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Nom du fichier
1756, 04, vol. 1-2, 05-06
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34.90 Mo
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995
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Texte
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
AVRIL. 1756.
PREMIER VOLUM E.
Diverfité, c'eft ma devife. La Fontaine.
}
Cochin
Filius inve
Baryton Sculp
DETELA
VILLE
HEQUE
LYON
BIBLIO
A PARIS ?
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
Chez PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU, quai des Auguftins.
Avec Approbation & Privilege du Roi.

AVERTISSEMEN T.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
?
Le prix de chaque volume eft de 36 fols
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour ſeize volumes , à raiſon
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront comme à Paris ,
qu'à raison de 30 fols par volume , c'eſt-àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes .
Les Libraires des provinces ou des pays
A ij
étrangers , qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreffe ci - deſſus.
On fupplie les perfonnes des provinces d'envoyer
par la pofte , enpayant le droit , le prix
deleur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance ai
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
resteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine, aprèsmidi.
On peut fe procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainfi que les Livres
, Estampes & Mufique qu'ils annoncent,
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL. 1756 .
PREMIER VOLUME.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
O
PORTRAIT.
N ne peut faire ton portrait
Folâtre & férieufe , agaçante & févere ,
Prudente avec l'air indifcret ,
Vertueufe , coquette , à toi- même contraire ;
Ta reffemblance échappe en rendant chaque trait,
Si l'on te peint conftante , on t'éprouve légere ;
Et ce n'est jamais toi qu'on a peinte en effet.
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
P
- Fidele aux fentimens , avec des goûts volages ,
Tous les coeurs à ton char s'enchaînent touri
tour ,
Tu plais aux étourdis , tu captives les fages.
Tu domptes les plus fiers courages ,
Tu fais l'office de l'amour ;
On croit voir cet enfant en te voyant paroître.
Sa jeuneffe , fes traits , fon art ,
Ses plaifirs , les erreurs , fa malice peut - être.
Serois-tu ce Dieu par hazard ?
DEux
FABL E.
Eux Chênes converfoient : l'un des deux philofophe
,
Comme on l'eft à préfent , à douter fort enclin
Trouvoit mauvais que fon voifin
A s'alonger employât ſon étoffe .
Quel eft, difoit- il , ton deffein ,
De guinder dans les airs cette tige menue ?
Veux-tu dans tes travers imiter le fapin
Dont la manie eft d'atteindre la nue a
Ne vaut-il pas mieur s'arrondir
Ainfi que moi c'eft un parti plus fage
Que d'affronter les vents & défier Porage .
Si tu me vois ainfi grandir ,
?
Dit le Filet , la raifon en eft bonne :
Je tiens de tous mes vieux parens ,
Chênes fenfés & très-ſçavans ,
AVRIL. 1756 7
Provenans , comme on fçait , de vrai gland de
Dodonne. ,
Je tiens , dis-je , qu'il eft un être furprenant ,
Créature mobile , & du fol détachée ,
Qui va , qui vient , & , fuivant la penfée ,
Sçait faire agir un corps obéiffant.
Nos pareils , m'ont-ils dit , de cette efpece humaine
,
Doivent craindre beaucoup, mais efpérer fort peu,
S'ils ne font droits & fains ; autrement pour le
feu
Leur deftination eſt à peu près certaine.
Ami , dit le Ragot , à tes parens vieillis
La peur a fuggéré cette hiftoire frivole
Et tes humains ne font fur ma parole
Bons à conter qu'à des Taillis.
Comment veux-tu qu'un Chêne penſe
Qu'il eft dans le monde une engeance
Qui vive fans tenir à rien ,
Sans racine , fans feve ? ... eh ! c'eſt une chimere.
Mon enfant , affure- toi bien
Qu'on n'exifte qu'autant que l'on tient à la terre,
Je vais te le prouver ... notre Pyrrhonien
Alloit rendre la chofe claire ,
Lorfque des Bucherons rompirent l'entretien .
Ce Chêne eft gros , dit l'un , mais il eſt tout en
branches :
Il eft courbe , noueux & gâté jufqu'au coeur ;
Bon pour le feu : ce feroit une erreur
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Qu'efpérer en tirer jamais poutre ni planches :
Il nous le faut mettre en cotret.
La coignée auffi- tôt exécute l'arrêt ;
Du raiſonneur elle entame l'écorce ,
Puis le vif ; il s'ébranle & perdant toute force ,
La tête par fon poids précipite le tronc.
Le Jeune alors lui dit : Où donc ,
Voifin , eft- ce que nous en fommes
De ton fubtil raiſonnement ?
Hélas ! repart l'autre en tombánt ,
Dodonne avoit raiſon je fens qu'il eft des hommes.
...
De la délicateffe du Goût & du Sentiment ,
morceau traduit de l'Anglois de M. Hume.
IL eft dans un pétit nombre d'hommes
une délicateffe de fentiment qui les rend
extrêmement fenfibles à tout ce qui peut
arriver dans la vie. Le moindre fuccès les
pénétre de la joie la plus vive ; le moindre
revers ou difgrace , du chagrin le plus
cuifant. La bienveillance , les bons offices
captivent facilement leur amitié ; l'injure
la plus légere excite leur reffentiment. Enflés
outre-mefure au moindre honneur , à
la moindre marque de diftinction , ils
font auffi vivement affligés de la moindre
AVRIL. 1756 . 9
marque de mépris. Des hommes de ce cas
ractere ont fans doute des plaifirs plus vifs
que ceux d'un caractere plus froid & plus
raffis ; mais ils ont aufli des peines plus
fenfibles : je crois donc que quand on aura
bien pefé l'un & l'autre , il ne fe trouvera
perfonne qui ne voulût reffembler à
ces derniers , fi cela dépendoit de lui. Rarement
la bonne ou la mauvaife fortune
font en notre pouvoir . Et quand un homme
d'un caractere aufli fenfible eft affailli
du moindre revers , la douleur , le chagrin
s'emparent de toures fes facultés , & le
privent de tout fentiment pour les événemens
ordinaires de la vie , dont la jouiſfance
bien réglée forme prefque tout notre
bonheur. Les grands plaifirs font bien
moins fréquens que les grandes peines ; &
par conféquent un homme qui s'affecte
auffi aifément , doit éprouver bien moins
de joies que de chagrins ; outre que ceux
dont les paffions font auffi vives , font fort
fujets à franchir toutes les bornes de la
prudence , & à faire dans le cours de la
vie des faux pas qui fouvent font irréparables.
On remarque dans quelques hommes
une délicateffe de goût qui reffemble beaucoup
à cette délicateffe de fentiment , &
qui produit la même fenfibilité à la beauté
AV
10 MERCURE DE FRANCE.
& à la laideur en tout genre , que celle - là
au bonheur & au malheur , aux fervices
& aux offenfes . Préfentez à un homme de
ce caractere un poëme ou un tableau ; la
délicateffe de fes fenfations fait qu'il eft
vivement affecté par chaque partie. Il n'en
apperçoit pas les touches libres & hardies
avec plus de plaifir qu'il ne fent de peine
& de dégoût à la vue des défauts & même
des négligences qu'il y trouve. Une
converfation polie & fenfée eft pour lui
un plaifir exquis ; la groffiéreté & l'impertinence
un fupplice affreux : en un mot ,
les effets de la délicateffe du goût font les
mêmes que ceux de la délicateffe du fentiment
; l'une & l'autre étendent la ſphere
de nos plaifirs & de nos peines , & noust
en font éprouver qui échappent au commun
des hommes .
Néanmoins perfonne ne difconviendra
que, malgré cette reffemblance , la délicateffe
du goût ne foit autant à défirer & à
cultiver que celle du fentiment èft à éviter
& à éteindre , s'il eft poffible. Les événemens
heureux ou malheureux de la vie
font peu dans notre pouvoir , mais nous
pouvons jufqu'à un certain point choisir
nos lectures , nos amuſemens , nos fociétés.
Les anciens Philofophes travailloient
à rendre leur bonheur indépendant de tout
AVRIL. 1756. II
objet étranger ; il n'eft pas poffible d'atteindre
à ce but : mais tout homme fage
tâchera de faire fon bonheur des chofes
qui font le plus à fa portée ; & il n'eft
point de moyen plus fûr d'y parvenir que
cette délicateffe de goût. Quand un homme
la poffede , ce qui flatte fon goût
excite chez lui des fenfations plus agréables
que ce qui affouviroit les paffions des
autres hommes ; il jouit plus délicieuſement
d'un ouvrage poétique, d'un difcours
bien raifonné , que de tous les raffinemens
du luxe le plus recherché.
-
Il n'eft pas facile de décider jufqu'où
la délicateffe de goût & le fentiment ont
été liés dans la ftructure originelle de
l'ame. Il paroît pourtant qu'il y a une
liaifon très intime entre l'une & l'autre.
Les femmes dont les paffions font
bien plus vives que celles des hommes ,
ont auffi le goût plus fin pour tous les
ornemens , pour l'habillement , les équi
pages & la décence du maintien . Tout ce
qui excelle dans ce genre , les frappe bien
plus vite que nous ; & quiconque a ſçü
flatter leur goût , ne tarde pas à captiver
leur coeur. Mais tout intimement que ces
difpofitions paroiffent avoir été liées d'abord
, aucun moyen n'eft auffi efficace
pour nous guérir de cette délicateffe de
Avj.
12 MERCURE DE FRANCE.
fentiment , que de cultiver ce goût plus
noble & plus élevé , qui nous rend capables
de juger des caracteres des hommes ,
des ouvrages de génie , & des pro tuctions
des beaux arts. Un fens plus ou moins vif
des beautés qui frappent les fens , dépend
totalement du plus ou du moins de fenfibilité
de ce que les Anglois appellent
Hamour ; mais pour ce qui regarde les
beaux arts & les fciences , un goût fin n'eſt
autre chofe qu'un efprit jufte , un fens
exquis , ou tout au moins en découle t'il
fi naturellement , qu'on ne fçauroit les féparer.
Il faut pour bien juger d'un ouvrage
d'efprit , d'une compofition de génie
, rapprocher tant de vues , comparer
tant de fituations , une connoiffance fi
parfaite de la nature humaine , qu'aucun
homme qui n'aura pas le jugement le plus
fain , ne fera jamais un critique paffable.
Et c'est un motif de plus pour nous de
-cultiver le goût des beaux arts ; notre jugement
fe perfectionnera par cer exercice.
Nos idées fur tout ce qui a rapport à la
vie , feront plus juftes ; qui ti é d'événemens
qui réjouiffent ou qui affligent les
autres , nous paroîtront trop frivoles pour
mériter notre attention , & nous perdrons
par degrés cette fenfibilité , cette exceffive
délicatelle de fentiment dont il réſulte
tant d'inconvéniens .
AVRIL 1756. 13
Mais peut- être eft ce trop avancer de
dire qu'un goût cultivé pour les beaux arts
éreint les paffions , & nous rend indifférens
pour ces objets que le reſte des
hommes pourfuir avec tant d'ardeur : en
portant un peu plus loin nos réflexions ,
nous trouverons qu'il augmente plutôt
notre fenfibilité pour toutes les paflions
tendres & agréables en même temps
qu'il détruit en nous tout fentiment féroce
ou tumaltueux.
>
Ingenuas didiciffe fideliter artes ,
Emollit mores nec finit effeferos. Ovid .
On peut , ce femble , en donner deux
raifons très-plaufibles : la
iere , que
pre
rien n'embellit autant le caractere que
l'étude des beautés , foit de la Poéfie &
de Eloquence , foit de la Mufique ou
de la Peinture. Elle donne une élégance
au fentiment totalement ignorée du commun
des hommes. Elle n'excite que des
fenfations douces ; elle arrache l'efprit .
au tumulte des affaires ; eile fait naître
le goût de la réflexion , rous difpofe
à la tranquillité , & produit une mélancolie
douce qui de toutes les affections
de l'ame eft la plus propre pour l'amour
& l'amitié .
En fecond lieu , la délicateffe du goût
14 MERCURE DE FRANCE.
nous rend d'autant plus propres à l'amour
& à l'amitié , qu'elle borne notre choix à
un petit nombre de perfonnes , & nous
rend indifférens au commerce & à la converfation
de la plus grande partie des hommes.
Rarement voit- on que les gens dont
l'unique talent eft de connoître le monde,
tel jugement qu'ils ayent , foient habiles à
démêler les caracteres , ou à faifir ces différences
, ces teintes qui rendent un homme
préférable à un autre. Il fuffit , pour
converfer avec eux , d'avoir le fens commun.
Ils parlent à un homme de cette
efpece de leurs affaires & de leurs plaifirs
avec autant d'ouverture qu'à un homme
du plus grand génie , & trouvant toujours
fous la main par qui le remplacer , fon
abſence ne leur fait éprouver ni vuide ni
défirs : mais fuivant la comparaiſon également
jufte & ingénieufe d'un célébre
Auteur François ( 1 ) , l'efprit peut fe com-
(1 ) M. de Fontenelle . « Les Horloges les plus
» communes & les plus groffieres , dit- il,marquent
>> les heures ; il n'y a que celles qui font travail-
>> lées avec plus d'art qui marquent les minutes. De
même les efprits ordinaires fentent bien la
» différence d'une fimple vraisemblance à une
>> certitude entiere : mais il n'y a que les efprits
» fins qui fentent le plus ou le moins de certitude
» ou de vraisemblance , & qui en marquent , pour
AVRIL 1756. 15
parer à une montre ou à une horloge : le
méchanifme le plus fimple y fuffit pour
marquer les heures ; mais il en faut un
très- compliqué pour marquer les minutes
& les fecondes .
Quiconque a bien étudié les livres &
les hommes , trouve peu de plaifir ailleurs
que dans le commerce de quelques amis
choifis. Il s'apperçoit trop combien la plus
grande partie des hommes eft au deffous
des idées qu'il a conçues ; & comme fes
affectiors font bornées dans un cercle fort
étroit , il n'y a point à s'étonner qu'elles
foient plus vives que fi elles portoient fur
un plus grand nombre d'objets. La gaieté ,
l'enjouement d'un convive produit chez
lui une amitié folide ; les tranfports d'un
appétit de jeuneffe fe changent en une
paffion épurée .
»´anfi dire , les minutes par leur fentiment » . P #-
ralité des mondes. Sixieme foir.
Difcours fecond de la liberté de la Preſſe ,
à Londres.
Rien n'étonne tant un Etranger que
l'extrême liberté dont nous jouiffons dans
ce Royaume , de donner au Public tout
ce qui nous vient à l'efprit , & de cenfurer
ouvertement toutes mefures prifes
16 MERCURE DE FRANCE.
par le Roi , ou par fes Miniftres . Si le
Miniftere fe réfout pour la guerre , on
affure que par méchanceté ou par ignorance
, il fe trompe fur les intérêts de
la Nation . Eft il porté à la paix ? nos
Ecrivains politiques ne refpirent que la
guerre & le carnage , & traitent les difpofitions
pacifiques de baffeffe & de
pufillanimité. Comme une pareille liberté
n'a lieu dans aucun autre Gouvernement
, foit Républicain ou Monarchique
, en Hollande ou à Venife , non plus
qu'en France ou en Espagne , elle peur facilement
donner lieu à ces deux queftions :
D'où vient que la Grande Bretagne jouit
d'un privilege auffi fingulier ? Et l'exercice
illimité de cette liberté eft- il utile ou pernicieux
au Public ?
VERS
Pour mettre au bas du Portrait de Mme
Montgeron , tenant les Lettres de Ninon.
E Lle eft plus aimable & plus belle ,
Elle a plus d'efprit que Ninon ;:
Chacun à ce portrait fidele
De la charmante Montgeron ,
Voudroit la voir tendre comme elle.
AVRIL 1756. 17
ODE *
A M. de Sechelles , Miniftre d'Etat , Contrôleur
Général des Finances.
A Infi, lorfque ce mont , dont la maffe brûlante
> Fait gémir fous fon poids les Géans écrafés
A longtems retenu la flamme dévorante ,
Qui couvoit fourdement dans fes flancs embrafés ,
Soudain , en bouillonnant , le falpêtre s'allume ;
La terre éprouve au loin d'horribles tremblemens ;
La montagne en mugit , le feu qui la confume ,
S'échappe avec fureur de fes noirs fondemens. !
* Cette O'de imprimée chez Lottin , rue Saint
Jacques , nous a paru d'une trop grande beauté
pour ne la donner qu'en extrait. Nous la mettons
ici dans fon entier , perfuadés qu'elle mérite par le
fujet par le ton dont il eft traité , d'être confacrée
dans nos Faftes . Quoiqu'elle ait près de deux
cens Vers, nous croyons que les Lecteurs qui s'y connoiffent
, latrouveront courte . Quand on loue auffibien
un Miniftre fi digne d'être loué , on n'est jamais
long ; il n'y a d'ennuyeux & de prolixe que les
éloges faux ou les louanges générales qui vont à tout
le monde , & qui ne caractérisent perfonne. Nous
ajouterons à cette raifon , que les bonnes pieces de
Poéfie deviennent fi rares , que lorsqu'il s'en préfente
une , on doit la faifir avec empressement ,
& l'inférer fans en rien perdre.
T8 MERCURE DE FRANCE.
Tel , pénétré d'an Dieu dont la vive lumiere
Excite dans mon ame une fainte fureur ,
Mon efprit enflammé brife enfin la barriere
Qui captivoit l'effor de fa bouillante ardeur.
*
Sechelles , tes vertus échauffant mon génie ,
De mes fens agités , raniment les tranſports :
Puiffai-je , fecondé du Dieu de l'harmonie ,
Eternifer ton nom par d'illuftres accords !
Ne crains pas qu'emporté d'un zele téméraire ,
Le menfonge flatteur profane mes accens.
Jamais , de la grandeur courtifan mercénaire ,
L'intérêt dans mes mains n'infecta mon encens.
La vertu dans les Grands a feule mon hommage :
Leur éclat féducteur n'éblouit point mes yeux ;
Et de la Vérité le fublime langage
Eft le premier tribut qu'on doit aux demi-Dieux .
Toi donc, Vérité fainte , arbitre des grands Hommes
,
Qui graves fur l'airain tes décrets éternels ,
Toi , dont l'oeil pénétrant nous voit tel que nous
fommes ,
Defcends , apporte-moi tes crayons immortels.
AVRIL. 1756 . 19
Je veux peindre un Héros qu'on admire & qu'on
aime ;
Courtifan Philofophe & Miniftre éclairé ;
Grand par fes dignités , mais plus grands par luimême
;
Eftimé de fon Roi , par le peuple adoré.
De Thémis autrefois foutenant la balance ,
Affis au rang des Dieux qui jugent les humains ,
- Dans un Confeil augufte , Oracle de la France ,
Il pefoit des mortels les fragiles deftins.
Dès-lors on admira cette haute fageffe
4
Qui , toujours attachée à l'inflexible honneur ,
Bravant des paffions l'erreur enchanterefle
Ne s'enivra jamais de leur poiſon flatteur.

O probité facrée ! ô vertu que j'adore !
Tes honneurs font éteints ; ton culte eft aboli
Les coupables mortels , que l'intérêt dévore ,
Plongent tes faintes loix dans un honteux oubli.
Mais des profanateurs dont la foule t'outrage
Tu diftinguas toujours cet illuftre mortel :
Dans fes traits refpectés tu peignis ton image ;
Sa voix eft ton organe , & fon coeur ton autel.
20 MERCURE DE FRANCE.
Vous en fûtes témoins , Provinces fortunées ,
Que l'Escaut orgueilleux arrofe dans fon cours :
Sa noble intégrité reglant vos deſtinées ,
D'Aftrée & de Thémis vous ramena les jours.
O Flandre malheureufe ! ô déplorable terre !
Théâtre alors fanglant de difcorde & d'horreur !
De meurtres affamé , le Démon de la guerre ,
Dans tes champs défolés exerçoit fa fureur.
Ce Miniftre zélé , réparant tes injures ,
De ton deftin affreux adouciffoit le poids :
De tes flancs déchirés les fanglantes bleffures,
Soudain ſe refermoient à fa puiffante voix.
Lorfque de flots de fang tes campagnes fumantes
N'offroient de toutes parts que lugubres Cyprès ,
Dans le fein fortuné des Villes floriffantes ,
Les maifons regorgeoient des threfors de Cérès,
*
Sous un tel ennemi , toujours couverts d'orages ,
Les paifibles Flamands , heureux par fes bienfaits,
Voyoiert parmi les feux , le fer & les ravages ,
Fleurir dans leur cités l'olive de la paix.
AVRIL. 1756. 21
Qu'un Citoyen eft grand , lorfqu'il fert fa patrie!
Mules, ceignez fon front des plus nobles lauriers.
Sechelles , ce fut toi dont l'heureuſe induftrie
Fit regner l'abondance au camp de nos guerriers
*
Ces favoris de Mars , ces fiers vengeurs du trône ,
T'adoroient comme un Dieu qui nourrit les hu̟-
mains ; 8
Et ces mains qui lançoient les foudres de Bellone ,
Touchoient avec refpect tes bienfaifantes mains.
De tes rares talens juftement idolâtre ,
La France préfageoit l'éclat de ta fplendeur :
Il falloit à ta gloire un plus vafte théâtre ,
Ou ton ame , en entier , déployât fa grandeur.
D'un Monarque éclairé la fageffe fuprême
A , par un choix augufte , honoré tes vertus.
Ce n'eft point la faveur , c'eft Pallas elle -même
Qui remit dans tes mains le fceptre de Plutus.
Pénétrée à ton nom , de joie & de tendreffe ,
Au fond de fes rofeaux la Seine en treffaillit
Le Démon de l'envie en frémit de trifteffe ;
Des feux les plus brillans l'Olympe s'embellit,
22 MERCURE DE FRANCE.
Jufqu'aux lieux fortunés , féjour des grandes ombres,
La Déeffe aux cent voix porta ces bruits flatteurs :
Colbert prêta l'oreille , & des Royaumes fombres,
Applaudit en ces mots à tes nouveaux honneurs.
» Miniftre vertueux que le Ciel a fait naître
» Pour honorer ton fiecle & marcher mon égal ,
>>Remplis tes grands deftins , fers la France &
» ton Maître ,
» Ofe fuivre mes pas , & deviens mon rival.
» Que ton puiffant génie enrichiffe la France :
» Favori de ton Roi , fois toujours Citoyen :
» Fais marcher ſur tes pas les arts & l'abondance ;
» Richelieu fut mon guide , & je ferai le tien ..
» Ce peuple généreux qui bénit ma mémoire,
» Par des honneurs tardifs a payé mes bienfaits ;
» Plus fortuné que moi , tu jouis de ta gloire ;
» L'amour grave ton nom dans les coeurs des Fran
» çais.
» Cependant , fi jamais la fombre jaloufic
» Verfoit avec fureur fon poiſon fur tes pas ,
» Imite mon exemple , & pardonne à l'envie ;
Fais toujours des heureux , duffent - ils être ingrats
»> .
'
$
AVRIL. 1756. :
23
Sa bouche en prononçant ces leçons immortelles
,
Allumoit dans ton fein une inviſible ardeur ;
D'un feu noble & divin les vives étincelles
Embrafoit ton génie , & pénétroit ton coeur.
Tu parles , & foudain de cent ſources fécondes
La France voit jaillir d'immenfes fleuves d'or ,
Qui réglant par tes loix leurs courfes vagabondes
Vont tous au pied du Thrône épancher leur tré
for.
Ce n'est point un tribut que la pâle indigence
Arrache à fes befoins , en pouffant des foupirs :
Dans le fein des tréfors , la fuperbe opulence ,
Pour donner à l'Etat , retranche à ſes plaiſirs .
OMiniftre , l'amour & l'exemple du monde !
L'Univers applaudit à tes nobles projets :
Par des refforts nouveaux , ta fageffe profonde
Sçait enrichir les Rois , fans charger les Sujets,
Acheve , & pourſuivant ta brillante carriere ,
Du Dieu qui te conduit , fuis le facré flambeau :
Que les Arts échauffés du feu de ta lumiere ,
Sortent par tes bienfaits de la nuit du tombeau.
24 MERCURE DE FRANCE .
De fes deftins jaloux pour fléchir l'injustice ,
La mere des Beaux Arts & la fille des Rois
Invoquent dans ce jour ta bonté protectrice ;
Jufqu'aux pieds de LOUIS daigne porter fa
voix .
LOUIS , nouveau Titus , délices de la France ,
Sur fon trône avec lui fait affeoir l'équité ;
Dans fon coeur né fenfible , habite la clémence ,
Sur fon front généreux , la tendre humanité.
*
Dans l'âge où tout mortel s'ignore encor lui.
même ,
Il connoiffoit déja tout le prix des talens ;
Etle premier effai de fon pouvoir fuprême
Fut d'enrichir les Arts par des dons éclatans . *
Ah ! Puifque les rayons de fa naiffante aurore ,
D'un jour fi lumineux ont éclairé les Arts ,
Combien feront brillans les jours qui vont éclore ,
Sur nous, dans fon midi , s'il tourne fes regards!
* En 1719 , le Roi établit l'inſtruction gratuite`
pour fes Sujets réuniffant les Meffageries de
l'Univerfité , aux Meffageries Royales , accorda à-
P'Univerfité de Paris le 28e effectif du prix du bail.
général des Poftes & Meflageries.
Frappés
AVRIL. 1756. 25
Frappés du faux éclat des pompeufes richeſſes ,
Nos coeurs ne forment pas des défirs orgueilleux :
D'un Prince ami des Arts les premieres largeffes
Bornent tous nos défirs , & rempliroient nos
voeux *
Le refte des mortels , à qui le Ciel avare ,
De Plutus , en naiffant, refufa les faveurs ,
Domptant par leurs travaux un deftin trop
bare ,
D'un aftre injurieux corrigent les rigueurs.
bar.
Jufqu'aux fables brûlans de l'aride Lybie ,
L'avide Commerçant cherche de nouveaux biens :
Du fervile Artifan la vénale induſtrie ,
Trafique des befoins de fes Concitoyens.
*
Pour nous qui , conſacrés aux travaux Littéraires
A la Cour d'Apollon avons fixé nos pas ,
Nous n'aviliffons point par des Arts mercénaires ,
La main qui doit tenir la Lyre & le Compas.
܀
Mais tandis qu'oubliant une utile richeſſe ,
Et formant des neuf Soeurs les tendres Nourif
fons ,
* L'Univerfité demande l'entiere exécution des
Lettres Patentes de 1719 , & en conféquence d'être
admife a percevoir le 28e du prix du bail général
des Poftes ; ce qu'elle vient d'obtenir.
1. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
Nous cultivons en paix , fur les bords du Permeffe
De Thémis & de Mars les nobles rejettons ,
Le luxe impérieux , ce fier tyrandes villes ,
Par des foins importans , trouble de fi beau
foins ,
Et nous affervillant à des Arts inutiles ,
Fait naître l'indigence , en créant des befoins.
Toi , qui des Colberts fuis la brillante
trace ,
Qui cours par leurs fentiers à l'immortalité ,
Du Laurier defféché fur l'aride Parnaffe ,
Que ton fouffle fécond ranime la beauté.
C'eft envain que l'orgueil , dans le fiecle où nous
ſommes,
D'un mépris infolent a flétri les Beaux- Arts ;
Leur fecle fut toujours le fiecle des grands
hommes ,
Et l'âge de Virgile eft celui des Céfars.
THOMAS , Profeffeur au College
de Beauvais,
AVRIL 1756. 27
CONJECTURES *
Sur la caufe des tremblemens de terre , & de
quelques phénomenes acceffoires , adreffées à
Madame ***
M Adame , vous avez appris vaguement
que Liſbonne avoit été détruite par un
horrible tremblement de terre , & vous
exigez que je vous parle de cet événement
en Hiftorien & en Phyficien. Je ſuivrai
mon goût , & je ne bleſſerai pas le vôtre ,
en me refferrant fous la premiere qualité ,
& en m'étendant fous la feconde .
Le matin du premier Novembre , à neuf
heures trois quarts , a été l'époque de ce
tragique phénomene qui infpire des raifonnemens
aux efprits curieux , & des regrets
aux ames ſenſibles . Pour moi je ſuis
(1) Comme ces conjectures nous ont paru écrites
de façon à pouvoir être lues des femmes , nous
avons cru devoir les inférer par préférence dans la
Partie Fugitive qu'elles parcourent plus volontiers.
La matiere eft devenue plus intéreflante
encore pour elles depuis le 18 de Février qu'on a
fenti dans cette ville à fept heures quarante minutes
du matin deux fecouffes , à la vérité fi
légeres que le grand nombre ne s'en eft point
douté , mais qui n'en font pas moins le fujet de
toutes les converſations.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
un amphibie que la pitié & la curiofité.
ont droit de remuer ; mais je mets entre
ces deux fentimens un ordre qui ne me
fera pas tort auprès de vous . Je verfe des
larmes avant que d'effayer des conjectures.
Je ne fuis pas ce Phyficien des Lettres Perfannes
qui s'applaudit d'une inondation
funefte à la fertilité , mais favorable à fon
fyftême.
Pour ne pas me brouiller avec les faifeurs
de relations , vous permettrez que
je leur laiffe le droit fi cher de peindre des
familles entieres écrafées fous les débris
des édifices , de deviner les adieux touchans
exprimés par des perfonnes qui s'aimoient
, & d'exciter à leur gré l'étonnement
, la pitié & l'horreur. Il me fuffit
d'avoir éprouvé en vrai Cofmopolite tous
ces fentimens divers que j'ai puifés dans
une lettre écrite par Madame la Comteffe
de Bafchi , Ambaffadrice de France en Portugal
. Elle pouvoit dire comme Enée :
Quaque ipfe miferrima vidį
Et quorum pars magna fui.
Cette lettre qui eft du 4 Novembre , eft
datée des Champs , à une lieue & demie de
Fendroit où étoit jadis Lifbonne. Ce début
effrayant n'est que trop bien juftifié par la
mort d'un grand nombre de perfonnes , &
AVRIL. 1756. 29
par
la ruine entiere des maifons de cette
grande Ville , qui toutes , à la réserve de
vingt , ont cédé à d'horribles fécouffes
ou ont été dévorées par le feu ....
Laiffons tomber un voile fur cette lugubre
perfpective. Le fentiment a eu fon
tems , il faut que la raifon ait le fien . La
terre contient dans fon fein de l'air & différentes
matieres fufceptibles de chaleur :
c'est ce que prouve la végétation des plantes.
La chaleur dilate l'air , & cette dilatation
est toujours en raifon avec le degré
de chaleur. Si cette propofition trouvoit
des incrédules , je ferois valoir les effets
terribles des mines : enfin le mêlange de
ce foufre & de ce nitre qui font partout
répandus dans les entrailles de la terre ,
peut produire une effervefcence dont celle
qui naît de la limaille d'acier infufée dans
l'efprit de nitre , n'eft qu'une ombre bien
foible. Cette effervefcence fuppofée , la
dilatation de l'air eft néceffaire . Il ne refte
plus qu'à faire voir quelle liaifon il y a
entre la dilatation de l'air & les fecouffes
de la terre. Cette liaiſon n'eft pas affurément
enveloppée. L'air , cet élement actif ,
fe trouvant refferré dans un petit efpace ,
cherche à forcer fa prifon ; la terre qui eft
un corps folide , lui réfifte , & en lui réfiftant
nourrit fon mouvement , & même
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
F'augmente quelquefois. Cette propofition
n'eft autre chofe que l'expofition du principe
de la force vive trouvé par Leibnits ,
& avoué à cet égard par tous les Philofophes.
L'air comprimé frappe donc la terre
de plufieurs coups puiffans & répérés , &
ces coups prodaifent les fecouffes. Une
expérience bien fimple peint , pour ainfi
dire , aux yeux la gradation de ces conféquences.
Rempliffez à déni une éolipile
d'eau , fermez hermétiquement fon orifi
ée , & repofez- la fur des charbons ardens ,
dès que la chaleur aura donné à l'air un
certain degré de dilatation , vous verrez
F'éolipile fe trémouffer & s'agiter , comme
fi elle étoit animée. L'analogie ne fçauroit
être plus parfaite & plus décifive entre
cette expérience & les tremblemens de terre.
Avec la plus légere attention on la
développera beaucoup , & nos conjectures
n'en acquerront que plus de probabilité.
Peut- être que la compreffion de l'air
ne fuppofe quelquefois ni dilatation ni
effervefcence. Car fans parler des feringues
avec lefquelles on ajoute à fon volume ,
un éboulement de parties folides peut combler
les cavités dans lefquelles il nageoir
avec aifance. Refferré à un certain point
il exerce fon reffort , dont la force fe meAVRIL.
1756. 3.1
fure par la compreffion , & fouleve les
couches de terre fupérieures . Mais les fe
couffes qui ont une pareille origine , doivent
être peu terribles , & leur effet doit
être borné dans un cercle étroit.
En quittant le phénomene principal , je
trouve fur mes pas des phénomenes acceffoires
qui s'enchaînent avec lui , & reçoivent
l'application des conjectures que j'ai
hazardées , fans qu'il foit befoin de les
étendre , ni de les modifier ; & c'eft-là la
pierre de touche des ſyſtêmes .
10. Pourquoi les tremblemens de terre
ont-ils été liés avec les inondations ?
Il faut pour ébranler la terre un air
dilaté par la chaleur , & refferré par l'ef
pace qui le contient. Si cer efpace étoit
en raifon égale avec le volume que la dilatation
lui ajoute , quoique prodigieufe
ment forte , elle ne produiroit jamars
d'effet fenfible. C'eft ainfi que l'éolipile
n'est point agitée , quand fon orifice ouvert
donne paffage à Pair dilaté ; c'eſt ainſi
que les mines éventées ne font point de
fracas ; c'eft ainfi que les pétards des émailleurs
n'éclatent pas avec bruit , lorſque
l'air qu'ils enferment trouve quelque ouverture
pour s'échapper. Les inondations
ne peuvent donc influer dans les tremblemens
de terre , qu'en aidant à la compref-
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
fion , ou à la dilatation de l'air. Elles feroient
fans doute plus propres à diminuer
qu'à augmenter la dilatation de l'air , fi
Feau arrivoit jufqu'à ces fourneaux fouterreins
, d'où le principe de la dilatation
s'exhale avec la chaleur ; mais on ne peut
leur refufer la propriété d'aider à la compreffion.
La terre trempée eft plus pefante
que celle qui ne l'eft pas. Cette augmenxation
de poids indique une addition de
parties. Comme la matiere eft impénétrable
, ces parties ajoutées n'ont pu qu'occuper
les petits vuides dont elle eft femée.
Dès- lors il a été plus difficile à l'air de
s'ouvrir un paffage & de s'échapper ; il eſt
donc très- naturel que les tremblemens de
terre ayent été liés avec les inondations.
La vérité qui fert de bafe à cette conféquence
, eft fuppofée par plufieurs pratiques
qu'un ufage général a confacrées .
L'eau refferre les pores du papier , & c'eſt
pour cela qu'on fait pleuvoir fur celui qui
eft deftiné à tranfmettre la lumiere dans
une chambre. On trempe les peaux fur
lefquelles on doit appuyer le récipient de
la machine pneumatique. On mouille le
parchemin qui couvre l'orifice fupérieur
d'un tuyau dans lequel on veut faire foutenir
la colonne de vif- argent.
2º. Pourquoi le globe du foleil préfenAVRIL.
1756 . 33
ta-t'il une plus grande circonférence & une
couleur rougeâtre ?
L'époque de cette double apparence dut
être celle de la fin , ou de la diminution
des fecouffes.
Après bien des efforts l'air comprimé
força fa prifon , & s'ouvrit un paffage qui
fervit encore à laiffer échapper des tourbillons
de fumée , pareils à ceux que vomit
le Véfuve. L'atmofphere épaiffie par
l'union de ces corpufcules groffiers , fit
éprouver aux rayons une plus grande réfraction
qui augmenta l'angle vifuel , &
par une conféquence néceffaire la grandeur
apparente des objets. Ce principe
eft avoué par tous les Phyficiens . Il a fait
fubftituer pour la meſure des degrés du
Méridien, la ligne verticale à l'horizontale ;
il fert à rendre raifon de ces longs crépufcules
, & de ces longues aurores dont
les peuples du Nord font favorifés .
Si la fin des tremblemens de terre n'amene
pas toujours les deux phénomenes
qui font l'objet de ces conjectures , c'eft
que l'air fe procure alors un efpace proportionné
à fon volume en s'ouvrant des
cavités intérieures , ou que fa dilata
tion s'éteint avec le principe qui la fit naître,
& qui l'entretenoit . Un Pédant triompheroit
de pouvoir placer ici cet axiome
By
1
34 MERCURE DE FRANCE.
prodigué , fublata caufâ , tollitur effectus .
&
>
Le problême relatif à la couleur rougeâtre
que le foleil préfenta , ne peut pas
être réfolu avec la même précifion , parce
, qu'on n'a pas encore déterminé quelles
furfaces font propres à réfléchir telles couleurs
, & quels milieux font propres à les
tranfmettre. Mais enfin je peux dire d'après
M. de Fontenelle , que l'air eft la lunette
à travers laquelle nous voyons les objets
que l'altération de la lunette paffe aux
corps qu'elle nous fait voir. Souffrez ,
Madame , que je vous faffe fervir à une
comparaifon dans laquelle une autre que
vous ne pourroit pas figurer avec le même
avantage pour l'opinion que je veux établir.
Ce teint paîtri de lys & de rofes qui
fait oublier aux Philofophes la vraie nature
des couleurs , s'évanouiroit dans une
chambre obfcure , où l'on auroit allumé
un feu d'eau - de-vie imprégné de fel diffous
, une pâleur noire fouilleroit vos
traits ; mais en fortant de cette chambre
funefte vous retrouveriez vos couleurs &
vos adorateurs. L'altération de l'air paffe
donc aux objets ; & c'eſt à elle qu'il faut
rapporter cette couleur rougeâtre que le
foleil préfente , fi l'atmoſphere a été auparavant
inondée de tourbillons de fumée ,
& fi le foleil n'a point éprouvé d'altération
AVRIL. 1756 . 35
réelle. La premiere propofition eft prouvée
par l'augmentation apparente du globe
du foleil , & la feconde par le court
inftant dans lequel il reparoît fous la couleur
& fous la grandeur qui lui font ordinaires
. S'il manquoit à ces réflexions
quelque degré d'évidence , l'expérience le
leur ajouteroit. Quand on regarde au travers
du brouillard une bougie allumée , la
lumiere qu'elle nourrit paroît occuper plus
d'efpace qu'elle n'en occupe ordinairement ;
& fa couleur , au lieu de cet éclat qui lui
eft propre , ne préfente qu'un rouge fombre.
Ce feroit vous faire injure que d'expofer
comment ces deux phénomenes font
analogiques , & comment cette analogie
eft décifive pour les conjectures que j'ai
mifes fous vos yeux.
3. Les différens tremblemens de terre
que l'Europe & l'Afrique ont éprouvés ,
font- ils dépendans les uns des autres ? La
fermentation des parties fulfureufes &
nitreufes qui en eft la cauſe , eft - elle née
dans chaque pays , ou s'eft - elle communiquée
de l'un à l'autre ?
Pour s'exercer fur ce problême , il faudroit
avoir fous les yeux des obfervations
exactes , relatives aux circonftances qui
ont accompagné les tremblemens de terre .
Ces obfervations ne font pas certaine-
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
ment fupplées par les relations des Gazetiers.
Malheur à qui éleveroit un édifice
philofophique fur des pareils fondemens !
il rifqueroit de renouveller le ridicule que
fe donnerent les Hiftoriens d'une prétendue
dent d'or. On ne pourra donc faire
ufage des réflexions que nous allons hazarder
, que quand on aura ces obfervations
fûres que nous défirons.
*
Si en les comparant à un terme origi
naire , les tremblemens de terre fuivent
les rapports de diftance , il eft raifonnable
de croire que la caufe en eft communiquée
de proche en proche ; car il eft d'une poffibilité
infiniment petite que ces rapports
foient un jeu du hazard . Certe opinion ne
coûte d'ailleurs aucun facrifice à l'imagi
nation. Il fuffit de concevoir dans le fein
´de la terre , des veines continues de foufre
& de nitre qui font circuler un principe
de fermentation qui étoit d'abord propre
à quelques- unes de leurs parties. Cette
idée s'affortit à la correfpondance fenfible
qui lie toutes les parties de l'univers , &
qui , aux yeux d'un grand Philoſophe ( 1 )
fert en quelque façon de titre à l'Aftrologie
judiciaire , & d'excufe à ceux qui en
fuivent la foi. D'après ce fyftême on ex-
(1) M. de Maupertuis..
AVRIL 1756. 37
plique aifément pourquoi des lieux extrêmes
ont éprouvé des fecouffes, tandis que
les intermédiaires n'en ont éprouvé aucune.
Il faut pour produire des fecouffes un
amas de ces veines fulfureufes & nitreufes :
eet amas répondoit aux lieux extrêmes , &
manquoit aux intermédiaires. C'eft ainfi
qu'une légere traînée de poudre porte en
filence le feu à une mine qui bouleverfe
la terre fous laquelle elle couvoit. On
pourroit dire encore que dans les lieux
intermédiaires l'effervefcence étoit en telle
raifon avec l'air & les cavités qui le contenoient
, qu'il n'a dû en naître aucune
compreffion , ni par conféquent aucune
fecouffe.
Il ne faut pas diffimuler le tort que
nous fait une relation que j'ai lue dans
quelque Gazette. Il y eft rapporté que Salé
a eu un tremblement de terre en même
temps que Lifbonne. Pour faire quadrer ce
fait avec notre hypothefe , il faudroit
admettre une progreffion contantanée &
non fucceffive ; mais depuis la découverte
de Newton & .de Roemer fur la communication
de la lumière , cette abfurdité ne
fçauroit faire fortune. Je fçais bien qu'il
n'eft pas impoffible à la rigueur , que les
tremblemens de terre ayent plufieurs termes
originaires , & que deux principes, de
8 MERCURE DE FRANCE.
theke
fermentation indépandans l'un de l'autre ,
ayent agi dans le même inftant & à Lifbonne
& à Salé : mais ce hazard tient à une
poffibilité fi petite , il eft fi commode en ce
qu'il détruit l'efpoir de parvenir à fuivre
la marche de cette caufe qui bouleverſe la
terre , qu'en l'état j'en méconnois l'exiftence.
J'aime mieux croire que la différence en
longitude entre Lisbonne & Salé , donne un
efpace de temps affez confidérable pour la
progreffion que j'admets , ou qu'un faux
goût pour le merveilleux a fait facrifier
la vérité à ce parfait rapport dans lequel
il fe comptoir , ou que les Obfervateurs
Africains ne fçavent pas que les
Phyficiens font comme les Amans affujettis
à la minute.
Ces veines continues dont l'idée me
plait tant , n'ont encore gagné votre fuffrage
qu'à la faveur de leur accord avec les
phénomenes ; vous le leur devez cependant
à un titre beaucoup fupérieur : ces veines
exiftent ; le phénomene de la végétation
s'exécute partout ; partout des exhalaifons
de feu éclairent les courtes nuits d'Eté.
Enfin vers l'époque des tremblemens de
terre, les eaux contracterent dans beaucoup
de pays une couleur trouble & un goût
rebutant. D'après les Nouvelles je cite
Cuers , Géménos , la célébre Vauclufe , &
AVRIL. 1756. 39
d'après un témoignage infiniment plus
fûr , Saint Auban , Village fitué près d'Entrevaux
. Le Seigneur à qui il appartient , y
obferva ce phénomene le premier Novembre
, & il m'en fit part avant que les
Nouvelles, de Lifbonne füffent arrivées . Je
vais le déduire de mon fyftême, pour avoir
le mérite de prévenir vos ordres.
Ces eaux couloient fans doute fur un
terrein qui n'étoit féparé que par une couche
légere des veines de foufre & de nitre
qui avoient été faifies par le feu . Des corpufcules
enflammés ont pénétré jufqu'à
elles , & en les échauffant ont altéré leur
couleur & leur goût , comme cela arrive à
l'eau qu'on met à chauffer dans nos foyers.
Cette comparaifon juftifie le reproche
qu'on nous fait , d'être trop étonnés de ce
qui arrive rarement , & de l'être trop peu
de ce qui arrive fouvent , mais elle n'exprime
pas toutes les altérations que l'eau
peut éprouver par l'union des corpufcules
nitreux & fulfureux . S'ils font proportionnés
à nos organes , ils doivent lui
donner un goût minéral qui lui demeurera
jufqu'à ce qu'ils s'évaporent.
Si je vous connois bien , vous feriez
fâchée que je vous dérobaffe une circonftance
de l'obſervation faite à Saint Auban .
L'eau y parut trouble à midi , c'est-à- dire
1
40 MERCURE DE FRANCE.
trois heures trois minutes après la premiere
fecouffe que reffentit Lifbonne : en
tenant compte de la différence en longitude
, il fallut ce tems à la caufe des tremblemens
de terre pour parcourir environ
trois cens quarante lieues.
Toutes les réflexions phyfiques que j'ai
hazardées , ne font ni difficiles à créer , ni
difficiles à faifir. Cette propriété leur ferat'elle
utile ou funefte ? La nature eft fans
doute un Protée. On ne peut
la contempler
fous fa véritable forme , on ne peut
obtenir fa confidence qu'en la liant ; mais
il fuffit d'y employer des cordes comme
Ariftée ( 1 ) , fans y mêler ni préparations
myſtérieuſes, ni enchantemens . Orez l'emblême
, & il refte cette maxime. Les opérations
de la nature font fimples , & les
moyens dont on fe fert pour les deviner ,
doivent être auffi fimples qu'elles.
Ai- je à me reprocher , Madame , d'avoir
allarmé votre imagination ? Cette dépendance
univerfelle que j'établis , répand-
elle fur vos idées un fombre qui vous
fuivra au milieu des enchantemens du
Carnaval ? Mais non , je me fuppofe des
torts, Quand la Phyfique n'étoit qu'à fon
aurore , M. de Fontenelle pouvoit deman-
(1) Hic tibi , nate , priùs vinctis empiendus ..-
Virg. Georg, lib . IV,
AVRIL 1756. 41
der à fa Marquife , fi elle penfoit fans
frayeur au mouvement de la terre ; mais
aujourd'hui l'élite de votre fexe , que je ne
nomme jamais fans fonger à vous , jouir
du fpectacle de la nature , & ne fe livre pas
à des allarmes réelles pour un malheur poffible.
Auprès d'une femme qui n'auroit pas
votre force d'efprit , je me juftifierois indirectement
en lui faifant envifager qu'une
fecouffe violente peut rendre à l'axe de la
terre le parallélifme que le déluge lui fit perdre
, & nous donner un printems éternel.
Je lui cacherois furtout que ces avantages
font liés à un inconvénient. Le corps agité
par une chaleur uniforme acheveroit plutôt
la végétation , ce qui veut dire dans la
Langue des Phyficiens, que l'inftant de notre
trépas feroit hâté . Ce mot m'eft échappé:
pardonnez - le à la franchife que l'on puife
dans les Sciences , & à l'opinion que j'ai
conçue de vous . On n'adoucit pas la reinte
des couleurs pour des yeux d'aigle , & on
ne voile pas la vérité aux efprits philofophiques
.
J'ai l'honneur d'être , &c .
CHA. Avocat.
De Bargemon - les - Draguignan , en Provence,
le 7 Janvier 1756.
42 MERCURE DE FRANCE.
S
LE TRIOMPHE DE LA VEUVE..
CANTAT ILLE.
LA jeune Eglé n'eft encor que la roſe
Qui s'épanouit au matin ;
La veuve Iris eft cette fleur éclofe ,
Dont le fort brillant eft certain .
Eglé n'eft qu'une douce aurore
Qui promet un des plus beaux jours ;
Iris eft ce jour vif encore
Dont tout garantit l'heureux cours.
Eglé reçoit un hommage fincere ,
Comme un tribut qu'exigent fes attraits ;
Iris fçait , d'un regard qui tient lieu de falaire ,
Payer le moindre des bienfaits .
L'une -en aimant n'a qu'une affaire ,
L'autre défire & jamais ne jouit ;
C'eſt Venus qui cherche à nous plaire ,
C'eſt Flore qui nous éblouit.
Eglé reffemble à la teinte légere
Du premier vert qui nous charme au printems;
Iris , ainfi que la verdure entiere ,
Joint le folide aux agrémens.
AVRIL. 1756 43
L'HIRONDELLE ET LE CASTOR.
Sur
FABLE.
'Ur le bord d'un étang profond ,
Une Hirondelle téméraire ,
Cherchant le maftic ordinaire
Dont elle båtit fa maifon ,
Apperçur l'ample domicile
Qu'élevoit le Caftor agile ,
Cet animal , qui , né maçon ,
Conduit par la fimple nature ,
De la fuperbe architecture ,
Le premier nous donna leçon.
L'oifeau foudain fe met en tête
De fe fabriquer un Palais.
Hé ! Pourquoi non ? J'étois bien bête
De ne me conftruire jamais
Qu'une étroite cellule ,
Où je puis à peine nicher :
Je fçais tout auffi - bien gâcher ,
(Je puis m'en vanter fans fcrupule )
Que notre coufin le Caftor.
Çà , travaillons : je brûle
De voir avant le crépufcule
Sur un étage , un autre étage encor.
Ce dit ; la voilà qui travaille ;
Qui pofe mortier fur mortier ;
44 MERCURE DE FRANCE.
Mais elle ne fit rien qui vaille ,
Ignorant l'art du Charpentier.
Par malheur il vint une pluie ;
Murs de fléchir , faute de foliveaux ;
La cage tomba par morceaux ,
Détruite auffitôt que bâtie .
Prenez ceci pour vous , petits Auteurs ,
Audacieufes Hirondelles
Qui pour gâcher de minces bagatelles ,
Croyez , grace aux flatteurs ,
Bâtir des pieces immortelles ,
Et Braver les ans deftructeurs.
Sçachez , infectes du Parnaffe ,
Vous contenter de Triolets ,
De Madrigaux & de Bouquets ;
Mais quand votre orgueilleufe audace
Veut égaler , Virgile , Horace ,
Gare les ris ou les fifflets.
Par M. B .... A. D. C.
VERS
A une Demoiselle , le jour de l'An.
Ecoutez ce qu'a fait l'amour' ;
11 a réglé vos deſtinées .
Et vous promet autant d'années
Que vous me donnerez de baifer en ce jour.
Le Chevalier de Saint Veran
AVRIL. 1756. 45
LE BEAU PLAISIR
Conte qui reffemble à la vérité , par M.
de Baftide.
Lorfque le monde étoit gouverné par les
Fées , il étoit encore plus à plaindre que
depuis qu'il a été gouverné par les paffions.
C'étoit une guerre ouverte contre les gens
de mérite . Les fots étoient feuls épargnés .
Il y eut des chefs de maifon qui fe trouverent
fi bien de leur fottife qu'ils en firent
le principe de l'éducation de leurs enfans
, ce qui fut caufe qu'au bout d'un
certain tems il y eut des familles où l'on
comptoit plus de mille fots de pere en fils.
Parmi ces Fées , il y en avoit de trèsméchantes.
Rien ne pouvoit adoucir leur
caractere. Par un fimple mouvement de
leur baguette elles faifoient plus de mal
que la guerre & la pefte. Le monde auroit
néceffairement pris fin , fi cette race funefte
n'avoit pas été exterminée par la vengeance
des Dieux. On affure que le dernier
rejetton fut étouffé au berceau , il y a
deux cens ans , dans un fauxbourg de Congo
; cependant , comme cela n'eft pas prouyé
, bien des gens en doutent,
46 MERCURE DE FRANCE.
De toutes celles dont les Sçavans ont
négligé de nous donner l'Hiftoire , Serpentine
étoit la plus cruelle & la plus redoutable.
Méchante par antipathie pour
tout ce qui méritoit l'eftime , elle étoit
d'autant plus dangereufe qu'elle le paroiffoit
moins. Elle s'étoit fait un extérieur féduifant.
Ses careffes , fes manieres engageantes,
fes converfations où l'on refpiroit
T'humanité , lui gagnoient tous les coeurs.
Son plaifir le plus doux étoit de faire
des Hiftoires & des Rapports. Elle déſoloit
fon petit empire , mais elle avoit la prudence
d'y employer des Agens incorruptibles.
Si quelquefois elle tomboit dans l'indifcrétion
, elle avoit à un degré ſi ſupérieur
le talent de mentir , & d'en impofer
par des fermens qu'il lui fuffifoit de dire
un mot pour être juftifiée. On croyoit
avoir rêvé ce qu'on avoit entendu.
Sa Cour n'étoit un lieu d'exception pour
perfonne, Tous les Etats y étoient admis.
Cette confufion paffoit pour l'effet de fa
bonté , & elle y puifoit la fuprême douceur
de voir des jaloufies fans fin , des
tracafferies fans nombre , & des comédies
délicieufes , quoiqu'il n'y eût qu'elle qui
pût s'en amufer.
On ne manquoit jamais de l'inviter à la
mailfance des Princes ; elle faifoit éclater
AVRIL. 1756. 47
en leur faveur une bienfaifance perfide.
Lorfqu'ils avoient atteint un certain âge ,
s'ils faifoient paroître des qualités aimables
, elle exigeoit qu'ils lui futfent confiés
, & ce projet caché de trahiſon étoit
toujours regardé par les parens comme
une faveur infigne.
Parmi ces jeanes victimes il y en avoit
deux dont l'Hiftoire touchante fut écrite
apparemment par un bel efprit équitable
& tendre de la Cour de Serpentine , &
vient d'être retrouvée en Afie , avec des
notes fur la Fée , dans un tombeau d'or ,
par des Efclaves qui fouilloient la terre.
Voici exactement ce que l'Auteur en raconte.
Je me contenterai d'en faire la traduction
, quoiqu'il y ait bien des défauts ,
parce que je crois qu'on ne peut montrer
trop de refpect pour un ouvrage de dixhuit
mille ans qui parle d'une Fée.
La Princeffe Zinzis n'avoit que feize
ans , & n'ignoroit que fon mérite . Sa
beauté étoit cette rofe à peine épanouie
que l'aurore fait naître, & dont la forme,
l'éclat & l'odeur font l'excufe du Papillon
infidele qui quitte tout pour l'adorer.
Ses graces étoient finaturelles qu'il étoit
impoffible de les imiter. Ses yeux avoient
une expreffion fi tendre , qu'ils fembloient
toujours dire Je vous aime . Il n'y avoit
48 MERCURE DE FRANCE.
que lorfqu'ils fe fixoient fur l'Amant aimé
,, que l'on pût ceffer de s'y méprendre .
Tout ce qu'elle difoit étoit tout ce qu'un
autre eût pu dire de mieux ; l'efprit ne
fuffifoit pas pour juger des charmes du
fien. Ses talens effaçoient ceux de fes
Maîtres. Malgré fa fupériorité fur eux ,
elle les écoutoit encore par refpect pour les
leçons qu'ils lui avoient données . Modeſte
jufqu'à vouloir fe faire aimer des femmes ,
bonne jufqu'à empêcher toujours qu'on
pût avoir des torts avec elle , & les pardonnant
même alors , comme fi elle avoit
mérité qu'on en eût ; tendre juſqu'à n'être
jamais fatisfaite de ſa tendreſſe , & jamais
légerément inquiéte de celle de fon amant,
Zinzis avoit toutes les perfections. Elle
charmait tous les hommes , & aucun n'oublioit
avec elle ce refpect fi naturel , alors
très peu commun , & devenu depuis fi
rare & fi moqué. Elle éclipfoit toutes les
femmes , mais elle adouciffoit fi bien fa
fupériorité , qu'elle ne les empêchoit pas
de paroître ; elle paroiffoit feulement la
plus aimable.
Comment peindre l'amant heureux qui
fçut l'enflammer ? Dire qu'il étoit digne
d'elle , c'eft donner l'idée d'un homme
accompli , mais ce n'eft pas repréſenter le
Prince Zima. Il y a dans le mérite d'un
Amant
AVRIL. 1756. 49
Amant de petites nuances que l'efprit ne
rend point ; ce font pourtant ces riens qu'il
faudroit rendre , puifque c'eft par eux que
le coeur eft lié . Au défaut de ces couleurs
qui manquent , il faut que chacun fe faffe
un homme charmant à ſa fantaiſie ; qu'il
lui donne tout ce qui peut plaire , tout ce
qu'il voudroit trouver dans un objet aimé ,
tout ce qui peut attirer l'eſtime ,
l'amitié ,
la confiance & l'admiration : ce fera le
portrait du Prince.
Zinzis & Zima avoient fenti en ſe voyant
qu'ils étoient nés l'un pour l'autre. Il leur
eût donc fuffi de fe regarder pour s'expliquer
mais lorfqu'on fent tout l'amour
qu'on infpire , peut- on fe taire ? croit - on
tout dire en difant que l'on aime ? Tous
les fens ont une paffion à fatisfaire, & tous
prennent un langage pour l'exprimer .
Ils s'étoient regardés mille fois ; & loin
d'être contens ils n'éprouvoient que de
l'agitation. Il fallut parler. C'étoit pour la
premiere fois que le mot d'amour fortoit
de leur bouche ; ils n'en eurent pas plus
de peine à le placer dans des phrafes charmantes.
Lorfque l'amour eft extrême , il
met lui-même fur nos levres des phraſes
toutes faites.
Zima s'expliqua le premier. Zinzis élevée
dans la décence , fe contenta de lui
I. Vol. C
so MERCURE DE FRANCE.
laiffer le plaifir de s'expliquer. Le Prince à
qui l'excès de fa tendreffe apprenoit combien
l'amour eft innocent , ne vit que , de
l'infenfibilité dans fon filence , tout fûr
qu'il étoit d'être aimé , & fe plaignit comme
s'il avoit été fûr de ne le pas être. Zinzis
bleffée par fes reproches , & plus touchée
de fa douleur , fut tentée de le gronder
, tant il eft difficile de ne pas dire plus
qu'on ne veut.
Il y eut bal le foir à la Cour , quoique
la Fée vieille & contrefaite ne danfất point.
Zinzis & Zima danferent enfemble : ils
firent naître le vrai goût de la danfe . L'Auteur
dit que leur talent fut vu fans envie ,
parce qu'il développoit des graces qui fe
changeoient néceffairement en plaifirs . Il
falloit que dans ce tems là on n'eût pas ,
comme aujourd'hui , le talent funefte de
fe diffimuler fes plaifirs pour fe difpenſer
d'applaudir à l'objet qui les fait naître.
Le bal fut interrompu par le fouper . Le
Prince & la Princeffe y chanterent des
Duo qui parurent tous nouveaux à ceux
qui les chantoient le mieux il n'y eut
qu'une femme qui avoit appris la Mufique
par un Maître à danfer de Province ,
qui prétendit qu'elle facrifioit la meſure
aux agrémens. Zinzis eut grand foin de
choifir des Duo où il y eût des déclaraAVRIL.
1756. ST
tions d'amour & des fermens de fidélité .
La Mufique a cela de commode , qu'elle
permet à une femme de dire tout ce qu'elle
fent ; mais elle eft menacée de perdre bientôt
cet avantage précieux . Ce qui étoit un
moyen pour l'amour , n'eft guere plus
qu'un prétexte pour la coquetterie. Ainfi
de tous les dons que la nature avoit faits
aux hommes , ils font prefque tous diſparus
avec le bonheur de fentir .
Le Prince impatient de jouir feul avec
Zinzis du bonheur d'être aimé , commençoit
à trouver le deffert trop long . Il étoit
placé à côté d'elle , & elle venoit de s'expliquer
avec autant de liberté , qu'elle oferoit
peu s'en permettre dans une premiere
converfation: mais étoit-il affez peu amoureux
pour fe croire jamais affez inftruit &
affez aimé ? Il n'y a point de certitude pour
un amant tant qu'il lui refte des déſirs à
former.
Il y avoit clair de lune . On propofa une
partie de promenade dans le parc. La Fée
s'y fit traîner , car elle ne marchoit plus ;
& cet honneur fut brigué par deux Bourgeoifes
manierées , qui faifoient le rôle de
fuivantes avec une complaifance qui pouvoit
paffer pour un talent.
Zima offrit le bras à Zinzis , qui l'accepta
fans en voir la conféquence. Ils avoient
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
tant de chofes à fe dire , qu'ils ne purent
d'abord fe parler. Une étoile brillante parut
& difparut dans le même moment. Zima
eut à peine le tems de la faire admirer
à Zinzis . Il fit un cri de furpriſe en la
voyant difparoître . La Princeffe , qui apparemment
avoit plus lu que lui , trouva
dans ce phénomene un fujet de réflexion ,
& elle n'eut pas la politeffe de la diffimuler.
Il faut croire que la force de la paffion
l'emportoit ; car on ne trouve pas
dans toute fa vie qu'elle ait jamais rien
dit de défobligeant pour montrer de l'efprit.
Elle voulut faire entendre au Prince
que cette étoile , par fon éclat , & par fon
inconftance , reffembloit à bien des paffions.
Zima eût cru lui faire injure en ne
s'offenfant point de fa comparaifon. Ah !
Zinzis , s'écria -t'il , quelle inhumanité ! eſtce
à vous à vous occuper de l'inconftance
des amans ? Les réflexions que vous donnez
à leurs défauts , font des outrages pour
moi & pour votre beauté ,
Il avoit l'air fi pénétré , & cet air- là eſt
un fi puiffant reproche , que Zinzis eut de
la peine à s'empêcher de le raffurer . Sa réponfe
fut comme celle de toutes les femmes
qui ne veulent pas avoir raiſon . Zima
ne la trouva point encore affez confolante
; & fe livrant à fa douleur , ah !
AVRIL 1756 . 53
Zinzis , lui dit il , je lis dans vos fentimens
; les miens vous ont déplu , & vous
cherchez à me le faire entendre : mais falloit
-il y employer l'injuftice ? me haïffezvous
affez pour croire qu'il n'y a que mon
défefpoir qui puiffe faire ma pénétration ?
Mais je ne vous hais pas , répondit la Princeffe
attendrie : où prenez - vous ce que
vous me dites ? Dans le fond de mon coeur,
reprit-il , où toutes vos penfées & vos fentimens
s'impriment d'eux-mêmes avec des
caracteres ineffaçables. Zinzis , je vous aime
trop pour ne pas voir que vous ne
m'aimez point.
La Princeffe ne pouvant plus réfifter aux
larmes de Zima , alloit les faire ceffer, lorfque
la Fée qui les obfervoit , & qui trouvoit
fon fupplice dans leur plaifir , dit
qu'ilfaifoit trop froid pour elle , & qu'elle
vouloit rentrer. L'ordre fut bientôt répandu
, on fe rejoignit , & Zinzis qui vit qu'il
ne lui reftoit pas le tems de dire deux mots,
ne put s'empêcher de s'écrier : Voilà une
Fée bien infupportable.
-
Serpentine étoit dans l'ufage de raffembler
le foir dans fon appartement fes plus
chers favoris : c'étoit là furtout qu'elle
exerçoit fa fureur de mentir & de faire des
hiftoires. Son petit cercle étoit compofé
de gens qu'elle pouvoit en toute fûreté ,
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
traiter comme des machines . Chacun d'eux
avoit un rôle qu'elle lui avoit affigné . L'un
étoit pour répandre fes calomnies , l'autre
pour les imputer à qui il lui plaifoit ; un
troifiéme pour lui fournir des matériaux .
Ce petit conflit d'infamie fubfiftoit impunément
, parce qu'il n'y avoit pas à fa Cour
des gens fort pénétrans .
L'ordre fut interrompu pour ce jour- là.
La tendre intelligence qu'elle avoit remarquée
entre le Prince & la Princeffe la tourmentoit
: elle ne croyoit pas pouvoir affez
tôt en troubler la douceur. Ce n'étoit pas
qu'elle eût des vues fur Zima . Son coeur
indigne de l'amour étoit incapable de connoître
le fentiment ; les défirs même lui
étoient inconnus . Il fembloit que la nature
, après l'avoir formée , eût détefté fon
ouvrage , & n'eût plus voulu avoir de
communication avec elle . Elle n'étoit jaloufe
que parce que les plaifirs & les qualités
des autres pouvoient exercer fa méchanceté.
Elle la pouffoit quelquefois jufqu'à
faire mille amitiés aux gens qu'elle
haïffoit le plus , dans l'efpoir de les faire
hait par fes préférences . On s'écriera , le
beau plaifir! je dirai , au rifque de la faire
paroître moins méprifable que cette forte
de noirceur n'a ni commencé ni fini à elle.
Quoique la paffion laiffe peu réfléchir ,
AVRIL 1756. 55
Serpentine avoit été affez maîtreffe de fes
mouvemens pour raifonner fa vengeance.
Elle voyoit tout le monde trop perfuadé ,
trop enchanté des perfections de Zinzis &
de Zima pour les attaquer de ce côté-là.
Convaincue qu'il feroit ridicule d'en dire
du mal , elle n'en prit qu'avec plus d'ardeur
la réfolution de leur en faire.
Dès qu'elle fut rentrée , elle dit qu'elle
vouloit qu'on la laiffât feule , & elle fit
dire au Prince qu'il vînt la trouver dans
fon appartement. Zima défefpéré de fe
voirprivé de la vue de Zinzis jufqu'au lendemain
, n'aborda pas la Fée avec cet empreffement
, dont fon affabilité lui avoit
fait un droit. Elle s'apperçut aifément de
fon chagrin, & ne fongeant qu'à l'augmenter
encore , elle lui parla en ces termes.
Prince , lui dit-elle , j'ai vu avec plaifir
votre arrivée à ma Cour ; votre mérite
vous y donne un rang que je n'aurois pas
pu vous donner moi-même ; il vous éleve
fi fort au deffus de tout le monde que je
n'y vois prefque plus que vous. Je fens
que je fuis deftinée à prendre pour vous
une forte amitié , & je le fens beaucoup
moins par le plaifir que je goûte à vous
voir › que par l'embarras que j'éprouve à
vous procurer des plaifirs dont je fois fatisfaite.
,
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Madame , répondit le Prince effrayé de
ce préambule , je fuis pénétré comme je
le dois , de ce que vous avez la bonté de
me dire : mais en louant trop mon mérite
vous me faites fentir mes défauts ? j'en ai
de très-grands , Madame , & je fuis étonné....
Vous n'en avez point , reprit - elle ,
vous ne pourriez pas même en montrer :
mon amitié eft pénétrante ; elle eſt votre
caution , & je m'en rapporte à elle . Cela
eft fort obligeant , répondit- il plus troublé
; mais je vous affure , Madame , que
vous ferez la dupe de votre prévention :
je dois me connoître , & affurément je me
connois très - bien .... Treve de modeftie ,
pourfuivit la Fée , je ne rabattrai rien de ce
que je penfe de vous . Mais fi je vois clairement
votre mérite , vous jugez que je
ne vois pas avec moins de facilité vos
fentimens. C'eft fur ces fentimens que je
veux vous parler aujourd'hui ; ils peuvent
fe tourner en malheurs pour vous ,
je ne fçaurois trop me hâter de vous en
avertir. Vous aimez Zinzis , continuat'elle
; il feroit inutile de vous en défendre.
Je ne m'en défendrai pas non plus ,
répondit le Prince toujours dans fa prévention
: la feule chofe qui puiffe faire
condamner ma paffion , c'eft que je ne fuis
pas digne de celle qui me l'infpire . J'étois
perfuadée, reprit Serpentine , que vous
&
AVRIL. 1756. 57
me feriez cette réponfe ; elle augmente le
befoin que vous avez de mes conſeils. Je
vous prie de m'écouter fans m'interrompre
, & s'il eft poffible , avec l'attention
que mérite une Fée qui a de l'expérience ,
& qui , au mépris de la critique , s'enferme
avec un jeune homme à deux heures après
minuit.
Le Prince qui crut que cette derniere
réflexion cachoit un mauvais deflein , penfa
mourir de frayeur , & fut tenté de ſe
retirer brufquement : il céda pourtant à la
bienféance , fentant intérieurement qu'à
fon âge , il feroit deshonorant de fuir au
premier danger. Cette réflexion qui eft de
l'Auteur prouve que dès ce tems - là les
hommes n'étoient pas en fûreté avec les
femmes de foixante ans , & qu'un point
d'honneur barbare les affujettiffoit aux
mêmes égards , qui depuis ont fait admirer
notre politeffe , & fouvent deshonoré
notre raison.
Mais le malheur qui menaçoit le Prince
, n'étoit pas celui dont il fe croyoit menacé.
Serpentine connoiffoit trop peu l'amour
pour borner fa méchanceté au plaifir
de faire un infidele , d'un amant qu'elle
vouloit défefpérer. Les remords de l'infidélité
ne peuvent paroître un fupplice
qu'à ceux qui font dignes d'aimer.
Cv
58 MERCURE DE FRANCE .
J'ai vu que vous aimiez Zinzis , reprit
la Fée , & j'ai cru ne pouvoir trop tôt vous
arrêter dans le penchant d'un précipice
que vous n'avez pu appercevoir. Ne croyez
pas , je vous prie , qu'ennemie de l'amour,
en regardant les fentimens comme des
foibleffes , & ne voulant pas, comme bien
d'autres Souveraines , que l'on goûte dans
ma Cour des plaifirs qui me font devenus
étrangers , je prenne dans le chagrin de
mon humeur les confeils que je vais vous
donner . Non , Prince ; l'amour, malgré fes
dangers , eft en fûreté avec moi . Défendu
par le coeur contre les réflexions de l'efprit ,
il fuffiroit d'avoir un peu d'amour- propre
raiſonné pour ne pas l'attaquer , quand
même il mériteroit de l'être : mais il ne
le mérite pas ; il eft digne de nous en-
Hammer , & parmi les fervices qu'il pent
nous rendre , ne comptât-on que celui de
nous faire goûter des plaifirs que lui feul
peut donner , il feroit affez défendu contre
la févérité des jugemens . Ce n'est point
l'amour qu'il faut accufer , fi des amans
deviennent criminels ou malheureux par
leur faute ; ce n'eft plus lui alors qui
agit , d'autres paffions ont pris fa place : il
eft vrai que ces paffions funeftes font fouvent
fes effets ; mais il n'en eft jamais la
caufe inévitable : elles n'auroient point
éclaté file coeur qu'il animoit n'avoit eu
AVRIL 1756. 59
des défauts naturels que l'amour même
ne pouvoit détruire. Dans un homme capable
de fe pénétrer de tous fes charmes ,
de toute fon utilité , il devient un tréfor
inépuisable ; c'eſt le diamant dès qu'il a
été connu. Il donne de l'efprit , il adoucit
l'humeur ; il coule dans notre ame pour
la confoler , pour l'éclairer , pour la fortifier
; il prévient le dégoût du devoir , &
fouvent il le change en plaifir ; il entraîne
aux plus grandes chofes malgré les plus
grandes difficultés ; il rapproche le terme
des entrepriſes ; il double la récompenfe
des vertus , parce qu'il en fait un droit à
la tendreffe de l'objet aimé.
Voilà ce que je penſe de l'amour , continua-
t'elle , & ce qu'en penfe comme moi
quiconque a des moeurs , de l'efprit & de
la raifon. N'imaginez donc point que ce
foit par mauvaiſe humeur , ou par prévention
contre lui que j'attaque votre paffion ;
croyez encore moins que ce foit par aus
cune prétention , aucune vue particuliere.
Je préviens vos foupçons à cet égard , parce
qu'ils ne feroient pas auffi ridicules
qu'injuftes. On a vu trop fouvent des Fées
de mon âge fe croire encore belles, & fous
les aufpices de la parure , du rouge , des
mouches & des rubans entaffés , élever
leurs défirs téméraires jufqu'à des Princes
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
accomplis . Heureufement pour moi , j'ai
confulté mon miroir de bonne heure , je
n'ai voulu écouter que fes confeils ; & me
rendant juftice pour éviter qu'on me la
rendît , j'ai laiffé l'amour aux gens aimables
, perfuadée qu'il n'eft qu'un temps
pour aimer , & que fans les graces un
amant que nous aurions touché les
par
qualités même les plus eftimables , doit
être envifagé comme un bien dont nous
n'avons que l'ufage . J'ai regardé derriere
moi , non pour regretter les chofes dont
j'avois joui & qui me fuyoient , mais pour
me mettre en état de juger fainement de
celles aufquelles je pouvois encore prétendre.
Je me fuis placée entre le paffé &
l'avenir , & j'ai étendu l'efpace que j'avois
encore droit d'occuper en m'y faifant une
fituation . L'amitié , les fentimens de l'humanité
, la communication de ma raiſon
& de mes avantages font devenus mes
plaifirs , pas
, parce que je n'avois attendu
qu'ils ne puffent plus être des confolations .
Après un tel aveu , continua- t'elle , "je
me crois autorifée à vous parler fans détour
, & je ne m'imagine pas que vous
puiffiez douter de ma droiture . J'ai fenti
que j'allois vous déplaire , & qu'en vous
déplaifant je vous deviendrois fufpecte ;
car l'un mene à l'autre ; mais à préſent je
AVRIL. 1756. 61
ne dois plus avoir aucune crainte , & je
n'en pourrois conferver fans vous faire
injure.
Tout allarmé qu'étoit le Prince de ce
qu'elle alloit lui dire , il étoit féduit par
fes difcours fpécieux qu'elle avoit eu foin
d'orner de toutes les graces poffibles . Son
dépit , fes terreurs étoient difparus : il fe
fentoit même difpofé à la confiance ; &
Hans cette difpofition il prit un air plus
attentif & plus obligeant. La Fée enchantée
du fuccès de fon artifice , reprit en ces
termes :
te vous ne vous y
Malgré les rapides progrès de vos fentimens
pour Zinzis , lui dit- elle , fans doulivré
fans pen- êtes pas
fer qu'ils alloient faire votre bonheur.
Vous lui avez prêté toute l'ardeur qu'elle
vous infpiroit , toute la conftance dont
vous êtes capable ; mais avez - vous pu oublier
, ou ne fçavez- vous pas que fouvent
le malheur de l'amour vient d'avoir commencé
par une eſtime de premier mouvement
? Zinzis peut être née auffi tendre &
auffi capable de fidélité que vous- même ;
mais quelles preuves en avez -vous ? Comment
pourrez-vous jamais faire un certain
fonds fur fes difcours les plus paffionnés ,
fi vous commencez par vous faire vousmême
des preuves de fa fincérité qui la
62 MERCURE DE FRANCE.
difpenfent de vous en donner ?
Ce que vous dites là , Madame , eft trèsraifonnable
, lui dit Zima , preffé de répondre
; mais les régles de la prudence finiffent
à Zinzis : elle a des yeux & un fon
de voix..... Cela eft vrai , reprit Serpentine
; mais celles de fon rang doivent toujours
paroître douteuses. Il femble
que la
nature leur ait fait des caprices exprès
pour avertir les hommes de ne s'y pas fier
Ah ! Madame , reprit le Prince , ſoupçonner
Zinzis , vouloir que je la foupçonne
, quelle inhumanité ! Lui aviez - vous
dit que vous l'aimiez , demanda la Fée qui
preffentoit fon triomphe ? Oui , Madame ,
je le lui ai dit mille fois en un moment ;
mon ardeur m'emportoit , j'aurois donné
ma vie pour le lui dire : Eh ! comment pouvoir
m'en empêcher ? Et vous a - t'elle avoué
qu'elle vous aimât 2 Non , Madame , elle
ne m'a rien dit qui me donne le droit de
me croire aimé , mais j'ai deviné ce qu'elle
ne me difoit pas : j'ai fenti que je pouvois
interpréter fon filence par le peu de
chagrin qu'il me caufoit. Voyez - vous ,
reprit la méchante Fée , elle ne vous à rien
dit , & c'est pour vous comme fi elle ne
vous avoit rien caché : Ah ! Prince , pouvez
- vous me faire cet aveu fi tranquil
lement ? Mais , Madame , que peut avoir
AVRIL. 1756. 63

pour moi de dangereux une prévention fi
douce & fi naturelle ? à quoi peut - elle
m'expofer ? A toute la coquetterie d'une
femme à qui vous faites fentir qu'elle n'a
rien à craindre de votre difcernement. Ah!
reprit- t'il , fi c'eft- là tout ce que j'ai à craindre
, elle peut refufer de s'expliquer auffi
longtems qu'elle voudra : je connois peu
Zinzis , Madame , mais je fuis bien perfuadé
, bien convaincu qu'incapable de
répondre étourdiment à des fentimens
qu'elle partage , elle l'eft encore plus de
fe taire fur une paffion qu'elle ne voudroit
pas partager. Ecoutez , Prince , lui
dit la Fée avec un férieux impofant , je
n'aime à défefpérer perfonne , je fouffre
autant que vous - même de mes craintes &
de mes réflexions , mais je fuis trop dévouée
au Prince votre pere , je vous diftingue
, & vous aime trop vous - même
pour facrifier vos intérêts & tour le bonheur
de votre vie à un ménagement que
vous feriez peut - être un jour contraint
de me reprocher . J'ai des raifons , de fortes
raifons de foupçonner la fenfibilité de
Zinzis . Je ne m'expliquerai pas mieux ,
mais examinez - la lorfqu'elle fera avec
Zindor.
Le ton dont elle venoit de parler & le
nom de Zindor jetterent le Prince dans un
64 MERCURE DE FRANCE .
trouble inconcevable . Il voulut répondre ,
Serpentine le prévint. Elle lui dit qu'il
étoit heure de fe retirer , qu'elle ne lui
diroit rien davantage quand même la converfation
pourroit durer décemment augré
de fes défirs ; que quelque ufage qu'il
pût faire des avis que fon intérêt venoit
de lui arracher , elle exigeoit de lui que
jamais ils ne vinffent à la connoiffance de.
la Princeffe , & que s'il trahiffoit fa confiance
il perdroit ſon amitié .
A ces mots elle fonna , & il fut obligé
de la quitter. Comment peindre fa fituation
? que croire de ce qu'il venoit d'entendre
, qu'en rejetter , quel ufage en
faire ? Il n'ignoroit point que les femmes
naturellement jaloufes des femmes , & plus
jalouſes , à mesure qu'elles font moins jeunes,
ont toujours des noirceurs toute -prêtes
pour la premiere victime qui peut s'offrir ;
mais il n'ignoroit pas non plus que la coquetterie
encore plus générale que la jaloufie
, réduit fouvent la femme la plus
jaloufe à ne dire que des vérités malgré fa
mauvaiſe intention . Zindor étoit l'homme
de la Cour le plus fat , & conféquemment
le plus couru ; car pour
le dire en
paffant & au rifque de n'être pas cru ,
a été un tems où il n'y avoit que la fatuité
qui réufsît auprès des femmes ; il ne
il
AVRIL. 1756. 65
fuffifoit même pas d'en avoir , cela étoit
regardé comme une bienféance d'état ;
pour être préféré , il falloit en avoir plus
qu'un autre , & pour être cité en montrer
plus que perfonne ; il n'y avoit point d'état
qui en difpenfât. Comme l'Auteur ne
s'explique point fur les inventeurs de cette
mode oubliée , quelque plaifant en fera
peut-être honneur aux femmes à caufe
du génie de l'invention , mais ce feroit
mal les connoître.
Quoi qu'il en foit , Zindor avoit fi bien
faifi l'efprit du jour , qu'il s'étoit fait un
mérite éblouiffant. Puifque l'on voit tous
les jours des hommes fans , mérite tourner
des têtes , on peut juger de la vogue qu'avoit
Zindor. Il étoit même devenu fi difficile
de lui plaire , qu'il pouvoit mettre à
prix fes moindres attentions. Il en coûtoit
fouvent deux mois de veilles & de
courfes pour un regard , ou un mot à
l'oreille.
Le Prince n'auroit jamais penfé de luimême
que Zindor , malgré toute fa célébrité
, pût être un rival redoutable auprès
de Zinzis : mais l'eftime que l'on a pris
plus aifément pour une femme , eft fouvent
celle qui tient à moins de chofes , &
fon inſtabilité eft auffi naturelle que fa
naiffance précipitée . Zima n'eut pas plu66
MERCURE DE FRANCE.
tôt entendu le nom de Zindor , qu'il ne
fut plus le maître de fes idées. Ce n'étoit
pas précisément de la jaloufie qu'il éprouvoit
, mais il voyoit un rival contre les
féductions duquel la Princeffe ne pouvoit
être défendue que par un fonds de raiſon
dont il n'avoit point de preuves , ou par
une tendreffe dont il n'avoit pas même la
connoiffance. Il fe rappelloit qu'il avoit vu
Zindor avec la Princeffe , & une chofe
auffi fimple & à laquelle il n'avoit pas même
pris garde , l'agitoit prefque autant
qu'auroit pu faire la certitude de leur intelligence
.
On juge affez de la nuit qu'il paffa. Attaché
à fes triftes penfées qui avoient un
charme pour lui , il eût pris des précautions
contre le fommeil pour ne le pas
perdre , mais il fentoit déja qu'un amant
reçoit une organiſation nouvelle , & ne
doit pas craindre de dormir .
le
Il étoit dans cet état cruel , où l'on craint
d'offenfer ce qu'on aime par des foupçons ,
& où l'on fent mourir la fécurité par
foin de la conferver. Zinzis s'offroit à
fon imagination avec ces regards ingénus
qui enflamment moins qu'ils ne perfuadent
, mais Zindor étoit à fes genoux
moins amoureux que fatisfait. Dans fa
prévention il croyoit même lui voir baifer
AVRIL. 1756 . 67
une main que Zinzis oublioit moins qu'elle
ne donnoit . Ah ! Zinzis , s'écrioit- il dans
l'excès de fa douleur , je me fuis donc
trompé quand j'ai cru que vous m'aimiez :
il faut vous croire fenfible pour un autre :
il faut perdre tout le bonheur de ma vie ;
heureux du moins de douter encore de
votre impoſture en doutant fi peu de votre
indifférence pour moi.
Le mot d'impofture qui peignoit mieux
fa douleur que fa penfée , lui échappoit :
quoiqu'il le répétât , il fe le reprochoit
vouloit lui en fubftituer un autre , & ne
trouvoit pas celui que fon coeur auroit
vouloit lui offrir.
Après mille réflexions fans ordre & fans
conclufion , il ſe réſolut à voir Zinzis , à
lui demander le fort qu'il devoit attendre
, & à mourir à fes genoux fi elle étoit
indifférente pour lui ou fenfible pour
Zindor.
>
Il alloit paffer dans l'appartement de la
Princeffe , lorfqu'il entendit un bruit dans
le château & dans les jardins. Il s'informa:
on lui dit que la Perruche favorite de la
Princeffe venoit de s'envoler , & qu'elle
en avoit un chagrin affreux .
Il n'eft pas inutile de dire pour l'intérêt
de cette Hiftoire , qu'à la Cour de Serpentine
toutes les femmes avoient des
68 MERCURE DE FRANCE.
Perruches par douzaines . Il falloit , contre
la vraisemblance , qu'elles aimaffent à parler
, ou que fouvent elles ne fçuffent que
dire. Une Perruche autorife la verbofité ,
& fert merveilleufement à ranimer la converfation
qui languit. Au furplus , ce n'eſt
ici qu'une fimple conjecture que je hazarde
, & à laquelle je ne fuis point du tout
attaché. Dans quelques tems que des femmes
ayent vêcu , elles me font toujours
infiniment reſpectables , & je n'aurois pas
rifqué de dire mon fentiment fur celles
dont je parle , s'il n'étoit une forte d'éloge
du caractere , de l'efprit & des ufages de
celles d'aujourd'hui .
Le Prince à cette nouvelle vola dans les
jardins , y envoya tous les gens , chercha
partout , & fut affez malheureux pour ne
pas trouver la Perruche. A cette douleur
fe joignit bientôt celle de la voir retrou
ver par Zindor. Il penfa mourir de défefpoir
. Il vit Zindor naturellement lefte
franchir tous les quarrés & tous les baffins
pour arriver plutôt vers la Princeffe
qui éclatoit de joie à fa fenêtre. Il voulut
le fuivre pour voir l'accueil qu'elle lui
feroit , & peut- être n'auroit il pas attendu
d'en être témoin pour le brufquer. Ses
genoux tremblans fe refuferent à ſon impatience
, il put à peine fe traîner. Quel
AVRIL. 1756. 69
fpectacle pour lui , en entrant dans l'appartement
, de voir Zindor heureux poffeffeur
d'une main abandonnée à fes tranfports
! Il fentit que le défefpoir l'emporteroit
trop loin ; il fortit , & ne pouvant
renfermer dans fon coeur fes fentimens impétueux
, il écrivit cette Lettre.
33
LETT R E.
« Vous caufez tous mes maux ; il n'en
» peut plus être de plus grands pour moi
» que de vous aimer . Il faut que je vous
» les apprenne ; il faut que vous fçachiez
» tout ce que je fouffre , tout ce que j'ai
»à vous reprocher . Zinzis , écoutez - moi ,
» plaignez-moi , ne prononcez point l'arrêt
de ma mort ; vous la voulez , je le
» vois , & je fens que je ne la prolonge
» que pour fouffrir encore : mais , Zinzis ,
>> croyez- vous que ce foit- là le prix que
» mérite la plus vive tendreffe ? pouvez-
» vous penfer fans frémir que je vous ado-
» re , & que ma récompenfe eft d'être le
» témoin de votre amour pour un autre ? »
Oui, cruelle, vous aimez Zindor ; j'ai vu
و و
ود
""
je fuis convaincu .... Ah ! Zinzis ,
» j'ai dû mourir de douleur. Zindor aimé
de vous , malgré mon ardeur inaltérable !
» le plus tendre des amans facrifié au plus
"
70 MERCURE DE FRANCE.
>>
volage des hommes ! Ah ! cette penfée
renferme pour moi tous les malheurs :
j'ai trop vêcu.
ور
»
Comment dire ce que devint la Princeffe
en lifant cette lettre ? ces fituations
ne fe rendent point . Elle envoya toutes les
femmes vers le Prince , avec ordre de le
faire venir , de l'amener , de ne le point
quitter. Zima eut à peine entendu prononcer
un nom adoré qu'il retrouva toutes
fes forces & toute fa raifon . Il courut
fe précipiter aux pieds de Zinzis. Vous
êtes bien cruel , lui dit la Princeffe ; je devrois
..... vous mériteriez ..... Ah ! Zima
, ´eſt- ce ainſi
que
l'on prouve
que l'on
aime
? Ne m'accablez
point
, lui dit - il ,
vous
êtes déja
vengée
; mes regrets
....
mes remords
.... Ah ! Zinzis
, qu'ai
-je fait ?
que je fuis malheureux
!
Les regards les plus tendres furent les
reproches de la Princeffe . Le Prince y lut
tout fon bonheur. Ses tranfports furent fes
feules expreffions. Trop amoureux pour
conferver des doutes ,, trop enchanté pour
faire des queftions , il fe livroit à fa joie
inexprimable ; il dévoroit cette main qui ,
fans le vouloir , lui avoit porté de fi fenfibles
coups , lorfque la maudite Perruche
s'avifa de crier , Zindor , que vous êtes
aimable ! Zindor , je vous adore .
AVRIL. 1756. 71
:
La foudre n'eût pas mieux écrafé le
Prince. Il étoit aux genoux de Zinzis ; il
fe leva furieux ! Quoi ! toujours Zindor ,
toujours un nom que je détefte : Ah ! c'eſt
trop m'outrager en un jour , c'eft trop abufer
de ma funefte erreur ; mais vous ne
jouirez pas de ce plaifir affreux : Non ,
cruelle , tremblez du moins pour Zindor.
La Princeffe anéantie n'avoit pu l'interrompre
elle put encore moins l'empêcher
de fortir. Ce qui arrivoit n'étoit
pas plus défefpérant pour Zima , qu'inconcevable
pour elle . Elle étoit fûre de
n'avoir jamais prononcé le nom de Zindor
devant fa Perruche, Zindor lui étoit
tout-à-fait indifférent ; elle méprifoit fes
moeurs & fes triomphes. Où là Perruche
avoit elle donc appris à répéter ce qu'elle
venoit de dire ? c'étoit une énigme qu'elle
ne pouvoit expliquer , un prodige incroyable.
A force d'y rêver elle penfa que ce
pouvoit être quelque tour , quelque trahifon
mais fur qui devoit tomber fa
vengeance ? comment decouvrir l'objet
qu'elle avoit à punir ? Le Lecteur n'aura
pas tant de peine qu'elle à deviner.
Le malheureux Zima, en fortant de chez
elle , avoit pris le chemin du parc. Abîmé
dans fa douleur profonde , il avoit déja
72MERCURE DE FRANCE.
vingt fois attenté à fa vie ; mais fa main
toujous fufpendue par l'amour , n'avoit
pu obéir qu'à lui . Moins touché d'être trahi
, de n'être pas aimé , que de ne pouvoir
plus aimer lui -même , il fe refufoit
prefque aux preuves de fon malheut . Zinzis
lui paroiffoit auffi coupable qu'elle pouvoit
l'être ; mais fon coeur la défendoit
en fecret , & la voix bienfaifante qu'il
croit y entendre , le perfuadoit fans le
confoler.
Il y avoit près du parc un temple dédié
à l'Amour , ou ce Dieu rendoit fes
Oracles les plus infaillibles . Une ſtatue
qui le repréfentoit , couvert d'un voile ,
étoit placée au milieu du temple. L'amant
incertain ou jaloux lui adreffoit fes voeux ,
& s'il étoit aimé , la ftatue fe devoiloit
à fes yeux . Cette épreuve n'avoit jamais
manqué depuis plus de deux mille ans :
c'étoit une chofe d'une notoriété auffi
blique qu'il en puiffe être .
pu-
Ce dernier moyen s'offrit à l'imagination
du Prince. Il ne penfa point , fans
frémir , à l'employer. Ce moment alloit
décider de fa deſtinée , fes foupçons fembloient
le hâter ; fatal augure ! Devoit- il
s'expofer à un malheur déja trop annoncé ?
mais d'un autre côté devoit - il conferver
à jamais des foupçons humilians ? fa gloire
lui
AVRIL. 1756. 73
lui permettoit -elle de s'enchaîner , en efclave
avili , au char d'une coquette , d'une
femme fans foi ? Cette derniere penfée
l'emporta fur les autres , & lui donna
le courage dont il avoit befoin .
....
Il fe rendit au temple. En y entrant ,
il fentit tout fon corps friffonner. Il crut
entendre des ferpens fiffler fur fa tête :
le temple lui parut trembler ; tout l'enfer
s'offrit à les yeux égarés . Dieux , s'écria-
t'il , en reculant d'horreur ! que voisje
, & qu'est- ce que je fens ? Quelle effroyable
image du trouble de mon coeur !
Ah ! fuyons , fuyons. Il fortoit en
effer. Il eft arrêté par une main plus puiffante
que fon défefpoir : c'eft la main
de Zinzis. Elle l'avoit fuivi : elle avoit
imaginé , comme lui , l'épreuve déja fi fatale.
Arrêtez , lui dit - elle en le voyant
fi troublé : vous m'avez foupçonnée , vous
m'avez offen fée , c'eſt à l'amour à me venger.
Ah ! lui dit-il , en la repouffant doucement
; refpectez ce Dieu qui vous
écoute , il parle à mon coeur , vous m'avez
trompée , cruelle : laiffez -moi mourir
fans vous abhorrer. Zinzis , plus defefpérée
que lui , ne s'arrêta pas à répondre
: elle éprouvoit ce défeſpoir , qui
donne tant d'amour & tant de force . Elle
l'entraîna vers la ftatue , & il s'y laiffa
I.Vol.
D
74 MERCURE DE FRANCE.
conduire , moins vainçu par la violence
que par un efpoir naiffant.
Arrivés devant la ftatue redoutable ,
Zinzis éleva la voix. Amour , dit- elle
Dieu des ames , Dieu des tendres Amans ,
tu fçais avec quelle ardeur je reclame
ton oracle incorruptible ; prononce fur
mes fentimens ; tu les a formés , tu connois
toute leur innocence , apprens à mon
amant combien je l'aime , & combien il
m'offenſe.
les
yeux
Heureufement pour le Prince , il avoit
baillés. La ftatue ne fe decouvroit
point ; il feroit mort en la voyant
toujours voilée , Quoi reprit Zinzis ,
l'Amour qui a formé mon coeur , qui m'a
fait naître pour aimer , devient cruel pour
moi feul O Amour ! Dieu bienfaifant ,
Dieu que j'implore à tant de titres , prens
pitié de mon défefpoir ; fauve mes jours
qui vont finir .... Quoi ! tu ne te dévoiles
point , tu vois mes pleurs & mon état hortible
, & tu n'es point touché ; tu fermes
ton coeur à mes gémiſſemens ! Ah , Zima ,
mon cher Zima , pourfuivit - elle en prenant
les mains de fon amant , que je fuis
malheureufe : fufpens ta douleur trop légitime
, n'en crois que mon coeur qui t'adore
, il ne fut jamais capable de te trahir.
L'état où le Prince la voyoit , fit
AVRIL. 1756. 75
plus d'effet que n'en auroit pu faire
l'Oracle le plus favorable. Il la prit dans
fes bras , la voyant prête à s'évanouir :
va , lui dit- il , raffure - toi ; je n'accuſe
plus que mon coeur & l'amour : je me
crois trop heureux , trop aimé ; tes fermens
font mes feuls oracles : mais l'amour
qui fe rit de ma douleur , va me
venger , de la tienne ; le cruel n'aura plus
de temple en ces lieux . A ces mots il
s'élance fur la ftatue , il déchire le voile
qui la couvre ; mais quelles font fa furprife
& fon indignation , en trouvant la
maudite Fée à la place de l'amour ! Il
veut la faifir , mais elle lui échappe par
fon pouvoir. Moins humiliée que furieufe,
elle fe fauva dans le fonds du temple
& là , faifant entendre une voix qu'il lui
étoit facile de rendre effrayante : Mortel
audacieux , lui dit- elle , tu viens de pro
noncer l'arrêt de ton malheur éternel ;
vous apprendrez bientôt l'un & l'autre ce
que peut une Fée outragée. Le Prince
alloit encore fondre fur elle , mais l'Amour
le prevint en paroiffant dans toute
fa gloire. Serpent affreux , Fée exécrable
, dit- il , apprens à refpecter l'Amour
dans fon temple , & dans fes fujets. Tu
ne pourras jamais nuire à ces amans ,
ni à perfonne : ton pouvoir finit aujour-
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
d'hui . Dès ce moment je grave fur tes
traits le caractere de ton ame : on aura
horreur de toi en te voyant , & l'on fentira
que les Dieux t'ont punie , & que tu
n'es plus à craindre.
Cette tragique Hiftoire finit dans l'original
par le mariage de Zinzis & de Zima.
L'Auteur dit qu'ils s'aimerent auffi
longtems qu'ils vécurent , & n'en paroît
point étonné. Au fujet de la Fée il dit
que fon aventure fur bientôt publique ,
& que l'on fut perfuadé que tout le monde
alloit la fuir , & qu'il ne lui reſteroit
pas même un feul domeftique pour
la fervir mais il ajoute que deux ou
trois fètes qu'elle eut l'efprit de donner ,
firent plus d'effet que fon aventure n'avoit
fait d'impreffion . Il s'étend là deffus
en réflexions très - juftes , mais trop
applicables pour que je les traduife. Un
Auteur poli ne doit pas dire tout ce
qu'il fçait.
Il finit par cette exclamation . Comment
peut- on s'amufer du tourment des
autres Peut-il y avoir dans l'ame un
fens particulier pour ce plaifir barbare ?
Aimer à voir couler des pleurs , à brouiller
des amis , à défoler toute une fociété
, à défefpérer des Amans dont les fentimens
& le caractere font fi intéreſſans
fi refpectables ; Le beau plaifir !
AVRIL. 1756. 77
M. l'Abbé Ballin , Chanoine de Saint Louis
du Louvre , ayant fait préfent à fon Eglife
d'une Croix & defix Chandeliers de bronze
dorés d'or moulu , d'un très - beau travail
, un de fes Confreres lui a adreffé les
versfuivans.
Pour mériter de ton Chapitre
Les fentimens d'une tendre amitié ,
Je te connoiffois plus d'un titre.
Quand de tes qualités , la juftice eft l'arbitre ;
On ne t'aime point à moitié.
Ballin , la prudente nature ,
Sans trop négliger ta figure ,
Prit plaifir à parer ton eſprit & ton coeur :
L'amour du vrai , la bonté , la candeur ,
La probité , les talens , la droiture ,
Le fel dans le propos , la gaieté dans l'humeur ,
Tout nous parloit en ta faveur ,
Tout à nos fentimens fervoit de nourriture .
Mais ta magnificence enrichit notre choeur ,
Et met le comble à la meſure
De l'amitié conftante & fûre
Que pour toi nous fentons , & qui nous fait honneur.
Tandis que la reconnoiffance
Eternifera tes bienfaits ,
En attendant la récompenfe
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
Que Dieu t'apprête au féjour de la paix ,
'Abbé , jouis longtems dans cet augufte temple
Du chef-d'oeuvre que l'art fit avec tant de foins ;
Quel que foit fon éclat , il y brillera.moins
Que tes vertus & ton exemple.
Effai de traduction , ou inritation de la premiere
Ode d'Horace . Mecenas atavis
edite Regibus.
Α
AUrang de vos ayeux , vous qui comptez des
Rois ,
Mecéne , illuftre ami , dont mon coeur a fait
choix ,
Dont l'augufte, faveur , & me charme & m'honore
,
Sur l'homme , fur fon coeur jettons les yeux encore.
Celui - ci du beau feu de la gloire animé ,
Qui fe plaît à voler fur un char enflammé ,
Ne trouve fon bonheur qu'au fein de la carriere :
C'eft- là que tout couvert d'une noble pouffiere,
Il fuit le but qu'il cherche ; & s'il fort glorieux ,
Vainqueur de fes rivaux , il croit l'être des Dieux.
Celui- là que confume une ardeur dangereufe
Cache fous d'autres traits fon ame ambitieuſe ,
Et croit avoir touché le faîte de l'honneur ,
Si d'un Peuple inconftant il fixe la faveur,
AVRIL. 1756. 79
L'un amaffe , accumule avec un oeil d'envie ,
Les tréfors que la faim arrache à la Lybie.
Des préfens de Cérès il remplit fes greniers ,
Et des dons de Bacchus enrichit ſes celliers .
Et l'autre en fes défirs plus fimple, mais plus fage ,
De ſes prudens ayeux fait valoir l'héritage .
Content de fon deftin il ne voudroit jamais
Au plus brillant eſpoir facrifier ſa paix.
Infortuné jouet des vents & de Neptune ,
Le Marchand défolé conjure la fortune ,
Er du fein furieux des humides déferts ,
Regrette des objets alors pour lui trop chers.
Sa maiſon , ſes enfans , fa fidele compagne ,
L'heureuſe oifeveté de fa chere campagne ,
Ce port tant fouhaité s'offre enfin à ſes yeux :
Il le voit , il y touche , enfin il eft heureux
Son coeur change ; & déja plein d'un nouveau
courage ,
De fes vaiffeaux brifés il répare l'outrage :
Il les lance fur l'onde , il y remonte encor ;
Et pour fuir la mifere il va chercher la mort.
Mollement épanchés au bord d'une onde pure ,
Aux pieds d'un myrthe affis, couchés fur la verdure
Les tranquilles buveurs coulent des jours heureux.
Toi feul , Bacchus , toi feul es l'objet de leurs
voeux.
Par eux ton nom divin eft gravé ſur les treilles ,
Et pour eux le bonheur naît au ſein des bouteilles:
Affreux cris des combats , glaives enfanglantés ,
Div
So MERCURE DE FRANCE.
Dards vainqueurs, & toujours des meres déteftés:
Tambour , bruyant clairon , effrayante trom
pette ,
Il eſt encor des coeurs dont l'ardeur indifcrete
Ne fe plaît qu'aux éclats qu'enfantent vos ac
cords ,
Et dont vous pouvez feuls échauffer les refforts ,
Plaifir qu'on ignoroit au fiecle heureux de Rhée.
Peu fenfible aux regrets d'une épouſe adorée ,
L'indocile chaffeur s'élance dans les bois ,
De la feule Diane il écoute la voix.
Il quitte tout pour elle ; & fon impatience
Des autans furieux affronte l'inclémence ,
Pour tromper de vils cerfs par fa voix condam
nés ,
Que pourſuivent des chiens à leur mort acharnés ,
Ou vaincre un fanglier qui , cruel dans fa rage ,
De fes foibles filets a rompu l'affemblage .
Pour moi , dont le bonheur eft enfant du repos ,
Ce lierre, heureux prix de nos doctes travaux
Mécene , eft le feul bien que mon ame défire :
Te plaire eft le feul but où tout mon être afpire.
A l'ombre des forêts quand le Faune amoureux ,
Des Nymphes de nos bois vient égayer les jeux ,
Je le fuis , & c'eft-là qu'éloigné du vulgaire ,
Ton ami laiffe agir fon ame toute entiere.
De ces folâtres Dieux j'imite les concerts :
Du nom du tendre amour nous rempliffons les
airs.
A VR 1 L. 1756.
Je fuis heureux enfin , pourvu que Polymaie
De fon fouffle vainqueur échauffe mon génie ;
Qu'Euterpe , en fecondant mes lyriques efforts ,
Soutienne mes accens de fes brillans accords.
Mécene , fi jamais le Dieu du jour m'inſpire ,
Si je marche l'égal des maîtres de la lyre ,
De ces brillans fuccès mon génie enchanté ,
Prendra bientôt fon vol vers l'immortalité.
POINSINET , le jeune.
AVIS A CLÉON.
Y Penfes- tu , Cléon ? quel fol amour t'inſpire !
Pour la riche & froide Maté ,
Tu quitterois la belle & tendre Emire !
Qu'est- ce que la richeffe au prix de la beauté ?
Quand mon coeur embraſé d'un feu qui fume
encore ,
'Adoroit autrefois l'ingrate Léonore ,
Pour obtenir fa main , à mes rivaux jaloux
De l'Univers entier j'aurois cédé l'Empire.
Eft-il donc un plaifir plus piquant & plus doux ;
Que la poffeffion d'un objet qu'on défire ?
On n'eft heureux que par le coeur :
Vainement à mes yeux le fafte fe déploie ;
Son éclat impofant eft le fard de la joie ,
Et le phantôme du bonheur .
Par M. l'Abbé de V ………..
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
1
TROISIEME LETTRE
De M. Voifin à M. le Prince de ......
Monfieur, j'avois l'honneur de vous faire
obferver dans ma feconde Lettre , où je
commence à développer la premiere partie
de ma Préface , qui repréfente le Prince
ou le Grand Seigneur , comme particulier
dans l'intérieur de fa maiſon & de fes
terres , que l'expérience nous démontroit
tous les jours qu'indépendamment de l'intempérie
des faifons , fouvent l'ignorance
ou la mauvaiſe habitude , & l'entêtement
des Agriculteurs s'oppofoient à l'abondance
& à la bonne qualité de la recolte , &
qu'enfin le vice général étoit de ne fe pas
affez attacher à connoître la différence des.
climats & du fol.
Mes principes de culture font fondés fug
l'intention même de l'Auteur de la nature,
qui femble avoir arrangé les chofes de maniere
que les hommes ne puiffent fe paffer
les uns des autres , puifque les terres &
les climats que nous habitons ont des
qualités fi différentes .
Je démontre que c'eft la différence de
ces qualités qui devroit déterminer le
choix des efpeces à cultiver chaque canAVRIL.
1756. 83
ton , & que fi elles y étoient dirigées avec
cette prudence, elles y deviendroient conftamment
plus parfaites & plus abondantes;
d'où il réfulte que le recouvrement en
feroit plus facile.
Je fais voir , d'après l'expérience , pourquoi
avec des peines infinies , on ne fait
venir qu'une très-petite quantité de bled
dans une contrée entre- coupée de collines
fort élevées , tandis qu'on y cultiveroit au
contraire avec avantage des raifins , des
fruits , & tout ce qui aime le grand foleil.
Quelle extravagance n'y a -t'il pas aux
habitans d'une pareille contrée à vouloir
avoir un peu de tout chez eux , fous prétexte
de fe paffer de leurs voisins ?
N'eft- il pas fenfible qu'à fuppofer même
qu'ils euffent de tout ; dans ce défordre
de leur culture ils ne l'auroient qu'imparfaitement
& en petite quantité ; au lieu
qu'en fe conformant à la qualité de la terre
& au climat , chacun rendroit fa denrée
plus parfaite & plus abondante.
Il y a donc une obftination déraifonnable
à tenter , comme font quelques gens
de la campagne , de fe paffer les uns des
autres , & d'avoir de tout chez eux , malgré
le ciel , malgré la terre , & malgré
toute la nature. Je prouve que c'eft en effer
les combattre que de ne pas fuivre leurs
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
le arrangemens ; qu'il y a des cantons que
concours de ces trois caufes femble avoir
deftinés à la nourriture d'une grande quantité
de bêtes à cornes , & où on a fouvent
l'imprudence de n'entretenir que des chevaux
; qu'en d'autres excellens pour les
chevaux , on ne mer quelquefois que du
bétail ; qu'encore que les pâturages humides
donnent des maladies aux moutons ,
mille gens cependant s'obſtinent à les y en
envoyer , tandis qu'ils n'en ont prefque
point dans les contrées féches .
Je développe ces travers de l'ignorance
ou de l'habitude vicieufe qui emploient
en bled les terres les plus propres aux légumes
& aux racines , & qui exigent aveuglément
& tyranniquement du bled d'un
fol qui le refufe prefque toujours , & qui
produiroit d'autres chofes en abondance.
Je fournis les moyens de remédier à ces
défordres par des arrangemens convenables
à la fituation générale de chaque Province
, Ville , Bourg ou Village. Je fais voir
que la ceffation de l'inculture & la réformation
raifonnée & amiable dans la
maniere de cultiver , n'augmenteront pas
feulement les revenus des terres en particulier,
& de la campagne en général , mais
qu'elles répandront des bénéfices certains
fur les autres profeffions , dont le comAVRIL
1756. 85
merce s'étend principalement aux Laboureurs
& aux Payfans.
La premiere , qu'il n'y a point de fol
quelqu'aride qu'il paroiffe , qui ne puiffe
produire quelque chofe d'utile .
La feconde , que c'eft par une erreur
populaire que tant de gens imaginent que
les terres ont befoin de repos : c'eſt le
vice de la culture qui eft le pere de cette
mere. La bonne phyfique , au contraire
foutenue de l'expérience , apprend que la
même terre peut produire du bled , toutes
les années en abondance , d'excellente
qualité , & à moitié moins de frais qu'on
ne recueille prefque partout. Cette bonne
phyfique , en fondant le fuccès de cette
culture , fur une préparation vivifiante du
grain , démontre que le fecret de fertilifer
la terre eſt de lui reftituer les fels qu'elle
perd par la récolte, & d'y faire rentrer par
la voie de la corruption tout ce qu'elle a
enfanté par la voie de la végétation.
Mes foins dans cet examen phyfique &
économique ne fe bornent pas aux terres
labourables ; ils embraffent les prés & les
vignes .
Les bois taillis & de haute futaie y ont
leur place , non feulement par les moyens
d'en empêcher la détérioration , mais encore
par ceux de leur procurer la plus belle
86 MERCURE DE FRANCE.
venue ; ce qui dépend autant de l'attention
à les conferver que de la fageffe & de
F'intelligence de l'exploitation . La connoiffance
de l'ufage le plus fructueux de certains
bois , la préférence de l'un fur l'au
tre , & la facilité du débouché à moins de
frais , font encore une fource d'augmenforte
de revenus . pour cette
Comme les garennes & les pépinieres
de toutes fortes d'arbres & d'arbustes ne
forment pas une des moindres parties d'une
terre , elles entrent également dans le fyftême
économique de l'amélioration .
tation
Les étangs méritent auffi les réflexions
d'un Phyficien. La connoiffance économique
de leur affiette , de leur chauffée , de
leur bonde , de leur décharge , de leur empoiffonnement
, de la nature du poiffon
qui y eft propre , de leur pêche , de leurs
accidens , de leur àfec , & enfin des viviers
, des canaux , foffés & mares , ne
pourroit pas être négligée dans un pareil
ouvrage .
La pêche dans les rivieres & la chaffe
font fi intéreffantes & fi avantageufes , que
pour en augmenter l'utilité & éviter toutes
les conteftations qui peuvent naître à
leur occafion , je crois devoir raſſembler
comme dans un tableau , toutes les difpofitions
d'Ordonnances , Edits , Déclara
AVRIL. 1756. 87
tions & Arrêts qui y ont rapport , en diftinguant
foigneufement les objets pour
écarter la confufion .
Mon attention économique n'obmet
point le bénéfice confidérable que procure
l'adminiftration réfléchie des abeilles
& des vers à foie.
J'entre dans le détail du commerce des
grands & des petits troupeaux , des moyens
de le faire avec avantage , d'en avoir d'auffi
beaux & d'une auffi bonne race qu'en Angleterre
& en Espagne , & qui nous fourniffent
des laines d'une qualité équivalente.
Enfin je m'attache à démontrer qu'on
peut avoir en France des chevaux qui ne
cédent en rien à ceux d'Efpagne , d'Angleterre
& de Dannemarck, Royaumes qui
ont même tiré la race des leurs, d'autres
pays étrangers , & qu'en attendant le fuccès
de cette entreprife , fi elle eft protégée
, la nourriture des feuls chevaux de
France peut produire un tiers plus de bénéfice
qu'elle ne fait aujourd'hui.
Ma quatriéme Lettre que j'aurai l'honneur
de vous adreffer le 15 de ce mois ,
terminera la premiere partie de ma Préface
. Je vous y crayonnerai le plan d'une
retraite à la campagne , qui en renfermant
l'utile & le folide , ne préfente rien que
d'agréable.
$8 MERCURE DE FRANCE.
EPITRE
A fon Excellence M. le Bailli de Fleuri ,
Général des Efcadres de la Religion , &
Ambaffadeur Extraordinaire de Malte à
la Cour du Roi des deux Siciles .
Dans les bras du repos ma Muſe enfevelie
S'éveille au bruit d'un nom fi cher à ma Patrie.
Fleuri dans tous les coeurs mérita des autels :
Hélas ! que les Héros ne font- ils immortels !
Il uniroit encor le glaive à la clémence ,
Ce Miniftre qui fut le flambeau de la France ,
L'Oracle de LOUIS , l'organe de ſa loi ,
L'Arbitre de l'Europe , & l'ami de fon Roi.
O toi ! digne héritier de fon nom , de fa gloire ,
Tu voles fur fes pas au Temple de Mémoire ;
Et fans le vain fecours d'un éclat emprunté ,
Tu frappes nos regards de ta propre clarté.
Des Chevaliers Chrétiens le Sénat refpectable
Fait partir fous tes yeux fa flotte redoutable ;
Et jugeant de ton coeur par ton fang , par ta foi ,
Se promet de voir fuir l'Africain devant toi.
Telle jadis on vit à l'aſpect de Pompée ,
De brigans fugitifs la troupe diffipée ,
Après avoir remis fa foudre dans ta main ,
Malte dépofe encor fes fecrets dans ton fein ;
Et d'un titre facré décorant ta jeun efle ,
AVRIL 1756. 89
Ainfi que ta valeur reconnoît ta fageffe.
De héros entouré tu parois fur ces bords :
On pénétre bientôt d'où naiffent tes tranſports.
Nos voeux font accomplis : la difcorde ennemie
N'a pu rompre à fon gré cette heureuſe harmonie,
Qui liant aux Maltais la Sicile & fes Rois ,
Fit trembler de tout tems l'ennemi de la Croix.
Un Aftre-bienfaifant a diffipé l'orage :
Cette époque d'Offun paffera d'âge en âge :
Le calme enfin renaît. Hâte-toi donc , Fleuri ,
Viens contempler un Roi de fon peuple chéri :
Que Malte encor l'admire , & que fa voix publie
Don Carlos , fes vertus & celles d'Amélie.
Tout s'empreffe à la fois à célébrer ce jour.
Déja les doux concerts , les danſes tour à tour
Animent les efprits : une Fête fi belle
:
Par des plaifirs nouveaux fera toujours nouvelle.
Les Graces y feront leur cortége charmant
De ces lieux enchantés va faire l'ornement.
Dans ce riant féjour où régne l'allegreffe
Mes yeux fur mon Héros feront fixé fans ceffe ;
Et fi mon coeur pouvoit s'exprimer par ma voix
On entendroit ces mots répétés mille fois :
Sur ce bord heureux & paisible
Fleuri , tu viens plaire & charmer ;
Notre plaifir le plus ſenſible
Sera le plaifir de t'aimer.
L'Abbé de Malefpine .
go MERCURE DE FRANCE.
On trouvera dans les Nouvelles Etrangeres
, à l'Article de Naples , une felation
détaillée de cette Amballade .
VERS
A Mademoiselle Vern....
Eclé , c'eſt demain ta fête ,
Pour te trouver un bouquet ,
L'amour en petit collet ,
Aujourd'hui s'eft mis en quête.
Dans les parterres de Paphos ,
Il voltigeoit avant l'aurore ,
Tandis qu'entre les bras de Flore ,
Enivré de pavots ,
Zéphir goûtoit encore
La douceur du repos.
S'étant à la fourdine
Coulé fous un berceau de fleurs ,
Où la rofe & la Balfamine ,
Marioient leurs tendres odeurs ,
"
Chaque plante ravie ,
S'empreffoit fous ſa main ,
Dans le défir d'être cueillie ,
Pour aller galamment attendre fur ton fein ,
Une mort bien digne d'envie.
Mais quoi , de ces fuperbes fleurs ,
Les beautés font trop paffageres ,
AVRIL 1756. ex
Il en vouloit dont les couleurs
Moins brillantes mais moins légeres ,
Puffent parler en ma faveur.
Le myrthe & l'immortelle ont eu la préférence :
Ils font tous deux fymboles de mon coeur ;
L'un marque fa tendreffe , & l'autre la conftance .
Remerciement à l'Auteurdu Mercure par
l'Auteur des Vers à M. Monin , inférés
dans le fecond volume du Mercure de
Janvier dernier.
Le jugement que vous portez ,
Peut-être avec trop d'indulgence ,
De quelques vers que m'a dictés
Une jufte reconnoiffance ,
Monfieur , m'a d'autant plus flatté ,
Qu'il a paffé mon eſpérance.
Pour le bon Prieuré , brillante recompenfe
Que m'adjuge votre bonté ;
( Objet déformais affecté
A nourrir l'inutilité ,
Le luxe , & fouvent l'ignorance
D'un jeune Abbé de Qualité . )
Pardonnez ma fimplicité ,
Mais , mon efprit l'a moins goûté..
M'allouer un fi gros falaire ,
C'eft me livrer en proie à l'animofité
92 MERCURE
DE FRANCE.
Des plus grands ennemis que je crains fur la
terre ,
L'opulence
& l'oifiveré.
Aux Amognes , le 20 Février 1756.
LE mot de la premiere Enigme du Mercure
de Mars eft Fufil. Celui du premier
Logogryphe Chipolata , nom d'un ragoût
compofé de toutes efpeces de viandes , &
dans lequel on trouve plat , pot , lit , Loi ,
ah, la , chat, Plata , a , capot . Le mot de la
feconde Enigme eft la lettre ; & celui
du fecond Logogryphe Ecran, dans lequel
on trouve crane , rance , ancre & nacre ,
tous mots compofés des cinq mêmes lettres.
ENIG ME .
Sans mouvement , fans yeux , j'agis par la lumiere
,
Et mon acte n'eft pas indifférent
A quiconque veut vivre de maniere
A fatisfaire à tout exactement.
Je gouverne de plus grand nombre de femelles ,
gente différent , de laides & de belles ;
De
Les unes ont un oeil , les autres n'en ont point.
AVRIL. 1756. 93
On en voit en habit , on en voit fans pourpoint,
Il en eft qui parlent fans ceſſe :
Mais il en eft auffi que jamais on n'entend :
Lecteur , je te le donne en cent
Pour deviner au jufte mon efpece .
De Rouen , ce 11 Janvier 1756.
LOGOGRYPHE,
Dans un goût nouveau ,
Je pafle au bluteau ,
Eve , lire , Liege ,
Revel , Ipre , piege ,
Reve , pire , gril ,
Perle , pli , peril ,
Pirée , ere , égire ,
Levre , pile , épire ,
Levier , vie , épi ,
Vipere , Levi ,
Livrée , ire , livre ,
Pere , leger , ivre ,
Pilier , rive , pré ,
Grive , plier , ré ,
Lievre , lepre , Elie ,
Viril , piler , lie ,
Grêle , vil , privé ,
Leg , reveil , rive ,
Ver , Virgile , verge,
94 MERCURE DE FRANCE.
Pie , érigé , vierge :
Mes neuf portions
Font ces mots , ces noms ;
Combine , & peut- être
Tu vas me connoître.
D. B. F. à Saint Nicolas - lez - Senlis .
ENIGM E.
Dès que l'aftre du jour va ſe plonger dans
l'onde ,
Je parois ; & mes feux éclairent les humains ,
Ils refteroient fans moi dans une nuit profonde ,
Les ingrats ! cependant je péris par leurs mains :
De mes bienfaits telle eft la récompenſe.
En vrais tyrans ils font à ma perte acharnés :
A chaque inftant fans que je m'en offenſe ,
Impitoyablement ils me coupent le nez .
Ce n'eft point encor là toute leur barbarie :
Dans plus d'une prifon mon corps eft enfermé ;
Et fouvent je fauve la vie
De celui qui m'y met pour être confumé.
AVRIL. 1756. 95
LOGO GRYPHE
J E fuis ce que je ne fuis pas ,
Ceci paroît difficile à comprendre ,
Je vais vous tirer d'embarras.
Pour qui fçait le François , felon qu'on veut
m'entendre ,
Je fuis ou ne fuis point un être inanimé.
Dans les deux cas l'homme feul ma formé
Pour fervir à divers ufages ,
Pour en tirer différens avantages ,
Suivant , ou le plus , ou le moins ,
Qu'exigent de moi fes befoins.
Ami Lecteur , fi tu me décompofes ,
Tu trouveras en moi nombre de chofes :
Un verbe avec fon fubftantif,
Tous les deux propres à mon être ,
Tous deux trop employés pour ne les pas connoître
;
Un autre verbe encor , mais dont l'infinitif,
Lui-même eft fubftantif ; plus fon diminutif.
Le nom d'un fameux téméraire ;
Un principe premier , d'un autre le contraire ;
Plus une particule , une conjonction ;
Enfin une coutume , une affirmation .
Ce que je fuis , je pourrois te le dire ;
Mais mon nom , que tu connois bien ,
Ne pourroit rimer avec ire ,
Dès-lors le vers ne vaudroit rien,
96 MERCURE DE FRANCE.
L'A MI TÌÉ ,
CANTA TILL E.
LEs Zéphirs ont chaffé l'hyver ;
Leur haleine a reveillé Flore ;
Tout eft fenfible au premier verd
Qu'animent les pleurs de l'Aurore.
L'oifeau dans ces heureux inftans
Croit qu'il renaît , parce qu'il aime :
Je me fens renaître de même ;
J'aime , je rentre en mon Printems,
*
Envain l'âge glace mes fens ,
Le coeur ne vieillit point , le mien eft toujours
tendre .
L'amitié de l'amour a tous les mouvemens ,
Puiffe , Climéne , s'y méprendre !
Les vers de cette Cantatille ont déja
paru dans le premier Mercure de Juin ,
page 23. Le Muficien a fupprimé les huit
derniers qui commençoient par celui - ci :
L'amitié, fes purs fentimens , &c.
ARTICLE
L'AMITIÉ .
Cantatille.
Les Zephirsons chaffé l'hiver, Leur baleine aréveillé
flore,Cous eftsensible aupremierverd, Qu'animentles
pleurs de l'Auro - re. l'Oiseau dans cet heureux ins
Etant, Crois quilrenaisparcequillime Jeme sens re
naître de mes -
me Jayme, j'ay- me
AW
rentre en mon Primtems,Je rentre enmon Primtems .
Finvain l'Age glace més sens, Le Coeurne viellit
point. Lemien et toujours tendre lemien esttoujours
ten - dre. Amitié, de l'Amour atous les mouve =
mens, Puisse Climene s'y meprendre .
parAnselmeMa Chanter. ImpriméeparCournelle.Avril1756.
LYON
VIBLE,
AVRIL. 1756 . .97
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie des Sciences , Belles-Lettres
& Aris de Besançon , du 24 d'Août
1755.
L'Académie ayant affifté le matin dans
l'Eglife des PP. Carmes à une Meſſe en
mufique , & au Panégyrique de Saint
LOUIS , prononcé par le Pere Marfouder ,
Prieur de ce Monaftere , s'affembla l'après-
midi pour la diftribution des Prix.
M. Dagay , Abbé de Soreze , Préſident
de l'Académie , ouvrit cette Séance par
des confidérations fur le Génie des Langues
Latine & Françoife. « On ne peut ju-
» ger ( dit- il ) que par comparaifon du Gé-
» nie des Langues , & c'eft dans cette comparaifon
que les Latins s'enrichirent
» des dépouilles de la Grece. Ils ne con-
» nurent bien le Génie de leur propre
Langue , qu'après qu'ils eurent dévoi-
» lé celui de fa rivale . Charmés d'y trou-
1. Vol.
و ر
و ر
E
98 MERCURE DE FRANCE.
» ver les termes propres aux Sciences &
» aux Arts , que Rome avoit ignorés jufqu'alors
, ils lui céderent d'abord la préférence
mais Cicéron ne te da pas
>>
و ر
ور »s'élevercontrecepremierfentiment;
porta fa Langue au point de pouvoir
و ر
il
» enfin défavouer l'infériorité.
و د
Après ce début M. l'Abbé Dagay s'attacha
à comparer le caractere refpectif des
Langues Latine & Françoife , & dans ce
parallele il s'efforca de montrer que cette
derniere Langue étoit enfin parvenue à
la gloire de balancer les avantages de la
premiere. Parmi les différens traits qui
diftinguent l'une de l'autre , les inverfions
ufitées dans la Langue Latine attirerent
furtout fon attention : il lui reprocha
de facrifier fouvent l'ordre & la clarté à
une vaine harmonie. « Les idées ( dit- il )
font fouvent confondues chez les Auteurs
Latins ; ce qui doit précéder une
phrafe la termine ordinairement ; le fens
» en eft interrompu , & l'efprit eft fans
ceffe obligé de faire la féparation des
» idées comme le Chimifte fait celle des
» métaux. Les Auteurs François ont des
» termes clairs pour rendre leurs idées ;
» le commencement d'une période an-
» nonce la penſée qui doit la finir. On
» n'eft occupé que de la chofe préfente ;
و ر
ور
GOTHEQUE
DEL
VILL
AVRIL 1756. KON
» & l'efprit ne parcourant qu'un feul 13
» à la fois , le faifit avec plus de vive
cité , avec moins de diftraction . ">
M. l'Abbé Dagay paffant enfuite à
l'objet principal de cette Séance , proclama
les ouvrages couronnés par l'Académie
, ou jugés dignes d'un acceffit,
Le Prix d'Eloquence fut donné au Pere
Millot Jéfuite , demeurant à Dôle. Le fujet
du Difcours étoit : Le feul amour du
devoir peut-il produire d'auffi grandes ac- .
tions que le défir de la gloire ? « Cette
queftion ( dit le Pere Millot ) eſt dé ,
» cidée au fond de nos coeurs , & je m'ap-.
" plaudis de n'être que leur interprete ,
» en foutenant le parti qui leur eft le plus
>> glorieux .
"J
"
Qu'exigent en effet les plus grandes
actions ? Nobleffe & élevations de fentimens
, force & conftance dans les difficultés
, fouvent même indifférence ou
mépris pour la gloire.. « Or il n'eſt point
» de fentimens fi fublimes que l'amour
» du devoir ne puiffe infpirer , point
» de difficultés fi terribles où il ne puiffe
>> nous foutenir : il peut même fe figna-
» ler par des prodiges : lorfque le défir
de la gloire eft fans action , il peut
» facrifier la gloire elle- même , & n'eſt-
» ce pas le comble de l'héroïfme ?
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
ود
Les fentimens font les refforts de nos
actions plus ils ont de nobleffe , plus
ils ont d'activité. Les fentimens que l'amour
du devoir infpire , font relatifs à
l'idée fublime que la raifon fe forme
du devoir : « elle y reconnoît ces loix
précieufes de la nature , qui font moins
des regles qui nous captivent , que des
» lumieres qui nous éclairent : elle y
» adore la fageffe du Légiflateur fuprê-
» me , qui en nous prefcrivant ce que
» nous devons être , nous prefcrit ce qu'il
»y a de plus digne de nous ... Elle y
» découvre le germe du bonheur public ,
» le lien de la fociété , le frein du vice ,
» la regle des moeurs , la fource du vrai
و ر
"
» mérite .
ور
و ر
Pour mettre le dernier trait à ce tableau
, l'Orateur emprunte de Platon
cette belle idée , que l'héroïfme eft le fruit
de l'amour. « Profanes , refpectez cet oracle
, ( 1 ) il s'agit d'un amour pur &
» célefte ; c'eft l'amour de ce beau effen-
» tiel , fupérieur aux caprices de l'opinion
, inacceffible aux atteintes du fort ,
,, l'amour de l'honnête , l'amour du de-
» voir & de la vertu .
ود
و و
Le Pere Millot nous repréſente enfuite
(1 ) Plat. in conviv.
AVRIL. 1756.
101
"
1
13
un coeur pénétré de cet amour , s'élançant
au deffus de la fphere commune , regardant
en pitié ce néant dont les paffions
font leur idole. « Il vole : où ? A des
» travaux immenfes dont la fociété re-
» cueillera tout le fruit , & dont le falaire
fera peut-être les perfécutions de
» l'envie & l'ingratitude du Public ....
» A ces dévouemens mémorables & trop
» fouvent noyés dans l'oubli , qui démon-
» trent qu'aux yeux de la fageffe la Pa-
» trie n'eft pas une chimere , que la juf-
» tice , l'amitié , l'humanité font des cho-
» fes , de grands objets , & rien moins
" que des problêmes ..... O vous ! que
» la Grece , Rome & tout l'univers ont
placé au premier rang des humains !
» Héros de la vertu , devant qui les hé-
»ros de l'ambition difparoiffent , mon-
» trez-vous ornés de vos faits , non de
» vos trophées : venez par votre préſence
» foutenir les droits de la nature , je la
» vois fe ranimer à votre aſpect . . . . . .
Quel illuftre témoignage vous rendez
» au pouvoir de la vertu Admirables
" par vos actions , nous n'admirons dans
» vous que le principe d'où elles par-
» toient ; & malgré tous ces traits héroï-
" ques qui décorent votre hiftoire , ce
» mot feul fera toujours votre plus bel
"9
">
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
و ر »éloge.(1)Ilsn'aimerentquelede-
» voir ; peu inquiets de ce qu'on penferoit
d'eux , ils ne fongerent qu'à
و ر
و ر
qu'ils devoient être. » La vérité de cette
premiere partie fe développe encore plas
fenfiblement par le parallele de l'amour
du devoir & du défir de la gloire perfonnifiés
, pour ainfi dire , l'un dans Socrate
, & l'autre dans Alexandre .
Les grandes difficultés font d'ordinaire
la mefure des grandes actions. Le Partifan
de la gloire s'élance avec ardeur dans
la carriere ; mais qu'il eft à craindre que
ce feu , d'abord fi vif , n'ayant pour ſe
nourrir qu'une matiere creuſe & légere ,
ne s'affoibliffe tout-à- coup , & ne donne
bientôt que de la fumée ! « L'amour
» du devoir n'eft point fujet par lui- même
à de pareils changemens. Eh ! qu'im-'
portent les peines , les écueils , les tra-
» verfes à un homme dévoué à fon devoir ?
Il a tout prévu avant que de s'engager
» dans la carriere ; ce n'eft point une fou-
» que inconfidérée qui l'emporte ; fa raifon
, libre de préjugés & de fanatifme ,
» a percé dans l'avenir , la nature a frémais
le devoir s'eft fait entendre ;
» un grand coeur ne ſçait pas lui réſiſter.
و ر

و د
ور
ود
( 1 ) Effe quàm videri bonus malebat . Saluft.
Plutar. in Ariftide , &c.
AVRIL 1756. 103
"
و د
Que les paffions fe foulevent , que la
fortune excite des tempêtes , quoi qu'il
arrive , on a réuffi dès- lors qu'on a
" fait fon devoir.
"3
ود
#
Sur la fin de cette feconde partie l'Orateur
préfente le fpectacle de l'amour
du devoir triomphant dans un coin de
la Grece , dans une Ville pauvre , longtemps
ignorée , & la plus digne d'être
connue. Pour ornement elle n'a que
»fes Citoyens .... Une feule maxime
» dans ce féjour refpectable gouverne tous
» les efprits , c'eft qu'il faut obéir aux
» Loix .... Jamais il n'y fut parlé , pour
» exciter les courages , de triomphes ou
» de conquêtes ; on y parle du devoir ;
» A ce mot chacun eft en mouvement ;
» enfin c'eft une Ville toute Philofophe
, comme l'appelle un Ancien ; c'eſt
" ( 1 ) Sparte ... C'eſt- là que durant le
» cours de plufieurs fiecles on ne vit
و د
و د
""
que
patience invincible dans les maux ,
>> amour des Loix & de la Patrie ſignalé
» par des exploits inouis qui paroiflent
» au deffus de l'homme , & qui font les
» jeux du Lacédémonien . L'Europe & l'A-
» he admirent tant de merveilles ; Sparte
» les loue & ne les admice point : elle
» en connoît le principe.
"
( 1 ) Plut. in Licurg.
1
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
و ر
<<
Dans la troifieme partie l'Orateur s'empreffe
d'ouvrir à l'amour du devoir une
carriere où le défir de la gloire ne puiffe
même pénétrer. Il parle de ces circonftances
critiques , où le devoir oppofé aux
penchans du coeur , donne en quelque
forte le fignal des plus terribles combats ,
» & où l'on fe trouve l'unique témoin de
» fa victoire ou de fa défaite. Que fera
» alors cet amant paffionné de la gloire ?
» Son théâtre n'eft plus ; les applaudiffe-
» mens lui manquent , & avec eux le
» courage. Peu fenfible au plaifir de bien
» faire , accoutumé à n'eftimer les chofes
» que par un éclat fuperficiel , ce ne fera
plus un Héros , mais un homme réduit
» aux foibleffes de l'humanité. Une grande
" ame fortement attachée à fon devoir :
» voilà le Héros de tous les temps . Les té-
» nebres ou la lumiere , l'oubli ou la cé-
» lébrité , les louanges ou le blâme , ce
» n'eft point ce qui fait le mérite des
» actions , ce n'eft donc point ce qui décide
& anime les fiennes.
ور
"
و د
و د
و ر
Les loix du devoir gravées dans nos
coeurs , & non fur le front de nos femblables
, n'ont pas befoin de la clarté du
jour & des regards de la multitude pour
être fenties , aimées , refpectées ; elles
pourroient l'être au fond d'une folitude ,
AVRIL. 1756 . 105
partout où la nature peut fe faire entendre.
L'Orateur fait ici prendre encore aux faits
la place du raifonnement , & finit en remarquant
, avec un Maître ( 1 ) de la Sageffe
, que l'amour du devoir jouit voluptueufement
de fes périls. « En vain vou-
» drez- vous lui faire craindre l'oubli &
» l'indifférence des hommes , fa réponſe
» eſt toujours prête ; tout cela eft étran-
» ger à mon action , c'eft elle feule que
» je contemple , le devoir la prefcrit , la
» vertu s'y trouve . Qu'importe de
paroître grand aux yeux des hommes ,
"pourvu qu'on foit grand par fes actions ,
» & qu'on ait le ciel & fa confcience
"pour témoins de fa grandeur , c'eſt-
» à- dire de fa vertu !
"
.....
Mea mihi confcientia eft quam omnium fermo.
Cic. ad Att. 12. 28.
Les difcours fuivans ont obtenu un
acceffit felon cet ordre. Le premier eft de
M. Durey d'Harnoncour , Receveur Général
de Franche- Comté ; le fecond , de
M. du Cayet , Ecléfiaftique de Dole ; le
troifieme , de M. Bergier , Curé de Flangebouche
; le quatrieme de M. Bauzon
l'aîné , Avocat , demeurant à Vefoul .
( 1 ) Sen. epit. 77.
La fuite au fecond Volume.
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
EXTRAIT des Mémoires de Lucile
annoncés dans le premier Volume de Janvier.
LUCILE , comme elle nous l'apprend ellemême,
étoit la fille unique d'un Gentilhom.
me établi à Niord en Poitou. Elle perdit
fa mere à douze ans , & fut mife au Couvent
jufqu'à vingt . Elle en fortit pour un
mariage qui ne réuffit pas , mais elle n'y
rentra plus. Elle refta chez fon pere , qui
la retint auprès de lui , & devint fon
meilleur ami. Ayant reconnu fa fageffe il
la laiffa maîtreffe de fes volontés comme
de fa maifon . On la citoit dans tour
Niord comme un exemple de vertu & de
bonne conduite . Mais un jeune étourdi
de dix- fept ans fut l'écueil de cette vertu .
Il débuta auprès d'elle par un trait de
page qui auroit dû la révolter , & qui lui
réuffit. Il entra chez elle en habit de livrée
fans être annoncé en difant qu'il
venoit de la part de Madame de Saint
Pierre fa Maîtreffe , lui fouhaiter le bon
jour. Lucile frappée des graces de fa figure
, lui demande fon nom ; il répond qu'il
s'appelle Jaſmin , en éclatant de rire , &
prend la fuite ; Mais en Parthe en lui persant
le coeur. Elle va le lendemain chez
cette Madame de Saint Pierre, qui étoit fon
AVRIL 1756. 107
amie , & reconnoît Jaſmin dans le jeune
Comre de Roubieres , qui fit mille jolies
impertinences dont elle fut charmée , &
finit par lui avouer que c'étoit lui- même
qui lui avoit fait cette efpiéglerie . Toutes
les femmes y applaudirent jufqu'à la Comteffe
de Roubieres fa mere , qui étoit préfente.
Son fils étoit l'enfant gâté du beau
fexe : c'étoit un papillon qui voltigeoit de
fleur en fleur , un petit homme à bonnes
fortunes qui lioit fucceffivement à fon char
toutes les Beautés du Poitou , fans s'attacher
à aucune. La fage Lucile fubit rapidement
le fort des autres , & fut foumife aux loix
de ce jeune conquérant. Elle le retrouve
au bal , où il lui fait mille agaceries fous
différens déguifemens . Comme à la fortie
de ce bal la pluie furvint , & que Lucile
n'avoit pas d'équipage , elle fut obligée
de paffer par- deffus les bienféances , &
d'accepter celui de fon amant , avec lequel
elle s'y trouva tête à tête . Il la reconduifit
, non feulement chez elle , mais il la
fuivit dans fon appartement , & le petit
obstiné ne la quitra point qu'il n'eût arraché
de fa bouche un tendre je vous aime
& cueilli un doux baifer , dont il eut la
modeftie de fe contenter , quoiqu'ils fuffent
feuls , tout le monde étant couché
jufqu'à la femme de Chambre . Cependant
E vj
10S MERCURE DE FRANCE.
leur amour effuya un cruel affaut, ou plutôt
leurs parens leur firent une mauvaiſe plaifanterie.
Le pere de Lucile déclare à fa
fille qu'il fe préfente pour elle un Officier
de Vaiffeau , nommé M. du Tillac; que c'eſt
un parti convenable ; qu'il eft de la connoiffance
de M. de Roubieres, & qu'il doit
s'embarquer d'abord après la cérémonie :
Tu ne le fuivras point , ajoute-t'il , cela s'accorde
avec mon attachement pour toi. Ainfi,
je meflatte que tu obéiras. Elle conjure fon
pere en pleurant , de ne point forcer fon
inclination. Il lui ordonne durement de
fécher fes larmes , & de fe difpofer à cet
Hymen fans autre réplique . Lucile eft accablée
de ce coup . Le jeune Comte entre
dans ce moment. Elle lui annonce qu'ils
ne doivent plus fe voir , & le preffe de
fortir. Son amant furpris de ce changement
, & piqué d'un pareil langage , la
quitte brufquement , en difant qu'il voit
bien qu'elle va époufer M. du Tillac , qu'il
ne devoit pas moins attendre d'un coeur
auffi volage , & qu'il ne la reverra de fa
vie. Elle s'évanouit . On lui donna du fecours
, elle reprit fes fens , mais la fiévre
la faifit. Son pere qui d'un cabinet voiſin
avoit tout vu , & qui n'avoit fuppofé ce
faux mariage que pour l'éprouver , fit courir
après le Comte qui ne demandoit pas
AVRIL. 1756. 109
mieux que de revenir. On lui dit que Lucile
le demandoit , il revole auprès d'elle.
Il eſt pénétré de douleur de la retrouver
malade. Ils fe jutent une fidélité éternelle,
quoi qu'il puiffe arriver. Pour abréger
une plaifanterie ufée & trop longue de
moitié , nos amans font défabufés par leurs
parens qui leur difent que tout ce qu'ils
en ont fait n'étoit qu'un jeu , & qu'ils
vont être inceffamment unis . Tous deux
paffent de l'abattement à la joie la plus
vive. Tout eft difpofé pour leur union ,
quand une fatale , grand mere du Comte ,
la Baronne de ... s'ayife de faifir ce moment
pour être malade à toute extrêmité :
elle veut voir avant que de mourir la
Comteffe de Roubieres fa fille , & le jeune
Comte avec elle. Il eft obligé de partir
fans conclure fon mariage , que la mort
de la Baronne retarda de plufieurs mois.
Pendant ce tems- là il obtient un Régiment
, & fait un voyage à Paris . Dès qu'il
eſt de retour à Poitiers , fa mere écrit au
pere de Lucile , pour le prier de s'y rendre
avec fa fille . L'Hymen eft encore reculé
à caufe du deuil , & remis à trois femaines.
Le Comte d'autant plus impatient
de ce délai qu'il devoit partir pour
fon Régiment huit jours après fon mariage
, profita d'un après-fouper pour con110
MERCURE DE FRANCE.
duire fa prétendue dans fon appartement ,
& la preffa avec des graces fi vives , que
fa vertu n'y tint pas, & qu'ils furent époux
avant la cérémonie . La fageffe de Lucile
foutient courageufement fa défaite au
lieu de s'en affliger elle n'en paroît que
plus gaie. Mais dans cet intervalle un nouveau
nuage trouble fa férénité. Elle devient
jaloufe d'une Madame de la Salle ,
auprès de qui le jeune Comte jouoit le
rôle d'agréable. Pour lui faire paroli elle
feint d'écouter le Chevalier de Saint Hilaire
qu'elle avoit enflammé malgré elle .
C'étoit un Coufin , & qui plus eft un ami
intime de fon amant , mais un fcélérat
parfait , comme la catastrophe va le faire
voir. Cette coquetterie lui réuffit , & lat
jaloufie du Comte éclate au point que la
tendre Lucile ne peut s'empêcher de fauter
à fon cou en préfence de fon rival , &
de lui avouer en l'embraffant qu'elle n'aime
que lui , & que fa complaifance pour
les feux de Saint Hilaire étoit jouée , &
n'étoit qu'une revanche qu'elle avoit prife
pour lui apprendre à ne plus imiter l'effor
du papillon . Nos deux amans s'en aiment
davantage , mais Saint Hilaire eft fenfible
à cette offenfe. Lucile la veille de fon mariage
, s'étoit retirée dans fa chambre.
Saint Hilaire l'y furprend ; elle lui dit que
AVRIL. 1756. III
fon audace l'étonne : il lui répond qu'il
n'a plus rien à ménager après le tour cruel
qu'elle lui a joué , qu'il l'aime , & que ...
elle l'interrompt pour lui déclarer qu'elle
en est bien fâchée , & qu'elle le prie trèsférieufement
de la laiffer feule. Il fort fu
rieux en lui faifant entendre qu'elle a tout
à craindre de fon
reffentiment. A peine
eft-il parti , que le Comte arrive ; comme
il voit Lucile encore toute émue , il la
queftionne là- deffus : elle lui en apprend
le fujet. Son amant tranfporté de colere ,
vouloit courir après ſon couſin , fi elle ne
l'eût retenu . Saint Hilaire déguifant la
noire vengeance qu'il médite , fe cache
le lendemain , & fait répandre le bruit
qu'il eft parti. Au fortir d'un léger fouper
Lucile & le Comte furent mariés à une
heure après minuit. Ils furent contraints
de paffer le reste de la nuit avec une affemblée
d'amis. A fept heures du matin Marton
vient dire tout bas à la nouvelle mariée
, que Saint Hilaire s'étoit ſecrétement
gliffé dans fa chambre , & qu'il n'en vouloit
point fortir qu'il n'eût parlé à Lucile ,
que cette nouvelle remplit d'effroi.. Le
Comte s'apperçut de føn trouble , & voulut
fçavoir ce qui le caufoit. Elle eut l'imprudence
de lui avouer que c'étoit fon
Coufin qui n'étoit point parti, & qui étoit
112 MERCURE DE FRANCE.
caché chez elle . A ces mots le Comte lui
échappe , & vole dans l'appartement de fa
femme. Elle s'évanouit felon fa coutume.
La compagnie fe retire. Lucile revient avec
peine , foutenue d'un côté par la Comteffe
, & de l'autre par fon pere ; elle entre
dans fa chambre . Ses yeux y font frappés
d'un fpectacle affreux. Elle y voit Saint
Hilaire noyé dans fon fang , & le Comte
un papier à la main , fon épée fanglante
à fes pieds , avec la contenance d'un homme
au défeſpoir. A la vue de Lucile il
devient furieux , met le papier dans fa poche
, ramaſſe ſon épée , la paffe au travers
du corps de fa femme , fe la plonge enfuite
dans fon coeur , & lui dit en expirant
: J'ai tué mon meilleur ami , vous.
en êtes la cauſe . Je fuis vengé . Lucile eft
fecourue. Heureufement pour elle la bleffure
n'étoit pas mortelle : elle en guérit , &
fut éclaircie de la caufe de ce cruel événeque
fa belle-mere lui ment par deux billets
remit , & qu'elle avoit trouvés dans la poche
de fon fils. Dans le premier, on y avoit
contrefait l'écriture de Lucile , à qui on
faifoit donner un coupable rendez - vous à
Saint Hilaire . Dans l'autre , ce perfide
avertiffoit le Comte de la prétendue infidélité
de fa femme , & pour l'en convaincre
lui envoyoit le premier billet , em
AVRIL. 1756. 113
lui faifant entendre qu'il facrifioit tout
en partant à la probité & à l'amitié qui les
uniffoit. Le Valet de Chambre de Saint
Hilaire ayant été arrêté , confeffa que
c'étoit lui qui avoit contrefait l'écriture
de Lucile que fon Maître n'attendoit
dans fa chambre que pour la deshonorer ,
& qu'ayant été bleffé à mort , il avoir remis
ces lettres au Comte pour fe juftifier
àfes yeux , & qu'il ne s'en étoit muni que
dans le deffein d'en faire cet ufage s'il venoit
à être furpris chez Lucile , comme il
étoit arrivé. Elle tombe dans une maladie
de langueur : pour furcroit d'infortune on
lui annonce la mort de fon pere , qui la
réduit à l'agonie. Elle en rechappe encore,
grace à fa forte conftitution , après avoir
accouché d'un enfant mort. Sa belle-mere
devient fa plus tendre amie ; mais ce qu'il
y a d'étonnant dans notre héroïne , eft le
parti fingulier qu'elle prend de déclarer
que fon mariage n'a pas été confommé, &
de ne vouloir point prendre le titre d'épouſe
du Comte de Roubieres , & cela dans
la crainte de porter un nom qui lui rappelleroit
tous fes malheurs ; de forte que
par cette délicateffe toute nouvelle.elle
aime mieux paffer pour avoir été la maîtreffe
de fon mari , que de jouir des droits
& des prérogatives honorables de fa veuve.
114 MERCURE DE FRANCE.
Nous croyons que cet Extrait doit fuffire
pour mettre le Lecteur en état de porter
de cette brochure un jugement défintéreffé.
Nous ajouterons feulement que le
ftyle nous en a paru plus facile qu'élégant ;
que l'efprit , les portraits & les réflexions
n'y font point prodigués , & qu'à cet égard
on ne peut trop louer la fobriété de l'Auteur
, que la contagion n'a point gâté .
AVIS AU PUBLIC fur le tome II . du
nouveau Traité de Diplomatique in- 4° ,
par deux Religieux Bénédictins de la Congrégation
de S. Maur. A Paris , chez
Guillaume Defprez , Imprimeur du Roi &
du Clergé de France , 1755.
On s'appercevra aifément que les Anteurs
du nouveau traité de Diplomatique
enchériffent de beaucoup fur les promeffes
qu'ils ont faites dans leurs Profpectus.
Le fecond volume qui paroît aujourd'hui ,
eft une augmentation très - intéreffante , fur
laquelle ils n'avoient point prévenu le Pablic.
Le fujet qu'on y traite à fond , eſt
extraordinaire & nouveau. Perfonne n'avoit
encore entrepris de fixer la figure ,
l'âge , la nomenclature , la patrie , la defcendance
, la fortune & les métamorphofes
des vingt- trois lettres de l'alphabet latin
, dans les Infcriptions lapidaires & méAVRIL
1756. 115
talliques , les manufcrits & les diplomes
de tous les fiecles. Nul auteur n'avoit pris
la peine de dreffer fur ces anciens monumens
des alphabets généraux de toutes les
écritures Romaines & nationales , qui ont
eu cours chez les Latins , pendant près de
trois mille ans. On n'avoit point encore
réduit en fyftême les écritures antiques ,
pour en former un art lapidaire & métallique
, au moyen duquel on pût déterminer
l'âge des infcriptions , & difcerner
les fuppofées des véritables. Ces objets
avec plufieurs autres également importans
, font la matiere de ce fecond tome.
Dans le plan des Auteurs , toutes les écritures
latines font réduites à trois claffes ,
fçavoir les écritures des marbres , des
bronzes & des autres matieres dures , les
écritures des manufcrits depuis le quatriéme
fiecle , & celles des diplomes depuis
le cinquième. Les deux dernieres claffes ,
avec leurs dépendances & la matiere des
fceaux , feront traitées dans le troifiéme
volume. Le grand nombre de planches
qu'il faut arranger fyftématiquement &
graver , & le travail immenfe qu'exige
néceffairement l'entreprife , invitent le
Public à ne pas s'impatienter. Si on le fait
attendre , ce n'eft affurément que pour le
mieux fervir. Le quatrième & le cinquième
116 MERCURE DE FRANCE .
volumes fuivront de près le troifieme : cependant
, pour compenfer en quelque forte
le défagrément des délais , quoiqu'involontaires
, l'Imprimeur- Libraire délivre
le fecond tome aux Soufcripteurs fans exiger
la fomme ftipulée en foufcrivant. Il
s'engage même à leur donner les tomes.
fuivans au prix de la foufcription , quoiqu'il
y perde confidérablement ; les frais
de l'Impreffion des caracteres extraordinaires
, & des planches étant beaucoup plus
confidérables qu'il n'avoit penfé , lorfqu'il
prit des engagemens avec le Public.
COLLECTION de Décifions nouvelles
, & de notions relatives à la Jurifprudence
préfente , par M. Jean - Baptifte Denifart
, Procureur au Châtelet de Paris ,
tome V.
Ce cinquiéme volume de l'ouvrage de
M. Denifart eft fingulièrement recommenda
ble par l'importance de fes articles , par
la netteté & la folidité de leur rédaction .
C'eft le jugement qu'en porte M. Rouſſelet
, Cenfeur Royal , par l'approbation
qu'il a donnée à ce volume : on y trouve
en effet des matieres bien importantes ,
traitées avec un peu plus d'étendue que
n'en ont les articles des précédens volumes.
AVRIL 1756. 117
Ce que dit M. Denifart fur le Pain béni
, fur les Pairs & la Pairie , fur le Pape ,
fur le Parlement , fur le Patronage , & fur
une infinité d'autres articles , eft également
curieux & inſtructif. Il y détaille les
prérogatives des Pairs , comment les Pairies
fe tranfmettent dans les fucceffions
& rapporte les Arrêts qui font intervenus
à l'occafion des Pairies d'Eſtrées , de Sully,
&c.
Dans l'article Pape , M. Denifart donne
au Souverain Pontife tout ce qui lui appartient
, & lui retranche tout ce que la
Cour de Rome a voulu ufurper . Il diſtingue
toujours le Saint Siege d'avec la Cour
de Rome , & entre fur la néceffité de l'enregistrement
des Bulles & des Brefs dans
un détail hiftorique où l'on trouve des
chofes neuves , fingulieres & intéreffantes.
On lira avec le même agrément ce qu'il
dit fur le Parlement , & fur le Patronage
Royal .
2
Les articles Parrage , Pâturage , Peine
Permutation , Poffeffion , Preſcription
Propres , Réfignations , Retrait , &c. font
vraiment autant de traités fur les matieres
qui forment l'objet de chaque article . Partout
on trouve des raifonnemensconcis , des
faits rendus avec précifion , des Loix & des
Arrêts modernes , qui confacrent les ma118
MERCURE DE FRANCE.
ximes & les principes dont l'ouvrage de
M. Deniſart eft très- plein.
Les Procureurs lui fçauront bon gré des
découvertes qu'il a faites fur l'origine de
leur profeflion , fur les progrès , & l'importance
de leurs fonctions. Il ne tiendra
pas à lui qu'on ne prenne des Procureurs
des idées oppofées à celles qu'on a dans le
monde fur leur compte. Leurs fonctions
feroient vraiment nobles s'ils pratiquoient
les maximes qu'ils trouveront à leur article
, qui eſt tout - à - fait curieux , furtout
par des recherches qui s'y trouvent fur la
compatibilité des fonctions de Procureur
avec la nobleffe .
Le fixiéme & dernier volume eft fous
preffe .
CONSIDÉRATIONS fur quelques
abus de l'efprit , en matiere de Littérature
: Inter fera murmura Ponti , Ovide , par
M. *** . A Amfterdam : & à Paris , chez
la veuve Delormel & fils , rue du Foin ,
1756. Ces fortes de confidérations fe
multiplient tous les jours , & malheureufement
les abus avec elles .
LE R. P. KELLY , de la Compagnie de
Jefus , Profeffeur de Rhétorique , au College
de Poitiers , prononça le 11 DécemAVRIL.
1756. 149
bre de l'année 1755 , une harangue qui
mérite d'être citée par le choix du fujet ,
& la maniere complette dont il eft embraffé.
Admettre tous les préjugés , c'eft un
excès de foibleffe ; rejetter tous les préjugés
, c'est un excès de témérité : voilà les
deux vérités furquoi roule tout le difcours.
Il étoit aifé de les fentir , mais on ne pouvoit
les établir avec plus d'ordre.
1º. Il y a des préjugés populaires qui
font honte à la raifon . 2 °. Il y a des préjugés
littéraires qui font tort aux Sciences .
30. Il y a des préjugés politiques qui tourmentent
la Société. Cette diftribution préfente
une harmonie de chofes & de mots
qui pique l'attention . Le vulgaire verra de
l'efprit dans le tour , & le Philofophe y
appercevra de plus de la profondeur dans
les idées. Le fonds de la feconde propofition
n'eſt ni moins ingénieux , ni moins
fagement traité.
1° . Il y a , dit l'Orateur , des préjugés de
Nation qu'il faut refpecter. 2° . Il y a des
préjugés d'éducation qu'il faut ménager.
3 ° . Il y a des préjugés de Religion qu'il
faut entretenir.
Tout ceci augmente la curiofité de voir
le détail , & l'on ne peut qu'inviter l'Orateur
à inftruire le Public fur une matiere
auffi intéreſſante . On ne fçauroit être trop
120 MERCURE DE FRANCE .
éclairé fur ce qu'il faut ôter , ou laiffer aux
préjugés , & nous le fommes très- peu . Un
plan fi heureux annonce un génie capable
de voir & de montrer les limites des chofes.
LETTRE
De M. Efteve, de la Société royale des Sciences
de Montpellier à l'Auteur du Journal
de Trévoux , aufujet de l'Extrait donné
dans ce Journal de l'Histoire générale &
particuliere de l'Aftronomie.
*
Mon Révérend Pere , vous m'avez fait On
l'honneur d'examiner en critique févere la
nouvelle Hiftoire de l'Aftronomie , & je
vous dois des remerciemens du zele que
vous avez témoigné pour la perfection
d'un ouvrage qui vous a paru mériter un
examen fuivi & rigoureux . Je ne doute
pas que vos obfervations n'ayent pour objet
les progrès de l'Aftronomie . Il peut y
entrer encore, ainfi que vous le dites, de la
confidération pour les grands Aftronomes , &
des égards pour le nouvel Hiftorien. Des motifs
fi louables, & une attention fi obligeante
m'impofe le devoir d'examiner avec
* Ce livre fe vend chez Jombert , rue Dauphine.
foin
AVRIL. 1756. 121
Vous
foin les réflexions que vous faites fur l'ouvrage
en queſtion .
Dans tout le cours de l'Extrait ,
vous êtes occupé à faire remarquer les
faits qu'on auroit pu également trouver
dans l'Hiftoire Latine de l'Aftronomie que
M. Weidler , Profeffeur dans l'Univerfité
de Wirtemberg , publia en 1741. Eft - il
donc décidé qu'en écrivant l'Hiftoire d'une
Science , il faille abfolument s'interdire
tout ce qu'en ont dit les Auteurs qui s'étoient
propofés de faire connoître le même
fujet ? Je ne fçavois pas qu'on pût reprocher
à M. Rollin d'avoir rapporté dans
fon Hiftoire ancienne des faits dont
avoient parlé Hérodote , Diodore de Sicile
, & plufieurs autres Hiftoriens de l'Antiquité
? Je n'aurois jamais imaginé qu'en
écrivant l'Hiftoire générale de l'Aftronomie
, il ne fût pas permis de parler des Patriarches
, des Babyloniens , des Mâges de
la Chaldée & des Egyptiens , & cela par
la feule raifon que des Hiftoriens nous
avoient déja appris que ces Peuples avoient
cultivé cette Science. Il dit dans plufieurs
Ouvrages que quelques - unes des Fables
du Paganiſme tiroient leur origine de
l'Aftronomie. M. Weidler l'a répété ; j'ai
cru qu'il me feroit permis d'en parler à
mon tour , fans crainte d'être foupçonné
I.Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
,
de plagiat. En plufieurs endroits de l'Hiftoire
Françoife de l'Aftronomie il eft
parté de l'incertitude de l'Aftrologie judiciaire.
Dans un de ces paffages on trouve
une réflexion qui eft auffi dans l'Hiftoire
Latine. En obfervateur exact vous marquez
cette conformité , & vous apprenez
au Lecteur que M. Weidler avoit dit avant
M. Estève, que des hommes conçus & nés
dans le même moment & dans le même
climat avoient fouvent des caracteres oppofés
& des inclinations très-différentes .
N'écoutant que la même équité , vous
auriez pu avertir qu'on trouvoit dans la
nouvelle Hiftoire de l'Aftronomie des raifonnemens
plus intéreffans fur le même fujet
, & que la comparaifon des erreurs de
l'Aftrologie judiciaire avec les dangers de
la Phyfique aftronomique ne fe trouvoient
ni dans M. Weidler , ni dans aucun autre
Auteur. Il en eft de même de plufieurs ré-
Яexions nouvelles ' , dont je ne doute pas
que vous ne vous foyez apperçu .
Au furplus , quelle eft la fource où vous
me reprochez d'avoir puiſé . C'eſt ainfi que
vous l'avez lu dans la Préface , & que
vous l'avez tranfcrit dans un livre , où l'on
a copié tout au long les paffages des Auteurs
qui avoient parlé de l'Aftronomię
même le plus indirectement. Avant que de
1
AVRIL. 1756. 123
connoître le livre de M. Weidler , j'avois
lu dans les Auteurs originaux la plupart des
citations rapportées par le Docteur Allemand
, & je les avois fait tranfcrire pour
m'en fervir à compofer l'Hiftoire générale
de l'Aftronomie. En apprenant que M.
Weidler avoit fait imprimer ces paffages
dans un ordre chronologique , je n'ai pas
cru devoir renoncer aux faits qui y étoient
contenus. On pourroit définir le livre de
M. Weidler une compilation de Mémoires
pour l'Hiftoire de l'Aftronomie . Tout cela
eft fort éloigné d'une Hiftoire fuivie , qui
fuppofe un plan , des vues , & une faine
critique. Il me femble , mon Révérend
Pere , que les égards que vous annoncez
l'Hiftorien , auroient dû ne pas vous
laiffer taire cette différence effentielle
& très-remarquable. Au furplus, M. Weidler
peut être un homme d'un très - grand
mérite , & avoir compofé des ouvrages
fort eſtimables ; mais je ne pense pas de
même de fon Hiftoire de l'Aftronomie.
-pour
*
La découverte du Nouveau Monde &
l'hypothefe de Copernic vous ont paru
mériter d'être traitées plus au long que je
ne l'ai fait dans la premiere partie. En cela
vous avez raifon ; mais vous auriez dû
-en même tems faire attention que le pre-
-mier de ces objets n'appartient qu'indirec
Fij
124 MERCURE
DE FRANCE.
tement à l'Aftronomie , & que le fecond doit
être uniquement réfervé pour l'Hiftoire
particuliere , où vous trouverez le détail
de toutes les hypothefes aftronomiques .
و د
Il me femble qu'un mot équivoque qui
étoit clairement expliqué par ce qui le pré-
´cédoit , n'auroit pas dû vous induire en
erreur. A la page 214 , tome I , il eft dit:
« Environ l'an 280 de l'Ere Chrétienne ,
» Anatolius s'étant fait une grande répu-
» tation à Alexandrie , propofa le cycle de
» dix - neuf ans pour régler la Pâque Chré-
» tienne , & il fut nommé à l'Évêché de
» Laodicée. « N'eft - ce pas dire affez clairement
que ce Prélat n'avoit été l'inventeur
que de l'application du cycle à la
Pâque Chrétienne ? Cependant , pour prévenir
toute équivoque à profiter de vos
remarques , voici comme je terminerai
cet à linea dans une feconde édition . « Par
» la fuite on imagina des corrections à ce
cycle ; mais c'est toujours à Anatolius
qu'il en faut rapporter la premiere application
à notre Calendrier. » Au furplus
, je ne dois pas taire que vous avez
été le premier à remarquer que ces méprifes
étoient des bagatelles peu importantes.
~ 39
Paffons maintenant aux réflexions que
vous faites fur cette phraſe . « Le témoigna
" ge des fens & le fentiment intérieur auAVRIL.
1756. 125
» trement appellé évidence, tout cela eft ré-
» duit par Sextus Empyricus , à fa jufte va-.
» leur , c'eft- à-dire à une continuelle incer-
» titude ». Sur quoi vous remarquez en
premier lieu que le fentiment intérieur n'eft
pas l'évidence , cela peut être fans qu'il
en foit moins vrai que l'évidence eſt un
fentiment intérieur. Je ne fçais pas même
comment vous pourriez la définir autrement.
Vous vous êtes mépris fur la fignification
des mots : car vous avez penfé
que par le fentiment intérieur j'entendois
la fenfation portée par les organes ; alors
vous auriez eu railon de cenfurer l'expreflion.
Car cet effet qui n'eft que le témoignage
incertain des fens , ne doit pas
être confondu avec le fentiment intérieur
appellé évidence , qui fupplée au criterium
veritatis , qui nous manque. Vous concevez
par -là que la phrafe rapportée ci -deſſus
fignifie que les impreffions que les objets
font fur notre ame , & tous nos jugemens
ne peuvent nous donner qu'une continuelle
incertitude. Voilà la faute de Grammaire
excufée. Pour ce qui eft de celle de
fens , ne croyez pas que je retranche à fa
jufte valeur. Des mots fi expreffifs ne m'échappent
pas par mégarde Lifez les hypotypofes
fans prévention. Voilà toute ma
réponſe.
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
J'ai dit que le Provincial
des Jéfuites
s'oppofa à ce que le Pere Scheiner publiât
la découverte
des taches du foleil , & je
cite pour garant de ce fait un ouvrage où
vous prétendez qu'on trouve tout le contraire
: Cependant
dix lignes plus bas
vous rapportez tout au long le paffage de
l'ouvrage en queftion , où fe trouve le
fait dont j'ai parlé. C'eft une méprife que:
vous aurez foin de réformer dans la premiere
édition de votre Journal .
la
Vous combattez le jugement que je porte
des ouvrages du Pere Riccioli , Jéfuite,
& vous m'oppofez ces paroles de Dominique
Caffini . Le Pere Riccioli a beaucoup
contribué à perfectionner l'Aftronomie ,
Géographie , la Chronologie : il a renfermé
dans plufieurs fçavans ouvrages tout ce que
l'on a écrit jufqu'ici de plus excellent fur ces
Sciences. Mais faites réflexion que Caffini
étoit contemporain du P. Riccioli . D'ailleurs
, ce que j'en dis n'eft pas en contradiction
avec ce qu'en a dit Caffini . Pefez
bien les termes , & vous verrez que je ne
dis pas qu'il n'y ait des chofes excellentes
dans les compilations de cet Ecrivain.
« Le Pere Riccioli , ai-je dit , publia un
» nouvel Almagefte , dans lequel il s'étoit
propofé de ramaffer tout ce qui avoir
» été fait dans l'Aftronomie ancienne &
وو
AVRIL. 1756. 127
» moderne , & d'y joindre fes propres
» obfervations & fes idées fur les divers
"
"
"
"
points de la Théorie de cette Science .
» Une pareille compilation auroit exigé
» du choix & un efprit qui partout fuivît
rigidement la vérité ; mais le P. Riccioli
" croyant que tout étoit précieux , n'a
prefque laiffé rien échapper : ce qui au-
» roit dû être oublié , comme ce qui mé-
» ritoit d'être retenu , tout cela fe trouve
également dans fa compofition informe.
>> On ne trouve pas dans cet ouvrage une
» fuite de vérités , qui par gradation éclai-
»rent & inftruifent l'efprit. Le projet
» d'imiter Ptolomée étoit fort beau ; cet
» Aftronome avoit compofé fon ouvrage
» de toutes les obfervations qui avoient
» été faites par ceux qui l'avoient précé
» dé , par fes contemporains , & par lui-
" même mais en recueillant , toutes ces
" richeffes , il s'étoit propofé un plan qui
» les fit paroître chacun à leur place , &
qui répandît une forte d'unité parmi la
" grande variété des matieres. Il ne faut
»pas croire que le Pere Riccioli ait entié-
"rement négligé l'ordre & la méthode
» dans la compofition de fon ouvrage ; car
il traite les matieres féparément les unes
» des autres ; mais il dit prefque toujours
fur chacune , ou trop ou trop peu , &
"
"
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
» rarement place - t'il les chofes dans la
vraie pofition où elles devroient fe
ور
>>> trouver.
J'aurois encore quelques réflexions à
faire fur ce fujet ; mais comme je fuis perfuadé
qu'elles ne vous échapperont pas , fi
vous vous donnez la peine de relire l'extrait
en queftion , je termine cette lettre
en vous affurant que j'ai l'honneur d'être
avec attachement & confidération , votre
très- humble , & c.
LE GENTILHOMME MARÉCHAL ,
tiré de l'Anglois de M. Jean Bartlet , Chirurgien
; où l'on a raffemblé tout ce que
les Auteurs les plus diftingués ont rapporté
de plus utile pour la confervation des
chevaux , & où l'on traité fort au long de
la caftration , & d'une nouvelle machine
inventée en Angleterre , pour leur couper
la queue . Par M. Dupuy Demportes. A Paris
, chez Charles - Antoine Jombert , Imprimeur-
Libraire du Roi pour l'Artillerie
& le Génie , rue Dauphine , à l'Image Notre-
Dame, 1756. Prix 3 liv.
SENTIMENT d'un Harmoniphile ,
fur différens ouvrages de Mufique.
Amicus Socrates & amicus Plate , magisamica
veritas.

AVRIL. 1756. 129
A Amfterdam ; & fe trouve à Paris , chez
Jombert , rue Dauphine ; Duchesne , rue S.
Jacques ; Le Loup , quai & grande porte
des Auguftins ; Lambert , rue de la Comédie
Françoife ; au Bureau du Mercure ; &
aux adreffes ordinaires pour la Mufique.
1756. Prix 1 liv. 4 f.
Cet ouvrage contient quatre- vingts quatre
pag. in- 12 d'impreffion , & huit pages
doubles de Mufique gravée. Il en paroîtra
une feconde partie inceffamment. Cette
premiere nous a paru intéreffante pour les
amateurs de la Mufique : il y a furtout un
paragraphe fur l'Opéra , qui mérite d'être
lu.
LE PLAISIR , Rêve ; London 1755.
Ce Poëme dont l'allégorie nous paroît
ingénieuſe , eſt dédié au défoeuvrement ,
& divifé en fix Songes : il annonce beaucoup
de talent. On ne peut trop inviter
l'Auteur à le perfectionner & à le mettre
dans tout fon jour. Il nous femble qu'il
aune maniere à lui , & qu'il tâche d'exprimer
des chofes nouvelles : il penſe , il
approfondit , mais nous croyons devoir
l'avertir de répandre plus de clarté dans
fes idées & dans fes images pour rendre
les premieres plus intelligibles , & les autres
plus fenfibles au grand nombre de fes
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
Lecteurs. Il eft vrai qu'il traite , le Plaifir
en Métaphyficien ; qu'il va chercher fon
origine jufques dans les entrailles de la
terre ; qu'il va pour ainfi dire le décompofer
, en le tirant du ſein obſcur de la nature
, qu'il lui donne pour mere , & qu'il
eft très difficile de dévoiler en vers les
myfteres de la Phyfique. Cependant nous
croyons que le Poëte , avec du foin & du
travail , pourroit y jetter plus de lumiere ,
& faire du Plaifir un tableau des plus brillans
, en éclairciffant les ombres. Sa fiction
préfente des beautés neuves. Le Programme
fuccinct que nous allons former de fes
fommaires , fuffira pour le prouver Nous
citerons enfuite quelques endroits de ce
Poëme , qui convaincront le connoiffeur
impartial combien l'Auteur eft en état de
le conduire à fa perfection , & mérite
d'être encouragé. Ses pareils doivent furtout
l'être. Ils font faits pour honorer les
talens qu'ils cultivent , & pour augmenter
l'émulation des autres.
Arrivé dans une maifon de Campagne,
l'Auteur s'endort en attendant celle qui
doit s'y rendre après lui . Son fonge eft le
fujet de l'ouvrage. Il defcend au centre
de la terre , qui s'ouvre fous fes pas.
voit deux côteaux , l'un efcarpé , l'autre
d'une pente douce , ayant un temple au
Il
AVRIL 1756. 131
fommet . Il préfere le premier , où fe trouve
l'antre de la nature. Un Oracle l'arrête,
& l'empêche d'y pénétrer. Les défirs le
conduifent vers le Temple du Plaifir , qui
eft fur l'autre côteau, Une Nymphe voilée
Le préfente , & prend leur place pour le
guider. Avant que de l'introduire dans le
Temple elle lui conte l'hiftoire du Plaifir
& de l'excès , fon frere & fon rival. Ce
frere perfide trompe le Plaifir qui l'introduit
dans le féjour des hommes. L'Excès
les fubjugue , & les Vices qu'il mène à ſa
fuite fe répandent fur la terre. Le Plaifir
qui fe retire au fein de la nature , envoie
fes enfans au fecours des hommes . La raifon
les conduit : elle croit avoir vaincu
l'Excès ; mais elle eft retenue par un Fanôme
qu'elle prend pour la Religion , &
furprise par l'Excès qui l'enchaîne avec
les Plaifirs qui la fuivoient . Elle ouvre
alors les yeux , & voit que le Fantôme
qu'elle a refpecté , eft l'Opinion qui devient
la maîtreffe du monde , & le tyran
des Plaifirs, qu'elle transforme fouvent en
des monftres hideux. La Nymphel , après
ce récit , le fait entrer dans le Temple. Les
Plaifits font dans le premier Parvis : la
Volupté eft près du centre. Agnès Sorel ,
maîtreffe de Charles VII , Roi de France ,
fert de Prêtreffe à cette Divinité . La Sageffe
F vj
132 MERCURE DE FRANCE .
tient la porte du Sanctuaire : il s'ouvre.
L'auteur voit le feu qui brûle fur l'autel .
La Nymphe qui eft le Plaifir lui- même ,
quitte fon voile. La Reffemblance que le
Plaifir a prife eft celle de fon plus parfait
ouvrage : il donne à l'Auteur les derniers
confeils qu'on va lire .
Mes leçons t'ont appris quel étoit le vrai bien
Fuis l'Excès , crains l'Orgueil, adore la Tendreffe..
Pour être fans défauts , ne fois point ſans foibleffe :
Il eft des goûts fans crime , & des défirs permis.
Sois utile à l'Etat , oſe avoir des amis.
Ne flatte ni ne haïs l'imbécille vulgaire ;
Sans le craindre jamais effaye de lui plaire.
Sois toujours occupé , remplis tous les momens ;
Pour les mieux enchaîner invoque les talens :
Tu peux jouir de tout ; que rien ne t'importune :
Laiffe agir à fon gré l'inconftante fortune ;
Contemple des mortels moins fortunés que toi :
Le malheur n'eft qu'un nom qui s'éclipſe avec
moi.
Après cet avis utile , la femme que
l'Auteur attendoit , arrive ; il ſe reveille ,
& le fommeil fait place au tendre Amour.
Voici les vers qui nous ont le plus frappés
dans fon Poëme. Nous commençons
par fon début , où le plaifir nous paroît
heureufement défini , ou plutôt dépeint.
Je chante un fentiment que l'univers adore ,
AVRIL. 1756. 133
Que l'on cherche toujours , que fouvent on
ignore ;
Qui , pour nous rendre heureux , foumet notre
raifon ,
Et fans qui le bonheur n'eft jamais qu'un vain
nom .
Otoi , qui me conduis ! toi que j'ai cru connoître
,
Feu divin , Etre aimable, O plaifir ! ô mon maître !
Si pour te peindre mieux , nous devons te fentir ,
A mes foibles accens daigne t'affujettir ;
Ou plutôt qu'incertain dans ta courfe légere ,
Tu puiffes m'égarer en m'apprennant à plairè :
Que fans deffein , fans art , & libre comme toi ,
Ma voix te faffe naître , en révérant ta loi.
Viens , fi l'illufion par toi feul a des charmes ,
Si la vérité même a befoin de tes armes ,
Ofe ici les unir ; que d'accord aujourd'hui
La fageffe étonnée accepte ton appui.
Voici comme l'Amitié & l'Amour , tels
qu'ils étoient dans le premier âge , font
peints dans le fecond Songe .
L'Amitié , ce vain nom qui n'exprime plus rien,
Dans l'enfance du monde étoit le premier bien.
L'ingénieux Plaifir , en la rendant durable ,
S'ouvroit du fentiment la fource inépuisable :
Multipliant nos fens , il affuroit fes droits .
Heureux dans fon ami , l'homme fentoit deux
fois.
134 MERCURE DE FRANCE.
Ce dernier vers nous femble un vers à
retenir.
L'Amour qui maintenant eft froid , ou trop extrême
,
Alors fage & naïf , fut le Plaifir lui- même.
Tous les coeurs , pénétrés de fes vives ardeurs ,
Ignoroient les tranfports des jaloufes fureurs.
La Beauté fans caprice , & cependant aimable ,
Du malheur des humains n'étoit jamais coupable.
Le langage impofteur , l'art des déguiſemens
Ne cachoient point les feux dont brûloient les
Amans.
On ne s'impofoit point des chaînes éternelles ,
Et les femmes enfin ne dépendoient que
d'elles.
Guidé par un inftinet que l'on ne connoît plus ,
On n'éprouvoit jamais les horreurs d'un refus.
Un inftant foumettoit la Beauté la plus fiere ,
Et l'on n'ofoit aimer qu'étant certain de plaire .
Le coeur fe fuffifoit , il éclairoit Pefprit ;
Lorfqu'il l'écoute trop , le charme fe détruit .
Des mots vuides de fens on .dédaignoit l'uſage.
L'amour ne doutoit point , lui-même étoit fop
gage.
Il refferroit fes noeuds par les aimables foins :
Maître alors de les rompre , il y penfoit bien
moins .
Si l'on ceffoit d'aimer fans fe rendre infidele ,
AVRIL 1756. 135
On formoit de concert une chaîne plus belle.
Quoique le goût changeât , les coeurs reftoient
unis.
Les anciens amans font les meilleurs amis.
L'Excès , le rival du Plaifir , trace luimême
dans le troifieme Songe fon portrait
, & celui des vices fes fujets , par les
traits fuivans :
O vons , s'écria- t'il, que mon fouffle a fait naître ,
L'homme va par fes maux apprendre à vous connoître
!
Bruyantes paffions , défirs impétueux ,
Contenez un inftant vos cris tumultueux ;
Ou plutôt que les miens volant d'un pole à l'autre ,
Mon trouble , s'il fe peut , s'accroiffe par le vôtre .
Ne les retenez point , ces cris font faits pour moi.
Ennemi
de la régle , oui , je fuis votre Roi.
Je la fuis , je l'abhorre , & ne viens vous prefcrire
Que les fombres moyens de troubler , de detruire ,
De porter vos ferpens dans le coeur des mortels ,
De les forcer enfin d'encenfer vos Autels .
Pour vaincre le plaifir employons tous fes charmes
,
Qu'à fes plus tendres jeux fuccédent les allarmes.
Intérêt , foif ardente , ô baffe jaloufie !
Qui portez dans vos fancs l'orgueil & l'infamie ,
136 MERCURE DE FRANCE.
2
Confondez avec vous l'utile ambition ;
Que ce fécond défir devienne paſſion .
Il produit les vertus , qu'il enfante les crimes ;
Qu'il faffe tout ofer , choififfez vos victimes :
Qu'il ferve enfin de fource & de voile aux forfaits ;
Que l'humanité tremble , & connoiffe l'Excès .
La valeur Angloife que la haine conduit
, & que le phlegme accompagne au
fort même de la colere , eft bien caractifée
dans le cinquieme Songe, par ces vers dont
le dernier nous paroît fublime .
Leur courroux frémiffant chaffoit l'humanité :
L'excès dans l'héroïſme eft la férocité,
Si le Ciel eût tenté de les réduire en poudre ,
Leurs yeux , fans fe baiffer , auroient jugé la foudre.
Nous ne pouvons mieux finir ce précis.
que par un morceau que nous avons extrait
du fixieme & dernier Songe , & qui
peint ainfi Louis XV , & fon Royaume .
Ce Prince redouté , pacifique & vainqueur ,
De fes moindres fujets avoit gagné le coeur.
Maître prefque en naiffant , cependant toujours
juste ,
Auffi grand que Céfar , & plus aimé qu'Augufte ,
Tenant feul en fes mains les rênes de l'Etat ,
Son trône lui devoit fa force & fon éclat :
Sa gloire enfin croiffoit , ainfi que fes années.
Il tenoit fous les loix les Ifles fortunées ,
AVRIL. 1756. 137
Pays vaft e & peuplé , climat riche & charmant ,
Où toutes les faifons régnoient également ;
Où la terre , docile à la moindre culture ,
Raflembloit tous les dons de la ſage nature.
Son peuple audacieux dans fa frivolité ,
Soumis , fage & fidele en fa légéreté ,
De pouvoir , d'ofer tout étant toujours capable ,
N'avoit d'autre défaut que d'être trop aimable.
Aux traits éblouiffans qui forment les Héros ,
Joignant mille vertus qui charment le repos ,
Ce Prince revêtu de la grandeur fuprême ,
Sembloit à tous les yeux la devoir à lui-même
Bienfaifant , pere , ami , fans ceffer d'être Roi ,
Sans fceptre , & fans ayeux , il eût donné la loi.
Par tous les vers que nous venons de citer
, on voit que l'Auteur a de la précision,
de la force , de l'élégance & de la nobleffe
dans l'expreffion , qu'il y joigne de la clarté
, & nous ofons lui garantir la réuffite ...
: ELEVATIONS DU CHRÉTIEN malade
& mourant conforme à Jefus - Chrift , dans
les différentes circonstances de fa Paffion
& de fa Mort , avec la Paffion de notre
Seigneur Jefus - Chrift , diftribuée par lecture
, terminées chacune par une priere
une paraphrafe morale du Pleaume 21 ,
& les prieres de l'agonie , en Latin & en
François , par M. P... Chanoine Régulier,
138 MERCURE DE FRANCE.
Prieur Curé dans le Diocèſe de Sens. A
Paris , chez Auguftin - Martin Lottin , rue
S. Jacques , 1 vol . in - 1.2.1
ALMANACH Aftronomique & Hiftorique
de la ville de Lyon , & des Provinces
de Lyonnois , Forez & Beaujolois ,
revu & augmenté pour l'année biffextile
1756. Le prix eft 30 f. broché. A Lyon
chez Aimé de la Roche , feul Imprimeur &
Libraire de M. le Duc de Villeroi , du
Gouvernement & de l'Hôtel de Ville , rue
Merciere .
PROSPECTUs pour une édition d'un
Livre de Choeur , grand in-folio , pour être
mis fur le lutrin , intitulé Antiphonarium
juxta Breviarium Romanum , qui s'imprime
à Lyon , chez le même Libraire , & qui paroîtra
dans quatre mois.
Le fieur Aimé de la Roche imprime en
même tems une édition de l'Antiphonaire
in-4° . & in- 12. Le Bréviaire in - 12 . 1 vol.
& in- 12. 2 vol. tant à Hymnes anciennes
que nouvelles eft en vente . On le peut relier
avec les Propres des différens Ordres
qui fuivent le Romain , mais dont les
Saints particuliers ne font pas fêtés dans
l'Eglife univerfelle.
AVRIL. 1756. 139
Avertiffement fur le nouveau Calendrier
perpétuel.
Comme un Calendrier perpétuel exact
& commode , qui comprendroit le plus
grand nombre qu'il feroit poffible de différentes
parties du Calendrier en général ,
feroit d'une grande utilité , l'Auteur a tâché
d'en rendre fufceptible celui que nous
annonçons. Il eft divisé en deux parties.
La premiere partie renferme trois tables,
dont la premiere donne le nombre: d'Or
ou Cicle lunaire , l'Epacte & le terme Pafchal
, ou le 14 de la lune Pafchale. La feconde
table donne le Cycle folaire , les
concurrens , la Lettre Dominicale , les
mois , les jours du mois répondans à leurs
quantiemes , fuivant notre façon de les
compter , & fuivant l'uſage Romain , &
enfin les Dimanches de l'année & les Fêtes
mobiles.. La troifieme donne l'Indiction
Romaine. La feconde partie de ce Calendrier
contient deux autres parties , dont la
premiere eft un Calendrier lunaire ou table
perpétuelle des nouvelles lunes , tant
pour l'ancien que pour le nouveau Calendrier.
La feconde contient le développement
d'un Cycle entier de 19 ans , ou du
Nombre d'Or.
140 MERCURE DE FRANCE.
, BOLAN , ou le Médecin amoureux
Parodie de Roland , repréfentée pour la
premiere fois par les Comédiens Italiens ,
ordinaires du Roi , le 27 Décembre 1755 .
A Paris , chez Prault pere , quai de Gêvres
, 1756 .
Cette Parodie eft de M. Bailli , Garde
des tableaux de la Couronne . Elle nous a
paru gagner à la lecture . Nous y avons trou
vé des couplets bien faits ; & fi l'Auteur
eût fait choix d'un traveftiffement plus
heureux & plus analogue au perfonnage
de Roland , nous ne doutons pas que fa
piece n'eût réuffi .
L'HOMME moral oppofé à l'Homme
Phyfique de M. R *** . Lettres philofophiques
, &c. A Toulouse , 1756.
Les Ecrivains célébres ne fçauroient
être anonymes ; ils font comme les grands,
Peintres ; leur maniere les décéle. Tel eft
l'Auteur de ces Lettres philofophiques ou
plutôt chrétiennes. Il a jugé à propos de
n'y pas mettre fon nom , mais fon ftyle
a trahi fa modeftie. La maniere d'ailleurs
dont il parle de lui - même dans cet ouvrage
, le caractériſe fi bien qu'elle ne peut
convenir à un autre , & nous ofons dire
fans le flatter , que perfonne n'écrit comme
lui. Deux ou trois endroits que nous
AVRIL. 1756. 141
allons prendre au hazard , fuffiront pour
fervir de preuve. Les tranfcrire c'eft le
nommer.
Nous paffons , dit- il , notre vie à édifier
, à bâtir & à nous établir fur la terre ,
où Saint Paul nous avertit d'après l'expérience
& le bon fens , que nous n'avons
pas de Cité permanente. C'eft une obfervation
que je fis étant encore jeune , &
que j'ai vu fouvent confirmée depuis celle-
là . Une Dame riche & puiffante m'arrêta
un jour fur le tard au paffage devant
la porte de fon château , pour me dire
qu'enfin ce château étoit fini , & qu'elle
alloit en jouir. Au moment qu'elle me difoit
cela , un coup de ferein lá frappa :
elle en mourut huit jours après. Voilà
l'obfervation & la pointe d'Epigramme :
C'est que ceux qui bâtiffent aujourd'hui ,
meurent conftamment demain, c'eſt-à- dire
dès qu'ils ont fini leurs bâtimens . · ·
La plupart même de ceux qui bâtiſſent
en pierre de taille , & à demeure , croyant
éluder la nature , & prendre Dieu pour
dupe , ont foin de multiplier & de prolonger
leurs bâtimens , ne voulant jamais
les avoir finis , comme s'ils voyoient leur
propre fin dans celle de leurs travaux ;
car notre vie n'eft qu'une Epigramme dont
142 MERCURE DE FRANCE.
la mort eft la pointe. Lima , avec tout fon
or , n'a trouvé à propos de fe rebâtir qu'en
bois , & c'eſt à Liſbonne de profiter de
l'avertiffement. J'ai fait un ouvrage contre
la pierre de taille en faveur des vrais
Arts d'Architecture & de befoin.
Mes nouveautés , dit l'Auteur dans la
trente-fixieme Lettre , mes ouvrages, mon
clavecin ne font nouveautés qu'en addition
aux Sciences , aux Arts , à l'ancienne
Mufique. Je n'anéantis pas notre Mufique
, la Mufique ordinaire , l'auriculaire.
Je double la Mufique en la rendant en même
tems auriculaire & oculaire ; & quand
je ne réuffirois pas , prenez , dirois - je ,
que je n'ai rien dit . Je n'ôte à perfonne
fes oreilles : je donne même à tout le monde
des yeux pour entendre & pour goûter
la Mufique. Les fourds pourront voir la
Mufique auriculaire , les aveugles pourront
entendre la Mufique oculaire ; &
ceux qui auront yeux & oreilles , jouiront
mieux de chacune en jouiffant des deux.
Nous allons finir par ce trait qui termine
la cinquantieme Lettre : Scientia inflat
. Il faut le croire dès que l'Ecriture le
dit : abfolument toutes nos fciences font
des demi- fciences , & c'eft à ce titre de
demi-fciences qu'elles peuvent nous enfler.
Car du refte rien n'eft plus enflé qu'un
*
AVRIL. 1756. 143
demi- Sçavant , fi ce n'eft un quart de Sçavant
, qui ne le céde qu'au demi- quart ,
& celui- ci au demi -demi- quart ; & fic in
infinitum , diſent les Philofophes Géometres.
Etabliffement des Prix de Rhétorique & des
Humanités dans le College Royal des Peres
de la Doctrine Chrétienne , par MM. les
Maire & Confuls de la Ville de Villefranche
en Rouergue .
L'Hôtel de Ville de Villefranche en
Rouergue , ayant réfolu , par délibération
du 4 Décembre 1794 , de contribuer à
l'encouragement des Etudes de la Réthorique
& des Humanités dans le College
Royal des PP. de la Doctrine Chrétienne ,
l'Etabliffement de deux Prix pour chacune
de ces Claffes , la premiere diftribution
folemnelle en fut faite le 31 Août dernier
, par MM. les Maire & Confuls , en
la forme fuivante.
par
Ces Magiftrats , accompagnés du Syndic
de la Ville , précédés & fuivis de deux
Compagnies de Bourgeoifie , partirent de
l'Hôtel de Ville , à trois heures après midi
, & fe rendirent à la falle des Excercices
publics du College , où s'étoit déja formée
une nombreuſe affemblée de Dames &
144 MERCURE DE FRANCE .
des divers Ordres de la Ville . La grande
porte du College , celle de la falle d'affemblée
, & la falle elle - même étoient ornées
de plufieurs emblêmes & infcriptions relatives
à cette cérémonie ; & l'ouverture en
fut annoncée par plufieurs décharges de
moufqueterie , & par un concert de cors
de chaffe & de violons.
La Séance commença par un Excercice
Littéraire du fieur Pechmeja , jeune Ecolier
de Réthorique , âgé feulement de douze
ans , & à qui le premier Prix étoit deftiné.
Il fut longtems interrogé fur la Réthorique
, les Belles- Lettres , la Poéfie , la
Sphere & la Géographie : il répondit à tout
avec une jufteffe , une préfence d'efprit ,
& des graces au deffus de fon âge. Il
complimenta l'Affemblée en Profe avant
fon Exercice ; & il le termina par un
remerciement en vers : l'un & l'autre ouvrages
étoient de fa compofition ; & il eft
dommage que les bornes d'un article du
Mercure ne permettent pas de les y rapporter
en entier.
Le Préfet du College prononça enfuite un
Difcours Latin au fujet du nouvel établiffement
des Prix ; le Syndic de la Ville parla
après lui , & en requit la diftribution :
enfin M. Cardalhac , Maire de la Ville ,
prononça un très-beau Difcours François ,
dans
A VERIL. 1756. 145
dans lequel , après avoir parlé avec beaucoup
de dignité de tout ce qui avoitdu rapport
à la cérémonie du jour , & réuni tout
ce qu'elle avoit de propre à exciter & fou
tenir l'émulation de la jeuneffe , il finit par
annoncer un Cours de Phyfique expérimen
tale , dont M. Lefcalopier , Intendant de
Montauban, a bien voulu approuver & fa
çiliter l'établiffement , ainfi que la dépense
des machines néceffaires. M. le Maire ajou
ta que l'empreffement des jeunes Etudians ,
& leur application à leurs devoirs , décideroient
d'une nouvelle faveur dont la Ville
fe propofe d'enrichir le College , par l'établiſſement
d'une Ecole de Géométrie & de
Mathémathiques ; ce qui fut fuivi d'un
applaudiffement général.
MM. les Maire & Confuls procéderent
enfuite à la diftribution des Prix , au fon
des inftrumens , & au bruit d'une nouvelle
décharge de moufqueterie & de plufieurs
boîtes. Le premier Prix eft une médaille
d'or ; les autres trois Prix font des médailles
d'argent , aux Armes de la Ville , d'un .
côté avec cette légende .
Munificentiâ civitatis Francopolitana
Du côté oppofé , font les Armes du College
, avec ces mots autour .
Pro Rethorices alumnis.
I. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
Chacun de ceux à qui les Prix furent adjugés
fit un remerciement aux Magiftrats,
foit en profe foit en vers , & ils les accompagnerent
enfuite à l'Hôtel de Ville dans
l'ordre précédent.
La fête devoit être terminée par un trèsbeau
feu d'artifice ; mais un orage imprévu
y ayant mis obſtacle , il fut renvoyé au lendemain
, & exécuté à neuf heures du foir ,
dans la cour du College , avec beaucoup
de fuccès.
Pendant l'exercice littéraire , qui précéda
la diftribution des Prix , plufieurs de
ceux qui interrogerent le jeune Répondant
, lui adrefferent & à l'Aſſemblée des
Ouvrages en vers & en profe , dont on fut
très-fatisfait. Comme il n'eft pas poffible
de les donner tous au Public , on fe borne
à une Ode de la compofition de M. de la
Vergne ( 1 ) , Confeiller au Préfidial , &c.
Elle trouvera mieux fa place au prochain
Mercure dans la partie fugitive.
( 1 ) C'est l'Auteur des Elémens , Poëme galant
imprimé dans le Mercure de Janvier 1754.
AVRIL. 1756. 147
I I I. ARTICLE
SCIENCES ET BELLES LETTRES.
-
COMMERCE.
LA Lettre fuivante eft fi favorable au
Commerce que nous avons cru devoir la
rendre publique , & la confacrer dans nos
Faftes pour la gloire du Miniftre qui l'a
dictée , & pour l'honneur du Négociant
qu'elle décore.
Lettre de M. le Contrôleur Général à M.
Policard , Tréforier de France , & Négociant
à Bordeaux , dont on vouloit arrêter
la réception de Préfident honoraire
des Tréforiers de France , fous prétexte
qu'il faifoit le Commerce.
JE reconnois , Monfieur , dans votre
Lettre les fentimens d'un vrai Négociant
qui font toujours ceux de l'honnête homme
& du bon Citoyen. On ne voit que
trop de Commerçans quitter la profeffion
de leurs ancêtres par une fauffe ambition,
ou une oifiveté encore plus condamnable ,
& perdre la vraie confidération , & les
G ij
148. MERCURE DE FRANCE.
>
richeffes réelles de leur état . Ainfi , loin
de vous détourner de fuivre cette route
tracée par vos peres , je fouhaiterois que
tout ce qu'il y a de Nobleffe en France
tant par extraction que par charges , ſe
portât à l'embraffer; & le Roi qui vient,
fur cela de manifefter fes intentions , en
accordant les Lettres de Nobleffe les plus
diftinguées à une famille de Normandie
qui exerce te Commerce de pere en fils ,
depuis deux cens ans ( 1 ) , eft dans la difpofition
d'accorder les mêmes prérogatives
à ceux qui auront fuivi cette profeffion
avec la même conftance & la même intégrité
, perfuadé qu'il n'en eft point de plus
utile & de plus précieuſe à l'Etat
que celle
qui tend à augmenter fes richeffes , fa puiffance
au dehors , & fa félicité au dedans,
Vous ne devez donc regarder les oppofitions
que l'on vous annonce de la part dedu
Parlement & de la Cour des Aides à votre
réception , que comme des difcours fort
hazardés de gens qui font peu inftruits des
vrais fentimens de ces deux Corps.Je rends
trop de juftice aux fentimens des Magiftrats
qui les compofent pour ne pas croire
qu'ils concourront avec leur Souverain
(1 ) Les Lettres de Nobleffe ont été accordées
à MM. Lecouteulx pour raifon d'ancienneté &
de perfévérance dans le Commerce.
AVRIL. 1756. 149
Idans toutes fortes de circonftances à honorer
le Commerce , & ceux qui le profeffent
, & vous pouvez même leur faire
part de ce que je vous mande à ce fujer ,
après avoir pris les ordres de Sa Majeſté .
Je fuis , & c.
4
A Verfailles , le 24 Février , 1756.
Le Négociant eft enfin ennobli . Le chemin
des honneurs lui devient permis , &
va le conduire à cette confidération qu'il
mérite fi bien , & qu'un injufte préjugé
lui refufoit. La porte du Commerce eſt en
même tems ouverte au Gentilhomme indigent
qui pourra l'exercer fans déroger ,
¹ & enrichir les fiens fans rougir . Voilà les
voeux de M. l'Abbé Coyer ( ) , qui commencent
à être exaucés ; voilà la preuve la
plus fûre du fuccès de fon livre , & le prix
le plus flatteur qu'il en pouvoit attendre.
'Honorer' , illuftrer le Commerce , c'eſt l'étendre
, c'est l'accréditer , c'eſt le perfectionner.
Quand la gloire guide l'intérêt
qu'elle épure , & fe joint au zele qu'elle
échauffe , l'émulation en redouble : elle eft
portée au dernier point . Que ne doit- on
pas en efpérer ? Cette diftinction utile à
l'Etat eft un bienfait du plus jufte & du
(1 ) Auteur de la Nobleffe commerçante.
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
meilleur des Rois. Nous aurions dit du
plus grand , mais nous aurions cru moins
dire. Nous penfons en Citoyens , que la
bonté , quand elle eſt éclairée , eft la premiere
qualité d'un Monarqué , & qu'elle
renferme l'éloge le plus parfait qu'on en
puiffe faire.
MÉDECINE.
JOURS CRITIQUE S.
Traduction abrégée de la dixieme Differtation
du Pere Feijoo , Bénédictin Efpagnol ,
dans fon Théâtre critique des Erreurs
communes , tome fecond , feptieme édition
de 1748.
LA Crife eft un changement fubit dans
la maladie vers la fanté , ou vers la mort.
Telle eft la définition qu'en donnent les
Médecins. Toutes les maladies n'ont pas
ces promptes mutations ; il arrive quelquefois
que ces deux ennemis , la nature & la
maladie , confument réciproquement leurs
forces , fans en venir à un combat décifif.
Hippocrate a fixé les Crifes aux feptiemes
jours des maladies , mais c'est moins en
Souverain que comme un fubalterne de
Pythagore , qui fut le premier Auteur de
AVRIL. 1756. 15x
la fuperftitieufe obfervation des nombres ,
dont les Gentils étoient fi idolâtres qu'ils
affujettirent à fa vertu non feulement les
mouvemens des caufes fecondes , mais encore
les opérations de leurs Dieux : Numero
Deus impare gaudet.
La Doctrine d'Hippocrate a toujours été
la bouffole des Médecins. Suivant eux une
heureuſe & conftante expérience prouve
l'infaillibilité des Oracles de leur divin
Maître. Si pour les convaincre de la fauſfeté
de quelques-uns de ces Oracles , on
cite des expériences contraires , ils s'obftinent
à ne les pas croire , ou fi abfolument
ils ne peuvent s'y refufer , ils trouvent
alors dans Hippocrate ce qui auparavant
n'y étoit pas , parce qu'il ne l'avoit point
dit. A quelles contradictions ne fut pas
fujet dans fa nouveauté le dogme de Harvéfur
la circulation du fang ! Toute la faculté
de Médecine trouva fort mauvais que
cet Anglois eût découvert ce que des yeux
de lynx n'avoient pas apperçu. Ne pouvant
cependant s'empêcher de fe rendre à
l'évidence , qu'arriva - t'il ? ce qu'on voit
encore tous les jours . Les Médecins changeant
de langage firent honneur à Hippocrate
de la découverte de Harvé ; mais
pour cela il fallut donner un fens forcé à
quelques paroles fort obfcures de l'Adoré
vieillard .
Giv
15 MERCURE DE FRANCE.
Pour moi j'avouerai volontiers qu'
Hippocrate fut un grand homme , pourva
que les Médecins m'accordent à leur
tour qu'il fut homme , d'où je concluerai
avec juſtice , qu'il ne faut rien croire feulement
, parce qu'Hippocrate la dit. En
effer , telle que foit fon autorité , j'oſe
foutenir que l'affignation qu'il a faite des
jours critiques aux feptiemes de la maladie
n'eft fondée ni en raifon , ni en expérience.
Je ne pense pas qu'aucun Médecin conredife
la premiere négative ; il eft certain
que la caufe de toutes les périodes obfervées
par la nature nous eft encore cachée Nous
les croyons , parce que nous les voyons ;
mais nul Philofophe ne peut fe vanter de
les avoir prévues par le raifonnement .
Bien loin delà , la vue des effets ne nous
empêche pas d'aller à tâtons dans l'examen
des caufes , au point même qu'il y auroit
de la témérité à prétendre les avoir trouvées.
Qui eft- ce qui a découvert jufqu'ici
pourquoi la mer fuit dans fon flux & reflux
les mouvemens de la Lune ? pourquoi
les fievres intermittentes ont des jours
déterminés , ainfi que toutes les autres altérations
périodiques ? La diverfité de ſentimens
vient à l'appui du mien. Si on nous
apportoit la graine de quelque plante
étrangere , inconnue en Europe , je défiethe
AVRIL. 1756. 475739
rois tous les Phyficiens de ces Royaumes ,
telle analyfe qu'ils en fiffent , de fçavoir
dans quel tems de l'année elle feroit en
fleurs , & dans quel autre elle donneroit
du fruit. Eh ! comment le fçauroient- ils ,
puifqu'ils ne peuvent pas rendre raifon
pourquoi les arbres les plus connus fructifient
, les uns au commencement de l'été ,
les autres à la fin de l'Automne ? Il faut
donc conclure , que quand même la progreffion
des jours critiques par feptiemes
feroit vraie , perfonne , avant d'en avoir
vu l'effet , n'auroit pu en faire la conféquence
du raifonnement.
Après que l'effet en fut donné pour
fuppofé , on en chercha la caufe dans là
Lune ; mais qui auroit vérifié auparavant
( quand même il auroit pu deviner l'influence
de la Lune ) que les jours critiques
devoient répondre , non au mois lunaire
fynodique , qui eft de vingt - neuf
jours douze heures & quarante- quatre minutes
, ni au mois de l'illumination , qui
eft de vingt- fix jours à peu de chofe près ,
mais au mois périodique, qui eft de vingtfept
jours fept heures & quarante- trois
minutes ? Nous ne difons rien ici du mois
médicinal que Galien fe forgea dans fon
caprice , fans le confentement des Aftronomes
, & qui étant compofé de deux mois
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
différens , du périodique , & de celui de
P'illumination , eft un plus grand cahos
que le cahos même.
Il est donc conftant que fi quelque
raifon peut faire fixer les Crifes aux feptiemes
jours des maladies , elle doit être
prife uniquement de l'expérience ; mais
réclame encore contre , malgré tout ce
que peuvent alléguer les Médecins , & je
dis que ce fondement eft incertain & mal
juftifié , me contentant de cela
préfent.
C
pour le
Parmi les Anciens je trouve contre les
jours critiques Afclepiade & Corneille
Celfe , tous deux Médecins d'une grande
expérience & d'une grande réputation .
Dans les modernes j'ai vu feulement du
même fentiment Tozzi & le Docteur Martinez.
Waldifmith m'apprend cependant
qu'il y en a nombre d'autres , & Ballive le
fuppofe ( lib. 2. cap. 12. ) Or je demande
fi tous ces Médecins n'avoient pas des
yeux comme les autres pour voir les Crifes
, & pour obferver dans quels jours
elles tomboient ? & s'ils en avoient , pourquoi
l'expérience ne les indiqua pas le
feptieme jour de la maladie ? Sans doute
que l'expérience eft douteufe , puifquè
nous la voyons affirmée par les uns &
niée par les autres , & une expérience
AVRIL. 1756. 155
douteufe ne fait pas une maxime certaine.
On me dira peut- être que dans l'examen
des queſtions de fait , on doit s'en tenir à
la dépofition du plus grand nombre de
témoins ; & que ceux qui affurent l'expérience
des jours critiques au jour marqué
, font fans contredit le plus grand
nombre. Je conviens de la maxime , quand
le grand nombre eft impartial ; mais les
témoins qu'on produit en faveur des jours
critiques font tous , ou prefque tous , des
témoins particuliers , déclarés fectateurs
zélés d'Hippocrate , auteur de cette doctrine.
L'intérêt leur en fait prendre la défenfe
; la feule vérité engage les autres à
fe déclarer pour l'opinion contraire.
Il eft difficile de s'imaginer jufqu'à quel
point s'étend l'empire d'Hippocrate . Ce
n'eft pas affez que les efprits lui foient
foumis , les fens-le font auffi. Ses fectateurs
ne voient & ne touchent que ce qu'ils ont
lu dans fes livres. Une feule expérience
qui répond à fes maximes leur tient lieu
de mille ; & mille qui détruifent ces mêmes
maximes n'en valent pas une. Il m'eft
arrivé de me trouver avec un Médecin
dans la chambre d'un malade , dans le moment
qu'il lui prit un vomiffement ; le
Médecin ne manqua pas d'en conclure un
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
grand foulagement , fondé fur un aphorifme
d'Hippocrate , des plus clairs fur ce
point. Pour moi qui dans d'autres femblables
occafions avois obfervé la fauffeté de
l'aphorifme , j'affurai que le contraire arriveroit
, & que bien loin qu'il dûr s'en
fuivre un prompt foulagement , la maladie
empireroit pendant quelques jours , fans
cependant aucun rifque pour la vie du
malade. L'événement juftifia ma prédietion
; mais quoique le Médecin fût un
homme vrai , fçavant & vertueux , il ne
fut jamais poffible de lui arracher la confeffion
d'un fait , dont il étoit témoin oculaire
, & qui lui étoit confirmé par le
malade & par les affiftans ; tant il eſt vrai
que les zélés Hippocratiens croient bien
plus à Hippocrate qu'à leurs propres yeux.
Je pourrois citer d'autres exemples , où j'ai
vérifié la fauffeté d'autres aphorifmes , &
reconnu le même entêtement ; mais il faut
avancer .
Les mêmes expériences citées par les
Médecins protecteurs des jours critiques ,
en font voir la fauffeté. Tous ne font
pas
d'accord dans le calcul , qui doit indiquer
le feptieme, jour. Les uns comptent du
premier inftant que le mal attaque ; les
autres de celui où la léfion des actions:
eft bien ſenſible , ainſi que la fievre ; d'auAVRIL.
1756. 157
tres du moment que le malade a été forcé
de fe coucher ; mais comme très-fouvent
plufieurs jours s'écoulent dans ces différentes
fituations , il arrive que celui qui
fera le feptieme pour un Médecin fera le
huitieme pour un autre : pour celui- ci le
neuvieme , & pour celui - là le dixieme ;
d'où il réfulte néceffairement que nombre
de ceux qui nous affurent avoir expérimenté
les crifes au feptieme jour , nous
trompent , ou fe trompent eux-mêmes ;
ou ce fyftême contradictoire en foi indiqueroit
quatre jours confécutifs de criſe ..
}
Ce qui eft vrai dans le fait , c'eſt que
lorfque la crife fe manifefte , chaque Médecin
abonde dans fon opinion. Si fa combinaiſon
fe trouve en défaut , il fait tout
un autre calcul pour que la crife tombe à
fon feptieme jour favori. Alors il fe figure
ou que le rapport du malade n'a pas été
exact , ou que lui -même ne l'a pas été
affez dans la premiere infpection des fymp-
-tômes de la maladie , d'où il conclud en
faveur des jours critiques que la maladie.
a commencé avant ou après les obfervations.
Si malgré tout cela il ne fe trouve
pas dans fon grand chemin , il fe laiffe
enfin conduire par ceux qui calculent autrement
que lui ; ainfi d'une façon ou
d'autre Hippocrate & Pythagore l'emportent
toujours.
158 MERCURE DE FRANCE .
Mais que pourront alléguer les Médecins
contre Hippocrate même , qui avoue avoir
obfervé qu'un grand nombre de malades
avoient effuyé des crifes en tous jours , le
premier , le fecond , le troifieme , le quatrieme
? Voilà un argument bien preffant.
Dire que Hippocrate ne compta pas comme
il falloit , c'eft prefqu'un blafpheme : faire
de ces cas une exception de la régle , on
leur répliquera que les événemens irréguliers
ne font pas auffi fréquens que
ceux- ci.
Non feulement les Médecins Hippocratiens
font inconféquens dans leurs maximes
, mais la défignation qu'ils font des
jours critiques eft détruite par la même
regle fondamentale qu'ils établiffent pour
leur comput , ce que je me flatte de prouver
d'une évidence mathématique.
Il faut d'abord fçavoir 1 °. que les jours
critiques font fixés aux 7 , 14 , 20 ou 21 ,
27 , 34 & 40me. Quant aux deux premiers
& aux trois derniers nombres , les Médecins
font d'accord. A l'égard du troifieme
nombre , quelques textes d'Hippocrate
autorifent la différence de fentimens ,
parce que quelques- uns placent le jour
critique au vingtieme , & d'autres au
vingt- unieme. La contradiction eft facile
à concilier , d'autant que , fuivant le comAVRIL.
1756. 759
put qui fe fait par le mois lunaire , dont
nous parlerons ci- après , le dernier jour
de la troifieme femaine prend douze heures
du vingtieme , & autant du vingt- unieme ;
parconféquent on eft auffi- bien fondé à
placer le jour critique au vingtieme , qu'au
vingt- unieme. ,
2°. Qu'outre les jours critiques , les
Médecins en adoptent d'autres qu'ils appellent
indiquans , parce qu'ils pronoftiquent
ce qui doit arriver dans ceux d'une
crife , chacun refpectivement au jour qui
lui fuccede immédiatement. Ces jours indiquans
font les quatriemes de chaque
femaine lunaire , c'eft- à - dire , le quatrieme
de la maladie , le onzieme & le dix-feptieme.
3 °. On doit le rappeller que nous avons
obfervé ci- deffus que les Médecins réglent
la féquence des jours critiques au cours
de la lune , dans le zodiaque ou mois périodique
, lequel comprend vingt- fept
jours fept heures quarante - trois minutes
& fept fecondes mais fans s'arrêter à
des minutes , nous fuppoferons le mois
périodique de vingt-fept jours & huit heures
, & en cela nous nous conformerons
aux Médecins .
:
Divifant donc le mois périodique
quatre femaines , & chacune comprenant
160 MERCURE DE FRANCE.
non fept jours complets , mais fix jours &
vingt heures , les Médecins difent que le
quatrieme de chaque femaine eft le jour
indiquant , & le feptieme le critique. Telleeft
leur doctrine , n'ayant pu trouver d'autre
méthode pour que la lune y préfidât .
Tout cela fuppofé , je dis à mon tour
qu'ils fe trompent groffiérement dans leur
calcul , tant par rapport au jour indiquant,
que pour le jour critique. Suivant eux ,
l'indiquant eft le dix-feptieme , & le critique
le quarantieme ; & fuivant la bonne
regle , le premier doit tomber au dix - huit ,
& le fecond au quarante-unieme.
La raifon pourquoi le jour indiquant
doit tomber au dix - huit plutôt qu'au dixfeptieme
, eft parce que donnant à chaque
femaine lunaire fix jours & vingt heures ,
le quatrieme de la troifieme femaine comprend
une plus grande portion du dixhuitieme
jour de la maladie que du dixfeptieme.
En effet , il eft compofé de près
de quatorze heures du dix - huitieme , & de
dix feulement du dix-feptieme. La preuve
en eft facile à faire . Or par la maxime vulgaire
& certaine que le plus fort emporte
le foible ( maxime adoptée par les Médécins
pour tous les autres jours indiquans &
critiques , hors ceux dont il eft ici queftion
) l'indiquant doit être le dix- huitieme
AVRIL 1756. 161
& non le dix-feptieme , ainfi que le quatrieme
de la troifieme ſemaine..
Le raifonnement des Médecins tombe
donc à faux , lorfque pour établir le dixfeptieme
jour pour le quatrieme de la troifieme
femaine , ils fe fondent fur ce que le
quatorzieme eft le dernier de la feconde femaine
lunaire & le premier de la troifieme .
Lapremiere prérogative lui eft légitimement
dûe , mais non pas la feconde ; parce que ,
fuivant le nombre ci-deffus marqué des femaines
lunaires , le dernier jour de la feconde
femaine prend 8 heures fur le treizieme
de la maladie , & feize heures fur le quatorzieme
: d'où il fuit que celui- ci mérite
à plus jufte titre cette dénomination . Par
la même raifon , le quinzieme doit être
regardé le premier de la troifieme femaine,
puifqu'il en prend feize heures , tandis que
le quatorzieme n'en prend que huit.
L'erreur eft encore plus grande dans le
quarantieme que dans le dix - feptieme
jour , parce que le quarantieme n'eft compofé
que de huit heures du feptieme jour ,
de la feconde femaine , du fecond mois lunaire
, & de feize du quarante-unieme. Ce
dernier devroit donc être confideré le jour
critique & non le quarantieme . Le réſultat
de tout ceci eft qu'on marche en aveugle
dans le pays des jours critiques , & que
les
162 MERCURE DE FRANCE.
Médecins ont beau faire pour concilier
Hippocrate avec la lune , ils n'en viendront
jamais à bout.
Je foupçonne avec grand fondement
qué Galien avoit prévu cette difficulté , &
que ce fut pour l'éviter qu'il forma à fa
guife un mois lunaire qu'il nomma médicinal
. Pour cet effet , il joignit au mois
périodique celui de l'illumination : partageant
enfuite également ce total , la moitié
fit fon mois entier médicinal , lequel comprenoit
fept jours moins deux heures . Par
ce nouveau compte , le jour indiquant fe
trouvoit juftement le dix-feptieme , & le
jour critique le quarantieme. Il évitoit en
outre l'embarras que j'ai obfervé dans le
vingtieme , c'est - à - dire , de partager le
jour critique moitié par moitié entre le
vingt & le vingt- unieme : mais comme
Galien ne confulta que fon imagination
pour fabriquer fon mois , & que les Médecins
ne s'y conforment pas , je n'en ferai
pas plus de cas qu'eux.
Ne voulant rien laiffer à défirer fur
cette matiere , je vais prouver que non
feulement les Médecins fe trompent dans
leur calcul , mais encore que tout calcul
fur ce point eft faux , c'eſt- à- dire , que de
telle façon qu'on compte les feptenaires ,
il fera toujours faux de dire que les crifes .
AVRIL. 1756. 163
tombent aux feptiemes jours des maladies.
Pour cela , je fuppofe ( ce que perfonne
ne peut nier ) que les mutations périodiques
qui fe font dans tels liquides que ce
foit , fe reglent non feulement fur l'influence
d'une caufe , mais fur le congrès
de toutes celles qui concourent ; & non
feulement fur le concours des cauſes , mais
auffi fur la nature des mêmes liquides.
Des exemples fans nombre rendent ceci
palpable. Quoique la lune foit, fuivant l'opinion
commune, la caufe de l'intumefcence
des eaux de la mer , & de celle de
l'humeur nourriciere des plantes , l'une &
l'autre ont cependant leurs différentes périodes
: la premiere arrive deux fois le
jour ; la feconde une fois chaque mois. Il
y a même une différence notable dans la
même mer par rapport aux caufes partiales
qui concourent conjointement avec l'in-
Auence de la lune au flux & reflux ; ainfi
le voit on plufieurs fois le jour dans la
mer noire , tandis que dans nombre d'endroits
de la Méditerranée on n'en obferve
aucun. Les mêmes aftres influent fur toutes
les plantes ; mais ce n'eft ni dans le
même tems , ni en obfervant les mêmes
mutations périodiques que leurs fruits
viennent à maturité , parce qu'il y a une
différence dans la nature de leur fuc. Il
164 MERCURE DE FRANCE .
feroit encore de la même nature , que la
qualité du terrein & les accidens de l'atmoſphere
occafionneroient une fuffifante
variation. Les fermentations tant naturelles
que chimiques , ont auffi leurs différens
tems , fuivant la différente quantité & la
nature des liquides : les unes font trèspromptes
, les autres très - lentes . Les liquides
de la même nature fpécifique fermentent
même plus ou moins promptement ,
par la feule raifon de la différence indivi-
-duelle , comme on le voit dans les vins.
Ces faits pofés , je raifonne ainfi . Autant
les maladies , même les aigues , font diffé-
-rentes entr'elles , autant le font la qualité
& la mixtion des humeurs vicieufes ; que
les maladies foient d'une différence ſpécifique
, il n'y a pas de doute ; donc la fermentation
des humeurs fuivra différentes
périodes : parconféquent on ne peut établir
une regle générale & uniforme qui
détermine les tems dut combat décifif entre
la maladie & la nature : au contraire , la
différence du jour du combat fera proportionnée
à celle de la maladie .
Pour donner plus de force à ce raifonnement
, il faut obferver que la diverfité
fpécifique des maladies a plus d'étendue
qu'on ne lui en attribue communément :
fouvent elles paroiffent avoir beaucoup
AVRIL 1756. 165 :
de rapport à l'extérieur , tandis qu'intérieurement
elles ont une grande oppofition
; ce qui fe remarque clairement dans
les fievres épidémiques qui , quoique
femblables en apparence , exigent cependant
d'être diverfement traitées , & bien
fouvent d'une façon toute contraire : auffi
je crois pouvoir affurer avec raifon que
lorfque les Médecins penfent avoir trouvé
le principe fpécifique de nombre de maladies
, ils ne connoiffent cependant que le
générique. Y ayant donc une fi grande
diftinction à faire dans les maladies , &
parconféquent dans les humeurs , comment
pouvoir indiquer les mêmes périodes
à leurs fermentations & fégrégations ?
Cela n'eſt pas même poffible dans une
même maladie , quant à l'efpece , parce
que comme nous l'avons obfervé ci deffus ,
la différence individuelle fuffit pour varier
la période. Les combinaiſons des particules
hétérogenes , des humeurs ,( quand
on fuppoferoit celles- ci d'une même efpece
) font fans nombre , & les fermentations
plus lentes ou plus promptes à proportion.
On peut s'en convaincre par les
mixtions chimiques , qui , quoique faites
avec des ingrédiens d'une même efpece ,
fermentent plus ou moins vite , fuivant
que la doſe en eft variée .
166 MERCURE DE FRANCE.
Ceci fe rend encore plus fenfible par
la parité des fievres intermittentes , qui
fuivant leur diverfité , ont leurs retours
périodiques en divers tems ; & qui eft- ce
qui n'en connoit pas la grande variation ?
La même fievre à l'occafion de quelques
mutations accidentelles , fort du compas
qui la régloit dans le principe. Tantôt elle
étoit avancée , tantôt retardée ; celle qui
étoit déterminée , ne l'eft plus ; celle qui
venoit journellement , eft alternative , &
l'alternative vient chaque jour . La même
variété doit néceffairement fe trouver dans
les périodes critiques des fievres continues ,
puifque le même principe s'y rencontre ,
je veux dire , la diſtinction , tant ſubſtantielle
qu'accidentelle des unes aux autres.
Enfin , obmettant d'autres bonnes raifons
, il me paroît que l'altération fuppofée
par les Médecins dans l'ordre des jours
critiques après le quarantieme de la maladie
, eft non feulement abfurde , mais ridicule.
Ils prétendent qu'alors les Crifes ne
font plus feptenaires , mais qu'elles viennent
tous les vingt jours , & qu'ainfi le
Go , le So , le 100 & le 120me font critique.
Voilà en vérité un beau faut ! Pour
cela , il faut de néceffité s'imaginer que la
lune fatiguée de la furintendance critique,
la tranfmet à un autre aftre qui hebdomaAVRIL
1756. 167
diſe de vingt en vingt jours , ou du moins
que cette espece de marmitonne pour les
fievres , eft devenue fi pareffeufe , qu'elle
ne daigne plus defcendre que de trois en
trois femaines pour remuer la cafferole
des humeurs.
Je finis en obfervant que le grave &
éloquent Corneille Celfe , quoique rempli
de vénération pour Hippocrate dans
la partie pronostique , le trouve deftitué
de toute raifon dans l'affignation des jours
critiques , ajoutant qu'il fe laiffa entraîner
aveuglément , ainfi que d'autres célebres
Anciens , à la fuperftitieuſe obſervation
des nombres , fur la feule autorité de
Pythagore : Adeò apparet quâcumque ratione
ad numerum refpeximus ; nihil rationis
fub illo quidem auctore ( Hyppocrates ) reperiri.
Verùm in his quidem antiquos lune
celebres admodum Pythagorici numeri fefellerunt.
Suite de la Séance publique de l'Académie
des Belles Lettres de la Rochelle. ·
M. de Villars , Docteur en Médecine ,
Chancelier, lut enfuite quelques réflexions
fur la profeffion du Médecin ; comme elle
1,63 . MERCURE DE FRANCE .
font peu fufceptibles d'extraits, on les donne
ici en entier.
L'ufage des Sociétés Académiques eſt
de traiter dans leurs affemblées des matiéres
littéraires ; on y produit des morceaux
d'éloquence , on y fait entendre de poétiques
accens ; les uns font revivre les Héros
de l'Hiftoire : Les autres étalent aux yeux
les richeffes de la nature , & fes belles
productions. La Morale eft quelquefois
développée , & des fleurs légèrement répandues
fur d'aufteres préceptes , font évanouir
la trifte féchereffe, du ton dogmatique
, de ce ton qui prouve fi bien , &
qui perfuade fi peu.
Agréez , Meffieurs , que je m'écarte des
loix ordinaires pour vous entretenir de ma
profeffion . Si la conftante application qu'el
le demande , files foins affidus que je lui
dois , n'ont pu affoiblir ma paffion pour
les Mufes , ils m'empêchent du moins de
leur faire ma cour : il ne m'eft pas permis
de facrifier dans leur temple auffi fouvent &
avec le même fuccès que vous. Mais après
tout , Meffieurs , ce que je vous préfente
aujourd'hui n'eft pas fi éloigné de l'objet
de vos recherches . Apollon n'eft - il pas le
Dieu des Lettres , & de la Médecine ? Des
réflexions courtes & détachées me fuffiront,
rien ne fera approfondi , je me contenterai
AVRIL 1756. 169
rai d'effleurer mon fujet , & de parcourir
des furfaces. C'eft la mode , c'eft le goût
du tems.
1. Parmi les Arts , il en eft peu d'auffi anciens
que la Médecine ; dans tous les tems
le corps humain a effuyé des révolutions
funeftes. Les refforts de cette machine fi
compliquée , fe font dérangés ? il eſt donc
naturel de penfer que le foin de rétablir ces
refforts a fuivi de près l'époque de leur dérangement
, les hommes font trop attachés
à la vie , pour en avoir négligé la confervation
.
2. L'utilité de la Médecine fourniroit à
un docte Allemand une ample moiffon d'érudition
. Pour moi je ne fuis pas d'humeur
de tracer même une ligne fur ce fujet , ni
de combattre comme Ciceron pro domofuâ.
On doit fuppofer que cette utilité eſt déja
prouvée , ou renoncer de bonne grace à
pouvoir jamais la prouver. Il me fuffira
d'obferver qu'elle eft confacrée dans les Livres
Saints ? honora medicum propter neceffitatem
, etenim illum creavit Altiffimus .
3. Si les fciences font ennoblies par leur
objet , l'Art de guérir doit tenir entre elles .
un rang diftingué dans l'univers ; rien de
fi grand que l'homme , tout ce qui tend à
la perfection , & à la confervation de cet
Etre mi-parti d'efprit & de corps , partici-
I. Fol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
pe en quelque chofe à fa grandeur. Quelle
gloire pour la Morale & pour la Médecine
de s'exercer fur une auffi noble matiere
! L'une éclaire l'ame fur fes devoirs ,
& la rend plus digne du fouverain Maître
qui l'a formée ; l'autre écarte les maux du
corps , fçait y entretenir l'économie animale,
& conferve le chef-d'oeuvre du Créateur.
Il eft vrai qu'elle ne parvient pas toujours
au but qu'elle fe propofe , mais elle
fait au moins de généreux efforts pour y
atteindre ; & l'on fçait que dans les hautes
entrepriſes , le courage de les avoir entamées
, ne va jamais fans gloire , quoiqu'il
manque quelquefois le fuccés : In magnis
voluiffe fatis eft.
4. Si l'objet du Médecin eft grand , &
digne d'occuper l'efprit de l'homme , il
faut l'avouer, il eft hériffé de beaucoup d'épines.
La connnoiffance du corps humain
demande l'étude la plus vafte , c'eſt un vrai
labyrinthe , où l'on a percé bien avant : on
s'y enfonce toujours avec fuccès , mais
quelqu'un fe flattera - t'il de n'avoir jamaisvu
échapper de fes mains le fil qui le
conduifoit dans ce fombre Dédale ? On a
dit que la Médecine étoit la ſcience des
individus : or les individus font diftingués
par des nuances , qui ne s'apperçoivent
pas aifément. Quelle fagacité ne faudraAVRIL.
1756. 171
^
5
t'il pas pour les faifir , ces nuances , ou
pour les deviner ? De cet effain de difficultés
qui fe préfentent dans la guérifon
des malades , que faut- il conclure ? qu'un
homme deſtiné à cette importante fonction
doit mefurer fon application fur les obftacles
. Ils font grands , ces obftacles ; mais
font-ils infurmontables ? Combien de Médecins
ont joui , ou jouiffent de l'honneur
de la difficulté vaincue .
5. Ici j'entends certains Ariftarques , fideles
échos du Terence François , dont ils
copient les traits malins , fans les rendre
avec les graces & le fel agréablement piquant
de cet incomparablePoëte . Ils parlent
beaucoup des conjectures de notre art ,
de fes méprifes , de fes incertitudes . Eh
quoi ! tout fera- t'il incertain dans un certain
genre de fcience , parce que tout ne
fera pas développé. Le fond des connoiffances
à acquerir eft encore bien riche ;
fommes - nous donc pour cela livrés à une
ignorance générale ? Celui qui parcourt
une immenfe carriere ne marche - t'il donc
plus parce qu'il voit le but dans le lointain
? La fphere de nos connoiffances s'agrandit
tous les jours. Que de brillantes
découvertes dans l'Anatomie ! Le nombre
des plantes , leurs efpeces , leurs vertus ,
utiles , ou malfaifantes , tout eft connu a
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
nos Botaniftes ; leurs fçavans regards ,
comme ceux de Salomon , ont tout parcouru
depuis l'hyfope jufqu'au cédre du
Liban ; une docte théorie appuyée par des
principes bien médités , éclaircie fur les
obfervations d'une pratique réfléchie
fortifiée par les exemples d'une longue
expérience , prolonge les jours d'une infinité
de Citoyens ; cependant , nous n'arriverons
jamais avec tous nos efforts à ce
degré de lumiere , dont les rayons étincellans
embraffent la totalité des objets.
Cet inconvénient n'eft- il pas commun à
toutes les fciences ? Elles portent toutes
l'empreinte de la foibleffe humaine ; elles
font bornées comme le fujet qui les reçoit
. L'homme , quoi qu'il faffe avec tout
fon fçavoir , ne fera jamais qu'un ignorant
, qui ignore moins ; il ne peut être
habile qu'imparfaitement , telle eft la
fource des conjectures de la Médecine . La
Théologie a fes tenebres a fes ténebres , la Géométrie
fes problêmes infolubles , la Jurifprudence
fes variations , la Dialectique fes
fophifmes , la Phyfique fes erreurs. la
Grammaire fes minuties , l'Eloqence fes
paralogifmes , la Poéfie fes chimeres , fes
fadeurs ; la Médecine a fes conjectures.
6. Je ne fçais par quelle fatalité la fatyre
lui pardonne moins fes imperfections;
AVRIL. 1756. 173
1
les autres arts font traités avec plus d'indulgence
; ceux qui les ignorent , ne ſe
mêlent pas d'en juger ; mais en matiere
de Médecine le moins inftruit eft un hardi
critique. Témeraire critique, vous le prendrez
fur un ton moins amer au premier
accident funefte , & le fecours que vous
reclamerez dans vos douleurs , vengera le
Médecin de vos injuftes mépris.
7. Pourquoi tant exagérer l'impuiffance
des remedes ? Eft il donné à l'induſtrie
humaine de réparer tous les dérangemens
de la nature ? Le Pilote le plus expert au
milieu d'une mer courroucée , céde quelquefois
aux affauts de la tempête , & fa
manoeuvre , quoique fçavante , ne peut
dérober le navire aux flots qui confpirent
pour l'engloutir. Les paffions excitent dans
corps des orages auffi difficiles à calmer
que ceux de l'Océan .
le
Les remedes font trop fouvent inutiles.
Je ne le diffimule pas ; mais c'est moins
par leur inertie que par la faute des hommes
; de ces hommes , qui loin de jouir
des bienfaits du Créateur , les pervertif
fent par un indigne ufage ; de ces hommes
fi attachés à la vie , & qui par leurs
excès en précipitent le cours ; de ces hommes
qui querellent la nature pour leur
avoir donné des organes fi frêles & fi dé-
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
licats , & qui dans leurs tranfports infenfés
aiguifent eux- mêmes les cifeaux dont
la parque fe fervira pour en trancher le
tiffu ; de ces hommes enfin uniquement
fenfibles aux foins meurtriers de nos modernes
Apicius , à ces rafinemens de bonne
chere qu'enfante l'intempérance , & qui à
leur tour font naître tant de fléaux deftructeurs
de la fociété.
.
Qu'un genre de vie modéré ramene la
fimplicité antique , que la Religion & la
raifon marquent aux plaifirs la ligne qu'ils
ne doivent pas déborder , que la frugalité
banniffe de nos cités les délices des Sybarites
; alors les infirmités moins vives ,
moins aigues , ne feront plus rebelles à
l'activité des remedes , & des guériſons
fréquentes annonceront plus fouvent nos
fuccès ; fuccès que l'on a déja vu décorés
des honneurs les plus brillants. Augufte
fit élever au milieu de Rome une ftatue à
Antonius Mufa ; il éternifa ainfi par ce
glorieux monument l'utilité de la Médecine
, & fa reconnoiffance pour l'illuftre
Médecin qui l'avoit guéri . Louis XV , notre
augufte Monarque vient de récompenfer
par des lettres de Nobleffe un genre
d'hommes dont les talens doivent être fi
précieux à leurs concitoyens.
On nous fait encore un reproche bien
AVRIL. 1756 . 175
férieux , c'eſt de trop aimer la liberté ,
( Religio Medici ) . Si un Matérialiſte de
nos jours a indigné l'univers par un ouvrage
trop connu , combien de Médecins
l'ont édifié par la pratique des vertus Chrétiennes
! Les Hamons, les Dodards , les Hequets
, dont la mémoire eft fi chere à la
Faculté de Paris , fçurent réunir les talens
& la piété , l'érudition & l'efprit de la foi.
L'exercice de leur profeffion fut toujours
pour eux un exercice de charité , & le Médecin
en leur perfonne s'identifioit avec
le Chrétien . Que dirai - je encore , Meffieurs
? pour ceux qui entendent raiſon ,
j'en ai affez dit ; & pour les mauvais plaifans
je n'en dirois jamais affez.
Les réflexions de M. de Villars furent
fuivies d'un Mémoire que lut M. de la
Faille , Contrôleur des Guerres , fur la
Pholade coquillage connu dans cette Province
fous le nom de Dail.
Après une courte expofition des avantages
que l'hiftoire naturelle du pays d'Aunis
peut attendre du grand nombre & de
la variété des coquillages qui garniffent
fes côtes , M. de la Faille en vint à celui
que l'on y connoît fous le nom de Dail ,
dans le genre des teftacés. » C'eſt , dit - il ,
» un coquillage multivalve , compofé de
pieces tellement collées , & réunies en-
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
و د
"
» femble par différens ligamens , qu'elles
» ne frappent point au premier coup d'oeil ,
» & que fans une attention férieuſe , il
» feroit facile de le confondre dans la
claffe des bivalves. . . . Delà paffant à
la defcription de ces fix pieces , il en fic
le détail avec d'autant plus d'exactitude ,
» que de tous ceux qui en ont parlé ,
»même parmi nos Modernes , il n'en eft
» aucun qui les ayent étendu au - delà de
cinq. Quatre font appliquées au dos de
» la coquille , & les autres , qui font les
» deux plus grandes , cachent & renfer-
» ment le poiffon.
و ر
و د
» Tout ce qui eft particulier à ces dernieres
, c'est- à- dire , l'irrégularité de la
» forme , le peu de convenance des valves ,
l'échancrure du contour , les afpérités ,
» ou éminences raboteufes qui en couvrent
» la robe , &c. tout fut préfenté dans le
plus grand jour. Ayant enfuite fait quelobfervations
fur la pêche finguliere
de ce poiffon , l'Auteur indiqua les différentes
efpeces de Pholades , qu'il réduifit à
trois. « La premiere , dit- il , ne fe trouve
ques
و ر
ور
qu'en Ecoffe , au rapport de Lifter. La
» feconde , que l'on devroit mettre plutôt
», au rang des moules ou cammes , que des
» Pholades , habite les rivages de l'Italie
» & de la Provence .... La troisieme eft
AVRIL. 1756. 177
"
و د
particuliere à la Rochelle , & à plufieurs
» Villes maritimes de France ; elle est bien
inférieure pour la perfection du travail
l'élégance & la grandeur de la forme ,
» aux riches productions que l'Amérique
» nous fournit en ce genre. Mais fi ce
coquillage leur céde en beauté , il obéit
» dans le général aux mêmes loix ; on ne
le , trouve jamais ni fur des fonds de
gravier , ni dans la compagnie des autres
» teftacés : il femble qu'un goût de retraite
» ou de caprice lui infpire une vie folitaire
, du moins le fein des rochers &
» des banches , ainfi que les terres fermes
argilleufes font les endroits privilégiés
»où il fe retire , &c .
Du mot grec Pholas , qui exprime une
chofe cachée & renfermée , on a donné à
ce poiffon le nom de Pholade , parce qu'il
fçait fe pratiquer dans les pierres & les
fubftances les plus dures une loge , où il
fe retire & fe met à couvert. Mais quels
font les moyens , l'art & les reffources
qu'il y employee c'eft ce qui forme le fujet
de ce mémoire nsvort el
M. de la Faille obferve d'abord qu'il
n'eſt pas poffible que ce coquillage puiffe
percer avec fa feule coquille , encore
moins avec quelque partie charnue de
fon corps , des pierres auffi dures que
la
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
Banche & le caillou pour s'y introduire
il en donne des raifons fenfibles , & il a
d'ailleurs pour lui une fuite d'expériences
bien capables de détruire cette idée : de
nouveaux faits puifés non feulement dans
nos meilleurs Hiſtoriens , mais encore dans
le Poitou & les pays d'Aunis , fervent à
garantir fon fentiment & à donner créance
à tout ce qu'Ariftote , Polibe & le Docteur
Brown ont rapporté de merveilleux fur les
poiffons foffiles. Mais s'il n'eft pas étonnant
que ces derniers puiffent fe frayer une
route au travers d'un limon liquide , il
n'en eft pas de même du Dail , dès que l'on
confidere les voies extraordinaires qu'il
lui faudroit néceffairement mettre en
ufage pour pénétrer la fubftance pierreuſe.
Ce que le célebre Auteur de l'Hiftoire
» naturelle de Languedoc rapporte de ceux
» de fa Province que l'on trouve renfermés
hermétiquement dans le rocher , ne fait
» qu'en augmenter encore les difficultés
& quoique la Pholade de ces côtes jouiffe
»d'une prérogative particuliere , en confervant
par le moyen d'un petit trou
quelque communication extérieure , elle
» n'en eft pas moins contrainte dans les
» détails de fa manoeuvre d'obéir aux mê-
» mes loix.
*
و د
Pour y conduire infenfiblement , l'AuAVRIL.
1756. 179
teur rappelle divers exemples intérellans
de plufieurs autres animaux , tels que des
crapauds , des écreviffes , des grenouilles ,
des ferpens , qui , au rapport de quelques
Ecrivains irréprochables , ont été trouvés
pleins de vie , & renfermés tantôt dans
des blocs de pierre , tantôt dans le coeur
des plus gros arbres . L'idée générale de
les rapporter d'abord aux germes de leur
efpeces , enveloppés par un fuc végétal ou
lapidifique , peut fouffrir , felon notre Auteur
, quelque exception dans ce premier
regne. Les accidens que l'art ou l'événement
peuvent y occafionner , joints à la
force de la feve , toujours capable dans des
arbres vigoureux d'en réparer les dommages
, lui paroiffent fuffifans pour donner
entrée , cacher & renfermer promptement
dans le coeur de ces fortes de fubftances
pluſieurs animaux : ce qu'il rapporte au
fujet de quelques volatiles , infectes &
reptiles naturels au pays d'Aunis , fert à
donner à fon fentiment une nouvelle force
; mais il juge bien différemment des
corps étrangers que cele & renferme le
fein des cailloux. » Les raifons qui n'ont
" pu leur permettre de s'y introduire que
"
dans les premiers momens de la forma-
» tion , & lorſque la matiere de la pierre
>> confervoit encore toute fa fluidité , font
H vi
180 MERCURE DE FRANCE.
» les mêmes pour ce qui concerne l'origine
de la Pholade : ce coquillage ne sçauroit
» les méconnoître fans renverfer l'équilibre
& les loix de la nature , & tout ce
» que Aldrovande , Bonani & Lifter ont
avancé fur fon compte , doit être mis au
rang de ces chimeres enfantées par l'antiquité
, & que l'erreur populaire a feule
» accréditées .
>>
ود
35
و ر
Pour difcuter & approfondir cette fecrette
opération , M. de la Faille a cru
devoir remonter jufqu'à la fource primitive
du Dail , & de le fuivre dans fon accroiffement
, fes détails, fes moindres changemens.
» On fçait affez , dit- il , que ce
poiffon fe perpétue par une efpece de
germe , ou plutôt d'humeur glaireuſe ,
que du fond de fa cellule , il abandonne
» au hazard , ou qu'il peut dépofer dans
» le fein des terres limoneufes où il eft
» fouvent enfeveli ; que dans l'un ou l'au-
» tre cas , cette maffe informe peut fe
trouver environnée , foit dans ce premier
moment , foit dans un état plus
» parfait d'une fubftance lapidifique , dont
» la formation lente ou prochaine ne devra
» fes progrès qu'aux différens événemens
qui en pourront hâter , ou retenir la
» condenfation . Il s'appuie dans ce
raifonnement fur les différentes pétrifica-
"
- ور
AVRIL. 1756. 181
tions du pays dont le fein des Banches
fournit de tous côtés une prodigieufe
abondance , & il eft fi perfuadé que la
mer peut en agir ainfi à l'égard de la
Pholade , qu'il en trouve dans une espece
de pierre coquilliere formée journellement
fur fes bords & par fes eaux , une preuve
victorieuſe.
Cette idée qui fembleroit porter la durée
des teftacés à un terme très-long , eft
fondée fur des preuves phyfiques tirées de
l'orictologie du Chancelier Bacon. Mais
quand elle ne feroit pas auffi plaufible , ce
Naturalifte fait voir que dans la formation
des pierres occafionnées par les eaux
de la mer , & dont l'accroiffement & la
condenſation eſt bien plus prompte qu'on
ne s'imagine , il feroit facile , fans excéder .
les bornes de la vie la plus commune , d'y
rapporter l'origine du Dail , &c. Ce qui
lui paroît enfin confirmer cette conjecture ,
& détruire entiérement les moyens extraordinaires
qu'on a voulu prêter à ce
coquillage pour percer & pénétrer la fubftance
pierreufe , c'eft qu'il n'eft pas le feul
dés teftacés qui fe trouvent renfermés dans
fon fein. Combien n'en eft- il point dans
prefque tous les genres qui n'ayant que la
foibleffe & la fragilité pour partage , ne
laiffent pas fur le témoignage de Blondel ,
182 MERCURE DE FRANCE.
Gaffendi , Duhamel , &c. de fe loger dans
le fein des rochers qui bordent les rivages
d'Italie & de Provence &c.
Après avoir expliqué comment ce germe
du Dail enveloppé , prend naiffance & fe
nourrit des eaux de la mer qui le couvrent
de tems à autre , M. de la Faille paffe aux
différens moyens que cet animal met en
ufage pour approfondir ou élargir fa demeure
, fuivant fon accroiffement & fes
autres befoins. Cette manoeuvre n'a jamais
été bien connue , » & tout le détail qu'on
>> en trouve dans l'excellent ouvrage de
» l'Encyclopédie , quoique rapporté d'après
» les Mémoires de l'Académie des Scien-
» ces , n'en est pas moins difficile à concilier
avec les nouvelles obfervations.
>> Comment concevoir que ce poiffon
puiffe employer à ce travail la partie
charnue de fon corps qui finit en une
efpece de pied fait en lofange , eu égard à
fa foibleffe naturelle & aux obftacles
qu'il auroit à furmonter ? Il peut bien , à
l'exemple de plufieurs autres teftacés ,
» qui vivent fous le fable , ou dans la vaſe
employer cette partie charnue à s'y frayer
», une route & s'y cacher : mais ce n'eft
point une conféquence à tirer de - là
qu'il dût percer la pierre : tout eft ici
du reffort de la coquille , menée & con-
"
23
"3
. و ر
"
99
JP
33
>>
AVRIL. 1756.
183
duite feulement dans fon opération par
le corps qu'elle renferme , & l'impreffion
» que fes ftries communiquent à la pierre
» fur laquelle elle agit ; impreffion que
» l'on remarque très - diftinctement.
Voici quel en eft , felon M. de la Faille ,
» le vrai procédé , la figure du dail qui eft
» la même que celle de fon trou , approche
affez d'un cône tronqué dont la bafe fe
termineroit par une petite cavité à peu
près triangulaire , dans une fituation ordinairement
perpendiculaire : c'eft fur.
» cette bafe que porte tout l'effort & le
poids de fon corps ; & pour lui procurer
» autant de progrès que de facilité dans fes
» mouvemens , fa coquille eft armée dans
ود
"
cette extrêmité de deux pointes fortes &
» tranchantes en forme de tariere , dont
» les contours dentelés lui donnent le
» moyen en tournant fur elle-même , com-
>> me fur un pivot de mordre & de percer
» la pierre dans fa profondeur. Pendant
» cet office , les ftries ou les dents dont
» les valves font chargées , font le leur ;
,, le Dail fe contente de les étendre vers la
» circonférence en forme d'ailes ou de
» bras ; c'eft fous leur couvert que les
parties les plus délicates foit du poiffon ,
» foit du reftant de la coquille , trouvent
» une espece d'azyle ; & par les mêmes
و د
184 MERCURE DE FRANCE.
و ر
"
ود
"
cr
fecouffes qu'il fe donne pour creufer fon
»terrein , autant que par le fecours de l'eau
de la mer dont il eſt inondé , il ne fait
» pas avec fes dernieres armes des proprès
» moins prompts fur la matiere pierreufe
qui l'environne.... L'opinion finguliere
qui veut que ce teftacé pour fortir de fon
trou paffe par différentes métamorphofes ,
& qu'après être venu à un certain point
de groffeur , il fe change en chenille &
enfuite en humeur , eft réfutée par M. la
Faille de maniere à ne pouvoir fe foutenir
comme contraire à l'expérience. « Ce n'eſt
» pas , ajoute- t'il , la feule erreur qu'on
puiffe mettre fur le compte des Anciens ;
» & combien n'en eft - il point de plus abfurdes
peut- être , qui regardent nos Mo-
» dernes , falfifiant tantôt l'origine de ce
coquillage , ou déplaçant fes parties principales
, tantôt lui prêtant une opercule
qu'il n'a jamais porté , ou réduifant foit
» à trois , foit à cinq les fix pieces de fa
coquille ! on croiroit qu'ils fe feroient
» attachés plutôt à faire le roman , que
»l'hiftoire de ce teftacé.....M. de la Faille
termine fon Mémoire par l'anatomie de ce
poiffon , matiere auffi neuve qu'intéreffante
, & pour y donner plus d'ordre &
d'arrangement , il divife ce teftacé en deux
parties , fupérieure & inférieure.
و د
39
و ر
"
»
t
AVRIL. 1756.
185
"3
وو
ود
ود
,
» La premiere , dit- il , occupe à peu
" près les deux tiers de la coquille ; l'infé-
» rieure dans une efpace plus borné , eft
fituée vers le côté de l'écaille qui s'alon-
"ge davantage : c'eft une membrane épaif-
» fe , rude & cartilagineufe , couverte dans
» toute fa fuperficie de petits grains ou
élévations , qui à l'oeil lui donnent affez
» l'air d'une peau de chagrin ; elle eft dans
» fon principe d'une couleur jaunâtre
mais cette nuance s'éclaircit au point
d'être prefque blanche vers le milieu de
» fa longueur : cette membrane contient
» & enveloppe deux tuyaux bien différens
" l'un de l'autre , pour la grandeur & la
capacité. Le premier qui regarde l'ou-
» verture de la coquille , eft un vafte &
ample canal qui pompe l'eau de mer , &
"porte aux poulmons l'air dont ils ont
»befoin : il eft garni à cet effet vers fon
» extrêmité d'une petite frange brune
>> dont les poils font affez longs , & dont
» le jeu est tantôt de fe rapprocher & fe
" fermer , tantôt de s'ouvrir en forme d'en-
» tonnoir ; l'intérieur en paroît garni de
» ftries longitudinales qui n'ont que peu
» de profondeur. Le fecond qui regarde le
» côté du dos ou de la charnière , eft beau-
» coup plus étroit ; il fert au paffage des
>> excrémens , & fe trouve fouvent rempli
ور
ود
ور
"
186 MERCURE DE FRANCE.
dans la partie la plus proche du ventre
où il fe joint , d'une matiere épaiffe &
» bourbeufe.
ور
ود
و ر
ور
ور
» Ces deux tuyaux féparés dans toute
» leur longueur par une efpece de cloiſon ,
paroiffent au dehors n'en faire qu'un ,
» & forment ce qu'on appelle la trompe.
» Elle eft ordinairement retirée fous les
» deux valves de la coquille , qui la met-
» tent à couvert de tout danger. Dans cette
» attitude gênante elle eft fi contractée ,
qu'elle n'a l'air que d'un amas informe
» de rides & de plis ; mais ce n'eft point
» un état permanent : elle fort quand elle
» veut de cette efpece de contrainte : aux
»premieres gouttes d'eau de mer elle s'épanouit
& s'étend jufqu'à trois pouces
» de long ; fa grandeur qui , pour l'ordi-
» naire , n'excede pas celle du petit doigt ,
» fe rétrecit quelque peu en s'alongeant.
" Par cette alternative , il eft affez évident
» que l'animal peut donner à cette partie
» tout le reffort & le jeu dont elle a be-
»foin on lui voit en effet prendre autant
"de formes qu'elle fe donne de mouvemens
» différens ; elle s'alonge & fe contracte ,
» s'éleve & s'abaiffe , fe porte à droite & à
gauche ( 1 ) , & foit pour lui fournir le
&
>>
و ر
و ر
و د
( 1 ) Il faut conſidérer ici ce coquillage hors de
AVRIL 1756. 187
:
"moyend e gliffer plus facilement , foit
» pour fuppléer aux petites défectuofités
» de la coquille , elle eft envelopée dans
» cette partie de l'écaille feulement d'une
pellicule mince & tranfparente qui en
tapiffe l'intérieur.
"
ر و
33
C'eft fous cette efpece de retraite
qu'elle trouve toujours au premier bruit
» ou à la moindre violence un azyle sûr.
» La bouche alors fe rétrecit & fe ferme ,
» elle rentre en fe repliant fur elle-même ,
» & par deux à trois fecouffes très- promp-
» tes & dont le jeu eft fingulier , ce long
»tuyau difparoît entiérement : cette ma-
» noeuvre affez ordinaire n'eſt pas toujours
» la même ; quelquefois la trompe fe con-
» tente de fe retirer en partie , pour re-
» prendre un moment après fa premiere
» attitude : dans l'un ou l'autre cas , elle
ne manque point en fe contractant auffi
» violemment , d'occafionner une espece
» de petit jet d'eau , dont le but principal
» eft fans doute d'écarter ce qui pourroit
» lui nuire , ou l'approcher de trop près.
و ر
و ر
"
fon trou , & vu dans quelque vafe rempli d'eau
de mer. Tous ces différens mouvemens , & ce qui
peut être relatif , tant à l'Anatomie qu'aux autres
parties de ce difcours , font repréfentés d'après
nature , dans cinq planches de deffein ornées d'un
grand nombre de figures.
188 MERCURE DE FRANCE.
FC
33
هو
- "3
ود
"
Après s'être réunie immédiatement à
» la coquille environ vers la moitié , qu'el-
» le coupe tranfverfallement par plufieurs
» attaches , tant au dos qu'aux deux côtés .
» La trompe qui s'amincit confidérable-
» ment dans l'intérieur, va , en remontant
» vers le haut de la coquille , envelopper
» le ventre , autour duquel elle forme un
bourlet ; fon épaiffeur qui ne femble faite
» que pour garantir ce premier du contour
irrégulier des valves , l'imite & le fuit
dans tous ces détours , au point de fe
perdre avec lui dans le fond des deux
pieces principales , ce qui forme entre
cette pellicule & la partie fupérieure de
chaque côté un finus qui pourroit faci-
» lement donner iffue aux eaux de la
»trompe. Dans l'intérieur de fon canal
qui porte fur chacun de fes côtés un
" amas de petites glandes fous la forme de
plufieurs lignes droites , épaiffes & ferrées
, l'on découvre les poulmons ; ce
font quatre feuillets rameux & branchus ,
qui en fuivent tous les mouvemens , &
qui , felon qu'il s'alonge plus ou moins ,
paroiffent plus ou moins ondés. Ils font
» couverts & remplis de ftries tranfverfales
" & profondes , qui leur donnent par- là
» le moyen de fe conftracter & fe refferrer,
» pour y retenir plus aifément l'eau ou les
: و ر
. و ر
. و و
ود
و د
و ر
33
ود
39
AVRIL. 1756 IS
"
alimens qui y font portés . Après s'être
joints & réunis à un pouce ou environ
de fon extrêmité , dans le milieu de deux
petits vaiffeaux blancs qui defcendent &
>> viennent aboutir aux franges de la trom-
» pe , ces quatre feuillets remontent ce
large conduit , s'élargiffant peu peu ,
» & parvenus à la partie fupérieure , ils fe
» partagent & vont fe cacher deux de cha-
» que côté fous le ventre , avec lequel il
» eft à croire qu'ils ont quelque communi-
>> cation.
و د
"3
à
» Cette partie que nous avons défignée
la fupérieure eft au dehors un corps
» blanchâtre & oblong , dont la pointe
» effilée forme une espece de bec : par l'ou-
» verture , ou plutôt le défaut naturel de la
"
coquille , il préfente un mamelon épais
» & de forme quarrée , outre plufieurs li-
" gamens qui faififfent & retiennent fur les
» côtés cette partie , le deffous paroît an-
» nexé à deux crochets , dont la pointe eft
plus large que la bafe qui les porte , &
qui fortent du fond de chaque moitié ;
» mais pour l'affujettir encore mieux , la
» nature a pouffé plus loin fes précautions.
" Cette maffe eft partagée dans cet endroit
» en un nombre prodigieux de fibres très-
» menues , qui enfilant chacune de leur
» côté autant de trous réguliérement efpa
و و
190 MERCURE DE FRANCE.
ور
و د
""
"
ور
وو
و د
» cés fur deux rebords faillans que préfente
», le dos de la coquille , vont former fous
» les pieces du dehors une plaque charnue
qui la rend inébranlable à tous les efforts.
Quelque finguliere que foit la ftructure
» de cette partie , il n'en réſulte pas moins
» un double avantage qui ne fe trouve
point dans les autres teftacés. Chaque
efpece, comme l'on fçait , doit avoir dans
»,les bivalves furtout fa charniere propre ,
» ou pour la fuppléer un mufcle tendi-
» neux , féparé & indépendant de l'animal.
»Ici on ne trouve à la vérité ni l'un , ni
» l'autre ; mais malgré ces défauts , le poif
fon par un enlacement de fes parties les
plus délicates , forme avec les deux val-
» ves un tout fi bien afforti , qu'il feroit
impoflible de féparer l'un de l'autre fans
» une rupture irréparable ; cette multitude
» en effet de fibres , qui comme autant de
liens imperceptibles traverfent les petits
» trous de la coquille pour fe réunir fur
,, elles -mêmes , attache auffi fortement à fa
» maifon le corps du poiffon , qu'elle affer-
» mit & réunit au poiffon même les deux
» écailles qui le renferment .
و و
33
33
و و
و د
Vers le fommet de cette moitié , le Daik
porte quatre languettès , deux de chaque
côté : « ce font de petits corps flottans ,
» affez délicats , & appliqués tranfverfaleAVRIL.
1756 . 191
""
"
» ment l'un fur l'autre , la furface extérieure
en paroît chargée de cannelures
» fines & très - déliées : par le moyen d'une
pellicule fort mince , qui en paffant au
» deffous de la pointe du mamelon leur
» fert d'attache , ils confervent une mu-
» tuelle communication.
""
"}
و ر
و ر
و د
» Dans les dehors de fa partie fupérieu-
» re , ce coquillage ne fouffre guere d'au-
» tres détails ; mais à pénétrer l'intérieur ,
» on le trouve partagé en deux cellules . La
premiere dont la capacité n'eft pas grande
, occupe encore moins de profondeur ;
elle regarde l'ouverture de la coquille &
»fe trouve toujours remplie d'une matiere
limonnenſe , c'eft le réfervoir des excré-
» mens. L'autre qui répond au fond des
» valves a beaucoup plus d'étendue , elle
»> ne contient jamais qu'une fubftance graf-
» fe & tenace , dans laquelle le jaune & le
» brun paroiffent groffiérement fondus en-
» femble ; ce mêlange qui eft commun dans
» la plupart de ces poiffons , ne forme cependant
pas une loi générale. Dans quel-
" ques-uns il tire uniquement fur le noir ;
" on ne peut guere le rapporter qu'à la
partie des entrailles ces deux cellules
"font non feulement indépendantes l'une
de l'autre , mais elles fe trouvent encore
» féparées par un petit corps de la derniere
"
و ر
و و
""
و ر
192 MERCURE DE FRANCE.
ود
»
"2
و د
33
»
ود
fingularité. Sous la forme d'une légere
fufée qui n'a guere plus d'un pouce de
» long , fur une ligne ou environ de groffeur
, on n'y découvre qu'un humeur
folide , tranfparente & gommeufe , dont
prefque toute l'étendue eft foiblement
colorée d'une teinte bleuâtre ; le peu qui
» en refte change de nuance & tire fur le
" fafran. Dans fa fituation ce corps ne
»fuit pas tout-à- fait la longueur du poif-
» fon il y eft pofé obliquement par
l'extrêmité la plus petite , qui forme une
efpece de bec fe repliant fur lui-même.
» Il part intérieurement de la pointe effilée
du ventre , vient paffer enfuite fous la
,, cellule limonneufe , & delà va percer au
» centre du mamelon.
"
ور
:
» A la vue de certe partie & de fa bizarre
» conftruction , il feroit difficile d'en dé-
» terminer l'uſage ; on peut feulement af-
>> furer qu'elle eft d'une néceffité abfolue
» aux teftacés , puifqu'on la trouve dans
plufieurs autres coquillages.
"
M. de la Faille n'a point parlé de la vertu
Phofphorique , que l'on remarque dans
ce poiffon ; cette matiere méritant un mémoire
particulier.
M. Arcére de l'Oratoire termina la Séance
par la lecture de divers morceaux de
l'Histoire de cette ville , dont le premier
volume eſt ſous preſſe. ARTICLE
AVRIL. 1756. 193
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
Nous annonçons fix Trio pour le Violoncelle
, un Violon , & Baſſe continue ,
dédiés à M. le Duc d'Ayen , compofés par
M. Chrétien , ordinaire de la Mufique du
Roi. Premier oeuvre ; aux adreffes ordinaires.
GRAVURE.
IDÉE DE LA GRAVURE.
LES Nations polies ont toujours confidéré
les Beaux - Arts , comme la fource de
la gloire la plus flatteuſe. En vain l'ambition
effrénée des Romains , ces tyrans de
la terre , les fit triompher fi fouvent dans
le champ de Mars , les cendres & le fang
dont ils l'inonderent , ne leur ont produit
que des lauriers ftériles . L'heureux
I. Vol. I
194 * MERCURE DE FRANCE.
fiecle d'Augufte ne peut faire oublier qu'ils
ont détruit Corinthe par le feu , tandis
qu'on fe rappelle encore avec plaifir Démétrius
levant le fiege de Rhodes
épargner les ouvrages de Protogêne.
pour
Pour mettre dans un plus grand jour
cette vérité , que l'intérêt de l'humanité
doit nous rendre fi chere , parcourons
l'Hiftoire , balançons les Nations entr'elles,
voyons enfin comment la raifon les apprécie.
Que deviennent ces Peuples de.
brigans , qui par d'injuftes conquêtes ont
envahi la Perfe , l'Affyrie , l'Egypte , près
de ceux , qui le poffédant d'abord, avoient
embelli ces régions fortunées des plus célebres
monumens ? Que nous femblent
les Goths , les Sarrafins , les Vandales à la
vue des beaux pays qu'ils ont dévaſtés ? .
L'opprobre attaché à leurs noms barbares
prouve affez à quel point cette foif brûlante
de la puiffance fans bornes eft contraire
à qui s'y laiffe entraîner. Infenfés ,
qui courent à la gloire des grands hommes
en renverfant les monumens qui les immortalifent
, ils n'éprouvent que l'exécration
de la postérité .
C'eſt à l'amour du beau , du grand , à
cette intelligence vraiment digne d'un
gouvernement , qui fçait apprécier les
hommes , les placer , les employer en raiAVRIL.
1756 . 195
fon de leur valeur , que nous devons ces
rares génies , l'honneur des Nations qui
les ont vus naître , ou qui fe font difputés
cet honneur. Babylone , Memphis , Sicyone
, Athênes , & tant d'autres , Rome
parée de leurs fuperbes dépouilles , n'ont dû
leur éclat qu'aux Artiftes fameux qui leur
confacroient leurs veilles , tels que furent
les Phidias, les Appelle , dont l'Hiftoire ne
nous atranfmis que les noms vainqueurs
des horribles ravages qui n'ont que trop
fouvent bouleverfés la terre .
Pour peu qu'on fe livre à l'effor de
l'imagination , que de beautés renfermoient
ces fuperbes Cités , où la grandeur
du génie éclata de toute part pendant le
cours brillant d'un fi grand nombre d'Olympiades
! & fans vouloir fe faire illufion
fur leur gloire , jettons feulement un coup
d'oeil fur ces reftes précieux de la refpectable
antiquité. Qu'eft- ce en comparaifon
des merveilles fans nombre dont les faftes
nous parlent ? Nous devons cependant à
ces admirables débris les Michel - Ange ,
les Raphaët , les Pouffin , & fans porter
trop loin nos conjectures , on peut préfumer
aifément que les Ouvrages de ces ilfuftres
Modernes auroient été beaucoup
plus parfaits , s'ils avoient pu contempler
Rome où Corinthe dans la fplendeur que
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
ces Villes avoient reçue des Beaux- Arts .
Ceux qui ont éprouvé les délicieuſes
impreffions de ce beau feu , qui tantôt nous
échauffe au récit des belles chofes , fouvent
même éleve l'ame jufqu'à la ſphere
fublime du génie qui les a produites, comprennent
néceffairement l'effet que la vue
de tant de chef- d'oeuvres eût produit fur
l'efprit de ces grands hommes."
Il n'eft donc que trop vrai ces glorieux
témoignages du fçavoir des Anciens
ont prefque tous péris. Mais fi à tant d'avantages
qu'ils femblent avoir ſur nous ,
ils avoient joint l'art de graver , que de
richeffes nous en reviendroient elles
tromperoient notre douleur ( 1 ) , peut- être
ne nous appercevrions - nous point de nos
pertes.
Quel bonheur en effet que cet Art ingénieux
eût daté du tems de Bularque ( 2 ) ,
qui le premier fit tant d'honneur à la Peinture
par ce (3 ) tableau célebre de la bataille
des Magnéfiens : Rien n'eût péri, en dépit
· (1 ) . :: Tantifolatia Luctus, Virg.
(2 ) Bularque fe fit connoître vers la dix - huitieme
Olympiade , environ l'an du monde 3400 ;
lorfqué Afarias régnoit fur les Juifs à peu-près
trois cens ans avant Alexandre le Grand.
3. Candale , Roi de Lydie , le dernier de la raçe
des Héraclides , acheta ce tableau autant d'or qu'il
AVRIL. 1756. 197
i
de la barbarie : il feroit fans doute échappé
quelque empreinte de ces édifices fomptueux
de ces rares productions du génie :
nous aurions furtout les images des grands
Hommes , ce patrimoine de la postérité ,
& qui la touche fi fort.
Loin de nous affliger davantage , cher
chons dans ce que nous avons des motifs
de confolation fur ce que nous n'avons plus:
car en vain formerions-nous des regrets
dont l'inutilité ne ferviroit qu'à nous rappeller
des pertes irréparables . Ne fongeons
déformais qu'à tirer parti de cette découverte
effentielle , moyen le plus fûr de
faire paffer d'âge en âge jufqu'à nos derniers
neveux , les connoiflances que nous
avons acquifes.
Mazofine Guerra , Orfevre , qui vivoit
à Florence au milieu du quinzieme fiecle
effaya de tirer l'empreinte des ouvrages
qu'il exécutoit au burin : il réuffit. Čet
effai donna l'être à la gravure , foible entre
fes mains , puifque les arts fortoient à peine
des ténebres épaiffes , où l'ignorance les
avoit laiffés plus de mille ans ensevelis ;
cette découverte ne reçut point d'accroiflepefoit
; & comme on ne peignoit point alors fur
toile , mais fur des matieres folides , il eft aifé de
juger de fon prix , foit par-là ou par fon étendue
qui devoit répondre au fujet.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
mens fenfibles d'un autre Orfevre ( 1 ) à qui
l'illuftre Mazo l'avoit communiquée : il
falloit un Peintre pour l'améliorer ; car il
faut l'être pour graver ( 2 ) , & fi l'heureux
génie de la peinture n'infpire le Graveur ,
vainement s'efforce- t'il d'y réuffir .. Cet art
parut donc avec quelqu'avantage dans les
morceaux qui furent gravés alors par André
Manteigne , Peintre très- renommé.
Après ce Graveur, il femble que l'Italie,
pour s'acquitter envers la Flandre du beau
fecret qu'elle lui devoit de peindre à l'huile
, imaginé fi heureufement par Jean de
Bruges en 1410 , y fit paffer celui- ci fur la
fin du même fiecle ; ce qui donna lieu à
Martin d'Anvers de mettre plufieurs Eftampes
au jour , puis à ( 3 ) Albert Durer ,
mais avec bien plus d'habileté dans la
coupe du cuivre , qui ne laiffe à défirer
( 1 ) Baccio Baldinelli , ou , fuivant d'autres, Baldini.
:
(2) L'Auteur ne prétend point conclure qu'il
faille que le Graveur fçache fe fervir du pinceau
( heureux qui allie cette connoiffance à l'autre ) ;
mais qu'il poffede ces différentes parties de la
Peinture qui apprennent à donner le relief aux
objets par des oppofitions hardies , à les dégrader
habilement pour y répandre la vagueffe &
l'harmonie , fans lefquelles l'ouvrage devient
infipide .
( 3 ) Peintre & Graveur né à Nuremberg en
1470 .
A. V RIL. 1756: 199
que
autre chofe dans fes ouvrages , finon
cet Artiſte célebre eût connu l'antique
pour donner à fes figures autant d'élégance
qu'on y trouve de vérité & de force .
Le plan de cet Ouvrage même ne me per-
-met pas de rappeller tous les bons Graveurs
qui enrichirent l'Europe de leurs Eftampes ,
dans ce premier âge de la gravure qu'on
peut terminer à l'illuftre Albert , puifque
cet Art n'étoit point encore parvenu au
degré de perfection qu'il acquit par la
fuite.
A peu près vers le même tems Ugo da
Carpi inventa la gravure en bois & de clairobfcur
( 1 ) , peut- être trop négligée , puifqu'elle
rend fi bien les deffeins des grands
maîtres , dont la maniere fçavante mérite
d'être confultée par ces jeunes Deffinateurs ,
qu'une imagination fougueufe élance audelà
du vrai.
Ces gravures différentes rendoient déja
de grands fervices à la peinture , quand ,
pour n'avoir rien à défirer fur ce point , on
vit paroître celle qui fe pratique à l'eau-
(1 ) Cette efpece de Gravure s'exécuté avec deux
planches , dont l'une rend la demi- teinte , & l'autre
les ombres par les hachures : la lumiere eft
épargnée dans le papier .
La Gravure en bois eft prefqu'auffi ancienne
que la premiere.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
: forte découverte heureufe & abrégée ,
non feulement préférée par les Peintres ,
mais qui d'ailleurs devoit être chere à tous
ceux qui gémiffoient en quelque forte
dans les entraves du burin , à l'aide duquel
le Graveur le plus adroit ( 1 ) n'avoit
pu parvenir encore à ces touches fpirituel
les & naïves , que l'eau-forte feule fait
éclorre fur le cuivre; & pour que le Lecteur
puiffe mieux décider fur les différences
effentielles qui conftituent ces deux manieres
, il eft bon d'entrer à ce fujet dans
quelque détail.
Le burin , en ouvrant le cuivre , s'engage
néceffairement , & ne peut , malgré toute
l'adreffe de la main qui le guide , rendre
de certains effets piquants de la nature ,
(1 ) Il eft aifé de voir qu'on ne parle que des
Graveurs antérieurs au dix - feptieme fiecle ; car
depuis ce tems jufqu'au nôtre , on peut fort bien
remarquer que ceux qui ont acquis de la réputation
par le Burin , la méritent fans contredit par
la délicateffe & le moelleux de leurs travaux , qui
leur attirent tous les jours de nouveaux fuffrages
. Il feroit facile d'en nommer , qui dans le
genre feulement , ou dans la maniere ingénieuſe
d'unir le Burin à l'eau -forte , y font naître de nou-
, y
velles graces, qu'on leur fçait gré d'y développer :
mais fi la modeftie de ces Artiftes m'impofe filence
, les Amateurs n'ont pas besoin qu'on leur
rappelle ces noms célebres , ils leur font trop
chers pour les oublier.
AVRIL. 1756. 201
3
avec cette facilité qui les caractériſe &
fans laquelle l'expreffion devient molle ,
par conféquent vicieufe . Pour la faifir , il
faudroit que le burin pût opérer avec l'aifance
, dont la plume nous offre l'image
entre les mains d'un Maître qui fçait en
tirer parti : ce qui devient impoffible par
les difficultés qu'il rencontre à chaque pas ;
& cette lenteur néceffaire a fes moindres
opérations. La pointe ( 1 ) au contraire eft à
l'abri de tous ces obftacles , & plus libre
même que la plume dans les contours
qu'elle trace fur le cuivre à travers le vernis
mou qui le couvre : un beau génie peut
tout ofer avec elle.
Cette découverte fi propre à perpéteer
l'efprit des grands hommes , prit nailfance
au commencement du feizieme fiecle, & ne
pouvoit guere mieux dater que du Parmezan
, ce Peintre des graces , qui fembloit
avoir hérité du génie de Raphaël , & qui
fans doute eût porté fon Art au degré le
plus éminent , fi le deftin , en lui donnant
tant de rapport avec cet homme illuſtre ,
(1) C'eſt une aiguille tantôt groffe , tantôt fine,
au bout d'un manche , avec laquelle on define
fur le cuivre en fillennant le vernis qui le couvre .
L'eau -forte rencontrant ces efpaces vuid S , fixe
fur le cuivre les objets qui n'y étoient encore
que tracés,
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
n'eût terminé fes jours par une mort également
prématurée .
·
Avant de paffer outre , qu'il me foit permis
de confidérer ce bel art de graver ,
comme un parterre émaillé d'une infinité
de fleurs variées dans les formes & les couleurs
, qui pour être moins précieufes les
unes que
les autres , ne laiffent pas de concourir
à l'effet de ce tout enfemble brillant
que les yeux du fpectateur avide ne
peuvent fe laffer d'admirer . Telles font les
productions des habiles Graveurs qu'un
amateur délicat a fçu réunir dans fon cabinet
; il les parcourt avec une douce volupté
( ignorée de ces êtres groffiers dont
la fphere étroite n'eft décrite , fi j'ofe le
dire, que par les opérations animales ) : tantôt
avec les Goltius & les Viſcher , il admire
à quel point ces Maîtres célebres ont
porté le burin ; ce dernier furtout qui par
une touche auffi large que graffe & vigoureufe
, mérite fans contredit le premier
rang dans ce genre.Tantôt avec les Italiens,
il rend juftice à la correction de Marc-
Antoine , & lui préfere celle d'Auguſtin
Carrache , qui fe préfente fous des travaux
plus agréables : puis fatisfait des beautés.
propres au burin , il paffe à celles de l'eauforte
, qui moins recherchée dans fa parure
, lui peint l'aimable nature dans fa fimAVRIL
1756. 203
plicité. Telle il la chérit dans les Eftampes
du Parmezan , du Guide & d'autres excellens
Peintres qui ont laiffé couler leur penfées
fur le cuivre avec cette facilité qu'on
admire dans leurs deffeins . Il eft vrai qu'à
regret il voit ces précieufes eaux forres
dénuées de ce clair - obfcur , le charme des
Connoiffeurs ; mais il s'en confole bientôt
avec le Bénédette , celui des Italiens
qui s'y eft le plus diftingué. Voilà comme
le vrai Connoiffeur fçait apprécier les différens
Maîtres , & ne cherche dans leurs
ouvrages que le talent qu'ils ont eu plus :
flatté d'imiter l'abeille délicate , il ne s'attache
qu'aux beautés qu'il y trouve , pour
en tirer le fuc nourriffant dont fon goût
s'alimente .
Quand on confidere attentivement les
difficultés qui rempliffent la carriere immenfe
des beaux Arts , on n'eft plus étonné
de ces efpaces de tems confidérables qu'il
faut pour les perfectionner . Depuis l'illuftre
Fineguerra jufqu'au dix-feptieme fiecle‚i
on compte un intervalle de plus 150 ans ,
que tous les efforts des bons Graveurs ne
purent abréger ; ce qui montre fans doute
que la nature lente à produire ces rares
génies , qui font tant d'honneur à notre
être , femble mefurer par-là le degré de
cofifidération qui leur eft dû.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Le dix-feptieme fiecle que tant d'hommes
illuftres , un fi grand nombre de monumens
précieux , rendront mémorable à
jamais ; ce fiecle enfin qu'on peut oppoſer
à celui d'Augufte, qui n'avoit point encore
de rival , vit porter la gravure , cet Art
auffi néceffaire qu'agréable , à un degré de
perfection extraordinaire.
11 parut à la fois un effain d'Artiftes habiles
, qui fe difputerent le glorieux avantage
d'enrichir leur Art . Cette noble émulation
produifit différentes manieres , qui
toutes ont leur mérite particulier : mais
pour ne point fortir du plan de cette courte
Differtation , je me reftrains à deux feulement.
Vinceflas Hollar ayant fuivi l'eau- forte
dans fes opérations , en Artifte intelligent
comprit que ce mordant pouvoit donner
plus ou moins de couleur à l'Eftampe à
proportion du féjour qu'il faifoit fur la
planche de ce principe connu , quoique
fimple en apparence , il en tira des conféquences
auffi effentielles à la perfpective
aërienne , qu'au précieux de l'ouvrage ;
puis animé d'une belle ambition , avec la
pointe il tenta d'imiter le beau - fini du
burin ; & fes fuccès paffans fes efpérances
il l'égala , le furpaffa même par cette légéreté
inféparable de la pointe que le burin
AVRIL. 1756. 205
ne peut atteindre ( 1 ).Hollar conduifit donc
l'eau -forte avec toute l'intelligence poffible
, en connut les gradations , en développa
les reffources , bref apprit à s'en
fervir : quiconque fçait lire , peut confulter
les morceaux de choix qu'il nous a laiffés.
Il mérite les fuffrages des vrais connoiffeurs
qui ne fe lafferoient pas de les admi
rer , fi le Maître avoit joint à tant d'habileté
, la correction de Marc- Antoine ou
celle d'Auguſtin Carrache : mais il fut incorrect
; & celui dont il me refte à parler ,
le fut encore d'avantage.
Quel Artiſte eût égalé le célebre Rembrand
, s'il eût réuni l'élégance du deffein
aux excellentes qualités que la nature lui
avoit prodiguées ! Où trouver plus de hardieffe
dans le pinceau , plus de fierté dans
le coloris ?La chaleur de fa peinture a paffé
juſques dans la maniere de graver dont it
eft l'inventeur. Quelle touche ! quelle harmonie
! quels effets furprenans ! En un
mot , quel génie affez hardi pour ofer les
chofes étonnantes qu'on y remarque ! Sontce
des Eftampes ou des Deffeins ? En effet ,
la belle pâte & l'extrême facilité qui les
( 1 ) Le mouvement qu'on remarque dans le
trait de la pointe , y réprime cette netteté trop
fevere que la froideur pour l'ordinaire accompa
gne.
206 MERCURE DE FRANCE.
affaifonne , pourroient induire en erreur ,
fi la fermeté du travail dans certains endroits
ne les décéloit,
C'eſt ainfique Rembrand, par des routes
inconnues à ceux qui l'avoient précédé , a
rapproché la gravure de fon vrai point de
vue , qui eft de rendre toutes fortes d'objets
uniquement par l'ombre & la lumiere ,
en les oppofant alternativement avec une
fi belle entente , qu'il en réfulte ce relief
féduifant que perfonne jufqu'ici n'a compris
à l'égal de ce grand Artifte. Loin de
penfer auffi timidement que beaucoup
d'autres , il a toujours envifagé fon Art
comme la ſcene , où les caracteres ne frappent
point s'ils ne font exagérés. Ce principe
effentiel a toujours été la bafe de tous
fes travaux avec d'autant plus de raifon , que
pour tirer le relief d'une fuperficie plate ,
on trouve encore plus d'obſtacles à vaincre
que fur la fcene , où des hommes parlent à
d'autres hommes. Fortement perfuadé de
ce principe , cet Artifte exécute avec tant
d'impétuofité , qu'il en réfulte fouvent un
certain défordre dans le faire , qui ne peut
rebuter que ceux dont les idées fuperficielles
ne cherchent dans la gravure que
des travaux refroidis par trop d'arrangemens
: trop faits aux affeteries de nos modes
, le type de leur façon de penfer , ils
AVRIL 1750. 207
font infenfibles aux beautés négligées de
Rembrand , fans faire attention que les
ouvrages font la pierre de touche du degré
de connoiffance qu'ils ont acquis dans ce
bel Art. Car envain fe flatte- t'on , d'être
connoiffeur , fi Rembrand malgré tous fes
défauts ne plaît pas . Tant de beautés réunies
doivent trouver de l'indulgence pour
les négligences de détail qu'on remarque
dans fes Eftampes , parmi lesquelles la
piece où notre Seigneur ( 1 ) guérit les ma →
lades , prouve décidemment que cette ma
niere eft fufceptible du fini le plus flat,
teur (2 ).
Quel dommage qu'il n'ait point employé
ces divers talens à faire revivre les
grands Maîtres dans fes gravures ! mais
malheureuſement pour le progrès des
beaux Arts , on n'en voit point les diffé-
( 1 ) Elle eft connue fous le nom de la piece
de cent florins , parce qu'il la vendoit ce prix là
même de fon vivant .
(2 ) On ne donne point par-là l'exclufion aux
autres manieres. L'Auteur dit plus haut qu'elles
produisent une variété très - agréable qui fatisfait
autant les amateurs qu'elle enrichit Part : il feroit
feulement à fouhaiter pour celle- ci que Rembrand
fe fût plus appliqué à varier fes travaux ; les
objets déja fi féduifans par le charme de fon admirable
clair- obſcur en euffent été mieux caractérifés.
208 MERCURE DE FRANCE.
rentes parties réunies dans le même fujet.
Rembrand , comme je viens de le dire ,
ne connut point l'élégance du deffein fils
d'un ( 1 ) Artifan , il modela fes pensées
fur les objets bas qui meubloient fa chaumiere.
Trop heureux s'il eût adhéré aux
idées judicieufes de fon pere , qui remarquant
en lui avec plaifir un efprit au deffus
de fon âge , l'envoya étudier à Leyden ;
mais il n'y fçut pas profiter de ce tems
précieux , où l'éducation , fi néceffaire à
des organes bien difpofés , pouvoit fans
doute corriger le vice du terroir. Son efprit
auroit faifi l'efprit des bons Auteurs : il
feroit infenfiblement devenu délicat , correct
. Enfuite confidérant fon Art fous un
autre coup d'oeil , il l'eût embelli des dépouilles
de la littérature. Voilà le charme
des tableaux de Raphaël , du Pouffin , &
d'un petit nombre d'autres qui ont vraiment
connu le but de cet Art enchanteur ,
en l'appliquant à des fujets élevés. En effet ,
s'il plaît dans la repréſentation des chofes
communes , que n'en doit on pas attendre
lorfqu'il nous tracera des idées fublimes ?
Quel morrel pourra voir d'un oeil indifférent
le Déluge du Pouffin , le Maffacre des
( 1 ) Rembrand étoit fils d'un meûnier : fon furnom
de Van Ryn , vient du Moulin qu'occupoit
pere fur le bord du Rhin. fon
AVRIL. 1756. 209
Innocens de Rubens , la Tente de Darius
par le Brun , & ces tableaux admirables
de le Sueur , qui décorent fi richement le
Cloître des Chartreux de Paris !
Hac tibi erunt artes
Virg.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
'Monfieur , puis-je eſpérer d'obtenir encore
une petite place dans votre Mercure ; il
y a quelques années que j'y parus , & j'ofe
dire avec modération contre les prétentions
obftinées de M. Gautier , fe difant éternellement
feul poffeffeur de l'art d'imprimer
lesTableaux . L'Anonyme qui , dans les derniers
Mercures , plaide fi conféquemment
en faveur de la vérité , eft fans doute
très- éclairé ſur les différens degrés de perfection
dans les Arts ; mais il y a des
circonstances étrangeres à l'art même qu'il
paroît ignorer ; fi l'on s'en rapporte , par
exemple , à fa Lettre du Mercure de Mars,
il femble que M. Gautier foit feul autorifé
à graver & imprimer en couleur ; &
cependant le même Arrêt qui autorife M..
Gautier , permet à MM.Vignier & Villars
210 MERCURE DE FRANCE.
de travaillerféparément , & par concurrence
à perfectionner l'Art de la gravure & impreffion
des eftampes en couleur ; à la charge qu'ils
ne pourront pas fe copier les uns les autres.
Ce font les propres termes de l'Arrêt du
Confeil , d'où il réfulte que la fociété des
fieurs Viguier & Villars peut faire graver
toutes fortes de fujets , par quelque Artiſte
que ce foit. C'eft en conféquence , qu'autorifé
par les Privilégiés , j'ai imprimé en
différens tems plufieurs Tableaux en couleur
; & je ne fçais par quelle réſerve
P'Anonyme , qui cire avec éloge & avec
juftice MM. Blackey & Tardieu , ne me
fait pas la grace de parler de moi . J'ai
cependant travaillé long- temps fous les
yeux de le Blon ; je donnai nommément
en 1742 un morceau d'Anatomie , dirigé
par feu M. Huneau , de l'Académie Royale
des Sciences , qui fut affez bien. reçu des
Anatomiftes & des Peintres. Mon intention
étoit de me livrer à ce genre de gravure
; mais j'ai été obligé de l'abandonner
quand Meffieurs de la ville de Rheims
m'ont fait l'honneur de confier à mes foins
l'établiffement de leur Ecole de Deffein .
Mon éloignement des entreprifes de la
fociété , Viguier & Villars , n'empêche pas
que la moitié du Privilege ne fubfifte entre
leurs mains ; & l'on peut , avec ſon
AVRIL. 1756. 211
confentement , faire & débiter tous les
fujets qu'on jugera à propos de graver en
couleur cet Art même ne fera plus un
fecret ; car au premier jour , il va paroître
un Traité exactement détaillé fur les opérations
néceffaires à ce genre de gravure .
Ce Traité eft actuellement fous- preffe , &
j'ofe affurer qu'il mettra tout Artifte en
état de fuivre & de perfectionner l'Art de
le Blon,
M. Gautier s'offenfera peut- être de me
voir appeller , comme tout le monde , la
gravure en couleur l'Art de le Blon : je
lui demande pardon , il m'eft impoffible
d'en perdre l'habitude ; & quelque diftingtion
qu'il veuille mettre entre l'impreſſion
à trois cuivres , & fa prétendue découverte
pour imprimer à quatre cuivres , je
certifierai toujours , avec ferment s'il le
faut , que le Blon m'a fait travailler , ainfi
que tous fes éleves , à quatre cuivres ;
qu'il n'employoit les 4 que pour gagner
du tems , & qu'il auroit voulu qu'on pût
ignorer le prompt fecours qu'il tiroit
d'une premiere planche en noir , parce
que cette planche noire opere contre l'honneur
de fon fyftême , & tache fouvent les
couleurs tendres du Tableau .
Mais à propos de l'Art & de le Blon ,
je voudrois bien que M. Gautier nous
212 MERCURE DE FRANCE.
apprêt comment il peut concilier deux
aveux qu'il fait formellement en deux cas
différens. Il dit , il écrit fans ceffe , qu'il
ne tient rien de perfonne dans l'art d'imprimer
en couleur , que c'est de la façon dont il
a vu travailler à la toile peinte à Marseille ,
que l'idée d'imprimer des Tableaux lui eft
venue ; qu'il donna même à Marseille une
coquille colorée avant que defçavoir s'ily avoit
un le Blon au monde , & qu'enfin il est seul
l'inventeur. Voilà un aveu , en voici un
autre. Le Suppliant , dit-il dans une Requête
préfentée au Roi & à fon Confeil ,
convient qu'il eft redevable de la théorie de
cet Art aux lumieres du Pere Caftel , J'éfuite
, qui lui en a donné l'ouverture . Le fieur
le Blon avoit puifé dans la même fource ; il
avoit reconnu par un écrit qu'il tenoit fon
fecret du même Pere : mais le Suppliant a
beaucoup mieux réuffi que le fieur le Blon ,
ila porté cet Art à un bien plus hant
degré de perfection . La Requête exifte en
entier , & c'est d'après l'original fignifié
que je viens de tranfcrire cet expofé.
J'ai l'honneur d'être , & c.
ROBERT , Profeffeur de Deffein.
A Rheims , ce 15 Mars 1756.
Si quelque Artifte , quelque Libraire ,
AVRIL 1756. 213
26
ou quelque Amateur défire d'être autorisé
à faire & à débiter des Eſtampes colorées
dans l'art de le Blon , on pourra s'adreffer
à Paris , au fieur Viguier, Privilégié , qui ,
fur les différentes entreprifes qu'on voudra
faire , donnera toutes fortes de facilité. Il
demeure rue Bailleul , derriere le Grand
Confeil , à l'enfeigne du Comte de Provence.
NOUVEAU PLANISPHERE Terreftre dreffé
fur le Méridien de Paris , divifé en 24
parties égales par 24 Méridiens , pour
fervir de Cadran Solaire dans tous les
endroits de la terre , inventé. par le Sieur
le Ray , Mathématicien , Machiniſte &
Fondeur. A Paris , chez l'Auteur , rue de
Bourbon , près le Pont- Royal , à la Croix
d'or; & chez Lattré Graveur, rue S. Jaques,
chez lequel on trouve le plan & les vues
de Bordeaux , dédiés & préfentés au Roy
par le Corps de Ville .
NOUVELLE MÉTHODE très- utile, & trèsfacile
, pour
, pour réduire avec le compas , les
aunages de toutes les villes commerçantes
du monde , à une feule aune quelconque :
Ouvrage , qui a coûté cinq ans à l'Auteur
feu M. d'Urbec , approuvé par MM. de
l'Académie Royale des Sciences. La carte
214 MERCURE DE FRANCE .
eft bien imprimée & en beau papier , fur
planche de cuivre, gravée de main de Maître
, & fe vend 30 fols , chez M. Giffard
Libraire, rue S. Jacques, à Sainte Théreſe ,
près les Mathurins , à Paris.
LE SIEUR CHENU , vient de mettre au
jour le portrait de David Teniers , peint
par lui-même ; & celui de Catherine Breughel
, fille de Jean Breughel , de velours ,
femme de David Teniers , peint par fon
mari. Tous deux font tirés du Cabinet
de M. le Comte de Vence , & gravés par.
J. B. Michel , éleve du fieur Chenu , chez
qui on les trouve , rue de la Harpe , vis-àvis
le Café de Condé.
ནི་
Le Sieur PELLET FER vient de graver
la Bonne Femme qui fermone , & le Conteur
de Fleurettes d'après Miller Francifque.
Ces deux Eftampes fe vendent chez
lai , rue S. Jacques , chez un Limonadier
, vis - à - vis la rue des Noyers . Prix
vingt-quatre fols piece . On y trouve auffi
le repos de Diane , & l'Enlevement d'Europe
, gravés par le même d'après M. Bou
cher. Prix quinze fols piece.
Livre de pieds de table inventés &
gravés par Pineau , fe vend chez l'Auteur,
rue Notre- Dame de Nazaret ; & chez
Huquier , rue des Mathurins.
AVRIL. 1756. ·2·15⋅
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
LES Comédiens François ont continué
les repréfentations de la Coquette Corrigée
jufqu'à la dixieme , qu'elle a été interrompue
par l'indifpofition de Mlle Gauffin .
Son fuccès a répondu à l'annonce que nous,
en avions faite dans le Mercure précédent,
c'est - à- dire qu'elle a eu le fort des bons
ouvrages plus on l'a vue , plus on l'a applaudie
, & plus on l'a eftimée . Il y a plu
heurs vers de cette Comédie qui font déja
devenus proverbes , tels font ceux- ci , en
parlant de la conduite qu'on doit tenir
avec une Coquette dont on cft la dupe :
Le bruit eft pour le fat , la plainte eft pour le fot ;,
L'honnête homme trompé s'éloigne & ne dit mot ..
Nous attendons l'impreffion pour en donner
l'Extrait .
Le Samedi zo Mars , les mêmes Comédiens
ont repréfenté Zaïre. Un jeune Ac-.
teur y a débuté pour la premiere fois dans
le rôle de Nereftan . Il n'a que 19 ans , & doit
-être d'autant plus encouragé qu'il montre
déja beaucoup d'intelligence & d'ame , les
deux parties les plus effentielles au Comé216
MERCURE DE FRANCE.
dien , que l'âge développe & perfectionne ,
mais qu'il ne donne pas. Il n'eft point de
défauts qu'elles ne réparent ou ne faſſent
du moins excufer.
COMEDIE ITALIENNE.
LE huit Mars , les Comédiens Italiens
ont repris Ninette à la Cour , Comédie parodiée
de Bertholde à la Cour , & mife en
doux Actes . Ils devoient la jouer le 28 Février
; mais elle a été retardée par l'indifpofition
de M. Rochard. On n'a rien perdu
pour l'attendre. Elle eft à préfent dans
le point de précision que la Scene exige ,
& qui rend cette piece une des plus agréa
bles de ce genre qui foient à ce Théâtre.
Madame Favart y eft charmante ; on peut
dire avec vérité qu'elle fait les honneurs
de la piece de fon mari . Mlle Catinon y
eft aufli très-bien . On ne peut pas rendre
un rôle avec plus de décence & de fineffe
qu'elle rend le fien. M. Rochard y chante
avec tout le goût & toute la jufteffe qu'on
lui connoît. Cette Comédie eft fuivie du
Bal , divertiffement de la compofition de
M. Deheffe , qui avoit beaucoup réuffi
dans fa naiffance , mais qu'il a fi bien
embelli & rajeuni , que ce Ballet à tout
l'éclat de la nouveauté , & qu'on croit
toujours le voir pour la premiere fois.
Le
AVRIL. 1756. 217
Le Jeudi 18 , les mêmes Comédiens ont
donné la premiere repréſentation des Chinois,
Comédie en un Acte, mêlée d'Ariettes.
Ce petit Drame a réuffi avec juftice . La Scene
où le Chinois qui a voyagé en France,
montre comment on fait l'amour à la Fran
çoife à une jeune Chinoiſe curieufe d'en
être inftruite , préfente au Théâtre un tableau
très- piquant . Cette Scene qui fait la
piece , eft d'autant plus adroite que la fiction
s'y tourne en réalité . Ces deux rôles
y font remplis au gré des Spectateurs , l'un
par Mc Favart , & l'autre par Mlle Catipere
non. Le rôle de la Suivante eft très bien
rendu par Mlle Deſgland , & celui du
par M. Rochard.
Le Ballet qui fuit cet Acte, & qui eft intitulé
les Noces Chinoiſes , eſt un des plus
brillans que M. Deheffe ait mis au jour.
Nous oferions même avancer qu'il eft fon
chef- d'oeuvre , & qu'il mérite mieux que
le titre de Ballet . On peut l'appeller un beau
Spectacle par la maniere dont il eft décoré
, habille & caractérisé. La vérité de la
repréſentation répond fi bien à la variété
des figures , & à la préciſion des pas qui le
compofent , qu'en le voyant on croit être
en Chine , & qu'il paroît court , quoiqu'il
dure une demi-heure . Le Coftume eft obfervé
autant qu'il peut l'être dans les
1. Vol. K 16.
218 MERCURE DE FRANCE.
habits , dans les meubles mêmes , & dans
les décorations , foit de la fête , ſoit de la
piece.
Le Vendredi 19 , on a joué pour la
premiere fois les Magots , parodie en vers
de l'Orphelin de la Chine. Ils ont reçu de
grands applaudiffemens . On les a redonnés
le Dimanche 21 , avec le même fuccès.
Cette Parodie nous a paru bien faite ,
d'une bonne plaifanterie , pleine d'efprit
& de traits , mais un peu trop méchante.
Le Samedi 20 , on a joint Ninette à la
Cour , aux Chinois , & aux Nôces Chinoises .
Ces trois pieces réunies , ( car le Ballet en
eft une ) forment un fpectacle , qui ne laiſſe
rien à défirer , & qui eft fait pour attirer
tout Paris .
L'Extrait de la Pipée au prochain Mercure
.
Le Mardi 23 , on a donné par extraordinaire
l'Embarras des Richeffes , & l'Apparence
trompeuſe , au profit du fieur Carlin .
Il avoit joué pour la premiere fois depuis
fon accident , le Mardi précédent , 16 du
même mois , dans le Retour d'Arlequin , &
dans les deux Arlequines. Le Public lui a
témoigné la joie qu'il avoit de fon rétabliffement
, & de fon retour depuis une
fi longue abfence , par l'accueil le plus
Aatteur , & les applaudiffemens les plus
réitérés.
AVRIL.
219 "
1756.
Pour Madame Favart.
Ariette : Oui , je l'aime pour jamais.
Qui va faire le Chinois ?
C'est Favart ; oui , je la vois .
Les coeurs volent fur fes traces
Sur elle il n'eft qu'une voix .
Elle a des graces
Jufqu'au petit bout des doigts
bis.
• • bis.
bis. •
bis.
bis.
· ·
Le charmant , Pheureux minois !
Le joli petit Chinois !
· •
Le charmant , l'heureux minois !
Le joli petit Chinois !
pour bien peindre la tendreſſe . . •

• •
. bis.
Peut-on faire un meilleur choix ?
· bis. •
bis.
Que fon feu nous intéreffe !
Le joli petit Chinois ! . bis.
Pour bien peindre la tendrefle
Peut-on faire un meilleur choix ?
Que fon feu nous intéreffe !
Le joli petit Chinois !
GUERIN.
OPERA COMIQUE.
LEE
11 Mars , l'Opera Comique a donné
pour la premiere fois les Racoleurs , piece
en un Acte , qui eft le pendant de Jerôme
& Fanchonnette. M. Vadé y a épuifé toute
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
l'éloquence des Halles. Il a été juſqu'à la
profufion. Un peu plus de fobriété dans le
jargon poiffard , dont le grand nombre des
Spectateurs , perd tout au moins la moitié
faute d'en pofféder les fineffes comme lui ,
auroit rendu cet Acte encore plus amufant
; on auroit fouvent befoin d'un Dictionnaire
pour l'entendre la continuité
de ce langage fatigue d'autant plus qu'il
eft en même tems dans la bouche de quatre
Harangeres , qui ont exactement les
mêmes tons & les mêmes geftes. La piece
eft d'ailleurs bien faite pour le genre , &
taillée pour réuffir à ce Théâtre. Parmi
plufieurs Scenes plaifantes, la meilleure
nous a paru celle de la difpute académique
qui s'éleve entre deux Soldats . L'un prétend
qu'on doit dire j'ons été , & l'autre j'avons
été. Tous deux prennent pour Juge
la Ramée qui furvient & qui décide
qu'il faut dire nous ons été. Le fieur Bouret
qui rend fi bien le rôle de Nicaife, ne joue
pas celui du Soldat ivre avec moins de vérité.
Cet Acteur a du naturel, & plaira toujours
lorfqu'il fera placé. Nous ne doutons
point que Nicaife, foutenu des Racoleurs
ne fourniffe heureufement fa carriere jufqu'à
la clôture . L'une & l'autre piece eft imprimée,
& fe vend chez Duchefne, rue Saint
Jacques. Le prix de chacune eft de 24 fols ,
avec la Mufique .
,
>
AVRIL. 1756. 221
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ALLEMAGNE.
DE PRAGUE , le 4 Février.
UNB nouvelle fecouffe de tremblement de
terre , qui s'est fait fentir le 12 du mois dernier
en plufieurs endroits de la frontiere de ce Royaume,
a eu une fuite fâcheufe. Il a fallu fufpendie
le travail des mines , à caufe des eaux dont elles
fe font remplies , & des exhalaifons fulfureufes
dont les ouvriers fe font trouvés incommodés .
DE
BERLIN , le 14 Février.
Jufqu'ici on n'avoit eu que des copies infidelles
de la Convention conclue le mois dernier entre
le Roi & Sa Majefté Britannique. Voici les termes
dans lefquels cette Convention eft annoncée par
la Gazette de cette Ville. « Sa Majefté le Roi de
» Pruffe & Sa Majefté le Roi de la Grande- Breta-
>> gne , ayant mûrement confideré que les trou-
» bles qui fe font élevés depuis peu en Amérique ,
» pourroient facilement être étendus plus loin &
» même tranſportés en Europe ; les Hautes Puif-
>> fances Contractantes ayant d'ailleurs pris tou-
» jours fortement à coeur le falut & le bien être
» de l'Allemagne , leur patrie commune , & dé-
>> firant extrêmement d'y maintenir furtout la
paix & la tranquillité , Elles ont cru ne pouvoir
Kinj
222 MERCURE DE FRANCE.
>> mieux faire pour parvenir à un but auffi falu-
» taire , que d'arrêter entr'Elles & de faire figner
>> par leurs Miniftres le 16 Janvier , une Conven-
» tion, de Neutralité, regardant purement l'Alle-
>> magne , & ne tendant à l'offenfe de perfonne ;
» en vertu de laquelle Convention leurfdites Ma-
» jeftés fe font engagées réciproquement de ne
» pas permettre que des troupes étrangeres , de
quelque Nation qu'elles puiffent être en-
» traffent en Allemagne , ou y paffaffent auffi
long-tems que les fufdits troubles , & les fuites
» qui pourront en réfulter dureront ; mais de s'y
>> oppofer dans tous les cas le plus vigoureufe-
>> ment qu'il leur fera poffible , afin de garantir
» par- là l'Allemagne des inconvéniens d'une
» guerre funefte , de maintenir fes Loix fonda-
>> mentales & fes Conftitutions , & de la faire
>> jouir d'une paix non interrompue ; ce qui fait
l'unique objet de la Convention fufmentionnée.
» Leurs Majeftés le Roi de Pruffe & le Roi de la
» Grande-Bretagne , ayant au furplus faifi cette
» occafion favorable , pour applanir les différends
» qui ont fubfifté jufqu'à préfent entr'Elles , pår
» rapport au reftant des dettes hypothéquées for
» la Siléfie , & payables aux fujets de Sa Majefté
Britannique , auffi -bien qu'à l'égard d'un
» dédommagement à accorder aux fujets de Sa
» Majefté Pruffienne pour les pertes qu'ils ont
» faites far mer pendant la derniere guerre , lés
» deux Hautes Puiffances Contractantes ont heu-
>> reuſement terminé ces deux objets à leur fatis-
» faction réciproque ; de façon que l'arrêt mis il
» y a quelque tems fur lefdites dettes , fera levé
» auffi tôt que la ratification de Sa Majesté Britan-
» nique de la fufdite Convention de Neutralité
» pour l'Allemagne fera arrivée ici .
AVRIL. 1756 . 223
DE BONN , le 23 Février.
Le 18 , à huit heures fix minutes du matin , le
vent étant Sud- Oueft , & l'air légérement chargé ,
on effuya ici une fecouffe de tremblement de
terre , plus violente de beaucoup que celles des
26 & 27 Décembre & du 26 Janvier. Dans la
Ville de Cologne plus de cent cheminées font
tombées. Quelques maiſons ont été confidérablement
endommagées dans leurs murs & dans leur
charpente. Les Bateaux qui étoient fur le Rhin ,
ont éprouvé une agitation extraordinaire , & plufieurs
ont couru rifque de périr . Un peu avant
neuf heures & vingt minutes après , il y eut encore
deux autres fecouffes , Ce tremblement , à ce
qu'on apprend , s'eft fait auffi fentir à Paderborn ,
à Olnabruck , à Arenſberg , à Darmſtadt , à Wetzlar
, à Caffel , à Worms & à Manheim . Les lettres
de Liege confirment qu'il y a cauſé de grands
dommages. Elles marquent qu'entr'autres accidens
une malfe énorme de pierres s'eft détachée
d'une Tour de la Cathédrale , & a enfoncé les
planchers de plufieurs maiſons voifines.
ESPAGNE.
DE BELEM , le 13 Février.
Dans le tems qu'on croyoit ce Royaume délivré
du tremblement de terre , on a effuyé ici de nouvelles
fecouffes. Elles ont été même affez fortes
pour renverser plufieurs des bâtimens que les
précédentes avoient épargnés à Liſbonne. L'Hôtel
du Comte de Refende , Grand Amiral de Portugal
, eft du nombre des édifices nouvellement
détruits.
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
Il eft arrivé d'Irlande dans le Tage cinq Navires
chargés de proviſions. On en attend un fixieme ,
qui a été équipé à Dublin. Le Vaiffeau de guerre
le Hamptoncourt , & les autres Bâtimens partis des
Ports d'Angleterre , n'ont pas encore paru . Le Roi
a ordonné que dans la diftribution des fecours
envoyés par la Grande - Bretagne , on pourvût
avant tout aux befoins des fujets de cette Puiffance
établis en Portugal. Pour fubvenir aux dépenfes
qu'exige la reconstruction de la Douane , du Magafin
des Indes & de celui de la Marine , on a
augmenté de quatre pour cent les droits impofés
fur les marchandifes étrangeres. Le fieur Caftres ,
Envoyé Extraordinaire de Sa Majefté Britannique,
a demandé que les Negocians Anglois fuffent
exemptés de payer ce nouveau droit .
Le Duc d'Aveyro , Grand Maître de la Maiſon
de Sa Majeſté , étant un des Seigneurs qui ont le
plus perdu dans le défaſtre général , le Roi lui a
accordé une indemnité de deux cens mille crufades.
Sa Majefté , animée des fentimens que les
calamités publiques ne pouvoient manquer de
lui infpirer , retranche fur fes plaifirs , afin d'être
plus en état de foulager les malheureux . Elle a
fait dire aux Muficiens Italiens qu'Elle avoit à fon
fervice , qu'ils pouvoient aller ailleurs tirer parti
de leurs talens .
D'ORAN , le 8 Novembre 1755 .
Le premier de ce mois avant le lever du foleil
il fe forma fur cette Ville un nuage épais , duquel
il fortit des flammes à diverſes repriſes . Au bout
d'une heure , ce nuage creva avec un horrible
bruit , & tout l'athmofphere fut inondé d'un déluge
de feu . Le tonnerre tomba fur la grande
AVRIL. 1756. 225
Eglife ,, perça le clocher , & frappa le Sonneur
fans le bleffer. Vers dix heures & un quart du
matin , plufieurs violentes fecouffes de tremblement
de terre augmenterent la frayeur dont chacun
étoit faifi . L'aiguille de la Tour de l'Eglife
des Francifcains fut abattue. La plupart des maifons
de la Ville & des environs ont été ébranlées
mais il n'y en a eu aucune de renversée .

ITALI E.
DE NAPLES , les Février.
Des bruits fouterreins femblables à celui du
tonnerre , ont caufé ici beaucoup d'allarmes . On
a craint qu'ils ne fuffent les avant - coureurs de
quelque catastrophe. Mais après une légere éruption
du Mont Véfuve ils ont ceffé , & les habitans
de cette Capitale font remis de leur frayeur.
RELATΙΟΝ
De l'Ambaffade extraordinaire de la Religion
de Malie auprès du Roi de deur Siciles ,
faite en 1755 , à l'occaſion du rétabliſſement
du Commerce avec ces deux Royaumes.
LE Confeil'ayant nommé MM. les Baillis de
Fleury & de Combreux Ambaffadeurs extraordinaires
auprès du Roi des deux Siciles , pour aller
conjointement avec M. le Bailli Dueñas affurer
Sa Majefté des fentimens de la Religion , M. le
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
Bailli de Fleury , Capitaine Général des Efcadres
de l'Ordre , fit voile le 11 d'Août , avec quatre
galeres , & deux vaiffeaux. Lorsqu'il fut
hors du Port , il envoya confirmer à M. le Bailli
de Combreux , Commandant des deux Navires ,
tout ce dont il étoit convenu avec lui , que chaque
efcadre navigueroit felon la nature de fes bâtimens
, fans s'alfujettir à être toujours unies ,
parce que n'ayant d'autre objet que de fe rendre
promptement à Baye , où MM. les Ambaffadeurs
avoient bien des arrangemens préliminaires
à prendre , avant d'aller à Naples , celui
qui arriveroit le premier , mettroit la main à
P'oeuvre pour accélérer toutes chofes .
Le 16,M. le Bailli de Fleury ayant appris , avant
de mouiller à Baye , que le Roi chaffoit à l'Ifle
Procita, fit revirer , pavoifer , & mettre fon Efcadre
en front de Bandiere . En approchant de l'iſle
les galeres firent trois falves royales de moufqueterie
, & d'artillerie , après lefquelles M. le
Général envoya donner part à Sa Majesté , qu'auffi
-tôt qu'il avoit fçu qu'elle devoit retourner
à Naples , il avoit fait route fur cette ifle , pour
avoir l'honneur de l'escorter ; & de lui faire
fa cour comme Général , en attendant qu'il pût
la lui faire comme Ambaffadeur de l'Ordre.
>
M. le Bailli de Reggio fit dire que le Roi
en feroit fort aife , & qu'il ne falloit plus le
faluer que de la voix . M. le Bailli de Fleury defcendit
à terre avec MM. les Capitaines , &
M. le Provéditeur qu'il préfenta à Sa Majesté. II
eut auffi l'honneur de lui dire qu'ayant fçu qu'Elle
devoit paffer la mer , il avoit cru devoir le mettre
à portée de recevoir les ordres. Le Roi l'en remercia
d'un air extrêmement affable , & s'embarqua
tout de fuite. Les galeres l'accompagnerent
AVRIL. 1756. 227
jufqu'à fon débarquement en faifant les mêmes.
manoeuvres que fes galiotes . Sa Majeſté envoya
le foir quatre faifans à M. le Bailli de Fleury , &
lui fit offrir la Darfe , ou le Môle de Naples pour
les galeres. Son Excellence répondit qu'elle étoit
extrêmement fenfible aux bontés du Roi , mais
que le mauvais air de la Darfe lui feroit préférer
le Môle.
Le 18 , M. le Général fut s'établir dans la maifon
de M. le Prince d'Ardore , qu'il avoit empruntée
pour tout le tems de l'Ambaffade.
Le 20 , les vaiffeaux arriverent à Baye , & en
partirent deux jours après avec les galeres pour Naples.
En découvrant le Palais du Roi , les deux
Efcadres fe pavoiferent , & firent trois falves royale
de moufqueterie , & d'artillerie .
Le 24 , MM. les Baillis de Fleury , & de Combreux
eurent l'honneur d'être préſentés au Roi , &
à la Reine comme Officiers Généraux , avec MM .
les Chevaliers des deux Efcadres. Ils furent voir en
Corps le même jour les trois Miniftres d'Etat , &
tous les Chefs de Cour.
Le 27 , l'Introducteur intima à MM les Ambaffadeurs
que Sa Majefté avoit fixé leur Entrée
au 6 de Septembre. Leurs Excellences firent part
auffi - tôt de leur arrivée à tous les Miniftres Etran
gers , ainfi qu'on en étoit convenu. Elles informerent
auffi tous les Grands- Croix , & Chevaliers
de Malte du jour de l'Entrée .
Le 6 de Septembre , au lever du foleil , on pavoifa
les Efcadres. A huit heures du matin MM.
les Ambaffadeurs , & tous les Grands-Croix , &
Chevaliers fe rendirent fur la Capitane . Une heure
après le Majordom de femaine , & l'Introducteur
s'étant fait annoncer , leurs Excellences furent les
recevoir à la moitié de l'eſcalier du Môle , accom-
Kvi
228 MERCURE DE FRANCE.
pagnées de MM . les Chevaliers qui fe rangerent
à droite , & à gauche. Les Gentilshommes , Pages
, & livrées de MM. les Ambaſſadeurs , bordoient
la haie depuis ledit efcalier jufqu'au carrofe
du Roi. Le Majordome , & l'Introducteur
prirent la droite de MM. les Ambaffadeurs , &
tous cinq furent dans cet Ordre s'affeoir dans la
pouppe de la Capitane , où perfonne n'entroit. Le
Corps de garde , un Caravanifte à la tête , préfenta
les Armes , & battit aux champs . On baifa la
tente , & on falua des trompettes , & de la voix .
Après une diftribution de rafraîchiffemens , &
un entretien qui fut très- bref, MM . les Chevaliers
monterent dans les carroffes des Miniftres, & Confeillers
d'Etat , dans ceux des Chefs de Cour , &
enfin dans ceux de la principale Nobleſſe . Tout le
cortege compofoit environ cent cinquante carroffes.
MM. les Ambaffadeurs partirent de la Capitane
avec le Majordome & l'Introducteur dans
l'ordre ci- deffus , & monterent dans le carroffe du
Roi. M. le Bailli Duenas , comme plus ancien ,
prit la droite dans le fond , M. le Bailli de Fleury
fa gauche , M. le Bailli de Combreux la droite
fur le devant , le Majordome à fa gauche , & l'Introducteur
fur un ftrapontin à la portiere droite.
Les deux Efcadres firent au départ du Correge
trois falves royales de moufqueterie & d'artil
lerie.
Douze coureurs de MM. les Ambaffadeurs ga-
Jonnés d'or ou d'argent fur toutes les coutures , &
trente-fix Valets de pied habillés de grande livrée
précédoient le carroffe du Roi. Six Pages de leurs
Excellences , galonnés très - richement , étoient à
droite , & à gauche des deux portieres . Quatre Vafets
de pied du Roi marchoient à côté deux.
Les trois carroffes de parade de MM. les AmAVRIL.
1756. 229
baffadenrs , attelés de fix chevaux chacun , magnifiquement
harnachés, fuivoient immédiatement celui
du Roi avec un Palefrenier qui marchoit à côté
des chevaux , habillé de grande livrée.
Le carroffe de l'Ambaffadeur plus ancien étoit vacant
, & marquoit le carroffe dureſpect .
MM. les Grands-Croix fuivoient dans les carroffes
des deux autres Ambaffadeurs , après lefquels
marchoient ceux des Miniftres , Confeillers d'Etat
, &c .
Le Secretaire d'Ambaffade étoit immédiatement
après le dernier carroffe des Chevaliers , &
les fix Gentilshommes de MM . les Ambaffadeurs ,
habillés très -richement , terminoient la fonction
dans trois autres carroffes.
On fit dans cet Ordre-là un grand tour par les
principales rue de la Ville. Tous les Corps de garde
devant lefquels paffoient MM. les Ambaffadeurs
portoient le fufil fur l'épaule , & rappelloient.
A 10 heures trois quarts ils arriverent au Palais.
Le carroffe feul du Roi & celui de refpect entrerent
dans la cour. MM . les Grands-Croix, & Chevaliers
defcendirent de carroffe à la parte de la Cour,
& vinrent précéder MM. les Ambaffadeurs. Les
Hallebardiers borderent la haie ſur l'eſcalier dans
les galeries, & dans leur falle . Le Commandant de
certe Compagnie fe trouva au bas de l'efcalier.Les
Gardes du Corps étoient le fufil fur l'épaule dans
leur falle , à la porte de laquelle le Capitaine reçut
MM les Ambaffadeurs. Les Sentinelles donnerent
le coup de talon . Auffi-tôt que leurs Excellences
furent arrivées dans la chambre , qui précédoit
la falle, du Trône , l'Introducteur fut en
donner part au Roi , qui vint fe placer debout
fous fon Dais avec les grands Officiers . MM. les
Ambaffadeurs , le Majordome , & l'Introducteur
230 MERCURE DE FRANCE.
feuls furent admis. Ils s'approcherent du Trône
en faifant trois profondes révérences , à chacune
defquelles le Roi levoit fon chapeau. M.
le Bailli Duenas , comme plus ancien , porta la
parole le premier , & remit les Letres de créance
, ainfi que Sa Majefté l'avoit décidé . M. le
Bailli de Fleury fit enfuite le compliment cijoint
:
» SIRE ,
>> La Religion , & le grand Maître ne défirent
rien plus ardemment que de plaire à Vo-
» tre Majefté . Leurs voeux & les miens , SIRE ,
» feroient remplis , fi je pouvois contribuer à ma-
>> nifefter à Votre Majefté toute l'étendue de ces
fentimens , & lui rendre les fervices de nos
» Efcadres agréables . n
M. le Bailli de Combreux confirma en peu
de mots les mêmes fentimens.
Sa Majefté répondit dans les termes les plus
obligeans. MM. les Ambaffadeurs fe rangerent
enfuite à la droite du Roi , pour laiffer défiler
MM. les Grands- Croix & Chevaliers , qui eurent
l'honneur de lui baifer la main.
Pendant l'Audience , MM. les Grinds- Croix
refterent à la porte de la falle , & MM. les
Chevaliers dans la chambre qui précédoit.
Au baiſe - main MM. les Grands-Croix pafferent
les premiers , enfuite le Corps des Galeres
avec moitié des Chevaliers Napolitains mêlés
, & enfin le Corps des Vaiffeaux avec l'autre
moitié des Chevaliers Napolitains .
Le baife -main fimi , MM. les Ambaffadeurs
fe retirerent dans l'ordre ci - deffus , & furent accompagnés
par le Capitaine des Gardes jufqu'à
AVRIL. 1756. 231
la porte , où il avoit été les recevoir Le même
cérémonial s'obferva chez la Reine ; dès
que M. le Bailli Duenas eût parlé , M. le Bailli
de Fleury prononça le difcours faivant :
MADAME ,
» Jamais l'Ordre de Malte n'a conçu des fentimens
plus vifs , que ceux que lui ont inf-
» piré les bontés de Votre Majefté Elles me
font efperer , MADAME , que vous voudrez
>> bien , en lui accordant votre protection , ajou
» ter encore à une grace auffi précieuſe , celle
» d'être perfuadée du défir qu'il a de la mé-
» riter.
M. le Bailli de Combreux fit enfuite fon
compliment. Sa Majefté répondit par des expreffions
très-obligeantes.
Après le baile - main , qui fe paffa comme chez
le Roi , MM . les Ambafladeurs furent à l'Audience
des Infants & Infantes qu'on avoit réunis
, & leur témoignerent en peu de mots les
fentimens de la Religion , leur Gouverneur &
Gouvernante répondirent pour leurs A. R. d'une
maniere extrêmement flatteufe . On y obferva
le même cérémonial qui s'étoit pratiqué chez
le Roi.
MM. les Ambaffadeurs fe retirerent enfuite
fur la Capitane dans l'ordre qu'ils en étoient
venus ; & après que le Majordome & l'Introducteur
fe furent repofés , ils les accompagnerent
jufqu'à la moitié de l'efcalier , où on les
avoit été recevoir. Peu de tems après leurs Excellences
furent voir Mezzo Infiocchi , le Miniftres
des Affaires Etrangeres , qui leur donna à
dîner avec les principales perfonnes de la Cour ,
231 MERCURE DE FRANCE.
·
& tous les Miniftres Etrangers. Après dîner ;
MM. les Ambaſſadeurs allerent voir dans le même
équipage les deux autres Miniftres d'Etat ,
& les deux Cardinaux.
Le foir on repréſenta l'Opéra au Théâtre de S.
Charles , qu'on avoit tout illuminé en flambeaux
de cire blanche. Il joua auffi quelques jours de
plus en faveur de l'Ambaflade.
Le 7 , M. le Bailli Duenas donna un dîner
femblable à celui du Miniftre des Affaires Errangeres.
"
Le 8 , M. le Bailli de Fleury demanda au Roi
la permiffion de donner une fête au Môle , &
de faire ôter les canons qui embarraffoient ; Sa
Majefté eut la bonté de le lui accorder. Dans
le même jour l'Artillerie fut tranſportée . Le projet
de la fête étoit de former trois grandes galeries
foutenues par des colonnes , de faire danfer
dans celle du milieu , & jouer dans les deux
autres. Quatre amphithéâtres , placés aux deux
extrêmités de la galerie dominante auroient
fervi pour la Mufique du Concert & du Bal.
L'Ambigu devoit être fervi dans la batterie qui est
après le Corps de Gardes. Les Galeres & les Vaiffeaux
illuminés auroient encadré la fête , & des
pyramides de lumieres , placées à droite & à gauche
dans toute la longeur du Môle , en devoient
faire l'avenue. En huit jours toute la charpente
fut élevée ; mais le mauvais tems qui furvint ,
obligea d'abandonner la place & de chercher
une maison.
>
Le jour de Notre- Dame de Pié -de-grotte ,
les Galeres & les Vaiffeaux furent mouiller auprès
de l'Eglife , où toute la Famille Royale devoit
venir en grand Gala.
Dès que le Roi parut , les deux Efcadres fe
AVRIL. 1756. 233
pavoiferent , & firent une falve royale de moufqueterie
& d'artillerie , qu'elles répéterent à
la Bénédiction , & lorfque Sa Majesté fortit de
l'Eglife .
Le 9 , M. le Général donna un dîner de 90
couverts à tous les Miniftres & Confeillers d'Etat
, Ambaffadeurs , Grands Officiers de la Cour ,
& autres perfonnes de confidération de la Ville
dans une falle qu'on avoit parée de tous les
ornemens qui pouvoient caractériſer l'objet de
la fête.
M. le Commandant des Vaiffeaux donna un
femblable repas. MM. les Capitaines des Galeres
firent éclater auffi leur magnificence par des
feftins & des bals également agréables & bien
fervis.
Le 13 , MM. les Baillis de Fleury & de Combreux
eurent l'honneur d'aller faire leur Cour
au Roi à Caferte , avec plufieurs Chevaliers des
deux Efcadres.
Le 14 , M. le Bailli Reggio envoya cent For
çats fur les Galeres , dont le Roi faifoit préfent
à la Religion .
Le 17 , M. le Bailli de Fleury donna un Bal
paré à toute la Cour & au Militaire ; Madame
la Ducheffe de Caftropignano en , fit les honneurs.
Il avoit emprunté un des plus grands Palais
de la Ville , des plus commodes & des
mieux fitués pour une femblable fête . On avoit
tendu tout l'appartement , qui étoit composé de
fix falles & deux grandes galeries , de damas
cramoifi , galonné d'or fur tous les lais , terminée
par une pente feftonnée , garnie de franges
d'or qui contournoit toutes les corniches.
La premiere falle après l'antichambre étoit
remplie de tables de jeu .
234 MERCURE DE FRANCE.
La Galerie d'après fervoit au Concert , on
l'on avoit raffemblé les meilleurs inftrumens &
les voix les plus célebres de Naples.
La troifieme , la quatrieme & la cinquieme
falle étoient confacrées encore au jeu .
1
La feconde Galerie fervoit pour le Bal ; on
l'avoit tendue en blanc bordé de moëre jaune
& verte galonnée d'or , terminée par une
pente blanche , feftonnée & garnie de franges
d'or. Deux Orchestres compofés de quarante inftrumens
, élevés en Amphithéâtres aux deux extrêmités
de la falle , jouoient enfemble ou alternativement
: le Maître à danfer des Infants
régloit les contredanfes .
>
La feptieme falle étoit diftinguée par le portrait
du Grand Maître , placé fous un dais galonné
d'or ; on jouoit dans cette falle comme
dans les quatre ci - deffus. Un cabinet de
toilette terminoit l'appartement qui étoit
éclairé autant qu'il pouvoit l'être . Toute la façade
de la maifon , & l'intérieur de la cour
étoient illuminés en flambeaux de cire blanche
& en pots à feu.
>
Un détachement de cinquante Suiffes avec un
Officier & deux Garçons Majors furent chargés
de garder la maifon , & de régler la place
des carroffes. Il y avoit un Sergent de Garde
dans chaque chambre. Les Buffets pour les rafraîchiffemens
, & l'Ambigu étoient diftribués
dans quatre chambres , qui avoient iffu dans le
milieu de l'appartement.
A huit heures du foir le Concert commença .
Deux heures après M. l'Ambaffadeur de France
ouvrit le Bal avec Madame la Princeffe d'Ardore
, fille de Madame la Ducheffe de Caftropignagno.
AVRIL. 1756. 235
Le Concert, le Bal , & environ foixante tables
de jeu occupoient alternativement toute l'Affemblée
. Cinquante Pages & foixante Valets de
chambre , empruntés felon l'ufage , diftribuerent
continuellement toutes fortes de glaces & d'affiettes
d'offices.
A une heure & demie on fervit cent vingtdeux
petites tables d'environ huit à dix couverts
chacune , en viandes froides , poiffons , & vins
étrangers. Cette façon d'ambigu neuve & bien
exécutée , fut extrêmement applaudie . On compta
plus de neuf cens perfonnes fervies à la fois.
Trois cens vingt Dames , & quatorze ou quinze
cens Cavaliers étoient priés .
Après l'ambigu , on recommença le Bal , &
la diftribution des glaces jufqu'à fix heures du
matin que la fête finit à la fatisfaction commune,
& fans le moindre accident.
Le jour de S. Ferdinand les Galeres furent
mouiller à Portici , & faluerent le Roi de trois
falves royales de moufqueterie & d'artillerie .
Le foir les deux Efcadres firent une même
falve après la Ville.
Le 20 , M. le Marquis de Janucci remit de la
part du Roi trois Croix de Diamans à MM.
les Ambaffadeurs , en y joignant les témoignages
les plus diftingués de la fatisfaction qu'avoit
Sa Majefté de leurs fervices.
Le 23 , MM . les Baillis de Fleury & de Combreux
préfenterent à Leurs Majeftés les Chevaliers
des deux Efcadres pour prendre congé . Leurs
Excellences le prirent elles -mêmes enfuite privativement
dans le Cabinet du Roi , en renouvellant
au Roi & à la Reine les fentimens de
la Religion , & les leurs propres. M. le Bailli de
Fleury porta la parole le premier , ainsi que le
236 MERCURE DE FRANCE.
Roi l'avoit décidé. MM. les Baillis Duenas &
de Combreux firent enfuite leur compliment.
Leurs Majeftés répondirent par les affurances les
plus fatteufes de leur protection & de leur bienveillance
, louant beaucoup la conduite noble
de MM. les Chevaliers , & furtout le bon gouvernement
de S. A. E.
Le 27 , MM. les Ambaffadeurs s'étant embarqués
, les deux Efcadres faluerent le Roi de trois
falves royales de moufqueterie & d'artillerie ,
& firent voile enfuite pour leur deſtination .
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
PAARRuunn Arrêt du Confeil d'Etat ,
du 24 Décembre
1754 , il avoit été réglé que les Offices qui
feroient levés vacans aux revenus cafuels pendant
le courant de l'année 1755 , par mort ou autrement
, ne payeroient que moitié des droits de
marc d'or , d'enregistrement chez les Gardes des
rôles & de fceau , enſemble de ceux de réception
& d'inſtallation dans les Cours & Jurifdictions ; &
que les perfonnes qui leveroient des Offices de
nouvelle création , ou aufquels n'auroit été pourvu
depuis leur création , ne payeroient pour s'en faire
pourvoir , que le tiers defdits droits de marc d'or ,
d'enregistrement , de fceau , de réception & d'intallation
. Sa Majefté , pour faciliter le débit deſdits
Offices , veut bien continuer la même grace
pendant l'année 1756 .
Meffire Cafimir , Comte d'Egmont -Pignatelli ,
Grand d'Efpagne de la premiere claffe , Brigadier
de Cavalerie & Meftre de Camp d'un Régiment
AVRIL 1756. 237
de fon nom , époufa le 10 Février en fecondes
nôces Demoiſelle Sophie- Jeanne- Louiſe-Armande-
Septimanie de Richelieu , fille de Louis - François-
Armand du Pleffis , Duc de Richelieu & de Fronfac
, Pair & Maréchal de France , Noble Genois ,
: Chevalier des Ordres du Roi , Premier Gentilhomme
de la Chambre de Sa Majefté , & Gouverneur
de Guyenne ; & d'Elizabeth- Sophie de Lorraine-
Guife. La Bénédiction Nuptiale leur fut
donnée dans la Chapelle de l'Hôtel de Richelieu ,
par l'Evêque de Saint-Pons. Il y eut le foir avant
le fouper un feu d'artifice Chinois très-bien exécuté.
Les Cour , Jardin & façade de l'Hôtel
furent illuminés avec autant de goût que de magnificence.
Le jeu & la mufique ont contribué à
l'amufement de Paffemblée , qui étoit compofée
des perfonnes de la Cour les plus diftinguées. Le
Comte d'Egmont eft fils de feu Procope - Charles-
Nicolas- Auguftin - Léopold Pignatelli , Duc de
Bifaccia ou Bifache , Comte d'Egmont , Grand
d'Eſpagne ; & de Henriette-Julie de Durfort de
Duras.
M. le Marquis de Valory , Lieutenant Général
des Armées du Roi , Gouverneur de la Citadelle
de Lille , & Commandeur Honoraire de l'Ordre
Royal & Militaire de Saint Louis , a été nommé
par Sa Majesté fon Miniftre Plénipotentiaire auprès
du Roi de Pruffe,
Le nommé Vallé , Suiffe du Roi à la Porte de
Saint Cyr , préfenta le 16 Février à Sa Majesté un
Animal , moitié Biche , moitié Ours , ayant un
cinquieme pied fur le milieu de la tête . Čet Animal
provient d'une Vache.
Le 20 Février , Monfeigneur le Dauphin &
Madame la Dauphine tinrent fur les Fonts dans
La Chapelle du Château , le fils du feu M. de la
238 MERCURE DE FRANCE.
Boffiere , Comte de Chambors , Ecuyer Ordinaire
du Roi , & de Dame le Petit d'Avaine , fon épouse.
L'Abbé de Raigecourt , Aumônier de Sa Majefté ,
fuppléa les cérémonies du Baptême , en préſence
du Curé de la Paroiffe de Notre-Dame , à cet
enfant , qui fut nommé Louis - Jofeph - Jean-
Baptifte .
Madame la Comteffe d'Egmont fut préfentée
le vingt -deux par Madame la Comteffe d'Egmont
Douairiere , fa belle-mere. Elle prit le tabouret
comme épouse d'un Grand d'Eſpagne.
Le Roi a fait fignifier aux Sujets de la Grande-
Bretagne un ordre de fortir de fes Etats.
Le Roi a accordé une penfion de douze cens li
vres à M. d'Alembert , de l'Académie Françoiſe
& de celle des Sciences .
Le 28 du mois dernier , M. Jouffroy fils , Peintre
de Dijon , montra à leurs Majeftés un Tableau de fa
façon , peint à l'huile fur une Glace . Ce Tableau
repréfente le tems qui découvre la vérité , & qui
foule aux pieds le menfonge. Le Roi le vit avec bonté,
ainfi que la Reine & Monfeigneur le Dauphin.
La demeure de l'Auteur eft au bout du Pont Notre-
Dame à l'Espérance , chez Bourdelier Tailleur .
ERRAT A.
Pour le Mercure de Mars.
Page 61 , ligne 11 , de fes femblables , lifez , de
nos femblables.
Page 62 , lig. 21 , lui a empêché , lifez , l'a enípêché.
Page 63 , lign . 14 Is , ce n'eft point les Bordelois
, lifez , ce ne font point les Bordelois.
Page 74 , lig. 12 , qu'elle a donné à ſon génie ,
lif. qu'elle a donnée , &c .
Page 126 , lig. 31 , on en attenté plufieurs autres ,
lif, on en a tenté plufieurs autres.
239
AP PROBATION.
Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chance-
Chance
lier , le premier volume du Mercure du mois.
d'Avril , & je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion . A Paris , ce 29 Mars 1756.
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
Portrait,
Fable , les deux Chênes ,
page s
6
De la Délicateffe du Goût & du Sentiment , morceau
traduit de M: Hume ,
Vers pour mettre au bas du portrait de Madame
Mongeron ,
Ode à M. de Sechelles ,
16
17
Conjectures fur la caufe des tremblemens de terre ,
Le Triomphe de la Veuve , Cantatille ,
L'Hirondelle & le Caftor , Fable
Vers à une Demoiſelle , le jour de l'An ,
Le beau Plaifir , Conte ,
27
42
43
44
45
77
Effai de traduction de la premiere Ode d'Horace ,
78
Avis à Cléon , 81
Vers à M. l'Abbé Ballin ,
Troisieme Lettre de M. Voifin à M. le Prince
de ....
Epitre à S. E. M. le Bailli de Fleuri ,
Vers à Mlle Vern ....
82
88
୨୦
91
Remerciement à l'Auteur du Mercure par l'Auteur
des Vers à M. Monin ,
240
Explication des Enigmes & des Logogryphes du
Mercure de Mars ,
Enigmes & Logogryphes ,
L'Amitié, Cantatille ,
92
ibid.
96
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
Séance publique de l'Académie des Siences , Belles
Lettres & Arts de Besançon , 97
Extrait , Précis ou Indications de Livres nouveaux
,
106
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Commerce. Lettre de M. le Contrôlear Général à
M. Policard , & c.
Médecine. Jours critiques. Traduction du Pere
Feijoo , & c.
147
150
Suite de la Séance publique de l'Académie des Belles-
Lettres de la Rochelle ,
ART. IV. BEAUX - ARTS.
167
Mufique.
193
Gravure. Idée de la Gravure . ibid.
Lettre à l'Auteur du Mercure , 209
ART. V. SPECTACLES.
Comédie Françoife . 215
Comédie Italienne. 216
Couplets à Madame Favart , 219
Opéra Comique ,
ibid.
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres ,
221
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 236
La Chanfon notée doit regarder la Page 46 .
De l'Imprimerie de Ch . A. JOMBERT.
MERCURE
DE LA
VILLE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI
AVRIL. 1756.
SECOND VOLUME.
Diverfité, c'est ma devife. La Fontaine.
THEOFF
BIBLIO
LYON
1893
Cestin
Filius inv
Papilion Sculp 1715.
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
Chez PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
( CAILLEAU , quai des Auguftins.
Avec Approbation & Privilege du Roi,

DE
LA
LYON
AVERTISSEMEN
LE Bureau du Mercure eſt chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers .
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
de port , les paquets & leures , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure .
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raison.
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compie , ne payeront comme à Paris ,
qu'à raison de 30 fols par volume , c'eſt- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes .
Les Libraires des provinces ou des pays
A ij
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreſſe ci - deſſus.
On fupplie les perfonnes des provinces d'envoyer
par la pofte , en payant le droit , le prix
deleur abonnement , ou de donner leurs ordres ,
afin que le paiement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi
Mercredi & Jeudi de chaque femaine, aprèsmidi.
>
On peut fe procur er par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainsi que les Livres
, Estampes & Mufique qu'ils annoncent.
XALLmmAm XAmimLnA熊X
100
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL. 17.56.
SECOND VOLUME.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
IMm
EPITRE
A THALIE.
Mmortelle Thalie ! ô Mufe de Moliere ,
Que fa main fçut orner de mille attraits divers !
Ne croyez pas que dans ces vers
Je vienne vous offrir un encens mercenaire .
Je n'eus jamais deffein d'affronter les hazards
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
De cette ( 1 ) mer terrible où grondent les orages ,
Ou tous les jours , par leurs naufrages ,
De jeunes imprudens effrayent mes regards ;
D'ailleurs, l'encens d'un rimeur de fornettes.
Peut -il avoir pour vous quelques appas ,
Et flatter vos fens délicats
Après celui du Prince des Poëtes ? ( 2 )
Du fang Anglois je chante un digne rejetten ,
Une petite chienne
Qui porte votre nom.
Du tendre Amour précieux don !
Ma Thalie : il n'eft rien en vous qui ne prévienne.
Dès qu'on vous voit , qu'elle eft belle , dit- on !
Chaque femme s'écrie ; Ah ! que n'eft - ce la mienne
!
Certain air malin & fripon ,
Les manieres les plus charmantes ,
Ces oreilles longues , pendantes ,
Ce poil qui de la foie a toute la douceur ,
Ces pattes , ces fourcils , dont le luftre jaunâtre
De votre vêtement noirâtre
Eclaircit la fombre couleur ,
Du plus indifférent vous affurent le coeur ,
Quels tranfports de réjouiffance ,
Au moment de votre naiffance !
(1) Le Théâtre.
(2 ) L'Epitre à Thalie , du fameux Rouſſean .
AVRIL 1756. 7.
Mais qu'ils furent bientôt troublés par la frayeur !
Au fuc pernicieux d'un lait empoisonneur
Il fallut avec foin ſouftraire votre enfance.
Une nourrice , par bonheur ,
Parmi les fiens , quoiqu'étrangere ,
Vous reçut , & vous alaita .
Pour ne point affliger l'amour de votre mere ,
Thémire , un foir vous tranſporta :
Qu'avec peine elle vous quitta
D'un éloignement néceſſaire !
Hélas ! dit- elle , je gémis ;
Je voudrois la garder ... du danger je frémis ! ..
Combien déja vous étiez chere !
Abfente , que d'ennuis juſqu'à votre retour !
Et quand arriva ce beau jour ,
Que de baifers , que de careffes !
Vous devez vous en fouvenir.
Tous les deux , avec quel plaifir
Nous exaltions vos gentilleſſes !
Sur vos gambades , ſur vos fauts ,
Nous vous appellâmes Thalie ,
Et jamais nom vint- il plus à propos ?
Par votre éternelle folie
Vous nous donnez la Comédie.
1-
Tantôt de la cuifine en flairant le fourneau ,
Dans la coque d'un oeuf fe prend votre muſcau ;
Puis votre démarche incertaine ,
Juſqu'à l'inſtant où tombe le fardeau ,
Peint votre honte & votre gêne .
A iv
S MERCURE DE FRANCE.
Tantôt vous allez vous fourrer
Sur la toilette de Thémire :
Vous arrêtant pour vous mirer ,
Vous lêchez votre image en chienne qui s'admire.
Vous dérobez , ou fon collier ,
Ou fes rubans , ou le papier ,
Par qui de fes cheveux la pente eft redreſſée :
La pommade fouvent où la poudre eft verfée ;
Et vous fortez dela blanche comme un Meunier.
D'un efprit fin votre ceil pétille.
Qu'on fe moque de vous , foudain vous le voyez
Tout votre corps de colere fretille ,
Et fi vous ne mordez , au moins vous aboyez.
De leurs ombres d'où vient que toujours quelque
crimes
Obfcurciffent l'éclat des plus belles vertus ?
D'un fiecle dédaigneux tout fuit donc les maxime's
!
Dur fléau des gens mal vêtus.
Qu'un Porteur-d'eau , qu'un Savoyard approche
,
Thalie , avec fureur , s'élance , les accroche ,
Et de leurs haillons bigarrés
Remporte entre fes dents les lambeaux déchirés.
Autre défaut , le Ciel vous fit un peu gourmande :
La Pâtée eft le mets que l'on fert à tout chien,
Qu'on veut entretenir propre & ne fentant rien ;
Pour un mets fi commun vous êtes trop friande
AVRIL. 1756.
Or pour ne point mourir de faim ,
Que fait Thalie ? Elle écarte le pain ,
Et de grand coeur après , elle avale la viande.
Il faudra pourtant bien changer ,
Lorsque vous viendrez partager
La fortune de votre Maître ;
De ce tour je ne rirai pas :
Vous verrez qui je fuis , je me ferai connoître !
De ma Thémire admirez les appas ,
En attendant (fans peine on attend auprès d'elle. )
Vous êtes d'une espece à rendre un coeur jaloux
Badinez avec cette Belle ,
Mais foyez fage , ou bien malheur à vous !
Par M. G *** .
De Chartrait , près Melun.
A Mlle Dudeffend, en lui envoyant des fleurs
pour le jour de fa fête ; par M. Andrieu ,
Maître Particulier des Eaux & Forêts de
Nevers .
Pour vous offrir des fleurs , charmante Virginie
,
La conftance à l'amour aujourd'hui s'eft unie.
Recevez leur bouquet : les Graces, à leur tour ,
Suivront, pour l'embellir , les traces de l'Amour.
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
IL FUT HEUREU X.
Aventure qui arrive à peu de monde.
Felix Elix Aimé.jouit d'un fort conforme à
ce double nom , fans avoir d'abord mérité
l'un ni l'autre. Son bonheur fut d'autant
plus grand que les contretems & les dif
graces lui devenoient favorables , & qu'il
profpera fouvent en prenant le contrepied
de ce qu'il falloit faire pour être heureux .
Sa naiffance fut elle- même une infortune.
Né d'une mere honteufe de l'être , & d'un
père qui eut la modeftie de n'en prendre
jamais le titre , il fut méconnu dès qu'il
vit le jour. Un Abbé charitable eut le foin
de fon éducation . Il avoit feul le fecret de
fes parens , & le garda très-fcrupuleufement.
Sans avoir les traits réguliers Félix
avoit une phyfionomie intéreffante. Il avoit
foncièrement peu d'efprit , mais l'air d'en
avoir beaucoup , ( ce qui eft préférable
pour perfuader le grand nombre ) un
fond de gaieté inaltérable qui lui tenoit
lieu de philofophie, & le mettoit au deffus
des revers. Incapable de refléchir , &
d'être affecté trop vivement , il rioit de
tout , & ne s'affligeoit de rien. Ses déAVRIL.
1756. It
fauts même tournoient à fon avantage . Il
avoit ce qu'on appelle vulgairement latête
à l'évent ; mais fon étourderie lui
feyoit. Elle étoit accompagnée d'une grace
ingénue , qui plaifoit même aux gens
fenfés. Il étoit hardi jufqu'à l'impudence ,
mais fon effronterie étoit fauvée par un
dehors de franchife qui la faifoit toujours
pardonner , & fouvent réuffir. Ces deux
qualités qui dominoient dans Aimé , lui
faifoient rencontrer des faillies qu'un autre
plus fpirituel , mais plus difcret , ou
plus timide n'auroit jamais eu le bonheur
de trouver , ou l'audace de rifquer.
Tel que je le dépeins , il prit dans le
monde , quoiqu'il eût mal débuté . A dixhuit
ans il lui étoit venu en fantaifie d'être
Moine. Sa ferveur étoit grande ; mais au
bout de fix mois de noviciat , il eut un
démêlé très- vif avec le Maître des Novices
: il prit même la liberté de le battre ,
& fut forcé de quitter le Couvent & le
froc il fut heureux . De Moine il devint
Auteur ; car on l'eft quand on veut. Autrefois
le talent faifoit les Ecrivains , aujourd'hui
c'est la mode , c'eft la fantaiſie.
La fienne lui fit mettre au jour une Comédie.
Sa piece , toute plate qu'elle étoit
auroir pu réuffir ,mais elle fut mal protégée
& plus mal jouée : elle tomba . Cette chûte
:
Avj
12 MERCURE DE FRANCE.
le guérir de la fureur d'écrire : il fut heureux
. Il le fut d'autant plus qu'un homme
de Finance, le feul protecteur de fa Comédie
, lui ouvrit la route de la fortune. Il
entra dans les Affaires , y fit un chemin.
rapide fans les entendre , & devint homme
à la mode fans y tâcher. Il épuifa tous
les plaifirs ; il fut couru de toutes les femmes
, & fçut leur plaire fans en étudier
l'art ; fes pareils n'en ont pas befoin . Sa
profpérité fut auffi courte que fubite . Ses
dépenfes auffi folles qu'exceffives , l'eurent
bientôt détruite. Il n'en jouit que quatre
ans. Sa chûte fut encore plus rapide . Elle
fut l'ouvrage de fix mois , mais elle lui fut
utile. Elle le força de réfléchir, occafionna
l'aventure la plus avantageufe de fa vie ,
& fixa fon bonheur fans retour.
Pour dérober fa difgrace aux regards
de ceux qui l'avoient vu briller , il fut obligé
de changer de nom , & de s'expatrier,
Du fein de la Ville il fut fe confiner dans
le fond du Marais , & s'y fit appeller le
Chevalier Dargencourt. Le bonheur vint
encore le trouver là. Il y vit la meilleure
compagnie , devint fage pour la premiere
fois , & fit fa cour à une veuve opulente ,
qui étoit encore aimable , quoique fur le
retour , d'un caractere fingulier , mais eftimable
. Elle fut fenfible aux attentions
AVRIL. 1756.
13
1
marquées du nouveau Chevalier , & conçur
pour lui une véritable eftime. Elle le
crut fur fa parole homme de condition ,
maltraité injuftement de la fortune . Pour
corriger ce tort elle prit le parti généreux
de lui offrir fa main , qu'il accepta avec
une expreffion de reconnoiffance qui avoit
l'air d'un tranfport d'amour . Cet Hymen
fut formé fans éclat.
Après la cérémonie , le Chevalier s'empreffa
d'accompagner fa femme dans ſa
chambre , mais elle l'arrêta à la porte , &
lui dit en lui montrant un autre appartement
: Voilà , Monfieur , ou vous devez
loger . Je rentre feule chez moi. Epargnezvous
la peine d'aller plus loin. Il voulut
infifter , & prendre le ton d'un amant empreffé
; elle lui fitcette réplique auffi fage
que furprenante : Monfieur , le mariage
que j'ai contracté avec vous n'eft qu'un
prétexte décent pour rendre légitime aux
yeux du Public le bien que je veux vous
faire. Je fuis d'un âge à ne point efperer
de poftérité. J'ai quarante-fix ans paffés ;
vous n'en avez que vingt- cinq. Je croirois
mériter la jufte cenfure des honnêtes
gens , & la mauvaife plaifanterie des fots ,
fije fuivois l'ufage. On feroit fondé à penfer
que je ne vous ai époufé que par folie ,
quand je l'ai fait par générosité : vous le
14 MERCURE DE FRANCE.
croiriez vous-même tout le premier , & je
perdrois tout le mérite de mon procédé.
Nous vivrons l'un & l'autre dans la même
maifon , mais parfaitement ifolés , chacun
dans fon appartement , fans autre comcelui
de la convermerce
entre nous que
fation , tel que la confiance & l'eſtime
l'établiffent entre deux bons amis qui ne ſe
cachent rien , & qui partagent en commun
leurs biens & leurs pertes , leur joie &
leur chagrin. J'ai cent mille livres de rente
, vous jouirez de la moitié ; je me réferve
l'autre . J'ai affez bonne opinion de
vous pour croire que vous ferez de votre
revenu un emploi convenable . Uſez des
plaifirs de votre âge & de votre état , mais
fuyez-en les travers. Je me flatte que me
regardant comme votre premier & meilleur
ami , vous voudrez bien m'honorer
en tour de votre confidence , & me prendrez
pour votre confeil. Le feul prix que
j'attends , & que j'exige de vous , eft une
franchiſe fans réferve. C'eft une qualité
que je prife plus que toutes les autres.
Pour en ufer avec vous , & vous en donner
l'exemple , je vous avouerai que fi vous
en manquiez auprès de moi , vous m'offenferiez
mortellement , & que j'aurois bien
de la peine à vous le pardonner.
" En prononçant ces mots ,
elle rentra
AVRIL. 1756. IS
feule dans fon appartement , dont elle ferma
brufquement la porte. Son mari y demeura
d'abord cloué de furprife , & fe
retira enfuite dans le fien , moins pour y
dormir que pour y faire des réflexions fur
la fingularité du procédé de fa femme . Ce
trait qui ne reffembloit à rien , la rajeunit
à fes yeux , lui prêta une nouvelle grace ,
& fit fouhaiter à M. Dargencourt le bonheur
de la pofféder tout- à - fait . Pendant un
an entier il mit tout en ufage pour obtenir
d'elle ce bien défiré , mais elle fut inflexible .
Elle le voyoit toujours en compagnie , ou
du moins en tiers. Il avoit beau folliciter un
tête à tête , Marton ne la quittoit pas . Elle
s'éloignoit par refpect , mais dans une diftance
qui la mettoit à portée de voir leurs
actions , fi elle ne lui permettoit pas
d'entendre leurs difcours.
Un jour le mari impatienté de l'affiduité
importune de Marton , pria inftamment fa
femme de la renvoyer fous prétexte qu'il
avoit à lui communiquer des chofes de la
derniere conféquence , qui ne fouffroient
pas de témoin . Elle lui répliqua en riant ,
que s'il ne pouvoit pas les lui dire en
préſence de fa Femme de chambre , il eût
la bonté de les lui écrire , & qu'elle y
feroit réponſe .
Il fut fi piqué de cette rigueur finguliere,
16 MERCURE DE FRANCE.
7
qu'il partit le lendemain pour la campagne.
Pour étourdir fon chagrin , il voulut fe
replonger dans les plaifirs ; mais il n'en
étoient plus pour lui. L'ennui prennoit
leur place, & l'image de fa femine dont il
ne pouvoit faire fa moitié , le pourfuivoit
partout. Il maigriffoit à vue d'oeil : il eut
même deux accès de fievre. Il revint chez
lui au bout de fix femaines . Madame Dargencourt
fut bientôt informée de fon arrivée
& de fon indifpofition . Elle en fut
allarmée , & vola dans l'appartement de
fon mari. Il étoit levé , mais fi pâle & fi
défait qu'elle en fut touchée aux larmes ,
& lui demanda la caufe de fa maladie . Je
fuis , lui répondit-il , auffi impatient de
vous en inftruire, que vous paroiffez l'être
de l'apprendre . Il fit retirer fes gens , &
lui tint ce propos . Madame , le mal que
mon corps fouffre , naît de l'embarras où
mon efprit fe trouve , ou plutôt il prend
fa fource dans mon coeur. Vous êtes la
feule perfonne que je puiffe confulter , &
la feule exactement qui puiffe me donner
un confeil ou un remede falutaire.
Vous redoublez ma crainte & ma curiofité
, interrompit - elle : parlez , expliquez-
vous pour votre foulagement & pour
le mien . C'eft ce que je vais faire , repritil
: mon aveu vous furprendra. J'aime
AVRIL. 1756. 17
éperduement. Voilà le principe de ma
maigreur. Pardonnez cette déclaration ....
Ah ! s'écria- t'elle , non feulement je vous
la pardonne , mais je vous en fçais gré , je
vous en tiens compte. Elle me prouve
votre confiance. Vous fçavez que la fincérité
me charme , que je vous en ai fait
une loi . Vous acquittez par elle ce que je
vous ai demandé & ce que vous me devez ;
je vous ai confeillé moi-même de fuivre
l'ufage , & de jouir convenablement des
plaifirs qu'autorifent votre âge , votre état,
& furtout la maniere dont je vis avec
vous. Je ne me fuis réfervée que le droit
d'être votre confidente & votre confeil .
Vous venez de m'apprendre que vous aimiez
éperduement . Achevez , & ditesmoi
qui ? C'eft , pourfuivit- il , la femme
la plus digne d'eftime. Je ne dirai rien de
fa figure , quoiqu'elle foit bien : des qualités
plus effentielles me la font adorer.
Son efprit eft la lumiere la plus pure du
bon fens . Son caractere eft au deffus de
tout ce qu'on peut dire. Je lui dois ma
raifon , ma nouvelle exiftence . Elle m'a
créé. J'étois un frivole , un étourdi ; elle
m'a fait un être raisonnable , prefqu'un
fage , ou plutôt mieux qu'un philofophe ,
Elle m'a fait un honnête homme. Voilà ,
interrompit Madame d'Argencourt , un
1S MERCURE DE FRANCE.
-
portrait qui m'enchante. Je ne puis qu'ap
plaudir à votre choix. Sçait - elle votre
amour ? Non , répondit il ; il n'eft pas
poffible de l'en inftruire ? Eh ! pourquoi ?
C'eft qu'elle a un défaut qui me défefpere,
& qui eft le feul que je lui connoiffe.
Quel défaut ? D'être auffi finguliere qu'elle
eft refpectable. Les autres femmes ont des
prétentions jufques dans la décrépitude :
celle dont je vous parle eft leur contraſte.
Elle eft fi exceffivement modefte que dans
l'été de fon âge , elle ne fe croit plus faite
pour plaire , ni digne d'être aimée . J'aurois
beau l'affurer du contraire , elle ne
m'en croiroit pas ; elle me répondroit que
je me moque d'elle & fuiroit ma préfence.
Dans la cruelle extrêmité où ma flamme
eft réduite , je ne vois qu'un moyen de
m'en guérir , ou du moins de m'en diftraire
; mais je n'ofe le rifquer fans avoir
votre aveu. Soyez fûr de l'avoir , lui ditelle
..pour peu qu'il foit poffible ou convenable.
Eh bien , continua-t'il , je penſe
que je ne puis étouffer une forte paflion
que par un amufement d'éclat . Je veux
avoir une fille à talent , par exemple , Emilie
, cette danfeufe fi courue , & l'afficher
publiquement . Cette diverfion ....... Oh !
pour le coup , s'écria- t'elle , l'être raifonAVRIL.
1756.
7 19
nable redevient un étourdi , & le remede
eft pire que le mal. Mais , Madame , mettez-
vous à ma place ; je féche fur pied ,
mon amour me tue faute de nourriture.
Il lui faut de l'aliment d'une façon ou
d'autre. Le parti eft violent , mais il eft
d'ufage , & ma vie en dépend . Je vous
prie inftamment de me le permettre. Si je
ne regardois que moi , dit- elle , j'y donnerois
volontiers les mains , mais je confidere
celle que vous aimez , ou plutôt je
vous regarde vous- même. Vous vous perdriez
auprès d'elle fans retour , & pour
comble d'imprudence vous ruineriez votre
fortune , votre fanté , votre réputation
fans guérir votre coeur. La comparaifon
que vous feriez à tout moment malgré
yous d'un objet méprifable dont vous acheteriez
la poffeffion à prix d'or , avec une
femme de mérite que fes vertus rendent⚫
adorable , & qui ne vous eft cruelle que
par trop de raifon , vous pénétreroit d'un
repentir qui vous déchireroit fans fruit ,
& qui vous jetteroit dans le défefpoir. Le
parti , felon moi , le plus fage , eft de
déclarer au plutôt vos feux à une maîtreffe
fi digne de l'être. Je ne doute pas qu'une
flamme auffi vraie ne faffe impreffion fur
elle , & peut-être ne la défarme. Vous me
le confeillez donc ? Oui je ſouhaiterois
>
20 MERCURE DE FRANCE.
>
même qu'elle fût de ma connoiffance . Elle
en eft , Madame . Que ne puis- je décemment
vous fervir auprès d'elle ! Vous le
pouvez mieux que perfonne fans même
bleffer la bienféance. Puifqu'il eft ainfi ,
Monfieur , nommez -la moi . Quelle eft
cette femme admirable ? C'eft la mienne ,
c'eſt vous , Madame. Moi , répliqua - t'elle
avec furprife ! Vous plaifantez , Monfieur.
Non , non , Madame je ne plaifante
point , je n'ai jamais parlé plus vrai de
ma vie. Eh ! quelle autre mérite mieux
que vous toute mon adoration ? Eft - il
pour moi quelqu'un qui vous vaille , &
qui reffemble au portrait que je viens de
tracer ? Après une pareille confeffion , il
n'eft plus temps de reculer. Prononcez
mon arrêt. La rigueur de ma pofition
égale fa nouveauté. Comblez mon bonheur
où mon fupplice. Que je jouiffe aujourd'hui
avec vous de tous mes droits ,
que je retrouve la vie dans vos bras , où
que j'expire à vos pieds.
Elle fit un mouvement pour fe retirer
, mais il la retint en embraffant fes
genoux . Je vous entends , reprit-il , vous
voulez que je meure , & je le mérite . Pour
juftifier votre rigueur , & vous ôter le
regret de ma mort , apprenez tous mes
fecrets. Je ne dois plus vous rien caAVRIL.
1756. 21
cher. Je cede au remords qui me preſſe.
Scachez , Madame , que je vous ai trompée
, & que j'ai pris un faux nom. Je ne
fuis point le Chevalier Dargencourt. Eh !
qui donc êtes vous ? Un malheureux abandonné
dès ma naiſſance . J'ignore juſqu'au
nom de mes parens . Felix Aimé eft celui
que j'ai porté avant que de vous connoître.
J'ai fait fous ce nom une fortune rapide.
Pendant quatre ans qu'elle a duré ,
j'ai joué un rôle brillant dans le monde
mais ma mauvaiſe conduite m'a replongé
dans mon premier état . Je l'ai déguisé à
votre vûe , j'ai furpris votre eftime géné
reufe , & vous m'avez accordé votre main
pour me foutenir dans un rang que j'avois
ufurpé. Reprenez tous vos bienfaits.
C'eft un tréfor que j'ai dérobé. Faitesmoi
rentrer dans mon néant , ce châtiment
eft jufte. Mais en me retirant votre
eftime avec vos dons , en me refufant votre
tendreffe , daignez du moins , Madame
, daignez m'honorer de votre pitié.
En mourant elle fera ma confolation . J'ofe
dire que vous me la devez toute entiere ;
qu'elle foit la récompenfe de l'aveu que
je vous fais. Plus il eft humiliant. pour
moi , plus il vous prouve l'excès de mon
amour. Et fa fincérité , s'écria- t'elle avec
tranſport , je n'y tiens plus . Un fi noble
22 MERCURE DE FRANCE.
repentir efface toutes vos fautes ; tout vous
eft pardonné. Levez vous , mon cher Felix.
Embraffez- moi , mon cher Aimé. Vous
l'allez être plus que jamais. Je me plais à
prononcer un nom fi doux , & je fuis encore
plus flattée de le porter. On eft Gentilhomme
par les fentimens plus que par la
naiffance. Après ce que je viens de voir
après ce que je viens d'entendre , je ne
dois plus douter d'un amour fi parfait.
Puis-je trop le payer ? Non , je n'ai plus
rien à vous refufer. Refferrons nos liens
du noeud le plus étroit. Cette union intime
n'eft plus un ridicule , elle eft un devoir
pour moi.
Felix penfa mourir de joie. Je dis mal ,
ce moment lui rendit la fanté. La nuit
qui le fuivit fut véritablement la premiere
de fes noces. Le ciel la bénit. Il ac
corda à Madame Felix une faveur qu'il
accorde rarement aux femmes de fon âge..
A quarante-fept ans , elle devint mere , &
mit aujour un petit Aimé , qui , quoique
légitime hérita du bonheur de fon pere .
Ce gage précieux cimenta l'amour des
deux époux . Felix trouva dans fa femme
non feulement une époufe tendre , une
bienfaictrice défintéreffée , mais encore
un guide fûr , un confeil éclairé , un ami
à toute épreuve . Il fut heureux.
AVRIL. 1756. 23
O DE
A Mademoiselle .
...*.
fur la perte qu'elle a
faite de fon Amant qui eft devenu dévot ,
par M. l'Abbé Clément , Chanoine de S.
Louis du Louvre.
Pourquoi victime volontaire
D'un amour tendre & malheureux ,
Toujours à vous-même contraire ,
Voulez-vous irriter vos feux !
En fecret votre ame abattue ,
Se nourrit du mal qui la tue :
Mais quel vain eſpoir vous féduit !
Penſez-vous , par votre triſteſſe ,
Faire revivre la tendreffe
D'un amant dévot qui vous fuit ?
Contre le Seigneur qui l'appelle
N'a-t'il pas affez combattu ?
Dans fon coeur à vos loix fidele ,
Trop long-tems le remords s'eft tu .
En plaiſirs il change fes peines :
Devoit -il préférer vos chaînes.
Aux douceurs de la liberté ?
Et renonçant au bien ſuprême ,
Sacrifier à ce qu'il aime ,
Dieu , fa grace , & l'Eternité ?
24 MERCURE DE FRANCE. I
Ceffez d'envier la victoire
Que le ciel remporte fur vous :
Ah ! ç'en eft trop pour votre gloire
D'avoir longtemps paré fes coups :
Vouloir enlever fa conquête ,
C'eft allumer fur votre tête ,
Les feux de fon courroux vengeur ;
Et déja votre coeur fenfible
Devient le miniſtre terrible
Qu'arme contre vous fa rigueur.
Quoi ! parce qu'un amant parjure
Se laffe de fuivre vos pas ,
?
Vous voulez venger cette injure
perte de vos appas ! Par la
Voyez comme fe décompofe
Cet éclat de lys & de rofe
Qu'on admire fur votre teint :
De vos yeux le feu qui s'exhale
Reffemble à cette lueur pâle
Que jette un flambeau qui s'éteint .
Puifque du mal qui vous obfede
Le tems même aigrit le poiſon ,
Que vous mépriſez le remede
Qu'y veut apporter la raiſon ,
Immolez vîte la victime :
Le défefpoir eft légitime
Dans les maux cruels & conftans :
Par une mort prompte- & tragique.
Groffiffez
AVRIL. 1756. 25
Groffiffez la courte chronique
Des amantes des premiers temps.
L'effort d'un courage intrépide
Peut vous mériter des autels :
Sapho ( 1 ) , par un coup homicide ,
A rendu fes feux immortels .
Suivez cet exemple fublime ,
Et d'un fexe pufillanime
Rappellez l'antique vertu :
Que par vous l'avenir apprenne
Que fur les rives de la Seine ,
Le fol amour n'eſt pas perdu !
Mais que fais - je ! au trait qui vous bleffe ;
Viens-je ajouter de nouveaux traits ?
Non , je ne veux par cette adreffe ,
Qu'adoucir vos triftes regrets.
Pardon , amante infortunée ;
A votre affieufe deſtinée ,
Si mon coeur s'intéreffoit moins
Riant du coup qui vous terraffe ,
J'aurois fait de votre difgrace
Le moindre fujet de mes foins.
Chaffez donc la langueur funefte
Qui vous confume nuit & jour :
A Dieu feul confacrez le refte
(1 ) Elle fe précipita du haut d'un rocher pour ne
pasfurvivre à l'infidélité de Pkaon fon Amant.
II.Vol. B
1
26 MERCURE DE FRANCE.
D'un coeur ufurpé par l'amour.
La grace , par un trait de flamme ,
Cherche à pénétrer dans votre ame
Le ciel s'ouvre ; il peut fe fermer :
Profitez du moment propice ;
L'amour irrita fa juftice ,
L'amour feul peut la défarmer.
Aimez d'un fentiment fi tendre :
Ecoutez la touchante voix :
Mais n'allez pas vous y méprendre ;-
Dieu feul doit fixer votre choix.
Damon vous dit par fon exemple :
Thémire , venez dans fon temple ,
A mes pleurs mêler vos foupirs ;
Et dans ces larmes unanimes ,
De nos amours illégitimes ,
Noyons les profanes plaiſirs .
Vous êtes jeune & belle encore ;
Vous ne le ferez pas toujours :
Les momens où brille l'Aurore
Sont lumineux , mais ils font courts.
Le Tems , de fes aîles rapides ,
Se hâte d'imprimer fes rides :
On fe flétrit , fans le fçavoir.
L'amour s'envole ; & fur fes traces
Les plaifirs entraînent les graces
Que remplace le déſeſpoir.
AVRIL. 1756. 27"
Alors d'un hommage fincere ,
L'empreffement eft ralenti :
Ce n'eft plus qu'un encens vulgaire
Par le coeur même démenti.
Pour prévenir cette infortune ,
Au remords qui vous importune ,
Rendez-vous docile aujourd'hui :
Aimez au printems de votre âge
Ce Dieu dont vous êtes l'image ,
Et qui ne vous fit que pour lui .
On offre des fruits en Automne ;
Eft- ce le Ciel qui les mûrit ?
Souvent la décence les donne ;
Toujours le regret les cueillit .
L'Egyptien ( 1) d'un oeil tranquile ,
Voit cette dépouille inutile
Qu'on voue au culte d'Ifraël :
En vain on s'en fait un mérite :
Une offrande vile & profcrite
Ne fçauroit embellir l'autel.
(1) Le Monde.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
PENSÉES.
Voulez - vous faire une injure à l'équité
de quelqu'un fans qu'il s'en offenſe ? Alattezle.
Jamais l'homme ne s'eft mis en état de
remplir fon devoir , fans preffentir le bonheur
qu'il goûtera , s'il s'en acquitte,
Le mépris réfléchi de la vie en prouve
toujours le repos ,
Comme il eft néceffaire d'avoir de la
raifon pour être heureux , notre bonheur
doit être d'autant plus grand qu'on le peut
trouver dans une fi douce néceffité.
Que l'homme eft à plaindre ! le dégoût
lui ôte ce que la fortune lui donne.
J'ai de la peine également à fouffrir
ceux qui s'ennuient toujours , & ceux qui
fe plaignent fans ceffe .
La vie nous inquiéte , & la mort nous
fait peur. Que peut - on ajouter à notre
condition pour la rendre pire è
?
L'erreur nous eft fi propre , que notre
nature fe confond avec elle.
Quelque longue que foit la douleur ,
quand la patience eft de fa mefure , les
jours de fa durée fe comptent fans chagrin.
AVRIL. 1756. 29
Une vie égale trouve chaque faifon de
même.
Le Sage fe laiffe emporter à la néceffité,
fans reffentir la violence.
Quand ce n'eft pas la raiſon qui travaille
à notre repos , on ne voit jamais le
terme de fon ouvrage.
Le plaifir eft comme une fleur d'une
odeur délicate, qu'il faut fentir légèrement
fi l'on veut lui trouver toujours le même
parfum.
11 eft impoffible de fouhaiter vivement
un plaifir fans remplir notre ame de ce
plaifir même. La douceur qui accompagne
inféparablement ce défir en eft une partie.
Dans la recherche des voluptés , l'habileté
confifte à jouir de toutes celles qui
s'offrent à nous , de telle forte que nous
foyons intéreffés fans inquiétude à la pourfuite
des autres.
Il faut qu'il y ait de la proportion entre
le plaifir & la faculté de fentir , autrement
l'impreffion eft imparfaite , ou funefte.
L'amour a été donné aux femmes pour
tempérer le dédain.
La médifance eft un vice que ·les femmes
ont donné aux hommes : en échange
elles ont reçu la flatterie. Le charmant
commerce !
Ces Penfees font de M. de Beuvry.
Biij.
30 MERCURE DE FRANCE.
VERS
A M. le Baron de *** , Brigadier des Armées
du Roi , premier Lieutenant Colonel
du Régiment Royal *** , Chevalier des
Ordres du Roi de ** ; par M. de Baftide.
IL eft temps que je me rapproche
Du Philofophe & du Guerrier
Qui couronné de myrthe & de laurier ,
Penfe avec goût , vit fans reproche
Ennemi de la vanité
Dont tout feigneur eft entêté ,
Dans fon château dont il eft idolâtre ;
Plein de nobleffe & plein de probité ,
Prêt à boire , prêt à combattre ,
Prêt à raifonner fçavamment ,
Ayant tous les efprits , aimant tous les mérites ,
N'ayant qu'un défaut feulement ,
Celui d'abréger fes viſites ,
Et de digérer rarement .
Depuis un mois , la pluie impitoyable
M'enchaîne à mon trifte foyer :
Mais duflai-je enfin me noyer ,
Vous me verrez , Baron aimable
Braver pour vous les élemens.
J'arriverai fait comme un diable ;
AVRIL. 1756. 31
> Car les frimats & la pluie & les vents
Déchaînés dans notre hémiſphere ,
Nous réduifent , depuis longtemps ,
A chercher des moyens de plaire
Etrangers aux ajuftemens :
Mais aux yeux de l'homme qui penfe
La parure n'eft pas beauté.
J'irai donc avec Paffurance
D'être reçu mieux qu'un fat apprêté , `
Certain que vous ferez flatté
De ce mépris pour l'élégance ,
"
Et que vous jugerez par mon habit crotté ,
De mes regrets pendant un mois d'abſence .
Je ne puis vous revoir trop tôt ;
L'humeur me gagne , & j'en fçais bien la cauſe :
Une affreuse métamorphofe
Me rend chagrin & prefque fot ,
Depuis que loin de la barriere
Du monde aimable & des efprits choiſis ,
Je paffe dans une chaumiere
Des jours filés par les ennuis..
Plaifirs charmans que je regrette ,
Plaiſirs de la fociété ,
Plaifirs de l'art & de la nouveauté ,
Plaifirs d'une union fecrete
Plaifirs de l'infidélité
>
Plaifirs d'une flamme indifcrete ,
Pourquoi par un fonge emporté ,
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
Me fuis-je mis dans la néceffité ,
De regretter votre douceur parfaite !
Pourquoi me fuis - je tranſplanté
Du fein de la félicité .
Dans le néant de la retraite !
Un faux goût de tranquillité ,
Un vain eſpoir de liberté ,
Un peu d'inconftance , peut-être ,
Ont féduit mon efprit trop aifément tenté.
J'ai cru trouver la volupté
Dans une demeure champêtre
Et dans le féjour ſi vanté
De l'innocence & de la vérité.
Vains défirs , fatales chimeres !
On ne reconnoît plus les champs.
On ne voit plus de bergers innocens ,
Il n'eft plus d'aimables bergeres.
Le vice & la férocité
Ont chaffé les graces légeres :
L'amour & la fimplicité
Sont devenus des vertus étrangeres
Parmi ce peuple autrefois refpecté ,
Dont les moeurs , les chanfons & la délicateffe
Etoient des leçons de tendreffe
Et des leçons d'humanité.
Si des champs je paffe ( 1 ) à la ville ,
J'y revois l'affligeant tableau
(1 ) L'Auteur parle d'unepetite Ville du voi
nage.
AVRIL. 1756. 33
Qu'a peint le févere Rouſſeau
Dans le début de fon livre inutile .
Nul plaifir , nulle aménité ,
Nul fentiment , nulle fociété.
A la ville comme au village ,
On ne voit plus cette aimable union ,
Ce doux rapport d'eſprit & d'inclination ,
Cette fincérité de coeur & de langage
Que l'on vit , fans exception ,
Dans les hommes du premier âge.
Mais taifons -nous : il faut être prudent
Et réſiſter à la critique ,
Lorsqu'on prévoit & que l'on fent
Que l'on feroit trop véridique.
L'homme trop vrai devient méchant.
Hélas ! quelle fut ma folie ,
Quel fut l'excès de mon égarement !
Mon fort étoit digne d'envie .
L'efprit , le fentiment ,
Les arts & Penjouement
Répandoient fur ma vie
Les tréfors de l'amufement ,
De la raifon & du génie.
Par Cidalife & par Leſbie ,
Séduit & partagé ,
Je me rendois chez Emilie ,
J'y trouvois un jeu moins chargé ,
Plus d'efprit & plus de faillie.
I
BY
34 MERCURE DE FRANCE.
Par elle mon coeur éclairé ,
Goûtoit dans une douce chaîne ,
Ce bonheur que l'amour ramene
Et que l'efprit a préparé.
Tous les arts & toutes les belles
- M'imprimoient des plaifirs nouveaux ;
N'épuifant rien , recherchant à propos ,
Paffant ſouvent des bagatelles
Aux productions immortelles ,
Et des bons livres , aux bons mots ,
Recueillant toutes les nouvelles ,
Parcourant toutes les ruelles ;
Allant partout , excepté chez les fots.
C'eft ainfi que de la journée ,
Coupant le fil par la légéreté ,
Je voyois s'écouler l'année ,
Comme une belle nuit d'été .
Hélas ! que de ma deftinée
Les Dieux ont bien changé le cours !
Mon ame aux ennuis enchaînée ,
Eft triftement abandonnée
Par les plaifirs & les amours.
Je ne vois plus Cidalife & Lefbie ,
Je n'entends plus Clairon ni Dumefni ,
Je ne vois plus Puvigné ni Lani ,
Je ne foupe plus chez Silvie ,
Entre Jéliote & . Gauffin.
La guittarre , le clavecin ,
Les fons brillans de l'Italie ,
AVRIL 1756. 31
Les beaux vers , les fruits du génie ,
Tous les biens ont pour moi pris fin .
Vous , près de qui je les retrouve
Dans le plaifir de me les rappeller ,
Yous ,qui les connoiffez , qui fçavez en parler ,
Vous enfin , près de qui j'éprouve
Combien l'efprit peut confoler ,
Jugez , fi de votre préfence ,
Je puis me priver aisément ,
Et combien pendant votre abfence ,
J'ai du voir croître mon tourment .
VERS
An grand Racine fur la mort du jeune
Racine , arrivée à Cadix en Novembre
1755.
Q Wand d'Hyppolite ton pinceau
Crayonnoit la trifte aventure ,
Racine , où prenois- tu les traits de ce tableau ,
Le triomphe de la nature
Ah ! de l'avenir en ton coeur
Se peignoit l'image touchante ,
Et du dernier des tiens ta main tendre & fçavante ,
Sous un nom emprunté , nous traçoit le malheur.
Le Marić,
2
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
J'ai lu , Monfieur , dans le Mercure de
Février , l'examen de la furdité & de la
cécité par un fourd ; j'y ai pris intérêt ,
parce que je fuis fourde . En pareil cas on
cherche à s'occuper pour ſe diftraire ; &
je fuis fort aife d'avoir à répondre à un
homme qui me paroît avoir plus d'efprit
que de grace d'état . Si je n'en avois pas
fon
plus que lai pour fupporter le mien ,
difcours m'auroit fait une trifte impreffion
: il la fera peut - être à nos femblables;
j'entreprends de les confoler.
Il m'a toujours paru fort fingulier
qu'on pût mettre en problême lequel eft
le plus malheureux d'un aveugle ou d'un
fourd. Lorfque j'apperçois le premier , je
me crois redevable au fort ; & j'ai fouvent
réfléchi à l'avantage que j'ai fur lui.
Le fpectacle de la nature n'offre fans ceffe
des plaifirs variés , & lorfque le printemps
annonce fon triomphe , je puis jouir de
tous fes charmes. Qu'est ce qui peut dédommager
d'un pareil avantage ? on me
dira fans doute : C'eft l'agrément de la
converſation . Je fuis d'accord qu'elle a
AVRIL. 1756. 37
des charmes ; mais eft- il bien facile de fe
la procurer fort fouvent à fon gré ? On
éprouve mille fois le contraire avant que
d'en être une fois fatisfait ; & le plaifir pour
celui qui entend , n'eft - il pas plus fouvent
au deffous de l'ennui ? Suivons l'aveugle
à l'Opéra . En attendant que la toile
fe leve , on differte fur les objets préfens
dont on fait l'analyfe : un tout nouveau
paroît qui réunit tous les fuffrages , ' c'eſt
un cri général d'approbation . J'interroge
l'aveugle dans ce moment pour qu'il me
dife de bonne-foi , s'il eft alors plus fatisfait
d'entendre que d'appercevoir. La
fymphonie s'annonce , voilà le moment
favorable c'eft un plaifir vif pour lui
autant qu'il fera muficien , s'il ne l'eft
pas , ce n'eft qu'un plaifir médiocre . 1
entend les Acteurs célebres réunir en
chantant , l'art & le goût qui les fait applaudir
: mais ce jeu fi intéreffant , qui
peint les mouvemens du coeur fur la phyfionomie
, ces graces fi touchantes dont
on ne peut recevoir l'impreffion que par
les yeux , font en pure perte pour lui. It
éprouve aux autres fpectacles les mêmes
inconvéniens : il en revient pour ſe trouver
à un fouper charmant ; les propos y
font agréables , & les fiens font à l'unif
fon . voilà fans doute fon triomphe. Mais
38 MERCURE DE FRANCE.
peut- il en jouir longtems la fanté fouvent
s'y oppofe , & la table a fes contretems
: voyons donc ce qu'il fait chez lui
lorfqu'il eft forcé d'y refter. Les momens
de la folitude font pénibles pour fon état .
S'il n'a point de lecteur à gages , qu'il a de
tems pour s'ennuyer ! Enfin fa dépendan
çe eft continuelle , & fès démarches affujetties
au caprice & à la volonté des autres
: voilà la pofition de l'aveugle , riche ,
ou malaifé ; voyons la mienne. Si je fuis
feule , je n'ai nul befoin d'entendre , je
me trouve tout comme un autre. Je vas ,
je viens , je peux changer de lieux tout
à mon gré cet exercice eft un amuſement.
Je lis , quand il me plaît , fans nul
befoin d'un fecours étranger ; & la lecture
en eft plus profitable. J'ai pensé , à ce
fujet ,, que M. de la Motte auroit encore
bien mieux écrit s'il eût pu lire par luimême.
L'écriture eft encore une reffource
agréable pour moi : enfin lorfque mes yeux
font fatigués , je puis me délaffer au jeu.
Le trictrac , les échecs font indépendans
de l'ouie ; il en eft même aux cartes où
les questions & les réponfes ne font d'aucune
utilité , & où l'attention peut fuffire.
Ne peut- on pas , avec tous ces moyens ,
faciles aux fourds , paffer la vie fans s'ennuyer
& employer tous fes momens 2
F
AVRIL. 1756. 39

Quant aux viſites , j'en reçois peu , & j'en
fais rarement l'un me dédommage de
l'autre ; ma pareffe en eft fatisfaite. Mais
je cherche la fociété d'un petit nombre
de perfonnes dont les idées font analogues
aux miennes . Je fuis les cercles ,
- c'eft l'écueil de ma poſition ; & cette privation
peut-elle caufer des regrets ? J'évite
les repas où la cérémonie raffemble
& je me livre à ceux où l'amitié m'invite :
ce motif fçait adoucir la peine de fe faire
entendre. Quand on veut bien m'adreſſer
la parole , je n'abuſe jamais de cette complaifance.
Je queftionne moins que je
n'obferve : cette politique me fait fouvent
comprendre le fujet que l'on traite ; &
l'on doit par prudence fe défier quelquefois
de la pénétration d'un fourd . Je m'expofe
le moins qu'il eft poffible vis- à - vis
des gens
inconnus , pour éviter les prodifcordans
de ma part. On peut m'ob.
jecter que malgré tous ces foins , il fe
trouve des occafions où l'amour- propre
doit fouffrir. Par exemple , il eft des gens
à qui les infirmités de la nature paroiffent
des ridicules ; des ris moqueurs , ou bien
méprifans de leur part , expriment l'impreffion
que vous leur faites : pourquoi
s'en offenfer ? ils ne méritent que de l'indulgence.
Enfin aveugles & fourds , conpos
40 MERCURE DE FRANCE.
folez - vous de votre état ; il vous donne
une certitude ceux qui s'empreffent à
vous chercher , font véritablement vos
amis eft- il des peines vis-à-vis d'un fi
rare avantage !
Trouvez bon , Monfieur , que j'aye
l'honneur de vous adreffer cette réponſe
pour mettre dans votre prochain Mercure.
Je fuis , Monfieur , &c.
VERS
Sur l'infuffifance de la raison dans tous les
âges.
Raifon ,
impofante chimere ,
Je ne crois plus à ta réalité.
Je connois ta futilité ,
Et ton néant , & ta mifere.
Que puis-je rifquer fur ta foi ?
Inutile dans mon enfance ,
L'inſtinct feul me fert mieux que toi
Je fuis forcé d'obéir à la loi
De mon fang qui bouillonne en mon adolefcence.
Victime des erreurs , ou dupe de l'amour ,
Errant de foibleffe en foibleffe ,
Des plaifirs aux remords emporté tour à tour ,
Dans une continue.le ivreffe ,
AVRIL. 1756 . 41
En m'oubliant , je paffe ma jeuneffe .
Te trouverai -je donc en un âge plus mûr !
Peut - être ..... mais toujours comme un guide peù
für ,
Qui , par un fentier très- obfcur ,
Me conduit jufqu'à la vieilleffe.
Alors , à charge au monde , à moi-même odieux ,
Tourmenté par l'inquiétude , ´
ntre la peur du diable & l'attente des cieux ,
J'arrive , en radotant , à la décrépitude
.
à
Monfieur Hornot eft l'Auteur de ces
Vers. Monfieur , ajoute- il dans l'envoi qu'il
nous en a fait , j'oferois être l'organe du
Public à l'égard d'une Anecdote Turque ,
inférée dans votre Mercure de Mars. Une
perfonne qui écrit avec autant de feu ,
de fineffe & de légéreté gagneroit trop
être connue pour fe refufer au plaifir de
recevoir le tribut d'éloges qu'elle mérite.
Si elle peut être nommée , ce fera obliger
le Public de la décéler : né vous rendez
pas complice du larcin qu'elle lui fait ,
fi vous n'êtes point engagé d'honneur à
lui garder le fecret , & invitez- la à multiplier
fes aimables productions.Nouscédons
d'autant plus volontiers à cette flatteufe
inftance , que plufieurs de nos Abonnés.
nous ont fait la même priere. L'Ouvrage
a trop bien, réuffi , & fait trop d'honneur
42 MERCURE
DE FRANCE
.
à M. Marmontel , pour cacher plus longtems
qu'il en eft l'Auteur. Nous ne devons
pas laiffer ignorer à nos Lecteurs qu'il
a enrichi notre recueil d'un autre morceau
qui a précedé Soliman II , & qui n'a pas
eu moins de fuccès. C'eft Alcibiade ou le
Moi , dont la premiere partie eft inférée en
Septembre , & l'autre en Octobre 1755.
Nous profitons de la même occafion pour
lui en faire nos juftes remerciemens , &
pour le prier de nous répéter fes bienfaits
le plus fouvent qu'il lui fera poffible .
INPROMPT U.
A une Demoiselle qui admiroit des fleurs
parfaitement confervées malgré l'hyver.
Dans Ans ces aimables fleurs que refpecte la rage
De l'hyver , d'Eole & du Tems ;
Eglé , reconnoiffez l'image
De vos attraits & de mes fentimens.
Le Chevalier de SAINT VERAN.
AVRIL. 1756. 43
VERS
A Monfeigneur le Comte de Provence , par
le Pere Jean Baptifte de Pradal , Capucin
de la Province de Guyenne , prêchant le
Carême dans la Paroiffe de Sainte Marguerite
, à Paris,
:
T'Endré fleur , qui venezd'éclorre
Sur une tige que les Dieux
Ornent de leurs dons précieux ,
Et qu'ils embelliront encore ,
Augufte Enfant , tournez les yeux
Sur ma Mufe qui vous implore.
Dans le féjour où vous brillez ,
Où vos charmes font étalés ,
Elle chanta votre naiffance ( 1 ) ,
Objet de nos voeux redoublés ,
Et la gloire de la Provence.
Le zele , le refpect , l'allegreffe & l'amour ,
Des fons qu'elle enfanta conduifoient la cadence
,
Et les animoient tour à tour.
Aimable Prince , dans ce jour
Cette Muſe rejette & fes habits de fête ,
( 1) L'Auteur la célébrée par une Idylle.
44 MERCURE DE FRANCE.
Et les fleurs qui paroient fa tête :
Souffrez que les cheveux épars ,
Elle fe montre à vos regards ;
Qu'auprès de ce berceau que la paix environne ,
Et que l'innocence couronne ,
Elle faffe parler fes pleur .
Hélas ! vous en verfez dans le fein des grandeurs .
Le Ciel ne me donna qu'un frere....... ( 1 )
Et l'amitié la plus fincere
Joignit aux noeuds du fang fes liens éternels.
A l'ombre des murs paternels
Elle crut avec nous , qu'elle nous étoit chere !
Vous fentirez bientôt , objet tant fouha'té ,
Doux fruit d'une union fi belle ,
La force & la vivacité
De la tendreffe fraternelle ,
Qui nourrit ma peine cruelle.
Mais ce qui déchire mon coeur
Du vôtre fera la douceur.
Enfant chéri des Cieux ! par un ordre fuprême
J'ai perdu cet autre moi - même.
Je le demande en vain par mes gémiffemens ;
Il n'habite plus le rivage ,
Qui retentiffoit de mes chants ;
Un climat lointain & fauvage (2)
(1) M. de Pradal , Procureur Général de Montauban.
(2) Il eft exilé à Tréguier , en Baſſe- Bretagne.
AVRIL 1756. 45.
Le cache à mes yeux languiffans.
Doux Zéphirs , portez-lui mes lugubres accens !
Celle à qui je dois la lumiere
Eft déja parvenue à l'hyver de fes jours.
Faut-il fa douleur amere ,
que
En abrege le triſte cours ?
L'époux de cette tendre mere , (1)
Honoré du choix de LOUIS ,
Blanchit au Temple de Thémis.
Toujours cette Déeſſe auſtere
Couvrit les yeux de fon bandeau .
Les voeux de l'Orphélin dont il étoit le pere ,
Le fuivirent dans le tombeau.
Ses Ayeux aux champs de Bellone , ( 2 )
De leur fang les ont arrofés.
Du même zele pour le Thrône ,
Leurs defcendans font embrafés :
Daignez dans vos mains innocentes
Recevoir ces plaintes touchantes ,
Les offrir à mon Souverain.
(1) Le pere de l'exilé étoit Confeiller à la Cour
des Aides de Montauban. Il mourut dans la trentieme
année d'exercice de fa Charge. Sa Compagnie
dont il poffedoit l'eftime & la confiance , l'hono
ra de fes regrets , & le Peuple de fes larmes.
(2 ) L'exilé defcend directement de la maison
de Créqui.
46 MERCURE
DE
FRANCE
. Que le front de Louis devienne plus férein !
Mon azyle , & mon eſpérance ,
Heureux berceau , parle pour moi .
Ma lyre , c'eft affez . Des tributs de l'enfance
Que la nature vous diſpenſe !
Que Minerve toujours vous tienne fous fa loi !
Prince , & que votre nom adoré de la France ,
Egale celui de mon Roi !
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
PLus je lis , Monfieur , avec attention
les plaintes que Mademoiſelle P... de
Chartres a cru devoir porter à votre Tribu
nal dans le fecond Volume de Janvier ,
& plus je fuis perfuadé de l'injuſtice qu'on
lui a faire en lui attribuant les Stances
qui m'ont été adreffées dans le Journal
de Verdun , Novembre 1755 , fignées ,
la Bergere Annete . Il ne tiendra donc
pas à moi que le Public n'ajoute à fon
défaveu toute la foi qu'il mérite ; & fi c'eſt
elle une confolation de ne me pas
compter au nombre des efprits prévenus
je la lui donne ici pleine & entiere en
lui proteftant que dans les différentes conjectures
que cet incognito m'a fuggerées ;
pour
AVRIL 1756. 47
je n'ai jamais arrêté fur elle le moindre
foupçon , d'autant plus que tous les Lecteurs
qui feront en état de comparer les
Stances en queſtion avec celles qu'elle
a fait imprimer à Chartres , au fujer de
la Naiffance de Monfeigneur le Duc de
Bourgogne , ne rifqueront point de tomber
dans une erreur auffi groffiere , &
qu'on n'a pas dû la reconnoître fous les
enfeignes de la Rime quelle a abandon
née depuis plufieurs années , en faveur
de la Profe , au grand regret de ceux qui
aiment la Verfification , & au grand étonnement
de ceux qui s'imaginent que la
Poéfie porte dans nos ames une empreinte
ineffaçable & un attrait irréfiftible. Après
ce témoignage que je devois à la vérité , me
permettrez - vous , Monfieur , de vous répréfenter
à mon tour que j'ai encore plus
de fujet que Mademoiſelle P... de me
plaindre du Public dans cette circonftance
? On ne fe contente pas de détourner
tout ce que les louanges d'une Bergere
ont de flatteur en s'obftinant à les regarder
comme un jeu de la part de quelque Berger
déguifé , on les attribue à des perfonnes
qui en ignorent , ou qui en diffimulent
le prix , & qui fous le prétexte
ufé de ne les point ravir à leur véritable
Auteur , ne cherchent , en les défavouant >
48 MERCURE DE FRANCE.
qu'un fujet d'oftentation . On porte même
la prévention jufqu'à me croire l'unique
Auteur de toutes les Pieces de cette Hiftoire.
Je ne puis oppofer aujourd'hui
qu'un filence équivoque ; mais lorsqu'il
plaira à cette illuftre Bergere de fe faire
connoître , le Public rougira de toutes
fes fauffes conjectures , & nous élevera au
faîte de la gloire ; elle , pour avoir compofé
des Vers excellens , & moi pour en
avoir été l'objet. Il me refte , Monfieur , à
vous prier d'obferver que Mademoiſelle
P... n'a pas faifi le fens de cette Stance ,

Pourquoi loin de tes yeux , illuftre la Louptiere ,
Le fort a-t'il placé le berceau de mes jours !
Ta muſe ingénieuſe , agréable & legere
L'eût rendu foriffant & fameux pour toujours .
ou qu'elle l'a éludé pour avoir occafion
de favorifer le préjugé vulgaire qui
attribue à la Champagne une difette de
beaux Efprits , dont elle eft plus à l'abri
que jamais. Croira- t'on en effet que la
Bergere Annette veuille faire ici un procès
au fort de ce qu'elle n'eft pas née Champenoife
Et n'eft-il pas aifé de fentir qu'elle
regrette fimplement de ce que fon hameau
qu'elle trouve d'ailleurs fi agréable ,
n'eft pas plus voifin de la Champagne ?
?
j'efpere
AVRIL. 1756. 49
J'efpere , Monfieur , que vous ne me refuferez
pas vis - à- vis du Public la même grace
que vous avez bien voulu accorder à
Mademoiſelle P ... & que vous profiterez
de la jufte confiance qu'elle a en vous pour
lui confeiller de ne plus interrompre la
promenade de Province dont nous attendons
la fuite avec impatience , & qui ne
peut paroître fous des aufpices plus favorables
que les vôtres.
J'ai l'honneur d'être , & c.
De Relongue de la Louptiere , Membre
de la Société des Sciences & Belles-
Lettres de Châlons- fur - Marne , ¿
La Louptiere en Champagne , le 28
Février 17 58.
EPITRE .
A Monfieur Rameau , par le même.
JEE ne fuis point né fous cet aftre
Qui des neuf foeurs , dit -on , forme les favoris ;
Mais quand je fors de Zoroaftre ,
De Pigmalion , de Naïs ,
Et de Caftor & de Platée ,
Divin Rameau , mon ame tranfportée
Croit fuivre ton fublime effor :
Le charme eft diffipé , je crois t'ouir encor ;
II.Vol. C
so MERCURE DE FRANCE.
Jufqu'au Temple de l'harmonie ,
Je fens s'élever mon génie :
Rival de Philomele , inftruit par tes leçons ,
Je redis fur ma voix tes brillantes chanfons .
Ofe donc fans rougir avouer mon hommage ;
Et maître de mon goût , reconnois ton ouvrage.
Moi , qui dans les accès d'un aveugle tranfport ,
Voulois trancher de l'efprit fort ,
Doutant dans ma philoſophie
De la blanche & noire magie ,
Préfentement , je fais (1 ) un des premiers
Dans la croyance des forciers.
Qui ; l'effort de ton art aujourd'hui me condamne.
De ce double pouvoir je ne puis plus douter ,
Puifque Zoroastre , Abramane ,
Tous les deux à la fois , viennent de m'enchanter.
( 1 ) Cette Epitre fut composée à la fortie de
la premiere représentation de Zoroastre.
VERS
Ecrits par le même Auteur fur le Frontispice
d'un Livre d'Airs , qu'une Demoiselle lui
avoit prêté.
Au Dieu des fons c'est trop faire la cour ,
Belle Iris , fervez - en un autre :
Ecoutez la voix de l'amour ,
Si vous voulez qu'on écoute la vôtre.
A V R 1 L. 1756. SU
STANCE S.
A Mademoiselle Brohon.
Quelle
Uelle rare délicateffe
Embellit tes charmans écrits !
Par quelle involontaire adreffe
Sçais-tu gagner tous les efprits ?
Ton coeur nous peint avec fineffe
Les charmes de la vérité ;
Et tu décores la fageffe
Des habits de la volupté.
D'une tumultueufe ivreffe ,
Tu crains le féducteur poiſon ;
Et chez toi l'heureufe tendreffe
Eft la fille de la raiſon.
Philofophes , ceffez de croire
Qu'il foit honteux de s'enflammer.
Laiffez-là votre vaine gloire ;
Aujourd'hui vous devez aimer.
La plus juſte philofophie
Eft de s'attacher à Brohon :
Qui ne lui confacre ſa vie ,
Sans doute eft dans l'illufion.
Je condamne l'humeur fauvage
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
D'un indifférent orgueilleux.
A mon gré , l'homme le plus fage
Eft celui qui l'aime le mieux.
Heureux qui d'une fi belle ame
Pourra partager la moitié ,
Et fentia croître fa flamme
Par la vertueuſe amitié.
>
Brohon , à ton ſexe perfide ,
Apprends l'art d'aimer conftamment,
Que le caprice qui le guide ,
Cede fa place au fentiment.
Détrône l'amour & ſa mere ,
Gouverne l'empire des coeurs.
Si Minerve regne à Cythere ,
Il n'eft plus de folles ardeurs.
Ad... D'Arp....
REPONSE
D'une Anonyme an Bouquet de M. Vallier ,
inferé dans le premier Volume du Mercure
de Janvier 1756,
Surle Ur le fein de la jeune Ifmene ,
Tu voudrois occuper la place d'un bouquet ;
Que ce défir eft indiſcret ¦
AVRIL. 1756. 53
Eft-ce à ce prix que tu portes fa chaîne ?
Croirois-tu dans les bras d'une feconde Aurore ,
Plus fage , ou plus heureux que l'imprudent
Titon ,
Retrouver tous les feux de ta jeune ſaiſon ,
Prodiguer de beaux jours , & les revoir encore ?
Non : de la volupté la douce violence
De la réflexion fçauroit te difpenfer ;
Et tu n'apprendrois à penfer
Qu'aux charmes de la jouiffance.
Reconnoît -on les loix de la prudence
Au centre même des plaifirsè
Qui peut alors foumettre les défirs
Aux devoirs de la tempérance !
Abandonne plutôt la dangereuſe envie
De voir de fi près tant d'appas :
Tes regards éblouis , n'y réſiſteroient pas ;
Et l'excès du plaifir te coûteroit la vie.
LE mot de la premiere Enigme du premier
Mercure d'Avril eſt le Cadranfolaires
Celui du premier Logogryphe , Privilege ;
celui de la feconde Enigme Meshe ; & celui
du fecond Logogryphe Secretaire , en
tant qu'homme ; Secretaire , en tant que
meuble , dans lequel on trouve écrit , écri
re , rire , ris , Icare , air, fec contraire d'eau ,
fi , car , rit , & certes.
Ciij
$ 4 MERCURE DE FRANCE.
ENIGM E.
L'Apparence 'Apparence nous trompe eft bien fou qui
s'y fie.
J'emporte la piece en mordant ;
Du nom de douce , cependant ,
Quelquefois on me qualifie.
Je vous reffemble affez , fexe aimable & trompeur
,
Vous , qui , fous un air de douceur ,
D'un fapajou nous cachez la malice.
Eft-il un Procureur , eft-il même un Huiffier ,
Fût-il plus dur encor que le bronze & l'acier ,
Que votre beauté n'adouciffe ?
LOGO GRYPH E.
UN certain tems je me repoſe ;
Un autre tems l'on rit des larmes que je cauſe.
Les ignorans admirent mon reffort ,
Et Varignon calcule mon effort.
Dans tous les lieux où l'on m'emploie ,
Plus je fuis tourmenté , plus j'inſpire de joie.
On me brife , on me rompt , on me jette à
l'écart ,
Lorfque de mes faveurs chacun a pris ſa part.
fa
AVRIL. 1756 . 55
S'il arrive qu'on me confulte
De ma divifion voilà ce qui réfulte.
Je fuis un pré ,
Je chante un Ré ,
J'en fuis le fire ,
J'en deviens pire .
Ainfi qu'un Po ,
Je deviens fo.
Je fuis ta proie ,
Tu prens ma foie.
Tu trouves Ro ,
Tu trouves Pro.
Si l'on me fie ,
Je deviens Pie.
Prens aufli por ,
Je prens l'effor :
Mais j'entre en ire ,
Je te vois rire .
Tu trouves per ,
Prens encore fer.
Laiffe ma rofe ,
Et prens ma profe .
Ah ! je fuis pris ,
Tu prens mon ris .
Prens garde , Joffe ,
On prend ta Roffe .
D. L. G. D. G.
A Cherbourg, le 14 Mars 1756.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
COUPLETS
Aune Demoifelle qui fe plaignoit de ce que fes
cheveux tomboient ; par M. de la Louptiere.
Air : Pour foumettre mon ame .
L'Au 'Automne à la nature
Ravit tous fes ornements,
Sa verte chevelure
C
Se dépouille au gré des vents :
Iris cet objet aimable ,
Iris l'honneur de nos champs,
Par un fort plus déplorable
Perd la fienne en fon printems.
Mais pourquoi tant d'allarmes?
Iris , ton tendre Berger
Voit en toi d'autres charmes
Qui l'empêchent de changer :
Si fon ardeur eft ſoufferte ,
Si tu te rends à fes pleurs,
Il réparera ta perte
En te couronnant de fleurs.
Quand le Dieu de Cythere
Te fit ce galant larcin ,
Le petit téméraire
Sans doute avoit fon deffein :
Il voltigeoit fur tes traçes.
Faifons , dit-il , en ce jour
Des bracelets pour les graces
Et des filets pour l'amour.
AVRIL 1756.
57
-
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
OBSERVATIONS
Sur le Livre de l'Effai fur la Police générale
des Grains.
L'ESSAI fur la Police générale des Grains,
eſt un Livre rempli d'excellentes chofes,
L'Auteur mérite les plus grands éloges , &
il a un droit bien acquis à la reconnoiffance
de tous les bons Citoyens . Il les a
invités à donner leuis obfervations , & à
relever les erreurs dans lefquelles il auroit
pu tomber. C'est pout concourir à des
vues fi nobles & fi bienfaifantes , qu'on
va propofer quelques obfervations qui
pourront contribuer à la perfection d'un
fi bon
ouvrage .
L'Auteur combat très - bien les préjugés
établi en France par les Loix mêmes contre
le ommerce du bled. Il réfute avec le
même fuccès l'idée des magafins publics
exaltée
par tant d'Ecrivains , & qui vient
d'être adoptée par le Royaume de Suede ,
fans en devenir meilleure. Il y fubftitue
C v
58 MERCURE DE FRANCE.
avec raifon la liberté du commerce , dont
l'effet néceffaire eft de porter l'abondance
& la vie dans les pays les plus ftériles ; il
développe les avantages de la concurrence ,
fuite de la liberté , foit dans les temps
d'abondance , foit dans ceux de difette.
Il attaque avec fuccès les abus des permiffions
qui font proprement dans cette matiere
des Privileges exclufifs , & par conféquent
deftructeurs. Il démontre la néceffité
du commerce intérieur des Grains ,
circulation auffi falutaire au Corps politique
que la circulation du fang l'eft au
corps humain. Le Confeil a reconnu toute
l'importance de cette doctrine qui fe trouve
aujourd'hui confacrée par l'Arrêt à jamais
célebre , du 17 Septembre 17543
Arrêt qu'on verroit avec plaifir devenir
une loi immuable. L'Auteur rapporte un
Edit mémorable de François I. On doit lui
fçavoir gré de cette attention . Il continué
d'infifter fur la liberté du commerce des
Grains , & principalement fur la fortie . Il
diffipe par des calculs d'après M. de Vauban
( il ne pouvoit pas prendre un meilleur
guide ) toutes les craintes fur l'infuffifance
de la fertilité de la France pour
fubvenir à une fortie : il s'autorife de
plufieurs Auteurs refpectables , & principalement
de l'exemple de l'Angleterre. Il
AVRIL. 1756. 59
donne des tables excellentes du prix des
Grains chez cette Nation , depuis qu'elle
s'eft appliquée à encourager l'Agriculture
par une police fage. Il avoit remarqué ( 1 )
qu'on a fenti de tout temps que le com
merce des Grains ne pouvoit porter aucun
droit : il avoit infifté fur la néceffité
de la liberté abfolue : il revient à la charge
avec une nouvelle ardeur. Laiffez en tout
tems, dit-il , ( 2 ) le commerce libre : il faut
que la liberté foit entiere , ajoute- t'il plus
bas . Cette doctrine eſt excellente : il eft
bon de ne pas perdre de vue les paroles de
l'Auteur. Cependant il ajoute enfuite : Il
faut que la liberté foit limitée feulement
par le prix ou par les droits de fortie : mais
comment la liberté fera- t'elle entiere , fi
elle eft fubordonnée aux prix & à des
droits de fortie ? Voilà l'endroit de l'ouvrage
qui mérite la plus grande attention :
mais il faut écouter les raifons de l'Auteur
avant que de les réfuter . » 1º . Cela
» s'eft déja pratiqué en France . 2 °. Cette
» méthode n'eft fujette à aucun inconvénient
; elle a au contraire de très- bons
» effets : car c'eft le prix feul qui regle le
» fort du bled & qui le fait mouvoir . S'il
» eft à plus bas prix chez nous que chez
nos voisins , il fortira , parce que le Mar
(1) Pages 46 & 47. ( 2 ) P. 167. P. 168.
"3
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
chand y trouve du bénéfice : s'il eft plus
» cher en France que chez l'Etranger , il
» restera en France fans qu'il foit befoin
» d'aucune défenſe , parce qu'il y a de la
»perte à l'exporter. Le bled étranger au
contraire fera attiré en France par le plus
haut prix .
»
و د
>>
Je répondrai d'abord à la premiere obfervation
, que l'exemple de ce qui s'eft
pratiqué en France ne doit avoir aucune autorité
fi l'on n'en prouve auparavant la bonté
: cela rentre donc dans la queftion même
au lieu de la réfoudre ; & l'Auteur a remarqué
lui-même avec raifon , que tout
ce qui regarde cette police importante ,
n'a point encore été faifi dans ce Royaume.
La feconde obfervation eft très - vraie ,
mais elle ne prouve nullement la néceffité
du droit , puifque l'effet qu'on y confidere
eft indépendant du droit , le prix fans
doute regle le fort du bled ; mais le prix
eft déterminé à fon tour par les befoins
des hommes. L'Auteur a reconnu lui-même
« qu'on a fenti de tout tems que le
» commerce des Grains ne pouvoit porter
aucun droit. Il a dit encore avec raiſon :
Il faut une regle générale & invariable
pour tout le Royaume . Comment trouvera-
t'on cette regle invariable dans un
ور ود
AVRIL. 1756.
61
droit qui peut varier à chaque inſtant ?
Mais fuivons-le encore.«C'eft une balance
» continuelle que le prix feul gouverne
la fixer d'un côté ou d'un autre :
» pour
و د
ود
w
appéfantir le prix par le furhauffement
» des droits de fortie , c'eſt la faire pencher
de notre côté, & retenir nos Grains
fans aucune défenfe : l'alléger par la
diminution ou la fuppreffion de ces mê-
» mes droits , c'eft faire tourner la balance
» de l'autre côté , & pouffer nos grains au
dehors fans permiffion ,
و د
و د
Puifque c'eft une balance continuelle
qui eft déterminée par le prix , le droit ne
pourra que déranger la balance : mais
encore une fois c'eft du befoin feul qu'il
appartient de déterminer le prix. Je ne
parle pas du befoin relatif ou accidentel
d'une Nation , j'entends le befoin des Peuples
qui ont des rapports entr'eux. Je
confidere plufieurs Nations comme une
grande famille formée par le commerce . Le
prix du Grain s'appéfantira de lui même à
mefure qu'il deviendra moins abondant :
il nous reftera fans aucune défenfe , puifqu'il
deviendra plus cher chez nous que
chez nos voisins ; il nous en viendra même
du dehors : l'Auteur en convient deux
pages après . Pourquoi donc propofer un
droit gênant , variable , arbitraire , & inu
62 MERCURE DE FRANCE.
tile ? Dans le cas d'abondance , fi on laiffe
le grain s'écouler librement , comme le dit
fi bien l'Auteur , il ira naturellement où
un prix plus fort l'appelle : cette opération
n'a pas befoin de l'action ni de la
réaction du droit. Les bons effets de la
diminution ou de la fuppreffion momentanée
propofée par l'Auteur , ne peuvent
donc pas être comparés à ceux d'une fuppreffion
abfolue & continuelle. Il est donc
infiniment plus fimple de ne point établir
de droit : pourquoi multiplier les agens
fans néceffité ? Les Miniftres bienfaifans
qui travaillent jour & nuit à la félicité des
Peuples , & qui trouvent continuellement
le travail après le travail , ne font- ils pas
déja affez occupés fans qu'on les charge
encore du foin fatiguant de faire marcher
une machine pefante & compliquée qui
peut marcher toute feale dès qu'elle fera
débarraffée d'un atrirail inutile qui l'affaiffe.
L'Auteur propofe enfuite, apparemment
en dédommagement du droit auquel
il paroît fi fort attaché , d'accorder une
gratification dans une difette urgente ,
par chaque meſure de bled qui fera introduite
dans le Royaume : mais il obferve
auffi-tôt qu'on ne doit regarder la
gratification que comme un remede violent
dans une extrême néceffité. Il eſt aifé
AVRIL 1756. 63
de fentir que fi la difette eft urgente , le
prix du bled fera fort cher : ainfi il donnera
lui même la gratification . Il eſt donc
affez inutile d'en propofer : il faudroit
fuppofer une difette générale en Europe ,
& par conféquent une cherté exceffive partout
. Or cette fuppofition n'eft nullement
probable. Le feul cas où la gratification
pourroit être néceffaire , c'eſt à la fortie
dans des années extrêmement abondantes ,
où le bled tombe à un vil prix : mais fi la
fortie eft permiſe en tout tems , jamais on
ne verra le bled à un vil prix, à moins qu'il
n'y eût une abondance générale en Europe
; fuppofition auffi gratuite que celle
d'une difette générale . L'Auteur revient
encore aux avantages de la liberté du
commerce des Grains . Tout ce qu'il dit làdeffus
eft très- bien : cependant foit par
un refte de refpect pour de vieux préjugés
qu'il a bien combattu , foit par une prudence
exceffive qui dégénere en timidité ,
il veut qu'on prenne des mefures préparatoires
, & qu'on ne donne la permiffion
entiere que dans un tems favorable. Il
prouve cette doctrine par l'exemple de la
nature qui prépare fes opérations lentement
, afin de parvenir à fon but infenfiblement
: en ce cas il faudra bien des fiecles
pour que la police des Grains foit
64 MERCURE DE FRANCE.
établie dans le Royaume , puifque nous
n'en fommes qu'aux premiers pas. Mais
quelles font les préparations que l'Auteur
demande. 1 ° . La liberté entiere dans le
Royaume . 2 °. Une liberté entiere pour
la fortie qui ne fera jamais fufpendue que
lorfque le bled montera à un prix qu'il
eft aifé de fixer. 3 ° . Le droit de 22 liv.
par muid établi par le tarif qu'on appefantira
ou qu'on diminuera en raifon des
befoins. L'Arrêt du Confeil du 17 Septembre
1754 , a pourvu au premier article.
Il y a une contradiction dans le fecond
: fi la liberté eft fufpendue dans tel
ou tel cas , elle n'eft plus entiere , elle eſt
circonfcrite. Ainfi voilà les fpéculations
gênées ou plutôt éteintes. Par conféquent
peu ou point d'accroiffement dans ce commerce
qui fe trouvera à peu près renfermé
dans le cercle étroit où il eft actuellement.
Le troifiene article eft encore plus mauvais
, & détruit abfolument toute idée de
liberté. L'Auteur en convient en quelque
forte , puifqu'il eft obligé de recourir aux
peines d'amende & de confifcation pour
protéger la perception du droit. Il eft fi
peu affuré de la bonté de fes moyens ,
qu'il ajoute plus bas : « Cette pratique di-
» rectement oppofée à celle des Anglois ,
eft peut-être néceffaire dans les commenAVRIL.
1756. 65
» cemens » : ce peut-être annonce quelque
doute ; mais pourquoi propofer une pratique
directement oppofée à celle des Anglois.
C'eft , dit- il , que fi l'on propofoit
d'imiter tout d'un coup la méthode Angloife
, ce changement fubit pourroit caufer
des ébranlemens fâcheux. Il eft inutile
d'examiner quels pourroient être ces
ébranlemens ; mais la crainte qu'on a eu
en la fuppofant fondée , ne doit pas obliger
à adopter une pratique directement
oppofée. Il y a un milieu. L'Auteur veut
des droits , l'Angleterre donne des gratifications
: il ne faut ni l'un ni l'autre ;
point de droits , point de gratifications ,
liberté d'entrée & de fortie. Voilà le maximum
: mais examinons celui de l'Auteur.
« Le réfultat de toutes ces préparations
» eft d'en venir à délivrer le bled de tout
» droit de fortie ,& à chaffer celui de l'E-
" tranger toujours préjudiciable à notre
» culture. » Voilà donc le fyftême de l'Au-.
teur connu. Son expofition fuffit feule
pour renverfer toutes les préparations
qu'il a indiquées. Il veut délivrer le bled
de tout droit de fortie , lors même qu'il
aura chaffé le bled étranger , c'est-à- dire ,
lorfqu'il y aura moins de bled ; & il propofe
férieufement d'établir un droit de fortie
, lorfque l'entrée du bled étranger n'eft
ود
"
66 MERCURE DE FRANCE .
pas prohibée , c'est- à-dire lorfqu'il y a plust
de bled. La contradiction eſt évidente , il
que fon moyen préparatoire eft
elt clair
vicieux.
Son réſultat eft défectueux auffi. C'eſt
une bonne chofe , fans doute , que de délivrer
le bled de tout droit de fortie ; mais
c'eft une très- mauvaiſe chofe que de chaffer
celui de l'Etranger fous le prétexte
hazardé qu'il est toujours préjudiciable à
notre culture. L'Auteur n'a pas voulu porter
fes regards affez loin , il n'a pas embraffé
la Navigation & le Commerce maritime
dans fes recherches. Il n'a regardé
la France qu'en elle- même , fans confidérer
fes rapports avec le refte de l'Europe.
Il auroit dû faire attention à la fituation
avantageufe de ce Royaume , qui paroît
avoir été placé exprès par la nature pour
être l'entrepôt des Nations Européennes ,
pour être le lien du Nord & du Midi. Il
auroit trouvé une mine bien abondante
dans ce magnifique entrepôt ; il auroit vu
que le bled étranger ne peut être préjudiciable
à notre agriculture , que dans le cas
où l'importation du bled en France feroit
plus forte que l'exportation . : cas chimérique
; puifque l'effet néceffaire d'une liberté
indéfinie pour le commerce du bled
en France eft de rapprocher cette partie de
AVRIL 1756 . 67
fon état moyen en Europe. Or la France
étant par les moiffons plus près de l'état
des pays d'abondance que de ceux de difette
, il eft clair qu'elle fournira plus à
ceux- ci qu'elle ne tirera de ceux-là. Si la
France avoit des moiffons.affez abondantes
& affez égales pour fubvenir à une fortie
continuelle , on pourroit fe paffer du bled
étranger ; mais on fçait qu'elle n'eft pas
dans ce cas. C'eft envain qu'on citeroit
l'exemple de l'Angleterre : cette iſle eſt
fans ceffe couverte de brouillards qui lui
procurent une température moins inégale :
Les eaux pluviales y font diftribuées uniformément
par les monticules qui font
répandues dans les plaines. En un mot les
moiffons de l'Angleterre font continuelles:
la confommation . chez le peuple eſt beau
coup moindre qu'en France. C'eft par- là
que l'Angleterre , non feulement fuffit à
une fortie perpétuelle , mais eft encore
obligée de confommer des quantités étonnantes
de grains pour les boiffons. La France
n'eft pas dans ce cas : fes moiflons font
inégales. Les peuples bornent leur fubfiftance
au pain , & en font une conſommation
immenfe. L'Auteur fournit lui - même
une bonne raifon pour ne point craindre
la concurrence du bled étranger , s'il eft
vrai , comme il le prétend , que le prix
moyen du bled en France eft au deffous du
.
GS MERCURE DE FRANCE .
prix moyen de l'Angleterre & de la Hol
fande. On ne fuivra pas l'Auteur dans le
refte de fon Ouvrage , où l'on a vu avec fatisfaction
des tables des prix fucceffifs du
bled , depuis 1202 jufqu'en 1746. Ces tables
paroiffent faites avec foin : on auroit
défiré un peu plus d'ordre dans ce bon livre.
On eft fâché de trouver dans plufieurs
chapitres des morceaux qui femblent appartenir
à d'autres. On auroit fçu gré auſſi
à l'Auteur de terminer fon Ouvrage par
une bonne table alphabétique . C'eſt une
attention qu'on eft fondé à exiger des Auteurs
qui traitent des matieres importantes.
On ne peut affez applaudir au zele
d'un Ecrivain auffi recommendable par les
vues qu'il fe propofe , que par fa maniere
de les expofer : tout annonce en lui un
bon Citoyen,
LA NOBLESSE MILITAIRE , ou le Patriote
François , 1756. chez Lambert.
Ce Livre nous a paru très-bien écrit , &
traité de façon à juſtifier fon double titre .
L'Auteur fidele au préjugé national adopté
par MM. de Laffé & de Montefquieu ,
croit fermement, & foutient avec force
que
la Nobleffe Françoife étant militaire par
effence , ne fouffre point d'alliage , &
qu'en conféquence on ne peut l'affocier au
Commerce fans la dénaturer en la dégradant
, & fans altérer en même tems la
AVRIL 1756. 69
conftitution de l'état qui eft guerrier comme
elle. En partant de ce principe dont il
eft pénétré , il ne fait pas éclater moins de
zele pour le bien de la Patrie , qu'en a
montré l'Auteur de la Nobleſſe Commerçante
, en établiſſant un fyftême tout contraire,
C'eft le même efprit qui les conduit l'un &
l'autre , mais par des chemins oppofés . De
quel côté la vérité fe trouve- t'elle ? ce n'eſt
pas à nous de prononcer. La neutralité
nous convient , & nous nous renfermons
dans le jufte éloge de l'écrit que nous
annonçons : il le mérite furtout par la
maniere honnête dont l'Auteur combat
le fentiment de M. l'Abbé Coyer : il feroit
à défirer qu'elle fût fuivie . Nous aurions
donné de cet Ouvrage une Analyſe en
forme , fi nous avions été moins preffés
par le temps , & moins refferrés par l'abondance
des matieres. Pour y fuppléer , nous
confeillons à nos Lecteurs d'acheter un
Livre fi digne d'être lu , & de joindre
la Nobleffe Militaire à la Nobleſſe Commercante.
Les deux caufes font également bien
plaidées. Le pour & contre y eft mis dans
tout fon jour , & la matiere devient chaque
jour de plus en plus intéreffante. Il n'eſt
pas de bon François qui , pour en juger fai
nement par lui-même , ne doive fouhaiter
de s'en inftruire . Nous penfons qu'il ne
peut l'être mieux que par le Livre de M.
70 MERCURE DE FRANCE.
l'Abbé Coyer , & par celui de M. le Chevalier
d'Arc. Ce dernier nous pardonnera
fifon nom nous eft échappé ; mais pour
garder l'anonyme , fon Ouvrage lui fait
trop d'honneur , quand même fon opinion
ne feroit pas la plus vraie .
CALENDRIER PERPETUEL , au
moyen duquel on peut aisément vérifier &
fixer les dates qui fe rencontrent dans les
Titres & Auteurs , tant anciens que mo
dernes , pour tous les fiecles de l'ere vulgaire
, dreflé & publié en 1755 , par M. Al.
Fr. Hugnin ; fe vend à Paris , chez l'Auteur
, quai de Bourbon , Ile S. Louis
vis - à - vis le port au foin. Dans le Volume
précédent nous en avons donné un précis
tiré de l'avertiffement.
LA PRINCESSE DE GONZAGUE , Roman
hiftorique en deux , parties . A la Haye ,
1756. Cet Ouvrage mérite un Extrait.
Nous le donnerons le plutôt qu'il nous fe
ra poffible. Nous ditons en attendant que
nous y avons trouvé des caracteres inté
reffans , que le Roman eſt aſſez heureuſement
fondu dans l'Hiftoire , & qu'il nous
l'embellir fans trop l'altérer , ou la
a paru
contredire.
CAMINOLOGIE , ou Traité des Che
minées , contenant des obfervations fur les
différentes caufes qui font fumer les che
AVRIL. 1756. 71
minées , avec des moyens pour corriger ce
défaut. Ouvrage intéreffant & utile , tant
pour les particuliers que pour les Artiſtes ,
avec figures. A Dijon , chez Defventes , rue
de Condé ; & fe vend à Paris , chez Ganeau
, rue S. Severin ; Guillyn , quai des
Auguftins ; Defaint & Saillant, rue S. Jean
de Beauvais , & Vincent , rue S. Severin.
Si ce livre donne de fûrs moyens pour
chaffer la fumée , il ne peut trop fe payer.
Les cheminées
modernes font plus fujettes
à ce défaut que les anciennes , & l'on
ne pouvoit écrire plus à propos fur cette
matiere. C'est l'ouvrage d'un citoyen ; il
doit être plus intéreffant pour le Public
par fon utilité que le Roman le mieux fait
par fon agrément . Il eft divifé en deux
parties , précédées d'une Differtation
ſur
les cheminées des Anciens. Dans la premiere
, on traite de la fumée en elle- même,
enfuite des différentes caufes qui la
font refouler. Dans la feconde , on indique
les moyens de s'en garantir dans toutes
fortes de cas. On ajoute à la fin un
moyen facile & éprouvé d'éteindre le feu
quand il prend dans les chéminées. On y
trouve encore des remarques fur l'origi
ne de la fumée , fur les qualités de l'air
fur la nature des vents , la chaleur du
foleil , & les effets du feu ; le tout felon
?
72 MERCURE DE FRANCE.
les principes de Phyfique les plus fûrs , ou
du moins fur ceux qui ont eu les plus heureux
fuccès jufqu'à ce jour On voit par
ce court extrait tiré de la Préface , que le
fujer eft approfondi, & fçavamment traité .
Il n'eft
pas ecrit avec moins d'élégance .
NOUVELLES
OBSERVATIONS
phyfiques & pratiques fur le Jardinage &
l'Art de planter , avec le Calendrier des
Jardiniers , Ouvrage traduit de l'Anglois
de Bradley , enrichi de figures en tailledouce
, 3 vol . A Paris , chez Paulus- Du-
Mefnil , Grande- Salle du Palais , au Lion
d'or ; Nyon , quai des Auguſtins , à l'Occafion
; & Simeon - Profper Hardi , rue Saint
Jacques , à la Colonne d'or , 1756.
REFLEXIONS CRITIQUES fur les
différens fyftêmes de Tactiqué de Folard ,
excepté celui de fa colonne , appuyées
d'autorités des meilleurs Généraux , &
prouvées par des exemples & des faits modernes
, par M.... Auteur du Folard abrégé.
A Berlin , chez Jean Neaulme , & ſe
vend à Paris , chez Giffart , rue S, Jacques,
à Sainte Thérefe , 1756.
1
Le même Libraire a reçu de Hollande
les livres fuivans , que diverfes perfonnes
lui ont demandés.
Des
AVRIL. 1756. 73
Des Tomes féparés du Dictionnaire
Géographique de la Martiniere , in -fol.
10 vol.
Des Tomes féparés des Difcours de la
Bible , par Saurin , in fol. 6 vol. figures de
Picart , & de toutes grandeurs.
-Idem , des Exemplaires complets
de chacun de l'Hiftoire naturelle des Oifeaux
, trad . d'Eléazar Albin , in- 4 °. 3 vol.
avec plus de 300 figures.
Des principales avantures de Dom Quichotte
, avec 31 figures de Coypel , Picart
le Romain , & autres habiles Maîtres , infol.
& in 4°.
De l'Hiftoire de Charles XII , Roi de
Suede , par Norbert , in- 4°. 3 vol.
Et des Euvres de Pope , trad . en françois
, avec figures , in- 12 . 6 vol.
CATALOGUE de la Bibliotheque de feu
M. l'Abbé Bouvart , Prêtre , Chanoine de
l'Eglife de Chartres , compofée de plus de
14000 volumes tant anciens que nouveaux,
avec des Livres d'Eftampes , le tout difpofé
par Doublet , Libraire à Chartres , en
3367 articles ; & dont la vente en détail
commencera le Lundi 26 Avril 1756
& jours fuivans , à fix mois de crédit , à
dater du premier Juin prochain , tant
pour les habitans du lieu que pour les
11. Vol. D
>
74 MERCURE DE FRANCE.
Etrangers qui donneront un domicile certain.
Ce Catalogue fe vend 36 f. broché ,
& fe diftribue à Paris , chez Prault pere ,
quai de Gêvres , & à Chartres , chez Donblet
, Libraire , 1756.
QUO LOCO inter cives vir litteratus habendus
fit oratio habita in regio Ludovici
Magni Collegio Societatis Jefu : die Feneris
vigefima menfis Februarii , anno Domini
1756 ; à Joanne -Bapt . Geoffroy ejufdem Societatis
. Parifiis , apud Thibouft , Regis Typographum
, in plateâ Cameracenfi , 1756.
Ce difcours a été prononcé devant un
Auditoire diftingué qui l'a très applaudi ;
il a mérité fon fuccès autant par la nouveauté
de la propofition , que par la maniere
dont elle eſt traitée .
L'HEUREUSE FEINTE ou Daphnis & Alcimadure
, traduction parodiée de la Paftorale
Languedocienne , en un Acte , fur
les mêmes airs ; à Paris , chez Hochereau ,
quai de Conti ; Lambert , rue de la Comédie
Françoife ; Duchesne , rue S. Jacques ,
1756.
Cette traduction nous paroît affez bien
faite. Elle eft fidelle fans être plate : voici
un air que nous prenons au hafaid . Il
pourra fervir de
fervir de preuve , il eſt tiré de la
troifiemę Scene .
AVRIL 1756. 75.

Air : Bous qui fezets , &c .
Le tendre aveu d'une flamme fincere ,
Toujours d'un jeune coeur flatte la vanité ;
Contre l'amant d'abord on feint d'être en colere ,
Mais tout bas on pardonne à ſa témérité.
Le prix eft de 18 f. ou de 48 f. avec les
airs gravés : on vend auffi féparément les
airs gravés 36 f. chez Duchesne , rue faint
Jacques , Lambert , rue de la Comédie ,
& aux adreffes ordinaires pour la Mufique.
TABLETTES HISTORIQUES , généalogiques
& chronologiques , feptieme partie
contenant la fuite des Terres érigées en
titre de Marquifat , Comté , Vicomté &
Baronie. Le prix eft de 30 fols broché , &
de 36 relié , à Paris , chez Giffart pere ,
Savoye , Duchesne , rue S. Jacques ; chez la
veuve Le Gras , au Palais , & Guillyn', quai
des Auguftins , 1756. On trouve chez les
mêmes Libraires l'ouvrage complet. Les
Tablettes de Thémis , in- 24 , trois parties ;
les Généalogies hiftoriques des Rois , Empereurs,
& autres Maifons royales de l'Europe
in-4° . 4 vol. Les Tablettes géographiques
in- 12 . Le tout par M. Chazot.
DÉCOUVERTE de l'embouchure de la
Alutte allemande ou traverfiere avec les
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
principes pour la bien prendre , à Paris ,
chez le Clerc , quai des Auguftins , 1756.
HISTOIRE DE LAIS , Courtifane Grecque
avec des anecdotes fur quelques Philofophes
de fon tems , deux parties. A La
Haye , & fe trouve à Paris , chez Jorry ,
quai des Auguftins , 1756 .
LES RUINES des plus beaux monumens
de la Grece , ou Recueil de Deffeins & de
Vues de ces monumens ; avec leur hiftoire
& des réflexions fur les progrès de l'Architecture
, par M. le Roy , Architecte ,
ancien Penfionnaire du Roi à Rome , &
de l'inftitut de Bologne.
Ce Recueil fera divifé en deux parties.
La premiere contiendra le plan de Sparte
& celui d'Athenes , avec une carte des
Ports de Pirée , de Phalere , de Munychie,
& du fameux détroit de Salamine . Elle
fera précédée d'un difcours fur l'hiftoire
de l'Architecture. La deuxieme partie raf
femblera les Plans Géométraux , les façades
& les profils des édifices avec toutes
leurs mefures. On y joindra un difcours
fur les principes de cet art.
Chaque exemplaire en feuilles fera payé
par les Soufcripteurs fur le pied de 54 liv.
en un feul paiement , & le prix pour ceux
AVRIL. 1756. 77
qui n'auront pas foufcrit , fera de 72 liv.
On recevra les foufcriptions jufqu'à la fin
du mois de Juillet , & l'ouvrage fera délivré
à la fin de la préfente année 1756.
Le papier fera du grand Colombier , &
le tout avec les planches formera un infolio
de la même grandeur que le Livre
des ruines de Palmyre. Les foufcriptions
fe délivrent à Paris , chez Guerin & Latour
, rue S. Jacques.
JE
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
E fuis fort étonné , Monfieur , que fur
une lettre vague écrite de la part de la
Faculté de Médecine , touchant ce que
vous aviez inféré en faveur de ma liqueur
fond inte dans le fecond volume du Mercure
de Janvier , vous n'accufiez dans celui
de Mars , d'avoir dit que mon remede
a les fuffrages de ma compagnie , quoique
je fçache le contraire. Je ne me fuis jamais
flatté que d'avoir fait le 4 Novembre
1755 , en l'affemblée tenue aux écoles
pour le primâ menfis , le Difcours dont l'extrait
certifié par M. Chomel , Doyen , a
été imprimé chez Quillan .
Son principal objet confifte dans l'an-
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
nonce d'un Problême que je propoſe aux
curieux à réfoudre. Le voici en peu de
mots.
La liqueur fondante que j'ai inventée ,
eft une nouvelle union d'une matiere végétale
avec le Mercure ; combinaiſon fi
intime , qu'il én réfulte une folubilité patfaite
, une vertu antifeptique , & une efficacité
dans les vices de la lymphe , d'autant
plus certaine qu'elle n'eft point fialogogue
, mais diurétique , p. 4 , 5 & 6 de
l'extrait du Difcours.
S'il eft vrai , Monfieur , comme vous
le dites , que ma liqueur n'a pas l'attache
de la Faculté, perfuadé de l'utilité du nouveau
fondant , je fuis obligé pour le bien
public de travailler par des expériences
fuivies , à former une chaîne qui mene à
cette attache. Certainement la faculté n'a
jamais fait de délibération pour y mettre
obftacle. C'eft néanmoins ce que vous
avez paru infinuer. Je ne pourrois le pardonner
à ceux qui vous ont fait fi mal interpréter
fes intentions , fi je n'étois frappé
d'une vérité bien exprimée par le plus
grand de nos Poëtes . Relig. nat . v . 1756.
Qui pardonne à raiſon , mais la colere a tort.
J'ai l'honneur d'être , & c.
DIENERT , D. M. P.
A Paris , ce 12 Mars , 1756.
AVRIL. 1756. 79
Si M. Dienert s'étoit énoncé d'abord
dans ces termes , & qu'il eût fimplement
préfenté fa liqueur fondante comme un
problême , il ne nous eût pas jetté dans
l'erreur : nous l'aurions propofée fous ce
titre , & fes confreres n'auroient eu rien
à dire. Mais l'annonce équivoque qu'il
nous a fait inférer dans notre recueil , femble
la donner comme un remede autorifé,
& l'extrait du difcours qui en vante l'efficacité
, & qui a été prononcé aux écoles
de Médecine , fait croire naturellement
que cette liqueur a l'approbation de la
Faculté. C'est ce qui nous l'a perfuadé , &
qui a excité les plaintes de cette Compagnie.
Ces plaintes en conféquence nous
ont rendu la fincérité de M. Dienert fufpecte
, & lui ont attiré nos reproches
qu'un vif reffentiment a pu exagérer
Pour juftifier la bonté de fa liqueur fondante
, ce Docteur nous a adreffe une lettre
touchant la cure d'une tumeur cancéreufe
au nez avec carie : comme fimples
Hiftoriens nous n'avons pu nous difpenfer
de la mettre dans notre Mercure . La
voici.
Div
So MERCURE DE FRANCE.
LETTRE
De M. Dienert , Médecin
Pour vous faciliter , Monfieur , la connoiffance
des vertus de ma liqueur fondante
, je vais vous faire part d'une cure trèsinftructive
qu'elle a opéré en peu de tems.
Le frere Côme , refpectable Feuillant ,
m'envoya le 10 Décembre de l'année 1755 ,
la fille d'une nommée Paré , femme âgée
de 35 ans , fruitiere ambulante , qui demeure
avec fa mere , rue du Rat , faubourg
S. Honoré , chez M. Diot , Fripier,
affligée d'un gonflement cancéreux au nez,
avec carie. Son nez étoit plus gros que la
moitié du poing ; la cloifon détruite , ainſt
que d'autres parties latérales internes , &
l'écartement des aîles fi confidérable , que
trois doigts enfemble auroient pu y être
introduits. J'obfervai de plus une grande
dureté dans toute fa circonférence ; plufieurs
inégalités dans fa partie inférieure &
interne , & de toutes parts une couleur
pourprée. Il fortoit du nez une humeur
verdâtre , & felon toute apparence d'un
caractere virulent . Les crachemens s'en
reffentoient,
La levre fupérieure infectée du voifinage
, n'étoit pas moins hideufe , tant elle
AVRIL. 1756. 81
étoit enflée , dure, & de mauvaiſe couleur.
Pour comble de malheur , les élancemens
inévitables dans des tumeurs fi enflammées,
poignardoient continuellement la malade.
Malgré ces accidens elle n'étoit pas fort
amaigrie , & elle n'éprouvoit ailleurs d'autre
incommodité que des douleurs fixes ,
mais uniquement à la tête & aux jambes.
Cette maladie fe manifefta d'abord au
mois de Janvier 1755 , à l'aile gauche du
nez , par une enflure qui gagna peu à peu
le refte. Mais le plus grand mal étoit caché.
La corruption qui carioit fourdement
l'os l'omer & fon complément , ſe découvrit
au mois d'Août par accident. Dans
une querelle qu'eut la malade , la cloiſon
fut abattue d'un coup de poing que quelqu'un
lui porta méchamment au nez , &
tomba même à terre dans l'inftant tout
d'une piece. Au lieu de deux narines la
pauvre femme n'avoit plus qu'une ample
voute dont je ne puis mieux comparer la
figure qu'a l'embouchure, d'un four, L'enflure
s'augmenta de plus en plus. La malade
avoit moins un vifage humain qu'un
mafque dont l'afpect étoit effroyable . Au
mois d'Octobre la honte la contraignit autant
que la force du mal , de garder la
chambre dont elle n'eft fortie pendant
plufieurs mois que pour chercher du fou-
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.

lagement . Dès le lendemain qu'elle me
fut adreffée , fçavoir le 11 Décembre , je
lui fis commencer l'ufage de la liqueur
fondante. Elle en but d'abord une cueillerée
par jour , dans une chopine d'eau ,
en deux prifes , une le matin , une heure
& demie avant le déjeuner , l'autre deux
heures après fon fouper qui confiftoit dans
un fimple potage . Le cinquieme jour , je
lui en ordonnai le double dans une égale
quantité d'eau . C'eft la dofe qu'elle a fuivie
depuis fans interruption. Elle buvoit
outre cela de la tifanne de chiendent & de
régliffe , & elle obfervoit le régime convenable.
En moins de trois femaines ,
Malade fut foulagée. Le nez de jour en
jour le dégroffiffoit à vue d'oeil . Pour ac
célérer la cure , je lui fis renifler de temps
en temps de la même eau fondante , que
je lui prefcrivois en boiffon . Je ne fus
trompé dans mes efpérances. En peu de
temps elle devint affez fupportable à la
fociété pour reprendre dans les rues fon
petit négoce. Nonobftant fes courſes dans
la rigueur de l'hyver , le fondant qu'elle
prenoit toujours , fit en elle un progrès
fort rapide. Le 10 de Janvier l'enflure fe
trouva diffipée , les inégalités détruites ,
les duretés fondues , les ulcérations en partie
détergées , les alles du nez rapprochées,
pas
AVRIL 1756. 83
& la peau revêtue de fes couleurs natu
relles . En un mot , il n'y avoit plus de
difformité apparente . Les maux de tête &
les douleurs de jambes ne fe firent plus
fentir. Il ne reftoit à la Malade qu'un petit
écoulement verdâtre par la narine & des
démangeaifons dans le nez . Mais avant la
fin du mois de Janvier , la guérifon devint
parfaite , par la continuation du même
traitement. Il eft à remarquer que la Malade
n'a pas eu la moindre falivation . En
cela , notre liqueur fondante ne s'eft jamais
démentie : elle rend feulement les
urines plus fréquentes , & dans certaines
perfonnes le ventre plus libre. Il feroit fuperflu
de vous repréfenter l'étonnement
qu'une pareille cure a caufé dans l'efprit
de mille perfonnes qui connoiffoient la
Malade . Le Frere Côme auffi zélé pour les
découvertes utiles , que célebre par les
fiennes , n'a pas manqué d'admirer une fi
grande métamorphofe , & il en fut d'autant
plus flatté que c'étoit lui qui m'avoit
procuré cette occafion d'étendre mes expériences.
Les parens de la fille de la Paré
& les Soeurs de la charité de la Paroiffe où
elle demeure , ne furent pas moins curieufes
de voir un rétabliffement fi longtems
défiré , lui ayant fourni pendant prefque
toute l'année divers fecours fans aucun
adouciffement,
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
Je crois , Monfieur , que cette cure
prouve que la liqueur fondante eft plus
efficace que je ne l'ai annoncé à l'affemblée
des Médecins , dans laquelle j'ai pris date.
de ma découverte. Les juftes bornes d'une
lettre m'empêchent d'y joindre d'autres
guérifons du même genre.
J'ai l'honneur d'être , &c.
DIENERT , D. M. P.
A Paris , ce 14 Mars , 1756 .
LETTRE
De M. l'Abbé de Condillac à l'Auteur des
Lettres à un Amériquain.
OUI , Monfieur , je ne puis regarder
que comme un bon office , le foin qu'on prendra
de me détromper , & puifque vous êtes
perfuadé que je ne fuis point jaloux de mes
opinions , vous ne devez pas douter que je
ne les abandonne , fi vous me faites connoître
qu'elles ne font pas fondées. Je vous
avoue que ce que vous venez d'écrire contre
mon Traité des Animaux , ne m'a point
encore éclairé fur mes erreurs ; je défire de
les connoître , & mon amour pour la vérité
m'engage à vous communiquer des
AVRIL. 1756. 89
obfervations , afin que vous puifliez m'actaquer
avec plus de fuccès , lorfque vous
critiquerez mon Traité des Senfations.
Quand au lieu de pefer les principes &
les expreffions d'un Ecrivain , on fe contente
de lire rapidement , d'en tranſcrire
des phrafes ou des pages , qu'on examine
en elles mêmes , fans égard pour ce qui
précede & pour ce qui fuit , on rend obfcur
ce qui eft clair , on rend vague ce qui
eft précis , & on combat des phantômes
qu'on a foi-même formés. Le fyftême le
plus lié eft un ouvrage découfu aux yeux
du Critique , qui n'en faifit pas l'enfem
ble. Il croira le combattre , lorfqu'il omettra
des chofes effentielles ; & lors même
qu'il ajoutera des expreffions qui changeront
entièrement la penfée de l'Auteur. Il
doit donc lire avec attention , & vous ,
Monfieur , vous le devez jufqu'au fcru
pule , puifque votre deffein eft de faire
voir que les principes que vous combattez
, entraînent après eux des conféquences
dangereufes. Cependant vous tranf
crivez ainfi une de mes nores , ( 9 ° partie ,
page 26 ) « s'il n'y a point d'étendue ,
ور
dira- t'on peut- être , il n'y a point de
» corps je ne dis pas qu'il n'y a point
d'étendue , je dis feulement que nous
3 ne l'appercevons que dans nos fenfations
ور
86 MERCURE DE FRANCE.
" ....n'y eût- il point d'étendue ailleurs.
que dans nos fenfations , c'eft apparemment
ce qu'il vent dire .... Si vous citez exactement
, il est évident que je fuppofe de
l'étendue aux fenfations & à l'ame : mais ,
Monfieur , les lignes que vous avez omifes
& le mot ailleurs que vous avez ajouté
& interprêté , changent entiérement ma
penfée. C'est ainsi que ( page 75 ) vous
jettez du ridicule fur une tranfition , que
vous m'attribuez . 1 ° . Vous ne copiez pas
exactement mon texte , & cependant vous
accompagnez votre citation de guillemets.
2º. Il me paroît fort étonnant que vous
tiriez du milieu d'un Chapitre une phra
fe que vous donnez pour tranfition au
fujet de ce Chapitre mênie.
En vérité , Monfieur , la forme que
vous faites prendre à mes principes , les
déguife tout-à- fait , & il n'eft point de
Lecteur intelligent qui ne puiffe s'appercevoir
que ce n'eft pas moi que vous com.
battez. Vous prétendez , m'objectez - vous
( pag. 30 ) que je vois les trois dimenfions
dans les façons d'être de mon ame dans les
modes , par lesquels elle fe fent exifter. Elles
y font donc , au moins , fi elles ne font nulle
part ailleurs. Je réponds , Monfieur , qu'à
la précision que je tâche de donner à mes
principes , vous fubftituez un vague trèsAVRIL
1756. $7
favorable aux conféquences que vous en
voulez tirer. Si je dis que nos fenfations
nous donnent une idée de l'étendue , c'eſt
uniquement lorfque les rapportant au dehors
, nous les prenons pour les qualités
des objets. Mais j'ai prouvé bien des fois
qu'elles ne donnent point cette idée , lorfque
nous les confidérons comme manieres
d'être de notre ame. Faites-moi la grace
de conclure d'après ce que je dis : il ne
tiendroit qu'à vous de prouver que tous
les Philofophes font des Matérialiſtes.
Vous prétendez , leur diriez -vous , que les
couleurs font des modes de notre ame . Or
vous ne pouvez pas difconvenir qu'on ne
voye de l'étendue lorsqu'on voit des couleurs .
Donc l'ame a des modes étendus , donc elle
eft étendue elle-même.
M. l'Abbé de Condillac , dites - vous ,
page 36 , eft fondé dans le reproche qu'il
fait à M. de Buffon , de donner à la machine
une qualité effentielle aux efprits , lu
fenfibilité : M. de B. auroit également
droit de reprendre fon Cenfeur , fur ce que
celui- ci accorde à l'ame ce qui convient uniquement
à la machine ; je veux dire les trois
dimenfions .... Cependant cette contrariété
de fentimens prouveroit que l'Abbé de C.
n'a pas tiré du quatrieme volume de l'Hiftoire
Naturelle l'idée de fon Traité des Senſations..
88 MERCURE DE FRANCE.
.
Quelle preuve ! eft- ce donc férieufement
que vous parlez ? Non : car vous ajoutez :
Une conformité de penfer de la part de ces
deux Auteurs , dans un point qu'on peut regarder
comme l'effentiel du Traité des Senfations
, m'a fait quelque peine ; c'est lorſque
l'un & l'autre entreprennent d'expliquer la
maniere dont nous formons l'idée de l'etendue.
Vous croyez donc avoir lu cette explication
dans M. de B. l'avoir lue telle que
je la donne, & cela vous fait quelque peine.
Confolez - vous , Monfieur , vous ne
l'avez pas lue , & vous confondez deux
chofes bien différentes . Bien loin d'entreprendre
d'expliquer comment nous formons
par le toucher l'idée de l'étendue ,
M. de B. fuppofe que l'odorat & la vue la
donnent naturellement . Il croit qu'un animal
qui vient de naître , peut juger à l'o .
dorat feul de la nourriture & du lieu où
elle eft ; qu'un homme qui ouvre les yeux
avant d'avoir rien touché, difcerne la voûte
célefte , la verdure des prés , le cryftal
des eaux , & mille objets divens , & que
prenant toutes ces chofes des parties
pour
de lui-même , il ne reconnoît ce qui appartient
en effet à fon corps, qu'autant que
ce que fa main touche rend fentiment pour
fentiment. J'applaudis avec vous à cette expreflion
, & je conviens que j'ai dit la mêAVRIL.
1756. 89
me chofe en d'autres termes . Mais faire
voir à quel figne nous reconnoiffons les
parties de notre corps , eft - ce expliquer
comment nous formons l'idée de l'étendue ?
eft- ce fe rencontrer fur ce qui fait le point
effentiel du Traité des Senfations ?
On fera étonné quand on comparera le
peu d'attention que vous donnez à une
lecture , avec l'importance des décisions
que vous hazardez. Votre négligence eft
telle qu'il vous arrive quelquefois de ne
juger que fur le matériel des mots . J'en
donnerai deux exemples.
J'ai dit : Il y a en quelque forte deux moi
dans chaque homme ; & vous remarquez ,
p. 84 : Ceci n'est qu'une foible imitation de
T'homme double de M. de Buffon. Cela eft
vrai , fi vous vous arrêtez aux mots ; mais
fi vous allez jufqu'aux idées , vous trou
verez deux penfées bien différentes .
J'ai dit encore que le Perroquet n'entend
pas notre langage d'action , parce que
La conformation exterieure ne reffemble point
à la nôtre. Vous avez lu quelque part dans
l'Hiftoire Naturelle le mot de conformation;
& vous dites , page 82 : Voilà une des raifons
de M. de Buffon.
Il y a encore , Monfieur , un autre défaut
dans votre maniere de critiquer , c'eft
qu'au lieu de confidérer un raifonnement
90 MERCURE DE FRANCE.
tout entier , il femble quelquefois que
vous aimiez à vous arrêter fur chaque propofition
, & vous vous preffez de conclure
avant que les principes foient entiérement
dévéloppés. C'eft le vrai fecret de trouver
des contradictions où il n'y en a pas. A
peine , par exemple , avez - vous commencé
la lecture du Chapitre , où j'explique com
ment l'homme acquiert la connoiffance
des principes de la morale , que vous vous
hâtez de conclure , ainfi point de loi naturelle.
Mais comme vous êtes de bonne foi ,
vous rapportez mon raiſonnement jufqu'à
fa conclufion , qui eft , qu'il y a une loi naturelle
; que Dieu feul eft le principe d'où elle
émane ; qu'elle étoit en lui avant qu'il créat
l'homme ; que c'eft elle qu'il a confultée , lorfqu'il
nous a formés , & que c'est à elle qu'il
a voulu nous affujettir.
L'Analogie m'a conduit à reconnoître
une ame dans les bêtes. Ce fentiment vous
choque , & pour le combattre , vous dites
que je ne fçaurois prouver que cette ame
differe effentiellement de celle de l'homme.
Avant que de vous répondre , je citerai
un paffage des Mémoires de Trévoux .
Il déterminera l'état de la queftion .
L'Auteur , c'eft de moi dont on parle , dit
partout qu'il ne fçait rien de la nature des
êtres....Ce qui ne l'empêche pas d'affurer quela
AVRIL. 1756. ១ ៖
....
bete & l'homme different par leur effence .
On pent donc demander comment ces chofes
fe concilient ; & voici notre pensée à cet
égard. L'Auteur entend , fans doute , qu'il
na fur les natures & fur les effences , aucune
connoiffance parfaite , complette , intuitive ;
qu'il ne juge d'elles que par leurs opérations
leurs facultés , leurs rapports : ce qui s'appelle
juger à pofteriori , remonter des effets
à la caufe, trouver le principe par les conféquences
; efpece de lumiere qui autoriſe à
dire qu'on fait quelque chofe de la nature
des êtres , quoique dans le fens expliqué plus
baut , il ne foit pas moins vrai qu'on n'a aucunes
connoiffances fur ce point . 1755. Déc.
pag. 2933. Vous voyez , Monfieur , qu'il
dépendoit du Journaliſte de me laiffer en
contradiction avec moi-même. Mais fon
procédé n'en eft que plus honnête : on voit
en lui un homme d'efprit qui faifit tout un
fyftême , & qui ne s'arrête pas fur un mot.
Ce fçavant Journaliſte a encore fuppléé à
d'autres omiffions de ma part ; je les adopte
toutes , & je fuis charmé d'avoir cette
occafion de lui témoigner ma reconnoiffance.
Exigez vous de moi , Monfieur , que je
montre la différence de l'ame des bêtes, en
la confidérant dans fon principe , vous me
demandez l'impoffible : exigez- vous que
92 MERCURE DE FRANCE.
je la démontre , en remontant des effets à
la cauſe , en cherchant le principe dans les
conféquences , je l'ai fait. Mais , direz -vous ,
plus ou moins de befoin , plus ou moins de
moyens de multiplier les combinaiſons d'idées,
un corps humain , un corps animal , tout cela
eft accidentel à la nature des efprits : l'Auteur
en conviendra avec nous . Je ne fuis pas
bien fûr de l'idée que vous attachez au mot
accidentel . Tout ce dont je conviens , c'eſt
qu'il ne paroît pas y avoir de rapport
effentiel entre la nature des efprits & ces
befoins , ces moyens de multiplier les
idées , & c . Mais il y a au moins des rapports
de convenance. Ce n'eft pas fans raifon
, & encore moins contre toute raifon,
que Dieu unit deux fubftances . Il confulte
fans doute la nature de l'une & de l'autre
. Il ne bornera pas dans le corps d'une
bête une ame , qui par fon effence feroit
capable de toutes nos facultés ; & il ne
donnera pas à un homme une ame ,
l'effence ne renfermeroit pas le germe de
toutes les facultés au développement
defquelles notre corps peut donner occafion.
Ainfi , puifque les corps different
effentiellement , je fuis en droit de conclure
que les ames different par leur nature.
>
dont
N'inférez point delà , comme vous fair
1
AVRIL 1756. 93
tes , que l'ame d'un imbécille feroit différente
par fa nature de celle d'un homme
fenfé. Il ne feroit pas bien à vous de me
faire une difficulté , à laquelle vous fçavez
ce que je dois répondre. Perfuadé que
toute fubftance fpirituelle eft naturellement
capable de connoître & d'adorer
Dieu , vous remarquez avec raifon que
l'exemple des infenfés ne prouve rien contre
vous , parce qu'il annonce plutôt un défordre
dans la nature , dont Dieu n'eft point
l'auteur qu'un plan particulier choifi par fa
Jageffe. Huitieme partie , p. 151 .
Je ferois trop long , Monfieur , fi je
voulois faire voir toutes les négligences
qui vous échappent ; mais fi c'eft par les
conféquences que vous voulez combattre.
le Traité des Senfations , je vous prie de
l'étudier mieux que vous n'avez fait. Tout
ce que vous dites dans ce que vous venez
d'écrire contre moi , paroît prouver que
vous n'ayez pas apporté affez de foin pour
pénétrer dans ma penfée ; & je crois que
les méprifes où je fais voir que vous êtes
tombé , me difpenfent d'entrer dans de
plus grands détails. Mais je ne veux pas
finir , fans vous indiquer une voie courte
pour me combattre , une voie dont j'ai toujours
fait ufage , quand j'ai voulu détruire
des fyftêmes. Bornez- vous à l'examen des
94 MERCURE DE FRANCE.
principes d'où je pars : ne croyez pas les
renverfer , en difant qu'ils fontfinguliers ,
inouis , bizarres faites voir qu'ils font
faux , ou du moins inintelligibles . Alors
je ferai le premier à les abandonner : mais
s'ils font vrais , adoptez- les vous-même ;
& foyez perfuadé qu'il n'en pourra rien
réfulter de dangereux pour la réligion.
La vérité ne fçauroit être contraire à la
vérité ; & lorfque l'erreur paroît naître
d'un bon principe , c'eft que nous raifonnons
mal. Tant que vous ne fonderez
vos critiques que fur des conféquences
, vous multiplierez les queftions , fans
rien réfoudre , & vous laifferez fubfifter
les principes. Je dis plus : vous entrez mal
dans les intérêts de la religion , lorfque
votre zele vous fait chercher des conféquences
odieufes , jufques dans les ouvrages
de ceux qui la refpectent & qui la
défendent : car de quoi s'agit- il entre vous
& moi ? Du fyftême de Locke , c'eſt- àdire
d'une opinion au moins fort accréditée.
Or je demande qui de nous deux tient
la conduite la plus fage Eft- ce vous ,
qui laiffant fubfifter les principes de ce
Philofophe qui n'a pas toujours été conféqüent
, entreprenez de faire voir qu'ils
menent au matérialifme ? ou moi , qui ,
comme vous le reconnoiffez , ne fuis pafAVRIL.
1756. 99
fionné pour Locke , que parce que je crois rendre
un fervice important à la Religion , en lui
confervant la Philofophie de cet Anglois , en
l'expliquant de maniere que les Matérialistes
n'en puiffent abufer ? Je loue votre zele ,
mais un zele éclairé ne doit pas voir du
danger où il n'y en a pas. Croyez - vous
pouvoir faire une injuftice aux Ouvrages
d'un Ecrivain , fans en faire à fa perfonne
? Je vous invite donc , Monfieur , à
être plus réservé & plus für dans vos critiques.
Vous le devez à la Religion , à
ceux dont vous combattez les fentimens ,
& à vous plus qu'à perfonne : car votre
réputation en dépend.
Au refte , je ne me fuis fait un devoir
de vous répondre , que parce que la religion
y eft intéreffée. Dans tout autre cas
j'aurois attendu fans impatience que le Public
eût jugé entre vous & moi. Si vous
montrez le faux de mon fyftême , je n'aurai
rien de plus preffé que de le défavouer ;
mais fi vous continuez d'être peu exact , je
compte , Monfieur , que vous ne vous prévaudrez
pas de mon filence .
Je fuis , Monfieur , &c.
96 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE
A l'Auteur du Mercure.
ON demande , Monfieur , par la voie de Ν
votre Mercure ce que l'on doit entendre
par un quarantieme de la capacité d'un
navire, & fi le Commentateur de l'Ordonnance
de la marine de 1681 n'en a pas em
brouillé le texte fur l'article 5 da tit . 3 de
ladite Ordonnance du fret ou nolis ?
Il n'eft pas difficile de fatisfaire à ces
deux queftions. La premiere eft fi claire ,
qu'elle n'a point befoin de réponſe. Le qua
rantieme d'une chofe quelconque eft fa
quarantieme partie. Quant à la feconde ,
il eft certain que le Commentateur s'eft
trompé dans l'interprétation de cet article ,
le
que quarantieme de la portée d'un
navire n'eft que deux & demi deux & demi pour cent
de fa capacité , & non quarante , comme
l'infinue le Commentateur.
&
L'article 5 eft une fuite de celui qui le
précéde . Par l'article 4 , l'Ordonnance a
voulu affujettir les Capitaines à déclarer
la véritable portée de leurs navires , lorf
qu'ils l'affréreront ; & pour les empêcher
de faire de fauffes déclarations & de tromper
l'Affréteur , elle prononce des dommages
& intérêts contr'eux , lorfqu'il y aura
AVRIL. 1756. 97
ra erreur en leur déclaration . Mais comme
il eft difficile d'eftimer juſte la portée
effective d'un navire , l'article 5 porte ,
que lorfque la déclaration n'excédera pas
la véritable portée du navire de plus d'un
quarantieme , c'eſt - à- dire de deux & demi
pour cent , elle fera cenfée jufte , & ne fera
réputée erreur en icelle. Par exemple ,
qu'un Capitaine ait affrété fon navire, dont
la portée effective eft de 240 tonneaux ,
s'il l'a déclaré de 246 , il n'y aura erreur
en fa déclaration , & l'Affréteur ne pourra
prétendre diminution fur le prix de l'affrétement
fous prétexte que la déclaration
excéderoit la véritable portée du navire ;
mais dans le cas où il auroit déclaré la
portée du même navire de 250 tonneaux ,
le Capitaine feroit paffible des dommages
& intérêts envers l'Affréteur . La raifon eft
qu'un Affréceur qui , fur la déclaration du
Capitaine, auroit compté charger 250 tonneaux
de marchandiſes, n'en pourroit charger
effectivement que 240 ; ce qui lui
feroit bien préjudiciable .... Ce que j'ai
l'honneur de vous marquer , eft conftant
par l'ufage , & quantité de décifions.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Cette Ordonnance de la Marine eft ,
comme vous le dites , Monfieur , le plus
II.Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
beau morceau de Jurifprudence : permet-..
tez que pour la bien entendre , je vous .
donne le confeil que j'ai reçu , lorfque
je commençai à l'étudier , confeil en ufage
dans les Places Maritimes : Ne vous fervez
jamais du Commentateur , c'est une paire
de lunettes hors d'âge , qui embrouille l'objet
plutôt que de l'éclairer. Suivez - le , vous
ne vous en repentirez pas ..
J'ai devant moi une Edition de cette
Ordonnance , qui eft de 1715 , commentée
comme celle que vous citez de 1747 ;
ce qui me prouve qu'il y a au moins 41 ans
que ce Commentateur a travaillé fes Commentaires
: il lui en a bien fallu autant
pour apprendre tout le Latin dont il fait
parade dans fes Commentaires. Delà je
conclus , que pour le bonheur du Commerce
Maritime , ce fçavant Homme n'eſt
plus à portée de multiplier des productions
de ce genre : elles feroient très- fa
vorables à nos Ennemis , fuivant l'explication
qu'il donne à l'article S du titre
des Prifes , Livre 3 , fur ces mots , avant
les vingt - quatre heures.
9
Havre , le 21 Janvier 1756.
D. L.A.
LE SIEUR de LARUE , Auteur du Livre
de la Bibliotheque des Jeunes NéLINTHEADE
DE
AVRIL. 1756 . 27ON
gocians affure que c'eft à tort quo a
avancé dans le Mercure de Janvier 17
page 111 & fuivantes , qu'il y avoit une
erreur au change de Hambourg , folio 330 :
il foutient fon Opération bonne en toutes
fes parties. A l'égard du fecond tome
de ce Livre , que l'on dit défirer
il ne tardera pas à paroître , le Manuſcrit
étant entiérement achevé .
MONSIEUR , j'ai lu dans le fecond
Volume du Mercure de Janvier , à la page
III , une Lettre pour relever une erreur
commiſe dans la Bibliotheque des jeunes
Négocians , compofée par M. de la Rue ,
dans la queftion qu'il propofe du change
de France fur Hambourg.
On dit qu'à la page 322 , il dit qu'il
doit à fon Correfpondant de Hambourg
1730 liv. 18 f. 6 d. monnoie de France
; le change fur Paris à 177 livres
de France pour cent marcs lubs , monnoie
de banque à Hambourg : de plus on dit
qu'à la page 330 , il donne la démonftration
de cette regle d'une autre façon
que la regle n'eft propofée , ce qui
eft faux , puifqu'à ladite page 330 , la
conftruction de la regle eft faite de las
même maniere qu'on releve qu'elle doit
être faite , de même qu'à la page 360 ,
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
gnage
pour l'inverfe de ladite Regle qui eft
pour fervir de preuve à la regle propofée
: comment donner la propofition d'une
regle avec le principe de la faire & la
conftruire fur une autre , ce qui n'eft pas
d'ufagedans ce genre , & contraire au bon
fens. Je fuis obligé , pour rendre témoià
la vérité , comme ayant en main
un exemplaire du livre de M. de la Rue ,
de vous prier de rendre cette Lettre publique
, afin que le Public foit detrompé
de cette erreur. Il faut fans doute
que l'Auteur de cette Lettre ait été trompé
fur quelque faux exemplaire qu'il aura
vu , compofé fous le nom de M. de la
Rue d'ailleurs , il n'eft pas poffible que
M. de la Rue ayant , comme il a une expérience
confommée , fût tombé dans une
erreur fi groffiere .
Voici la démonftration de la regle copiée
mot à mot dans l'exemplaire du livre
de M. de la Rue , où l'on verra que
fa propofition de 1730 l. 18 f. 6 d . monnoie
de France au change de 177½ 1. des
mêmes livres , pour 100 marcs lubs, monnoie
de banque à Hambourg , fait les 975
marcs 2 f. lubs , monnoie de Hambourg,
au lieu de 1024 marcs de banque que
l'Auteur de la lettre dit qu'il eft porté dans
l'exemplaire du livre de M. de la Ruç ,
AVRIL. 1756. 101
ce qui eft faux , comme on le verra par la
démonftration de cette regle.
Je fuis , Monfieur , & c.
Change de France fur Hambourg.
Pour réduire 1730 1. 18 f. 6 d . de France
en marcs & fols lubs au cours du change
de 177 liv. tournois pour 100 marcs lubs
monnoie de banque de Hambourg.
OPERATION
Si 177 liv. de France font 100 marcs
2
355
de Hambourg , combien
1730 l. 18 f. 6 d .
200
346000
100 pour 10 f. la
So
S le
20 2
le
10 I
le
20
6 den.
346185
86
21630
3461851. 975 marcs dem. lubs de bang.
35555
355
3.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
INSTRUCTION .
Faites une regle de trois directes , difant
: fi 177 livres de France valent 100
marcs lubs de Hambourg, combien en vaudront
1730l . 18 f. 6 d. Cette difpofition
étant faite , multipliez par 200 la fomme
du dernier terme , parce que la fraction
du premier eft en demi , & divifez le
produit 346185 , par 355 demi- livres du
premier terme , pour avoir au quotient
975 marcs , & 60 en refte à multiplier
par 16 fols valeur du marcs , & divifant
de même , il vient 2 fols lubs à recevoir
en banque à Hambourg , dont la
preuve fe verra au change de cette place-
là fur la France.
A cette lettre , nous allons en joindre
une autre toute contraire , nous laiffons
aux connoiffeurs en cette partie à décider
de quel côté eft l'exacte vérité.
J'ai lu , Monſieur , avec plaifir la Lettre
qu'un Amateur du jufte calcul vous a écrite
au fujet de l'erreur de M. de la Rue pour
le change de France fur Hambourg , & de
Hambourg fur France , inférée dans le fecond
volume de votre Mercure de Janvier,
page III. Il eft à fouhaiter que tous ceux
qui liront les ouvrages de Commerce ,
AVRIL. 1756. 103
A
ayent la même attention , moyennant quoi
nous les aurons parfaits .
On ne peut qu'applaudir à la méthode
que fuit l'Auteur de la Lettre ; elle eft jufte
& claire : je trouve feulement qu'elle pourroit
être plus brieve dans la multiplication
des fols , puifque pour trouver que too à
18 f. montent à 98 1. il fait quatre opérations
, qui jointes à l'addition , en font
cinq : ils fe fert de la partie de 20 f. qui
varie à chaque nombre , au lieu que par
celle que nous fuivons ici , ( excepté pour
5f. ) elle est égale , fouvent même plus
brieve , & ne varie jamais dans fon opéra
tion , qualité , felon moi , bien effentielle
au commerce . J'opere , & je prends le
nombre de 19 f. qui peut fervir de regle
pour tous les autres ; & je dis :
9 fols
27/31
.
19 f.
245
14
13 13
Rép. 2591. 71.
INSTRUCTION.
Je prends toujours la demie du nombre
des fols , & par conféquent de 19 f. qui
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
f.
cft , avec lequel je multiplie le dernier
chiffre3 , & j'ai 27. Je double ce qui excéde
la dixaine qui eft 7 , & j'ai 14, que je
pofe pour les fols ; puis je multiplie le 7
par le 9 , qui donne 63 , qui joint au 2 ,
que je tiens des 27 , fait 65 , je pofe s
pour commencer les livres , & je retiens 6
qui joint à 18 que donne le 2 multiplié par
9 , fait 24 que je poſe , & voilà d'un feul
Coup la regle finie trouvant 245 1. 14
pour les 18 fols , après quoi perfonne n'ignore
que pour le fol reftant , on opere en
prenant le vingtieme ou la demie des chiffres
qui précédent les derniers , en laiſſant
celui-ci en entier , & le rompu du pénultieme
pour les fols , ainfi que je l'ai fait
ci deffus. Je répéte encore que ma méthode
ne varie jamais , au lieu que par la
partie de 20 f. il faut fe remplir la tête
qu'un fol eft le vingtieme 2 f. le dixieme
2 f. 6 d. le huitieme , & c .
Je métois apperçu , comme notre Auteur,
que le Commentateur de la Marine de
1681 , en voulant expliquer l'art. 's du titre
du fret ou nolis , l'a au contraire embrouillé
pour ne pas dire autre choſe. La
Loi dit :
Ne fera réputé y avoir erreur en la décla
ration de la portée du Vaiſſeau, fi elle n'eft au
deffus du quarantieme.
AVRIL. 1756.
105
Cet article eft fi clair , qu'il n'a pas befoin
d'être commenté ; par quarantieme ,
on a toujours entendu , & on entend la
quarantieme partie , ou pour parler en terme
négociant 2 pour 100 : c'eft ainfi du
moins qu'on décide quand le cas y échoir.
Après avoir fatisfait à ce que l'Auteur
de la Lettre demande , fouffrez , Monfieur
, que par le moyen de votre Mercu
re je lui fafle moi - même une queftion qui
eft très-effentielle , & dont nous avons befoin
à tout inſtant.
Je voudrois donc qu'il eût la complaifance
de me donner une méthode , où fans
tâtonner je puiffe trouver à me faire affurer
à plein avec prîme de prîme jufqu'à extinction
; je veux dire , j'ai 1000 liv. de chargé
fur un vaiffeau , dont les affurances coutent
17 pour ico , & en cas de perte je veux
pouvoir retirer de mes Affureurs , non
feulement le Capital , mais encore les prîmes
jufqu'à la plus petite fraction , ainfi ,
quelle fomme dois - je faire affurer ? J'obſerve
à notre Auteur que je demande une méthode
claire & précife , ne donnant pas ce
nom à l'ufage où l'on eft de ne trouver cette
fomme qu'en tâtonnant , qui d'ailleurs
laifferoit toujours une fraction à décou
vert. Je fuis , Monfieur , &c .
J... B.
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
CHIMIE du Goût & de l'Odorat , ou
principes pour compofer facilement & à
peu de frais , les Liqueurs à boire , & les
Eaux de Senteurs , avec figures , Ne quid
nimis , Terence . A Paris , de l'Imprimerie
de P. G. Le Mercier , rue S. Jacques ,
au Livre d'or.
L'Auteur , dans une Differtation préliminaire
, fait d'abord fçavamment l'apologie
des Liqueurs , & foutient qu'étant
bien faites , conformément à fa méthode ,
& prifes avec modération , elles deviennent
falutaires loin d'être nuifibles. Il
paffe enfuite à l'Harmonie des faveurs.
Comme fon fyftême là- deffus nous a paru
intéreffant par fa nouveauté , nous allons
extraire de fa Differtation ce qui peut le
mettre dans fon jour.
Pour l'agrément des Liqueurs , dit- il ,
il dépend du mêlange des faveurs dans une
proportion harmonique. Les faveurs confiftent
dans les vibrations , plus ou moins.
fortes des fels qui agiffent fur le fens du
Goût , comme les fons confiftent dans les
vibrations plus ou moins fortes de l'air qui
agit fur le fens de l'Ouie : Il ne peut donc y
avoir uneMufique pour la langue & pour le
palais , comme il y en a une pour les oreilles
:il eft très-vraifemblable que les faveurs,
pour exciter différentes fenfations dans
AVRIL. 1756. 107
.
Pame , ont comme les corps fonores , leurs
tons générateurs , dominans , majeurs ,
mineurs , graves , aigus , leur coma même ,
& tout ce qui en dépend ; par conféquent
leurs confonnances & leurs diffonances.
Sept tons pleins font la baſe fondamentale
de la Mufique fonore . Pareil nombre de
faveurs primitives , font la bafe de la
Mufique favoureuſe , & leur combinaiſon
harmonique fe fait en raifon toute femblable.
Dans la Mufique fonore les tierces
,
les quintes & les octaves forment
les plus belles confonnances ; mêmes effets
précisément dans la Mufique favoureufe.
Mêlez l'acide avec l'aigre - doux ,
le citron , par exemple , avec le fucre, vous
aurez une confonnance fimple, mais charmante
en quinte majeure : mêlez l'acide avec
le doux , le fuc de bigarade avec du miel ,
vous aurez une faveur paffablement agréable
en tierce majeure. Mêlez l'aigre- doux
avec le piquant, la confonnance fera moins
agréable , auffi n'eft- elle qu'en tierce mineure
:pour la rendre plus agréable , hauffez
ou baiffez d'un demi - ton l'une ou
l'autre faveur , ce qui revient au diefe
& au B mol , vous trouverez un grand
changement . Voulez- vous compofer un
air favoureux en diefe ? prenez pour dominante
l'acide , le piquant , l'auftere ou
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
l'amer : au contraire fi vous choififfez pour
dominantes le fade le doux , l'aigredoux
, avec une petite pointe de piquant ,
pour donner de l'ame à votre compofition
, vous aurez un air favoureux en
grand B mol .
Les Diffonances ne font pas moins analogues
dans l'une & l'autre Mufique. Dans
l'acoustique frappez la quarte , vous produirez
une cacophonie defagréable dans
la Mufique favoureuſe mêlez l'acide avec
l'amer , du vinaigre , par exemple , avec de
l'abfynthe , le compofé fera déteftable ; en
un mot je regarde une Liqueur bien entendue
comme une forte d'air mufical. Un
Compofiteur de ragoûts , de confitures, de
ratafiats , de liqueurs , eft un Symphoniſte
dans fon genre , & il doit connoître à
fond la nature & les principes de l'harmonie
, s'il veut exceller dans fon Art , dont
l'objet eft de produire dans l'ame des fenfations
agréables. L'Auteur cite à ce propos
le clavecin des couleurs , & prétend qu'on
peut faire un inftrument harmonieux des
faveurs avec beaucoup plus de facilité. Ce
fera , ajoute- t'il , fi l'on veut un genre
nouveau d'orgue fur lequel on pourra
jouer toutes fortes d'airs favoureux , pourvu
que le nouvel Organiſte poffede avec
intelligence fon clavier.
AVRIL. 1756. 109
Dans une feconde differtation fur l'odorat
& fur les odeurs , il voudroit également
étendre fur eux l'empire de la mufique ;
mais il croit y trouver un plus grand obftacle.
J'ai , dit- il , infinué plus d'une fois
que je foupçonnois une analogie complette
entre tous les fens , & j'ai conclu qu'ils
devoient tous avoir leur progreffion harmonique.
Nous avons déja remarqué que
le fon confiftoit dans une vibration plus
ou moins forte de l'air ; que les faveurs
confiftoient dans une vibration plus ou
moins forte des fels fixes : ne pourrionsnous
pas avancer que les odeurs confiftent
dans une vibration plus ou moins
fortes des fels volatils & des foufres , &
conféquemment que les odeurs doivent
avoir leurs tons harmoniques , ainfi que
le fon , les faveurs , les couleurs ? Perfuadé
de cette analogie , je me promettois
d'ébaucher les principes d'une Mufique
olfactive , comme j'avois ébauché la gamme
de la Mufique du goût , mais en examinant
le projet de plus près , je me fuis
trouvé dans un embarras dont je ne compte
pas fortir , , non pas que les odeurs n'ayent
tout ce qu'il faut pour établir une harmonie
entre des tons variés à l'infini , mais
foit pénurie du côté des langues qui manquent
de termes pour exprimer ces tons
TO MERCURE DE FRANCE.
primitifs , foit negligence du côté des
Phyfiologiftes qui ne les ont point encore
obfervés , je n'ai trouvé que deux termes
qui énoncent deux tons , ou deux odeurs
primitives , le fuave & le foetide. Les
autres dénominations font toutes spécifiques
, ou plutôt derivées des noms des
corps odorans , comme l'odeur de fleur
d'orange , l'odeur de rofe , l'odeur de jafmin
; ce qui eft auffi infuffifant pour caractérifer
les odeurs primitives , qquuee fi je
difois le fon d'une orgue , d'un violon ,
d'une flûte , pour caractériſer les fons primitifs
, ou bien la couleur de bois d'écarlate
, d'ardoife pour défigner les couleurs.
primitives , ou bien enfin le goût de poivre
, de fucre , de vin , &c , pour indiquer
les faveurs primitives.
On trouve actuellement chez la veuve
Gandouin, chez Boudet & Jombert , qui diftribuent
le projet de Tactique , un mémoire
que l'Auteur vient de donner à la fuite ,
pour achever de prouver fon fyftême ,
yjoindre quelques détails qu'il n'avoit fait
qu'indiquer , & enfin inviter à faire uſage
de cette idée pour le fervice du Roi.
Ce Mémoire confifte en fix articles. Le
premier fert de préface. On trouve dans
le fecond quelques obfervations fur les
AVRIL 1756.
III
raifons qui empêchent néceffairement le
grand nombre de goûter un pareil projet.
Le troisieme eft un fupplément à l'ouvrage
qui l'a précédé. Le quatrieme eft une
comparaifon de ce fyftême avec celui du
Chevalier de Roftaing que le Public fera
fans doute bien-aife qu'on ait eu occafion
de lui faire connoître. Le cinquieme article
eft fupprimé il n'en refte qu'un morceau
qui eft le tableau des raifons pour &
contre le projet avec des apoftilles , récapitulation
finguliere , mais frappante . C'eſt
dans le fixieme & dernier article que l'Auteur
propofe de faire l'expérience , expofant
les raifons qui doivent y déterminer ,
faifant voir qu'elle eft facile & peu dangereufe
, & répondant aux raifons qu'on
peut y oppofer.
Ce petit ouvrage n'eft pas fort néceffaire
pour ceux qui n'ont pas vu le premier :
mais il est très - propre à leur donner envie
de le lire. On retrouve le ftyle de l'Auteur
, mais l'on voit qu'il s'anime à meſure
qu'il avance dans la carriere , & que fon.
premier fuccès l'a encouragé.
112 MERCURE DE FRANCE.
SUITE
DE LA SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie des Sciences , Belles - Lettres
& Arts de Besançon , du 24 d'Août
1755.
LE prix de la Differtation Littéraire
fut donné à M. Trouillet , Curé d'Ornans.
Le fujet étoit : Quel étoit l'Hercule
appellé Ogmius par les Gaulois , & pourquoi
le repréfentoient- ils fous les atributs
rapportés par Lucien ?
و د
« L'amour du merveilleux ( dit M. l'Ab-
"bé Trouillet ) avoit porté les anciens
» Peuples à ne montrer leurs grands per-
» fonnages que fous le voile de l'allégo-
»rie. Delà font nées la plupart des fa-
»bles du Paganifme & des obfcurités que
» renferme l'antiquité profane . Le goût
» de l'allégorie étoit particulier aux . Gau-
» lois , qui défignoient prefque tout par
»des fymboles ingénieux . L'Hercule Ög-
» mius paroît avoir été un de leurs an-
"ciens Héros , dont ils révéroient les ta-
» lens , & qu'ils dépeignoient comme le
» fymbole de l'éloquence. Le fouvenir de
cet Hercule a pu fe conferver dans les
AVRIL. 1756. rig
"
"
ور
Gaules par le moyen des Poéfies héroï-
» ques , qui fervoient d'annales aux Gau-
» lois comme aux Germains . Ces Poé-
"fies étoient chantées par les Bardes :
» les Druydes les faifoient apprendre à leurs
» éleves . Elles contenoient l'hiftoire de
»ceux dont on croyoit devoir immortali-
» fer au fon de la lyre le nom & les
» exploits..... Les Gaulois ayant avec
» le tems acquis la connoiffance & l'ufage
» de tous les Beaux Arts , ont repréfen-
» té Ogmius dans un tableau énigmati-
» que , fuivant leur goût & le génie de
»leurs Poéfies , ut Pictura Poefis. » 1I1l y
étoit dépeint fous la figure d'un vieillard
hâle & ridé , portant une peau de
lion & un carquois , tenant de la main
droite une maffue , & de la gauche un
arc bandé ; une multitude d'hommes à
qui il paroiffoit fourire , fembloit auffi
le fuivre avec joie ; ils étoient enchaînés
délicatement par les oreilles avec des
chaînes d'or & d'ambre , dont le premier
chaînon s'engageoit dans la langue
du vieillard. Tel eft le tableau que Lucien
vit dans les Gaules ; il eft le feul
des Anciens qui parle expreffément d'Ogmius.
« Cette repréfentation étoit fymbolique
( dit M. Trouiller ; ) mais Ogmius
en eft-il moins un perfonnage réel ? On
*
114 MERCURE DE FRANCE.
193
»
و د
ور
donnoit deux vifages à Janus afin de
marquer par-là fa prudence & fon ha-
» bileté ; & les Latins reconnoiffoient Já-
» nus pour un de leurs premiers Rois.
» Nous le difons avec confiance ; les Gaulois
reconnoiffoient de même Ogmius
pour un de leurs anciens Princes , &
probablement pour le premier Chef qui
» les avoit réunis en corps de Nation ; voi-
» là notre fyftême . Si le Philofophe Gaulois
, que Lucien introduit fur la ſcene ,
» ne lui explique pas ouvertement ce que
le tableau du Héros pouvoit avoir d'hïſtorique
, c'eft que tel étoit le génie d'un
» Gaulois de ne dire qu'une partie des
» chofes , & d'aimer à faire deviner le ref-
» te. Son filence d'ailleurs peut être mis
fur le compte de Lucien , qui n'a rapporté
de la converfation du Philofophe
que ce qui alloit à fon but . »
99
"
»
"
M. l'Abbé Trouillet établit fon fyftême
1 ° Sur le nom d'Ogmins , qui étant purement
Celtique , n'a été fans doute donné
qu'à un Héros Gaulois , & fur le nom
d'Hercule , qui a pu défigner un Fondateur
d'Empire dans les Gaules , puifqu'un
Hercule étoit regardé comme tel chez
les Romains & chez les peuples de Germanie.
2°. Sur la différence des attributs
qui diftinguoient Ogmius des autres HerAVRIL.
1756. 115
cules 3. Sur le caractere particulier de
fon héroïfme , qui , uniffant l'Art de la
guerre à celui de la parole , convenoit
uniquement à un Hercule Gaulois . ( 1 ) Pleraque
Gallia duas res induftriofiffimè perfequitur
, rem militarem , & argutè loqui
4. Sur les traditions qui fubfiftoient chez
les Gaulois de leur defcendance d'un Hercule
( Ogmius eft le feul qui ait paru dans
les Gaules ) . 5. Sur les rapports fenfibles
de l'origine & de l'ancienne conftitution
des Gaulois , avec l'idée que l'Auteur préfente
d'Ogmius . « Ce Légiflateur n'a pas
» eu befoin d'en faire des Guerriers ) dit-
» il en finiffant cette premiere partie ) . Ces
» Peuples étoient nés avec le goût des ar-
» mes (2 ); mais il a réformé leurs moeurs, &
"
jetté dans les efprits ces germes de poli-
» teffe qui fe font confervés dans les Gau-
» les , & qui y attirent toujours les Etran-
» gers. Il leur a appris à s'adonner aux
» fciences dont il avoit les grands principes
? il les a formés à l'agriculture qu'ils
» connoiffoient à peine lorfqu'ils étoient
» encore en Germanie.... Lucrece éleve
» les fervices qu'ils prêtent que fon Sage ( 3 )
(1) M. Cato , orig. 2.
(2 ) Horat. lib. od. Tit. Liv. decad. 1 ,
7 , &c. Diod. Sicil. Lucian.
4, 14.
lib.
( 3 ) Epicure.
116 MERCURE DE FRANCE.
و ر
"
» a rendus au genre humain au deffus
» de tous les travaux de l'Hercule Grec.
Nous jouiffons réellement des bienfaits
» de l'Hercule Gaulois ; fon héroïsme nous
»fert encore : la Nation qu'il a formée
>> c'eſt la nôtre ; fes réglemens fubfiftent
» en partie ; le goût des fciences qu'il a
» infpiré aux anciens Gaulois , fe perpétue ,
» & nous cultivons avec fruit tous les Arts
» dont il a donné du moins les premie-
» res ébauches .
M. l'Abbé Trouillet explique dans la feconde
partie l'analogie des attributs d'Ogmius
avec le fyftême qu'il s'en eft formé.
Sa vieilleffe , qui pouvoit être un
fymbole de l'antiquité des Gaulois , défignoit
auffi probablement l'âge convenable
à un Chef de Nation . Son vêtement
de la peau d'un animal étoit tel que les
Gaulois avoient coutume de le porter dans
les premiers tems. Son arc & fa maffue
font les plus anciennes armes ; mais la circonftance
de fon arc toujours bandé annonçoit
que les Gaulois avoient appris à
méprifer les rufes de la guerre , & à fe
montrer à découvert dans les combats . Ses
chaînes merveilleufes , tenant d'un bout
à fa langue & de l'autre aux oreilles de
fes caprifs , exprimoient avec art l'empire
de l'éloquence qui réfide dans l'organe
AVRIL. 1756. 117
de la parole , & qui s'exerce fur celui
de l'ouie. Ces chaînes étoient les Loix
d'Ogmius , par lefquelles il avoit fixé le
génie des Gaulois : ( 1 ) Apud vos ( Gallos )
verba plurimum valent . La gaieté qui éclatoit
fur le vifage de cette foule de captifs ,
témoignoit la douceur du joug qu'il avoit
impofé ; & l'oeil gracieux dont il les confidéroit
à fon tour , peignoit un fage Politique
qui s'applaudit du bonheur de ceux
qu'il gouverne.
Après avoir éclairci par occafion quelques
morceaux de Mythologie & quelques
points de l'Hiftoire des Peuples qui ont
eu des relations avec les Gaulois , M. l'Abbé
Trouiller termine ainfi fon ouvrage :
و د
99
Tant que cette Nation conferva fon an-
» cienne Religion & la premiere forme
» de fon gouvernement , elle fut heureu-
»fe & floriffante . Etablie par fon Her-
» cule dans un Pays riche & agréable , elle
» avoit au dedans l'abondance ; au dehors
elle étoit redoutée : ( 2 ) Tantus terror
»gallici nominis , ut Reges Orientis , neque
majeftatem fuam tutam , neque amiſſam
» recuperare fe poffe fine gallica virtute, ar-
» bitrarentur .... Les Romains , ( 3 ) qui fai-
»foient la guerre pour la gloire de vain-
(1) Tac. hift. lib . 4.
"
(2) Juftin. lib. 24 & 25. (3 ) Salluft . bell. jug.
18 MERCURE DE FRANCE.
les » cre , furent fi fouvent vaincus par
» Gaulois, qu'ils ne combattoient plus contre
eux que pour fe défendre ; mais ils
» trouverent enfin le fecret de les rédui-
» re. L'ouvrage d'Ogmius fut détruit par
>> les conquêtes de Céfar ; le changement
» de la Religion , l'abrogation des Loix
»fondamentales de l'Etat , l'introduction
» du Droit Romain , un efprit de terreur
répandu dans les Gaules par les Lé-
"gions , l'épuifement des finances , l'exac-
>> tion des tributs & des impôts , tous les
D
33 vices des Préfidens & des Préfets ac-
» cablerent la Nation Gauloiſe ... Le joug
» de la domination Romaine , heureuſement
effacé par la domination Françoiſe ,
» pefoit d'autant plus aux Gaulois , qu'Og-
» mius avoit formé ces Peuples à refpecter
»les Magiftrats plutôt qu'à les craindre ,
» & les Magiftrats à conduire les Peuples
» par cette autorité que donne le vrai
» mérite , plutôt que par le pouvoir até
taché à leurs places.
وو
و د
Auctoritate magis quàm imperio.
Tit. Liv. decad. 1 , lib. 1 .
Trois autres Differtations fur l'Hercule
Ogmius ont paru dignes d'un acceffit dans
l'ordre fuivant. L'Auteur de la premiere
cft M. Borgier , Curé de Flangebouche ; la
AVRIL. 1756 . 119..
feconde eft l'ouvrage de M. Schmidt fils de.
M. le Principal Schmidt de Berne. L'Auteur
de la troifieme ne s'eſt pas fait connoître ;
elle porte pour fentence : Quidquid pracipies,
efto brevis . Horat. Art poët.
. LE Prix des Arts fut donné à M. Puricelli
Négociant de Befançon .
Le fujer propofé concernoit la perfection
du commerce de Franche-Comté. M.
Puricelli commence fon mémoire l'epar
xamen de fon état actuel , & il remarque
avec regret que nous achetons trop & que
nous ne vendons pas affez; que la fomme de
nos importations excéde confidérablement
la fomme de nos exportations; que l'argent
fort de la province ; que la plupart de
nos productions y reftent , ou qu'elles
en fortent pour y rentrer à notre perte.
« Notre commerce , ( ajoute M. Pu-
» ricelli ) fera toujours dans un état de
fouffrance , tandis qu'on laiffera ſubfifter
cette diftinction imaginaire & oné-
» reuſe qui nous fait confidérer tantôt
» comme étrangers , tantôt comme reg-
» nicoles : étrangers , pour être affujet-
» tis aux droits de fortie , lorfque nous
» achetons des Provinces de l'intérieur du
» Royaume ; regnicoles , pour payer les
» droits d'entrée lorsque nous achetons de
» l'Alface : nous ne ceffons cependant ja-
"3
"
120 MERCURE DE FRANCE
mais d'être Sujets du Roi .
"3
Il ne dépend pas de nous d'être remis
au niveau des autres Provinces : profitons
du moins des moyens qui font en notre
pouvoir de rendre notre condition
meilleure. C'est pour y parvenir que M.
Puricelli propofe l'établiffement de diffé-
Lentes Manufactures qui feront circuler
l'argent dans la Province , augmenteronr
la confommation des denrées, procureront
l'aifance aux Laboureurs , & encourageront
la culture des terres. Les nouveaux
projets ont ordinairement le malheur d'effrayer.
On confond le difficile avec l'im
poffible , ce qui ne s'eft pas fait avec ce
qui ne doit pas le faire . Que nous faut-
» il cependant pour établir des Manufactu-
» res ? Des matieres propres à être mifes
en oeuvre , des ouvriers en état de
» les travailler , & des maifons capables
» d'entretenir ces ouvriers. Or les matieres
» font abondantes ( on l'a démontré dans
» un autre endroit de ce Mémoire ) . Les
» bras nous manquent- ils ? Commençons
*
N
cc
par occuper dans la Capitale les orphe-
» lins , les enfans trouvés , les mendians.,
» les vagabons , les filles débauchées : les
» autres Villes de la Province fuivront
bientôt cet exemple , & les Hôpitaux ,
chargés de ces différentes efpeces de pérfonnes
,
AVRIL. 1756. 121
"
» fonnes , trouveront dans leurs occupations
un foulagement , un bénéfice qui
les aidera à remplir plus aifément les
» vues de la fociété Lyon nourrit plus de
" 3000 pauvres de leur propre travail ,
» Genes fçait tirer parti des aveugles mê-
»me & des eftropiés. Un homme intelligent
» peut fuffire pour diriger les travaux de
» chacune de ces maifons , qui devien-
» dront des pépinieres de bons ouvriers.
"
ور
ود
ور
10
» Si l'on veut voir d'un coup d'oeil le
» bénéfice qui réfultera de ces Manufac
"tures , ( continue M. Puricelli ) il ne
»faut que prouver deux chofes ; l'une ,
» que plus des trois quarts de la valeur
» d'une marchandiſe reftent entre les
mains des ouvriers pour les frais de
fabrication ; or il eft vérifié par l'état
joint au Mémoire , que des matieres
brutes en valeur de 6 livres 3 fols
deniers , rendront étant fabriquées 29-
» livres 5 fols. L'autre point à démon-
» trer eft , que la Province confomme an-
» nuellement pour Soooooo de marchandifes
fabriquées hors de la province :
Suppofons avec M. de Fer que la Fran-
» che- Comté contienne 1081 lieues quar-
» rées ; fuppofons encore avec M. de
» Vauban que chaque lieue quarrée ren-
» ferme l'une dans l'autre 850 perfon-
II.Vol.
و ر
و د
"
ور
F
122 MERCURE DE FRANCE.
» nes ; fuppofons enfin que dès- lors ce
» nombre n'ait augmenté que d'un hui-
»tieme , fur ce pied la Province doit
» contenir en total 103.3436 perfonnes.
» On peut estimer leur dépenfe, l'une por-
» tant l'autre , année commune , en cha-
» peaux , bas ,, peaux , étoffes , toiles ,
» & c. à 7 livres 15 fols ; cette fomme
» eft bien modique , puifqu'elle réduit
» l'entretien journalier de chacun às de-
» niers, & un dixieme : cependant le to-
ود
ود
"9
tal de cette confommation eſt un ob
» jet de 8009129 livres , dont la Province
fait annuellement dépenfe pour
» fe procurer les marchandifes qui ne fe
fabriquent pas chez elle. En diminuant
» de cette fomme 2000000 pour l'achat
" des galons d'or & d'argent , des étof
>> fes de foie & de draps fins , il refteroit
toujours une fomme de 6000000 pour
l'achat des marchandifes ordinaires ,
qui circuleroit dans la Province fans
» en fortir , fi nous faifions valoir par
> nous-mêmes nos productions.
و د
و و
و د
M. Puricelli entre delà dans des dé
tails , qu'on ne peut rendre qu'imparfai
tement dans un extrait ; il indique les
différentes Manufactures qu'il conviendroit
d'établir pour mettre à profit nos chanvres
, nos laines , nos fers , & c. ChaAVRIL.
1796. 123
"
que vue qu'il propofe eft appuyée d'un
exemple bien choifi ; il termine fon. Mémoire
par celui de la Reine Elizabeth :
« Avant fon regne , les Anglois vendoient
leurs laines brutes aux étrangers ,
» comme nous vendons à préfent nos matieres
à nos voisins , & ils prenoient des
draps en paiement. On fçait que cette
Reine n'a corrigé cet abus qu'en fui-
» vant les avis d'un habile Négociant , qui
» lui fit trouver dans la valeur d'un mil-
» lion de laines qu'elle vendoit brutes juf
ود
"3

33
ور
qu'à 6oooooo en efpeces , en les faifant
fabriquer.
La Séance fut enfin terminée par l'annonce
des fujets propofés pour les prix
de 1756 , les deux premiers fondés par
feu M. le Duc de Tallard , & le troiſieme
par la Ville de Befançon .
Le prix de l'Eloquence eft une médaille
d'or de la valeur de 3 so livres. Le fujet du
difcours , qui doit être d'environ une demi
heure de lecture , fera : Pourquoi lejugement
du Public eft - il ordinairement exempt
d'erreur & d'injustice ?
Le prix de la Differtation Littéraire eſt
une médaille d'or de la valeur de 250
livres , dont le fujet fera : Quelles étoient
les voies Romaines dans le Pays des Séquanois
? Cette Differtation doit être d'envi-
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.

ron trois quarts d'heure de lecture , non
compris le chapitre des preuves , qui devra
être placé à la fin de la Differtation.
Le prix pour les Arts eft une médaille
d'or de la valeur de 200 livres , deftinée
à celui qui indiquera la meilleure maniere
de conftruire & de gouverner un fourneau
à fondre des mines de fer , relativement
à leurs différentes efpeces ; de diminuer
la confommation de charbon ; d'accélérer
le tems de chaque coulée , & de donner
une meilleure qualité au fer & à lafonte.
T
Les Auteurs font avertis de ne pas mettre
leurs noms à leurs ouvrages , mais une
marque ou paraphe , avec telle devife ou
fentence qu'il leur plaira . Ils la répéteront
dans un billet cacheté , dans lequel
ils écriront leurs noms & leurs adreffes.
Les pieces de ceux qui fe feront connoître
par eux-mêmes ou par leurs amis , ne ſẹ-
Font pas admifes au concours.
Ceux qui prétendront aux prix , font
avertis de faire remettre leurs ouvrages
avant le premier du mois de Mai prochain
au Sieur Daclin , Imprimeur de l'Académie
, & d'en affranchir le port ; précaution
fans laquelle ils ne feroient pas reti-
εές .
AVRIL. 1756. 1.25
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES
LETTRE
De M. V...à M... de l'Académie Royale
des Sciences.
J'ai lu , Monfieur , le Mémoire qui a
remporté le prix de l'Académie , fur les
moyens de remédier au tangage & au roulis
des vaiffeaux . Je vous le renvoie , &
-vous en fais mes trés - humbles remerciemens.
Bien éloigné de combattre la bonté des
raifons du Mémoire couronné , je crois au
contraire qu'on n'a pu rien dire de meilleur
dans l'état des connoiffances préfentes
, puifque l'Académie en a ainfi jugé :
mais vous me permettrez , Monfieur , de
vous repréfenter que cette queftion n'a
pu même en être une. Je m'explique , &
vais tâcher de le démontrer.
Le tangage & le roulis des vaiffeaux fe
réduifent à deux chefs. 1º. Au Phyfique ,
qui eft irrémédiable ; c'eft l'effet de la
mer , plus ou moins agitée , fur le devant
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
& les deux côtés du vaiffeau. 2 ° . Au vice
plus ou moins grand , dans la conftruction
du vaiſſeau , & ce vice fera perpétuel ,
tant que l'Architecture navale ne fera
qu'un tâtonnage arbitraire à la volonté
des conftructeurs , & qu'elle ne fera point
affujettie à une méthode fixe que le tems
perfectionnera néceffairement. Mettre
donc en queftion de remédier le plus qu'il ·
fera poffible , au tangage & au roulis des
vaiffeaux à la mer , c'eft dire : trouver la
meilleure forme poffible pour la conftruction
des vaiffeaux.
Le tangage & le roulis feraient de pen
de confidération , s'ils n'étoient qu'incommodes
; mais ils font dangereux , & le premier
plus que le fecond . C'eft par eux
que les cordages caffent , qu'on démâte
que le navire fe délie , qu'on fait des voies
d'eau , & qu'on peut périr. Je foutiens
hardiment que tous ces accidens effrayans
ne viennent que d'un défaut de balance-.
ment entre l'avant & l'arriere du navire ,
& qu'on ne parviendra jamais à bien faire.
balancer fans des regles fûres pour trouver
ce balancement. Mieux balancer eft mieux
conftruire , & mieux conftruire eft , fans
contredit , remédier le plus efficacement
aux tangages & aux roulis des vaiffeaux.
Si au lien de l'effet , l'Académie eût
AVRIL. 1756. 127
mis en queftion la caufe , & qu'elle eût
propofé de trouver une méthode pour la
conftruction des vaiffeaux , je me ferois mis
fur les rangs , & j'aurois concouru à la
gloire de propofer la meilleure. Mais je
fuis encore convaincu que ce n'eft point
une queftion indifférente , & qu'une méthode
ne peut être publiée fans la permiffion
du Miniftere , à qui nous devons nos
découvertes & nos travaux en matiere
d'Etat.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Ce 14 Mars 1756.
PHARMACIE.
LE 4 du mois de Février dernier , des
Payfans qui bêchoient dans un champ , près
du lieu des Martres d'Artieres , à deux
lieues & demi de la Ville de Riom en Auvergne
, y ont découvert à un demi-pied
de profondeur , un tombeau ancien qui
contenoit un cercueil de plomb où étoit
enfermé un cadavre précieufement embaumé
& très -bien confervé.
Ce tombeau tourné d'orient en occident
, long de 7 pieds , large de 2 pieds S
pouces , & haut de 5 pieds 3 pouces , étoit
fait de deux pierres du corps du fépulcre
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE .
creufé en forme d'auge , & de la couverture
auffi creufée en dedans , taillée en
pente un peu concave fur les côtés , &
terminée au fommet par une bande platte
de largeur de 8 pouces . Ces deux pieces
font d'une pierre de couleur cendrée friable
& affez légere. On ne connoît point
encore la carriere dont on les avoit tirées.
L'auge eft taillée d'une maniere fort brute ;
la couverture a été beaucoup plus polie ;
on n'y voit aucun ornement , infcription
ni figure.
Le cercueil long de 4 pieds & demi , &
large d'un pied & demi , n'eft point fait en
forme de biere. Il eft auffi compofé de
deux pieces , d'un coffre d'égale largeur
dans toute fon étendue , & d'un couvercle
qui s'emboîtent comme une tabatiere fans
charniere l'emboîture au coffre eft terminée
par une bordure relevée en rond : le
couvercle eft percé de deux fentes de la
longueur chacune d'environ deux pouces ,
qui répondent l'une à la bouche du cadavre,
& l'autre, à peu près à fon eftomac ; on
ignore leur deſtination ; elles étoient bouchées
par une espece de bourre ou de feutre.
Il n'y a fur le cercueil , non plus qu'au
tombeau , aucune infcription ni figne.caractéristique,
que quelques traits irréguliers
qui repréfentent à- peu près à une des exAVRIL.
1756. 129
trémités, une étoile , & à l'autre , un triangle .
L'intérieur du cercueil étoit enduit de la
matiere de l'embaumement mêlé d'argille .
Le Cadavre eft d'un jeune garçon de dix
à douze ans ; la maniere dont il a été embaumé
répond affez à celle des Egyptiens la plus
recherchée . Tout le corps étoit oint d'une
couche épaitfe de baume , & recouvert
d'abord d'étoupes imbues de la même matiere
: une toile très- fine l'enveloppoit enfuite,
& il étoit enfin lié de bandes comme
un enfant emmaillotté. Le tronc & chacune
des extrêmités étoient bandés féparément:
les mains & les pieds étoient renfer
més à nud dans des fachets remplis de baume
, & la tête dans une coëffè ou calotte
que l'on a dit être d'une peau préparée.
Če Cadavre étoit couché la tête à l'orient,
les bras étendus aux côtés du corps ; il étoit
plié dans deux fuaires ; le premier d'une
toile de la plus grande fineffe , & le ſecond
d'une groffe toile tiffue en forme de natte.
Tous ces linges & la coëffe étoient auffi
chargés & pénétrés de baume .
再Ce corps n'a fouffert d'autre altération
que dans la couleur de la peau , qui paroît
tannée par le baume dont elle eft enduite
& pénetrée. La tête eft groſſe ; ' la peau du
fommer avoit été féparée du crâne par une
incifion pour y introduire du baume qu'on
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
y trouve mêlé d'argille. On ignore fi on en
avoit injecté dans fa cavité , & quel eft
l'état du cerveau ; on n'a pu y découvrir
aucune ouverture : ce Cadavre n'a de cheveux
que fur le derriere de la tête ; ils font
d'un châtain brun , & longs feulement
d'environ 2 pouces. Toutes les parties du
vifage , les oreilles , la langue fe font foutenues
en bon état ; les yeux font encore
dans leur orbite. Le nez , quoiqu'un peu
écrafé a confervé fa forme , & il ne lui
manquoit aucune dentlorfqu'on l'a trouvé.
La peau forme au col un repli qui fait
croire que cet enfant étoit gras. La poitrine
ne paroît point avoir été ouverte ,
non plus que le crâne , & comme on n'a
pas voulu mutiler ce corps , il n'a pas été
poffible de s'affurer de l'état des vifceres
qu'elle contient. Toutes les côtes ont cependant
confervé la liberté de leurs mouvemens
: en introduifant le doigt dans une
ouverture pratiquée depuis à la région de
l'eftomac par un Chirurgien trop curieux ;
on fait jouer toute la poitrine comme un
foufflet on fent le diaphragme fouple ,
tendu , & tous les vifceres du bas- ventre
entiers , comme dans un cadavre frais ; en
foufflant dans les boyaux , ils fe gonfient
& font tranfparens ; ils paroiffent enduits
d'un baume moins folide que celui qui eft
AVRIL. 1756. 131
à l'extérieur du corps . On n'a apperçu au
ventre d'autre ouverture que celle qui a
été faite après coup , ce qui fait douter s'il
a été vuidé , fi les boyaux ont été nettoyés
& aromatifés féparément , ou fi on s'eft
contenté de faire cette opération en injectant
des liqueurs par le fondement ; le
défaut d'ouverture au ventre peut le faire
penfer : la grande tranfparence des boyaux ,
plufieurs ruptures qu'on y trouve , & le
baume dont ils font enduits extérieurement
favorifent la premiere opinion . Le
fexe eft très - bien marqué , & on voit trèsdiftinctement
que cet enfant n'avoit pas été
circoncis. Les bras & les jambes font , s'il
eft poffible , encore mieux confervés que
le tronc. Les mains furtout & les pieds
font dignes d'admiration ; les ongles y paroiffent
adhérens , & l'on y remarque au
mjeux fur les jointures des doigts & dans
la paulme des mains toutes les lignes qui
font tracées dans celles d'une perfonne
vivante. Toutes les jointures du tronc &
des extrêmités , fi on en excepte celles des
jambes avec les pieds, font flexibles ; toutes
les parties fe prêtent aux mouvemens qu'on
leur imprime ; les doigts ont même affez
de reffort pour fe reftituer lorfqu'on les
plie. Mais ce qui paroît furprenant , c'eft
que les os des bras & des jambes font mols
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
& pliants ; ceux de l'avant -bras font trèsfaciles
à courber ; ceux du crâne au contraire
ont confervé leur folidité . Seroit- ce
l'effet du baume ? Ses parties fpiritueufes
& actives ne s'oppofoient- elles pas au ramolliffement
des os ? Comment fes parties
huileufes ou onctueufes auroient - elles
pu s'infinuer à travers les tégumens & les
mufcles , pour pénétrer dans le tiffu de
ceux- ci , pendant qu'appliquées immédiatement
fur le crâne , elles n'ont produit aucun
effet ? Pourquoi les jointures des pieds
fe font elles roidies ? Cette roideur & le
ramolliffement des os ne pouvoient- ils pas
être auffi des accidens de la maladie dont
cet enfant eft mort ? Cette découverte
fournit un vafte champ à réflexions. Ce
qu'il y a de conſtant , conftant c'eft que ce baume
eft très bien fait & des plus odorans. Le
corps du fépulcre de pierre exhale encore
beaucoup de cette odeur , quoique expofé
au grand air depuis plus d'un mois , & les
mains de ceux qui ont touché le cadavre
l'ont confervée plufieurs heures , après les
avoir lavées avec de l'eau chaude , de l'eaude-
vie , ou du vinaigre. Il paroît difficile
de connoître la véritable nature de ce baume
; on le croit un compofé d'huiles , de
gommes ou de réfines odorantes , & de
poudres aromatiques qui donnent un mêAVRIL.
1756. 133
lange d'odeurs , qui n'en laiffe diftinguer
aucune particuliere ; un Apothicaire qui
en a goûté, affure n'y avoir trouvé aucune
amertume ni âcreté.
Ce corps expofé pendant quelques jours
à la curiofité du peuple , en a été un peu
défiguré ; on lui a coupé une partie de
la peau du front ; on lui a arraché toutes
les dents incifives & canines ; on a
même fait effort pour lui arracher la langue
on a emporté une grande partie
des linges dont il étoit enveloppé , & la
coëffe dont fa tête étoit couverte , parce
qu'on le prenoit pour un Saint. Dès que
Meffieurs les Officiers de la Sénéchauffée
d'Auvergne , dans le reffort de laquelle il
a été trouvé , en ont eu avis , ils ont ordonné
de le tranſporter dans la ville de
Riom , qui en eft le Siege , & il a été mis
en dépôt dans la Pharmacie de l'Hôpital
général de cette Ville : on croit bien qu'il
ne fe corrompra pas , mais on craint qu'il
ne fe defféche , & ne perde fa fraicheur &
fa flexibilité. Des curieux qui l'ont mefuré
peu de tems après qu'on l'eut tiré du
tombeau , prétendent que depuis il s'eſt
raccourci de près de trois pouces. Pour
prévenir ce defféchement , & le garantir
de la trop grande action de l'air , fans priver
le Public de la curiofité de le voir ,
134 MERCURE DE FRANCE.
Meffieurs les Intendans de cet Hôpital ont
fait enchaffer à l'ouverture du coffre de
plomb où il a été trouvé , & où on le
conferve , un quadre vîtré & maſtiqué .
La maniere fomptueufe dont cet enfant
a été embaumé & inhumé , annonce affez
qu'il étoit fils d'un Grand Seigneur , peutêtre
même d'un Prince. On ne peut douter
que l'Antiquité n'en foit très - reculée .
L'ufage de pareils embaumemens n'a pas
été familier parmi nous. On connoît d'ail
leurs les fépulcres des grandes Maifons de
cette Province , & il ne reste aucune tradition
, qu'il y ait jamais eu dans le champ
où celui-ci étoit fitué , aucune Chapelle
ni Cimetiere. On a même obfervé dans
le grand creu qu'on a fait pour en retirer
les pierres du tombeau , que les différens
bancs de terre & d'argille étoient continus ,
& n'avoient été coupés qu'à l'endroit où
ce tombeau étoit enterré ; ce qui pourroir
faire préfumer que la terre n'avoit point
été fouillée , & conféquemment qu'il n'y
avoit eu ni édifice ni cimetiere.
Ce creu plus bas que le ruiffeau voisin
s'eft rempli d'eau , & un des Payfans qui
a découvert le tombeau , a affuré en avoir
trouvé dans le cercueil , fans pouvoir foupçonner
qu'elle y fût entrée par l'ouverture
qu'il avoit fait aux pierres du fépulchre.
AVRIL 1756. 139
Croiroit- on qu'elle y fût depuis long- tems ?
il ne lui étoit pas difficile , il eft vrai , de
s'infinuer dans le cercueil rongé en plufieurs
endroits par la rouille ; mais comment
auroit- elle pu pénétrer une pierre
épaiffe d'un demi- pied : Le cadavre d'ailleurs
s'y feroit- il confervé fans fe corrompre
& le baume fans perdre fon odeur ?Il
faudroit fuppofer les poudres aromatiques
bien embarraffées dans les huiles, & les pores
du cadavre bien imprégnés de cette
matiere, pour avoir réfifté à l'action de ce
fluide diffolvant .
Le tombean avoit au midi le ruiffeau
d'Artier à la diſtance de 26 pas , & au nord
un grand chemin à la diſtance de 24.
Čette découverte n'auroit pu être qu'intereffante
pour l'Hiftoire de la Province
d'Auvergne , peut-être même de la Nation
en général , fi on avoit trouvé quelque infcription
, ou autre monument qui l'eût
éclaircie. On ne fçauroit fe perfuader qu'on
ait cherché par de grands frais & beaucoup
de foins à conferver ce corps à la postérité,
fans y avoir joint quelque marque propre
à l'en faire reconnoître. On penfe qu'il
pouvoit y avoir dans l'intérieur du cercueil
quelque médaille d'or ou d'argent ,
que les Payfans qui l'ont trouvé , tiennent
fans doute cachée , de crainte qu'on ne
136 MERCURE DE FRANCE.
s'en empare. On a fait cependant toutes
fortes de tentatives pour leur arracher cet
aveu . On leur a promis de leur en payer
le quadruple ; mais toujours méfians ils
' ont perfifté dans leur filence. On prie ceux
entre les mains de qui il pourroit en tomber
quelqu'une , ou qui pourroient avoir
quelque connoiffance relative à cette découverte
d'en donner avis par la voie des
ouvrages périodiques , fi mieux ils n'aiment
s'adreffer directement à Meffieurs les
Intendans de l'Hôpital Général , à Riom
en Auvergne.
+
MÉCHANIQUE.
Lettre du fieur Thillaye , privilégié pour les
Pompes, à Rouen, à l'Auteur du Mercure.
Monfieur , vous avez eu la bonté d'annoncer
dans votre Mercure du mois de Février
1755 , l'accueil favorable que l'on
faifoit à mes Pompes à caufe de leur bonne
conftruction & de l'utilité dont elles font
tous les jours .
Vous voulûtes bien rendre ma Lettre
publique. Je m'y bornois à un féul exemple
que j'apportois pour preuve de mon
Iccès que je dois divulguer , puifque c'eſt
AVRIL. 1756.
137
le moyen de me rendre utile. Je crois devoir
ici rappeller d'abord ce même fait.
M. de Beaumont , dans le temps qu'il étoit
Intendant de Franche-Comté , fentit la
néceffité qu'il y avoit de ne pas manquer
de pompes à caufe des accidens du feu , qui
font fi fréquens , & qui font tant de ravage
en fi peu de temps. Voulant déterminer
les Villes de fon Département à en
faire emplette , après avoir examiné celles
qui fe font à Paris & à Rouen , il m'a fait
l'honneur de donner la préférence aux
miennes , je lui en ai livré un grand nombre
qui font bien conftruites & bien conditionnées
, & qui feront d'un grand fecours
& d'un ufage durable , fi on les conferve
avec autant de foin que j'en ai mis à
leur conftruction.
,
M. le Duc d'Orléans m'a fait le même
honneur , en faisant acquifition au mois de
Juillet dernier de fept de mes Pompes
dont quatre font dépofées au Palais Royal
de Paris , & trois au Château de Villers-
Coterêts.
Je viens d'en fournir fix au mois de Février
à Meffieurs de la Compagnie des
Indes : j'en ai vendu auffi à plufieurs Corps
de Ville qui en font fatisfaits. Pour ne pas
me rendre ennuyeux par trop de fairs &
de détails , je me borne à citer le témoi
138 MERCURE DE FRANCE.
gnage
favorable de Meffieurs les Maire &
Echevins de Chartres , dont je vous prie ,
Monfieur , de vouloir bien inférer dans
votre Mercure ( en entier ou par fragment)
la lettre qu'ils m'ont écrite depuis peu, afin
que le Public ne puiffe
puiffe pas douter de l'avantage
que l'on tite de mes Pompes & de
la préférence que j'ofe dire , d'après l'expérience,
qu'elles méritent fur toutes les autres
.
J'efpere , Monfieur , me rendre à Paris
pour faire comme les années précédentes ,
les démonftrations de mes Pompes , pendant
le courant du mois de Mai , depuis
trois heures après - midi jufqu'à fept ,
chez les RR. PP. Feuillans , rue Saint Ho
noré , vis - à - vis de la Place de Louis le
Grand , où ils me permettent de tenir mon
magafin ; & pour la fatisfaction des Curieux
, je donnerai à mes frais l'expérience
de mes Pompes tous les Samedis dudit
mois , fur les cinq à fix heures du foir . Je
n'en donnerai les autres jours l'expérience
qu'à ceux qui en feront acquifition , ou
qui payeront la peine des perfonnes qui
les feront agir. Après le mois de Mai , ceux
qui auront envie d'acheter de mes Pompes
, pourront s'adreffer à Paris au fieur-
Barbié , mon Commiffionnaire , & Porteur
de ma Procuration , chez les RR . Peres
AVRIL 1756. 139
Feuillans , ou à moi directement, à Rouen .
Je prie les perfonnes qui m'écriront d'affranchir
leurs lettres ,
Copie de Lettre de Meffieurs les Maire &
Echevins de la Ville de Chartres , à M.
Thillaye , privilegié pour les Pompes ,
Rouen , en date du 11 Février 1756.
و د
· à
« Nous avons reçu , Monfieur , la Pom-
" pe que vous nous avez envoyée en der-
" nier lieu , pour fervir ,
fervir , ainfi que la pre-
» miere , aux Incendies, Les proportions
-> que vous leur avez données , font fi juftes,
» que tout répond à la bonté & à l'utilité
qu'on peut en attendre. Nous affurons
" que cet ouvrage qui eft au degré de fa
perfection , coté fur votre plan , Nº. 6.
» devroit être connu de tout le Public.
و د
"
"
و د
» Nous n'avons déja que trop éprouvé les
fecours qu'elles nous ont donné , & fans
» leur manoeuvre nous n'aurions pu étein-
» dre le feu confidérable qui a été depuis
" un mois au Couvent des Capucins de
cette Ville; elles contiennent un puiffant
» volume d'eau qu'elles portent à plus de
quatre- vingts pieds de hauteur , ainfi
» que vous nous l'aviez marqué & annon-
» cé. Nous ne pouvons que vous remer-
» cier de cet envoi . Nous fommes trèsparfaitement
, &c.
ور
140 MERCURE DE FRANCE.
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie Royale des Sciences , des
Belles- Lettres , & des Arts de Rouen.
LE Jeudi 7 Août 1755 , l'Académie tint
fa féance publique dans la grande falle de
l'Hôtel de Ville .
Les Prix fondés pour les éleves de l'école
de Deffein , par Mefdames de Marle ,
& le Cat , ont été remportés.
Le premier d'après nature , par M. Pierre-
Nicolas Burel.
Le fecond , par M. Jean-Jacques - François
le Barbier.
Le Prix d'après la Boffe , par M. Pierre
Gonord.
Le Prix d'après le Deffein
moifelle Defcamps
.
› par Made-
Les Prix d'Anatomie fondés par M. le
Cat , Profeffeur , ont été remportés.
Le premier , par M. Pierre François
Langlet , d'Anify en Picardie.
Le fecond , par M. Pierre l'Echevin ,
de la ville d'Eu.
Le troifieme , par M. François Rabineau ,
de Sennerpont en Picardie.
M. Pi- Les Prix de Botanique fondés par
nard , Profeffeur , ont été remportés.
Le premier , par M. Dufay de Rouen ,
éleve en Chirurgie.
AVRIL 1756. 141
Le fecond , par M. Ligot , de Caën ,
Mathématicien.
Le troifieme , par M. Maintrud de Bolbec
, éleve en Pharmacie.
Le Prix de Poéfie , qui avoit été propofé
pour 1754 , & remis à cette année
1755. avoit pour fujet , En quel genre de
poefie les François font fupérieurs aux Anciens.
Il a été adjugé à la differtation
qui a pour devife : Aufi veftigia graca deferere....
Son Auteur eft M. Teuliers de
Montauban .
Celle qui a pour devife... Modeftè &
circumfpecto judicio de tantis viris
tiandum , en a le plus approché.
pronun-
L'Académie avoit annoncé l'année précédente
pour le fujet du Prix d'Hiftoire de
1755... L'origine de la ville de Rouen , juſqu'au
tems de Théodofe. Ce fujet n'ayant
rien produit qui répondît aux voeux de
l'Académie , elle propofe pour le fujet du
même Prix d'Histoire qui eft remis & fera
diſtribué en 1756 , L'origine , la forme , &
le changement de l'Echiquier , ou Parlement
ambulatoire de Normandie.
Les Mémoires feront remis francs de
port à M. Maillet du Boulay , Secretaire
de l'Académie pour les Belles- Lettres , rue
de l'Ecureuil , à Rouen. Les autres conditions
de ce Prix lui font communes avec
#42 MERCURE DE FRANCE.
)
celles du Programme fuivant.
Cette même année 1756 étant celle
qui eft deſtinée au Prix de Phyfique , l'Académie
propoſe pour le fujet de ce dernier...
La caufe des tremblemens de terre...
Elle prie les Auteurs des Mémoires
d'embrailer dans ce fujet toutes les circonftances
qui en dépendent ; de faire attention
, par exemple , à ce qui fe paffe dans
l'Atmoſphere devant & pendant ces accidens
, foit comme caufe , foit comme effet
du phénomene propofé ; d'examiner fi fon
principe n'auroit point d'analogie avec
l'électricité , avec la foudre ; fi l'on ne
pourroit point caractériſer les fignes qui le
précedent de façon à prévoir fon arrivée ,
& enfin , fi les puits profonds & nombreux
, creusés par l'avis des Phyficiens , à
Tauris en Perfe , ont véritablement.contribués
à rendre les tremblemens de terre
moins fréquens & moins terribles en cetre
contrée , & s'il n'y auroit pas quelques
autres moyens plus efficaces.
Les Mémoires feront écrits ou en Latin
ou en François , & d'une façon très- liſible.
Ils auront une devife ou marque diftinctive
au commencement ; & s'il plaît à l'Auteur
, fon nom à la fin ; celui- ci fera cou-
-vert d'un papier collé ou cacheté , & ne
fera découvert qu'en cas que le Mémoire
foit couronné,
AVRIL 1756. 143
Ils feront adreffés francs de port à M. le
Cat , Secretaire perpétuel de l'Académie
pour
les Sciences & les Arts , à Rouen .
Les Phyficiens de tous Pays , peuvent
concourir : on n'en excepte que les Membres
de l'Académie , c'eft - à- dire , les Juges
du Prix ; par conféquent les Affociés, regnicoles
& étrangers non réfidens à Rouen ,
ont le droit d'y afpirer.
Le Prix eft de trois cens livres , qui feront
délivrées à l'Auteur du meilleur Mémoire
, ou à fon porteur de procuration.
Les ouvrages feront reçus jufqu'au dernier
de Juin 1756 , & le vainqueur fera
proclamé le Mercredi 4 Août fuivant ,
jour de la féance publique de l'Académie .
Après la diftribution des Prix , M. le
Cat , Secretaire pour les Sciences , lur le
réſultat fuivant de fes obfervations météorologiques
& nofologiques de l'année
1755 , avec quelques remarques qui y ont
rapport.
1º. Le jour de l'année académique où
le Barometre a été le plus haut , c'eft- adire
, où l'air a été le plus denfe , a été le
6 Janvier , le Mercure étant ce jour- là , à
9 heures du foir , à 12 lignes & demie audeffas
de zéro , c'eft-à-dire , à 28 pouces
6 lignes & demie , ce qui fait une
ligne de plus haut que l'an paffé : la Lune
144 MERCURE DE FRANCE.
étoit dans fon dernier quartier.
Le jour où le Mercure a été le plus bas ,
c'est -à-dire , où l'air a été le moins denſe ,
eft le 6 Mars , fa hauteur étant alors à 27
pouces juftes ; ce qui eft deux lignes &
demie plus bas que fan paffé. Ainfi les variations
du Barometre ont parcouru cette
année un pouce & demie & une demie
ligne.
Le jour le plus froid de l'année a été le
6 Janvier. Le Thermometre étant ce jourlà
à 8 heures du matin , à 7 degrés audeffous
du terme de la glace ; un degré
de moins que l'an paffé . Nous étions dans
le dernier quartier de la Lune , & le vent
fouffloit du Nord- Eft.
Le jour le plus chaud de l'année a été le
20 Juin . Le Thermometre étant ce jourlà
à une heure , à 28 degrés & demi , deux
degrés & demi de plus que l'an paffé .
Le jour le plus humide a été le 19 Janvier.
L'Hygrometre étant à une heure ce
jour- là , à 30 degrés au- deffus de zéro ,
comme l'an paffé.
Le jour le plus fec a été le 2 Avril
l'Hygrometre étant defcendu ce jour- là à
so degrés de féchereffe égale auffi à celle
de l'an paffé.
2º. Les pluies tombées dans cette an
née Académique , c'eft-à- dire , depuis le
premier
"
AVRIL. 1756. 145
premier Août 1754 , jufqu'au dernier Juil
let 1755 , ont été dans mon réſervoir qui
a 3 pieds quarrés de 730 livres , qui en
eftimant le pied cube d'eau à
-70 livres
font 14 pouces moins une ligne , compte
rond , de hauteur d'eau tombée fur la furface
de la terre en ce territoire ; ce qui fait
10 pouces une ligne moins d'eau que
da notre année commune , qui eft de 24
pouces ; & 5 pouces une ligne de moins que
l'année commune de Paris qui eft de 19
pouces. Cette année Académique eft la plus
féche que nous ayons encore obfervée ; car
l'année derniere avoit encore 24 pouces dix
lignes deux tiers d'eau ; & l'année 1752
que nous regardions comme la plus féche
de toutes , avoir 21 pouces d'eau .
De ces 730 livres d'eau de l'année académique
, il y en a 253 qui appartiennent
aux cinq derniers mois de l'année
1754 , aufquelles , fi nous joignons le
produit des fept premiers mois de cette
même année 1754 , qui eft 419 livres ,
nous aurons 682 livres d'eau pour toute
l'année 1754 , qui par- là a 1 lignes d'eau
de moins que l'année académique .
3°. Dans cet article , M. le Cat donne
trois obfervations d'un météore aqueux
affez fingulier , dont une faite par lui-
-même dans la prairie qui borde le canal
II. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
& le cours de Bruxelles , & deux faites
par un Phyficien de Rouen dans les prairies
qui bordent la Seine. C'est une vapeur
fubtile & tranſparente , inondant la
furface de ces prairies , & ayant de loin.
fi exactement les apparences d'une véritable
inondation aqueufe , que les Obfervateurs
& leurs compagnons de voyage y
furent' trompés.
Dans l'article fuivant , M. le Cat rend
compte à la Compagnie de quelques obfervations
nouvelles que lui fit faire fur
les polypes à bouquet M. Semnoy , Phyficien
& Mechanicien habile de Bruxelles , à
qui il laiffe le foin de les publier lui - même.
Dans le cinquieme article , M. le Cat
donne l'hiftoire des maladies internes qui
ont régné cette année à Rouen. On y a vu
peu de ces fievres malignes qui y ont fait
tant de ravage les années précédentes ; on
n'a eu à combattre que des fievres intermittentes
, quelques fievres continues
quelques petites véroles , des péripneumonies
, de celles qu'on appelle humorales
, & de celles qu'on nomme bilieuſes ;
mais en général , l'année a été une des plus
faines qu'on ait vues depuis longtemps.
>
L'Art VI est tout employé à rendre
compte des principales obfervations chirurgicales
de l'Auteur en quatre para¬
graphes.
AVRIL. 1756. 147
Le premier contient l'obfervation de
deux opérations de bubonoceles défefpérées
, c'eſt-à -dire , avec lividité des inteftins
, pourriture d'une portion de l'épiploon
, fauvées par les reffources de la nature
au moyen de l'expectoration critique
d'un fang noir & fanieux tout femblable
à celui qu'on avoit remarqué dans
le tiffu des parties altérées.
Le deuxieme paragraphe donne l'hiftoire
de neuf becs de lievre opérés cet été par
l'Auteur , trois defquels avoient des circonftances
difficultueufes qu'on ne trouve
dans aucunes des obfervations connues.
M. le Cat expofe les moyens avec lefquels
il furmonta ces obftacles , & guérit parfaitement
ces difformités . Son récit étoit
accompagné de la figure de ces trois fujets
devant & après l'opération. Un de fes
moyens bien fimples , que je ne puis omettre
ici , eft d'enfiler dans chaque extrêmité
de trois ou quatre aiguilles qui font
paffées dans les levres , une petite compreffe
longuette de taffetas ciré qui s'applique
tout le long des bords des levres ,
fupporte tout l'effort des aiguilles & du fil
entortillé contre ces levres , & les empêche
de couper celles- ci , comme cela arrive
fouvent dans les grands écartemens . Avec
ce moyen il a fait cette opération dans les
G ij
148 MERCURE DE FRANCE.
"
cas les plus difficiles , même à des enfans
de 15 mois , & a réuffi parfaitement malgré
les cris & les autres indocilités annexées
à cet âge.
Le troifieme paragraphe contient des
remarques fur la cataracte , auíquelles ont
donné occafion environ 54 opérations de
cette efpece faites par l'Auteur dans le
-printemps & l'été .
Les premieres de ces remarques regardent
les cataractes membraneufes , & ce
qu'on appelle les accompagnemens de la
cataracte . M. le Cat croit avoir obfervé
deux efpeces de cataractes membraneuſes ,
une formée par la membrane cryftalline ,
une autre par l'épaiffiffement de quelques
couches de l'humeur aqueufe dans la chambre
poftérieure. Les accompagnemens de
la cataracte naiffent , felon lui , de la propagation
de l'opacité dans l'humeur aqueufe
circonvoifine , mais principalement dans
les cellules de l'humeur vitrée . M. le Cat
fonde fes remarques fur des obfervations
qu'il expofe.
Ses dernieres remarqués ont pour objet
les inftrumens qu'il préfere dans cette opération
. Il obferve que les aiguilles de Chefelden
, ou à large tranchant , dont il s'eft
fervi plufieurs années , font fouvent fuivies
d'inflammations confidérables ; que
AVRIL 1756. 1.49
les aiguilles fines & rondes font beaucoup
moins fujettes à cet accident , principalement
fi on rend leur extrêmité tranchante .
Cette forme lui a fi bien réuffi , que de
dix perfonnes opérées , environ neuf ont
recouvré la lumiere. Ces fuccès l'ont empêché
de fe livrer jufqu'ici à la nouvelle
opération , par extraction de la cataracte
qu'il fçait être très- fujette à produire cette
inflammation reprochée aux aiguilles de
Chefelden , & à beaucoup plus jufte titre ,
puifque l'incifion pour l'extraction eft dix
fois plus grande. La méthode par fimple
abaillement de la cataracte eft fujette , à
fon tour , à laiffer fouvent remonter le
corps opaque. Mais il yy aa ,, dit-il , fi peu
d'inconvénient à la rabaiffer , & tant d'efpérance
de réaffir à cette feconde opération
, que cet inconvénient n'eft pas à
beaucoup près , fi confidérable qu'on le
veut faire croire. Cependant , ajoute M. le
Cat , je ne fçaurois refufer à la méthode
de l'extraction l'appui que lui prête l'ob
fervation fuivante... J'enlevai à un enfant
de trois ans & demi , une cornée tranfparente
devenue hideufe par fon prolon
gement & par fa couleur de corne blanche
; mon deffein étoit d'y fubftituer un
geil d'émail, Toutes les humeurs de l'oeil
fe vuiderent. On attendit l'affaifement &
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
la cicatrifation de cet organe. On fut fort
étonné au bout de 15 jours , de trouver
cette cornée régénérée , l'oeil recruté de
fes humeurs , & l'enfant diftinguant de
la monnoie , des cerifes , un couteau , & c .
Le quatrieme paragraphe des remarques
chirurgicales de M. le Cat , contient
les obfervations de la réduction de plufieurs
luxations du bras avec l'épaule
opérées fix femaines , trois mois même
après l'accident , par le moyen de fon
ambi , ou de l'ambi d'Hypocrate rectifié
par M. le Cat , inftrument décrit dans les
Tranfactions Philofophiques, année 1742 .
Comme la plupart de ces vieilles luxations
font regardées comme incurables par les
moyens ordinaires , M. le Cat termine ce
paragraphe par cette réflexion : J'efpere ;
dit- il , qu'après ces faits , on pardonnera
aux gens de notre art d'être Phyficiens &
Méchaniciens ( 1 ) .
M. de Prémagny lut enfuite un effai fur
la Mufique ancienne & moderne ," & par
ticuliérement fur le genre enharmonique .
Après ce difcours , M. Maillet du Boullay
lut l'hiftoire du regne de Richard
Coeur de Lyon , Duc de Normandie &
Roi d'Angleterre , afin de preffentit le goût
(1 ) On a fouvent fait un crime à l'Auteur de
ces deux titres.
AVRIL 1756. 151
du Public , & de le convaincre que l'Académie
ne perd point de vue fon projet
d'une nouvelle hiftoire de la Province .
Comme lorfqu'il s'agit de faits extrêmement
connus , un Hiftorien ne differe d'un
autre que par la maniere de les écrire , de
les rapprocher , & par les réflexions & les
jugemens qu'ils lui donnent occafion de
faire toutes chofes peu fufceptibles d'extrait
, on fe contentera de rapporter ici le
portrait de ce Prince par lequel M. du
Boullay termina fon regne.
Richard que fon courage & fes grandes
actions ont fait furnommer Coeur de
Lyon , poffeda toutes les qualités d'un
Héros & d'un Conquérant , & fort peu
celles d'un grand Roi . Ardent & impétueux
, il ne fçut réprimer aucune de fes
paffions. La prudence & la modération , fi
néceffaires à ceux qui gouvernent les hommes
, lui furent entiérement inconnues.
Jamais il n'y eut d'exemple fi frappant de
l'infuffifance de cette élévation de courage
, de cette fauffe grandeur d'ame à laquelle
le préjugé populaire femble avoir
attaché la gloire la plus brillante. Sa vie
illuftrée par tant de triomphes , fut empoifonnée
par les plus grands malheurs . Il vit
fes jours terminés & fes lauriers flétris par
une mort peu glorieufe. Tant il eft vrai
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
que les Princes ne doivent être que les
défenfeurs & les peres de leurs peuples. Il
n'eft pour eux de gloire folide qu'en les
gouvernant avec fageffe & avec douceur.
Toute gloire qui ne fe propofe point ce
but , eft en même temps fauffe & fragile ,
fondée fur l'inconftance de la fortune ,fouvént
elle en éprouve les plus terribles revers.
Un inftant voit écrouler tout cet
édifice faftueux élevé par l'orgueil , cimenté
par les larmes & parle fang des
peuples.
Enfuite Monfieur le Car lut un Mémoire
intitulé , Animaux vivans trouvés
dans le centre des pierres les plus dures
fans aucune iffue au dehors , & conjectures
fur ce phénomene. Ce Mémoire a , comme
on voit , deux parties ; les faits ou les obfervations
, & les conjectures fur la cauſe
de ces faits .
Le premier de ces faits eft fourni par M.
Ulloa , célebre Efpagnol , qui fut du
voyage que Meffieurs nos Académiciens firent
au Pérou pour déterminer la figure de
la terre. Cet Obfervateur éclairé vit à Madrid
deux vers trouvés par le Sculpteur du
Roi d'Efpagne , dans le centre d'un bloc de
marbre dont il conftruifoit un Lion.
Le fecond fait eft de M. le Prince , Sculp
teur & Académicien de Rouen , qui vit à
AVRIL. 1756. 153
Ecretteville , au Château de M. de la Riviere
- Lefdo , un petit crapaud logé au
centre d'une pierre dure de quatre pieds de
long fur deux pieds de large , que des Maçons
avoient coupée en deux .
Miffon , dans fon voyage d'Italie , fait
mention d'une écreviffe vivante , trouvée
au milieu d'un marbre aux environs du
Tivoli.
- M. Peyffonnel , Médecin Botaniste du
Roi à la Guadeloupe , faifant creufer un
puits dans fon habitation , les ouvriers
trouverent des grenouilles vivantes dans
des lits de pétrifications. M. Peyffonel
craignant quelque furprife , defcendit
dans le puits , fit creufer le lit de roche &
de pétrification , & en retira lui - même
des grenouilles vertes toutes femblables
aux nôtres.
Après quelques autres faits de cette
efpece , M. le Cat difcute la poffibilité &
le comment de ces Phénomenes.
S'il y avoit des conduits de l'air extérieur
aux cavités qui contiennent ces ani-
"maux , comme on en a découvert autour
des glands ou moules qu'on tire en Italie
de l'intérieur des rochers , felon le rapport
de Bonami , l'explication deviendroit
beaucoup plus facile ; mais on affure ici
ique les vers trouvés dans le marbre en ELGy
154 MERCURE DE FRANCE.
pagne , & le crapaud vu dans le centre de
la pierre dure en Normandie , n'avoient
aucune de ces communications. M. le Cat
n'a garde de garantir ces faits , jufqu'à ce
qu'un plus grand nombre d'obfervations
les ait mis hors de doute : il les regarde
comme des hypothefes fur la poffibilité
defquelles il hazarde , dit- il , des conjectures
.
ور
ور
It expofe & réfute l'opinion de quelques
Phyficiens , qui ont penfé que les
oeufs de ces animaux créés par l'Etre fuprême
, & répandus au commencement du
monde dans les fluides de l'Univers ,
avoient été renfermés dès- lors dans les
matériaux de ces rochers. Ce n'eft pas
affez , dit M. le Cat , qu'un oeuf foit formé
, il faut qu'il foit fécondé. « Gr , dans
l'opinion vulgaire , tous les oeufs fuppofés
répandus dans l'Univers par le Créateur
, n'ayant pas reçu cette fécondation
, fans quoi le concours du mâle ne
» feroit pas néceffaire , la premiere recti-
» fication à faire à cette opinion , eft que
» ces oeufs n'ont point du être pris dans
»ce premier & univerfel magafin , qui
n'eft peut- être pas fi néceffaire qu'on le
»penfe, au fyftême de la génération , mais
» que l'oeuf de notre crapaud , par exem-
» ple , a dû être pris parmi ceux qui
ود
ود
ر و ا
AVRIL. 1756. 155
» avoient été fécondés par un mâle de
» cette efpece , & que la premiere époque
de cet animal ne date que de la ré-
» volution quelconque qui a enveloppé
»ce frai dans les matériaux du rocher .
ور
ود
t
» Cette remarque , ajoute M. le Cat ,
» diminue peut-être l'âge de notre amphi-
»bie de quelques milliers d'années , cette
» révolution & la formation du rocher
" pouvant être de beaucoup poftérieures à
» la création du monde ; & l'on fent que
"nous ne fçaurions ici trop aller à l'épar
» gne : quelques ménagers que nous foyons
» du tems , nous ne faifons que diminuer
» un peu la difficulté : un rocher eft toujours
quelque chofe de fort vieux , &
» nous fommes peu accoutumés à regarder
» ces corps folides comme contemporains
» des créatures vivantes ; c'eft pourtant là
» le cas du crapaud d'Ecretteville . Quand
cette fameufe pierre dure n'auroit que
» trois mille ans , & ce feroit peut- être la
plus jeune de toutes les pierres dures ,
» comment concevoir qu'un crapaud , un
» ver , un miférable infecte dont la vie
» ordinaire eft bornée à quelques mois , ou
» tout au plus à quelques années , puiſſe
» être portée à cet excès prodigieux . On
» adoucit un peu le paradoxe , en obfer-
» vant que la fobriété de nos animaux en-
"
وو
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
» fermés fut extrême ; que leurs mouve-
» mens ont été ou nuls ou infiniment pe-
> tits ; que par- là leur nutrition , leur ac-
» croiffement & leurs différens âges qui
» en dépendent , doivent avoir eu des progreffions
infiniment lentes. On peut
ajouter à ces caufes d'une longue conleur
privation de l'air ,
"2
» fervation , ود
ور
םכ
30
» ou plutôt l'abri où ils étoient des impreffions
& des variations de cet élé-
» ment qui eft un des principaux agens de
» notre deftruction . Ces raifons me paroîtroient
victorieufes , dit M. le Cat ,
» s'il ne s'agiffoit s'agiffoit que de faire vivre un
» animal plufieurs fois le tems ordinaire de
fa vie : peut- être , par exemple , les ferois-
je valoir jufqu'à 50 ans pour un vér
» qui ne reçoit qu'une année de la nature ;
» mais deux ou trois mille ans me paroif
»fent paffer les bornes de la poffibilité , &
» me rendent tout mon paradoxe. Car fi
,, le de mouvement étoit une recette peu
de pour vivre longtems , que gens
" naires nous aurions dans un fiecle où il
»y a tant de gens oififs ! La fobriété eft le
plus für moyen de conferver fa fanté
» mais elle n'a jamais porté les jours de
»perfonne au - delà d'un certain terme pref-
"
"
»
وو
20 crit
par
la nature.
centé-
» Les hommes les plus vieux qui foient
AVRIL. 1756. 157
و ر
»venus à ma connoiffance , continue M. le
» Cat , font Henri Jankins , Anglois , mort
" en 1670 , âgé de 169 ans ; Jean Rovin
né à Szarlova- Caranfbetcher dans le Bannat
de Temefwar , lequel a vécu 172
ans , & fa femme 164 ans , ayant été
mariés enfemble 147 ans ; le cadet de
» leurs fils , quand Rovin mourut , avoit
» 90 ans. Le nommé Pierre Zorten , Pay-
"fan de Kevereſch dans le Bannat de Te-
» meſwar , mort âgé de 185 ans ,
le s
199
ל כ
"
33
Janvier 1724. Le cadet de fes fils avoit
» alors 97 ans . Je crois Pierre Zorten te
doyen de tous les centénaires . Il ne vi-
»voit que de légumes . J'ai vu à Pruxelles
»les portraits en pieds de ces trois derniers
, & l'abrégé de leur hiftoire dans la
bibliotheque du Prince Charles. La vie
frugale jointe à une bonne conftitution ,
a fait le principe de ces vies doubles ou
triples du cours ordinaire ; mais quand
on fuppoferoit que plus de précautions
» eut pû les alonger encore d'un troifieme
» ou d'un quatrieme cours , ce qui eft fort
» doureux , qu'eft ce que deux à trois
cens ans dans un homme , comparés à
denx ou trois mille ans dans un ver. Ce
» n'eft plus ici une vie compofée de deux
» ou trois mifes , pour ai fi dire , bour à
» bout , c'en eft deux à trois mille. Pour
"
»
ور
158 MERCURE DE FRANCE.

"
»concevoir la poffibilité de cette efpece
» d'immortalité , les lampes fépulcrales
perpétuelles , tant vantées par quelques
Auteurs , peu crues par quelques autres ,
» mais remifes en honneur derniérement
à Naples par le Prince San- Severo , pa-
» toiffent venir à notre fecours ( 1 ) . Dans
» un réduit fort étroit , privé du commer-
» ce avec l'air intérieur , & de toute diffipation
, ce que la flamme ou la tranfpi-
» ration font perdre à la meche de la lam-
» pe ou à l'animal , eft obligé d'y rentrer ;
enforte dans l'un & l'autre cas , il
que
» s'établit une espece de circulation ex-
» térieure de ces fluides alimentaires qui
perpétuent & la flamme de la lampe , &
» la vie de l'animal. Cette perpétuité me
fatisferoit , dit . M. le Cat , fi je connoif-
» fois moins l'économie animale & fa différence
de l'entretien de la flamme d'une
lampe avec celle de la vie ».
و ر
و ر
23
و ر
"
93
ود
M. le Cat fait un parallele qui établit
folidement cettè différence , & il en conclut
les deux ou trois mille ans de vie
que
qu'on a fuppofé dans les animaux de ces
obfervations fouffrent les plus grandes difficultés.
« Tranchons le mot , ajoute M. le
» Cat :il n'eft pas poffible que le ver ni le
ور
( 1 ) Extrait des Annonces & des Affiches du
Mercredi 22 Mai 1754..
AVRIL. 1756. 159
وو
crapaud enfermés dans le marbre , ayent
» obtenu cet âge prodigieux ; & pourquoi
» feroit- il néceffaire qu'ils l'euffent ? Parce
و ر
20
"
qu'il y a trois mille ans que l'oeuf qui
» les contenoit à été enfermé dans les matériaux
du marbre ; eft- ce une raiſon pour
que la vie de l'animal date de cette épo-
» que ? Le frai ou l'oeuf fécondé , enfeveli
"9 par la révolution qui a formé le lit d'u-
» ne carriere future du grès , a- t'il duș,
» a- t'il pu éclorre , fcellé d'un pareil maf
» tic ? Qui ne voit pas que cet état le met-
" toit dans l'impoffibilité de jamais éclorre,
» & qu'il fe feroit même pétrifié avec tou
» tes les parties animales qu'on y décou
» vre encore chaque jour , s'il fût demeu
» ré exactement uni à ces matériaux ? Hen-
و ر
ود
و ر
» reufement pour lui , quand ceux - ci pri-
» rent de la confiftance par l'évaporation
du liquide fuperflu , le hazard lui laiffa
» un petit vuide , qui l'a exempté de cette
pétrification , & une petite atmoſphere
d'air qui a confervé l'exiſtence à fon
fluide animal , & le principe de vie à
tout le compofé. Mais ce même réduit
» inacceffible à toute impreffion de l'air &
de la chaleur extérieure que nous avons
vu , qui pouvoit ralentir les opérations
de la nutrition , & la progreffion ordi-
» naire des âges pendant une longue fuite
160 MERCURE DE FRANCE.
"
"
*
»
» d'années , aura pu , bien plus áifément ,
retenir affoupi pendant une longue fuite
de fiecles , cet efprit féminal concentré
dans un germe où il n'y a aucun mouve
» ment ni intérieur , ni extérieur , qui
puiffe exciter ou diffiper cet efprit. Si
»l'on conferve des années entieres la verru
prolifique des oeufs par un fimple ver-
" nis ; fi l'on procure le même avantage
aux graines mifes exactement à l'abri des
impreffions de l'air & de l'humidité
que ne doit on pas attendre de la confervation
d'un ceuf enfermé dans le centre
d'un rocher ? On conçoit donc que
dans cet état d'inertie , il peut fubfifter
des milliers d'années fans éclorre , & qu'il
» ne peut même être amené à ce denouement
que par des degrés extrêmes de
chaleur fouvent répétés , ou longtems
continués. Alors fi nous rappellons la
lenteur des progrès de notre animal
» éclos , quelqu'inférieure qu'elle foit à
celle que lui fuppoferoient trois mille
ans de vie , elle fera encore affez confidérable
pour nous donner le tems de rencontrer
dans le grand no bre de pie res
qu'on ouvre , quelqu'un de ces folitaires
merveilleux. Si nous nous yy
prenons
trop tôr , nous ne diftinguerons pas dans
la cavité du rocher , & parmi les matie-
92
و ر
AVRIL. 1756. 161
» res qu'on y trouve d'ordinaire , un oeuf
» que nous n'y foupçonnons pas , & que
» le microſcope feul pourroit nous y dé
» couvrir. Si nous nous y prenons trope
» tard , nous ne trouverons dans cette cavité
que les cendres de l'animal , & ne
leur foupçonnant pas une fi noble orie
gine , nous les prendrons pour de la
» terre , ou pour quelqu'autre maniere de
» craie qu'on y trouve communément ».
20
M. Balliere lut une Differtation où il
examine fi la fignification variée d'un même
mot dénote dans une Langue de l'a
bondance ou de la ftérilité . Selon lui , c'eft
une preuve de richeffes , & l'inconvénient
qui réfulte de l'équivoque de quelques
mots eft effacé par l'avantage de former
plus facilement des compofés. La Langue
Grecque eft nommée riche , parce qu'avec
un petit nombre de mots primitifs , elle
forme de nouveaux mots , compofés de
deux ou trois autres ; la Langue Françoife
fe refufe prefque toujours à ces fortes de
combinaiſons .
Cette Differtation eft accompagnée d'obfervations
fur le paffage des mots d'une
Langue dans une autre : on y regarde les
Langues comme une mefure propre à déterminer
à quel degré les fciences ont été
portées dans une Nation. La plus grande
162 MERCURE DE FRANCE.
partie de nos termes de Géométrie & de
Médecine nous viennent des Grecs , parce
que ces fciences leur étoient familieres ;
mais on chercheroit inutilement dans les
anciens Auteurs les termes de Barometre ,
Thermometre , Hygrometre , &c . ces termes
étant deftinés à rendre des idées qu'ils
n'avoient pas , nous avons été dans la néceffité
de les former pour rendre compte
de nos découvertes fur la pefanteur , la
chaleur , & l'humidité de l'air.
Plufieurs termes de l'Art Métallique font
d'origine Allemande , & font employés
par d'autres peuples. Cette fervitude volontaire
, que les autres Nations s'impofent
par commodité , eft pour les Allemands
un titre d'ancienneté dans l'étude
de la Métallurgie.
Une queftion qui n'eft pas étrangere au
fujet , termine cette differtation . Doit - on
écrire comme on parle , ou doit- on parler
comme on écrit ? Le parti qui femble le
plus sûr eft de conferver l'écriture telle
qu'elle eft pour y retrouver du moins lest
principes de la Langue , & d'abandonner
la prononciation aux caprices de l'ufage ,
puifqu'il eft impoffible de l'y fouftraire.
Ceux qui ont voulu foumettre l'écriture à
la prononciation , ont cru fans doute faciliter
aux Etrangers l'étude de notre Lan-
1
AVRIL. 1756. 163
gue :
il est très- douteux qu'ils y ayent
réuffi ; mais il eft très-certain que fi cette
méthode avoit lieu , nous cefferions bientôt
nous même d'y rien comprendre.
M. de Bois-Duval , Docteur agrégé au
Collége des Médecins de Rouen , a lu un
Mémoire fur les Eaux Minérales ferrugineufes
qui fe trouvent dans les environs
de cette Ville. Comme elles ont différentes
fources , le principal motif de ce Mémoire
eft de faire connoître leurs différens degrés
de minéralité , & de mettre par ce moyen
chacun en état de fe choifir celle qu'il
croira convenir le mieux à fa maladie , &
à fon tempérament.
M. l'Abbé Fontaine a terminé la féance
par la lecture de la traduction qu'il a faite
en Vers de la 15 Ode du premier Livre
d'Horace.
Le tems qu'on s'étoit preferit pour la
durée de la féance , ne permit pas la lecture
d'un Mémoire de M. Hoden , Directeur
général des Pompes publiques de cette
Ville , fur la conftruction & les effets d'une
Pompe à Robinet de fon invention , qu'il
a exécutée à la Buanderie de l'Hôpital genéral
des Pauvres valides de cette Ville ,
dont voici le précis .
La Pompe de notre Hôpital , dont il s'agit
, n'a qu'un ſeul corps , un pifton , &
164 MERCURE DE FRANCE.
un robinet : elle éleve l'eau ou la leffive
par afpiration à dix ou douze pieds de haue
teur ; elle la tire de quatre petits réfer
voirs féparés les uns des autres , fans éle→
ver celle de l'un avec celle d'un autre. Un
de ces réſervoirs eft entretenu plein d'eau
par le petit ruiffeau qui paffe dans le lavoir
; les trois autres font deſtinés à rafe
fembler la leffive de trois grands cuviers
de ciment à mesure qu'elle s'en écoule &
paffe au travers du linge.
Cette Pompe eft fixée en une place , &
l'on n'eft point obligé de l'en changer pour
ces différentes opérations.
Le jeu s'en fait par le moyen d'un balancier
à pendule ; une perfonne d'une feule
main fuffit pour la faire agir : la fille qui
eft chargée du foin des leflives , des cuviers
& des fourneaux eft auffi chargée de
cette manoeuvre , & toutes les femaines
elle coule feule plus de douze mille pieces
de linges , & fuffiroit également quand
il y en auroit fix , & même dix fois da
vantage , puifqu'outre ces opérations , qui
ne l'occupent que quelques inftans , elle
fait différentes autres chofes , ou s'emploie
à filer comme les autres filles de cet
Hôpital .
Le produit de cette Pompe peut aller
depuis 20 jufqu'à 40 muids d'eau par
AVRIL. 1756. 165
heure , & même plus , à proportion de la
vîteffe dont on la fait agir.
Les tuyaux & toutes les pieces effentielles
de cette Pompe fe démontent à vis
& à écrou mobile , fans qu'il foit befoin
de rien deffouder
Il eſt auffi facile d'élever l'eau de vingt
réſervoirs , ou même davantage , fi une
telle quantité étoit requife avec une feule
pompe que des quatre aufquels on s'eſt
borné pour notre Hôpital .
Quoique les Pompes dont on vient de
parler ne foient qu'afpirantes , & à un
corps feulement , parce que les ufages
aufquels elles font employées ne les demandoient
pas autrement, elles pourroient
être également à plufieurs corps , afpirantes
& refoulantes , fimples & continues , fi
les opérations & la fituation des lieux &
des travaux le demandoient.
SUJETS
Propofés par l'Académie Royale des Sciences
& des Beaux Arts , établie à Pau , pour
deux Prix qui feront diftribués le premier
Jeudi du mois de Février 1757.
LACADÉMIE ayant jugé à propos de réferver
le Prix ordinaire , en accordera
166 MERCURE DE FRANCE .
deux l'année prochaine , un à un Ouvrage
de Profe qui n'excédera pas une demiheure
de lecture , dont le fujet fera : La
Langue Françoise éft - elle plus propre pour les
Ouvrages d'Eloquence que pour ceux de
Poéfic ? Et un autre à une Ode ou à un
Poëme de cent vers au plus , dont le Sujet
fera : Combien les Talens fervent à unir les
Hommes Chaque Auteur enverra deux
copies de fon Ouvrage : il mettra à la fin
une devife ou fentence , & il la répétera
au deffus d'un billet cacheté , dans lequel
il écrira fon nom & fon adreffe .
On avertit que l'Académie n'accorde
point le Prix aux Auteurs qui négligent
d'inférer leur nom dans le billet cacheté ,
ou qui y mettent des noms fuppofés , non
plus qu'à ceux qui affectent de fe faire
connoître avant la déciſion , ou en faveur
de qui on brigue les fuffrages .
Les Ouvrages feront adreffés à M. de
Navailles Poëyferré , Secretaire de l'Académie
, on n'en recevra aucun après le
mois de Novembre , & s'ils ne font affranchis
du
port.
M. Lemiere eft l'Auteur du Poëme cou
ronné en 1756 .
>
AVRIL. 1756. 167
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
NOUVEAUX AIRS à une & deux voix,
Ariettes , Brunettes & Vaudevilles , compofés
par M. Naudé , Maître de Mufique ,
gravés par Madame Pradat , livre dixieme.
A Paris , chez l'Auteur , rue neuve S. Sauveur
, dans la porte cochere
; Bayard
, rue
S. Honoré
, à la Regle
d'Or ; le Clerc ,
rue du Roule
, à la Croix
d'Or ; Mlle Caftagnery
, rue des Prouvaires
, à la Mu- fique Royale
.
M. NAUDÉ a fait un choix dans fes
quatre premiers Livres qu'il a intitulé Extrait
du premier & du fecond Recueil de
fes Airs , qui ne forme qu'un Livre , &
ainfi des troifieme & quatrieme qui fe
vendent avec les Livres fuivans : il y a encore
de M. Naudé cinq Cantatilles; fçavoir,
l'Hirondelle , le Retour d'Amarante , la
Fête d'Amarillis , le Point du Jour ; ces
168 MERCURE DE FRANCE.
quatre font de deffus, & Ifmene qui eft de
baffe-taille.
TROISIEME LIVRE D'ORGUE de
M. Corrette , Organifte des Grands Jéfuites
, contenant les Meffes & fes Hymnes de
l'Eglife, pour toucher en trio fur la Trompette
de la grande Orgue , avec le fleurti
fur le plein-jeu du pofitif, & plufieurs des
mêmes plain-chants accommodés en quatuor
pour toucher fur le grand plein- jeu
avec les pédales ; plus , des fugues faciles
pour chaque Hymne de l'année , une fuite
du premier ton , une Offertoire , les Antiennes
de la Vierge avec des petites pieces
& le Te Deum en plain - chant ; le prix eft
de fix livres . A Paris , chez l'Auteur, rue
Montorgueil , près la Comédie Italienne ,
à la Croix d'argent ; & aux adreffes ordinaires.
GRAVURE.
LE fieur Defehrt , Graveur , quai des
Auguftins , chez Barrois , Libraire , vient
de donner au Public une Eftampe tirée du
Cabinet de M. le Comte de Vence , d'après
Balthafar Befchey , Peintre , vivanit
actuellement
AVRIL 1756. 169
actuellement à Anvers : elle répréfente une
Tentation de Saint Antoine ; le beau fini
du Tableau & la gentilleffe du diable fous
la forme d'une femme , ainſi que tous les
acceffoires de caprice , forment une Ef
tampe qui doit plaire par fa fingularité.
:
M. FESSARD , Graveur du Roi & de fa-
Bibliotheque , donne avis à Meffieurs les
Soufcripteurs de la gravure de la Chapelle
des Enfans Trouvés , qu'il délivre actuellement
les 7 , 8 , 9 , & 10° morceaux ,
faifant la troifieme livraiſon il invite
les Soufcripteurs à vouloir bien faire retirer
leurs Soufcriptions le plutôt qu'ils pourront
, afin qu'il puiffe donner dans la fin
de l'année fa quatrieme livraiſon . Il demeure
toujours rue Saint Thomas du
Louvre.
On trouvera encore les OEuvres de M.
Feffard & des fuites de fon fonds au Bureau
du Mercure , rue Sainte Anne , Butte
Saint Roch , entre deux Selliers , chez M.
Lutton.
PORT MAHON. Le Fort Philippe avec
fes nouveaux Ouvrages , & la petite Carte
de l'Ile de Minorque. Plus le plan de Gibraltar
, fes nouveaux Ouvrages depuis le
dernier fiege , les lignes des Efpagnols
II.Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
prix , une livre dix fols . A Paris , chez le

fieur le Rouge , Géographe du Roi , rue des
grands Auguftins.
PEINTURE.
LETTRE A L'AUTEUR DU MERCURE.
IL y a déja quelque - temps , Monfieur ,
que l'on m'a informé que vous aviez inféré
dans le fecond volume de votre Mercure
de Janvier, une Lettre écrite , ou fuppofée
écrite de Bruxelles , dans laquelle on
s'efforce de jetter des foupçons fur le talent
que j'ai de réparer les Tableaux. On me
dit alors que M. Picaut n'y étoit pas plus
ménagé que moi . Je méprifai cette piece
& fon Auteur , que je jugeai , felon les
apparences , ne pouvoir être qu'un de ces
infectes Littéraires qui , défefpérés de leur
impuiffance , ne s'occupent qu'à détruire
ou qu'à défigurer tout ce que les autres
font capables de produire ou d'admirer.
Mais comme il m'eft revenu depuis que
cet Ecrivain , non content de vouloir m'enlever
une réputation que jofe dire méritée,
avoit porté l'injufte licence jufqu'à me
citer comme un Brocanteur très renommé
AVRIL.
1756.
171
ce que je n'avois pas fait pour mon talent ,
j'ai cru le devoir faire pour ma
perfonne ;
j'ai voulu voir fon écrit.
Permettez -moi ,
Monfieur , de me plaindre
à vous de la facilité que vous avez eue
de donner place dans votre Recueil à un
ouvrage de cette efpece. Si vous aviez pris
la peine de
l'examiner avec un peu d'attention
, vous avez
certainement trop d'efprit
& de goût pour ne l'avoir pas mis au
rebut, avec tout le mépris dont il eft digne ."
En effet on y voit partout un homme que
l'envie aveugle & fait tomber à chaque
inftant en
contradiction avec lui- même.
Sur la qualité de
Peintre
François que
me donne
l'Auteur de
l'Année
Littéraire ,
il feint , par exemple , de douter fi je fuis
le Colins qui a refait les deux têtes qui
manquoient au fameux
Tableau d'Io peint
par le Correge ; & lui-même me nomme
comme chargé de l'entretien des
Tableaux
du Roi ; titre fous lequel je fuis
défigné
dans les
feuilles. Il cherche à me ravir
l'honneur d'un travail dont j'ai
d'ailleurs
pour
témoins
quelques-uns des plus célebres
Maîtres de Paris ; & en même tems
il
admire en moi le grand
Artiſte & le
pinceau
créateur; mais en quoi je le trouve
lui-même
admirable , c'eft qu'il
revient
tout-à- coup
contre fes
propres
paroles ,
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
pour ne plus m'accorder qu'une connoif-
Sance théorique de la Peinture qui , toute
grande qu'elle foit , dit-il fort élégamment ,
ne fçauroit inculquer , bien moins encore infufer
, ce qu'on n'obtient que rarement
d'une longue pratique,
Trois contradictions auffi frappantes en
dix ou douze lignes , n'étoient pas affez
pour lui : il eft tout prêt encore de me
revendiquer comme un compatriote celebre,
& cela en me refufant tout ce qui peut
donner de la célébrité. Je ne vois pas રે
quel titre je puis mériter cette marque
d'eftime de fa part , à moins que celui de
Brocanteur très- renommé dont il m'honore,
ne lui ait paru , comme plus analogue à fon
goût & à fon caractere , devoir l'emporter
fur l'Art noble dont je fais profeffion . Un
Brocanteur eft un malheureux qui n'a
point d'autre état , & qui le plus fouvent
avec auffi peu de connoiffance de la Peinture
, que l'anonyme en parle en parle , achete &
revend fans ceffe des Tableaux , dont il fait
des dupes , à fon profit , pour ne l'être
pas lui- même, Je ne me défends affurément
pas d'en avoir acheté , & je déclare même
franchement que je ne réfifterai pas au plai
fir d'en acheter encore pour moi ou pour
un ami curieux , toutes les fois que l'occafion
m'offrira un morceau qui en vaudra
AVRIL 1756. 173
la peine. D'après ce libre aveu que je fais
publiquement , vous pouvez , Monfieur
Î'Auteur honteux , vous livrer tout entier
à votre heureux génie déchaînez- vous
dans l'obfcurité , qui eft votre élément
contre les talens & les hommes célebres.
Continuez , puifque cela vous plaît , de
nier à M. Picant le fecret qu'il a de tranſ
porter les Tableaux d'un fonds fur un autre.
Soutenez hardiment , en dépit du bon
fens & contre l'expérience , qu'il ne l'a
pas , parce que M. Riario , Gentilhomme
Italien , M. Dumefnil , Peintre , & le fieur
Paquet le poffèdoient avant lui , & qu'ils
ne le lui ont pas communiqué. Il importe
fort peu aux amateurs de quelle maniere
opere un Artifte , pourvu qu'il rappelle à
la vie , ornés de leurs graces & de leur
beauté premiere , ces chef-d'oeuvres de
l'Art devenus la proie du tems ; mais il
vous faut à vous des preuves d'une autre
nature. Ah ! mon cher Anonyme , demeurez
tranquille.
Vous vous tourmentez vainement ;
Croyez-vous que vos dents impriment leurs ou
trages
Sur tant de beaux ouvrages ?
Ils font pour vous d'airain , d'acier , de diamant .
J'aurois peut-être mieux fait , Mon-
'H iij
174 MERCURE DE FRANCE..
fieur , de prendre le parti du filence , &
j'en avois prefque envie ; mais c'eſt le cas
de fentir & de fe rappeller vivement ce
qu'on eft né & ce que l'on doit à fa réputation
, lorfqu'on veut nous avilir . Un Peintre
qui a l'honneur d'être chargé de l'entretien
des Tableaux du Roi , que S. A. S.
l'Electeur Palatin honore de la même confiance
, n'eft point fait pour être traité de
Brocanteur ; l'épithete de très renommé
n'ôte rien à cette qualification de ce qu'elle
a de bas & de honteux pour moi , & ne
pourroit tout au plus confoler que celui
qui me la donne , du mépris attaché à
l'obfcur & dangereux métier qu'il paroît
avoir embraffé . J'ai l'honneur d'être avec
la plus parfaite eftime , Monfieur , votre
très -humble , & c. COLINS.
Nous joignons à cette Lettre de Monfieur
Colins l'Epître que Monfieur le
Chevalier de Saint-Germain lui a adreffée;
elle fait mieux fon apologie que tout ce
que nous pourrions dire en fa faveur.
Notre Profe n'auroit jamais pu égaler la
force & l'élégance des Vers de fon ami.
Nous les inférons ici comme une juftice
due à M. Colins. C'eft la plus belle
réparation que nous puiffions faire à fon
talent attaqué.
AVRIL. 1756. 175
EPITRE
A Monfieur Colins.
Après ce que j'ai vu de ton art admirable,
Colins , il n'eft point de tableau
Dans l'état le plus déplorable ,
Que l'adreffe de ton pinceau
Ne rende à ſa beauté premieres
Semblable à la vive fumiere ,'
Qui rend au monde un jour nouveau
Témoin cette tête charmante ,
Qu'à ce beau corps tu viens de rapporter ;
Du fouverain des dieux , j'y reconnois l'amante
Et le Correge ainfi l'a da repréfenter.
Tout y décele ce grand Maître ,
Ce ton frappant de vérité ,
Ces traits , que l'on croit reconnoître
A leur noble fimplicité ;
Cette douce vivacité
Que l'on voit mourir & renaître
Se dérober & reparoître
Sous les traits de la volupté.
Voyez ces Graces féduifantes
Où l'amour fe peint & fourit ,
Ces attitudes raviffantes
Où brillent la foupleffe , & la force & l'efprits
Ce feu créateur , ce génie
Qui répand partout fes clartés.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
Mais à qui doit - on ces beautés ,
Et cette divine harmonię,?
A toi , Colins , au fublime talent
Par qui ta main élégante & fertile
A d'un tronc aveugle & ftérile ,
Reproduit un objet parlant..
C'eſt par ton art qu'Io reſpire ,
Que fur la toile elle foupire
Entre les bras d'un Dieu vainqueur ;
Et qu'à travers le flexible nuage
Dont tu couvres le féducteur ,
Elle reçoit l'ardent hommage.
Des feux qu'elle allume en ton coeur.
Ah ! que j'aime à voir fa langueur ,
Ou plutôt cette aimable ivreffe
Qui ſemble éteindre fon ardeur
Dans les yeux noyés de tendreffe
Dans ces beaux yeux qu'entr'ouvre & ferme le
plaifir !
ત્
Mais comment as- tu pu faifir ,
Dis-moi , toutes ces différences.
Qu'il faut marquer dans le moment ,
Figurer jufqu'aux apparences
Et du fouffle & du mouvement ;
Peindre à nos yeux ce teint de roſe
Que pâlit la blancheur du lys ,
Et tant de charmes recueillis
Dans cette bouche demi-cloſe
Qu'agite un doux frémiffement ,
AVRIL TL . 1756. 177
Qu'une vapeur légere arrofe ,
Et qu'embrafe le fentiment ?
Mais que vois-je ! avec quelle adrelle
Il agence fes beaux cheveux ,
Dont le tiffu , dont la fineffe ,
Arrêtés par de légers noeuds ,

De l'or & de l'argent empruntant la nuance ,
Vous préfentent la reffemblance
Des rayons du ſoleil naiffant !
Peins-nous cent fois lo fous cet aſpect brillant
Que dis-je efface - la plutôt de ta mémoire ,
De peur que pénétré des traits de ton pinceau ,
Et déformais infenfible à ta gloire ,
Bientôt , Pygmalion nouveau ,
Tu ne retraces fon hiftoire .
En préſence de tes rivaux ,
Jouis de la douceur fuprême ,
Par le Dieu des beaux arts qui t'aime ;
De voir couronner tes travaux ;
Et qu❜lo de tes dons parée ,
Ainfi qu'en Egypte adorée ,
Reçoive ici nos voeux & notre encens.
Que tout annonce fa puiffance ;
Qu'elle foit confacrée au bruit de nos accens
L'immortelle Ifis de la France.
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
t
,
Explication d'un Tableau peint à l'encre de
la Chine , représentant allégoriquement le
Portrait du Chrétien , dédié à Madame
de Sechelles, par M. Gofmond de Vernon ,
Deffinateur , & Penfionnaire du Roi ,
CE Tableau a pour objet de repréfenter
la véritable piété , d'où réfulte la paix
intérieure qui peut feule nous rendre heureux
. La poffeffion de cette paix , qui nous
a été laiffée par Jefus Chrift , ne fe trouve
que dans l'union intime de l'ame avec
Dieu , & ce n'eft que la Religion qui en
peut faire tout le noud , Auffi n'est- ce
que par cette liaifon parfaite avec le ciel ,
qu'il eft poffible de pouvoir fe flatter de
nous rendre fupérieurs aux illufions que
préfente le monde, & nous faire fouler aux
pieds toutes les cupidités & les vaines
grandeurs dont l'ambition cherche à féduire
l'humanité. Voilà qu'elle eft l'idée
morale du fujets en voici l'explication
particuliere .
La principale figure repréfente la Paix
Chrétienne qui , éclairée du feu de la Foi
qui brûle fur fa tête , & foutenue fur les
aîles de la Grace , s'éleve vers les cieux.
Elle embraffe un cartouche , oùl'on remarOKAVRIL
1756. 179
que la Charité, la bafe de toutes les Vertus
Evangéliques caractérisée fous la forme
d'une jeune femme , préfentant d'une main
fon fein à des enfans , & tenant de l'autre
une bourfe qu'elle renverfe : ce précieux
type tient lieu dans cet ouvrage des armoiries
de l'illuftre & pieufe Dame , à qui
il est dédié. La Juftice & la Vérité font
grouppe avec la Paix Chrétienne , dont
elles font les compagnes inféparables. Elle
foule fous fes pieds , l'Ambition & l'Envie
foeurs infernales , qui ne s'abandonnent
jamais ; & détournant les yeux de la
terre , on ne la voit les fixer que fur la
Religion , qui lui montre le faint Nom
du Tout- puiffant , le but de toute fa félicité
préfente , & celui de tout fon bonheur
éternel . On lit ces vers au bas du
Tableau .
Heureux qui fçait des maximes du Sage ( 1 ) ,
En tous tems en tous lieux , faire un utile ufage ,
Et qui , dans le fein de la Paix ( 2 ) ,
">
Peut jouir d'un bonheur que ne troubla jamais.
Des grandeurs d'ici- bas le frivole avantage :
Qui foule fous fes pieds la vaine Ambition ;
Qui voit de fes vertus frémir la noire Envie
Et qui met le bien de fa vie
(1) Jeſus - Chrift.
- (2) La pratique des vertus Chrétiennes.
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
A défendre fon coeur de toute illufion
Qui foutenu par la Juftice ,
Eclairé par la Vérité ,
De la Religion faifant tout fon délice ,
A le ciel pour objet de fa félicité.
ARTS UTILES.
HORLOGERIE.
EXTRAIT des Regiftres de l'Académie
Royale des Sciences , du 10 Décembre ,
1755.
Nous avons examiné , par ordre de
l'Académie , une Pendule à fecondes &
à fonnerie , du fieur le Mazurier , Maître
Horloger à Paris .
Le heur le Mazurier , avoit préſenté
à la compagnie au mois de Décembre
1754 , une Pendule à fecondes , à fonnerie
& à Remontoir , dont le mouvement
n'avoit qu'une feule roue, ainfi que la fonnerie.
Le mouvement de l'aiguille des fecondes
étoit réglé par le moyen de deux
bequilles , ou levier de la Garoufte ; mus
par les ofcillations du Pendule : l'action de
la force motrice étoit ſuſpendue fur un efAVRIL.
1756. 781
pece de verrouil pendant 59 fecondes , &
s'exerçoit à la 60. fur une palette fixée à la
verge du Pendule pour lui reftituer le
mouvement , comme nous l'avons expliqué
dans le rapport du 22 Mars de cette année.
(a ) La roue unique de la fonnerie qui
fervoit auffi de chaperon , portoit des chevilles
pour lever les marteaux fonnans les
heures & les quarts , & le mouvement de
cette roue étoit réglé par les vibrations du
Pendule portant une feconde palette où
repofoient les queues des marteaux.
Outre les poids du mouvement & de la
fonnerie , cette Pendule avoit encore deux
Remontoirs deftinés à relever ces poids pourla
faire marcher plus long- tems.
: Dans la Pendule dont nous rendons
compte aujourd'hui , & qui a été préſentée
à l'Académie quelques jours avant les vacances
, le fieur le Mazurier a fupprimé
les Remontoirs : il a changé la conduite
de l'aiguille des fecondes par le Pendule ;
& pour force motrice tant du mouvement
que de la fonnerie il a employé des chappelers
à augets qui fe garniffent fuceffi
vement de petits grains de plomb , en paffant
fous des réfervoirs établis au haut de
da Pendule.
(1 ) On trouvera ce rapport dans le fecond Yolume
du Mercure de Juin 1758.
182 MERCURE DE FRANCE.
Quand aux changemens faits à la fonne
rie , ils font peu confidérables , ce n'eſt
qu'une autre difpofition dans les marteaux.
La roue des fecondes eft un rochet de
trente dents conduites de deux en deux
vibrations par une tige de cinq pouces ou
environ , fixée au même axe que le Pendule ,
enforte qu'elle fuit fes vibrations : vers le
milieu de cette tige font fixées deux chevil
les entre lefquelles paffe la queue d'un
levier de la premiere efpece , dont l'autre
extrêmité engrene dans le même qo
chet de deux en deux vibrations : ce levier
ayant fon appui fur la platine de l'Horloge ,
fon bras inférieur & la premiere tige fe
meuvent en fens contraire , prenant alter
nativement les dents du rochet , & faifant
paffer à chaque vibration l'intervalle d'une
demi-dent.
Cette nouvelle conftruction nous paroît
préférable à celle de la premiere Pendule
du même Auteur , en ce que les deux bras
de levier qui conduifent la roue des fecon
des , peuvent corriger les inégalités qui ar
riveroient au mouvement de cette roue
dans le cas où quelque accident feroit faire
des vibrations trop grandes au Pendu
le , & cela en repouffant les dents en
fens contraire , à mefure quelles fe pré-
Content.
A V RI L. 1756. 183
Les Réfervoirs qui garnillent de plomb
les augets pour mener le mouvement & la
fonnerie , font des efpeces de fournimens
qui lâchent une petite charge de plomb
à chaque auget qui fe préfente au deffous.
Au bas de chaque Réſervoir eft une efpece
de gouttiere ou goulot , fermés à l'extrêmité
inférieure par une foupape à bafcule
, & un peu au deflus par une vanne
mobile de bas en haut pour couper la charge
de plomb qui doit tomber dans chaque
auget.
Les augets font efpacés fur un ruban qui
tourne fur une lanterne , comme dans les
pompes à chapelets : lorfqu'un auget s'avance
pour fe préfenter au goulot de la trémie
, une cheville extérieure au plateau de
la lanterne fait lever la vanne qui coupe
le plomb , & quelques inftans après une
autre cheville fait ouvrir la foupape , qui
laiffe tomber le plomb dans l'auget ; la
foupape fe ferme en retombant par fon
propre poids , & quelque - tems après la
vanne eft abaiffée par une autre cheville
appliquée à la même lanterne . Suivant le
calcul de l'Auteur avec 144 livres de la
plomb on pourroit faire marcher cette
Pendule & fa fonnerie pendant quatorze
mois fans y toucher.coqu
>
184 MERCURE DE FRANCE.
*
Cette méthode pour faire mouvoir des
Horloges ( 1 ) par des chapelets à augets
qui fe garniffent de plomb en paffant fous
des trémies , eft due au fils aîné du fieur
Julien le Roy , & le fieur le Mazurier en
convient cependant les deux conftructions
font différentes par la différente dif
pofition des pieces qui compofent les deux
Horloges.
(1 ) Suivant mon principe & ma nouvelle méthode
, les Horloges de toutes les efpeces deſtinées à
être fixées , peuvent être conftruites dans la même
fimplicité que la Pendule . Toute la machine fe
trouve prefque réduite à la feule roue de rencontre
& au chaperon.
Cette conftruction réunit les avantages fuivans
en évitant les inconvéniens de l'ancienne .
1º. La réſiſtance des huiles , les frottemens des
pivots , & ceux des engrenages ne font plus à
craindre .
2. La force motrice eft légere , égale , & toujours
la même , au lieu que les moteurs , dans la
pratique ordinaire , font des poids énormes qui fatiguent
& ufent promptement la machine , & la
rompent même affez fouvent.
3º. La durée du mouvement dans l'anciennepratique
, ne fçauroit être qu'en proportion des cordes
, dont la longueur eft limitée par la fituation
des lieux c'eft pourquoi il faut entrer dans les
Horloges à des intervalles-très courts pour les remonter
; au lieu que par la nouvelle conftruction ,
une Horloge peut aller un an , & même toujours
fans
y toucher ; la continuité du mouvement ne
confiftant qu'à remplacerde plomb qui s'eft échapAVRIL.
1756. 189.
Les changemens que le fieur le Mazurier
a faits à fa premiere Pendule , ne peuvent
que contribuer à la rendre meilleure
& plus fimple : nous croyons qu'ils méritent
l'approbation de l'Académie . Signés ,
Camus. De Montigny.
Je certifie le préfent Extrait conforme
à fon original , & au jugement de la
Compagnie. A Paris ce 12 Décembre
1755. Signé , Grand- Jean de Fouchy , Secretaire
perpétuel de l'Académie Royale
des Sciences.
pé du réfervoir ; ce qu'on fait fans entrer dans
la cage de l'Horloge ; ainfi ni l'air , ni la pouffiere
ne fçauroient y rien déranger.
4°. Les poulies , les poids énormes , les cordages
feront fuprimés ; une chaîne continue de laiton ou
de fer , portant les augets , y fuppléera .
5°. Les Ouvriers les moins habiles les trouve
ront faciles à exécuter ,& furtout à entretenir, puifque
leur fimplicité ne laiffe point d'accidens
à craindre .
6. Ces Horloges feront moins couteufes , plus.
aifées à placer , & ne feront aucun bruit , qualités
qui les rendent fpécialement propres aux châteaux
, maifons de plaifance , & maiſons Religieufes.
186 MERCURE DE FRANCE.
EXTRAIT des Registres de l'Académie
Royale des Sciences , du 24 Février ,
-i 1756.
Nous avons rendu compte à l'Académie
le 22 Mars 1755 , d'une Pendule préfentée
par le fieur le Mazurier , à fecon +
des & à fonnerie , avec un échappement à
repos qui entretient le mouvement du
Pendule par des impulfions faites de minute
en minute .
Le 12 Avril fuivant , nous avons rendu
compte d'un changement affez conſidéraque
l'Auteur a fait à fon échappement
pour le fimplifier.
ble
Enfin le 10 Décembre de la même année
, nous avons expofé un nouveau chan-
⚫gement fait l'Auteur à la conduite de
l'aiguille des fecondes , & à la force motrice.
par
Le fieur le Mazurier s'étant apperçu
depuis que la palette qui reçoit les impreffions
de la roue de rencontre dans
cette même Pendule , avoit fouffert quelque
altération , quoiqu'elle fût trempée de
la plus grande dureté, a cru devoir changer
la difpofition & la figure de cette palette
, pour éviter ou rendre prefque infenfible
le frottement des chevilles fur la
AVRIL 1756 . 187
palette , fans rien changer de plus au méchanifme
de fon Horloge.
L'ancienne palette que l'Auteur fupprime
étoit fixée à la verge du Pendule :
celle qu'il y fubftitue eft mobile fur une
cheville fixée à la verge ; & la palette taillée
précédemment en plan incliné fur le
quel gliffoient les chevilles de la roue de
rencontre , eft à préfent angulaire , enforte
que les chevilles qui repofent dans les angles
pouffent cette palette , & par conféquent
le Pendule , fans aucun frottement
fenfible.
Le fieur le Mazurier fe propofe d'ap
pliquer ce dernier échappement, &toute la
conftruction que nous avons précédemment
décrites , aux grandes Horloges. Nous regardons
cette derniere difpofition comme
avantageufe , & même néceffaire pour en
affurer la durée : nous croyons qu'elle mérite
l'approbation de l'Académie , & d'être
inférée dans le Recueil des Machines approuvées.
Signé , Camus. De Montigny.
Je certifie le préfent Extrait conforme
à fon original , & au jugement de la Compagnie.
A Paris , ce 25 Février 1756.
Signé, Grand-Jean de Fourchy , Secretaire
perpétuel de l'Académie Royale des Sciences.
188 MERCURE DE FRANCE.
L'Auteur ofe efpérer que le Public'accueillera
favorablement cette nouvelle méchanique
, dont la fimplicité & la folidité
font demontrées , ainfi que les avantages
qui en résultent fuivant le témoignage
de l'Académie des Sciences , qui doit être
d'une grande autorité.
Le Public pourra s'en convaincre par
l'examen de la Pendule que l'Artiſte fe fera
un plaifir de montrer aux curieux & aux
connoiffeurs qui défireront la voir chez
lui , rue de la Harpe , à la Pendule.
Nous prions Meffieurs les Artiſtes de réduire
à l'avenir les Extraits de ce genre.
qu'ils nous enverront, àunfimple précis, ou
nous ferons obligés d'en prendre la peine
nous-mêmes , & fouvent de les retarder
pour remplir l'article des Arts de morceaux
plus intéreffans ou plus courts,
AVRIL. 1756. 189
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
LE fieur du Prezac , jeune Acteur dont
nous avons parlé dans le dernier Mercure,
a continué fon début par les rôles d'Euphemon
fils , dans l'Enfant Prodigue , &
d'Egifte , dans la Tragédie de Merope. Il
y a montré toute l'intelligence , toute
l'ame & tout le feu qui lui avoient attiré
de juftes applaudiffemens dans le rôle de
Néreftan , & qui annoncent un fujet né
pour être grand Comédien . Le fuccès avec
lequel il rendit plufieurs morceaux d'Egifte,
dut d'autant plus furprendre , qu'il ne s'étoit
point préparé à jouer ce rôle , & qu'il
n'avoit eu que quatre jours pour l'étudier .
On a appris avec regret , que divers obſtacles
empêcheroient peut- être ce Débutant
de reparoître fur la fcene après la rentrée,
Les Comédiens François , également contens
de fon caractere & de fes talens , ont
écrit en corps , pour demander qu'on ne
les privât point d'un Acteur , dont ils ju190
MERCURE DE FRANCE.
gent l'acquifition , non feulement avantageufe
, mais même néceffaire à leur Théâtre.
Ce procédé ne leur fait pas moins
d'honneur qu'au fieur du Prezac .
Ils ont donné pour la clôture Mérope
fuivie du Legs . Le fieur de Bellecour a fait
entre les deux Picces le compliment d'ufage
, & s'en eft acquitté de la façon la plus
convenable , c'eſt -à - dire , que fon difcours
étoit fimple & court , & que l'Acteur l'a
prononcé avec beaucoup de décence accompagnée
de refpect .
COMEDIE ITALIENNE.
LEs Comédiens Italiens ont fermé leur
Théâtre par Ninette à la Cour , fuivie des
Chinois & des Nôces Chinoifes . Ce Spectacle
, auffi agréable que varié , a été fuivi
dans toutes fes repréfentations avec la
même affluence & le même plaifir .
}
Le peu d'efpace qui nous refte , nous
oblige , malgré nous , de nous reftraindre
´à l'annonce de la Pipée , que nous avions
promis d'extraire . Nous ajouterons feulement
que le fuccès a répondu au bien que
nous en avons dit . Cette Piece en deux
Actes en Vers , mêlée d'Ariettes , fe vend
chez Duchesne , rue S. Jacques ; le prix eſt
de 24 fols. La Mufique fe débite féparément
.
MAVRIL. 1756. 191
OPERA COMIQUE.
L'Opera Comique a continué les repréfentations
de Nicaiſe & des Racoleurs , fuivis
des Troqueurs , jufqu'au Samedi 10 de
ce mois qu'il a fermé fon Théâtre.
SPECTACLES DE S. CYR.
LE
E Samedi 20 Mars , la Reine , Monſeigneur
le Dauphin , Madame la Dauphine ,
& Mefdames de France fe rendirent à la
Maifon Royale de Saint Louis à Saint Cyr,
dont les Demoiſelles repréſenterent Athalie
en leur préfence. La Mufique des Intermedes
qu'on a donnés avec cette Tragédie
, a été refaite à neuf par M. Clerambault
, Organifte de cette Maifon : elle
a été très-goûtée , ainfi que l'exécution . Ce
Compofiteur , après la Piece' , a été préfenté
à la Reine , qui a paru auffi fatisfaite
de fa Mufique que de la maniere intéreſfante
& noble dont ces Demoifelles ont
rendu le chef- d'oeuvre de Racine,
192 MERCURE DE FRANCE.
CONCERT SPIRITUEL.
LEE 25 Mars , jour de l'Annonciation , le
Concert Spirituel commença par une Symphonie
de M. Geminiani ; enfuite Venite,
exultemus , Moret à grand choeur de M. Davefne
. Madame Veftris de Giardini chanta
deux airs Italiens . M. Piffet joua avec
fuccès un Concerto de Violon de fa compofition.
M. l'Abbé de la Haye chanta Benedictus
, petit Motet de Mouret . M. Balbaftre
joua fur l'Orgue une Symphonic
nouvelle de fa compofition. Le Concert
finit par In exitu , Motet à grand choeur
de M. Mondonville.
Le 4 de ce mois , Dimanche de la Paffion
, le Concert Spirituel commença par
Diligam te , Motet à grand choeur de Gilles.
Enfuite Madame Veftris de Giardini
chanta deux airs Italiens : M. Profper ,
Muficien du Roi de Sardaigne , joua un
Concerto de Hautbois , qui fut très- applaudi
avec juftice, Madame Guerin chanta
un petit Motet de Mouret. M. Balbaftre
joua un Concerto d'Orgue. Le Concert
finit par Dominus regnavit , Motet à
grand choeur de M. Mondonville .
Le 6 , Mardi de la Paffion , on commença
par une Symphonie ; enfuite le
Miferere
AVRIL.
1756.-.
193
Miferere qu'on exécute à Saint Pierre de
Rome.
Madame Veftris de Giardini chanta
deux airs Italiens . M. Profper , Muficien
du Roi de Sardaigne , joua un Concerto
de Hautbois avec la même réuffite. M. Richer
, Page de la Chapelle du Roi , chanta
un petit Motet.
M. Balbastre joua fur l'Orgue un Concerto
charmant de fa compofition . On
finit par Bonum eft , Motet à grand choeur
de M. Mondonville.
Le 9 , Vendredi de la Paffion , on commença
par une Symphonie , fuivie de Jubilate
, Motet à grand choeur de M. Mondonville
; enfuite Madame Veftris de
Giardini chanta deux airs Italiens . M. Fritz
joua une Sonate de fa compofition . Madame
Moreau chanta un petit Motet de
M. Billion . M. Balbaftre joua fur l'Orgue
l'ouverture de Pygmalion , fuivie des Sauvages.
On finit par Nifi Dominus , Motet
à grand choeur de M. Mondonville , dans
lequel M. Gros , Eleve de M. Benoist ,
chanta , & fut très -bien reçu .
I Le 11 , Dimanche des Rameaux , on
exécuta une Symphonie , fuivie de Diligam
te , Motet à grand choeur de M. Madin ;
enfuite Madame Veftris de Giardini chanta
deux airs Italiens. M. Prover , Mufi-
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
cien du Roi de Sardaigne , joua un Concerto
de Hautbois. Mlle Fel chanta un
petit Motet. M. Balbaftre joua fur l'Orgue
La nouvelle Symphonie. On finit par De
profundis, Motet à grand choeur de M. Mondonville
.
Le Lundi 12 , le Concert commença par
une Symphonie fuivie d'Omnes gentes, Motet
à grand Choeur de M. Cordelet , Mdme
Veftris de Giardini , chanta deux Airs Italiens.
M. Fritz joua un Concerto de Violon
, Madame de Montbrun chanta Exaudi
, Deus , petit Motet de M. Fanton . Le
Concert finit par Laudate Dominum , quoniam
bonus , Motet nouveau de M. Mondonville
, avec accompagnement d'orgue.
Ce Motet a eu le plus brillant fuccès.
L'exécution répond à la beauté de la Mufique.
Il eft chanté par MM . Befche , Gelin
& Richer, enfin par Mlle Fel ; & pour mettre
le comble à l'enchantement , il eft accompagné
fur l'orgue par M. Balbaftre ; ce
qui forme un enfemble raviffant. On ne
refpire pas, de plaifir, depuis le commencement
jufqu'à la fin. Il y a des connoiffeurs
qui ofent dire tout haut , que c'eft le chef.
d'oeuvre de ce grand Muficien. Quel éloge !
AVRIL. 1756. 195
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU LEVANT.
le DE
CONSTANTINOPLE
14 , Février.
LE , de ce mois , le Chevalier de Vergennes ,
que le Roi de France a revêtu du caractere de fon
Ambaffadeur à la Porte eut en cette qualité fa
premiere audience du Grand Vifir. Il fut conduir
le lendemain à celle du Grand Seigneur , & il préfenta
la Lettre que Sa Majesté Très - Chrétienne a
écrite à Sa Hauteffe , pour la féliciter fur fon avénement
au Trône. On affure généralement qu'une
des Sultanes eft enceinte ; du moins il eft certain
que le Grand Seigneur a affigné un appartement
particulier à cette Favorite , & qu'elle eft traitée
avec des diftinctions , qui paroiffent confirmer le
bruit public.
ALLEMAGNE.
DE BRESLAU , le 9 Mars .
On effuya le 18 du mois dernier dans toute la
Siléfie un horrible ouragan ; non feulement les
maifons particulieres , mais même plufieurs édifices
publics , ont confidérablement fouffert ; la
plupart des arbres ont été déracinés dans la campagne.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE .
E&SPAGNE.
DE MADRID , le 16 Mars.
On a reçu , au fujet des tremblemens de terre
qui ont détruit la ville de Quíto dans le Pérou ,
une Relation contenant les particularités fuivantes.
Le 26 Avril de l'année derniere , à huit
heures du matin , de violentes fecouffes donnerent
les premieres allarmes , & durerent trois
minutes. Peu après les fecouffes recommencerent
, mais avec moins de force ; elles fe fuccéderent
prefque fans interruption pendant le refte
de la matinée . Le 27 , à cinq heures après- midi ,
la fecouffe fut fi forte , que la plupart des Habitans
fortirent de la Ville , afin de n'être pas enfevelis
fous les ruines de leurs maifons . Entre
onze heures & minuit la terre trembla de nouveau
pendant cinq minutes . Après un court intervalle
on éprouva un nouveau tremblement
& l'on compta quatorze fecouffes confécutives.
Pendant toute la nuit les Eccléfiaftiques & les
Religieux furent occupés à exhorter & à confeffer
dans les rues & dans les places publiques . L'air
retentiffoit de plaintes & de gémiffemens . Le 28
fut l'époque fatale de la ruine de la Ville. On ne
peut fans horreur fe rappeller le fouvenir de cette
affreufe journée . Édifices publics , maifons particulieres
, tout s'écroula fucceffivement . A ce cruel
fpectacle , les Magiftrats firent ouvrir les prifons ,
& donnerent la liberté à toutes les perfonnes qui
n'étoient pas détenues pour des crimes capitaux.
Le Vicaire Général , en l'abſence de l'Evêque ,
donna permiffion aux Religieufes de quitter leur
clôture. Heureufement dans le commun défaftre ,
il n'a péri que 14 ou 15 perfonnes , tant vieillards
AVRIL 1756. no
1.97
que femmes & enfans. Tous les Habitans font
actuellement
difperfés dans la campagne ſous des
Tentes ou dans des Baraques. Le Gouverneur a
retiré dans ſa maiſon de campagne plus de fix cens
perfonnes , & il fournit aux frais de leur fubfiftance
. Depuis le 28 Avril jufqu'au 30 Mai que
cette Relation a été écrite , il s'eft paffé peu de
jours fans qu'on n'ait fenti quelque fecouffe.
DE LISBONNE , le 19 Février.
Le 19 Février au matin , on fentit encore ici
une nouvelle fecouffe de tremblement de terre ;
ellé dara près de trois minutes , & fa direction parut
être de l'Eft au Sud . Plufieurs Régimens d'Infanterie
, & celui de Dragons d'Evora , travaillent
à ouvrir des chemins à travers les ruines des mai
fons pour les voitures deftinées à enlever les décombres.
A l'exemple du fieur Caftres , Envoyé
Extraordinaire du Roi de la Grande- Bretagne , les
autres Miniftres Etrangers ont fait des repréfentations
au fujet de l'augmentation des droits établis
fur les marchandifes qui viennent du dehors .
ITALI E.

DE NAPLES , le 26 Février.
Plufieurs habitans de cette Capitale prétendent
que la nuit du 13 au 14 la terre a tremblé ici
pendant quelques fecondes . Ces jours derniers le
Chevalier Gray , Envoyé Extraordinaire de Sa
Majefté Britannique , eut une audience du Roi . Il
a paffé ici un Vaiffeau Anglois , à bord duquel
étoit un Officier , qui eft defcendu à terre . Cet
Officier , après avoir conféré avec le Chevalier
Gray, & avec le fieur Jamiñeau , Conful de la
1
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Nation Angloife , s'eft rembarqué , & fon Batiment
a remis fur le champ à la voile. 1
DE PALERME , les Mars.
un
Deux Galeres de Malte ayant relâché ici ,
Forçat qui avoit eu la liberté de deſcendre à terre
demanda chez un Droguifte une certaine quantité
d'opium , & d'autres drogues fufpectes . Le Marchand
fous quelque prétexte , s'excufa de le fatisfaire
fur le champ , lui dit de repaffer dans une
heure , & pendant cet intervalle avertit les Commandans
des Galeres . L'Efclave fut arrêté ; il
avoua qu'une partie des Chiourmes avoit formé
le complot d'empoifonner tous les Chevaliers qui
étoient à bord des deux Bâtimens. On a pendu
ce miférable , & fes complices ont été jettés à la
mer.
GRANDE - BRETAGNE.
DE LONDRES , le 25 Mars.
La Cour a envoyé ordre à Portſmouth d'y préparer
pour la Méditerranée une Eſcadre de dix
Vaiffeaux de guerre , dont les Amiraux Byng &
Weft auront le commandement . Les Commiffaires
de l'Amirauté ont fait arrêter à Sandwich l'équipage
d'une Chaloupe , qui a été détenue quelques
jours à Dunkerque , d'où elle a été relâchée .
Le 23 le Comte de Holderneff remit à la Chambre
, de la part du Roi , un Meffage , dont voici la
teneur. « Sa Majefté a reçu de différens endroits
» plufieurs avis réitérés , que la Cour de France
» a formé le projet de faire une invafion dans la
» Grande- Bretagne . Les grands préparatifs auf
» quels on travaille dans les Ports,de France , voiAVRIL.
1756.
199
» fins de mes Royaumes , & le langage que tien-
» nent les Miniftres François dans quelques Cours
étrangeres , ne laiffent prefque point lieu de
» douter de la réalité d'un tel deffein ; c'eft pour-
» quoi Sa Majesté a jugé qu'il étoit néceffaire de
>> vous faire part d'une nouvelle de fi haute im-
» portance pour le falut & le bonheur de la Na-
>> tion , & de vous informer qu'en conféquence
» des avis & des affurances de fon Parlement
» Elle a augmenté fes forces de terre & de mer ,
>> & pris les mesures convenables pour mettre fes
» Royaumes en état de défenſe contre une entrefon
prife conçue en haine des précautions dont Elle
» à ufé pour maintenir les droits & les poffeffions
» de la Couronne dans l'Amérique Septentrio-
» nale . Dans la vue de fe fortifier d'un nouveau
» fecours , Sa Majefté a requis que le Landgrave
» de Heffe-Caffel envoyât les troupes que par
» dernier Traité il eft obligé de fournir ; & les
» ordres font déja donnés pour leur tranſport. Sa
» Majesté fe repòfant fur la Protection Divine ,
>> ainfi que fur le zele & l'affection de ſes Sujets ,
» dont Elle a fait fi fouvent l'expérience , eft dé-
» terminée à ne négliger aucun moyen de fe dé-
>> fendre , & d'employer toutes les forces que Dieu
>> a mifes en fes mains , pour repouffer les efforts
>> hardis de fes ennemis. Elle ne doute point que
>> vous ne concouriez à un objet fi effentiel à
>> l'honneur de cette Couronne , au maintien de
» la Religion Proteftante , & à la confervation
» des libertés de ces Royaumes » . Le fieur Fox
porta à la Chambre des Communes un femblable
Meffage. Les deux Chambres ont préſenté chacune
une Adreffe à Sa Majefté pour l'affurer
qu'elles la feconderoient de tout leur pouvoir.
On affure que la Chambre des Communes , afin
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
de mettre le Roi en état de pourvoir plus efficacement
à la fureté de fa Perfonne & de fon Gouvernement
, autorifera Sa Majefté à emprunter jufqu'à
la concurrence d'un million fterling..
Tous les Officiers des troupes qui font en garnifon
à Gibraltar & dans l'Ile Minorque , partent
fucceffivement pour rejoindre leurs Corps . Le
Lord Bertie eft allé à Portfimouth , où il s'embarquera
pour Gibraltar avec fon Régiment . L'Amiral
Byng , à qui le Roi a donné le commandement
de l'Efcadre deftinée pour la Méditerranée ,
fe difpofe à mettre à la voile . On doit former
deux camps en Irlande , & l'on a ordonné d'y mettre
toutes les Milices fur pied.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
Relation des Fêtes données à Aix , au College
Royal- Bourbon , de la Compagnie de Jefus,
à l'occafion de la naiffance de Monfeigneur
le Comte de Provence .
LES Colleges n'étant pas moins deftinés à former
de bons citoyens à l'Etat , que des Sujets à
la République des Lettres , il n'eft pas furprenant
que ceux qui en ont la direction , dans les
événemens où nos Princes & la patrie font intéreffés
, excitent leurs jeunes Eleves à y prendre
part. La naiffance de Monfeigneur le Comte
de Provence étoit une époque trop favorable ,
pour que le College Royal - Bourbon des Jéfuites
AVRIL. 1756. 201
ne la célébrât pas . Il auroit cru négliger une
portion précieufe de l'éducation publique confiée
à fes foins , & manquer à ce qu'il doit à l'augufte
maifon des Bourbons fes fondateurs , s'il
avoit retenu captifs les tranfports de fa joie &
de fa reconnoiffance. C'eft dans ces vues qu'il
a donné quelques fêtes où la Religion & les
Beaux- Arts ont préfidé.
Le Vendredi matin , fecond jour de la nouvelle
année 1756 , elles furent annoncées par
diverfes décharges de boîtes . Vers les 11 heures ,
le P. Dufferre , l'un des Profeffeurs de Rhétorique
, prononça un Difcours François fur cet heureux
événement , en préſence de MM . les Confuls
& Affeffeurs d'Aix , Procureurs du Pays de
Provence , du Confeil de Ville , & d'une affemblée
des plus nombreufes & des plus brillantes
qu'on eût vues depuis long-temps. Ce qui fait
ehouer ces fortes de génethliaques , c'est que
pour l'ordinaire ils adoptent des idées trop vagues
, des préfages peu fondés , & qu'on y répete
ce qui a été déja dit bien des fois . Pour éviter
cet écueil , l'Orateur n'a envisagé la naiflance
du Prince dont il s'agit , que par l'intérêt qu'y
trouve la Provence . Mais il va nous tracer luimême
le plan de fon difcours , & nous en montrer
toute l'économie dans un exorde confacré en
grande partie à l'éloge des Bourbons.
Tandis que la Maifon puiffante , longtemps
rivale de nos Rois , & qui pendant tant de fiecles
a occupé le trône des Céfars , n'a pu échapper au
naufrage , ni continuer de donner des héritiers à
Charles V, Louis voit fa poftérité s'accroître , fe
perpétuer fous fes yeux , le fceptre affermi , la
fucceffion toujours plus affurée dans fon augufte
famille , le trône entouré de nouveaux foutiens ,
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
& la tranquillité publique porter fur un plus
grand nombre d'appuis.
Ces grands objets qui ouvrent un vafte champ
à l'éloquence , & qui intéreffent tout coeur François
, je pourrois ici les peindre , & annoncer la
fplendeur que jettera fur le royaume le Prince
naiffant. J'évoquerois , j'interrogerois les mânes
des ayeux célebres , à qui il doit fon origine , &
indiquant rapidement ces grands Hommes , ces
grands Rois à qui l'antiquité payenne eût élevé
des Temples , & aufquels l'admiration , la reconnoiffance
, ont parmi nous dreffé des autels dans
les coeurs , je dirois : Peuples , mefurez la gloire
du nouveau Bourbon fur celle de fes ancêtres ;
parce qu'ils ont été , préfagez ce qu'il fera . Il eft
du fang des Héros, de ce fang fait pour donner des
Rois au monde , ou pour les protéger , de ce fang
qui affis fur les trônes de France , d'Espagne , de
Naples , de Sicile, de Parme , fait partout des heureux
, & rend le joug de la Royauté préférable à la
liberté la plus douce. Un Bourbon en naiffant ,
averti par je ne fçais quel cri du coeur , d'afpirer
à une grandeur fupérieure à celle de fon rang.
Marchant au milieu des trophées de fes ayeux ,
invefti des rayons de leur gloire , entouré des
plus beaux modeles , témoin des titres illuftres
de Saint , de Grand , de Jufte , de Bien-aimé
titres que l'adulation ne prodigua point , que la
vérité a donnés , que l'envie elle -même n'a pu
refufer , partout où il porte les yeux , il voit
des traces d'héroïfme , des ftatues élevées à leur
magnanimité. Tous les livres , tous les tableaux ,
font l'hiftoire de leurs triomphes. A peine fçaurat'il
bégayer qu'on lui parlera de Fontenoi ,
de
Lawfeld , des Provinces que le courage de fon
ayeul a conquifes , & que fa modération a tendues
; on lui dira qu'interrompant lui- même le
eft
AVRIL 1756. 203
cours de fes exploits , & pofant de plein gré fon
tonnerre , il a préféré la conquête des coeurs à
toutes les autres victoires . Avec des exemples fi
voifins , des encouragemens fi puiffans , ne ſeroit-
ce pas une espece de prodige que ce Prince
vînt à dégénérer , & que des aigles qui ont porté
hardiment leur vol dans les cieux ,
n'euffent engendré
qu'une timide colombe ?
Tels font les augures que je formerois à la
gloire de la Nation , fi je n'avois pas à célébrer
la naiffance d'un Comte de Provence. Mais cette
dénomination demande des traits moins généraux
, & plus propres à exprimer l'intérêt particulier
que vous prenez à cet événement . Bor-
"
nons-nous donc à féliciter la Provence de l'honneur
qu'elle a de donner fon nom à l'augufte
enfant qui vient de naître , & effayons de réfoudre
deux queftions qui femblent embraffer tout
ce qu'offre ce fujet. Qu'est- ce qui a procuré à la
Provence une diftinction fi glorieuſe & que
doit-elle en attendre ? Je trouve qu'elle en eft
redevable à l'amour du Roi pour cette Province
& à l'attachement de cette Province pour nos
Rois. Que doit-elle s'en promettre ? La protec
tion la plus fignalée ; diftinction , par conféquent
, la plus glorieufe dans fes caufes , la plus
avantageufe dans fes effets.
Pour vous donner une idée de cette piece d'éloquence
, citons- en quelques morceaux qui
vous feront connoître le ton & la maniere de
P'Auteur.
La faveur dont la Provence vient d'être honorée
, n'eft point une de ces démonſtrations d'eftime
& de bienveillance qu'on fçait fi bien affecter
dans les Cours , démonftrations verbales &
extérieures que la politique , que la néceflité des
I vi
204 MERCURE DE FRANCE.
conjonctures arrache fouvent & dont on fe fert
quelquefois pour payer le mérite & les fervices
. C'eft une marque non fufpecte , non équivoque
, à laquelle on ne fçauroit méconnoître
les fentimens favorables du Prince à notre égard.
Ce n'eft point une de ces graces qui tombent
uniquement fur quelques particuliers qu'on
éleve aux premieres charges , tandis que le corps
entier refte dans la pouffiere. Celle dont il s'agit
intéreffe toute la Province. Ce n'eft point un de
ces témoignages d'attachement , connus feulement
de la perfonne qui les reçoit & qui n'éclatent
point au- dehors , qu'on donne dans le fecret ,
& qu'on peut défavouer en public . Rien de fi folemnel
que le témoignage d'affection donné à
cette province . En nommant fon auguſte petitfils
Comte de Provence , le Roi dit à toute l'Europe
, dit au monde entier attentif à ſes démarches
, que la Provence eft une contrée privilé
giée & favorite , que c'est un nom qui lui eft cher,
& qu'il met dans fa famille pour avoir occafion
de l'entendre fouvent répéter .
L'Orateur prouve enfuite que l'affection du
Roi pour la Provence , eft l'unique caufe qui aic
pu lui procurer une diftinction li glorieufe ; que
ce n'étoit point une obligation qu'il eût à remplir
, ni un ufage qu'il fallut refpecter.
Le Dauphiné compte avec raifon parmi fes
plus belles prérogatives , celle de donner fon nom
à l'héritier préfomptif de la Couronne . Mais fans
prétendre dégrader fes privileges , ne peut-on pas
dire que le nom de Dauphin eft moins une preuve
de la bienveillance de nos Rois que de leur
juftice, une grace qu'ils accordent , qu'une dette
qu'ils acquittent Ici fans être déterminé par le
devoir , ou averti par la coutume , fans trouver
AVRIL. 1756. 205
dans l'espace de trois ficcles la moindre trace d'une
pareille prédilection , Louis n'écoutant que fon
amour pour cette Province , veut être le premier
à lui donner cette marque de préférence , & qu'une
fi brillante époque pour elle date de fon regne :
attention précieufe du Souverain que la Provence
doit mettre dans les faftes de fa gloire . Eh quoi !
fi le moindre figne de bonté de la part de ces maîtres
du monde eft remarqué avec foin ; fi un coup
d'oeil favorable jetté comme par hazard , fi un
éloge échappé eft recueilli avec tranfport , une
faveur auffi réfléchie , auſſi déciſive , auffi intéreffante
, trouveroit - elle des coeurs froids & diftraits
?
La diftinction que reçoit la Provence , n'eft pas
feulement la preuve de l'attachement du Roi pour
cette Province ; c'eft encore la récompenfe de
l'attachement de cette Province pour nos Rois.
Ici on met fous un feul point de vue les principaux
monumens de zele & de fidélité par lesquels
les Provençaux ont fignalé leur amour pour nos
Souverains ; leurs exploits , les fervices qu'ils ont
rendus à la Monarchie lorfque leur Pays eft devenu
le théâtre de la guerre. Chaque coup de pinceau
eft un nouveau trait glorieux à la Provence .
Trois fois l'Autriche eft venu fondre dans ces
contrées avec des forces redoutables , & trois fois
cette aigle , qui comptant fur une proie certaine ,
avoit pris fon effor vers la Provence , a été obligée
de revoler vers les lieux d'où elle étoit partie
; ces armées nombreufes qui avoient inondées
vos villes , ont été diffipées comme l'ombre , &
ceux qui ont échappé au carnage , obligés honteufement
de s'enfuir , n'ont emporté avec eux que le regret
d'avoir
ofé attaquer
une nation
f
fidèle
& fi formidable
,
206 MERCURE DE FRANCE.
L'Orateur fait une mention particuliere de la derniere
irruption des Autrichiens en 1746. Il peint
avec les plus vives couleurs les défaftres aufquels
la Provence fut alors en proie , & les efforts héroïques
qu'elle oppofa aux armées ennemies . Et
il conclut ainfi ce morceau :
Mais quelle contrée fournit à la France dans
ces temps critiques des reffources fi prodigieufes ?
Eft-ce un de ces pays riches de leur propre fonds ,
qui dans l'étendue ou la fertilité, trouvent de quoi
faire les plus grandes avances , & fubvenir aux
plus preffans befoins ? Non : c'eſt la Province la
plus ftérile du Royaume , & une des plus petites ;
où la terre eft aufli ingrate que le ciel y eft beau ,
& qui produit le fuperflu fans donner le néceffaire.
Mais que ne peut pas l'amour de la patrie , le zele
pour fon Roi ? Il multiplie , il étend les reffources ;
il fupplée à la ftérilité du fol ; il compenfe le défaut
des richeffes ; il adoucit les charges les plus
pefantes. C'eft cet amour qui foutient , qui confole
la Province malgré l'épuifement où fes derniers
efforts l'ont réduite , & dont elle n'eft
encore relevée .
pas
La protection fignalée que la Provence trouvera
dans le Prince nouveau -né , & les effets avantageux
qui en réfulteront , font la matiere de la
feconde partie.
N'eft-il pas naturel , dit le P. D. que le nom
de Comte de Provence , nom qui n'ayant point
été porté avant lui par aucun fils de nos Rois
doit l'affecter d'avantage , lui rappelle fans ceffe
les intérêts de cette Province , foit pour elle un
titre à fa protection , un gage de fes bienfaits ?
Rien ne demande d'être manié avec plus d'art
que la louange. Elle n'offre que des fadeurs aux
Héros même qui en font l'objet , fi fe préfentant
AVRIL. 1756 . 207
trop à découvert , elle ne ménage point la modeltie
de ceux dont on prétend flatter l'amour - propre.
Notre Orateur a brûlé quelques grains d'encens
en l'honneur de ce qu'il y a de plus illuftre
dans la Provence ; mais c'eft un encens léger &
qui n'eft nullement infipide. Il fuppofe que dès
que la raifon aura éclairé le Comte de Provence ,
la Province dont il tire fon nom , fera un des premiers
objets de fa curiofité ; que charmé de connoître
cette contrée , fes moeurs , fes grands
hommes , on lui vantera la magnificence de cette
ville ( d'Aix , ) le ton d'aménité & de politeffe qui
y regne , ton qui fembloit être affecté à la Ĉapitale
du Royaume , & c. Les diverſes réponſes
faites au jeune Prince pour fatisfaire fa curiofité ,
renferment les éloges des Cours fouveraines , des
chefs qu'elles ont à leur tête , de M. le Duc de
Villars , Gouverneur de la Provence , de la Nobleffe
, des Provençaux célebres dans le monde
fçavant , &c. éloges d'autant plus flatteurs qu'ils
font plus indirects , & qu'en peu de mots ils offrent
un grand fens .
Quel défir ces divers Portraits n'infpireront- ils
pas au jeune Comte d'avoir près de fa perfonne
quelques membres de cette Province ? Pourra-t'il
les connoître fans aimer l'enjouement du caractere
, la vivacité de l'efprit qui femblent être
comme un des fruits de ce terroir ? & pour combien
l'honneur de l'approcher va- t'il être l'origine
de la fortune & l'époque de l'élévation ? ( 1 )
(1 ) Un détail intéreffant préfage ici aux divers
Habitans de la Provence , au Patriote zélé , au
Guerrier courageux , à l'amateur éclairé , à l'induftrieux
Négociant des avantages relatifs à leur
état. Cette Peinture riante femble contrafter avec
208 MERCURE DE FRANCE.
.....
Ainfi le Seigneur dont le bras vient de s'appéfantir
fi fenfiblement fur une grande partie de
la Provence , veut bien lui ménager des motifs de
confolation. Tandis que les fleuves qui l'arrofent
franchiffant leurs barrieres , & s'ouvrant des routes
nouvelles , ont montré , après leur débordement
l'aviron fendant les flots , là où deux jours
auparavant la charrue ouvroit la terre ; tandis
que ce nouveau déluge offroit l'affreux fpectacle
de digues renverfées , d'édifices écroulés , de
champs inondés, de troupeaux noyés , d'hommes
enfevelis fous les eaux , de malheureux placés entre
la famine & le naufrage , & du haut de leurs
maifons appellant avec des cris plaintifs la charité
bienfaifante ; dans le temps que nos Contrées
étoient ainsi déſolées par ces fléaux que je ne fais
qu'ébaucher , & qui auroient été bien plus funef
tes fans l'active prudence des Peres de la Patrie ,
du milieu des maux , du fein des défaftres , nous
voyons fortir l'efpérance. Sur l'horizon de laFrance
brille un nouvel Aftre dont l'éclat rejaillit en
grande partie fur cette Province , & lui annonce
les plus beaux jours. Des mains de Louis , la Provence
reçoit fon petit-fils pour Génie tutélaire ,
pour Protecteur . Et quel Protecteur ! Eft - ici un
de ces foibles appuis qui manquent aux befoins
les plus preffans , de ces fragiles rofeaux que le
moindre foufe déracine , de ces favoris dont la
chûte eft fort voisine de l'élévation , que la bizarre
fortune montre tantôt au faîte de la grandeur
, tantôt rampant dans la pouffiere , aujourd'hui
excitant l'envie , demain objet de compaffion
Le fang , la qualité du Protecteur dont je
le tableau des malheurs qui ont derniérement affligé
cette Province .
AVRIL. 1756. 209
parle , le mettent à l'abri de ces étranges viciffitude
; fon rang les place néceffairement , & toujours
à la fource des graces , & nos espérances ne
fçauroient fe repofer fur un appui plus folide.,
Il feroit trop long de fuivre l'Orateur dans la
defcription brillante des Fêtes magnifiques que
M. le Duc de Villars & la Ville d'Aix ont données
à l'occafion de cette naiffance. On y rappelle les
abondantes largeffes d'un Prélat ( 1 ) refpectable,
qui font allés chercher l'indigence dans les fombres
réduits où elle fe cachoit , y ont porté la joie ,.
& en ont chaffé la faim.
Verfez , ô mon Dieu ; les plus amples bénédictions
fur cette Princeffe , dont la fécondité eft le
prix de la vertu , qui au milieu des écueils & des
naufrages , montrant la piété la plus pure, fuit de fi
près les traces de l'Efther de la France . Continuez
à combler de vos bienfaits fon augufte époux qui ,
deftiné à retracer à nos neveux les regnes les plus
fortunés , donné par fes rares qualités les plus belles
efpérances. Plus flatté d'être le premier fujet
du Roi , que l'héritier préfomptif de la Couronne ,
ce Prince n'ambitionne point de porter la main
aux rênes d'un empire qu'il gouvernera toujours
trop tôt au gré de ſes défirs ; & à l'ombre d'un trône
où il voit affife avec Louis XV, la juftice , la clémence
, la valeur , la générofité , il fe contente de
fe montrer , de fe rendre toujours plus digne de
régner. Ne ceffez point , Seigneur , de préfider aux
Confeils de ce Roi bien aimé, pour qui renaiffent
ces jours brillans de la France , ou Louis XIV
voyoit fon Fils unique pere de trois Princes , &
une nombreuſe poſtérité affermir toujours plus le
Sceptre dans fon augufte maiſon : mais dans cette
(1) Monseigneur l'Archevêque d'Aix.
210 MERCURE DE FRANCE.
:
diftribution de faveurs céleftes , réſervez en une
part abondante pour le Comte de Provence . Ce
ne font point des profpérités humaines, des couronnes
fragiles que nous ſouhaitons , que nous deman-
'dons pour ce Prince , nos voeux ont un objet plus
fublime puiffe -t'il avoir pour la Religion un
amour inaltérable ,& la maintenir dans fes droits, à
l'exemple de fes ayeux , plus touchés du nom de
très- Chrétien , de Fils aîné de l'Eglife , que des
titres fuperbes de monarque & de conquérant !
que tandis que les arts éclaireront fon efprit , les
vertus forment fon coeur ! Ecartez de fa perfonne
ces hommes dangereux qui fe font une gloire
d'être les Miniftres des paffions des Princes, d'éveil
ler la volupté , & de lui prêter de nouvelles armes
contre leur foibleffe ! Qu'il détefte la flatterie, dont
le poifon defféche les plus beaux fruits du naturel
& de l'éducation ! & que la vérité trop fouvent
captive dans les palais des Grands , à travers les
barrieres & les nuages qu'on lui oppofe , faffe retentir
à fon oreille fes divins oracles ! Pour s'exciter
à l'héroïſme qu'il jette de temps en temps les yeux
fur les Bourbons fes ancêtres ! Non ; il na pas befoin
d'encouragemens étrangers : les exemples domeftiques
fuffifent ; & fans fortir de ſa famille , il trouvera
Augufte , Titus , Antonin & Trajan.
Ce Difcours qui parut être fort goûté des connoiffeurs
, fut fuivie d'une grand'Meſſe en Mufique.
Au fortir de l'Eglife , on trouva la Cour du College
tapiffée & décorée d'emblêmes , de devifes ,
de vers en plufieurs langues , où les Muſes Grecques
, Latines , Italiennes , Françoiſes & Provençales
, payoient à l'envi un tribut poétique au
nouveau Comte de Provence.
Le 3 & le MM. les Penfionnaires S repréfenteAVRIL.
1756. 211
rent un Drame Héroïque intitulé le Génie Tutélaire
, en trois Actes en vers , mêlé de chants &
de danfes. Cette Piece de Théâtre , de la compofition
du P. de Beaumanoir , Profeffeur de Rhétorique
, fut très -bien exécutée & généralement
applaudie. Elle offroit fous le voile de l'allégorie ,
tout ce qui peut intéreffer la Provence . Le concours
de Spectateurs qu'elle attira , fut prodigieux:
MM. les Confuls , à la tête du Confeil de Ville , ont
préfidés à la premiere repréſentation. M. le Duc
de Villars , Mefdames de la Tour , premieres Préfidentes
& Intendantes , & profque tout ce qu'il y
a de perfonnes de diftinction dans cette Ville ,
ont honoré la feconde de leur préfeace . Une brillante
illumination chaque jour a terminé la fête.
M. le Maréchal Duc de Coigny ayant obtenu
la permiffion de fe démettre de fon Duché en
faveur de M. le Comte de Coigny , Mestre de
Camp Général des Dragons , fon petit-fils , madame
la Comteffe de Coigny fut préfentée le 22
Février à Leurs Majeftés & à la Famille Royale ,
par Madame la Comteffe de Coigny , Douairiere .
En qualité de Ducheffe elle prit le tabouret.
Le 18 Février , entre fept & huit heures du matin ,
il y eut dans cette Capitale deux fecouffes de trem .
blement de terre ; mais elles ont été fi légeres que
la plupart des habitans ne s'en font point apperçus.
On a effuyé les mêmes fecouffes à Verſailles . Elles
fe font fait fentir en plufieurs autres endroits. Les
avis reçus de Beauvais marquent qu'elles y ont
été fenfibles principalement pour les perfonnes
qui étoient encore couchées. On a fait à Paris la
même obfervation . A Saint Quentin , la direction
du mouvement a paru être de l'Oueſt au Sud- Eft³:
le tems étoit à la pluie , & un vent d'Oueſt ſouf212
MERCURE DE FRANCE.
floit modérément. La Cloche de l'Hôtel de Ville
de la Fere a fonné d'elle - même plufieurs coups.
On mande de Dieppe , que le Barométre étoit ,
le jour du tremblement, au dernier degré au deffus
de la tempête. A Aire , il tomboit de la pluie mê--
lée de neige. Dans la Ville de Metz , quelques
cheminées ont été abattues . Sedan a éprouvé les
mêmes accidens, Les fecouffes,Y ont duré une minure
& quelques fecondes , & ont été accompagnées
d'un bruit femblable à celui du tonnerre.
Du refte , on n'a remarqué aucune agitation extraordinaire
dans les eaux de la Meufe. A Fifmes ,
Laon , à Moyenvic , à Mons , à Namur , à Bruxel- ´
les , à Maeftricht , à Utrecht & à Amſterdam , les
fecouffes ont commencé environ à la même heure,
& ont été de la même durée . Elles n'ont commencé
à Liege qu'à neuf heures du matin , & elles ont
duré trois minutes. Au départ du courier , la terre
n'étoit pas encore dans un parfait repos.
à
Le 2 Mars . M. de Montenault préfenta au
Roi le fecond Volume de la nouvelle Edition
des Fables de la Fontaine. Sa Majeſté témoigna
en être très- fatisfaite.
Le Roi a difpofé du Gouvernement des Ville
& Château de Dieppe , qui vaquoit par la mort
de M. le Marquis de Saliere , en faveur de M. de
Mailly de Rubempré , Chevalier des Ordres de
Sa Majefté , Lieutenant Général de fes Armées ,
& premier Ecuyer de Madame la Dauphine .
La place d'Infpecteur Général de l'Infanterie ;
vacante par la même mort , a été donnée à M. le
Comte de Choifeul - Beaupré , qui étoit Infpecteur
Général furnuméraire.
M. Le Marquis du Châtelet - Lomont , Lieutenant-
Général des Armées du Roi & Commandeur
de l'Ordre Royal & Militaire de Saint Louis,a été
A VRIL. 1756 . 213
fait Grand Croix de cet Ordre. Sa Majefté a nommé
Grand Croix Honoraire du même Ordre M.
le Marquis de Valory , Lieutenant - Général , Miniftre
Plénipotentiaire auprès du Roi de Pruffe.
Elle a accordé une place de Commandeur à M. le
Marquis de Braffac , Maréchal de Camp .
Le Régiment de Cavalerie de Royal Etranger,
dont M. le Comte de Charleval à donné fa démiffion
, a été accordé à M. le Comte de Chabot ,
Colonel dans les Grenadiers de France ,
M. le Comte de Durfort & le Chevalier de Corn ,
Aides-Majors des Gardes du Corps , ayant obtenu
leur retraite ,font remplacés par M. le Chevalier de
Montaigu & par M. de Prifye. M. Le Chevalier
de Luflay a été nommé Sous- Aide - Major. M. le
Chevalier de Ligondé a obtenu une place d'Exempt,
vacante dans la Compagnie de Noailles par
la retraite de M. de Fumereau .
Le 12, la Marquife de Beauffremont fit , à l'occafion
de fon veuvage , fes révérences à Leurs Majeftés
& à la Famille Royale.
Le 16 , Monfeigneur le Duc de Berry fut fevré.
Le 17 , M. Peirenc de Moras , que le Roi a
nommé pour Adjoint à M. de Sechelles dans la
charge de Contrôleur Général des Finances
remercia Sa Majesté.
La Reine entendit le 20 une Meffe de Requiem ;
pendant laquelle la Mufique chanta le De Profundis,
pour l'Anniverfaire de la feue Reine de Pologne
Ducheffe de Lorraine & de Bar , Mere de Sa Majesté.
-
Le 28 Madame la Ducheffe de Luynes , Dame
d'Honneur de la Reine , préfenta à Leurs Majeftés
l'épouse de M. Perinc de Moras. *
Selon des lettres de Calais , une Frégate Angloife
de trente canons , s'approcha le 9 de ce Port ,
fous PavillonHollandois, en faifant le fignal de dan214
MERCURE DE FRANCE.
3
ger. On commanda auffitôt une Chaloupe avec un
Pilote & neufhommes , pour aller au fecours de
ce Bâtiment. La Frégate a enlevé la Chaloupe , &
l'a conduite dans un port de la Grande-Bretagne.
A
Le Roi a déclaré qu'il donnoit fa nomination
pour le Chapeau de Cardinal à l'Archevêque de
Rouen , Grand Aumônier de la Reine ; & le 20 ce
Prélat en remercia Sa Majesté.
La place de Confeiller au Confeil Royal des
Finances , vacante par la mort de M. d'Ormeffon ,
a été accordée à M. Trudaine Confeiller d'Etat
ordinaire & au Confeil Royal de Commerce
Intendant des Finances.
>
Sa Majeſté a donné à M. Peirenc de Moras celle
de Confeiller d'Etat , qui vaquoit par la même
mort.
M. de Sechelles , Miniftre d'Etat & Contrôleur
Général des Finances , s'étant démis de fa place de
Confeiller d'Etat , le Roi l'a accordé à M. Chauvelin
, Intendant des Finances.
M. Moreau de Beaumont , Intendant de Flandre
, a obtenu l'agrément de la charge d'Intendant
des Finances , dont étoit pourvu M. Peirenc de
Moras. Le Roi a nommé à l'Intendance de Flandre
M. de Caumartin , Intendant de Metz , & a
donné l'Intendance des trois Evêchés à M. de Bernage
de Vaux , Intendant de Moulins .
Sa Majefté a difpofé du Régiment Suiffe de Vie
gier en faveur de M. de Caftelar , Maréchal de
Camp , & Capitaine au Régiment des Gardes Suiffes.
M. de Reding , Brigadier d'Infanterie , & Lieutenant-
Colonel du Régiment Suiffe de Monin , a
étéfait Colonel de ce Régiment.
la
Madame la Baronne d'Oppede fut préſentée le
14 à Leurs Majeftés & à la Famille Royale par
Marquise de Janfon .
On fit le 22 de ce mois la Proceffion folemnelle
AVRIL. 1756. 215
qu'on a coutume de faire tous les ans , en mémoire
de la Réduction de cette Capitale fous l'obéiffance
de Henri IV. Le Corps de Ville y affifta fuivant
'ufage.
M.l'Abbé du Refnel , l'un des Quarante de l'Académie
Françoife , & Affocié de l'Académie
Royale des Belles - Lettres , a été élu par cette derniere
Compagnie , pour y remplir la place de
Penfionnaire , vacante par la mort de M. Blanchard.
On mande d'Avignon , que le 3 à fix heures du
foir , le tems étant très - calme , & la Lune en fon
couchant ne donnant qu'une foible lueur , on apperçut
vers le Sud-Eft , dans la moyenne région
de l'air , un Globe auffi lumineux que la Lune en
fon plein. Environ trois fecondes après , ce Globe
fe transforma en une espece de Comete , dont la
queue s'étendoit vers l'Oueft. Ce Météore ne tarda
pas à fe perdre en forme de fufée volante , nuancée
de diverfes couleurs ainfi que l'Arc- en- Ciel . La
fufée fe termina en trois pointes , de chacune
defquelles il fortit une étoile pareille à celles
qu'on imite dans les feux d'artifice.
Selon les avis reçus de Canne & de Nice , on y
a vu le même jour & à la même heure un femblable
phénomene. Dans ces deux dernieres Villes,
il a paru fous un beaucoup plus grand volume
que dans celle d'Avignon . A Nice , la fufée fut terminée
par quatre étoiles de couleur de foufre, Elle
fat fuivie de deux violens coups de tonnerre..
Le 28 Mars , M. Feydeau de Marville , en
qualité de Confeiller d'Etat ordinaire , fut préfenté
au Roi par M. de Lamoignon Chancelier de
France.
M. de Berulle, Maître des Requêtes , a été nom→
mé à l'Intendance du Bourbonnois, vacante par la
216 MERCURE DE FRANCE.
nomination de M. de Bernage de Vaux à l'Intendance
des trois Evêchés.
Dans le neuvieme tirage de la premiere Loterie
Royal , le premier Lot eft échu au numéro 57083 ;
le fecond Lot eft échu au numéro 28188 , & la
Prime au numéro 8198.
>
Le 20 Mars M. le Comte de Clermont fit dans la
Plaine de fon Château de Berny la revue de fon
Régiment d'Infanterie d'Enghien , commandé par
M.le Comte de Polignac, Colonel-Lieutenant de ce
Corps . Le Régiment exécuta avec toute la précifion
poffible les manceuvres & les évolutions que
le Prince ordonna ; ce qui dura trois heures . Après
la revue M. le Comte de Clermont donna un
dîner de la plus grande magnificence à tous les
Seigneurs & Officiers qui l'avoient accompagné.
Sa table étoit de foixante couverts . On fervit plufieurs
autres tables dans les appartemens du Château
. Dans une Allée du Parc vis - à- vis du Sallon
où mangeoit le Prince , on avoit dreffé une table
pour les Sergens du Régiment , & deux autres
tables , chacune de fept cens couverts , pour
Soldats. Deux Grenadiers furent députés par leurs
Compagnies , pour aller porter la fanté du Roi &
celle de M. le Comte de Clermont. Le Prince les
reçut avec cette affabilité qui lui eft naturelle ,
qui le rend également cher aux Militaires & aux
Gens de Lettres. Au fortir de table , M. le Comte
de Clermont diftribua des préfens aux Officiers du
Régiment , & fon portrait aux principaux . Pendant
les trois jours que le Régiment a paffé à
Berny , ce Prince a tenu table ouverte pour tous
les Officiers.
les
&
Ou
AVRIL. 1756. 217
MARIAGES ET MORTS.
AVERTISSEMENT.
On a imprimé dans quelques ouvrages modèrnes,
( 1 ) que le Comte de Rupelmonde tué à l'action
paffée près de Paffenhoven en Baviere , le 15
Avril 1745 , étoit le dernier rejetton de fa maiſon.
Ceux qui ont avancé cette anecdote généalogique
, paroiffent avoir ignoré que la Branche
ainée de cette maifon eft continuée en la perfonne
de Ferdinand -Gillon de Recourt-de- Lens-de-
Licques , des Comtes de Boulogne , Seigneur &
Marquis de Licques , & c. c'eft un fait dont on
peut fe convaincre par les éclairciffemens fuivans ,
que l'on a cru devoir donner au public pour le défabufer
des impreffions qu'une pareille erreur
pourroit lui laiffer.

Philippes de Recourt-de- Lens- de- Licques , des
Comtes de Boulogne , Chevalier , Baron de Licques
, & de Boninghe , Chaſtelain héréditaire de
Lens , &c. Gouverneur de Cambray & du Cambréfis,
d'Harlem, de Louvain , de Lille , de Tournay ,
de Douay & d'Orchies , fut commis par le Roy
d'Efpagne , le 12 May 1586 , pour régler avec les
Commiffaires du Roy Henry III , tous les différens
qui pouvoient naître fur l'interprétation & l'exécution
des articles de la treve , conclue à Cambray le
23 Décemb. 1585. Ce Seigneur qui s'acquit la réputation
d'un des grands Capitaines de fon fiècle ,
(1 ) Poëme de Fontenoy , & Hiftoire de la guerre
de 1741.
II. Vol. K
218 MERCURÉ DE FRANCE.
mourut à Bruxelles le Vendredi Saint 1588 , lorqu'il
alloit être nommé Chevalier de l'ordre de la
Toifon d'Or. Il avoit fait fon teftament le premier
jour de Mars 1587 , & avoit été marié du confentement
de l'Empereur & de fon Confeil , le 3 Juin
1554 , avec Jeanne de Witthem , d'une illuftre
Maifon de Brabant , fortie par bâtardiſe des anciens
fouverains de cette Province , & alliée aux maifons
les plus confidérables des pays-Bas . De ce mariage
fortirent Gabriel , Baron de Licques qui fuit , &
Philippes de Recours - de - Lens- de - Licques, des
Comte de Boulogne , Baron de Wiskerque , &c .
qui a fait la branche des Comtes de Rupel
monde.
Gabriel de Recourt- de- Lens-de- Licques des
Comtes de Boulogne , Chevalier , Baron de Licques
& de Boninghe , &c . gouverneur de Charlemont
, & Colonel d'un Régiment de dix Compagnies
de gens de pieds , mourut à la fleur de fon
age en 1589 , ayant eu de fon mariage , qu'il avoit
contracté le 8 Juillet 1581 , avec Helene de
Mérode , d'une maiſon auffi illustre par fon ancienneté
que par fes alliances & fes fervices , fille de
Jean de Mérode , Seigneur de Moriamez & de
Philippote de Montfort , Philippes Baron de Licques
qui fuit :
i
Philippe de Recourt - de-Lens- de- Licques des
Comtes de Boulogne , Chevalier Baron de-Licques
& de Boninghe , &c. Gouverneur de Bourbourg
, Grand Bailli des Bois du Comté de Hainaut
, & de la Forêt de Mormal , & Confeiller du
Confeil de Guerre du Roi d'Efpagne , mourut le
28 May 1657 , & époula en premiere nôces , en
1614 , Sufane de Langlée , d'une branche cadette
de l'illuftre Maifon de Wavrin , dont il n'eut que
des filles ; il fe remaria en fecondes nôces , le 13
Juin 1630 à Louiſe de Cruninghe , Baronne de
AVRIL. 1736. 219
Cruninghe , & Vicomteffe de Zélande , héritiere
de fa maiſon , une des plus grandes des Pays-Bas ;
& cette alliance le fit tenir à toutes les têtes couronnées
de l'Europe . Elle étoit fille & héritiere de
Maximilien , Baron de Cruninghe , Vicomte de
Zélande , &c. & d'Eve Baronne de Kniphaufen-
Inhaufen , & petite-fille de Jean Baron de Cruninghe
, Vicomte de Zélande , &c ; & de Jacqueline'
de Bourgogne , fille d'Adolphe de Bourgogne , Seigneur
de Bevres & de la Vere, Amiral de Flandres,
& Chevalier de la Toifon d'Or ; & d'Anne de
Berghes-glimes; & petite- fille de Philippes de Bourgogne
, Seigneur de Bevres & de la Vere , Amiral
de Flandre , Gouverneur d'Artois , & Chevalier de
la Toiſon d'Or ; & d'Anne de Borfelle , fille de
Wolfard de Borfelle , Seigneur de la Verre, Comte
de Grandpré , Maréchal de France Chevalier de la
Toifon d'Or , &c ; & de charlotte de Bourbon ,
fille de Louis de Bourbon , Comte de Montpenfier
, Dauphin d'Auvergne , &c ; & de Gabriele de
la Tour ; de ce deuxieme mariage vint Philippes-
Charles-Bartholomé , Marquis de Licques qui fuit ;
& c'eft à caufe de cette alliance que MM. de
Licques portent en écartelure dans le grand cachet
de leurs armes , celles de l'augufte Maiſon de
Bourbon.
Philippes-Charles- Bartholomé de Recourt-de-
Lens-de- Licques , des Comtes de Boulogne , Che
valier Marquis de Licques , Baron de Boninghe &
de Cruninghe , Vicomte de Zélande , & c. Grand
Bailli des bois du Comté de Hainaut , Capitaine
d'une Compagnie franche, puis de cent chevaux de
Cuiraffiers , & gentilhomme de la chambre du
Prince de Baviere , électeur de Cologne , époufa
le 23 Janvier 1659 , Marguerite-Caroline - Gertrude
de Berlo , Chanoinefle de Mouftier , d'une
2.
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
illuftre Maiſon du pays de Liege , & fille de Paul ;
Baron de Berlo & de Bruff; & de Marie de L
Fontaine ; & eut de cette alliance un fils unique
nommé Ferdinand-Roch-Jean , Marquis de Lic
ques qui fuit ;
Ferdinand - Roch - Jean de Recourt- de- Lensde-
Licques des Comtes de Boulogne , Cheva
lier , Marquis de Licques, Baron de Boninghe ,
Vicomte de Zélande , &c . époufa le 23 Janvier
1700 , Anne-Michel- Alexandrine le Sart , mere.
d'un fils unique , nommé Ferdinand-Gillon , Marquis
de Licques qui fuit:
Ferdinand- Gillon de Recourt-de-Lens- de-Lic
ques des Comtes de Boulogne , Chevalier , Seigneur
& Marquis de Licques , Vicomte de Zélande
, Baron de Boninghe , &c . dernier hoir mâle
de fa maifon depuis la mort du Comte de Rupelmonde
, a épousé en 1730 Elifabeth de Lefpinayde
Marteville d'une ancienne maifon de Picardie ,
fille de Jacques , Marquis de Marteville , Maré
chal des Camps & Armées du Roi , & de Françoife
Abancourt. De ce mariage il n'a que trois filles ;
fçavoir :
?
1º. Catherine- Elifabeth-Henriette de Recourt
de-Lens-de-Licques des Comtes de Boulogne ,
mariée , en 1748 , à Louis - Eugene-Marie de
Beauffort, Comte de Beauffort , & de Moulle , & c.
d'une des plus anciennes & des plus illuftrés Mai
fons de la province d'Artois , fils de feu Chriftophe
- Louis de Beauffort , Comte de Beauffort , & cs
& de Marie-Anne-Françoife - Jofephe de Croix ;
2°. Louife- Aimée dite Mademoiſelle de
Lens ;,
>
3°. Marie-Gabriele-Victoire- Nymphe , dite
Mademoiſelle de Licques.
Philippe de Recourt- de- Lens- de - Licques des
AVRIL 1756. 22X
Comtes de Boulogne , Seigneur & Baron de Wifkerque
, & c. frere cadet de Gabriel Baron de Lic
ques , cité ci-deffus , & comme lui fils de Philippes,
Baron de Licques , & de Jeanne de Witthem ,
fut Colonel d'Infanterie Wallone , & Grand Bailli
du pays de Waes. Il épousa le 11 Juin 1590 ,
Marguerite de Steelan , d'une très -ancienne maifon
de Flandres , & tefta le 14 Juin 1630 ; de ce
mariage vint Servat Baron de Wiskerque qui
fuit :
Servat de Recourt - de - Lens- de - Licques des
Comte de Boulogne , Baron de Wiskerque, Grand
Bailli du pays de Wau , &c. époufa le 20 Septembre
1624 , Marguerite de Robles d'une illuftre mai .
fon originaire d'Efpagne, fille de Jean de Robles ,
Comte d'Annapes , Gouverneur de Lille , Douay
& Orchies & c. & de Marie de Liedekerque. De ce
mariage vint Philippes , Baron de Wiskerque &
Comte de Rupelmonde qui fuit :
Philippes de Recourt- de- Lens- de- Licques des
Comtes de Boulogne , Baron de Wiskerque , Seigneur
& Comte de Rupelmonde , &c . époufa le 3
Juillet 1655 , Marguerite de Baerlandt , d'une
ancienne maison des Pays-Bas ; il mourat fore
jeune, & laila pour fils unique Philippes Comte de
Rupelmonde , qui fuit :
Philippes de Recourt- de- Lens- de - Licques des
Comtes de Boulogne , Comte de Rupelmonde ,
Baron de Wiskerque &c. époufa le 21 Avril 1677 ,
Marie- Anne -Euſebe Truchfes , née Comteffe de
Wolfegg , d'une grande maifon d'Allemagne , &
fille de Guillaume , Truchfes Comte de Wolfegg ,
Gouverneur d'Amberg en Baviere , & d'Iſabelle-
Claire de Ligne- d'Aremberg & d'Arfchoft ; il
eut de ce mariage Maximilien- Philippes- Jofeph
Comte de Rupelmonde qui fuit :
K iij
222 MERCURE DE FRANCE.
Maximilien-Philippes-Jofeph de Recourt- de
Lens-de-Licques des Comtes de Boulogne , Comté
de Rupelmonde , Baron de Wiskerque , &c. Maréchal
des Camps & Armées du Roi d'Eſpagne ,
fut tué au Siege de Brihuega en Eſpagne le i 1 Décemb.
1710 , & avoit épousé le 24 Janvier 1705,
Marie-Marguerite d'Alegre, Dame du Palais de la
Reine , d'une illuftre maifon d'Auvergne , fille
d'Yves , Marquis d'Alegre , Maréchal de France &
Chevalier des ordres du Roi : il en eut pour fils
unique Yves - Marie Comte de Rupelmonde qui
fuit :
24
Yves-Marie de Recourt -de - Lens - de- Licques des
Comtes de Boulogne , Comte de Rupelmonde ,
Baron de Wiskerque , & c. Maréchal des camps &
armées du Roi , fut tué à la fleur de fon âge à l'acsion
paffée près de Paffenhoven en Baviere , le 1
Avril 1745. De fon mariage , dont le contrat fut
paffé en 1731 avec Marie- Chrétienne - Christine
de Gramont, dame du Palais de la Reine & fille de
Louis, Duc de Gramont , Pair de France, Chevalier
des ordres du Roi , Lieutenant général de fes Armées
, & Colonel du Régiment des gardes , & de-
Géneviève de Gontault de Biron , naquit le
Avril 1740 , un fils nommé Louis , mort peur de
temps avant fon Pere , en la perfonne de quis'éteignit
la feule branche cadette de la maifon de
Recourt- de-Lens- de- Licques , dont la branche
aînée feule fubfifte aujourd'hui dans la perfonne
du Marquis de Licques & de fes trois filles . Voyez
pour cette maifon qui par fon ancienneté,fes fervices
& fes alliances va de pair avec les plus grandes
du Royaume , l'Hiftoire des grands Officiers de la
Couronne , VII . vol . page 827 , où la Généalogie
eft rapportée ( affez imparfaitement ) à l'article des
Amiraux de France , à l'occafion de Charles de Re
AVRIL. 1756. 223
court-de Lens , & c. fait Amiral de France en 1418 .
Voyez auffi les tablettes Hiftoriques , Généalogiques
& Chronologiques , volume V. l'Armorial
Général de France de M. d'Hozier , premier Regiftre
, où il en eft parlé à l'occaſion de Ferdinand-
Roch -Jean , & de Ferdinand Gillon , Marquis
de Licques , fon fils , reçus Pages du Roi
dans fa grande écurie , l'un le 5 Août 1684 , &
l'autre le 21 Septembre 1722 , & ce que nous
avons dit de cette maifon dans les Mercures de:
France des mois de Juin 1731 , & 1745 , premier
volume , & c.
Jacques-François , Vicomte de CAMBIS , Colonel
du Régiment d'Infanterie de fon nom , fut marié le
18 Novemb. 1755. dans la Chapelle du Château de
Bellevue , avec Louife-Françoife- Gabriele de HENNIN
- LIETARD - DE - CHIMAY , fille d'Alexandre-
Gabriel de Hennin- Lietard , Prince de Chimay
Lieutenant Général des Armées du Roi , Lieutenant
-Feldt-Maréchal des Armées de l'Empereur ,
Grand d'Espagne de la premiere claffe , &c . mort:
le 18 Février 1745 , & de Gabriele- Françoife de
Beauvau , aujourd'hui Princeffe Douairiere de
Chimay. Le Curé de Meudon leur donna la Bénédiction
nuptiale . Leur Contrat de mariage avoit
été figné le 16 du même mois de Novembre , par
Leurs Majeftés & par la Famille Royale.
La Maifon de Cambis , originaire de Florence ,
a produit plufieurs grands hommes , entr'autres
Ludovifio Cambi , vivant en 1245 , lequel rendit
de grands fervices aux Papes Grégoire IX & Innocent
IV. Dante Cambi , Prieur de la Liberté de
Florence , qui vivoit en 1290 & 1300. Nero Cambi
, Gonfanonier de la République en 1421. Victor
Cambi , un des plus fameux partifans de la
faction Guelfe en 1450. François Cambi , qui
K.iiij.
224 MERCURE DE FRANCE.
époufa en 1492 Fiamette Corfini , &c. D'eux def
cendoit Luc Cambi , auquel cette Maiſon doit
fon établiſſement en France. Il quitta Florence
avec Marie de Pazzis , fon époufe , & Guy de
Cambi , fon frere , qui mourut fans enfans , pour
venir à Avignon , où il pofféda de grandes richeffes.
Il y fit fon Teftament le 13 Juin 1502 , &
laiffa douze enfans , fept garçons , dont trois ont
eu postérité , & cinq filles . Son fils aîné , Dominique
de Cambis , fut Baron d'Alais , Seigneur de
Saint-Paul , Saint-Martin - Malcap , &c. & tefta le
16 Janvier 1520. Il laiffa de fa femme Marguerite
Damians , entr'autres enfans Louis de Cambis
, Baron d'Alais , de Fons & de Sérignac , Seigneur
de Souftelles , &c. qui fut allié avec Marguerite
de Pluviers. De ce mariage vinrent entr'autres
, François de Cambis , Baron d'Alais , qui fuit ::
Jean de Cambis , Gentilhomme ordinaire du Prince
de Condé , Gouverneur de la Vignerie d'Alais ,
& Lieutenant de Roi au Gouvernement de Languedoc
, dont la poftérité fubfifte dans l'Orléa-.
nois , & Théodore de Cambis , Baron de Fons &
de Sérignac , qui forma une branche qui exifte
aujourd'hui en Languedoc.
François de Cambis , Baron d'Alais , fils aîné de-
Louis , fut Chevalier de l'Ordre du Roi , & époufa
Magdeleine de Villeneuve , fille de Claude , Marquis
de Trans , & d'Ifabelle de Feltres , de laquelle
il eut Georges de Cambis , Baron d'Alais , marié
à Itabelle de Thezan , fille d'Olivier , Vicomte du
Pujols & de Caffandre de Cenamy. De cette allian-.
ce fortirent quatre garçons , l'aîné defquels nommé
Jacques , époufa Catherine d'André , qui le
rendit pere de Jacques de Cambis , mort en 1653
fans poftérité . Sa foeur Ifabelle de Cambis , avoit
époufé Jacques de Berard , Seigneur de Montaler ,
AVRIL. 1756. 225
qui à caufe d'elle devint Baron d'Alais , Seigneur
de Souftelles , & c . Sa feconde foeur Ifabelle de
Cambis , époufa en 1655 Jean - François de la
Fare , Baron de la Salle , Meftre de Camp de
Cavalerie.
Nicolas de Cambis , cinquieme fils de Luc &
de Marie de Pazzis , fut auteur de la branche des
Seigneurs d'Auvaro en Provence , éteinte vers le
milieu du 16 fiecle .
Pierre de Cambis , fixieme fils de Luc , fut fait
Conful d'Avignon , du rang des Nobles de la
premiere claffe en 1547. Il avoit époufé dès le
28 Octobre 1525 , Françoiſe de Perruzzis , Dame
d'Orfan , au Diocèfe d'Uzès. Elle fut mere entr'autres
de Jéan de Cambis , Seigneur d'Orfan , Chevalier
de l'Ordre du Roi & de celui du Pape ,
premier Conful & Viguier de la Ville d'Avignon ,
au nom de laquelle il fut Ambaffadeur près du
Roi Henri III , qui le fit Chevalier de fa propre
main , & près du Pape . Il épouſa le 16 Avril 15552
Françoile de Clericis , qui le rendit pere de trois
garçons qui ont laiffé poftérité. Celle de Richard ,
qui étoit l'aîné , finit vers la fin du dernier fiecle.
Le ſecond nommé Louis , fit la branche des Seigneurs
d'Orfan dont on va parler ; & le troisieme ,
qui s'appelloit Antoine , fut auteur de celle des
Seigneurs d'Hortes , éteinte depuis environ cent
ans.
>
Louis de Cambis , fecond fils de Jean & de
Françoife de Clericis , fut Seigneur d'Orfan , &c.
premier Conful & Viguier d'Avignon , Capitaine
d'une Compagnie de Chevaux- Légers , & Chevalier
de l'Ordre du Roi. Il époufa par contrat du
16 Mai 1583 , Georgette de la Falêche , fille
d'Antoine , Chevalier de l'Ordre du Roi , & de
Françoife de Riccis. Il eut de ce mariage , 1º
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
f
t
Jean de Cambis , qui continua la ligne directe ;
2º. Paul de Cambis , auteur de la branche des
Marquis de Velleron , qui feront rapportés enfuite
; 3 ° . Octave de Cambis , Camerier du Pape
Urbain VIII.
I
Jean de Cambis , Seigneur d'Orfan , &c. fils
aîné de Louis & de Georgette de la Falêche , fut
allié par Contrat du 1 Mai 1616 , à Marguerite.
de Simiane , Dame de Cairane , qui le rendit pere
> entr'autres de Louis de Cambis , Seigneur d'Orfan
, &c. marié par Contrat du 13 Avril 1638 ,
avec Magdeleine de Baumefort. De cette alliance
vint entr'autres Charles de Cambis , Seigneur
d'Orfan & de Lagnes , qui époufa par Contrat du
30 Août 1674 , Marie- Anne Pilchotte de la Pape
dont vint Jacques de Cambis , Seigneur d'Orfan
&c. allié en 1690 , à Magdeleine de Guilhens de
Puy-Laval , qui fut mere de Louis - Charles de
: Cambis , Seigneur d'Orfan & de Lagnes , marié
en 1723 ´à Anne - Elifabeth de Pierne , fille de
Marc- Antoine , Seigneur d'Arenes & de Sufanne .
de Bafchi du Cayla. De ce mariage eft né le
7 Mars 1727 , Jacques- François de Cambis qui
donne lieu à cet article .
Paul de Cambis , fecond fils de Louis & de
Georgette de la Falêche , fut Baron de Brantes ,
Seigneur de Cairane , & Co- Seigneur de Velleron ,
Chevalier de l'Ordre du Roi , Capitaine- Lieutenant
du Régiment de Normandie , & Syndic de
la Nobleffe du Comté- Venaiffin , & en cette qualité
député au Roi Louis XIII . Il fut marié le 21
Février 1621 , à Gabriele de Rodulf, fille de Louis,
Seigneur de Limans , &c. & de Marthe de Grimoard
du Roure. De cette alliance vint François
de Cambis , Baron de Brantes , créé Marquis de
Velleron , par Bulle du Pape Clément IX. Il époufaAVRIL.
1756. 227
en 1653 Jeanne de Forbin , foeur du Cardinal de
Janfon, de laquelle il eut entr'autres Jofeph de
Cambis , & Louis-Dominique de Cambis qui ont :
laiffé postérité.
eft Jofeph de Cambis , Marquis de Velleron ,
mort le 6 Janvier 1736 , chef d'Efcadre des Galeres
du Roi , & Commandeur de l'Ordre Royal &
Militaire de S. Louis. H avoit épousé Angélique
de Cambis de Fargues , de laquelle il a laiffé
1º. Jofeph-Louis-Dominique de Cambis , Marquis
de Velleron , dit le Comte de Cambis , né en
Novembre 1706 , Colonel de l'Infanterie du
Comté- Vénaiffin , marié le 13 Avril 1741 , avec :
Anne- Louiſe de la Queille de Châteaugué , dont
eft née Marie Jofephine - Louife Sophie de
Cambis ;
-
2º. Angélique-Touffaint de Cambis , allié le
16 Mars 1716, à Louis - Joſeph Gras, Seigneur de
Préville ;
3°. Jeanne de Cambis , mariée le 16 Avril 1719 ,.
à Antoine Hoftager , Seigneur de Roquetaillade.
Louis- Dominique , Comte de Cambis , Lieutenant
général des Armées de Sa Majeſté , ſecond
fils de François & de Jeanne de Forbin , eft mort
à Londres , où il étoit Ambaffadeur du Roi , le
12 Février 1740 , laiffant de fa femme Catherine
Nicole Gruin , morte en 1754 ;
1º. Louis-Jofeph-Nicolas , Marquis de Cambis
, né le 1 Mars 1725 , Brigadier de Cavalerie en
Décembre 1748 , Meftre de Camp du Régiment :
de Bourbon, & Gouverneur de Sifteron...
2 % Anne-Victoire de Cambis , née à Turin ou
fon pere étoit Ambaffadeur , le 1 Juin 1726 , mariée
en Avril 1746 au Marquis d'Herbouville ,
Capitaine de Gendarmerie.
CAMBIS porte pour Armes d'azur au chêne d'or ,
22S MERCURE DE FRANCE.
mouvant d'une montagne à fix copeaux de même ,
foutenus par deux lions auffi d'or.
Le 2 Novembre 1755 ,mourut en fon Château
d'Andechy en Picardie , François- Simon de Riencourt
, Comte d'Andechy, marié le 2 Mai 1695 , à
Jeanne- Jule de Guerin de Tarnaut , fille de Robert
de Guerin de Tarnaut ,. & de Jeanne Huaut
de Montmagny , dont il eut Jeanne- Jule Dame
de S. Cyr ; Anne- Françoife , mariée les Mai
1728 , à Pierre de Guerin de Tarnaut , fon oncle
maternel , ancien Colonel d'un Régiment d'Infanterie
de fon nom & René-Léonor , Chevalier
Comte d'Andechy,marié le 23 Juin 1719 , à Jeanne
de Forceville , fille de Charles , Chevalier Seigneur
de Forceville , & d'Antoinette du Mouchet
de Vauffelles ; dont Barbe Simon Comte de Riencourt
, Capitaine de Cavalerie au Régiment d'Archyac
; Pierre de Riencourt, Prêtre ; Louis-François
, d'abord Page de Madame la Dauphine , puis
Lieutenant au Régiment d'Archyac , & trois filles
à S. Cyr
La Maifon de Riencourt alliée à celles . de
Mailloc , Montmorency , Amiens , Bournel , Ailly ,
Lamet , Rellencourt , Desfriches- Doria , Forceville
, la Fontaine , Guerin de Tarnaut , d'Angennes,
Fiercelin, Mareuil , Saiffeval , Saint Georges-
Verac , Joyeuse , &c..eft une des plus anciennes
de Picardie , où elle eft connue dès le commencement
du treizieme fiecle , comme on le
voit par les Cartulaires de différentes Abbayes.
En 1206 Thomas de Riencourt qualifié Chevalier ,
foufcrit à la donation de plufieurs biens que fait.
Enguerran de Pequigny Vidame d'Amiens , à l'Eglife
de Sainte Marie de Moliens . En 1223 Jean
de Riencourt fon fils tranfige avec les Religieux
de l'Abbaye du Gard, en préfence du Vidame d'A-
&
AVRIL. 1756. 229
"
miens , & leur laiffe quelques droits qu'il tenoit
d'Amelius de Bouelles fon ayeul , touchant les
marais de Croy. Hugues de Riencourt , fon fils ,
dans le dénombrement des terres de Riencourt &
Saint Leger , qu'il donne en 1259 , à Jean , Baron
de Pequigny, Vidame d'Amiens , prend les qualités
de Haut Puiffant Seigneur Meffire Hugues ,
Seigneur de Riencourt , Franqueville , Saint Leger,
Drueulfous Moliens le Vidame, Orival, Bergicourt ,
Tilloloy Vaux; ainfi il y a 500 ans que ces quatre
dernieres terres font dans la maifon de- Riencourt.
On trouve à la Chambre des Comptes de Paris
un Bref daté de Lyon , du Pape Innocent IV, à
P'Evêque d'Amiens , par lequel il accorde à Jeande
Ricncourt & à Hugues fon fils , dont on vient
de parler , les mêmes Indulgences que s'ils s'étoient
croifés pour la Terre Sainte , parce qu'ils
étoient difpofés à aller au fecours de l'Eglife Uni-
-verfelle contre les habitans d'Aix - la - Chapelle
{ contra Aquenſes } *;
" La Maifon s'eſt d'abord diviſée en deux bran→
ches formées par les deux enfans d'Enguerran ,
Seigneur de Riencourt , décedé en 1380. La branche
aînée eft tombée avec la Terre de ce nom
dans la maifon d'AUDENFORT , d'ou en celle de
TIERCELIN , par le mariage de Marguerite de Riencourt
, fille de Hugues, Seigneur de Riencourt , &
de Marie de Lamet , & petite- fille de Jean , Seigneur
de Riencourt , & de Márie de Montmorency,
* Comme le Pape étoit alors obligé de se fauver
de Rome a caufe de la guerre que lui faifoit l'Empereur
Frédéric II , qu'il avoit excommunié , le
Pape les engagea à lui prêter fecours , & à aller contre
les habitans d'Aix- la Chapelle , en leur promet
tant l'abſolution générale de leurs péchés..
230 MERCURE DE FRANCE.
*
de la branche de Bours , fille de Hugués de Monte
morency , Chevalier Seigneur de Bours , & de
Marie d'Ognies.
La branche de Riencourt d'Orival devenue aî→
née , s'eft fubdivifée en deux autres branches formées
par Raoul de Riencourt, Seigneur d'Orival ,.
Bergicourt , &c. & par Thomas de Riencourt-
Seigneur de Tilloloy , Vaux , &c. tous deux enfans
de Matthieu de Riencourt , vivant en 1430 .
Raoul de Riencourt , Chevalier Seigneur d'Orival
, Bergicourt , du Qefnel & Linas , vivoit en
1476 avec Jeanne de Borgeau fon épouſe , fille de
Jacques de Borgeau Seigneur dudit lieu , dont
deux enfans ; le cadet a formé la branche de Parfondru
près Laon. François de Riencourt , Chevalier
Seigneur de Parfondru & Drouay , fils de
Pierre de Riencourt , Chevalier , Seigneur defdits
lieux , & d'Ifabelle de Sons , marié en 1639, à Ju--
dith-Anne de Joyeuse de la branche de Montgobert
, fille de Robert de Joyeuſe , Baron de Verpeil
& de Montgobert , & de Judith Hennequin ,., .
étoit de cette branche , qui fubfifte encore aujour
d'hui près de Rhetel en Champagne .
Antoine de Rien court , Chevalier , Seigneur
d'Orival dont on vient de parler , eut de fa femme
Marie de Saquefpée , Adrien , Seigneur d'Orival
, marié à Charlotte de la Motte , fille de Char--
les de la Motte , Chevalier , Seigneur de Ville &
Montigny , & de Jeanne d'Abbeville ; dont
François , Seigneur d'Orival , Bergicourt , Morvillier
, Graville , &c. Gentilhomme de la Chambre
du Duc d'Anjou , frere d'Henri III , qui de
Dianne de Maillor fa femme , fille de Nicolas-
Baron de Mailloc , & de Charlotte de Monchy, eut
François, Seigneur deſdits lieux , marié 1º . en 1642,
à Catherine de Sennemon , fille de Jean de SenneAVRIL.
1756. 232
mon , & de Gabriele de Tier celin ; 2 ° à Marie de
Moreuil , fille d'Artus de Moreuil , Chevalier de
l'Ordre du Roi , & de Charlotte de Halluyn. Du
fecond lit vinrent deux filles , l'une mariée dans la
maifon du Blaifel en Boulenois , l'autre , dans
celle de Venoix en Normandie , & Jean- Auguſtin
de Riencourt , Marquis d'Orival , marié le 4 Janvier
1683 à Marie-Anne Desfriches -Doria, fille de
Charles Desfriches , Baron de Braffeufe, & d'Annedes
Etangs ; dont un Chevalier de Malte mort ;
le Comte d'Orival , ancien Capitaine aux Gardes ,
& Charles- François de Riencourt , Marquis d'Orival
, ancien Colonel du Régiment de la Reine-
Dragons ; lequel de Marie d'Angennes fa femme,
fille de Charles- François d'Augennes , Chevalier
Seigneur de Maintenon , Commandant des Ifles
Saint Pierre & Guadeloupe en la Martinique , eut
Marie-Adelaïde de Riencourt, mariée le 2 Janvier
1742 , à Pierre- Cefar de Saint Georges , Marquis de
Verac , Lieutenant- Général de Poitou , qui n'ont
laiffé à leur mort qu'un fils unique appellé le
Marquis de Verac.
La branche de Tilloloy vient , comme nous l'a.
vons dit , de Thomas de Riencourt , Chevalier
Seigneur de Tilloloy , Vaux , Arleux , S. Severin ,
marié à N. Deamont ; dont Hugues marié en fe
condes nôces à N. de Jalaife, avec laquelle il vivoit
en 1550 ; dont Chriftophe de Riencourt marié le
11 Août 1561 , à Claude le Hochart , fille de Benoît
le Hochart , Seigneur de Lepinay, & de Guil
lemette de Bournel ; dont Nicolas de Riencourt
Chevalier , Seigneur de Tilloloy , Vaux , Arleux ,
Saint Severin , marié le 9 Avril 1589 , avec Anne
d'Ailly , de la branche d'Annery , fille de Claude
d'Ailly, Chevalier , Seigneur de Montgerout, Lau
Bay , Clerfon , Montcornel &c. Chevalier de
232 MERCURE DE FRANCE.
l'Ordre du Roi , un des cent Gentilshommes de
la Maifon de Sa Majefté , Gentilhomme d'honneur
de la Reine , Enfeigne de la Compagnie des.
Gendarmes de M. de Villebon d'Eftouteville , &
de Jeanne de Joigny -Blondet fa premiere femme ,
veuve de Martin de Bournonville , Chevalier Seigneur
de Châteauregnaud , Gouverneur de Montreuil
. Heut de ce mariage Dianne de Riencourt ,
mariée à Charles de la Rue , Chevalier ; Anne
mariée en 1614 à François de Saiffeval , Chevalier
, Seigneur de Blerancourt ; Claude de Riencourt
qui a formé la branche de Boisgeffroy en
Normandie , où elle fubfifte encore ; marié 1º . à
Renée de l'Epinay ; 2 °. à Marie de Conveloire ; &
François de Riencourt,Chevalier, Seigneur de Til
loloy , marié le 16 Juin 1618 , à Marguerite de la
Fontaine , fille de Louis de la Fontaine , Chevalier
, Seigneur de Candore , & d'Ifabcau de Lan ;
dont trois enfans.
Le dernier , Leonor- René de Riencourt , Chevalier
Seigneur d'Andechy , Commandant du
fecond bataillon du Régiment de Lyonnois, marié
le 11 Septembre 1674 , à Catherine de Vinet ; dont
le Comte d'Andechy qui donne lieu à cet article.
Le fecond, Henri de Riencourt , Chevalier, Seigneur
de Ligneres , marié le 21 Décembre 1659 ,
à Marguerite de Hanffart , fille de Claude de Hanffart,
Seigneur d'Efcoquerre, & de Charlotte de l'Etoile
;
dont Louis de Riencourt qui , d'Elifabeth
d'Urre fa femme , à eu 1º . Louis- Claude de Rien
court , Seigneur de Ligneres , vivant actuellement
avec Catherine Gaillard fa femme , dont un fils
Page de la Reine , & plufieurs autres enfans. 2º .
Charles-Henri de Riencourt , qui a laidé à fà mort
plufieurs enfans d'Elifabeth de Cacheleu de Maifoncelle,
fa femme ; 3 ° . Louis,Chanoine d'Amiens ;
AVRIL. 1756. 233
4. Une fille mariée à Charles de Létoile, Seigneur
de Preville , & une autre mariée à Simon de Lana
glois, Chevalier, Capitaine au Régiment de Cham
pagne , Directeur des Fortifications du Soiffonmois.
Le fils aîné de François de Riencourt, & de Marguerite
de la Fontaine, nommé Louis de Riencourt;
Chevalier , Seigneur de Tilloloy , Vaux , Arleux ,
&c. eut de Marguerite Forestier fa- femme , une
fille mariée le 7 Janvier 1667 , à François de Forceville
, Chevalier , Seigneur de Forceville , Fontaines
, & c. & Ferdinand-Laurent de Riencourt ,
Capitaine de Cavalerie , marié le 4 Décembre
1684 , à Marie-Anne de Gaude , fille de Jean de
Gaude , Chevalier, Seigneur de Martainneville , &
de Marguerite de Croze ; dont Charles- Pierre- Paul
marié à N. de Bonnet ; Leonor-René , ancien Capitaine
de Cavalerie , & plufieurs autres enfans :
l'aîné de tous eft Louis- François de Riencourt, ancien
Officier au Régiment de Royal Piémont Cavalerie
, marié à Marguerite de Ternifien veuve
de N. de Sarcus , Chevalier , Seigneur de Courcelies
, dont deux enfans dans le fervice & deux
filles.
Les Armes de la Maifon de Riencourt font
d'argent à trois faces de gueules fretées d'or.
Catherine - Dorothée , née Princeffe Jablonouska
, époufe de Maximilien -François de Tenezyn
Duc Offolinski , Chevalier des Ordres du Roi ,
Grand Maître de la Maifon du Roi de Pologne
Duc de Lorraine , eft décédée fans enfans le s Janvier
1756. Elle étoit fille de Jean Staniflas , Palatin
de Ruffie , frere de Madame Royale , mere da
Roi de Pologne , & de Jeanne- Cafimire de Be
thune , niece de la Reine de Pologne , femme de
Jean LIL
234
Les deux illuftres Maifons de Jablonouski &
d'Offolinsky , des premieres de Pologne , font
connues & également recommendables par l'ancienneté
, l'illuftration & les grandes alliances
-par lefquelles elles appartiennent ou font alliées à
prefque tous les Souverains de l'Europe.
J'Aer
APPROBATION.
' Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chance
lier , le fecond volume du Mercure du mois
d'Avril , & je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion. A Paris , ce 13 Avril 1756.
GUIROY
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE
FPitre àThalie ; page
Vers à Mademoiſelle Dudeffend , le jour de fa
fête ,
2
Il fut heureux , aventure qui arrive à peu de
monde ,
Ode ,
Penfées ,
10
23.
28
Vers à M. le Baron de *** par M. de Baſtide , 30-
Vers au grand Racine fur la mort du jeune Racine
, 35
Lettre à l'Auteur du Mercure au fujet de la furdité
& de la cécité
36 36
235
Vers fur l'infuffifance de la raifon dans tous les
>
âges ,
Impromptu ,
49
42
Vers à M. le Comte de Provence , par le fieur de
Pradal , Capucin , 43
Lettre de M. Relongue de la Louptiere , au fujet
de Mademoiſelle P... de Chartres ,
Epître à M. Rameau , par le même ,
Vers , par le même ,
Stances à Mademoiſelle Brohon ,
46
49
50
51
Réponse d'un Anonyme au bouquet de M. Vallier
,
52
Explication des Enigmes & des Logogryphes du
premier Mercure d'Avril ,
Enigme & Logogryphe ,
53
54
Couplets à une Demoiſelle qui fe plaignoit de ce
que fes cheveux tomboient , 56
ART. II . NOUVELLES LITTERAIRES.
Indication , Précis ou Extraits de livres nouveaux
,
57
Lettres de M. Dienert au fujet de fa liqueur fondante
,
77
84
Lettre de M. l'Abbé de Condillac à l'Auteur des
Lettres à un Amériquain ,
Lettres au fujet du Commentaire de l'Ordonnance
de la Marine , & du Livre de M. de la
Rue ,
96
Suite de la Séance publique de l'Académie de Befançon
,
112
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Lettre au fujet du Prix de l'Académie Royale des
Sciences ,
Pharmacie. Differtation fur un corps embaumé ,
trouvé en Auvergne ,
125
127
236
Méchanique. Lettre du fieur Thillaye , Privilégié
pour les Pompes , à Rouen , 136
Séance publique de l'Académie Royale des Sciences
, des Belles Lettres & des Arts de Rouen ,
140
Sujets propofés par l'Académie Royale des Beaux
Arts , établie à Paris ,
ART. IV . BEAUX - ARTS.
165
Musique.
Gravure.
167
168
fieur le Mazurier ,
Peinture. Lettre de M. Colins à l'Auteur du Mercure
, 170
Explication d'un Tableau à l'encre de la Chine
178
Horlogerie. Extraits des Regiftres de l'Académie
Royale des Sciences au fujet d'une Pendule du
ART V. SPECTACLES.
180
Comédie Françoiſe. 189
Comédie Italienne . 190
Opéra Comique ,
191
Spectacle de S. Cyr , ibid.
Concert fpirituel ,
192
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres ,
195
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 200
Mémoire généalogique ,
217
Mariages & Morts, 218
De l'Imprimerie de Ch . Ant . Jombert.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
MAI . 1756.
Diverfité, c'est ma devife. La Fontaine.
Cochin
Filius inv
PapillonSculp
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix .
JEAN DE NULLY , au Palais .
Chez PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftios .
Avec Approbation & Privilege du Roi ,

AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers .
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à lapartie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la poſte , payeront
pour feize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du portfur
leur compte , ne payeront comme à Paris ,
qu'à raifon de 30 fols par volume , c'eſt- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
A ij
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à Padreffe ci- deffus .
On Supplie les perfonnes des provinces d'envoyer
par la pofte , enpayant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance an
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
resteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine, aprèsmidi.
On peut se procurer par la voie du Merles
autres Journaux , ainſi que les Livres
, Estampes & Mufique qu'ils annoncent.
cure ,
MERCURE
DE FRANCE
M A I. 1756.
LYON
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
f:
EPITRE
De M. des M ... à M. de M....
SII du refte de ma jeuneſſe
Je puis jouir en liberté ,
Et confacrer à la molleffe
Des jours filés par la ſanté ,
Je n'irai plus perdre ces heures
A chercher des biens fuperflus
DE
TELA VILLE
6.
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Dans les faftueufes demeures
Des Séjans & des Lucullus .
Une bonne plaifanterie ,
Un ingénieux enjoûment ,
Une agréable rêverie ,
Un voluptueux fentiment
Se rencontrent trop rarement
Dans une riche galerie ;
Et dans ta petite maiſon ,
D'où rien de grand ne fe découvre ,
Nous trouverons fur un gazon ,
Le bonheur exilé du Louvre .
Cet humble & tranquille réduit , -
Placé loin des fots & du bruit ,
Sans marbres , fans bronzes , ni glaces ,
Aux plaiſirs du coeur dédié
Sera la chapelle des Graces
Et le temple de l'Amitié.
Là , difciples de Théophrafte ,
Nous rirons de ce fat ambré ,
Qui bâille dans un fallon vafte
Encor trop étroit à fon gré ,
Et qui du vulgaire admiré ,
Comme un plomb vil , eft le contraſte
De l'or dont il eft entouré.
Efclave ou tyran de fa femme ,
Honteux ou vain de fes ayeux ,
Cet ignorant fentencieux
Rit des fottifes qu'il déclame ;
MA I. 1756.
Et dans fes meubles précieux
Tout eft fait pour frapper les yeux ,
Mais rien n'eft fait pour toucher l'ame.
A tous les préjugés foumis ,
Cet homme acablé de richeſſes
N'a que d'infideles maîtrefles ,
Et que des gourmands pour amis .
Tandis qu'avec peine il digere ,
Qu'il penfe faux avec travail ,
Ou qu'il boude dans fon ferrail ,
L'Amour me conduit chez Glicere .
On nous fert un fouper frugal ;
Sa main qu'un tas de lis compoſe ,
Me préfente l'heureux cryftal
Qu'a touché fa levre de rofe.
Tu connois cette volupté ,
Toi qu'avec plaifir je contemple
Au fein de la fobriété :
Ami de la fimplicité ,
Contre une fortune plus ample
N'échange point la liberté.
Les vrais plaifirs font dans ta ſphere
Sans obfcurité , fans éclat ;
A- t'on befoin d'un grand état ,
Quand on a le bonheur de plaire ?
A iv
S MERCURE DE FRANCE.
LES A PROPOS ,
LES à
Hiftoire du fiecle paffe.
propos font auffi rares que les
mal à propos font fréquens. Le choix des
fociétés ; les liaifons d'amitié , les moyens
d'éviter l'ennui , les parties de plaifir , les
projets de fortune ou de bonheur , la fureur
de l'efprit , les difcours que l'on tient,
les chofes l'on fait font des mal- à - proque
pos. Les mariages font les premiers de tous;
& l'amour qui eft quelquefois un à propos
fi joli , eft prefque toujours le contraire
par la façon dont on l'amene.
Je ne connois que les gens bornés qui
fçavent faifir les à propos . Dans cent perfonnes
qui s'élevent , il y en a quatrevingts
de médiocres. Je ne finirois point,
fi je voulois rapporter tous les mal - à-propos
du monde je me contenterai d'en
donner un extrait par l'hiftoire qui fuit.
Hiftoire des deux freres.
Mademoiſelle de Vierville étoit une
héritiere de Normandie : on l'éleva dans
un Couvent de Rouen ; on ne contraria
point fes volontés , on ne rompit point
MAI. 1756.
9
*
fon humeur fon caractere prit tel pli que
la nature voulut le lui donner ; & la nature
les donne fouvent mauvais. Les Religieufes
auroient craint de manquer d'égard
pour fa naiffance , fi elles lui avoient fait
la moindre repréſentation. Cette crainte
étoit auffi fondée que fi l'on s'abftenoit
par refpect de ratifler la grande allée des
Tuileries
, parce que c'est un jardin
royal.
Mlle de Vierville étoit très fenfée :
mais graces à fon éducation , elle devint la
plus impertinente de toutes les créatures :
elle le fçavoit elle - même , & ne put pas
s'en corriger. On la maria avec M. de Sermanville
, Préſident du Parlement de .....
C'étoit un homme qui de fa vie n'avoit
dit ni fait rien à propos : il n'avoit de l'efprit
qu'un quart- d'heure après qu'il auroit
dû en avoir : il étoit né railleur , & c'étoit
toujours tantpis pour lui . Il fçavoit attaquer
& ne fçavoit pas parer : il portoit
une épée & jamais de bouclier . Effuyoitil
une repartie fanglante ? il demeuroit
muet ; mais un quart-d'heure après , la
converfation étoit changée ; il l'interrompoit
pour dire : Monfieur , voici ce que
j'aurois dû vous répliquer. Tel qu'il étoit,
il époufa Mademoiſelle de Vierville. Mais
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
trois mois après fon mariage , il lui dit :
Madame , j'aurois dû ne pas vous époufer.
Elle étoit tendre & vive , il étoit froid
& jaloux ; voilà une belle fympathie. Il la
renferma avec foin , elle n'eut point d'enfans
: il confulta des Médecins qui affurerent
que la vie fédentaire de Madame la
Préfidente nuifoit à fa poftérité : il lui laiffa
voir tous fes amis ; elle eut une fille &
un garçon .
M. de Sermanville fut obligé d'aller
paffer une année entiere en Bretagne pour
remettre en ordre des terres dont les maifons
étoient inhabitables ; Madame de Sermanville
refta à Rouen . Le Préfident revint
fur les aîles de l'Amour : il la mena
dans le monde ; la diffipation lai réuffit fi
bien que cinq mois après elle accoucha
d'un beau gros garçon : je crois qu'on
peut accoucher plus à propos.
C'étoit une belle occafion de fe fâcher :
M. de Sermanville la laiffa échapper. Il ne
dit rien à fa femme; mais en récompenfe, il
lui fit le foir une fortie pour avoir caffé une
taffe de Saxe : il n'avoit pas fi grand tort.
Une femme a beau être fragile , elle rette
toujours à fon mari. Il n'en eft pas de
même d'un vafe de porcelaine. Madame
de Sermanville ſe régla là- deffus , & prie
M A I. 1756. FI
dans la fuite bien plus garde à fes talles
qu'à fa conduite.
Ses deux fils devinrent en âge d'être
dans le monde , & fa fille d'être mariée.
M. le Préfident effaya à cette occafion de
raifonner avec Madame la Préfidente : elle
lui coupa la parole & fit bien. Monfieur ;
lui dit- elle , je n'ai aucunes vues fur l'état
que doivent embraffer mes enfans : je
m'en rapporte à eux pour s'examiner & fe
juger. Ils iront à Paris : s'ils font dignes
de s'y faire des amis , ils feront bien conduits
, je n'en ferai pas inquiette ; s'ils ne
s'en font point , je n'en ferai pas inquiette
encore : ils ne le mériteroient pas. A l'é
gard de ma fille , elle a quinze ans : je ne
l'ai pas mife en couvent , on l'auroit élevée
comme moi : je ne la garde point dans ma
maifon , elle s'y ennuieroit : l'ennui defféche
le coeur la contrainte qu'inſpite la
préfence d'une mere , l'habitude de la voir,
nuifent, aux fentimens qu'on lui doit. Il
faut que des enfans apprennent à défirer
leurs parens, & qu'ils enviſagent comme
une récompenfe plutôt que comme un de
voir l'obligation de les réjoindre.
En vérité, Madame la Préfidente , dit
M. le Préfident , fçavez- vous que pour être
ma femme vous raifonnez fort bien ? Mes
garçons étant à Paris , apprendront à par-
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.

ler François , & ma fille à l'entendre ; &
voyez - vous , tenez , cela me fait plaifir :
je regarde cette affaire- là comme l'effentiel
; c'eft à quoi je me fuis attaché. Croyezvous
que je me fouciſſe qu'ils faffent fortune
: on ne pourra pas du moins leur ôter
leur nobleffe . J'ai tous leurs titres dans
mon ormoire du côté du colidor , je les ai
encor lus la veuille de Noël : il y en avoit
un trés-important qui manquoit , mais je
l'ai retrouvé avanthier. Ainfi vous voyez ,
Madame , que vous faites bien d'envoyer
vos enfans à Paris . L'aîné a de l'efprit ;
c'eft un garçon capable de faire un grand
chemin cela vous eft propre avec le
tems à devenir un premier Echevin , & à
gouverner la mufique fans s'y connoître.
Pour ce qui eft du cadet , il ne fçait pas
trop fon pain manger : je crois cependant
qu'il fçauroit occuper un pofte comme un
autre , s'il avoit un bon fecretaire . Je ne
dis rien de notre fille , c'eft une dégourdie
; mais laiffez faire , dans ce pays-là
elle trouvera à qui parler . Tenez , Madame
la Préfidente , vous prenez un bon
parti , & en vérité , vous vous conduifez.
comme ma femme. Et vous , Monfieur
répliqua-t'elle , vous parlez comme mon
mari ; tout cela eft à fa place.
Trois jours après , elle mena elle-même
>
MA I. 1756. 13
fes enfans à Paris : elle y choifit un logement
pour fes deux garçons , & confia fa
fille à Madame de Nezey : c'étoit une
femme de fes amies , dont elle étoit fûre.
Elle fit quelque féjour chez elle ; mais elle
s'y trouva déplacée , & tous ceux qui la
virent en penferent de même. Paris n'eft
fait que pour ceux qui y vivent : il commence
par étonner , & finit par ennuyer
ceux qui y paffent.
Madame de Sermanville accoutumée
dans fa Province à recevoir les refpects
de la petite nobleffe , & les foupirs des
Confeillers , fut humiliée de ſe voir réduite
à de fimples égards. Elle fe trouva
confondue avec les autres , & fut forcée
d'être polie comme une femme de qualité
qui n'eft pas en habit de Cour. Elle retourna
dans fes terres , où elle trouva M. le
Préfident qui avoit fait tout mal - à- propos.
Mlle de Sermanville gagna d'abord
l'amitié de Madame de Nezey. C'étoit
une femme jeune , jolie & fenfée : fans
être coquette , elle avoit envie de plaire :
elle faifoit l'amufement de fes fociétés , &
ne faifoit le bonheur de perfonne . Son fils
étoit borné: mais fentant fon peu d'efprit,
il étoit du moins circonfpect , attentif &
modefte. Les deux Sermanvilles , en venant
voir leur four , firent connoiffance
14 MERCURE DE FRANCE.
avec la mere & le fils . Le Marquis de Sermanville
réfolut d'avoir Madame deNezey
fans en être amoureux : le Chevalier en
devint éperdu fans le fçavoir , & fut tout
entrepris dès qu'il s'en apperçut. Le Marquis
dit un jour au fils: Monfieur de Nezey,
je fuis tenté d'avoir votre mere. Monfieur,
lui répondit- il , vous lui ferez bien de
l'honneur. Le Marquis fit un grand éclar
de rire & s'en alla. Le jeune Nezey alla
trouver le Chevalier de Sermanville . Votre
frere , lui dit- il , veut avoir ma mere
qu'est- ce que cela veut dire je n'en fçais
rien , répliqua le Chevalier. Madame de
Nezey furvint avec Mademoiſelle de Sermanville.
Ah ! ma mere , s'écria fon fils ,
le Chevalier & moi , fommes dans un
grand embarras : fon frere prétend vous
avoir , & nous ne fçavons pas ce que cela
fignific. Vous êtes un nigaud , repartit
elle : allez - vous - en . Nezey obéit. Le Chevalier
qui s'étoit appliqué la moitié du
compliment , le fuivit , en jettant fur Madame
de Nezey des regards où la paffion
& le refpect étoient écrits . Madame de
Nezey en fut émue, Le trouble du Cheva
lier , & fon filence étoient un à -propos.
1
Mlle de Sermanville ne fe vit pas
plutôt feule avec fon amie , qu'elle lui fic
cette question : Madame , oferois -je vous
MA I. 1756. 19
demander ce que c'est que d'avoir quelqu'un.
Madame de Nezey balbutia quelques
paroles mal articulées. Je ne vous
entends point , dit Mademoiſelle de Sermanville
: je veux abfolument fçavoir ce
que mon frere prétend , quand il dit qu'il
veut vous avoir. Il entend , reprit Madame
de Nezey , il entend qu'il voudroit
m'époufer. Oh , vraiment oui , repartit
Mademoiſelle de Sermanville ; je fuis bien
bête de n'avoir pas compris cela d'abord .
Le Marquis entra ; fa foeur lui cria du plus
loin qu'elle l'apperçut : Mon frere , je veux
abfolument que vous ayez Madame de
Nezey ; oui , vous l'aurez , je vous le pro
mers. Je vous rends graces , ma foeur , dit
le Marquis , d'un ton fat : vous êtes bien
obligeante , & vous commencez à l'être de
de fort bonne heure. Madame de Nezey y
aura égard , je penfe. Madame de Ricque
ville fe jette à ma tête , il ne tiem qu'à
moi de l'avoir ; mais les avantages & les
inconvéniens bien pefés , bien examinés ,
Madame de Nezey me convient mieux .
Cette Madame de Ricqueville a un mari ,
& ceft toujours un mal -à - propos pour une
femme . Me voilà retombée dans la perplexité
, reprit Mlle de Sermanville. Madame
, vous prétendez que d'avoir quelqu'un,
c'est l'époufer : Madame de RicqueIG
MERCURE DE FRANCE.
ville eft mariée , & mon frere affure qu'il
ne tient qu'à lui de l'avoir ; comment cela
fe peut-il faire ? Eh , mais , mais , interrompit
le Marquis ! qu'eft ce que c'eſt
donc que toutes ces differtations - là ?
Monfieur , lui repartit Madame de Nezey,
c'eſt que vous ne dites & ne faites rien que
de mal-à-propos , & vous m'obligerez de
ne plus revenir ici . Le Marquis , fans être
déconcerté , fortit en ricannant , en répétant
, je l'aurai , ma foeur , fiez-vous à moi,
je l'aurai .
Madame de Nezey , pour efquiver les
queftions , fe retira dans fon appartement ;
Mademoiſelle de Sermanville prit le même
parti : l'une rêva à ce qu'elle fçavoit , l'autre
tenta de deviner ce qu'elle ignoroit .
Le Marquis fit part au Chevalier de fon
exclufion. Le Chevalier pénétré de chagrin
, crut qu'il étoit enveloppé dans la
même difgrace , & n'eut rien de plus pref
fé , que d'écrire cette lettre à Madame de
Nezey.
و د
" Mon frere vient de me faire part, Ma-
» dame , de fon imprudence : je vous prie
» d'être perfuadée que je n'y entre pour
» rien . Ne me privez pas de l'honneur de
» vous faire ma cour : je vous donne ma
parole de ne jamais vous avoir ».
ود
Oh ! pour cela , s'écria- t'elle , voilà deux
MA I. 1756. 17
freres infoutenables ! l'un eft trop fat , l'autre
eft trop fot : elle lui défendit fa maiſon
comme à fon aîné ; cette conduite dût leur
prouver que les contraires ne font jamais
des à
propos.
pas
Le Marquis & le Chevalier réfolurent
d'aller à la Cour. Le Marquis ne ceffoit
de parler , le Chevalier timide , gauche ,
emprunté , ne fçavoit que dire. L'un parut
bavard , l'autre paffa pour un homme fin.
A la Cour on foupçonne des vues à tout ,
& quelquefois l'imbécillité y paffe pour
adreffe. Le filence eft le grand à propos
de ce pays - là.
à
Madame de Vernal , une de ces femmes
qui font à l'affut des jeunes gens qui débu
tent , jugea que le Chevalier étoit un
propos pour elle. Elle l'engagea à la
venir voir, le Chevalier s'y rendit ; la converfation
étoit intéreffante ; les à
propos
fe lioient enfemble fort naturellement ,
lorfqu'on annonça le Marquis ; oh ! Monfieur
, s'écria Madame de Vernal , vous
venez à contre - tems : le Marquis en rit , &
le Chevalier ſe retira. Le Marquis ne parla
que par épigrammes ; ce n'étoit pas l'à propos
favori de Madame de Vernal . Il lui
parut infupportable : un homme qui n'a
que de l'efprit , n'eſt pas fait pour doubler
un homme qui n'a que du fentiment. Le
18 MERCURE DE FRANCE.
Marquis s'en alla , mais il revint le lendemain.
Il crut qu'il n'avoit pas réuffi par
manque de témérité. Il fut entreprenant
fans que cela fût amené ; Madame de Vernal
s'en offenfa : fon amour-propre lui donnoit
quelquefois des momens de vertu. Le
Chevalier arriva : Chevalier , lui dit- elle ,'
vous venez bien à propos. Le Marquis
fortit humilié. Madame de Vernal crut
qu'il étoit à propos de ramener la converfation
du jour précédent , & l'on prétend
qu'elle trouva beaucoup de bon fens au
Chevalier.
Le Marquis devint ambitieux ; il alla
chez les gens en place : il y fit un trop
grand étalage de ce qu'il fçavoit. Il avoit
des connoiffances ; mais il lui manquoit la
plus effentielle de toutes , c'étoit de cacher
la moitié de fon efprit. On ne plaît à ceux
dont on a befoin qu'en fe tenant toujours
en- deçà de ce qu'ils font . La modeſtic eſt
l'adreffe la plus fûre pour faire fon chemin :
le Chevalier en fit l'épreuve. Bien inférieur
à fon frere pour les lumieres & le
génie , il fe défioit toujours de lui- même ,
& ne parloit jamais que comme un homme
qui cherche plutôt à propofer des doutes
qu'à avancer des principes. Ce qu'il
fçavoit , il paroiffoit le tenir de ceux avec
lefquels il s'en entretenoit cela flattoit :
M A I. 1756. 19
leur vanité. Le Chevalier obtint un pofte
de confiance , eut des amis , du crédit , &
de la conſidération. Le Marquis , quoique
homme capable , ne fut pas employé : il
ne vécut à la Cour , que pour y perdre les
trois quarts de fon bien , & pour y avoir
des femmes dont perfonne ne vouloit plus.
Il prit le parti de retourner dans fa Province
; il y joua le rôle déplacé de Gentilhomme
oifif , nouvellifte & frondeur. Le
Chevalier dans un voyage de Paris , trouva
chez fa foeur , Madame de Nezey Elle
fut charmée de la façon dont il s'étoit formé.
Elle vit bien cependant qu'il n'avoit
pas plus d'efprit ; mais pour s'en apperce
voir , il falloit de la pénétration : le Chevalier
avoit acquis une facilité à s'exprimer
, qui mettoit en défaut fur fon peu de
fonds. Ce qu'il difoit , ce qu'il faifoit
étoit toujours à propos. Les louanges qu'il
donnoit , étoient mefurées & vraisemblables.
Ses polireffes reffembloient à des
offres d'obliger ; & lorfqu'il offroit fes
fervices , c'étoit avec un air de fenfibilité
qui touchoit au lieu d'humilier.
1
Voilà ce qu'on apprend à la Cour : la
fcience des à propos , l'art de les bien faifir
, ne fe trouvent que là. C'est àtort que
l'on crie contre ceux qui l'habitent : les
vertus y font adorées , & l'on y donne aux
20 MERCURE DE FRANCE.
défauts une forme douce qui tend au lien
de la fociété. Le Chevalier parut charmant
aux yeux de Madame de Nezey. Il étoit
riche des bienfaits de la Cour ; mais c'étoit
toujours un Cadet de Normandie . Madame
de Nezey crut ne pouvoir mieux faire
que de lui donner fa main ; elle unit fon
fils avec Mademoiſelle de Sermanville , &
ces deux mariages réuffirent. Le Chevalier
fit éprouver à Madame de Nezey , que de
la douceur dans le caractere , de la recherche
dans les égards , de la fuite dans l'amitié
, de la délicateffe dans l'amour
tiennent à l'honnête homme , & que
l'exacte probité eft l'à propos de toute
la vie.

,
LES PASSION S.
IDYLLE.
ARbres qui bordez ce rivage ,
Ah ! que vos agitations
Du trouble de nos coeurs me tracent bien l'image !
Vous êtes le jouet des vents & de l'orage ,
Nous le fommes des Paffions.
A peine vous naiffez , votre naiffant feuillage
Des vents éprouve les rigueurs ,
MA I. 1756. 21
Hélas ! en tout tems , à tout âge ,
Les Paffions tyrannifent nos coeurs .
Dans leurs rigoureuſes entraves
Nous gémiffons dès le berceau ;
Et quoiqu'un pied dans le tombeau ,
Elles nous traitent en efclaves .
Contr'elles la raiſon veut envain ſe roidir
Inutiles efforts ! trop foible réſiſtance ,
Qui ne nous fait que mieux fentir ,
Et leur empire & notre dépendance !
Lorfque l'ambition , l'intérêt , la vengeance
Ont conjuré contre notre repos ,
La raiſon ne fait rien qu'aigrir leur violence.
Elle eft bien moins un remede à nos maux ,
Qu'un mafque à notre infuffifance,
Vous êtes plus heureux que nous ,
Arbres qui nourriffez ma trifte rêverie :
Par votre fermeté , vous bravez la Furie
Des Autans irrités & d'Eole en courroux,
Par votre fermeté vous réfiftez aux coups
Du fougueux amant d'Orithie ,
Lorfqu'échappé des antres de Scythie ,
11 fe déchaîne contre vous.
Mais qu'un trifte coeur eft à plaindre ,
Lorfqu'il fe voit tourmenté tour à tour
Par l'intérêt , par l'envie ou l'amour ,
Qui de tous ces tyrans eft bien le plus à craindre !
t
Pour nous faire fuivre fes loix ,
Le traître fçait changer & feindre :
22 MERCURE DE FRANCE .
Pour nous mieux tourmenter & pour nous mieux
contraindre ,
Il nous careffe quelquefois.
Tel que ce vent léger , qui dans votre feuillage
Se plaît fouvent à folâtrer ,
Sous l'appas d'un doux badinage
L'amour fçait bien nous attirer.
D'abord un jeune coeur ne fait que foupirer ;
Il s'inquiete , puis défire ,
Et bientôt il change de ton.
L'Amour n'eft pas long-temps Zéphire ,
Il devient fougueux Aquilon.
'Alors c'eft vainement que la raifon s'occupe
A donner du fecours contre la Paffion :
Hélas ! le coeur est toujours dupe
Des vains efforts de la raifon.
Le Chevalier de Saint - Veran.
RONDE A U.
Sans manteles , la veille Chrifalie
Se promenoit dans les bois d'Idalie ,
Offrant , aux yeux de tous les regardans ,
Un fein flétri par l'outrage des ans.
Vénus voyant la gorge rétrecie ,
Dit : Quelle est donc cette féche momie ,
Qui vient ici faire peur aux paffans;
Sans mantelet
MA I. 1756. 23
C'est une femme , ainfi qu'on le publie ,
Répond l'Amour, qui fut jadis jolie ,
t qui croit l'être encor comme à quinze ans.
Veut-elle pas ratraper fes amans ?
Reprend Venus ? ma foi , je l'en défie
Sans mantelet. ( 1 )
( 1 ) Ce Rondeau nous paroit une affex, heureuse
imitation de celui de Rouſſeau qui commence par
ces mots , en Mantean court &c.
REPONSE
Aux Couplets de M. de Relongue de la Louptiere
, inferés dans le volume précédent ,
par le même Auteur , au nom de la Demoiselle.
Sur l'Air : Pour ſoumettre mon ame.
M Algré le fort funefte
Et fon larcin imprévû ,
Si ton amour me refte ,
Tircis , je n'ai rien perdu.
Mais en vain ton doux langage
S'empreffe à me confoler :
On voit avec le feuillage
Le tourtereau s'envoler.
24 MERCURE DE FRANCE.
ESSAI SUR LES PASSIONS ,
EN FORME DE LETTRE ;
A Madame la Marquise de B ... par
Madame de S ... pour prouver qu'elles
ne renferment aucun fentiment .
MA propofition parut révolter les perfonnes
avec lesquelles nous nous trouvâmes
hier , ma chere ..... Vous-même la
combattîtes , parce que vous ne voulûtes
point l'approfondir , & que je n'eus pas le
tems de la differter. Aujourd'hui qu'à tête.
repofée je me rappelle les propos par lef
quels on croyoit parvenir à m'en montrer
le faux , j'y trouve des preuves parlantes
en fa faveur ; & dans le grand nombre
d'exemples particuliers que l'on a cités , il
n'y en a pas un qui n'en faffe l'apologie :
mais fans vouloir puifer dans des fources
étrangeres , je vais vous faire part de mes
penfées. Je vous laiffe au furplus ( ainfi
qu'à ceux qui pourront me lire ) la liberté
d'en croire vos préjugés , fi mes raiſonnemens
ne vous paroiffent pas affez concluans.
J'entre en matiere. Commençons par la
chaffe , ( dans ce que je vais vous dire , je
n'ai
M A I. 1756. 25
n'ai en vue que les particuliers chez leſquels
elle eſt une dangereufe paffion . Chez
les Grands , c'eſt un amuſement. ) Je dis 1º,
que tout ce qui s'appelle paffions , loin de
renfermer les principes d'aucun fentiment
les étouffe. Tout ce qui affecte l'ame
leur est étranger , elles ne fouffrent rien
qui ne foit relatif à elles , & que font elles
elles-mêmes ? l'ouvrage d'un inftant , une
vapeur, un tourbillon.Les yeux fe défillent,
rien ne reste après elles : cependant elles
décident prefque toujours du fort des hommes.
pa-
Que refte-t'il dans ce déterminé Chaffeur
de tout ce qui pourroit contribuer au
bonheur de qui vit avec lui ? A peine la
premiere pointe du jour commence à
roître qu'il s'arrache de fon lit , & quitte
une place que bien des gens envient. Il
reveille inhumainement une jeune , &
charmante épouſe qui , pénétrée d'inquiétude
pour les fuites des fatigues qu'il va
prendre , de l'ardeur du foleil qu'il doit
effuyer , tend en vain des bras faits pour
arrêter la légèreté même. Il n'écoute rien,
il part. Eft -ce fa tendreſſe pour les chiens
qui l'entraîne ? Non certainement : elle
l'affecte fi peu , que les moindres fautes
de celui qu'il femble aimer le plus , font
toujours fuivies de châtimens rigoureux ,
B
1
26 MERCURE DE FRANCE.
quelquefois de la mort . C'est donc ce che
val léger , infatigable , que l'enthouſiaſme
lui a fait acquérir aux dépens du tiers de
fon revenu. Tout auffi peu , celui - ci aura
bientôt le fort de tant d'autres. Pouffé &
excité fans mefure il expire fous fon tyran
, ou le ramenant avec peine , il lui laiffera
la liberté d'un nouveau choix. Vous
croyez qu'enchanté de l'éclat d'une brillante
aurore il fufpendra tous fes deffeins
pour contempler l'embelliffement d'une
nature renaiffante aux premiers rayons du
foleil ; que réfléchiffant fur les différens
effets de l'aftre qui l'éclaire , il admirera
ce champêtre artifan qui commence une
laborienfe journée , chante gaiement quelques
couplets de la Romance dont fon hameau
retentit. Penfez - vous qu'agité de
défirs indifcrets , ou bien entraîné par les
charmes d'un entretien naïf , fes pas le
porteront du côté de cette jeune & fimple
Bergere Peut être vous imaginez - vous
qu'attiré par la fraîcheur d'un bois antique
& couvert , il va fe livrer à de douces
rêveries, qu'un clair ruiffeau , le chant
de mille oifeaux , & le profond filence
qu'eux feuls interrompent , vont exciter ?
rien de tout cela. Bientôt un bruit confus
lui fera précipiter fes pas : ce font les honnêtes
Manans de fon voisinage. 11 eft
M A I. 1756. 17

queftion d'un cerf , fanglier ou chevreuil .
Tous courent le bruit augmente ; l'abboyement
des chiens , les cris aigus des
hommes interrompent le calme qui régnoit
dans ces lieux. La fin du jour , & l'excès
de laffitude forcent notre homme à revoir
fes pénates. Il va fans doute s'informer
des événemens domestiques: point du tour.
Son fils unique a la fievre , fa femme allarmée
fe noie dans fes pleurs ; ce ne fera
rien , dit- il-, le fouper eft- il prêt ? je fuis
tendu , & voudrois être au lit , fi j'avois
moins d'appétit. Le repas tarde , il jure ,
il s'emporte ileft prêt à battre fes gens ,
& le feroit fans doute s'il étoit moins las.
Enfin il eft à table , lui dixieme : l'on
parle tous à la fois , & de quoi ? des malheurs
de tant de coups manqués ; car ſouvent
les fuccès des plus beaux deffeins fe
réduiſent à rien , ou à la poffeffion d'un
malheureux läpin. L'on s'attrifte à ce fou
venir , mais le vin ramenant la gaieté ,
l'on arrête une partie pour le lendemain.Cependant
cet homme fi peu mari & fi peu pe
re , ne connoiffant aucun des fentimens qui
appartiennent à ces qualités, confomme fon
bien laiffe fa famille dans le befoin de
tour , refufe deux louis pour appaiſer fon
Boucher : il en donne dix pour un chien
cent pour un cheval , & vend fon champ
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
ou fon pré , s'il ne peut les acquérir autrement.
La paffion du jeu & l'amour de l'argent
n'offrant point d'images agréables , quoiqu'elles
conduisent aux mêmes excès , je
vous fauve ce détail , & vais entamer la
plus délicate partie de mon fyftême. Je
viens à cette féduifante paffion que l'on
appelle Amour. Vous vous étonnez , ma
chere .... Quoi ! l'amour ', l'amour même
n'eft point un fentiment. Quelle propofi
tion Comment fortirez - vous d'un tel
problême ? Ecoutez-moi , je vais bien autrement
vous furprendre. Je le place dans
un parfaitement honnête homme , qui
connoiffant pour fes pareils les loix de
l'amitié , s'y foumet dans toutes les occafions
intéreffantes . Voyons comme il traire
l'amour. Etablifons d'abord les effets
de la premiere impreffion de l'objet aimable
qui le lui propofe. Frappé de l'éclat
d'un minois féducteur, ou de ce je ne fçais
quoi qui fe trouve d'intelligence avec fes
fens , il regarde , il admire , il cherche à
rencontrer les yeux qui l'ont féduit. S'il
réuffit , quel défordre ! Tout ému , un feu
vif coule dans fes veines, il eft hors de luimême
, il ne voit plus de bonheur qui ne
cede à celui de jouir , de pofféder , de
fubjuguer. Il forme mille déhrs injurieux
MA I. 1756.
29
à celle qui les fait naître , & dont l'accompliffement
doit lui coûter fouvent l'honneur
, toujours le repos , & cette douce
tranquillité qui lui ménageoit des jours
calmes & fereins. Voilà pourtant le mouvement
qui réglera fes démarches à l'avenir.
Y reconnoiffez- vous cette tendre &
refpectable amitié , fi jaloufe de la gloire
de fon objet , généreufe , défintéreſſée ,
toujours prête à fe facrifier elle- même , &
qui ne fe regarde jamais dans tout ce que
la délicate préoccupation lui fait faire.
Non , fans doute : vous allez cependant
en voir toutes les apparences. Que de
foins flatteurs vont naître ! que d'encens
prodigué que de fines & féduifantes
louanges ! Défendez - vous , Iris , fuyez ,
s'il vous eft poffible. Vous croyez réfifter ;
une heureuſe naiffance , une fageffe de
tempérament ( que je crois la plus fûre ) ,
un peu de cette fierté décente qui convient
fi bien à votre fexe, un éloignement extrême
pour tout ce qui bleffe la vertu ,
!
vous
raffurent ; mais vous avez l'ame tendre ,
vous connoiffez toute la force de l'amitié,
vous êtes fenfible au- delà même de l'ordinaire.
De jeunes & aimables Compagnes
vous ont accoutumée à convenir qu'il faut
que le coeur foit rempli. Comment traitezvous
le fentiment pour elles ? Le vôtre a
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
tous les caracteres d'une paffion que vous
méprifez. Vous êtes émue quand elles pa-
Foiffent , vous ne voyez qu'elles où elles
font , la moindre abfence vous eft infupportable
, vous en adouciffez l'ennui , vous
leur écrivez de jolies lettres , de petits
vers tendres , enfin votre coeur fçait aimer:
il va fe croire permis de donner un objet
de plus à fa tendreffe ; car affurément ,
direz - vous , ce ne fera jamais qu'un ami :
il est bien éloigné d'exiger rien de plus
que ce que je fais pour mes Compagnes
il n'aſpire qu'à fe mettre à côté d'elles dans
mon coeur : il s'y tiendra tranquille & en
filence ; trop heureux d'occuper cette place
qu'il envie-uniquement , & d'obtenir
ce prix de l'amour le plus pur, d'un amour
en un mot auffi fage que vous . Il penfe fi
bien : Oh , il n'y a pas moyen de le foupçonner
d'aucun deffein injurieux. Sur cette
confiance vous vous embarquez . Il n'a
fait qu'effleurer le coeur où vous avez
permis qu'il pût atteindre , il va bientôt
s'en trouver maître , & les bonnes amies
ont cédé la place éminente que vous ne
vous en doutez pas. Plus habile & moins
préoccupé que vous , il voit les progrès , il
a pénétré fon triomphe ; c'eft alors qu'il
agit en maître. Il exige quelquefois des
chofes que de légitimes fcrupules vous for
ΚΑΙ ΜΑΙ. 1756 . 31
cent à refufer. Il vous boude , il vous fuit.
Votre ame tendre & allarmée s'effraie du
danger de perdre un coeur qui a pris la
place du vôtre ; il revient enfin , il fe laiffe
adoucir. Que ce raccommodement vous
coûteroit ! Car ne vous y trompez plus ,
il n'y a dans tout fon manége ni amitié ,
ni fentiment ; vous êtes devenue néceffaire
à fes plaifirs ; il n'eft point épouvanté des
affreufes fuites de votre défaite , il faut
qu'il ne lui refte rien à défirer. Heureufe
ment l'occafion lui échappe. Dans cette
pofition , admettez la longue abfence ou le
mariage. Dans le premier cas , fi les occafions
lui ont toujours été ravies , il gardera
quelques jours de plus votre fouvenir , &
formera les regrets d'avoir laiffé les chofes
enfi beau chemin. Mais un nouveau dé
fir de jouir vous l'enlevera : comme je l'ai
fuppofé honnête homme, tout en reftera là.
Mais s'il eft un de ces gens avantageux qui
veulent être heureux au moins dans l'opinion
des autres , il vous en coûtera votre
réputation. Iris , je vous marie , j'ai quelque
raifon de préférer cette tournure. Mais
Vous ne vivez que rarement enfemble :
d'indifpenfables devoirs vous arrachent
votre époux , vous n'avez même point encore
de menage. Que cet amour qui ne
jouit qu'en paffant eft toujours tendre !
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
Rien de changé par la poffeffion : mêmes
tranfports , même adulation , mêmes éloges
, même empire fur l'efprit & fur le
coeur , dont vous vous êtes fuppofée maîtreffe
. Quelle déférence dans les difputes !
un mot de votre décifion eft une fentence.
La fublimité & la jufteffe de vos penfées
forcent tout à fe ranger de votre avis. Vous
écrivez dans l'abfence . Quelles lettres !
quoi de plus digne de l'impreffion! Le tems
coule , les fituations changent , vous vous
rapprochez plus fouvent , vous voilà devenus
maîtres de maifons : Eft-ce tout ? difons
encore , les années moderent , non
pas tout- à- fait les défirs , mais le dégoût y
fuccéde ; cela laiffe un vuide que l'humeur
fe preffe de remplir. Vous , d'une conduite
égale , que la paffion n'a point gouvernée
& que l'on peut qualifier femme à
fentiment , toujours tendre , toujours attachée
, vous prenez à coeur des picoteries
domeftiques. Vous êtes étonnée
que l'on fuit votre converfation , elle ne
peut plus comme autrefois animer les fens
& conduire à de tendres plaifirs . On ſe révoltoit
alors contre tout ce qui troubloit le
tête-à-tête , aujourd'hui l'on l'évite ; on
vous chicane , on vous rend refponfable
des moindres accidens du ménage , vous
êtes trop fenfible , tout attaque le coeur.
D'abord vos plaintes ramenent , bientôt
MA I. 1756. 35
après elles aigriffent : on vous bat froid ,
on voit impunément vos pleurs , enfin on
tyranniſe votre ame de cent façons différentes.
Vous n'avez jamais été traitée en amie ,
le tems vous a ôté la qualité d'amante ; vous
éprouvez fans rélâche la cruelle alternative .
de la douce intelligence , & du plus offenfant
dégoût .
Que j'aurois encore de chofes à dire , fi je
voulois épuifer la mariere, ma chere !... Elle
abonde en expreffions; & s'il m'étoit permis
de me fervir de toutes celles qu'elle m'infpire,
j'appuierois mon fyftême d'images fi parlantes
, qu'elles porteroient des coups décififs
. L'amour défini eft un mouvement
impétueux , dominant , abfolu , qui veut
jouir , qui ne fouffre aucune réfiftance : il
emprunte pour réuffir le manteau des plus
flatteurs & des plus refpectables fentimens
. L'ivreffe eft paffée , fon rôle eft fini ,
il fe déshabille ; & celui qui en étoit enflaminé
, n'eft plus qu'un homme plein de
tous les défauts que la paffion avoit couvert
: c'étoit un jeu de la voluptueuſe politique.
Il faut conclure. Tenons- nous- en
à l'amitié , & commençons par elle , ma
chere .... Défions- nous de tout fentiment
qui attaque les préjugés d'une vertueuſe
éducation : foyons en garde contre les prétendus
défintéreffés
qui obtiennent tout en
B v
34 MERCURE DE FRANCE .
ne demandant rien évitons également
d'infpirer , & de tenter les mouvemens
impétueux , qui tirant leur fource du déréglement
d'une imagination maîtrisée
par les fens , triomphent de la raifon
& font le malheur de la vie. Tout ce qui
eft paffion altere l'égalité de l'ame : ce refpectable
juge de la vertu s'avilit , & ſe dégrade
, s'il fe livre à ce qui doit le dominer.
J
VERS A CE SUJET ,
Par le même Auteur.
>
E ne connois l'Amour que depuis un inftant :
J'avois cru cependant , dès long- temps le connoître
,
Je me trompois . Ce tendre fentiment
Que dans mon coeur Tircis avoit fait naître ,
Etoit de l'amitié . Jamais attachement
Ne fut plus malheureux , ni moins digne de l'être.
C'étoit l'ame de mes plaifirs ,
L'unique fource de mes peines ,
Je ne formoi que par lui des défirs ,
Jufqu'au tombeau j'aurois porté mes chaînes.
Tircis peignoit avec ardeurist
Le feu brûlant qui couloit dans fes veines ;
C'étoit en Souverain qu'il regnoit fur fon coeur .
Séduit tout le premier aux apparences vaines!
MA I. 1756 . 35
Du fentiment , il crut fçavoir aimer.
La feule volupté , l'ardeur de la jeuneſſe ,
Le defir de jouir , qui l'avoient fçu charmer ,
Entretenoient l'erreur ; & cette douce ivreffe ,
Si chere aux coeurs qu'Amour fçait enflamer ,
Eut tout des paffions , & rien de la tendreffe .
Beau fexe ! des humains la plus belle moitié !
Ce portrait , direz - vous , à l'Amour fait injure ;
Mais laiffez faire au temps , vous verrez , j'en fuis
sûre ,
Que cet Amour n'eft pas même de l'amitié.
A
A l'Auteur du Mercure.
Comme dans le lieu que j'habite ,
Je n'ai perfonne à confulter ,
Que d'ailleurs avec foin j'évite
Les avis dont j'aurois peine à me contenter ;
C'eſt à votre goût feul que j'ai voulu foumettre
Ce fruit fecret de mon loifir.
Prononcez , admettez ma Lettre ,
Oa bien fupprimez-la , je vous laiffe choifir.
Nous remercions l'Auteur d'une préférence
fi flatteufe. Son paradoxe nous a
paru non feulement ingénieux ; mais nous
croyons qu'à la rigueur il pourroit bien
être vrai. Nous ferons toujours empreffés
à nous enrichir de pareils morceaux , &
nous prions l'Anonyme de nous adreffer
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
l'Ouvrage propofé. A la fuite de cet Effai,
nous allons inférer une Lettre qui peut
fervir à le juftifier.
RÉPONSE
De Mademoiselle de R... à la Differtation.
de M. de Baftide , fur les égards qu'une
femme doit à un galant homme qui lui
fait une déclaration d'amour , inférée dans
le Mercure de Février 1751 .
JE conviens avec vous , Monfieur , que
l'amour d'un honnête homme doit infiniment
fatter une femme raifonnable , &
lorfqu'elle y répond avec hauteur , elle fe
rend méprifable , parce qu'elle prouve
qu'elle a un mauvais coeur , & ce défaut
eft la fource de tous les vices. Une perfonne
qui penfe bien a le coeur tendre ;
elle plaint tous les malheureux , elle voudroit
les foulager. Elle doit donc être infiniment
fenfible aux maux qu'elle caufe :
ce n'eft pas que je penfe qu'elle doive répondre
à une tendreffe qui feroit peutêtre
contraire à fon devoir , mais je crois
qu'elle en doit entendre l'aveu fans colere,
montrer même qu'elle en eft flattée ; affurer
en même tems que fon devoir lui eft
MA I. 1756 . 37
cher ; que pour n'en point fortir , elle n'aimera
jamais , mais que les fentimens dont
il l'affure , ont fait naître dans fon coeur
l'eſtime & l'amitié la plus fincere ; qu'elle
le prie de fe contenter de ces fentimens
qui font bien plus durables que ceux de
l'amour , puifque ce n'eft point une paffion
qui les a fait naître. Toute femme qui
répond différemment , fe fait plus de tort
qu'elle ne penfe : car elle perd l'eftime d'un
honnête homme ; & avec une réponſe
polie , elle auroit pu s'en faire un ami fincere.
Comme vous avez fi bien dit , Monfieur
, une femme doit toujours répondre
poliment à la déclaration d'amour d'un
honnête homme ; mais je crois qu'après
une pareille déclaration , le devoir exige
qu'elle fuye les occafions de le voir autant
que la bienféance le permettra. Un homme
bien amoureux ne peut guere s'empêcher
de parler de fa paffion , & il eſt
dangereux de l'écouter : malheureuſement
notre coeur ne dépend pas de nous , la
ture nous l'a donné tendre ; il cherche à
s'attacher ; un honnête homme fort amoureux
a de grands droits fur lui , & lorfque
l'amour , la plus violente des paffions,
parce qu'elle eft la plus naturelle , s'en eft
une fois emparé , la raifon , le devoir ,
na8
MERCURE DE FRANCE.
font de foibles fecours pour l'en bannir ;
les réflexions les plus fenfées , loin de rompre
fes liens , ne font fouvent que les ferrer.
Et quelle eft la fituation d'une femme
affez malheureufe pour aimer , & affez
raifonnable pour connoître toute l'étendue
de fes devoirs ? Toujours combattue entre
fes devoirs & fa tendreffe , la vie n'eft.
plus pour elle qu'un long martyre . Si elle
eft allez foible pour manquer à ce qu'elle
doit à fa Religion , à elle-même , & au
public , elle fe déshonoré , & elle eft accablée
de remords le refte de fes jours : fi
elle a affez de force pour n'y point manquer
, que de chagrin n'a- t'elle pas
à effuyer
! 11 faut qu'elle foit toujours occupée
du foin de fuir l'objet qu'elle aime ,
dans le temps qu'elle ne peut être heureufe
qu'en le voyant ; elle eft réduite à fouhaiter
qu'il foit infidele , & elle regarde
fon infidélité comme le plus grand des
malheurs : elle s'ôte jufqu'à la confolation
de lui dire ce que fa tendreffe lui fait
fouffrir ; elle eft obligée de renfermer cette
tendreffe dans fon coeur : & comment y
réuffir 2 Cette ardeur éclate dans toutes les
actions d'une perfonne qui aime véritablemement
, même fans qu'elle s'en apperçoive
; je crois qu'un honnête homme
doit entrer dans toutes ces raifons. Il doit
" 39
MAI. 1756 .
fouhaiter le bonheur de la perfonne qu'il
aime , il doit craindre de la rendre malheureuſe
; enfin il doit la fuir & fe contenter
de fon eftime & de fon amitié. J'efpere
, Monfieur ,» que vous penſerez comme
moi. Ce que vous avez dit des femmes
m'a paru fi jufte & fi bien penſé , vous me
paroiffez fi eftimable que j'ofe vous propofer
une queſtion : quoiqu'elle regarde
les hommes , je fuis perfuadée que vous
ferez un juge impartial , & que vous me
direz fincérement votre avis.
Il eſt des hommes dans ce fiecle qui fe
font un plaifir de déshonorer les femmes
par le feul plaifir de les déshonorer : une
conduite réguliere , des fentimens , ne les
mettent point à l'abri d'un pareil malheur.
Plus elles paroiffent eftimables , plus ils
font gloire de les rendre mépriſables . Pour ,
y réuffir , ils mettent en ufage la diffimulation
; ce terme n'eft pas affez fort : ils
emploient la perfidie , à mon fens , la plus
noire , puifqu'elle n'a d'autre but que de
rendre malheureux l'objet de leurs foins.
affidus. Ils fçavent que de faire une déclaration
d'amour à une femme vertueufe .
n'eft pas le moyen de la féduire , elle s'en
tient mieux fur fes gardes , ils prennent
un autre tour , ils cherchent à gagner fon
eftime & fon amitié, Y font-ils parvenus ,"
40 MERCURE DE FRANCE.
ils travaillent à lui infpirer d'autres fentimens
; ils deviennent pleins de toutes
ces petites attentions qui devroient être la
marque certaine d'un coeur vraiment touché
; ils paroiffent rêveurs , tendres & refpectueux.
Ils voient naître fa tendreffe ,
ils la cultivent , ils l'augmentent avec foin;
& lorfqu'ils connoiffent qu'elle eft au plus
haut point , ils l'affurent qu'ils l'aiment
avec paffion , qu'ils l'aimeront toujours ,
que leur tendreffe pour elle leur a fait
rompre un mariage avantageux , que cela
les a brouillés avec leur famille , mais qu'ils
fe trouveront trop heureux , s'ils peuvent
efpérer fa tendreffe ; que celle qu'ils ont
pour elle fera éternelle , qu'elle eft fondée
fur l'eftime , qu'ils connoiffent la bonté de
fon coeur & de fon caractere , la grandeur
de fes fentimens ; que cette connoiffance
leur a donné pour elle la plus parfaite tendreffe.
Un pareil difcours l'attendrit , elle
laiffe voir toute fa paffion , elle avoue
qu'elle aime. Le Cavalier croit avoir trouvé
l'heure favorable , il devient entreprenant
, mais une femme vertueuſe n'a point
de mauvais momens , fon devoir eft roujours
préfent à fes yeux , & il éprouve
une réfiftance à laquelle il ne s'étoit pas
attendu. Il en est étonné , il douteroit
même d'être aimé , fi les larmes qu'il lui
MA I. 1756. 41
voit répandre ne l'en affuroit. Elle ne montre
point de colere , peut-on en avoir contre
ce que l'on aime ? Mais elle laiffe voir
une vraie douleur d'avoir été foupçonnée
de foibleffe ; elle affure qu'elle aime avec
paffion , mais que fa tendreffe ne lui fera
jamais oublier fon devoir. Sa réfiftance &
fes pleurs toucheroient un honnête homme
il fentiroit qu'une femme qui penfe
ainfi , mérite fon eftime avec fon amitié :
dès ce moment , il la lui donneroit ; &
loin de vouloir continuer à la féduire , il
fe reprocheroit l'idée qu'il en a eue . Mais
il en eft peu qui penfent ainfi : la réfiftance
d'une femme pique leur vanité , ils fe
croient déshonorés d'avoir dit qu'ils aiment
, & de n'avoir rien obtenu. En attendant
un moment plus heureux , ils demandent
pardon de la façon la plus foumife
: ils rejettent leur manque de refpect
fur la violence de leur tendreffe , ils
affurent qu'ils n'y reviendront plus , en
voilà affez pour être pardonnés : mais dès
qu'ils croient l'occafion favorable , ils retombent
dans le même cas , & ils éprou →
vent la même réfiftance , & la même facilité
à pardonner. Surpris d'une fermeté
que leur amitié leur fait trouver finguliere
, ils penfent qu'elle ne veut pas avoir
la honte de s'être rendue , mais qu'elle ne
41 MERCURE DE FRANCE .
feroit pas fâchée d'y être forcée . Sur cette
idée , ils emploient la violence , elle leur
réuffit mal. Une femme naturellement vertueufe
, fur le bord du précipice , eſt effrayée
, elle ne voit que le danger , & fans
fçavoir ce qu'elle fait , elle appelle. Une
femme de chambre vient , on demeure
tranquille ; bientôt elle la renvoie , elle
veut lui cacher fes pleurs : eft elle partie
elle affure le Cavalier qu'elle ne fe mettra
plus dans le même danger , & qu'elle eft
réfolue de ne plus le voir. Il affecte d'être
touché d'une pareille menace. C'eft un
tranſport , dit- il , dont il n'a pas été le maître
: il en eft honteux ; mais le refpect
qu'il aura pour elle à l'avenir , lui prouvera
combien il l'eftime , & lui fera révola
réfolution qu'elle vient de pren
dre. Une pareille conduite devroit fuffire
à une femme , pour lui prouver qu'elle
n'eft point aimée. Un homme véritablement
amoureux eft toujours refpectueux
il craint de déplaire à l'objet aimé : mais la
raifon habite t'elle avec l'amour ? celui- ci
eft aveugle ; & loin de penfer qu'elle n'eft
point aimée , elle cherche dans fon` imagination
des raifons pour croire qu'elle
l'eft . Penfer un moment qu'elle ne l'eft
la met au défefpoir . Elle croit donc
tout ce qu'il plaît à un homme de lui dire
quer
>
MA I. 1756 : 43
pour fe juftifier , & il ne fe juftifie que
pour trouver d'autres moyens de la féduire.
Il connoit toute fa tendrelle , & il en
abufe fans pitié. Il l'aime , dit- il , à l'adoration
, mais fes rigueurs le feront mourir.
Il ne dort plus , fa fanté en eft dérangée ,
il fera forcé de ne plus la voir. A cette
menace une femme pleure , il preffe , mais
inutilement. Vous ne m'aimez pas , dit- il,
je m'étois trompé , lorfque je l'avois cru :
adieu , Madame , je ne vous verrai plus.
Quel moment pour une femme qui a le
coeur vraiment touché ! Elle fe voit foupçonnée
de n'aimer pas , elle va perdre ce
qu'elle aime plus qu'elle-même : cette idée
lui fait oublier fon devoir. Il n'eft pas à la
porte , qu'elle le rappelle : il revient . Eftil
près d'elle , elle pleure , elle le prie dans
les termes les plus tendres de ne la point
déshonorer ; elle l'affure que fi elle l'eft
une fois , elle fera malheureuſe pour toujours.
N'eft-il pas honteux pour l'humanité
, qu'il fe trouve des hommes affez
barbares pour n'être pas touchés de tant
de tendreffe , & je l'ofe dire de tant de
vertu. Il en eft pourtant que leur vanité
rend incapables de pitié , & qui mettent
toute leur gloire à perdre une femme ver→
tueufe . Ils profitent de la crainte qu'elle
a de perdre l'objet de fa tendreffe , & fans
44 MERCURE DE FRANCE.
être artendris de fa douleur , ils jurent
qu'ils ne la reverront plus , fi elle ne fe
rend à leurs défirs . Une femme toute en
pleurs , le défefpoir dans le coeur , cede
fans fçavoir ce qu'elle fait . Quel triomphe
, grands dieux ! s'il eft flatteur pour la
vanité , qu'il doit l'être peu pour les fens !
Une femme revenue à elle fe trouve déshonorée
qu'eft devenue cette vertu qu'elle
chériffoit , & qui avoit fi longtems fait fon
bonheur une paffion dont elle n'a point
été la maîtreffe , vient de la lui ravir. Elle
détefte cette paffion , elle fe détefte ellemême
; elle n'ofe plus lever les yeux , la
honte eft écrite fur fon front ; elle n'a de
tranquillité , que lorfqu'elle voit l'objet
aimé fa vue calme tous fes remords , mais
cette confolation dure peu . On vouloit la
tromper , on a réuffi ; on cherche à fe dé
barraffer d'une femme qui devient incom
mode , mais on veut encore lui donner le
tort d'une rupture ; on cherche à lui donner
de la jaloufie , on y parvient , elle fait
de tendres reproches , on lui répond avec
dureté , pour lui plaire , il ne faudroit
voir perfonne , & de plus a -t'elle penfé
qu'on feroit toujours lié à fon char ? 1Ĩ peur
fe marier , on peut être obligé de fe féparer
d'elle . Quoi ! il faudra qu'on ne ceffe point
de l'aimer ? Quel ridicule ! Que ces difM
-A I. 1756. 45
re que
cours font différens de ceux qu'on lui tenoit
pour la féduire ! Elle demeure interdite ,
elle ne peut parler, tant elle eft faifie . Elle
a donc été trompée , trahie ; elle a tout facrifié
pour un homme qu'elle eftimoit ,
& qui ne méritoit que fon mépris . Ces
idées font trop cruelles pour qu'elle ne
cherche pas à les éloigner elle veut croil'humeur
eft la feule caufe des duretés
qu'on lui dit ; elle veut croire que
fa jaloufie eft mal fondée , que ne croitelle
pas pour excufer un amant qu'elle aime
Mais ces duretés fouvent réitérées
la perfuadent malgré elle , qu'elle n'eſt
point aimée. Le chagrin dérange fa fanté ,
Elle prend la réfolution de fe guérir. Elle
appelle à fon fecours la religion & la raifon
; mais fa tendreffe eft la plus forte :
elle lui perfuade qu'elle eft encore aimée
au moins elle efpere que fon amant partagera
Ta tendreffe entr'elle & fa rivale ,
elle efpere que fon caractere & fa douceur
le rameneront à elle : elle est bientôt
détrompée. Une femme qui ne donne
aucun fujet de rupture , devient haïffable :
on prend le parti de lui dire brufquement,
qu'on ne la reverra plus. Accablée d'un
pareil difcours , & qu'elle n'avoit pas préyu
, elle refte immobile , pâle , tremblan
te, & on la laiffe livrée à toute fa dou46
MERCURE DE FRANCE.
leur ; & qu'elle douleur ne reffent - elle
pas ? Elle fe voit déshonorée , elle perd un
amant qui faifoit tout fon bonheur ; elle
eft trahie , méprifée de l'homme qu'elle
eftimoit le plus , fes remords augmentent
fon défefpoir ; heureufe , fi elle pouvoit
s'y livrer , mais fouvent elle eft obligée
de le cacher à une famille. Elle fuccombe
enfin à fes peines , elle tombe dangereufement
malade , on ne daigne pas
même demander de fes nouvelles , cette
derniere
marque de mépris la touche peutêtre
plus que tous les mauvais
procédés
qu'on a eu pour elle ; elle fouhaite
la mort,
mais une perfonne
naturellement
vertueufe
, ne meurt point de douleur
. La reli
gion vient à fon fecours
, elle connoît
toute
l'horreur
de fa faure , mais elle efpere
qu'un fincere repentir
l'effacera
. Elle quirte
le monde
, elle fe donne toute à Dieu ;
mais elle porte dans fa retraite
des remords
éternels
, & peut - être une tendreffe
qu'elle
ne peut vaincre
, & qu'elle
détefte. Je
vous prie,, Monfieur
, de me dite fi un
homme
capable
d'en agir ainfi avec une
femme
dont il eft fi tendrement
aimé ?
mérite
l'eftime
du Public : ayez auffi la
bonté de me dire lequel eft le plus méprifable
d'une femme
qu'une violente
paffion
a fait manquer
à fon devoir , ou de l'homMAI.
1756. 47
me qui l'a fi honteufement féduite , vous
obligerez infiniment celle qui a l'honneur
d'être , Monfieur , & c .
LA ROSE ET LE LY S.
FABLE.
PRès des bofquets fortunés de Cythere ,
*
Dans un agréable parterre
Que le Printems
Embelliffoit de fes préfens ,
A l'envi , les fleurs les plus belles ,
De leurs couleurs toujours nouvelles ,
Offroient le fpectacle divers , ce iz
Et répandoient leurs parfums dans les airs,
Vis-à-vis d'une tendre Rofe
Sous l'aîle de Zéphyre éclofe ,
Un Lys que fon éclat rendoit audacieux ,
Elevoit fa tige en ces lieux.
Sur les enfans de Flore il affectoit l'empire,
Et regardoit la Roſe avec dédain .
Ma blancheur , difoit-il , fe mêle avec le tein
Qui fait la beauté de Thémire .
On me voit briller für fon fein :
Sans moi , que deviendroient fes charmes qu'on
admire ?
Avec chagrin fupportant ces mépris ,
48 MERCURE DE FRANCE.
La Rofe lui répond : Tout doucement , beau fire
Comptez -vous donc pour rien mon coloris ,
Ce vermeil incarnat dont j'anime une belle ,
A qui vous devez tout le prix
Que votre éclar peut avoir auprès d'elle?
Si je vous quittois un moment ,
Malgré votre injufte bravade ,
Vous n'auriez qu'un mérite fade ,
Dépourvu de tout agrément.
Le Lys vouloit toujours la préférence ,
Sa rivale à fon tour , refuſoit de céder.
Flore parut ; & fa fentence ,
Par ces mots , fçut les accorder :
Vous faites tous les deux la gloire
De la beauté que Vous parez.
Mais pour obtenir la victoire ,
Ne foyez jamais féparés.
Il eft des talens dont l'uſage
Brille plus en fociété.
Souvent l'on perd ſon avantage ,
Par trop de fingularité .
Raoult.
VERS
MA I. 1756. 49
VERS
Faits dans le premier accès d'une fievre violente
& fubite causée par l'ail , dont tous
les mets d'un repas que me donnerent des
Gafcons de mes amis étoient affaifonnés ;
par M. Thomaffin de Juilly , Garde- du-
Corps du Roi.
CHers amis , quelle main perfide
A fervi ce fatal repas ?
Tous les poifons de la Colchide
Coulent-ils dans ces plats
Déja leur vapeur eft portée
Jufqu'en mès os , jufqu'en mon flanc :
Déja leur chaleur empeſtée ,
Fait bouillonner mon fang ?
O ciel ! quelle ardeur me confume !
Du fort vais- je fubir la loi ?
Mon fein fe déchire , s'allume ;
L'Enfer femble être en moi !
Jamais l'ardente Canicule ,
Sur nous ne lance tant de feux ;
C
So
MERCURE
DE FRANCE.
Et ceux qui dévoroient Hercule ( 1) ,
Etoient bien moins affreux !
܀
Qui , le venin de la vipere
Agiroit avec moins d'effort.
Je reffens d'artere en artere
Courir l'ail & la mort.
Quels bords maudits l'ont pu produire ,
Source impure de nos malheurs ?
Puiffent les dieux , pour te détruire ,
Emprunter mes fureurs !
C'eft toi , par qui fut fi connue
L'infâme amante (2) de Jaſon ,
Ail , plus mortel que la Cigue ,
Et le fiel du Dragon !
*
Légume plus funefte encore
Que les Tyrans les plus cruels !
Vrai fleau ( 3 ) qu'apporta Pandore
Pour punir les Mortels !
(1 ) Hercule ayant mis la robe empoisonnée du
Centaure Neffus que lui avoit donnée la jalouſe
Déjanire , ilfe fentit auffi - tôt enflammé d'une ardeur
qui le confuma.
(2) Médée célebre par fes poisons.
(3 ) Dans fa boite où tous les maux étoient renfermés.
MA I. 1756. SI
Mais fut-on coupable , ou complice
Des plus détentables excès ;
Quel crime ne cede au fupplice
De manger de ces mets ?
Mithridate ( 1 ) , dont les entrailles
S'engraiffoient des plus noirs poiſons ,
pu hâter fes funérailles
Par ces ragoûts gafcons.
Eût
(4) Mithridate ne pouvant plus s'empoiſonner ,
parce qu'il étoit à l'épreuve du poiſon , fut obligé
de fe poignarder pour ne pas tomber vivant entre
les mains des Romains , à la tête defquels étoit fon
fils Pharnace.
LETTRE
Du Comte de Canaple à Madame de Granfon
, à l'imitation des Héroïdes d'Ovide ;
par M. de Bafiide .
LE Comte de Canaple n'avoit jamais
aimé ; il craignoit l'amour qu'il regardoit
comme un engagement trop férieux , &
cette crainte alloit jufqu'à l'empêcher de
paroître aimable dès qu'il fentoit qu'il
pouvoit devenir amoureux. La galanterie
étoit le terme de fa fenfibilité. Quoiqu'il
Cij
52 MERCURE DE FRANCE .
pour
ne tînt aux femmes que par les plaifirs ,
& qu'il ne les connûr que par leurs foibleſſes,
il ne croyoit pas, comme nos jeunes
gens , qu'on pût leur manquer fans intéreffer
la probité ; il regardoit leurs faveurs
comme des fecrets confiés dont il n'eft
jamais permis d'abufer. Madame de Granfon
étoit de toutes les femmes celle
qui il avoit le plus d'eftime & de refpect.
Il n'avoit encore mérité fon amitié que par
la fouhaiter , mais il la fouhaitoit tant ,
& s'en montroit fi digne , que Madame de
Granfon ne pouvoit s'empêcher de lui
accorder intérieurement plus que de l'amitié.
Il étoit depuis quelque tems avec
elle à Vermanton. M. de Châlons , fon
intime ami , dont les terres étoient dans
le voisinage , fe hâta de l'engager à venir
paffer quelques jours chez lui . « ( 1 ) Le
Comte de Canaple entraîné à la pourſuite
d'un cerf , fe trouva feul au commen-
» cement de la forêt. Comme il en con-
» noiffoit les routes , & qu'il fe vit fort
»près de Vermanton ; il en prit le che-
» min. Il étoit fi tard quand il y arriva ,
» & celui qui lui ouvrit la porte étoit fi
» endormi , qu'à peine put- il obtenir qu'il
lui donnât de la lumiere. Il monta tout
"
"
( 1 ) Extrait du Siege de Calais , nouvelle hiſto-
Fique ,
MA I. 175.6. 53
"9
"
» de fuite dans fon appartement dont il
avoit toujours une clef ; la lumiere qu'il
portoit s'éteignit dans le tems qu'il en
» ouvrit la porte ; il fe deshabilla , & fe
coucha le plus promptement qu'il put.
Mais quelle fut , fa furprife , quand il
s'apperçut qu'il n'étoit pas feul , & qu'il
comprit par la délicateffe d'un pied qui
vint s'appuyer fur lui , qu'il étoit couché
avec une femme ! ...... De pareils
» momens ne font pas ceux des réflexions ;
» le Comte de Canaple n'en fit aucune, &
profita du bonheur qui venoit s'offrir à
» lui .
و د
""
. د
Il fçut bientôt que c'étoit Madame de
Granfon qu'il venoit d'offenfer. Comment
la venger , comment pouvoir fe repentir ,
comment ofer reparoître à fes yeux ? Madame
Granfon inftruite à fon tour de l'objet
fur qui devoit tomber fa haine , ne lui
épargna , lorfqu'elle le vit , rien de tout
ce qui pouvoit lui prouver combien cette
haine étoit extrême. Le Comte de Canaple
, malgré fon défefpoir , ne put s'empê
cher de fe rappeller fouvent les charmes
& toute la beauté de Madame de Granfon
. Il prit pour elle la plus vive paffion ,
mais il n'ofa jamais lui parler ni de fon
crime , ni de fon repentir , ni de fon amour.
Il s'impofa des loix auffi féveres que cel-
Cif
54 MERCURE DE FRANCE.
les
que Madame de Granfon eût pu lui impofer
elle-même , & il y fut fidele pendant
un tems fort long. Il avoit eſpéré
d'obtenir du moins quelque pitié. Madame
de Granfon toujours inexorable, ne voulant
rien voir de tout ce qui pouvoit le rendre
moins coupable , ou ne le voyant que
pour le rendre plus malheureux , fe montra
fi inflexible , fi impitoyable , qu'il ne
vit plus la fin de fon tourment que dans
la fin de fa vie. Edouard faifoit alors le
fiege de Calais , la ville ne pouvoit plus
réfifter. Il falloit qu'elle fe rendît , oti
qu'elle fe foumît aux conditions de ce
Monarque. Calais prit ce dernier parti . Le
vainqueur exigeoit que fix Bourgeois lui
fuffent livrés la corde au col. Le Comte
de Canaple avoit tentéjufqu'à l'impoffible
pour fauver cette ville infortunée qu'il défendoit
à la tête de fa Compagnie des Gendarmes
, & dans laquelle Madame de
Granfon fe trouvoit pour lors renfermée.
Convaincu qu'il ne pouvoit plus rien faire
pour elle , il fongea à travailler pour lui.
îl engagea un Bourgeois nommé Euftache
de Saint Pierre à l'avouer pour fon fils
& ayant obtenu ce qu'il fouhaitoit , il
parut déguifé à la tête des fix victimes
qu'Edouard avoit demandées. Ce moment
fut le premier où il ofa apprendre à MaMA
I. 17.56. 55
dame de Granfon qu'il l'aimoit. Il lui écrivit
cette lettre.
Après m'être puni d'un crime qui m'honore ,
En refpectant toujours votre reffentiment ,
Quand je cours à la mort , pour m'en punir encore
,
Daignerez-vous m'écouter un moment ?
Le tourment d'éprouver un courroux fi févere :
N'eft
pas ce qui me fait embraſſer vos genoux ;
Ma feule ambition eft l'eſpoir de vous plaire ,
En m'immolant à ce même courroux.
J'ai mérité l'arrêt qu'a porté votre haine ,
Je dois être pour vous un objet odieux ,
Et cet arrêt cruel ne me punit qu'à peine ,
Si vous fçavez, combien je fus heureux.
1
Cependant , quel mortel eût été plus timide ?
Eh ! comment réſiſter à tant de volupté ?
Quand la beauté paroît , la foibleffe décide ;
Le crime alors c'eſt l'infidélité .
Un fi parfait bonheur eût paru légitime
A tout être fenfible , & né pour s'enflammer
Et j'olai me flatter que fans commettre un crime ,
J'avois le droit de m'en laiffer charmer.
Si vous pouviez fçavoir combien un coeur s'en
flamme
Au moment qu'il peut faire un vol à la beauré ,
Civ
56 MERCURE DE FRANCE .
L'invincible tranfport qui féduifit mon ame
Seroit à peine une témérité.
Vous étiez dans mon lit , libre par mon abſence ,
Lit devenu fatal au repos de mes jours' ,
Que la vive douleur de votre indifférence .
Avoit rendu le tombeau des amours .
Des plus tendres défirs l'amour formoit mes armés
,
Tous fes traits à l'envi ſe diſputoient mon coeur ;
Le bienfaifant fommeil , complice de vos charmes
,
Sembloit comme eux m'inviter au bonheur.
Quel moment pour dompter une ardeur invincible
!
Et comment même après pouvoir fe repentir ?
Les remords du plaifir font d'une ame inſenſible ,
Et l'innocence eft à fçavoir ſentir.
Mais où m'emporte , hélas , un fouvenir trop
tendre !
Je parle de plaifir , & vous verfez des pleurs ;
Le malheureux fujet qui vous en fait répandre
A chaque inftant s'accroît par vos douleurs .
Ne croyez pas du moins que je m'en applaudiffe ;
On n'eft point à l'abri d'un ſouvenir charmant .
Le repentir renaît , un entier facrifice
Va vous venger de l'erreur d'un moment.
MA I. 1756. 17
Un vainqueur fanguinaire & l'organe du crime
A fa farouche gloire immole fix François ;
Je cours m'offrir ; l'Anglois me croira ſa victime ,
Vous fçaurez feule un tourment que je tais.
Mais quand pour vous venger je meurs avec courage
,
Me refuferez - vous un moment de pitié ?
Et vous le demander , eft- ce augmenter l'outrage
Qui me condamne à votre inimitié ?
J'ofe efperer encor que votre ame irritée
Ne fe réglera pas fur fon reffentiment ,
La mienne en vous perdant , eft affez tourmentée
Pour mériter qu'on plaigne fon tourment.
Vous ne voyez en moi qu'un mortel méprifable ,
Dont le coeur endurci n'eft mu que par les fens :
Ce coeur que vous croyez inſenſible & coupable:
Pour vous venger , a pris des fentimens.
Vous fçavez que jamais l'ardeur la plus fidelle
N'eut du pouvoir fur moi. Le plus foible retour
Eft pour un inconftant une chaîne cruelle ,
Je frémiſſois au feul nom de l'amour.
Trop de facilité dans des objets aimables ,
Loin de me revolter , avoient formé mon goût ;
Le changement m'offroit des biens inépuisables ,,
En me fixant , j'aurois cru perdre tout.
L'habitude l'emporte en flattant la molleffe ,,
C.V
58 MERCURE DE FRANCE.
Sans compter , je ne fçais quel ton impertinent
Qui décidant fans choix , & décidant fans ceffe
Fronde l'amour impitoyablement.
Que mon coeur eft changé ? Par combien de tendreffe
Ne réparé- je point ma perte & mon erreur ?
Il femble que l'amour à chaque inftant me bleſſe
Pour m'éclairer par mon propre bonheur.
Depuis l'inftant fatal qui m'a rendu coupable ,
Je brûle , & je rougis de n'aimer point aſſez ;
Votre idée adoucit le tourment qui m'accable ,
Même en fongeant que vous me haiffez.
Comment ne pas brûler d'une fi vive flamme ?
L'eftime , le remors , la vertu , la beauté ,
Ont fait ma paffion , & l'amour dans mon ame
Eft un devoir plus qu'une volupté.
Mais c'eft trop abufer de votre complaisance ;
Votre gloire & vous - même exigez mon trépas :
Je dois avoir égard à votre impatience ,
Et dans le fonds je n'en murmure pas .
Quel feroit mon deftin , comment pourrois - je
vivre
En proie aux longs remords , pires que les bourreaux
?
Un fouvenir cruel fçauroit trop me pourſuivre
Eu m'immolant , je me fauve des maux.
MAI. 1756. $9
Songez du moins , fongez , s'il eſt encor poffible,
Aux pleurs que m'ont coûté des plaifirs d'un inftant
,
Se pourroit-il , hélas ! que votre ame inflexible
Avec plaifir vit Canaple expirant ?
Avant de lui vouer une haine éternelle ,
Songez qu'il vous fut cher en de plus heureux
tems ;
Qu'il le feroit encor , fi vous étiez moins belle ,
Si vos attraits n'avoient féduit fes lens .
VERS
Sur la mort de M. de Malezieu , Lieutenant
Général d'Artillerie & des Armées
du Roi , Commandeur de l'Ordre de Saint
Louis ; par M. Tanevot.
ELevé par les Arts , dans les combats nourri ,
D'une brillante Cour ( 1 ) Malezieu fut chéri ;
Il le fut des Héros , de fon Roi , de Dieu-même
Qui lui fait part enfin de fon bonheur ſuprême.
(1 ) La Cour de Sceaux.
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE
*
A M. de Boiffy , en réponse à celle qui a été
inférée dans le Mercure du mois de Mars,
au fujet de MM. Aubert.
Monfieur , cette Lettre que vous avez
rendue publique , & dans laquelle il eſt
parlé de nous d'une maniere fi avantageufe,
qu'on pourroit prendre des louanges auffi
peu mefurées pour une ironie , fi elles
n'étoient l'ouvrage de l'amitié , a fait fur
nous une impreffion qu'il n'eft pas aifé de
définir. Nous n'imaginions guere que
quelqu'un au monde pût nous croire fi
confidérables. Pour moi , la lecture de ce :
qui me regarde en particulier dans cet éloge,
m'a rappellé fur le champ le propos du
Lievre de la Fontaine , lorfque le bruit de
fa préfence étonné les Grenouilles . Et d'où
me vient cette vaillance ? dit cet Animal!
craintif, qui ne penfoit pas qu'on dût ſeulement
s'appercevoir qu'il fûr là ..
Je fuis donc un foudre de guerre...
Il eft facile de faire l'application.
Occupé dans le filence à mefurer mes
forces contre les Maîtres de notre EloMAI.
1756. GR
quence & de notre Poésie , & toujours défefpéré
de ne pouvoir ,atteindre juſqu'à
eux , j'ai été extrêmement furpris qu'un
Anonyme vînt à fe récrier fur des tentatives
où je me fens fi foible . Il parle en termes
flatteurs d'un Ouvrage Périodique
confié à mes foins , mais beaucoup plus.
recommandable par fon utilité que par
mon travail. Il a pris la peine de tranfcrire
une Epître Dédicatoire en vers , qui n'a
d'autre mérite que celui d'être vraie ; mérite
, j'en conviens , étranger à la plûpart
des Dédicaces , mais qui devoit faire néceffairement
le fonds de celle-ci , puifqu'elle
eft adreffée à Madame la Marquife
de Villeroy. A l'égard de mes Fables , j'at
tribue l'estime qu'il fait de celles qui ont
paru dans le Mercure , au bien que vous
avez eu la politeffe d'en dire ; & je fouhaite
que le Public en voie le Recueil avec la
même indulgence que vous avez vu ces
premieres.
Mes Freres , quoique peut-être ils aient
lieu d'être plus fatisfaits des efforts qu'ils
font pour perfectionner les talens qu'une
étude continuelle leur a fait acquérir ,
n'ont pas été moins étonnés que moi des
voir ces talens fur lefquels ils font loin de
s'aveugler , célébrés avec des expreffions.
auffi fortes , que s'ils étoient parvenus en62
MERCURE DE FRANCE.
tre leurs mains au degré de perfection
qu'ils défirent leur donner.Oferai-je le dire,
ces louanges feroient légitimes , fi chacun
de nous étoit auffi eftimé dans fon Art ,
que l'a été dans le fien un Pere plus jaloux
encore de nous tranfmettre des vertus que
des connoiffances.
Cependant , l'ami qui a voulu illuftrer
nos foibles effais , mérite un remerciement
de notre part. C'eſt fon zele qui l'a trompé
, & il n'a pas affez confidéré quelles
obligations il nous impofoit , pour peu
que l'amour- propre nous confeillât de tâcher
de répondre à l'idée favorable qu'il
donne de nous. Vous avez , Monfieur , les
mêmes droits que lui à notre reconnoiffan
ee , malgré la perfuafion où nous devons
être , qu'en publiant cet Eloge , votre
deffein n'a pas été de donner à entendre
que vous l'approuviez , mais de faire remarquer
la fingularité d'une amitié auffi
vive , dans un fiecle où l'on eft occupé à
ruiner la réputation des autres pour établir
la fienne. Je fuis , Monfieur , & c.
L. AUBERT.
A Paris , le 2 Avril 1756.
Cette Lettre de M. Aubert prouve fa
modeſtie , & nous croyons que la Fable
fuivante juſtifie fon talent.
MA I. 1756 . 63
LES DEUX MOINEAUX..
DEux
FABLE.
Eux Moineaux prifonniers s'en aimoient davantage
,
Mais fous le même toit ils vivoient féparés.
A leurs feux feulement de tems en tems livrés ,
Pour appailer Vénus on leur ouvroit la cage .
Leur coeur de ces inftans hâtoit le doux retour.
Ces Amans le matin célébroient moins l'aurore ,
Que l'efpoir d'être heureux avant la fin du jour.
Si le foir ils chantoient encore ,
Des fruits de la journée ils béniffoient l'amour.
Dans leurs douces chanfons l'amour entroit fans
ceffe .
Pourtant de fes faveurs pleurant la rareté ,
Ils fouhaitoient à leur tendreffe
Moins de défirs , dit - on , & plus de liberté.
Mais ces mêmes défirs font une volupté.
Petits Oiseaux , pourquoi vous plaindre ›
Hélas ! on voit fitôt s'éteindre
Un feu qui par l'efpoir ceffe d'être irrité !
Petits Oiseaux , l'amour eft un enfant gåté ,
Toujours impatient d'atteindre
Aux objets qu'on refufe à fon avidité .
Leur prix fe perd à l'inftant qu'on lui cede.
Et le refus leur donnoit mille appas.
64 MERCURE DE FRANCE
Il eft de glace aux tréfors qu'il poffede ;
Il eft de feu pour tout ce qu'il n'a pas.
Le tems fit une breche à la cage du mâle .
L'amour l'avoit , dit - on , fecondé quelque peu.
Tout s'ufe fous les traits de l'un & l'autre Dieu ;
Pour la deftruction leur puiffance eſt égale.
Il faut à la prifon remettre des barreaux :
La même cage alors reçoit les deux Moineaux ;
L'Amant alla coucher au nid de fa Maîtreffe.
Qui fut le plus content de l'Hôte ou de l'Hô
teffe ?
Ils le furent également.
Ce jour- là leur amour éclata vivement.
Le lendemain il fut moins tendre.
A peine ils ont cinq fois compté l'aube en ce
lieu ,
L'autre cage revient : Le Mâle alla s'y rendre
Sans foupirs , fans regrets , fans même dire
adieu.
J.L. Aubert.
Les Vers fuivans font d'un Etranger recommandable
, qui nous paroît auffi bon
Poëte que bon pere . Il eft furprenant , il
eft rare de voir un Allemand faire des vers
François qui méritent l'impreffion. Il eft
plus commun de voir un François faire en
MA I. 1756.
65
.
notre Langue des vers Allemands , qui ne
fouffrent 'pas même la lecture. J'en reçois
de pareils tous les jours .
STANCES
A Monfieur de Hagedorn.
AImable Phédre , aimable Horace ,
Fils adoptif, heureux rival !
Amufons-nous fur le Parnaffe ,
Comme à Veniſe au carnaval.
>
Lorfque fur la double colline ,
En mafque on fçait le promener ,
Vous devinez , on vous devine ,
Chacun s'y plait , fans s'y gêner..
L'égalité républicaine
Y rend les malheureux hardis
2.
Et femble à la nature humaine
Offrir le premier Paradis.
L'efprit travaille fans relâche ,
Et ne craint point de s'enrouiller,
Quand les plaifirs marquent la tâche ,
Les graces le font travailler.
L'efpritdoit aimer la débauche ,
Sur le fentier de la vertu ,
Sansquoi le fage donne à gauche ,
Rampant fur un chemin tort u .
66 MERCURE DE FRANCE.
Par la Morale la plus grave ,
A mon regret , j'entends crier
Dans Epictete , un triſte eſclave ,
Comme en Boece un prifonnier .
L'homme profond & l'homme aimable ,
Brillent toujours en tes écrits ,
Avec toi , je me crois à table ,
Cher Hagedorn ! quand je te lis.
Chante le Vin : & je m'enyvre
Du plaifir que me font tes Chants.
Chante l'Amour : & je me livre
Au plus cruel de nos penchants.
Chez toi , fur fa lyre fenfée ,
Anacréon eft vertueux.
Chez toi , forti de fon licée ,
Le fage a l'air voluptueux .
Que j'aime ton pinceau folide ,
Quand , par le portrait des Tyrans ,
Il offre , au nom de Simonide ,
Un beau miroir à tous les Grands !
On voit en ton Eve nouvelle ,
On voit en ton Adam nouveau ,
Des Femmes le Portrait fidele ,
Des hommes , le parfait tableau.
Mais ne crois pas que je t'excufe ,
Quand toujours on te gronde envain
M A I. 1756. 67
De voir que ta timide muſe
Ne chante que pour le Germain.
Travaille pour toute l'Europe ,
Mon Fils , quand tu ſçais imiter
Voltaire , Métaſtaſe & Pope ,
Dans l'art d'écrire & d'enchanter.
Sois du moins un ſecond Voltaire ,
Et je cede avec tous mes droits ,
L'orgueil que j'ai d'être ton Pere ,
Au plus augufte de nos Rois.
SOLILOQUE
A l'occafion de la mort prématurée de M.
de Hagedorn , décedé à Hambourg le 28
Octobre 1754.
NE fuis-je né , grand Dieu ! que pour pleurer
fans ceffe
Les amis les plus chers qu'on puiffe s'acquérir ?
N'obtiendront-ils jamais , pour prix de leur tendreffe
,
Que la fortune de mourir ?
A plaindre plus qu'eux tous , je dois pleurer encore
( L'illuftre Hagedorn , mon fils & mon rival ; )
Il a vu fa derniere aurore ,
Et j'ai prévu ce jour fatal.
68 MERCURE DE FRANCE.
Oui , mon Anacréon , mon Phédre , mon Horace
,
Qui Pope , & Métaſtafe & Voltaire pour moi
Me donnoit chaque jour rendez -vous au Parnaffe,
Me force , ô trifte Younck ! à chanter comme
toi . (1)
Que la mort foit ma Mufe , & m'enferme en
fon Temple !
Sepulcres , ouvrez-vous , montrez- moi vos horreurs
,
Pour glacer tout mon fang , fouffrez que je contemple
,
Que j'embraffe vos Morts , arrofés de mes pleurs.
Recevez de ma bouche impure ,
Cadavres , le baiſer de paix ,
Plus je fens frémir la Nature ,
Et plus parmi vous je me plais.
Rien ne répugne , tout m'enchante ,
Squelettes ! que j'aime à vous voir !
Voulez -vous remplir mon attente ?-
Infpirez-moi le défeſpoir ?
Apparoiffez , ombres facrées !
Raffemblez- vous autour de moi ,
Vous ferez encore adorées >
( 1 ) Edouard Younck , Poëte Anglois , s'eft
diftingué par des Chants Lugubres , extrêmement
touchans forts. La mort d'un grand nombre d'amis
, furtout d'une aimable amie , a fait naî
tre fes complaintes & fes nuits , qu'on ne sçauroit
lire fans tomber dans une douce mélancolie.
MA I. 1756. 69
Je vous porte mon coeur , faifi d'un tendre effroi.
Il palpite , il foupire , il rompt feul un filence ,
Où tout parle aux Vivans le langage des Morts,
Dans la nuit du trépas, où repofent leurs corps,
Ne puis-je me plonger , ô fainte Providence !
Eft-il vrai , jufte Dieu : que le foible Mortel ,
Qui fe donne la mort , périt en criminel ?
Avant le terme échu , payer à la Nature
Le tribut qu'on lui doit , eſt- ce lui faire injure ?
C'eft l'outrager fans doute , & le fort du Vieillard
Eft de gémir en deuil , & de mourir trop tard.
Ne vivant qu'à ce prix en cet onzieme luftre ,
La liste de mes morts ne fçauroit qu'être illuftre ;
Heureux , encor heureux , fi je puis m'affurer ,
Que pleurant Hagedorn , je n'ai plus à pleurer .
A l'amitié la plus fincere ,
Je dûs ce digne fils , dont le nom immortel
Peut immortalifer le pere ,
Qui voudroit lui pouvoir ériger un autel.
Du fils , dont j'attendois ma lugubre Epitaphe ,
Dois- je enfin devenir le tendre Biographe
Au fouhait de tous les Sçavans ,
Si je peignois ce beau Génie ,
Je ferois , quel honneur ! au goût de fa Patrie ,
Mais je ferois auffi la fatyre des Grands.
Sans eux , & loin des Cours , Mécene en fa retrai
te , ( 1 )
( 1 )Le célebre M. de Hagedorn , fans connoî70
MERCURE DE FRANCE.
Il cachoit fes talens , & les rendoit plus chers ;
Il ne publioit que des vers ,
Où le Sage eujoué furpaffe le Poëte .
Quel Sacrificateur au Temple de Comus !
Ily portoit fans fiel tout le fel de Momus .
Aimable en fes écarts , aimable en fes caprices ,
De Timon Mifanthrope , il eût fait les délices.
Toutefois plus fçavant que nos Sçavans fournois
,
Dans les jardins de la lecture ,
Il fçavoit goûter à la fois
Toutes les voluptés de la Littérature.
Son efprit tranfcendant , toujours vif & nouveau ,
Un jour fera dépeint peut - être ;
Quelle fera la main de Maître ,
Qui nous peindra fon coeur encor plus grand ,
plus beau ?
Si des viperes orthodoxes
Sur ce candide coeur foufflent des paradoxes ,
Le Schifme le déclare , en nous vantant ſa fin ,
tre un Auguste , faifoit le petit Mecéne. Sans fortune
fans protection , il protégeoit des Sçavans
fans fortune. Il enfaut citer un exemple : Sçachant ,
que le fils d'un Payfan Saxon réduit à la mendicité,
marquoit du génie , & même quelque talent
pour la Poéfie , il le prit fousfa Protection . Sans l'avoir
jamais vu il le fit étudier en Théologie , a
l'Académie de Leypfic , & le jeune Paysan , aujourd'hui
Miniftre Luthérien , ſe trouve fort à fon
aife.
?
MA I. 1756. 71
Chrétien felon Luther , Chrétien fuivant Calvin
.( 1)
Du fiecle profaïque , & fait pour les chicanes ;
N'attend point , ô mon fils ! le moindre monument.
Apprends à l'honneur de tes Manes ,
Le fort de ton dernier moment :
Sur le tombeau d'Achille , à la gloire d'Homere ;
Le vainqueur des Perfans verfa des pleurs d'orgueil
;
Cher Hagedorn ! fur ton cercueil ,
La vertueufe Oberg ( 2 ) verfa des pleurs de mere !
(1 ) M. Zimmermann , Miniftre Luthérien , &
M. Murray , Miniftre Anglican , tous deux amis
intimes du Défunt , ont été extrêmement édifiés par
la belle fin de ce Chrétien Philofophe , emporté par
une bydropifie , à l'âge de 47 ans.
( 2 ) Madame la Baronne d'Oberg , née Baronne
d'Alefeld , quijoint à toutes les vertus de fon Sexe
tant de vertus du nôtre , a toujours honoré de fon
eftime l'illuftre M. de Hagedorn. Ce fut avec une
douleur extrême , qu'elle apprit le trifte état defa
Santé. Afa mort , elle daigna verfer des larmes
qui valent plus que les monumens les plus fuperbes.
Il fera confolant , pour les amis du defunt , d'apprendre
qu'il a été pleuré par la vertu même.
72 MERCURE DE FRANCE.
NOUVEAU DIALOGUE
DES MORTS.
ALEXANDRE , ATTILA.
ATTILA.
Vous êtes donc bien glorieux d'avoir
conquis la Grece , la Perfe & les Indes ?
ALEXANDRE.
Afsûrément l'action eft fort belle. Elle
a été applaudie & admirée de tous les
hommes : elle m'a afsûré une des premieres
places parmi les Héros.
ATTILA.
Quelque belle que vous paroiffe cette
action , fi on l'examinoit avec cet eſprit
de droiture , jufte appréciateur du mérite ,
je craindrois fort pour les fondemens de
votre héroïfme.
ALEXANDRE,
Vous croyez donc qu'elle n'a été
pas
examinée avec cet efprit de droiture ?
Défabulez-vous. La poftérité eft un juge
trop éclairé & trop équitable. Peu fenfible
au
MA I. 1756. 73
au brillant d'une action , elle la dépouille
de cet éclat impofant pour la connoître
dans fon principe . Jaloufe , pour ainfi dire,
de ces réputations brillantes , elle n'en examine
qu'avec plus de rigueur les fondemens.
Les Souverains dépouillés de leur
grandeur & de leur puiffance , ne trouvent
point à fon tribunal cette cour de flatteurs,
qui en voulant faire d'eux des Dieux fur
la terre , ne les rendent que trop fouvent
indignes du nom d'hommes .
ATTILA .
Avec ce langage fpécieux vous aurez
bien de la peine à me perfuader que l'éclat
de vos conquêtes n'a point ébloui la poftérité.
Vous avez beau dire ; ce juge dont
vous vantez tant l'équité & le difcernement
, n'eft pas toujours auffi éclairé &
auffi équitable que vous le prétendez. Des
Héros ne font bien fouvent que des hommes
, qui pour tout mérite poffedent l'art
de paroître grands & vertueux . Au reſte ,
je conviens pour un moment de vos droits
à l'héroïfme. S'il fuffit pour y parvenir de
parcourir en Conquérant une grande étendue
de pays , d'ébranler des Trônes , de
défoler des Provinces , de changer la face
de vaftes contrées , n'y ai -je pas autant de
droit que vous ? La poftérité ne me fait- clle
D
74 MERCURE DE FRANCE.
pas une injuftice en me refufant le titre
de Héros ?
ALEXANDRE.
Vous voulez , je crois , vous comparer
à moi ! ne fentez-vous donc pas le ridicule
de ce parallele ?
ATTILA.
La différence entre nous deux n'eft pas
fi grande que vous vous l'imaginez . Pour
peu que vous vous examiniez , vous en
conviendrez bientôt avec moi.
ALEXANDR E.
J'ai beau m'examiner , je ne trouve aucune
reffemblance entre vous & moi. Vous
:
avez parcouru , il est vrai , de vaſtes contrées
mais comment les avez - vous parcourues
? en tigre plutôt qu'en Conquérant.
A la tête d'une multitude de barbares qui
ne refpiroient que le fang & le carnage ,
vous faifiez brutalement confifter tout
votre mérite & toute votre gloire à paffer
pour le plus cruel des hommes ; vous vous
étiez hautement déclaré l'ennemi du genre
humain . Si la cruauté caractérifoit le Conquérant
, je vous céderois volontiers ce
citre.
MA I. 1756. 75
ATTILA .
Le Conquérant , felon vous , eft donc
clément & généreux en facrifiant à fon
ambition la vie , les biens & le repos des
peuples , en fe frayant un chemin à la gloire
à travers des ruiffeaux de fang ? Vous
l'étiez donc vous-même en défolant l'Orient
? Il fembleroit , à vous entendre raifonner
ainfi , que vous feriez encore au
milieu d'une cour toujours prête à encenfer
vos défauts , toujours attentive à vous
cacher la vérité. Avec un peu plus d'équité
cependant , vous conviendriez bientôt avec
le fléau de la Perfe & des Indes
moi
que
n'a pas
plus
de droit
à l'héroïfme
que le
fléau
des Gaules
& de la Germanie
.
ALEXANDRE .
Me voilà donc fur ce pied là au rang de
ces cruels tyrans qui ont été l'horreur du
genre humain. Si vous aviez cependant
égard à ces actions de grandeur d'ame &
de vertu , à ces fentimens élevés qui faifoient
connoître en moi le Héros , vous
ménageriez un peu plus ma gloire.
ATTILA.
Ces actions & ces fentimens étoient en
vous des marques bien équivoques d'un
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Héros :: vous avez eu tant d'envie de briller
& de faire du bruit dans le monde , que
j'ai droit de conjecturer que tout ce bel
étalage d'actions & de fentimens vertueux
étoit plutôt l'effet de votre vanité que d'un
attachement fincere à la vertu . Après tout ,
ces belles actions vous ont- elles mis à couvert
des reproches & des malédictions des
peuples qui ont éprouvé votre fureur ? Ces
fentimens élevés ont- ils effacé vos cruautés
? En avez- vous moins mérité le titre
odieux de fléau de l'Orient ? Puifque vous
étiez fi généreux , pourquoi vous occupiezvous
fans ceffe à tourmenter vos femblables
? Croyez- moi : vous aurez bien de la
peine à faire un véritable Héros d'un Souverain
couronné de lauriers teints de fang.
Ce fera un Conquérant , j'en conviens ;
mais qu'eft ce qu'un Conquérant ?
ALEXANDRE.
Un Conquérant ! c'eft un de ces hommes.
extraordinaires nés pour régner & pour
changer la face de l'Univers . Penfées , actions
, fentimens , projets , tout eft grand
dans lui, A fon nom feul on eft faifi d'étonnement
& de reſpect .
ATTILA.
Un Conquérant , felon moi , eft un
MA I. 1756. 77

le
homme né pour troubler le repos de la
fociété. Penfées , actions fentimens
projets , tout dans lui n'en annonce que
tyran. Une ambition exceffive , une témérité
heureuſe , un génie remuant & entreprenant
, peu d'humanité , voilà fon caractere.
Des vices brillans & tumultueux ,
des actions qui ont un air de grandeur &
de fingularité , voilà les fondemens de fon
héroïfme.
ALEXANDRÉ .
Vous ne flattez pas vos portraits.
ATTILA.
Plaifantez tant que vous voudrez , vous
ne fçauriez toujours vous regarder comme
un Héros , fans convenir avec moi que fi
j'euffe fçu , comme vous , dérober l'eftime
& l'admiration des hommes par quelques
actions d'une grandeur d'ame & d'une
vertu apparente , on auroit oublié mes
cruautés , & le barbare. Attila feroit au
nombre des Conquérans & des Héros.
ALEXANDRE.
Je vous avoue de bonne foi que tous
mes droits à l'héroïfme difparoiffent devant
vous. Il me femble qu'à préfent Alexandre
n'eft plus le grand Alexandre.
D iij
7S MERCURE DE FRANCE .
ATTILA.
C'étoit pourtant ces droits que vous étaliez
avec tant de fafte ; je vous en ai dépouillé
fans peine. Si les hommes devenoient meilleurs
juges du mérite , & examinoient avec
autant de rigueur tous ceux qu'ils regardent
comme des Héros , combien en trouyeroient
- ils indignes de ce glorieux titre ?
combien de fcélérats même démafqués
Ils verroient pour lors que les réputations
qu'ils croyoient les mieux fondées ne fe
foutenoient que par leur prévention .
PERCHERON , d'Houdan , en Beauſſe.
O DE
De M. le Franc à M. Racine , fur la mor
de fon Fils.
Il n'eft donc plus , & fa tendreſſe
Aux derniers jours de ta vieilleffe
N'aidera point tes foibles pas ;
Ami , fes vertus ni les tiennes ,
Ni fes moeurs douces & chrétiennes ,
N'ont pu le fauver du trépas.
ΜΑΙ . 1756 . 79
Cet objet des voeux les plus tendres ,
N'ira point dépofer tes cendres.
Sous ce marbre rongé des ans ,
Où fon Ayeul & ton modele ,
Attend la dépouille mortelle
De l'héritier de fes talens .
Loin de tes
yeux loin de fa mere ,
Au fein d'une plage étrangere
Son corps eft le jouet des flots ;
Mais fon ame du Ciel chérie ,
N'en doute point , dans fa Patrie
Jouit d'un éternel repos.
O Loix faintes & Providence !
C'est bien fouvent fur l'Innocence
Que tombent tes coups redoutés !
Un enfant du fiecle profpere ;
L'homme qui n'a que Dieu pour pere ,
Gémit dans les adverfités.
Cher Racine , fa main te frappe,
Tandis que le coupable échappe
Au déluge ardent de ſes traits !
Quel coeur vertueux & fenfible ,
Ou quelle ame affez inflexible
Te refufera des
regrets ?
Div
So MERCURE DE FRANCE.
Quand l'infortune fuit tes traces ,
Autant que mes propres difgraces
Mon amitié ſent tes malheurs :
Mais que pourroit fon affiftance ?
Dieu te donnera la conftance ; !
Tu n'auras de moi que des pleurs .
Tu fçais trop qu'un Chrétien fidele
Du fang & de la chair rebelle
Triomphe fans haine & fans fiel ;
Tranquille il entend le tonnerre ,
Et tout ce qu'il perd fur la
Il le regagne dans le Ciel.
܀
terre
Mais vous , dont l'orgueilleufe
vie
De l'humaine
philofophie
Tire fa force & fon fecours ,
Si dans ce monde périffable
Un revers foudain vous accable
Parlez , quel eft votre recours à
Qui vous foutiendra dans vos pertes ?
Quelles reffources font offertes
A votre audace de Géant ?
Point d'avenir qui vous confole ,
Un fyftême impie & frivole ,
Et l'efpérance du néant .
MA I. 1756.
81
Je les vois déja , ces Grands hommes ,
Qui pour nous , peuple que nous fommes ,
Parmi leurs difciples ravis ,
Dévoilent les caufes fenfibles
De ces Phénomenes terribles ,
Qui te font regretter ton Fils.
Des vents refferrés dans leurs chaînes
Et des fournaifes fouterreines ,
Ils nous expliquent les effets ;
Et pas un feul d'entr'eux ne penſe
Que c'eft peut-être la vengeance
D'un Dieu qu'irritent nos forfaits
Ils écartent ces Loix fuprêmes ,
Et s'efforcent par leurs problêmes
D'anéantir le vrai Moteur.
Recherches pleines d'impoſture
Qui trouvent tout dans la nature ,
Hors le pouvoir de fon Auteur.
*
Tels , en leur Ecole profcrite,,
Les Eleves de Démocrite
Forgeoient des Dieux , phantômes vains
Qui dans une langueur profonde ,
Après avoir créé le Monde ,
Oublioient l'oeuvre de leurs mains.
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
t
Laiffons-là ces mortels fublimes
Traiter d'effais pufillanimes
Les traits de nos humbles crayons :
Qu'à leur effor ils s'abandonnent ;
Ce font des fages , qu'ils raiſonnent :
Nous , efprit vulgaires , croyons..
7
Croyons : c'eft là notre partage..
Que la Foi diffipe oufoulage
Tous nos chagrins les plus cruels ;
Et n'attendons dans cette vie
Qu'une mort qui fera fuivie
De biens ou de maux éternels.
Malgré nos plaintes réïtérées , on nous.
envoie conſtamment des Logogryphes &
des Enigmes dont les vers fe moquent de
la meſure. Telles font ces deux -ci qui fe
trouvent au commencement de la premiere
Enigme du premier volume d'Avril.
Et mon acte n'eſt pas indifférent
A quiconque veut vivre de maniere , & c.
Nous prions nos Lecteurs de les corriger
ainfi :
Et mon fecours n'eft
pas indifférent
A qui veut vivre de maniere , &c.
M.A I. 1756. 83
Nous avons encore un avis à donner à
ce fujet. La facilité qu'on trouve à brocher
des Logogryphes qui portent poire ,
qui portent moire , qui portent fi , qui
portent mi , & c. en fait produite des torrens.
Nous avons inféré les premiers pour
la fingularité , mais le grand nombre de
nos Lecteurs s'eft plaint avec juſtice de
l'abus , & nous avons gémi nous -mêmes
de l'abondance . Pour arrêter ce fléau qui
nous inonde , nous fommes obligés d'avertir
les Auteurs qu'à l'avenir nous n'admettrons
plus aucun Logogryphe de cette ef
pece. Le genre n'eft pas affez excellent par
lui-même , pour permettre qu'on le défigure
encore par la forme la plus imparfaite:
qu'on puiffe lui donner . Nous les prions:
en conféquence de revenir à la maniere:
ordinaire , & de s'y tenir comme à la moins
défectueuse , & la plus agréable au Public..
LE mot de l'Enigme du ſecond volumed'Avril
, eft Lime ; celui du Logogryphe
eft Preffoir ; les autres mots qu'on y trouve:
font toutes les rimes duLogogryphe même,
depuis Pré , inclufivement , jufqu'à Roſſe..
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
A L'AUTEUR DU MERCURE
JE fuis jeune , Monfieur , je fuis fille &
jolie , que de raifons pour avoir de la vanité
Ajoutez à cela un motif de plus en
core ; on dit que j'ai de l'efprit , & je fens
bien dans le fonds que je ne fuis pas bête.
Avec ces petits fondemens d'amour- propre
, il étoit naturel que je m'en trouvaffe
une bonne dofe. Auffi n'en manquai -je
point , & par une fuite néceffaire ne fuisje
jamais plus fâchée que quand on me
contrarie .
Je déchirois impitoyablement il y a
quelques jours les Logogryphes à qui ,
entraîné par le torrent de vos prédéceffeurs
, vous avez laiffé une place dans le
Mercure. Ils trouverent des protecteurs
ici , ne vous en étonnez pas ; je vis en
Province. On m'attaqua vivement ; j'eus
beau me défendre & démontrer que ce
n'étoit qu'un déteftable jargon profcrit par
le bon fens auffibien que par le goût , le
nombre l'emporta , & je fus condamnée
par arrêt de la fociété à faire un Logogryphe.
Je me foumis , non fans murmurer
, à ma fentence , & griffonnai l'inftrument
de mon fupplice. On ne me trouMA
I. 1756.
va point affez punie , & l'on exigea pour
achever de m'immoler , que je le fiffe paffer
jufqu'à vous. J'ai fatisfait à toutes les
conditions , fans avoir pour cela changé de
fentiment. Croyez - moi , Monfieur , retranchez
de votre livre toutes ces rapfodies
qui le déparent ; .commencez la réforme
par moi , jettez mon barbouillage au
feu , & faites- nous oublier à jamais juf
qu'au mot d'Enigme & de Logogryphe ..
Je fuis , Monfieur , & c .
De Car..... à Toulouse.
Quoique l'inftance d'une perfonne jeune
, jolie & fpirituelle foit des plus féduifantes
, & que nous penfions en fecret
comme elle fur le genre qu'elle condamne,
il ne nous eft pas poffible de le profcrire..
Paris le protege pour le moins autant que
la Province , & la diverfité notre devife ,.
qui n'exclut rien , nous fait un devoir de
l'admettre. Nous aimons mieux nous părer
du Logogryphe qu'elle nous a envoyé.
Nous nous y déterminons d'autant plus.
volontiers qu'il paroît annobli par le ton
dont il est écrit . Son coloris fait excufer
fa longueur , il annonce du talent pour la
Poéfie ; & comme ce Logogryphe eft prefque
une Ode , nous lui donnons le pas far
Enigme. Nous confeillons à cette aima
86 MERCURE DE FRANCE.
&
ble Touloufaine de s'exercer dans un meil
leur genre , & de nous faire part de fes
productions .
LOGO GRYPH E..
Toi , qui devins , par un crime nouveau ,
Frere de tes enfans , & mari de ta mere ;
Sors , Edipe , de ton tombeau ;
De mon obfcurité viens fonder le myftere ,.
Perce de mes replis , les détours inégaux ,
A ton efprit fubtil , j'ouvre une ample carrieres
Produite dans l'obscurité ,
Je cherche toujours la lumiere.
Ma mere eft la malignité ,
Le ris méchant me fert de pere.
Tous les humains font mes fujets ,
Rois , Princes , Magiftrats , font en butte à mes
traits.
A ce portrait tu crois me reconnoître a
Non , la clarté va difparoître ,
Un labyrinthe obfcur ſe préſente à tes yeux.
Regarde , vois quel art industrieux
Préfide à cette admirable ſtructure .
Dans ces greniers formés des mains de la nature ,
Je conferve avec foin un tréfor précieux ..
Tu lui dois ta fanté , tes jours les plus heureux
Ton fang en eft plus beau , ta force en eft plus
füre
MA I. 1756.
87
C'en eft trop , égarons tes pas ,.
Prothée audacieux , je change d'exiſtence.
Je fuis en toi , tu ne me connois pas ,
Par moi l'homme vit , l'homme penfe ,
Je compofe fon être & la plus pure effence ,
Je furvis même à ſon trépas.
Détourne tes regards fur cette plage immenfe ,.
Les vents font déchaînés , quelle horreur ! quel
fracas
Eh bien , tu vois cette mer écumante ,
Tu vois ces flors lancés fur ces rochers ;
Malgré ce bruit affreux , j'affronte ces dangers ,
Je fends avec ardeur cette onde blanchiffante.
Mais déja j'ai changé mon fort ;
Je feme autour de moi la crainte & l'épouvante ,
Fuyez au loin , fuyez , troupe tremblante ,
Dans mes yeux j'ai l'horreur , dans mon fang j'ai
la mort.
De tant d'objets enfin as-tu faifi la trace
As-tu de ce cahos fondé la profondeur ?
Tu le crois , connois ton erreurs,
A peine as- tu volé fur la ſurface.
Quel tableau frappe mes efprits ?
Des vainqueurs , des vaincus , entends - tu bien les
cris
Vois-tu ces feux , & ces clartés brillantes ,
Ces palais embrafés , ces flammes dévorantes ?
D'épouvante & d'horreur tous ces lieux font
remplis
89 MERCURE DE FRANCE.
Amour , voilà les maux que ton caprice entraîne.
Mais quel eft ce vieillard qui ſe ſoutient à peine ?
Par l'injure des ans , fes bras font affoiblis ;
Il ne lui reste plus qu'un courage inutile ;
Il a yu fous les yeux maſſacrer ſa famille ,
Son trône eft renversé , les états font détruits .
La mort eft le feul bien que fon ame défire :
Elle va l'accabler fous les traits de Pirrhus ;
Elle a frappé : c'eft fait ; Ilion , tu n'es plus ,
Tes murs font abattus , & ta puiffance expire..
C'est trop te préfenter un aſpect effrayant ,
Je t'offre cette fois un dehors féduifant.
L'Amour , le tendre Amour partage mon empire ;
Mon fceptre dans fes mains , n'en eft que plus
charmant ,>
A mon nom feul , vois - tu la jeune Iris fourire ,
Et par un contrafte plaifant ,
La vieille Arfinoé gémir , en foupirant ,
Des maux que dans fes traits a caufé ma préfence?
Sous des lauriers épais , au ſein de l'indolence ,
Quelle eft cette divinité a
Quelle foule empreffée & l'adore & l'encenfe ?
Arrêtons.... De quel feu tout - à- coup emporté...
Phoebus a dans fes mains dépofé fa puiffance !:
L'ardent Defpreaux l'enrichit ,
Le doux Racine l'embellit ;
Des rimailleurs la troupe immenfe ,
Et la dégrade , & l'avilit.
Ainfi multipliant mes diverfes peintures ,
MA I. 1756. $$
J'offrirois à tes yeux mille objets différens ,
Et dans des routes plus obfures ,
Je conduirois tes pas foibles & chancelans.
Mais c'eft affez exercer ton génie ;
Mes derniers traits vont être plus preflés ,
Et dans mon fein tu vas voir entaffés
Une ville de Livonie
Les noms qu'on donne à ceux de qui l'on tient le
jour ,
Un amant malheureux , victime de l'amour ,
Ce que Mirtil dit à Silvie ,
Ce qu'elle lui dit à ſon tour ,
Un bien précieux , mais trop rare
Un nom facré , deux notes , une mare ,
Ce qu'on choifit affez fouvent. "
Un port fameux , un élément ,
Un fauxbourg d'une grande ville ,
Un royaume où régna jadis un conquérant
Redoutable aux Romains , dans le combat habile,
L'objet des voeux de tout ambitieux ,
Deux mots latins dont l'un porte affez fouvent
l'autre.
Double l'un de mes pieds , tu trouves un Apôtre ;
que fait éclater tout homme bilieux ,
Certain oifeau dont le babil étonne ,
Ce
Cet art vain , redoutable aux fuperftitieux ,
Et pour finir , ce qu'enfin je te donne.
Par Alle de Car..... à Toulouse.
90 MERCURE DE FRANCE.
DE
ENIGM E.
Es plantes que l'on trouve en cent climats
divers ,
Je fuis la plus utile , & la plus néceffaire ;
"
25I
'I
Il n'eſt point d'habitant de ce vafte Univers ,
Qui , de me conferver ne fe faffe une affaire .
Partout les arbriffeaux fe parent de leurs fleurs ,
Etalant à nos yeux mille belles couleurs ;
Mais , moi , fans que je fois ni belle , ni féconde ,
Je porte , fans fleurir le plus beau fruit du monde.
Ce fruit fait la grandeur de tous les Potentats ,
Il renverſe ſouvent les plus puiffans Etats .
Nous naiffons , en tout tems , ici - bas deux jumelles
,
Qu'on ne peut féparer , fans des douleurs cruelles,
Lorſqu'on nous voit en l'air , ce préſage eſt ficheux
,
Celui d'une Comete eft bien moins dangereux :
Vous , qu'un peu de plaifir excite à me cont
noître ,
Lecteur , je ne fuis point à fix pieds de vos yeux ;
Mais comme c'eſt le foir qu'on me découvre
mieux ,
Attendez jufques -là , vous me verrez peut- être.

Chanfon
Languedocienne.
Al Lebat de L'auroro dins un
pradel deflousZépircaressantFloro Ai=
-meno touto enplous disio toutofeu=
leto à Loumbro d'un Cyprès Sieta :
do suo l'herbeto à l'Echo sous regrets .
May 1756. Impriméepar Cournelle .
MA 1. 1756.
CHANSON LANGUEDOCIENNE.
1.
AL lebat de
l'Auroro
Dins un pradel de flous ,
Zéphir careffant Floro ,
Climeno touto en plous ,
Difio touto fouleto
A l'ombro d'un cyprés ,
Sietado fur l'herbeto
A l'Echo fous
2.
regrets.
! Tirfis es mort , peccaire !
Aufelous plouray lou.
Flouretos , per me plaire ,
Cambias boftro coulou.
Pentibo Toutourello
Rouffignol amouroux ,
Et bous , Echo fidello
Répétas ma doulou.
3.

Lou Rouffignol falbatzé
Beigno dal fond dal bois,
Sufpendré fon ramatzé
Per entendré fa boix.
L'ondo la pus rapido
Coulabo lentomen ,
Per abé une aufido
De fon doux inftrumen.
Traduction en profe
françoise.
Av
I.
Ulever de l'Aurore
, dans un pré de
fleurs , Zéphir caref
fant Flore , Climene
toute en pleurs , difoit
toute feule à
l'ombre d'un cyprés ,
fes regrets à l'Écho .
2 .
>
Tirfis eft mort
hélas ! petits oifeaux
pleurez le fleurs
pour me plaire
changez de couleurs.
Plaintive , Tourterelle
Roffignol
amoureux , & vous
Echo fidele , repétez
mes douleurs.
"
3 .
Le Roffignol fauvage
venoit du fond
du bois fufpendre fon
ramage pour entendre
fa voix. L'onde la
plus rapide couloit .
lentement pour ouie
en paffant un inftru
ment fi doux.
1
92 MERCURE DE FRANCE.
4 .
Peichets à l'abanturo ,
A la merci dès loups ;
Prenguets boftro pafturo ,
Dins un defert afrous.
Troupel , jouts abandonni.
Tirfis es au tombeu.
4.
Paiffez à l'avanture,
à la merci des loups ;
prenez votre pâture
dans un déſert affreux
; Troupeau , je
Vous abandonne .
Tirfis eft au tom-
Qu'aco nou bous eftouni ,
Jou lou feguiré leu. beau que cela ne
vous étonne point ,
je le fuivrai bientôt.
MA I. 1756 . 93
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES,
ESSAI
Sur les Tremblemens de Terre ; premiere
Partie.
IL feroit bien téméraire de fe croire en état
de donner une bonne théorie fur une opération
que la nature renferme dans fon
fein. Phénomene terrible , qui ne fe manifefte
qu'en portant la défolation & l'effroi .
L'amour du merveilleux & la frayeur
groffiffent fouvent les objets , ou les obfcurciffent.
Non ſeulement peu d'Obfervateurs
font capables d'examiner un tremblement
de terre de fang froid , & de répondre
par l'affiette de leur ame à ces deux
vers d'Horace :
Si fractus illabatur orbis ,
Impavidum ferient ruina.
Mais il en eft moins encore qui poffedent
les connoiffances néceffaires pour obferver
ces Phénomenes en vrais Phyficiens .
Le défir de pénétrer dans ce myſtere
de la nature couta la vie à Pline le Natu94
MERCURE DE FRANCE.
ralifte. Afthmatique & avancé en âge , les
vapeurs fulfureufes qui s'élevoient des crévaffes
de la terre le fuffoquerent pendant
qu'il obfervoir. Pline le jeune , qu'on peut
regarder comme un des derniers Auteurs
eftimables de la Latinité , fe borne dans fa
Lettre élégante à peindre cet événement ,
avec les traits les plus propres à infpirer
la terreur. Il pleure la mort d'un oncle
illuftre , mais il ne donne aucun des rapports
phyfiques qui peuvent nous être utiles
pour fervir de comparaifon à ceux d'aujourd'hui.
Paul Jove rapporte feulement en Hiftorien
le tremblement qui renverfa Liſbonne
en 1531 ; mais il ne s'explique point
fur les caufes aufquelles ce tremblement
fut alors attribué ; cependant , le récit des
malheurs qu'il occafionna , eft affez circonftancié
pour montrer une reffemblance
frappante entre les deux tremblemens que
Liſbonne a éprouvé .
La plupart des relations que nous avons
des tremblemens de terre , ne rapportent
que des défaftres . Elles font furchargées
de tout ce qui peut contribuer à former
une idée effrayante ; il eft très - difficile de
pouvoir faifir dans ces relations quelques
faits qu'on puiffe lier dans une bonne théorie;
il femble qu'on ait cru qu'il étoit inuMA
I. 1756. 95-
tile d'inftruire les hommes de la caufe d'un
malheur qu'ils ne peuvent parer.
>
Ce qu'on peut lire de plus intéreffant
& de mieux raffemblé fur cette matiere
fe trouve à la fin du premier tome de l'Hiftoire
naturelle de M. Colonne Gentilhomme
Romain , imprimée en 1734 , par
les foins de M. de Gofmond , & dédiée à
M. le Maréchal Duc de Richelieu .
>
On trouve dans cet Ouvrage la relation
de la naiffance d'une petite ifle qui fortit
du fond de la mer , près de Saint Michel
du Fayal , une des ifles Açores. L'irruption
commença le 26 Juin 1638. Le 3
Juillet fuivant , le feu commença à s'élever
au- deffus de la mer qui avoit cent
vingt pieds de profondeur en cet endroit
les matieres élancées du fond de ce volcan
s'éleverent au deffus de l'eau , & s'accumulerent
dans l'efpace de quatorze jours
au point de former un ifle de cinq milles
de tour. Cette relation rapportée par M.
Colonne eft traduite de l'ouvrage du Pere
Kirker , De mundo fubterraneo.
On trouve dans le même Ouvrage des
notes anciennes fur la naiffance de plufieurs
des Ifles de Lipari , fur celle de la grande
Théramene , fur plufieurs autres petites
Ifles pareilles , & une relation qui paroît
fort exacte de la naiffance de la petite Ifle
96 MERCURE DE FRANCE.
de Santorin qui s'éleva par une éruption
qui commença le 23 Mai 1707 , & qui
fut obfervée par le Pere Feuillée de l'Académie
des Sciences.
On peut joindre à ces rapports ceux du
tremblement affreux qui a renversé Lima
& abîmé Callao , en 1746 : on doit furtout
confulter les témoins les plus éclairés
des défaftres que Lifbonne & plufieurs
Villes de Portugal & d'Efpagne viennent
d'effuyer .
Tous ces rapports raffemblés ne pourront
encore fuffire pour établir une Théorie certaine
; on ne peut que former une chaîne
de probabilités , & faire enforte que tous
les noeuds de cette chaîne répondent exactement
à des faits pris dans la nature , &
à quelque principe bien reconnu , & plus
ou moins général .
Tout ce que la raifon éclairée eft en
droit d'exiger d'un pareil ouvrage , c'eft
que l'Auteur ne cherche point à fuppléer
par la force de fon imagination à ce qui
lui manque d'effentiel pour lier les faits
les uns aux autres. Content de s'effayer fur
une femblable matiere , un homme fage
doit ne s'attacher qu'à former une théorie
qui préfente à l'efprit des idées naturelles
& précifes , fans efperer que fes efforts
puiffent aller plus loin qu'à la rendre plus
Ou
M A I. 1756. 97-
ou moins fenfible , plus ou moins vraifemblable
,
C'est ce que l'ingénieux Auteur des
Conjectures phyfico - méchaniques fur la Propagation
des fecouffes dans les tremblemens
de terre reconnoît lui - même . Il ne fera
donc pas étonné fi je ne me rends pas au
plaifir que j'aurois à croire un Auteur qui
me plaît par la force de fon imagination ,
la clarté & l'élégance de fon ftyle. Il pa
roît défirer qu'on examine & que l'on combatte
fes propofitions ; c'eft le rendre utile
aux progrès des Sciences que de le mettre
à portée de défendre fa théorie. Cependant
, fi hafard par je réuffis à prouver
qu'elle ne peut s'appuyer fur les conféquences
que cet Auteur a cru pouvoir tirer
de fes principes , la feconde partie de cet
Ouvrage lui donnera des moyens faciles
de renverser un frêle édifice que j'effaicrai
de conftruire à mon tour. Puiffai -je
feulement par la feconde partie de cet
Effai , infpirer à l'Auteur des Conjectures
phyfico-méchaniques une partie de l'eftime
dont je fuis pénétré pour lui !
Cet Auteur établit pour premier principe.
« Un levier agité par une de fes extrê-
» mités , & fixé de telle forte qu'il éprouve
des commotions dans toute fa lon
E
98 MERCURE DE FRANCE.
gueur , exécute des vibrations plus éten-
» dues dans les parties les plus éloignées
» de l'extrêmité qui a reçu l'impreffion de
" la fecouffe. »
Après avoir fuivi l'excellente théorie de
la terre de l'Hiftoire naturelle de M. de Buf
fon , & avoit établi avec beaucoup de probabilité
, 1 ° . Que toutes les chaînes de
montagnes fe communiquent. 2 ° . Que
cette communication s'étend même fous
la mer. 3 °. Que les Ifles qu'on découvre
prefque toujours dans la direction des
chaînes , doivent être regardées comme les
fommers des montagnes qui lient ces chaînes
d'un continent à l'autre. 4°. Que d'autres
chaînes naiffent des troncs des principales
, à peu -près comme les branches d'un
arbre , & s'étendent à de plus ou moins
grandes diſtances. L'Auteur , après avoir
expofé cette opinion qui me paroît être
de la nature de celles que la Phyſique
peut admettre , quoiqu'elle ne foit pas rigoureufement
prouvée , part de fon premier
principe ; & pour y faire quadrer l'expofition
qu'il fait de la continuité des
chaînes de montagnes , il eft obligé de
commencer par faire une fuppofition en
établiſſant comme un fait preſque certain
que toutes ces montagnes fe tiennent enfemble
par leurs baſes , & doivent êu
MAI. 1756.
BIBLIO
TELA
VILLE
LYON
99
confidérées comme de longs leviers que
biffurquent quelquefois dans leur longueur..
.
1. C
L'Auteur a bien fenti qu'on ne conviendroit
pas facilement que la fuite de ces
bafes puiffe être regardée comme un corps
folide & continu , femblable au levier auquel
il commence par la comparer ; mais
quand même on accorderoit cette étrange
fuppofition , le levier continu imaginé
dans la fuite des bafes , n'auroit nullement
le même jeu des leviers ordinaires . Chargé
par des poids immenſes dans toute fa
longueur , il faudroit que l'effort du foyer
d'activité fût affez puiffant pour vaincre
la force d'inertie & de pefanteur des maffes
énormes qui chargent le levier. Il faudroit
de plus que cet effort pût vaincre l'adhé
rence & la preflion latérale de ce levier
engagé profondément dans la terre ; &
quel foyer d'activité affez violent peut- on
imaginer pour qu'il puiffe furmonter une
réfiftance dont la puiffance eft incommenfurable
? D'ailleurs , quelles courbes différentes
& infinies les finuofités & les enfoncemens
des bafes des montagnes ne
doivent-elles pas faire imaginer daus la
longueur d'un levier de cette efpece ? Il
eft bien prouvé que chaque courbure da
levier feroit expofée à de nouvelles réfifs
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
tances , & que toutes les tangentes & les ›
ordonnées de ces courbes feroient autant
de points fur lefquels cès réfiftances agiroient
contre fon mouvement progreffif.
P L'Auteur a bien reconnu lui- même que
ce premier principe du levier étoit infuffifant
, puifqu'il appelle à fon fecours
les feconds & troifiemes principes fuivans.
Second Principe de l'Auteur des Conjectu- "
res Phyfico- mechaniques.
"
« Le mouvement de commotion & de
" retentiffement communiqué dans des
corps folides & élastiques fe tranfmet
- aux córps intimement unis aux premiers ,
lorfqu'ils ont la même folidité & la même
élafticité ; enforte que fi les corps animés,
» d'un mouvement de commotion ne trou-
" vent pas de réfiftance , ils ne tranfmet-
" tront que de foibles fecouffes. » C'eft de
ce même principe que je vais tirer de nouvelles
armes contre les conféquences que
l'Auteur effaie d'en tirer .

Troisieme principe de l'Auteur,
Καραν
« Le mouvement communiqué par voie
» de retentiſſement & de commotion à une
» file de corps fe fait fentir d'une maniere
plus marquée à ceux qui terminent la
» file ; enforte qué, les malles qui occupent
t
ΜΑΙ. 1756 .
101
» le milieu, & qui ne peuvent fe déplacer ,
» ne fervent proprement que comme des
le moyens de communication d'un mouvement
qu'elles n'éprouvent pas fenfible-
» ment ; mais ce mouvement cauſe un déplacement
très- marqué dans les parties
» ifolées & non foutenues qui font à l'ex-
»trêmité des corps choqués ; car toute la
force qui anime fucceffivement & prefque
fecrétement ces maffes intermédiaires
vient s'épuifer contre les extrêmi
→ tés. »
L'Auteur joint à ces principes , ( qui ne
font tels & reconnus pour vrais , que felon
des difpofitions abfolument néceffaires,
il y joint , dis- je , l'expérience des
billes d'ivoire rangées en file ; mais il
n'ajoute pas les conditions : de cette expérience
, & les conditions néceffaires pour
la réuffite font que les billes foient rangées
en ligne droite , de maniere que l'axe
de toutes les billes foir correfpondant , &
le même dans toute la file. L'Auteur revient
auffi aux corps ifolés qui font forte
ment ébranlés à l'extrêmité des longs leviers
qui éprouvent quelque choc ou commotion
dans leur autre extrêmité .
...Après avoir établi ces principes, & rapporté
l'expérience des billes d'ivoire, l'Au
seur en fait l'application aux chaînes des
E il
102 MERCURE DE FRANCE,
montagnes , qu'il ſuppoſe d'abord comme
ne faifant qu'une même maffe , ( quand il
les compare à un long levier ) & qu'il
fuppofe enfuite à la fin de la page 23 de
fon Ouvrage , comme de gros corps durs
& très-élaftiques , lorsqu'il les compare à
une file de billes d'ivoire.
>
સે
Je crois avoir formé de fortes objections
contre la comparaifon des chaînes de montagnes
avec le levier. Il eft impoffible
d'imaginer que ces bafes forment un corps
continu , tel que celui du levier. L'expérience
& les obfervations nous montrent
que tous les bancs de roches les plus dures &
les plus homogenes font pleins d'anfractuofités
, & traverfés verticalement par de fréquentes
fciffures ; mais quand même la
continuité d'un levier s'y trouveroit , les
réfiftances immenfes en toutes fortes de
directions , l'adhérence & la force d'inertie
auroient bientôt épuifé le premier mouvement
donné , & les loix du mouvement
dans le choc & le repos des corps ne per
mettent point d'admettre les moyens que
PAuteur propofe pour expliquer la propas
gation du premier mouvement donné jufqu'à
d'auffi grandes diſtance's .
-La comparaifon des bafes dures & élaftiques
, aux billes d'ivoire rangées fur une
même ligne me paroît dans le cas de
MA I. 1756. 103
fouffrir une partie des premieres objections
que je viens de faire.
Comment imaginer que ces bafes foient
dans un contact ( abfolument néceffaire
les unes avec les autres ? Et comment admettra-
t'on entre quelques unes de ces bafes
l'interpofition d'un corps mol & non élaftique
, fans convenir que le mouvement
& le retentiffement doivent s'anéantir ?
Peut- on d'ailleurs admettre la fuppofition
que toutes les bafes de ces montagnes
foient compofées de roches dures & élaftiques
, tandis que nous voyons dans une
longue fuite de montagnes varier les bancs
& les matieres qui les compofent ?
Les Vofges tiennent aux Alpes & aux
montagnes de Franche-Comté , une branche
des Vofges vient le long des bords de
la Möfelle, s'étend-jufqu'à Metz & jufqu'à
Treves .
Toutes les montagnes des Vofges , &
même de l'Alface font compofées de maffes
& de bancs de roches dures & vitref
cibles. Ces roches vives commencent à
varier dans les Alpes , & bientôt dans la
même chaîne elles ne font plus compofées
que de bancs de pierres calcinables & de
marbres groffiers qui n'ont point la même
élafticité que les roches , la même variation
fe trouve du côté de la Franche- Com-
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
té , & furtout dans la branche qui s'étend
le long de la Mofelle , où tous les bancs
font de pierre molle & calcinable , & font
pleins de coquillages & de corps marins
très reconnoiffables par leur forme ou par
leurs fragmens , ce qu'on ne voit jamais
dans les roches vives , & fi l'on ouvre la
- terre à une grande profondeur, on ne trouve
que des bancs de marbres ou de pierre
rendre, ce qui prouve un autre fol de terre
& une autre compofition dans les maffes.
La continuité de l'électricité par le choc
" des corps durs feroit donc anéantie par ces
variations , & par conféquent la propagation
du mouvement.
Mais quand même ces variations n'exifteroient
pas , quand même nous fuppoferions
que toutes ces bafes font en contact ,
& que nulle interpofition de corps mols &
fans reffort ne peut anéantir le premier
mouvement donné , une difficulté plus infurmontable
encore s'éleveroit contre la
propagation du mouvement dans la direction
des chaînes de montagnes. C'eſt par
l'expérience même des boules d'ivoire fufpendues
en contact & en droite ligne , que
je crois réuffir à le prouver.
Le mouvement fe propage en droite ligne
, parce que les deux hémifpheres de
ces balles élastiques s'applatiffent , fe releM
A I. 1756.. 105
vent & communiquent à très peu de différence
près
le même mouvement que la
premiere balle a reçu , & parce que l'axe
de toutes ces balles étant le même , il n'y
a point de raifon fuffifante pour qu'aucune
puiffe s'échapper de fa direction qui doir
être la même pour toutes.
Je ne pense pas que l'Auteur des Conjectures
nous propofe encore de fuppofer
Faxe des bafes d'une longue fuite de montagnes
, comme étant le même , cependant
fans cette fuppofition il me paroît que la
comparaifon ne peut fubfifter.g
Si l'on place less balles d'ivoire fufpen
dues de maniere que leurs axes ne fe répondent
plus , ces balles ne fuivront plus
alors la direction du choc de la premiere ;
le mouvement de toutes deviendra compofé
, & ces balles s'échapperont en tous
fens & fous différens angles , felon le degré
du point de l'hémiſphere qui aura reçu
le choc ; la derniere balle ne recevra qu'un
très-médiocre mouvement , & ne s'échap
pera plus avec un mouvement correfpondant
à celui de la premiere.
Je fuis perfuadé que l'Auteur des Conjectures
phyfico - méchaniques conviendra
de la force de ces dernieres objections . Je
vais plus loin encore. Après avoir prouvé
que le premier mouvement ne peut fe pro
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
paget jufqu'à la derniere montagne de la
chaîne dans une direction correfpondante
au choc ou à l'impulfion que la premiere
a reçu , j'ajoute encore qu'il eft impoffible
que cette derniere montagne puiffe éprouver
la moindre commotion , à moins
qu'elle ne foit éloignée que d'une diftance
peu confidérable. :
;
Toutes des bafes différemment pofées
recevant néceffairement un mouvement!
compofé, il faut qu'elles le partagent entre
elles elles perdent alors également la
puiffance de réaction pour la communiquer
aux autres, & chacune d'elles neicommunique
que la quantité de mouvement
qu'elle a reçu dans la direction que fa post
fition lui rend
propre.
1
Le premier mouvement n'étant plus
alors propagé dans une direction droite
quilui conferve fa force , il fe divife fous
différens angles dans les maffes environnantes
, & finit par s'anéantir dans les
maffes fans reffort qui preffent latéralement
les bafes des montagnes. La diminu
tion de ce mouvement fe fait dans ces
maffes en raifon de leur molleffe , de leur
denfité & de leur ténacité. La diminution
de la denfité des faiffeaux coniques des
rayons élancés de toute fphere d'activité
lumineufe fe fait en raifon inverſe du quar➜›
MAI. 1756.
107
ré de la diſtance , mais la diminution du
mouvement abſorbé par des corps mols
tenaces ne peut être évaluée de même , &
vraisemblablement
doit diminuer même
encore plus qu'en raiſon inverfe des cubes
de la diſtance .
Je ne fçais fi l'Auteur a fait l'expérience
qu'il propofe , page 25 , ( même avec les
conditions avantageufes qu'il fe réſerve
de ne remplir des files de pavés que de
fable ou de terre non compacte ) : peutêtre
cette expérience ne réuffiroit-elle pas
une feconde fois ; je crois voir de très-fortes
raifons dans ce que j'ai dit ci-deſſus
pour le préfumer : mais quand même elle
réuffiroit , quelle différence ne doit- on pas
imaginer entre une terre fraîchement rémuée
, qui n'a plus la ténacité naturelle ,
qui n'eft preffée ni verticalement ni horizontalement
, & une terre profonde propre
à abforber toute efpece de retentiffement.
Toute exploſion agit en fphere d'activité
, & le feu qui en eft la caufe efficiente ,
s'échappe toujours par le côté de moindre
réfiftance. Je rappellerai fouvent ce prin-
-cipe dans ma feconde partie , & je crois
que toute explication des tremblemens de
terre ne doit point s'en écarter.
C'eft fur ce principe que fe fonde l'art
de charger les mines , & de diriger , com-
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
me on le veut , leur explofion & leur entonnoir.
Avant d'appliquer aux queſtions
que je difcute ce principe reconnu pour
certain , je crois devoir rapporter ici une
expérience que M. de Belidor a fait , il y
deux ans , près du Château de Bifi .
Toute place de guerre fortifiée felon
l'art , dans un terrein fec , doit être minée
: & contre-minée. Des galeries majeures couvrent
, embraffent les faces des demi- lunes
, courent fous le chemin couvert , embraffent
& traverfent les places d'armes
retranchées ; prefque toujours une feconde
galerie court parallelement à la premiere
fous le glacis elle va embraffer & traverfer
les lunettes & redoutes détachées , &
-l'on en pouffe des T fous les arrêtes de
tous les angles faillans du glacis.
thuy
Ces galeries majeures font bâties folidement
en maçonnerie avec des portes
d'efpace en efpace & de droite & de gauche
pour pouvoir déboucher , pouffer des
& établir des fourneaux dans
les points où l'Affiégé croit pouvoir les
employer utilement pour fa défenſe ..
rameaux
Le grand art des Affiégeans eft de tâcher
de couper ces galeries majeures dans
plufieurs points, & d'éviter ainfi l'effet des
fourneaux que les Affiégés peuvent établir
par différens rameaux.
MA I. 1756. -109
Mais ces galeries font foigneufement
gardées pendant un fiege , & la facilité
qu'on a fous terre à connoître le travail
qu'on fait à portée , met toujours les Affiégés
en état de fe défendre des entreprifes
des Mineurs des Affiégeans.
M. le Maréchal Duc de Bellifle qui fait
la guerre , ou s'en occupe pendant la paix
en grand Capitaine & en grand Citoyen ,
raifonnoit avec M. de Belidor pour prévenir
& remédier à l'avenir aux retardemens &
aux pertes femblables à celles que le fiege
de Bergopfoom nous a fait effuier. M. de
Belidor lui propofa , & fit l'expérience
fuivante , pour effayer s'il feroit poffible
de crever d'une certaine diftance les galeries
majeures d'une place affiégée .
A cet effet on bâtit avec foin dans un
terrein choifi & homogéne ( dont la nature
& la ténacité avoient été reconnues )
des galeries majeures placées à douze à
quinze pieds de profondeur , on les plaça
à des diftances connues du centre où l'on
devoit bâtir une chambre de mine à laquelle
M. de Belidor donna le nom de Globe
de compreffion.
Cette mine fut chargée de huit milliers
de poudre , & placée à la profondeur néceffaire
, pour que le centre de la courbe
paraboloïde de l'entonnoir de la mine
110 MERCURE DE FRANCE.
répondît à-peu - près à la hauteur des galeries
majeures que l'on vouloit crever.
Il avoit eu foin de charger la voûte de
la mine de poids confidérables , & avoit
employé tous les moyens poffibles pour
augmenter la réfiftance de cette voûte, afin
que l'effort en fût d'autant plus violent fur
les parois.
La mine joua & réuffit felon les vues
de M. de Belidor , les galeries majeures
furent crevées & comblées à vingt- cinq &
trente pieds de diftance de l'entonnoir :
l'effet décifif ne fut pas plus loin , & la
terre ne fut fenfiblement meurtrie qu'à foixante
pieds des bords de l'entonnoir dont
l'efcavation eut environ le même nombre
de pieds de tour.
On voit par cette expérience que l'effet
de la plus violente explofion n'a que des
effets très- bornés , & ne peut fe rapporter
aux effets qui fe font fentir à de très grandes
diftances. Si les tremblemens n'étoient
caufés dans les lieux les plus éloignés du
foyer que par le retentiffement , quel goufre
énorme ne devoit pas s'ouvrir , & quel
bouleverſement affreux ne devroit pas fe
faire dans route l'étendue des rayons de la
fphere d'activité , c'eft ce que l'ingénieux
Auteur des conjectures phyfico- méchaniques
a très-bien obfervé : mais les caufes
ΜΑΙ. 1756. III
qu'il fupplée à celles de l'effet ordinaire des
mines , me paroiffant abfolument contraíres
aux loix du mouvement , il me paroît
néceffaire d'en chercher d'autres qui foient
plus fimples , & que la Géométrie & la
Phyfique expérimentale puiffent avouer
également.
Je ne fçais pourquoi l'Auteur de ces
Conjectures rejette d'une façon ſi déciſive
l'application qu'on pourroit faire des expériences
de l'électricité à une théorie fur les
⚫ tremblemens de terre : il me femble qu'on
pourroit donner un plus grand degré de
vraiſemblance à un hypothefe fondée fur
ce que ces expériences nous font voir ; on
pourroit peut- être compofer une théorie
avec affez d'art pour qu'elle fût difficile à
réfuter par des faits ; les chaînes de montagnes
deviendroient en effet des conducteurs
On s'appuyeroit de l'expérience connue
fous le nom de mine d'Electricité : les
commotions fimultanées n'embarraſſe
roient plus dorfqu'on rapporteroit l'expérience
de MM. Watfon & Elicott de la
Société Royale de Londres : on verroit que
lorfqu'ils effayerent ( fans y pouvoir réuffir
) de foumettre au calcul la vélocité du
fluide électrique , ils ne parent reconnoître
un temps fenfible entre l'émiffion
du fluide & la préfence au bout d'un fil
112 MERCURE DE FRANCE.
d'archal qui parcouroit près de fept milles
d'Angleterre ; il feroit poffible auffi de
l'appuyer fur l'expérience faite au pont de
Wetminſter où deux obfervateurs placés
fur les bords de la Tamife fe communiquerent
la commotion au travers de l'eau en
plongeant feulement de part & d'autre une
verge de fer dans l'eau. Ni la rapidité
de l'eau , ni l'inégalité du fond de la Ta
mife ne purent arrêter le paffage inftanta
né du fluide électrique ; mais nous ne
fommes point encore affez éclairés fur la
puiffance auffi prodigieufe que variée
dans fes effets ) du fluide électrique pour
ofer déduire l'opération d'une fuite de
faits , d'une caufe qui refte encore couverte
par des voiles que nous ne pouvons lever
que peu à peu. L'Auteur des Conjectures
phyfico-mechaniques s'en eft défié avec fa
geffe , & je dois l'imiter.
J'ai rempli fes défirs en lui propofant
mes Objections , je verrai remplir les
miens , s'il daigne me répondre . Je ne
peux que gagner & m'inftruite en étant
même obligé de lui céder : le plaifir de lire
fes Ouvrages adoucira ce qu'il en coute
toujours à l'amour- propre pour convenir
qu'on s'eft trompé .
L'Auteur de ces Réflexions enverra pour
le prochain Mercure fes propres Conjectu
MA I. 1756. 173
res , & fera fcrupuleux à ne rien établir
qui ne foit fondé fur des faits reconnus
pour certains par la Phyſique expérimentale.
ANALYSE Chronologique de l'Hiftoire
Univerfelle , depuis le commencement du
Monde jufqu'à l'Empire de Charlemagne
inclufivement ; feconde édition , in -4°.
grand papier , avec une vignette gravée
par Audran , & deffinée par Hugnier.
M. DCC. LVI. A Paris , chez Aug. Mart.
Lottin , rue Saint Jacques , au Coq ; Noel-
Jacques Piffot , quai de Conti , à la defcente
du Pont-neuf ; & Michel Lambert ,
rue & à côté de la Comédie Françoife.
Le prix eft de douze livres relié .
On redonne au Public , dans un format
plus élégant , un Ouvrage qu'il a déja honoré
de fon fuffrage. Ce n'eft point , ainfi
qu'on pourroit le penfer fur le titre , un
livre purement élémentaire : c'eft la marche
chronologique des Siecles , dont les
événemens les plus confidérables font liés
par une chaîne imperceptible , & dont
l'ordonnance eft fi bien entendue , qu'elle
peut être extrêmement utile aux perfonnes
mêmes les plus inftruites , comme à celles'
qui ne font que fur les voies de la ſcience,
c'est-à- dire , à cette multitude de jeunes
114 MERCURE DE FRANCE.
gens qui aiment la lecture , & qui ont befoin
de guides.
L'Orateur par excellence , Ciceron , difoit
il y a environ deux mille ans , que
c'étoit refter toujours enfant que d'ignorer
ce qui s'étoit paffé dans le moifde avant
qu'on fût né : nefcire quid anteà quàm ngtus
fis acciderit , id eft femper effe puerum.
On diroit que ce grand homme n'a fait
que rendre avec précifion la penfée de
tous les peuples diftingués de ces nuées
de barbares qui n'ont qu'enfanglanté la
terre. En effet , dès qu'ils fe font fait un
fyftême politique de gouvernement , qu'ils
ont eu des loix , & par conféquent des
moeurs , on les a vus foigneux d'élever
des monumens , & d'avoir des faftes ou
des annales. A l'exception des fiecles d'ignorance
, on a fenti prefque dans tous les
temps que l'hiftoire offriroit à la postérité
la plus reculée un fecours d'inftructions &
d'exemples , ainfi que des reffources pour
toutes les pofitions de la vie.
99
"
Mais, dit l'Auteur de cette Analyfe ,
pour que l'hiftoire foit réellement utile
, il ne fuffit pas , je dirois prefque
qu'il eft dangereux , de lire beaucoup
» fans aucun plan , & fans aucun point
» de vue. L'art & la méthode devenant
ود
23
indifpenfables pour fuppléer à cette méMAI.
1756. 115
moire, dont tant de perfonnes fe plai-
» gnent , les extraits ou analyfes font affurément
un des moyens les plus pro-
» pres à rappeller dans l'efprit les lectures
» mêmes les plus vaftes . On eft le maître
d'y admettre plus ou moins de ces faits
qui n'affectent guere que les gens
>> amoureux d'une exactitude rigoureufe
» dans les détails. »
22
98
93
emajoute
que du moins on pourroit
ployer , comme un fecond moyen d'apprendre
avec fruit , des notes d'un ſtyle
fimple , mais écrites les unes fous les
» autres , fans anachroniſme & fans con-
» fufion , étant fuffifantes quelquefois
» pour arrêter les idées , & en retracer
» dans l'occafion le fujet à l'efprit... Outre
que de bons principes mis en oeuvre
produifent leur effet naturel , je veux
» dire des lumieres nouvelles , avec la fa-
» cilité de parler & d'écrire , jointes à
l'habitude de réflechir fur ce qu'on veut
faire , quand on a eu tant d'occaſions
de voir agir bien ou mal cette foule
» immenſe d'hommes qui feroient abſo-
» lument perdus dans la nuit des âges
paffés , fi les Hiftoriens ne les en avoient
tirés.
"
39
On trouvera , à la fin de cette Analyfe
Chronologique , une Notice affez ample des
116 MERCURE DE FRANCE.
livres les plus néceffaires pour l'étude de
toutes les parties principales de l'Hiſtoire.
C'eſt une befogne toute taillée pour ceux
qui demandent qu'on leur trace à peu près
l'ordre qu'il faut tenir dans les lectures.
Cette Notice s'étend à l'Hiftoire univerfelle
ancienne & moderne. A l'égard de
cette derniere , nous n'avons pas trouvé
que l'Auteur ait indiqué les fources , telles
que les Chroniques , par exemple , ou les
Capitulaires , comme il a fait par rapport
à l'Hiftoire ancienne. Son excufe eft fans
doute que les livres originaux qu'on pour
roit confulter pour l'Hiftoire d'Allemagne
, d'Italie , de France , &c. font peu
agréables , & d'ailleurs fort rares ; que les
Sçavans les connoiffent , & ne manquent
pas de les aller confulter dans les grandes
Bibliotheques. Les Auteurs anciens, Grecs
& Latins , font à peu près mis à la portée
de tous les lecteurs par des traductions
plus ou moins eftimées , au lieu que les
premieres fources de l'Hiftoire moderne
ne nous font pas familieres , & n'ont pas
même la plupart paffé dans notre langue...
Il nous refte à dire que M. l'Abbé Giron
, Efpagnol de naiffance , & connu déja
avantageufement dans la République des
Lettres par les traductions de quelquesuns
de nos bons Ouvrages , fouhaite qu'on
MA I. 1756. 117
annonce ici qu'il fait actuellement imprimer
, dans la forme petit in- 8°. une Verfion
Eſpagnole de cette Analyſe Chronologique
de l'Hiftoire univerfelle.
MÉTHODE pour apprendre le Deffein ,
où l'on donne les Regles générales de ce
grand Art, & des préceptes pour en acquérir
la connoiffance & s'y perfectionner en peu
de tems , enrichie de cent Planches repréfentant
différentes parties du Corps hu
main d'après Raphael & les autres grands
Maîtres , plufieurs Figures Académiques
deffinées d'après nature par M. Cochin ,
les proportions & les mesures des plus
beaux Antiques qui fe voient en Italie ,
& quelques études d'Animaux & de Payſago.
Par Charles - Antoine Jombert , un
Volume in 4 grand papier. Prix 18 liv.
A Paris , chez l'Auteur , rue Dauphine.
€ ESSA furla Cavalerie , tánt ancienne
que moderne , auquel on a joint les inftractions
& les Ordonnances nouvelles qui
y ont rapport , avec l'état actuel des Troupes
à Cheval , leur paie , &c. A Paris ,
chez le même , un Volume in 4° . Prix
13 liv. 10 .
4
Nous parlerons plus au long de cet Ouvrage.
ofini
IS MERCURE DE FRANCE.
DISSERTATION fur les vapeurs & les
pertes de fang , par M. Pierre Hunnauld
Confeiller , Médecin ordinaire du Roi
Docteur , Régent dans la Faculté de Médecine
d'Angers , & de l'Académie Royale
des Belles Lettres de la même vilic ,
Paris , chez Jean- Noël le Loup , Libraire ,
quai & grande porte des Auguftins , près
la rue Dauphine , à S. Chryfoftôme , vol .
in-12 , 1756.
4
Les deux maladies qui font l'objet de
cet ouvrage , font des plus communes ,
& des plus fâcheufes ; cependant il y a
fort peu de traités fur cette matiere , &
il y en a encore moins qui jouiffent d'une
réputation qui les faffe rechercher. Il nous
a paru qu'il auroit été fort avantageux au
bien de la fociété que celui- ci parût plutôt.
Son Auteur eft fort connu dans la
République des Lettres. Il n'eft permis à
aucun de fes membres d'ignorer qu'il
étoit grand Anatomifte , bon Phyficien ,
clairvoyant obfervateur & célebre Prati
cien. Avec ces qualités , & furtout les
deux dernieres , ce feroit un phénomene
fi l'on donnoit du médiocre en fait de
pratique.
L'Auteur qui a voulu que fon traité fût
à la portée de tout le monde , l'a compofé
en forme d'entretiens , & l'interlocutrice
MA I. 1756. 119
qu'il introduit eft une Dame. Il auroit été
ridicule dans cette idée d'approfondir les
myfteres de la Médecine , ou du moins de
les traiter trop fcientifiquement. On ne
trouve pas communément des Marquifes
du Châtelet , même dans ce tems- ci , où
l'éducation du fexe eft fort différente de
ce qu'elle étoit il y a trente ans. Copendant
l'Auteur n'a rien omis de ce qu'il eft
intéreffant à un Médecin Praticien de fçavoir.
Il eſt vrai que les vapeurs ne font point
communément une maladie mortelle ; je
dis communément , parce qu'elles dégénerent
quelquefois en d'autres maladies dont
l'événement eft funefte ; cependant il n'eft
guere moins intéreffant de les guérir .
Elles produifent en effet une foule d'accidens
de toute efpece dont les douloureux
ne font pas toujours les plus fâcheux . Le
malaife prefque continuel des perfonnes
vaporeufes eft un état fi trifte , qu'on
pourroit le dire prefque mitoyen entre la
vie & la mort , & qu'il rend les malades
ineptes aux fonctions de la vie civile ; ce
qui eft fans doute un très- grand inconvénient.
Toute la doctrine de l'Auteur tant fpéculative
que pratique , eft appuyée fur
des obfervations qui lui font propres , qu'il
120 MERCURE DE FRANCE.
met cependant quelquefois dans la bouche
de fon interlocutrice. Il difcute avec foin
les différentes méthodes qui ont été employées
pour guérir les différens accidens
vaporeux , & en fait connoître les avantages
& les inconvéniens ; après quoi il
propofe les remedes qui lui ont le mieux
réufi Le Lecteur ne s'attend point fans
doute que nous entrions dans ce détail
qui nous eft totalement étranger . Il faut
qu'il le life dans le livre même , où il trouvera
d'ailleurs de l'agrément par rapport à
la vivacité du ftyle , fi néceffaire pour empêcher
les dialogues d'être languiffans.
Jufqu'à préfent nous n'avons parlé que
de la partie de l'ouvrage qui concerne les
vapeurs , il faut à préfent dire an mot de
ce qu'on y trouve au fujet des pertes de
fang.
Cette maladie qui n'eft point abfolument
particuliere aux perfonnes du fexe
puifque celles qui font attaquées d'hémorthoïdes
, de crachemens de fang , &c. font
également dans le cas ; cette maladie , disje
, n'a guere été traitée qu'empiriquement
dans des ouvrages qui ont été compofés
pour la combattre. Il eft aiſé de.
concevoir que le fuccès de ces méthodes
doit être fort incertain ; auffi l'Auteur
s'attache t'il à développer les caufes , & ce
n'eft
M A I. 1756.
121
n'est qu'après ce préliminaire qu'il parle
de la méthode qu'il faut fuivre , & des
remedes qu'il faut employer. Il fait au fujet
de cette maladie , ce qu'il a fait au fujer
des vapeurs. Il analyſe tous les remedes ,
& fait fentir pourquoi ils operent , ou
n'operent pas heureuſement dans les différens
cas.
Cette idée de l'ouvrage qui n'eft point
flattée , doit faire fentir au Lecteur qu'il
auroit été de l'intérêt de la ſociété qu'il ne
fe fît pas fi longtems attendre. Mais il y
a longtemps que l'Auteur eft mort , & c'est
au zele pour le bien public & à l'intérêt
qu'un Médecin a pris à fa réputation , qu'il
doit actuellement le jour. Ce même Médecin
a encore plufieurs manufcrits du
même Auteur , dont il compte donner
fucceffivement des éditions.
LETTRE de M. Fournier , l'aîné , Graveur
& Fondeur de Caracteres d'Imprimerie
, à Paris , rue S. Jean de Beauvais,
à l'Auteur du Mercure.
Monfieur , on a inféré dans le Journal
des Sçavans du mois de Février dernier
une lettre anonyme au fujet de l'Impri-
F
122 MERCURE DE FRANCE.
merie. Cette lettre qui intéreffe tous les
Imprimeurs & toutes les perfonnes fçavantes
, renferme une erreur importante ,
que l'honneur de la Typographie Françoiſe
& mon état m'engagent de relever.
L'auteur , après avoir comblé d'éloges
bien mérités , les caracteres de Claude
Garamond & de Guillaume le Bé , dit page
217 , en parlant de Plantin : « Ce François
» curieux & intelligent , retiré à Anvers ,
» & l'honneur de l'Imprimerie Flamande
« eft venu puifer à cette fource les caracteres
qui , en prouvant fon bon goût ,
» ont fixé fa réputation. Garamond & le
Bé lui ont fourni les poinçons & les
frappes avec lefquelles il a établi une
» fonderie célebre qui fubfifte encore aujourd'hui.
Ce font les caracteres Hé-
» breux de ce dernier ( le Bé ) , qui ont
fa Bible de 1569 , dont l'impreffion
fit tant d'honneur à Plantin dans
le monde littéraire , & lui valut des ré-
» compenfes honorables de la part de Philippe
II , Roi d'Efpagne , par l'ordre duquel
il l'avoit entrepriſe
و د
و د
22
fervi
pour
"?,
il est vrai , Monfieur , que Plantin vint
puifer à cette fource ; c'est- à- dire , dans les
Fonderies de Claude Garamond & de Guillaume
le Bé , les beaux caracteres dont il
forma fa Fonderie ; mais ni Garamond ni
MA I. 1756. 123
le Bé ne lui fournirent point leurs poinçons
, comme l'avance fans aucune preuve
Í'Auteur de la lettre Anonyme . Plantin ,
après la mort de Garamond , acheta ſeulement
des frappes & autres uftenfiles de
la Fonderie dudit Garamond ; mais ce fut
Guillaume le Bé qui en acheta les poinçons
ce qui fe juftifie par l'inventaire ,
la prifée & la vente que Guillaume le Bé
& Jean le Sueur , autre fondeur de caracteres
, firent de la fonderie de Garamond
après fon décès , le 18 Novembre 1561 ,
à la Requête de Dame Ifabeau Lefevre , veuve
de feu fieur Claude Garamond , en fon
vivant , Graveur de lettres , & Maître Fondeur
à Paris , & de fieur André Wechel ,
Marchand Libraire , Juré audit lien , executeurs
du Teftament dudit défunt.
J'ai entre les mains cet inventaire en
original , & l'on y voit que ce ne fut point
Plantin , mais Guillaume le Bé qui acheta
les poinçons , & prefque toute la fonderie
de Garamond.
Le même Guillaume le Bé vendit à Plantin
des frappes de matrices de fes caracteres
Hébreux , mais il en garda les poinçons
ce qui fe juftifie premiérement par
l'inventaire de la fonderie de G. le Bé ,
dreffé par fon fils , dans lequel inventaire
on lit ces mots page 32 , en la même
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
>
boîte ( où eft l'Hébreu canon ) eft l'Hébreu
Parangon : il eft gros comme celui de la Bible
in-4° de Robert Eſtienne : & celui - ci eft celui
de la grande Bible de Plantin , mon Pere lui
en ayant vendu une frappe . La Bible de
M. le Jay en eft imprimée. Cette frappe ci
eft garnie de points & d'accens ..... Les poingons
font céans.
On voit par cet inventaire dont je fuis
poffeffeur , que les poinçons des caracte
res Hébreux qui fervirent à imprimer
la belle Bible de Plantin , ne furent point
vendus à Plantin , mais qu'ils pafferent
au fils de Guillaume le Bé , auffi - bien
que prefque tout le fonds de Garamond.
J'ai acheté en 1731 cette célebre Fonderie
de G. le Bé , dans laquelle il fe trouve huit
fortes de caracteres tant Hébreux que Rabiniques
, & un Arabe avec leurs poinçans
, dont ceux qui ont fervi à la Bible
de Plantin font partie.
Il est donc conftant que G. le Bé garda
fes poinçons , ainfi que ceux des Romains
de Garamond , les Italiques & les Grecs de
Grandjon , autre célebre Graveur , Emule
de Garamond , duquel l'Auteur de la lettre
anonyme dit , que les beaux caracteres
fe font répandus partout , & ont fervi à exécuter
prefque toutes les belles éditions grecques
qui fe font faites depuis , & que les plus céleM.
A I. 1756. 125
bres Fonderies de l'Europe en poffedent encore
aujourd'hui les frappes on matrices.
Ainfi , de l'aveu de l'Auteur , ce font les
plus célebres Fonderies qui poffedent ces
frappes ou matrices , dont le Bé a recueilli
de plus les poinçons dans fa Fonderie , de
laquelle je fuis poffeffeur depuis 1731 .
Ce même le Bé , éleve de Garamond
s'eft appliqué à graver ce que fon maître
n'avoit pas fait , fçavoir , des caracteres Hébreux
, Rabiniques & Arabes , une groffe
Nompareille , un double Canon , un gros
Canon gras , un gros Parangon , ( le premier
qui a été gravé ) un Cicero moyen ,
des Notes de Plain- chant , & c. Tous ces
poinçons de Garamond , de le Bé & de
Grandjon , en particulier , le Grec de petic
Romain de Grandjon , le plus beau qui ait
jamais été fait , felon le Bé , ne font jamais
forti de la Fonderie des le Bé : ils étoient
trop curieux & trop bons citoyens , pour
priver leur patrie d'un bien qu'il feroit
maintenant très- difficile de remplacer : car
on a eu beau graver depuis ces célebres
Artiftes , on n'eft pas encore parvenu à
atteindre leurs Romains , & on n'a pas
tenté de graver des Grecs. Comme ce n'eſt
point au hafard que j'écris , & que j'ai
preuve en main , puifque je fuis poffeffeur
de la Fonderie de Garamond , des le Bé &
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
de Grandjon , j'offre aux perfonnes curieufes
du vrai beau , de leur faire voir mes
poinçons & mes matrices ; & l'offre que je
fais de montrer les poinçons de ces habiles
maîtres , fournira la preuve de ce que j'avance
: car en les comparant avec ceux de
nos jours , il fera aifé de voir la fupériorité
du travail des premiers , dont les fontes
fe foutiennent plus longtemps , & font
plus d'honneur & de profit à l'Imprimeur :
ce font ces mêmes caracteres qui ont illuftré
les Eftiennes, les Plantins , les Elzevirs,
& autres célebres Imprimeurs , dont on
recherche encore les éditions . Il eſt étonnant
qu'une infinité de mauvais caracteres
qui ont inondé notre Typographie , femblent
avoir fait oublier ceux- ci : je ne dis
pas ceci de tous les Imprimeurs , il en
eft plufieurs qui leur rendent la juftice
qu'ils méritent , mais d'autres fe laiffent
entraîner par le torrent. Je pourrois citer
de mes fontes qui travaillent encore quoique
livrées depuis nombre d'années ; entr'autres
une Gaillarde , un petit Texte &
Cicéro. Je n'ai envie de décrier aucun de
mes Confreres , mais l'erreur de la lettre
anonyme , m'a fourni l'occafion de faire
connoître la Fonderie la plus complerte qui
foit en France , & dont je fuis poffeffeur.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Fournier , l'aine.
MA I. 1756. 127
LETTRE DE M. FORMEY , Secretaire
perpétuel de l'Académie Royal de
Pruffe , à M. Mary , Docteur agrégé au
College des Médecins de Londres , au fujet
du mémoire de M. Eller fur l'ufage du
Cuivre. A Berlin ; & fe trouve à Paris ,
chez Chaubert , quai des Auguftins ; &
chez Hériffant , rue Neuve Notre-Dame ,
1756. Elle n'a que 24 pages , & fait l'apologie
du Cuivre.
LETTRE importante fur l'Hiftoire de
France de la premiere Race. Elle contient
23 pages , & fe trouve auffi chez Chanbert.
LETTRE d'un Ecléfiaftique de Paris
à un curé de Province , fur les derniers
tremblemens de terre , dans laquelle on
voit , 1 ° . Quels font les tremblemens mémorables
arrivés depuis le premier Novem
bre 1755 , & ceux qui les ont précédés jufqu'à
celui de Liſbonne en 1532. 2 °. Quelles
font les caufes les plus vraisemblables
de ces tremblemens . 3 °. Quelle impreffion
ils doivent faire aux yeux de la foi , &
quels effets la crainte de ces fléaux doit
produire dans le coeur des Chrétiens
1756. On trouve cette Lettre chez Guillyn,
quai des Auguftins .
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE A L'AUTEUR DU MERCURE.
Monfieur , dans le Mercure de Février
dernier , M. de Saint- Foix annonce une
troiſieme partie de les Effais hiftoriques ſur
Paris , avec une nouvelle édition trèsaugmentée
des deux premieres parties ; il
doit s'attendre à l'accueil le plus flatteur de
la part du Public. Mais il doit auffi , par
retour pour ceux qui fe font empreffés de
rendre hommage à fes talens hiftoriques ,
la juftice de faire imprimer féparément
cette troifieme partie ( 1 ) avec les additions
& les changemens qu'il fera aux deux
premieres : je le crois trop équitable pour
en ufer autrement ; & c'eft une regle que
devroient fuivre les Auteurs & les Librai
res , pour infpirer plus de confiance dans
l'acquifition des nouveautés littéraires.
Permettez-moi , Monfieur , de joindre
à cette obfervation quelques remarques
d'un Etranger de mes amis fur plufieurs
Almanachs de cette année que je lui ai
envoyés. Il paroît plus équitable que nos
compatriotes mêmes , fur l'utilité & la
commodité de ces petits recueils portatifs.
(1 ) C'est auffi l'arrangement qu'a pris M. de
Saint- Foix. On diftribura féparément chez Duchefne
, le troifieme volume , avec les augmentations
faites aux deux premiers.
M A I. 1756. 1-29
·
Voici comme il s'exprime..... Vous femblez
, Monfieur , craindre de compromettre
le goût de votre Nation chez les Etrangers
en leur communiquant les Almanachs,
que l'on imprime chaque année à Paris fur
routes les matieres dont on s'entretient
communément dans la fociété. On ne peut
au contraire que beaucoup applaudir cette
maniere ingénieuſe de mettre dans la main
& fous les yeux , les connoiffances d'un
ufage journalier & néceffaire : bien loin
que ces abrégés puiffent nuire à l'étude
profonde des fciences qui exigent & méritent
ce travail , ces petites notices épargnent
au contraire un temps précieux , que
( par la néceffité de converfer avec les
hommes de tous les états ) on ne pourroit
guere fe difpenfer d'employer à rechercher
dans de plus gros volumes ce qui eft
extrait en petit dans vos Almanachs . Mais
permettez-moi de vous faire quelques légeres
obfervations qui vous prouveront
que je les ai lus avec attention .
Dans la France littéraire qui peut tenir 9*
ce me femble , le premier rang entre fess
confreres , j'ai été furpris de trouver dans
la lifte de l'Académie des Sciences de Paris,,
une note exclufive pour le nom des Etran
gers affociés à cette compagnie : cependant
on n'a pas fait difficulté de les nommer
Iv
130 MERCURE DE FRANCE.
dans la lifte de l'Académie des Belles-
Lettres de la même ville , ni dans celles des
Académies de Provinces , & je crois que
c'eſt avec juſtice , puifque ces Etrangers
par leur admiffion dans les Académies de
France , font devenus une portion de fon
empire littéraire . Il me femble auffi que
l'Académie de Peinture entretenue à Rome
par le Roi de France , devoit entrer dans
le même recueil , & nous avons été furpris
de ne pas trouver le nom du premier Peintre
du Roi dans l'article de l'Académie de
Peinture de Paris ( 1 ).
J'ai vu dans vos Mercures que plufieurs
Auteurs ont réclamé contre des ouvrages
qui leur ont été attribués dans la France
littéraire , cela me fait fouvenir d'un
M. Créange de Mets à qui l'on attribue un
livre fur les Commiffaires des Guerres ,
apparemment fur la foi du numéro 44 des
Affiches hebdomadaires dont vous me procurez
la lecture , & que cet article doit
être rayé fuivant la déclaration inférée
dans le numéro 52 des mêmes Affiches .
L'Almanach des Spectacles eft auffi trèscurieux
, mais je penfe qu'il le feroit encore
beaucoup plus l'année prochaine , fi
(1 ) Comme depuis la mort de M. Coypel il n'y
a point de premier Peintre , l'Auteur ne pouvoit
le nommer dans fon Almanach,
MA I. 1756. 131
l'Auteur vouloit y ajouter un catalogue
des livres fur les Spectacles anciens & modernes
, & une note des brochures critiques
fur diverfes pieces du Théâtre François
, & entr'autres de celles qu'ont occafionné
vos difputes fur la Mufique pendant
le regne des Opéra italiens à Paris.
L'Almanach Militaire contient à peu
près l'effentiel de ce que M. le Mau de la
Jaiffe donnoit autrefois fous le titre de
Carte Militaire , mais n'auroit- on pas pu
ajouter plus de détails , fur les Places de
guerre & les Etats Majors , fur les Départemens
des Commiffaires des Guerres , fur
ceux du Génie & de l'Artillerie . Vous
m'annoncez une réunion de ces deux
corps qui nous donnera fans doute du
pofitif & du nouveau dans l'Almanach
Militaire de l'année prochaine : mais je ne
lui fçaurai pas bon gré s'il n'en dit pas davantage
fur votre Marine . L'objet étoit de
faifon à la veille de vos brouilleries avec
les Anglois le nom des Vaiffeaux de
guerre , des Frégates , des Galeres , & c.
avec leurs canons , le Port auquel ils. ap
partiennent , leurs Commandans , font
d'une importance égale à celle des Régimens
& autres tronpes de terre , on doit
auffi y détailler les Milices Garde côtes ,
auffi-bien que les Milices des autres Pro-
F vj vinces.
*
132 MERCURE DE FRANCE.
Je fuis furpris que dans la vogue où font
ces Almanachs , on n'ait pas imaginé d'en
donner un de la Maifon du Roi , partagé
comme l'Etat dè la France , en Officiers de
Chapelle , Chambre , Garde-robe , Plaifirs
, Bâtimens , Voyages , Maifon de la
Reine , des Princes , Princeffes , &c. Sous
chaque Chapitre on nommeroit les
Grands Officiers , enfuite les feconds ,
& fi la dénomination des moindres paroiffoit
trop longue & peu intéreffante
on fe contenteroit de la défignation de
leurs fonctions.
"
J'ai encore d'autres remarques à vous
faire fur les brochures que vous joignez à
vos Almanachs , mais ce fera pour une
autrefois : j'ajouterai feulement que je fuis
fâché de ne plus trouver dans le Mercure
que je lis avec grand plaifir , l'annonce des
portraits que les fieurs Odieuvre * & Petit
gravoient ci -devant chaque année pour
compléter la fuite des Hommes illuftres :
nous autres Etrangers fommes curieux de
tout cela , & je penfe que dans vos Provinces
, on n'a de même guere d'autre
moyen de fçavoir ce qui paroît de nouveau ..
Je ne puis de mon côté , Monfieur
rien ajouter à la lettre de mon ami , que
* La fuite d'Odieuvre a été annoncée dans le
Mercure de Novembre 1755 , à l'article des beaux
Arts..
MA I. 1756. 133
de vous prier de l'inférer dans votre Mercure
pour feconder fon zele , & engager
nos Auteurs à en faire quelque cas.
J'ai l'honneur d'être , &c.
E. M.
י
ESSAT fur la maniere de perfectionner
l'efpece humaine , par M. Vandermonde
Docteur- Régent , de la Faculté de Médecine
de Paris , 2 vol . A Paris , chez Vincent ,
rue S. Severin , à l'Ange . 1756. Nous en
donnerons l'extrait inceffamment.
MECHANIS ME de l'Electricité & de
PUnivers › par M. J. C. F. de la Perriere ,
Chevalier , Seigneur de Roiffé .... Dulcique
animos novitate tenebo. Ovid. 2. vol. 4
Paris , chez Brocas , rue Saint Jacques , au
Chef S. Jean. 1756.
LES MAGOTS , Parodie de l'Orphélin
de la Chine , en vers en un Acte. A Pa
ris , chez la Veuve de Lormel & Fils , rue
du Foin , prix 24 f.
LES CHINOIS , Comedie en vers , mêlée
d'Ariettes Parodie del Cinefe , par M.,
Naigeon. A Paris , chez les mêmes , &
Prault , fils , quai de Conty , prix 24 f.
TRAITÉ de la Difcipline Religieufe ,,
traduit du Latin de Thomas à Kempis ,
134 MERCURE DE FRANCE.
par un Solitaire. A Avignon , chez la veuve
Girard , Place S. Didier ; & fe vend à
Paris , chez Guillyn , quai des Auguftins.
On trouve chez le même Libraire Halles
difputationes Chirurgica. in-4° . 4 vol . avec
figures , très- belle édition .
LES SPECTACLES NOCTURNES ,
Ouvrage épifodique: Erit quod tollere velles.
Hor. 2 parties. A Londres ; & fe trouvent
à Paris , chez Duchefne , rue S. Jacques.
1756.
Cette brochure nous a paru une imitation
du Diable Boiteux. Une Fée plus jolie
à la vérité , mais peut-être moins amufante
, y fait le même rôle . Elle rend l'Auteur
inviſible avec elle , & le fait pénétrer
la nuit dans différentes maifons de Citheropolis,
( Paris ) pour y chercher, l'une un
génie inconftant qu'elle aime , & l'autre
une mortelle infidelle qu'il adore . Ce qui
occafionne différentes fcenes ou aventures
, dont ils font les témoins fecrets , &
qui forment autant de Chapitres. Pour
mettre le Lecteur à portée de juger du ftyle
& du goût de l'Ouvrage , nous allons en
extraire un Chapitre. Nous avons tâché
de choisir un des plus piquans. C'eft le
cinquieme de la feconde partie. Il nous a
femblé qu'il offroit un tableau accompa
1
M A I. 1756. 135

gné de fon contrafte , où la vérité eft peinte
avec des couleurs auffi vives que reffemblantes.
Nous trouvâmes dit l'Auteur
, une femme charmante ...... Elle
n'étoit qu'à demi- couchée , & dans cette
heureuſe fituation le voile qui la couvroit
ne déroboit prefque rien du bufte le mieux
fait , au milieu duquel s'élevoit une gorge
admirable , & que la plus jolie tête du
monde couronnoit. Un homme en robe de
chambre fe deshabilloit lentement auprès
du lit , fans tourner à peine les yeux fur
ce divin fpectacle . A une lenteur fi déplacée,
aux bâillemens réïtérés , qui lui échappoient
à chaque inftant , il étoit aiſé de
juger que ce ne pouvoit être qu'un mari :
en effet c'étoit celui de la jeune Dame.
Nous eûmes le tems de remarquer combien
un mois d'Hymen refroidit l'ardeur ,
d'un amant , car celui- ci l'avoit été : cependant
elle regardoit fon mari avec des
yeux qui brilloient d'une délicate volupté.
Lui , fous le prétexte de quelques affaires
, paffa dans un cabinet voifin , où il
s'arrêta affez longtems . Elle l'appella avec
mille expreffions de tendreffe en lui tendant
fes beaux bras ..... J'avouerai que
rien n'étoit plus fingulier que ce petit
combat des défirs de la femme avec la
froideur du mari ……... Eſt- il étonnant , me
136 MERCURE DE FRANCE..
dit la Fée , lorfque nous fortîmes , qu'une
femme jeune & pleine de charmes ne conferve
pas à fon mari la foi qu'elle lui a
jurée , lorfqu'elle les voit ainfi négligés ,
& n'exciter que l'indifférence dans un coeur
qui devroit brûler pour elle de mille feux
&c.
Dans une autre maiſon , pourfuit l'Auteur
, nous trouvâmes de même une femme
qui ne le cédoit en rien à la premiere.
Elle étoit dans un deshabillé galant , étendue
fur un Sopha. Prefqu'en même temps
que nous , entra un homme jeune & bienfait
, qui vint s'affeoir auprès d'elle . Ses
manieres empreffées , fon air foumis , fes
petits foins difoient affez que celui- ci n'étoit
pas un mari , & je ferois fans doute
refté dans cette erreur , fi la Fée ne m'en
eût tiré , en m'apprenant qu'il étoit celui
de la Dame: Je lui répondis que j'avois
peine à me le perfuader. Cela vous furprend
, & avec raifon , dit- elle , mais ap.
prennez que Dorimond eft une espece d'animal
rare , qui depuis deux ans qu'il a
allumé les flambeaux de l'Hymen , confeffe
encore publiquement qu'il eft l'Amant
de fa femme...... Il eft doux , délicat
& refpectueux ; elle ne manque pas
de s'en prévaloir pour rendre fon amour
plus ardent. Ce n'eft pas cependant qu'elle
MA I. 1756. 137
y foit fenfible , elle le fait feulementſervir
à fes vues particulieres ; car n'allez pas croire
qu'elle foit elle-même fans paffion . Elle
eft au contraire voluptueufe. Un petit hom
me mal fait , fans efprit , fans agrément ,
eft celui qu'elle préfere à Dorimond ...
Cet époux joignoit toujours de nouveaux
tranfports aux premiers. Elle le repouffoit
avec fierté , & pour fortir plus prompte
ment de cet embarras elie fe plaignit d'une
migraine ..... A peine fut -il forti que fa
femme prenant un air riant , courut au
au fond de l'appartement ouvrir une porte
baffe & étroite , par laquelle une de fes
femmes introduifit le Galant dont la Fée
m'avoit parlé. La froide Femire parut alors
toute en feu , & c.
AVIS D'UN PEREA SA FILLE , par
M. le Marquis d'Hallifax , traduit de l'Anglois.
A Londres ; & ſe vend à Paris , chez
Duchefne , rue S. Jacques,
> OEUVRES DE M. VADÉ our Recueil
des Opéra - Comiques & Parodies
qu'il a donnés depuis quelques années ,
avec les Airs , Rondes & Vaudevilles notés
, & autres Ouvrages du même Auteur ,
tome 3. A Paris , chez Duchefne . 17560
138 MERCURE DE FRANCE .
PROJET des embelliffemens de la Ville
& Fauxbourgs de Paris , par M. Poncet
de la Grave , Avocat au Parlement . 3 parties.
A Paris, chez le même Libraire , 1755 .
LE SYMBOLE des âges de la vie humaine
dans les quatre faifons. Poëme par
le R. P. Antoine - François Montegut , de
la Compagnie de Jeſus. A Pamiers 1756 .
Ce Poëme divifé en quatre Chants, offre
une morale qui naît naturellement du fein
de l'Allégorie , & le coloris nous a paru
répondre à l'heureufe variété du fujer.
Quelques endroits que nous avons extraits
du premier Chant fuffiront pour juftifier
cet éloge.
Pere des jours fereins , tout cede à votre empire.
Nous tenons de vos dons le feuillage & les fleurs ,
Vous parfumez les airs des plus douces odeurs ;
Les gafons defféchés près de vous reverdiffent ;
Et pour vous obéir , nos vergers s'embelliffent ;
L'émail des fleurs en proie aux papillons légers ,
Les danfes , les chanfons des folâtres Bergers ,
Qui mêlent à leurs jeux d'innocens artifices ,
Printemps , de votre regne annoncent les prémices.
Que nous ferions heureux fi vous regniez toujours
!
MA I. 1758. 139
Mais contre votre empire & celui des beaux
jours ,
Les funeftes vapeurs des triftes marécages
Enfanteront bientôt ces terribles orages ,
Qui de deuil & d'effroi rempliffent l'Univers.
Sur le fein de la terre & l'abîme des mers ,
Soudain la foudre gronde , éclate , & nous pré
fente ,
Au milieu des éclairs , une nuit ménaçante.
De cette ombre la grêle , augmentant les horreurs
,
Fait périr dans les champs l'efpoir des Labou
reurs .
A ce ravage affreux fouvent avec furie
Succede , à flots preffés , un déluge de pluie }
Et des torrens groffis le cours impétueux ,
Entraîne avec les fleurs , le jonc marécageux.
Après un vain combat ébranlés & fans force ,
Les chênes dépouillés de feuillage & d'écorce ,
Cedent au double effort & des vents & des
eaux.
A peine les Bergers ramenant leurs troupeaux ,
D'un toit couvert de chaume ont-ils gagné l'afyle ,
Qu'ils redoutent encore un abri fi fragile ;
L'ondé les y pourfuit , & les forcé à chercher
Pour unique féjour la cime d'un rocher.
Voici l'application morale de cette faifon
à la jeuneffe :
1
140 MERCURE DE FRANCE.
L'homme dans fon printemps , vrai miroir de
douleurs ,
Voit à peine le jour qui vient pour lui d'éclore ,
Qu'il nage dans les pleurs de fa premiere aurore ;
Par des cris enfantins fa voix , dès le berceau ,
L'avertit que la vie eft un pefant fardeau ;
Prefqu'à la fois faifi de joie & de trifteffe ,
Sans le connoître il fent le poids de ſa foibleſſe :
Son oeil morne ou ferein , calme ou rempli d'ef
froi ,
Annonce le penchant qui lui donne la loi.
Bientôt la volupté qui l'attend pour victime ,
Par un fentier de fleurs l'engage dans le crime ;
Et les coupables fruits de fa témérité
Alterent de fes moeurs la pure intégrité.
Jufques dans fon travail , ami de la pareſſe ,
Il s'endort dans les bras de l'oifive molleffe ;
Indigne des efforts qu'exige un vrai fçavoir ,
Il ſe plie en rébelle à la loi du devoir ;
Jouet des paffions , en proie à leurs orages ,
Il compte alors fes jours par autant de naufrages.
T
L'ESCLAVAGE rompu , & c. liberté eft
notre deviſe . C'eft tout ce que la décence
nous permet d'annoncer
de cette Brochure.
Nous ajouterons
feulement
qu'on a un
vrai regret, en la lifant , que l'efprit qui s'y
trouve , n'ait pas été employé fur un fonds
plus heureux . Elle fe vend chez Lottin , rue
MA I, 1756. 2141
·
S. Jacques . Nous annoncerons en même
temps une nouvelle édition des Mémoires
de l'Académie des Sciences , Infcriptions
, Belles Lettres , Beaux - Arts , &c.
nouvellement établie à Troyes en Champagne
, avec des augmentations par le même
Auteur. Deux volumes qui fe trouvent
chez Duchefne . Ce badinage eft du même
genre , c'est- à -dire qu'il eft plus ingénieux
que décent. La premiere fois la forme fit
excufer le fonds , & réuffir l'Ouvrage.
L'Auteur cût dû s'en tenir là : nous lui
trouvons trop de talent & d'efprit pour ne
l'exhorter à choisir à l'avenir des fujets
plus dignes de fes lumieres & de fa façon
d'écrire. Il eft fait pour être lu. Le Public
y gagnera , & l'Auteur auffi .
pas
CHOIX de petites pieces du Théâtre
Anglois , traduites des Originaux : In tenui
labor.... Virg. Georg. IV. 2. vol . 4. 2. vol .
à Londres , & fe vend à Paris chez Prault
fils , à l'entrée du quai de Conti , 1756.
Ce choix qui eft véritablement celui
d'un homme d'efprit , eft de M. Patu déja
connu avantageufement par les Adieux du
Goût , petite Comédie d'un Acte qui a
réuffi au Théâtre François , & qu'il a
donnée conjointement avec Monfieur
Portelance. Le Public doit être obligé
142 MERCURE DE FRANCE.
au Traducteur de lui faire connoître ce
genre de pieces qui ne le cedent pas aux
nôtres pour l'efprit , & dont plufieurs les
furpaffent pour la morale qu'elles renferment.
C'eſt partout la raifon qui plaifante,
ou la Philofophie qui donne des leçons
d'humanité fous les traits de l'enjouement.
Telle eft la boutique du Bijoutier , avec le
Roi & le Meûnier , qui font de M. Dordfley
, Imprimeur à Londres , & qui commencent
le premier volume ; le fecond de
de ces drames anglois , eft une belle inftruction
pour les Princes & pour les fujets ,
mife en action. Les perfonnages n'y fortent
de leurs caracteres qu'au profit des
moeurs. Les Meuniers y parlent en
Philofophes , & les Rois y agiffent en
hommes. L'autre eft une critique ingénieufe
des moeurs actuelles de Londres , qui
reffemblent à celles de Paris , aux nuances
près. On voit que la frivolité eſt devenue
l'idole de tous les Pays , & qu'elle regne en
Angleterre comme en France. Pour en convaincre
nos Lecteurs , nous allons tranfcrire
les deux premieres Scenes de la Boutique
du Bijoutier qu'on peut appeller le
Marchand moralifte. M. Patu les a traduites
fi heureuſement qu'on les lit avec le
même plaifir que deux jolies fcenes d'une
de nos meilleures pieces épifodiques.
MA I. 1756. 143
SCENE PREMIERE.
LE BIJOUTIER feul dans fon còmptoir, regardant
fes livres.
Il me femble que j'ai fait aujourd'hui
une affez bonne journée ; une montre d'or,
trente-cinq guinées. Voyons un peu à combien
elle me revenoit. ( Il parcourt fes regiftres.
) M'y voici . Prêté à Milady Baffette
dix- huit guinées fur fa montre ; fort bien :
elle eft morte fans la retirer . Un cabaret de
vieille porcelaine , cinq livres fterling… ....
acheté d'un Brocanteur cinq chelins : bon .
Une coquille curieufe , pour faire une tabatiere
, deux guinées ... achetée d'un pauvre
pêcheur un demi fol ... Si je n'avois fait
cette coquille que fix fols , perfonne n'auroit
voulu l'acheter. Tant mieux . Graces
aux folies & à l'extravagance du genre humain
, je crois qu'avec ces joujoux d'enfans
, & ces miferes dorées , je me ferai
bientôt un joli état fur le pavé de Londres.
Le monde eft tellement tourné vers la
bagatelle , qu'on n'y eftime que des bagatelles
. Les hommes aujourd'hui ne lifent
que des bagatelles , ne s'amufent que de
bagatelles , ne difputent que fur des bagatelles.
Un homme colifichet eft préféré par
les femmes : une femme bagatelle eft admirée
par les hommes. Que dis-je ? Com
144 MERCURE DE FRANCE.
me s'il n'y avoit pas encore affez de vraies
bagatelles , on tourne en bagatelles les chofes
les plus férieufes , on fe joue du tems ,
de la fanté , de l'argent , de la réputation
, comme de franches bagatelles. La
probité eft devenue une bagatelle , la confcience
une bagatelle , l'honneur une pure
bagatelle , la Religion enfin la plus grande
bagatelle de toutes.
SCENE SECONDE.
LE BIJOUTIER , DORANTE , CLOÉ ,
ELIANTE.
Le Bijoutier fe levant .
Monfieur , votre très-humble ferviteur :
qu'y a- t'il pour votre ſervice ?
Dorante .
Votre valet , Monfieur , vous voyez
que je vous amene pratique.
Le Bijoutier.
Vous êtes trop bon , Monfieur . De quoi
ces Dames veulent- elles bien avoir befoin ?
Eliante.
Veulent- elles bien avoir befoin ! ... J'imagine
, Monfieur , qu'il eft fort rare
qu'on veuille bien avoir befoin de quelque
chofe que ce puiffe être .
Le
MA I. 1756. 145
Le Bijoutier.
Mon dieu , Madame , excufez-moi ! J'imagine
toujours , quand je vois entrer
quelqu'un dans une boutique de bijoux ,
que c'eft pour quelque chofe dont il eft
bien-aiſe de manquer.
Cloe.
Voilà un miroir tout - à - fait joli . De
grace , Monfieur , combien le faites -vous ?
Le Bijoutier.
Ce miroir , Madame , eft le plus beau:
qui foit dans toute l'Angleterre. Une coquette
peut y voir fa vanité ; une prude ,
fon hypocrifie ; bien des femmes y voient
plus de beauté que de modeftie ; plus de
grimaces que de graces ; plus d'efprit que
de bon fens .
Eliante.
Le voilà qui commence.
Le Bijoutier.
Si un petit Maître achetoit ce miroir ,
& fe regardoit dedans avec attention , il
y pourroit voir fa fottife , prefqu'auffi- tôt
que fa parure. Bien des gens , il est vrai
ne peuvent y voir leur générofité ; d'autres
leur charité. Cependant la glace en eft
G
146 MERCURE DE FRANCE.
très bonne. Plufieurs de nos Meffieurs du
bel- air n'y apperçoivent point leurs bonnes
moeurs plufieurs gens d'égliſe n'y
voient point leur Religion : cependant la
glace eft admirable. Enfin , quoique bien
des filles qui paffent pour vierges , ne s'y
voient pas telles , cela n'empêche pas ,
comme vous pouvez le croire , que la glace
ne foit merveilleufe.
Cloe.
Fort bien , Monfieur , mais je ne vous
en ai pas demandé les vertus ; je n'en demande
que le prix.
Le Bijoutier.
Il étoit néceffaire , Madame , que je vous
en diffe les qualités , pour vous empêcher
de le trouver trop cher ; au dernier mot
il eft de cinq guinées ; à mon avis , pour
un miroir fi rare, ce n'eft qu'une bagatelle ,
Cloé.
Bon dieu ! je tremble de m'y regarder :
je crains qu'il ne me montre mes défauts
plus que je ne me ſoucie d'en voir.
Eliante.
Je vous prie , Monfieur , quel peut être.
l'ufage de ce petit extrait de bijou que
j'apperçois-là ?
MAI. 1756. 147
Le Bijoutier.
Cette petite boîte , Madame je puis
d'abord vous dire que c'eft une très- grande
curiofité ; car c'eft la plus petite boîte
qu'on ait jamais vue en Angleterre .
Eliante.
Sur ce pied- là , vous feriez mieux de
l'appeller une très -petite curiofité.
Le Bijoutier.
Vous penfez jufte , Madame ; cependant
le croiriez- vous ! dans cette petite boîte
regardez- la bien , un Courtifan peut mettre
toute fa fincérité , un Avocat renfermer
toute fa probité , un Poëte entaſſer
tout fon argent.
Cloé.
Voici une belle lunette. Je penfe , Madame
, que cela doit être fort amuſant à la
campagne.
Le Bijoutier.
Oh , Madame ! c'eft la chofe du monde
la plus utile & la plus agréable , foit à la
ville , foit à la campagne. Telle eſt la nature
de ce verre. Mille pardons de mon
impertinence , fi je prétends vous apprendre
ce que vous fçavez fans doute auffi
bien que moi. Si vous regardez par ce
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
bout , vous agrandiffez les objets , vous
les rapprochez , vous les difcernez clairement.
Tournez maintenant , & regardez
par l'autre voyez -vous comme les objets
font diminués , éloignés , rendus prefque
imperceptibles ? C'eſt par ce bout , Madame
, que nous jettons l'oeil fur nos propres
défauts ; mais lorfqu'on veut examiner
ceux d'autrui , on a toujours foin de retourner
la lunette. Par ce bout on voit ordinairement
tous les bienfaits , les dons , les
avantages que l'on reçoit des autres , en
quelque temps que ce foit : mais s'il arrive
jamais qu'il en émane de nous , oh !
pour lors , nous regardóns par celui- ci , &
nous fommes fûrs de les voir dans toute
leur grandeur. Par le moyen de ce verre ,
nous obfcurciffons avec envie , nous rappetiffons
avec plaifir la beauté , le mérite
de tout ce qui nous environne ; mais en
regardant par l'autre , nous nous careffons
nous mêmes , en voyant nos rares qualités
dans leur afpect le plus avantageux .
Cloe.
Comment donc , Monfieur ! vous êtes
je penfe , une nouvelle efpece de fatyrique
, ou plutôt de prédicateur.... Chaque
bijou vous fert de texte , pour vous étēndre
allégoriquement fur les vices & fur les
ridicules du genre humain.
M.A I. 1756. 149

Le Bijoutier.
A merveille , Madame , à merveille :
très - obligé de la comparaifon . On peut
réellement m'appeller prédicateur ; & dans
ma façon , je me flatte de n'en être pas un
mauvais. Je prends beaucoup de plaifir à
ma vocation , & je ne fuis jamais plus ravi
que de me voir une pleine affemblée.
Cependant il m'arrive bien des fois ce qui
arrive de même à mes autres confreres. Les
gens ont la bonté d'emporter mon texte ;
mais ils ne fongent pas plus au fermon
que s'il n'y en avoit point eu.
Eliante.
Cela eft jufte , Monfieur lorfqu'un
texte en dit plus que tout le fermon , ils
fe conduifent très - fagement .
L'Aveugle de Bethnal - Gréen eſt la troifieme
piece. Elle eft encore de M. Dodfley,
& n'eft pas moins morale . Le Diable à
quatre ou les Femmes métamorphofées , la
fuivent . C'eft une Comédie burleſque qui
termine le premier volume .
Le deuxieme contient l'Opéra du Gueux ,
avec là Farce , intitulée : Comment l'appellez
- vous ; l'un & l'autre du fameux Gay ,
l'ami de Pope & du Docteur Swif. La célébrité
& le prodigieux fuccès du premier
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
par
de ces drames , ont engagé M. P. à lui
donner l'habit françois. Perfonne ne pouvoit
le faire avec plus de goût & d'intelligence
. La délicateffe françoife fera peutêtre
bleffée de la baffeffe du fujet. Les Héros
de la piece font tous des gens à pendre ,
mais ce fonds vicieux en apparence , renferme
une fatyre auffi forte qu'utile de rous
les états . Tous les hommes fe reffemblent
l'intérieur . Ils ne different que par les
dehors. Gay les a , pour ainfi dire , mis en
guenilles , pour mieux montrer la nudité
de leurs vices. Nous penfons que le Traducteur
ne pouvoit faire un meilleur
choix pour nous bien dévoiler le génie
Anglois. Plus la liberté & même la licence
y regnent , plus elles le caractériſent & le
mettent dans tout fon jour. Pour bien juger
d'une Nation , il faut la voir dans fon
deshabillé & dans les étages les plus bas .
C'eft-là que la nature eft la plus vraie , &
qu'elle paroît fans voile & fans art . Dans
des rangs plus élevés , la décence & la politeffe
ne fervent qu'à la parer , ou plutôt
à la déguiſer .
RÉFLEXIONs du Comte D... Officier
d'Infanterie , Chevalier de l'Ordre Royal
& Militaire de Saint Louis , fur l'établiſſement
de l'Ecole militaire , 1756.-
MA I.
1756. IST
>
Ces réflexions nous paroiffent l'ouvrage
d'un Militaire inftruit & d'un Citoyen
zélé. On les trouve chez Duchesne , rue
S. Jacques.
SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie des Belles- Lettres , Sciences
Arts de Bordeaux.
LE 9 Février 1756 , l'Académie Royale
des Belles- Lettres , Sciences & Arts de
Bordeaux , tint fa féance publique du commencement
de l'année dans la falle des
R. P. Récollets.
H
M. de la Montaigne ouvrit la féance en
qualité de Vice-Directeur ; il lut la feconde
partie de l'éloge de M. de Montefquieu ,
qu'il avoit réſervée à la féance de la Saint
Louis. 1 la termina par ce trait . « Tel
fut l'illuftre Mortel , que l'humanité
» regrette encore aujourd'hui avec nous.
» Le burin d'un Artiſte célebre nous a confervé
fur le bronze les traits d'une tête
" auffi chere ; mais la poftérité demandera
» où eft la ftatue de Socrate » ?
»
M. de Romas , Lieutenant- Affeffeur au
Sénéchal de Nérac , Académicien affocié ,
fit enfuite le détail de quelques expériences
qu'il avoit faites fur un chat , pour
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
prouver l'analogie qu'on avoit foupçonnée
entre le feu qui fort du poil des animaux
, lorfqu'on les frotte , & le feu
électrique.
Cette piece fut fuivie d'un Mémoire que
lut M. Aymen , Docteur en Médecine , &
affocié de l'Académie , fur l'action des
Bains.
M. l'Abbé Joubert , Académicien affocié
, termina la féance par l'éloge hiftorique
du R. P. Lambert , Cordelier , Académicien
affocié , décédé au mois de Juillet
dernier ; Ecrivain laborieux & infatigable
qui a laiffé un nombre confidérable de
manufcrits , prefque tous fur l'hiftoire de
la province de Guyenne , & fur la ville
de Bordeaux .
MA I. 1756.
153
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
PHYSIQUE.
>
LETTRE à un Académicien de Dijon
dont il a paru dans le Mercure de Février
un Systême du monde , où l'on explique ,
par l'impulfion d'un fluide , les phénomenes
que M. le Chevalier Newton a expliqués
par l'attraction.
"
Monfieur , fi peu de Phyficiens ont fçu
fentir d'eux-mêmes que la caufe de la gravité
univerfelle doit être l'impulfion rectiligne
d'un fluide très-fubtil & très - rare ,
mais très-rapide & perpétuellement
renouvellé
; & ils ont eu fi peu de fectateurs
que je ne puis m'empêcher de faire grand
cas de ceux qui ont le courage de fuivre
une route fi raifonnable , mais fi peu battue
, furtout quand aucun des auteurs qui
auroient pu
leur y
fervir de guide , n'étoit,
encore parvenu à leur connoiffance
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
comme il me paroît que ç'a été votre cas .
Je trouve fort naturel auffi , que pour ne
pas multiplier les êtres fans néceffité , vous
ayez cherché ce fluide parmi ceux dont
l'exiſtence nous étoit déja connue d'ailleurs;
& qu'entre tous ces fluides , vous ayez
donné la préférence au plus fubtil , au plus
rapide , au plus univerfellement répandu
au moins réfiftant , & à celui qui obferve
le mieux une des loix de la gravité : je
veux parler des corpufcules auxquels M.
Newton attribue le phénomene qu'on nom
me Lumiere , en vous réfervant fans doute
la liberté de chercher l'agent de la gravité
dans d'autres corpufcules , fi ceux - là ne fe
trouvoient pas parfaitement d'accord avec
les phénomenes.
La lecture d'un fyftême fi ingénieux , &
dont vous avez fçu tirer tout le parti poffible
avec tant de dextérité , m'a arraché
tout de fuite cette réflexion c'eft qu'il
feroit bien fâcheux que le loifir d'un génie
fi propre à découvrir la vérité , fût inutilement
confumé à fuivre les conféquences
d'un fyftême qu'il croit nouveau & folide,
( & qui doit en effet lui paroître tel , tant
qu'il n'a pas encore fait de foigneufes recherches
fur les auteurs qui peuvent l'avoir
précédé , & un examen bien rigoureux des
fondemens de ce fyltême ) pour ne trouMA
I. 1756. 155
ver , au bout de bien des travaux , que ce
que lui auroit pu apprendre dans un quart
d'heure un efprit borné , mais appliqué
qui auroit déja pris toute cette peine.
En conféquence de cette réflexion , j'ai
préſumé , Monfieur , que fi un pareil homme
vous tranſportoit tout de fuite dans
une poſition où , malgré vos grands talens,
vous ne feriez peut- être arrivé que fort
tard par vous-même , ( vu les écarts confidérables
que font quelquefois les génies
fupérieurs , quand une fois ils fe font tant
foit peu écartés du bon chemin ) vous lui
auriez au moins l'obligation de vous avoir
mis dans le cas de partir de bonne heure ,
avec toutes vos forces , d'un point déja
beaucoup plus avancé.
Je ne vous expoferai ici , ni ce que penfoit
, il y a fort long temps fur cette matiere
, M. Fatio de Duillier , dont je ne
fuis d'ailleurs informé que par tradition ,
ni ce qu'en ont imprimé & défendu publiquement
en 1731 , deux autres grands
hommes , auffi mes compatriotes , ni ce
qu'en a publié en 1736 un Médecin Allemand
, qui me paroît avoir mieux donné
au but que perfonne , mais qui manquoit
des fecours néceffaires pour développer
fon fyftême avec toute la rigueur géométrique
dont il peut foutenir l'épreuve ,
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
parce que ces trois opinions , quoiqué conformes
en général à l'impulfion rectiligne
dont j'ai parlé à la tête de cette lettre ,
différent cependant toutes les unes des autres
, & différent encore plus de la vôtre ,
en ce qu'aucune d'entr'elles ne met à profit
l'existence de la lumiere , pour produire
les phénomenes de la gravité. Par la même
raifon , je ne vous entretiendrai ni des
anciens Atomiftes , ni du droit que j'ai à
la découverte du vrai méchaniſme de la
gravité ,, par l'ignorance où j'ai été pendant
un temps , fur l'exiftence des ouvrages
où ce méchanifme étoit déja mis au
jour. Je me bornerai donc , Monfieur , à
vous informer de la préexiſtence & de la
nature d'un fyftême beaucoup plus approchant
du vôtre , & à vous indiquer les principales
objections auxquelles ce fyftême eft
fujet.
Feu M. Jean Bernoulli le pere , partagea
en 1734 , avec fon fils Daniel , le double
prix propofé par l'Académie royale des
Sciences de Paris , fur la caufe de l'inclinaifon
des orbites , par un Mémoire intitalé
Nouvelle Phyfiqué célefte , imprimé à
Paris en 1735 , & remis fous la preffe à Geneve
, avec tous les autres ouvrages de cet
:
auteur.
Ce grand Géometre attribue la gravité
MA I. 1756 . 157
des planetes vers le foleil , à la lumiere de
cet aftre , que celle des étoiles fixes a obl. -
gée de revenir fur fes pas , munie d'une
qualité de plus , celle de pouvoir pouffer
les corps , & de deux qualités de moins
celles d'échauffer & d'éclairer : & il y donne
, pour cauſe de la tendance qui fe fait
vers chaque planete principale , les rayons
qui émanent du feu central ou foleil intérieur
de cette planete , & qui font forcés
à rebrouffer chemin , avec la nouvelle propriété
de pouvoir heurter les corps. (Ceuxci
n'ont ni lumiere ni chaleur , foit en allant
, foit en revenant ) .
Il tâche auffi d'expliquer la rotation des
planetes fur leur axe , felon l'ordre des
fignes , en difant que leur partie occidentale
, allant en quelque façon à la rencontre
des rayons impulfifs , tandis que leur
partie orientale les élude un peu , cette
premiere doit perpétuellement tendre vers
le corps central , plus efficacement que ne
fait la derniere , &c.
Enfuite , pour faire comprendre comment
peuvent fe faire de fi grands changemens
dans les propriétés des rayons du foleil
, il nous dit premiérement : Qu'en partant
de cet aftre , ces molécules font fi fubtiles
& fi détachées les unes des autres ,
que tous les pores des corps leur font li
158 MERCURE DE FRANCE.
brement ouverts ; mais que la rencontre
de celles des étoiles fixes , les obligeant à
s'affembler par pelotons trop gros pour pouvoir
traverfer les corps , elles font forcées
à pouffer ces corps devant elles : & il donne
à entendre en fecond lieu , que la lumiere
& la chaleur qu'on éprouve à la préfence
du ſoleil , étant un effet de la grande
rapidité de fes molécules , il n'eft pas étonnant
qu'elles paroiffent dépouillées de ces
propriétés , dès que leur mouvement a été
fi confidérablement ralenti ...
Enfin , voulant fe tirer d'une objection
qu'on pourroit lui faire fur ce que la lumiere
qui vient directement du foleil ,
femble ne pas traverfer tous les corps auffi
librement qu'il le dit , puifque les corps
opaques paroiffent en priver tout l'efpace
qui eft derriere eux , il prétend que cette
efpece de corps laiffe , il eft vrai , paffer la
lumiere par fes pores , avec autant d'abondance
& de viteffe que s'ils étoient tranſparens
; mais qu'elle eft, je ne fçais comment,
obligée d'y ferpenter continuellement
même après les avoir traversés : ferpentement
qui l'empêche d'opérer le moins du
monde fur nos yeux la fenfation qu'on
nomme clarté , & d'exercer librement les
effets ordinaires de la chaleur. Le reste du
Mémoire roule en partie fur une certaine
M AI. 1756. 159
autre matiere qui fe meut en tourbillon
& en partie , fur l'application de toutes les
hypothefes à la queſtion propofée par l'Académie
.
J'efpere , Monfieur , que vous n'accuſerez
point de préfomption la confiance avec
laquelle je vais vous offrir les réflexions
que j'ai faites fur toute cette matiere ,
quand vous ferez informé de la longue défiance
qui l'a précédée . C'eft avec tant de
circonfpection , que je me fuis déterminé
fur la façon dont on devoit concevoir que
fe faifoit le mouvement rectiligne , qui
opere la gravité , j'ai ufé de tant de précautions
pour être sûr que j'y appliquois
le calcul à propos ; j'ai exécuté cette application
fous tant de points de vue différens ,
& avec tant de foin ; j'ai fait tant d'efforts
finceres , pour trouver dans ma tête ou dans
celle de mes amis , quelques objections
folides à y oppofer , & ces objections fe
font fi conftamment évanouies d'elles- mêmes
, quand on a voulu les pouffer férieufement
avec quelque précision , qu'il eft
moralement impoffible qu'aucune obfervation
un peu décifive , ait échappé à mes recherches.
Les fuppofitions que fait M. Bernoulli ;
fe tirer d'embarras , font non feulement
tout auffi gratuites que pourroit l'ê
pour
160 MERCURE DE FRANCE.
tre l'introduction d'un nouveau fluide ,
mais elles font fi hardies & fi oppofées à
tout ce que nous connoiffons dans la nature
, qu'il vaudroit mille fois mieux admettre
un fluide particulier , pour caufe de
la gravité univerfelle & des autres attractions
( 1 ) , que de vouloir , par exemple :
contredire auffi formellement toutes les
qualités d'un fluide déja connu , par le feul
motif de le mettre à profit pour expliquer
des effets tout différens de ceux dont on
le fçait l'agent. En particulier , une lumiere
invifible ne feroit- elle pas le parfait pendant
de l'obfcurité vifible , que Milton a introduit
dans les enfers ? fiction qu'on n'a
pas laiffé de lui reprocher , malgré la prés
rogative que les Poëtes ont eu de tout
temps fur les Philofophes , de pouvoir livrer
leur imagination à mille licences .
N'eft- il pas bien fingulier auffi que les
( 1 ) Puifque la lumiere même gravite vers les
corps qui en font moins éloignés que de la huit
centieme partie d'un pouce Anglois ( Newtoni
Optices , Lib. III. Obf. 6. &feqq. ) , il exiſte donc
un fluide capable de caufer des gravitations plus
fubtiles que la lumiere , & hors d'état par confé
quent d'affecter nos organes ou d'autres corps de
deux façons différentes , felon qu'ils font tranfparens
ou opaques ; deforte qu'il n'eft pas fujet aux
difficultés qu'une pareille différence fait oppofer à
l'hypothefe de M. Bernoulli.
MA I. 1756. 161
mêmes molécules folaires , qui paffoient fi
librement par tous les corps folides , & à
plus forte raifon , les unes parmi les autres,
près de leur fource commune , où elles
étoient plus ferrées que partout ailleurs ,
viennent à être heurtées & repouffées audeffus
de la région de Saturne , & même
des cometes ; c'eft-à- dire précisément dans
le lieu où elles font mille fois plus écartées
les unes des autres que dans notre voifinage
? On peut démontrer aifément que le
fluide compofé des émanations combinées
de deux foleils , n'eft nulle part plus rare
au moins aux environs de la droite qui
joint leurs centres , qu'au milieu de cette
droite , fi ces foleils font égaux ( 1 ) ; &
( 1 ) Le défaut de Parallaxe annuelle apperçue ,
prouve que la diftance des fixes vaut au moins dix
millions de diametres folaires ; deforte que le milieu
de la diſtance d'une fixe au centre du foleil ,
eft dix millions de fois plus éloigné de ce centre
que ne l'eft la furface de cet' Aftre : parconféquent
les molécules folaires y font cent billions de fois
plus rares qu'à cette furface ; ce qui , à fuppofer
même qu'elles fe touchoient toutes en partant du
foleil , revient à dire qu'elles préfentent cent bil
lions de fois plus de paffages libres , que d'obftacles
à la lumiere de chaque fixe . Donc celle - ci
réciproquement leur oppofe auffi cent billions de
fois moins d'obftacles que de paffages libres ; d'où
il arrive qu'elle n'en arrête que la cent billionieme
partie , & parconféquent qu'elle en fait rebrouffer
que la cent billionieme. encore moins
162 MERCURE DE FRANCE.
que s'ils font inégaux , c'eft dans un point
dont les diſtances à ces centres font en raifon
fous -triplées des forces illuminatrices
abfolues : & c'eft cependant ce lieu - là ou
fes environs , que choifit notre auteur ,
pour le théâtre des premiers chocs qui forment
fes pelotons , & pour leur peint de
rebrouffement.
De plus , tous les phénomenes céleftes
un peu délicats , & même quelques phénomenes
terreftres , tels que la déviation
du fil-à- plomb vers la montagne de Chimboraço
, indiquent d'une façon non équivoque
, que la gravité mutuelle des grands
corps eft le réfultat de la gravité mutuelle
de leurs petites parties : & c'eft ce qui
n'auroit point lieu dans l'hypothefe de
M. Bernoulli .
Mais une difficulté plus accablante encore
pour cette hypothefe , fe tire de ce
que les pelotons gravifiques s'y meuvent
plus lentement que la lumiere lumineufe ;
tandis qu'on peut démontrer que l'agent
de la gravité , doit au contraire le mouvoir
plus vite que cette lumiere , pour fatisfaire
au peu de diminution que les Aftronomes
ont apperçu jufqu'à préſent dans la longueur
de l'année . (1)
( 1 ) Comme on ne voit pas du premier coup
d'il la connexion qu'il peut y avoir entre ces
.
ΜΑΙ. 1756 .
163
Vous démêlerez aifément , Monfieur
entre tous ces inconvéniens , ceux qui font
chofes , & comme une affertion auffi déterminée
femble fuppofer quelque chofe d'arbitraire dans
les élémens du calcul qui l'a fournie . Je vais expofer
en abregé aux Géometres qui me liront ,
les fondemens de cette connexion & de cette détermination
.
La plus grande quantité dont l'année puiffe
s'être accourcie au bout d'un fiecle , fans que cet
accourciffement ait pu être obfervé , eft un tems
donné. Donc le plus grand rapport de la caufe qui
ralentit continuellement le mouvement progreffif
de la terre , à la caufe qui pouffe continuellement
la terre vers le foleil , eſt un rapport donné. Or là
premiere de ces caufes eft en raifon compofée de
la maffe , ou denfité des corpufcules que la terre
rencontre fur la route , & du quarré de la vîteffe
de cette planete , & la feconde eft en raiſon compofée
de cette même maffe , ou denfité diminuée
felon un rapport donné ( par deux confidérations
qu'il feroit trop long d'expofer ici ) , & du quarré
de la viteffe des corpufcules gravifiques ; deforte
que le rapport donné de ces caufes eft 'toujours
compofé d'un rapport donné & de celui de ces
quarrés. Donc le plus grand rapport que les phénomenes
permettent de fuppofer entre le quarré
de la viteffe de la terre & celui de la vîteffe des
corpufcules, eft un rapport donné. Or les découvertes
de MM. Roemer & Bradley , nous apprennent
l'une & l'autre , le rapport qui regne entre
la viceffe de la terre & celle de la lumiere lumineufe.
Donc le plus grand rapport qu'on puiffe
fuppofer avoir lieu entre la viteffe de la lumiere
lumineuſe & la vîteffe des corpufcules gravifiques,
164 MERCURE DE FRANCE.
communs à ce fyftême & au vôtre ; vous
ne feriez pas un auteur , ni même un homme
, fi vous n'apperceviez pas plus aifément
encore les objections qui attaquent
le fentiment de M. Bernoulli , fans donner
atteinte à celui que vous nous avez expofé.
Il ne me refte donc qu'à vous abréger un
peu la peine de trouver , 1 ° . les difficultés
qui portent coup à votre hypothefe , plus
qu'à celle de cet illuftre Profeffeur ; &
2º. les changemens qu'il faudroit faire à la
façon dont vous l'avez préfentée , afin de
la rendre parfaite de tout point.
Comme les rayons directs du foleil s'oppofent
à l'effort que font ceux des fixes ,
pour pouffer les planetes vers cet aftre
quoique cet effort déja trop foible , n'eût
pas befoin de ce correctif ; comme ils tendent
à rendre inégales les pefanteurs d'un
même corps vers la terré , le jour &la nuit,
quoiqu'on n'apperçoive point une pareille
inégalité ; & comme les effets de la gravité,
le nombre , par exemple , des ofcillations
eft auffi un rapport donné. C'eſt - à - dire enfin , que
la viteffe de ceux- ci rélativement à celle- là , ne
peut pas être au deffous d'un certain degré déterminé
aiſé à découvrir par le calcul ; & voilà comment
j'ai pu trouver que les corpufcules gravifiques
fe mouvoient infailliblement plus vite , que
la lumiere lumineufe même , & à plus forte raiſon
plus vite que des pelotons de lumiere ralentie .
MAI 1756. 165 C
d'un pendule dans un temps donné , paroiffent
fenfiblement les mêmes dans les
réduits les plus fombres & les plus frais ,
que dans les lieux les plus éclairés & les plus
échauffés par les rayons du foleil , quoique
ces rayons ne nous foient connus juſqu'ici
que par leur propriété d'échauffer & d'éclairer
, ces rayons me paroiffent une piece.
inutile , & même nuifible à votre fyftême ;
& il femble que vous auriez dû vous borner
à ceux qui viennent des étoiles . Mais
pour éviter le reproche qu'on vous auroit
fait alors , d'attribuer des effets confidérables
à une cauſe qui paroît fi foible , pendant
que vous négligeriez ceux d'une caufe
beaucoup plus puiffante , & de même na
ture ( 1 ) , vous auriez pu , comme l'a fait
M. Bernoulli , fuppofer que la lumiere du
foleil , eft actuellement divifée à un tel
point , qu'elle penetre librement tous les
corps , fans les pouffer fenfiblement ; au
lieu que celle des fixes , affemblée en gru-
(1) Toutes compenfations faites , on peut bien
fuppofer que le firmament renferme tout au plus
dix mille étoiles , aufli groffes que notre foleil &
cent mille fois plus éloignées que lui ; deforte
que le foleil nous envoie lui feul un million de
fois plus de lumiere que tout le firmament : le
quarré de cent mille , divifé par dix mille , donne
un million .
166 MERCURE DE FRANCE.
meaux ou flocons , par la rencontre de cette
premiere ou de toute autre , & trouvant
par conféquent les pores de ces mêmes
corps , trop étroits pour pouvoir y paffer ,
étoit obligée de déployer fon activité ſur
leurs parties folides.
Mais un changement plus important que
celui -là, & dont vous n'auriez pas manqué
de fentir de vous - même la néceffité , quand
une fois vous auriez voulu travailler votre
fyftême avec affez de foin , pour qu'il
méritât de porter publiquement votre nom ,
c'eſt celui d'abandonner entiérement toute
forte de lumiere , en y fuppléant par des
corpufcules beaucoup plus fubtils, que vous
auriez fait mouvoir avec beaucoup plus de
rapidité qu'elle , comme les atomes d'Epicure
, dont Lucrece parle en ces termes :
Debent nimirùm pracellère mobilitate ,
Et multò citiùs ferri quàm lumina folis.
Lib. II. verf. 160 & 161 .
Mais il faudroit que les directions de
vos corpufcules , différaffent de celles de
ces atomes , autant que les directions de
la gravité univerſelle fi bien connue dans
ce fiecle , different de celles felon lefquelles
les anciens Epicuriens , & le vulgaire de
tous les temps , ont cru que fe faifoit la
pefanteur ; fçavoir , par des lignes à peu
MA I. 1756. 167
près paralleles , c'eft- à-dire qu'il faudroit
que les mouvemens de vos corpufcules fe
fiffent felon toutes fortes de directions rectilignes
, dont chacun d'entr'eux conferveroit
invariablement la fienne , tant que rien
n'y mettroit obftacle.
En partant de cette fuppofition , il faudroit
démontrer plus rigoureufement qu'on
ne l'a fait dans le Mercure de Février :
Que les corps qui tombent , & la lune elle- même
, gravitent fur la terre en raifon inverſe
du quarré de leur distance à fon centre ; &
que les autres planetes gravitent fur le foleil en
même raison. Car on fe contente d'y dire :
Que plus les corps qui tombent font éloignés
des aftres , & plus leur gravité eft grande ,
à cause que la colonne de lumiere qui les
preffe eft plus grande. Ce qui femble fignifier
que cette colonne qui preffe d'autant
plus efficacement qu'elle eft plus grande ,
agit tout à la fois comme un corps continu.
L'image d'un torrent convergent , qui
frappe d'autant plus efficacement qu'il eft
plus évafé ( c'est- à-dire que coupé par fon
axe , il préfente un plus grand angle ) , auroit
mieux repréfenté l'action des corpufcu
les extrêmement déliés , qui partent du foleil
& des étoiles fixes , fucceffivement. Ces expreffions
au refte , que je prends la liberté
de relever ici , font précisément celles dont
168 MERCURE DE FRANCE.
fe fervit le Frere de M. Fatio , en rapportant
le fyftême de ce fameux Mathématicien
à un Sçavant qui les tranſcrivit tout
de fuite dans fon recueil. Mais la figure
qui y étoit jointe , levoit toute équivoque.
C'étoit une pyramide , qui avoit fon fommet
au centre de la terre , & qui étoit
coupée tranfverfalement , à deux différentes
diftances de ce fommet. Un certain
corps plat paroiffoit occuper toute la plus
petite fection tranfverfale , & être expofé
par conféquent à l'action de tous les filets
indéfinitivement longs dont elle étoit compofée
, pendant qu'un corps égal à ce premier
placé dans la grande fection , n'en
occupoit qu'une partie , ( réciproquement
proportionnelle au quarré de fa diftance
du fommet , ) & n'étoit expofé par - là qu'à
F'action d'une pareille partie des filets .
Dès que vous auriez rendu raifon de
cette Loi , que deux particules de matieres
tendent l'une vers l'autre avec d'autant
plus de force, que le quarré de leur diſtance
mutuelle eft plus petite , vous feriez difpenfé
de tout détail fur l'explication des
Phénomenes de la gravitation. C'eſt à la
Dynamique à fournir ces détails , & heureufement
M. Newton & cent Géometres
après lui , en ont déja pris la peine pour
vous. Vous pouvez voir dans le dernier
Chapitre
MA I. 1756. 169
Chapitre des Leçons de M. de la Caille , à
quoi fe bornent les obligations de celui
qui entreprend d'établir un fyftême d'af
tronomie physique : on diroit , à lire ce
Chapitre , que ce grand Aftronome a preffenti
votre fyftême , ou ceux qui lui font
analogues. Ce ne feroit donc plus que par
furabondance de droit , & feulement par
forme d'illuftration que vous devriez faire
mention , comme vous l'avez fait dans
votre premiere Expofition, des phénomenes
qui découlent géométriquement de la loi
de gravité qu'obfervent toutes les particules
de matiere ; tels que font l'inégalité de
la pefanteur dans les différentes régions
de la terre , l'influence de Jupiter fur notre
aphélie , le mouvement de l'apogée &
des noeuds de la Lune , la préceffion des
équinoxes ; enfin les loix tant principales
que fubalternes des marées.
Par rapport aux phénomènes , où la
gravité univerfelle , regardée comme une
loi , n'a aucune prife , tels que font les
diftances des Planeres au Soleil , leurs excentricités
, les inclinaifons mutuelles de
leurs orbites , leurs mouvemens de rota
tion , l'obliquité de chaque axe de ces
mouvemens fur fon orbite , & c. je ne crois
pas que les corpufcules qui caufent cette
los , puiffent mieux les expliquer qu'elle.
H
170 MERCURE DE FRANCE.
Les feuls égards aufquels je juge que ces
corpufcules , confiderés immédiatement ,
foient fupérieurs aux loix abftraires de la
gravité , font ceux- ci ; qu'ils font plus intelligibles
qu'elle qu'ils peuvent rendre
raifon des affinités chimiques ; qu'ils fe
prêtent mieux à expliquer la violence de
l'attraction dans le contact , qu'on en peut
déduire aifément l'augmentation apparente
qu'occafionne la calcination dans le
poids de certains corps , & que le dépla
cement du Soleil par la réaction de Jupiter
& des autres Planetes , en devient moins
confidérable.
Remarquez en effet , Monfieur , que
tous les phénomenes où il vous a paru que
les corpufcules faifoient ce que la gravité
proprement dite ne fçauroit faire, & dont
j'ai fait l'énumération il y a un moment ,
font tels qu'une fois mis en jeu , ils n'ont
plus befoin d'aucune autre caufe que de la
gravité , quelques- uns même d'aucune, aur
tre que l'inertie pour continuer à avoir
lieu fur le même pied : ce qui prouve évi,
demment que ce qu'ils ont de fymmétri,
que , abété produit une fois pour toutes
par la caufe premiere , & que ce qui détoge
à cette régularité , eft une altération
furvenue tour à coup par quelque accident,
le paffage d'une Camera par exemple, 165
'
M A I. 1756. 1.7-ET
14
Ne trouvez pas étrange que je montre
tant de répugnance à admettre pour
caufe de ces phénomenes , l'inégale denfité
des torrens qui viennent de différentes pla
ges- du monde. La conſtante régularité
qu'on a obfervée dans les mouvemens des
meilleurs Pendules , malgré les changemens
de fituations qui leur arrivent dans
24 heures par rapport aux différentes parties
du Ciel , m'obligent à conclure que fi ces
torrens font inégaux , ils le font du moins
trop peu , pour que cette inégalité produife
les effets que vous en attendez : & ceci
eft un nouveau motif, pour préfumer que
la lumiere des fixes n'eft point l'agent de
la gravité ; puifque, felon la remarque que
vous en avez faite , les inégalités qu'on obferve
avoir lieu dans le nombre , la diftance
& la grandeur des étoiles , qui ornent les
différentes plages du firmament , rendent
plus que probable l'inégalité des torrens
de lumiere qui en émanent.
J'ai l'honneur d'être , & c.
A Geneve , ce 10 Mars 17560
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
CHIRURGIE.
RÉPONSE
Du Frere Come à la Lettre de M. Vacher ,
fils aîné , Maître- ès Arts , Etudiant en
Tune & l'autre Médecine & Chirurgie ,
à l'Hôpital Militaire de Befançon , inférée
dans le Mercure de Février 1756.
lettre m'étoit
Monfieur , comme votre
inconnue
lorfqu'elle
a paru dans le Mercure
, je penfe qu'il eft de la bienféance
que je me ferve de la même voie pour vous
tranfmettre
ma réponſe .
Si la fupériorité des talens , la célébrité
& la fagacité des parens paffent à leurs
enfans comme vous le juftifiez pleinement ,
Monfieur ( 1 ) , votre témoignage en faveur
de mon inftrument & de ma méthode de
tailler devient inappréciable .
Si l'impartialité de tout autre motif que
la vérité , eût été le guide de plufieurs gens
de l'art , comme il paroît être le vôtre , il
(1 ) M. Vacher eft fils & petit-fils de Chirur
giens célebres , & neveu de M. Morand.
MA I. 1756.1173
de
ne s'en trouveroit pas aujourd'hui dans la
néceffité de chercher de nouveaux biais .
pour éluder leur confufion , plutôt que
paroître approuver ce qu'ils ne peuvent
plus contefter. Il en eft qui débitent que le
fuccès de ma méthode n'eſt dû qu'aux corrections
qu'ils prétendent m'avoir fuggérées
, mais afin d'arrêter les progrès de cette
imputation, je vais la détruire par des preuves
qui ne vous laifferont aucun doute
Monfieur , non plus qu'à tous ceux qui
cherchent , comme vous , la vérité , ni aucune
reſſource à ceux qui oferoient encore
la contefter. M. Tardy , Chirurgien Major
dans la Marine du Roi , au département
de Rochefort , fe trouvant fortuitement
à Paris en 1745. avec M. le Marquis
d'Amblimon fon capitaine , ce feigneur ,
qui m'honoroit depuis long-temps de fon
amitié , & qui eftimoit beaucoup M. Tardy
en conféquence de fon mérite & de fes
talens en Chirurgie , me le recommanda
pendant le féjour qu'il feroit dans cette
capitale. Je lui communiquai le deffein
que j'avois conçu , depuis près d'un an ,
fans avoir eu le loifir de l'exécuter , de
conftruire un inftrument avec lequel on
pratiqueroit l'opération de la taille avec
une facilité & une fûreté inconnue jufqu'alors.
Le défir de voir cet inftrument
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
1
nouveau avant fon départ , qui étoit fixé
par un congé de fix mois , que le Miniſtre
lui avoit accordé , & dont le terme approthoit
, le porta à me folliciter fans relâche
d'en faireconftruire un modele en bois pour
fervir de guide au Coutelier qui l'exécu-
Teroit en acier. L'un & l'autre furent confruits
fucceffivement dans le mois d'Août
de la même année , & nous en fîmes enfemble
plufieurs expériences fur des cadawres
dont il difféquoit enfuite fort exactement
les parties intéreffées par cet inftrument.
Le congé de M. Tardy étant expiré
avant qu'il fût poffible de faire fabriquer
un fecond Lithotome , & étant convaincu
par les expériences anatomiques de
la bonté de cet inftrument , il regrettoit
beaucoup de partir fans en avoir un , j'en
fus fi touché , que je le forçai d'accepter
ce premier , ayant la reffource d'en faire
fabriquer d'autres , & c.
Etant arrivé à Rochefort , il n'eut rien
de plus preffé que d'en communiquer avec
fes confreres , dont la plûpart parurent trèsfatisfaits.
Peu de tems après , il tailla un fujet
qu'il guérit , & il en a taillé depuis au- delà
des mers avec le même fuccès. Et enfin:
il paroît ici depuis un an ou deux , plufieurs
corrections prétendues de ce LithoM
A 1. 1756. 179
tome, fans qu'aucun des Auteurs m'ait
confulté .
Il est arrivé de plus que gens de haute
confidération , & plufieurs autres perfonnes
dignes de foi , m'ont affuré avoir appris
tant directement qu'indirectement
d'un de mes adverfaires que je ne réuffiffois
dans mes opérations que depuis que
j'avois profité de fa correction.
J'aurois dès cet inftant fait revenir de
Rochefort mon Lithotome premier fabri
qué, fi M. Tardy ne fe fût trouvé alors en
mer : je lui écrivis , à fon retour , de mé
lé renvoyer , & je le reçus dans le mois de
Février dernier.
Voici , Monfieur , une hiftoire fingu
liere fur ce fujet que vous ne ferez peutêtre
pas fâché d'apprendre.
Prefqu'auffi-tôt que j'eus reçu de Roche
fort mon premier Lithotome , un de mes
malades que j'avois taillé & guéti il y a
environ dix- huit mois , fe trouvant à dîner
chez un de ſes amis avec un des plus célebres
Démonſtrateurs en Chirurgie de Saint-
Cofme , par fuite de propos & de converfation
, ce Chirurgien le pria de me le pré
fenter , ce qu'il fit en fortant de table ; je
lui témoignai l'eftime que j'avois toujours
faite de fa perfonne & des ouvrages dont il
a enrichi fon art , & c. mais je lui dis que
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
je ne pouvois lui diffimuler le tort que je
penfois qu'il avoit eu d'attribuer à mon
inftrument des défauts qu'il n'avoit point ,
dans une leçon publique , en plein amphithéâtre
en 1751; il en convint avec cordialité
: mais , m'ajouta- t'il , je l'ai réparé
publiquement en 1755 , depuis qu'il eft
corrigé. Ce mot de correction m'engagea
à lui expofer fur une table , deux, Lithotomes
cachés que je le priai de confidérer
attentivement , pour connoître lequel des
deux lui paroîtroit fans défaut & le moins
dangereux , fans l'avoir aucunement pré
venu que le premier fabriqué en 1748 .
étoit l'un des deux , & que l'autre étoit un
des derniers que l'ouvrier continue de faire
journellement. Cet illuftre Chirurgien ,
Auteur d'un fçavant Traité de tous les inftrumens
les plus connus dans fon art , &
par conféquent connoiffeur pénétrant
donna fon choix , après un mûr examen
au premier , fans fçavoir qu'il y fût : je lui
montrai enfuite le modele de bois , qui
avoit fervi de guide au Coutelier pour le
faire , il me parut convaincu qu'il n'y remarquoit
aucune correction ; je lui offris
même , s'il le défiroit , le témoignage de
l'ouvrier dont je me fuis toujours fervi ,
afin de lui prouver que je n'y avois jamais
rien varié ni changé , excepté le effort
MAI. 1756. 177
qui arrête fixement la virole fur le manche,
lequel eft pofé fur la fuperficie de la tige
dans le premier , au lieu que celui des fuivans
eft caché dans une raînure que j'ai
fait creufer dans l'épaiffeur du fer , à la
même place ; mais cet article ne change
rien à la lame , à la gaîne , ni à la bafcule
graduée qui forme les différens écartemens.
Après toutes ces remarques , il m'avoua
de bonne foi qu'il avoit été trompé ,
Il me parut fenfible & reconnoiffant de
tous mes éclairciffemens ; je me félicitai à
mon tour de l'avoir pu détromper , & je
l'affurai de nouveau de la continuation de
l'estime que j'avois confervée , fans altération
dans tous les temps , pour fon vrai
mérite. J'ai appris dans la fuite qu'il s'étoit
rétracté publiquement dans une leçon
qu'il faifoit fur les inftrumens , & qu'il a
même exécuté l'opération de la taille latérale
, dont il eft le premier reftaurateur
par écrit en France ( 1 ) , fur un cadavre ,
avec mon inftrument , dans le même amphithéâtre
où il en avoit porté précédem .
ment un autre jugement. Cette conduite
prouve fans aucun nuage , que l'amour de
la vérité fut toujours le caractere ,domi
nant des hommes célebres .
(1) Appareil latéral 1730,
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
Ces deux hiftoires dont je ne crains
point le défaveu , pourroient fans doute
fuffire pour preuve complete que je n'ai
pas varié dans la conftruction de mon Lithetome
; mais le certificat fuivant accompagné
de la figure du premier , & d'une
d'undes derniers , y ajoutent la conviction .
Certificat du Coutelier.
Je , fouffigné Bernard Tironeau , Maître
Coutelier à Paris , Eleve & beau- frere
de feu M. Noël , Maître Coutelier , certifie
qu'ayant toujours demeuré & travaillé
pour lui & pour ma foeur avec laquelle je
demeure encore , j'ai fabriqué en 1748
l'inftrument qu'on nomme Lithotome caché
, fur un modele de bois que le frere
Cofme , Feuillant , m'avoit remis dans un
tems auquel M. Noël étoit malade d'une
attaque d'apoplexie ; que ce même inftrument
m'a été repréfenté avec fa figure
qu'on a deffinée pour le comparer à un autre
des derniers que j'ai fait.
Le Frere Cofme pour qui j'ai toujours
travaillé depuis ce premier fous le nom de
Noël , ne m'a commandé dans aucune occafion
, d'autre changement que celui de
creufer une raînure dans l'épaiffeur de la
tige de fer , pour y loger le reffort & la
languette qui fixe la virole au manche ,
ΜΑΙ. 1756, 179
tel que les deux figures a & b le repréfentent
: que fi dans quelques-uns de ces inftumens
fortis de mes mains , on y rencontre
quelque différence de courbure ou de
figure , elle dépend abfolument de la trempe
pour la courbure , ou de l'ordonnance
de ceux qui me les ont commandés pour
tout autre différence. Fait à Paris , le 19
Avril 1756 .
Bernard Tironeau. 1
Or , après toutes ces preuves que je vous
garantis inconteftables , Monfieur , vous
pourrez tenir
pour conftant que je répu
terai tous les changemens , déguifemens
faits ou qu'on pourra faire dans la fuite à
mon Lithotome , fi mon nom n'y paroît
pas , non pas pour des corrections , mais à
plus jufte titre pour des corruptions . Il me
feroit aifé de prouver ce titre de corrup
tion
par les effais
avortés
que
quelques
unes
d'elles
ont
déja
éprouvé
; celle
qu'on
me
fait
adopter
gratuitement
, feroit
peut
-être
encore
pis : mais
en dire
davantage
feroit
retomber
dans
l'ennui
des
hiftoires
. Je me
bornerai
donc
aux
éclairciffemens
qui
peuvent
vous
fervir
de
préfervatif
, en
vous
marquant
ma
reconnoiffance
& l'eftime
que
méritent
votre
zele
& vos
fuccès
.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE,
Explication de la Planche.
a & b font deux lithotomes cachés , à
moitié de leur grandeur , proportion gardée.
a eft le premier qui a été fabriqué fur un modele
de bois , & b eft un des derniers fabriqués .
La feule différence remarquable entre ces deux
figures réfide dans deux refforts , qui fervent l'un
à fixer la virole p fur la tige aº & 6° , l'autre
fitué fous la queue g de la lamef, pour la tenir
toujours éloignée de la virole p , & retenir la
lame ƒ dans la gaîne q , excepté lorſqu'on fait
agir l'inftrument en ferrant fortement la queue g
contre la virole p , pour écarter la lame de la
gaîne , comme on les voit ici.
1 , eft la queue d'une languette éloignée de la
tige ao & 60 par un petit reffort ; ce reffort eft
pofé für la fuperficie de la tige a° , & logé dans
une rainure creufée dans la tige 60 , tels qu'ils font
repréſentés en profil dans les figures 2 & 3
en I.
Le fecond reffort e ne differe entre les deux
figures , pour tenir écartée la queue g de la virole
P, qu'en ce qu'il eft pofé de façon , que fon point.
fixe regarde la pointe de l'inftrument dans la
figure a & le talon dans la figure b ; cette diffé-¨
rence de pofition vient de l'Ouvrier uniquement ,
qui a trouvé plus de facilité à placer ce reffort
d'un côté que de l'autre ; mais l'effet qu'il produit
eft égal.
Il eft évident par cette démonftration , que les
deux figures ne different en rien d'effentiel qui
puiffe être réputé correction .
M. A I. 1756. 181
9
g
9
9

3
182 MERCURE DE FRANCE.
"
RÉPONSE
De M. Beranger, aux Réflexions critiques
du Sieur Daviel , inférées dans le Mercure
du mois d'Août 1755 .
La
a critique a été permife dans la republique
des lettres en faveur des arts &
des fciences ; elle eft néceffaire à leurs progrès
; elle excite l'émulation ; elle travaille
a la gloire de ceux qu'elle attaque ; elle less
éclaire , & fes voeux font remplis lorfqu'elle
les a mis en état de la furmonter
elle a toujours été précieufe aux fçavans :
faute de cet aiguillon falutaire , la pareffe
trop naturelle aux hommes auroit laiffé les
erreurs fe multiplier ; elles fe feroient perpétuées.
J'appris que M. Daviel le fils avoit publié
quelques réflexions au fujet d'une lettre
que j'avois adreffée à M. Jard : je fus
piqué d'une vive curiofité. Je connois l'étendue
de ma profeffion ; je fçais combien
il faut de talens , d'obfervations , d'études
fuivies , & de méditations profondes pour
former un véritable oculifte ; & j'étois
bien éloigné de prétendre que tout ce que
j'avois écrit à M. Jard , fût également digne
de Pattention du public. J'efpérois
MA I. 1756. 18;
que l'auteur des réflexions me procureroit
l'honneur & le plaifir de convenir avec lui
des erreurs dont il auroit eu la bonté de
me convaincre ; & j'entrois fans répugnance
dans les vues judicieufes que je lui fuppofois.
Quel fut mon étonnement , lorfqu'au
lieu d'une critique utile & fenfée ,
j'ai trouvé toute la fureur d'une cruelle fatyre
!
Cet auteur inconfidéré , peu › peu touché de
ce qu'il devoit à l'art qu'il exerce , & de
ce qu'il devoit à quelqu'un qui exerce le
même art , a étrangement abufé du droit
que le public lui accorde . Il a ofé lui préfenter
, comme un ouvrage digne de l'occuper
, les déplorables efforts qu'il a fait
pour ternir ma réputation .
Un affemblage de faits abfurdes , dénués
de toute vraisemblance , un tas d'imputations
dignes du profond oubli où elles
tomberont anéanties , voilà les réflexions
critiques du fieur Daviel. Infenfible à tout
ce qu'il a pu dire contre moi lorfqu'il a attaqué
la foibleffe de mes talens , je ne puis
garder le filence lorfqu'il s'en prend à la
bonne foi & à la dignité que j'ai toujours
fait paroître dans l'exercice de ma profeſfion
; je dois même quelques foins aux
perfonnes dont il a ofé attaquer le témoi
gnage.
184 MERCURE DE FRANCE.
ور
و ر
"3
و ر
"
"
"
Ecoutons M. Daviel , & fuivons- le.
"Ne nous abufe-t- il pas , dit- il , lorfqu'il
» veut nous perfuader qu'il eft allé par-
» courir le pays pour fe rendre utile , & fe
perfectionner dans fon art ? Mais.com-
» ment l'auroit- il pu ? Agité tour à tour
» par les tracas d'un voyage , occupé à com-
2
pofer différens perfonnages , fuivant la
différence des moeurs de chaque pays ,
» avec de telles vues , comment s'avancer
dans un art qui exige une application fi
» exacte , des veilles utiles & multipliées,
» dans lequel on ne peut , qu'à l'abri d'un
féjour tranquille , pofer fes idées , les
rediger , parcourir fes obfervations , en
» tirer des conféquences utiles à la perfection
de cet art & au bien des malades ,
qui paffe de contrée en contrée pour y
» voir des malades , les opérer & partir ?
M. Daviel paroît peu inftruit de l'hiftoire
des arts & des fciences. Je prévois
qu'il n'apprendra pas avec plaifir de moi
que les voyages dont il fi mal pour
la perfection des talens , ont été cependant
les plus folides reffources de ceux qui afpiroient
aux honneurs d'une grande réputation.
C'eft en voyageant qu'on fe rapproche
des hommes illuftres, malheureuſement
difperfés & trop éloignés les uns des autres
; c'eft dans leur fociété qu'on peut fe
"
augure
MA I. 1756. 185
flatter d'agrandir la fphere de fes connoif
fances ; c'eft en profitant de leurs obfervations
qu'on peut efpérer de connoître les
reffources multipliées de l'art , & qu'on fe
prémunit contre les dangers ; c'eft par- là
qu'on forme des liaifons utiles , qu'on établit
ces correfpondances curieufes , qui
nous enrichiffent de tant de chofes que
nous aurions ignorées fans elles.
P
Les voyages font furtout d'une néceffité
indifpenfable dans l'art de guérir ; ils ont
été recommandés par Hipocrate , & les
grands hommes qui l'ont fuivi , en ont fait
un précepte effentiel..

Si les voyages font utiles à ceux qui s'appliquent
aux différentes parties de la Medecine
, j'ofe affurer que ceux qui fe confacrent
aux maladies des yeux , en ont un
befoin bien plus réel encore : il leur faut
recueillir un nombre infini d'obſervations.
pour avoir quelques folides connoiffances
fur cette matiere .
Je ne fuis pas le feul Oculifte qui ait prétendu
retirer quelque avantage de fes voyages
; ils en ont tous reconnu la néceffité ;
il en eft peu qui aient négligé ce moyen
prefqu'infaillible de s'inftruire. L'auteur
des réflexions auroit pu fçavoir de M. fon
pere fi le temps qu'il a employé dans les
différens voyages qu'il a fait , a été en
+3
186 MERCURE DE FRANCE.
pure perte pour lui , & s'il a été ſeulement
Occupé à compofer différens perfonnages.
Je ne fçais pas trop ce que M. Daviel entend
par cette expreffion finguliere. Le per
fonnage d'un homme de probité eft trèsfimple
; & l'honneur n'étant étranger nulle
part , je ne vois pas qu'un voyageur doive
être occupé à compofer des perfonnages.
Je conviens que fi l'on ne peut que voit
des malades, les opérer & partir , ces voya
ges ne fçauroient être utiles ; mais je fuis
bien fûr que ce n'a pas été la façon de
voyager de M. Daviel , & l'on eft affez
inftruit que ce n'est pas la mienne.
Le ton ironique avec lequel M. Daviel
affecte de parler de mon féjour en Efpagne,
ne détruira pas les preuves éclatantes que
je puis donner de mes fuccès dans ce pays,
& de la maniere honorable & Hátreufe
dont j'y ai été accueilli je réferve ces
preuves pour un autre ouvrage ; les bornes
que je me fuis prefcrites , ne me permet
tent pas de les rapporter ici.
M. Daviel me traite de plagiaire des découvertes
d'autrui . Je n'ai jamais prétenda
faire ce tort à perfonne , & je ne fuis pas
affez peu éclairé , je puis le dire fans être
préfomptueux , pour me faire ce tort à
moi-même. Si M. Daviel avoit fait quelque
découverte intéreffante fur les malaMA
I. 1756. 187
dies des yeux , il verroit , par mon empreffement
à me joindre à fes admirateurs
,
que je défire avec ardeur les occafions
de
de reconnoître
pour un grand homme.
!
Lorfque je lui ai contefté qu'il fut l'inventeur
de la nouvelle méthode d'opérer
la cataracte , je croyois pouvoir m'appro
prier cet honneur. J'avois eu les mêmes
idées que M. Daviel , long- temps avant
qu'il eût fait part au public des fiennes ;
j'étois en droit de lui difputer une gloire
dont il prétendoit feul jouir ; mais il faut
que lui & moi renoncions à ces trop flatteufes
idées ; nous avons été prévenus : les
recherches que j'ai faites depuis fur les ma
ladies des yeux , m'ont appris que l'extraction
du crystallin étoit connue il y a longtemps,
qu'elle a été pratiquée avec fuccès,
& qu'elle tomba dans l'oubli par le malheur
des temps. (1 ) Je ne tarderai pas à faire part
( 1 ) Plufieurs Auteurs ont parlé de l'extraction
du cryftallin ; pourquoi M. d'Aviel voudroit-il
s'obftiner à paffer pour l'inventeur de cette opération
? J'oſe l'affûrer qu'il n'a pas befoin de cet
avantage , il en a tant d'autres que je crois qu'il
conviendra fans peine , ainfi que moi , qu'il a été
dans l'erreur. S'il perfiftoit à foutenir qu'il a eu
feul la gloire de faire connoître le premier & de
pratiquer cette opération , il fe feroit beaucoup
de tort ; car , comme dit fort bien M. de Voltaire,
rien ne marque plus la pauvreté que de ſe vanter
des richeffes que l'on n'a pas.
188 MERCURE DE FRANCE.
au public des preuves de ce que j'avance ;
mais je puis affurer avec une entiere fincérité
que l'idée de l'extraction du cryſtallin
m'étoit venue avant que je fçuffe ou que
j'euffe pu même foupçonner qu'on l'eût au
trefois pratiquée. Je fuis bien difpofé à rendre
juſtice à M. Daviel, & je crois très-fort,
malgré fa vafte érudition , qu'il ignoroit ,
ainfi que moi , que les Anciens l'euffent
connue. Oui , il étoit dans la bonne foi fans
doute , quand il a dit publiquement qu'on
lai étoit obligé de fa découverte.
Je renonce à mes prétentions fur l'extraction
du cryftallin , & M. Daviel eft
dans la cruelle néceffité d'en faire autant.
Cela nous apprend à nous défier de nousmêmes,
& combien il eft quelquefois dangereux
de fe donner au public comme un
homme qui a droit de prétendre à fes hommages.
3
L'auteur des réflexions infinue que je
prétends difputer le pas à M. Daviel ; il regarde
fans doute , comme un attentat ,, que
quelqu'un ofe fe comparer à lui, & veuille
marcher fon égal : mais qu'il fe raffure ,
je le laiffe tranquille fur le trône où il s'eft
placé lui-même; je n'ai garde de conteſter
avec le premier Oculifte de l'univers ( 2 ) ;
(1) Voyez la Gazette d'Amſterdam , du Ven¬
dredi 25 Avril 1755 ..
MA I. 1756 . 189
tette vaine & pitoyable prétention n'eft jamais
entrée dans mon efprit : je me fens
poffédé d'un plus jufte & plus noble déſir ,
& je déclare que je ne difputerai jamais
rien à M. Daviel , que par une vive application
aux progrès de ma profeffion , par
un zele pour le bien public , que rien ne
fera capable de ralentir , & que les efforts
de mes ennemis contre moi , ne peuvent
qu'exciter. Eft - ce par la légéreté de fa
» main, dit- il ? comme fi avec une main lé-
"gere on ne pouvoit pas faire habilement
une mauvaife opération » . Je n'ai point regardé
la légéreté de la main comme la feule
qualité dont on doit faire cas dans un Ocu→
lifte ; je fçais que l'étendue des lumieres ,
une exacte connoiffance des maladies des
yeux , des obfervations faites avec foin fur
ces maladies , peuvent feules, avec la dextérité
de la main , faire la réputation d'un
fçavant Oculifte. Je n'ai travaillé qué dans
les vues de réunir quelque jour ces quali
tés fi néceffaires ; perfonne ne trouvera
mauvais , pas même M. Daviel , que j'aie
une fi juſte ambition.za :
Je n'ai qu'un mot à dire des lettres imprimées
du fieur Larrieux , Chirurgien de
Marmande. Que penfera- t-on de ce Chirurgien
, quand on lira le certificat que
190 MERCURE DE FRANCE.
j'ai de lui ( 1 ) . M. Daviel & lui étoieno
étroitement liés : il eft inutile de rappeller
ici les motifs de cette amitié finguliere ; je
rappellerai moins encore les fecretes rai
fons qui aigriffoient Larrieux contre moi ,
& dont il ne conviendroit pas volontiers.
H. fut néanmoins obligé de confeffer la vé
rité n'eft- ce pas là le fujer d'une espece
de triomphe affez flatteur , fi je pouvois
tirer vanité des éloges d'un homme de co
caractere ? Je fuis fâché que la néceffité de
me juftifier me force à me fervir d'un tés
moignage de cette efpece.
M. Daviel me confeille de prendre pour
exemple les meilleurs auteurs ; & pour
donner une idée de fes auteurs , il s'em +
barraffe dans des expreffions entortillées ,
dont il n'a certainement pas trouvé le mo
délé dans ces auteurs qu'il loue avec tant
de raifon , mais qu'il loue en écrivain ,
dont le ſtyle eft peu formé. Je fens la néceffité
de fuivre ces grands maîtres , fans
être un fervile efclave de leur réputation ;
jesfçais ce qu'ils ont fait pour l'art ; tour
le monde peut travailler tout le monde
(1 ) On trouvera ce Certificat à la fin de cette
Réponse . J'ai ajouté celui - ci de M. Faget : on
verra par-là ce qu'il eft permis de penfer des Lettres
du Sieur Larrieux:
MA I. 1756. 191
peut être utile ; mes yeux ne font fermés
fur le mérite de perfonne ; & quoique l'auteur
des réflexions ne fe regarde pas comme
un homme dont on doive faire ungrand
cas, fi j'avois trouvé dans fa prétendue critique
quelques préceptes falutaires , je les
aurois adoptés, & jelui en aurois fait honneur.
33
"
» Les vrais praticiens , dit- il , avec fon
ftyle ordinaire , ont abandonné aux Empyriques
le vif , le brillant dans les opé-
» rations , pour pouvoir avec fûreté tou-
» cher , réfléchir , combiner les parties
qu'ils doivent attaquer , celles qu'il faut
» éviter , les maux qu'ils ont à entreprendre
, d'où ils concluent qu'une bonne
» &utile opération eft affez tôt faite lorf-
" qu'elle eft bien faite.
93
། །
33
Je paffe à l'auteur l'air de galimatias qu'a
cet endroit de fes réflexions , pour lui repréfenter
qu'il prend, affez mal fon temps
pour réfléchir , pour combiner , pour compofer
enfin un fyftême. Tout cela doit
etre, fait avant que de toucher la partie fur
faquelle on doit opérer ; l'attention de l'ar
tifte, dair fe renfermer dans la prompti
tude de l'opération , promptitude plus ou
moins grande , felon les difficultés dont
l'opération peut être fufceptible, il faut
s'appliquer à abréger les douleurs ; il faut
192 MERCURE DE FRANCE.

terminer bientôt l'effroi du malade livré
aux cruelles néceffités de fon état : une
opération eft bien faite lorſqu'elle eft faite
avec adreffe, avec promptitude, avec fûreté.
Quant à l'inftrument de M. de Lafaye ,
dont l'ufage eft infiniment fupérieur à celui
des cifeaux , c'eft bien en vain qu'on cherche
à m'ériger en cenfeur de cet inftrument
le grand homme à qui nous en
avons l'obligation , doit être refpecté , &
par M. Daviel , & par moi , & par tous
ceux qui s'intéreffent à la gloire de la Chirurgie
, je n'ai point déprimé les avantages
de cet inftrument lorfque j'ai dit qu'une
main exercée pouvoit feule en faire fentir
toute l'utilité.
M. Daviel me demande oùfont les hôpitaux
qui m'ont élevé , où font les maîtres de
Part qui m'ont enfeigné . Je pourrois lui répondre
que mes maîtres ont été ceux de
M. fon pere je veux dire l'anatomie; que
j'ai étudié avec autant de foin que lui les
auteurs qu'il a médités , enfin le travail
l'expérience , le défit de me diftinguer ,
fi cela étoit poffible , dans ma profeffion ,
en un mot toutes les voies ouvertes à ceux
qui font excités par une vive émulation .
Lui - même , j'ofe le dire , quoiqu'il refuſe
d'en convenir , & que l'auteur des réflexions
affure qu'il n'a eu d'autre élevé
que
M A I. 1756. 193
que M. fon fils. J'avoue encore , au hazard
de lui déplaire par cet aveu , & fans
vouloir pénétrer les raifons qui l'engagent
à foutenir mal- à- propos le contraire , j'avoue
que je lui dois une grande partie du
peu de lumieres que j'ai fur les maladies
des yeux.
Ce n'eſt ici le lieu de prouver à
pas
M. Daviel combien font foibles les raifonnemens
qu'il fait fur quelques endroits de
ma lettre : il cenfure avec aigreur ; il ne
prouve rien ; il eft paffionné ; la paffion eſt
aveugle ; elle perd ceux qu'elle entraîne.
Il s'eft élevé contre les certificats dont je
fais gloire , parce que , dit- il , les Empyriques
en ont auffi .
M. Daviel ne fonge pas qu'il infulte des
compagnies refpectables. Les Empyriques
ont-ils des certificats des plus célebres Chirurgiens
d'une ville où la Chirurgie jouit
depuis long- temps d'une réputation bien
méritée ( 1 ) Les Empyriques ont- ils des
certificats d'une compagnie entiere de Médecins
, illuftres par les talens , les lumieres
& les fuccès , chéris & refpectés par
leur candeur & par un zele infatigable
pour le bien public ? Les Corps de Méde-
(1 ) Les Certificats de Meffieurs les Médecins
& Chirurgiens de Bordeaux , fe trouveront à la fin
avec ceux du Sieur Faget & Larrieux.
I
194 MERCURE DE FRANCE.
cine & Chirurgie font nos véritables Académies
, & les éloges que nous en recevons
, font ceux qui doivent le plus nous
flatter.
M. Daviel est tombé dans une méprife
au fujet du certificat du fieur Gouteyron ;
il en conviendra de bonne foi , j'en fuis
fûr , & je ne doute point qu'il ne répare
l'injuftice qu'il a à fe reprocher.
M. Gouteyron dit avoir vu réuffic
foixante cataractes que j'ai opérées , & je
conviens que fur fept j'en ai eu quatre
d'infructueufes. Les fept cataractes dont
je parle ne font point comprifes dans le
nombre des foixante que j'ai opérées en
préſence du fieur Gouteyron on n'a befoin
que de confulter la date du certificat
de ce Chirurgien , & celle des fept cataractes
dont j'ai fait mention.
Si je cherchois à déprimer M, Daviel le
pere , ne pourrois-je pas citer des malades
qu'il a promis de guérir , & qu'il a laiffé
dans un état déplorable ? Je pourrois nommer
le fils de M. Journû , Négociant de
Bordeaux , Madame La Gravere , &c,
Ces faits font ici connus de tout le monde ;
je fçais qu'un artiſte ne peut répondre que
de la maniere dont il opere. Les difgraces
dont les opérations font quelquefois fuivies
, ne doivent point lui être imputées ;
MA I. 1756. 195
elles dépendent d'une infinité de circonftances
, que le Chirurgien ne peut prévoir.
On ne peut le blâmer que de la maniere
hardie & présomptueufe , avec laquelle il
annonce un fuccès dont il n'eft pas affuré,
du prix qu'il met d'avance à fon travail ,
& de la tyrannie qu'il exerce à cet égard
en profitant du malheur des malades , de
leur foibleffe & .de leurs efpérances ; mais
j'ai de la peine à croire que des grands
hommes aient à fe reprocher de fi йétriſfans
procédés
.
>
L'obſtination du fieur Daviel à vouloir
perfuader le public que je n'ai point été
fon éleve , eft finguliere ; il en parle plus
d'une fois dans fa lettre ; il en parle toujours
avec chaleur. Pourquoi ce courroux,
cette inquiétude , ces allarmes fur un titre,
dans le fonds auffi frivole ? Seroit- ce les
foibles talens qu'il reconnoît en moi ? mais
en ce cas j'aurois feul à rougir d'avoir fi
mal fuivi fes traces. Il ne peut répondre
de l'inaptitude de ceux à qui il fait part de
fes travaux ; le célebre Boerrhave n'a pas
prétendu faire des grands hommes de tous
les Médecins que l'éclat de fa réputation
attiroit à Leyde.
M. Daviel afpire-t- il à faire croire qu'il
a travaillé. pour lui ſeul ? je ne fçaurois le
penfer. Les lumieres d'un grand homme
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
font une partie du tréfor public ; la fociété
a fur les fruits de fon travail des droits que
rien ne peut affoiblir ; il feroit un mauvais
citoyen , s'il faifoit un fecret des connoiffances
qu'une étude affidue & une longue
expérience lui ont procurées.
Après avoir mérité les fuffrages des maîtres
de l'art , après avoir été reçu dans les
écoles de Chirurgie de Paris , après avoir
eu le même honneur au tribunal royal de
Médécine & de Chirurgie de Madrid
penfionnaire de la ville de Bordeaux , je
pouvois , je crois , fans craindre de bleffer
la délicateffe de M. Daviel , annoncer que
j'avois été fon éleve.
Je puis affurer que l'honneur de cette
qualité n'a pas été le plus preffant motif
qui m'ait engagé à la prendre. M. Daviel
n'imagine pas fans doute qu'on ne puiffe
devenir Oculifte , qu'on ne puiffe afpirer
aux éloges du public , qu'on ne puiffe même
ajouter bien des chofes qui manquent
encore à cette partie de la Chirurgie , fans
avoir eu l'avantage d'être fon éleve : les
privileges de ce titre iroient trop loin , fi
l'on les étendoit jufques - là .
La feule reconnoiffance m'a engagé à
publier que j'avois été fon éleve ( 1);, &
( 1 ) Voyez ce que j'en dis dans une Annonce
MA I. 1756. 197
ċe fentiment auroit dû me faire honneur
auprès de lui. Il a tort de me contefter
avec tant de vivacité un titre que je n'ai
point regardé comme néceffaire aux progrès
de ma profeffion , & que je puis lui
abandonner fans regret , dès que je ne
trouve plus à fatisfaire le fentiment flatteur
qui me l'avoit fait prendre. Tant d'agitations
, tant d'aigreur fur une chofe auffi
vaine , font naître quelques foupçons dont
je fuis fâché pour lui . M. Daviel feroit- il
fufceptible de ces miférables paffions , qui
n'agitent que les foibles caracteres
hommes peu élevés ?
& les
A l'égard de la diffection des lames de
la cornée , que l'auteur des réflexions dit
que M. Daviel a faite , & dont il prétend
que j'ai toujoursignoré que M. Daviel en
ait en feulement l'idée , amateur des nouveautés
, & fi jaloux des découvertes , aufoit
-il gardé le filence fur une chofe de'
cette importance ? N'auroit- il, pas fourni
quelques mémoires où l'on auroit apperçu ,"
au travers des obfcurités d'un ftyle négligé,
les avantages d'une pratique que j'ofe dire
hardie , heurenfe & nouvelle , & que j'ai
feul fait connoître ? Je ne fçache pas que
M. Daviel ait jamais fait que des fcarificainférée
dans la Gazette d'Amfterdam , du Mardi
2 Octobre 1753.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
F
tions fur la cornée. A quels inconvéniens
cette méthode peu réfléchie n'eft- elle pas
expofée ? Il n'eft pas befoin de raifonner ;
il est des chofes qu'il ne faut que montrer.
Il eft tems de finir ; je ne me fuis déterminé
qu'avec répugnance à repouffer les
traits de l'auteur des réflexions ; j'étois réfolu
depuis long-temps à regarder avec
indifférence tous les efforts que le fieur
Daviel pourroit faire contre moi ; j'imaginois
alors qu'il ne chercheroit qu'à rabaiffer
mes talens ; je fçavois le cas que je
devois faire des coups qu'il le préparoit
à me porter , & des fecrets motifs qui déterminoient
ces coups. C'eft en redoublant
mon zele & mon application pour le bien
public ; c'eft en paroiffant tous les jours
plus jaloux de l'eftime des maîtres de l'art,
que je me préparois d'avance un triomphe
affez flatteur fur mes ennemis ; c'eft ainfi
que je me difpofois à multiplier les raifons
qui aigriffoient M. Daviel contre moi.
Mais pouvois-je me taire ? Pouvois- je garder
un honteux filence , lorfque l'auteur
des réflexions attaque fans ménagement la
bonne foi & le défintéreffement qui m'ont
toujours guidé dans l'exercice de ma profeffion
? Le public en a rendu des témoi
gnages qui auroient dû faire plus d'impref
fion fur ce téméraire cenfeur.
THEQUE
MAI. 1756.
YON
DELAVILLE
Je ne trouve point mauvais qu'une fils
prenne en main la défenfe de fon pelly .
mais il doit mefurer fes démarches . S'il fe
laiffe emporter à l'impétuofité d'une folle
paffion , il s'expofe à dire beaucoup de
chofes qui lui font un tort infini dans l'efprit
des honnêtes gens .
M. Daviel le fils eft encore bien jeune ;
qu'il me permette ce léger reproche. Il
aura honte dans quelques années d'avoir
cru digne du public les réflexions qu'il
vient de mettre au jour ; il fera confus d'avoir
fi mal conçu les regles d'une utile &
fagecritique. Son zele en faveur de fon pere
l'a fans doute égaré, & M. Daviel ne peut ,
qu'en faveur de ce zele extrême , faire
grace à fon fils de la maniere peu décente
dont il a prétendu le défendre. Cer ouvrage
, fans lui faire honneur , fait un tort
infini à ce jeune homme , & ne me frappe
qu'à des endroits où je puis dire qu'il m'eft
permis de me croire impénétrable.
Copie tirée d'après l'original du Certificat de
MM. les Médecins de Bordeaux.
Nos infra fubfcripti Doctores Medici , ex
collegioMedicorum aggregationis Burdegalenfis
omnes , omnibus fingulifque quibus hæc pertinebunt
: certiores facti , atque teftes oculari ,
itemque repetitis vicibus opérationum numero
(
I iv
200 MERCURE DE FRANCE..
ن م
plurimarum , quas toties fcienterque varios
fuper oculorum morbos fecit & perfecit Ludovicus
Beranger , expertiffimus Ocularius ,
Sancti Cofmi Parifienfis collegio acceptus , atque
urbius iftis Burdegale ftipendio addictus ,
necnon aproviforibus nofocomii Burdegalenfis
factus Ocularius proto- medico Hifpania
rum collegio adjunctus , nos inquam confciifingularis
illius fcientia atque doctrina qualef
cumque in oculorum morbos , nihil aquius
exiftimavimus prodere teftimonia hac noftra,
quibus & fides addi , & jam per ora virum
volitans illius fama confirmari & fervari va
leat : fidas inquam tam publica quam noftra,
ex incluis atque confpicuis orta illius operationibus
difficultate arduis eventu felicibus : inter
quas fupremum tenent cataracta fecundum
normam recentiorem inftituta per cryftallini
videlicet humoris avulfionem , albugines tunica
cornea fuffufas , hipopia , abceffus ejufdem
pellucide cornea ingeniofas atque opero
fas tunica conjonctiva divifiones & diſſectiones
, varicum in eâ extirpationes , tandem
majoris anguli abceffus , fiftulas videlicet lacrymales
, quas numerofas fatis cum optato
eventu aufus eft : quam porro declarationem
audenti animo atque precordiis depromimus ,
utpote , in publica utilitatis emolumentum ,
necnon proprie aftimationis noftra fpecimen
haud dubium. Datum Burdegala , die vigeMA
I. 1756.
201
fima octava menfis Julii , anno Domini
1755. Signés , Cambert Subdecanus , Caze,
Cafaux , Bernada , Gregoire , Gramaignac ,
Laglenne , Lavigne , Barbeguiere.
Copie du Certificat du Corps de MM. les
Chirurgiens de Bordeaux.
Nous foulignés , Lieutenant de M. le
premier Chirurgien du Roi , Prevôts en
charge , & autres Maîtres en Chirurgie de
la préfente ville de Bordeaux , certifions &
déclarons avoir vu faire à M. Louis Beranà
ger , Maître en la partie des yeux , reçu
S. Côme à Paris , & au College royal de
Médecine & de Chirurgie de la ville &•
Cour de Madrid , penfionné de cette ville ,
& Oculifte en titre de l'hôpital S. André ,
le quinze du mois de Mai dernier , neuf
opérations de la cataracte , par extraction
du cryftallin, à l'Hôtel de ville , en préfence
de Meffieurs les Magiftrats , Médecins ,
Chirurgiens & autres notables de cette
ville ; lefquelles opérations furent faites
avec autant de connoiffance que de dextérité
; qu'il nous a repréfenté le vingt- fix
Juin fuivant , à l'Hôtel de ville , les fufdits
malades guéris radicalement ; que dans le
même inftant il a fait femblables opérations
& autres fur les yeux , avec le même
fuccès dont nous lui avons déja donné un
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
témoignage authentique ci - devant ; ce qui
n'a fait qu'augmenter l'eftime & l'idée avan
tageufe que nous avons conçu pour fes
talens dans cette partie de la Chirurgie ; &
comme il eft dans le deffein de fe retirer à
Paris , fa conduire , fes bonnes vie &
moeurs qu'il a tenues depuis environ cinq
ans qu'il a fréquenté la préfente ville , où
il s'eft attiré l'eftime & la confiance du public
, méritent de notre juſtice de lui délivrer
le préfent certificat , auquel nous
avons fair appofer le fceau de nos armes ,
& que nous fignons avec une entiere fatis
faction. A Bordeaux , le 21 Juillet 1755.
Signés à l'original, Ballay , Lieutenant , Faure,
Infpecteur , Groffard , premier Prevôt , Gou.
teyron, fecond Prevôt, Guinlette, fous - Doyen,
Dupuy , Membre de l'Académie des Scien
ces de Bordeaux , & de Chirurgie de Paris,
un des Chirurgiens Majors de l'hôpital, &
Profeffeur en Chirurgie , J. Garrelon , Perrochon
, Lafourcade , fils , Profeffeur & De
monftrateur Dutoga , Delorz ' , Chirurgien
de la marine , Mathereau , Larrieux , fils ,
Profeffeur & Démonftrateur en anatomie ,
Roudes , Dubruel , Profeffeur & Démonftrateur
de l'Ecole de Chirurgie , Baudu , Gemain
Vitrac , Belin Dupon, Boyer , Maître
en Chirurgie , Greffier commis .
{
i.
MA I. 1756. 203
Copie du Certificat de M. Pierre Faget de
Cafaux , Avocat en Parlement , Subdélégué
de l'Intendance de Guienne , au département
de Marmande.
Nous certifions que Catherine Faget de
Cafaux , notre fille aînée , âgée de vingtdeux
ans , ayant eu le malheur par la
chûte d'un attique d'une porte fur fa tête
de perdre totalement la vue de l'oeil droit ,
dans le mois de Novembre , attaquée d'une
maladie très- dangereufe , elle perdit la
vue du gauche , au moyen de quoi elle
devint totalement aveugle ; qu'ayant appellé
M. Beranger , Oculifte de Paris , qui
fe trouvoit dans la préfente ville où il avoit
été appellé pour guérir M. Labé Laliman
qui avoit un ulcere chancreux à la paupiere
inférieure de l'oeil droit , & qui avoit attaqué
une partie de la joue & du nez , par
les remedes & par les foins de mondit
fieur Beranger , madite fille a recouvert la
vue totale des deux yeux , au point qu'elle
eft actuellement en état de lire toute forte
de livres , ce que je certifie très véritable .
En témoin de quoi j'ai figné le préfent certificat
, auquel j'ai appofé le fceau de mes
armes. Fait à Marmande , le 10 du mois
de Décembre 1754.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Copie du Certificat du fieur Courregeolles &
de la Déclaration du fieur Larrieux.
Nous fouffignés , Maître en Chirurgie
de la ville de Marmande , & Chirurgien
ordinaire de l'hôpital , certifie que M. Beranger
, Maître Chirurgien & Oculifte
a fait ici différentes opérations de la cataracte
, par l'extraction du cryftallin , &
deux opérations de fiftules lacrymales , &
d'un ptérigion ; lefquelles dites opérations
ont été exécutées avec beaucoup d'habileté
, toute la dextérité & le fuccès imaginable
. En foi de quoi j'ai livré à M. Beranger
le préfent certificat , pour fervir & valoir
à telle fin que de raifon. A Marmande
ce premier jour de l'an 1755. Signé à l'original
Courregeolles , & plus bas.
>
Je déclare que toutes les opérations cideffus
mentionnées , ont été très - artiſtement
faites par le fieur Beranger , Chirurgien
Oculifte , en foi de quoi , & en vertu
de l'ordre de M. Balias , Maire Conful ,
ai figné le préfent Certificat. A Marmande,
le premier Janvier 1755. Signé à l'original
Larrieux.
MA I. 1756. 205
EXTRAIT
De la Séance publique de l'Académie des
Belles- Lettres de Caen , du Jeudi iz Février
1755.
M. Bocquet du Hautbocq lut une Differtation
fur les motifs de multiplier les
Académies.
M. Du Mefnil-Morin lut enfuite un
Effai fur les moyens de prévenir la cherté
des bois de chauffage & de conftruction
en Normandie, & particuliérement à Caën .
M. de Fontette , Intendant de Baffe-
Normandie , & Vice-Protecteur de cette
Académie , répondit ainfi à ces deux Difcours.
La derniere Differtation eft la preuve la
plus complette des principes avancés dans
la premiere ; & c'eft par cette raifon qué
j'ai cru ne les devoir pas féparer. Les Académiciens
provinciaux qui s'avifent de
manier la plume , font- ils les fléaux des
Lecteurs ? C'eft le fujet du premier Difcours.
Il femble que notre zélé Défenſeur
n'ait examiné cette question que pour
nous prouver qu'il mériteroit une exception
, quand même l'opinion qu'il a fi bien
combattue feroit vraie en général. Mais
206 MERCURE DE FRANCE.
elle doit être totalement détruite par l'importance
& l'utilité du fecond Difcours.
Qu'il eft à défirer qu'un fi rare exemple
foit fuivi pour l'honneur des Lettres &
pour l'avantage des hommes !
la
Les tréfors de la nature font inépuifables
, mais ils ne font ppaass les mêmes partout.
Les échanges entre les divers climats
réparent cette inégalité. Ce n'eft pas allez,
il faudroit échanger nos connoiffances ,
maniere dont nous avons fait des découvertes
, les moyens que nous avons employés
pour donner un prix aux richeſſes
que la terre n'accorde qu'aux foins infatigables
d'un Art ingénieux.
Si dans chaque Académie on rendoit
compte du fuccès des expériences particulieres
à chaque Province , on les tenteroit
partout un grand nombre réuffiroit au
moins en procurant de nouvelles découvertes
, & les gens de Lettres auroient le
triple avantage d'inftruire les hommes , de
les amufer & de les enrichir. Notre Province
plus fertile que toute autre , contribueroit
plus à l'utilité de l'univers. Mais
quelque riche que foit notre terroir , il
eft encore bien des parties incultes que les
différentes dépopulations ont fait aban
donner. Il feroit avantageux de les défricher
, quand il n'en réfulteroit pour nous
MA I. 1756. 207
qu'un fuperflu néceffaire à nos voisins.
Mais on vient de démontrer que nous
manquons de bois . L'on a obfervé que nous
n'avons pas la reffource de la tourbe. Je
n'adopterai pas ce qu'on a dit fur le peu
d'abondance de notre mine de charbon ..
Jufqu'à préfent elle a été proportionnée à
l'emploi qu'on en a fait . Le préjugé que
celui d'Angleterre eft fupérieur , fortifié
par quelques veines de mauvaife qualité ,
dont on n'auroit pas dû faire ufage , a
prefque fait échouer une entreprife li importantes
mais les différentes expériences
que j'ai fait faire ici en ma prefence &
dans les ports de Cherbourg & de Granville
en préfence de mes Subdélégués , ont
établi une concurrence de qualités entre le
charbon d'Angleterre & le nôtre , qui par
conféquent mérite toute préférence. S'il
prend faveur , comme il y a tout lieu de
l'efpérer , les Entrepreneurs font en état,
de faire face à la plus grande confomma,
tion ; & peut-être que le bois devenant
plus rare , à l'exemple des pays où il manque,
totalement , le peuple fe porteroit à
brûler du charbon de terre , même pour
les ufages ordinaires de la vie . Mais fi ces
réflexions que j'ai cru devoir faire en faveur
d'une mine auffi intéreffante , détruifent
un des motifs , qui établiffent la né-
1
a
208 MERCURE DE FRANCE..
ceffité de planter des bois , j'en trouve un
autre bien décifif dans l'efpérance próchaine
du rétabliſſement de la Navigation de
la riviere d'Orne . Aujourd'hui , malgré la
difficulté de faire fortir les navires , les
Commerçans du Havre & d'autres Ports
nous donnent la préférence pour la conftraction
, parce que nos bois font d'une
qualité fupérieure. Combien ne feroientils
donc pas recherchés , lorfque la facilité
de la Navigation nous invitera à porter
directement notre fuperflu & chercher
nos befoins , foit dans les ifles , foit dans
les différens Ports du Royaume ? Ce commerce
, quoique borné , puifqu'il ne peut
jamais regarder qu'une partie de cette généralité
, eft affez étendu pour
faire renchérir
extrêmement les bois de conftruction
à mesure qu'ils s'épuiferont dans'
les environs de la Ville , le progrès des
grands chemins nous en procurera fans
doute de la baffe Province. Mais peut - on)
fe Alatter que cette reffource foit fuffifante'
même pour attendre le moment de jouir
des plantations qu'on propofe de faire ? Il
n'y a donc pas un moment à perdre , & il
faut profiter promptement de fages confeils
qu'on vient de nous donner! L'Hiftoi - ¹
re de la Province a prouvé qu'elle étoit
autrefois couverte de bois d'où il s'enMA
I. 1756. 209
fuit que nos efpérances ne feront pas trompées
, fi nous voulons planter les landes ,
dont faute de Cultivateurs le Souverain &
les Seigneurs ont abandonné l'ufage , &
même la propriété à des Communautés ,
qui étant forcées d'en jouir par indivis ,
n'en tirent qu'un foible fecours pour leurs
beftiaux . L'on a très-bien obfervé que les
troupeaux les plus gras & les plus nombreux
font dans les pays où il n'y a où il n'y a point
de landes , on peut même ajouter que les
pacages feront meilleurs dans les bois , qui
n'en fouffriront pas fi l'on a foin de faire
exécuter l'Ordonnance des Eaux & Forêts
qui défend d'entrer dans les taillis au deffous
de cinq ans ; & cette gêne ne feroit
pas de longue durée fi l'on deftine les nouveaux
plans à être élevés en futaie. La feule
difficulté pour l'exécution d'un fi beau
projet confifte donc à prouver , que s'il eſt
utile au Public , il ne l'eft pas moins aux
particuliers qui l'entreprendront. Pour y
parvenir on a démontré par un calcul qui
me paroît très-jufte , que le bénéfice des
trois recoltes qui fuivront le défrichement,
excédera la dépenfe des femis & plantations
qu'on doit faire la quatrieme année :
mais on a bien fenti qu'un fi foible profit
n'étoit point fuffifant pour
déterminer un
défrichement par indivis de la part de
210 MERCURE DE FRANCE.
chaque Communauté propriétaire des lan
des , & à plus forte raifon de la part de
celles qui ne font que fimples ufageres .
C'eft à cette réflexion judicieufe que
nous devons le fyftême de rendre toutes
les Communautés propriétaires , & de divifer
cette propriété entre tous les particuliers
qui les compofent . On a indiqué
les moyens les plus fimples pour faire ces
partages , qui feront naître , pour ainfi
dire , de nouveaux fonds dans l'Etat , fujets
comme les autres au vingtieme , à la
taille & aux droits de cafualité auxquels
les ventes & les hérédités donnent ouverture.
Ces nouveaux produits confidérables
dédommageront bien le Roi d'un foible
droit d'ufage , dont on défire la fuppreffion.
Tel eft en peu de mots le plan de la
nouvelle loi agraire qu'à l'exemple des Romains
on propofe de promulguer , & dont
on ne peut trop louer l'équité. Mais elle
préfente quelques difficultés & quelques
inconvéniens que je me crois obligé de
relever. Les droits d'ufage dont la plûpart
de ces fonds incultes font chargés , ne font
pas à la vérité repréſentatifs de leur propriété.
Ils ont été établis comme une conféquence
de la maxime que nulle terre fans
Seigneur. Ce font donc des véritables rentes
feigneuriales qui font partie du DoMA
I. 1756.
211
maine , & qui ne peuvent s'éteindre comme
on le propofe. A l'égard des landes
où le Roi ne peut rien prétendre , & dont
les Communautés font propriétaires , ou
ufageres , à titre onéreux ou gratuit , il
faut diftinguer ; fi c'eft à titre gratuit , le
Seigneur peut réclamer le tiers. Que de
Procès à inftruire & à faire juger avant
que de pouvoir commencer à planter ! fi
elles font propriétaires ou ufageres à titre
onéreux , ce qui vaut propriété , on peut
procéder promptement au partage ; mais
qui fera les avances néceffaires , foir pour
les frais d'arpentages , foit pour élever des
pépinieres , foit pour les charrues d'une
nouvelle invention qu'on exige pour le
fuccès du défrichement ? Comment avoir
égard à l'inégalité du terrein dans le
tage ? & n'est- il pas à craindre que le pay
fan ne laiffe en friche le mauvais terrein .
qu'il aura dans fon lot ? De plus , que de
terrein perdu par les foffés de féparation.
pour diftinguer les propriétés Enfin perfonne,
n'eft exempt de préjugés , & les
payfans en ont deux difficiles à vaincre ;
l'un eft de n'être touchés que du préfent ,
& de ne vouloir rien facrifier pour un
avantage éloigné ; l'autre eft que plus ils
feront riches , & plus ils payeront de tailles.
par
212 MERCURE DE FRANCE.
moins bon
pas
Je fçais bien qu'on peut leur faire envifager
que le pacage dans les bois n'eft
que dans les landes , & que ces
nouveaux fonds acquis feroient exempts
de toutes charges pendant un laps de temps
confidérable. Mais je ne fçais fi cette efpérance
pourroit vaincre leur méfiance
naturelle D'où je conclus que pour parvenir
à la plantation des landes , il faut
chercher les moyens de les faire fortir des
mains des Communautés fans léfer les particuliers
qui les compofent ; je crois mê
me qu'on peut faire fortir des mains du
Roi les landes dont il eft propriétaire, fans
donner atteinte aux droits du Domaine
qui eft inaliénable.
Voici les idées qui m'ont paru le mieux
remplir cet objet.
A l'égard des landes dont le Roi a , ou
peut prétendre la propriété , Sa Majefté
peut les inféoder comme elle a fait celles
de Cormelles , par Arrêt du Confeil du 25
Septembre 1753 , revêtu de Lettres Patentes
enregistrées le 9 Août 1755 , &c.
& elle peut en attacher la jouiffance à la
postérité, ou ayant caufe de ceux qui prendroient
l'inféodation , avec ftipulation
qu'elle ne pourroit être defunie par venre
, partage , ou autrement , & qu'elle ne
feroit reverfible au Domaine , qu'en rem
MA I. 1756. 213
bourfant les impenfes & améliorations.
Il est évident , 1 °. que les droits de la
Couronne ne feroient pas léfés. 2 °. Que
les Acquéreurs qui planteront, feront, pour
ainfi dire , poffeffeurs incommutables , &
qu'ils placeront dans leurs familles un bien
qui tiendra de la nature des fubftitutions
inconnues dans cette Coutume.
A l'égard des autres landes , il faut diftinguer
celles qui appartiennent aux particuliers
d'avec celles qui appartiennent aux
Communautés . Quant à celles- ci , il faut
d'abord remarquer que ce ne font pas les
gros Fermiers ou propriétaires qui profitent
du pacage des landes , & que cela
n'intéreffe véritablement que les pauvres ,
qui n'ont aucune exploitation , ou du.
moins de fi petites , que fans le fecours des
landes ils ne pourroient entretenir la vache
qui nourrit leur famille . Il ne s'agit
donc que de laiffer en nature de landes la
portion qui leur eft néceſſaire , & d'affranchir
la Paroiffe du paiement des droits.
d'ufages ou rentes feigneuriales dont on
chargeroit celui qui accepteroit la proprié
té des landes pour les planter , & la portion
de landes réfervée pourroit être plantée
par la fuite , lorfque les nouveaux bois
feroient en âge de fouffrir le pacage.
Les landes défrichées n'étant affujetties
214 MERCURE DE FRANCE.
qu'aux droits d'ufage , ou rentes feigneuriales
, & affranchies de toute impofition
pendant un laps de temps confidérable , il
eft fenfible que chacun s'emprefferoit de
demander la préférence pour les planter ,
& il feroit jufte de la donner aux Seigneurs
, qui en faveur de cette préférencé
s'obligeroient de planter pareillement le
tiers qu'ils y pourroient prétendre , ainſi
que les autres landes dont ils feroient
priétaires. La même regle devroit avoir
lieu pour tous les particuliers , qui au défaut
des Seigneurs entreprendroient de
planter les Communes.
pro-
Quant aux landes qui appartiennent ,
foit aux Seigneurs , foit aux particuliers ,
pourroit - on en ordonner la plantation
dans le cas où ils ne prendroient point
l'inféodation des Communes ? Je pense que
cela ne feroit pas jufte , & qu'on peut feulement
les aftreindre au défrichement &
à la culture dans un certain délai & fous
peine d'en être privés , bien entendu qu'ils
ne pourroient pas abandonner les terres
anciennement cultivées , pour jouir de la
franchiſe d'impofitions , plus ou moins
longue , qu'on pourroit accorder pour les
terreins nouvellement défrichés . La raifon
de cette différence eft fenfible. On peut
dire que ce qui appartient à tout le monde
ΜΑΙ. 1756 . 215
"
n'appartient à perfonne. Le Roi difpofe
d'une Commune , & la condition de planter
étant le feul prix de la propriété acquife
n'eft point injufte. Elle la feroit donc
pour le particulier qui eft propriétaire . Il
doit avoir la faculté de difpofer de fon
bien , pourvu qu'il le cultive . L'homme eft
né pour la fociété , & il y doit contribuer
de fa perfonne & de fa fortune. Il n'eft
pas obligé d'avoir un état plutôt qu'un autre
, d'avoir fes terres en herbages plutôt
qu'en bled ; il doit fuivre fon goût avce
toute liberté. Mais s'il laiffe en friche fes
biens ou les talens , il eft coupable envers
l'Etat , à moins qu'il n'ait des excufes légitimes
, & la feule pour ne pas cultiver
Les terres eft l'impuiffance de faire des
avances quelquefois confidérables ; c'eft
donc ne le priver de rien que
férer la propriété à celui qui les fera , c'eſt
feulement reftituer à la Société les richeffes
dont elle étoit privée. Cependant, pour
dédommager le particulier , ou la Communauté
de la propriété dont on la dépouille
, il feroit jufte de faire à leur profit
une adjudication des landes qui en feroient
l'objet , moyennant une rente fonciere
qui feroit fixée par le plus offrant &
dernier enchériffeur.
d'en trans-
Qu'il me foit permis de réfumer en pey
216 MERCURE DE FRANCE.
de mots les avantages que préfentent les
moyens que je viens d'avoir l'honneur de
vous expliquer.
·
1º. Toutes les landes feroient défrichées ,
à la réferve de quelques cantons néceffaires
pour les beftiaux des pauvres. 2 °. Sans
bleffer les droits du Roi , les landes qui
lui appartiennent , auroient à peu près le
même fort que celles qui ne font pas domaniales.
3. Chaque lande pourroit n'appartenir
qu'à une feule perfonne , ou fi
l'on étoit forcé de la partager ce feroit
entre un fi petit nombre de gens qu'il n'y
auroit prefque point de terrein perdu pour
la féparation des propriétés , que l'inégalité
dans la qualité des terreins fe trouveroit
compenſée , & qu'il feroit poffible de
donner à chaque canton de landes la décoration
& les agrémens d'une forêt. 4°.
Les Seigneurs , ou à leur défaut les particuliers
qui fe chargeroient des plantations ,
feroient en état de faire des avances , &
travailleroient promptement; en un mot, je
crois dans les vues que je prends la liberté
de propofer avoir évité les inconvéniens
que j'ai hafardé de relever ; peut-être fuisje
tombé dans d'autres plus confidérables ?
C'eft le fort de tous les fyftêmes ; & le
mien aura toujours le défavantage d'avoir
été produit par le premier. C'eft donc à
l'imagination
MA I. 1755. 217
l'imagination de fon Auteur que je dois
mes réflexions , fi elles font juftes . Si elles
ne le font pas , je ne peux m'en prendre
qu'à moi-même ; mais ne doit-on pas facrifier
les intérêts de fon amour - propre
pour effayer d'être utile à ſa patrie.
Je finis par une remarque effentielle.
Le défrichement des terres incultes eft
un objet fi important qu'on peut être furpris
qu'il ait échappé à la fageffe du grand
Colbert & de fes fucceffeurs ; qu'il foit
traité dans une Académie de Belles - Lettres
, & que je me fois livré à fa difcuffion
, malgré la place que j'ai l'honneur
de remplir dans la Province . Mais fi
l'on y veut faire attention , j'efpere qu'on
ne trouvera ni négligence de la part du
Gouvernement , ni indifcrétion de la
mienne. Un ſyſtème général dont l'effet ,
quoiqu'utile , peut bleffer d'anciens préjugés
, quoique mal fondés , eft rarement
fuivi , foit par les oppofitions que l'on rencontre
, foit par les inconvéniens que l'on
découvre. Il faut donc penfer que nous
ne voyons pas les grandes difficultés
peut-être infurmontables , qui ont frappé
fans doute les vues fupérieures d'un Miniftere
éclairé. Mais on voit tous les jours
que les circonstances forment des établiffemens
particuliers , qui de proche en pro-
K
>
218 MERCURE DE FRANCE.
che deviennent généraux , & que le Gouvernement
accorde volontiers ce qu'il eft
de fa prudence de ne pas ordonner. D'après
cela j'ai pensé qu'une Differtation publique
pourroit ouvrir les yeux fur les
avantages du projet. J'ai propofé les
moyens qui m'ont paru les plus juftes.
Mes idées peuvent en faire naître de
meilleures ; & fi quelqu'un vouloit tenter
d'en faire ufage , peut-être que fes
demandes ne feroient pas rejettées par le
Confeil , & je m'eftimerois fort heureux
de pouvoir contribuer comme homme pu
blic , à faire réuffir un projet utile à l'Etat ,
que je n'ai difcuté que comme bon Ci
toyen.
2
MAI. 1756. 219
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
SIX S
MUSIQU E.
IX SONATES Compofées dans le goût
Italien , & ajuſtées de façon , qu'elles fe
peuvent jouer en folo , duo & trio , à l'ufage
de tous les inftrumens à corde & à
vent , avec la baſſe chiffrée , dédiées à
Madame la Vicomteffe de Caftelane ;
par M. Atys , Maître de Flûte. Euvre
deuxieme , prix 6 liv . A Paris , chez l'Auteur
, rue des Boucheries Saint Honoré ,
& aux adreſſes ordinaires pour la Mufique.
GRAVURE.
LBE
fieur Pelletier vient de mettre au
jour les Voyageurs , qu'il a gravés d'après
Vauvermans. Ils font tirés du cabinet de
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
M. de Givaudan , Secretaire d'Amballade
de Malthe , & fe vendent à Paris chez
l'Auteur , rue S. Jacques , chez un Limonadier
, vis- à- vis la rue des Noyers , prix
24 fols.
Nous annoncerons en même tems le
Fumeur gravé par Madame Pelletier ,
femme du Graveur que nous venons de
nommer. Cette nouvelle Eftampe ſe trouve
auffi chez lui . Prix 15 fols. On donnera le
pendant inceffamment.
>
Le Chevalier de Beaurain , Géographe
ordinaire du Roi , donne avis au Public
qu'il vend deux grandes Cartes Topographiques
, l'une de l'Ifle Minorque , où
l'on voit les parties efcarpées de la côte &
les parties baffes fufceptibles d'une defcente
; l'autre Carte repréfente en grand
détail le Port Mahon , avec toutes les fondes
& profondeurs , la ville de Mahon
le Fort Saint Philippe qui défend l'entrée
de ce port avec le profil des fortifications ,
ainfi que les nouveaux ouvrages que les
Anglois y ont fait conftruire. On y a joint
une defcription fort détaillée tirée des
mémoires faits fur les lieux , tant du dedans
de l'Ifle que de la navigation fur la
côte, dédiée & préfentée au Roi . On trouvera
encore chez lui l'Ifle Majorque , avec
MA I. - 1756.
221
pareils détails. Le Chevalier de Beaurain
demeure rue Pavée , la premiere porte à
gauche , en entrant par le quai des Auguftins
44
,
"
M. Bellin , Ingénieur de la Marine ;
connu par cette belle fuite de Cartes réduites
qu'il a dreffées pour le fervice des
Vaiffeaux du Roi , a publié en 1740 une
Carte particuliere des Ifles Baleares ; comme
ce morceau eft peu connu nous
croyons , dans les circonftances préſentes
faire plaifir au Public de l'annoncer ici , &
d'inférer une Lettre que cet Ingénieur a
fait imprimer alors , dont il n'y a eu qu'un
très- petit nombre d'exemplaires de répandus
, & qu'on ne trouve plus aujourd'hui.
Lettre de M. B.... Ingénieur de la Marine ;
M... de l'Académie Royale des Sciences.
VOILA , Monfieur , la Carte des Ifles
de Majorque , Minorque & Yvice , que
j'ai eu l'honneur de vous faire voir , qui
eft enfin gravée , & qui devient publique,
pour ainfi dire , malgré moi. Je l'avois
dreffée il y a quelque tems pour mon inftruction
particuliere, & avec d'autant plus
de plaifir , qu'aucun de nos Géographes
n'avoit travaillé fur ces lles ; mais peu ja
K iij
222 MERCURE DE FRANCE.
loux de ce petit morceau , je le communiquai
alors à quelques perfonnes , quoique
je n'y euffe pas encore mis la derniere
main : c'en étoit cependant affez pour moi;
& cette Carte auroit refté dans l'oubli ,
fans que j'euffe penſé à l'èn, tirer , malgré
la fituation préfente des affaires de l'Eu
rope , qui fait jetter les yeux fur ces Ifles ,
fi je n'avois appris qu'il s'en étoit répandu
quelques copies peu exactes & même défigurées
, fur lefquelles on commençoit à
faire graver ; dans ce cas je me fuis trouvé
forcé de prévenir l'ufage qu'on en vouloit
faire , & ne pouvant l'empêcher de paroître
, j'ai cru qu'il valoit mieux la donner
moi - même , & tâcher de la rendre la plus
exacte qu'il me feroit poffible . Je l'ai donc
travaillée de nouveau , & j'y ai ajouté tous
les détails que j'ai pu raffembler , tant pour
le contour & le giffement des Côtes , que
pour l'intérieur du Pays ; de forte que
cette Carte eft très- différente de celle dref
fée par les fieurs Ottens , & que les Jurats
de la Ville de Majorque ont fait mettre au
jour auffi je ne doute point que fi vous
venez à la comparer avec la mienne , des
différences auffi confidérables ne vous étonnent
; mais il ne fera pas difficile de nous
juger , lorfque je vous aurai fait connoître
les Mémoires fur lefquels j'ai travaillé , &
MA I. 1756. 223
les principales remarques & obfervations
dont je me fuis fervi.
En 1680 le fieur Pêne , Ingénieur , fut
envoyé par le Roi aux Ifles de Majorque ,
Minorque & Yvice , pour prendre une
connoiffance exacte du contour , étendue
& fituations des Côtes , lever les plans des
Ports , Rades & Mouillages , & y faire le
plus d'obfervations qu'il feroit poffible.
Les Cartes & les Plans que cet Ingénieur a
fait en conféquence , compofent un grand
Volume in-folio qui eft au dépôt ; on a
auffi fes Mémoires.
En 1699, huit Galeres commandées par
M. de Pontevés , Chef d'Efcadre , ont été
aux fles de Majorque & de Minorque ,
dont elles ont parcouru prefque toutes les
Côres, & mouillé dans la plupart des Ports.
On a au dépôt les Journaux des Pilotes
de cette Efcadre ; ils font remplis de remarques
fur les giffemens & les diftances
d'un lieu à un autre , de latitudes obfervées
auprès des principaux Caps , & de
defcriptions particulieres des Ports &
Mouillages.
En 1733 le fieur Ayrouard , Pilote des
Galeres , envoyé pour la vifite des Côtes
de France & d'Espagne dans la Méditerranée
, a paffé enfuite à l'Ifle d'Yvice & à
celle de Majorque ; il a pris des hauteurs
K iv
224 MERCURE DE FRANCE.
à terre avec un quart de cercle de deux
pieds de rayon , il a eftimé plufieurs diftances
avec préciſion , il a relevé tous les
points qu'il a pu voir , & obfervé les aires
de vent fur lefquels ils giffoient.
Ny
Voilà d'excellens matériaux , fans parler
de plus de trente Journaux des différens
Vaiffeaux du Roi qui ont fréquenté ces
Ifles , & qui font remplis de remarques
fur diverfes parties de leurs Côtes , dans
le détail defquelles je n'entrerai point ,
parce que je n'ai point deffein de faire l'analyfe
de ma Carte , & qu'il fuffit qu'on
fçache que les changemens que j'ai faits
font appuyés , & que je fuis en état d'en
rendre compte ; mais je ne puis me diſpenfer
d'indiquer quelques-unes des corrections
effentielles que j'ai faites à la Carte
des fieurs Ottens.
Commençons par l'Ile de Majorque.
On voit dans leur Carte que la Côte Septentrionale
de cette Ifle a vingt lieues de
long ; j'ai été obligé d'en retrancher près
d'un tiers , n'y ayant que quatorze lieues
du Cap Fromentelly à l'Ifle des Dragonieres
. Cette correction eft conftatée
par plufieurs
Navigateurs qui ont relevé ces deux
Caps en même tems à différens aires de
vent & de différentes diftances , & ces relevemens
fe font trouvés quadrer avec des
MA I. 1756. 225
8
latitudes fûres des Dragonieres & du Cap
Fromentelly.
La largeur de l'lfle n'eft pas plus exacte,
on la voit de quatorze lieues au moins ; je
l'ai reduite à dix lieues au plus. Dans la vi-
-fite du fieur Ayrouard en 1733 , on trouve
le giffement de tous les Caps depuis les
Dragonieres jufqu'à l'lfle Cabraire , qui eft
la partie la plus Méridionale de Majorque ;
de forte qu'affujettiffant ces giffemens aux
.latitudes que l'on a des Dragonieres , de
la Ville de Majorque & de l'Ifle Cabraire,
toute la partie du Sud - Ouest de l'Ifle fe
trouve déterminée avec jufteffe , & par
conféquent on a la véritable largeur de
l'ifle.
Voilà , Monfieur , un changement bien
confidérable , puifque cette Ifle qui , felon
ces Géographes , avoit deux cens quatrevingts
lieues de fuperficie , fe trouve n'en
avoir que cent quarante au plus . Je ne
parle pas de la configuration des Côtes &
des Baies qui eft ici toute différente. Il y
a au Dépôt plufieurs Plans particuliers
levés en différens tems , de la Baie de
Majorque, de celles d'Alcudy & de Poyance
, & c. dont je me fuis fervi ; obfervant
de marquer par de petites ancres tous les
lieux où l'on peut mouiller , & j'ai mis
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
dans beaucoup d'endroits la quantité de
braffes d'eau qu'on y trouve.
A l'égard de l'intérieur de l'Ifle , j'aurois
ſouhaité être auffi bien guidé ; mais
-il s'en faut beaucoup : cependant je puis
affurer que je n'ai rien négligé pour raffembler
les connoiffances poffibles. J'ai eu
communication d'une très- grande Carte
de l'Ifle de Majorque , dreffée lorsque nos
troupes y furent en 1715 fous le commandement
de M. d'Asfeld , où toutes les Villes
, Bourgs & Villages font affez bien détaillés
; je l'ai confrontée avec quelques
Mémoires particuliers , & je l'ai affujettie
à la plus jufte étendue de l'Ifle : c'est tout
ce que j'ai pu faire de mieux quant à préfent.
Les corrections de l'Ifle Minorque font
encore plus confidérables .
1º La Carte des fieurs Ottens ne met
que quatre lieues de l'Ifle de Majorque à
celle de Minorque. Il eft conftant que les
Caps les plus voifins dans ces deux Ifles ,
font au moins à huit lieues l'un de l'autre.
2º Elle donne plus de dix lieues de longueur
à cette Ifle qui n'en a que fept.
3º Elle y eft jettée prefque Eft & Ouest,
au lieu qu'elle gît Sud- Eft & Nord- Oueft .
4° Le contour des Côtes eft entiérement
négligé , les Ports & les Caps n'y font pas
MAI. 1756. 227
dans leur véritable pofition , leurs noms
même y font confondus : on y voit deux
Caps Bajoly à quarre lieues l'un de l'autre
: tous les Navigateurs fçavent qu'il n'y
en a qu'un qui porte ce nom , qui eft la
pointe la plus Septentrionale de l'Ile .
L'intérieur n'eft pas mieux ; on y trouve
Aleors & Leon comme deux endroits différens
à deux lieues l'un de l'autre on
fçait qu'il n'y a dans l'lfle de Minorque
qu'un feul endroit qui porte le nom d'Aleors
ou Leors ; on fçait encore que
Villanove eft l'affemblage de vingt out
trente hameaux voifins très - peuplés , que
ce lieu eft dans la partie Septentrionale de
l'Ifle , peu éloigné de Port Fornelle ; cette
pofition n'eft point dans la Carte des fieurs
Ottens , mais elle marque Villanove dans
la partie Méridionale de l'Ifle, fur la pointe
qui forme l'entrée de Port- Mahon , lorfqu'il
n'y a fur cette pointe qu'une batterie
& quelques retranchemens connus fous le
nom de Fort Philipe.
Il y a au dépôt des Plans particuliers
où l'intérieur du Pays eft affez bien détaillé
: ils ont été faits en 1707 , lorfque nous
envoyâmes des troupes pour foumettre
cette Ifle qui s'étoit révoltée : on a auffi
les Journaux des Vaiffeaux du Roi qui
furent employés à cette expédition.
K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
L'Ifle d'Yvice n'eft ni auffi confidérable ,
ni auffi peuplée que celle de Minorque :
mais en exige - t'elle moins d'attention ? Sa
fituation par rapport à la Côte d'Eſpagne
& à celle de Barbarie , & la rade des Fromentieres
qui eft bonne & commode pour
les plus fortes Efcadres , la rendent importante
: pourquoi donc cette Ifle a- t'elle
été fi fort négligée dans les Cartes ? Vous
ferez furpris de voir jufqu'à quel point
elle l'eft dans la Carte des fieurs Ottens .
1. Elle met cette Ifle à huit lieues de
celle de Majorque ; c'est un fait conftaté
par tous les Navigateurs , qu'elle en eft
éloignée de lieues.
14
2º. La pointe du Nord d'Yvice , &
l'Ile des Dragonieres y giffent prefque
Nord & Sud ; au lieu que leur giffement
eft Nord- Eft & Sud - Oueft . Il a été observé
par le fieur Ayrouard en 1733.
3 ° . L'Ifle y eft jettée Eft & Queſt , ou
peu s'en faut , avec fept à huit lieues de
largeur ; elle n'en a que quatre au plus ,
& elle gît Nord , Nord- Eft , & Sud- Sud-
Oueſt.
4. Aucun endroit n'y eft mis par fa
véritable latitude . Les Ifles Conillaires y
font douze minutes , qui valent trois
grandes lieues , plus feptentrionales que
l'ifle de Tagomago, tandis qu'elles font au
MAI. 1756. 229
moins dix minutes plus méridionales que
Tagomago , de forte que la route des Conillaires
à la pointe orientale d'Yvice , qui
doit être le Nord- Nord- Eft , fe trouveroit,
fuivant cette Carte , être l'Eft -Sud-Eft :
jugez , Monfieur , quelle différence il réfulte
de ces corrections , & combien la
figure de cette Ifle doit changer.
Je crois qu'il eft inutile de difcuter
les autres points qui vous frapperont aifément
, étant les fuites néceffaires des remarques
précédentes : mais je vous prie
de faire quelque attention à toute la partie
orientale d'Yvice , & furtout à cette belle
rade, qui eft l'lfle Fromantiere & l'Ifle Fromenton
, dont la Carte des Sieurs Ottens
ne donne pas la moindre idée , bien loin
de la détailler autant qu'elle l'exige : elle
eft trop fréquentée par nos Vaiffeaux pour
n'être pas exactement connue ; ainfi l'on
peut avoir quelque confiance à ce qu'on en
trouve ici , de même qu'à toute la partie
orientale d'Yvice , dont il y a au dépôt une
très- grande Carte levée fur les lieux en
1688 , par le Sieur Bouguer, Hydrographe ,
& qui a pris des hauteurs fur les principaux
Caps.
Je ne ponfferai pas cette difcuffion plus
loin ; elle me paroît fuffifante pour vous
faire connoître que je n'ai point travaillé
230 MERCURE DE FRANCE.
au hazard , & que ce n'eft point non plus
fur un petit nombre de Mémoires fufpects
& fouvent peu fideles , comme il n'arrive
que trop en géographie ; mais fur une
quantité prodigieufe d'obfervations de différentes
natures qui fe fervent mutuellement
de moyens, de comparaifon & de critique
, & dans la réunion defquelles on
trouve le vrai.
que
Malgré ces avantages, je fuis bien éloigné
de croire cette Carte fi parfaite : outre
qu'on n'eft pas également éclairé fur toutes
les parties , mille circonftances peuvent jetter
dans l'erreur. C'eft dans cette idée
je recevrai avec plaifir les avis de ceux qui
peuvent connoître ces Ifles , & qui voudroient
me faire part de leurs lumieres .
Les vôtres , Monfieur, font fi fupérieures en
tout genre , que je m'eftimerois très- heureux
fi vous étiez content de ce petit morceau
de Géographie que j'ai taché de rendre
intéreffant dans la conjoncture préfente :
pour cet effet j'ai ajouté dans un des vuides
de la Carte une petite partie de la Mer Méditerranée
, depuis le détroit de Gibraltar
pour faire voir la fituation des Ifles de Majorque
, Minorque & Yvice , par rapport
aux côtes de France , d'Efpagne & à celles
de Barbarie.
ན་
J'y ai joint auffi un plan particulier du
'M A I. 1756. 237
Port Mahon : comme ce Port eſt un des
plus beaux de l'Europe & qu'il eft fitué
dans l'Ile de Minorque , je crois qu'on ne
fera pas fâché de le trouver en même temps
fous les yeux : je ne vous dirai rien fur ce
plan ; car ma lettre n'eft déja que trop longue
, mais je puis vous affurer qu'il eft
détaillé avec foin , & qu'on peut y avoir
quelque confiance .
J'ai l'honneur d'être , &c.
A Paris , le 2 Mars 1740.
M. Bellin demeure rue du Doyenné , à la
-premiere arcade de S. Louis du Louvre.
ARTS UTILES.
HORLOGERIE.
LETTRE de l'aîné des fils de M.Julien ,
le Roy , de l'Académie Royale d'Angers ,
à M. de Boilly.
i
Onfieur , il a paru tant d'écrits fur
PHorlogerie depuis quelques années , que
j'ai craint que le Public ( qu'on doit toujours
refpecter ) n'en fût fatigué . C'eſt ce
qui m'a fait différer jufqu'ici de vous prier,
232 MERCURE DE FRANCE.
Monfieur , d'annoncer dans votre Journal
une pendule d'une efpece entiérement nouvelle
que j'ai inventée il y a long- temps , &
que je préfentai à l'Académie des Sciences
il y a un an . J'aurois encore remis à vous.
demander cette faveur fi des amis ne m'y
avoient comme forcé : ils m'ont dit que
c'étoit pouffer l'indifférence trop loin ;
d'autant plus que cette pendule pouvant
par fa grande fimplicité être facilement
imitée , comme elle l'a déja été avec fuccès
par M. le Mazurier , habile Artifte ; je ne
devois pas laiffer ignorer plus longtemps
au Public qui en étoit l'Auteur. C'eft uniquement
ce qui me détermine aujourd'hui
à avoir l'honneur de vous écrire , pour
vous prier d'inférer dans le Mercure le certificat
de l'Académie fur cette pendule : il
contient tout à la fois , & la preuve de ce
que j'avance fur fon invention & fa defcription
. En effet , pour s'en former une
idée complere , il fuffit d'ajouter à ce qui
eft dit dans ce certificat , que le menu
plomb coule d'un réfervoir dans les augets,
& lorfqu'il le faut , & dans la quantité requife
, au moyen d'une vanne mue par la
quadrature. Je pourrois m'étendre ici (comme
je l'ai fait dans le Mémoire que je lus
à l'Académie au fujet de cette pendule )
fur fes avantages & fur les applications
M A I. 1756. 233
qu'on peut faire de fon moteur aux groffes
horloges de clocher ou autres , & aux petites
pendules de Bureau ; mais je crois en
avoir affez dit pour les vrais juges en ces
matieres.
Je terminerois ici cette lettre , fi je ne me
trouvois obligé d'ajouter encore un mot
au fujet des pendules à une roue , & de
celles de la nouvelle conftruction qu'on
pourroit faire dans la fuite , c'eft de prier
qu'on ne m'attribue point les défauts &
les inconvéniens qui pourroient fe rencontrer
dans ces différentes pendules faites ou
décrites par d'autres . Parce d'autres. Parce que quoiqu'une
conſtruction & un principe foient trèsbons
en eux- mêmes , il peut arriver , & il
n'arrive même que trop fouvent que par
le mauvais ufage ou la mauvaiſe application
qu'en fait un Artifte peu éclairé , il
fait une machine pire que s'il avoit fuivi
les routes ordinaires : de plus , j'efpere
mettre dans quelque temps le Public dans
le cas de me juger fur mes propres ouvrages
, comptant donner dans peu un traité
complet des pendules à une roue , & de
celles de la nouvelle conftruction .
J'ai l'honneur d'être , &c.
A Paris , ce 12 Avril 1756.
134 MERCURE DE FRANCE.
1
Extrait des Regiftres de l'Académie Royale
des Sciences , du 10 Décembre 17.55.
Meffieurs Camus , de Montigny , & de
Parcieux qui avoient été nommés pour examiner
une pendule préfentée le 23 Avril
dernier par M. le Roy fils , de l'Académie
Royale d'Angers , dans laquelle il emploie
pour moteur une petite quantité de menu
plomb qui fe renouvelle environ trois fois
par heure dans des augets attachés à un ruban
paffant fur la poulie de la roue d'échappement
, qui eft unique dans cette pendule
comme dans celle dont l'Horlogerie eft redevable
au même M. le Roy , en ayant fait
leur rapport , l'Académie a jugé que cette
conſtruction, au moyen de laquelle on peut
augmenter , prefque à volonté , le temps
pendant lequel une horloge peut aller fans
être remontée , fans multiplier le nombre
des roues , ni celui des dents , & fans Y
ajouter aucune autre chofe qu'une plus
grande quantité de ce menu plomb qui lui
fert de moteur , étoit bien imaginée , &
que la piece préfentée par M. le Roy , ne
laiffoit rien à défirer du côté de l'exécution
, & méritoit fon approbation . En foi
de quoi , j'ai figné le préfent certificat , à
Paris , ce 19 Décembre 1755.
Grandjean de Fouchy , Sec . de l'As . R.
MA I. 1756. 235
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Monfieur , comme vous vous faites un
plaifir d'annoncer au Public tout ce qui
peut lui être de quelque utilité , j'efpere
que vous voudrez mettre ma lettre dans
un des premiers Mercures. Il s'agit de faire
connoître au Public des fontaines de
cuivre qui ne font point fujettes au verdde-
gris , & quelques ouvriers qui les font.
Vous fentez combien une fontaine mal
étamée , ou dont l'étamage eft ufé , eeflt
dangereufe , fi on fait ufage de l'eau qui y
aura féjourné quelque tems , ou fi ayant
refté quelque tems fans eau , on fait ufage
de la premiere eau qu'on y met fans la
bien laver ; & qui eft- ce qui peut s'affurer
qu'on prendra fes foins ? Combien de maladies
viennent de cette caufe , difent les
Médecins , & qu'on ne le foupçonne pas ,
parce que le verd- de- gris s'y trouvant en
petite dofe n'agit que tard ou lentement.
Pour éviter ces fâcheux accidens , quelques
perfonnes ont fait venir des jarres ,
qui étant cheres & très- incommodes , ne
peuvent convenir qu'à peu de perfonnes ;
d'autres font faire des coffres de bois dou236
MERCURE DE FRANCE.
blés de plomb , qui font encore affez incommodes
, & dont le bois eft fujet à fe
tourmenter & à pourrir , à caufe de l'humidité
; ce qui occafionne de tems à autre
des réparations au plomb.
La forme des fontaines de cuivre étant
la plus commode , plufieurs perfonnes ont
fait faire des fontaines d'étain & actuellement
beaucoup de Potiers d'étain
en ont de toute-faites ; mais pour leur donner
une folidité fuffifante , il faut que l'é
tain ait fept à huit fois l'épaiffeur du cuivre
, & encore n'ont- elles pas la même
folidité que les fontaines de cuivre ; elles
deviennent fort lourdes , & par conféquent
fort couteuſes.
Toutes ces confidérations ont fait imaginer
à quelques Maîtres Chauderonniers
de Paris de doubler les fontaines de cuivre,
telles qu'elles fe trouvent , vieilles ou neuves
, fimples ou fablées , avec une lame de
plomb laminé , de demie ligne d'épaiffeur.
Tout le dedans de la fontaine eft garni de
plomb ; les cloifons qui portent le fable
& leurs couvercles , font entièrement enveloppés
, de forte qu'il eft impoffible que
l'eau touche le cuivre en aucun endroit ;
pour en être parfaitement affuré , on
peut , fi on veut , faire percer le cuivre
dans le fond , fi l'eau pouvoit le toucher ,
MA I. 1756. 237
elle fortiroit par cette ouverture . Enfin ils
font les robinets en plomb.
Cette premiere opération coûte à la vérité
plus qu'un étamage , mais auffi on
n'a plus befoin de les faire étamer , &
on eft dans la fécurité la plus parfaite fur
ce qu'on auroit à craindre de la part des
fontaines. Ils en préfenterent une à l'Académie
Royale des Sciences il y a quelque
temps , qui leur en a donné un certificat
favorable. Plufieurs perfonnes font déją
ufage de ces fontaines ; je ne vous citerai
que ceux qui par leurs connoiſſances
peuvent y donner plus de confiance
parce qu'ils les ont examinées de plus
près. M. Hellot , de l'Académie Royale
des Sciences, en a une qui a été doublée par
le fieur Charlot , Chauderonnier , rue des
Lavandieres Sainte Opportune,
Le fieur Houel , Maître Chauderonnier
au Marché-neuf , en a doublé pour Meffieurs
Nicole , du Hamel & l'Abbé Nollet
, tous Membres de l'Académie des
Sciences. Il en a auffi doublé d'autres qu'il
feroit fort inutile de citer.
> au J'ai encore vu chez ce dernier
Marché-neuf , un ajustement de plufieurs
tuyaux , pofé fur l'orifice intérieur du
robinet d'une fontaine fimple , affez bien
imaginé , au moyen duquel on tire tou238
MERCURE DE FRANCE.
jours l'eau la plus haute de la fontaine
foit qu'il y en ait peu , foit qu'il y en ait
beaucoup par-là on prend toujours la
plus claire , parce que c'eft la plus
haute qui fe repofe & fe clarifie la premiere
, ce qui eft bien commode pour ceux
qui n'ont pas de fontaines fablées , furtout
en hyver que la riviere eft prefque
toujours trouble : celle du haut de la fontaine
devient paffable en peu de tems , &
tandis qu'on ufe celle -là , l'autre fe repoſe,
au lieu que fans cela , ( à moins qu'on ne
prenne par deffus avec un pot ) on
tire toujours la plus trouble , qui eft celle
du bas , en fuppofant une fontaine fimple
, car cela eft inutile aux fontaines
fablées .
>
l'eau
J'ai l'honneur d'être , & c.
MAI. 1756. 239
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
LE 26 Avril , les Comédiens François
ont ouvert leur Théâtre par Athalie , fuivie
de l'Etourderie. M. de Bellecour qui avoit
fait le compliment de la clôture , à fait
auffi celui de la rentrée .
COMEDIE ITALIENNE.
ont donné
Le même jour , les Comédiens Italiens
pour l'ouverture de leur Spectacle
, toute la Chine réunie . Les Chinois ,
Comédie mêlée d'ariettes , fuivis des Noces
Chinoifes , divertiffement , & précédés des
Magots , parodie de l'Orphélin de la Chine.
CONCERT SPIRITUEL.
LE 15 Avril Jeudi - Saint , le Concert a
commencé par une fymphonie fuivie du
240 MERCURE DE FRANCE .
Stabat de Pergoleze , exécuté par le fieur
Albanefe & Madame Veftris de Giardini :
enfuite Madame de Montbrun a chanté
un petit Motet de Mouret. M. Prover a
joué un Concerto de hautbois. M. Richer ,
Page de la Chapelle du Roi , a chanté le
Concerto de voix de M. Mondonville. On
a fini par Laudate Dominum , quoniam bonus
, nouveau Motet du même Auteur ,
avec accompagnement d'orgue .
Le 16 Vendredi - Saint , on a commencé
par une fymphonie ; enfuite le Stabat de
Pergoleze. Mile Aubert a chanté un petit
Moret nouveau de M. le Febyre . Le Signor
Carlo Ferrari , Muficien de la Chambre
de S. A. R. l'Infant Dom Philippe , a joué
une Sonate de violoncelle de fa compofition
, & atiré de cet inftrument tout ce
qu'on en peut tirer. M. Richer a chanté
le même Concerto de la veille. On a fini
par De profondis , Motet à grand choeur
de M. Mondonville .
ne,
Le 17 Samedi- Saint , le Concert a commencé
par une fymphonie ; enfuite Domiin
virtute tua , Motet à grand choeur de
M. Cordelet. Madame Veftris de Giardini
a chanté deux airs Italiens. M. Piffet a joué
un Concerto de violon de fa compofition.
"Mlle Fel a chanté Regina Cæli , petit Moret
de M. Mondonville . Le Concert a fini
par
MA I. 1756. 241
par Bonum eft , Motet à grand choeur du
même Auteur.
Le 18 , Jour de Pâques , le Concert a
commencé par la premiere Sonate de
pieces de clavecin de M. Mondonville ;
enfuite Cantate Domino , Motet à grand
choeur de M. Delalande. Madame Veftris
de Giardini a chanté deux airs Italiens ;
M. Fritz a joué une Sonate ; Mile Fel a
chanté Landate , pueri , petit Motet de M.
Fifco ; M. Balbaftre a joué fur l'orgue un
Concerto de fa compofition . Le Concert a
fini par Venite , exultemus , Motet à grand
choeur de M. Mondonville.
Le 19 , Lundi de Pâques , le Concert a
commencé par une fymphonie ; enfuite
Laudate Dominum , omnes gentes , Motet à
grand choeur de M. Noblé. Madame Veftris
de Giardini a chanté deux airs Italiens ;
M. Prover a joué un Concerto de hautbois ;
Madame Cohendet a chanté un nouveau
petit Motet de M. le Febvre. Le Concert a
fini par Cali enarrant , Motet à grand
choeur de M. Mondonville.
Le 20 , Mardi de Pâques , on a commencé
par une fymphonie ; enfuite Domine
, Dominus nofter , Motet à grand choeur
de M. Béthifi . Madame Veftris de Giardini
a chanté deux airs Italiens. Le Signor Carlo
Ferrari a joué un Concerto de violoncelle ;
L
242 MERCURE DE FRANCE.
M. Godard a chanté un petit Motet de M. le
Febvre . On a fini par Laudate Dominum ,
quoniam bonus , nouveau Motet à grand
choeur de M. Mondonville , dans lequel
M. Balbastre a joué de l'orgue . Voici des
vers fur ce fujet , qui doivent trouver ici
leur place. M. Tanevot les a adreſſés à ce
célebre Muficien , & nous fommes charmés
qu'ils confirment l'éloge que nous
avons fait de ce Motet dans le volume
précédent.
A M. Mondonville.
Quel fublime deffein ! que de riches tableaux !
Tu me vois tranfporté de tes accens nouveaux ;
Partout y brille le génie.
Le pinceau de Rubens guide ton harmonie :
Aux images qu'elle nous rend ,
De l'Eternel on reconnoît l'empire.
Dans tes divins concerts que le Seigneur ek
grand !
Le Chantre de Sion t'infpire ,
Et c'eft lui , plas que toi , qui touche ici la lyre.
Le 23 , Vendredi de Pâques , le Con
cert a été très-beau & très- varié par les
morceaux , par les voix & par les inftrumens.
Il a commencé par une fymphonie
fuivie de Nifi Dominus , Motet à grand
cheur de M. Mondonville. Enfuite M.
M A I. 1756. 243
Pompeo , Muficien du Roi de Sardaigne,
a chanté deux airs Italiens d'une Mufique
très- agréable , avec une fléxibilité & une
légéreté de gofier , qui ont furpris & charmé
toute l'affemblée. Il n'y a pas d'inftrument
qui l'égale . M. Prover a joué un
Concerto de hautbois , qui a été auffi trèsapplaudi
avec juftice. Mlle du Gafon a
chanté pour la premiere fois Regina Cali ,
petit Motet nouveau , dont on a applaudi
la mufique & furtout l'exécution. Cette
jeune perfonne joint à une figure intéreffante
une voix légere & flûtée , qui foutenue
d'une grande préciſion , a réuni pour
elle tous les fuffrages. M. Balbaftre qui a
joué l'ouverture de Pygmalion , fuivie des
Sauvages , a fait un plaifir toujours nouveau
. Pour mettre le comble à la fatisfaction
générale , le Concert a fini par In exitu ,
Motet à grand choeur de M. Mondonville.
Le 25 , Dimanche de la Quafimodo , le
Concert a été également brillant par l'affemblée
& par le choix des morceaux qu'on
y a exécutés. Il a commencé par une Symphonie
; enfuite Cali enarrant , Motet à
grand choeur de M. Mondonville. Madame
Veftris de Giardini a chanté deux
airs Italiens . M. Piffet a joué un Concerto
de violon de fa compofition. Mlle Fel a
chanté un petit Motet. Meffieurs Richer
Lij
244 MERCURE DE FRANCE.
& Bêche ont chanté le Concerto de voix
de M. Mondonville. M. Balbâtre a joué fur
l'Orgue un Concerto de fa compoſition .
Le Concert a fini par Laudate Dominum ,
quoniam bonus , nouveau Motet à grand
choeur de M. Mondonville.
On continue avec fuccès les repréfentations
de la Conquête du grand Mogol , par
Thamas Kouli Kan , Roi de Perſe , avec
fon triomphe , Spectacle Pantomine qui
s'exécute au Château des Tuileries dans
la falle des machines,
IL
MA I. 1756. 245
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU LEVANT.
DE CONSTANTINOPLE , le 1 Mars.
IL y eut hier en cette ville un nouvel incendie
huit cens maifons ont été réduites en cendres.
Pendant tout le tems qu'a duré l'embraſement
le Grand Vifir a été à cheval , pour faire
fecours partout où il étoit néceffaire.
DU NOR D.
porter
du
DE COPPENHAGUE, le 17 Mars.
On a reçu avis qu'à Romdehlem , fitué à environ
vingt lieues de Drontheim , une montagne
très haute s'étoit écroulée. Par cet accident , le
cours d'une riviere , qui a près de deux lieues de
large , a été interrompu , & toutes les campagnes
voifines ont été inondées. Il a péri trente
perfonnes & un grand nombre de beftiaux . Les
eaux ont renversé plufieurs maiſons.
ALLEMAGNE.
DE BERLIN , le 9 Avril.
Le 26 du mois dernier , le Duc de Nivernois
prit congé du Roi . Sa Majesté a fait préfent à ce
Seigneur de fon portrait enrichi de diamans , d'une
Liij
246 MERCURE DE FRANCE.
tabatiere faite de deux pierres précieufes , &
d'une bague de grand prix.
L'Académie Royale des Sciences & Belles - Lettres
, dans la Séance qu'elle tint le premier de ce
mois , élut l'Eveque de Breflaw & l'Abbé de Prades
, pour Académiciens Honoraires.
Sa Majefté a accordé aux Chanoines du Chapitre
de Minden le droit de porter une Croix d'Or
émaillée de blanc , fur laquelle eft l'Aigle Noir
de Pruffe au milieu d'une Etoile furmontée d'une
Couronne. On voit au revers un Chiffre compofé
des Lettres P. & G. qui défignent Saint Pierre
& Saint Georges , Patrons du Chapitre. Cette
Croix eſt attachée à un ruban céladon .
ESPAGNE.
DE MADRID , le 6 Avril.
Don Afcenfio Mendez , Prêtre , né à Coïmbre
en Portugal , mourut ici le 24 du mois dernier ,
âgé de cent deux ans , quatre mois & vingt- fix
jours. Cette année , il traverfoit encore à pied
une partie de la Ville tous les matins , pour aller
dire la Meffe à l'Hôpital Général , & jamais il ne
s'eft fervi de lunettes,
DE LISBONNE , le 3 Mars.
La plupart des habitans de cette Capitale , à qui
il reste encore dans leurs maifons quelque partie
habitable , viennent l'occuper pendant le jour. Ils
retournent le foir à la campagne , pour y cou
cher fous des Tentes . Suivant le plan fur lequel
on fe propofe de rebâtir Lifbonne , fa nouvelle enceinte
fera confidérablement plus grande que l'ancienne
, tant parce que les rues feront plus lar
M A I. 1756. 247
3
ges , que parce que les maiſons n'auront que deux
étages.
La fécurité , dont on commençoit à jouir ici ,
n'a pas duré long - tems . Avant - hier on effuya
une nouvelle fecouffe de tremblement de terre ,
plus violente que toutes celles qui s'étoient fait
fentir depuis le 21 Décembre.
ITALIE.
DE ROME, le 3 Avril.
On écrit de Malte , que pendant le cours de
Février on y a fenti deux fecouffes de tremblement
de terre , mais qu'elles ont cauſé peu
dommage.
de
Le 28 Mars , M. le Comte de Stainville, Ambaf
fadeur Extraordinaire du Roi de France , s'étant
rendu au Palais de la Chambre Apoftolique hors
de la porte du Peuple , tous les Miniftres Etrangers
, ainfi que les Cardinaux , les Princes , les
principaux Prélats & autres perfonnes de diftinction
, envoyerent dans leurs carroffes de céré~
monie leurs Gentilshommes , pour le complimenter.
Cet Ambaffadeur , accompagné du Cardinal
Portocarrero , & des Abbés de Canillac &
de Berulle , Auditeurs de Rote , le premier pour
la France , le fecond pour l'Eſpagne , monta enfuite
dans un carroffe de parade , que Te Cardinal
Valenti Gonzaga , Camerlingue du Saint Siege ,
& Secretaire d'Etat , lui avoit envoyé , & il fit en
cette Capitale fon Entrée publique. L'ordre fuivant
fut obfervé dans la marche : deux Poftillons ; deux
Couriers ; deux Trompettes ; fix Fourgons couverts
de houffes aux Armes de l'Ambaffadeur ;
Liv
248 MERCURE DE FRANCE.
1
>
fix chevaux de felle avec de riches caparaçons ;
trente- huit Eftafiers ; deux Suiffes à cheval ;
vingt-quatre Officiers ; un Ecuyer & un Sous-
Ecuyer. Aux deux côtés du carroffe , dans lequel
étoit l'Ambaffadeur , marchoient fes huit Pages à
cheval. Cette entrée , non feulement par la magnificence
de la Livrée de M. le Comte de Stainville
mais encore par le grand nombre des équipages
qui accompagnerent le cortége , a fourni à cette
Ville un fpectable des plus pompeux. Lorſque
l'Ambaffadeur fut arrivé au Palais de France , il
y fit diftribuer une grande abondance de rafraîchiffemens.
Quelque temps après , il fe rendit
avec fes carroffes & fa fuite au Palais du Quirinał ,
où il eut fa premiere audience publique du Pape.
M. le Comte de Stainville , après cette audience à
laquelle il fut conduit par le Cardinal Portocarrero,
rendit vifite au Cardinal Camerlingue . Il retourna
enfuite au Palais de France . Il y trouva les préfens
que Sa Sainteté y avoit fait porter , & qui
confiftoient en trente fix corbeilles , remplies de
rafraîchiffemens de diverfes efpeces.
GRANDE - BRETAGNE.
DE LONDRES , le 15 Avril.
Le 6, le Lord Marie , les Aldermans & les Scheriffs
, préfenterent au Roi une Adreſſe , par laquelle
ils affurerent Sa Majefté , qu'ils facrifieroient
leurs biens & leurs vies pour la défenſe de
fa Perfonne & de fon Gouvernement. Le Roi répondit
: Je vous remercie des marques que vous
me donnez de votre zele & de votre affection , &
je me repose fermement ſur vos promeffes. La Ville
de Londres peut toujours compter fur ma bienveil
MA I. 1756. 249
Lance fur ma protection. Le Corps des Négocians
de cette Capitale , & le Scheriff du Duché
d'Yorck , ont préfenté auffi des Adreffes à Sa Majeſté.
Le fieur Thomas Pownall vient d'être nommé
Gouverneur de la Nouvelle Angleterre , à la place
du fieur Shirley. Une partie des troupes deftinées
pour l'Acadie eft déja embarquée à Plymouth. On
fe propofe d'envoyer une fomme confidérable en
Amérique. Les , les Amiraux Byng & Weft firent
voile de Spitéad avec dix Vaiffeaux de guerre
pour la Méditerranée. Le Chef d'Efcadre Keppel
les fuivit le même jour avec 4 Vaiffeaux . Le Gouvernement
a donné ordre de couler à fond tous les
Bâtimens de Pêcheur , qui ont été pris fur les
François Le nombre des troupes Hanovériennes
qui doivent paffer dans la Grande - Bretagne , fera
de neuf mille hommes d'Infanterie , neuf cens de
Cavalerie , & trois cens du Corps d'Artillerie Gn
a tiré de l'Arcenal de la Tour quarante pieces decanon
, pour les tranſporter à Portſmouth . Sui
vant les nouvelles de Saffron - Walden , le 18 du
mois dernier à dix heures du matin , on y entendit
tout à coup un bruit extraordinaire . Peu après,
il tomba une grande quantité de grêle , dont la
plupart des grains avoient jufqu'à trois pouces &
demi de circonférence .
La Cour a ordonné de reftituer le Vaiſſeau
François , dont le Vaiffeau de guerre l'Expérience
s'eft emparé à peu de diſtance de Cadix,
£
E
L.V
250 MERCURE DE FRANCE.
FRANC´E.
Nouvelles de la Cour de Paris , &c.
en
LE 4 Avril , M. le Marquis de Pauliny , Secretaire
d'Etat au Département de la Guerre ,
furvivance de M. le Comte d'Argenfon , & Chancelier
de l'Ordre Royal & Militaire de Saint
Louis , préfenta au Roi les Commandeurs & Of
ficiers de l'Ordre , & les Bourfes de Jettons , ainfi
qu'il eft d'ufage.
Madame la Marquife de Choifeul & Madame
la Comteffe d'Efpiés furent préfentées le même
jour à Leurs Majeftés & à la Famille Royale.
Ce même jour , M. le Marquis de Monteil partit
pour le rendre à Bonn , en qualité de Miniftre
Plénipotentiaire du Roi près de l'Electeur de Cologne,
1
M.le Duc d'Orléans ayant invité le fieur Tronshin
, célebre Profeffeur de Médecine à Geneve
de fe rendre à Paris , pour inoculer la petite vérole
à M. le Duc de Chartres & à Mademoiſelle , cette
opération s'est faite au Palais Royal , le 25 du
mois dernier , après la préparation néceflaire
fans incifion , au moyen d'un léger véficatoire. Le
fuccès a répondu aux efpérances de M. le Duc &
de Madame la Ducheffe d'Orléans, & aux voeux de
toute la France .
Sur ce qui a été repréfenté au Roi , que plufieurs
terreins en marais & inondés , feroient propres
à produire de la Garance , & que quelques
perfonnes s'offroient à faire les frais néceffaires
pour cultiver cette plante qu'on eft obligé de tirer
MA I. 1756. 25T
par
des pays étrangers , & pour deffécher lesdits marais
, s'il lui plaifoit les faire jouir de quelques
exemptions & privileges , nommément de ceux
qui font attribués par l'Edit de 1607, ainfi que
la Déclaration de 1641 , & autres réglemens
fubféquens , à ceux qui font le defféchement des
marais incultes , Sa Majefté a ordonné que les particuliers
, qui voudroient entreprendre de cultiver
des plantations de Garance dans des marais &
autres lieux de pareille nature , ne pourroient
pendant vingt années , à compter du jour que les
defféchemens & défrichemens auront été commencés
, être impofés à la taille , eux ni ceux
qui feroient employés à ladite exploitation , pour
raifon de la propriété ou du profit à faire fur l'exploitation
des terres cultivées en Garance. Au cas
dans lequel ils feroient d'ailleurs impofables
pour leurs autres biens , facultés & exploitations ,
ils feront taxés d'office par l'Intendant & Commiffaire
départi . Veut de plus Sa Majefté qu'il leur
foit permis de tenir , tant à Paris que dans les autres
Villes & Lieux du Royaume , des magafins
de Garance provenant de leurs exploitations , &
de la vendre , foit en gros , foit en détail , fans
qu'ils puiffent être troublés ni inquiétés. Sa Majefté
évoque à Elle & à fon Confeil tous les procès
, différends & conteftations ; que ceux qui entreprendront
la culture defdites Garances pourront
avoirs, ou en demandant ou en défendant ,
pendant le cours de cinq années , pour raifon de
leurs entreprifes & des privileges à eux accordés .
Conféquemment Elle les renvoie, pardevant les In--
tendans & Commiffaires départis , pour être jugés
par eux en premiere inftance , fauf l'appel aus
Confeil.
22
Parsun Arrêt du Confeil d'Etat , l'Ordre de
Lvj
252 MERCURE DE FRANCE.
Malte , en payant la fomme de deux cens cine
quante mille livres par forme de don gratuit , eft
déchargé de l'exécution de l'Edit du mois de Mai:
1749 , portant établiffement du Vingtieme. Lef
dites deux cens cinquante mille livres feront
payées en cinq années , à raiſon de cinquante
mille livres chaque paiement , dont le premier
fera fait au mois d'Octobre prochain , & ainfi
d'année en année, jafqu'à l'entier acquittement de
la fomme totale. Entend Sa Majefté , que les penfions
établies & conftituées par les familles en faveur
des Chevaliers & Freres Novices , & les biens
'dont la jouiffance leur aura été abandonnée pour
le paiement , ou qui leur tiendront lieu defdites
penfions alimentaires , foient exemts de toute retenue
ou impofition du Vingtieme. Au cas que les
propriétaires , fermiers ou admodiateurs , mé
Tayers , locataires , receveurs , procureurs & autres
faifant valoir les biens chargés defdites penfions
, ayent été compris dans les rôles de ladite
impofition du Vingtieme , pour la totalité du produit
des biens dont ils jouiffent , fans aucune déduction
pour raifon des penfions dont ils font
chargés ; ils obtiendront , en repréſentant au. Prevôt
des Marchands & aux Intendans les titres enbonne
& due forme conftitutifs de ces penfions ,
les modérations du Vingtieme des fommes dont
ils feront tenus envers lefdits Chevaliers & Freres
Novices.
L'Académie Royale des Sciences ayant élu lefeur
Pingré , Chanoine Régulier & Bibliothécai
re de l'Abbaye de Sainte Geneviève , & le fieur
de Belidor , Colonel d'Infanterie , pour remplis
la place d'Affocié Libre qu'occupoit le feu fieur de
Gamaches dans cette Compagnie , le Roi informé
du mérite & des talens de l'un & de l'autre , les a
{
MAI. 1756. 253
nommés tous les deux. En même tems , Sa Majefté
a réglé que la premiere place , qui viendroir
à vaquer dans la Claffe des Affociés Libres , ne
feroit point remplie.
M. d'Alembert , de l'Académie Françoiſe & de
celle des Sciences , vient d'être nommé par cette
derniere Académie , Penfionnaire furnuméraire.
Le même Académicien vient auffi d'être élu extraordinairement
, à la recommandation du Pape ,
Affocié étranger de l'Inftitut de Bologne.
On apprend de Marfeille , que le Navire la
Sainte Elizabeth , Capitaine Jean-Jofeph Portail,
a eu , en revenant de Smirne , deux combats à
foutenir contre deux Bâtimens Anglois.
M. le Duc de Gefvres , Premier Gentilhomme
de la Chambre du Roi , & Gouverneur de Paris ,
& M. le Comte d'Argenſon , Miniftre & Secretaire
d'Etat , accompagnés de M. de Bernage ,, Prevôt
des Marchands, & de M. Stocard, Premier Echevin,
préfenterent le 8 à Sa Majeſté , avec M. le Marquis
de Marigny , Directeur & Ordonnateur Général
des Bâtimens , Arts & Manufactures , le Modele
en relief de la Place que la Ville fait conftruire
pour la Statue équestre du Roi. M. le Marquis de
Marigni conduifit enfuite le Roi au Modele de
P'Ecole Militaire. Sa Majefté donna des marques
de fa fatisfaction de l'un & de l'autre.
Le 9 Avril , à l'occaſion de la mort de la Princeffe
Douairiere de Rohan , le Prince de Condé ,
accompagné du Chevalier de Rohan & du Duc de
Duras , falua en long manteau de deuil leurs Ma
jeftés & la Famille Royale . La Princeffe de Guémené
, la Princeffe de Rohan , la Comteffe de
Marfan , la jeune Princeffe de Soubize , la Ducheffe
de Duras , la Ducheffe de Mazarin & la Ducheffe
de Chaulnes , saquitterent l'après- midi du
même cérémonial
254 MERCURE DE FRANCE.
Le Roi a accordé les Entrées de la Chambre
à l'Evêque de Chartres , Premier Aumônier
de la Reine , & frere de M. le Duc de Fleury .
La mort de Madame la Maréchal de Maillebois
laiffant une place vacante parmi les Dames nommées
pour accompagner Madame , le Roi en a
difpofé en faveur de Madame la Ducheffe de
Mazarin.
Sur la démiffion que M. le Duc de Bethune a
donné de fa place de Capitaine des Gardes du
Corps , Sa Majefté y a nommé M. le Duc de Mirpoix.
3 à
On a été informé par un courier , qui arriva le
14 Avril , de Rome , que le s le Pape avoit fait la
Promotion des Cardinaux pour les Couronnes. Les
nouveaux Membres du Sacré College font , M. de
Saulx de Tavannes , Archevêque de Rouen , à la
nomination du Roi l'Evêque de Conftance ,
la nomination de l'Empereur ; l'Archevêque de
Vienne en Autriche , à la nomination de l'Impératrice
Reine de Bohême & de Hongrie ; l'Archevêque
de Seville , à la nomination du Roi d'Efpagnes
M. de Luynes , Archevêque de Sens , à la
nomination du Chevalier de Saint Georges ; PA
chevêque de Turin , à la nomination du Roi de
Sardaigne ; Don François Saldanha de Gama ,
Principal de la Patriarchale de Lifbonne , à la
nomination du Roi de Portugal , M. dec Gêvre
Evêque de Beauvais , à la nomination du Roi de
Pologne Electeurs de Saxe ; & le fieur Archinto
Gouverneur de Rome
Le 13 Avril , à neuf heures & demie du
matin, Madame la Princeffe de Condé accoucha
heureufement d'un Prince , que le Roi a nommé
Duc de Bourbon. 1
Un Arrêt du Confeil d'Etat fixe à cinq livres da
MA I. 1756. 255
cent pefant les droits d'entrée dans le Royaume
fur les clous moyens & petits , venans de l'étran
ger, & à cinquante fols , auffi du cent pefant , les
droits fur les gros clous , dont le milliers en nombre
fera du poids de deux cens cinquante livres poidsde
marc..
Le premier tirage de la troifieme Loterie
Royale s'eft fait le 7 & les cinq jours fuivans . Le
principal Lot eſt échu au numéro 21959 ,
fecond au numéro 2378.
"
& le
Le Jeudi Saint , l'Evêque de Nantes ayant fait
PAbfoute, & le Roi ayant entendu le Sermon de la
Cêne de M. l'Abbé Bon , Théologal de la Cathédrale
d'Autun , Sa Majesté a lavé les pieds à douze
Pauvres , & les a fervis à table . M. le Prince de
Condé, Grand Maître de la Maiſon du Roi ,, étoit
à la tête des Maîtres d'Hôtel , & il précédoit le
fervice , dont les plats ont été portés par Monfei
gneur leDauphin , M. le Comte de Clermont, M. le
Prince de Conty, M. le Comte de la Marche , M. let
Comte d'Eu , M. le Duc de Penthievre , & par les
principaux Officiers de Sa Majefté .
La Reine entendit le Sermon de la Cêne , de M.
l'Abbé d'Efpiard , Chanoine de l'Eglife Métropo
litaine de Befançon , Confeiller- Clerc au Parle
ment de la même. Ville , & Prédicateur ordinaire
de Sa Majefté . L'Evêque de Nantes fit enfuite l'Abfoute
, après laquelle la Reine lava les pieds à
douze pauvres filles , que Sa Majefté fervit à table.
M.le Marquis de Chalmazel, premier Maître d'Hôtel
de la Reine , précéda le fervice . Les plats furent
portés par Madame la Dauphine , par Madame
, par Madame Sophie , par les Dames du Pa
lais , & par plufieurs autres Dames de la Cour.
M. de Sechelles ayant demandé la permiffion
de remettre la place de Contrôleur Général des
256 MERCURE DE FRANCE.
Finances à M. Peirenc de Moras , que le Roi lui
avoit donné pour adjoint , Sa Majefté y a confenti
; mais en même temps Elle a témoigné défiter
que ce Miniftre continuât d'affifter auConfeil .
Selon les avis reçus de Clermont en Auvergne
il s'y éleva le 18 après-midi un vent violent . Vers
les cinq heures du foir , il devint fi terrible , que
perfonne n'ofoit fortir de chez foi , & chacun
craignoit en même tems d'être enfeveli fous les
ruines de fa maifon . I renverfa plufieurs Bâtimens
& déracina une grande quantité des plus gros
arbres. Toutes les vitres des maiſons ont été caf
fées , prefque toutes les tuiles des toits emportées ,
& la plupart des cheminées abattues . Il y a eu un
homme tué dans la Ville . A.Riom , une Religieufe
du Monaftere de Notre- Dame a eu le même fort.
Plufieurs perfonnes ont été bleffées dangereufement.
Cet ouragan ne s'eft heureufement fait fendans
l'étendue de trois ou quatre lieues . Sa
que
durée n'a guere excédé deux heures .
tir
Sa Majefté a honoré de Lettres de Nobleffe M.
Dulattier , premier Chirurgien de la Reine.
Le 22 Avril , les Actions de la Compagnie des
Indes étoient à quatorze cens quatre-vingt - dixfept
livres ies Billets de la feconde Loterie
Royale , à fept cens trente -fix . Ceux de la premiere
& de la troifieme Loterie n'avoient point .
de prix fixe.
BÉNÉFICES DONNÉS..
SA Majefté a donné l'Abbaye de Bonnefont ,
Ordre de Cîteaux , Diocefe de Cominges , à l'Abbé
de Meyere , Vicaire Général de l'Evêché de
Laon , & l'Abbaye Réguliere du Pin , même Or--
dre , Dioceſe de Poitiers , à Dom Rouleau
Religieux de cer . Ordre , & Abbé de la Colombe.
MAI. 1756. 257
MORT S.
Correction pour le premier volume de Janvier
1756.
L'articlefuivant ayant été donné peu exactement
dans le premier volume de Janvier, on le répétera ici
en entier.
Jofeph de Mailly , Marquis de Mailly-Haucourt
, mourut le 7 Décembre dernier au Château
de la Roche d'Evaux , dans le Maine , âgé de 75
ans . Il avoit été Page de la Petite Ecurie , enfuite
Moufquetaire Gris , d'où il paffa dans le Régiment
du Roi , qu'il ne quitta après plufieurs campagnes
que pour le marier en 1704 , à N.... de la Riviere
d'Evaux , de laquelle il a eu fix enfans , defquels
deux font morts en bas- âge,un étant Chevalier de
Malte , deux autres font morts plus âgés , l'un
Chevalier de Malte , & l'autre Eccléfiaftique . Lès
deux qui reftent font le Comte de Mailly , Lieutenant
Général des Armées du Roi , Infpecteur de
Cavalerie , & Demoiſelle Marie- Jofephe- Magdeleine
de Mailly domiciliée à Paris depuis plufieurs
années.
Correction pour le second volume de Janvier
1756.
p. 231 , lig. 21, aujourd'hui Préſident du Parlement,
effacez aujourd'hui , & lifez Préfident du Parlement
de Paris , mort à Soiffons le 29 Avril 1754
lequel avoit époufé le 25 Novembre 1729 , 1729 , &c.
2
Meffire Louis - Antoine- Charles de Saint
Simon , appellé le Chevalier de Courtomer
Chevalier de l'Ordre de Saint Jean de Jéruſalem,.
eft mort au Château de la Motte - Fouqué en
258 MERCURE DE FRANCE.
Normandie , âgé de vingt-un ans. Il étoit fils de
feu Meffire Gui- Antoine de Saint Simon , Marquis
de Courtomer, Meftre de Camp de Cavalerie,
& Capitaine des Gardes de feue Madame la Ducheffe
de Berri .
Meffire Jean-Louis de Loflanges , Marquis de
Beduer, Comte de Corn , Goudon, & c . Seigneur de
Sainte Neboule , Saint Laurens , Camboufie , Patron
de Liflac , eft mort le 27 Décembre dans fon
Château de Beduer en Querci , & a été inhumé le
lendemain dans l'Eglife du Monaftere des Religieufes
de Liffac. Il ne laiffe pas d'enfans de Marie
Pulcherie - Anaftafie de Foucaud - d'Alzon
Dame de Jonnac , Mandens , &c . fon épouse
qu'il a inftituée héritiere de tous fes biens , à la
charge de les rendre à fon choix à un Loftanges.
-
·
>
La Maiſon de Loftanges tire fon nom du Châ
teau de Loftanges , dans le Bas-Limofin , où elle
étoit confidérable dès le douzieme fiecle. La branche
des Marquis de Beduer eft fortie de celle de
Saint Alvaire , laquelle avoit été formée par
Jean-Aimar de Loftanges , Chevalier , qui époufa
le 27 Septembre 1446 , Antoinette de Vayrines ,
dite de Limeuil , Dame de Saint - Alvaire en Périgord
, de laquelle il eut entr'autres , Jean , dit
Janicor de Loftanges , Seigneur de Saint - Alvaire ,
allié par contrat , du 3 Janvier 1508 , à Marie
fille de Jean de Salagnac , Seigneur de la Motte-
Fenelon , Maître d'Hôtel ordinaire du Roi , & de
Catherine de Lauzieres-Themines. De ce mariage
fortirent, entr'autres , Bertrand , dont nous allons
parler ; & François , Auteur de la branche des Seigneurs
de Palliez en Saintonge.
Bertrand de Loftanges , Seigneur de Saint- Alvaire
, fut pere par Marie de Montberon de Hugues
, Seigneur de Saint - Alvaire , Chevalier de
ΜΑΙ . 1796. 259
l'ordre du Roi , Gentilhomme de la Chambre ,
Capitaine de cinquante hommes d'Armes de fes
Ordonnances , marié à Galiotte de Gourdon de
Genouillac , fille de Jean , Baron de Vaillac , Chevalier
de l'ordre du Roi , Gouverneur du Château-
Trompette , &c ; & de Jeanne le Brun , Dame
de Boiffet. Il eut de certe alliance , 1º . Jean-
Louis , qui a continué la branche de Saint- Alvaire.
2. Louis-François , qui a formé celle des
Marquis de Beduer , que nous rapporterons enfuite.
.
Jean-Louis de Loftanges , Baron de Saint - Alvaire
, fut allié à Elifabeth , fille de Jacques de
Cruffol , Duc d'Uzès , Pair de France , Chevalier
des Ordres du Roi , & de Françoile de Clermont-
Tonnerre. Il eut de ce mariage , entr'autres , Emmanuel-
Galliot de Loftanges , Marquis de Saint-
Alvaire , Sénéchal , & Gouverneur de Querci ,
qui de fa femme Claude - Simonne Eberard de
Saint-Sulpice , Dame du Vigan , a eu, entr'autres,
Louis de Loftanges qui fuit : Emmanuel , dit le
Comte de Saint-Alvaire , Gouverneur & Sénéchal
de Querci ; Louis , Seigneur d'Uffel ; & François ,
dit le Chevalier de Saint- Alvaire .
Louis de Loftanges , Marquis de Saint- Alvaire
, Baron du Vigan , Sénéchal & Gouverneur de
Querci , Chevalier de Saint Louis , perdit un ceil
à la Bataille de Senef , & fut noyé dans la Dordogne
en Décembre 1705. Il avoit épousé Roſe ,
fille de Louis , Marquis de Cadrieu , & de Marie
de Saint- Nectaire de Veyrieres , de laquelle il a eu ,
entr'autres , Armand - Louis - Claude - Simon de
Loftanges , Marquis de Sainte Alvaire , Sénéchal
& Gouverneur de Querci , allié en 1719 à Marie
de Larmandie de Longua. Leurs enfans font ,
1º. Armand - Louis - Marie , Marquis de Lof
tanges , Meftre de Camp du Régiment des Cui
260 MERCURE DE FRANCE..
raffiers du Roi , premier Ecuyer de Madame Adelaïde
, marié le 8 Mai 1754 , à Marie -Elizabeth-
Charlotte-Pauline de Galucci de l'Hôpital. Voyez
le Mercure du mois de Juin 1754 , fecond volume
pag. 197.
2º. Alexandre- Rofe de Loftanges , Marquis de
Cadrieu , né le 18 Octobre 1723 , Capitaine de
Dragons.
A
3. N ... de Loftanges , dit le Vicomte de
Saint - Alvaire , né en 1733 .
4°. Marie-Julie de Loftanges.
5º , 6º & 7°. Trois autres filles.
Louis-François de Loftanges , fecond fils de
Flugues , Seigneur de Saint- Alvaire & de Galiotte
de Gourdon de Genouillac , fut Colonel d'un Régiment
d'Infanterie dans les Armées des Rois Henri
IV & Louis XIII . II forma la branche des
Marquis de Beduer. Il époufa , 19. Jeanne de Luzech
, veuve & donataire de Jean de Narbonnez
Baron de Puillaunez & de Beduer , de laquelle il
n'eut point d'enfans. 2 ° Jeanne de Marqueyssac,
yeuve de N.... de Saint Aftier , Seigneur de Borie
, dont vint , entr'autres , Jean- Louis de Loftanges
, Comte de Beduer , Capitaine Commandant
le Régiment de Candale Cavalerie , député
de la Nobleffe de Guyenne , puis de celle de
Périgord. Il fut marié à Françoiſe de Gourdon de
Genouillac , fille de Jean , Seigneur de Reillac ,
& en eut deux fils , Francois- Louis qui fuit , &
Jean - Marguerit de Loftanges , Auteur de la
Branche de Cuxac , qui fera rapportée.
François-Louis -de Loftanges , Comte de Beduer
, qui mourut en 1692 , eut de fa femme
Marie-Renée Menardeau , entr'autres Louis- Henri
& Laurent de Loftanges. Louis - Henri- de
Loftanges , Comte de Beduer , fut marié à Fran
soife du Mont de laquelle il eut
>
MA I. 1756.
261
1. Louis de Loftanges , Marquis de Beduer ,
mort en Septembre 1746 , fans enfans de N..
du Maine du Bourg , petite fille du Maréchal du
Bourg , actuellement vivante.
..
20. Jean Louis , qui donne lieu à cet article ,
3°. Renée de Loſtanges , aujourd'hui Prieure de
Liffac.
Laurent de Loftanges , frere de Louis- Henri ,
a laiffé un fils nommé Louis de Loftanges , Seigneur
de Jarmons , Cornette de Cavaleriiee ,, àà préfent
Chefde la Branche de Beduer.
-
Jean Marguerit de Loftanges , fecond fils de
Jean-Louis, Comte de Beduer ; & de Françoife de
Gourdon de Genouillac , fut Marquis de Felains ,
Seigneur de Cufac ou Cuxac , en Rouergue , &
mourut en 1691. Il avoit épousé Marguerite de
Corn-d'Ampare dont il eut , entr'autres enfans ,
Jean-François de Loftanges , Seigneur de Cuxac ,
marié le 10 Août 1711 , à Françoiſe de la Mothe.
La Maifon de Loftanges porte pour Armes
d'argent au Lion de gueules courronné , accompagné
de cinq étoiles de même en orle.
Meffire François- Edouard le Gras de Vauberfey,
Chevalier , Seigneur de Montgenot , Lieute
nant des Maréchaux de France au département de
Champagne & de Brie , eft mort le 7 Mars dans
fon Château de Montgenot en Champagne , âgé
de 54 ans. Il avoit époufé le 11 Septembre dernier
Demoiſelle Marie Claire de Relongue - de la
Louptiere.
-
APPROBATION.
J'A
Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chance
lier , le Mercure du mois de Mai , & je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion,
A Paris , ce 29 Avril 1756.
GUIROY,
262
ERRATA.
Pour le premier Volume du mois d'Avril.
Page 44 , ligne derniere, que vous me donnerez
de baifer en ce jour , lifez , de baiſers en ce jour.
Page 72 , ligne 2 , toujous fufpendue , lifex ,
toujours.
Même page , ligne 19, de gente différent
lifex , de genre différent.
Page 93 , lig. 24 , Leg , réveil , rive , lif. rivé.
Pour le fecond Volume d'Avril.
Page 16 , ligne 3 , mais il n'en étoient plus, lifex ,
mais ils n'en étoient plus.
Page 31 , lig. 18 , depuis que loin de la barriere ,
lifez , depuis que loin de la banniere.
Page 192 & 193 , lig. 18 & lig. 3 , M. Profper ,
Muficien du Roi de Sardaigne , lifez , M.
Prover , &c.
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE
Epitre de M. des M... à M. de M...
Les à Propos , hiftoire du fiecle paffé ,
Les Paffions , Idylle ,
Rondeau ,
page s™
8
20
22
Réponse aux Couplets de M. Relongue de la
Louptiere ,
23
263
Effai fur les Paſſions , 24
34
Vers à ce fujet , par le même Auteur ,
Réponse de Mlle de R... à la Differtation de M.
de Baftide , fur les égards qu'une femme doit à
un galant homme ,
La Rofe & le Lys , fable ,
36
47
Vers au fujet d'un repas dont tous les mets étoient
affaifonnés avec de l'ail , 49
Lettre du Comte de Canaple à Madame de Granfon
, par M. de Baſtide ,
Vers fur la mort de M. de Malezieu ,
Lettre à M. de Boiffy , par M. Aubert ,
Les deux Moineaux , fable , par le même,
Stances de M. Hagedorn ,
SI
59
60
63
65
Soliloque du même , à l'occafion de la mort pré
maturée de fon fils ,
Nouveau Dialogue des Morts ,
67
72
Ode de M. le Franc fur la mort de M. Racine , le
fils , 78
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
fecond Mercure d'Avril ,
Logogryphe ,
Enigme ,
Chanfon Languedocienne ,
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
83
86
90-
91
Effai fur les tremblemens de terre , premiere para
tie , 93
Extraits , Précis ou Indications de livres nouveaux
,
103
ART. III. SCIENCES ET BELLES Lettres.
Phyfique. Lettre à un Académicien de Dijon , &c;
Chirurgie, Réponſe du Frere Côme à la Lettre de
153
264
M. Vacher , fils aîné , inférée dans le Mercure
de Février , 172
Réponſe de M. Beranger aux Réflexions critiques
du fieur Daviel , inférées dans le Mercure du
mois d'Août 1755 ,
Extrait de la Séance publique de l'Académie des
Belles Lettres de Caen , du 13 Février 1755 , 205
ART. IV. BEAUX - ARTS.
182
Mufique.
Gravure.
219
ibid.
Lettre de M. Bellin , Ingénieur de la Marine , 221
Horlogerie.
Lettre à l'Auteur du Mercure , fur les Fontaines
de cuivre ,
ART. V. SPECTACLES,
231
235
Comédie Françoiſe. 239
Comédie Italienne . ibid.
Concert fpirituel ,
ibid.
Spectacle de la Salle des Machines , 243
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres , 245
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 250
Bénéfices donnés ,
256
Mémoire généalogique ,
257
Mariages & Morts , 258
De l'Imprimerie de Ch. Ant. Jombert.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
JUIN. 1756 .
Diverfité, c'est ma devife. La Fontaine .
Chez
Cochin
Filius inve
Billon Sculp 1718.
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais .
PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguſtins.
Aver Approbation & Privilege du Roi,

AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis an
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feixe volumes , à raison
de 30 fols piece .
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou
où qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront comme à Paris ,
qu'à raison de 30 fols par volume , c'eſt- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes.
Les Libraires des provinces on des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreſſe ci - deſſus.
A ij
On fupplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la pofte , en payant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteroni au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le feur Lutton ; & il obſervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine , aprèsmidi
.
On peut fe procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainfi que les Livres
, Estampes & Mufique qu'ils annoncent.
On prie les perfonnes qui envoient des Livres
, Eftampes & Mufiques à annoncer ,
d'en marquer le prix.
MERCURE
DE FRANCE.
JUIN. 1756.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ODE
Sur les Tremblemens de terre arrivés à Lisbonne.
C'eft un Portugais qui parle .
Fille faciée & vénérable
Des tems devant toi révolus ;
Poftérité , Juge équitable
Des fiecles qui ne feront plus ;
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Aux fons de ma lyre plaintive
Ouvre ton oreille attentive,
Ouvre ton ame à nos douleurs.
Je viens tranfmettre à ta mémoire
De nos maux l'effroyable hiftoire ,
Je viens te demander tes pleurs.
Sur les bords défolés du Tage ,
Aujourd'hui défert ignoré ,
Vois les monumens du ravage
Que ma patrie a déploré .
Approchez -vous , races futures;
Contemplez ces vaftes mazures ,
Ces débris de fang arrofés ,
Ces offemens , ces cendres cheres ;
Reftes arides de mes freres ,
Sous leur propre mere ecrafés.
C'eſt-là , c'eſt-là , que ma patrie ,
Que Liſbonne a jadis fleuri.
Ilutus fixé par l'induftrie ,
En faifoit fon temple chéri .
Entrant dans le Canal du Tage ,
Les Mers venoient nous rendre hommage ,
Et baifer humblement nos bords :
A travers leurs dociles ondes ,
1
Nos flottes aux bouts des deux mondes
Alloient recueillir nos tréſors.
JUIN. 1756. 7
Affrenfe & pitoyable terre ,
Sépulcre fumant de tes fils ,
Triftes lieux , la foudre & la guerre
Sur vous le font- ils réunis ?
Ces torrens embrafés de foufre ,
Que l'Etna vomit de fon goufre ,
Ont-ils coulé jufques à vous ? સે
Ou fi , transfuges de leur Ifle ,
Les noirs Titans de la Sicile
Se font ici raffemblés tous ?
Déja , déja ce jour perfide ,
Que la mort s'étoit deftiné ,
Lançoit la lumiere homicide
Sur ce Pays infortuné .
Déja compagnons des ténebres ,
Fuyoient mille fonges funebres ,
Hérauts menaçans du trépas.
Phoebus abandonnant fon trône ,
Laiffoit aux mains de Tifiphone
Guider fon char fur nos climats.
Peuple profcrit , friffonne , tremble
A l'aſpect de ce jour affreux.
Sous tes pas le Tartare affemble
L'amas confumant de fes feux .
Celui qui dans les airs t'éclaire ,
N'eft point cet aftre falutaire ,
A iv
& MERCURE DE FRANCE.
De la nature augufte Roi ;
C'eft le flambeau des Euménides ,
Que leurs bras de carnage avides
Agitent & levent fur toi .
Fuis loin de ce féjour funefte ,
Fuis les coups fur lui fufpendus ,
Cet inftant peut - être te refte ;
S'il ceffe d'être , tu n'es plus .
Déja les montagnes mugiffent ,
Et leurs entrailles retentiffent
D'un bruit obſcur & fouterrein .
Defcendu dans les flancs du monde ,
Le tonnerre captif y gronde ,
Et dévore fon vaſte ſein.
C'en eft fait , la Terre chancelle
Sous nos Citoyens effrayés.
Ses appuis éclatent fous elle
Sa furface fuit fous nos pieds.
Nos toits s'abîment fur nos têtes.
Avec leurs
Nos Palais confondent leurs faîtes
propres fondemens.
La Terre engloutit leurs décombres ,
Et repaît les abîmes fombres
Des corps
brifés des habitans .
Ecoutez ces cris effroyables
JUIN. 1756. ១
Des vivans par tout menacés ,
Ces voix foibles & lamentables
Des mourans déja terraffés.
Voyez cette pouffiere affreuſe ,
Voilant d'une nuit ténébreuſe
Nos yeux que la mort va couvrir ,
Et dérobant notre mifere
Aux regards de ce Ciel févere ,
Qui peut-être alloit s'attendrir.
Quelle épouvantable fumée
S'éleve au célefte lambris ? -
De Liſbone au loin enflammée
Quels feux embrafent les débris ?
L'Enfer rompt ſes brûlantes voûtes ,
Ses flammes , par d'obfcures routes
S'échappent & montent vers nous.
Poudre vile de ces ruines ,
L'ardeur des vengeances divines
S'allume-t'elle aufli fur vous ?
C'est trop peu. La Mer agitée
Rompt les digues de fes fureurs ,
Et vers ces lieux précipitée ,
Y porte fes propres horreurs.
Accourez , Vents , Dieux des orages..
Ici fera de vos ravages.
Le théâtre tumultueux ;
Av
10 MERCURE DE FRANCE..
Et de nos murs , écueils perfides ,
Redoutez , Pilotes timides ,
Fuyez les reftes malheureux.
*
Où te trouver , lieu plein de charmes ,
Cité de mes Rois , de mes Dieux ?
Eft-ce le voile de mes larmes.
Qui te cache à mes triftes yeux ?
Toits , qui couvrîtes ma naiffance ,.
Qui couvrîtes de mon enfance
Les accroiffemens journaliers ,.
Qui pour moi , plante jeune & chere ,
Répétiez les voeux de ma mere ,
Rendez-moi mes facrés foyers,
Quelle Divinité cruelle
Vous éloigne de mes regards ?
O mes fils ! ma main ne peut -elle
Recueillir vos lambeaux épars ?
Toi qui , comme eux infortunée ,
Viens de fubir la deſtinée
De ces fruits éclos de ton flanc ;
Ne puis - je , épouſe trop féconde ,
Avec les pleurs dont je m'inonde-
Laver les traces de ton fang ?
Ainfi les vangeances fuprêmes
Staffouviffent de mon malheur ,
JUIN. 1756. FF
Et m'otant vos dépouilles mêmes
Ne me laiffent que ma douleur .
Parens , Amis , lugubre Ville ,
Quel lieu me fervira d'aſyle ,
Et quel bras fera mon fupport ?
Je leve ma paupiere humide ;
L'Univers n'eft qu'un défert vuide ,
Qu'un temple immenfe de la mort .
Ta faux , miniftre de ta haine ,
O mort ! n'épargne donc que moi !!
Flamme infernale & fouterreine
Je vis encor , rallume toi .
Mer dévorante , qui t'arrête
O Ciel ! brife toi fur ma tête ,
Tombe , fond fur elle en éclats ;
Et toi , grand Dieu , vengeur du crime,
Sauve ta derniere victime
De l'horreur de ne mourir pas..
M. A.La. La. A Bord.
"
Voilà une belle Ode , ou nous fommes
bien trompés. L'Auteur en nous l'envoyant
, ne l'avoit qualifiée que de l'humble
titre d'Effai ; nous n'en fommes point
furpris : le vrai talent eſt modeſte.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
NERI S.
NÉris éprouvoit une douce langueur
Néris la plus aimable des Nymphes. Depuis
trois jours fes yeux avoient vu Mirtil,
& depuis trois jours , elle cherchoit la foli-.
tude. Un berceau de myrthes , dont la nature
avoit feule fait les frais , étoit l'afyle
qu'elle préféroit au hameau. Cet heureux
féjour étoit devenu depuis le féjour des
Zéphyrs . Tout reffentoit la douceur de
leur haleine : mais à l'approche de Néris ,
les feuilles fembloient témoigner par un
doux frémiffement , que l'air qui fortoit
de fa bouche leur communiquoit une fraî
cheur plus pure . C'eft - là qu'émue , incertaine
, marchant quelquefois d'un pas timide
, & quelquefois affife nonchalamment
fur la mouffe , elle foupira ces accens.
Echo fe tut de peur de la troubler.
La nuit approche : c'eft le moment où
Mirtil quitte les bois & ramene fes chiens.
S'il tournoit ici fes pas , avec quel faififfement
je le reverrois ! Ses yeux font auffi
Brillans que la rofée du matin , & l'étoile
qui fe mire dans ce ruiffeau n'a point un
éclat plus doux. Je n'oublierai jamais le
jour où je le vis , lorfque les Bergers vinJUI
N. 1756. 13
>
rent célébrer ma fête fous la grande treille .
Il marchoit devant eux , comme le plus
beau de nos moutons précede les autres.
Avec quelle grace il portoit cette guirlande
qu'il attacha fur la porte ! Son chapeau
retrouffé , étoit orné d'un panache fleuri
& fes cheveux bouclés flottoient fur fes
épaules. Dès qu'il m'apperçut , il fourit
gracieufement , & fes yeux s'animerent ;
dès-lors je n'eus plus la force de lever les
miens. Oui : Mirtil , tu le vis , combien
j'étois émue , lorfque ta main attacha dans
mes cheveux ce bouquet que je conferve
encore. S'il étoit refté fur ton fein , il ne
fe feroit point flétri . Je le mets toutes les
nuits fous le gazon frais : j'en orne ma tête
dès le lever de l'aurore ... Il ne me fouvient
point de ce couplet de chanfon que tu
m'adreffas d'un air fi pénétré. Je ne pus
l'entendre , j'étois trop troublée ; mais je
n'ai point oublié combien le fon de ta voix
étoit doux , combien tes regards étoient
touchans. Je n'y fonge encore même qu'avec
émotion. J'ai vingt fois effaye de
peindre fur mon mouchoir avec le fuc des
fleurs , les traits de ton vifage ; ces traits
dont l'image s'eft fi bien empreinte dans.
mon coeur...
Mais qu'avoit- il donc fait jufqu'à ce
jour , éloigné des bords fleuris de la Drône
14 MERCURE DE FRANCE.
Quelle charmante retraite enchaînoit fes
pas ? Sa tendre mere a - t'elle pu fupporter
une fi longue abfence ? Il auroit
auffi bien appris fous fes yeux tout ce
qu'elle a voulu qu'il apprît ailleurs . Je l'ai
oui dire cent fois , qu'il n'eft point de
meilleur précepteur que l'amour paternel ;
nous nous ferions connus dès le berceau ;
l'habitude de nous voir feroit devenue une
douce chaîne . Rien n'eût troublé nos jeux
innocens , & ma mere l'auroit vu fans
doute auprès de moi fans répugnance...
Combien de tendres careffes ne lui fitelle
pas l'autre jour , lorſqu'il danſoit au
fon de la flûte d'Acante ! elle le fit repoſer
fur fes genoux : elle vanta la fraîcheur de
fon teint : elle baifa fes joues qui fe couvrirent
foudain d'un rouge enflammé ; je
rougis auffi fans doute , puiſque je me fentis
toute agitée. Dans ce même inftant fesyeux
& les miens fe rencontrerent , & je
détournai la tête. D'où vient donc que je
fuis devenue fi craintive ? Je n'ofois envifager
Mirtil , & cependant j'y trouveis un
plaifir fi doux. Je n'ai jamais fenti la même
inquiétude auprès de Dorilas ni d'Acante.
Que leurs careffes m'importunoient alors !
Ah ! Mirtil , tu crus peut- être qu'elles flattoient
mon coeur ? Cette idée m'afflige..
Hélas ! quand j'entends quelque bruit
JUIN. 1756 . IS
derriere ce buiffon , ce n'eft point Acante:
ni Dorilas que je crois voir approcher ,
c'eſt à toi que je fonge , uniquement à
toi. Oui , mes yeux fe mouillent de larmes
du plaifir feul que j'ai d'y fonger. Le fommeil
appéfantiroit envain mes paupieres.
Il ne plongeroit point mes fens dans l'oubli
. Je goûterois de bien plus pures délices
à m'occuper de toi,...
Mirtil ! ... Mirtil ! quand te verrai - je
affis à mes pieds fous ce feuillage verd ?
Mes genoux te ferviroient d'oreiller . Je
trefferois ta chevelure avec le plus beau des
rubans que ma Silvie me donna le jour de
fes nôces . Pour te défaltérer , je te donnerois
de cette eau qui roule fur les cailloux
; elle eſt auffi pure que l'eau qui tombe
du ciel. J'agiterois doucement l'air audevant
de ton vifage. Heureufe Manette
tu as joui de ce plaifir ! Il m'en fouvient ,
lorfque tu effuyois fon front couvert de
fueur avec le fichu qui voiloit ta gorge.
Que tu devois être délicieufement émue !
Jamais je n'ofai m'approcher ; j'enviai ton
fort , & il ne tenoit qu'à moi de le partager
peut-être. Ses yeux dans ce moment ,
fe tournerent fur moi. Je ne fçais s'ils me
difoient qu'il auroir eu plus de plaifir que
je l'euffe effuyé moi - même , ou s'ils ne youloient
que me témoigner la joie que lui
16 MERCURE DE FRANCE .
donnoit le foin obligeant que tu prenois
de lui ... Mais du moins , il me fembla
voir dans fes regards une certaine langueur
: on dit que depuis quelques jours il
fe dégoûte de la chaffe , qu'il néglige fes
chiens , que quelquefois rêveur , diftrait ,
il s'arrête inopinément fous un vieux chêne.
Depuis que je l'ai vu , je ne prends
plus tant de plaifir à careffer mes tourterelles
, ni à jouer avec mon écureil . Seroitce
donc auffi depuis qu'il m'a vue , qu'il
fent de l'indifférence pour ce qui le charmoit
tant autrefois ! Dieux ! quelle joie
eft la mienne ! il fongeroit donc toujours à
moi , comme je fonge toujours àlui ... Sans
doute qu'un charme fecret , inconnu .... Je
m'égare , pourquoi ne peut-on point exprimer
tout ce que l'on conçoit ? il erre quelquefois
, dit- on encore , du côté où le ruiffeau
forme la grande cafcade. Seroit - ce
parce que j'y vais tous les jours me laver let
vifage & les mains ? Ah ! fans doute que
le même plaifir que je goûterois à le voir ,
l'ammene aux lieux où il peut me trouver.
S'il en eft ainfi , comme un doux preffentiment
me le fait augurer , il ne fçait donc
pas que je me plais quelquefois fous ce
riant feuillage. Il me vient une idée , il
faut... Oui marchons vers la cafeade.
Peut-être y viendra- t'il ..... Hélas ! mes
JUIN. 1756. 17
T
jambes timides refufent de m'y porter. Je
ne fçais ce que je deviendrois à fon afpect.
Mais comment donc concilier dans mon
ame la douceur & le trouble que me caufe
l'idée de ſa préſence ? Il n'y faut plus fonger......
Cependant j'aurois pu feindre d'oublier
mon collier fur le bord : Mirtil ne l'eût
point méconnu , je l'avois le jour de ma
fête. A fon retour , il l'auroit ramaffé , &
n'auroit pas tardé fans doute à me l'apporter
lui - même . Alors j'aurois pu le voir ,
lui parler ; ... Ah ! c'en eft fait ; je fens mes
genoux moins chancelans. Pourquoi ne fe
hafarderoit-il pas à m'approcher ? pourquoi
ne foutiendrois-je pas fon abord ? N'ai- je
pas vu Manette l'autre jour , qui s'affeyoit
auprès de lui , qui prenoit fes mains dans
les fiennes , qui tiroit fon chapeau de deffus
fa tête , puis l'y remettoit enfuite ? Je n'ai
pas plus à craindre qu'elle ? Mirtil ramaffera
d'abord mon collier , auffitôt il volera
vers moi pour me le rendre ; je le raffurerai
par un doux fourire. Peut-être voudrat'il
le nouer lui- même autour de mon cou ...
Folle que je fuis ! Où me laiffai- je égarer?
Ne devrois- je pas voir l'embarras où je
m'expofe ? Si Mirtil néglige de le ramaffer,
s'il ne vient point à tems , & que quelqu'autre
le trouve , je deviendrai la fable
18 MERCURE DE FRANCE.
du hameau ; car comment ce qui n'eſt
point innocent pourroit- il le paroître ?
Néris , diront les uns , avoit oublié fon
collier le long de la cafcade . Bon , diront
les autres , la petite étourdie ne l'avoit pas
laiffé - là fans deffein ; & tant d'autres propos.
Ne vois-je pas ce qu'on a dit de Life,
fur ce qu'elle s'étoit fait fuivre à la prairie
par le chien de Mifis qu'elle fçavoit qu'il
cherchoit ? Non : le fuccès eft trop hafardeux
; & puis , que fçai- je fi Mirtil luimême....?
J'entends quelque bruit : feroitce
..... Je tremble ..... Il faut que je me retire.
Ce n'est pourtant rien , je crois ; mais
la nuit eft déja fombre , & ma mere dit
toujours que les lieux écartés font dangereux
pour une fille , qui n'a d'autre défenfe
que fes cris & fes larmes.
Anne- Julie Chaperon .
EPITRE
De M. S. D. M. à M. de Voltaire.
Oui,
Ui , que pour voir des Rois & des peuples
divers ,
D'autres faffent le tour du monde ;
Le lieu qui te renferme eft pour moi l'univers :
Et quelle eft la contrée en merveilles feconde ,
JUIN. 1756. 19
Le climat fi chéri des Dieux ,
Qui puiffe aux yeux d'un fage égaler les Délices
(1).
Allez , Cerveaux timbrés , Voyageurs curieux ,
De Neptune & d'Eole affrontez les caprices.
Dans le féjour des morts ( 2 ) defcendez tout vivans
;
Et d'une pyramide antique , ( 3 )
Rapportez ici , triomphans ,
Le fabre de Ninus ou le nez de Jamblique ( 3 ) ...
Laiffant aux Chardins l'agrément
D'être menteurs impunément :
J'irois, dans l'ardeur qui m'anime,
Offrir un encens légitime
A ce judicieux & brillant Ecrivain ,
Au cigne de Lutece , à cet homme divin ,
Qui d'un pas de Géant parcourut l'étendue (4)
D'une route aux François jufqu'alors inconnue ;
Qui , vainqueur des écueils & des difficultés ,
A la nation détrompée ,
Fit connoître de l'Epopée ,
Les majestueufes beautés.
A l'Auteur de Zaïre , à l'Auteur plein de charmes
,
(1 ) Maison de campagne qu'habite M. de Voltaire.
(2 ) Les Catacombes d'Egypte.
(3 ) Jamblique , Roi d'Egypte , mort 300 ans
avant Jesus-Christ.
(4) La Henriade,
20 MERCURE DE FRANCE.
Maître en l'art d'émouvoir , toucher le coeur humain
,
Qui dans le Chinois Orphelin ,
Arrache à tout Paris des larmes.
1
Au digne hiftorien de ce Roi malheureux ( 1 ) ,
Qui des faits d'Alexandre imitateur fougueux ,
En les renouvellant , les a rendu croyables.
A ce pere charmant de cent contes aimables ,
Où fe joignent partout au goût , à la gaieté ,
L'invention brillante & la variété.
Celui qui débrouillant le cahos de l'hiſtoire ( 2 ) ,
Sans embarraffer la mémoire ,
De la fucceffion de cent Rois fainéans ,
Précédés ou fuivis par autant de Tyrans ,
A tracé d'une main hardie ',
Le fidele tableau des moeurs des Nations ,
Leurs coutumes , leur loix , leur différent génie ,
L'hiftoire de l'efprit & de fes paffions ;
L'origine des Arts , leur progrès dans chaque âge ;
Ce que le fanatifme a de maux enfanté ( 3 ) ,
Dans ces fiecles d'erreurs & de crédulité ,
Où vingt Princes ligués , quittant leur héritage ,
Et traînant avec eux cent mille combattans ,
Alloient mourir de la peſte en Afie.
J'irois admirer ce génie ,
De l'empire des Arts , Phénomene brillant ,
(1) L'Hiftoire de Charles XII.
(2) Effaisfur l'Hiftoire Univerfelle.
(3) Les Croisades.
JUIN. 1756.
21
Qui , modele parfait dans des genres contraires ,
Courant par cent chemins à l'immortalité ,
Fera penfer un jour à la postérité ,
Qu'au fiecle de Louis , ont vécu trois Voltaires.
Notre esprit eft borné , nos talens font divers ,
Tel écrit bien en profe & fait de méchans vers :
Rival d'Horace & de Pindare ,
Rouffeau , dans le Comique , affis aux derniers
rangs ( 1 ) ,
Fait voir que la nature avare ,
Rarement au même homme accorde deux talens.
Quand Boileau quitte la Satyre ,
Et veut prendre dans l'Ode un vol audacieux ( 2 ) ;
C'eft , avec des aîles de cire ,
Icare qui s'éleve aux Cieux.
Mais pour toi , jouiffant d'une gloire plus pure ,
Toi , qui ſembles pêtri d'autre limon que nous ,
Enfant gâté de la nature ,
Voltaire , ton talent eft de les avoir tous .
(1 ) Les Ayeux chimériques .
(2) L'Ode de Namur.
22 MERCURE DE FRANCE.
PENSÉES ET MAXIMES.
LA délicateffe en amour , eft une fleur
qui n'a des charmes qu'autant qu'elle eft
préfentée à propos.
Ily a des hommes que le plus jaloux des
Amans ne fçauroit craindre , & ce font
ceux- là qu'en général on doit craindre le
plus.
L'art de cacher l'humiliation eſt un
triomphe , mais cet art ne peut naître que
de l'habitude d'être humilié.
La fympathie eft une confidence tacite.
Lorfque l'amour remplit une ame d'un
fentiment qui la rend heureuſe , cette ame
jouit toujours. Tous fes momens commencent
un bonheur dont elle eft déja fi
remplie.
Il eft des fecrets qu'on ne doit confier
qu'après avoir bien mérité l'eftime de ceux
à qui on ofe les apprendre.
Le plaifir fait notre féduction , mais
l'art du plaifir peut feul faire notre félicité.
Le miroir le plus fidele rend moins les
traits du vifage , que les idées que l'on a
lorfqu'on le confulte.
JUIN. 1756. 23
Lorfqu'on le voit généralement haï , on
fçait toujours pourquoi on l'eft.
Une jeune perfonne , née tendre , ne
vit que pour aimer ; fi elle n'aime pas , c'eft
une fleur qui fe fane.
Dans la douleur imprévue on fe fait
des confolations de mille chofes qui , le
moment d'auparavant , auroient été des
fujets de chagrin.
Une femme qui a des principes , croit
ne pouvoir point , ou ne pouvoir plus
avoir de foibleffe . La nature bienfaifante
permet rarement que cetre confiance ne
foit pas une erreur.
Le protecteur de l'infortune a une vertu
plus méritoire que le vengeur du crime.
Selon les femmes trop vertueufes , les
hommes ne font que ce que l'imagination
les fait. Ils n'ont fur les femmes aucun
pouvoir réel ; on leur réfifte quand on les
fuit , & ils ne triomphe que parce qu'on
aime à céder . Prévention dangereuſe pour
elles.
A juger de certaines femmes par leurs
choix mauffades & impertinents , on pourroit
douter fi l'efprit de fyftême n'y a pas
plus de part que l'efprit de libertinage.
Il y a des femmes vives & jalouſes à
qui il eft permis de croire que la délicateffe
eft un fentiment tranquille qui ne
prouve point la paſſion .
24 MERCURE DE FRANCE.
Les vertus changent de nom lorfqu'on
doit croire que ce font des armes que l'on
fournit à l'injustice.
Lorfque l'amour eft fimplement le prix
de l'amour , on doit peu compter fur fa
conftance.
Combien d'hommes dans le fein des
faveurs , n'ont pas encore autant de raifons
d'aimer , qu'un refus en donne quelquefois.
Une rupture d'éclat eft quelquefois u
bienfait.
un
Un infidele n'eft plus coupable qu'à
demi lorfqu'il n'eft pas un peu regretté.
Les jolies femmes font aujourd'hui fi
accoutumées à s'entendre dire de jolies
phrafes , qu'on pourroit prefque hafarder
de parler à leur raiſon .
La conftance des Grands eft une infidélité
que leur coeur fait à leur efprit .
Plus un déclamateur public dit des injures
au genre humain , plus il peut être
fûr de réuffir auprès des hommes , s'il parle
avec efprit.
Si j'interrogeois tout réformateur fur
fes motifs , & qu'il fût de bonne- foi , il
me répondroit , je veux régner .
Un fot avec la plus grande envie de devenir
un méchant homme , ne parviendra
jamais à l'être.
Ceux
JUIN. 1756. 25
Ceux qui font incapables de faire de
grandes fautes font peu capables de faire
de grandes choſes .
On doit être confólé des fautes qu'on a
faites , lorfqu'on fonge combien on en
pourroit faire de plus grandes.
Une foibleffe peut faire tout le bonheur
de la vie.
Il y a des femmes qui ont naturellement
tant de fenfibilité , que , fans aimer précifément
, il leur eft permis de fe rendre.
Je ne m'étonne pas fi l'efprit , qui , de
toutes les qualités , devroit être la plus aimable
, eft aujourd'hui la plus fufpecte.
Quel ufage fait- on de fon efprit ? Une arme
à feu eft moins dangereufe. Si l'on pouvoit
défendre par une loi d'avoir de l'efprit
, je ne ferois pas étonné qu'il fût un
jour défendu d'en avoir comme il l'eft de
porter des piftolets.
Il y a un bonheur qui dépend de fçavoir
céder à l'infortune .
Il y a des fentimens délicats qui fubfiftent
toujours dans le plus grand chagrin
de la paffion , parce qu'ils font raifonnables
; il y en a d'autres qui finiffent à la
moindre douleur , parce qu'ils font chimériques.
La plus belle femme doit fe conduire
avec fon amant dans le plaifir , comme
R
26 MERCURE DE FRANCE.
elle avoit affaire à l'homme le plus difficile
fur la beauté.
A la Cour , on fe perd par les dupes que
l'on fait fi l'on n'a pas l'art d'en faire.
VERS
A une Fleur , préfentée à Mademoiselle
le jour de fa Fête .
Oubliez , jeune fleur, les careffes de Flore ,
Oubliez de fon tendre époux
Les amoureux foupirs qui vous ont fait éclorre ,
Ce jardin n'eft plus fait pour vous.
Une plus belle deſtinée
A vous vient s'offrir en ce jour ;
La beauté ne vous eſt donnée
Que pour fervir à mon amour .
Venez parer la Bergere que j'aime ;
Vous feule en méritez l'honneur :
Mais fentirez - vous bien cette faveur extrême ?
C'eft au milieu des graces même
Qu'eft le lieu de votre bonheur.
Contente de pouvoir fervir à fa parure ,
A la rendre plus belle envain n'afpirez pas
Avant vous l'heureuſe nature
A raffemblé tous les appas
Pour en faire une mignature,
JUIN. 1756.
27
Puiffiez -vous plaire à fes beaux yeux !
Et pour prix de la préférence
Qui vous deftine un fort fi glorieux ,
Peignez-lui par reconnoiffance
La fincérité de mes feux ,
Peignez-lui toute ma conftance ,
Mais de vous puis- je attendre un fi juſte retour ?
Non , non vous ne pouvez lui faire bien ma
cour ;
Hélas ! de ma flamme fidelle ,
Vous n'offrez qu'un foible modele ,
Vous pafferez en moins d'un jour ,
Comment lui peindrez-vous une flamme éternelle?
A M. COUSSEAU ,
Curé & Chanoine de la Réole , fur Garonne.
IL regne regne dans ce fiecle un goût faux , qui déprime
De tout Cultivateur les travaux affidus :
Fuffiez-vous un Abdolonime ,
Un Quintius Cincinnatus ,
Vous paffez pour pufillanime.
On croit que le travail eft un enfant du crime :
On ne fçait pas qu'il eft le pere des vertus.
Humble & fçavant Curé , Miniſtre reſpectable ,
Qui dans la vigne du Seigneur ,
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
En ouvrier infatigable ,
Fais tous les jours tant de labeur ,
Avec un zele inexprimable ,
Couſſeau , toi qui nous dis que le travail des mains
Fut la tâche prefcrite au pere des humains ,
Que penſes-tu du préjugé gothique
$ Qui perfuade au Citadin ,
Que tout jardinier eſt ruſtique ,
Et que l'on s'avilit en bêchant fon jardin ?
Tu fçais que dans ton voisinage ,
Je cultive le jardinage ;
Mais fçais-tu que fouvent le Jardinier furpris ,
Devient pour les paffans un objet de mépris ?
Prête-lui de ta voix la grace & l'énergie
Dont il fut tant de fois épris :
En faifant fon apologie ,
Il va confondre ici ces frivoles efprits ,
Dont la fauffe délicateffe ,
Le vain fentiment de nobleffe ,
>
Semblent de tout travail méconnoître le prix.
Venez , faux délicats , & voyez dans l'hiſtoire
Un Mitridate , un Scipion ,
Dont il fuffit de prononcer le nom ,
Qui de la même main , qui fixoit la victoire ,
Flantoient , greffoient , bêchoient , & même en
faifoient gloire.
Fort bien. Mais autre temps ,
ton,
diront-ils , autre
C'est une erreur. Le jardinage ,
JUI N. 1756. 29
Fuf de tout temps , l'amufement du Sage ,
A commencer par Salomon.
Nous naiffons Jardiniers . L'Auteur de la nature
A grav é dans nos coeurs l'amour de la culture ;
Mais dans ce fiecle dépravé ,
C'eft vainement qu'en nous cet amour fut gravé ,
Amuſemens vains & futiles ,
Fades plaifirs , oifiveté des villes ,
Dans vos liens l'homme entravé ,
Méconnoît tous les arts utiles "
Croupit le plus fouvent dans des pratiques viles ,
Et s'ofe enorgueillir de battre le pavé.
C'est à l'homme qui penfe , au Philofophe , an
"
Sage ,
A fe garantir du naufrage ,
A lutter contre ce torrent.
Il vient dans fon jardin ; il ſaiſit au paffage
Les purs , les vrais plaifirs ; il en regle l'ufage ,
Il vit délicieuſement.
Là , comme dans un port , à l'abri de l'orage
Il rit de voir fouffler le vent.
Du fort il craint peu les caprices ,
Il fait la guerre aux préjugés , aux vices ,
Ainfi qu'aux chardons , au chiendent.
Son jardin lui paroît le jardin de délices
Où travailloit Adam même innocent ( 1 ) ,
Un plaifir , à l'autre fait place ,
Ce n'eft que goût , attrait , amufement ,
(1) Ut operaretur.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
Point de fâcheux , pour furcroît d'agrément.
Je ne fuis plus furpris qu'Horace ( 1 )
Pour un jardin fit des voeux fi fouvent.
C'eft ainfi , cher Curé , que féqueftré du monde
Auquel il rend tous fes mépris ,
Ton voifin vit dans une paix profonde
Heureux qui fçait en connoître le prix .
La Réole , le 16 Avril 1756.
(1 ) Hoc erat in votis.
9
LETTRE
Aune Dame occupée ferieuſement de l'édu
cation de fes enfans.
que MAdame , qu'il feroit à ſouhaiter
votre Lettre pût paffer dans les mains de
toutes les meres , & vos fentimens fi purs
dans tous leurs coeurs elles verroient avec
auffi peu d'étonnement que moi , une femme
aimable , née , felon elles , pour les
plaifirs , faire une diverfion affez forte ,
pour s'occuper férieuſement de l'éducation
de fés enfans. Quelques - unes de bonne
foi , entraînées par le torrent , & livrées
aux diffipations du monde , rougiroient du
moins de leur indolence. Celles qui n'ont
JUIN. 1756. 31
:
jamais imaginé qu'une mere dût autre chofe
à fes enfans que des bonbons , des careffes
, & quelques foins domeftiques , apprendroient
ce qu'exigent d'elles la nature
& leur état . A l'égard de ces meres philofophes
, qui fe faifant gloire de l'indifférence
la plus coupable , croient fe parer
du nom de femme forte , en dédaignant
des foins fi tendres & des devoirs fi facrés,
comme elles font également incapables de
fentir & de mériter un nom fi doux , je
ne doute pas que dans leur efprit le Ro
man du jour ne l'emportât fur vos réflexions
mais de quels fecours ne feriezvous
pas à celles qui , portées au bien par
un heureux penchant , & jaloufes de rem
plir les obligations indifpenfables de leur
état , gémiffent de ne pouvoir pas étendre
leurs lumieres auffi loin que leurs bonnes
intentions ? Car il en faut convenir ,
rien n'eft fi rare aujourd'hui qu'une mere
tendre & éclairée , capable de faire marcher
fur la même ligne le fentiment &
la raiſon. Ouvrez l'Hiftoire , vous y ver
rez que les modeles en ce genre ne font
pas fréquens. On ne cite à Rome qu'une
Cornelie , qui dédaignant les foins de la
parure , & les droits de la beauté , n'afpiroit
à d'autre éclat qu'à celui qu'elle recevoit
de l'éducation qu'elle donnoit à fes
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
>
enfans , dont les vertus feules faifoient fon
unique ornement. C'eft fur fes pas que
vous marchez , Madame & que vous
fourniffez fi heureufement la même carriere
quelles leçons ne me donnez- vous
pas : & qu'il m'eft doux , en fuivant vos
principes , de me confirmer dans ceux où
'étois : Que, quoique des parens vertueux
foient prefque fûrs de fe retrouver dans
leurs enfans , ils ne font point pour cela
difpenfés dans leur éducation du foin important
de fuivre pas - à - pas la nature :
Qu'il faut l'aider au contraire par tous les
moyens qu'elle indique d'elle - même pour
en obtenir tout ce qu'elle promet . Qu'une
fermeté douce & la patience ne font jamais
des moyens à négliger : Que c'eſt même
par eux -feuls qu'un Gouverneur parvient
à gagner le coeur de fon Eleve , à acquérir
le droit fi doux de le perfuader &
à bannir la crainte , l'humeur & la févérité
, pour faire place à la confiance , à
l'amitié & à la complaifance : Que l'éducation
perfectionne les qualités naturelles :
Que les ames généreufes lui doivent des
idées plus étendues , des fentimens plus
élévés , des forces nouvelles ; & qu'enfin ,
quand l'art n'a pas concouru au développement
d'un heureux naturel , les vices
deshonorent fouvent les dons mêmes de la
nature .
JUIN. 1756. 33
En effet , avec quelle adreffe , avec
quelle prudence ne vous garantiffez - vous
pas des illufions de la tendreffe , en faifant
marcher devant vous le flambeau de
la raifon ? Combien de fois, pour la fuivre,
n'impofez - vous pas filence au fentiment le
plus noble , le plus tendre & le plus pur ,
parce qu'il n'eft pas toujours le plus éclairé?
Qu'un triomphe auffi rare & aufli beau,
remporté fur vous - même , vous annonce de
fuccès dans l'éducation de vos chers enfans
! Il en eft la bafe , Madame , autant
que vos réflexions : c'eft par leur fecours
que vous vous êtes pénétrée des idées &
des connoiffances qui peuvent vous mener
à votre but. Elles vous fourniffent naturellement
les moyens les plus fûrs & les
plus facilès de développer , d'affermir dans
leur ame les fentimens fur lefquels vous
fondez leur vrai bonheur. Vous leur inf
pirez pour principe effentiel le défir de
plaire & d'être utile . C'eft d'après cette
double néceffité que vous combinez le plan
de leur éducation ; & toute entiere à ce
grand ouvrage , en vous occupant de leur
caractere & de leurs moeurs , vous ne négligez
rien de ce qui peut contribuer à
leur donner les talens de l'efprit & les graces
de la figure , convaincue que les premieres
idées de celui- ci , de même que les
B.v
34 MERCURE DE FRANCE.
premieres habitudes du corps font prefque
ineffaçables. Vous y veillâres férieufement ,
Madame , dès cet âge tendre & fi précieux
, dont l'aveugle indolence des parens
abuſe avec tant de confiance . Ne diroiton
pas qu'ils craignent de leur parler raifon
de trop bonne heure ? En n'exigeant
d'eux pendant leurs premieres années que
les mignardifes & les gentilleffes d'un
imbécille enfantillage , qui les amufe , ne
femble - t'il pas qu'ils ayent fait des prodiges
, quand au bout de trois ou quatre ans
ils font parvenus à leur apprendre une
demi-douzaine de fables , avec autant de
rébus ? Vous les voyez pâmer d'aife , &
pleurer de tendreffe , d'avoir pu mettre
l'enfant en état de les reciter , prefque
auffi diftinctement que le perroquet de
l'antichambre débite fes quolibets.
Que votre conduite eft différente , Madame
, & que vos chers enfans l'éprouvent
heureuſement !
Vous en êtes fans ceffe occupée , & vous
ne les laiffez pas un moment abandonnés
à eux-mêmes. Vous les tenez toujours en
haleine entre l'honneur & la honte , ils
font tout par ces deux mobiles , vous les
pliez au refpect fans cette foumiffion fervile
, qui n'eft le fruit que de la crainte
& de l'affectation ; vous leur infpirez deJUIN.
1756. 35
vant vous cet air de confiance , & cette
liberté douce & honnête qui donnent l'effor
à leur tendre vivacité , à leur aimable
enjouement ; vous y donnez lieu , vous
en jouiffez vous - même pour vous mena¬
ger les inftans de leur faire mille queſtions
adroites , qui leur font goûter la raiſon
dans le fein même du badinage.
Avec quelle ame ne leur parlez - vous
pas de la vertu ? Quelles graces ne lui
prêtez- vous pas dans vos portraits ? quel
appui ne lui affurez - vous pas dans vos
moeurs ? C'eft de vous , Madame , que vos
chers enfans tiennent cet efprit de douceur
, de bonté, de complaifance pour tout
ce qui les entoure , & furtout ce germe
heureux de la premiere des vertus , je veux
dire l'humanité. Avec quel art ne la cultivez-
vous pas dans leur ame , en les précautionnant
contre les préjugés , le mauvais
ton & les faux principes que le défaut
d'éducation & l'état de fervitude comportent
néceffairement . Ils aiment ceux qui les
fervent , mais fans les copier , mais fans
chercher dans leur careffes ni dans leurs
cajolleries , des confolations contre les
réprimandes & les petites mortifications ,
auxquelles leurs fautes les expofent . Ils
font polis , mais fans air , fans gêne &
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
>
fans affectation. La décence & la cordia
lité répandent fur leurs dehors & fur leur
figure ce charme infinuant , ce tendre intérêt
, ces graces naïves , que tant de meres
aveugles attendent de leur févérité ,
& de leçons des Maîtres de l'art . La nature
même , qui fe plaît à être en tout de moitié
avec vous , concourt à l'heureux développement
de leur figure. Je ne fçais
Madame , comment vous pouvez , en élevant
vos enfans chez vous, leur fauver les
inconvéniens de l'éducation particuliere.
Je les vois fans négligence , fans timidité ,
fans ignorance du monde avec leurs femblables
, quoiqu'ils n'y vivent pas d'ordinaire
: ils jouent avec eux fans querelles ,
les plaifantent fans caufticité , & leurs cedent
fans chagrin , & dans leurs occupations
l'émulation même leur devient familiere
. Qu'il eft aifé de reconnoître en cela
les premiers fruits de la raifon , que vous.
leur rendez fi aimable , & dont vous les
occupez fouvent , fans qu'ils s'en doutent.
J'aime à vous entendre dire qu'il n'eft
point d'âge où l'on doive la cacher à l'hom
me puifqu'il naît pour marcher à fa lumiere
, quelque vive qu'elle foit , elle
n'eft point faite pour bleffer fes regards.
Le jeune Aiglon dans fon aire , fixe déja
l'aftre du jour ; vous leur parlez toujours
JUIN. 1756. 37
vrai , vous fçavez de quelle conféquence
il eft de ne leur en point impofer dans un
âge où les préjugés les plus abfurdes germent
plus aifément encore que les vérités
les plus évidentes. Vous avez fçu abréger
leur enfance , en leur apprenant de bonne.
heure à faire ufage des premieres lueurs
de l'intelligence : vous avez jetté dans leur
efprit , dès qu'il s'eft ouvert, la netteté , le
choix , l'ordre & la fuite des idées les plus
faines , & vous les garantiffez fans ceffe
de toutes les bluettes d'une imagination.
bouillante & déréglée ; vous fçavez trop
que les vains phofphores de l'efprit , en
ne jettant autour de nous qu'une lumiere
froide & fans vie , commencent par nous
éblouir , & finiffent par nous égarer.
>
Vous leur parlez de ceux qui les inftruifent
avec cette confidération marquée
qui fe convertit chez eux en égards ingenus
& en ce refpect tendre & flatteur ,qui
peut feul donner aux avis , aux leçons , au
Maître lui- même , l'importance , le poids
& le crédit qu'on attendroit vainement de
l'empire & de l'humeur.
Voilà les fruits de cette autorité douce ,
qui s'adreffant d'abord au coeur qu'elle touche
& qu'elle perfectionne , a droit enfuite
de corriger l'efprit qu'elle éclaire : & en effet
, qui peut mieux qu'une mere étudier
>
18 MERCURE DE FRANCE.
le temperament , connoître le caractere , &
démêler tous les goûts de fes enfans ? en
eft- il d'infenfibles au cri de la nature? Cette
voix fi tendre & fi infinuante , qui puifant,
pour ainfi dire , fes leçons au fond des
entrailles maternelles , les tranfmet avec
ces foupirs , cette chaleur , ce fentiment
qui les fait adorer , n'a-t'elle pas droit de
les graver au fond des ames ? Ces reproches
aimables & fi puiffans , qui préviennent
fans ceffe , ou du moins qui temperent
la févérité quelquefois indifpenfable
, n'en affurent - ils pas les effets , même
en écartant les peines ? Tel eft le fruit de
la tendreffe intelligente d'une mere refpectable
, qui par les qualités de fon ame ,
l'élévation de fon efprit & l'étendue de fes
connoiffances , peut feule leur fervir de
modele & de guide , en les conduisant au
devant des arts & des vertus.
Mais , Madame , ' fi quelque chofe me
flatte auprès de M. votre fils , quelqu'intéreffant
qu'il foit par lui-même , c'eft de
partager avec lui les aimables leçons que
vous lui donnez , & dont je ne puis trop
profiter pour moi ; il n'eft pas toujours
néceffaire d'être enfant pour être docile ;
partout où le vrai nous frappe , on ne peut
s'y refufer auffi c'eſt à lui feul à vous
faire agréer l'hommage que je rends ici à
:
JUIN. 1756. 39*

la plus digne des meres. Quel befoin n'avois
- je pas de vos confeils c'eft en fe
communiquant leurs lumieres que les hommes
peuvent s'éclairer , car quel être peur
efperer fe fuffire : & fur ce chapitre , je
l'avoue , je fuis moins expofé que perfon-.
ne aux illufions de l'amour- propre. Il n'a
que trop de quoi fe fatisfaire dans la juftice
que vous voulez bien rendre à mes
intentions , à mes foins ; & l'eftime dont
je jouis auprès de vous , lui laiffe peu de
voeux à former. Jugez , Madame , fi par
les fecours que vous me donnez , je ne
chercherai pas fans ceffe à juftifier votre
choix, & fi , glorieux de concourir aux fuccès
que vous avez droit d'attendre de vos
foins fi fages , je m'écarterai un feul moment
de votre point de vue. La connoiffance
que j'ai du caractere de mon cher
Eleve , me met à même d'aider à vos découvertes
fur fes goûts & fur fes penchans
. L'examen en eft d'autant plus facile,
qu'à fon âge on eft moins ingénieux à ſe
voiler , & que la nature fe montre telle
qu'elle eft.
Que ne nous promer pas fa conception
plus folide que brillante , & qui eft déja
même de nature à garantir le fuccès de fes
études ? Vous vous appercevez fans doute
qu'il perd de jour en jour de fes diftrac40
MERCURE DE FRANCE.
tions , auxquelles les plus petits objets
fervoient fans ceffe d'aliment , & je crois
n'avoir plus à craindre que la légèreté de
fon âge devienne une des bafes de fon caractere.
Elle n'eût pas manqué d'entraîner
avec elle une diffipation , qui eût bientôt
porté autant de préjudice à fes moeurs
qu'à fes talens.
Née trop forte & trop fage pour vous
faire un capital de fes amuſemens , vous
ne les permettez que comme un encouragement
, que comme une récompenfe ,
& c'eſt par eux que vous trouvez l'art de
lui rendre aimables fes exercices & fes
petits travaux vous excitez fon émulation:
fans qu'elle ait rien à craindre des careffes
& de l'indulgence : vous le récompenfez
fans éloges , ou vous le puniffez.
fans le décourager. Comme je veux , Madame
, vous imiter en tout , quelque bien.
qu'il y ait à dire de fon coeur excellent
j'attendrai pour prononcer , & pour y lire,
avec vous des chofes encore plus flatteufes,.
que la raifon même ait confirmé aux yeux.
de M. votre fils , & développé l'heureux
penchant qui l'amene auprès de vous ,
qui lui fait déja fentir comme par inftinct
le prix de vos leçons & de votre tendreffe.
>
Avec quelle joie ingénue , avec quel
JUIN. 1756 .
emportement aimable n'a-t'il pas dévoré
votre premiere Lettre ! cependant il eft
dans un âge où l'on ne fent pas encore
tout ce qu'on doit à fes parens , & auquel ,
peu occupé de foi - même, il n'eft pas facile
qu'on le foit affez d'eux , pour fe demander
fi c'eft à titre d'obligation ou de bien-
> fait qu'ils nous donnent leurs foins . Cependant
fa fenfibilité s'eft fait jour jufqu'à
moi , il fent toutes vos bontés , & fon petit
coeur , qui déja s'excite à la reconnoiffance
, même à l'égard de fon Mentor ,
garantit affez par- là tous les fentimens &
le refpect qu'il conferve pour la plus digne
des meres
.
Si quelque chofe me touche dans cette
noble récompenfe de mes foins & de mes
peines , c'eft de me la faire partager avec
vous dans fon coeur : rien n'annonce mieux
l'harmonie & l'intelligence qui nous font
concourir aux mêmes faccès & au même
but , & fans lefquelles l'efpoir de voir
réuffir une éducation devient presque chimérique.
Car foit par la faute des parens
ou du gouverneur, il n'eft pas rare de voir
détruire d'un côté ce qu'on édifie de l'autre
; c'eft prefque toujours cette tour fi
fameufe par la confufion des Langues
Delà tant d'éleves manqués , tant de gouverneurs
découragés , tant de parens qui
42 MERCURE DE FRANCE.
?
travaillent eux- mêmes à fe préparer des
peines & des regrets. Cette funefte defunion
n'échappe jamais aux éleves : leur
amour pour l'indépendance y trouve trop
d'avantage pour ne pas balancer , & même
anéantir une autorité par l'autre auffi
quels triftes effets n'en réfulte t'il pas
Mais je me vois heureuſement à l'abri de
ces inconvéniens par les idées avantageufes
que vous voulez bien donner de moi
a M. votre fils : ma modeftie même s'en
feroit allarmée , Madame , fans la néceffité
où je fuis de ne négliger aucun moyen
pour gagner dans fon coeur une confiance
égale à celle que vous voulez bien me mar
quer. Quand le Maître eft aimé , les devoirs
deviennent bientôt aimables ; &
comment l'être aux yeux d'un jeune homme
fans quelques marques d'une diftinction
honnête (fi capables d'ailleurs de flatter
un galant homme , ) & fans un pouvoir
un peu étendu , qui peuvent feuls engager
P'éleve à mettre un prix à la douceur &
aux complaifances qu'un Gouverneur emploie
pour gagner fon coeur , & tourner
enfuite au profit de fes études la tendre
autorité qu'il s'eft acquife fur fes fentimens.
C'eft par- là qu'il peut travailler efficacement
à détruire dans leurs principes les
JUIN. 1756. 43
guerre
plus grands défauts , & déclarer la
à l'humeur , à l'opiniâtreté , à l'inapplication
, & furtout à l'amour - propre , ce
vrai Prothée , qui prenant toutes fortes de
nuances fe replie de cent façons pour
échapper à la vigilance de nos recherches ,
& auxquels il ne faut fouvent que préfenter
un objet raifonnable pour le faire tourner
au profit de la fociété & de nous -mêmes,
enfin pour accréditer les droits de la
vérité , & avoir celui de la montrer dans
tout fon jour. C'eft par-là qu'on parvient
à lui infpirer adroitement le goût de l'étu
de fans le rebuter , & qu'en diverfifiant
avec ordre fes occupations les unes fervent
de délaffement aux autres , comme les
exercices du corps mêlés avec l'étude, tiennent
fouvent lieu de récréation .
C'eft en développant ainfi fes difpofitions
naturelles , en élevant fon ame , en
perfectionnant fon efprit , en réglant fon
imagination , en lui donnant de l'étendue ,
de la fineffe , en modérant fes paffions ,
enfin en formant fes goûts & fon coeur an
folide , au beau ,à l'honnête , à l'utile ,
que l'on peut lui faire trouver fon plaifir
dans fa gloire , & fon bonheur dans
tous les deux.
C'est ainsi qu'il peut devenir un Citoyen
utile à fa patrie & à lui-même ; que l'a44
MERCURE DE FRANCE.
mour maternel & la tendre amitié s'u
niffent pour nous affurer , à vous , Madame
, un fils digne de vos foins ,
de vos
talens , de vos vertus , & à moi un ami
qui acquitte un jour les fentimens tendres
& diftingués dont il jouit déja dans
mon coeur ; qu'il nous trouve uniquement
occupés de lui , & qu'en nous voyant auffi
conftamment attentifs aux moyens de le
rendre heureux , & à faire dépendre notre
félicité de la fienne , il foit convaincu pour
jamais que le bonheur le plus pur , & le
plus véritable doit réfulter fans ceffe des
foins que l'on prend pour affurer celui des
autres. Puiffe-t'il lire dans mon coeur toute
la tendreffe , toute la juftice , tout le refpect
qu'il vous doit ! Il y verra que fi quel
que chofe peut les égaler , ce ne peut être
que les fentimens du profond refpect avec
lequel je fuis , Madame ,
Votre très - humble , & c .
Ce 10 Mars 175.6.
JUIN. 1756. 45
VERS
De Mademoiselle C *** , à M. G ... à
l'occafion de quelques mauvaiſes plaifanteries
faites fur fon Epitre à Thalie ( petite
Chienne ) ; inferée dans le fecond Volume
du Mercure d'Avril.
DEs vains propos des envieux
Tircis , que ton coeur fe confole !
Un tendre amant , pour l'honneur de ſes feux ,
De la fidélité doit chanter le fymbole,
Qu'ils fçachent , tes Cenfeurs , qu'un fimple Per
roquet
Exerça les talens d'Ovide & de Greffet ;
Que de Catulle encor le fenfible génie
N'en eft pas moins aujourd'hui révéré
Pour avoir jadis célébré
Le Moineau de Lefbie.
RÉPONSE
De M. G *** .
Vous défendez mes vers , j'obtiendrai la victoire
:
Je fens d'un foin fi doux mon amour propre enflé ;
46 MERCURE DE FRANCE.
Mais vous ne fongez qu'à ma gloire ,
Et je ne fais , hélas ! qu'à moitié confolé.
De Chartrait , près Melun.
Nous prions l'Auteur de ces Vers de
nous envoyer une nouvelle copie du Madrigal
fur le Volant , ayant égaré la
miere.
pre-
VERS
A Madame leM... qui m'en avoit demande.
JEune M .... de ma promeffe
Voulant tenir l'engagement ,
Hier j'invoquois humblement
Le fouverain Dieu du Permeffe ,
Lorfque pour la premiere fois
Ce Dieu , jugez de ma furpriſe ,
Parut être fourd à ma voix .
Je pourſuivis mon entrepriſe :
On est trop jaloux de fon fort
Lorſqu'on travaille pour vous plaire.
Je me mis à crier plus fort ,
Et le Dieu ceffa de fe taire.
Craignant d'être mal à fa Cour ,
Pour prévenir toutes diſgraces ,
JUIN. 1756 . 47
"
Je l'affurai qu'au nom des Graces ,
J'étois envoyé par l'Amour.
Ce mot diffipa fa colere :
Je vous nommai , belle M ....
Et bientôt ce Dieu radouci ,
Sembla vouloir me fatisfaire .
Je connois , dit-il , fes appas ;
Je veux bien te prêter ma lyre :
Mais ma puiffance ne va pas
Jufqu'à peindre ce qu'elle inſpire.
LETTRE
A M ***
JE fuis bien éloigné , Monfieur , d'approuver
la critique qu'on a faite de quelques-
uns de vos vers , quoique vos Ĉenfeurs
s'appuient fur l'autorité des regles
de la verfification. En général , un refpect
trop
fervile pour les regles eft peut-être un
des plus grands obftacles aux progrès des
Arts . Un Auteur qui travaille de génie , ne
fe renferme point dans le cercle étroit
qu'elles femblent lui prefcrire. Affuré
qu'elles ne font que le réfultat des obfervations
faites fur les Ouvrages qui ont généralement
plu , il fçait que les premiers
48 MERCURE DE FRANCE.
Obfervateurs ont pu s'égarer dans leurs
remarques ; que plufieurs objets peuvent
avoir échappé à leur fagacité , & qu'enfin
leurs maximies font fufceptibles de modifications
, & doivent être fouvent rectifiées
avant que l'art qu'elles ont pour objet parvienne
à fa perfection . Rarement affujetti
au détail minutieux des préceptes , il fixe
fa vue fur les principes généraux dont il
tâche de développer l'efprit ; & les applications
qu'il en fait , ayant pour fondement
la jufteffe de ſes réflexions , deviennent
des regles , parce qu'elles font prifes
dans la nature.
fi
C'eft furtout par rapport à la poéfie que
cette méthode doit être employée. Cet art
peu propre , ce femble , femble à porter le joug
des regles , eft cependant chargé d'une
multitude de petits préceptes qui ont rapport
aux méchanifme des vers , & dont
Ï'obſervation feroit capable d'éteindre le
feu du plus heureux génie , s'il vouloit s'y
foumettre fcrupuleufement : mais le Poëte,
laiffant cette fervitude au fimple Verfificateur,
remonte à la fource ; & voyant que
tout ce méchanifme n'eft fait que pour plaire
à l'oreille , il cherche à fatisfaire ce juge
naturel & fouverain de toute harmonie
fans s'arrêter aux décifions magiftrales des
Compilateurs de regles.
Appliquons
JUI N. 1756. 49
Appliquons ces réflexions à l'ufage que
vous avez fait dans vos vers de l'e muer ,
précédé d'une voyelle , & voyons les objections
que vos Critiques vous oppoſent.
Ily a, dit l'Auteur des Elémens de Poéfie
Françoife ( 1 ) , des e muets qui ne ſe prononcent
point dans les mots où ils entrent, comme
dans ſoient , aient (âu pluriel) , qui n'ont
pas d'autre prononciation que foit , ait ( au
fingulier ) ilfaut éviter de faire entrer dans
vos vers ces fortes d'expreffions.
Si l'Auteur de cette remarque avoit médité
les premiers principes de la verſification
, s'il avoit bien compris que fon
méchanifme n'eft fait
bien loin de conclure de ce que l'e muet
que pour l'oreille ,
de ces mots ne fe prononce pas , qu'ils
doivent être profcrits en Poéfie , il en
auroit tiré une conclufion toute oppofée.
*
En effet , c'eft
précisément parce que l'e
muét ne fe fait pas fentir dans ces pluriels
aient , foient , que leur fon eft exactement
le même que celui de leurs finguliers :
Or , s'ils n'affectent pas l'oreille d'un fon
différent , où fera la raifon de rejetter les
uns plutôt que les autres ?
( 1 ) Joannet , Elem. de Poéf. Franç, tom . 1.
pag. 30,
C
50so MERCURE DE FRANCE.
On objecteroit vainement que ces mots
ayant une muet , précédé d'une voyelle ,
qui ne peut être élidée , ils ne doivent
jamais être employés dans un vers à
moins qu'ils ne le terminent. Un uſage
qu'on a traité de licence dans les premiers
Poëtes qui l'ont hafardé , mais qui eft devenu
une regle conftante , parce qu'il eft
fondé fur le refpect que la Poéfie doit à
l'oreille , détruit cette vaine objection.
Qui ne fçait que lorfque l'e muet , précédé
d'une voyelle , fe trouve au milieu
d'un mot , il eft fupprimé par une efpece
de contraction ? Seroit- il néceffaire d'apporter
des exemples d'une regle fi connue
& fi univerfellement admife ? il ne faut
qu'ouvrir nos meilleurs Poëtes pour les
voir fe multiplier à chaque page ; contentons
- nous de ces deux. Le premier eft
de Racine : ( 1 )
» J'efpere toutefois qu'un coeur fi magnanime
»Ne facrifîra point les pleurs des malheureux ...
L'autre eft de Moliere. ( 2 )
>>Pour moi , je ne fçais pas , mais j'avourai tout
haut
>>Que j'ai cru jufqu'ici Madame fans défaut .
(1 ) Mithridate , act . 1 , fc. 2.
(2) Misantrope, act. 2 , lc. ş ,
JUIN. 1756.
On voit que l'e muet qui fe trouve au
milieu de ces mots , facrifiera , j'avouerai ,
ne pouvant pas s'élider , eft néanmoins
enlevé dans la prononciation , & ne forme
point de fyllabe.
( 1 ) Peut - être infiftera - t'on ? car les
Compilateurs des regles ne laiffent pas
volontiers entâmer les droits de leur légiflation.
On dira que lorfque dans le
même mot l'e muet , précédé d'une voyelle
, eft fuivi des lettres nt , ce mot ne
peut fe mettre qu'à la fin d'un vers. Mais
fans parler de la troifieme perfonne du
pluriel des imparfaits & des préfens conditionnels
à laquelle cette loi n'eft pas applicable
, cette foule d'exemples que je
cite en note ( 2 ) montre que fi cette ob-
(1 ) Reſtaut , regle de la verfific.
(2) Volt. Semiramis , act. 1. fc. 4. Zaïre , ſc.
dern. Mariamne , act . 3. fc . 1. Rac. Alexan. act. 2.
fc. 2. Les Plaideurs , fc. dern . Mithridate , act. 4.
fc. 4. Iphigénie act . 4. fc 8. Efther , act. 1. fc. s .
act . 2. fc . 9. Phédre , fc. dern . Ath act 4. fc. 3.
Greffet. Ep. à fa Mufe. Ode fur l'am. de la pat.
Egl . 4. vers dern. Egl . 9. Edouard, act. 1. fc. 4. act.2 .
fc. 2. le Mech. act . 1. fc . 6. Moliere Etourdi , act.
1. fc. act fc. 1.
3.
act . fc.
5. 3. Dep. am. act . 2 .
fc. 8. Dom. Garcie , act . 5. fc . 3. Ēc. des Mar.
act . 1. fc . 1. act. 2. (c. 12. Amphit. a&t. 3.
Fach act. 2. fc. dern . Montfleuri , Didon , act .
fc. 1. Chateaubrun , les Troyennes , act. 1. fc. 7.
act. 2. ſc. 1. act, 3. lc. 5 .
4 .
fc. 2.
2.
Cij
12 MERCURE DE FRANCE.
fervation eft jufte quelquefois , il s'en
faut bien qu'elle puiffe être donnée pour
une regle générale . Je prends au hazard
quelques- unes des autorités citées.
» Mais que les Avocatsfoient déſormais
plus courts.
Quels que( 1 )foient les humains, il faut vivre avec
>> eux,
»Si l'on veut que toujours ils aient la bouche
cloſe.
Vous tenez dans vos mains la fortune & la vie
»De l'objet le plus rare & le plus précieux
❤Que jamais à la terre aient accordé les cieux.
Ils ne voient devant eux qu'une immortelle joie.
Que tant de Rois ne croient affurer leur victoire
* Qu'en éteignant de lui juſques à ſa mémoire. »
C'eſt ainfi que parlent Racine , Moliere
, Greffet , Voltaire , Châteaubrun , en
un mot , nos Poëtes les plus célebres .
Mais quand on prouveroit que nos
Verfificateurs exacts évitent réellement
2
(1) Nous croyons que l'e n'eft que pour l'ortographe
dans le mot foient , qui ne forme qu'une
fyllabe mafculine ; à l'égard de croyent , voyent
&c, nous penfons que l'e s'y fait fentir , qu'ils font
de deux fyllabes , comme Troie , joie , & qu'ils ne
peuvent entrer qu'à la fin d'un vers féminin , par
la raifon qu'ils ne fçauroient être élidés. Voilà
pourquoi l'exact Racine ne les a jamais employés ,
ainsi que Defpreaux,
JUI N. 1756. 53
d'employer ces mots , j'oferois avancer
que ce fcrupule feroit de pur caprice , &
devroit être réformé , bien loin de faire
loi. La Poéfie efclave née de la Langue ,
ne peut jamais fecouer fon joug. Sans ceffe
affujettie à fes loix , elle doit la fuivre dans
toutes les variations que l'ufage lui im
pofe , & l'une & l'autre font affervies à
ce tyran jufques dans fes caprices les plus
bizarres. Qui oferoit fe déclarer aujourd'hui
pour ces rimes de la fyllable ois , qui
confervant la prononciation naturelle dans
l'un des vers , & prenant le fon ais dans
l'autre , rimoient aux yeux , & bleffoient
l'oreille ? Il en eft de même des mots dont
je parle on prononçoit autrefois ayent ,
foyent en deux fyllables , & alors ces pluriels
ne pouvoient être admis qu'à la fin
du vers , parce que leur derniere fyllabe
rendant un fon obfcur , leur donnoit une
terminaiſon féminine , qui ne pouvant pas
être élidée , auroit fait languir la verification
& détruit l'harmonie ; mais depuis
qu'on prononce aint , foint d'une feule fyllabe
, le fon eft plein , l'harmonie ſubſiſte ,
& l'oreille eft fatisfaite.
Concluons que toutes les fois que l'e
muet précédé d'une voyelle peut être fupprimé
dans un mot fans bleffer les loix de
la prononciation , ce mot doit être em-
C iij
54 MERCURE DE FRANCE .
ployé en poéfie , comme fi l'e muet n'y
exiſtoit abſolument point.
Qu'on ne me taxe pas de favorifer les
négligences dans la poéfie . Je fçais que fi
elles ont peut - être ajouté des graces à
quelques - unes de ces pieces voluptueufes
qui ont immortalifé un petit nombre de
Poëtes amans de la molleffe , elles font
repréhenfibles partout ailleurs. Les oreilles
Françoiſes font fans doute les plus délicates
du monde ; il femble que notre Poéfie
ait voulu fe dédommager par l'exactitude
rigoureufe qu'elle exige de cette cadence
harmonieufe que la combinaiſon
des fyllabes breves & longues donne aux
vers Grecs & Latins. Il faut convenir que
la maxime de Defpreaux eft plus jufte
parmi nous que par tout ailleurs :
» Le vers le mieux rempli , la plus belle penſée
» Ne peut plaire à l'efprit , quand l'oreille eft
je
» bleffée. » ( 1 )
Peut-être direz - vous , Monfieur , que
fuis trop févere fur cet article , fi je hazarde
ici deux obfervations qui ont rapport
à la matiere que nous venons de traiter.
Elles font des conféquences du principe
qui fert de fondement à tout ce que
j'ai dit juſqu'ici , c'eſt- à- dire que l'oreille
(1) Art poét. chant 1 .
JUIN. 1756. 55
feule eft en droit de prononcer fur tout ce
qui a rapport au méchanifme des vers .
Comment en effet ce Juge fi févere de
notre Poéfie n'a- t'il pas été choqué de ces
terminaifons que nos Poëtes fe croient
obligés de mettre au rang des féminines ,
parce qu'elles le font grammaticalement ,
mais qui font réellement mafculines dans
la prononciation ? Je parle de ces mots :
Joye , Proye , & autres femblables . Qu'on
life fix vers où ces rimes foient employées ,
on fentira , je m'affure , la même rudeffe
qu'en lifant trois rimes mafculines de fuite.
Mais l'oreille en fera bien plus choquée
encore , fi la fyllabe ois forme une des rimes
, comme dans ces vers de Racine.
» Avant que tous les Grecs vous parlent par ma
>>voix ,
>> Souffrez que j'ofe ici m'applaudir de leur choix ,
» Et qu'à vos yeux , Seigneur , je montre quelque
»joie
>> De voir le fils d'Achille & le vainqueur de
❞ Troye.
» Oui , comme fes exploits , nous admirons vos
>>coups ;
» Hector tomba fous lui ,Troye expira fous vous..
Andromaque , act . 1. fc. 2 .
Je n'ignore pas que l'ufage permet cette
1.
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
monotonie , & qu'on pourroit citer contre
moi l'exemple de nos meilleurs Poëtes ;
mais j'avoue que mon oreille peu faite au
joug de l'autorité n'en eft pas moins bleffée ;
& fi le préjugé empêche encore nos Auteurs
de placer la terminaifon oie au rang
des mafculines , je voudrois du moins
qu'ils évitaffent de l'employer comme féminine.
(1 )
Un autre ufage contre lequel j'ofe encore
me déclarer , c'eft celui qui admet
dans nos vers l'e muet , précédé d'une
voyelle , lorfqu'il eſt élidé par le mot qui
le fuit. Confultez , je vous prie , Monfieur,
le Juge que nous avons indiqué , & voyez
fi cette élifion ne produit pas le concours
vicieux de voyelles que nous nommons
hiatus . Dans ces mots , par exemple , armée
ennemie , ennemie inflexible , l'e du mot
armée ne heurte- t'il pas celui du mot ennemie
? & l'i de ce dernier mot , avec le
premier du mot inflexible ne s'entre- choquent-
ils pas dès que l'e muet qui les fépare
eft enlevé ? La prononciation n'eftelle
pas exactement la même que fi on difoit
armé ennemie , ennemi inflexible ? Or ,
( 1) On ne fait pas difficulté de mettre au rang
des rimes mafculines , la troifieme perfonne du
pluriel des imparfaits & des préfens conditionnels :
il avoient , ils aimeroient.
JUI N. 1756 . 57
fi dans ce dernier cas les loix de la Poéfie
font violées , pourquoi le feroient- elles
moins dans le premier ? Pour moi , je confeffe
que je n'y trouve nulle différence , &
que je vois dans l'élifion de l'e muet , précédé
d'une voyelle , un véritable hiatus ,
que tout Poëte , dont l'oreille fera un peu
fcrupuleufe , évitera foigneufement .
J'ai l'honneur d'être , & c.
A Bordeaux , le 4 Mars 1756.
EPITRE
Aun Amifur l'inconftance defa Maîtreffe.
Q Uoi ! pour une ingrate maîtreffe ,
Tu pouffes de lâches foupirs ?
Fais vîte expirer ta trifteffe
Dans le vafte fein des plaifirs.
La cruelle perfévérance
Ne re promet que des malheurs ,
Laiffe à la propice inconſtance
Le foin de finir tes douleurs.
D'une tendreffe monotone
Rejette le fatal poifon ;
En amour , plus l'efprit raiſonne ;
Et moins le coeur a de raifon.
Si par une feconde ivreffe ,
Cv
S MERCURE DE FRANCE.
Le fin buveur reprend les fens ,
C'est une feconde maîtreffe
Qui peut appaifer tes tourmens.
Ah! de l'aimer toute ma vie ,
Me diras- tu , j'ai fait ferment.
Quel eft le ferment qui te lie ?
Tu ceffes d'être fon amant.
Sans bleffer la délicateffe ,
Tu peux renoncer à fes loix :
Elle a dégagé ta promeffe ,
Lorfqu'elle a fait un nouveau choir.
Non , tu n'étois point né pour elle
Avec tant de fincérité.
As-tu pu croire qu'une belle
Eût pour don l'ingénuité ?
Ce fexe trompeur met fa gloire
A manquer tous les jours de foi:
Cours donc de victoire en victoire ,
Et dans lui ne cherche que toi.
Approuve mon fage fyftême.
J'aime pour remplir mes loisirs ,
Et n'envifage que moi-même
Dans mes plus folides défirs.
Néanmoins redeviens fidele .
Si par un fingulier haſard ,
Tu trouvois femme jeune & belle ,
Qui penfât & parlât fans fard.
En vain , d'une fi rare chaîne ,
Voudrois tu goûter la douceur ,
JUIN. 1756. 59
Suis la mode , ami , fuis la gêne ,
Si tu veux faire ton bonheur.
De Brie , Ad. d'Arp.
LE PRINTEMS.
QueUe de fleurs vont éclorre !
Zéphyr eft de retour >
On l'a vu près de Flore
Déja parler d'amour .
La terre de verdure
Eft couverte en tous lieux ;
Et jamais la nature
Ne fut plus belle aux yeux.
Dans ce nouvel empire
Tout invite aux plaiſirs :
L'air même qu'on reſpire
Fait naître les défirs .
Du fond de leur retraite
Sortent les Dieux des bois ;
Et Pan danfe à leur tête
Au fon de fon hautbois.
Cithérée & les Graces ;
Qui la fuivent toujours ,
Folâtrent fur leurs traces ,
Conduifant les Amours."
Cvj C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
}
A leur troupe riante ,
Se joignent les bergers ,
Et le beau Daphnis chante ,
Des airs tendres , légers.
Dans le loint ainfi Lifette ,
D'Iphis qu'elle chérit ,
Ecoute la fleurette ,
Le regarde & fourit.
>
« Jeune & belle Bergere »
Dit Iphis , plein d'amour ,
« Du bonheur que j'efpere,
» Enfin , voici le jour.
» L'hyver , point d'amourette,
» C'eſt l'uſage en nos champs :
» Mais tu fçais bien , Lifette ,
» Que l'on aime au printems.
» Le mois des fleurs t'invite
» A couronner mes feux...
La belle rêve , héfite ,
Et fe rend à fes voeux.
D'un pas lent & timide ,
Elle fuit fon amant :
La Volupté les guide
Vers un bosquet charmant,
Le plaifir y repofe
Sous un berceau de fleurs :
Iphis cueille une roſe ,
Les Amours font vainqueurs ,
JUI N. 1756.
61
LA CHOSE EST SINGULIERE,
Nouvelle d'un moment.
Comme ce Roman eſt dénué d'épiſodes
& de réflexions , & qu'il eft réduit au feul
fait hiftorique , il fera court , mais il n'en
paroîtra pas moins fingulier ; quoiqu'il ne
contienne que deux pages.
Effectivement , on ne s'attend pas à voir
un homme de quatre-vingts ans , rajeunir
au point de devenir amoureux : c'eſt cependant
ce qui eft arrivé au héros de cette
nouvelle . Attendre , à aimer pour la premiere
fois , que l'on foit octogénaire , eft
une chofe fort finguliere , qui la feroit
toutefois encore plus , fi l'amour n'étoit
pas de tout âge.
Nicandre avoit dès fa jeuneffe aimé
paffionnément le jeu : on ne fent guere
deux paffions à la fois. D'ailleurs il eft reconnu
qu'un joueur ſe fouftrait très- aifément
à l'empire des femmes ! Vaut- il mieux
être joueur qu'amant ? C'eft ce que je ne
déciderai point. Peu importe la façon
dont on fait fa cour aux Dames , dès qu'on
la fait à ce goût décidé pour le jeu , fuccéda
la plus vive ardeur pour la chaffe ;
:
1
62 MERCURE DE FRANCE.
amours de chaffes , amours de paffage ,
nous ne fommes plus au tems où les bois
étoient les fidéles témoins des conftances a
toute épreuve , & ce n'eft pas un mal ; l'inconftance
eft une des fources du plaifir ,
celui du changement n'eft rien moins
qu'une chimère. Nicandre trop fenfé pour
reprendre le goût du jeu , trop caffé pour
continuer l'exercice de la chaffe , crut qu'il
lui reftolt encore affez de reffort dans le
coeur pour aimer , & affez d'agrément pour
plaire ; en eft-il dans les gens de fon âge ?
il le penfoit apparemment. En conféquen-'
ce il fe mit au rang des adorateurs d'Eliante
, jeune femme qui joignoit à un peu
de taille , affez de figure , & à beaucoup
d'efprit , la coqueterie la plus raffinée.
Quelle femme pour Nicandre ! Mais fufpendez
votre jugement , vous devez vous
attendre ici au fingulier.
Dix rivaux des plus leftes n'étonnerent
point l'homme du monde qui l'étoit '
le moins. Les femmes ont des caprices ( fe
difoit- il ) , & Ninon a plu à quatre-vingts "
ans . En falloit - il davantage pour efpérer ?
Mais notre héros réuffit -il ? Oui , contre
route vraisemblance . Il fit à l'objet de fa
tendreſſe une déclaration en forme de
manifefte : il s'appuya de toutes les autorités
qui pouvoient fervir & flamme , écarJUIN.
1756.
6 3
ta tout ce qui pouvoit avoir rapport à la
chafte Sufanne , jura qu'il étoit paffionné ,
prudent & difcret , ajouta à cela des chofes
fi peu vraisemblables , qu'il piqua la
curiofité d'Eliante. La curiofité eft en vérité
une choſe bien finguliere . Nicandre
n'étoit pas fanfaron ; car fa nouvelle conquête
débarraffée de fon mari ( que la mort
prit par inadvertence ) , n'eut rien de plus
preffé que de l'époufer. Il eft vrai qu'il a
du bien , mais à cela près , ils vivent enfemble
bourgeoiſement , & fervent d'exemple
aux époux fideles ; c'eft ce qui m'en a paru
le plus fingulier : la choſe en effet eft trèsfinguliere.
VERS
Sur le Mariage de M. le Comte d'Egmont
avec Mademoiselle de Richelieu.
A
Quoi me fert l'ardeur de fignaler mon nom ?
Oferois-je chanter un fi grand Hyménée
Sur une lyre ingrate & prefque abandonnée ?
Seul tu peux te fervir de celle d'Apollon ,
Heureux Chantre d'Henri ! ce Dieu te l'a donnée.
Que n'ai - je du moins le pinceau ,
Ou d'un le Moine , ou d'un Apelle !
Au défaut du talent , le fujet du tableau
Peut encor échauffer le zele.
64 MERCURE DE FRANCE.
Ainfi m'élevant juſqu'aux cieux
A cette fête folemnelle
J'oferois raffembler les Dieux .
Telle qu'Hebé de rofes couronnée ,
Par fa beauté fur elle attachant tous les yeux ,
L'époufe y recevroit des mains de l'Hyménée
Son époux , le front ceint de ce noble lauriér
Dont Mars honore le guerrier :
On verroit ce Dieu redoutable ,
Par le préfent d'un bouclier
A tous les traits impénétrable
Du Héros affurer le jours ,
On verroit d'autre part les Graces , les Amours ,
A qui Venus doit la ceinture ,
Chef-d'oeuvre de leurs mains , l'ame de la nature,
.Et dont l'effet eft de charmér les coeurs
En dépouiller la Déeffe jaloufe ,
Pour affarer le bonheur de l'épouſe ,
Par le don d'infpirer d'éternelles ardeurs.
Dans le tableau d'allégreffe publique ,
Vis-à- vis des époux je place le deftin .
" Son livre eft ouvert fous fa main ,
Ce livre d'or où l'avenir s'explique.
Au deffous de ces noms à jamais glorieux ,
D'Egmonts , Pignatellis , Guifès & Richelieux ,
On verroit la fuite nombreuſe
De Héros & de demi - Dieux ,
Illuftres rejettons de cette tige heureuſe
Qu'à la France annoncent les Cieux ¿
JUIN. 1756.
:
Qui grands également dans la paix ,dans la guerre ,
Par des vertus dignes de leurs ayeux ,
Seront un jour l'exemple & l'amour de la Terre.
AMademoiſelle de R *** , en réponſe à la Let
tre qu'elle a écrite à M. de Baſtide dans le
Mercure de Mai 1756 , où elle le prie de
décider lequel eft le plus mépriſable , ou
d'une femme qu'une violente paffion a fair
manquer à fon devoir , ou de l'homme qui
l'a honteufement féduite.
Vous me propofez une queſtion , Mademoifelle
, & vous la décidez. C'eſt à
votre Lettre même que je vous renvoie , à
vos fentimens que vous exprimez fi bien ,
au tableau ingénieux & délicat , dans lequel
vous peignez comme on feroit trop heureux
de fentir. Une telle peinture eſt un
jugement fans appel . Une femme qui a
tous les fentimens que vous donnez à celle
que vous repréfentez , qui s'eft livré tous
les combats que vous expofez à nos yeux ,
qui s'eft auffi peu épargnée dans fa réſiſtance
, n'eft coupable , fi elle l'eft , dans ſa
défaite , qu'aux yeux de Dieu à qui feul il
appartient de juger avec févérité les coeurs
affervis par l'amour. Si j'ofois prononcer
66 MERCURE DE FRANCE.
d'après mes fentimens , je dirois qu'elle
mérite notre eſtime , du moins ofé je dire
qu'elle obtient la mienne. Les gens qui fe
fcandalifent aifément , ces juges fuperfticieux
du coeur deshonoreront impitoyablement
une femme qui avant & après fa défaite
le traite avec plus de rigueur qu'euxmêmes
n'en peuvent avoir ; pour moi je
penfe que l'amour auffi combattu , n'eft
plus une foibleffe & mérite un autre nom ,
comme une chûte inévitable & néceffairement
imprevue , n'eft point étourderie , &
prend le nom d'accident. Il eft vrai que
ces femmes font très- rares ; la plûpart ™, au
contraire, affectent beaucoup de réfiſtance ,
& n'ont pas même l'honneur d'être foibles :
mais vous en repréfentez une qui a toute
la fincérité & tout le courage de la vertu ;
c'eft fur celle- là que je prononce . Vous
devinez à préfent , Mademoifelle , ce que
je penfe du procédé d'un homme qui n'a
féduit une telle femme que pour la deshonorer
enfuite. Un homme de ce caractere
eft un monftre ; c'eft lui faire trop
d'honneur que de le juger. Vous m'en faià
moi-même de me confulter fur
des points dont la décifion eft dans toute
tes trop
votre Lettre. Vous êtes vous-même votre
juge , un juge qu'on aime à lire , qu'on
aime à croire , & qui a fur bien d'autres
JUIN. 1756.
67
l'avantage de faire naître autant de fentimens
qu'il prononce d'arrêts . Je vais gâter
mon remerciement par un reproche. Pourquoi
vous cacher , Mademoiſelle ? l'incognito
n'eft pas fait pour vous. Ici la modef
tie eft un défaut , & vous méritez d'être
accufée d'amour- propre.
J'ai l'honneur d'être , & c.
De Baftide.
VERS
A Mademoiselle M.... lifant Thélémaque.
M..... je vois tes yeux qui fe baignent
de
pleurs ,
Lifant de Calypfo l'amour & les malheurs :
Si Thélémaque en elle eût apperçu tes charmes ,.
Tes graces , ton efprit & ces talens vainqueurs ,
Dont l'art heureux captive , & gagne tous les
coeurs
>
Eût- il pu balancer à lui rendre les armes ?
L'amour , le fentiment , tout en elle eût féduit ,
Et Mentor à fes pieds lui - même l'eût conduit .
Par M ... de Nantes.
68 MERCURE DE FRANCE.
VERS
A l'occafion d'un Eillet blanc & rofe qu'une
Demoiselle avoit envoyé à l'Auteur le jour
de fa Fête.
DE ton oeillet je connois tout le prix ,
Des plus vives couleurs il offre l'affemblage.
Sa blancheur eft égale au lys ,
Et de la rofe il a le coloris :
Mais ce qui plaît encore davantage ,
C'eft qu'il a le bonheur , Iris ,
De réunir tes traits & ton image.
P. D. S.
M. Andrieu , Maître des Eaux & Forêts
de Nevers , defavoue un Quatrain à Mlle
Dudéfend, qui lui eft fauffement attribué ,
& qui fe trouve à la page 9 du fecond Volume
d'Avril.
JUIN. 1756. 69
Le mot du Logogryphe du Mercure de
Mai eft Epigramme , dans lequel on trouve
épi , ame , rame , rage , Priam , mariage,
mari , âge , rime , Riga , pere , mere , Pirame
, aime , ami , Marie , re , mi , mare ,
pire , Pirée , air , Pera , Epire , empire ,
piger , pera , Pierre , en doublant l'r , ire ,
Pie , magie , repi. Celui de l'Enigme eſt la
plante des pieds,
ENIGM E,
JE porte certain trait malin ,
Toujours fatal au genre humain ;
Quoiqu'il femble fans conféquence.
Par un baifer volé fouvent le mal commence ;
Mais voyons , quel en eft la fin.
Sous un nom impofteur , timide je m'avance ,
Et quand j'ai fait ce que je veux ,
Je vais porter ailleurs mes voeux :
Alors Philis rougit , & détefte l'enflure
Qu'un fi petit plaifir procure :
Apprenons à les éviter ,
Par les maux qu'ils doivent coûter.
70 MERCURE DE FRANCE.
LOGO GRYPH E.
Nous fommes les enfans d'un brave Militaire.
Auffi lorfqu'arrangés en bataillons quarrés ,
Par les traits les plus noirs & les mieux mefurés,
A tout le genre
humain nous déclarons la guerre.
Notre corps infenfible au mal que nous faifons,
Au Printemps , en Eté , en Hyver , en Automne ,
Se range avec douceur aux ordres qu'on nous
donne ,
Affrontant les rigueurs des plus rudes faifons .
Mais c'eft affez , Lecteur , vous tenir en haleine :
Je vais vous épargner la moitié de la peine .
En me décompofant , vous pouvez voir nommés
Mes membres déconfits , & mis en bouts rimés .
Depuis cent ans & plus on me voit fur la Terre ,
Plus mince & plus petit qu'un
Rat ,
Exifter fans trachée artere.
Je ne vaux pas la valeur d'un carats
Du poiffon je n'ai que l'
arête ;
Du Coq orgueilleux j'ai la
crête :
Au Languedoc je fournis Cete.
D'Iris à cent couleurs j'ai l'
arc ;
écart.
Et du jeu de piquet l '
Ni beau , ni laid , ni cher , ni
rare ,
Les deux tiers de mon tout ont fait le Mont Tarare.
A ces mots , cher Lecteur , tu ne peux me rater ;
DE
LA
LYON
BIBLIOT
VILL
CHANSON
Moderem
Nouvelle .
Vousvous plaignés de mes façons , Aus =
= si de ma Cendresse, NimesBouquets, ni:
= mes Chansons, Nontrien quine vous blesse.
Par mes Transports trop Amoureux, Je
vous mets en Colere , Candis qu'on n'offen :
#
-se les Dieux,Qu'en ne les Aimantguere.
'nin 1756. Imprimée par Cournelle .
JUI N. 1756. 71
Et fi , me pourfuivant , tu crains de t'
Il faut former un nouveau
Courir chez un Notaire , & confulter un
écarter ,
pacte ,
acte.
CHANSON.
Vous Ous vous plaignez de mes façons ,
Auffi de ma tendreffe ,
Ni mes bouquets , ni mes chanfons ,
N'ont rien qui ne vous bleſſe .
Par mes tranfports trop amoureux ,
Je vous mets en colere ,
Tandis qu'on n'offenſe les Dieux
Qu'en ne les aimant guere.
Quand je vous vis le mois paffé
A la fête au village ,
Vos
Hélas ! je n'aurois pas penfé
Qu'aimer fût un outrage :
yeux demandoient de l'amour ,
Qu'en vouloient- ils donc faire ,
Puifqu's devoient au premier jour
Me dire le contraire ?
Ce n'eft pas moi qui vous déplais ,
C'est mon amour fincere ;
Il Vous faut des amans coquets ,
Ennemis du myftere :
Vous voulez plaire à tout chacun ,
...
72 MERCURE DE FRANCE..
Afin qu'on le public ?
Plufieurs amans prouvent mieux qu'un
Combien l'on eft jolie.
Je ne veux pas diſconvenir
Qu'il ne foit do ux de plaire;
Car ce feroit trop vous punir
Que d'être trop fevere :
Mais qui fçait plaire doit aimer ,
C'est la loi de nature ;
Autrement le don de charmer
N'eft plus qu'une impofture.
A la ville c'eft un erreur
D'aimer quand on est belle ,
Au village c'eſt un honneur
D'être la plus fidelle :
On y célebre la beauté
Des plus tendres bergeres ,
Celles qui ne l'ont pas été ,
Y font comme étrangeres.
Ainfi , rien ne vous reftera
D'une gloire inconſtante ,
Toute la terre ignorera
Que vous fûtes charmante ;
Tandis que Life & que Philis
Deviendront immortelles ,
Pour avoir mieux connu le prix
De leurs amans fideles.
ARTICLE
JUIN. 1756. 73
ARTICLE I I.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE
A M.de Boiffy , aufujet des obfervations fur
Le Livre de l'Effai fur la police générale
des grains .
J'Ai
A Paris , le 27 Avril 1756 .
'Ai trouvé , Monfieur , dans le fecond
volume du Mercure du mois d'Avril , pag.
des obfervations fur la police générale
57,
des grains. J'ai des remerciemens à faire à
l'Obfervateur fur la façon obligeante avec
laquelle il parle du livre & de l'Auteur : &
je dois au Public une explication fur les
contradictions dans lefquelles on prétend
que je fuis tombé. Cette matiere intéreffe
le Public , & c'eft pour éclaircir la queftion
, & non pour défendre mon livre ,
que j'ai l'honneur de vous écrire ..
Le commerce des grains étoit gêné depuis
longtemps dans le Royaume ; on ne
pouvoit en tranfporter d'une Province à
l'autre fans permiffion ; on ne pouvoit en
D
74 MERCURE DE FRANCE .

vendre au- dehors fans permiffion : & avec
toutes ces précautions autorisées par les
réglemens , il arrivoit fouvent que l'on
avoit à fe plaindre de la trop grande cherté
des grains , ou de leur peu de valeur .
J'ai entrevu que le défaut de commerce
des grains occafionnoit ces inconvéniens´;
que pour faire naître l'abondance , & éviter
l'aviliffement du prix , il falloit accorder
la liberté de la vente des grains , tant pour
l'intérieur que pour l'extérieur ; que
un moyen für d'augmenter notre agriculture
& notre aifance. Le Confeil a rétabli
la liberté du commerce des grains dans l'intérieur
du royaume , par Arrêt du 17 Septembre
1754 , & n'a point encore prononcé
fur le commerce extérieur , c'est - à- dire ,
que le Miniſtere n'a pas encore jugé à propos
d'accorder la liberté de vendre des
grains hors du Royaume.
c'étoit
Le livre de la police générale des grains,
dont la premiere partie n'eft que l'amplification
d'un mémoire donné en 1753 fut
le même fujet , n'a été fait que pour infifter
fur la néceffité d'un commerce plus
étendu , fur les avantages que nous trouverions
à vendre beaucoup de grains à l'Etranger
, & fur le peu de rifque qu'il y
auroit à le faire .
Pour n'allarmer perfonne , j'ai propofé
JUIN. 1756. 75
des reftrictions fur la fortie des bleds audehors
dans les temps de difette ou de
cherté feulement . J'ai dit : Il faut que la
liberté foit entiere , & qu'elle ne foit limitée
que par llee pprriixx ,, ou par , ou par les droits de
fortie ; c'eft-à-dire , qu'il faut que le réglement
qui interviendra , permette non
feulement le commerce intérieur , mais
encore la vente à l'Etranger ; & que l'exportation
ne foit arrêtée , que lorfque le
bled montera à un prix trop haut.
J'ai propofé deux moyens pour empêcher
la fortie des grains hors du Royaume ,
lorfqu'il y aura néceffité. Le premier , de
défendre la vente au- dehors , fous des peines
d'amende & de confifcation . Le fecond
, de mettre des droits affez forts à la
fortie , pour que le marchand ne puiffe
exporter fans perte.
L'Obfervateur trouve en cela de la contradiction.
La liberté ne fera plus entiere ,
dit-il , fi elle eft fubordonnée au prix &
aux droits de fortie.
Ce n'eft qu'une chicane fondée fur le
mot entiere , fur l'épithete de la liberté.
L'Obfervateur peut la qualifier comme il
voudra je ne m'arrêterai point aux termes
, ni aux inductions qu'il en tire , pour
établir fes raifonnemens. S'il ne confondoit
pasLes temps de difette avec ceux d'a-
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Au
bondance , s'il ne fuppofoit pas gratuitement
que toutes les nations ne font qu'une
même famille , il ne pourroit plus trouver
de contradictions .
Il s'agit de fçavoir fi la liberté de la
vente des grains à l'Etranger , ne doit jamais
être restreinte. Voilà la queftion fimple
& débarraffée de tous raifonnemens
inutiles & fpécieux. Doit- on y mettre des
obftacles dans le temps de cherté & de
difette doit-on n'y en pas mettre ?
J'ai cru , & je penfe encore , qu'il eft
prudent de prendre des précautions , pour
ne point laiffer enlever tous nos grains
lorfque nous nous trouverions dans des citconftances
affez fâcheufes, pour n'avoir que
la quantité abfolument néceffaire à notre
confommation , ou même quand nous
trouverions le bled trop cher . L'Obfervateur
penfe différemment : il croit qu'il ne
le peut arriver que bled foir fort cher chez
nous , & qu'il le foit encore davantage
chez quelques - uns de nos voifins ; & il
n'hésite point à confondre tous les befoins
des peuples enfemble.
Ce principe lui étoit abfolument néceffaire
, pour appuyer fon raifonnement ,
qui tomberoit de lui- même fans cette fuppofition
. Il feroit peut-être avantageux
pour l'humanité , que tous les peuples puf
JUIN. 1756. $7
fent fe regarder comme freres : mais l'expérience
ne nous a que trop appris que l'amour
du gain & de la domination , eft
prefque la feule regle de la conduite des
différentes nations ; & que tous les Etats
penfent peu à fe prêter un fecours mutuel ,
quand l'intérêt ne les y engage pas.
D'ailleurs , l'Angleterre qui a établi chez
elle la liberté du commerce des grains ,
qui donne même des gratifications pour
l'exportation , n'a point héfité à en défendre
la fortie , lorfque le bled monte à 48
fchelins . Son réglement eft-il une contradiction
? ferons- nous moins fages &
moins prévoyans qu'elle ?
A l'égard des moyens pour empêcher
l'exportation , quand on le jugera à propos
& néceffaire , c'eft au Confeil à en
décider. Ou il défendra la fortie , quand
le bled montera à un certain prix , ou il
impofera dans ce cas à la fortie un droit
affez fort pour empêcher qu'elle ne fe faffe :
cela produira le même effet ; puifque par
l'un ou l'autre de ces moyens , on parvien
dra au même but , qui eft de fixer les bleds
en France , lorfque l'on ne voudra pas qu'il
én forte.
L'Obfervateur me croit fort attaché au
droit de fortie , parce que j'en ai traité :
mais j'ai dû rapporter ce qui s'eft pratiqué
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
jufqu'à préfent , & ç'auroit été une faute
de l'omettre. J'ai dû dire que le bled
ne devoit porter aucun droit dans l'inté
rieur , mais ce n'eft point une contradic
tion de penfer que l'on peut impofer un
droit fur l'extérieur . L'Obfervateur s'effor
ce cependant de le faire croire , par la tournure
qu'il donne à fes raifonnemens ; mais
ce n'eft toujours qu'en fuppofant que les
sas ne font pas probables, c'eft- à-dire qu'il
n'y aura jamais de cherté , ou en ne faifant
aucune diftinction des temps de difette
& d'abondance ; & en confondant
fans ceffe les objets & tous les peuples qui
nous avoifinent .
L'Obfervateur n'admet aucune préparation
, ne forme aucun doute , aucune
difficulté fur la liberté entiere , c'est- àdire
, fans précaution. Il feroit à fouhaiter
que tous les efprits fuffent auffi- bien
difpofés à recevoir de nouveaux réglemens,
à adopter de nouvelles maximes , je n'aurois
pas fait un livre auffi long , & fi plein
de répétitions , pour inculquer des principes
qu'il importoit de faire connoître &
goûter. Je penſe au furplus avec l'Obfervateur
, qu'il ne faut peut- être pas autant
de précautions qu'on le croit ordinairement
, pour établir notre commerce extéjeur
; mais je n'ai pu me difpenfer de proJUIN.
1756. 79:
pofer plufieurs expédiens pour me faire
écouter. Autrement le commerce des grains.
n'auroit pas manqué de paroître dangereux.
Ce n'eft point par un ton décifif
que l'on perfuade ; il faut des ménagemens ,
des attentions , & fe conformer à la façon.
de penfer la plus ufitée , afin de ne fcandalifer
perfonne , & d'obtenir d'abord le plus .
aifé , pour parvenir au plus difficile.
Si les François étoient bien éclairés fur.
les matieres économiques , & qu'ils y euffent
fait de férieufes réflexions , il ne faudroit
, pour les raffurer , & les convaincre
fur l'objet des bleds , que leur dire : Voyez
le bénéfice immenfe que fait l'Angleterre.
par le commerce de fes grains ; comparez.
les calculs que l'on vous préfente ; combinez-
les , & cherchez à tirer les mêmes avan-.
tages de votre agriculture : mais perfonne
ne s'en donne la peine. On parcourt un
livre rapidement , on ramaffe des phrafes
pour en tirer des conféquences ingénieufes
& peu concluantes. On s'amufe à difputer
fur les mots , on néglige le fonds , &
l'on ne fait rien d'utile , parce que l'on
cherche plus à faire briller fon efprit , qu'à
inftruire le Public. Enfin à force de raifonnemens
compliqués , on perd de vue l'objet
principal , & l'on jette des nuages fur
les chofes les plus fimples .
Div
So MERCURE DE FRANCE.
Il ne faut pas défefpérer cependant.
qu'une nation intelligente & bien intentionnée,
ne découvre enfin la vérité , quand
elle s'occupera férieufement à écarter toute
objection fpécieufe , & à vérifier feulement
les calculs & les faits , qui dans cette
matiere font fupérieurs aux raifonnemens.
Je ne m'arrêterai point à difcuter ni à foutenir
les différentes phraſes de l'effai ; je le
livre à la critique s'il la mérite. C'eſt à ceux
qui combinent & qui fçavent calculer à en
juger. Je confens que l'Obfervateur n'y
cherche que des contradictions , des réfultats
défectueux , des défauts d'ordre ; qu'il
croye même que je n'ai point porté mes
vues fur la navigation , & fur la fituation
avantageufe de la France , quoique j'en
aye parlé plus d'une fois. Lorfqu'on me
montrera des erreurs , j'en conviendrai de
bonne foi : heureux , fi elles peuvent conduire
à inftruire le Public , & à l'éclairer
fur fes véritables intérêts ! L'Obſervateur
lui eût rendu un véritable fervice , s'il eût
employé fes raifonnemens & fa fagacité à
développer les avantages du commerce des
grains qu'il approuve , & dont il a peutêtre
fenti l'importance.
J'ai l'honneur d'être , &c.
L'Auteur de la police des Grains.
JUIN. 1756 .
81
LETTRE
1
S
Ecrite aux Auteurs du Gallia Chriftiana ,
au fujet d'une Infcription qui concerne
2 trois Eglifes de France ; fçavoir , Nevers ,
Arras & Chalons fur- Marne.
3
Es Révérends Peres , c'eft moins pour
relever vos erreurs que celles de ceux qui
ont travaillé avant vous à l'Hiftoire chronologique
des Eglifes de France , que j'ai
l'honneur de vous adreffer cet avis. Quelque
foin que vous preniez pour conftater
les faits , & pour les placer dans leur ordre
naturel , vous vous trouvez quelquefois
arrêtés par l'infuffifance des titres , des
mémoires & des anciens Auteurs. Armés
d'une critique judicieufe , loin de hazarder
la vérité , lorfqu'elle ne perce pas évidemment,
vous vous contentez d'indiquer
leurs méprifes , & de nous faire part de
vos doutes. Avec ces précautions , vous
vous mettez à l'abri de la contradiction >
& vous nous invitez à nous affocier à vos
travaux , en vous faifant part de nos découvertes.
Vous êtes far ce fujet toujours
femblables à vous mêmes. En voici un
exemple que me fournit votre fuite des
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
Evêques d'Arras à l'occafion de Jean Mandavelani
, de Mandevillain , ou de Mandouillan
, ainfi qu'il eft nommé dans le
recueil des Grands de Du Tillet , & dans
les notes & recherches de Pierre Durand
fur les origines de Clermont , par le Préfident
Savaron . Permettez que je vous
falle part de mes obfervations.
-
Cer Auteur , Meffieurs de Sainte Marthe
, & les écrits qu'ils ont cités , donnent
& font donner dans l'erreur , & vous l'ont
fait placer mal - à -
-propos immédiatement
après Pierre Bertrandi dans le Catalogue
des Evêques d'Arras , comme vous en convenez
vous - mêmes dans fon article de
l'Eglife de Châlons. Plufieurs tranfpofitions
de dates , foit dans le cahier du Vatican
que vous citez , foit dans les catalogues
des Eglifes dont il a occupé les fieges
fucceffivement , prouvent que ces écrits
ne font point autographes. Ils paroiffent
tous d'accord fur la perfonne & fur fa patrie
, mais ils ne conviennent pas également
du temps qu'il eft parvenu à l'Epif
copat , de celui auquel il a tranfmigré d'un
fiege à l'autre , du nombre des années qu'il
les a tenus , du jour de fa mort , & du lieu
de fa fépulture. On voit bien que nos
Hiftoriens fe font trouvés embarraffés par
l'ambiguité de ces dates , qu'ils ont donné
JUIN. 1756. 83
hardiment dans les conjectures , & que
chacun a préféré fon fentiment. On lit
dans Durand ( 1 ) qu'il fit lå tranflation des
faints Evêques de Châlons , Donatien &
Domitien en 1341 ; ce qui ne doit s'attribuer
qu'à fon fucceffeur, puifqu'il mourut
en 1339. Cet Ecrivain ne pouvant fe
débarraffer autrement , a fuppofé deux
Evêques du même nom , dont l'un , ditil
, étoit Evêque de Châlons en 1339 ; &
l'autre d'Arras , enfuite de Nevers en
1349 : il renverfe par-là l'ordre de fes tranfmigrations
, & le fait vivre dix ans après
fa mort. Pour vous , mes Révérends Peres,
qui fçavez fi bien vous rendre la vérité
tributaire en diffipant par l'exactitude de
vos recherches les ténebres que l'erreur
répand prefque toujours fur les fiecles reculés
, vous avez faifi en partie la vérité
de ce fait impliqué dans la place que vous
lui donnez parmi les Evêques de Châlons.
L'acte original des archives d'Arras , que
Vous y citez vous a remis dans le bon
chemin , en le plaçant plus haut dans le
catalogue des Evêques d'Arras , & vos
inductions font juftes. Comme vous aurez
encore occafion de parler de cer Evêque ,
lorfque vous donnerez au public dans la
( 1 ) Voyez la Table Alphabétique au mor
Mandouillan.
D vj
$ 4 MERCURE DE FRANCE.
province de Sens , l'Hiftoire de l'Eglife de
Nevers , & la fucceffion de fes Evêques ;
vous pourrez rectifier entiérement les
anachronifmes , & les tranfpofitions qui
fe font gliffées dans les anciens manufcrits
& dans les Auteurs qui en ont écrit avant
vous , en faiſant ufage du monument que
j'ai l'honneur de vous adreffer.
4
Dans le tombeau où l'on inhuma feu
M. Maffillon , Evêque de Clermont , au
pied du maître Autel de l'Eglife Cathédrale
du côté de l'Evangile , l'année 1742 ,
on trouva un cercueil de plomb qui portoit
une infcription que l'on eut foin de
détacher ; c'est une plaque de plomb qui
ne m'eft connue que depuis peu de
temps : j'ai eu foin de la mettre en dépôt
dans notre Bibliothéque . Cette épitaphe
affez facile à déchiffrer par quiconque
eft médiocrement dans la lecture des écrits
du quatorzieme fiecle , fixe en même tems
& le rang des fieges que Jean Mandavelani
a tenu , le jour & le lieu de fa mort
& de fa fépulture . Par - là les Eglifes de
Nevers , d'Arras & de Châlons , fçauront
mieux , avec un peu plus d'attention , le
placer dans l'ordre qu'il doit tenir dans la
fuite chronologique de leurs Evêques. Je
vous en envoie une copie figurée , pourne
vous rien laiffer à défirer , & ne lui
JUIN. 1756. 85.
donner aucune explication fufpecte.
ㄓ Hic. Jacet.
Bona. Mamoria.
Dominus. Joh. Mandavelani
D. Clar. ( 1 )
Olim. Nivernen. A
trebaten. D. mũ: Ca ( 2 )
thalanven. Ep u 2
Qui. obiit Par. (3 ) quint
o. Caland. Decembris.
Ejus. Corpus. fuit. tradi
tum . Ecclefiafti. Sepulture.
die. Martis. poft . 'feftum.
Be. Lucia. Anno . Dñi. Mº . ecco.
x x x° Nono.
Il eft inutile , més Révérends Peres ,
d'entrer dans aucune difcuffion . Ce monument
porte avec lui fa preuve complette.
Jean Mandavelani étoit de Clermont , il
fut Evêque de Nevers , enfuite d'Arras , &
enfin de Châlons. Il mourut en 1339 ,
ainfi que le porte fon épitaphe. La reconnoiffance
que fit fon frere Guillaume Mandavelani
à l'Eglife d'Arras , & fon teftament
(1 ) De Claromonte.
(2) Demùm.
(3) Parifiis,
86 MERCURE DE FRANCE.
daté de la même année qui fe trouve dans
les archives de notre Eglife , par lequel
il a fondé un Salut qui fe dit encore aujourd'hui
tous les Samedis. de l'année devant
le grand portail de Notre-Dame de
Grace , c'eft le titre de l'Eglife de Clermont.
Il en avoit été Chanoine , enfuite
Chapelain , ou Aumônier de Charles IV,
dit le Bel , mort en 1328 , & Chanoine
de Saint - Quentin . Voici ce que porte le
catalogue des Evêques de Nevers , cité
dans les origines de Clermont : Joannes de
Mandouillan , gente Arvernus , Claromontenfis
, ex- Clerico Regis Caroli Pulchri , &
Canonico S. Quintini, factus eft pofteà Epifcopus
hujusfedis , quam adminiftrabat 1346 :
indè Atrebatenfis Praful. Il eft démontré que
cette date eft très-fauffe , & qu'elle a induit
en erreur nos Hiftoriens , puifqu'il
mourut à Paris le 27 Novembre 1339 , &
qu'il fut inhumé à Clermont le 14 Décembre
fuivant. Je voulois vous adreſſer
cette lettre directement , mais j'ai cru qu'il
étoit plus à propos de prier qu'on l'inférât
dans le Mercure pour qu'elle puiffe parvenir
à la connoiffance des trois Eglifes
qu'elle intéreffe . J'ai l'honneur d'être , &c.
Cortigier , Chanoine & Membre de la
Société Litt 'raire de Clermont..
A Clermont , le 9 Octobre 175 S
JUI N. 17566 87
ON VIENT de faire à Paris une nouvelle
édition complette des Conférences du Diocefe
d'Angers , en vingt un vol. in - 12.
Cette Edition eft imprimée en caracteres
neufs & fur bon papier. Elle eft corrigée
avec foin , & elle eft augmentée en
plufieurs endroits par les Auteurs de ces
Conférences , qui ont eu l'attention de la
rendre conforme , felon les matieres , à la
Jurifprudence des Ordonnances de Louis
XV .
Les autorités ou paffages Latins, cités &
imprimés ci devant dans le texte de ces
Conférences , ont été renvoyés au bas des
pages : ils ont été exactement vérifiés .
On peut affurer avec confiance que cette
Edition eft préférable à tous égards à celles
qui ont parues jufqu'à préfent. Elles fourmilloient
de fautes , & les éditions contrefaites
avoient encore enchéri fur ce défaut
, outre les omiffions fans, nombre qui
auroient dû décrier ces éditions furtives ,
fi l'appât d'un bon marché apparent n'eût
entraîné la plûpart des Acheteurs.
Cette nouvelle édition faite à Paris
contient , en vingt un volumes in- 12 , toutes
les Conférences du Diocefe d'Angers
fur les Commandemens de Dieu , fur les
Sacreméns en général , le Baptême & la
Confirmation fur l'Euchariftie , fur le
1
SS MERCURE DE FRANCE.
1
Sacrifice de la Meffe , fur la Pénitence
les Indulgences , l'Extrême Onction , fur
les Cas réfervés , fur les Etats , fur l'Ordre
,fur les Irrégularités , fur les Cenfures ,
fur le Mariage , fur les Matieres bénéficiales
, fur les Loix , fur les Contrats & fur
la Grace. 1
Ces vingt - un tomes peuvent facilement
être reliés en quatorze volumes .
Ils fe vendent 42 livres reliés à Paris ,
chez H. L. Guerin , & L. F. Delatour.
GUILLYN , Libraire à Paris , quai des
Auguftins , an lys d'or , donne avis qu'il
a réuni un nombre d'Exemplaires de la
Coutume d'Artois , commentée par M.
Maillard , Avocat au Parlement de Paris J
in fol. imprimée en 1739 ; & comme le
prix que l'Auteur y a mis , & qui a même
été porté jufqu'à trente livres , a fait que
le Public s'en prive depuis long- temps ,
Guillyn a fixé le prix de cette Coutume en
feuilles à douze liv . jufqu'à la fin du mois
d'Octobre 1756 ; paffé lequel temps , s'il
lui en refte , ce qu'il ne prévoit pas , vu
l'avantage qu'il propofe , illa vendra 18
livres.
L'on trouve chez le même Libraire ;
ainfi que chez Jombert , rue Dauphine , le
Dictionnaire portatifde la Langue Françoi
JUIN. 1756. 89
fe , Extrait du grand Dictionnaire de Richelet
, 8 °. 1756.
Guillyn vend auffi les Sermons de feu
M. Beaufobre , imprimés à Lauſanne , 8 ° .
4 vol. 1755..
Recueil par ordre alphabétique des principales
queftions de Droit qui fe jugent
diverſement dans les différens Tribunaux
du Royaume , par M. Bretonnier , ancien
Avocat au Parlement. Nouvelle Edition ,
augmentée par M. Boucher- Dargis , Avocat
au Parlement , in- 12 . 2 vol. 1756.
ELEMENS D'ALGEBRE de M. Saunderfon
, Docteur en Droit , & Profeſſeur
en Mathématiques dans l'Univerfité de
Cambridge , traduits de l'Anglois , & augmentés
de quelques remarques , par M. de
Joncourt , Docteur & Profeffeur en Philofophie.
A Paris , chez Jombert , Libraire
du Roi pour l'Artillerie & le Génie , rue
Dauphine , à l'Image Notre- Dame , 1756.
2 vol. in-4 . avec figures.
RELATION du fameux fiege de Grave
en 1674 , & de celui de Mayence en
1689 , avec les plans de ces deux Villes . Un
volume in- 12 , 1756 , chez le même Libraire.
Prix 3 liv.
3.
90 MERCURE DE FRANCE.
DICTIONNAIRE portatif , hiftorique ,
théologique , géographique , critique &
moral de la Bible , pour fervir d'introduction
à la lecture de l'Ecriture fainte , à .
Paris , chez Mufier , Libraire , quai des
Auguftins , près de la rue Pavée , à l'Olivier
, 1756.
A L'AUTEUR DU MERCURE,
Monfieur , j'ai vu avec fatisfaction dans
le fecond volume du Mercure d'Avril , que
ma folution fur l'Article V du Tir. 3 de
l'Ordonnance de 1681 , que vous avez eu
la complaifance d'y inférer pag. 96 & fuivantes
, s'eft trouvée conforme à celle de
M. J. B. page 105 .
i
Ce rapport de fentimens m'engage de
courir fur les brifées de notre premier
Anonyme de Janvier , fur la demande que
M. J. B. lui fait de donner une méthode
où fans tâtonner , il puiffe trouver à fe
faire affurer à plein avec prime de prime ,
jufqu'à extinction .
Voici le principe.
,
Du nombre de 100 qui fert de proportion
, il faut en déduire le prix de la prime,
& puis comparer le nombre qui refte avec
JUIN. 1756. 91
"
le capital des rifques , & dire fi tel nombre
, prime déduite , eft égal à tel capital
de rifques , combien produira le nombrede
100 qui comprend les primes , ce qui
revient eſt la ſomme qu'il faut faire affurer
pour que la prime ne foit pas à charge
en cas de perte.
Propofition.
Combien faut il faire affurer pour
1000 liv . de rifques à 17 pour 100 de prime
, pour être affuré à plein avec prime
de prime , jufqu'à extinction.
Exemple.
De 100. nombre de proportion
déduifez
17. prix fuppofé de la prime ,
3
Il refte 83 , & puis dites , fi 8 ; eft égal
à 1000 liv. à combien 100 le fera-t'il
Opération.
Pour multiplier la deuxieme pofition
par la troifieme , il n'y a qu'à ajouter les
deux zéros à 1000 liv. parce que de 100 ,
le nombre i ne multiplie pas ;
multiplie pas ; ainfi vous
aurez
qu'il faut divifer par la
premiere pofition
Il vous reviendra
1000 00.
83

1204. 16 f. 4 d. £2
838
qu'il faudra faire affurer pour être affuré
à plein de 1000 liv. avec prime de prime
jufqu'à extinction.
92 MERCURE DE FRANCE.
1000 , 00.
17
69
20
1360
53
32
64
384
1328323235193
Pour en faire la preuve, vous n'avez qu'à
voir à combien monte la prime de 1204
liv. 16 f. 4 d . 23. à 17 pour 100 de prime.
Il faut dire fi 100 coute 17 de prime , combien
1204 l . 16 f. 4 d. 3. d'affurances ,
8428
13 12
S
204181 8
pour
16 f.
S
ΙΟ
6
54
4
d.
11.
20
16138
82
4162
S3
240
496
52100
JUIN. 1756... 93
Pour divifer par 100 , retranchez les
deux figures qui répondent aux deux
zéros .
Il vous reviendra 204 1. 16 f. 4 d . de
prime à payer ,
qui avec votre capitale
de 1000 1.
monteront aux .. 1204 l . 16 f. 4 d.
d'affurances que vous aurez à recevoir en
ças de perte.
Après avoir fatisfait à la demande de
M. J. B. je ne crains point de prendre le
titre de connoiffeur , en vous prouvant ,
Monfieur , que l'exacte vérité peut fe rencontrer
dans l'affurance que donne M. de
la Rue , page 98 & 99 ; que c'eſt à tort
qu'on a avancé dans la premiere partie de
la lettre à laquelle j'ai répondu qu'il y
avoit une erreur au change de Hambourg
dans fon Livre de la Bibliotheque des jeunes
Négocians , & dans les deux lettres
que vous avez inférées à la fuite page 99
à 104 , malgré le contrafte qui femble s'y
rencontrer .
M. de la Rue affure fon opération bonne,
& n'en donne point la preuve , ce n'eft
pas fe juftifier,
La premiere lettre qui fuit , d'un Anonyme
impartial , juftifie M. de la Rue par
la démonftration de cette opération , &
94 MERCURE DE FRANCE,
conclud qu'il faut fans doute que l'Auteur
de cette lettre ait été trompé fur quelque faux
exemplaire qu'il aura vu . Čela peut être.
La feconde lettre où M. J. B. fe contente
de donner des louanges à l'amateur du
jufte calcul , fur fon attention dans la lecture
des ouvrages de commerce , & à lui
faire part d'une méthode plus breve pour
les fractions , qui eft fort bonne , ne dit
pas fi la critique de l'opération eſt juſte
ou fauffe .
Ainfi, fans avoir vu le livre de M. de la
Rue , je crois devoir me perfuader , fur la
foi de la premiere lettre ci-deffus , que
l'erreur relevée n'exifte que dans l'exemplaire
de l'amateur du jufte calcul ; ce qui
met tout d'accord & fans contradiction.
Je voudrois bien fçavoir , Monfieur , fi
dans toutes les éditions de l'Ordonnance
de la Marine de 1681 , le dernier Article
du Titres des Contrats à groffe aventure
ou à retour de voyage , porte , comme dans
celles que j'ai de Paris de 1742 & de
1715 : S'il y a Contrat à la groffe , &
» affurance fur un même chargement , le
» donneur fera préféré aux affureurs fur
» les effets fauvés du naufrage pour fon
capital feulement » .
Suivant le fens littéral de cet article , je
fuppofe que fur un chargement de 3000 1.
JUIN. 1756. 25
il y eût 1 500 l . pris, à la groffe de 1500 1 .
d'affurances ; que le Navire dans lequel
feroit ce chargement , ayant fait naufrage,
les effets fauvés de ce naufrage euffent
produit 1500 l. il fembleroit , dis- je , ſuivant
le fens littéral de cet article , que le
donneur à la groffe des 1500 l . devroit être
préféré aux affureurs fur les effets ſauvés
du naufrage pour fon capital feulement :
ainfi ce donneur à la groffe , en recevant
ces 1500 l . fe trouveroit indemne fur un
effet où l'affureur perdroit le total de fon
affurance. Cela ne paroît pas probable &
conforme à l'efprit d'équité qui regne dans
cette belle Ordonnance , qui eft plutôt
favorable que contraire aux affureurs.
Je me perfuade plutôt que ce fens outré
provient d'une faute d'impreffion , qui
feroit cependant bien commune , puifque
ceux à qui j'en ai parlé , m'ont dit avoir
cet article de même dans leurs éditions. $
La voie de votre Mercure pourra me
faire découvrir l'erreur que je préfume ,
ou me procurer une interprétation plus
jufte que la mienne fur le fens littéral de
cet article : celle du commentateur ne me
fatisfait pas . Je vous en aurai beaucoup
d'obligation , Monfieur , & à ceux qui
voudront bien m'inftruire. J'ai , &c.
Pierre Duval.
Au Havre , ce 26 Avril 1756 .
96 MERCURE DE FRANCE.
LES CINQ CENS MATINÉES & une demie,
Contes Syriens , traduits en François , avec
des Notes hiftoriques , géographiques ,
critiques , morales , &c. Tome I , diftribué
en deux parties. A Amfterdam ; & le trouve
à Paris , chez Mérigot , quai des Auguftins
.
Depuis que les Contes Orientaux fe font
mis en poffeffion d'amufer une partie du
Public , on ofe dire qu'il n'en a point paru
avec tant d'avantage du côté des Notes ,
qui font non- feulement amufantes , mais
encore inftructives. Sans entrer dans un
"
détail qui nous meneroit trop loin , nous
renvoyons à la préface du Traducteur , qui
eft bien fondé à dire que l'ouvrage ne
craint pas les reproches des Lecteurs même
les plus aufteres , tant on a pris de foin à
écarter ou à réfuter tout ce qui pourroit
avoir un caractere de féduction . Il feroit à
fouhaiter que l'on encourageât le Traducsteur
à tenir la promeffe qu'il fait d'en donner
tous les trois mois un Tome en deux
parties.
EXPOSITION de la Doctrine Chrétienne
& Catholique , tirée de l'Ecriture fainte ,
dos Conciles & des Saints Peres , en forme
de controverfe , traduite du Catéchifme
Allemand du P. Kleppé , de la Compagnie
de
JUIN. 1756. 97
de Jefus , auquel on a donné des explications
plus étendues. A Strasbourg , chez
Jean François le Roux , Imprimeur du Roi
& de l'Evêché ; & fe vend à Paris , chez
Briaffon , rue S. Jacques , à la Science ,
1756.
Livres nouvellement arrivés chez le même
Libraire.
Hederici ( M. R. ) Lexicon manuale gracum
, ex editione Guillelmi Young , in- 4°
Londini , 1755.
Bonamici ( Caftr. ) de rebus ad Velitras ;
in-4°. Lugd. Batav. 1749.
Ejufdem , de Bello Italice , in- 4° . 4. vol .
Lugd. Bat. 1750. en tout 5 vol . 16 liv. en
feuilles. Cet ouvrage eft recommendable
par l'élégance de fa latinité , & par les
profondes recherches qu'il renferme.
Dictionarium Latino -Armenum , in-4°.
Romæ , 1695. parchemin.
Vocabolario Italiano è Turchefo da Bernardi
di Pariagi , in-4°. 3 vol. Romæ ,
1665 .
Maffei ( Jo . P. ) Hiftoria indica , & alia
opera , in-4° . 2 vol . Bergomi , 1747 .
Coronelli ( Fr. Vinc . ) Bibliotheca univerfale
, in -fol. 7 vol . Venezia , 1701 .
Gaffendi ( P. ) opera omnia ex editione N.
E
98 MERCURE DE FRANCE.
Averanii , in- fol. 6 vol. Florentia , 1727,
&fequentes.
Vocabolario dell' Academia della Crufca ,
in-fol. 6. vol. Firenze , 1729.
Mongitore ( D. Ant. ) Parliamentari di
Sicilia , five dell antico è moderno ufo del
Parliamento appreſſo varie nazioni & in
Sicilia , & c. in-fol . 2 vol. Palermo , 1749 .
Ferrarii ( G. ) de rebus Eugeni Principis
bello Panonico , in- 4º , Roma , 1747.
Agnani ( J. D. ) Philofophia Neo -palaa ,
in-4° , Roma , 1734 .
Degli ftudii delle Donne , in- 8 , 2 vol.
Venezia , 1740.
Orlendi ( P. Fr. ) Orbis facer & profanus,
in- fol. 5. vol. Florentiæ , 1728 .
Furieuus ( Jof. Alex. ) De Mufivis , in-
1893 fig. Romæ , 1752 .
Blanchini ( Jof. ) Evangeliarium quadruplex
, lat . verfionis antique , in - fol. 2. vol.
Romæ , fig. 1748 .
La fuite au Mercure prochain.
DISSERTATION fur le Commerce. , par
M. le Marquis Jérôme Belloni , Banquier
de Rome , traduite de l'Italien. A la Haye ;
& fe trouve à Paris , chez Briaffon , rue
S. Jacques , 1756.
REQUE
*
JUIN. 1756.
LN
RÉFLEXIONS fur les trois premiers Tomes
de l'Hiftoire de la Ville & de tout le Diocèfe
de Paris ; par M. l'Abbé Lebeuf,
de l'Académie Royale des Infcriptions &
Belles- Lettres ; pour fervir d'éclairciffemens
& de fupplément aux Nouvelles
Annales de Paris , par Dom Touffaint du
Pleffis , Religieux Bénédictin de la Congrégation
de S. Maur.
SI
tous les faits qui ont rapport aux deux
premieres races de nos Rois , font exactement
tels que M. l'Abbé Lebeuf les rapporre
dans fes trois premiers volumes , il
faut néceffairement convenir que les nouvelles
Annales de Paris qui ne s'étendent
que fur ces deux premieres races , font un
affez mauvais ouvrage. Je reconnois de
bonne-foi , qu'il y en a quelques-uns far
lefquels il peut bien fe faire que je me fois
trompé , & d'autres en plus petit nombre
fur lefquels je me fuis trompé en effet :
c'eft un aveu que je dois au Public ; & je
me ferai toujours un devoir de rendre témoignage
à la vérité dès le moment que je
l'aurai apperçue , ne fût- ce que par le miniftere
d'un enfant. Mais comme je me
dois auffi quelque juftice à moi-même , je
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
déclare que dans tout le refte où nous ne
fommes pas d'accord M. l'Abbé Lebeuf &
moi , il me femble toujours que malgré les
profondes recherches & la fagacité de ce
fçavant & laborieux Académicien , c'eft
cependant lui qui demeure dans l'erreur.
Cet écrit ne fera pas long . Je ne ferai
rapporter les textes qui m'ont paru avoir
befoin d'être retouchés , en les abrégeant
même quelquefois pour la commodité.du
Lecteur ; & j'y joindrai tout fimplement
mes réflexions.
و ر
ور
ود
que
1. Tome I, Avertiſſement , page 21. « Il y
a tout lieu de douter que le S, Siméon
qui fe recommanda aux prieres de fainte
Géneviève , foit le Stylite d'Orient ; &
» je foupçonne de la méprife dans une des
» vies de cette Sainte , qui attefte le fait.
» L'Auteur , ou quelqu'un de fes Copiſtes ,
» aura mal entendu ce que des Marchands
» de vin , négocians fur les rivieres d'Yonne
& de Loire , avoient oui dire d'un
» S. Siméon du pays Auxerrois : il peut
avoir été informé du mérite de la même
» Sainte par les compagnons du voyage de
» faint Germain à Paris ; & pour rendre la
chofe plus merveilleufe , il l'aura attri-
›› buée à S. Siméon , le fameux Stylite . Ce
» S. Siméon de l'Auxerrois eft connu par le
» livre des Miracles de S. Benoît ; Aimoin,
33
ھ د
ود
99
وو
JUIN. 1756.
101
ss lib. 2 , cap. 3 , in Bibliothec. Floriac. & il
» y avoit une églife de fon nom , proche
» Auxerre , dès le VII fiecle , fuivant les
» Annales Bénéd . Tom. 1, pag. 694 » .
Réflexions. 1 ° . Il s'agit ici d'une interpolation
prétendue dans le texte de la vie de
fainte Géneviève. M. Lebeuf dit dans une
des vies mais il y en a trois ; deux , dans
Bollandus au 3 Janvier , & une troisieme ,
imprimée à Paris en 1697 , in- 8 ° . longtems
après Bollandus. Or ce n'eft pas
dans
une feule de ces trois vies , mais dans toutes
les trois , que ce trait remarquable de
l'hiftoire de la Sainte eft appliqué nommément
au fameux S. Siméon Stylite , non à
un Siméon qu'on puiffe dire du diocefe
d'Auxerre . Qu'il fe foit gliffé des interpolations
confidérables dans les deux de Bollandus
, on n'en doute nullement : on le prouve
même par le narré fabuleux de la miffion
de S. Denys dans les Gaules ; fabuleux
, en ce qu'elles avancent qu'il y fut
envoyé par le Pape S. Clément. Mais peuton
en dire autant de la troifieme , qui parcette
raifon là feule , qu'elle ne fait point
honneur de cette miffion au Pontificat de
S. Clément , doit être regardée comme
beaucoup plus ancienne que l'Abbé Hilduin
, & comme la copie la plus fidele de
celle qui fut écrite dix- huit ans après la
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
mort de la Sainte ? Il eft hors de doute que
fon hiftorien , Auteur contemporain , vouloit
citer un trait de ſa vie qui lui faiſoir
extrêmement honneur ; & fous ce point de
vue , fans vouloir juger des rangs & du
mérite des Saints , qui ne fe déterminera
pas plutôt pour le célebre S. Siméon Stylite
, qui a fait l'admiration de l'Eglife entiere
, que pour un S. Siméon de l'égliſe
particuliere d'Auxerre , à peine connu
hors des limites de fon dioceſe ? Certainement
le zele de M. le Beuf pour fa patrie,
l'a emporté trop loin : on ne corrige pas :
ainfi fur un fimple foupçon , & parce
qu'on fouhaiteroit que la chofe fût telle:
qu'on l'imagine , le texte d'un Auteur du
temps , auquel les interpolateurs mêmes
n'ont pas ofé toucher.
20. Eft-il prouvé que le S. Siméon du
Diocèle d'Auxerre , étoit contemporain de
fainte Géneviève ? Si la chofe n'eft pas.
certaine , le foupçon de M. l'Abbé Lebeuf
porte à faux. Que dès le VII fiecle il y
ait eu près d'Auxerre une églife ou une
chapelle fous fon nom , & fur fon tombeau
, tout ce qu'on peut conclure delà ,
c'eft que le Saint mourut dans le Diocèfe
d'Auxerre avant la fin du feptieme fiecle ;
mais il ne s'enfuit nullement que la Sainte
& lui ayent vêcu en même tems : il peut
JUIN. 1756 . 4 103
bien n'être né qu'après la mort de Sainte
Géneviève , peut - être auffi ne vivoit- il
plus lorfque la Sainte vint au monde . Et
cependant, s'ils ne font pas contemporains,
que devient le foupçon du fçavant Abbé ?
Il n'eft pas prouvé non plus , dira- t'il ,
qu'ils ne le fuffent pas. D'accord . Mais
cela pofé , que réfultera- t'il de tout ce
raifonnement ? Le voici : peut- être Saint
Siméon d'Auxerre vivoit-il du temps de
Sainte Géneviève ; peut-être en ce cas- là
eft ce lui plutôt que S. Siméon Stylité , qui
fe recommandoit aux prieres de la Sainte.
Et avec deux es de cette nature ,
nous voilà bien en droit de corriger le texte
d'un écrivain contemporain , qui de fon
côté ne dit rien non plus que de trèspoffible
!
3 °. M. l'Abbé le Beuf fuppofe ici ce qui
eft vrai aujourd'hui , mais ce qui ne conclut
rien pour les fiecles qui nous ont précedés
, que du temps de Sainte Geneviève
les vins d'Auxerre faifoient une branche
du commerce de cette ville pour Paris.
Paris avoit alors fes vignobles fur la montagne
qui a pris depuis le nom de la Sainte
: ils étoient même très-renommés dès le
temps de Julien l'Apoftat ; & je demandé
à ceux qui ont le mieux étudié l'hiſtoire
naturelle de la France , s'ils en pourroient
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
dire autant de ceux de Bourgogne & de
Champagne ? Je trouve qu'au onzieme
fiecle encore , plus de 550 ans après la
mort de Sainte Géneviève , le vin de la
bouche du Roi Henri I étoit le vin de
Rébréchien dans la forêt d'Orléans ( Annal.
Bened. tom. IV, pag. 536. ) , & on lui fervoit
fans doute ce que l'on croyoit de meilleur
dans tout fon royaume.
ور
II. Tome I, page 2. “ Je n'entreprendrai
point de réfuter l'erreur de ceux qui ſe
» font imaginés que la Cathédrale de Paris
» a été primitivement au lieu où eft l'Eglife
de S. Marcel . »
حرش
Réflexions. Nous fommes ici de même
avis M. Lebeuf & moi , comme je m'en
fuis expliqué nettement ( pages 29 54.).
L'erreur qu'il ne veut pas réfuter eft celle
du Docteur Jean de Launoy ; & en effet ,
il lui étoit inutile , auffi - bien qu'à moi ,
d'en prendre la peine : le célebre Adrien
de Valois , & d'autres encore , nous l'avoient
épargnée.
III . Même page. « J'admets la tradition
» qui porte que, & c . »
Réflexions Ce texte eft long ; il faut l'abréger.
M. Lebeuf croit fur la tradition ,
que S. Denys célébra les SS . Myfteres dans
les lieux où font aujourd'hui les Eglifes de
S. Benoît & des Carmélites , c'est- à- dire
JUIN. 1756. 105
bien avant dans ce que nous appellons le
fauxbourg S. Jacques : c'eſt par-là , dit il ,
que le faint Evêque arriva de Rome à Paris
; mais il ne croit pas de même qu'il les
ait célébrés dans la ville proprement dite ,
que nous appellons la cité , à plus forte
raifon qu'il y ait établi ni aucune Eglife ,
ni aucun Oratoire.
Tous les Sçavans font de fon avis fur ce
dernier point : ce n'étoit pas là le fiecle où
les Chrétiens puffent entreprendre facilement
d'élever des édifices publics en l'honneur
du vrai Dieu . On en voir pourtant
quelques- uns dans d'autres villes des Gaules
; mais ceux là font prouvés , au lieu
qu'il n'y a aucune preuve pour Paris . Ainfi
en cela M. Lebeuf ne contredit perfonne ;
il ne croit que ce que croit comme lui
aujourd'hui tout le monde fenfé : cette
déclaration de fa croyance paroît donc entiérement
en pure perte.
Il n'en eft pas de même du refte , où il
fait profeffion de croire ce qu'il ne devoit
point croire du tout , pas même comme
une chofe qui eût quelque apparence de
preuve.
1º. Saint Denys partant de Rome eft
arrivé dans les Gaules , ou par mer ou par
terre , & de maniere ou d'autre , il devoit
naturellement paffer par Lyon pour ſe
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
rendre à Paris. Or pour arriver de Lyon
dans cette ville , on ne voit pas qu'il foit
néceffaire de trayerfer le fauxbourg Saint
Jacques dans toute fa longueur. Il y a plus.
Saint Denys eft - il venu abfolument en
droiture ? Ne s'eſt- il écarté ni à droite , ni ,
à gauche fur fa route pour gagner des ames
àJefus-Chrift ? Il n'eft donc pas plus probable
qu'il foit entré dans Paris par la porte
du midi que par la porte du nord.
2°. Suppofons maintenant qu'il ait pris
fon chemin par le midi ; pourquoi n'auroit-
il pas pu célébrer les SS. Myſteres..
auffi -bien dans le coeur de la ville qu'aux
extrêmités du Fauxbourg ? Ce fauxbourg
avoir très- peu d'étendue au troifieme fiecle
; & par une conféquence néceffaire , il
ne devoit contenir qu'un affez petit nombre
d'habitans : il étoit donc plus difficile ,
& en même temps plus dangereux , d'y
tenir des affemblées fécrettes : on fe tient
plus sûrement caché au milieu d'une ville
bien peuplée , que vers fes extrêmités prefque
défertes , où l'on court toujours plus
de rifque d'être découvert.
3. Je ne nie pas pour cela que Saint
Denys n'ait exercé les fonctions de fon
miniftere Apoftolique dans le fauxbourg
du midi : il a pu le faire dans celui- là &
même dans celui du nord , auffi- bien qu'au
JUI N. 1756. 107
pour
centre de la ville , tantôt d'un côté , tantôt
de l'autre ; mais fans s'écarter beaucoup
des murs de la cité , de peur d'être trop
facilement remarqué. Une certaine quantité
de monde ne fe met point en marche
fe trouver à un rendez- vous écarté ,
& toujours vers le même endroit , fans que
les yeux du public n'en foient frappés . Or
le lieu où eft maintenant l'Eglife de Saint
Benoît , & à plus forte raifon celui où font
fituées les Carmélites , étoient dans un
trop grand éloignement de la cité .
4. Cependant , dit M. Lebeuf , la tradition
porte que Saint Denys célébra les
Myfteres dans ces deux endroits. Cela fe
peut à la rigueur , & c'eft toute la réponfe
que je lui fais ; car s'il n'y en a point d'autre
preuve , que peut- on voir là de plus
qu'une poffibilité ? Avec de pareilles.
ditions , fi elles avoient lieu , il n'y a point
de fi mince Chapelle qui ne pût faire remonter
fon origine jufqu'au temps des
Apôtres . On a bien cité la tradition qui
reculoit la miffion de Saint Denys jufqu'au
Pontificat de Saint Clément ; & cette tradition
eft plus ancienne que l'Abbé Hilduin
, qui mourut vers l'an 841 ; cependant
M. l'Abbé Lebeuf n'y ajoure aucune
foi , puifqu'à la page fuivante & ailleurs
encore , il fixe cette million au troifieme
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
fiecle feulement. La tradition qui nous
donne les deux Eglifes de Saint Benoît &
des Carmélites , comme fituées fur des
lieux confacrés par les travaux évangéliques
de Saint Denys , remonte- t'elle avec
certitude auffi haut que celle-là ? non fans
doute. Pourquoi donc M. l'Abbé Lebeuf
y foufcrit- il i volontiers , tandis qu'il ne
tient aucun compte de l'autre ? Pour moi ,
je n'ai tenu non plus aucun compte de celle
qu'il refpecte fi fort , quelque honneur qui
en dût réjaillir fur les deux Eglifes des
Carmélites & de Saint Benoît. Ces deux
Eglifes , ni le territoire particulier fur lequel
elles font bâties , ne paroiffent , fur
aucun monument, connus des deux premieres
races , & ç'a été pour moi une raifon
plus que
fuffifante pour n'en faire aucune
mention dans mes Annales . J'y reviendrai
plus bas , n° . XLI & XLII .
Lafuite au Mercure prochain.
LE VAUDEVILLE , Poëme didactique en
quatre chants , 1756. Le François né malin
forma le Vaudeville. Boileau , art poétiq.
Ce Poëme qui contient 64 pages, & qui
fe débite chez Durand , rue du Foin , nous
a paru très - ingénieux . Nous y avons trouvé
des détails & des vers heureux. C'eſt
avoir prefque créé & fait beaucoup de peu
JUIN. 1756.
109

de chofe. Les morceaux fuivans ferviront
de preuve. L'Auteur remonte dans le premier
chant au premier âge du monde , &
développe ainfi l'origine de la Mufique &
du Vaudeville :
Ce compofé de défirs & d'efpoir ,
Cet Etre ardent qui cherche à tout fçavoir ,
L'Efprit humain enfin étend ſa vue ,
Veut tout fonder , tout confulter , tout voir ;
Et fier du foc qu'il mit à la charrue
Son oeil hardi déja perce la nuë.
L'ame attentive interrogeant les fens ,
Il foumet tout à fes calculs preffans.
Au foc , dit -il , je peux joindre la herfe ;
Par ces fumiers rendre un terrein plus gras ;
Par ce levier , qu'un point d'appui traverſe
Je puis tripler la force de mon bras.
En captivant la fureur de ces ondes ,
En refferrant leurs courfes vagabondes ,
En les preffant dans des canaux étroits ,
A des refforts je peux donner un poids
Immenfe . Enfin pourfuivant fon ouvrage ,
Il chaffe , il guide , il pouffe , il ralentit :
Sous les marteaux l'enclume retentit
A quatre tems. Dans l'oreille du fage
Ce fon fubit éveille la raiſon ,
Qui fur le champ tranfmet à fon ufage
Le rapport jufte & du tems & du fon .
110 MERCURE DE FRANCE .
Delà , dit- on , naquirent ces merveilles ,
Dont la mufique enchanta nos oreilles .
De même un gland , par le hazard jetté
Au fein heureux d'une terre féconde ,
Etend au loin fa racine profonde ;
Et tout à coup jufques au Ciel monté ,
Sçait embelir un rivage écarté.
Ainfi le Dieu qui préfide aux vandanges ,
Vit , fur l'Autel à fon nom confacré ,
Tomber un bouc de guirlandes paré ,
Et tout le peuple entonner des louanges
Que terminoit un feftin préparé.
Le Poëte peint enfuite dans ces termes
les guerres de ces premiers tems :
Mais dans l'ardeur de ces fougueux combats ,
( Subit effet d'une prompte vengeance )
Du premier fer chacun armoit fon bras ;
Et dans l'attaque ou dans la réfiſtance
Nulle méthode. Alors on n'avoit pas
L'art malheureux de lancer le trépas ,
Et d'égorger à cent pas de diftance .
Et cependant l'armée à haute voix
Déja fenfible à ce genre de gloire ,
Chantoit en choeur fur des airs de victoire
Le Général porté fur fon pavois .
1
JUI N. 1756.
Alors le fiel d'une vive ironie
Vint fe placer dans le couplet malin ;
Et le vaincu , le lâche ſpadaffin ,
Dans ces concerts bûrent l'ignominie
Que leur verfoit le foldat inhumain.
Ainfi naquit cet être fi fertile ,
L'art chanfonnier , le brillant Vaudeville .
L'amour , le vin , & la malignité,
L'ont , par degrés , à fon comble porté.
Dans le fecond chant l'Auteur donne
fur ce genre des leçons qui marquent font
goût. Telles font celles - ci :
Souvent un ton plaiſamment rencontré
D'un beau refrain fait fentir l'harmonie.
l'ironie ;
Il eft des tons tout faits pour
Son trait perçant doit n'être que montré..
Le jeu de mots , ailleurs fi condamnable ,
Eft en chanfons quelquefois fupportable ;
Mais redoutez d'y trouver des appas :
Il eft l'efprit de ceux qui n'en ont pas.
Voilà un vers qui mérite de devenir
proverbe.
Abandonnez à l'emphaſe tragique
Ces mots enflés , dont le corps tortueux
Donne à la phraſe un pas majestueux .
Les petits mots font faits pour la mufique :
Troupe légere , ils fe prêtent à tout ;
112 MERCURE DE FRANCE.
Tout fon leur plaît , & tout eft de leur goût.
Il eſt un choix de fyllabes heureuſes ,
Qui dans leur marche , agréables , nombreuſes ,
Ont une chûte , ont un accord touchant :
Malgré les cris du cenfeur indocile ,
En fons charmans notre langue fertile
Peut fe fuffire & fatisfaire au chant .
Oui , c'est par vous , grands hommes , que j'en
jure !
Oui , c'eft par vous , ô Racine ! ô Boileau !
Vous apprendrez à la race future ,
Que notre langue a , dans un tour nouveau ,
Une harmonie , un genre , un caractere ,
ennobli Homere :
par
Tel le grec
que
Chaque fyllabe en fon cours limité ,
Frappe , régit , marque la quantité .
Diftinguez donc la breve & la diphtongue ,
Ou la douteuse , ou celle au marcher lent.
N'enchaffez pas une fyllabe longue
Sur un fon bref , ô vous ! auteur galant ,
Qui près d'Iris bûvez l'eau du permeſſe ;
Ecoutez - la , fyrene enchantereffe
Comme elle file & module fes fons ,

Soit qu'elle mafque ou montre fa tendreffe ,
Soit qu'elle flatte , ou menace ou careffe
Comme elle monte ou redeſcend, fes tons :
Sans nuls apprêts , plus fçavante maîtreſſe ,
Son doux parler vaut mieux que mes leçons.
JUIN. 1756. 113
Le Poëte ajoute à la gloire de la femme
ces vers flatteurs , mais vrais , qui la caractérifent
fi bien :
La douce inflexion
Eft dans fa bouche en un degré ſuprême .
Le Dieu du trouble & de l'émotion
Ne l'embellit que pour prononcer , j'aime.
Il finit ce chant par le récit d'une aventure
arrivée à Melpomene , qui la rendit
mere d'un genre équivoque , & qu'il raconte
ainfi :
Dans un bocage au pié du mont Ida ,
La trifte Mufe eut le fort de Leda :
D'un oeuf naquit un être à double face ,
Qui fur le champ prit fon vol au Parnaffe.
Là pour donner les plus burlefques loix ,
De Melpomene il contrefait la voix ;
Là croaffant fes phrafes imbécilles ,
Il confond tont , les genres , & les ftyles :
Sublime & bas & fuperficiel ,
D'un air profond tantôt il eft au Ciel ,
Tantôt il rampe à terre au moment même.
Si de Newton il expofe un fyftême ,
Il le découpe en ftyle de roman ;
Et fi d'Euclide il propofe un problême ,
Il donne au ftyle un air de fentiment .
Ce Dieu falot par plus d'un monument
Se fignala dans Athene & dans Rome
114 MERCURE DE FRANCE.
nomme Sous divers noms. Quant à moi , je le
Amphigouri; l'Appollon du Phoebus ,
Du perfifflage & des fades rébus .
Défiez-vous , Auteurs de chanfonnettes
De fon jargon , de fes graves fornettes
Et plût au Ciel , aimables nourriffons ,
Qu'il n'eût encor gâté que vos chanfons.
Le troifieme chant eft confacré à Bacchus.
Nous n'en tranfcritons que le début.
Voici comme l'Auteur défigne d'abord
les Muſulmans , qui refufent leur
hommage au vainqueur de l'Inde.
Du fein perfique aux rives du Bafphore ,
Un peuple immenfe eft fouftrait à tes loix :
Fils de Panthée , ils refufent encore
De reconnoître & ton culte & tes droits.
Dans un férail au vrai plaifir contraire ,
L'Amour gémit de fe voir fans fon frere ;
Par l'inftinct feul les coeurs y font unis :
Bacchus leur manque , ils font affez punis.
Il peint enfuite les autres Nations qui
font foumifes à ce Dieu dans les vers qu'on
va lire. Chaque peuple nous y paroît deffiné
par des traits qui lui font propres ,
& qui le diftinguent :
Aux bords du Tage aux rivages du Tibre ,
Son Thyrfe regne , & fon pouvoir eft libre .
Mais d'un oeil louche , on y voit le foupçon
JUIN. 1756. 115
Compter les pas de l'indifcrétion ;
Près d'elle affis , le délateur impie
Trouble en ces lieux les plaifirs qu'il épie ;
Et plus fouvent terrible en fes fureurs ,
La jaloufie , en proie à fes erreurs ,
Venge à l'écart , dans le fein d'un convive ,
un gefte , un oeillade naïve .
Un mot ->
Fuyons , fuyons au rivage du Rhin ;
C'eft-là , grand Dieu ! que fenfible à tes charmes ,
Le dur Germain à ta Divinité
Se livre entier , agité , tranſporté :
Mais furieux , il demande fes armes ;
Et plein d'ivreffe & de timidité ,
Nouveau Lapithe , il répand les allarmes.
Dans le féjour qu'a choifi la gaité.
Plus fier qu'heureux de trop de liberté ,
L'Anglois profond , dont l'ame eft dévouée
Aux tourbillons des différens partis ,
Souvent pouffant une voix enrouée ,
Même au deffert épouvante les ris.
Eft- ce en ces lieux de trouble & de querelle
Que tu te plais , ô Dieu ! fils de Semele ?
Non vrai , folatre , amoureux de la paix ,
Tu dois régner où regnent tes bienfaits.
C'eft à Paris : là le lieu de la fcène
De ton triomphe affure le fuccès.
Tu trouveras aux rives de la Seine
L'Amour à table à côté du François , &c .
116 MERCURE DE FRANCE.
Le quatrieme & dernier chant nous
paroît enchérir fur les autres ; il préſente
le Vaudeville dans toute fon étendue , &
fes différentes faces. Comme la malignité
en fait trop fouvent le caractere & qu'elle
préfide à fes couplets , l'Auteur commence
par elle & l'apostrophe ainſi :
Malignité dont le germe fécond
Remplit nos coeurs , en tapiffe le fond ;
Sentiment fin , auffi vieux dans notre ame
Que-l'amour- propre , & que lui feul enflamme ;
Qui peut nombrer les refforts & les fils ,
Agens fecrets de tes complots fubtils ?
Faut-il percer les plus fombres myfteres ,
Noyer le vrai dans de faux commentaires ;
Subftituer des vices aux vertus ,
Rendre fufpects & Lucrece & Brutus ,
De tout grand homme empoifonner la vie ,
Mordre , affirmer ou douter méchamment ;
Te voilà prête , & ton raffinement
Même loûra pour irriter l'envie .
Mais des moyens qui dirigent l'affront ,
Le Vaudeville eft certes le plus prompt.
Humble , rampant , mais guidé par l'injure ;
Il parle bas , à l'oreille il murmure ;
Puis tout à coup s'élançant dans les airs ,
Ses fiers accens rempliffent l'Univers ;
Les Souverains , les Auteurs & les Belles
Ont reffenti fes atteintes cruelles
JUIN. 1756.
117
Dans tous les tems , & le premier Céfar
Le vit marcher à côté de fon char.
L'ambitieux qu'irrite la puiffance ,
Et l'indigent que bleffe l'opulence ,
Et la laideur qu'offufque la beauté ,
Verfent le fiel par fa main apprêté.
Le peuple rit , & cruel fans malice ,
Prête à fes fons une bouche complice ;
Et peu fenfible aux pleurs qu'il fait verſer ,
Eft , s'il les voit , prêt à recommencer .
Les vers que nous venons de citer
prouvent
que l'Auteur eft Poëte : ceux que
nous allons tranfcrire font voir qu'il n'eft
pas moins honnête homme :
Jamais ( 1 ) il n'eft plus enflé de venin ,
Que quand il s'offre avec un air benin ,
Lorfque fa phrafe & s'ajufte & fe brode
Sur un chant fimple & furtout à la mode.
L'art le plus grand eft d'enfoncer fans art
Les traits perçans de ce fubtil poignard :
Sa pointe alors ... mais quel projet funeſte !
Vais- je aiguifer un trait que je détefte ?
Vais- je donner de coupables leçons ,
Pour compofer d'homicides poifons ?
A ces horreurs bien loin que je provoque ,
Fuyez , craignez les fuccès d'Archiloque.
Nous finirons cet extrait par la defcrip
(1 ) Le Vaudeville.
IIS MERCURE DE FRANCE.
tion que l'Auteur fait du véritable Vaudeville
:
• Le Vaudeville
Le plus parfait & le plus difficile ,
Celui reçu dans le facré vallon ,
Celui que même avoûroit Apollon ,
C'est ce couplet qui frappe fans fcrupule
Sur les défauts & fur le ridicule.
Sans rien nommer , utile en fon chagrin ,
Il prend fes loix du tour de fon refrain .
Ce Vaudeville , ainfi que le Sonnet ,
Ne fouffre rien que de pur & de net .
Pour s'affervir au refrein qui l'acheve ,
Toujours la phrafe eft trop longue ou trop breve ;
Toujours le fens trop ou trop peu preffé ,
Dans fon chaton devient lâche ou forcé.
Il faut encor que la rime foit riche ,
Que chaque mot Y foit comme en fa niche,
Jufte , élégant , fans être recherché ,
Nerveux & doux fans paroître léché ;
Comme fes mots , fes phrafes , fa tournure
N'ont que le ton que dicte la nature.
L'Auteur de ce Poëme nous a envoyé
une piece de Vers , qui ne peut être inféque
dans le Mercure prochain .
rée
JUI N. 1756. 119
REFLEXIONS d'une Provinciale fur le
difcours de M. Rouffeau , Citoyen de Geneve
, touchant l'origine de l'inégalité des
conditions parmi les hommes. A Londres ,
& fe trouve à Paris , chez Lambert , rue
de la Comédie Françoiſe , 1756 .
pro-
Nous penfons que cette Provinciale a
le meilleur ton de Paris , que fes réflexions
font celles d'une femme d'efprit qui écrit
auffi- bien qu'elle penfe , & qu'elles feroient
honneur à l'homme le plus inftruir.
Elle combat le fentiment de M. R ... avec
les graces de fon fexe , & toute la folidité
du nôtre. Ce que nous trouvons en elle ,
de plus eſtimable , & que nous ofons
pofer pour modele , eft le ton de politeffe
& d'égard qui regne dans fon écrit d'un
bout à l'autre. Elle y rend à l'illuftre citoyen
de Geneve toute la juftice qu'il mérite
. L'éloge de l'Auteur y marche toujours
à côté de la critique de l'ouvrage . Nous
voyons depuis quelque temps avec fatisfaction
, que les guerres littéraires s'exercent
avec plus de décence , & qu'on y em
ploie pour armes , la force des raifons, préférablement
à celle des termes dont on
adoucit tous les jours la dureté.
120 MERCURE DE FRANCE.
· LA NOBLESSE OISIVE ,
Soupire , étend les bras , ferme l'oeil & s'endort.
Boileau.
Prix douze fols , 1756 .
Cette petite brochure de 23 pages eft un
éloge ironique de l'oifiveté , l'appanage de
tant de nobles. C'eft un badinage qui nous
a paru bien écrit , & qui forme une espece
de parodie de la Nobleffe commerçante , &
de la Nobleffe militaire : il fe trouve chez
Brunet , rue S. Jacques.
LETTRE d'un homme de Province à
M. Rouffeau, Citoyen de Geneve , au fujet
de la feptieme lettre du feptieme Tome de
l'année littéraire , 1755 ; fe vend à Paris ,
chez Laurent Prault , au coin de la rue Gîtle-
coeur , à la fource des Sciences , 1756.
LE GÉNIE du Louvre aux Champs élifées
, Dialogue entre le Louvre , la ville de
Paris , l'ombre de Colbert & Perrault, avec
deux Lettres de l'Auteur fur le même ſujet ,
1755.
Cet écrit qui contient 146 pages , eſt
une fuite de l'Ombre de Colbert , donnée
au Public il y a quelques années par M. de
la Font-de -Saint-Yenne , & qui eut alors
l'approbation générale. On trouve ces deux
Ouvrages chez Lambert , rue de la Comédie
Françoiſe , & chez Duchefne , rue faint
Jacques.
HISTOIRE
JUIN. 1756.
121
HISTOIRE abrégée du regne de Conftance
, Empereur d'Orient & d'Occident , in-:
12 , fe trouve chez Prault le jeune , quai
des Auguftins , 1756.
LETTRE
Deremerciement que fait l'Auteur du Livre
intitulé la Bibliothéque des Jeunes
Négocians , à l'Anonyme qui a pris fa
defenfe dans le fecond volume du Mercure
d'Avril , pag. 98. ( 1 )
>
Puifque de deux mille perfonnes , Monfieur
, qui ont cru devoir fe munir de mon
livre , & qui par un accueil plus favorable
que je n'ofois me promettre , ont épuifé
la premiere édition de cet Ouvrage
vous êtes le premier qui , fûr de la victoire
, avez daigné prendre la plume pour la
-défenfe de la prétendue erreur qu'un inconnu
a bien voulu m'imputer , & faire,
annoncer dans le fecond volume du Mer- ;
cure de Janvier 1756 , recevez , je vous
prie , , par la même voie , puifque vous n'avez
pas jugé à propos de vous nommer ,
(1 ) Cette Lettre nous eft parvenue trop tard
pour pouvoir être placée à la page 95 de ce Mercure
après celle de M. Duval , où elle auroit dû .
être.
F
120 MERCURE DE FRANCE.
LA NOBLESSE OISIVE ,
Soupire , étend les bras , ferme l'oeil & s'endort.
Boileau.
Prix douze fols , 1756.
Cette petite brochure de 23 pages eft un
éloge ironique de l'oifiveté , l'appanage de
tant de nobles. C'eft un badinage qui nous
a paru bien écrit , & qui forme une efpece
de parodie de la Nobleffe commerçante , Óº
de la Nobleffe militaire : il fe trouve chez
Brunet , rue S. Jacques.
LETTRE d'un homme de Province à
M. Rouffeau , Citoyen de Geneve , au fujer
de la feptieme lettre du feptieme Tome de
l'année littéraire , 1755 ; fe vend à Paris ,
chez Laurent Prault , au coin de la rue Gîtle-
coeur , à la fource des Sciences , `1756.
LE GÉNIE du Louvre aux Champs élifées
, Dialogue entre le Louvre , la ville de
Paris , l'ombre de Colbert & Perrault, avec
deux Lettres de l'Auteur fur le même fujet,
1756.
Cet écrit qui contient 146 pages , eſt
une fuite de l'Ombre de Colbert , donnée
au Public il y a quelques années par M. de
la Font- de-Saint-Yenne , & qui eut alors
l'approbation générale . On trouve ces deux
Ouvrages chez Lambert , rue de la Comédie
Françoiſe , & chez Duchesne , rue faint
Jacques.
HISTOIRE
JUIN. 1756 .
121 .
HISTOIRE abrégée du regne de Conftan- .
ce , Empereur d'Orient & d'Occident , in-
12 , fe trouve chez Prault le jeune , quai
des Auguſtins , 1756.
LETTRE
De remerciement que fait l'Auteur du Livre
intitulé la Bibliothéque des Jeunes
Négocians , à l'Anonyme qui a pris fa
défenfe dans le fecond volume du Mercure
d'Avril , pag. 98. ( 1 ).
Puifque de deux mille perfonnes , Monfieur
, qui ont cru devoir fe munir de mon
livre , & qui par un accueil plus favorable
que je n'ofois me promettre , ont épuifé
la premiere édition de cet Ouvrage ,
vous êtes le premier qui , fûr de la victoire
, avez daigné prendre la plume pour la
défenfe de la prétendue erreur qu'un inconnu
a bien voulu m'imputer , & faire
annoncer dans le, fecond volume du Mercure
de Janvier 1756 , recevez , je vous
prie ,, par la même voie , puifque vous n'avez
pas jugé à propos de vous nommer ,
(1 ) Cette Lettre nous eft parvenue trop tard
pour pouvoir être placée à la page 95 de ce Mercure
après celle de M. Duval , où elle auroit dû
être.
F
11
122 MERCURE DE FRANCE.
les remerciemens que vous meritez à fi
jufte titre.
Si vous êtes du nombre des jeunes Négocians
pour l'inftruction defquels j'ai travaillé
, combien n'ai - je pas à m'applaudir
d'un fi heureux fuccès ? Et combien par
mes foins ainfi que par mes veilles , ne
dois je pas vous prouver que je fuis , Monfieur
, avec un fincere dévouement
Votre très-humble , & c.
J. Larue.
A Lyon , ce 29 Avril 1756.
Je dois ajouter que pour réfuter plus
victorieufement la prétendue erreur en.
queftion , j'évoque mon manufcrit & les.
exemplaires dépofés après l'impreffion dans
la Bibliotheque du Roi , ainfi que ceux qui
font entre les mains des Miniftres de Sa
Majefté , de M. le Duc de Villeroi , & enfin
, celui que mon frere , Caiffier du petit
comptant du Tréfor Royal , chez M. Savalette
, rue S. Honoré , a en fon pouvoir ,
paraphé à tous les feuillets par M. de Montcarville
, Cenfeur nommé par M. le Chancelier
; ce font les feuls que je dois reconnoître.
Comme je fuis affuré que cette erreur
n'y eft pas , fi on l'y trouve je me fou
mets à perdre tout ce qui fera dit,
JUIN. 1756. 123
LETTRE A M. F. ou Examen politique
des prétendus inconvéniens de la Faculté
de commercer en gros , fans déroger
à la Nobleffe .
Ce morceau nous a paru très - bien fait
& très -bien écrit. Il contient une excellente
Apologie du commerce en général & de
la Nobleffe commerçante en particulier ,
en même temps une critique raifonnée.
des obfervations fur un projet d'Edit pour
donner à la Nobleffe la facilité de commer
cer en gros fans déroger , attribuées au
Parlement de Grenoble . L'Auteur croit
qu'elles ne peuvent être l'ouvrage d'un
Corps fi éclairé , & le prouve avec force
par l'Analyſe qu'il en fait . Comme nous
avons reçu trop tard cette Lettre pour en
rendre un compte détaillé, nous nous contenterons
d'en extraire deux ou trois endroits
qui feront voir que la folidité des
raifons s'y trouve réunie avec l'élégance
du ftyle . Le premier répond à l'objection
la plus forte qu'on a faite au fujet de la
Nobleffe indigente, fçavoir qu'elle eft dans
l'impoffibilité d'entrer dans le commerce
par la pauvreté même . Voici comme l'Au
teur leve cette difficulté : Mais , dira- t'on ,
fi les Gentilshommes font pauvres , la faculté
de commercer leur devient inutile.
Sans doute il faut des capitaux pour fon-
Fij
24 MERCURE DE FRANCE.
der une maison de Commerce , il faut de
plus du crédit & des connoiffances établies
dans le genre auquel on s'adonne. Maist
on trouve dans la Marine des moyens
d'acquérir des fonds honnêtes , dès qu'on
parvient au commandement. Si un jeune
homme a de la capacité pour le cabinet ,
il trouve place dans les factoreries établies
dans l'Etranger & dans les Colonies . Pour
ces fortes d'entrepriſes , on ne demande
point de fonds à un Affocié , mais de la
fûreté & du talent. Un Gentilhomme a des
avantages particuliers pour infpirer cette
confiance , & marcher à la fortune dans
cette voie qui eft diftinguée. On peut dire
même que nous manquons beaucoup plus
de fujets propres à des établiffemens dans
l'Etranger qui font fort délicats , que de
capitaux & de combinaiſons .
Le fecond morceau que nous allons
tranfcrire , n'eft , à notre avis , ni moins
vrai ni moins folidement prouvé. Le commerce
en gros , dit l'Auteur , a des bornes
fi faciles à marquer , qu'il eft furpre
nant que quelqu'un puiffe en faire la queftion.
Mais l'estimable Auteur de la Nobleffe
commerçante me permettra de n'être
point de fon avis fur la parité qu'il établit
entre l'occupation du Négociant & celle
du Marchand. Le premier ne dépend que
JUIN. 1756. 125
de lui-même. Le ſecond dépend du Public
& des caprices particuliers des acheteurs ,
d'un trop grand nombre de manieres . Le
détail eft trop mêlé avec le petit peuple
groffier , ou avec le peuple impertinem
ment opulent , & il expoferoit trop fouvent
un Gentilhomme à l'embarras de
mettre d'accord les fentimens qu'il doit
avoir fucés avec le lait , & fon intérêt.
D'ailleurs , qu'eft- ce qui rend une profeffion
recommendable ? c'eft affurément fon
-plus grand degré d'utilité dans la République
: Or un détaillant n'eft qu'un homme
commode au Public , & le Négociant
eft utile à la Société. Par la même raifon
je croirois convenable d'interdire à la Nobleffe
tous les bas emplois de la Finance .
Nous ajouterons à ce que nous avons extrait
, la derniere page de cette brochure ,
qui terminera auffi notre précis.
Je finirai , dit l'Auteur , par une obfer
vation , C'est que je ne comprens pas qu'on
ait pu mettre en queftion une choſe décidée
folemnellement , même pratiquée. Il
s'agit tout au plus de renouveller d'une
-maniere plus preffante d'anciens Edits , &
non de ftatuer fur une nouvelle chofe.
Dès 1604 , il fut permis à la Nobleffe
de s'intéreffer à la Compagnie des Indes ,
qui fut formée alors . Pareille permiffion
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
lui fut accordée pour laCompagnie de Morbihan
en 1626 , & dans toutes les Compagnies
qui fe formerent pour les établiſfemens
des Ifles fous le vent : ils furent
tous faits par des Gentilshommes , & ces
familles fubfiftent encore en partie.
Enfin la permiffion générale , & même
l'invitation à la Nobleffe de commercer en
gros , fut promulguée par un Edit de l'an
1669. Elle fut renouvellée avec plus de
circonftances en 1701. Louis le Grand ne
fçavoit- il pas mieux qu'aucun Gentilhomme
de fon Royaume , ce qui étoit noble ,
ou ce qui ne l'étoit pas ?
Nous ne pouvons diffimuler ici que
nous avons été furpris que l'Auteur , en citant
la lettre de M. de Sechelles à M. Policart
, Négociant de Bordeaux , ait dit
qu'on l'avoit lue dans diverfes Gazettes ,
fans faire mention du Mercure qui a été
le premier à la publier avec tout l'éloge
qu'elle mérite . S'il n'avoit été queftion que
d'un écrit purement littéraire , nous n'aurions
pas relevé cet oubli. Mais quand il
s'agit d'une piece avantageufe au bien de
l'Etat , nous ne pouvons cacher notre fenfibilité
, & nous fommes jaloux de la préférence
.
JUIN. 1756.
127
DISCUSSION HISTORIQUE & CRITIQUE
préſentée à la Société Littéraire de Châlons
en Champagne , par M. Grofley , de
Troyes , pour difcours de réception dans
cette Société . Cette difcuffion nous a paru
auffi intéreſſante par le fujet que par le
ftyle , & la maniere dont il eft traité : elle
a pour objet la conjuration de Veniſe , &
l'Hiftoire de cette conjuration , écrite par
l'Abbé de Saint Réal. Nous penfons que
l'Auteur difcute ce point avec beaucoup
de recherche & de fagacité , & que les
preuves qu'il apporte pour réduire le Roman
à la vérité , & pour convaincre l'Abbé
de Saint Réal de n'avoir mis au jour qu'une
fable bien tiffue & mieux écrite , forment
prefque une démonftration . M. Groſley
fait voir clairement que cette fameufe conjuration
bien analyfée, n'en fut point une à
la rigueur , & qu'elle fut plutôt un coup
de la politique du Sénat de Venife. Nous
allons tranfcrire fes propres expreffions.
La guerre avec l'Archiduc , ayant été
terminée à des conditions affez égales que
la République n'avoit néanmoins acceptéés
qu'avec la derniere répugnance , elle commença
la réforme dans fes troupes par
le
licenciement des Etrangers à qui elle avoit
donné de l'emploi. Ces Etrangers , la plûpart
François , peu fatisfaits de la maniere
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
dont la République reconnoiffoit leurs fer-
- vices, exhalerent leur mécontentement par
des plaintes peu mefurées, par des menaces
indifcrettes , par quelques violences qui al-
: larmerent le Sénat. 11 fit arrêter ceux qui
avoient porté plus loin la hardieſſe . Plufieurs
furent fuppliciés comme traîtres envers
une Puiffance , à laquelle cependant
ils n'étoient plus liés . Ces fupplices frapperent
le peuple ; il fe crut échappé à un
grand danger . On lui indiqua le Marquis
de Bédemar comme l'Auteur & l'ame de
cette mutinerie : il s'attroupa ; & le Marquis
craignant les fuites d'une émeute qui
paroiffoit avoir fa perfonne pour objet ,
fe retira précipitamment de Venife . Voilà
le fondement du bruit qui courut alors ,
que l'on avoit découvert à Venife , une
conjuration la plus effroyable , la plus épouvantable
, qui eût jamais été formée contre
cette feigneurie. M. de G ..... ajoute que
la conjuration de Veniſe développée à la
charge des Efpagnols , fut dans ces circonftances
une de ces fatyres d'Etat qui entre
Souverains commencent fouvent les
hoftilités.
Nous voyons par - là que les meilleurs
Hiftoriens , tant anciens que modernes, ne
font les trois quarts du temps , à les bien
approfondir , que d'habiles Romanciers ,
JUIN. 1756. 329
à commencer par Xénophen & Tite - Live ,
jufqu'à l'Abbé de Saint Réal & à l'Abbé de
Vertot , qui puifoit fouvent les faits , difoit-
il lui-même , dans le fond d'une bouteille
d'excellent Champagne . C'est ce qui
doit nous apprendre à nous autres faifeurs
de Relations & de Recueils , d'être circonfpects.
Notre ton doit être toujours celui du
doute , & notre fonction celle de tout expofer
, & de ne rien affirmer . C'eſt où le
Pirrhonifme eft de devoir.
On délivrera à la fin de ce mois chez
Jombert , rue Dauphine , le tome quatrieme
de l'Architecture Françoife , ou recueil
des plans , élévations , coupes & profils des
Eglifes , Maifons Royales , Palais , Hôtels
& édifices les plus confidérables de Paris ,
ainui que des Châteaux & Maifons de Plaifance
fitués aux environs de cette Ville ,
ou en d'autres endroits de la France , bâtis
par les plus célebres Architectes , & mefurés
exactement fur les lieux , & c .:
Ce quatrieme volume eft un des plus intéreffans
de l'ouvrage par l'importance des
édifices dont il y eft parlé. En effet , on y
trouvera les plans & la defcription du Louvre
, du Palais des Tuileries , du Château
de Verfailles , & M. Blondel , Auteur de.
tecouvrage n'a négligé aucunes recherches.
F v
130 MERCURE DE FRANCE.
pour rendre ces defcriptions utiles , intéreffantes
& curieuſes.
ÉLOGE
De M. Joli de Fleury , ancien Procureur
Général au Parlement de Paris , prononcé
peu de jours après fa mort dans l'Auditoire
du Bailliage de Magni ; par M. Lemarié
, Avocat.
MEffEfifieurs , fufpendons nos exercices.
Que le Sanctuaire de la Juſtice ſoit fermé.
Que fes oracles fe taifent. Que tout annonce
notre jufte douleur. Il n'eft plus ,
ce grand homme , l'honneur de la Magiftrature
, la lumiere & l'ornement du Royaume.
Une mort qui paroîtra prématurée à
tout bon Citoyen , vient de nous l'enlever
dans un temps où il avoit mis au fçavoir le
plus étendu , le fceau de l'expérience la
plus confommée. Quelle perte , Meffieurs !
Quel trifte événement ! La France entiere
s'y montre fenfible. Ses peuples font confternés.
Son Roi gémit . L'Etranger même
eft touché. Pourrons- nous mettre une mefure
à nos regrets , nous à qui l'intérêt du
Barreau , où notre ferment nous lie , rendoit
plus précieuſe & plus chere la deftinée
de cet illuftre Magiſtrat ?
JUI N. 1756. 434
Rappellez -vous , Meffieurs , ces temps
heureux où M. Joli de Fleury ( 1 ) déployoit
fes talens , & faifoit admirer ſa ſageffe dans
le premier Sénat de l'univers. Quelle précifion
, quelle force dans fes difcours !
Quelle pureté dans fes intentions ! Quelle
vigueur dans fes procédés !
Vous l'avez vu depuis dans une place
non moins diftinguée ( 2 ) , éclairer nos provinces
par fes confeils , régler vos démarches
, vous enfeigner vos devoirs .
Que ne puis- je vous le montrer dans
fes dernieres années ( 3 ) , partageant tous fes
momens entre les travaux de l'étude & la
pratique des vertus ! Auffi profond que ce
fameux Préfident dont nous pleurons encore
la mort , mais moins ami du ſyſtême,
& moins fujet aux écarts , il méditoit continuellement
les loix , en pénétroit l'efprit,
en découvroit tous les rapports. Aufli bon
chrétien , qu'honnête homme , & habile
jurifconfulte , il fe délaffoit par des lectures
édifiantes de l'affiduité pénible de fes
occupations , & joignoit au foin généreux
d'inftruire fes concitoyens , les oeuvres
multipliées de la plus haute piété .
O loi fatale qu'il a bien connue , & dont
(1 ) Avocat Général .
(2 ) Procureur Général.
(3) Retiré.
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
il devoit être exempt , vous n'épargnez
donc perfonne ! Le mérite ne fçauroit
défarmer votre rigueur ! Et vous n'avez
point eu d'égard à tant de titres qui fembloient
devoir lui affurer l'immortalité !
Mais n'eft-il rien qui foit capable de
modérer notre douleur ? Ne nous refte t'il
pas dans un fi grand deuil quelque motif
de confolation ? Oui , fans doute , Meffieurs.
La mort fourde à nos voeux a pu
terminer la vie de ce grand Magiftrat ; mais
empêchera-t'elle que fa gloire ne vive dans
la mémoire des hommes , & que fon exemple
n'en forme d'autres qui lui reffemblent
?
?
Un trifte monument renferme fa dépouille
mortelle ; mais ne retrouvons- nous
pas fon fçavoir , fon génie , fa vertu dans
fes illuftres fils vraiment dignes d'un tel
pere ?
Puiffe une famille fi refpectable , fe perpétuer
à jamais , & montrer à tous les âges
ces qualités précieufes qui caufent nos regrets
, & font notre admiration !
JUIN. 1756 .
133
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
HISTOIRE NATURELLE .
REMARQUE
Sur les Ouies du Cheval marin.
LEs Anatomiftes font aſſez d'accord dans
la comparaifon qu'ils font des ouies des
poiffons , avec les poumons des animaux
qui refpirent l'air . L'eau eft pour eux ce que
l'air eft pour nous . Mais tant de variété
dans les parties des différentes efpeces d'animaux
, tant terreftres qu'aquatiques nous
font foupçonner que leurs poumons &leurs
ouies doivent participer à ces différences.
L'anatomie n'a de prife que fur ce qui
eft proportionné à nos fens , & par cette raifon
les fineffes de notre méchanifme ne
font point à ſa portée.
J'ai toujours confidéré les poumons ,
comme des glandes propres à extraire de
l'air ce qui étoit néceffaire à l'entretien
134 MERCURE DE FRANCE.
de l'économie animale de chaque individu .
Cette propriété d'admettre certaines parties
d'un fluide & de rejetter les autres ,
doit être cherchée dans le rapport des figures
des parties admifes avec celles qu'ont
les canaux par où elles fe filtrent . Mais ou
trouver un microſcope qui nous faffe voir
ces chofes. Dans l'expiration nous voyons
bien que la plus grande partie de l'air eft
rejettée ; mais nous ne fçavons rien de la
proportion qui fe trouve entre la partie
admife & celle qui eft rejettée ; & ce
que nous pouvons attendre des découvertes
qu'on peut faire dans l'anatomie comparée
, eft la folution d'un grand nombre
de problêmes fur lefquels les fentimens fe
trouvent également partagés pour & contre.
On commence déja à preffentir par ce
préambule que j'ai trouvé quelque chofe
de particulier dans les ouies du cheval
Marin , & l'on ne fe trompe pas.
Après avoir examiné un grand nombre
d'ouies de différentes efpeces de poiffons
de mer & d'eau-d'ouce , j'ai trouvé des variétés
apparentes , mais toujours un fond
d'uniformités dans les lames qui les compo
fent ; de forte qu'on eût pu en conclure
que toutes les efpeces de poiffons , foit
qu'ils vivent dans l'eau douce ou falée en
font les mêmes extraits , ce qui ne s'accorJUIN.
1756. 135
de point avec la variété de leur conftruction
, & de leur genre de vie qui eſt entiérement
dépendante.
rap-
J'ai trouvé dans le cheval Marin ce que
je cherchois. Sa figure eft finguliere entre
toutes celles des autres poiffons. Son encolure
& une partie de fa tête , qui a du
port avec celle du cheval , lui en ont fait
donner le nom. Sa façon de nager ne reffemble
en rien à celle des autres animaux
aquatiques , auffi nâge- t'il fort lentement.
Il a aux deux côtés de la tête deux nageoires
très - délicates , qu'il fait mouvoir
comme un papillon agite fes aîles . Il a fur
le dos une autre aîle de papillon barrée de
jaune & de noir qu'il remue comme nos
Dames font leurs éventails. Sa queue a dy
rapport avec celle du lezard ; elle eft
quarrée , & fe trouve n'être qu'une continuation
des vertebres recouvertes d'une
fimple peau. Comme il eft grand dormeur ;
& que la mer pourroit le jetter fur le rivage
pendant fon fommeil , il a foin de s'accrocher
avec fa queue pour fe mettre en fûreté.
On pourroit dire de lui , qu'il nous a
enfeigné à nous fervir de l'ancre , dans le
même fens que l'on dit que les hirondelles
nous ont appris à bâtir . Mais mon deffein
n'eft pas de faire l'hiftoire naturelle de ce
poiffon , & j'en reviens à ma remarque.
1
136 MERCURE DE FRANCE.
Sa tête finit prefque en une pointe un
peu retrouffée le trou rond dont elle eft
percée , peut plutôt nous la faire regarder
comme une espece de trompe que comme
une gueule véritable : elle n'en a aucunes
des parties , ni langues ni dents , &c. Ce
n'eft qu'un canal par lequel il reçoit l'eau
& la nourriture. Il a des efpeces de mâchoires
qui s'élevent & s'abaiffent , & fous
lefquelles font placées les ouies ; elles ne
reffemblent point à celles des autres poiffons
: ce n'eft qu'un amas de petits globes
thomboïdes d'un rouge pâle , qui forment
de petites élévations , marquées dans leur
milieu par des points d'un rouge- noir. Il ne
m'a paru aucune des lames qu'on trouve
dans celles des autres poiffons. Elles reçoivent
l'eau immédiatement dans leur cavité
, comme nous recevons l'air dans nos
poumons .
Les mâchoires du Cheval Marin s'éle
vent lorfqu'il refpire l'eau. En les abaif
fant il l'oblige à fortir par deux petits
trous fitués au haut de fa tête : ils peuvent
recevoir une groffe aiguille. Ils font
percés de façon à laiffer fortir l'eau , mais
leurs parois fe rapprochans, ferment le paffage
à l'eau extérieure.
Je crois cette remarque neuve , & la
refpiration eft quelque chofe de fi effenJUIN.
1756. 137
tiel à l'explication de l'économie animale ,
que tout ce qui peut y avoir le moindre
rapport , n'eft nullement à négliger.
J'ai l'honneur d'être , &c.
De Villeneuve.
Au Croific , ce 29 Avril 1756.
HISTOIRE.
DISSERTATION
Sur une Lettre de Saint Remi à Clovis.
DE
E toute part on n'entend parler que
de differtations. La République des Belles-
Lettres en eft inondée , & peut -être que
l'hiftoire éprouvera un jour le fort des
ouvrages d'Ariftote qui font devenus d'autant
moins intelligibles qu'ils ont été plus
fouvent commentés.
Après avoir ainfi déclamé contre les
differtations , on fera furpris que je me
mette fur le rang des Differtateurs : le
Public décidera fi je fuis du nombre de
ceux qui n'embraffent ce genre de travail
que pour faire paroître leur érudition , ou
pour faire briller leur efprit , en F'accablant
138 MERCURE DE FRANCE.
de citations inutiles , fouvent même n'ayant
aucun rapport au fujet , ou en ne lui offrant
que des idées vaines , extraordinaires
, & qui fe perdent dans leur propre
fubtilité.
La lettre de S. Remi , qui fait le fujer
de cette differtation , a donné lieu à plufieurs
fyftêmes. Le but que nous nous propofons
eft d'examiner tous ceux que nous
connoiffons , furtout les deux qu'a donné
M. de *** . Nous tâcherons enfuite d'en
établir un nouveau.
Refutation dupremierfyftême de M. de la ***
L'ordre demande que nous commençions
par mettre fous les yeux du Lecteur ,
& la lettre de cet Evêque , & la traduction
de l'Auteur que nous réfutons .
A l'illuftre Seigneur
le Roi Clovis , célebre
par fes vertus ; Remi,
Evêque.
Domino infigni &
meritis magnifico
Chlodovao Regi , Remigius
Epifcopus.
La renommée nous Rumor magnus ad
apprend avec éclat nos pervenit admique
vous tenez le fe- niftrationem vos fecond
rang dans l'Em- cundum rei bellica
pire par l'adminiftra- fufcepiffe.
tion de la guerre .
Je ne fuis point Non eft novum ut
JUIN. 1756.
139
coeperis effe ficut pa- furpris ( 1 ) que vous
rentes tui femperfue- commenciez d'être ce
runt. que vos ancêtres ont
toujours été.
Hoc imprimis agen- Votre premiere atdum
ut domini judi- tention doit être de
cium à te non vacil- ne point varier dans
let , ubi tui ( 2 ) me- la foi que vous avez
riti qui per induf- embraffée par un effet triam humilitatis
tue de votre difcernead
fummum culmi- ment , qui vous éleve
nis pervenis , quia , au faîte des honneurs;
quod vulgus, dicitur, car c'eft un jugement
ex fine actus hominis de Dieu , & comme
probatur.
Conciliarios tibi
adhibere debes , qui
on dit , la fin couronne
l'oeuvre (3 ).
Prenez pour confeillers
des perfonnes
famam tuam poffint dont la fageffe juftifie
ornare , benefi la réputation que vous
cium tuum caftum & vous êtes acquife.
honeftum effe debet : Exercez votre
& facerdotibus tuis ploi avec beaucoup
debes honorem defer- d'honneur & de droire
, & ad eorum con- ture ; ayez toutes forfilia
femper recurre- te d'égards pour vos
em-
(1 ) La pensée de S. Remi eft mal rendue.
(2 ) Il me femble qu'il faudroit ainfi corriger
cette phrafe , tu qui tuis meritis , ¿c.
(3) Elégante traduction.
140 MERCURE DE FRANCE.
Evêques : prenez tou- re : quodfi tibi benè
jours leurs confeils eum illis convenerit
dans les occafions. provincia tua meliùs
C'eft de l'union que poteft conftare. Cives
vous conferverez avec tuos erige , afflictos
eux , que dépend la releva , viduas fove,
durée de votre com- orphanos nutri : fic
miffion ( 1 ) . Rétablif- potiùs eft erudias ut
fez vos citoyens , fou- omnes te ament quàm
lagez les malheureux , timeant.
protégez les veuves ,
nourriffez les orphelins
; car il eft de votre
intérêt d'apprendre
aux peuples à vous
aimer plutôt qu'à vous
craindre.
Que votre bouche Juftitia ex ore veffoit
l'organe de la juf- tro procedat : nihil
tice n'exigez rien des fu Sperandum de
pauvres , ni des étran- pauperibus vel peregers
, & gardez vous grinis, nè magis dona
de rien recevoir à ti aut aliquid accipere
tre de dons ou de préfens
(2).
Que votre prétoire
velis .
Pratorium tuum
(1 ) Si je ne connoiffois pas l'Auteur , à le voir
ainfi traduire , je préfumerois qu'il ne fçait pas le
latin .
(2 ) Traduction défectueufe .
JUI N. 175.6. 141
omnibus
pateat ,
nullus
indè triftis abf maniere
que perfonne
ut foit ouvert à tous de
cedat. Paternas quaf n'en forte avec le chacumque
opes poffides , grin de n'avoir pas été
captivos exindè libe- entendu. Servez - vous
rabis , & àjugo fer- des richefes que vos
vitutis abfolves. Si peres vous ont laiffées
quis in conspectu vef- pour en racheter des
tro venerit , peregri- captifs , & les délivrer
num fe effe non fen- de la fervitude : fi
tiat. Cum juvenibus quelqu'un paroît dejoca
, cum fenibus vant vous, qu'il ne s'aptracta
, fi vis regnare perçoive point qu'il
nobilis judicari. eft étranger : propor
rionnez -vous aux perfonnes
qui auront à faire avec vous. Soyez
libre avec les jeunes gens ( 1 ) , & ſérieux
avec les vieillards , fi vous voulez qu'on
vous juge véritablement digne de régner.
Notre Differtateur prétendoit que Clovis
avoit reçu de l'Orient les honneurs de
Préfet du Prétoire des Gaules , & que
S. Remi lui avoit écrit certe lettre pour l'en
féliciter , il fe fert de cette même lettre
ou plutôt de fon élégante traduction comme
d'une des plus excellentes preuves de
fon fyftême.
Comme il y a depuis renoncé , je m'étendrai
le moins qu'il me fera poflible , dans
(1 ) Traduction ridicule,
142 MERCURE DE FRANCE.
la réfutation que je me propofe d'en faire .
Si l'Auteur n'avoit pas embraffé & propofé
un ſecond fyftême que je combattrai
auffi , parce qu'il eft encore plus faux que le
premier , je ne hafarderois pas ici mes réflexions.
Il me paroît que l'on ne peut , fans s'expofer
à des contradictions manifeftes , &
fans renverfer les ufages reçus de tout
tems , & l'ordre des dignités , foutenir que
Clovis ait reçu les honneurs de Préfet du
Prétoire , furtout dans le tems que fixe
M. de ***. En effet , quel eft le tems qu'il
choifit pour accorder à notre Monarque
cette éminente dignité , celui qui s'écoula
depuis fon baptême jufqu'à fon Conſulat ?
Clovis a donc reçu la dignité de Préfet du
Prétoire avant de recevoir celle de Conful ?
Cette propofition me paroît finguliere : on
ne defcend pas aux honneurs , on y monte .
Notre Differtateur connoît toute la grandeur
de la dignité de Préfet du Prétoire :
il nous dit qu'elle eft appellée au code
Théodofien , faftigium & apex fublimis dignitatum
; dans Aufone à Syagrius , Pratorianum
culmen dans Symmaque , fummum
culmen honorum. Ce feroit donc
renverser l'ordre des dignités , de vouloir
que l'on commençât par accorder cette
dignité , & que l'on montât enfuite , ou
JUIN. 1756 . 143
plutôt que l'on defcendît à une dignité
beaucoup moindre. La dignité confulaire
n'étoit que la quatrieme dans l'Empire , en
comptant l'Empereur & même la cinquieme
fi l'on entend le Confulat honoraire .
On ne renverſe pas moins les ufages &
l'ordre des dignités , en prétendant qu'Anaftafe
, en conférant à Clovis les honneurs
de la préfecture du Prétoire , n'y joignit
pas ceux du Patriciat , & qu'il les réferva
pour les lui envoyer avec le titre de Conful
, dignité beaucoup inférieure.
Enfin le filence des Hiftoriens ne me'
paroîtroit pas moins extraordinaire. Comment
ofer affurer qu'Anaftafe a accordé à
notre Monarque la Préfecture du Prétoire
des Gaules , tandis que les Hiftoriens n'en
font aucune mention , comme Aimoin ,
Grégoire de Tours , Gaguin , eux qui font
tant de bruit pour les honneurs du Confulat
accordé à Clovis ? jufques-là que Grégoire
de Tours femble vouloir perfuader
aux Lecteurs que ces honneurs donnoient
à notre Prince le titre d'Augufte , titre confacré
à l'Empereur , exeâ die tanquam conful,
tanquam Auguftus. Malgré Grégoire , M. de
la*** veut donner àClovis la dignité de Préfet
du Prétoire , & Grégoire , malgré Clovis
même , lui donne le titre d'Augufte ( 1 ) .
(1) Celfitudo eft le titre que prend Clovis ,
144
MERCURE DE FRANCE .
Peut- être pafferoit- on fur ces difficultés,
s'il fe trouvoit des preuves fuffifantes pour
établir l'opinion que je combats , mais il
n'en eft aucune .
Celles que M. de la *** nous offre , font
tirées de la lettre de S. Remi, que nous venons
de tranfcrire , & d'une lettre d'Avitus
à Clovis . Commençons par examiner
la premiere , nous pafferons enfuite à celle
d'Avitus.
La renommée nous Rumor magnus ad
apprend avec éclat , nos pervenit admique
vous tenez le fe- niftrationem vos fecond
rang dans l'Em- cundum R. B. fufpire
par l'adminiftra- cepiffe.
tion de la guerre.
Voilà la traduction de notre Auteur :
or , dit- il , le fecond rang dans l'Empire
eft la Préfecture du Prétoire , dent , &c.
Mais premiérement , où M. de la *** at'il
trouvé ces mots dans l'Empire ? & pour
trouver ceux- ci , le fecond rang , il eft
obligé de faire un changement dans l'original
, corrigeant fecundum par fecundam :
cependant avec ce changement , je n'apperçois
point ces mots le fecond rang , mais
la feconde adminiſtration c'eſt- à- dire ,
υπέροχη
Gloria eft celui que lui donne S. Remi , e
eft celui du Préfet du Prétoire .
l'adminiſtration
JUIN. 1756. 145
l'adminiftration des affaires pour la feconde
fois.
Je le fupplie auffi de ne pas trouver
mauvais que je blâme la traduction qu'il
nous donne de ce mot fufcepiffe , que vous
tenez ; c'eſt-à- dire , que vous avez reçu
des Empereurs d'Orient. Sufcipere fignifie
prendre , & non recevoir. Ainfi cette phrafe
ne peut jamais fignifier , foit que l'on
admette , foit
foit que l'on rejette le changement
du Traducteur , que Clovis a reçu
la Préfecture du Prétoire d'Anaftafe , mais
elle fignifiera très-bien que ce Prince a repris
l'adminiſtration de fon royaume .
A l'égard de ce mot adminiftratio , mot
générique que l'on peut employer pour
toutes fortes d'affaires ; il faut bien manquer
de preuves pour y en trouver une
renfermée.
Non eft novum ut coeperis effe ficut paren
tes tui femper fuerunt. Voilà une feconde
preuve. Voyons quels ont été les ancêtres
de Clovis. Ont -ils été grands guerriers ,
toujours aimé des peuples , toujours leur
rendant la juftice , toujours ayant grand
foin de la difcipline militaire : Il me paroît
que c'eft- là le fens naturel , mais ce n'eft
pas celui que cet Auteur donne à ces paroles
, toujours Préfets du Prétoire , dit- il ,
pour nous le prouver , il cite un certain
&
G
146 MERCURE DE FRANCE.
Ebodic , maître de la Milice fous Conftan
tin , Tyran des Gaules .
Mais cet Ebodic n'étoit pas Préfet du
Prétoire , il n'étoit que maître de la Milice:
il ne peut donc pas
fervir de
preuves
pour l'opinion
de M. de la ***.
D'ailleurs S. Remi n'a pas pu l'avoir en
vue par ce mot parentes , jamais on n'a entendu
les parens collatéraux. Ce mot dans
fa vraie fignification , ne s'applique qu'au
pere & à la mere , dans une fignification
plus étendue aux afcendans en ligne directe.
Or cet Ebodic étoit parent de Clovis
en ligne collatérale ; il étoit frere de fon
pere , dit M. de la *** : ce qui a trompé
eft la fignification générale & indéterminée
qu'a dans notre langue le mot de parens.
M. de la *** devoit prouver que les ancêtres
de Clovis ont toujours été Préfets
du Prétoire. Pour réuffir dans fon projet ,
d'abord il n'en cite qu'un Ebodic , & cet
Ebodic , cet un , n'étoit pas même Préfet
du Prétoire , & fon degré de parenté étoit
tel , que le mot latin parens , ne pouvoit
lui convenir. Il eft fort aifé de fe faire
des preuves de cette nature .
Peut-être , continue cet Auteur , qu'Arbogafte
& fes defcendans qui avoient été
élevés aux premiers honneurs , étoient de
JUIN. 1756. 147
même maiſon. Encore même difficulté , &
puis le toujours de S. Remi , femper fuerunt
, notre Differtateur l'expliquoit par
un peut-être.
Čes mots fummum culminis lus feuls , ne
fignifient rien pour en fixer le fens , il
faut faire attention à ce qui précede & à
ce qui fuit. On en tire cependant un grand
argument. N'eft- ce pas évidemment , diton
, le fummum culminis d'Aufonne , le
fummum culmen honorum de Symmaque ?
Voyez la page 18 & 41. J'efpere que vous
ferez convaincu que l'on ne peut rien tirer
de favorable à ce fyftême de cette prétendue
évidence. Qui auroit jamais pu fe perfuader
que ce mot beneficium auroit fourni
à notre Differtateur une preuve admirable?
Beneficium , votre emploi , dit- il , la Préfecture
du Prétoire.
Quel est l'Auteur , qui à ce mot Beneficium
, a jamais donné cette interprétation ?
Beneficium , depuis quelques fiecles , a été
déterminé pour fignifier une dignité eccléfiaftique
accordée à une perfonne initiée
dans les ordres , qui donne un bien fpirituel
' pour un bien temporel. Anciennement
on donnoit ce nom aux fiefs , aux
Duchés - Pairies , aux Souverainetés , &
même aux Royaumes que l'on regardoit
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
"
و د
و د
>>
ود le
fans doute comme un bienfait ou de Dieu ,
ou des peuples. Voyez Mézerai.
" Mais l'inftitution des fiefs , qu'autre-
» ment on nommoit honneurs , eft plus
ancien qu'Hugues Caper : car quoi
qu'en veuille dire un judicieux Auteur
qui a traité cette matiere , ce n'eft autre
chofe les bénéfices , ou terres donque
» nées à condition de fervices , ainfi que
porte le mot de féode ; on y a depuis ,
» & par fucceffion des tems , attaché di-
» verfes conditions , & le Royaume de
» France a été tenu plus de trois cens ans
» durant , felon leurs loix , fe gouvernant
» comme un grand Fief, plutôt que com-
» me une Monarchie : donc on peut l'ap-
› peller un grand bénéfice . Beneficium tuum
fignifiera donc votre Royaume » . Le Roi
eft appellé par les Jurifconfultes le fouverain
Fieffeur : ce ne fera cependant pas
là la fignification que nous donnerons à
ce mot. Voyez la page 41 .
و ر
و ر
ود
Provincia tua , eft encore une preuve
pour M. de la *** : votre commiffion , ditil
, la Préfecture du Prétoire.
Je ne crois pas que l'on doive lui donner
ici cette fignification , Provincia fignifie
proprement Province , ici , Royaume
les Romains donnoient ce nom à tous
JUIN. 1756. 149
les Pays de leur domination hors de l'Italie
, & furtout à la Gaule. Eft- il donc furprenant
que S. Remi donne à un Royaume
le nom de Provincia ? il fe fert du
même nom que les Romains pour fignifier
la même chofe . Regiones extra Italiam
que Populi Romani imperio parerent , & ad
quos adminiftrandos magiftratus mitterentur ,
qui in iis jus diccrent Provincia dicebantur.
Qui verò non parebant , fed amici Populi
Romani majeftatem tuerentur , Liberi Populi
appellati funt.
A l'égard de ces mots , fi vis regnare no
bilisjudicari , le Differtateur a cru y trouver
renfermée une Prophétie . Si vous fçavez
vous comporter avec modération , vous
pourrez bien devenir un jour le Prince des
Gaulois Romains . Ici je me tais , je me
garderai bien d'écrire contre les divines
infpirations des Propheres .
Pratorium tuum , votre prétoire , fournit
encore une preuve.
Ce terme ne fignifie autre chofe que le
lieu où les Généraux d'armée rendent la
juftice. Il convient à Clovis comme Roi ,
comme Conquérant , comme Général d'armée
, & non comme Préfet du Prétoire.
Voyons fi l'on fera plus heureux dans
l'ufage que l'on fait de la lettre d'Avitus .
Succeffus felicium triumphorum quos per.
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
vos regio illa gerit , cuncta concelebrant , tangit
etiam nos felicitas , quotiefcumque illic pu
gnatis vincimus ; inter hac tamen Catholica
Religionis affectum fervat in vobis cura miferendi
, & in apice rerum omnia gubernacula
continente non minùs eminet fan&titas
quàm poteftas , ex quâ utique factum eft us
dirigi ad vos fervi veftri illuftris Laurentii
filium principali oraculo juberetis , quod apud
domnum meum fue quidemgentis regem , fed
militem veftrum obtinuiffe me fuggero : nihil
quippe eft in quo fervire non poteft , congaudi
miffo , invidi vos vifuro , cui minus computandum
eft ad utilitatem parenti proprio
reftitui , quàm patri omnium prafentari.
M. de la *** avoit fondé fon fyftême
fur ces mots. In apice rerum omnia gubernacula
continente . Faftigium & apex fublimis
dignitatum. Militem veftrum. Patri omnium .
De ces deux premieres phrafes , non
plus que de ces mots fummum culminis , de
la page 13 , on ne peut rien conclure , finon
que Clovis étoit fouverain dans fes
Etats , qu'il avoit des vaffaux , des tributaires
ne pourroit- on pas fe fervir des
mêmes termes , en écrivant à nos Rois ?
Quelqu'un les trouveroit- il impropres ? La
royauté ne renferme- t- elle pas tout gouvernement
, toute puiffance , & n'eft elle pas
la plénitude de tout pouvoir ?
JUIN. 1756. 151
Quant à ces mots , militem veftrum....
Patri omnium.Gondebault affiégé dans Avignon
ne fe rendit- il pas tributaire de Clovis
? Il fut redevable de fon falut au fage
Aredius. D'ailleurs Clovis n'eft pas le feul
pour lequel les Rois nos voisins ont eu des
déférences & du refpect , quoiqu'ils ne fuffent
pas Préfets du Prétoire . On fçait l'alliance
de Clovis avec Gondebault ( 1 ) . On
connoît fes victoires , on fçait qu'il étoit
l'appui de la Religion Catholique , environné
d'Ariens. En voilà beaucoup plus
qu'il n'en falloit pour mériter le nom de
Pater omnium. Tous les moyens dont fe
fert M. de la *** , font donc infuffifans pour
prouver qu'Anaftafe a accordé à Clovis les
honneurs de Préfet du Prétoire . Montrons
actuellement que ces dignités ne lui euffent
pas été d'un grand fecours .
Il n'eft pas douteux que la charge de
Préfet du Prétoire n'eût été utile à Clovis
dans les premieres années de fon regne :
mais après avoir défait Syagrius , pris Soiffons
, capitale de ce qui reftoit aux Romains
dans les Gaules , il ne pouvoit pas
en retirer un grand avantage. D'ailleurs ,
elle ne jouiffoit plus des prérogatives qui
lui avoient été accordées lors de fon érec-
( 1 ) C'eſt de Gondebault dont il eft parlé par
ces termes Regem fua gentis , militem veftrum.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
tion . D'abord elle fut unique , dans la fuite
on créa deux Préfets du Prétoire , & enfin
Conftantin en nomma quatre il y en
avoit même nombre fans doute dans le
tems que régna Clovis. J'en trouve quatre
dans Juftinien fans compter la Préfecture
des Gaules & de l'Italie , où les Romains
ne confervoient plus qu'une ombre d'autorité.
Ce partage avoit fort affoibli le pouvoir
des Préfets du Prétoire , mais ce qui le diminua
encore plus , fut la perte qu'ils firent
de l'autorité qu'ils avoient fur le militaire.
On créa des maîtres de la Milice ,
on les chargea du commandement. M. de
la *** a bien fenti que la Préfecture du
Prétoire ainfi affoiblie , auroit été fort peu
utile à Clovis ; auffi veut- il prouver qu'on
lui avoit rendu toutes fes anciennes prérogatives
: mais fur quoi fe fonde- t'il ? fur
des témoignages vains , étrangers , & qui
n'ont aucun rapport au fujet.
Par qui veut-on que la dignité de Préfet
du Prétoire ait été accordée à Clovis ?
Par l'Empereur d'Orient , par Anaſtaſe .
Pourquoi donc s'aller perdre dans la Monarchie
des Goths ? pourquoi aller éplucher
leurs faftes , &c ? Quel rapport de
Théodoric avec Anaftafe ? quel rapport
entre les Préfets du Prétoire nommés par
JUIN. 1756. 153
Anaftafe & les Préfets du Prétoire nommés
Théodoric ? Quel avantage peutpar
on titer de la réunion de ces deux dignités
chez les Goths , fi à Conftantinople elles
fe trouvoient divifées ? Or , elles l'étoient.
Et poft hos ( les Préfets du Prétoire , les
Confuls ) Prafectorum & Magiftrorum mi-
Titum ordo ponatur. Juft.
Donc cette charge n'avoit point été
éteinte par la réunion .
,
On peut faire, contre l'opinion de M.de
Ia *** des multitudes d'objections , les
Bourguignons , les Goths , les Francs occupoient
prefque toute la Gaule. Syagrius
avoit été vaincu par Clovis , Soiffons , la
capitale des Romains , prife. La réunion
des Armoriques vraisemblablement
faite
quel peuple les Romains lui auroient- ils
donné à gouverner ?
9.
Pour que la commiffion de Clovis eût
pû lui être utile , elle eût dû lui avoir été
accordée avant fes victoires fur les Gaulois
, & pour que la lettre lui puiffe convenir
, elle doit lui avoir été écrite aprés
fon baptême ; ainfi le penfe le Differtateur.
"3
«
troupes romaïnes
Il n'y avoit que Ies
qui puffent s'opposer à notre jeune Mo-
" narque ; mais la commiffion
qu'il obtint,
» lui en ayant donné le commandement
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
» il lui fut aifé d'en faire les fiennes pro-
ود
ود »pres».
Or je foutiens qu'il n'eft pas poffible
que cette commiffion ait été accordée à
Clovis avant fes victoires , ne l'ayant reçue
qu'après fon baptême . Il foumit les
Gaulois la même année ; il fut baptifé le
25 Décembre. L'entrepriſe dut être formée
à l'affemblée du champ de Mars , deux
mois après ; & ne falloit- il que deux mois
pour apprendre à Anaftafe la nouvelle du
baptême de Clovis , pour le retour de cette
capitale dans des circonftances où toute
voie par terre & par mer , femblent avoir
été fermées , pour tenir les confeils , expédier
la commiffion & en profiter ? Donc
Clovis n'auroit pu la recevoir que dans un
tems où elle lui auroit été prefque inutile .
>
Faifons encore une derniere objection ,
& je ne fçaurois mieux finir que par elle
la critique de cette premiere differtation
puifqu'elle eft tirée de l'épitaphe de Clovis
, faite par S. Remi. C'eſt dans les épitaphes
, dit notre Differtateur , que les
titres d'honneurs ne font pas oubliés.
Dives opum , virtute potens , claruſque
triumpho ,
Condidit hancfedem Rex Chlodovaus ; &
idem
Patricius magno fublimisfulfit honore..
JUIN. 1756. 155
On n'y trouve point le titre de Préfet
du Prétoire : donc de l'argument même de
M. de la *** , je dois conclure qu'il ne l'a
point obtenu.
Le fyftême que nous avons combattu
ne fçauroit fe foutenir ; auffi l'Auteur luimême
l'a- t'il abandonné mais le parti
qu'il a pris , nous donnera occafion de lui
livrer de nouveaux combats .
Lafuite au prochain Mercure .
AGRICULTURE.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
UNe perfonne , Monfieur , qui occupe
un rang diftingué dans la fociété , & qui
mérite encore plus de confidération par
fon amour pour elle , & par mille autres
bonnes qualités , m'a fait des remarques
au fujet du vin de Frontignan , que je
crois devoir vous communiquer , comme
pouvant être utile à vos Lecteurs & au pays.
Ces remarques ne doivent point paroître
fufpectes, l'Auteur n'ayant pas un fep de vigne
dansce vignoble :c'eft lui qui va parler .
G. vj
156 MERCURE DE FRANCE .
Le prix avantageux & la réputation des
vins de Frontignan ont engagé tous les
villages voifins à planter la vigne mufcat ::
mais ils n'ont ni le climat ni le terrein . A
l'égard du climat , Frontignan eft au Languedoc
, ce qu'eft Hiers à la Provence. Une
petite chaîne de montagnes le fépare de
tout le voisinage , & l'air de la mer retenu
dans le croiffant qu'elle forme , le rend
notablement plus chaud que ce qui eft au
nord de Frontignan à la diſtance feulement
de deux lieues. A l'égard du grain:
de terre , tout à Frontignan eft caillou , ou
rocher de marbre gris , veiné de blanc.
Tous les bons crus font en belle expofition
& dans le cailloutage , ou rocher vif..
Ces avantages réunis à une maniere particuliere
de cultiver la terre ne fe rencontrent
point ailleurs . On y emploie le biden
, forte de béche inconnue dans d'autres
endroits , où l'on fe contente d'un fimple
labour . Les vins de Frontignan doivent
donc être fupérieurs à tous les autres .
Il n'eft pas rare cependant qu'on leur
en préfere d'inférieurs , 1 °. à caufe du bas
prix. 20. Parce qu'à raifon du voisinage ,
on le débite pour du Frontignan . 3 °. Par
l'infidélité des Commiffionnaires qui le
vendent à leurs Correfpondans , comme fi
c'en étoit de véritable ; parce que celui qui
84
JUIN. 1756. 1.5.79
Groît entre Frontignan & le Rhône , eft
plutôt tranfporté à Paris, ce qui le fait préférer
par
les Marchands de cette Ville, qui
fçavent combien il leur eft intéreffant de
prévenir l'arrivée des Marchands de Frontignan
. Voilà les raifons pour leſquelles le
public eft trompé. Ces raifons mêmes contribuent
à décréditer le vin de Frontignanparce
qu'on en juge par la qualité de ces
vins inférieurs.
Il faut encore remarquer que tous les
vins de Frontignan ne font pas égaux en
bonté ; il y a des bas fonds qui produifent
trop de vin. La marque de feu qu'on imprime
fur le véritable Frontignan , n'eit
pas une preuve fûre de fa fidélité ..
Les vins de Frontignan font blancs &
rouges : l'un & l'autre bon & vrai , augmente
tous les ans en bonté ; le blanc
prend feulement une autre couleur , celle
du vin de Canarie. ( Je puis certifier ce fait
en ayant dans ma cave depuis plus de fept
ans. , qui n'étoit pas nouveau quand on me.
l'a envoyé du pays : il eft actuellement
meilleur que jamais. ) Quant au rouge , il
n'y a qu'une feule perfonne qui en ait de
véritable , c'est- à- dire exprimé du Mufcat
rouge. Celui qui ne vient point de fon
cru , n'a qu'une couleur empruntée . C'eft
un fecret connu de tous ceux qui veu158
MERCURE DE FRANCE .
lent en vendre de rouge : cette liqueur ne
laiffe pas d'être très- bonne , quand le vin
blanc eft bien choisi.
Quant au vin mufcat rouge , des Anglois
& Hollandois connoiffeurs l'ont bu
pour vin du Cap. Un de mes amis de Saint
Quentin , qui en avoit de véritable , &
qu'il ne pouvoit vendre trente fols la bouteille
en le donnant pour ce qu'il étoit
s'en défit aifément à raifon d'un écu en le
donnant pour vin d'Alicante : cependant il
ne lui reffemble que par la couleur.
On peut affurer que le bon Frontignan
égale le Rivefalte , quand il eft bien fait.
Ils fe reffemblent encore par un autre avantage
; c'eft qu'ils deviennent meilleurs en
les gardant. Le Frontignan rouge eft un
peu plus cher que le blanc , par une raifon
toute naturelle ; c'eft que le mufcat
rouge rend moins de liqueur que le blanc ,
& cependant le fep occupe la même place.
Voilà , Monfieur , ce que me marque
mon ami par les motifs que j'ai eu l'honneur
de vous expofer , & qui m'ont paru
fi louables que j'ai cru devoir me prêter à
fes vues. Je fuis , Monfieur , & c .
Bruhier. D. M.
JUIN. 1756 . 159
SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie Royale des Belles - Lettres.
LE 27 Avril , cette Académie tint fon
Affemblée publique d'après Pâques , qui
ouvrit par la diftribution de deux Médailles
d'or , pour le Prix fondé , par M. le
Préſident de Noinville. M. Pondera , de
Padoue , a remporté le Prix de cette année.
C'est la troifieme fois qu'il a été couronné.
L'autre Prix qui avoit été remis , a
été adjugé à M. Barthés , Médecin , de la
Faculté de Montpellier . Le fujet du premier
de ces prix étoit l'état des Républiques
de Grece dans le continent de l'Europe , depuis
la mort d'Alexandre juſqu'à la conquête
de la Grece par les Romains . Le fujet du
fecond : En quel temps & par quel moyen
le Paganisme a été détruit dans les Gaules ?
M. le Beau , Secretaire Perpétuel de l'Académie
, lut les éloges de l'ancien Evêque
de Mirepoix & de M. Blanchart. Cette lecture
fut fuivie de celle d'un Mémoire de
M. le Préfident Hénault , intitulé Apologie
des abrégés chronologiques . M. de la Curne
de Sainte -Palaye communiqua à la Compagnie
le projet d'un Gloffaire François. M..
1
Go MERCURE DE FRANCE.
le Comte de Caylus lut une Differtation
dont il a bien voulu nous enrichir , & que
nous nous empreffons d'inférer dans cet
article.
Des Boucliers d'Hercule , d'Achille & d'Énée
, fuivant les defcriptions d'Héfiode ,
d'Homere & de Virgile.
3
Monfieur Boivin , un de nos anciens
Confreres , recommendable
par fon érudition
& fon attachement pour les anciens ,
a fait graver le bouclier d'Achille dans fon
Apologie d'Homere. Il avoit entrepris cet
ouvrage pour défendre ce grand homme
contre la derniere attaque des Modernes
à la tête defquels étoit M. de la Mothe Le
deffein de ce bouclier mis fous les yeux du
Public , prouve la poffibilité des ornemens
décrits par Homere , & répond aux futiles
objections de ceux qui difoient que ces
compofitions
exigeoient un efpace plus
étendu. C'est donc à la faveur du bouclier
d'Achille , fi ingénieufement
mis fous nos
yeux par M. Boivin , que je préfente ceux
d'Héode & de Virgile. Je les ai rapportés
felon les mêmes mefures & dans les
mêmes difpofitions que celui d'Achille , &
j'ai eu foin de les accompagner d'une copie
très- exacte de la gravure que notre
JUIN. 1756 .
161
ancien Confrere a donnée au Public. C'eft
un moyen de faire rentrer dans nos Mémoires
un monument dont l'Auteur a été
obligé de priver l'Académie par des raifons
plus intéreffantes alors pour Homere ; ce
grand homme n'avoit pas befoin d'être défendu
dans le fanctuaire de l'antiquité.
nu,
Nous fommes dans l'ufage raifonnable
d'abréger nos Mémoires pour les rentrées
publiques ; ainfi je ne répéterai point ce
que M. Boivin a écrit fur le bouclier d'Achille
l'Apologie d'Homere eft dans les
mains de tout le monde. Virgile eft fi conqu'il
feroit prefqu'inutile de décrire le
bouclier d'Enée : la vue de la gravure fuffit
pour en rappeller le fouvenir . Sans faire
mention de l'analyfe des ouvrages d'Héfiode
, ni rapporter les difcuffions fur la
différence des trois defcriptions , & fans
infifter fur les connoiffances qu'elles indiquent
par rapport aux Arts , je me contente
de donner l'explication du bouclier
d'Hercule, dont il me paroît que les détails
font moins connus.
BOUCLIER D'HERCULE
DÉCRIT PAR HESIODE.
Premier Cercle.
« Le dragon : il regarde en arriere. »
162 MERCURE DE FRANCE.
Ce premier cercle eft le milieu & le plus
grand efpace du bouclier dans lequel Homere
a placé , felon la planche de M. Boivin
, le foleil , les planetes & les conftellations.
Ce dragon eft donc pofé fur une
élévation qui part du premier plan. Les
replis tortueux de cet animal fantaſtique
élevent fa tête jufqu'au milieu du cercle ,
& parconféquent du bouclier : & comme ,
felon le texte , le dragon regarde en arriere
, le bas relief ne peut être mieux indiqué
, & l'ouvrage ne pouvoit être plus
parfaitement entendu de bas relief, pour
parler la langue de l'Art. En effet , cette
tête menaçante , la gueule ouverte , les
yeux irrités , occupe la place que les Anciens
donnoient aux ornemens qui marquoient
prefque toujours le centre du bouclier.
« Il excite ( ce dragon ) les hommes au
» combat. L'attaque & la défenſe , le tu-
» multe , l'horreur & la mort volent autour
» de lui. »
و د
Ces hyperboles font fortes ; mais on
fent aisément que fur le deffein , comme
fans doute on a fait fur le bouclier , il
fuffit de marquer cinq figures animées &
armées volant autour de ce dragon. « On
»voit la terre entr'ouverte , & les ames.
» précipitées dans les enfers. »
JUIN. 1756. 163
Les pofitions données par le texte m'ont
engagés à pofer les pieds de ce dragon
fur une élévation , non feulement pour
faire voir avec plus de facilité les combats
qu'il anime de fes yeux terribles , mais la
terre entr'ouverte..
c La parque fatale tient un homme vi-
» vant & bleffé , un autre qui n'eſt point
» bleffé & un déja mort , elle les traîne par
les pieds à travers les combattans , parmi
lefquels douze ferpens répandent la ter-
ود
33
"
» reur . »
""
SECOND CERCLE.
PREMIER TABLEAU.
« Deux troupes de fangliers & de lions
qui fe regardent avec une égale fureur ,
» les hures & les crinieres hériffées. Ils
» marchent ferrés les uns contre les autres.
» On voit fur le devant de la compofition
» un grand lion mort d'un côté , & de
» l'autre deux fans vie . »
II. TABLEAU .
« Le combat des Lapithes & des Centau-
» res , à la tête defquels on diftingue leurs
Rois fuivis de plufieurs Héros : ils s'a-
»vancent ; ils fe mêlent : les uns ont des
piques & les autres des fapins qui leur
ور
*
و ر
164 MERCURE DE FRANCE.
و د
fervent de lances, Mars fur fon char
" autour duquel on voit la crainte & la
frayeur , ( c'eſt- à - dire deux figures de
» femmes ) Pallas , une pique à la main ,
» l'égide fur les épaules, accourent au com-
» bat. "
و ر
و د
III.
TABLEAU.
" L'affemblée des Dieux fur des nuages .
>> Les Mufes chantent , Apollon joue de
la lyre. Une mer , des dauphins pour-
» fuivans des poiffons. Un pêcheur fur la
» côte tend fes filets pour profiter de la
» chaffe des dauphins.
"
وو
(c
IV.
ود
TABLEAU.
Perfée , dont les pieds ne touchent
point à terre : il a des aîles à fes talons ,
» une courroie fur fes épaules porte fon
épée , fon dos eft couvert de la tête d'une
Gorgone , fa tête eft cafquée , fa gibeciere
ou bourſe eft ornée de franges . Ce
» Héros épouvanté fuit les Gorgones qui
» courent avec fureur après lui . Elles ont
deux ferpens à la ceinture. »
39
29
"
و د
V.
TABLEAU.
» Des hommes combattent ces mêmes
Gorgones. La terreur vole au deffus de
leur tête. Ils font leurs efforts pour les
JUIN. 1756. 165
>>
» empêcher d'entrer dans la Ville . Les
»femmes crient & pleurent à leur approche
: elles tendent les bras ainfi que les
vieillards , & craignent pour leurs enfans.
Les Parques fe rendent maîtreſſes
de ceux que les Gorgones ont renversés. »
93

"
VI. TABLEAU.
" La Déeffe Achlus , ou la Déeſſe des
Ténebres , au teint brûlé , que la faim
» dévore. Elle a des ongles très- longs , le
fang coule fur fes joues.
30
VII. TABLEAU.
Une Ville fortifiée .
Pour marquer les fept portes que lui
donne Héfiode , il faudroit rapporter le
plan de cette Ville , & la deffiner comme
on a fait dans les temps d'ignorance , c'eſtà-
dire en même temps à vue d'oifeau &
d'élévation; par ce moyen, qui répond peutêtre
à l'idée que ce Poëte pouvoit avoir de
la perfpective , du moins à l'ignorance que
les Modernes font dans l'habitude de fuppofer
aux Anciens , on peut repréſenter
dans les rues , ou plutôt dans une place de
cetteVille, le fujet fuivant, donné par l'Auteur.
On mene dans un char une femme à
» fon mari : la joie brille dans cette mar166
MERCURE DE FRANCE .
» che éclairée par des flambeaux. Une danfe
de jeunes femmes fuit les inftrumens,
» Une troupe de jeunes hommes danſe au
» fon de la flûte. »
DJ
"
Malgré la fcrupuleuſe exactitude que je
viens de témoigner pour rendre la compcfition
indiquée par le Poëte , je crois que
la vue d'une place publique dans l'intérieur
d'une Ville deffinée felon les loix de
la nature , c'eft-à-dire en perſpective , fuffiroit
d'autant plus pour rendre ce fujet
le Tableau fuivant fait voir la fortification
de cette même Ville.
que
VIII. TABLEAU.
" On voit le long des murailles de la
» Ville une courfe de chevaux. »
Il ne s'agit dans cette defcription d'Héfiode
que de jeunes gens qui s'exercent.
On peut d'autant moins en tirer des conféquences
par rapport à la cavalerie pour
la guerre dans ces temps anciens , qu'il a
toujours été néceffaire de monter & de
dreffer les chevaux pour leur faire connoître
la main avant que de les accoutumer
au joug , c'est-à- dire à tirer les chars . Ce
dit Homere , liv . XV , de l'Iliade ,
préfente la même idée : il parle de quatre
chevaux courans de front , & montés par
unfeul homme qui fautoit de l'un fur l'auque
JUIN. 1756. 167
tre. Ce tour d'adreſſe eſt toujours dans le
même efprit par rapport aux chars. Ainfi
les deux Poëtes Héfiode & Homere s'accordent
parfaitement fur ce point .
و د
IX. TABLEAU.
« Des Laboureurs dont les tuniques font
» retrouffées , des Moiffonneurs. Les uns
coupent des bleds , les autres lient des
gerbes , ou les portent fur l'aire . »
32
X. TABLEAU.
Une vigne , des Vendangeurs qui
» cueillent les raifins au fon de la flûte.
» Les uns preffent le raifin dans la cuve ,
» les autres fe battent à coups de poing ,
» ou fe difputent à la lutte. »
XI. TABLEAU.
« Une chaffe au Lievre. Des Chaffeurs
s fuivans les deux chiens . " 93
XII. TABLEAU .
Une courfe de charriots . Le trepied
» d'or deſtiné pour le prix , eft placé ſur
» le devant de la compofition. » Ce prix
& cette diftinction accordée à la courfe
des chars , autorife ce que j'ai dit ci-deffus
par rapport à celle des chevaux .
168 MERCURE DE FRANCE.
TROISIEME CERCLE.
« La mer eft repréſentée dans les deux
» cercles qui terminent la plus grande cir-
>> conférence du bouclier ; on y voit des
Cignes volans , d'autres nageans & des
poiffons à leurs côtés différemment pla-
ور
» cés. ",
, pas
pas
.. J'ai eu foin de conferver à ces boucliers
le goût du bas relief, je le crois plus conforme
à leur deſtination . Mais il eft plus
important d'affurer que fi les deffeins
d'après Héfiode & Virgile préfentent des
plans , des dégradations & des indications
précifes de la perfpective , il ne faut
croire que ce foient des licences ni des
habitudes modernes ; il faut les regarder
comme des néceffités par rapport aux textes
fans lefquelles il n'eût été poffible
de les exprimer. Je m'en rapporte à
tous ceux qui fçavent deffiner , & qui penfent
la peinture. Je fçais tout ce que la
critique reçue à cet égard peut objecter
contre ces fineffes de l'Art ; mais je fçais
plus fûrement encore , qu'on ne peut retrouver
la repréfentation vraie & complette
de ces mêmes fujets fans l'expreffion
de ces parties indifpenfables pour l'effet .
J'ajouterai même que fi M. Boivin n'avoit
pas été retenu par des préjugés , & s'il
avoit
JUIN. 1756 . 169
avoit eu un Deſſinateur plus facile , il auroit
certainement rendu les fujets du bouclier
d'Homere avec plus de hardieffe &
de grandeur ; car la fimple lecture m'a
toujours préfenté la compofition de ce
grand Poëte comme la plus jufte des trois
dans les détails , & celle dont l'enſemble
offre des tableaux , non feulement plus
fimples & plus naturels en eux-mêmes
mais plus convenables pour leur efpece &
pour le corps qu'il avoit entrepris de décrire.
Cet avantage eft encore plus marqué
par rapport à la compofition de Virgile.
Le feu & la facilité avec lefquels le
Lorrain , jeune Peintre de l'Académie , a
exécuté ces deux monumens , qui jufqu'ici
n'avoient point été deffinés , méritent de
grands éloges. Mais je ne dois point laiffer
ignorer qu'il a compofé fur le cuivre ,
& gravé à la Prime tous ces fujets d'après
l'explication que je lui ai donnée par écrit.
Cette facilité rare eft prefque néceffaire
pour réunir la jufteffe & la chaleur dans
des fujets pareils , & renfermés dans une
médiocre étendue.
Η
170 MERCURE DE FRANCE.
SÉANCE
De l'Académie Royale des Sciences.
LEE 28 , cette Compagnie fit fa rentrée
publique d'après Pâques. Après l'annonce
du Prix , M. de Fouchy , Secretaire Perpétuel
, fit la lecture des éloges de M. Folkes
& de M. Moivre , Affociés étrangers
de l'Académie . M. Bouguer lut enfuite un
Mémoire fur les variations dans la fituation
des fils à plomb. M. de Réaumur termina
la Séance par la lecture d'une Differtation
fur la conftruction des Nids des
Oifeaux,
Cette Académie avoit propofé pour le
fujet du Prix de 1754 , la théorie des inégalités
que les Planetes peuvent caufer aux
mouvemens de la terre. Peu fatisfaite.des
ouvrages qu'elle reçut alors fur cette queftion
, elle avoit propofé de nouveau le même
fujet pour 1756 , avec un prix double.
La Piece , No. 1 , a remporté le Prix parmi
celles qui ont concourues. Le fujet du Prix
de 1758 , eft , fi les Corps célestes ont des
Atmospheres ; & Suppose qu'ils en ayent ,
jufqu'où ces Atmospheres s'étendent ?
JUIN. 1756. 171
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQU E.
Regina cæli , latare , Motet à voix feule
de M. le Marquis de C ... chanté au Concert
fpirituel le 23 Avril 1756, par Mademoiſelle
Eugénie du Gazon ; & fe vend à
Paris , aux adreffes ordinaires. Prix en
blanc , 1 l. 4 f.
Nous croyons que la mufique de ce
Motet , ne mérite pas moins d'éloges que
la maniere dont elle a été exécutée par Mademoiſelle
du Gazon ; c'étoit à la Poéfie à ;
l'en remercier , c'eft ce qu'elle a fait par
de très-jolis vers que nous avons cru devoir
inférer à la fuite de cette annonce.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
VERS
Envoyés par M. le Marquis de Culant à
Mademoifelle du Gazon.
Esprit , beauté , graces , talens ,
Réunis pour vous rendre aimable ,
Embelliffent votre printemps ;
Vertu fans fard , chofe admirable !
Eloigne de vous les amans :
Dédaignant leur frivole encens ,
A la feule amitié vous êtes favorable.
Par fes liens , mon coeur au vôtre s'unira ;
Jamais le fol amour ne les profanera.
J'imiterai votre délicateffe ;
Sur votre goût le mien fe réglera.
Vous préférez un doux chant d'allegreffe
Aux langueurs de notre Opéra ;
Recevez donc mon Regina .
GRAVURE.
Lettre d'un Amateur de Géographie , à l'Aùteur
du Mercure.
Monfieur , la Lettre , ou plutôt le Mémoire
fur la carte des Iſles Baléares , publié
en 1740 , par M. B. & que vous venez
d'inférer dans votre Volume du mois
de Mai dernier , a fait plaifir à ceux qui
JUI N. 1756. 173
·
aiment la Géographie , & qui s'intéreffent
à fes progrès. Il feroit à fouhaiter que tous
ceux qui donnent des cartes au Public, fuiviffent
cette route. Rien n'eft plus aifé que
de faire graver des cartes & des plans ,
mais rien de plus difficile que de donner
de bonnes choſes ; auffi y en a t'il beaucoup
de mauvaiſes ; & cela ne me furprend
pas , lorfque je vois des gens qu'on fçait
être fans études , & fans aucunes teintures
des fciences néceffaires & liées à la Géographie
, s'en mêler & la traiter comme un
métier , ne cherchant qu'à multiplier les
planches fans autre but que le gain d'un
débit momentamé.
J'ai toujours eu beaucoup de goût pour
la Géographie ; j'en fais depuis longtemps
mon amufement & mes délices , & j'y ai
acquis quelques connoiffances qui me la
rendent encore plus chere . On ne doit donc
pas être étonné fi je fouhaite avec ardeur
de ne la voir maniée que par des mains
dignes d'elle : mais il s'en faut bien que
cela foit , puifque des Libraires , des Graveurs
, des Papetiers , & c. entreprennent
de fe faire un fonds de Géographie ( c'eſt
leur expreffion ) aux dépens des premiers
Auteurs qu'ils ne font que déguifer & fouvent
défigurer : d'autres , fans état & fans
qualité , décorent leurs productions de ti-
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
tres qui ne leur font pas dûs , pour en
impofer au Public , & donner du relief à
un fatras de copies mal faites , dont ils
inondent la Ville & les Provinces.
Le temede à de pareils abus feroit d'obliger
tous ceux qui publient des cartés , de
rendre compte de leur ouvrage par un Mémoire
particulier ( r ) , dans lequel ils fe→
roient connoître les fources où ils ont
puifé , & ce qu'ils ont emprunté des uns
& des autres , les obfervations particuliè
res dont ils ont fait ufage , & les corréètions
ou les changemens qui en ont réfultés.
On verroit alors qu'il y a beaucoup de
Copiſtes & peu d'Auteurs. L'un ,› par
exemple , nous apprendroit que fon plan
particulier de l'lfle de Minorque , n'eſt
qu'une copie , trait pour traits , de la carre
Angloife que le Capitaine Lampiere a fait
graver à Londres en 1746. Un autre nous
diroit que für fon plan de Port Mahon ik
a ajouté l'Ifle Minorque , mais qu'il l'a cópiée
fur une carte des Ifles Baléares , publiée
à Paris en 1740. Tous les deux conviendroient
qu'on a des Manufcrits plus
exacts & plus fideles du Port Mahon , &
de l'Etat de fes forts : qu'outre cela on a
(1 ) Cela a été fait anciennement par Meffieurs
Delifle & Sanfon , & MM. Danville , Buache &
Robert le pratiquent encore aujourd'hui .
JUI N. 1756. 175
publié à Londres en 1752 , une Hiftoire de
I'lfle de Minorque avec une nouvelle carte
de cette Ifle , par M. Armstrong , Capitaine
Ingénieur , mais que rien de tout cela
n'eſt entre leurs mains , & qu'il faut ſe
contenter de ce qu'ils ont. J'ai cité ces
exemples au hazard , comme les plus récens
, quoiqu'il y en ait beaucoup d'autres
plus confidérables qui m'ont frappé , & fur
lefquels je fuis en état de fournir d'affez
bons Mémoires, fans que l'envie ni l'efprit
de critique m'aient conduit dans ces recherches
; auffi je puis dire, après Horace :
Scilicet ut poffem curvo dignofcere rectum ,
Atque interfylvas Academi querere verum.
Hor. liv. 2 , Epiſt. 2 , vers $4.
.
J'ai l'honneur d'être , & c.
P. S. Je viens de voir un morceau nouveau
dont j'ai été charmé , puifqu'il nous
conferve l'idée d'une Ville confidérable
dont le fort funefte nous intéreffe tous ;
c'eſt Liſbonne , un des plus beaux Ports
du monde dont il s'agit ici : ce morceau
a pour titre , Plan du Port de Lisbonne &
des Côtes voisines dreffé au dépôt des Cartes ,
Plans & Journaux de la Marine , par
ordre de M. de Machault , Garde des
Sceaux de France , Miniftre & Secretaire
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE:
d'Etat ayant le département de la Marine ;
par M. Bellin , Ingénieur de la Marine ,
1756. J'en avois déja un de M. le Rouge
qui a été annoncé dans votre Mercure de
Mars : lorfque j'ai mis ces deux Plans à
côté l'un de l'autre , la comparaiſon m'a
étonné. Quelle différence dans tout , forme
, contour , giffemens , détails , tant
des Côtes que de la Ville & du Port ! rien
ne fe reffemble. Quel beau champ pour
un Critique ! sûrement l'un des deux n'eft
pas bon je crois même qu'il ne faut pas
être grand connoiffeur pour les juger.
Tous les deux nous donnent la vue de Lisbonne
; mais il y en a une furtout dont
la beauté de l'exécution frappe autant que
l'air de vérité qui la caractériſe , tandis
que l'autre n'est que la copié de mauvais
morceaux qui courent les Quais depuis
long- tems.
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
Livre d'Architecture contenant différens
deffeins pour la décoration intérieure des
bâtimens , compofés & gravés par J. F. de
JUI N. 1756.
177
Neufforge. A Paris , chez l'Auteur , rue
S. Jacques , au Charriot d'or.
L'Auteur de ces deffeins en a compofés
un grand nombre qu'il continue de graver
par l'avis des Maîtres en cet art , aufquelsil
a communiqué tout ce qu'il a fait en ce
genre. Il a tâché d'imiter en tout la maniere
mâle , fimple & majeftueufe des anciens
Architectes Grecs & des grands Architectes
de nos jours , & il s'eftimera heureux
, fi les Connoiffeurs applaudiffent à
fes productions.
MECHANIQUE.
Le fieur Macary ayant eu ordre de M.
E
le Duc d'Eguillon , Commandant & Préfident
aux Etats de Bretagne , de fe rendre :
à Nantes , au mois de Septembre 1754
pour faciliter la navigation de la riviere
de Loire , a été chargé de remplir fon
projet , fur les opérations qu'il jugeroit
néceffaires pour former un Canal depuis
la Barre jufqu'à la ville de Nantes , afin
que les Vaiffeaux puffent en tout temps :
venir mouiller devant la Bourfe de cette :
Ville. En conféquence après avoir pris less
fondes dans cette riviere , il forma fon
H.vs
178 MERCURE DE FRANCE.
projet , par lequel il propofe de rendre la
riviere de Loire navigable depuis l'embouchure
de la mer jufqu'à Angers , de
lui donner depuis la Barre jufques devant
la Ville dix pieds de profondeur dans les
plus baffes eaux , qui avec douze pieds
que la marée en fournit , font plus que
fuffifantes pour faire monter les Vaiffeaux
de trois à quatre cens tonneaux devant
la Ville . Ses opérations fe font par le
moyen de plufieurs Machines dont il eft
l'Inventeur , & qui ont été approuvées par
Meffieurs de l'Académie Royale des Sciences,
& par Meffieurs les Ingénieurs du Port
Ide Toulon . Ces Machines travaillent avec
autant de facilité fous l'eau , que les hommes
le peuvent faire fur terre.
Dans fon même projer , il établit évidemment
la facilité de procurer une navigation
aifée , facile , & permanente en tout
temps dans les eaux les plus baffes , depuis
la Ville de Nantes jufqu'à Angers , en
formant auffi fur toute cette route un Canal
de trois pieds de profondeur fur vingt
toifes de largeur , afin que les Bateaux
puiffent toujours naviguer fur cette riviere,
tant en defcendant qu'en remontant.
JUIN. 1756. 179
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
LiE Mercredi 28 Avril , les Comédiens
François ont repris Catilina , Tragédie de
M. de Crébillon , dont ils ont donné cinq
repréſentations , & dont on a toujours admiré
les grandes beautés .
Le Lundi 10 Mai , ils ont donné la Tragédie
de Poliencte. Madame Preville , qui
vient d'être reçue à l'effai , y a joué le rôle
de Stratonice , confidente de Pauline , &
a été juſtement applaudie . Elle mérite d'au
tant plus d'être encouragée , qu'avec du
talent elle n'affiche aucune prétention ;
que pour fe rendre utile , elle fe prête à
tous les emplois fans en ambitionner aucun
, & qu'elle s'en acquitte avec autant
d'intelligence que de zele ; elle joint à ces
avantages une figure noble & décente qui
parle en fa faveur . Un titre encore qui doit
lui attirer la bienveillance générale , elle
eft la femme de M. Preville , de ce Comé-
H vj
150 MERCURE DE FRANCE.
dien fi cheri du Public & fi digne de
Pêtre. le
14
Les mêmes Comédiens ont reçu
le Marquis campagnard , Comédie en trois
actes en profe de M. Duvaure, Auteur du
Faux Sçavant , à qui le Public a fait en
1749 un accueil très-favorable .
Le Dimanche 16 du même mois , ils ont
joué les Dehors trompeurs. Mlle Gueant y
a repréſenté l'Amoureufe ( Lucile ) au gré
des fpectateurs. On peut dire , fans la flatter
, qu'elle eft taillée pour le rôle & faite:
pour doubler Mlle Gauffin , puifqu'elle a
en partage cette noble ingénuité , qui eft.
toujours un don de la nature & jamais un
fruit de l'art..
Extrait de la Coquette corrigée , Comédie en
cinq actes & en vers.
Orphife & Clitandre ouvrent le premier
acte. Clitandre demande à Orphife :
quel eft l'objet d'une plaifanterie qu'on lui
a faite , & dont elle eft de moitié.. Il lui
donne en même tems à lire une lettre qui
la mer au fait. Julie , fa Niece , l'a écrite à
Clitandre. Elle l'y badine au fujet d'Orphife
, & l'avertit de faire provifion de
bonnes raifons pour juftifier fon éloigne
ment pour les Nieces ,.& fon goût déterJUIN.
1756. 18 :
miné pour les Tantes . Orphife paroît charmée
de ce billet qu'elle vient de fire , &
prend delà occafion de faire ainfi l'éloge
de Clitandre :
Mon amitié pour vous ne fçauroit s'augmenter .
Clitandre , j'aime en vous cet heureux caractere
Qui yous rend à la fois agréable & fincere ;
Cet efprit dont le ton plaît à tous les états ,
Que la fcience éclaire & ne furcharge pas ,.
Dont l'effor libre & pur parcourant chaque eſt
pace ,
Badine avec jufteffe & raiſonne avec grace.
Le modefte Clitandre l'arrête au milieu
de ces louanges , & la prie de l'éclaircir fur
le billet en queftion . Orphiſe lui répond
que ce billet eft un coup de fon adreffe , &
qu'elle le prie de l'aider à corriger Julie..
Eh ! comment , lui demande Clitandre ?:
Il faut que vous l'aimiez , replique-t'elle..
Je vous garantis le retour le plus tendre.
Il fe récrie en difant que le coeur de Julie
n'eſt pas fait pour l'amour! Elle eft obligée
de convenir que fa Niece voudroit lier tout
l'univers à fon char :
Envahirtous les coeurs , briller fans concurrence ,
Déifier enfin fa beauté . qu'on encenſe .
Ce n'eft pas par humeur , ajoute cette.
Tante eftimable , que je l'accufe ici..
182 MERCURE DE FRANCE.
Je l'aime , & je voudrois affurer fon bonheur.
Quand fon époux mourut , victime de mon zele
Retraite , amis , maifon , je quittai tout pour elle.
Je n'ai point revêtu l'air farouche & grondeur
Ni d'une furveillante affecté la rigueur ;
Elle m'auroit trompée , elle m'auroit haïe :
Elle ne voit en moi que fa plus tendre amie.
Sous ce titre , en tous lieux , j'accompagne fes
pas ;
J'écarte les dangers , je préviens les éclats .
Ne pouvant l'arrêter , je la fuis. Ma prudence
Préfide à fa conduite , en bannit l'indécence ;
Et toujours occupée à régler fes défirs ,
Je parois feulement partager fes plaifirs.
Mais dit Clitandre , fur quoi fondezvous
un espoir qui me paffe ? C'eft , repart
elle , fur la connoiffance du caractere
de ma Niece :
J'ai toujours remarqué que fa grande folie
Eft moins de captiver ceux qui l'aiment par
choix ,
Que d'affervir les coeurs foumis à d'autres loix.
Un amant , quel qu'il foit , la trouvera rebelle ;
Mais qu'il en aime une autre , il fera digne d'elle.
·
7 Pour fixer fes regards fur ce que vous valez ,
J'ai dit que vous aimiez , mais que vos feux voilez
JUIN. 1756. 183
Rempliffant tous les voeux d'une amante fincere ,
Couvroient votre bonheur des ombres du myſtere
;
Que je la défiois de troubler vos plaiſirs ,
Quoiqu'elle vit fouvent l'objet de vos défirs.
Ses foupçons , ajoute- t'elle , font tombés
fur moi j'ai aidé à les augmenter ; c'eft
ce qui a produit l'effet que vous voyez .
Orphife , pour achever de déterminer Clitandre
à feconder le projet qu'elle a formé,
attaque fon coeur par l'endroit le plus fenfible
, & le preffe ainſi :
Vous le fçavez , Julie étincelle de charmes ,
La nature a verfé fur elle avec plaifir
Cent dons que la fortune a pris ſoin d'embellir.
L'abus de tant d'appas tous deux nous inquiete
Mais qu'elle aime une fois & la voilà parfaite.
Un véritable amour au fein de la vertu
Va fixer pour jamais fon coeur trop combattu.
Ces mêmes qualités qui caufent notre flamme ,
Un honnête homme aimé les tranfmet dans notre
ame.
De mille fots amours fon coeur s'eft garanti ,
Sans le vôtre , comment peut-il être afforti ?
Tout ce qui l'environne eft- il fait pour lui plaire &
Son fort eft de plier fous un digne adverſaire ,
Et le mien. eft de voir heureux & réuni
Ce que j'ai de plus cher , ma niece & mon ami.
194 MERCURE DE FRANCE.
Clitandre cede d'autant plus volontiers
à cette flatteuſe inftance , qu'il eft obligé
d'avouer à la tante qu'il fent au fond du
coeur un goût vif pour la niece. Orphiſe
fort , Erafte paroît. Clitandre lui demande
ce qui l'amene : l'autre replique qu'il vient
abjurer fon amour pour Julie , & l'accabler
du plus fanglant reproche. Clitandre
lui dit :
Qu'il vaut mieux l'imiter que lui faire querelle.
Et l'exhorte à courir plutôt chez Lucile
qui eft plus digne de fa tendreffe . Erafte
pour réponſe lui montre un billet de Julie
écrit à Lucile , & conçu dans ces termes :
« De grace , Madame , débarraffez - moi
» d'Erafte. L'hommage qu'il s'aviſe de me
» rendre , afflige votre amour -propre fans
» flatter le mien.... Il m'a menacé de re-
» tourner à vous : foyez , je vous prie ,
» affez généreufe pour ne point me le ren-
» Voyer. Julie. » Son ami lui donne le fage
confeil d'oublier la volage & de fe taire.
Non , s'écrie Erafte !
و د
6
Je cours dans vingt maiſons , des plus vives con
leurs
Peindre fa fauffeté , fes travers , fes noirceurs ;
Et livrant au Public l'éfprit dont elle brille ,.
J'imprime fes billets , & je les apoftille.
JUIN. 1756. 185
Non , interrompt Clitandre par ces
vers fi juftement applaudis & fi dignes
d'être retenus :
Ton dépit , ton courroux n'eft encor qu'impru
dent ;
Il devient criminel fi ta vas plus avant .
Tu cherchas à lui plaire , & tu plus à Julie :
Ne fut-ce que deux jours , elle fut ton amie.
Tout ce que ces deux jours Julie a fait pour toi
Sous le fceau le plus faint fut commis à ta foi .
Laiffons le petit Maître & l'impudent cynique ;:
S'abreuver de fcandale & vivre de critique ;
Et fans frein , fans pudeur , déchirer de leurs traits
Celles dont ils n'ont pu profaner les attraits.
Laiffons cette vermine orgueilleufe & fans ame ;
Se parer des débris de l'honneur d'une femme.
Le bruit eft pour un fat , la plainte pour un fot ;.
L'honnêté trompé s'éloigne & ne dit mot.
Un troifieme Amant de Julie furvient.
C'eft un vieux Comte. L'Auteur l'annonce.
comme une mauvaiſe copie d'un mauvais
plaifant , & le fait parler en conféquence.
Un jeune Marquis , neveu de ce Comte ,
arrive fucceffivement , & fe montre auffi
fat que fon oncle paroît fot. Après quelques
vains propos de part & d'autre ,
Erafte les quitte pour affaire, & leComte va
186 MERCURE DE FRANCE .
faire fa cour à Julie dont il fe flatte d'être
aimé. Le Marquis qui eft refté feul avec
Clitandre , & qui fait profeffion de former
ou plutôt d'égarer les jeunes femmes qui
entrent dans le monde , fait entendre qu'il
va conduire Julie à fa perfection . Voici
comme cet être méprifable fe peint luimême
:
Mon étude d'abord eft d'armer une belle
Contre cent préjugés dont on les enforcelle.
Ces noms tant répétés de décence & de moeurs
En moins de deux leçons s'effacent de leurs
3.coeurs,
Je les livre à la foif de briller & de plaire :
Elles aiment le bruit , oh ! je leur en fais faire.
Une ſcene bruyante amene un autre éclat :
Tantôt c'est un caprice , & tantôt un combas.
On noircit , on careffe , on brouille , on raccom
mode ;
Et livrée aux devoirs d'une femme à la mode ,
Toujours dans les plaifirs , on fe fait une loi
De braver le Public & de vivre pour foi.
L'Héroïne de la piece ( Julie ) paroît accompagnée
du Comte , & dit au Marquis
qu'elle va fortir , & qu'elle ne veut pas
épuifer la fleurette de fon oncle. En s'en
allant , elle donne la main à tous les deux,
& fait la révérence à Clitandre , après
JUI N. 1756.
187
l'avoir honoré de plufieurs regards expreffifs
, fans lui dire une parole.
Clitandre de fon côté eft fur le point de
partir , quand il eft arrêté par Rofette qui
le prie de refter au nom de fa Maîtreſſe
qui veut l'entretenir. Il répond qu'il n'en
a pas le temps , & lui remer le billet que fa
Maîtreffe lui a écrit en la chargeant de le
lui rendre. Rofette furpriſe de cette froide
indifférence, termine feule le premier acte,
en difant :
Oui , oui , c'eft là le ton de ces gens raiſonnables ,
De ces gens qu'on eftime : oh ! qu'ils ſont haïffables
!
Puiffe-t'on accueillir de la même façon .
Toute femme qui veut tâter de la raifon .
Julie commence le fecond acte avec
Rofette : elle paroît étonnée & piquée à la
fois queClitandre lui ait renvoyéfon billet ,
Mais dit -elle ,
Soit caprice ou raiſon , fa conquête me tente :
Je veux pour quelques jours Pemprunter à ma
tante.
Cette expreffion emprunter , quoiqu'ap
plaudie du parterre , n'eft - elle pas là un
peu hafardée ? Orphife entre , & dit en
188 MERCURE DE FRANCE.
badinant à fa Niece , qu'elle aille régner ,
qu'une nombreuſe cour l'attend. Julie répond
fur le même ton d'ironie que fes
triomphes font brillans & nombreux , mais
qu'elle ( Orphife ) aime à cacher les fiens
& qu'elle a la modeftie de fe contenter de
régner fur un coeur feul. Julie fort . Orphife
s'applaudit du fuccès dont elle fait
part à Clitandre qui entre , en l'exhortant
à continuer auprès de fa niece , comme il a
commencé. Rofette furvient , & la prie de
la part de fa Maîtreffe de joindre la compagnie
, dont elle trace ainfi le tableau
fingulier , qui nous paroît fait de main de
maitre :
Les parties
Dans les regles de l'art viennent d'être afforties.
'A l'ombre d'un faux jour les Belles , par nos foins,
De leurs jeunes attraits n'ont que de vieux témoins.
Les laides au contraire en face des croifées ,
Aux jeunes étourdis font toutes oppofées :
Les Amans dos à dos aux deux bouts du logis ,
Ne peuvent s'entrevoir fans un torticolis.
Pour Madame , elle a pris , après mainte épri
gramme ,
Deux Seigneurs les mieux faits , & la plus laide
femme.
Elle a bien mieux encor fignalé fon fçavoir:
JUIN. 1756. 189
Du magique reflet calculant le pouvoir ,
Elle a fi prudemment diftribué les places ,
Que nul oeil féminin n'a l'ufage des glaces ;
Tandis que par l'effet du même arrangement ,
Elle eft vue & fe voit dans tout l'appartement.
Le Comte arrive , & Rofette l'avertit
qu'on l'attend. Il la fuit en difant à Or◄
phife :
J'aurois à vous parler d'une affaire importante ;
Mais quand la niece attend , on peut quitter la
tante.
Orphife cede la place à Julie qu'elle voit
reparoître , & la laiffe feule avec Clitandre.
Julie fait d'abord un doux reproche à
Clitandre de lui tenir rigueur , en lui
difant qu'elle a quitté exprès fa partie pour
venir lui parler , & qu'elle a fait prendre
fon jeu à l'un de fes rivaux. Clitandre lui
répond que n'aimant pas , il ne connoît
point de rivaux . Ah ! lui dit Julie :
Vous voulez m'adorer fans que j'en ſçache rien :
Eh ! ceffez d'affecter ce modefte maintien .
Vous m'aimez. Tout eft dit. Eh bien , mon cher
Clitandre ,
D'honneur , c'eſt un aveu que je brûlois d'ene
tendre,
190 MERCURE DE FRANCE.
Clitandre.
Tout eft dit permettez
Julie.
Je le veux.
Allons , regardez-moi....
Clitandre.
Volontiers.
Julie.
Eh bien donc !
Clitandre.
Je vous voi.
Julie.
Est-ce tout ?
Clitandre.
Les beaux yeux ! la charmante figure !
Julie.
Fort bien , continuez.
Clitandre.
Tout eft dit , je vous jure.
Ce début de fcene , quoique théatral ,
nous femble fufceptible de critique. Il nous
paroît que Julie fe jette trop à la tête de
Clitandre , & qu'elle eût pu attaquer fon
coeur avec un peu plus d'art & de décence.
JUIN. 1756. 191
Peut-être que l'Auteur a moins , voulu
peindre le manege adroit d'une Coquette ,
la conduite étourdie d'une jeune perque
fonne qui franchit les bienséances faute
de les connoître , & dont la vanité fans
expérience ſe croit tout permis pour multiplier
fes conquêtes. Le refte de la fcene eft
plein d'efprit & de détails charmans : ceux
que nous allons tranfcrire le prouveront
mieux que nos éloges.
Pour reprendre la fcene où nous l'avons
quittée , Clitandre demande à Julie ce
que c'est que l'amour. L'amour eft , répondt'elle
,
Tel que nous le fentons , convenance de goût ,
Union d'agrémens , habitude amuſante ,
Qu'un caprice détruit , & qu'un coup d'oeil enfante
;
Le reffort , le lien de la fociété ,
Qui d'objets en objets voltige en liberté ,
Qui pour briller au jour , a quitté les ruelles ,
Et tranfporte à grand bruit le plaifir fur les aîles,
Clitandre s'écrie :
Quoi vous croyez que l'amour foit cela ?
Oui , replique - t'elle , c'eft celui que
nous connoiffons . Quel eft le vôtre ?
... Le mien , dit- il , toujours mal défini
Se dérobe au difcours , ne peut qu'être ſenti .
192 MERCURE DE FRANCE .
Julie.
Ah ! vous m'allez vanter cet être furanné
De myfteres , de pleurs , d'ennuis environné ;
Ce tyran des plaifirs de nos antiques Belles ,
Pour qui c'étoit trop peu d'être dix ans fidelles .
Clitandre ne peut s'empêcher de témoigner
à Julie la pitié dont il eft pénétré
pour elle : car enfin , pourfuit- il , quel eft
ce bonheur que vous venez de peindre?
Examinez fa fource , & pefez fa valeur ,
Il eſt dans votre tête & non dans votre coeur.
Oui , ces empreffemens , cette ardeur pétulante
Qui d'objets en objets vous chaffe & vous tourmente
,
Ces agitations , ce fracas , ces efforts ,
Ou tous vos fens entiers ſe jettent au dehors ,
N'eft d'un efprit mal fain qu'une fievre inquieter
Toujours plus altérée , & jamais fatisfaite ,
Au milieu des travers , des écarts , des éclats ,
Vous cherchez les plaifirs , les plaifirs n'y font
pas.
Pourquoi courir fi loin ? Pindulgente nature
Les a mis près de vous dans leur jufte meſure :
Mais vous ne rencontrez que leur maſque trompeur
,
Quand vous chargez l'efprit des intérêts du
coeur.
Ah !
JUIN. 1756. 193
Ah ! grace , fe récrie Julie , pour le plaifir
de briller & de plaire :
Là defcendez un peu dans le coeur d'une femme ,
Et jugez quel plaiſir doit enivrer ſon ame ,
Quand d'un cercle brillant les voeux & les régards
Sur elle concentrés tombent de toutes parts ;
Quand fur mille témoins de fa toute puiffance ,
Elle verſe l'amour , le dépit , l'efpérance .
Elle parle , l'éloge aufli-tôt retentit ;
Elle jette un coup d'oeil ; on eſpere , on pâlit ;
Autour d'elle à ſon gré tout s'émeut , tout s'arrête.
Elle forme un orage , & calme une tempête.
De mille paffions elle excite les flots :
Tous les coeurs font troublés ; le fien reſte en
repos.
Le Comte fuivi du Marquis , entre dans
ce moment , & piqué de furprendre Julie
tête à tête avec Clitandre , s'emporte contr'elle
. Le Marquis lui demande ce qu'on
lui a fait pour crier de la forte . Le plus
damnable tour ! replique-t'il.
J'arrive , en minaudant la perfide m'appelle.
Cher Comte , je reviens. Prenez mon jeu ,
elle :
dit
Je le prens comme un fot , & pendant ce temps- là
On vient faire l'amour à Monfieur que voilà.
I
194 MERCURE DE FRANCE.
Le Neveu applaudit à cette gentilleffe ,
& l'Oncle fe retire furieux pour ne plus
revenir. Le Marquis félicite Julie de fes
progrès. Il ajoute que Clitandre eft encore
un peu neuf, & que pour le rendre plus
digne d'elle , il veut le préfenter à la Préfidente
, qui aura foin de le former. Julie
lui répond qu'il laiffe ce projet , que Clitandre
adore à la vieille maniere une
belle qui l'attend. Le Marquis fort d'un
côté , & Julie de l'autre oblige Clitandre
de la fuivre & de lui donner la main.
Orphife ouvre le troifieme acte avec
Clitandre , qui la prie de ne plus l'expofer
à perdre fon repos . Il lai avoue que fa
Niece l'attaque avec trop d'avantage , &
qu'il n'eft pas d'un homme prudent de
rifquer tout pour rien . Orphife l'exhorte à
continuer , en l'affurant que leur projet eft
en chemin de réuffir. Aidez- moi donc , dit
Clitandre. Oui , répond Orphiſe :
C : રે C'eft à quoi je m'apprête.
Tourmentez bien fon coeur , j'attaquerai fa tête ,
Servons-nous de fon art : en bute à nos complots ;
Il ne faut pas qu'elle ait un inftant de repos :
Critiquez , exigez , fatiguez fa foupleffe.
De notre hymen prochain effrayons fa tendreffe :
C'eſt un puiffant mobile ; & fon coeur eft à nous ,
Si nous venons à bout de le rendre jaloux,
JUIN. 1756. 195
Julie furvient, fa Tante joue l'embarras.
La premiere en eft la dupe ; & déguifant
fon dépit fous un air d'ironie , elle avertic
Orphife de prendre garde qu'un objet
nouveau ne lui enleve le coeur de Clitandre
, ajoutant que ce coeur eft vraiment
un tréfor. Oui , ma chere Julie , lui replique
Orphife en la quittant :
Pour l'amour de ta Tante , aime- le , je t'en prie,
Julie piquée , dit à Clitandre :
Pour l'amour de ma Tante , il faut donc vous
aimer.
Il en convient & n'épargne rien dans
cette fcene pour augmenter la jalouſie de
Julie en faifant l'éloge d'Orphife. Elle de
fon côté met tout fon art en uſage pour
fubjuguer Clitandre. Le Marquis qui les
a épiés , les aborde en éclatant de rire . Clitandre
paye fon perfifflage d'une juſte ironie
, & dit à Julie en s'en allant :
On peut vous adorer , mais vous aimer jamais ,
C'eft là le réfultat , je crois , de vos ufages.
C'est à quoi je fçaurai borner tous mes hommages.
C'eft ce que je viendrai jurer à vos genoux
Dès que j'aurai l'honneur d'être digne de vous.
Le Marquis pour mieux égarer Julie ,
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
lui propofe d'aider à brouiller Damis avec
fa femme en lui donnant Florife , & de
rompre en même tems avec fa tante , qu'il
traite de Gouvernante fâcheufe. Julie y
fent de la répugnance. Le Marquis lui reproche
alors fa pufillanimité , & lui dit
qu'avez vous fait jufqu'ici ,
Qui puiffe parmi nous vous faire reſpecter ?
Quelques difcours malins .... qu'on n'oſe plus
citer ;
Des billets malfaifans , d'innocentes ruptures ,
Des traits demi - méchans , quelques noirceurs
obfcures ;
Du bruit tant qu'on en veut , point de faits , du
jargon :
C'eſt bien ainfi vraiment que l'on fe fait un nom.
Décidez- vous , vous dis - je , ou je vous abandonne.
Julie lui répond qu'elle ne peut quitter
une Tante fi bonne , que ce feroit fe donner
un travers. Tant mieux , replique le
Marquis :
Sçachez , quoi qu'on en gloſe ,
Qu'un travers eft , Madame , une fort bonne
chofe.
En être indépendant ne vivre que pour foi ,
Du vulgaire idiot fe foumettre à la loi ;
Braver également la louange & le blâme ,
C'est étendre à bon drois les refforts de fon ame
JUI N. 1756. 197
Elle ne fe rend pas , & témoigne qu'elle
ne fçauroit renoncer à l'eftime. Son Maî→
tre d'impertinence & de méchanceté le
trouve fort mauvais , & la quitte en la
menaçant de lui donner malgré elle un
travers beaucoup plus grand que celui
qu'elle craint , fi elle n'eft à l'avenir plus
docile à fes leçons.
Julie trouve cette derniere peu édifiante ,
& dans fon monologue qui termine le
troifieme acte , elle paroît difpofée à réfléchir
, & laiffe entrevoir que fes écarts font
moins l'effet d'un caractere décidé que celui
d'une jeuneffe inconfidérée , & du torrent
de la mode qui l'a entraînée . L'Auteur
a eu l'art de préparer ainfi adroitement fa
converfion prochaine. Nous ne pouvons
diffimuler que cet acte, ainfi que le fecond,
eft un peu vuide d'action ; mais l'un &
l'autre est heureufement foutenu par le
ftyle & par les détails . •
Julie commence le quatrieme avec Rofette
, qui la voyant de mauvaiſe humeur
lui en demande la raifon . Sa Maîtreffe lui
répond qu'elle vient de réfléchir pour la
premiere fois , qu'elle en a l'obligation à ce
maudit Clitandre , dont l'idée la pourfuit
défagréablement ; qu'elle ne veut plus en
entendre parler. Mais , ma Tante , dis- tu ,
veut m'entretenir d'une affaire importante ? ·
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
C'eſt fans doute au fujet de cet homme : je
le lui rends volontiers.Orphife entre. Après
que Rofette eft fortie , elle témoigne à fa
Niece qu'elle craint de l'affliger . Pourquoi
donc , interrompt Julie ? Je viens , reprend
Orphife , je viens , ma Niece , te déclarer
avec bien du regret qu'il faut nous féparer.
Julie en paroît allarmée , & la prie de lui
apprendre qui la porte à cette rupture.
Orphife replique qu'elle la quitte fans
rompre avec elle , & qu'elle va fe marier.
Cet aveu redouble la ſurpriſe de ſa niece ,
qui la plaint d'aller fe donner un maître .
Non , dit Orphife , j'ai mieux choifi :
J'ai le bonheur de prendre un ſoutien , un ami ,
Un coeur noble , ſenſible , un eſprit doux , affable ,
Que beaucoup de raifon ne rend pas moins aimable
;
Que rien de fes devoirs n'a jamais détournés
Qui , content de l'état auquel il s'eft borné ,
A voulu ne devoir qu'à foi fon importance ,
Et qui pour mes défauts aura de l'indulgence .
Un homme rare enfin ; toi- même affurément ,
Quand tu le connoîtras , m'en feras compliment.
Julie de plus en plus agitée lui demande
le nom de ce mari parfait. C'eſt un fecret
encore pour quelques jours , répond fa
Tante. Adieu :
JUIN. 1756 .
PARQUE I
LYON
Çet aveu me pefoit , quoiqu'il fût néceffaire,
Tandis qu'un digne époux va borner mes défir
Regne au gré de ton coeur dans le fein des Pra
firs.
Julie paroît alors affermie dans l'opinion
que cet époux eft Clitandre , & proteſte
de mettre tout en oeuvre pour rompre ce
lien. Elle fait éclater devant Rofette tout
fon dépit dans l'inftant qu'on vient annoncer
Clitandre . Rofette fe difpofe à le renvoyer
; mais Julie ordonne qu'on le faffe
entrer. Dès qu'il paroît , elle veut le perfiffler
; mais il l'arrête , en lui difant que
l'amitié dans laquelle il fe renferme , eft le
fentiment qui le ramene feul auprès d'elle ,
& qu'il vient de lui rendre un fervice.
Quel fervice , interrompt Julie ? C'eſt
d'empêcher , dit- il , qu'Erafte ne fît imprimer
vos billets : les voici . Imprimer mes
billets ! s'écrie Julie effrayée de cette hørreur.
Ces lettres qu'on lui remet , font le
premier trait de lumiere qui commence à
l'éclairer fur le danger de fes écarts . Dans
le tems qu'elle remercie Clitandre , le
Marquis entre avec la Préfidente , qui a
forcé la porte , & qui vient , dit- elle ,
s'emparer de Clitandre pour le former
avant qu'il foit à Julie . Nous gliffons fur
cette fcene , plus néceffaire. que décente :
DE
LA
VILLI
Liv
200 MERCURE DE FRANCE.
on doit la pardonner , puifqu'elle eftl à
une leçon de moeurs , qu'elle rend le vice
ridicule autant qu'odieux & qu'elle amene
l'intérêt . La Préfidente entraîne Clitandre
malgré lui , aidée du Marquis , & laiffe
Julie feule avec Rofette. Julie qui vient
de fe voir dans la Préſidente comme dans
un miroir , frémit de s'y voir fi affreuſe.
Ce coup falutaire dont elle eft frappée ,
acheve de lui ouvrir les yeux , & de lui
donner de l'horreur d'elle - même. Elle termine
l'acte en difant :
Ah ! quel bonheur pour moi d'avoir vu de ſi près
Le vice revêtir fes véritables traits :
J'aurois ры reffembler à cet affreux modele.
On auroit dit de moi ce que je penfe d'elle.
J'en friffonne ...tout femble exprès le réunir
Pour m'enſeigner mes torts , ou bien pour les
punir.
Venons au cinquieme acte , qu'on peut
nommer l'acte triomphant & le meilleur
de la piece. Orphiſe paroît avec Roſette ,
qui lui dit que Julie veut lui parler , &
qui lui fait ainfi une peinture touchante
du changement qui s'eft fait dans l'ame de
fa Maîtreffe :
Le foir on ne fort point , on fe couche de nuit.
Bientôt on fe releve , on s'afflige fans bruit.
JUIN. 1756. 201
J'ai beau me préſenter , on ne veut point m'entendre.
Impitoyablement on biffe , on met en cendre
Des porte-feuils ( 1 ) entiers de chanfons & d'é
crits....
Médifans ... mais divins ... c'étoit de tout Paris
Une histoire charmante , un recueil d'anecdotes ,
De détails ... de portraits finis ... avec des notes.
Témoin de fes allarmes ,
J'ai vu de fes beaux yeux s'échapper quelques lar
mes ,
Les autres en dedans retomboient fur fon coeur.
Ah ! Madame , c'étoit la plus belle douleur.
La plus vraie ... un enſemble , & fi noble & fi
tendre.
Ses modeftes foupirs n'ofoient le faire entendre :
Qu'on ne me vante plus l'éclat & la gaîté .
Rien n'égale en pouvoir les pleurs de la beauté.
Je ne l'ai pas ofé ; mais j'ai penſé lui dire ,
Quiconque pleure ainfi ne devroit jamais rire.
Ce morceau fi applaudi , ne peut jamais
trop l'être. Il eft fait par l'Auteur comme il
eft rendu par l'Actrice. Ecrire auffi bien
que
Mademoiſelle Dangeville joue , l'éloge
elt grand , mais nous le croyons mérité.
(1 ) Nous penfons que le mot d'ufage eft portefeuille
, & non pas porte-feuil.
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
"
Julie paroît , Orphiſe la plaifante fur ce
qu'elle eft levée fi matin , & veut lui parler
de la Préfidente ; fa Niece l'interrompt ,
en lui difant :
Je reconnois enfin mes erreurs , j'y renonce.
Ne me parlez donc plus de ces fociétés ,
De ce ramas confus d'efprits , de coeurs gâtés ;
De ces hommes fans frein , de ces femmes flétries
A la honte , aux éclats , aux vices aguerries ,
Qui d'un naufrage affreux confolent leur orgueil
En pouffant tous les coeurs contre le même écueil .
L'abîme de trop près vient d'effrayer ma vue ,
Je laiffe s'y plonger la brillante cohue.
Oublions le paffé qui me force à rougir;
L'avenir eft à moi ; je fçaurai l'annoblir.
Orphiſe lui témoigne qu'elle ne peut pas
croire que ce changement foit véritable ,
à moins qu'il ne foit l'ouvrage de l'amour.
Julie lui avoue en rougiffant que c'eft
l'amour en effet qui eft l'auteur de ce prodige.
Sa Tante lui en marque fa joie en
. l'embraffant tendrement , & en lui demandant
le nom de celui qui l'enflamme. Ah !
lui répond Julie :
A qui prodiguez- vous une amitié fi tendre a
J'aime ... puis- je le dire ? ... Oui , j'adore Clitandre.
Orphiſe fourit à cet aveu , & dit en baJUIN.
1756. 203
*
dinant à fa Niece d'aller doucement , qu'elle
a des droits fur Clitandre. Julie alors lui
ouvre tout fon coeur , & ne lui cache plus
qu'elle a tout employé pour féduire le
coeur de fon amant , & pour le lui enlever ,
ajoutant qu'elle doit fe cacher & la fuir.
Non , ma chere Julie , lui répond Orphiſe :
je prétends au contraire , & je t'ordonne
d'employer fans crainte tous tes efforts
pour triompher de Clitandre :
S'il réfifte , mon coeur , fe livre à fa tendreffe ;
S'il céde . Eh bien , je fais le bonheur de ma Niece.
Comme il entre dans ce moment , Orphife
lui dit :
Vous nous voyez ici dans un grand embarras.

Clitandre , à notre affaire , il furvient un obſtacle .
·
Ma Niece a du chagrin , fon coeur gros de foupirs..
A Julie :
Parle , n'eft-il pas propre à cette confidence ?
Oh oui . Pour l'obtenir employez la prudence ,
Son bonheur & le vôtre , & sûrement le mien....
Je vous laiffe , furtout ne vous gênez en rien.
Clitandre prie Julie de l'éclaircir fur fon
embarras. Pour toute réponſe , elle lui
1 vj
204 MERCURE DE FRANCE.
demande s'il aime Orphife ? Oui , beaucoup
, replique-t'il . C'en eft affez , dit-elle,
adieu.
Elle eft digne de vous , foyez fa récompenfe ,
Payez-la des bontés , des tendres fentimens.
Qu'elle oppofa toujours à mes égaremens ;
Payez-la d'un effort plus touchant , plus fublime,
Que je ne puis ici vous relever fans crime :
Seule puis- je acquitter tant de foins généreux ?
Joignez mon coeur au vôtre , & portez - lui nas
voeux.
Mais s'écrie Clitandre :
Sçavez- vous que c'eft là du fentiment , Madame ?
Oui , pourfuit-elle .
Mon coeur ne connoît plus ni la ruſe , ni l'art.
A ce grand changement peut-être avez
part ?

·
.
VOUS
Peut-être je vous dois ce rayon de lumiere ,
Dont l'éclat imprévu vous étonne & m'éclaire ;
Et contre les foupçons que vous ofez garder ,
Je laiffe à ma conduite à vous perfuader.
Ah ! répond - t'il :
Ces fentimens , ces tons d'intérêt , d'amitié
Vous rendent à mes yeux plus belle de moitié.
Il ſe jette à fes genoux . Elle craint de fe
"
JUIN. 1756. 205
livrer à fa joie , & veut le relever , en lui
difant :
Aurois-je eu le malheur de vous toucher Clitandre
?
Orphiſe vous perdroit : Quel prix de fes bontés !
Orphife paroît , & court embraffer fa
Niece en la défabuſant . Julie enchantée ,
s'écrie :
Quoi ! de votre amitié mon bonheur eft l'ouvrage?
Et je puis fans remords en goûter l'avantage ?
Que de biens je vous dois ! Vous , mon cher bienfaicteur
,
Je vous dois ma raiſon , mes plaifirs & mon coeur.
On ne peut pas couronner l'Ouvrage par
un dénouement plus heureux. Il a fait , &
nous croyons qu'il fera toujours le fuccès
de cette Comédie eftimable par les moeurs
autant que par l'efprit . Le caractere de
Chitandre & celui d'Orphife font deux
beaux caracteres , auffi vrais qu'ils font
bien foutenus . Celui de Julie nous femble
plus indécis. Il eft ce qu'on appelle mixte.
Je ne fçais même fi nous avons dans notre
Langue un terme pour l'exprimer ; car
Julie , à la bien définir , eft moins une
Coquette, qu'une jeune Etourdie emportée
par le tourbillon de l'exemple , comme
206 MERCURE DE FRANCE.
nous l'avons déja dit. La véritable coquerterie
eft un vice permanent ; elle eft incorrigible
l'étourderie au contraire ( nous
entendons celle qui éclate dans la jeuneffe )
eft une ivreffe paffagere . Si la vanité fert
à l'entretenir , la réflexion & les bons
confeils la combattent à leur tour , & parviennent
fouvent à la vaincre . C'eft ce qui
arrive à l'Héroïne de certe piece , à qui le
titre d'Etourdie Corrigée eût peut - être
mieux convenu .
COMEDIE ITALIENNE.
LES
ES Comédiens Italiens n'ont pas difcontinué
Ninette à la Cour , les Chinois
& les Nôçes Chinoifes , Spectacle qu'on revoit
toujours avec le même plaifir.
Cet article eft fi rempli , que nous fommes
obligés de remettre au Mercure prochain
l'extrait des Chinois , & celui des
Magots , parodie de l'Orphelin de la Chine .
On continue toujours au Château des
Tuileries les repréſentations de la Conquête
du grand Mogol , Spectacle qu'on
donnera les Lundi , Mercredi & Samedi
jufqu'à la Pentecôte.
JUIN. 1750.. 207
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU NOR D.
DE
COPPENHAGUE , le IS Avril.
EN conféquence d'un Décret qui vient d'être
publié, les Vaiffeaux foit nationaux foit étrangers,
feront tenus à l'avenir , lorfqu'ils pafferont le
Sund , de baiffer le pavillon pendant cinq minutes
devant la fortereffe de Cronenbourg , fous
peine d'y être contrains par le canon de cette
Fortereffe.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 24 Avril.
On mande de Belgrade que la tranquillité y eft
enfin rétablie ; qu'Achmet , chef des féditieux , a
été étranglé , & que quelques autres des principaux
mutins ont été condamnés aux galeres . Selon
les avis reçus de Conftantinople , le Grand Vifir
Saïd Mehemet Pacha a été déposé le premier de
ce mois , & relégué à Stanchio , une des Iles de
P'Archipel. En attendant que Sa Hauteffe lui
donne un fucceffeur , l'Aga des Janiffaires remplit
les fonctions de premier Miniftre. On croit que
les fceaux de l'Empire feront confiés pour la cinquieme
fois au fameux Ali Pacha Hekin Oglou.
208 MERCURE DE FRANCE.
DE DRESDE , le 20 Avril.
Quelques Gazettes étrangeres ont publié fans
fondement , que les conférences de Hall étoient
rompues. Les Commiffaires du Roi & ceux de Sa
Majeſté Pruffienne continuent d'y être affemblés..
M. de Linau , Secretaire de l'Ainbaffade de France
en cette Cour , ayant obtenu la permiffion de
retourner à Paris à caufe de fes indifpofitions , eft
remplacé par M de Lancey qui a rélidé pendant
quelques années de la part de Sa Majeſté très-
Chrétienne auprès du Kan des Tartares de Crimée.
DE BERLIN , le 24 Avril.
Il paroît un Edit , par lequel le Roi défend la
fortie de toutes matieres d'or & d'argent . Les
Miniftres qui résident de la part du Roi à Vienne
& à Rat:fbonne , ont ordre de faire connoître à
l'Empereur & à la Diete de l'Empire , « que Sa
Majefté n'a jamais refufé de s'entendre avec le
>>Duc de Mecklenbourg fur les moyens d'accom-
»moder leur différend par des voies amiables ;
» qu'elle perfévere dans les mêmes difpofitions ,
»& qu'il ne dépend que de ce Prince de voir
l'affire bientôt terminée , s'il veut adopter les
tempéramens qui lui ont été propofés , & fe,
»prêter à des explications fatisfaifantes fur les
» malentendus qui ont été la fource principale
»du différend . »
DE BONN , le 22 Avril.
M. le Marquis de Monteil , nouveau Miniftre
Plénipotentiaire de France , eut le 16 & le 17 de
ce mois deux audiences particulieres de Son AlJUIN.
1756. 209
teffe Electorale . Le 19 , il eut fa premiere audience
publique. M. de Sindt alla le prendre dans les
carroffes de la Cour, En arrivant au Palais , M. le
Marquis de Monteil fut reçu au bas de l'escalier
par le Grand Echanfon ; à la falle des Gardes , par
le Grand Maître des Cuifines ; à la premiere antichambre
, par le Grand Maréchal , & à la feconde
par le Comte de Hohenzollern , Miniftre des Conférences.
Après l'audience , il eut l'honneur de
dîner avec l'Electeur.
ESPAGNE.
DE LISBONNE , le 28 Mars.
- Prefque tous les jours on éprouve ici quelques
nouvelles fecouffes de tremblement de terre . C'eſt
ordinairement pendant le crépuscule du matin &
quelques inftans après le coucher du foleil , qu'elles
fe font fentir . Le 11 , il y en eut une qui caufa
divers dommages. Une maifon dans laquelle
étoient logés fept Domeftiques du Comte d'Aran
da , Ambaffadeur Extraordinaire d'Efpagne , fur
renversée , & ils coururent rifque de périr fous
les ruines. Heureuſement on les en retira , mais
cinq ont été confidérablement bleffés.
Deux Navires chargés de bois de charpente &
d'autres matériaux, que la Régence de Hambourg
envoie au Roi pour être employés à la reconftruction
de cette Ville , font entrés dans le Tage .
ITALI EN.
*
DE NAPLES , le 12 Avril.
Sur la nouvelle que cinq Corfaires de Barbarie
ont paru fur la côte , les quatre chabecs qu'on
210 MERCURE DE FRANCE .
armoit dans ce port en font fortis pour leur don
ner la chaffe. Trois vaiffeaux de guerre Anglois ,
qui croifoient depuis près de deux mois dans ces
parages , font allés joindre d'autres vaiffeaux de
leur nation dans le Golfe de Lyon.
Le Mont Vésuve continue de jetter beaucoup
de flammes , & de temps en temps on entend des
bruits fouterreins femblables à celui d'un violent
tonnerre.
On a tiré encore depuis peu des fouterreins
d'Herculanum trois Statues de marbre , qui paroiffent
être de l'école Grecque. La nouvelle galerie
que Sa Majefté a fait conftruire , eft actuellement
ornée de plufieurs des plus beaux ouvrages
du Titien , de Michel -Ange , de Raphaël , du
Guide & d'Aunibal Carache.
DE ROME , le 10 Avril.
M. de la Condamine , de l'Académie Royale
des Sciences de Paris , de celle de Berlin & de la
Société Royale de Londres , après avoir fait ici
un long féjour , fe difpofe à retourner en France .
Sa Sainteté l'admit le 6 à fon audience , & lui fit
un préfent d'une valeur confidérable .
DE CIVITAVECCHIA , le 26 Avril.
Il y a eu ces jours- ci une violente tempête.
Quelques Vaiffeaux ont échoué fur la côte , &
l'on affure que deux Bâtimens Barbareſques ont
péri avec leurs équipages.
DE VENISE , le 20 Avril.
On fentit ici le 13 de ce mois une fecouffe de
tremblement de terre , qui dura une demi-minute.
JUIN. 1756.
211
A trois heures après-midi , il y eut une feconde
fecouffe : l'une & l'autre n'ont caufé aucun dommage.
GRANDE - BRETAGNE.
DE LONDRES , le 22 Avril.
On a reçu la confirmation
que l'Efcadre
Françoife
, commandée
par M. Perrier de Salvert ,
s'étoit emparée de trois Navires Anglois , dont un
a été conduit à Cadix , & les deux autres à Morlaix .
Le Vaiffeau de guerre le Newcastle
, de l'Eſcadre
de l'Amiral Hawke , a enlevé à la hauteur du Cap
Ortugal deux Bâtimens François : l'un de quatorze
canons & de cinquante
- fept hommes d'équipage
,
alloit au Cap Breton ; l'autre , chargé de vin ,
de
farine & de balles de moufquet , étoit deftiné pour
le Canada. L'Amiral
Holbourne
fit voile le is de
Plymouth
pour l'Amérique
avec quelques
Vaiffeaux
de guerre , & avec plufieurs
Bâtimens
de
tranfport
fur lefquels on a fait embarquer
le Régi
ment d'Otway
& celui des Montagnards
Ecoffois.
On équipe à Spithéad
une nouvelle
Efcadre de
huit Vaiffeaux
, dont l'Amiral Bofcawen
aura le
commandement
. Selon les lettres de la Virginie
on doit commencer
dans les premiers
jours du
mois prochain
le fiege du Fort de la Couronne
.
Les mêmes dépêches
affurent qu'on augmente
avec toute la diligence
poffible les fortifications
des principales
Villes des Colonies , & que l'on y
conftruit
divers Forts . On écrit d'Irlande
qu'on y
fait les difpofitions
néceffaires
pour les trois
camps que le Gouvernement
fe propofe d'y
former cette année. Le Lord Barrington
, Secretaire
de la Guerre , a annoncé
publiquement
, par
212 MERCURE DE FRANCE.
ordre du Roi , que la plupart des Régimens étant
complets , Sa Majefté juge à propos de fufpendre
l'exécution du Bill , qui ordonne de lever des foldats
par force.
>
Sa Majefté a fait fçavoir à M. le Chevalier de
Bouville commandant le Vaiffeau de guerre
François l'Espérance , & aux autres Officiers François
, prifonniers à Leycefter , qu'ils pouvoient
porter l'épée & fe promener hors de la Ville ,
pourvu qu'ils y rentraffent les foirs.
Tout le bois de fapin qui a été apporté en dernier
lieu de Norwege , a été acheté & embarqué
pour le Portugal . Les troupes n'attendent pour
camper que l'écoulement des eaux , qui en divers
endroits ont inondé une grande étendue de pays.
Le camp que l'on fe propofe de former dans les
environs de Cantorbery , fera composé de vingtcinq
mille hommes. On prépare des quartiers:
dans le Comte de Hampshire pour les troupes
Hanoveriennes & Heffoifes , qui débarqueront
dans un Port de cette Province.
Un Navire Anglois ayant échoué près de Calais ,
les François fe font emparés de fa cargaifon , &
ont fait l'équipage prifonnier. On équipe à Portf
mouth & à Plymouth deux Efcadres , dont le
public ignore la deſtination .
"
On affure que l'Amiral Byng est arrivé le 26
du mois dernier à Gibraltar. L'Efcadre de cet
Amiral fera renforcée de quatre Vaiffeaux , qui
doivent faire inceffamment voile de Spithéad.
JUIN. 1756. 213
FRANC E.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
La 27 d'Avril , les Députés du Grand Confeil
eurent audience du Roi . Ils furent préſentés à Sa
Majefté par M. de Comte d'Argenfon , Miniftre
& Secretaire d'Etat , & conduits par M. Deſgranges
, Maître des Cérémonies. M. Caftanier d'Auriac
, Confeiller d'Etat & Premier Préfident de
cette Compagnie , porta la parole.
M. le Duc de Nivernois arriva le 22 de la Cour
de Berlin. Il fut préfenté au Roi par M. Rouillé ,
Miniftre & Secretaire d'Etat ayant le département
des Affaires Etrangeres. Sa Majesté accorda le
même jour les entrées de la chambre à M. le Duc
de Nivernois.
M. le Comte de Spaar , Maréchal de Camp ;
Commandeur de l'Ordre Royal & Militaire de
Saint Louis , & Colonel du Régiment Royal Suédois
, s'étant démis de ce Régiment , entre les
mains du Roi , Sa Majeſté en a diſpoſé en faveur
du Comte Alexandre de Spaar , fils aîné de cet
Officier. La famille de Spaar eft Suédoise d'origine.
M. le Comte de Spaar eft petit-fils du Comte
de ce nom , qui a été Ambaffadeur de Suede en
France , & il eft le premier de cette famille qui
ait été naturalifé François ,
Sa Majesté a accordé à M. le Marquis de Juigné
, Colonel dans le Corps des Grenadiers de
France , le Régiment d'Infanterie de Forez , dont
M. le Marquis de la Rochecourbon , Brigadier
214 MERCURE DE FRANCE.
d'Infanterie , a obtenu la permiffion de fe démettre.
La place de Colonel , vacante dans les Grenanadiers
de France , a été donnée à M. le Marquis
de Chaumont de Guitry.
M. Buache , premier Géographe du Roi & Adjoint
de l'Académie Royale des Sciences , préfenta
le 25 Avril à Sa Majefté deux ouvrages importans
fur la Géographie. Le premier a pour objet l'inftruction
de Monfeigneur le Duc de Bourgogne ,
& il confifte 1º. en une ſuite de huit Cartes manufcrites
, qui forment la premiere partie d'une
nouvelle Inftitution géographique & hiftorique ,
depuis la création jufqu'à Moïfe , y compris les
principes élémentaires ; 2°. en un Globe manuf
crit , qui s'ouvre & qui rend fenfible la forme que
prennent les hémiſpheres dans les projections ordinaires
; 3 °. en une Sphere qui ſe démonte
4°. en un volume manufcrit qui contient plufieurs
Mémoires concernant cette Inftitution , dont
le plan a été approuvé par l'Académie des Sciences.
Le fecond ouvrage eft une Carte manuſcrite
en deux grandes feuilles , où l'on voit tous les
lieux de l'Europe Occidentale qui ont éprouvé un
mouvement intérieur de la terre foit par les tremblemens
, foit par l'agitation des eaux. Les lieux
dans lefquels on a apperçu des feux aëriens
foupçonnés électriques , ou d'autres météores
depuis le premier Novembre 1755 , font auffi
marqués fur cette Carte. Elle eft le réſultat des recherches
de M. Buache & des obſervations™ lues à
l'Académie . L'Auteur a appliqué le tout fur fon
Plan phyfique , dont le principal objet eft les chaînes
des montagnes qui ceignent notre Globe
d'une maniere non interrompue , & il a diſtribué
les tremblemens , & c. par quatre commotions
JUIN. 1756. 215
principales. Il y obferve que les tremblemens fe
font fentir plus violemment le long des côtes ,
d'où il femble que le mouvement le communique
d'une façon moins fenfible dans l'intérieur
des terres , & redevient plus confidérable près des
montagnes.
Il a paru deux nouvelles Ordonnances du Roi ,
l'une portant Réglement pour les Ecoles du Corps
Royal de l'Artillerie & du Génie , l'autre concernant
les Milices.
M. de Burigny a été élu pour remplir la place
d'Affocié , qui vaquoit dans l'Académie des Belles-
Lettres par la nomination de l'Abbé du Refnel à
la place de Penfionnaire.
Le 29 Avril au foir , il eft arrivé à Verſailles
M. de Moncour, Capitaine de Dragons , dépêché
par M. le Maréchal Duc de Richelieu , lequel a
apporté la nouvelle de l'arrivée de la Flotte du
Roi , commandée par M. le Marquis de la Galiffonniere
, Lieutenant- Général des Armées Navales
, à l'Ile de Minorque, le 18 devant Ciutadella ,
oùles troupes ont fait leur débarquement fans
aucune oppofition de la part des Anglois , qui
avoient évacué cette Place le même jour au
matin .
Leurs Majeftés entendirent le s Mai une Meſſe
de Requiem , pendant laquelle le De profundis fut
chantée par la Mufique , pour l'anniverfaire de
Monſeigneur le Dauphin , ayeul du Roi.
Le premier Mai M. le Duc de Mirepoix arriva de
Languedoc. Il prêta ferment le 2 , entre les mains
du Roi , pour la charge de Capitaine des Gardes
du Corps , dont le Duc de Béthune s'eft démis.
Après la preftation de ferment M. le Duc de Mirepoix
fut reconnu des Gardes du Corps en la maniere
accoutumée , & il prit le fervice qu'il
216 MERCURE DE FRANCE.
continuera pendant le refte du Quartier.
Il y eut ici le 30 , vers neuf heures & un quart
du foir , deux nouvelles fecouffes de tremblement
de terre. Ainfi que celle du 18 Février ,
elles n'ont pas été fenties par une partie des habitans
de cette capitale. Une de ces fecoufles s'eft
fait fentir à Verfailles. Le même jour , & à la
même heure , il y en eut une violente dans un
canton de la Picardie. Au Château du Pleffis ,
fitué à quatre lieues de Montdidier , le tremblement
a été accompagné d'un bruit ſemblable à
celui que fait un grand vent , en agitant les arbres
d'un bois de haute futaie . Toute la charpente de
la couverture du Bâtiment a été ébranlée . Une
corniche de pierre de taille a été abattue. L'allarme
fut telle dans le Village & dans tous les
lieux voifins , à plus de deux lieues à la ronde
que les habitans pafferent la nuit , ou dans les
Eglifes ou en plein air. Le 26 , on avoit effuyé
au Pleffis & à Saint-Juft deux autres fecouffes plus
longues , mais moins effrayantes. Celles qu'on y
éprouva le 30 , durerent environ quinze fecondes.

Les nouveaux Drapeaux du Régiment des Gardes
Françoifes & de celui des Gardes Suifles , furent
portés le 6 Mai à l'Eglife Métropolitaine , où
ils furent benis par l'Abbé de Saint -Exupery ,
Doyen du Chapitre.
Le 13 Mai , les Députés du Parlement de
Rouen ont eu une audience du Roi. Ils ont été
préfentés à Sa Majesté par M. le Comte de Saint-
Florentin , Miniftre & Secretaire d'Etat , ayant le
département de la Province de Normandie.
Le même jour , le Roi fit dans la plaine des Sablons
la revue du Régiment des Gardes Françoiſes
& de celui des Gardes Suiffes . Ces deux Régimens,
après avoir fait l'exercice , défilerent en préſence
de
JUIN. 1756. 217
de Sa Majesté. Monfeigneur le Dauphin , Madame
la Dauphine , Madame , & Mefdames Victoire
, Sophie & Louife , affitterent à cette revue ,
après laquelle le Roi foupa au Château de la
Meute avec ce Prince & avec ces Princeffes .
Le Roi a nommé Commandeur de l'Ordre
Royal & Militaire de S. Louis M. le Comte de
Rafilly , Lieutenant Général des Armées de Sa
Majefté , & Commandant d'un Bataillon du Régiment
des Gardes Françoifes .
Les Chevaliers de l'Ordre de Saint Michel tinrent
le 8 du mois de Mai un Chapitre dans le grand
Couvent des Religieux de l'Obfervance. M. le
Duc de la Valliere , Chevalier des Ordres du Roi ,
y préfida en qualité de Commiffaire de Sa Majefté
. Il reçut Chevalier M. Perier , premier Commis
des Bâtimens du Roi.
Selon les lettres de Beauvais , le Courier qui
portoit la nouvelle de la nomination de l'Evêque
Comte de cette Ville au Cardinalat , y arriva la
nuit du 14 au 15 du mois d'Avril entre minuit &
une heure. Cette nomination fut annoncée au
public dès cinq heures du matin par le fon des
cloches de toutes les Eglifes , & par une triple
décharge d'artillerie. Le nouveau Cardinal fut
complimenté à fept heures par le Chapitre de la
Cathédrale , & enfuite par tous les autres Corps
de la Ville. Le 17 après - midi , le Chapitre précedé
des timballes & des trompettes du Régiment
Dauphin , Cavalerie , dont un détachement formoit
une double haie depuis le Palais épifcopal
jufqu'à la Cathédrale , alla prendre le Cardinal
de Gêvre en fon Palais , & le conduifit proceffionnellement
à l'Eglife . Après le Te Deum , qui fuc
chanté en mufique , le Cardinal fut reconduir
chez lui avec les mêmes cérémonies. Il y eut le
K
218 MERCURE DE FRANCE.
foir un feu de joie , & tous les habitans marquerent
à l'envi leur alegreffe par leurs acclamations.
L'Eglife Cathédrale fut magnifiquement
illuminée .
On écrit de Besançon que l'Abbé Dard a inventé
une Pompe , pour éteindre le feu dans les
incendies. Elle eft de trois corps en cuivre , &
deux hommes peuvent la faire jouer par le moyen
de deux manivelles. Cette machine pouffe l'eau à
foixante pieds de hauteur , fans boyaux , & audeffus
des maifons les plus élevées avec des boyaux.
Elle eft renfermée dans une caiffe qui contient
un muid , & qui montée fur un train à quatre
roues , peut paffer facilement par une porte de
trois pieds de large. L'ouvrage eft d'autant plus
folide , qu'il n'eft compofé d'aucune roue dans
l'intérieur , & que de quelque côté que Pon commence
à tourner les manivelles , on ne rifque
point de rien déranger.
On a reçu par des lettres de la Martinique la
Relation fuivante . «M.leChevalier d'Aubigny étant
» parti de Rochefort fur le Vaiffeau le Prudent, de
>> 74 canons , pour fe rendre à la Martinique , ac-
>> compagné de deux Frégates , l'Atalante , de 34
>> canons , commandée par M. Duchâteau de
» Bene , Capitaine de Vaiffeau , & le Zéphyr , de
» 30 canons , montée par M. de la Touche Tré-
» ville , Lieutenant de Vaiffeau , & Commandant
» de la Compagnie des Cadets à Rochefort ; la
» Frégate le Zéphyr , feparée des deux autres Bâti-
» mens , a rencontré le Vaiffeau Anglois le War-
» wick de 64 canons , qui croifoit depuis quel-
» que tems dans ces mers , & qui avoit enlevé aux
François plufieurs Navires. M. de Tréville a
» manoeuvré fi habilement , qu'il a laiffé croire au
» Capitaine Anglois , qu'il ne çommandoir qu'un
JUI N. 1756 . 219
>>
» Vaiffeau Marchand. L'Anglois l'a méprifé , &
» n'a pas daigné faire ouvrir fes fabords. M. de
» Tréville s'eft laiffé approcher à la portée du pif-
» tolet . Alors il a arboré le pavillon blanc , & a
>> lâché toute la bordée fur l'Anglois , qui , voyant
» fa méprife , a ordonné d'ouvrir promptement
» fes fabords. M. de Tréville , qui a deviné le
>> commandement de l'ennemi , à fait tirer fi à
» propos toute fa moufqueterie , que l'équipage
>> Anglois a difparu , & n'a ofé manoeuvrer . Au
» bruit de l'artillerie , le Vaiffeau le Prudent eft
» venu au fecours de la Frégate le Zéphyr avec la
Frégate l'Atalante. Le Capitaine Anglois
» voyant qu'il ne pouvoit échapper , a fait dire
» qu'il fe rendroit , mais au Commandant feule-
≫ment. Le Chevalier d'Aubigny pour lors a fait
» un fignal , qui a interrompu le feu de la Frégate
le Zéphyr pour un moment. C'étoit pour faire
» fçavoir à M. de Tréville qu'il eût à combattre le
» Vaiffeau , fi ce Bâtiment refufoit de fe rendre à
» la Frégate. Le Capitaine Anglois a craint l'évé
»> nement du combat , & s'eft rendu à M. de Tréville
. On ne sçauroit trop louer la valeur & la
» conduite de M. de Tréville , & le ſentiment gé-
» néreux du Chevalier d'Aubigny , quia cru devoir
» lui laiffer la gloire entiere de cette prife. Le
» Vaiffeau le Warwick a été conduit à la Marti-
>> nique. On eft à la pourfuite d'une Frégate Angloife
, qui croiſoit avec ce Vaiffeau . »>
BÉNÉFICES DONNÉS.
LE Roi a donné l'Abbaye Réguliere de S. Michel
du Cuixa , Ordre de Saint Benoît , Diocèfe de
Perpignan , à Domi de Cahors , Religieux de
cette Abbaye.
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
Sa Majefté a auffi donné l'Abbaye de Beaulieu
Ordre de Saint Benoît , Diocèfe de Limoges , à
l'Abbé de Friſchman , chargé des affaires de Sa
Majefté à la Cour de Madrid.
IL paroît un livre intéreſſant : mais comme
il nous a été envoyé trop tard pour être
annoncé dans la partie littéraire de ce Mercure,
nous avons cru devoir l'indiquer dans
les nouvelles. Il a pour titre , La Conduite
des François juftifiée , ou Obſervations fur un
écrit Anglois intitulé , Conduite des François
à l'égard de la nouvelle Ecoffe , depuis
fon premier établiſſement juſqu'à nos jours ;
par le S. D. L. G. D. C. Avocat en Parlement
. Prix 2 liv. A Utrecht , & il fe trouve
à Paris , chez le Breton , rue de la Harpe.
SUPPLÉMENT
à l'Article des Sciences.
PHYSIQUE.
LETTRE de M. Ferrand , Maître-ès-Arts
de la Faculté de Paris , & Chirurgien à
l'Hôtel Royal des Invalides , à MVacher,
Docteur en Médecine , fur la mort d'un
homme , occafionnée par le tonnerre.
Monfieur , connoiffant votre goût pour la
Phyfique , & l'avidité avec laquelle vous ſaiſillez
JU IN. 1756.
227
tous les objets qui ont rapport à votre art, j'ai cru
devoir vous communiquer ce qui a été obſervé à
l'ouverture du cadavre d'un Soldat Invalide , tué
par le tonnerre le 22 Mai.
Une petite portion de cheveux brûlés au côté
gauche de la tête , & une ( 1 ) échymofe affez confidérable
aux paupieres de l'oeil droit , firent d'abord
foupçonner que le coup avoit exercé fon
action fur le crâne & fur le cerveau ; ce qui déter
mina M. Guerin , Chirurgien - Major des Moufquetaires
, à examiner l'un & l'autre ' : mais il n'y
trouva rien qui pût vérifier le foupçon . Il n'y
avoit point de fente à la boîte offeuſe , point de
fracture , point de contufion. Le cerveau , avec fa
couleur & fa confiftance naturelle , paroiffoit n'avoir
fouffert aucun ébranlement . Il n'y avoit
point d'épanchement dans fes ventricules , ni fur
aucune partie de fa fubftance ; les vaiffeaux étoient
feulement engorgés comme ils le font à la fuite
des morts violentes : en un mot , le cervelet & la
moëlle alongée étoient abfolument fains .
On fut donc obligé de tourner fes recherches
du côté de la poitrine. J'en fis moi- même l'ouverture.
Le coeur étoit en bon état auffi -bien que
le lobe droit du poulmon ; mais le lobe gauche
étoit affaiffé , & les trois quarts environ de fa furface
poftérieure étoient couverts d'une tache violette
tirant fur le noir.
Je penfe , Monfieur , què d'après ce petit expofé
, on pourra deviner la caufe de la mort de cet
homme : l'affaiffement du lobe gauche du poulmon
femble l'indiquer. En effet , ne pare it- il , pas
vraisemblable qu'il a été étouffé foit par la vapeur
(1) Tache noire à la peau occafionnée par l'effe
fion du fang hors de fes vaiſſeaux.
K iij
222 MERCURE DE FRANCE.
foufre , qui , au fentiment des Phyficiens , eft un
poifon très-prompt pour tous les animaux , foir
par le défaut d'air . Car ne pourroit-on pas dire auffi
que lorfque la foudre , dans l'inftant de la détonation
aura chaffé ce fluide en le privant de fon
élafticité , cet homme ſe ſera trouvé dans un vuide
parfait , & qu'il fera mort de la même maniere
que les animaux que l'on enferme fous le récipient
de la machine pneumatique ?
Je pafferois les bornes que je me fuis prefcrites ,
fi je faifois les frais d'une differtation en regle.
Mon but a feulement été de vous faire part de
l'obſervation pour vous laiffer le foin d'en raifonner.
J'ai l'honneur d'être , & c .
CHIRURGIE.
LETTRE qui prouve les progrès de l'avantage
du Lithotome caché , pour l'opération de la
pierre.
Monfieur & très-cher frere , permettez que je
vous faffe mes très- humbles remerciemens de ce
que vous avez bien voulu m'envoyer vos inftrumens
pour la taille. J'avois pratiqué cette opération
avec le biftouri de M. Sechelden avec quelques
fuccès ; mais votre méthode m'ayant parue
fupérieure par le grand nombre d'épreuves que
j'avois faites fur les cadavres avec votre Lithoto
me , je pris le parti d'en injecter plufieurs , & da
repéter ces mêmes épreuves : elles me donnerent
lieu de me convaincre de plus en plus qu'elle
étoit préférable à toutes les autres . En effet , elle
xéunit les trois circonftances qui font la perfection,
JUI N. 1756 .
223
de nos opérations. Par votre méthode , on opere
sûrement , promptement & agréablement. On
opere sûrement ; j'ai vu ou j'ai taillé plus de 200
cadavres fans trouver une ligne de variation dans
la fection des parties. Cette fection eft toujours
rélative au degré d'écartement donné à votre Lithotome
.
L'opération fe fait promptement , en ce que
l'extraction fuit de fi près l'incifion , qu'à peine les
fpectateurs s'en apperçoivent.
L'opération fe fait agréablement ; car il n'en
réfulte qu'une plaie fimple , qui ne demande que
la réunion qui fe fait en peu de jours & prefque
fans aucun panfement . L'hiftoire fuivante va donner
un témoignage de cette vérité.
Le nommé Billon , dit la Violette , Soldat au
Régiment de Bourbonnois , Compagnie de Turenne
, âgé de 20 ans , entra dans l'Hôpital Militaire
de cette Place le 24 Mars dernier. Ses infirmités
étoient nombreuſes : outre un rhume de
poitrine & un cours de ventre , il reffentoit des
douleurs fourdes & inquiétantes dans les régions
iliaques ; il avoit de plus une incontinence d'urine
qu'il portoit depuis 12 ans . Lorfque fon rhume
& fon cours de ventre furent appaifés , j'examinai
s'il n'y avoit point de caufe qui entretînt l'écoulement
involontaire des urines , qui me parurent
chargées de quantité de glaires. Je l'interrogeai,
fur les fymptomes de la pierre , & quoiqu'il me
dit avoir été fondé en différens tems fans qu'on
s'en fût apperçu , j'eus la curiofité de le fonder à
mon tour. A peine ma fonde eut - elle pénétré dans
la veffie , qu'elle frappa un corps dur qui me fit
connoître l'exiſtence d'une pierre . Le malade défirant
en être débarraffé , il me preffa de lui en faire
l'extraction : je fis avertir pour cet effet M. Dageft,
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
fon Chirurgien - Major ; M. Chaftanet , Maftre en
Chirurgie , Correfpondant de l'Académie Royale
de Chirurgie & Aide -Major dudit Hôpital ; Meffieurs
Prevoft & Warrocquier , Maîtres en Chirurgie
de cette Ville. Ces Meffieurs fe rendirent à
l'Hôpital le 29 d'Avril dernier , jour indiqué pour
l'opération. Je plaçai le malade dans la fituation
horizontale , & portai mon Lithotome au treizie-`
me degré d'écartement. L'opération fut faite avec
la plus grande promptitude : je tirai une pierre
ovale, plus longue que groffe , du poids d'une once
& un gros. Les urines commencerent à paffer par
les voies naturelles le troifieme jour , & le 15 la
plaie fut entiérement cicatrifée. Son incontinence
d'urine n'a plus eu lieu depuis le moment de l'extraction.
Je dois vous faire obferver que le malade
n'a pas fouffert le moindre accès de fievre .
Je vous ferois bien obligé de faire inférer ma
Lettre dans le Mercure. Je n'ai rien plus à coeur
que de faire connoître au Public ma façon de
penfer fur votre admirable Inftrument , & de pouvoir
vous convaincre qu'on ne peut être avec un
plus fincere attachement , &c.
Planeque , Chirurgien- Major de l'Hôpital
Militaire.
Nous fouffignés , certifions , que M. Planeque
nous a repréſenté fon taillé , & enfuite lu la préfente
Lettre écrite au Frere Côme , laquelle contient
la vérité de tout ce qui s'eft paffé . Ce que
nous promettons affirmer de nouveau fi nous en
fommes requis. Fait à l'Hôpital Militaire de Lille ,
ce 15 Mai 1756. L. Chastanet.
Dageft , Chirurgien- Major du Régiment de
Bourbonnois. L. E. Prevêt , A. Warocquier.
JUIN. 1756. 225
Je viens d'apprendre que M Maifonfort , Maître
Chirurgien à Tournay , a traité heureuſement
avec le Lithotome , & c.
NAISSANCES , MARIAGES
ET MORTS.
LETTRE A L'AUTEUR DU MERCURE.
Monfieur , j'ai vu dans le fecond volume du
Mercure de Janvier , pag. 233 ( 1 ) , à l'article de
Marie-Magdeleine de Croi- Havré , que Jofephe-
Barbe d'Halluin , veuve de Ferdinand- François-
Jofeph de Croi étoit la derniere de fa Maifon . Je
ferois bien obligé à ceux qui ont fait inférer cette
particularité s'ils vouloient me trouver l'origine
de Françoife d'Halluin veuve d'Antoine de
Courteville , Chevalier , Seigneur d'Hodicq , mes
pere & mere , laquelle porte pour armes , d'argent
a trois lions de gueules , armés , couronnés & lampallés
d'or , & defcend de Charles d'Halluin & de
Françoile de Braque , lequel étoit fils d'Alexandre
d'Halluin & d'Antoinette Monet lequel étoit
( 1) On auroit pu d'abord le voir dans la Gazette
de France , que le Mercure en cette occafion n'a
fait que répéter. Suppofé que ce qu'elle a avancé
ne foit pas exact il faudroit d'autres preuves
pour le décider ) , c'est fon Auteur qui a été induit
en erreur le premier par les mémoires qui lui ont
été adreffis . On feroit bien obligé à ceux qui fe
chargent du foin d'en envoyer foit pour le Mercure
foit pour la Gazette , d'y mettre un peu plus d'exactitude..
Ky
226 MERCURE DE FRANCE.
fils de Claude d'Halluin & de Marguerite du
Mefghen , lequel étoit fils de Céfar d'Halluin &"
de Marie de Rofe , lequel étoit fils de François
d'Halluin & de Claude de Becourt , lequel étoit
fils de Céfar d'Halluin & de Marie du Hamel ,
lequel étoit fils de Louis d'Halluin & d'Antoinet
te Maillard , lequel étoit fils puîné de Louis d'Hal-
Juin & de Jeanne de Ghiftelle , lequel étoit fils
de Nicolas d'Halluin on ignore quelle fut fa
femme ; lequel étoit fils de Joffe d'Hallain &
de Jeanne de la Trimouille , lequel étoit fils de
Jean d'Halluin & de Jacqueline de Ghiſtelle , lequel
étoit fils de Gautier d'Halluin & de Péronne
de Saint - Omer , lequel étoit fils de Roland d'Hal-
Juin & de Marie de la Gruthufe , lequel étoit fils
de Gautier d'Halluin & d'Alix d'Eftawelle , lequel
étoit fils de Jacques d'Halluin & d'Ifabeau d'Ants-
Berghe , lequel étoit fils de Roger d'Halluin & de
Jeanne de Gavre , lequel étoit fils de Gautier
d'Halluin & de Marie de Haulte-Berg , lequel étoit
fils de Gautier d'Halluin & de Magdeleine de Soif.
fons , lequel étoit fils de Hachet Brunet d'Halluin
dont on ignore qu'elle fut la femme , mais qui eut
pour pere Charles d'Halluin & pour mere Magdeleine
de Lannoi , lequel étoit fils de Meffire
François d'Halluin , Seigneur dudit lieu , Souverain
ou Gouverneur de Flandres & de Jeanne de
Melun.
Non feulement Jofephe - Barbe d'Halluin n'étoit
pas la derniere de fa Maifon , puifque Fran
çoife d'Halluin vit ; mais je dirai ici qu'il y en a
encore une branche en Hollande près de la
Haye ( 1 ).
Je vous prie , Monfieur , d'inférer dans votre
(1 ) Cette branche ne paffe pas pour légitime
JUIN. 1756. 227
Mercure ce que j'ai l'honneur de vous envoyer ;
je fuis furpris que l'on vous ait envoyé une choſe
auffi fauffe que de dire que cette d'Halluin étoit
la derniere de fa Maifon. J'efpere , Monfieur , par
ce que j'ai l'honneur de vous envoyer prouver
tout le contraire ; j'ai tout extrait de pieces authentiques
que j'ai entre les mains.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Signé , Courteville d'Hodicq.
Madame la Comteffe de Noailles accoucha le
17 Avril d'un fils , qui a été tenu fur les fonts par .
le Bailly de Froulay , Ambaffadeur de Malte , &
par la Ducheffe douairiere de la Valliere , & a été
nommé Louis- Marie. Il portera le titre de Chevalier
d'Arpajon , étant deſtiné à remplir le privilege
accordé à feu Louis , Duc d'Arpajon , bifayeul
de la Comteffe de Noailles dans l'Ordre de Malte
( 1 ).
(1 ) Lorfque le Sultan Ibrahim menaçoit l'Ifle :
de Malte avec des forces formidables , le Duc
d'Arpajon alla volontairement au fecours de cette ·
Ifle. Il fut élu Chef du Conseil du Grand- Maître
Généraliffime des Armées de la Religion ,
pourvut fi bien à la sûreté de l'Ifle , que par reconnoiffance
le Grand- Maître ( Paul de Vintimille-
Lafcaris- Caftellar) , du confentement de l'Ordre, lui
accorda le 30 Mai 1645 , le privilege fingulier pour
Lui tous fes defcendans aînés , d'ajouter à leurs
Armes la Croix octogone de Malte avec les extrêmités
faillantes , comme la portent les Chevaliers
de Malte , & qu'un de fes defcendans , pour une
fois feulement au choix du pere , feroit Chevalier
en naiffant , grand Croix à l'âge de 16 ans . Ce
privilege a été reconnu certifié le 5 Mai 1715 , ..
par le Grand Maître Raimond Perellos de Rocafull. »
K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
Dame N.... le Petit d'Avelnes , veuve de
Meffire Yves Jean - Baptifte de la Boiffiere , Comte
de Chambors , Ecuyer ordinaire du Roi , mort en
Août 1755 , eft accouchée au mois de Février ,
d'un fils qui a été tenu fur les fonts dans la Chapelle
du Château de Verfailles , par Monfeigneur
le Dauphin & Madame la Dauphine , & nommé
Louis - Jofeph-Jean-Bapt fte. L'Abbé de Raigecourt,
Aumônier du Roi , lui fuppléa les cérémonies du
Baptême en préſence du Curé de la Paroiffe de
Notre- Dame.
Jofeph-Balthafar , Comte de Rennel , de Lefcut,
& du S. Empire , Capitaine dans le Régiment
Royal- Barrois , a époufé le s Février à Méhoncourt
en Lorraine , Marguerite- Gabrielle de Rennel
fa coufine. Le contrat de mariage avoit écé
figné à Nanci le 31 Janvier précédent .
La maifon de Rennel , établie depuis trèslongtemps
en Lorraine , eft une des plus illuftres
de cette Province , tant par fon ancienneté
que par fes belles alliances. Richard de Rennel ,
Chevalier, vivoit fous le regne de Philippe de Valois
, près duquel il combattic vaillamment à la
bataille de Montcaffel en 1328 , & auquel il rendit
de grands fervices. Marguerite Stuard , qu'il
avoit épousée à la Cour du Roi d'Angleterre , le
rendit pere de Jean de Rennel , Chevalier , Capitaine
de 100 Lances , fire de Beaulieu par le don
que lui en fit le Roi Jean en 1350. Jeanne de
Hangeft , fon époufe , qui tefta en 1365 ,
fut mere
de Guillaume de Rennel , fire de Beaulieu , Chambellan
du Roi Charles VI , qui d'Yolande de Mouy,
eur pour enfans Bonaventure de Rennel , qui fuit
Jean , Chevalier de Rhodes , & Yolande , femme
de Matthieu de Riencourt , feigneur d'Orival.
;
Bonaventure de Rennel , fire de Beaulieu , Ca- '
JUI N. 1756. 229
pitaine de so hommes d'armes , époufa en 1415 ,
Alix de Soiffons , fille de Thibault , feigneur de
Moreuil , Gouverneur de Boulogne , & de Marguerite
de Poix. Il en eut Guillaume de Rennel , IF
du nom , fire de Beaulieu , Capitaine de so hommes
d'armes des ordonnances du Roi Louis XI.
marié en 1445 à Ifabeau , fille de Jean de Hangeft,
feigneur de Genlis , & de Marie de Sarrebruck ; il
en eut entr'autres enfans , Jean de Rennel , II du
nom , Capitaine d'une compagnie entretenue'
pour la garde de Boulogne , qui tefta le 10 Juin
1530 , & fut pere par fa femme Catherine d'Aumale
, fille de Jean d'Aumale , feigneur d'Efpaigni
, & de Jeanne de Soiffons-Moreuil , Vicomteffe
du Mont Notre- Dame , de Bonaventure de Rennel
, II du nom , Page du Duc de Lorraine en 1525,
puis premier Gentilhomme de la Chambre &
Principal Miniftre de Nicolas de Lorraine , Comte
de Vaudemont , pere de la Reine - Louife. H fut
auffi crée fecretaire d'Etat de Lorraine , le 11
Juillet 1552. Il mourut le 16 Mars 1584 , laiffant
de fa femme Marie de Janin de Manoncourt
morte en 1560 , qu'il avoit épousée le 3 Λούτ
1548 , Balthazar de Rennel , feigneur de Saint-
Bria , Jarville , S. Germain , S. Boin , Malzeville ,
Ecuyer d'écurie du Duc de Mercoeur , frere de la
Reine Louife , & depuis Miniftre d'Etat , & Préfident
de Lorraine , mort le 16 Novembre 1637 ,
âgé de 83 ans. Il avoit époufé le 9 Juin 1575 ,
Barbe de Lefcut . Elle etoit fille aînée de Jean de
Lefcut , Comte du S. Empire , & de Mayelle de
Beurges . C'est elle qui apporta dans la maifon de
Rennel le titre de Comte du S. Empire . Elle
mourut le 29 Mars 1637 , laiflant enti'autres enfans
Balthazar, II du nom , Comte de Rennel &
du S. Empire , Seigneur de Jarville & d'Andilly .
230 MERCURE DE FRANCE .
Confeiller d'Etat du Duc Charles IV , mort le 2
Novembre 1658. Il avoit époufé par contrat du
11 Janvier 1521 , Claude de Guérin du Montet.
Elle mourut le 3 Février 1641 , & fut mere de
François , Comte de Rennel & du S. Empire ,
qui fuit ; de Balthafar qui a fait la branche des .
Comtes de Rennel & de Lefcut , dont la poſtérité
fera rapportée après celle de fon frere aîné , & de
Charles-Jean, feigneur d'Andilly, Conſeiller d'état
du Duc Léopold , mort âgé de So ans , le 14 Avril
1716 , ne laiffant de fa femme Théreſe- Françoiſe
de Rouffelot que quatre filles. 1. Catherine Valerie
, morte en 1752 , veuve depuis 1739 de :
René de la Geard , dit le Marquis de Grefignac.
2º. Marie-Thérefe , morte en 1723 , veuve depuis
1708 de Charles- François de Serre , Confcil- :
fer d'Etat & Maître des Requêtes du Duc Léopold.
3 °. Marguerite- Reine , mariée en 1699 , à
Jean-Baptifte-André de Laugier , tué à la bataille
d'Hochftedt , étant capitaine au Régiment de
Languedoc. 4° . Marie- Antoinette , veuve du 10%
Mars 1734 , de Claude , Comte de la Rode , Baron
de Monconis , & Seigneur de Charnay en Bour
gogne.
François , Comte de Rennel & du S. Empire ,.
Seigneur de Jarville , Méhioncourt , Franconville ,
& Landecourt , fils aîné de Balthafar , II du nom
fut Confeiller d'Etat du Duc Charles IV, qui lui
donna en 1666 le commandement de Nanci , &
la Préfidence du Confeil de cette ville , & mourut
le 21 Février 1687. Il avoit épaulé 1º . par contrat
du 6 Novembre 1649 , Antoinette le Febvre ,.
Dame d'Ancy, morte le 5 Mai 1663. 2 ° . En 1664,
Antoinette le Marefchal , décédée le 2 Juin 1680.t
Il n'eut de cette feconde femme que Jeanne - Fran-*
goile de Rennel , mariée à Jofeph le Begue , C.-
JUIN. 1756. 23 .
du S. Empire & de Germiny , premier Miniftre
d'Etat de Lorraine , mort le 30 Janvier 1730 ,
onze mois après fa femme ; mais il eut de fon premier
mariage Marie -Françoiſe de Rennel , morce
le 28 Mai 1698 , femme de Charles- Henri de
Juvrecourt , commandant les Moufquetaires de la
garde du Duc Charles IV ; Balthafar- Jofeph - Dieudonné
, & Jean- Baptifte-Henri de Rennel , qui
ont laiffé postérité .
Balthafar-Jofeph-Dieudonné , Comte de Rennel
& du S. Empire , feigneur de Mehoncourt ,
d'Erbamont & de Circourt , Confeiller d'Etat du
Duc Léopold , & premier Préſident de la Chambre
des Comptes de Lorraine , né le 24 Septembre
1654 , mourut le 24 Février 1726. Il avoit
épousé par contrat du 23 Novembre 1687 , Françoife
de Huyn , niece du Comte de Huyn , Maré--
chal des Armées de l'Empereur, & Gouverneur de
Zizeth en Hongrie , décédée le premier Janvier
1723 , dont 1 °. Nicolas - François , qui fuit . 2º. Jofeph-
Ignace , Comte de Rennel & du Saint Em--
pire , Prélat-domeftique du Pape , Référendaire de
P'une & l'autre fignature , Grand- Chantre & Chanoine
de l'Eglife de S. Diez . 3 ° . Charles - François
, 'Comte de Rennel & du Saint Empire , Camé
rier d'honneur du Pape , & Chanoine de S. Diez.
4°. Jean-Baptifte-Henri-Balthafar,Comte de Rennel
& du Saint Empire , feigneur de Bouvigny ,
d'Erbamont & Circourt , ancien Capitaine aux
Gardes de l'Empereur.
Nicolas - François , Comte de Rennel & du Saint:
Empire , feigneur de Méhoncourt , a été créé Secretaire
d'Etat du Duc Léopold , le 20 Février
1721 , puis fon Miniftre Plénipotentiaire au Congrès
de Cambrai , enfin Commiffaire de l'Empereur
pour faire l'extradition de fes Duchés de
232 MERCURE DE FRANCE.
Lorraine & de Bar. Il a été maintenu avec ceux
de fon nom & de fes armes dans le titre de Comte
du Saint Empire , par Arrêt du Conſeil d'Etat ,
rendu à Luneville le 31 Août 1730 ,& tous les titres
justificatifs de fa filiation & illuftration de fa maifon
, ont été reconnus & vérifiés par Arrêt du Parlement
de Nanci dù 26 Septembre 1736. Il eft
veuf du 17 Décembre 1745 , de Magdeleine de
Pons , mariée par contrat du 20 Février 1732 , &
fille de Claude- Alexandre , Marquis de Pons de
Rennepont , Marechal des Camps & Armées du
Roi , & d'Anne- Dorothée de Bettainviller. Il a de
ce mariage , 1º . Jofeph-Ignace - Dieudonné , Comte
de Rennel & du Saint Empire , né le 20 Juin
1734 , Officier au Régiment du Roi infanterie ,
mort le 19 Novembre 1755. 2 ° . Marguerite - Ga→
brielle , née le 20 Mars 1739 , dont nous annon-
Cons le mariage. 3 ° . Anne - Marie , dite Mademoi
felle de Senlis , née le 21 Avril 1741. 4° . Jeanne-
Henriette , dite Mademoifelle de Moreuil , née le
3 Juin 1743. 5 ° . Elifabeth- Gloffinde , appellés
Mademoiſelle de Florainville , née le 17 Décembre
1745 .
I
Jean- Baptifte- Henri , Comte de Rennel & du
Saint Empire , feigneur d'Amelecourt . Colonel
d'infanterie , fecond fils de François , Comte de
Rennel & d'Antoinette le Fevre , eft mort le 3
Août 1748. Il avoit épousé par contrat du 16 Décembre
1692 , Maric- Nicole , morte les Novembre
1703 , fille de Henri- Philippe de Baillivy ,
commandant les Gendarmes de la Garde du Duc
Charles IV , & de Marie - Louife- Françoise de Voil
lot de Valleroy. De ce mariage font fortis , 1°. Charles
-Jean- Baptifte , Comte de Rennel & du Saint
Empire , Capitaine aux Gardes du Duc Léopold ,
mort le 8 Août 1724 , laiffaut de fa femme ClauJUIN.
1756. 233
de - Catherine le Febvre de S. Germain , foeur du
Comte de ce nom , une fille unique Anne- Catherine
de Rennel , née le jour de la mort de fon
pere , & mariée par contrat du 24 Février 1744, à
Jean- Baptifte -Hyacinthe- Dieudonné , Marquis
de Treftondam. 2. Antoine- Africain , dit le Chevalier
de Rennel , Officier au Régiment de Neuperg
, tué le 9 Octobre 1716 , au fiege de Temefwar.
3. Charles- François , Comte de Rennel &
du Saint Empire , né le zo Septembre 17c1 , & tué
de 12 Septembre 1719. Il avoit épousé par contrat
du 11 Octobre 1723 , Anne-Françoife- Scholaftique
de Greiche , de laquelle il a eu Anne - Catherine
de Rennel , mariée par contrat du 12 Juillet
1742, à fon oncle à la mode de Bretagne , Jean-
François , Comte de Grieche , feigneur de Jalocourt
, fils unique de Nicolas , Comte de Greiche,
Chambellan du Duc Léopold , & de Marie - Catherine
du Châtelet , foeur de René- François , Marquis
du Châtelet , Lieutenant Général des Armées
de l'Empereur.
Balthafar , III du nom , Comte de Rennel de
Lefcut & du Saint Empire , Seigneur de Jarville
fils puîné de Balthafar , II du nom , Comte de
Rennel , & de Claude de Guerin du Montet , mentionnés
ci- deffus , fut fubftitué au nom de Lefcut
par fon ayeule Barbe de Lefcut. Il mourut âgé de
quatre- vingts ans , lé 26 Octobre 1707 , ayant eu
de fon mariage , contracté le 8 Juillet 168 avec
Elizabeth , fille unique de Charles de Vitton , Seigneur
de Valfroicourt , Jean-Sigifbert , Comte
de Rennel de Lefcut & du Saint Empire , Confeil.
ler d'Etat du Duc Léopold , & fecond Préſident à
Mortier au Parlement de Nanci , décédé le 29
Juillet 1707. Il avoit épousé par Contrat du 3
Février 1687 , Catherine de Huyn , Dame de Bet234
MERCURE DE FRANCE.
toncourt, morte le Décembre 1741 , de laquelle
il cut , 1º. Thomas- Balthafar qui fuit. 2º. Jean-
Jofeph , Comte du Saint Empire , mort Chanoine
de S. Diez , le 20 Mars 1736. 3°.Charles, Comte
du Saint Empire , dit le Chevalier de Lefcut ,
ancien Capitaine aux Gardes du Duc de Lorraine.
4. Marguerite , veuve , du 4 Août 1751 , de Paul-
Melchior- Henri , Seigneur de Seichamps. 5 ° . Elifabeth
Catherine , morte le 5 Novembre 1751
femme de François de Lançon , Commandant à
Belle-ifle. 6°. Françoife , dite Mlle de Rennel , 7º.
Catherine , morte Religieufe en 1729.
Thomas - Balthafar, Comte de Rennel de Lefcut
& du Saint Empire , Seigneur de Bettoncourt , Capitaine
aux Gardes du Duc de Lorraine , mort le
17 Novembre 1749 , avoit épousé par Contrat du
26 Septembre 1722 Marie- Anne de Hoffelife , décédée
le 27 Mai 1730 , fille de Céfar de Hoffelife,
Seigneur de Burthecourt & de Chambrey , Capi
taine au Régiment de la Fere , & d'Antoinette de
Bouvet , Dame de Robert-Efpagne . De ce maria,
ge font fortis , 1 ° . Jofeph- Balthafar , Comte de
Rennel de Lefcut & du Saint Empire , Seigneur
de Bettoncourt , Burthecourt & Robert-Efpagne
né le 21 Août 1726 , qui donne lieu à cet article.
2°. Catherine- Gabrielle , mariée le 12 Avril 1746,
à Jean - Baptifte , Baron de Mahuet & du Saint
Empire , Comte de Mailly , dit le Comte de
Coyviller. 3 °. Marie- Therefe , dite Mlle de Lef
cut. 4°. Marguerite , dite Mlle de Burthecourt.
M. Conftant de Rebecque , Général au ſervice
'Hollande , Colonel d'un Régiment Suiffe de
fon nom , eft mort en Suiffe à Lauzanne , pays
de Vaux , canton de Berne , au commencement
de cette année , âgé de 79 ans . La famille de
Conftant de Rebecque eft d'une ancienne Nobleffe
JUIN. 1756. 235
originaire d'Artois , où elle a poffédé plufieurs
terres , & a eu des Charges honorables dans différentes
Cours . Elle a fourni des Chevaliers de S.
Jean de Jérufalem , & s'eft retirée en Suiffe après
les guerres de Religion.
Avis de l'Auteur du Mercure.
Nous recevons tous les jours des Pieces
dont l'ortographe eft fi défectueuse , l'écri
ture fi informe & le papier fi mauvais
qu'on ne peut les déchiffrer , & qu'on les
prendroit plutôt pour une affignation des
Confuls, que pour une production d'efprit .
Les Auteurs qui nous les adreffent fe montrent
cependant les plus impatiens de paroître.
Nous les prions très - inftamment
d'avoir foin à l'avenir que les copies de
leurs ouvrages foient plus lifibles , mieux
ortographiées , & qu'elles n'ayent point
l'air d'avoir fervi chez l'Epicier , où nous
ferons forcés de les y renvoier , quelque
confidération que nous ayons pour eux.
Avis intéressant.
LE Baume de M. le Lievre opere tous les jours
des guérifons furprenantes : parmi le grand nombre
, nous en citerons une très- finguliere ; elle eft
atteſtée par plufieurs témoins dignes de foi , & par
la malade elle-même que ce Baume a tiré des bras
236 MERCURE DE FRANCE .
de la mort , comme on va le voir dans la Lettre
que la reconnoiffance lui a dictée , & que nous
avons cru devoir rendre publique .
A M. le Lievre.
Je vous dois trop , Monfieur , pour ne pas émployer
les premiers momens de ma convalescence
àvous rendre grace de la meilleure fanté dont je
jouis de jour en jour , depuis l'inftant qu'un Ami
fenfible aux douleurs mortelles dont j'étois accablée
depuis fix mois , me perfuada de faire ufage de
votre Baume de vie . Je croirois d'ailleurs manquer
à l'humanité , fi je ne publiois continuellement les
merveilleux effets que j'en viens d'éprouver. Cet
Ami vous aura fans doute fait un détail de ma
maladie : ainfi vous fçavez qu'à une fievre lente
qui me rongeoit depuis fix mois font furvenus
des redoublemens , le tranfport au cerveau ; mais
ce qui a totalement fait defefpérer de mes jours ,
c'eft une infomnie depuis trois mois , une toux
affreufe qui me fuffoquoit , avec une rétention
d'urine & un dévoiement continuel pendant douze
jours. Les Médecins jugeant leur fecours inutile
dans cet état , & m'ayant abfolument abandonnée ,
j'attendois que la mort terminât mes peines , lorfque
cet Ami m'apporta la vie en me communiquant
votre Baume. Il y a quinze jours que j'en
fais l'ufage qu'il m'a preferit par vos ordres : il me
femble qu'à chaque minute je prends un nouvel
être toutes mes douleurs fe font infenfiblement
paffées ; & fi je n'étois retenue par la crainte de
m'expofer trop-tôt au grand air , j'aurois déja cedé
à l'empreffement que j'ai de voir mon Libérateur.
pour lui témoigner avec quels fentimens d'eftime
& de reconnoiffance , j'ai l'honneur , & c.
Signé , Antoinette de la Porte.
A Paris , le 16 Mars 1756.
JUIN. 1756. 237
Comme les grands maux qu'on a foufferts font
oublier facilement ceux qui nous font moins de
peine , j'oubliois de vous dire que j'avois encore
des dartres dont j'étois attaquée depuis plufieurs
années , & qu'elles ont également difparu. Je
crois , Monfieur , que vous ne ferez pas fâché de
voir ici ma guérifon atteftée par plufieurs perfonnes
dignes de foi , & qui ont été témoins de l'état
déplorable dans lequel j'étois avant de connoître
votre Baume.
De Bagarotty, Raucourt , Manon Vertely, Lavault.
AVIS,
LE fieur le Comte , Vinaigtier ordinaire du

>
Roi , de la Reine , & Princes, Inventeur des Vinaigres
, tant de table que de toilette , de propreté ,
& Pharmacie , juſqu'au nombre de cent foixante ,
donne avis au Public qu'ayant inventé & compofé
en 1754 , le Vinaigre admirable & fans pareil
ayant eu l'applaudiffement des Seigneurs & Dames
de la Cour , & approuvé de la faculté fe croit
obligé , par l'efficacité & les vertus dudit Vinaigre,
de renouveller au Public fes propriétés , qui font
de blanchir le vifage , d'unir & affermir la peau, &
lui donnerl'agrément d'un teint clair & frais , d'oter
les boutons , dartres , taches , & le hâle du vifage
& de la peau ; de rétablir & remettre les viſages
couperofés de différens âges dans leur naturel ; d'éteindre
promptement les rougeurs de la petite vérole.
Il raffermit la vue , ôte les rougeurs & inflammations
qu'il peut y avoir : il n'eft point mordant ,
ni corrofif, & ne peut endommager le teint ni la
peau. Ce Vinaigre a une odeur très agréable &
s'emploie pur & à froid, en s'en étuvant avec un
239
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ODE fur les Tremblemens de terre arrivés à Lisbonne
Neris ,
Epître de M. S. D. M. à M. de Voltaire ,
Penſées & Maximes ,
Vers à une Fleur ,
Vers à M. Couffeau ,
page s
12
18
22
26
27
Lettre à une Dame occupée férieuſement de l'éducation
de fes enfans ,
Vers de Mlle C *** à M. G ***,
Réponse de M. G ***,
Vers à Madame le M ...
}
30
45
ibid.
46
47
57
Lettre à M *** fur les regles de la verfification ,
Epître à un Ami fur l'inconſtance de fa Maîtreffe ,
Le Printemps , 19
La chofe eft finguliere , nouvelle d'un moment , 61
Vers fur le Mariage de M. le Comte d'Egmont
avec Mademoiſelle de Richelieu ,
Lettre de M. de Baftide à Mlle de R****
Vers à MII M... lifant Thélémaque ,
Vers à l'occafion d'un OEillet blanc & rofe ,
63
65 >
67
68
Explication du Logogryphe & de l'Enigme du
Mercure de Mai ,
Enigme & Logogryphe ,
Chanfon ,
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
Lettre fur la police des grains ,
69
ibid,
71
73
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le