.
Le 13 Juin , pendant la Meffe du Roi , les Cardinaux
de Tavannes , de Luynes & de Gefvres ,
prêterent un nouveau ferment de fidélité entre les
mains de Sa Majeſté , ainfi qu'il eft d'ufage en
France , lorfque les Prélats y font revêtus de la
pourpre.
Le 16 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à quinze cens quarante livres les Billets
de la premiere Loterie Royale , à neuf cens douze ;
& ceux de la troifieme Loterie , à fix cens quarante-
quatre. Ceux de la feconde Loterie n'avoient
point de prix fixe.
ORDONNANCE du Roi , portant déclaration
de guerre contre le Roi d'Angleterre , du 9 Juin
1756. De par le Roi. Toute l'Europe fçait que
le Roi d'Angleterre a été en 1754 l'agreſſeur de
JUILLET. 1756. 117
poffeffions du Roi dans l'Amérique feptentrionale
, & qu'au mois de Juin de l'année derniere, la
Marine Angloife, au mépris du droit des gens & de.
la foi des Traités , a commencé à exercer contre
les Vaiffeaux de Sa Majesté , & contre la naviga- ,
tion & le commerce de fes fujets , les hoftilités
les plus violentes.
Le Roi juftement offenfé de cette infidélité , &
de l'infulte faite à fon pavillon , n'a fufpendu pendant
huit mois les effets de fon reffentiment , &
ce qu'il devoit à la dignité de fa Couronne , que
par la crainte d'expofer l'Europe aux malheurs.
d'une nouvelle
guerre.
C'eſt dans une vue fi falutaire que la France n'a
d'abord opposé aux procédés injurieux de l'Angleterre
, que la conduite la plus modérée.
Tandis que la Marine Angloife enlevoit par les
violences les plus odieufes , & quelquefois par les
plus lâches artifices , les Vaiffeaux François qui
navigeoient avec confiance fous la fauve-garde de
la foi publique , Sa Majesté renvoyoit en Angle
terre une Frégate dont la Marine Françoife s'étoit
emparée , & les Bâtimens Anglois continuoient
tranquillement leur commerce dans les Ports
de France.
Tandis qu'on traitoit avec la plus grande dureté
dans les Iſles Britanniques les Soldats & les
Matelots François , & qu'on franchiffoit à leur
égard les bornes que la loi naturelle & P'humanité
ont prefcrites aux droits même les plus rigoureux
de la guerre , les Anglois voyageoient & habitoient
librement en France fous la protection des
égards que les peuples civilifés fe doivent réci
proquement.
Tandis que les Minifties Anglois , fous l'apparence
de la bonne foi , en impofoient à l'Ambaf
K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
Tadeur du Roi par de fauffes proteftations , on
exécutoit déja dans toutes les parties de l'Amérique
feptentrionale , des ordres directement contraires
aux affurances trompeufes qu'ils donnoient
d'une prochaine conciliation .
Tandis que la Cour de Londres épuifoit l'art
de l'intrigue & les fubfides de l'Angleterre pour
foulever les autres Puiffances contre la Cour de
France , le Roi ne leur demandoit pas même les
fecours que des garanties ou des Traités défenfifs ,.
l'autorifoient à exiger , & ne leur confeilloit que
des mesures convenables à leur repos & à leur
sûreté .
Telle a été la conduite des deux Nations. Le
contrafte frappant de leurs procédés doit convaincre
toute l'Europe des vues de jaloufie , d'ambition
& de cupidité qui animent l'une , & des principes
d'honneur , de juftice & de modération fur
lefquels l'autre fe conduit.
Le Roi avoit eſpéré que le Roi d'Angleterre ne
confultant enfin que les regles de l'équité & les
intérêts de fa propre gloire , défavoueroit les excès
fcandaleux aufquels fes Officiers de mer ne ceffoient
de fe porter.
Sa Majefté lui en avoit même fourni un moyen
auffi jufte que décent , en lui demandant la reftitution
prompte & entiere des Vaiffeaux François
pris par la Marine Angloife , & lui avoit offert
fous cette condition préliminaire d'entrer en négociation
fur les autres fatisfactions qu'Elle avoit
droit d'attendre , & de fe prêter à une conciliation
am- able fur les différends qui concernent l'Amérique.
Le Roi d'Angleterre ayant rejetté cette propofition
, le Roi ne vit dans ce refus que la Déclaration
de guerre la plus authentique , ainfi que
JUILLET. 1756. 229
Sa Majefté l'avoit annoncé dans fa réquifition .
La Cour Britannique pouvoit donc fe difpenfer
de remplir une formalité devenue inutile : un
motif plus effentiel auroit de l'engager à ne pas
foumettre au jugement de l'Europe les prétendus
griefs que le Roi d'Angleterre a allégués contre la
France dans la Déclaration de guerre qu'il a fait
publier à Londres .
Les imputations vagues que cet écrit renferme ,
n'ont en effet aucune réalité dans le fonds ; & la
maniere dont elles font exposées , en prouveroit
feule la foibleffe , fi leur fauffeté n'avoit déja été
folidement démontrée dans le Mémoire que le
Roi a fait remettre à toutes les Cours , & qui contient
le précis des faits avec les preuves juftificatives
qui ont rapport à la préſente guerre & aux
négociations qui l'ont précédée.
Il y a cependant un fait important dont il n'a
point été parlé dans ce Mémoire , parce qu'il n'étoit
pas poffible de prévoir que l'Angleterre por
teroit auffi loin qu'elle vient de le faire , fon peu
de délicateffe fur le choix des moyens de faire
illufion .
Il s'agit des ouvrages conftruits à Dunkerque ,
& des troupes que le Roi a fait affembler fur fes
côtes de l'Océan .
Qui ne croiroit , à entendre le Roi d'Angleterre
dans fa Déclaration de guerre , que ces deux
objets ont déterminé l'ordre qu'il a donné de fe
faifir en mer des Vaiffeaux appartenans au Roi &
à fes ' ujets ?
Cepen tant perfonne n'ignore qu'on n'a com
mencé de travailler à Dunkerque , qu'après la
prife de deux Vaiffeaux de Sa Majesté , attaqués en
pleine paix par une efcadre de treize Vaiffeaux
Anglois. Il est également connu de tout , le
230 MERCURE
DE FRANCE .
monde , que la Marine Angloife s'emparoit de
puis plus de fix mois des Bâtimens François , lorfqu'à
la fin de Février dernier , les premiers Bataillons
que le Roi a fait paffer fur fes côtes maritimes
, fe font mis en marche.
Si le Roi d'Angleterre réfléchit jamais fur l'infidélité
des rapports qui lui ont été faits à ces
deux égards , pardonnera- t'il à ceux qui l'ont engagé
à avancer des faits dont la fuppofition ne
peut pas même être colorée par les apparences les
moins fpécieuſes ?
par
Ce que le Roi fe doit à lui- même & ce qu'il
doit à fes fujets , l'a enfin obligé de repouffer la
force la force ; mais conftamment fidele à fes
fentimens naturels de juftice & de modération ,
Sa Majesté n'a dirigé fes opérations militaires que
contre le Roi d'Angleterre fon agreffeur , & toutes
fés négociations politiques n'ont eu pour objet
que
de juftifier la confiance que les autres Nations
de l'Europe ont dans fon amitié & dans la droiture
de fes intentions.
feroit inutile d'entrer dans un détail plus
étendu des motifs qui ont forcé le Roi à envoyer
un Corps de fes troupes dans l'ile Minorque , &
qui obligent aujourd'hui Sa Majeſté à déclarer la
guerre au Roi d'Angleterre , comme Elle la lui
déclare par mer & pir terre .
En agiffant par des principes fi dignes de déterminer
ſes réſolutions , Elle eſt aſſurée de trouver
dans la juſtice de fa caufe dans la valeur de
fes troupes , dans l'amour de fes fujets les reffources
qu'elle a toujours éprouvées de leur part , &
Elle compte principalement fur la protection du
Dieu des Armées .
ORDONNE & enjoint Sa Majeſté à tous fes fu- |
jets , vaſſaux & ferviteurs , de courre fus aux ſujets
JUILLET. 1756. 231
du Roi d'Angleterre ; leur fait très- expreffes inhi
bitions & défenfes d'avoir ci- après avec eux aucu
ne communication , commerce ni intelligence
à peine de la vie : & , en conféquence , Sa Majefté
a dès-à-préfent révoqué & révoque toutes permiffions
, paffeports , fauvegardes & fauf-conduits
contraires à la préfente , qui pourroient avoir été
accordés par Elle ou par fes Lieutenans généraux
& autres fes Officiers , & les a déclarés nuls & de
nul effet & valeur ; défendant à qui que ce foit ,
d'y avoir aucun égard. MANDE & ordonne Sa Majefté
à Monfeigneur le Duc de Penthievre , Amiral
de France , aux Maréchaux de France , Gouverneurs
& Lieutenans Généraux pour Sa Majesté
en fes Provinces & Armées , Maréchaux de Camp,
Colonels , Meftres de Camp, Capitaines , Chefs &
Conducteurs de fes Gens de guerre, tant de cheval
que de pied , François & étrangers , & tous autres
fes Officiers qu'il appartiendra , que le contenu en
la préfente ils faffent exécuter, chacun à fon égard,
dans l'étendue de leur pouvoir & jurifdictions : CAR
TELLE EST LA VOLONTÉ DE SA MAJESTÉ , Laquelle
veut & entend que la préfente foit publiée & affichée
en toutes fes villes ,tant maritimes qu'autres &
en tous les Ports , Havres & autres lieux de fon
Royaume & terres de fon obéiffance que befoin
fera , à ce qu'aucun n'en prétende caufe d'ignorance.
Fait à Verſailles lé neuf Juin mil fept cent
cinquante-fix. Signé , LOUIS ; & plus bas , M. P.
DE VOYER D'ARGENSON.
Cette Déclaration de Guerre fut publiée le 16
Juin à Paris.
>
1
232 MERCURE DE FRANCE.
MARIAGES ET MORTS.
François- Saturnin de Galard , Marquis de Terraube
, époufa à Moiffac en Quercy , le 23 Fé-,
vrier 1756 , Demoiſelle Marie -Julie de Loftanges:
de Sainte Alvaire , fille d'Armand- Louis - Claude-
Simon de Loftanges , Marquis de Sainte- Alvaire
Grand Sénéchal & Gouverneur de Quercy , & c.
& foeur du Marquis de Loftanges , premier Ecuyer
de Madame Adelaïde..
fon
Le Marquis de Terraube eft de la même maique
les Comtes de Braffac . Cette maiſon l'une
des plus illuftres & autrefois des plus riches de la
Guienne , a pris fon nom de la terre de Galard
près de Condom . La confidération où elle étoit
dès le onzieme fiecle favorife la tradition de fon
origine qu'on rapporte aux Comtes du Condomois.
On trouve plufieurs Seigneurs de ce nom dès
l'an 1062 , parmi les bienfaiteurs de l'Abbaye de
Condom , & ce fut en faveur de Raimond de Galard
, que ce Monaftere fut érigé en Evêché par
le Pape Jean XXII en 13.17. Ces faits font tirés
de la Chronique de Condom , imprimée dans le
fpécilége de Dom Luc d'Acheri , tome 1.3. Voyez
auffi le Gallia Chriftiana , Edition nouvelle , tome
2 , page 970 &Suivantes.
Cette maifon s'eft divifée en plufieurs branches
dont l'une a donné un Grand Maître des Arbalêtriers
de France , nommé Pierre de Galard qui
exerça cette charge depuis l'an 1310 jufqu'en
1331. Il eut de Nauda de Caumont-Sainte -Baf
sille fa femme , Jean de Galard un des plus puiffans
feigneursde Guienne. Il poffédoit les terres
JUILLET. 1756 . 233
de Limeuil , de Miremont & autres grandes terres .
Un Traité que le Prince de Galles fit avec lui
pour l'attirer à fon parti contre le Roi de France ,
prouve la haute confidération dont il jouiffoit.
On apprend par ce Traité que le mariage de fa
fille avoit été arrêté avec le fils de Bernard- Ezy ,
fire d'Albret . Le Roi Edouard III , pere de ce Prince
, confirma le Traité par Lettres datées de
Weftminſter le 30 Juillet 1358 , rapportées dans
le Recueil des Actes publics d'Angleterre par Rymer
, tome 6, page 98. Le mariage de la fille de
Jean de Galard avec le fils du fire d'Albret , n'eut
point lieu , & elle epoufa Nicolas de Beaufort ,
frere du Pape Grégoire XI, & neveu du Pape Clément
VI. C'est par cette alliance que les biens de
cette branche pafferent dans la maiſon de Beau
fort , & de celle- ci dans celle de la Tour-Bouillon.
Les autres branches fe font également diftinguées.
On peut voir dans le Recueil de Rymer
déja cité , qu'elles figuroient avec les grands Vaffaux
de Guyenne dans les temps que cette Provin
ce obéiffoit aux Anglois.
Ses armes font d'or à trois Corneilles de fables ,
les pieds & les becs de gueules , ( ce font les mêines
que portoit Pierre de Galard , Grand-Maître des
Arbaleſtriers ).
La branche de Terraube eft féparée depuis
l'an 1300 de celle des Comtes de Braffac qui eft
l'aînée , & laquelle s'eft établie en Quercy vers l'an
1280 , à cause de l'alliance d'Eléonore d'Armagnac
qui leur apporta la Baronnie de Braffac. Cette
branche de Braffac porte fes armes écartelées de
de celles de Bearn qui font d'or à deux vaches paffantes
de gueules accollées & clarinées d'azur , pour
fatisfaire à une claufe du Contrat de mariage de
1508 de Jeanne de Bearn , Dame de S. Maurice,
234 MERCURE DE FRANCE.
avec François de Galard , Chevalier , feigneur de
Braffac , par laquelle il fut enjoint à leurs defcendans
de joindre les nom & armes de Bearn à ceux
de Galard. {
A l'égard de la maifon de Loftanges , l'une des
plus anciennes & des mieux alliées du Bas-Limofin
& du Périgord , voyez ce qui en eft dit dans
ce Journal à l'article de la mort du Marquis de
Loftanges -Beduer dans le Volume du mois de Mai
de cette année , page 258. -
Le 3 Novembre 1755 , eft décédée à Paris , dansla
quatre-vingt- quatorzieme année de fon âge ,
Dame Marie- Anne Deſchiens , veuve de Meſſire
Jean-Pierre de Cormis , Comte de S. Georges
Meftre de Camp de Cavalerie . Elle a été inhumée
aux Auguftins de la Place des Victoires , après
avoir été préfentée à S. Roch.
>
Dame Catherine -Henriette de Rageren , époufe
de Meffire Nicolas-Jofeph Foucault , Marquis
de Magny , Lieutenant Général des Armées du
Roi d'Espagne , eft morte à Paris, le 6 Novembre,
âgée de 72 ans , & a été inhumée le lendemain à
S. Sulpice.
Le 19 Mars 1756 , eft morte dans la foixantetreizieme
année de fon âge , Marie Pierrette- Fran
çoife Charlotte de Clermont- Tonnerre, foeur du Ma
réchal de Tonnerre , veuve depuis 1729 , de Jean
le Compaffeur-de Crequi- Monfort , Marquis de
Courtivron & de Tarfut , &c . auquel finifloit la
fubftitution faite en 1595 , des terres de Courtivron
& de Tarfut , par Claude le Compaffeur de
Courtivron , frere de fon bifayeul , qui réuniffoit
à fes droits ceux de Françoiſe de Malain , foeur du
Baron de Lux , veuve en 1592 , de Claude- François
le Compaffeur-de Crequi- Monfort , fieur de
Vitrey fon oncle.
JUILLET. 1756. 235
Les enfans de la Marquife de Courtivron
font, 1 ° . Gafpard le Compaffeur-de Crequi-Montfort
, Marquis de Courtivron , ci-devant Aide-
Maréchal Général des Logis de la Cavalerie des
Armées du Roi , & Chevalier de l'Ordre Royal
& Militaire de Saint Louis , qui par fon mariage
avec Marie-Rofe- Louiſe de S.- Cir- de Celi , décé- -
dée en 1753 , eft pere d'un fils en bas âge.
2° Marie- Therefe le Compaffeur de Courtivron
, alliée en 1724 , à Meffire Antoine Joli ,
Marquis de Blaifi , dont elle n'a point d'enfans.
3 °. Jeanne-Claude-Madeleine le Compaffeur de
Courtivron , alliée en 1733 , au Comte de Brancion,
duquel elle a une fille Gafparde de Brancion ,
mariée en 1749 , au Comte de Clermont-Mont-S..
Jean.
Voyez fur le nom de le Compaffeur , la Roque
Blanchard, les coutumes de Champagne , Paliot ,
& les grands Officiers de la Couronne.
AVIS.
Béchique fouverain ou Syrop pectoral , approuvé
par Brevet du 24 Août 1750 , pour les
maladies de poitrine , comme rhume , toux invétérées
, oppreflion , foibleffe de poitrine , & afthme
-humide. Ce Béchique ayant la propriété de fondre
& d'atténuer les humeurs engorgées dans le poulmon
, d'adoucir l'acrimonie de la lymphe en tant
que balfamique , & de rétablir les forces abattues
en rappellant peu à peu l'appétit & le fommeil ;
comme parfait reftaurant , produit des effets fi rapides
dans les maladies énoncées , que la bouteille
taxée à fix livres , fcellée & étiquetée à l'ordinai
re , eft fuffifante pour en éprouver toute l'effica
cité avec fuccès.
236 MERCURE DE FRANCE.
Il ne fe débite que chez la Dame veuve Mouton
Marchande Apothicaire de Paris , rue Saint Denis,
à côté de la rue Thevenot , vis -à- vis le Roi Fran
çois.
LA
AUTRE.
A veuve Simon Bailly continue à débiter les
véritables Savonnettes légeres , de pure crême de
favon , & Pains de pâte graffe pour les mains
dont elle a feule le fecret . Comme plufieurs perfonnes
fe mêlent de les contrefaire & les marquent
comme elle , pour n'y pas être trompé , il faut
s'adreffer chez elle , rue Pavée S. Sauveur , au bas
de celle du Petit Lion , à l'image S. Nicolas , une
porte cochere prefque vis-à-vis la rue Françoiſe ,
quartier de la Comédie Italienne.
Nous pouvons attefter la bonté de ces Savonnettes
par l'uſage journalier que nous en faiſons .
UN
AUTRE.
N Particulier de la Martinique a déposé une
fourniture confidérable d'excellent Sirop de Calebaffe
fort chargé du fuc du fruit de cette Plante
chez le fieur Becqueret, Marchand Apothicaire , à
Paris , rue de Condé , vis -à - vis celle des Foffés
M. le Prince.
AUTRE.
LE freur Rochefort , Maître Perruquier , Inven
teur des têtes artificielles dont il a été fait mention
- dans le Mercure du Mois d'Octobre 1755
JUILLET. 1756. 237
reçoit de Province beaucoup de lettres par lefquelles
on lai propofe d'acheter au lieu de perruques
quelques- unes de fes têtes . C'eft pourquoi
il eft obligé d'avertir qu'il n'en vend point , &
qu'il n'en vendra jamais à perfonne à quelque
prix que ce puiffe être , attendu qu'il veut le réferver
le fecret particulier de fa fabrique. Au refte,
il eft tellement occupé à continuer & perfectionner
ces têtes dont la précifion lui demande journellement
une fi grande application , qu'il ne lui
eft pas poffible de quitter pour aller prendre la
mefure à tous ceux qui le demandent. Il prie les
perfonnes qui demeurent à Paris , ( de quelque
qualité qu'elles foient) qui voudront avoir desPerruques
de fa façon , de venir fe faire prendre la
mefure chez lui , & il aura foin de leur faire porter
leur perruque chez eux. Il monte actuelle
ment toutes fortes de Perruques avec une précifion
mathématique. On fent tous les avantages
que cette jufteffe finguliere doit donner à tout ce
qui fort de fes mains , ainfi il ne répétera point
le détail qu'il en a fait , & le témoignage que lui
´ont rendu les Officiers de fa Communauté. Mais
il donne ayis aux perfonnes qui demeurent en
Province , & qui voudront avoir des Perruques de
fa façon , de lui écrire auparavant , afin qu'il envoye
un modele de mefure très - facile à prendre ,
& tel qu'il le faut , pour pouvoir y rapporter
exactement les proportions ; bien entendu que les
lettres feront affranchies. L'adrefle du fieur Rochefort
eft toujours à Paris , rue de la Verrerie ,
près la rue des Billettes.
238
e
J'A
APPROBATION.
' Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier
, le Mercure du mois de Juillet , & je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 29 Juin 1756.
ERRATA
GUIROY.:
pour le Mercure de Juin.
PAge 62 , ligne 1 , amours de chaffes , liſex ; amours de chaffe .
Page 69 , lig. 14 ,
Lifex,
Mais voyons quel en eft la fin.
Mais voyons quelle en eft la fin.
Page 115 , lig. 13 ,
lifex ,
Et plein d'ivreffe & de timidité ,
Et plein d'ivreffe & d'intrépidité ,
Page 129 , ligne derniere , tecouvrage , lifez , cet
ouvrage.
Page 174 , lig. 20 , trait pour traits , lifez , trait
pour trait.
Page 185 , lig. 18 ,
L'honnêté trompé s'éloigne & ne dit mot .
lifez ,
L'honnête homme trompé s'éloigne & ne dit mot,
Page 196 , lig. 21 ,
Du vulgaire idiot ſe ſoumettre à la loi.
lifex ,
Du vulgaire idiot ſe foumettre la loi .
239
Page 200 , lig.. puifqu'elle eft à , lifez , puiſ--
qu'elle eft là.
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN Prose.
V ERS à Daphné , fur un Miroir de toilette ,
page s
6
Réponſe ,
Calendes des Curés du Diocèſe de Beauvais , à
Mgr le Cardinal de Gefvre , ibid.
Le Scrupule, ou l'Amour mécontent de lui-même ,
Conte ,
9
Vers à Mile M ***, qui avoit eu mal aux yeux , 43
Compliment fait à M. le Duc de Mirepoix , &c.
Les Tombeaux , Poëme ,
ibid.
45
so
Réponse à l'examen de la Surdité & de la Cécité ,
par un Sourd ,
Vers à M. le Maréchal Duc de Richelieu , 55
Ode au Roi de Pruffe , ibid.
Dictionnaire portatif, ou Penſées libres d'un jeune
Militaire ,
Vers fur le préjugé des Auteurs ,
60
77
Les Songes de l'Amour , Idylle traduite du Grec ,
Vers familiers fur le Mariage ,
Vers à l'Auteur du Mercure ,
80
85
20
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
Mercure de Juin ,
Enigme & Logogryphe ,
Chanfon ,
93
94
97
240
"
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES .
Extraits , Précis ou Indications des livres nouveaux
,
99
149
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Hiftoire. Suite de la Differtation fur une Lettre de
S. Remi à Clovis ,
Plyfique. Idées fur la maladie de la nommée Michelot
, & c.
Séance publique de l'Académie Royale de Chirurgie
164
Lettre de M. Ferrand , à l'Auteur du Mercure
Mufique.
Gravure.
ART. IV. BEAUX- ARTS .
168
178
179
180
181
Architecture.
Horlogerie. Lettre au fujet de MM. Pierre le Roy
& le Mazurier , 182
Orfévrerie. Nouvelle Méthode pour travailler la
vaiffelle fur le tour & fans foudures ,
ART. V. SPECTACLES .
Comédie Françoiſe .
185
187
188
189
199
Comédie Italienne.
Extrait des Chinois ,
Concert Spirituel .
ARTICLE VI
Nouvelles étrangeres , 201
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 204
Mariages & Morts , 232
235
Avis divers.
+
La Chanfon notée doit regarder la page 97.
De l'Imprimerie de Ch. Anţ. Jombert,
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
JUILLET. 1756.
SECOND VOLUME.
Diverfité, c'eft ma devife. La Fontaine.
Chez
cachin
Filius inv
PapillonSculp 1778.
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais .
PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
Avec Approbation & Privilege du Rola
AVERTISSEMENT..
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON ,.Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis an
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer , francs
les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à lapartie littéraire, à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
de
port ,
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du portfur
leur compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raifon de 30 fols par volume , c'est- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreſſe ci - deſſus.
A ij
On Supplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la pofte , enpayant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance an
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
resteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfer
vera de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque semaine, aprèse
midi.
On peut fe procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainfi que les Livres
, Estampes & Mufique qu'ils annoncent :
On prie les perfonnes qui envoient des Livres
, Eftampes & Mufiques à annoncer
d'en marquer le prix.
J IIרדחה
I X www www www.
O
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET . 1756 .
ARTICLE PREMIER .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
EPITRE
A Mademoiselle Veftris , par ...
SE mor
E montrer & bientôt féduire ,
Aux attraits joindre les talens ,
Remplir le coeur d'un aimable délire ,
Charmer les yeux & captiver les fens ;
Des graces , du plaifir être la vive image :
Veftris , partager leur encens
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Que pourriez -vous défirer davantage ?
Mais je ne fais qu'ébaucher le portrait
De ces charmes qu'en vous on admire fans ceffe :
Ah ! j'en fuis trop rempli pour que dans fon
ivreffe
Mon efprit enchanté les rende trait pour trait.
Comment donc aujourd'hui , nouvelle Terpfichore
,
Effayer de vous peindre encore ?
Comment ofer vous célébrer
Telle que je vous vois , lorfqu'au Public avide
De vous voir , de vous admirer ,
Vous accourez d'un vol rapide ,
Le contraindre à vous adorer ?
Que de graces ! que de nobleffe &
Quelle aimable variété !
Tantôt c'eft Daphné dont l'adreffe
Evite un Amant redouté ;
Tantôt c'eft la tendre jeuneſſe
Dans les bras de la volupté.
L'amour vif & léger que retient la molleffe ,
Semble guider vos moindres mouvemens
Tel Zéphyr amoureux aux beaux jours du prin
temps ,
Agite tendrement la rofe qu'il careffe .
Quels plaifirs je goûtois , Dieux ! à me retracer
Les divers fentimens qu'en moi vous faites naître ,
Quand tout à coup je vous revis paroître ,
Et près de moi l'autre jour vous placer !
JUILLET . 1756. 7
De mon ame déja par votre danſe émue ,
Je fentis à l'inftant redoubler les tranfports s
Je voulois vous parler , mais ma voix retenue
Tenta d'inutiles efforts .
Cependant , ô bonheur extrême !
Damis pour vous me ravit un bouquet :
Je n'ofois vous l'offrir moi- même ;
Et de moi , feul blamant fon ftratagême ;
Vous le reçûtes en effet.
Enhardi par cet avantage ,
J'allois vous préfenter un don d'un plus haut
prix ;
Mais vos yeux me l'avoient furpris ,
Quand je voulus vous en offrir l'hommage.
ODE
(1 ) A la Pareffe.
Difparoiffez ,fublime ivreffe¸
Apollon , gardez vos tranſports ,
Ma déité , chere Pareffe ,
Viens feule infpirer mes accords.
( 1 ) L'Auteur de cette petite Piece ne veut exprimer
qu'un fentiment paffager : il eft permis
comme Poëte de chanter des paffions & des goûts
qui tiennent plus à l'esprit , qu'au coeur & à la
conduite.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Je reffens déja ta préſence :
De la gêne tu romps les fers.
Une facile négligence.
Avec toi coule dans mes vers.
Non , je ne porte point envie
A ce mortel trop généreux ,
Qui perd chaque jour de fa vie
Sans avoir le temps d'être heureux.
D'Anacréon & de la Fare
J'écoute les tendres leçons.
S'ils prenoient en main la guitarre ;
La Pareffe en dictoit les fons.
Pourquoi d'une bizarre orgie
Voudrois-je tenter les Fureurs ?
D'une amoureufe letargie
J'aime mieux goûter les erreurs.
L'art de jouir , l'art d'être aimable ,
Voilà l'étude que je fais.
L'honneur du fçavoir eſtimable
Peut- il racheter les ennuis ?
Tu chéris la paix , le filence ,
Dans tes bras dorment les Amours :
T
JUILLET. 1756. 9
.
Pareffe , heureuſe indifférence ,
Verfe tes douceurs fur mes jours.
Affuré contre la tempête ,
Fais moi braver les coupss du fort.
De ton voile couvre ma tête ,
Conduit moi mollement au port.
Comme on voit , en fuivant fa pente ,
Sous des fleurs fe perdre un ruiffeau ,
Ainfi qu'une volupté lente
Me faffe defcendre au tombeau.
Raoult.
« Le morceau qu'on va lire e de M.
» de Bury . Nos Lecteurs lui doivent d'au-
» tant plus de faveur , que l'Auteur mo
» defte ne fait paroître cet Effai que pour
» confulter leur goût fur la Vie intéref
» fante qu'il y annonce , & fe décider en-
» fuite d'après leur fentiment. Si nous
» ofions rifquer ici le nôtre , nous dirions
» que fon projet nous a paru écrit & dé-
» taillé de maniere à devoir faire défirer
» au Public l'exécution de l'Ouvrage en-
» tier. »
Αν
10 MERCURE DE FRANCE.
LA VIE DE JULES CÉSAR .
Avant-Propos.
J'ai toujours été furpris que dans le fiecle
ΑΙ
paffé & celui où nous fommes , qui ont
produit un grand nombre d'excellens Ecrivains
, aucun n'ait penfé à nous donner la
Vie de Jules Céfar. Cet Ouvrage eût été
d'autant plus facile à faire , que nous avons
pour l'hiftoire de ce grand homme beaucoup
de Mémoires & d'écrits qui nous
apprennent les belles qualités & les grandes
actions qui l'ont rendu fi recommendable.
Nous n'avons en notre Langue aucune
Hiftoire complete de fa vie ; car je
ne regarde pas comme telle la traduction
de celle que Suetone nous a laiffée : elle
ne nous découvre point fes projets , fes
vues & par quelles voies les actions qu'il
a faites l'ont conduit à la fouveraine puiffance
: il est trop nu & trop concis : c'eft
pourtant un excellent Ouvrage. L'Auteur
entre dans un grand détail des moeurs &
de la vie publique & privée de Céfar ,
& il doit être très - utile pour une Hiſtoire
entiere.
Nous avons encore celle que Plutarque
a écrite mais quoiqu'il foit un des plus
JUILLET. 1756. Ir
fages & des plus judicieux Ecrivains ; cependant
l'on remarque chez lui cette prédilection
blåmable qui lui a été reprochée
en faveur des illuftres Grecs fes compatriotes
, qu'il a comparés aux Romains. L'on
croit qu'il a affecté de faire d'Alexandre
un plus grand homme que Céfar. D'ailleurs,
il ne paroît pas avoir affez développé
le fonds de fon caractere & les motifs qui
l'ont fait agir les événemens y font trop
ifolés & ne nous font pas affez connoître
le jeu des paffions qui les ont conduits , &
cette politique raffinée , qui , jointe à fes
autres vertus , le rendirent maître abfolu
de la République ; enforte qu'il femble
que tout foit fortuit & non prémédité . De
plus , il ne paroît pas affez exact , n'étant
pas d'accord fur un grand nombre de faits
avec les Hiftoriens contemporains. Il ne
paroît pas avoir affez facrifié aux graces
en cherchant à embellir la vérité : enfin fes
Hiftoires ne font pas affez intéreffantes
quoique très bien compofées. Je n'en veux
donner qu'un exemple. Tout le monde
fçait ce trait d'Alexandre , lorfqu'il coupa
ce fameux nouf gordien qui , fuivant un
ancien Oracle , promettoit l'Empire de l'univers
à celui qui pourroit le dénouer.
Plutarque nous repréfente fimplement
Alexandre , lequel après plufieurs tenta-
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
tives , ne pouvant en venir à bout, le coupa
avec fon épée. Mais Q. Curce nous décrivant
cette même action , en forme un beau
tableau. Il repréfente Alexandre environné
de plufieurs Seigneurs Phrygiens & de fes
Capitaines Macédoniens , les premiers attentifs
à la réuffite , & les autres inquiets
de l'iffue que pourroit avoir la confiance
téméraire du Roi , qui de fa part appréhendoit
que fa tentative devenue inutile ,
ne fût d'un mauvais augure pour fes eſpérances
. Enfin après avoir long- temps lutté
contre l'obfcurité de ces noeuds , il importe
peu , dit-il , de quelle façon on les dénoue
, & les ayant coupé avec fon épée , il
accomplit ou éluda l'Oracle. Je laiſſe à dé
cider laquelle de ces deux façons de décrire
ce fait à le plus d'agrémens . On voit que
Q. Curce , fans en altérer la vérité , l'a embellie
& lui a donné des graces qui ne font
pas dans Plutarque. Au furplus , on pourroit
peut- être s'en prendre à fes Traducteurs
, dont le ftyle trop vieux , trop dur
ou trop littéral , n'a pu nous conferver les
beautés de l'original. Ainfi nous pouvons
dire que nous n'avons pas d'Hiftoire complette
de J. Céfar : car pour les commentaires
qui en font un précieux morceau ,
ils doivent être employés comme d'excellens
matériaux , mais qui ne font pas
JUILLET. 1756. 13
fuffifans pour conftruire tout l'édifice.
Ce n'eft pas que je prétende compoſer
une Hiftoire digne d'être mife au deffus
de celles qui nous ont été données par ces
Auteurs. Je n'ai pas cette témérité ; mais
j'ai tenté feulement de donner au Public
une Hiftoire plus circonftanciée & plus
étendue ; faire voir par quels moyens
Céfar eft parvenu à fe rendre le maître de
fa République ; quels étoient les génies &
les caracteres des grands hommes de fon
temps ; de quels moyens il s'eft fervi pour
vaincre les uns & employer utilement les
talens des autres pour arriver à fon but , &
enfin faire connoître cette fublimité de
génie & cette grandeur d'ame qui lui
avoient infpiré dès fa jeuneffe qu'il étoit
né pour commander à tout l'univers. J'ai
tâché de mettre en oeuvre les Mémoires
que l'on nous a confervés & de réunir
ces faits difperfés dans tous les écrits du
temps , pour préfenter au Public un ou→
vrage qui puiffe l'intéreffer & lui plaire.
Cependant dans l'incertitude où je fuis de
réuffir , je lui en offre quelques fragmens ,
afin de connoître par la façon dont ils
feront reçus , fi je dois abandonner ce projet
ou le continuer.
Rome étoit environ dans la fin du feptieme
fiecle de fa fondation , lorfque Silla ,
14 MERCURE DE FRANCE.
après s'être rendu maître du gouvernement
, & avoir abattu le parti de Marius
fon ennemi & fon concurrent , abdiqua le
fouverain pouvoir , dont il avoit ufé avec
la derniere tyrannie. Il venoit de rendre à
la République tous fes droits : il la laiffoit
'jouir de la liberté qu'il lui avoit ravie :
elle refpiroit après les troubles dont elle
avoit été agitée. Les Romains oubliant les
profcriptions & la cruauté de Silla , le
laiffoient jouir avec tranquillité du fruit
de fa modération , & fe voyoient avec plaifir
rentrés dans l'égalité.
Tel étoit alors l'état de la République
Romaine. Prefque tout l'univers étoit fubjugué.
L'Italie étoit tranquille : une partie de
la Gaule , c'eft- à- dire celle au delà des Alpes
& la Narbonnoife , obéiffoit aux Romains :
l'Eſpagne étoit foumife , à l'exception d'un
refte de profcripts , qui s'y étoit cantonné
fous la conduite de Sertorius : la ruine de
Carthage & la défaite de Jugurtha avoient
rendu tributaire la plus grande partie de
l'Afrique connue . Quoique l'Egypte ne
fût pas réduite en Province Romaine , fes
Rois étoient tellement dépendans de Rome,
qu'ils n'auroient ofé rien entreprendre fans
fon aveu. Les Provinces de l'Afie accoutumées
par leurs anciens Rois , comme elles
le font encore aujourd'hui , à un dur defJUILLET.
1756. 19
potifme , fe trouvoient plus heureufes fous
la domination douce & tempérée des Romains
. Le Royaume de Macédoine étoit
réduit en Province Romaine : quelques
petits Rois fubfiftoient encore ; mais ils
étoient tributaires : leur autorité étoit fi
foible , & leur pouvoir fi énervé , qu'on
pourroit les regarder comme les premiers
efclaves d'entre leurs peuples. Le feul Mithridate
à demi -vaincu , attendoit à l'ombre
d'une paix affez équivoque le moment
de fe relever & de fatisfaire fa haine contre
les Romains. La Grece autrefois l'arbitre
& le foutien de la liberté de fes voifins
n'ayant pas fçu conferver la fienne , l'avoit
abandonnée aux Romains : paifible fous
leur protection , elle fe contentoit de cultiver
les beaux Arts dans lefquels elle étoit
en poffeffion d'exceller , & jouiffoit de la
gloire d'en inftruire fes Vainqueurs. Toutes
les Ifles de la mer obéiffoient aux Romains
, & le commerce verfoit dans Rome
, comme dans le centre de l'Empire ,
toutes les richeffes de l'univers. On envoyoit
chaque année dans toutes ces Provinces
des Gouverneurs , dont le pouvoir
fans bornes difpofoit fouverainement de
tout ce qui regardoit la guerre , la juftice
& les finances , qu'ils adminiftroient à leur
gré. Enfin la République Romaine étoit
16 MERCURE DE FRANCE.
parvenue à ce haut point de gloire & de
grandeur , qui avoit envahi prefque tous
les Royaumes de l'univers , lorfque Jules
Cefar , l'un de fes Citoyens , né fimple particulier
, parut pour fe rendre maître abfolu
de cet Empire. Il ne falloit pas moins
qu'un génie auffi vafte que le fien , joint
aux belles qualités civiles & militaires
qu'il tenoit de la nature & de l'éducation ,
pour l'emporter fur un grand nombre de
concurrens , dont le mérite , quoique fort
inférieur au fien , pouvoit balancer & arrêter
la réuffite de fes projets. Les guerres
civiles de Marius & de Silla avoient fait
connoître aux plus ambitieux Citoyens, que
la République pouvoit fupporter un Maî
tre : mais de tous ceux qui tenterent de le
devenir , aucuns n'approcherent de Céfar .
S'ils eurent de belles qualités , ils eurent
auffi de grands vices qui les empêcherent
de réuffir s'il l'emporta fur eux , c'eft
qu'il fçut réunir toutes les qualités nécef
faires à un grand homme , fans aucun mê
lange de défauts , du moins de ces défauts
effentiels qui font avorter les plus beaux
projets. Il avoit un pouvoir fi abfolu fur
toutes fes paffions , qu'elles ne lui ont ja
mais fait faire aucune démarche contraire
à fes intérêts & à fes vues . La haine , la
colere , la vengeance , la cruauté , l'avarice
JUILLET. 1756. 17
auxquelles les Romains de fon temps
étoient affujettis , donnoient du luftre à la
clémence , l'oubli des injures , la douceur,
la magnanimité , la libéralité , la reconnoiffance
qu'il poffédoit dans un éminent
degré. Soit que ces vertus fuffent en lui
un don de la nature , ou l'effet de fa politique
, il ne s'en écarta jamais.
S'il fut fenfible aux douceurs de l'amour,
comme on le lui a reproché fouvent avec
trop d'animofité , jamais cette paffion ne
fut maîtreffe de fon coeur au point de l'affujettir.
Il n'y a que les grands hommes
qui fçachent la retenir dans fes véritables
bornes. Sans parler des autres engagemens
de Céfar , fon attachement pour Cléopâtre
, la plus belle Princeffe de fon temps ,
ne dura que le peu de temps qu'il mit à
conquérir l'Egypte. Il l'abandonne lorfque
la gloire l'appelle ailleurs. Pour ce qui eft
de la bonne chere , fes ennemis mêmes
font tombés d'accord que de tous ceux qui
ont tenté de renverfer la République , il
étoit le feul qui connût la fobriété. Mais
ce n'eſt pas ici le lieu d'entrer dans le détail
de fes grandes qualités : fes actions que
je me propofe d'écrire les feront affez connoître.
J'ai cru qu'avant que d'entrer en matiere,
il ne feroit pas hors de propos de parler de
18 MERCURE DE FRANCE.
ceux d'entre les principaux Romains qui
avoient part au gouvernement , lorfque
Céfar fe mit fur les rangs , afin de faire
connoître le génie & le caractere de ceux
qui s'oppoferent ou contribuerent à fon
élévation . Comme il faudroit trop s'écar.
ter par des digreffions , j'ai cru devoir
crayonner ici leurs portraits & rapporter
quelques-unes de leurs actions , qui ne
pourroient pas trouver de place dans là
vie de Céfat. J'appréhende qu'ils ne foient
un peu trop longs ; mais je fuivrai , pour
les raccourcir , les avis que les perfonnes
éclairées voudront bien me donner.
POMPÉE.
Le premier qui fe préfente eft Pompée ,
cet homme appellé grand dès l'âge de 24.
ans , & que l'on peut regarder comme le
principal rival de Céfar. Les grandes actions
qu'il avoit faites , les fervices qu'il
avoit rendus à la République , & enfuite
fa défaite à Pharfale , & fa mort indigne &
cruelle arrivée ſur un rivage étranger
avoient fi fort attendri fur lui le coeur des
Républicains , qu'ils lui ont prodigué
toutes fortes de louanges . Il en avoit effectivement
mérité de grandes : mais il faut
convenir que la feconde partie de fa vie
ne fut
pas digne de la premiere.
›
JUILLET. 1756 . 19
La guerre civile de Marius & de Silla
ayant enlevé ce qu'il y avoit de Citoyens
les plus recommendables , il n'y en avoit
aucun en état de fuivre l'exemple de Silla .
Le feul Pompée , quoique jeune encore ,
étoit le plus illuftre Citoyen de la Répu
blique ; & quoiqu'il eût fait des actions
qui lui avoient mérité le triomphe à l'âge
de 23 ans , foit qu'il n'eût pas affez d'ambition
, ou qu'il aimât mieux tenir de la
bienveillance de fes Citoyens , les honneurs
auxquels il afpiroit encore , il ne chercha
pas à devenir leur Maître malgré eux . La
liberté des élections laiffant aux Citoyens
vertueux la facilité de parvenir par leur
mérite aux plus hauts emplois , il attendoit
tranquillement la récompenfe de fes fervices.
Pompée s'étoit rendu maître de l'Efpagne
; il avoit fubjugué la Syrie , la Médie ,
T'Hibérie , le Royaume de Pont , la Judée.
Il avoit couronné toutes ces conquêtes par
la deſtruction du Royaume d'Arménie &
la défaite de Mithridate , qu'il avoit contraint
de fe donner la mort. Après tant de .
victoires & l'exemple récent de Silla , que
fes Concitoyens avoient encore devant les
yeux , ils avoient appréhendé que Pompée
n'abusât de fon pouvoir & n'employât les
troupes qu'il commandoit pour fe rendre
20 MERCURE DE FRANCE.
non pas
le maître : mais il vouloit être le Chef &
le Tyran de fa Patrie. En mettant
le pied dans l'Italie , il licencia fes troupes ;
il rentra dans Rome en fimple particulier ,
content d'un fuperbe triomphe qu'on lui
décerna autant pour fa modération que
pour les victoires.
Mais lorsque l'éclat en fut paffé & qu'il
eût vêcu quelque temps dans la vie privée ,
il fut furpris de fe voir prefque fans confidération
, fouvent contredit , même méprifé
par un nombre de Citoyens , ou jaloux
de fa gloire ou ambitieux de l'égaler .
Quelle différence pour lui , après avoir
parcouru prefque toute la terre à la têtedes
armées , toujours victorieux , arbitre
du fort des Rois , les détrônant ou les rétabliffant
à fon gré , de fe voir regardé
comme un fimple particulier ! Dans une
lettre que Ciceron écrit à Atticus , il lui
dit : Que j'apperçois dans nos Citoyens de
haine contre notre ami Pompée , dont le fur
nom de Grand s'ufe peu à peu ! Ce fut donc
pour conferver cette puiffance , qu'il fit ce
fameux Triumvirat entre Céfar , Craffus
& lui , qui les rendit tous trois Maîtres de
la République. Malheureufement pour
Pompée , il n'avoit pas ce génie néceffaire
pour fe rendre recommendable dans une
République. Il avoit été de trop bonne
JUILLET. 1756. 11
heure à la tête des armées : il y avoit contracté
par la douceur du commandement
un certain air de hauteur peu convenable à
un peuple jaloux à l'excès de fa liberté , qui
vouloit être flatté , & dont chaque Citoyen
eroyoit être maître de l'univers , parce
qu'il choififfoit parmi fes égaux ceux qu'il
jugeoit dignes de commander. Pompée
paroiffoit & parloit peu en public. Il avoit
négligé l'éloquence , un des plus sûrs
moyens de plaire à ce peuple . Grand homme
à la tête des armées , il ne fçut pas
conferver à Rome la confidération qu'il
avoit acquife au dehors. Il manqua prefque
toujours de prudence dans les actions
civiles de fa vie , & il eut la vue trop bornée
pour appercevoir où tendoient les def
feins & les actions de Céfar .
Malgré les louanges exceffives que les
Républicains ont prodigué à Pompée ,
on lui a reproché d'avoir établi fa gloire
aux dépens de celle des autres Généraux ;
que la guerre d'Efpagne contre Sertorius ,
dont il s'étoit attribué tout l'honneur
avoit été fi fort avancée par Metellus , qu'it
n'avoit eu que la peine de triompher par
la trahifon de Perpenna , qui lui apporta
la tête de Sertorius ; qu'il avoit cherché à
rabaiffer la gloire de Craffus par les lettres
faftueufes qu'il avoit écrites au Sénat ,
22 MERCURE DE FRANCE.
auquel il marquoit qu'il avoit coupé les
racines de la guerre des Efclaves , pour
en avoir taillé en pieces quelques débris
qui fe fauvoient du carnage que Craffus
en avoit fait , & qu'enfin il avoit attendu
que Lucullus eût chaffé de leurs Etats le
fameux Mithridate , Roi de Pont , & Tigra
nes , Roi d'Armenie , joints enſemble ,
après avoir remporté deux victoires confidérables
, pour le faire donner la conduite
de cette guerre , & profiter des travaux de
ce Général . Cette conduire lui attira bien
des envieux.
Nous verrons dans la fuite de cette
Hiftoire les fautes
que fit Pompée , foit en
travaillant à l'élévation de Céfar , foit dans
la conduite qu'il tint pendant la guerre
civile , qui lui fit perdre la réputation de
grand Général qu'il s'étoit acquife.
Quoique Pompée fût affez haut avec
ce que l'on appelloit le peuple , c'eft-à -dire
le Citoyen du moyen état , cependant il
étoit d'un commerce aifé avec fes égaux.
On ignore s'il connoiffoit les douceurs de
l'amitié , & ce commerce tendre & affectueux
qui naît & s'entretient par les vertus
,
les bonnes qualités & les fervices refpectifs
entre les amis. Il ne nous en reſte aucune
trace on apperçoit feulement que les
liaifons qu'il avoit contractées avec les
JUILLET. 1756. 23
Grands étoient dirigées par la politique ,
& dans la vue de foutenir fon rang & fes
honneurs. On l'a taxé d'une jaloufie fécrete
contre Ciceron de la gloire qu'il s'étoit
acquife par fon éloquence . Ce qui eft sûr ,
c'est que Pompée l'abandonna à l'animofité
de Clodius qui le fit exiler : on l'accufe
même d'y avoir contribué , quoique Ciceron
eûr toujours fait profeffion d'être de
fes amis. Les louanges exceffives qu'il lui
a données , font une preuve qu'il n'a pas
tenu à Ciceron de faire paffer Pompée
pour le plus grand homme de la Républi-
; & s'il le blâme dans les occafions où
ques
il a manqué de prudence , c'eft avec toute
la difcrétion d'un ami , qui fe plaint fans
envie & fans animofité des défauts de fon
ami.
Pompée n'a jamais paffé pour cruel ,
quoiqu'il eût été ami & compagnon de
Silla dans fes victoires. Il n'eut aucune
part aux profcriptions & aux rapines qui
furent exercées par ce Dictateur & fes autres
amis. On ne fçait pas comment il en
eût uſé , s'il eût été vainqueur à Pharfale :
cependant il fut fort blâmé d'avoir fait afficher
qu'il traiteroit comme ennemis ceux
qui refteroient en Italie pendant la guerre
civile.
Pompée fut toujours éloigné de ce luxe
24 MERCURE DE FRANCE.
dans lequel les autres Citoyens étoient
plongés. Il ne rechercha jamais , pour le
fatisfaire, les richeffes qu'il auroit pu amaffer
dans les différens commandemens qu'il
avoit eus : on lui a toujours rendu justice
fur fa modération à cet égard. On reconnoiffoit
dans fa maifon , fes meubles & fa
table , cette noble modeftie convenable à
un homme de condition , également éloignée
de la léfine & de la fuperfluité ; &
jufqu'aux Efclaves qui copient ordinairement
les vertus & les vices de leurs Maîtres
, tout fe reffentoit du caractere fage
& vertueux qui régnoit chez lui. Pompée
feroit donc obligé de mourir , dit-il un jour ,
fi Lucullus n'étoit pas voluptueux ; parce
que dans une maladie fon Médecin lui
avoit ordonné de manger d'un gibier qui ,
étant hors de faifon , ne fe trouvoit que
dans la ménagerie de Lucullus , & il n'en
voulut point.
Pompée étoit fort réglé dans fes moeurs.
Il méprifa toujours le commerce de ces
femmes voluptueufes, même des plus gran
des de Rome , qui faifoient un trophée de
leurs déréglemens : ce n'eft pas qu'il n'eût
le coeur fenfible , mais ce ne fut que pour
les femmes qu'il époufa , dont il avoit le
fecret de fe faire tendrement aimer , même
dans l'âge où les graces de la jeuneſſe
commencent
JUILLET. 1756. 25
commencent à difparoître. Cependant de
trois femmes qu'il eut , Mutia , qui fut la
premiere , lui donna quelque fujet de fe
plaindre , puifque fur des rapports peutêtre
fabuleux qu'on lui fit de fa conduite ,
il la répudia. S'il eft vrai que Mutia fut
infidelle à Pompée , elle pouvoit être un
peu excufable en ce que ce fut pendant
une longue abfence pour les affaires de la
République . L'amour eft un feu qui veut
être entretenu , finon il s'éteint. Céfar fut
foupçonné d'avoir rallumé en fa faveur
celui de Mutia. Sans l'abfence de Menelas ,
Pâtis n'eut peut-être pas triomphé de la
belle Helene au furplus , les grands hommes
de ce temps là étoient fort traitables
fur cette matiere. Nous verrons même
dans la vie de Céfar que ce grand homme,
le plus accompli de fon temps , ne fut pas
exempt des difgraces du mariage. Cependant
Pompée voulut bien encore courir les
mêmes rifques en époufant Julie , fille de
Céfar , & après la mort de Julie , Cornelie
, qui toutes deux le confolerent de l'infidélité
de Mutia , & joignirent à leurs
beauté & à la tendreffe qu'elles eurent
pour leur mari , des vertus qui ont fait
leur éloge , & celui de la ſenſibilité & des
graces de Pompée.
*
7%
* Les grands Hommes de ce tems- ci ne le font pas moins.
II.Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
On ne fçauroit s'empêcher d'admirer ici
l'enchaînement fingulier des circonftances,
qui produifent les événemens les plus .con-
Lidérables ! Qui auroit jamais pu imaginer
que Céfar corrompant la femme de Pompée
, les fuites de cette action feroient la
bafe & le fondement de fa puiffance . Quoiqu'accusé
d'avoir eu part aux infidélités de
Mutia , il ne fut pas pour cela brouillé
avec Pompée ; au contraire , il faifit l'occafion
de fon divorce pour fe lier plus étroitement
avec lui. Céfar lui offre fa fille en
mariage. Il connoiffoit le coeur tendre &
délicat de Pompée , qui très- reglé dans fes
moeurs , s'attacheroit aifément à Julie ,
dont la beauté , l'efprit , les graces & la
vertu , ne pouvoient manquer de lui plaire.
Céfar ne fut pas trompé dans fes efpérances.
Pompée enchanté de Julie l'aima uniquement.
Devenue fon époufe , elle fe
rendit maîtreffe de fon efprit comme de
fon coeur ; il n'eut plus d'autres fentimens
que ceux qu'elle lui infpira : conduite par
-fon pere , elle engagea fon mari à fe joindre
à lui ; leur union devint fi étroite , &
leur puiffance réunie devint fi forte , qu'ils
fe rendirent maîtres de la République . Its
mirent dans leur parti Craffus , le plus riche
& un des plus accrédités Citoyens qui
avoit beaucoup de mérite , & formerent
ce premier Triumvirat qui porta le preJUILLET.
1756 . 27
mier coup à la liberté Romaine. Ce fut
alors que Céfar beaucoup plus habile que
fes deux Collegues , attirant à lui & fe
fervant à propos de leur crédit , fe vit en
état d'exécuter ces projets qu'il avoit jufqu'alors
inutilement conçus. Ces trois
hommes s'emparerent de toute l'autorité.
Céfar fit donner à Craffus le Gouvernement
de l'Afie , à Pompée ceux de l'Efpagne
& de l'Afrique , & prit pour lui celui
des Gaules , dont la conquête achevée en
dix ans , après des actions extraordinaires
de valeur & de prudence , le porta à un fi
haut degré de puiffance › que lorfque
Pompée l'en voulut faire defcendre , il fe
trouva trop foible & en fut accablé.
-
CICERON.
Ce n'eft pas pour décider fi les vertus guerrieres
& la gloire qu'on acquiert par leur
moyen , font préférables aux vertus civiles
que j'en fais ici la comparaifon . Les premieres
ont quelque chofe de fi grand & de
fi flatteur pour l'ambition , le plaifir de
commander eft fi fatisfaifant , la victoire
porte avec elle un fi brillant éclat , que je
ne fuis pas furpris que la plupart des hommes
en ayent été éblouis , & en ayent fait
le comble de la grandeur & de la félicité.
Les vertus civiles , il eft vrai , ne font
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
pas accompagnées de tant de grandeur ;
elles évitent le fafte & l'orgueil : elles font
uniquement occupées à faire le bonheur
des Citoyens : l'utilité publique fait toute
leur gloire : la modération , la magnaniinité
, la tempérance , la juftice , le défintéreffement
, font des vertus qui peuvent
procurer un grand nom à ceux qui les
poffedent. Je trouve Ariftide , furnommé
le Jufte par fes Citoyens , comparable aux
grands Généraux de fon temps,
Je ne fçais fi l'on ne m'accufera pas de
trop de prévention , lorfque je dirai
que Ciceron poffédoit toutes ces vertus
dont il fit un ufage admirable à la tête
d'une République la plus puiffante qui fur
jamais , ayant préféré cette gloire à celle
qui s'acquiert par les armes.
Ciceron étoit de race de Chevalier Romain,
dont la famille n'avoit pas encore été
décorée de ces hautes Magiftratures qui faifoient
tout le luftre de ce qu'on appelloit la
Nobleffe. Ceux qui , nés dans ce fecond
ordre , cherchoient à s'élever aux premieres
dignités , étoient ordinairement fort
jaloufés. Il falloit avoir un mérite bien fupérieur
pour y parvenir : auffi celui de Cicéron
fut tel qu'il ne put être égalé par
aucun de fes contemporains. Il étoit né
avec un génie capable de toutes les fcienJUILLET.
1756. 29
ces , mais comme l'éloquence étoit un fûr
moyen de s'avancer , il cultiva avec tant
d'ardeur le talent qu'il avoit pour cet art ,
qu'il a été regardé comme le premier Orateur
de fon temps . Il joignit à cette étude
celle de la plus faine philofophie dans laquelle
il puifa cette morale pure & ce zele
éclairé dont il fit un fi grand ufage. Comme
il avoit acquis par fa vertu une eftime univerfelle
, il trouva toujours les efprits difpofés
à l'écouter favorablement , parce
que l'on fe laiffe plus volontiers perfuader
par ceux dont la probité nous eft connue ,
que par ceux dont la vertu eft équivoque.
Ce ne fut pas feulement dans les devoirs.
publics que Ciceron fit paroître fon mérite.
Il excelloit encore dans les devoirs particuliers.
Il a été un parfait modele de l'amitié.
Il fut bon parent : il aima tendrement
fes enfans : il mérita de fa femme
plus de tendreffe qu'elle n'en témoigna
dans fes difgraces dont elle fut en partie
caufe. Son défintéreffement alloit juſqu'au
fcrupule. Pour la régularité de fes moeurs ,
il ne fut jamais foupçonné d'y avoir donné
atteinte dans une ville aufi corrompue
que celle de Rome .
"
Les actions brillantes de fa vie , que
tout le monde fçait , font connoître qu'il
avoit une politique fage & une prudence
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
confommée , qu'il fçavoit employer à pro
pos , tantôt avec fermeté & tantôt avec
condefcendance fans les outrer , & felon
que les occafions le demandoient . Ne pou
vant empêcher la chûte de la République
qui fut forcée de fuccomber fous le mérite
& la fortune de Céfar , il la retarda du
moins , & l'empêcha de tomber entre les
mains de fcélérats qui l'auroient entiérement
ruinée fous la conduite de Catilina .
A l'égard de fon éloquence on en con
noît mieux l'excellence par la lecture de
fes ouvrages , qu'il n'eft facile de dire en
quoi elle confiftoit. Les genres en font fi
variés qu'il faudroit un volume entier
pour les faire connoître. Il étoit touchant
devant les Juges lorfqu'il défendoit des
accufés. Il étoit véhément lorfqu'il accufoit
des criminels. Ses difcours dans le
Sénat ont une grandeur & une majeſté
dignes de ces grands hommes auxquels il
parloit. Il prenoit un ton moins haut
lorfqu'il parloit devant le peuple. Ses lettres
font dictées par une politeffe , une
douceur & une fimplicité qui ne refpirent
que l'amitié la plus folide , & dévoilent .
en même temps les replis les plus fecrets
de fon coeur. A l'égard de fes ouvrages de
Philofophie morale , on peut dire qu'il eft
le feul Romain qui ait excellé dans cette
JUILLET . 1756. 31
fcience. Sa converfation étoit douce , aifée:
il fçavoir l'animer par les charmes de fon
efprit , d'une humeur toujours égale &
naturellement enjouée . Il railloit en homme
de qualité , mais fes railleries tomboient
ordinairement fur les ennemis.
Céfar n'avoit pas dédaigné de faire un
recueil des bons mots de Cicéron .
Il eut le bonheur de trouver un peuple
fage , éclairé , doué d'une folidité de génie
qu'on ne trouvoit dans aucun peuple du
monde . Les Romains avoient une équité
naturelle , & un amour pour la vertu , qui
leur faifoient rendre juftice aux belles qualités
de leurs concitoyens. Ils éleverent
Cicéron pour fon feul mérite à toutes les
dignités de l'Etat. Il avoit trouvé la route
de leur coeur. Comme ils l'avoient extrêmement
fenfible , ils fe laiffoient entraîner
aux charmes féduifans de fon difcours,
& à cette éloquence douce & engageante
qui faifoit fon principal caractere. Comme
ce peuple vouloit qu'on lui parlât équité
& raifon , il admiroit ceux mêmes qui lui
reprochoient fes défauts , & s'en corrigeoit.
Nous avons un fait qui prouve ce que j'avance
.
Othon étant Prêteur , avoit fait un Réglement
qui affignoit aux Chevaliers Romains
, dans les fpectacles , des places dif-
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
tinguées & différentes de celles du peuple,
L'année fuivante , Ciceron étant Conful
un jour qu'il fe difpofoit pour aller préfider
aux jeux , on vint lui dire qu'il y avoit
un grand tumulte au Théâtre ; qu'Othon
ayant paru , le peuple avoit commencé
par le fiffler & le huer , & enfuite à lui
dire des injures ; que les Sénateurs & les
Chevaliers avoient pris le parti d'Othon ;
qu'on s'échauffoit au point qu'on fe jetroit
déja des pierres , & qu'enfin la confufion
étoit telle qu'il en pourroit réfulter un
très- grand défordre . Ciceron envoie à la
hâte fes hérauts dire au peuple qu'il veut
lui parler au Temple de Bellone. Le peuple
s'y rend en foule. Ciceron lui fait fur
le champ un difcours convenable au ſujet.
Après lui avoir remontré de quelle conféquence
il étoit de conferver entre les différens
ordres de l'Etat , la fubordination néceffaire
, quel horrible défordre il arriveroit
fi cette fubordination étoit détruite, &
dans quelle confufion tomberoit la République
, fi fes Citoyens s'abandonnant fans
réflexion à leur colere , en venoient aux
mains les uns contre les autres.
Je ne reconnois pas en ce moment ,
dit-il , la fageffe du Peuple Romain , ni
» la modération dont fes Ancêtres lui ont
tant de fois donné l'exemple , eux qui
JUILLET . 1756. 33
ور
dans leurs plus grandes diffenfions avec
» la nobleffe , n'ont j'amais fait des actions
» violentes & emportées ,plus convenables à
» des barbares fans moeurs , qu'à des Ro-
"mains. N'eft- ce pas ce même Othon que
» vous aviez élu votre Préteur , pour vous
rendre la justice ? N'est- ce pas dans le
corps de ces Citoyens contre lefquels
» vous vous élévez avec tant de fureur, que
» vous choifiſſez ceux que leur mérite vous
>> engage à mettre à votre tête , ceux à qui
» vous confiez vos armées , vos haches ,
» vos faiſceaux , & tout cet appareil fou-
" verain qui fait trembler vos alliés & vos
» fujets , & auquel vous vous foumettez
avec tant de docilité , ces hommes fous
» la fage conduite defquels vous avez rem
» porté tant de victoires , & auxquels vous
>> rendez tant de refpects lorfqu'ils vous
» commandent? Devenus vos égaux , après
savoir rempli les fonctions de leurs dignités
, vous les infulterez , & lorfqu'ils
voudront bien partager vos plaifirs , vous
» leur refuferez une petite marque ' d'honneur
qui eft la feule diftinction qui leur
refte après les fervices qu'ils vous ont
» rendus . Allez , retournez aux Jeux : rendez
à vos Magistrats tout l'honneur que
" vous leur devez , & marquez par votre
»déférence & vos applaudiffemens , l'eſti-
»
»
Br
34 MERCURE DE FRANCE.
» me & la confidération que vous avez
»pour eux. Je vais me rendre au Théâtre
" pour être le témoin de votre modération
»& de votre fageffe ».
Le peuple retourne. Othon paroît , on
le reçoit avec toute forte d'applaudiffemens.
Les Sénateurs & les Chevaliers fe
mêlent avec le peuple , tout retentit d'ac
clamations : le calme fuccede , & l'on voit
régner la concorde & l'union . A peine les
applaudiffemens font ceffés , que Ciceron
fe montre. Les acclamations redoublent à
fon afpect , on ne fçait comment lui témoigner
fa reconnoiffance , il goûte avec
complaifance les fruits de fon éloquence ,
& jouit du plaifir de gouverner un peuple
fr docile & fi fage.
>
Je ne fçais fi une victoire remportée
une campagne couverte de morts & de
mourans , grand nombre de prifonniers
dans les fers , les acclamations des foldats
victorieux , & la gloire du vainqueur , ont
quelque chofe de plus fatisfaifant pour un
Général, que les applaudiffemens d'un peuple
bien uni , qui témoigne par fes cris
d'allégreffe le bonheur qu'il a de jouir tranquillement
des douceurs de la paix & de
Funion, fous la conduite d'un Prince doux ,
paifible , pacifique , qui met fon bonheur
à le rendre heureux.
JUILLET. 1756. 35
Je ne tracerai pas ici l'hiftoire du Confulat
de Ciceron ; elle eft affez répandue
dans les écrits de fon temps : je ne parlerai
pas non plus de la part qu'il eut dans
les affaires publiques , j'aurai affez d'occafions
d'en parler dans la vie de Céfar. Je
veux feulement rapporter un trait qui fait
connoître fa préfence d'efprit & la confidération
qu'il s'étoit acquife.
• Il étoit d'ufage à Rome que les Tribuns
préfentaffent au peuple les Confuls qui
fortoient de charge pour lui rendre une
efpece de compte de leur conduite par un
difcours qu'ils prononçoient devant lui.
Beſtia & Metellus Tribuns du peuple
avoient été amis de Catilina , & étoient
par conféquent ennemis de Cicéron . Ils
voulurent l'empêcher au fortir de fon Confulat
de parler au peuple , & de faire briller
fon éloquence : ils lui permirent feulement
de faire le ferment par lequel les
Magiftrats devoient jurer qu'ils avoient
fidelement adminiftré la République . Cicéron
ayant voulu commencer un difcours
qu'il avoit préparé , & fe voyant interrompu
par des gens apoftés par les Tribuns
pour faire du bruit , fe contenta de
faire le ferment ; mais il le fit d'une maniere
qui rendit inutiles les efforts de fes
ennemis. Il jura qu'il avoit fauvé la Répu
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
blique ; qu'il l'avoit empêché de fuccomber
fous les coups de Catilina & de fes
complices ; qu'il l'avoit préfervée du carnage
, de l'embrafement , du pillage , &
de toutes les horreurs que lui préparoient
les plus fcélérats de tous les hommes , que
c'étoient les Dieux immortels , confervateurs
de la République , qui lui avoient
infpiré le courage , & donné la force pour
venir à bout d'une fi grande entreprife . Il
en prit à témoin le peuple qui l'écoutoit .
A peine eut-il ceffé de parler que toute la
place retentit d'applaudiffemens . Le
ple jura auffi que Ciceron avoit dit la vé
rité ; & lorfqu'il defcendit de la tribune
en fimple particulier , après avoir quitté
les marques de fa dignité , & renvoyé fes
Licteurs & fon cortege confulaire , tout le
peuple le reconduifit à fa maifon comme
en triomphe , laiffant les Tribuns feuls ,
outrés de voir que l'affront qu'ils avoient
préparé à Ciceron , tournoit à leur confufion.
peu-
Cependant ce Confulat fi beau , fi utile
à la République fut caufe de l'exil de Ciceron.
Il fut accufé d'avoir fait mourir
dans la priſon , fans les avoir fait condamner
dans les formes ordinaires , Céthegus
, Lentulus , & d'autres Citoyens ,
convaincus d'être complices de Catilina,
JUILLET. 1756. 37
quoique cette exécution eût été faite par
ordre du Sénat , & pour arrêter une fédition
prête à éclater. Mais malgré l'impatience
avec laquelle Ciceron fupporta cet
exil , comme il l'exprime lui -même dans
fes lettres , je ne fçais fr , fenfible à la
gloire , comme il l'étoit , & à l'amour que
fes Citoyens témoignerent pour lui , il
n'eût pas été très - fâché de n'avoir pas éré
exilé . Son rappel a quelque chofe de fi
honorable , que je ne crois pas qu'il foit
arrivé rien de pareil à aucun Citoyen . Tous
les honnêtes gens de la République concoururent
avec plaifir aux efforts de Céfar
& de Pompée pour faire revenir Ciceron.
Son retour fut fi brillant & fi glorieux , il
reconnut fi bien l'amour que fes Citoyens
lui portoient , ils en témoignerent leur
joie d'une façon fi vive & fi naturelle ; il
s'en explique lui-même en des termes fi
magnifiques & fi reconnoiffans , qu'il im
prime dans le coeur de ceux qui le lifent
les mêmes fentimens que les Romains
avoient pour lui.
Il trouva à fon retour en Italie un nombreux
cortege de citoyens qui venoient le
féliciter , Sénateurs , Chevaliers , peuple ,
tous s'empreffoient à lui témoigner leur
joie. Il fembloit , dit- il avec exagération ,
que la ville de Rome fût fortie de fes fonde
38 MERCURE DE FRANCE.
mens pour venir au devant de moi . Tous les
peuples de l'Italie me porterent fur leurs bras
jufques dans ma patrie.
C'eft le fentiment de prefque tous ceux
qui croient connoître Ciceron de l'accufer
d'avoir manqué de courage ; mais je crois
que c'eft faute de l'avoir bien étudié. Les
plaintes , les regrets & les lamentations
répandues dans les lettres qu'il a écrites
pendant fon exil , ont donné lieu de mal
parler de lui du côté du courage : mais nẹ
pourroit-on pas attribuer à la fenfibilité de
fon coeur la façon peut- être trop trifte
dont il s'exprime , lorfqu'il penfoit que
Clodius , fon plus mortel ennemi , perfécutoit
avec la derniere rigueur fa femme ,
fes enfans , fon frere , fes amis , que fes
maifons de la Ville & de la campagne
avoient été brûlées & rafées , & fes biens
pillés ? Lorfqu'il fe voyoit hors de l'Italie ,
manquant des chofes néceffaires , éloigné
de Rome où il avoit été fi brillant , ne
lui étoit- il pas bien permis de fe plaindre
amérement ? Si l'on examine le cours de fa
vie , l'on verra que dans fa jeuneffe il avoit
été à la guerre comme tout Citoyen y étoit
obligé , fans qu'on lui eût reproché aucun
manque de courage , ainfi qu'on avoit fait
à Démofthene , pour avoir , en fuyant d'u
ne bataille , demandé la vie à un buiffon >
JUILLET. 1756. 32
auquel fon habit s'étoit accroché. L'on
fçait que Ciceron a été Gouverneur de
Cilicie , qu'il avoit commandé l'armée de
fa Province fans avoir reçu d'échec , &
avec aſſez de diſtinction pour avoir été
proclamé Empereur par fes foldats. Il eft
vrai qu'il avoit préféré à la gloire qui s'aquiert
par les armes , celle de fe rendre,
le maître des délibérations du Sénat & du
peuple ; en un mot de régner , pour ainfi
dire , à Rome , par fon éloquence , plûtôt
que d'expofer cette gloire à la difcrétion
de la fortune , qui a tant de part aux événemens
militaires : mais fon courage fe
fait bien connoître dans la découverte de
la conjuration de Catilina. Il fçavoit parfaitement
que la plupart des Grands de l'Etat
, que Céfar même , y trempoient , &
qu'il fe faifoit des ennemis jurés , des complices.
Cependant aucune crainte ne peut,
l'empêcher de punir les plus coupables.
C'est une grande marque de courage &
de fermeté d'avoir fçu méprifer les menaces
des amis de Catilina & leurs reffentimens
, auxquels il a été expofé toute fa
vie , & dont il a foutenu les attaques avec.
la derniere vigueur. La haine de Marc-
Antoine , jointe à fa puiffance , n'étonne- ,
rent pas Ciceron , & ne l'empêcherent pas
de s'élever contre lui avec cette force &
40 MERCURE DE FRANCE.
cette véhémence dont font remplies les
belles oraifons qu'il nous a laiffées .
Mais ce qui couronne fa gloire & fon
courage , c'elt fa mort. Pourfuivi par les
affaffins d'Antoine , après avoir pris d'inutiles
mefures pour les éviter , il leur préfente
fa tête avec une intrépidité qui les
étonne, & fufpend pour quelque tems leurs
coups. Aucuns regrets , aucunes plaintes
ne fortent de fa bouche. Il abandonne'
fans regret une vie qui étoit devenue un
fardeau pour lui , comme il s'en explique
dans fes lettres à fes amis , où il déclare
qu'il n'a confervé une vie qui lui eft odien-
Se , que pour rendre encore fervice à la République
, fi l'occafion s'en préfente.
Con bien peu de perfonnes fçavent ce
que c'est que le véritable courage. Tel a
affionté dans les combats & dans les fieges
une mort incertaine , qui , s'il la voyoit
devant les yeux , feroit peut - être voir une
indigne foibleffe , & tel qui n'a pu fuppor
ter avec courage fes infortunes & fes malheurs
, s'eft donné la mort pour les finiry
au lieu que Ciceron , fans la chercher , a
reçu avec fermeté & fans effroi , celle que
le deftin lui préparoit ; & l'on peut dire
qu'il mourut fans orgueil & fans foiblelle.
Il ne fera peut- être pas fi facile de juftifier
la vanité de Ciceron , qui révoke
JUILLET. 1756. 41
fouvent ceux qui lifent fes ouvrages ; on
y reconnoît du moins que fa vanité n'eft
pas accompagnée d'orgueil , vice infuportable
aux autres . L'on fouffie très-impatiemment
de fe voir avili par un orgueifleux
, qui manque fouvent de mérite , le
défaut d'efprit étant affez ordinairement
affocié avec l'orgueil : mais la vanité va ra
rement fans mérite. L'homme vain cher
che à être applaudi comme il eft ama
teur de la louange , il cherche à la méri
ter ; il n'en eft pas avare pour les autres
afin d'attirer leurs applaudiffemens. Il ne
heurte pas de front leur amour - propre
comme l'orgueilleux . La vanité étoit le
foible de Ciceron ; mais en récompenfe il
louoit avec le plus grand plaifir les bonnes
qualités des autres fes écrits font
remplis des louanges des grands hommes
de fon temps . Celles qu'il donnoit
étoient affaifonnées de tant de graces &
d'efprit , qu'on les goûtoit avec plaifir ,
& qu'on fe trouvoit volontiers difpofé à
lui paffer fa vanité . Je penſe d'ailleurs
qu'il croyoit cette vanité néceſſaire pour
fe faire valoir , parce qu'il y a des occa
fions où un homme d'Etat peut avoir de
bonnes raifons de fe donner des airs de
vanité en public. Les grands caracteres
doivent connoître leur prix , & fentir leurs
42 MERCURE DE FRANCE.
forces , furtout lorfqu'il eft question de
fervir l'Etat. Ils doivent produire leurs
talens au grand jour , afin qu'on en puiffe
faire ufage : rarement lorfqu'ils font connus
manque-t- on de les employer ; l'homme
modefte & craintif refte fouvent dans
Pobfcurité. Ainfi cette vanité n'étoit peutêtre
pas un vice dans Ciceron : c'étoit un
défir , peut- être trop ardent , de faire connoître
qu'il avoit été utile à la Républi
que , & qu'il cherchoit l'occafion de l'ê
tre encore après en avoir donné de fi belles
preuves. On peur donc lui pardonner
ces échappées de vanité qui partoient de
l'abondance du coeur , & on doit le faire
d'autant plus volontiers , que dans le fonds
il les bâmoit lui même . Il avoit fait en
plein Sénat un difcours dans lequel il avoit
parlé magnifiquement de fon Confulat ;
il est le premier à s'en mocquer , tant il
en fent le ridicule ; il écrit fur ce fujet à
fon ami Atticus. Vous connoiffez mes exclamationsfur
cette matiere ; ellesfurent figrandes
, que je ne daigne pas les rapporter ; vous
devez les avoir entendues d'Aibénes où vous
êtes.
La fuite au prochain Mercure.
JUILLET. 1756. 43.
TREMBLEMENT DE TERRE ,
Arrivé chez les Fourmis.
Près d'un
FABLE.
Rès d'un chêne entouré d'une fource féconde ,
Dames Fourmis depuis long- temps
Avoient & la Ville & les Champs.
Ce gîte leur fembloit toute la terre ronde :
Cette fource étoit l'Océan..
L'autre rive eût fans doute été le nouveau
monde ,
Si dans l'art de traverser l'onde ,
Hl fe fût trouvé là quelqu'Infecte fçavant.
Reines de l'univers , tout ce qui le décore
Leur offre des plaiſirs, ou charme leurs ennuis :
Pour réjouir leurs yeux on voit briller l'aurore.
Le Ciel en leur faveur fit les jours & les nuits ;
Il créa les faifons encore.
grace ,
Le Ciel eft trop flatté qu'une Fourmi l'honore :
Il le faut avouer , nous fommes d'un grand prix ! -
Ainfi parloit cette chétive race ,
Tandis qu'au Créateur elle eût dû rendre
De vivre de fétus , d'exifter feulement.
La frayeur rabattit leur caquet infolent.
Borée un jour fouffloit , & fur la fourmilliere
Il fit tomber un gland,
44 MERCURE DE FRANCE.
Sa chûte fut fatale à plus d'un habitant
Et répandit l'effroi jufques fur la frontiere,
Il pefe à la nature entiere .
La terre en a tremblé de l'Aurore au Couchant.
L'avez-vous fenti , ma Commere ?
Envain nous avons cru le Tout- puiffant jaloux
De notre fragile exiſtence.
Tout nous vient de lui feul , il n'attend rien de
nous.
Rendons grace à fa bienveillance ,
Et craignons fon jufte courroux.
'Ainfi l'orgueil fit place à la reconnoiffance .
Ce que les dons du Ciel n'avoient pu fur leur
coeur ,
Un coup de vent en eut l'honneur.
Autant en eft de nous , gens ingrats que nous
fommes.
Fourmis & moins encore aux yeux du Tout-puiffant,
Le caprice d'un élément
Fait fléchir devant Dieu l'orgueil altier des hom
1
mes ,
Tandis qu'aux dons de Dieu perfonne ne fe rend..
J. L. AUBERT.
JUILLET . 1756. 45
L'AVANTAGE DE LA RELIGION
Dans l'Adverfité.
ODE .
VAine & fiere philofophie ;
Tu m'enivres d'un fol espoir ,
Contre le fort qui m'humilie ,
Quand tu me vantes ton pouvoir.
Pour chaffer l'ennui qui me preffe
J'attends l'effet de ta promeffe ,
Inutile & foible fecours !
Malgré tón appui que j'implore
Le noir chagrin qui me dévore
Ne finira qu'avec mes jours.
Mon coeur fera-t'il donc fans ceffe
En proie aux cuifantes douleurs ?
Jamais d'une aimable alégreffe
Ne fentirai-je les douceurs ?
Quoi ! faut-il que dans l'amertume
Mon plus bel âge fe confume ,
Sans goûter jamais de plaifirs !
Tandis que d'illuftres coupables
Coulent , toujours infatiables ,
Des jours au gré de leurs défirs.
46 MERCURE DE FRANCE.
N'aurois-je eu du Ciel en partage
La raifon & le fentiment ,
Que pour le cruel avantage
De mieux reffentir mon tourment !
Dans ma fombre mélancolic
Je fuis près de porter envie
Au fort des plus vils animaux.
La raison qu'en nous on admire ,
Sur eux n'exerce point d'empire :
Il font fujets à moins de maux.
Mais quoi quelle vive lumiere
Soudain s'éleve dans mon coeur ?
Cede , raiſon frivole & fiere ,
Un Dieu diffipe mon erreur.
J'avois pu , m'oubliant moi - même,
Du Dieu qui m'a fait & qui m'aime ,
Ingrat , méprifer la bonté :
Mais , par fa grace qui m'éclaire ,
Je vois que l'homme fur la terre
Eft heureux dans l'adverfité.
Quel eft donc ce bonheur fuprême
Dont jouiffent tes favoris ?
Fortune aveugle , eft- ce le même
Que Dieu prodigue à fes amis ?
Plaifirs , amuſemens frivoles
Encens offert à des Idoles ,
JUILLET. 1756. 47.
Voilà ce bonheur fi vanté :
Mais dans ce pompeux étalage ,
Qu'apperçoivent les yeux du fage ?
Une ombre de félicité.
Riche , à quoi fert ton impofture ?
Tu veux que l'on te croye heureux :
Envain tu forces la nature ,
Tu ne tromperas pas mes yeux.
Ta fuperbe magnificence ,
Et ta fomptueufe opulence ,
Qu'offrent-elles à mes regards ?
Un fantôme , une ombre légere ,
Un manteau couvrant la mifere
Qui t'accable de toutes parts.
Réfléchis , & rends-toi juftice :
Ce vuide affreux que tu reffens ,
Ces plaifirs qui font ton fupplice ,
Te donnent-ils d'heureux momens ?
Par fes remords ta confcience
Sçait bien de toi prendre vengeance
Et troubler ta félicité :
Mais l'affligé que Dieu conſole ,
Privé de ta grandeur frivole ,
D'aucun regret n'eft tourmenté.
48 MERCURE DE FRANCE.
Vois cet innocent qu'on opprime ,
Daigne arrêter fur lui les yeux
Son innocence a fait fon crime ,
Son châtiment le rend heureux .
Oui , fon état eſt déſirable ,
Et fon malheur eft moins durable
Que l'éclair qui nous éblouit :
Mais fût- il plus à plaindre encore ;
Son Dieu le chérit ; il l'adore ,
Et fon tourment s'évanouit.
Jamais il ne fut far la terre
De vrais malheurs pour les Elus :
A Job Satan livre la guerre ,
Mais fes efforts font fuperflus.
Des horreurs de fon indigence.
Il efpere la délivrance ,
Et fon efpoir fait fon bonheur.
Que fon fier ennemi redouble ,
Job eft tranquille , & rien ne trouble
La paix qu'il goûte dans fon coeur,
Je ceffe , ô mon Dieu ! de me plaindre ;
Trop heureux dans mon trifte fort.
Je n'ai déformais rien à craindre ,
Ni l'adverfité , ni la mort :
Oui , quelques revers qui m'accable ,
Je louerai ton nom adorable ,
Ta
JUILLET. 1756 . 49
Ta volonté fera ma loi ;
Et malgré mes vives allarmes ,
Rien ne fera couler mes larmes
Que d'être féparé de toi .
DE LATTRE.
RÉPONSE
Al'Effai de M. Hume , fur le Caractere des
Nations , par M. l'Abbé Regley.
IL
n'y avoit qu'une chofe à dire fur la
nature de l'ame ; on en a fait des fyftêmes
par conjectures , & enfin ce ne font que
des conjectures. Les uns la rangent du
côté de la matiere , les autres veulent bien
la mettre dans la claffe des efprits. Un Sça--
vant a décidé que notre esprit eft conforme
aux lieux qui l'ont vu naître , & c'eſt depuis
ce moment que l'on fe repofe tranquillement
fur le climat du foin de former
les caracteres , & peut-être la penfée .
M. Hume vient de retirer ce privilege
au climat pour en faire un préfent aux
caufes morales . Ces caufes font un état
tranquille , ou plein de révolutions ; la
douceur ou la dureté d'un Gouvernement ;
Vabondance des récoltes , ou la difette des
II.Vol. C
fo MERCURE DE FRANCE.
grains ; la fituation d'un pays , & des circonftances
femblables.
Ce fentiment , quoiqu'il foit étayé par
l'érudition , fouffre des difficultés qu'il ne
détruit pas . M. Hume n'omet rien de tout
ce qui peut nous mener à la connoiffance
des difpofitions paffageres de l'efprit d'une
Nation , ou , fi l'on veut , de ces caracteres
d'emprunt que donnent les pertes , ou les
fuccès. Mais il eft un caractere habituel
qui tient à l'ame & au climat , & qui ne
fuit point les événemens : c'eft celui que
l'on trouve dans chaque individu . Il eft
particulier , il eft varié , il fe perd dans
l'infini , & fi on ne le prend pas dans la
combinaiſon des caufes phyfiques , il ne
peut être que l'effet du concours des caufes
phyfiques & morales .
On connoît le méchanifme des paffions ;
on fçait que l'union des deux fubftances
dans l'homme confifte dans la réciprocité
des mouvemens que l'une excite dans l'autre
, & que
toutes
deux
éprouvent
à la fois.
L'ame
, il eft vrai
, tient
les rênes
du Gouvernement
, mais
elle
a un
contrepoids
qui
l'entraîne
. Nous
avons
des
actions
dans
lefquelles
le corps
doit
donner
fon
fuffrage
. Et quelles
modifications
différentes
ne reçoit
- il pas dans
fes
organes
du
côté
de l'air
du climat
, par
les
humeurs
JUILLET. 1756.
qui l'animent , ou par les objets qui l'environnent
? Nous fommes forts par tempérament
, & foibles de même ; la trif
teffe & la gaieté n'ont- elles rien qu'elles
tiennent de lui ? Une mauvaife digeftion
nous affecte jufques dans l'ame , & on ne
veut pas que d'autres caufes puiffent produire
d'autres effets .
Si l'on parcourt le Tableau du génie des
Nations , les caufes extérieures & morales
paroîtront quelquefois en former les nuances
, mais l'avantage reftera toujours au
fol & à l'air natal. On a vu les Perfes ,
mous & efféminés , devenir comme par
hazard , laborieux & conquérans fous Cyrus
: c'eft un fleuve qui s'enfle par une
fonte de neiges. Bientôt ils font retombés
dans leur molleffe naturelle , fous des
Princes moins entreprenans , & le font
fait battre par une poignée de Macédoniens.
Les Romains au contraire , courageux
par orgueil , n'ont rien voulu rabattre
de leur fierté devant Pyrrhus & Annibal.
Les anciens Grecs étoient perfides ,
leurs defcendans le font encore . Les caufes
morales font-elles les mêmes ? Le Juif
porte toujours dans les yeux & dans les
traits le feu du climat dont il eft originaire
; avare & trompeur par la force du
fang qui fe perpétue dans fes veines. L'Ef-
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
pagnol , forcé autrefois d'être fous les armes
contre un ennemi préfent , eft rentré
dans l'inaction qui fait fon caractere , fitôt
qu'il n'a point eu de Maures ou de Hollandois
à combattre. Le Hollandois a toujours
eu un tempérament aquatique au
milieu de fes marais ; & le Suiffe un courage
égal dans fes pâturages ou dans fes
montagnes.
Il eft vrai que les Ilotes affervis par les
Lacédémoniens , les Efclaves que l'on vendoit
, les Serfs que l'on affujettiffoit , ont
pu ne pas montrer plus de fentimens que
les Negres que l'on trafique dans nos Colonies
; mais le germe en étoit -il éteint
dans eux , & de quoi leur eût fervi l'émulation
de la gloire ? Ces fituations , & de
femblables , peuvent prêter un caractere
factice , mais on ne les verra jamais en
déterminer un , en conftituer le fonds ,
ou le détruire.
Si la nature d'un Empire orgueilleux
de fes victoires , ou humilié par fes défaites
, déterminoit le caractere d'un peuple
entier , il faudroit que les membres qui
compofent ce peuple , fuiviffent le fort
de ces caufes accidentelles , & fe prêtaffent
à toutes leurs variations : mais files
caufes ne font que morales , d'où leur
viendra cette force de déterminer d'ailJUILLET.
1756. 53
leurs le vulgaire en eft- il jamais affez bien
inftruit pour prendre une habitude de
mours , ou la dépofer à leur gré. Le Payfan
cloué à fon village , n'eft jamais dans
le cas d'être informé de la perte ou du gain
des batailles , du progrès des fciences &
des Arts , des productions naturelles des
provinces , des manufactures , du commerce
, & même de la conftitution du
Gouvernement àpeine fçait-il le nom de
fon Roi. Sur qui donc tombera la dénomination
générale de fageffe , de fourberie
, de bravoure , de groffiéreté , d'ignorance
? Sur le Courtifan , ou fur ceux qui
cultivent les Lettres & les Arts : mais il y
a encore de la diffemblance entre eux , &
ils ne font que la moindre partie de la
Nation. On ne peut affeoir un jugement
fur les caracteres que par le détail des paffions
; quel moyen de parvenir à ce calcul
des individus ? La nature a mis autant de
variété dans les efprits qu'elle en a répandu
fur les vifages : on eft encore à cher
cher deux hommes exactement femblables.
A-t'on trouvé deux ames d'une fympathie
entiere dans les talens , dans les moeurs ,
dans les paffions & dans le goût ?
Que l'on ne fe rejette pas fur l'unifor
mité du caractere des Chinois , nous ne
connoiffons ce peuple que par les menfor .
C iij
54 MERCURE DE FRANCE .
ges de nos voyageurs qui fouvent n'ont
vu que les tours de Pekin avec des lunetres
d'approche. La France à moins de variations
dans fes climats , beaucoup de vaxiété
dans le génie de fes peuples. Quelle
différence ne remarque-t'on pas entre la
douceur du Bléfois & la dureté du Provençal
; entre l'épaiffeur du Limousin , &
le feu du Gafcon ? Le Bas- Breton n'eft femblable
qu'à lui - même ; & pour me fixer à
deux exemples , où font les degrés de fimilitude
entre le Bourguignon & le Normand?
Le Normand toujours prudent & rufé ,
met beaucoup de circonfpection dans fes
démarches . Il compaffe fes fourberies , &
trompe par combinaiſon. Brave par tempérament
, laborieux par goût , adroit
intéreffé,
Le Bourguignon auffi brave , & moins
circonfpect a plus de franchiſe & de feu:
tout eft action chez lui jufques dans le
difcours ; il ne fe fait point une étude de
l'art de tromper, & fouvent il eft trompé
lui-même.
La colere du Normand eft un feu lent
qui a peine à s'allumer & à s'éteindre
celle du Bourguignon eft un éclair paffager
qui brille , & ne laiffe aucunes traces
après lui. La fociété du Normand eft trif
>
JUILLET. 1756. 55
te , fes plaifirs font graves , il y a de la
péfanteur jufques dans fa gaieté : le commerce
du Bourguignon eft enjoué , fa volupté
eft riante , quelquefois même un peu
folâtre & enfantine .
Ces peuples cependant vivent dans un
même Empire , & les révolutions de l'Etat
font les mêmes pour eux. Pourquoi tant
d'oppofition dans les moeurs ? celle qui fe
trouve dans les productions de leur terroir
, dans la pofition des lieux , dans la
nature du tempérament , dans les alimens ,
Fair , le climat enfin. On montre même
des cantons en Normandie , dans lefquels
les Normands font plus Normands qu'ailleurs.
Les Canois n'ont pas varié un inftant
depuis Raoul jufqu'à nos jours.
La même différence fe remarque dans
ceux de ces peuples dont les Arts ont
échauffé le génie. Comparons encore les
Grands Hommes que la nature a pris plaifir
à Y former pour la Littérature & pour
les talens.
Rouen a vu naître le fçavant le Tourneux ,
qui dans un temps où il apprenoit encoreles
Sciences , fçut en faire naître le goût
au fameux le Tellier , & qui nous a laiffé
tant de pieux ouvrages.
Le Pere Sanadon connu dans le monde
littéraire par fes Traductions & par fes
Poélies. Giv
56 MERCURE DE FRANCE.
Le Pere Brumoi , Auteur du Théâtre
des Grecs.
Le Pere Daniel , fi verfé dans la Théologie
& dans l'Hiftoire.
Le Pere Alexandre Théologien , auffi
laborieux que modefte .
L'Abbé Desfontaines , auffi mordant
dans fes critiques, qu'il eft élégant dans fes
traductions.
Les Banages , S. Amand , l'Emery , qui
le premier a fçu débrouiller le cahos de la
Chimie , & l'art de l'enfeigner.
Lucas fçavant Antiquaire , & trop
Normand dans la relation de fes Voyages.
Jouvenet dont le génie pour la Peinture
s'eft affez développé par un pinceau
né pour le grand .
Enfin Pierre Corneille , qui feul me
difpenfe d'en nommer d'autres , & fon
illuftre frere , le fameux Cadet de Normandie.
Dijon a donné à la France le grand
Boffuet que l'Eglife eût mis au rang de
fes Peres dans des fiecles antérieurs ; Hif
torien , Théologien , Orateur , modele
inimitable dans tous ces genres.
Le Préfident Bouhier que la Jurifprudence
révere.
Le Miniftre Jeannin , fi cher à Henri
JUILLET . 1756. 57
fon intégrité , & fi inftructif dans
fes Mémoires .
IV par
Le célebre Moreau qui a fi bien fçu
donner à la Poéfie cet air naturel qui en
fait l'agrément.
L'aimable la Monnoie , judicieux dans
fa critique , amufant dans fes Noëls.
M. de Buffon à qui la nature elle-même
a pris la peine de dicter fon hiftoire.
M. de Crébillon , l'honneur du Cothurne
& les délices du Théâtre.
M. Piron qui a fait paffer dans fes veines
tout le feu d'Horace .
M. Rameau qui a montré à l'univers
des accords ignorés avant lui , admiré de
l'étranger , & fi cher à nos plaiſirs par
fublimes beautés de fes Opéra.
les
M. Balbaftre qui , fur les pas de ce
grand homme , vient de donner un nouveau
genre de Mufique dans notre Concert
Spirituel par des Concerto & fymphonies
d'Orgue ; génie heureux dans lequel
la compofition & l'exécution paroiffent
également fe difputer l'avantage.
•
Si je voulois fortir des bornes de la
Normandie & de la Bourgogne , je citerois
encore un de ces hommes qui feuls
feroient l'honneur de leur Province ; c'eft
M. Mondonville , né à Narbonne , &
que tout l'univers connoît. Quelqu'un a-
Су
38 MERCURE DE FRANCE.
t'il jamais rendu plus majestueufement les
vérités du Texte faint ? On diroit à entendre
fes Motets que la Mufique eft un
être qui refpire , & que la main du Maître
lui a donné l'intelligence & la penſée. Sa
Province n'eft pas la même que celle de
Meffieurs Rameau & Balbaftre , & il porte
cette différence jufques dans fes ouvrages.
Preuve nouvelle que la nature confulte
quelquefois la patrie pour diftribuer fes
dons , & qu'elle fçait varier les talens felon
les climats. Mais je reviens à mes Bourguignons
& à mes Normands .
La Normandie & la Bourgogne ont
fourni beaucoup de Sçavans à la France ,
& il n'eft aucun de ces Sçavans qui ne
porte dans fes écrits le caractere particulier
& propre à fa Province . Le ftyle du
Normand eft majestueufement trifte ; celui
du Bourguignon eft léger , & toujours
fleuri. Le Normand étend fes idées , le
Bourguignon reftreint les fiennes . Dans.
l'un on voit une imagination rêveufe qui
s'attache profondément à un objet pour en
développer tous les rapports ; dans l'autre,
cette imagination prend un vifage riant ,
& voltige fur les fleurs. On croit appercevoir
des couleurs naturelles , qui ne font
nuancées que par la gaieté du pinceau .
Enfin quelle que foit l'action des caufes
JUILLET. 1756 . 59
univerfelles & morales , il ne me paroit
pas qu'on doive leur attribuer tous ces
différens effets . Elles ne peuvent apporter
aucune détermination , parce qu'elles n'ont
toujours été qu'une occafion de fe déterminer.
Si leur influence eft femblable ,
leur prétendue opération devra l'être , ce
qui ne fe trouve pas. Mais qu'on leur
ajoute des cauſes particulieres , qui combinées
avec elles , affectent différemment ,
& modifient de même , je ne ferai plus.
étonné de voir fortir de ce mêlange la
prodigieufe diffemblance qui fe rencontre
dans l'efprit des hommes.
A proprement parler , il n'y a point de
caractere National. Je ne prétends pas
même en établir un qui convienne univerfellement
aux peuples de la Normandie &
de la Bourgogne. Mais il fe trouve dans
une Nation , dans une Province , dans une
campagne , un certain nombre de caracteres
qui approchent plus de telle verta , ou
de tel vice , & ils font l'effet du concours
des caufes générales & particulieres.
Cvjz
60 MERCURE DE FRANCE.
L'A FRANCE ,
Divertiffement héroïque & paftoral fur la
Naiffance de Monfeigneur le Duc de
Bourbon , à Leurs AA. SS. Monfeigneur
Madame la Princeffe de Condé .
La Mufique eft de M. Blainville.
La France , Troupe de Guerriers.
Qu
Choeur.
Ue tout applaudiffe ,
Que tout retentiffe ..
De nos concerts.
Que fans ceffe
Des chants d'alégreffe
Rempliffent les airs.
Que tout applaudiffe , &c .
La France feule , Air de récit.
Mars & l'Amour partagent mon Empire.
On ne reſpire
Dans ces climats
Que les plaifirs & les combats :
Mars & l'Amour partagent mon Empire.
Ariette.
Tandis que fur les flots mes généreux Guerriers
Vont cueillir de nouveaux lauriers ,
JUILLET. 1756.
61
L'Amour fenfible à notre gloire
Nous fait naître un Condé : ce don fi précieux
Eft un gage de la victoire
Qui doit voler au devant d'eux.
On reprend l'ouverture , & le Chaur :
Que tout , & c.
Un Guerrier feul.
Dans ces lieux confacrés à la Gloire , à l'Amour ,
Déja mille Bergers chargés des dons de Flore ,
Pour célébrer cet heureux jour ,
Conduits par le Dieu Pan , ont dévancé l'Aurore.
Pan , Troupe de Bergers & de Bergeres .
Les Acteurs précédens.
Un Berger & une Bergere.
Duo.
Nous avons du fond de nos bois
De la France entendu la voix .
Choeur.
Nous avons , & c.
Duo.
1
Nous venons rendre un hommage
Qu'aucun Héros ne partage ,
S'il n'eft né du ſang de nos Rois.
Choeur.
Nous venons , & c .
62 MERCURE DE FRANCE.
Pan , feul. Air de mufette.
Taifez-vous , bruyantes Trompettes ¿' .
Laiffez réfonner nos Mufettes .
Leurs tendres accords
Sont les interpretes
De nos tranſports.
Le Guerrier aux Bergers & Bergeres.
Ariette.
Des fleurs que le Printemps vous donne ;
Parez de cet Enfant les innocens appas
Hatez-vous , & n'attendez pas
Qu'il croiffe & fe couronne ,
De celles qu'un Condé moiffonne
Dès les premiers pas
Qu'il fait dans les champs de Bellone
Des fleurs que le Printemps , & c.
Un Berger & une Bergere .
Duo.
Danfons , chantons , livrons-nous
Aux tranſports les plus doux.
Choeur.
Danfons , &c.
Duo.
C'est par nos danfes légeres ,
C'eft par nos chants joyeux ,
Que nos coeurs finceres
JUILLET. 1756 .
63
Honorent les Dieux.
Choeur.
C'eft par , & c.
Un Berger feul.
Prince , dont la tendre jeuneffe
Cache encor un Héros
Sous les traits du Dieu de Paphos ,
Daignez dans ce jour d'alégreffe
Vous montrer fenfible à nos voeux :
Daiguez préfider à nos jeux.
Une Bergere feule .
Et vous , belle Princeffe ,
Si vous paroiffiez en ces lieux ,
Les Dieux defcendroient des Cieux.
Que la fête feroit brillante !
Nous les verrions accourir tous.
Chacun d'eux croiroit voir en vous
La Divinité qui l'enchante.
On reprend le Duo , & le Choeur dit
Danfons , chantons , & c.
64 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
;
Monfieur , la demande que vous me
faites par le Mercure de Juin du Madrigal
fur le Volant , m'a caufé autant de furprife
que de plaifir. Je ne me ferois jamais imaginé
que vous l'euffiez égaré, je penfois que
Yous l'aviez mis au rebut : quelques originaux
de ces cantons le croyoient auffi
ils ont eu même la politeffe de me le témoigner
je voyois que cette idée les réjouiffoit.
Les uns , ce font les Créfus d'ici
, affectant un vif intérêt pour ma fortune
, dont je ne fuis pas la dupe , difoient
: Cela le corrigera peut- être : les vers
empêchent un jeune homme de faire fon
chemin , & c. Les autres , étonnés de la façon
dont je prenois ce qu'ils appelloient
mon humiliation
, me qualifioient de Philofophe
, fans fe douter feulement de ce que
c'eft . Une femme à prétentions , choquée
de ce que je donne dans le fentiment , au
préjudice de fes graces , s'étoit rangée du
parti des raisonneurs , & fur quoi a- t- elle
raifonné ? Sur ma figure. Deux petits maîtres
( car ils gagnent la province ) ont épuiJUILLET.
1756. 65
fé le bel art des mines. Après avoir longtems
pirouetté avec une adreffe imcompréhenfible
, ils fe font , tour -à- tour , falués
dans une glace , & fatisfaits , on ne peut
davantage , de leurs jolies perfonnes , fe
font , en fortant , juré à l'oreille , c'est - àdire
, très -haut , que je devois être défefpéré.
Voilà , Monfieur , ce qui m'eft arrivé
exactement. Ce qui m'amufe beaucoup aujourd'hui
, ce font les efpeces de réparations
de tout ce peuple cenfeur . Je fus tranquille
dans mon revers , je fuis modefte
dans mon triomphe : je ne ceffe de répéter
que je n'en fuis redevable qu'à votre indulgence
, & mes critiques ne ceffent de me
contredire , & par- là , de fe contredire euxmêmes
, fpectacle fort plaifant felon moi.
Un Madrigal faire tant de bruit ! En vautil
la peine ? Je crains qu'on ne réponde
non. Je l'ai encore retouché , je vous en
laiffe néanmoins , Monfieur , entiérement
le maître. Vous me trouverez toujours
foumis à vos décifions , & je vous remercierai
, lors même que vous me refuferez ,
perfuadé qu'il n'eût pas été de mon avantage
d'être accepté . J'ai l'honneur d'être
, & c.
G. ***
66 MERCURE DE FRANCE.
>
LE VOLANT ,
MADRIGA L.
Voici la peinture fidelle
>>De cet Etre qu'on nomme Amant ;
Me dit Thémire , un jour que cette Belle
Avec moi jouoit au volant.
» De tous côtés voyez comme il voltige !
Hélas ! je vois , lui répartis-je ,
Qu'ainfi que ce volant vers vous toujours lancé ,
Mon coeur fans ceffe eft repouffé.
De Chartrait , près Melun , ce 21 Juin
1756.
LES YEUX D'IRIS ,
Rêve fingulier.
Dans un moment où j'éprouvois que
de fommeil n'eft pas toujours l'image du
trépas , les Cieux fe font ouverts , & j'y ai
vu une fi grande quantité de belles femmes
, que j'ai eu peur d'être devenu Mahométan
fans m'en douter. Je commençois
avec embarras mon examen de conſcience
, lorſqu'une fymphonie tendre &
JUILLET . 1756. 67
harmonieuſe a comblé le trouble de mes
fens , & m'a rendu affez indifférent fur
tout ce que je pouvois être. Je me fuis
approché d'un trône , dont la fingularité
m'a frappé : il étoit fait d'une feule rofe.
Un enfant (qui , s'il n'étoit pas l'Amour,
étoit bien digne de l'être ) , le rempliffoit
avec des yeux charmans & que je croyois
reconnoître . J'en ai quitté hier , difois - je
avec réflexion , qui reffembloient bien à
ceux - ci ; mais ce ne font pas eux : ils ne
peuvent tout à la fois être ici & là . Il eft
vrai que pour un être auffi borné que
toi , cet événement eft fingulier , me dit
l'enfant , qui occupoit le trône , & que
je reconnus bien alors : mais apprends que
lorfque j'eus fait ces yeux que tu admires
, les Dieux furent fi jaloux du bonheur
des mortels , qu'ils exigerent de moi que
je leur en ferois part , & voici l'expédient ,
qu'ils imaginerent pour cela , & qui fut
une bonne fortune pour un aveugle tel
moi. Ils conclurent ,
que
dès que
phée les auroit fermés , j'aurois foin de
m'en parer à leurs regards , afin qu'ils euffent
le plaifir de s'y mirer ; & comme je
fuis obligé de laiffer là -bas , pour la forme ,
les panpieres qui les embelliffent , ma mere
ici veut bien leur prêter les fiennes.
Cette explication me prouva ce dont je
que
Mor68
MERCURE DE FRANCE.
me doutois déja , que nous autres mortels
raifonnons toujours fans fçavoir ce que
nous difons.
LE PARNASSE FRANÇOIS ,
Executé en Bronze.
ODE
A M. Titon du Tillet.
EMbrafé d'une ardeur peut- être téméraire ,
Je me livre aux tranfports d'un zele impétueux :
Mufes , j'ofe porter dans votre Sanctuaire
Un pas refpectueux.
Titon feul eft l'objet du beau feu qui m'inſpire ;
11 eft de vos talens & l'honneur & l'appui :
Vous l'aimez , pourriez - vous refuſer à ma lire
Des fons dignes de lui ?
L'ivreffe me faifit , un Dieu m'eft favorable :
Déja , fendant des airs la vafte immenfité,
Dans le féjour où vit ce Neftor vénérable ,
Je me vois tranſporté.
Architectes , Sculpteurs , Graveurs , nouveaux
Appeles ,
Suivez – moi : de vos Arts il connoît tout le
prix.
JUILLET . 1756 .
69
Yenez & vous verrez vos plus rares modeles
Briller fous fes lambris ( 1 ).
Quel fpectacle charmant ! n'eft- ce point un preftige
?
Quelle main embellit ces magnifiques lieux ?
Que d'objets éclatans ! ô merveille ! un prodige.
Se préfente à mes yeux.
Dans un grouppe élégant , chef- d'oeuvre de l'hiftoire
,
Que d'illuftres mortels s'offrent à mes regards !
Par ce bronze , Titon éternife fa gloire
Et celle des beaux Arts.
Monument précieux , incomparable ouvrage ,
Mon ame avec tranſport contemple ta beauté :
Tu ne périras point ; jufques au dernier âge
Tu feras refpecté .
Ceffe de nous vanter , orgueilleufe Phocide
Des lauriers d'Apollon tes côteaux embellis :
Ta fable difparoît , le Dieu du goût réfide
Dans l'empire des lis.
Le Parnaffe n'eft plus cet être imaginaire
Qu'Horace a dans les vers tant de fois célébré :
Il exiſte aujourd'hui , je ne dois pas m'en taire :
J'ai vu ce Mont facré.
(1 ) Les appartemens de M. Titon du Fillet font
arnés des plus beaux morceaux de peinture , fculp70
MERCURE DE FRANCE.
vous! qui dans la nuit d'une extrême ignorance,
Ne connoiffez du Pinde encore que le nom ,
Vous , qui depuis long - temps niez fon exiſtence ,
Volez tous chez Titon.
Vous y verrez des Arts l'amateur & le pere ,
Des moeurs du fiecle d'or le plus noble héritier
Un front de la vertu portant le caractere
Ceint d'un double laurier ( 1 ).
Pour chanter à l'envi ſes bienfaits & fon zele ,
Auteurs fameux , fortez de la nuit du tombeau.
Sa main à vos talens d'une gloire immortelle
Vient de mettre le fceau.
Que fur vos noms envain la critique s'épuife ,
Vous vivrez à jamais en dépit des jaloux
Et l'illuftre Titon qui vous immortalife
Doit vivre autant que vous.
O regne de Louis ! empire aimable & jufte ,
Tout devoit être grand dans un fiecle auffi beau !
Il falloit qu'il parut fous un nouvel Auguſte
Un Mécene nouveau .
ture , &c. tous de main des plus habiles Maîtres.
( 1) M. Titon du Tillet a été Capitaine de Dragons.
MEUNIER , de la Société Littéraire de
Châlons-fur-Marne.
JUILLET. 1756. 75
LETTRE
De Remerciement de Mademoiſelle de R....
à M. de Baftide.
Quelle reconnoiffance ne vous dois- je
pas , Monfieur : vous avez mis mon coeur
d'accord avec ma raiſon . J'aimois tendrement
la Marquife de ... Séduite par le
préjugé , je croyois devoir la méprifer , &
j'en étois vivement affligée. Pour me tirer
d'embarras , je me fuis adreffée vous.
Vous me permettez de l'eftimer , je m'en
tiens à votre décifion : je fuis perfuadée
que vous n'en donnez que de très - juſtes ;
& de plus elle flatte trop mon coeur pour
en appeller. Je vois avec plaifir que la
foibleffe de mon amie ne la rend point
mépriſable à vos yeux. Je puis vous affurer
que je n'ai rien ajouté à fon caractere &
à fes fentimens : vous en feriez convaincu
fi vous voyez les lettres qu'elle a écrites au
Comte de ..... je crois même qu'elles
feroient utiles au Public : elles prouveveroient
aux femmes qu'une jolie figure ,
des fentimens & une tendreffe délicate ,
ne fuffifent pas toujours pour obtenir uncoeur
ou pour le conferver : elles feroient
>
72 MERCURE DE FRANCE.
fentir aux femmes vertueufes qui méprifent
fans pitié toutes les victimes de l'amour,
peut- être parce qu'elles n'ont jamais
reffenti cette paffion, qu'une vertu exempte
de foibleffe , eft une grace qui vient de
Dieu , & que trop de préfomption peut
aifément nous la faire perdre : j'efpere que
vous me rendrez la justice de croire que
je ne veux point parler de cet amour qui
n'a que les fens pour objet , il eft indigne
de l'humanité ; mais de cette tendreffe délicate
qui a fa fource dans le coeur , qu'on
ne reffent qu'une fois dans la vie , & qui
laiffe toujours du repentir. Si je fçavois
votre adreffe , Monfieur , je tâcherois de
déterminer la Marquife de ... à vous envoyer
fes lettres , à vous en faire le juge ;
& fur ce que vous en penferiez , vous laiffer
le maître de les mettre au jour , ou de
les condamner au feu. Je pourrois lui perfuader
que la perfonne pour qui elles ont
été écrites ayant ceffé de vivre , elle n'a
plus d'indifcrétion à craindre.
Je vous remercie , Monfieur , de l'éloge
flatteur que vous avez bien voulu faire du
petit Ouvrage que je vous ai adreſſé .
L'amitié feule la dicté : c'eft fans doute
ce fentiment qui m'a rendue éloquente .
Malgré tout ce que vous me dites d'obligeant
, je me garde bien de m'ériger en
Auteur :
JUILLET. 1756. 73
Auteur je gâterois tout. Ma plume ne
feroit pas toujours conduite par l'amitié ,
& votre façon de penfer fur mon compte
eft trop glorieufe pour moi , pour que je
veuille courir le hazard de vous en faire
changer ; mais l'anonyme que je garderai ,
& mon filence à l'avenir , ne m'empêcheront
pas , Monfieur , d'avoir pour vous
l'eftime la plus diſtinguée .
J'ai l'honneur d'être , &c.
M. de Baftide prie la Dame anonyme
d'engager la Marquife de ... à lui envoyer
fes Lettres , comme elle le lui
propofe
, & d'adreffer le paquet , en l'affranchiffant
, à M. de Boiffy , de l'Académie
Françoiſe , Auteur du Mercure de France ,
qui fera charmé d'en décorer fon Recueil ,
& qui loge rue de la Harpe , près la Place
S. Michel , vis-à- vis le Café de Condé . Si
ces Lettres font auffi bien écrites que celles
de fon amie , il y a tout lieu de croire
qu'elles feront très- agréables au Public ,
& pourront fervir de leçon aux femmes
qui voudront bien en profiter.
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
VERS
A Madame Privat- de Montgeron .
JoOindre à la beauté la fageffe ,
L'Efprit à la fincérité ;
Sçavoir bien aimer fans foibleffe
Fouler aux pieds la vanité ;
Ignorer feule qu'on eft belle ,
C'est le portrait d'une Divinité ,
Dira quelqu'un : non ; c'eft d'une Mortelle ;
Ce font fes traits . Ta curiofité
Voudroit connoître un fi parfait modele .
j
Quand je voudrois cacher fon nom ,
Ma peinture eft affez fidele
Pour reconnoître Montgeron."
Par M. PETIT , Receveur particulier des
Eaux & Fores de Château Neuf, en
Thimerais.
LE mot de l'Enigme du premier Volume
du Mercure de Juillet eft la lettre
u. Celui du Logogryphe eft Errata , où
l'on trouve rat , tare , Tarare ( Montagne
en Beaujolois ) , tarare ( adverbe ) , terra ,
re.
C
JUILLET. 1756. 75
Ce qui a donné lieu à ce Logogryphe
eft l'Errata qui fe trouve à la fin du Mercure
du mois de Mai 1756 , pour le premier
Volume d'Avril , où l'on dit , même
page 72 , ligne 19 , de gente différend , lifez ,
de genre différend ; & l'on ne trouve point
dans cette page 72 , ligne 19 , de gente dif
ferent , conféquemment erreur dans l'Errata.
Pour corriger cette erreur , lifez , page
92 , au lieu de 72 .
Cette obfervation remplit la note d'attente
du Logogryphe.
Pour corriger l'Errata pour le premier
Volume d'Avril .
ENIGM E.
AJonter de l'éclat à certaine lumiere ;
Ami Lecteur , c'eſt mon devoir .
Mais notez que chez moi la choſe eft finguliere ;
J'augmente la clarté fans moi-même en avoir.
LOGO GRYPH E.
D. Dix lettres , cher Lecteur , compofent ma
Ix
ftructure ,
D'un triangle tronqué je porte la figure .
Dij
74 MERCURE DE FRANCE.
VERS
A Madame Privat- de -Montgeron.
JoOindre à la beauté la fageffe ,
L'Efprit à la fincérité ;
Sçavoir bien aimer fans foibleffe ,
Fouler aux pieds la vanité ;
Ignorer feule qu'on eft belle ,
C'eft le portrait d'une Divinité ,
Dira quelqu'un : non ; c'eft d'une Mortelle ;
Ce font fes traits . Ta curiofité
Voudroit connoître un fi parfait modele.
Quand je voudrois cacher fon nom
Ma peinture eft aſſez fidele
Pour reconnoître Montgeron .
Par M. PETIT , Receveur particulier des
Eaux & Forêts de Château Neuf, en
Thimerais .
LEE mot de l'Enigme du premier Volume
du Mercure de Juillet eft la lettre
u. Celui du Logogryphe eft Errata , où
l'on trouve rat , tare , Tarare ( Montagne
en Beaujolois ) , tarare ( adverbe ) , terra ,
re.
C
JUILLET. 1756.
75
Ce qui a donné lieu à ce Logogryphe
eft l'Errata qui fe trouve à la fin du Mercure
du mois de Mai 1756 , pour le premier
Volume d'Avril , où l'on dit , même
page 72 , ligne 19 , de gente différend , lifez ,
de genre differend ; & l'on ne trouve point
dans cette page 72 , ligne 19 , de gente différent
, conféquemment
erreur dans l'Errata.
Pour corriger cette erreur , lifez , page
92 , au lieu de 72 .
Cette obfervation remplit la note d'attente
du Logogryphe .
Pour corriger l'Errata pour le premier
Volume d'Avril.
ENIGM E.
AJonter de l'éclat à certaine lumiere ;
Ami Lecteur , c'eft mon devoir.
Mais notez que chez moi la choſe eſt ſinguliere ;
J'augmente la clarté fans moi - même en avoir.
LOGO GRYPH E.
DIXIx lettres , cher Lecteur , compofent ma
ftru &ture ,
D'un triangle tronqué je porte la figure.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
En me décomposant tu trouveras en moi
De tous les animaux le plus fort & le Roi ;
Sur les bords de la Seine une fuperbe Ville ;
Un métal dangereux qui rend tout très - facile ;
Deux fleurs formant le teint de l'aimable Cloris ;
Deux notes de muſique , un décret de Thémis ;
La fille d'Inachus & de la belle Ifmene ;
La Ville qu'embrafa le fol amour d'Helene ,
Avec l'endroit du corps , où le fils de Thétis ,
Reçut le coup mortel de la main de Pâris :
Un Poëte fameux qu'a produit l'Italie ;*
L'affemblée où Céfar vit terminer fa vie ;
Un Philofophe Grec dont les fçavans écrits
Font l'admiration de tous les beaux efprits :
Un don du Ciel qui met l'homme au deſſus des
bêtes ;
Un fleuve de l'Egypte , un des petits Prophetes ;
Un oiſeau décoré des plus riches couleurs ;
Un bien plus eftimé que toutes les grandeurs ;
Une piece au échecs ; le contraire de Cime ;
D'un Couvent de Nonains le parfait ſynonime.
Par Mademoiselle de Sauret , cadette de
Sarlat Penfionnaire aux Dames de la
Foi. A Sainte- Foi , en Agenois.
JUILLET. 1756. 77
ROMANCE
Tirée du divertiſſement de la Gageure de
Village , petite Comédie jouée au Théâtre
François , le 26 Mai 1756.
*
Cole- te l'on a biau di- re
Que l'a-mour n'eft qu'un tourment, Lorſque
pour toi je fou- pi- re , Moi , je
le trou- ve char- mant . Con- tre
lui l'on fe dé- chaî ne , J'en crois
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
-*
bian mieux mes de- firs. Peut- on
trou ver de
la pei- ne , Dans la
fource des plai- firs.
Quand de ma feule préſence ,
Blaife , tu faifois ton bien ,
Tu m'abordois en filence ,
Mais ton coeur parloit au mien :
Un regard , un doux fourire
Suffifoient pour t'enflammer ,
Et tu n'ofois me le dire ;
Pouvois-je ne pas t'aimer ?
La Mufique eft de M. Girand.
JUILLET. 1756. 79
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Monfieur , la nouvelle Edition des Fables
de la Fontaine n'a pas reçu en ce Paysci
, les mêmes applaudiffemens qu'en France.
Nos connoiffeurs vrais ou prétendus
tels , y ont trouvé mille chofes à redire .
Les uns, & c'étoient, la plûpart , des Poëtes ,
fe font égayés fur la grandeur de l'entreprife
; les autres en ont blâmé le plan &
l'exécution. Le célébre M. Gottfched toujours
attentif à préferver l'Allemagne du
mauvais goût qui regne en France , s'eſt
particuliérement diftingué dans cette occafion.
Il entendoit le Public imbécille prodiguer
des éloges au crayon d'Oudry , au
burin de Cochin (1 ) ; & à prouver fottement
leurs productions par la feule raifon qu'elles
lui plaifoient. L'amour de la patrie du
(1 ) M. Cochin n'a point prêté fon burin à cet
Ouvrage. Il a feulement corrigé les Deffeins .
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
Profeffeur en fut allarmé & lui arracha un
avertiffement au Public dont j'ai l'honneur
, Monfieur , de vous envoyer une
traduction fidele & tout - à - fait littérale ( 1 ).
Voici d'abord un avis préliminaire que
M. Gottfched nous a donné au mois
d'Aout de l'année paffée.
« On va faire à Paris une nouvelle Edi-
» tion des Fables de la Fontaine en quatre
» volumes in-folio , accompagnée de deux
» cens foixante- feize planches , & ornée de
fleurons , &c. Qu'elle entrepriſe ! Pau-
" vre Efope ! t'imprimera- t'on jamais avec
» tant de magnificence ? ou ne le mérites-
» tu pas auffi-bien que tes Singes ? ....
Je paffe à la critique du corps de l'Ouvrage.
« C'eft M. Gottfched qui parle. La
premiere partie de la magnifique Edi-
» tion des Fables de la Fontaine que nous
» avons annoncée derniérement , vient de
paroître ». Le format eft grand in- folio :
le papier eft très- fort & très blanc ; les
caracteres font fort beaux & nouvellement
fondus mais ce ne font- là que des acceffoires
que nous poffédons auffi en Allemagne
& à Leipfic . Des objets plus effentiels ,
و ر
>
(1) Voyez Das neuefte aufs der Anmathigen
Gelehrsamkeis ou les Mémoires touchant les
Belles- Lettres du mois d'Août 1755 , article 16 , &
du mois d'Octobre 1755 , article 1.
JUILLET. 1756. 81
و ر
par lefquels cette Edition fe diftingue ,
ce font les ornemens gravés en bois , & furtout
les Planches : cependant nous ne diffimulons
pas que nous avons été moins
fatisfaits de celles - ci que des premieres.
M. Gottfched fait enfuite le détail des
Gravures en bois qui l'ont frappé le
plus , & conclut par avouer que la
plupart de ces figures font d'un grand
goût & d'une fineffe finguliere , qu'elles
» font toutes deffinées d'après nature , &
» que
l'on y retrouve avec plaifir.ces chefs-
» d'oeuvres des anciens Graveurs Allemands
qui ont inventé l'Art de graver en bois ,
» & dont les talens avoient été enfevelis
" avec eux. Cette habileté du Graveur &
» du Deffinateur , pourfuit le Profeffeur ,
» ne juftifie cependant pas les fantes qu'on
» a commifes dans l'invention & dans la
و د
ג כ
difpofition des figures. Par exemple , le
» fleuron du Frontifpice loge une ruche
» d'Abeilles & un mafque dans les nues. »
Ce déplacement n'eft il pas contraire à la
nature ? Où voit- on des ruches d'Abeilles
& des mafques voltiger dans les airs , ou
repofer fur des vapeurs ? La même inexactitude
caractériſe la vignette de la Dédicace.
Un Serpent cerclé en rond , qui mord
dans l'extrêmité de fa queue , eft entouré
de lys & de fleurs , & brille de rayons de
Dv
32 MERCURE DE FRANCE.
lumiere. D'où partent- ils ces rayons ? d'or
dinaire , les Serpens n'en répandent point ,
& je ne découvre nulle part ce foleil qui
puiffe les produire. Les Palmes qui traver
fent tout le corps de la figure ne font rien
moins que copiées d'après nature : & jamais
l'univers n'a vu l'original des autres
rameaux qui germent , pour ainfi dire , de
l'extrêmité des Palmes.
C'eft en vain que l'on voudra juftifier
des idées par le Pictoribus atque Poetis
d'Horace. J'y réponds avec le même Poëte :
Scimus , & hanc veniam damus , petimuf
que viciffim ;
Sed non ut placidis coeant immitia , non ut
Serpentes avibus geminentur , Tygribus
Agni
Tant que la nature doit fervir de modele
aux Beaux- Arts , les Connoiffeurs fe
récrieront conftamment contre les productions
de l'Art qui s'en écartent : les fouffrir
ou les approuver , c'eft faire renaître
le goût gothique & grotefque que nos Ancêtres
ont déja flétri & condamné .
Quant aux Planches , elles ont été deffinées
la plupart par J. B. Oudry : Cochin
le fils , les a gravées à l'eau- forte , & N..
Dupuis les a terminées au burin. L'on ne
peut difconvenir que ces trois Artiftes ne
JUILLET. 1756. 83
fe foient furpaffés . Le Deffein & les Ombres
ne fçauroient être plus corrects : j'excepte
plufieurs figures de quelques animaux
peu communs que le Deffinateur a
tracés de mémoire , ou d'après de mau
vaifes Copies , où il a péché contre l'exacte
reffemblance. Il n'en eft pas de même
de l'ordonnance de plufieurs Planches ; l'on
y trouve des défectuofités qu'on aura - de
la peine à juftifier .
сс
و ر
P. E. Le Frontifpice repréfente le Bufte
de La Fontaine élevé au milieu d'une fôret
fur un piedeſtal informe de pierres brutes.
Efope , dans l'attitude d'un homme vivant
, eft debout à côté du Bufte , &
» l'admire. Un large tapis fufpendu à des
» branches d'arbres & foulevé par une
Aigle , couvre cette figure. Trois Gue-
" nons , car il paroît aux queues que ce ne
"font point des Singes , font occupées ,
» l'une à orner le Bufte de feftons , l'autre
» à le couronner de lauriers , & la troi-
´» fieme à foutenir le tapis » . Que pensezvous
, ami Lecteur , de cette invention ?
Ceux qui ne s'arrêtent qu'à l'écorce des
chofes , ne confidérant ici que la beauté du
deffein & la fineffe du burin , admireront
fans doute les arbres ou les animaux ou
l'Efope. Mais un vrai Connoiffeur des
Beaux- Arts , un Critique éclairé , ne fe
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
contente pas de tout ceci . D'où vient ,
dira- t'il , cet Efope vivant à côté du Bufte
de La Fontaine ?
La Scene ne peut être ni dans ce mondeci
, ni dans les Champs Elifées ; & il n'y a
pas plus de bon fens dans cette idée , qu'à
placer Miltiade fous la ftatue de Thémiftocle
, ou à repréſenter Alexandre le Grand
admirant Jules - Céfar.
Ne paroitroît - il pas que La Fontaine a
été le maître & le génie d'Efope ; il eût
fallu placer Efope fur le piedeftal , & le
faire admirer par La Fontaine.
Qui eft-ce , continuera- t'il , qui a fufpendu
ce riche tapis dans un bois , & à
quelle fin s'y trouve- t'il ? Suppofons pour
un inftant qu'on ait érigé une ftatue à La
Fontaine au milieu d'une forêt ; idée grorefque
, & que les Animaux n'ont certainement
pas exécutée depuis quand la
mode eft - elle venue de couvrir les ftatues
de tapis ? Eft- ce pour garantir la perruque
du Poëte des frimats & des injures de l'air ?
Cela feroit ridicule ; puifque le tapis ne
dureroit jamais autant que la pierre ; &
pour dire tout en deux mots : Voit-on à
Vienne , à Dreſde , à Sans- Souci , à Hernenhaufen
, ou à Saczdal , ces belles ftatues
de marbre ombragées d'aucun tapis ?
La premiere Planche de la fable de la
JUILLET. 1756.
Fourmi & de la Sauterelle , fournit une
ample matiere à des réflexions de la même
nature . L'on y découvre une belle urne
chargée de bas reliefs , & une grande colonne
d'ordre Corinthien . Le Deffinateur attache
à cette colonne un riche tapis , & y
repréſente les deux beftioles qui s'entretiennent.
Quelle dépenfe inutile d'imagi
nation pour raffembler deux infectes qui
fe rencontrent par milliers dans tous les
champs. Ne s'écrira-t'on pas avec Horace ?
Inceptis gravibus ,
Sed nunc non erat hic locus.
Plufieurs autres Planches font fujettes
aux mêmes remarques , & je ne vois rien
qu'on puiffe alléguer en faveur du Deffinateur,
fi ce n'eft que ce font- là des bagatelles
auxquelles l'on ne doit point prendre garde.
Si cette excufe étoit recevable dans tout
l'univers , elle ne ferviroit de rien à des
François , à ce peuple fi fage & fi éclairé.
Ces orgueilleux Pédagogues , ces prétendus
modeles du genre humain , ne doivent
rien produire qui ne foit parfait. L'on veut
que leur goût foit le plus épuré & le plus
parfait. Ainfi l'on ne peut exiger qu'il ne
paroiffe pas le moindre défaut , pas une
ombre d'imperfection dans rout ce qu'ils
publient. Car s'ils commettent des fautes ,
86 MERCURE DE FRANCE.
le refte des imbécilles Européens les fuivront
en aveugles . Qu'il nous foit permis
à nous autres fots Allemands , dumme Leutfche
, de leur crier en cette occafion : Turpe
eft Doctori!
Je finis ici l'extrait des Mémoires de Littérature
de M. Gottfched , le refte de l'article
des Fables de La Fontaine n'étant
qu'une critique infipide de la Fable du
Meûnier , de fon fils & de leur Afne. Je
vous fupplie , Monfieur , de vouloir bien
publier cette traduction . Peut-être ferat'elle
connoître en France , cet Ariftarque
fameux que plufieurs de fes amis , établis
à Paris , dépeignent comme le premier
homme de l'Allemagne , & qui n'y brille
certainement qu'au dernier rang.
Jamais Auteur n'a fait voir un zele plus
patriotique , & ce qu'il dit dans ces remarques
n'en eft qu'un échantillon trèsfoible.
Sans M. Gottfched , toute l'Europe
feroit dans la fauffe perfuafion que les
François ont remporté une victoire éclatante
à la bataille de Fontenoi : mais graces
au foin généreux de ce Profeffeur, nous fçavons
que le Chantre de Henri IV eft un
flatteur qui veut en impofer au Public ;
que ce font les Alliés qui ont été les vainqueurs
; que même la victoire ne leur a
JUILLET. 1756.
81
été difputée que par les Allemands qui
combattoient dans l'Armée Françoife . Pour
éternifer cette action , il publia en 1746.
une Ode en réponſe de celle de M. de Vebtaire
dans laquelle il n'eft forte d'invectives
que le fouvenir de ce triomphe ne lui
faffe proférer contre notre nation.
Pour achever de peindre notre Apollon
Germanique , nous donnons à nos Lecteurs
la traduction de la premiere ſtrophe
d'un Poëme épique publié par M. Gottfched
en 1751 , intitulé Hermann ou Arminius.
Il nous affure que le Baron de Schoenaich
, Gentilhomme Siléfien , en eft l'Auteur
: mais il a grand foin de nous faire
fentir dans une vafte préface qu'il ya
ajouté , combien il a lui- même de part à ce
Poëme , & le Public connoiffeur lui rend
affez de juftice pour ne pas douter que du
moins la premiere ftrophe ne foit entiérement
fortie de fa plume , la voici met
pour mot. «Je chante le Héros dont le brås
» a défendu fa nation , dont le glaive brilla
pourfa patrie , en domptant les ennemis
» de la Germanie
, qui feul a pu abaiſſer
l'orgueil d'Augufte, & venger l'opprobre
»de la terre par la honte des Romains. Her-
» man, c'est toi que je veux célébrer, & mes
» Chants font confacrés à celui qui détruira
» un jour les Oppreffeurs
de la Germanie
23
و د
88 MERCURE DE FRANCE.
la Nation Françoife;qui femblable au pre
» mier Herman , brifera notre joug odieux ,
» & par qui l'orgueil des Lys fera foumis à
» l'Aigle ».
Ces traits fuffisent pour peindre la modération
, la bonne foi & le zele de M.
Gottfched. Eft-il étonnant qu'on en trouve
des veftiges dans tous fes autres Ecrits .
Nous finiffons par prier nos Lecteurs de
s'en rapporter à un Critique éclairé d'Allemagne
, qui dit il y a quelques années ,
que maintenant fon Pays pouvait fe glorifier
d'avoir porté le goût de la Poéfre
auffi loin qu'en France ; que felon l'aveu
des François mêmes , il falloit, pour rendre
un Poëme parfait , qu'il y eût de la rime
& de la raifon , & que fes Compatriotes
ipouvoient fe vanter de l'une & de l'autre ;:;
que MM. Klopftork & Hallec , montroient
dans leurs Ouvrages beaucoup de raiſon ,
& M. Gottfched y faifoit briller les plus
belles rimes.
J'ai l'honneur d'être , & c.
TRAITÉ complet de la G... virulente des
hommes & des femmes , où l'on fait voir
la différente maniere de la traiter , l'infuffifance
de la plupart des Méthodes , les
dangers qu'il y a de négliger cette maladie,
& les moyens de diftinguer dans les fem
JUILLET. 1756 .
89
mes les G... d'avec les fleurs blanches ;
fuivi d'un Mémoire fur la conftruction &
les avantages d'un nouvel inftrument pour
tirer l'urine de la veffie ; par M. Daran ,
Ecuyer , Chirurgien ordinaire du Roi
fervant par quartier. A Paris , chez Delaguette
, Imprimeur de l'Académie Royale
de Chirurgie , rue S. Jacques , à l'Olivier
, 1756.
Le nom de l'Auteur fuffit pour faire
l'éloge de ce Traité ; fon habileté reconnue
pour établir la confiance qu'on doit y prendre
, & la réuffite qui fuit toujours fes
opérations , pour prouver l'excellence de
fa méthode. M. Daran fe juftifie ſi bien
lui - même du reproche qu'on pourroit lui
faire de la tenir fecrette que nous allons
tranferire ici fes propres termes.
Je prévois , dit -il , qu'on ne manquera
pas de me dire que fi je poffede en propre
& exclufivement cette méthode fûre , je
dois en faire
la nature
part au Public ; que
de la profeffion que j'exerce , exige de moi
certe générofité , & qu'il eft d'ailleurs de
tout bon Citoyen de ne pas priver la fociété
d'un bien dont les avantages peuvent s'étendre
fi loin , & fur un fi grand nombre
de perfonnes. Je réponds à cela que
mon intention eft de le faire un jour ; que
je croirois me rendre coupable envers le
90 MERCURE DE FRANCE.
Public fi j'enterrois mon remede . Mais
que je dois craindre de le publier d'abord,
pour ne le point expofer à être décrié par
le mauvais ufage qu'on pourroit en
faire , & dont la faute pourroit retomber
fur moi. Il n'eft que trop de gens avides
de fecrets , dont l'ignorance pourroit
altérer ma méthode , l'adminiftrer mal
adroitement , & par là la rendre inefficace,
pour ne pas dire dangereufe. Alors on
pourroit s'en prendre à l'Auteur , & tout
ie mal feroit mis fur fon compre , quoique
fort injuftement. On ne doit donc pas trouver
mauvais que j'attende pour faire un
préfent général du fruit de mon étude , que
la bonté en ait été conftatée par des fuccès
qui feront toujours certains dans mes
mains , & qui feroient fort douteux dans
celle des autres par un excès d'avidité ou
de précipitation. Quand on fera bien convaincu
que cette méthode eft la plus fûre
jufqu'aujourd'hui , alors je fuis réfolu dè
la communiquer , & de publier avec fincérité
toutes les regles qu'il y faut obferver
pour ne point faire manquer fes effets.
On peut dire à la louange de M. Daran ,
qu'il écrit en Chirurgien défintéreffé . 11
emploie dans fon livre les couleurs les plus
propres à infpirer au Lecteur une horreur
falutaire pour la cruelle maladie qu'il a
JUILLET . 1756. 91
que
l'art de guérir. A le bien analyfer , ce Traité
que nous annonçons en eft un de morale,
les perfonnes du monde doivent acheter
par préférence. Nous exhortons furtout
nos jeunes gens à lire la préface . Elle
vaudra pour eux le meilleur des fermons ..
ON vient de rendre public un ouvrage
imprimé à la Rochelle , chez Desbordes .
C'eſt un Commentaire fur la coutume de
la Ville & gouvernement de la Rochelle ,
& du pays d'Aunis , en trois volumes in-
4. par M. Valin , ancien Avocat . On fera
peut- être furpris qu'une coutume de 68
articles ait pu fournir la matiere de trois
volumes : mais la furprife ceffera lorfqu'on
fera informé que cet Ouvrage n'eſt pas
feulement un Commentaire , mais un recueil
de Jurifprudence , où l'Auteur a difcuté
tous les points de notre Droit cou
tumier , dont le texte de fa coutume & les
ufages de fa Province , lui ont donné naturellement
occafion de parler.
Les raifons pour & contre y font rapportées
avec clarté , force & précifion
dans un ftyle , dont la noble fimplicité
convient fi bien à un Ouvrage didactique
de la nature de celui- ci . On y apperçoit
une vafte érudition dans la quantité confidérable
de recherches & de citations qui
92 MERCURE DE FRANCE.
s'y trouvent du refte l'Auteur ne s'eft
pas
toujours déterminé par le plus grand nombre
des autorités. Conféquent dans fes
décifions , il a le courage de préférer celles
qui lui paroiffent mieux liées avec les
principes ; & quand il eft forcé de céder
au torrent , il a foin d'expofer les raifons
qui doivent fervir de préfervatif contre
l'opinion dominante qu'il défapprouve
, & qui fixeront peut- être un jour la
Jurifprudence fur les points controverfés.
C'eft un excellent guide pour les jeunes
Avocats , qu'il inftruit en les conduifant
aux bonnes fources où ils doivent puifer
l'efprit de notre Droit François , & pour
les Praticiens à qui il indique les points
d'ufage , & trace la procédure qu'il faut
fuivre dans les matieres des retraits , criées ,
faction d'hommage , fourniffement d'aveu
ou dénombrement , & de déclaration
rôturiere , & c. Par - là il les met à même
de corriger les abus de leur ftyle , qu'il
condamne avec une généreufe fermeté.
Les Juges de la Province y reconnoîtront
auffi la Jurifprudence de leur fiege
, tant ancienne que moderne , fans lui
fçavoir mauvais gré des changemens qu'il
voudroit qu'on y fit en quelques points.
L'utilité de cet Ouvrage ne fe borne
pas aux Provinces voifines de Poitou ,
JUILLET . 1756. 93
Saintonge & Angoumois , dont les Loix
fymbolifent avec celles du Pays d'Aunis :
toutes les Provinces coutumieres de la
France y trouveront plufieurs difficultés
éclaircies , & les notions d'où il faut partir
pour réfoudre celles qui s'élevent journellement
, dépendantes de la Jurifprudence
générale du Pays coutumier .
RÉFLEXIONS CRITIQUES
Sur l'Etude des Humanités .
Depuis
un
fiecle
ou
environ
, l'étude
des
humanités
paroît
trop
longue
, trop
pénible
, trop
ennuyeufe
pour
la jeuneffe
.
On
a cherché
à l'abréger
, à la faciliter
,
à l'égayer
même
. Dans
ce deffein
on a propofé
différentes
méthodes
, dont
on
n'a
point
jugé
à propos
de faire
ufage
. L'ancien
plan
des
études
a toujours
eu le deffus
dans
les
Colleges
.
Jadis on ne connoiffoit pas toutes les
nouveautés qu'on voudroit introduire
dans l'étude des Langues mortes : en fçavoit-
on moins de Latin & de Grec que
l'on n'en fçait aujourd'hui ? Non fans doute.
De-là on infére que l'ancienne route
eft préférable aux nouvelles que l'on s'efforce
d'ouvrir.
94 MERCURE DE FRANCE.
Cette conclufion n'eft pas jufte. Autrefois
on fçavoit fort bien les Langues Latine
& Grecque l'on en convient . Cependant
les méthodes qu'on publie tous
les jours étoient tout - à - fait inconnues :
cela eft vrai. On peut donc apprendre le
Latin & le Grec fans ces nouveaux fecours :
oui mais ce n'eft pas là de quoi il eſt
queftion . Que l'on ait un peu entendu ces
deux Langues après une étude de huit ou
neuf ans , perfonne n'en doit être furpris .
On eût été bien à plaindre , fi un travail ſi
long n'eût pas procuré ce foible avantage.
Ny auroit-il pas moyen de rendre cette
étude plus facile & plus courte ? C'eft une
queftion qui partage les fentimens , & fur
laquelle l'ufage & l'expérience n'ont encore
pu s'accorder.
Bien des ufages ont ceffé , parce qu'on
en a reconnu l'abus : celui qu'on allegue
femble n'avoir d'autre foutien que le préjugé
. Nos peres , dit -on , fçavoient plus de
Grec & de Latin que nous n'en fçavons
maintenant : c'eft qu'ils lifoient beaucoup
les meilleurs Auteurs qui ont écrit en ces
deux Langues. Cette réflexion eft raiſonnable
; mais ne l'a- t- on pas oubliée , quand
on donne des louanges exceffives à des
abrégés , à des extraits , à des recueils ,
où les plus beaux ouvrages de ces génies
JUILLET. 1756. 95
fublimes font tellement défigurés . Ut nec
pes , nec caput uni reddatur forme. Un Sçavant
très-connu me dit un jour qu'il y
avoit de la barbarie à déchirer ainfi les
plus grands hommes de l'Antiquité . Je
penfe comme lui.
On ne fçauroit apprendre l'Histoire dans
Moréri , ni la fable dans le très - petit Dictionnaire
de M. de Chompré , ni le Latin
dans les livres des modernes .
Durant le cours ordinaire des Etudes
on ne peut lire tous les anciens Ecrivains
de la Grece & de Rome on le fçait. Mais
on foutient que la chofe n'eft pas néceffaire.
On peut voir entiérement les plus excellens
modeles , & parcourir feulement
les plus beaux endroits des autres. Les extraits
font donc inutiles : j'eftime même
qu'ils font contraires à la fin principale
des Etudes.
En apprenant le Latin & le Grec on ne
tend qu'à fe former le jugement & le goût,
& c'eſt à quoi ces fortes de livres ne font
nullement propres . Hiftoire , fable , éloquence
, philofophie , raiſonnement , ftyle
, liaifon , idées , maximes , tout y eft im
parfait , tronqué , mutilé , pour ainfi dire .
Cet inconvénient n'a pas lieu dans les originaux
, où tout eft exact , raifonné , lié
fuivi, Pourquoi abandonner en ce point
96 MERCURE DE FRANCE.
l'ancienne méthode , que l'on défend avec
tant de chaleur dans toutes fes autres parties
?
Dira- t-on que c'eft pour abréger
& faciliter
les Etudes ? Mais on n'abrege
que
les Auteurs : le cours des Etudes et toujours
le même , & l'on y fait moins de
progrès
que jamais. On en rejette la faute
fur la trop grande
indulgence
, ou fur
l'inattention
des parens , qui négligent
l'éducation
de ceux qui leur doivent
le jour.
Ce reproche
n'eft que trop fouvent
bien
fondé nous l'éprouvons
chaque jour. Cependant
il y a encore des peres & des meres
qui s'acquittent
exactement
de ce devoir
: leurs enfans ne profitent
pas toujours
de leurs foins & de leur bonne volonté .
La jeuneffe
de notre temps eft indocile
,
volage , inappliquée
, indifférente
pour les
belles connoiffances
. Le mauvais
exemple
eft affez ſouvent
la fource de ces défauts,
Les livres qu'on lui met entre les mains ,
font-ils propres à l'en corriger
? J'oſe aſsûrer
que non . Elle y rencontre
prefque
à
chaque
ligne des difficultés
qu'elle
ne
peut furmonter
, & on la punit pour des
fautes qu'elle fait néceffairement
. Voilà ce
qui la rebute ; voilà ce qui la dégoûte
entiérement
de l'étude.
Dans ces circonftances ne feroit- il pas
mieux
JUILLET. 1756. 97
mieux de ménager fa foibleffe , & d'imiter
la prudence des Médecins , qui donnent
le goût du miel ou du fucre aux potions
qu'ils font prendre aux jeunes enfans
?
L'éducation d'aujourd'hui eft toute différente
de celle des fiecles paffés . On veut
à préfent que les jeunes gens bien nés ſçachent
un peu de tout , & fouvent l'on n'a
pas tort. On fe moque d'un jeune homme
qui , à l'âge de dix- huit ou vingt ans ,
n'apporte dans le monde , où il veut entrer,
que du Latin & du Grec.
Que penferoit-on des Maîtres de l'Ecole
Militaire , s'ils fe bornoient à n'apprendre
que ces deux Langues à la jeune Nobleſſe ,
qu'ils font chargés d'inftruire ? C'eft avec
raifon que le temps de leurs éleves eft
partagé entre les divers exercices qui conviennent
à leur naiffance , à leurs difpofitions
, à la profeffion des armes , à laquelle
on les deſtine . Ils ne peuvent donner
par jour que peu d'heures à l'étude des
Langues anciennes.
Combien n'y a- t- il pas d'autres jeunes
gens à qui il faut donner la même éducation
? Ne pourroit- on pas trouver l'art
d'abréger pour eux l'étude des humanités ?
L'art qu'on voudroit connoître , nous
J'apprenons de M. Nicole. » Le grand fe-
II. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE..
» cret , dit-il , dans fon Traité fur l'éducation
» d'un Prince , pour donner aux enfans
l'intelligence du Latin , eft de les mettre
» le » le plutôt que l'on peut , dans la lecture
» des livres , & de les exercer beaucoup à
» traduire en François. »
و د
ןכ
و د
Profitons de cet avis : mettons de bonne
heure les enfans dans la lecture des
livres , c'est- à- dire , dans l'explication des
meilleurs Auteurs Latins : commençons à
les leur faire voir dès qu'ils fçavent les
déclinaifons des noms , les conjugaisons.
des verbes , & les principales regles de la
fyntaxe latine laiffons - là les extraits &
les compofitions des modernes : puifons
aux fources mêmes , & faifons-y puifer nos
difciples : pour les encourager , applaniffons
toutes les difficultés , & rendons- leur
facile & agréable , s'il fe peut , le travail
que nous exigeons d'eux : choififfons ce
que l'Antiquité a produit de plus excellent
, & tâchons de le mettre à leur por
tée. Un jeune enfant eft extrêmement flatsé
quand il s'apperçoit qu'il peut faire quelchofe
fans autre fecours que celui du que
livre que nous lui faifons expliquer.
Engagé par la réflexion de M. Nicole ,
j'ai entrepris de mettre les oeuvres de
Virgile en état d'être littéralement traduites
par un écolier de fixieme . Je n'ai enJUILLET.
1756. 99
core publié que les Eglogues ; ( 1 ) mais
les Géorgiques fuivront bientôt , enfuite
viendra l'Enéïde.
3
Après la lecture exacte d'un tel Auteur ,
la jeuneffe fe trouvera à portée de parcourir
les autres en peu de temps , & de s'exercer
beaucoup à traduire en François , en
quoi confifte le grand ſecret pour donner
bientôt aux enfans l'intelligence du Latin.
regar-
Je demande aux perfonnes qui ne font
ni prévenues , ni intéreffées , fi cet Ouvrage
n'eft pas préférable à ces extraits informes
, qui inondent aujourd'hui les Colleges
& les penfions. Le premier volume
que j'ai fait imprimer , ne doit être´
dé que comme le commencement d'un recueil
beaucoup plus ample , dont les différentes
parties fe fuccéderont les unes
aux autres , fi le Public paroît le défirer.
D'ailleurs les Eglogues , les Géorgiques
& l'Enéïde , font des ouvrages qui n'ont
entr'eux aucune connexion : ils peuvent
fe publier féparément du moins on l'a
déja fait bien des fois .
Je ne doute pas que le préjugé ne fe
de ces réflexions ; mais j'en appelle
à l'expérience , qui me réuffit tous les
moque
(1 ) Ce Livre imprimé à Senlis , chez Nicolas
des Rocques , fe trouve à Paris chez Hochereau ,
Quai de Conty, & fe vend 2 liv. 10 fols relié.
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
jours parfaitement bien , & je ne me croirai
convaincu d'erreur , que quand elle
aura montré que mes idées font frivoles.
Au refte je n'écris que pour ceux qui n'ont
pas le temps , la volonté , ou les facultés
de confacrer la cinquieme ou la fixieme
partie de leur vie à une étude feche &
défagréable , laquelle peut s'achever en
deux ou trois ans tout au plus , fi on ne
s'applique qu'à elle feule. Je confeille à
ceux qui fe propofent de refter oififs
quand leurs études feront finies , de fuivre
la route commune : c'eft le meilleur parti
qu'ils puiffent prendre pour éviter l'ennui
& le vice , fruits ordinaires de l'oifiveté.
Monfieur , les réflexions que je vous
adreffe ont été faites il y a long-temps. Je
vous prie de les inférer dans votre Mercure
, fi vous les jugez dignes de voir le
jour. Elles font critiques , mais elles n'attaquent
perfonne en particulier. Je compte
vous envoyer bientôt d'autres réflexions
fur les traductions des Poëtes Latins , lefquelles
pourront fervir à les rendre plus
littérales , plus fideles , & par conséquent
plus agréables & plus utiles. J'ai l'hon
neur d'être , & c.
A. BOURGEOIS , Principal du College de
Crépy , en Valois.
Crépy , le 26 Avril 1755 .
JUILLET . 1756.
101
Commentarii Societatis Regia Scientiarum
Gottingenfis , Tomus IV, ad annum 1754.
Gottinge , fumptibus Elix Luzac. Ce volume
fe trouve à Paris , chez Briaffon , rue
S. Jacques.
>
LE TOME fixieme de la Table générale
des Matieres contenues dans le Journal des
Sçavans , de l'édition de Paris , depuis l'année
1665 qu'il a commencé jufqu'en
1750 inclufivement , avec les noms des
Auteurs , les Titres des Ouvrages , & l'Extrait
des Jugemens qu'on en a portés , vient
de paroître , & fe vend à Paris , chez le
même Libraire , 1756,
LA RAISON triomphante des nouveautés
, où Effai fur les moeurs & l'incrédu
lité , par M. l'Abbé P *** D. en T. Sapientia
prima eft ftultitiâ caruiſſe. Horat. à Paris ,
chez Garnier , Imprimeur- Libraire de la
Reine & de Madame la Dauphine , rue
S. Jacques , vis- à-vis le College du Pleffis ,
à la Providence , 1756 .
Ce Livre édifiant eft dédié à MM. les
Beaux- Efprits. L'Auteur y emploie contre
eux les traits d'une pieufe ironie , pour leur
protefter qu'ils ne font aujourd'hui que les
très-foibles copiftes des Lucreces , des
Fauftes , des Hobbes & des Bayles , leurs
devanciers. Nous nous repofons fur des
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
Journaux plus férieux du foin d'en faire
l'éloge & l'extrait en forme dont ils s'acquitteront
mieux que nous. Engliffant fur la
Préface, nous nous contenterons d'indiquer
pour leur nouveauté , les fept chapitres
qui compofent la premiere partie. Le premier
parle de Paris en général ; le fecond,
du fyftême des Suffifans ; le troifieme , du
fyftême des Railleurs ; le quatrieme , du
fyftême dés Mifantropes ; le cinquieme ,
du fyftême des Voluptueux ; le fixieme ,
du fyftême des faux Politiques ; le feptieme
du fyftême des Sçavantaux. Ce font - là
fuivant l'Auteur , les différentes Sectes
qui divifent la capitale. Vanter , dit- il ,
fa propre fcience , dédaigner celle des autres
, vouloir fubjuguer tous les efprits , fe
perfuader que tous les applaudiffemens
yous font dûs : voilà le rôle naturel du
Suffifant. Pour les Railleurs , M. l'Abbé
P*** prétend que leur claffe eft la plus.
nombreufe , que femblables aux méprifables
infectes , ces hommes fe multiplient
à l'infini , & que tous les Etats ont les
leurs. Les Mifantropes , felon lui , font
plus rares , du moins les vrais qu'il diſtine
gue des faux Milantropes qu'il trouve trèscommuns
, & qui n'en ont que la brufque
apparence pour mieux cacher leur duplicité.
Buvez , mangez , réjouiffez- vous . Telle
JUILLET. 1756. 103
eft, pourfuit l'Auteur , la loi fondamentale
de la fociété nombreufe des Voluptueux.
Aifée dans la pratique , l'on peut
préfumer qu'elle manque peu d'obſervateurs.
La plupart en viennent même jufqu'au
fcrupule. Nous pafferons la claffe
des faux Politiques , Citoyens éternels de
nos Cafés & de nos jardins , pour en venir
à celle des Sçavantaux. C'eft un mot dont
nous avons l'obligation à l'Auteur d'avoir
enrichi notre Langue. Il appelle ainfi les
petits Sçavans qui fourmillent dans Paris ,
ces jolis efprits , qui fe répandent dans le
grand monde. ( jufqu'ici nous n'avions connu
que le terme de Sçavantaffes , pour dire
les gros Erudits. ) La maniere dont il peint
ces Sçaventaux , nous a paru fi finguliere ,
que nous n'avons pu réfifter à l'envie d'en
offrir les principaux traits aux yeux de nos
Lecteurs , & de tranfcrire les propres termes
de M. l'Abbé P *** . Faits , dit-il , pour
égayer la converfation , on les recherche :
on les engage de vous rendre vifite , (à vous
rendre feroit plus François ) : leurs petits
riens font amufans : la légéreté de leur hu
meur ne peut que divertir. Gens à la mode,
on m'entend affez : il eft du beau ton de
les fréquenter. Une table fe trouveroit
mal fervie , le dégoût y paroîtroit , il y
régneroit un ennui général... , fi ces Mef-
E. ive
104 MERCURE DE FRANCE.
fieurs nefuffent de la partie. ( Nous croyons
qu'il eût été mieux de dire n'étoient. ) Ils
ont remplacé les Chanteurs. Jadis la Mufique
faifoit le principal ornement d'un repas
, aujourd'hui elle en eft exclue : on
en a banni encore les Bouffons de métier ;
on fe contente d'y voir de beaux diſcoureurs
de profeffion. Mille jeunes gens ,
ajoute- t'il , ont fondé leur efpoir fur cette
bifarre coutume , ils ont embraffé le Sçavantifme.
Le métier nourrit fon homme ;
en voilà fuffiſamment . Nous adoptons ces
derniers mots , & nous terminons par eux
ce précis , qui fuffira pour donner une jufte
idée du zele & du goût de l'Auteur , ainſi
que du ftyle & du ton de l'ouvrage .
LETTRE de M*** à M. de Lavau , Prieur
d'Aytré , Directeur de l'Académie de la
Rochelle , fur fon Difcours contre la Latinité
des Modernes. Cui bono ? mot de Caffius
, 1756 .
L'extrait de ce difcours fe trouve dans
le Mercure de Mars de cette année. La
lettre de l'Anonyme contient une plainte
polie fur le mépris que M. de Lavau y tế-
moigne pour la Latinité moderne, & montre
en même- tems dans l'Auteur un grand
zele à la défendre. Nous ne citerons que
ces lignes pour le prouver. Puifque nous
prononçons , dit- il , il faut au moins que
JUILLET. 1756. 105
nous fçachions en quoi elle confifte ( la
Latinité moderne ) . Nous , dans un fiecle,
où l'on fçait tout , excepté le Grec & le
Latin ; qu'on eft effrayé d'un in-folio ; .que
F'on voltige de brochure ; & en brochure
que l'on ne parle que modes , nous l'aurons
attrappée , en dormant , caquettant ,
quadrillant , danfant , cabriolant , chantant
, fifflant , aux Boulevards , à l'Opéra,
à la Comédie , à la Foire , dans les Cafés ,
dans les Cercles : je vous le demande , M.:
à ce parallele , quel qu'il foit , feroit- il déraifonnable
de fufpendre fon jugement ? Je
n'ai garde , Monfieur , de vous confondre
avec ces inutiles qui fçavent tout fans avoir
rien appris..... Vous avez trop de fageffe
pour penfer , & trop de retenue pour dire
que tous ces hommes qui vous environnent
actuellement dans votre cabinet , &
que vous avez choifis pour votre confeil ,
ne foient que des fots ..... S'il en revenoit
quelques-uns de là -bas , de quel air nous
répondroient - ils Un Erafme ,
Manuce , un Muret , un Bembo , un Strada,
& prefque de nos jours un Jouvency ,
un Santeuil , un Grenan , un Rollin , um
Coffin , fe défendroient- ils fi mal ? Mais
non ; comme la plûpart étoient fimples &
modeftes , ils nous diroient peut-être d'un
on demi-railleur : Notre fiecle étoit le
un:
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
fecle des réflexions & des recherches , le
vôtre , Meffieurs eft celui du fçavoir & des
déciſions : vous naiffez Juges , nous fommes
morts Ecoliers.
Le zele dont l'Anonyme eft tranfportés
pour le Latin éclate avec une nouvelle force
à la fin de fa brochure à l'occafion du
fentiment de M. Dagai : Voici , dans le
Mercure d'Avril , s'écrie- t'il allarmé , une
nouvelle Thefe que je trouve encore contre
la Langue Latine. C'eft M. Dagai
Abbé de Soreze , Préfident de l'Académie
de Befançon , qui , ouvrant la Séance
par un parallele du François avec le Latin ,
prétend faire voir que le premier balance
le fecond ; s'il ne le furpaffe même. Seroitce
donc une confpiration concertée d'abolir
cette Langue ? A Dijon les lettres:
font dangereufes ; à la Rochelle il n'y a
plus de bonne latinité ; à Besançon le
Latin ne s'entend plus bientôt dans les
Provinces il ne fera pas plus queftion de
Latin que de Grec , & du Grec on en
parle prefqu'autant que de l'Arabe & du
Chinois. L'Anonyme trop zélé , nous paroît
avoir exagéré ce qui a été avancé dans
l'Académie de la Rochelle & dans celle de
Befançon. Nous croyons qu'on va trop loin
de part & d'autre , & qu'un parti moyen
eft le plus convenable , c'est- à- dire , que
JUILLET. 1756% 107
l'étude des bons Auteurs Latins anciens eft
néceffaire pour fe perfectionner le goût en
François , mais que le Latin moderne n'y
doit jamais fervir de regle , fans vouloir le
déprimer. A l'égard de la Langue Françoife
, il nous femble qu'elle peut être juftement
comparée à la Latine , & que fa
beauté réelle dépend des Ecrivains qui la
parlent. Nous penfons en conféquence
que le François de Racine & de Defpréaux
n'eft pas inférieur au Latin de Virgile &.
d'Horace. Tâchons d'enrichir de plus en
plus notre Langue fans en faire un jargon,.
& de furpaffer les anciennes , en les prenant
pour modele . Par cette raifon , nous
devons toujours les étudier & les refpecter
, quand même nous parviendrions à
obtenir la prééminence far elles..
Suite des RÉFLEXIONS fur les trois preamiers
Tomes de l'Hiftoire de la Ville & detout
le Diocèfe de Paris , par M. l'Abbé
Lebeuf, de l'Académie Royale des Infcrip--
tions & Belles - Lettres ; pourfervir d'éclairciffemens
& de fupplément aux Nouvelles
Annales de Paris ; par Dom Touffaint dis
Pleffis , Religieux Bénédictin de la Cons.
grégation de S. Maur.
·XIX. Tome I, page 37. « Je ne puis
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
ور
ور
le
» faire valoir que fur la foi d'autrui ,
» témoignage d'un ancien manufcrit , où
" on li que dès l'an 581 , l'églife de Saint
» Germain l'Auxerrois étoit l'une des qua-
» tre Abbayes qui environnoient Paris ».
Réflexions. Après ce qui a été obfervé
dans les Annales ( pag. 100 ) fur ce prétendu
manufcrit , M. l'Abbé Lebeuf devoir,
ce femble , non chercher à le faire valoir
mais n'en témoigner que du mépris .
XX. Même page. S. Ouen dans la vie
» de S. Eloi , marque qu'il y avoit à Paris.
» une Bafilique , dite tout fimplement de
ود
» S. Germain » .
Réflexions. Ce paffage de la vie de Saint
Eloi , que M. l'Abbé Lebeuf applique à,
l'églife de S. Germain l'Auxerrois , je l'ai
appliqué ( pag. 52. ) à celle de S. Germain
des Prés. Mais comme il ne fe trouve rien
dans le texte , qui favorife mon interprétation
plutôt que la fienne , il me femble
aujourd'hui
qu'il vaut mieux l'entendré
comme lui de celle de S. Germain l'Auxerrois
; car à peine l'autre étoit - elle nommée
alors autrement
que S. Vincent. De plus ,
en l'expliquant
ainfi , on écarte tout foupçon
d'interpolation
dans cet endroit de la
vie de S. Eloi.
XXI . pag. 37 & 38. « La Bafilique de
» Saint Germain l'Auxerrois étoit gouJUILLET.
1756. 109
-
"
vernée en 690 par un nommé Landebert
, qui eft qualifié Abbé , dans le
» fens que ce terme fignifie fupérieur ou
» premier. Dans un échange fait entre ce
» Landebert , & un autre Abbé nommé
Magnoald , le feing de Landebert eft
» fuivi de celui de Valgoald Prêtre , Ber-
» tin , Fladebert Prêtre , &c ..... Rien de
» tout cela ne défigne une égliſe Monaftique
».
"
29
ود
Page 51. « Il y auroit de quoi compofer
un Traité , pour montrer que les ter-
» mes Monafterium & Abbatia ont été
employés indifféremment pour défigner
» des églifes. féculieres. Je me . contente
» pour le préfent de renvoyer à la Chronique
de Cambrai , où la Cathédrale
d'Arras eft appellée Monafterium S. Ma-
» ria Atrebatenfis ».
"
Réflexions.. Cela n'eft- il pas dit d'un
ton trop décifif ?. Il faut prouver ce qu'on
avance quand on a des contradicteurs , G
on veut les faire changer de fentiment.
L'Auteur des Annales penfe , comme bien
d'autres , que fous la premiere race de nos
Rois , avant le gouvernement de Charles-
Martel , il n'y avoit ni Abbé qui ne fût
Moine , ni Monaftere qui ne fût une Communauté
de Moines ; & que par conféquent
s'il s'eft trouvé dans ces temps- là
no MERCURE DE FRANCE.
quelque Communauté de Clercs Séculiers,
cette Communauté n'étoit alors qualifiée
ni Abbaye , ni Monaftere , & le Supérieur
qui en étoit le chef, ne prenoit point le
titre d'Abbé . Si cela eft faux , qu'on nous
en démontre la fauffeté ; fans quoi nous
croirons toujours que Landebert étoit un
Abbé , Moine , & que S. Germain l'Auxerrois
, comme S. Quentin en Vermandois ,
S. Furfi de Péronne , S. Agnan d'Orleans ,
& tant d'autres femblables , n'étoient ni
plus ni moins des Abbayes de Moines ,
que celle de Saint Germain des Prés à
Paris.
2º. Je ne m'infcris point en faux contre
la Chronique de Cambrai . J'obferve ſeulement
d'abord qu'elle ne prouve pas tour
ce que M. l'Abbé Lebeuf veut prouver ,
puifque la Cathédrale d'Arras n'y eft point
nommée Abbatia ; & en fecond lieu , que
l'Auteur de cette Chronique étant bienpoftérieure
à Charles Martel , le raifonnement
de M. l'Abbé Lebeuf porte entiérement
à faux. Il faudra parler encore de
ceci un peu plus bas , No XXXII .
XXII. pag. 38. « Le Clergé de
" Saint Germain l'Auxerrois étoit chargé
" d'une partie de l'école de l'Eglife de-
» Paris : c'eft de- là qu'eft refté au canton
» voifin le nom de l'Ecole , dont on ne ſe
JUILLET. 1756.
11
fert plus qu'en parlant du Quai qui en.
"eft voifin ».
&
Réflexions . C'eſt- là une pure conjecturez
car la preuve ne s'en trouve nulle part ,
cependant on ne la donne point comme
telle. Or , conjecture pour conjecture ,
celle de l'Auteur des Annales , qui fuppofe-
(pag. 196. ) que le célebre Remi d'Auxerre
tint fon école publique près de S. Germain
l'Auxerrois , vaut bien celle de M..
l'Abbé Lebeuf. C'eft au Public à choisir.
"
XXIII: même page. « Dans l'énuméra-
» tion faite en l'an 811 des Eglifes qui
» devoient députer à l'anniverfaire
d'E-
» tienne , Comte de Paris , le jour qu'il
» devoit être célébré à la Cathédrale , on
» lit S. Germanum novum , qui eſt S. Germain
des Prés
Réflexions. Ce trait m'avoit échappé:
J'aurois dû en faire mention à l'endroit où
j'obferve que depuis la tranflation de
S. Germain , faite en 754 , l'églife de
S. Vincent n'a prefque plus été connue
que fous le nom de ce faint Evêque. Mais
il falloit la diftinguer de celle de S. Ger-.
main l'Auxerrois , qui n'avoit jamais changé
de nom. Quelques uns donc l'appellerent
S. Germain le neuf; & cela étoit affez
naturel cependant ce dernier nom n'a
pas fait fortune.
MERCURE DE FRANCE.
13
»
XXIV. pag. 39. « La Tudelle étoit un
champ fitué aux environs de ce qu'on
a appellé depuis la Ville- l'Evêque , &
» la Grange- Batailliere , dans lequel fe
" faifoient quelques exercices militaires ,
» d'où il tiroit fon nom de Tudelle ».
39
"
"
Page 119. A la Ville- l'Evêque étoit
le Pré-l'Evêque, dit autrement les Joutes,
à caufe des exercices qui s'y faifoient.
C'étoit un lieu deſtiné à ſe battre , ou à
faire l'exercice des troupes ; & c'eſt ce
» qui eft appellé Tudella dans le Diplôme
» de Louis le Débonnaire , c'est-à- dire , un
» lieu environné de haies , car Tutela , fe-
» lon le Gloffaire veut dire feptum . Non
» loin de- là étoit une grange , appellée par
»cette raifon dans un inventaire de l'an
» 1450 , ou environ , Granchia praliata ,
» c'est- à- dire , Grange Bataillieren.
29
ود
1
Réflexions. J'ai cru voir tout au contraite
que la Tudelle étoit un lieu fitué entre
l'églife de S. Merri & la rue de S. Germain
l'Auxerrois ; & c'est ainsi que je m'en
fuis expliqué dans les Annales. ( pag. $ 3.4 .)
Il eft vrai , que la Charte de Louis le Débonnaire
n'eft pas ici fans quelque obfcurité
, moins cependant par vice de conftruction
qu'à cauſe de l'omiffion d'un mot.
On a oublié certainement d'y inférer la
particule neque ,
immédiatement avant ces
JUILLET. 1756. 113
mots , in ruga S. Germani. Mais indépendamment
de cela , je trouve fi jufte l'explication
que donne M. l'Abbé Lebeuf au
mot Tudella , que je renonce fans façon à
la conjecture que j'avois hafardée au même
endroit fur l'intelligence de ce mot.
XXV. pag. 46. « Il m'a paru réfulter
» de toutes ces infcriptions , que le corps
»de S. Vulfran , Diacre , & c.
Réflexions. Dans ce texte , qui eft fort
long , M. l'Abbé Lebeuf conjecture qu'un
faint Diacre , nommé Vulfran , dont les
offemens fe font trouvés à S. Germain
l'Auxerrois , renfermés avec ceux de Saint
Landri dans une même Châffe , étoit un
Diacre de ce même faint Evêque . Ceci
méritoit place dans les Annales , du moins
comme conjecture ; & fi j'en avois eu connoiffance
, j'en aurois fait mention fous
l'épifcopat de S. Landri,
XXVI. pag. 49. « On ne voit point
» de Paroiffes dans Paris , dont les écoles
» aient eu une date fi ancienne & fi
per-
» pétuée que celle de S. Germain l'Auxer-
,, rois » .
Réflexions. Les Paroiffes de Paris , fans
en excepter même celle de S. Germain
l'Auxerrois , n'ont jamais eu d'écoles publiques
, fi ce n'eft dans ces derniers temps,
celles des Soeurs- grifes , ou d'autres établif
114 MERCURE DE FRANCE .
〃
femens pareils pour l'inftruction gratuite
des petits enfans . Mais dans l'étendue de
ces Paroiffes , il s'eft établi par fucceffion
de temps à droite & à gauche , des écoles,
des Colleges , des Académies , des Manufactures
; & comme ce n'eft pas pour elles
un honneur d'en avoir , ce n'eſt pas non
plus un deshonneur de n'en avoir point.
" XXVII. pag. 61. « L'étymologie
» la plus probable du mot de Louvre ,
» eft celle qui fait dériver ce nom du
» Saxon , où Lover fignifie un Château ,
› Caftellum » .
Réflexions. L'Auteur des Annales ( pag-
99. ) a formé quelque difficulté contre cette
étymologie ; & c'eft ce qu'il falloit réfuter
, ou ne la pas donner comme la plus
probable de toutes.
"
>
XXVIII . pag. 65. « Je ne vois rien
d'authentique dans le récit de la tranſlation
du corps de fainte Opportune
» faite au Diocefe de Paris , & c. .... Je
"fuis perfuadé qu'il faut attribuer à Louis
le Gros , ou à Louis le Jeune , la
donation des petits Marais de Cham- 22.
" peaux ".
Réflexions. 1 ° . Très - certainement ceci
n'eft pas exact. Eft - ce que la tranflation
du corps de fainte Opportune à Parismême
, n'eft pas authentique A la bonne
à
JUILLET. 1756. 115
heure qu'elle ne ſe ſoit pas
faite du temps
de Louis , Roi de Germanie : l'Auteur des
Annales n'en croit rien non plus que M. Le-
Beuf. Mais enfin elle s'eft faire à Paris , &
cela auffi certainement qu'elle s'étoit faite
auparavant à Moucy le neuf.
de
20. Ce ne fut point fous le regne
Charles le Chauve , mais fous celui de
Louis le Begue , que ces Reliques furent
apportées à Paris. Ce ne fut point non
plus ni Louis le Gros , ni Louis le Jeune ,
mais le même Louis le Begue qui fit donation
au Clergé de fainte Opportune de
quelques prés & de quelques champeaux
voifins de cette Eglife. Tout cela eft prouvé
dans les Annales , ( pages 161 & 162 ).
XXIX. pag. 69. « Je ne puis donner
qu'une fimple conjecture touchant l'origine
de l'églife de Saint Leufroi . Il pa-
» roît que c'eft quelque Seigneur ou Prince
, ou bien quelque riche Bourgeois
de Paris , qui ayant dévotion à ce Saint,
» & en ayant obtenu des Reliques , bâtit
» cette Eglife ».
Réflexions. Appelle- t'on cela une conjecture
? Puifque cette Eglife a exifté , il
falloit bien que quelqu'un l'eût bâtie , &
vraisemblablement ce quelqu'un- là n'étoit
pas de la lie du peuple . M. Lebeuf dans
Fénumération des Fondateurs a oublié quet116
MERCURE DE FRANCE.
que Dame de confidération , ou quelque
Princeffe , ou enfin quelque riche Bour
geoife.
L'églife de S. Leufroi a été occupée par
les Religieux de la Croix S. Leufroi pen
dant une vingtaine d'années , depuis l'an
898 , ou environ jufqu'en 918 , comme
on le marque dans les Annales ( pages 193
& 198. ) ou elle exiftoit avant eux ; &
alors il faut dire que l'origine en eft abfolument
inconnue : où ils l'ont bâtre euxmêmes
; & dans l'un & l'autre cas, on voit
pourquoi elle a pris le nom de S. Leufroi.
Il y a là plus qu'une conjecture , & pardeffus
cela une date certaine.
XXX. pag. 127. Dans le teftament
» d'Hermantrude , au fupplément de la
Diplomatique , page 93 , on
33
"3
trouve
parmi ceux qui fignent , un Baudacha-
»rius Defenfor ; & il femble que ce feroit
» de cet ancien Officier , ou Magiftrat de
» la ville de Paris , que la Porte Baudeyer
» & la Place voifine auroient tiré leur
ود
و ر
" nom ".
Réflexions. En fait de conjectures chacun
abonde en fon fens . J'ai trouvé ( pag.
72 ) dans le mot Baganda , une étymologie
fort probable , non feulement du nom
de cette Porte , mais encore de celui de
Badaud, que l'on donne depuis longtemps
JUILLET. 1756. 117
par fobriquet au peuple de Paris : c'eft
faire , comme on dit , d'une pierre deux
coups ; & peut-être par cette raifon mériter
la préférence.
XXXI. pag. 128. « L'églife de S. Gervais
étant devenue baptifmale , eut fes
» fonts dans une chapelle voifine , dite de
» S. Jean-Baptifte , fuivant l'ancien ufage ».
Réflexions. C'est une remarque que je
n'ai pas faite , & que j'aurois dû faire ( pag.
136. ) en parlant de cette églife de S. Jean
en Greve.
XXXII. pages 151 & fuiv. Quoique
» nous n'ayons point d'Auteur plus an-
» cien , & c ».
Réflexions. M. l'Abbé Lebeuf veur dans
cet Article , 1 °. Que S. Julien , Martyr
de Brioude , foit le Patron primitif de l'élife
de S. Julien le Pauvre. Cela fe peut ;
l'Auteur des Annales ( pag. 72. ) ne
' eft point propofé de détruire cette conecture
: on voit feulement qu'il penche
plutôt du côté de l'Abbé Chaftelain , qui a
cru que c'étoit S. Julien l'Hofpitalier. Il
n'y a pas de plus fortes raifons pour l'un
que pour l'autre.
Il veut 2 ° . que cette Eglife ait été une
de celles où l'Evêque ait envoyé quelques
Clercs pour la commodité des habitans du
quartier , lorfqu'ils ne pouvoient fe ren
118 MERCURE DE FRANCE .
dre à l'églife Cathédrale. Cela fe peut encore
: mais le contraire fe peut auffi.
Il veut 3. que la même Eglife ait eu dans
fon voifinage un Oratoire de S. Jean- Bap
tifte , pour y baptifer les enfans de ce même
quartier, lorfqu'on ceffa de les porter tous
à la Cathédrale ; & que c'est ce qui a donné
lieu au Clergé de S. Severin , qui a fuccédé
au Clergé de S. Julien , de reconnoître
S. Jean comme un de fes patrons. Mais
ceci demande à être bien prouvé , furtout
l'existence de ce Baptiftere de S. Jean , fous
la dépendance de S. Julien ; car M. l'Abbé
Lebeuf ne le fait nullement. Ce qu'il y a
de certain , c'eft qu'il n'en eft fait mention
dans aucun monument ancien ; & qu'il
ne fúffit pas que S. Jean , foit un des Patrons
de l'égliſe de S. Severin , pour nous
convainere qu'il y a eu autrefois près de- là
une Chapelle de ce nom dépendante de
S. Julien .
·
De plus , qu'entend - t'on par cette fucceffion
de Clergé ? Que celui de S. Severin
eft entré dans tous les droits de celui
de S. Julien ? Dans le droit même de bap
tifer? Comment cela ? En quel temps à
peu près ? Et pourquoi ? Car enfin dès le
premier moment où S. Severin a commencé
à jouir de ces droits - là , il a bien pu
les
acquérir immédiatement de la Cathédrale,
JUILLET. 1756 . 119.
& fans la moindre relation avec le Clergé
de S. Julien ; à plus forte raifon encore , fi
celui- ci n'a jamais eu le droit de baptifer :
ce qui pourroit fort bien être dans la plus
exacte vérité ,
M. l'Abbé Lebeuf veut 4° . que l'églife
de S. Julien n'ait point été dans fon origine
une Eglife de Moines ; & c'eft encore.
ce qu'il s'eft difpenfé de prouver , comme
le doit faire néanmoins tout homme qui,
avance pofitivement qu'une telle chofe eft
ou n'eft pas. S'il s'étoit contenté de dire,
qu'on ne prouve pas qu'il y ait eu dans les
premiers temps des Moines à S. Julien , on
n'auroit rien à lui répliquer . Auffi ne fou
tient - on pas la chofe comme certaine ,
L'Auteur des Annales a remarqué fimplement
, que Grégoire de Tours qui parle
en plus d'un endroit de l'églife de S. Julien
, l'honore du titre de Bafilique , &
que c'est une expreffion dont il fe fert fouvent
pour défigner une églife de Moines .
Grégoire de Tours , dit M. Lebeuf emploie
indifféremment le nom de Bafilique
pour les églifes Cléricales , comme pour
les Monaftiques. Cela ne fuffit pas pour
lui donner droit de foutenir pofitivement
que celle de S. Julien n'étoit pas du nombre
de ces dernieres , comme ce n'en feaffez
non plus pour pouvoir fouroit
pas
120 MERCURE DE FRANCE.
tenir qu'elle en eût été. Mais Grégoire de
Tours fe fert fouvent du mot de Bafilique,
pourdéfigner une églife Monaftique ; &
i emploie ce mot en parlant de celle de
S. Julien on conclut de- là très - légitimement
que S. Julien pouvoit donc bien être
une égliſe de Moines. Cependant , réplique
M. Lebeuf , dans un endroit où Grégoire
de Tours rapporte ce qui lui arriva
en 587 dans cette même églife , il ne fait
mention d'abord que d'un Clerc , puis de
quatre autres Clercs , & enfin du Prêtre.
Hé bien ! Y a-t'il rien là qui donne l'exclufion
à un Clergé Régulier ? M. Lebeuf
veut abfolument le mot de Moine , fans
quoi il ne voit ni à S. Julien , ni à S. Germain
l'Auxerrois , comme on l'a obfervé
plus haut N° XXI , ni nulle part ailleurs ,
qu'un Clergé Séculier . C'eft une idée que
d'autres Sçavans ont combattue avec tant
d'avantage , qu'il n'y a plus aujourd'hui làdeffus
, ou qu'il ne doit plus y avoir qu'un
feul & unique fentiment.
XXXIII. pag. 154. « Probablement
» la Bafilique de S. Julien , appellée fimplement
Chapelle en 1151 , avoit été long-
»temps en pauvre état , ou n'avoit été
» refaite que pauvrement ; ce qui l'auroit
»fait appeller par quelques- uns S. Julien
le Pauvre » .
"
Réflexions
JUILLET. 1756. 121
Réflexions. En vérité n'eft- ce pas là
abufer de la liberté que la critique la plus
relâchée accorde aux conjectures des Sçavans
? Incontestablement cette Eglife reconnoît
pour ſes Patrons S. Julien de
Brioude , & S. Julien l'Hofpitalier , dit
auffi S. Julien le Pauvre . Cela ne fuffit- il
pas pour expliquer très -fenfément le nom
de S. Julien le Pauvre qu'on lui a donné ,
& qu'on lui donne encore aujourd'hui ?
La fuite au prochain Mercure .
Les Tomes VI , VII & VIII de l'Hif
toire univerfelle facrée & profane , compofée
par ordre de Mefdames de France
viennent de paroître , à Paris , chez Gullaume
Defprez , Imprimeur ordinaire du
Roi , & de Mefdames de France , rue S.
Jacques , à S. Profper & aux trois Vertus.
Ces trois nouveaux Volumes nous ont paru
travaillés avec autant de foin que ceux qui
les ont précédés , & dont nous avons fait
un jufte éloge dans le Mercure de Février
1755. Il y regne le même ordre , la même
précifion , la même clarté , la même élégance
& la même pureté de ftyle qui caractériſent
tous les ouvrages de M. Hardion
de l'Académie Françoife. Nous penfons
que cette hiftoire , auffi intéreffante
qu'utile , eft faite pour réunir tous les fuf-
11. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE:
fages pour inftruire les gens du monde ,
& pour mériter l'eftime des gens de Lettres.
Les Tomes que nous annonçons , contiennent
les cinq premiers fiecles. Le fixieme
volume eft dédié à Madame Victoire-
Louife-Thérefe de France,
GÉOGRAPHIE pour les Jeunes Gens , dans
un goût nouveau , où Abrégés de l'Arithmétique
, de la Sphere , & de la Géogra
phie , par M. Clerget , Chevalier de l'Ordre
de Chrift , à Paris , chez Jofeph Barbou
, rue S. Jacques , aux Cicognes , &
Babuty fils , quai des Auguftins , à l'Etoile,
1756.
EDITION des Auteurs Latins , Hiftoriens
, Poëtes & Philofophes chez le même
Barbou.
Coutelier entreprit en 1742 , de don
ner dans le goût d'Elzevir , une collection
des Auteurs Latins. Les premiers parurent
fous fon nom , & Barbou devenu
poffeffeur de fon fonds , quant à cette
partie , continue cette entreprife. M. Philippe
fut éditeur des premiers , & un homme
de Lettres , éditeur du Céfar , a bien
voulu fe charger de revoir les fuivans.
HISTOIRE des Conjurations , Confpira
tions & Révolutions célebres , tant ancien
JUILLET. 1756. 123
nes que modernes , par M. Duport du
Tertre , Tomes IV , V & VI . A Paris ,
chez Duchefne , rue S. Jacques , 1756.
Cette fuite nous a paru intéreffante par
le choix des morceaux & par la maniere
dont ils font écrits & rédigés .
LETTRE fur le Méchaniſme de l'Opéra
Italien . Ni guelfe ni gibelin , ni wigh ni
thoris. A Naples ; & fe vend à Paris , chez
Duchesne , rue S. Jacques , & Lambert
rue de la Comédie Françoiſe .
Cette Lettre eft précédée d'une préface
de l'Editeur. Ce que nous allons extraire
de cette préface , fuffira pour donner une
jufte idée de l'ouvrage. L'Opéra François
dans fa forme actuelle , ( dit l'Editeur , )
doit néceffairement tomber malgré les
efforts qu'on fait pour l'étayer. L'Opéra
Italien , tel qu'il exifte en Italie , ne pour
roit fe foutenir en France. Quel parti prendre
! Il faudra donc fe paffer d'Opéra ?
Non. Que celui qui voudra fçavoir à quoi
il doit s'arrêter , s'inftruiſe d'abord avec
l'Auteur de ce petit Ouvrage , & il appren
dra fans donte avec furprife que
furprife que les Etran
gers s'ennuient à l'Opéra de Naples comme
à celui de Paris ; à l'un , parce qu'il ne
contente que les yeux , à l'autre , parce
qu'il ne charme que l'oreille . L'Opéra de
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
Paris ne leur offre que des décorations ,
des Ballets , des Machines , une brillante
affemblée & un grand filence ( 1 ) . Celui
de Naples ne leur préfente que de la Mufique
raviffante , des beautés invifibles &
un tumulte affreux. Tous fentent parfaitement
que des deux on en pourroit faire
un bon , mais perfonne juſqu'ici n'a penfé
à le propofer. Si le projet peut s'exécuter
, ce n'eft que par le parallele de ces
deux Opéra , & l'analyfe des parties qui
les compofent , qu'on peut tirer des conféquences
juftes , & parvenir à la conftruction
d'un Opéra , qui ne fera ni François ,
ni Italien , mais un compofé de l'un & de
l'autre , purgé des défauts de tous les deux,
dont le réſultat fera un Opéra national .
SUPPLÉMENT aux Tablettes Dramatiques
de M. le Chevalier de Mouhy de
l'Académie des Belles- Lettres de Dijon ,
depuis la rentrée du Théâtre jufqu'à la
clôture , pour les années 1755 & 1756 ;
contenant les pieces nouvelles , les pieces
remifes , les pieces imprimées , les débutans
, les Anecdotes du Théâtre depuis le
( 1 ) C'eft cette Nation qu'on peint toujours fi
folle ( la Françoife ) , qui fe montre pourtant la
plus fage dans les inftans & dans les lieux où il
faut l'être.
JUILLET. 1756. 125
dernier Supplément, & les Ballets . A Paris,
chez Jorry, quai des Auguftins , Lambert ,
rue de la Comédie Françoife , & Duchesne ,
rue S. Jacques.
On doit tenir compte à M. de Mouchy
de fon attention à renouveller tous les ans
un Ouvrage dont l'ufage eft très commode
pour le Public. Mais comme l'exactitude
en eft le principal ou plutôt le feul
mérite , nous croyons obliger l'Auteur de
l'avertir qu'il s'y trouve des erreurs qu'il
doit corriger. Nous ne citerons ici que celles
qui regardent trois de nos pieces qu'on
repréſente journellement. Il eft dit dans
les Tablettes que le Babillard étoit d'abord
en cinq Actes , qu'il a été réduit à un ,
& qu'il a eu feize repréfentations . Cette
Comédie a toujours été en un Acte , &
dans fa nouveauté elle a éré jouée vingtcinq
fois. L'Auteur ne donne au François à
Londres , & aux Dehors Trompeurs , que dixfept
repréſentations. La premiere piece
en a eu vingt- trois , & la feconde vingt
de fuite.
RECUEIL par ordre alphabétique des
principales queſtions de droit , qui fe jugent
diverfement dans les différens Tribunaux
du Royaume , avec des Réflexions
pour concilier la diverfité de la Jurifpru-
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
dence , & la rendre uniforme dans tous
les Tribunaux ; par M. Bretonnier ,
cien Avocat au Parlement , troifieme édi
tion , augmentée de nouvelles notes &
additions, par M. Boucher d'Argis, Ecuyer,
Avocat au Parlement , & Confeiller au
Confeil fouverain de Dombes , 2 vol. A
Paris , chez Prault Pere , quai de Geſvres,
au Paradis , 1756.
LOISIRS PHILOSOPHIQUES , ou l'Etude
de l'Homme , de M. B. A Londres , & fe
trouvent à Paris , chez Duchesne , rue S.
Jacques , 1756.
Nous nous contenterons de tranſcrire
l'Analyse d'une Préface qui eft à la tête de
l'ouvrage , pour en faire connoître le ton,
l'efprit & le coloris. Mandier , dit l'Anreur
, les fuffrages du Lecteur , & braver
les Satyres du Critique ; faire parade d'une
étudition déplacée , pour fe donner un
air d'Auteur , & plaifanter lourdement
pour faire croire qu'on a l'efprit aimable ;
prendre un ton avantageux pour donner à
penfer qu'on a fait les plus belles chofes
du monde , & dire des fottifes pour prouver
le contraire ; courir les infipides éloges
que prodiguent les petits beaux efprits
& fuir les fages avis des perfonnes de bon
fens ; vanter extrêmement fon ouvrage, &
JUILLET. 1756. 127
méprifer extrêmement celui des autres ; promettre
une infinité de chofes & n'en pas
tenir une voilà ce que c'eft qu'une préface
, & voilà ce que je n'ai point voulu
faire.
Nous ajouterons à cette anti - préface ,
la quarante- neuvieme réflexion tirée da
livre , page 203. Qu'est-ce que paffion ?
Pourquoi naiffons- nous avec des paffions ?
Quel a pu être le motif du fouverain être
en nous créant fujets aux paffions ? Taistoi
, animal indocile ; ne vois- tu pas que
c'eſt comme fi tu voulois fçavoir pourquoi
tu nais avec cette perfectibilité que tu ne
remarques point dans les Bêtes ? Trouvemoi
quelqu'un qui puiffe me dire exactement
ce que c'eft qu'efprit , ce que c'est
que matiere , ce que c'eft que toi- même ;
& enfuite je te répondrai . Mais , diras- tu,
je ne puis chercher que parmi les hommes.
Eh bien ! ne cherche point , & fais- moi
des queſtions auxquelles un homme puiffe
répondre. Nous croyons en effet , qu'il
n'y a rien à répondre à cela.
HISTOIRE CRITIQUE de la Philofophie ,
où l'on traite de fon origine , de fes progrès
, & des diverfes révolutions qui lui
font arrivées jufqu'à notre temps , par
M. Deflandes , Tome IV. A Amſterdam ,
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
chez François Changuion , 1756 , & fe
trouve à Paris , chez Giffart , rue S. Jacques.
Ce volume nous paroît mériter le fuccès
des trois premiers qui ont fait tant
d'honneur à l'Auteur . On ne peut le lire
fans en défirer vivement la fuite qu'il promet
, & qui doit terminer cet Ouvrage
eftimable. Nous croyons ne pouvoir mieux
louer M. Deflandes , qu'en répétant ici
l'éloge ou plutôt la juftice que tous les
Journaux lui ont rendue dans les mêmes
termes , qu'il cite lui même à la fin de
l'avertiffement , c'eſt d'avoir préféré à une
érudition faftueuse , & qui pour l'ordinaire
coûte peu à acquérir , ce choix & cette aitention
qui fervent à éclairer les hommes ; d'avoir
plusfongé à faire connoître le génie &
le caractere des anciens Philofophes , qu'à
rapporter leurs feniences , lurs bons mots ,
les titres de leurs Livres , & l'Olympiade où
ils ont vécu. L'Auteur avoue que cette
louange eft celle qui le flatte le plus. Voilà
pourquoi nous l'avons préférée ; & nous
la lui donnons d'après les autres , parce
que nous penfons qu'elle lui eft propre &
qu'il la mérite.
1
JUILLET. 1756. 129
LETTRE
A l'Auteur du Mercure , en lui envoyant un
文
Portrait de M. DE FONTENELLE . Le
26 Juin 1756 .
E crois vous faire autant de plaifir qu'au
Public , Monfieur , en vous envoyant pour
le Mercure un petit morceau , où votre
illuftre Confrere , M. de Fontenelle , eſt
d'autant mieux loué , qu'il y eft mieux
peint & mieux caractérisé. Ce morceau eft
tiré d'une Harangue latine prononcée le
6 Avril dernier, au College des Jéfuites de
Bourges , par le Pere Power , Profeffeur de
Rhétorique ; & je le tiens de M. Dodari ,
Intendant de Berry , qui m'honore depuis
long temps de fon amitié. Comme les
Belles- Lettres font fon délaffement , je lui
mande quelquefois des nouvelles littérai
res . Je lui avois donc parlé de la belle Harangue
du Pere Geoffroy Il me répondit
qu'il en avoit entendu auffi une très- belle
Bourges , & avec d'autant plus de plaifir
qu'il y avoit trouvé un éloge également
ingénieux & vrai de fon ami M. de Fontenelle
. Avec tout le zele que vous me connoiffez
pour la gloire du Neftor des Aca
démies , avec toute ma tendrelle pour un
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
homme auffi aimable qu'eftimable , vous
croyez bien que j'eus le plus vif empreffement
de voir cet éloge. Je le demandai à
M. Dodart. Il me l'envoya : il y joignit
un extrait , mais très - abrégé , de la Harangue.
Je vous envoie le tout , Monfieur ,
& fuis très - parfaitement votre très - humble
& très-obéillant Serviteur. TRUBLET.
EXTRAIT DE LA HARANGUE.
Le fujet de la Harangue eft : Si les Fran
gois peuvent égaler les Grecs & les Latins
dans l'Eloquence & dans la Poéfie. Le doute
fur cet objet pourra paroître injurieux à la
France & indigne d'un homme de Lettres ,
à ceux qui penfent que nous avons déja
égalé les Anciens : mais comme quelques
autres penfent le contraire , & furtout les
Nations étrangeres , l'Orateur s'eft cru fuffifamment
autorifé à propofer ce problême.
Son but a été de réfuter ce que les Admira•´
teurs outrés des Anciens ont fouvent avancé
, que non feulement nous n'avons pas
encore égalé ces Anciens dans l'éloquence
& la poéfie , mais que nous ne pouvons
pas efpérer de les égaler jamais. Il a remarqué
que les raifons dont ce paradoxe
étoit communément appuyé , fe réduifoient
à deux principales. 1 °. Que la trempe
JUILLET. 1756. 131
du génie n'étoit pas en France auffi propre
pour l'éloquence & la poéfie , qu'elle l'étoit
chez les Grecs & les Latins. 2 ° . Que
nous avions moins d'avantage que les Anciens
du côté de l'invention , du choix des
fujets & de la maniere de les traiter ; 1º .
parce que les Anciens fe font emparés de
tout ce qu'il y a de meilleur en fait de
penfées & de fentimens ; 2°. parce que la
différence des Gouvernemens , les révolutions
arrivées à la Religion & aux moeurs ,
ont fait difparoître entiérement quelques
genres de poéfie & d'éloquence , & ont
produit dans ceux qui nous reftent des
altérations auxquelles les Auteurs font
obligés de fe prêter. Le Difcours avoit deux
parties relatives aux affertions des Adverfaires.
Le Pere Power fait voir dans fa
premiere partie : 1 ° . Que les raifons que
ces Meffieurs ont apportées pour prouver
que l'efprit n'étoit pas auffi bon en France
qu'il l'étoit autrefois dans la Grece & dans
l'Italie , font ou évidemment fauffes , ou
purement conjecturales , & parconféquent
peu folides ; 2°. Que par le fait la France
avoit produit d'auffi grands génies que la
Grece & l'Italie ancienne . L'Orateur a fait
voir dans la feconde partie : 1 ° . Qu'il s'en
falloit infiniment que les Grecs & les Latins
fe fuffent emparés de tout ce qu'il y a
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
de meilleur dans les penfées & dans les
fentimens : 2 °. Que malgré les prétendues
caufes de dépériffement , ou d'altération
alléguées par fes adverfaires , les Anciens
n'avoient eu aucun avantage confidérable
fur nous par rapport au choix des fujers ,
ou à la maniere de les traiter , & que
nous avions même à ces deux égards plufieurs
avantages confidérables fur eux . Il a
parcouru les principales efpeces de poéfie
& d'éloquence , & en appliquant à chacune
les principes qui lui font propres , il a
tâché de prouver de chacune en particulier
, ce qu'il avoit avancé de toutes en
général.
Caractere de M. de Fontenelle .
Fontenellus , ut Pindari verbis utar ,
decerpens fummos fl fculos è virtutibus fingulis
, pretiofiffimum omnium fuccum in fe
uno colligit. Idem in rebus Philofophicis fubtilis
, nec tamen nugatorius , in Poeticis delicatus
nec tamen fractus ; in Oratoriis mollis
, nec tamen diffolutus ; in Hiftoricis non
fine fimplicitate comptiſſimus ; & quamvis
curâ forte nimius , negligenti tamen fimilis ;-
in omnibus ingenii feliciter prodigus ; mirum
in modum habilis obfcura perluftrare , humilia
attollere , minuta augere , horrida ex-`
polire , triftia exhilarare ; levibus pondus ,
JUILLET. 1756. 133
fcabrofis fuavitatem , diffiparis ordinem , incredibilibusfidem
, iis etiam que funt ab omni
fenfu remotiffima , formas colores & veluti
corpus addere ; virtutibus admirabilis , ipfis
vitiis dulciffimus , nulli veterum fimilis , &
neminem farte fui fimilem in pofteris habiturus.
Traduction.
I
Fontenelle , pour me fervir de l'expreffion
de Pindare , a extrait de tous les genres
d'efprit , ce qu'il y á dans chacun de
plus exquis , pour fe former de ce précieux
affemblage un caractere qui lui eft propre.
Subtil , fans être minutieux , dans fes ouvrages
Philofophiques ; délicat , fans être
énervé , dans fa Poéfie ; doux , fans fadeur
, dans fes Difcours académiques ;
brillant & fimple dans fes Eloges , & quoique
peut- être trop efclave de l'art , ne paroiffant
fuivre que la nature ; d'un efprit,
inépuiſable , qui ſe répand fur tout ce qu'il
traite avec une forte de profufion , & plaît
toujours , quoique prodigué. Jamais perfonne
ne pofféda dans un dégré auffi fupérieur
, le talent d'éclaircir les matieres
les plus obfcures ; d'élever , d'ennoblir les`
chofes les plus communes ; de donner aux,
objets les plus bornés une espece d'immenfité
; d'égayer les fujets les plus férieux ;
134 MERCURE DE FRANCE.
de donner un air d'intérêt aux plus petites
bagatelles ; de répandre de l'agrément fur
les difcuffions les plus épineufes , de rappeller
à un ordre lumineux un amas confus
d'idées fans liaiſon & fans fuite , de faire
prendre à un paradoxe les traits de la vérité
, de mettre les penfées les plus abftraires
à la portée de tous les efprits , & de
revêtir , fi j'ofe ainfi parler , de formes &
couleurs fenfibles les idées les plus méraphyfiques
: génie admirable dans fes perfections
, agréable jufques dans les défauts,
il fut fans modele dans l'antiquité , & il
fe trouvera difficilement dans la poſtérité
quelqu'un qui lui reſſemble.
Remarques & Additions de M. l'Abbé
Trublet ( 1).
ke
Ce qui diftingue plus particuliérement
M. de Fontenelle , c'eft l'union du bel-efprit
& de l'efprit philofophique , l'un & l'au
tre dans le plus haut degré.
Il y a toujours de la philofophie dans
ſes Ouvrages de bel - efprit , toujours du
(1 ) Je donne fous ce titre , à l'occafion de ce
qu'on vient de lire , partie d'un morceau fait il
y a long-temps , & lorfque M. de Fontenelle compofoit
encore. Tout le monde fçait qu'il eft aujourd'hui
dans fa centieme année , étant né le 11
Février 1657
JUILLET. 1756. 135
bel- efprit dans fes Ouvrages de philofophie.
Il a dit & prouvé , par fon exemple , que
rout eft du reffort de la philofophie , &
juſqu'aux agrémens mêmes , puifqu'ils ont
leurs cauſes.
II y a plufieurs fortes de bel- efprit . La
fineffe & la délicateffe caractériſent celui
de M. de Fontenelle .
S'il eft prodigue d'efprit , s'il eft riche
en traits fins & délicats , il l'eft encore
plus en penfées folides & lumineufes :
chez lui l'ingénieux eft toujours vrai , l'agréable
toujours utile , le beau toujours
bon.
La définition fi heureufe de l'efprit ,
raifon affaifonnée , femble avoir été faite
d'après l'efprit de Made Fontenelle.
Mais on lui reproche d'avoir trop cherché
à affaiſonner , de courir après l'efprit ;
en un mot , d'être affecté & de n'être point
naturel.
pour
Le reproche feroit grand , furtout
un Philofophe , s'il étoit mérité.
Si le bel efprit porte à l'affectation , l'efprit
philofophique en détourne , & devroit
en guérir.
M. de Fontenelle met beaucoup d'efprit
dans fes Ouvrages , parce qu'il en a naturellement
beaucoup. L'efprit lui vient fans
136 MERCURE DE FRANCE.
qu'il le cherche , & ne lui coûte rien ; les
Aeurs naiffent fous fes pas , & il cueille les
plus belles un coup d'oeil lui fuffit pour
le choix & l'arrangement.
:
Ce n'eft pas qu'il ne travaille avec foin ,
& , comme il dit , en confcience . Indépendamment
du Public qu'il refpecte beaucoup
, il veut fe contenter lui - même , & il
eft difficile. Après le bien , il cherche ie
mieux , quand ce mieux ne s'eft pas préfenté
d'abord : il cherche les meilleures
penfées , & la meilleure maniere de les
rendre , un vrai neuf , & l'expreffion la
plus jufte , la plus précife & la plus nette .
Ordinairement cette expreffion eft encore
ingénieufe , auffi bien que la pensée même ;
c'eft mérite complet.
Voici la méthode de M. de Fontenelle en
compofant. Il médite paisiblement fon fujer
il ne fe met à écrire qu'après avoir
achevé de penfer ; mais la plume une fois
prife , marche fans interruption : point de
brouillons , une copie unique , & prefque
fans ratures . L'Ouvrage reftera comme il
eft ; il aura donc l'air facile : on y trouvera
même quelques négligences , mais aucune
de celles qui rendent une phrafe louche ,
embarraffée , obfcure . Le ftyle de M. de
Fontenelle n'eft pas un ſtyle léché , compaffé
il n'arrange pas au cordeau chaque
JUILLET. 1756. 137
mot , mais il ne manque jamais le mot
propre.
M. de Fontenelle eft auffi naturel qu'il
pouvoit l'être , étant auffi ingénieux : c'eft
même une des chofes que j'admire le plus
en lui , qu'étant fi ingénieux , il foit néanmoins
fi naturel , & fouvent même fi fimple.
On a beau aimer l'efprit ; il laffe & fatigue
bientôt , s'il n'eft pas aifé & naturel.
Mais M. de Fontenelle ne laffe & ne fatigue
jamais s'il exige de l'attention , il l'attire
, & on la lui donne fans effort : on le
lit comme il compofe ( 1 ) .
1
L'opinion que M. de Fontenelle n'eſt pas
naturel , eft venue des Critiques plus que
des Lecteurs , des gens de Lettres plus que
des gens du monde , de la réflexion plus
que du fentiment .
Les gens du monde ont dit que M. de
Fontenelle avoit infiniment d'efprit : quelques
gens de Lettres ont dit qu'il en avoit
trop .
La poftérité ne lui fera pas le même
( 1 ) M. de Fontenelle a mené une vie très heu
reufe , & une partie de fon bonheur a confifté
dans une grande réputation , acquife par un travail
affidu , mais facile. Aucun Auteur peut- être
n'a moins éprouvé que lui les inconvéniens de la
Littérature , fi bien expofés par M. de Voltaire.
138 MERCURE DE FRANCE.
reproche ; elle fera même furprife qu'on
le lui ait tant fait.
Ses Eloges académiques ne paroiffent
que des hiftoires , & ne fentent point le
panégyrique : il loue d'autant mieux qu'à
peine femble-t'il louer.
11 raconte les faits de la maniere la
plus intéreffante , & peint les caracteres
avec la plus grande vérité. Ecrivain moral
, il peint l'homme avec l'Académi
cien.
Efprit attentif & pénétrant , il voit
dans les objets les plus ordinaires ce qu'on
n'y avoit point encore vu : efprit folide , il
néglige les minuties , les petits détails , &
écarte tout l'inutile.
La marche, l'enchaînement, & la gradation
des idées , eft un des principaux carac
teres de fon ftyle. Tout fe tient , tout fe
fuit : cependant court & concis , il fupprime
beaucoup ; mais on ne s'en apperçoit
jamais par la difficulté d'entendre
& le befoin de deviner. Ce qu'il dit ,
exprime ce qu'il omet : il faut à fes Lecteurs
plus d'attention que d'efprit . Son
expreffion , je le répéte , eft toujours claire
& précife , toujours l'image exacte &
diftincte de fa penfée. Il voit nettement &
rend de même.
Par la feule maniere d'amener & de
JUILLET. 1756. 139
préfenter une vérité toute nouvelle , contraire
même à l'opinion commune , il la
prouve & la perfuade. Si pourtant on eft
tenté de lui faire quelque objection , on
voit bientôt qu'il l'a prévenue & réfolue
*
d'avance.
Il eſt toujours fi raifonnable qu'il n'a
pas befoin d'être raisonneur ; & fi Moliere
a dit des écrits de certains Philofophes
,› que le raifonnement en bannit la
raifon , on pourroit dire de ceux de M.
de Fontenelle , que la raison en bannit le
raifonnement , ou du moins l'appareil & les
longueurs de la dialectique.
Je conclus comme le P. Power. M. de
Fontenelle eft un Ecrivain original : il n'a
point imité ; je le crois inimitable , & je
confeille aux jeunes Auteurs de le croire
tel auffi .
Je lui appliquerois volontiers , mais
dans un fens différent , ce qu'un Confrere
du Pere Power ( 1 ) a dit ingénieuſement
d'Alexandre , dans une de fes Harangues :
Nulli imitabilis , neque forfan imitandus.
Il ne faudroit pas imiter en tout Alexandre
, parce qu'il avoit des vices , ni M.
de Fontenelle , parce que fes beautés mal
imitées , deviendroient des défauts . J'ai
diftingué en lui deux Auteurs , le bel
(1) Le Pere Perée.
140 MERCURE DE FRANCE.
efprit & le Philofophe. Le premier feroit
un modele dangereux , le fecond en feroit
un très utile , & même le pius parfait , à
mon avis , qu'on pût fe propofer . Perfonne
n'a mieux traité que M. de Fonte
nelle les matieres de philofophie.
Son Hiftoire de l'Académie des Sciences
eft plus eftimée & plus célebre que connue
, parce qu'elle n'eft pas affez répandue.
Un fi grand nombre de Volumes in 4° .
ne peuvent être achetés que par
des
gens riches qui lifent peu . Je fouhaiterois
donc qu'on imprimât cette Hiftoire féparément
, & fans les Mémoires , c'eſt-à- dire
les extraits des Mémoires , les obfervations
de Phyfique générale & particuliere ; en
un mot tout ce qui compofe la partie hiftorique
, à l'exception des Eloges qu'on a
déja avec les autres OEuvres de l'Auteur.
On réduiroit aifément à dix in- 12 , les
quarante-deux in- 4° , auxquels M. de Fontenelle
a eu part. Que de beautés de toute
efpece dans cette Hiftoire ! Faits curieux
bien expofés , réflexions ingénieufes , vues
lumineufes ajoutées à celles des Auteurs
des Mémoires , foit par de nouvelles conféquences
de leurs principes , foit par des
applications de ces principes à d'autres
fujets , foit même par de nouveaux principes
plus étendus & plus féconds. Mais
JUILLET. 1756. 141
indépendamment du mérite du fonds ,
plufieurs des extraits de M. de Fontenelle
font autant de chef-d'oeuvres par le feul
mérite de la forme , comme fon grand
Ouvrage de Géométrie ( 1 ) eft un édifice
admirable , du moins par l'architecture.
Or un grand Architecte eft certainement
un homme de génie . J'ofe donc le dire :
refufer cette derniere qualité à M. de Fontenelle
, & ne lui accorder que beaucoup
d'efprit , ce ne feroit pas lui rendre toute
la juftice qui lui eft dûe. On honore
du nom de génie des talens moins agréables
, moins utiles & moins rares que
celui qui caractériſe principalement ce
grand homme & dans lequel il n'a point
d'égal , le talent de la belle ordonnance
du bel enfemble . Les belles parties font
communes en comparaifon des beaux
touts ; & , comme l'a dit lui-même M. de
Fontenelle: Il y a beaucoup plus de bons Livres
, que de Livres bienfaits.
NOUVEAUX Elémens d'Odontalgie ;
par M. Jourdain , Expert pour les dents ,
reçu à Paris. Chez Guillaume Desprez ,
Imprimeur du Roi , rue S. Jacques ,
S. Profper , & aux trois Vertus.
Cet Ouvrage peu confidérable
(1) Elémens de la Géométrie de l'Infini,
par
fon
142 MERCURE DE FRANCE.
volume , le devient par les matieres qui
y font contenues , & que l'Auteur a traité
avec beaucoup d'ordre & de préciſion.
Perfuadé de la néceffité de connoître parfaitement
les parties , fur lefquelles on
opere , il préfente l'anatomie de la tête
dans la premiere partie de fon Ouvrage .
Il a eu foin de ne faire entrer dans fes
defcriptions que ce qui a du rapport à fon
Art ; qualité effentielle dans les Ouvrages ,
& qui eft une marque certaine de la bonté
de ceux où elle fe trouve. Les hémorragies
qui viennent à la fuite de l'extraction
d'une dent , ne font pas ordinairement
dangereuſes , mais elles peuvent l'être
quelquefois. L'Auteur propofe dans la
feconde partie de fon livre , un moyen de
les arrêter , toujours fûr , & qui eft la
fimplicité même. La maniere d'ouvrir les
abcés , de trepaner les dents , d'extirper
l'epulie , le traitement enfin des fluxions
& du fcorbut , pour ce qui concerne fon
Art , avec les fignes & les caufes de ces
maladies , font autant de matiere fur lef
quelles il n'a rien oublié pour répandre
un nouveau jour . Je n'entrerai point
dans un plus long détail , je me contenterai
d'avertir , qu'on trouve à la fin du
livre la deſcription & l'ufage des trois
inftrumens nouveaux , dont l'Auteur a
enrichi l'Art qu'il profeffe.
JUILLET. 1756. 143
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
PHYSIQ U E.
RÉPONSE
A la Lettre à un Académicien de Dijon ,
inférée dans le Mercure de Mai 1756.
Monfieur, je ne prétends pas vous difputer
le droit que vous prétendez avoir à
la découverte du vrai méchanifme de la
gravité. C'est au Public , & non à un par
ticulier , à vous ôter ce droit , s'il ne vous
appartient pas , ou à vous le confirmer , s'il
Vous appartient,
Je n'afpire pas non plus à la gloire d'ê
tre inventeur. Je n'ignore pas que plu
fieurs perfonnes avant moi fe font fervis
de l'impulfion de la lumiere pour expliquer
les phénomenes de la gravité. Mon
deffein , dans le difcours dont on a vu
l'extrait dans le Mercure de Février , a été
feulement de faire ufage de ce principe
144 MERCURE DE FRANCE.
dans la Philofophie de Newton , où perfonne
, que je fçache , ne l'a encore employé.
Et voici les raifons qui m'ont déterminé
à le faire .
Jaloux de la gloire de ce grand homme ,
j'ai voulu fauver la contradiction dans
laquelle on l'accufe d'être tombé , lorfqu'il
a fait confifter la lumiere dans des corpufcules
pouffés avec grande force par les
étoiles & le foleil , tandis que les planetes
elles- mêmes , qui font infiniment plus
groffes que ces corpufcules , font attirées
par cet aftre , & tomberoient fur lui , fi
la force de projectile ne les en éloignoit
fans ceffe .
-
On ne doit pas douter que Newton n'ait
fenti cette contradiction : elle eft trop palpable
pour
n'avoir pas été apperçue par ce
grand & vafte génie , ou plutôt ce n'en eft
pas une dans fes principes. L'attraction eſt
une maniere d'expliquer mathématiquement
les phénomenes , & l'impulfion d'un
fluide tel que la lumiere en peut être la
caufe phyfique.
On peut voir comme il s'en explique à
la fection onzieme de la premiere partie.
Pergo , dit- il , motum exponere corporum
fe mutuò trabentium confiderando vím centripetam
tanquam attractiones ; quamquam fortaffe
,fiphyficè loquamur , verius dicantur impulfus.
JUILLET. 1756 . 145
pulfus. In mathematicis enim verfamur ; &
proptereà miffis difputationibus phyficis , familiari
utimur fermone , quo poffimus à lectoribus
mathematicis faciliùs intelligi .
Ayant compris par ces paroles que fi
Newton avoit voulu expliquer phyfiquement
les phénomenes de la gravité , il
eût eu recours à l'impulfion , j'ai tenté
moi-même de le faire , en prenant pour
la caufe phyfique de ces phénomenės la
lamiere elle -même , à laquelle il donne un
mouvement d'impulfion .
J'ai cru en fecond lica que ceux qui ont
à coeur l'honneur du grand Newton , ne
feroient pas fâchés que quelqu'un tentât
de fubftituer l'impulfion d'un fluide à ce
qu'il entend par fon attraction mathématiques
que par mon travail je juftifierois
fon admirable philofophie des reproches ,
que cette attraction lui attire de la part de
ceux qui ne la connoiffent qu'imparfaitement
& que détruifant la répugnance
qu'un grand nombre de Philofophes ont
pour ce principe , le nombre de fes difciples
en augmenteroit de plus en plus.
>
Vous voyez , Monfieur , par ce que je
viens de dire , que mon fyftême pourroit
avoir quelque chofe de nouveau , quand
même j'aurois profité de quelques- unes des
découvertes de ceux qui ont écrit avant
II.Vol.
G
146 MERCURE DE FRANCE.
moi ; mais fans entrer dans cette vaine
queftion , je paffe aux objections que vous
me faites pour y répondre le mieux qu'il
me fera poffible.
Vous prétendez d'abord que mon fyftêmeapproche
de celui de M. Bernoulli dans
fa nouvelle Phyfique Célefte , & que plufeurs
des difficultés qu'on peut oppoſer à
fon fyftême , peuvent être oppofées au
mien. Une de ces difficultés , c'eft , ditesvous
, que les rayons de la lumiere , à l'extrêmité
des tourbillons , font trop rates
pour fe choquer les uns les autres , & former
ces pelotons qui font la caufe du mouvement
des planetes , felon ce grand Géometre.
Il y a deux chofes à confidérer dans cette
objection , la rareté des rayons & leur formation
en pelotons. Leur formation en pelotons
ne peut m'être objectée. La lumiere
que j'admets d'après Newton , & que
j'établis pour caufe phyfique de la gravité ,
eft telle qu'elle vient du foleil & des étoiles.
Ses corpufcules nagent dans le vuide.
Quoique pouffés avec grande force en direction
contraire , ils ne fe choquent point
les uns les autres , ne fe joignent point en
pelotons , mais paffent à côté l'un de l'autre
fans le détourner fenfiblement de leur
chemin , fe croifent en un mot fans fe déJUILLET.
1756. 147
truire. ( C'est le troifieme principe fur lequel
je fonde mon fyftême dans l'extrait
de ma Differtation imprimée ) . Je le prouve
dans la Differtation même par cette expérience.
Mettez deux fpectateurs dans
deux coins d'une chambre , & que chacun
d'eux regarde un objet qui foit fitué
dans celui des deux autres coins qui lui eft
diagonalement oppofé , les rayons qui
viennent de ces deux objets fe croifent
dans le milieu de la chambre avant que de
venir à leurs yeux , & ne s'empêchent en
aucune maniere , puifque les deux objets
feront vus des deux fpectateurs avec toutes
leurs couleurs & tous leurs traits.
Pour ce qui eft de la rareté des rayons
que vous croyez être très-grande à l'extrê
mité des tourbillons , je conviens que s'ils
étoient auffi rares que vous le prétendez ,:
ils n'auroient pas affez de force , ni dans .
le fyftême de M. Bernoulli , ni dans le
mien , pour pouffer les planetes vers le foleil.
Ceux du foleil même , quoiqu'il en
darde davantage fur elles que chaque étoile
en particulier , à caufe qu'il en eft plus
proche , ne paroiffent pas encore affez forts
pour foutenir à une certaine élévation ces
énormes maffes.
Mais je dis
que ce nefont
les rayons du foleil , ou d'une étoile fixe ,
pas
feulement
G ij
148 MERCURE DE FRANCE.
qui font graviter une planete , ou quelque
autre corps que ce foit , & qu'il faut attribuer
cet effet aux rayons de toutes les étoiles
qui en envoient fur cette planete , ou
fur ce corps. Or il y en a une infinité. ( On
peut voir dans le même extrait que c'eſt
encore un des principes fur lequel je fonde
mon fyftême ) .
Une preuve fenfible de ce que j'avance ,
c'eft qu'il n'y a aucun point de l'un des hémifpheres
d'une planete , de la terre par
exemple , d'où l'oeil d'un fpectateur ne
puiffe voir toutes les étoiles de l'hémifphere
du Ciel , qui fe montre à lui pendant
une belle nuit. Or fi l'oeil apperçoit toutes
ces étoiles , il faut que chacune d'elles envoie
fur ce point un grand nombre de
rayons ; c'est-à- dire , qu'il vient fur ce
point une infinité de rayons , dont les forces
réunies doivent le pouffer avec une
grande force.
Excluons , fi vous voulez , de ces rayons
ceux qui frappent la planete de côté , ou
qui ne font avec fon diametre qu'un angle
de peu d'inclinaifon : refteront toujours
ceux des étoiles de plus des trois quarts
d'un des hémispheres du Ciel.
Ramaffons à préfent toutes ces étoiles
éparfes , & formons-en par la penfée des
globes lumineux , égaux à celui de notre
JUILLET. 1756. 149
foleil. Il est évident qu'on en pourroit former
un affez grand nombre : d'où je conclus
que les planetes font repouffées vers
le foleil par une bien plus grande quantité
de rayons qu'il n'en vient du foleil même.
Il en eft de même des rayons qui foutiennent
les planetes à une certaine diftance
du foleil . Ce ne font pas feulement ceux
de cet aftre ; mais tous ceux des étoiles de
la glus grande partie de l'hemifphére dů
ciel oppofé , à l'hémifphére de la planete
qui regarde le foleil .
Vous trouverez encore à redire au fyftême
de M. Bernoulli , en ce que dans fon
hypothefe la gravité des grands corps ne
feroit pas le réfultat de la gravité mutuelle
de leurs petites parties. Si c'eft parce
que les pelotons ne font pas affez déliés
pour pénétrer dans l'intérieur des corps ,
& imprimer de la force à leurs moindres
parties , cette objection ne porte point fur
mon fyftême , dans lequel les corpufcules
de la lumiere font de toutes les parties de
la matiere les plus fubtils , & pénetrent
les pores des corps les plus compactes.
Les Pelotons gravifiques de M. Bernoulli
fe meuvent plus lentement , ajoutez-
vous , que la lumiere , à cauſe que leur
mouvement a été ralenti : mais dans le fyftême
de Newton & dans le mien , rien
G iij
jo MERCURE DE FRANCE:
ne ralentit le mouvement de la lumiere ;
elle va de tourbillon en tourbillon porter
fes rayons jufqu'aux extrêmités de l'Univers
, avec une vîteffe qui furpaffe l'imagination.
Comme je n'ai pas befoin dans mon fyftême
des pelotons de M. Bernoulli , je ne
crois pas non plus avoir befoin d'y faire le
changement que vous m'indiquez , qui feroit
d'admettre des corpufcules beaucoup
plus fubtils que la lumiere , & qui auroient
plus de rapidité qu'elle . J'aurois de
la répugnance à admettre cette nouvelle
efpece de fluide , parce qu'il tient de l'hypothefe
& de la fuppofition qu'il faut bannir
de la phyfique autant qu'il eft poffible ;
au lieu que l'exiftence de la lumiere , la
fubtilité de fes parties , & fon mouvement
rapide , font reconnus de tout le monde.
Ce que j'ai dit de la multitudé des rayons
qui frappent chaque point d'une planete
ou d'un corps qui tombe , me fournit la
réponſe à l'une des objections les plus fpécieufes
que l'on puiffe faire contre mon
fyftême , & qui n'a point échappé à votre
pénétration ; c'eft qu'il tend à rendre inégales
les pefanteurs d'un même corps le
jour & la nuit , quoiqu'on n'apperçoive
point une pareille inégalité
Cette objection n'ébranlera perfonne ,
JUILLET. 1756.
l'on fait attention que les rayons qui viennent
des étoiles frapper le corps qui tombe
, font en bien plus grand nombre que
ceux du foleil , comme nous l'avons dé-
- montré. Suppofons , par exemple , que le
nombre des rayons de ces étoiles foit deux
cent fois plus grand que celui des rayons
du foleil , il s'enfuiyroit feulement que les
corps qui tombent n'auroient qu'un deuxcentieme
de force plus pendant le jour ,
que pendant la nuit ; ce qui feroit une difference
trop petite pour qu'on s'en apperçûr.
N'y a-t- il pas déja certaines différences
dans la pefanteur dont on ne s'apperçoit
pas ? Qui doute , par exemple , que le froid
de la nuit ne condenfe l'air , & ne rende
. par conféquent plus lentes les ofcillations
des pendules ? On ne s'apperçoit pas pour
cela d'aucune différence dans les heures du
jour & de la nuit on pourroit bien de
même ne pas s'appercevoir de la différence
que caufe l'abfence du foleil , d'autant
plus qu'on ne pourroit s'en appercevoir
qu'au moyen des horloges , & que toutes
les horloges dans ce cas feroient également
retardées .
C'eſt par la même raifon que la différente
pofition des étoiles fur un endroit de
la terre , caufée par leur révolution en 24
Giv
152 MERCURE DE FRANCE:
heures , ne produiroit aucun changement
fenfible dans les meilleures pendules.
Je crois avoir démontré que les corps
qui tombent , & la lune elle-même , gravitent
fur la terre en raiſon inverfe du quarré
de leur diftance à fon centre , & que
les autres planetes gravitent fur le foleil
en même raifon , en difant , que plus les
corps qui tombent font éloignés des af
tres , & plus leur gravité augmente , à caufe
que la colonne de lumiere qui les frappe
eft plus grande.
Faifant confifter l'accélération du mouvement
des corps qui tombent dans les
coups redoublés que portent à ces corps les
corpufcules lumineux qui vont incomparablement
plus vite qu'eux , je dis que plus
un corps eft diftant des aftres , dont les
rayons le pouffent vers un centre , & plus
grande eft fa gravité ; qu'au contraire ,
moins il en eft diftant , & moins il en
reçoit, & moins grande eft fa gravité . Donc
plus la colonne de lumiere qui pouffe un
corps eft grande , & plus grande eft fa gràvité
: moins elle eft grande, & moins grande
eft fa gravité.
Il eft facile de démontrer dans ce fyftême
, que les efpaces que parcourent les
corps qui tombent , font comme le quarré
des temps ou des vîteffes , ainfi que l'a déJUILLET
. 1756 . 153
montré Galilée ; & après avoir démontré
que les efpaces parcourus font comme les
quarrés des tems , on peut démontrer avec
Newton , que la gravité de la lune qui
tombe vers la terre , & la gravité des autres
planetes qui tombent vers le foleil ,
eſt en raiſon inverfe du quarré des diftances
du centre où elles tendent.
Il n'y a que les grands Philofophes
comme vous, Monfieur , qui peuvent voir
d'un feul coup-d'oeil toutes les conféquences
que l'on peut tirer du principe de la
gravité en raifon inverfe du quarré des
diſtances. Le plus grand nombre eft de ceux
qui ne les voient point d'abord. C'eft pour
ceux-là que l'on indique les phénomenes
qui découlent géométriquement de cette
foi , tels que l'inégalité de pefanteur dans
les différentes régions.
Par rapport aux phénomenes où vous
dites que la gravité univerfelle n'a aucune
prife , comme eft la diftance des planetes
au foleil , leur excentricité , les inclinaifons
mutuelles de leurs orbites , leur mouvement
de rotation , l'obliquité de chaque
axe de ces mouvemens fur fon orbite
&c. en un mot tous ceux que Newton
n'explique pas , ou qu'il fait dépendre de
l'impreffion que les planeres ont reçu dès
le commencement de la main du Créateur,
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
je crois que s'il n'en dit rien , c'est parce
que l'attraction mathématique à laquelle il
s'étoit borné , ne pouvoit lui en fournir
l'explication ; mais que s'il eût affigné uné
caufe phyfique à la gravité , & qu'il fe fût
appliqué à en rechercher tous les effets , il
eût pu parvenir jufqu'aux phénomènes ,
qu'il a laiffe fans explication .
C'est encore un avantage que l'on trouveroit
, à fubftituer l'impulfion à l'attraction
dans le fyftême de Newton . On le rendroit
par -là plus fimple & plus complet
qu'il n'eft. La force de projectile , dont
la combinaiſon avec l'attraction caufe le
mouvement des planetes , eft un fecond
principe de fa philofophie , & même un
principe arbitraire , puifqu'il faut fuppofer
cette force différente dans chaque pla
nete ; ce qui rend cette philofophie chargée
de fuppofitions. Or on fçait qu'un fyftême
eft d'autant plus imparfait , qu'il admet
plus de principes , & que le meilleur
au contraire eft celui qui n'en admet qu'un ,
& qui en déduit tous les phénomenes .
Il n'eft pas impoffible , comme on l'a vu,
dans l'expofition du nouveau fyftême , de
trouver dans l'impulfion de la lumiere la
caufe du mouvement même de projectile
des planetes , & celle des autres phénomenes
, qui ne peuvent s'expliquer par l'at
JUILLET. 1756. ” 155
traction. Si j'en ai pu donner une explication
plaufible , que feroit-ce , fi le grand
Newton lui-même fe fût appliqué à cette
partie de fon fyftême ? ou fi quelque Philofophe
plus habile que moi , vouloit, fans
fortir de fes principes , s'en donner la peine
! Jai l'honneur d'être , &c .
A Dijon , ce 28 Mai 1756 .
JURISPRUDENCE.
A L'AUTEUR DU MERCURE.
.
Monfieur , ce petit Mémoire que je
vous envoie ne paroîtra utile qu'à la réflexion
. Il ne fera d'ailleurs
agréable
qu'aux ' Bretons , qui remarqueront
du
moins mon zele pour le bien public , fi
l'obfcurité dans laquelle je vis , leur donne
de confiance dans ce que je promets
peu
par mon Mémoire. Quoiqu'il en foit ,
je m'efforcerai de tenir parole ; & fi mon
exemple trouve des imitateurs , il y a lieu
d'efpérer que
la rédaction que je projette ,
pourra fe trouver complette pour les Etatsde
1758..
Vous remarquerez que je n'ai pas voulu s
expliquer ce que c'est que le domaine com
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
geable , & qu'elles font les caufes & les
effets de la Baillée qu'en font les Seigneurs
à leurs Vaffaux tous les neuf ans , pour
avoir un droit qu'ils appellent de Commif
fion. Deux raifons m'en ont empêché : la
premiere , c'eft que je hais tout ce qu'on
appelle Commentaire. La feconde , c'eſt
que les Curieux pourront s'en inftruire , en
confultant la table de quelques-uns de nos
Auteurs Coutumiers. J'aurois pu en ajouter
une troisieme , je veux dire, la crainte
de faire un Mémoire trop long ; mais c'auroit
été douter de votre zele pour le bien
public , qui , en fait d'ouvrages utiles ,
n'en confidere pas la longueur pour fe déterminer
à accorder ou à refufer une place
dans votre Mercure. C'eft pourquoi j'ef
pere que le mien , quelque mal écrit qu'il
foit , y fera inféré en faveur de l'importance
de la matiere . J'ai l'honneur d'être , &c.
Girard , Avocat.
ANantes , ce 14 Février , 1756.
MÉMOIRE
Sur la Coutume de Bretagne , contenant un
plan facile pour la rédiger fans frais , Ór
la rendre conforme à la Jurifprudence
actuelle.
Si le but des Loix Civiles eft d'empêcher
JUILLET. 1756. 157
les procès , il eft du devoir des Jurifconfultes
& des Légiflateurs de rendre ces
loix claires , & de les varier à mesure que
les moeurs changent pour épargner aux
jeunes Avocats cette étude pénible que
leur coûte la lecture de tant d'anciens Auteurs
, qui interpretent différemment ces
loix obfcures & mal rédigées.
Quand on dit de les rendre claires , &
de les conformer aux moeurs du fiecle ,
L'on ne veut parler que de ces vieilles Loix
Municipales , dont le ftyle gothique & la
bizarrerie rebutent , non-feulement les Citoyens
qui voudroient les apprendre, pour
ne pas entreprendre ni foutenir de mauvais
procès , mais même les plus laborieux
Candidats , dont le devoir eft d'étudies
fans ceffe ces Loix pour pouvoir bien guider
les ignorans , & bien défendre les
opprimés. Par exemple , notre Coutume
de Bretagne , dont la derniere rédaction a
deux fiecles , ne devient intelligible à force
de la relire que pour montrer ou la bizarrerie
, ou la rigueur , ou l'injuftice de plus
de deux cens Articles ; & encore ne les remarque-
t'on , qu'à l'aide d'une foule de
Commentateurs ( vingt ou environ ) qui
très fouvent même ne s'accordent pas fur
le véritable fens de ces Articles. Il feroit
donc très- avantageux à la fociété de rajeu
158 MERCURE DE FRANCE.
nir nos Loix Municipales , d'en retrant
cher tous les articles qui ne font plus en
uſage , & d'y fubftituer ceux que les Arrêts
auront changé , ou que les Loix géné--
rales du Royaume fourniront.
Cette nouvelle rédaction pourra former
un corps entier du Droit François , puifque
chaque titre de notre Coutume peut
fournir à un efprit juſte & étendu matiere
à rappeller toutes les maximes qui auroient
rapport à l'objet du titre : mais il
faudroit que ces maximes fuffent rédigées
en articles avec le plus d'ordre , de précifion
& de clarté que l'on pourroit.
A l'égard des titres qui contiendroient
des maximes particulieres à la Province ;
on auroit attention de les diftinguer par
un caractere italique , pour fatisfaire ceux.
des Bretons qui font jaloux de leurs -ufa
ges. Tel fera le titre des Mineurs que l'on
fe propofe d'incorporer dans l'Edir des Tutelles
, à chaque article duquel on ajoutera,
ou du moins l'on fera remarquer celui de
notre Coutumé qui y a rapport , pour fervir
d'exemple à ceux qui voudront bien fe
charger de quelqu'autre titre pour en fairė
une loi claire , préciſe & puifée dans les
Loix générales du Royaume.
Voilà déja les premieres lignes du Plan
que l'on veut tracer pour réédifiér notre
JUILLET . 1756. 139
Coutume antique. Mais comme cet ouvrage
feroit trop long & trop embarraffant
pour un feul Avocat , l'on invite tous ceux
qui ont à coeur le bien public , de choifirchacun
un titre & de Pannoncer dans les
Journaux publics , pour que l'on puiffe fe
régler de maniere que chaque titre ait fon
redacteur. Il feroit même à propos que
plufieurs Jurifconfultes joigniffent leurs
travaux & leurs lumieres pour pouvoir
rendre plus parfaite la rédaction du titre
qu'ils entreprendroient. Il feroit auſſi à
fouhaiter que quelques Avocats Bas- Bre
tons fourniffent un Mémoire pour prouver
qu'il feroit très-utile au bien public
de fubftituer au droit de congédier les Vaf
faux , celui qui eft établi dans la Haute-
Bretagne où l'on ne connoît point le Domaine
congéable , qui eft fi nuifible auxcolons
de Baffe- Bretagne ; mais en mêmetems
il faudroit trouver un moyen facile
pour y faire confentir leurs Seigneurs , foit
en augmentant leurs rentes foncieres , foit
en fixant un certain droit de Baillée tous
les neufans ; & quelques confidérables que
feroient ces augmentations de rentes , les
Vaffaux s'en trouveront toujours mieux >
puifqu'ils pourront lors fe regarder tranquilles
poffeffeurs de leurs héritages , &
que les frais des inftances de congément ,
160 MERCURE DE FRANCE.
& des Procès-verbaux d'Experts , par- la
évités , pourront augmenter le prix de
leurs terres .
En effet , tel qui eût facrifié trois cens
livres pour les frais d'un pareil congément,
y gagneroit encore , payât-il un Domaine
deux cens livres plus qu'il ne vaudroit ;
& il auroit en outre la fatisfaction de ne
pas entrer dans l'héritage de fon voiſin ou
de fon parent , malgré lui , à la faveur d'une
loi rigoureufe qui caufe bien des troubles
& des inimitiés dans les campagnes , &
qui auroit dû ceffer avec l'ancien efclavage
de la France.
Ces courtes réflexions ne feront impreffion
que fur ceux qui connoiffent le Domaine
congéable de Baffe - Bretagne ; mais
auffi il n'y a qu'eux qui puiffent faire fentir
les inconvéniens de ces loix particulieres
à cette partie de la Province ; & ce
n'eft qu'à eux qu'on adreffe ces réflexions ,
perfuadé qu'ils leur donneront toute l'étendue
qu'elles exigent.
La rédaction du premier titre de notre
Coutume où l'on a voulu fixer le nombre,
le pouvoir , & la compétence des Juges
Laïcs & Eccléfiaftiques , peut auffi fournir
matiere à d'utiles réflexions fur l'abus
qui réfulte de la multiplicité de ces Jurifdictions
fubalternes, qui ne conduisent que
JUILLET. 1756. 161
par plufieurs dégrés au Tribunal fouverain
; mais ceux qui fe propoferont de faire
réunir ces petites Jurifdictions aux Sieges
Royaux voifins , ne doivent pas manquer
de propofer auffi des moyens faciles pour
dédommager les Seigneurs de ces Jurif
dictions. Čar en faifant le bien du public,
il faut faire auffi celui de la Nobleffe dont
la fortune eft auffi néceffaire que le courage
au foutien de l'état , & dont la plus
grande partie compofe cet augufte Parlement
, qui fe diftingue dans le Royaume
par la fageffe de fes Arrêts, & par le défintéreffement
qu'elle marque dans ceux qui
pourroient même les regarder , par rapport
aux droits Seigneuriaux.
A l'égard des femens particuliers , il conviendroit
de les rendre généraux pour tous
les biens de ville , comme pour tous ceux
de campagne. Pour ceux de villes , il feroit
utile d'en faire un titre particulier , &
d'y ajouter ce que les Arrêts modernes
peuvent indiquer de nouveau . Quant à
ceux de campagne , l'on veut dire ceux de
Cornouaille , de Rohan , & de Broucrée ,
on les fupprimeroit entiérement , pour ne
s'arrêter qu'à l'ufage général de la Province
& du Royaume , qui feroit réparti fuivant
la matiere , fur chacun des titres de
la Coutume.
162 MERCURE DE FRANCE.
L'on voit que chacun de ces objets eft
bien fuffifant pour occuper non feulement
un Avocat de chaque ville , mais même
les plus habiles Jurifconfultes de Rennes ,
qui auroient à préſent de la peine à juſtifier
la bizarre différence de tous ces ufemens
particuliers , qui ne fervent qu'à jetter
de la confufion parmi des Loix qui
devroient être générales dans tous les Evêchés
de la Province.
Ceux qui feront des Mémoires fur ces
trois parties de notre Coutume , doivent
avoir attention de les féparer du titre
qu'ils rédigeront par articles ( tirés de la
Jurifprudence actuelle , ) parce que ce ne
font pas des Commentaires que l'on demande
, mais un Code complet de Loix
claires , préciſes & faciles à retenir , pour
être approuvé par Sa Majefté , & par les
Etats , quand il fera parfait.
L'on doit entrevoir dès- a- préfent que
l'ouvrage que l'on projette , eft tout- àfait
différent de celui de M. Du Parc- Poulain
, lequel cependant ne laiffera pas que
d'être très-utile , à ceux qui entreprendront
de rédiger chaque titre de notre Coutume
fur celles de nos Loix , qui feront en vigueur
, & fur le droit général de la France
mais on le répete , on les exhorte à ne
fe charger que d'un titre , pour pouvoir
JUILLET. 1756. 163
donner tous les foins néceffaires à fa perfection
. Car telles font les bornes de notre
efprit , qu'il ne peut fuffire au travail
d'un trop grand ouvrage . C'eft pourquoi ,
le Rédacteur de ce Mémoire n'a choift
pour fon lot que le titre des Mineurs , qui
d'ailleurs fe trouve facilité par l'Edit des
Tutelles , & par conféquent plus à la portée
d'un jeune Avocat comme lui.
L'on preffent fans doute que chaque
titre aura fes articles féparés , à l'exemple
de nos Ordonnances modernes , & à la
différence de notre Coutume dont les Articles
fe fuivent fans être coupés par les
titres multipliés qui la compofent.
Cette féparation néceffaire dans le cas
préfent , peut paroître une nouvelle raifon
& un nouveau moyen pour appliquer à chaque
titre & à chaque article , ce que la
matiere de l'un , & les liaifons de l'autre.
exigeront abfolument ; & c'eft dans cet
ordre bien obfervé que confiftera un des
principaux avantages de la rédaction projettée.
Ceux qui auront travaillé à quelque
titre , & qui croiront leur ouvrage achevé
, pourront l'envoyer à l'Auteur du Mersure
( 1 ) , qui ne manquera fans doute pas
(1 ) Quelque envie que nous ayons de nous
164 MERCURE DE FRANCE.
de l'y inférer , ainfi que les critiques qu'on
en pourra faire , quand elles feront courtes
& polies. Et telles feront fans doute
celles des trois Avocats de Nantes , qui fe
diftinguent par leur amour pour le travail
par leur zele pour l'honneur de la profeffion
, par leur union intime , par la confor
mité de leur caractere , par leur déſintéreffement
dans les affaires , par leur affa
bilité dans les converfations , enfin par tout
ce qui fait le parfait Avocat , foit du côté
de la fcience & des talens , foit du côté des
qualités & des moeurs.
prêter à tous les genres , nous ne fçaurions prendre
d'engagement à cet égard : la préciſion od
nous fommes obligés de nous renfermer , he nous
permet d'accorder qu'un champ très- étroit à ces
fortes de difcuffions. Ce n'eft qu'à titre de précis
que nous pouvons les inférer dans notre Re
cueil.
EXTRAIT
Des Mémoires qui ont été lus à la Séance
publique de l'Académie Royale de Chirurgie
, le Jeudi 29 Avril 1756.
M. Pipeler , dans un Mémoire fur la
ligature de l'épiploon ( c'eft le nom de la
membrane grailleufe qui recouvre les inJUILLET.
1756. 165
reftins ) , s'eft propofé l'examen des bons
Se des mauvais effets attribués à ce moyen.
Lorfque l'épiploon eft expofé à l'air dans
une plaie du bas- ventre , ou étranglé dans
une defcente , il devient froid , livide & tombe
en mortification . Dans cet état , il ne feroit
pas convenable qu'on en fît la réduction
, fans avoir retranché toute la portion
altérée & corrompue. Ce premier précepte
amene naturellement celui de faire la
ligature de l'épiploon , dont les vaiſſeaux
fanguins en grand nombre pourroient ,
fans cette précaution , donner beaucoup de
fang & faire périr les malades. Tous les
Auteurs , depuis Galien jufqu'à nos jours ,
ont recommandé cette ligature : il eft certain
qu'elle a été faite plufieurs fois fans
inconvénient ; il y auffi plufieurs obfervations
fur les mauvais effets . Sera-ce donc
fur l'événement qu'on établira la néceffité
de lier l'épiploon , ou la profcription de
cette ligature ? M. Pipelet obferve judicieufement
que l'événement peut être déterminé
par tant de caufes auxquelles la
ligature pratiquée ou omife n'auroit aucune
part ; qu'on ne peut rien décider ,
c'est-à-dire , qu'on ne peut établir aucun
dogme fur un point auffi important , d'après
la fimple allégation des réuffites ou
des mauvais fuccès. L'Auteur a apprécié
166 MERCURE DE FRANCE.
avec beaucoup de difcernement les différens
faits de pratique dont il a fait uſage ,
& il montre partout une grande fagacité
dans les conféquences qu'il en tire . L'état
de la portion de l'épiploon fur laquelle la
ligature a porté , & qui étoit fain ou flétri ,
froid ou enflammé , en grande ou en petite
quantité ; la proximité ou l'éloignement
des parties auxquelles l'épiploon a des attaches
; l'examen de la caufe des différens
défordres qui fe font étendus jufqu'à ces
parties par la communication des vaiffeaux
& la continuité des membranes ; toutes ces
circonftances effentielles fervent à juger
des faits & de la doctrine établie fur la ligature
de l'épiploon.
Le cas qui paroît préfenter le moins de
difficulté , c'eft quand l'épiploon fort par
une plaie étroite dans laquelle il eft étranglé
, ou fimplement gêné , de façon qu'on
ne pourroit en faire la réduction qu'en
agrandiffant la plaie par une incifion. La
Chirurgie moderne prefcrit en général
d'éviter cette incifion . On doit laiffer l'épiploon
dans la plaie , fi aucune raifon particuliere
n'exige qu'il foit réduit . Quelques
Auteurs prétendent qu'il ne faut pas
en faire la ligature , & qu'il feroit beaucoup
mieux de le couper au niveau de la peau ,
après avoir examiné s'il ne renfermeroit
JUILLET: 1756. 167
pas quelque circonvolution d'inteftin . Si
la portion étoit faine , il ne faudroit pas
la couper , parce qu'elle pourroit rentrer
dans le ventre par les mouvemens du bleffé,
& dans ce cas , les vaiffeaux récemment
coupés fourniroient du fang dans la capacité
; ce qui pourroit être très-dangereux.
M. Pipelet eftime qu'il n'y auroit aucun
inconvénient à couper la portion d'épiploon
qui feroit flétrie : mais dans ce cas
là même , il ne voit pas pourquoi on rejetteroit
la ligature faite extérieurement
au niveau de la peau , fur une partie privée .
de chaleur & de mouvement. Elle ne peut
avoir aucun inconvénient; & elle abrégera
la cure , en procurant plus promptement la:
chûte d'une membrane inutile .
Il femble que les hoquets & les vomiffemens
qui furviendroient dans le cas que
nous venons d'expofer , obligeroient néceffairement
à débrider la plaie pour faire la
réduction de l'épiploon ; parce qu'il eft na
turel de regarder le tiraillement de l'eftomac
, par l'épiploon étranglé dans la plaie ,
comme la caufe de ces accidens . M. Louis,
le pere , Lieutenant de M. le premier Chirurgien
du Roi , à Metz , a communiqué.
une obfervation à l'Académie , avec des
remarques judicieufes fur un fait de cette
nature dont M. Pipelet fait ufage , & qui
168 MERCURE DE FRANCE.
;
prouve que les naufées & le vomiffement
font des accidens des plaies du bas-ventre ,
fans iffue de l'épiploon . C'eft en faiſart
effayer aux bleffés des pofitions différentes,
qu'on connoîtra fi le tiraillement a lieu
& lorfque la fituation qui doit le manifefter
, ne produit aucune fenfation douloureufe
, de la plaie à l'eftomac , on peut juger
que l'agacement de cet organe eft fympathique
; que les faignées , le régime & les
calmans feront finir les accidens ; & l'on
épargnera aux bleffès une opération douloureufe
, abfolument inutile , qui les expoferoit
pour la fuite à la hernie ventrale.
Le précepte reçu fur la ligature de l'épiploon
, eft de le tirer jufqu'à ce qu'on
découvre la partie faine. M. Pipelet remarque
les dangers de tirer une membrane
auffi délicate , qu'on ne peut manier avec
trop de ménagement. Tous les Anatomiftes
fçavent avec quelle dextérité il faut la
toucher , fi l'on veut réuffir à la fouffler
dans les démonftrations anatomiques. Sur
le vivant , on rifque de meurtrir fes vaiffeaux
, & d'y attirer l'inflammation qui
fera bientôt fuivie de fuppuration & de
gangrene. S'il y a du rifque à tirer l'épiploon
, la ligature ne pourra donc jamais
être pratiquée , fans de grands inconvéniens
, qu'un peu au deffus de la partie
qu'on
JUILLET. 1756. 169
qu'on découvre à l'extérieur. Mais fi cette
partie , qui doit être étranglée par la ligature
, eft enflammée , quels accidens n'en
doit-il pas réfulter l'inflammation fera
des progrès , & le malade périra infailli
blement on en fent affez les raifons ; elles
font exposées dans les principes de chirurgie
fur les inflammations en général. Il y
auroit bien moins de danger , fi la ligature
étoit pratiquée fur une portion de l'épiploon
, qui nnee feroit pas fufceptible d'être
ranimée par la chaleur des entrailles : ce
n'eft peut-être que dans ce cas- là qu'elle a
réuffi fans le moindre inconvénient . M.
Pipelet ne veut point charger inutilement
fa Differtation des faits qu'il a obfervés
dans les Hôpitaux fur les mauvais effets de
la ligature , & qui font à la connoiffance
de tous ceux qui ont voulu y donner
attention : il fe contente de rapporter une!
obfervation qui lui eft particuliere. Il y
parle d'un homme à qui il fit la ligature ,
de l'épiploon dans l'opération d'une hernie
épiplocele. Le hoquet & le vomiſſemiffement
qui avoient précédé , fubfiſterent
après l'opération , & le malade mourut
en 36 heures. L'omiffion de la ligature
n'auroit probablement pas empêché ce
triſte événement ; mais il eft certain qu'elle
ne pouvoit pas contribuer à la ceffation
II:Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
des accidens . L'ouverture du cadavre fit
voir l'épiploon gangréné ; l'eftomac & les
inteftins étoient dans l'état d'inflammation
qui annonce une difpofition gangréneufe.
Une obfervation femblable , quant à l'événement
, mais qui renferme une circonftance
remarquable fur le mauvais effet de
la ligature de l'épiploon , confirme le fentiment
de M. Pipelet.Cette obfervation dont
M. Pouteau , le fils , Chirurgien de l'Hôtel
- Dieu de Lyon , eft l'Auteur, porte qu'il
fit l'opération de la hernie à un homme
pour l'étranglement de l'inteftin . Après la
réduction , il auroit fort défiré faire celle
de l'épiploon ; mais fon volume dans la
hernie étoit fi conſidérable , qu'il auroit
fallu faire une trop grande incifion à l'anneau
pour le replacer dans le ventre. M.
Pouteau fit la ligature : le malade fut foulagé
d'abord des accidens que caufoit l'étranglement
de l'inteſtin' : le vomiſſement
ceffa , & il y eut dés évacuations par les
felles. Peu de temps après le malade fe
plaignit d'une douleur dans tout le ventre :
it fut faigné cinq fois : on fit des fomentations
émollientes , & il mourut 36 heures
après l'opération , de la gangrene de l'épiploon
, comme l'ouverture du cadavre l'a
démontré. Voilà un effet bien marqué du
mauvais fuccès de la ligature de l'épiploon.-
4
#
JUILLET. 1756. 7171
Pour ne rien laiffer à défirer fur les con
féquences qui résultent de pareilles obfervations
, M. Pipelet a fait avec M. Louis
des expériences fur des animaux vivans :
elles ont confirmé ce que les faits de pra
tique ne montrent , on peut le dire, qu'imparfaitement
, faute de pouvoir être affez
multipliés , & de préfenter des difpofitions
affez variées. Le réfultat de ces expérien
ces , dont M. Pipelet expofe un détail inté
reffant , eft que ces animaux confervés
jufqu'à la guériſon parfaite , ont été enfuite
ouverts. On a trouvé conſtamment
tous les épiploons qui n'avoient pas
été
liés , dans l'état naturel ; à l'exception d'une
adhérence au péritoine dans l'endroit
de la plaie ; mais adhérence fimple , fans
dureté , ni aucune autre difpofition contre
nature. Quelque précaution qu'on ait prife
dans la réduction de l'épiploon après la
ligature , l'adhérence à la partie intérieure
de la plaie s'eft trouvée la même ; mais
dans tous les cas , fans exception , l'épiploon
formoit au deffus de l'endroit que
la ligature avoit ferré , un corps calleux ,
fans inflammation , du volume d'un petit
oeuf , dans les animaux auxquels la ligature
avoit embraffé une affez grande portion
d'épiploon , moindre dans d'autres ,
aproportion de la quantité qui avoit été
で
Ĥ ij
172 MERCURE DE FRANCE,
liée. Le tubercule qui paroiffoit fimplement
fquirreux & formé par l'induration
de l'humeur adipeufe , contenoit dans
fon centre un abcès bien caractérisé , rempli
d'un pus épais & d'un blanc verdâtre.
On ne peut point dire que ce foit là l'effet
d'une difpofition particuliere en quelques
animaux ; car on ne l'a vu qu'à la fuite de
la ligature , & conftamment fur tous ceux
qui l'avoient foufferte. Ces accidens confécutifs
de la ligature ne fe feroient manifeftés
que tardivement , & lorfqu'on auroit
été dans la plus parfaite fécurité fur l'événement
de l'opération .
Si l'on objecte contre ces expériences
des obfervations qui atteftent la parfaite
guérifon , après la ligature de l'épiploon ,
ne pourroit-on pas dire que dans ces cas
la partie qu'on a liée s'eft trouvée dans une
difpofition favorable ? M. Pipelet remarque
que , fans être froide ni livide , les fucs
graiffeux peuvent déja y avoir été figés ,
de façon que la ligature faite fur une partie
faine en apparence , n'aura réellement
porté que fur une partie où la circulation
des fucs étoit déja fufpendue ; & les ma-
-lades ont dû leur falut à cette conjoncture :
du moins il ne paroît pas que les faits
qu'on rapporte fur les bons & les mauvais
effets de la ligature de l'épiploon puiſſent
-
JUILLET. 1756. 173
être conciliés , qu'en établiffant , avec M.
Pipelet, cette difpofition en faveur du fuccès
de la ligature ; fuccès , comme il le dir ,
qui n'eft pas d'ailleurs conftaté par un affez
grand nombre d'obfervations , tandis que
tout ce qui peut porter quelque conviction
, concourt à en établir les mauvais
effets.
Les bornes d'un extrait ne permettent
point de faire mention des obfervations
communiquées par différens Chirurgiens ,
& que M. Pipelet a inférées dans fon Mémoire.
Il y en a qui établiffent le dérangement
de l'eftomac par les adhérences que
l'épiploon contracté dans l'anneau , à la fuite
des opérations de hernies . M. Pipelet en tire
une conféquence bien utile fur la néceflité
de la plus exacte réduction de cette membrane
, à laquelle on ne fait quelquefois
pas affez d'attention . Enfin l'Auteur examine
un cas qui ne mérite pas d'être paflé
fous filence : Si l'humidité , la chaleur de
l'épiploon , & la couleur vive du fang
qui paroît à travers les vaiffeaux , faifoient
connoître que les humeurs vivifiantes circulent
dans fa fubftance au deffus d'une
adhérence , & dans l'endroit où il faudroit
couper , il y auroit certainement de l'im
prudence à faire cette fection fans ligature ,
fi l'on réduifoit l'épiploon fur le champ :
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
mais on a la reffource de pouvoir retenir
un jour ou deux cette portion dans l'anneau
, & d'arrêter l'hémorrhagie, de fes
petits vaiffeaux , en les touchant avec de
Fefprit de térébenthine. On feroit enfuite
la réduction fans aucun rifque.
M. Pibrac lut enfuite un Mémoire fur
l'abus des futures dans la réunion des
plaies. On convient en général que les
futures font des moyens violens , auxquels
on ne doit avoir recours que dans les cas
où il ne feroit pas poffible de maintenir les
levres de la plaie rapprochées par la fituation
& à l'aide d'un bandage méthodique.
M. Pibrac croit que ces circonftances font
extrêmement rares ; l'objet de fon Mémoire
eft de prouver qu'on peut reftraindre l'ufage
des futures , en étendant le principe
général au plus grand nombre des cas qui
peuvent fe préfenter ; & cet objet eft bien
rempli . On voit avec plaifir la chirurgie
fe perfectionner par une fage réforme des
moyens douloureux , & les opérations néceffaires
& indifpenfables devenir plus
douces & moins dangereufes par l'habileté
des grands Maîtres qui les pratiquent.
M. Pibrac rapporte des obfervations fur
l'efficacité du bandage dans plufieurs occafions
, où l'on auroit pu faire la future
fans déroger aux regles ordinaires . Le
JUILLET. 1756. 173
détail dans lequel il entre fur les inconvéniens
qui peuvent réfulter de cette opé
ration , & l'examen des reffources de la
nature & de l'art , lorfque les futures qu'on
avoit cru néceffaires , ont manqué leur
effet , font autant de moyens que l'expé
rience fournit à l'Auteur , pour établir
qu'il n'y a prefque point de cas où l'on ne
puiffe , & parconféquent où l'on ne doive
fe difpenfer de faire des futures.
Cet Ouvrage n'eft point une differtation
de fimple raifonnement , où l'on auroit
pu fe contenter de faire une bonne théorie
, & d'établir des principes que la fpéculation
auroit admis, & que chacun auroit
enfuite vérifiés dans fa pratique. M. Pibrac
n'avance rien que d'après des faits particuliers
& affez multipliés : c'eft l'expérience
même qui parle. Il parcourt les différentes
parties du corps: dans l'expofition
des bleffures qu'elles peuvent effuyer ; &
T'on trouve prefque partout que le fentiment
de l'Auteur eft fortifié par les faits
qu'il emprunte de ceux qui ont fait le plus
de cas du moyen qu'il cherche à profcrire.
Sur les plaies du bas- ventre , il rapporte
deux obfervations intéreffantes de guérifon
obtenue par un appareil & un bandage
méthodique. Mais y a t'il jamais des divi-
Hiv
175 MERCURE DE FRANCE:
fions qui paroiffent plus exiger la future ;
que l'incifion par laquelle on pénetre dans
la cavité du bas - ventre pour l'opération
Céfarienne ? Qu'on ouvre les Auteurs , on
lit que
la future a été pratiquée ; que les
points ont manqué ; qu'on a été obligé de
fe contenter du bandage , & les malades
font guéris. Voilà des faits pofitifs dont M.
Pibrac étaie le récit des cures qu'il a faites
, & qui lui donnent un très - grand
poids.
La réunion de la plaie qui réfulte de
l'opération du bec de lievre ou de l'extirpation
d'un cancer aux levres , a toujours
paru exiger la future. Il y en a même une
efpece particuliere pour ce cas ; on la nomme
future entortillée : elle contient plas
fortement qu'une future fimple ; & c'est ,
fuivant l'Auteur , ce qui la rend plus nuifible.
Parce qu'il y a déperdition de fubftance
, on croit qu'il faut une future qui
réfifte davantage mais plus la future réfiftera
, plus il y a à craindre les efforts des
levres de la plaie fur elle : c'eft ce qu'à
très-bien remarqué un Auteur moderne
dans une obfervation fur un bec de lievre
très-compliqué. Le fuccès de l'opération
dépend de l'appareil qui empêche les points
de déchirer les parties qu'ils embraffent.
De cette réflexion , il n'y a qu'un pas à faire
JUILLET . 1756. 177
pour appercevoir la néceffité de profcrire
abfolument la future dans le plus grand
nombre des cas . M. Pibrac rapporte fur le
bec de lievre deux obfervations , l'une de
M. de la Faye , & l'autre de M. Quefnay ,
qui par des languettes d'emplâtre agglutinatif,
ont réuni très heureufement les parties
déchirées par l'effort des levres fur les
futures. Le fuccès de cette méthode amene
une conféquence bien fimple , & qu'on
pourroit dire fans replique . Le bon effet
du bandage appliqué après le déchirement
de la levre , auroit été produit avec bien
plus de facilité , fi l'on y avoit eu recours
d'abord. Les malades n'auroient fouffert
ni la douleur de l'opération , ni celle du
déchirement ; ils n'auroient pas été expofés
aux accidens qui auroient pu en réfulter ,
ni aux rifques d'une difformité permanente
& incurable , dont il n'y a que trop d'exemples.
Le bandage , ajoute M. Pibrac , eft
un moyen plus doux que la future ; &,
puifqu'il peut en réparer efficacement les
défordres , quelle raifon auroit- on de ne
le regarder que comme une reffource dans
ce cas pourquoi n'en pas faire le moyen.
capital & primitif de la réunion des plaies
des levres , même avec déperdition de fubftance
? L'Auteur rapporte deux ou trois
obfervations fur les avantages de cette
méthode. Hy
178 MERCURE DE FRANCE.
Il y a apparence que les futures ont
prévalu dans prefque tout les cas , fur les
autres moyens de réunion , parce qu'il a
toujours été plus facile d'en faire ufage
que d'appliquer fon efprit dans des circonftances
difficiles , à imaginer un bandage
qui remplît par un procédé nouveau
toutes les intentions de l'art en favorifant
celles de la nature . Mais on doutera
dorénavant moins que jamais de la
poffibilité de réunir des plaies qu'on
n'auroit pas cru pouvoir l'être par le
moyen des bandages , l'orfqu'on verra
dans la fuite des Mémoires de l'Académie
, l'inftrument ingénieux que M. Pibrac
a imaginé pour la réunion des plaies
de la langue coupée par les dents . Cette
machine eft liée à une obſervation des
plus curieuſes : nous n'en dirons rien de
plus , parce qu'il faudroit le fecours d'une
figure , toujours plus frappante qu'une
defcription qui ne donneroit aucune idée à
ceux qui n'auroient pas vu la chofe.
Dans les plaies tranfverfales de la gorge
, on fçait que la feule fituation de la
partie fuffit avec le bandage pour obtenir
la réunion. Le premier volume des Mémoires
de l'Académie Royale de Chirurgie
contient fur ce cas trois obfervations que
M. Pibrac prend pour le fujet de fes reJUILLET.
1736. 179
marques. Il ne blâme point les auteurs de
la conduite qu'ils ont tenue , puifqu'ils y
étoient autorisés par l'ufage & par les préceptes
adoptés par les grands Maîtres. Mais
il n'eft pas moins certain qu'ils ont pratiqué
la future auffi inutilement qu'elle a
été recommandée : c'est ce que l'on prouve
par leur propre expofé.
Sur les plaies des tendons , M. Pibrac
paie au célebre M. Petit un jufte tribut d'éloges
fur l'invention du bandage pour
la ‹
réunion du tendon d'Achille , & fait connoître
que la fituation de la partie , aidée
d'un bandage convenable, eft le feul moyen
qui puiffe réuffir pour réunir les tendons
en général. Il y a déja long-temps que la
future étoit proferite de la pratique dans
des cas de cette nature.
Enfin on rapporte dans ce Mémoire ,
rempli de folides inftructions fur tous les
cas , les inconvéniens qu'on a vus dans différentes
occafions de la part des futures ; &
il y a tout lieu d'efpérer , qu'après la lecture
de cet Ouvrage , les jeunes Chirurgiens ,
s'ils pratiquent jamais la future , auront
du moins l'attention d'examiner s'il n'y
auroit pas moyen de réuffir par des voies
plus douces & plus conformes aux vues de
la nature , pour laquelle la future eft un
moyen violent peut - être dira-t- on un :
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
jour avec Paracelfe que la future eſt étran
gere à l'art.
que
M. Bellog a fait part à la Compagnie
des moyens qu'il a employés avec fuccès
pour arrêter des hémorragies particulieres
, contre lefquelles les fecours connus
avoient été adminiftrés inutilement . L'hé
morragie qui furvient après l'extraction
des dents , eft l'objet de fes premieres obfervations.
Il expofe les fuites funeftes
cet accident á eu , probablement
par l'impéritie
de ceux qui s'étoient chargés d'y
remédier. Pour peu qu'on foit inftruit , on
fçait que l'efpece d'hémorragie dont il
s'agit , cede ordinairement
& avec facilité
à une compreffion méthodique. Il peut
néanmoins fe préfenter des circonftances
très-embarraffantes
. M. Belloq a vu un cas
où ce moyen , appliqué avec toute l'attention
poffible , ne fut d'aucune reſſource ,
parce qu'une portion des parois de l'alveole
incruftée de matiere tartareuſe , mettoit
le vaiffeau à l'abri de la compreffion
, en
foutenant la charpie qu'on mettoit dans
l'alveole , & empêchant qu'on ne pût la
remplir exactement . On avoit déja beaucoup
perdu de temps en tentatives infructueufes
, lorfque M. Belloq fut appellé.
Dans le danger preffant où étoit le malade
, il falloit un fecours très- prompt. M.
JUILLET. 1756. 181
Belloq l'imagina fur le champ. Il ramollit
un morceau de cire entre fes doigts , il en
remplit l'alveole , & maftiqua , pour ainfi
dire , tout le vuide. Ce moyen réuffit parfaitement
l'Auteur en a éprouvé une autre
fois le bon effet dans une occafion femblable.
Il parle enfuite de l'hémorragie après
l'opération de la paracenthefe , ou ponction
, qu'on fait au bas- ventre des hydropiques
pour l'évacuation des eaux qui y
font contenues . Cette hémorragie eft extraordinairement
rare. Les moyens de
l'arrêter font d'autant plus recommandables
, que faute d'être prévenus fur la poffibilité
de cet accident , plufieurs Chirurgiens
qui n'auroient pas le génie de l'invention
dans une pareille circonftance , auroient
la douleur amere de voir périr fous
leurs yeux un malade , à l'occafion d'une
opération qui devoit lui être falutaire . M.
Belloq ayant tiré les eaux d'un hydropique,
retira la canule du trois quarts , &
vit qu'il fortoit du fang de la plaie . Il appliqua
un appareil qui fut bientôt imbibé
de fang. Il en appliqua un fecond avec plus
de foin & de précaution ; le fang le pénétra
de même. M. Belloq penfa alors qu'une
compreffion plus exacte par laquelle il auroit
fupprimé hémorragie extérieure182:
MERCURE DE FRANCE.
ment , détermineroit le cours du fang vers
l'intérieur ; ce qui feroit tout auffi funefte
au malade : ainſi en fuivant les principes
qui doivent conduire pour arrêter effica
cement une hémorragie , M. Belloq jugea
qu'il falloit une compreffion qui agît immédiatement
fur l'ouverture du vaiffeau.
Le bon effet qu'il avoit éprouvé de l'uſage
de la cire dans l'hémorragie des alveoles
, lui fuggéra de faire un petit cylindre
de cire , gros comme la canule du trois
quarts, & de l'infinuer dans la plaie . Le fuccès
répondit à fes vues ; M. Belloq ne diffimule
pas l'inconvénient qu'il a apperçu en
voulant retirer cette cire : elle fe rompit
& ce qui étoit reſté dans la plaie ne fortit
qu'au bout de quelques jours après une
legere fuppuration que ce corps étranger
occafionna. L'on n'éprouvera plus cette difficulté
, fi les Chirurgiens , attentifs à profiter
de cet exemple , fuivent le confeil de
M. Belloq , c'eft d'être munis d'une bougie
propre à être mise à la place de la canule
, en cas de befoin La meche , qui fert
de baſe & de foutien à la cire , ne permettra
pas que la bougie fe rompe . M. Belloq
s'eft fervi de ce moyen pour fufpendre l'écoulement
des eaux après l'opération de la
paracenthefe. L'art eft véritablement enrichi
par ces inventions qui , toutes fimples
༥
>
JUILLET. 1756. 183
qu'elles paroiffent , font fort ingénienfes ,
& d'une utilité admirable..
M. Recolin a terminé la féance par la
lecture d'un Mémoire très- intéreffant fur
le choix des faignées , & le danger de la
métaftafe fur le poumon dans les maux de
gorge inflammatoires. Perfonne ne doute
de la néceffité abfolue des faignées dans
cette affection , que les Auteurs les plus célebres
ont mife au nombre des maladies
chirurgicales. Les obfervations particulieres
de M. Recolin lui ont démontré qu'il
y a des circonstances où la faignée du pied ,
qui a prévalu dans la pratique vulgaire ,
par l'opinion qu'elle dégage puiffamment
les parties fupérieures , occafionnoit des
méraftafes funeftes , en attirant l'humeur
fur la poitrine. Il en rapporte des faits bien
circonftanciés. Cet accident eft très-fréquent.
Tous les Praticiens l'ont obfervé.
L'Auteur s'appuie du témoignage d'Hippocrate
, du fçavant Duret , & de l'illuftre
Van Swieten , & il demande fr la faignée
du pied ne pourroit pas être une caufe
occafionnelle de cette fâcheufe terminaifon.
Cette faignée a une grande vertu pour
débarraffer les parties fupérieures ; c'eſt
par cet effet même qu'elle attire la matiere
morbifique fur les parties internes.
M. Bertrandi a prouvé dans un Mémoire
für les abfcès du foie à la fuite des plaies.
184 MERCURE DE FRANCE .
de tête , que la faignée du pied favorifoit
l'engorgement du foie dans ces cas , parce
que la force de la colonne fupérieure du
fang en étoit augmentée , & qu'elle diminuoit
la réfiftance de la colonne inférieure
qui revient au coeur. Cette théorie
fondée fur l'expérience , eft applicable aux
maux de gorge inflammatoires. La difpofition
vicieufe de la circulation du fang ,
eft la même dans les efquinancies violentes
, que dans les affections comateufes les
plus fortes ; tous les vaiffeaux de la tête
font également engorgés , & l'engorgement
confécutif du foie eft auffi un accident
de l'efquinancie. Hippocrate- dit ex-.
preffément dans fes pronoftics , que la
douleur de l'hypocondre à la fuite des ef-.
quinancies , eft une caufe de mort inopinée
, quoique les malades paroiffent hors
de danger ; & M. Van Swieten , dans le
Commentaire fur l'aphorifme 807 deBoerhaave
, reconnoît l'engorgement du foie ,
comme un effet de l'embarras des parties
fupérieures dans l'efquinancie. Les faits
que M. Recolin expofe , montrent que,
l'embarras du poumon a fuivi immédiatement
la faignée du pied & le dégagement
de la gorge elle doit donc être extrêmement
fufpecte par cette feule obfervation
bien constatée par des événemens multipliés.
Suivant les principes pofés , la métaf-
:
JUILLET. 1756 .
185
tafe devroit fe faire fur le foie : mais l'Autear
du Mémoire , remarque que les caufes
reconnues capables d'attirer l'engorgement
du foie , produiront plus fréquemment
celui du poumon ; puifque dès le commencement
de la maladie , la difficulté de refpirer
gêne la circulation du fang dans ce
vifcere ; & fi la moindre réfiftance de la
colonne inférieure du fang dans la veine
cave afcendante , eft un effet méchanique
de la faignée du pied , d'où il peut réfulter
un dégorgement des vaiffeaux qui font le
fiege de l'inflammation dans la gorge , le
fang qu'ils contenoient paffera rapidement
dans l'oreillette droite , d'où il fera porté
dans le poumon. Or comme ce vifcere
fouffroit déja de l'embarras de ſes vaiffeaux
à l'occafion de la difficulté de refpirer
, celui qui y arrivera de furcroît par
une révulfion que la faignée du pied déter
mine , doit produire une furcharge dont
l'expérience n'a montré que trop fouvent
les effets funeftes.
M. Recolin expofe la conduite des Anciens
fur le choix des faignées dans ces
fortes de cas. Elle n'eft point à l'avantage
de la faignée du pied , qu'ils n'admettoient
que dans le cas de la fuppreffion des menftrues
aux femmes , ou du flux hémorroïdal
aux hommes qui y étoient fujets . Cette
partie du Mémoire eft très - fçavante &
186 MERCURE DE FRANCE.
pleine d'érudition. On y admire les An
ciens dont la doctrine eft bien refpectable
à beaucoup d'égards. Rien de fi beau que
ce que M. Recolin rapporte d'après Alexandre
de Tralles , célebre Chirurgien
qui vivoit dans le fixieme fiecle , fur la
cure de l'efquinancie . Suivant le témoigna
ge de M. Freind , à peine y pourrions- nous
ajouter quelque chofe après les découver
res & les progrès qu'on a faits en Médecine.
Le mauvais effet des gargarifmes répercuffifs
eft encore un point bien touché dans
le Mémoire de M. Recolin . Il joint fon
expérience aux obfervations des plus
grands Maîtres , & il remarque que les
Anciens qui recommandoient en général
les topiques repercuffifs dans le commencement
de toutes les inflammations , ont
pofé pour exception , les cas où la métaf
tafe étoit à craindre. Pourquoi ne pas
faire l'application d'un principe fi lumineux
& fi fûr , aux efquinancies inflam
matoires ? Les remedes froids dont on uſe
impunément dans les inflammations legeres
, font prefque toujours refluer l'humeur
fur le poumon , lorfque la fluxion a
faifi vivement . M. Recolin finit fon Mémoire
par de bonnes obfervations fur les
efquinancies qui fe terminent par fuppuration
, & donne des regles pour faire avec
méthode l'ouverture de ces abcês..
JUILLET. 1756.
187
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS AGRÉABLE S.
PEINTURE.
SUITE des Mémoires d'une fociété de
Gens de Lettres , publiés en l'année 235.5..
LE fixieme Mémoire eft de M. Findfault,
& traite de la Peinture ancienne. Les re+
cherches de cet Auteur ont pour but de
découvrir les vêtemens & les ufages des
anciens François , par le moyen des por
traits , qui fe retrouvent dans les cabi
ners des curieux. La plupart de ces portraits
paroiffent , à en juger par les noms ,
avoir été faits dans l'ancienne ville de Par
ris. Il s'en rencontre cependant quelquesuns
qu'on croit peints dans l'Ile de la
Grande- Bretagne : mais ceux qu'on attri
bue ( 1 ) aux habitans de cette Iſle ne font
pas les plus eftimés.
(1 ) Quelques Auteurs ont avancé qu'autrefois
188 MERCURE DE FRANCE.
M. Findfault paffe rapidement fur le
petit nombre de ceux que nous avons de la
fin du feizieme fiecle & du commencementdu
fuivant. Il n'y trouve rien à noter
que quelques modes affez ridicules , comme
des rabats à tous les hommes , & aux
femmes une piramide de linge à petits plis
fur la tête. Ces ufages ne lui paroiffent
dignes de la curiofité d'un fçavant tel que
lui , qu'en ce qu'il eft difficile de deviner
par quelle induftrie on pouvoit foutenir
en l'air une chofe auffi mobile que le linge.
Il donne là - deffus plufieurs conjectures
affez fatisfaifantes qu'il faut lire dans l'original.
Ce qu'il y trouve de fingulier ,
e'eft que quelques années auparavant cette
abondance de linge étoit placée autour du
col dont elle cachoit toute la beauté. On
ne fçait pourquoi , ni dans quelle année
on la fit paffer du col au front où elle étoit
encore plus ridicule.
Ses recherches deviennent plus intéreffantes
lorfqu'il les applique aux ufages de
la fin du dix- feptieme fiecle & d'une partie
cette Ifle s'étoit fouftraite pour un temps à l'obéiffance
qu'elle devoit à nos Rois , & s'étoit érigée
en Royaume fous le nom d'Angleterre. Ce qu'il y
a de certain , c'eft que depuis plufieurs fiecles elle
eft une des Provinces de la France , & qu'on n'apporte
aucune preuve bien folide qu'elle en ait
jamais été féparée.
JUILLET. 1756. 189
du fuivant. Il obferve premiérement, qu'on
voit dans tous les portraits de ces temps
des cheveux blancs aux perfonnes de tout
âge & de tout fexe , & que cette fingularité
ne fe trouve que dans ceux du dixhuitieme
fiecle. Quel a pu être le but d'un
pareil ufage & quelle raifon peut avoir
engagé les perfonnes les plus jeunes & les
plus aimables à porter les marques caractéristiques
de la vielleffe & à s'en croire
parées ! Comment penfer que les blondes
ayent pu fe réfoudre à fe priver de la beauté
naturelle de leur chevelure , & les brunes
de l'éclat dont ce contrafte fenfible fait
briller leur teint.
?
En fecond lieu , il remarque qu'on voit
dans prefque tous les portraits de femmes ,
les vifages d'un coloris rouge foncé qui ne
tient en rien de la couleur naturelle . Dans
qu'elle vue les Dames fe feroient - elles
peintes ainfi Il n'y a aucune apparence à
fuppofer que c'ait été dans le deffein de
plaice : rien n'y pourroit être plus contraire
qu'une couleur outrée qui détruiroit
toute la fraîcheur de leur teint ; &
certainement on peut s'en rapporter au
beau fexe pour n'accepter aucunes modes
que celles qui relevent leurs agrémens. De
plus , quand il ferdit affuré que les Dames
auroient été forcées de s'affujettir à un.
190 MERCURE DE FRANCÈ.
pour ne
ufage qui les auroit défigurées par des raifons
qui nous font maintenant inconnues,
feroit - il concevable que les Peintres d'un
mérite diftingué s'y fuffent affujettis &
ne doit-on pas penfer que les habiles gens
ont toujours eu affez de fermeté
point gâter leurs tableaux par une complaifance
auffi ennemie de l'art ? Il eft cependant
certain que ces portraits ont ce
ridicule , d'où M. Findfault conclut que
ceux qui nous reſtent de ces temps ne font
pas des Attiftes du premier ordre d'alors ,
qui auroient affez chéri leur gloire pour
réfifter au torrent. Si cela eft , quelle opinion
ne doit-on pas avoir de l'excellence
des Peintres anciens ? puifqu'avec ce défaut
il s'en trouve qui font , à tout autre
égard, d'une fi grande beauté , & qui cependant
dans cette fuppofition , ne feroient
pas des meilleurs Peintres.
} Quelques Auteurs ont avancé diverfes
conjectures fur ce fujet que notre, Auteur
rejette . Il aime mieux renoncer à en donner
aucune explication décidée. Ce font
de ces obfcurités de l'antiquité difficiles à
pénétrer , fur lefquelles il invite tous les
Sçavans à communiquer leurs réflexions ,
ને
& qui font bien dignes de les occuper fé
rieufement.
Laiffant cette matiere , il paffe à d'autres
JUILLET. 1756. 191
recherches fur les habillemens . Il remar
que , à la gloire de la nation , que tous ces
portraits annoncent l'opulence ; que le vefours
de toute couleur y eft prodigué auffi
bien que les broderies d'or & d'argent :
il obferve auffi combien les Sciences & les
Arts étoient déja floriffans dans ce temslà
, & le prouve par la richeffe des Scavans
& des Artiftes . En effet , fi l'on regarde
plufieurs portraits des hommes célebres
, foit dans les Sciences , foit dans
les Arts , peints par ce Rigaud fi fameux
dans l'antiquité , il n'en eft aucun qui ne
foit vêtu magnifiquement & environné
d'une piece de velours très- ample , qu'ils
portoient fur les bras & autour des épaules
; mode très- favorable à la Peinture
Leurs appartemens font toujours ornés de
colonnes de marbre avec des bafes de
bronze doré : quelques- unes de ces colonnes
font entourées de rideaux très- amples
d'étoffe d'or , & ces rideaux n'y font mis
que pour marquer la richeffe des perfonnes
: car ils ne peuvent fervir à rien n'étant
point attachés à des tringles fur lef
quelles ils puiffent gliffer , mais fimplement
noués autour de la colonne. De plus
ce qui marque une opulence encore plus
extraordinaire , c'eft que ces appartemens
dans lefquels on les voit , ne peuvent être
2
192 MERCURE DE FRANCE.
que des pieces de parade , n'y ayant point
de fenêtres. C'étoit apparemment des veftibules
ou galeries fervant à décorer magnifiquement
leurs Palais. Il remarque encore
que tous les hommes de ce temps là
devoient être fort fçavans , puiſqu'il n'en
eft prefque aucun qui n'ait une Bibliotheque
fort riche , de livres qui à la vérité
nous font pour la plu.ande partie inconnus
, mais qui vraisemblablement étoient
fort eftimés alors . Peut-être pourroit-on
penfer que c'étoient des Bibliotheques de
parade de livres qu'on ne lit point , comme
c'eſt affez l'ufage de nos jours. Mais il
faut obferver que dans ces portraits on
voit véritablement le défordre du cabinet
d'un fçavant. Les livres font répandus fur
les tables , à terre , mêlés avec des fpheres
renverfées , & des inftrumens de Mathé
matiques. Enfin , à en juger par ces tableaux
, les hommes de ce tems avoient la
fcience univerfelle. Ce qu'on peut trouver
de plus étonnant dans les portraits qui
fe font faits depuis , dans ce même fiecle ,
c'eft la variété des ajuftemens des Damés.
On ne conçoit pas comment on peut avoir
adopté une fi grande quantité de vêtemens
différens. On en voit qui femblent contraires
à la décence , & où les Dames font
prefque nues , avec une fimple chemife
qui
JUILLET . 1736. 195
qui leur laiffe la gorge , les bras & les cuiffes
à découvert. C'étoit apparemment les
vêtemens qu'elles portoient en négligé
dans leur appartement pendant l'été. A
cet habillement qui n'en eft pas un , fe
joint une piece d'étoffe de foie bleue , violette
, ou d'autre couleur , qui ne fert à
rien couvrir : elle le par derriere la perfonne
, & revient une cuiffe. Il eft difficile
d'imaginer comment cet ajuſtement
ne tomboit pas à terre n'étant attaché à
rien , ou qu'il ne fût pas embarraſſant à
porter , puifqu'il paroît contenir plufieurs
aunes d'étoffes. Quelques - unes de ces
Dames fe coëffoient avec des fleurs , d'autres
avec des rofeaux , avec des épis de
bled ou autres ornemens à leur fantaifie ,
qu'elles mêloient de perles ( 1 ) . Il paroît
qu'elles prenoient pla fir à s'appuyer fur
des pots de terre remplis d'eau , qu'elles
renverfoient apparemment pour arrofer
leurs jardins : ce qui donneroit lieu de croire
qu'elles fe plaifoient beaucoup à l'agri
( 1 ) Notre Auteur fait l'éloge d'une coëffure de
femme qu'il croit avoir été en ufage dans le milieu
du dix huitieme fiecle . Ce font des cheveux
nattés & relevés enfuite fur le derr ere de la tête :
il la trouve naturelie & très- agréable ; mais il
obferve en même temps qu'elle a peu duré
& qu'elle fe voit très - rarement dans ces ta
bleaux.
II.Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
culture , & ce qui fe confirme encore, par
ce que dans cet habillement elles font toujours
repréſentées en pleine campagne.
On a lieu de croire qu'un de leurs princi
paux amuſemens étoit d'élever des oiſeaux,
même les plus difficiles à apprivoifer , tels
que des aigles à qui elles donnoient du
vin blanc dans des coupes d'or : on en
voit qui nourriffoient des tourterelles ;
c'étoit apparemment des perfonnes mélan
coliques , que le roucoulement de ces oifeaux
entretenoit dans une douce , langueur
d'autres plus gaies s'amufent à dan
fer dans leur appartement avec un tambour
de bafque , la tête entourée de pampres.
On ne finiroit point , fi l'on vouloit
nombrer la quantité de modes qui furent
en ufage parmi les femmes dans ce fiecle.
M. Findfault croit cependant que ces
modes n'ont été ufitées que dans l'intérieur
des appartemens ; car ilne lui paroît pas
poffible de fuppofer qu'on eût ôfé le préfenter
en public avec de tels ajuſtemens
qui , outre l'indécence , auroient fait paffer
les François pour une nation de fous. An
refte , il réfute pleinement quelques Auteurs
qui avoient avancé que tous ces ajuftemens
étoient des fantaifies des Peintres
d'alors. Il fait voir qu'il eft impoffible que
des Dames qui à leur ordinaire auroient
JUILLET. 1756 . 195
été vêtues modeftement , euffent fouffert
qu'on les eût traduites en peinture d'une
maniere oppofée à leurs moeurs. Il remar
que d'ailleurs que lés étoffes qui y font
peintes , font celles qui étoient véritablement
en ufage dans ce temps là : c'est- àdire
, des taffetas , des fatins , des velours ,
& c. : de plus ce qui engage à fe faire peindre
, eſt le défir d'être reconnu dans fon
portrait : or rien ne feroit plus capable de
détruire la reffemblance qu'une coëffure
& des vêtemens imaginaires. Enfin il fou
tient qu'il eft dans la nature de fe faire
peindre dans l'habit où l'on eft le plus ordinairement
, ou dans celui qui caractériſe
fon états que de tout temps dans les portraits
, on a eu en vue , en confervant fa
reffemblance à la poftérité , de conferver
les ufages de fon fiecle. Quant à ce que
l'on a cru pouvoir prendre les animaux
qui font joints à ces portraits pour des
fymboles du caractere de la perfonne , il
fait voir qu'il n'eft pas vraifemblable qu'on
ait voulu fe donner à connoître par fes
défauts ou par fes foibleffes , comme cela
feroit , fi l'aigle défignoit une femme altiere
, & les tourterelles une femme trifte
ou de complexion amoureufe : ce qu'il dit
là-deffus eft irréſiſtible .
On trouve quelques portraits plus ha-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
billés , mais où il fe rencontre une autre
énigme. On voit bien la figure & la taille
d'une femme jufqu'à la ceinture , mais
delà jufqu'aux pieds , qu'on ne découvre
qu'à peine , on ne fçait ce qu'elle eft devenue.
A fa place on voit une forte de pyramide
prefque auffi large que la perfonne
eft haute , qu'on pent comparer à cette
petite machine dans laquelle on met les
énfans pourles accoutumer à marcher , en
la fuppofant couverte d'étoffe. Quelques
recherches qu'ait pu faire M. Findfaut fur
la fingularité d'une pareille décoration , il
n'a rien trouvé de fatisfaifant , ni qui donne
l'idée de fa poffibilité. Une telle machine
doit avoir été d'une péfanteur extrê
me , de quelque matiere qu'on la fuppofe ,
ne fût ce que par la quantité d'étoffe qu'ellefourient.
D'ailleurs , comment auroit- on
pu paffer par une porte , ou par un eſcalier
auffi étroit que la plupart de ceux
qu'on a trouvés dans les reftes des maiſons
particulieres de ces temps-là ? Il n'y a nulle
apparence que ç'ait été pour fe donner un
air de dignité : il eft naturel de penfer
que de tout temps l'abondance d'étoffe a
été la marque de l'opulence , mais qu'on
fe foit cru plus confidérable en conféquence
du plus grand efpace qu'on occupoit
, c'eft ce qu'il n'eft pas poffible de fe
JUILLET . 1756. 197
figurer. Cette mode , fi elle a eu lieu , ne
peut avoir été imaginée que par les femmes
qui avoient les jambes mal conformées
: il eft cependant difficile de pnfer
que celles qui les avoient bien faites ,
ayent eu la complaifance de les cacher
pour ne pas mortifier celles qui les avoient
défectueuses. On peut donc croire qu'on
n'a repréſenté que ces dernieres avec cet
ajuftement , & que les perfonnes bien faites
fe faifoient peindre dans les habillemens
dont nous avons parlé ci deffùs.
Une difficulté à peu près femblable fe
rencontre dans les habits d'hommes : on
leur voit dans ces portraits anciens une
femblable pyramide attachée aux hanches,
mais beaucoup plus petite : elle femble
d'autant plus ridicule que tout le refte de
l'habillement eft fort étroit , & contraint
au point qu'il ne paroît pas poffible qu'on
ait pu fe mouvoir. On ne fçait pourquoi
certe abondance de plis à cet endroit , ni
par quel artifice on pouvoit les foutenir
auffi roides qu'une planche. A la vérité ,
on ne peut pas dire que les hommes aient
eu pour but de cacher la difformité de
leurs jambes , puifqu'elles n'en font point
couvertes ; ils n'ont pu adopter cette mode
que pour fe rendre le plus femblable aux
femmes qu'il leur étoit poflible ; foibleffe
I iij
# 98 MERCURE DE FRANCE.
·
qui eft encore affez commune de nos jours.
On a quelque lieu de croire que ceux qui
fe trouvoient difgraciés de la nature , ne
fe faifoient peindre que jufqu'an genouil ,
& que c'est pour cela que nous voyons
tant de portraits ainfi mutilés. Il y a encore
une autre chofe également inexplicable
, c'est une piece d'étoffe fur le bras ,
qui pend de part & d'autre. A quel ufage
pouvoit-elle fervir & quel avantage y
trouvoit on qui pût dédommager de fon
incommodité ? Une autre fingularité que
M. Findfault renonce à expliquer , c'est
cet accroiffement prodigieux de cheveux
qu'on voit à la tête des François fur la fin
du dix -feptieme fiecle , tandis qu'environ
trente années après , à peine en ont- ils de
quoi fe parer des intempéries de l'air. Il
n'eft pas difficile d'imaginer qu'on ait eu
la fantaisie de fe faire couper les cheveux
extrêmement courts : mais comment a- t'on
forcé la nature à produire la quantité de
cheveux qu'on voit aux plus jeunes hommes
dans les portraits de ces temps , d'une
affez grande longueur pour defcendre plus
bas que la poitrine , & de nature à fe foutenir
en pyramide fort élevée au deffus de
la tête c'eft ce qu'il eft d'autant plus difficile
d'imaginer , qu'on ne voit plus d'hommes
à qui il arrive rien de femblable.
JUILLET. 1756. 199
A l'occafion de ces portraits M. Findfault
dit que quelques Auteurs ont révoqués
en doute fi la perfpective étoit connue
alors , parce que beaucoup de ces portraits
font ornés de tables dont on voit le
deffus , quoique l'horifon foit fort audeffous
dans le tableau. Mais comme il
s'en trouve plufieurs où les objets font
dans l'exactitude de cette fcience , il aime
mieux croire qu'alors on faifoit ufage de
tables dont le deffus n'étoit pas de niveau ,
& que tous les meubles qu'on y poſoit ,
avoient des petits crochets pour les empêcher
de gliffer, ou y étoient attachés avec
quelque gomme. Cela eft d'autant plus
évident que ce ne peut point être par
hazard
& fans connoiffance des regles , que
quelques- uns fe trouvent d'une perfpective
exacte or ces regles étant connues ,
il n'eft pas vraisemblable qu'aucun Peintre
ait négligé des connoiffances fi faciles
à acquérir , & fi importantes pour fon
Art.
*
Je paffe beaucoup d'autres obfervations
non moins confidérables que fait M. Findfault
fur ce fujet , & qu'on peut voir dans
l'original . Je rapporterai feulement ce qu'il
dit , que toutes les femmes avoient les
yeux fi extraordinairement grands , qu'on
a peine à comprendre qu'ils puffent être
Liv
200 MERCURE DE FRANCE.
contenus dans l'eſpace ' qui leur eſt deſtiné,
que les Peintres appellent la châpe de l'oeil.
Il trouve plus raifonnable de penfer que
la nature étoit telle , que d'adopter le fentiment
de quelques Auteurs , qui prétendent
, que comme c'eft une beauté que d'avoir
les yeux grands , quand il n'y a pas
d'excès , les Peintres , pour flatter les Dames
, les leur faifoient tels , quelques petits
qu'elles les euffent ; qu'elles portoient
leur foibleffe fur ce point à tel degré , que
quelque mal que fût leur portrait à d'autres
égards , elles en étoient toujours fatiffaites
lorfqu'elles s'y voyoient de grands
yeux ; que c'étoit même le plus sûr chemin
à la fortune pour un Peintre , que le
talent des grands yeux , & des petites bouches.
M. Findfault refufe d'accepter cette
idée , parce qu'il prétend qu'avec une telle
complaifance il feroit impoffible de faire
reffembler, & qu'il ne lui paroît pas croyable
qu'on ait préféré une belle figure idéale
à fa propre reffemblance.
Il attribue à l'extrême gaieté des anciens
François le rire que l'on voit à tous leurs
portraits ce ne font pas feulement les
femmes , qu'on pourroit croire l'avoir fouhaité
ainfi , parce que c'eft ce qui les rend
les plus agréables ; les hommes même , à
qui le rire femble le moins convenable ,
1
JUILLET. 1756. 201
comme les Eccléfiaftiques , les Magiftrats ,
&c., font également peints dans cette fituation.
Il en infere qu'on faifoit tout alors
en riant , que les Juges rioient à l'Audience
, les Avocats en plaidant , & ainfi des
autres. « Combien , s'écrie-t- il , fommes-
» nous dégénérés de nos ancêtres ! nous regarderions
comme une indécence de repréfenter
ainfi un homme vêtu dans le
» caractere d'un état grave.
23
Notre Auteur a cherché de plus dans ces
portraits les manierès ordinaires aux anciens
François : il lui paroît qu'ils portoient
fort rarement la tête droite devant eux.,
& que leur habitude naturelle , ou acquife
par l'éducation , étoit de la tourner vers
l'épaule gauche. On trouvoit vraisemblablement
de la grace dans cette attitude
peu naturelle , on bien il y avoir quelque
raifon de cet ufage qui nous eft inconnu ,
femblable à celle qui engageoir les fucceffeurs
d'Alexandre à porter la tête penchée
d'un côté , à fon imitation.
Il étoit auffi apparemment du be! ufage
d'accoutumer de jeuneffe fes mains à un
tortillement forcé dans le petit doigt , &
de diriger les doigts de maniere que le
petit étant fort écarté , celui qui le fuir fût
joint à fon voifin , tandis que le quatrieme
ou index , s'en éloignoit le plus qu'il
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
lui étoit poffible. Il a fallu que cette regle
fût bien inviolable , puifqu'on la trouve
. exactement obfervée jufques dans des
mains qui font fimplement appuyées ou
même qui font quelqu'action . On y voit
encore que la maniere la plus ordinaire
de porter fa main droite étoit de la placer
fur la poitrine comme fi l'on faifoit quelque
proteftation . Toutes ces manieres qui
paroiffoient alors avoir de la grace nous
fembleroient maintenant ridiculement affectées.
11 paffe légérement fur le peu de rapport
qui fe trouve fouvent entre le caractere
des mains & celui de la tête & croit
tout fimplement que dans ce temps - là il
étoit fort ordinaire qu'une perfonne eût
de l'embonpoint fans que fes mains y participaffent.
Il obferve encore que l'attitude la plus
générale pour les hommes étoit de porter
une main appuyée fur la hanche , pofition
qui pafferoit maintenant pour une indécence
dans un lieu public.
Il feroit trop long de
rapporter toutes
les lumieres que M. Findfault tire de ces
portraits pour nous inftruire des manieres
des anciens François : il vaut mieux confalter
fon Mémoire qui eft un prodige de
fagacité.
JUILLET. 1756. 203
GRAVURE.
LE fieur Ouvrier vient de donner un
joli pendant aux Villageois de l'Apennin
annoncés dans le Mercure d'Août 17557
Cette nouvelle Eftampe a pour titre : Les
Jardinieres Italiennes au Marché. Elle eſt
gravée d'après le tableau peint par M.
Pierre à qui le Graveur l'a dédié. On y
reconnoît un digne Eleve de M. Cochin ,
& nous croyons qu'on ne peut trop applau
dir aux progrès marqués que fait tous les
jours ce jeune Artiſte . On trouve cette
Eftampe chez lui , rue des Noyers , chez
M. Bertrand , Chirurgien.
Le fieur Wille , Graveur du Roi , vient
de mettre au jour une Eftampe qu'on ne
peut trop louer. Il l'a gravée d'après le
Tableau original de Gabriel Melzu , excellent
Peintre Hollandois , du fiecle paffé.
Ce Tableau eft dans le Cabinet de M. le
Comte de Vence. L'Eftampe a pour titre :
La Cuisiniere Hollandoife. C'eſt une jeune
fille affife , vue prefque entiere , qui tient
une Poularde en broche , au deffus d'an
plat , & qui fait apperit à la voir par l'air
de propreté qui la caractérife. Le fond et
I vj
204 MERCURE DE FRANCE .
une cheminée de cuifine avec du gibier &
de fruits. Ce morceau réuni le burin au
travail à l'eau forte. On peut dire qu'il eft
fioi , & que l'Aureur ne pouvoit donner un
plus digne pendant à la Devidenfe qu'il a
gravée d'après Gerard Douw. Cette nouvelle
Eftampe fe vend chez lui , quai des
Auguftins , près l'Hôtel d'Auvergne , à
Paris.
Le fieur Lebas , vient d'enrichir fon cuvre
de David Teniers de quatre nouvelles
Estampes. Cer habile Artifte ne néglige
rien pour étendre la réputation du modele
qu'il a fi parfaitement imité. Il nous
l'a repréfenté , comme le premier , pour
peindre la nature dans fa naïveté : il veut
auffi nous donner des exemples que Teniers
avoit mérité le titre d'imitateur de la
nature dans toute fon étendue. Après l'avoir
donné comme Peintre d'Hiftoire.
de Fêtes de Village , de Converfation , il
fait voir à quel point il a réuffi à peindre
les animaux.
Des quatre Estampes , deux repréfentent
des Canards dans l'eau & volans en
l'air ; on y voit les différens mouvemens de
ces animaux : elles font toutes deux dédiées
à M. le Baron de Nagel , Chambellan de
l'Electeur de Cologne , & c . Les deux autres
JUILLET. 1756. 205
Eftampes font auffi des Payfages avec figures
, l'une intitulée le Jour naiffant , &
l'autre la Fin du Jour.
On trouve chez le même Auteur , rue
de la Harpe , vis -à- vis la rue Percée , une
grande Eftampe , gravée par le fieur Bacheley
, Eleve du fieur Lebas , fous le titre
de Vue du Tibre :
Et fix feuilles compofées par M. Jacques,
à l'ufage de la décoration des Théâtres
Panneaux & Carolles.
Il paroît chez la Dame veuve de Larmeffin
, rue des Noyers , à Paris , une Eftampe
nouvelle d'après le célebre François
le Moine , fort bien gravée. C'eft un fujet
de la Fable qui repréfente Latone avec fes
deux enfants , Diane & Apollon , au bord
d'un étang ; & des Payfans dedans qui reffentent
les effets de la priere qu'elle adreffe
à Jupiter pour qu'ils foient changés en
Grenouilles . Cette Eftampe eft d'une compofition
qui annonce la fupériorité du génie
de l'illuftre Artiste qui en a peint le
Tableau .
Il paroît actuellement une Eftampe nouvelle
, la quatorzieme de l'OEuvre de M.
de Marcenay qu'il a gravée d'après un
morceau de M. Vernet dont les talens fu206
MERCURE DE FRANCE.
périeurs pour le Paysage font généralement
applaudis.
Ce Tableau repréfente une belle nuit
d'éré , ou la Lune plus éclatante qu'à l'ordinaire
, femble prolonger le cours du
Soleil . Le choix de la lumiere qui part du
fond , les Réveillons qu'elle produit fur
des eaux légérement agitées , de beaux
Plans , leurs variétés , leurs oppofitions ,
une belle touche , beaucoup de vérité
des accidens habilement ménagés , tout en
un mot , femble réuni pour rendre ce
morceau des plus piquans.
L'Auteur de l'Estampe l'a dédiée à M.
de Marcenay fon parent & fon ami , dont
la façon de penfer eft auffi rare qu'elle eft
eftimable , ainfi que le dit ce beau paffage
de Cicéron qui lui eft appliqué : Qui
igitur utrâque in re gravem , conftantem ,
ftabilem fe in amicitia præftiterit , Hunc ,
ex maximè rarò hominum genere judicare
debemus , ac penè divino . Cic. de Amic.
On a bien raifon de s'eftimer heureux
quand on rencontre de pareils amis dans
des parens. A Paris , chez l'Auteur , rue
des Vieux Auguftins , près la rue Montmartre
, & chez M. Lutton , Commis au
recouvrement du Mercure de France , rue
fainte Anne.
JUILLET. 1756. 207
Le fieur le Rouge , Ingénieur , Géographe
du Roi & de S. A. S. M. le Comte de
Clermont , vient de faire graver la Méditerranée
en deux feuilles , par Michelot.
Une preuve que cette Carte eft eftimée
dans la Méditerranée , c'est que les Navigateurs
de Rome & de Naples , engagerent
Girou , Libraire de Rome , de la
faire graver à Paris en 1750 ; ce qu'il fit :
& il emporta les Planches. A Rome . Prix
2 liv.
Plus , les Illes de Gerfey , Gerneſey &
Origny, tirées des meilleures Cartes gravées
& manufcrites en une feuille . Prix
2 liv . lavées . liv . 4 fols , en blanc.
Plus , le Détroit de Gibraltar avec les
Courans , & une Vue , par feu M. de la
Penne , Chef d'Efcadre des Galeres du
Roi. Prix 1 liv. 4 fols , lavé. En blanc ,
12 fols.
Plus , un Plan du Fort Philippe de Mahon
, tiré fur un deffein levé fur les lieux ,
par M. de ***. Prix 1 liv. 4 fols , lavé .
En blanc , 12 fols.
Plus , un Plan du Camp & des Batteries
devant le Fort Philippe , envoyé par un
Officier de l'Armée . Prix 12 fols.
208 MERCURE DE FRANCE.
IL
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
paroît chez P. Patte , Architecte &
Graveur , rue des Noyers , la fixieme porte
cochere , à droite , en entrant par la rue
S. Jacques , dix grandes Planches compofant
les développemeus & profils des décorations
intérieures de tous les appartemens
de l'Hôtel de Soubife , à Paris , levées ,
deffinées & gravées par M. Babel . Prix
6 liv. fur le papier raifin , & 9 liv. fur le
papier Nom de Jefus.
De plus , il paroît auffi chez le même
Artifte , fix autres Eftampes de Perſpective
& d'Architecture compofées par le célebre
Piranefe , & gravées par l'Auteur : elles
font allufion à divers édifices antiques , &
font très propres par leurs effets piquans
à fervir d'ornemens aux Boetes d'optiques.
Le prix eft 4 liv. 10 fols enfemble.
JUILLET. 1756. 209
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
LE Mercredi , 7 de ce mois , les Comédiens
François ont repréſenté Alzire & le
Dédit . Ces deux pieces ont été fuivies d'un
divertiffement nouveau , intitulé : le Généreux
Tartare , dans lequel le fieur Bouqueton
& fa niece ont danté avec l'applau
diffement général.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Monfieur , je ne puis trop vous remercier
de l'analyse précife & favorable que
yous avez bien voulu faire de ma piece . Les
louanges dont vous m'honorez , me flattent
d'autant plus qu'elles partent d'un homme
exercé dans le même gente , d'un connoiffeur
en état de rendre un bon compte de fes
fuffrages, d'un auteur que fes fréquens fuc210
MERCURE DE FRANCE.
}
cès ont élevé beaucoup au deffus de toute
partialité . Mais permettez - moi , Monfieur ,
de défendre du moins auprès de vous , fi
vous ne jugez pas à propos de publier ma
lettre , permettez- moi , dis-je , de défendre
le titre de ma comédie.
J'ai prétendu faire la Coquette corrigée ;
j'avoue même que j'ai pris ces deux termes
dans toute l'étendue de leur fignification ;
de forte que fi ma Julie n'eft pas, & ne paroît
pas vraiment Coquette , j'ai manqué
la moitié de mon objet.
D'abord convenons des termes . J'appelle
Coquette une jolie femme , ivre d'ellemême
, ambitieufe de plaire , livrée par
goût au grand monde , uniquement occupée
à faire naître, à nourrir , à tromper des
paffions fauffes ou véritables , une femme
enfin plus jaloufe de la multiplicité que de
la valeur de fes conquêtes.
Si vous admettez cette définition , que
je crois jufte, je penfe être en état de prouver
que la Julie de ma piece eft tout ce que
je dis là.
Le premier acte entier eft employé à la
peindre fous tous les traits de cette définition.
Orphife , Clitandre , Erafte , le Marquis
, ont beau varier les portraits qu'ils
en font , ils la voient , ils la repréfentent
tous coquette , diffipée , brûlant de plaire ,
JUILLET. 1756. 211
de briller , de foumettre. Elle paroît un
inftant , elle trompe le vieux Comte , elle
agace Clitandre , elle parle d'enlever le
coeur d'un troisieme .
Pendant tout le fecond & le troifieme
acte , elle est encore tout ce qu'elle a paru
dans le premier ; fes fcenes avec Clitandre
ne font autre chofe qu'un jeu perpétuel de
fon amour -propre, excité par les obftacles :
regards , louanges , colere , ironies , traits
d'efprit , tous les refforts de la Coquetterie
font tendus pour engager Clitandre , pour
l'enlever à cette amante ignorée , qu'elle
lui fuppofe ; & ce n'eft qu'à la fin du troifieme
acte que Julie commence à foupçonner
que les moyens qu'elle emploie contre
lui , les feuls que fa coquetterie lui a fournis,
les feuls qu'elle a connus jufqu'à ce moment
, pourroient bien être des moyens
non feulement inutiles , mais nuifibles même
à fon grand projet.
Je fçais bien que dans une partie du
cours de ma piece , la coquetterie de Julie
a toujours le même objet. Elle a rompu
avec Eraſte , elle fe moque ouvertement
du Comte , Clitandre refte feul en butte à
toutes les agaceries , à tous les efforts.
Mais , Monheur , ne me fuffit- il pas de
l'avoir, peinte d'avance relle qu'elle a été
jufqu'à ce moment? En entrant fur la fcene,
212 MERCURE DE FRANCE.
que dis-je pendant plus d'un tiers de la
piece elle eft purement & véritablement
coquette : cela ne fuffit-il pas pour juftifier
mon titre ?
Dans une piece d'intrigue on fuppofe
les trois quarts de l'action déja paffée ; on
prend le dernier moment , le moment qui
doit le plus frapper : qu'ai-je fait autre
chofe pour mon caractere ? Avant qu'il
paroiffe je l'ai expofé dans fes divers déve
loppemens ; je l'ai peint fous différentes
attitudes, & je l'ai produit d'abord tel que
je l'ai peint c'est tout ce que je penfe
qu'on pouvoit exiger de moi .
Si je n'avois eu à repréfenter qu'une coquette
, je me ferois bien gardé de l'en- .
tourer d'aufli peu de monde ; j'aurois multiplié
fes amans & fes intrigues ; j'aurois
varié les rufes , les détours , les incidens ;
punie ou triomphante , fon caractere eût
toujours été le même ; mais , Monfieur ,
j'ai voulu la corriger.
Vous convenez que cette partie eſt trai .
tée paffablement : je m'en tiens à votre fuffrage
; il me flatte & me raffure : puiſſaije
ne le pas devoir tout entier à l'amitié
dont vous m'honorez depuis fi long- temps !
J'ai l'honneur d'être , & c.
DE LA NOUE.
A Paris , ce 8 Juillet 1756 .
JUILLET. 1756. 213
6
P. S. Quant au peu d'action que l'on
me reproche dans mon fecond & mon troihieme
acte , j'ai peine encore à paffer condamnation,
fur cet article. J'ai prétendu
mettre toute ceste action dans le coeur de
Julie ; tous ceux à qui j'ai lu ma piece l'y
ont reconnue ; aucun ne m'en a demandé
davantage ; peut être le public l'a - t- il cherchée
ailleurs ; peut- être aufli le théâtre demandoit-
il plus de chaleur. La repriſe de
ma piece achevera de ni'éclairer , & l'on
me verra toujours autfi docile à reconnoître
mes fautes , que reconnoiffant des applaudiffemens
que l'on a bien voulu donner
aux endroits les moins imparfaits de
mon ouvrage.
Nous convenons , avec M. de la Noue ,
que par Coquette on entend une jolie femme,
ivre d'ele même, ambitieufe de plaire,
livrée par goût au grand monde, & c ; mais
nous croyons que c'eft la maniere dont elle
eft tout ce qu'il détaille ſi bien , qui la
conftitue telle , & qui la diftingue de l'Etourdie,
ou , fi l'on veut , de la Petite Maitreſſe ,
dont le travers eft celui de la jeuneffe inconfidérée
, & n'eft pardonnable qu'à cet
âge. Tout dépend ici des nuances. La Coquette,
felon l'idée que nous avons attachée
à ce mot jufqu'à préfent , eft celle dont le
214 MERCURE
DE FRANCE
.
caractere permanent eft de plaire fans's'attacher
, & d'enchaîner mille amans à fon
char , fans avoir aucun favori . Pour y par
venir , elle est toujours attentive à ménager
la délicateffe des hommes ; elle a l'art
de les attirer par degrés , mais avec décence,
& fans jamais fe jetter à leur tête. Sûre
que le trop d'avance ou de facilité leur inf
pire du dégoût , elle fe tient toujours dans
ce milieu prudent , qui fait naître l'efpoir
& les défirs , mais qui ne la met jamais
dans le cas de les fatisfaire : voilà le manege
adroit qui la caractériſe. La Petite Maitreffe
, au contraire , vraie émule du Petit
Maître, fe livre au tourbillon en étourdie :
elle ne connoît point les ménagemens; elle
veut fubjuguer aux dépens des bienféances
qu'ellé brave ; elle fait gloire d'affrontér le
danger , ofe tout pour faire du bruit ; &
fi elle n'eft arrêtée en chemin par un revers
falutaire , elle paffe rapidement de l'indécence
à la dépravation , & finit par être la
Femme fans moeurs . Julie nous a paru être
dans ce courant , & fur le bord du préci
pice , ainfi qu'elle le dit elle - même.
Comme on donne aujourd'hui des noms
honnêtes aux chofes qui le font le moins ,
peut-être eft-on convenu de nommer Coquetterie
ce qu'on appelloit autrefois galan
serie , dans toute la force du terme. Sui
JUILLET. 1756. 215
>
vant cette nouvelle acception , nous demeurons
d'accord que Julie eft vraiment
Coquette , & qu'elle trouve dans le grand
monde plus d'un modele. Dans un fiecle
plus naïf on eût pu lui donner la qualification
dont l'injufte Clopinel honora jadis
toutes les femmes mais nous penfons
que dans ce fiecle poli , pour éviter toute
équivoque on pourroit l'intituler :
La Coquette du jour corrigée. Ce qui nous
détermine à le propofer eft la perfuafion
où nous fommes que cette Coquette de
création nouyelle eft la feule qui foit fufceptible
de converfion . Nous ajouterons
pour mieux motiver notre fentiment
qu'on revient fouvent d'un vice que la
mode occafionne , mais jamais d'un défaut
qu'on tient de la nature,
>
Si nous avions moins eftimé l'Auteur &
l'Ouvrage , nous n'aurions point hazardé
ces foibles remarques. Nous prions M. de
la Noue de nous les pardonner & de croire
que nous les offrons ici comme de fimplesdoutes
, & des conjectures fans prétention.
Il nous permettra d'en rifquet encore une
dans le même efprit fur le peu d'action
que nous avons dit avoir apperçu dans le
fecond & le troifieme Acte de fa piece.
Par le mot d'action , nous avons entendu
les incidens qui la font naître dans un
216 MERCURE DE FRANCE.
Ouvrage dramatique , & nous avouerons
franchement que ces Actes nous en ont
paru dénués , ainfi qu'au Public. Il eſt vrai
que l'Auteur y a fuppléé par la chaleur
du dialogue , & par l'agitation qu'il a miſe
dans le coeur de Julie. Mais cette action , fi
c'en eft une , dépend toute du jeu feul des
Acteurs , & ne forme point au Théâtre ces
changemens fubits qui excitent la curiofité
des fpectateurs , qui les tiennent en fufpens
, qui produifent enfin l'intérêt , &
fervent à dévoiler les caracteres jufques
dans leurs moindres replis.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Samedi 10 , les Comédiens Italiens
ont donné la Pipée , Piece en deux Actes
mêlée d'Ariettes , fuivie des Artiſans, Ballet
Pantomine dans lequel on a chanté les couplers
fuivans ( 1 ) au ſujet de la priſe du
Port Mahon.
(1 ) Ils viennent du bon faifeur . Il font de M.
Favart.
COUPLETS
JUILLET. 1756. 217
COUPLETS
fur l'Air : Ils ont voulu , ils n'ont pas pu ,
QUe ce grand jour
Pour nous , m'amour ,
Eft un grand jour de fête !
Apprens , Fanchon ,
Que d'Port Mahon
J'avons fait la conquête :
Mais de c'que j'lavons fitôt pris ;
In faut pas que l'on foit furpris ,
Not Maréchal ,
Grand Général ,
Etoit à notre tête.
D'aller aux coups ,
Plus vit que nous
Son courage pétille.
C'est trop ofer ,
C'est s'expofer ,
Mais c'eft en ça qu'il brille :
Et comme il eft entreprenant ,
Ce Héros prend toujours le d'vant ,
Et tout d'abord ,
Il brufque un Fort
Com le coeur d'une Fille.
II. Vol
K
218 MERCURE DE FRANCE.
L'Zanglais voyant
Son air pinpant ,
Difoient : Soldats de France ,
Vot Général
Va-t'il au bal
Avec cette élégance ?
Oui , Meffieurs : vous dans'rez pour nous ,
Et vous danferez malgré vous :
Ils ont voulu ,
Ils n'ont pas pu
Lui faire réfiftance.
'Au premier fon
De not canon ',
Leur mine fe refrogné ,
Loin d's'approcher ,
Y vont s'cacher ,
De peur qu'on ne les empogne.
Y voyont bien que c'Maréchal
Avec fon petit air jovial ,
Eft un vivant
Mauvais plaifant
Qui va droit en befogne,
Nul ne s'en plaint.
Si l'on le craint >
On l'en aim' davantage ,
Il fait tout bien,
JUILLET. 1756. 219
Sarpedié rien
N'réfifte à fon courage ;
Quand d'chacun on a l'amitié ,
On eft vainqueur plus d'à moitié ,
Avec l'efprit
Quand l'coeur agit ,
C'est qu'on fait bien d'louvrage.
Tous les Bourgeois ,
A haute voix ,
Lui font offrir azyle ,
Leur femme auffi
D'un ton póli ,
Lui font dire en beau ſtyle :
Monfeigneur , dès que j'vous ons yu ,
J'ons dis foyez le bien venu :
Il s'eft montré ,
Il eft entré
Do
Tout de go dans la Ville,
Kij
M
220 MERCURE DE FRANCE.
E
OPERA COMIQUE.
Le Samedi 26 Juin , l'Opéra Comique fir
l'ouverture de fon Théâtre par Nicaife ,
Zéphyr & la Lune , & les Nymphes de Diane,
Pieces remifes , qui furent fuivies d'un
divertiffement intitulé : Diane & Endimion.
Le fieur Renard , de Marfeille , qui eft
engagé à ce Spectacle pour remplir les
rôles d'amoureux , y a débuté par celui
d'Agenor dans les Nymphes de Diane , avec
l'applaudiffement du Public & l'approbation
des Connoiffeurs.
naid got
esatnom sa (I'
o
JUILLET. 1756.
221
ARTICLE NLE
V
I.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ALLEMAGNE.
DE FRANCFORT , le 25 Juin.
ItLy eut ici le 19 de ce mois une affreufe
tempête. Les perfonnes les plus âgées ne fe fouviennent
pas d'en avoir vu une femblable.
La plupart des toits ont été emportés par le vent ,
ou brifés par la grêle , dont plufieurs grains
étoit de la groffeur d'un ceuf de poule. Un grand
nombre d'animaux ont été tués dans la campagne ,
Le dommage qu'elle a fouffert , eft d'autant
plus à déplorer , qu'on avoit l'efpérance d'une
abondante récolte. On a éprouvé les mêmes accidens
le même jour à Cologne .
D'AIX LA CHAPELLE , le 8 Juin.
·
Il y eut ici le 3 Juin une fecouffe de tremblement
de terre. On a reçu avis qu'elle avoit
été beaucoup plus violente à Duren , à Sittart ,
à Maeftricht , à Liége & à Cologne. Heureufement
elle n'a cauſé nulle part aucun dommage.
ITALI E.
DE ROME, le 29 Mai.
On a trouvé dans les fondemens de la maifon
K iij
222 MERCURE DE FRANCE.
du Comte Bolognetti une très- belle Statue
seprefentant un Hermaphrodite.
DE GENES , le 20 Juin.
On a été informé par une Pinque de Barcelone ,
que des Corfaires d'Alger avoit fait une defcente
près du Cap de Créau en Catalogne ; mais que
ies Païfans de la côte ayant auffitôt pris les armes ,
ces Pyrates avoient été obligés de fe rembarquer
précipitamment ; que cependant ils avoient eu le
tems de faire quelques efclaves , du nombre
defquels étoit le Marquis Ferreri.
PAYS - BAS.
*
D'AMSTERDAM , le 23 Juin.
Bien loin que les Anglois ayent relâché aucun
des Navires Hollandois , dont ils fe font emparés
depuis quelque tems , ils viennent d'en conduire
encore plufieurs aux Dunes , où ils en détiennent
actuellement quarante. Les Patrons de
ces Bâtimens fe font rendus à Londres , & ont
porté leurs plaintes au Lieutenant Général Hop ,
Envoyé Extraordinaire de cette République auprès
du Roi de la Grande - Bretagne. Ce Miniftre a
donné part des circonftances de cette affaire aux
Etats Généraux . Il les a informés que la plupart
des Navires , qui ont été enlevés , venoient de
Ceudres , & que leurs cargaifons confiftoient feulement
en fel.
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 28 Juin.
Les fubfides , accordés par le Parlement pour
Ε
JUILLET. 1756. 223
le fervice de cette année , montent à la fomme
de fept millions deux cent vingt -neuf mille cent
dix fept livres sterlings . On a reçu avis de Falmouth
, que le Vaiffeau le Colchester y avoit
relâché , extrêmement maltraité du combat qu'il
a foutenu conjointement avec la Frégate la Lime ,
près de Rochefort , contre deux Frégates Francoifes.
On a coulé à fond quinze ou feize des
prifes Françoifes , dont la cargaison confiftant en
poiffon s'étoit corrompue . Le Lord Anfon a
propofé d'armer quarante ou cinquante Bâtimens
de Pêcheurs , & de les faire croifer dans la Manche.
Il prétend que cet armement ne coûtera que
quarante - trois mille livres fterlings par an , &
qu'il fuffira pour la défenſe des côtes de la Grande-
Bretagne. Ces Bâtimens , qui avec leur charge
entiere ne tirent que fept pieds d'eau , font en
*état de porter dix-huit canons , trente matelots &
cinquante foldats .
Dans un des Confeils tenus à Kenfington , il a
été pris divers arrangemens pour la défenfe dés
ifles de Jerfey & de Garneley. En conféquence ,
l'Amirauté a donné ordre d'équiper une Eſcadre ,
que commandera le Chef d'Efcadre Howe , &
qui fera compofée d'un Vaiffeau de foixante
canon , d'un de cinquante , de deux de vingt ,
& de deux Chaloupes de guerre. Le Régiment
de Bochland s'eft embarqué pour ces Ifles , ou
P'on fe propofe d'envoyer quelques autres troupes.
Le 16 de ce mois , les Amiraux Hawke &
Sawnders partirent de Portſmouth , à bord du
Vaiffeau de guerre l'Antelope , pour aller joindre
P'Efcadre de l'Amiral Byng à Gibraltar
Kir
224 MERCURE DE FRANCE.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
Monfeigneur le Dauphin & Madame la Dauphine
partirent de Verfailles le 19 Juin , vers
les neuf heures & demie du matin , pour fe
rendre à Chartres. Ce Prince & cette Princeffe
y arriverent à trois heures après- midi , &
ils defcendirent à l'Evêché , où ils dînerent.
Ils y ont féjourné le 20 , & ils font revenus
ici le 21 au matin. L'Evêque de Chartres , qui
a eu l'honneur de recevoir chez lui Monfeigneur
le Dauphin & Madame la Dauphine
avec les Seigneurs & Dames de leur fuite , n'a
rien laiffé à défirer de tout ce qui pouvoit contribuer
à la magnificence de la réception..
Le 23 , Monfeigneur le Dauphin & Mada
me tinrent fur les Fonts , dans la Chapelle
du Château , le fils du Marquis de Loftanges ,
Meftie de Camp du Régiment des Cuiraffiers ,
& Premier Ecuyer de Madame , en furvivance
; & de Dame Gallucci de l'Hôpital , une des
Dames nommées pour accompagner Madame.
Le Prince Conftantin , Premier Aumônier du
Roi , fuppléa les cérémonies du Baptême , en
préfence du Curé de l'Eglife Paroiffiale de Notre-
Dame , à l'enfant qui fut nommé Henri .
Le 20 Juin , M. Gualtieri , Archevêque de
Mira , Nonce Ordinaire du Pape , fit fon Entrée
publique à Paris. Le Prince Camille , &
M. Dufort , Introducteur des Ambaſſadeurs ,
JUILLET. 1756. 225
allerent le prendre dans les carroffes de Leurs
Majeftés au Couvent de Picpus , d'où la marche
fe fit en cet ordre . Le carroffe de l'Introducteur
; le carroffe du Prince Camille ; un Suiffe
du Nonce , à cheval ; fa Livrée , à pied ; fon
Maître d'Hôtel & fix de fes Officiers ; fon
Ecuyer & fes Pages , à cheval : le carroffe du
Roi , aux côtés duquel marchoient la Livrée
du Prince Camille & celle de M. Dufort ; le
carroffe de la Reine ; celui de Madame la Dauphine
; ceux du Duc d'Orléans , de la Ducheffe
d'Orléans , du Prince de Condé , de la
Princeffe de Condé , du Comte de Charolois ,
du Comte de Clermont , de la Princeffe Douairiere
de Conty , du Prince de Conty , du Comte
de la Marche , du Comte d'Eu , de la Comteffe
de Toulouſe , du Duc de Penthievre ; &
celui de M. Rouillé , Miniftre d'Etat ayant le
Département des Affaires Etrangeres. A une
diftance de trente ou quarante pas marchoient
les quatre carroffes du Nonce , précédés d'un
Suiffe à cheval . Lorsqu'il fut arrivé à fon Hôtel
, il fut complimenté , de la part du Roi ,
par M. le Duc de Gefvres , Premier Gentilhomme
de la Chambre de Sa Majefté ; de la part
de la Reine , par M. le Comte de Saoly Tavannes
, fon Chevalier d'Honneur ; de la part de
Madame la Dauphine, par M. le Marquis de Muy,
fon Premier Maître d'Hôtel ; & de la part de
Madame , par M. le Marquis de l'Hôpital ,
Premier Ecuyer de cette Princeffe .
Le 22 , le Comte de Brionne , Grand Ecuyer
de France , & M. Dufort , Introducteur des
Ambaffadeurs , allerent prendre le Nonce du
Pape en fon Hôtel , & le conduifirent avec les
carroffes de Leurs Majeftés , à Verfailles , où il
Κν
226 MERCURE DE FRANCE.
eut fa premiere audience publique du Roi. Le
Nonce trouva à fon paffage , dans l'avantcourt
du Château , les Compagnies des Gardes Françoifes
& Suiffes , fous les armes ; les Tambours
appellant ; dans la cour , les Gardes de la Pors
te & ceux de la Prevôté de l'Hôtel , auffi ſous
les armes , à leurs poftes ordinaires ; & fur l'efcalier
, les Cent- Suiffes , en habit de cérémonie
, la hallebarde à la main. Il fut reçu en dedans
de la Salle des Gardes par M. le Duc
d'Ayen , Capitaine des Gardes du Corps , qui
étoient en haie & fous les armes. Après l'audience
du Roi , le Nonce, fut conduit à l'audience
de la Reine , & à celles de Monſeigneur
le Dauphin & Madame la Dauphine
par M. le Comte de Brionne & par M. Dufort.
Il eut enfuite audience de Madame , &
de Mefdames Victoire , Sophie & Louiſe ; &
après avoir été traité par les Officiers du Roi ,
ilfut reconduit à Paris dans les carroffes de Leurs
Majeftés avec les cerémonies accoutumées.
>
Le même jour , le Roi fit à Verſailles dans
la Cour du Château , la revue des deux Com .
pagnies des Moufquetaires de fa Gardė Ordi ,
naire. Le Roi paffa dans les rangs , & après
que les Compagnies eurent fait l'exercice , Sa
Majefté les vit défiler. Monfeigneur le Dauphin
accompagna le Roi à cette revue. La Reine
Madame la Dauphine , Madame , & Mefdames
Victoire , Sophie & Louife , la virent de l'appartement
du Comte de Clermont..
"
M. Le Marquis de Peruffy , Premier Sous-
Lieutenant de la Premiere Compagnie des
Moufquetaires , ayant demandé la permiffion de
fe retirer , M. le Comte de Carvoifin , fecond
Sous-Lieutenant de cette Compagnie , en eft
JUILLET. 1756. 227
devenu Premier Sous-Lieutenant ; M. le Chevalier
de la Cheze , qui étoit Premier Enſeigne ,
a monté à la place de Second Sous - Lieutenant ;
M. le Marquis de Cucé , Second Enfeigne , a paflé
à la premiere Enfeigne ; M. le Marquis de la Vaupaliere
premier Cornette , a été nommé fecond
Enfeigne , & M. le Marquis de Montillet , Second
Cornette , eft devenu Premier Cornette . Le Roi a
accordé à M. le Comte de Merle l'agrément de la
place de Second Cornette , vacante par ces mutations.
En conféquence de la retraite de M. du Rouret
, Maréchal des Logis de la même Compagnie ,.
Sa Majesté a nommé M. de Sarcé Maréchal des
Logis , M. de Charlary Brigadier , M. de Fa
jac Sous- Brigadier & Sous- Aide Major ; & MM.
de Chanvallon , Villiers & Monneron , ont obtenu
les Sous- Brigades vacantes dans la Compagnie.
Par la retraite de MM. de Vervan , du Fou &
de Sampigny , Maréchaux des Logis de la feconde
Compagnie des Moufquetaires , le Chevalier de la
Douze & MM. de Mancy & de Vandômois font
devenus Maréchaux des Logis de cette Compagnie.
MM. de Launay , de Blaignac & de Gouberville ,
en ont été nommés Brigadiers ; & MM. de Beau
chefne , de Tremenec & de Vefins , ont obtenu
des places de Sous- Brigadiers .
Suivant les nouvelles écrites de Minorque le
14 Juin , on avoit employé plufieurs jours à
faire des tranfports de terre , pour élever de nouvelles
batteries , qui avoient commencé à tirer
le 5 au matin , & dont le feu fucceffif avoit ruiné
une grande partie des defenfes des Affiégés.
Le 8 M. Bélon , Capitaine au Régiment de Talaru
, a été bleffé . M. de Saint-Alby , Capitaine
de Grenadiers au Régiment de Bretagne , a été
sué le 9. Le 10 , M. la Rivétifon , Capitaine
K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
au Régiment Royal , fut bleffé légérement. Le
12 M. Pupille , Lieutenant du Corps Royal d'Ar
tillerie & du Génie , a auffi été bleffé légèrement
d'un éclat de bombe.
Afin de prévenir le dépériffement des Navires
Anglois , détenus dans les Ports du Royaume
, & d'empêcher qu'ils ne foient confondus
avec les prifes qui pourront être faites durant
la guerre que le Roi de la Grande- Bretagne a
déclarée à la France , le Roi a donné ordre qu'il
fût procédé à la vente de ces Bâtimens & de leurs
chargemens. Veut Sa Majefté , que le produit
defdites ventes foit mis en dépôt , pour y refter
jufqu'à ce qu'il en ait été par Elle autrement
ordonné. j
M. de Maupertuis , un des Quarante de l'Académie
Françoife , & Préfident de l'Académie des
Sciences & Belles - Lettres de Pruffe , & M. Godin ,
ont été déclarés Penfionnaires Vétérans de l'Aca
démie Royale des Sciences , dans l'Affemblée que
cette Compagnie tint le 16.
Sa Majefté a donné à M. le Comte de Saint-
Florentin , Miniftre & Secretaire d'Etat , Chancelier
de la Reine , & Commandeur- Secretaire des
Ordres de Saint Michel & du Saint Efprit , la
charge de Commandeur- Chancelier , Garde des
Sceaux , & Sur Intendant des Finances defdits
Ordres , qui vaquoit par la mort de M. l'Abbé
de Pomponne. M. le Marquis de Marigny ,
Directeur & Ordonnateur Général des Bâtimens
Arts , Jardins & Manufactures , a eu l'agrément
du Roi , pour fuccéder à M. le Comte de Saint-
Florentin dans la charge de Commandeur- Secretaire
des Ordres de Sa Majesté.
La place de Confeiller d'Etat Eccléfiaftique
de M. l'Abbé de Pomponne paffe à M. l'Abbé
JUILLET. 1756. 229
Comte de Bernis , nommé Ambaffadeur de Sa
Majefté à la cour de Madrid , lequel avoit l'expectative
pour la premiere qui viendroit à vaquer.
M. le Marquis de Puyziculx ayant demandé
la permiffion de fe retirer du Confeil , Sa Majesté
Jui a confervé la penfion de Miniftre , & il
continuera d'avoir un logement à la Cour.
Monfeigneur le Dauphin , Madame la Dauphine
, Madame , & Mefdames Victoire , Sophie &
Louife , vinrent le 27 Juin fe promener fur le
Boulevard de cette Ville. Il vifiterent le réfervoir
qui fert à nettoyer le grand égout qui l'entoure.
Le défir de jouir de la préfence de ce Prince
& de ces Princeffes , attira fur le Boulevard une
multitude innombrable de perfonnes de toutes
les conditions.
Par des lettres du Canada , on a appris le
détail fuivant. M. de Vaudreuil , Gouverneur Général
, ayant été informé que les Anglois avoient
établi à vingt lieues de Choueguen , un Fort , ou
étoit le principal entrepôt de tous les approvifionnemens
deftiné pour l'entrepriſe projettée
contre les Forts de Niagara & de Frontenac , fit
partir à la fin du mois de Février un Détachement
commandé par M. de Lery , Lieutenant
des Troupes , & compofé de cinq cens hommes
tant Soldats que Canadiens & Sauvages ,
pour aller détruire ce Fort , appellé de Bull.
Le 27 Mars , M. de Lery rencontra un convoi
de neuf charrettes chargées de vivres , qu'un Détachement
Anglois conduifoit à Choueguen. Après
avoir pris ce convoi & l'efcorte , il marcha
vers le Fort de Bull , dont il étoit déja aſſez
près. Comme il avoit été découvert , il trouva
que le Commandant de ce Fort s'étoit mis en
défenſe avec la garnison , qui étoit compoſée
230 MERCURE DE FRANCE .
d'environ cent hommes. Quoique M. de Lery
n'eût point dans ce moment tout fon détachement
avec lui , une partie des Sauvages étant restée
en arriere , il inveftit le Fort , & fit fommer
le Commandant de fe rendre : mais celui – ci
ne lui répondit que par un feu très- vif de grenades
& de moufqueterie . Ce feu n'empêcha
pas M. de Lery , de faire fon attaque, Pendant
que les Canadiens faifoient des breches fur les
derrieres du Fort , il fit rompre la porte à coups
de hache , & fomma de nouveau le Commandant,
de fe rendre . Cette nouvelle ſommation ne fervit
qu'à faire redoubler le feu des Anglois ; mais bientôt
les Affiégeans entrerent avec précipitation
dans le Fort , & pafferent toute la Garniſon
au fil de l'épée , à l'exception de trois ou quatre
hommes que M. de Lery trouva le moyen de
fauver , & qui furent faits prifonniers. Dans le
tems qu'il vifitoit les magafins où il avoit déja
trouvé près de quarante milliers de poudre ,
une grande quantité de bombes , grenades, boulets
& autres munitions , avec une provifion
très- confidérable de vivres prêts à être tranfpor
tés, on s'apperçut que le feu étoit dans les magafins.
M. de Lery étoit à peine retiré avec tout
fon monde , que les magafins fauterent avec
tout les bâtimens & toute l'enceinte même du
Fort , de maniere qu'il n'en refta point de veftiges.
Après cette expédition dans laquelle ledétachement
François n'a eu qu'un Soldat & un Sauvage de tués ,
avec deux Soldats , deux Canadiens & trois Sauvages
bleffés , M. de Lery a marché contre un
Détachement Anglois , qui venoit au ſecours du
Fort ; mais il ne lui a pas été poffible de le
joindre.
Le 2 Juillet , le Roi accompagné de Monfei
JUILLET. 1756. 231
gneur le Dauphin , de Madame la Dauphinede
Madame , & de Mefdames Victoire , Sophie
& Louife , fe rendit à Compiegne du Châteaude
la Meute , où Sa Majefté avoit couché la
nuit précédente . Le Roi a fait l'honneur à
M. de Machault , Garde des Sceaux de France
, & Secretaire d'Etat ayant le Département
de la Marine , de s'arrêter une heure au Château
d'Arnouville . Monfeigneur le Dauphin étoit
avec Sa Majefté. La Reine arriva de Verſailles
le 3.
Le Roi a difpofé de la charge de Grand Aumônier
de France , vacante par la mort du Cardinal
de Soubife , en faveur du Cardinal de la
Rochefoucauld.
Sa Majefté a donné au Vidame d'Amiens , fils de
M.leDuc de Chaulnes , une Commiffion de Cornette
, avec Brevet de Mestre de Camp , à la fuite de
la Compagnie des Chevaux- Légers de la Garde..
En même tems , Sa Majesté a accordé une gratification
annuelle de huit mille livres à M. le Comte
de Luberfac de Livron , fecond Sous- Lieutenant
de cette Compagnie. Le Roi a accordé auffi
des Commiffions de Capitaines de Cavalerie , &.
plufieurs penfions & gratifications , aux Chevaux-
Légers , qui fe rendent utiles à l'Ecole établie
dans ce Corps , & qui fe font diftingués dans lesexercices
que Sa Majeſté a honorés de fa préfence.
Le Bureau des Affaires Eccléfiaftiques , qu'avoit
le feu Abbé de Pomponne , a été donné par
Sa Majesté à M. Feydeau de Brou , Conſeiller
d'Etat Ordinaire , & au Confeil Royal ..
Le 8 de ce mois , les Actions de la Compagnie
des Indes étoient à quinze cens quarante- cinq
livres les Billets de la troisieme Loterie Royale
232 MERCURE DE FRANCE.
à fix cens quarante- quatre ; ceux de la premiere
Loterie , & ceux de la feconde , n'avoient point
de prix fixe .
MARIAGES ET MORTS.
MEffire Philippe-Chriſtophe- Amateur de Galliffet
, Comte de Galliffet , Baron de Dampierre ,
Brigadier de Cavalerie , Lieutenant-Général de la
Province de Bourgogne , Gouverneur de Mâcon ,
& Meftre de Camp , Lieutenant du Régiment de
la Reine , époufa le 22 Janvier 1756 , Marie de
Levis- Lugny , fille de Marc- Antoine de Levis-
Lugny , appellé Marquis de Levis , & de Marie-
Françoile de Gelas de Leberon , niéce du Comte
de Lautrec , Chevalier des Ordres du Roi , Lieutenant-
Général de fes Armées , & c. La Bénédiction
Nuptiale leur fut donnée à S. Ouen dans la
chapelle particuliere du Comte de Jarnac , par
l'Abbé d'Harbouft , Vicaire Général de l'Evêché
de Meaux. Leur Contrat de mariage avoit été
figné par le Roi le 19 du même mois.
Le Comte de Galliffet ett d'une famille noble
& ancienne , originaire de S. Laurent-du- Pont en
Dauphiné , & qui s'eft répandue dans le Comtat ,
en Savoye , en Provence , dans le Pays d'Aunis &
à Paris . Elle s'eft également diftinguée dans l'épée
& dans la robe. La perte de la plus grande partie
des titres de cette famille , occafionnée par
guerres avec la Savoye , eft caufe qu'elle ne peut
remonter avec certitude que jufqu'à Guillaume
de Galliffet , qualifié Noble , qui vivoit en 1489.
Ce Guillaume fut pere de Georges & de Jacques
de Gallifer ; celui- ci eft la tige d'une branche qui
les
JUILLET . 1756. 233
a toujours fervi , foit en France , foit en Savoye ,
où elle eft établie .
Georges de Galliffet , fils aîné de Guillaume ,
fut Capitaine & Châtelain de S. Laurent-du-Pont ,
& de la Marche d'Antremont. Claude de Galliffer,
Archer de la Garde du Roi , & Georges II , deux
de fes fils furent auffi Capitaines & Châtelains ,
l'un de S. Laurent- du- Pont , & l'autre de la Marche
d'Antremont. Genton , le feptieme de fes enfans
fut un des cent Gentilshommes de la Chambre
de Henri II . Ils furent tous compris dans les
montres des Gentilshommes des années 1518
1524 , & 1549. Jacques de Galliffet , fils aîné de
Georges I , s'établit à Avignon , & fut pere d'Alexandre
I , dont une fille épousa Claude d'Eyguieres.
Ses preuves furent admifes à Malte à la
réception de fes petits- fils Jacques de Meyran en
1643 , & Claude d'Eyguieres en 1666. Alexandre
II , fils aîné d'Alexandre I , entra dans le Parlement
de Provence , & fut Préfident aux Enquêtes en
1615 , & Confeiller d'Etat en 1648. Il eut entr'autres
enfans Pierre & Jacques , qui ont formé
deux branches .
Pierre , fut pere de quatre
filles & de quatre
garçons qui tous fervirent ainfi que leurs Ancêtres
. Alexandre
III, l'aîné , Capitaine dans le Régiment
de Picardie , a laiffé pour fils unique Louis-
François de Galliffet, Baron de Preuilly , Enfeigne
au Régiment
des Gardes-Françoifes
, allié en
1730 à Marie-Deniſe- Elifabeth Pucelle . Jofeph ,
le fecond , eft mort en 1706 , ayant été Gouverneur
de l'Ile de Sainte- Croix , & commandant
les Colonies Françoifes aux Quartiers du Cap &
Côtes de S. Domingue. François , troifieme fils
de Pierre , Chevalier de S. Louis , Gouverneur
de
la Ville des Trois Rivieres en Canada , a eu pour
234 MERCURE DE FRANCE.
enfans Charles- François de Galliffet , mort en
1748 , Capitaine au Régiment des Gardes- Fran
Coifes , & Chevalier de S Louis , & Marie de Galliffet
vivante. Philippe de Galliffet , quatrieme fils
de Pierre , Chevalier de S. Louis , Lieutenant de
Vaiffeaux du Roi , eft pere par fa femme Marie-
Marguerite- Sufanne Huet , 1º . du Comte de Galliffet
, qui donne heu à cet article . 2°. De Louis-
Gabriel de Galliffet , Abbé de Fontaine-Danicl &
de S. Cheron , & Grand Vicaire du Diocèſe d'Air.
3°. De Paul -Alexandre , mort en 1741 , Chevalier
de Malte , & Capitaine dans le Régiment de
la Couronne.
Jacques de Galliffet , fecond fils d'Alexandre II,
eft Auteur de la branche établie en Provence. Il
fut Préfident aux Enquêtes du Parlement d'Aix ,
de même qu'Alexandre un de fes fils , dont le frere
Gabriel fut admis à Malte en 1695. Un de fes
autres enfans nommé Nicolas , eft mort en 1744,
Chevalier de S. Louis & Chef d'Efcadre des Armées
Navales du Roi , laiffant entr'autres enfans
Simon-Alexandre -Jean de Galliffet , feigneur du
Tholonet & de Montbijoux , Préfident aux Enquêtes
du Parlement de Provence , qui de ſon mariage
avec Magdeleine de Léotard , a un garçon
& une fille , & Louis de Galliffet , dit le Chevalier
de Gallifet , Capitaine dans le Régiment de la
Reine.
GALLIFFET porte pour armes, de gueules au chevron
d'argent , accompagné de trois treffles d'or.
Dame Marie- Sufanne le Berfeur de Fontenay ,
Abbeffe de Cordillon , eft morte en fon Abbaye
le 9 Novembre 1755 , dans fa foixante- douxieme
année. Son tendre attachement pour cette maifon
,luiavoit fait refufer l'Abbaye - aux- Bois, fituée
dans Paris , à laquelle le Roi la nomma en.1745.
JUILLET. 1756. 235
L'Abbaye de Cordillon ayant vaqué en 1751 , par
la mort de la Dame de Froulay , toute la Communauté
fit de vives inftances , afin d'avoir la Dame
de Fontenay pour Abbeffe., & Sa Majefté accorda
cette grace aux voeux unanimes des Religieufes.
Melfire Philibert- François Thiroux de Gerfeuil
Confeiller Honoraire de la Cour des Aides , &
Intendant Général des Poftes & Relais de France ,
âgé de près de 64 ans, eft mort le 11 Novembre,à
Vermanton près d'Auxerre , où il a été inhumé.
Dom Etienne- Gabriel Brice , natif de Paris ,
Religieux Bénédictin de la Congrégation de Saint
Maur , eft décédé le 13 à l'Abbaye S. Germain
des Prés , âgé d'environ 60 ans. Il travailloit de
puis plufieurs années conjointement avec Dom
Felix Hodin & Dom Tachereau au grand ouvrage
du Gallia Chriftiana , dont ils avoient déja donnés
fix volumes in-folio , les quatre précédens
ayant été publiés par Dom de Sainte -Marthe .
Meffire Jean-Omer Joly de Fleury , Abbé de
l'Abbaye d'Aumale , Ordre de S. Benoît , diocèſe de
Rouen ; & de celle de Chezi , même Ordre , diacè
e de Soiffons , & Chanoine de l'Eglife Métropolitaine
de Paris , mourut en cette Ville le 27 ,
âgé de 5 ans.
N... de Carbonieres , Marquis de la Capelle , eft
mort au mois de Novembre en fon Château de la
Capelle en Agenois , âgé de 63 ans . Il laiffe veuve
fans enfans fon époufe Angélique- Céfarine de
Foix, fille de François- Gafton , Comte de Foix ,
& de fa feconde femme Claude du Faur de Saint-
Jory. Il a ordonné par fon Teftament que fes
biens après la mort de la Marquife de la Capelle ,
qui en a la jouiffance , pafferont au Comte de Sa
bran , petit fils de Louife- Charlotte de Foix , veuve
de Jean -Honoré , Comte de Sabran , & foeur
238 MERCURE DE FRANCE.
de. Mais ce qui doit intéreſſer davantage le Pu
blic , c'eft qu'il a trouvé le moyen de tranfporter
ce remede dans tous les lieux fans altération ,
donnant la maniere de s'en fervir fans inconvénient
, & fans employer la main du Chirurgien ,
pour peu qu'on foit attentif au Mémoire qu'il
fournira pour s'en fervir. Ceux qui auront recours
à lui , auront la bonté d'affranchir les lettres , &
d'indiquer la voie par laquelle ils voudront qu'on
leur faffe tenir le fufdit remede.
APPROBATION.
J'ier , le Mercure du mois de Juillet , & je n'y
" Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chance
ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſſion.
A Paris , ce 13 Juillet 1756.
ERRAT A
GUIROY.
pour le Mercure de Juillet.
Page 27, ligne 19 , ces coeurs fimples & bruts;
lifez , brutes.
Page 265 , liga 125 moment des parties , lifer}
gmouvement.
el. 19 ›audit & li'up one .
239
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VARS ET EN PROSE,
EPITRE à Mademoiſelle Veftris ,
Ode à la Pareffe >
page s
7
10
La Vie de Jules Célar , par M. de Bury ,
Tremblement de terre , arrivé chez les Fourmis
Fable ,
L'avantage de la Religion fur l'adverfité , Ode ,
43
45
Réponſe à l'Effai de M. Hume, fur le caractere des
Nations , 49
La France , divertiffement fur la naiffance de
Monſeigneur le Duc de Bourbon ,
Lettre à l'Auteur du Mercure ,
Le Volant , Madrigal ,
Les Yeux d'Iris , rêve fingulier ,
60
64
66
ibid
Le Parnaffe François , Ode à M. Titon , 6.8
Lettre de Remerciement de Mlle de R. à M. de
Baftide ,
Vers à Madame Privat -de Montgeron ,
71
74
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
premier Volume du Mercure de Juillet , ibid.
Enigme & Logogryphe ,
Chanſon ,
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
75
077
Lettre à l'Auteur du Mercure , au fujet des Fables
de la Fontaine , 79
Extraits , Précis ou Indications des livres nouveaux
Portrait de M. de Fontenelle ,
*88
128
238 MERCURE DE FRANCE.
de. Mais ce qui doit intéreffer davantage le Pu
blic , c'eft qu'il a trouvé le moyen de tranſporter
ce remede dans tous les lieux fans altération ,
donnant la maniere de s'en fervir fans inconvénient
, & fans employer la main du Chirurgien ,
pour peu qu'on foit attentif au Mémoire qu'il
fournira pour s'en fervir. Ceux qui auront recours
à lui , auront la bonté d'affranchir les lettres , &
d'indiquer la voie par laquelle ils voudront qu'on.'
leur faffe tenir le fufdit remede.
J'e
APPROBATION.
" Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chance
lier , le Mercure du mois de Juillet , & je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion .
A Paris , ce 13 Juillet 1756.
GUIROY.
ERRATA
pour le Mercure de Juillet.
Page 27 , ligne 19 , ces coeurs fimples & bruts;
lifez , brutes.
Page 265 , lig 12 moment des parties, lifesy
gmouvement. od P
T. OT
239
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VARS ET EN PROSE.
EPITRE à Mademoiſelle Veftris ,
Ode à la Pareffe
page s
7
10
La Vie de Jules Céfar , par M. de Bury ,
Tremblement de terre , arrivé chez les Fourmis
Fable ,
L'avantage de la Religion fur l'adverfité , Ode ,
43
45
Réponse à l'Effai de M. Hume, fur le caractere des
Nations , 49
La France , divertiffement fur la naiffance de
Monſeigneur le Duc de Bourbon ,
Lettre à l'Auteur du Mercure ,
Le Volant , Madrigal ,
Les Yeux d'Iris , rêve fingulier ,
Le Parnaffe François , Ode à M. Titon ,
60
64
66
ibida
68
Lettre de Remerciement de Mlle de R. à M. de
Baftide ,
Vers à Madame Privat -de Montgeron ,
71
74
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
premier Volume du Mercure de Juillet , ibid.
Enigme & Logogryphe ,
Chanfon ,
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
75
77
Lettre à l'Auteur du Mercure , au fujet des Fables
de la Fontaine , 79
Extraits , Précis ou Indications des livres nouveaux
Portrait de M. de Fontenelle ,
88
129
240
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Phyfique. Réponſe à la Lettre d'un Académicien
de Dijon inférée dans le Mercure de Mai , 143
Jurifprudence,
Extrait des Mémoires qui ont été lus à la féance
publique de l'Académie Royale de Chirurgie ,
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ISS
164
Peinture. Suite des Mémoires d'une fociété de
Gens de Lettres , publiés en l'année 2355 ,
Gravure.
Architecture.
187
203
208
ART. V. SPECTA LES.
Comédie Françoiſe . 209
Lettre de M. de la Noue , à l'Auteur du Mercure,
au fujet de la Coquette corrigée , ibid.
Comédie Italienne. 216
Couplets fur la priſe du Port Mahon , 217
Opéra comique .
220
ARTICLE VI
Nouvelles étrangeres , 221
Nouvelles de la Cour , de Paris ,
&c. 224
Mariages & Morts , 232
Avis divers. 236
La Chanfon notée eft à la page 77
2
De l'Imprimerie de Ch. Ant. Jomber.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
Chéz
AOUST. 1756.
Diverfité, c'eft ma devife . La Fontaine.
Co.hin
Filius inve
FinSculp 1715.
A PARIS ,
CHAUBERT, rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU, quai des Auguftins.
Avec Approbation & Privilege du Roi,
t
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eſt chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis an
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'eſt à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour ſeize volumes , à raiſon
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pourfeize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raifon de 30 fols par volume , c'est- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des Pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreffe ci- deffus.
A ij
On fupplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la pofte , enpayant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine , aprèsmidi.
cure ,
On peut se procurer par la voie du Merles
autres Journaux , ainſi que les Livres
, Eftampes & Mufique qu'ils annoncent.
On prie les perſonnes qui envoient des Livres
, Eftampes & Mufiques à annoncer ,
d'en marquer le prix,
000
ทอง อ ล
MERCURE
DE FRANCE.
AOUST . 1756 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
EPITRE
A M. de Saint-Martial , en lui
une paire de pigeons.
envoyant
AImable Fils du plus aimable Pere ,
Ami fincere & généreux ,
Qu'à vingt ans déja l'on révere :
Vous , le tendre objet de mes væur ;
Qui poffédez fi bien l'heureux talent de plaire ,
Es qui, tel qu'on nous peint le plus jeune des Dieux,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE .
Pourriez à la Cour de Cythere
Soumettre tout , allumer mille feux ,
Si vous ne méprifiez cette gloire légere ,
Si vous étiez moins vertueux.
Mais de bonne heure inftruit par la fageffe ,
Vos tendres mains écartent les erreurs ,
Que la Folie infpire à la jeuneffe.
Vous échappez aux preftiges trompeurs ,
Dont le plaifir , Syrene enchantereffe ,
Eblouit , enchaîne les coeurs ;
Et vous cueillez le fruit de la vieilleffe
Dans l'âge ingrat des frivoles douceurs.
Vous avez donc quitté la demeure fertile
De vos vergers délicieux ;
Et vous voilà de retour à la Ville
Occupé du foin précieux .
De donner à l'Etat un Citoyen utile ,
Au Citoyen , un Juge integre , habile ,
A Thémis , un Miniftre égal à vos ayeux.
Mais fouffrez qu'ici je m'arrête :
Pour ce haut ton mon luth n'eft point monté :
Je me fuis vu par mon zele emporté ;
Il a tracé cette ébauche imparfaite :
Ce n'étoit point le deffein du Poëte;
Il eût été par trop ambitieux.
Vous faire humblement fes adieux ,
Vous demander indulgence pléniere
Pour les propos mauffades , ennuyeux ,
Etoit fon but à la ligne premiere ;
A O UST. 1756. 7
Puis d'offrir à votre voliere
Deux Hôtes frais & vigoureux ,
L'honneur de la gent colombiere ,
Qui propres au tendre myftere ,
Brûlent déja de fignaler leurs feux ,
Et n'auront rien de mieux à faire
Que de créer force neveux :
Or à ce titre , ils font en droit de plaire.
Ce n'est pas tout : de noble race iffus ,
Ils feroient leur preuve complete
De feize quartiers révolus ;
Et pour avoir accueil honnête ,
Que faut-il aujourd'hui de plus ?
Mais que ceci , Seigneur , ne vous étonne ,
Vous connoiffez les pigeons de Dodone,
Et juſtement les miens en font venus :
Ils pourroient bien être auffi defcendus
De ces Oiseaux , de qui d'aile dorée
Trainoit jadis fur la voûte azurée
Le cabriolet de Vénus.
Quoi qu'il en foit , veuillez , on non le croire ,
Bien eft-il vrai qu'ils font gras & dodus ;
Et peu leur chaut de vivre dans l'hiſtoire ,
S'ils vivent bien dans votre réfectoire :
S'ils font chez vous bien gîtés , bien repus ,
Ce fera là leur plus folide gloire ,
Comme la mienne à vous faire ma cour.
Agréez-en cette preuve légere
Que l'amitié vous préfente en ce jour :
A iv
MERCURE DE FRANCE.
A peu de frais pouvez la fatisfaire ;
Un fentiment fuffit pour tout retour.
Adieu: que le deftin vous foit toujours profpere :
Mais fixer le bonheur fur vos pas , pour
Devenez un peu moins auftere.
Car entre nous je ne dois point vous taire ,
Que le Dieu qui préfide aux amoureux ébats
De vos rigueurs fe défefpere.
Vous détruifez tous les projets :
Sur vous il fondoit fon empire ,
Et vous évitez tous les traits .
Vous pourriez bien quelque peu lui fourire ;
Sans que Thémis vous en fît un procès ,
Que la Sageffe y trouvât à redire.
Le coeur d'un Sage qui foupire ,
Fut toujours exempt de regrets.
Croyez-moi , faites votre paix :
Avec les Dieux point de querelles ;
pour concilier leurs divers intérêts ,
Que Thémis dicte vos Arrêts ;
Et
Qu'Amour , par vous dompte les Belles :
Mais n'en aimez qu'une jamais.
Par M. FINIEL , Procureur du Roi ,
au Vigan.
A OUST. 1756. 9
LES FAVEURS,
CONTE.
UN homme qui ne peut plus compter
fes bonnes fortunes , eft de tous , celui qui
connoît le moins les Faveurs . C'est le coeur
qui les accorde, & ce n'eft pas le coeur qu'un
homme à la mode intéreffe. Plus on eft prôné
par les femmes , plus il eft facile de les
avoir , mais moins if eft poffible de les enflammer.:
Les Faveurs font le prix de la paffion réciproque.
Elles ne fubfiftent que dans le
fentiment le plus vif , le plus mutuel ; il
faut l'accord le plus exact de defirs , d'attendriffement
: fans cela , ce qu'on appelle
·Faveurs , ne font que des plaifirs comme
mille autres .
En partant de ce principe on peut dire
qu'il n'y a rien de fi rare que les Faveurs .
Pénétré de cette vérité , qui n'eft pas la
moins trifte de celles qui frappent dans
l'hiftoire du coeur humain , il m'a pris envie
d'offrir une confolation aux coeurs tendres
dans une anecdote récente & atteſtée , qui ,
en prouvant combien les Faveurs font précieufes
, prouve auffi combien elles font
refpectables.
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Eglé aimoit tendrement Zamor , & Zamor
ne vivoit que pour Eglé : c'étoit en tout , de
ces Amans que la nature fait quelquefois
l'un pour l'autre. Ils penfoient fi bien enfemble
, qu'en rien , ils n'avoient la peine
de fe deviner. Leur bonheur étoit extrême ;
mais le mot d'amour manquoit encore à
leur bonheur ; ils n'ofoient ni l'un ni l'autre
le prononcer : le même principe arrêtoit
leurs levres . Toujours prêts à fe trahir
, ils fçavoient qu'une déclaration eft
une façon honnête de demander & de promettre
des Faveurs."
Après une longue contrainte il fallut
s'expliquer. Quel embarras ! quel trouble
! Auquel des deux eft- il plus permis
de parler le premier ? C'eft à celui qui aime
le plus à ofer davantage : mais une égale
tendreffe leur imprime une égale timidité.
Zamor veut enfin parler , l'ufage le détermine
; il s'y eft préparé depuis deux
jours ; il a fes difcours tout arrangés fur fes
levres fon parti eft pris. Il aborde Eglé.
Ses regards l'ont déja inftruite ; elle a déja
répondu par les fiens : il ne faut plus qu'un
mot , & il n'a pas la force de le prononcer.
Son trouble eft une douleur muette. Eglé
en eſt attendrie , & la pitié qu'elle fent lui
paroît un devoir à remplir. Ah ! Zamor ,
lui dit-elle , à quoi voulez-vous me réA
O UST. 1756 . II
à me
duire ... A mériter mon adoration , répondit-
il , en tombant à fes genoux ,
montrer l'exemple du bonheur. Mais non ,
c'eſt à moi à vous dire le premier que je
vous adore : ſi c'eft un plaifir pour vous de
l'apprendre , c'eft un tribut que je vous
dois .
Eglé , quoiqu'elle n'eût dit qu'un mot ,
ne fe diffimuloit pas qu'elle s'étoit expliquée
avant lui. Le plaifir de répondre à un
aveu enchanteur n'empêcha pas qu'un peu
de honte ne parût dans fes yeux. Zamor
goûta cette douceur inexprimable de faire
fuccéder la naïveté à la confufion .
Je m'imaginois , lui dit- il , qu'un aveu
coûtoit beaucoup à faire , & beaucoup à
entendre , parce qu'il fuppofe le défir des
Faveurs ; je croyois encore que la timidité
le fuivoit toujours lorfqu'il étoit favorablement
écouté. Que vous m'avez aifément
détrompé ! Vous faites plus que m'entendre
, plus que m'écouter , vous daignez
・me répondre , vous comblez tous mes
& nous ne confervons aucune timidité
; c'eft que ce qui eft Faveur dans
une tendreffe innocente , eft innocent
comme elle.
voeux ,
Cette réflexion dans la bouche d'un autre
què Zamor , n'eût pas eu pour Eglé
l'autorité d'une maxime. Il y a des vérités ya
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
que l'amour feul peut perfuader. Egle jugea
par fa fécurité que Zamor raifonnoit
jufte : elle n'ofa pourtant pas le dire , mais
elle le regarda tendrement.
Leur converfation , celle du lendemain,
celle de plufieurs jours , fut une fuite de la
réflexion qu'il avoit faite , & de la jufteffe
qu'Eglé y avoit trouvée. Il n'avoit
pas voulu s'en faire un avantage pour l'avenir
mais éclairé par l'amour , il fentit
qu'il s'étoit fait un droit. Il ofa le faire
valoir effentiellement. Les raiſonnemens
fur lefquels il établiſſoit fes témérités , ne
fuffifoient pas comme la premiere fois ,
pour raffurer Eglé : mais le fentiment devenu
plus vif , tenoit lieu de féduction
d'efprit ; & pour céder à l'amant qu'on aime
, il eft égal que ce foit l'efprit ou le
coeur qui agiffe.
Ce premier triomphe fut pour Zamor
une raifon de tout efpérer , & une raiſon
de tout entreprendre. Eglé n'eut ni cette
terreur des femmes qui n'aiment point affez
, ni cette complaifance des femmes qui
aiment trop . Elle avoit prévu qu'elle céderoit
, mais elle noublioit pas qu'elle ne
devoit point céder. Sa réfiftance fur une Faveur
qui les renfermoit toutes. Zamor obtint
mille chofes qui échappent dans un
bonheur trop facile . Il éprouva que les
A O UST. 1756.
Faveurs , qu'une femme peut accorder ,
font innombrables , & que la derniere ne
furpaffe les autres que parce qu'on l'a mieux
méritée.
Ce moment fi fouhaité arriva enfin.
Tous deux y puiferent une nouvelle tendreffe
: jamais on n'éprouva mieux le plaifir
, jamais on ne l'exprima moins . Ils vouloient
fe parler , fe communiquer leurs
idées délicieuſes , les mots les plus familiers
de la tendreffe expiroient fur leurs
bouches: ils fe regardoient ; & leurs yeux
chargés d'amour , remplis de volupté
avoient auffi leur difficulté à s'exprimer.
Tout n'étoit pas fait , tout n'étoit pas
obtenu . Ce n'eft que dans les engagemens
ordinaires que la derniere Faveur eft précifément
la derniere . Zamor avoit des Rivaux
Eglé ne leur laiffoit aucune eſpérance
, mais Zamor les voyoit encore auprès
d'elle elle ne crut pas comme mille
autres qu'il lui fuffifoit de ne les pas écouter.
Sans fçavoir s'il avoit affez de connoiffance
des femmes pour ne pouvoir être
tranquillifé que par une fuite abfolue , elle
lui fuppofe la défiance la plus éclairée ;
& tous les Rivaux , ceux même qu'il auroit
exceptés , furent fuis fans exception . Zamor
qui connoiffoit toute la coquetterie
des femmes , fentit combien la réfolution
12 MERCURE DE FRANCE.
que l'amour feul peut perfuader . Eglé jugea
par fa fécurité que Zamor raifonnoit
jufte : elle n'ofa pourtant pas le dire , mais
elle le regarda tendrement.
Leur converſation , celle du lendemain,
celle de plufieurs jours , fut une fuite de la
réflexion qu'il avoit faite , & de la jufteffe
qu'Eglé y avoit trouvée. Il n'avoit
pas voulu s'en faire un avantage pour l'avenir
mais éclairé par l'amour , il fentit
qu'il s'étoit fait un droit. Il ofa le faire
valoir effentiellement. Les raisonnemens
fur lefquels il établiffoit fes témérités , ne
fuffifoient pas comme la premiere fois ,
pour raffurer Eglé : mais le fentiment devenu
plus vif , tenoit lieu de féduction
d'efprit ; & pour céder à l'amant qu'on aime
, il eft égal que ce foit l'efprit ou le
coeur qui agiffe.
Ce premier triomphe fut pour Zamor
une raifon de tout espérer , & une raiſon
de tout entreprendre. Eglé n'eut ni cette
terreur des femmes qui n'aiment point af
fez , ni cette complaifance des femmes qui
aiment trop. Elle avoit prévu qu'elle céderoit
, mais elle noublioit pas qu'elle ne
devoit point céder. Sa réfiftance fur une Faveur
qui les renfermoit toutes. Zamor obtint
mille chofes qui échappent dans un
bonheur trop facile. Il éprouva que les
A O UST. 1756.
Faveurs , qu'une femme peut accorder >
font innombrables , & que la derniere ne
furpaffe les autres que parce qu'on l'a mieux
méritée.
Ce moment fi fouhaité arriva enfin.
Tous deux y puiferent une nouvelle tendreffe
: jamais on n'éprouva mieux le plaifir
, jamais on ne l'exprima moins. Ils vouloient
fe parler , fe communiquer leurs
idées délicieuſes , les mots les plus familiers
de la tendreffe expiroient fur leurs
bouches : ils fe regardoient ; & leurs yeux
chargés d'amour remplis de volupté ,
avoient auffi leur difficulté à s'exprimer.
,
Tout n'étoit pas fait , tout n'étoit pas
obtenu. Ce n'eft que dans les engagemens
ordinaires que la derniere Faveur est précifément
la derniere . Zamor avoit des Rivaux
: Eglé ne leur laiffoit aucune eſpérance
, mais Zamor les voyoit encore auprès
d'elle elle ne crut pas comme mille
autres qu'il lui fuffifoit de ne les pas écouter.
Sans fçavoir s'il avoit affez de connoiffance
des femmes pour ne pouvoir être
tranquillifé que par une fuite abfolue , elle
lui fuppofe la défiance la plus éclairée ;
& tous les Rivaux , ceux même qu'il auroit
exceptés , furent fuis fans exception . Zamor
qui connoiffoit toute la coquetteric
des femmes , fentit combien la réfolution
1
14 MERCURE DE FRANCE.
d'Eglé étoit une Faveur . Ah ! lui dit- il ,
je ne fuis pas digne de tant de bonté. L'amour
n'a pas fait pour moi toutes ces
Faveurs en me les prodiguant toutes ,
vous me faites fentir combien vous avez
d'avantages fur moi , malgré l'excès de
mon amour.
Eglé étoit jeune , belle & charmante :
elle avoit tout ce que les hommes peuvent
fouhaiter , excepté la fortune. Malgré fa
retraite , elle enflammoit tous les coeurs ;
il fuffifoit qu'elle eût été quelque part un
moment , pour y plaire toujours ceux
qui y venoient après elle , la retrouvoient
toute entiere dans l'impreffion qu'elle avoit
laiffée .
Zamor auffi aimable qu'elle , avoit le
même reproche à faire à la fortune. Il en
foupiroit quelquefois. Il craignoit qu'on
n'offrît à Eglé un fort plus digne d'elle , &
que les Faveurs ne fuffent pas inépuifables.
Il cachoit fes terreurs , il en fouffroit davantage.
Ce qu'il avoit craint arriva. Eglé fe vit
dans le cas , fi peu embarraffant pour bien
des femmes , d'avoir à choifir entre un
Amant pauvre & un Mari très- riche . Ce
dernier joignoit à une grande fortune , la
naiffance & le mérite . Il adoroit Eglé , il
s'offrit lui-même fa propofition fut la
AQUST. 1756 . 15
déclaration la plus tendre ; Zamor ne s'étoit
jamais exprimé fi tendrement . Eglé
éprife d'amour , ne connoiffant de bonheur
que de vivre pour fon Amant , ne
fut point embarraffée à répondre : elle
fçavoit qu'elle avoit affaire à un honnête
homme. L'aveu de fa paffion fut l'excufe
de fon refus . Rizis admira fa vertu , refpecta
fon fecret , & déguifa fa douleur
pour lui épargner une pitié qu'une ame
auffi tendre ne refufe jamais , & qui auroit
troublé un bonheur fi refpectable.
Eglé avoit fait ce facrifice fans violence
; il ne lui en coûta pas plus de le faire
fans indifcrétion : elle eût voulu l'apprendre
à Zamor , non pour s'en vanter , mais
pour lui prouver toute fa paffion. La crainte
de l'humilier & de lui donner des inquiétudes
pour l'avenir , l'emporta fur le
penchant le plus doux à fuivre ; & dès
qu'elle eût fenti tout ce que Zamor pouvoit
y perdre , elle ne vit plus ce qu'elle
pouvoit y gagner : mais Rizis n'étoit pas
obligé à la même difcrétion : fa douleur
extrême avoit befoin d'un foulagement.
Demille qui s'offrirent à fon imagination ,
il préféra celui qui s'accordoit mieux avec
le refpect qu'Eglé lui avoit infpiré . Il
écrivit cette lettre à Zamor :
« Vous poffédez un tréſor , en connoif16
MERCURE DE FRANCE.
"
"
ود
» fez - vous le prix ? Souvent l'excès du
» bonheur nous empêche de le connoître .
» Un Rival malheureux peut vous fournir
» des lumieres nouvelles ; c'eft tout ce
qu'il ofera jamais fe permettre d'une
paffion immortelle , réduite au refpect
», & à l'admiration. Mais quand je vous
apprends combien Eglé eft au deffus de
» l'opinion que vous avez pu prendre
d'elle ; quand je vous rends un fervice
qui ne peut être reconnu , me rendrez-
» vous ce que vous me devez , me donnerez-
vous la confolation d'avoir été utile
» à Eglé ? Vous le pouvez , vous le devez :
ici le devoir devient plaifir ; heureux
qui peut en avoir de fi doux à remplir !
و د
و د
"3
ود
و د
Vous connoiffez mon rang & ma fortu-
» ne : Eglé vient de me refufer à fes ge-
" noux. L'offre d'un établiffement brillant ,
» les fermens de l'amour , les larmes du
"
"""
و ر
و د
défefpoir n'ont abouti qu'à augmenter
» fa paffion par le plaifir de vous les
facrifier. Jugez du coeur d'une femme fi
tendre , fi généreufe : jugez auffi de vos
» devoirs ; ils ne peuvent être remplis que
» par une paffion qui égale la mienne .
» Une ardeur extrême vient d'apprendre
» à Eglé combien elle mérite d'être aimée ;
» & fi elle ne retrouvoit pas mes fenti-
» mens dans les vôtres , elle feroit en droit
A O UST. 1756 . 17
de vous accufer d'ingratitude . Ne méri-
» tez jamais ce reproche deshonorant ; tout
» vous y invite. Hélas ! vous devez juger
» de la douceur qu'on goûte à mériter
» d'être aimé , par les confolations que je
» trouve dans la délicateſſe de mes fenti-
» mens. »
Zamor vola au genoux d'Eglé : ce n'étoit
que
là qu'il pouvoit reconnoître la
nouvelle Faveur qu'elle venoit de lui
accorder. Une générofité auffi admirable
lui imprimoit un refpect qui paffoit dans
tous fes fentimens. Eglé répondit à fes
difcours avec cette modeftie des coeurs qui
regardent leurs bienfaits , comme un avantage
fur les autres qu'ils doivent leur
adoucir. Vous donnez un trop beau nom
à ce que j'ai fait , lui dit-elle ; les plus
grandes preuves d'amour ne font plus des
Faveurs , dès qu'on y trouve foi - même
un charme qui en eft la récompenfe . Ah !
Eglé , Eglé , répondit Zamor , ne retranchez
rien de vos bienfaits ; laiffez- moi
croire qu'à force de les fentir , je puis les
mériter.
Les parens de Zamor avoient pour lui
une tendreffe qui n'étoit que de l'ambition.
Ils voulurent l'établir avantageufement
pour éviter les importunités cruelles
, il s'expliqua dès la premiere fois qu'ils
18 MERCURE DE FRANCE.
lui en parlerent. Ils fçavoient qu'il voyoit
Eglé tous les jours ; ils foupçonnerent fa
paffion , & l'éloignement le plus prompt
fut le remede qu'ils apporterent à ce qu'ils
appelloient fa phrénéfie. Il fallut obéir :
mais où trouver des confolations ? Il alloit
perdre Eglé , & elle ne feroit plus défendue
par fon ardeur contre les perfécutions
que fes charmes lui attiroient de toutes
parts. Il partit dans cette prévention affreufe
: il aimoit trop pour n'être
juſte.
t
pas
in-
Il fut à peine arrivé au lieu de fon exil ,
qu'il tomba malade . Il fut bientôt en danger
: fes parens en furent informés ; le
bruit s'en répandit. Que devint la fenfible
Eglé en apprenant cette nouvelle ! Elle
avoit épuifé l'effort des bienséances en
confentant au départ d'un Amant adoré :
Zamor lui avoit propofé les partis extrêmes
; elle avoit préféré de le pleurer toujours
, à l'expofer un moment . Mais toutes
les confidérations cedent au défefpoir où
la plonge une nouvelle accablante ; elle
prévoit toutes les fuites de fa démarche ,
& fes réflexions qu'elle fait malgré elle ,
& qu'elle fe reproche , lui prêtent une
nouvelle ardeur : elle vole où l'amour
transformé en vertu vient de marquer fa
place. Elle trouve Zamor expirant : fes
A OUST. 1736. 19
larmes bienfaifantes coulent dans le fein
d'un Amant , qui ne peut plus vivre qu'en
s'en abreuvant. Zamor renaît , & fa guérifon
fubite le flatte plus par la Faveur ,
qui en eft le principe , que par tous les
plaifirs qui en font l'effet .
Il revoit à peine la lumiere ; il jouit à
peine des embraffemens d'une Maîtreffe
adorable , qu'il n'eft plus occupé que du
danger où elle eft expofée . Il lui propoſe
la fuite la plus prompte. Eglé n'a pas les
mêmes terreurs que lui : elle aime affez
pour braver les murmures de la gloire &
le courroux de fes parens : mais on a voulu
la féparer de Zamor ; on prendroit des
précautions pour l'en féparer à jamais.
Cette idée fe grave dans fon efprit , &
décide fa réponſe. Ils partent : Eglé y excite
Zamor ; c'eſt elle qui a tout préparé
pour leur départ . Elle eft dans l'âge des
graces , des plaifirs & des amours : elle
eût pu vivre heureufe & brillante ; mille
fortunes lui étoient offertes , mille Amans
n'attendoient qu'un regard pour tomber à
fes pieds elle va perdre tout l'honneur
de la beauté , elle vivra dans une folitude
obfcure. Elle fentira l'affreufe indigence :
tout ce qu'elle va perdre & tout ce qu'elle
va ſouffrir , eſt un nouvel aiguillon pour
elle. L'excès de fon courage naît de fes
20 MERCURE DE FRANCE.
facrifices ; le nom de Faveur que Žamor
donne à tout ce qu'elle fait pour lui ,
la flatte plus que toutes les Couronnes .
Un héroïfme fi touchant trouve des
protecteurs dans le ciel & dans les hommes.
ils arrivent dans une Ville où ils fe croient
en sûreté fous un nom étranger ; ils font
reconnus par un oncle de Zamor , que fes
affaires viennent d'y conduire : c'eft un
Dieu tutélaire que l'Amour a placé fur
leur paffage. Il eft affez tendre pour protéger
des Amans , il eft affez riche pour
faire des heureux : il leur fait bientôt
éprouver l'un & l'autre. Il écrit aux Maîtres
de leur deſtinée : il demande leur
aveu pour une union qu'il croit déja fignée
dans le Ciel ; il l'obtient , & tout fon
bien eft le prix de leur confentement.
Eglé & Zamor reçoivent la récompenfe
de leur grand amour. Leur joie pénétre les
témoins ils femblent fe voir & s'aimer
pour la premiere fois. Eglé toujours plus
tendre , paroît tous les jours plus nouvelle
à Zamor : en lui prodiguant tous les plaifirs
de la paffion , elle en fait autant de
Faveurs par l'air d'accorder qu'elle a , fans
le prendre. Il reçoit encore ce qu'il a
épuifé.
Nous ofons nommer ces Faveurs les
Faveurs bien traitées.
A O UST. 1756 . 21
ODE
Lue à la premiero diftribution des Prix qui
s'eft faite dans le College des PP. de la
Doctrine Chrétienne de Villefranche , en
Rouergue , le 31 Août 1755 .
Q Uel bruit quelle pompe nouvelle
Nous raffemble de toutes parts ?
Quelle Déïté me rappelle
Au Temple du Goût & des Arts
Trop longtems de ces lieux bannie , ( 1 )
C'est vous , fçavante Polymnie ,
Que je revois en ce beau jour,
Pour fe rapprocher de nos rives ,
Vos foeurs , avec vous fugitives ,
N'attendoient que votre retour.
Vous paroiffez , & la nature
S'embellit de nouveaux appas,
Brillant d'une clarté plus pure
Phoebus a devancé vos pas.
Les doux zéphirs , de votre trône
(1 ) Ily avoit quelques années qu'on avoit in
terrompu les Exercices littéraires , pareils à celui
qui a précedé cette année la diſtribution des nou➡
veaux Prix.
22 MERCURE DE FRANCE .
Ecartant l'ardente Erigone ,
Rendent la vie à mille fleurs ,
Et de ces fruits de leurs haleines
S'empreffent de former les chaînes
Que vous préparez à nos coeurs .
Regnez , commencez un Empire
Qui paffe à nos derniers neveux ;
Que ce jour que chante ma lyre
Soit à jamais facré pour eux.
Jour mémorable ! où ma patrie
A fon antique barbarie
Porte enfin le coup affuré ;
Ou , rivale du Tectofage , (1)
Elle confacre d'âge en âge
Des autels au Goût épuré.
Et vous , fes enfans & fes peres ,
Et qu'à tant de titres divers
Elle a fait les dépofitaires
De fes intérêts les plus chers ;
Magiftrats ! (2 ) goûtez l'avantage.
De recevoir ici l'hommage
Des Arts & de leurs Amateurs ;
(1 ) Allufion aux Prix de l'Académie des Jeux
Floraux de Toulouse , notre voisine notre modele.
(2) Les Maire & Confuls , Fondateurs des nouyeaux
Prix.
A O UST. 1756.
Hommage libre , mais fincere ,
Et que l'Empire littéraire
Ne rend qu'à fes reftaurateurs.
Vous furtout , qu'avec complaifance
Je vois préfider à ces jeux , (1 )
A qui dès la premiere enfance
Je tiens par les plus tendres noeuds ;
Souffrez qu'en cette augufte fête
Ma Mufe , fidele interprete
Des fentimens de tous les coeurs ¿
Décerne à l'ami que j'eftime
Le titre auffi doux que fublime
De pere & d'ami des neuf foeurs.
Sous un nom fi cher au Parnaſſe ;
Ainfi qu'à la poſtérité ,
Prenez aujourd'hui votre place
Dans les faftes de la Cité.
Que des tems bravant les injures
Elle y montre aux races futures
L'inftituteur de ces combats ,
Et s'en remette à leur hiftoire
Du foin d'affurer la mémoire
Du Mécene de nos climats.
(1 ) M. Cardalhac , ancien ami & condifciple de
l'Auteur , Maire de la Ville de Villefranche en
cette année 1755.
24 MERCURE DE FRANCE.
Déja fous les heureux aufpices ,
Plus d'un Athlete de ces bords ,
Fier du fuccès de fes prémices,
Tente de plus nobles efforts.
Eleve des Mufes champêtres ,
Tircis chante à l'ombre des hêtres ,
Les bois , l'amour & l'amitié
Tandis qu'au gré de Melpomene
Son Rival répand fur la ſcene
Et la terreur & la pitić. ( 1 )
Plus modefte & non moins nerveuſe ,
L'éloquence avec dignité
De fa courfe majestueufe
Preffe , ou fufpend l'activité ,
Telle , avec douceur répandue ,
La rofée enfin s'infinue ,
Ou tel , un fleuve impétueux
Qu'irrite une barriere vaine ,
Franchit l'obftacle , inonde , entraîne
Tout ce qui s'oppoſe à ſes voeux. (2).
Que vois- je l´à la céleste voûte
S'élance un nouveau Phaëton.
Va-t'il s'égarer dans la route
De Galilée ou de Newton ?
(1) Les divers genres de Poëfie .
(2 ) Le genre oratoire , les talens de la chaire ,
du Barreau, &c.
Mais
A O UST. 1756.
28
Mais à peine a-t'il pris pour guide
Le docte compas dont Euclide
Ofa mefurer l'Univers ;
Que dédaignant la terre entiere ,
Il va du monde planétaire
Parcourir les vaſtes déferts. ( 1 )
Ainfi les dons de ce Lycée
Vont par un choix judicieux
A la vertu récompensée
Servir d'aiguillons précieux :
Ainfi des mains d'un fçavant Maître
Rendus au fein qui les vit naître ,
Et bientôt en tous lieux épars
Ceux , qu'une premiere victoire
Va mettre au chemin de la gloire ,
Feront celle de nos remparts.
Vous donc (2 ) , que d'un bienfait fi rare
La patrie honore aujourd'hui ,
(1 ) .... Coelique, meatus
Defcribent radio , & furgentiafidera dicent. Virg.
Allufion au projet d'un Cours de Phyfique expérimentale
& de Mathématique , dont on eft redevable
au zele de M. Cardalhac , Maire , lequel a
déja procuré l'impofition d'une fomme confidérable
, pour l'achat des premieres Machines propres
à ce double objet , fous la direction , & du
choix de l'illuftre M. l'Abbé Nollet.
(2) Le Répondant,
B
26 MERCURE DE FRANCE.
Vous que le Dieu des Arts fépare
D'un vulgaire indigne de lui ,
Heureux enfant avec audace ,
Dans quelque route qu'il vous trace
Marchez , foutenez vos effais ;
Et fongez qu'en cette carriere ,
Ofer regarder en arrière ,
C'eft ternir fes premiers fuccès.
Mais déja bleffé d'un langage ,
Peu digne de vos voeux naiffans ,
J'entends votre jeune courage
Murmurer de mes vains accens ;
Cedez au penchant qui l'entraîne ;
De la Tribune & d'Hypochrene
Les deux fentiers vous font ouverts ;
Allez dans l'une ou l'autre lice
Braver l'envie & l'injuſtice ,
Et juftifier mes concerts.
Que dis-je ! eft- ce à ma foible verve
De vous initier aux Arts ?
Vous , qu'ici plus d'une Minerve
Daigne animer de fes regards ?
Privilege heureux de votre âge !
Vous y lifez le doux préſage
De mille glorieux progrès ;
Tandis qu'encore je ſoupire
A O UST. 1756. 27
De n'avoir pu jamais y lire
Que les plus finiftres Arrêts.
Tout beau, mon coeur ! quoi qu'il t'en coûte
Les Arts qu'on honore en ces lieux ,
Doivent au fexe qui m'écoute
Un hommage plus férieux.
Juge délicat & févere ,
Par fes attraits jaloux de plaire
Moins encor que par fes talens ;
Il fçait d'un encens infipide
Diftinguer l'éloge folide ,
Et le vrai beau des faux brillans.
Ceffez de nous vanter vos Muſes ,
Chantres du fabuleux vallon ?
Nos Deshoulieres , nos la Sufes
M'ont fait oublier Apollon :
Vieilles filles de Mnemosyne ,
En vain de la double Colline
Vous m'invitez à vos leçons ;
Ici , mieux qu'aux bords du Permeffe,
L'efprit , les graces , la jeuneffe ,
Sont les arbitres de mes fons.
*
De l'ébauche la plus légere ,
Belles , daignez -vous contenter ;
Tout l'art du Pinde & de Cythere
Pourroit-il mieux s'en acquitter ?
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
S'il eft toutefois un Appele ,
Dont la main hardie & fidelle
Acheve un tableau fi charmant ;
Peu jaloux de fon avantage ,
J'aime à devoir votre fuffrage
Moins au pinceau qu'au fentiment.
Par M. DE LA VERGNE , Conf. au Préfid.
SUITE
DE LA VIE DE JULES CESAR.
MARC - ANTOINE.
JE crois que l'on peut mettre Marc- Antoine
au rang de ceux que la fortune a
élevés lorfqu'elle a voulu faire connoître
toute l'étendue de fon pouvoir & de fes
caprices. Il fe trouva lors de la mort de
Cefar dans des conjonctures favorables ,
qui lui frayerent le chemin d'une fouveraineté
, à laquelle il ne devoit pas s'attendre
, & qu'il conferva jufqu'à ce qu'il
en fût précipité par des vices & des défauts
qui avoient été retenus pendant le gouvernement
de Céfar.
Antoine étoit né avec des inclinations
nobles & élevées , un génie décidé pour la
guerre & un courage au deffus du commun
, qui ne fe laiffoit point amollir par
A O UST. 1756. 29
les plaifirs i les oublioit dans les occafions
où il s'agiffoit d'acquérir de la gloire.
Mais lorsqu'il étoit rendu à lui-même , il
fe livroit à tous les excès & les genres de débauches
auxquels la jeuneffe de fon temps
étoit adonnée. Antoine , après avoir ſervi
dans les Gaules fous Céfar , avoit été Lieutenant
de Gabinius , lors de la conquête
de l'Egypte pour remettre fur le trône de
ce Royaume Ptolomée- Aulets chaffé par fes
fujets. Il avoit encore remporté une victoire
fignalée fur les Juifs , & avoit pris
prifonnier leur Roi Ariftobule.
De retour à Rome , il en avoit trouvé
toute la puiffance entre les mains de Pompée
, de Céfar & de Craffus. Comme il
avoit confommé de très- bonne heure un
riche patrimoine , il ne pouvoit efpérer de
rétablir fes affaires qu'en s'attachant à l'un
de ces trois hommes , qui pût lui procurer
quelque commandement fupérieur cù il
trouveroit le moyen de s'enrichir comme
faifoient la plupart des Romains de fon
temps. Céfar qui connoiffoit fon mérite ,
lui fit de fi belles offres , & l'acheta fi cher ,
qu'il fe l'attacha fans réſerve. Il étoit Tribun
du Peuple, lorfque Céfar & Pompée ſe
brouillerent après la mort de Craffus. En fa
qualité de Tribun , il s'oppofa fi hautement
à toutes les délibérations. violentes
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
que l'on propofa contre les intérêts de
Céfar , que le parti de Pompée ayant prévalu
à Rome , Antoine fut chaffé du Sénat ,
& obligé de fe fauver auprès de Céfar qui
lui confia les emplois les plus importans .
Antoine commandoit l'aîle gauche à la bataille
de Pharfale. Il s'y comporta avec
une valeur & une capacité qui contribuerent
beaucoup à la victoire. Ses belles qualités
brillerent encore davantage à la bataille
de Philippes . Il avoit partagé avec
Céfar la gloire de Pharfale , mais à Philippe
, il en eut feul tout l'honneur . Il défit
entiérement le corps d'armée qu'il avoit
en tête , commandé par Caffius dans le
temps que Brutus mettoit en déroute celle
que commandoit Augufte. Antoine vole à
fon fecours , & arrache à Brutus l'avantage
qu'il étoit prêt de remporter. Tout plie
devant lui : il remporte une victoire completre
qui porta le dernier coup à la liberté
Romaine . La victoire de Philippe fut
le terme de la gloire d'Antoine ; le refte
de fa vie n'eft plus qu'un tiffu de vices &
de foibleffes qui le perdirent . Il n'avoit
pas la tête affez forte pour foutenir le
poids de fa grandeur. Il avoit partagé
l'empire du monde avec Augufte : les Provinces
de fa domination étoient dans la
derniere foumiffion ; il avoit des troupes
A O UST. 1756. 31.
nombreuſes & aguerries , dont il étoit
adoré : il pouvoit gouverner pailiblement
tout l'Orient fans craindre la puiffance
d'Augufte dont la politique raffinée réparoit
ce qu'il lui manquoit du côté de la
valeur.
"
Mais Antoine fe laiffa furprendre par la
beauté de Cléopâtre , la Reine de fon
temps , la plus belle , la plus fpirituelle &
la plus fçavante en l'art d'inventer , varier
& multiplier les plaifirs. Ayant connu
l'afcendant qu'elle avoit pris fur le coeur
d'Antoine , elle l'entraîna dans des malheurs
dont il ne put jamais fe relever. Les
dépenfes , le luxe , & les plaifirs auxquels
il s'étoit livré dans fa jeuneffe , ne furent
rien en comparaifon de ceux dans lesquels
cette Reine le plongea . Pour les fatisfaire ,
il remplit l'Afie de concuffions & de rapines
: il épuifa avec une prodigalité exceffive
les revenus de la République. Les peuples
le détefterent , fes foldats le mépriſerent
, fes ennemis l'infulterent : il fut honteufement
battu par les Parthes , enfin fes
anciens amis & fes Généraux ne pouvant
plus fouffrir les hauteurs & les caprices de
Cléopâtre qui leur commandoit en fouveraine
, l'abandonnerent ; & Augufte lui
déclarant la guerre dans cette fituation ,
n'eût pas de peine à le vaincre. Quelle
Biv
34 MERCURE DE FRANCE.
>
tout le monde , & principalement des foldats.
Il avoit appris de Jules-Céfar la maniere
dont il falloit les traiter pour s'en
faire aimer. Ils avoient été témoins de l'eftime
de ce grand homme , qui avoit toujours
confié à Antoine les premiers emplois
de fon armée. Lorfque les foldats font
fûrs du courage & de la capacité de leur
Général , ils lui donnent volontiers toute
leur confiance. Antoine avoit acquis leur
amitié par fes careffes & fes largeffes. It
alloit voir les malades dans leurs tentes
s'informoit de leurs befoins & y pourvoyoit
avec une exactitude admirable ,
auffi fut- il redevable à fes foldats , de la
haute fortune où il parvint après la mort
de Céfar. Ayant été chaffé du Sénat & de
Rome , vaincu à Modene par l'armée de la
République , & fuyant avec une partie de
fes troupes , il traverfa les Alpes , dénué
de tout , fans rien perdre de l'autorité de
Général , ni de l'amitié de fes foldats , auxquels
, dans la difette où il fe trouva , it
donnoit le premier l'exemple de fobriété
& de patience , fouffrant également avec
eux la faim & la foif, & leur faifant diftribuer,
préférablement à lui , le peu de vivres
qu'il avoit. Il arrive dans les Gaules
dans le deffein de ſe joindre à Lépidus qui
commandoit un corps confidérable. Lepi
A O UST. 1756. 35
dus faifant quelques difficultés de le recevoir
, fes foldats l'abandonnent gagnés par
ceux d'Antoine , & lui déferent le commandement.
Il eut cependant la générosité
de le partager avec Lépidus qu'il en pouvoit
dépouiller ; & tous deux joints enfemble ,
forcerent Augufte de s'accommoder avec
eux .
Antoine n'eût peut-être pas été accufé de
cruauté fans l'acharnement avec lequel il
pourſuivit la perte de Ciceron. Il est vrai
qu'il en avoit été furieufement maltraité
dans les Oraifons qu'il prononça contre
lui pour le faire déclarer ennemi de la
République. Il n'eft pas étonnant de voir
Antoine joindre à fes autres vices , l'efprit
de vengeance : cependant il eft certain que
des trois Triumvirs il fut le moins cruel .
Il dit , en voyant la tête de Ciceron : Mes
vengeances font finies ; au lieu qu'Augufte
feul facrifia depuis à la fienne beaucoup
plus de Citoyens qu'Antoine & Lépidus
n'en avoient fait périr.
CATON.
Caton , furnommé d'Utique , étoit un
homme dont la vertu trop auftere , jointe
à un caractere dur & inflexible , avoit
plutôt fait un Philofophe d'une efpece fort
finguliere qu'un homme capable de fe mê-
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
ler des grandes affaires. Il avoit choifi un
gente de Philofophie conforme à fon humeur.
C'étoit la Stoïcienne dont la bafe
étoit un orgueil infupportable , & qui fous
prétexte de la vertu la plus épurée , mépri
foit avec hauteur le refte des humains. Le
Stoïcien, en mettant le fouverain bien dans
la fageffe commençoit par fe l'accorder à
lui-même. Il fe croyoit feul infaillible &
affranchi de toutes les paffions , & s'attribuoit
non feulement toutes les vertus ,
mais encore les dons.de la nature . Je
ne fçais fi dans fon coeur il ne fe comparoit
pas aux Dieux mêmes. Il falloit cependant
que cette Philofophie ne fût pas
en grande eftime à Rome , puifque Ciceron
lui donna un grand ridicule dans le
difcours qu'il prononça étant Conful , pour
défendre Murena accufé de brigue par Caton.
Voici les termes dans lefquels il s'exprime.
Les Stoïciens diſent.que toutes les fantesfont
égales , que le moindre manquement
eft un crime , que le Sage ne doute de rien ,
ne fe trompe en rien , & ne change jamais de
fentiment. Tellesfont les maximes que le merveilleux
génie de Caton s'eft appropriées pour
en faire la regle de fa conduite. Des malheureux
viennent - ils humblement vous demander
grace , vous êtes unſcélérat , fi vous leur accordez
quelque chofe par compaffion. QuelA
O UST. 1756 . 37
qu'un vous avouera qu'il a failli & vous en
demandera pardon , c'eft un crime que de
pardonner un crime . Eft- il échappé à ce Sage
quelque parole , c'eſt chofe irrévocable . Vous
lui dites qu'il s'eft trompé dans quelque affaire,
il le prend pour une injure. On lui reproche
d'avoir dit telle chofe en colere , le Sage ne s'y
met jamais. Agir autrement dans un temps
que dans un autre, c'eft être un fourbe ; changer
de fentiment c'est une infamie. J'avouerai
franchement , Caton , que vous êtes naturellement
formé pour l'honneur , la gravité , la
modération , la magnanimité , la justice , en
un mot , pour toutes les vertus dignes d'un
grand homme. Mais à tant de belles qualit's
vous avezjoint une morale nullement flexible
ni tempérée , un peu plus dure & plus âpre
que la nature & la raison ne le demandent.
Vous auriez dû répandre un peu de complai
fance & de douceur fur l'austérité de votre
fageffe vous ne la rendriez pas plus excellente
qu'elle ne l'eft déja; mais il faut convenir
qu'elle en feroit plus agréablement affaiſonnée .
Les vertus font renfermées dans un jufte milieu
qui leur donne leur véritable valeur.
:
•
Teleft le portrait de Caton que Ciceron
peignit en préſence de toute la ville de
Rome. Peut- être étoit- il un peu trop chargé
par l'envie qu'avoit Ciceron de faire
abfoudre fon ami Murena dans une affaire
38 MERCURE DE FRANCE.
où il ne s'agiffoit pas moins pour lui que
d'être privé du Confulat & envoyé en exil.
Cette maniere de s'exprimer de Ciceron ,
ne l'empêchoit pas de rendre juftice au
mérite de Caton , mais fans l'approuver
dans toute fa conduite. Dans une lettre à
Atticus il lui mande , Caton eft le feul qui
s'intéreffe au foutien de la République , mais, à
mon avis , avec plus de fermeté & d'intégrité
que d'efprit & de prudence. Dans une autre
lettre , Pour ce qui eft de Caton , je l'aime
bien autant que vous l'aimez , mais je ne laiffe
pas de voir qu'avec les meilleures intentions
& la meilleure foi du monde , il nuit quel- .
quefois beaucoup à la République. Il opine
dans une ville corrompue , comme il pourroit
faire dans la République de Platon.
Caton étoit fort éloquent : fes difcours
étoient folides , fans enfure , ferrés , preffans
& affaifonnés de fentences graves &
agréables qui lui attiroient l'attention de
fes auditeurs. Etant né avec un bien fort
honnête , il fit de fes richeffes un ufage
modéré , également éloigné de l'avarice &
de la prodigalité. Libéral avec difcernement
, il aidoit fes amis de fon argent fans
en tirer d'intérêt . Pour fes vertus militaires
n'ayant pas eu de commandement fupérieur
, il n'eut pas l'occafion de les faire
valoir, Tout ce qu'on fçait , eft qu'ayant
A O UST. 1756. 39
eu le commandement d'une légion , il s'en
acquitta avec beaucoup de diftinction ;
qu'il fe fit fort aimer des foldats , ne mettant
d'autre différence entr'eux & lui dans
fa maniere de vivre & de marcher en campagne
, que d'être le premier à leur montrer
l'exemple.
Mais ce qui rendit Caton plus recommendable
, c'est que fa vertu en cela plus
pure que celle des Stoïciens , étoit fans
orgueil & fans affectation . Il n'agiffoit que
dans la feule vue de faire le bien fans en
rechercher ni gloire ni récompenfe . Mais
il gâtoit cette vertu par une durété & une
inflexibilité outrées . Pendant que Caton
étoit Tribun du peuple , les affaires fe
brouillerent à Rome au point que l'on fut
obligé d'élite Pompée feul Conful avec un
pouvoir fort étendu . Lorſque la propofition
en fut faite au Sénat , comme elle
étoit contre les Loix , on comptoit que
Caton s'y oppoferoit , comme il le
voit faire par le droit de fa charge , mais
au contraire il l'approuva. Pompée l'en remercia
très-affectueufement en plein Sénat,
le priant de l'affifter en particulier de fes
confeils , qu'il fe feroit toujours gloire de
faivre en toute occafion. Caton lui répondit
qu'il ne devoit lui en avoir aucune obliga
tion ; que ce n'étoit pas pour l'amour de luŵ
pou40
MERCURE DE FRANCE.
qu'il avoit confenti à fon élection , mais parce
qu'ilpenfoit qu'elle étoit utile à la République,
qu'il l'aideroit volontiers de fes confeils en
particulier , lorsqu'il le fouhaiteroit , mais que
s'il les défaprouvoit , cela ne l'empêcheroit
pas de dire toujours en pleine affemblée ce
qu'il croiroit le plus convenable pour P'utilité
de la République.
Caton n'eut jamais l'ambition d'entrer
dans les magiftratures. S'il demanda la
charge de Tribun , ce ne fut que pour s'oppofer
aux pernicieux deffeins de fes collegues
, qui trop livrés à Céfar & à Pompée ,
vouloient faire paffer des Loix contraires
au bien de l'Etat . Nous verrons dans la vie
de Céfar , les affauts qu'il eut à foutenir
contr'eux dans ces occafions.
Lorfque la Guerre Civile fut déclarée ,
il ne voulut accepter aucun commandement
, fe contentant de gémir fur les horreurs
de la guerre qui facrifioit à l'ambition
de fes Auteurs tant de vertueux Citoyens.
Il fit tous fes efforts pour engager
Pompée à faire la paix avec Céfar , difant
hautement qu'il préféroit la fervitude à
une Guerre Civile , & il obtint dans un
grand confeil , tenu dans le camp de Pompée
, qu'on ne feroit mourir aucun Citoyen
hors du combat.
Enfin le parti de Pompée ayant été enA
O UST. 1756:
tiérement abattu , Caton prit la réfolution
de fe donner la mort. Ce fut par une fuite
des fentimens dont l'avoit imbu la Philofophie
Stoïcienne , qu'il prit un parti fi
violent. L'opinion trop rigide qu'il s'étoit
faite de la fageffe , lui faifoit regarder
comme des fcélérats ceux qui penfoient
autrement que lui: Comme la dureté de
fon caractere lui avoit ôté tout fentiment
de douceur , il ne crut jamais que Céfar
fût capable de lui pardonner. C'eft peutêtre
dans Caton une marque de courage
de n'avoir pas voulu fupplier fon
Vainqueur : c'eft peut-être auffi une marque
d'orgueil d'avoir méprifé fa générofité
& fa clémence dont il avoit donné tant
d'exemples. Céfar avoit l'ame trop grande
, & il fçavoit trop bien ce que c'étoit
que vertu pour ne pas admirer & rendre
juftice à celle de Caton.
BRUTUS.
⚫ Quoique Brutus n'ait eu aucune part
aux événemens qui changerent le gouvernement
de Rome , & quoiqu'il y ait mené
une vie affez obfcure jufqu'à la mort de
Céfar , cependant ayant été regardé comme
le principal Auteur de la conjuration
qui le fit périr , je crois qu'on peut tracer
quelques traits de lui pour faire connoître
42 MERCURE DE FRANCE.
quel étoit fon génie & fon caractere.
Il étoit fils de M. Brutus que Pompée
fit mourir pour avoir été dans le parti de
Marius contre Silla : fa mere étoit Servilie
, foeur de Caton , cette maîtreffe fi chérie
par Céfar , & qu'il diftingua toujours
malgré les attachemens paffagers auxquels
il fe livra. Cefar eut pour Brutus une
tendrelle fi marquée , il le combla , ainfi
que fa mere , de tant de biens que tout le
monde le regardoit comme fon fils. Cefar
avoit donné des ordres pofitifs à fes Officiers
& à fes foldats lors de la bataille de
Phatfale , de conferver Brutus qui étoit
dans l'armée de Pompée.
Brutus avoit été élevé par fon oncle
Caton dans la Philofophie Stoïcienne qu'il
avoit embraffée avec une ardeur incroyable.
Il avoit acquis une réputation de vertu
qui ne paroiffoit pas équivoque aux
yeux de fes Concitoyens . Il falloit cependant
que cette vertu ne fût pas parfairement
épurée de certains défauts , puifque
Ciceron fe plaint amérement de Brutus
qui avoit voulu l'engager d'employer les
extorfions les plus odieufes contre les
peuples de fon gouvernement , pour le
faire payer de fommes confidérables qu'ils
Jui devoient ; fur les plaintes que Brului
en avoit fait faire : Si ce n'eft qu'à ce
A O UST. 1756. 43
prix , écrivoit Ciceron à Atticus , que je
puis conferver l'amitié de Brutus , je fuis
bien aife qu'il fçache qu'il peut chercher
d'autres amis que moi. Il lui reproche ailleurs
une hauteur & une dureté dans le
caractere peu convenables à des Citoyens.
civilifés ; & quoique dans d'autres endroits
de fes écrits , il lui donne des louanges
exceffives , il l'accufe cependant de
s'être mal conduit après la mort de Céfar,
& d'avoir, par fon peu de prudence & d'expérience
, rendu inutile le deffein qu'il
avoit conçu de rendre la liberté à fa patrie.
Cela n'a pas empêché tous les zélés Répu-.
blicains d'exalter la conjuration que Brutus
forma & exécuta contre la vie de Céfar,
de la regarder comme le chef-d'oeuvre de
la vertu , & de l'appeller le dernier des
Romains .
Tout le monde n'en conviendra peut-être
pas , & que Brutus fut doué de cette éminente
vertu qu'on lui a attribuée , furtout
fi les dernieres paroles qu'il proféra , font
véritablement forties de fa bouche , comme
les Hiſtoriens le rapportent. Ayant été
défait à la bataille de Philippe , fùyant
prefque feul , abandonné de tous fes amis
& de fes foldats , regardant le parti de
la République comme entiérement abattu
& fans reffource , prêt à fe jetter fur la
1
44 MERCURE DE FRANCE.
pas
pointe de fon épée , il s'écria : Vertu qué
j'ai fuivie toute ma vie , pour laquelle j'ai
quitté plaifirs , biens &fortune , tu n'es qu'un
vain phantome fans pouvoir: le vice a toujours
l'avantage fur toi ; & déformais est- il un
mortel qui doive s'attacher à ton inutile puiffance
? 11 paroît que Brutus connoiffoit
affez mal la vertu après avoir paffé toute fa
vie à s'en inftruire. Il s'en plaint parce
qu'elle n'a fait réuffir les projets qu'il
avoit formés pour le rétabliſſement de la
République. Falloit- il donc que la vertu
ou plutôt cet Etre fuprême qui eft la vertu
même , fît un miracle en faveur d'un homme
qui ne la connoiffoit feulement pas ?
Il veut qu'elle faffe réuffir des deffeins mal
conçus , & parce qu'il a été trompé dans
fes efpérances , il la traite d'un vain phantôme
; parce qu'il plaît à Brutus de regarder
Céfar comme un Tyran , & de regarder
comme un Acte de la fouveraine vertu de
le punir de fon ambition & de lui ôter la
vie , il faudra que tous les événemens ſe
rangent à fon gré pour rendre à fa patrie une
imaginaire liberté qu'elle ne pouvoit plus
conferver. Mais avant que de commettre
cette action , s'il avoit fait de férieufes
réflexions fur l'état de cette République
s'il avoit examiné les génies , les caracteres
, les vertus & les vices de ceux qui la
A O UST. 1756. 45
compofoient , dont aucun ne fe croyoit inférieur
à Céfar, & dont la plupart avoit des
deffeins auffi ambitieux que lui , il auroit
reconnu qu'il étoit impoffible qu'elle pût
fe rétablir , qu'elle avoit befoin néceffairement
d'un Maître , & qu'il alloit commettre
un crime dont elle ne retireroit aucun
fruit. Il arriva que fa vertu , faute
d'être conduite par la fageffe & la prudence
, produifit des effets tout contraires à
ceux qu'il s'étoit propofés. Qu'a produit
cette action à laquelle on a donné tant de
louanges ? Elle n'a fait qu'accélérer la
chûte de la République : il renaît des cendres
de Céfar trois monftres fous le nom
de Triumvirs qui fe réuniffent pour remplir
tout l'univers de rapines,de fang & de
carnage , & le partager entr'eux ,
en
attendant que l'un des trois déteftant dans
fes deux autres concurrens l'ambition , l'ayarice
, la cruauté , la débauche dont il
étoit lui - même dévoré , trouve le moyen
de les faire périr & de fe rendre , fous le
faftueux nom d'Augufte qu'il ne mérita
jamais , feul maître de l'Empire.
Mais fi faifant un retour fur lui-même ,
Brutus avoit examiné quel homme il alloit
affaffiner , celui qui avoit confervé une
vie qu'il pouvoit lui ôter pour avoir porté
les armes contre lui , qui peut- être étoit
46 MERCURE DE FRANCE.
fon pere , (car enfin Brutus pouvoit-il être
le feul dans Rome qui dût ignorer le commerce
de fa mere Servilie avec Céfar )
quelles réflexions ces circonstances ne devoient-
elles pas produire dans fon efprit ?
Quel effet la reconnoiffance n'auroit- elle
pas dû faire fur fon coeur ? La vertu doitelle
donc faire des ingrats & des Parricides
? Quels reproches n'a-t'il pas dû effuyer
de fa mere Servilie ? il affaffine fon amant
toujours conftamment aimé ? De quel oeil
devoit-elle regarder ce fils , peut- être le
fruit de fes amours avec Céfar ? Brutus n'a
reçu d'autre récompenfe de cette vertu
imaginaire & mal entendue , qu'une mort
prématurée arrivée à la fleur de fon âge ,
après avoir fans doute éprouvé tous les
remords que devoient lui caufer la mort
d'un fi grand homme , dont les fuites furent
cent fois plus funeftes à la République
que fon ambition n'avoit caufé de
maux.
A O UST. 1756 . 47
VERS
Sur la guerre préfente.
Quand Uand fecondé de la victoire ,
De la fiere Albion Louis brave les traits ,
Il eft moins jaloux de fa gloire
Que du bonheur de ſes Sujets .
OLIVIER , Av.
CHANSONS.
Pour célébrer la venue de Monfeigneur le
Dauphin & de Madame la Dauphine ,
dans la Ville de Chartres .
Sur l'Air Lifette eft faite pour Colin.
Mufe,
Ufe , puifque de nouveaux Dieux
Viennent fur ce rivage ,
Cherche des fons mélodieux
Pour offrir ton hommage :
Ou plutôt , grand Dieu de Délos !
Prends toi-même ta Lyre ,
Pour chanter de jeunes Héros
Soutiens de ton Empire.
48 MERCURE DE FRANCE.
Sur l'Air : Que je chéris, mon cher Voifin.
Cupidon
chargé par Cypris
D'un billet d'importance ,
Preffé d'arriver à Paris ,
Voloit en diligence ;
Mais en paffant par Maintenon ;
Un brillant équipage
En fixant fon attention >
Retarda fon voyage.
Sur l'Air Dedans mon petit Réduit.
CE
:
E Dieu curieux & , fin ,
Autant que volage ,
Reconnoiffant du Dauphin
L'air plein de courage ;
En fecouant fon carquois ,
Il s'écria par deux fois :
Voilà mon ouvrage , ô gué !
Voilà mon ouvrage.
Bon , dit- il , aux Ris , aux Jeux ,
J'aime ce voyage :
C'eft des plus aimables feux
Un précieux gage
Ah
A O UST. 1756.
Ah ! filons des jours heureux ,
A ce couple vertueux ;
Car c'eſt mon ouvrage , ô gué
Car c'est mon ouvrage.
Sur l'Air : Nous jouiſſons dans nos hameaux.
UN Ris novice , qui jamais
N'avoit quitté Ciprine ,
Enchanté , ravi des attraits
De l'aimable Dauphine ,
Ah ! dit-il , d'un air innocent :
C'eft Pfyché , oui c'eſt elle.
Non , dit l'Amour , en rougiffant ;
Pfyché n'eft pas fi belle.
Les Nymphes de notre Pays
Voyant cette Princeſſe ,
Se demandent d'un air furpris
Quelle eft cette Déeffe ?
Que de majesté ! que d'appas !
On la prendroit pour Flore :
Elle joint au port de Pallas
La fraîcheur de l'Aurore.
Sur l'Air : De tous les Capucins du monde.
Mais que fon Epoux eft aimable !
Qu'il a l'air grand , doux , noble , affable
Ah ! s'ils habitoient nos hameaux
L'Amour verroit peu de rébelles :
C
30 MERCURE DE FRANCE.
Tous nos Bergers feroient rivaux ,
Et nos Bergeres infidelles ..
PLISSON .
Nous prions l'Auteur de finir la Promenade
de Province.
VERS
A M. de la Motte , Médecin de la Faculté
de Paris , fur la convalefcence de M. de
la Poupeliniere , Fermier Général.
Nfin par ton fçavoir, autant que par ton zele ,
La Poupliniere encor eft au rang des humains :
Malgré l'arrêt des Médecins
On a vu le ciſeau de la Parque cruelle
A ta voix tomber de fes mains.
>
La Motte , reçois en mon compliment fincere :
Je t'avouerai pourtant que j'en fuis peu furpris.
Dans les foins conftans que tu pris
Efculape , dit- on , t'aida de fa lumiere.
Si ce fils d'Apollon dans ce preffant danger
Seconda fi bien ta prudence ,
Ses propres intérêts l'y fçurent engager ,
Et c'est moins un bienfait qu'une reconnoiffance
Le fils du Dieu des Arts devoit fon affiftance
Au généreux ami qui fçait les protéger.
PANARD,
A O UST. 1756. ST
LETTRE
A M. le C . De ... •
Urit enim fulgore fuo , qui prægravat artes
Infra fe pofitas : extinctus amabitur idem.
Horat. Ep. 1. lib. 11.
ENN vérité , Monfieur , ce n'eft pas la
peine de réfuter férieufement ceux qui
font de ce fiecle - ci l'objet de leur cenfure.
Quelque bonne plaifanterie leur donneroit
peut-être plus à penfer. Mais vous
voulez un peu de détail , & qu'est- ce que
votre amitié n'obtient point de moi ?
Ce n'eft pas l'efprit qu'on refufe à ce
fiecle on dit au contraire qu'il eft trop
commun. C'est lui qu'on accufe de fe confier
trop à fes propres forces , d'étouffer le
génie , d'être la fource de plufieurs travers
, & la caufe de la décadence de la
Littérature. Les méconténs de leurs contemporains
, prétendent que c'eft par une
vicieuſe affectation d'efprit qu'on parvient
à plaire aujourd'hui. Ils ne veulent pas
s'appercevoir qu'on réimprime tous les
jours les Auteurs les plus éloignés de ce
vice , tels que le M. de la Fare , l'Abbé
de Chaulieu ; que nous faifons encore nos
Cij
32 MERCURE DE FRANCE.
délices de Marot , de Montagne , tandis
qu'on lit à peine Voiture.
Mais , dira-t'on , n'eft- ce pas une preuve
de la décadence du goût , que ces fuccès
qu'ont eus dans le genre frivole certains
Auteurs qui n'ont fait d'autre ufage des
charmes de leur efprit que celui de nous
inonder de brochures romanefques.
Quoi ! parce qu'il y a des hommes fri
voles , ennemis du férieux & des grandes
chofes , doit -on en conclure qu'en général
l'efprit eſt énervé , que les Lettres font
en décadence ? Parce qu'il y a des efprits
fuperficiels , dont le loifir n'eft occupé que
par les Romans , ou les vers de fociété ,
ignorerons- nous affez le monde Littéraire,
pour ne nous pas récrier fur l'abondance
des productions admirables dont nous
jouiffons Sont- elles reléguées dans les
magafins poudreux des Libraires ? & dès
qu'elles paroiffent ne font elles pas enlevées
pour faire l'ornement des grandes
bibliotheques , & même des cabinets des
particuliers ? Ne font-elles point lues , &
fervent- elles feulement de parade & de
décoration ? A qui doit notre fiecle ce
furnom de Philofophe fi fouvent répété ,
eft- ce aux Romanciers , aux Poëtes de
ruelles ?
Le fiecle de Louis XIV qu'on a nommé
A O UST. 1756: 53
le fiecle de la belle Littérature , ne produifoit-
il pas un grand nombre de ces
difficiles bagatelles telles que les Boutsrimés
, les Acroftiches , & autres infipides
denrées du Parnaffe , pénibles efforts
des petits- efprits ? Etoit- il moins inondé
que le nôtre de Romans , de Contes , d'Hif
toriettes N'y a -t'il aujourd'hui que de
femblables ouvrages qui amufent le monde
poli , & les Belles - Lettres font - elles
exilées dans les Cloitres & dans les Colle
ges ? Toutes ces invectives contre le goût
prétendu dominant de notre fiecle , font
des déclamations qui n'impoferont point.
On prend une partie pour le tout , & encore
quelle partie !
y a
Le fiecle où nous vivons n'eft pas
exempt de certains maux : il de petits
Auteurs fans doute , mais leur petiteffe eft
plus marquée dans ce fecle- ci , où l'on
voit les vrais Sçavans difpofés à ramener
les connoiffances humaines à l'utilité générale
, & au bien de la fociété . Ce font
nos contemporains qui fe font efforcés , &
qui s'efforceront encore de mettre les
Sciences les plus difficiles à la portée de
tout le monde : ce font eux qui ont achevé
de s'affranchir des vieux préjugés , qui
ont écrasé le merveilleux , & qui ont acquis
tant de nouvelles connoiffances.
Ciij
34 MERCURE DE FRANCE.
L'efprit Philofophique de ce fiecle révolte
certaines gens . Préféreroient -ils celui
où une Religion auffi fage , auffi fublime
que la nôtre étoit dégradée par l'ignorance
& par la fuperftition ? Quant aux Moraliftes
, ils déclameront toujours contre la
corruption du fiecle où ils vivront : les
livres de libertinage feront fans ceffe l'objet
de leur zele . Notre fiecle en a été
inondé fans doute : mais n'a -t'il pas été
édifié de tant d'ouvrages qui ne refpirent
que la Religion , la piété? N'a - t'on pas
tout rapporté à ces deux objets dans des
Livres d'Hiftoire & de Littérature ? M. Rollin
, & quelques- autres fe font extrêmement
diftingués dans ce genre.
Si notre fiecle a déchu du luftre où
étoit le précédent , pourquoi tant d'Auteurs
fe plaignent-ils de la difficulté qu'il
ya à contenter un fiecle auffi délicat que
le nôtre ? On veut le cenfürer à tout propos
: c'eft pourtant celui où l'on convient
( 1 ) que les efprits font dans un mouvement
général par rapport aux objets immenfes
de la Politique , du Commerce ,
de l'Agriculture , de la Philofophie mife
dans tous les points de vue . Le fiecle de la
décadence des Lettres fera marqué par le
peu de cas que l'on fera des meilleurs ou
vrages. Nous fommes bien éloignés d'é-
(1 ) Journal de Trévoux , Août 1754 , p. 2100
A O UST. 1756: SS
prouver un tel malheur , nous qui avons
vu & qui voyons encore avec quels applaudiffemens
, avec quel refpect on parle des
Montefquieu , des Buffon , & de leurs ouvrages.
C'eft furtout relativement aux ouvrages
de Pocfie & d'Eloquence , qu'on veut
établir la fupériorité du fiecle précédent
car il n'y a pas apparence qu'on ait aucue
prétention fur ce qui a rapport aux Sciences
exactes. Quant au premier article ,
nous fommes pénétrés de tout ce que doit
notre Théâtre au grand Corneille , à l'har
monieux Racine . Nous ne ferons pourtant
point humiliés tant que nous aurons
des Crébillon , des Voltaire . Si du Dramatique
nous paffons aux autres pieces de
Poëfie , notre avantage eft trop évident
pour nous y arrêter. L'éloquence de la
chaire a triomphé dans le fiecle dernier : je
doute qu'on puiffe en dire autant de celle
du Barreau , & des Difcours Académiques
. Tel qui auroit paffé pour un prodige
il y a cent ans , eft aujourd'hui confondu
dans la foule . Mais déclamer contre
l'efprit de fon fiecle , c'eft une espece de
mode. Que fçais-je , fi ce n'eft point l'effet
du raffinement de l'amour-propre? Ce qu'il
ya de conftaté , c'eft qu'il s'imprime aujourd'hui
un bien plus grand nombre de
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
livres utiles que dans le fiecle précédent ;
que les Sciences & les Arts y font plus
cultivés & avec beaucoup plus de fuccès ;
enfin que les Sonnets de Job & d'Uranie
ne mettroient point la Cour en mouvement,
& ne la diviferoient point du tout
aujourd'hui .
Nous ne céderons donc pas la prééminence
au fiecle précédent pour les Belles-
Lettres & les Arts agréables , & nous la
prétendrons abfolument pour les Sciences
& les Arts utiles. Les progrès de celles qui
dépendent du calcul & des obfervations ,
ont été fi rapides que l'efprit humain en a
été dans l'étonnement.
Qu'on s'exerce tant qu'on voudra fur
les articles fi rebattus de la frivolité du
fiecle , nous aurons bien des faits à oppofer
à tant de fpéculations . Quand le Roi
a fondé une chaire de Phyfique expérimentale
dont M. l'Abbé Nollet a été nommé
Profeffeur , l'affluence a été fi grande
qu'on a toujours compté plus de quatre
cens Auditeurs. Dira t'on que les établiffemens
du fiecle précédent ne font pas
maintenus ? Oferoit - on nier qu'ils ne
foient perfectionnés , & même amplifiés ?
L'inftruction gratuite a été établie par
Louis XV dans l'Univerfité de Paris : la
Bibliotheque Royale a été extrêmement
A O UST. 1756. 57
augmentée. Voit-on ceux qui joignent au
génie & au talent une conduite raifonnable,
éloignés des diftinctions & des récompenfes
? N'est- ce pas dans ce fiecle , & fous
ce regne brillant que des hommes à jamais
célebres ont bravé le ciel brûlant
de Quito , & les glaces de Torneo , pour
perfectionner la connoiffance de la figure
de la terre ?
Que n'ont pas gagné l'Aftronomie & la
Geographie dans ce fiecle ? Les globes de
Coronelli de 1695 , ne font plus d'ufage ::
ils ont été remplacés par ceux de Nuremberg.
Au lieu du catalogue des étoiles fixes.
compofé par Flamsteed , on a fuivi le nombre
& l'arrangement expofé par MM. Bevis
& Bradley (1 ) .
C'eft étayer la pateffe , c'eft autorifer le
découragement que de crier fans ceffe fur
le ton chagrin que toute bonne littérature,
toute production de goût , enfin tout talent
a difparu avec Louis XIV. On s'eft:
peut - être trop accoutumé à un certain parallele
du fiecle de ce grand Roi & de celui
d'Augufte . L'excès des louanges qu'ils
ont reçues a fait croire que la nature épui--
fée , ne pouvoit aller plus loin , qu'il falloit
même qu'elle déchût ; & comme cela
étoit effectivement arrivé après Augufte
(1).Voyez l'Uranographia Britannica.
x>
C.V
36 MERCURE DE FRANCE.
livres utiles que dans le fiecle précédent ;
que les Sciences & les Arts y font plus
cultivés & avec beaucoup plus de fuccès ;
enfin que les Sonnets de Job & d'Uranie
ne mettroient point la Cour en mouvement
, & ne la diviferoient point du tout
aujourd'hui.
Nous ne céderons donc pas la prééminence
au fiecle précédent pour les Belles-
Lettres & les Arts agréables , & nous la
prétendrons abfolument pour les Sciences
& les Arts utiles. Les progrès de celles qui
dépendent du calcul & des obfervations ,
ont été fi rapides que l'efprit humain en a
été dans l'étonnement .
Qu'on s'exerce tant qu'on voudra fur
les articles fi rebattus de la frivolité du
fiecle , nous aurons bien des faits à oppofer
à tant de fpéculations . Quand le Roi
a fondé une chaire de Phyfique expérimentale
dont M. l'Abbé Nollet a été nommé
Profeffeur , l'affluence a été fi grande
qu'on a toujours compté plus de quatre
cens Auditeurs . Dira t'on que les établiffemens
du fiecle précédent ne font pas
maintenus ? Oferoit- on nier qu'ils ne
foient perfectionnés , & même amplifiés ?
L'inftruction gratuite a été établie par
Louis XV dans l'Univerfité de Paris : la
Bibliotheque Royale a été extrêmement
A O UST. 1756 . 57
augmentée . Voit-on ceux qui joignent au
génie & au talent une conduite raifonnable,
éloignés des diftinctions & des récompenfes
? N'eft- ce pas dans ce fiecle , & fous
ce regne brillant que des hommes à jamais
célebres ont bravé le ciel brûlant
de Quito , & les glaces de Torneo , pour
perfectionner la connoiffance de la figure
de la terre ?
Que n'ont pas gagné l'Aftronomie & la
Geographie dans ce fiecle ? Les globes de
Coronelli de 1695 , ne font plus d'ufage ::
ils ont été remplacés par ceux de Nuremberg.
Au lieu du catalogue des étoiles fixes.
compofé par Flamsteed , on a fuivi le nombre
& l'arrangement exposé par MM. Bevis
& Bradley ( 1 ) .
$
C'eft étayer la pareffe , c'eft autorifer ledécouragement
que de crier fans ceffe fur
le ton chagrin que toute bonne littérature ,
toute production de goût , enfin tout talent
a difparu avec Louis XIV. On s'eft :
peut- être trop accoutumé à un certain parallele
du fiecle de ce grand Roi & de celui
d'Augufte . L'excès des louanges qu'ils
ont reçues a fait croire que la nature épui--
fée , ne pouvoit aller plus loin , qu'il falloit
même qu'elle déchût ; & comme, cela
étoit effectivement arrivé après Augufte
- (1 ) .Voyez l'Uranographia Britannica.
C. VA
16 MERCURE DE FRANCE.
livres utiles que dans le fiecle précédent ;
que les Sciences & les Arts y font plus
cultivés & avec beaucoup plus de fuccès ;
enfin que les Sonnets de Job & d'Uranie
ne mettroient point la Cour en mouvement
, & ne la diviferoient point du tout
aujourd'hui.
Nous ne céderons donc pas la prééminence
au fiecle précédent pour les Belles-
Lettres & les Arts agréables , & nous la
prétendrons abfolument pour les Sciences
& les Arts utiles. Les progrès de celles qui
dépendent du calcul & des obfervations ,
ont été fi rapides que l'efprit humain en a
été dans l'étonnement.
Qu'on s'exerce tant qu'on voudra fur
les articles fi rebattus de la frivolité du
fiecle , nous aurons bien des faits à
oppo
fer à tant de fpéculations . Quand le Roi
a fondé une chaire de Phyfique expérimentale
dont M. l'Abbé Nollet a été nommé
Profeffeur , l'affluence a été fi grande
qu'on a toujours compté plus de quatre
cens Auditeurs. Dira t'on que les établiffemens
du fiecle précédent ne font pas
maintenus ? Oferoit - on nier qu'ils ne
foient perfectionnés , & même amplifiés ?
L'inftruction gratuite a été établie par
Louis XV dans l'Univerfité de Paris : la
Bibliotheque Royale a été extrêmement
A O UST. 1756 . 57
augmentée. Voit-on ceux qui joignent au
génie & au talent une conduite raifonnable,
éloignés des diſtinctions & des récompenfes
? N'eft- ce pas dans ce fiecle , & fous
ce regne brillant que des hommes à jamais
célebres ont bravé le ciel brûlant
de Quito , & les glaces de Torneo , pour
perfectionner la connoiffance de la figure
de la terre ?
Que n'ont pas gagné l'Aftronomie & la
Geographie dans ce fiecle ? Les globes de
Coronelli de 1695 , ne font plus d'ufage ::
ils ont été remplacés par ceux de Nuremberg.
Au lieu du catalogue des étoiles fixes
compofé par Flamsteed , on a fuivi le nombre
& l'arrangement expofé par MM . Bevis
& Bradley ( 1 ) .
६ C'est étayer la pareſſe , c'eft autorifer le
découragement que de crier fans ceffe fur
le ton chagrin que toute bonne littérature,
toute production de goût , enfin tout talent
a difparu avec Louis XIV. On s'eft :
peut-être trop accoutumé à un certain parallele
du fiecle de ce grand Roi & de celui
d'Augufte. L'excès des louanges qu'ils
ont reçues a fait croire que la nature épui--
fée , ne pouvoit aller plus loin , qu'il falloit
même qu'elle déchût ; & comme cela
étoit effectivement arrivé après Augufte
(1 ). Voyez l'Uranographia Britannica.
C.V
MERCURE DE FRANCE.
on a voulu auffi trouver le parallele de
cette décadence après Louis XIV. L'opinion
peu approfondie a paffé en crainte ,
& la crainte a offufqué le jugement . Delà
ces injuftices fur les preuves éclatantes
de goût & de génie que fournit notre fiecle.
De- là cette infenfibilité fur tout ce que les
Sçavans & les génies les plus diftingués
offrent de plus intéreffant. Mais dans la
Grece les Lettres fe maintinrent longtemps
dans leur fplendeur. Quoique les
fiecles de Périclès & d'Alexandre foient
en poffeffion des fuffrages univerfels , la
ville d'Athenes n'avoit pas dégénéré fous
les premiers Céfars. On n'auroit pas cru ,
dans les familles les plus diftinguées de
Rome , donner une éducation perfectionnée
aux enfans , fi on ne les eût envoyés
écouter les leçons des Orateurs & des
Philofophes Grecs. Plutarque , quel Hiftorien
! vivoit plus de cinq cens ans après
Périclès.
Je m'abftiendrai de parler d'une chofe
univerfellement connue , que les reffources
qu'on trouve dans la Capitale pour les
Sciences & les Arts ; elle eft la fource
abondante de tout ce qui peut contribuer
à la durée de l'Empire littéraire : mais je
dirai
que les principales villes des Provinces
ne font plus , comme autrefois , réduiAOUST.
1756. 59
tes aux élémens fimples , quelquefois groffiers
, des Sciences . Les Académies établies,
les Bibliotheques plus communes , les Cabinets
des Sçavans moins rares & plus acceffibles
par la politeffe qui caractériſe particuliérement
notre fiecle ; que de motifs
pour
ceffer de craindre la chûte des Lettres !
Concluons donc , Monfieur , que toutes
ces déclamations fur la frivolité du goût
de notre fiecle , réduites à leur jufte valeur,
font des exagérations , ou , fi vous voulez ,
des monitions outrées de ceux qui fe
croient en droit d'ufer du ton de Cenfeur,
& de prendre d'étranges licences avec leurs
confreres les Auteurs . D. L.
AVauréas , le 7 Juin , 1756.
ODE
Sur la prise de Port - Mahon.
Du Temple de Janus , Mars vient d'ouvrir les
portes :
Je l'ai vu , l'oeil en feu , raffembler nos cohortes
Précedé de la mort , il conduifoit leurs pas.
Sa victoire en leurs mains avoit remis ces armes.
Qui fement les allarmes ,
Et dont jamais envain Louis n'arma leurs bras.
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Tremble , fiere Albion . Au fein de l'opulence ,
Tu difois en ton coeur : Tout cede à ma puiſſance.
Princes , refpectez-moi : je fuis Reine des Mers.
Sous mes nombreux Vaiffeaux Thétis courbe fes
ondes :
J'ai forcé les deux mondes
A m'offrir le tribut de leurs climats divers
Tu difois , & bientôt dans ton ardeur avide ,
Sans craindre Nemefis , l'injuftice pour guide ,
On te vit provoquer de fuperbes Lions ;
Mais éprouve en ce jour , rivale de Carthage ,
Que malgré ton courage ,
Tour dompter ton orgueil , Rome a des Scipions.
Neptune eft ton appui mais qu'importe s'il
t'aime ?
Louis va te frapper fous les yeux du Dieu même..
Il veut , & les deux Mers fe couvrent de Vaiffeaux.
Comme un torrent fougueux,, nos légions guer-
Fieres
Franchiffent les barrieres
Qu'oppofoient à leur courfe & les vents & les flots.
Le jour fuit , le Ciel gronde : entouré de nau
frages ,
Le front ceint de vapeurs , porté fur les orages ;
Le Souverain des Mers ſe montre à nos Guerriers,
AOUST. 1756 .
&r
Je protege Albion : retournez fur vos traces ,
Ou d'affreufes difgraces
Yous offrent à cueillir des cyprès pour lauriers
Sa fureur à ces mots s'épuife en vains obftacles :
Louis avoit parlé : faut-il d'autres oracles ?
Le François à fa voix fçait triompher des Dieux.
Neptune envain frémit : déja la foudre tombe;
Et Mahon qui fuccombe ,
Arbore fur les murs nos drapeaux glorieux..
De cette autre Ilion quelle étoit l'eſpérance ?
L'art , les Dieux , la nature affuroient fa défenſe :
Ses remparts enfermoient des milliers de Héros.
Mais peut-on réfifter à ce Chef intrépide ,
Avec lequel Alcide
Eût voulu partager fa gloire & fes travaux ?
Rien ne change du Ciel le décret immuable :
Envain pour prévenir ce coup inévitable ,
Byng au milieu des flots tranfportoit les forêts ::
Tout cede à la valeur. Cette affreuſe tempête
Retombe fur la tête ,
Et de notre triomphe il a fait les apprêts.
Comme on voit dans les Cieux , par une prompte
fuite,
Les habitans de l'air éviter la pourſuise.
62. MERCURE DE FRANCE.
De l'Aigle que contr'eux ils avoient courroucé
Ainfi Byng allarmé , par une fuite heureuſe
De fa flotte nombreuſe ,
Déroboit à nos coups le refte difperfé.
܀
La honte fur le front , & la rage dans l'ame ;'
Malgré la vive ardeur qui l'irrite & l'enflamme :
Sans l'avoir pu défendre , il voit Mahon réduit.
N'irritons plus , dit-il , ces Lions formidables :
Ils font invulnérables ,
Louis regne fur eux , Richelieu les conduit.
Richelieu , qu'à ce nom ta cendre fe ranime :
Ombre chere aux François , efprit vafte & fu
blime :
Contemple ce Héros : il eft digne de toi.
Près de lui de ta perte Apollon fe confole :
Des Genois c'est l'idole , ( i )
Le foutien de la France , & l'ami de fon Roi.
Contemple à fes côtés , au fein de la victoire ,
Fronsac que les deftins , foigneux de notre gloire ,
Des portes de la mort rendirent à nos voeux :
Tel aux champs d'ilion , plein d'une noble au
dace
(1 ) Les Genois ont érigé une Statue à M. le
Maréchal de Richelieu.
1
A O UST. 1756. 63
Ton Fils , Dieu de la Thrace ,
A cueillir des lauriers s'exerçoit fous tes yeux.
Et toi de notre coeur l'amour & les délices ;
Tandis que Richelieu vaincra fous tes aufpices #
Prince , de qui le Ciel feconde les projets ;
Fais toujours le bonheur d'un peuple qui t'adore
Et fois long-temps encore
Céfar pour l'ennemi , Titus pour tes fujets.
L. P. J.
Mâcon , ce 9 Juillet 1756.
PORTRAIT DE M. R....
Sous le nom d'Iphis.
Quoique les traits du vifage d'Iphis ne
forment pas ce qu'on appelle un bel homme
, il a néanmoins beaucoup d'agrément
dans la phyfionomie , furtout lorfqu'il eft
animé par quelque doux fentiment . Son
ame paffe alors dans fes yeux , & fait difparoître
l'air froid , & même un peu fombre
qu'il a naturellement. Son teint eft.
brun , fes fourcils & fes cheveux noirs , fa
bouche ni grande , ni petite , eft très- bien i
bordée , & d'un très - beau coloris . Ses
dents font affez belles ; fa voix eft touchan
64 MERCURE DE FRANCE.
te. Il a un fourire gracieux , qui en répan
dant une aimable expreffion fur fon vifa
ge , marque encore dans fes joues deux
petites foffettes qui l'embelliffent .
Iphis eft d'une taille au deffus de la médiocre
, affez fournie ; mais il n'en tire pas
tout l'avantage qu'il pourroit s'en promettte.
Il fe voûte un peu , & laiffe aller
fa perfonne , fans fonger , comme tant
d'autres , à fe donner un air de repréfentation
. Son maintien eft modefte & réſervé.
Le goût & la décence regnent dans
fa façon de fe mettre. Il eft extrêmement
propre ; mais cette qualité , fi néceffaire
pour rendre une infinité de gens fupporta-
Bles , eft dans Iphis plas aimable qu'utile.
La nature lui épargne là - deffus mille foins.
Une bonne conftitution , une vie reglée
entretiennent . fa fanté & fa fraîcheur dans
un état que tout l'art ne fçauroit procurer .
Iphis eft dans cet âge heureux qu'il·
feroit à fouhaiter qu'on pût fixer , où les
charmes de la jeunelle s'uniffent , pourainfi
dire , avec les qualités folides de lamaturité.
Son caractere plein de franchiſe
& de droiture , fon humeur douce , toujours
égale , & la fimplicité de fes manieres
en font un homme d'une fociété charmante.
Sa converfation eft très-amufante
quand ileft à fon aife ; il peint les gens
A O UST. 1756.. 64
d'une maniere fort plaifante , & dit de
très - bonnes chofes fans y rêver. Mais en
grande compagnie , une honnête & modefte
retenue que les impudens nomment
fottife ou mauvaiſe honte , cache la meilleure
partie de fon efprit & de fes connoiſfances.
S'il ne fe fait pas admirer de ceux
qui veulent être éblouis , il aura toujours
dans fon parti toutes les perfonnes fenfées,
qui font plus de cas du jugement & de la
raifon , que de ces faillies hazardées , & de
cette gaieté brillante dont on fe pare fouvent
aux dépens de l'un & de l'autre.
C'eft dans l'ame que réfide le vrai mérite ,
tout ce qui ne découle pas
d'une fi belle
fource , n'eft pas digne de ce nom , & la
mefure de l'eftime doit être celle des vertus.
Qu'Iphis eft eftimable ! Il a l'ame noble
, généreufe , compatiffante , & tellement
portée au bien qu'il lui feroit impoffible
d'agir autrement . Remplir fes devoirs
, faire des bonnes actions , font pour
lui des chofes toutes fimples . Il eſt exempt
de trouble & de remords , parce qu'il ne
connoît ni les grandes paffions ni les vices .
Il jouit de cette paix intérieure qui fait le
bonheur d'un homme fage. L'ambition &
l'intérêt , ces deux tyrans du monde , auxquels
tant de mortels facrifient leur repos
, & même leur honneur , n'alterent
66 MERCURE DE FRANCE.
point fa tranquillité. Régner fur un coeur
pofféder ce qu'il aime , borne tous fes
voeux , & comble tous fes défirs.
On a dit que pour bien connoître quelqu'un
, il faut le voir ou dans l'amitié ou
dans l'amour. Qui n'a pas vu Iphis dans
un de ces deux fentimens , ne le connoît
qu'imparfaitement ? C'eft alors qu'il fe
développe tout entier. Il ouvre les tréfors
de fon ame , mille vertus ,
mille vertus , mille qualités
aimables que fa modeftie voiloit à des
yeux indifférens , paroiffent aux regards
de ceux qui vivent avec lui intimement.
On eft furpris , on eft enchanté de trouver
fon commerce auffi agréable que fûr.
Ce beau nom , ce facré nom d'ami , profané
indignement de la plupart des hommes
, ou tout au moins fans force & fans
pouvoir , eft pris & révéré par Iphis dans
toute fon étendue . Son amitié tendre
conftante , difcrete , eft pleine de chaleur
& de zele. Il a dans tous fes procédés une
candeur , une générofité admirable , &
beaucoup de cette charmante délicateffe ,
fans laquelle on ne va guere loin dans les
fentimens..
Iphis eft en amour comme en amitié .
Son goût le porte vers les femmes , mais
c'eft un goût épuré qui lui fait moins défirer
de jouir que fouhaiter d'être aimé,
A O UST. 1756. 67
Avec un air qui paroît froid , inattentif,
perfonne ne fent mieux , & ne démêle avec
plus de jufteffe les agrémens & les qualités
du beau fexe . Les charmes d'un joli minois
, les talens agréables , les graces plus
féduifantes que la beauté même , toutes
ces chofes ne font fur Iphis qu'une médiocre
impreffion , c'eſt à de plus nobles.
attraits qu'il rend les armes. En vain on
émeut fes fens , fi on ne touche pas fon
ame , & ce ne peut être que par un rapport
avec la fienne. Iphis veut une femme
tendre , qui ait de la dignité dans le fentiment
, de la douceur dans le caractere ,
& qui foit d'un efprit folide & raifonnable
: En un mot il veut trouver un ami
dans une maîtreffe .
Les hommes en général fe dégoûtent &
fe réfroidiffent par les faveurs qu'on leur
accorde , Iphis en devient plus ardent. Son
bonheur l'attache plus fortement , fes foins
augmentent , fes attentions redoublent . Il
fait pour conferver fa conquête tout ce
qu'on fait communément pour l'obtenir."
Enfin on peut dire avec vérité qu'Iphis eft
un parfait amant , un bon ami , un homme
aimable dans la fociété , & tel qu'il
feroit heureux pour la fatisfaction des autres
que beaucoup de perfonnes lui reffemblaffent.
68 MERCURE DE FRANCE.
VERS
A Meffieurs Gabriel , fils , à l'occafion de
quelques Airs de Chant & de Symphonie.
ELeves d'Apollon , ainfi que de Minerve , "
O vous ! à qui je dois plus d'un fruit de ma verve ;
Emules des talens , des vertus & des Arts ,
Que l'on voit près de vous briller de toutes parts ,
Et que la jeune Aglé ſemble animer fans ceffe , ( 1 )
A vos fages plaifirs ici je m'intéreffe :
Enfin voilà ces Airs que vous vouliez de moi.
Tandis que votre Pere , en l'honneur de fon Roi ,
Enfante chaque jour merveilles fur merveilles , ( 2)
Quand vous aurez rempli ce qui plaît à ſes yeux ,
Et ce qui doit vous rendre égaux à vos Ayeux ,
Par ces accords flatteurs , contraftes de fes veilles ;
De cet Artifte illuftre amufez les oreilles :
Mais faites que toujours, pour combler fes deftins,
Vos travaux à l'envi ( 3 ) fecondent ſes deffeins,
(1 ) Mademoiselle Gabriel joint à beaucoup de
graces plufieurs talens , entr'autres celui dejouer du
Clavecin d'une façon très- diftinguée.
(2) Telles que l'Ecole Militaire & la Place de
Louis XV, à Paris.
(3) Ces Meffieurs , quoique jeunes encore , font
très-avancés dans l'Architecture , dont ils font leur
A O UST. 1756: 6.9.
LE COUP D'OEIL
Dans un Général d'Armée.
UN mal de tête cruel qui m'a tourmenté
toute la nuit , & qui dure encore avec
affez de violence , ne m'empêche pas , mon
cher D... de tenir la parole que je vous ai
donnée. Vous ne pouvez douter que le mé
nagement de votre poitrine ne foit un des
principaux objets qui me déterminent à
vous écrire. Je l'avois mis hier en plaiſantant
dans une espece de Préface : mon
amitié vous le répere aujourd'hui plus férieufement
& avec la même vérité. Je vous
affure que l'envie d'avoir raifon n'entre
que pour fort peu dans les fuites d'une
difpute , où la décifion de plufieurs anciens
Militaires me donne trop d'avanta
ge. Cependant pour vous mettre à même
de combattre leur jugement , voici ce que
je penſe.
Tous les hommes qui , dans leur état
( quel qu'il foit ) ont été ou font aujourd'hui
les premiers , s'ils ne font pas parvecapital.
Ils s'occupent dans leur loifir, ainsi que Ma
demoiselle leur four , des talens agréables , & tien
nent en cela de feu Madame Gabriel , leur aycule
qui jouoit fupérieurement du Clavecin
fo MERCURE DE FRANCE.
nus à ce point par la protection , n'ont pu
s'y élever que par le génie ; c'eft un don
de la nature , que dans l'art de la Guerre ,
furtout , on ne peut acquérir ni par
la
théorie , ni par la pratique. Quiconque
n'eſt pas né grand Général , ne fera jamais,
quoi qu'il faffe , qu'un Général médiocre.
Le caractere du premier s'annonce par la
promptitude & la jufteffe du Coup - d'oeil ,
fur lequel il établit dans un inftant toutes
fes opérations. La lenteur des combinaiſons
du fecond ne prouve que l'infuffifance de
fes lumieres, oblige de fe conformer à celles
des autres , & de réflechir fouvent lorfqu'il
faudroit agir. Deux Généraux arri
yent, en préfence : l'un yoit dans une minute
le terrein le plus avantageux pour
combattre , l'autre réfléchit , & chacune
de fes combinaiſons font autant d'avantages
qu'il donne à fon ennemi , qui a déja
fixé la victoire , pendant que celui - ci cher
che en vain à fe l'affurer. Le fuccès incertain
d'une bataille engagée fe décide par
le Coup-d'ail. L'habileté de cet ( 1 ) homme
, auffi grand à la guerre , qu'illuftre
à la Cour , l'a prouvé à Fontenoy. La manoeuvre
du Maréchal de Broglio ( 2 ) en
Bohême , prouve combien le Coup- d'oeil
fert à la sûreté d'une retraite. Ce Général fur-
( 1 ) M. de Richelieu, (2 ) A Pifck
A O UST. 1756. 71
>
pris par les ennemis , au nombre de cinquante
mille hommes , lui n'en ayant pas
la moitié , prend fon parti dans le moment
, & par l'avantage du terrein dont il
s'empare , rend abfolument inutile la fupériorité
du nombre . Il réduit fes ennemis
à l'admirer fans ofer l'attaquer. Coupd'oeil
heureux , qui fauva l'élite des troupes
de France d'une défaite , dont toute
leur valeur n'auroit pu les garantir , fi la
·lenteur des combinaifons eût fait manquer
à leur Général le prompt & feul moyen
d'éviter un combat trop inégal. J'en étois
refté là hier , mon cher D..... comptant
bien , que lorfque je vous reverrois
vous me fourniriez des matériaux pour
continuer. Vous m'avez fait fentir le tort
que j'ai eu de ne pas commencer par définir
ce mot Coup - d'oeil , qui fait notre débat
; mais je croyois qu'il s'entendoit de
refte. Cependant pour ne vous laiffer rien
à défirer , je diftingue deux efpeces de
Coup-d'oeil , qui partent tous deux du génie
, & qui le prouvent également ; l'un eft
celui qui , dans un cas preffé , comme ceux
que j'ai cités ci-devant , dans l'indécifion
d'une bataille , ou dans la difficulté d'une
retraite , fait prendre un parti fage &
prompt. L'autre eft celui , qui au commencement
d'une campagne ,
donne au
72 MERCURE DE FRANCE.
:
Général l'idée sûre & précife de tout ce
qu'il fera. Ce dernier ne me rapproche- t- il
pas un peu de ce que vous penfez ? N'allezvous
pas croire , mon cher D .... que
je viens tout doucement à votre ſyſtême ?
J'y confens mais il faut que vous paſfiez
par mon Coup- d'oeil, & que vous conveniez
que s'il n'eft pas la bafe de toutes
vos combinaiſons , elles ne feront jamais
que foibles & impuiffantes. Servons- nous
d'une comparaifon dites-moi , je vous :
prie , par quel Chirurgien préféreriez - vous
d'être faigné , par celui qui , tâtonnant
une heure , chercheroit votre veine avec
une prudence effrayante , & qui annonce
fouvent la maladreffe , ou par celui qui ,
du premier coup , enfonce d'une main sûre
le fer qui vous rend la fanté ? Je ſens
combien cette comparaifon méchanique
cloche ; mais comme nous n'écrivons que
pour nous , nous pouvons , fans égard pour
les mots ni le ſtyle , nous fervir de tout ce
qui pourra nous donner une idée jufte des
chofes fur lefquelles nous difputons. Ec
que fçait-on peut- être fommes-nous du
même avis fans nous entendre ; je croirois
trop y gagner pour ne pas le défirer.
Quelle foule de citations , mon cher
D... Je loue Dieu de vous avoir donné
une fi belle mémoire : mais encore une
fois
AOUST. 1756. 75¹
fois , vous vous refuſez à l'évidence. Vous
croyez que le Coup - d'oeil dont je parle
n'eft uniquement que ce qui frappe les
yeux, comme un terrein, ou un pofte avantageux
dont il s'agit de profiter : celui - là
eft réellement une des plus effentielles parties
du Général ; mais ce n'eft pas le premier
dans mon fyftême : il en eft un autret
fans lequel , commandât- on toute la terre ,
on ne feroit jamais qu'un génie médiocre.
Celui- ci eft pour les aveugles comme pour
ceux qui y voient le mieux ; il gît dans l'imagination
; c'eft lui qui enfante avec feu
ces grands projets qui étonnent les Nations .
Vos combinaifons ne font que les ouvrieres
qui travaillent fous lui , & qui dirigent
leur exécution ; mais elles ne font que cela ,
& ne font par conféquent pas le caractere
précis & diftinctif du grand Général .
EPITRE ou plutôt ELEGIE
A Mademoiselle Br ***.
CHer & cruel objet d'une flamme éternelle ,
Tu vis à tes genoux l'Amant le plus fidele
En faveur de toi feule oubliant fa fierté
Jurer par
fon amour jater par ta beauté ,
De vivre déſormais fous ta loi fouveraine ;
D
74 MERCURE DE FRANCE.
Efclave , glorieux d'une fi belle chaîne ,
De ne réfpirer plus qu'afin de te fervir ,
De n'adorer que toi jufqu'au dernier ſoupir ;
De livrer à tes yeux , aux flammes dévorantes ,
Les lettres qu'il reçut jadis de ſes Amantes.
A peine cependant tu daignois m'écouter.
Parle , ingrate , à quel prix puis- je te mériter ?
Veux-tu que mon épée abrege mon fupplice ?
D'un coeur au défefpoir reçois ce facrifice .
Tu dédaignes mes pleurs , c'eft demander mon
Lang.
Mais non ... fans que le fer en épuiſe mon flanc ,
Il fuffit de tes yeux ... leur atteinte eft plus sûre ,
Leurs traits laiffent toujours la mort dans la bleffure.
Ils ont du diamant tout l'éclat radieux :
Mais il cede à l'acier ce caillou précieux ;
Ton coeur , cent fois plus dar , à mes efforts
réfifte .
La froide indifférence eft un plaifir bien triſte.
Ce fommeil léthargique , image de la mort ,
De ton ame affoupie énerve le reffort .
Ah ! crois- moi ... l'amour feul eft le Dieu de ton
âge :
Le temps fuit fans retour : jouir , 'c'eſt être fage.
Tu ne reçus du Ciel que le don de charmer ,
Don ftérile pour toi fi tu ne ſçais aimer.
Que n'ai- je point tenté pour verſer dans ton ame
L'impétueufe ardeur de ma naiffante Aamme!
AO US T. " 75 1756.
Muette à mes fermens & fourde à mes fanglots ,
J'ai cru voir ton orgueil infulter à mes maux ;
La honte , le dépit , la douleur me ſaiſiſſent ;
Soudain mon front pálit , mes regards s'obfcur
ciffent :
Ma voix tremble , s'éteint ... tout mon fang s'eft
glacé ...
Tu vis alors le trait dont tu m'avois bleſſé ;
Tu daignas me parler d'une voix attendrie ,
Et d'un regard plus doux tu me rendis la vie .
Ciel que ne dois - je pas à ces tendres fecours !
Quels droits , belle Doris , n'as - tu pas fur des
jours +
Sauvés par tes bienfaits , confacrés à te plaire .
Mais ces jours ne feroient qu'un don de ta colere ,
Si toujours infléxible à mes plus tendres voeux ,
Tu ne couronnois point ma confla.ce & mes
feux .
Garde pour mes rivaux cette fierté ſauvage ,
Ta fenfibilité doit être mon ouvrage.
Apollon & l'Amour font les Dieux que je fers.
C'est moi qui le premier te confacrai des vers ,
Qu'Amour ſeul à dictés , qu'Amour ſeul peut entendre
,
Que tu daignes relire avec un fouris tendre ;
Ils t'ont même infpiré le défir glorieux
De parler avec moi le langage des D eux.
Tu daignas me choifir pour guider ta jeuneffe
Vers ces bois de lauriers qu'arrofe le Permeffe :;
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
La main des doctes Soeurs doit en parer ton front
De tes charmes naiffans ces lieux s'embelliront.
Je conduirai tes pas vers ces belles retraites ,
Où ces Maîtres de l'Art que l'Amour fit Poëtes,
Tibulle , Anacréon , cueilloient jadis ces fleurs ,
Que l'Aurore en naiflant yoit naître de fes pleurs.
Ton éclat le difpute à la rofe vermeille ,
Ton haleine eft plus douce , & ta fraîcheur pareille,
Des rofiers hérifiés d'une forêt de dards ,
Ma main féra tomber les perfides remparts,
Mais , Doris , fi mes foins fideles à te plaire ,
Sont dignes à tes yeux d'obtenir leur ſalaire ,
Il eft dans ces bofquets des myrthes amoureux ;
Azyle , où le plaifir endort l'Amour heureux ,
Ou la décence étend les voiles du myftere ...
Viens y parer mon front des rofes de Cithere.
G. H. LE Roy .
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE ,
"Au fujet de la Leure & du Logogryphe de
Mile de Car... de Toulouse , inférés dans.
le Mercure du mois de Mai 1756.
ILYy a eu , Monfieur
, des gens à qui une
pantoufle
mignonne
a fait tourner
l'efprit
,
& qui fe font avifés
, dit- on , d'aimer
juf-
1
A O UST. 1756. 77
qu'à en devenir fous , une femme dont ils
n'avoient jamais vu que cela. Ces gens un
peu prompts à s'enflammer , féduits par les
phantômes de leur imagination , fe mettoient
dans la tête que le joli pied pour
qui étoit destinée cette jolie pantoufle , ne
pouvoit manquer d'être le pied d'une jolie
perfonne. S'ils avoient raifon ou non , de
juger favorablement des appas d'une femme
fur la petiteffe du pied , c'eft ce que je
laiſſe à décider à ceux qui ont une expérience
confommée dans ces fortes de matieres.
Pour moi , il me femble qu'on fe
doit prendre plus aifément d'amour pour
une perfonne que l'on ne connoît pas ,
en lifant quelque production ingénieufe
échappée à fa plume , telle que la lettre &
le logogryphe de Mademoifelle de Car.....
dont vous avez enrichi le Mercure de Mai ,
qu'en voyant une de fes pantoufles , fûtelle
plus mignonne mille fois que la petite
pantoufle verte , dont parle un certain conte
des Fées. Folie pour folie , puifqu'il
faut que la tête tourne d'une ou d'autre
façon , pour devenir amoureux , je préférois
la derniere .
Il femble au premier coup d'oeil , qu'il
y ait moins à rifquer d'être dupe de ſa
paffion . En effet , il pourroit arriver que
la perfonne au petit- pied , quand on vien
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
droit à la connoître , eût la taille épaiffe ,
de petits yeux , une grande bouche , & le
nez de travers , & que par detfus cela ,
fon efprit fût comme fa taille. L'amoureux
à la pantoufle feroit alors bien for .
Car que faire d'un petit pied tout feul ?
Au lieu qu'il ne paroît pas d'abord vraifemblable
que l'autre amant dût fe trouver
auffi dénué de reffources . Dès que l'on
fuppofe du génie dans le morceau qui lui
auroit infpiré une violente paffion pour la
Mufe à qui il feroit attribué , cet amoureux
auroit toujours de quoi fe dédommager
, en tournant fes foupirs du côté de
Fefprit , s'il arrivoir , quand il connoîtroit
cette Erato , qu'il n'eût pas le cou
rage de foupirer pour fes charmes . Eh ?
de quoi l'efprit ne dédommage-t'il pas ?
Cependant comme on triche de plus
d'une maniere en fait de production Littéraire
, il y a une circonftance qui n'eſt
pas à craindre pour le premier amant , mais
qui peut être pour le dernier ; c'eft que
l'ouvrage qui auroit donné de l'amour à
celui - ci , ayant paru fous un nom fuppofé,
ne vînt de quelqu'un pour qui il ne lui
fût pas poffible phyfiquement d'en avoir .
Une pantoufle mignonne , pointue , &
montée fur un talon de trois ou quatre
pouces , ne peut manquer d'être la pantouAOUSE
1756. 79
fle d'une femme ; & quand l'amour niché
dans le fond de cette chauffure , blefferoit
de- là le coeur d'un homme pour une fem→
me fort laide , il ne feroit après tour que
ce que nous lui voyons faire ch que jour
plus à découvert ne lui arrive-t'il pas
communément de forcer te coeur d'un gas
lant homme , d'adorer du blanc & du rouge
, qui couvrent une vilaine peau ? Mais
enfin cette peau eft la peau d'une femme.
Au lieu que des vers travaillés avec quel
que foin , & où l'on'apperçoit de la force ,
pourroient bien être l'ouvrage d'Apollon ,
plutôt que d'Euterpe .
Parlons fans fiction : Si quelques habitans
du Parnaffe ont eu le malheur de concevoir
des fentimens bien tendres pour la
jeune Touloufaine dont vous avez loué
avec juftice la lettre & les vers je puis
vous affurer , Monfieur , que je les plains
fort. C'est un méchant tour que l'amour
leur a joué. Non pas que cette perfonne
ne foit fort aimable ; mais je ne l'ai jamais
cru propre à devenir la maîtreffe de quelqu'un.
Je commence à n'être plus entendu
, & jufqu'ici ma lettre reffemble affez
à un logogryphe. Hé bien , Monfieur , en
voici le mot : j'ai levé le mafque qui couvroit
Mademoiſelle de Car... & j'ai trouvé
au lieu d'elle , mon ami , M. Le Riche , à
Div
80 MERCURE DE FRANCE:
qui je connois toutes les qualités imaginables
pour faire des amis , & point du
faire des amans , mais bien pour
tout
pour
l'être. Je fuis , &c.
Ce 8 Juillet 1756.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Votre goût pour les Lettres vous rendant
le protecteur de tous ceux qui les cultivent
, & votre Ouvrage périodique étant
confacré par vos foins à encourager les talens
, comme à les immortalifer , j'oſe me
flatter que vous voudrez bien inférer dans
un des Mercures du mois prochain la petite
Piece que j'ai l'honneur de vous adreſſer
D'une Mufe encore écoliere ,
Ce font là les premiers effais.
L'Amour me flatte du fuccès :
Mais l'Amour en telle matiere ,
N'eft pas , je crois , bien connoiffeur ;
Et puis c'est un fi grand trompeur,
Que je tremble qu'il ne m'abufe.
Si je réuffis , quel bonheur !
Sinon mon ſexe eft mon excufe ;
Et l'âge parle en ma faveur.
A O UST. 1756 .
Tout foible que foit mon ouvrage ,
On ne peut que m'en eſtimer :
Peu de filles , & c'eft dommage ,
Ont l'heureux , talent de rimer.
Pour une ou deux dont le génie
Fut favorisé d'Apollon ,
Il en eft cent qui de leur vie
N'ont connu le facré vallon.
Ainfi , Monfieur , j'efpere que fous vos
aufpices , le Public me tiendra compte de
la hardieſſe de l'entreprife , & que ma
bonne volonté fera oublier mon peu de
talent. Que je fuis fâchée de vous importuner
pour fi peu de chofe , & de vous
demander dans votre Recueil une place ,
que par le choix judicieux qui vous guide
toujours , vous pourriez remplir plus avantageufement
pour vos Lecteurs ! mais pardonnez
à ma jeuneffe la fureur de fe voir
imprimer , ou plutôt le défit de regagner
un infidele. Cet aveu m'eft échappé , &
j'en rougis :
Mais quoi ! quand l'amour eft extrême :
Le dire , c'eft le foulager. "
Ah ! quand on perd tout ce qu'on aime ,
On n'a plus rien à ménagér !
J'ai l'honneur d'être , &c.
Cb ***
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
EPITRE
A M. B****
QUoi ! pour aimer une autre belle
Ingrat ! vous ofez me quitter !
Mon coeur pourroit s'en irriter ;
Mais vous êtes un infidele ?
Que je ne veux point regretter.
Si je vous en faifois querelle ,
Vous croiriez que je vous rappelle ,
Et ce feroit trop vous flatter.
De votre conquête nouvelle
Jouiffez tant que vous pourrez ;
Je ne fuis point jalouſe d'elle ,
' Et tous deux vous m'amuferez ,
D'aimer toujours avec conftance ,
Vous avez fait mainte afsûrance ;
Je ne fçais trop fi vous tiendrez :
enflammer ma rivale , Mais pour
Vous aimez donc bien ardemment ?
Une fontaine minérale
Ne s'échauffe pas aisément
Si votre famme la confume ,
Je vous en fais mon compliments
Mais un feu qui fi fort s'allume ,
Souvent s'éteint plus promptement ,
Et je craindrois à votre place
A O UST. 1756. $5
•.
C
D'en être la dupe à la fin .
Si vous alliez un beau matin
Vous métamorphofer en glace ,
N'auriez-vous pas bien réuffi ?
Oh ! pour le coup , notre beau Sire ,
Vous regretteriez notre empire;
Mais ce feroit trop tard auffi :
Pour moi , je n'en ferois que rire ,
Et de bon coeur afsûrément.
Pourquoi d'une Nymphe aquatique
Vous avifez-vous d'être Amant ?
Déja ce froid engagement
Vous a rendu mélancolique :
Ce n'eft point là votre élément ,
Et votre coeur eft de fabrique
A traiter l'amour plus gaîment .
De ceci n'allez pas conclure
Que je cherche à vous ratrapper ;
J'y perdrois trop , je vous le jure ,
Et puis à la moindre avanture.
Vous pourriez encore m'échapper.
Il faudroit donc paffer ma vie-
A courir après votre coeur.
Oh le rôle feroit flatteur !!
Je ne me crois pas très -jolies
Mais à mon âge , en vérité ,
On peut encor fans vanité ,
Attendre qu'un Amant nous prie..
Vous pourriez fort bien me prier ..
107
2
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
Sans en obtenir davantage ::
Votre inconftance eft un outrage ..
Qu'il n'eft pas aifé d'oublier.
Mais fi j'en étois là , peut- être
L'amour pourroit me ramener.
Adieu , je vous fais trop connoître
Qu'on peut encor vous pardonner.
Par Mlle Ch *** .
LE mot de l'Enigme du fecond Volume
du Mercure de Juillet eft les Mouchettes .
Celui du Logogryphe eft Pfalterion , dans
lequel on trouve Lion , Paris , or roſe ,
lis , fi , re , Loi, o , Troye , talon , Ariofte ,
Sénat , Platon , raifon , Nil , Jonas , paon ,
Santé , pion , pié , prifon , penfionnaire .
ENIGME
Aloux de conferver ma place ;
Je me mets fur les bras de dangereux rivaux
En la cédant de bonne grace ,
Que je m'épargnerois de maux !
Pour réfifter aux violences
Que l'on me fait pour fe l'approprier
Sans être loup ni fanglier ,
Je fais voir que j'ai des défenſes.
A O UST. 1756.
On me perce
On me bat , on m'enleve la peau ,
de coups , on me faute à la faces
Je bats des flancs , & je terraffe :
On m'attaque tout de nouveau .
Si le Cavalier que je porte
Ne fe hâte dans ce moment ,
S'il ne me prête pas main forte ;
Ou s'il le fait trop foiblement ,
Mon ennemi , redoublant fon audace ;
Me fait à la gorge ; & plein d'acharnement ;
S'obftine à me preffer impitoyablement
Jufqu'à ce qu'il foit le maître de ma place.
LOGOGRYPHE.
TEl qu'un éclair perçant la nuë ;
Je fuis & j'échappe à la vue.
A peine forti du néant ,
J'y retombe dans le moment ;
Et l'inftant qui me donne l'être ,
M'éclipfe & me fait difparoître.
Malgré mon état paffager ,
Lorſque l'on veut me partager ,
Par d'heureufes métamorphofes ,
On me transforme en bien des chofes
Et je préfente aux yeux
Du Lecteur curieux ,
Un Tribunal Romain ; l'Amante de Narciffe ;
MERCURE DE FRANCE.
Un péché capital ,
Qui met l'homme au niveau d'un féroce animal?
Ce qu'on nomme en françois un foupir à la
Suiffe :
Un Favori de l'aveugle Plutus ;
Et la Prêtreffe de Vénus ,
Qu'un défefpoir affreux ( effet d'un coeur trop
tendre )
Unit au fort fatal du malheureux Léandre :
La Nymphe , mere d'Epaphus ,
Donnée en garde au furveillant Argus :
Une note en plain- chant , un terme de mufique
Un produit de l'abeille ,un Saint de Montpellier ,
Qui tient rang aù mois d'Août dans le Calendrier ;
Une Ville au corps Helvétique ;
Pour les Chaffeurs , un bruyant inftrument ;
Pour les Prélats un vêtement ;'
Pour lever des fardeaux , un Engin méchanique :
L'Oiseau chéri des anciens Romains ,
Qui fauva par fes cris ces fiers Républicains :
Une voiture publique
Avec fon conducteur :
Une certaine plante
Qui , par le frottement de fa feuille piquante,
Sur la peau des humains , caufe de la douleur :
L'objet ruineux d'un fouffleur.
Si mes huit membres tu tranfpofes ,
Tu formeras , Lecteur , toutes ces chofes ;
Mais tu voudrois fçavoir mon nom ! !
4
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR , LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
Chanfon
Lent et tendre.
Toutditqu'ilfaut aimer Coutdit qu'il fautse
w
= rendre Mais qui sçait s'enflam
= mer Peut seul le bien compren :
= dre On nous oppose en vain La rai=
= son
rigoureu- se Le plaisir est cer :
the
tain Et la peine est douteuse
Gravée par M Leclair la fille.
Imprimée par Cournelle . Aoust 1756.
A O UST. 1756.
On s'en apperçoit à ta miné :
Arrange, difpofe , combine ,
Tu l'apprendras par la combinaifon,
CHANSON.
Tout dit qu'il faut aimer
Tout dit qu'il faut fe rendre :
Mais qui fçait s'enflammer ,
Peut feul le bien comprendre.
On nous oppofe envain
La raiſon rigoureuſe ;
Le plaifir eft certain
Et la peine eft douteufe.
L'onde fuit un penchant
Comme la tourterelle.
C'eft par le fentiment .
Que tout feerenouvelle .
Dans l'hyver tout languit ,
Et tout perd fa parure.
L'indifférence nuit
A toute la nature.
Près d'un charmant objet ;
Quelquefois on fommeille,
Le bien le plus parfait
$ 8 MERCURE DE FRANCE
N'a rien qui nous réveille ;
C'eft qu'il faut du défir ,
Sentir la pointe aimable
Pour goûter du plaifir
Le charme inexprimable.
Eglé perd fes appas ,
Elle eft méconnoiffable ;
C'eft qu'elle n'aime pas ,
Ou qu'elle eft intraitable.
Si de fon jeune Amant
Elle effuioit les larmes ,
Un jour , un feul moment
Lui rendroit tous fes charmes.
A Philis l'autre jour
Je tenois ce langage ;
Elle craignoit l'amour
On le craint à fon âge .
De mes tendres difcours
Son coeur fut le falaire :
On réuffit toujours
Quand on a l'art de plaire.
Les paroles font de M. de B... la mufique,
de M. de la Garde , Maître de Musique des
Enfans de France.
Les Vers fur Mahon au prochain Mercure.
A O UST. 1756.
89
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie Royale de Nîmes , qui fe tint
le 13 Mai 1756 , dans la Salle de l'Hôtel
de Ville.
M. l'Abbé de Mérés , Vicaire Général
du Diocèfe & Directeur de l'Académie
ouvrit la Séance par un Difcours fur les
véritables caufes de la décadence du goût.
Il ramaffa d'abord ce qu'ont dit les anciens
Auteurs fur ce fujet. Ils fe plaignoient de
leur temps de la décadence du goût , du
dépériffement des Belles - Lettres , de la
chûre des Arts & de la véritable éloquence
; mais dans toutes ces Differtation's , il
n'en eft aucune qui donne la raifon d'un
fi grand défordre dans la République Littéraire
. Ce ne font que des conjectures
jettées au hazard fur le papier , des raifon
nemens vagues qui ne déterminent rien .
C'eft la jaloufie du deftin , la loi fatale des
temps qui détruit toutes chofes , la nature
98 MERCURE DE FRANCE.
même des chofes humaines dont le fort
eft de périr miférablement , quand elles
font arrivées à un certain point de grandeur.
Il n'auroit pas dû fuffire à des Auteurs
fi renommés d'ailleurs , de parler &
de gémir fur de fi grands maux , fans en
indiquer en même temps les caufes & les
remedes .
La plupart des Auteurs modernes ont
déploré , comme les Anciens , la décadence
du goût , fans être plus exacts ni plus heureux
à en découvrir les véritables caufes.
C'eft ne rien dire en effet que d'attribuer
aux caufes phyfiques la chute des Arts &
la décadence des efprits . Peut- on croire
que le climat & la différente température
de l'air air influé fur le goût d'une Nation
& changé l'efprit d'un fiecle ? C'eft un air
qui regne pendant un certain temps dans
une contrée ; il difpofe mieux les organes ,
il affecte le fentiment , il donne une plus
grande intelligence... Il valoit autant que
ces Auteurs ajoutaffent que c'eft un bon
vent qui fouffle la littérature & qui la conduit
à bon port. Mais ce fyftême tout ingénieux
qu'il a paru à bien des gens ( Amateurs
fans doute de tout ce qui porte l'em+
preinte de la nouveauté ) , comment lé
concilier avec cette inégalité de génie &
de talens dans les hommes d'une même
A O UST. 1756.
Nation & d'un même fiecle ? Le dégré du
thermometre devroit être égal , ce femble ,
pour les uns & pour les autres.
à
M. l'Abbé de M. après avoir rapporté &
réfuté en partie ce que la plupart des Auteurs
ont imaginé fur ce fujet , s'eft attaché
prouver en peu de mots que la décadence
du goût ne venoit en effet que de ce qu'on
négligeoit les exercices Académiques , ou
de ce qu'en les fréquentant , on ne s'entietenoit
pour l'ordinaire dans ces Séances
littéraires , que d'inutilités , de minuties ,
de frivolités , de difputes de mots , &
qu'on ne s'y occupoit prefque plus de ce
qui pouvoit intéreffer le progrès des Arts
& des Sciences.
*
M. Razoux , Docteur en Médecine , lut
enfuite un Mémoire qu'il divifa en trois
parties. Dans la premiere , il traita des
apothéofes en général , de leur origine &
des cérémonies qu'on y obfervoit . Dans
la feconde , il fit voir ce que l'apothéose
d'Augufte eut de particulier ; & dans la
troifieme , il parla du Temple élevé dans
Nîmes à ce Prince déifié , & des Prêtres
qui le deffervoient . Comme les deux premieres
parties de ce Mémoire roulent fur
des matieres affez connues , nous nous contenterons
d'en avoir rapporté les titres , &
nous nous bornerons à donner un Extrait
de la derniere.
92 MERCURE DE FRANCE.
M. R. après avoir décrit les particularités
de l'apothéofe d'Augufte , & avoir
parlé des Temples qui furent érigés à ce
Prince dans Rome & dans les Provinces de
l'Empire , s'exprime ainfi : « Il eft aifé de
"
"
comprendre qu'après tous les bienfaits
» que nos Ancêtres avoient reçu d'Auguf-
» te , qui leur avoit envoyé une Colonie ,
qui leur avoit accordé le droit latin , qui
» avoit rendu cette Ville , pour ainfi dire ,
» l'émule de Rome ; il eft , dis- je , aiſé de
» comprendre que nos Concitoyens ne
»furent pas des derniers à fui élever un
Temple : il étoit même jufte qu'ils lui
témoignaffent par là leur gratitude. Les
ود
"3
"
» Hiftoriens de notre Patrie conviennent
" tous de ce fait , & donnent plufieurs de
»nos Infcriptions pour garans. Comme
» elles font affez connues , je ne rapporte
» rai que celle- ci :
SANCTITATI IOVIS ET AVGVSTI
SACRVM LVCILIVS CESTI F.
» Peut- être pourroit- on rapporter au mê-
» me fait les quatre fuivantes , qui ont
» été trouvées dans les déblais de notre
» Fontaine. Elles font dépofées dans le
» Temple vulgairement nommé le Temple
» de Diane , & elles n'ont point encore été
publiées. La premiere eft ainfi :
29
A O UST. 1756 . 93
MARTI AVGVST. SACRVM
CN. POMP . CN. F. VOLENS , Id eft. datus decreto
D. D. D. L. pecurionum locus.
» La feconde eſt un peu frufte , on la remet
facilement , la voici telle qu'elle eft :
و د
VICTOR ... AVG. M. VALERIVS
T
SEVERVS PONIF . EX STIPE VELA
ET ARAM
Il peat y avoir au commencement victori
» Augufto , ou victoria Auguſta , & à la fin ,
» pofuit ou dicavit.
La troifieme confifte en ces deux mots :
VENERI AVGVST,
La quatrieme eſt ainfi :
NYMPHIS , AVGVSTIS SACRVM
TERTIVS BAEBI . F. L. DECVMIVS
DECVM. L. PONTINVS . MARTIA.
L. ANNIVS ALLOBROX . DE SVO.
a Mais il faut convenir qu'on ne peut
tirer de ces monumens que de bien legeres
inductions , & que fi nous n'avions
pas d'autres preuves du fait que nous
» avançons , on pourroit fort raifonnable-
» ment douter qu'Augufte , eût jamais eu
» un Temple à Nîmes. Mais l'exiftence
des Prêtres établis en l'honneur de ce
I
94 MERCURE DE FRANCE.
»Prince dans cette colonie eft fans contre-
» dit une démonſtration à laquelle on ne
» peut réfilter , car il ne peut y avoir des
» Miniftres & un culte établi qu'il n'y ait
» des Temples , & c » .
"
« Où étoit fitué ce, Temple ? continue
» M. R. C'est une queftion à laquelle le
" peu de veftiges qui reftent de ce monu-
» ment ne nous permet pas de répondre
» d'une maniere fatisfaifante ». Ici , M. R.
rapporte les diverfes conjectures des Auteurs
qui ont écrit fur les antiquités de la
ville de Nîmes , & en montre le peu de
folidité. « Pour moi , ajoute-t'il , ne vou
lant point hafarder de légeres conjectu-
»res fur un fujet fi douteux , j'aime mieux
dire fi on eft moralement affuré de
que
l'existence de ce Temple , on eft extrê-
» mement en doute du lieu où il étoit placé.
S'il falloit cependant donner mon
avis , je croirois volontiers que ce Temple
devoit être fitué aux environs de
» notre Fontaine près du baffin que nous
appellons des Romains . Les infcriptions
qu'on a trouvées en grand nombre dans
cet endroit , les colonnes , les chapiteaux,
»les marbres , les ftatues , & bien d'autres
2 reftes précieux me décideroient. Mais ce
33
و د
33
qui me paroît furtout bien convainquant
, c'eft un frontifpice que j'y ai vu
A O UST. 1756. 23
moi -même déterrer , & qui ne peut être
» que celui d'un Temple : il eft d'une trèsbelle
architecture d'ordre Corinthien.
" On y lit fur la frife en gros caracteres
» l'infcription fuivante : les lettres ont en-
" viron huit pouces de hauteur : elles font
» taillées dans la pierre à cinq ou fix lignes
» de profondeur : on diftingue encore la
place des crampons qui tenoient des lettres
de cuivre ou de quelqu'autre métal
و ر
"» doré.
RESPUBLICA NE ... / .... SESIS ..., RMO QUE
IMPERATORIS CI... SARIS . AV . IŠTI. TE.
و د
Et au - deffous , fur la pierre qui paroît
» avoir formé l'architrave , en plus petits
», caracteres ,
ود
M. GRIPPA.
Tout le monde fçait qu'Agrippa , gen-
» dre d'Auguſte , fut Proconful des Gaules
, ne feroit- ce pas lui qui auroit fais
la dédicace de ce Temple ? &c» .
M. R. parle enfuite des Sextumvirs Auguftaux
, fait voir qu'elles étoient leurs
fonctions , & rapporte les infcriptions qui
lui fervent de preuves. En voici deux qui
font moins connues que les autres. La pre
miere eft dédiée aux Sextumvirs .
VI. VIRIS AVGVSTALIBVS.
41
96 MERCURE DE FRANCE.
On a trouvé la feconde dans un jardin de
cette ville , fur une pierre de trois pieds
de haut , & d'un pied onze pouces de
large.
.ec
"3
L. IVLIO Q. F. VOL . NIGRO
ÌÏIÏVIR. AB. AER. IIÏVIR. AVG.
P
COR. NEMAVSENS . L. P. D. D.
Mais les plus fingulieres de toutes ces
infcriptions , font celles qui parlent des
» Flamines Auguftales. Nous en avons plufieurs
rapportées par les Antiquaires ».
M. R. fait voir que Gruter & Jufte Lipfe
n'ont pas donné celle-ci exactement. Grut.
pag. 323. Num. 11 .
,,
D. M.
SAMIAE ET FIL. SAVERINAE FLAMINI
AVG. NEM. C. TERENTIVS ANICETVS
"
AMICAE OPTIMAE ET SIBI.
Jufte Lipfe , fol. 152. No 18. au lieu
de ET FIL , met Q. FIL. & il ajoute à la fin
V. P. Vivens , pofuit. Ce dernier Auteur
s'eft moins écarté de la véritable leçon :
nous pouvons affurer cependant que le
V. P. n'y eft point. Quant au change-
» ment des deux premieres lignes , nous
ne pouvons en décider , parce qu'on a
» adoffé un éperon contre le mur où eft
cette pierre , qui par-là eft cachée en
» partie.
A O UST. 1756. 97
2
و د
39
20
و د
partie . La voici très -exactement copiée ,
telle qu'elle paroît .
•
M.
. MIAE. Q. FIL.
• SRINAE
• INI AVG. NEM.
.RENTIVS
. ETVS AMICAE.
• MAE ET SIBI .
« Si l'on me demande , continue M. R.
qu'étoient ces Flamines ? je répondrai
qu'elles étoient fans contredit les Prê-
»treffes d'Augufte : mais le mot flamine
n'emporte- t'il point avec lui la fignifica-
»tion de Prêtreffes à oracles , nam flamen
» à flatu ? Je tiendrois pour l'affirmative
» & en ce cas le Temple d'Augufte à Nî-
» mes , auroit un Temple à oracles. Je
» fuis bien certain au moins que ce Prince
»en a eu de pareils. Prudence nous l'af-
"fure , & cela peut fortifier ma conjecture.
Mais ces Flamines ne feroient-
» elles pas les femmes des Prêtres Auguf
taux Si l'on adoptoit ce fentiment ,
"nous n'y perdrions rien , & au lieu de
Flamines Auguftales , nous aurions des
Flamines Auguftaux . Il feroit cependant,
» affez fingulier que les Infcriptions nous
euffent confervé les noms des femmes
ور
22
E
100 MERCURE DE FRANCE.
50
99
ود
→ fait dans le monde ; c'eft pour la premiere
fois qu'elle fe montre dans un cercle ,
» elle n'apporte pour parure que fa candeur
& fon ingénuité : c'eft le feul fard
qu'elle connoiffe . Autour d'elle fe ran-
» gent l'envie , la diffimulation , la duplicité
: fur fes levres & fur fes yeux fe peignent
fa candeur & fon innocence , elle
» jouit du calme le plus précieux : que ne
peut- elle prolonger un jour fi férein & fi
beau ! Mais non , fon bonheur ſera de
» peu de duré tant de graces & de naï-
» veté attachent & font impreffion. Déja
je vois des hommes empreffés à lui plaire,
» lui préparer mille écueils qu'elle ne connoît
feulement pas : quels fecours aura-
» t'elle pour les éviter ? Les bienfaits , les
foins , les égards , font les armes employées
à fa défaite : l'exemple eſt ſon
» premier féducteur. Bientôt on lui fait
» entendre que la vertu eft un vain nom
و د
»
la modeftie un art , la retenue une foi-
» bleffe de tous les pieges qui l'environ-
» nent , le plus délicat eft celui des bienfaits
: la reconnoiffance eft un fentiment
» dont elle connoît le langage ; elle de-
» mande des droits que le devoir refuſe ,
» ce font deux fentimens qui fe combat-
» tent l'un l'autre : fi le penchant écarte
» la barriere qui arrêtoit encore ce coeur
A OUST 1756. 101
» irréfolu , peut- il ne pas fe laiffer furprendre
il falloit lui faire connoître
» plutôt le monde , & fes pas euffent été
» moins difficiles & moins dangereux . »
M. G. prouve par des exemples connus ,
que les femmes font capables d'acquérir
en tout genre la même gloire que les plus
grands hommes . Les Jeannes d'Arc, les Elifabeth
, les Souveraines de Hongrie & de
Ruffie, d'une part ; de l'autre , les Sapho , les
Sévigné, les Graffigni , &c. font les preuves
qu'il en apporte. «On ne les croit , ajoutet'il
, incapables des grandes vertus , que
" parce qu'on n'a rien fait pour les faire ود
ود
"3
éclorre : mais elles ne nous font voir
» que trop fouvent qu'elles ne les doivent
» qu'à elles feules , & alors elles n'en font
» que plus éclatantes. Ne pouvant confer-
» ver une fupériorité qui nous échappe &
» qu'on fent bien qu'on a ufurpée , on
voudroit par de fauffes accufations jouir
plus long- temps d'un droit dont on con-
» noît toute la foibleffe : on ne ceffe ni de
» les aimer , ni de s'en plaindre : il femble
qu'il fait auffi difficile de fe défendre de
» l'un que de l'autre . Elles font , dit- on ,
» inconftantes , légeres , ce font là les re-
» proches qu'on leur fait chaque jour :
» mais les hommes font- ils moins inconftans
, moins légers qu'elles ? &c. ... Ik
"
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
» faut que les femmes ayent des vertus
»bien folides , puifque malgré nos mau
"
93
vais exemples , & avec un coeur ouvert
» aux paffions , elles ont de la retenue ;
puifque malgré notre art pour les fur-
» prendre , elles ont des moeurs ; puifque
malgré notre irréligion & nos fauffes
» maximes , elles ont de la piété : bien
» loin de chercher à fortifier des vertus fi
" effentielles , on cherche le plus fouvent
» à les détruire ; il faut qu'elles luttent
» fans ceffe , & contre elles- mêmes & contre
nos efforts : eft- il une victoire plus
» difficile & plus flatteufe ? »
ود
M.G. termine fon Difcours en difant que
les femmes doivent rentrer dans leurs droits
La nature l'ordonne , dit-il , & c'est par
» la voie des fentimens qu'elle nous montre
la place qu'elles doivent tenir. Si elles
apportent au monde plus de dons naturels
, pourquoi en être jaloux ? C'eſt un
dépôt que leur fait la nature pour les
dédommager des peines dont elle nous
difpenfe : nous fommes coupables fi nous
rendons fes bienfaits inutiles. »
»
ود
53
M. le Beau de Schofne , dis Académies
'de Nîmes & d'Auxerre , fit la lecture d'une
Ode fur la Guerre préſenté.
M. de Serviés Vallongue , Chancelier ,
termina la Séance par le Difcours fuivant :
A O UST. 1756. 7103
Le génie eft-il préférable à l'efprit 2
ce paradoxe eft révoltant au premier, coup
d'ail: mais combien de queftions que
l'on regarde comme décidées rentreroient
du moins dans la claffe des problèmes ,
fi nous arrachions le bandeau de la prévention
& du préjugé. Le génie eft fans
doute une des plus belles prérogatives de
l'humanité : il a les plus grands avantages ,
mais il eft fujet aux plus grands écarts.
Il eft fouvent dangereux pour la fociété.
L'efprit orne les productions du génie ,
il eft l'ame de la fociété , il en fait les
délices .
"
« Tel eft le fort des plus brillantes
facultés humaines : elles portent d'un côté
l'empreinte de la Divinité dont elles
émanent ; de l'autre , le caractere ineffaçable
de notre mifere & de notre
néant. Le génie eft fujet à cette loi
»commune : plus il éleve l'homme au def-
» fus de lui -même , plus il l'abaiſſe & l'hu-
» milie par fes écarts. »
"
"
Ici l'Orateur parcourt les divers genres
de littérature , & prouve.combien le génie
eft inégal & quelquefois inférieur à luimême.
Newton a renouvellé dans fon
fyftême fur la lumiere & les couleurs , les
abfurdités de la vieille philofophie , en
difant que la matiere lumineufe a une
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
efpece d'horreur du vuide . Rouffeau eft
tout à la fois l'Auteur de l'Ode à la Fortune
, des Poëfies facrées , &c. & de plufieurs
Pieces de Théâtre indignes d'un fi grand
homme. Plufieurs exemples lui fervent à
démontrer que le génie eft fujet à de
grands écarts dans la littérature. Il n'eft pas
moins dangereux pour la fociété. Le génie
connoît fa fupériorité , il ne peut fouffrir
de rivaux. En effet , une fociété dont tous
les Membres feroient des génies fupérieurs,
ne pourroit fubfifter : bientôt tous les états
confondus travailleroient à détruire cette
harmonie , cette dépendance réciproque
qui eft l'ame de toute efpece de gouvernement
chacun fe fentant en état de
commander , perfonne ne voudroit obéir.
» Reconnoiffons ici la Souveraine Provi-
» dence qui a mis dans nos ames , comme
dans nos fortunes , une différence nécefpour
maintenir l'équilibre. Le génie
feroit moins rare s'il n'étoit dange-
» faire
و د
a reux.
Dans la feconde Partie , l'Orateur parcourt
les avantages de l'efprit.
de l'efprit . « L'efprit
" dit- il , prête de nouvelles graces à toutes
» les parties de la littérature ; il répand des
charmes non feulement fur la poëfie ,
l'éloquence , les pieces de théâtre ( c'eft
» là pour ainfi dire fon domaine ) , mais
199
A O UST. 1756 : 105
» même fur les fciences plus abftraites.
» Nous devons les progrès qu'a fait pref-
» que de nos jours la Phyfique à des Phi-
"
ود
"
و ر
و د
و د
و د
و د
lofophes aimables , qui l'ont dépouillée
» de l'air pédant & fcientifique qu'elle
» avoit confervé fi long- temps , & ont
» ſubſtitué à un jargon barbare & inintelligible
les graces d'un ftyle pur & léger
qui , s'il ne diminue les difficultés , les
préfente du moins fous un afpect riant
» & c'est beaucoup. Il faut convenir , con-
» tinue l'Orateur , qu'il eft des genres où
l'efprit lui-même eft un écueil . Combien
d'Orateurs Sacrés ont la ridicule manie
» de coudre de l'efprit partout ,, de mettre
» l'Evangile en épigrammes ! Combien
d'Hiftoriens diffus trop chargés de fleurs,
» enfeveliffent la vérité de l'hiftoire fous
» un tas d'ornemens étrangers ! Il est une
éloquence propre de chaque fujet dont
l'efprit doit nous faire appercevoir les
» nuances. Si quelquefois il s'égare , il
plaît jufques dans fes écarts ; il eft l'ame
» de la fociété , il eft le de l'enjoucpere
»ment & de ces faillies aimables qui font
le charme des converfations. L'efprit in-
Alue fur nos fentimens : fans lui l'on ne
peut fentir avec une certaine délicateffe
» l'amitié , la reconnoiffance , paffions
douces & tranquilles qui donnent fans
و و
ود
ود
و د
و د
ود
»
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
ور
doute les feuls vrais plaifirs , parce qu'ils
» font fans remords.... L'efprit adoucit
» nos défauts ; par lui l'orgueil devient
plus traitable , l'opiniâtreté moins aigre ,
l'humeur plus liante , la débauche même
» moins crapuleufe....
ود
و ر
و ر
» Enfin l'efprit corrige les écarts du gé-
» nie , il orne fes productions. C'eft lui
qui fait d'un Mathématicien , d'un Géo-
» metre profond un homme aimable , qui
fçait répandre de l'agrément fur les ma-
» tieres les plus arides : en un mot , l'efprit
» eft néceffaire au génie , je ne fçais fi le
génie eft auffi néceffaire à l'efprit.
و د
"3 99
M. de Serviés Vallongue réfuma enfuite
de mots les Difcours prononcés à la
en
peu
Séance.
PROJET d'un Gloffaire François . Ce
Projet que l'on trouvé chez Guérin & De
la Tour , rue S. Jacques , à S. Thomas
d'Aquin , mérite la reconnoiffance des Sçavans
, & l'applaudiffement de toutes les
perfonnes qui veulent pofféder la Langue
Françoife dans fon origine , & particuliérement
de celles dont l'état exige cètre
connoiffance fi rare & jufqu'à préfent fi
difficile . Pour donner une idée exacte de
la perfection avec laquelle il fera exécuté ,
il fuffiroit de nommer ' M. de S. P ... de
A O UST. 1756.. 107
fe
Académie des Belles - Lettres , par qui il
a été formé , & M. l'Abbé Guiroy , Cenfeur
Royal , que cet Académicien s'eft
affocié pour s'adoucir le poids de fa charge,
& pour le répondre à lui - même du
fuccès de fon travail . On doit regarder ce
Gloffaire comme une fource féconde &
intariffable d'avantages pour les Lettres ,
& conféquemment pour la Nation . On enrend
par Gloffaire , une explication générale
& authentique des termes inufités de
la Langue ancienne d'un pays . Nous avons
donc bien raifon d'appeller préfent ineftimable
, le Gloffaire qu'on nous annonce.
L'on n'ignore point que c'eft dans la Langue
de nos Ayeux que font confignés les
termes de nos Loix , de notre Coutume ,
de notre Droit Féodal , & des redevances
qui en résultent ; de notre Milice , de nos
Arts , & de nos Métiers , de nos Manufactures
, de notre Commerce , de nos
Monnoies , des Mefures tant de nos grains
& de nos boiffons , que de nos héritages ,
& une infinité d'autres qu'il eft aifé de
fuppléer ( 1 ) . Quoique le but principal de-
(1 ) A combien d'erreurs ne remédiera pas la
lumiere bienfaifante qu'on va répandre fur ces
termes , dont la plupart fent fi inexplicables fans
ce fecours , & beaucoup d'autres fi nécefaires, à
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
cet Ouvrage foit de donner ou de faciliter
l'intelligence du langage de nos anciens
Ecrivains , on ne fe bornera pas cependant
à rapporter tous les mots dont ils fe
fervent , & qui font maintenant inufités :
on y joindra les mots qui nous font encore
familiers , mais qui eurent autrefois une
fignification différente de celle que nous
leur donnons. On s'attachera dans tous ces
articles à démêler d'abord leur fens propre ;
enfuire on expliquera , fuivant l'ordre progreffif
des idées , qui paroîtra le plus naturel
, les autres fignifications plus étendues
& quelquefois détournées qu'ils ont
eues depuis ; foit qu'ils aient confervé la
même forme , foit qu'ils aient éprouvé
quelques altérations. Ainfi les efprits les
plus difficiles , de même que les plus pareffeux
& les moins intelligens , auront
également lieu d'être fatisfaits & de profiter
infiniment . Il faut s'inftruire dans le
projet même de toutes les vues de l'Auteur
& de toutes les parties qu'aura l'Ouvrage.
Nous penfons qu'après l'avoir lu ,
on trouvera nos louanges bien foibles , &
qu'on aura autant d'impatience que nous de
voirparoître dans fa perfection ce tréfor lit-
Pintelligence de tout un article , & fouvent de
toute une loi , ou de tout un uſage.
A O UST. 1756. 109
la
téraire. Comme M. de S. P ... & M. l'Abbé
Guiroy , font pour la Langue Françoife ,
ce que le célebre Du Cange a fait pour
Langue Latine ; il y a tout lieu de préfumer
qu'ils auront le même fuccès . Ils font
fondés d'autant plus à s'en flatter que leur
travail eft plus intéreffant pour nous ,
puifqu'il tend à mieux éclaircir notre
idiôme.c
cée
pour
PRÉCIS de l'Effai fur les intérêts du
Commerce national pendant la guerre , ou
des Lettres d'un Citoyen fur la permiffion
de commercer dans les Colonies , annonles
puiffances neutres .
Perfonne n'ignore dans les circonftances
où le trouve aujourd'hui la France , combien
il eft intéreffant pour elle que fes Colonies
ne fouffrent point d'une guerre auffi
odicule qu'imprévue. Le projet de permettre
aux puiflances ncutres de commercer
dans nos Colonies pendant la guerre ,
a été propofé comme un des moyens les
plus favorables pour y entretenir l'abondance
& le débouché de leurs denrées.
C'est ce projet qui depuis longtemps a excité
tant de murmures , de plaintes , de
mouvemens , & de fermentation dans les
villes maritimes , & dans l'efprit de la plûdes
Négocians ; c'est ce projet infpir part
TO MERCURE DE FRANCE.
par un homme de génie , préfenté par les Dé+
putés du Commerce , applaudi par un Minifte
éclairé , dont l'Auteur de l'Effai fur
les intérets du Commerce national , ou
des Lettres d'un Citoyen , a entrepris d'établir
& de prouver folidement les avantages
; & on peut dire qu'il y a très bien
réuffi . Il paroît s'être propofé trois objets
principaux. 1 ° . De faire voir le peu de
raifons qu'ont eu de fe plaindre de ce projet
ceux furtout qui ont été les premiers à
élever la voix. 20. De réfuter les objections
formées contre ce projet. 3 °. D'en
développer les principaux avantages tant
par rapport aux Colonies que pour l'Etat ,
& pour les objets mêmes für lefquels tombent
les objections..
Après avoir mis, dans fa premiere lettre,
le Lecteur au fait de l'état de la queſtion ,
& lui avoir indiqué la route qu'il va tenir,
l'Auteur dans la feconde , fait voir que de
toutes les villes de Commerce qui fe font
foulevées contre le projet de l'admiſſion
des Neutres au Commerce de nos Colonies
, Nantes qui a été la premiere à les
exciter , eft précisément celle qui y a le
moins d'intérêts parce qu'en général fon
Commerce ne confifte que dans le fret &
la commiffion ; qu'elle n'a aucuns fonds
réels
que ceux qu'elle tient de fon induf
A O UST. 1756. III
trie ; qu'elle eft comme ifolée entre les autres
Ports , fans relation fuivie avec les produits
de nos terres , fans intérêts directs dans le fort
de nos Manufactures , & de l'intérieur du
Royaume ; mais il leve le voile qui couvroit.
le véritable fujet des plaintes.
L'Auteur va plus loin , & prouve dans .
fa troifieme lettre que ce projet avanta
geux à toutes les Villes de Commerce , le
fera encore plus particuliérement à Nantes
qu'à toute autre .
#
Delà l'Auteur paffe dans fa quatrieme
Lettre aux Villes qui font le Commerce de
Cargaifon. Il établit ce que c'eft que le.
Commerce en général , & ce qui peut réellement
l'intéreffer. Il fait voir que la quef
tion des Neatres , devient par les circonf
tances , non une fimple queftion de négoce
, mais une queftion d'Etat. Pour la réfoudre
, il examine qu'elle fera l'influence
avantageufe ou défavantageufe de la permiffion
accordée aux Neutres , tant pour
nos denrées nationales , que pour le commerce
des Negres , & pour nos Manufactures.
Pour nos denrées nationales , il choifit
dans fa cinquième Lettre la ville de Bordeaux
pour exemple ; & après une peinture
vive & brillante de cette ville & du ca-
-ractere de fes habitans , qu'il tourne en
112 MERCURE DE FRANCE .
preuve pour fon fyftême , il fait voir que
les vins & les farines de Bordeaux , les
deux principales branches de fon Commerce
, ne fe déboucheront pas moins en
admettant les Neutres , qu'ils ne fe débouchent
ordinairement
en temps de guerre ,
& même qu'ils fe déboucheront plus favorablement
pour les Propriétaires. Les vins,
parce que ce font les feuls qui tranfportés
aux Colonies y foient potables ; plus favorablement
, parce que les Etrangers débiteurs
folides , n'enleveront que la partie
des vins dont fe fuffent chargés de petits
Armateurs témérairement entreprenants
,
fouvent infideles , toujours infolvables au
moindre échec , à qui le caractere des Habitans
, pétri d'ambition & de molleſſe
les leur eût fait confier trop légérement :
les farines , en ce que par la fupériorité
de leur nature & de leur qualité fur toutes
les farines étrangeres
elles confervent
aux Colonies cette même fupériorité dans
les prix , & qu'il fera bien plus de l'inté
rêt des Etrangers d'emporter aux Colonies
une moindre quantité de nos farines à
plus haut prix , pour importer au retour ,
une plus grande quantité de denrées coloniales
, que d'exporter une plus grande
quantité de farines étrangeres à plus bas
prix , pour ne charger au retour qu'une
>
•
A O UST. 1756. 113
moindre quantité de denrées des Colonies ;
que d'ailleurs , quand les Etrangers ne les
enleveroient pas , la quantité de farines
néceffaires pour l'approvifionnement des
Colonies eft fi peu confidérable , en comparaiſon
de celle du total du Royaume ,
que cette furcharge , bien loin de lui être
onéreufe , pourroit même tourner à fon
avantage.
Le commerce des Negres qui fait le fujet
de la fixieme Lettre , eft de la derniere
conféquence pour nos Colonies qui ne
peuvent cultiver leur territoire fans Efclaves
, & par conféquent pour le Royaume
qui profite de leurs cultures. Les Natio
naux ne pouvant continuer ce Commerce
pendant la guerre , du moins en proportion
fuffifante pour l'entretien des Colonies
, & le défaut d'importations de Negres
les faifant dépérir , comme il arriveroit par
l'exclufion des Neutres , l'intérêt même
des Négocians demande leur admiffion ,
qui confervera & augmentera même la
valeur des Colonies par d'utiles & abondantes
importations d'Efclaves dont les
profits reftés à la paix dans nos ports , dédommageront
avec ufure les Commerçans
d'une perte apparente ou momentanée .
L'objet des Lettres 7 , 8 & 9 fur l'intérêt
de nos Manufactures eft un des plus
114 MERCURE DE FRANCE.
intéreffans pour l'Etat , & qui a fourni la
matiere des plus fpécieufes objections , par
la crainte du déchet de nos Manufactures ,
& de la perte ou enlèvement de nos Ouvriers
, conféquente du premier malheur.
L'Auteur montre d'abord qu'il y a un trèspetit
nombre de Manufactures intéreſſées
à l'admiffion ou à l'exclufion des Neutres ,
& que ce petit nombre l'eft pour une trèspetite
partie de Denrées manufacturées.
2°. Que les Etrangers , en fuppofant leur
admiffion , enleveront à peu près la même
quantité de nos Denrées manufacturées
qu'ils enleveroient en temps de guerre ,
que tout fe réduit à un changement dans
l'efpece des Denrées enlevées. 3 °. Que
l'enlévement prétendu de ceux de nos Ouvriers
qu'on fuppoferoit fans occupation
par le déchet de nos Manufactures , eſt
une crainte purement chimérique , & que
quand ils s'en trouveroit quelques- uns par
le petit nombre & la nature de ceux qui
feroient fans emploi , les Etrangers n'en
pourroient pas profiter à nos dépens. C'eft
ce que l'Auteur prouve par des détails , &
des calculs de comparaifon d'une exactitude
& d'une préciſion bien peu commune
dans ces fortes de matieres.
Par une gradation ' fenfible d'intérêts
pour l'Etat , l'Auteur , dans les Lettres 10 ,
1
AOUST. 1756.
11 & 12 , paffe à l'examen de celui des
Colonies dans la queſtion actuelle . Il confidere
les Colonies comme Manufactures ,
& les Colons comme Propriétaires de terres
. Sous le premier rapport , les Colonies
font des Manufactures encore bien plus
précieufes que celles du Royaume . La part
que doivent avoir des Manufactures dans
l'intérêt général de l'Etat , fe calcule fur
leur produit numéraire , & fur l'emploi
plus ou moins confidérable des hommes
qu'elles occupent. C'eft par cette double
raifon que quand même ( ce que l'Auteur
n'admet pas ) l'interêt des Colonies fe
trouveroit en balance avec celui des Mar
nufactures de l'intérieur , les Colonies dee
vroient toujours emporter de beaucoup la
balance par leur poids politique ; 10. parce
qu'elles créent réellement les valeurs qu'elles
mettent en oeuvre , & qu'elles produifent
numérairement beaucoup plus fans
aucune comparaiſon , que la partie des Manufactures
du Royaume employée aux objets
de leurs conſommations ; 2 ° . parce
qu'elles occupent un bien plus grand nombre
d'hommes , & que leur dépériffement
en laifferoit beaucoup plus auffi fans emploi
& de bien plus propres à être enlevés
par les Etrangers.
Le point de vue fous lequel l'Autent
116 MERCURE DE FRANCE.
préſente les objections par lefquels les Négocians
veulent oppoſer l'intérêt du Commerce
à celui des Colonies , me rappelle
la Fable de la Poule aux oeufs d'or , dont le
maître l'égorgea pour jouir tout d'un coup
d'un tréfor qu'il croyoit trouver dans ſon
corps , & perdit ainfi par fa fottife le reve
nu qu'elle lui eût produit journellement ,
fi fa cruelle & imprudente avarice ne s'étoit
pas punie elle-même , en fe privant de
tout pour toujours par une avidité prématurée
& mal entendue. Tel eft le tableau
qu'il nous préfente des Négocians en général
dans cette occafion . Les Colonies font
l'ame de ce commerce dont ils reclament
fi haut les intérêts. Il ne fubfifte que par
elles & pour elles . Ils fe priveroient euxmêmes
comme l'homme de la Fable , des
gains que l'Etat floriffant des Colonies leur
eût procuré un peu plus tard , fi par l'excès
d'une avidité aveugle & mal concertée ,
ils vouloient fe conferver exclufivement
aux dépens des Colonies , & en les accablant
, un gain actuel & exhorbitant , dont
peut- être même les circonstances ils ne
jouiroient pas.
J
par
C'eft furtout dans la douzieme Lettre
où l'Auteur confidere les colons comme
Propriétaires & comme Citoyens , que l'on
peut juger de fes talens & de fa capacité.
A O UST. 1756. 117
Jufques là une grande connoiffance des
matieres dont il a été queſtion , des preuves
de fait bien développées , des calculs
& des détails bien approfondis avec beaucoup
de jugement , pourroient fuffire ; ici
l'éloquence & le raifonnement font les feules
armes qu'il puiffe employer pour prouver
la part que les Colons doivent avoir
dans cette portion de félicité diftributive
que l'Etat doit à tous les fujets qui le compofent.
C'eft furtout dans cette Lettre que
l'on eft à portée de juger de ce qu'auroit
pu l'Auteur dans une matiere plus amufante.
Contens de toutes , c'eſt une de
celles qui nous ont fait le plus de plaifir.
Satisfaits partout de l'étendue des lumieres
de l'Auteur , de la profondeur de fes
vues , de la jufteffe de fes raifonnemens ,
de la vivacité de fon zele patriotique , de
la force de fon coloris , on lit furtout avec
plaifir le tableau qu'il nous préfente du
luxe & de l'opulence de Nantes , dûs , ſelon
lui , à la feule induftrie ; celui de Bordeaux
& du caractere de fes habitans , &
cette douzieme Lettre qui termine ce petit
ouvrage , dont on trouve encore quelques
exemplaires à Paris , chez Duchefne , Libraire
, rue S. Jacques , au Temple du
Goût. Mais nous espérons que cet ouvrage
ne fera pas le dernier de l'Auteur , &
18 MERCURE DE FRANCE.
nous fçavons même de bonne part qu'il
fera inceffamment fuivi d'un autre de la
-même main , fur une matiere auffi inftructive
& auffi intéreffante , mais plus curieufe
& plus amufante pour la plupart
des Lecteurs . 1
LETTRE.
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Monfieur , j'ai lu dans le Mercure de
Juin la méthode que donne M. Pierre
Duval , pour trouver facilement & fûrement
la fomme qu'il convient de faire
affurer , pour être remboursé de fon capi
tal jufqu'à la plus petite fraction. Son opé
ration eft jufte , mais j'aurois défité que
l'explication en eût été plus claire , &
mieux raifonnée , je veux dire dans les termes
de l'Art . Il me femble que , fuivant le
principe de M. Duval , il eût été mieux dé
s'énoncer ainfi.t bandar teruk
Du nombre 100 qui fert de proportion,
il faut déduire le prix de la prime ; & comparant
le nombre qui refte avec le même
nombre 100 , dire : Si tel nombre , prime
déduire , eft la fomme que je reçois pour
Too 1. d'afurances pour recevoir le capi
A O UST. 1756: 119
tal de mes rifques , quelle fomme dois - je
faire affurer ?
Faifant l'application de ce principe à la
queftion propofée , on a cette proportion ,
100 17== 83 : 100 :: 1000 : x. C'eſtà
dire , 100 moins 17 , égal à 83 , eft à
100 nombre de proportion , comme 1000
capital de rifques , eft à x quatrieme terme
de la proportion . Achevant la regle de trois ,
il viendra pour la valeur de x la même
fomme de 204 l . 16 f. 4 d. qu'a trou
vée M. Duval. Mais il n'eft point d'uſage
de dire fi 83 eft égal à 1000 , à combien
100 le fera t'il ? Ce raifonnement eft faux.
Un nombre quelconque ne peut être égal
qu'à lui- même : 83 n'eft point égal à 1000 .
D'ailleurs , M. Duval devoit comparer 8:3
à 100 qui font les nombres de proportion,
quoique cet arrangement foit indifférent
pour l'opération , puifque les moyens
font toujours les mêmes.
*
J'ai eu l'honneur de vous envoyer la
folution du même Problême , quoique
j'aye opéré for un principe différent de
celui de M. Duval : mon calcul me donne
la même proportion.
830 : 1000 :: 1000 : x , car 83 : 100 ::
830 : 1000 par conféquent j'ai pour la
valeur de x la même fomme de 1204 liv.
16 f. 4 d. 13
1
52
83•
120 MERCURE DE FRANCE.
Pour avoir ma proportion , j'ai confidéré
, c'est-à- dire , 100 divifé par 17
comme l'expofant d'une progreffion Géométrique
defcendante , dont le premier
terme eft le capital de mes rifques , & le
dernier doit être zero.
Ainfi dans le Problême propofé , divifant
1000 par l'expofant , j'ai pour le
fecond terme de ma progreffion 170 : divifant
ce fecond terme par le même expofant,
j'ai 28 1. 18 f. pour troifieme terme : continuant
les divifions à l'infini , je trouverois
tous les termes de la progreffion . Mais
comme il fuffit d'avoir les deux premiers
termes d'une progreffion pour en
trouver tous les termes , je me fuis fervi
de cette analogie : 830 , différence des
deux premiers termes 1000 & 170 , eft au
premier terme 1000 , comme le même
premier terme 1000 eft à la fomme de
tous les termes ; ce qui s'exprime ainfi :
830 : 1000 :: 1000 : X.
De cette proportion je tire une regle
générale pour la folution de ce Problême
ou autre femblable. Il faut quarrer le capital
des rifques , c'eſt- à - dire , le multiplier
par lui-même & divifer le produit
par la différence qui fe trouve entre ce
même capital & le prix de fa prime : le
quotient donnera le nombre demandé.
Dans
A O UST. 1756. 121
Dans le même exemple le quarré de
1000 eft 1000000,
Le prix de la prime eft 170
La différence eſt 830 & divifant
1000000 par 830 , le quotient donnera
1204 l . 16 f. 4 d. , & c'eft la fomme
qu'il faut faire affurer pour être rembourfé
en plein ; Démonftration , 100 : 17 :
1204 l . 16 £. 4 d. 13 : 204 l . 16 f. 4 d . 1 . f. 8
83
L'article de l'Ordonnance de la Marine
fur laquelle M. Duval demande une explication
, eft énoncée dans les mêmes termes
dans toutes les éditions : quoique fa
difpofition lui paroiffe contraire à l'équité,
en ce que de deux perfonnes qui courent
en apparence le même rifque , le Donneur
à la groffe eft préféré à l'Affureur : cependant
, en l'examinant dans l'efprit du Légiflateur
, il eft également jufte & raifonnable.
Le Donneur à la groffe dans l'hypotheſe
de M. Duval ,, a réellement fourni une
fomme de 1500 liv . au lieu que l'Affureur
a reçu la prime fur une pareille fomme
de 1500 liv . Dès-lors ils ne font donc
plus à conditions égales. L'argent du premier
a fervi à l'achapt des effets qui compofent
le chargement du Navire, l'autre n'y
contribue en rien ; enfin il y a confufion
des effets provenans de l'argent de groffe ,
F
122 MERCURE DE FRANCE.
& des effets affurés , & il eft raisonnable
& jufte que celui qui a fourni fon argent ,
& contribué au chargement du Navire ,
foit préféré à un Affureur qui n'a rien
d'effectif fur le Navire perdu.
Monfieur , je vous ai envoyé la folution
d'un Problême inféré dans le fecond
volume du Mercure de Juin 1755 : depuis
je vous ai prié de demander à l'Auteur la
folution de fon Problême. J'ignore pourquoi
vous n'avez point eu d'égard à ma
priere ; c'eft ce qui m'engage à vous folliciter
de nouveau , de fatisfaire à ma demande.
Il est étonnant que l'Auteur qui
paroiffoit defirer un commerce mathématique
par la voie de votre Mercure , en
foit demeuré là. Obligez -moi , Monfieur ,
de lui rappeller fes engagemens & l'obligation
où il eft de donner la folution de
fon Problême. Les plus petits nombres qui
fatisfont la queftion font ,
241. en 21 pieces,
21 en 18
19 de 24..22 1.16 f. )
2 de 12 .. I 4
17 de 24..20
de 12..
S
241.
2 I
12
6 de 24.. 7 4
18 en 24
18 de 12..10
J'ai l'honneur d'être , &c.
16 }18
D. L. A.
A O UST. 1756 . 123
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Monfieur , j'ai vu dans quelques uns de
vos derniers Mercures des questions intéreffantes
pour le Commerce ; cela m'engage
à vous prier d'en propofer une , qui
donne actuellement lieu à un differend entre
Jean , de Marſeille , & Pierre , de Rouen .
Le premier s'eft fait affurer à Rouen , à
quatre pour cent & trente pour cent d'augmentation
en cas de guerre ou hoftilités
de la part des Anglois , la fomme de mille
livres fur les facultés de fon vaiffeau de
fortie d'Amerique à Marſeille.
>
Le vaiffeau eft arrivé à Cadix : les hoftilités
ont eu lieu . Jean devra donc à Pierre
fon Affureur de Rouen , 4 p de prime
& 30 p d'augmentation , fi fon vaiffeau
vient heureuſement à Marſeille , jufqueslà
on eft d'accord ; mais voici le noeud.
Jean propoſe à Pierre ſon Aſſureur , de
faire décharger fon vaiffeau à Cadix , &
de lui épargner par conféquent le rifque
de Cadix à Marfeille , s'il veut fe contenter.
de 15 , 18 , ou 20 p d'augmentation , au
lieu de 30 p que porte la police d'affurance.
Il femble que cette propofition con-
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
vient à l'Afsûreur comme à l'Affuré : néanmoins
Pierre la refufe , & Pierre en eft le
maître. Mais comme Pierre n'a affuré
que
1000 liv. jufques à Marseille , n'eft- il pas
permis à Jean , qui a pour 3000 liv . de
facultés chargées fur fon vaiffeau , d'en faire
décharger à Cadix 2000 liv. & faire
continuer fa route au navire , en y laif
fant à bord les facultés , faifant la fomme
áffurée de l'Amérique à Marſeille : cela eſt
permis , je crois . Or , Monfieur , dans ce
cas propofé, Pierre, de Rouen, prétend que
la prime de 4 p & 30 p d'augmentation
lui eft déja acquife fur une bonne partie
des 1000 liv. qu'il a affurée , & cela
dans la même proportion que font entr'ele
les lefdites 1000 liv. & le reftant des fa
cultés ; il prétend , dis- je , qu'elles lui font
déja acquifes à Cadix même , & cela , malgré
qu'il ait affuré fimplement 1000 liv.
d'Amérique à Marseille , & que ces 1000
liv. foient encore en rifque. Par- là Jean de
Marſeille auroit les deux tiers des mille livres
en rifque , bien qu'il fe fût fait allurer
cette fomme en entier.
Permettez que pour faciliter la décifion
de ce cas , je dife un mot des raisons
par lesquelles l'un & l'autre foutiennent
leurs intérêts.
Pierre dit : J'ai figné le tiers de la fome
A O UST. 1756. 125
the qui eft fur le vaiffeau de Jean , & pour
cette partie je me fuis mis à la place de
Jean. Si donc Jean décharge les deux tiers.
des facultés à Cadix , mon rifque doit diminuer
des deux tiers , & la prime de
p & 30 p d'augmentation ,
4
doit
m'être déja acquife à Čadix fur les deux
riers des mille livres que j'ai affuré , puifqu'il
n'a dépendu que de Jean que toutes
les facultés vinffent à Marfeille , ayant
affuré le tiers de la fomme : c'est tout
comme fi j'étois devenu propriétaire & cointéreffé
avec Jean, fur les facultés , & cela
pour ce même tiers . Je dois donc avoir part Pour
à ce qui peut , dans le voyage , foulaget
mon rifque , tout comme Jean prétendroit
que je fuffe refponfable de ce qui
pourroit lui nuire.
De plus , il peut arriver arriver que Jean laiffe
dans le vaiffeau les effets les plus fufceptibles
d'avarie ; ce qui retourneroit à me
charge , & qui n'eft pas jufte , &c.
Jean dit Premiérement pour mettre
fin , & couper cours à cette derniere objection
, je fais & déclare nulles les avaries
qu'il pourroit y avoir aux facultés de
Cadix à Marfeille , toutefois fans convenir
que la loi pût m'y obliger : ainfi cette
objection n'eft d'aucun poids.
Ce n'eft pas le tiers ou le le tiers ou le quart , &c. que
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
Pierre de Rouen a figné ſur les facultés de
mon vaiffeau , mais c'eft la fomme de mille
livres. Ainfi quand 1000 liv. viendront
de Cadix à Marfeille , ils feront aux rifques
de Pierre , fans qu'il ait à s'embarraffer
& à me demander compte du furplus
de la cargaifon déchargée à Cadix .
Si l'on nous juge , dit encore Jean , ce
fera fur les claufes & les termes de la police
d'affurance , puifque c'eft le contract
qui nous lie or la police dit fimplement
que Pierre affure mille livres des facultés
d'Amérique à Marfeille ; le rifque de Pierre
eft donc fur mille livres , & jufques à
Marſeille. Quand donc Jean fera venir de
Cadix à Marſeille fon vaiffeau avec des facultés
pour la fomme de mille livres , l'affurance
aura fon plein effet , & la prime
fera juftement gagnée à leur arrivée à
Marſeille .
Que j'aie fait faire des affurances , ajoute
Jean , ou que je n'en aie point fait fur
les 2000 liv. cela ne regarde pas Pierre ,
& il ne doit y avoir aucun rapport de ces
2000 liv. & de leur fort avec celui des
1000 liv Or je fuppofe m'être fait affurer
les fufdites 2000 , liv. d'Amérique à
Cadix , elles y font arrivées , la prime eft
juftement gagnée pour l'Affureur de Cadix
, & je fuis quitte avec lui. Comment
AOUST. 1756. 127
dans ce cas , Pierre Affureur des 1000 liv.
peut-il exiger être déchargé des deux tiers.
de fon rifque à Cadix , puifqu'alors je me
trouverois payer 4 p de prime , & 30
p d'augmentation fur 2666 liv . 13 f. 4
d. tandis que je n'aurois à couvert à Cadix
que pour 2000 liv. de facultés , & que ce
feroit à Cadix même que cette forte prime
feroit déja gagnée.
A toutes ces raifons , Jean en joint bien
d'autres , qu'il feroit trop long de déduire :
celles-ci fuffifent pour faciliter l'intelligence
de la queftion . Je ferai d'une impatience
extrême jufqu'à ce que quelque Mercure
en annonce la décifion. J'ai l'honneur
d'être , & c.
LE GRAND TRICTRAC , ou Méthode facile
pour apprendre fans Maître la marche
, les termes , les regles , & une grande
partie des fineffes de ce jeu , enrichie de
270 planches ou figures , feconde Edition ,
revue , corrigée , & confidérablement augmenté
, par M. l'Abbé Soumille , Corref
pondant des Académies Royales des Sciences
de Paris & de Touloufe. A Avignon ,
chez Alexandre Giroud , feul Imprimeur
de Sa Sainteté , & à Paris , chez Giffart ,
rue S. , Jacques , à fainte Théreſe, 1756 .
Ce livre eft divifé en trois parties , dont
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
Ja premiere , qui contient 144 pages , forme
un tour complet de Trictrac , où tous
les
coups font joués de fuite & repréſentés
par autant de planches ou figures particulieres.
La conduite en paroît négligée &
fans deffein , telle à peu près qu'on doit
d'attendre de deux véritables commençans ,
qui ne vifent qu'à s'inftruire de la marche
, des termes & des premieres regles de
ce jeu. On a même affecté d'y répandre des
fautes groffieres pour leur apprendre à les
éviter.
La feconde partie acheve d'expliquer
les regles
particulieres qui n'ont pas pu
trouver place dans le premier tour de Trictrac.
Même ordre pour la fuite des coups ,
même fecours des figures pour foulager l'imagination
, & l'on y trouve un exemple
complet du jan- de-retour , pouffé jufqu'à
l'entiere fortie des Dames ; exemple d'autant
plus néceffaire qu'il eft plus rare dans
la pratique , & qu'on eft par- là plus en
danger d'en oublier le détail .
Vient enfuite la troifieme partie qui
préfente des vues générales & particulieres
fur la maniere de cafer avec avantage,
& fur les combinaisons des Dez : on y voit
auffi des modeles de réflexions pour prendre
ou ne pas prendre fon coin ; pour tenir
ou s'en aller à propos , & tout l'ouvrage eft
A O UST. 1756.. 129
terminé par une récapitulation générale
des Ecoles , qui ne laiffe rien à défirer en
ce genre.
Tel eft en gros le plan de ce traité, qu'u
ne table alphabétique & bien détaillée
rend extrêmement commode , pour trouver
à point nommé les regles dont on peut
avoir befoin. Outre qu'elles font répandues
& expliquées fort au long dans le
corps de l'Ouvrage , on a eu foin de les
raffembler toutes fous cinq points de vue ,
qui font les loix du coin , du plein , du retour
, de la fortie des dames , & de la fauffe
cafe.
1-
Il réfulté de tout ceci que les commençans
y trouveront des moyens avantageux
de s'inftruire , & que toutes fortes de
Joueurs , même les plus habiles , ne feront
pas fâchés d'avoir ce livre pour abré
ger les conteftations qui naiffent fi fou
vent dans la pratique . On pent d'autant
mieux s'en rapporter aux décifions qu'il
renferme , qu'on a pris plus de foin de confulter
les grands Maîtres ; & quand même
il s'en trouveroit quelqu'une, fur lefquelles
les deux Joueurs ne tomberoient pas également
d'accord , il fuffit de convenir au
commencement du Jeu qu'on s'en tiendra
mutuellement au livre , pour que tome
difpute finiffe dans l'inftant.
Ev
124 MERCURE DE FRANCE.
vient à l'Afsûreur comme à l'Affuré : néanmoins
Pierre la refufe , & Pierre en eft le
maître. Mais comme Pierre n'a affuré que
1000 liv. jufques à Marſeille , n'eft- il pas
permis à Jean , qui a pour 3000 liv . de
facultés chargées fur fon vaiſſeau , d'en faire
décharger à Cadix 2000 liv. & faire
continuer fa route au navire , en y laif
fant à bord les facultés , faifant la fomme
áffurée de l'Amérique à Marſeille : cela eft
permis , je crois . Or , Monfieur , dans ce
cas propofé, Pierre, de Rouen, prétend que
la prime de 4 p & 30 p d'augmentation
lui eft déja acquife fur une bonne partie
des 1000 liv. qu'il a affurée , & cela
dans la même proportion que font entr'el
les lefdites 1000 liv. & le reftant des fa
cultés ; il prétend , dis-je , qu'elles lui font
déja acquifes à Cadix même , & cela , malgré
qu'il ait affuré fimplement 1000 liv.
d'Amérique à Marfeille , & que ces 1000
liv . foient encore en rifque. Par-la Jean de
Marſeille auroit les deux tiers des mille livres
en rifque , bien qu'il fe für fait allurer
cette fomme en entier.
Permettez que pour faciliter la décifion
de ce cas , je dife un mot des raifons
par lesquelles l'un & l'autre foutiennent
leurs intérêts .
Pierre dit : J'ai figné le tiers de la fome
A O UST. 1756. 725
The qui eft fur le vaiffeau de Jean , & pour
cette partie je me fuis mis à la place de
Jean. Si donc Jean décharge les deux tiers
des facultés à Cadix , mon rifque doit diminuer
des deux tiers , & la prime de 4
p & 30 p d'augmentation
, doit
m'être déja acquife à Cadix fur les deux
riers des mille livres que j'ai affuré , puifqu'il
n'a dépendu que de Jean que toutes
les facultés vinffent à Marfeille , ayant
affuré le tiers de la fomme c'est tout
comme fi j'étois devenu propriétaire & cointéreffé
avec Jean, fur les facultés, & cela
pour ce mêmetiers . Je dois donc avoir part
à ce qui peut , dans le voyage , foulaget
mon rifque , tout comme Jean prétendroit
que je fuffe refponfable de ce qui
pourroit lui nuire.
De plus , il peut arriver que Jean laiſſe
dans le vaiffeau les effets les plus fufcepti
bles d'avarie ; ce qui retourneroit à me
charge , & qui n'eft pas juſte , &c.
Jean dit Premiérement pour mettre
fin , & couper cours à cette derniere objection
, je fais & déclare nulles les avaries
qu'il pourroit y avoir aux facultés de
Cadix à Marfeille , toutefois fans convenir
que la loi pût m'y obliger : ainfi cette
objection n'eft d'aucun poids.
Ce n'eft pas le tiers ou le quart , & c. que
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
Pierre de Rouen a figné ſur les facultés de
mon vaiffeau , mais c'eft la fomme de mille
livres. Ainfi quand 1000 liv . viendront
de Cadix à Marfeille , ils feront aux rifques
de Pierre , fans qu'il ait à s'embarraffer
& à me demander compte du furplus
de la cargaifon déchargée à Cadix .
Si l'on nous juge , dit encore Jean , ce
fera fur les claufes & les termes de la police
d'affurance , puifque c'eft le contract
qui nous lie or la police dit fimplement
que Pierre affure mille livres des facultés
d'Amérique à Marfeille ; le rifque de Pierre
eft donc fur mille livres , & jufques à
Marſeille. Quand donc Jean fera venir de
Cadix à Marſeille fon vaiffeau avec des facultés
pour la fomme de mille livres , l'affurance
aura fon plein effet , & la prime
fera juftement gagnée à leur arrivée à
Marſeille.
Que j'aie fait faire des affurances , ajoute
Jean , ou que je n'en aie point fait fur
les 2000 liv. cela ne regarde pas Pierre ,
& il ne doit y avoir aucun rapport de ces
2000 liv. & de leur fort avec celui des
1000 liv Or je fuppofe m'être fait affurer
les fufdires 2000 , liv. d'Amérique à
Cadix , elles y font arrivées , la prime eft
juftement gagnée pour l'Affureur de Cadix
, & je fuis quitte avec lui. Comment
A O UST. 1756. 127
dans ce cas , Pierre Affureur des 1000 liv.
peut- il exiger être déchargé des deux tiers
de fon rifque à Cadix , puifqu'alors je me
trouverois payer 4 p de prime , & 30
p d'augmentation fur 2666 liv . 13 f. 4
d. tandis que je n'aurois à couvert à Cadix
que pour 2000 liv . de facultés , & que ce
feroit à Cadix même que cette forte prime
feroit déja gagnée.
A toutes ces raifons , Jean en joint bien
d'autres , qu'il feroit trop long de déduire
celles- ci fuffifent pour faciliter l'intelligence
de la queftion . Je ferai d'une impatience
extrême jufqu'à ce que quelque Mercure
en annonce la décifion. J'ai l'honneur
d'être , &c.
LE GRAND TRICTRAC , ou Méthode facile
pour apprendre fans Maître la marche
, les termes , les regles , & une grande
partie des fineffes de ce jeu , enrichie de
270 planches ou figures , feconde Edition ,
revue , corrigée , & confidérablement augmenté
, par M. l'Abbé Soumille , Correlpondant
des Académies Royales des Sciences
de Paris & de Toulouſe. A Avignon ,
chez Alexandre Giroud , feul Imprimeur
de Sa Sainteté , & à Paris , chez Giffart ,
rue S. Jacques , à fainte Thérefe , 1756 .
Ce livre eft divifé en trois parties , dont
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
Ja premiere , qui contient 144 pages , forme
un tour complet de Trictrac , où tous
les coups font joués de fuite & repréſentés
par autant de planches ou figures particulieres.
La conduite en paroît négligée &
fans deffein , telle à peu près qu'on doit
d'attendre de deux véritables commençans ,
qui ne vifent qu'à s'inftruire de la marche
, des termes & des premieres regles de
ce jeu. On a même affecté d'y répandre des
fautes groffieres pour leur apprendre à les
éviter.
La feconde partie acheve d'expliquer
les regles particulieres qui n'ont pas pu
trouver place dans le premier tour de Trictrac.
Même ordre pour la fuite des coups ,
même ſecours des figures pour foulager l'imagination
, & l'on y trouve un exemple
complet du jan-de-retour , pouffé jufqu'à
l'entiere fortie des Dames ; exemple d'autant
plus néceffaire qu'il eft plus rare dans
la pratique , & qu'on eft par -là plus en
danger d'en oublier le détail.
Vient enfuite la troifieme partie qui
préfente des vues générales & particulieres
fur la maniere de cafer avec avantage,
& fur les combinaisons des Dez : on y voit
auffi des modeles de réflexions pour prendre
ou ne pas prendre fon coin ; pour tenir
ou s'en aller à propos , & tout l'ouvrage eft
A O UST. 1756.. 129
terminé par une récapitulation générale
des Ecoles , qui ne laiffe rien à défiter en
ce genre .
1 Tel eft en gros le plan de ce traité, qu'une
table alphabétique & bien détaillée
rend extrêmement commode , pour trou
ver à point nommé les regles dont on peut
avoir befoin. Outre qu'elles font répandues
& expliquées fort au long dans le
corps de l'Ouvrage , on a eu foin de les
taffembler toutes fous cinq points de vue ,
qui font les loix du coin , du plein , du retour
, de la fortie des dames , & de la fauf-
Le cafe.
Il réfulté de tout ceci que les commençans
y trouveront des moyens avantageux
de s'inftruire , & que toutes fortes de
Joueurs , même les plus habiles , ne feront
pas fâchés d'avoir ce livre pour abré+
ger les conteftations qui naiffent fi fou
vent dans la pratique. On pent d'autant
mieux s'en rapporter aux décifions qu'il
renferme , qu'on a pris plus de foin de confulter
les grands Maîtres ; & quand même
il s'en trouveroit quelqu'une , fur lefquelles
les deux Joueurs ne tomberoient pas également
d'accord , il fuffit de convenir au
commencement du Jeu qu'on s'en tiendra
mutuellement au livre , pour que tome
difpute finiffe dans l'inftant.
Ev
130 MERCURE DE FRANCE.
L'ART de la Cavalerie , ou la maniere
de devenir bon Ecuyer , par des regles
aifées & propres à dreffer les chevaux
à tous les ufages que l'utilité & le plaifir
de l'homme exigent , tant pour le manége ,
que pour la guerre , la promenade , l'attelage
, la courfe , le tournois ou carroufel
, &c ; avec des remarques curieufes
fur les Haras ; une idée générale des
maladies des chevaux ; l'explication de
toutes les pieces qui compofent les différentes
fortes d'equipages , & des obfervations
fur tout ce qui peut bleffer ou
gêner les chevaux ; par M. Gafpard de
Saunier , ci devant Ecuyer de l'Académie
de l'Univerfité de Leyde. Imprimé à Amfterdam
, & fe trouve à Paris chez Ch.
Ant. Jombert , Imprimeur- Libraire du Roi ,
pour le Génie & l'Artillerie , rue Dauphine
, à l'Image Notre - Dame , 1756.
Ce Livre doit être d'autant plus favorablement
reçu des Amateurs de l'Art du
Manege , que fon Auteur eft déja connu
avantageufement , par le Traité qu'il mit
au jour , il y a environ vingt ans , fur la
Connoiffance des Chevaux. Il fuffit de voir
dans la Préface placée à la tête de cetexcellent
ouvrage , le récit des différens
emplois qui ont été confiés fucceffivement
à cet Homme illuftre , foit dans les Haras ,
A OUST. 1756. 131
dans le Manege , ou dans les Armées , &
les différentes Ecoles où il s'eft perfectionné
dans fa profeffion , tant en France
que dans les Pays Etrangers , pour concevoir
une haute idée du Livre qu'on
annonce aujourd'hui . Il s'agit d'un volume
in -folio , de cinquante feuilles . d'impreſ
fion , avec trente Planches bien gravées ,
dont plufieurs occupent la feuille entiere.
Comme le Libraire de Hollande n'a tiré
ce Livre qu'à un très-petit nombre , on
n'en propofe que 200 exemplaires au
Public. Les perfonnes qui l'acheteront
d'ici à la fin de cette année , le payeront
quinze livres , relié. Ceux qui ne l'auront
pas acheté avant le dernier Décembre
le payeront vingt livres , auffi relié : il
y a même toute apparence qu'il augmentera
de prix , vu le peu d'Exemplaires
qui resteront alors.
On trouve auffi chez Jombert , les
Euvres complettes de M. de Voltaire ,
faites fous les yeux l'Auteur , 10 volumes
in-89. imprimé à Genève. Prix 30 liv. en
feuilles.
Le même Libraire a mis fous - preffe un
Dictionnaire portatif de la Marine , fait
avec beaucoup de foin , & contenant
tout ce que cette fcience offre d'utile &
de curieux , 1 vol . in - octavo . Il vient aufli I
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
de mettre enfin au jour le quatrieme
volume de l'Architecture Françoife , qui
eft un des plus intéreffans de ce grand
Ouvrage.
·
L'HEUREUSE VICTIME , ou le triomphe
du plaifir. Ce Roman , dans le genre
poétique , contient très peu de faits.
Ceux qui aiment les comparaifons , les
defcriptions , les récits & les converfations
, auront beaucoup de plaifir en un
quart-d'heure , qui eft le temps que demande
la lecture de cette Brochure , de
88 pages. Ceux qui aiment à trouver le
fentiment dans un Roman , où il n'eft
queftion que d'amour , qui aiment les idées
naturelles , les expreffions propres , les fi
tuations intéreffantes , ne trouveront pas
leur temps auffi bien employé . Nous nous
ferions contentés d'annoncer ce Roman
informe , mais nous avons cru devoir facrifier
notre répugnance à critiquer , à l'intérêt
que nous prenons naturellement à
tout Auteur qui montre de l'efprit , & à
qui il ne manque que d'être éclairé pour
acquérir le talent.
Se trouve à Paris , chez Cailleau , Libraire
, Quai des Auguftins , à Saint
André.
A O UST. 1756. 133
ODE fur la ruine de Lifbonne . Cette
Ode eft de M. Barthe , de Marfeille , qui a
été plufieurs fois couronné à différentes
Académies. L'Auteur foutient fa réputation
dans cet Ouvrage , & furtout dans les
deux ftrophes que nous allons citer , qui
Hous ont paru également poétiques & touchantes::
Quelles peintures effroyables
Ont jamais offert tant d'horreurs !
Et quels défaftres lamentables.
Ont mieux juftifié nos pleurs !
L'amitié , l'amour , l'hymenée
A l'humanité confternée .
Tracent mille effrayans tableaux
La nature , en ce jour terrible ,
Voit , par une main inviſible ,
Ouvrir d'innombrables tombeaux.
Hélas ! en ce moment terrible ( 1 ) ,
Que fais-tu , Roi de tant de morts ?
Sur ton char , & d'un front paifible ,
Tu voles vers ces triftes bords :
Mais des clameurs interrompues.
Frappent tes entrailles émtes ;
Tes Courfiers reculent d'effroi :
Tu fens ébranler ta Couronne ;
(1) Le Roi de Portugal revenoit alors de Bélem ,
Maifon royale.
134 MERCURE DE FRANCE.
Tes yeux fe fixent fur Lifbonne....
C'est elle quel objet pour toi !
Se vend chez Lottin , rue S. Jacques ;
Lambert , rue de la Comédie Françoife , &
Duchefne , rue S. Jacques.
>
- LETTRE à l'Auteur de la Nobleffe commerçante.
Tous les Livres qui font du
bruit , font comme le fignal de mille cenfures.
Nous ne voulons pas inférer delà
que la critique doive être bannie de la République
des Lettres ; nous fommes , au
contraire bien perfuadés que les plus
grands efprits ont encore befoin d'être
éclairés en bien des chofes ; mais nous fouhaiterions
qu'on les éclairât par une lumiere
douce & bienfaifante. Il ne fuffit
pas de vouloir faire du bien , il faut
encore fçavoir le faire ; c'eft le genre de
fervice qui demande le plus de ménagement.
La Lettre à M. l'Abbé Coyer nous
arrache cette réflexion . L'Auteur n'a point
affez confulté la politeffe : il a de l'efprit ,
il fçait écrire & penfer ; mais il eſt allé
jufqu'à la fatyre , & il eft à peine permis
d'aller jufqu'au badinage . En fuppofant
qu'il n'a été trop loin que par vivacité
d'efprit , nous fommes encore en droit de
lui reprocher de ne voir dans M. l'Abbé
Coyer qu'un Auteur de petites critiques
A O UST. 1756. 135
morales. Cette prévention eft démentie par
les Ouvrages même qui l'ont fait naître ;
les Bagatelles morales & les deux Differtations
( 1 ) , qu'on a l'air de vouloir ici reprocher
à l'Auteur en lui confeillant d'en
faire fes modeles conftans , font des productions
qui décelent autant de profondeur
d'efprit , qu'elles prouvent de délicateffe
d'imagination . M. l'Abbé Coyer qui
avoit fait connoître qu'il penfoit bien ,
vient de prouver qu'il penfe beaucoup , &
le Public ne fe feroit pas imaginé , après la
publication de la Nobleffe Commerçante,
qu'un homme qui a de l'efprit pût l'accufer
de n'être qu'un Auteur très- fuperficiel.
Cette cenfure hazardée eft pourtant tout
le but qu'on paroît s'être propofé dans la
Lettre dont nous faifons ici mention. Le
raiſonnable , dans cette Lettre , eſt ſi fort
noyé dans le fatyrique , qu'on peut dire
hardiment qu'il eft comme perdu . L'Auteur
pouvoit prendre un meilleur ton : nous
l'en croyons très- capable ; & notre critique
n'a certainement pour but que de l'y
engager . Se vend chez Lottin.
(1) Sur le mot peuple & fur le mot patrie.
PRECIS de l'Effai fur la maniere de
perfectionner l'efpece humaine , par M. Vandermonde
, Docteur-Régent de la Faculté
116 MERCURE DE FRANCE.
de Médecine de Paris , deux volumes in-
12. A Paris , chez Vincent , Imprimeur-
Libraire , rue S. Severin, à l'Ange, Ouvrage
annoncé dans le Mercure de Mai , 17567
M. Vandermonde a divifé cet Ouvrage
en quatre parties. Dans la premiere , on
Frouve raffemblé fous un feul point de
vue toutes les qualités requifes dans les
deux fexes pour avoir des enfans auffi
parfaits qu'on le peut défirer. On voit que
c'eft fouvent de la conformation des peres
& meres que dépend celle de leurs en
fans , & que d'un affemblage bizarre &
mal concerté , il doit réfulter une produc
tion bizarre & contraire àla belle nature.
L'Auteur parcourt ici tous les défauts
effentiels qui empêchent les peres d'avoir
une belle & forte poftérité ; & il prétend
qu'avant que d'avoir des enfans parfaits ,
il faut que les peres & meres commencent
à l'être eux -mêmes. L'Auteur conduit
delà fon Lecteur aux attentions que l'on
doit apporter dans le mariage , aux regles
que l'on doit obferver relativement aux
temps , à la nourriture , aux circonftances
& aux précautions qui peuvent rendre les
fruits du mariage plus ou moins féconds.
Dans le fecond chapitre , l'Auteur donne
les moyens d'affortir convenablement tous
AQUST. 1736. 137
pules
mariages. Il exige d'abord qu'il n'y ait
pas une trop grande difproportion d'âge
entre l'homme & la femme. Il démontre
les inconvéniens qui en proviennent. Il
ne confeille pas non plus de marier les enfans
auffitôt qu'ils ont atteint l'âge de
berté , parce qu'il en réfulte tous les jours
des exemples funeftes , & que c'eft un
moyen fûr de n'avoir jamais que des enfans
foibles & mal conftitués. Hy a ici
des dérails qui pourront amufer le Lecteur
ou du moins l'intéreffer. Il confeille auffi
d'éviter les mariages difproportionnés par
la taille , de ne pas affortir une borgne avec.
un homme qui a l'ufage de fes deux yeux ,
un homme bienfait avec une boiteufe , ou ,
ee qui eft encore plus à craindre , un fourd
& un aveugle. Si le hazard a fait dégénérer
l'efpece humaine , l'art peut auffi la
perfectionner. L'Auteur rapporte ici toutes
les tentatives que l'on a faites fur les
animaux , & nous dit que nous avons
par le moyen d'un affemblage fait avec
intelligence , des races de chevaux , de
chats d'une variété finguliere , que l'on
eft parvenu à perfectionner les chiens , les
poules , les pigeons , les fereins ; & que
par conféquent , on peut faire quelques
tentatives analogues fur l'efpece humaine .
A croir que l'on pourroit par ce moyen
138 MERCURE DE FRANCE.
perfectionner des talens agréables à la
fociété , en affortiffant , par exemple , un
danfeur François avec une danfeufe Italienne
ou Anglife , ou un chanteur
Anglois avec une Italienne qui auroit une
belle voix . Il cite pour exemple de comparaifon
le chardonneret måle avec la
ferine : le mulet qui en provient a un chant
plus agréable & plus flatteur que celui de
l'un & de l'autre.
L'Auteur termine fa premiere partie par
la reffemblance que l'on obferve de pere en
fils. Il explique ce qui la forme , la ſoutient
, l'altere & la détruit , & il donne les
moyens de la varier ou de la rendre héréditaire
felon le befoin ou le defir que l'on
en a. La feconde partie commence à l'inf
tant où l'on fuppofe la femme enceinte ,
après avoir fuivi toutes les regles qu'on
lui a prefcrites . On trouve ici toutes les
précautions qu'une mere doit obferver
par rapport à fon enfant dont elle devient
la dépofitaire. On lui indique l'air
qu'elle doit refpirer , celui qu'elle doit
éviter , ce qu'il peut fur fon corps, De
là on fait une revue générale de tous les
alimens on fait voir quelle eft la partie
propre à nourrir : on marque jour par
jour les alimens qui conviennent aux femmes
enceintes , ceux qu'elles doivent fuir
A O UST. 1756 . 139
ou qu'elles doivent prendre felon les befoins
de leur fruit , & felon les differens
temps de leur groffeffe . Le chapitre de
l'air & celui des alimens qui font deux
des plus intéreffans pour les femmes enceintes
, forment deux traités complets fur
ces deux matieres , & peuvent être utiles à
toutes les perfonnes qui veulent appiendre
à diriger elles -mêmes leur fanté. Il s'agit
enfuite de l'exercice & du repos : on
prouve ce qu'ils peuvent fur les femmes &
fur l'enfant qu'elles portent . De là on leur
prefcrit les regles qu'elles ont à fuivre dans
le fommeil & la veille , les foins qu'elles
doivent prendre pour foutenir ou diminuer
leurs évacuations qui font dépendantes
de l'état de groffeffe . Après avoir travaillé
pour le corps , l'Auteur tourne toutes
fes vues du côté de l'ame dont il tâche
de développer la méchanique relativement
au corps . Il remarque que toutes les
ames font les mêmes. « Que celle d'un
», enfant qui vient de naître , & celle
d'un grand Philofophe ne different en
rien ; que l'une cependant s'annonce par
» des pensées fpirituelles , des refſources
ingénieufes , des mefures réfléchies &
» judicieufes ; que l'autre ne paroît que
» fous des dehors innocens , des fentimens
puériles , des mouvemens enfantins ;
"
"3
و د
99
$
140 MERCURE DE FRANCE.
qu'une dofe d'opium rend un Mathéma
ticien incapable de penfer , & l'Athlete
» le plus robufte incapable de combattre ;
» que quand le médicament a achevé fon
» effet , la fcience revient à l'un , la for-
> ce à l'autre , & la raifon àtous les deux »
L'Auteur conclud delà que tout ce qui
peut altérer & changer le corps , fait éprou
ver à l'ame les mêmes modifications , &
que par conféquent les meres doivent être
très-attentives à réprimer leurs paffions , &
que la délicateffe des femmes fait qu'elles
doivent encore plus fe garantir des effets
qui en peuvent réfulter. L'Auteur fronde
enfuite le préjugé des femmes fur les effets
de l'imagination , & leur prouve qu'il eft
tout auffi égal pour une femme enceinte
de voir un homme laid qu'un beau , que
ce font les objets feuls qui font naître des
idées , mais que les idées feules ne for
ment pas des objets réels. Il s'agit après
des ajuſtemens des femmes enceintes . On
tâche de faire comprendre comment ils
peuvent altérer ou réformer la beauté de
Ja mere , & la conformation naturelle de
l'enfant. Cette feconde partie finir par
Faccouchement , où l'on donne les moyens
de réparer les torts qu'il peut faire fur l'enfant
, & où l'on fait connoître quel eft le
devoir de l'Accoucheur pour fauver la
A O UST. 1756 . 141
beauté & la force des parties. Dans la
troifieme partie , on voit l'homme naiſfant.
Après avoir détaillé les méthodes
différentes d'élever les enfans , l'Auteur
adopte les unes & donne l'exclufion aux
autres, I attaque fans ménagement tous
les préjugés qu'il a cru pouvoir porter
atteinte à la conformation naturelle du
corps. Il ne confeille ni le lait des nour+
rices , ni celui de la mere , & prétend que
le meilleur que l'on puiffe donner aux en
fans , c'eft le lait de vache ou des autres
bêtes domestiques. On prie le Lecteur de
faire attention à ce chapitre qui eſt trèsdétaillé
, & qui eft un des plus importans
de l'éducation des enfans . L'Auteur condamne
les maillots dont on fe fert , & il
les regarde comme une des fources les plus
communes de la difformité de la plupare
des enfans. Il défaprouve les corps à baleine
, & démontre les inconvéniens auxquels
on s'expofe tous les jours en les mettant
en ufage ; il fuit l'enfant dans l'air
qu'il refpire , dans fen exercice & fon repos
, quand il dort , quand il veille. Il
donne des regles pour le conduire dans fes
évacuations , & traite des effets de fes paf-
Gions fur la conformation de fon corps. On
a vu dans le premier volume la Médecine
préfervative des femmes enceintes , dang
1
142 MERCURE DE FRANCE.
celui -ci on trouve celle des enfans. Ces
deux objets n'ont pas été encore fuivis par
aucuns Médecins , & M. Vandermonde
les a réduits en corps de doctrine. Cette
troifieme partie contient beaucoup de chofes
néceffaires à l'éducation des enfans
dont les peres & meres ne fçauroient trop
s'occuper. Après avoir choisi tous les différens
moyens d'améliorer la conformation
du corps des enfans , après avoir préfenté
aux meres le modele qu'elles ont à
fuivre pour remplir ce projet , & pour ne
pas s'écarter de la route naturelle , l'Auteur
commence cette quatrieme partie par
la force de l'habitude. Il entre ici dans un
très-grand détail : il fait obferver que l'habitude
pêtrit tous les hommes à fon gré ;
qu'elle donne de la force aux uns , & qu'el
le rend foibles les autres ; qu'elle affujettit
pour toute la vie à une trifte uniformité
ceux qui fe font ménagés en tout
point , & qu'elle fait payer chérement les
imprudences qu'ils font ; que ceux au contraire
qui s'accoutument à tout n'ont rien
à craindre ni de la viciffitude des faifons
qui moiffonne les trois quarts des hommes,
ni de l'intempérance qui eft l'écueil de la
jeuneffe. Il dit enfin « qu'un homme robufte
, ou qui cherche à l'être , doit ne
℗ s'affujettir à aucun régime. S'il craint le
A O UST. 1756. 143
» mal , il faut qu'il fe familiarife avec la
» peine ; fa vie doit être continuellement
» variée. Tantôt il faut qu'il foit à la
campagne , & tantôt à la ville , qu'il
» s'exerce , qu'il fe repofe , qu'il dorme ,
qu'il veille : le repos appéfantit le corps,
93
le travail le réveille ; fi l'un hâre la vieil-
»leffe , l'autre prolonge la jeuneffe . Il
doit quelquefois affifter aux grands repas
, & manger beaucoup , tantôt man-
"ger moins , & fuir les feftins ; s'habituer
» à prendre de la nourriture à toute heure,
» en un mot , ſe faire en général à tout , &
ne s'habituer à rien en particulier
Telle est l'éducation que M. Vandermonde
croit que l'on doit donner aux enfans
pour les rendre vigoureux & d'une
fanté conftante. Telle eft la conduite qu'il
prétend que l'on peut fuivre jufqu'à l'âge
de puberté. L'Auteur finit certe derniere
partie par un Traité des Sens : jufqu'ici il
a travaillé pour le corps , fes efforts vont
tendre directement à former l'efprit. Comme
prefque tout ce que nous fçavons ne
nous vient que par nos fens , & que c'eft
le nombre & la nature de nos connoiffances
, qui nous donnent plus ou moins
d'efprit , l'Auteur a cru qu'en propofant
les moyens de rectifier nos fens dès l'enfance
, que notre ame étant mieux inſtrui144
MERCURE DE FRANCE.
de
te , nous ferions plus parfaits , & que
cette maniere , on pourroit rendre tous les
hommes plus fpirituels qu'ils ne le font.
Après avoir expliqué la méchanique des
fens en général , M. Vandermonde entre
dans le particulier , & donne des moyens
fimples & faciles à exécuter , tirés de la
Phyfique , de la Médecine , & de la raifon
, pour rendre les fens des enfans auffi
parfaits & aufli prématurés qu'ils peuvent
l'être. On trouvera dans cette derniere
partie plufieurs idées neuves qui ne peuvent
que concourir à donner plus de force
au corps des enfans , & à leur efprit plus
de jufteffe & plus d'étendue.
LE DROIT NATUREL , Civil , Politique
& Public , réduit à un feul principe , par
M. l'Abbé Yvon , en 12 volumes....Incedo
per ignes fuppofitos cineri dolofo . A la
Haye , chez la veuve d'Adrien Moetjens.
1756 .
Cet Ouvrage , dont la Préface vient
d'être imprimée , & qu'on doit délivrer par
foufcription , fera divifé en quatre parties ,
qui contiendront chacune plufieurs volu
mes. La premiere aura pour titre les Principes
de Droit Naturel ; la feconde , l'homme
dans l'état de nature ; la troisieme ,
l'homme dans la fociété civile ; la quarrie
me
A O UST. 1756. 145
me , les Nations confidérées en elles -mêmes
& dans les rapports qu'elles ont les
unes avec les autres . Cette divifion promet
un Ouvrage auffi profond qu'utile. Le nom
de l'Auteur & fa Préface donnent tout lieu
de préfumer, que l'exécution répondra parfaitement
à l'annonce. Pour donner un
précis des trois premieres parties , & faire
connoître en même tems le ftyle & le
ton de la Préface , nous allons en extraire
quelques pages , qui développent prefque
le plan de ce Traité.
Dans la premiere Partie , dit l'Auteur ,
j'ai pofé les fondemens du Droit de nature
, afin que dans les fuivantes je n'aye
plus qu'à m'abandonner au cours paifible
des conféquences qui en coulent naturellement.
Je m'y fuis attaché fur tout à développer
dans toute leur étendue les diverfes
branches de la Loi naturelle, qui doit avoir
une fi grande influence furtout le refte de
l'Ouvrage. Dans la deuxieme , j'ai confidéré
l'homme dans l'état de nature avec
tous les droits & toutes les prérogatives
qui accompagnent cet état ; & comme
mon intention eft de tirer de cet état primitif
des inductions qui s'étendent aux
fociétés civiles , envifagées dans les rapports
qu'elles ont les unes avec les autres
je n'ai pas cru devoir leur propofer pour
G
...
146 MERCURE DE FRANCE.
modele de conduite l'homme tel que nous
le peint M. Rouffeau dans cet état , c'est-àdire
, fauvage , borné à des fonctions animales
, né avec une imagination qui ne lui
peint rien , avec un coeur qui ne lui demande
rien , avec un efprit qui ne ſçait
pas s'étonner des plus grandes merveilles .
Comme cet homme eft moins homme que
bête il ne peut être affujetti à aucune loi qui
foit
propre
à un être
moral
, c'eſt
- àdire
, intelligent
& libre
; il ne fçauroit
être
vertueux
ni vicieux
. J'ai
traité
des
droits
refpectifs
que
nous
avons
les uns
avec
les autres
, de l'origine
des
Domaides
droits & des obligations qui en
réfultent , des différentes manieres de s'engager
les uns envers les autres , & de faire
ceffer les obligations contractées. Comme
la focieté paternelle ou domeftique
tient à l'état de nature , qu'elle eft antérieure
aux fociétés civiles , dont elle dépend
à certains égards lorfqu'elle eft une
fois reçue dans leur fein , j'en ai parlé dans
cette feconde Partie .
La troifieme Partie devroit naturellement
s'ouvrir par le fpectacle de l'homme
placé dans l'état civil ; mais avant que
d'en venir là , je prends l'homme fortant
des mains de la nature ; je le fuis à travers
tous les changemens que la fucceffion
A O UST. 1756. 147
des tems & des chofes a dû produire dans
fa conftitution originelle ; je démêle ce
qu'il tient de fon propre fonds d'avec ce
que les circonstances & fes progrès ont
ajouté ou changé à fon état primitif ; enfin
je marque dans le progrès des chofes le
moment où le droit fuccédant à la violence
, la nature fut foumiſe à la loi.
Lorfque je fuis parvenu à placer l'hom
me dans l'état civil , je mefure l'intervalle
immenfe qui le fépare de l'homme fauvage
, & balance les avantages des deux états.
On imagine bien que je ne fuis pas affez
mifantrope pour donner la préférence à
l'homme fauvage fur l'homme civil . Si le
calme des paffions & l'ignorance du vice
empêchent le premier de faire mal , le foible
développement de fes lumieres ne lui
permet pas de faire tout le bien qu'il
pourroit , fi fa raifon étoit plus perfectionnée
. Si le fecond a plus de vices , il a auffi
plus de vertus , & cela feul fuffit pour décider
la queftion , quand d'ailleurs il feroit
prouvé qu'il y a moins de vertus que
de vices parmi les hommes civilifés ....
La raison du fauvage étant enveloppée
dans un fombre nuage , & fes facultés fpirituelles
dans une espece d'engourdiffement
, il eſt comme s'il n'exiftoit point.
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
L'animal feul exifte chez lui , & l'homme
eft encore à naître , &c..
Forcés de nous arrêter par les limites
que nous nous fommes impofées , nous
paffons à cet endroit de la Préface , où
l'Auteur a mis , pour ainfi dire , tout le
germe de fon traité , & nous nous y renfermons.
Dans tout Ouvrage bien fait ,
on trouve , dit-il , une idée dominante
qui fe développe , s'étend , ſe ramifie , en
fe nourriffant de toutes les autres qui s'en
rapprochent comme d'elles- mêmes. Voici
celle qui eft comme la baſe de tout mon
Ouvrage , & à laquelle fe rapporte néceffairement
tout ce que j'y dis. » La Nature
» nous fait une loi de nous porter aux ac-
» tions qui tendent à notre perfection & à
» celle de notre état , & par la raiſon des
» contraires , de nous abftenir de toutes
» celles qui ne peuvent nous détériorer ,
»ainfi que tous les objets qui ont des rap-
" ports immédiats avec nous ces actions
» doivent être déterminées par les mêmes
» raifons finales , que le font nos actions
» naturelles , parce que ce font les feules
qui contribuent à notre perfection & à
» notre bonheur. » Ce principe général du
Droit de la Nature eft fi fécond , qu'il n'y
a rien dans toute l'étendue de ce Droit ,
ور
"
ود
A O UST. 1756. 149
qui ne s'en déduife par un enchaînement
de conféquences néceffaires.
On annonce dans le Projet de Soufcrip .
tion , qu'on ne négligera rien pour donnet
une Edition extrêmement correcte & digne
de l'importance des matieres qu'on
préfente au Public . Les Soufcripteurs paye
ront 21 florins de Hollande en quatre
payemens, chacun de S5 florins , 5 f. ou un
ducat , dont le premier ſe fera en ſouſcrivant
, le fecond , en recevant les tomes
1 & 2 , le troifieme , en recevant les tomes
3 & 4 , le quatrieme , en recevant
les tomes 5 , 6 , 7 & 8 : les tomes 9 ,
10 , 11 & 12 feront donnés gratis . Le
prix fera arbitraire pour ceux qui n'auront
pas foufcrit. La Soufcription fera ouverte
jufqu'au premier Janvier 1757. On imprimera
à la tête le nom des Soufcripteurs.
Les tomes 1 & 2 fe délivreront le premier
Avril 1757 ; les tomes 3 & 4 le premier
Juillet , les tomes 5 , 6, 7 & 8S le premier
Janvier 1758 ; les tomes 9 , 10 , II &
12 le premier Juillet 1758. On foufcrira à
Paris , chez le Breton , David , Durand ,
Briaffon & Lambert .
pro- DISCOURS fur les Vignes. L'on fe
poſe dans cet Ouvrage de faire voir les
rapports que les vignes ont avec les autres
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
prouparties
de l'Etat , & avec l'intérêt commun
& particulier. En 1731 , le Roi rendit un
Arrêt, par lequel il fut défendu de ne faire
aucune nouvelle plantation de vignes dans
toute l'étendue des Provinces & Généralités
du Royaume , & de réparer même
tout ancien plant qui auroit été deux ans
fans être cultivé , fans une permiffion expreffe
de Sa Majefté , fous peine de 3000 1.
d'amende. Le but de l'Auteur eſt de
ver que l'abondance des plantations ne
peut nuire à l'intérêt de l'Etat , du Prince
& du particulier : il veut même prouver
que cette abondance qui ne peut être ,
nulle part du Royaume , un mal , peut
être en beaucoup d'endroits un bien. Il
met fous les yeux toutes les raifons qui
ont déterminé les Intendans à folliciter cet
Arrêt , & il oppofe raifon à raifon pour
établir fon fyftême. Pour nous renfermer
dans les bornes que nous nous fommes
prefcrites , nous nous contenterons de dire
que cet Ouvrage refléchi & élégamment
écrit , eft d'un homme qui a déja montré
les fentimens d'un Citoyen & l'efprit d'un
Philofophe.
C'eft une Brochure de 68 pages . On la
trouve chez Piffot , à la defcente du Pont-
Neuf.
A O UST. 1756. 157
L'INOCULATION , Poëme à Mgr le Duc
M. Poinfinet , le jeune.
d'Orléans ; par
Principis obfta : fero medicina paratur ,
Cùm mala per longas invaluére moras.
Ovide.
A Paris , fans nom de Libraire , 1756 .
L'Auteur a divifé ce Poëme en trois
parties . Dans la premiere , il peint l'origine
de la petite- vérole en Arabie , fes
progrès & quelques-uns de fes effets . Dans
la feconde , il chante l'heureufe découverte
de l'inoculation , fes fuccès , nomme les
lieux où elle fleurit , & trace en vers la
maniere d'inoculer. Dans la troifieme &
derniere partie , il juftifie l'inoculation
contre fes Antagonistes. Si ce fujet offre
plutôt la matiere d'une Differtation que
celle d'un Poëme , il a du moins l'avantage
d'être neuf ; d'ailleurs le talent fçait fe
rendre tout propre :
( 1 ) Et c'eft du fein des grands obftacles
Que naiffent les grandes beautés.
M. Poinfinet le prouve par fon Ouvra
ge. On peut dire , fans trop le flatter , qu'il
trouve fouvent l'art d'y répandre de la
la poëfie qui le difpenfe du raifonnement.
(1) M. de la Mothe-Houdart dans fes Odes
Giv
152. MERCURE DE FRANCE.
Pour en convaincre le Lecteur , nous allons
tranfcrire ici quelques tirades qui nous
ont paru heureufement verfifiées . Telle eft
la naiffance poétique de la petite-vérole
dans la premiere partie :
Du centre des déferts , de l'inculte Arabie ,
Quelle fombre vapeur s'exhale dans les airs !
De nuages épais les aftres font couverts :
Le jour s'éclipfe , il fuit : l'atmoſphere obſcurcie
Ne laiffe plus briller que le feu des éclairs .
Tout à coup le nuage & groffit & s'avance :
La terré l'enfanta , le foleil le condenſe ;
Son ardeur le refferre , & n'offre plus aux yeux
Que l'immenfe contour d'un globe ténébreux,
Il s'ouvre; quelle horreur ! quel monftre épouvantable
!
C'eſt le fils de la mort que nous vomit l'enfer.
Il s'élancé fur nous, Dieux ! fa gueule effroyable
Eft d'un poifon mortel , la fource intariffable.
De cet hydre effrayant qui pourra triompher ?
Il baigne dans le fang fes aîles meurtrieres ;
De fon haleine impure , il infecte les Cieux.
Son corps et tout couvert ( 1 ) de jauniffans ul-
..ceres ,
D'où découle fans ceffe un fiel contagieux.
(1) Ce Vers a un grand air de ressemblance
avec celui-ci qui eft dans Phedre :
Tout fon corps eft couvert d'écailles jauniſſantes.
A O UST. 1756 .
155
Lui-même fe repaît , lui- même s'enfanglante ,
Se déchire , & toujours l'Ange exterminateur
Lui porte fous les flancs une torche brûlante ,
Qui ranime fa rage & nourrit fa douleur.
tout va mourir , tout cede à fa fu-
Tout meurt ,
reur.
Femmes , enfans , vieillards , malheureufes vio
times ,
Vous , levez vers les Cieux vos regards effrayés.
Sous vos fables brûlans vous cherchez des abys
mes ,
Et vous trouvez partout la mort que vous fuyez.
Le Poëte fait enfuite cette galante apoftrophe
:
Défendez , Dieux vengeurs , votre plus bel ou
vrage ;
Er toi , fils de Vénus , veille fur la beauté :
Elle affure ton culte , en offrant ton image.
Viens purger l'univers de ce monftre indompté.
Ce n'eft qu'aux humains feuls que s'acharne fa
rage.
Plus fortunés que nous , ces groffiers animaux ,
Tandis que nous mourons , moiffounent la vers
dure.
Ils jouiffent en paix des dons de la nature
Et goûtent nos plaifirs fans éprouver nos maux.
Voici comme l'Auteur décrit dans le
Gr
154 MERCURE DE FRANCE.
feconde partie , la maniere dont une beauté
eft inoculée à la faveur du bain :
Dans l'onde la plus pure Artemire baignée ,
Fait couler en fon fein une fraîche liqueur.
Efculape l'approche , il raffure fon coeur ,
Et cache entre les mains une étoupe imprégnée ,
De ce même venin fi funefte aux appas.
'Artemire le voit ; mais d'une ame affurée ,
Et dès que de fon fang la maffe eft épurée ,
Un acier falutaire entr'ouvre fon beau bras.
Dans la plaie à l'inftant l'étoupe eft inférée ,
Et ce fiel jufqu'alors , principe du trépas ,
Dans un corps où fa route est déja préparée ,
Coule , altere le fang , mais ne le corrompt pas.
A l'art qui l'a dompté , fa violence cede ;
Et des maux qu'il caufoit il devient le remede.
Ainfi cet animal ( 1 ) venimeux , infecté ,
Dont un trépas certain fuit de près la morfure ,
Ecrafé fur la plaie en guérit la bleſſure ,
Et lave de fon fang le fiel qu'il a jetté.
Nous ne pouvons mieux terminer ce
court précis que par les vers qu'on va
fire , & qui contiennent des éloges & bien
mérités :
Dans les murs de Paris , fous les yeux de la France ,
Cet art étale enfin fes fuccès éclatans :
(1 ) Le Scorpion
A O UST. 1756. 133
Comte ( 1 ) , pour t'affurer un éternel printemps ,
Il ne t'en a coûté qu'un iaftant de fouffrance ;
Tu conferves tes jours , tu rends à l'eſpérance
L'héritiere du nom & des appas d'Hortenfe.
Suis déformais le cours de tes deſtins brillans :
Vole , & que fous tes loix nos foldats triomphans
Du grand Belle- Ifle en toi retrouvent la vaillance :
Mais qui t'a pu donner des exemples frappans ?
Qui t'a de ce grand art démontré l'excellence ?
C'eſt un Prince , un Héros dont la tendre prudence
Pour les fauver tous deux , y foumet fes enfans.
Peu fenfible aux clameurs d'un peuple téméraire
Toujours prompt à blâmer ce qu'il ne comprend
pas ,
Il penſe en Philofophe , il fe conduit en pere.
Le fuccès va bientôt confondre ces éclats .
Levons les yeux , voyons fon augufte famille.
Dans leurs regards fereins , c'eft la fanté qui
brille :
Ils vivront ces enfans , & c'eft pour nous aimer.
Rendons graces à l'art qui les a fait renaître ,
Et chantons ce Héros que je n'ofe nommer ..
Mais que dis-je ! à ces traits , qui le peut méconnoître
?
C'eft Philippe , la gloire & l'appui de nos lys ;
(1) Mile Comte de Gifors.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
C'eft l'ame de mes vers , mon bienfaicteur , mon
Maître ,
Qui rend à nos tranfports & fa fille & ſon fils,
HISTOIRE raifonnée des premiers fiecles
de Rome , depuis fa fondation jufqu'à la
République , , par M. Paliffor de Montenoy
, de la Société Royale & Littéraire de
Lorraine , & de l'Académie des Belles-
Lettres de Marfeille.
Tanta molis erat romanam condere gentem.
Virg. Eneid.
Deux Volumes . A Londres , 1756. Se trouve
à Paris , chez l'Auteur , rue du Dauphin
, maifon de M. de Gaumont ; & fe
vend à Avignon , chez Jacques Garignan ,
Libraire . Prix 2 liv. in 8°.
Cette Hiftoire eft dédiée au Roi de Pologne
( Stanislas ) , & précédée d'un Dif
cours fur l'Hiftoire à Madame D *** , que
nous avons trouvé rempli d'excellentes
réflexions. Quand on penfe auffi bien fur
l'hiftoire , on eft fait pour la bien écrire.
M. Paliffot nous paroît juftifier le titre de
celle que nous annonçons , & rajeunir un
fonds ufé par la maniere nouvelle dont il
le traite. L'Hiftorien voit toujours en Philofophe
, & fait marcher la raifon à côté
de l'élégance. Les endroits que nous allons
A O UST. 1756. 157
extraire , prouveront la vérité de cet éloge.
Nous les prenons au hazard dans la vie
de Romulus & dans celle de Numa .
وو
ور
"
Le peuple brifa la prifon de Rhéa Sil-
» via , & remit à Numitor la Couronne
» de fes peres. La pitié que l'on a toujours
pour les illuftres malheureux lui gagna
» tous les fuffrages ; c'eft un mérite aux
» yeux du peuple d'avoir été l'objet des
» perfécutions d'un Tyran , la compaffion
» devient amour , & l'élévation de l'opprimé
met le comble à la joie publique .
» Un fentiment en apparence fi définté-
» reffé, n'a peut- être d'autre fource que l'ef-
» poir fécret des récompenfes. Rarement
» les hommes fe perdent de vue dans leurs
» actions. L'encens qui fume aux pieds des
» Autels , ne s'allume pas toujours pour
» la Divinité que l'on y révere ; l'intérêt a
» fes temples comme elle , & peut- être
plus de miniftres . Il fe cache dans l'amitié
, dans l'amour même , & la réflexion
l'y furprendroit fans peine , malgré
» fes déguiſemens.
"
ود
"
» Après avoir remis le calme dans l'Etat,
» il étoit digne de ce grand homme ( de
» Numa ) d'y faire régner l'abondance . Il
voulut attacher fon peuple à l'agricul-
» ture . Cette profeffion , la premiere , la
» plus utile , & peut-être la plus honora158
MERCURE DE FRANCE.
"3
39
» ble , eft en même temps la véritable richeffe
d'un Empire : un Roi qui veut être
» le pere de fes fujets , ne peut l'encourager
par trop d'exemptions & de privileges.
» Dans un Etat où le luxe auroit fait une
» idole du fuperflu , & qui par-là même
" feroit plus voifin de fa ruine , on ne
doit pas craindre de répéter trop fou-
» vent que l'agriculture feule eft fa fource
» réelle : mais fi le Laboureur accablé trou-
» ve à peine dans un travail ingrat &
pénible dequoi fatisfaire à l'avidité des
Exacteurs , bientôt les terres en friche ,
» mal cultivées du moins , peut-être abandonnées
, n'offriront plus , au lieu du
» riant tableau d'une campagne fertile ,'
que le fpectacle affreux de l'indigence &
» de la défolation . Tous les canaux d'où
» circule l'abondance tariffent , le com-
» merce languit , le nombre des Citoyens
» diminue , l'amour de la patrie s'éteint
» & le luxe même , qui n'eft que le fard
» des miferes publiques , s'évanouit avec
» l'Etat devenu fa victime. »
"
"3
"
"
Nous finirons par ce trait qui regarde
les Veftales. Leur regle , dit l'Auteur , les
condamnoit à refter trente ans au fervice
de la Déeffe , dont dix s'écouloient dans
P'étude des fonctions de leur miniftere ;
dix pour l'exercer , & les dix dernieres
A O UST. 1756 : 159
pour inftruire celles qui devoient les remplacer
au bout de ce temps , il leur étoit :
libre de fortir du Temple & de fe marier.
Peu d'entr'elles profitoient de cette liberté.
La fuperftition remarqua même que celles
qui le firent , ne furent point heureuſes.
Mais il ne paroît pas étonnant que de
vieilles filles , fieres de la vénération que
l'on avoit eue pour elles , n'infpiraffent
point à leurs maris des paffions bien violentes
: le contraire eût été plus digne d'être
obfervé.
LES VIES des Hommes Illuftres comparés
les uns avec les autres , à commencer
depuis la chûte de l'Empire Romain jufqu'à
nos jours.
Il feroit difficile & trop long de faire
l'extrait de cet ouvrage dont on donne aujourd'hui
deux tomes , & qui doit en
avoir plufieurs. L'Auteur ( M. Richer )
déja eftimé & connu , dit dans fa Préface,
que le plan de fon Ouvrage ne lui paroît
pas mauvais , & nous croyons qu'il a raifon.
« S'il eft mal rempli , continue-t'il ,
» je fuis prêt à céder la plume à un autre ,
» pour la fuite » . Cette modeftie eftimable
, prépare agréablement les efprits au
plaifir que doit caufer & que caufe une
lecture variée & intérellante. Celui qu'elle
160 MERCURE DE FRANCE.
nous a procuré nous engage à le raffurer
fur fes craintes. Il faut lire l'ouvrage en
entier pour pouvoir l'apprécier ce qu'il
vaur. Nous nous contenterons d'en donner
une légere idée qui renfermera pourtant
tout fon plan. M. Richer s'eft propofé
de repréfenter les hommes illuftres dans
leurs actions les plus éclatantes depuis la
décadence de l'Empire Romain jufqu'à nos
jours. Chaque hiftoire eft donc un tableau
raccourci , mais fidéle : tout ce qui eft effentiel
eft rapporté. L'Auteur a joint au def- ›
fein de peindre le deffein de juger. Pendant
tout l'ouvrage ces hommes illuftres
font placés à côté l'un de l'autre ; on les
voit , pour
ainfi dire , deux à deux ; un
parallele court & exact les repréſente encore
dans un point de vue plus rapproché
après qu'on les a vus dans leurs actions.
Attila eft comparé à Clovis ; Théodoric
l'Omale , à Guillaume le Conquérant
; Aëtius , Général des Armées Romaines
, à Bélifaire , autre Général des
mêmes Armées ; Charles Martel , à Saladin
, Sultan d'Egypte ; Amalafonte , Reine
des Oftrogots , à Brunehaut , Reine de
France. Les jugemens de l'Auteur nous ont
paru fenfés. Pour donner une idée de fon
ftyle , nous allons rapporter quelques morceaux
pris dans les paralleles. « Le Roi
A O UST. 1756. 161
» des Huns ( Attila ) ne faifoit ufage de
»fes victoires que pour affliger les hom-
» mes ; il faifoit maffacrer ceux que la
» guerre avoit épargnés. Ce n'étoit qu'un
» deftructeur qui mettoit tout fon plaifir à
» ruiner tout ce qu'il rencontroit , & à
»voir fes lauriers enfanglantés. Clovis
» confervoit les villes , les palais , com-
» me le prix de fa victoire ; des vaincus ,
" il fçavoit en faire des fujets fideles , &
» de Conquérant , il devenoit un Roi .....
» Clovis fut plus courageux qu'Attila . Il
» avoit peut- être le fonds du caractere
» auffi cruel : mais il étoit plus prudent .....
» Guillaume ne vit d'autre moyen pour
» conferver fes Etats , que la guerre : il
ور
ود
"
paffa fa vie fous les armes. Théodoric
» n'amalfoit des richeffes que pour les dif-
» tribuer au mérite. Les coffres de Guil-
» laume étoient un gouffre où l'or & l'ar
" gent de la Normandie & de l'Angle-
» terre venoient s'engloutir. Ils fçavoient
" tous deux repréfenter , le Roi d'Italie
» par magnificence , le Roi d'Angleterre
» par ambition . Tous deux vivoient avec
frugalité : les femmes eurent peu d'em- c
pire fur leur coeur. Théodoric agiffoit
»par philofophie , Guillaume n'aimoit que
» les armes , & ne fongeoit qu'aux armes...
Joferois dire que Théodoric étoit un
و و
و ر
162 MERCURE DE FRANCE.
"
و د
>
» grand Roi , Guillaume un grand géné-
" ral d'armées ..... Aëtius & Bélifaire arrê-
»terent la chûte de l'empire chancelant :
"ils appellerent les Romains , les affem-
» blerent autour d'eux , releverent leur
les armerent , courage abattu & les
"accoutumerent encore à vaincre. Tous
» deux élevés dans les Camps , ils fe fami-
»liariferent avec les armes , & apprirent
» à commander en obéiffant..... Alors l'am-
»bition d'Aëtius fe développe : il ne vou
»lut partager avec perfonne les faveurs
" du Prince & les honneurs. Il obtint du
" crime ce que la vertu lui refufoit .....
Bélifaire vouloit des honneurs , il vou
» loit encore les mériter. Pour les obtenir,
» il faifoit parler fes actions .... En parlant
de Charles Martel & de Saladin , il
dit : Le premier entend la voix de la
»fortune , trompe fes gardes , brife fes
» chaînes , court au moment qu'elle l'appelle
, paroît au milieu des Auftrafiens ,
profite de leur crédulité , leur annonce
»un miracle , les étonne , les range fous
» fon obéïffance , affiége le Trône , & fe
» fait déclarer chef des François . L'autre
» n'agit que quand il eftfûr de réuffir . Sitôt
qu'il fe voit la force en main , il fe lance
»fur ceux qui s'oppofent à fon paffage , les
renverfe tous & faifit le fceptre ».
و د
ود
و د
"
A O UST. 1756. 163
On doit fçavoir gré à M. Richer d'avoir
enrichi les bibliotheques d'un livre utile.
S'il exécute fon plan jufqu'à la fin , & fi
fon travail eft foutenu , ce fera un préfent
qu'il aura fait aux gens d'efprit , & un
fervice qu'il aura rendu aux Sçavans . Tout
l'ouvrage eft plein de recherches qui pourront
épargner beaucoup d'ennui aux premiers
qui veulent s'inftruire , & beaucoup
de peine aux autres qui veulent écrire . Se
vend chez Praultfils , au bas du Pont neuf,
à la Charité , & chez Piffot , à la defcente
du Pont- neuf , avec Approbation & Privilege
du Roi.
TRAITÉ de l'accroiffement , tant en fucceffion
légitime que teftamentaire , par
M *** , Avocat au Parlement. A Paris ,
chez Delormel , rue du Foin , 1756. Prix
3 liv. relié .
*
DISSERTATION , qui a remporté le prix
au jugement de l'Académie Royale des
Sciences , des Belles- Lettres & des Arts de
Rouen , en 1755 ; par M. Teulieres de
Montauban , Avocat au Parlement de
Toulouſe. A Montauban , chez J. F. Tenlieres
, Imprimeur du Roi , 1756.
Cette Differtation qui a pour fujet ,
dans quels genres de poëfie les François font
164 MERCURE DE FRANCE .
ils fupérieurs aux Anciens ? nous paroît
traitée avec autant de goût, qu'elle eſt écrite
avec élégance , en conféquence trèsdigne
du prix qu'elle a remporté .
Le trop d'étendue que D. Touffaint du
Pleffis a donné à fes Réflexions fur l'Hiftoire
de Paris , par M. l'Abbé le Beuf , ne nous
permet pas d'en donner la fuite entiere.
Elles occupent fucceffivement trop de
place dans la partie Littéraire , qui eft
deftinée particuliérement aux annonces &
aux extraits des Livres nouveaux. Nous
avons été obligés pour les inférer dans
trois Mercures confécutifs , de retarder
l'indication ou le précis de plufieurs de ces
Ouvrages , dont nous devons parler par
préférence. La diverfité d'ailleurs que nous
profeffons , nous fait un devoir de n'admettre
dans notre Recueil que des morceaux
courts pour y en faire entrer un
plus grand nombre , & obferver par là
cette variété qui fait l'effence & le mérite
de ce Livre périodique. Pour abréger
cette difpute littéraire , au prochain Merre
nous pafferons du n° . 33 au n°. 64 , &
nous donnerons laRéponse à ces réflexions.
Elle eft d'un ami de M. l'Abbé le Beuf ,
que fon grand âge & fes infirmités ont mis
hors d'état d'y répondre lui- même.
A O UST. 1756.
IGS
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
GÉOMETRIE.
THÉORÊME.
Concernant la quadrature des Courbes ;
par J. G. Maron.
Dans une courbe
quelconque ABC ,
le rectangle
élémentaire
B L, qui lui eft
circonfcrit
, eft à fon
rectangle
correfpondant
AI circonfcrit
G
au complément
, comme
la foutangente B
D , eft à l'abfciffe correfpondante
BC. AN
M
BM : AN faut prouver que A B x BM : AN x
NI :: BD : B C.
Démonftration.
En confidérant la partie infiniment
petite AS de la courbe , comme une par1.66
MERCURE DE FRANCE.
tie de fa tangente AD , les triangles femblables
ANS , ABD donnent cette proportion
, AN : NS :: AB : BD ; mais NS =
BM : donc AN : BM :: AB : BD' : donc
AN X BD AB X BM : mais
NIBC. Ainfi multipliant ces deux
égalités l'une par l'autre , on aura AN x
BD X NI AB X BM X BC ;
d'où l'on tire la proportion AB x BM : AN
× NI :: BD : BC. C. Q. F. D.
-
Je ne crois pas devoir m'étendre ici fur
l'ufage qu'on peut faire de ce Théorême.
Les Géomêtres éclairés verront d'abord
qu'il donne la quadrature de toutes les
paraboles d'une maniere plus fimple &
beaucoup plus claire , que les Méthodes
dont on s'eft fervi jufqu'à préfent. Quant
à l'application qu'on en peut faire aux
autres courbes ; elle eft plus difficile à ſaifir
, parce qu'elle fuppofe une théorie particuliere
des Séries , que perfonne n'a encore
donnée : mais elle fe trouvera dans
lafeconde Partie de mes Elémens des Séries ;
& je compte que cette feconde partie fuivra
de près la premiere , qui doit bientôt
paroître .
C'eſt après avoir fait part de ce Théorême
à des Mathématiciens de la plus
grande réputation , que je me fuis déterminé
à le publier d'avance , priant en
AOUST. 1756. 167
même tems les Géometres de m'apprendre
s'il fe trouve dans le cinquieme livre
des Sections coniques du Marquis de l'Hôpital.
J'attends leur décifion fur ce fait
avec d'autant plus d'impatience , qu'ayant
lu plufieurs fois cet ouvrage , je n'y ai
point vu mon Théorême , quoiqu'on m'ait
foutenu très-affirmativement qu'il y étoit
contenu .
PHYSIQUE.
EXPÉRIENCE qui démontre que l'air de
la refpiration paffe dans le fang.
Cette question fi l'air paſſe- dans le fang ,
a de tout temps infiniment intéreffé les
Phyficiens. Ce n'eft pas ici une de ces
queftions purement fpéculatives , ou qui
regardent des objets éloignés de nous. Ĉar
enfin la vie dépend de la refpiration , &
fi l'air que nous refpirons , s'introduit
dans le torrent de la circulation , il eft
évident que ceux que le devoir de leur
état , ou le malheur des circonstances , ou
les liens de l'amitié & de la parenté , obligent
de vivre dans des lieux infectés , foit
par des maladies contagieufes , foit par
163 MERCURE DE FRANCE.
des exhalaifons putrides de quelque part
qu'elles viennent , ont d'autres mesures à
prendre que fi l'air de la refpiration ne
l'infinue dans le fang. pas
Ces conféquences fi différentes en ellesmêmes
, & fi intéreffantes pour notre confervation
, ont engagé dans tous les temps
les Phyficiens aux recherches les plus opiniâtres
, pour pouvoir enfin décider fi
l'air de la refpiration paffe ou ne paſſe
point dans le fang. Mais comme ces recherches
n'ont produit qu'un conflit d'opinions
qui nous a prefque laiffés dans la
même incertitude , l'Auteur d'un ouvrage
qui paroît depuis quelques mois fur la
Phyfique des corps animés , a cru devoir
traiter la même queftion . Il l'a fait avec
une fagacité qui n'eft point commune ,
comme on peut s'en convaincre dans l'ouvrage
même , qui fe vend chez les fieurs
Guerin , Delatour , & Lottin. Il a raffemblé
un très- grand nombre d'expériences
dont la plupart font de lui , les autres
font des Auteurs les plus eftimés , tels que
MM. Hales , Boerhaave , Winflow , &
qui font un corps de preuve capable de
perfuader tous ceux qui voudront l'être
de bonne foi.
1
A ces expériences il vient d'en ajouter
une nouvelle , à laquelle les plus obſtinés
mêmes
AQUST. 1756. 169
mêmes feront obligés de fe rendre. Nous
croyons faire plaifir aux Phyficiens de la
leur communiquer. Il a plongé jufqu'au
col un animal , dans l'eau chaude juſqu'au
point d'y pouvoir à peine tenir la main .
Il lui a découvert une artere dans l'aîne .
& a renversé par deffus un récipient de
verre plein d'eau chaude , lequel s'élevoit
au- deffus de celle dans laquelle l'animal
étoit plongé. Enfuite il a ouvert cette
artere ; & il a vu de petites bulles d'air
monter au haut du récipient , pendant
tout le temps que le fang a coulé. Il en a
tiré cette conféquence qu'on aura de la
peine à lui contefter , que cet air eſt une
partie de celui qui entre dans les pou
mons à chaque inſpiration , & qui paffe
en petites bulles dans les vaiffeaux fanguins.
On pourra tourner cette expérience
de cent autres façons : on pourra , par
exemple , prendre une plus grande artere
dans le tronc même de l'animal , afin que
l'air monte en plus grande quantité & qu'il
foit plus fenfible dans le récipient ; en un
mot on pourra faire tel autre changement
qu'on jugera convenable.
H
170 MERCURE DE FRANCE.
#
MEDECINE.
1
RÉPONSE
De M. T. C. Docteur & Profeffeur en Médecine
, à l'Auteur d'une Lettre inferée
dans le Mercure du mois de Juillet 1755 .
Monfient , j'ai lu dans le Mercure du
$ mois de Juillet 1755 , pag. 128. une
lettre que vous avez fouhaité qu'on y inférât
, dans laquelle , après avoir témoigné
des doutes obftinés fur la poffibilité de
connoître infailliblement par l'ouverture
des cadavres les caufes éloignées & immé
diates des maladies du corps humain , vous
combattez l'idée de M. l'Abbé Raynal
qui , dans le Mercure de Septembre 1758 ,
donne l'ouverture des cadavres , comme
propre à foumettre les caufes des maladies
à l'examen des fens ;
Et comme l'idée de M. l'Abbé Raynal ,
porte fur les Obfervations Anatomiques
tirées de l'ouverture des cadavres , par
M. Barrere , Médecin à Perpignan ( fans
doute dans la premiere édition de fon ouvrage
qui eft de 1751 , ) vous ajoutez
A O UST. 1756. 171
qu'ayant parcouru avec des yeux avides
& avec toute l'application poffible celle de
1753 , vous n'y avez pas trouvé ce que
cet Auteur & M. l'Abbé Raynal promettent
:
Les affurances que vous donnez de ne
vouloir diminuer en rien le mérite de
l'ouvrage de M. B. ne vous ont pas empêché
d'en porter un jugement tendant à le
donner comme un homme qui a pris les
effets de la maladie pour fa caufe , & à
faire voir qu'au lieu de réuffir à montrer ,
comme il l'avoit promis , les caufes des
maladies par l'ouverture des cadavres , il
ne fait qu'indiquer celles de la mort , &
les effets de la maladie.
Quelqu'éloigné que je fois , Monfieur ,
de croire qu'on puiffe toujours connoître
ni aifément , ni infailliblement les cauſes
des maladies par l'ouverture des cadavres ,
& quelque convaincu que je fois que les
vices des parties , que leur ouverture nous
offre , en font le plus fouvent les effets &
les fuites , je ne fuis pas moins perfuadé
que cette partie de l'Anatomie pratique
nous procure quelquefois la connoiffance
de la caufe de la maladie . Comme cependant
les imputations faites à M. B. font le
feul objet de cette réponſe qui n'eſt dictée
par aucun motif d'adulation , mais
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
*
uniquement par le défir de rendre juſtice
à la vérité , je ne m'attacherai pas à une
difcuffion qui m'écarteroit trop de mon
fujer.
L'édition de 1753 , que vous avez par
courue avec des yeux avides , ne préfente
rien d'où l'on puiffe inférer que M. B. ait
envifagé les vices des parties , qu'il a trouvés
en fouillant dans les cadavres , comme
les caufes des maladies. Il avertit au contraire
, avant d'entrer en matiere , qu'il
expofera nuement ce qu'il a trouvé à leur
ouverture , fans le préfenter ni comme la
cauſe , ni comme l'effet de la maladie.
L'accufation portée contre lui n'eft donc
pas jufte fi elle eft fondée fur cette édition.
Ileft vrai que dans celle de 1751 , M. B.
dit qu'en ouvrant un très-grand nombre
de cadavres , il s'eft propofé de vérifier
lui-même les caufes connues des maladies
, & d'en développer les caufes cachées
, & qu'il y ajoute que les fréquentes
ouvertures des cadavres font la voie la
plus fûre pour parvenir à la connoiffance
des caufes des maladies.
par
Peut-on cependant conclure delà que
-M. B. ait pris pour caufe de la maladie
les effets qu'elle a produit , & les vices des
parties qu'il a trouvés par l'ouverture des
cadavres ? Bien loin que la lecture de fes
A O UST. 1756. 173
Obfervations préfente rien qui juftifie cette
induction , elle eft au contraire détruite
par celles qui font contenues dans la premiere
fection , où cet Auteur donne l'engorgement
du cerveau qu'il a obfervé dans
différens cadavres , non comme la caufe ,
mais bien comme le produit de la Noftalgie.
Les veftiges que la maladie laiffe dans
le cadavre , ne peuvent- ils pas fouvent
fervir de guide à un Médecin éclairé pour
parvenir à la connoiffance de la caufe ?
M. B. peut donc avoir regardé l'ouverture
des cadavres comme une voie propre à fe
la procurer , fans que pour cela il mérite
d'être accusé d'avoir pris ce qu'il a trouvé
dans les cadavres pour la caufe des maladies.
la
J'ai parcouru l'ouvrage de M. B. Ses
obfervations ne m'ont prefque préfenté
partout que les effets de la maladie : mais
je n'ai pas trouvé qu'il les donnât pour
caufe. J'ai même trouvé différens vices
des parties internes , qui ne fçauroient
être regardés que comme les caufes des
maladies qui ont enlevé ceux qui en
étoient attaqués , quoique primitivement
ils puiffent avoir été les effets d'autres
maux. Car l'oedeme du poumon n'a- t'il
pas été la cauſe de l'oppreffion , de la toux,
H iij
174 MERCURE DE FRANCE .
L
du pouls petit , fréquent & comme tout
embrouillé , que fouffroient les malades
qui font l'objet de différentes obfervations
? L'adhérence du poumon au diaphragme
n'avoit- elle pas produit l'oppref
fion confidérable , le pouls petit , fréquent,
& la douleur vive au côté gauche de la
poitrine , que le malade rapportoit vers
Phypocondre gauche? Le vomiffement habituel
dont parle M. B. ne dépendoit- il pas
de l'obftruction cartilagineufe du pylore ?
L'égarement , la fureur , les convulfions ,
& nombre d'autres fymptômes, dont étoient
attaqués les malades dont il eſt parlé en
différentes obfervations , & l'inflammation
du cerveau qu'a préfenté l'ouverture
de leurs cadavres , n'avoient- elles pas été
produites par l'ufage qu'ils avoient fait de
la jufquiame & de la pomme épineufe ,
dont l'action porte au cerveau & fur le
fyftême nerveux .
Quoique la connoiffance des caufes des
maladies puiffe avoir eu quelque part dans
les vues de M. B. elle n'a pourtant pas
fait le principal objet de fes recherches.
Les conféquences qu'il tire des vices qu'il
a obſervé dans les parties par l'ouverture
des cadavres , & qu'il expofe d'une maniere
pure & fimple , & fans difcuter s'ils
font les cauſes où les effets des maladies ,
A O UST. 1756. 173
font affez voir qu'elles fe font étendues
plus loin , & que cet Auteur les fait fervir
à établir les fignes propres à connoître
certaines maladies dont le diagnoſtic eſt
plus qu'incertain , & à les diftinguer de
celles avec lefquelles elles paroiffent avoir
quelque analogie , comme auffi à découvrir
les moyens propres à combattre les
maladies , & à en écarter les fâcheufes
fuites.
L'ouverture des cadavres ne nous préfentât
elle que les effets de la maladie
elle ferviroit toujours à trouver plus aiſément
les moyens de les prévenir , & n'en
feroit par conféquent pas moins intéreſſante.
C'est là un des principaux objets que
paroît avoir eu en vue un célebre Médecin
dans l'ample & riche collection d'obfer
vations anatomiques qu'il nous a laiffée :
Anatome cadaverum morboforum vitia intus
abfcondita expromit , eo fine ut qui talia
in finu fuo fe fovere deprehendet , imminens
indè exitium pracavere ftudeat , ab eo maturè
fe fubducat , fiatque ex alieno periculo
cauftus ( 1 ) ; & quand même M. B. ſe
feroit égaré en donnant les effets des maladies
pour leurs caufes , ce qui n'eft certainement
pas , le zele avec lequel ce Médecin
, marchant fur les traces de Wepfer ,
(1) Bouet, in Prof. fepul. anat.
Hiv
175 MERCURE DE FRANCE.
de Bartholin , s'eft attaché à fouiller dans
les cadavres pour s'éclairer , & nous inftruire
fur la production des maladies & fur
leurs effets , & pour en tirer des conféquences
utiles dans l'art de guérir , n'offre
pas moins un exemple à imiter par tous
ceux qui ne trouvent pas d'obftacle à remplir
une partie fi effentielle. Je l'imiterois
avec d'autant plus de zele , fi j'occupois
jamais une place où on a la liberté de
fouiller dans les cadavres , que j'ai de tout
temps regardé leur ouverture comme un
des moyens les plus propres à enrichir la
profeffion , & je fuis furpris qu'on n'ait
jamais pensé à nous donner une Patholo
gie fondée fur l'Anatomie pratique , dans
un fiecle furtout auffi fécond & auffi éclai-
Lé , & où l'Académie Royale des Sciences ,
celle des Curieux de la nature , la Société
de Londres , les Ouvrages de M. B. & de
tant d'hommes célebres , fourniſſent une
infinité d'obfervations anatomiques , qui
feroient d'un grand fecours pour établir la
nature , le fiege , les caufes , les fignes &
les effets des maladies.
*
t
J'ai l'honneur d'être , &c.
A Perpignan , les Août 1755 .
La Relation détaillée de la prife du Fort
Saint- Philippe , que les circonstances nous
A O UST. 1756 . 177
font un devoir d'inférer dans ce Volume ,
nous oblige de remettre en Septembre la
Lettre fur la taille par M. Chaſtanet.
ACADÉMIE
Des Belles Lettres de Marſeille , 1756.
L'Académie , qui n'annonce ordinairement
le fujet qu'elle propofe pour le Prix ,
que dans fa Séance Publique , fixée au 25
Aoûr , Fête de S. Louis , croit devoir cette
année , pour des raifons qui feront vraifemblablement
approuvées , prévenir ce
jour.
25
Elle fe hâre d'avertir le Public que le
Août , Fête de S. Louis de l'année prochaine
1757 ,
elle adjugera le Prix fondé
par M. le Maréchal - Duc de Villars , fon
premier Protecteur , à une Ode de cent
cinquante vers au plus & de cent vers au
moins , à l'exclufion de rout Poëme dont le
fujer fera la Conquête de l'Ifle de Minorque.
Le Prix qu'elle décerne eft une Médaille
d'or de la valeur de 300 liv . portant d'un
côté le bufte de M. le Maréchal- Duc de
Villars , fon Fondateur & fon premier Protecteur
; & fur le revers , ces mots entourés
d'une Couronne de laurier : Pramium Academia
Maffilienfis.
Hv
178 MERCURE DE FRANCE:
*
Les Auteurs ne mettront point leur nom
au bas de leur Ouvrage , mais une Sentence
de l'Ecriture-fainte , des Peres de l'Eglife
, ou des Auteurs Profanes. Ils marqueront
à M. le Secretaire une adreffe à laquelle
il enverra fon Récépiffé. Ils prendront
les mesures néceffaires pour n'être
point connus avant la décifion de l'Académie
ils ne figneront point les Lettres
qu'ils pourront écrire à M. le Secretaire
ou à tout autre Académicien. Ils s'abftiendront
de tout plagiat , de toute idée & de
toute expreffion fatyrique , indécente ,
contraire à la Religion & au Gouvernement
, enfin de toute follicitation , fous
peine d'exclufion du concours .
On adreffera les Ouvrages à M. de Chalamont
de la Vifclede , Secretaire perpétuel
de l'Académie , rue de l'Evêché. On affranchira
les paquets à la pofte , fans quoi ils
ne feront point retirés. Ils ne feront reçus
que jufqu'au premier Mai inclufivement.
Une feule Copie fuffira pourvu qu'elle foit
bien lifible.
L'Auteur qui aura remporté le Prix ,
viendra , s'il eft à Marfeille , le recevoir
dans la falle de l'Académie le jour de Saint
Louis , & s'il eft abfent , enverra à une perfonne
domiciliée à Marſeille , le Récépiffé
de M. le Secretaire , & le Prix lui fera remis.
I
A O UST. 1756. 179
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLE S.
MUSIQU E.
SEi concerti àfeiftrumenti , cimbalo ò organo
, obligati , tre violini , flauti , alto viola
e violoncello da Michelle Corrette , Organifta
dei Grand Giefuiti. Opera 26 .
L'Auteur avertit que fur l'orgue il faut
toucher les allegro fur le grand jeu , les
adagio fur les flûtes , & les folo fur le cornet
de récit , à l'exception du troifieme
concerto ; les autres peuvent fe toucher
fans fymphonie. La partie de flûte n'eft néceffaire
que lorfqu'on exécute ces concerto
fur l'orgue , & les pizzicati dans les
parties de violon , ne doivent avoir lieu
que quand on les exécutera fur le claveçin.
Se trouvent chez l'Auteur , rue Montorgueil
, à la Croix d'argent , près la Comédie
Italienne , & aux adreffes ordinai
res , prix 12 liv..
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
GRAVURE.
LE fieur Chenu vient de mettre au jour
le Buveur & le Grivois , deux Eftampes qu'il
a gravées d'après les Tableaux originaux
d'Adrien Van Oftade , tirés du Cabinet de
M. le Comte de Vence. L'efprit & le caractere
en font très - bien rendus. Elles fe
trouvent chez l'Auteur , rue de la Harpe ,
vis-à- vis le Caffé de Condé .
Le fieur de Vezou , Ingénieur- Géographe
, Maître de Typographie , de Géographie
& d'Hiftoire , vient de mettre au jour
deux Plans Topo-hydrographiques. Le premier
repréfente le détroit de Gibraltar
dirigé en partie fur la Carte Hollandoife
d'Henri Linflager , & traduite du Hollandois
en François , avec des détails intéreffans
. Le fecond repréfente la Baie de Gibraltar
, d'après le deffein du Chevalier
Renaud , avec les defcriptions des Villes ,
Baie , Montagne & vieux Gibraltar .
Le fieur de Vezou s'eft déja fait connoître
par fa Mappe
-Monde
Géo- Sphérique
,
dont
l'utilité
eft fi grande
pour
tout
le
monde
, & en particulier
pour
les Etudians
,
qu'en
moins
de quinze
jours
l'on
fçait
tous
AOUST. 1756. 180
=
les principes généraux de la Sphere Armillaire
, & le rapport que cette même Sphere
a avec des Globes Célefte & Terrestre. II
eft auffi connu par la maniere dont il enfeigne
à lire par le Bureau Typographique
( méthode très rare & très - bonne , qui
abrege de plus des trois quarts , le temps
que les enfans mettent à apprendre par
l'ancienne méthode ) .
募
Le fieur de Vezou , fon frere , Maître
de Littérature des Enfans de M. le Duc
d'Orléans , qui demeure rue de Beaune
Fauxbourg S. Germain , vis-à vis l'Hôtel
d'Aumont , enfeigne auffi avec beaucoup
de fuccès la lecture & les Langues Françoife
& Latine , par le Bureau Typogra
phique , & il fauve par cette méthode plus
de deux années d'étude. "
1 A Paris , chez l'Auteur , rue S. Martin ,
près la rue aux Ours , vis- à- vis un Charron ;
de Palmeus , fils , Ingénieur- Deffinateur-
Géographe de S. A. S. Mgr. le Prince de
Conti , rue Tictonne , chez M. Aufonne ,
Avocat aux Confeils du Roi ; Lonchamp ,
Géographe , rue S. Jacques , à la Place
des Victoires .
182 MERCURE DE FRANCE.
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Monfieur , puifque vous avez fait dans
votre Mercure un Article particulier des
Arts , je crois pouvoir vous adreffer la
copie d'une lettre qui m'a paru affez finguliere
pour y- occuper une place.
Une Dame a acheté une très - belle terre
dans laquelle entr'autres objets d'agrément
, il fe trouve un grand jardin planté
par le célebre Le Notre : elle a envoyé un
de nos meilleurs Architectes pour lui faire
un jardin agréable. L'Architecte a trouvé
celui-ci tel que , malgré le défir qu'il avoit
de la contenter , il n'a pu s'empêcher de lui
écrire que ce qu'elle défiroit réformer ou
détruire , lui paroiffoit d'une fi grande
beauté , qu'il fe reprocheroit comme un
crime la hardieffe d'y faire aucun changement
: voici ce qu'elle lui a répondu .
Il ne fert de rien , Monfieur , de m'alléguer
vos anciens principes de l'Art : ils
A O UST. 1756. 183-
نم
font abrogés par le non ufage. En vain
me direz vous que la véritable beauté d'un
arbre eft deformer une belle voûte de part &
d'autre , qui fans être taillée avec affectation
, foit cependant affujenie à des regles ,
dont le but est d'imiter la plus belle maniere
d'être d'un arbre venu naturellement. Non
feulement je veux que vous me coupiez
tous mes arbres de haute futaie à la moitié
de leur hauteur , en facrifiant fans miféricorde
ce que vous appellez leur belle
tête , mais j'entends encore que vous les
faffiez tailler en paliffade ou en éventail
dans le dernier goût. Je ne trouve pas cette
uniformité continuée pendant de longs eſpaces,
où , pour ainsi dire , une feuille ne paffe pas
l'autre , auffi ennuyeufe que vous le dites.
Vous ajoutez que les branches chargées de
leursfeuilles paroiffent destinées par la nature
à donner de l'ombrage pendant les chaleurs ·
de l'été , & qu'en taillant les arbres en
paliffades , ce qu'il vous plaît d'appeller
en muraille , on ne trouve plus aucun lieu
où l'on puiffe fe mettre à l'abri du foleil.
Cette réflexion a quelque chofe de fpécieux
, mais elle tombe d'elle-même lorfque
l'on confidere que c'eft la mode , &
que toutes les perfonnes qui fe piquent
d'un goût délicat les font tailler ainfi . Je
compte de plus que tout le deffus des ar
184 MERCURE DE FRANCE.
bres plantés en quinconces, que vous m'accourcirez
, formera une fuiface auffi unie
que le deffus d'une table. J'imagine un
agrément inexprimable dans le coup d'oeil
que cela produira lorfqu'on fera au haur
du château ' , quoique vous prétendiez que
ce foit une chofe très infipide qu une telle
efplanade verte fans aucune variété. Vous
croyez être appuyé bien folidement , lorfque
vous citez ce que vous appellez le magnifique
berceau de la grande allée du Palais
Royal , & ceux de la grande allée & des
contre- allées des Tuileries , fur leiquelles
vous criez à la merveille ! mais j'ai à
vous répondre que fi l'on plantoit ces jar
dins maintenant , on fe garderoit bien de
les faire tels qu'ils font , & que fi ceuxqui
les dirigent & qui les entretiennent ,
étoient bien confeillés , loin de laiffer ces
voûtes obfcures qui empêchent qu'on ne
puiffe y refpirer , ils feroient tailler tous>
ces arbres en éventail. Vous faites grand
cas des allées qui laiffent voir toute l'é->
tendue d'un jardin . Mon intention eft au
contraire qu'il n'y en ait pas une feule
droite dans le mien autant que cela me
fera poffible. Dans ce que je ferai de nouveau
, elles feront fi tournoyantes qu'on
ne s'y verra plus à fix pieds de diſtance ,
& tellement étroites qu'on n'y paffera que
AOUST. 1756. 185
deux de front. Il eft fâcheux que nous
nous trouvions de goût fi contraire , que
la réflexion que vous m'oppofez à ce fujet
eft préciſement cei m'y détermine.
Vous m'objectez que cela aura l'air d'un
labyrinthe , & que cette mauvaife plaifanterie
eft paffée de mode , parce qu'on s'eft
apperçu qu'ils prenoient un terrein dont
on ne faifoit aucun ufage , s'ils étoient bien
embarraſſans , on ne s'y engageoit point , de
crainte de n'en pas fortir quand on le voudroit
; s'ils étoient faciles , le but qu'on fe
propofoit étoit manqué , tout leur mérite confiftant
dans la difficulté de retrouver son
chemin j'ai juftement un goût décidé
pour les labyrinthes. Qu'eft- ce en effet
qu'un jardin où l'on ne peut s'égarer ?
Je fuis bien éloignée d'accepter ces grands
efpaces que vous me propofez pour mes
bofquets. Je les veux extrêmement petits
& multipliés , pour ainsi dire , à l'infini .
Si j'ai particuliérement quelque chofe à
blâmer dans les jardins publics , ce font ces
grands efpaces vuides , qui , dites - vous ,
y donnent de la dignité , & que je vous
foutiens n'être que la preuve du défaut de
génie. Quelqu'un qui fçauroit employer
le terrein , trouveroit à faire vingt bofquets
, tous plus agréables les uns que
les autres , dans l'étendue que vous
186 MERCURE DE FRANCE.
donnez à un feul . J'exige donc beaucoup
de bofquets , qu'ils foient faits en treillage
à la mode , & que les arbres y foient plantés
fi ferrés , qu'ils foient couverts dès la
premiere année. Vous aurez beau me dire
qu'ils ne pourront jamais venir en futaie
ni dans leur beauté naturelle ; que leurs
branches & leurs racines s'embarraſſeront de
telle maniere ; qu'ils ne conferveront plus le
deffein qu'ils auront formé dans leur plantation
, & ne produiront qu'une forêt confuſe ;
cela feroit vrai , fi mon deffein étoit de les
laiffer croître ; mais je les ferai couper fi
fouvent que , duffent -ils en périr , ils s'affujettiront
à mes volontés . S'ils forcent les
loix que je leur veux impofer , je les ferai
arracher , & j'aurai le plaifir d'en planter
d'autres felon la mode qui régnera alors.
Ne voyez - vous pas que tous ceux qui
achetent des Jardins , ne manquent pas de
détruire tous ces grands arbres que vous
trouvez fi beaux , & que vous regrettez
tant ? Quel dommage , dites- vous , de facrifier
des beautés que l'on a attendues foixante
années ! N'oubliez pas qu'il me faut quantité
d'arbres en pommes , & que ce ne
fera qu'à la faveur de cette décoration que
je pourrai vous paffer quelques longues
allées : cela fera de petit goût fi vous voulez
, il ne m'importe. Mettez - moi dans
A O UST. 1756. 187
mon parterre quantité de corbeilles , c'eſt
encore une invention nouvelle qui me
plaît infiniment plus que cette belle variété
dont vous croyez que les parterres
deffinés font fufceptibles. Ceux des Tuileries
feroient bien plus agréables , fi chacun
deux n'étoit qu'une feule corbeille . Vous
n'aimez pas les corbeilles , parce que, ditesvous
, leurs rebords ne fervent qu'à faire
tomber. Qui eft - ce qui ne voit pas à fes
pieds ? Faites- les élever : je ne goûte point la
propofition que vous me faites de ne les
mettre qu'à la moitié de la hauteur ordinaire,
fous prétexte qu'il fuffit de celle qui eft
néceffaire pour retenir la terre : ce ne feroient
plus des corbeilles . Si vous craignez
qu'ils ne bleffent les jambes , je confens
que vous évitiez les angles aigus ; mais
furtout donnez leur toutes fortes de formes
agréables & jamais de lignes droites
, c'eft dans ces chofes que le génie fe
déploie. Je m'entretiendrai plus au long
avec vous fur ce fujet : fouvenez- vous
feulement que je veux être à la mode
& qu'elle est toujours ce qu'il y a de
mieux ; d'ailleurs c'eft pour moi , & je
veux me fatisfaire.
J'ai l'honneur d'être , &c.
188 MERCURE DE FRANCE.
Dem. Que voulez - vous que faffe un
Architecte en pareil cas ?.
Rép. Ce qu'on lui demande .
Auffi font-ils.
M. le Chevalier de Beaurain , Géographe
ordinaire du Roi , délivre actuellement
la Carte Topographique du Détroit
de Gibraltar , avec des tables calculées
pour les marées de ce Détroit , & des explications
fur la fingularité des courans ,
& c .
Plan Géométral de Gibraltar , avec les
Vues de la Montagne , & des defcriptions
hiftoriques.
Plan du Siege du Fort S. Philippe , envoyé
par un Ingénieur de l'Armée de M. le
Maréchal Duc de Richelieu . A Paris , chez
le Chevalier de Beaurain , rue Pavée , la
premiere porte à gauche , en entrant par
le Quai des Auguſtins.
A O UST. 1756. 189
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
LE Lundi 1 2 Juillet , Mademoiſelle Alart
a danfé pour la premiere fois fur ce Théâtre
avec le plus grand fuccès. Dans le premier
divertiffement qui fut donné après la
Comédie du Muet , elle annonça de gran.
des difpofitions pour la danfe noble ( 1 ) .
Dans la Pantomime qui fuivit la petite
piece , elle déploya tout fon talent , &
enleva tous les fuffrages. Elle joint à une
figure très- aimable , la jambe & l'exécution
la plus brillante. Son feu égale fa précifion
, & ne laiffe rien à défirer . Une
preuve fûre de fa pleine réuffite eft le
monde qu'elle attire. Le Samedi 17 , la
repréſentation étoit comble : c'étoit une
chambrée d'hyver. On peut dire , fans flat-
(1 ) Quels progrès ne doit-on pas attendre d'elle
dans ce genre , avec les dous qu'elle a reçus de la
nature , & les leçons d'un auffi grand Maître
M.Veftris , dont elle eft la digne éleve !
que
190 MERCURE DE FRANCE.
cer Mademoiſelle Alart qu'elle en parta
geoit tout au moins la gloire avec Zaïre
que les Comédiens François donnerent ce
jour- là. Leur fpectacle fi fupérieur à tous
les autres par l'efprit , par l'excellence des
pieces , &
des Acteurs , peut le jeu
préfent leur être comparé par la danſe &
par les agrémens qui n'y font qu'acceffoires.
par
૩
Le Jeudi 22 , la repréſentation fut d'autant
plus brillante que Madame d'Egmont
l'embellit de fa préfence. Le choix des
pieces répondit a la beauté de l'affemblée.
On donna Cénie & l'Oracle. Pour
qu'il ne manquât rien à ce fpectacle charmant
, Mademoiſelle Alart y danſa avec
l'acclamation générale , & Mademoiſelle
Gauffin chanta après l'Oracle , les couplers
fuivans , qui furent applaudis à plufieurs
repriſes :
EN vain dans un Fort redoutable ,
L'ennemi fe croit imprenable ,
Et du haut de fon roc infulte à nos foldats ,
Quand notre Maréchal commande ,
Il faut que la place fe rende :
Cet Oracle eft plus fûr que celui de Calcas
A O UST. 1756. 194
A Madame d'Egmont.
LA victoire a féché vos larmes ,
A l'Hymen prodiguez vos charmes :
Donnez-nous des Héros qui guident nos foldats
Votre fang leur donnant la vie ,
Vaudra tous les dons de Fêrie :
Cet Oracle eft plus fûr que celui de Calcas .
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Jeudi 15 Juillet , les Comédiens Ita
liens donnerent la premiere repréſentation
du Retour imprévu , Comédie en vers,
en trois Actes . Cette piece qui a été bien
reçue du Public , eft un ouvrage pofthume
de M. De la Chauffée , de l'Académie
Françoife. Il y a des beautés de détail
dignes de la réputation de l'Auteur ; &
fi elle avoit été jouée dans une faifon plus
favorable , nous ne doutons pas qu'elle
n'eût réuffi .
OPERA COMIQUE.
L'Opéra Comique juſqu'à préſent , n'a
rien donné de nouveau que l'Amour inpromptu
, parodie de la troiſieme entréo
192 MERCURE DE FRANCE.
:
des talens lyriques ; encore cette parodie
n'eft-elle que remife mais elle mérite
qu'on en faffe mention , parce qu'elle eſt
bien faite , & qu'elle eft de M. Favart ,
qui a fait longtems la gloire de ce Théâtre ,
& qui ne peut être aujourd'hui remplacé
que par M. Vadé . L'un & l'autre a célébré
la prife du Fort S. Philippe par
des
couplets . Nous avons inférés ceux de M.
Favart dans le ſecond Mercure de Juillet ,
nous allons mettre dans celui de ce mois ,
les couplets de M. Vadé : quoiqu'ils n'ayent
pas été chantés à ce fpectacle , ils font d'un
ton & d'un genre à trouver mieux leur
place ici qu'ailleurs .
CHANSON
Sur l'Air de la Marche du Roi de Prufe
par M. VADE.
TEnez, Meffieurs les Anglois ,
Laiffez là les François.
Ils vous don'ront fur l'nés ,
Comme des damnés.
Premiérement vous avez tort ,
Secondement ils font retort ; /
Vous aurez beau vous fauver ,
Ils fçauront bien vous trouver,
Et
A O UST. 1756.
193
Et nos Grenadiers plutôt que plus tard
Vous relicheront dans Gibatard,
Vous venez d'avoir le favon
• Dans l'Port Mahon ;
Pargué l'danger
Devroit vous corriger.
Și , felon vous , votre Amiral Binq
En valloit cinq ,
Convenez , n'en déplaife à ce beau Phénix ,
Qu'la Galiffoniere en vaut dix ;"
Et par là deffus Richelieu ,
Qui tenoit le bout du milieu ,
Avec d'Egmont & Fronfac ,
Vous donnent vos quilles & vot'fac
Puis vous fçavez dé quel bois
n'a
Se chauffe ce Monfieur d'Maillebois.
Vous voyez que c'eſt un vivant
Qui prend le monde pardevant.
Croyez-moi , ne vous obftinez pus ,
Car fans ça vous êtes perdus .
La Mahanoife , Comédie nouvelle. A
Ciutadella , 1756. Cette petite Piece , qui
pas été jouée , nous a paru bien écrite
& bien dialoguée . On s'y eft permis , dit
l'Anonyme , quelques plaifanteries qui ne
reffemblent en rien aux injures groffieres
dont la Scene de Londres a retenti . Les
I
194 MERCURE
DE FRANCE.
Acteurs font au nombre de cinq. Picolette
, Mahonoife ; fabelle , fa Gouvernante ;
Sir Faith-leff, Anglois ; D. Fernand , Efpagnol
; le Marquis de Francheville , François.
La Scene eft à Minorque. La Gouvernante
, fenfible aux guinées , favorife
l'Anglois , qui ne recherche Picolette queedans
la vue de faire un mariage utile à-»
fon commerce. Picolette aime D. Fernand,
& détefte Faith- leff ; mais Ifabelle brouille
l'Eſpagnol avec fa Maîtreffe , pour fervir
Faith- leff. Le Marquis François paroît dans
cette pofition , & plaît à Picolette par fon
mérite & par fes agrémens. La manoeuvre
d'Ifabelle étant découverte , le François
époufe Picolette ; l'Efpagnol s'unir à la
foeur de la Mahonoife , & l'Anglois dont
on a reconnu l'avarice eft congédié
honteufement. Il menace , en partant , le
Marquis , qui lui répond : Je crains peu
ces injuftes menaces. Vangez vous en brave
homme , on ne vous craindra pas. Ifſabelle
emmenant l'Anglois , lui dit : Kenez , venez
vous tuer pour lui faire piece . D. Fernand
termine la Piece en s'écriant : Le beau
fujet de Tragédie pour le Polichinelle de Londres
!
A O UST. 1756. 195
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES:
DU NORD.
DE STOCKHOLM , le 2 Juillet.
ON a fait ici la découverte d'une des plus hora
ribles confpirations qui aient été formées contre
la liberté des Etats. Elle devoit éclater la nuit du
22 au 23 du mois dernier ; mais , par les bonnes
mefures qu'on a prifes , on en a prévenu
F'exécution , & la tranquillité eft actuellement affurée
. Les Etats ont fait chanter le 27 un Te Deum
avec pompe dans toutes les Eglifes de la Ville
pour remercier Dieu d'avoir préfervé la Suede
d'un auffi grand danger . Ils ont ordonné que tous
les ans on célébreroit cet événement , de la même
façon , le jour de Saint Jean , pour confacrer
à perpétuité cette grace du Ciel & leur reconnoiffance.
ALLEMAGNE..
DE VIENNE , le 30 Juin.
Un paylan , en labourant fon champ dans la
Seigneurie de Corinsh en Moravie , a trouvé dans
la terre un coffre de fer , rempli d'efpeces d'or.
On conjecture qu'elles ont été enterrées en cet
endroit , lorfque Charles XII , Roi de Suede , porta
la terreur de fes armes dans l'Empire...
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
DE HAMBOURG , le 9 Juillet.
Ce matin , il y a eu un grand incendie dans
cette Ville . La Manufacture des toiles de coton
peintes , & plufieurs autres maiſons , ont été la
proie des flammes. On mande de Croden que ce
Bourg a été prefqu'entiérement confumé par le
feu duCiel,
ESPAGNE.
DE LISBONNE , le 7 Juin.
Depuis trois ſemaines on n'a entendu ici aucun
bruit fouterrein , ni fenti aucune feçouffe . Mais
le 29 Juin on en éprouva une à quatre lieues de
cette Ville dans les environs des montagnes de
Cintra. Il y eut le 24 du même mois , & les deux
jours fuivans , une horrible tempête . Ce ne fur
qu'avec beaucoup de peine qu'on empêcha les
Tentes de la Famille Royale , d'être emportées
par le vent . Le 30 Leurs Majeftés partirent avec
les Infans Don Pedre & Don Antoine , pour Salvaterra
.
Les maladies font de grands ravages dans la
Province d'Alentejo .
La ville d'Elvas & ſes environs , non feulement
ont partagé tous les défaftres communs au refte
du Royaume , mais encore ont éprouvé un féau
particulier. Le ciel fe couvrit fubitement , il y a
quelques jours , d'un nuage fi épais , que la lumière
du foleil en fut prefque toralement éclipfée . Bientôt
ce nuage defcendit jufqu'à terre , & l'on s'apperçut
qu'il n'étoit autre chofe qu'une multitude
infinie de fauterelles . Elles fe répandirent en un
inftant dans toute la campagne ; & il y en avoit
A O UST. 1756. 197
'dans plufieurs endroits jufqu'à la hauteur de deux
palmes. En vain les païfans eurent- ils recours à
tous les moyens poffibles , pour exterminer ces.
infectes. Il en paroiffoit le lendemain un plus
grand nombre , qu'on n'en avoit détruit la veille .
Les champs n'en ont été délivrés , qu'après avoir
été entiérement ravagés. Une partie de ces animaux
voraces eft allée ſe précipiter dans la Guadiana
& dans d'autres rivieres : une autre partie eft
venue fondre fur cette Ville , & s'ils n'y ont pas
caufé le même dommage qu'à la campagne , ils y
ont caufé beaucoup d'incommodité.
DE BARCELONE , le 27 Juin .
Don Antoine Barcelos , Commandant le Cha
bec le Courier de Mayorque , étant parti d'ici
pour Palma , découvrit le 13 de ce mois , entre
deux & trois heures du matin , fur la pointe de
Lio- Liobnegat , deux Galiotes Barbareſques , qui
avoient les voiles ferrées. Dès que les Galiotes
l'apperçurent , elles mirent leurs voiles au vent ,
& s'aidant en même- tems de leurs rames , elles
vinrent fur lui . Lorfqu'elles furent à deux portées
de canon , elles reconnurent à la manceuvre
que le Chabec n'étoit pas un Navire Marchand.
Elles revirerent de bord , dans le deffein de
prendre la fuite. Don Barcelo gagna le vent. Un
calme qui furvint , facilita à l'un des Corfaires
le moyen de dériver fur le Chabec. Les Elpagnols
préfenterent la proue à l'ennemi , qui eut
fon éperon & fa vergue de trinquet rompus . Cet
accident ne le rebuta point . Quelques-uns de fes
gens fauterent avec intrépidité dans le Chabec ,
mais ils furent fur le champ maſſacrés. Tous
ceux qui les fuivirent , eurent le même fort ; &
I j
198 MERCURE DE FRANCE.
les autres furent obligés de fe rendre. La Galiote
étoit armée de deux canons & de douze
pierriers . Il y avoit à bord vingt-quatre Turcs &
quarante-cinq Maures. Cinquante & un hommes
de cet équipage ont été tués à l'abordage ; &
douze , du nombre defquels eft le Capitaine nommé
Ali , ont été bleffés. Perfonne n'a été tué du
côté des Eſpagnols , & ils n'ont eu de bleffés que
leur Contre-Maître & cinq Matelots. Le fuccès de
ce combat fait d'autant plus d'honneur à Don Barcelos
, que fon équipage n'étoit compofé que
de quarante-quatre hommes , y compris huit
Mouffes. On a fçu par le Capitaine Ali , que
la Galiote dont on s'eft emparé , appartenoit au
Bey d'Alger. L'autre Galiote , qui a pris la fuite
pendant l'action , eft plus forte que celle- ci ea
équipage.
ITALI E.
DE NAPLES , le 22 Juin.
Deux Galiotes du Roi ont amenées dans ce port
deux prifes Algériennes , dont elles fe font emparées
après un long combat dans les mers de
Sardaigne. On a fait fur ces Bâtimens deux cens
vingt efclaves . Les Barbarefques ont eu cent hommes
tués dans cette action. Il n'y a eu du côté des
Napolitains que onze hommes tués , & trente
bleffés.
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 12 Juillet.
Selon les lettres de Gibraltar , l'Amiral Byng
y est arrivé le 21 du mois dernier , & fe difpofoit
à en repartir pour l'Ile Minorque. L'Amiral
ADUST. 1756. 199
Hawke eften route fur la Frégate l'Antelope ,
de cinquante canons , pour prendre le commandement
de l'Efcadre à la place de l'Amiral Byng.
Al auta fous fes ordres les Contre-Amiraux Weft
& Saunders. On a appris que le Chef d'Eſcadre
Howe étoit arrivé à l'Ifle de Garneſey avec ſon
Efcadre , & avec les Bâtimens de tranfport fur
lefquels le Régiment de Bockland s'eft embarqué.
Plufieurs Navires ayant à bord deux Régimens
deftinés à renforcer la Garnifon de Gibraltar ,
font partis de Plymouth le 25 du mois dernier ,
fous l'escorte de quelques Vaiffeaux de guerre.
Quatre Vaiffeaux de l'Efcadre de l'Amiral Boſcawen
, qui ont été endommagés dans leurs mâts
& dans leurs agrets , font rentrés dans ce dernier
Port , afin de s'y radouber. Ils feront remplacés
par cinq Vaiffeaux , qui feront voile aux
ordres de l'Amiral Moſtyn.
Les Commiffaires de l'Amirauté ont fait publier
la Lettre , par laquelle l'Amiral Byng leur a
rendu compte du combat naval du 20 Mai , &
dont voici le contenu : « Ayant appareillé le 8 ,
» de Gibraltar j'arrivai le 19 à la hauteur de Port-
Mahon. Le Vaiffeau le Phoenix m'avoit joint
deux jours auparavant. Le vent étoit calme , &
j'eus d'abord connoiffance de la Flotte Françoife.
Il étoit cinq heures du foir avant que j'euffe
pu former ma ligne , & eftimer la manoeuvre
» de l'ennemi , dont je ne pus apprécier la force.
Les François s'approcherent de nous en ligne
» formée ; mais fur les fept heures ils revirerent ,
» ce qui me fit juger qu'ils avoient intention de
> gagner le vent fur moi dans la nuit. Comme il
étoit tard , je revirai auffi pour conferver le
-> vent de terre. Le temps s'étant enfuite brouillé ,
nous fumes forcés de nous éloigner à près de
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
» cinq lieues de la côte. Vers les onze heures nous
» avançâmes de nouveau ; mais nous ne découvrî-
» mes rien de l'ennemi , à l'exception de deux
» Tartanes , qui étoient à peu de diftance de no-
» tre arriere-garde. J'ordonnai au Vaiffeau la
» Princeffe Louise de courir fur l'une , & je fis au
» Contre-Amiral un fignal de détacher quelques
» Bâtimens , pour donner la chaffe à l'autre . Les
Vaiffeaux la Princeſſe Louiſe , la Défiance & le
Capitaine , s'éloignerent beaucoup de nous , &
la Défiance s'empara d'une de ces Tartanes , à
» bord de laquelle étoient deux des treize Piquets ,
» que le Maréchal Duc de Richelieu avoit envoyés
la veille au Marquis de la Galiffoniere. Le
» Phénix s'offrit à fervir de brulot . Le lendemain
» 20 , nous découvrîmes du haut des mâts la Flotte
Françoife. Je fis revenir les Vaiffeaux que j'avois
» détachés. Quand ils furent à moi , je virai l'en-
» nemi , & je formai ma ligne. Je remarquai que
>> les François faifoient tous leurs efforts pour
» gagner le vent. Ils le gagnerent effectivements
» mais le vent ayant changé prefqu'auffi tôt , ils
» perdirent cet avantage. Ils avoient douze Vaiffeaux
de ligne & quatre Frégates. Dès que j'eus
remarqué que notre arriere-garde étoit de la
» longueur de notre avant -garde , nous virâmes
» enſemble , & je fis fortir de la ligne le Vaiffeau
» le Deptfort , afin que nous fuffions égaux en
» nombre. A deux heures je donnai le fignal du
>> combat , & fuivant, une méthode que j'ai tou-
» jours reconnue fort jufte , j'ordonnai que chaque
Vaiffeau s'attachât à combattre celui qui
» lui tomberoit en partage. Je dois témoigner la
» parfaite fatisfaction que j'ai de la valeur avec
» laquelle le Contre- Amiral Weſt donna l'exemple
, en fondant fur le Vaiffeau qu'il devoit
A O UST. 1756. 201
attaquer. Le combat fut engagé par l'avant-
» garde de l'Eſcadre Françoife , qui attaqua notre
>> arriere garde. Je fis force de voiles contre le
» Vaiffeau qui étoit vis- a - vis de moi , & j'en ef-
» fuyai un feu très -violent . Dès le commencement
» l'Intrépide eut fon grand mâts entiérement brifé
» & fes cordages coupés ; ce qui le mit hors d'état
» de fe gouverner , & le fit donner contre le Vaiffeau
le plus proche , qui fut , ainfi que quelques-
>> autres , dans la néceffité de fe retirer. J'en fis
» de même pour quelques minutes , afin qu'ils ne
>> tombaffent pas fur moi. Je ne le fis cependant
» qu'après avoir fait quitter la ligne à l'ennemi.
» Son centre ne fut plus attaqué , & pendant un
» peu de temps la divifion du Contre- Amiral refta
» à découvert . Pendant cet intervalle les ennemis.
» nous cauferent un grand dommage dans nos
» manoeuvres. Quoique je ferraffe de près le Con-
» tre- Amiral , je trouvai que je ne pouvois plus
» ferrer l'Eſcadre Françoiſe . Il étoit alors fix heu-
>> res du foir. Par le mouvement que fit cette Ef-
» cadre , je jugeai qu'elle vouloit former une nou
» velle ligne. Je fis un fignal pour manoeuvrer ,
» deforte que je puffe me mettre entre la division
du Contre -Amiral & l'ennemi , & couvrir l'Intrépide
, dont j'avois apperçu le mauvais état.
» A huit heures du foir , après avoir fait d'inutiles
>> tentatives pour entamer l'arriere- garde de l'Ef-
» cadre du Roi Très -Chrétien , & après avoir raf-
>> femb.é les Vaiffeaux de l'Efcadre Anglo :fe le
» plus promptement que je pus , je pris le parti
» de me retirer. Nous étions pour lors à dix ou
>> onze lieues de Port - Mahon , & il fe trouvoit à
» notre N. N. Oueft. J'envoyai des Vaiffeaux àla
» découverte de l'Intrépide & du Chesterfield , qui
» vinrent me rejoindre le lendemain . Les Vaif-
>
1
Iv
202 MERCURE DE FRANCE..
feaux le Capitaine & la Défiance n'ayant pas été
» moins maltraités que l'Intrépide , je jugeai à
» propos dans une pareille fituation de tenir un
>> Confeil de guerre , avant d'aller de nouveau
chercher l'ennemi . Je fis inviter le Générał
>> Stuart , le Lord Effingham , le Lord Robert
>> Bertie , & le Colonel Cornwallis , de fe rendre fur
» mon bord. Le parti de la retraite fut unanime
ment jugé indifpenfable Les Vaiffeaux le Ramillies
, le Culloden , la Revenche , le Trident , le
» Kingften & le Deptford , n'ont fait aucune perte.
Il y a eu trois hommes tués & fept bleffés , fur
» le Buckingham ; fix tués & trente bleffés , fur
» le Capitaine ; un tué & quatorze bleffés , fur
» le Lancaftre ; neuf tués & trente - neuf bleffés ,
»fur l'Intrépide ; quatre tués & treize bleffés , fur
ע
la Princeffe- Louife , fix tués & vingt bleffés ,
» fur le Portland ; quatorze tués & quarante-cinq
» bleffés , fur la Défiance. Le Sr Andrews, qui com-
» mandoit ce dern er Bâtiment , a été tué , & j'ai
» confié le commandement dudit Vaiffeau au
» Capitaine Hervey , qui montoit le Phoenix »
Quoiqu'il ne paroiffe point que la conduite de
P'Amiral Bing foit répréhenfible , le peuple eft
fort irrité contre lui . Cet Amiral a été brûlé en
effigie dans quelques Bourgs. Un magnifique
Château , qu'il a fait conftruire , a couru rifque
d'être pillé & réduit en cendres.
PAYS- BAS.
DE LA HAYE , le 16 Juillet .
La Réponse que M. le Comte d'Affry , a
remife le 14 du mois dernier aux Etats Géné
taux , fur leur réfolution du 25 Mai , a été
AOUST. 1756. 203
rendue publique . Elle eft conçue en ces termes :
» HAUTS ET PUISSANS SEIGNEURS , la réfolu-
» tion que les Etats Généraux des Provinces-
» Unies ont prife , &c , a confirmé S. M. dans
>> l'opinion qu'Elle avoit déja de la fageffe & de
l'équité de leurs délibérations . Le Roi a vu
» avec plaisir , dans cette réfolution , da Décla
» ration que les Etats Généraux ont faite , que
» comme Leurs Hautes Puiffances n'ont pris juf-
» qu'à préfent aucune part , ni aux troubles &
» différends touchant les Poffeffions Américaines
ni à leurs fuites , & ne s'en font mêlées ni direc-
» tement ni indirectement ; qu ' Elles n'ont auffi au-
» cunement intention d'y prendre part , ni aux fuites
qui en pourront résulter , mais qu'Elles ont au
» contraire résolu d'obferver à cet égard une exacte
» neutralité ; le tout , fans préjudicier aux Al-
» liances que la République a contractées , aux-
» quelles L. H. P. ne prétendent déroger. S. M.
s pour témoigner aux Etats Généraux le gré
» qu'Elle leur fçait de la conduite qu'ils ont
» tenue dans cette occafion , & pour leur donner
» une nouvelle preuve du véritable intérêt qu'-
» Elle prend à leur repos & à leur fûreté , leur
» déclare de fon côté , de la maniere la plus précife
, que le territoire de la République fera à
» l'abri de toutes les menaces & infultes de la
» part des forces de S. M. Quant aux Pays- Bas
» Autrichiens , le Roi renouvelle volontiers aux
>> Provinces- Unies les affurances qu'il a déja don-
» nées à cet égard à l'Impératrice Reine de Hon-
>> grie & de Bohême , par l'Acte ou Conventions
» de Neutralité , qui a été figné à Verfailles le
» premier Mai dernier , & dont S. M. a fait re-
>> mettre Copie à L. H. P. Le Roi contri&ta di-
» rectement avec Elles un femblable engage
I vjs
204 MERCURE DE FRANCE.
» ment en 1733 , parce que S. M. étant alors en
» guerre avec le Souverain des Pays - Bas Autri-
» chiens , toute correfpondance entre Elle & ce
» Prince étoit interrompue . Mais le Roi vivant
» heureulement dans la plus parfaite intelligence
» avec l'Impératrice Reine de Hongrie & de Bo-
» héme , & voulant refferier de plus en plus ,
» ( comme il vient de le faire , ) les liens de l'a-
» mitié & de l'alliance , qui les réuniffent dans
un fyltême uniforme de defirs & de vues pou
» le repos & le bonheur de l'Europe , c'étoit
» avec S. M. Imp . qu'il convenoit de tranfiger fur
» le fort d'un pays qui lui appartient . Cependant
» un des principaux motifs qui a déterminé le
» Roi à ftipuler expreffément la Neutralité des
» Pays - Bas Autrichiens , & qui lui a été commun
» avec l'impératrice Reine , a été de procurer
» aux Provinces Unies la fûreté qu'elles défi-
» roient avec raifon , par rapport à leur territoire
& à leur voifinage . Le Roi juftifiera
» toujours , par les fentimens pour les Etats
» Généraux , la confiance qu'ils continuent de
» lui témoigner , & S. M. profitera de toutes les
>> occafions qui la mettront à portée de leur
» marquer fon amitié fincere , & fa conftante
» difpofition à leur en faire éprouver les effets les
» plus utiles & les plus agréables » . •
La femme du nommé Jacob- Van- Hulft accoucha
le 8 de trois fils , dont la Princeffe Gouvernante
a été mareine , & dont l'aîné a été nom
mé Anne.
A O UST. 1756. 201
FRANCE.
-
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
RELATION HISTORIQUE
De la Prife de l'Iſle de Minorque , & principalement
des Port-Mahon & Fort Saint-
Philippe ; envoyée par un Officier de l'Armée.
Du Fort S. Philippe , le 30 Juin 1756.
JEE crois avant que d'entrer dans le détail du
Siege du Fort Saint- Philippe , devoir donner une
idée fuccincte, géographique & hiftorique de cette
In e.
L'Ile Minorque fituée dans la Méditerrannée ,
placée précisément au quatrieme degré de latitu
de , à foixante- dix lieues de Marfeille , & à quinze
des côtes de l'Afrique , faifoit anciennement partie
des Iles appellées Baléares , du nom d'un
Grec nommé Baléus , qui fut le premier qui en
fit la découverte .
Sa fituation eft oblongue ; elle a dix- huit lieues
de longueur fur- neuf dans fa plus grande largeur.
Son climat eft fort fain , l'air paffablement tempé
ré il y egne cependant des chaleurs infupporta.
bles pendant les mois de Mai , Juin , Juiller
& Août le refte de l'année est un printemps
continuel : rarement y voit - on de la gelée . Son
local n'eft pas montagneux , quoiqu'affez inégal
206 MERCURE DE FRANCE .
Le terrein produit de tout ce qui est néceffaire
à la vie , furtout de très- bon gibier , d'excellent
mufcat : tous les fruits y font délicieux .
L'Ille eft divifée en cinq territoires, dont chacun
porte le nom de la Ville principale ou Chef-lieu.
Le premier eft Ciutadella qui peut avoir aux
environs de 7 à 8 mille Habitans. Anciennement
les Gouverneurs faifoient leur réfidence encerre
Ville , où on compte actuellement juſqu'à 600
maifons. Le fecond territoire eft Ferrorias , qui
a tout au plus douze cens Habitans: Marcadal
eft le troifieme , dont le nombre d'Habitans ne
paffe pas dix-huit cens. Aleyor eft le quatrieme ,
& eft plus confidérable ; auffi peut- il fournir près
de cinq mille Habitans . Mahon eft le cinquieme
& . dernier territoire. La Ville de Mahon eft la
Capitale de toute l'Ifle : c'eft la réfidence du
Gouverneur & des Corps de Juftice : fon beau
Port & le voisinage du Fort Saint- Philippe , la
rendent infiniment plus confidérable : elle peut
compter au nombre de vingt mille Habitans.
Ily a dans l'Ile deux ports capables de recevoir
les plus gros Vaiffeaux le Port Fornelle , & le
Port Mahon ; il y a encore plufieurs Cales où les
Bâtimens Marchands peuvent mouiller.
2
L'entrée du Port Mahon eft défendue à l'Ouest
par le Fort S. Philippe , & à l'Eft par le Fort
Philippet. Je me tais fur le refte de l'ifle , parce
qu'il n'y a rien qui mérite votre attention .
Comme les Habitans de l'Ifle font originaired'Efpagne
, la Religion Catholique s'y eft confervée.
C'étoit le Gouverneur Anglois qui nommoit
aux Bénéfices , fuivant un article du Traité
d'Utrecht.
Les Cartaginois furent anciennement les Maî→
tres des Illes Baléares , dont l'Ile Minorque faifoit.
AOUST. 1756. 207
partie. Après la feconde guerre Punique , les
Romains en devinrent les Poffeffeurs j'ufqu'à
Pinondation des Goths & Vandales , vers l'an
421. Ceux - ci les conferverent jufqu'au huitieme
fiecle , que les Sarrazins en firent la conquête.
Minorque fut foumiſe à ces derniers , jufqu'à l'an
1210 qu'ils perdirent la fameuſe Bataille de Loza ,
où il périt deux cens mille Maures . Les Minorcains
refterent jufqu'en 1287 dans une espece d'indépendance
, en payant feulement un tribut annuel
aux différens Princes d'Efpagne qui les proté
geoient. Les naturels du Pays fe trouvoient dès ce
temps confondus avec un refte de Sarrazins : la
Religion Mahométane y étoit la dominante. Les
Minorcains voulant s'affranchir du tribut qu'ils
payoient à l'Espagne, attirerent dans leur Ifle quantité
de Barbares de l'Afrique , leurs voifins : mais
Alphonfe , Roi d'Arragon , ayant eu vent du complot,
fit une defcente dans l'Ifle, avec une armée qui
mit tout à feu & à fang , contraignit le gros des
Habitans de ferenfermer dans laFortereffe du Mont
Sainte- Agatte , les affiégea , les prit , La plûpart
périrent par les armes : quelques-uns furent envoyés
en Afrique , & d'autres ne fauverent leur vie qu'en
perdant leur liberté , c'est- à- dire , qu'ils devinrentefclaves
des Espagnols , qui s'établirent dans l'Ile
fous la protection des Rois d'Efpagne . Les Princes
d'Efpagne ont confervé une autorité fouveraine
dans l'ifle Minorque , jufqu'en 1708 que les
Anglois formerent le deffein de s'en rendre les
maîtres.
En effet le 14 Décembre , le Général Comte de
Stenhope y débarqua avec trois mille hommes ,
42 pieces de canon & 15 mortiers. Les troupes
qui étoient répandues dans les différens quartiers .
de l'Ile , fe renfermerent dans les Forts Fornelle
208 MERCURE DE FRANCE.
& Saint-Philippe . Les premieres opérations des An
glois furent d'attaquer Fornelle , qu'ils prirent ea
deux jours. Auffi - tôt après cette réduction , ils
dirigerent leurs forces contre le Fort S. Philippe ,
qui ne tint que quinze jours : la Garnifon compofée
de François & d'Elpagnols , fut renvoyée
partie en France , partie en Espagne. Dès ce moment
les Anglois s'établirent dans Minorque , &
la poffeffion leur en a été affurée par le Traité de
Paix conclu à Utrecht , le 13 Juillet 1713. Ils en
ont été les maîtres pendant 48 ans. Ils le feroient
encore , fi leur pyraterie n'eût obligé notre glorieux
Monarque à punir l'infulte que cette Nation
3
ne ceffe de faire depuis deux ans au Pavillon François.
Il vous paroîtra fingulier , Monfieur , que nous
ayons été fi long - teins à nous rendre les maîtres
de cette Place , pendant que des Anglois en
avoient fait la conquête en moins de trois femaines.
Votre furpriſe ceffera quand vous ferez
inftruit des travaux immenfes que cette nation
a fait au Fort S. Philippe , dont la dépenſe ſe
monte à plus de cent millions , c'eſt - à - dire , plus
que toute l'ile ne peut valoir , fi on en excepte
toutefois la grande reffource dont elle étoit pour
le Commerce des Anglois au Levant.
Voici à peu près la defcription du Fort S. Philippe
, & vous conviendrez , avec toute l'Europe
, qu'il n'a pas fallu moins de prudence que de
courage & de fermeté , pour triompher de tous
les obftacles qui fe rencontroient à chaque pas.
Il est conftruit fur une langue de terre qui
avance dans la mer. Quatre baftions , autant de
courtines , environnés d'un large & profond foffé ,
taillés dans le roc vif , font le principal corps
de la Place : les ouvrages extérieurs , qui font ea
A O UST. 1756. 209
très-grand nombre , s'étendent jufqu'aux rivages
des deux côtés de la langue de terre : les mines
y font abondantes & fi bien diftribuées , qu'elles
fe communiquent au moyen de différens fouterreins.
Les fouterreins font immenfes , & fourniffent
des logemens fuffifans pour une garnifon
des plus confidérables , à l'abri des bombes
& du canon , & dont les approches font minées
& contreminées : avant que de parvenir à
pouvoir battre en breche , il faut s'emparer des
forts de Malbourough , de S. Charles , de Strugen
, d'Orgil & de la Reine , qui entourent les
grands ouvrages du Fort , & fe communiquent
aux autres au moyen des chemins couverts taillés
dans le roc ; enfin le Plan qui vient d'en être
levé, & que vous trouverez fans doute à Paris ( 1 ) ,
vous fuffira pour juger par vous - même des
Ouvrages immenfes que les Anglois y ont faits
depuis qu'ils en étoient en poffeffion . Ajoutez
à tous ces ouvrages trois fontaines intariffables ,
& une citerne,contenant de l'eau pour fix mois
à une garnifon de quatre mille hommes , à l'épreuve
de tout accident : ces avantages font
d'une reffource encore au deffus de toutes les
fortifications.
Quoique les Gazettes vous aient pu inftruire
de toutes nos opérations juſqu'au jour de l'atta
que
des Forts , dont nous nous fommes rendus les
maîtres l'épée à la main , vous ne trouverez pas
mauvais que je vous en donne un détail abrégé.
Notre Flotte , aux ordres de M. le Marquis de la
Galiffoniere , partit de Toulon le 8 Avril M. le
Maréchal de Richelieu monta le Foudroyant avec
(1 ) Ilfe trouve chez le fieur Beaurain & chez
Je fieur le Rouge.
210 MERCURE DE FRANCE.
1
M. de la Galiffoniere. Nous arrivâmes â Ciutaš
della le jour de Pâques 18 du mois , après avois
effuyé quelques coups de vent qui retarderent
notre marche , & féparerent quelques vaiffeaux
de l'Efcadre. Le premier foin de M. le Maréchal
fut de faire chanter le Te Deum dans l'Eglife Collégiale
de la Ville , en action de graces de notre
heureux abordage . Les 18 , 19 , & 20 furent employés
au débarquement des troupes & de l'artil
lerie , fans aucune oppofition de la part des Anglois
; ceux- ci s'étant retirés , aux premieres nouvelles
de notre eſcadre , dans le Fort S. Philippe ,
après y avoir fait entrer tout ce qui pouvoit leur
-être néceffaire pour une longue réfiftance , &
avoir commis les hoftilités les plus fâcheufes, tant
fur les habitans que fur les beftiaux qu'ils ne purent
emmener avec eux.
Le 20 notre armée fe mit en marche par deux
chemins pour fe rendre à Mahon . Vingt - quatre
Compagnies de Grenadiers , & la Brigade de
Royal tinrent la gauche fous les ordres de ' MM.
Damefnil & de Monteynard , pendant que le gros
de l'armée marchoit à droite pour former Pinveftiffement
du Fort S. Philippe. Le 22 nous entrames
dans Mahon aux acclamations du Peuple ,
qui commençoit à nous regarder comme fes Libérateurs
.
Il n'eft pas poffible de vous exprimer les peines
& les travaux qu'il a fallu faire pour conduire notre
artillerie de Ciutadella ici , par lá précaution que
les Anglois avoient eue de rendre toutes les avenues
impraticables.
M. le Maréchal de Richelieu fit conftruire les
premieres batteries fur le Mont des Signaux , une
des pieces de canons , une de mortiers pareils en
nombre , qui commencerent à tirer dès le 8 Mai.
A O UST. 1756. 211
Le7, le Fauxbourg de la Ravale ( 1 ) fut occupé par
un détachement de 100 Volontaires , quatre compagnies
de Grenadiers & fix piquets , aux ordres
du Comte de Briqueville , avec 600 Travailleurs
pour y former des épaulemens , & y établir des
batteries.
Le 10 , M. le Marquis de Roquépine fe rendit
avec douze cens hommes , pour occuper les dehors
du Fort Malbourough.
Les 11 & 12 furent employés à conftruire les
batteries de droite , de gauche & du centre du
Fauxbourg de la Ravale la batterie des mortiers
commença à tirer dès la nuit du 12 au 13.
Le 17 ,
12
la batterie de canons de la droite fe
trouva en état de tirer.
Le 18 , M. Dupinay , qui commandoit la batterie
de la gauche , fut tué , & M. le Prince de
Wirtemberg légérement bleffé.
Le 19 , l'Efcadre Angloife ayant paru à la hauteur
de l'Ile pour attaquer la nôtre qui fermoit
l'embouchure du Port- Mahon , notre Général envoya
à M. le Marquis de la Galiffoniere un renfort
de 13 piquets . Notre Chef d'Efcadre fit toules
opérations néceffaires pour empêcher toute
communication avec les Affiégés .
Le 20 , une bombe des ennemis ayant mis le
feu à une de nos batteries , la Garnifon du Fort
S. Philippe animée par la préfence de l'Eſcadre
Angloife , fit une fortie confidérable : mais nos
(1), Ce Fauxbourg doit avoir un autre_nom :
le mot Arrabal fignifie un Fauxbourg , en Langue
Espagnole , & c'eft fans doute par erreur que nos
Officiers, qui les premiers ont entendu nommer aux
Habitans de l'Ifle Minorque ce Fauxbourg Arrabal
Pont écrit la Ravalle.
212 MERCURE DE FRANCE.
Grenadiers l'obligerent de rentrer avec autant de
précipitation que de perte.
Les 21 & 22 furent employés à réparer nos
batteries , que le feu violent des ennemis avoient
prefque démontées.
Le foir même du 22 , notre armée fit des
réjouiffances à l'occafion de l'avantage que
notre Efcadre avoit remporté fur celle des
Anglois. ( Vous avez fans doute vu la Rélation
de ce Combat Naval , dans lequel on ne fçauroit
trop exalter la bonne manovre de M. le Marquis
de la Galiffoniere , qui obligea l'Amiral Byng de
fe retirer avec beaucoup de dommages ) .
Le feu des Ennemis devint fi fort, que nous fûmes
obligés d'abandonner le Fauxbourg de la Ravale`,
dont toutes les maifons ont été renversées par
l'artillerie du Fort , ce qui obligea M. le Maréchal
de Richelieu à changer le plan général de fon attaque
fur le Fort Philippe.
Il fallut employer plufieurs jours pour le tranfport
de terre , pour élever de nouvelles batteries
dont le feu ne put commencer que le s Jain.
Dès ce moment le feu fuccefif de nos batteries
de temps une grande partie des travaux
extérieurs de la Place.
ruina en peu
On commença dès le 15 à déblayer les maifons
où l'on avoit réfolu d'établir une nouvelle batterie
de 12 pieces de canons en avant du Fauxbourg
de la Ravale , afin de détruire entiérement la Redoute
de la Reine & la lunette de Ken , & de bat.
tre la contre-garde de l'ouvrage à cornes ; ce qui
fit des merveilles .
Nous avons eu depuis ce temps là 84 pieces de
canons de 24 livres de balles , & 22 mortiers dif
tribués dans douze batteries . Elles n'ont point dif
continué de battre depuis le 16 Juin. La plupar
A OUST. 1756. 213
ne fervoient qu'à demonter les batteries ennemies.
Il ne falloit pas moins aux Affiégés que les
250 pieces de canons & les 40 mortiers qu'ils
avoient , pour faire la défenfe qu'on a éprouvée
jufqu'à la fin. Ce grand nombre de pieces leur
donnoit la facilité de remplacer celles que nous
leur démontions tous les jours.
Voici le détail de l'attaque qui mit nos En
nemis à la raiſon , & qui fera naître dans le coeur
des bons Francois , la joie qu'une longue réſiſtan
ce avoit fans doute altéréë.
>
M. le Maréchal ayant jugé qu'il étoit indifpenfable
d'accélérer l'attaque des ouvrages exté
rieurs , & voulant la favorifer en occupant
l'Ennemi dans plufieurs points de fa défenſe , ordonna
pour le 27 une attaque qui fut diviſée en
quatre points principaux .
M. le Marquis de Laval , de tranchée , fut
chargé de l'attaque de la gauche , divifée fur les
Forts de Strugen & d'Orgil , fur la Redoute de
la Reine , & fur celle de Ken : il avoit à fes ordres
16 Compagnies de Grenadiers , & quatre
Bataillons pour foutenir l'attaque .
Il avoit fous lui M. le Marquis de Monti &
M. de Briqueville , Colonel , dont le Régiment
étoit Chef de tranchée : Royal-Comtois étoit le
deuxieme Régiment.
M. de Monti fut deftiné à attaquer Strugen &
Orgil , à la tête des Compagnies de Grenadiers
de Royal-Comtois , Vermandois , Nice & Rochefort
, & de deux piquets foutenus par le premier
Bataillon de Royal - Comtois.
M. de Briqueville devoit fe porter fur Ken &
le chemin couvert , entre cet ouvrage & celui de
la Reine , à la tête de cinq Compagnies de Grenadiers
de Briqueville , Medoc & Cambis , & de
deux piquets.
214 MERCURE DE FRANCE:
M. de Sade , Lieutenant-Colonel de Brique
ville , devoit attaquer la Redoute de la Reine à la
tête de quatre Compagnies de Grenadiers d'Haynaut
, Cambis & Soiffonnois.
Il y avoit à la fuite de chacune de ces trois attaques
, deux Ingénieurs & 150 Travailleurs , un
Officier du Corps Royal & dix Canonniers , une
Brigade de Mineurs , & un détachement de 60
Volontaires portant dix échelles.
L'attaque du centre étoit dirigée ſur la Redoute
de l'Ouest & la Lunette Caroline , & commandée
par M. le Prince de Bauveau. Il y avoit à fes ordres
deux Brigadiers avec lefquels il devoit foutenir
la tranchée en cas de befoin.
La premiere attaque de la droite commandée
par M. le Comte de Lannion , é.oit dirigée fur le
Fort de Malboroug Il avoit à fes ordres la Brigade
de Royal & le Régiment de Bretagne , aina
que M. de Roquépine qui , à la tête de 400 Volontaires
& de roo Grenadiers , devoit débarquer
dans la Cale de S. Etienne , pour delà marcher
au Fort de S. Charles . On devoit avoir pour cet
effet 100 Chaloupes de l'Eſcadre : mais comme
elles ne purent arriver à temps , on y fuppléa par
celles qu'on put raffembler dans la journée.
La feconde attaque de la droite , aux ordres de
M. le Marquis de Monteynar , commandant la
Brigade de Royal - la Marine & Talaru , avoit
pour objet de s'emparer de la Lunette de Sud-
Ouest , de longer la Langue de S. Etienne , qui
eft entre la Place & le Fort Malboroug ; de fe
communiquer avec l'attaque du Fort S. Charles ,
& de couper la communication du Fort Malboroug
avec le Fort de S. Philippe.
En même temps que toutes ces attaques ſe faifoient
, M. de Beaumanoir , Lieutenant- Colonel ,
A O UST. 1756. 215
commandant à la Tour des Signaux , devoit avec
fon détachement partir dans les Chaloupes de la
Cale , qui eft entre le Fort Saint- Philippe & la
Tour des Signaux , pour venir favorifer l'attaque
de M. de Monti , & tâcher de fe gliffer dans le
chemin couvert , entre la demi-lune & le Fort
d'Orgil.
M. de Fortouval , Capitaine d'Haynaut , de
voit avec 100 hommes de détachement débarquer
au pied de la grande batterie des Ennemis , du
côté du Pont.
A.dix heures du foir , toutes nos batteries ayant
ceffé , le fignal de l'attaque fut donné par un
coup de canon & quatre bombes tirées de la Tour
des Signaux.
M. de Monti déboucha fur Strugen & Orgil ,
& fucceffivement MM . de Briqueville & de Sade
fe porterent avec vivacité fur leur point d'attaque
de Ken & de la Reine .
Nos troupes marcherent avec la plus grande
valeur , & après un feu très-vif , très-long & trèsmeurtrier
, elles parvinrent à s'emparer de Strugen
, d'Orgil, & du Fort de la Reine. Les Ennenis
firent jouer quatre fourneaux qui nous ont
coûté environ so hommes .
On travailla fur le champ au logement de
cette partie , qui étoit la principale attaque ,
pendant que les autres faifoient leur diverfion.
L'ardeur des Grenadiers que commandoit M.
de Bricqueville les ayant emportés , ils fe jetterent
fur la Redoute de la Reine , au lieu de fe
porter fur Ken qu'ils devoient attaquer .
M. le Prince de Bauveau ayant fait marcher
les Grenadiers de Vermandois & 100 hommes
de chaque Brigade fur la Redoute Caroline , &
les Grenadiers de Royal-Italien , avec 1oo hom216
MERCURE DE FRANCE.
mes de cette Brigade , à la Redoute de l'Oueſt ;
il s'empara du chemin couvert , & y fit enclouer
douze pieces de canon le logement y étant
impraticable , parce que la Redoute de Ken
n'étoit pas prife , & qu'il ne pouvoit dans la
nuit affurer fa communication , il fe contenta
de faire couper les paliffades , de faire brifer
les affûts , & de foutenir quelque temps cette
attaque qui favorifoit la principale.
Elle fut faite avec la plus grande intelligence
& la plus grande valeur.
Les attaques de MM. de Lannion & de Mon
teynard , dépendant prefque du fuccès du For
s. Charles , ils attendoient le fignal que devoir
faire M. de Roquépine ; mais les Ennemis s'étant
apperçus de beaucoup de mouvemens dans
cette partie , par les manoeuvres que les Chaloupes
avoient été obligées de faire , ſe tinrent
fur leurs gardes , & ne permirent pas à M. de
Roquépine de faire le débarquement qu'il avoit
tenté , & qui ne pouvoit réuffir que par une
furpriſe.
>
Pendant ce temps - là M. de Lannion fit inquiéter
le Fort Malborough . La divifion de tous
ces feux & la combinaifon de toutes ces attaques
, donnerent le temps à celles de la gauche
d'aflurer fon fuccés, de facon qu'à la pointe
du jour nous pumes établir 400 hommes dans
le Fort de la Reine , & 200 dans Strugen &
Orgil.
M. le Maréchal s'étoit placé au centre des attaques
de la gauche , & avoit avec lui MM . de Maillebois
, du Mefnil , & le Prince de Wirtemberg.
Il a donné pendant toute l'action les confeils
néceffaires au fuccès de l'attaque , dans lefquels
on n'a pu s'empêcher d'admirer les difpofitions
A O
UST.
1756.
217
tions de notre Général & les prodiges de notre
Infanterie.
M. de Lannion a eu une légere contufion à
' épaule , & M. le Marquis de S. Tropès , Aide
de Camp de M. de Maillebois , a été
légérement
bleffé au visage .
A cinq heures du matin on a demandé réciproquement
une fufpenfion d'armes pour retirer
les morts , & elle a été accordée. Nous
avons eu environ 25 Officiers de tués ou bleffés ,
& 400 Soldats..
· M. de Huetton , le Lieutenant de Vaiffeau
qui
commandoit les Chaloupes de l'attaque du
Fort S. Charles , a été tué.
On doit le fuccès de
l'attaque , de la gau
che furtout , à la bonne
conduite de M. de
Monti , qui a fuivi avec la plus grande valeur
& la plus grande fermeté les
difpofitions qu'avoit
faites M. de Laval.
On a pris beaucoup de mortiers & de canons
dans les Forts de Strugen , d'Orgil & de la Reine.
On a fait quinze
prifonniers , du nombre deſquels
eft le fecond
Commandant des Ennemis qui fai
foit le détail de la défenſe.
Le 28 , à deux heures après-midi , trois Députés
de la Place
demanderent à parler à notre
Général. Le réſultat de cette
conférence étoit
qui leur fut accordé vingt- quatre heures pour
dreffer les articles de
Capitulation : on leur accorda
jufqu'à huit heures du foir. Il en revint
un à l'heure marquée , qui apporta à M. le Maréchal
un projet d'articles ,
auxquels il fut ré
pondu le lendemain matin.
१
K
218 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLES de la Capitulation propofee
par Son Excellence le Lieutenant - Général
BLAKNEY , pour la Garnifon de Sa Majefté
Britannique du Château S. Philippe ,
Ifle Minorque.
Articles demandés par Articles accordésparMon
le Gouverneur.
Q
fieur le Maréchal do
Richelieu.
ARTICLE PREMIER. - ·
Ue tous les actes d'hoftilités cefferont jufqu'à
ce que les Articles de la Capitulation foient convenus
& fignés .
ARTICLE II.
Qu'on accordera
A la Garnifon à fa
reddition tous les
honneurs de la guerre
, comme de fortir
le fufil fur l'épaule,
tambour battant
, enfeignes dé
ployées , 24 coups
à tirer par homme ,
mêche allumée ,
pieces de canon &
2 mortiers , avec 20
coups à tirer par cha-
4
La belle & courageufe
défenfe que les Anglois
ont faite , méritant toutes
les marques d'eſtime
& de véneration que tout
Militaire doit rendre à de
telles actions , & M. le
Maré hal de Richelieu
voulant faire connoître à
fon Excellence M. le Général
Blkuey fa confidération
& celle que mérite
la défenſe qu'il vient de
faire , accorde à la Garnifon
tous les honneurs militaires
dont elle peut
jouir dans la circonftanque
piece , un char- ce de fa fortie pour un
AOUST. 1756. 219
embarquement : fçayoir , riot couvert pour le
le fufil fur l'épaule , tambour
battant , drapeaux
déployés , 20 cartouches
par homme , & même
mêche allumée. Il con-
Tent que le Lieutenant
Général
Blakney & fa
Garniſon , pourront emporter
tous les effets
leur
appartiendront
&
qui pourront
tenir dans
des coffres : il leur feroit
inutile d'avoir des charriots
couverts , il n'y en
a point dans l'ifle ; ainfi
ils font refufés.
qui
Gouverneur , & 4
autres pour la Garnifon
, qui ne ſeront
vifités en aucun
cas.
ARTICLE
Toute la Garniſon Mi-
III.
Que toute la Gar
litaire & Civile ,
comprenifon
comprenant
nant fous le nom de citous
les Sujets de
S. M. Britannique ,
Civile comme Militaire
, auront tous
vile les Officiers de juftice
& de police , à la réferve
des naturels de
Pie , auront la permiffion
d'emporter leurs leurs bagages & efeffets
, & d'en difpofer
comme il vient d'être fets affurés , avec la
dit : mais toutes les dettes
de la Garnifon , qui auront
été connues légitimes
, envers les Sujets de
permiffion de les
emmener , & d'en
difpofer comme ils
fa Majefté très-Chrétien- jugeront à propos.
ne , parmi lesquels les
Minorcains doivent être compris , feront payées,
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
>
ARTICLE IV.
Que la Garnifon ,
comprenant les Officiers
, ouvriers , foldats
, & autres Sujets
de S. M. Britan
nique avec leurs
familles , qui voudront
quitter l'Ifle , conduiront par la plus
feront pourvus de fûre navigation jufqu'à
vaiffeaux de tranf- Gibraltar , dans le plus
ports convenables , court délai qu'il fera pof-
& conduits à Gi- fible , & les y débarqueront
tout de fuite , bien
braltar par la navi- entendu qu'après ce dégation
la plus cour- barquement , il fera fourte
& la plus directe , ni à ces bâtimens des paf-
& qu'ils y feront feports valables , afin de
débarqués auffitôt
leur arrivée , aux
dépens de la Couronne
de France , &
que les provifions
Il fera fourni les vaiffeaux
de tranfport de
de Sa Majefté très Chré
ceux qui font aux gages
tienne , & convenable
à
la Garnifon Militaire &
Civile du Fort S. Philippe
pour eux & leur famille
: ces Vaiffeaux les
leur feront fournies
de celles qui peuvent
être encore
exiftantes dans la
Place au moment
de la reddition >
leur
n'être pas inquietés dans
retour jufqu'aux
ports de France , où ils
devront aller , & il ſera
laiffé des ôtages pour la
tranfport & de leurs équipages
, que l'on remettra
au premier Bâtiment neutre
qui viendra les chercher
après le retour defdits
Bâtimens dans le
port
de France.
Il fera auffi accordé à
fûreté des Bâtimens de
pour le temps qu'ils la Garnifon des fubfiftanA
O UST. 1756. 221
'ces tant pour fon féjour
dans l'Iffe , que pour 12
jours de voyage , qui feront
prifes de celles qui
feront trouvées dans le
Fort Saint-Philippe , &
diftribuées fur le pied
qu'on a coutume de les
fournir à la garniſon Angloife
: & fi on a befoin
d'un fupplément , il fera
fourni en payant fuivant
ce qui fera réglé par les
Commiffaires de
d'autre.
part &
refter
pourroient
dans l'Ifle , & pour
celui de leur voyage
fur mer , & cela
dans la même proportion
qu'on leur
fournit actuellement.
Mais fi on
avoit befoin d'un
plus grand nombre ,
qu'ils feroient fournis
aux dépens de
la Couronne
France .
ARTICLE V.
Les bâtimens étant
prêts pour le tranfport
de
Que l'on fournira
des quartiers convenables
à la Garnifon
, avec un hôpital
propre pour les
malades & bleffés ,
pendant le temps
de la Garniſon , la fourniture
des quartiers demandés
devient inutile :
elle fortira de la Place
dans le plus court délai ,
pour le rendre à Gibraltar.
Et à l'égard de ceux
qui ne pourront être em- que l'on préparera
barqués tout de fuite , ils les bâtimens de
auront la liberté de refter tranfport : lequel
dans l'Ifle ; & il leur fera temps ne pourra pas
excéder celui d'un
fourni tous les fecours
dont ils auront befoin
pour fe rendre à Gibral- mois , à compter du
tar. Lorfqu'ils feront en jour de la fignature
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
de cette Capitulation
& à l'égard
de ceux qui fe trou
veront hors d'état
d'être embarqués ,
qu'ils pourront refter;
& il enfera pris
foin jufqu'à ce qu'ils
foient en état d'être
envoyés à Gibraltar
par une autre occafion.
état d'être embarqués , il
en fera dreflé un état , &
on laiffera aux vaiffeaux
les pafleports néceflaires
pour aller & revenir. Il
fera de même fourni un
hôpital pour les malades
& bleffés , ainfi qu'il fera
réglé par les Commiffaires
refpectifs.
ARTICLE VI.
Que le Gouverneur
ne pourra pas
être comptable pour
toutes les maifons
qui auront été brûlées
pendant le
Liege.
Accordé pour les maifons
détruites ou brûlées
pendant le fiege : mais on
reftituera plufieurs effets
& titres du Tribunal de
l'Amirauté , qui avoient
été tranſportés dans le
Fort , ainfi que les papiers
de l'Hôtel de Ville qui
ont été emportés par le
Receveur ,& les papiers & titres des Vaiffeaux marchands
François , concernant leur chargement , qui
ont été pareillement retenus.
ARTICLE VII.
Quand la Garni- On n'excitera aucun
fon fortira de la Place
, il ne fera permis
à perfonne de
débaucher les folfoldat
à déferter , & les
Officiers auront une entiere
autorité ſur eux júfqu'au
moment de l'embarquement.
A O UST. 1756. £23
dats pour les faire
déferter de leurs régimens
; & leurs
Officiers auront accès
auprès d'eux en
tout temps.
ARTICLE VIII.
Accordé.
On obfervera de
part & d'autre une
exacte difcipline
.
ARTICLE IX.
Son Excellence M. le
Général Blakney & M. le
:
Maréchal de Richelieu
.ne peuvent fixer ou éten
dre l'autorité des Rois
leurs Maîtres fur leurs
Sujets ce feroit y met
tre des limites que d'obliger
de recevoir dans
leurs Etats ceux qu'ils ne
jugeroient pas à propos
qui y fuflent ftables.
Que ceux des Habitans
de l'Ifle qui
ont joint les Anglois
pour la défenfe
de la Place , auront
permiffion
de
refter & de jouir de
leurs biens & effets
dans l'Ifle , fans être
inquiétés
.
ARTICLE X.
On reprendra de part Que tous les pri
& d'autre tous les prifonfonniers
de guerre
niers qui ont été faits de part & d'autre
pendant le fiege ; ainfi
les François en rendant feront rendus.
ceux qu'ils ont , il leur
fera reftitué les piquets
qui ont été pris en allant
joindre l'Efcadre Fran-
5 .
Kig
214 MERCURE DE FRANCE.
coife le jour que parut
PAmiral Bing devant
Mahon.
ARTICLE XI.
Que M. de Cuffinghan
, Ingénieur,
faifant le fervice de
volontaire pendant
le Siege , aura un
paffeport , & la permiffion
de fe retirer
où fes affaires
l'appelleront.
Accordo.
ARTICLE XII.
Sous les conditions
précédentes ,
Son Excellence M.
le Lieutenant Général
, Gouverneur ,
après que les ôtages
auront été donnés
de part & d'autre
pour la fidelle exécution
des Articles
ci- deffus ,
fent de livrer la
con-
Dès que les articles cideffus
auront été fignés ,
il fera livré une des portes
du Château aux François
, avec les Forts Malborough
& de S. Charles
, après avoir envoyé
les otages de part & d'autre
pour la fidelle éxécu–
tion des articles ci- deffus.
L'Eftacade qui eft dans
le Port , ſera levée ; &
l'entrée & fortie en feront
rendues libres à la
difpofition des François ,
jufqu'à l'entiere fortie de Place à Sa Majefté
Très -Chrétienne , la Garnifon ; & en attenavec
tous les maga- dant , les Commiffaires
de part & d'autre travail
A O UST. 1756 . 225
Ieront de la part de fon
Excellence M. de Blakney
, à faire les états des
magaſins militaires &
autres , & de la part de
fon Excellence M. le Maréchal
de Richelieu , à en
recevoir pour les livrer
aux Anglois ; ce qui a
convenu : il fera auffi livré
les Plans des Galleries
, Mines & autres ouvrages
fouterreins.
été
.
fins militaires , munitions
, canons &
mortiers , à la réferve
de ceux mentionnés
dans l'Article II :
comme auffi de
montrer aux Ingénieurs
toutes les
mines & les ouvrages
fouterreins.
Fait au Château
Fait à Saint-Philippe , de S.
Philippe , le
le 29 Juin 1756.
Approuvé , Guillaume
BLAKNEY.
28 Juin 1756.
Signé , Guillaume
BLAKNEY.
Tous les Articles ci - deffus fignés , &les ôtages
donnés , M. le Maréchal de Richelieu est entré dans
la Place leditjour 29 Juin , entre 89 heures du
matin. Il s'eft fait rendre compte de tout ce qui étoit
dans le Fort , dont voici le détail.
Garnifon trouvée au moment de fa reddition
2963 hommes de troupes.
240 pieces de canon faines & entieres , fans:
compter 40 autres pieces que M. le Maréchal avoit
fait enclouer pendant l'attaque..
Environ 70 Mortiers.
.700 milliers de poudre..
12000 Boulets .
15000 Bombes,
Les Ennemis ont perdu pendant le fiege beaucoup
moins de monde que nous , attendu les retraites.
les Cafmattes immenfes où ils fe retiroient , taillées
K.v.
226 MERCURE DE FRANCE.
dans le roc, & à l'abri du boulet & de la bombe.
Les François ont eu , depuis le commencement du
fiege jufqu'à la reddition du Fort , environ 1500
hommes tant de tués que de bleffés : il eft mort peu
de bleffés , parce que la cure des plaies réuſſiſſoit
fort bien dans cette Ifle. Les Chirurgiens même en
étoient étonnés.
Il s'eft trouvé dans le Fort beaucoup de vivres ;
als en avoient encore pour un temps confidérable :
mais lors de fa reddition , il y avoit huit jours que
les Affiégés n'avoient plus ni Vin , ni Eau - de- vie.
Depuis le commencement du Siege jufqu'à la red
dition , il n'y a jamais eu à l'Hôpital de l'armée
Françoife plus de 150 malades couramment ; &
que M. de Fronfac eft parti de Mahon ,
il n'y en avoit que ce nombre.
au moment
On laiffe pour Garniſon les Régimens ſuivans.
Le Royal Italien ; Médoc ; Talaru ; Royal Comtois
& Vermandois.
La Garnison Angloife a dû fortir de l'Ifle le &
Juillet.
M. le Comte de Lannion commandera en chef
les Forts de Pife Minorque.
M. le Duc de Fronfac , qui a porté la nouvelle
'de la prife des Forts , arriva à Paris la nuit du 9
au 10 Juillet : M. le Comte d'Egmont , qui a apporté
les articles de la Capitulation & la nouvelle
de l'évacuation entiere de la Place par les Anglois
, eft arrivé à Paris la nuit du 14 au 15 fuiwant.
M. de Fronfac eft parti le 26 Juillet de Paris
, pour aller rejoindre M. le Maréchal de Richelieu
, qui ne revient point.
Nous ne pouvons mieux terminer cette Relation
que par les Vers fuivans , qui font de M. de
Voltaire , & qui nous ont paru dignes de lui & da
Héros qu'ils célebrent .
A O UST. 1756 . 227
VERS
De M. de Voltaire à M. le Maréchal Duc
de Richelieu , fur la Conquête de Mahon.
Depuis plus de quarante années
Vous avez été mon Héros :
J'ai préfagé vos deſtinées .
Ainfi quand Achile à Syros
Paroiffoit fe livrer en proye
Aux jeux , aux amours , au répos ,
Il devoit un jour , fur les flots ,
Porter la flamme devant Troye ;
Ainfi quand Phriné , dans fes bras
Tenoit le jeune Alcibiade ,
Phriné ne le poffédoit pas ;
Et fon nom fut dans les combats
Egal au nom de Miltiade.
Jadis les Amans , les Epour
Trembloient en vous voyant paroître.
Près des Belles & près du Maître ,
Vous avez fair plus d'un jaloux :
Enfin c'eft aux Héros à l'être.
C'eft rarement que dans Paris
Parmi les feftins & les ris ,
On démêle un grand caractere
Le préjugé ne conçoit pas
Que celui qui fçait l'art de plaire ;
Kvi
228 MERCURE DE FRANCE
Sçache aufli fauver les Etats :
Le grand Homme échappe au vulgaire.
Mais lorsqu'aux champs de Fontenoi ,
Il fert fa Patrie & fon Roi ;
Quand fa main des peuples de Genes
Défend les jours & rompt les chaînes ;
Lorſqu'auffi prompt que les éclairs ,
Il chaffe les Tyrans des mers
Des murs de Minorque opprimée ,
'Alors ceux qui l'ont méconnu ,
En parlent comme fon armée :
Chacun dit : Je l'avois prévu :
Le fuccès fait la renommée.
Homme aimable , illuftre Guerrier ,
En tout temps Phonneur de la France ,
Triomphez de l'Anglois altier ,
De l'envie & de l'ignorance.
Je ne fçais fi dans Port-Mahon
Vous trouverez un ftatuaire ;
Mais vous n'en avez plus à faire.
Vous allez graver votre nom
Sur les débris de l'Angleterre:
Il feroit béni chez l'Ibere , at.. ?
Et chéri dans ma Nation.
Des deux Richelieu fur la terre
Les exploits feront admirés..
Déja tous deux font comparés ,
Et l'on ne fait qui l'on préfere.
Le Cardinal affermiffoit
A O UST. 1756: 2.20
Et partageoit le rang fuprême
D'un Maître qui le haïffoit ,
Vous vengcz un Roi qui vous aime.
Le Cardinal fut plus puiffant
Et même un peu trop redoutable :
Vous me paroiffez bien plus grand ,
Puifque vous êtes plus aimable .
Le 1 I Juillet , M. le Cardinal de la Rochefoucauld
prêta ferment entre les mains du Roi ,
dans le Cabinet de fa Majefté , pour la charge de
Grand Aumônier de France. Ce Cardinal entra lè
même jour en exercice des fonctions de cette
charge près de fa Majefté.
"
Le 15 Juillet , pendant la Meffe du Roi , la.
Mufique a chanté le Te Deum , de la compofition
de M. Colin de Blamont , Surintendant de la Mufique
de la Chambre , & Chevalier de l'Ordre de
S. Michel , qui l'a fait exécuter. Cette Hymne a
été entonnée par l'Abbé de Gandras , Chapelam
de la Chapelle-Mufique. Le Corps de Ville a fait
tirer le canon , & fonner le tocfin , ainfi que toutes
les cloches de la Ville. A fix heures du fóir ,
le Corps de Ville a allumé un feu dans la place de
-PHôtel de Ville , fous les ordres du Duc de Gefvres
, Gouverneur de l'Ile de France. Le Corps .
de Ville illumina fon Hôtel, & il y eut des lumieres
fur toutes les fenêtres des maifons . L'Hôtel du
Duc de Gefvres fut illuminé fuivant fon ordre
d'Architecture. Ce Seigneur fit couler pendanttoute
la nuit du vin pour le peuple , & lui fit diftribuer
des vivres.
Madame la Marquise de Pompadour à cette
occafion donna une fête dans fa maiſon hors de la
230 MERCURE DE FRANCE.
Ville. Le Roi lui fit l'honneur d'y affifter. y eut
avant le fouper un feu d'artifice très-bien exécuté,
qui fut fuivi d'une illumination élégante , analogue
aux deffeins des parterres & des jardins , &
dont l'effet a fait la furpriſe de tous les Spectateurs .
Le Roi a accordé les entrées de la Chambre à
M. Hénault , Préfident Honoraire en la premiere
Chambre des Enquêtes ; Surintendant des Finances
, Domaines & Affaires de la Reine ; un des
Quarante de l'Académie Francoife ; Honoraire
de l'Académie Royale des Belles- Lettres , & Membre
des Académies Royales de Nancy , de Berlin
& de Suede.
Le Roi ayant prefcrit par fon Ordonnance da
1 Août 1755 , la levée de quatre Compagnies dans
chacun des Bataillons de fon Infanterie Françoiſe ,
& voulant régler le temps que commencera à
courir la maffe deſtinée à l'habillement & aux menues
réparations defdites Compagnies : Sa Majesté
ordonne , qu'outre la folde réglée pour lesdites
Compagnies , le paiement de leur maffe fera fait
fur le pied complet , à commencer du 1 Janvier
de la prefente année.
I
Sa Majefté a réglé auffi , que le décompte de la
maffe échue aux Régimens de Dragons leur feroit
fait jufqu'au 1 Janvier 1756 , fur le pied de
leur précédente compofition , & qu'à compter dudit
jour ils en recevroient le paiement fur le pied
complet de quarante hommes par chacune des
feize compagnies , dont ils font actuellement
composés.
Il paroît deux Arrêts du Confeil d'Etat , qui
-permettent , l'un à la ville de Cherbourg , l'autre
à celle de Libourne , de faire directement , chacune
par fon Port , le commerce des Iſles & Co-
Jonies Françoifes de l'Amérique
AOUST. 1756. .231
La Ville de Saint - Etienne en Forès le diftingue
de plus en plus par la perfection des armes qui s'y
fabriquent. Le Sieur Jean - Louis Carrier , Entrepreneur
d'armes de cette Ville , & qui a en même
temps l'entreprife des Meffageries de Forès , a
préfenté derniérement à M. le Duc de la Valliere
un fufil , dont tous les connoiffeurs ont admiré
la finguliere beauté.
Le 18, M.le Chevalier deTourville arriva àCompiegne
, revenant du Canada , avec la nouvelle
que l'Efcadre & les troupes du Roi , parties de
Breft au mois d'Avril , s'étoient rendues à Quebec
, ainfi que la plupart des navires , qui ont
été expédiés fucceffivement des différens Ports du
Royaume avec des recrues & des provifions de
toute efpece. On a appris auffi par les lettres qu'il
a apportées , qu'il y a eu pendant tout l'hyver
des partis de Canadiens & de Sauvages , qui ont
fait des incurfions fur les Colonies Angloifes , ou
ils ont tué beaucoup de monde , & fait un nombre
affez confidérable de prifonniers. Les mêmes
lettres portent , que les Anglois de leur côté fe
difpofoient à reprendre cette année les attaqués
qu'ils tenterent inutilement l'année derniere contre
le Canada. M. le Chevalier de Tourville commandoit
la Frégate la Sauvage , dans l'Eſcadre
partie de Breft. Il a été fait Capitaine de Vaiffeau ;
& le Roi a eu la bonté de lui annoncer lui-même
cette grace , lorfqu'il a été préfenté à Sa Majesté
par M. de Machault , Garde des Sceaux de France
, & Secretaire d'Etat ayant le département de
la Marine.
M. le Chevalier de Tourville eft neveu du
Maréchal de ce nom. Il est le feul qui refte du
nom de Tourville avec un frere , que fa foible
fanté a obligé de quitter le ſervice de la Marine.
232 MERCURE DE FRANCE.
Il fait fa réfidence dans fes terres en Norman
die , où il s'eft marié , & n'a point de postérité.
Un Courier arrivé de Toulon le 20 de Juillet ,
à cinq heures du matin , a apporté la nouvelle
que l'Efcadre du Roi , commandée par M. le
Marquis de la Galiffoniere , à mouillé en rade
le 16 à trois heures après midi. Cette Eſcadre
étoit partie de fa croifiere devant le Port-Mahon
le 8 , auffi- tôt que M. le Maréchal Duc de Richelieu
fe fut rendu à bord du aiffeau le Fondroyant.
Les Officiers Généraux & les Compagnies
de Grenadiers font revenus à bord de
cette Efcadre , & le furplus des troupes fur des
Bâtimens de tranfport . Pendant la traverſée ,
que les vents contraires & les mauvais temps ont
rendue affez longue , M. le Marquis de la Galiffoniere
a profité le 13 d'un caline , pour faire
chanter le Te Deum à bord du Foudroyant ,
l'occafion de la prife du Port Saint- Philippe ;
& cette cérémonie a été accompagnée des falves
ordinaires de l'artillerie & de la moufqueterie
de tous les Vaiffeaux de PEfcadre. M. le
Maréchal de Richelieu , en débordant en rade
du Vaiffeau le Foudroyant , a été falué de la voix &
fucceffivement du canon de tous les Vaiffeaux de
l'Eſcadre , ainfi que de celui du Vaiffeau Amiral ,
forfqu'il eft entre dans le Port . Cette Efcadre qui
avoit été jointe à Port - Mahon par deux des Vailfeaux
dont Sa Majesté avoit ordonné l'armement ,
a trouvé en..rade les autres Vaiffeaux de ce nouvel
armement , dont le départ avoit été retardé
par la nouvelle de fon retour , & toute cette Elcadre
a eu ordre de refter en rade.
à
La Frégate la Rofe , commandée par M. Paftour
de Coftebelle , Capitaine de Vaiffeau , s'eft
féparée de l'Efcadre fur Toulon , pour débarquer,
A O UST. 1756. 233
à Marseille les Otages , qui doivent y attendre
le retour des Navires qui portent à Gibraltar la
Garnifon du Fort Saint - Philippe.
M.le Marquis de Paulmi , Secretaire d'Etat de
la Guerre , en furvivance du Comte d'Argenfon,
& l'un des Quarante de l'Académie Françoife , a
été élu Académicien Honoraire de l'Académie
Royale des Belles - Lettres , à la place du Feu
Abbé de Pomponne.
Le 22 Juillet , les Actions de la Compagnie
des Indes étoient à quinze cens cinquante livres:
les Billets de la premiere Loterie Royale , à
neufcens quarante ; ceux de la feconde Loterie ,
à fept cens foixante- quatre , & ceux de la troificme
Loterie , à fix cens quarante- quatre .
MARIAGES ET MORTS.
MEffire Pierre , Marquis de Pons , fils de feu
Meffire Pierre , Comte de Pons , & de Dame
Marie -Elifabeth d'Aurelle de Terneyre , fut masié
le 7 Février à Demoiſelle Claude- Renée de Noga.
ret , fille de Meffire Jean- Luc de Nogarét , Vicomte
de Trelans ; & de Dame Marie-Joſephe
du Puy Saint-Pierre de Belleveze. L'Evêque de
Quebec leur donna la Bénédiction nuptiale dans
l'églife Paroiffiale de Chaillot.
On nous mande de Befançon que Meffire
Charles - Marie - Jofeph Guillaume , Seigneur
de Gevigney , Mercey , Percée , & c. Maître
des Comptes en la Chancellerie de Dole , fils
de Meffire Léopold - Hugues - Jofeph - Alexandre
Guillaume , Préfident Honoraire à la Chambre
des Comptes de la même Chancellerie , Di234
MERCURE DE FRANCE.
recteur de l'Aumône générale de l'Hôpital Saint-
Jacques de Belançon , y époufa le 10 de Février,
Demoiſelle Thérete- Marie- Barbe Richer , fille de
Meffire Bonaventure Edouard Richer , ancien Capitaine
Suiffe au Régiment de Courten , Infanterie
, Chevalier de Ordre Royal & Militaire de
S. Louis , La Bénédiction nuptiale leur fut donnée
dans l'églife Métropolitaine par l'Archevêque de
Befa çon . Leur contrat de mariage avoit éte ſigné
le 3 du même mois par le Duc de Randan , l'Archevêque
de Belançon , le Premier Préfident ,
l'Intendant, & tout ce qu'il y avoit de plus quali
fié dans la Ville.
Meffire Jofeph- Charles- Roch- Palamede de
Forbin- Maynier , Baron d'Oppede , Capitaine-
Lieutenant des Chevaux - Légers de Monfeigneur
le Duc de Bourgogne , époufa le 23 Février
Dame Marie- Françoile de Bauffan , veuve de Melfire
Alexandre de Bauffan , Maître des Requêtes ,
mort le 19 Janvier 1754. La Bénédiction nuptiale
leur fut donnée dans l'églife Paroiffiale de
S. Paul , par l'Abbé d'Oppede. Leur contrat de
mariage avoit été fignés par Leurs Majeftés , le is
du même mois.
Meffire Jean Jacques-Philippe- Jofeph Lefmerie
, Marquis d'Efchoify , époufa le 24 dans la
Chapelle du Palais Royal , Demoiſelle Claudine-
Céfarine de la Tour- Dupin- de- Montauban , fille
de Meffire Louis de la Tour - Dupin , Comte de
Montauban , Premier Ecuyer de S. A. S. Monfeigneur
le Duc d'Orleans , & de Dame Marie-
Olimpe de Vaulferre des Adrets. La Bénédiction
nuptiale leur fut donnée par l'Evêque d'Auxerre.
Leur contrat de mariage avoit été ſigné le IS
même mois par Leurs Majeftés.
du
Meffire Jean- Baptifte- Gabriel Caffart , Comie
A OUST 1756. 235
E
Elpiés , Brigadier de cavalerie , fut marié le
même jour à Demoifelle Marie - Géneviève de
Chambon d'Arbouville , ' fille de feu Meffire Pierre
de Chambon , Marquis d'Arbouville , Maréchal
des Camps & armées du Roi , & Gouverneur des
ville & Château de Sheleſtat , & de feu Dame Marie-
Anne- Françoife de Montmorin . L'Evêque Duc
de Langres leur donna la Bénédiction nuptiale
dans l'églife de S. Sulpice.
Meffire Célar-Augufte , Comte de Mafting
Fauconnier de Monfeigneur le Duc d'Orléans ,
veuf de N. de Boulainvilliers , a époufé en fecondes
nôces , le Février 1716 Demoiſelle Marie-
Magdeleine le Franc des Effarts , fille de feu Meffire
Louis le Franc des Eflarts , & de Damoifelle
N. Mignot , foeur de l'Abbé Mignot.
Jean-François- Gafton de Rochechouari-Fau
daas , Abbé de l'Abbaye de Bonnefont , Ordre de
Câteaux , Diocèfe de Comminges , eft mort le 27
Décembre , dans la quarante- cinquieme année de
fon âge.
L'Abbé de Rochechouart étoit fils de Charles
de Rochechouart , dit le Comte de Clermont , Vicomte
de Soulan , feigneur d'Aureville , & c . & de
Françoile de Montefquiou , fille de Jean Hyacinthe
, Baron de la Tour de France , & de Marie-
Anne de Roux- Montet. Il avoit pour freres ,
10. François- Charles , dit le Comte de Rochechouart
, Marquis de Faudoas , Baron des Etats
de Languedoc , &c. Lieutenant Général des Armées
du Roi , marié le 13 Décembre 17 8 , à
Marie-Françoife de Conflans - d'Armentieres , aujourd'hui
une des Dames de Madame la Dauphine
, dont un fils & deux filles , dont l'aînée a
époufé le Comte du Châtelet , Colonel du Régiment
de Querci , & Menin de Monſeigneur le
Dauphin.
236 MERCURE DE FRANCE..
2°. Jean-François -Jofeph de Rochechouart ;
Evêque , Duc de Laon , fecond Pair de France ,
Abbé de S. Remi de Rheims, &c , facré le 15 Octobre
1741 .
3. Jean- Louis-Roger de Rochechouart qui a
quitté l'Ordre de Malte en 1751 , appellé Marquis
de Rochechouart , Brigadier d'Infanterie , & Colonel
du Régiment d'Anjou , marié le 3 Juin 1751 .
à Charlotte- Françoife Faulcon de Rys , nommée
la même année Dame de Mefdames de France.
4. Pierre - Paul- Etienne , dit le Vicomte de
Rochechouart , Lieutenant de Vaiffeaux , né en
1723.
La Maifon de Rochechouart eft une des plas
illuftres du Royaume , puifqu'elle rapporte fon
origine aux anciens Vicomtes héréditaires de Limoges.
Elle eft partagée dès l'an 1245 , en deux
branches principales. De la cadette font fortis les
Ducs de Mortemart. Voyez fur cette Maiſon
l'hiftoire des Grands Officiers de la Couronne ,
Tome IV .
&
Le Chevalier d'Aultry , Brigadier d'infanterie ,
eft mort le 2 Janvier , au Château de la Mivoye ,
âgé de 69 ans.
Meffire Louis - Antoine du Fos , Marquis de
Mery , eft mort le 12 au Château de la Taulle en
Picardie , dans la cinquante- fixieme année de fon
âge .
Meffire Louis-Jean -Jacques Touftain de Richebourg
, eft mort le 15 dans fon château de Malemains
en Normandie , âgé de 37 ans.
Meffire N. Elian , Abbé de l'Abbaye de Bellaigue
, y eft mort au commencement du mois de
Février dans la quatre- vingt- quatorzieme année
de fon âge. Il étoit Titulaire de cette Abbaye depuis
1677 , & le plus ancien des Abbés Commen
dataires de France.
A O UST. 1756. 237
AVIS.
LE Sieur Brouet , Marchand Epicier , rue Dau
phine , au Magafin de Montpellier ; vend une
nouvelle liqueur appellée Eau de Minorque .
Cette liqueur eft des plus agréables , & a été
généralement approuvée,
AUTRE.
LE Sieur Maille , Vinaigrier- Diftillateur or
dinaire de Leurs Majeftés Impériales , & le feul
pour la compofition des Vinaigres de propriétés ,
donne avis qu'il continue avec les plus heureux
fuccès , la vente du Vinaigre de Turbie ,
pour la guérifon des maux de dent , ainfi que
celle du Vinaigre Romain , qui les blanchit parfaitement
, arrête le progrès de la carie , & empêche
que les autres dents ne cariffent , & les raffermit
dans leur alvéole , guérit tous les chancres
de la bouche , & previent l'haleine forte. Les heureux
effet que ce Vinaigre a produits dans la bouche
d'un très - grand nombre de perfonnes , fait
connoître que cette compofition eft la plus parfaite
que l'on ait encore trouvée , & qu'elle renferme
des propriétés admirables pour la confervation
de la bouche . Il fe trouve chez ledit Sieur
Maille , différens Vinaigres fervant à l'uſage de la
peau , foit pour en ôter les boutons , dartres
farineufes , taches de rouffeurs , & la blanchir ,
noircir les cheveux & fourcils roux ou blancs ,
fans que cela foit préjudiciable à la tête ni aux
yeux. Ledit Sieur Maille tient magaſin général
de toutes fortes . de Vinaigres , tant pour la ta
238 MERCURE DE FRANCE.
ble que pour les bains & toilettes , au nombre
de cent foixante - deux fortes , & différens fruits
confits au vinaigre. L'on continue le débit de
la nouvelle Moutarde des fix graines , & l'excellente
Moutarde aux capes & anchois , par extrait
d'herbes fines à quatre livres le pot de pinte.
Les perfonnes des Provinces de France & des
Royaumes étrangers , font avertis qu'il n'y a que
1 : dit Sieur Maille qui fait & compofe ces fortes
de Vinaigres. Les perfonnes qui feront dans le cas
d'en avoir befoin , en écrivant une lettre d'avis
audit Sieur , & remettant l'argent par la pofte
tout affranchi de port , on leur enverra exactement
le Vinaigre dont elles auront beſoin , avec la
façon de s'en fervir. Les moindres bouteilles de
cès fortes de Vinaigres de propriété , ſoit pour
les dents ou le vifage , font de trois livres .
Il demeure à Paris rue de l'Hirondelle , aux
armes Impériales .
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier, Ai
le Mercure du mois d'Août , & je n'y ai rien trouvé
qui puiffe en empêcher l'impreſſion . A Paris ,
ce 29 Juillet 1756.
ERRATA
GUIROY.
Pour le fecond Volume de Juillet..
PAze 9 , ligne 6.
Conduit-moi mollement au port.
Lifez ,
Conduis- moi mollement au port
239
"ag. 125 , lig. 5. à M. de Mouchy , lifez à M. de
Mouhy .
Pag . 207 , lig . 11. Gernefey , lifez , Garneley.
Page 156 de ce Volume d'Août , lig. 16 , au lieu
de Prix 2 liv. 80. lifez , Prix 3 liv, in- 12.
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
E
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
PITRE à M. de Saint-Martial en lui envoyant
une paire de Pigeons ,
Les Faveurs , Conte ,
Ode ,
Suite de la Vie de Jules Céfar ,
Vers fur la Guerre préſente ,
page s
9
21
28
47
Chanfons pour célébrer la Venue de M. le Dauphin
à Chartres ,
Vers à M. de la Motte ,
Lettre à M. le C... de ...
Ode fur la prise de Port-Mahon ,
Portrait de M. R.
Vers à MM . Gabriel , fils ,
Le Coup d'Eil dans un Général d'armée ,
Elégie à Mademoiſelle B * * * **** ,
Lettre à l'Auteur du Mercure ,
Autre Lettre avec une Epître à M. B *** ,
ibid.
So
St
59
63
68
73
76
80
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
fecond Volume du Mercure de Juillet ,
Enigme & Logogryphe ,
Chanfon ,
84
ibid.
87
89
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
Séance publique de l'Académie de Nîmes ,
Extraits , Précis ou Indications des livres nouveaux
,
306
240
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Géométrie. Théorême concernant la Quadrature
des Courbes , 165
Phyfiue . Expérience qui démontre que l'air de la
refpiration paffe dans le fang , 167
Médecine. Réponſe de M. T. C. à l'Auteur d'une
Lettre inférée dans le Mercure du mois de Juillet
1755 ,
Académie des Belles - Lettres de Marſeille ,
ART. IV. BEAUX - ARTS.
170
177
Mufique.
Gravure.
179
180
Architecture. Lettre à l'Auteur du Mercure fur la
Décoration des Jardins ,
ART. V. SPECTACLES.
Comédie Françoiſe.
Comédie Italienne.
Opéra comique.
182
189
191
ibid.
Chanfon de M. Vadé , fur la Priſe du Port-Mahon
.
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
192
195
205
Relation hiftorique de la Prife de l'Ifle Minorque ,
avec la Capitulation du Fort S.Philippe , & c. 218
Vers de M. de Voltaire , à M. le Maréchal de Ri-
-chelieu fur cette priſe ,
Mariages & Morts ,
Avis divers .
La Chanson notée doit regarder la page 87.
De l'Imprimerie de Ch. Ant. Jombert,
227
233
237
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
SEPTEMBRE. 1756.
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine.
Cochin
Silive inv.
Papillon Sculp
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
Chez PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins .
Avec Approbation & Privilege du Roi.
AVERTISSEMENT
LE Bureau du Mercure eft chex M.
9
LUTTON , Avocat & Greffier - Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis an
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Rock , entre deux Selliers .
C'est à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY ,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raifon
de 30 fols pice.
par
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure la p fte , payeront
pour feize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafion pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du pori fur
leur compte , ne payeront , comme à Paris
qu'à raifon de 30 fals par volume , c'eſt- àdire
24 livres d'avance , en s'abonani pour
16 volumes .
Les Libraires des provinces on des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mer
eure , écriront à l'adreſſe ci - deſſus.
A ij
On fupplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la poſte , enpayant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à ſon Bureau les Mardi
Mercredi & Jeudi de chaque femaine, aprèsmidi
.
cure ,
On peut fe procurer par la voie du Merles
autres Journaux , ainfi que les Liures,
Eftampes & Mufique qu'ils annoncent.
On prie les perfonnes qui envoient des Livres
, Eftampes & Mufique à annoncer į
d'en marquer le prix.
MERCURE
DE FRANCE.
SEPTEMBRE . 1756 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PRÓSE.
LA MAIN DROITE
ET LA MAIN GAUCHE.
L'Hom
FABLE.
'Homme eft plein de befoins : pour les foula
ger mieux ,
Il a reçu deux mains des Dieux.
Mais dans les champs de Mars , fiere de le défene
dre ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
La main droite , dit -on , dès le commencement
Ofa refufer hautement
Les fervices communs qu'elle devoit lui rendre .
Bien qu'elle tînt au corps , le corps n'en recevoit
Le manger , ni le boire : il avoit beau prétendre ,
La Dame fe tranquilifoit :
Elle eût cru déroger en nourriffant fon pere.
La main gauche étoit roturiere ,
Et cet emploi la regardoit.
Je protege vos jours & vos biens à la guerre ,
N'eft- ce pas faire affez pour vous ?
Je forte aux ennemis les plus terribles coups ;
Je dirige le fer , la fronde & la maffue ;
Et quand j'ai fatisfait à des devoirs fi beaux ,
Pour vaquer aux plus vils travaux
Vous voulez que je me remue ?
Ne me vante point tant ton pénible ſecours ;
Dit l'homme ta compagne aide mieux ma foi
bleffe .
Je n'ai point d'ennemis qui m'attaquent fans
ceffe ,
Au lieu que j'ai faim tous les jours.
Les mets que ta foeur me préſente
Rendent la vie à tous mes fens ;
Elle engraiffe d'autant , & fa force en augmente.
Tu dédaignés cés alimens ,
Sans eux tu ferois languiffante .
L'art de se battre eft noble , on ne fçait pas pour
quoi :
*
7
SEPTEMBRE
. 1756.
J'eftime bien mieux l'art d'éviter la difette.
Mourir de faim eft , felon moi ,
La roture la plus complette.
LETTRE
**
A Monfieur *
JE prends la liberté , Monfieur , de vous
envoyer un badinage que je viens de faire
au fujer d'une gageure qu'une Dame de
certe Ville & un Anglois qui y féjourne
ont faite ,
, pour & contre la prife du Fort
Saint Philippe .
A Monfieur ***.
Enfin
, Milord
, je fuis Prophéte
,
Nous voilà maîtres de Mahon ;
Et votre fage Garnifon
De fes exploits très- fatisfaite ,
Se moque du qu'endira- t'on ,
Et déloge enfin fans trompette.
Votre réponſe eft déja faite :
>>Peut- on défendre un Baftion
>> Contre cent machines guerrieres ,
Qui portant la deftruction ,
>>Brifent les plus fortes barrieres ?
A iv
8 MERCURE DE FRANCE
>> Et puis vingt mille téméraires ,
>>Bravant la mine & le canon ,
» Et guidés par un Scipion ,
>>Sont de terribles adverfaires !
>>Et comment diable , tenir bon
>>Contre ces forces meurtrieres ?
>> Euffions-nous un coeur de lion ,
>> Fuffions -nous cent fois plus Corfaires ,
»Il faut bien , qu'on le veuille ou non ,
» Souffrir enfin les étrivieres.
Eh ! Milord , vous avez raiſon :
Devant nos milices Françoifes
Toutes vos phalanges Angloifes
Peuvent baiffer leur pavillon ,
Sans jamais perdre leur renom .
Pour vous , dorénavant plus fage ,
Ne hazardez plus vos Chelings
En faveur de vos Citadins ;
Avant qu'ils euffent . l'avantage
Vous perdriez , trifte préfage ,
Cent millions de livres sterlings
Leur haine qu'anime la rage
Ne vaut pas le noble courage
De leurs redoutables voifins.
Mais pour Louis & fa fortune ;
Je vous offrirois pour enjeu
Cent mille piftoles contre une ,
Et j'aurois encor très -beau jeu .
Par M***
SEPTEMBRE . 1756 .
SUR LE CHOIX DES SOCIÉTÉS ,
A une jeune perfonne qui doit entrer incef-
Samment dans le monde ; par Madame
du S. ···
JEE viens d'avoir la plus finguliere converfation
avec une femme aimable , qui
m'eft chere , que les principes d'une pieuſe
éducation ont prévenue contre les grands
défordres , mais que le torrent du monde
entraîne , & qui s'y trouve prodigieufement
livrée. Dans les deffeins que je forme
pour vous , ma chere Julie , j'imagine qu'il
n'eft point hors de propos de vous en faire
part.
Je fuis , m'a-t -elle dit , furpriſe qu'une
vie auffi remplie que le paroît la mienne ,
me laiffe fufceptible de l'ennui qui me
domine quelquefois ; qu'environnée de
tout ce qu'il y a de féduifant , j'éprouve
un vuide extrême. J'ai tout ce que je puis
défirer , & je cherche , pour ainfi dire , autour
de moi : je ne vois pas ce qui me
manque , mais il me manque quelque
choſe. La nature & la fortune m'ont bien
traitée ( l'on peut s'exprimer ainfi vis- à - vis
d'une vraie amie ) . Mon mari fait un per-
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
fonnage dans le monde : il a de bonnes
manieres pour moi ; & quand il en diminueroit
quelque chofe , pourvu que cela
n'allât pas à la contrainte , en vérité je
n'aurois pas le temps de m'en appercevoir,
Je fuis obfédée en fortant du lit ; obligée
de dérober les circonftances fécrettes de
ma toilette , j'ai cent témoins des autres :
on m'enleve de chez moi. Un petit voyage
de campagne , un dîné , une fête , fouvent
une partie qui n'a offert d'agrément que
dans le projet , nous mettent en mouvement.
Paris offre mille façons de diverfifier
les plaifirs ; je les admets toutes , quelquefois
même plufieurs à la fois : promenade
pour le brillant des équipages , autres
promenades où l'on étale avec avantage
les agrémens & la parure . Enivrée
d'éloges , foulant aux pieds les plus féduifantes
Aeurettes , on rentre chez foi ou
chez quelqu'autre : un délicat foupé raffemble
une petite troupe d'élite ; la cohue
que je ne hais point dans le cours de la
journée me déplaît à table , il faut qu'on y
foit afforti : j'élague celle qui m'environne,
elle forme ma cour & non ma fociété : la
gaieté , la faillie regnent , la nuit arrive , &
je me conche le plus fouvent fans avoir
eu le temps de penfer que je m'étois lévée.
Cette vie eft charmante ; je me veux un
SEPTEMBRE. 1756 .
TI
mal mortel d'en être quelquefois dégoûtée.
Je crains de devenir bizarre & cauftique :
car enfin il faut que je vous l'avoue , ma
bonne , il eft des momens où je voudrois
être plus à moi je hais quelquefois le
jour qui me replonge dans le tourbillon ;
& quand quelqu'heureux hazard écarte
cette turbulente troupe , je fuis enchantée
d'être livrée à moi même fans qu'il paroiffe
de l'inégalité dans ma conduite ; &
quoique les réflexions dont je m'occupe
alors me donnent de l'humeur , parce qu'elles
font naître d'ennuyeux fcrupules ,
j'aime à m'y livrer : je trouve cette penfée
fauffe de dire qu'elles font inutiles : réellement
il en faut quelquefois , je voudrois
que ma façon de vivre fût plus relative à
mes préjugés ma raifon trouve bien l'incompatible
; mais elle me laiffe après me
l'avoir dit , & ne me fournit aucun milieu.
A vingt ans fe réduire à une vie unifor
fe coucher , fe lever à des heurés féglées
, s'occuper de Dieu premiérement ,
de fa famille , de fon domeſtique , inſtruire
& régler... Que de miferes dans ces
dérails :: que diroient Cidalife & le jeune
Comte ? L'une eft mon amie , l'autre , fans
être amoureux , a mille complaifances qui
m'amufent : tous deux répandent un affreux
ridicule fur le malheur d'une éduca
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
tion qu'ils qualifient de bourgeoife , dont
ils prétendent que l'impreffion me met
toujours à la veille de leur échapper , de
m'enfevelir , de m'enterrer , en un mot
d'être comptée pour rien . Ils me font chers,
mais affurément fans conféquence . Je connois
Cidalife depuis peu : c'eft une femme
confommée dans l'ufage du grand monde.
Sans retourner fur fa jeuneffe dont les commencemens
ont quelque chofe d'affez révoltant
, elle eft revenue à mettre de l'ordre
dans fa conduite. Elle m'a fouvent fait
l'hiſtoire de fa vie. Ah ! ma Bonne , qu'il y
a de jolis endroits ! Le Duc de ... l'a aimée !
quel homme fait pour plaire ! quels triomphes
! Elle le fuivit dans fon Gouvernement
; & fans qu'ils euffent l'air d'avoir
rien à démêler enſemble , il parut la voir
pour la premiere fois au Spectacle : elle
paffoit pour la Comteffe de ... il lui avoit
donné un équipage , & tout ce qu'il falloit
pour en foutenir le perfonnage. Une des
plus belles perfonnes de la Ville eut des
prétentions : il en parut touché ; mon amie
trembla. Le Marquis de ... s'offroit à la
dédommager ; mais il y avoit du fentiment
dans cette affaire , il ne fervit qu'à ranimer
l'amour du Duc , & d'ornement à la conquête
tout fut facrifié de bonne-foi de
part & d'autre. Quels jours ! quels inftans !
SEPTEMBRE. 1756. 13
ile ne m'a rien caché : oh ! c'eft une
femme bien fincere : j'aurois quelquefois
fouhaité qu'elle le fût moins ; mais elle
donne à tout des couleurs ... En vérité
les circonftances qui l'ont entraînée étoient
infurmontables.
Pour le Comte , vous fçavez qu'il eft
plus aimable que tout ce qu'on voit dans
le monde , rien ne lui reffemble à tous
égards : s'il étoit amoureux , il feroit à craindre
: j'en ferois au défefpoir ; car , qu'en
penfez-vous, ma Bonne, il faudroit renoncer
à le voir ? Cidalife me difoit , non ;
mais feulement éviter le tête à tête : au
furplus que craindriez- vous ? s'il vous aime
, il vous refpectera : c'eft le plus intime
de votre mari ; vous fçavez comme il en
parle. Avec tout cela , ma Bonne , & l'indifférence
dont il fe pique , je le crains ,
parce qu'il y a des jours où je le trouve
néceffaire , & d'autres où ma raifon le
trouve de trop tel fut , par exemple , celui
dont vous vouliez me détourner de
remplir les engagemens . J'aurois dû vous
en croire , cette partie étoit légere . La
crainte des ridicules auxquels je me ferois
offerte en m'y refufant , me détermina : j'y
porrai de l'inquiétude & des réflexions :
on eft fouvent déplacée quand on penfe.
J'eus peine à partager la gaieté commune.
:
14 MERCURE DE FRANCE.
Nous allâmes , comme vous fçavez , dans
cette jolie maiſon du Prince de ... 11 ne
devoit point s'y trouver ; cependant il y
vint : j'en fus bien aiſe ; car j'avois réellement
de l'humeur . J'imaginai que fa préfence
impoferoit , & que nous ferions
obligés de reprendre le chemin de Paris :
point du tout . J'aurois foupçonné du concert
, tant il parut d'intelligence avec ma
fociété . Cidalife m'a toujours affaré que
non. Quoi qu'il en foit , tout continua fur
le même ton : il nous fit entendre une
mufique admirable pendant le dîné , il fe
donna lui- même la peine de nous conduire
dans les jardins , & de nous faire remarquer
les beautés d'un fingulier labyrinthe ,
où mon amie n'ayant pu nous fuivre ,
parce qu'un foudain mal de tête l'avoit
faifie , le Comte , qui lui donnoit le bras ,
la conduifit au Château : Emilie , Cephife
& leurs Ecuyers difparurent , je ne fçais
comment fans m'en être apperçue , je
me trouvai feule avec le Maître du logis
qui me faifoit l'honneur de m'aider à marcher.
A quelle fcene fus- je expofée ! J'étois
déja fort intimidée du tête à tête avec
un homme de ce rang , que je voyois pour
la premiere fois. Ce fut bien aurre chofe
quand me forçant prefque de m'affeoir , je
le vis à mes pieds avec un air ému , des
SEPTEMBRE 1756. 15
regards fixes & languiffans : je ne fis qu'un
faut dans la premiere toute : me croyant
fuivie , je les parcourois avec effroi , cherchant
une iflue : j'apperçus le Comte , qui
d'un air inquiet s'en barraffoit de fon côté :
mon agitation le furprit moins qu'elle ne
parut l'affliger ; je crus qu'il en fçavoit la
canfe . Tout eft-il découvert , lui dis-je ?
Quelles façons d'agir ! qu'eft- ce que cette
manoeuvre ! Je l'ignore , me répondit- il :
mais de tous les hommes je fuis le moins
propre à m'y prêter ; & fi vous me permettiez
de vous inftruire de mes fentimens
pour vous , j'aurois bientôt dequoi vous
en convaincre. Vous êtes dans une fociété
dangereufe , belle Horrence , ajouta- t'il ;
les confeils d'un homme de mon âge peuvent
être fufpects ; mais réfléchiffez- y , ils
auront des partifans dans vos inclinations
heureuſes. Echappez aux pieges , croyezmoi
l'on abufel de votre confiance. Il
;
me difoit cela d'un air qui m'attendrifſoit ,
ma Bonne je lui fçavois gré de ce vertueux
intérêt ; & fans être en garde contre
lui- mêmes , nous cherchions de concert à
fortir de ce dédale . Nous entrâmes enfin
dans un grand bois je me jettai fans autre
réflexion fur le premier banc : quelle furprife
! je levis à mes genoux : j'étois trop
laffe , je ne pouvois plus fuir que cela
16 MERCURE DE FRANCE.
eft embarraſſant ! C'en eft trop pour un
jour , m'écriai - je ! Comte , que faitesvous
? quelle fituation ! .. Affeyez- vous ,
je ne puis vous entendre autrement . Il
ferroit les mains que je lui tendois pour
le relever je crois qu'il les baifoit ; car
en vérité je n'en fçais rien. J'étois fi émue ,
fi troublée , le feu de fes yeux , un certain
air animé , entreprenant ... j'avois grand
befoin que l'on nous rejoignît : toute la
compagnie reparut en effet de différentes
allées je me plaignis à Cidalife ; elle
éclata de rire Quelle enfance ! qu'avezvous
imaginé , dit- elle ? que l'on eft crédule
quand on est fans expérience , &
qu'un peu d'amour- propre s'en mêle ! Un
badinage , une feinte vous effrayent. Elle
prit enfuite un ton plus férieux , & me
prouva fi bien que je n'avois pas eu lieu
de prendre la chofe au férieux , que j'eus
honte de ma fuite. Le Prince de ... ne
parut plus. Nous rentrâmes dans nos caléches
: l'enjouement & l'air fatisfait s'émbarquerent
avec nous . Le Comte feul me
parut rêveur & diftrait il étoit apparemment
fâché d'avoir fait un moment un
perfonnage oppofé à fon ton philofophe &
réfléchi . Pour moi , je ne l'érois point de
l'avoir vu faire comme les autres : cette
maniere foumife & refpectueufe a quelque
SEPTEMBRE. 1756. 17
chofe de féduifant . L'on vit fi férieufement
entre mari & femme , la fupériorité fe fait
toujours fentir : tout eft demandé & obtenu
comme devoir , c'eft le plus froid
commerce , jamais on ne fçait fi l'on eft
plus jolie un jour que l'autre ; c'eſt un
uniforme , une égalité infipide qui révolte.
Vous le fçavez , ma Bonne , tout le
monde a fes jours & fes parures avantageufes
: Cidalife & le Comte ont une flatteufe
attention à me les faire remarquer.
Croiriez - vous qu'il y a plus d'un an que
M. de ... n'en a fait aucune à mes habits :
quand je veux attirer fes regards fur quelque
nouvel ajustement , il fe contente de
me répondre d'un air froid , fans même
me regarder : vous êtes toujours également
bien à mes yeux , en vérité cela défole.
Le Public eft plus obligeant , fi j'obtenois
chez moi la plus petite partie des éloges
qu'il me prodigue , je crois que je ne fortirois
jamais. Pour le Comte , je l'avoue
ce qu'il fit à ... me revient fans ceffe fous
yeux il y a dans cette avanture quelque
chofe qui m'étonne ; car réellement
il n'eft point amoureux. Il déclame fans
mefure contre ceux qui le font ; il les
tourne en ridicule que gagneroit - il à
cela ? il ſeroit tout fimple qu'il fe déclarat.
Cette penfée me raffure, mais elle ne m'emles
18 MERCURE DE FRANCE.
pêche pas de craindre de me trouver feule
avec lui , & je ne pris point de plaifir à
la mauvaiſe plaifanterie de Cidalife qui
nous enferma hier. Le Comte m'offença ;
je criai : la porte s'ouvrit , je me plaignis.
Elle me plaifanta fur ma mauvaiſe humeur,
elle fit la mine enfuite . Je fus encore affez
bonne pour faire les premieres démarches
du raccommodement , & voilà plufieurs
o cafions où je remarque que je fais tous
les frais de l'amitié qui nous lie.
Voilà ce qu'on peut appeller une furieufe
tirade , ma chere Julie. Elle étoit tou e à
fes idées ; je la livrai à fon enthouſiaſme ,
fans prefque l'interrompre : je l'attendois
à cette conclufion . Je crus devoir profiter
des difpofitions qu'elle faifoit paroître
pour l'éclairer fur des dangers qu'elle ne
foupçonne pas. Je pourrois vous épargner
la fuite de notre converfation , qui ne
contient plus que des réflexions férieufes
& des inftructions ; mais elles entrent dans
l'ordre de mes deffeins fur vous : ainfi je
ne vous ferai grace de rien . Je lui tins donc
ce propos :
Vous êtes , je l'avoue , ma chere Hortence
, dans une pofition d'autant plus délicate
, que malgré beaucoup d'efprit, vous
ne le fentez pas , & que vos penchans aident
à vous féduire. Une dangereuſe amie
SEPTEMBRE. 1756 . 19
>
tend imperceptiblement un million de
pieges à votre vertu. Pour le Comte , il y
va de bonne foi , il eft amoureux . ( Elle
voulut m'interrompre ) . Ecoutez - moi
lui dis- je accordez cette complaifance à
de vrais fentimens dont on ne vous fait
voir ailleurs que l'apparence. Il vous aime
belle Hortence , mais il craint une fageffe
qui fe feroit un devoir de l'éloigner , s'il ſe
déclaroit fon manege lui réuffit mieux ;
il vient à fon but par un détour , & prend,
fans que vous vous en doutiez , la place où
il afpire. Si vous conceviez combien il y
a peu de distance du chemin que vous
avez fait aux dernieres démarches , vous
en frémiriez. Hélas ! un moment plus tard
peut-être mes confeils perfuaderoient- ils
envain votre raifon : il en eft temps encore.
Arrachez - vous aux vains engage
mens qui vous retiennent une amie du
caractere de Cidalife eft indigne de vous :
avec quelle affurance ofez-vous vous livrer
à fa conduite ! Elevée fans préjugés , elle à
vécu fans principes ; criminelle par goût ,
elle n'a pas même refpecté les dehors de
la vertu che a borné fon ambition aux
plus méprifables qualités de fçavoir attirer
& retenir beaucoup d'adorateurs ; triomphes
déplorables qui coûtent le feul mérite
qui met de la différence entre les
20 MERCURE DE FRANCE.
femmes. Quoi ! ma chere Hortence , ne
devinez - vous pas ce qui manque à votre
félicité Le repos d'une confcience qui ne
fe reproche rien , la fatisfaction de pouvoir
fe dire à foi-même , mes devoirs me
font chers , j'en fais mon unique étude.
Eprouvez la différence d'une vie appliquée,
faites un nouveau plan ; demandez vous ,
fans complaifance, ce que vous vous devez
comme Chrétienne , comme femme , comme
mere , & comme maîtreffe de maiſon ;
voyez fi vous l'avez rempli dans cette vie
tumultueufe & répandue . Vous ne deviez
point fuivre M. de ... dans fes terres.
Changez vos deffeins , fuyez- le , ma chere.
Rendue à vous-même , éloignée des dan.
gereux objets qui vous obfedent , vous
apprendrez qu'il eft des plaifirs dans une
vie d'ordre ; que ce qu'on qualifie de mifere
renferme d'inépuifables fatisfactions.
Rendez tout votre attachement à qui vous
le devez , & qui en eft fi digne ; apprenez
par pratique à préférer à tout le plus précieux
des biens ; je veux dire la vertu :
c'est elle qui peut feule remplir le coeur :
tout eft réellement fans elle illufion &
preftige : reconnoiffez- la : c'eſt à ce cri fécret
qui fortoit du vôtre né pour elle , que
vous deviez les dégoûts répandus fur les
faux plaifirs que vous lui préfériez . Je veux
SEPTEMBRE . 1756. 21
vous faire éprouver ceux qu'ellepermet :
j'efpere qu'ils acheveront de vous arracher
aux autres . Je vais à ma terre pour quelques
jours vous en connoiffez la diſtance ,
c'eft un voyage d'après - dîné : je compte y
recevoir plufieurs de mes amis & amies,
Soyez des nôtres , ma chere Hortence .
Vous verrez des tons & des allures différentes
; mais vous trouverez de la nobleffe
, de la décence , de l'efprit , de la gaieté,
& vous apprendrez que la vertu fociable
renferme de réels agrémens.
Elle ne m'écoutoit prefque plus depuis
un moment. Plongée dans la plus profonde
rêverie , elle effuyoit le plus violent.
combat ; de tendres larmes rempliffoient
fes yeux , & couvroient fon beau vifage :
elle s'eft enfin jettée dans mes bras . Je ne
le verrai plus, ma Bonne , vous triomphez ;
non, je ne le verrai plus ... A quel danger
courrois- je ! je le fens à ce qu'il m'en
coûte pour former cette réfolution ; mais
je la foutiendrai , ne m'abandonnez pas.
Je vais un moment chez moi pour préve
nir M. de ... du petit voyage que vous
me propofez , & de celui qui le fuivra .
Tout à coup elle s'eft écriée : Ah ! pauvre
Comte ... & rougiffant de fon tranfport ,
elle m'a regardée. C'eft pour la derniere
fois , m'a -t-elle dit , je ne veux pas même
22 MERCURE DE FRANCE .
le nommer. Elle eft fortie : un de fes gens
vient de me dire qu'elle feroit ici à deux
heures , & je l'attends.
Adieu , ma chere Julie . Il ne vous fera
pas difficile de pénétrer mes deffeins par
ce long récit ; je le livre à vos réflexions :
voilà bien affez écrire : heureufement
mon amitié pour vous eft au deffus des
expreffions , cela vous fauve un furcroît
de paroles.
EPITRE
A Madame d'Al... en fon Château de ...
· Scribere juffit amor.
Ovid. Heroid. Ep. I.
A U fein d'une douce langueur ,
Tandis qu'à peine je reſpire ,
Et
que
la
fecourable
erreur
,
Dans
les tourbillons
du délire
,
Emporte
& voile
mon
malheur
,
Vous
me promettez
un fourire
,
Des
oeillets
, un regard
fatteur
,
Si , reprenant
pour
vous
ma lyre
,
Je vous
fais fentir
du bonheur
Les
influences
& l'empire
;
Et fi par
més
accords
j'attire
SEPTEMBRE . 1756. 23
Le doux plaifir dans votre coeur.
Puis-je vous rendre un tel fervice ,
Moi , que les Dieux d'un ceil propice
N'ont jamais daigné regarder
Pouvez -vous me le demander ,
Vous qui reçûtes en partage ,
De la nature enfant gâté ,
Toutes les graces fans fierté ;
De l'efprit fans faux étalage ,
De la vertu fans âpreté ;
Un peu d'humeur , un goûr volage ,
Mais fans fiel & fans fauffeté ?
Si l'Euménide de Tantale
Empoifonne ces dons heureux ;
S'il eft toujours quelque intervale
Entré le bonheur & vos voeux ;
Si du fombre ennui l'influence
Verfe en un coeur fait pour les jeux ,
De tout défir cette impuiffance ,
Cet embarras de l'existence ,
Qui , d'un peuple fier & fameux ,
Epuifent fouvent la conftance ;
A cette finiftre langueur
Pour oppoſer de fûres armes ,
Donnez , belle Eglé , votre coeur
Au Dieu qui vous donna les charmes .
Un Amant voltige enchanté
Des vrais pla firs aux doux menfonges s
Pour lui l'aimable volupté ,
24
MERCURE DE FRANCE.
Reproduite dans de beaux fonges ,
Survit à la réalité .
Cet Univers n'a qu'une allure
Pour ceux dont les timides fens ,
Plongés dans une nuit obfcure ,
Des amoureux engagemens
Repouffent l'aimable impofture.
Mais aux yeux des tendres Amans
Le domaine de la nature
De leur coeur fuit les mouvemens ,
Et fon afpect & fa parure
Changent avec leurs fentimens.
Regardez l'ingénue Aminte
Qui , foulant l'art & la contrainte ,
Adreffe à Licas des fouris :
Un berceau dans fa fombre enceinte
Voit de leurs noeuds ferrer l'étreinte.
Aminte fort : fon coloris
Du doux plaifir porte l'empreinte ,
Et fon front où la joie eft peinte ,
Eft le trône où s'affied Cypris.
Life , Bergere de même âge ,
A plus d'efprit , autant d'attraits ;
Mais la langueur dans un nuage
Enveloppe fes fombres traits :
Rêveufe , indolente , diftraite
Parce qu'elle vit fans amour
Avec des fleurs & fa houlete ;
Elle manque la fin du jour.
II
SEPTEMBRE . 1756. 25
Il faut furtout , pour ſe bien plaire
Dans un azyle folitaire ,
>
Nourrir de tendres fentimens.
Autour d'une perfonne chere
Tout le revêtit d'agrémens ;
Mais fi , concentré dans Cythere ,
L'Amour n'embellit point nos champs ;
Les bois , les prés & la fougere
Laiffent au jour tous les momens.
Beaux lieux où la Reine de Gnide
Eût dédaigné Chypre & Paphos !
Non , vous ne touchez point Armide ;
Son coeur , que la volupté guide ,
N'aime en vous qu'un jeune Héros .
Une ame qu'Amour a bleffée
Se voit & fe trouve partout :
Tout fait revivre en fa penſée
Ses amuſemens & fon goût.
Ce lit de fleurs & de verdure
Que rafraîchiffent les Zéphirs ,
De quelque amoureuſe aventure
Lui retrace tous les plaifirs.
Intéreffante Philomele ,
Votre mufique lui rappelle
D'un Berger la touchante ardeur ;
Quand par mille cadances vives
Les Serins animent ces rives ,
Elle entend le cri du bonheur.
Ainfi dans les champs tout confpire
B
26 MERCURE DE FRANCE.
A nous fournir un doux emploi :
On y jouit d'un beau délire ,
Parce qu'on y jouit de foi .
C'eſt là que l'Amour favorable
De chaque Amant fait un heureux :
A la Ville on veut être aimable ;
Mais y fçait-on être amoureux ?
On y méconnoît la nature ,
Y connoîtrait-on fes plaifirs ?
Du fein vuide de l'impoſture
Peut-il germer de vrais déſirs ?
Dans ces brillantes affemblées
Où l'art triomphe avec fierté ,
Aux écarts de la vanité
J'ai vu les graces immolées.
J'ai vu plus d'un fade blondin ,
Au fond de fon coeur incertain
Balancer l'aimable Corine
Avec des Magots de la Chine
Avec le vernis de Martin ,
J'ai vu l'abfurde perfifflage
Lier à fon char la raiſon ,
Et le plus futile jargon
Triompher de ce beau langage ,
Qui s'attire mon jufte hommage
Dans Voltaire & dans Fénélon .
J'ai vu des petites Maîtreffes
S'épuifer en tendres careffes ,
Se pâmer pour un Angola :
SEPTEMBRE . 1756. 27
Et des Abbés vermeils fourire ,
Mordre leurs levres & rédire
Tous les traits faillans du Sopha.
Sous une immenſe chevelure ,
J'ai vu les enfans de Thémis
Envier la brillante allure
De nos frivoles Adonis.
Galans fans choix , légers fans graces ;
Ils dorment fur des faux fuccès :
Quand on a ri de leurs grimaces
On les renvoie à leurs procès.
De ces odieufes images
C'est beaucoup trop fouiller vos yeux;
Belle Eglé , fur d'autres rivages ,
Parmi des fleurs & des bocages ,
Voyez le plus jeune des Dieux
Rendre en plaifirs délicieux
Tout ce qu'il reçoit en hommages.
Sur l'aîle des légers Zéphirs
Parcourez l'azyle ruftique ,
Ou Médor & fon Angélique
Bégaïoient de tendres fou irs ,
Et couverts d'un feuillage antique
Se jouoient avec les plaifirs.
Dans les champs qu'embellit Vaucluſe ;
Venez admirer ce féjour ,
Où , plein de Laure & de fa muſe ,
L'heureux Petrarque tour à tour
Vit pour la gloire & pour l'amour.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Lieux fortunés , belle Contrée ,
Où coulent les eaux du Lignon ,
Apprenez - nous comment Aftrée
Gênant fon goût pour Céladon
Prêchoit à fon ame épurée
Le Quiétifme de Platon ?
Daignez encore nous rédire
Combien de fois changeant de ton ,
De l'amour le fougueux délire
Prévalut fur ce beau jargon
Puifez une auffi douce yvreffe
Dans les yeux d'un charmant vainqueur ;
Si vous vous devez au bonheur
Vous vous devez à la tendreffe :
Puifque de vos heureux foupirs
Ce bonheur doit être l'ouvrage ,
Hâtez-vous , formez des défirs
Qui faffent honneur à votre âge ,..
Et fongez qu'un efprit trop fage
Eft l'épouvantail des plaifirs.
CHAUVEL , Avocat.
L'Auteur de la vie de Céfar dont on a
lu l'avant- propos dans les deux Mercures
précédens , a cru devoir en détacher les
fragmens que nous inférons dans celui- ci
pour mieux preffentir encore le goût du
Public , & pour le mettre mieux en état
SEPTEMBRE . 1756. 29
de juger par eux du ton dont l'enfemble
eft écrit & compofé.
: SUITE
DE LA VIE DE JULES CESAR.
MORT DE POMPÉE.
Pompée ayant vu fa cavalerie défaite , &
mis en
fe défiant de l'iffue de cette journée , fe
retira dans fon camp. Il dit aux Officiers
qui étoient à la Porte Prétorienne , commandés
pour la garde des retranchemens :
S'il arrive quelques défordres , ayez ſoin de
défendre le camp , je vais vifiter les autres
poftes & donner ordre à tout. Enfuite il
fe retira dans fa tente pour attendre l'événement
de la bataille. Céfar ayant
fuite les foldats dePompée , & ne voulant
leur donner aucun relâche , exhorta les
fiens à couronner leur victoire par l'attaque
& la prife du camp ennemi , quoiqu'ils
fuffent fatigués par la chaleur , car le combat
avoit duré jufqu'au milieu du jour.
Ils lui obéirent courageufement : ils n'eurent
affaire qu'à quelques cohortes foutenues
par les Thraces , & d'autres troupes
auxiliaires qui les arrêterent quelque
temps ; car pour celles de Pompée qui
Bij
30 MERCURE DE FRANCE.
avoient déja combattu , étonnées de leur
défaite & accablées de laffitude , n'étant
pas auffi accoutumées à la fatigue que celles
de Céfar , ayant jetté leurs armes &
abandonné leurs enfeignes , elles fongerent
plutôt à fuir qu'à défendre le camp :
les foldats de Céfar, après quelque réfiftance
, y entrerent de toutes parts. Quoi , jufques
dans mon camp ! s'écria Pompée , tout
éperdu , voyant les ennemis qui franchiffoient
les retranchemens , auffi ôt ayant
jetté les marques de fa dignité , il monta à
cheval & prit la fuite. Il fe retira avec précipitation
dans la ville de Lariffe , & fans
s'y arrêter , efcorté feulement d'environ
trente chevaux qui l'avoient joints il marcha
toute la nuit. Il arriva au bord de la
mer , ou trouvant un vaiffeau marchand ,
il s'embarqua , & fit auffitôt mettre à la
voile , fe plaignant fouvent que fes efpérances
avoient été trompées , que le commencement
de la défaite étoit venu par la
fuite de ceux auxquels il avoit eu le plus
de confiance , & qu'il avoit été trahi .
Si l'on confidere à quelles triftes réflexions
ce grand homme fe trouva livré à
l'inftant de fa défaite , il eft difficile de ne
Le pas laiffer attendrir fur fon fort. Toujours
victorieux fans avoir jamais reçu aucun
échec , ayant toujours eu des commanSEPTEMBRE
. 1756. 31
,
demens confidérables & prefque fouverains
, lui qui n'étoit jamais entré à Rome
qu'en triomphe après fes expéditions militaires
, lui qui dans l'inftant de ce fatal
combat , commandoit à tout le Sénat , & à
ce qu'il y avoit de plus grand dans la République
, à plufieurs Rois qui lui avoient
amené leurs troupes auxiliaires , à la tête
d'une armée de plus de cent mille hommes
, fe croyant fûr de la victoire , & méprifant
l'armée de Céfar , moins nombreufe
que la fienne , il fuit prefque feul
dépouillé des ornemens de fa dignité, fans
amis , fans domeftiques : il arrive à Mitilene
dans l'ifle de Lefbos , où il avoit laiffé
fa femme Cornélie . Il la fait avertir de le
venir joindre , dans la crainte qu'elle ne
tombe entre les mains du Vainqueur . Elle
reconnoît à la trifteffe , & au peu de cortege
du meffager que Pompée eft vaincu :
cette femme qui adoroit fon mari , qui
partageoit fa gloire avec lui , qui attendoit
avec confiance la nouvelle d'une victoire
dont elle ne doutoit pas , apprend
dans l'inftant qu'il fuit fes ennemis , qu'après
avoir commandé toutes les flottes de
la République , s'être vu à la tête de cinq
cens voiles , il eft feul dans un vaiffeau
d'emprunt. Frappée d'un fi fubit & fi cruel
revers , elle fuccombe à fa douleur , elle
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
:
s'évanouit . Elle ne reprend fes fens que
pour fentir toute l'étendue de fon malheur
mais fon courage ne l'abandonne
pas , elle ne connoît plus d'autre bonheur
que celui de partager les infortunes de
fon mari , elle fe rend au port. Son abord
tendre & compatiffant n'a rien qui marque
la foibleffe de fon fexe , elle s'embarque
avec lui & avec quelques- uns de leurs
amis . Ils fe flattoient de trouver un afyle
en Egypte. Le pere du Prince qui y régnoit ,
autrefois chaffé de fon royaume par fes
fujets , devoit fa couronne & fon rétabliffement
à Pompée ; mais il n'avoit jamais
éprouvé de revers . Il ignoroit que
l'infortune eft le premier aiguillon qui
excite l'ingratitude des hommes. Il aborde
en Egypte. Le bruit de fa défaite avoit
déja prévenu fon arrivée , lui qui regardoit
comme indigne de fa grandeur , d'avoir
obligation à Céfar fon Beau pere , eſt
obligé de mandier le fecours d'un jeune
Prince qui , quelques jours auparavant ,
eût été fort heureux de lui faire fa cour &
de lui demander fa protection. Pompée eft
furpris de ne voir venir perfonne au devant
de lui . Un feul efquif chargé de quelques
foldats fe préfente pour le recevoir.
On lui dit que le Roi l'attend fur le rivage.
A peine eft- il defcendu , accompagné de
SEPTEMBRE . 1756. 33
deux de fes amis & d'un affranchi , qu'à
quelque diftance de fon vaiffeau , il e
poignardé à la vue de fon époufe & de
Les amis qui font obligés de s'éloigner de
la côte , de peur d'être pris par d'autres
vaiffeaux qui fe préparoient à les joindre.
11 eft plus facile de fentir que d'exprimer
la douleur de Cornélie , à qui il ne refta
plus de courage que pour avoir recours à
la clémence de Céfar dans l'efpérance qu'il
fçaura la venger de la cruauté & de l'ingratitude
du Roi d'Egypte . Le corps de
Pompée féparé de fa tête , demeura nud ,
expofé fur le rivage où fon affranchi Philippe
refté feul , lui dreffa un bucher avec
les débris d'un vieux bateau de pêcheur ,
qui fe trouverent par hazard. Telle fut la
fin du grand Pompée privé des honneurs
de la fepulture , fans avoir reçu dans fa
patrie au milieu des trophées dont il l'avoit
ornée , les éloges funebres qu'avoient
mérité fes belles actions.
Pendant que ces chofes fe paffoient ,
Céfar pourfuivoit la victoire avec une
ardeur incroyable . Il croyoit n'avoir vaincu
que lorfqu'il avoit mis fes ennemis
hors d'état de fe relever . Il ne penfoit qu'à
empêcher Pompée de renouveller la guerre
, en ralliant fes troupes fugitives , ou
procurant de nouveaux fecours . Céfar fe
By
34 MERCURE DE FRANCE.
apprit que Pompée s'étoit embarqué prefque
feul , & conjecturant qu'il ne pouvoit
trouver de retraite qu'en Egypte , il
prit de juftes mefures pour le fuivre : à
peine fe donna - t'il le temps de raffembler
une médiocre flotte fur laquelle il s'embarqua
avec environ 3000 hommes. Il approchoit
de l'ifle de Chypre où il avoit
appris que Pompée avoit paru , lorſqu'il
rencontra une flotte ennemie commandée
par Caffius Lieutenant de Pompée , mais
beaucoup plus forte que la fienne. H fe
préfente avec cette confiance que donne la
victoire. La défaite de Pompée avoit jetté
la terreur dans le coeur de tous fes amis.
La flotte fe rend à Céfar : il monte en triomphant
fur la Galere de Caffius . Cet homme
qui eut la hardieffe quelques années
après de le poignarder en plein Sénat , ne
peut foutenir le regard du Vainqueur : il
fe jette aux pieds de Céfar & lui demande
humblement la vie . Céfar lui pardonne ,
s'empare de la flotte , continue fa route &
arrive en Egypte. A la defcente de fon
Vaiffeau on lui préfente la tête de Pompée.
A ce trifte objet , il frémit , il détourne la
vue , fa haine fait place à la compaffion
fon coeur eft attendri , les larmes coulent
de fes yeux , il plaint la trifte deftinée de
cet homme fi grand , fi glorieux , qui avoit
>
SEPTEMBRE . 1756. 35
été fi étroitement joint avec lui par les
liens du fang & de l'amitié , auquel il étoit
lui -même redevable d'une partie de fa fortune
, & qu'un inftant avoit précipité du
faîte de la grandeur. Quelles réflexions ne
dut-il. pas faire fur l'inftabilité de la fortune
& fur les revers auxquels l'ambition
expofe les hommes , lorfqu'ils ne fçavent
la modérer . pas
LUCULLU S.
Lorfque Silla cut abdiqué le fouverain
pouvoir qu'il avoit ufurpé , Lucullus fe
trouva , après Pompée , le citoyen le plus
accrédité de la République. S'il eût eu autant
d'ambition que de mérite , il eût peutêtre
été le premier de Rome . C'étoit celui
de fes Lieutenans , pour lequel Silla avoit
le plus d'amitié. Il lui donna une grande
marque de confiance en lui dédiant fes
Commentaires , & l'inftituant Tuteur de
fon fils , à l'exclufion de Pompée , qui en
conçut une jaloufie qu'il conferva toute fa
vie. Les fervices que Lucullus avoit rendus
à Silla étoient moins brillans que ceux
de Pompée , mais ils étoient plus utiles.
Silla affiégé dans Athenes , envoya Lucullus
parcourir tous les Ports de la Méditerranée
, pour raffembler les flottes de la
République & venir le dégager . Il fçut
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
éviter les flottes de Mithridate contre lef
quelles il ne voulut rien hafarder , difant
que fon Général ne l'avoit pas envoyé pour
combattre, mais pour lui amener un prompt
fecours ; & quoiqu'il fût encore jeune , il
fçur préférer fon devoir à la gloire qu'il
pouvoit acquérir , aimant mieux contribuer
à celle de fon général qu'à la fienne
propre. Le fecours qu'il lui amena à propos
, mit Silla en état de vaincre Mithri
date.
Silla étant obligé de fe rendre en Italie
pour s'opposer à Marius , laiffa Lucullus
en Afie avec la dure commiffion de lever
fur les Provinces vingt mille talens , fomme
exhorbitante . Il exerça cette commiffion
toute odieufe qu'elle étoit , avec tant
de douceur & de modération , qu'il fe fit
univerfellement aimer . Il eut le bonheur
d'être abſent de Rome pendant les profcriptions
de Silla : il n'eut aucune part à
fes cruautés, & ne profita pas , comme tous
les amis de Silla , des rapines qu'il exerçoit
; auffi à fon retour à Rome fut- il reçu
avec une confidération qui lui donna un
grand crédit. Il fut élu conful avec l'applaudiffement
de tous les Citoyens. Ce fut
pendant fon Confulat que Mithridate rompit
la paix qu'il avoit faite avec les Romains
, & pour premier exploit , fit mafSEPTEMBRE.
1756. 37
facrer tous ceux qui étoient dans fes Etats.
Il fallut envoyer une armée contre lui . I
n'y avoit alors à Rome aucun Général capable
de conduire cette guerre. Pompée
étoit occupé à la guerre d'Efpagne contre
Sertorius : Céfar étoit trop jeune & commençoit
à peine à briguer les premiers emplois
Cicéron travailloit à fe rendre recommandable
par fon éloquence , & Craf
fus ne penfoit qu'à accumuler fes richeffes ,
& qu'à fatisfaire fon avarice. Lucullus ayant
obtenu la conduite de cette guerre , il la
conduifit avec tant de fageffe , de prudence
& de courage , qu'il contraignit Mithri
date d'abandonner fes Etats & de chercher
une retraite chez Tigranes fon gendre
Roi d'Arménie , & fur le refus qu'il fit de
lui livrer cet ennemi des Romains , il lui
déclara la guerre. Tigranes fut vaincu . La
ville de Tigranocerta que ce Prince avoit
fait bâtir , & dont il avoit fait la capitale
de fon empire , fur prife par les Romains :
chaque foldat eur huit cens pieces d'argent
pour fa part du pillage . Lucullus fournit
aux Grecs , que Tigranes y avoit tranfportés
pour la peupler , les commodités & les
vivres néceffaires pour retourner dans leur
patrie. Cet acte de générofité le rendit fi
cher à toute la Grece , qu'elle le regardoit
comme fon dieu tutélaire , & lui dreffa des
ftatues.
38 MERCURE DE FRANCE.
.
Lucullus étoit fur le point de terminer
cette guerre , lorfqu'il fut arrêté par la révolte
de fes foldats : il apprit en mêmetemps
que Pompée par fes brigues, s'en étoit
fait donner la conduite ; qu'à peine il avoit
mis le pied dans l'Afie , qu'il avoit caffé
toutes les ordonnances de Lucullus ; qu'il
avoit défendu de lui obéïr , & lui avoit
débauché une partie de fes foldats . Tout
le monde fut indigné de la conduite de
Pompée ; Lucullus ne s'en vengea que par
le mépris. Il lui reprocha que fon ambition
démesurée & fa baffe jaloufie le rendoient
ennemi de tous ceux qui acquéroient
de la gloire ; qu'il attendoit que les
autres Généraux euffent affoibli & ruiné
les ennemis de la République pour fe faire
donner leurs commandemens & profiter
plus aifément de leurs travaux .
Lucullus de retour à Rome, reçut les honneurs
du triomphe fous le Confulat de Cicéron
, malgré les intrigues des amis de
Pompée , & avec les applaudiffemens de
tous les honnêtes gens. Il conferva toute
fa confidération dans la République jufqu'au
Triumvirat de Pompée , de Céfar &
de Craffus. Ayant voulu s'oppofer à une loi
qu'ils avoient propofée contre l'intérêt public,
Céfar qui étoit Conful , le traita avec
tant de hauteur , & lui fit de fi terribles
SEPTEMBRE . 1756 . 39
:
menaces , qu'il l'obligea de fe jetter à fes
pieds pour lui demander pardon . Alors il
fçut mettre des bornes à fon ambition.
Content de la gloire qu'il avoit acquife &
des honneurs dont il jouiffoit , il ne fe
mêla plus du gouvernement. On a dit de
lui qu'il fut bon frere , bon parent , bon
ami , bon citoyen , bon Général , enfin
qu'il joignit aux vertus Militaires toutes
les vertus civiles fans mêlange d'aucun
défaut . Il fut fujet aux mauvaiſes influences
des mariages de fon temps . Claudia
fa premiere femme , fe laiffa corrompre
par fon propre frere il éprouva encore
l'infidélité de Servilie fa feconde , devenue
trop fenfible aux belles qualités de
Céfar. Après l'avoir répudiée , il fe jetta
dans un fpirituel & voluptueux loifir . II
fit connoître que les richeffes qu'il avoit
amaffées , n'étoient point en lui l'effet
d'une baffe cupidité , & d'une fordide
avarice : tout le monde fçavoit auffi qu'elles
n'étoient pas le fruit des brigandages
exercés fur les malheureux. Il les répandit
avec un goût & un difcernement qui
lui acquirent le furnom de Magnifique.
Il alloit au devant de l'indigence vertueufe
pour la foulager. Ses maifons de la ville
& de la campagne étoient fuperbes. Il avoit
formé avec beaucoup de foin & de dépenfe
40 MERCURE DE FRANCE .
une nombreuſe bibliotheque dont l'ufage
étoit deftiné à tous les fçavans. Il avoit fait
bâtir des galeries qui leur étoient toujours
ouvertes , dans lesquelles il paffoit une
partie de fon temps à converfer avec les
Philofophes , & à écouter leurs difputes.
Quelques uns l'ont blâmé de la délicareffe
& de la profufion de fa table : mais Cicé
ron ſevere autant que perfonne fur les
moeurs, ne blâmoit pas cet excès. Il le louoit
que
& l'admiroit au contraire. Il difoit
Lucullus devoit rendre à la République
des richeffes qu'on l'accufoit d'avoir amaf
fé par avarice.
Lucullus ne vécut pas longtemps dans
cette vie agréable . Son efprit s'affoiblit , à
ce qu'on prétend , par un breuvage empoifonné
, & il mourut regretté de tous les
honnêtes gens.
Caractère de la Nation Gauloife.
La conduite que Céfar avoit tenue pendant
fon Confulat , avoit fait voir qu'il
étoit réfolu de pouffer fes projets jufqu'à
leur dernier période . Il avoit choiſi dans
toutes les Provinces de la République cel-
Jes qui pourroient lui donner plus d'occafions
d'acquérir de la gloire. L'Efpagne &
l'Afrique étoient tranquilles : pour les Peuples
de l'Afie , ils étoient tellement amolMERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
SEPTEMBRE. 1756.
Diverfité, c'eft ma devife. La Fontaine.
Cochin
Saliva inve
PopilenSculp
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
Chez PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
1
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier - Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis an
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raifon
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la p fte , payeront
pour feize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafion pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du pari fur
leur compte , ne payeront , comme à Paris
qu'à raifon de 30 fals par volume , c'eſt- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnani pour
16 volumes .
Les Libraires des provinces on des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mereure
, écriront à l'adreſſe ci - deſſus.
A ij
Onfupplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la poste , en payant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que llee ppaaiieemmeenntt en foit fait d'avance au
Bureau.
4
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine , aprèsmidi.
On peut fe procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainsi que les Liures
, Eftampes & Mufique qu'ils annoncent.
On prie les perfonnes qui envoient des Livres
, Estampes & Mufique à annoncer ¿
d'en marquer le prix.
MERCURE
DE FRANCE.
SEPTEMBRE . 1756 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LA MAIN DROITE
ET LA MAIN GAUCHE.
L'Homm
FABLE.
'Homme eft plein de befoins : pour les foula
ger mieux ,>
Il a reçu deux mains des Dieux .
Mais dans les champs de Mars , fiere de le défene
dre ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
La main droite , dit-on , dès le commencement
Ofa refufer hautement
Les fervices communs qu'elle devoit lui rendre.
Bien qu'elle tint au corps , le corps n'en recevoit
Le manger , ni le boire : il avoit beau prétendre ,
La Dame fe tranquilifoit :
Elle eût cru déroger en nourriffant fon pere.
La main gauche étoit roturiere
Et cet emploi la regardoit.
Je protege vos jours & vos biens à la guerre ,
N'eft-ce pas faire affez pour vous ?
Je forte aux ennemis les plus terribles coups ;
Je dirige le fer , la fronde & la maffue ;
Et quand j'ai fatisfait à des devoirs fi beaux
Pour vaquer aux plus vils travaux
Vous voulez que je me remue ?
Ne me vante point tant ton pénible ſecours ,
Dit l'homme ta compagne aide mieux ma foibleffe
.
Je n'ai point d'ennemis qui m'attaquent fans
ceffe ,
Au lieu que j'ai faim tous les jours.
Les mets que ta foeur me préfente
Rendent la vie à tous mes fens ;
Elle engraiffe d'autant , & fa force en augmente.
Tu dédaignes cés alimens ,
Sans eux tu ferois languiffante .
L'art de fe battre eft noble , on ne fçait pas pour
quoi :
SEPTEMBRE. 1756. 7
J'eftime bien mieux l'art d'éviter la difette.
Mourir de faim eft , felon moi ,
La roture la plus complette .
LETTRE
A Monfieur ***.
Je prends la liberté , Monfieur , de vous E
envoyer un badinage que je viens de faire
au fujer d'une gageure qu'une Da ne de
cette Ville & un Anglois qui y féjourne
ont faite , pour & contre la prife du Fort
Saint Philippe.
A Monfieur *** .
Enfin , Milord , je fais Prophéte ,
Nous voilà maîtres de Mahon ;
Et votre fage Garnifon ,
De fes exploits très- ſatisfaite ,
Se moque du qu'endira-t'on ,
Et déloge enfin fans trompette.
Votre réponſe eft déja faite :
>>Peut-on défendre un Baftion
>> Contre cent machines guerrieres ,
»Qui portant la deftruction ,
Brifent les plus fortes barrieres ?
A iv
& MERCURE DE FRANCE
» Et puis vingt mille téméraires ,
>> Bravant la mine & le canon ,
» Et guidés par un Scipion ,
>> Sont de terribles adverſaires !
»Et comment diable , tenir bon
>> Contre ces forces meurtrieres ?
>> Euffions-nous un coeur de lion ,
>>Fuffions-nous cent fois plus Corfaires ,
>> Il faut bien , qu'on le veuille ou non ,
» Souffrir enfin les étrivieres.
Eh ! Milord , vous avez raiſon :
Devant nos milices Françoiſes
Toutes vos phalanges Angloifes
Peuvent baiffer leur pavillon ,
Sans jamais perdre leur renom.
Pour vous , dorénavant plus fage ,
Ne hazardez plus vos Chelings
En faveur de vos Citadins ;
Avant qu'ils euffent l'avantage
Vous perdriez , trifte préfage ,
Cent millions de livres sterlings ;
Leur haine qu'anime la rage
Ne vaut pas le noble courage
De leurs redoutables voifins.
Mais pour Louis & fa fortune ;
Je vous offrirois pour enjeu
Cent mille piftoles contre une ,
Et j'aurois encor très - beau jeu.
Par M ***
SEPTEMBRE . 1756 .
SUR LE CHOIX DES SOCIÉTÉS ,
A une jeune perfonne qui doit entrer incef-
Samment dans le monde ; par Madame
du S...
JE Je viens d'avoir la plus finguliere con- E
verſation avec une femme aimable , qui
m'eft chere , que les principes d'une pieuſe
éducation ont prévenue contre les grands
défordres , mais que le torrent du monde
entraîne , & qui s'y trouve prodigieufement
livrée . Dans les detfeins que je forme
pour vous , ma chere Julie , j'imagine qu'il
n'eft point hors de propos de vous en faire
part.
Je fuis , m'a-t- elle dit , furprife qu'une
vie auffi remplie que le paroît la mienne
me laiffe fufceptible de l'ennui qui me
domine quelquefois ; qu'environnée de
tout ce qu'il y a de féduifant , j'éprouve
un vuide extrême. J'ai tout ce que je puis
défirer , & je cherche , pour ainſi dire , autour
de moi : je ne vois pas ce qui me
manque , mais il me manque quelque
choſe. La nature & la fortune m'ont bien
traitée ( l'on peut s'exprimer ainfi vis - à- vis
d'une vraie amie ) . Mon mari fait un per-
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
fonnage dans le monde : il a de bonnes
manieres pour moi ; & quand il en diminueroit
quelque chofe , pourvu que
cela
n'allât pas à la contrainte , en vérité je
n'aurois pas le temps de m'en appercevoir.
Je fuis obfédée en fortant du lit; obligée
de dérober les circonftances fécrettes de
ma toilette , j'ai cent témoins des autres :
on m'enleve de chez moi. Un petit voyage
de campagne , un dîné , une fête , fouvent
une partie qui n'a offert d'agrément que
dans le projet , nous mettent en mouvement.
Paris offre mille façons de diverfifier
les plaifirs ; je les admets toutes , quelquefois
même plufieurs à la fois : promenade
pour le brillant des équipages , autres
promenades où l'on étale avec avantage
les agrémens & la parure. Enivrée
d'éloges , foulant aux pieds les plus féduifantes
fleurettes , on rentre chez foi ou
chez quelqu'autre : un délicat foupé raffemble
une petite troupe d'élite ; la cohue
que je ne hais point dans le cours de la
journée me déplaît à table , il faut qu'on y
foit afforti : j'élague celle qui m'environne,
elle forme ma cour & non ma fociété : la
gaieté , la faillie regnent , la nuit arrive , &.
je me conche le plus fouvent fans avoir
eu le temps de penfer que je m'étois lévée.
Cette vie eft charmante ; je me veux un
SEPTEMBRE.. 1756.
mal mortel d'en être quelquefois dégoûtée .
Je crains de devenir bizarre & cauftique :
car enfin il faut que je vous l'avoue , ma
bonne , il eft des momens où je voudrois
être plus à moi je hais quelquefois le
jour qui me replonge dans le tourbillon ;
& quand quelqu'heureux hazard écarté
cette turbulente troupe , je fuis enchantée
d'être livrée à moi même fans qu'il paroiffe
de l'inégalité dans ma conduite ; &
quoique les réflexions dont je m'occupe
alors me donnent de l'humeur , parce qu'elles
font naître d'ennuyeux fcrupules ,
j'aime à m'y livrer : je trouve cette penfée
fauffe de dire qu'elles font inutiles réellement
il en faut quelquefois , je voudrois
que ma façon de vivre fût plus relative à
mes préjugés ma raifon trouve bien l'incompatible
; mais elle me laiffe après me
l'avoir dit , & ne me fournit aucun milieu.
A vingt ans fe réduire à une vie unifor
me , fe coucher , fe lever à des heurés féglées
, s'occuper de Dieu premiérement ,
de fa famille , de fon domestique , inſtruire
& régler... Que de miferes dans ces
détails : que diroient Cidalife & le jeune
Comte ? L'une eft mon amie , l'autre , fans
être amoureux , a mille complaifances qui
m'amufent : tous deux répandent un affreux
ridicule fur le malheur d'une éduca-
:
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
tion qu'ils qualifient de bourgeoife , dont
ils prétendent que l'impreffion me met
toujours à la veille de leur échapper , de
m'enfevelir , de m'enterrer , en un mot
d'être comptée pour rien. Ils me font chers,
mais affurément fans conféquence. Je connois
Cidalife depuis peu : c'eft une femme
confommée dans l'ufage du grand monde.
Sans retourner fur fa jeuneffe dont les commencemens
ont quelque chofe d'affez révoltant
, elle eft revenue à mettre de l'ordre
dans fa conduite. Elle m'a fouvent fait
l'hiſtoire de fa vie . Ah ! ma Bonne , qu'il y
a de jolis endroits ! Le Duc de... l'a aimée !
quel homme fait pour plaire ! quels triomphes
! Elle le fuivit dans fon Gouvernement
; & fans qu'ils euffent l'air d'avoir
rien à démêler enſemble , il parut la voir
pour la premiere fois au Spectacle : elle
paffoit pour la Comteffe de ... il lui avoit
donné un équipage , & tout ce qu'il falloit
pour en foutenir le perfonnage. Une des
plus belles perfonnes de la Ville eut des
prétentions : il en parut touché ; mon amie
trembla. Le Marquis de ... s'offroit à la
dédommager ; mais il y avoit du fentiment
dans cette affaire , il ne fervit qu'à ranimer
l'amour du Duc , & d'ornement à la conquête
tout fut facrifié de bonne- foi de
part & d'autre. Quels jours ! quels inftans !
(
SEPTEMBRE . 1756. 13
le ne m'a rien caché : oh ! c'est une
femme bien fincere : j'aurois quelquefois
fouhaité qu'elle le fût moins ; mais elle
donne à tout des couleurs ... En vérité
les circonftances qui l'ont entraînée étoient
infurmontables .
Pour le Comte , vous fçavez qu'il eft
plus aimable que tout ce qu'on voit dans
le monde , rien ne lui reffemble à tous
égards : s'il étoit amoureux , il feroit à craindre
: j'en ferois au défeſpoir ; car , qu'en
penfez -vous, ma Bonne, il faudroit renoncer
à le voir ? Cidalife me difoit , non ;
mais feulement éviter le tête à tête : au
furplus que craindriez- vous ? s'il vous ai
me , il vous refpectera : c'eft le plus intime
de votre mari ; vous fçavez comme il en
parle. Avec tout cela , ma Bonne , & l'indifférence
dont il fe pique , je le crains ,
parce qu'il y a des jours où je le trouve
néceffaire , & d'autres où ma raifon le
trouve de trop : tel fut , par exemple , celui
dont vous vouliez me détourner de
remplir les engagemens. J'aurois dû vous
en croire , cette partie étoit légere. La
crainte des ridicules auxquels je me ferois
offerte en m'y refufant , me détermina : j'y
portai de l'inquiétude & des réflexions :
on eft fouvent déplacée quand on penfe.
J'eus peine à partager la gaieté commune .
14 MERCURE DE FRANCE.
Nous allâmes , comme vous fçavez , dans
cette jolie maiſon du Prince de ... Il ne
devoit point s'y trouver ; cependant il y
vint : j'en fus bien aiſe ; car j'avois réellement
de l'humeur. J'imaginai que fa préfence
impoferoit , & que nous ferions
obligés de reprendre le chemin de Paris :
point du tout. J'aurois foupçonné du concert
, tant il parut d'intelligence avec ma
fociété. Cidalife m'a toujours affuré que
non. Quoi qu'il en foit , tout continua fur
le même ton : il nous fit entendre une
mufique admirable pendant le dîné , il ſe
donna lui -même la peine de nous conduire
dans les jardins , & de nous faire remarquer
les beautés d'un fingulier labyrinthe,
où mon amie n'ayant pu nous fuivre ,
parce qu'un foudain mal de tête l'avoit
faifie , le Comte , qui lui donnoit le bras ,
la conduifit au Château : Emilie , Cephife
& leurs Ecuyers difparurent , je ne fçais
comment : fans m'en être apperçue , je
me trouvai feule avec le Maître du logis
qui me faifoit l'honneur de n'aider à mar
cher. A quelle fcene fus- je expofée ! J'é
tois déja fort intimidée du tête à tête avec
un homme de ce rang , que je voyois pour
la premiere fois. Ce fut bien aurre chofe
quand me forçant prefque de m'affeoir , je
le vis à mes pieds avec un air ému , des
SEPTEMBRE 1756 15
regards fixes & languiffans : je ne fis qu'un
faut dans la premiere toute me croyant
fuivie , je les parcourois avec effroi , cherchant
une iflue : j'apperçus le Comte , qui
d'un air inquiet s'en barraffoit de fon côté :
mon agitation le furprit moins qu'elle ne
parut l'Aliger ; je crus qu'il en fçavoit la
caufe. Tout eft il découvert , lui dis-je ?
Quelles façons d'agir ! qu'est - ce que cette
manoeuvre ! Je l'ignore , me répondit-il :
mais de tous les hommes je fuis le moins
propre à m'y prêter ; & fi vous me permettiez
de vous inftruire de mes fentimens
pour vous , j'aurois bientôt dequoi vous
en convaincre . Vous êtes dans une fociété
dangereufe , belle Horrence , ajouta- t'il
les confeils d'un homme de mon âge peuvent
être fufpects ; mais réfléchiffez- y , ils,
auront des partifans dans vos inclinations
heureuſes. Echappez aux pieges , croyezmoi
l'on abufel de votre confiance. Il
me difoit cela d'un air qui m'attendriffoit ,
ma Bonne : je lui fçavois gré de ce vertueux
intérêt ; & fans être en garde contre
lui-même , nous cherchions de concert à
fortir de ce dédale. Nous entrâmes enfin
dans un grand bois : je me jettai fans autre
réflexion fur le premier banc : quelle furprife
! je le vis à mes genoux : j'étois trop
laffe , je ne pouvois plus fuir qué cela
16 MERCURE DE FRANCE.
eft embarraſſant ! C'en eft trop pour un
jour , m'écriai - je ! Comte , que faitesvous
? quelle fituation ! .. Affeyez- vous ,
je ne puis vous entendre autrement . Il
ferroit les mains que je lui tendois pour
le relever je crois qu'il les baifoit ; car
en vérité je n'en fçais rien . J'étois fi émue ,
fi troublée , le feu de fes yeux , un certain
air animé , entreprenant ... j'avois grand
befoin que l'on nous rejoignît : toute la
compagnie reparut en effet de différentes
allées je me plaignis à Cidalife ; elle
éclata de rire : Quelle enfance ! qu'avezvous
imaginé , dit- elle ? que l'on eft crédule
quand on eft fans expérience , &
qu'un peu d'amour- propre s'en mêle ! Un
badinage , une feinte vous effrayent. Elle
prit enfuite un ton plus férieux , & me
prouva fi bien que je n'avois pas eu lieu
de prendre la chofe au férieux , que j'eus
honte de ma fuite. Le Prince de ... ne
parut plus. Nous rentrâmes dans nos caléches
: l'enjouement & l'air fatisfait s'embarquerent
avec nous. Le Comte feul me
parut rêveur & diftrait : il étoit apparemment
fâché d'avoir fait un moment un
perfonnage oppofé à fon ton philofophe &
réfléchi. Pour moi , je ne l'érois point de
l'avoir vu faire comme les autres : cette
maniere foumife & refpectueufe a quelque t
SEPTEMBRE. 1756 . 17
chofe de féduifant. L'on vit fi férieufement
entre mari & femme , la fupériorité ſe fait
toujours fentir : tout eft demandé & obtenu
comme devoir , c'eft le plus froid
commerce , jamais on ne fçait fi l'on eft
plus jolie un jour que l'autre ; c'eſt un
uniforme , une égalité infipide qui révolte.
Vous le fçavez , ma Bonne , tout le
monde a fes jours & fes parures avantageufes
: Cidalife & le Comte ont une flatteuſe
attention à me les faire remarquer.
Croiriez- vous qu'il y a plus d'un an que
M. de ... n'en a fait aucune à mes habits :
quand je veux attirer fes regards fur quelque
nouvel ajustement , il fe contente de
me répondre d'un air froid , fans même
me regarder : vous êtes toujours également
bien à mes yeux , en vérité cela défole.
Le Public eft plus obligeant , fi j'obtenois
chez moi la plus petite partie des éloges
qu'il me prodigue , je crois que je ne fortirois
jamais. Pour le Comte , je l'avoue ,
ce qu'il fit à ... me revient fans ceffe fous
les yeux il y a dans cette avanture quelque
chofe qui m'étonne ; car réellement
il n'eft point amoureux . Il déclame fans
mefure contre ceux qui le font ; il les
tourne en ridicule : que gagneroit - il à
cela il feroit tout fimple qu'il fe déclarar .
Cette penfée me raffure, mais elle ne m'em-
:
18 MERCURE DE FRANCE.
pêche pas de craindre de me trouver feule
avec lui , & je ne pris point de plaifir à
la mauvaiſe plaifanterie de Cidalife qui
nous enferma hier. Le Comte m'offença ;
je criai : la porte s'ouvrit , je me plaignis.
Elle me plaifanta fur ma mauvaiſe humeur,
elle fit la mine enfuite. Je fus encore affez
bonne pour faire les premieres démarches
du raccommodement , & voilà plufieurs
• cafions où je remarque que je fais tous
les frais de l'amitié qui nous lie.
Voilà ce qu'on peut appeller une furieuſe
tirade , ma chere Julie. Elle étoit tou e à
fes idées ; je la livrai à fon enthouſiaſme ,
fans prefque l'interrompre : je l'attendois
à cette conclufion . Je crus devoir profiter
des difpofitions qu'elle faifoit paroître
pour l'éclairer fur des dangers qu'elle ne
foupçonne pas. Je pourrois vous épargner
la fuite de notre converfation , qui ne
contient plus que des réflexions férieufes
& des inftructions ; mais elles entrent dans
l'ordre de mes deffeins fur vous : ainfi je
ne vous ferai grace de rien. Je lui tins donc
ce propos :
Vous êtes , je l'avoue , ma chere Hortence
, dans une pofition d'autant plus délicate
, que malgré beaucoup d'efprit , vous
ne le fentez pas , & que vos penchans aident
à vous féduire. Une dangereuſe amie
SEPTEMBRE. 1756. 19
•
tend imperceptiblement un million de
pieges à votre vertu. Pour le Comte , il y
va de bonne foi , il eft amoureux. ( Elle
voulut m'interrompre ) . Ecoutez - moi ,
lui dis- je accordez cette complaifance à
de vrais fentimens dont on ne vous fait
voir ailleurs que l'apparence. Il vous aime ,
belle Hortence , mais il craint une fagelle
qui fe feroit un devoir de l'éloigner , s'il fe
déclaroit fon manege lui réuffit mieux ;
il vient à fon but par un détour , & prend ,
fans que vous vous en doutiez , la place où
il afpire. Si vous conceviez combien il y
a peu de diftance du chemin que vous
avez fait aux dernieres démarches , vous
en frémiriez. Hélas ! un moment plus tard
peut- être mes confeils perfuaderoient- ils
envain votre raiſon : il en eft temps encore.
Arrachez - vous aux vains engagemens
qui vous retiennent une amie du
caractere de Cidalife eft indigne de vous :
avec quelle affurance ofez -vous vous livrer
à fa conduite ! Elevée fans préjugés , elle a
vécu fans principes ; criminelle par goût ,
elle n'a pas même refpecté les dehors de
la vertu ele a borné fon ambition aux
plus méprifables qualités de fçavoir attirer
& retenir beaucoup d'adorateurs ; triomphes
déplorables qui coûtent le feul mérite
qui met de la différence entre les
20 MERCURE DE FRANCE.
femmes. Quoi ! ma chere Hortence , ne
devinez - vous pas ce qui manque à votre
félicité ? Le repos d'une confcience qui ne
fe reproche rien , la fatisfaction de pouvoir
fe dire à foi-même , mes devoirs me
font chers , j'en fais mon unique étude.
Eprouvez la différence d'une vie appliquées
faites un nouveau plan ; demandez vous ,
fans complaifance, ce que vous vous devez
comme Chrétienne , comme femme , comme
mere , & comme maîtreffe de maiſon ;
voyez fi vous l'avez rempli dans cette vie
tumultueufe & répandue . Vous ne deviez
point fuivre M. de ... dans fes terres.
Changez vos deffeins , fuyez-le , ma chere.
Rendue à vous-même , éloignée des dan
gereux objets qui vous obfedent , vous
apprendrez qu'il eft des plaifirs dans une
vie d'ordre , que ce qu'on qualifie de mifere
renferme d'inépuifables fatisfactions.
Rendez tout votre attachement à qui vous
le devez , & qui en eft fi digne ; apprenez
par pratique à préférer à tout le plus précieux
des biens ; je veux dire la vertu :
c'est elle qui peut feule remplir le coeur :
tout eft réellement fans elle illufion &
preftige : reconnoiffez - la : c'eft à ce cri fécret
qui fortoit du vôtre né pour elle , que
vous deviez les dégoûts répandus fur les
faux plaifirs que vous lui préfériez . Je veux
SEPTEMBRE . 1756 . 21
vous faire éprouver ceux qu'elle permet :
j'efpere qu'ils acheveront de vous arracher
aux autres. Je vais à ma terre pour quelques
jours : vous en connoiffez la diſtance ,
c'eft un voyage d'après -dîné : je compte y
recevoir plufieurs de mes amis & amies,
Soyez des nôtres , ma chere Hortence.
Vous verrez des tons & des allures différentes
; mais vous trouverez de la nobleffe
, de la décence , de l'efprit , de la gaieté,
& vous apprendrez que la vertu fociable
renferme de réels agrémens.
...
Elle ne m'écoutoit prefque plus depuis
un moment. Plongée dans la plus profonde
rêverie , elle effuyoit le plus violent
combat ; de tendres larmes rempliffoient
fes yeux , & couvroient fon beau vifage :
elle s'eft enfin jettée dans mes bras. Je ne
le verrai plus , ma Bonne, vous triomphez ;
non , je ne le verrai plus . A quel danger
courrois- je je le fens à ce qu'il m'en
coûte pour former cette réfolution ; mais
je la foutiendrai , ne m'abandonnez pas .
Je vais un moment chez moi pour préve
nir M. de ... du petit voyage que vous
me propofez , & de celui qui le fuivra .
Tout à coup elle s'eft écriée : Ah ! pauvre
Comte ... & rougiffant de fon tranfport ,
elle m'a regardée. C'eft pour la derniere
fois , m'a -t-elle dit , je ne veux pas même
22 MERCURE DE FRANCE.
le nommer. Elle eft fortie : un de fes gens
vient de me dire qu'elle feroit ici à deux
heures , & je l'attends .
Adieu , ma chere Julie. Il ne vous fera
pas difficile de pénétrer mes deffeins par
ce long récit ; je le livre à vos réflexions :
voilà bien affez écrire : heureuſement
mon amitié pour vous eft au deffus des
expreffions , cela vous fauve un furcroît
de paroles.
EPITRE
'A Madame d'Al………en fon Châtean de .
· Scribere juffit amor.
Ovid. Heroid. Ep. 17.
Au fein d'une douce langueur ,
Tandis qu'à peine je reſpire ,
Et que la fecourable erreur ,
Dans les tourbillons du délire ,
Emporte & voile mon malheur ,
Vous me promettez un fourire ,
Des oeillets , un regard Batteur ,
Si , reprenant pour vous ma lyre ,
Je vous fais fentir du bonheur
Les influences & l'empire ;
Et fi par més accords j'attire
·
SEPTEMBRE. 1756. 23
Le doux plaifir dans votre coeur.
Puis-je vous rendre un tel fervice ,
Moi , que les Dieux d'un ceil propice
N'ont jamais daigné regarder
Pouvez -vous me le demander ,
Vous qui reçûtes en partage ,
De la nature enfant gâté ,
Toutes les graces fans fierté ;
De l'efprit fans faux étalage ,
De la vertu fans âpreté ;
Un peu d'humeur , un goûr volage ,
Mais fans fiel & fans fauffeté ?
Si l'Euménide de Tantale
Empoisonne ces dons heureux ;
S'il est toujours quelque intervale
Entré le bonheur & vos voeux ;
Si du fombre ennui l'influence
Verfe en un coeur fait pour les jeux ,
De tout défir cette impuiffance ,
Cet embarras de l'existence ,
Qui , d'un peuple fier & fameux
Epuifent fouvent la conftance ;
A cette finiftre langueur
Pour oppofer de fûres armes ,
Donnez , belle Eglé , votre coeur
Au Dieu qui vous donna fes charmes .
Un Amant voltige enchanté
Des vrais plaifirs aux doux menſonges &
Pour lui l'aimable volupté , -
24
MERCURE DE FRANCE.
Reproduite dans de beaux fonges ,
Survit à la réalité.
Cet Univers n'a qu'une allure
Pour ceux dont les timides fens ,
Plongés dans une nuit obfcure ,
Des amoureux engagemens
Repouffent l'aimable impofture .
Mais aux yeux des tendres Amans
Le domaine de la nature
De leur coeur fuit les mouvemens ,
Et fon afpect & fa parure
Changent avec leurs fentimens.
Regardez l'ingénue Aminte
Qui , foulant l'art & la contrainte ,
Adreffe à Licas des fouris :
Un berceau dans fa fombre enceinte
Voit de leurs noeuds ferrer l'étreinte.
Aminte fort : fon coloris
Du doux plaifir porte l'empreinte ,
Et fon front où la joie eft peinte ,
Eft le trône où s'affied Cypris.
Life , Bergere de même âge ,
A plus d'efprit , autant d'attraits ;
Mais la langueur dans un nuage
Enveloppe fes fombres traits :
Rêveuſe , indolente , diftraite
Parce qu'elle vit fans amour
Avec des fleurs & fa houlete ,
Elle manque la fin du jour.
"
A f
II
SEPTEMBRE . 1756. 25
Il faut furtout , pour ſe bien plaire
Dans un azyle folitaire ,
Nourrir de tendres fentimens.
Autour d'une perfonne chere
Tout le revêtit d'agrémens ;
Mais fi , concentré dans Cythere ,
L'Amour n'embellit point nos champs ;
Les bois , les prés & la fougere
Laiffent au jour tous les momens.
Beaux lieux où la Reine de Gnide
Eût dédaigné Chypre & Paphos !
Non , vous ne touchez point Armide ;
Son coeur , que la volupté guide ,
N'aime en vous qu'un jeune Héros .
Une ame qu'Amour a bleffée ,
Se voit & fe trouve partout :
Tout fait revivre en fa penſée
Ses amuſemens & fon goût.
Ce lit de fleurs & de verdure
Que rafraîchiffent les Zéphirs ,
De quelque amoureuſe aventure
Lui retrace tous les plaifirs.
Intéreffante Philomele ,
Votre mufique lui rappelle
D'un Berger la touchante ardeur ;
Quand par mille cadances vives
Les Serins animent ces rives ,
Elle entend le cri du bonheur.
Ainfi dans les champs tout confpire
B
26 MERCURE DE FRANCE.
>
;
A nous fournir un doux emploi :
On y jouit d'un beau délire ,
Parce qu'on y jouit de ſoi.
C'est là que l'Amour favorable
De chaque Amant fait un heureux :
A la Ville on veut être aimable
Mais y fçait - on être amoureux ?
On y méconnoît la nature
Y connoîtrait- on fes plaifirs ?
Du fein vuide de l'imposture
Peut-il germer de vrais déſirs ?
Dans ces brillantes affemblées
Où l'art triomphe avec fierté ,
Aux écarts de la vanité
J'ai vu les graces immolées.
J'ai vu plus d'un fade blondin ,
Au fond de fon coeur incertain ,
Balancer l'aimable Corine
Avec des Magots de la Chine ,
Avec le vernis de Martin.
J'ai vu l'abfurde perfifflage
Lier à fon char la raiſon ,
Et le plus futile jargon.
Triompher de ce beau langage ,
Qui s'attire mon jufte hommage
Dans Voltaire & dans Fénélon .
J'ai vu des petites Maîtreffes
S'épuifer en tendres careffes ,
Se pâmer pour un Angola ;
SEPTEMBRE. 1756. 27
Et des Abbés vermeils fourire ,
Mordre leurs levres & rédire
Tous les traits faillans du Sopha.
Sous une immenſe chevelure ,
J'ai vu les enfans de Thémis
Envier la brillante allure
De nos frivoles Adonis.
Galans fans choix , légers fans graces ;
Ils dorment fur des faux fuccès :
Quand on a ri de leurs grimaces
On les renvoie à leurs procès .
De ces odieuſes images
C'est beaucoup trop fouiller vos yeux;
Belle Eglé , fur d'autres rivages ,
Parmi des fleurs & des bocages ,
Voyez le plus jeune des Dieux
Rendre en plaifirs délicieux
Tout ce qu'il reçoit en hommages,
Sur l'aîle des légers Zéphirs
Parcourez l'azyle ruftique ,
Où Médor & fon Angélique
Bégaïoient de tendres fou irs ,
Et couverts d'un feuillage antique
Se jouoient avec les plaifirs.
Dans les champs qu'embellit Vauclufe ;
Venez admirer ce féjour ,
Où , plein de Laure & de fa mufe ,
L'heureux Petrarque tour à tour
Vit pour la gloire & pour l'amour.
Bij
18 MERCURE DE FRANCE.
Lieux fortunés , belle Contrée ,
Où coulent les eaux du Lignon ,
Apprenez -nous comment Aftrée
Gênant fon goût pour Céladon ,
Prêchoit à fon ame épurée
Le Quiétifme de Platon ?
Daignez encore nous rédire
Combien de fois changeant de ton ,
De l'amour le fougueux délire
Prévalut fur ce beau jargon
Puifez une auffi douce yvreffe
Dans les yeux d'un charmant vainqueur ;
Si vous vous devez au bonheur
Vous vous devez à la tendreffe :
Puifque de vos heureux foupirs
Ce bonheur doit être l'ouvrage ,
Hâtez-vous , formez des défirs
Qui faffent honneur à votre âge ,
Et fongez qu'un efprit trop fage
Eft l'épouvantail des plaiſirs,
CHAUVEL , Avecat.
L'Auteur de la vie de Céfar dont on a
lu l'avant - propos dans les deux Mercures
précédens , a cru devoir en détacher les
fragmens que nous inférons dans celui-ci
pour mieux preffentir encore le goût du
Public , & pour le mettre mieux en état
SEPTEMBRE . 1756. 29
de juger par eux du ton dont l'enſemble
eft écrit & compofé.
: SUITE
DE LA VIE DE JULES CESAR.
MORT DE POMPÉE.
Pompée ayant vu fa cavalerie défaite , &
fe défiant de l'iffue de cette journée , fe
retira dans fon camp. Il dit aux Officiers
qui étoient à la Porte Prétorienne , commandés
pour la garde des retranchemens :
S'il arrive quelques défordres , ayez foin de
défendre le camp , je vais vifiter les autres
poftes donner ordre à tout. Enfuite il
fe retira dans fa tente pour attendre l'événement
de la bataille, Céfar ayant mis en
fuite les foldats de Pompée , & ne voulant
leur donner aucun relâche , exhorta les
fiens à couronner leur victoire par l'attaque
& la prife du camp ennemi , quoiqu'ils
fuffent fatigués par la chaleur , car le com
bat avoit duré jufqu'au milieu du jour.
Ils lui obéirent courageufement : ils n'eurent
affaire qu'à quelques cohortes foutenues
par les Thraces , & d'autres troupes
auxiliaires qui les arrêterent quelque
temps ; car pour celles de Pompée qui
Bilj
30 MERCURE DE FRANCE.
avoient déja combattu , étonnées de leur
défaite & accablées de laffitude , n'étant
pas auffi accoutumées à la fatigue que celles
de Céfar , ayant jetté leurs armes &
abandonné leurs enfeignes , elles fongerent
plutôt à fuir qu'à défendre le camp :
les foldats de Céfar, après quelque réfiftance
, y entrerent de toutes parts. Quoi , jufques
dans mon camp ! s'écria Pompée , tout
éperdu , voyant les ennemis qui franchiſfoient
les retranchemens , auffi ôt ayant
jetté les marques de fa dignité , il monta à
cheval & prit la fuite. Il fe retira avec précipitation
dans la ville de Lariffe , & fans
s'y arrêter , efcorté feulement d'environ
trente chevaux qui l'avoient joints il marcha
toute la nuit. Il arriva au bord de la
mer , ou trouvant un vaiffeau marchand
il s'embarqua , & fit auffitôt mettre à la
voile , fe ppllaaiiggnnaanntt fouvent que fes efpérances
avoient été trompées , que le commencement
de la défaite étoit venu par la
fuite de ceux auxquels il avoit eu le plus
de confiance , & qu'il avoit été trahi.
Si l'on confidere à quelles triftes réflexions
ce grand homme fe trouva livré à
l'inftant de fa défaite , il eft difficile de ne
Le pas laiffer attendrir fur fon fort. Toujours
victorieux fans avoir jamais reçu aucun
échec , ayant toujours eu des commanSEPTEMBRE.
1756. 31
demens confidérables & prefque fouverains
, lui qui n'étoit jamais entré à Rome
qu'en triomphe après les expéditions militaires
, lui qui dans l'inftant de ce fatal
combat , commandoit à tout le Sénat , & à
ce qu'il y avoit de plus grand dans la République
, à plufieurs Rois qui lui avoient
amené leurs troupes auxiliaires , à la tête
d'une armée de plus de cent mille hommes
, fe croyant fûr de la victoire , & méprifant
l'armée de Céfar , moins nombreufe
que la fienne , il fuit prefque feul ,
dépouillé des ornemens de fa dignité, fans
amis , fans domeftiques : il arrive à Mitilene
dans l'ifle de Leſbos , où il avoit laiffé
fa femme Cornélie . Il la fait avertir de le
venir joindre , dans la crainte qu'elle ne
tombe entre les mains du Vainqueur . Elle
reconnoît à la trifteffe , & au peu de cortege
du meffager que Pompée eft vaincu :
cette femme qui adoroit fon mari , qui
partageoit fa gloire avec lui , qui attendoit
avec confiance la nouvelle d'une victoire
dont elle ne doutoit pas , apprend
dans l'inftant qu'il fuit fes ennemis , qu'après
avoir commandé toutes les flottes de
la République , s'être vu à la tête de cinq
cens voiles , il eft feul dans un vaiffeau
d'emprunt. Frappée d'un fi fubit & fi cruel
revers , elle fuccombe à fa douleur , elle
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
:
s'évanouit. Elle ne reprend fes fens que
pour fentir toute l'étendue de fon malheur
mais fon courage ne l'abandonne
pas , elle ne connoît plus d'autre bonheur
que celui de partager les infortunes de
fon mari , elle fe rend au port. Son abord
tendre & compatiffant n'a rien qui marque
la foibleffe de fon fexe , elle s'embarque
avec lui & avec quelques- uns de leurs
amis . Ils fe flattoient de trouver un afyle
en Egypte. Le pere du Prince qui y régnoit,
autrefois chaffé de fon royaume par fes
fujets , devoit fa couronne & fon rétabliffement
à Pompée ; mais il n'avoit jamais
éprouvé de revers. Il ignoroit que
l'infortune eft le premier aiguillon qui
excite l'ingratitude des hommes. Il aborde
en Egypte. Le bruit de fa défaite avoit
déja prévenu fon arrivée , lui qui regardoit
comme indigne de fa grandeur , d'avoir
obligation à Céfar fon Beau pere , eft
obligé de mandier le fecours d'un jeune
Prince qui , quelques jours auparavant ,
eût été fort heureux de lui faire fa cour &
de lui demander fa protection . Pompée eft
furpris de ne voir venir perfonne au devant
de lui . Un feul efquif chargé de quelques
foldats fe préfente pour le recevoir.
On lui dit que le Roi l'attend fur le rivage.
A peine eft-il defcendu , accompagné de
SEPTEMBRE . 1756. 33
deux de fes amis & d'un affranchi , qu'à
quelque diftance de fon vaiffeau , il en
poignardé à la vue de fon époufe & de
fes amis qui font obligés de s'éloigner de
la côte , de peur d'être pris par d'autres
vaiffeaux qui fe préparoient à les joindre.
11 eft plus facile de fentir que d'exprimer
la douleur de Cornélie , à qui il ne refta
plus de courage que pour avoir recours à
la clémence de Céfar dans l'efpérance qu'il
fçaura la venger de la cruauté & de l'ingratitude
du Roi d'Egypte. Le corps
de
Pompée féparé de fa tête , demeura nud ,
expofé fur le rivage où fon affranchi Philippe
refté feul , lui dreffa un bucher avec
les débris d'un vieux bateau de pêcheur ,
qui fe trouverent par hazard. Telle fut la
fin du grand Pompée privé des honneurs
de la fépulture , fans avoir reçu dans fa
patrie au milieu des trophées dont il l'avoit
ornée , les éloges funebres qu'avoient
mérité fes belles actions.
Pendant que ces chofes fe paffoient ,
Céfar pourfuivoit fa victoire avec une
ardeur incroyable. Il croyoit n'avoir vaincu
que lorsqu'il avoit mis fes ennemis
hors d'état de fe relever. Il ne penfoit qu'à
empêcher Pompée de renouveller la guerre
, en ralliant fes troupes fugitives , ou
fe procurant de nouveaux fecours . Céfar
By
34 MERCURE DE FRANCE.
apprit que Pompée s'étoit embarqué prefque
feul , & conjecturant qu'il ne pouvoit
trouver de retraite qu'en Egypte , il
prit de juftes mefures pour le fuivre : à
peine fe donna- t'il le temps de raffembler
une médiocre flotte fur laquelle il s'embarqua
avec environ 3000 hommes. Il approchoit
de l'ifle de Chypre où il avoit
appris que Pompée avoit paru , lorsqu'il
rencontra une flotte ennemie commandée
par Caffius Lieutenant de Pompée , mais
beaucoup plus forte que la fienne. I fe
préfente avec cette confiance que donne la
victoire. La défaite de Pompée avoit jetté
la terreur dans le coeur de tous fes amis.
La flotte fe rend à Céfar : il monte en triomphant
fur la Galere de Caffius. Cet homme
qui eut la hardieffe quelques années
après de le poignarder en plein Sénat , ne
peut foutenir le regard du Vainqueur : il
fe jette aux pieds de Céfar & lui demande
humblement la vie. Céfar lui pardonne ,
s'empare de la flotte , continue fa route &
arrive en Egypte. A la defcente de fon
Vaiffeau on lui préfente la tête de Pompée.
A ce trifte objet , il frémit , il détourne la
vue , fa haine fait place à la compaffion
fon coeur eft attendri , les larmes coulent
de fes yeux , il plaint la trifte deftinée de
cet homme figrand , fi glorieux , qui avoit
>
SEPTEMBRE . 1756. 35
été fi étroitement joint avec lui par les
liens du fang & de l'amitié , auquel il étoit
lui-même redevable d'une partie de fa fortune
, & qu'un inftant avoit précipité du
faîte de la grandeur. Quelles réflexions ne
dut-il pas faire fur l'inftabilité de la fortune
& fur les revers auxquels l'ambition
expoſe les hommes , lorfqu'ils ne fçavent
pas la modérer.
LUCULLU S.
Lorfque Silla cut abdiqué le fouverain
pouvoir qu'il avoit ufurpé , Lucullus fe
trouva , après Pompée , le citoyen le plus
accrédité de la République . S'il eût eu autant
d'ambition que de mérite , il eût peutêtre
été le premier de Rome. C'étoit celui
de fes Lieutenans , pour lequel Silla avoit
le plus d'amitié . Il lui donna une grande
marque de confiance en lui dédiant fes
Commentaires , & l'inftituant Tuteur de
fon fils , à l'exclufion de Pompée , qui en
conçut une jaloufie qu'il conferva toute fa
vie. Les fervices que Lucullus avoit rendus
à Silla étoient moins brillans que ceux
de Pompée , mais ils étoient plus utiles.
Silla affiégé dans Athenes , envoya Lucullus
parcourir tous les Ports de la Méditerranée
, pour raffembler les flottes de la
République & venir le dégager. Il fçut
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
que
il
éviter les flottes de Mithridate contre lef
quelles il ne voulut rien hafarder , difant
fon Général ne l'avoit pas envoyé pour
combattre, mais pour lui amener un prompt
fecours ; & quoiqu'il fût encore jeune ,
fçur préférer fon devoir à la gloire qu'il
pouvoit acquérir , aimant mieux contri
buer à celle de fon général qu'à la fienne
propre. Le fecours qu'il lui amena à propos
, mit Silla en état de vaincre Mithri
date.
Silla étant obligé de fe rendre en Italie
pour s'oppofer à Marius , laiffa Lucullus
en Afie avec la dure commiffion de lever
fur les Provinces vingt mille talens , fomme
exhorbitante. Il exerça cette commiffion
toute odieufe qu'elle étoit , avec tant
de douceur & de modération , qu'il fe fit
univerfellement aimer . Il eut le bonheur
d'être abſent de Rome pendant les profcriptions
de Silla : il n'eut aucune part à
fes cruautés, & ne profita pas , comme tous
les amis de Silla , des rapines qu'il exerçoit
; auffi à fon retour à Rome fut- il reçu
avec une confidération qui lui donna un
grand crédit. Il fut élu conful avec l'applaudiffement
de tous les Citoyens . Ce fut
pendant fon Confulat que Mithridate rompit
la paix qu'il avoit faite avec les Romains
, & pour premier exploit , fit mafSEPTEMBRE.
1756. 37
facrer tous ceux qui étoient dans fes Etats.
11 fallut envoyer une armée contre lui . I
n'y avoit alors à Rome aucun Général ca,
pable de conduire cette guerre . Pompée
étoit occupé à la guerre d'Efpagne contre
Sertorius : Céfar étoit trop jeune & commençoit
à peine à briguer les premiers emplois
Cicéron travailloit à fe rendre recommandable
par fon éloquence , & Craffus
ne pensoit qu'à accumuler ſes richeſſes ,
& qu'à fatisfaire fon avarice . Lucullus ayant
obtenu la conduite de cette guerre , il la
conduifit avec tant de fageffe , de prudence
& de courage , qu'il contraignit Mithri
date d'abandonner les Etats & de chercher
une retraite chez Tigranes fon gendre
Roi d'Arménie , & fur le refus qu'il fit de
lui livrer cet ennemi des Romains , il lui
déclara la guerre . Tigranes fut vaincu . La
ville de Tigranocerta que ce Prince avoit
fait bâtir , & dont il avoit fait la capitale
de fon empire , fut prife par les Romains :
chaque foldat eut huit cens pieces d'argent
pour fa part du pillage. Lucullus fournit
aux Grecs , que Tigranes y avoit tranſportés
pour la peupler , les commodités & les
vivres néceffaires pour retourner dans leur
patrie. Cet acte de générofité le rendit fi
cher à toute la Grece , qu'elle le regardoit
comme fon dieu tutélaire , & lui dreffa des
ſtatues.
38 MERCURE DE FRANCE.
Lucullus étoit fur le point de terminer
cette guerre , lorsqu'il fut arrêté la répar
volte de fes foldats : il apprit en mêmetemps
que Pompée par fes brigues, s'en étoit
fait donner la conduite ; qu'à peine il avoir
mis le pied dans l'Afie , qu'il avoit caffé
toutes les ordonnances de Lucullus ; qu'il
avoit défendu de lui obéir , & lui avoit
débauché une partie de fes foldats . Tout
le monde fut indigné de la conduite de
Pompée ; Lucullus ne s'en vengea que par
le mépris. Il lui reprocha que fon ambition
démesurée & fa baffe jaloufie le rendoient
ennemi de tous ceux qui acquéroient
de la gloire ; qu'il attendoit
que les
autres Généraux euffent affoibli & ruiné
les ennemis de la République pour fe faire
donner leurs commandemens & profiter
plus aifément de leurs travaux .
Lucullus de retour à Rome, reçut les honneurs
du triomphe fous le Confulat de Cicéron
, malgré les intrigues des amis de
Pompée , & avec les applaudiffemens de
tous les honnêtes gens. Il conferva toute
fa conſidération dans la République jufqu'au
Triumvirat de Pompée , de Céfar &
de Craffus. Ayant voulu s'oppofer à une loi
qu'ils avoient propofée contre l'intérêt public,
Céfar qui étoit Conful , le traita avec
tant de hauteur , & lui fit de fi terribles
SEPTEMBRE. 1756. 41
lis par le luxe , qu'il n'y avoit plus aucune
gloire à triompher d'eux. D'ailleurs Céfar
ne vouloit pas trop s'éloigner de Rome
pour être à portée de fçavoir ce qui s'y pafferoit
pendant fon abfence : c'eft pourquoi
il avoit pris le gouvernement des Gaules.
Il vouloit faire connoître à fes Citoyens
qu'il ne lui fuffifoit pas d'avoir été élevé
par leur bienveillance & leurs fuffrages aux
premieres charges de la République , mais
qu'il prétendoit s'en rendre digne par des
conquêtes au moins auffi belles & auffi
brillantes que celles qui avoient rendus
illuftres Marius , Silla , Pompée & les autres
grands hommes qui l'avoient précédé.
Nous verrons par le récit de la guerre
des Gaules , qu'il ne falloit pas moins
qu'un auffi grand homme que Céfar pour
affujettir une nation , qui avoit autrefois
donné tant d'affaires aux Romains , nation
dont la nobleffe faifoit alors comme elle
fait encore aujourd'hui fa principale occupation
du métier de la guerre , qui avoit
autrefois faccagé la ville de Rome , qui
avoit fait des conquêtes & de grands éta
bliffemens jufques dans l'Afie , & qui avoit
fait dire d'elle ce proverbe fi connu : Qu'il
n'y avoit point de guerres dans l'Univers
où l'on ne vit briller la valeur des Gaulois,
42 MERCURE DE FRANCE.
C'eft le courage de cette nation , & la réſiftance
qu'il éprouva pendant dix années de
guerre pour l'affujettir , qui ont fait toute la
gloire de Céfar & qui l'ont fait connoître
pour le plus grand Capitaine de l'univers.
La bataille de Pharfale, il eft vrai , l'a rendu
maître de la République , mais ce fut l'ouvrage
d'une campagne. Il fuffit de lire cet
exploit dans fes Commentaires , & l'on
peut s'en rapporter à lui on y verra avec
quelle facilité il obtint cette victoire . Auffi
fçut-il bien- dire par la fuite , lorfqu'après
cette bataille il parcourut en vainqueur
tout l'Orient , lorfqu'il eut conquis l'Egypte
en moins de deux mois , lorſqu'il
n'eut que la peine de fe montrer pour vain.
cre Pharnace , Roi de Pont , fils de Mithridate
( 1 ) , & lorfqu'il fe rendit maître de
l'Afrique en très - peu de tems , que Pompée
par les victoires qu'il avoit remportées
fur ces peuples , avoit bien aifément acquis
le furnom de Grand , & que s'il avoit
eu affaire aux Gaulois , il l'auroit acheté
bien plus cher. Lorfqu'on lira fans prévention
les conquêtes d'Alexandre & celles de
Pompée , on verra ces grands hommes
( 1 ) Ce fut à l'occafion de cette victoire qu'il
dit ces trois mots , qui marquoient fon mépris
pour ces fortes d'ennemis : Veni , vidi , vici , je
fuis venu , j'ai vu , j'ai vaincu,
SEPTEMBRE. 1756. 4I
lis par le luxe , qu'il n'y avoit plus aucune
gloire à triompher d'eux . D'ailleurs Céfar
ne vouloit pas trop s'éloigner de Rome
pour être à portée de fçavoir ce qui s'y pafferoit
pendant fon abfence : c'eft pourquoi
il avoit pris le gouvernement des Gaules.
Il vouloit faire connoître à fes Citoyens
qu'il ne lui fuffifoit pas d'avoir été élevé
par leur bienveillance & leurs fuffrages aux
premieres charges de la République , mais
qu'il prétendoit s'en rendre digne par des
conquêtes au moins auffi belles & auffi
brillantes que celles qui avoient rendus
illuftres Marius , Silla , Pompée & les autres
grands hommes qui l'avoient précédé.
Nous verrons par le récit de la guerre
des Gaules , qu'il ne falloit pas moins
qu'un auffi grand homme que Céfar pour
affujettir une nation , qui avoit autrefois
donné tant d'affaires aux Romains , nation
dont la nobleffe faifoit alors comme elle
fait encore aujourd'hui fa principale occupation
du métier de la guerre , qui avoit
autrefois faccagé la ville de Rome , qui
avoit fait des conquêtes & de grands éta
bliffemens jufques dans l'Afie , & qui avoit
fait dire d'elle ce proverbe fi connu : Qu'il
n'y avoit point de guerres dans l'Univers
où l'on ne vit briller la valeur des Gaulois,
44 MERCURE DE FRANCE.
nat les plus illuftres d'entre les Gaulois : il
leur donna des emplois confidérables dans
fes armées : ils faifoient la principale force
de fa cavalerie : auffi en fut-il admirablement
fervi dans la guerre civile & dans les
autres qu'il eut à foutenir.
Ce qui fait l'éloge de la nation Gauloife
, c'eft que depuis qu'elle eut goûté
la fageffe & la douceur du Gouvernement
de Céfar , depuis qu'elle eut trouvé de
l'emploi continuel & honorable dans les
armées de la République , où elle avoit le
moyen de fatisfaire fon inclination pour
la guerre , elle demeura inviolablement
attachée aux Romains avec lefquels elle
étoit , pour ainsi dire , incorporée , fans
qu'elle ait jamais penſé à ſe révolter : mais
lorfqu'après la deftruction de fon empire ,
elle eut été rendue à elle-même fous le
gouvernement des Rois fortis du propre
fein de la nation , fous le regne de Hugues
Capet & de fes fucceffeurs , fon empire
n'a jamais été fujet à aucune révolution .
Son obéiffance & fon attachement pour fes
fouverains n'ont jamais fouffert la moindre
altération . On ne voit point dans fes
annales de ces ufurpations violentes qui
ont renversé de leurs trônes fes Princes
naturels : ils n'ont jamais vu leurs fujets
armés contr'eux , acharnés à changer, à
SEPTEMBRE . 1756. 43
n'ayant à combattre que des nations éfféminées
& fans courage ; l'on fentira la
différence qu'il y avoit entr'elles & la nation
Gauloife , & l'on fe convaincra que
la conquête que Céfar en fit , l'a mis à
juftre titre au - deffus des autres Conquérans.
Peut-être qu'il n'en eût pas triomphé
fi aifément , fi cette nation , au lieu d'être
divifée en petites Républiques , & en différens
petits Etats jaloux les uns des autres
, & cherchant à s'agrandir aux dépens
de leurs voifins , eût été bien unie
comme elle l'eft depuis fi longtemps fous
le gouvernement de fes Rois . Leur puiffance
eft fondée fur le refpect , l'attachement
& l'amour inviolable qu'elle a pour
eux , dont elle leur donne des preuves en
facrifiant tout pour leur gloire & leur intérêt:
auffi en eft- elle bien récompenſée par
la douceur de leur gouvernement & leur
attention continuelle à la rendre heurenſe
.
Céfar , pendant le temps qu'il fit la
guerre dans les Gaules , connut fi bien le
caractere de cette nation , qu'il fe l'attacha
par toutes fortes de moyens. Honneurs
, récompenfes , confiance , tout fut
employé pour la gagner , il donna aux
habitans de plufieurs villes le droit de Citoyens
Romains ; il fit entrer dans le Sé44
MERCURE DE FRANCE .
nat les plus illuftres d'entre les Gaulois : il
leur donna des emplois confidérables dans
fes armées : ils faifoient la principale force
de fa cavalerie : auffi en fut- il admirablement
fervi dans la guerre civile & dans les
autres qu'il eut à foutenir.
Ce qui fait l'éloge de la nation Gauloife
, c'eft que depuis qu'elle eut goûté
la fageffe & la douceur du Gouvernement
de Céfar , depuis qu'elle eut trouvé de
l'emploi continuel & honorable dans les
armées de la République , où elle avoit le
moyen de fatisfaire fon inclination pour
la guerre ,
elle demeura inviolablement
attachée aux Romains avec lefquels elle
étoit , pour ainsi dire , incorporée , fans
qu'elle ait jamais penſé à ſe révolter : mais
lorfqu'après la deftruction de fon empire ,
elle eut été rendue à elle-même fous le
gouvernement des Rois fortis du propre
fein de la nation , fous le regne de Hugues
Capet & de fes fucceffeurs , fon empire
n'a jamais été fujet à aucune révolution.
Son obéiffance & fon attachement pour fes
fouverains n'ont jamais fouffert la moindre
altération. On ne voit point dans fes
annales de ces ufurpations violentes qui
ont renversé de leurs trônes fes Princes
naturels ils n'ont jamais vu leurs fujets
armés contr'eux , acharnés à changer, à
SEPTEMBRE . 1756. 47
1
nérofité plus politique que fincere ne feroit
pas place à la colere & au défir de fe venger
lorfqu'il n'auroit plus rien à craindre.
Nous voyons par plufieurs lettres de Cicé
ron & d'autres Romains du même temps ,
que leurs craintes n'avoient pas été diffipées
par les premiers actes de clémence
que Céfar avoit faits : mais lorsqu'il fut
de retour à Rome , la conduite qu'il tint,
perfuada tout le monde qu'il avoit pardonné
généreufement & fans retour , &
que la clémence étoit une vertu qui avoit
fa fource dans la bonté de fon coeur. Tout
le monde fçait que quelque violente haine
qu'il eût conçue contre ceux qui l'avoient
infulté , il fe raccommodoit avec les ennemis
avec une facilité admirable , furtout
lorfqu'il lui marquoit le moindre repentir.
Nous avons déja rapporté plufieurs
actes de modération & de clémence qu'il
avoit fait dans différentes occafions : mais
en voici encore un exemple qui fit trop de
bruit
pour ne pas trouver place ici .
Il y avoit un Citoyen Romain appellé
Q. Ligarius , contre lequel Céfar étoit indifpofé
au point qu'il avoit réfolu de le
faire périr s'il tomboit entre fes mains ,
malgré les follicitations que faifoient pour
lui les perfonnes les plus confidérables .
Quelques amis de Céfar lui dirent que
46 MERCURE DE FRANCE.
font pas les moins dignes d'amour & d'admiration
, qui femblables à notre auguste
Monarque ont préféré la qualité de Princes
pacifiques à celle de Conquérans ,
après avoir fait connoître qu'ils fçavoient
repouffer les outrages de ceux de leurs ennemis
qui croyoient pouvoir abuſer impu
nément de leur modération.
Clémence de Céfar.
Nous fommes arrivés au temps le plus
brillant de la vie de Céfar . Après avoir
parcouru en peu de temps , depuis la victoire
de Pharfale , tout l'univers plutôt en
triomphateur qu'en Conquérant , par la
facilité avec laquelle il avoit foumis ou détruit
ceux de fes ennemis qui s'étoient fauvés
de la défaite , n'en ayant plus à craindre
, il revenoit à Rome couvert de gloire:
il faifoit à chaque inftant des actes de clémence
& de générofité. A l'exception d'un
petit nombre de ſes plus déterminés enne
mis , qui cachés dans l'obfcurité , s'étoient
mis à couvert de fa colere , il avoit pardonné
à tous les autres , & leur avoit permis
de revenir dans leur patrie. Cependant
les zélés Républicains qui le haïffoient
dans le fonds du coeur , & ne pouvoient
lui pardonner d'être devenu leur
maître , étoient encore incertains fi fa géSEPTEMBRE
. 1756. 47
nérofité plus politique que fincere ne feroit
pas place à la colere & au défir de fe venger
lorfqu'il n'auroit plus rien à craindre.
Nous voyons par plufieurs lettres de Cicé
ron & d'autres Romains du même temps ,
que leurs craintes n'avoient pas été diffipées
par les premiers actes de clémence
que Céfar avoit faits : mais lorsqu'il fut
de retour à Rome , la conduite qu'il tint,
perfuada tout le monde qu'il avoit pardonné
généreufement & fans retour , &
que la clémence étoit une vertu qui avoit
fa fource dans la bonté de fon coeur. Tout
le monde fçait que quelque violente haine
qu'il eût conçue contre ceux qui l'avoient
infulté , il fe raccommodoit avec les ennemis
avec une facilité admirable , furtout
lorfqu'il lui marquoit le moindre repentir.
Nous avons déja rapporté plufieurs
actes de modération & de clémence qu'il
avoit fait dans différentes occafions : mais
en voici encore un exemple qui fit trop de
bruit pour ne pas trouver place ici.
Il y avoit un Citoyen Romain appellé
Q. Ligarius , contre lequel Céfar étoit indifpofé
au point qu'il avoit réfolu de le
faire périr s'il tomboit entre fes mains ,
malgré les follicitations que faifoient pour
lui les perfonnes les plus confidérables .
Quelques amis de Céfar lui dirent que
48 MERCURE DE FRANCE.
Cicéron fe diſpoſoit à lui parler en faveur
de Ligarius pour obtenir fa grace , Céfar
répondit : Ily a longtemps que nous n'avons
entendu parler Ciceron , je l'écouterai avec
plaifir : mais fon éloquence , quelque perfuafive
qu'elle puiffe être, ne me fera pas changer
de fentiment pour Ligarius . Cette réponſe
fut rapportée à Cicéron , qui joignant à la
vanité dont il n'étoit que trop fufceptible ,
le défir de rendre fervice à Ligarius , employa
dans le difcours qu'il prononça en
préfence de Céfar , tous les traits que fon
éloquence put lui fuggérer , & qu'il crut
les plus perfuafifs . L'Hiftoire nous a confervé
que Céfar ayant entendu le difcours
de Ciceron , en fut fi vivement pénétré
qu'il tomba dans une efpece de raviffement
, qu'il laiffa échapper des papiers
qu'il tenoit entre les mains , & que revenant
à lui- même , il dit avec une émotion
dont il ne fut pas le maître : Je pardonne à
Ligarius ( 1) .
On ne doit point être furpris que l'éloquence
de Ciceron ait produit un fi grand
effet : c'étoit un enchanteur dont les charmes
confiftoient dans un ſtyle doux , engageant
, agréable , abondant , vif , preffant,
(1 ) Ce difcours fut prononcé dans la maifon
de Célar , en prefence de fes amis & d'un grand
nombre de perſonnes,
1
qui
SEPTEMBRE. 1756 . 49.
qui ne donnoit pas le temps de refpirer ;
il connoiffoit toutes les routes qu'il falloit
prendre pour pénétrer dans le coeur de
ceux à qui il parloit ; il connoiffoit le caractere
& le génie de tous les Romains
de fon temps ; il fçavoit admirablement
manier leurs paffions , & en faire jouer à
fon gré tous les refforts pour parvenir à
fon but .
Il étoit question d'arracher à Céfar par
une douce violence , une grace qu'il avoit
réfolu de refufer ; il falloit toucher bien
fenfiblement le coeur d'un homme déja
prévenu ; il falloit une louange bien délicate
& bien fine pour la faire favourer à
un homme auffi délicat & d'un auffi grand
mérite ; il falloit enfin que cette louange
eût pour objet des actions bien dignes
d'être louées .
Céfar par fes grands exploits , étoit parvenu
au point de fe rendre fouverain dans
fa République ; action qui étoit regardée
par la plus grande partie de fes citoyens
comme un acte de la plus haute tyrannie.
guer-
Ciceron commence fon difcours par
colorer & affoiblir ce qu'il y avoit d'odieux
dans la conduite de Céfar & dans la
re civile qu'il avoit faite : il en rejette la
faute fur les Romains & la fait
par les Dieux .
approuver
C
52 MERCURE DE FRANCE.
"
و د
»
s'exprime ainfi : « Dès que la guerre fut
entreprife , & déja même affez avancée
» fans que rien m'y contraignît ; après une
mure délibération , j'ai pris les armes ,.
» & je fuis parti pour me joindre à ceux
» qui combattoient contre vous : j'étois
» dans le camp de Pompée ; mais devant
qui tiens- je ce langage ? c'eft devant celui
qui fçachant ma conduite , ma rendu
à la République avant de m'avoir vu ,
qui de l'Egypte m'écrivit que je demeu
raffe le même que j'avois toujours été ;
» enfin qui n'a cru me donner la vie qu'en
me la laiffant accompagnée des biens &
des honneurs dont j'avois joui : qui eſt-
» ce donc qui s'imagine trouver du crime
» dans Ligarius pour avoir porté les armes
» contre Célar ? c'eſt vous , Tuberon , qui
l'en accufez mais que faifiez- vous de
votre épée nue à la bataille de Pharfale ?
» à quels flancs en vouloit- elle ? quel étoit
l'objet de vos armes , de votre efprit ,
de vos yeux , de vos mains , de votre ardeur
, de votre courage ? que défiriezvous
? quels étoient vos deffeins ? mais
je vois que je vous preffe trop , vous en
paroiffez ému : je reviens à moi ; j'étois
armé pour le même intérêt que vous :
enfin , Tuberon , que prétendions
- nous ,
#finon d'être auffi puiffans que Céfar l'ef
و د
89
. و و
59
SEPTEMBRE . 1756. 53
aujourd'hui ! faut - il donc , Céfar , que
» ceux qui font redevables à votre clémen-
» ce de leur entiere fûreté , foient les pre-
» miers à vous exhorter par leurs difcours
» à devenir cruel ? Prenez garde, Tuberon ,
» à être dans l'erreur en croyant Céfar irrité
& inflexible contre vos ennemis ,
après qu'il a pardonné à tous les fiens.
ود
ود
"
"
» J'ai plaidé plufieurs caufes , Céfar , &
» même avec vous quand les fonctions de
» vos dignités vous retenoient au Barreau ;
» j'ai défendu grand nombre d'accufés , je
» n'ai jamais tenu ce langage . Pardonnez-
» lui , Meffieurs , c'eft une erreur , c'eft un
» faux pas ; il n'y penfoit pas , il n'y retour
» nera plus ; c'eft comme on parle devant
» un pere : devant des Juges , il ne la
point fait , il n'en a jamais eu la penfée ;
» les témoins font faux , l'accufation eft
forgée ; voilà comme on parle devant
» des Juges. Mais , Céfar , je parle devant
un pere : j'ai failli , dit Ligarius , je me
» fuis conduit témérairement , je me re-
» pens , je m'abandonne
à votre clémen-
» ce ; je reconnois ma faute , je vous prie
» de me la pardonner : fi vous n'avez en
pitié de perfonne , je fuis un préfomp .
» tueux ; mais fi vous avez pardonné à
» tant d'autres , donnez le fecours après
→ avoir donné l'efpérance. Les hommes ne
ور
و د
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
1
"
fçauroient en rien approcher plus près
» des Dieux qu'en donnant la vie à d'autres
hommes. Ce que la fortune & la victoire
ont fait de plus grand pour vous ,
c'eft de vous avoir donné le pouvoir de ·
fauver un très -grand nombre de Citoyens ,
& ce que la nature a fait de meilleur , c'eft
de vous en avoir donné la volonté peut
être l'importance de la cause exigeroit un
plus long difcours , mais pour le caractere
de votre coeur , un plus court auroit ſuffi.
Pour peu que l'on porte dans le coeur
quelque portion de cette grandeur d'ame
, que Céfar poffédoit dans un dégré fi
éminent , & que l'on fe mette un moment
en fa place , il eft impoffible de n'être pas
fenfiblement touché d'une fi belle louange,
& l'on ne doit point être furpris qu'elle
ait fait fur lui le prodigieux effet que l'on
vient de rapporter. Ciceron étoit l'homme
de fon temps qui avoit le plus de véritable
mérite & de probité. Il rendoit dans fon
coeur à Céfar la juftice qu'il méritoit .
Quoique dans les lettres qu'il écrivoit à
fes amis particuliers , il fût de mauvaiſe
humeur contre lui pour avoir envahi le
fouverain pouvoir, cependant dans d'autres
lettres il ne peut s'empêcher de le louer.
Dans une lettre , entr'autres , qu'il écrit à
Cecina , dont il follicitoit la grace auprès
SEPTEMBRE . 1756. S.S
"
de Céfar. « En quoi , dit - il , j'admire fou-
» vent la grandeur , la juftice & la fageffe
»de Céfar , c'eft qu'il ne parle jamais
qu'honorablement de Pompée. Il par-
» donne volontiers à ceux qui ont eu bon-
» ne intention dans le choix qu'ils ont fait
» d'un parti , & qui s'y font laiffés engager
plutôt par devoir ou reconnoiffance, que
» par vanité ou ambition. »
ور
و ر
La magnanimité & la clémence de Céfar
paroiffoient alors d'autant plus admirables
, qu'il avoit été extraordinairement
maltraité par les ennemis ; que l'on fortoit
des guerres civiles de Marius & de
Silla , qui avoient produit les actes les plus
horribles d'injuftice , de vengeance & de
cruauté. Non feulement ils n'avoient l'un
& l'autre pardonné à aucuns de leurs ennemis
, mais ils avoient encore profcrit
les ennemis de leurs amis. Silla furrout
avoit exercé ſes vengeances avec une barbarie
& un fang froid qui avoient fait
connoître toute l'inhumanité de fon coeur ;
au lieu que Céfar , content d'avoir triomphé
de fes ennemis , s'abandonna à toute
la bonté de fon caractere . Il leur pardonna
avec une générofité fans réferve & fans
fafte : Le plus doux fruit que je recueille de
ma victoire , écrivit-il à un de fes amis ,
eft la fatisfaction & le plaifir de fauver tous
Civ
16 MERCURE DE FRANCE.
les jours la vie à un grand nombre de Ci-
1oyens.
Je ne fçaurois quitter la clémence de
Céfar ; le pardon des injures a quelque
chofe de fi grand , que je ne puis réſiſter
au plaifir d'en rapporter encore un exemple
qui fit briller l'éloquence de Ciceron .
A la follicitation de tout le Sénat & des
plus honnêtes gens de Rome , Céfar pardonna
à Marcellus un des plus diftingués
Citoyens , mais le plus violent de fes ennemis
, & qui fut une des principales caufes
de la guerre civile , ayant empêché
Pompée , déterminé par les avis de Cicéron
, d'accéder aux propofitions de paix
que
Céfar lui avoit faites. Il avoit fait ôter
à Céfar le Gouvernement des Gaules , &
l'avoit empêché d'obtenir un fecond Confulat.
Cet acte de clémence nous a procuré
une des plus belles Oraifons de Ciceron ,
qu'il prononça en plein Sénat pour remercier
Céfar d'avoir pardonné à Marcellus.
Après avoir fait voir dans ce difcours
que la gloire des victoires d'un Général
fe partage entre les foldats & la fortune ,
il lui dit : « Mais Céfar pour cette gloire
» que vous venez d'aquérir en pardonnant
» à Marcellus , elle ne vous eft commune
» avec perfonne ; la fortune elle - même ,
» cette maîtreffe des événemens humains ,
SEPTEMBRE . 1756. 57
ود
33
93
» ne vient point y prendre part ; elle vous la
» cede , elle avoue qu'elle vous eft propre
» & qu'elle vous appartient à vous feul.
" Quand vous avez vaincu des Nations
fauvages & féroces , innombrables par
» leur multitude , abondantes en tout
"genre de richeffes , vous avez vaincu ce
qui n'étoit
invincible ; mais vaincre
pas
fon propre coeur , éteindre fes reffenti-
» mens , ralentir l'ardeur de fa victoire
relever un ennemi diftingué par fon efprit
, par fes vertus , par l'eftime géné-
» rale qu'il s'eft acquife , ajouter même
encore à fon ancienne fplendeur , qui-
» conque en fait autant , je ne le compare
»pas aux plus grands hommes , je le trouve
femblable aux Dieux immortels.
Quand on nous raconte ou que nous
» lifons des faits qui font briller la clémen-
» ce , la justice , la douceur , la modéra
» tion , la fageffe , furtout au milieu de la
» colere toujours ennemie de la réflexion ,
» & dans le fein de la victoire naturelle-
» ment fiere & infolente , avec quelle ar-
» deur , au feul afpect de ces actions , nous
» fentons- nous portés à aimer des gens
que nous n'avons jamais vus »! Telles
font les louanges que Céfar par fa clémence
& fa modération s'étoit attirées de la
part de Ciceron : il en devoit être d'autor
ל כ
»
ود
C.v
SS MERCURE DE FRANCE.
plusflatté , qu'elles étoient fondées fur la
vérité.
VERS
De M.le Président de Ruffey à M. de Voltai
re , fur la prise de Port- Mahon.
Voltaire , un Dieu fans doute éclairoit ton
efprit ;
Le fuccès fuit nos voeux, fuccès par toi prédit ( 1 ).
Defcends du Temple de Mémoire ,
Oublie en ce moment tes maux ;
Viens , vois , admire ton Héros.
Il rapporte , comblé de gloire ,
Les foudres de Louis à fon bras confiés.
Sur les aîles de la victoire
Il revient triomphant des Anglois foudroyés.
C'eft fur ces mêmes bords que le fameux Alcide
A jadis vengé l'Univers
(1) M. de Voltaire, dans fa Lettre à M. le Préfident
de Ruffey , du 12 Avril 1756 , s'exprime
ainfi : Je fuis fort en peine actuellement de M. le
Maréchal de Richelieu : j'ai bien peur qu'il ne
trouve des Vaiffeaux Anglois dans fon chemin
avant que d'arriver à Minorque ; mais s'il peut
ou les devancer , ou les battre , il prendra Port-
Mahon, il vengera la France, & reviendra comblé
de gloire.
SEPTEMBRE . 1756.
59
Des fureurs d'un Monftre perfide (1 ),
Dont la rage infeftoit ces Mers :
Même projet , même vaillance
'Apiment Richelieu combattant pour Louis :
Il paroît , il vange la France ,
Et contraint Albion à refpecter fes Lys.
L'art fecondé par la nature ,
Pour te munir , Mahon , épuiſoit ſon effort ;
Cent murs d'effrayante ftructure
Défendoient l'accès de ton Port ;
D'airain_mille bouches tonnantes ,
Au loin fur tes rives fumantes
Vomiffoient la flamme & la mort :
L'enfer armé pour te défendre ,
Menaçoit de réduire en cendre
Quiconque affiégeroit ton Fort.
Mais en vain , ta prife eft jurée ,
Louis veut t'arracher au joug de tes Tyrans ;
Albion violant des loix la plus facrée ,
Ofa le braver trop long-temps :
Il commande , & bientôt les vents
Tranſportent des François les légions terribles.
L'afpect d'obstacles invincibles
Pourra-t'il ralentir leur généreuse ardeur ?
Il n'eft point de chemins fermés à leur courage ,
Et l'excès du péril redouble leur fureur :
(1 ) Geryon , Roi des Ifles Baleares , qui faifoit
manger à des boeufs furieux les Etrangers qui
abordoient dans fes Etats.
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
A travers mille morts , à travers le carnage
Ils franchiffent tes rocs aux yeux de l'Univers ;
Et l'Anglois accablé , tombe & porte leurs fers
Des tréfors d'Apollon , heureux dépofitaire ,
Tu peux feul , illuftre Voltaire ,
Célébrer ce grand jour , annoncer nos ſuccès ,
Et chanter dignement la gloire des François..
SONNET
Sur la prise du Fort S. Philippe , préſenté an
Roi la 14 Juillet 175.6 . Par le Pere Jean-
Baptifte de Pradal , Capucin de la. Province
de Guyenne.
Dans le coeur de Louis , la gloire de la France
Combattoit fa douceur & l'amour de la paix.
Toujours prêt à répandre en tous lieux fes bienfaits
,
Toujours lent à punir , il gardoit le filence.
Mais un peuple jaloux épuifant fa clémence ,
De l'Europe attentive il remplit les fouhaits.
Il parle , & Richelieu plus ardent que jamais ,
Signale au Port-Mahon fa noble impatience..
Le Léopard frémit ; des remparts menaçans.
( Malgré tant d'efforts impuiffans )
A l'ordre de mon Roi le réduifent en poudre .
SEPTEMBRE . 1756. 61
Ennemis obstinés de nos Lys triomphans !
Pourquoi l'obligez-vous à lancer une foudre ,
Dont il a retenu les éclats fi long-temps.
VERS
Au Maréchal Duc de Richelieu.
Toujours cher à l'Amour , & favori de Mars ;
Tu fçus briller partout , au milieu des ha
zards ,
Et dans la cour de Cytherée
Le myrthe & le laurier ornent tes étendarts
Triomphateur de toutes parts ,"
Tu te fais un renom d'éternelle durée ;
Tes exploits font gravés au Temple de Paphos
Dans les travaux guerriers tu n'es pas moins
Héros ,
Et je vois en tous lieux ta valeur célebréa
Aux champs de Fontenoy
( Mémorable journée ! )
La victoire par toi
A nos drapeaux eft ramenée.
Genes , prête à fubir de tyranniques loir
Doit à ton bras fa deftinée :
Tu la rétablis dans fes droits ;
Et par un trait nouveau de gloire
Digne à jamais d'illuftrer ta mémoire
62 MERCURE DE FRANCE.
Malgré leurs fiers remparts Minorque & tous fes
Forts ,
Ferme abri de l'Anglois , tombent fous tes efforts.
VERS
AM. le Maréchal Duc de Richelieu.
Ux Champs de Fontenoi fans tes fages avis ,
Ainfi l'a publié Voltaire ,
L'Anglois eût triomphé des Lys.
Dans Minorque aujourd'hui ce Peuple téméraire ,
Dompté par ta valeur a reconnu ta loi ; រ
Que l'on chante à l'envi ta brillante conquête ,
Tu peux toujours fervir ta Patrie & ton Roi ,
Ton bras leur eft utile auffi- bien que ta tête.
Par Madame BOURETTE.
(1 ) M. de Voltaire a dit dans fon Difcours de
Réception à l'Académie Françoise en 1746 : Jouiffez
, Meffieurs , du plaifir d'entendre ces propres
paroles que votre Protecteur dit au Neveu de votre
Fondateur fur le Champ de Bataille de Fontenoi.
SEPTEMBRE . 1756. 63
LES CONDITIONS INUTILES,
NOUVELLE
Emilie avoit confenti d'aimer S. Iſle ;
il lui eût été impoffible de s'en défendre :
mais elle avoit fait fes conventions. Un
excès de vertu exigeoit d'elle un excès de
rigueur ; elle croyoit s'être fauvée de tout
danger en difant , je n'en veux courir aucun.
S. Ifle avoit confenti à tout. Il connoiffoit
le coeur , il connoiffoit la tendreffe
d'Emilie , & il étoit bien tranquille fur
l'avenir , malgré fes fermens. Il avoir promis
de pouffer le refpect jufqu'où il peut
aller ; fon exactitude même l'amufoit : elle
fourniffoit des fcenes muertes que l'art
veut en vain imiter dans les engagemens
ordinaires , & qui font fur les fens plus
d'effet que le plaifir même. Les gens qui
jugent auffi rapidement qu'ils pirouettent ,
difoient tout haut que S. Ifle avoit perdu
l'efprit. Ils ne concevoient pas qu'un engagement
auffi fingulier pût avoir des
charmes ; mais l'amant délicat d'Emilie
les laiffoit dire & jouiffoit.
Emilie montroit une fenfibilité trèsvive
; cela formoit une oppofition avec fa
64 MERCURE DE FRANCE.
vertu , dont S. Ifle ne fçavoir quelquefois
que penfer. Il connoiffoit trop fes moeurs
irreprochables pour la foupçonner de fe
faire plus vertueufe qu'elle n'étoit : mais
le contrafte qui le frappoit , l'autoriſant à
croire qu'il y avoit là - deffous quelque
chofe de furnaturel , il ofoit penfer qu'Emimilie
ne ſe montroit fi vertueufe, que parce
qu'elle fe connoiffoit très- fenfible.
On juge affez de tout le courage que
lui prêtoient les conjectures. Il n'y a point
de violence qu'on ne puiffe aifément fe
faire auprès d'une femme , lorfqu'on eft
dédommagé par celle qu'elle fe fait ellemême
de l'exiger.
Malgré la monotonie , apparente , il n'y
avoit rien de fi animé que leur commerce.
Emilie trop févere , reffentoit tout le feu
de la paffion. Dans ces privations exceffives
, les fens font amufés par le feu même
qui les confume ; mais il faut pour cela la
préfence de l'objet aimé : auprès de lui ce
feu eft un plaifir très- vif , loin de lui c'eft
une ardeur importune. S. Ifle ne pouvoit
pas toujours être à fes côtés : il avoit fes
affaires ; il avoit la malice d'en prétexter.
Ses abfences étoient autant de fupplices
pour elle . Elle ne fe communiquoit plus ,
ne voyoit plus perfonne ; le feul temps
qu'elle voulut dérober à fa paſſion , étoit
SEPTEMBRE . 1756. 65
celui qu'elle donnoit à fa toilette , encore
lui paroiffoit il très-long . Elle fe plaignoit
de ne le pas voir affez , elle auroit voulu
le retenir ou le fuivre. Comment réfifter
longtemps à un amant que l'on veut voir
toujours !
-
Comme il avoit promis de la refpecter
& qu'il tenoit parole , tout étoit dit à cet
égard. Elle ne parloit plus de fa vertu , &
ne fongeoit pas même qu'elle en eût . S. Ifle
prévoyoit les fuites de cette fécurité prodigieufe
; & quoique trop amoureux pour
n'avoir pas des défirs , fa pénétration &
l'amufement de fes fens lui faifoient une
fituation délicieuſe qui le laiffoit le maître
de commander à fon impatience .
Dans le cours de plus de trois mois ,
jamais il ne lui échappa un mot , un mouvement
, un foupir qui pût déceler fon innocent
artifice. Il avoit formé un projet
qui demandoit toute cette difcrétion . I
vouloit qu'Emilie fût affervie par l'habitude
de l'aimer , avant que de lui faire
connoître les véritables fentimens ; il vouloit
auffi ne fe découvrir que par un mot
qui pût faire travailler l'imagination de fa
maîtreffe , & mettre en jeu toute fa paffion
fans lui atrirer légitimement des reproches.
Ce projet ne pouvoit entrer que
dans la tête d'un homme extrêmement déli66
MERCURE DE FRANCE.
&
pour cat , &
habile.
le faire réuffir , il falloit être
pas Le moment de s'expliquer ne tarda
à s'offrir ; il le faifit. Quelques perfonnes
affemblées chez Emilie avoient fait tomber
la converfation fur l'amour purement
fpirituel. Depuis plus d'une heure qu'on
étoit fur cette matiere , S. Ifle n'avoit pas
dit un mot. Forcé de parler comme les autres
: Je conçois , dit -il , qu'il puiffe y avoir
des attachemens auffi refpectables , mais je
ne concevrai jamais qu'ils foient capables
de remplir tout le coeur d'un homme bien
amoureux. J'ai vu de ces amans fi admirables
: l'ennui répandu fur leurs traits ,
les faifoit aisément difcerner ; j'en ai vu
même quelques-uns qui ne voulant jamais
trahir leurs fermens tyranniques , avoient
fini par renoncer à la maîtreffe la plus aimable
, contraints d'opter entre le défefpoir
& l'infidélité .
La converfation finit là pour Emilie.
Frappée comme par un coup de foudre ,
elle porta les yeux fur S. Ifle qui dans ce
moment , avoit les fiens attachés fur elle.
Elle avoit compris tout ce qu'il avoit voulu
dire ; une confidence entiere ne l'eût
pas mieux inftruite adorable pénétration
qui la rendit cent fois plus tendre & cent
fois plus belle !
SEPTEMBRE . 1756. 67
Agitée par les mouvemens les plus tumultueux
, elle eût voulu parler à S. Ifle ,
l'interroger , fe plaindre , lui dire tout fon
amour , & lui demander compte de toutes
fes penfées. La compagnie qui fe trouvoit
chez elle l'importunoit : elle cût donné fa
vie pour pouvoir chaffer tout le monde.
S. Ifle lui avoit dit qu'il ne fouperoit pas
ce foir-là chez elle , il étoit déja tard , il
pouvoit fortir fans qu'elle lui eût parlé.
Quelle fituation pour une femme qui fe
refpecte , qui fe craint , qui craint tous
les yeux , & qui fe fent obligée à plus de
réferve à mesure qu'elle éprouve plus d'agitation
!
Ce qu'elle avoit craint arriva en effet .
S. Ifle profita du premier moment favorable
pour fortir fans être apperçu. Son
départ fut le ſignal de la plus violente migraine.
On comprit qu'il falloit la laiffer
feule : peut-être en devina- t'on la raifon ,
car le monde fourmille de devins & de
prophetes.
Il ne doit pas être difficile de fe faire
une idée de la nuit qu'elle paffa. Elle étoit
perfuadée que S. Ifle la refpectoit de bonne
foi , & que c'étoit très-fincérement qu'il
lui avoit promis de fe contenter du don de
fon coeur. L'air de vérité répandu fur fes
traits , la franchiſe de ſes manieres , le
68 MERCURE DE FRANCE.
plaifir qu'il goûtoit à la voir , fembloient
garantir la folidité & la droiture de fes
promeffes . Cependant il venoit de fe contrarier
étrangement par fes difcours : il
paroiffoit deux façons de penfer dans le
même homme. Il avoit dir qu'un fcrupule
éternel étoit un obftacle infurmontable au
bonheur de l'amant même le plus tendre ;
penfoit- il réellement ce qu'il venoit de
dire ? S'il le penfoit , il n'y avoit plus pour
elle de fonds à faire fur fes fermens . Un
homme qui a de pareilles idées ne réſiſte
pas longtemps au cri de la nature .
Le jour la trouva dans la même agitation
, également incertaine de ce qu'elle
avoit à penfer & de ce qu'elle avoit à faire.
Il n'y avoit que l'objet de tant de trouble
qui pût ramener le calme , mais ce n'étoit
pas l'intention de l'adroit S. Ifle. Il revint
le lendemain & plus tard qu'il n'avoit jamais
fait . Il affecta de la trouver changée ,
& ne manqua pas de lui repréfenter qu'un
amour trop tendre prenoit fur fa fanté . Il
ne dit qu'un mot , & ce mot fuffic pour
allarmer un coeur dont la trifteffe commençoit
à s'emparer.
Elle lui demanda pourquoi il venoit fi
tard. Il répondit que malgré lui , il avoit
été occupé d'affaires importantes qu'il
avoit négligées le matin , parce qu'il ne
SEPTEMBRE . 1756. 69
s'étoit
pas couché de bonne heure. Vous
vous êtes donc beaucoup amufé à votre
Loupé , reprit- elle ; beaucoup , répondit-il,
du ton le plus ingénu . C'eft du moins
quelque chofe pour moi , que vous daigniez
l'avouer , fourfuivit- elle ; en pareil
cas on eft fouvent plus difcret..... Et vous
trouvez fans doute , qu'on l'eft trop , demanda-
t'il ? & tout de fuite , fans attendre
fa réponse ; que j'aime à vous voir une
façon de penfer fi noble & fi rare ! elle
feroit feule mon bonheur . Emilie fourit >
mais avec un férieux qui cachoit bien de
l'ironie. Qui aviez - vous en femmes , demanda-
t'elle ? La Marquife de *** , Artemife
, & Bélife , répondit-il, Au nom de
Bélife , Emilie pâlit ; S. Ifle avoit déja
parlé d'elle avec complaifance , en deux ou
trois occafions , & Emilie y avoit fait plus
d'attention qu'elle n'auroit voulu .
Ils furent interrompus par quelqu'un
qui s'étoit juftement trouvé à ce fouper
fatal . C'étoit un de ces hommes qui jugent
de tout fur les apparences , qui fe
permettent de tout dire , & qui ne diftinguent
point , parce qu'ils ne penfent pas.
S. Ifle fut fort aife de le voir arriver , il
fe promit beaucoup de fon bayardage , &
fes efpérances ne furent point trompées.
Placé , la veille , à côté de Bélife , & la
préférant à d'autres femmes pour l'amufe70
MERCURE DE FRANCE.
ment de la converfation & de la table , il
avoit eu pour elle des attentions , & la
compagnie n'avoit pas manqué de l'en
railler familiérement . Le bavard qui venoit
d'entrer s'en étoit mêlé comme les
autres , & fon premier foin fut de faire
revenir cette converfation devant Emilie ,
fans y entendre fineffe . S. Ifle pour qui
ce badinage étoit un coup décifif , fe défendit
avec un art admirable , c'eft- à- dire,
comme un homme convaincu devant fon
juge & à qui il ne refte pas la moindre
préfence d'efprit. Emilie avoit les yeux
fur lui. Quel coup de foudre pour elle !
Son accablement fut fi grand que S. Ifle
même n'y auroit pu réfifter s'il avoit été le
maître de fe livrer à fes mouvemens . Emilie
ne pouvant plus fe contenir , fut obligée
de paffer dans une autre piece , &
lorfqu'elle revint , il fut aifé à S. Ifle de
voir qu'elle venoit de pleurer .
Auffi affligé qu'elle , il auroit tout facrifié
au plaifir de la raffurer , & il auroit
tout perdu s'il l'avoit fait . Heureuſement il
furvint d'autres perfonnes , & le chagrin
d'Emilie parut fe diffiper. Devenu plus
tranquile , il comprit combien le dénouement
de cette intrigue dépendoit de fon
courage ; & pour l'accélérer encore , il
prit la réfolution d'être inexorable. Il
pouffa les chofes auffi loin qu'il le falloit,
SEPTEMBRE . 1756. 71
Emilie fe vit négligée , fe crut tráhie ,
n'eut plus que des penfées cruelles , & ne
connut plus que les larmes. Bélife ne lui
fortoit pas de la tête : elle étoit bien convaincue
que S. Ifle l'adoroit & ne la quittoit
plus ; dans fa prévention , elle le voyoit
auffi aimé qu'amoureux , ne vivant plus
que pour elle , ne fe fouvenant plus d'une
amante défefpérée , & fupportant à peine
des fers rompus.
-
Dans un de ces momens où la douleur
au comble réalife toutes les chimeres , elle
fe le repréfenta aux genoux de Bélife , la
conjurant de fe rendre à fes ardens défirs ,
& ayant dans les yeux cette impreffion de
plaifir qui naît de la certitude du fuccès,
Elle fe rappella alors ce qu'elle lui avoit
oui dire quelques jours auparavant touchant
l'amour défintéreffé , & qui lui avoit
fait faire de fi triftes réflexions . Ah ! s'écria-
t'elle , je n'avois que trop deviņé ,
l'ingrat m'avoit caché fon coeur ! La tendreffe
du mien ne pouvoit remplir fes
voeux ; il n'avoit voulu que faire une
épreuve , ou fe procurer un amuſement :
il ceffe de diffimuler lorfqu'il a réuffi .
Elle étoit un jour abîmée dans ces
fombres penfées . Préancour entra fans
être annoncé , & la furprit dans cet état.
Préancour étoit un de ces amis communs ,
12 MERCURE DE FRANCE.
qu'un excès d'eftime & de conformité
d'humeur rend médiateurs , & confidents.
Il fçavoit non feulement tout l'amour
qu'ils avoient l'un pour l'autre , mais
même les conditions de leur engagement.
C'étoit S. Ifle qui l'envoyoit : il
avoit fa leçon toute faite.
Dans quel état vous vois- je , lui dit-il
que fignifient ces larmes ! Elles fignifient
que je fuis la plus malheureufe perfonne
du monde , répondit- elle . Vous eftimiez
S. Ifle il n'eſt plus digne que de votre
mépris. De mon mépris ! reprit- il : cela
eft-il croyable ? Excufez , fi j'en doute : on
ne croit point ce qu'on ne conçoit pas. Ah ,
pourfuivic- elle , j'ai eu autant de peine
que vous-même à le croire. Un homme
que j'ai tant aimé, qui paroiffoit fi fincere ,
n'a pas dû trouver en moi un juge trop
prompt & trop févere.
1 .
Elle lui apprit alors fa jaloufie & les
raifons qu'elle avoit d'être jaloufe. Après
avoir exhalé fa douleur , elle lui demanda
s'il croyoit encore qu'elle eût tort. Je ne
fçais que répondre , lui dit -il . Vous pouvez
avoir raifon , vous pouvez avoir tort :
je crois pourtant que vous êtes fondée.
Mais en condamnant S. Ifle , je vois du
moins qu'il n'eft pas auffi coupable que
vous vous l'imaginez. Comment ? repritelle
SEPTEMBRE . 1756. 73
:
elle avec vivacité , vous le croyez infidele ,
& vous ne le trouvez pas criminel ? Ah ,
Madame ! répondit - il , je fçais ce que je
dis vous ne pouvez pas raifonner fur
cela comme moi . Je conviens que S. lfle
étoit engagé ; vous aviez fa parole , votre
tendrelle devoit l'enchaîner autant que
fes fermens vous êtes jeune & belle
Bélife ne vous vaut pas ; mais elle n'eſt
point incapable de foibleffe comme vous ,
& voilà la caufe évidente de fon triomphe.
La beauté fe fait adorer , mais elle féduit :
elle enflamme , elle donne des défirs , ce
font autant d'engagemens qu'elle prend &
qu'elle eft obligée de remplir tôt ou tard .
Si elle veut s'en difpenfer , elle a toujours
à craindre le refroidiffement ou l'infidélité.
Je vous entends , Monfieur , répondit-
elle affez féchement : j'aurois du penfer
comme Bélife , & me livrer ..... Je ne
vous dis pas ce que vous auriez dû faire
reprit- il . Je ne me mêle point de donner
des confeils Mais vous accufez mon ami
vous lui reprochez légèrement un crime
& je vous dis qu'il n'eft point auffi criminel
que vous vous l'imaginez. Au fur plus ,
Madame , pourfuivit il malicieufement
ce que vous croyez n'eft peut être pas vrai :
on fe fait fouvent des monftres . Je l'interrogerai
, fi vous voulez : je lui parlerai ;
Ꭰ
74 MERCURE DE FRANCE.
tout ce que vous n'aurez pas la force de
lui dire , je le lui dirai moi même vos
intérêts feront en bonne main . Non , Monfieur
, répondit-elle en fondant en larmes ,
je n'ai plus rien à lui dire , je n'ai plus qu'à
mourir. Je vous remercie de vos foins ,
j'ai trop compris combien ils me feroient
inutiles.
Il alloit continuer , S. Ifle parut. Venez,
Monfieur , lui dit Préancour , venez vous
défendre fi vous le pouvez , on vous atraque
vivement pour moi je me fauve ,
car je ne fçaurois tenir à ces chofes-là.
"
Préancour fortit . Emilie étoit dans un
fauteuil , la tête appuyée fur fa main
ayant un mouchoir fur les yeux . Que fignifie
tout ceci , lui demanda doucement
S. If aurois je le malheur de vous avoir
déplu ? Qu'avez vous , qu'ai -je fait ? Rien ,
répondit- elle , en tournant fur lui fes beaux
yeux ; vous n'avez rien fait dont je puiffe
me plaindre , vous ne pouviez pas prévoir
ce qui arrive , & je vous crois innocent.
Non , reprit il , en fe mettant à fes genoux
, je ne fuis plus innocent quand vous
verfez des pleurs ; l'amour m'accufe , je
devois tout prévoir ; mais de quoi eft-il
donc queftion , qu'eft il arrivé ? Rien que
de très - naturel , répondit - elle , vous m'aimiez
, vous ne m'aimez plus , c'eft un malSEPTEMBRE.
1756. 75
heur pour moi ; mais j'y fuis fenfible fans
vous en accufer : j'avois trop exigé de
vous. Ah ! Emilie , reprit S. Ifle , il faudroit
pour ne vous plus aimer , qu'il fe fût
fait un prodigieux changement en moi.
D'où peuvent vous venir ces injuftes idées ;
par où ai-je pu mériter qu'elles entraffent
dans votre efprit. Je vous répete que vous
n'avez aucun tort , lui dit- elle : foyez donc
très tranquille. Je fouffrirai , je vivrai dans
les larmes , mais je ne vous ferai jamais
aucuns reproches ; & lorfque vous ne daignerez
plus me voir , lorfque vous m'aurez
entiérement oubliée dans les plaifirs
d'une nouvelle chaîne , mes larmes n'iront
pas vous chercher pour troubler votre bonheur.
Ah ! dit- il , en lui baifant tendrement
la main , pourroit- il y avoir un bonheur
pour moi que vous ne partageriez
point. Mais je n'entends que trop ce que
vous craignez de me dire. Vous avez ouvert
votre coeur à la jaloufie : c'eſt à moi
de deviner , de m'accufer , de me juger ;
l'honneur & l'amour m'en impofent également
la loi , je dois leur obéir . Chere
Emilie , il n'eft point vrai que je vous fois
infidele , tout mon coeur eft encore à vous.
Vous me verriez plus trifte , plus troublé ,
fi j'avois le malheur de ne vous plus aimer.
Il n'y a que vous qui puiffiez me faire ce
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
bonheur qui remplit le coeur d'un amant.
Après cet aveu je ne vous diffimulerai pas
ce qui m'eft arrivé depuis quelques jours.
Vous fçavez les conditions que vous m'avez
impofées , je m'y fuis foumis aveuglément
: je ne voulois qu'être heureux , je
l'étois ; je ne faifois point de réflexions.
J'aurois toujours penfé de même , fi je n'avois
pas vu Bélife : j'ofe la nommer , parce
qu'il me femble que m'ouvrir entiérement,
c'eft prefque me juftifier . Bélife a des principes
moins refpectables que les vôtres . Je
lui ai plu fans fonger à lui plaire . Ce goût
pour un homme qui ne cherchoit pas à lui
en infpirer , l'a rendue careffante , vive ,
féduifante enfin . Elle a voulu m'enflammer
, elle n'y a pas réuffi : elle n'a rien diminué
de ma tendreffe , mais elle a altéré
mon innocence. Malgré moi , j'ai fenti
que je n'étois plus également heureux : j'ai
fouhaité de la voir , j'ai craint votre préfence
, j'ai rougi de me trouver fi différent
de moi-même ; & dans la confufion de ce
changement , j'aurois donné ma vie pour
retrouver ma premiere vertu , ou pour
vous rendre votre premiere indifférence .
Voilà l'état où je me trouve. Je ne m'explique
pas mieux ; j'aurois honte de répandre
un plus grand jour fur un caprice
qui me donne des remords. J'ofe du moins
SEPTEMBRE . 1756 . 77
vous protefter que vous êtes encore la maîtreffe
abfolue de mon coeur. Bélife m'inf
pire des défirs , vous m'infpirez des fentimens.
Je ne fuis donc pas infidele , je ne
fuis criminel ; mais c'eft affez pour
que
être indigne de vous : auffi n'aurai - je pas
la témérité d'attendre que vous m'appreniez
mon devoir. Après l'aveu que je viens
de faire , je dois fçavoir que mes foins
vous outrageroient : ils vous feroient toujours
fufpects , malgré moi- même ils feroient
intéreffés ; je ne pourrois m'empêcher
de me plaindre & peut- être de vous
offenfer ... Cette idée renferme mon arrêr,
je n'ai plus qu'à vous fuir , & c'eft le parti
que je vais prendre .
Il étoit aux genoux d'Emilie , il fe leva .
Quelque coupable que je puiffe vous paroître
, lui dit- il , d'un ton mal affuré
j'ofe efpérer que vous ne me haïrez point.
Si vous n'aviez pas été fi vertueufe , mes
defirs n'auroient point été des crimes , &
nous euffions goûté dans une tendreffe
éternelle des plaifirs qui vous auroient
charmée vous-même . Il appuia alors fes
levres fur la main d'Emilie . Que je vais
Vous regretter , reprit il ! le plaifir fuffirat'il
pour remplir le vuide d'un coeur à qui
vous étiez fi néceffaire ? Je vous quitte bien
moins que je ne vous perds : je m'immole
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
à mon refpect , & le courage dont j'ai
befoin , me fait fentir toute la perte que
je fais ..... Il fembloit toujours qu'il alloit
partir , il ne partoit point : il attendoit la
réponſe d'Emilie. Voyant qu'elle ne diſoit
pas un mot , Adieu , Madame , pourfuivit-
il , en faiſant ſemblant de s'effuyer les
yeux . Vous ne répondez rien , & j'explique
votre filence . Mes difcours , ni mes
remords ne fçauroient vous toucher , c'eſt
du moins une confolation pour moi , de
penfer qu'une féparation qui me coûtera
chaque jour des larmes , ne vous coûtera
pas même des regrets... Ah , cruel ! lui dit
enfin Emilie , vous voulez me faire mourir.
Que vous ai -je fait ? pourquoi me perfécuter
? pourquoi ..... Ah , S. Ifle , qui
m'eût dit que je vous perdrois , que vous
ne vivriez plus pour moi ! ... Je voudrois ,
répondit il , pouvoir me conferver à vous,
il n'eft point de bonheur qui fût égal au
mien. Pourquoi faut- il que vous vous faffiez
refpecter par l'amant même que votre
vertu défpere ? Mais quoi , reprit- elle , eftce
un mal fans remede ? Seroit- il impoffible
que ma tendreffe vous fuffit ? Ah, S.Ifle,
vous ne fçavez pas combien je vous aime !
vous ignorez... Je fçais combien je vous
aime moi- même , répondit- il : tout le charme
de votre amour eft dans l'excès du
SEPTEMBRE. 1756. 79
mien. Malgré cela , je ne ferois plus parfaitement
heureux . Je me connois , je me
fens , je fubis toute la rigueur des caprices
de la nature. Je voudrois vainement
me fouftraire à fes loix impérieufes ; l'efclave
enchaîné par un tyran , n'a plus qu'un
courage inutile. A ces mots , il lui baifa
encore la main longtemps . Adieu , lui ditil
, je refte trop auprès de vous , je m'attendris
trop , je fens que je vous expofe ,
il est temps que je fuye... Il partoit . Un
mouvement d'Emilie le ramena à fes
genoux
, il profita de l'aveu le moins fufpect.
Sa témérité fut fi prompre qu'elle lui fauva
les reproches , & que fon bonheur en fut
le prix .
ÉPIGRAM M E.
Milord Craff, l'autre jour chez un Marquis
François ,
Difputoit avec véhémence
Sur la grandeur & la puiffance
Qui caractérisent les Rois.
Brunſwick doit fur le vôtre avoir la préférence ,
Dit l'Anglois au Marquis ; car il tient la balance.
Mais , répond le François , Louis y met les poids.
Div
So MERCURE DE FRANCE.
VERS
A Son Eminence Monfeigneur le Cardinal
de Luynes , Archevêque de Sens , Premier
Aumônier de Madame la Dauphine.
Prélat illuftre , autant qu'aimable ,
Toi , que chérit le Dieu des chaftes foeurs ,
Toi , qu'un mérite véritable
Vient de placer au faîte des grandeurs ;
De Layne , fois l'appui d'une muſe timide :
L'efpoir lui promet l'agrément ,
Si le fage efprit qui te guide
Trouve qu'elle a rempli fon fujet dignement.
L'HOMMAGE rendu à la Ste Vierge ,
par Monfeigneur le Dauphin & Madame
Marie Jofephe de Saxe , Dauphine , à
Chartres.
Que
OD E
Ue vois-je ! ... quel brillant fpectacle
Ravit , furprend l'humanité !
Je vois du facré Tabernacle
Sortir une Divinité ! ...
Ayez plus d'amour que de crainte ,
SEPTEMBRE. 1756 . 8 1
Peuples : c'eft la piété fainte
Qui vient , fur l'aîle des efprits ,
Vous montrer deux Epoux fideles ,
De la vertu les vrais modeles ,
Jofephe de Saxe & Louis,
Loin d'ici perfide héréfie ;
Aux regards de la piété
Se renverfe l'Idole impie :
Tu rentres dans l'obfcurité .
Que peut ton impuiſſante rage ,
Quand de Saxe vient rendre hommage
A la Reine de pureté ?
Fuis , erreur , fuperbe ennemie :
Quand Louis Dauphin s'humilie ,
Il détruit ton autorité.
Vains fcrutateurs de tout Myftere ,
Enfans de l'incrédulité ,
Préférerez -vous la chimere
A l'adorable vérité ?
Soumettez-vous à cet exemple ;
Louis , de Saxe , dans fon Temple
Prouvent votre témérité ,
Et marquent quelle eſt la diſtance
Entre la terreftre puiffance
Et la célefte majeſté .
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
Grandeur , faux charme de la vie ,
Séduifez le foible mortel ,
Qui de la même main impie
Encenfe le Trône & l'Autel :
Fils d'un Héros que tout revere ( 1 ) ,
Louis profterné nous éclaire :
Ainfi Conftantin autrefois
Quittoit le Sceptre & la Couronne ,
Et du Souverain qui la donne ,
Prenoit en main le facré bois.
A Louis s'unit la Princeffe ,
Pour nous elle implore les Cieux :
Quelle douceur ! quelle nobleffe !
La vertu brille dans fes
yeux .
Grand Dieu ! c'eft ta plus digne image ;
Et qui lui refufe l'hommage ,
Infulte à ta Divinité ;
Puifque ta fageffe repoſe ,
Dans fon coeur , où l'amour difpofe
Mille Autels à ta fainteté .
Chartres , tu vois tous ces miracles ;
Et Fleury , ce Prélat heureux ,
Te prouve qu'il n'eft point d'obftacles ,
Quand il faut répondre à tes voeux.
Quelles Villes te font égales ...
· (1) Louis XV.
SEPTEMBRE . 1756. $3
Qu'ils foient écrits dans tes annales
Ces jours fortunés & chéris ,
Et qu'à jamais dans ton hiftoire ,
On life , gravés par la gloire ,
Les noms de Saxe & de Louis.
SUR LA NOBLESSE.
A M. le C ... de ...
E m'attendois bien , Monfieur , que vous
ne prendriez pas fi - tôt votre parti , & votre
indétermination ne me furprend point.
L'Ouvrage de M. l'Abbé Coyer fur la
Nobleffe Commerçante , celui de M. le
Chevalier d'Arc fur la Nobleffe Militaire ,
laiffent l'efprit dans cet état flottant qui
caractériſe l'embarras du choix . Tel eft
l'effet que doit produire une controverfe
auffi bien maniée , quoique dans des goûts
différens . Vous ne me dites mot des Obfervations
du Parlement de Dauphiné :
fouhaiteriez- vous , comme moi , de voir
auffi celles des Parlemens des Provinces
Maritimes. J'en excepte celui de Languedoc
, où les ports de mer ne font pas un
objet.
Il n'y a guere de fujet fur lequel on
ait tant écrit que fur la Nobleffe : il y en a
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
peu où l'on fe foit donné de fi étranges
licences. Comment les Généalogiftes auroient-
ils pu fe tenir toujours en garde
contre les prétentions , & ne pas fe dédommager
de la féchereffe extrême qui
eft attachée à leur travail , en fe livrant
aux pieges féduifans qu'on n'a jamais ceſſé
de tendre à leur fincérité ? Chaque Province
a fon nobiliaire : ce font la plupart
des compilations ( 1 ) informes . Les Dictionnaires
Hiftoriques fourmillent d'articles
Généalogiques , qui en ont multiplié les
volumes & les ont rendus pour le moins
fort incommodes par leur groffeur.
Philofophiquement parlant , les premiers
Nobles ne peuvent être que ceux
qui fe font tirés de l'égalité naturelle par
la force , par la richeffe ou par le mérite.
Chez les peuples du Nord , les perfonnes
diftinguées ne fçaveient que fe battre
& chaffer. Les Romains avoient du mépris
pour cette derniere occupation ; mais elle
faifoit furtout les délices des Francs , qui
plongés dans une profonde ignorance , fe
réfervoient en vainqueurs ce qui fattoit
leur goût , l'ufage des armes , & laifferent
aux vaincus ( les Romains & les Gaulois )
tout ce qui étoit relatif aux lettres . Ce fut
en vain que les diftinctions furent enfuite
(1 ) Tout Nobiliaire doit être hiſtorique.
SEPTEMBRE. 1756. 85
accordées à l'exercice des loix : l'efprit de
la Nation fut inébranlable fur ce principe ,
& la prééminence refta toujours à l'exercice
des armes .
On doit donc en France attribuer l'origine
de la Nobleffe aux Vainqueurs , qui
furent les Francs , tandis que les Gaulois
affujettis au tribut qu'exigeoient les Empereurs
, ne firent que changer de Maîtres
& refter dans les rôles nommés Defcriptiones
Rotuli. C'eft de ce dernier mot qu'eft
fans doute formé celui de Roturiers , Ro
tularii. Il n'eft pas fans vraiſemblance que
certains riches Gaulois ou Romains , habitans
dans les Gaules , s'attachant à la
perfonne du Prince , & le fuivant à la
guerre , n'ayent joui du privilege des Vainqueurs
. Du mot latin Comites , Compagnons
, on a fait infenfiblement le mot de
Comtes qui eft devenu un titre . L'exemption
de la taille en faveur de la Nobleffe ,
n'eſt pas une diftinction , c'eft une juftice
dûe au fervice dont la Nobleffe s'eft toujours
fi bien acquittée dans le Royaume.
Auffi François premier , dans une Ordonnance
pour des fubfides extraordinaires
dont il exemptoit les Nobles , fondoit cette
exemption fur deux motifs ; l'un , que fes
Nobles défendoient le Royaume ; l'autre ,
que leurs revenus qu'ils prodiguoient aux
86 MERCURE DE FRANCE.
frais de la guerre , y fuffifoient à peine.
Nous avons auffi dans le Royaume une
forte de Nobleffe dont les fources font ,
ou les privileges attachés à certaines Charges
de la Robe , ou les Lettres d'ennobliffement
par les Souverains , ou l'ufurpation
. Il n'y a que cette derniere Nobleffe
qui foit abufive. L'introduction des deux
autres eft relative aux befoins de l'Etat.
Ce font des reffources qu'il s'eft préparé
pour remplacer tant d'anciennes Maifons
qui s'éteignent ( 1 ) .
Il a été un temps où l'épée & la robe
n'ont point fait deux états diftincts , parce
que l'adminiſtration de la Juftice & la Nobleffe
ou Chevalerie , n'étoient point féparées
chez les anciens François ( 2 ) , &
que les Loix Saliques défendoient de quit .
ter l'Ecu , même en rendant la Juftice dans
les Plaids (3 ).
(1 ) A Veniſe on crée de temps en temps de
nouveaux Nobles pour réparer les anciennes familles
qui s'éteignent . Sans cette précaution l'Oligarchie
prendroit bientôt le deffus fur l'Ariftocratie.
(2 ) En Italie , dans ce qu'on appelle le moyen
âge , les Podeftats qui étoient choifis parmi la
plus haute Nobleffe , commandoient les troupes, &
rendoient eux-mêmes la Juftice à leurs Citoyens.
Voyez Muratori , Ant. Ital. medii avi , &e,
(3 ) On nommoit ainfi l'Affemblée tenue par le
SEPTEMBRE . 1756. 87
Les Romains , comme l'on fçait , ne
connurent point cette diftinction de l'épée
& de la robe. Il eft vrai que l'Empereur
Gallien interdit la milice aux Sénateurs ,
craignant que l'éclat de leur dignité , joint
au commandement des troupes , ne leur
donnât plus de facilité pour envahir là
puiffance fuprême . Ce fut donc alors que
s'établit dans l'Empire une distinction inconnue
jufques- là , & les gens d'épée firent
un état féparé des gens de robe .
En France , les guerres exceffivement
deftructives fous la feconde Race , & l'autorité
que s'attribuerent les différens Seigneurs
au commencement de la troifieme ,
rendirent l'exercice des armes fi néceffaire
& fi général , qu'il en réfulta une négligence
totale des lettres. C'eft alors que les
ténebres les plus épaiffes fe répandirent
principalement fur les Généalogies. Delà
vint qu'on fut obligé dans la fuite de fe
contenter de la preuve par témoins de la
filiation & nobleffe de ceux qui fe préfentoient
pour être admis aux Tournois.
Les Nobles fe trouvant donc plongés
Roi pour rendre la Juftice dans les lieux ouverts
& publics , en plein champ , fous des arbres , ou
devant la porte d'un Château. Ce mot vient de
Placita. Les Seigneurs particuliers en tenoient
auffi qu'on nommoit Affifes.
88 MERCURE DE FRANCE.
dans l'ignorance , les Roturiers profiterent
de cette conjoncture : ils étudierent la Jurifprudence
; & s'étant rendus capables, ils
furent élevés aux Charges. Ce fut fous
Saint Louis que des Gens de Lettres commencerent
d'être admis aux Séances de ces
Parlemens , dans lefquels des Chevaliers
qui fçavoient à peine lire , décidoient fouverainement
de la fortune des particuliers .
La conftitution de l'Etat , où les Vaffaux
les plus puiffans confervoient encore
une grande autorité , ne permit pas que
cet ufage fût d'abord reçu généralement.
En 1498 , Louis XII fit une Ordonnance
par laquelle les Baillifs & Sénéchaux
devoient être gradués , attendu que
la juftice ne pouvoit raifonnablement être
adminiftrée par des hommes de guerre ,
qui n'avoient aucune connoiffance des
loix. Cette Ordonnance n'eut pas un grand
effer , & ces Guerriers gradués n'en étoient
pas moins ignorans. C'eft apparemment
dans ces temps-·là que s'introduifirent les
titres de Chevalier en loix , & de Bachelier
en armes . Quoi qu'il en foit , l'abus de l'adminiſtration
de la juftice par les Seigneurs
étant devenu exceffif , Charles IX
la leur ôta en 1560 , & elle fut confiée à
leurs Lieutenans , qui étoient hommes de
Lettres & Gradués .
L
SEPTEMBRE . 1756. 89
Quand les Nobles , ceux même de la
plus haute naiffance furent privés de cette
belle prérogative de leur état , les Souverains
furent obligés d'accorder le titre
de Noble , & d'agréger au Corps le plus
refpectable du Royaume , ceux qui , par
leur attachement pour lui , par
› par leur fçavoir
, par leur mérite , étoient parvenus à
le repréfenter dans l'adminiftration de la
juftice . Pouvoient- ils s'en difpenfer , &
ne pas décorer des Corps pour lefquels le
peuple doit avoir tant de refpect , tant de
confiance ? L'ancienne Nobleffe murmura
un peu de cette nouveauté , & il faut convenir
qu'elle n'a pas encore fupprimé les
marques de fon dépit. Mais comment prétend
- t'elle que les premieres Magiftratures
chargées du dépôt & de la manutention
des Loix & des Coutumes du Royaume ,
placées entre le Souverain & les Sujets ,
organes des volontés de l'un & des befoins
de l'autre , ne foient point décorées de
prérogatives ? Veut- elle que ce foient des
Bourgeois , des Roturiers qui décident
fouverainement de leur fortune , quelquefois
de leur vie , & qui repréfentent le
Souverain ?
Quant aux Lettres d'ennobliſſement , ce
fut Philippe le Hardi qui accorda les premieres
à un Orfevre , nommé Raoul . Les
90 MERCURE DE FRANCE.
Souverains uferent d'abord avec beaucoup
de réferve de cette maniere de faire
des Nobles. Mais à mefure que les fciences
reprirent un nouveau luftre fous François I,
les honneurs & les prérogatives de la Nobleile
furent moins ménagés, peur être mê
me un peu prodigués aux Gens de Lettres.
Ce Prince paffant à Toulouſe en 15 3 3 , accorda
aux Docteurs- Regens de l'Univerfité
de cette Ville le privilege ( 1 ) « de
و ر
ور
créer , ériger , & promouvoir à l'Ordre
» de Chevalerie , ceux qui auroient ac-
» compli le temps d'étude & réfidence en
» ladite Univerfité , ou autres qui feront
» par eux promus & agrégés au dégré Doc-
» toral & Ordre de Chevalerie . »
Un Duc de Lorraine ennoblit un Bourgeois
de Bar en 15 54 , pour lui avoir don
né deux chiens de chaffe.
Jufques là les Souverains s'étoient contentés
de faire des Nobles. Charles -Quint
voulut faire un Gentilhomme ( 2 ) : il accorda
à un Bourgeois , homme de mérite
nommé George Sabin , la Nobleffe de quatre
degrés , tant paternels que maternels ,
même de Chevalerie , & voulut qu'il fût
(1 ) Voyez , Hiftoire générale de Languedoc ,
Tome V.
(2) Dans l'idée communément reçue , le Gentilhomme
eft le petit- fils de l'ennoblį.
SEPTEMBRE . 1756 . 91
reconnu tel de tous les Etats de l'Empire ,
& qu'il jouît, lui & fa poftérité , de tous les
privileges des anciens Nobles Militaires.
>>
Je n'ai plus qu'un mot à dire de la Nobleffe
ufurpée . Ce n'eft pas d'aujourd'hui
qu'on fe plaint de cette ufurpation . Brantome
, dans l'Eloge de Charles VIII , parlant
de la différente façon de fe faire recevoir
Chevalier, ajoute : « Et auffi qu'aujourd'hui
l'on fe difpenfe affez d'ailleurs
pour fe faire Chevaliers , que les moin-
» dres fe créent d'eux mêmes fans aller au
» Roi , deforte qu'on peut dire qu'il y
» a aujourd'hui plus de Chevaliers tels
quels , & de Dames leurs femmes , que
jadis il y avoit d'Efcuyers & de Damoi-
» felles . Tant eft grand l'abus parmi la
» Chevalerie. »
93
ور
ور
Montagne parlant des Chevaliers dont
la diftinction étoit de porter des éperons
dorés , ajoute : « Et l'Ecuver les portoit
» blancs , ne lui étoit loifible les porter
» dorés. Maintenant le Roturier les
por-
» te ; tant tout ordre ancien & bon à été
» peu peu abattu , & des défordres la
» confufion , mere de toute licence , eft
» entrée en regne par tolérance . ».
و ر
D. L.
A Vauréas , le 21 Juin 1756 .
a
92 MERCURE DE FRANCE.
VERS.
Sur la prise du Fort S. Philippe ( 1 ) .
Fiers Anglois ! avides Corfaires !
Fléaux des Mers ! Peuples ingrats !
Notre Monarque eft enfin las
De vos procédés téméraires ,
Et vous allez fentir la force de fon bras.
C'eft en vain que dans S. Philippe
Vous vous êtes réfugiés ;
Il frappe votre orgueil tout à coup fe diffipe
Sur les débris fanglans de vos murs foudroyés.
A quoi fert la valeur fans moeurs & ſans juſtice ›
L'univers indigné fait des voeux contre vous.
De vos crimes , voiſins jaloux ,
Il eft temps que l'on vous puniffe ; -
C'est ce qu'ont fait nos premiers coups.
Nous fecondons du Ciel la vengeance fuprême ;
Et nous fommes certains de vous donner la loi ,
Quand nous combattons pour un Roi
Que nous aimons & qui nous aime.
Pour moi , j'avourai hautement
( 1 ) Ces Vers ont été faits ¿ préſentés une demiheure
après la nouvelle de cet événement , à M. le
Marquis de Paulmy , qui étoit pour lors à Dunkerque
, où le Régiment de Poitou , dans lequel fert
l'Auteur , étoit en garnison.
SEPTEMBRE . 1756. 23
Que je voudrois un jour au ſein d'Albion même ,
De tout mon fang verfé fceller ce fentiment.
Le Chev. DE PIERRES , de Fontenailles.
VERS
Sur la Conquête de Port- Mahon.
Richelieu venge enfin l'injure
Que nous a faite une race parjure.
Elle a vu de ſes bataillons ,
Le fang inonder fes fillons.
Elle a vu fon Efcadre fiere ,
Fuir devant La Galiffonniere ,
Et le Neveu du grand Armand
Auffi vigilant qu'intrépide ,
Braver par un affaut rapide ,
Les vains fecours d'un nouvel armement.
Elle a yu l'éclatante foudre ,
Réduire fes rochers en poudre ,
Nos Drapeaux flottans fur fes Forts ,
Appeller triomphans, nos Vaiffeaux dans fes Ports
Que de travaux confacrés à la gloire
Que d'exploits dignes de mémoire ,
De nos troupes pleines d'ardeur ,
Ont à Minorque illuftré la valeur !
94
MERCURE DE FRANCE .
D'un jufte courroux animée ,
L'ombre de Jumonville ( 1 ) erre dans notre Armée
:
Son fang qui coule encor , parle à chaque Soldat ,
Et l'excite à punir un lâche affaffinat.
Elle- même en ces mots s'exprime :
« J'allois fommer par un droit légitime ,
» L'Anglois d'abandonner un projet clandeftin ;
>> Sur fon front la terreur s'imprime ;
» La Perfidie enfantoit un deffein .
>> Feignant de m'écouter , on me perce le fein » .
Elle dit : & bientôt cent bras , vengeurs des crimes
,
A cette ombre plaintive immolent cent victimes.
Contente , elle s'appaife alors ,
Et les fuit jufqu'aux ſombres bords.
Les enfans d'Albion , en forme d'Hécatombe ,
Defcendent ainfi fous la tombe .
Jufques à quand , nous préparant des fers ,
Ces maîtres prétendus des mers ,
Que la feule audace autorife ,
( 1 ) Toute l'Europe fçait que cet Officier fut envoyé
par fon Commandant en Canada , pour ſommer
les Anglois d'évacuer un Fort qu'ils occupoient fur
les terres du Roi ; & que , malgré le caractere dont
M. de Jumonville étoit revêtu , & qui devoit rendre
fa perfonne inviolable , les Anglois , comme il
lifoit l'écrit qui contenoit fa Miffion , firent une décharge
fur lui & fur fa petite troupe , qu'il y fut
tué , & jix oufept autres.
SEPTEMBRE. 1756. 95
Oferont- ils des bords de la Tamife ;
Au fein des révolutions ,
Dicter des loix aux Nations ?
*
vous , qui dominez le Danube & le Tage !
Qu'à Louis pour jamais un ſaint noeud vous engage.
La publique tranquillité
Sera le glorieux partage
De ce lien fi long- temps fouhaité.
Contre cette Puiffance altiere ,
De tous vos intérêts n'en compoſez plus qu'un ,
Et pour calmer l'Europe entiere ,
Lancez vos traits fur l'Ennemi commun .
Sinon , vos Ports , vos Villes , vos Rivages ,
En proie à tous les brigandages ,
•
Par des procédés inhumains ,
Pafferont bientôt dans fes mains.
*
Mais , quoi mes fouhaits s'accompliffent.
Les Lys & l'Aigle enfin s'uniffent :
Léopold l'avoit défiré .
Lorſqu'à Rifwick , la Paix qu'on eſpéroit à
peine ,
Defcendit fur un char des Graces entouré ,
Miniftre de Louis , Villars fut à Vienne.
L'Empereur , jaloux de fa foi ,
96 MERCURE DE FRANCE.
Lui dit , ( 1 ) dès qu'il le vit paroître :
Nous voilà bons amis & votre Maître & moi ;
» Ah ! s'il ſe peut , ne ceffons point de l'être,
Lorfque la Difcorde en courroux
T
A foufflé fon poiſon fur nous ,
Pour de foibles fecours , à des Princes avides ,
4flies to jours dangereux
Nos prodiguent les fubfides,
» A tous ces pas onéreux ,
» Ils fçavent même nous contraindre ;
» Pear vaincre ou fe defendre , il faut tout raf
>> ſembler.
>> Tels Etats alors fe font craindre ,
» Qui devant nous devroient trembler.
» Leur Milice mal aguerrie ,
» Et que n'anime point l'amour de la Patrie ,
» De nos fujets trop fouvent fuit les pas ,
»Pour être feulement témoins de leurs combats.
» De nos diffenfions les fuites ordinaires ,
» Sont du moins d'enrichir des Troupes mercenaires.
» Si contre toute intrigue à jamais prémunis ,
» Nous étions conftamment unis ,
» Nous verrions ces puiffances mêmes ,
>> Se conformer à nos décrets fuprêmes ;
(1) L'Auteur tient cette particularité de M,
l'Abbé Baillard , à qui M. le Maréchal de Villars
la raconta enfe promenant avec lui à Petit-Bourg
en 1710.
» Et ;
SEPTEMBRE. 1756. 97
» Et , pour combler tous nos fouhaits ,
» Régner une éternelle paix » .
*
Ainfi parla ce Prince véridique ,
Source de fentimens par le ciel infpirés
Mufes , dans vos faftes facrés ,
Gravez de Léopold le difcours hér ›ïque.
Son fang , la fiile des Céfars ,
Qui , d'un grand Roi , fur elle a fixé les regards ;
Avec lui va mettre en pratique
Cette divine politique.
Par un autre Monarque ils feront fecondés ,
Et mes préfages font fondés
Sur le zele pur qui l'enflamme ;
Le repos des mortels touchera fa grande ame.
Ainfi ces fages Potentats ,
Eteignant le feu de la guerre ;
Réprimeront les attentats
Des Tyrans qui voudroient envahir leurs Etats.
Jadis les Enfans de la terre ,
Ancelade , Ægeon , Titans audacieux ,
Conçurent le deffein d'efcalader les Cieux.
Minerve, Jupiter , & le Fils de Semele ,
Şuffirent pour dompter cette Troupe rebelle.
Cette Piece eft de M. Tanevot : elle a é é
imprimée à Compiegne chez Louis Berır nd,
Libraire-Imprimeur du Roi & de la Ville
E
98 MERCURE DE FRANCE.
་
Nous aurions pu , fuivant la regle , nous
borner à l'annoncer ou à ne l'extraire qu'en
partie dans les Nouvelles littéraires , mais
nous avons préféré de l'inférer toute entiere
dans cet article . L'Auteur & l'ouvrage nous
ont paru mériter cette diftinction.
Les vers fur cette priſe , nous font venus
avec tant d'abondance que nous pouvons
dire que c'eſt un vrai débordement ,
& qu'ils en portent le caractere , c'est -àdire
, qu'ils entraînent avec eux beaucoup
de limon. Cette double raifon nous oblige
d'y mettre une digue. Pour continuer
la figure, nous avons puifé , dans le torrent,
les moins bourbeux . Par malheur , il en
reſte encore de quoi remplir trois volumes
complets. Les Auteurs des pieces rejettées,
nous taxeront de trop de rigueur , mais
nous craignons encore plus que le Public ne
nous blâme de trop d'indulgence. Les premiers
auront beau crier qu'on doit accueillir
dans cette occafion le zele comme le
talent , & tout pardonner en faveur du
fujet. Nous penfons tout au contraire que
plus le fujet eft intéreffant , plus il doit
être traité avec diftinction , & que c'eſt
en quelque façon avilir nos conquêtes que
de les célébrer par un déluge de mauvais
vers. Voilà furtout le cas où l'abondance
ne remplace pas la bonté.
SEPTEMBRE. 1756 . 99
VERS
Sur leTraité d'Alliance entre le Roi de Fran
ce & l'Impératrice , Reine de Hongrie.
LAA nature , en formant & Thérefe & Louis ,
Voulut par leurs vertus éprouver la puiffance :
Chef-d'oeuvres de ſes dons , une heureufe Alliance
Devoit forcer le fort à les voir réunis.
Par M. DE LANEVERE , ancien Moufque
taire du Roi.
A Dax , le 10 Juillet 1756.
LEE mot de l'Enigme du Mercure d'Août
eft Front de fortification Celui du Logogryphe
et Ricochet , où l'on trouve Rote
écho , ire , rot , riche , Hero , lo , lo , ré
croche , cire , roch , Coire , cor , rocket
cric , oie , coche , cocher , ortie & ør.
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
ENIGM E.
Sans être poule j'ai mon coq ;
J'ai mon cordon fans être fous le froc ;
J'ai mon fufeau , j'ai mon aiguille
Sans être ni femme , ni fille.
Mais j'en dis trop pour un Lecteur madré :
Tu me connois déja , ſans doute ?
Pas encor : eh bien ! écoute :
Sans être fou , j'ai le cerveau timbré ,
Et j'ai ma clef ſans être voûte .
LOGOGRYPHE.
A la prolixité je dois mon exiſtence :
Ce
Lecteur , je fuis de mots une furabondance.
Combine mes neuf pieds , tu trouves fans effort
que cherche un Héros en affrontant la mort ,
Et qu'au prix de fon fang fort fouvent il achete :
Des oifeaux le plus vain : la plus ftupide bête :
Un morceau délicat logé dans fon étui ,
Qu'Anubis en jappant dit n'être dû qu'à lui :
Un terme injurieux piquant & fatyrique ,
D'Iris en négligé trop mordante critique :
Celui qui , difpofant d'un fouffle impétueux ,
Eleve & fçait calmer des flots tumultueux :
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY .
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS,
CHANSON
ur la Prise du Port Mabon .
Ces braves Insulaires quisont qui fontsur
ner les corsaires Ailleurs ne tiennent guer
res;Le Port Mahon estpris, il estpris , il est
ris, il estpris, ilestpris, Ils en sont tous sur:
pris, Il estpris il estpris ! Ces forbans d'angle
terre, Cesfou : ces fou: ces foudre de guer=
eSurmer come sur terre desquils sontcombat
is, sontbattus, sont battus,sontbattus,sontbattis
Mois de 7bre 1756.
SEPTEMBRE . 1756. 101
Un Royaume d'Eſpagne , un grand Pape , une
Ville
Connue à l'embonpoint d'un peuple volatile.
Dans mon fein , j'en rougis , je porte un ſcélérat ;
Le plus parfait qui fût fous le Triumvirat.
La plus noble motié de tout ce qui refpire ,
Qui feule des François peut gouverner l'Empire :
Un difcours mefuré , fublime , harmonieux ,
Appellé mille fois le langage des Dieux :
Ce qui fait d'un concert toute la mélodie.
C'en eft fait. Je finis par une maladie.
O malheureux effet de fon impreffion !
Je me trouve fans voix , fans refpiration.
Par M. R. à Doulens. •
CHANSON
La meilleure qu'on ait faite fur la Prife de
Mahon. Par M. Collé.
CEs braves
Infulaites .
Qui font , qui font fur mer les Corſaires ,
Ailleurs ne tiennent gueres ;
Le Port-Mahon eft pris.
Il eft pris. ( 3 fois. )
Ils en font tous furpris
Il eft pris , il eft pris !
Ces forbans d'Angleterre ,
Ces fou- ces fou- ces foudres de guerre ,
E inj
102 MERCURE DE FRANCE.
Sur mer comme fur terre ,
Dès qu'ils font combattus ,
Sont battus. ( 3 fois . )
Anglois , vos railleries ,
Ces traits , ces mots , ces plaifanteries
Seroient- elles taries ?
Seriez-vous moins plaifant
A préfent ? ( 3 fois. )
Raillant ou combattant ,
L'Anglois vaut tout autant
Avec les mêmes graces ,
Il rit , défend & nous rend fes Places
Ses bons mots , les menaces
Ont le même fuccès
A peu près. ( 3 fois. )
Beaux railleurs d'Angleterre ,
Nogent ( 1 ) , Melun , le coche d'Auxerre ;
A vos Vaiffeaux de guerre
Ont pendant cet été
Réfifté. ( 3 fois. )
Ils les ont maltraités ,
Ils les ont écartés :
Notre flotte d'eau douce ,
Vous voit , vous joint , combat , vous repouffe ,
Et jufqu'au moindre mouffe ,
Tout eft fur nos Vaiffeaux
Des Héros. ( 3 fois . )
(1)Noms que les Anglois ont donné à nos Vais
feaux par dérifion
SEPTEMBRE . 1756. 103
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
Suite des RÉFLEXIONS fur les trois premiers
Tomes de l'Hiftoire de la Ville & de
tout leDiocèſe de Paris , par M. l'Abbé
Lebeuf, de l'Académie Royale des Infcriptions
& Belles - Lettres ; pourfervir d'éclairciffement
& defupplément aux Nouvelles
Annales de Paris ; par Dom Touffaint du
Pleffis , Religieux Bénédictin de la Congrégation
de S. Maur.
»
N°. LXIV . Tome III , pag. 174. « Il faut
fe figurer à l'endroit qui compofe aujour-
» d'hui la ville de S. Denys , d'abord fur
» le grand chemin de Pontoife , & affez
près du bord de la Seine , un lieu habité ,
appellé Catolacum , & à droite de ce
» chemin , en venant de Paris , un champ ,
» où le premier édifice qu'on y conftruifit ,
»fut une Chapelle fur la fépulture de
» S. Denys .
"
و د
. و و
">
Et page 175. « L'églife de S. Martin
» de l'Etrée , & celle de S. Marcel , furent
» les premieres églifes paroiffiales du lieu
» de Catolacum . La Bafilique du Sépulcre
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
» des Saints étoit à l'écart , & dans un lieu
→folitaire. »
Réflexions. En voilà affez pour nous
prouver que , fuivant M. l'Abbé Lebeuf,
le lieu où font aujourd'hui les Paroiffes
de S. Martin de l'Etrée & de S. Marcel ,
au delà de l'Abbaye de S. Denys , étoit
un lieu habité fous le nom de Catolacum
ou Carolocus , pendant que le lieu où eft
fituée cette Abbaye , faifant partie , fi
l'on veut , du même territoire , étoit encore
un lieu inhabité , un lieu folitaire ,
& à l'écart. Il faut conclure delà que
ce lieu folitaire fe trouvoit fur le chemin
qui conduifoit de Paris à Catolocns ; &
voilà tout ce que je cherchois en compofant
mes nouvelles Annales . Je ne
fçavois où étoit ce Catolocus , qui devoit
être au delà de l'Abbaye de S. Denys ;
je foupçonnois ( pag. 23 & S8 . ) , fans
ofer pourtant l'affurer , que ce pourroit
bien être Chantilly : j'abandonne préfentement
cette idée ; & je vois clairement
que ce fut en effet en deça du lieu où
font fituées les églifes de S. Martin de
l'Etrée & de S. Marcel , & fur le chemin
qui y conduifoit , que Dagobert
transféra les Reliques de S. Denys , en
les retirant d'un endroit de ce chemin ,
voifin de Paris , pour les rapprocher de
SEPTEMBRE . 1756. 105
ce lieu - là même , & du Palais qu'il y
avoit , s'il eft pourtant vrai qu'il en eût
là un ; fur quoi je veux bien n'en rapporter
à M. l'Abbé Lebeuf , plutôt que
de lui demander fi ce Palais là n'étoit
pas fitué un peu plus loin , je veux dire à
Epinai fur Seine .
Cela pofé , on comprend auffi très-aifément
comment il eft arrivé que le quartier
qui environne l'Abbaye même , étant devenu
habité par la fuite , & ne formant
plus qu'un feul Bourg avec l'ancien Catolocus
ou Catolacum , ait pris également le
nom de Catulliacum , ou d'autres noms
approchant de celui - là , tels qu'on les
lit dans les titres & dans un grand nombre
d'Ecrivains poftérieurs au regne de Dagobert.
LXV. Pag. 179. « Un Ecrivain moderne
» vient d'annoncer dans fes nouvelles An-
" nales de Paris , que la fameufe Eglife de
» S. Denys étoit fituée avant le regne de
Dagobert I , tout près de Paris même ,
» vers la rue Aubry-le- Boucher ; ce qui
» n'a pas la moindre ombre de fondement
» dans l'hiftoire. »
Réflexions. M. l'Abbé Lebeuf s'eft difpenfé
de citer la page où j'avance ce qu'il
me fait dire fi gratuitement ; & en effet ,
il auroit eu bien de la peine à le faire.
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
que
Je vais lui en citer une , où je dis au
contraire très- pofitivement que je ne fcais
pas en quel endroit précisément cette églife
étoit fituée : Où étoit elle donc fituée ?
( ce font mes propres paroles à la pag. 40 )
fur le chemin qui alloit de Paris à Catolocus ,
dans la rue S. Denys même , ou dans le
voifinage de cette rue. Mais en quel endroit
précisément ? c'est ce que l'on ignore . Il me
femble que c'eft - là dire bien nettement
que je l'ignore moi -même auffi - bien
les autres. Cependant à cette même page ,
me dira- t- on , j'indique la rue Aubry le-
Boucher. Oui ; mais en exprimant trèsformellement
mon doute : peut- être , disje
, étoit elle futuée à l'un des deux bouts
de la rue Aubry le Boucher. Pourquoi altérer
mes paroles ? eft- ce pour me combattre
avec plus d'avantage ? Cette méthode eft
vraiment très-commode ; mais elle eft
en même temps très- illicite. Je ne tranfcris
pas toujours ici avec la derniere précifion
les textes de M. l'Abbé Lebeuf ;
mais je ne les défigure point : je les abrege
feulement fans en changer le fens.
Cependant , pourra - t- il infifter , cette
pofition même douteufe , que je donne à
l'Abbaye de S. Denys dans les premiers
temps de fa fondation , n'a pas la moindre
ombre de fondement dans l'hiftoire. ParSEPTEMBRE.
1756. 107
donnez moi. J'y trouve non pas une ombre
de fondement , mais un très- grand
fondement. La Vie de Sainte Géneviéve
& le Poëme d'Abbon , font des monumens
biftoriques , contre lefquels il n'eft
pas poffible de s'infcrire en faux. Or je
prouve par l'une & par l'autre ( pages 22 ,
23 , 39 , 40, 147 , 252 , 307 & 308 ) ,
qu'il eft infoutenable que l'Abbaye de S.
Denys ait été fondée primitivement dans
le lieu où elle eft aujourd'hui qu'il faut
même reconnoître néceffairement qu'elle
étoit dans ces premiers temps beaucoup
plus voifine de Paris que n'eft la montagne
de Montmartre. Voilà déja une
grande avance ; & il ne s'agit plus que
de déterminer le lieu fi proche de Paris ,
où cerre Abbaye aura été fondée : mais
comme là deffus nous n'avons rien de
précis , il faut fe contenter d'un à peit
près , ou d'un peut-être ; & ce peut- être
là , je le prouve encore par un troifieme.
monument hiftorique. L'Auteur des Geftes
de Dagobert nous apprend que ce
Prince la transféra ex vico , qui Catulliacus
dicitur , in alium ejufdem vici locum.
Ce n'eft pas là où eft le peut - être ; l'Auteur
eft pofitif fur la tranflation : quoiqu'il
débite quelques fables , on n'a pas
prouvé que c'en fût là une , & on ne le
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
pourroit que par pétition de principe ; la
chofe d'ailleurs eft fi peu merveilleufe !
Enfin puifqu'avant toutes chofes on doit
regarder comme certain que l'Abbaye n'a
pas toujours été à l'endroit où elle eſt aujourd'hui
, il faut bien de néceffité qu'elle
ait été transférée .
y
Mais que faut-il entendre par Vicus Catulliacus
? Le Bourg même de Saint Denys ?
Non affurément . Deux claffes de fçavans
s'y oppoferoient les uns , parce qu'ils ne
reconnoiffent point de Bourg en ce lieu
plus ancien que l'Abbaye même , quoiqu'à
tort, felon M. Lebeuf, comme on vient de
le voir n ° . LXIV ; les autres , parce qu'ils
feroient beaucoup mieux fondés à foutenir
que les Reliques des Saints Martyrs
n'ont point été fucceffivement en deux
lieux différens de ce Bourg . Refte donc à
expliquer le mot latin vicus , par le mot
françois rue ou chemin. Or cela pofé , il s'en
fuit que les Reliques & l'Abbaye de Saint
Denys ont été transférées d'un endroit du
chemin de Catolocus , en un autre endroit
du même chemin , par conféquent en un
endroit qui conduifoit de Paris au lieu précifément
où eft fituée préfentement cette
Abbaye , & nous touchons enfin au but.
Car je demande maintenant à M. Lebeuf
& à tous mes Lecteurs , quel peut être ce
SEPTEMBRE . 1756 . 109
chemin , fi ce n'eft la rue Saint Denys ?
& comme il faut fuppofer que l'Abbaye
de ce nom étoit hors de l'enceinte , ou la
mettre mieux que vers l'un des coins de la
rue Aubry- le- Boucher ? Si M. l'Abbé Lebeuf
s'etoit coëffé de cette opinion , il
ne fe contenteroit pas , comme j'ai fait ,
d'un fimple peut - être ; il trancheroit le
mot , & diroit hardiment qu'il ne fait aucun
doute que la chofe n'ait été ainfi .
Dans cette controverfe , tout dépend
des deux textes de la vie de Sainte Géneviéve
& du Poëme d'Abbon ; & l'Auteur
des Geftes vient encore à l'appui , puifqu'il
dépofe en faveur d'une tranflation faite du
temps de Dagobert , fans qu'on puiffe en
cela le convaincre de faux , ni accufer les
trois Auteurs de la moindre collufion entre
eux. Que l'on veuille à toute force les entendre
autrement que moi , je ne fçaurois
m'y oppoſer mais que l'on me montre
donc que je prends à gauche , & fur le
champ je me rendrai ; je viens de prouver
en plus d'un endroit de cet écrit , que je ne
m'aheurte pas trop pas trop à mon mon propre fens .
LXVI . Même page . « Quoique l'Eglife de
» Catolocum , où les Saints repofoient, foit à
deux lieues de Paris , elle a fouvent été
dite fituée à Paris même » .
ور
cr
Réflexions. Ces fortes de manieres de
110 MERCURE DE FRANCE .
s'exprimer font affez impropres. Cependant
je reconnois qu'elles ont été d'uſage
en bien des occafions : mais auffi n'eft- ce
pas uniquement là deffus que je me fonde ;
c'eft principalement fur ce qu'il eft prouvé
d'ailleurs que l'Eglife de Saint Denys étoit
en effet dans fon origine fi voifine de Paris ,
qu'elle touchoit , pour ainfi dire du temps
de Dagobert I , aux murs de l'enceinte feptentrionale
. Et delà il faut conclure néceffairement
que quoiqu'en géneral on air pu
dire lato modo, qu'une Eglife fituée à deux
lieues de Paris ou de Lyon , étoit à Lyon
ou à Paris , ceux qui ont affuré que l'Eglife
de Saint Denys étoit à Paris, doivent
être entendus ftricto modo , comme ayant
parlé d'une Abbaye fituée , non à deux
lieues de Paris , mais à Paris même. Ĵe renvoie
le Lecteur fur ces manieres de parler
à ce que j'en ai dit dans les Annales
( page 123 ) , à l'occafion de la mort de
Pepin- le-Bref.
LXVII. Même page. « Le chevet ou abfide
» de l'Eglife de S. Denys , étoit apparem-
" ment le lien où le Roi Dagobert fit
» tranfporter les trois corps Saints d'un
» autre lieu de la même Eglife ».
Reflexions. Voilà donc M. l'Abbé Lebeuf
qui veut bien reconnoître avec nous , que
du temps du Roi Dagobert , il fe fit une
SEPTEMBRE. 1756 . 112
tranflation des Reliques de Saint Denys ,
& des Compagnons de fon martyre . Mais
dans quel Hiftorien , ou fur quel monument
authentique a-t-il vu qu'il foit parlé de cette
tranſlation ? Je n'en vois point d'autre
que l'Auteur même des Geftes du Roi
Dagobert , cet Auteur fi fabuleux , diton,
& par cette raifon fi décrié dans l'efprit
de bien des Critiques. Or il ne di
pas que Dagobert transféra les Reliques.
d'un endroit de l'Eglife dans un autre endroit
de la même Eglife , mais d'un endroit
du chemin de Catolocus , dans un
autre endroit du même chemin , in alium
ejufdem vici locum , non ejufdem Ecclefia.
M. Lebeuf feroit- il donc plus clairvoyant
que cet Ecrivain , qui cependant , fuivant
Dom Martin Bouquet , étoit fort inftruit
de ce qui regardoit l'Abbaye de Saint
Denys , dont il étoit Religieux ?
LXVIII. page 190. « Ce fut beaucoup
d'obtenir des Normans en 857 , qu'ils
ne miffent point le feu à l'Eglife de S.
" Denys en France ».
Réflexions. Je remarque dans les Annales
( pages 146 & 147 ) que l'églife de
S. Denys qui fut épargnée cette année - là
par les Normans , étoit l'ancienne églife
Abbatiale de ce nom , laquelle étoit encore
fur pied aux portes de Paris ; ce qui
11 MERCURE DE FRANCE.
n'empêche pas que le Monaftere de S. Denys
en France n'ait pu être brûlé alors ,
comme il le fut en effet , s'il en faut croire
une ancienne chronique que je cite au
même endroit. Et pourquoi ne la croiroit-
on pas ?
LXIX. Pag. 192. « Quoique communé-
» ment l'on croye qu'il y eut des Moines à S.
Denys dès le regne de Dagobert , & c. ».
22
Réflexions. Dans cette page & dans les
fuivantes , il y a bien des chofes qui demanderoient
une longue difcuffion . J'y remarque
furtout , auffi-bien que dans plufieurs
endroits du même tome & des tomes
précédens , une affectation marquée de
renvoyer au temps des chimeres , non feulement
ce que les Moines ont foutenu &
foutiennent encore , que certaines Eglifes
en affez grand nombre , aujourd'hui féculieres
, leur ont autrefois appartenues ,
mais encore les privileges & les exemptions
de plufieurs de leurs Monafteres.
Ce n'eft point ici le lieu d'entrer en lice fur
ces matières-là contre le fçavant Académicien
, puifque je ne devois prefque me propofer
dans cet écrit qu'un nouvel examen
de quelques dates , & de quelques faits arrivés
fous les deux premieres Races de
nos Rois , fur lefquels lui & moi nous
ne fommes pas de même avis . Que feroitSEPTEMBRE.
1756. 113
ce s'il falloit parcourir de même la troifieme
Race , qui eft bien autrement étendue
, & qui fournit beaucoup plus de matiere
à réflexions que les deux autres.
LXX. Je n'ajouterai donc rien de plus
à ce petit nombre d'obfervations que ces
trois Volumes m'ont arrachées , pour
ainfi dire , dans un temps où je ne voulois
plus qu'il fût parlé de moi dans la
République des Lettres . Je le prierai feulement
de ne m'en fçavoir aucun mauvais
gré , puifque je n'en honore pas moins &
fa perfonne & fon fçavoir. Il y a déja plufieurs
années que je pris la liberté de mefurer
mes forces contre les fiennes au fujet
de la vraie fignification du mot Celtique
Dun ; & depuis ce temps - là nous n'avons
changé de fentiment ni l'un , ni l'autre
fans que le refpect , dont je ne me dérartirai
jamais à fon égard , en ait fouffert la
moindre altération . Mais fur ce même fujet
de difpute , il s'eft préfenté un nouvel
Antagoniſte que je n'avois garde de foupçonner
, & auquel , puifqu'il m'a fait
l'honneur de me nommer , je dois auffi
par occafion un petit mot de réponſe.
LXXI . M. l'Abbé Fénel , dans une
Differtation fur le mot Dunum , que l'on
trouve imprimée dans les Mémoires de
l'Académie des Infcriptions & Belles Let114
MERCURE DE FRANCE.
و د
ور
"
tres ( tome XX ) , s'exprime ainfi à mon
fujet ( page 41. ) : « Cette affertion nous
rappellera le fouvenir de ce que Dom
Touffaints du Pleffis a avancé avec une fi
»grande hardieffe , que le mot Dun ou
» Doun , ne fe trouvoit dans le bas Breton
» que pour fignifier Profond , & qu'il n'y
fignifioit jamais un lieu élevé . Il paroît
» que ce Pere a en cela confondu Dun &
» Doun , &c. Et page 42 : Il eſt affurément
» très-fingulier que Dom du Pleffis & les
Cangiftes , ayent ofe parler fi affirmati-
» vement fur l'abfence de la racine Dun
» hors de la langue Baffe - Bretonne , puif
qu'en un quart d'heure j'ai trouvé cette
» racine , ou une autre , qui y a un rap-
» port évident en quatre endroits du Dic-
» tionnaire de Roftrenen ».
сс
ود
Franchement , ne faut- il pas être bien
bardi pour ofer adopter fur l'interprétation
d'un mot Celtique l'idée qu'en a conçu
un homme qui a paffé la plus grande partie
de fa vie en Baffe- Bretagne , qui y a fait
une étude particuliere de la langue du
pays , qui en a fait un Dictionnaire raifonné
, & qui a employé près de trente ans
à la compofition de cet Ouvrage ? Cet
homme , c'eft Dom Louis le Pelletier , Religieux
Bénédictin de la Congrégation de
Saint Maur , que je crois avoir cité comme
SEPTEMBRE . 1756. IIS
mon garant dans la difpute qui s'etoit
élévée entre M. Lebeuf & moi . Son Dictionnaire
que j'avois entre les mains ,
n'étoit encore que manufcrit : on l'a imprimé
depuis , & voici ce qu'il porte en
propres termes :
DOUN , que l'on peut écrire Doufn , &
encore mieux Doumn , profond. Dounder ,
profondeur. Douna , approfondir , creuſer.
Les Irlandois difent Dein , profond. L'ancien
nom de region Domnonia , vient apparemment
de Doumn , mais mal repréſenté
par les Ecrivains Latins, qui l'ont écrit Danmonia
Dunmonia , nom que Cambden
fait venir de ab habitatione fub montibus
, parce qu'en Breton Dan fignifie deffous
, & Menez , montagne. Mais fi l'on
y fait attention , les lieux qui font fous les
montagnes ,font profonds ou bas ; & par confequent
Domnonia eft plus naturellement le
nom d'un pays de vallées , puifqu'il eſt fait de
Doumn , profond .... De notre Doumn
on Doûn , on a pufaire en y ajoutant Doûr ny
eau , le nom de Dordogne , ean profonde
& même plufieurs noms d'anciennes villes des
Gaules , lefquels finiffent en Dunum , qui eft
Dounum. Si elles font fuuées fur les hauteurs
, ily a des profondeurs . Le mot Dune ,
eft même fort équivoque ; car s'il fignifie
bauteur , il peut également marquer une
116 MERCURE DE FRANCE.
profondeur. En latin Altus a ces deux
fignifications. La plupart des Sçavans ont cru
que l'ancien mot Dun a fignifié une montagne
chez les Celies & chez les Gaulois. Ils appuient
cette opinionfur les élévations de fable
que l'on voit fur le bord de la mer , le long
des côtes de Flandre , & que l'on appelle encore
aujourd'hui les Dunes. Maisfi cette raifon
étoit valable , il faudroit en conclurre
que toutes les villes , dont le nom eft formé en
partie de Dun , ont été bâties fur des monceaux
, ou élévations de fable ; ce qui est
faux & ridicule .
Je ne prétends pas que tout ceci foit
écrit bien correctement , comme l'auroit
pu faire un Académicien : je n'adopte pas
non plus la conféquence que Dom Pelletier
tire du fentiment contraire au fien ,
que fi ce fentiment étoit vrai , toutes les
Villes , dont le nom eft formé en partie
du mot Dun , devroient être bâties fur
des monceaux de fable : cette conféquence
eft fauffe. Il devoit dire fimplement fur
des hauteurs , fur des montagnes , ou fur
des collines . Mais il n'en réfulte pas moins
de cet extrait du Dictionnaire de ce fçavant
Bénédictin, que, felon lui, le mot Dun
en bas - Breton ou en Celtique , ne fignifie
originairement & foncièrement que preford.
SEPTEMBRE . 1756. 117
Ce n'étoit donc pas moi , mais Dom
Louis le Pelletier , qu'il falloit taxer de
trop de hardieffe , fi en effet la thefe qu'il
foutient , après l'avoir étudiée pendant un
fi grand nombre d'années , étoit malgré
cela infoutenable. Mais je veux bien que
l'on s'en prenne à moi , quoique je n'y
fois pour rien , plutôt qu'à lui . Pourquoi
donc cette thefe eft- elle fi infoutenable ?
C'eft , dit M. l'Abbé Fénel , qu'il eft conftant
, ne fût ce que par le Dictionnaire du
R. P. de Roftrenen , Capucin , que Dun
en bas- Breton fe prend fouvent pour une
hauteur ou pour une élévation . Hé bien !
n'eft -ce pas là perdre abfolument de vue
l'état de la queftion ? On ne demande pas
ce que ce mot fignifie quelquefois , ou
fouvent , aujourd'hui , & depuis un certain
nombre de fiecles , dans la langue
Bretonne : on veut fçavoir ce qu'il fignifioit
primitivement chez les Celtes , finon
dans les fiecles les plus reculés , du moins
quelque temps avant que cette langue ait
été altérée par le commerce des Bretons
avec les Teutons , les Francs & les
Saxons. Je m'en fuis toujours tenu là dans
ma difpute avec M. Lebeuf; & je m'y
tiens fi bien encore , qu'il faut me forcer
dans ce retranchement , ou avouer de
bonne foi qu'on ne peut en venir à bout.
118 MERCURE DE FRANCE.
Mais n'y a- t'il pas de l'injuftice dans
mon procédé ? Car enfin exiger que l'on
me prouve que du temps de Céfar , par
exemple , le mot Dun fignifioit chez les
Celtes une colline ou une montagne , c'eſt
exiger l'impoffible. Avons- nous des écrits
Celtiques de ce temps- là , pour en pouvoir
venir à une preuve de cette nature ?
Je n'en fçais rien , car je n'ai pas feulement
appris les premiers élemens de cette
Langue. Tout ce que je fçais , c'eſt que
Dom Louis Pelletier , après l'étude profonde
qu'il en a faite , n'a point trouvé
au mot Dun ou Doun , d'autre fignification
que celle de bas ou profond ; non pas cependant
qu'il n'ait été un temps où on
le trouve auffi employé pour fignifier une
colline ou une élévation. Et c'est ce que
j'ai accordé bien formellement à M. Lebeuf
pendant tout le cours de la difpute
qui
nous a divifés , fans que j'aie eu befoin
pour cela de m'en rapporter au Dictionnaire
de Roftrenen , que je ne connois
feulement pas. Mais , ajoutois- je en même
temps , cette feconde acception ou fignification
du mot, n'eft pas du propre fonds de
la langue Celtique : ce doit être un emprunt
tiré de la Teutonique. En effet , M.
РАБЪ
l'Abbé Fénel nous apprend ici lui - même
( page 49 ) , que Dun dans la langue TeuSEPTEMBRE
. 1756. 119
tonne fignifie mons , collis , tumulus . Je
fuis bien fâché que Dom le Pelletier ,
n'ait pas fait attention à cela ; il auroit expliqué
avec moins d'embarras pourquoi
Dun en bas Breton fignifie aujourd'hui
bauteur , auffi bien que profondeur.
te
Car ce qu'il dit après tous les Grammairiens
, que le mot Latin alius fignifie
également haut & profond , ne fert de rien .
pour éclaircir la difficulté . Perfonne n'ignore
que dans toutes les Langues il y a
certaines expreffions qui fignifient les deux
contraires. C'eſt ainſi qu'en Latin encore
elevare fignifie élever & déprimer , quefperare
fignifie efpérer & craindre , &c. Tout
cela eft vrai généralement parlant : mais il
eft vrai auffi que ce n'eft qu'à certains
égards , & dans certaines circonstances
que l'on peut prendre l'un pour l'autre ,
fans quoi ce feroit abufer des termes &
confondre toutes les idées. Seroit- il permis
, par exemple , de dire mons profundus ,
au lieu de mons altus ou turris profunda ,
au lieu de turris alta , comme on pourroit
dire indifféremment puteus alius ou profundus.
Que M. l'Abbé Fénel ne dife donc plus
en taxant de trop de hardieffe Dom du
Pleffis , que ce Pere a confondu Dun &
Doun , puifque s'il y a ici de la confuſion ,
120 MERCURE DE FRANCE.
"
ce qu'il ne faut pourtant pas croire , elle
doit retomber toute entiere fur Dom le
Pelletier . Que cet Académicien dife encore
moins ( page 43. ) : " Qu'il croit avoir
prouvé fans replique , que le mot Dun
" ou Tun eft encore fubfiftant dans la langue
» des Bas- Bretons , pour fignifier une Colline
». Je prouverois de même , fi c'étoit
là ma façon de prouver , qu'un enfant
né le 31 Décembre 1755 , étoit encore en
vie en 1755.
»
LXXII. Mais revenons aux nouvelles
Annales de Paris , fur lefquelles il me
refte encore trois ou quatre réflexions à
faire pour ma juftification , foit devant le
Public , foit devant le fçavant Ecrivain qui
en a donné l'extrait dans le Journal des
Sçavans , au premier volume de Décembre
1753. Je traite , dit- il , de puérilités les
étymologies du mot Parifii que plufieurs
ont tirées du grec ; & cependant j'adopte
celle des Bollandiftes , qui le dérivent de
la prépofition Greque , propè , juxtà ,
& du mot Ifia , qui eft le nom propre
de la riviere d'Oife. Cela eft vrai : mais
outre que la fyllabe par pourroit bien
n'être pas plus Greque que Celtique , Ifia
de fon côté n'eft pas un mot Grec ; d'où il
s'enfuit que le mot entier ne feroit pas
Grec d'origine , comme l'ont imaginé
quelques - uns
SEPTEMBRE . 1756. 121
quelques-uns de ceux dont je blâme avec
raifon les étymologies , ceux , par exemple,
qui veulent que Parifii foit pour Parrhifii.
Je crois , fuivant le même fçavant Journaliſte
, que le mot latin Locuticius , donné
à la montagne Sainte Géneviéve , eft
dérivé du Celtique Leng- tec , qui fignifie
Belle-pierre ; & dans le deffein de donner
une preuve de cette étymologie , je renvoie
, dit- il , à l'endroit où je dis que le
Parloir des Bourgeois , Locutorium Civium,
étoit au pied de cette montagne : ce qui
paroît détruire entierement l'explication
que je veux établir , puifqu'il eft bien plus
fimple de dériver Locuticius de Locutorium ,
que de Leng- tec. Mais moi , je crois tout
au contraire , & je ne ferai pas feul de
mon avis : 1°. Que le nom de la Ville
étant précisément le même que celui de la
Montagne , il doit auffi avoir de part &
d'autre la même fignification ; à moins
qu'on ne veuille que le Parloir ait auffi -
donné fon nom à la Ville , ce qui feroit
abfurde : 2°. Que la montagne étant plus
ancienne que la Ville , étoit par conféquent
plus ancienne que le Parloir ; & qu'avant
qu'il y eût à Paris un Parloir des Bourgeois,
avant même les Parifiens fçuffent parler
Latin , cette Montagne devoit avoir un
que
F
122 MERCURE DE FRANCE.
nom ; que parconféquent ce nom ne pouvoit
point tirer fon origine du mot latin
Locutorium : d'ou il réfulte néceffairement
qu'il en faut revenir au pur Celtique lengtec:
3 ° . Que fi la Montagne avoit tiré fon
nom de celui du Parloir , on l'auroit appellée
en Latin , non Locuticius , mais Locutorius.
Et par toutes ces raifons je perfifte
dans ma conjecture , fi cependant on
doit l'appeller ainfi , & fi ce n'eft pas plutôt
une de ces étymologies qui , comme le dit
le fçavant Journaliſte , font frappantes par
leur jufteffe.
Eft- il vrai que , felon moi , il n'y avoit
point anciennement à Paris d'Officiers
municipaux , fous le titre de Défenseurs de
Cité ? Pour fçavoir ce qui en eft , je renvoie
le Lecteur aux pages 8 & 13 , où
je fuppofe manifeftement qu'il y en
avoit , ou qu'il pouvoit y en avoir , mais
feulement depuis l'Empereur Valentinien
I.
Enfin , s'il en faut croire le fçavant Journaliſte
, je fixe à l'an 250 de J. C. l'arrivée
de Saint Denys à Paris ou dans les
Gaules mais il me permettra de lui repondre
que je la fixe & en titre , & dans le
corps du difcours , avant l'an 250. J'y
combats même de toutes mes forces cette
date préciſe de l'an 250 ; & j'infifte ici
SEPTEMBRE . 1756 . 123
là deffus , parce que la chofe eft de conféquence.
Il y a encore dans le même article du
Journal quelques endroits qui font viſiblement
répréhenfibles : par exemple , que s'il
faut ajouter foi à mes Annales , la Compagnie
des Négocians par eau à Paris , fous
le nom de Nautes , fut établie l'an 200 de
J. C. il falloit dire vers l'an 20 de J.C :
que la Montagne qui eft au Nord- oueft
de la Ville , portoit autrefois le nom de
Mary- Mont- Martis , d'où l'on a formé.
celui de Mont- martre , & c. Je n'entends
rien à ce Mary. Mais ce font-là fans doute
des fautes d'impreffion , c'eft à- dire de
vraies minuties auxquelles il eft inutile
de s'arrêter.
RÉPONSE
Aux Réflexions de Dom Touffaint Dupleffis ,
Bénédictin , inférées dans les Mercures de
Juin , Juillet & Août , contre l'Hiftoire
de Paris , par M. l'Abbé Lebcuf, de l'Académie
des Belles- Lettres .
Mon R. P. on ne peut
qu'approuver
le parti que vous avez pris de publier
dans le Mercure vos Annales de Paris ;
Fij
124 MERCURE DE FRANCE
c'eft un bon moyen de les faire con
noître.
Votre annonce fuppofe qu'elles ont
befoin d'un fupplément. Je n'ai pas intention
d'infirmer ce jugement : je veux feulement
répondre aux difficultés que vous
formez dans le cours de vos réflexions
contre l'Hiftoire de M. l'Abbé Lebeuf.
Ces réflexions font de trois fortes : 1 °.
les unes attaquent l'Académicien dans fes
conjectures ; 2. la plûpart énoncent qu'à
certains égards vous penfez comme lui ; 3 ° .
quelques- unes enfin lui font abfolument
oppofées , & ont un air de vraiſemblance
qui demande qu'on les réfute. Je néglige
celle à qui le texte de l'Auteur fert de
réponſe.
1. Votre premier grief me paroît deftitué
de fondement. Qu'y a t'il d'irrégulier
dans la méthode d'un Sçavant qui propoſe
ſes doutes avec réferve ? Lequel eft
plus raifonnable de celui qui donne
pour évident ce qui n'eft que vraisembla
ble , ou de celui qui prend le ton de l'évidence
pour autorifer fes doutes . Cependant
vous trouvez mauvais que dans fes conjectures
, M. l'Abbé Lebeuf emploie ordinairement
le mot de peut-être ?
2. Il est affurément fort flatteur pout
votre Adverfaire de fe rencontrer avec vous.
SEPTEMBRE . 1756. 125
Si vous penfez comme lui , pourquoi publier
cette conformité fous l'appareil de la
critique ? A chaque inftant vous citez votre
ouvrage comme une pierre de touche
qui doit fervir d'épreuve, & décider du mérite
de l'Hiftoire de Paris : peut- être M.
l'Abbé Lebeuf a- t'il pour vous la déférence
que vous exigez mais le Public qui fe
plaît à interpréter malignement les chofes ,
quel jugement portera-t'il de cette affectation
?
:
3. A la page 21 de l'Avertiſſement
du premier tome de l'Hiftoire de Paris ,
eft une conjecture placée en note : l'Auteur
la donne pour telle . Mais comme le ton
conjectural ne vous plaît pas , vous ſemblez
vous armer de toutes pieces pour la
combattre.
Que porte cette conjecture ? Elle confifte
à dire , 1 ° . que les Relations de
Sainte Géneviève avec Saint Simeon Stylite
, ne font pas un fait certain ; 2 ° . qué
fi l'on perfifte à admettre quelque corref
pondance entre cette Sainte & un Saint
Simeon , il faut l'entendre d'un Saint
Simeon Solitaire de l'Auxerrois , en l'honneur
de qui il y avoit une Eglife érigée au
feptieme fiecle , fur le chemin d'Auxerre
à Paris.
Si cette opinion produite fous un titre
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
auffi modefte , vous révolte , quel blâme
n'encourroit pas de votre part tout Littérateur
affez ofé pour en faire un fentiment
? Effayons pourtant de montrer qu'il
approcheroit infiniment de la vérité .
1. Il eft peu de Légendaires au témoignage
defquels il n'y ait quelque chofe
retrancher ou bien à ajouter . Ils donnoient
trop au merveilleux , outre que
fouvent ils écrivoient fur des oui - dire &
fur des rapports fufpects . N'allez pas nier
cette maxime ; vous vous trouveriez en
contradiction avec les plus éclairés de nos
Critiques , avec feu M. l'Abbé des Thuilleries
en particulier . J'ai vu une lettre de ce
Sçavant adreffée à M. Lebeuf , où ce principe
eft développé fort au long comme une
vérité reconnue.
Il y a , dites- vous , plufieurs Vies de
Sainte Géneviève ; on le fçait : mais parmi
ces Vies , la premiere eft la feule authentique
; les autres n'en font que des copies
informes ; & M. Baillet qui les avoit
fous les yeux , décide que ces Vies poftérieures
ne font pas recevables. L'Auteur de
la premiere eft le feul qui mérite le nom de
Compofiteur. Il écrivoit au plutôt en 5 20.
Il y avoit alors près de 60 ans que Saint
Simeon Stylite n'étoit plus. Soixante ans
dans un fiecle d'ignorance ne font-ils paş
SEPTEMBRE . 1756. 127
un efpace fuffifant pour fuppofer que la
tradition a pu être altérée ?
Mais encore que porte le texte de cette
premiere Vie ? affirme- t'il la chofe ? Voici
fes termes : Saint Simeon ... Quem aiunt
negotiatores de Santâ Genovefa interrogaffe ...
, utfui memor effet , popofciffe ferunt . Cet
aiunt & ce ferunt expriment certainement
un doute bien favorable au fentiment qui
fait ombrage à vos lumieres. Montrons préfentement
que fi l'on perfifte à reconnoître
un S. Simeon qui s'eft recommandé aux
prieres de Sainte Géneviève , on ne doit
point l'aller chercher ailleurs que dans
l'Auxerrois .
2. Les Annales de votre Ordre au lieu
cité apprennent qu'au feptieme fiecle , il y
avoit près d'Auxerre une Eglife érigée en
l'honneur d'un S. Simeon Solitaire , originaire
du canton . M. l'Abbé Lebeuf, dans le
cours de fes recherches , a decouvert deux
légendes manufcrites reliées enſemble :
l'une eft la Vie du Solitaire de l'Auxerrois ;
l'autre eft la Vie du Stylite d'Orient . La
tradition porte qu'autrefois l'Eglife où l'on
a decouvert le double manufcrit étoit fous
l'invocation du premier ; que par le laps
des temps , le culte du deuxieme a prévalu
à caufe du merveilleux de fa vie. Aujour- ,
d'hui cette Eglife eft fous l'invocation du
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
Stylite. Je tire delà une conféquence unique
, fçavoir que dans l'Auxerrois on a
confondu , à la faveur de la reſſemblance
des noms , un Solitaire du Canton avec le
Stylite d'Orient .
Revenons préfentement au texte des
Annales de votre Ordre. Fixer au jufte le
temps où vivoit le Saint Simeon honoré
dans l'Eglife fituée fur le chemin d'Auxerre
à Paris, feroit une entrepriſe impoffible.
Aucun monument ne fournit cette date.
Quelque ennemi que vous foyez des conjectures
, je vous propofe celle- ci : elle
tend à demontrer que le Saint Simeon en
queftion , étoit au moins contemporain de
Sainte Géneviève & du Stylite.
Le témoignage qui attefte l'exiſtence
d'une Eglife de Saint Simeon au feptieme
fiecle , ne dit pas que la Bafilique érigée
en l'honneur de ce Saint du canton , fur
récemment bâtie. Le texte qui me fert d'appui
bien médité , donne à entendre que
le temps de ce récit doit être placé au
commencement du feptieme fiecle . L'efpace
écoulé depuis que l'Eglife étoit bâtie
joint à celui de la canoniſation du Saint ,
en conféquence de fes miracles par le ſuffrage
des peuples , font deux circonftances
bien fuffifantes pour remplir ce qui s'eft
écoulé depuis Ste Géneviève ou le S.Simeon
SEPTEMBRE . 1756. 129
d'Orient , jufqu'à l'époque en queftion.
Le bruit des vertus de Sainte Géneviéve
pouvoit avoir été répandu dans l'Auxerrois
par deux moyens bien fimples ; le
commerce de l'Yone & de la Loire ; l'intimité
qui fubfiftoit entre Sainte Géneviève
& Saint Germain , Evêque d'Auxerre.
Premiérement , fi vous aviez lu la Differtation
M. l'Abbé Lebeuf a autrefois
compofée fur les vins d'Auxerre
vous fçauriez que ces vins étoient déja célebre
au cinquieme & fixieme fiecles . Voici
à ce fujet un trait qui eft fans réplique :
que
Il eft dit dans la Vie de Saint Germain
( vers l'an 440 ) , que le Saint Prélat
ayant raffemblé quelques Difciples en
Communauté , il leur donna un vignoble
fitué fur un coteau ( Monticellus : on
croit dans le pays que c'eft Mêve ) . Voyez
l'Abbé M. S. part. 1 , cap. 7 , p. 415. La
citation que vous produifez eft poſtérieure
à celle- ci de plus de 500 ans.
Ignorez- vous l'ancienneté du commerce
de l'Yone ? Lifez la fçavante Differtation
de M. le Roi fur les Nauta Parifiaci ,
placée à la tête de l'Hiftoire de Paris , par
D. Félibien. On en fait une pareille mention
dans une Differtation fur le Commercede
la France , fous les Rois de la premiere
Race , imprimée à Amiens en 1753.
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
Tout ceci montre que M. l'Abbé Lebeuf
connoît mieux que perfonne le local de
l'Auxerrois ; & quand vous prétendez
que l'amour de la patrie eft un foible qui
induit en erreur , à combien de Poëtes
élégans & de graves Hiftoriens rompezvous
en vifiere , lorfqu'ils vantent cet
amour comme un fentiment naturel qui
honore celui qu'il affecte ? Quelle que foit
au refte votre façon de penfer , jamais
votre opinion n'infirmera cette maxime ;
qu'un habile homme confommé dans la
connoiffance des ufages & de l'Hiftoire de
fon pays , doit y découvrir bien des chofes
qui peuvent naturellement échapper à
d'autres.
Je pourrois beaucoup infifter fur les
relations de Sainte Géneviéve & de Saint
Germain d'Auxerre. Combien n'eft-il
pas
maturel de penfer que le Prélat témoin de la
vie exemplaire de la Sainte , l'aura propofée
pour un modele de conduite à ceux qu'il
avoit raffemblés en communauté ? Qui
fçait même fi le Solitaire en queftion n'étoit
pas de fes Difciples ? Ce foupçon feroit
très légitime .
Mercure de Juin , page 106. Vous voulez
apparemment égayer la matiere par une
contrevérité plaifante , quand vous foutenez
que Saint Denis n'eft pas venu à Paris
SEPTEMBRE . 1756. 131
par le grand chemin ; il n'y a pourtant pas
d'apparence qu'il y foit venu à travers
champ.
:
Le raifonnement dé M. Lebeuf eft bien
fimple appuyé fur le texte de l'itinéraire
d'Antonin , il rappelle à fon Lecteur
qu'il y avoit aux premiers temps de l'Ere
chretienne , une chauffée fameufe par
laquelle on arrivoit de Rome à Lyon ;
qu'une autre chauffée conduifoit de Lyon à
Paris. Confultez D. Bouquet , tome premier
, page 106 , vous trouverez que cette
voie fameufe paffoit fucceffivement par
Cone-fur- Loire , Briare , Belca , Cenabum ,
& Salioclita , proche Eftampes. C'eſt une
verité encore plus évidente que cette route
aboutiffoit à Paris vers le Fauxbourg Saint
Jacques cent monumens l'atteftent.
Parlez -vous férieufement quand vous
avancez qu'il eft plus aifé de fe cacher au
milieu d'une Ville bien fréquentée que
dans un coin folitaire de fes Fauxbourgs ?
Prêter à Saint Denis une telle conduite ,
n'eft- ce pas le fuppofer deftitué de la prudence
la plus commune ?
En effet , comparons la miffion de cet
Apôtre & de fes Compagnons à l'expédition
d'un peloton de braves gens , &
nous ne pécherons pas contre la vraifemblance.
Ils venoient déclarer la guerre
F vj
132 MERCURE DE FRANCE .
aux paffions , & ruiner l'empire de l'idolâtrie.
Que fait un Capitaine pour s'emparer
d'une Ville ? Il ne va pas braver le
danger par une fougue indifcrete : ainfi
eft- il probable que Saint Denis aura d'abord
fixé fon féjour dans quelque endroit
écarté , pour y méditer les moyens de
gagner des ames à Dieu.
Les réflexions inférées dans le Mercure
de Juillet , ne demanderoient pas de
replique , fi à la page 1 30 , no. 10 , vous
n'euffiez pas avancé ce qui fuit :
Je foutiens dans mes Annales ... dites
vous , que jamais les Normands n'ont été
maîtres de la Cité de Paris : Il falloit ajouter
ces mots malgré l'autorité de Prudence ,
Ecrivain contemporain ; car cet Auteur
expoſe ainfi l'événement que M. Lebeuf
raconte Pirata ( 1 ) Dani 5. Kalend. Januar.
Lutetiam Parifiorum invadunt atque
incendio tradunt . A un témoignage auffi
ancien & auffi formel , qu'oppofez- vous ?
Vos propres Annales : il leur manque un
titre pour mériter cette préférence , c'eft
d'avoir 900 ans de plus.
Initié dans le fecret de connoître par
vous-même ce qui fe paffoit dans les temps
anciens , vous avancez dans vos Annales
plus d'une opinion de ce genre. A quel
(1 ) Annal. Bertin , ann. 857.
SEPTEMBRE. 1756. 1330
titre prétendez - vous , par exemple , qu'il
avoit autrefois une Eglife de Saint Denis .
dans la rue Aubry-le- Boucher ? A qui propofez-
vous votre conjecture de Catolocus ,
pour Chantilly qui n'exiftoit pas , pendant
que les Sçavans conviennent que ce Catolocus
eft Saint Denis ?
Permettez-moi , mon R. P , de vous
dire que le foin de revifer vos Annales
vous occuperoit plus utilement que l'attention
de ( 1 ) retoucher certains textes de
'Hiftoire de Paris , les abrégeant quelquefois
pour la commodité du Lecteur. Vous vous
appliqueriez plus d'une fois dans le fecret
le reproche que vous faites à votre Adverfaire
de (2 ) croire ce qu'il ne faut pas
croire du tout , pas même comme une chofe
qui ait quelque apparence de preuves.
La prolixité n'a jamais été le défaut de
M. Lebeuf : vous en convenez. Quand à
l'occafion de la diftribution des Reliques
de la Collégiale de Saint Maur , vous
dites ( 3 ) que voilà un récit bien maigre. M.
Lebeuf en dit affez.
Devroit - il ajouter que M. l'Archevêque
l'appella à cette diftribution ; qu'il
fut confulté avec diſtinction ; que fon habi
( 1 ) Mercure de Juin , p . 100 ,
(2 ) Ibid. p. 105.
(3) Juillet , p. 136.
#34 MERCURE DE FRANCE.
leté à déchiffrer plufieurs billets d'une écriture
antique & barbare , furprit les affiftans
; que même il combla de joie D. Lanneau
votre Général, & vos premiers Supérieurs
, en leur indiquant des titres qui
leur manquoient pour conftater l'authenticité
d'une partie des Reliques de S. Maur ?
Cet aveu lui eût trop couté : d'ailleurs il
cût dérogé au caractere de modeftie & de
fimplicité qui le diftingue.
J'ai l'honneur d'être , &c.
LETTRE A M. DE BOISST
Permettez - moi , Monfieur , de joindre
ma foible voix aux applaudiffemens que
votre Mercure reçoit à fi jufte titre. Si les
louanges peuvent récompenfer un Auteur ,
vous n'avez pas à vous plaindre. Souffrez ,
s'il vous plaît , Monfieur , que j'aye l'honneur
de vous adreffer cette lettre qui tirera
tout fon mérite de l'ufage que vous voudrez
bien en faire .
Il est bien vrai que l'erreur citée par
l'Auteur de la lettre du fecond volume du
Mercure de Janvier 1756 , à la
page 111 ,
n'eft pas plus dans mon exemplaire de
l'ouvrage de M. de la Rue , que dans ceux
des Auteurs des lettres du fecond volume
SEPTEMBRE. 1756. 135
d'Avril , page 99 & fuiv. La fauffeté de
l'exemplaire où elle a été trouvée eſt la
caufe de tout le mal . Au refte , fi j'entreprends
de faire cette opération avec fa
preuve tant fur l'envoi de la fomme propofée
que fur le retour , c'eft uniquement
afin que la réponſe foit exacte & que les
reftes n'y foient pas négligés.
Change de France fur Hambourg.
1730 l. 18 f. 6 d. de France font dûes à
Hambourg, le change a 1771. de France .
pour 100 marcs lubs d'Hambourg ; on demande
combien on aura defdits marcs ,
lubs , fols , & c.
Opération.
Si 1771. donnent 100
355, je prens le
5° 71
200
marcs d'Hamb.
combien aurat'on
de marcs
avec 1730 l. 18 f. 6 d .
40
69237 ( 71
533
367
975 m.2f.Sd. 37.
12
192
so
600
refte
32
136 MERCURE DE FRANCE:
La réponfé eft donc que l'on aura 975
marcs , 2 fols , 8 deniers , 3. La fraction
eft inutile à la vérité pour l'opération :
mais elle fert au moins pour la juſteſſe de
la preuve.
M. de la Rue dit à la page 360 de fon
livre , que le change de 1771. pour 100
marcs , eft égal à 27 fols lubs pour 3 k
cela n'eft pas exactement vrai , c'eft 27 f.
o d . 363 , comme on le verra par la preuve .
Si je releve cette petite erreur , ce n'eft
que pour fatisfaire à l'obligation que je
me fuis impofée de ne rien négliger.
Preuve.
l. Si 27 f.od.... 3 1. :: 975 m . 2 f. 8 d . 32.
324
71
16
15602 f.
187232 d.
71
23040 pren.le 12. 13 293 504
1920 le 12° 1107792
92316
160 le 10°
16
le 4
e
9234 12
4
le 4
2307 18
I 576 19 6
je multiplie par 31.
Réponse 1730 1. 18 f. 6 d .
SEPTEMBRE. 1756. 137
preuve
Cette donnant le retour précis ,
me paroît d'autant meilleure , que je la
crois moins embarraffante que
celle
que
l'on
fait
par
la méthode
ordinaire
: c'eft
aux
connoiffeurs
, à qui
je la foumets
, à en
décider
. Cette
maniere
d'opérer
paroîtra
hafardée
mais
examinée
de près
, elle
pourra
mériter
quelques
fuffrages
.
J'ai encore trouvé à la page 103 du
même Mercure d'Avril une opération
pour fçavoir combien 273 chofes à 19 f.
doivent rapporter. La façon dont cette
regle eft faite , n'eft autre chofe que la
maniere d'opérer par la piece de 2 fols ,
maniere déja ancienne & pratiquée par
prefque tous les Arithméticiens . Outre fa
longueur , l'inftruction qui la développe ,
me paroît difficile à entendre pour ceux
qui ne font pas bien au fait du calcul , &
encore faut-il opérer pour le fol qui reſte
après le 18 , ce qui fait deux opérations
fans l'addition qui en fait une troifieme ;
il me femble qu'on peut abréger en diſant ;
273
19
5187
Réponſe 2591.7f
.
On pourroit encore plus abréger cette
opération , en confidérant qu'il ne s'en
•
138 MERCURE DE FRANCE.
faut que d'une unité de fols ou un 20° , que
nous n'ayons 273 1. fi le prix étoit à 20 f.
ou 1. Il fuffit donc de tirer ce 20º de la
quantité & de le fouftraire : la réponſe
vient de fuite , ainfi qu'on va le voir.
273
tirez le 20°
13 l. 13 f.
Réponſe 2591. 7 f.
J'ai l'honneur d'être , &c.
LABASSEE , Graveur de Muſique.
ce 16 Juin 1756 .
BIBLIOGRAPHIE médicinale , raifonnée ,
ou Effai fur l'expofition des Livres les plus
utiles à ceux qui fe deftinent à l'étude de
la Médecine.
Ce Livre contient les réflexions de l'Auteur
fur les meilleurs Ouvrages qu'un jeune
Médecin doit principalement étudier
avant que de pénétrer dans le labyrinthe
de l'étude des maux qui affiégent l'humanité.
Nous répétons ici fes propres termes.
Il pourra lui fervir comme de guide dans
la diftribution de fes études. L'Auteur a
fait ce qu'il auroit fouhaité qu'on eût fait
avant lui , lorsqu'il commença à étudier la
Médecine. Un Ouvrage où les jeunes
Médecins trouveront rangés par ordre les
Livres François & Latins qu'ils doivent
SEPTEMBRE . 1756 . 139
lire d'abord , a donc quelque droit à l'eftime
du Public , s'il eft bien fait . C'eft aux
Maîtres de l'Art à prononcer fur le mérite
du Livre ; nous ne prononcerons que fur
l'intention de l'Auteur qui eft fans doute
très louable. Beaucoup de recherches
beaucoup de réflexions , beaucoup de travail
enfin , auront toujours un prix indépendant
du fuccès , quand le deffein d'être
utile en aura été le motif.
Cette Brochure de près de 500 pages ,
fe vend chez Ganeau , rue Saint Severin , à
Paris.
Le premier Volume de la NOUVELLE
MÉTHODE pour apprendre la Langue Latine
, &c. par M. de Launay, vient de paroître
chez la veuve Robinot , Quai des Auguftins
, & Babuty , fils , même Quai ,
1756.
NOUVEL Effai de Poëfies Sacrées , ou
nouvelle interprétation en vers de Cantiques
de l'écriture & de Pfeaumes , dans
laquelle on s'attache fcrupuleufement au
vrai fens de l'Auteur Sacré ouvrage accompagné
de Cantates fur des fujets pris
dans les Livres faints ; par M. l'Abbé Séguy
, de l'Académie Françoife , Abbé de
Genlis & Chanoine de Meaux. A Meaux ,
140 MERCURE DE FRANCE.
chez Laurent Courtois , Imprimeur de M.
l'Evêque .
Le Traducteur déclare dans fa Préface
qu'il a fuivi pas à pas l'Auteur Sacré , &
qu'il n'a ajouté au texte que quand la
néceffité de le faire entendre l'y a forcé.
Il nous a paru que l'exactitude n'a rien
pris fur la force des images , & que M.
l'Abbé Séguy n'a pas été moins fidele à
rendre l'efprit que la lettre. Quelques endroits
que nous allons extraire du Cantique
de Judith , le prouveront mieux que
nos éloges :
Arbitre des allarmes ,
Le Seigneur à fon gré met en poudre les armes
Des Conquérans foumis.
Au milieu de fon peuple , étoit quoiqu'invifible ,
Etoit fon camp terrible ,
Pour fauver Iſrael d'un monde d'ennemis.
Defcendu des montagnes ,
Le Chef Affyrien rangeoit dans mes campagnes
Ses nombreux bataillons .
Jufques dans les torrens , fon armée épandue
Epouvantoit la vue ,
Ses efcadrons preffés inondoient les vallons.
Il juroit , plein de rage ,
Qu'il porteroit chez moi la flamme & le ravage
En Vainqueur irrité,
SEPTEMBRE . 1756 . 141
Il devoit n'épargner enfance ni vieilleffe ,
La mort à la jeuneffe ,
A mes filles , l'opprobre & la captivité.
Mais dans fa fougue extrême ,
Loin de porter ces coups , il va tomber lui-même
Sous ceux de l'éternel .
Dieu le livre , enchaînant les fureurs de fon ame
Au pouvoir d'une femme :
Par les mains d'une femme , il frappe le cruel.
RELATION de la pefte dont la Ville de
Toulon fut affligée en 1721 , avec des
obfervations inftructives pour la postérité.
On a pour objet l'utilité publique en
publiant cet Ouvrage. M. d'Entrechaus ,
qui en eft l'Auteur , étoit premier Conful
de cette Ville pendant ladite année. Son
expérience le met en état de propofer
nos defcendans les moyens de fe garantir
de la pefte ou d'en arrêter les progrès. Il a
divifé fon Ouvrage par Chapitres. Après
avoir démontré quelles font les premieres
précautions qui peuvent garantir une Ville
de ce fléau , il entre dans le détail des
malheurs que Toulon éprouva.
A Paris , chez les freres Eftienne , rue
S. Jacques , à la Vertu.
LETTRE à Madame de ... fur les affaires
du jour , ou réflexions politiques fur l'a142
MERCURE DE FRANCE .
fage qu'on peut faire de la conquête de
Minorque , fuivies d'un état circonftancié
des Inles de Gerzey & de Guernezey , &
précédées de l'analyfe hiftorique de nos
conteftations avec les Anglois. Cet Ouvrage
eft celui d'un Citoyen zélé & d'un politique
raifonnable. On le lit avec plaifir ,
& on y applaudit naturellement. C'eſt un
efprit bienfait qui a conduit une plume
ingénieufe.
Brochure de 77 pages , fans nom d'Auteur
ni de Libraire.
VOYAGES récréatifs du Chevalier de
Quévédo , écrits par lui -même , rédigés &
traduits de l'Eſpagnol , 1756. Se trouvent
à Paris , chez Lottin , rue Saint Jacques ;
Lambert , rue de la Comédie Françoiſe ;
Piffot , Quai de Conti , & Duchesne , ruc
S. Jacques.
Sans vouloir déprimer le mérite de la
traduction , nous craignons que les faillies
de Quévedo ne faffent pas en France
la fortune qu'elles ont faite en Eſpagne.
La plaifanterie eſt un genre où nous fommes
d'autant plus difficiles , que nous y
fommes plus exercés , & qu'il faut qu'elle
joigne , pour nous plaire , les graces de la
fineffe au piquant de la nouveauté. Voilà
pourquoi les plaifantéries étrangeres ,
SEPTEMBRE. 1756. 143
quelque bien qu'on les traduife , font rarement
de notre goût , & bleffent ce que
nous appellons le bon ton.
»
وو
MÊLANGES LITTÉRAIRES . Brochure in-
12. où l'on trouve de l'efprit , & quelquefois
des chofes . Parmi quelques differtations
ou lettres , il y en a une fur le goût
des François en matiere de littérature qui
nous fournit quelques réflexions. L'Auteur
débute ainfi : « Qu'est- ce que le goût ? Je
» n'en fçais rien , & fi je le fçavois je ne le
dirois de pas trop gens ont intérêt que
» les idées de l'efprit & du goût ne foient
» jamais fixées » . Nous ne penfons pas de
même à beaucoup près. Le goût n'eft ni
auffi inexplicable ni auffi indéfini , que
l'Auteur veut le dire. On en a donné des
définitions qui ont du moins fervi à le
faire entrevoir , ce qui prouve toujours
affez contre l'opinion de ceux qui prétendent
qu'on ne fçauroit abfolument dire
ce qu'il eft. A l'égard de la réferve que
l'Auteur dit qu'il auroit s'il le connoiffoit
mieux , c'eſt facrifier la charité aux égards.
L'Auteur , par cet aveu , s'expofe à faire
penfer qu'il ne fe foucie pas beaucoup
d'inftruire & d'être utile. Autre queſtion .
Ya- t'il quelque chofe qu'on puiffe appel-
» ler le goût général d'une nation en ma144
MERCURE DE FRANCE.
tiere de littérature » ? Oui , fans doute:
Un bon ouvrage réunit toujours les fuffrages
de toute une Nation : cette unanimité
prouve certainement un goût général;
c'eft un oracle formé de toutes les voix. Il
y a bien toujours quelques légeres parties
du tout le plus admiré , qui effuient quelques
conteftations , & fur le mérite defquelles
il n'eft pas même poffible que les
efprits foient bien d'accord ; mais l'enfemble
refte toujours en poffeffion d'une approbation
unanime. Il nous femble que cela
prouve un goût général dans une Nation ,
& que la chofe n'eft point du tout problématique.
Dans le cours de fa Lettre l'Auteur
dit : « Un des progrès de l'efprit philo-
» fophique dans le dix-huitieme fiècle , eſt
» de n'en pas toujours croire Defpréaux fur
» fa parole. Mais devons- nous croire da-
» vantage cette voix qui nous crie fans
» ceffe le goût tombe , les talens dégénerent ,
» le bel- eſprit a tout perdu , les beaux jours
» des Lettres font paffes, & c » ? Nous croyons
qu'on doit écouter cette voix fans la méprifer
ni la croire tout- à- fait , à peu près
comme on écoute un radoteur qui laiffe
voir quelque raifon.
Nous ne paffons point aux autres articles
qui méritent pourtant d'être lus. Le
premier eft une Lettre hiftorique fur Gaſton
de
t 145 SEPTEMBRE . 1756.
de Foix , Duc de Nemours. On y trouve
des anecdotes affez curieufes.
Ces mêlanges finiffent par quelques
Pieces de Poëfie , où l'on rencontre quelquefois
des vers ( ce qui eft plus rare aujourd'hui
qu'on ne penfe ) . Telle eſt celle
que nous allons ici tranfcrire , & qui eſt
la derniere du Livre. C'eft une Epître de
Madame de ...à M. le Comte de ... qui
étoit parti pour l'armée fans lui dire adieu :
Comte charmant , que chaque Belle
A droit d'enflammer à fon tour ,
Vous , dont l'ardeur univerfelle
Embraffe la Ville & la Cour ,
Vous , qui du regne de l'Amour
N'avez jamais vu que l'Aurore ,
Vous , partez : vous jouez ce tour
A Life , qui pendant un jour
Vouloit fur vous régner encore ;
Et qui pour ce projet fi beau
Avoit d'un caprice nouveau
Inventé l'heureux artifice !
Vous jouez ce tour à Clarice
Qui s'arrangeoit pour vous bouder demain ;
Et qui devoit le lendemain
Des billets de Damon vous faire un ſacrifice ! ..
J'entends , vous foupirez , je reſpecte vos pleurs :
Je fuis votre parente , & de plus votre amie ,
Le devoir rigoureux & la gloire ennemie
G
146 MERCURE DE FRANCE.
Vous arrache ( 1 ) à tant de douceurs :
Confolez-vous pourtant de cette barbarie ;
Vous trouverez partout & des yeux & des coeurs ,
De la mode de la folie.
Victime de l'Amour & du courroux des Dieux ,
Ovide gémiffoit loin des bords d'Italie :
Il vit un tendron de Scythie
A l'air gauche , au ton plat , excédant , ennuieux ;
Mais laBrunette étoit jolie :
Il la mit à la mode , & bientôt dans les yeux
Il retrouva Rome & Julie.
Vous ferez comme lui, Comte , & peut-être mieux.
Mais non , la trahifon pourtant feroit trop noire :
Vous m'aimez , vous n'aimez que moi ;
Vous me l'avez dit , je le croi :
Que gagnerois- je à n'en rien croire ?
Vous m'avez épargné de regrets fuperflus :
Mais votre coeur au mien a fçu fe faire entendre,
Ce brufque départ m'en dit plus ,
Que n'eût fait l'adieu le plus tendre .
Avis au Public au fujet d'un Ouvrage
intitulé Defcription hiftorique de l'Hôtel
Royal des Invalides , par M. l'Abbé Pérau ,
Licentié en Théologie de la Maiſon &
Société de Sorbonne ; avec les plans , coupes
, élévations géométrales de ce magnifi
édifice , & des que gravures qui repréfentent
les peintures & les fculptures de l'E-
(1) Il falloit dire , vous arrachent,
SEPTEMBRE. 1756 . 147
glife , en cent huit Planches deffinées &
gravées par le Sieur Cochin , Graveur du
Roi , de l'Académie Royale de Peinture &
Sculpture. A Paris , chez Guillaume Defprez
, rue S. Jacques.
Cette Defcription eft précédée d'un Difcours
préliminaire , dans lequel on examine
d'abord quels étoient les moyens dont
on fe fervoit autrefois pour foulager les Militaires
,, que leur âge ou leurs bleffures
mettoient hors d'état de fervir . On fait
voir enfuite qu'il n'y avoit qu'un établiſfement
public qui pût fatisfaire à tous
égards à ce que la Religion , l'humanité ,
la reconnoiffance femblent exiger en faveur
de ceux qui fe facrifient pour le bien
& la gloire de l'état.
Cet Ouvrage , qui eft de la plus riche
exécution , forme un volume in -folio de
trente feuilles d'impreffion , & de centhuit
Eftampes , comme le titre l'annonce ;
le tout en papier grand raifin double . Ceux
qui voudront en faire l'acquifition d'ici
au premier Janvier 1757 , l'auront pour
la fomme de 36 liv . relié très-proprement
en veau : paffé ce terme , on n'en délivrera
aucun Exemplaire à moins de 48 liv . Le
Libraire prévient le Public que cet Ouvrage
étant d'une très - grande dépenfe , il
n'en fera tiré & relié qu'à mefure du débit,
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
& qu'on trouvera toujours un Exemplaire
chez lui , pour ceux qui voudront fatisfaire
leur curiofité avant l'acquifition .
PROJET pour la perfection de la Carte
de la France , par M. Caffini de Thury.
Dans ce nouveau projet qui a été préfenté
au Roi , l'Auteur nous dit que depuis
1750 qu'on a commencé à lever des Cartes
détaillées , il estime qu'il y a un tiers de l'ouvrage
entiérement fini ; fçavoir , toute la
Généralité de Paris , qui comprend une
très-grande étendue de terrein , & s'étend
jufqu'à Vezelay ; une partie de nos Frontieres
depuis Dunkerque jufqu'à Metz , &
toutes les Côtes de la Manche depuis Dunkerque
jufqu'à Cherbourg . Pour achever ,
ajoute- t'il , ce qui refte à faire , on fe propofe
d'augmenter le nombre des Ingénieurs
, & de les porter jufqu'à trente- quatre.
Deux de ces Ingénieurs feront deſtinés
à lever les grands triangles & à procurer
des bafes pour le travail de ceux qui feront
chargés de la defcription des Cartes
particulieres , & quatre autres feront chargés
de vérifier les Cartes avant qu'on les
donne au Public , de les communiquer à
tous les Seigneurs & Curés , & de prendre
leurs avis pour donner à ces Cartes la plus
grande perfection poffible . On fe propofe
de donner tous les ans dix à douze feuilles ,
SEPTEMBRE . 1756. 149
& de les vendre quatre livres la feuille .
On a commencé à vendre la premiere
feuille le
IS
du mois d'Août de cette année
1756 , & on en donnera tous les mois
une nouvelle feuille chez le Sieur Séguin ,
Artificier du Roi , rue Dauphine , & chez
M. Caffini , à l'Obfervatoire.
Si les Etats de Bretagne , à l'exemple de
ceux de Bourgogne , de Bugey & d'Artois ,
veulent contribuer pour la Carte de leur
Province , & fi MM. les Evêques de France
défirent avoir la Carte de leur Diocèfe ,
ils pourront s'adreffer ( 1 ) à la Compagnie
qui traitera avec eux pour la levée & la
gravure de leurs Cartes particulieres . On
peut les affurer que l'Ouvrage fera mieux
fait & à moins de frais.
DICTIONNAIRE Iconologique , ou Introduction
à la connoiffance des Peintures,
Sculptures , Médailles , Eftampes , &c.
avec des defcriptions tirées des Poëtes anciens
& modernes , par M. D. P. A Paris ,
chez Théodore de Hanfy , fur le Pont au
Change , à S. Nicolas , 1756 .
Le Difcours préliminaire nous a paru
écrit avec élégance , le Dictionnaire fait
(1 ) Cette Compagnie eft compofée de cinquante
Affociés , parmi lefquels on compte des
perfonnes de la plus grande diftinction.
G iij
150 MERCURE DE FRANCE .
avec foin , & les mots qui le compofent
expliqués avec goût. Quelques exemples
pris au hazard ferviront de preuve.
ANTIQUITÉ ( ' ) mérite nos hommages
par les chef-d'oeuvres en tout genre qu'elle
nous a procurés. Elle fe préfente à nous
couronnée de laurier & affife fur un trône
foutenu par les Génies des beaux Arts , &
que les Graces environnent : elle eft habilfée
à la Greque. Les plis de fes draperies
font grands , mais fans affectation : elle
tient d'une main les Poëme d'Homere &
de Virgile , les plus beaux monumens de
l'antiquité & de l'efprit humain , & montre
de l'autre les Médaillons des plus
grands Génies d'Athènes & de Rome , attachés
au Temple de Mémoire : ce Temple
réunit les trois Ordres Grecs , les feuls véritablement
beaux ; l'on voit au pied du
trône & fur un riche tapis les fameux morceaux
de fculpture qui nous reftent de
l'antiquité , tels que la Vénus , l'Apollon ,
l'Hercule , le Torfe , le Lacoon , & c.
MIRACLE . Dans un tableau qui repréfente
Sainte Clotilde faifant fa priere devant
le tombeau de Saint Martin , M. V.
a défigné d'une maniere bien ingénieuſe
les Miracles qui s'operent par l'interceffion
du Saint , & l'effet favorable de la priere
de Clotilde. Il a repréſenté cette Reine
SEPTEMBRE . 1756. 151
dans le moment d'une priere active ; elle
eft à genoux , fes bras ouverts & étendus ,
. & fes yeux font fixés fur le tombeau . On
comprend aifément qu'elle vient d'être
exaucée , parce que l'on voit un rayon de
lumiere avec des têtes de Chérubins , qui
du haut du Ciel defcendent fur les faintes
Reliques.
MODESTIE ( la ) fe préſente toujours à
nous coëffée d'un voile , & portant un
fceptre , au haut duquel il y a un oeil ,
pour nous faire entendre que c'eſt cette
vertu qui doit régler nos penfées & veiller
fur nos actions. Ce hieroglyphe eft emprunté
des Egyptiens , qui avoient couttime
de défigner par cet attribut celui qui
avoit une infpection fur les autres.
La Veuve Delaguette diftribue un Imprimé
de huit pages in -4° . qui a pour titre :
Lettre à M. Keyfer , Inventeur des Dragées
anti-Vénériennes par M. Dibon , Chirurgien
ordinaire du Roi dans la Compagnie
des Cent- Suiffes de Sa Majesté . Cet écrit eft
la Réponse à une Lettre anonyme adreffée
à M. Dibon , & dont visiblement l'objet
étoir de le commettre avec M. Keyſer.
En effet , après avoir infinué que le remede
de ce nouveau Praticien eft égal ou ſupérieur
à celui de M. Dibon , l'Anonyme
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
+
ouvre l'idée d'un défi , qu'il paroît défirer
que les deux Artiftes acceptent. M. Dibon
qui s'adreffe ici directement à M. Keyſer ,
répond d'abord avec beaucoup de modération
à l'éloge affecté qu'on fait des Dragées
anti - Vénériennes. Enfuite il accepte
le défi , ou le propofe de nouveau , en faifant
voir les avantages qui peuvent en
réfulter pour le Public. Sa Lettre nous a
paru bien faite & intéreffante à plufieurs
égards. Quant à celle de l'Anonyme nous
ne la connoiffons que par l'idée qu'il en
donne.
On trouve chez la Veuve Delaguette
tous les Ouvrages de M. Dibon.
INSTRUCTION fur la maniere d'élever
& de perfectionner les Bêtes à laine , compofée
en Suédois par Fréderic W. Haftfer ;
mife en François par M ***
2 volumes.
A Paris , chez Guillyn , Quai des Auguftins
, & à Dijon , chez François Defventes ,
Libraire , 1756.
LE fieur Defbordes , Imprimeur- Libraire
de la ville de la Rochelle , avertit
les amateurs de la Langue Sainte , que
l'ouvrage qu'il a fous preffe , intitulé Praxis
Lingue facra , &c. avance heureuſement
& paroîtra avant la fin de la préſente année
1756.
>
SEPTEMBRE. 1756. 1'5'3"
L
Cet ouvrage contient 1. une Grammaire
Hébraïque & Chaldaïque , fans
points voyelles. Outre la maniere de prononcer
l'Hébreu , propofée par M. Maſclef,
on y en ajoute une autre plus fimple encore
, plus claire & plus aifée. 2º. Un
Dictionnaire Hébreu & Chaldéen dans le
goût du Dictionnaire Grec de Schrével ,
c'est- à-dire , qu'on y trouvera par ordre
alphabétique non feulement tous les mots
de la Bible expliqués & rapportés à leurs
racines , avec tous les noms propres , mais.
encore toutes les inflexions des noms &
des verbes qui pourroient avoir la moindre
difficulté : enforte qu'avec cet ouvrage
chacun pourra par foi- même , & en peu
de tems , fans le fecours d'aucun Maître ,
apprendre l'Hébreu & le Chaldéen , & fe
mettre en état d'entendre le Texte facré
des Saints Livres écrits en ces langues .
Tout l'ouvrage fera compris dans un
feul volume in- 4° de 600 pages , beau
papier & caractere neuf de Cicero. Il fe
vendra à la Rochelle , chez ledit Defbordes
Imprimeur-Libraire , & à Paris , chez la
veuve Bordelet , rue S. Jacques , près le
college de Louis - le- Grand.
9
零
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
SUITE du Traité hiſtorique des inventions
, des découvertes & des ufages, depuis
l'origine du monde , &c . de M. l'Abbé
Picault de la Rimbertiere , Chanoine de
l'Eglife d'Orléans , dont le Projet a été
annoncé dans le Mercure de Juillet dernier.
ARTICLE
Des Lettres & de leurs premiers Inventeurs.
Si l'on cherche l'origine des lettres , &
qu'on veuille avoir quelque déférence
pour le témoignage des Anciens ( 1 ) on ne
pourra s'empêcher de reconnoître que leur
inventeur fut Tautus appellé par les Egyptiens
Thoth ; les Grecs le nommoient Hermés
, & depuis les Latins le nommerent
Mercure.
Tautus vivoit vers l'an 1600 avant J. C.
Après avoir été le Miniftre & le Confident
d'Oſiris , il régna enfuite lui -même. Ce fut
par fes foins & à fon amour pour les Arts ,
qu'on vit fleurir dans l'Egypte l'Agricul
ture , la Géométrie , l'Aftronomie ; en un
mot , toutes les Sciences qui tendent à la
perfection de l'efprit & au bonheur même
(1 ) Diodorus , lib. 1 , Cicer. lib . 3, de Naturâ
Deorum. Tacit. ann, lib. 3. Plin. lib . 7.
7:
SEPTEMBRE. 1756. 155
4+4
d'un Etat. Et fi l'on en croit ces mêmes
Auteurs , les Phéniciens ( 1 ) font redevables
aux Egyptiens de cette découverte qui
paffa chez ce peuple à la faveur d'Agénor
qui alla régner à Tyr , comme la Grece le
fut à fon fils Cadmus qui vers l'an 1519 ,
avant l'Ere chrétienne , lui donna la connoiffance
des feize premieres lettres de
l'Alphabet. Palamede durant la guerre
de Troie en ajouta quatre , & Simonide ,
dit Lymbique , quatre autres.
Cependant ces fentimens tout refpectables
qu'ils nous paroiffent , font contredits
ici par Eufebe l'Hiftorien , qui attribue
à Moïfe l'invention des lettres , &
qui dit que Moïfe en donna la connoiffance
aux Hébreux , les Hébreux aux Phéniciens
, & les Phéniciens aux Grecs. Mais
parmi ces différentes opinions , notre
doute fur celui qui eft l'inventeur des
lettres , ne pourra- t'il pas être levé ? Si
l'on s'en rapporte à l'excellente chronique
Chinoiſe achevée en 1749 , & envoyée
de Pekin par le P. Gaubin , Miffionnaire ,
(1) Suivant ce fentiment , n'est - ce point à tort
que Lucain dans fes vers en attribue l'honneur
aux Phéniciens ?
Phenices primi , fuma fi credimus , auſi
Manfuram rudibus vocem fignare figuris.
Lucan. lib. 3 , Pharfalia.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
Jéfaite très - verfé dans la connoiffance des
monumens de cette nation , qui nous apprend
qu'on y trouve infcrit le nom de
Fobi ou Foubi ; que ce Fohi , qui veut dire
Noë , vivoit vers l'an 3468 avant l'Ere
Chrétienne ; qu'il étoit de la province de
Xenfi , & qu'il fut l'inventeur des caracteres
pour l'écriture , que c'eſt lui qui établit
les noms & furnoms pour diftinguer les
familles ; & alors , ne faudra-t'il pas faire
remonter l'invention des lettres longtemps
avant Moïfe ? Que dis-je ! Si nous confidérons
ce que Jofephe l'Hiftorien rapporte :
Que les defcendans de Seth , pour conferver
à la poſtérité la mémoire des obſervations
céleftes qu'ils avoient faites , en écrivirent
les principales fur deux colonnes ,
l'une de pierre & l'autre de brique ; que
celle de pierre réſiſta aux eaux du déluge ,
& que de fon temps même , on en voyoit
encore des veftiges dans la Syrie : Suo adhuc
tempore in Syria extitiffe teftatur Jofeph.
Lib. 1 , Antiq. Judaïc.
Les defcendans de Seth ne feront- ils pas
regardés avec raifon comme les véritables
inventeurs des lettres ou fignes qui y ont
donné lieu ?
Mais pour ne me point éloigner du ſentiment
d'Eufebe qui attribue , comme j'ai
fait voir , l'invention à Moïfe , on peut
SEPTEMBRE. 1756. 1571
croire , & je le penfe même , que ce conducteur
du peuple Juif, ayant fçu par l'inf
pection de ces colonnes , découvrir les caracteres
propres du temps , & la fcience
des chofes qui y étoient contenues , en
donna l'intelligence à fon peuple & fit revivre
, en un mot , un art que tant de
fiecles avoient entiérement obfcurci .
Après l'expofé de ces différens fentimens
, attachons - nous donc à quelque
chofe qui paroiffe certain , & tout- à-fait
indubitable , & convenons avec M. Wachter
qu'il a fallu que celui qui a le premier
inventé les lettres , ait étudié les combinaifons
de la langue , des levies & des
autres inftrumens du langage , pour pouvoir
être en état de former les caracteres.
dont il vouloit compofer une écriture fuivie
par exemple , la lettre O , comme un
cercle , parce que la bouche eft forcée de
prendre cette configuration en énonçant
cette voyelle , & qu'il fe foit auffi étudié
-particuliérement à peindre les chofes avant
les mots. Cette réflexion , ajoute ce même
Auteur , peut fuffire pour perfuader que
les premiers fignes dont les hommes fe font
fervis pour repréfenter leurs penfées , furent
les images même des chofes , plutôt -
que des caracteres deftinés à former des
mots. En effet , vouloient-ils parler du
158 MERCURE DE FRANCE.
foleil ils formoient fur la terre ou fur
toute autre chofe un cercle , & faifoient
connoître par - là que leur intention étoit
de décrire la figure de cet aftre lumineux :
s'ils parloient de la Lune , ils ne formoient
qu'un demi- cercle ou un croiffant ; des
ondulations tracées par une main légere ,
avertiffoient qu'on vouloit parler d'un
fleuve. Enfin toute leur étude étoit qu'on
pénétrât leur penſée par la figure qu'ils décrivoient.
Delà il eft aifé de voir que la
nature a enfeigné aux hommes le deffein
avant qu'ils euffent trouvé des caracteres
pour écrire , & c'eft ce qui fe prouve encore
par les figures hiftoriques des Egyptiens
dont leurs obélifques étoient chargés.
Leurs lettres n'étoient que des figures compofées
de quelques parties du corps humain
, d'animaux , d'oifeaux , de plantes ,
& de tout ce qu'on appelle hieroglyphes ou
fymboles mystérieux . Le boeuf indiquoit
la terre ; le lion , le courage ; le chien , la
fidélité , &c. animalium effigies loco litterarum
erant , quippeque fenfus mentis repreſentabant
( 1 ) .
Mais de tous les peuples que nous connoiffons
, qui ont confervé plus longtemps
cette façon d'écrire , ce font les Américains.
L'hiftoire nous apprend qu'à la dé-
( 1 ) Polid, Virg. lib. 1.
SEPTEMBRE . 1756. 159
9
couverte qu'on fit de cette partie du monde
, furtout au Royaume de Mexique
leurs livres n'étoient compofés que de figures
au lieu de lettres , qui avoient beaucoup
de rapport aux hiéroglyphes des
Egyptiens le Roi même Montezuma ,
parmi les préfens qu'il fit à Ferdinand Cor.
tez l'an 118 , lui donna plufieurs de ces
livres ( 1 ).
Depuis , chaque peuple fans doute , fur
le modele de celui qui en avoit le premier
donné l'exemple , s'eft formé des lettres à
fa guife , adoptant celles qui pouvoient
lui convenir. On vit les uns écrire de la
droite à la gauche , comme les Hébreux ,
les Samaritains , les Caldéens , les Turcs ,
les Arabes , les Perfans ; les autres de la
gauche à la droite , comme les Grecs , les
Latins , les Arméniens , les Ethiopiens
les Indiens & tous les Européens : pour les
Chinois ( 1 ) , Japonnois & Siamois ils
écrivoient du haut en bas.
>
(1 ) Ferdinan Cortez , Gentilhomme Elpagnol,
natif de Medalino , entra dans le Mexique l'an
1518 , & conquit ce Royaume qu'on a nommé
depuis la nouvelle Eſpagne.
(2 ) Les Chinois au lieu de lettres , fe fervent
de différens chiffres pour exprimer chaque mot.
Cet art mystérieux d'écrire étoit autrefois en ufage
chez les Lacédémoniens,
160 MERCURE DE FRANCE.
L'écriture Hébraïque dont l'alphabet eſt
compofé de vingt- deux lettres eft regardée
comme la mere de celles de toutes les
autres nations , ayant prefque toutes confervé
l'ordre & le nom des lettres Hébraïques.
On trouvera le 15 de ce mois chez Jombert
, rue Dauphine , les Mémoires des deux
dernieres Campagnes de M. de Turenne en
Allemagne , & de ce qui s'eft paffé depuis
fa mort fous le commandement du Comte
de Lorge , 1 vol. in- 12 . C'eft la réimpreffion
d'un Ouvrage fort rare & très- eftimé.
Il a été revu , corrigé & augmenté d'une
Préface .
On trouve chez le même Libraire les
Elémens d'Algebre , de M. Saunderſon ,
traduits de l'Anglois , & augmentés de
quelques remarques , par M. de Joncourt ,
2 vol. in-4° . fig. 18 liv. & RELATion du
fameux Siege de Grave , en 1674 , & du
Siege de Mayence , en 1689 ; avec le Plan
de ces deux Villes , in- 12 . 3 liv.
SEPTEMBRE. 1756. 161
ARTICLE III.
- SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
PHYSIQ U E.
MÉMOIRE
Sur la caufe des Tremblemens de terre , &
des Secouemens d'air ; par M. l'Abbé de
Brancas.
LE fecond verfet du Pfeaume 23 & d'autres
textes divins , déclarent la terre fondée
fur les eaux , fur les mers & les fleuves
qui s'y rendent , felon l'Eccléfiafte ,
Chap. 1 , 7 , afin de retourner aux fources
à travers les montagnes ; Cant. d'Habacuc:
c'eft fans doute par des conduits.
fouterreins & foumarins , qu'il faut reconnoître
, avec les concaves du Rhône , de la
Guadiana , de l'Umoa pour ce cours inteftin
& extérieur mutuellement dépendant ,
dont provient la caufe principale des tremblemens
& fecouemens des contrées & d'autres
accidens , la formation & la deftruc162
MERCURE DE FRANCE.
tion des Volcans même , des Carrieres ,
des Marbrieres & des minieres de toute
efpece , fans art & travail humain . L'infertion
de coquillages , d'offemens & de
végétaux , & d'oeufs d'infectes que l'élec
tricité fait éclorre , comme crapaux & grenouilles
, dans des marbres & des minéraux
; la difperfion & le raffemblage de
divers foffiles , en toute profondeur , les
pétrifications , & le mélange des paillettes
d'or & d'autres métaux avec le fable des
rivieres , n'ont pas d'autre principe : le Pactole
qui en étoit fameux ne mérite plus de
l'être , & d'autres fleuves ont acquis cet
avantage paffager d'en entraîner ; l'origine
des fources & fontaines , & furtout des
mines fouillées & renouvellées en Veftphalie
, dans la Thuringe , & dans l'Ifle
d'Elbé , fans main d'oeuvre , paroît inexplicable
fans la circulation des eaux , à
raifon de la vraie figure de la terre en cylindroïde
arrondi & boffué par fes bafes ,
mais criblé & percé en diverfes directions ,
couches & profondeurs , par de tels canaux
changeans ou permanens . Voyez nos
Ephémérides de 1754, 8, & notre explication
du flux & reflux dans les articles indiqués
par fa table.
Ainfi l'eau coulant dans terre comme
fur terre , produit des inondations , des
SEPTEMBRE . 1756. 163
mutations & excavations inteftines , comme
extérieures , dépofte divers volumes
d'air , à mesure qu'elle furabonde dans ces
divers conduits , où elle laiffe rentrer de
cet élément en y diminuant d'affluence ;
de même que dans des tuyaux de plomb ,
fouvent l'air entraîné & intercepté dans
des coudes , arrête ou embarraffe l'écoulement
felon les faifons ; & que les eaux des
rivieres fuperficielles foulevent , déplacent
& repouffent dans toute l'étendue de leur
courant , un volume proportionnel d'air à
celui qui domine avant leur crue , & le laiffent
revenir au deffus à meſure & à pro--
portion qu'elles s'abaiffent & fe retirent :
l'air qui circule ainfi avec l'électre & l'eau
prefque autant dans la maffe terreftre que
fur fa fuperficie , produit conjointement
ou féparément une multitude de phénomenes
expofés & expliqués dans nos éphémérides
cofmographiques , & renouvellés
en partie chaque année en diverſes contrées
, fans avoir attiré la même attention,
que depuis la ruine de Liſbonne .
Si dans ces canaux internes qui font
voûte de tous côtés comme des efpeces
de bornaux qui reçoivent des obftructions
& des embarras par des fédimens , des
enfondremens & éboulemens , les eaux
par leur affluence , leur chûte & vîteſſe ,
164 MERCURE DE FRANCE.
viennent à trop refferrer, & comprimer audeffus
de leur fuperficie , & dans une concavité
verticale , un grand volume d'air
qui ne peut s'échapper dans l'atmoſphere ,
pour s'y ranger en équilibre comme ceux
que les fleuves en plein vent déplacent felon
leur crue , que doit-il réfulter ? La forte
compreffion ou le refferrement exceffif de
cet air empriſonné , comme dans la canne
ou fufil , ou arquebufe à vent , lui fait
acquérir affez d'élafticité pour repouffer
les eaux qui lui cédent alors de l'efpace ,
& le repouffant tour à tour , caufent des
éboulemens , & lui font exciter des fecouffes
, des lézardes & crevaffes jufqu'à la
furface de la terre ; ou bien cet air eft réduit
à pénétrer par des fentes éventuelles
dans d'autres endroits concaves & caverneux
, où fouvent les mêmes caufes le
forcent encore à fecouer leurs parois avec
exploſion , ou du moins ces eaux qui contractent
trop fon volume , ou bien à former,
s'il eft plus aifé , un bouillonnement
pour s'échapper par pelotons à travers cet
élément dans toute fa continuité.
Voilà ce qui détermine les diverfités &
différences de plufieurs défaftres analogues
en leur principe , qui de tout temps
ont été reffentis , & le feront toujours ,
mais en particulier la durée , la force &
F
C
C
SEPTEMBRE . 1756. 165
les repriſes des tremblemens de terre , des
fecouemens d'air , & leur extenfion fimultanée
ou fucceffive à diverfes contrées peu
ou fort éloignées ; comme il eft arrivé le
premier Novembre & le 18 Février dernier
, & avant & depuis : c'eft parce qu'à
raifon des autres , des canaux fubjacens &
correfpondans à diverfe profondeur , l'air
intérieurement répandu fur la fuperficie
des eaux qui le refferrent trop , peut exercer
à la même heure ou fucceffivement
les effets indicibles de fon élasticité , jufqu'à
ce que l'équilibre interne comme l'externe
entre ces deux élémens , foit rétabli
naturellement ou furnaturellement : combien
plus augmentée & puiffante deviendroit
l'élafticité de cet air comprimé , à
proportion qu'il feroit en même -tems électrifé
& échauffé par diverſes cauſes accidentelles
.
>
Eft-il befoin pour les indiquer de rappeller
ici ce qu'operent les volcans , les
feux & les météores fouterrains & aériens,
la Pirothecnie & le Génie par diverfes
pieces d'artillerie , & les mines artificielles
& la Phyfique expérimentale , par le
fimple mêlange des matieres effervefcentes
? Repréfentons - nous fimplement les
effers de l'arquebufe a vent plus que de
l'arquebufe à feu ; & concevons par cette
166 MERCURE DE FRANCE.
comparaiſon , dans une difparité pareille
à celle des volcans & des mortiers , que
des volumes d'air qui deviennent trop
refferrés par les eaux affluentes avec excès
dans des concavités fouterreines , fans
avoir même befoin d'être électrifés extraordinairement
, font la caufe des tremblemens
de terre , des enfondremens & même
des exploſions , élancemens & tranflations
de terrein à une diftance étonnante , comme
une ifle élancée en partie à plus de
demi - lieue fur le continent auprès de
Lima , en Octobre 1746 , en a réïtéré
un exemple fourni dès 1698 ; & qu'enfin
tous les fecouemens & événemens refpectifs
fimultanés ou fucceffifs depuis la
Touffaint 1755 , comme avant , font plus
ceux d'un air trop comprimé par les eaux
dans des concavités , qu'électrifé & raréfié
par des feux accidentels ; quoique fes
effets doivent être plus grands , à proportion
de fa contraction , & d'une forte
électrifation & explofion qui furviendroit :
les expériences du Termometre à air & à
eau ou à figure , qui font trop peu connues
, le prouvent parfaitement.
S'il faut rendre raifon de tous les phénomenes
analogues par un même principe
naturel & univerfel , non miraculeux ni
fingulier , en eft- il d'autre que celui qui
SEPTEMBRE. 1756. 167
vient d'être expofé ? Nulle flamme , nul
tourbillon de fumée & de cendres , mais
feulement de pouffiere & de fable , nulle
apparence de feu interne accompagnant ces
événemens , qui font prefque toujours
fuivis , ou précédés en diverfes contrées
peu ou fort diftantes en longitude & latitude
, d'ouragans , de torrens d'eaux troubles
ou mêlées de beaucoup d'ingrédiens
hétérogenes , & du tariffement paffager
ou intermittant de plufieurs fources d'une
crue ou d'une diminution fubite & notale
dans les eaux de plufieurs rivieres voiines
& éloignées , d'un bouillonnement
& foulevement des flots dans les plages de
mer & les lacs où ces canaux ont leur entrée
ou iffue. La région imminente de
l'atmoſphere fubit auffi de violentes agitations
par l'éruption des volumes étrangers
d'air & d'eau interne , qui s'échappans
ainfi , dérangent l'équilibre jufqu'à
ce qu'ils s'y rangent , à force de fecouemens
, & de déplacemens d'autres volumes
d'air & d'eau fuperficielle . La plûpart
des fecouffes qu'on a cru fubir , comme
le 30 Avril dernier , n'ont été que
des fecouemens d'air par un volume extraordinairement
expulfé d'une concavité
fouterreine : ce volume étant étranger
& fuperflu dans l'atmoſphere , eft obligé
168 MERCURE DE FRANCE.
"
de former une tempête , ou tout au moins
un courant & un fecouement d'air fur
fa route , dont provient dans les édifices
une agitation & un trémouffement de
haut en bas : c'eft ce que la combinaiſon
de toutes les circonftances dans ma chambre
, où je l'ai éprouvé , m'a fait reconnoître
indubitablement avec la relation de
tous les tremblemens , qui en différentes
contrées ont été réels ou préfumés à raiſon
d'un tel effet.
A l'exception des tempêtes qui proviennent
des nuages répandus & pouffés dans
l'atmosphere par des vents rivaux ou oppofés
en direction , dont le combat fait même
élever dans leur point de rencontre ,
des
trombes fur l'Océan , & des échillons fur
les lacs , ou au contraire précipiter des
nuées entieres fur des montagnes , la plupart
des tempêtes , des ouragans & des
vents impétueux & extraordinaires fur les
mers & les continens , proviennent de ces
volumes d'air déplacés , comme fortis de
terre avec des exhalaiſons , ou par deffous
dés lacs , & l'Océan, à travers les colonnes
de leur élément qui en font foulevées ,
étant expulfés avec des eaux , à cauſe de
leur affluence trop forte dans ces canaux
inteftins , par un effet analogue à ceux de
l'arquebufe à vent , ou même de l'arquebufe
SEPTEMBRE . 1756. 169
bufe à vent & de l'arquebufe à feu tout
enfemble , dont alors ces canaux tiennent
lieu en infiniment grand.
Leur exiſtence & communication eft
prouvée dans notre explication du flux &
reflux , & dans nos Ephémérides . cofmographiques
: renvoyons- y donc auffi pour
nos preuves , qu'intérieurement comme
extérieuremenr à diverfe profondeur les
eaux forment des lacs , des fleuves , des
rivieres , des ruiffeaux , des concavités ,
des excavations , des comblemens , des
attériffemens , des éboulemens , & enfondremens
, malgré les canaux & réſervoirs
permanens , à raifon de la contexture de
leurs parois , qui fans avoir été détruits
par le déluge pour fa production , plus que
rétablis pour fa ceffation , ont été formés
divinement au fecond jour de la création
avec toutes les éminences & profondeurs
effentielles , afin de laiffer paroître la
maffe de l'aride , & que le cours , des eaux
douces & falées fuffit pour creufer , tuiner
& combler d'autres canaux , qui bien
moins que ftables & durables , abſorbent
pareillement comme des gouffres , ou du
moins reçoivent & conduisent comme des
bornaux , les eaux de la mer , des lacs &
des grands fleuves , & celles qui pénétrent
à travers diverfes couches de terrein par
H
170 MERCURE DE FRANCE.
filtration : ces canaux modernes facilitent
comme les anciens également inconnus ,
& comme ceux qui ne font pas occultes ,
dont il eft mention plus haut , un cours à
l'eau , à l'air & à l'électre toujours mélangé
; & ce cours eft auffi aifé qu'un engloutiffement
& dégorgement de ces élémens ,
pourvu que les jambages ou rameaux de
ces conduits finueux & anfractueux faffent
des angles plus grands que 90 degrés ,
& ne fubiffent point d'obſtructions trop
fortes.
de
L'air inteftin & renfermé étant devenu
trop comprimé en différentes concavités
dont il ne pouvoit fortir , l'eau même qui
le contractoit par fon affluence , lui fermant
toute iffue fans lui laiffer , comme
en d'autres endroits , la voie de s'échapper
enſemble , en gros ou petit volume
ou féparément & par bouillons , aura été
forcé de fecouer les eaux inférieures & les
parois latéraux & verticaux des concavités
où il étoit trop contraint , jufqu'à ce qu'il
ait pu fortir en bouillonnant & mugiffant
ravers cet élément , ou même par éruption
& exploſion , ainfi que par les fentes
& overtures que fes fecoufles ont produites,
jufqu'à ce que devenant moins
reffer é , il ait pu reprendre l'équilibre
pour circuler avec l'eau dansde nouveaux
•
SEPTEMBRE. 1736. 171
conduits & receptacles ou dans les mêmes
comme auparavant .
Jufqu'alors des fecouffes font & feront
fenties au deffus des canaux occultes &
inteftins , ou ces deux élémens n'ont pas
repris , ou perdent & perdront encore fucceffivement
l'équilibre de circulation & de
compreffion mutuelle ; & encore plus , fi
une chaleur accidentelle & extraordinaire
agit fur l'un ou fur l'autre : de ces efforts
qui fe perpétuent jufqu'à ce que cet air
qui ne peut fouffrir qu'un certain degré de
contraction & de compreffion , trouve à ſe
mettre au large , ou moins à l'étroit , en
repouffant ces eaux trop comprimantes ,
qui à leur tour le dépoftent & refferrent
par la hauteur & le poids de leurs colonnes,
ou bien en s'échappant dans d'autres
cavités , & dans l'amofphere par des ouvertures
, des lézardes & des fentes évenruelles
: il eft naturel qu'il réfulte fur divers
antres correfpondans , des fecouemens ,
des bouleverfemens & des abîmes , &
ailleurs des courans & fecouemens d'air par
des volumes échappés & furvenus dans
l'atmoſphere , avec les autres effets que
l'expérience n'a que trop appris au voifinage
des contrées où ces volumes d'air &
d'eau s'élancent.
1
༣ །
Avec ce feul principe , tous les phéno-
1
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
menes relatifs , qui font rapportés dans les
Mercures avec exactitude , font explicables
: faut-il donc recourir aux feux fouterreins
, qui fans la contraction de l'air ,
ne feroient point propres à rendre raifon
d'événemens finchrones & confécutifs aufli
diverfifiés , qui étant accidentels comme
´les inflammations d'anciens volcans , produiroient
des fecouffes encore moins étendues
, & qui devroient cependant par des
ouvertures & des fentes , fufciter des torrens
d'eaux auffi chaudes que les Thermales
, qu'échauffe la feule effervefcence de
leurs ingrédiens , & produire des tourbillons
de fumée , à travers la profondeur
même des mers , tandis que dans les défaftres
de Lisbonne , de Conftantinople , du
Caire , de Lima , de Quito , de Tauris ,
nul fymptôme n'en a paru , malgré les incendies
qui ont fuivi par négligence &
accident ; tandis qu'aucun nouveau volcan,
ne s'eſt formé à une modique ni grande
diſtance de ces villes infortunées , & que
nul des volcans anciens n'a fait une éruption
que plus hâtive & plus tardive de
plufieurs mois.
C'eſt affez de reconnoître fous les royaumes
de Portugal , d'Efpagne & de Maroc ,
comme partout ailleurs , d'après des textes
facrés & les Naturaliftes , des canaux fouSEPTEMBRE
. 1756 .. 173
terreins plus ou moins profonds , larges ,
étendus & anfractueux , qui abforbent ou
dégorgent les eaux , & les font paſſer par
d'autres conduits comme autant de ramaux
fous différentes contrées , dont la latitude
& la longitude différent peu ou beaucoup ,
afin de rendre par un air qui y eft devenu
trop refferré par les eaux , & peut être
auffi électrifé & échauffé par accident , la
raifon la plus fimple & la plus naturelle
du grand tremblement de terre qui a
été fi tragique le même jour à ces trois
Etats , & qui s'eft fait fentir fort inégalement
en même temps dans une partie de
la France , de l'Italie , de l'Allemagne &
de la Suede , & depuis dans les mêmes, ou
dans des contrées fort différentes , en Amérique
même comme en Afrique , & peutêtre
dans l'Afie.
Un refferrement d'air approchant étant
arrivé en 1530 dans les canaux anciennement
formés , a été d'autant plus aiſément
renouvellé en 1755 , dans les canaux depuis
rétablis par les eaux , & en partie
ébranlés fous la capitale du Portugal &
fes environs , à proportion qu'une grande
féchereffe durant les années précédentes ,
y a plus laiffé rentrer d'air , & que les
fortes pluies & les inondations y ont plus
ramené de l'eau , il femble que Paul Jove,
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
en décrivant le défaftre que Liſbonne effuya
de fon temps , ait expofé celui que
cette ville vient de fubir 225 ans après ,
par une même caufe renouvellée , que
toutes les circonftances combinées décelent
avec la correfpondance de ces canaux.
Eft- il donc moins formidable qu'incertain,
s'ils n'ont été comblés ? fi les eaux intef
rines n'en forment d'autres , ou ne les
rétabliffent convenablement , & n'y renouvellent
point un effet analogue , c'eſt- àdire
, fi l'air & l'eau n'y ont repris & n'y
confervent un cours équilibrien , que toutes
les contrées qui par des fouterreins ont
éprouvé des fecouffes fimultanées & fucceffives
, n'en fubiffent inopinément de
plus ou moins fortes , après un laps de
temps le plus indéterminable ?
Qu'est-ce qui a été , ce qui fera ? Qu'eſtce
qui fera , que ce qui a été ? Rien de
nouveau fous le foleil. Ecclefiaftes , chap.
1 , V. 9 .
SEPTEMBRE. 1756. 175
CHIRURGIE
.
LETTRE
Sur la Lithotomie ; par M. Chastanet , Correfpondant
de l'Académie Royale de Chirurgie
, Chirurgien aide Major des Hôpitaux
Militaires , & Maure en Chirurgie
à Lifle.
Quoiqu'il y ait long -temps que la haine
& l'envie s'exercent contre moi & contre
mes OEuvres , je n'y ai point fait autrement
attention , ou j'en ai méprifé les
traits ; mon amour- propre en étoit même
quelquefois flatté . La jaloufie , difois - je ,
ne s'en prend point ordinairement à l'ignorance.
J'avoue cependant que j'ai été fenfible
aux dernieres calomnies que la méchanceté
de mes ennemis a fourdement répandues
. Malgré cela , fi ma réputation
feule avoit été compromife , peut- être n'aurois-
je point entrepris de me juftifier . Mais
l'on attaque en même temps l'excellence
d'un Lithotome dont toute la France admire
& chérit la nouvelle invention . C'en
eft affez pour me déterminer à rompre le
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
filence ; il y va du bien public. C'eſt auffi
au Public que je m'adreffe , c'eft lui que je
prends pour Juge.
Plufieurs Maîtres de l'Art fe font étudiés
à perfectionner l'opération de la Taille
, la plus dangereufe & la plus difficile
de la Chirurgie. Nous devons beaucoup à
leurs travaux & à leur génie créateur. Ils
étoient parvenus à délivrer les Pierreux ,
finon fans danger , du moins avec efpérance
de guérifon . Mais la diverfité des
méthodes qu'ils ont imaginées , & qui ont
eu conftamment des partifans & des contradicteurs
, prouve d'une maniere fenfible
que l'opération de la Taille n'étoit point
encore portée au point de perfection dont
elle étoit fufceptible.
Cette précieufe découverte étoit réfervée
aux talens fupérieurs du Frere Cofme
, Religieux -Feuillant , à Paris. C'eſt lui
qui a inventé & qui a enrichi l'art du Lithotome
caché , inftrument admirable qui réunit
à la fois tous les avantages des autres
manieres de tailler , fans expofer le Malade
à aucun des inconvéniens qui en font
inféparables . Ainfi l'on peut dire que l'opération
de la Taille , dont le fuccès n'étoit
que douteux avant l'invention du Lithotome
caché , eft devenu prefque infaillible
depuis que le Frere Cofme nous a
SEPTEMBRE. 1756 . 177
communiqué fa façon d'opérer , auffi facile
qu'ingénieufe.
Je ne diffimule point qu'elle trouva d'abord
une foule de critiques. Les Chefs de
parti , guidés par l'amour- propre , les Praticiens
conduits par llee pprrééjjuuggéé , s'éleverent
contre l'utilité du Lithotome caché.
Mais les uns ramenés par la raifon , les
autres par l'expérience , lâcherent bientôt
prife , & rendirent hommage à l'Auteur
d'une découverte qui lui affure l'immortalité.
Des fuccès nombreux ont depuis
mis le comble à fa gloire , & ne permettent
plus de douter de la fupériorité de cet
Inftrument fur tous ceux qui ont été inventés
jufqu'à ce jour.
Il faut un certain temps pour que ce
qu'il y a de nouveau dans la Capitale ,
circule aux extrêmités du Royaume. La
prémiere fois que je vis le Lithotome caché
, je formai le deffein d'examiner , fi
les priviléges que la renommée lui attribuoit
étoient réels, & certains . Je
m'affociai à une Compagnie de Chirurgiens
qui avoient conçu le même projet.
Nous opérâmes de concert plufieurs cadavres.
Nous réitérâmes pendant deux ans
nos épreuves , nos examens , & nous fùmes
convaincus que les perfections du Lithotome
du Frere Cofme furpaffoient l'i-
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
dée avantageufe que nous nous en étions
formée.
Après un noviciat auffi long , je crus
pouvoir vouer au Public le nouveau talent
que j'avois acquis , & m'annoncer comme
Lithotomifte ; comptant moins fur mes
connoiffances & ma capacité , que fur la
bonté & la certitude de la méthode du
Frere Cofme. Je fupportois d'ailleurs impatiemment
que des Lithotomiftes de Lille
dédaignaffent , par un préjugé fatal à l'humanité,
ou par des confidérations plus condamnables
, un Inftrument merveilleux
qui faifoit partout ailleurs la confolation
& la fûreté des malheureux attaqués de la
pierre . Car s'ils s'en étoient fervis , ç'avoit
été pour lui faire jouer tour-à- tour les rôles
que leur caprice & leur intérêt avoient
fucceffivement éxigés.
Quoi qu'il en foit , un pierreux ne tarda
point à fe préfenter , ce fut le nommé
Augufte , âgé de fept ans & demi , fils
de Henri Cantinier , au Quartier de la
Magdeleine. Depuis l'âge de deux ans &
demi il étoit attaqué de la pierre , fource
de douleur violentes & d'une infinité d'accidens.
A la premiere vifite que je lui fis
au mois de Juillet 1754 , je propofai l'opération
mais les parens inquiets fur la
réuite, ne voulurent point alors s'y prêter.
SEPTEMBRE . 1756. 179
Au mois de Décembre fuivant ils m'appellerent
de nouveau. Je trouvai le Malade
dans un état déplorable . Il ne dormoit
plus depuis plufieurs jours . La pierre irritoit
fi vivement la veffie , que toutes les
parties du ventre en étoient dans une
contraction violente. L'inteftin rectum
étoit pouffé avec force bien loin au- delà de
l'anus . A ces accidens fe joignit encore une
hémorragie affez confidérable de cet inteftin.
Alors les parens accepterent l'opération
que je leur propofai une feconde fois,
non fans leur faire des vifs reproches de ce
qu'ils m'avoient empêché de tailler leur enfant
au mois de Juillet précédent , dans la
belle faifon , & tandis qu'il étoit beaucoup
moins épuisé.
Que l'on me permette ici une réflexion.
Voilà donc une pierre exiftante dans la veffie
qui va faire périr le malade . Des accidens
multipliés , une hémorragie mortelle
l'ont reduit à toute extrêmité. Si je
n'euffe confulté que l'intérêt de ma réputation
, peut -être aurois- je reculé & abandonné
le malade à fon trifte fort . Mais
fes fouffrances , le danger imminent où il
étoit , me follicitoient trop puiffamment
pour ne point lui procurer les fecours poffibles.
J'avois d'ailleurs tant de confiance
dans la nouvelle méthode , que je ne diffé-
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
差
rai l'opération que jufqu'au lendemain
matin, perfuadé que le Lithotome du Frere
Cofme étoit fait pour opérer des miracles.
- Un autre motif, le défir extrême d'accréditer
à Lille la nouvelle méthode &
de confondre fes Cenfeurs , me détermina
encore à opérer. Un fuccès que j'obtien
drois fur un mauvais fujet à tous égards &
dans la plus mauvaiſe faifon de l'année ,
devoit leur en impofer & leur fermer la
bouche. L'on n'auroit pu en effet attribuer
une cure auffi éclatante qu'à l'excellence
de la méthode du Frere Cofme.
Mon parti pris , j'appellai quantité de
Chirurgiens tous en état de m'aider de leurs
lumières , mais qui n'étoient point également
partifans de la méthode que j'allois
pratiquer. M.Baftide , Chirurgien - Major de
Royal Dragons , partifan d'une méthode
oppofée , étoit un témoin non fufpect. Je
le priai de fe trouver à mon opération avec
MM. Payerne , Chirurgien - Major du
Régiment d'Eu , Infanterie , Marchand , de
celui de Betheim ; Plancque , de l'Hôpital
Militaire de Lille ; Prévôt , Maître en
Chirurgie , & Defombrages , Médecin de
la même Ville.
En travaillant ainfi à rendre le fait auque
thentique , je ne faifois fuivre
le penchant
naturel que j'ai à ne travailler qu'au
SEPTEMBRE. 1756. 181
grand jour : jamais je n'ai appréhendé que
des yeux intelligens éclairaffent mes opérations.
Je connois cependant des Chirurgiens
qui tiennent une conduite toute
oppofée , qui ont grand foin de chercher
l'obfcurité , qui n'operent qu'en préſence
d'un Confrere affidé , & qui engagent
enfuite les parens , à quelque prix que ce
foit , à fe taire fur le vice de leur opération.
C'eſt une politique dont ils ont fans
doute befoin. Elle cache la mifere de leurs
prétendues connoiffances en Lithotomie ,
& la longue expérience dont ils fe targuent
avec tant d'orgueil , n'eft qu'un piége
qu'ils tendent à la crédulité publique.Je
laifle à penfer s'il n'eft point de la prudence
de fe défier de ces Opérateurs clandef
tins , qui dérobent fi foigneufement leurs
traces aux regards des Experts de l'Art , &
je reviens à mon fujet.
Les Spectateurs que je viens de nommer
affemblés , je plaçai mon malade dans la
fituation horizontale ( 1 ). Je l'opérai, & je
tirai avec une extrême facilité une pierre
groffe comme un ceuf de pigeon , & du
(1) Cette fituation eft de la méthode du Frere
Cofme , qui en eft également l'inventeur ; elle a
des avantages fi réels , qu'il eft inutile de s'y arrêter.
On peut là- deffus avoir recours à ce qu'il en
dit dans fon Recueil , &c.
182 MERCURE DE FRANCE.
poids d'une demi -once , en portant fimple
ment mon Lithotome au feptieme dégré
d'écartement. Les Spectateurs furent enchantés
, & rendirent juſtice à la méthode.
M. Baftide lui- même , ne put s'empêcher
d'entretenir en particulier M. Prévoft
, l'un des Chirurgiens confultans ,
de la facilité avec laquelle j'avois exécuté
l'opération ; cette circonftance méritoit
ici une place . Enfin les fuites de l'opération
furentfi heureuſes , qu'après dix- neuf
jours le malade fut parfaitement guéri ,
malgré la rigueur de la faifon , malgré le
trouble que l'irritation de la pierre avoit
eu le temps de caufer dans l'economie
animale . Tant d'obftacles vaincus fans réfiſtance
, juſtifient bien que la méthode
du Frere Cofme réunit le double avantage
d'être facile à éxecuter & prompt
guérir.
L'honneur de cette cure me flatta moins
que l'efpérance de ramener par- là les Cenfeurs
Lillois à la façon commune de penfer.
Quelle honte y avoit- il pour eux de
convenir de bonne- foi qu'ils s'étoient
trompés fur le fort du Lithotome caché ?
Une plus longue réfiftance pouvoit feule
ternir leur réputation , s'il eft vrai que
l'opiniâtreté foit l'effet de la petiteffe de
l'efprit, Tous mes efforts ayant néanmoins
SEPTEMBRE. 1756 . 183
été infructueux , je pris le parti d'inftruire
le Public ( par une Lettre imprimée dans
le Mercure de France , mois de Mars
1755 , page 124. ) que je taillois à la
méthode du Frere Cofme ; & je lui donnai
en même-temps l'hiftoire de ma premiere
Taille , telle que je viens de la tracer .
L'excès de mon zele ne fit qu'irriter mes
jaloux. Dès -lors ils formerent le noir projet
de décréditer ma premiere opération.
Comment y parvenir ? Il y avoit un moyen
tout fimple. Si ma cure n'avoit point été
auffi complette que le Mercure l'avoit annoncée
, rien ne les empêchoit de fe fervir
de la même voie pour me démentir. Mais
la calomnie n'aime point le grand jour ,
elle forge fes traits dans les ténebres , &
prend des mefures traîtreffes pour parvenir
à fon but. Quelle indigne reffource ! Mes
ennemis n'en ayant point d'autre , furent
forcés d'y recourir & furent affez méchans
pour l'employer.
Ils commencerent pár infinuer fourde
ment que j'avois eftropié mon malade , &
qu'il étoit resté fiftuleux de la taille que
je lui avois faite : ils fomenterent enfuite
par eux-mêmes & par leurs Emiffaires , les
faux bruits qu'ils avoient femés. Je n'en
voulus d'abord rien croire. Je ne pouvois
concevoir qu'il y eûr des hommes affez
184 MERCURE DE FRANCE.
pervers & affez imbécilles pour débiter &
foutenir une impoſture de la faufferé de
laquelle un chacun pouvoit fe convaincre
en jettant les yeux fur celui que j'avois
parfaitement guéri . Ma fécurité me coûta
cher. La calomnie trouva accès chez des
perfonnes refpectables, mais trop crédules ,
& prit au point que plufieurs pierreux me
déferterent. Ce qu'il y a de plus criant ,
c'eft que l'on a rendu l'Inftrument du Frere
Cofme complice du défaut que l'on imputoit
à mon opération .
Je n'entrerai point dans le détail des
baffeffes & des indignités que mes ennemis
ont mises en ufage pour donner du corps
à leur calomnie ; je ne leur en ferai même
aucun reproche . Leurs remords me vangent
affez , s'ils en font fufceptibles ; &
s'ils font parvenus à les étouffer , ils font
perdus d'honneur & de probité . Je les
abandonne à leur mauvais fort. S'ils prof
perent , ils ne jouiront que de la profpérité
des méchans .
Je ne dirai que deux mots pour faire
tomber la calomnie , & défabufer ceux qui
ont eu la facilité d'y croire. Augufte eft
vivant ; il demeure toujours au Quartier
de la Magdeleine ; il eft dans l'état où je
l'ai laiffe dix- neuf jours après : allez &
voyez. Il n'eſt pas plus eftropié que tous
SEPTEMBRE . 1756. 185
ceux qui n'ont jamais été accidentés de la
pierre ; ou fi vous ne voulez point vous
en donner la peine , lifez du moins le Certificat
que je vais tranfcrire : la vérité
parle par la bouche de huit Chirurgiens
de poids.
CERTIFICAT.
y
Nous , fouffignés , ayant été requis par M.
Chaftanet , Correfpondant de l'Académie
Royale de Chirurgie , Chirurgien aide - Major
des Hôpitaux Militaires & Maître en Chirurgie
à Lille , de nous trouver aujourd'hui
7 Avril 1756 , deux heures de relevée , à
l'Hôpital Militaire , où le Sieur Chaſtanet nous
a dit que le 21 Décembre 17 54 , il avoit taillé
avec le Lithotome caché du Frere Cofme , le
nommé Augufte , âgé de fept ans & demi ,
fils de Henri Cantinier , au Quartier de la
Magdeleine à Lille ; que par cette opération ;
il avoit tiré une pierre de la groffeur d'un
eufde pigeon , & du poids d'une demi-once ;
les fuites de cette taille ayant été auffi heureuſes
qu'on pouvoit le défirer , cet Enfant
avoit été parfaitement guéri au bout de dixneufjours
que cependant ledit Sieur Chaf
tanet avoit appris avec douleur que depuis
quelque temps il s'étoit répandu un bruit
dans la Ville que cet Enfant étoit resté fiſtuleux
'; enforte que cette calomnie commençant
:
186 MERCURE DE FRANCE.
à s'accréditer dans le Public , il ne pouvoit
qu'en résulter une tache à fon bonneur & à
Ja réputation : que nous ayant propofe de nous
conduire chez ledit Sieur Henri pour viſuer
cet Enfant , il requerroit enfuite acte de l'état
où nous l'aurions trouvé.
En confequence , nous nous fommes tranf
portés au Quartier de la Magdeleine , chez le
Sieur Henri Cantinier , lequel nous ayant
repréſenté le petit Auguſte , ſon enfant , nous
Taurions vifué , & trouvé une cicatrice à la
peau parfaitement confolidée , s'étendant depuis
le col de la veſſie jufqu'à la tubérofité
de l'ifchion fur le progrès du muscle accélé
rateur gauche. Cette cicatrice étoit le produit
de la taille que lui avoit faite le Sieur Chaf
tanet. Ce qui nous a été certifié véritable par
le Sieur Plancque & par le Sieur Prevost ,
qui furent tous les deux préfens à ladite opération.
Nous ne pouvons refufer au Sieur Chaf
tanet d'attefter que jamais opération de taille
n'a mieux réuſſi que celle qu'il a faite audit
Augute , lequel jouit préſentement d'une parfaite
fanté , & qu'il ne lui reste aucune incommodité
réfultante de l'opération ; ce qui
fait tout à la fois la bonte des calomniateurs ,
l'éloge de l'adreſſe & de la capacité du
Sieur Chastanet. Ce que nous certifions véritable
. Fait à Lille , ce 7 Avril 1756. Signés,
SEPTEMBRE. 1756. 187
Guffroy , Lieutenant de M. le premier Chirurgien
du Roi. Plancque , Chirurgien-
Major de l'Hôpital Militaire. Dageft , Chirurgien
Major du Régiment de Bourbonnois.
C. J. Vinchant , l'aîné ; J. F. Vinchant , le
jeune ; Robert ; L. L. Prevoft , A. Warocquier
, Maitres en Chirurgie à Lille .
La calomnie & mes calomniateurs ainfi
confondus , ma juftification eft complette.
Mais s'il pouvoit refter quelques doutes
fur l'excellence du Lithotome caché , j'ofe
me flatter qu'ils difparoîtront après le détail
d'une cure récente , que je peux appeller
le triomphe de cet admirable Inftrument.
Je ne crains point qu'elle me foit
conteſtée : je dis plus , l'on n'oferoit nier
que le malade ne doive la vie à mon opération.
Dans le courant du mois d'Avril 1756 ,
je fus demandé chez le nommé Pierre-
Jofeph Sance , Facteur de Guy , demeurant
dans la Cour des Bons -Enfans en cette
Ville , pour y voir Philippe Jofeph Sance ,
fon fils , qui fe plaignoit d'une incontinence
d'urine , accompagnée de douleurs
fort aigues dans la région de la veffie.
J'interrogeai d'abord le malade fur les
fymptômes de la pierre , & je fus fort
étonné d'apprendre qu'il avoit déja été
taillé deux fois infructueufement. Le Litho
188 MERCURE DE FRANCE.
tomifte qui l'avoit opéré n'avoit pu le délivrer
de la pierre. Deux fois il avoit tenté
d'y parvenir , deux fois l'épreuve avoit été
fatale au malade.
La premiere opération lui avoit été faite
au mois de Mai 1754 ; quoique la tenette
de l'Opérateur eût pénétré dans la veffie ,
il n'en avoit tiré que quelques petits fragmens
d'une pierre affez groffe faiſant la
totalité du corps étranger ; & après plufeurs
tentatives , il avoit renoncé à la
gloire de l'extraire en entier. Le fils de
Sance n'en fut pas quitte pour les douleurs
de l'opération manqué : il refſta fiſtuleux
, & l'incontinence fe joignant dès ce
moment à la fiftule , rendit fon état plus
trifte qu'auparavant,
La feconde taille lui avoit été faite cinq
femaines ou environ après la premiere ,
fur la promeffe de l'Opérateur qu'il le délivreroit
de la pierre & le guériroit de la
fiftule ; mais il ne fut pas plus heureux
que la premiere fois. Il eut beau faire , la
pierre fut rebelle à l'extraction , & refufa
conftamment d'accompagner & de fortir
avec la tenette . Pour comble de malheur ,
la feconde opération , bien loin d'emporter
la premiere fiftule, en produifit une feconde
que l'Opérateur panfa inutilement pendant
quatre mois.
S
1
SEPTEMBRE . 1756. 189
Il n'en falloit point davantage pour
laffer la conftance du malade , & faire
avouer à l'Opérateur fon infuffifance. Il
propofa néanmoins une troifieme épreuve ;
mais il ne lui fut pas poffible d'y déterminer
le pere & la mere , qui prirent la réfolution
de laiffer expirer leur enfant , fans
qu'on pût leur reprocher d'avoir confenti
à ce qu'il fût mis derechef à la torture ,
Sa derniere heure approchoit , lorfqu'ils ,
prirent le parti de m'appeller deux ans
après ou environ , & comme j'ai déja dit
au mois d'Avril 1756. Son état excitoit la
pitié. A peine dormoit- il une heure chaque
nuit : des douleurs prefque continuelles
lui faifoient jetter des cris fi perçans
que les voifins en étoient incommodés .
Une fievre lente qui redoubloit le foir ,
des friffons irréguliers , un cours- de-ventre
féreux , une incontinence d'urine qui n'avoit
point difcontinué depuis la premiere
taille , ou plutôt il ne fentoit plus fes
urines paffer ; elles fe filtroient fans ceffe
au travers des deux fiftules , & le peu qu'il
en fortoit par les voies naturelles ne fe
faifoit que peu ou point remarquer : tant
d'accidens réunis avoient fait tomber
pen le fils Sance dans le defféchement &
dans le marafme."
à
1
peu
Ilne paroiffoit pas poffible de le tirer
190 MERCURE DE FRANCE.
de cet état pitoyable. Quelle apparence en
effet de tenter l'extraction de la pierre qui
précipitoit fa derniere journée ? Ce n'eft
pas que je craigniffe le fort du premier
Opérateur : non ; le vice de fon opération
m'étoit connu , & les deux fiftules placées
fur les progrès de fon incifion annonçoient
affez le peu de réuffite que ce Lithotomifte
devoit naturellement avoir : mais j'appré
hendois l'extrême foibleffe du malade &
la double fiftule que je ne pouvois comprendre
dans mon opération. D'un autre
côté j'étois fi pénétré des avantages & des
reffources du Lithotome caché , que je ne
défefperois pas qu'il pût être fon fauveur.
Si je ne l'opérois point , la mort étoit certaine
; fi je le taillois à la méthode du Frere
Cofmé , il pouvoit guérir . J'entrepris l'opération
,
Mais afin que mon zele & ma charité
ne tournaffent plus cette fois à mon défavantage
, je pris la précaution d'affembler
plufieurs Chirurgiens pour conftater avant
tout l'état du fils Sance . Ils le firent , après
quoi ayant placé mon malade dans la fituation
horizontale , je l'opérai devant eux . Je
portai mon Lithotome au neuvieme degré
d'écartement , & je tirai fans difficulté &
très-promptement une pierre groffe.comme
un petit cuf de pigeon alongé , du poids
SEPTEMBRE. 1756. 191
par
de deux dragmes & demie. A peine l'opération
fut -elle achevée , que le fils Sance
rendit pour la premiere fois depuis deux,
ans un gobelet d'urine les voies naturelles.
La joie s'empara de fon coeur à la
vue du corps étranger qui lui avoit caufé
tant de peines & tant de fouffrances. Il
rendit publiquement témoignage du peu
de douleur qu'il avoit reffenti pendant
mon opération , & les Chirurgiens fpectateurs
drefferent le Certificat & le Procèsverbal
de tout ce qu'ils avoient vu & remarqué.
Peu après l'opération , un fommeil naturel
appefantit la paupiere du malade jufqu'au
foir que je le vifitai ; ce qui me fit
concevoir les efpérances les plus flatteufes.
Il fe rendormit enfuite & ne fe reveilla
que le lendemain matin . La nature ſe trouvant
à l'aife & débarraffée du corps étranger
qui l'accabloit , s'abandonna conftamment
pendant toure la cure à un fommeil fi paifible
& fi profond , qu'à peine pouvoit-on
reveiller le fils Sance une feule fois pendant
la nuit pour lui donner fes alimens.
La fievre difparut avec les douleurs , le
cours de ventre s'arrêta , & quoique le
malade fût à la diette , l'on voyoit fenfiblement
fon vifage fe décraffer & reprendre
du coloris. Enfin des urines cefferent
192 MERCURE DE FRANCE.
de paffer par la plaie le fixieme jour , & le
douzieme elle fut parfaitement cicatriſée.
Reftoit à terminer les deux fiftules réfultantes
des deux premieres opérations.
L'une étoit placée à l'urethre & paroiffoit
fournir feule l'urine qui s'échappoit. L'autre
étoit placée un demi- pouce plus bas ,
fur la même ligne , & à côté du rectum ,
dont elle étoit fi voifine , que les Chirurgiens
confultans avoient été extrêmement
furpris que cet inteftin n'eût point été entamé.
J'ai réuffi , & rien ne manque au
triomphe de la méthode du Frere Cofme.
Sans ajouter à l'effet du Lithotome caché ,
qu'un peu de colophane en poudre fur les
fiftules › la premiere fuit cicatrifée le
vingt-fixieme jour , & la feconde le quarante-
neuvieme jour après mon opération.
Que l'on ne me faffe point l'injure de
croire que je veuille quêter des éloges &
m'attirer la confiance des pierreux. Je le
répete , le bien public eft mon but. C'eft
au Lithotome caché dont je publie les fuccés
, plus que les miens , auquel j'aſpire
de faire icí des partifans pour l'avantage
de l'humanité. Bien loin qu'un fordide intérêt
me guide , j'annonce avec plaifir
que cet Inftrument a réuffi à Lille à
Tournai , en d'autres mains que les miennes.
M. Plancque , M. Robert , M. Maifonfort
SEPTEMBRE , 1756. 193
fonfort viennent de tailler , les deux pre-.
miers à Lille , le troifieme à Tournai ,
à la méthode du Frere Cofme , & leurs
opérations ont été fuivies d'une prompte
guérifon. Je dirai même que tous les Chirurgiens
peuvent avec confiance être Lithotomiftes
à la fuite du Frere Cofme. Il a
tiré la taille de la claffe des opérations qui
demandent une étude particuliere & des
talens diftingués. En un mot , elle n'a plus
rien de merveilleux que l'Inftrument avec
lequel elle s'exécute. Puiffe l'habile Artiſte
qui l'a inventé avoir la fatisfaction de
jouir long- temps de cette confolante idée
que perfonne ne s'eft rendu plus que lui
utile à la fociété !
CERTIFICAT.
W
3
Nous, fouffignés, déclarons nous être affemblés
aujourd'hui Lundi douze Avril milfept
cens cinquante-fix , à la réquifition du Steur
Chaftanet , Chirurgien aide - Major des Hôpitaux
Militaires , & Maître en Chirurgie à
Lille , chez le Sieur Pierre- Jofeph Sance
Facteur de Guy , demeurant dans la Cour
des Bons- Enfans audit Lille , où sa femme
nous a déclarée qu'au commencement du mois
de Mai mil fept cens cinquante- quatre le Sr
Wandergracht , Maître en Chirurgie
penfionné de Meffieurs du Magiftrat pour la
t
I
194 MERCURE DE FRANCE.
Lithotomie, avoit taillé Philippe-Jofeph Sance
fon fils , âgé alors de huit ans & demi ; mais
que cette opération n'avoit nullement foulagé
ce pauvre enfant , puifque le Sieur Wandergracht
, malgré des efforts réitérés n'avoit pu
tirer que quelques morceaux de pierre , &
avoit été obligé de laiffer dans la veffie celle
quifaifoit la totalité du corps étranger. Ladite
Sance ayant remis en préfence de tous les
Confultans , tous les petits fragmens tirés par
le Sieur Wandergracht , entre les mains du
Sieur Vinchant , Maître en Chirurgie , lequel
ayant ouvert le papier , nous avons trou
vé deux morceaux des débris d'une pierre
dont chacun eft auffi gros que la moitié d'une
feve de haricot. Trois autres morceaux des
mêmes débris , gros chacun comme la moitié
d'une lentille , & huit petites parcelles groffes
chacune comme la tête d'une moyenne épingle,
lefquels fragmens peſent tout enſemble vingt,
buit grains.
Ladite Sance nous a dit auffi qu'environ
un mois ou cingfemaines après ladite opération
, le Sieur Wandergracht ayant reconnu
qu'elle feroit infructueuse , lui en avoit fait
Souffrir une feconde ; mais que par cette derniere
opération il n'avoit tiré ni pierre , ni
fragmens ; enforte que le malade a ſouffert
inutilement ces deux opérations , puiſqu'il n'a
pu par leur moyen-être délivré de lapierre :
SEPTEMBRE . 1756. 195
au contraire ayant refté toutes les deux fiftuleufes
, elles n'ont fait qu'aggraver fes fouffrances
, & le réduire dans l'état le plus trifte.
qu'on puiffe imaginer. C'est ainsi que ce pauvre
petit malheureux a langui l'espace de
deux ans , & jufqu'au moment qu'on a appellé
le Sieur Chastanet , qui par un acte de
charité l'a opéré à la méthode & avec le Lithotome
caché du Frere Cofme ; ce qu'il a fait
devant nous aujourd'hui douze Avril mil ſept
cens cinquante-fix , avec beaucoup de pruden
ce& de dextérité que par cette opération il
a tiré fans peine & avec beaucoup de facilité
une pierre du poids de deux dragmes &
demie , de la figure d'un oeuf de pigeon ↳ & à
peu près de la même graffeur. Ce que nous
certifions véritable , & en foi de quoi avons
fignés.
Fait à Lille , ce 12 Avril 1756. Signés ;
Plancque , Chirurgien Major des Hôpitaux
Militaires. Dageſt , Chirurgien- Major du
Régiment de Bourbonnois. Vinchant , le
jeune. Prevoft , Robert & Waroquier
Maîtres en Chirurgie à Lille .
N. B. J'ai taillé depuis l'impreffion de
cette Lettre , le nommé André Jofeph le
Fer , âgé de onze ans , fils dudit le Fer ,
Battelier de la Baffe Deûle. La pierre
m'ayant paru affez groffe , je mis mon Lithotome
au onzieme degré d'écartement ,
-
I ij
195 MERCURE
DE FRANCE .
& je tirai très -facilement une pierre du
poids d'une once. J'ai fait cette opération
le huit du préfent mois de Juin , en préfence
de MM . Robert , Prevolt , Vinchant
le jeune , la Buiffiere & Wanftiwoort ,
tous Maîtres en Chirurgie à Lille , Plancque
, Chirurgien-Major des Hôpitaux Militaires
, & Dirat , Médecin de la même
Ville .
Le malade n'a éprouvé depuis l'opération
ni fievre , ni douleur ; la plaie fe
réunit à vue d'oeil , & je compte qu'il fera
inceffamment guéri.
P. S. Ledit le Fer a été parfaitement
guéri avant la fin du mois de Juin , fans
avoir éprouvé ni fievre , ni aucun accident.
COMMERCE
( 1 ) .
LA Lettre de M. de Séchelles à M. Polycard
, Négociant à Bordeaux , inférée
avec la permiffion des Supérieurs , dans le
premier volume du Mercure d'Avril , fembloit
devoir décider la grande queftion qui
(1) Ce morceau auroit dû être placé dans les
Nouvelles Littéraires ; mais comme il nous a été
envoyé trop tard , pour ne le point différer, nous
avons can pouvoir l'inférer dans cet article,
SEPTEMBRE . 1756. 197
>
s'eft élevée au fujet de la faculté de commercer
en gros fans déroger à la Nobleffe . La
profondeur & la fageffe des vues du Miniftre
qui l'avoit écrite auroient fuffi
pour en accréditer les principes dans la
Nation , quand même divers Edits enregiftrés
ne leur auroient pas donné force de
loi dans l'Etat. Cependant on a prétendu
depuis jetter des doutes fur les avantages
de la permiffion de commercer en gros
fans déroger. Les objections que fe font
efforcées quelques perfonnes de former
contre cette permiffion , font l'objet d'un
Ouvrage intitulé : Examen politique des
prétendus inconvéniens de la faculté de commercer
engros fans déroger à la Nobleſſe.
Sans s'égarer dans les conjectures fur
lefquelles font établis prefque tous les
fyftêmes fur l'origine des peuples & fur
leurs premieres loix , l'Auteur remonte à
un principe fimple pris dans la nature des
chofes. Les fervices rendus à l'Etat font
fûrement l'origine de la Nobleffe , & les
fervices dans le principe ont été militaires.
Prefque tous les Empires fe font établis &
accrus par les armes , & jufqu'à ce qu'ils
aient pris une confiftance indépendante de
guerre , le fervice militaire a fait le feul
objet des attentions du Légiflateur. Mais
à mesure que la pofition d'un Etat devient
la
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
plus folide & plus tranquille , le Légiflateur
envifage d'autres fources d'accroiffement
dans fa puiffance que les conquêtes ,
d'autres genres de fervices . Il les récompenfe
par la diftinction la plus flatteufe
qu'il lui foir poffible d'accorder , en faifant
paffer un fajet d'une claffe inférieure
dans une fupérieure . C'eft ainfi qu'en France
, quelque temps après que la Nobleffe
eût abandonné aux Légiftes le foin de rendre
la juftice , les Rois attacherent à ces
emplois le même honneur qu'au fervice
militaire. Depuis on a reconnu de nouveaux
moyens d'augmenter la fortune de
l'Etat , & les Arts ont été admis à leur
tour aux mêmes honneurs qu'avoit mérité
l'exercice de la Juſtice , & qui avoient été
inftitués pour le ſervice militaire. En effet ,
m'eft il qu'unefeule maniere de bien mériter
de la Patrie n'eft il qu'une forte de gloire ?
car les expreffions font fynonimes ; & fi l'Etat
a reconnu divers genres de fervices dignes de
ta Nobleffe , ne feroit- il pas de la derniere
inconféquence d'imaginer qu'un Citoyen ne
peut plus , dès qu'il eft ennobli , exercer
l'emploi qui lui a mérité cette faveur de fon
Prince ?
La Nobleffe confifte donc dans un engagement
authentique & glorieux que le premier
Noble d'une famille contracte avec l'Etat de
SEPTEMBRE . 1756. 199
lui rendre fa postérité plus particuliérement
utile , & de précéder les autres hommes dans
le chemin de la vertu. Mais quoique divers
chemins ayent été ouverts pour arriver
aux honneurs de la Nobleffe , les hommes
n'en ont pas moins confervé le premier
rang à la vertu militaire. Quoique la prérogative
du Magiftrat Noble , du Financier
Noble & ennobli foient intrinféquement
la même , les uns & les autres fe
tiennent d'eux - mêmes aux rangs inférieurs
que l'opinion publique & l'ufage leur affignent.
Le Gouvernement a même eu
foin de marquer les bornes de ces diverſes
claffes de Nobleffe par les diftinctions qu'il
accorde à chacune , fuivant fon rang & fes
fonctions.
De ce que les Nobles peuvent , fans déroger
, exercer les profeffions libres qui
font ouvertes aux Roturiers , il n'en rêfulte
aucune confufion , parce que l'exalte
diſtinction des trois Ordres dépend des titres ,
des préféances , de l'ufage des prérogatives
attachées à chacun d'eux . Si quelque chofe
eût été capable d'opérer cette confufion ,
c'eût été certainement le mêlange des
familles Nobles avec les familles Roturieres
par les alliances , ainfi que la faculté
d'acheter la Nobleffe. Quoique l'Aureur
ne paroiffe pas approuver qu'on ait mis à
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
prix les
graces du Prince
, il en infére
, avec raifon
, que la faculté
de commercer
ne peut opérer
la confufion
des Ordres
. Il foutient avec la même
évidence
que ce n'eſt point
introduire
la conftitution
de la Démocra- tie dans
le Gouvernement
Monarchique
, puifque
cette liberté
accordée
à la Nobleffe de commercer
, n'a rien de commun
avec un pouvoir
légiflatif
réfidant
dans
le corps du peuple
, & que cette liberté
ne peut donner
au Négociant
Roturier
aucune part aux prérogatives
, aux préféances
,
aux titres attachés
à l'Ordre
de la Nobleffe
& qui la diftinguent
.
C'eſt avec auffi peu de fondement que
l'on craint que toute la Nobleffe ne ſe
tourne uniquement du côté du Commerce.
L'Auteur prouve que cela eft impoffible ,
parce que la Nobleffe n'y trouveroit pas les
honneurs ; parce qu'il fera toujours plus
facile & plus für pour la plupart des Nobles
d'arriver aux places lucratives & diftinguées
, qu'aux richeffes incertaines d'une
profeffion , qui par elle-même ne donne
aucun rang , par l'expérience conftante de
divers où la Nobleffe commerce ; enpays
fin par celle des diverfes profeffions libres
& lucratives , que le préjugé n'interdit
point à la Nobleffe parmi nous , & qui ne
font pas cependant exercées uniquement
par des Nobles.
SEPTEMBRE . 1756. 201
Cette crainte de voir abandonner le
fervice Militaire & celui de la Magiftrature
, paroît le fonder fur le luxe que produira
l'augmentation des richeffes par le
Commerce. On la diffipe pleinement en
prouvant par des détails fur les circulations
opérées par le Commerce , que fur un million
entré par cette voie dans l'Etat , il en
revient au moins 600 mille livres au produit
des terres , de maniere que le luxe
introduit par le Commerce , eft une fuite
de l'augmentation du revenu des propriétaires
des terres , & non pas un luxe d'imitation
introduit par le Commerçant dont
la profpérité eft fondée fur l'économie.
L'Auteur montre que l'efprit de paix
dans un Etat n'eft point particulier à l'efprit
de Commerce , puifque les Etats commerçans
ont entrepris & foutenu des guerres
célebres dans des vues de Commerce ,
& qu'à l'exception de deux ou trois cens
mille hommes , fur dix-fept à dix- huit millions
, la confervation de la paix a toujours
intéreffé la totalité de la Nation , fans
qu'on l'ait jamais vue dans la guerre former
des voeux oppofés à la gloire de l'Etat.
Il fait voir que les exemples de Tyr & de
Carthage , fi fouvent cités dans les matieres
, font favorables à l'efprit de Commerce,
fans lequel elle n'euffent jamais mérité
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
que l'hiftoire eût confervé l'époque de
leur deftruction ; le Commerce les avoit
rendues formidables à leurs ennemis , &
leur ruine a eu des caufes fort étrangeres à
leurs richeffes !
C'est une grande erreur en politique de
croire qu'il foit utile que les riches Négocians
abandonnent leur négoce. Au contraire
, l'objet actuel du Gouvernement
n'eft pas tant de porter toute la Nobleffe
au Commerce , que de lui accorder la faculté
de commercer , afin que cette profeffion
en foit honorée , & que la vanité
ne follicite plus un Négociant de quitter
une profeffion , où il rend de plus grands
fervices au Public en raifon de fa plus
grande opulence pour paffer dans d'autres
conditions. Ces principes ont été adoptés
en France depuis long- temps . Louis XIII ,
particuliérement dans une Déclaration du
24 Février 1627 , annonce que fon inten
tion eft de rétablir le Commerce , de renouveller
& d'amplifier fes privileges , de faire
enforte que la condition du trafic foit tenue
en l'honneur qu'il appartient , & rendue
confiderable entre fes Sujets , afin que chacun
У demeure volontiers fans porter envie aux
autres conditions.
Enfin après avoir démontré que la prétendue
néceffité d'une proportion dans le
9
SEPTEMBRE. 1756. 203
nombre des perfonnes qui compofent le
tiers- Ordre avec celui des perfonnes qui
compofent les deux autres Ordres de l'Etat
est une chimere ; que la diftinction du
Négociant en gros & du Marchand en
détail , naît de la nature même de leurs
Occupations , puifque le premier eft un
Citoyen utile à l'Etat , & le fecond fimplement
un Citoyen commode au Public ,
l'Auteur s'étonne qu'on ait pu mettre en
queftion une chofe décidée en diverfes
occafions par nos Rois depuis plus de
a50 ans , & particuliérement en 1669 &
en 1701. Louis le Grand ne fçavoit- il pas
mieux qu'aucun Gentilhomme de fon Royan
me , ce qui étoit Noble ou ne l'étoit pas ?
PRIX propofe par l'Académie Royale des
Sciences & Belles- Leures de Pruffe , pour
l'année 1758.
LEE Prix référvé de la Claffe de Mathé
matique , fur le mouvement diurne de la
Terre , a été adjugé dans l'Affemblée publique
du 3 Juin 1756 , à M. Paul Irifius ,
Clerc Régulier de la Congrégation de S.
Paul , & Profeffeur dans l'Univerfité de
Pife . Celui de Belles-Lettres a été renvoyé
à l'année 1758 , & on en retrouvera
I vi
204 MERCURE DE FRANCE.
l'annonce à la fin de ce Programme.
La Claffe de Mathématique propofe
pour le Prix ordinaire de 1758 , la queftion
fuivante : Si la vérité des Principes de
la Statique & de la Mécanique , eft nécef
faire ou contingente ? On invite les Sçavans
de tout pays , excepté les Membres ordinaires
de l'Académie , à travailler fur cette
Queſtion. Le Prix , qui confifte en une
Médaille d'or du poids de cinquante ducats
, fera donné à celui qui , au jugement
de l'Académie , aura le mieux réuffi. Les
Pieces écrites d'un caractere lifible feront
adreffées à M. le Profeffeur Formey , Secretaire
perpétuel de l'Académie. Le terme
pour les recevoir eft fixé jufqu'au premier
Janvier 1758 , après quoi on n'en recevra
abfolument aucune , quelque raifon de retardement
qui puiffe être alléguée en fa
faveur. On prie auffi les Auteurs de ne
point fe nommer , mais de mettre fimplement
une Devife , à laquelle ils joindront
un billet cacheté , qui contiendra avec la
Devife , leur nom & leur demeure. Le
jugement de l'Académie ſera déclaré dans
l'Affemblée publique du 31 Mai 1758.
On a été averti par le Programme de
l'année précédente , que le Prix de la Claffe
de Philofophie expérimentale , qui fera
adjugé le 31 Mai 1757 , & pour lequel les
3
SEPTEMBRE . 1756. 105
Pieces feront reçues jufqu'au premier Janvier
de la même année , concerne la Queftion
énoncée en ces termes : Déterminer
fi l'Arfenic , quife trouve en grande quantité
dans les Mines métalliques de divers genres ,
eft le véritable principe des métaux , ou bien ,
fi c'est une fubftance qui en naît & en forte
par voie d'excrétion : ce qu'il faut établir par
des expériences folides & fuffisamment réi
térées.
Le Prix de la Claffe de Belles- Lettres eft
renvoyé à l'année 1758 , & a pour objet
les Monnoyes de Brandebourg , depuis le
temps qu'on a commencé d'en frapper jufqu'à
la fin du 16° fiecle. On fouhaite que
ceux qui travailleront pour ce Prix , examinent
en fuivant l'ordre chronologique :
1º. A qui appartenoit proprement le droit
de battre monnoie ? De quelle maniere il étoit
exercé par le Prince ? Et quelles étoient les
Villes qui avoient le privilege de frapper des
efpeces ?
2°. Quelles étoient les différentes fortes de
monnoie dont on fe fervoit dans la Marche
de Brandebourg? Quelle étoit la forme , le
coin , le titre , l'alliage , le poids , & en un
mot le prix intrinfeque de la monnoie ?
3 °. Quel étoit le prix extrinfeque , ou courant
de la monnoie , c'est - à- dire la propor
tion où elle fe trouvoit avec les biens fonds ,
205 MERCURE DE FRANCE.
les marchandifes , les vivres , le falaire des
Ouvriers , & les autres chofes qui entrent
dans le commerce ?
4. On voudroit enfin , qu'après avoir
déterminé la difference qu'il y a entre l'ancienne
monnoie & la nouvelle , par rapport
au prix extrinfeque & intrinfeque , on déci
dât , par la voie du calcul , les effets généraux
qui en résultent par rapport aux richeffes de
l'Etat & des particuliers.
Les Pieces feront reçues au concours
jufqu'au premier Janvier 1758.
SEPTEMBRE . 1756. 207
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
M. le Febvre vient de mettre au jour
un Motet à voix feule avec fymphonie
qui a pour titre Conferva me. Ce morceau
, dont la mufique eft fi agréable , &
que M. Godard a chanté plufieurs fois au
Concert Spirituel avec tant de fuccès , fe
trouve chez l'Auteur , rue des Prouvaires ,
& aux adreffes ordinaires.
PEINTURE.
DISSERTATION
Lue à l'Académie de Peinture .
De la légèreté d'Ontil.
Si la légèreté d'outil n'eft pas une partie
des plus effentielles au Peintre , elle est
208 MERCURE DE FRANCE.
du moins une des plus agréables , & qui
en rend les opérations féduifantes. Ce
qu'on entend par cette façon de s'exprimer
, ne me paroît avoir été traité ni défini
par aucun Auteur : il n'en a point été fait
mention dans vos conférences. Ces raifons
ont donné naiffance à ce Mémoire , &
m'ont déterminé à chercher l'explication ,
ainfi qu'à faire fentir la force & l'étendue
d'une expreffion fréquemment employée.
Vous jugerez , Meffieurs , de la jufteffe ,
ou de l'erreur de mes réflexions.
les
Les définitions courtes & précifes font
difficiles à donner fur des matieres , qui
même n'ont point été mal préfentées , &
qui fines & délicates en elles- mêmes , tiennent
à plufieurs égards à la métaphyſique
d'un art. Le moyen le plus affuré pour
trouver , eft , ce me femble , de conclure ,
en conféquence des difcuffions établies ſur
la matiere même , & de fe laiffer conduire
à l'Analyſe par des defcriptions & des
comparaifons. Cette voie et la plus affurée
pour fixer des matieres indécifes &
fouvent confondues , même dans la langue
de l'art. A force de fe convaincre & de
prouver que ce n'eft pas une telle chofe ,
on peut approcher de la vérité & diftinguer
plus clairement l'idée que l'objet préfente
à l'efprit. Conféquemment à ce
SEPTEMBRE . 1756 . 209
moyen , la difficulté , la pefanteur dans la
peinture , étant reconnues pour la peine &
la fatigue , qui ne font elles - mêmes qu'une
production malgré Minerve , la légèreté
d'outil devroit être la facilité . Elle en eft
une partie , elle en eft dépendante : mais
il faut convenir que cette oppofition n'eft
pas complette , & qu'elle ne peut donner
une définition exactement vraie ni exactement
jufte , du moins elle n'eft pas conforme
à l'acception ordinaire.
Voilà donc un exemple de la difficulté
de mon fujer.
}
Plus la légèreté d'outil eft renfermée
dans cette métaphyfique , plus nous devons
la fimplifier , l'éclaircir & rendre nos idées
avec netteté ; en premier lieu pour nous
mêmes , & nous fommes obligés en
fecond lieu d'expliquer les termes de l'art
au Public. Il n'a jamais autant aimé la
peinture qu'il l'aime , ou du moins il
n'en a parlé dans aucun temps avec une
une fi grande affectation . Les Poëtes , les
Hiftoriens , en un mot tous les Auteurs ,
grands & petits, ne croiroient pas avoir fait
la plus médiocre brochure , s'ils n'avoient
tiré des comparaifons de la peinture : c'eſt
l'élégance du jour. Nous pouvons nous
amufer entre nous de leurs façons de parler
, fouvent fauffes & rarement préciſes.
210 MERCURE DE FRANCE.
Il ne nous appartient point de les critiquer
publiquement ; la réponſe feule nous feroit
permife , s'ils nous attaquoient : mais il
eft de notre devoir de les éclairer fans affectation
, en définiffant fucceffivement
toutes les parties dont vos arts font compofés
. Nous devons d'autant plus dépofer
dans votre fein la préciſion des idées &
la véritable valeur des mots de la langue
de l'art , que vous en êtes les feuls juges :
j'ofe dire que cette langue eft plus vivante
qu'aucune autre , que par conféquent elle
a plus de variété & fe reffent toujours du
feu qui l'a fait naître , & qui , pour ainfi
dire , l'enrichit chaque jour. Les examens
pareils à celui que j'entreprends ont plus
d'une utilité . La précifion de l'idée renferme
l'efprit dans des bornes plus étroites
: elle l'engage à s'occuper plus avantageufement
de tout ce qu'une partie
peut exiger , & conféquemment à faire
plus aifément les efforts néceffaires pour
la remplir. Une utilité moins grande de
ces fortes d'examens , & qui peut évitet
plufieurs autres embarras , eft celle de faire
diftinguer quelque manieres de s'exprimer
dans la langue de l'art , abfolument
dans le cas de la facilité & de la légéreté
dont j'ai rapporté l'exemple , c'est- à- dire
pour prouver que ces façons de parler dif
SEPTEMBRE. 1756. 211
ferent , quoiqu'elles paroiffent fynonimes.
En effet , cette légèreté n'eft point dans la
langue de l'art , une oppofition exacte de
la peine & de la difficulté : cependant elle
préſente cette idée dans la langue familiere.
Un Peintre facile eft celui qui compoſe
aifément , qui peint avec promptitude &
fans fatigue ; mais qui le plus fouvent par
ces mêmes raifons , content d'indiquer le
premier feu de fon efprit , eft ennemi de
l'étude , de l'empâtement , de la recherche
du pinceau , & des fineffes de l'harmonie.
Ces parties véritablement effentielles à
l'Artifte ne fe trouvent donc pas toujours
jointes à la facilité , & ces mêmes parties
peuvent , abfolument parlant , fubfifter
fans la légèreté de l'outil.
Je conviens que le Peintre qui faifit
promptement la nature , fera regardé par
ceux qui n'approfondiffent point la vérité
des termes , comme étant doué de cette lé
géreté d'outil dont il eft ici queftion ; cependant
, à le bien prendre , il ne fera que
facile. Paul Matei , Pelegrini & plufieurs
autres peuvent en ce cas nous fervir d'exem
ples. Jamais on n'a fait ni dû faire l'éloge
de leur légéreté leur peu de terminé , leur
impatience , ou leur promptitude n'ont
été que des apparences , ou des faux fem
blans de cette partie ; & jamais un hom
:
212 MERCURE DE FRANCE.
me au fait de l'art n'a pu s'y tromper. Je
crois même qu'on ne pourroit tomber dans
cette erreur pour le plus grand nombre
des Tableaux du Tintoret , lequel est peutêtre
le premier des modernes qui a donné
l'exemple d'une facilité qui a autorifé &
perdu un figrand nombre d'Artiftes, d'autant
plus qu'ils étoient incapables de l'imiter
dans les ouvrages arrêtés qu'il a
produit.
Je dois dire avant que d'entrer dans un
plus grand détail , que plufieurs grands
Peintres ont été privés de la légèreté d'outil
, qu'ils ne l'ont point recherchée , ou
n'en ont point été affectés . Il feroit inutile
de rapporter leurs noms , l'exemple du
Dominicain nous doit fuffire . Grand ,
précis pour le deffein , & moins touché de
la couleur , la légèreté d'outil ne l'a point
affecté. Le Titien au contraire , & le plus
grand nombre des coloriftes ont été plus
fenfibles à cette fineffe de l'Art. Ainfi la
difcuffion que j'ai entrepriſe , ou plutôt ce
léger examen , ne peut convenir qu'à ces
derniers. L'étude de leurs ouvrages me
perfuaderoit que la légéreté d'outil n'excede
point la fuperficie , qu'elle eft cette derniere
touche qui fait le plus d'impreffion
fur l'efprit du fpectateur , celle qui le féduit
; & dans ce dernier cas , elle eſt la
1
SEPTEMBRE . 1756. 213
derniere main de la facilité dont elle eft
dépendante. Telle que puiffe être cette
légéreté , il eft conftant qu'elle ne peut
mériter d'éloges , qu'autant qu'elle eft
établie fur une bafe auffi ferme & auffi
folide que la jufteffe des études , la belle
compofition , la bonne préparation , l'imitation
de la nature dont elle eft le dernier ,
comme le plus bel effet , par l'augmentation
de l'accord & de l'harmonie . Enfin la
légéreté d'outil me paroît le dernier dégré
de ces parties effentielles : elle termine la
rondeur fi néceffaire à l'expreffion de tous
les corps : elle préfente ce duvet des fruits,
cette fraîcheur des fleurs , ou plutôt encore
le charme de la jeuneffe ; elle eſt compofée
de ces laiffés qu'on ne peut comparer
qu'à ces fous-entendus , à ces mots fufpendus
qui font l'agrément de la converfation
; on peut les fentir & non les définir
: ils difent ce qu'il faut fans s'appéfantir
& fans abufer de la fineffe. Une autre
comparaifon donneroit une idée plus jufte
dans toutes fes parties , de cette même
légéreté d'outil ; je la trouve dans le procédé
d'un homme fage & éclairé qui veut
inftruire ou convaincre , quand il a folidement
établi les principes & les raifons.
Le dernier moyen de la perfuafion & de
la féduction confifte dans la légéreté qu'il
214 MERCURE DE FRANCE .
emploie à repaffer tous les points , à n'infifter
que fur les objets néceffaires ; ce qu'il
fait plus ou moins fuivant les caracteres ,
l'importance & le germe de la matiere :
c'eft ainfi qu'il perfuade ou ramene l'homme
le plus éloigné de fon fentiment.
La vérité de cette opération de l'efprit
eſt fondée fur la nature. En agiſſant ainſi ,
il flatte l'amour- propre de celui qu'il veut
perfuader. Loin de le dégoûter ou de le
révolter par une répétition détaillée
le traite en homme éclairé , qui croit ſentir
& s'imaginer par lui- même ce qu'on
vient de lui fuggérer.
il
La Fontaine , le plus agréable des Auteurs
,eft celui qui préfente le plus d'exemples
de ces fous- entendus , de ces réfumés,
enfin de cette légèreté fi défirable . Je ne
rapporterai que trois exemples choifis dans
le nombre de ceux que cet Auteur nous
-préfente .
Quelle confirmation de fon récit , ou
plutôt quelle augmentation , quel agré
ment & quel moyen de féduction ce grand
homme met- il en ufage pour confirmer &
réfumer la fable de l'OEil du Maître !
Quant à moi , ( dit- il ) y mettrois encor l'Eil
de l'Amant.
Quelle légéreté d'outil , pour ainfi dire
›
SEPTEMBRE. 1756. 215
dans le trait fuivant : pour confirmer ce
qu'il a raconté dans la Courtiſanhe amoureufe
; il dit :
Je voudrois bien déchauffer ce que j'aime.
Que de graces & de fineffes il témoigne
en finiffant le même conte il s'en rapporte
au Lecteur ; il flatte la paffion la plus
douce , il en rappelle le fouvenir par ce
mot :
Quiconque aime le die.
Ces traits divins font des augmentations
fublimes , fans être appéfantis : ils répétent
, mais ils paroiffent nouveaux , &
le font en effet , d'autant qu'ils ajoutent
& confirment dans le lieu où le goût de
l'Auteur les a placés ; enfin ils donnent
des exemples de cette légéreté dont la
poéfie nous offre des exemples avec tous
les rapports de graces & de fineffe que la
Peinture nous préfente à fon tour . On peut
donner des éloges à ceux qui ont confacré 2
leur goût dans l'un & l'autre Art par des
traits de ce genre de délicateffe ; mais comme
je l'ai déja fait entendre , on ne peut
mettre perfonne fur les voies : ce font des
émanations du goût & du fentiment ; un
don de la nature met feul en état de les
produire : quiconque voudroit y parvenir
par efprit, comme a fait La Motte dans
216 MERCURE DE FRANCE.
fes fables , feroit pefant & affecté . Enfin
pour augmenter l'exemple d'une liaiſon
particuliere entre les deux Arts , & confirmer
Horace , quand il dit : Ut Pictura
Poefis. Tel le Poëte vous a paru dans les
vers que j'ai cités , tel eft le Peintre dans
la partie de fon Art dont je vous entretiens.
Ses études font faites , fa compofition
est arrêtée , les caracteres font traités
avec la jufteffe & la précifion dont il eſt
capable. Des yeux moins délicats trouveroient
l'ouvrage achevé , mais fon tableau
ne lui paroît pas fini . Eclairé par fon goût,
d'une main légere il répand les fleurs , il
promene les graces , fa délicateffe les conduit
; il diſtribue à fon gré , l'air & la chaleur
; il n'eft plus occupé des grandes raifons
de l'Art , le génie fe joue & s'exprime
fans fatigue pour déguifer & cacher les
peines qu'il a éprouvées , & les difficultés
qu'il a furmontées jufqu'alors. Il careffe ,
il fe promene , il jouit : femblable à l'Aurore
d'Homere, il a les doigts de rofes, & comme
elle , il les répand fur l'étendue de la na
ture qu'il a embraffée. Ce n'eftpoint un effet
idéal auquel il foit conduit par une envie
de plaire ou de féduire , c'eſt une imitation
réelle, mais fine , mais délicate de la nature.
Car il eft conftant que toutes les fuperficies
de la terre font légeres , du moins elles le
paroiffent
SEPTEMBRE. 1756. 217
paroiffent aux yeux du Peintre. Les impreffions
de l'air , la diſtance de l'objet à
l'oeil , préfentent une ruption de couleurs
que le grand Artifte fçait démêler , faifir
& rendre , tandis que ces tréfors font cachés
au Peintre médiocre : il voit les corps
du côté de la pefanteur , il en eft accablé,
pour ainfi dire , il fuccombe fous leur
poids , il les rend comme il les voit , il ne
peut allegir leurs maffes , fes paffages font
cruds , & s'écartent de cette élégante &
légere harmonie que le grand maître exprime
en confervant la vérité avec une
délicateffe féduifante , qui n'eſt que la
légéreté , & qu'on peut regarder comme
une des parties qui concourent au fublime
de l'Art. Je crois devoir ajouter que la
légéreté ne doit & ne peut jamais être confondue
avec la propreté & le terminé des
Flamands & des Hollandois . Pour être
brillans , ils ne font pas plus légers ; &
conftamment avec de la patience on pourroit
arriver à l'imitation du plus grand
nombre, & je prouverai dans un moment
combien cette imitation eft difficile pour
les compofitions fieres , grandes & hardies
de ceux que l'on regarde avec raifon comme
les grands Maîtres dans le nombre defquels
je comprends Vandick & Rubens.
David Teniers paroîtroit devoir être ex-
K
218 MERCURE DE FRANCE.
cepté de cette regle générale : cependant
après un mûr examen, on trouvera, je crois,
qu'il indique plutôt une grande facilité
que la recherche de la légèreté d'outil,
Ön fent encore mieux qu'on ne peut confondre
la légèreté de l'outil avec les glacis;
leur folidité eft fouvent douteufe. La légé.
reté que j'entends, repaffe, refait & repeint
plus ou moins tout le tableau .
François Lemoine que nous avons tous
connu , étoit fi perfuadé de la néceffité de
cette belle partie de la Peinture , qu'il paffoit
un temps confidérable à careffer fon
ouvrage pour cacher la peine qu'il avoit
eu à le produire. Non feulement on peutdire
qu'il a reuffi dans ce projet , mais que
cette attention a autant contribué à le
faire paffer pour un Peintre aimable , que
la beauté de fa couleur. Cette fuperficie
qu'il ajoutoir à propos , cette légèreté
d'outil pour laquelle il fe donnoit tant de
foins , fervira dans tous les temps à faire
excufer fes défauts , c'eft- à- dire , les incor
rections & la molleffe de fon deffein ; reproches
effentiels qu'il eft poffible de faire
à fon talent , & que les graces qui les couvrent
ou qui les accompagnent , engagent
d'autant plus à excufer , que ce qui plaît
eft toujours repris avec douceur. L'Artifte
eft en ce cas ſemblable à un homme du
SEPTEMBRE . 1756. 219
monde qui parle avec agrément , qu'on
écoute avec plaifir : il fait fi bien oublier
le défaut de correction d'une langue qu'il
ne parle ni purement ni exactement , que
l'on certifieroit qu'il eft impoffible de s'énoncer
ni mieux ni autrement. Cette illufion
ne dépend point du fonds d'étude :
elle prend fa fource dans la féduction ou
l'agrément produits par le tour ,
tour , le ton &
l'à- propos.
Enfin , Meffieurs , s'il a été poffible à
Lemoine , à qui le travail coûtoit tant de
peines , de préfenter par la feule impreffion
du fentiment , une partie auffi délicate
que la légèreté , il eft prouvé que cette
légéreté d'outil ne tient point à ce qu'on
appelle la facilité , qu'elle en eft abfolument
indépendante , qu'elle émane du goût
feul que l'on fçait n'être pas toujours ni
fçavant ni exact . Par une conféquence néceffaire
, cette belle partie doit acquérir
confidérablement dans les mains d'un plus
grand Deffinateur & d'un Artiſte plus occupé
des paffions & du caractere des têtes.
Après vous avoir rapporté , Meffieurs ,
les idées que m'a fait naître l'expreffion de
la égéreté d'outil dans la Peinture , je
croirois qu'on peut définir ce produit du
goût , de l'efprit & du pinceau , en diſant ,
que ce font les dernieres touches qui , con
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
duites par un fentiment exquis , fleuriſſent
toutes les parties d'un tableau. Le terme de
Fleuri eft allégorique , & conféquemment
ne convient point à une définition ; mais
je n'en connois point qui exprime plus
précisément cette légéreté. D'ailleurs je
préfente un doute , & je ferai charmé d'étre
éclairé. Je ne dois point finir cet article
fans avoir dit que ces careffes plus lentes
pour le cifeau dans la Sculpture , ne
font pas moins les mêmes que celles du
pinceau.
La Peinture eft compofée dans tous les
pays qu'elle décore , de deux claffes : l'une,
de ceux qui produifent & exécutent ; l'autre
, de ceux qui connoiffent & qui aiment.
J'ai fait fentir , autant qu'il eft en moi , la
néceffité , les avantages & les charmes de
la légéreté d'outil pour les premiers ; ce
qui me refte à dire , regarde les feconds.
Sans mettre en ligne de compte le plaifir
que peut caufer la connoiffance
d'une copie ou d'un original , je crois
qu'il eft difficile de comparer le chagrin
que reffent un curieux qui fe plaît à raffembler
les beaux ouvrages de l'Art , lorfqu'il
voit démentir fon goût & fa connoiffance
par le mépris témoigné pour un
choix qu'il a regardé comme étant fans
appel . C'eſt en vain que pour défendre fon
SEPTEMBRE. 1756. 221
fentiment , il allegue la prévention des
autres , qu'il accufe leurs mauvais yeux, &
qu'il s'appuie fur l'hiftoire de fon tableau ;
il fouffre intérieurement , & la différence
confidérable du prix n'eft rien en comparaifon
de la vive douleur de fon amourpropre
bleffé. D'un autre côté , il eft quelquefois
effentiel à la fortune de fçavoir
diftinguer une copie d'avec un original .
Voici donc quelques idées ou quelques
moyens de plus que je propoferois aux
curieux pour fixer leur décifion : car ils ne
font pas tous connoiffeurs.
*
1
Indépendamment de la hardieffe du
trait & de la fermeté de la touche par lefquelles
on eft ordinairement déterminé à
la connoiffance d'un original , la légéreté
d'outil me paroît un des meilleurs & des
plus fürs moyens pour déterminer fon jugement
, du moins par rapport aux ouvrages
des Coloriftes ; car il ne faut point
oublier la diftinction que j'ai faite plus
haut : on fçait de plus qu'il n'y a point de
regle fans exception . Un habile homme
conduit par de puiffans intérêts , voudra
copier exactement un tableau capital : il
eft certain qu'il fentira d'abord la légéreté
d'outil , & qu'il en fera féduit , peut- être
même ébloui , d'autant qu'il fe trouvera
dans la néceffité de la percer en quelque
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
façon pour démêler le fonds , eftimer &
diftinguer la préparation & la manoeuvre
de l'Auteur original. Quand le Copiſte a
fait fa préparation à laquelle il n'eft pas
toujours affuré de parvenir par les mêmes
voies , ce qui peut encore le déceler , s'il
veut rendre la légèreté d'outil telle que
l'Auteur l'a produite , ou telle qu'il la voit
encore , ( car le tems en a fouvent détruit
une partie ) , il ne pourra prefque ja
mais y parvenir que par des équivalens
, fur lefquels il lui eft non feulement
facile de fe tromper , mais fa recherche ,
fes foins & fes efforts pour rendre cette
fuperficie , cette fleur qui fait le charme
de l'Art , ferviront d'autant plus à reconnoître
la copie , que la légèreté n'a jamais
d'efforts ni de peines. Ce n'eft pas tout ,
quand même le faire de l'Auteur original
feroit inconnu , on fent aifément que cette
fuperficie ou cet efprit font affectés &
étrangers aux autres parties. On en conviendra
fi l'on penfe qu'un homme , quelque
fçavant qu'il puiffe être dans les langues
, conferve toujours fon premier acl'accent
de fa Nation , fi ce n'eft fur
tous les mots , c'eft au moins fur quelquesuns.
Ainfi la légéreté imitée ne fe trouvera
prefque jamais que par lambeaux dans la
copie , & ces parties découfues font autant
SEPTEMBRE . 1756. 223
:
d'échantillons pour connoître la qualité
de l'étoffe. Le fait eft fi certain , que plus
le Peintre fera fçavant & capable de produire
par lui-même , plus il fe trouvera
dégoûté d'une imitation dont l'objet lui
paroît au moins foible , peu néceffaire peutêtre
, & plus certainement repréhenfible
par le peu de reffemblance qu'il trouve
avec fa façon particuliere d'opérer : par
conféquent moins il approchera de cette
légéreté qu'il a fentie & qu'il a voulu
rendre ; moins il s'en prendra à lui- même ,
& plus il critiquera le grand Maître qu'il
copie. Il croira faire mieux , il aura peutêtre
raiſon mais le mieux ou le plus mal
ferviront également à le reconnoître. Le
dégoût & l'impatience produiront le même
effet car la foumiffion d'un efprit libre ,
né pour l'être ( & c'eft l'appanage des Artiftes
) , conduit prefque toujours à la révolte
, & tout au moins à la pefanteur.
Enfin que de moyens pour fe faire reconnoître
ont fourni de tous les temps ceux
qui veulent fe cacher ! Il faut cependant
convenir que la nature préfente tous les
jours un exemple pour l'excufe du Copiſte ,
& principalement fur l'imitation de la
légéreté d'outil . On fait des amitiés paffageres
à l'enfant d'autrui , un pere ne s'apperçoit
point du temps qu'il emploie à
K iv
224 MERCURE DE FRANCE:
careffer fon propre fils. Pour confirmer la
difficulté des copies dans la Peinture , je
crois devoir rappeller l'exemple de Ciceron.
Il a traduit plufieurs paffages des
Poëtes Grecs avec un feu , une vérité &
une nobleffe dignes des originaux : mais
ces traductions ne font que des paffages ou
des tirades , que des impreffions momentanées
, pour ainfi dire , lui ont permis
de rendre avec chaleur. Ce grand Orateur
n'auroit certainement pas traduit l'ouvrage
entier avec le même feu & la même
élégance : les tranfitions l'auroient arrêté, il
auroit fouvent défapprouvé leur foibleffe ,
une foule de moyens différens auroient
occupé fon efprit . Il n'avoit ni les défauts
de fes enfans à cacher , ni leur beauté à
faire valoir. Un Peintre échauffé par la
vue d'un bel ouvrage de l'Art , faifira de
même une partie , & pourra la rendre avec
le feu & la légèreté d'outil que préfente
l'original. On admire avec raifon ce fragment
, cette portion ; mais ce feroit à tort
que l'on feroit fâché de ne pas voir la totalité
de ce même Tableau copiée . Comme
Ciceron , le Peintre ne pourroit que faifir
& rendre une partie : il auroit pu, comme
ce grand Orateur , donner une idée juſte
& complette de l'ouvrage entier , c'est-àdire
avec fon crayon prendre l'efprit du
SEPTEMBRE. 1756. 225
Tableau , en faire une efquiffe capable de
faire fentir le mérite de l'enfemble : mais
ce produit d'une imagination échauffée
fera fait dans la chaleur , fans fatigue , fans
réflexion , pour ainfi dire , fans être affujetti
au terminé , fans être foumis à un
accord auffi étendu que la fuperficie , on
plutôt la légéreté d'outil.
J'ai fuppofé qu'un habile homme &
capable de produire , avoit de puiffans intérêts
pour fe foumettre à une copie entiere
: nous en avons cependant plufieurs
exemples . Mais vous fçavez mieux que
moi , Meffieurs , qu'on reconnoît affez généralement
dans ces mêmes imitations
non feulement le Maître , mais celui qui
a fait la copie. Cette reconnoiffance entre
de droit dans la partie du faire & de la
maniere. Je ne blâme affurément point ce
moyen pour la décifion d'un original ou
d'une copie : je le joins à ceux de la hardieffe
du trait & de la fermeté de la touche
dont j'ai parlé plus haut ; mais je perfifte
à croire que la légéreté d'outil eft
une reconnoiffance des plus certaines .
C'eſt donc la partie à laquelle je voudrois
exhorter nos curieux à s'attacher plus particuliérement.
Il leur eft d'autant plus aifé
de la diftinguer , qu'elle exige peut être
moins de connoiffance dans la pratique ,
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
& qu'elle eft abfolument dépendante de
l'efprit & du goût ; & c'eft encore par
refpect pour cette fleur que l'on doit
toucher aux Tableaux le moins qu'il eft
poffible. La virginité eſt délicate , un rien
peut bleffer. la
GRAVURE.
IL paroît une nouvelle Eſtampe gravée
d'après le Tableau original de D.Teniers ,
qui eft dans le cabinet de M. le Comte de
Vence. Ce beau morceau pourroit s'intituler
, Teniers Vengé ( 1 ) . M. de Voltaire ,
dans fes Anecdotes fur Louis XIV , cite
pour preuve du goût naturel de ce Prince ,
qu'ayant vu dans fon cabinet quelques
Tabagies de Teniers mêlées parmi des Tableaux
d'Italie , il dit avec mépris : Qu'on
m'ôte delà ces magots . Le Tableau dont il eſt
queftion n'auroit point encouru la cenfure
de ce grand Roi. On y voit une figure de
femme à demi nue , deffinée de très-bon
goût , peinte avec la plus grande fraî
cheur , & une Morbidezze , comme difent
les Italiens , vraiment enchantereffe . Elle
(1 ) Latone vengée. C'eft le titre que porte-
P'Eftampe.
SEPTEMBRE. 1756. 227
eft grouppée avec fes deux enfans ( Apollon
& Diane) , dont l'un eft à fes genoux ,
& l'autre repofe entre fes bras. Ces deux
enfans font charmans & dignes de leur
mere , dont la figure noble exprime la douleur
la plus intéreffante. Le fond du Tableau
eft un payſage , comme on fçait que
les faifoit Teniers , & un ciel vague plein
de touches larges & mouvantes. Des pêcheurs
font fur le devant de la fcene :
quelques-uns font déja métamorphofés ;
les autres font prêts à fubir la même peine
de leur inhumanité. On peut dire , fans
flatter l'Auteur de l'Eftampe qui a déja fait
fes preuves , que tout le mérite du Tableau
fe trouve dans fa
gravure.
Ce morceau large de 16 pouces & haut
de 12 , c'est- à- dire de même grandeur que
le Tableau original , fe trouve chez le
Sieur le Mire , rue S. Jacques , vis -à - vis le
College du Pleffis.
Le Sieur de Fehrt , Graveur , Quay des
Auguftins , chez Barrois , Libraire , vient
de donner au Public deux différentes
Vues de l'Ifle de Minorque , du Fort Saint
Philippe & de Port-Mahon , gravées d'après
les Tableaux peints d'après nature.
Le Sieur Beauvarlet , vient de les
graver
Savoyardes , d'après le Tableau de M.
K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
Jeaurat , expofé au dernier fallon. Cette
Eftampe nous a paru rendre très-bien l'original.
La gaieté Savoyarde y eft furtout
exprimée dans une grande vérité. Ce jeune
Graveur a fait paroître en même temps
le Jardinier , & fon pendant la Fruitiere ,
d'après M.Vanaffe . Ces trois morceaux fe
vendent chez l'Auteur , rue S. Jacques ,
au Temple du Goût.
Le Sieur Feffard , Graveur du Roi , &
de fa Bibliothéque , vient de mettre au
jour les quatre Arts , la Mufique , l'Architecture
, la Peinture & la Sculpture , d'àprès
les tableaux du célebre M.Vanloo. Les
gravures que nous annonçons font les premiers
des tableaux qui décorent le château
de Bellevue , & en particulier le fallon de
ce château . Le Graveur les a dédiées à Madame
la Marquife de Pompadour , dame
du palais de la Reine. Elles fe trouvent
chez l'Auteur , rue faint Thomas du Louvre
, la troifieme porte cochere à gauche ,
en entrant par la place , & au bureau du
Mercure , chez M. Lutton.
Le peu d'efpace qui refte pour les Nouvelles
, nous oblige de remettre la Réponſe
de M. le Roi à M. le Mazurier , au Mercure
prochain.
*
SEPTEMBRE. 1756 229.
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
LE Lundi 26 Juillet , les Comédiens
François donnerent la premiere repréfentation
de Sémiramis , Tragédie remife de
M. de Voltaire . Elle a été encore plus
fuivie à cette reprife que dans fa nouveauté.
Le jeu des Acteurs n'a pas moins
contribué au fuccès que la pompe du;
fpectacle , la beauté des vers & les détails
de la Piece. La derniere Scene du qua-.
trieme Acte où Sémiramis reconnoît
Arface pour fon fils , & voit tous fes
crimes dévoilés , eft une des plus belles
Scenes & des mieux jouées qui foient
au Théâtre. C'est le triomphe de Mademoifelle
Dumeni & de M. Lekain. Le rôle
du Grand-Prêtre a été parfaitement rempli
par M. Grandyal : Mlle Hus, dont le talent
fe perfectionne tous les jours , a rendu
celui d'Azéma de maniere à y faire applaudir
des beautés qu'on n'y avoit pas
230 MERCURE DE FRANCE.
autrefois apperçues. La Piece a eu neuf
repréfentations de fuite , & fera repriſe cet
hyver. Mlle Alart continue à danfer avec
la même réuffite , & le Théâtre François à
avoir feul des fpectateurs.
COMÉDIE ITALIENNE.
Le Jeudi 5 Août , les Comédiens Italiens
ont joué pour la premiere fois les
François au Port Mahon , Comédie nouvelle
en vers en un Acte , fuivie de la
Marfeilloife , Divertiffement nouveau .
L'indifpofition d'un Acteur n'a pas permis
qu'on en donnât une feconde repréſentation
.
Le Jeudi 19 , les mêmes Comédiens
ont repréſenté Arlequin Sauvage , fuivi
des Débuts , petite Piece où Mademoiſelle
Victoire a paru pour la premiere fois dans
le rôle de la Débutante , qu'elle a rempli en
Actrice faite. Elle a reçu les plus grands applaudiffemens
, & nous croyons qu'elle les
mérite. Elle a montré autant d'efprit & de
fineffe dans les fcenes qu'elle a jouées ,
qu'elle a fait voir de goût , d'ame & d'expreffion
dans celle qu'elle a chantée . Elle
a rendu furtout une Ariette ou un air
Italien auffi parfaitement qu'une Françoiſe
SEPTEMBRE . 1756 . 23F
puiffe le rendre, Nous ofons dire d'après
la voix publique , qu'elle annonce un vrai
talent dans les deux genres.
E
OPERA COMIQUE.
Le même jour, l'Opéra Comique a donné
la premiere repréfentation du Diable à
quatre , piece en trois Actes , mêlée d'Ariettes.
Ce drame eft une imitation de la
farce Angloife , qui porte le même titre ,
& qui a été fi heureufement traduite par
M. Patu. Le Public l'a beaucoup applaudi ;
il est très-bien décoré , & préfente un fpectacle
& des fituations rifibles qui font faires
pour ce Théâtre. On y avoit joué précédemment
une autre Piece nouvelle en un
Acte , mêlée auffi d'Ariettes , intitulée les
Amans trompés. Elle a été repréſentée quelque
temps , & affez bien reçue. Elle a dû
cet accueil favorable au choix des airs , &
à la maniere dont Mlle Rofaline & le Sr
la Ruette les ont exécutés.
A Mademoiselle Baptifte , jouant le rôle de
Finette dans les Amans trompés.
Air : L'autre jour étant affis.
QUe tu mets dans tout ton jeu
132 MERCURE DE FRANCE.
Digne éleve de Thalie ,
D'ame , d'efprit & de feu
Quand tu trahis Emilie !
Ton art eft de charmer ,
D'être en tout applaudie
Et de nous faire aimer
Jufqu'à ta perfidie .
•
>
Par M. BRUNET.
CONCERT SPIRITUEL.
LE
E Concert du 15 Août , jour de l'Affomption
, a été auffi beau qu'applaudi.
Il a commencé par le Te Deum , Motet à
grand choeur de la Lande. Enfuite M. Godart
a chanté Conferva me , petit Motet de
M. le Febvre. M. Pifet a joué un Concerto
de violon de fa compofition , avec un feu ,
une aifance & une précision qui ont arraché
des applaudiffemens aux mains les plus pareffeufes.
MM. Gelin & Larivée ont chanté
en Duo un petit Motet. Mlle Fel a chanté
un petit Motet nouveau , avec cette fupériorité
qui ne laiffe rien à défirer , & qui
enleve tous les fuffrages . Le Concert a fini
par Dominus regnavit , Motet à grand
choeur de M. Mondonville. L'exécution
par Mlles Fel & Chevalier , a repondu à
l'excellence du morceau.
SEPTEMBRE. 1756. 233
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU NORD.
DE STOCKHOLM , le 24 Juillet.
LE 16 de ce mois, la Commiffion établie par les
Etats pour juger le Comte de Brahé , le Baron de
Horn , le Capitaine Stalfward , le fieur Puke , &
les nommés Mozelius , Ernft , Ercolin , Chriftienin
& la Chapelle , les a condamnés à avoir la
tête tranchée. On leur lut leur Sentence , & le
Procureur Général de la Commiffion ayant fait le
lendemain aux Etats le rapport des preuves fur
leſquelles eft fondé le jugement , il a été confirmé.
Les quatre premiers ont été décapités aujourd'hui
dans la Place du Ridderholm . Cette exécution
s'eft faite tranquillement & fans aucune rumeur.
On avoit pofté près de la Place du Ridderholm
, plufieurs détachemens de troupes réglées ,
& les Compagnies de la Milice Bourgeoife à che
val. Les Compagnies d'Infanterie de cette Milice
étoient fous les armes dans les autres Places publiques
de la Ville & dans les Fauxbourgs . Les
familles du Comte de Brahé & du Baron de Horn
ont obtenu la permiffion de faire enlever les corps
de ces deux Seigneurs pour leur donner la ſépulture.
Mozelius , Eraft , Ercolin , Chriftienin &
la Chapelle feront conduits après - demain au fupplice.
Les Etats ont envoyé ordre aux Ambaffa
234 MERCURE DE FRANCE.
deurs , Miniftres , Agens & Confuls de Suede
dans les pays étrangers , de réclamer le Comte de
Hardt , le Baron Eric de Wrangel & le Capitaine
Gyllenpetz , partout où l'on pourra découvrir ces
fugitifs.
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 10 Août .
On eft içi fort ſenſible à la priſe de l'Iſle Minor
que. La perte que la Nation fouffre par cet événement
, eft eftimée à plus d'un million de livres
fterlings , fans compter le dommage qui en réfultera
pour la navigation & pour le commerce. Il
paroît qu'on eft dans la ferme réfolution d'examiner
les caufes qui ont empêché que le Fort
Saint-Philippe n'ait été fecouru , & de punir felon
la rigueur des loix ceux qui feront reconnus avoir
défobéi aux ordres qu'ils avoient reçus relativement
à cet objet . Les Amiraux Byng & Weft
font arrivés à Spithéad , le premier ayant été
renvoyé fous arrêts par l'Amiral Hawke . Le
Public attend avec impatience les réponfes que
l'Amiral Byng fera fur les différens chefs d'accufation
intentés contre lui. Surtout on défire de
fçavoir pourquoi il a employé tant de temps à
retourner à Gibraltar après le combat du 20 Mai.
L'Amiral Weft s'eft rendu à Kenſington , pour
informer le Roi de toutes les circonftances du
combat naval du 20 Mai. Sa Majefté a témoigné
être parfaitement fatisfaite de la conduite qu'il a
tenue dans cette action . On garde étroitement
P'Amiral Byng. M. Edouard Byng , fon frere ,
quoique malade , alla le 28 à Portfmouth pour le
voir . Au moment qu'ils s'embraffoient , il arriva
SEPTEMBRE . 1756. 235
un Meffager d'Etat qui venoit prendre l'Amiral
fous fa garde. Cette vue fit une telle impreffion
fur le fieur Edouard Byng , qu'il expira fur le
champ fans proférer une feule parole . Les deux
principales fautes qu'on reproche à l'Amiral
Byng , font de n'avoir pas fait avancer plus de
Vaiffeaux à l'ordre de bataille de l'Amiral Weft ,
& de n'avoir pas tenté à tout hazard l'entrée du
Havre de Mahon , puifque fes ordres étoient pofitifs
à cet égard . Le Général Fowk , ci- devant
Gouverneur de Gibraltar , doit auffi fubir l'examen
d'un Confeil de Guerre , pour n'avoir pas
donné le Régiment que demandoit cet Amiral .
Le Chef d'Eſcadre Howe ayant fait une defcente
dans une petite Ine appartenante aux François,
& fituée à quelque diftance de l'ifle de Guarnefey
, cinquante hommes qui y étoient en garnifon
ont capitulé , & on leur a accordé les honneurs
de la guerre. On a reçu avis que l'Eſcadre ,
qui depuis quelque temps a établi fa croifiere devant
Louisbourg , s'eft emparé du Vaiffeau de
guerre François l'Arc-en - Ciel , de cinquante canons
, & qu'elle a enlevé aufli deux Navires de la
même Nation chargés de provifions , l'un pour
l'ifle Royale , l'autre pour celle de Saint- Jean.
Selon les nouvelles de la Caroline Méridionale ,
le feu a pris à Charles Town dans les magaſins ,
& a confumé une grande quantité de fucre , de
ris & de rhum. Il y a eu auffi un grand incendie à
Bridgeton dans l'Ile de la Barbade. Soixante-cinq
maiſons ont été réduites en cendres , ainfi qu'un
magafin rempli de coton , d'huile , de foufre , &
de plufieurs autres marchandiſes. Le dommage
monte à trois cens cinquante mille livres fterlings .
L'Amirauté a envoyé ordre à Portſmouth , à
Plymouth & à Douvres , de relâcher les Bâtimens
236 MERCURE DE FRANCE.
Hollandois , qui y ont été conduits depuis que la
Grande Bretagne a déclaré la guerre à la France.
Il eft parti ces jours - ci de Spithéad une nouvelle
Eſcadre de dix Vaiffeaux fous les ordres de l'Amiral
Holbourne , pour aller croiſer conjointement
avec l'Amiral Bofcawen fur les côtes de
Bretagne & du Pays d'Aunis. Le Gouvernement
vient de prendre à fon fervice un grand nombre
de Bâtimens de tranſport , dont les Capitaines ont
ordre de s'approvifionner pour un voyage de long
cours.
Aujourd'hui le Général Fowke a fubi un interrogatoire
devant un Confeil de guerre compofé
de quatorze Officiers Généraux . On avoit fait
partir l'Amiral Byng de Portſmouth pour le conduire
ici ; mais on a été obligé de lè remener કે
fon bord , afin de le fouftraire à la fureur de la
populace , qui s'étoit attroupée fur la route dans
le deffein de fe venger fur lui des avantages remportés
par les François.
FRANCE.
DE LA ROCHELLE , le 17 Juillet.
LE Bâtiment l'Heureuse Marie , de Saint -Briac ,
chargé de fel & deſtiné pour Saint- Malo , fut arrêté
le de ce mois à cinq lieues au large de l'Ifie
Dieu par un Corfaire Anglois , qui le rançonna
pour la fomme de deux mille livres. Ce Bâtiment
continuant la route fur la foi de cette rançon fut
rencontré quatre jours après par un autre Corfaire
Anglois , qui exigea une nouvelle rançon de
pareille fomme de deux mille livres , & qui prie
SEPTEMBRE. 1756. 237
un ôtage pour fûreté de fon paiement. Le len
demain , il est tombé encore dans les mains d'un
troifieme Corfaire de la même Nation , lequel
s'eft emparé des deux billets de
rançon , a enlevé
le Bâtiment & l'a conduit en Angleterre. Ces
traits de piraterie font conftatés par la déclaration
juridique , qui en a été faite hier au Greffe de
l'Amirauté de cette Ville par le Capitaine & par
deux hommes de l'équipage François , qui font
revenus dans un Bâtiment Suédois , où ils ont été
mis par le Corſaire Anglois qui l'a rencontré à la
mer.
DE BELLE- ISLE , le 20 Juillet.
Le 4 le Navire le Jahans , de Suede , Capitaine
Petter Jonffon , fe préfenta ici , & demanda unt
Pilote Côtier , qui lui fut donné pour le conduire
au Croific , où il alloit prendre un chargement de
fel. Mais ce Pilote lui fut enlevé le même jour
par un Corfaire Anglois , malgré toutes les repréfentations
que le Capitaine Suédois pût faire à ce
Corfaire fur les dangers auxquels il l'expofoit. Ce
Capitaine fut obligé de revenir ici pour avoir un
fecond Pilote , qui lui fut fourni fur le certificat
qu'il donna de l'enlèvement du premier. Des violences
de cette efpece peuvent avoir les fuites les
plus fâcheufes pour la navigation générale.
DE BORDEAUX , le 3 Août.
La plupart des Bâtimens Hollandois qui font
entrés depuis quelque temps dans ce Port , y ont
fait les rapports les plus étonnans des pyrateries
qu'ils ont eu à fouffrir de la part des Corfaires
Anglois qu'ils ont eu le malheur de rencontrer
dans leur navigation . Ces Corfaires leur ont
enlevé leurs uftenfiles , effets , cordages , voiles
238 MERCURE DE FRANCE.
&
bouffoles , cartes , légumes , poiffon falé , viandes
, porcelaine , vins , liqueurs , provifions ,
mêmejufqu'à leurs habits. Le Capitaine Heynde
rick Stoffe n'a pu fortir de leurs mains , qu'après
qu'ils lui ont emporté genéralement tout ce qu'il
avoit. L'Agent auquel les Capitaines Hollandois
Padreffent ici a été fi touché de leur plaintes ,
qu'il a cru devoir les faire parvenir à M. l'Eſtevenon
de Berkenroode , Ambaffadeur des Etats Généraux
des Provinces-Unies auprès du Roi , en
frant à cet Ambaſſadeur de lui en envoyer des
atteftations authentiques.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
Sa Majefté a accordé les grandes entrées à M. le
A
Maréchal Duc de Belle- Ifle .
Le jour que M. le Comte d'Egmont apporta au
Roi les articles de la Capitulation du Fort Saint-
Philippe , le Corps de Ville fit tirer à cinq & à fept
heures du foir les boîtes d'artillerie & le canon
de la Ville. Sur les neuf heures , il y eut une pareille
falve d'artillerie , pendant laqucile les Prévôt
des Marchands & Echevins allumerent , avec les
cérémonies accoutumées , le bucher qui avoit
été dreffé dans le milieu de la Place de l'Hôtel de
Ville. On tira enfuite une grande quantité de
fufées volantes. La Ville fit en même temps couler
trois fontaines de vin , & diftribuer des viandes au
peuple dans la même Place . Près de chaque fontaine
de vin étoit une Orcheſtre remplie de
Joueurs d'Inftrumens . La Place étoit éclairée par
un grand nombre d'ifs , qui portoient des lumie
res , & la façade de l'Hôtel de Ville l'étoit par
trois filets de terrines fuivant l'Ordre de l'Architecture.
L'Hôtel de M. le Duc de Gefvres , Gou
SEPTEMBRE . 1756. 239
verneur de Paris ; celui du Prevôt des Marchands,
& les maifons des Echevins & des principaux Officiers
de l'Hôtel de Ville , furent auffi illuminés.
Le Roi ayant écrit à l'Archevêque de Paris
pour faire rendre de folemnelles actions de graces
à l'occafion de la conquête de l'Ifle Minorque
on chanta le 25 Juillet le Te Deum dans l'Eglife
Métropolitaine , & P'Abbé de Saint - Exupery ,
Doyen du Chapitre , y officia. M. de Lamoignon ,
Chancelier de France , & M. de Machault , Garde
des Sceaux , accompagnés de plufieurs Confeillers
d'Etat , & Maîtres des Requêtes , y affifterent ,
ainfi que le Parlement , la Chambre des Comptes
, la Cour des Aides & le Corps de Ville , qui
y avoient été invités de la part de Sa Majesté par
M. Defgranges , Maître des Cérémonies.
On tira le même jour dans la Place de l'Hôtel
de Ville , par ordre des Prevôt des Marchands &
Echevins , un Feu d'artifice dont l'exécution ne
laiffa rien à défirer. La décoration repréfentoit
un grand trophée de guerre , élevé à la gloire du
Roi fur les débris d'un Fort . Le corps de ce tro
phée , étoit une pyramide quadrangulaire de
foixante douze pieds de haut , pofée au milieu de
la principale place d'armes du Fort ſur pluſieurs
canons démontés. Des maffes d'armures antiques ,
des efpeces de foleils formés avec les armes enlevées
aux ennemis , & des médaillons au chiffre
du Roi , ornoient les quatre faces de la pyramide.
La boule de France , furmontée d'une couronne ,
lui fervoit d'amortiffement. Cette pyramide étoit
accompagnée de deux colonnes roftrales de cinq
pieds de diametre , conftruites fur les pointes des
Ravelins , & auxquelles étoient attachés des becs
& des proues de Navires. A l'entrée des attaques
on avoit placé diverfes figures allégoriques. Qua
240 MERCURE DE FRANCE.
tre palmiers étoient plantés fur les quatre contre
gardes , qui enveloppoient le corps de la Place ,
& qui enfermoient la feconde enceinte. Les tiges
de ces arbres étoient chargées de dépouilles remportées
par les vainqueurs , & les rameaux étoient
entrelacés de guirlandes auxquelles des couronnes
de laurier de différentes grandeurs étoient fufpendues.
On voyoit au haut des deux colonnes deux
figures, qui repréfentoient, l'une Neptune , l'autre
Le Génie Tutelaire de la Place. La France , entourée
de plufieurs Génies & d'une troupe de Héros ,
paroiffoit à l'endroit de la principale attaque ,
confacrant ce monument en préſence de Mars &
de Minerve.
Cette décoration enrichie de peinture & de
rondeboffe , avoir quatre-vingt-huit pieds de longueur.
Elle étoit difpofée fur plufieurs plans concentriques
, élevés les uns au- deffus des autres , &
elle préfentoit au naturel le tableau d'une fête
militaire , donnée dans un Fort qui venoit d'être
emporté d'affaut. Les différens jeux de l'artifice
exprimerent l'attaque & la défenfe d'une Place.
Ils furent terminés par un coup de feu très-bril
lant , & par un bouquet en réjouiffance de la
victoire.
Au Feu d'artifice fuccéda une magnifique illu
mination. Un triple cordon de lumieres deffinoit
l'architecture de la façade & du grand comble de
l'Hôtel de Ville . Plufieurs luftres garnis de lanternes
de verre éclairoient diverfes parties du bâ
timent. Toute l'enceinte de la Place étoit illuminée
, ainfi que le pourtour du Feu , par des ifs
chargés de lampions .
Il y eut auffi de très- belles illuminations aux
Hôtels de M. le Duc de Gefvres & du Prevôt des
Marchands , & aux maiſons des Echevins & des
principaux
SEPTEMBRE. 1756. 245
principaux Officiers de l'Hôtel de Ville . Des fontaines
de vin coulerent , & l'on diſtribua du pain
& des viandes au peuple dans tous ces différens
endroits, de même que dans la Place de Louis XV ,
dans celle de Louis le Grand , dans celle des Victoires
, dans celle du Carroufel , dans la Place
Royale , dans les Halles , dans le Marché- Neuf ,
à la Place Maubert & à la Croix- Rouge. On
avoit mis des Orcheſtres partout où le faifoient
ces diſtributions , & le peuple jufqu'à cinq heures
du matin témoigna par les danfes la joie que lui
caufoit la profpérité des armes du Roi. Pendant
toute la nuit , la Place devant l'Hôtel de Ville fut
remplie de carroffes.
Deux Armateurs de Calais ont fait deux prifes
affez confidérables . Un Armateur de Dunkerque
a enlevé un Navire Anglois qui forto t d´´la Tamife
, & il l'a conduit à Oftende. Le chargement
de cette derniere priſe eſt eſtimé trois cens mille
livres.
Le Roi a donné le Gouvernement général de
l'Ile Minorque à M. le Comte de Lannon , Maréchal
de Camp . Sa Majefté a fait Marécha x e
fes Camps & Armées MM. de la Serre , Brigadier,
Lieutenant- Colonel du Régiment Royal la Ma
rine; de la Bliniere , Brigadier , Lieutenant- Colonel
du Régiment Royal Infanterie ; le Marquis
de Roquepine , Brigadier , Colonel du Régi
ment Royal Comtois ; le Marquis de Monti , Bi
gadier , Colonel du Régiment Royal Italien ; le
Marquis de Trainel , Brigadier , Colonel d'un
Régiment d'Infanterie ; le Comte d'Egmont , Brigadier
; Meftre de Camp d'un Régiment de Cavalerie
, & le Chevalier de Redmont , Brigadier ,
Meftre de Camp Réformé de Cavalerie. Sa Majeſté
a fait Brigadier de Dragons M. le Duc de
L
242 MERCURE DE FRANCE.
Fronfac , Mestre de Camp de Dragons ; & Elle a
fait Brigadiers d'Infanterie M. le Prince de Rohan-
Rochefort , Colonel d'un Régiment d'Infanterie ;
le Comte de Levis- Leran , Colonel du Régiment
Royal la Marine ; le Chevalier de Clermont d'Amboife
, Colonel du Régiment de Bretagne , & le
Comte de Rochambeau , Colonel du Régiment
de la Marche.
Il y a eu , tant pendant le cours du fiege da
Fort Saint- Philippe , qu'à l'attaque faite des ouvrages
de ce Fort dans la nuit du 27 au 28 Juin ,
treize Officiers tués , & quatre vingt- douze bleffés.
Quatre cens dix -neuf Soldats ont été tués , &
le nombre de ceux qui ont été bleffés monte à
neuf cens quatre- vingt- feize.
Les habitans de Rouen ayant été informés que
M. le Cardinal de Tavannes devoit y arriver le 19
Juillet , le Chapitre de l'Eglife Métropolitaine ,
& tous les Ordres de la Ville , fe font empreffés à
l'envi de lui marquer la part qu'ils prenoient à fa
promotion au Cardinalat . Les Compagnies de la
Bourgoifie , à cheval , avec leurs trompettes &
leurs étendards , font allées au devant de lui ,
à l'entrée du Fauxbourg , dans le lieu où il devoit
fe revêtir de fes habits de cérémonie. Toutes les
Brigades de la Maréchauffée , le Grand Prevôt à
leur tête , fe font rendues au même lieu , & toutes
les perfonnes de confidération y ont envoyé leurs
carroffes, pour former un cortége pompeux . L'im- :
patience de voir le Cardinal avoit fait fortir de la
Ville une partie du peuple ; le refte rempliffoit les
rues & les places publiques. Le Cardinal , en entrant
dans Rouen , a été falué par le canon de la
Ville & par celui du vieux Palais. Le Régiment
de Lyonnois , fous les armes , formoit une doable
Laie depuis la porte du Pont juſqu'au grand Por
SEPTEMBRE . 1756. 243
tail de l'Eglife Métropolitaine , dont l'interieur
étoit gardé par les deux Compagnies de Grenadiers
de ce Corps . Lorfque le Cardinal a été prêt
d'entrer dans la grande Place qui eft devant l'E-`
glife , le Chapitre eft forti proceffionellement ,
pour aller au devant de Son Eminence. Le Haut
Doyen l'a complimentée au nom des Chanoines ,
& elle a été conduite dans le choeur de l'Eglife
Métropolitaine , où les principaux Membres du
Parlement & de la Chambre des Comptes , le
Corps de Ville , les Curés , les Supérieurs des
Communautés Régulieres , & un grand nombre
de perfonnes de diftinction , étoient placés avec
un ordre dont tout le monde a été fatisfait . On a
chanté le Te Deum en mufique & avec fymphonie.
A l'entrée de la nuit , la partie extérieure du
choeur de l'Eglife Métropolitaine , qui termine
d'un côté la cour de l'Archevêché , a été illuminée
, ainfi que toutes les maifons des Chanoines ,
les Communautés Religieufes & plufieurs autres
maifons de la Ville.
"
Le premier d'Août , les Officiers de la Garnifon
de la Rochelle , compofée des Régimens d'Infanterie
de la Sarre & de Breffe , & du Régiment
Royal Dragons , célébrerent par une fête éclatante
la prife du Fort Saint- Philippe . La grande
Place de la Ville étant plantée de plufieurs allées
d'arbres , paroiffoit faite exprès pour rendre ce
fpectacle agréable. Après que les troupes y eurent
formé plufieurs faifceaux de leurs armes , l'Aumônier
du Régiment de la Sarre dit la Meſſe fur un
Autel qu'on dreffa dans l'inftant . Enfuite les foldars
des trois Régimens que l'on mêla exprès ,
prirent leurs places aux différentes tables qui leur
étoient deſtinées , & qui furent fervies avec la
plus grande abondance . On avoit préparé des ta-
Lij
244 MERCURE DE FRANCE.
bles particulieres pour les Maréchaux des Logis &
pour les Sergens . M. de Montpouillan & les
Comtes de Carcado & de la Blache , Colonels , accompagnés
de MM. le Blanc & de Labadie , Lieutenans-
Colonels , & de MM. du Menil , de S. Mery
& de Murat, Majors , allerent inviter M. le Marquis
de Clermont- Gallerande, Lieutenans-Général, qui
commande dans la Province , & M. le Marquis de
Dreux employé fous les ordres en qualité de Maréchal
de Camp , à porter la fanté du Roi & celles
de la Famille Royale. Ces fantés furent bues au
bruit de cinq pieces de canon . Pluſieurs inftrumens
de guerre & de mufique augmenterent la
joie de ce feftin militaire. La fête fut fuivie d'un
magnifique repas fervi à une table de cent cinquante
couverts que donna le Marquis de Gallerande.
Le foir , l'Hôtel de ce Lieutenant Général
fut illuminé en tranſparent. La décoration repréfentoit
le Port-Mahon . Au deffus , on lifoit ce vers :
Difcite juftitiam moniti , &non temnere Divos.
La fête que le Prince de Croy a donnée le
même jour au Camp fous Calais , a été de la plus
grande magnificence. Quarante- cinq Dames y
avoient été invitées , ainfi que M. d'Invault , Intendant
de Picardie , & tous les Officiers des Etats
Majors des Villes , Citadelles & Forts des environs
du Camp . On fervit pour cette Compagnie &
pour les Officiers des troupes dont le Camp eft
compofé , plufieurs tables fous des baldaquins à
la Chinoife , dont les bords étoient feftonnés par
des guirlandes de fleurs . Ces mêmes guirlandes
defcendoient par diverfes circonvolutions autour
des colonnes qui foutenoient les baldaquins. Pendant
le repas, qui dura depuis quatre heures aprèsmidi
jufqu'à fept , & dans lequel il régna autant
de profufion que de délicateffe , on diftribua dụ
pain , de la viande & de la biere aux foldats. Les
SEPTEMBRE . 1736. 245
Comédiens jouerent la Comédie gratis ; & comme
la falle du Spectacle ne pouvoit contenir qu'une
petite partie des troupes , on avoit placé des Farceurs,
des Danfeurs de cordes & des Joueurs de gobelets,
à la tête de chaque Brigade . Sur les fept heures
& demie , on chanta le Te Deum dans la Chapelle
du Camp , au bruit de tous les inftrumens de
guerre. Lorfque la nuit commença , trois fufées
partirent d'une montagne à deux lieues du Camp ,
qui eft précisément vis - à-vis de Douvres . La Ville
& la Citadelle de Calais , & tous les Forts des
ennemis répondirent à ce fignal par des falves
générales de leur artillerie. Ces falves furent repétées
trois fois . Elles furent fuivies d'un Feu
d'artifice , dont la décoration repréfentoit un
Fort quarré à double enceinte , femblable à celui
de Saint-Philippe . A la fin du Feu , il tomba fur
le Fort une fleur de lys enflammée. Plufieurs fougaffes
jouerent en même temps , & renverferent
tous les ouvrages . On demeura un inftant dans
une grande obfcurité . Puis on vit s'élever par
dégrés un foleil d'artifice . Les Armes de France
parurent deffinées en feu brillant . Au deffus étoit
un Vive le Roi en caracteres lumineux , parfaitement
exécuté .
La Ville de Saint- Malo ne s'eft pas moins
diftinguée par les réjouiffances qu'elle a faites le
8 , à l'occafion de la conquête de l'Ile Minorque.
Voici le Mandement de M. l'Evêque de cette Ville ,
qui a ordonné de chanter le Te Deum à ce fujet.
MANDEMENT de Monseigneur l'Evêque
de Saint- Malo , à l'occasion de la Conquête de
L'Ife Minorque .
Ean
Ean - Jofeph de Fogaffes de fa Baftie , par la
miféricorde de Dieu ., & c. Salut.
Lij
246 MERCURE DE FRANCE.
Les actions de graces folemnelles que nous vous
annonçons , MES TRÈS-CHERS FRERES , ne doivent
pas être regardées comme de vaines cérémonies
, ou comme de fimples démonftrations de
la joie que nous caufent les événemens qui en
font l'objet. On protefte publiquement par ces
fignes extérieurs de reconnoiffance , que le Sei
gneur eft le Dieu des Armées ( 1 ) & que fa providence
en dirige toutes les opérations , fuivant l'ordre
de fes décrets toujours infiniment fages & infiniment
juftes , quoique fouvent impénétrables.
Les Puiffances de la terre fe glorifient en vain
dans le nombre de leurs Troupes ou de leurs Vaiffeaux
. Il y a dans le Ciel un fouverain Maître à
qui la mer & la terre appartiennent également ,
& qui déconcerte , quand il lui plaît , tous les projets
des hommes .
Comment êtes- vous tombée ( 2 ) difoit autrefois le
Seigneur par fes Prophétes à une Nation qui fe
vantoit de pofféder l'empire de la mer , Comment
êtes-vous tombée , vous , qui habitiez dans la mer,
qui étiezfiforte fur cet élement , dont les habitans
s'étoient rendus redoutables tout le monde ? vous
qui difiez ( 3 ): Je fuis placée au milieu de la mer, je
fuis le fiege du commerce du trafic des Peuples ?
vous (4) dont les Négocians étoient des Princes ,
dont les Marchands étoient les perfonnes les plus il-
(1 )Tu Domine exercituum Deus , 2 Reg. 7. ¥.27
(2) Quomodo perifti qua habitas in mari , urbs
inclyta qua fuifti fortis in mari cum habitatoribus
tuis quos formidabant univerfi. Ezech . 26. ¥. 17. ·
(3) Negociationi populorum ad infulas multas....
tu dixifti perfecti decoris ego fum & in corde maris
fita. Ezech. 17. V. 3 & 4.
(4 ) Cujus negotiatores principes , inftitores ejus
inclyti terra. Ifaie 23. V. 8 .
SEPTEMBRE . 1756. 247
luflres de la terre ? Les Vaiffeaux ( 1 ) maintenant
ferontfaijs d'étonnement , lorsque vous ferez pouse
même faifie de frayeur : les Ifles feront troublées
dans la mer , parce que perfonne ne fortira de chez
vous. C'est le Seigneur ( 2 ) qui a prononcé cet arrêt,
qui a refolu de vous traiter de la forte pour ren➡
verfer toute la gloire des fuperbes. C'eft ( 3 ) parce
que votre coeur s'eft élevé que vous avez dit : Je
fuis affis comme un Dieu au milieu de la mer : c'eſt
pour cela , dit le Seigneur , que je ferai marcher
contre vous les plus puiffans d'entre les peuples qui
viendront l'épée à la main confondre votre prétendue
fageffe.
Ces événemens , quoique predits par Pefprit
de Dieu long- temps auparavant , furent regardés
lorfqu'ils arriverent , comme les effets ordinaires
de l'ambition & de la politique . Mais fi Dieu ,
pour exercer notre foi , fe plaît à cacher les opérations
fous le voile des caufes naturelles , il n'en
eft pas moins la caufe premiere & principale à la
quelle toutes les autres font fubordonnées , & qui
les fait toutes fervir à l'exécution de fes deffeins.
C'eft lui qui préfide au Confeil des Rois & qui
eft l'auteur de la fageffe des projets qu'ils forment .
C'est lui qui répand dans le foldat cette valeur à
qui rien ne réſiſte , & cette conſtance que rien ne
›
(1 ) Nunc ftupebunt naves in die pavoris tui:
turbabuntur infula in mari , eo quòd nullus egrediatur
ex te. Ezech. 26. V. 18.
(2) Dominus exercituum cogitavit hoc, ut detraheret
fuperbiam omnis gloria. Ilaïe 23. V. .9 .
.... Toin
(3 ) Eo quòd elevatum eft cor tuum & dixifti...
Deus ego fum, & ... fedi in corde maris ... propterea
dicit Dominus .... ecce ego adducam fuper te
buftiffimos gentium , &nudabunt gladios fuosfuper
pulchritudinem fapientia tua . Ezech . 28. V. 2 , 6, 7.
248 MERCURE DE FRANCE.
rebute. C'est lui qui inſpire aux Généraux l'activité
, la prudence , le courage & la fermeté . Ceſt
lui qui les fait triompher des obftacles multipliés ..
que leur oppofent la nature , l'art , les contretemps
& la défenfe la plus opiniâtre . C'est à lui
par conféquent & à lui feul que doit fe rapporter
toute la gloire des ſuccès.
Tel eft M. T. C. F. l'efprit qui doit animer les
chants d'allégreffe & les Cantiques de louange
que nous allons offrir au Seigneur en reconnoiffance
de la conquête de l'Ile Minorque . Il eſt naturel
que cette reconnoiffance s'étende à ceux dont
Dieu s'est fervi pour une conquête fi glorieufe &
fi utile à la Nation . La Religion autorife ces fentimens
loin de les condamner , & nous avons dans
cette Province & prefque fous les murs de cette
Ville , un motif bien intéreffant de nous y livrer.
( 1 ) Mais n'oublious jamais que c'eft ( 2 ) le Šeigneur
qui, fans avoir égard à la puissance des armes , donne
la victoire , comme il lui plait , à ceux qui en
font dignes. Implorons donc fon ſecours avec confiance
demandons- lui qu'il continue de bénir
les entrepriſes du plus puiffant , du plus jufte & du
plus pacifique de tous les Rois. Après les preuves
de modération que fes Ennemis même ont dû
admirer en lui , prier pour la profpérité de fes Armes
, c'eft prier pour le repos & pour le bonheur
de toute l'Europe. A ces cauſes , &c.
( 1 ) Il y a un Camp auprè de Saint -Malo.
(2) Non fecundùm armorum potentiam , ſed, prout
ipfi placet , dat dignis victoriam. 1. Mach. 15. Ý. 21 .
Voici une Piece de Vers qui nous a été envoyée
trop tard pour être inférée à la Partie Fugitive ,
& que nous plaçons ici par addition .......
1
१
SEPTEMBRE . 1756 . 249
EPITRE de M. de Voltaire à M. des Mabys
, aux Delices , 24 Juillet.
1
Vous ne comptez pas trente hyvers :
Les graces font votre partage ;
Elles ont dicté vos beaux vers ;
Mais je ne fçais par quel travers
Vous vous proposez d'être fage.
C'eſt un mal qui prend à mon âge ,
Quand le reffort des paffions ,
Quand de l'amour la main divine ,
Quand les belles tentations
Ne foutiennent plus la machine.
Trop tôt vous vous défefpérez ;
Croyez- moi , la raiſon févere
Qui trompe vos fens égarés ,
N'eſt qu'une attaque paffagere.
Vous êtes jeune & fait pour plaire,
Soyez fûr que vous guérirez :
Je vous en dirois d'avantage
Contre ce mal de la raifon
Que je hais d'un fi bon courage ;
Mais je médite un gros Ouvrage
Pour le Vainqueur de Port-Mahon.
Je veux peindre à ma Nation
Ce jour d'éternelle mémoire.
Je dirai , moi , qui fçais l'histoire ,
Qu'un géant nommé Gérion
Fut pris autrefois par Alcide
250 MERCURE DE FRANCE.
Dans la même Iſle , au même lieu ,
Où notre brillant Richelieu
A vaincu l'Anglois intrépide
Je dirai qu'ainfi que Paphos
Minorque à Vénus fut foumife :
Vous voyez bien que mon Héros
Avoit double droit à ſa priſe.
Je fuis Prophète quelquefois.
J'ai prédit fes heureux exploits ,
Malgré l'envie & la critique ;
Et l'on prétend que je lui dois
Encor une Ode pindarique.
Mais les Odes ont peu d'appas
Pour les Guerriers & pour moi- mêmé ;
Et je conviens qu'il ne faut pas
Ennuyer les Héros qu'on aime .
Nous annonçons auffi par Supplémentfix
Trio, & une piece intitulée le Port- Mahon,
dont la compofition a paru aux Connoiffeurs
auffi piquante que finguliere. M. Lanzetti
, ce Muficien célébre , & qu'on peut
appeller l'Orphée du violoncelle , en eft
l'Auteur.
"
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le Mercure du mois de Septembre , & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion . A
Paris , ce 29 Août 1756. GUIROY
251
TABLE DES ARTICLES.
The ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
LA Main droite & la Main gauche , Fable ,
Vers fur les Anglois
Sur le Choix des fociétés ,
Epître à Madame d'Al ....
page s
7
9
22
Suite de la Vie de Jules Céfar , 29
Vers de M. le Préſident de Ruffey , à M. de Voltaire
, fur la prife de Port- Mahon ,
Sonnet fur le même fujet ,
Vers au Maréchal Duc de Richelieu ,
Les Conditions inutiles. Nouvelle ,
Epigramme fur l'Angleterre ,
58
60
61
63
79
Vers à Son Eminence le Cardinal de Luynes , 80
L'Hommage rendu à la Sainte Vierge , par Monfeigneur
le Dauphin & Madame la Dauphine ,
à Chartres , Ode ,
Lettre fur la Nobleffe ,
Vers fur la Prife du Fort S. Philippe ,
Autres fur le même ſujet ,
ibid.
83
92
93
୨୨
Vers fur le Traité d'alliance entre le Roi de Fran
ce & l'Impératrice , Reine de Hongrie ,
Epître de M. de Voltaire , à M. des Mahys ,
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
Mercure d'Août ,
Enigme & Logogryphe ,
Chanfon ,
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
249
99
100
ΙΟΣ
Suite des Réflexions ſur l'Hiſtoire de la Ville de
Paris , & c.
103,
252
Réponse à ces Réflexions , & c.
Lettre à M. de Boiffy , fur le Change ,
123
134
Extraits , Précis ou Indications des livres nouveaux
,
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES,
138
Phyfique. Mémoire fur la caufe des Tremblemens
de Terre ,
Chirurgie. Lettre fur la Lithotomie , &c.
Commerce.
161
375
196
203
207 & 250
Prix propofé par l'Académie de Berlin ,
Mufique.
ART. IV. BEAUX - ARTS.
Peinture. Differtation lue à l'Académie de Peinture
,
Gravure.
207
226
ART. V. SPECTACLES.
Comédie Françoife . 229
Comédie Italienne.
230
Opéra comique. 231
Concert Spirituel . 232
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres , 233
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 238
La Chanfon notée doit regarder la page 101.
De l'Imprimerie de Ch. Ant. Jombert.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères