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1756, 01, vol. 1-2, 02-03
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MERCURE
DE FRANCE,
DÉDIÉ AU ROI.
JANVIER 1756 .
PREMIER VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine.
Cochin
Shasin
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
Chez PISSOT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
THE NEW YORK
UBLIC LIBRARY
$35290
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1005
C
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTION , Avocat , & Greffier-Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
deport , les paquets & leures , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront comme à Paris ,
qu'à raifon de 30 fols par volume , c'eſt- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreffe ci- deffus.
OnSupplie les perfonnes des provinces d'en-
A ij
voyer par la poſte , enpayant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres ,
afin que le payement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lution ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine , aprèsmidi.
On peut fe procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainsi que les Livres
, Estampes & Mufique qu'ils annoncent.
x
AVIS.
On trouvera le Mercure aux Adreſſes ciaprès.
A Bbeville , chez Levoyez.
Amiens , chez François , & Godard.
Angers , chez Jahier.
Arras , chez Nicolas , & Laureau.
Auxerre , chez Fournier.
Bâle en Suiffe , à la Pofte.
Beauvais , chez Defaint.
Belançon , chez Briffault , & à la Pofte.
Blois , chez Maffon.
Bordeaux , chez Chappuis l'aîné , à la nouvelle
Bourſe , Place royale ; & chez Jacques Labottiere
, Place du Palais ; L. G. Labottiere , rue
S. Pierre , vis-à- vis le puits de la Samaritaine ,
J. P. Labottiere , rue S. James , & à la Poſte.
Breft , chez Malaffis.
Brie , chez Lefevre .
Bruxelles , chez Pierre Vaſſe.
Caen , chez Manouri .
Dijon , à la Pofte , chez Mailly & Defaint.
Callais , chez Gilles Nee , fur la grande Place.
Châlons en Champagne , chez Briquet.
Charleville , chez Thezin .
Chartres , chez Gobelin , & Feftil.
Falaife , chez Piftel Préfontaine.
Fribourg en Suiffe , chez Charles de Boffe.
La Rochelle , chez Salvin , & Defbordes.
Liege , chez Bourguignon.
Lille , chez la veuve Pankouke , & la veuve Cramé.
A iij
Limoges , chez Barbou ,
Imprimeur du Roi.
Lyon , à la Pofte , chez J. Deville ; & chez Laro
che , ayant la direction du Bureau d'Avis .
Manheim , chez Charles Fontaine.
Marfeille , chez Sibié , Moffy , & Boyer fur le
Port.
Montargis , chez Bobin.
'Moulins , chez Faure , & la veuve Vernois.
Nancy , chez Nicolas .
Nantes , chez Jofeph Vatar.
Nîmes , chez Gaude.
Noyon , chez Brocher fils.
Orléans , chez le Pelletier , Aubry , & Rofeau de
Monteau.
Poitiers , chez Faulcon l'aîné , & Félix Faulcon.
Provins , chez la veuve Michelin .
Rennes , chez Vatar pere , Vatar fils , Julien Va
tar , & Garnier &
Compagnie.
Rheims , chez Godard .
Rouen , chez Hérault , & Fouques.
Saint Malo , chez Hovius .
Saint Omer , chez Jean Huguet.
Senlis , chez Des Roques.
Soiffons , chez Courtois.
Strafbourg , chez Dulfecker , Phole & Konig.
Toulouſe , chez Robert , & à la Poſte.
Tours ; chez Lambert , & Billaut.
Troyes , chez Bouillerot.
Verſailles , chez Fournier .
Vitry-le-François , chez Seneuze.
Le
१.
MERCURE
DE FRANCE.
JANVIER. 1756.
PREMIER VOLUME.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS FAITS A LA CAMPAGNE.
A Mademoiselle le *** , qu'on appelloit la
Bergere ; en la voyant paffer , très parée ,
pour aller diner à la ville , chez Madame
*** qui donnoit très-fouvent des diners
дне l'on difoit très-ennuyeux .*
de
Par M. de Baflide.
Pourquo
Ourquoi tant de parure ?
Iris , On plaît tout naturellement ;
1. Vol.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
L'art devient impoſture
S'il cache l'agrément.
Souvenez-vous qu'une Bergere
N'a point d'autre art que l'art de plaire
D'autres rubans qu'une chaîne de fleurs ,
D'autre miroir qu'une onde claire ,
Et d'autre tein que fes propres couleurs.
Voulez-vous renoncer à notre bergerie
Vous faites mal plus que vous ne pensez ;
Iris , le bonheur de la vie
Dépend de cet état auquel vous renoncez.
Quel eft le ton du monde où l'on vous aſſocie
Rien n'eft fi fot dans l'Univers.
Pour juger de votre folie ,
De ce monde , entre nous , connoiffez les travers.
Se lever dans la certitude
D'avoir beaucoup de gêne & beaucoup plus d'ennui
,
Vieillir à fa toilette & ſe faire une étude
D'un art fimple autrefois , fatiguant aujourd'hui,
Faire un dîner où l'on s'ennuie ,
Manger beaucoup , fans appétit ,
Se fervir avec fimétrie ,
Se complimenter fans efprit ;
Entendre des propos infpirés par l'envie
Auxquels tout le monde applaudit
JANVIE R. 1756. 9
Par contenance ou bien par jaloufie ;
Médire , enfin , parce que l'on médit.
Après un long repas , une longue partie ,
Et jouer comme on a dîné ,
Se voir placer par fantaisie ,
Ou par un motif raifonné ,
A la table de ceux dont le trifte génie
Vous a le plus affaffiné ;
Etre maudit par compagnie ,
Si , par malheur , on n'eft ruiné.
Raifonner pefamment fur une bagatelle ,
Raifonner fans être d'accord ;
Déchirer d'une dent cruelle
Une connoiffance nouvelle ,
Quoiqu'on la voye avec tranfport ,
Avec l'amitié la plus vive ;
La careffer dès qu'elle arrive ,
Et la noircir dès qu'elle fort.
Après un long martire
Se retirer chez foi , trifte , avec de l'humeur,
En déteftant au fonds du coeur
Les dîners où l'on ne peut rire ;
Iris, voilà le monde , & voilà le malheur
Où , malgré moi , j'ai peur
Que la foule ne vous attire.
1
A v
to MERCURE DE FRANCE.
Que le fort des Bergers eft un fort différent..
Ils n'ont point de toilette à faire ;
La nature eft leur art , ils plaifent en aimant ;
Leurs repas n'ont rien d'éclatant ,
Auffi chaque Berger digere
Le dîner qu'il fait fagement.
Ils ne font point jaloux , ils ne fçavent poing
feindre ,
Se déguiler c'est le contraindre ,
Et la contrain:e eft un tourment.
Ils ne font point d'hiftoire , & n'en ont point à
craindre ,
Cet art toujours honteux , & toujours fatiguant ,
Eft étranger , lorfque l'on vit content.
Sur un gazon naiffant ,
Leurs jeux font des chanfons & des danses légeres ;
Ils n'y perdent point leur argent ,
Ils y gagnent fouvent le coeur de leurs Bergeres
De ces états fi différens entr'eux ,
Comparés les plaifir's , les motifs & l'uſage ;
Pourrez - vous balancer à ſaiſir l'avantage
De préférer celui qui vaut le mieux.
Choififfez pour jouir , c'eſt le droit de votre âge.
Sçavoir choisir , c'eſt être fage ,
Sçavoir jouir , c'est être heureux.
Il eft vrai que la bergerie
Ne fouffre pas les coeurs indifférens ;
JANVIER . 1756 .
Le vôtre l'eft, & c'eft votre folie ;
Pourquoi craindre l'amour : Iris , quelle manie 1
Les plus fages mortels font les heureux amans.
N'écoutez pas tout ce que l'on publie
Contre ce Dieu , contre ſes traits charmans
Ah ! feroient- ils le bonheur de la vie
S'ils n'étoient innocens.
LA NAVETTE D'AMOUR ,
O U
L'ORIGINE DES NAVETTES .
Nous ne fommes plus dans le ſiecle de
la fcience ; cela m'afflige & ne m'étonne
pas ; il eft plus aifé de dire vingt bons
mots , que de faire une découverte , je l'ai
bien éprouvé par ce qu'il m'en a coûté pour
devenir fçavant ; l'on me fçauroit quelque
gré , fi l'on voyoit les volumes immenfes
que j'ai parcourus pour découvrir l'origine
des navettes ; je ne l'ai trouvé dans
aucun , le hazard me l'a procuré en feuilletant
un Manufcrit Chinois dans la bibliothéque
d'Avignon : en voici la traduction
fidele .
C'étoit autems d'étrennes , tems abufif ,
où la tromperie fait fon trafic , où la fauffeté
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
court les rues & donne fes premiers à compte.
Il n'y avoit aucune maifon dans Tunquin
où l'on ne trouvât des amis lourds ,
des vers plats , & des magots de porcelaine,
bien moins magots que ceux qui tes avoient
donnés.
Je ne parle pas des parens ; les coufins
'du jour de l'an font bien plus importuns
que les coufins du mois de Mai .
La ville étoit remplie de femmes fenfibles
qui attendoient pour quitter leur amant ,
qu'elles en euffent reçu les étrennes . L'amour
fe vendoit chez les Joalliers , & fa
valeur courante fuivoit celles des diamans.
L'amour pur , l'amour vrai , étoit dans
un afyle champêtre à deux lieues de Tunquin.
Il habitoit avec le Princeffe Zirzis
& le Prince Myrza . Zirzis étoit devenue
veuve trois mois après fon mariage ; ils lui
avoient parus longs. Cet hymen qui s'étoit
fait au préjudice de l'amour , avoit tourné
à fon profit ; il rendoit Zirzis maîtreffe de
fes actions ; c'est une grande facilité pour
ne pas refter longtems maîtreffe de fon
€oeur.
il
Myrza étoit fon plus proche voifin ,
ne dépendoit que de lui . Il étoit joli , il
étoit riche , il étoit Prince . Voilà bien des
dangers dont il fit des perfections.
Ilfentit combien un Prince court de rifJANVIE
R. 1756. 13
ques étant livré à lui -même. Il étoit fans
parens qui puffent le conduire. Quand il
en auroit eus , c'est un foible fecours : l'autorité
qu'ils ont , détruit prefque toujours
la confiance qu'on leur doit. Myrza méritoit
des amis ; mais qu'est- ce que les amis
d'un Prince ? fouvent des piéges.
Tout homme indépendant n'a d'autres
moyens que l'amour pour s'éclairer & pour
s'inftruire ; c'eft le parti que prit Myrza
fans s'en douter lui même. Il vit Zirzis &
l'admira.
Elle le tenoit toujours à la campagne ,
elle fe connoiffoit . Elle avoit une beauté
modeſte , un efprit fimple , une raifon douce
, une ame tendre ; qu'auroit- elle fait à
la ville ?
Elle reçut les vifites de Myrza , elle érudia
fon caractere , elle vit que ce n'étoit
encore ni un fot , ni un fat , mais qu'il ne
tiendroit qu'à la femme qu'il auroit , qu'il
devint l'un ou l'autre.
Elle réfolut de ne point l'avoir , & d'en
faire un homme aimable. Voilà deux chofes
bien difficiles ; le fuccès de l'une des
deux doit fuffire pour contenter une femme
fenfée.
Zinris convint avec Myrza qu'ils fe verroient
fouvent ; mais à condition que tous
leurs entretiens ne rouleroient que fur la
14 MERCURE DE FRANCE.
raifon & l'amitié , & que jamais on n'y feroit
entrer les mots de beauté ni d'amour,
J'y confens répondit Myrza ; le mot de
beauté ne fortira pas de ma bouche , mais
je diray fouvent , belle Zirzis. A l'égard
du mot d'amour , je vous avoue qu'il ne
me fera pas difficile de ne le point prononcer
; c'eft un fentiment que je redoute . Je
ne veux connoître que l'amitié , c'eſt un
ami que je cherche, je crois l'avoir trouvé en
vous , charmante Zirzis , vous me donnerez
des confeils ; ils fe graveront dans mon
coeur. Mes perfections , fi j'en acquiers
deviendront votre ouvrage , elles m'en feront
plus cheres . La différence de notre
fexe ne fervira qu'à jetter des nuances plus
douces fur notre amitié , elle en deviendra
plus intéreffante ; permettez , belle Zirzis ,
permettez , pourfuivit - il , avec tranfport ,
que je ferre & que je baife vos mains pour
vous marquer toute ma reconnoiffance.
Zirzis étoit enchantée de voir dans le
Prince une amitié fi vive.
Tandis qu'ils s'occupoient à fe jurer ainfi
une renonciation totale à l'amour , on vint
leur annoncer qu'un jeune Marchand demandoit
s'ils ne vouloient rien . On le fit
entrer ; il étala bien des fanfreluches , bien
des colifichets qui féduifoient les yeux , &
...n'étoient bons à rien.
2
JANVIER. 1756. 15
Pourquoi tant de chofes inutiles dit Zirzis
? C'est ce qui me fait vivre , repartit
le Marchand : les jeunes gens en donnent
bien davantage que des chofes qui leur
font néceffaires. Il femble qu'ils fe faffent
un plaifir d'acheter leur portrait. Tenez ,
pourfuivit-il, voici un bijou qui deviendra
bien à la mode , on appelle cela une navette
, c'est la premiere qui paroît ; je
l'aime d'autant plus , dit Zirzis qu'elle eft
toute fimple. Elle n'eft que de bois. Il eft
vrai qu'il eft bien poli & bien beau ; comment
appellez- vous ce bois-là ? c'eft du
myrthe , répondit le jeune Marchand , d'un
ton tout ingénu ; il jetta cependant de certains
regards malins fur la Princeffe qui
la firent rougir.
C'est une galanterie trop médiocre , reprit
Myrza , pour que vous ne me permettiez
pas de vous la faire , quel en eft le prix ?
Je la donnerai pour rien à la Princeſſe , répliqua
le Marchand , acceptez- la de grace ,
je ne vous fais que crédit ; un temps viendra
où vous me la payerez bien , je vais
feulement vous en montrer l'ufage . Vous
aurez l'attention d'avoir toujours de la foye
gris de lin pareil à cet écheveau . Lorsque
vous ferez feule & même dans le monde
vous formerez un petit noeud comme celui-
ci toutes fois que vous fongerez à la
16 MERCURE DE FRANCE.
perfonne pour laquelle vous avez le plus
d'amitié. Vous ferez bien-aiſe à fon retour
de lui prouver par la quantité de noeuds
que vous aurez faits , combien vous y avez
penſé , vous m'avouerez que c'eft un amufement
bien innocent.
Zirzis prit la navette , eſſaya de s'en
fervir , & réuffit très - bien.
A préfent , dit le Marchand , il eft juſte
que je donne auffi les étrennes à ce joli
Prince. Daignez accepter cette plume avec
ces petites tablettes ; vous avez fans doute,
auffi bien que la Princeffe , de l'amitié pour
quelqu'un ; quand vous ferez abſent , vous
écrirez toutes les remarques que cette
bonne amitié là vous aura fait faire. Adieu ,
leur dit- il , dans un an je vous donne rendez
vous à pareil jour dans la ville de Tunquin.
A peine fut-il parti que Myrza alla à la
chaffe , & Zirzis refta feule ; elle voulut
prendre l'air dans fes jardins , elle entendit
un roffignol , elle s'arrêta , tomba dans
la rêverie , & fit des noeuds. Elle pourſuivit
fa promenade , elle apperçut deux papillons
qui fe tournoient , fe careffoient , &
fe joignoient : ce fpectacle l'amufa , elle fit
des noeuds. A quelques pas delà , elle découvrit
deux tourterelles dont les deux
becs fe touchoient , cette rencontre l'occupa
, elle fit des noeuds.
JANVIER. 1756. 17
En revenant , elle remarqua des fleurs
doucement agitées par les careffes de Zéphir
, elle fit des noeuds . Elle rentra pour
ordonner le fouper. A chaque plat qu'elle
commandoit , elle ne manquoit pas de
dire , il me femble que le Prince aime ce
ragoût- là; (ce que c'eft que l'amitié) elle fit
encore des noeuds. Myrza trouva la navette
faite. Elle le queſtionna fur fa chaffe ; elle
étoit moins bonne que de coutume , il
avoit perdu prefque tout fon tems à écrire
fur fes tablettes : c'étoit des obfervations
qu'il avoit miles en vers . Cela m'empêchera
de les rapporter. Ce n'eft pas que je
n'aye beaucoup de refpect pour des vers de
Prince , mais je craindrois que cela ne fît
longueur.
Ils pafferent leur foirée à dire du mal de
l'amour ; ils convinrent que pour avoir ce
plaifir- là , il feroit permis de le nommer.
L'amour rioit de leurs injures. Tout ce
que demande ce Dieu , c'eft qu'on parle de
lui. Zirzis employoit fes journées à faire
des noeuds ; & Myrza à écrire fur fes, tablettes.
Il étoit attentif , dès que la Princeffe
étoit éveillée , à lui apporter les fleurs
qu'elle aimoit le mieux ; elle avoit la même
attention à les placer près de fon coeur ;
elle en mêloit auffi dans fa coëffure ; des
fleurs qu'on tient d'une main chere vaTS
MERCURE DE FRANCE.
lent bien mieux que des diamans. Venoitdes
vifites du voifinage , Zirzis quoique
polie , paroiffoit ennuyée , & cet ennui
trop marqué les abrégeoit toujours ; Zirzis
ne fe plaifoit qu'avec Myrza ; ils étoient
trop heureux lorfqu'ils fe trouvoient feuls
pour déclamer contre les amans.
Tandis qu'ils paffoient leur vie dans
cette indifférence ; le jeune Marchand vint
les chercher pour les mener à Tunquin ;
Pourquoi fortir d'ici , dit Zirzis ? nous y
fommes fi bien ; cependant , répartit le jeune
Marchand , la faifon eft bien avancée. Les
foirées font fi longues. Ah ! répondit Zirzis
, c'eft le plus beau tems de l'année ,
Myrza n'eft pas fi longtems à la chaffe.
il
Ce fentiment d'amitié , reprit le jeune
Marchand , m'affure que vous avez fait une
grande quantité de noeuds . Je n'ai pas ceffé
un inftant , répondit- elle ingénuement. Et
les tablettes de Myrza ? Il n'y a plus de
blanc du tout , reprit il , tenez , examinez.
Le Marchand les prit & les parcourut ,
ya , dit- il , dans ces vers -là plus de fentiment
que de poélie , mais n'importe , j'approuve
qu'un Prince faffe des vers médiocres
pour fe mettre en état de connoître les
bons & de protéger ceux qui les font. Je
voudrois à préfent , pourfuivit- il , voir
tous les noeuds qu'a fait Zirzis. On les
JANVIER. 1756. 12
apporta , ils ne pouvoient pas tenir dans la
falle. Allons dans le jardin , dit le jeune
homme ; nous ne manquerons point d'ef
pace . L'étalage de ce travail pourra faire
un fpectacle affez intéreffant. On fe tranfporta
dans le bofquet le plus vafte ; le
Marchand mit la main fur les noeuds . Je
vais , dit-il , vous montrer à quoi cela
fert. Dans l'inftant l'air qui étoit froid ,
s'adoucit ; une chaleur tempérée parut fortir
de la terre , les oifeaux fe crurent au
printemps , & fe firent l'amour , les arbres
mêmes furent émaillés de fleurs , & leurs
rameaux fe rapprocherent.
Que veulent dire ces prodiges , s'écrierent
Zirzis & Myrza Ils fignifient , répondit
le jeune homme , qu'il n'y a aucun
jour d'hyver pour les gens qui s'aiment de
bonne foi.
Zirzis & Myrza fe regarderent , mais
leur furprife augmenta bien davantage
lorfqu'ils virent tous les nauds fe devider ,
s'étendre , & former un rezeau qui les
enveloppa tous deux.
Le jeune Marchand parut à leurs yeux
avec un flambeau , un carquois , mais point
d'aîles. La piété , le refpect & le zèle de
Beaucis & de Philémon firent moins d'impreffion
fur leur coeur , lorfqu'ils s'apperçurent
que leur hôte étoit un dieu. Qui
20 MERCURE DE FRANCE.
êtes-vous donc , dit Zirzis en tremblant ?
l'Amitié , répondit l'Amour. L'Amitié
reprit Zirzis ! Oui , repartit ce dieu ; voilà
à peu près comme elle eft faite lorfqu'elle
regne entre homme & femme. Vous êtes
certains d'être amis ; voilà comme on
fe rend dignes d'être amans. A préfent
devenez époux , augmentez votre bonheur
en affermiffant de plus en plus cette
gaze qui vous environne , il ne faut qu'un
rien pour la déchirer , je ne vous quitterai
pas , & je choifis vos deux coeurs pour
azyle.
Zirzis & Myrza s'unirent , & par amitié ,
pafferent la nuit enſemble ; ils furent heureux
pendant toute leur vie ; le tableau d'une
fi belle union bleffa la vue du plus grand
nombre. La navette de bois parut plate &
ignoble aux yeux de la fotte vanité qui en
fabriqua d'or. La mode les adopta & leur
donna la vogue. Depuis ce tems , elles ont
pris le deffus , la navette de myrthe n'ofe
plus former des noeuds qu'en cachette pour
unir deux coeurs vrais entre mille. C'eſt
la navette de l'amour ou du fentiment qui
fe fixe au bonheur particulier. La navette
d'or tourne feule en public pout lier tout
le monde & n'attacher perfonne ; c'eft la
navette du ridicule qui circule fans ceffe
pour l'amufement général .
JANVIE R. 1756. 21
VERS
Pour accompagner un Manchon donné à
Mile ****.
IL faut aller fuivant chaque ſaiſon ,
En été l'éventail , en hyver le manchon ;
Trifte néceffité qu'impofe la froidure !
Que j'ai regret à pareil don !
Ah ! revenez bientôt agréable verdure !
De cette épaifle & maudite fourrure
Yous tirerez deux bras faits pour tout enchaîner .
Votre regne eft celui des Graces.
Je les verrai légerement orner
Thémire , dont fans ceffe elles fuivent les traces ;
Les longues coëffes tomberont ;
Cil féduifant de donner dans la vue ;
Les Zéphirs attirés fur tout voltigeront ,
Les badins fe demanderont
Depuis quand done Flore eft- elle vétue ?
Et de toute leur force à l'envi fouffleront ;
Les manches fe releveront ,
Et l'une & l'autre main paroîtra prefque nue,
Ma bouche à ce charmant aspect
Dérobera maints baifers de tendreffe ,
Qu'elle fera paffer pour baiſers de reſpect ,
Si d'elle-méme alors elle eft affez maîtreffe
Je vivrai moins en fûreté ,
22 MERCURE DE FRANCE.
Peut-être l'inftrument qui rafraîchit ma belle
Me punira d'être trop enchanté.
On ne fçait ce qu'on fait dans un excès de zele :
Mais fouffrirai - je autant que de refter trois mois
Sans lui voir feulement le petit bout des doigts ?
J.F.G. ***
De Chartrait , près Melun.
Députation de Voeux à Mile V *** › pour
le premier jour de l'An 1756.
C'Eft au temple de l'innocence ,
Séjour des plus beaux fentimens ,
Qu'il faut , mes voeux , par préférence
Fixer aujourd'hui votre encens.
Approchez du trône des fens ,
Ou fiége , l'aimable Déeffe ,
Careflez fes charmes naiffans ,
Mais fur l'aîle de la fageffe.
Dignes enfans de ma tendreffe ,
Offrez-lui mes premiers foupirs ,
Qu'enfanta la délicateffe
Au fein des plus chaftes défirs,
Dites-lui que tous mes plaifirs
▲ ce commencement d'année ,
>
JANVIER. 1756 . 23
Sont de confacrer mes loisirs
Afon heureuſe deſtinée .
Qu'à fon char mon ame enchaînée
Ne brula des plus nobles feux ,
Qu'autant qu'elle fut couronnée
Par l'eſpoir ... mais filence ... Allez , partez mes
youx.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE,
Sur une nouvelle traduction de Lucrece.
Monfieur, étant fur le point de donner
au Public , une traduction en profe de
Lucrece ; je vous ferois fort obligé , fi
vous vouliez mettre dans votte Mercure
quelques réflexions , que je veux lui communiquer
fur le plan de cet ouvrage ;
perfuadé qu'on ne peut trop le confulter
avant de fe faire imprimer.
Je n'ignore pas l'impuiffance où fe
trouve toutTraducteur , de faire paffer dans
la profe françoiſe , les beautés poétiques
d'un Auteur latin . Auffi n'eft- ce pas là
mon but ? Ce n'eft point Lucrece comme
Poëte ,, que je veux faireconnoître à ceux
qui n'entendent pas affez fa langue pour
24 MERCURE DE FRANCE.
le lire dans l'original , mais comme Philofophe
, en faisant connoître l'efprit qui
l'animoit , & dans quel fens l'on doit
expliquer fes penſées.
Ce grand peintre de la nature ne patoîtra
plus que dans de foibles eftampes ;
mais mon burin tâchera de vous exprimer
correctement les contours de ces tableaux
fi naturels , que le pinceau latin a
enrichi des plus vives couleurs.
J'ajouterai à ma traduction des notes
d'une efpéce finguliere ; elles ferviront indifféremment
à relever les erreurs de l'Auteur,
& à en faire voir les beautés , furtout
elle découvriront ces premieres fources
d'un très- grand nombre de penſées philofophiques
, fouvent copiées & même défigurées
par nos Auteurs modernes , qui fe
flattent auprès du Public du mérite de l'invention
.
Il y a peut- être moins de penfées primitives
, & pour ainfi dire génératrices ,
que l'on ne penfe communément. Qu'on
fe donne la peine d'examiner , l'on trouvera
qu'une réflexion d'une certaine efpéce
fuffit pour donner naiffance à un volume
, dont les penſées priſes en détail ſe
trouveront renfermées dans cette même
réflexion. Ceci bien entendu , nous n'aurons
pas de peine à trouver dans Lucrece ,
les
JANVIER . 1756. 25
les premiers principes de la phyfique générale
ou fyftématique de nos Philofophes
modernes. Les atômes élémentaires de Def
cartes , qui en fe mouvant en tous fens ,
ont pu donner la forme à l'univers , s'y trou
vent expliqués dans un grand détail ; fa
matiere fubtile , fon fyftemefur les couleurs ,
&c. lesforces vives de Leibnitz ; le vuide de
Newton fi néceffaire pour expliquer le
mouvement , &c. en un mot le poëme de
ce grand homme eft un magaſin fort riche
, où les Phyficiens fyftématiques ont
choiſi les matériaux qui leur convenoient ,
ou du moins en ont imaginés de fi femblables
, qu'on pourroit les accufer de les y
avoir pillés.
Nous avons vu nouvellement un fyftême
d'un grand Naturalifte fur la génération
, conforme à celui de notre Poëte ;
qui eût penſé qu'après toutes les découvertes
des Anatomiftes modernes fur la
génération , on eût encore été obligé
d'en revenir au fyftême de Lucrece.
Pour la physique de détail , l'on fent
bien que malgré tout fon genie , il doit
y jouer un petit rôle vis- à- vis les Modernes
qui ont trouvé le moyen de perfectionner
leurs fens & d'en reculer les
limites , par un fi grand nombre de machines
ingénieufes . C'eft principalement
I. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
ici où l'on doit avoir égard au temps
ou vivoit notre Philofophe Romain , &
furtout à l'état ou étoit alors la phyſique ;
Newton lui- même ou Leibnitz , n'euffent
peut-être pas été plus grands Phyficiens
que lui , s'ils euffent été fes contemporains.
Les grands hommes font égaux dans
le fonds : les temps où ils vivent & les
circonftances font leurs deftinées .
:
La morale de notre Auteur est vraiment
philofophique il y prêche la médiocrité
, & le renoncement aux prétendues
grandeurs de la maniere la plus perſuafive
, mais ce feroit lui faire tort que
d'en détacher ici quelques penfées ; parce
que ce ne feroit pas le tout-enfemble.
C'eft furtout par rapport à la religion ,
que Lucrece s'eft fait une fi grande réputation
dans le monde fçavant . Nous ne
diffimulerons point qu'il n'étoit d'aucune ;
il s'en étoit fait une d'après nature.
Il n'étoit guere poffible qu'il eût cru de
bonne-foi les abfurdités de la religion
payenne ; d'ailleurs étant venu au monde
avant J. C. il ne pouvoit pas être éclairé de
la lumiere du chriftianifme. Que pouvoitil
donc faire de mieux que de détromper
les hommes ?
Il refpecte cependant en partie les erreurs
établies. Mais en admettant les faux
JANVIER. 1756. 27
dieux , il leur ôte le gouvernement de l'univers,
& leur accorde feulement une tranquille
inaction . Sans cette précaution fon
fyftême eût été renverfé.
Les enfers des Romains , où des ombres
impalpables étoient tourmentées à la maniere
des corps vivans , n'étoient pas de
nature à épouvanter notre Poëte , auffi
prétend-t'il délivrer l'imagination de fes
contemporains de ces erreurs qu'il regarde
comme les plus grandes maladies de l'efprit
humain. Mais loin de nous confoler,il nous
effrayeroit bien davantage s'il eût pu réaffir
à nous prouver que l'ame meurt avec le
corps. Il est vrai que de fon temps l'on
croyoit l'ame matérielle , & il ne pouvoit
guere , en fuivant fes principes , lui donner
d'autre immortalité qu'au refte de la
mariere , laquelle confifte dans la qualité
inaltérable de fes premiers élémens . J'examinerai
dans mes notes la nature des fauffes
religions ; je tirerai des lignes de communication
des unes aux autres , pour les
comparer enfuite avec le fyftême de Lucrece
, d'où nous inférerons que fans les
lumieres de la révélation , nous n'aurions
rien de mieux à faire qu'à fuivre celles de
la nature.
Je tâche de conferver le précieux enchaînement
des penſées de l'Auteur ; elles
B ij
28 MERCURE DE FRANCE.
s'éclairent mutuellement : elles perdroient
beaucoup de leur lumiere en les féparant.
L'on peut voir par ce que je viens de
dire , que mon plan n'eft pas tant de traduire
Lucrece , que de faire une analyſe
exacte de fes ouvrages , qui fera voir
diftinctement tous les matériaux philofophiques
, dont il s'eft fervi pour compofer
fon poëme, & nous mettre à portée de
les reconnoître dans les édifices qu'ont
élevés fes fucceffeurs.
Si nous pouvions avoir une efpece
de dictionnaire de penfées philofophiques
dans ce goût -là , ce livre aideroit
beaucoup Meffieurs les efprits forts dans
la compofition de leurs brochures ; les
efprits foibles feroient en même- temps
mis par-là en état de découvrir ce qui eft
nouveau d'avec ce vieux poifon qui nous
a été tranfimis depuis Epicure , par la voie
de l'impreffion .
J'ai l'honneur d'être , &c.
DE
VILLENEUVE
Au Croific , ce 17 Novembre,
JANVIER. 1756. 29
ODE
An nouvel An.
TEmoin des fouhaits du vulgaire ,
Nouvel an , Dieu des complimens ,
Des préfens vains , des faux fermens ;
Viens recommencer ta carriere.
Que dis-je , hélas ! fufpens ton cours
Différe un moment de paroître ;
Vois fi ces jours qui vont renaître ,
Seront filés par les amours.
Si , fatal augure du crime ,
Et fourd à nos juftes ſoupirs ,
Tu n'amenes pas les plaifirs ,
Rentre dans le fein de l'abîme.
Mais fi plus tendre & plus flexible ,
Tu nous rends les ris & les jeux ,
Redouble ta marche infenfible ,
Cours , vole , & reviens avec eux.
Retrace-moi ces jours heureux ,
Où , près de l'objet que j'adore ,
Je ne pouvois former des voeux
Que pour ofer l'aimer encore.
Rends- moi ces trop courtes journées
Que je prenois pour des momens ;
B iij
30 MERCURE DE FRANCE .
Peins-moi ces heures fortunées
Qui couronnent les vrais amans.
Oui , fous fon adorable empire ,
Si tu peux enchaîner mes jours ,
Puiffe durer ton heureux cours
Autant que l'ardeur qui m'inſpire !
Mais hélas ! ton regne eft compté ;
Chaque jour fuit avec viteſſe :
Il n'eft qu'un tems pour la tendreffe ,
Qu'un inftant pour la volupté .
Plus heureux que toi , mon amour
N'aura de terme que ma vie ;
Et fi dans l'éternel féjour
On aime , j'aimerai Sylvie..
Hâte donc cette heure trop lente,
Où doit commencer mon bonheur:
Ma tendreffe s'impatiente-
De voir triompher mon ardeur.
Chaque jour nos coeurs enchaînés
T'offriront mille facrifices ,
L'Amour & l'Hymen couronnés
Croiront te devoir leurs délices.
A ce prix ta place eft aux cieux :
Etre heureux & fçavoir en faire ,
Doit être l'immortelle affaire
Des tendres amans & des Dieux.
L. N. Guillemard , de Rouen.
JANVIER. 1756 . 31
RÉPONSE
De M. Def... Gendarme Ecoffois ,
A M. Du L.....
Tume reproches la pareſſe ,
Dans laquelle coulent mes jours.
Plaisirs trop vifs , fombre trifteffe ,
Au moins n'en trouble point le cours,
Je ferois en fufpens peut- être ,
S'il me falloit choisir des deux.
Sort trop à plaindre , ou trop heureux ,
Nous empêche de nous connoître.
Ainfi que les infortunés
Qui gémiffent dans l'indigence ,
Dans les plaifirs dès leur naiffance ,
Les Grands font des aveugles nés.
11 eft beau que de la nature
On fçache admirer la grandeur ,
Quand de fon coeur d'une main fure
On peut fonder la profondeur.
Quand on peut faire dans foi-même
Regner la juftice & la paix ,
C'eft là le vrai bonheur fuprême ,
Ce font les feuls plaifirs parfairs.
Biv
32
MERCURE DE
FRANCE.
Si tu crois que c'eft ne rien faire
Que de chercher à vivre ainfi ;
Pour
l'abandonner , cher ami ,
Cette oifiveté m'eſt trop. chere.
La nature m'a fait réveur ,
Et d'une humeur
mélancholique ;
Trop franc pour être politique ,
Trop fier pour être adulateur.
Le fort me fut toujours contraire ;
De les coups j'ai fçu me parer :
La fortune toujours légere ,
Je l'éprouve fans murmurer.
J'ai paffé de la folitude
Jufques dans les bras du plaifir .
Des hommes j'ai fait mon étude ,
Je les plains tous fans les hair.
Pour moi le jeu n'a point d'amorce ;
Je trouve Bacchus fans attraits.
De l'amour jufqu'ici les traits
Sur mon coeur n'ont point eu de force;
J'aime tous ces objets divers .
Sortis du fein de la nature ;
Ces bois , cette eau , cette verdure :
J'aime la musique & les vers .
Encor tel plaifir que me donne
L'objet dont je fuis affecté ,
JANVIE R. 1756. 33
La réflexion l'empoifonne ,
Et j'en vois la futilité.
De mon bizare caractere ,
Voilà donc , puifque tu le veux ,
Le portrait fidele & fincere :
Apprend- moi fi je fuis heureux ?
Inpromptu de M. du L .. ;
La réflexion te tourmente ;
Il vaudroit mieux de ton printems
Mettre à profit tous les inftans :
L'avenir pour toi m'épouvante .
Un Philofophe de vingt ans
Eft un milantrope à quarante.
A Corbie , ce 17 Novembre 1755:
LETTRE
D'une jeune Dame Hollandoife , à l'Auteur
de la Toilette des Dames ; ouvrage periodique
qui paroît toutes les femaines à la
Haye.
LE titre de votre nouvel ouvrage , me
donne droit fur tout ce qui le compofe.
Je vois avec plaifir que la ſcience ne
vous a point gâté comme tant d'autres ,
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
puifque vous ne dédaignez pas de contribuer
à nos délaffemens . Vous avez donc
déja fait un pas vers notre eftime , il ne
tient qu'à vous de prétendre à notre reconnoiffance.
Nous ne doutons point de la fécondité
de votre imagination , & je fuis
perfuadée en mon particulier , que dans
votre efprit , vous trouverez des reffources
fuffifantes pour nous plaire. Mais ,
Monfieur , voudriez- vous nous infpirer
ce goût de frivolité fi juftement reproché
aux Françoifes ? fi c'étoit votre intention
, je crierois à l'allarme : je prémunirois
toutes mes compagnes contre le féducteur.
Je fuis dangereufe ; & avant peu ,
vous feriez perdu de réputation. Choififfez
donc , ou de la guerre , ou de la paix.
Nous défirons vivre avec vous en bonne
intelligence , mais c'eſt à des conditions ;
je fuis chargée de vous les annoncer ;
c'eft à vous d'en figner les articles.
1º . Vous ne nous entretiendrez point
dans nos foibleffes .
2°. Vous ne les expoferez pas trop fré
quemment à la malignité de nos complices
, c'est- à-dire , que les hiftoriettes & les
romans feront la plus courte partie de votre
ouvrage.
3 °. Nous attendons de vous le même
fervice , qu'autrefois le Spectateur Anglois
-JANVIER. 1756. 35
rendoit à fa patrie . Vous nous indiquerez
avec exactitude tous les bons livres nouveaux
, capables de former les moeurs ,
d'orner l'efprit, de nourrir le coeur , & d'élever
l'ame , la plus noble partie de nous
même , dont les hommes , par une rivalité
mal entendue , ont négligé jufqu'à préſent
la perfection.
4º . Vous nous amuſerez , enfin , par la
critique que vous ferez de tous les Auteurs
qui mériteront votre cenfure , & fur cet
article , nous nous engageons toutes folemnellement
, à vous prêter main-forte ,
dans nos converfations fcientifiques.
5º . Enfin fi vous jugez à propos de foutenir
notre curiofité par quelqu'autre aliment
, nous apprendrons fans regret , les
anecdotes intéreffantes qui fe débitent
dans la capitale du monde lettré.
Ces propofitions font raifonnables
nous espérons que vous y accéderez . C'eſt
dans cette idée flatteufe que je fuis.
Monfieur ,
A la Haye.
Votre admiratrice ***
P. S. Avant de vous envoyer cette lettre
, j'en ai fait la lecture à M. Guiard ,
qui m'a affuré que vous aviez trop de
mérite pour n'en pas profiter
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
VERS
A Madame la Baronne de Poncardin .
D'une voix flexible & légere ,
Venus t'entendoit l'autre jour
Dans une chanfon téméraire ,
Te déclarer contre l'amour.
Ciel ! c'en eft donc fait de Cithere ;
S'écria la Déeffe en pleurs ,
Si Poncardin nous fait la guerre ,
Trouverons-nous des défenfeurs ?
Le Marie.
VERS DU MÊME AUTEUR ,
A Mlle ....en lui envoyant un ruban dans
une bourſe.
Dans cette bourfe que veut dire
Ce ruban mis en guiſe d'or ?
Le voici , charmante Thémire.
Le lien qui m'attache à votre doux empire
Eft ma richeffe & mon tréfor.
JANVIER. 1756. 37
1
BOUQUET.
CE Bouquet eft pour une abſente .
Elle eft jeune , elle est belle , & l'amour dans fes
yeux ,
A mis le trait dont il enchante
Le coeur qui craint le plus de brûler de fes feux.
Cette Enigme n'eft pas énigme embarraſſante ,
Et fans être devin , ni chercher dans les cieux ,
Chacun dira , c'eſt pour notre ( 1 ) Intendante;
ENVO I.
Je voudrois... quoi ? je voudrois être E
Onì ce Bouquet va ſe placer.
Sans ceffe , fous vos yeux , j'apprendrois à penfer;
Je jouirois des biens dont je deviendrois maître.
On ne s'y fane point ; je fçaurois m'y fixer .
Eft-ce donc- là tout l'avantage
Qui flatteroit & mes yeux & mon goût >*
Non , je voudrois encore davantage :
Je fero's près du coeur , & le coeur mene à tout.
(1 ) Madame de Caumartin , Intendante de Metz.
M. Vallier eft auteur de ce joli Bouquet , ainſi que
des Versfuivans , qui font de fon état , & qui font
fon éloge , puifqu'ils peignent ſes ſentimens.
38 MERCURE DE FRANCE.
VERS
Sur les dangers de la guerre qu'il faut
affronter par devoir.
Nous voyons le couvreur gravir les plus hauts
Poits ;
Le Carreyeur au fond d'une carriere ,
S'enterre tout vivant au centre de la terre.
Ce font- là leurs dangers ; les braver , leurs exploits.
Mais le guerrier pour fervir fa patrie ,
Doit chercher un trépas certain ;
Et pour un feul inftant conferver un terrein ,
Au fond duquel il fçait qu'une mine enfouie
Doit décider de fon deftin .
Cet inftant à fon roi peut fauver la couronne.
Qu'après , la terre s'ouvre & vomiffe fes feux ,
C'eft Samfon qui du Temple ébranle la colonne ,
Et dont la mort encor rend le nom plus fameux.
C'est un héros qui périt fur fon trône ,
Et fon corps & fon nom font portés juſqu'aux
cieux.
JANVIER. 1756. 32
Lettre à l'Auteur du Mercure.
MONSIEUR , je voudrois faire parvenir
la lettre que vous trouverez dans
celle - ci à M. Rouffeau de Genève . Comme
j'ignore fon adreffe , je vous prie de la
joindre au Mercure.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Lettre à M. J. J. Rouffeau de Genève .
Monfieur , votre réponſe à M. de Voltaire
vous procure cette lettre : Vous ferez
étonné d'y voir un inconnu vous parler
avec autant de franchiſe ; mais comme je
m'adreffe à un ami de la vérité , je ne
crains point de la lui montrer toute nue.
Vous remarquez dans une de vos notes
que vous avez appris à ne point juger de
l'homme par les écrits , c'eſt à votre exem
ple que j'agis ; & pour fçavoir fi l'efprit
philofophique qui éclate dans vos ouvrages
regnoit dans votre ame , j'ai examiné
les motifs qui vous ont fait écrire. Eftce
pour rendre les hommes meilleurs? Vous
convenez vous-même , avec M. deVoltaire,
que la réforme eft impoffible. Eft- ce pour
les rendre plus heureux que vous leur étalez
un nouveau tableau de leur mifere ?
40 MERCURE DE FRANCE.
d'autant plus mortifiant qu'il eft peint par
main de maître ? Je n'apperçois dans votre
démarche que des motifs tout Contraires
. Puifque la fociété ne peut changer de
face , les arts lui font néceffaires , & l'inégalité
des conditions inévitable. Pourquoi
donc en troubler l'ordre , en portant
dans fes membres le découragement &
l'efprit d'indépendance ? Puifque l'homme.
ne peut revenir à fa condition primitive
( felon vous , plus heureuſe ) , pourquoi
augmenter le nombre de ſes maux connus
par ceux qu'il ignoroit ? Vous avez donc
rendu les hommes moins heureux fans les
rendre meilleurs.
Un homme tel que vous , quand il écrit
pour les autres , ne doit le faire que pour
amufer , ou pour inftruire. Ainfi, fi au lieu
d'avoir perdu votre tems à faire deux difcours
( qui vous font des admirateurs fans
vous faire des partifans ) , vous euffiez fait
un Opéra , comme le devin du Village
il vous auroit une feconde fois gagné les
coeurs de tous ceux qui l'auroient connu . Si
vous aviez voulu employer plus utilement
votre éloquence , & vos recherches , vous
auriez encouragé les arts , au lieu de les
détruire.
Vous dites , Monfieur , dans votre lettre
à M. de Voltaire , que les lettres vous
JANVIER. 1756.
font gouter les douceurs de l'amitié , vous
apprennent à jouir de la vie , à mépriſer
la mort , en un mot , quelles font le bonheur
; & cependant vous voudriez qu'elles
ne fuffent cultivées que par de grands génies
& de vrais fçavans , vous bornez trop
le nombre des heureux , Monfieur. Quoi !
vous voulez priver les autres d'un avantage
dont vous jouiffez , & qui peut être.
commun ! cela eft injufte. Je conviendrai
bien avec vous qu'un particulier à qui la
nature a refufé des talens , qu'un homme
inutile à fa patrie ne doit point fe produire
au grand jour , mais je ne l'empêcherois
pas de travailler pour lui & fur lui .
Le vrai Philofophe même fe contente de
cet exercice : dédaignant une vaine réputation
, il s'occupe feulement à régler fon.
coeur & fon efprit , pour bien vivre avec
lui-même & avec fes (emblables.
Les confolations que vous donnez à l'illuftre
M. de Voltaire , font mieux connoître
votre coeur que vos difcours. Ce grand
Poëte , depuis fon aurore jufqu'à fon dédin
, a trouvé fans ceffe des Zoïles attachés
à noircir fa réputation . Ce n'eft pas
le feul trait qui le rend femblable à Homere
; mais en admirant dans fa nouvelle
Tragédie le rôle d'Idamé , les gens délicats
y remarquent auffi quelque négli
42 MERCURE DE FRANCE.
gence dans la poéfie & le langage , reproche
nouveau que M. de Voltaite , jufqu'à
ce jour , n'a point mérité.
Je finis en revenant à mes premieres
réflexions. Croyez- vous , Monfieur , avoirrendu
un grand fervice à l'humanité , en
l'éclairant fur des malheurs inévitables ,
en lui faifant fentir le défagrément de fa
condition ? Ne fçauriez- vous pas mauvais
gré à quelqu'un qui vous annonceroit un
péril , en vous ôtant les moyens de l'éviter.
Ainfi , Monfieur , laiffez aller le mon
de comme il va : il n'arrivera jamais que
ce qui eft contenu dans l'etat des chofes .
J'efpere que vous me pardonnerez ces
réflexions en faveur de leur vérité ; c'eft
une bien petite revanche que je prends au
nom de l'humanité.
J'ai l'honneur d'être , &c.
A Bordeaux , ce i5 Novembre 1755-
AVIS
A un Anonyme , par J. J. Rouffean
J'ai reçu le 26 de ce mois une lettre anonyme
datée du 28 Octobre dernier , qui ,
JANVIER. 1756. 43
mal adreffée , après avoir été à Genève ,
m'eft revenue à Paris , franche de port. A
cette lettre étoit joint un écrit pour ma
défenfe que je ne puis donner au Mercure
comme l'Auteur le défire , par des raifons
qu'il doit fentir , s'il a réellement pour moi
Feftime qu'il m'y témoigne. Il peut donc
le faire retirer de mes mains au moyen
d'un billet de la même écriture , fans quoi
fa piece reftera fupprimée.
L'Auteur ne devoit pas croire fi facilement
, que celui qu'il refute , fût citoyen
de Genève , quoiqu'il fe donne pour tel ;
car il eſt aiſé de dater de ce pays-là : mais
tel fe vante d'en être qui dit le contraire
fans y penfer. Je n'ai ni la vanité ni la confolation
de croire que tous mes concitoyens
penfent comme moi ; mais je connois la
candeur de leurs procédés ; fi quelqu'un
d'eux m'attaque , ce fera hautement & fans
fe cacher ; ils m'eftimeront affez en me
combattant ou du moins s'eftimeront affez
eux-mêmes pour me rendre la franchiſe
dont j'ufe envers tout le monde . D'ailleurs
, eux pour qui cet ouvrage eſt écrit ,
eux à qui il eft dédié , eux qui l'ont honoré
de leur approbation ne me demanderont
point à quoi il eft utile : il ne m'objecteront
point , avec beaucoup d'autres ,
que quand tout cela feroit vrai , je n'au-
1
I
H
44
MERCURE DE FRANCE.
rois pas dû le dire , comme fi le bonheur
de la fociété n'étoit fondé que fur les erreurs
des hommes . Ils y verront , j'oſe le
croire , de fortes raifons d'aimer leur Gouvernement
, des moyens de le conſerver ,
& s'ils y trouvent les maximes qui conviennent
au bon & vertueux citoyen , ils
ne mépriferont point un écrit qui refpire
partout l'humanité , la liberté , l'amour
de la patrie , & l'obéiffance aux loix .
Quant aux habitans des autres pays , s'ils
ne trouvent dans cet ouvrage rien d'utile
ni d'amufant , il feroit mieux , ce me fem .
ble , de leur demander pourquoi ils le lifent
que de leur expliquer pourquoi il eft
écrit. Qu'un bel efprit de Bordeaux m'exhorte
gravement à laiffer les difcuffions.
politiques pour faire des Opéra , attendu
que lui , bel efprit , s'amufe beaucoup plus
a la repréfentation du Devin de village
qu'à la lecture du Difcours fur l'inégalité ,
il a raiſon fans doute , s'il eft vrai qu'en
écrivant aux Citoyens de Genève je fois
obligé d'amufer les Bourgeois de Bordeaux.
Quoiqu'il en foit , en témoignant ma
reconnoiffance à mon défenfeur , je le prie
de laiffer le champ libre à mes Adverfaires
, & j'ai bien du regret moi - même au
tems que perdois autrefois à leur répondre.
Quand la recherche de la verité dégénere
JANVIER. 1756. 45
en difputes & querelles perfonnelles , elle
ne tarde pas à prendre les armes du menfonge
; craignons de l'avilir ainfi . De quelque
prix que foit la fcience , la paix de
l'ame vaut encore mieux . Je ne veux point
d'autre défenſe pour mes écrits que la raifon
& la vérité , ni pour ma perfonne que
ma conduite & mes moeurs : fi ces appuis
me manquent , rien ne me foutiendra ; s'ils
me foutiennent , qu'ai-je à craindre ?
A Paris , le 29 Novembre 1755 .
ODE
Sur la Naiffance de Monfeigneur le Comte
de Provence.
Quelle bouche d'airain , émule du tonæeṛre ,
Soudain ſe fait entendre aux mortels , comme aux
Dieux ?
Que veut- elle apprendre à la terre ?
Que veut-elle annoncer aux cieux ?
Pourquoi d'un feu léger les vives étincelles ,
Du zéphir devançant les aîles ,
S'envolent dans les airs , & tombent avec bruit ?
Pourquoi , tant de flambeaux nous offrent leur
Jumiere ?
46 MERCURE DE FRANCE.
Phébus , pourfuivant fa carriere ,
Semble porter le jour dans le fein de la nuit.
Que préfente à nos yeux cette brillante ſcene
Peut-on le méconnoître à ces tranſports nouveaux
?
Les Dieux , Protecteurs de la Seine ,
Nous ont fait préfent d'un Héros.
Quoi ! toujours des Bourbons ! Cette tige féconde
Veut-elle embraſſer tout le monde ,
Enfanter elle-feule , & donner tous les Rois ?
Ce n'étoit pas affez de regner fur la France ;
L'Ibérie eft fous fa puiffance ,
Et bientôt l'univers ira prendre les loix.
Tel qu'un chêne orgueilleux , que refpecte l'orage
,
E: qui produit toujours quelqu'utile rameau ,
Couvrant lui feul , par fon ombrage ,
Le bois qui le vit au berceau ,
Pouffe fans ceffe , étend fes profondes racines ,
Au loin , dans les forêts voisines
Il va faire fleurir de nombreux rejettons.
Tel toujours plus fécond , l'efpoir de la Couronne,
Deftiné pour remplir le trône ,
Fera partout regner un effain de Bourbons.
7
JANVIER. 47 1756.
Il naît l'aimable Comte. Auffi- tôt la natu re
Ouvrefon fein prodigue , & pare fon berceau ;
Venus lui prête fa ceinture ,
L'amour , fon arc & fon flambeau :
Les graces , que la joie accompagne fans ceffe ,
Ces amantes de la jeuneffe ,
Se hâtent de fourire à ce Prince naiffant.
Mais , quel objet me frappe , & quel bras le couronne
?
Garde tes lauriers , ô Bellonne !
Les Myrtes & les Aeurs font les jeux d'un enfant .
Vous , Minerve , accourez . Ce nouveau fils d'U
liffe
Doit fervir de modele à la postérité .
Formez fon coeur à la justice ,
Et fa voix à la vérité.
De ce bouton de lys , qu'à peine on voit éclore ,
Soyez le zéphir & l'aurore :
Qu'il exhale en tous lieux fes parfums, fon odeur;
Et que les pallions , ces trompeufes Sirenes ,
Par leurs meurtrieres haleines ,
Ne puiffent renverfer ni flétrir cette fleur-
Mais , où fuis-je à l'instant e Quelle lumiere pure ,
S'échappant tout-à-coup de la voute des cieux ,
Vient éclairer la nuit obſcure ,
48 MERCURE DE FRANCE.
Dont l'avenir couvre mes yeux ?
C'en eft fait. J'ai franchi les bornes éternelles ;
Du tems j'ai précédé les aîles ,
J'arrive , je pénétre au temple des Deftins.
Quels triomphes brillans ! quels autels je décou
vre !
Quel livre redoutable s'ouvre ,
Où font écrits les jours , & le fort des humains !
Je lis : France, écoutez. « Le Comte de Provence,
Iffu du fang Bourbon , fi fertile en grands Rois,
» Sera chéri par fa clémence ,
» Et rédouté par les Exploits .
Sage pendant la paix , Héros pendant la guerre,
» D'une main lançant le tonnerre ,
» De l'autre il répandra mille bienfaits divers .
» Il doit être l'image & l'amour de fon pere ,
» L'appui du trône de fon frere ,
Le rempart de l'Etat , l'effroi de l'Univers.
Telles font , Prince heureux , tes belles deſtinées .
Tu dois vivre longtems au gré de nos fouhaits ,
Et tu dois compter tes journées ;
Par tes exploits & tes bienfaits.
Quand aux enfans de Mars Janus , au front horrible
,
Ouvrira fon temple terrible ;
Alors
JANVIE R. 1756,
4*
Alors te fignalant par mille faits guerriers ,
L'équité conduira le char de la victoire ;
L'Amour fera près de la gloire ,
Et les lys bienfaiſans à côté des lauriers.
ParTeifferenc , de Lodeve , Garde du Roi.
REMERCIMENT du même Auteur
à M. le Duc de Bethune , après qu'il
lui eut fait l'honneur de le recevoir dans
La Compagnie des Gardes - du - Corps du
Roi.
L'efpoir dont j'ai long - tems enrichi mon idée ,
N'eft donc pas une douce erreur ?
Tu daignes couronner la noble & vive ardeur
Dont mon ame étoit poffédée .
Je fens tout ce que vaut une telle faveur.
Je fuis membre d'un Corps qui , ſoigneux de ſa
gloire ,
Veille à la fureté du plus puiffant des Rois ,
Et qui dans les combats dirigé fous tes loix
Balance le deftin , & fixe la victoire
Par les plus éclatans exploits.
Grand Bethune , pour prix de cette grace infigne ,
Un autre bruleroit un encens mérité ,
Traceroit tes vertus , ta grandeur , ta bonté ,
Et s'en croiroit peut - être digne.
1. Vol. C
So MERCURE DE FRANCE.
Pour moi j'ai moins de gloire , ou moins de va◄
nité ,
Je n'ofe peindre cette image.
Il faut trop charger ton portrait ;
Il faut représenter le héros & le fage
Le bel efprit , l'homme parfait ,
J'aime mieux dire moins , & fentir davantage.
Le fentiment du coeur eft le prix du bienfait.
LETTRE A M. DE B.
Sur le Roman Anglois intitulé : Hiftoire du
Chevalier Charles Grandifon.
Vous avez vu , Monfieur , régner ſur
notre Scene la Comédie édifiante . A peu
près dans le même tems , naquit en Angleterre
un nouveau genre de Roman vertueux.
M. Richardfon en fut le Créateur . Tout
le monde connoît Pamela & Clariffe.
Le fuccès de ces deux Romans nous en
a valu un troifieme du même Auteur.
C'est l'Histoire du Chevalier ( 1 ) Charles
Grandifon. Il en va paroître , dit- on , une
traduction . Vous ferez peut - être bien- aiſe,
Monfieur , d'en avoir , & d'en donner une
idée aufli fuccincte que l'ouvrage eft prolixe.
(1 ) Ou Sir Charles , felon la maniere Angloife .
A
JANVIER. 1756. 58
Le fujet de Pamela , eft la vertu récompenfée
dans une jeune fille fans naiſſance
& fans biens , qui époufe un Seigneur opulent.
Celui de Clariffe , la défobéiffance
punie dans une fille de condition , riche
fage , & fpirituelle , mais qui périt pour
s'être imprudemment jettée du fein d'une
famille injufte dans les bras d'un fcélérat.
Dans Grandifon enfin , on a voulu nous
étaler les caracteres de deux Amans égaux
par la naiffance , par la fortune & par
le
mérite , tous deux charmans , tous deux
accomplis , fidéles à tous les préceptes de
la Religion , & de la Morale , & dont la
Aamme vertueuſe eft enfin couronnée par
un heureux mariage.
Ce Roman eft donc comme la troisieme
& derniere ( 1 ) partie d'un Sermon en
vingt-cinq ou trente volumes , dans lequel
M. Richardfon a parcouru à fa maniere
toutes les fituations & tous les de-'
voirs de la vie.
C'eft , fi vous l'aimez mieux , une efpece
de Drame formé , au lieu de Scenes ;
d'une fuite de lettres . Les interlocuteurs ,
ou plutôt les interfcripteurs font en trèsgrand
nombre. L'Auteur en a prudemment
donné le Catalogue , avec leurs titres &
(1 ) L'Auteur a l'attention de nous en affurer
C ij
52 MERCURE DE FRANCE.
qualités à la tête du premier volume . La
Scene eft principalement en Angleterre ,
fouvent auffi en Italie , quelquefois même
ailleurs ; car notre Romancier ufe trèsamplement
du privilege de l'Epifode . Par
la même raifon , elle offre dans les perfonnages
une grande diverfité d'Etat , de Nation
& de Religion . Des Seigneurs Anglois
, des Comtes Italiens , des Evêques ,
des Moines , des Miniftres Anglicans , des
Dames , & des Chevaliers courans les
aventures , des filles enlevées ; d'autres
qui s'enfuient de chez elles , & qui paffent
les Mers pour aller trouver leurs
amans , tout cela cependant en tout bien
& en tout honneur ; ce n'eft , Monfieur
qu'une partie des différens Acteurs de ce
Roman dramatique..
ג
Les premieres lettres fervent de Prologue.
Des voifins de campagne , & des
cheres coufines de Miff Henriette Byron ,
ont pris la peine de les écrire exprès , pour
nous faire le portrait de cette héroïne .
On nous y peint fa beauté , fes graces , fon
efprit , fes talens , fes vertus ; on nous
conte fa vie , fon âge , fon bien , fes prétentions
, fes efpérances , fes conquêtes.
On nous apprend que la tête en tourne à
tous les Country Squires ( 1 ) à vingt lieues
(1) Gentilshommes Campagnards ,
JANVIER. 1756. 53
à la ronde. En un mot , la défolation eft
dans le pays à la nouvelle d'un voyage
qu'on lui fait faire inceffamment pour la
montrer à la Capitale.
C'eft à fon arrivée dans Londres que
MiffByron ouvre la Scene. Elle l'occupe
enfuite pendant plufieurs volumes ; car fes
lettres à fa coufine MiffLucie Selby, ne contiennent
pas feulement fa propre hiftoire ,
mais celle du Chevalier Grandifon , de
fon pere , de fa mere , de fes foeurs , de
fes beaufreres , de fes parens , de fes amis
morts & vivans , de fes pupilles , de fes
protégés , & de toutes leurs familles , en
ligne directe & collatérale.
Logée à Londres , chez des parens dont
la vie étoit affez retirée , la nouvelle beauté
y attire , fans le vouloir , le torrent des
vifices & la foule des foupirans. Les peres ,
les oncles , les riches vieillards en déviennent
amoureux pour le compte de leurs
fils ou de leurs héritiers. Les amans de
Province viennent défendre leurs anciens
droits : les agréables de la ville accourent
tous dans la confiance de l'enlever aux
campagnards. De ceux ci le plus obftiné
fur la défenfive , eſt un M. Granville , jeune
, aimable , riche , & donnant le ton dans
trois ou quatre Shires ( 1 ) , mais trop liber-
(1) Comtés ou petites Provinces d'Angleterre. "
Ciij
$4 MERCURE DE FRANCE.
>
tin , & furtout point affez férieux , affèz
compofé , au gré de la précieufe & dévote
Henriette. Parmi ceux - là , le plus ardent
à l'attaque eft Sir Hargrave Pollexfen
jeune auffi , plus riche encore , avec de la
figure , du maintien , des propos , des airs,
des condes en ailes de pigeon , & des épaules
élégantes , le tout à la derniere mode , &
rapporté tout fraîchement d'un voyage en
France .
Tant d'avantages réunis manquent leur
effet auprès de MillByron. Elle ne veut
de Sir Hargrave ni pour amant , ni pour
époux. La vanité du petit Maître bleffée
de ce mépris , plus encore que fa paſſion ,
lui fait prendre un parti , dont les graces
Françoifes difpenfent ordinairement ceux
qui ont le bonheur de les pofféder : c'eſt
d'enlever la Belle au fortir du bal de l'Opera.
L'Auteur ne manque point ici de
déclamer , fous le nom d'Henriette , une
pieuſe invective contre ces profanes divertiffemens
, & d'avertir qu'elle s'étoit laiffée
entraîner à celui - ci par pure complaifance
.
Des porteurs , gagnés par le raviffeur ,
la livrent entre les mains , au lieu de la
remettre chez fa parente ; on la conduit
bien loin dans une maiſon écartée où Sir
Hargrave lui propofe de l'époufer fur le
JANVIER. 1756. 55
Ez
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a
5 ,
X
n
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S
le champ , fi elle ne veut s'expofer à tous
les tranfports d'un amant furieux. Un Miniftre
paroît , & fans la confulter , com-.
mence la cérémonie. La belle prifonniere
pleure , crie, protefte , & fait tant de bruit ,
que les gens de la maifon refufent de fe
prêter à cette violence ; le raviffeur outré ,
jette la défolée Henriette dans un carroffe
à fix chevaux , y monte avec elle , la ferre
dans fes bras , & pour l'empêcher de crier,
lui met un mouchoir dans la bouche. Il
ordonne en même tems qu'on le mene
ventre àterre pour arriver avant le jour à
une maison de campagne , où il compte
bien d'apprivoifer fon inhumaine.
Quelque diligence qu'on faffe , le jour
paroît & avec lui Sir Charles Grandifon
. Il alloit à Londres , fuivi de quelques
domestiques. A la vûe de fon équipage
, Miff Byron qui depuis longtems fe
démenoit en vain dans celui de Sir Hargrave
, fait un dernier effort. Ses cris à
demi étouffés un ftore qu'elle trouve
moyen de lever , & les mouvemens violens
qu'elle laiffe entrevoir dans le carrofle
, en apprennent affez au généreux
Chevalier. Auffitôt en vrai redreffeur de
torts , il faute du fien , vole à la portiere ,
Pouvre , & pendant que fes gens tiennent
en refpect l'efcorte du raviffeur , il lui arra-
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
che fa proie , après l'avoir défarmé. Le
Héros déconfit , n'en eft pas quitte pour
la honte : il reçoit , en fe débattant , un
coup de pommeau de fa propre épée , qui
lui fait fauter deux dents de devant . Il
les avoit belles , ou du moins s'en piquoit .
Qu'on juge de fon déſeſpoir .
Cependant l'heureux Grandifon prend
dans fes bras la belle inconnue pâmée
de frayeur à la vûe du combat , la porte
dans fon carroffe , & retournant fur fes
pas , la conduit à Colnebroke . Il avoit- là une
maifon où il demeuroit avec fes deux
foeurs à qui il remet entre les mains
Miff Byron toujours évanouie . A peine
par leurs foins a - t'elle repris connoiffance
, qu'en vainqueur modefte , il s'éclipfe,
& reprend la route de Londres .
Les attentions & les careffes de Mylady
L *** & de Miff Charlotte , rendent bientôt
la vie à notre dolente Héroïne. Mais
c'eft pour lui faire fentir la plus vive inquiétude
fur tout ce que ces Dames & fon
libérateur pourront penfer de fon aventure.
Elle étoit encore en habit de mafque.
Nouveau fujet de confuſion
pour la
prude Henriette ! Elle n'a pourtant pas de
peine à faire fon apologie ; fes juges font
gagnés. Le fage Grandiſon a été frappé de
fes charmes expirans , & les deux foears
JANVIER. 1756. 57
en font déja éprifes ; car une des chofes
où l'Auteur a le mieux obfervé la vraifemblance
, c'eft que toutes les femmes
fe prennent de tendreffe pour Miff Byron ,
précisément parce qu'elle eft la plus belle.
Sir Charles a bientôt fini les affaires qui
l'appelloient à Londres. Il reparoît à tems,
& c'est pour ſe montrer encore plus à fon
avantage aux yeux de la difficile Henriette.
Les belles chofes qu'elle apprend du
Chevalier par fes foeurs & toute fa maifon
; ce qu'elle en a vu elle- même ; la reconnoiffance.....
furtout l'amour de la vertu
, tout cela commence à la décider fans
qu'elle croye l'être . C'eft un fentiment
nouveau , inconnu , qu'on prend d'abord
pour de l'eftime , & bientôt il fe trouve
qu'on préfere Sir Charles à tout ce qu'on
a jamais vu . Ce n'eft point parce qu'il a
26 ans , qu'il eft fait à peindre , qu'il a les
plus beaux yeux , les plus belles dents , les
plus beaux cheveux du monde ; on fait bien.
en paffant , toutes ces petites remarques :
mais qui eft ce qui fe foucie de ces mifereslà
? C'est parce qu'on croit voir en lui le
plus honnête homme , le plus modeſte ,
plus vertueux de toute la Grande - Bretagne.
le
Careffée , adorée dans cet heureux afyle ,
quoique Miff Byron ait la force d'écrire
des lettres infinies à tous les parens & amis,
C v
S MERCURE DE FRANCE.
furtout à la chere Lucie , elle n'eſt pas encore
en état de voyager. Les violences de
Sir Hargrave l'avoient mife aux abois ; il
faut du tems pour s'en remettre. D'ailleurs
on l'aime , on la chérit trop à Colnebroke :
le moyen de quitter des gens à qui elle a
tant d'obligations ? Cette Mylady L*** eſt
d'un fi excellent caractere ! Mi Charlotte
eſt fi aimable , fi enjouée , fi fpirituelle ! &
puis on eft là fi tranquille ! on y goûte fi
bien le contrafte du tourbillon de Londres !
Point d'hommes furtout , quel plaiſir !
Quelquefois feulement Sir Charles Grandifon
, mais pas fouvent , ni fort longtems.
Ce pauvre Chevalier a tant d'affaires , fa
belle ame eft fans cefle fi occupée du bonheur
d'autrui ! Il part à tous momens pour
Londres !
Dans un de ces voyages , la vertu du
Héros eſt miſe à une finguliere épreuve . Il
reçoit un cartel de Fédenté Pollexfen. L'accepter
& tuer fon homme , feroit une
chofe triviale. Le fin de l'affaire , eft de
ne point fe battre , & d'en fortir couvert
de gloire ; c'est ce que fait Sir Charles.
Quoiqu'il n'exige aucun facrifice , qu'il
nie même les prétentions & les avantages
que Sir Hargrave lui fuppofe auprès
d'Henriette , il ne peut empêcher cet honnête
rival de lui facrifier les fiennes . En un
JANVIER. 1756. 59
mot , ils dînent enfemble , & fe quittent
les meilleurs amis du monde.
par
Vous jugez bien , Monfieur , que ce
n'eft pas l'affaire d'un moment , la feule
relation de cet exploit pacifique , tient au
moins un demi - volume. L'aventure n'eft
mife à fin qu'après un long enchaînement
de rendez-vous , de vifites & de conférences
où la doctrine des injures , des duels ,
& du point d'honneur , eft difcutée à fonds
les interlocuteurs. Ils étoient quatre ,
les deux parties & deux feconds de Sir
Hargrave. Pour nous conferver en entier
ce Traité de morale , un témoin obligeant
écrit tous ces dialogues dans la même forme
que des Scenes de Comedie. Il les envoye
àMiffByron qui recopie le tout pour
la chere coufine , & grace à fon admiration
pour les fentences dorées du fage Grandifon
, on n'en perd pas une fyllabe.
Ce n'eft pas ici feulement que M. Richardfon
a employé cette forme de diałogue.
Elle fe retrouve généralement dans
tout fon ouvrage . Rien n'étoit pour lui
plus commode , même plus néceffaire. Ses
converfations ne finiffent point , & s'il
avoit fallu les renouer fans ceffe avec des
dit-il , répondit-elle , répliqua- t'il , repritelle
, interrompit- il , ce fréquent retour de
trois ou quatre mots auroit achevé de le
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
> 2
rendre infoutenable au Lecteur le plus intrépide.
Franchement vous devriez
Monfieur , propofer fon exemple à quelques-
uns de nos Romanciers célebres . Avec
beaucoup plus de fineffe , de légereté , de
faillie , dans leurs entretiens , ils y montrent
le même goût pour la prolixité. La
morale de l'écrivain Anglois fe noye dans
un long verbiage. L'efprit des nôtres , eft.
délayé dans un long perfiflage . Qu'à fon
imitation , ils s'épargnent du moins l'embarras
monotone de ces liaifons parafites.
Ils en feront plus libres , & le Lecteur plus
à fon aife. Mais retournons à Colnebroke,
où j'ai laiffé notre Héroïne .
Jufqu'ici tout fembloit aller le mieux du
monde pour fa naiffante flamme . Des nou,
velles d'Italie arrivent fort mal à propos
au Chevalier Grandifon . Il n'en dit point
le contenu , mais il en paroît fi touché.
Il annonce fi fubirement un prochain départ
pour ce pays- là , que la fiere Henriette
commençe à connoître l'amour par
un accès de jalousie. En vain elle cherche
à fe déguifer tout ce qu'elle éprouve , fa
curiofité redouble fur la vie paffée de Sir
Charles , & elle apprend trop tôt qu'il
avoit eu en Italie une affaire de coeur, dont
il n'étoit point dégagé.
*
Quoique notre Héros n'eût pu cacher à
JANVIER. 1756. GL
cette Belle un eftime fort tendre , qu'il ne
ceffât pas même de lui marquer les foins
les plus empreffés , & les attentions les plus
délicates , il ne lui avoit point fait encore
de déclaration dans les formes ; il avoit
même paru extrêment réservé dans fes expreffions
& dans fes démarches .
Jugez , Monfieur , de l'agitation que
cette découverte doit caufer chez une
beauté accoutumée à des triomphes certains.
Son Chevalier eft dans la regle des
procédés . Le moyen de s'en prendre à lui ?
Elle lui doit tout , il n'a aucun tort. Le
coeur d'Henriette n'eft fait ni pour l'injuftice
, ni pour l'ingratitude ! Continuer à le
voir , cela eft dangereux : nourrir , fortifier
un fentiment qu'il faut détruire ; un
amour fans efpoir , l'idée en fait frémir !
Quelle honte quelle humiliation ! Elle
en mourroit de douleur. La fituation eft
embarraffante. Quel parti prendre ? Miff
Byron s'y réfout avec beaucoup de larmes.
C'eft de retourner à Londres , & d'en repartir
auffitôt pour aller fe renfermer avec !
une grand'mere au fond d'une terre écartée
; car elle ne veut plus voir le monde :
elle en a fait en peu de tems une trop
funefte expérience ; elle y renonce fans regret
; & comment fouffrir des hommes
après le Chevalier Grandifon ?
G2 MERCURE DE FRANCE.
Ces petits combats de l'amour & de
la vertu , ou fi vous voulez de l'orgueil
bleffé , percent dans les lettres de Miff
Byron à fa chere Lucie ; celle- ci ne fe contente
pas de lui en faire une petite guerre ;
ce qui paffe la raillerie , c'eft qu'elle lit
un peu ces lettres à toute la parenté ,
de forte que l'amour de la fiere Henriette
pour le miraculeux Grandifon , devient
un fecret de famille , dont on lui fait déja
d'affez fots compliment ; car vous fçaurez ,
Monfieur , que dans cette race des Selbys ,
il y a de très-mauvais plaifans ; un certain
oncle entr'autres , qui pour égayer la matiere
, nous régale par- ci par- là de fes
facéties , elles me feroient foupçonner que
le grand art du perfifflage eft encore loin en
Angleterre du point de perfection où
nous l'avons porté en France.
De retour à Londres , la trifte Henriette
voudroit s'aller précipiter dans les bras de
cette grand'mere . Mais fait - on jamais.
ce qu'on veut d'abord elle eft chez des
parens qui en font engoués comme tout
le monde : ils ne veulent point la laiffer
aller ; Sir Charles & fes foeurs font auffi à
Londres ils faut recevoirleurs vifites &
remplir, vis-à-vis de toute cette famille , les
devoirs de la bienféance. D'ailleurs Miff
Charlotte ne veut plus quitter fa nouvelle
JANVIER. 1756 . 63
amie : elle propoſe un expedient. Le Chevalier
eft fur fon dépatt , & pendant fon
abſence , MiſsByron reviendra paffer quelque
temps à Colnebroke. Miff Grandifon eft
vive , abfolue : il faut faire ce qu'elle veut
ou fe brouiller avec elle . Il eſt donc décidé
, qu'on ne fe jette point encore toutà-
fait dans la retraite .
Cependant Sir Charles part pour l'Italie.
MiffByron reſtée vis- à- vis des deux
foeurs de fon Chevalier , leur fait conter
l'hiftoire de fes amours dans ce pays- là.
Il s'étoit un peu plus ouvert fur le motif
de fon voyage ; il en avoit même dit un
mot à notre Héroïne , mais l'amour &
l'amour jaloux veut toujours des détails ;
c'eft la punition de fa curiofité. Les foeurs
de Grandifon n'en fçavoient pas affez pour
contenter celle de notre Héroïne ; mais
ce qu'elles ignorent , le révérend M. Bartlet
le fçait heureuſement par coeur.
Ce M. Barlet eft un vieux Miniftre qui
avoit accompagné le Chevalier dans fes
voyages , qui tient regiftre de fes vertus ,
de fes exploits , qui , à l'imitation du fidele
Feraulas ( 1 ), fçait le compte jufte des foupirs
de fon patron , & qui plus eft , de
ceux qu'on a pouffés pour lui.
(1 ) Ecuyer d'Artamene , dans le Roman de
Cyrus.
64 MERCURE DE FRANCE.
C'est ici , Monfieur , que commence le
prodigieux épiſode de la Signora Clementina.
Pour tâcher de le rendre auffi court
qu'il eft long , vous fçaurez que Sir Charles
étant en Italie , avoit fauvé par ſa valeur
des mains des affaffins , un Comte
Jeronimo della porreta , frere de cette Demoifelle
; que fa famille , une des plus
confidérables de Bologne , en avoit témoigné
fa reconnoiffance à notre voyageur
par toutes les marques d'attention &
d'amitié imaginables ; que devenu intime
& familier dans la maifon , on l'avoit
prié de donner quelques leçons d'Anglois
à la jeune Clementina ; qu'il s'en étoit fait
un amuſement , & cette pauvre enfant
une affaire trop férieufe ; qu'elle avoit
caché fa paffion jufqu'au départ de fon
aimable maître , & reçu même fes adieux
avec fermeté mais qu'après ce dernier
effort , elle avoit fuccombé à la violence
de fa douleur ; qu'elle étoit tombée
dans une alternative continuelle d'évanouiffemens
& de tranfports terribles , en
un mot devenue folle , & folle d'amour.
Que le mal étant connu ' , on avoit couru
au remede, en rappellant bien vîte le Chevalier
Grandifon ; que fa feule préfence
avoit fait difparoître tous les accidens ,
& qu'afin de guerir radicalement la jolie
JANVIER. 1756. 65
malade , on la lui avoit offerte en mariage
; que la Demoiſelle étant jeune ,
belle , riche , de qualité , vertueuſe , pleine
d'efprit , parfaitement bien élévée ,
ayant même infpiré au Chevalier des
fentimens que la différence de nation ,
de religion , & quelques autres motifs iui
avoient fait étouffer par prudence ; enfin
fon malheur même la rendant plus chere
à un coeur fenfible & généreux , il avoit
accepté cette offre avec joie ; mais qu'un
Pere Marefcotti , le Confeffeur & l'oracle
de la famille , avoit tout gâté en exigeant
que Sir Charles le fit catholique ; que
celui- ci piqué de la propofition , avoit
rompu là- deffus , laiffant à regret la pauvre
Clementina retombée dans fes accidens
à la nouvelle de cette rupture ; qu'il
avoit cependant promis de revenir , & de
renouer dès qu'on renonçeroit à cette prétention
; que depuis le retour du Chevalier
en Angleterre , l'état de Clementina
n'avoit fait qu'empirer , qu'il y alloit même
de fa vie , qu'en dernier lieu la famille
avoit écrit au Chevalier , pour le
fupplier d'accourir au fecours de cette infortunée
, & que c'étoit l'objet de fon
voyage en Italie.
Sir Charles arrivé à Bologne , y trouve
un rival fur les rangs ; c'eft le Comte de
66 MERCURE DE FRANCE.
Belvedere , grand Seigneur du pays , que la
paffion & la folie de Clementina , n'empêchent
point de la demander en mariage ;
mais l'obſtacle toujours le plus infurmontable
, c'eft le Confeffeur , qui a rempli
l'efprit de fa pénitente de fcrupules & de
terreur , au point qu'avec tout fon amour
elle préfere un cloître , à un époux proteftant.
Vous concevez dès -lors combien ce
voyage étoit inutile . Auffi ne fert - il qu'à
l'Auteur qui ne veut point finir , & qui
promene le Heros d'aventures en aventures
dans toute l'Italie , pour préfenter fous
plus de faces différentes , fon héroïſme
de courage , de morale & de religion.
Cela ne jette pourtant pas beaucoup
de variété dans fes peintures : le coloris
en eft triste , monotone , les attitudes forcées
, les figures mal grouppées & fans ordonnance.
La Signora Olivia , autre fille
de condition , riche héritiere de Florence ,
maîtreffe de fon bien & un peu trop de
fa perfonne , prefqu'auffi jeune & aufli
belle , pas tout-à- fait fi fage que Clementina
, mais auffi pas fi folle , fe contente
de courir les champs après notre Cheva .
lier , & de le fuivre jufqu'en Angleterre.
Il paroît que l'Auteur a voulu faire contrafter
ces deux caracteres de femme.
QNNB
JANVIER. 1756. 67
Cette oppofition , s'il y en a , ne fait
aucun effet. Olivia eft un perfonnage qui
ne produit rien , qui n'empêche rien , qui
ne mene à rien , qui ne fait qu'entrer par
une couliffe & fortir par l'autre , comme
prefque tous ceux que M. Richardfon
préfente fur la fcene. Il n'en réfulte
qu'une tentation de plus , à laquelle il
expofe fans néceffité la vertu de fon Chevalier
, pour l'en faire triompher fans mérite.
De retour en Angleterre , Sir Charles
retrouve Henriette un peu raffurée fur le
compte de la Signora Clementina : elle avoit
fçu de temps en temps , une partie de ce
qui fe paffoit en Italie : elle l'écrivoit à
mefure, à Miff Lucie Selby. Son Chevalier
lui raconte le refte , & cela fait une
feconde édition déja fort augmentée ; mais
ce n'eft pas encore affez : pendant fon
voyage , il avoit écrit fort régulierement ,
& de très -longues lettres à fon Mentor
Barlet . Pour fatisfaire pleinement l'ardente
curiofité de Miff Byron , ce Miniftre
les lui confie : elles les envoie ,
pour les lire à fa chere correfpondante ;
on ne manque point de nous en faire
part. C'est la troiſième édition , & aſſurément
la plus complete. Ah , Monfieur !
quelle mémoire que celle de notre Hé68
MERCURE DE FRANCE.
ros ! il a retenu mot pour mot non - feulement
toutes fes converfations avec Clementina
, avec les parens , mais encore
tous les difcours qu'elle a tenus dans fon
délire. Tout ce qu'il n'a point entendu ,
on le lui a rapporté fi exactement , qu'on
n'en perd pas un foupir, une exclamation , &
c'eft de ce délire que M. Richardfon a trouvé
le fecret de former environ deux volumes.
Apréfent , Monfieur , vous croyez peutêtre
que l'hiftoire eft finie & qu'il n'y a plus
qu'à marier nos deux principaux perfonnages
, point du tout : Sir Charles a bien
d'autres affaires. D'abord il n'eft pas décidé
a rompre fans retour fes engagemens
avec Clementina ; fa délicateffe du moins
exige qu'il donne à cette famille quelque
temps encore pour prendre un parti .
Mill Byron elle même eft plus touchée des
malheurs de fa rivale , qu'empreffée d'en
profiter ; elle l'aime tendrement , verfe unt
torrent de larmes au recit lamentable de
fes amours infortunées , & quoiqu'il en
coûte à fon coeur , elle eftimeroit moins
fon amant , s'il étoit capable d'oublier
fitôt une fi rare maîtreffe . D'ailleurs , des
foins oeconomiques , les affaires d'une tutelle
, la mort d'un ami qui l'a nommé
exécuteur teſtamentaire , le mariage de fa
JANVIER . 1756. 69
100
foeur cadette , la converfion d'un vieux
oncle libertin dont il doit hériter , & qu'il
marie auffi exprès par cette raifon , tout
cela exige de notre Héros plufieurs courſes
en Angleterre & un voyage en France.
Henriette cependant n'eft rien moins
que tranquille. Outre la pauvre Clementina
elle a encore à redouter une foule de
rivales. Il n'y a à cet égard que trop de
conformité , entre fon étoile & celle de
fon Chevalier. Si parmi la jeuneſſe Angloife
, tout ce qu'il y a de grand , de
beau , de riche , de brillant , forme pour
MiffByron des voeux légitimes , les jeunes
Myladis , les riches héritieres , les veuves
opulentes ne peuvent entrevoir Sir Charles ,
fans pouffer pour lui de chaftes foupirs . Il
eft accablé de propofitions , il n'en accepte
aucune ; mais enfin il n'en a pas fait encore
d'affez claires à la fiere Henriette ;
elle qui en a tant rejettées , attendoit celleci
avec une fecrete impatience. Sa beauté
célebrée , ſon mérite affiché , une fortune
honnête , & des eſpérances confidérables
lui en attirent tous les jours de nouvelles
; elle refuſe tout , jufqu'à des Pairs
du Royaume. Le manteau & la couronne ,
font des trophées pour Grandifon . Il eſt
temps enfin de fe payer de part & d'autre
ces brillans facrifices.
70 MERCURE DE FRANCE.
Je ne fuivrai point l'Héroïne dans ſes
différentes courfes à Londres , à la campagne
, dans fa province . Elle écrit de partout,
& partout elle reçoit des lettres . C'eſt
un enchaînement qui a dû être pénible
pour notre Romancier . Toutes les lettres
font datées ; il a fallu faire quadrer exactement
ces dates avec les circonstances
du temps & la diftance des lieux. Vous
voyez , Monfieur , que c'eſt un chef-d'oeuvre
de chronologie.
Mais revenons à MiffByron , je la retrouve
à Selbyboufe ( 1 ) , dans le fein de fa
famille ; elle y apprend enfin des nouvelles
plus décifives : le Chevalier en avoit
reçues d'Italie , qui le difpenfoient déformais
de fonger d'avantage à Clementina .
Depuis quelque temps , lui écrivoit- on
elle paroiffoit plus tranquille , mais toujours
remplie de fes anciens fcrupules : elle
parloit fans ceffe de fe faire religieufe.
Ses parens vouloient aucontraire la marier
au Comte de Belvedere , & fe flattoient
d'y réuffir ; ils rendoient à Sir Carles
toute fa liberté.
Le premier ufage qu'il en fait , c'eſt de
demander àHenriette fa permiffion , & aux
parens leur agrément , pour fe rendre au-
(1 ) C'eft-à- dire , Maifon ou Château des Selbys
JANVIER . 1756. 71
près d'elle. Il eft reçu à bras ouverts , &
dans peu de jours la cérémonie met le
comble à leurs voeux. Dans Pamela c'eſt
un mariage prefque clandeftin ; dans Clariffe
il n'y en a point du tout. Ici l'Auteur
fe dédommage , en déployant tout fon talent
pour la defcription d'une noce ; il
n'en omet aucune circonftance poffible : il
en fuit pas à pas tous les préliminaires , &
n'oublie pas les petites façons d'une mariée
, moitié commere , moitié précieufe ;
& le plus fingulier , c'eft que c'eft ellemême
qui fe retire à tout moment pour
écrire à meſure cette importante relation
: c'eft apparemment pour donner à tous
ceux qui fe trouveront à pareille fête ,
commes acteurs ou comme fpectateurs ,
un modèle de la conduite qu'ils doivent
y tenir.
Avec un autre Auteur que M. Richardfon
, il fembleroit que tout eft dit , mais il
ne quitte pas ainfi des gens dont il eft
fi content. Il accompagne les mariés dans
la tournée de leurs terres. Il les ramene
à Londres , reçoit avec eux les vifites ,
retient copie des complimens & des converfations
, les fait differter gravement
fur divers fujets de morale , affifte auteftament
& à la mort édifiante de Sir Hargrave
, converti & exhorté par le Cheva72
MERCURE DE FRANCE.
lier Grandifon ; & enfin , ne prend congé
de la nouvelle mariée , qu'après s'être
duement affuré de fa groffeffe. Auriezvous
défiré , Monfieur , qu'il eût attendu
après les couches , pour vous en faire le
récit ? Si vous étiez curieux de ce genre
d'hiftoire , notre Romancier y a pourvu
d'avance , il avoit eu foin de marier Mil
Charlotte Grandifon , avec Mylord G***,
neuf ou dix mois avant fon frere ; elle eſt
précisément en couche dans le temps de
la cérémonie , & c'eft à elle que l'Auteur
en fait adreffer la relation ; cette maternité
lui fournit mille jolies chofes . Mylady G***
quoique très- vertueufe , étoit une éveillée
, une petite philofophe , qui traitoit
fort légérement & fon mari & le mariage.
Mais à peine elle fe voit mere , qu'elle
prend bien un autre ton , & devient tout
bourgeoiſement ce qu'on appelle une bonne
femme. Elle careffe fon mari , elle eſt
folle de fon enfant , elle remplit des lettres
entieres de fes petits jeux & de fes
gentilleffes.
Mais une apparition à laquelle on ne
s'attend point , c'eft celle de la folle &
vertueufe Clementina . Peu de temps après
ce mariage , elle fe dérobe à la vigilance
de fes parens , & arrive incognito en Angleterre
. Elle ne fçait pas trop pourquoi.
Dans
JANVIE R. 1756. 73
dans fon état cela eft fimple , mais on
ne trouve pas aufli facilement l'excufe de
l'Auteur , pour lui avoir fait faire aprèscoup
cette finguliere équipée.
Quoiqu'il en foit , le Chevalier trop fûr
du caractere de fa femme , pour lui en faire
un myftere , lie entr'elle & fa rivale une
amitié fort tendre , & quoique Clementina
ne foit rien moins que guérie de fon
mal ni de fon amour , M. Richardſon accommode
fort bien tout cela avec le fecours
de la vertu . C'eft fon remede univerfel , &
qui entre fes mains ne manque jamais fon
effer. C'eft par- là qu'il étouffe le germe
du défir dans le coeur d'une amante , &
le levain de la jaloufie dans celui d'une
époufe , & qu'il tient fon Héros renfermé
entre ces deux femmes , dans les limites
chatouilleufes de l'amour & de l'amitié.
Ces trois perfonnages ne fuffifent pas
pour remplir la fcene, au gré de notre Romancier.
Il y amene de la Romagne, aux
bords de la Tamife , la famille entiere
della Parreta, pere, mere, freres , jufqu'au
Confeffeur, & au très-humble foupirant le
Comte de Belvedere. Ils retrouvent enfin ,
la chere Clementina : ſon eſcapade eft bientôt
pardonnée ; perfonne ne s'avife de
foupçonner fa conduite , & d'ailleurs Sir
Charles en répond. Il promene dans Lon-
1. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE .
dres , & mene enfuite dans fes terres cette
ambulante famille . Mylady Grandifon leur
en fait les honneurs : tout fe paffe le mieux
du monde; & tout jufqu'auMiniftre Bartelet,
devient ami intime du Moine Marefcotti ;
après quoi toute la caravane s'en retourne
avec Clementina , à peu près comme elle
étoit yenue ; & l'hiftoire finit parce qu'il
faut que tout finiffe .
pas
Voilà , Monfieur , tout le fujet & le
principal épifode ; je vous en ai déja indiqué
quelques autres , tous fubalternes &
ifolés . Il ne tiennent à rien qu'au deſſein
de l'Auteur , qui étoit de bien charger
le caractere de fon Héros , de le barder ,
pour ainfi dire , de toutes les vertus divines
& humaines . C'eft ainfi qu'à chaque
il fait trouver fur le chemin du brave
& picux Grandifon , d'honnêtes gens à
qui il fauve la vie , des fcélerats qu'il
met en faite , des rodomonts qu'il fubjugue
, des débanchés qu'il convertit , des
malheureux qu'il foulage , des ennemis
qu'il reconcilie , des mourans qu'il exhorte
, des donations , des legs qu'il refufe
ou qu'il diftribue aux héritiers légitimes
, des familles entieres qu'il prend fous
fa protection , des jeunes filles qu'il marie
ou qu'il prend le foin défintéreffé d'élever
lui-même ; telle eft une pupille de
JANVIER . 1756. 75
quatorze ans , Miff Emilie Jervis , jolie ,
tendre , touchante & innocemment amoureufe
de fon jeune tuteur.
Tout cela fait le rempliffage de ſept
gros volumes in- 12 . en très - petit caractere ,
fur lefquels je ne prétends point prévenir
votre jugement. Quelque peu connue que
foit encore en France ce Roman de bibliothèque
, les avis y font déja partagés.
Au gré de beaucoup de Lecteurs fenfés , le
nombre & la combinaifon de tant d'exploits
vertueux & de tentations furmontées
, entaffés dans deux ou trois ans de
la vie d'un jeune homme , ne font pas plus
vraisemblables que les aventures gigantefques
des Rolands & des Mandricaris ( 1 ).
Ils trouvent dans le caractere de Grandifon
, un Amadis dévot , & dans celui
de Miff Byron , une Cléopaire de campagne.
Ils foutiennent , d'après des Anglois
du grand monde , que M. Richardfon en
a totalement ignoré le coftume , que même
il l'a mal obfervé dans des aventures
bourgeoifes & triviales. D'autres au contraire
, ne voient dans le plan & dans
l'exécution de cet ouvrage , que le bon
fens, la vertu & la faine morale, perfonnifiés
d'une maniere auffi ingénieufe qu'in-
( 1) Héros du Berni , de l'Ariofte , &c.
2
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
téreffante . Ce livre même pourroit bien
avoir parmi nous , comme tant d'autres ,
fa cabale & fes fanatiques , Paris furtout
eft plein de ces beaux efprits en fous - ordre ,
Jurés-crieurs de certaines fectes littéraires
Auteurs à peu de frais , qui fçavent mal
leur langue & point du tout les autres ,
gens qui ne lifent ni ne jugent , mais
qui proclament fierement les déciſions
de leurs coriphées . J'en ai déja vu quelqués-
uns préconifer l'hiftoire du Chevalier
Grandifon , fur la foi d'un bel efprit en
chef qui ne l'avoit pas lue.
Si vous defirez , Monfieur , de fçavoir
ce qu'on en a penfé en Angleterre, ję
m'en rapporte à l'article fuivant . Je l'ai
trouvé dans le meilleur & le plus imparrial
des Journaux de Londres ( 1 ) ,
J'ai l'honneur , &c.
HISTOIRE.
Du Chevalier Charles Grandifon .
IL feroit fuperflu de nous étendre fur
un ouvrage que tout le monde lit , dont
tout le monde parle , qu'une moitié du
monde approuve
, & que l'autre cenfure.
( 1 ) Monthly Rewiew , on Revue du mois . Jan
vier 1754
JANVIE R. 1756 . 77
Cette différence eft fort naturelle : chacun
blâme ou loue un ouvrage felon le rapport
ou l'oppofition de goût & de fentimens ,
qui fe trouve entre l'Auteur & lui . Ainfi
les efprits vifs , prompts & faillans , condamnent
la prolixité qui caracterife notre
Romancier , & crient qu'au moins par
pitié , il leur abrege fept ennuyeux volumes
; d'autres plus froids , plus tournés à
la réflexion & à l'anatomie du fentiment ,
chantent encore plus haut les louanges
de l'Auteur. Ils ne fe laffent point d'admirer
, d'exalter ces innonibrables minucies ,
cette infinité de petits détails , ces foigneufes
énumérations de legeres circonftances,
ces fleurs de defcription , ces beautés
d'attitude , ces délicateffes de fituation ,
que l'on trouve fi fréquemment dans tant
de milliers de pages très- amples.
Dans cette diverfité de jugement , peutêtre
nos Lecteurs ne s'attendent point à
nous voir garder un profond filence . Cependant
nous obferverons que notre fonction
cft plutôt de tendre compte des ouvrages
nouveaux , que d'en décider . Nous
fommes difpenfés de faire l'analyfe d'un
livre auffi répandu ; nous prétendons encore
moins en porter aucun jugement.
Mais pour ne parler que de l'impreffion
que nous a fait cette lecture , nous avoue-
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
rons qu'elle a produit alternativement &
du plaifir & du dégoût . Nous devons l'un
au bon fens de l'Auteur , à fes excellens
fentimens , fes judicieufes obfervations ,
fes réflexions morales ; l'autre à l'abfurdité
d'un plan qui fuppofe une fociété entiere
, paffant toute fa vie à écrire des
lettres & à publier des fecrets de familles
, à l'abus continuel que l'Auteur a fait
de notre patience , par l'extrême verboſité
qui régne dans tout fon ouvrage ; à la gêne
étudiée où fa méthode l'affujettit ; à la
fréquente affectation qu'on remarque
dans fon langage , & à l'inconftance de caractere
& de conduite , qui défigure quelques-
uns de fes principaux perfonnages.
CHANSON.
Pour Mile F .... fur fa nouvelle demeure
dans l'ifle S. Louis.
Air : La Mufette de Deforoffes.
Divinité ( 1 ) de l'ifle oùma Bergere
Vient de fixer fon aimable féjour ,
Sois- moi propice ; écoute ma priere :
J'adore Iris , l'ornement de ta Cour.
Que nul mortel n'aborde ton rivage's
(1) La Seine.
Conseila MP9E9 ...de la Rav ...
Impromptu Poëtique & Musical .
ParM. Roualle de Boisgelou,
Mousquetaire Voir
Air Cendre unpeu animé et louré.
NEcoutesplusla voix de la raison aus
plus tendrem !
tere, Relenés la leçon d'un sincere Berger,
Reprise
+
Quand, comme vous on sçaitplaire Il
faudroit, co+mme moi, çavoir limer
Quand, comme vous on saitplaire Il
faudroit, comme moi,sçavoir Aimer
Dans ce vers Quand, comme vous,onsçaitplair
Il faut en chantantfaire une espece de petit
vilence aprés le motQuand, pour sauver le
dureté de ce overs. Fanvier 1756
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
ARTOR, LENOX AND
EN FOUNDATION
JANVIER . 1756. 79
Que de ta nymphe on refpecte la loi :
Cache fa grotte : ouvre- m'en le paflage ,
Et le refuſe à tout autre qu'à moi .
MADRIGAL.
De M. de Relongue de la Louptiere , à une
Dame déguisée en Chevalier de Malthe.
Genéreux
Enéreux Chevalier , qui dans vos caravanes ;
N'avez jamais admis de coeurs faux & profanes ,
Vous que la nature a formé
Sur les plus aimables modeles ,
Ah ! que vous êtes bien armé
Pour combattre les infideles !
Le mot mot de l'Enigme du fecond volume
du Mercure de Décembre eft Pelotte de
Neige ; celui du Logogryphe , Peur , dans
lequel on trouve peu , rue , pur , ver , pure .
Ce même mot fe trouve en Acroftiche
dans les quatre premiers vers.
ENIGM E.
TRès-difpofée à la hauteur ,
Prefque toujours je rampe à terre.
Ce pour & contre , Ami Lecteur
N'a pourtant rien que d'ordinaire .
Div
80 MERCURE DE FRANCE
Je fçai donner l'air de grandeur
A la Bourgeoife , ainfi qu'à la Princeffe.
Sans avoir part à la faveur ,
J'éleve & foutiens la nobleffe :
Qui croiroit après cet honneur ,
Que pour avoir quelque mérite ,
Il faille me montrer petite.
LOGOGRYPHE.
JE porte main ,
Je porte nain ,
Je porte bain ,
Je porte
fain ,
Je porte coin ,
Je porte foin ,
Je porte biais ,
Je porte niais ,
Je porte bois ,
Je porte mois ,
Je porte mi ,
Je porte fi ,
Je porte mis ,
Je porte Bis ,
Je porte anis ,
Je porte amis
Je porte ſon ,
Je porte mon
>
JANVIER. 1756. 81
Je porte anon ,
Je porte non ,
Je porte mion ,
Je porte fion ,
Je porte Siam ,
Je porte jam ,
Je porte Boc ,
Je porte foc ,
Je porte Bac ,
Je porte fac,
Je porte ac ,
Je porte mac ,
Je Bas
porte
Je porte cas.
Poiffon , à Pomard , près Beaune , en Bourgogne
, le 4 Décembre 1755.
Je fuis
ENIGM E.
E fuis craint à la fois des filles , des filoux , >
Du turbulent bourgeois , des fervantes , des foux ,
On n'entre point chez moi , qu'une nombreuſe
efcorte
Au peuple curieux ne défende la porte.
Mon habit en impofe , il eſt tout mon foutien ,
Avec lui je peux tout , fans lui je ne puis rien.
Par le Roux , domestique chez M. le Duc
d'Ollonne.
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
LOGO GRYPHE
, par B. D. B. En
Sonnet , par
L'Humaine ambition me donna la naiffance;
Mes fervices d'abord étoient de peu d'effets ;
Mais ayant reconnu quelle eft ma réſiſtance ,
On m'employa depuis à de très-grands projets.
Par mon fecours les Rois confervent leur puiffance
,
On peuple quelquefois des déferts , des forêts ,
L'Artifan s'enrichit , le Militaire avance ,
Enfin je fuis utile aux Princes , aux Sujets.
Huit lettres font mon nom ; pour peu qu'on les
déplace ,
Le Lecteur trouvera de l'homme une boiffon ,
Un fer propre à tenir , & glace , & lit en place.
II peut trouver encore une graine , un poiffon ,
Un Saint du mois de Mai , du Monde une partie,
la mort détruit , un gros bourg d'Italie. Ce
que
CHANSON.
Par M, Roualle de Boifgelou , Mousquetaire
noir, à Mlle L'Ev .. de la Rav..
N'Ecoutez plus la voix de la raiſon auftere ,
Retenez la leçon d'un fincere Berger :
Quand , comme vous , on fçait plaire ,
Il faudroit , comme moi , fçavoir aimer.
JANVIE R. 1756. 83
1.
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
DISCOURS
Prononcé en présence de Sa Majesté Polonoife
, Staniflas I , dit le Bienfaifant , le
26 Novembre 1755. jour de la Dédicace
de la Place & de la Staine de Sa Majesté
Très - Chrétienne Louis XV , dit le Bien-
Aimé par le Comte de Treffan , Lieutenant-
Général des Armées du Roi , Grand
Maréchal-des Logis du Roi de Pologne ,
Commandant en Toulois , Barrois , &
Lorraine- Françoife , Membre des Académies
Royales des Sciences de Paris & de
Berlin , des Sociétés Royales de Londres ,
d'Edimbourg , de Nancy , de Montpellier ,
de l'Academie des Belles - Lettres de
Caên ,
CE.
Difcours eft trop intéreffant par la
grandeur
du fujet , & par le mérite de
l'Orateur
, pour n'en donner qu'un fimple
Extrait. Nos Lecteurs y perdroient
trop
nous n'en pourrions
rien ôter , fans en
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
retrancher des beautés. Cette raifon nous
détermine à l'inférer ici tel qu'il a été prononcé.
SIRE ,
QUE toutes les Nations applaudiffent
au grand fpectacle que VOTRE MAJESTÉ
donne à la terre ! Spectacle vraiment nouveau
pour elle ! Monument éternel de la
plus généreufe reconnoiffance & du plus
parfait amour ! Deffein fublime , qui ne
pouvoit être conçu que dans l'ame la plus
élevée , la plus tendre & la plus philofophe
!
Sur un Trône où VOTRE MAJESTÉ
nous rappelle fans ceffe la fageffe de Licurgue
& la bienfaifance de Titus , Elle
paroît vouloir fufpendre les refpects &
les voeux que nos coeurs aiment à lui offrir
; Elle ne s'occupe dans ce grand jour
que de la gloire de LOUIS ; Elle nous
anime à la célébrer ; Elle nous en donne
l'exemple ; & cette pompe folemnelle nous
retrace les triomphes de Paul Émile &
de Scipion . Mais , SIRE , les fêtes préparées
par un Peuple vainqueur des plus
grands Rois , ces fêtes furent toujours
troublées par le bruit des chaînes &
les gémiffemens des Captifs ; fouvent elles
par
JANVIER. 1756. 85
confternerent la nature & l'humanité ; fourvent
on vit le Sage frémir & leur refufer
fes regards.
Un fpectacle bien différent raffemble aujourd'hui
vos Sujets fortunés ; LOUIS
reçoit ici des hommages dignes du Pacificateur
de l'Europe : fes Trophées , les
images de tant de Provinces & de Villes
conquifes , de tant de Fortereffes détruites
, font voilés par les mains de la
paix ; tout concourt , tout contribue à la
fplendeur de cette augufte fête ; une joie
pure remplit tous les coeurs , une Cour
brillante , un Peuple heureux , le Citoyen
& l'Etranger font également éclater leur
tranſports !
Que ces voeux ardens , ces cris de joie ;
que ces expreffions naïves de l'admiration
& de l'amour , s'élèvent jufqu'au Trône
de VOTRE MAJESTÉ ! Que ce jour , à jamais
célébre dans les annales de l'Univers
, rende la gloire de LOUIS & celle
de STANISLAS inféparables ( 1 ) ! Que
gravés & réunis fur le même bronze
leurs images & leurs noms adorés paffent
enſemble à l'immortalité !
Le temps fuit , il entraîne , il renverfe
( 1 ) La Ville de Nancy a fait frapper une Médaille
, où on voit les images des deux Rois ,
avec cette Légende : Utriufque immortalitati.
36 MERCURE DE FRANCE.
dans fa courfe rapide les monumens les
mieux affermis ; il couvre de fable ces
faftueufes Pyramides qui n'ont pu tranfmettre
jufqu'à nous le nom des Souverains
qui les éleverent ; il cache fous l'herbe
ces monftrueux Coloffes que Néron
crut faite paffer à la postérité ; il efface
jufqu'aux noms , jufqu'aux traces de ces
Villes triomphales , cimentées par le fang
de tant de Peuples ; les Palais , les Temples
prophanes , élevés à leurs Fondateurs
, n'offrent plus que des débris difperfés
! Cependant , au milieu des ruines
de la capitale du Monde , malgré la
fureur des barbares & les ravages des
temps , il femble qu'une Divinité fe plaife
à foutenir de fa main les monumens confacrés
aux Bienfaiteurs de la terre ; les
Colonnes de Trajan & d'Antonin fubfiftent
encore ; on contemple avec une forte
de refpect & d'amour l'Arc- de- Triomphe
de Titus ; & la Statue de Marc- Aurelle
fera toujours le plus bel ornement du
Capitole ! ( 1 )
Quel augure plus certain & plus cher
à nos coeurs pour les monumens que
VOTRE MAJESTÉ confacre en ce jour !
(1 ) Les feuls monumens entiers de l'ancienne
Rome qui fubfiftent aujourd'hui , font ceux qui
font ici rapportés.
JANVIE R. 1756. $7
Toutes les vertus fe raffemblent pour en
affermir la bafe ; elles paroiffent élever de
leurs mains la Statue d'un Héros qu'elles
ont formé ; leur préfence nous devient fen
fible ; elles pénétrent nos ames , elles unif
fent tous nos voeux ! O jour à jamais mémorable
! jour heureux , fi digne du beau régne
de STANISLAS ! Tu refferres encore
Les noeuds facrés qui réuniffent les François
& les Lorrains ; tu rappelles fous le
même Empire une Nation que nos Rois
durent toujours regretter.
Nation illuftre & toujours paffionnée
pour vos Maîtres ! le Ciel récompenfoit
leurs vertus ; il furpaffoit vos efpérances ,
lorfqu'il écouta les voeux que vous formiez
pour leur gloire ! L'Éternel qui couronne
, éteint ou change à fon gré les
dynaſties , éleva fur le trône des Céfars
cette Maiſon fi féconde en Princes mag--
nanimes , & le meilleur des Citoyens ;
un Sage couronné , le pacificateur de fa patrie
, le bienfaiteur de la vôtre , STANİSLAS
vous fut accordé.
Non , ce n'étoit plus à la Victoire à
faire briller fur vos remparts les Lys fi
fouvent unis aux Alérions ; l'Hymen &
la Paix , les Traités les plus folemnels feréuniffent
pour vous les rendre auffi chers
qu'il font refpectés ; c'eft STANISLAS
SS MERCURE DE FRANCE.
qui les éleve aujourd'hui dans vos murs ,
c'est ce Prince vertueux , éprouvé par les
revers , toujours grand dans l'une & l'autre
fortune , cher à la Religion , ami des
Arts & de l'Humanité ; c'est le Pere de
la Lorraine qui vous appelle aux pieds da
Monarque de la France ; c'eft STANISLAS
qui vous met fous la protection de LOUIS ,
& qui lui répond de votre fidélité .
C'eft du haut de ce Trône , où nous
voyons briller fur fon front augufte la force
& la douce férénité ; c'eft de ce Trône
même qu'il vous montre le Héros qui doit
un jour vous donner des Loix . LOUIS ,
du fein de fon Empire applaudit à votre
amour pour STANISLAS : il forme les
mêmes voeux que vous , pour le long
cours d'une fi belle vie. Tous les deux
vous annoncent , tous les deux vous affurent
que les mêmes loix , les mêmes
foins paternels veilleront à jamais fur vous ,
fur vos enfans & fur vos derniers neveux .
Antique Auftrafie , appanage des fils
de nos premiers Rois , tu n'as plus à
craindre de triftes viciffitudes : la France
heureuſe & réunie fous l'Empire des Bourbons
, voit régner hors de fes plus an
ciennes limites les auguftes rejettons de
LOUIS le Grand : mais elle ne connoît
plus ces partages dangereux , qui divifant
JANVIER. 1756. 89
un Etat , en énervent quelquefois la puiffance
& menacent toujours des plus cruelles
révolutions les Provinces aliénées qui
s'en féparent.
Des frontieres encore moins redoutées
par leurs places formidables , que par le
Monarque puiffant qui fçait les faire refpeeter
, ces barrieres impénétrables affurent
ta tranquillité , ton commerce , tes Villes
& tes moiffons. Des Traités folemnels &
fcelés de l'aveu de toute l'Europe garantiffent
tes derniers engagemens ; rien ne
peut altérer les fentimens qu'ils ont fait
naître en toi la force ne peut rien aujourd'hui
contre tes fermens écrits déja
dans les Cieux ; & le bruit des armes
ne fe fera plus entendre dans ton fein.
:
Jouis de ton bonheur ! Vois le Laboureur
cultiver fans crainte tes fertiles campagnes
, les Mufes & les Arts habiter &
décorer tes Villes ( 1 ) ! Vois ces remparts
ouverts & couronnés par des Arcs- de-
Triomphe ! Vois ces baſtions s'applanir &
devenir des ornemens pour ta Capitale !
Tout refpire ici les douceurs de la paix ;
( 1 ) On a ouvert le milieu d'une Courtine
pour y placer l'Arc-de-Triomphe ; les orillons.
des Baftions ont été enlevés , & font place à deux
fontaines magnifiques ; un autre baſtion fert da
promenade publique.
go MERCURE DE FRANCE.
tout annonce aux yeux de l'Etranger ,
& la fidélité de tes Peuples & la confiance
de ton Souverain.
Contemple cette Statue du plus jufte
& du plus aimé des Rois ( 1 ) ; les Muſes ,
la Juſtice , les Arts & l'Abondance entourent
la Place où STANISLAS vient de
l'élever , c'eft dans cette Place , dans
cette vafte carriere ( 2 ) que les jours de
fête vont fe multiplier pour toi ; tu verras
tes Peuples s'y raffembler pour célébrer
les bienfaits de STANISLAS , les victoires
de LOUIS, & la naiffance de leurs
auguftes Enfans.
Au milieu de ces monumens de l'amour
de ton Roi , fous ces portiques embellis
& confacrés par les attributs de
LOUIS , tes Citoyens (3 ) viendront fe
délaffer de leurs travaux , & s'entretenir
de leur bonheur ; c'eft ici que la Nation
trouvera toujours des fecours préfens
dans les malheurs publics ; tout eft prévu
par la fagefle de STANISLAS , tout eft
(1 ) Le Palais de la Cour Souveraine , celui de
P'Hôtel de Ville , ceux de l'Académie , des Marchands
, du Concert & des Spectacles entourent la
Place Royale .
(2 ) Cette Carriére immenfe , aujourd'hui trèsdécorée
, fervoit autrefois aux Joûtes & aux Carroufels
, & conſerve l'ancien nom de Carriere,
(3) O Mælibee , Deus nobis hac otia fecia F
JANVIER. 1756. 91
Y
affuré par fes foins les plus tendres , &
nul membre de l'Etat ne doit plus craindre
de demeurer inutile ou malheureux .
Ah ! Grand Roi , qu'il eft doux de
vous obeïr ! Qu'il vous eft aifé de faire
naître les talens & d'élever les ames !
Que votre génie fupérieur connoît bien.
le grand art de former des Sujets utiles
pour vos auguftes defcendans !
A peine les Nations voisines pourrontelles
croire ce que nous voyons exécuter
-fous votre regne ; on les entendra s'écrier
avec furprife , en admirant ces ouvrages
où brillent la magnificence & le goût
du fiecle d'Augufte. Nul Etranger ne
» fut appellé pour les conftruire & pour
» les embellir ; tous les ornemens qui
39
les décorent furent une fource de richeffes
pour les Lorrains ; éclairés par
STANISLAS , fes Sujets parvintent à la
perfection de tous les Arts , & les tréfors
prodigués pour ces ouvrages im-
» menfes ne fortirent point de l'inté-
» rieur de fes Etats . C'eft ainfi ( diront-
» elles encore ) que l'émulation , l'induf-
و و
trie & l'amour du travail naiffent fous
» l'Empire des Grands Rois ; c'eſt ainfi
que les vraies richeffes d'une Nation
» s'accroiffent par les foins prévoyans.
» du Sage »..
33
92 MERCURE DE FRANCE .
Cette même émulation , SIRE , ce fertiment
, ce beau feu fi naturel à cette
nobleffe illuftre qui foutient dignement
la gloire de tant de noms révérés ; c'eft
cette émulation , animée fans ceffe par
vos regards , qui caractériſe déja les Lorrains
parmi les autres nations de l'Europe
: attachés à vous plaire , puifans leurs
fentimens dans votre coeur , déjà l'on ne
diftingue plus les Lorrains des anciens
Sujets de LOUIS ; tous s'empreffent également
à participer à la gloire d'un auffi
beau regne.
Déja les noms infcrits depuis tant de
fiecles dans les faftes de l'Auftrafie , parent
la liste des Chefs de nos Guerriers ; nos
Cohortes les plus formidables s'honorent
de voir à leur tête les neveux de ces braves
Chevaliers qui combattirent fous les ordres
de Godefroi & fous les étendarts de
Philippe ( 1 ) ; cette Phalange fi digne par
fes actions brillantes de porter le nom de
fon Maître ; cette école d'une haute nobleffe
deſtinée aux premiers emplois , s'applaudit
de voir leurs enfans fous fes drapeaux.
Déja la Cour de Louis voit les Lorrains
partager avec nous les regards & les fa-
(1 ) Les Chevaliers Lorrains fe font fort diftingués
dans les anciennes Croiſades.
JANVIER. 1756. 93
-t
!
veurs de ce grand Roi ; ils accourent aux
pieds de notre augufte Reine : ils jouiffent
du bonheur de la voir & de l'entendre
; ils adorent avec nous les vertus céleftes
& toujours aimables que le Ciel prodigue
pour elle de fes tréfors , fe plût à
yerfer dans une fi belle ame.
Ils cherchent , ils aiment à reconnoître
les traits chéris de leur Bienfaiteur dans ce
grand Prince , que l'efprit de fageffe éclaira
dès l'enfance , & dont les premiers pas
dans les fentiers de la gloire l'annoncerent
à l'Univers comme le digne fils d'un Héros,
fuivant LOUIS dans fes campagnes , marchant
à ſes côtés dans les batailles , intrépide
comme lui dans les périls , comme
lui modéré dans la victoire. Heureux fils!
Heureux époux ! Pere fortuné ! Ce Prince
Auguste eft l'amour , il eft fans ceffe
l'exemple des fideles fujets de LOUIS ; fes
Enfans affurent le bonheur de la France ; ils
font notre félicité . Il n'eft plus de pere au- !
jourd'hui qui puiffe foupirer en fecret fur
la charge trop péfante d'une nombreuſe
famille ; il ne doit plus penfer qu'au bonheur
de l'élever pour fervir des Princes qui
nous font fi chers.
A leur vue , au milieu d'une Cour
parée par cette Augufte famille , qui raffemble
les graces les plus touchantes & les
94 MERCURE DE FRANCE.
vertus les plus fublimes ; attaches à fon
fervice ; à l'afpect des honneurs , des emplois
éclatans , des récompenfes qui nous
attendent ; aujourd'hui membres , d'un
Etat libre & floriffant , gouverné par l'autorité
la plus légitime , par les loix les plus
fages , par le plus grand & le plus aimé des
Maîtres , on entend les Lorrains s'écrier
avec nous : Que nos fermens nous font
chers & facrés ! Que nos liens font doux !
ils ne fe font fentir que par notre bonheur!
Telle eft la voix du coeur , ce cri fi tendre
de la nature que l'amour feul peut exciter.
Tels font les tranfports que nous
font éprouver nos maîtres , lorfque nous
approchons de leur perfonne facrée. Mais
qui pourroit exprimer ceux de notre ame ,
lorfque nous les voyons combattre à notre
têre , & voler à la victoire ? tout notre fang
enflammé dans nos veines , brule alors de
fe répandre pour eux , nous ne formons
de voeux que pour des têtes fi cheres , nous
ne voyons point les traits qu'on nous lance;
nous ne voyons que les lauriers que nous
fommes fûrs de cueillir fur leurs pas.
Aujourd'hui , prêts à voler au premier
fignal de LOUIS , je l'avoue , ŠIRE ,
peut-être une trop grande ardeur nous faitelle
défiter de le recevoir ; mais , digne
image de la Divinité , le Vainqueur de
JANVIER. 1756. 95
7
1
Fontenoy ne lance qu'à regret fon tonnerre
, tel que Henri IV , dans le feu des
combats ; mais humain comme lui dans le
fein de la victoire , defintéreffé dans la
paix , fidele à la foi des traités , LOUIS
par la douceur de fes regards , tempere le
beau feu qui nous anime ; nous n'ofons
former des voeux que pour les deffeins que
fa haute fageffe lui fait concevoir. Soumis
, pénétrés de confiance , pourrionsnous
douter que ce héros ne fçache maintenir
la plus ancienne Monarchie de l'Europe
dans toute fa gloire , & le bonheur
& la réputation dont une nation
-belliqueufe jouit fous fon empire,
Mais ne troublons point par l'image
d'une guerre , que des troupes aguerries
& difciplinées , que des tréfors immenfes,
la fagelle des Confeils & des projets , &
que l'expérience & l'audace des Généraux
de LOUIS rendroient glorieufe à fes armes
... Ne troublons point les afyles facrés
, où STANISLAS veille fans
ceffe au bonheur de l'humanité . Qu'il y
goute le plaifir fi pur pour les grandes
ames de voir des enfans heureux dans fes
fujets ! Que les Mufes , enrichies par fes
dons & par fes travaux , obéiffent à fa
voix ! Qu'elles célébrent LOUIS dans
leurs concerts ! Que leurs Aeurs immortelles
s'entrelacent avec les palmes de co
96 MERCURE DE FRANCE.
Héros ! Que leurs lyres , que leurs trompettes
laiffent quelquefois entendre autour
de fa ftatue les fons champêtres de nos
peuples heureux ! Et que des cris de joie
mille fois répétés , portent jufqu'à l'Eternel
les voeux ardens que nous formons
pour nos Maîtres !
Lettre à l'Auteur du Mercure.
M Traducteur de la vie de Bacon ,com--
Onfieur , quoique je ne fois pas le
me je me fuis chargé d'en revoir les épreuves
, je dois prendre fur mon compte une
faute confidérable que je n'ai pas corrigée.
C'eft à la page 71 , ligne 6 , au lieu de
Jeux communs , il faut lire des Plaidoyers
communs . Une autre faute moins pardonnable
, & qui m'eft uniquement perfonnelle
, fe trouve à la page 254 du même
volume, dans l'effai fur la Reine Elifabeth,
à qui j'ai donné Catherine d'Arragon pour
mere , tandis que c'étoit Anne de Boulen .
Il faut mettre la note au nombre des
errata. D'autres vous écrivent pour fe
juftifier , & je le fais auffi volontiers
pour me condamner , perfuadé que l'unique
moyen d'expier ma bévue , eft
d'avouer que je l'ai faite ; c'eft autant de
befogne épargnée à la critique , qui aura
fans doute bien d'autres reproches à me
faire ,
JANVIE R .. 1756 . 97
S
faire , dans le cours des deux volumes de
l'analyſe du Chancelier Bacon . Si tous
les Auteurs étoient de bonne foi , cette
animofité qui divife les Gens de Lettres
s'amortiroit bientôt , & les précepteurs
du genre humain ne fe querelleroient pas
comme des enfans . Mais qu'on leur laiffe
la vanité de s'exécuter eux-mêmes , ils
fe corrigeront plus vite , & ne perdront
pas du temps & des volumes à fe défendre.
C'eft à vous monfieur , qui recevez avec
tant d'impartialité les plaintes & les
apologies des Ecrivains , à faire de cette
lettre l'ufage qui vous paroitra le plus
convenable au bien public. Si je n'obtiens
pas grace à fes yeux , je fuis quitte
envers moi même , & c'eft une grande
avance pour mon repos .J'ai l'honneur, & c.
L'aveu que renferme cette lettre , nous
paroît trop louable pour ne pas le publier
& nous ofons même le donner pour modele.
PROJET d'une Hiftoire des Juifs , par
M. de Boiffi fils.
L'Ouvrage qu'on annonce ici , comportera
environ 12 volumes dont on fe flatte
de donner les premiers au public dans quelques
années. Comme l'Auteur s'applique
l'étude des Langues Orientales , & principalement
de la Langue Hébraïque , dont
il a tâché de pouffer la connoiffance juſ
1.Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
qu'à pouvoir feuilleter les productions
Thalmudiques & Rabbiniques ; une lecture
combinée de ces écrits , réunie à celle
des Hiftoriens , tant Eccléfiaftiques que
Profanes ou Mahométans , & des Peres de
l'Eglife , l'a mis en état de le compoſer :
Voici le titre fous lequel il doit paroître :
Hiftoire des Juifs difperfes en Orient , & des
Peuples au milieu defquels ils ont vécu , depuis
la ruine de Jérufalem jufqu'au douzieme
fiecle inclufivement ; contenant , outre des
Eclairciffemens Critiques & Chronologiques ,
des Remarques fur les antiquités de cette Nation
, & des Difcuffions Théologiques relativement
à quelques- uns de fes Dogmes , &
de fes Rits , & à certains points de la Créance
& de la Difcipline de l'Eglife primitive
dérivés de la Synagogue. Elle aura pour objet
la defcription de tout ce qui eft arrivé
de particulier dans cet intervalle , foit à la
forge , ou pour mieux dire , à une ombre
de gouvernement dont ils y ont joui , foit
à leur religion , après avoir paffé fucceffivement
fous la domination des Rois de
Perfe de la Dynaſtie des Saffanides , & des
Califes.
Ce fut fous celle des derniers que la Nation
Juive établie dans ces Régions Orientales
, ayant perdu l'entiere jouiffance des
Privileges qu'elle y poffédoit depuis long-
"
JANVIER. 1756. ༡༠
ns
2
tems , vit dépouiller fes Princes de la
captivité
de titres faftueux qu'ils portoient , &
les priver de l'autorité abfolue qu'on leur
avoit permis jufques- là d'exercer fur elle :
ce qui obligea fes Decteurs de chercher
une retraite dans les différentes parties de
l'Europe. C'eſt là où finira cette Hiftoire ,
qui , comme elle eft furtout deftinée à l'ufage
des Sçavans & des Théologiens , fera
accompagnée de beaucoup de difcuffions ,
tant par rapport à la Critique , que par rap
port à la Chronologie , & à quelques - uns
des Dogmes & des Rits propres au Judaïfme
, comparés avec ceux qui font communs
au Chriftianifme.Conféquemment elle fera
utile pour l'Eglife , par le jour qu'elle répandra
fur une partie de fa Doctrine . Il
fuffit de ce fimple expofé pour fe former
une idée de la grandeur du plan de cet
Ouvrage , & par cela même de la diffi
culté de fon exécution. Ce n'eft pas ici le
lieu de circonftancier le détail des parties
qui entrent dans fa compofition : on le réferve
pour la Préface que l'on y mettra à la
rête , où on aura foin de les ſpécifier. On
fent bien que les recherches profondes ,
on ofe dire immenfes , qu'exige un travail
de cette nature , demandent plufieurs
années pour le conduire à fa perfection.
On doit avertir qu'on auroit tort de
E ij
335250
100 MERCURE DE FRANCE.
s'étonner de ce qu'on traite une matiere
qui fait partie de l'Hiftoire des Juifs , que
nous devons aux veilles de l'illuftre M.
Bafnage. Comme fon plan eft plus général
, puifqu'il embraffe le récit des événemens
qui font arrivés aux Juifs , foit en
Orient ou en Occident , depuis J. C. jufqu'à
fon tems , il n'a fouvent parlé que
d'une maniere fort fuccincte , des affaires
des Juifs en Orient ; quoiqu'elles fourniffent
des matériaux affez abondans pour
en compofer une Hiftoire particuliere , indépendamment
de ce qui s'eft paffé parmi
ceux qui s'étoient établis dans l'Occident.
On ne fçauroit décider fi fon but a été de
s'étendre principalement fur ce qui regarde
leur difperfion dans les pays Occidentaux.
Ce qu'il y a de certain , c'eſt qu'il
n'a pas apporté les mêmes foins pour ta
partie qui concerne les bons ou mauvais
traitemens que cette Nation a effuyés
dans les Régions Orientales. C'est pourquoi
on a pris à tâche de les décrire avec
plus d'ordre , & de les expofer dans un
plus grand jour. Car qu'on y prenne garde :
on ne trouvera rien de ce qu'il dit fur cet
article , de fort fuivi ni de fort détaillé. Il
péche même quelquefois par l'exactitude ;
de forte qu'il est tombé dans des fautes
allez confidérables , qu'on aura occafion
JANVIER. 1756. 101
}
I
de relever : non pas qu'on veuille par- là
affoiblir l'eftime qu'on doit avoir malgré
l'injufte cenfure de M. de la Croze , &
que l'Auteur a lui - même pour l'ouvrage
de ce fçavant Théologien , que l'on peut
regarder comme un des plus habiles Critiques
de fon fiecle , & un des plus fermes
appuis de la Réforme. D'ailleurs on
aura lieu de profiter de quelques - unes de
fes obfervations . Mais malgré la justice
qu'on lui rend , ce feroit mal connoître
les bornes de l'efprit humain , que de croire
qu'un feul homme foit capable , en fait
d'un travail qui eft propre à occuper la vie
de plufieurs , de porter tout d'un coup les
chofes qu'il a pour objet à leur dernier dégré
de perfection . Au refte , on ne fe bornera
point à donner une fimple Hiftoire
des Juifs . On a fenti que le récit des événemens
qui y appartiennent , feroit trop
fec & décharné dans les circonftances qu'il
nous offre. Cela vient de ce que les Hiſtoriens
Juifs qui font en très petit nombre ,
tels que R. Scherira , Gaon , l'Auteur du
Seder Olam Zoutah, R. Abraham Ben Dior,
R. Abraham Zacouth , Salomon Ben Virga ,
R. Gedaliah , Ben Jachiah , & R. David
Ganz , ne fe font attachés la plupart du
tems , qu'à marquer le nom des Docteurs
de leur Nation , qui ont conduit les Aca-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
fi
démies , qu'elle avoit fondeés en Orient ,
& de fes Princes de la captivité. C'eft ainque
dans la fervitude où elle s'y yoyoit
réduite , elle appelloit des efpeces de Magiftrats
qui achetoient du Prince dont ils
dépendoient , le droit de gouverner tous
les Juifs répandus dans les lieux de fon
obéiffance , qui fe faifoient un honneur
de les reconnoître pour leurs Chefs . Ils adminiftroient
la juftice parmi leurs freres
dont ils recevoient les contributions néceffaires
pour foutenir avec éclat leur dignité
, & pour payer le tribut que les Rois
de Perfe en premier lieu , & enfuite les
Califes exigeoient d'eux ; de forte que toutes
les caufes criminelles & les cas de confcience
, qui furvenoient à la Nation ,
avoient coutume de reffortir à leur tribunal.
Enfin ils régloient avec un plein pouvoir
tout ce qui a rapport à la pratique des
ufages de la loi des Juifs , qui influant néceffairement
fur leur état civil , les fépare par là
des Peuples Etrangers. Les Ecrivains que je
viens de nommer ont pourtant eu foin dans
quelques endroits de particularifer les dif
putes qui fe font élevées dans les Écoles de
cette partie de la Nation fixée en Orient ,
entre les Docteurs qui en ont eu la direction
, & ces Princes de la captivité , avec
les démêlés qui les ont divifés. On ne pou
JANVI E R. 1756. 103
it compenfer ce défaut de féchereffe ,
qu'en incorporant dans cette Hiftoire
qu'on rendra plus inftructive , le détail des
affaires importantes des Peuples Orientaux
, avec lefquels les Juifs ont été mêlés
: ce qui procurera les moyens de lier
avec la leur celle des Princes , fous la dépendance
defquels ils ont vécu , & d'é
claircir l'une par l'autre , à l'exemple du
Docteur Prideaux , qui dans fon Hiftoire
des Juifs, qu'il a commencée un peu avant
le regne d'Achaz , Roi de Juda , & qu'il
a finie à la mort de J. C. a employé cette
méthode qu'on a généralement goutée . En
effet elle tend à intéreffer davantage les
Lecteurs , par la variété qu'elle jette dans
le plan de l'Ouvrage qu'elle agrandit , &
dont elle augmente l'importance , & par
cela même l'utilité. L'Auteur a cru devoir
annoncer au Public cette Hiftoire , dans
l'efpérance où il eft que les Sçavans voudront
bien lui communiquer leurs lumieres
qui contribueront à donner une plus
grande perfection à fon Ouvrage. Ils peuvent
être perfuadés qu'il fe fera un vrai
plaifir de fuivre leurs confeils .
NOUVEAU ZODIAQUE réduit à
l'année 1755 , avec les autres étoiles dont
la latitude s'étend jufqu'à dix dégrés au
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE.
Nord & au Sud du plan de l'Ecliptique ,
dont on pourra fe fervir pour en meſurer
les diſtances au difque de la lune , ou aux
planetes. A Paris , de l'Imprimerie royale .
1755.
On fouhaitoit depuis long- tems en France
une nouvelle édition du Zodiaque de Senex.
Les exemplaires en étoient devenus rares.
Les étoiles d'ailleurs commençoient à
avoir une pofition trop différente de celle
que leur avoit affigné Senex . Les Navigateurs
conçoivent facilement de quelle importance
il eft fur mer de connoître avec
précifion le vrai lieu des étoiles. La lune
ce fatellide fi rapide en fon mouvement
propre , nous offre le moyen le plus général
& le plus affuré de parvenir à la connoiffance
des longitudes , tant fur mer que
fur terre. Mais comment déterminer les
mouvemens de la lune , fi ce n'eſt en la
comparant avec les étoiles ? & comment
faire cette comparaifon , fi le lieu des étoiles
eft lui-même indéterminé ou incertain ?
On peut juger delà combien eft important
le fervice que M. de Séligny vient de rendre
à l'Aftronomie , à la Géographie & à
la Navigation . Ce jeune Officier des vaiffeaux
de la Compagnie des Indes , donne
lieu d'efperer tout de fes connoiffances déja
étendues , & d'un zele abfolument déJANVIER.
1756. 105
cidé , qui n'attend pas la maturité des années
pour paroître.
Le Zodiaque que nous annonçons , eft
parfaitement bien exécuté par M. d'Heulland
, dont le Public connoît le mérite &
l'habileté dans l'exécution de tout ce qui
regarde les Méchaniques , la Géographie
& la Navigation. Ce Zodiaque s'étend à
plus de dix dégrés de part & d'autre de
l'écliptique. On y a tracé , non - feulement
les cercles de longitude & de latitude, mais
encore ceux d'afcenfion droite & de déclinaifon.
Il eft accompagné d'un catalogue
de toutes les étoiles zodiacales . Ce catalogue
eft tiré du troiſieme volume de l'Hiftoire
célefte de Flamsteed. M. de Séligny
y a fait cependant les corrections néceffaires
pour le réduire au commencement de
l'année 1755.
Dans la conftellation du Taureau ily
a deux amas confidérables d'étoiles. L'un
au nord de l'écliptique eft nommé les Pléïades
; l'autre au fud a été appellé Hyades.
Tous les neuf ans la lune rencontre l'un de
ces deux amas, & en éclipfe à chaque lunaifon
plufieurs étoiles. Ces occultations durent
deux ou trois ans. Il étoit donc effentiel
de pouvoir les déterminer fur la carte.
Mais la trop grande proximité de ces étoiles
ne le permettoit pas Pour remédier à
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
cet inconvénient , M. de Séligny a fait
joindre au Zodiaque deux cartes particulieres
, fur lefquelles les Pléiades & les
Hyades font repréfentées en grand. Il a
calculé celle des Hyades fur des obfervations
qui lui ont été communiquées. Celle
des Pléiades eft de M. l'Abbé Outhier. M.
'de S. s'eft contenté de la réduire au commencement
de l'année 1755 :
Ces cartes font accompagnées de divers
mémoires imprimés , comme nous l'avons
dit , à l'imprimerie royale.
}
,
Le premier de ces mémoires a pour titre :
Expofition hiftorique des principaux usages
du catalogue des douze conftellations , & de
la carte du Zodiaque qui l'accompagne,
avec des remarques fur les moyens qui ont été
employés pour completer ce catalogue . Ce mémoire
fait fentir l'utilité d'une détermination
exacte du lieu des étoiles , & renferme
d'excellens préceptes fur le choix des
obfervations qu'on peut. faire pour décou
vrir la longitude des lieux.
Le fecond mémoire roule fur les élémens
du mouvement de Mercure , & fut
l'utilité qu'on pourroit retirer de cette planete
pour la détermination des longitudes ,
lorfque les circonftances empêchent de recourir
à la lune.
Le troifieme mémoire eft de M. de Sé
JANVIE R. 1756. 107
ligny. Il eſt intitulé Difcours que l'on peut
joindre au catalogue & à la nouvelle carte
célefte du Zodiaque , gravés par le Sieur
d'Heulland, & destinés à l'ufage des Officiers
de marine , pour fervir à la recherche des
Longitudes. Ce mémoire eft fuivi d'un avis
fur les différentes méthodes de déterminer
les longitudes. On conçoit que c'est ici la
partie la plus effentielle de l'ouvrage ,
comme ayant un rapport plus direct avec
la nouvelle carte . C'est l'explication de la
carte même , & de fon principal uſage .
Le dernier mémoire eft fur la nouvelle
carte des Hyades , fur fon utilité , fur les
moyens que M. de Séligny a employé pour
la conftruire , & c. Ce mémoire a été lu par
M. de S. à l'Académie des Sciences, le 15
Janvier 175 5 , & jugé digne de l'impreffion
le premier Février fuivant. Il eft fuivi
d'une table des principales étoiles des Hyades
, & d'une pareille des Pléiades . Dans
ces deux tables on donne la différence en
afcenfion droite , & en déclinaifon entre
chaque étoile , & la principale de chaque
amas. On fuppofe avec raifon la pofition
d'Aldebaran , ou il du Taureau exactement
connue , ainfi que celle de la luiſante
des Pléiades .
Enfin ce recueil eft terminé par un catalogue
, ou lifte des variantes , de la pre-
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
miere édition du catalogue de Flamsteed .
Ce nouveau Zodiaque extrêmement utile
, néceffaire même à ceux qui veulent
cultiver avec fuccès l'Aftronomie ou la
navigation , fe trouve à Paris , chez M.
d'Heulland , rue Saint Hiacynthe , près la
porte S. Jacques , vis - à-vis le Jeu de Paume.
Prix neuf livres en feuilles , compris
la grande carte .
ETAT DU CIEL pour l'an de grace
1756 , biffextile , calculé fur les principes
de M. Newton , rapporté à l'uſage de la
marine , par A. G. Pingré , Chanoine Régulier
, & Biblothécaire de Sainte Géneviéve
, ancien Correfpondant de l'Académie
royale des Sciences , Affocié de celle
de Rouen. A Paris, chez Durand & Piffot.
1756 , in- 8°.
a
Dans les mémoires dont nous venons
de rendre compte , M. de Séligny donne
de grands éloges à l'état du Ciel de M.
Pingré , & il a raifon . Ces deux ouvrages
qu'un zele égal , pour l'utilité publique
enfantés , femblent faits l'un pour l'autre.
Les deux enfemble font ce que l'on pour
roit appeller les Comptes faits du Navigateur
& de l'Aftronome. M. Pingré, dans
l'état du Ciel , repréfente deux fois par
jour , & l'on pourroit dire à toutes les
JANVIER. 1756. 109
!!
heures & à tous les inftans du jour & de
la nuit , la pofition de la lune dans le Zodiaque.
M. de Séligny préfente ce Zodiaque
aux yeux de l'obfervateur , lequel peut
en conféquence rapporter fur la carte le
lieu de la lune obfervé , & le comparer
avec le lieu calculé dans l'état du Ciel .
Ce rapport est néceffaire , mais il ne
fuffit point. L'Obfervation ne donne que
le lieu apparent de la lune , & ce lieu ap
parent differe prefque toujours du vrai
lieu de cet aftre . Il faut donc du lieu apparent
obfervé conclure le lieu vrai ; &
cette conclufion demandoit des calculs
longs , pénibles , & furtout extrêmement
délicats. Auffi voyons- nous qu'on a affez
peu profité jufqu'à préfent des fecours que
la lune ne ceffoie de nous offrir pour la
détermination des longitudes. M. Pingré
remedie à cet inconvénient . Le nombre des
calculs eft confidérablement diminué , fi
Fon fait ufage de fon ouvrage. On peut à
tout inftant, pour peu que la lune paroiffe ,
conclure d'une feule obfervation de cet
aftre , la différence entre le méridien de
l'Obfervateur & celui de Paris . M. P. dans
l'état du Ciel de 1755 , propofoit l'obſervation
d'une hauteur de la lune . Il conve
noit que cette méthode n'étoit pas toujours
praticable fur mer. En confèquence ,
110 MERCURE DE FRANCE.
non feulement il préfente en 1756 cette
même méthode éclaircie & mife dans le
jour le plus évident : il en propofe de plus
une femblable pour déduire la différence
des méridiens d'une feule obfervation de
la diſtance de la lune au foleil , ou à quelque
étoile dont la pofition foit bien connue.
Or quoi de plus facile que de connoître
exactement la poſition , au moins de
toutes les étoiles zodiacales , avec le nouveau
Zodiaque de M. d'Heulland . Il femble
donc qu'il ne refte rien à défirer fur
cet article.
L'état du Ciel eft annoncé comme calculé
pour l'ufage de la marine. Il femble
donc qu'il feroit à propos qu'il parût plutôt
, afin qu'au moins les Navigateurs qui
partent au commencement de l'automne ,
ou à la fin de l'été , puffent en recueillir
les avantages que M. Pingré fait profeffion
de vouloir leur procurer. Nous faifons
d'autant plus volontiers cette remarque
, que nous fçavons qu'il n'a point tenu
à l'Auteur que l'ouvrage ne fortît de
deffous la preffe dès le mois de Juillet . 11
avoit dès la mi- Juin l'approbation verbale
de l'Académie des Sciences. Il ne s'eft
point preffé de la demander par écrit à
caufe des délais de l'Imprimeur . Celui- ci
avoit des Romans à imprimer , & le puJANVIER.
1756. 111
blic achete plus volontiers les Romans que
des ouvrages utiles.
NOVA TABULARUM lunarium emendatio,
auttore J. d'Alembert.
Ce nouvel ouvrage de M. d'Alembert
étant principalement deſtiné aux Aftronomes
de toutes les nations , l'Auteur a jugé
à propos de le compofer en Latin. Il
n'eft que de 18 pages in-4° , & contient
plus de chiffres que de difcours. Voici la
traduction d'une partie de la préface trèscourte
que l'Auteur a miſe à la tête ; elle
fervira à donner une idée de l'objet que
M. d'Alembert s'eft propofé.
20
» Au commencement de 1754 , je mis
au jour un ouvrage intitulé Recherches
fur differens points importans du fyftême
du monde , dans lequel je donnai de nouvelles
tables de la lune , déduites d'une
théorie jointe à ces tables. Depuis ce
tems ayant réduit à un calcul encore plus
exact & plus facile quelques - unes des
équations contenues dans ces tables , en-
»forte que ces tables peuvent acquerir par-
» là de nouveaux dégrés de fimplicité &
» de perfection , j'ai cru devoir expoſer à
"l'examen & au jugement des Aftronomes
» ce nouveau fruit de mon travail dans
• l'ouvrage très-court que je publie : on
"
112 MERCURE DE FRANCE.
n'y trouvera point les principes fur lef
» quels mes nouvelles tables font fondées ;
j'expoferai ces principes plus au long
dans un ouvrage que je mettrai incef-
» famment fous preffe . De plus , comme je
crois qu'il eft plus utile à l'Aftronomic
» de chercher à corriger les anciennes ta
» bles dont les Aftronomes font ufage de-
» puis long - tems que d'en donner d'abfo-
» lument nouvelles dont l'exactitude feroit
» incertaine , je me contente d'expofer
» dans cet ouvrage
les corrections que l'on
» doit faire ( du moins fuivant ma théorie
& mes calculs ) aux tables que M. le
»Monnier a publiées dans fes Inftitutions
aftronomiques. Ainfi , après qu'on aura
» trouvé par les tables de ces Inftitutions ,
le lieu de la lune pour un tems quelcon-
» que , on trouvera très- promptement par
» les tables que je donne ici la correction
» que l'on doit faire fuivant ma théorie à
» ce lieu déja trouvé. Par- là on fera en état
» de juger fi en effet mes tables de correction
donnent le lieu de la lune plus exac-
»tement ; avantage qui ne peut être affuré
à quelques tables que ce foit que par une
longue épreuve. »
30
M. d'Alembert ajoute ici les raifons qui
ui font préférer pour cette correction les
ables des Inftitutions à toutes les autres , &
JANVIER. 1756. 113
t
44
il finit par prier tous les Aftronomes de
l'Europe d'éprouver fes nouvelles tables
de correction , dont le calcul demande à
peine quelques momens.
Cet ouvrage dont on n'a tiré qu'un trèspetit
nombre d'exemplaires , fe trouve chez
David l'aîné , Libraire , rue des Mathurins
, vis-à- vis l'églife.
ERREURS fur la Mufique dans l'Encyclopédie
. A Paris , chez Jorry , quai des
Auguftins , près le Pont S. Michel , 1755 .
Cette brochure eft du célébre M. Rameau.
ETRENNES HISTORIQUES à l'ufage
de la Breffe , dans lesquelles on trouve
les événemens remarquables de l'hiftoire
de cette Province , fon état actuel , fon
gouvernement , fa Jurifprudence , & une
defcription des principales villes qui s'y
trouvent , pour l'année biffextile 1756 ,
chez Jombert.
L'ETRE PENSANT en deux parties ;
à Amfterdam , & fe vend à Paris , chez
Hochereau, à la defcente du Pont- neuf, au
Phénix , 1755.
&
M. de Baſtide en eft l'Auteur . Il nous a
paru que l'ouvrage juftifioit le titre ,
qu'il étoit celui d'un homme qui joint au
talent d'écrire le mérite de penfer , quoique
ce ne foit pas toujours à la gloire des
114 MERCURE DE FRANCE.
femmes. Nous fommes forcés de convenir
que la premiere partie contient en général
une Satyre un peu trop vive de leurs moeurs
actuelles , mais nous dirons pour fa défenfe
, que la feconde offre dans un objet accompli
une exception qui honore le beau
fexe, & qui le venge du nôtre. Nous ajouterons
à la louange de cette brochure ,
qu'elle commence par l'efprit , & finit par
le fentiment. Nous en donnerons au plutôt
l'extrait .
La nouvelle édition des difcours politiques
de M. Hume qui vient de paroître
en Saxe , eft imprimée à Pfoerten ( 1 ) ,
chez Jean -Tobie Siefard ; & fe vend avec
privilege du Roi à Drefde , chez Michel
Groell , Libraire & Marchand d'Eftampes.
(1) Cette ville qui appartient à M. le Comte
de Bruhl , premier Miniftre de Sa Majesté le Roi
de Pologne , Electeur de Saxe , eft la ville capitale
du Comté de ce nom . Elle eft fituée dans la
baffe Luface , dans la partie qui confine la Pologue.
Les différentes manufactures que ce Minif
tre y a établies , & les Arts que l'encouragement
qu'il leur donne y fait fleurir , doivent l'en faire
regarder comme le véritable fondateur. Le livre
de M. Hume eft le premier ouvrage qui ait été
imprimé en cette ville , & c'eſt affurément un témoignage
éclatant du progrès que font en Alle
magne , & les Arts & la langue Françoife.
JANVIE R. 1756. 115
;
Cette édition eft vraiment digne de cet
excellent ouvrage , & comparable à tous
égards aux belles éditions que l'on a données
des Auteurs claffiques à Glafcouw.
La traduction françoife mérite auffi de
grands éloges , & fait honneur à M. l'Abbé
Le Blanc qui en eſt l'Auteur. Notre fentiment
fur ce point fe trouve conforme avec
celui de M. Hume lui même. La lettre fuivante
en eft la
preuve.
Traduction d'une lettre écrite en Anglois par
M. Hume à M. l'Abbé Le Blanc.
Monfieur , il y a quelque tems que j'ai
reçu & lu avec un extrême plaifir la traduction
dont vous avez honoré mes difcours
politiques. J'ai eu la plus grande
fatisfaction de trouver mes penfées rendues
partout avec tant de jufteffe , & en
même tems embellies par la propriété &
P'élégance de vos expreffions. Je vous ai
envoyé , comme un témoignage de ma
reconnoiffance, le premier volume de mon
Hiftoire de la Grande- Bretagne ; je regar
derois comme un très - grand bonheur , fi
vous le trouviez digne de votre approbation
; & je ferois au comble de mes voeux
fi je pouvois vous engager à faire à cet
ouvrage le même honneur que vous avez
116 MERCURE DE FRANCE.
fait aux difcours politiques. Il y a plusieurs
endroits dans cette hiftoire , que les Etrangers
peut-être ne pourront entendre fans
des notes , & je ne connois perfonne auſſi
capable de cette entrepriſe que vous . La
parfaite connoiffance que vous avez de la
conftitution de notre gouvernement & des
moeurs de notre nation , fera que vous n'y
trouverez aucune difficulté : cependant ,
s'il fe trouvoit dans le cours de l'ouvrage
quelque endroit qui pût vous arrêter , faites-
moi la grace de m'écrire , & je tâcherai
de vous communiquer toutes les lumieres
que j'ai été capable d'acquerir par
une longue application à ce fujet .
J'ai l'honneur d'être , &c.
DAVID HUME.
D'Edimbourg , ces Novembre 1755.
PENSÉES PIILOSOPHIQUES fur la fçience
de la Guerre , analogies , combinaiſons ,
portraits , tableaux , deux volumes à Berlin
; & fe vend à Paris , chez Robustel ,
quai des Auguftins .
Ce livre nous paroît la production d'un
Officier inftruit , & d'un Partiſan zélé du
fiecle de Louis XIV & du nôtre. Il eft
compofé d'une inftruction , & de dixfept
chapitres , ou afpects . Nous allons
feulement citer quelques endroits de la
JANVIER . 1756. 117
Préface qui les précéde. Le grand nombre
d'écrits que nous fommes obligés d'annoncer
, & les bornes refferrées que
Rous nous preſcrivons , ne nous permettent
pas de rous étendre davantage fur
celui- ci. Nous croyons que ces traits fuffront
pour donner une idée du deffein
de l'ouvrage , ainfi que du coloris , qui
peut-être arrêtera nos lecteurs. Ils y trouveront
des expreffions trop hazardées.
Mais un Militaire qui écrit , doit être jugé
avec moins de rigueur ; & fi le langage
de l'Auteur eft fouvent fingulier
on peut dire qu'il eft conforme à l'effor
nouveau qu'il a pris. D'ailleurs fes penfées
n'en font pas moins juftes , fes portraits
moins reffemblans , fes éloges
moins vrais , ni fes vues moins louables :
en un mot il a rempli fon titre.
L'affiche de cet ouvrage , dit l'Auteur ,
en m'ouvrant une route nouvelle dans
la fcience de la Guerre , me ménage la
liberté de m'étendre & d'embraffer le
terrein qui me conviendra le mieux . Je n'abuferai
point du privilége ; je me fixe
irrévocablement fur le fiecle de Louis
XIV, le bel âge de l'Univers , le chefd'oeuvre
des modernes ....
La fcience de la Guerre , avant le regne
de Louis XIV ne forme que des nuages ,
118 MERCURE DE FRANCE.
des entrepriſes vaftes , de grandes fautes ,
des combinaiſons jettées au hazard , défectueufes
, foit dans le cabinet , foit fur
le local , deftituées de préceptes , &
manquantes dans les fondemens ....
Les Généraux de Louis XIV font
plus foutenus ; leurs plans appuient davantage
fur l'uniformité ; leurs vues font
plus faillantes ; moins de foufre dans
l'efprit , ils jettent plus de nerf dans
leurs procédés.
M. le Prince de Condé , vaſte avant
le combat , eft terrible dans la mêlée
géometre dans la conduite de la Guerre ,
& créateur dans toutes fes fituations.
M. de Turenne , par la profondeur de
de fes réfolutions , place chaque objet à
fon point. Ce n'eft point un commandant
d'armée qui tranche du premier bond ,
c'eft un Général patient , qui devine les
événemens par fa conftance à les confidérer
, & qui ne fe trompe jamais dans
Les arrêts.
M. le Maréchal de Luxembourg eft
inimitable un jour de marche , de bataille
& de grande entrepriſe.
M. de Vendôme n'obferva rien audeffus
de fes forces ; chaud dans fa détermination
, fon ardeur fut maniable , fes
moyens plus vifs que le danger.
JANVIER. 1756. 119
M. le Maréchal de Catinat dut à lui- même
fes exploits, à l'obligation d'obéir le début
malheureux de la guerre d'Italie , 1701 .
ce fut un général que l'on devoit échauffer
par une pleine liberté d'aſſortimens , &
non fuffoquer par une multiplicité d'inf
tructions.
M. le Maréchal de Villars piquant
dans toutes les attitudes de fa vie , fou
verain à la tête des armées , eft magnifique
à Denain . Quels refforts ! quels
grands interêts ! quelle journée ! après
de tels artistes , eft- ce le cas pour perfuader
, de tranfporter les efprits fous
un ciel étranger , & de regratter les décom
bles de l'antiquité , pour en arracher des
vérités & des preuves.
L'objet principal de l'Auteur eft le plan
d'une Académie de la fcience de la Guerte
: il regarde cet établiffement comme le
feul & unique bien qui put parer contre les
abus dangereux qui fe font gliffes dans le
corps militaire , qui en énervent le dogme ,
& qui s'opposent à la pureté de fa circulation.
( c'est l'auteur qui parle :) J'avertis , dit- il ,
à ce fujet , ceux qui foupirent après des
manoeuvres d'exercice , de s'adreffer ailleurs.
J'ai fait profeffion de foi à cet égard;
je préfére de combiner à la fuite du
Grand Condé , de Monfieur de Turenne ,
120 MERCURE DE FRANCE.
de Mylord Malborough , que d'analifer
les rapports inftrumentels de la fcience de
la Guerre. Mon plan , ajoute - t'il , &
nous finirons par là , mon plan d'une
académie de la fcience de la Guerre ,
affaire uniquement d'ordre , qui ne jettera
dans aucune maniere de dépenſe , ne
prendra point ; je prévois fon fort , les
tems ne font point arrivés , on n'en
eft encore qu'à l'exercice. Que de chemin
à faire pour arriver au but !
MEMOIRES de Lucile , par M. le Baron
de V. S. & publiés par M. le Chevalier
N. à Londres, & fe trouvent à Paris , chez
Jorry. 1756.
LA COMEDIENNE fille & femme de
qualité , ou Mémoires de la Marquife
de *** écrits par elle-même , 3. partis ,
à Bruxelles , 1756. Nous parlerons plus
au long de ces deux Romans qui font de
différens auteurs , & qui ont chacun leur
caractere particulier.
OEUVRES DE THÉATRE de MM. de Bruéys
& Palaprat , nouvelle édition , revue &
augmentée , s . vol . à Paris , chez Briaffon
, à la Science , 1756.
ELOCI
JANVIER. 1756. 121
ELOGE de M. de Montefquicu , par
M. de Maupertuis , à Berlin , & fe vend
à Paris , chez Brunet , Libraire Imprimeur
de l'Académie Françoife , rue S. Jacques.
Il a été lu dans l'Affemblée de l'Académie
Royale de Berlin , le 5 Juin 1755 .
Après avoir été fi bien loué en France
par M. d'Alembert , M. de Montefquieu
ne pouvoit l'être plus dignement en Pruffe
que par M. de Maupertuis. Eloge qui
mérite d'autant plus d'eftime , qu'il eft
l'ouvrage de l'amitié . Rien ne manque
plus à la gloire de ce grand Homme. l'Europe
entiere retentit du bruit de fes
louanges. Elles s'étendent , fe multiplient
& fe répetent fans ceffe : mais on ne fe
Jaffe point de les entendre ; & nous
dirons d'après M. de Maupertuis luimême
, qu'on ne fçauroit trop parler , ni
parler dans trop de lieux d'un homme
qui a tant fait d'honneur à la fcience &
à l'humanité ; qu'on ne fçauroit trop
préfenter l'image de M. de Montefquieu
dans un fiecle furtout où tant de gens de
lettres paroiffent fi indifférens , fur les
moeurs ; où ils ont voulu perfuader , &
n'ont peut-être que trop perfuadé que les
qualités de l'efprit & celles du coeur devoient
être féparées , fi même , elles n'étoient
pas incompatibles . Qu'ils fe retracent
1. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
M. de Montefquieu ; quand ils verront
tant de vertus réunies dans l'homme dont
l'efprit fut le plus jufte & le plus fublime ,
quand ils verront les moeurs les plus pures
jointes aux plus grandes lumieres , ils penferont
peut-être que les vices ne font que
la fuite de l'imperfection de l'efprit. Ce
trait feul contient un panégyrique parfait ,
& nous nous y renfermons. Nous ajouterons
ſeulement que dans l'impreffion de
cet ouvrage , il s'eft gliffé les fautes fuivantes
, qu'il faut corriger ainfi . Pag. 16.
lig. 5. des vues & des ridicules , lifez ,
des vices & des ridicules . Pag. 21 , lig. 16.
ce qui nous manque de Tacite , ajoutez
ou ce qui manquoit dans Tacite. Page 28 ,
lig. 3. devroit égaler le fort , lifez devroit,
régler le fort.
Dans ce moment je reçois encore un
Eloge de M. de Montefquieu . Il a été prononcé
à l'Affemblée publique de la Société
Royale des Sciences & Belles- Lettres de
Nancy , le 20 Octobre 1755. par M. le
Chevalier de Solignac , Secrétaire perpétuel
. Nancy veut fe montrer en ce point
noble émule de Paris & de Berlin . Les
Académies qui ont eu le bonheur d'avoir
M. de Montefquieu pour membre , fe difputent
à l'envi l'honneur de le célébrer. 11
rencontre partout des Panégyriftes , &
"
JANVIE R. 1756. 123
:
pour comble de gloire des Panégyriftes
dignes de lui. Cet éloge eft imprimé à
Nancy chez Pierre Antoine , Imprimeur
ordinaire du Roi , & peut fe trouver à
Paris , chez Lambert , rue de la Comédie
Françoife.
RÉPONSE d'un Aveugle à Meffieurs les
Critiques des Tableaux expofés au Sallon ,
$755.
Le ton de cette plaifanterie , qui contient
à peine dix pages , nous a paru affez
bon. Pour mettre le Lecteur à portée d'en
juger , nous allons en tranfcrire le commencement
qui eft conçu en ces termes :
Vous ferez fans doute étonnés , Mefhieurs
, de recevoir une lettre d'un Aveugle
fur les Tableaux du Sallon , & quelque
mauvais plaifant ( car il y en a plus d'un
parmi vous ) ne manquera pas de me de-.
mander fi je les ai vus. Le peu de
perfonnes
qui ont lu vos Brochures , ne pourroient-
elles pas vous faire la même queftion
? En effet, quelle différence y a-t'il de
vous à moi ? Ne point voir, ou voir comme
vous voyez , n'eft-ce pas abfolument
la même chofe ? Quoiqu'il en foit , je n'ai
eu befoin pour l'objet que je me fuis propofé
que de la faculté d'entendre . Je vais
être l'écho du public ; ce font fes réfle-
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
xions , non les miennes que je vous communiquerai
: en cela je ferai plus raiſonnable
& plus modefte que vous qui hafardez
de lui donner les vôtres fur des chofes
dont vous ne vous doutez pas plus que moi.
Nous fommes fachés de ne pouvoir
mettre ici cette réponſe dans fon entier ,
comme l'Auteur nous en avoit prié
mais le terrein nous manque ; d'ailleurs
elle ne contient que les éloges des différens
Peintres qui ont décoré le fallon , & nous
leur avons donné le même tribut de louanges
dans notre Mercure de Novembre : cela
auroit eu l'air d'une répétition.
ASSEMBLÉE PUBLIQUE
De l'Académie des Belles- Lettres de Marfeille
, tenue dans la Grande Salle de l'Hôtel
de Ville , le 25 Août , jour de S. Louis ,
-1755.
M. Le Duc de Villars , Protecteur de
l'Académie , préfida à la féance , & en fit
l'ouverture en peu de mots.
M. Guy , Directeur , prononça un Difcours
fur l'utilité réciproque du commerce
pour les Lettres , & des Lettres pour
le commerce.
On lut le Poëme couronné , dont le fuJANVIE
R. 1756. 125
jet eft : la réunion de la Provence à la Cou
ronne , & dont l'Auteur eft M. Barthe
fils , de Marſeille , qui au mois de Mai
dernier avoit remporté le prix du Poëme
à l'Académie des Jeux Floraux , par un
Poëme intitulé le Temple de l'Hymen : il
reçut le prix de la main de M. le Duc de
Villars , & prononça un Remerciement en
vers.
On lut le Difcours couronné , dont le
fujet eft : L'homme eft moins grand par fis
talens , que par l'ufage qu'il en fait , & dont
l'Auteur eft le R. P. Mene , de Marſeille ,
Docteur en Théologie , & Prieur du Couvent
des RR. PP . Dominicains de cette
Ville. Il reçut le prix de la main de M.
le Duc de Villars , & prononça un Remerciement
en profe.
M. de Chalamont de la Vifclede , Sécrétaire
perpétuel , lut les éloges de M.
Cary , de M. Guriu , & de M. de Belfunce
, Evêque de Marſeille , Académiciens ,
morts depuis l'Affemblée publique du 25
Août , jour de S. Louis , de l'année der
niere 754.
L'Académie avertit le Public que le 25
Août , fère de S. Louis de l'année prochaine
1756 , elle adjugera le prix à un
Difcours d'un quart d'heure , ou tout au
plus d'une demi- heure de lecture , dont
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
le fujet fera : Le bonheur eft- il plus commun
chez les Grands que chez les petits ? &
elle déclare aux Auteurs que tout Difcours
qui excédera ces bornes , fera par cette
feule raifon exclu du concours.
Le prix qu'elle décerne , eft une Médaille
d'or de la valeur de 300 liv. portant
d'un côté le bufte de M. le Maréchal
Duc de Villars , Fondateur & Protecteur
de l'Académie , & fur le revers ces mots :
PREMIUM ACADEMIA MASSILIENSIS , entourés
d'une couronne de laurier.
Les Auteurs ne mettront point leurs
noms à leurs Ouvrages , mais une Sentence
tirée de l'Ecriture Sainte , des Peres de
l'Eglife , ou des Auteurs Profanes. Ils
marqueront à M. le Sécretaire une adreffe
, à laquelle il enverra fon récépiffé.
On les prie de prendre les mefures néceffaires
pour n'être point connus avant
la décifion de l'Académie , de ne point
figner les Lettres qu'ils pourront écrire à
M. le Secrétaire , de ne point lui préfenter
eux- mêmes leurs . Ouvrages , en feignant
de n'en être pas les Auteurs , ni
fe faire connoître à lui ou à quelqu'autre
Académicien ; & on les avertit que s'ils
font connus par leur faute , leurs Ouvrages
feront exclus du concours , auffi - bien
que tous ceux en faveur defquels on aura
JANVIE R. 1756. 127
follicité & tous ceux qui contiendront
quelque chofe d'indécent , de fatyrique ,
de contraire à la Religion ou au Gouver
nement.
L'Académie , en priant les Auteurs de
ne pas fe faire connoître , doit auffi les
avertir de fe précautionner contre le zele
indifcret , qui en follicitant pour de bons
Ouvrages , les expofe à être exclus du
concours. C'eft trahir un ami que de le
nommer , & il fuffira qu'un Auteur , avant
la décision de l'Académie , foit connu
dans le Public par la Devife qu'il aura
prife ,, pour qu'on fuive à fon égard avec
rigueur la loi qu'on s'eft impofée .
On en ufera de même envers les Au→
teurs plagiaires , lorfqu'ils feront décou
verts , & à moins que l'Ouvrage ne foit
abſolument mauvais , l'Académie le fera
imprimer , en défignant les endroits qui
auront été pillés. Elle s'eft contentée juf
qu'à préfent d'exclure ces ouvrages du concours
, & elle feroit obligée à regret de
les traiter à l'avenir avec moins d'indulgence.
On adreffera les Ouvrages à M. de Chalamont
de la Vifclede , Secrétaire perpétuel
de l'Académie des Belles - Lettres de
Marſeille , rue de l'Evêché . On affranchira
les Paquets à la Pofte , fans quoi ils
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
ne feront point retirés. Ils ne feront reçus
que jufqu'au premier May inclufivement.
L'Académie n'exige qu'une feule copie
des Ouvrages qu'on lui envoie ; mais elle
la fouhaite en caracteres bien lifibles &
point trop menus , & avertit les Auteurs
qu'ils perdent beaucoup , quand l'efprit
eft obligé de fe partager entre l'attention
qu'exige une lecture pénible , & l'impref- i
fion que doit faire fur lui ce qu'il lit.
S'ils fouhaitent que leur nom foit imprimé
à la tête de leur Ouvrage , ils doivent
l'envoyer avec leurs titres à une perfonne
domiciliée à Marfeille , qui les remettra
à M. le Secrétaire , dès qu'on apprendra
que le prix eft adjugé.
L'Auteur qui aura remporté le prix ,
viendra , s'il eft à Marſeille , le recevoir
dans la falle de l'Académie , le 25 Août ,
fête de Saint Louis , jour de la féance publique
dans laquelle il eft adjugé ; &
s'il eft abfent , il enverra à une perfonne
domiciliée en cette Ville , le récépiffé de
M. le Secrétaire , moyennant lequel le
prix fera délivré à cette perſonne.
,
JANVIE R. 1756. 129.
ARTICLE
IFI.
SCIENCES ET BELLES -LETTRES.
PHYSIQUE.
OBSERVATIONS fur une Lettre de
Tome IV. de l'Année Littéraire , du 30
Juin 1755 , par M. Olivier de Villeneuve
D. M. de Montpellier.
Isolé dans une province , je ne lis les
Ouvrages des grands hommes que par
lambeaux & par extraits. D'ailleurs je
fuis dans un âge qui ne me permet plus la
même application que me permettoient
mes années précédentes , lefquelles , pour
remplir les devoirs indifpenfables de mon
art , s'écouloient plus dans les rues que
dans le cabinet.
que
Je ne me fuis exercé dans un genre
de fciences , dans lequel , lorfqu'il s'éleve
quelques conteftations
, je crois pouvoir ,
fans attaquer perfonne , expofer tout unife
ment ce que j'en penfe : dans ce genre trouve renfermée
la differtation
fur l'irritabilité
qui fait le fujet de la lettre cideifus
annoncée.
I v
130 MERCURE DE FRANCE.
L'Auteur de cette Lettre ſe demande ce
qu'on entend par l'irritabilité , fi elle eft
une découverte nouvelle , en quoi elle
differe de l'élafticité , & de la fenfibilité ,
& c. ...
Ees queftions font conféquentes de la
differtation de M. Haller fur les parties
irritables & fenfibles des animaux . Ce fçavant
Académicien appelle partie irritable
celle qui devient plus courte quand quelque
corps étranger la touche un peu fortement.
Si c'eft une propriété des mufcles de s'accourcir
, elle l'eft auffi des fibres muſculaires
, qu'on a de tout tems regardées comme
les petits muſcles de plus grands muſcles ,
& quoiqu'elles n'en foient en apparence
qu'un tas de parties féparables , elles
n'ont pas moins l'avantage de pouvoir être
confidérées comme autant de muſcles ou
de tout charnus , quelque commerce qu'elles
aient entr'elles pendant la durée de
la vie.
L'action remarquable qu'on reconnoît
dans les muſcles ou dans leurs fibres , a toujours
été qualifiée de contraction , ou mouvement
mufculaire : on a également avoué
de tous les tems des véficules fibreufes ou
mufculeufes deſtinées à recevoir le liquide
qui leur eft propre. Le feul qui puiffe gonJANVIER.
1756. 13t
fer ces véhicules , c'eſt un air plus ou moins
éthéré , qu'on connoît dans les écoles fous
le nom d'efprits animaux .
Dans les expériences de l'électricité , lorf
qu'on détermine ou qu'on dévoie une abon.
dance infolite de ce liquide vers plufieurs
bras tendus , il s'enfuit autant de flexions
promptes , violentes & inopinées de ces
mêmes bras. Cette contraction inefpérée
des mufcles fléchiffeurs , cette raréfaction
exploſive de leurs véhicules , eft une action
du courant électrique dévoyé , qu'on auroit
tort de confondre avec un reffort. L'élafticité
en exercice , n'eft à proprement parler,
qu'une action feconde ou une réaction ;
or toute réaction , toute répulfion , tout
reffort , toute réfiftance , pour être une
feconde action n'eft pas moins une action
organique que celle qui l'a précédé ; elle
dépend par conféquent d'une caufe tout -àfait
femblable .
La diaftole des vaiffeaux eft antérieure
à leur fyftole , & l'on peut appeller à jufte
titre celle- là la premiere action des conduits
fanguins , comme on appelle celle- ci
la feconde : le flux de la mer précéde fon
reflux. La motion du coeur devance celle
des arteres ; la premiere introduction de la
matiere magnétique dans le pole d'entrée
de l'aimant , et avant fa fortie & fon re
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
flux : le fang eft pouffé hors du coeur avant
d'y retourner ; & ce feroit , ce me femble ,
infulter la loi unique , la fimplicité & l'uniformité
de la nature , que de recourir à
différentes caufes pour expliquer ces allées,
ces venues , ces flux , ces reflux , ces admirables
circulations qu'on y obferve . "
Tout doit être proportionné pendant
que l'action & la réaction confervent entr'elles
une parfaite égalité. Il s'agit donc
d'examiner de quel côté eft la fupériorité ,
lorfque l'alternative cloche , fi elle eft plus
fenfible dans l'action qui fe préfente , ou
fi elle fe déclare mieux dans la réfiftance
qui tient lieu de réaction .
Dans un âge moyen , fi la fanté eft de
la partie , tout fe paffe avec une certaine
proportion. L'efpace , qui eft deftiné dans
les véhicules fibreufes ou mufculeufes à
l'entrée d'un air éthéré , s'y prête plus aifément
que dans un âge trop avancé. Ici ces
véhicules font rétrecies , leurs parois font
durcies , la réfiſtance eft plus confidérable ;
là les véhicules font dociles , leurs parois
font fouples , la réfiftance eft des plus vincibles
; d'où l'on a inféré que l'action organique
étoit plus grande dans les jeunes
gens que dans les vieillards ; c'eft ce que
j'avouerai volontiers , pourvu qu'on avoue
en même tems que la réfiftance ou la réacJANVIER.
1756. 133
tion organique eft telle dans les vieillards
qu'elle empêche la premiere action de
luire , le mouvement muſculaire d'éclater,
l'alternative des organes de fe déclarer , &
tout cela prouve que là où la force eft plus
réunie , ( foit action , foit réaction ) on y
doit reconnoître cette furabondance , cette
fupériorité qui conftitue la feule regle , la
loi unique , l'uniformité que la nature
prend plaifir à fuivre dans tous fes effets ,
dans toutes les opérations , dans toutes fes
merveilles.
Il s'agit maintenant d'expliquer la propagation
de cette furabondance d'air éthéré
ou d'électricité naturelle,depuis les orga
nes externes jufqu'à l'organe commun ,
pour occafionner les fenfations , & pour
réunir ou faire fuccéder la fenfibilité à l'irritabilité.
J'avouerai ingénument que ce dernier
mot me paroît impropre , lorfque l'air
éthéré , quelque ravage qu'il faffe dans les
fibres ou dans les mufcles , ne continue pas
fa progreffion jufqu'aux fibres cérébrales .
Cette communication ne fe trouve ordinairement
interrompue que par la fection
des nerfs ou par tous les embarras qui les
faififfent dans les différentes maladies.
Je dois maintenant , pour me conformer
à l'Auteur de la lettre , expliquer pourquoi
134 MERCURE DE FRANCE.
le tact eft fi exquis aux extrémités des
doigts . Tout le monde fçait que non feulement
les filamens nerveux y fourmillent ,
mais encore que la peau s'y trouve en tout
âge plus refferrée & plus tendue que dans
les autres parties du corps , dont les rides
font les appanages des vieillards & des
morfondus : cela étant , l'électricité naturelle
, qui fe préfente aux extrêmités des
doigts , trouve plus de réfiftance à gonfler
leurs fibres & leurs muſcles , qu'à parcourir
un fi grand appareil de nerfs jufqu'aux
fibres cérébrales , pourvu cependant que
ces nerfs foyent exemts dans toute leur
continuité des fufdits embarras , qu'on ne
fçauroit trop attentivement démêler dans
la conduite des maladies . La fenfibilité des
tenfionsinflammatoires , & l'infenfibilité des
oedémateufes confirment cette explication . :
Nos expériences de l'électricité font encore
mieux toucher au doigt ce méchanif
me admirable. Les rotations du globe farciffent
l'athmofphere de l'électricité . L'air
de la chambre où elles fe pratiquent , en
acquiert une agitation & un trémoulfement
qui ne lui font point ordinaires .
Voilà comme s'exerce le jeu des muſcles &
des fibres qui ne rencontre aucun nerf fa
vorable pour fe tranfmettre jufqu'au cerveau.
Etabliffez enfuite une barre de fer &
JANVIE R. 1756. 135
des fils d'archal pour fervir de conduits
au courant électrique , vous verrez auffitôt
éclorre toutes les expériences qui font
l'objet de votre admiration . Les nerfs dans
le corps humain répondent à ces barres
& à ces fils d'archal , & ils aboutiffent à
un nombre prefque infini de véhicules fibreuſes
de tous les organes du corps. Si
l'électricité fe tranfmet trop abondamment
, foit de l'organe commun , foit des
corps étrangers à quelque partie de votre
corps que ce puiffe être , vous y découvrirez
des fecouffes , des trémouffemens
des convulfions , des mouvemens convulfifs
, des éréthifmes , & toute cette kyrielle
de maladies , que vous défignez par mille
noms fuperflus , & par des expreffions propres
à voiler la fimplicité & l'uniformité
de la nature ; mais l'électricité émanée des
corps étrangers ne produira aucune fenfation
, fi les nerfs qui doivent la conduire
jufqu'au cerveau, fe trouvent , ou coupés ,
ou embarraffés , comme je l'ai déja infinué
, ou fi le courant électrique fe porte
plus librement çà & là , qu'il ne fuit la rou
te que les nerfs lui préfentent.
Il eſt inutile d'établir ici les parties du
corps animal qui dans leur état naturel
font plus ou moins fufceptibles de contraction
ou de mouvement mufculaire ; leur
136/ MERCURE DE FRANCE.
feule infpection , avec les principes què
je viens de pofer , fuffira pour déterminer
ce plus & ce moins .
Qu'il me foit permis d'obferver , avant
de finir , que l'idée d'irritation renferme
celle d'un fentiment douloureux , & que
celle de l'irritabilité conduit à l'idée d'une
fenfibilité proportionnée . La contraction
au contraire peut être ou ne pas être fuivie
d'un fentiment qui lui réponde . Il faut
que
la contraction des fibres cérébrales fe
joigne , ou fuive telle autre contraction
que ce foit , pour pouvoir donner naiſſance
à la fenfation . Pour la fanté donc , fi la
contraction des organes qui ne font point
fenfiferes , jouit d'une alternative naturelle
& aifée , volontaire ou involontaire
, libre ou non libre , que la ſenſation
lui fuccede ou non , c'eft ce qui doit fe
pratiquer pour le maintien de la vie corporelle
; mais fi elle eft exceffive & permanente
, fi elle eft trop violente , quoique
fucceffive , fi elle dépend d'une raréfaction
infolite des véhicules fibreufes ou
mufculeuſes , fi elle eft une fuite d'une
raréfaction outrée du tiffu véhiculaire
membraneux ou vafculeux , l'on y trouve
de quoi expliquer clairement les défordres
qui arrivent à l'économie animale ,
fans recourir à de nouveaux termes qui ,
JANVIE R. 1756. 137
outre qu'ils furchargent la mémoire , femblent
infinuer aux afpirans qu'il y a autant
de myſteres à approfondir qu'il y a de termes
inventés pour les énoncer. Ce méchanifme
de contractions prendra , ce me femble
, un nouveau jour des réflexions phyfiques
, dont je vais couronner ce précis
d'obfervations fur la lettre ci- deffus mentionnée
.
Quoique je ne connoiffe aucun état des
corps qui leur foit effentiel , à l'exclufion
de tout autre , je veux bien admettre avec
tous les Phyficiens un nombre de portions
de la matiere qui conftituent un corps dans
un lieu donné avec une certaine pefanteur.
Je confens de plus avec eux , qu'on appelle
ces portions les parties propres de ce corps,
quoique toute électricité furvenante lui
devienne autant naturelle , pendant qu'il
en jouit , que toutes ces parties qu'on lui
affigne dans tel ou tel rapport avec les
corps qu'on lui fuppofe étrangers . Une
telle nature de corps qu'il doit à fon électricité
fpéciale , ne fçauroit varier en quelque
fens qu'elle varie , que par l'abord
d'une électricité plus abondante que ne
l'eft celle qui l'y affujettiffoit jufqu'alors.
Il faut donc , fi fon électricité croît pour
un nouveau lieu , qu'elle décroiffe à proportion
pour le lieu où on l'a d'abord fup138
MERCURE DE FRANCE.
pofée. S'il devient , par exemple , plus léger
, il ceffe d'avoir le même rapport avec
le centre commun des graves , & fon élec
tricité croît pour un lieu oppofé à celui
qu'il affectoit par fa premiere gravité. If
s'accourcit par conféquent , & s'éloigne
des graves pour s'étendre , & s'allonger en
un fens contraire dans la même raifon que
fa légereté l'augmente.
Le refte de la lettre ne contient que des
faits qui méritent l'attention des Chirur
giens dans les panfemens des plaies & des
bleffures.
MEDECINE ET MÉTALLURGIE.
Nous déclarons au Public que nous ne
fommes que Littérateurs & Nouvelliftes ,
& qu'ainfi nous aurons toujours la plus
forte répugnance à inférer dans le Mercure
les Lettres les mieux faites , quand il
y fera queftion de quelques objets litigieux
. Nous ne nous fommes prêtés à
l'impreffion de celle- ci , que parce qu'elle
contient des faits effentiels , & dignes de
l'examen de tous les Citoyens de Paris ,
auxquels les eaux de Paffy font ordonnées ;
nous annonçons , mais nous ne décidons
pas, & ce n'eft en effèt qu'avec crainte que
JANVIER. 1756. 139
nous donnons notre avis fur les matieres
même les plus indifférentes.
Lettre de M... à M. le Prieur de C.. an
fujet des Eaux Minérales de Paffy.
"Vous ne vous êtes point trompé , Monfieur
; je crois pouvoir au moins contribuer
à faire ceffer votre indécifion par
rapport aux Eaux de Paffy. Ceux qui
vous en ont confeillé l'ufage , n'ont point
fait de diftinction entre les anciennes &
les nouvelles , parce qu'apparemment ils
ne les connoillent que par cette réputation
vague qui doit s'apprécier fur les
lieux. Pour moi qui n'ai pas
l'honneur
d'être Médecin , je n'entreprendrai pas
fans doute fur les fonctions des gens du
métier ; je fçais me tenir à ma place : mais
je fuis Hiftorien fidele & furtout fort impartial
de plus je fuis très à portée de
vous faire un rapport exact du fuccès de
ces différentes eaux & de l'idée , qu'en ont
les plus habiles gens. C'est donc fimple
ment à l'Hiftoire des anciennes & des
nouvelles Eaux de Paffy que je veux ici
me borner ; j'en décrirai fommairement
l'origine , la fortune , & l'état actuel : ce
détail pourra fixer votre choix , & vous.
140 MERCURE DE FRANCE.
n'elfuierez point le conflit des préjugés ou
des opinions qui partagent nos Praticiens .
Les anciennes Eaux de Paffy font connues
depuis près de 300 ans. Le terrein
dans lequel eft fituée la fontaine qui les
diftribue , étoit anciennement une tuilerie
, & l'endroit s'appelloit expreffément
les Eaux falutaires . Ce nom qui peut-être
aujourd'hui paroîtroit un peu faftueux ,
étoit fort fimple dans des tems plus fimples
; il leur avoit été donné par l'expérience
des habitans . La réputation de ces
Eaux réveilla il y a 50 ans l'attention
des Médecins du Roi ; ils les vifiterent ,
& après un mûr examen ils les ordonnerent
à Madame la Duchefle de Bourgogne.
Le bien qu'elles firent à cette Princelfe
, engagea le Roi à faire conftruire à
fes dépens l'aqueduc qui fert à faire écouler
les eaux de la fource dans la riviere ,
& qui traverſe fous terre le chemin de
Verfailles .
Depuis cette heureuſe expérience , les
anciennes Eaux de Paffy , en poffeffion
de la confiance publique , devenoient de
jour en jour plus célebres ; un incident
leur fufcita des rivales , & fit éclorre toutà-
coup les nouvelles Eaux. Les premieres
dans leur plus grande vogue , étoient affermées
pour très -peu de chofe à un parJANVIER.
1756. 141
ticulier dont je tais le nom par confidération
pour fa famille . Le produit confidérable
que le Sieur M..... tiroit de ces
Eaux , fit ouvrir les yeux au Propriétaire :
il voulut augmenter le prix du bail , &
le fieur M..... n'ayant pas voulu fouffrir
la moindre augmentation , le premier bail
expiré , ce Propriétaire prit le parti de
faire valoir fes Eaux par lui - même . Le
Sieur M.... piqué de perdre un profit peu
jufte , mais für & auquel il étoit accourumé
, jura qu'il détruiroit les eaux . L'effet
fuivit bien- tôt la menace ; en quittant
il jetta dans la fontaine une quantité de
vif- argent fuffifante pour faire crevaller
le puits , & y introduire l'eau de la riviere
. Cette noirceur lui réuffit ; le vifargent
fit tout le ravage qu'il en attendoit ,
& l'eau douce pénétra dans le puits . Dans
le même tems ( c'étoit celui du fyftême en
1720 ) il alla trouver l'Abbé le Ragnis ,
& il lui propofa d'acheter en billets de
banque , une maifon fituée près des anciennes
eaux , pour en établir de nouvelles
qui feroient tomber les premieres.
L'Abbé le Ragois gouta fon projet , & il
acheta cette maifon qui appartenoir au
Duc de Lauzun ; il s'y trouva un filet d'eau
qui fut érigé en Eaux minérales ; & comme
alors les anciennes s'affoibliffoient fen
142 MERCURE DE FRANCE.
fiblement par l'abominable expédient du
fieur M..... bien des Médecins les abandonnerent
& accréditerent les nouvelles .
Voilà , Monfieur , exactement l'origine
de ces nouvelles eaux ; je tiens ces faits
de perfonnes fures qui ont connu le fieur
M..... Lui - même à l'article de la mort
avoua tout à la Propriétaire des anciennes
eaux , ce qui la mit en état de réparer le
mal. En effet , auffi- tôt qu'on fçut d'où
provenoit cette altération , dont , fans
l'aveu du coupable , on n'auroit jamais
deviné la caufe , on fit d'abord combler
le puits qui d'ailleurs étoit trop profond
& l'on conftruifit un baffin de pierre où
tombent les eaux de la fource auffi pures
qu'en fortant de la mine , fans courir le
rifque d'aucun mêlange avec des eaux
étrangeres.
Depuis ces réparations , les anciennes
& les nouvelles eaux ont eu à peu près le
même concours. Cependant nos plus
grands Médecins MM . Molin , Senac
Pouffe Vernage , & bien d'autres , ont
toujours préféré les anciennes ; ce font
toujours les anciennes eaux qu'on ordonne
à la Famille Royale. Madame la Dauphine
& Mefdames de France les ont prifes
l'année derniere avec tout le fuccès
poffible. Si j'oſe joindre mon témoignage
*
...
1.
*.
JANVIER. 1756. 143
à de pareilles confidérations , j'ai remarqué
plus d'une fois dans la façon dont fe
diftribuent les anciennes & les nouvelles
caux des circonftances qui m'ont frappé.
On voit la fource des anciennes. précitément
au même état où elle étoit il y a 200
ans : rien n'eſt changé à cet égard ; l'eau
coule librement & fans art dans le baffin
qui la reçoit ; on vous laiffe examiner à
loifir la fontaine & fes dépendances , chacun
peut s'affurer par fes propres yeux
que ces eaux font réellement telles que
Dieu les donne , fuivant l'expreffion de M.
Molin qui ne les défignoit pas autrement.
Il n'en eft pas de même des nouvelles
eaux. Premierement elles font troublées
par les moindres inondations de la Seine
ce qui n'arrive point aux autres , parce
que leur baffin eft plus élevé. Secondement
il n'eft pas aifé d'en voir la fource ;
elle eft fouftraite aux regards profanes de
tous les curieux inutiles. On me mena dîner
il y a quelques années chez M, Belami
, Propriétaire de ces eaux. J'étois avec
deux Médecins leurs Protecteurs déclarés
& par conféquent tout nous fut ouvert.
Nous defcendîmes dans les caves ; j'y vis
différens réfervoirs qui avoient tous leur
robinet ; ces robinets m'étoient fufpects :
mais je fus bien plus furpris , lorfque j'ap
144 MERCURE DE FRANCE.
perçus dans le coin d'une cave un fort
gros tas de machefer ; j'allois demander
bonnement à quoi fervoient là ces fcories;
la réflexion me fit fupprimer une queftion
qui pouvoit être indifcrette , & je me
contentai d'en foupçonner l'ufage.
Pour revenir à notre objet , on ne peut
nier que les nouvelles eaux de Paffy
n'ayent eu pendant quelque tems la fupériorité
de la vogue fur les anciennes
caux. Mais il est évident qu'elles ne l'ont
due qu'à la beauté des Jardins qui font
une promenade agréable , & à la commodité
des logemens qui facilitent les moyens
de prendre ces eaux fur les lieux . Ce qui
peut encore avoir beaucoup contribué à la
célébrité des nouvelles eaux ', eft l'analyſe
qui en fut faite il y a 15 ou 16 ans par M.
Bolduc , & qu'un Médecin de la Faculté
( M. Baron ) a miſe en theſe.
Les anciennes eaux de Paffy dont la longue
poffeffion & les bons fervices auroient
dû feuls leur attirer l'attention de nos Chymiſtes
, n'étoient encore connues que par
leur fuccès . M. Brouzet , Médecin Ordinaire
du Roi & de l'Infirmerie Royale de
Fontainebleau , en fit l'analyfe il y a deux
ans , & fon mémoire après avoir été préfenté
à l'Académie des Sciences , eft actuellement
imprimé. Comme le Volume
n'eft
JANVIE R. 1756. 145
n'eft pas gros , au lieu de vous en faire
un extrait qui vous feroit perdre bien des
chofes , j'ai cru devoir vous l'envoyer . Ce
qui vous intéreffe le plus , la comparaiſon
des anciennes eaux avec les nouvelles y
eft faire , & de main de maître. Cette
piece fuffiroit feule pour vous décider ;
mais quelques réflexions fur les faits
que je rapporte en homme inftruit & parfaitement
défintéreffé , jointes à la préférence
que les Médecins du Roi donnent
conftamment aux anciennes eaux , lorfqu'il
s'agit des fantés les plus précieufes , acheveront
de terminer votre irréſolution fur
ce point.
Je fuis avec tous les fentimens que vous
me connoiffez , Monfieur , votre & c.
SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie Royale des Sciences .
L'Académie des Sciences tint le 12 Novembre
la féance publique d'après la S.
Martin . M. de Fouchy , Secrétaire perpétuel
, lut les éloges de feu M. le Maréchal
de Lowen dalh , Académicien Honoraire
, & de feu M. Helvetius , Affocié
Vétéran . M. l'Abbé Nolet lut enfuite un
I. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
Mémoire intitulé , Examen de deux queftions
fur l'Electricité, M. le Gentil de la Galaifiere
termina la féance par la lecture
d'un Mémoire fur le diametre apparent du
Soleil.
SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie des Infcriptions & Belles-
Lettres.
LE 14 du même mois , l'Académie des
Infcriptions & Belles - Lettres tint auſſi ſon
affemblée publique d'après les vacances,
Après l'annonce des Prix , M. le Beau ,
Secrétaire perpétuel , lut les éloges du
Cardinal Querini & du Marquis Scipion
Maffei , avec l'approbation générale. M.
l'Abbé Belley donna l'explication d'un Camée
antique du Cabinet de Monfeigneur le
Duc d'Orléans , & prouva que cette Pierre
à été gravée à l'occafion des jeux Séculaires
, que l'Empereur Domitien fit célébrer.
Selon cet Académicien , elle repréfente
une cérémonie , dans laquelle ,
fuivant l'ufage , on diſtribua des parfums
au Peuple Romain , quelques jours avant
la folemnité. A la fin de la féance , M. l'Abbé
Batteux fit la lecture d'un fecond Mémoire
hiftorique fur le principe actif de
la nature .
JANVIE R. 1756. 147
Cette Académie défirant que les Auteurs
, qui compofent pour fes Prix ,
ayent tout le temps d'approfondir les
matieres , & de travailler les fujets qu'elle
leur donne à traiter , avertit dès à préfent
, que le fujet , pour le prix qu'elle
doit diftribuer à Pâques en 1757 , confifte
à examiner quel fut l'état des Villes
& des Républiques fituées dans le Continent
de la Grece Européene , depuis qu'elle eût
été réduite en Province Romaine , jusqu'à la
bataille d'Allium ? La même Académie
avoit proposé pour le fujet du prix qu'elle
devoit adjuger à la Saint Martin de cette
année , de rechercher , quels font les attributs
diftinitifs , qui caracterifent dans les
Auteurs , & fur les monumens , OSIRIS ,
ISIS & ORUS ? Quelles pouvoient être l'origine
& lesraifons de ces attributs ? S'il avoient
tous également rapport aux dogmes de la religion
Egyptienne ? Sils ont éprouvé , foit en
Egypte , foit dans les pays où cette partie
du culte Egyptien s'eft introduite , des altérations
propres à déterminer à peu près l'âge
F des monumens où ils font repréfentés ? Aucune
des pieces envoyées pour le concours
n'ayant paru fatisfaifante , l'Académie à
jugé à propos de remettre le Prix , & elle
propofe de nouveau le même fujet pour
la Saint Martin de l'année 1757. Comme
"
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
un des objets de la fondation faite de
ce prix par M. le Comte de Caylus eft
d'inftruire les Artiftes fur le coftume , on
recommande aux Auteurs qui voudront
concourir , de déterminer chacun des
attributs par les textes des anciens Auteurs
& par les monumens, de les expliquer avec
préciſion , & d'en fuivre les changemens
fucceffifs , fans s'écarter du fujet.Le prix
fera double , c'est- à- dire , de deux médailles
d'or , chacune de cinq cens livres.
PRIX proposé par l'Académie Royale de
Chirurgie , pour l'année 1757 .
L'Académie Royale de Chirurgie propofe
pour le Prix de l'année 1757 le ſujet
fuivant :
Dans les cas où l'amputation de la cuiffe
dans l'article , paroîtroit l'unique reſſource
pour fauver la vie à un malade ; déterminer
fi l'on doit pratiquer cette opération , &
quelle feroit la méthode la plus avantageufe
de la faire.
Ceux qui.enveront des Mémoires
font priés des les écrire en François ou
en Latin , & d'avoir attention qu'ils foient
fort lifibles .
Les Auteurs mettront fimplement une
>
JANVIER. 1756. 149
devife à leurs Ouvrages ; mais pour fe
faire connoître , ils y joindront dans un
papier cacheté & écrit de leur propre
main, leurs noms, demeures & qualités , &
ce papier ne fera ouvert qu'en cas que la
piece ait remporté le prix.
Ils adrefferont leurs Ouvrages , francs
de port , à M. Morand , Secrétaire perpétuel
de l'Académie Royale de Chirurgie ,
à Paris , ou les lui feront remettre entre
les mains .
Toutes perfonnes de quelque qualité
& pays qu'elles foient , pourront afpirer
au prix ; on n'excepte que les Membres
de l'Académie.
Le prix eft une médaille d'or de la
valeur de cinq cens livres , fondée par
M. de Lapeyronie , qui fera donnée à celui
qui , au jugement de l'Académie ,
aura fait le meilleur mémoire fur le fujet
propofe.
La médaille fera délivrée à l'Auteur
même qui fe fera fait connoître , ou au
Porteur d'une procuration de fa part ; l'un
ou l'autre repréfentant la marque diftinctive
, & une copie nette du mémoire.
Les ouvrages feront reçus jufqu'au dernier
jour de Décembre 1756 inclufivement
; & l'Académie , à fon Affemblée
publique de 1757 , qui fe tiendra le
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
jeudi d'après la quinzaine de Pâques , proclamera
la piece qui aura remporté le
prix.
L'Académie a annoncé dans les nouvelles
publiques , que fur les fonds qui
lui ont été legués par M. de Lapeyronie
, elle donneroit tous les ans une médaille
d'or de la valeur de deux cens
livres à celui des Chirurgiens étrangers
ou Regnicoles , non membres de l'Académie
, qui l'aura mérité par un ouvrage
fur quelque matiere de Chirurgie que
ce foit au choix de l'Auteur. Ce prix d'émulation
fera proclamé le jour de la féance
publique 1756 pour ceux qui ont
travaillé en 1755 .
›
L'Académie diftribuera de plus tous les
ans , cinq Médailles d'or de cent francs
chacune à cinq Chirurgiens , foit Académiciens
de la claffe des libres , foit fimplement
Regnicoles , qui auront fourni
dans le cours de l'année un mémoire ,
ou trois obfervations intéreffantes. Les
Regnicoles qui auront mérité une de
ces médailles , en feront informés par des
lettres particulieres du Secrétaire
*
JANVIE R. 1756. 151
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
M.
MUSIQUE.
Duphly vient de mettre au jour fon
troifieme livre de pieces de Clavecin , qui fe
vend aux adreffes ordinaires. Son talent &
fon mérite font trop connus pour avoir
befoin d'être prônés. Le nom feul de
l'Auteur fait l'éloge de l'ouvrage .
Le Cabriolet , Cantatille, avec accompa
gnement de violons & baffe- continue
dédiée à M. de R*** par M. Papavoine ;
prix 1 liv. 16 fols , à Paris , chez l'Auteur ,
rue S. Honoré , vis- à- vis l'Hôtel de Noailles
, & aux adreffes ordinaires.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
PEINTURE.
Suite des Mémoires d'une Société de Gens
de Lettres , publiés en l'année 2355.
LE Mémoire dont nous allons rendre
compre, & qui eft le fixiéme dans le volume
, eft de M. Truthlover déja connu par
plufieurs ouvrages. Son objet eft la peinture
des anciens François , qu'il juge en
général tant fur les fragmens qui nous en
reftent dans les monumens publics , que
fur ceux qui le trouvent dans les cabinets
des Curieux ; il a fallu fans doute un zéle
infatigable pour fuivre une recherche auffi
pénible & auffi défagréable par la difficulté
d'appercevoir le mérite de ces peintures
noircies par un long efpace de tems ,
& en partie détruites.
M. Truthlover remarque d'abord que les
Peintres de ces fiecles n'ayant pas encore
trouvé la liqueur inaltérable dont nous
nous fervons maintenant , & qui affure à
nos tableaux une durée éternelle , fe fervoient
de quelques huiles pour lier les
couleurs , & que c'eft à cela qu'on doit
attribuer la ruine de leurs ouvrages ; c'eft
ce qui les a fait noircir , & les a brifés en
JANVIER . 1756. 153
petites écailles. Non feulement il le prou
ve par quelques citations d'anciens livres ,
mais encore ce curieux obſervateur a
cru néceffaire de s'en affurer par une décompofition
chimique dont il a fait l'expérience
fur les tableaux qu'il a cru les
moins eſtimables du côté de l'art ; on ne
fçait ce qu'on doit le plus admirer de fon
zele pour les découvertes importantes ,
ou de la générofité qui le porte à facrifier
au bien public des morceaux toujours
de grand prix par leur rareté & par leur
antiquité . Il obferve que les Peintures du
dix-huitieme fiecle font beaucoup moins
noircies que celles du dix- feptieme , ce
qui ne préfente d'abord aucune difficul-'
té, par la raifon qu'il y a un fiecle de différence
entr'elles ; mais M. Truthlover , qui
ne fe contente pas des premieres idées qui
fatisfont le commun des hommes , a porté
fes recherches plus loin. Il prétend que la
différence de noirceur qu'il y a entre les
tableaux de ces deux fiecles , eft trop confidérable
pour être attribuée fimplement
à l'effet d'un efpace de tems fi court en
comparaifon des fiecles qui fe font écoulés
depuis , mais qu'en effet il s'étoit établi
dans le dix-huitieme fiecle une mode
de peindre clair & avec très peu d'ombres
fortes , & que c'est ce qui eft caufe que nous
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
›
voyons encore avec plaifir plufieurs beaux
tableaux de ce tems-là : ce qui -appuie le
plus fortement fon fentiment , ce font
quelques citations de Livres anciens extraordinairement
rares , par lefquels il
paroît qu'on reprochoit à ces Peintres ,
comme un défaut , de peindre clair . Il eſt
bien fingulier qu'on ait attaqué d'excellens
hommes fur ce qui les a conduit à
une durée infiniment plus longue , & ce
qui nous fait jouir encore du plaifir de
voir leurs ouvrages , & d'admirer leurs talens.
>
Il entre enfuite dans des détails pour
faire connoître l'empire que la mode avoit
dans ces tems fur la Peinture : il remarque
que l'école qui floriffoit au commencement
du dix- huitieme fiecle , s'aflujettiffoit
dans la compofition, de tous les fujets
d'Hiſtoire à mettre toujours aux
deux coins du tableau deux grouppes de
figures ombrées & bien noires , pour faire
paroître le milieu du tableau plus enfoncé
& plus lumineux ; que c'étoit une loi
fi fondamentale , qu'on y auroit plutôt mis
des figures inutiles & .hors de vraifemblance
que
de s'en priver. Vers le milieu
de ce même fiecle , certe mode changea
entierement , tellement qu'on eût mieux
aimé fupprimer des figures néceffaires, que
JANVIER. 1756. 155
de fe réfoudre à en placer dans les coins.
C'eft encore à la mode qu'il rapporte cette
façon de colorier les ombres de la chair
de tons olivâtres ou jaunâtres , que cinquante
ans auparavant on faifoit toutes de
tons rougeâtres . Mais il fait une diftinction
bien judicieufe entre les chofes peu
naturelles établies par la mode & celles
qui ne nous paroiffent telles , que parce
que nous ne connoiffons plus de nature
femblable à celle des hommes de ce temslà
: c'eft par cette imitation d'une nature
inconnue maintenant , qu'il juftifie ces
demi teintes fenfiblement violâtres
bleuâtres , ou verdâtres , qu'on trouve
dans plufieurs de ces tableaux ; elles ne
nous femblent fauffes qu'en ce qu'elles
font au- deffus de la nature préfente. Il
rapporte quantité de preuves qui démontrent
qu'elle étoit alors de cette agréable
couleur. En effet , on trouve tant de tableaux
de divers Auteurs qui fe reflemblent
en ce point , qu'on ne fçauroit douter
que leur différence d'avec ceux que
nous faifons à préfent , n'ait fa fource
dans les variations de la nature . C'eſt à
cette même caufe qu'il attribue la différence
des vifages que nous voyons de nos
jours à ceux que préfentent ces tableaux ;
ces derniers font unis & prefque fans dé
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
tails . Deux ou trois teintes brillantes ont
fuffi pour les colorier ; la nature étoit plus
belle étant plus près de fa création : tous
les vifages étoient encore agréables de
forme & de couleur ; au lieu que de notre
tems la quantité de tons de couleur peu
fenfibles & fi variés que nous voyons
dans la chair , & qui nous donne tant de
peine à imiter , eft la preuve d'une nature
Alétrie. Dans ces anciens tableaux on voit
à prefque toutes les têtes, des nés aquilins ,
des phifionomies nobles & des traits réguliers
, même lorfqu'on a voulu repréfenter
le plus bas peuple , ce qui y répand
un air de fraternité , & les fait paroître .
en quelque façon de la même famille.
Selon M. Truchlover , on ne doit point
s'en étonner la Ville de Paris étoit alors
fort petite , elle ne pouvoit contenir au
plus qu'environ un million d'habitans . Si
peu de monde dans un petit efpace , donne
lieu de croire que les habitans fe connoiffoient
tous , la grande habitude de fe
voir faifoit que tous leurs enfans fe reffembloient
, & cette conformité continuoit
dans l'âge d'homme fait . D'ailleurs
tous fes habitans étoient naturels du païs
ce qui augmentoit encore l'uniformité des
caracteres , au lieu que maintenant Paris
eft prefque auffi peuplé d'Etrangers de
:
JANVIER. 1756. 157
tous les païs de l'Univers , que la grandeur
de fon commerce & fa puiffance y
attirent , que de ſes habitans naturels ; delà
une race mêlée & une infinité de caracteres
de vifages différens. Il en réfulte
à la vérité une richeffe avantageufe
à la Peinture , par la variété que cela répand
dans le tableau ; mais en mêmetems
l'Art en eft devenu plus difficile . Il
pouvoit fuffire à un Peintre dans ces temslà
, d'avoir appris à bien deffiner une douzaine
de têtes ; elles lui fervoient à tout ,
& il n'avoit plus qu'à travailler de mémoire
, au lieu que maintenant nous ne
pouvons rien produire qui foit approuvé ,
que nous n'ayons continuellement la nature
devant les yeux : c'est encore de
l'exacte imitation de la nature que s'enfuit
la différence fenfible qu'on voit entre
les tableaux de la fin du dix-feptieme fiecle
, & ceux du milieu du dix-huitieme ;
dans les premiers toutes les figures
d'hommes font d'une nature courte , mufclée
, fort fenfiblement & partout prefque
également ; d'ailleurs leur chair eft généralement
d'une couleur rouge. Le dixfeptieme
fiecle ayant été long- tems expofé
à des guerres , les hommes allant tous
en Campagne s'y fortifioient , & étant
exposés aux injures de l'air , y perdoient
158 MERCURE DE FRANCE.
leur couleur naturelle , au lieu que dans le
fiecle fuivant en ayant été moins troublé ,
les François élevés à l'ombre & dans le
repos des Villes , devinrent d'une nature
plus élégante , plus coulante , & leurblancheur
naturelle fut moins altérée .
M. Truhlover rapporte un fait fingu
lier & qu'on ne peut révoquer en doute ,
quoiqu'il ait négligé de citer les Auteurs
qui l'autorifent. Ce fait lui fert à prouver
combien les Arts étoient déja protégés &
foutenus. Il dit qu'on faifoit choix dans
toute la Ville des plus belles perfonnes des
deux fexes de toute qualité, & condition;
pour fervir de modeles aux Peintres ; qu'elles
tenoient à grand honneur d'être de
ce nombre & avec raifon , puifque c'étoit
en effet obtenir le prix de la beauté , cho
fe fi importante pour les femmes , qu'elles
faifoient mille brigues auprès des Peintres
pour obtenir leurs fuffrages. O tems heu-> ·
reux , s'écrie M. Truthlover ! afin de faciliter
les moyens de traiter les fujets faints
on avoit choisi un nombre d'hommes pour
repréſenter les douze Apôtres. Ces hommes
laifoient croître leur barbe , & cette
marque caractéristique leur attiroit le refpect
& la confidération de tout le monde ;
en même tems il étoit expreffément défendu
aux Peintres de fe fervir d'aucun
JANVIER . 1756. 159
autre modele. En effet fans cette regle ,
comment fe pourroit- il que toutes les têtes
d'Apôtres que nous voyons dans ces
tableaux , fe reffemblaffent auffi exactement
qu'elles le font. Il faut voir comme
à l'appui de cette découverte hiftorique ,
M. Truthlover foudroie quelques Auteurs
qui ont prétendu que cette reffemblance
de têtes étoit feulement une convention.
parmi les Peintres , & qu'ils étoient obli
gés de tirer ces têtes de leur cerveau fans
en avoir de modele devant les yeux.
Quelle abfurdité ! ne fçait- on pas qu'il
» eft impoffible de rien faire qui porte un
» caractere de vérité fans le fecours de la
»> nature : c'eût été la perte de l'Art .« Combien
plus refute- t'il l'erreur que quelques-
uns ont avancée , en difant que les
Peintres d'Hiftoire faifoient toutes leurs
têtes fans prefque confulter la nature ;
qu'ils fe formoient l'idée vague d'une nature
imaginaire , à laquelle ils affujettif
foient celle de leur païs, « Qu'on conçoive ,
» dit- il , que les Peintres ayent pu étudier
»fur une nature étrangere ou fur des ou-
"
33 vrages anciens , pour apprendre à ano-
» blir celle de leur païs ; mais qu'on en
» conclue qu'ils ne faifoient plus rien que
» fur ces idées acquifes , & fans y ajouter
v les vérités que la nature préfente , &
"
160 MERCURE DE FRANCE.
» qui feules peuvent faire naître l'illuſion
» néceffaire dans la Peinture , c'eſt ce
que je ne puis accorder.
Cependant qu'il nous foit permis de
n'être pas entierement de l'avis de M.
Truthlover , & de dire qu'il a affoibli
l'objection en fupprimant les raifons que
ces Auteurs apportent pour excufer les
Artiftes. Appuyés fur quelques Livres anciens
, ils difent que la Nation Françoiſe
étoit alors montée fur un ton critique , qui
l'empêchoit de fe livrer au fentiment &
qui gênoit infiniment les Peintres ; qu'à
force d'analyfer tout & de n'approuver
que ce qui étoit hors de toute répréhenfion
, on donnoit des entraves au génie
qui le fatiguoient & fouvent le détruifoient
entierement ; que le plus grand
nombre ne pouvant arriver à la connoiffance
de ce qui fait le mérite effentiel
de la peinture , c'est- à- dire , le deffein &
le coloris , fe rejettoit fur le coftume
comme étant ce fur quoi l'éducation commune
donne le plus de lumiere ; que les
Gens de Lettres célebres ou non , ne manquoient
pas d'attacher toutes leurs réflexions
& toute leur fenfibilité à cette
partie acceffoire de l'Art , qui leur paroif
foit la plus importante , parce que c'étoit
celle dont ils étoient le mieux inftruits ,
JANVIE R. 1756. 161
Qu'en conféquence la plupart des fujets
qu'on repréfentoit , étant des faits arrivés
dans d'autres pays que la France , &
même hors de l'Europe , on exigeoit que
les caracteres des têtes fuffent abfolument
étrangers & différens de la nature connue
dans le pays. Quelque mérite de vérité
& d'illufion qu'eût eu un tableau ,
s'il n'eût pas rempli cette idée vague de
la vraie beauté que les Lettrés célebroient ,
il fe feroit élevé de leur part un cri de
défapprobation qui eût bientôt entraîné
le public , malgré le plaifir qui fuit d'abord
irrésistiblement de la repréſentation
vraie d'une nature connue .
Quoiqu'il en foit , de cette explication
qu'apparemment M. Truthlover n'a pas
trouvée auffi folide qu'elle nous le paroît ,
il conclut que fi nous ne trouvons pas
dans ces tableaux anciens , toute la vérité
de détail que nous exigeons dans les
nôtres , c'eft qu'en effet la nature étoit
alors fort différente de ce qu'elle eft maintenant.
Il ajoute au fujet de ces hommes
défignés pour fervir d'Apôtres , qu'ils por
toient des habits tels que nous les voyons
dans ces tableaux : en effet , ces vêtemens
font trop peu naturels, pour fuppofer qu'ils
n'ayent pas été faits exprès. Quelle apparence
que les Apôtres fuffent affez ri162
MERCURE DE FRANCE.
ches pour porter des manteaux où il entre
quatre fois plus d'étoffe qu'il n'en
faut pour envelopper un homme , &
quand il feroit poffible qu'ils cuffent eu
cette efpece de luxe , comment peut-on
fuppofer que des hommes qui travailloient
de leurs mains , s'incommodaſſent
d'un poids auffi lourd que l'eft une piece
d'étoffe groffiere de cette grandeur ? De
plus on a tâché de nos jours de trouver
la coupe de ces manteaux , & jamais on
n'a pu en tailler qui fourniffent la quantité
de plis & dans les mêmes endroits
que ces tableaux les font voir . On en
doit conclure que ce font des vêtemens
fictifs , taillés d'une maniere finguliere &
qui n'eft nullement naturelle : il n'ont pas
plus de rapport avec les conjectures qu'on
peut tirer fur une nation telle que les Juifs ,
qui ayant été floriffante pendant tant de
fiecles , devoit avoir perfectionné les manufactures
, & ne s'être pas bornée à ne faire
que de groffes étoffes rouges , bleues ,
vertes ou jaunes , qui font prefque les feules
couleurs qu'on trouve dans ces vêtemens
, & fans aucune rayure , ornement
dans les étoffes dont l'invention eft fi fimple
, & qu'il a toujours été naturel de trouver
agréable. On fçait de plus que les
nations Orientales ont toujours eu une
JANVIE R. 1756. 163
coëffure , & l'on n'en voit aucune dans
ces tableaux.
M. Truthlover entre enfuite dans des
détails intéreffans fur la nature des femmes
d'alors , qui avoient toutes le nez enfoncé
à la hauteur des yeux ; au contraine
des hommes qui avoient tous le nez
aquilin : elles étoient toutes un peu camufes
, ce qui produit des perfonnes plus
agréables que belles : leur taille étoit
élegante , & il n'y avoit point de ces perfonnes
graffes que nous voyons fi fréquemment
de nos jours : autrement il s'en trouveroit
dans les tableaux du moins pour
varier. Cette nature étant celle qui produit
le plus beau coloris , il n'eft pas raifonnable
de penfer que les Peintres fe
fuffent voulu priver de cette fource d'agrémens
dont nous tirons un parti fi avantageux
dans nos tableaux.
Il paroît auffi que les anciens François
étoient des gens fort doux , & qui fe paffionnoient
peu , car on ne voit que rarement
de la paffion dans les têtes de ces
morceaux .
M. Truthlover porte cette réflexion
plus loin , & remarque que prefque tous
les tableaux de ce temps -là font des fujets
agréables ou indifférens , qui ne donnent
point lieu à des expreffions de paffions
164 MERCURE DE FRANCE.
fortes ; il lui femble même entrevoir
quelque affectation à fuir tous les fujets
qui peindroient des fentimens de douleur .
Ce font cependant ceux qui font les plus
propres à affecter l'ame, & à porter la peinture
à fon plus haur période.
M. Truthlover ne fçait à quoi attribuer
ce choix de fujets infipides ; eft - ce une
fauffe délicateffe de la Nation , qui l'em-.
pêchoit de fupporter ces fpectacles forts
& tragiques eft ce une foible condefcendance
pour le beau fexe , qui femble toujours
tendre à énerver le courage de l'homme
? peut-on penfer que fon empire s'étendit
jufques fur la peinture ? Croironsnous
que cette raifon ait fuffi pour donner
des entraves aux Artiftes excellens ,
que leur génie devoit porter naturellement
aux fujets qui leur donnoient lieu
d'en déployer toute la force , ou bien fuppoferons
- nous que ces Artiftes eux - mêmes
les évitaflent par l'incapacité de les
rendre avec toute l'expreffion qu'ils
exigent ? Ce qui engage M. Truthlover à
jetter plutôt cette faute fur le goût dominant
de la Nation , c'eft qu'outre qu'il
fe trouve quelques tableaux d'Eglife repréfentant
des Martyres exprimés avec
force , & qui juftifient les Artiftes , il remarque
que dans le nombre des cataloJANVIER.
1756. 165
gues de tableaux des Curieux de ce tempslà
, ( tableaux maintenant perdus ) on ne
trouve prefqu'autre chofe que des fujets
agréables ou indifférens : ils tiroient cependant
les principaux objets de leur curiofité
de l'ancienne Italie & de la Flandre
. On fçait par tradition que la plupart
des morceaux d'Italie , repréfentoient de
ces fujets d'expreffion , & que c'étoit en
quoi ces admirables Peintres , fi vantés
dans l'hiftoire , faifoient confifter leurs
plus grands talens. Auffi fe trouve- t'il
très-peu de tableaux Italiens dans ces catalogues
, mais en récompenfe une quantité
innombrable de tableaux Flamands
dont il paroît par les defcriptions qui en
font faites , que les fujets étoient pour
la plupart des Fêtes champêtres , ou autres
objets de nature commune , qui pouvoient
être agréables par quelque coloris
, & par une verité qu'il eft plus facile de
rendre que d'imaginer ces fituations touchantes
qui font l'aliment de la grande
Peinture d'Hiftoire. Si cette fuppofition
a lieu , M. Truthlover ne craint pas
d'avancer que les François étoient alors
plus curieux de meubles agréables que de
Peinture .
M. Truthlover paffe enfuite à quelques
réflexions générales fur le dégré de mérite
166 MERCURE DE FRANCE.
de ces tableaux : il remarque qu'on n'y
trouve prefque point de défauts , que
ceux d'entre ces Peintres qui femblent les
plus coloriftes , confervent néanmoins affez
de régularité dans le deffein , & que
ceux qui peuvent paffer pour les plus fçavans
Deflinateurs , préfentent un coloris
agréable , & dont on ne peut abfolument
fe plaindre. Cette réflexion fur la réunion
de toutes les parties de la Peinture:
dans le même Peintre , n'avoit pas échappé
à M. Followfcent dans fon Traité de
l'origine des progrès de la feinture en
France ; mais il en faifoit un mérite aux
Artiftes du dix- huitieme fiecle. Ici au contraire
M. Truthlover le leur reproche comme
un défaut . Il prétend que le caractere
de la médiocrité eft de réuffir prefque
également à tout ; que fi le Peintre né
pour être Deffinateur exact & correct , force
fon caractere pour devenir colorifte ,
it ne portera pas la partie du deffein auffi
loin qu'il l'auroit pu , & quelque effort
qu'il faffe , ne fera que très - médiocre colorifte
; que de même celui que fa difpofition
naturelle entraîne vers le coloris ,
fera retenu dans des entraves , s'il s'efforce
à s'affujettir à la correction du trait ,`
& que cette fervitude eft tout - à- fait contraire
à l'enthoufiafme & à la chaleur
JANVIER . 1756. 167
d'imagination avec laquelle le coloriſte
doit opérer ; que les fentimens intérieurs
qui portent le Peintre vers l'une ou l'au
tre de ces parties de la Peinture , font
abfolument différens & oppofés l'un à
l'autre ; qu'ils ne peuvent fe rencontrer
dans le même fujet que foiblement &
qu'autant qu'il n'a point d'aptitude particuliere
à rien ; qu'ainfi il n'en réfulte
que du médiocre. Auffi , dit- il , que quoique
la vûe de plufieurs de ces tableaux anciens
cauſe un fentiment de plaifir géné
ral , on n'y voit que rarement de ces
traits de fublimité qui excitent l'admiration
, & qui tranfportent le Spectateur. Si
l'on y loue l'abfence des grands défauts ,
on eft forcé de convenir qu'on l'achete
trop cher par l'abſence des grandes beautés.
M. Truthlover croit pouvoir rejetter
ce tort fur le Public , chez qui la vraie
connoiffance de la peinture n'étoit pas
auffi univerfellement répandue qu'elle
l'eft maintenant. De quelques inductions
qu'il tire d'anciens livres , il affure que
dès qu'un Peintre paroiffoit avec des talens
diftingués dans quelques parties de
l'Art , il fe formoit une efpece de conjuration
d'Ecrivains obfcurs & auffi méprifables
qu'importuns , contre les moin168
MERCURE DE FRANCE.
dres défauts qu'on pouvoit lui reprocher ;
que fi on lui accordoit quelques foibles
éloges pour les beautés qui fe rencontroient
dans fes ouvrages , le zele qu'on
témoignoit pour lui faire perdre fes défauts
le plus fouvent imaginaires , alloit
jufqu'à la perfécution ; qu'on le tourmentoit
par des comparaifons défagréa
bles de fes ouvrages avec ceux de fes
Contemporains , en qui l'on prétendoit ne
pas trouver les mêmes fautes ; que quelques
beautés à lui particulieres qu'il pût
préfenter , elles ne pouvoient obtenir
fon pardon ; qu'enfin il a pu arriver fouvent
que l'Artifte laffé de cet acharnement
, abandonnât la route particuliere
que fon naturel lui indiquoit pour fuivre
le chemin battu , & perdit ce qui
le diftinguoit , pour n'acquérir que ce qui
le rendoit l'égal ou plutôt le Copifte de
tous les autres. Quoiqu'il en foit , de ces
conjectures de M. Truthlover , on ne peut
fe refufer à l'éloge qu'il fait des Peintres
de nos jours , & à l'encouragement qu'il
leur donne , en les exhortant à ofer hardiment
avoir des défauts , mais à fe fouvenir
qu'ils doivent les racheter par des
beautés . Une beauté fublime , dit- il , paye
pour mille défauts. Enfin il prie ceux qui
aiment & qui connoiffent la peinture
de
1
JANVIER . 1756. 169
de faire paroître dans leurs jugemens plus
de fenfibilité pour le vrai beau , & moins
de févérité dans leur critique .
Voilà ce que nous avons cru devoir
rapporter de l'excellent Mémoire de M.
Trathlover : les bornes que nous nous fommes
prefcrites nous ont obligés de fupprimer
quantité de détails intéreffans
dans lefquels il eft entré , tels que les jugemens
particuliers qu'il porte fut les ouvrages
de plufieurs Peintres anciens dont
il cite les noms. Notre but a été fimplement
d'exciter une louable curiofité de
confulter l'original qui nous paroît mériter
les plus grands éloges.
GRAVURE.
Nous annonçons une feconde fois ( 1 )
le Supplice de Prométhée & le repos de Baccbus
, deux Eftampes gravées par le fieur
Chenu , pour inftruire le Public qu'on les
trouve chez lui , rue de la Harpe , près la
Place S. Michel , vis-à-vis le Caffé de Condé.
Ces deux morceaux dont on ne sçauroit
trop louer la préciſion & la beauté
(1) Nous en avons fait mention dans le fecond
volume du mois paſſé .
I.Vol.
H
170 MERCURE DE FRANCE.
font dédiés à M. le Comte de Vence , Protecteur
éclairé des Arts .
Nous avertiffons que l'Eftampe repréfentant
Jefus-Chrift reffufcité , gravée par
Salvador , fe vend chez la veuve de F. Chereau
, rue S. Jacques , aux Piliers d'Or .
LE ST PATTE , Graveur , rue des Noyers,
la fixieme porte cochere à droite en entrant
par la rue S. Jacques , vient de mettre
au jour quatre fuites de différentes maifons
de Plaifance , avec leurs diftributions,
décorations , jardins de propreté & dépendances
, compofées par M. Cuvilliers, premier
Architecte des Electeurs de Baviere
& de Cologne ; ces quatre fuites dont les
unes font dédiées à S. A. S. l'Electeur de
Baviere , & les autres au Prince de Heffe-
Caffel , compofent feize planches de la
grandeur de la demi - feuille du nom de
Jefus : elle fe vendent liv. 12 f. & en
détail à proportion .
De plus , il vend auffi du même Architecte
un livre de plafonds à l'ufage des intérieurs
des appartemens , lequel eft compofé
de fept planches , & vaut 1 liv. 16 f.
JANVIER . 1756. 170
ARTICLE CINQUIEME.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
LEs Comédiens François ont eu l'affluence
pendant tout le mois de Décembre fans
le fecours d'aucune nouveauté . Leurs Pieces
courantes ou remiſes , ont fuffi pour l'attirer.
Mérope , les Dehors trompeurs , Héraclius
, & Cénie , ont fucceffivement rempli
la Sale. Jodelet même n'a pas été moins.
fuivi. La premiere fois on l'a trouvé mauvais
, peut-être avec raifon , mais la feconde
on y a beaucoup ri fans fçavoir pourquoi
, & tout bien confidéré , je crois qu'on
a mieux fait . Il est très- agréable de rire ,
& l'on ne rit bien que de cette façon . Vive
les Pieces où il n'y a pas le fens commun
pour nous bien divertir ! il eft vrai qu'il
faut qu'elles foient excellemment jouées.
Cette Comédie de Scarron a cet avantage.
On peut dire , fans être injufte , qu'elle
doit fon fuccès au talent de M. Préville
? qui prête au rôle de Jodelet un agrément
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
qu'il n'a point par lui - même. Cet Acteur
charmant dans le Comique où il s'eft
renfermé , pouvoit feul nous confoler de la
perte de Poiffon . Sans être fa copie , il eft
fon digne fucceffeur , peut- être même plus
agréable par la fineffe du jeu , & furtout par
les graces de la figure. L'Aftianax , de M.
de Châteaubrun , eft ainfi retardé juſqu'au
fept ou au huit de ce mois. Nous aurons
après lui la Coquête corrigée , Comédie
nouvelle en vers en cinq Actes de M. de
La Noue. Ces deux nouveautés viennent de
fi bonne main , qu'il eft à préfumer qu'elmettront
cet hyver le comble à la profpérité
du Théâtre François , & le feront
briller dans les deux genres.
COMEDIE ITALIENNE.
LE Samedi 27 Décembre les Comédiens
Italiens ont donné pour la premiere fois
Roland , ou le Médecin amoureux , Parodie
de l'Opéra de Roland. Nous en rendrons
compte le Mercure prochain. Ils n'ont
point difcontinué l'Epoufe fuivante , & les
Fêtes Parifiennes du même Auteur. On voit
toujours la premiere avec le même plaifir ,
& M. de Chevrier a tiré de la feconde tout
le parti qu'il en pouvoit tirer . La Scene de
JANVIE R. 1756. 173
Mlle Silvia qui fe trouve juftement veuve,
& qui fe remarie à chaque heureux événement
qui furvient à la France , nous paroît
à bon droit applaudie , & vraiment
comique. Nous fommes encore obligés de
retarder l'Extrait de ces deux Pieces pour
inférer dans l'article des nouvelles la Rélation
de ce qui s'eft paffé cette année en Canada,
& pour y mettre une Lettre que nous
avons reçue de Lisbonne , datée du 25
Novembre , & qui nous vient d'une main
fûre.
CONCERT SPIRITUEL.
LE 24 Décembre , veille de Noël , le
Concert Spirituel commença par Fugitnox,
Motet à grand choeur de M Boifmortier
mélé de Noëls , dans lesquels Mile Fel &
Mlle Chevalier chanterent , & M. Balbaftre
joua de l'orgue. Enfuite Mdme Veftris
de Giardini chanta deux airs Italiens . On
executa uné fymphonie. Mlle Fel chanta
Regina Cali , petit Motet de M. Mondonville.
M. Canavas joua un Concerto de
violon. Le Concert finit par In exitu »
Motet à grand choeur de M. Mondonville.
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
Le 25 , jour de Noël , le Concert fut
brillant par l'affemblée , & les morpar
ceaux qu'on y exécuta. On commença par
la premiere fonate des piéces de clavellin
de M. Mondonville , enfuite Cantate Do
mino , Motet à grand choeur , de M. de Lalande
. Mdme Veftris Giardini chanta deux
airs Italiens . Mlle Fel chanta un petit
Motet de M. Madin , dont la mufique parut
très-agréable , & l'exécution parfaite.
M. Balbaftre joua fur l'orgue fon nouveau
Concert qui reçut de nouveaux applaudiffemens.
Le Concert finit par le fublime
Venite exultemus , Motet à grand choeur
de M. Mondonville.
JANVIE R. 1756. 175
ARTICLE SIXIEM E.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU LEVANT.
DE CONSTANTINOPLE , le 2 Novembre.
LE 2 , du mois dernier , Niſchangi Pacha ;
Grand Vifir , fut mandé par le Grand Seigneur ,
qui fur le champ lui ôta les Sceaux de l'Empire ,
& le fit conduire entre les deux portes intérieures
du Palais. Il y demeura jufqu'au lendemain aprèsmidi,
qu'on lui apporta le fatal cordon . Ce Grand
Vifir n'étoit âgé que de trente - quatre ans. Son
corps a été exposé à la vue du peuple avec un
écriteau conçu en ces termes : Voilà le corps du
pervers Nifchangi , qui a trahi la confiance du
Sultan fon maître , & qui a mérité l'indignation
de Sa Hauteffe par les forfaits dont il s'eft rendu
coupable. Que chacun profite de cet exemple. Saïd
Effendi , dont le mérite & la probité font généralement
reconnus , a été déclaré Grand Vifir ;
& la place de Kiaya qu'il occupoit , a été donnée
au Reis Effendi.
ALLEMAGNE.
DE BERLIN , le 6 Decembre.
Selon les avis reçus de Templin , ville fituée
à douze lieues de cette capitale , & à trente de la
mer Baltique ; le premier Novembre , entre onze
heures & midi , le tems étant fort calme , les
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
eaux des Lacs Netzo , Muhlgaft , Roddelin &
Libbefé , commencerent à bouillonner avec un
mugiffement effrayant . Peu après elles s'éleverent
tellement au - deffus de leur niveau ordinaire ,
qu'elles fubmergerent les campagnes voisines.
Elles s'y arrêterent quelques minutes , & fe retirerent
enfuite dans leur lit avec la même rapidité
qu'elles en étoient forties. Ce flux & reflux
fe répéterent fix fois pendant l'intervalle d'une
demi- heure. Au dernier reflux il fe répandit dans
l'air une puanteur qu'il étoit difficile de fupporter.
Des Pêcheurs qui fe font trouvés fur le bord du
Lac Netzo , dans les premiers momens du phénoméne
, ont rapporté qu'à plus de cinquante
pas du Lac ils avoient eu de l'eau juſqu'au - deffus
de la génouillere de leurs bottes , & qu'ils avoient
couru rifque d'être entraînés par la violence du
reflux.
ESPAGNE.
DE MADRID , le 27 Novembre.
Le Roi a envoyé ordre aux Gouverneurs des
provinces limitrophes au Portugal , de fournir aux
Portugais tous les fecours de vivres & d'argent
qu'on pourroit leur procurer. Indépendamment
de cela , Sa Majefté a fait expédier plufieurs couriers
avec des fommes confidérables , afin que le
Secrétaire du feu Comte de la Perelada les diftribuât
aux habitans de Lisbonne , qui ont été ruinés
par le défaftre qu'a effuyé cette ville . Il n'y a
prefque aucune partie des deux Royaumes de Sa
Majefté Très - Fidele , qui ne fe foit reffentie des
effets du tremblement de terre . Les villes de Por
to , de Santarem , de Guimaraens , de Bragance ,
de Viana , de Lamego , deSintra , de Villaréal
JANVIER. 1756. 177
de Caftellobranco , de Beja , de Portalegre , d'Elvas
& de Taveira , préfentent , chacune en particulier
, de triftes veftiges du dégât que les feconfles
y ont caufé . Plufieurs montagues , entre
autres l'Estrella , l'Arrabida , le Marvan , & le
Monte Junio , ont été fortement ébranlées . Quelques-
unes fe font entr'ouvertes. La crue extraordinaire
des eaux du Tage , de la Guadiana , du
Minho & du Douro , a produit des inondations ,
qui ont interrompu prefque toute communication
entre les différentes provinces.
DE TARIFFA , le 19 Novembre,
Si l'on en croit diverfes lettres , les fecouffes
ont été encore plus violentes à Gibraltar que dans
toutes les autres villes de cette côte . Une partie
de la montagne voifine du port s'est écroulée fur
La ville , & y a caufé un grand dommage.
ITALI E.
DE ROME , le 15 Novembre.
On effuya ici la nuit du au un orage furrieux.
Le tonnerre tomba fur le Monaftere de Ste
Anne de Catenari, & y fit beaucoup de ravage. II
tomba auffi dans la Galerie du Palais Colonna
di Sciarra ; mais le dommage qu'il y a caufé , eft
peu confidérable. Deux Eccléfiaftiques font venus
de la province de la Capitanate pour faire ap
prouver par le Pape le deffein qu'ils ont d'établir
une nouvelle Congrégation de Miffionnaires.
Le Corfaire Algérien , dont le Chevalier de Polaftron
s'eft emparé , étoit monté de quatorze
canons & de vingt pierriers . Son équipage étoit
composé de cent dix Turcs ou Mores. Trente-
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
quatre ont été tués . Les autres , parmi lesquels il
ya trente-fix bleffés , ont été faits efclaves. Le
Chevalier de Polaftron n'a eu fur fon bord que
deux hommes tués , & quatre bleffés.
DE NAPLES , le 15 Novembre.
On effuya ici ces jours derniers un orage fi térrible
, qu'on ne fe fouvient point d'en avoir vu de
femblable. La grêle étoit d'une groffeur extraordinaire
, & il s'eft trouvé des grains qui peſoient
jufqu'à dix onces.
DE MILAN , le 18 Novembre.
On reçoit journellement les triftes détails du
ravage , que le débordement du Po a caufé dans la
Lombardie Autrichienne & dans les pays voifins.
La ville de Cazal- Major a couru rifque d'une fubmerſion
totale. Il a fallu que la Garnifon , pendant
plufieurs jours , luttât contre l'impétuofité
des eaux ; foit en leur oppofant des digues , foit
en faifant des coupures , pour leur procurer des
écoulemens. Il en a été prefque de même à Ferrare.
Dans le Parmeſan & le Plaiſantin tout le
plat pays a été inondé. Plufieurs perfonnes ont
été noyées , & dans une feule maiſon il en a péri
quatorze. Les villages de Montecelli , de Pancegiano
, de San Lazaro , de San Pedretto , de Caf
telrettro & de San Giuliano , font fous les eaux,
DE SCHAFFOUSE , le 20 Novembre.
Les vents du Sud & d'Oueft ont fait fondre fi
fubitement les neiges , qu'il eft tombé des montagnes
une infinité de torrens , qui ont emporté
dix-neuf moulins & plus de trente ponts. Cet ac
JANVIER. 179 1756 .
cident a couté la vie à un grand nombre d'habi
tans de la campagne.
GRANDE- BRETAGNE.
DE LONDRES , le 11 Decembre.
Les Communes délibérerent le 21 Novembre
en grand Comité fur le fubfide , & elles accorderent
au Roi cinquante mille Matelots , en
y comprenant cinq mille cent trente- huit foldats
de marine. Le 26 , cette Chambre régla qu'on
leveroit quatre fchelings par livre fterling fur les
revenus des terres dans toute l'étendue de la Grande-
Bretagne , & que les droits fur la Dréche ſeroient
continués pendant l'année prochaine. Les
traités conclus avec l'Impératrice de Ruffie &
avec le Landgrave de Heffe Caffel furent remis â
la Chambre des Seigneurs par le Comte de Holderneff
, & à celle des Communes par M. Fox .
L'une & l'autre Chambre ont renvoyé à la quinzaine
l'examen de ces traités , & elles ont ordonné
que tous les membres feroient fommés d'y
affifter.
Plufieurs des Miniftres Ettangers furent le 25
Novembre en conférence avec les Miniftres du
Roi. La Compagnie des Indes Orientales tint le
26 une affemblée générale. Il y fut décidé que le
Dividende fur fon fonds capital , à compter du
commencement du mois de Janvier 1756 , feroit
réduit de huit à fix pour cent. Dans une affemblée
que le Corps de la Bourgeoisie de cette ville
tint le 25 Novembre , on propofa de fupplier le
Parlement d'établir en Angleterre une milice générale.
Mais la négative l'emporta à la pluralité
de quatre-vingt-fix voix contre foixante - fix . La
Milice particuliere des provinces méridionales
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
fe leve avec toute la diligence poffible . Le Duc de
Marlbouroug partira dans peu pour aller prendre
le commandement des troupes dans la province
de Kent . Suivant l'arrangement propofé
par le Général Ligonier , chaque Bataillon aura
déformais deux pieces de campagne. Quelques
Bataillons des Gardes à pied & une Compagnie
des Gardes du Corps ont reçu ordre de fe tenir
prêts à marcher. Le Duc de Bedfort a fait offre au
Roi d'entretenir à fes dépens pendant une année
un Corps de dix mille hommes . Des Commiffaires
font chargés d'aller vifiter les fortifications
de toutes les places d'Irlande , & de faire réparer
celies qui en auront befoin .
Quelques vaiffeaux & plufieurs chaloupes croifent
le long de la côte du Comté de Suffex , afin
de s'opposer aux defcentes qu'on pourroit tenter
dans ce te province.
En divers endroits de la Grande- Bretagne on
a obſervé dans les eaux la même agitation qui
s'eft fait remarquer en Hollande , en Allemagne
& en Italie , & qui a caufé de fi terribles ravages
à Cadix & dans le Portugal.
On propofa le 2 de ce mois à la Chambre d'encourager
les Matelots par quelques récompenfes.
extraordinaires , & de requérir que le Roi décla
rât légitimes les prifes faites fur les Francois. Ces
deux propofitions exciterent de longs débats , &
furent enfin rejettées.
On a embarqué ces jours - ci vingt - cinq mille
livres fterlings , & une grande quantité de toutes
fortes de provifions pour le Portugal . En faveur
de ce Royaume défolé on a levé l'embargo qui
avoit été mis dans tous les ports d'Irlande fur les
beftiaux & fur les grains.
Le s,le Comte de Holderneffremit à la Chambre
JANVIER. 1756. 181
les copies qu'elle avoit demandées de plufieurs an
ciens Traités. Elle réfolut de fupplier le Roi de
lai faire communiquer les Mémoires refpectifs
de ce Miniſtere & de celui de France au fujet des
différends qui regardent l'Amérique . Le Roi fe
rendit à la Chambre le ro , & S. M. ayant mandé les
Communes, donna fon confentement au Bill de la
Dréche. Lorsque le Roi fe fut retiré, les Seigneurs
prirent en confidération les deux Traités faits avec
' Impératrice de Ruffie & avec le Landgrave de
Heffe-Caffel. L'un & l'autre furent approuvés à
la pluralité de quatre-vingt - cinq voix contre douze.
Lei , le 6 & le 8 , la Chambre des Communes
examina en Committé le Bill de la taxe fur les ter
res. Il fut ordonné de porter un Bill pour recruter
plus promptement les troupes. La Chambre
a accordé neuf cens trente mille fix cens trois
livres sterlings pour l'entretien des troupes employées
dans la Grande- Bretagne ; deux cens huit
mille cinq cens trente- quatre pour les troupes
d'Amérique , ainfi que pour les garnifons de Ġibraltar
& de Port-Mahon ; cent cinquante- deux
mille quatre cens trente- cinq pour l'artillerie de
terre, cent quarante -fix mille pour les dépenses extraordinaires
que ce département a exigées, & auxquelles
le Parlement n'avoit pas pourvu ; cent
mille pour fecourir les malheureux qui ont été
rainés par la cataſtrophe de Liſbonne.
Le vaiffeau de guerre la Hamptoncourt , de
foixante-dix canons , a fait voile de Portsmouth
pour Lisbonne, chargé de provifions , & de cinquante
mille livres fterlings. Plufieurs autres vaiffeaux
partirone fucceffivement avec de femblables
fecours pour la même deſtination . Le Capitaine
& l'équipage d'un navire , appartenant à MM.
de Godwill & Cotterel ont déclaré que le & No182
MERCURE DE FRANCE.
vembre ils avoient effuyé en pleine mer , à plus
de foixante lieues des côtes du Portugal , une fecouffe
auffi violente que celle du plus fort tremblement
de terre.
J
FRANC E.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
LETTRE A L'AUTEUR DU MERCURE.
E m'empreffe , Monfieur , à vous faire part
d'un nouveau phénoméne, afin que les Sçavans
en étant inftruits , veuillent bien nous en donner
l'explication.
Plufieurs perfonnes du voisinage , des étrangers
même , & furtout les Médecins du pays , à qui la
confidération en appartient plus particuliérement ,
ont vu ce phénoméne ; ils en ont été étonnés ,
comme les plus ignorans , mais ils n'ont pas voulu
, ou plutôt ils n'ont pu nous en donner aucune
raifon , & nous ont laiffé dans l'étonnement
fans pouvoir nous en tirer .
Voici , Monfieur , quel eft ce phénoméne , on
fi vous voulez , ce prodige . C'eft une fille qui a
vécu plus de trois ans fans manger , près de ſix
mois fans boire , & qui vit encore.
Entrons dans le détail . Pour une plus grande
intelligence , il faut en faire l'hiftoire , & vous
en marquer le commencement , le progrès & la
fin ; en un mot toutes les circonftances qui ont
précédé & accompagné la maladie de cette fille ,
qui n'eft pas entièrement rétablie , puifquelle ne
peut encore marcher qu'avec des potences .
Une nommée Michelot , âgée d'onze ans , néc
JANVIER. 1756. 185
en 1742 à Ponfard , village fitué à une demilieue
de Beaune , au Diocèle d'Autun , fille d'un
Vigneron dudit lieu , fut furprife en 1751 , quelque
tems après la vendange , à laquelle elle avoit
travaillé à couper quelques raifins , autant que
fon âge le permettoit , fut furprife , dis-je , environ
vers la Touffaint , d'un évanouiffement
confidérable , qui dura long-tems . Pour la faire
revenir , quelques-uns du village s'érigeant en
médecins , & donnant leur avis à tout hazard ,
dirent qu'il falloit écorcher un mouton , & envelopper
l'enfant dans fa peau : on le fit , elle revint
de fon évanouiffement ; mais il lui prit des
tremblemens par tout le corps , ' qui lui durerent
près d'un mois , & fi violens , qu'il falloit la tenir
ou l'attacher.
Depuis fa chute jufqu'au commencement du
Carême de 1755 , cette fille n'a rien mangé exactement
, n'a pas même pu prendre du bouillon .
Tout ce qu'on vouloit lui faire avaler par force ,
elle le rejettoit . Dans les fix premiers mois de fa
maladie , elle n'a bu ni eau ni vin ; elle trempoit
feulement de fois à autre fon doigt dans de
Peau , & le fuçoit . La plupart de ceux qui la
voyoient , & fes parens même , crurent que c'étoit
un fort qu'on avoit jetté ſur cet enfant.
Comme ce font des gens de la campagne , il n'eft
pas étonnant qu'ils ayent donné dans cette idée ,
qui eft aflez ordinaire aux villageois , quand ils
ne connoiffent point une maladie , & qu'elle a
quelque chofe de fingulier dans fon principe &
dans les effets. Au bout de fix mois elle a commencé
à boire de l'eau , mais en petite quantité ;
elle a toujours uriné , mais elle n'alloit pas à la
felle.
Elle devint très-maigre, fon ventre étoit appla
184 MERCURE DE FRANCE.
ti , & même enfoncé comme celui d'un levrier ,
cela eft tout fimple ; mais elle avoit toutefois le
vifage affez plein , un beau teint , avec toutes les
couleurs de la jeuneffe : ce qui eft furprenant.
Elle perdit en même tems avec l'appétit & le
befoin de manger , la parole & l'ufage de fes
jambes. Du commencement , pour aller d'un endroit
de la chambre à l'autre , elle fe traînoit fur
fon ventre , à l'aide de fes mains , enfuite fur le
derriere ; & long- tems après elle a marché fur
fes genoux , & enfin avec des potences ; actucllement
même elle ne marche pas autrement.
Ses parens n'oublierent rien pour lui donner.
tous les fecours imaginables , autant que le permettoit
leur petite faculté . On envoya chercher
les Médecins , les Chirurgiens , toute la Pharmacie
fut appellée , mais en vain . Voyant que les
remedes naturels étoient inutiles , & que les Maîtres
de l'Art n'y connoiffoient rien , & l'avoient
abandonnée dix -huit mois après ils,eurent recoursaux
prieres & aux 'remedes furnaturels ; ils implorerent
le fecours du médecin des Médecins,
celui qui d'une feule parole guérit tous les maux.
Touchés du triste état où étoit leur fille , la piété
& la tendreffe paternelle leur fuggéra la penſée
de s'adreffer au Seigneur par l'interceffion de la
Sainte Vierge ; ils la menerent à cet effet en dévotion
à fept ou huit lieues delà , à une Notre-
Dame , qu'on appelle N. D. d'Etang , à deux
lieues de Dijon , où il y a un couvent de Minimes.
Il y firent leurs prieres , & y firent célébrer
une Meffe pour la guérifon de leur fille . Au retour
de leur pélérinage , & pendant le chemin , la
malade recouvra la parole ; & voici comment ..
Les gens qui la conduifoient fur une petite voitre
, comme il faifoit chaud , s'arrêterent fur le
JANVIER. 1756. 183
bord d'un ruiffeau pour étancher leur foif ; quand
le premier eut bu , la fille demanda à boire à fon
pere , qui pleura de joie d'entendre que fa fille
avoit recouvré la parole , & en rendit graces au
Seigneur. Dès ce moment elle a toujours parlé ;
mais toutes les pfieres & les remedes qu'on a
pu faire , n'ont pu lui rendre l'appétit , ni la
faculté de marcher.
Pendant tout le cours de fa maladie , elle n'a
pas eu de fievre. Il y apparence que les jambes
étoient attaquées de paralyfie ; car on les avoit
piquées , fans qu'elle en eût rien fenti : enfin ,
aprés avoir vécu plus de trois ans en cet état ,
elle a commencé à manger au mois de Février
1755-
Quoique bien des perfonnes foient allées voir
cette fille par curiofité , comme j'ai déja eu l'honneur
de vous le dire , perfonne n'a encore pu
jufqu'ici nous expliquer ni la caufe , ni les effets
d'une maladie auffi extraordinaire . Perfonne n'a
pu rendre raison de ce qu'elle a pu vivre filongtems
fans manger , & près de fix mois fans boire.
Il ne paroît pas d'abord à l'efprit que cela puiffe
fe faire fans miracle ; on ne peut cependant pas
dire qu'il y en ait eu , fi ce n'eft peut- être dans
le recouvrement de la parole , car il ne faut pas
multiplier les miracles fans néceffité . Comme la
maladie de cette fille probablement eft venue
naturellement , & non par un fort , comme le
croyoient ces bonnes gens , il y a toutes les apparences
du monde que la guérifon s'eft faite de
même . Mais comment a-t- elle pu fubfifter naturellement
pendant près de quarante mois fans.
Labor eft manger : Hoc opus , lic labor eft
Ce prodige , tout fingulier qu'il eft , n'eft pas
unique en France . La même chofe eft arrivée à
186 MERCURE DE FRANCE.
ne ,
pea-près à une femme de Moify , village de Beauil
y a déja quelques années. La maladie , &
furtout la guérilon de cette femme fit beaucoup
plus de bruit , que celle de notre fille de Pommard.
Là on crioit au miracle , ici perfonne ne dit mot .
On m'a pourtant affuré que M.Piloye , un des plus
accrédités Médecins de Beaune , en avoit écrit à
la Faculté de Médecine de Paris , pour fçavoir làdeffus
fon fentiment ; mais je ne fçais ce qu'elle
a répondu , ni même fielle a répondu.
J'ai l'honneur d'être , & c.
F ..... D ....
A Beaune , ce 24 Juillet 1755.
CAMP DE VALENCE.
Le Camp formé près de cette Ville , étoit compolé
des Régimens d'infanterie de Navarre ,
de Bretagne , de Bigorre , de Nice de Vaubecourt
& de la Roche- Aymon , & des Régimens
de Dragons , Dauphin & de Languedoc.
M. le Marquis de Voyer ; Maréchal des Camps &
armées du Roi , & Infpecteur général de la Cavalerie
, commandoit ce camp. Il avoit fous fes
ordres le Marquis de Monteynard , auſſi Maréchal
de Camp les Comtes de la Queuille & de
la Roche -Aymon , Brigadiers d'Infanterie ; & M.
Severac de Juffes , Brigadier de Dragons. Le
Chevalier de Soupire rempliffoit les fonctions
de Maréchal Général des Logis.
Le 22 Août , le Marquis de Voyer fit la revue
générale des troupes , qui étoient fous les ordres.
Tous les Corps étant en bataille fans alignemens
tracés , qui étoient défendus pendant la
durée du Camp , les Brigades d'Infanterie fo
JANVIER . 1756. 187
porterent fur le centre . Au fignal d'un coup de
canon , la Ligne d'Infanterie fe trouva rompue ,
à droite , par tiers de rang , & à gauche , jufqu'à
la droite du Camp. Chaque divifion fit enfuite
un quart de converfion à gauche , marcha quarante
pas en avant , fit un fecond quart de converfion
à gauche , & marcha jufqu'à la droite du
Camp , d'où par des quarts de converfion à droite ,
chaque Corps fe trouva fur le front de fon terrein
, & y rentra par un demi-tour à droite . Les
Régimens de Dragons Dauphin & de Languedoc,
qui s'étoient rompus par Compagnies , l'un à
la droite , l'autre à la gauche , rentrerent auffi
dans le Camp , peu après l'Infanterie. Le Marquis
de Voyer vifita enfuite tous les poftes avancés
. Avant -hier , les troupes firent en fa préfence
, d'abord par Régiment , & enfuite par
Brigade , tous les feux preferits par l'Ordonnance
du 6 Mai de cette année. Les deux Brigades de
la gauche ſe ferrerent fur celle de Navarre. Elles
marcherent en bataille , au pas ordinaire & au
pas redoublé , environ deux cens toifes en avant
des fleches qui couvrent le Camp. Les Bataillons ,
qui dans la marche avoient trouvé des obſtacles ,
comme Caffines, Haies , Redents , s'étoient placés,
par le pas de côté, derriere les Bataillons qui avoient
trouvé le chemin libre . Ils les avoient fuivis jufqu'au
de-là de l'obſtacle. Alors , par le pas de côté ,
ils s'étoient replacés vis-à- vis des intervalles , &
par le pas redoublé ils avoient repris leur rang
dans la Ligne. Vis -à- vis des obftacles , quelquesuns
des Bataillons fe formerent en colonne derriere
les Bataillons , dont le chemin n'étoit point
embarraflé , & quand l'obftacle étoit paffé , ils
rentroient dans la ligne à pas redoublé . Sur
les onze heures , le Marquis de Voyer fit rompre.
188 MERCURE DE FRANCE.
la ligne par un quart de converfion à gauche par
Bataillon. La colonne marcha , jufqu'à ce que
chaque Bataillon fe trouvât vis - vis de fon Camp
où il rentra . L'objet de cette manoeuvre fut d'exercer
les troupes à faire les pas perfcrits par l'Ordonnance
, & de leur apprendre à s'en fervir
felon les différentes occafions & les différens terreins
.
Le 3 Septembre , le Marquis de Voyer fuppofa
que des troupes ennemies , qui couvroient
la ville de Valence , s'en étoient écartées pour
inquietter l'armée, Il fe propofa de leur dérober
une marche , & de fe pofter entr'elles & la
Ville , dans le deffein de les éloigner , ou de les
combattre . Selon cette idée , fix Bataillons &
la moitié des Dragons , deftinés à repréſenter
P'armée ennemie , partirent à cinq heures du
matin fous les ordres du Marquis de Monteynard
, & fe porterent fur deux colonnes vers l'a
Ville , entre les hauteurs de l'Auragne & la droite
du Camp. Une heure après , le Marquis de Voyer
fe mit en marche avec fept Bataillons , le refte
des Dragons & l'artillerie , & il s'avança auffi
fur deux colonnes vers la Ville par la cenfe de
Faventine . L'artillerie étoit à la colonne de la
droite , qui étoit compofée de deux Bataillons ,
& précédée des Dragons & de quelques Piquets.
Le reste de l'Infanterie formoit la colonne de la
gauche. Le Marquis de Monteynard , informé
de la marche du Marquis de Voyer , fe mit en
bataille dans les Prez le long d'une naville profonde
& pleine d'eau , & dont la digue couvroit
le Soldat par un parapet. La droite des ennemis appuyoit
à un chemin étroit , qui formoit un retranchement
, & leur gauche à la cenfe de la Palla. Ils
jetterent leurs troupes legeres avec quelque Infan
JANVIER. 1756. 189
terie dans des navilles à fec , & derriere des haies,
& ils placerent leur Cavalerie dans une petite , plaine
, à côté de la Cenfe. Le Marquis de Voyer ,
ayant reconnu cette difpofition , forma la fienne
en conféquence. L'armée devoit arriver par un
plateau , qui déroboit fes manoeuvres aux enne
mis . Il eût été défavantageux de les attaquer par
leur front de bataille , parce que les troupes fe
feroient trouvées obligées de fe former fous le
feu d'une Infanterie , qui auroit tiré à couvert.
Ainfi le Marquis de Voyer fe détermina , à diriger
La principale attaque fur le flanc gauche. Profitant
de la fupériorité de fon artillerie , il fit faire
feu. 11 dépofta les piquets & les troupes légeres , &
jl fit attaquer le gros de l'armée ennemie par les
Grenadiers , par les Dragons à pied , & par quatre
Bataillons. Les troupes , qui étoient à la gauche
& au centre fur le plateau , étoient luffifantes
pour contenir la droite & le centre des
ennemis , & pour les empêcher de fe dégarnir ,
& de le porter en force fur la gauche . Par - lá
on les mit hors d'état de foutenir la cenfe , qui
fit beaucoup de réfiftance , mais qu'à la fin on
emporta. Les ennemis , voyant le Marquis de
Voyer dans leur flanc , abandonnerent le terrein
fur lequel ils vouloient combattre. Leur Infanterie
fit demi- tour à droite, marcha en bataille,
& fe porta lentement vers une naville Parallele ;
& leur droite fe trouva appuyée au même chemin
, qui l'appuyoit dans leur premiere pofition .
Le Marquis de Monteynard couvrit cette ma
noeuvre par des Grenadiers & des Piquets de
fon centre & de fa gauche , qui firent ferme
fur la naville abandonnée , & if fe retira à petits
pas vers la cenfe de Thibert , qu'il occupa. Les
Grenadiers & les Piquets de la droite s'avançe
190 MERCURE DE FRANCE.
tent fur le chemin , & inquiéterent affez la gauche
du Marquis de Voyer , pour la contenir . Ils
fe replierent enfuite le long du chemin fur la
droite de leur armée. Dans l'intervalle , la Cavalerie
, l'artillerie & les troupes legeres du Marquis
de Voyer , avancerent pour attaquer la
Ĉavalerie des ennemis , & pour l'éloigner de la
cenfe , d'où il vouloit les dépofter. La nature du
terrein obligea la colonne de fon artillerie & de
la Cavalerie , de fe féparer de l'Infanterie . Alors
les ennemis firent gliffer entre les colonnes leurs
troupes legeres , leurs Dragons à pied & quelques
Grenadiers , qui firent feu fur le flanc de la Cavalerie
du Marquis de Voyer. Elle fut en mêmetemps
chargée par la Cavalerie du Marquis de
Monteynard, & obligée de fe replier. Les enennemis
tomberent fur l'efcorte de l'artillerie ,
& s'emparerent même de quelques pieces de canon
; mais le Marquis de Voyer y ayant promptement
porté des Grenadiers , des Dragons , des
Piquets & deux Bataillons , reprit fon artillerie
, & força les ennemis de fe remettre dans
leur premiere pofition. Il fit pour lors canonner
la cenfe , qu'on prit à revers. Les Ravins ,
dont elle est entourée , furent attaqués par les
troupes , que le Marquis de Voyer avoit portées
à fa droige ; & le Marquis de Monteynard fe retira
en bon ordre derriere une troifiéme naville ,
la Cavalerie en échiquier , par la tête d'un Ravin
garni de troupes legeres , qui tinrent aflez
longtemps pour favorifer fa retraite , & qui fe
replierent enfuite fur le corps de l'armée. Dans
cette troifiéme pofition , les ennemis fe retirerent
fur deux colonnes, & le Marquis de Voyer ,
dont l'objet étoit rempli , ne les inquiéta plus
que par de foibles détachemens . Nous nous borJANVIER.
1756. 191
hons àce Camp faute d'efpace ; d'ailleurs celui
de Richemont a été fuffisamment décrit par l'extrait
du Journal de M. Vallier , que nous avons
donné dans le premier Mercure de Decembre.
RELATION de ce qui s'eft paffé cette année
en Canada.
La frégate du Roi la Syrene , partie de Québec
le 8 Novembre , & arrivée à Brest le 10 Décembre
, a apporté des lettres qui contiennent les détails
de ce qui s'eft paffé cette année en Canada ,
rélativement aux entreprifes des Anglois contre
cette Colonie.
Indépendamment des forces navales que les
Anglois ont envoyées dès le commencement du
printemps dans les mers de l'Amérique feptentrionale
, afin d'intercepter les Vaiffeaux François
qui feroient destinés pour le Canada & pour l'ife
Royale ; ils avoient raffemblé dans leurs Colonies
plufieurs corps de troupes , pour attaquer le
Canada tout à la fois par les frontieres de l'Acadie ,
par le Lac Champlain , par le Lac Ontario , & du
côté de la Belle Riviere.
Le corps de troupes deſtiné à agir contre les
frontieres du côté de l'Acadie , & compolé d'environ
dix-huit cens hommes , fe rendit dans les
premiers jours du mois de Juin avec un train confidérable
d'artillerie de toute efpece , au fond de la
Baye Françoiſe , & attaqua tout d'un coup le Fort
de Beauféjour , qui , par les effets du canon & des
bombes , fe trouva en peu de jours hors d'état de
défenſe. La garnifon , qui n'étoit que de deux
compagnies de einquante hommes chacune , fur
obligée de capituler , aux conditions qu'elle forti
192 MERCURE DE FRANCE.
roit avec armes & bagages , tambour battant ;
qu'elle feroit tranfportée à Louisbourg , & qu'elle
ne porteroit point les armes en Amérique pendant
le terme de fix mois . Les Anglois fommerent
tout de fuite l'Officier François qui commandoit
à Gafpareaux , pofte fitué à quelques lieues de
Beauféjour , & où il n'y avoit qu'un détachement
de vingt hommes , & cet Officier fe rendit aux
mêmes conditions de la capitulation de Beauféjour.
Après cette expédition , les Anglois marcherent
du côté de la riviere Saint -Jean. Il n'y avoit
fur cette riviere qu'un petit Fort très-anciennement
bâti . L'Officier qui y commandoit & qui
n'avoit que quelques foldats , prit le parti de le
brûler & de fe retirer chez des habitans établis
dans ce canton , où il s'eft maintenu ; & il n'y a
eu de ce côté là que quelques efcarmouches , dans
lefquelles les Anglois ont toujours été battus par
les François & les Sauvages qui ont joint cet
Officier.
Le corps de troupes qui avoit été raffemblé
pour agir du côté de la Belle Riviere , étoit compofé
des Régimens de troupes reglées , qui avoient
été envoyés d'Angleterre à la Virginie , & des régimens
de Milices , qui avoient été formés tant
dans cette Colonie que dans les Colonies voisines.
Il fe trouvoit compofé de trois mille hommes ,
lorfque le Général Braddock en prit le commandement
pour marcher contre le Fort du Quefne.
Le fieur de Contrecoeur , Capitaine dans les troupes
du Canada , qui commandoit dans ce Fort ,
avoit été informé qu'on faifoit des préparatifs en
Virginie ; mais il ne s'attendoit pas à devoir être
attaqué par des forces fi confidérables . Ayant envoyé
différens détachemens fur la route des Anglois,
il apprit le & Juillet qu'ils n'étoient qu'à
fix
JANVIER. 1756. 193
Gx lieues du Fort , & qu'ils marchoient fur trois
colonnes. Il forma fur le champ un détachement
de tout ce qu'il crut pouvoir mettre hors du Fort
pour aller à leur rencontre. Ce détachement fe
trouva compofé de deux cens cinquante François
& de fix cens cinquante Sauvages ; & M. de
Beaujeu qui le commandoit , avoit avec lui
MM. Dumas & Ligneris , tous deux Capitaines ,
& quelques autres Officiers fubalternes . Il partit
à huit heures du matin , & dès midi & demi , il
fe trouva en préſence des Anglois à environ trois
lieues du Fort. Il les attaqua fur le champ avec
beaucoup de vivacité . Les deux premieres décharges
de leur artillerie firent un peu reculer fa petite
troupe ; mais à la troifieme où il eut le malheur
d'être tué , M. Dumas , qui prit le commandement
, M. de Ligneris & les autres Officiers
, fuivis des François & des Sauvages , tomberent
avec tant de vigueur fur les Anglois , qu'ils
les firent plier à leur tour. Ceux-ci le défendirent
encore quelque tems en faifant très-bonne contenance
; mais enfin après quatre heures d'un grand
feu , ils fe débanderent , & la déroute fut générale .
On les pourfuivit pendant quelque tems ; mais
M. Dumas ayant appris que le Général Braddock
avoit laiffé à quelques lieues de - là un corps de
fept cens hommes fous les ordres du Colonel
Dumbar , il fit ceffer la pourfuite. Les Anglois
ont perdu dans cette affaire près de dix- fept cens
hommes. Prefque tous leurs Officiers ont été tués ,
& le Général Braddock eft mort peu de jours après
de fes bleffures . On a pris tous leurs équipages
qui étoient fort confidérables , leurs vivres , leur
artillerie , qui étoit compofée de huit pieces de
canon , fept mortiers & uftenciles de toute efpece
, beaucoup d'armes & de munitions de guerre ,
I,Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE .
leur caiffe militaire , & généralement toutes leurs
provisions . On a trouvé auffi les inftructions qui
avoient été données en Angleterre au Général
Braddock , avec plufieurs lettres qu'il avoit écrites
aux Miniftres du Roi de la Grande- Bretagne , pour
leur rendre compte des difpofitions qu'il faifoit
pour l'exécution des projets dont il avoit été
chargé en fa qualité de Commandant en chef
de toutes les troupes de Sa Majesté Britannique
dans l'Amérique feptentrionale. M. de Contrecoeur
eft resté enfuite fur la défenfive dans fon
Fort , après s'être affuré de la retraite du corps
de troupes du Colonel Dumbar . Mais quelques
partis Sauvages ont fait des incurfions fur les
frontieres des Colonies Angloifes.
Les deux autres corps de troupes Angloifes s'étoient
auffi mis en marche , l'un compofé d'environ
cinq mille hommes vers le Lac Ontario
pour attaquer le Fort de Niagara & le Fort Frontenac
, & l'autre encore plus confidérable vers le
Lac Champlain pour affiéger le Fort Saint -Fréderic
. M. de Vaudreuil , Gouverneur & Lieutenant
Général de la Nouvelle France , ayant d'abord
été informé que le fieur Shirley , Gouver
neur de la Nouvelle Angleterre , étoit déja rendu
avec une partie du premier de ces deux corps à
Choueguen , pofte Anglois établi depuis quelques
années au Sud du Lac Ontario , il prit le parti de
faire marcher un Détachement des Troupes &
des Milices de Canada , les quatre Bataillons de la
Reine , de Languedoc , de Guyenne & de Béarn ,
que le Roi a fait paffer cette année à Quebec , &
un certain nombre de Sauvages , pour aller couvrir
les Forts de Niagara & de Frontenac , & il
donna le commandement du tout au Baron de
Dieskaw , Maréchal de Camp. Mais ayant été
JANVIER. 1756. 195
inftruit peu de jours après , que le Colonel
Jonhlon étoit en pleine marche à la tête de
L'autre Corps , pour attaquer le Fort Saint- Frederic
, & qu'il avoit même déja établi plufieurs poftes
d'entrepôt fur la route , il envoya un courier
au Baron de Dieskaw, pour l'informer de ces avis ,
& du parti qu'il prenoit de faire marcher en diligence
un Detachement de Troupes & de Milices
avec des Sauvages , pour aller au fecours du
Fort Saint- Frederic. Le Baron de Dieskaw y marcha
lui -même , & amena avec lui les Bataillons
de la Reine & de Languedoc , qui ne ſe trouvoient
compofés que de neuf Compagnies chacun. A
fon arrivée au Fort Saint- Frederic , il jugea à propos
d'aller au-devant des Anglois , & le 1r de Septembre
il fe trouva à huit lieues en avant de ce
Fort , à un endroit appellé Carillon . Il s'arrêtalà
, & ayant envoyé à la découverte de différens
côtés , il apprit que les Anglois étoient occupés
à conftruire un Fort à quelques lieues de - là ;
qu'il y avoit déja dans ce Fort , qui fe trouvoit
très- avancé , une Garnifon de cinq cens hommes;
qu'on y attendoit inceffamment un renfort
confidérable de troupes ; & que le Colonel
Jonhlon étoit avec fon Corps d'armée au fond
du Lac Saint-Sacrement. Sur ce rapport le Baron
de Dieskaw prit le parti de marcher en diligence
, pour tâcher de furprendre ce même Fort à
la tête de quinze cens hommes ; fçavoir , fix cens
Sauvages fous les ordres de M. de Saint - Pierre ,
fix cens Canadiens fous les ordres de M. de Repentigny
, & trois cens hommes de troupes , y
compris les deux Compagnies de Grenadiers des
Bataillons de la Reine & de Languedoc avec
trois Piquets de la Compagnie de Canonniers
de la Colonic. Il envoya le refte de ces deux
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Bataillons fous les ordres de M. de Roquemaure
, Commandant de celui de la Reine , à
l'endroit nommé les Deux Rochers , afin de fe replier
fur lui en cas qu'il fût obligé de ſe retirer
; & il fit marcher M. de Celoron Major ,
commandant les Troupes & Milices de la Colonie
, avec le reftant de fon Corps , vers la chute
du Lac Saint - Sacrement , pour empêcher les
Anglois de tenter une entreprife de ce côté- là.
En conféquence de ces difpofitions , il marcha
depuis le 4 jufqu'au 7 Septembre qu'il fe trouva
à environ une lieue du Fort Anglois . Comme la
fin du jour approchoit , il s'arrêta avec la troupe
, & envoya un Détachement de Sauvages
commandé par le fieur de Saint - Pierre , pour reconnoître
les lieux . Les Sauvages tuerent un
courier que le Colonel Jonhfon envoyoit au
Commandant du Fort pour l'avertir de la marche
des François. Ils s'emparerent auffi de quelques
charriots, qui y portoient de l'artillerie & des munitions
, mais dont quelques-uns des conducteurs
fe fauverent. Comme il n'étoit plus douteux que
le Fort Anglois étoit averti , le Baron de Diefkaw
fit propofer aux Sauvages l'option , ou de
fuivre le projet d'aller attaquer ce Fort , ou de
marcher contre le Camp du Colonel Jonhion ,
n'étoit qui ,fuivant tous les avis qu'on avoit eus ,
qu'à cinq ou fix lieues de- là avec un Corps de
troupes de trois mille hommes . Les Sauvages
opinerent tous pour cette derniere entrepriſe.
Le 8 on partit de grand matin fur cinq colonnes
dans l'ordre fuivant ; les troupes de France ,
& les canonniers au centre , une colonne de Canadiens
, & une autre de Sauvages à la droite ,
deux autres Colonnes femblables à la gauche.
Dès dix heures du matin , on ne fe trouva qu'à
&
JANVIER. 1756. 197
une lieue du Camp . Des prifonniers qui furent
faits par les Sauvages , déclarerent que , par le
chemin où marchoit l'Armée , il venoit des charriots
que les Anglois envoyoient à leur Fort , &
que ces chatriots étoient efcortés par un Détachement
confidérable. Le Baron de Dieskaw fit paffer
fur la gauche du chemin les Canadiens & les
Sauvages , avec ordre de laiffer engager les Anglois
, & de ne tirer fur eux que lorfque les troupes
reglées , qui continueroient leur marche par
le chemin , auroient commencé l'attaque . Quelques
minutes après , on entendit des coups de fufil
, & le feu s'anima entre les Sauvages qui marchoient
devant , & les Anglois. Les Canadiens
coururent fur le champ à leur fecours . Les Anglois
prirent la fuite. On les pourfuivit juſqu'à la
vae de leurs tentes ; & ce détachement qui étoit
de buit à neuf cens hommes , fut prefque tout détrait
: il en rentra fort peu dans le Camp ; & c'eſt
dans ce choc que M. de Saint - Pierre fut tué.
Le Baron de Dieskaw marchoit toujours par le
chemin , pendant que l'Ennemi fe battoit en retraite.
Quoique les Canadiens & les Sauvages fe
trouvaffent fort fatigués , il crut que le meilleur
moyen de les engager à le fuivre étoit de hâter fa
marche , pour profiter de la confufion que la défaite
de ce détachement devoit occafionner parmi
les troupes du Camp du Colonel Jonhfon. Il ne
fut pas longtems fans être en préfence . On lui
fit remarquer qu'il n'avoit point de colonne à la
droite pour le foutenir. Alors une petite troupe
de Canadiens s'étendit de ce côté-là , & fit un trèsgrand
feu fur les Anglois . Mais le Camp fe trouvant
retranché avec des bateaux , des charriots &
de gros arbres : l'infanterie des François , qui étoit
en front , eut un fi grand feu d'artillerie & de
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
moufqueterie à effuyer, qu'elle fut obligée de reculer,
& de s'emparer de quelques arbres : elle y
refta pendant deux heures à fufiller avec le refte
des troupes , qui ne confiftoit pas en plus de cinq
cens hommes dans cette attaque , parce qu'il n'y
avoit qu'une partie des Canadiens , qui avoit fuivi,
& que les Sauvages s'étoient arrêtés. Ce fut- là que
le Baron de Dieskaw fut d'abord bleflé à la jambe ,
& que peu de tems après il reçut une balle qui lui
perça le genouil droit , & lui paffa dans les chairs
de la cuiffe gauche ; ce qui l'obligea de fe laiffer
porter à quelques pas de - là pour s'affeoir. Il ordonna
au Chevalier de Montreuil , Major général,
& Commandant en fecond , de le laiffer là , &
d'aller voir fi on ne pouvoit pas pénétrer dans le
Camp. Le Chevalier de Montreuil en vit l'impoffibilité
:les troupes étoient trop fatiguées , en trop
petit nombre , & trop maltraitées par le feu qu'elles
avoient effuyé. Il prit le parti de la retraite.
Il y eut d'abord quelque confufion ; mais la Troupe
fe rendit en bon ordre au lieu où l'on avoit laiffé
les bateaux. La perte des Anglois a été de plus
de fept cens hommes dans le détachement qui a
été attaqué par les Sauvages & les Canadiens , fans
compter les bleffés qui font rentrés dans le camp ,
& l'on ignore la perte qu'ils ont dû faire dans les
retranchemens . Celle des François n'a été que de
quatre-vingt-quinze hommes tués , tant officiers ,
feldats , que Canadiens & Sauvages , & cent- trente
bleffés de tous ces différens corps. Le Baron de
Dieskaw a été pris & conduit à Orange avec le
fieur Bernier fon Aide- de - Camp , & deux officiciers
de milice , tous trois bleffés comme lui.
Il ne s'est rien paffé depuis de ce côté-là . La
perte que le Colonel Jonshfon avoit faite , & la
préfence des troupes Françoifes , qui fe font enJANVIER.
1756. 199
fuite retranchées aux environs du FortSaint- Frédéric
, lui ont fait abandonner l'exécution de fon
projet contre ce Fort.
Les fecours que M. de Vaudreuil avoit envoyés
aux Forts Frontenac & de Niagara , en ont
impofé auffi au Gouverneur Shirley , qui s'eft retiré
avec les troupes , à l'exception d'une Garnifon
nombreufe qu'il a laiffée à Chouegen avec un
train confidérable d'artillerie. La défaite du Général
Braddok , & le mauvais fuccès du Colonel
Jonshfon doivent avoir contribué à lui faire prendre
ce parti ; car toutes ces différentes entrepriſes
avoient été combinées enfemble.
Dédicace de la Statue du Roy , dans la Place
Royale de Nancy.
Sa Majesté Polonoife , Duc de Lorraine & de
Bar , ayant conçu en 1752 le deflein de faire élever
un monument de fa tendreffe à Sa Majesté
Très-Chrétienne , a dreffé elle - même le plan
d'une place , dont l'exécution confiée à M. Heré
de Corny, fon premier Architecte , répond à la
magnificence des idées de Sa Majesté & à la gran
deur du fujet . Les édifices qui environnent cette
place , font d'une fymmétrie parfaite . Celui du
fond eft deftiné à l'Hôtel de Ville . Ceux de droite
& de gauche forment quatre pavillons . La place
eft terminée par un Corps de bâtimens à un
étage , qui fait retour pour donner une rue de
communication de la Ville Neuve à la Ville
Vieille. Au fond de la rue eft un arc de triomphe
, compoféde trois portiques. Dans les quatre
angles de la place , dont l'extérieur eft décoré
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
d'une architecture d'ordre Corinthien en pilaftres
, on a mis quatre grands grillages fur un
plan ceintré. Les deux du fond font employés à
mafquer les baftions . Ils forment chacun un grand
portique & deux petits. Le portique du milieu
eft une cafcade , où l'on voit la figure de Neptune
fur fon char tiré par des chevaux marins ;
d'un côté , un fleuve & une Nayade ; & de l'autre
un dragon. Toutes les eaux que jettent ces différentes
figures , fe répandent en nappes dans un
vafte baffin. Les fontaines des petits portiques
font ornées de grouppes d'enfans qui jouent avec
des poiffons. Les deux autres grands grillages
font aux angles de l'Hôtel de Ville , & ils forment
deux effeces de portes Flamandes , de vingtdeux
pieds d'ouvertures , deftinés pour donner entrée
à quatre rues.
Au milieu de la place s'éleve un piedestal de
marbre blanc , fur lequel eft la ftatue pedeftre
de Louis XV habillé à la Romaine , cuiraflé &
revêtu du manteau royal . Cette figure de bronze
eft haute de onze pieds. Quatre bas reliefs auffi
de bronze décorent les quatre faces du piedeftal ,
& repréfentent , le premier le mariage du Roi
Très - Chrétien ; le fecond la paix conclue à Vienne
; le 3e la prife de poffeffion de la Lorraine ; le
quatrieme l'Academie des Sciences & Belles - Lettres
établie dans cette ville. Aux quatre angles du
piedeftal , fur le pallier des marches font quatre
figures coloffales , qui repréfentent la prudence ,
la juftice , la valeur & la clémence.
Sa Majefté Polonoiſe ayant fixé le jour de la
Dédicace de la ftatue au 26 Novembre ,vingt trois
jours auparavant à la Malgrange. La fête ne pouvoit
mieux commencer que par des actions de
graces , pour la naiffance de Monfeigneur le Com
ง
JANVIER. 1756. 201
te de Provence. Le Roi fe rendit le 25 à l'églife
primatiale , pour y aflitter à une Meffe folemnelle
, & au Te Deum. Le Primat revêtu de fes
habits pontificaux , reçut Sa Majesté à la porte de
l'églife , où les Compagnies fupérieures , les autres
Corps de Juftice , & le Clergé féculier &
régulier s'étoient rendus.
疹
Le lendemain 26 , Sa Majefté entendit dans
P'églife de Bon-Secours une Mefle célébrée par le
Primat. Vers midi , Sa Majefté arriva ici avec
toute la pompe de la Royauté. Le Régiment d'Infanterie
du Roi Très -Chrétien en garnifon dans
cette ville , bordoit en haie les rues depuis la porte
Saint Nicolas jufqu'à la place royale . Sa Majefté
Polonoife fut faluée de trois décharges de
l'artillerie des remparts. A la porte de l'Hôtel de
Ville , elle fut complimentée par M. Thibault ,
Lieutenant- Général de Police , à la tête des Magiftrats
.
Sa Majefté s'étant placée fur le balcon du grand
fallon de l'Hôtel de Ville , un Héraut d'Armes ,
précédé des Timballiers & Trompettes des plaifirs,"
& monté fur un cheval richement caparaçonné ,
fortit de deffous l'arc de triomphe , & en s'avançant
par la droite , il fit le tour de la place . Devant
chaque pavillon , il fit à haute voix la proclamation
de la Dédicace de la ftatue. La Nobleſſe
& le peuple répondirent à l'envi par des acclamations
réitérées. Alors on ôta de deffus la ftatue le
voile qui la couvroit , & de nouvelles acclamations
en couronnerent la Dédicace. Pendant la
cérémonie , l'artillerie des remparts & la moufqueterie
du Régiment du Roi Très - Chrétien firent
des falves continuelles .
Au lieu d'eau il coula du vin des Fontaines de
la place pendant le refte du jour . Quatre Confeil-
I y
202 MERCURE DE FRANCE.
lers de l'Hôtel de Ville jetterent à pleines mains
de l'argent par les fenêtres des quatre pavillons ,
& l'on diftr bua en même - tems dans toute la ville
des largeffes confidérables aux pauvres honteux .
Sa Majesté reçut les complimens de fa Cour fupérieure
, de fa Chambre des Comptes , de l'Académie
des Sciences & Belles- Lettres , & des quatre
Chapitres de Chanoineffes de Remiremont
d'Epinal , de Bouxieres & de Pouffay.
Sur les quatre heures elle fe rendit à la falle de
la Comédie , où elle entendit un prologue relatif
à la cérémonie du jour. L'Auteur des paroles eft
M. Paliffot de Montenoy , & la Mufique eft de M.
Surat . Après le fpectacle , Sa Majefté paffa à la
falle du bal paré que donnoit la Ville. Il étoit
compofé de toute la haute Nobleffe de Lorraine ,
& d'Etrangers de la plus grande diftinction , que le
défir de faire leur cour à Sa Majefté avoit attirés
de toutes parts. Le Roi y demeura une demi-heure,
& partit enfuite au bruit de l'artillerie , & au
milieu des acclamations dictées par l'allégrefle
générale.
En paffant près de la grande place de la Ville
Neuve , Sa Majefté y vit les Soldats & Sergens
des quatre Bataillons du Régiment du Roi , affis
à de longues tables , où la Ville leur avoit fait
fervir un repas dans lequel il régna autant d'ordre
que d'abondance. Les tables formoient un
quarré. Elles étoient éclairées par cinq pyramides
, dont quatre de vingt- trois pieds , & celle
du milieu de quarante , toutes furmontées de
fleurs de lys couronnées , ayant dans leurs corps
les armes de Sa Majefté Polonoife , & celles de la
Ville en feu tranfparent. Le devant & le derriere
des tables étoient ornés des faifceaux d'armes
du Régiment , fur chacun defquels il y avoit une
JANVIE R. 1756. 203
fleur de lys illuminée. Les drapeaux étoient déployés
autour des tables , fur lefquelles veillont
le Corps des Officiers , le Marquis de Guerchy ,
Colonel-Lieutenant , à la tête .
A la fuite du bal paré il y eut grand bal
mafqué à l'Hôtel de Ville.
Sa Majesté revint ici le 27. La Place royale
étoit illuminée fuivant l'ordre de l'architecture .
Après avoir confidéré l'illumination , le Roi defcendit
du grand fallon de l'Hôtel de Ville pour
fe rendre fous le periftile de l'arc de triomphe.
Avant fa fortie , M. Thibault lui préfenta fur
le feuil de la porte une médaille d'or . Eile porte
d'un côté la tête de Sa Majesté Polonoife avec cette
infcription : Stanislaus Í , Rex Polonia , Magnus
Duc Lithuania , Lotharingia & Barri . Au revers
eft la ftatue pedeſtre de Louis XV fur fon piedeftal
, avec cette légende : Uriufque immortalitati,
Et pour exergue , Civitas Nanceiana . MDCCLV.
En recevant cette médaille , qui a été gravée
par la Dame de Saint Urbain , Sa Majesté eut la
bonté de dire aux Magiftrtas : Meffieurs , fur ce médaillon
eft mon effigie , mais les vôtres font gravées
dans mon coeur.
On tira enfuite le magnifique feu d'artifice ,
qui avoit été préparé . Sa Majesté après le feu ,
retourna à la place royale , pour voir une feconde
fois l'illumination , & elle partit enfin au bruit de
nouvelles falves d'artillerie & de moufqueterie.
Pendant les trois jours qu'ont duré les réjouiffances
publiques , les habitans de Nancy ont fait
les honneurs de la Ville , en tenant table ouverte
pour les Etrangers , qui , après avoir admiré les
magnificences dont ils ont été témoins , ont remporté
la plus haute idée de l'amour fincere &
refpectueux des Lorrains pour leurs Majeftés
Très- Chrétienne & Polonoife.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Cette fête n'a point été particuliere à la ville
de Nancy : elle a été générale dans toutes les
villes & dans les bourgs de la Lorraine & du
Barrois.
Le 14 Décembre , les Députés de la Ville de
Nancy eurent l'honneur de préſenter au Roi les
Médailles d'or & d'argent , qui ont été frappées
à l'occafion de cette Dédicace. Le Roi pour leur
donner de fa fatisfaction une marque diftinguée ,
les reçut dans fon cabinet. Ils furent préfentés à Sa
Majefté par M. le Duc de Fleury, premier Gentilhomme
de la Chambre , Gouverneur & Lieutenant-
Général de Lorraine & du Barrois, & par M.
le Comte d'Argenfon, Miniftre & Secrétaire d'Etat.
Les Députés eurent le même honneur chez la
Reine , chez Monfeigneur le Dauphin , Madame
la Dauphine , Monfeigneur le Duc de Bourgogne
, Monfeigneur le Duc de Berry , & Monfeigneur
le Comte de Provence , ainfi que chez Madame
, & chez Mefdames Victoire , Sophie &
Louife, étant préfentés de même par M. le Duc de
Fleury , & M. le Comte d'Argenfon. La Députation
étoit compofée de M. Thibault , Lieutenant-
Général de Police , & Chef du Magiſtrat de
Nancy ; de M. Breton , Confeiller pour la Nobleffe
; de M. Puiffeur , Confeiller pour le Tiers-
Etat ; & de M. Richer , Confeiller , Tréforier de
l'Hôtel de Ville de Nancy. M. Thibault porta la
parole.
Le 12 , la rentrée de la Cour des Aides fe fit
avec les cérémonies ordinaires. Après la Meffe
célébrée , felon la coutume , dans la falle de la
Cour , les trois Chambres s'affemblerent dans la
premiere , & l'on fit la lecture des Ordonnances
& des Réglemens. Les Huifliers ayant prêté ferJANVIER
. 1756. 205
ment , M. de Lamoignon de Malesherbes , Premier
Préfident , prononça un difcours fur le choix
des Etudes. Enfuite M. Boula de Mareuil , fecond
Avocat Général , prit la parole , & haranguafur
Pemploi du Tems.
M. de Landreville , Maréchal de Camp & chef
de Brigade des Gardes du Corps , vint le 17 Novembre
, de la part du Roi , annoncer la naiffance
de Monfeigneur le Comte de Provence au Corps
de ville qui s'étoit affemblé fur la premiere nouvelle
que Madame la Dauphine avoit reffenti
quelques douleurs. M. le Marquis de Dreux , Grand
Maître des cérémonies , a remis en même tems
au Corps de ville une lettre de Sa Majeſté ſur le
même ſujet. Auffi - tôt les Prévôt des Marchands
& Echevins firent annoncer à toute la ville , par
une falve générale de l'artillerie , & par la cloche
de l'Hôtel de ville , qui a fonné jufqu'à minuit ,
la nouvelle faveur qu'il a plu à Dieu d'accorder à
la France.
A fix heures du foir on fit une feconde falve
de l'artillerie , après laquelle les Prévôt des Marchands
& Echevins allumerent , avec les cérémonies
ordinaires , le bucher qui avoit été dreſſé
dans la Place devant l'Hôtel de ville . On tira enfuite
une grande quantité de fufées volantes ; on
fit couler dans les quatre coins de la place des
fontaines de vin , & on diftribua au peuple du
pain & des viandes. Plufieurs Orcheftres remplis
de Muficiens , mêlerent le fon de leurs inftrumens
aux acclamations dictées par l'alegreffe
publique. La façade de l'Hôtel de ville fut illuminée
le foir par plufieurs filets de terrines , ainfi
que l'hôtel du Duc de Gefvres , Gouverneur de
Paris , celui du Prévôt des Marchands & les maifons
des Echevins & Officiers du Bureau de la
ville,
206 MERCURE DE FRANCE.
Le Roi ayant écrit à l'Archevêque de Paris
pour faire rendre à Dieu de folemnelles actions
de graces à l'occafion de la naiffance de Monfeigneur
le Comte de Provence , on chanta le 23
Novembre le Te Deum dans l'églife Métropolitaine
, & l'Abbé de Saint Exupery , Doyen du
Chapitre , y officia. Le Chancelier & le Garde
des Sceaux , accompagnés de plufieurs Confeillers
d'Etat & Maîtres des Requêtes , y affifterent , ainfi
que le Parlement , la Chambre des Comptes ,
la Cour des Aides , & le Corps de ville , qui y
avoient été invités de la part de Sa Majesté par
le Marquis de Dreux , Grand Maître des cérémonies.
On tira le même jour dans la place de l'Hôtel
de ville , par ordre des Prévôt des Marchands &
Echevins , un très -beau feu d'artifice . La décoration
repréfentoit un Temple de Lucine , formant
par fon plan un quarré régulier de marbre blanc.
Une ordonnance compofite , portée fur un focle
& terminée par un attique , préfentoit fur chaque
face du quarré quatre colonnes ifolées , embraffées
par des branches de lys , & grouppées
deux à deux , qui foutenoient un fronton triangulaire.
A côté des colonnes étoient des figures de
fept pieds de proportion , repréfentant des Vertus.
Le milieu des façades étoit ouvert par un portique
élevé fur des dégrés de marbre blanc , qui
conduifoient jufqu'à l'autel , fur lequel étoit placée
la Déeffe . Les colonnes , les frontons , les panneaux
du focle & de l'attique étoient de marbre
ferancolin. L'intérieur du temple étoit de bréche
violette. Les chapiteaux , la frife , les moulures ,
les bas reliefs & les figures étoient en or . Au-deffus
du fronton étoit le médaillon des armes du
Roi , fupporté par le Génie de la France , & par
JANVIER. 1756. 207
une Renommée. Des Amours , foutenus fur des
nuages , formoient différens jeux , & fervoient
de couronnement à tout l'édifice . Le temple avoit
ving- cinq pieds de largeur fur quarante de hauteur.
Il portoit fur une terraffe de quarante-huit
pieds de baſe , dont les appuis formoient autour
de l'édifice principal , une enceinte décorée dans
tous les angles par des acroteres qui foutenoient
des vafes de fleurs . On montoit fur la terrafle
par des perrons diftribués fur toutes les faces .
Après l'artifice , la façade de l'Hôtel de ville fut
illuminée avec autant de goût que de magnifi- *
cence. Toutes les colonnes dans leur pourtour
étoient garnies de lampions . Des filets de terrines
regnoient le long des entablemens. Plufieurs
Juftres formés de lanternes de verre éclairoient
les autres parties . La place vis - à- vis de l'Hôtel de
ville étoit entourée d'Ifs , portant chacun plus de
cent cinquante lumieres .
Il y eut auffi de magnifiques illuminations
aux hôtels du Duc de Gefvres & du Prévôt des
Marchands , ainfi qu'aux maifons des Echevins &
des principaux Officiers du Corps de Ville .
Des fontaines de vin coulerent dans ces différens
endroits , de même que dans la place de
l'Hôtel de ville , & dans les autres principales places
de Paris ; & l'on diftribua du pain & des viandes
au peuple. On avoit placé des orcheftres partout
où le faifoient ces diftributions.
La cloche de l'Hôtel de ville fonna en tocfin
depuis cinq heures du matin juſqu'à minuit. Pendant
la journée il y eut quatre falves d'artillerie ;
une à cinq heures du matin , une à midi , une pendant
le Te Deum , & la derniere avant le feu
d'artifice .
Le 23 , la Vicomteffe de Cambis fut préſentée
à leurs Majeftés .
208 MERCURE DE FRANCE.
Le 24 , le Corps de ville alla à l'Eglife paroiffiale
de Saint Jean en Greve , pour rendre les
actions particulieres de graces ; & il affifta à un
Te Deum qu'il fic chanter en mufique L'Hôtel
de ville , les hôtels du Duc de Gefvres & du Prévôt
des Marchands , & les maiſons des Echevins
& des principaux Officiers du Corps de Ville furent
de nouveau illuminés.
Le Marquis de Braffac , un des Chambellans du
Roi de Pologne Duc de Lorraine & de Bar , eft
venu de la part de Sa Majefté Polonoiſe pour
complimenter ieurs Majeftés & la Famille royale
fur la naiffance de Monfeigneur le Comte de Provence
; & le 24 Novembre il s'acquitta de cette
commiffion.
M. Séguier , Avocat Général du Parlement ,
ouvrit le 24 les Audiences de la Grand'Chambre ,
par une barangue fur l'Emulation. Cette harangue
fut fuivie d'un difcours de M. de Maupeou , premier
Préfident , fur le Vice de la Jalousie.
Selon les lettres de Bordeaux , on y effuya le
premier Novembre une fecouffe de tremblement
de terre qui dura quelques minutes . Elle fut accompagnée
d'une agitation extraordinaire des
eaux de la Garonne. Heureufement la ville n'a
fouffert aucun dommage.
Conformément à l'ordre que le Roi avoit donné
, le Régiment des Gardes Suiffes s'affembla
à Versailles le 29 de Novembre dans la place
d'armes vis - à-vis de la grille du château , & il
forma un bataillon quarré. A midi & demi M. le
Comte d'Eu ayant averti le Roi , que le Régiment
étoit fous les armes , Sa Majesté monta à cheval ,
accompagnée de M.le Comte d'Argenfon ,Miniftre
& Secrétaire d'Etat ayant le département de laGuerre,
ainsi que de M.le Marquis de Paulmy , Secrétaire
JANVIER. 1756. 209
d'Etat en ſurvivance de M. le Comte d'Argenſon.
Le Bataillon quarré s'ouvrit à l'arrivée du Roi ; Sa
Majefté y entra avec la fuite & avec les Officiers
des Gardes du Corps , & le Bataillon ſe referma
fur le champ , les Gardes du Corps reftant en
dehors. Les Capitaines des Gardes Suifles firent
un cercle autour de Sa Majefté ; les Lieutenans
formerent un fecond cercle , & les Sergens un
troifieme. Après que les tambours eurent battu
le ban , le Roi ordonna au Régiment de reconnoître
le Comte d'Eu pour Colonel Général des
Suiffes & Grifons , & de lui obéir en tout ce qui
concerne le fervice de Sa Majefté. Enfuite le Roi
fortit du Bataillon , & alla fe placer vis- à- vis de
la petite Ecurie , d'où Sa Majesté vit défiler le
Régiment. Le Comte d'Eu étoit à la tête. Lorfque
la premiere ligne fut paffée , ce Prince fe
plaça auprès de Sa Majeſté. Il donna le même jour
dans fon château de Clagny un fomptueux dîner
aux Officiers du Régiment , & il fit diftribuer du
pain , de la viande & du vin à tous les foldats .
Sur ce qui a été repréſenté au Roi , qu'entre les
différens moyens qui peuvent concourir avec ceux
que Sa Majefté s'elt déja procurés , pour fubvenir
aux dépenses extraordinaires auxquelles les circonftances
préfentes l'obligent , il n'en eft point
de plus facile & de plus défiré qu'une nouvelle
Loterie ; Sa Majesté s'y eſt d'autant plus volontiers
déterminée , que l'augmentation du bail de
fes Fermes la met en état d'y fatisfaire , fans rien
prendre fur fex autres revenus. En conféquence ,
par un Arrêt du Confeil d'Etat , du 11 de Novembre
, elle a établi une troiſieme Loterie royale.
Cette Loterie dont l'exécution durera douze
ans , à compter du premier Avril 1756 , & dont
le Roi a fixé le fonds à la fomme de trente mil
210 MERCURE DE FRANCE.
lions de livres , fut ouverte le 1t de Décembre au
Tréfor royal. Elle fera compofée de so mille billets
, chacun de fix cens livres. Il y aura cent mille
lots , dont cinquante mille , dits de rembourfement,
qui éteindront & amortiront le capital des
billets & cinquante mille de faveur , aufquels les
billets amortis par le remboursement qui leur
fera parvenu , participeront nonobftant ledit rem
bourfement. Les cent mille lots feront diftribués
en quatorze Tirages pendant le cours des douzé
années que durera la Loterie. Le premier tirage
du premier femeftre fe fera le 15 du mois d'Avril
prochain , & les cinq autres d'année en année au
même tems . Ces fix premiers tirages feront de
lots de rembourfement. Le feptieme qui fera de
faveur , ſe fera un mois après. Le premier des fix
tirages du deuxieme femeftre qui feront également
pour lots de remboursement , fe fera le 15
Avril 1762 , les cinq autres auffi d'année en année,
& le quatorzieme & dernier qui fera de faveur ,
un mois après le fixieme du fecond femeftre. Les
vingt-quatre mille deux ceux quarante huit billets,
qui auront obtenu les lots de rembourſement dans
les fix tirages du Ir femeftre , participeront feuls
au tirage de faveur qui les fuivra. De même les
vingt-cinq mille fept cens cinquante- deux billets.
aufquels feront échus les lots de remboursement
des fix tirages du deuxieme femeftre , auront feuls
part au quatorzieme tirage , qui formera la clôture
de la Loterie . A chacun des douze tirages
pour lots de remboursement il y aura un premier
lot de vingt mille livres , un fecond de dix mille,
un troifieme de quatre mille , deux autres de deux
mille. Dans le premier des deux tirages de faveur
le premier lot fera de cent vingt mille livies
, & le fecond de cinquante mille . Le princiJANVIE
R. 1756. 211
pal lot du quatorzieme & dernier tirage fera de
deux cens mille livres , & le fecond de quatrevingt
mille. Sa Majefté attribue pendant chacune
des deuxieme & fubfequentes années de l'exécution
de la Loterie , jufques & compris la onzieme,
vingt-quatre livres à chacun des billets qui entreront
dans la roue , pour concourir en chaque femeftre
au gain des lots de remboursement , & ce
jufqu'à ce qu'il leur en foit échu un à chacun ;
laquelle attribution fera payée , même pour l'année
révolue , au tems que lefdits lots échoiront
fans aucune réduction deſdits lots.
Il paroît une Ordonnance du Roi pour augmenter
de dix Maîtres chaque Compagnie des Régimens
de Cavalerie, tant Françoifes qu'Etrangeres,
même celles des cinq Brigades du Régiment des
Carabiniers.
Sa Majesté a accordé des lettres d'ennobliffement
à M. Daran , l'un de fes Chirurgiens , qui
s'eft acquis un nom célébre dans toute l'Europe.
Le Marquis de Soragna , Gentilhomme de la
Chambre de l'Infant Duc de Parme , & qui eft
venu de la part de ce Prince & de Madame Infante
pour complimenter leurs Majestés fur la naiffance
de Monfeigneur le Comte de Provence
s'acquitta le 16 de fa commiffion. Il fut préfenté
par Don Jaimes Mafones de Lima & Sotomayor,
Ambaffadeur Extraordinaire & Plénipotentiaire
du Roi d'Efpagne.
Six cloches de la nouvelle Eglife Paroiffiale de
Saint Louis à Verfailles furent bénites le 15. M. le
Duc de Fleury & Me. la Ducheffe de Laynes , Dame
d'honneur de la Reine , les tinrent au nom de
leurs Majeftés & de la Famille royale. Le Curé de
la Paroiffe fit la cérémonie. Il y eut mufique , illumination
, feu , & plufieurs falves de mouſqueterie,
212 MERCURE DE FRANCE.
Le 14,Mdme la Marquise de Gamaches fut préfentée
à leurs Majeftés & à la Famille royale .
Dans ces préfentations elle prit le tabouret
comme Grande d'Espagne , ayant hérité de la
Grandeffe par la mort du Maréchal de la Mothe .
Houdancourt , dont elle eft fille unique.
Madame la Marquiſe de Brehant fut préſentée le
même jour.
Le 17 M. le Marquis de Marigny, Directeur Général
des Bâtimens , Arts & Manufactures , préfenta
à Leurs Majeftés plufieurs pieces de Tapif
ferie en haute- liffe , de la Manufacture des Gobelins.
Quatre de ces pieces repréfentent : la premiere
, Jafon affoupiffant le Dragon , enlevant
la Toifon d'Or , & partant avec Medée : la
deuxieme , le mariage de Jafon & de Creüfe , fille
du Roi de Corinthe : la troisieme , Creuſe confumée
par le feu de la robe fatale , dont Medée
lui a fait préfent : la quatrieme , Medée poignar
dant les deux fils qu'elle avoit eus de Jafon , &
embrafant Corinthe. Ces morceaux ont été exécutés
fur des Tableaux de feu M. de Troy , & ils
font les trois premiers de M. Cozette , & le dernier
de M. Audran. Trois autres Pieces font de M.
Audran. Les ſujets font la Scene s du quatrieme
Acte de l'Opera de Roland : la Scene 4 du cinquieme
Acte d'Armide , d'après feu M. Coypel
& l'Entrée de Marc - Antoine à Ephefe
d'après M. Nattoire , Directeur de l'Académie
de Peinture à Rome. Une huitieme Piece de l'exécution
de M. Cozette , eft une copie d'un Tableau
de M. Parrocel , d'Avignon , repréfentant
la Sainte-Famille , & qui a trois pieds deux pouces
de haut , fur deux pieds cinq pouces de large.
Par une Ordonnance du 8 de ce mois , le Roi
a réglé que les Bataillons du Régiment Royal
JANVIER . 1756. 213
Artillerie , les Compagnies de Mineurs & d'Ouvriers
qui fervent à leur fuite , les Officiers d'Artillerie
& les Ingénieurs , ne feroient dorénavant
qu'un feul & même Corps , fous la dénomination
de Corps Royal de l'Artillerie & du Génie.
On a répandu mal -à-propos le bruit , que le
Coche d'eau d'Auxerre avoit péri. Cette Voiture
n'a pas couru le moindre danger , & celles
de cette efpece ne vont que lorfque la riviere eft
navigable.
Le 18 Décembre les Actions de la Compagnie
des Indes étoient à quatorze cens quatre-vingt livres
les Billets de la premiere Loterie Royale à
huit cens quarante quatre ; ceux de la feconde
Loterie à fept cens vingt - huit , & ceux de la
troifieme Loterie à fix cens vingt-trois.
·
BENEFICES
DONNÉ s.
LE Roi a donné l'Abbaye de S. Amand , Ordre
de S. Benoît , Diocèle de Cambrai , au Cardinal
d'Yorck.
Sa Majesté a accordé l'Abbaye de S. Vandrille ,
Ordre de Saint Benoît , Diocèſe de Rouen , au
Cardinal de la Rochefoucauld .
Elle a auffi donné l'Abbaye d'Aumale , Ordre de
Saint Benoît , Diocèfe de Rouen , à l'Abbé de
Savary de Breves , Vicaire Général de l'Archevêché
de Vienne ; celle de Chezi , même Ordre ,
Diocèfe de Soiffons , à l'Abbé Thierri , Chancelier
de l'Eglife Métropolitaine
& de l'Univerfité
de Paris ; celle de Beaulieu , Ordre de Saint Auguftin
, Diocèfe de Boulogne , à l'Abbé de Mons ,
Vicaire Général de l'Evêché de Saint - Flour ; &
Dioceile
de Ferrieres , Ordre de Saint Benoît ,
cèfe de Poitiers , à l'Abbé de Fretat de Sarra ,
Vicaire Général de l'Evêché du Puy,
214 MERCURE DE FRANCE .
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE .
De Lisbonne , ce 25 Novembre , 1755.
Vous ferez fans doute informé , Monfieur
, du malheur que vient d'effuyer le
Portugal. Le premier de Novembre à neuf
heures quarante- cinq minutes du matin ,
par un temps calme & le ciel le plus ferain
, le mercure étant à vingt- fept pouces
fept lignes , & le termometre de M. de
Réaumur à quatorze degrés , la terre trembla
par trois reprifes. La premiere fecouffe
fut fi foible qu'elle n'épouvanta prefque
perfonne , & dura à peu près une minute :
mais après un intervalle de trente à quarante
fecondes , la terre trembla de nouveau
, mais avec tant de violence que la
plupart des maifons commencerent à crouler.
Cette feconde fecouffe dura à peu près
huit ou dix minutes . Il y eut encore un intervalle
de deux minutes à peu près ; ce que je
préfume , parce que la pouffiere que caufa
l'écroulement des maifons , & qui étoit fi
épaiffe que le foleil en étoit totalement
obfcurci , baiffa peu à peu , & rendit au
jour affez de clarté pour que l'on pût s'envifager
& fe reconnoître.
JANVIE R. 1756. 215
Une troifieme fecouffe reconfondit tout
de nouveau ; les maifons qui avoient réfifté
jufqu'alors , tomberent avec fracas. Le ciel
s'obfurcit , & la terre fembloit vouloir
rentrer dans le cahos . Les gémiffemens des
mourans , les cris de ceux qui étoient expofés
au danger , les fecouffes réitérées de
la terre, l'obfcurité du jour augmentoient le
trouble , la confufion , l'horreur & l'effroi.
Enfin , après dix à douze minutes , tout ſe
calma . Mais notre malheur n'étoit pas
encore à fon comble. A peine commençions-
nous à refpirer , le feu parut dans
différens quartiers de la Ville. Le vent qui
fouffloit avec violence , excitoit la flamme.
Perfonne ne penfa à empêcher fa voracité ,
on ne fongea qu'à fauver fa vie , & à fuir
vers la campagne : les tremblemens de terre
fe fuccédoient toujours foibles à la vérité
, mais trop violens pour des gens qui
avoient échappé à une mort qui fembloit
inévitable. Ainfi Lifbonne devint en peu
de tems une feconde Troie.
On auroit pu fans doute apporter quelque
remede au feu , fi la mer n'eût menacé
de fubmerger la ville ; ou du moins
le peuple effrayé par une fi horrible
cataſtrophe , fe le perfuada , en voyant les
Alots entrer avec fureur dans des lieux ou
il fembloit impoffible que la mer pût
jamais parvenir.
216 MERCURE DE FRANCE.
Dans le commencement du tremblement
, quelques perfonnes croyant trouver
un afyle fur les eaux , s'y expoferent ;
mais la mer ne leur fut pas plus favorable
car le flux portoit vaiffeaux ,
barques , batteaux contre le rivage , les
écrafoit les uns contre les autres , &
bientôt les retirant avec violence , fembloit
vouloir les engloutir avec les malheureux
qu'ils portoient.
Ce flux & reflux dura toute la nuit
& fe faifoit fentir plus fortement de cinq
en cinq minutes. L'effroi n'a pas encore
ceffé ; car il n'y a pas de jour que nous
n'ayons fenti deux ou trois fecouffes.
J'ai remarqué que les plus fortes , que
l'on peut comparer à un coup de canon
tiré dans un fouterrein , fe font toujours
fentir à la fortie de la Lune , & vers le
crépuscule du matin.
Le 8. vers les cinq heures & demie du
matin , nons avons fenti une fecouffe de
peu de durée , mais très violente. Le
16. à trois heures & demie après midi ,
la terre bailla & fit le même effet que
le d'un navire à la cape. corps
On affure que la mer a furpaffé de 9 .
pieds le plus grand débordement dont on
fe fouvienne en Portugal.
Le tremblement & le feu ont détruit
1S
JANVIER. 1756. 217
18 paroilles , prefque tous les couvens ,
& les plus beaux Palais de Liſbonne , tels
que le Palais du Roi , celui de Bragance ,
le Tréfor , les Hôtels des Ducs de Cadaval
, de Lafoens & d'Avéiro , ceux des
Marquis de Valence , de Lourical , de
Tavora , de Marialva , de Limiares , de
Frontiere , d'Anjeja , des Comtes de
Vimieiro , d'Atouguia , das Galvéas , de
Saint Jacques , d'Alva , de Coucoulin :
l'Hôtel de l'Ambaffadeur d'Efpagne l'a
enfeveli fous fes ruines. Le chantier ,
toutes les douanes pleines de marchandifes
, les Magafins publics du bled ont
été confumés . Les environs de Lisbonne
ont prefque tous été détruits . Les Bourgs
d'Alverca , Alandra , Villa Franca , Caftanheira
, Povos , Alenquer , Sétuval ,
font prefque entierement ravagés. La
partie baffe de Santarem a beaucoup
fouffert , de même que Peniche & la
fortereffe de Cafcaes . Quelques villes du
Royaume des Algarves ont été détruites
moins le tremblement de terre , que
par la mer qui a inondé une lieue de
Pays. La pointe du Cap de la Boque s'eft
affaiffée. La fameufe bibliotheque de S.
Dominique , celle du Comte de Ericeira
& celle du Comte de Vimieiro , célébres
I. Vol.
par
K
218 MERCURE DE FRANCE.
par leurs manufcrits rares , ont été la
proie des flammes.
On ne fçait pas encore le nombre des
morts. On conjecture qu'il doit monter
de 30. à 40. mille perfonnes. Tout le
monde campe , depuis le Roi jufqu'au
dernier membre de la République.
Pedegache.
MARIAGES ET MORTS.
François-Martial Comte de Choifeul - Beaupré ,
Brigadier , Inspecteur général de l'Infanterie , &
Menin de Monfeigneur le Dauphin , veuf depuis
1753 de Charlotte-Rofalie de Romanet , époufa
le 24 Juin Demoiſelle N ... Thiroux de Mauregard
; la bénédiction nuptiale leur a été donnée à
Paris dans la chapelle de la maifon de la Dame
de Lailly : le Roi avoit figné le 22 leur contrat de
mariage.
Raymond- Pierre , Marquis de Beranger , Comte
du Guat , Chevalier d'honneur de Madame la
Dauphine en furvivance , & Colonel dans le corps
des Grenadiers de France , époufa le 2 de Juillet
Marie-Françoile de Saffenage , fille de Charles-
François , Marquis de Saffenage , fecond Baron
du Dauphiné , Commiffaire né des Etats de cette
province , Brigadier de Cavalerie , Chevalier des
Ordres du Roi ; & Chevalier d'honneur de Madame
la Dauphine , & de Marie- Françoife- Camille
de Saffenage , Baronne de Saffenage , Marquife
de Pont- en - Royan , Comtefle de Montallier.
La bénédiction nuptiale leur fut donnée par
1.
JANVIER. 1756. 219
l'Archevêque de Sens , dans l'Eglife de la Paroifle
du château , à Verfailles . Le Marquis de
Beranger eft fils de feu Pierre , Comte de Beranger
, Lieutenant général des armées du Roi , &
Chevalier des Ordres de fa Majefté , & de Dame
Antoinette-Françoife Boucher d'Orsay.
Voyez fur les Maifons de Beranger & de Saffenage,
les Tablettes hiftoriques , IV. Part. page
54 fuivantes.
Meffire René-Théophile de Maupeon , Marquis
de Sablonieres , Colonel du Régiment d'Infanterie
de Bigorre , fils de feu Meffire René-
Theophile de Maupeou , Marquis de Sablonieres,
Lieutenant général des armées du Roi , Infpecteur
général d'Infanterie , & .de Dame Jeane-
René Blanchard de Banneville , épouſa le 13 Juillet
dans la Chapelle du château de Paris - Fontaine
, Damoiſelle Marie - Julie de Caqueray de-
Maucomble.
Meffire Claude-Etienne Bidal , Marquis d'Affeld
, Maréchal des camps & armées du Roi , fut
marié le 14 à Damoifelle Anne- Louiſe-Charlotte
Pajot de Villeperot , fille de feu Meffire
Pierre-Maximilien Pajot de Villeperot , Maréchal
de camps , & de Dame Louiſe- Génévieve
Pajot. La bénédiction nuptiale leur fut donnée à
Paris par l'Archevêque de Narbonne , dans l'Eglife
de S. Germain l'Auxerrois. Leur contrat
de mariage avoit été figné le 8 par leurs Majeftés.
Le Marquis d'Asfeld eft fils de feu Claude-François
Bidal , Marquis d'Asfeld , Maréchal de France ,
Chevalier de l'Ordre de la Toifon d'or , Commandeur
de celui de S. Louis , Gouverneur des
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
ville & citadelle de Strafbourg , Directeur géné
ral des fortifications de France , Lieutenant Général
des armées du Roi ; & de feu Dame Anne le
Clerc- de- Lafferille. -
Voyez la VII. Part. des Tablettes hiſtoriques.
page 84.
Meffire Anne-Joachim - Annibal Comte de Rochemore
, fils de Mefire Jean-Louis-Annibal de
Rochemore & de Dame Catherine - Pauline de
Fays- de Rochepierre , époufa le 31 Juillet à Vivier
, Damoiselle Judith de Boufchet , fille de Meffire
Louis de Boufchet , Marquis de Sourches , Comte
de Montforeau , Lieutenant général des armées
du Roi , Prevôt de l'Hôtel de fa Majefté, & Grand
Prevôt de France , & de feue Charlotte-Antonine
de Gontaut de Biron. La bénédiction nuptiale leur
a été donnée par l'Evêque de Viviers.
Claude -Antoine- Cleriadus Comte de Choiseul ,
Lieutenant général de la Province de Champagne
& de Brie , Guidon de Gendarmerie , Meftre de
Camp de Cavalerie , Chambellan & Capitaine des
Gardes du Corps du Roi de Pologne , Duc de Lorraine
& de Bar , époufa le 1 Sept. au château de Harouel
en Lorraine , Diane- Gabriele , Marquife de
la Baume - Montrevel , ci -devant Chanoineffe de
Kemiremont , fille de feu Charles - Ferdinand-
François , Marquis de la Baume Montrevel , Meſtre
de Camp de Cavalerie & de Elifabeth - Charlotte de
Beauvau. La bénédiction nuptiale leur a été donnée
par l'Abbé de Choifeul , Vicaire général &
Grand Archidiacre de Châlons fur Marne . Le
Comte de Choifeul eft fils de Charles - Marie ,
Marquis de Choifeul Beaupré , Lieutenant général
des armées du Roi , & ci - devant Chevalier
JANVIER. 1756. 221
d'honneur de la feu Reine de Pologne , & de
Henriette-Charlotte de Balompierve , Dame du
Palais de cette Princelle .
François- Jacques Damas d'Antigny , Comte de
Ruffey , Baron de Chevreau , Gouverneur de la
fouveraineté de Dombes , fils de Jofeph - François
Damas , Marquis d'Antigny , Conite de Ruffey
& de Commarin , Baron de Chevreau , Colonel
du Régiment de Boulonnois , Brigadier des
armées du Roi , mort en 1736 , & de Maric-Judith
de Vienne , Comteffe de Commarin , a épousé
le 6 Octobre Zephirine-Félicité de Rochechouart ,
fille de Charles de Rochechouart , Lieutenant
Général des armées du Roi , Ambaffadeur de fa
Majefté auprès de l'Infant Don Philippe , Duc
de Parme , & de Marie- Françoife de Conflans
d'Armentieres , Dame de Madame la Dauphine.
Monſeigneur l'Evêque Duc de Laon , fon oncle
paternel , leur a donné la bénédiction nuptiale
dans la Paroiffe de S. Sulpice.
Ces maifons font trop connues pour avoir be
foin d'en donner la généalogie . Nous renvoyons
à tous les Généalogiſtes qui en ont parlé Voyez
pour la maison de Damas le P. Anfelme. Généalogie
des Grands Officiers de la Couronne , trorfiéme
édition en 1733 , tome 8 , page 339 , à
l'article des Grands Maîtres de la Maifon du
Roi. Pour la maiſon de Vienne , l'article des
Amiraux de France , même édition , page 804 :
& pour la maifon de Rochechouart , le même
ouvrage , tome IV. page 649.
Demoiſelle Catherine - Henriette Canonville
de Raffetot , eft morte à Paris le premier Juin.
K iij
222 MERCURE DE FRANCE.
Meffire Charles - Pierre- Jofeph de Caftagnet de
Tanchoue , Brigadier des Gardes du Corps , eft
décédé le 12 à Paris.
Meffire Jean - Baptifte Duval de Morgny , fils
de Meffire Yves - Michel Duval de Morgny
-Préfident à la Chambre des Comptes de Rouen ,
eft mort à Paris le 26.
Eleonore-Marie de Montmorenci-Luxembourg-
Tingry , époufe de Meffire Louis -Leon Potier de
Gefures , Comte de Trefmes , Lieutenant - Géné–
ral des armées du Roi , Gouverneur des ville &
château de Ponteau de Mer , & Lieutenant pour
Sa Majefté au Bailliage de Rouen & pays de Caux ,
eft morte le 3 Juillet dans la quarante- neuvieme
année de fon âge.
Jacques- Nompar de Caumont , Duc de Caumont
, Pair de France par la démiffion du Duc de
la Force fon pere , mourut à Bagnieres le 14 ,
âgé de quarante-un ans.
Louis Benigne , Marquis de Baufrement & de
Liftenois, fubftitué aux noms & armes des maiſons
de Vienne Liftenois de Villelume & de Gorrevod ,
Seigneur héréditaire du Duché de Pontdevaux
Chevalier de l'Ordre de laToiſon d'or , Grand Bailli
d'Aval & Lieutenant - Général des armées du Roi ,
mourut à Paris le 18 Juillet , âgé d'environ foixante-
treize ans .
Voyez les Tablettes hiſtoriques , IV partie , p.
388 ; lave, p. 269..
Meffire Louis Hardouin- Jacques - Augufte de
Grout de Beaufort , penfionné du Roi , ci - devant
Capitaine au Régiment de Briouze , Infanterie
, eft décédé dans le mois de Juillet dernier
JANVIE R. 1756. 223
la terre de la Harie en Baffe -Normandie , âgé
d'environ foixante-dix -huit ans . Il eut l'honneur
d'avoir beaucoup de part dans les bonnes graces
de feu Louis XIV , & de Monfeigneur le Grand
Dauphin , & fut toujours de leur Cour jufqu'à
leur mort . Il étoit fils de feu Louis -Hardouin
de Grout-de Beaufort , Capitaine au Régiment
Dauphin , qui avoit été nommé par Mlle de
Montpenfier , dite Mademoiſelle , & petit fils de
feu Louis- Hardouin de Grout , ou Groulth - de
Beaufort , Chevalier de l'Ordre du Roi , Gentilhomme
ordinaire de fa Chambre , nommé Major
des Gardes du Corps . Il vint en France fur la
fin du regne de Louis XIII , & éprouva les
bontés de la Reine - Mere Anne d'Autriche. Louis
Hardouin , qui donne occafion à cet article ,
laiffe deux fils & une fille ; fçavoir , Anne- Ange-
Gabriel de Grout de Beaufort , Préfident en la
Cour des Monnoies à Paris ; Louis de Grout- de
Beaufort , Religieux de l'ancienne Obfervance de
l'Ordre de Cluni , Prieur en titre de Notre-Dame
de Mainfat; Marie-Magdeleine de Grout de Beaufort
, Religieufe Bernardine à l'Abbaye de Villers-
Cannivet , près Falaiſe en Normandie. Cette famille
qui eft originaire d'Allemagne , s'eft bien
alliée depuis qu'elle eft en France.
Meffire Louis-François Vivet de Montelus ;
Evêque d'Alais , & Abbé de l'Abbaye Royale &
féculiere de S. Gilles , Diocéfe de Nifme , eft
mort à Alais le 21 dans la foixante - feiziéme année
de fon âge. Il avoit été nommé en 1727 à
l'Evêché de S. Brieux , & en 1744 à celui d'Alais.
Meffire N... Soucelier , Abbé de l'Abbaye de
5. Paul - lez- Sens , & Doyen de Bray-fur- Seine ,
K iv
224 MERCURE DE FRANCE .
eft mort en cette derniere ville le 24 , âgé d'envi
ron cinquante- fept ans.
Meffire Chriſtophe, Marquis de Cuftine , grand
Bailli de Nanci , mourut à Nanci le 26 dans fa
quatre-vingt- quinziéme année. Après - avoir fervi
en France jufqu'au fiége de Bonne , & avoir
obtenu le grade de Lieutenant- Colonel , il paffa
au fervice de l'Empereur Léopold , & fit toutes
les campagnes de Hongrie contre les Turcs ,
depuis 1683 jufqu'en 1697. Il revint alors en
Lorraine avec le Duc Léopold , qui le nomma
d'abord fon premier Chambellan , enfuite Colonel
de fon Régiment des Gardes , Commandant
en Lorraine , Gouverneur des ville & citadelle
de Nanci , & Confeiller d'Etat d'épée . Le
Marquis de Cuftine à la ceffion de la Lorraine
refta attaché à la France malgré les offres avantageufes
de l'Empereur Charles VI . le Roi de Pologne
Duc de Lorraine & de Bar , lui donna le
grand Baillage de Nanci , & le Roi le gratifia
d'une penfion de 4000 liv. que Sa Majefté a bien
voulu continuer à fa famille .
Louife-Françoise de Rohan-Rohan , veuve de
Gui- Paul- Jules Mazarin , Duc de Mazarin & de
la Meilleraye , Pair de France , Prince de Châr
teau-Porcien , Gouverneur des villes du Port-
Louis , de Hennebont & de Quimperlay , mou
rut à Paris le 27 Juillet , âgée de foixante ans.
Demoiſelle Petronille - Elizabeth Maffon de
Melay, fille de Mefire Antoine- Lambert Maffon
de Mellay , Préfident en la Chambre des
Comptes , eft morte à Paris le 6 Août.
>
Demoiſelle Julie -Apolline - Géneviève Hubers
"
JANVIER. 1756. 225
Fontenu , Baronne d'Evon , Vicomtefle de Prémartin
, eft morte à Paris le 12 , & a été inhuméc
le lendemain à S. Sulpice.
Dame Bonne Barillon , veuve de Meffire François-
Germain le Camus , Marquis de Bligny ,
Maréchal de Camp , eft morte à Paris le 13 ,
& a été inhumée à S. Sulpice.
Dame Marie-Magdelaine de la Vieuville , veu
ve de Meffire Céfar- Alexandre de Baudéan, Com
te de Parabere , eſt morte le 14 à Paris , âgée
de foixante- deux ans.
Meffire Jean- Gabriel de la Porte du Theil,
Chevalier des Ordres de N. D. du Mont-Carmel
& de Saint - Lazare , Secrétaire de la chambre
& du cabinet de Sa Majefté & des comman
demens de Monfeigneur le Dauphin & de Mefdames
de France , eft mort à Paris le 17 Août
âgé de foixante- douze ans. Il avoit été ci-devant
premier Commis des affaires étrangeres : il
fat chargé en différens temps de la part du
Roi , de commiffions importantes dans plufieurs
Cours de l'Europe : en 1747 il affifta aux conférences
de Breda en qualité de Miniftre Plemipotentiaire
, & fut revêtu du titre d'Ambafla--
deur extraordinaire & Plenipotentiaire à cellesqui
fe tinrent en 1748 à Aix- la- Chapelle . Lestalens
& le zéle avec lefquels il s'eft acquitté de
ces différens emplois , lui ont mérité les marques
de fatisfaction & de bonté dont le Roi a bien vou--
lu l'honorer..
Meffire Jean Baptifte Bofe , Chancelier & Gar
de des Sceaux des Ordres Royaux , Militaires &
Hafpitaliers de Notre Dame du Mont Carmel &
K
226 MERCURE DE FRANCE.
de S. Lazare , de Jérufalem , & Confeiller d'honneur
de la Cour des Aides , dans laquelle il a été
pendant quarante - fept ans Procureur- Général , eft
mort le 18 Août à Paris , âgé de quatre-vingt- deux
ans.
Meffire Jean - François Boyer , ancien Evêque
de Mirepoix , Abbé de l'Abbaye de Corbie , Ordre
de S. Benoît , Diocèſe d'Amiens , l'un des quarante
de l'Académie Françoiſe , honoraire de l'Académie
royale des Infcriptions & Belles- Lettres ,
& de l'Académie royale des Sciences , mourut à
Verſailles le 20 dans fa quatre - vingt - unieme
année . Il avoit été Précepteur de Monſeigneur
le Dauphin , & enfuite premier Aumônier de Madame
la Dauphine . En 1743 , à la mort du Cardinal
de Fleury , le Roi chargea l'ancien Evêque de
Mirepoix du détail des affaires qui concernent la
nomination aux Bénéfices.
Claude- Lamoral- Hyacinthe-Ferdinand , Prince
de Ligne , & du S. Empire , Chevalier de l'Ordre
de S. Hubert , mourut à Paris le 30 , âgé de foixante-
douze ans.
Voyez les Tablettes hiftoriques , III. part. pag.
70 ; & lave, p. 158 .
Meffire Guy- Michel Billard de Loriere , fous-
Doyen des Confeillers du Grand Confeil, Seigneur
de Charenton , eft mort à Paris le 31 , âgé de
foixante-quinze ans. Il a été préfenté à S André
des Arts , & tranſporté en l'égliſe paroiffiale de
Charenton .
Damoiselle Claire-Françoiſe de Roncherolles de
Heuqueville , eft morte le 4 Septembre à Paris.
JANVIE R. 1756. 227
Jofeph-Marie d'Hoftun , Duc d'Hoftun , Pair
de France , Comte de Tallard , Chevalier des Ordres
du Roi , Brigadier d'Infanterie , Gouverneur
de Franche-Comté , & Gouverneur particulier des
Ville & Citadelle de Befançon , mourut à Paris.
le 6 Septembre , âgé de près de foixante - onze
ans. Par fa mort eſt éteint le Duché de Hoftun ,
qui avoit été érigé par Lettres - Patentes , du mois
de Mars 1712 , en faveur de Camille d'Heftun
Comte de Tallard , Maréchal de France , & qui
fut déclaré Pairie , par Lettres - Patentes du mois
de Mars 1715 , en faveur du Duc qui vient de
mourir , & qui étoit fils du Maréchal de Tallard .
Meffire Edme-Marie Duval de Sainte Marie ,
Grand Prévôt Général de la Cavalerie de France &
Etrangere, eft mort à Baubigny , près de Pantin,
le 7 , & a été inhumé dans l'Eglife paroiffiale de
ce lieu .
Meffire Charles-Nicolas Rouillé d'Orfeuil , Enfeigne
au Régiment des Gardes Françoiles , eft
mort à Paris le 11.
Meffire Charles- François Renouard , Doyen
des Confeillers honoraires à la Grand'Chambre
de Parlement de Paris , eft mort le 20 en fon
Château de Fleuri , près d'Auxerre , âgé de quatrevingt-
trois ans.
Mellire Louis-Etienne Jobal , fecond Préfident
du Parlement de Metz , eft mort à Paris le 24
âgé de foixante-buit ans.
Meffire Jean-Profper Goujon de Gafville , Maltre
des Requêtes honoraire & ancien Intendant
de Rouen , eft mort à Paris le même jour , âgé
de foixante-quatorze ans.
Kj
22S MERCURE DE FRANCE
Louis Charles - Antoine de Saint Simon de
Courtomer , Chevalier de l'Ordre de Saint Jean
de Jérufalem , Lieutenant au Régiment du Roi
infanterie , fils de feu Meffire Guy- Antoine de
Saint - Simon , Chevalier Seigneur Marquis de
Courtomer , Comte de Montreuil - Bonnin , Meftre
de Camp de cavalerie , Capitaine des Gardes
de feu fon Alteffe Royale Madame Ducheffe de
Berry ; & de Dame Marie - Magdelaine de Saint
Remi , Marquife de Courtomer , Dame de la
Motte-Fouqué & Mongoubert , Dame Chateleine.
de Pecoux eft décédé le 3 Novembre au Château
de la Motte- Fouqué en Normandie , âgé de
vingt-un ans huit mois.
;
Meffire Jean de Mailly, Marquis de Mailly-Hau
court , mourut le 7 Décembre au Château de la
Roche de Vaux , dans le Maine , âgé de quatrevingt-
quatre ans. Le Comte de Mailly , fon fils ,
Lieutenant-Général des Armées du Roi , & Infpecteur
de la Cavalerie , ayant perdu deux fre-.
res , dont l'un étoit Eccléfiaftique , & l'autre Che-.
valier de Malte , eft le feul qui refte de cette
Branche. Le Chevalier eft mort à Vienne en Autriche
après la derniere campagne de Hongrie ,
où il étoit allé finir les Caravanes .
Le nommé Marais eft mort à Honfleur , dans :
la cent-fixieme année de fon âge. Il n'a connu.
aucune des infirmités de la vieilleffe .
Dom Jacques-Nicolas Maumouffeau , Supérieur
Général de la Congrégation de Saint Maur ,
mourut le 12 Décembre , à Paris , en l'Abbaye de
Saint Germain-des-Prés , dans la foixante- onzieme
année de fon âge , & dans la cinquante - troi-
Geme de fa Profeffion Religieufe .
JANVIER. 1756. 229
Dame Marie-Louiſe Henriette de Beaumanoir-
Lavardin , veuve de Meffire Jacques- Louis , Marquis
de Beringhen , Maréchal des Camps & Armées
du Roi , Premier Ecuyer de Sa Majesté , &
Gouverneur des Ville & Citadelle de Marſeille ,
mourut en cette Ville le 14 Décembre , âgée de
foixante- cinq ans..
AVIS
Almanach LE BON JARDINIER.
pour l'année 1756 , contenant une idée
générale des quatre fortes de Jardins , lest
régles pour les cultiver , & la maniere
d'élever les plus belles fleurs. A Paris ,
chez Guillyn , quai des Auguftins. 1756.
On trouve chez le même Libraire , chez
Ganeau , rue S. Severin , & chez Defventes
, à Dijon , les Tablettes hiftoriques , topographiques
& Phyfiques de Bourgogne ,
pour l'année 1756 .
Catalogue des Livres de la Bibliotheque
de feu M. Bernard de Chantant , Con-.
feiller au Parlement de Dijon , dont la
vente fe fera dans cette ville. L'on trouve
ce Catalogue à Paris , chez Guillyn , quay
des Augustins , qui donnera les éclairciffemens
néceffaires : il fe chargera de faire.
230 MERCURE DE FRANCE .
acheter les Livres que l'on lui commettra ,
& de les remettre aux acquéreurs à Paris :
on peut auffi s'adreffer chez Defventes à
Dijon.
AUTRE.
E Sieur Compigné , Marchand Tabletier , Pri
vilegié du Roi , qui demeuroit ci- devant dans
le Temple , donne avis au Public qu'il a tranfporté
fes fabriques de Tabatieres d'écaille & de
carton , rue Grenetal , à l'enfeigne du Roi David ,
où le vafte emplacement lui a permis de l'augmenter
confidérablement ; pour mériter dans fon
art, les éloges du Public & des gens de goût , il
travaille tous les jours à le perfectionner.
Depuis plufieurs années , il exécute avec fes
tours des deffeins d'étoffe de toute espece.
Il va inceffamment mettre au jour différens
deffeins de fa compofition , qu'il exécute fur l'écaille
& fur le carton ; l'effet de ce travail eft d'autant
plus frappant qu'il repréfente le naturel .
Ceux qui défireront les avoir fur or & fur argent
, ou autres métaux , pourront les lui commander
: il les rendra avec autant de précifion
que tels deffeins Chinois , de fleurs , d'architecture
, de païfage , & autres qu'on voudroit ſe
procurer.
Il double en écaille les tabatieres de carton :
il raccommode les unes & les autres , & vend des
deux efpeces à très -jufte prix , en gros & en
détail.
On trouvera encore chez lui des affortimens
de toutes efpeces , en ce qui concerne la Tabletterie.
JANVIE R. 1756. 231
AUTR E.
E fieur Georges Douay, Marchand fabriquant
vis le Bon Paſteur , Fauxbourg S. Marceau à Paris
, donne avis aux Négocians qu'il poffede le
fecret de faire le Marly d'Angleterre , de toutes
les façons qu'il puiffe fe faire ; fçavoir , à carreau ,
rayé & uni , noir & blanc , & du plus beau blanc
qu'on puiffe le défirer.
AUTR E.
ON a fait depuis plufieurs années différentes
tentatives en Horlogerie , pour fimplifier les pendules
, & furtout celles d'obfervation ; mais le
haut prix auquel on étoit obligé de les mettre ,
a toujours affez prouvé au Public , & fait fentir
à leurs Auteurs mêmes , qu'elles n'étoient rien
moins que fimples.
En voici une dont la préciſion & la folidité
font à toute épreuve , & dont on n'a voulu faire
part au Public , qu'après des expériences réitérées
depuis environ huit années par des Aftronoines
& autres Connoiffeurs en ce genre. La nouvelle
conftruction de celle - ci en eft une preuve fatiffaifante
, puifqu'elle offre l'avantage d'une machine
perfectionnée principalement par des
voies très-peu difpendieufes : fa fimplicité ne peur
échapper à quiconque voudra l'examiner & faire
attention à la modicité du prix de ces pendules ,
qui n'eft que de vingt piftoles tout ajustées dans
feurs caiffes de transport . Ce motif d'oeconomie
joint à leur exactitude , en a fait débiter un aſſez
grand nombre,
23,2 MERCURE DE FRANCE.
Ces pendules font renfermées dans des boëtesde
cuivre , ajustées d'une façon nouvelle par des
vis qui les font mouvoir, & qui fervent à les fixer
dans leurs échappemens , d'une maniere au
fimple que folide. On les place à fix pieds environ
de hauteur , ce qui fuffit pour les faire aller
à peu près quinze jours ; elles marquent les heures
, les minutes & les fecondes , & toutes leurs
aiguilles font placées concentriquement . Elles ne
fonnent point , mais on fçait d'ailleurs qu'une
fonnerie eft inutile aux Pendules d'obfervation.
Le pendule fe brife en trois parties d'une façon
nouvelle , & cela fans fe féparer , afin de diminuer
le volume de la caiffe , & rendre par-là ces
machines plus portatives. La caiffe qui leur fert
d'enveloppe , a environ dix-huit pouces de longueur
fur fept à huit pouces de largeur & d'épaiffeur.
On donne à ceux qui prennent de ces Pendules
une petite inftruction fur la façon de les
conduire & de les placer ; & ces Pendules fe trouvent
chez leur Auteur M. Gallonde , Horloger
du Roi , rue Quincanpoix .
Le fieur Gallonde avertit auffi qu'il a fait une
Loterie d'une Pendule finguliere & unique en
fon genre ; cette Loterie eft composée de millè
billets à raison de fix livres le billet , & qu'il ne
lui en refte plus que très- peu. Le jour du tirage
eft fixé au 27 de Janvier prochain , l'après- midi ,
au College de Navarre. Ceux qui fouhaiteront
prendre de ces billets , auront la bonté d'envoyer.
chez M. Gallonde.
JANVIER 1756. 233
AUTRE.
LE Sieur MAILLARD au College des Trois-
Evêques , Place de Cambray , près la rue Saint-
Jacques , fait & vend différens fujets d'Etrennes
gravés & enluminés , ornés de vignettes . Il mérite
la préférence par le choix qu'il a fait de tout
ce qui peut amufer & inferuire ; Emblêmes facrés
, petites Fables , Devifes , Complimens , Sou
haits heureux , Bouquets , &c. avec lesquels on
peut compoſer ou orner des Tabacieres , Ecrans. ,
Almanachs , &c . Il continue de faire & vendre
toutes fortes de caracteres , deffeins , vignettes.,
& papiers à lettres peints en vignettes. On le
trouve tous les jours juſqu'à midi.
AUTRE.
Mademoiſelle COLLET continue de vendre
pour l'utilité du Public , une pomade de fa compofition
qui foulage dans l'inftant , & guérit radicalement
les Hémorroïdes tant internes qu'externes
, fuffent- elles ulcérées & fiftuleuſes ; cette
pomade eft fi connue qu'elle n'a pas besoin de
recommandation , la preuve en a été faite à
l'Hôtel Royal des Invalides , par ordre de feu
Monfieur de Breteuil , Miniftre d'Etat , M. Morand
, Chirurgien , lui a délivré fon certificat
après avoir vu les guérifons des perfonnes qui
en étoient affligées , de même que M. Peirard ,
Chirurgien Accoucheur de la Reine , & plufieurs
autres Chirurgiens & perfonnes de diftinction.
Cette Pomade ne peut produire aucun mauvais
effet. Ceux qui craignent par un préjugé mal
234 MERCURE DE FRANCE.
fondé de fe faire guérir radicalement , pourront
en ufer feulement pour fe foulager dans leurs
fouffrances. Toutes les perfonnes qui feront ufage
de certe pomade , ne doivent avoir aucune
crainte de la fiftule , au contraire elle la détourneroit.
Cette Pomade fe garde autant de tems que
l'on veut , & fe peut transporter par tout , pourvû
qu'on ait foin de la garantir de la chaleur &
& du feu Elle avertit le Public qu'il n'y a qu'elle
feule qui débite fa Pomade , & fon nom eft audeffus
de chaque écrit de fa main.
Les moindres pôts font de 3 liv . de 6 liv. de
10 liv. de 12 liv . de 18 liv . de 20 liv . & de tous
les prix que l'on fouhaitera , on donnera la façon
de s'en fervir aux perfonnes qui voudront en faire
ufage ; on aura la bonté d'affranchir les ports de
Lettres.
Mademoiſelle Collet demeure rue des Petits-
Champs, vis-à-vis la petite porte S. Honoré , dans
la maifon de M. Jollivet , Marchand Papetier , à
l'enſeigne de l'Espérance.
AUTRE.
LE public eft averti que M. Seignette Confeillier
au préfidial de la Rochelle y demeurant rue
des Auguftins , continue de compofer & débiter
le véritable fel polychrefte ainfi qu'il a toujours
fait depuis la mort de fon pere Medecin de S. A. R.
Monfeigneur le Duc Dorléans . Il met comme cidevant
fon parafe dans chaque paquet , ceux qui
auront befoin de fon fel peuvent s'adreffer directement
à lui a l'adreffe c'y deffus on trouve à Paris
du fel de fa compofition chez le fieur le Fébvre
JANVIE R. 1756. 235
Marchand Epicier , rue des Arcis au coin de la
rue de la Vannerie , à côté de la petite vertu .
Le Public eft auffi averti que la Demoiſelle
Efter Seignette , Marchande Droguiſte à la Rochelle
, continue de compofer & débiter le véritable
fel Polichrefte , ainfi qu'elle a toujours fait
depuis la mort de fon pere. Elle met fon parafe
dans le dedans de chaque paquet , & tous ceux
qui ne l'ont pas,font faux & fuppofés aujourd'hui.
Ceux qui en auront befoin , pourront s'adreffer
directement à elle , à l'adreffe ci - deffus . Elle en
envoie à tous ceux qui lui font l'honneur de lui
en demander.
AUTRE.
LE Steur d'Ardel ancien Echevin de Chamberri
, donne avis au Public que fon Bureau pour
la diftribution général de fon Eau Royale , eft
toujours chez le fieur Bertaut , rue S. Antoine ,
au coin de la rue Percée , à Paris .
Les freres Alice Sommini , de Lunéville , Diftillateurs
du Roi de Pologne , donnent aufli avis ,
qu'ils viennent d'établir chez ledit fieur Bertaut ,
un entrepôt général de toutes leurs liqueurs ; le
Public y trouvera le même avantage de les prendre
audit entrepôt , que s'ils les tiroient directement
de Lunéville , tant pour le prix que pour la
qualité.
AUTRE.
LE fieur d'Offemont qui a inventé des corps
d'une ingénieufe ftructure , tant pour prévenir
que pour corriger le défaut de la taille des enfans ,
en a préfenté deux , un de chaque fexe , au Cabi236
MERCURE DE FRANCE.
net des Curiofités, au Jardin du Roi, qui y ont été
agréés pour y être vus au nombres des Curieufes
inventions. Il en fait pour le jour & pour la nuit ;
ceux de la nuit ne nuifent aucunement au repo's.
Tous ces corps fervent un jour d'un côté & l'autze
de l'autre côté , afin que la taille ne prenne aucune
forme contraire à la fanté & à l'ordre naturel
, pour empêcher le dérangement des os , ou
opérer le parfait rétabliffement de ceux qui pouroient
être dérangés. Ces corps font droits dans
toutes leurs parties , ont une parfaite folidité , fans
aucuns ferremens qui font toujours très-dangereux
, & caufent fouvent de très- grands dérangemens
dans la taille .
Le fieur d'Offemont. diftribue chez lui un Livre
contenant les détails des différentes formes de
Les corps : pour en prouver l'utilité , il a l'approbation
de plufieurs perfonnes illuftres qui
en ont fait ufage , & celle de Meffieurs du Collége
& Accadémie Royale de Chirurgie, qui en
ont reconnu la bonté & la perfection : il a le
privilége du Roi de faire imprimer ſes livres.
Sa demeure eft rue de la Verrerie , vis-à-vis
l'Eglife S. Meri , à côté du Coq lié de Perles , au
fecond fur le devant , à Paris.
AUTRE.
CHERVAIN , ci -devant Officier de maiſon ;
actuellement Négociant à Paris , donne avis que
depuis vingt ans qu'il a imaginé les bijoux en
fucre , ayant toujours travaillé dans le dernier
goût , il eft parvenu encore à fe faire connoître
avantageufement par les nouvelles piéces qu'il a
compofées cette année , lefquelles réuniffeat
JANVIE R. 1756. 237
l'utile & l'agréable tout enſemble ; il ofe fe flatter
d'avoir pouffé les ouvrages en fucre au dernier
degré il a furtout une piece furnommée le
Palais de Bacchus , conronné d'un treillage rempli
de raifins ; le petit tonneau fur lequel Bacchus
eft en triomphe , répand toutes fortes de
liqueurs les plus fines & les plus excellentes ,
fans que la liqueur ne gâte nin'humecte le fucre
; les barils font de différentes façons .
Il a auffi une botte d'afperges , imitant le naturel
à s'y méprende.
Un grouppe d'enfans portans une corbeille de
feurs.
Une corbeille nouvelle , garnie de fleurs les
mieux choifies avec de l'artifice aux quatre coins ,
fait & exécuté par le fieur Gautier , Artificier
ordinaire du Roi & de fes menus plaifirs .
Un pot d'ornement en façon de la Manufacture
Royale de Vincennes , des petits paniers
à jour , des petits buffets , de trente - deux façons
de tabatieres en facre , tant rondes que
quarrées , peintes en miniature dans le dernier
goût , des Tabatieres de Bergamotte peintes auffi
en toutes fortes de beaux camayeux ; toutes fortes
d'ouvrages au Cabriolet , & autres que l'on
ne peut détailler ; vingt - neufà trente façons de
petits paftillages des plus excellens , pour remplir
les ouvrages qu'il vend. Il tient chez lui magafin
de dragées de Verdun , toutes fortes de fruits ,
figures , & ouvrages à devifes , toutes fortes d'attrapes
dans quelque genre qu'elles puiffent être .
Ces fortes de bijoux s'envoient dans les Provinces
, par la précaution que l'on a de faire
faire des étuis pour chaque piece . Il eft connu
Four vendre en confcience. Il fait auffi les envois
238 MERCURE DE FRANCE.
de toutes les marchandiſes qu'on lui demande :
le tout à jufte prix.
> Il demeure rue Montmartre au coin de la
rue du Jour , près S. Euftache , la porte cochere
vis-à-vis le Notaire , à Paris.
ERRAT A.
Dans les Exemplaires de ce Mercure où
il y aura décombles , page 119 , ligne 16 ,
-lifez décombres .
Page 174 , ligne 9 , M. Madin , lifez
M. Martin.
AP PROBATION.
' Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier
, le premier volume du Mercure de Janvier
, & je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreſſion. A Paris , ce 27 Décemb. 1755 .
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
V
Ers faits à la campagne , par M. de Baſtide
page 7
La Navette d'amour , ou l'origine des Navettes ,
II
239
21
Vers pour accompagner un manchon donné à
Mademoiſelle ***
Députation de voeux à Mademoiſelle V*** , pour
le premier jour de l'An 1756. 22
Lettre à l'Auteur du Mercure fur une nouvelle
traduction de Lucrece ,
Ode au nouvel An ,
23
29
31
Réponse de M. Def... Gendarme Ecoffois , à M.
du L...
Lettre d'une jeune Dame Hollandoife, à l'Auteur
de la Toilette des Dames ,
33
Vers à Madame la Baronne de Ponçardin , par M.
Lemarié ,
36
Vers du même Auteur , à Mademoiſelle *** en
lui envoyant uu ruban dans une bourſe , ibid.
Bouquet ,
Vers fur les dangers de la guerre ,
37
38
Lettre à l'Auteur du Mercure au fujet de M. Rouffeau
de Genève .
Avis d'un Anonyme par M. Rouffeau ,
39
42
Ode fur la naiffance de Monfeigneur le Comte de
Provence , par M. Teifferenc , de Lodève , 45
Remerciement du même , Auteur à M. le Duc de
Béthune , après qu'il lui eut fait l'honneur de
le recevoir Garde- du - corps ,
Lettre à M. de B. fur le Roman Anglois intitulé :
Hiftoire du Chevalier Charles Grandifon , 50
Chanfon ,
49
78
79
Madrigal , à une Dame déguiſée en chevalier de
Malte ,
Explication du mot de l'Enigme & du Logogryphe
du fecond volume du Mercure de Decembre
,
Enigmes & Logogryphes ,
Chanfon ,
Ibid.
ibida
821
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
Difcours prononcé le jour de la Dédicace de la
240
Place Royale de Nancy ,
83
Lettre à l'Auteur du Mercure au fujet de la vie de
Bacon , 96
Précis , annonces & indications des livres nouveaux
,
97
Aflemblée Publique de J'Académie des Belles-
Lettres de Marſeille , 124
129
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Phyfique. Obfervations fur une Lettre de l'Année
Littéraire ,
Médecine & Métallurgie. Lettre au fujet des Eaux
Minérales de Pafly ,
Séance publique de l'Académie Royale des Sciences
,
138
145
Séance publique de l'Académie des Infcriptions &
Belles- Lettres , 146
Prix proposé par l'Académie de Chirurgie , 148
ART. IV. BEAUX ARTS.
151 Mufique.
Peinture . Suite des Mémoires d'une Société de
Gens de Lettres , publiés en l'année 2355 , 152
Gravure. 169
ART. V. SPECTACLES.
Comédie Françoife.
171
Comédie Italienne. 172
Concert Spirituel. 173
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres ,
175
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
182
Camp de Valence ,
Relation de ce qui s'eſt paſſé en Canada ,
Bénéfices donnés .
Lettre de Lisbonne .
Mariages & morts.
Avis .
La Chanfon notée doit regarder la page 82.
De l'Imprimerie de Ch. A. JOMBERT.
186
191
213
214
216
229
2
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
JANVIER 1756 .
SECOND VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine.
Cochin
Stusin
By Sculp
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais .
Chez PISSOT , quai de Conti .
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
*
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant ,
que 24 livres pour ſeize volumes , à raiſon
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront comme à Paris ,
qu'à raifon de 30 fols par volume , c'eſt- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant four
16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
A ij
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreffe ci- deffus.
Onfupplie lesperfonnes des provinces d'envoyerpar
la poste , en payant le droit , le prix
de leur abonnement , cu de donner leurs ordres,
afin que le payement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Aercredi & Jeudi de chaque femaine , aprèsmidi.
On peut fe procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainfi que les Livres
, Estampes & Mufique qu'ils annoncent .
豆豆豆豆類
MERCURE
DE FRANCE.
JANVIER. 1756.
SECOND VOLUME.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE .
VERS SUR LES COQUETTES ,
par M. de Baftide.
Coquettes
font l'écueil du Sage :
Dès qu'une fois l'on apperçoit
Certain minois , certain corfage ,
On a bientôt répondu , foit.
Coquette n'eft jamais fauvage ;
Dans fes regards , dans fon langage ,
A iij
6
MERCURE DE
FRANCE.
€
Elle peint l'amoureux defir :
Toujours un air
d'apprentiſſage ,
Cache avec foin l'art dù plaifir.
Dans tous les goûts elle eft volage;
Tout l'enchante , tout la féduit ,
Mais on l'en aime
davantage ,
Son
inconftance vous engage ,
Un nouveau charme en eft le fruit.
Son retour marque de l'eſtime , '
Et l'estime à son tour le fuit ;
Elle paroît voir en victime
L'oeil pénétrant qui la pourſuit :
Elle revient humble & fincere ,
Elle s'accufe , elle rougit ,
On lui croit plus de caractere ,
Et l'on fent mourir le dépit.
Le défir l'offre avec des charmes
Que trop d'ufage avoit détruit ,
Qui vous confolent de vos larmes ,
fon crime reproduit. Et
que
Vous pardonnez malgré vous -même ;
Vous fongez qu'il faut la punir :
Mais vous croyez qu'elle vous aime
Et la raifon cede au plaifir.
JANVIE R. 1756. 7
LES MEMOIRES
d'un homme à bonnes fortunes.
par le même Auteur.
Si j'avois donné mes mémoires il y a dix
ans , ils auroient eu douze volumes , aulieu
de douze pages. J'avois écrit tous les
foirs , pendans trente années de vogue , &
je donnois à tout le nom trop prodigué
d'aventure. Aujourd'hui que l'âge m'apprend
à juger , je relis & j'efface , mes
fonges difparoiffent d'eux- mêmes .
Je vais donc réduire ce qui m'est arrivé
à ce que j'en penfe. Le récit en fera court.
C'est un exemple que je donné , mais qui
ne fera point fuivi & ne doit pas l'être.
Depuis que la lecture remplit les vuides ,
il faut des volumes & non pas des livres.
J'ai vécu avec toutes les femmes que j'ai
rencontrées dans le monde , parce que toutes
m'ont plu , & que j'ai plu à toutes . Le
temps ne me manquoit pas , j'en avois
même beaucoup de refte. La galanterie
n'occupe plus : un regard renferme tout ce
qu'une femme exige , & tout ce qu'elle
infpire.
Heureux fans plaifir , parjure fans amour,
je vivois dans le mouvement par habi-
3
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
$
tude , par befoin de m'exercer , précifément
comme un homme fait tous les jours
fa
promenade dans un jardin varié de
fleurs , fans être jamais frappé d'aucune.
J'étois
quelquefois quitté , & alors je
fentois quelque chofe. Ce n'étoit pas l'infidélité
qui me remuoit , c'étoit le manege
de
l'infidelle. Tant que ce manege duroit ,
j'étois prefque
amoureux ; il étoit à peine
difparu , foit qu'on revînt , foit qu'on ceffât
de feindre , que je retombois dans mon
indifférence .
L'exceffive facilité des femmes m'avoit
frappé à mon début , mais je n'avois pas
tardé à la trouver ce qu'elle étoit , trèsnaturelle
, comme on trouve bientôt trèsfimple
un fecret qui étoit dans la nature &
dont la découverte a d'abord étonné. Je
raifonnois leurs fyftêmes d'après l'efprit
du monde ; je regardois leurs faveurs &
leurs avances à de certains hommes ,
peu
près comme on doit regarder ces offres de
fervice & ces
proteftations d'amitié que les
égards exigent , dans un certain rang , &
dont la probité même ne difpenfe pas.
à
Je penfe encore de même aujourd'hui.
L'âge m'a pouffé vers la retraite , mais j'ai
toujours devant les yeux ce tableau du
monde d'où je fuis effacé , & il conferve
fes mêmes couleurs. Plus je l'examine
JANVIER . 1756. 9
plus les femmes font juftifiées. Leur facilité
eſt l'efprit de leur état. Ce n'eft pas à
elles à fe réformer ; fi les hommes les veulent
autrement , qu'ils le difent , ils n'auront
qu'à parler. Leur plus grande paffion
fera toujours de nous plaire. Nous leur
montrons nos goûts , & elles obéiffent .
J'ai réufli auprès de vingt femmes qui
n'ont eu que la peine de m'écouter ; j'en
ai eu vingt autres qui ont eu la peine de fe
rendre. La réfiftance de ces dernieres ne
venoit pas d'une vertu plus réelle ; elles
n'étoient défendues que par l'expérience
qui leur avoit appris à placer une faveur.
De toutes ces aventures la feule qui mérite
ce nom , eft celle que je vais écrire .
Elle eft d'autant plus digne de la diftinction
que je lui accorde , qu'elle a le caraetere
intéreffant de la vraisemblance , & le
mérite rare de l'utilité.
La Marquife de Préancour venoit de
faire un mariage de fituation . Peu de femmes
réunifoient autant de beauté & autant
de graces. Elle eût mérité d'avoir un
amant dans un mari , fi cela avoit été
permis.
Il y avoit à peine trois jours qu'elle étoit
mariée. Je m'apperçus qu'avec un coeur
fenfible elle vouloir refpecter fes devoirs .
Je frémis , pour elle , d'un avenir inévi-
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
6
table , & ne confultant que fes intérêts ,
je lui écrivis cette Lettre .
"
"
« Permettez , Madame , que je vous
»rende un fervice. Le cas eft preffant , &
» tout mon zele peut à peine fuffire au
danger de votre fi uation . Il n'y a que
trois jours que vous exiftez , & vous
» avez déja tous les torts de la raiſon .
» Vous débutez par montrer deux foiblef-
" fes que l'accord général a profcrites , le
refpect de vos devoirs & l'amour pour
» votre mari. C'eft braver le public, &
vouloir vous faire autant d'ennemis qu'il
» y a d'hommes qui ont des égards à atten-
» dre & de femmes qui n'ont plus une ré-
»putation à perdre. Ce monde inexora-
»ble & point injufte , réunira contre vous
» autant de forces que vous avez de char-
» mes : il vous demandera compte de tous
» les amans que vous n'aurez pas eus , &
» de toutes les femmes que vous aurez en-
»levées à votre mari ; fes cris continuels
vous frapperont enfin , vous vous trou-
» verez furchargée de dettes à payer , &
» vous vivrez encore dans le remors de
» ces dettes longtemps après vous être acquittée.
Une lettre ne permet pas , Ma-
» dame , le détail dans lequel je voudrois
≫ entrer , mais il fuffit de préfenter la lu-
» miere à l'efprit , & cela me raffure » .
»
JANVIER . 1756.
II
Cette démarche n'eût pas fuffi. Madame
de Préancour telle que je la repréſente ,
ne pouvoit fe rendre qu'aux raifons . Il n'y
a que l'expérience qui apprenne que la
meilleure raifon , c'eft l'ufage.
Je gagnai du moins par cette premiere
tentative de me faire écouter. Lorsque je
lui parlai , elle me dit qu'elle me trouvoit
fingulier , & je vis qu'elle le penfoit . Je
compris que je pouvois tout efpérér .
Elle n'avoit jamais aimé , & elle étoit
née pour l'amour : contrariée par mes confeils
, dans fes premieres émotions elle
étoit dans le cas de la privation ; auffi fusje
difpenfé de perfuader .
Ce bonheur alloit avoir des fuites que
je ne pouvois me difpenfer de prévenir. La
Marquife étoit de tout point un objet à
former. Je fentois ce que fa paffion exigeoit
de moi . Depuis huit jours que je l'avois
mife dans le monde , elle s'y étoit
affichée : j'entendois des murmures ; je ſongeai
à éviter l'ufurpation.
Je lui appris fes devoirs & les miens .
Vous êtes belle & vous m'aimez , lui disje
; toute la Cour , par cette raiſon me détefte
déja , vous condamne & vous adore.
Vos charmes ni votre coeur n'étoient point
à vous , vous en avez difpofé , c'eft déja
une injuftice ; vous annoncez que vous ne
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
voulez aimer que moi ? c'est un crime dont
l'accufation eft dans tous les coeurs. Vos
attraits ont fait votre dépendance dès le
moment qu'on vous a vue ; vous deviez
votre reconnoiffance à tous les empreffemens
, & vous ne pouviez accorder votre
coeur à perfonne ; c'eft un mot qui bleffe
les oreilles , c'eft un don qui trouble les
plaifirs. Jugez donc de votre pofition , repris-
je , connoiffez en tout le danger .
Ridicule parce que vous avez fait un
choix ; criminelle , parce que vous avez pris
un engagement , vous n'avez plus qu'à
opter entre le reffentiment univerfel , &
la réparation univerfelle : j'ai déja effuyé
des plaintes , j'ai entendu des murmures ,
ils font le fignal du traitement dont nous
fommes menacés l'un & l'autre . Prononcez
il faut choisir , il faut nous perdre , ou
nous ..... ou nous féparer , me dit- elle triftement.
Pas tout à fait, répondis - je ; on
peut s'aimer dans le fecret des coeurs . Avec
beaucoup de prudence , nous pouvons conduire
cette affaire heureufement : mais , à
vous parler franchement , je ne vous crois
pas propre à tant de myftere. Vous avez
une ame avec laquelle on ne croit fentir
qu'en prouvant , & ces ames-là , trop tendres
pour n'être pas indociles , trop jaloufes
de leurs plaifirs pour n'y pas renferJANVIER.
1756. 13
mer leurs devoirs , perdent un amant fans
retour.
J'eus beaucoup de peine à lui faire entendre
raiſon ; j'y réuffis pourtant. Enfin ,
Monfieur , me dit - elle , il eft décidé que
vous me maîtriſerez en tout : j'obéis ,
parce que je vous aime , mais ne vous Alattez
pas que je rempliffe avec efprit un rôle
cruel. La coquetterie n'eft pas mon talent :
elle eft fi naturelle dans tant de femmes ,
que l'on s'appercevra aifément ..... Il n'importe
, répondis je , on vous verra du
moins de la bonne volonté , & vos charmes
feront le reſte.
Elle me tint parole. Bientôt tous les
agréables s'attrouperent autour d'elle : ce
que j'avois prévu arriva ; on la foupçonna
, mais on ne la jugea pas à la rigueur :
l'impreffion de fa beauté étoit fi forte ,
qu'un feul de fes regards ſuffiſoit à la vanité
du fat le plus couru .
Je ne la laiffai pas longtemps tranquille
; c'étoit peu qu'elle ne mît pas affez
d'art dans fon jeu ; elle ne mettoit pas
même affez de régularité dans fa conduite
.
Ily a des petits maîtres de toute efpece :
elle ne fupportoit que ceux qui avoient un
agrément vrai ; les autres lui étoient
odieux , & elle leur refufoit jufqu'aux
politeffes.
14 MERCURE DE FRANCE .
Je fçavois que les moins aimables font
les plus difficiles ; je craignis leur pénétration
, & je la grondai de faire des exceptions
qui m'expofoient horriblement.
peu
Elle obéit encore : mais elle fupportoit
très-impatiemment cette efpece de tyrannie .
Une circonstance décifive fut le terme de
fa docilité ; un grand Prince éprouva tout
le pouvoir de fes charmes ; il lui fit connoître
qu'il l'adoroit ; elle poulfa l'imprudence
jufqu'à lui refuſer ſa porte , dès qu'il
fe fut expliqué clairement . Le Prince
fait pour trouver une cruelle , nous fit
épier , & comprit très-bien que c'étoit l'amour
qu'elle avoit pour moi , qui l'empêchoit
d'en prendre pour lui. Il traita
publiquement notre commerce de ménage
: il ajouta le faux au vrai , fit cent
contes , & le bruit s'en répandit fi bien ,
que j'eus à endurer mille avanies terraffantes
épigrammes , chanſons , eſtampes
, tien ne me fut épargné.
Accablé de l'aventure , je ne vis qu'un
moyen de me réhabiliter , & j'ofai l'employer.
J'allai trouver la Marquife , &
après l'avoir préparée par mon air défolé
à ce que j'avois à exiger d'elle , vous
m'avez perdu par un amour étourdi , lui
dis je ; je fuis la fable de la cour & de la
ville : il n'y a plus qu'un remede , j'ofe
JANVIER. 1756 . Is
vous le propofer : fi vous me refufez , il
faut que jaille m'enfermer pour jamais
dans mes terres.
Quel eft ce remede me demanda - t- elle
avec douceur : il vous paroîtra épouvantable
, repondis- je ; mais les plus grandes
douleurs n'ont qu'un temps. C'est que
vous receviez le Prince chez vous autant
qu'il lui plaira d'y venir .... Et s'il veut
abfolument que je l'aime , me demandat-
elle. Eh bien , lui dis- je , vous l'aimerez
, vous céderez au torrent qui nous
entraîne.
Elle ne répondit rien . Je jugeai de fon
dépit profond ; mais je ne la menageai pas
davantage. Je lui dis tout ce qui me vint
à l'efprit , je me mis à fes genoux , je fis
cent folies. Dans mes plus vifs tranfports ,
je n'avois jamais paru fi tendre.
Elle retrouva enfin l'ufage de la parole ,
& elle me répondit que mes menaces devant
décider de fa deftinée , elle demandoit
quelque temps pour y refléchir. Je
reçus le lendemain cette lettre .
» Si je ne tenois au refpect de ma paf-
» fion que par le refpect de la vertu , je
pourrois confentir au facrifice barbare
» que vous exigez de moi ; mais je vous
» aime avec une violence de fentiment ,
qui ne me permet pas de rien retrancher ย
15 MERCURE DE FRANCE.
» de mon attachement extrême. J'ai fait
» ce que j'ai pu pour vous plaire ;
" vous exigiez des efforts violens , &
» je n'ai confulté que mes forces ; fi
j'avois celle de vous obéir encore ,
» vous feriez déja fatisfait ; mais la gé-
» nérofité n'eft point inépuifable. Vous
» me menacez de vous éloigner fi je vous
n refuſe ; j'y vois un remede ; je ne vous
» le propofe pas , car il eſt déja employé .
» Il n'eft pas jufte que vous quittiez un
» monde où je juge , par ce qui arrive ,
» que vous êtes un objet néceffaire ;
c'eft à moi de m'exiler , à moi dont les
fentimens font des outrages , & qui
» ne pouvant jamais me corriger d'aimer ,
» ne pourrois jamais me corriger de déplaire.
Auffitôt que vous futes parti
» je dis à mon mari que je voulois aller
» paffer quelques jours à la campagne ; il
» m'aime & il met à me plaire tout le
»
و د
و د
plaifir de fa tendreffe , que vous m'avez
» privée de fentir ; il a confenti que je
partiffe ce matin , & je ferai déja ar-
» rivée lorsque vous reçevrez cette lettre.
» Vous voilà donc tranquille du côté de
» ma paffion ; elle n'obfcurcira plus vo-
» tre gloire , elle ne troublera plus vos
plaifirs ; je fouhaite qu'ils durent au-
» tant qu'eûr duré votre bonheur fi vous
» l'aviez mis à être adoré. »
JANVIER. 1756 . 17
Cette lettre me pénétra jufqu'au fonds
du coeur ; le fentinient fut toutes mes réflexions
; il eut bientôt l'appui folide du
repentir & de la raifon. Je volai fur les
traces de la Marquife ; quel moment enchanteur
! Je fentis combien l'amour profite
de ce qu'il a à réparer.
Voilà la feule de mes aventures qui
offre quelque réalité ; toutes les autres
font parfaitement oubliées , & ce qui ne
laiffe rien dans l'efprit , n'eft rien . Combien
de mémoires feroient encore plus
courts , fi le plat amour - propre & le
mauvais goût fe paffionnoient moins pour
ce qui les caractériſe.
Ma fincérité déplaira aux femmes ; je
n'ai pourtant pas deffein de les attaquer.
Ce n'eft pas leur faute fi leurs fantaifies
& leurs préférences ne font plus des faveurs
; c'eft la faute de la nature qui a
mis un terme à tout.
Dans cette révolution des fenfations &
des chofes , elles ont du moins confervé
un mérite & prefque une vertu : c'eſt
leur bonne-foi dans le point dont il s'agit .
L'artifice pourroit cacher leur caractere ,
elles pourroient nous affujetttir à des foins ,
à des peines , & nous faire acheter des
caprices fans valeur ; il eft beau qu'une
facilité déclarée nous immole leur der18
MERCURE DE FRANCE.
nier droit ; il est beau , dis - je , qu'elles ne
ne nous vendent pas ce qu'elles ne nous
donnent point.
VERS
A M. Monin , Secrétaire de Son Alteffe
Séréniffime Monseigneur le Prince de
Conty.
SAge Secrétaire d'un Prince
Qui teftime , & qui te chérit ;
Toi qui , des bords lointains d'une obſcure Province
,
Sur les aîles de ton efprit ,
As fçu , fijeune encore , prendre un effor fublime,
Et , pouffé d'une noble ardeur ,
T'élever , fans guide , à la cime
De la fortune & de l'honneur ;
Toi , de qui les talens auffi brillans qu'utiles ,
Connus , éprouvés tant de fois ,
1
Dans une Cour féconde en connoiffeurs habiles ,•
T'ouvrent le coeur des Grands & l'oreille des Rois;
Toi , qu'à Paris enfin , au ſein de la molleffe
Des plaifirs & des jeux la troupe enchantereffe
Pourfuit partout , flatte , careffe ,
Obfede , & peut- être féduit ;
Quoi tu penfes à moi , moi Curé de village ,
JANVIER. 1756. 19
Et Curé du plus bas étage ,
Qui , fous le toit rampant d'un ruftique hermitage
,
Qu'habitent la faim & l'ennui ,
Dans une ignorance profonde
De Paris , de l'Europe , & du refte du monde ,
Croyois n'être connu dans la machine ronde ,
Que du feul receveur de notre don gratuit.
Quoi ! Monin , tu voudrois , par ton puiflant
appui ,
M'arrachant de ce lieu de peine & de fouffrance,
Me procurer ailleurs , avec un peu d'aifance ,
Le mérite flatteur d'obſerver l'abſtinence ,
Et de gagner le Paradis
Sans le fecours de l'indigence !
Ah ! cher Monin , tes voeux font accomplis !
Ton fouvenir , ta bienveillance ,
Sont pour moi d'un auffi grand prix ..
Que le meilleur bénéfice de France.
Par un Curé des Amognes en Nivernois ,
le 12 Décembre 1755.
Si l'on mefure la bonté du Bénéfice à celle des
vers qu'on vient de lire , nous croyons que ce Curé
doit être pourvu d'un bon Prieuré,
20
MERCURE DE
FRANCE .
ENVOI
D'une branche de
Laurier cueillie fur le -
Tombeau de Virgile , par Son Alteffe Royale
Madame la
Margrave de
Bareith ,
Roi de Pruffe fon frere.
Sur P
Ur l'Urne de Virgile un immortel Laurier
De l'outrage des tems feul a fçu le défendre ,
Toujours verd & toujours entier.
Je voulois le cueillir , & n'ofois
l'entreprendre.
Trevenant mon effort je l'ai vu ſe plier ,
Et cette voix s'eft fait entendre :
Au
» Approche, Augufte Soeur du moderne Alexandre ;
» Frédéric de ma lyre eft le digne héritier ;
» J'y joins un nouveau don que lui feul peut prétendre
.
» Déja fon front par Mars fut cinq fois couronné ;
»
Qu'aujourd'hui par ta main il foit encore orné
» Du Laurier qu'Apollon fit naître de ma cendre.
JANVIE R. 1756. 21
ESSAI
Sur le Caractere des Nations , par M. Hume,
Gentilhomme Ecoffois , traduit de l'Anglois,
en 1754 , par *** M.
... Omnis fert omnia tellus . Virg.
LE vulgaire eft très- fujet à donner trop
d'étendue au caractere des Nations . Quand
il a une fois établi comme un principe ,
qu'un tel peuple eft fourbe , lâche ou ignorant
, il n'admettra plus d'exception , &
comprendra chaque individu fous le même
caractere. Les gens de bon fens "condamnent
ces jugemens fans diftinction ,
quoiqu'ils conviennent en même- tems que
chaque Nation a une forme & une habitude
de moeurs & d'ufages qui lui font
propres , & qu'on rencontre plus fouvent
quelques qualités particulieres chez un
peuple que parmi fes voifins . Enfuite on
trouvera certainement plus de probité
dans le commun des hommes qu'en Irlande.
Ainfi par cette raifon feule tout
homme prudent mefurera les degrés de
confiance qu'il fera obligé d'avoir avec les
uns & les autres . Nous attendons avec
raiſon plus d'étendue & de gaieté d'ef22
MERCURE DE FRANCE.
prit d'un François que d'un Eſpagnol
quoique l'Efpagne ait produit le célebre
Cervantes. On fuppofera toujours plus de
connoiffances dans un Anglois que dans
un Danois , quoique le fçavant Tichobrabé
ait pris naiffance en Dannemarc.
On donne différentes raifons de ces caracteres
des Nations , que les uns rapportent
à des caufes morales , d'autres à des
caufes phyfiques. Par caufes morales , j'entends
toutes les circonftances qui font capables
d'exciter dans l'efprit autant de motifs
que
de raifons pour nous rendre habituelles
& propres une fuite de moeurs &
d'ufages. La nature du gouvernement , les
révolutions dans les affaires publiques
l'abondance ou la difette dans lesquelles
vit une Nation , fa fituation par rapport
à fes voifins , & d'autres femblables circonftances
font de cette efpece. Par caufes
phyfiques j'entends ces qualités de l'air
& du climat , qui font fuppofées agir infenfiblement
fur le tempérament , en modifiant
la compofition du corps , & en lui
donnant telle complexion particuliere
qui peut être quelquefois furmontée par
la raifon & les réflexions , mais qui néanmoins
prévaudra toujours dans la généralité
des hommes , & influera fur leurs
moeurs & leurs coutumes.
"
JANVIER. 1756. 23
Il doit être évident à ceux mêmes qui
obfervent le plus fuperficiellement les
chofes , que le caractere d'une Nation eft
dans une étroite dépendance des caufes
morales , puifqu'une Nation n'eſt autre
chofe qu'une affemblée d'individus , &
que leurs moeurs font fouvent déterminées
par ces caufes , comme la pauvreté
& la fatigue du travail abaiffent l'efprit du
peuple , & le rendent incapable d'aucun
Içavoir & d'aucune profeffion ingénieuſe.
Toutgouvernement qui opprime beaucoup
les fujets , doit néceffairement avoir un
effet proportionné fur leur caractere &
leur efprit ; il en duit bannir abfolument
tous les arts libéraux . Le monde eft plein
d'exemples qui le prouvent.
Le même principe des caufes morales
fixe le caractere des différentes profeffions
, & change même la difpofition que
ceux qui les exercent ont reçue de la nature.
Les Militaires & les gens d'une autre
profeffion ont des caracteres différens
dans toutes les Nations & dans tous les
âges , & cette différence très conftante eſt
fondée fur des circonstances dont l'influen
ce doit durer & fe foutenir.
L'incertitude où les Militaires font de
leur vie les rend généreux , prodigues
même , autant que braves. Leur oifiveté ,
24 MERCURE DE FRANCE.
auffi -bien que l'habitude de vivre toujours
en grande fociété dans les camps ,
ou dans les garnifons , les portent au plaifir
& à la galanterie. En fréquentant le
monde ils acquierent le fçavoir-vivre , la
politeffe & l'air aifé . N'étant employés que
contre l'ennemi public & déclaré , ils ont
de la candeur , de l'honnêteté & de la bonté.
Enfin comme pour l'ordinaire ils exercent
plus leur corps que leur efprit , ils
penfent peu , & n'ont pas beaucoup de
connoiffances ( 1 ) .
•
Pour ce qui eft des caufes phyfiques , ( 2 )
je fuis porté à douter de leur concours
à cet égard , & je ne crois nullement que
les hommes doivent quelque chofe de leur
tempérament ; ou de leur génie , à l'air , à
la nourriture ou au climat j'avouerai
que l'opinion contraire peut juftement paroître
très-probable au premier coup- d'oeil , "
( 1 ) Le Militaire actuel , du moins en France
ne mérite plus ce reproche. Il lit , il étudie ,
écrit même avec fuccès , & compofe des livres fur
l'art qu'il profeffe .
(2) Nous croyons que l'Auteur va dans cet endroit
non feulement plus loin qu'il ne faut , mais
au-delà même de fon opinion : car dans la fuite il
accorde quelque chofe au climat , & c'eſt avec
raifon. Il est vrai que M. de Montefquieu de fon·
côté paroît y avoir trop donné , comine M. de
Maupertuis en convient page 43.
puifque
JANVIER . 1756 .
25
puifque nous voyons que ces circonftances
influent fur tout autre animal , & que
même ceux qui peuvent vivre en tous clicomme
les chiens , les chevaux &
autres , ne parviennent jamais en tout à la
même perfection . Le courage des dogues
& des coqs de combat femble particulier
à ceux d'Angleterre. Les chevaux de la
Flandre fe font remarquer par leur maffe
& leur pefanteur. Au contraire ceux d'Efpagne
font diftingués par leur légereté ,
leur ardeur & leur courage ; & fi quelques
races de ces animaux font tranfplantées
d'un pays dans un autre , elles perdent
en peu de tems les qualités qu'elles
tenoient du lieu de leur origine. ( 1) Il eſt
donc très - permis de demander pourquoi
il n'en feroit pas de même à l'égard de
l'efpece humaine.
( 1 ) Céfar dans le premier Livre de la Guerre des
Gaules , dit que les chevaux des Gaulois étoient
très-bons , & ceux des Germains très-mauvais ,
Nous lifons dans le Livre VII , qu'il fut obligé de
remonter une partie de fa Cavalerie Germanique
avec des chevaux des Gaulois : à préſent il n'y a
aucun Pays en Europe où il y en ait d'aùffi médiocres
qu'en France , & l'Allemagne abonde de l'efpece
la meilleure pour la guerre . Ces obfervations
peuvent fort bien faire foupçonner que les
animaux mêmes ne dépendent pas abfolument du
climat , mais bien plutôt du mélange des races , &
II.Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
Il y a peu de queſtions plus dignes de
curiofité que celle- ci , & qui mérite plus
nos recherches , puiſqu'elle intéreffe l'humanité
; c'est pourquoi il me paroît trèsà
propos d'en faire un examen approfondi.
: Strabon dans fon fecond Livre , rejette
fort loin Pinfluence du climat fur les
hommes . Il dit pofitivement que la coutume
& l'éducation font tout , que ce n'eft
point par la nature , que les Athéniens
étoient ingénieux & éclairés , les Lacédémoniens
groffiers & ignorans , & même
les Thébains , quoiqu'ils fuffent encore
plus voifins d'Athenes . Il en eft de même
des animaux , ajoute- t'il ; leur différence
ne dépend point du climat.
L'efprit de l'homme eft de fa nature extrêmement
porté à l'imitation : il n'eſt pas
poffible à des hommes en fociété de converfer
fouvent les uns avec les autres , fans
contracter une grande conformité de fenrimens
, d'avis & de manieres , & ſans fe
communiquer leurs vices , auffi -bien que
leurs vertus. Rien n'eft plus fort que le
1
de l'induftrie & du foin de les élever. Le Nord
d'Angleterre produit les meilleurs chevaux de toute
efpece qui foient dans le monde . Cependant dans
les contrées voisines , le long de la riviere de
Tweede , il n'eft pas poffible d'en trouver de bons
d'aucune espece que ce foit.
་
•
JANVIER. 1756. 27
penchant à la fociété dans toutes les créatures
raisonnables ; & la même difpofition
qui nous donne cette inclination , nous fair
pénétrer profondément dans nos fentimens
réciproques , & fait circuler des paflions
& des défirs dans une troupe de gens af
femblés. Comme la contagion fe communiqueroit
des uns aux autres partout où
il y a un peuple affez nombreux pour former
un corps politique , les occafions de
s'unir deviennent fi fréquentes pour veiller
à fa défenfe , au maintien du commerce
& du gouvernement , que les membres
de ce corps difcourant toujours enſemble
dans la même langue , ils doivent contracter
une grande conformité dans les
manieres , & former un caractere commun
& National , nonobftant la diftinction
particuliere à chaque individu.
Or malgré la fécondité de la nature à
créer toutes fortes de tempéramens & d'ef
prits , il ne s'enfuit pas qu'elle les produife
toujours en pareille proportion , &
que dans chaque fociété les germes de l'induftrie
& de la pareffe , de la valeur & de
la lâcheté , de la douceur & de la bruta-
Hité , de la fageffe & de la folie , foient
répandus & mêlés de la même façon .
Dans l'érabliffement d'une fociété , fi
quelqu'une de ces difpofitions fe trouve
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
abonder davantage que toute autre , elle
dominera naturellement dans la compofition
de cette fociété , & le caractére National
en recevra une forte teinture : ou
fi on prétendoit qu'il n'eft pas à préfumer
qu'aucune forte de caractere ait dominé
fur une autre , & que les mêmes proportions
ont dû fe conferver dans leurs mêlanges
, il eft néanmoins certain que les
perfonnes en crédit , & en autorité faifant
un corps plus rapproché & plus ferré , ne
peuvent pas toujours être cenfées du même
caractere , & leur influence fur les
moeurs & les ufages du peuple doit dans
tous les tems être fort confidérable.
Si dans l'établiffement d'une République
un Brutus revêtu de l'autorité , étoit
tranfporté d'entoufiafme pour la liberté &
le bien de la patrie , au point de méprifer
les liens de la nature , autant que fon intérêt
particulier , un exemple auffi illuftre
fera naturellement fon effet fur toute la fociété
, & allumera la même paffion dans
tous les coeurs.
De tout ce qui forme les opinions & le
caractere d'une génération , la fuivante
doit encore prendre une plus forte teinture
de la même couleur , les hommes étant
plus fufceptibles de toutes les impreffions
durant l'enfance , & retenant ces impref
JANVIER. 1756. 29
fions tant qu'ils ont à refter dans le
monde.
Je conclus donc que tous les caracteres
nationaux , quand ils ne dépéndent pas
des caufes purement morales , tirent leurs
fources d'accidens femblables à ceux dont
nous venons de faire mention , & que les
caufes phyfiques n'ont point fur l'efprit
humain d'opération certaine , & qu'il foit
facile de difcerner.
Si on veut parcourir toute la terre , &
examiner tous les monumens hiftoriques ,
on découvrira partout des fignes de la
fympathie & de la communication des
moeurs & des ufages , & rien qui puiffe
faite admettre les influences de l'air & du
climar.
:
1 ° . On peut obferver que partout où
s'est établi un gouvernement très -étendu ,
& qui s'eft maintenu pendant plufieurs fiecles
, il forme & répand à la fin un caractere
national dans tout l'Empire , & il communique
à chaque partie une reffemblance
de moeurs & d'ufages : auffi les Chinois
ont la plus grande uniformité de caractere
qu'on puiffe imaginer , quoique l'air & le
climat , dans les différentes parties de ce
vafte Empire , admettent de très - confidérables
variations .
2º. Dans les petits gouvernemens qui
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
font très - contigus , chaque peuple a ,
nonobftant la proximité , un caractere fort
différent , & ces petits Etats font fouvent
auffi différens dans leurs opinions & dans
leurs coutumes que les Nations les plus
éloignées. Les Villes d'Athenes & de
Thebes n'étoient diftantes l'une de l'autre
que d'une petite journée ; cependant
les Athéniens étoient auffi renommés pour
l'efprit , la politeſſe , la gayeté & la vivacité
, que les Thébains pour la rufticité
la ftupidité & la froideur. Plutarque difcourant
des effets de l'air fur l'efprit des
hommes , obferve que les habitans du Pirée
avoient un caractere très- différent de
ceux qui occupoient le haut de la Ville
d'Athenes , qui n'étoient éloignés du Pirée
que de quatre milles. Mais je crois que
perfonne aujourd'hui n'attribuera la différence
des moeurs & des manieres entre de
fameufes Capitales & des lieux qui en font
auffi voifins , à la différence de l'air & du
climat.
3°. Le même caractere National fe plie
ordinairement fi fort fous l'autorité du
gouvernement , & fi précisément , qu'en
paffant une riviere , ou une montagne ,
on trouve d'autres moeurs & d'autres caracteres
avec un autre gouvernement. Les
Languedociens & les Gafcons font de tous
JANVIER. 1756. 3x
les habitans de la France les plus gais ; mais
à peine eft- on fur les Pyrennées qu'on trouve
des Espagnols graves & férieux . Eft- il
concevable que les qualités de l'air changeroient
fi exactement avec les limites de
deux Empires , dont l'arrangement dépend
fi fort du fort des batailles , des négociations
& des alliances ?
4°. Dès qu'une fociété d'hommes répan
due parmi des Nations fort éloignées les
unes des autres , reftera liée par les mêmes
fentimens & les mêmes intérêts , elle
entretiendra , malgré les diftances immenfes
qui les féparent , une grande conformité
de moeurs & de coutumes , & n'aura
prefque rien de commun avec les Nations
parmi lefquelles elle fubfifte . Ainfi les Juifs
en Europe , & les Arméniens dans le Levant
, ont chacun leur caractere diſtinctif,
& les premiers font auffi notés pour
leur mauvaife foi , que les autres pour leur
franchife.
5 °. Quand quelque cas fortuit , malgré
la différence du langage & de la religion ,
raffemblera deux Nations qui habiteront
le même pays fans aucun mélange de l'ure
avec l'autre , elles conferveront chacune
une forme de moeurs & de manieres
diftinctes & oppofées , & cela pendant plu-
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
fieurs fiecles. L'intégrité , la gravité & la
bravoure des Turcs , forment un parfait
contrafte avec la fourberie , la légereté &
la lâcheté des Grecs d'aujourd'hui .
6°. Les mêmes moeurs , les mêmes manieres
accompagnent une Nation , quetque
partie du globe qu'elle aille habiter ,
& ne la quittent point , non plus que fes
Joix & fon langage. Les Colonies des Efpagnols
, des François , des Hollandois &
des Anglois , font toutes très- reconnoiſſables
, même entre les Tropiques.
du
7°. Les moeurs & les ufages d'un peuple
changent très confidérablement d'un
fecle à l'autre , foit par les révolutions
gouvernement , foit par le mêlange
d'un nouveau peuple , ou bien par cette
inconftance à laquelle toutes les chofes du
monde font fujettes. L'efprit & l'induſtrie
des anciens Grecs n'ont plus rien de commun
avec la ftupidité & l'induſtrie de ceux
qui habitent préfentement ces mêmes régions.
La candeur , la bravoure & l'amour
de la liberté formoient le caractere des
anciens Romains , comme l'artifice , la poltronerie
, & une difpofition à l'efclavage ,
forment celui des Italiens. Les anciens Efpagnols
étoient inquiets , remuans & fi
adonnés à la guerre , qu'ils fe tuoient euxJANVIER
. 1756. 33
mêmes quand ils étoient privés de leurs
armes par les Romains ; ( 1 ) il feroit bien
difficile à préfent , ou du moins il l'auroit
été il y a cinquante ans , d'exciter un
pareil efprit guerrier dans la Nation Efpagnole.
Les Bataves étoient tous des foldats
de fortune , & s'engageoient eux mêmes
dans les armées Romaines à prix d'argent ;
leurs defcendans fe fervent des étrangers
de même que les Romains fe fervoient de
leurs ancêtres. Quoiqu'on trouve encore
aujourd'hui dans les François quelquesuns
des traits dont Céfar a peint les Gaulois
, cependant quelle comparaifon de la
politeffe , de l'humanité & des connoiffances
de ceux qui habitent aujourd'hui tout
ce pays , & de l'ignorance , de la barbarie
& de la groffiereté des hommes de ce temslà
! Et fans infifter fur la différence qui fe
trouve entre les Anglois d'à- préfent & ceux
d'avant la conquête des Romains , on peut
obferver que nos ancêtres , il y a quelques
fiecles , étoient plongés dans la plus abfurde
fuperftition , & que le dernier fiecle en
fit des entoufiaftes furieux , tandis qu'à
préfent ils font la nation du monde la plus
indifférente fur les matieres de Religion .
8°. Quand différentes nations voisines
(1 ) Tite-Live ,
Liv. 34. ch. 17.
By
34 MERCURE DE FRANCE.
ont de fréquentes relations par des objets
de politique , de commerce & de curiofité ,
elles acquierent dans leur caractere quelque
conformité proportionnée au plus ou
moins d'habitude qu'elles ont de communiquer
enfenible. Ainfi les Francs paroiffent
avoir un caractere uniforme avec les
peuples du Levant : les différences entre
eux ne font que comme des accens particuliers
à diverfes provinces , qui ne font
difcernés que par une oreille exercée parmi
elles , & qui échappent communément
toujours à celle d'un étranger.
9. Nous pouvons fouvent remarquer
an mêlange furprenant de moeurs & de
caracteres dans la même nation , parlant le
même langage , & foumife au même gouvernement
; & à l'égard de cette fingulatité
, les Anglois font de tous les peuples
qui ont jamais été fur la terre le plus remarquable
. Cela ne doit pas être attribué
à la variation & à l'inconftance de leur climat
, ni à aucune des autres caufes phyfiques
, puifque ces mêmes caufes regarderoient
également le Royaume d'Ecoffe ,
qui eft fi proche , & où on ne voit pas
le même effet. Partout où le gouvernement
fera entierement républicain , il fera
propre à produire une conformité de
moeurs & d'ufage : s'il eft entierement
JANVIER. 1756. 35
monarchique , il fera encore plus propre
à former cette conformité. L'imitation des
Supérieurs étendant plus vite les manieres
nationales parmi le peuple , fi un Etat
confifte entierement en Négocians , comme
la Hollande , la profeffion commune
& dominante fixera un caractere général
pour le reste de la nation. S'il eft compofé
de grands Seigneurs & de Nobleffe , comme
l'Allemagne, la France & l'Espagne , le
même effet s'enfuit . Le génie d'une Secte
ou d'une religion particuliere eft auffi
très - capable de former les moeurs & le
caractere d'un peuple ; mais le gouvernement
Anglois eft un mêlange de Monarchie
, d'Ariftocratie & de Démocratie. Le
peuple comprend les Gentilhommes & les
Marchands ; toutes les Sectes & Religions
s'y trouvent. La grande liberté & l'indépendance
dont elles jouiffent , permettent
à chacun de développer les qualités qui
lui font particulieres. Delà les Anglois
ont moins de caractere national qu'aucun
peuple qui foit dans l'univers , à moins
que cette fingularité qui leur eft propre
ne leur en tienne lieu.
Si les caracteres des hommes dépendoient
de l'air & du climat , on s'attendroit
que la chaleur & le froid à un dégré
plus ou moins confiderable , auroient une
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
forte influence fur eux , puifque rien n'agit
plus puiffamment fur les plantes & fur
les animaux ; cependant il y a quelque
raifon de croire que toutes les nations qui
habitent au- delà des cercles polaires , ou
entre les tropiques , font inférieures au
refte de leurs femblables , & qu'elles font
entierement incapables des plus grands
progrès de l'efprit . La pauvreté & la mifere
des habitans du Nord , l'indolence &
la pareffe de ceux du Midi provenant de
leur peu de befoin , peuvent peut - être
rendre raifon de cette grande différence ,
fans avoir recours à des caufes phyfrques.
Il eft cependant certain que les caracteres
des peuples des climats tempérés , font fort
confus & peu frappans , & que prefque
toutes les obfervations générales que l'on a
faites fur les nations des extrêmités du Midi
, & fur celles qui font au fond du Nord,
paffent pour être fort incertaines & fort
trompeufes. ( 1 )
(1 )Je fuis fort porté à foupçonner que lesNegres,
& en général toutes les autres efpeces d'hommes,
car il y en a de quatre ou cinq fortes différentes ,
font naturellement inférieures aux Blancs . Il n'y a
jamais eu de Nation civilifée que parmi ceux de
cette couleur de teint . On ne trouve parmi les
autres ni Manufactures , ni Arts , ni Sciences , ni
même quelque homme éminent , ou par les actions,
ou par fes fpéculations ; tandis que les plus
JANVIE R. 1756. 37
Diraron que la proximité du ſoleil
échauffe l'imagination , & donne un tour
particulier d'efprit & de vivacité ? Les
François , les Grecs , les Egyptiens & les
Perfans font cités pour leur gaieté. On
parle d'un autre côté de la gravité des Efpagnols
, des Turcs & des Chinois , fans
obfervations de différence de climat pour
produire cette variété de caractere .
Les Grecs & les Romains , qui qualifioient
de Barbares toutes les autres nations
, accordoient du génie & de l'intelbarbares
& les plus féroces parmi les blancs , tels
que les anciens Germains , & les Tartares d'aujourd'hui
, fe trouvent remarquables par leur valeur
, par quelque partie du Gouvernement , ou
quelque qualité finguliere. Une différence auffi
uniforme & auffi conftante ne feroit pas arrivée
dans tant de Pays , & pendant tant de fiecles , fi la
nature n'avoit pas , dans l'origine , diftingué ainfi
ces races d'hommes. Car fans parler des Negres
efclaves qui font répandus dans toute l'Europe , aucun
ne s'eft jamais fait remarqueren donnant des
fignes d'induftrie. Quoique parmi nous , on voie
dans le bas-peuple fans éducation certains hommes
s'élever & fe diftinguer dans leur profeffion ,
il est pourtant vrai qu'on parle beaucoup aujourd'hui
d'un Negre de la Jamaïque , fingulier par
l'efprit & les connoiffances qu'il fait voir : mais
n'eft- il pas probable qu'il eft peut -être admirépour
quelques légeres perfections , comme un
perroquet qui parle avec facilité & affez diftinctement
2
38 MERCURE DE FRANCE.
ligence aux peuples les plus méridionaux ,
& décidoient que les nations du Nord
étoient tout-à- fait incapables de fçavoir &
de politeffe ; mais l'Angleterre n'a- t'elle
pas produit d'aufli grands hommes dans
la guerre & dans les fciences que la Grece
& l'Italie peuvent fe vanter d'en avoir eu?
On prétend que les fentimens des hommes
deviennent plus fins & plus délicats à
mefure qu'ils font plus voifins du foleil,
& que leur gout pour le beau & la perfection
a des progrès proportionnés en
chaque latitude. On peut obferver particulièrement
dans les Langues que celles
des peuples du Midi font douces & mélodieules
, tandis que celles des habitans
du Nord font dures & fans harmonie .
Cependant cela n'eft pas univerfel. La Langue
Arabe eft rude & défagréable. La Mofcovite
eft douce & fonore . L'énergie , la
force , & quelquefois la dureté forment le
caractere de la Langue Latine , tandis
que
l'Italienne eft fi coulante , fi douce , &
même fi pleine de molleffe.
Chaque Langue tiendra bien quelque
chofe du caractere d'un peuple , mais elle
dépendra beaucoup plus du fonds original
de fons & de mots qu'il aura reçu de fes
ancêtres , & qui ne changent point , même
lorfque fon caractere admettra les
JANVIER. 1756. 39
plus grands changemens . Qui peut douter
que les Anglois ne foient à préfent plus
polis & plus fçavans que les Grecs ne furent
pendant plufieurs fiecles après le fiege
de Troye. Cependant il n'y a point de
comparaison entre le langage de Milton &
celui d'Homere . Plus les changemens &
les progrès qui fe font fentir dans les caracteres
& les moeurs d'une nation font
confidérables , moins on en doit attendre
dans fa Langue. Quelques grands & finguliers
génies communiqueront leur gout
& leur fçavoir à tout un peuple , & occafionneront
un infinité de progrès en conféquence
; mais ces efprits diftingués fixent
la Langue par leurs écrits , préviennent &
diminuent en quelques degrés les changemens
qu'elle éprouveroit.
Milord Bacon a obfervé
que les peuples
du Midi font généralement plus ingénieux
que ceux du Nord , mais que le génie qui
à pris naiffance dans un climat froid , s'élevera
à un dégré où ne pourront jamais
atteindre les plus grands efprits des pays
chauds. Un célébre Ecrivain moderne ( 1 )
a confirmé cette obfervation par une comparaifon
commune , mais très- ingénieufe .
il dit que les efprits du Midi font comme
(1 ) Le Docteur Berkeley.
40 MERCURE DE FRANCE.
les concombres qui font bons dans leur
efpece , mais dont le meilleur n'eft jamais
qu'un fruit affez infipide , tandis que les
génies du Nord font comme les melons
dont parmi cinquante il n'y en aura peutêtre
pas un de bon ; mais fi on vient à le
trouver , il fera d'un gout rare & exquis.
>
Je crois qu'on peut fentir la jufteffe de
cette remarque , en l'appliquant aux nations
de l'Europe , au fiecle préfent , ou
plutôt même au précédent , mais auffi je
penfe qu'on en peut rendre raiſon par les
caufes morales.
Toutes les fciences & tous les arts nous
ont été apportés du Midi ; & il eft facile
d'imaginer que dans la premiere ardeur
de l'application qu'on y porta , le petit
nombre de ceux qui fe livrerent à l'étude ,
animés par l'émulation & par la gloire
voulurent fe diftinguer , & employerent
tous leurs efforts & leurs talens pour atteindre
le point de perfection . Des exemples
fi fameux répandirent partout le fçavoir
, & firent naître une eftime univerfelle
pour les fciences & pour les arts. Mais
dès qu'on ceffa de trouver des encouragemens
proportionnés , & que les bons efprits
défefpererent de parvenir à quelque
distinction par leurs entreprifes & leurs
travaux il n'eft
étonnant que
pas
l'inJANVIER.
1756. 41
duftrie & la curiofité fe foient ralenties.
Quand une fois les connoiffances & le
fçavoir font multipliés & répandus dans
une nation , & qu'on en a chaffé l'ignorance
& la rudeffe , on ne doit pas s'attendre
à voir fouvent paroître des hommes
célébres par quelque ouvrage d'une certaine
perfection. Anciennement , dit Juvenal
, les fciences étoient fixées en Grece
& en Italie ; préfentement le monde entier
difpute de fçavoir avec Athenes &
Rome. Le Gaulois qui eft éloquent , inftruit
le Breton qui eft légifte , & jufqu'au
fond du Nord à Thulé , on eft occupé de
faire venir des Maîtres de Rhétorique ( 1 ).
Cet état où étoient les fciences eft remarquable
, parce que Juvenal eft lui-même
le dernier des bons Ecrivains parmi les
Romains qui ait eu du talent & du génie
jufqu'à un certain point. Ceux qui lui ont
fuccédé , ne font eftimés que pour nous
avoir tranfmis quelques matériaux hiftoriques.
Je fouhaite que l'étude des fciences
qui font depuis quelque tems fi fort
encouragées en Mofcovie & chez d'autres
Puiffances du Nord , ne nous pronostique
pas quelque chofe de pareil , vu l'état où
les fciences font actuellement parmi nous.
(1 ) Juvenal , Sat. 15.
42 MERCURE DE FRANCE.
Le Cardinal Bentivoglio donne la préférence
aux peuples du Nord fur ceux du
Midi , pour ce qui regarde la candeur &
la fincérité. Il cite d'un côté les Efpagnols
& les Italiens , de l'autre les Flamans &
les Allemands ; mais jefuis perfuadé que
ce changement n'eft qu'accidentel . Les anciens
Romains ont toujours été francs &
finceres , comme font les Turcs d'aujourd'hui
; & fi nous avions befoin de fuppofer
que cela eft venu de caufes fixes &
effentielles , nous pouvons feulement en
conclure que toutes les extrêmités font
propres au concours des mêmes conféquences
, & en font communément fuivies
la fourberie eft la compagne la plus familiere
de l'ignorance & de la barbarie š
& quand les nations civilifées ont eu recours
à une politique fubtile & compliquée
, c'eft par une fauffe délicateffe qui
feur a fait méprifer la voie fimple qui me
ne à la puiffance & à la gloire.
La plupart des conquêtes ont procédé
du Nord au Sud , & on en infére que
les Peuples du Nord avoient un degré
fupérieur de courage & de valeur. Mais
n'auroit- il pas été plus jufte de dire que
les conquêtes fe font par la pauvreté & le
befoin fur l'abondance & les richeffes ?
Les Sarrazins abandonnant les deferts de
JANVIER. 1756. 43 .
l'Arabie , porterent leurs conquêtes du côté
du Nord dans les fertiles provinces de
l'empire Romain , & rencontrerent en leur
chemin les Turcs qui quittoient les parties
Méridionales des deferts de la Tartarie.
Le Chevalier Temple a remarqué que
tous les animaux courageux font en même
temps carnaffiers , & qu'il fe doit trouver
bien plus de courage dans un Peuple ,
tel que les Anglois , dont la nourriture eft
forre & cordiale , que dans la populace
prefque affamée des autres Nations . Mais
les Suédois , nonobftant une nourriture
moins forte , & plus frugale , ont l'ame
auffi guerriere qu'aucun Peuple qu'il y ait
jamais eu dans le monde .
En général on peut confidérer que le
courage eft de toutes les qualités nationales
, celle qu'il faut le plus exercer
pour l'acquérir , parce qu'elle n'eft exercée
que par intervalles & par un petit nombre
dans chaque Nation ; tandis que l'induftrie
, le fçavoir & la politefle peuvent
être d'un ufage conftant & univerfel , qui
peut devenir familier à tout un Peuple.
Si le courage fe maintient , il faut que
ce foit par la difcipline , l'exemple & l'opinion.
La dixiéme légion de Céfar , &
le régiment de Picardie ont toujours été
44 MERCURE DE FRANCE.
compofés d'une maniere confufe & au
hazard de tout ce qui s'eft rencontré parmi
les Citoyens. Mais ces corps ayant une
fois bien faifi la notion qu'ils étoient les
meilleures troupes qu'il y ait jamais eues
au fervice , cette opinion s'eft réaliſée &
les a rendus tels.
On peut donner comme une preuve
que le courage dépend de l'opinion
cette remarque , que des deux peuples
Grecs , les Doriens & les Ioniens , les
Doriens furent toujours eftimés les plus
braves & les plus vigoureux ; & quoique
les Colonies forties de ces deux Peuples
fuffent difperfées & mêlées dans l'étendue
de toute la Grece , dans l'Afie mineure
, la Sicile , l'Italie & les ifles de
l'Archipel , les Athéniens furent les feuls
des Ioniens qui fe diftinguerent par les
armes , quoique leur réputation cedât à
celle des Lacédémoniens eftimés les plus
'braves d'entre les Doriens.
La feule obfervation fur les différences
des hommes par rapport aux climats , fur
laquelle on puiffe raifonnablement infifter
eft la remarque générale , que les Nations
du Nord ont un plus grand penchant
pour le vin & les liqueurs fortes , &
celles du Midi pour l'amour & pour les
femmes. On pourroit affigner, ce me femJANVIE
R. 1756. 45.
ble , à cette différence , une caufe phyfique
très-probable . Le vin & lesliqueurs
diftiliées échauffent le fang qui fe glace.
dans les climats froids , & fortifient les
hommes contre la rigueur de l'air , de
même que la chaleur féconde du foleil,
dans les pays les plus expofés à fes rayons ,
enflamme le fang , & excite à l'amour l'un
& l'autre fexe .
Au refte cette matiere peut être auffi
expliquée par les caufes morales . Toutes
les liqueurs fortes font plus rares dans le
Nord, & conféquemment y font plus défirées.
Diodore de Sicile ( 1 ) rapporte que
les Gaulois , dans fon tems , étoient grands,
buveurs , & fort adonnés au vin , particulierement
pour fa rareté & fa nouveauté.
D'un autre côté la chaleur dans les climats
du Midi , obligeant les hommes &
les femmes d'être à demi- nuds , rend par- là
plus dangereux leur commerce , & ajoute
un aiguillon à leur penchant naturel. Les
parens & les maris en font & plus jaloux
& plus précautionnés , ce qui aiguife
encore davantage les paffions. Et fans
(1 ) Liv. V , le même Auteur taxe auffi de taciturnité
cette même Nation ; nouvelle preuve que
le caractere national s'altere & change infiniment,
La taciturnité, comme caractere de Nation, impli →
que peu de difpofition à la ſociété , ou une hu
meur infociable.
46 MERCURE DE FRANCE,
parler d'ailleurs des femmes dont le tempérament
eft beaucoup plus avancé dans
ces régions , il eft néceffaire d'y montrer
une plus grande jaloufie , & d'obſerver
plus d'attention dans leur éducation , étant
évident qu'une fille de douze ans ne peut
pas avoir la même difcrétion qu'une autre
jeune perfonne qui ne reffent les feux
de l'amour qu'à l'âge de dix- fept ou dixhuit
ans , pour moderer les excès de cette
paffion.
Peut être auffi n'eft- il pas vrai que la
nature ait diftribué ces différentes inclinations
aux différents climats , felon les
caufes phyfiques ou morales. Les anciens
Grecs , quoique nés dans un pays chaud ,
femblent avoir été fort livrés au vin
leurs parties de plaifir n'étoient que des
gageures & des défis de boire entre hommes
qui paffoient leur temps dans l'éloignement
des femmes. Cependant quand
Alexandre conduifit les Grecs en Perfe ,
climat encore plus proche du midi , ( 1 ) ils
multiplierent leurs débauches de vin à
l'imitation des moeurs Perfannes. Le caractere
de grands buveurs parmi les
Perfes étoit fi honorable que le jeune Cy-
( 1) Babylonii maximè in vinum & quæ ebrietatem
fequuntur , effufi funt. Quint- Curt. Lib. s.
JANVIE R. 1756. 47
rus follicitant le fecours des fobres Lacédémoniens
contre fon frere Artaxercès
, le reclame particulierement , en faveur
de fes grandes qualités , comme
étant le plus brave , le plus généreux
des Princes , & en même- temps le meilleur
buveur. (1 ) Darius Hyftafpide fit
mettre en infcription fur fon tombeau
que parmi les autres vertus & fes talens
de Prince , perfonne ne pouvoit por
ter autant de vin que lui ; on peut obtenir
des Negres tout ce qu'on veut en
leur offrant des liqueurs fpiritueufes ,
jufqu'à leur faire vendre , non -feulement
leurs parens , mais même leurs femmes &
leurs maîtreffes pour un barril d'eau - devie
. En France , en Italie on ne boit guere
généralement de vin pur , fi ce n'eft dans
les grandes chaleurs de l'été . Cette boiffon
eft prefque alors auffi néceffaire pour réta
blir la trop grande diffipation des efprits ,
comme elle l'eft en Suede pour réchauffer
les corps congelés & engourdis par la
rigueur exceffive de l'hyver.
Si la jaloufie eft regardée comme une
preuve de difpofition à l'amour , aucun
Peuple ne fut plus jaloux que les Mofcovites
, avant que leur communication
(1 ) Plutarq. des Banquets , Liv, I. Queſt. 4.
48 MERCURE DE FRANCE.
avec l'Europe eût un peu changé leurs
moeurs fur ce point.
Mais en fuppofant qu'il foit vrai que
la nature , par des principes phyfiques, ait
régulierement diftribué ces deux paffions ,
l'une aux régions du Nord , l'autre à celles
du Midi, nous en pouvons feulement inférer
que le climat peut affecter les organes
les plus groffiers de notre machine , & qu'il
ne peut pas agir fur les plus fins & les
plus délicats , dont dépendent les opérations
de l'efprit & de l'entendement : ceci
eft entierement conforme à l'analogie
de la nature . Les races d'animaux ne dégénerent
jamais quand elles font foigneufement
maintenues ; & les chevaux par
ticulierement font bientôt connoître leur
origine par leur forme , leur feu & leur
légereté ; mais un fot peut engendrer un
grand philofophe , comme un homme de
mérite & de courage peut laiffer après - lui
une race de poltrons.
Je concluerai donc , en obfervant que ,
quoique la paffion pour le vin foit plus
brutale & plus aviliffante que l'amour
pour les femmes , qui , lorsqu'il eft renfermé
dans de certaines bornes , devient
une fource de politeffe & d'agrément ,
cependant celui- ci ne donne pas un fi
grand avantage aux climats du Midi ,
comme
1
JANVIER. 1756. 49
comme on pourroit fe l'imaginer au premier
coup d'oeil ; car quand l'amour n'eſt
point modéré , il engendre la jaloufie ,
& détruit la liberté du commerce entre
les deux fexes , d'où la politeffe d'une
Nation dépendra toujours. Deplus , fi on
vouloit examiner & développer davantage
ce fujet , on pourroit découvrir que les
Nations des climats tempérés ont le plus
d'avantages pour toute forte de progrès
& d'avancement dans les fciences & dans
les arts , parce que leur fang n'eft pas affez
enflammé pour les porter aux fureurs de
l'amour , & que cependant il eſt affez
animé pour leur faire connoître les charmes
& les agrémens qui réfultent du
commerce des femmes.
VERS A MADEMOISELLE ***
Pour le renouvellement de l'année.
LE Printems rend hommage à Flore
Par tous les dons qu'il fait éclore.
Lorfque le blond Eté colore nos guérets ,
Ses tréfors jauniffans enrichiffent Cerès.
Le rival de Fomone ,
Reçoit les tributs de l'Automne.
L'Hyver qui de fon fein voit fortir les amours
II.Vd.
C
30 MERCURE DE FRANCE.
Répare par les jeux la perte des beaux jours ,
Un nouvel an commence ;
Affurez ma félicité ;
Donnez- moi votre coeur , qu'il foit la récompenfe
De ma fidélité.
Vos appas feront mes richelles .
Livrés aux plus douces tendrefles
Nos coeurs moiffonneront dans les champs des
plaifirs :
Yos faveurs ne feront qu'accroître mes défirs,
La faifon la plus belle
Voit terminer fon cours ;
Une conftance mutuelle
Sera le fruit de nos amours.
Les mains toujours cruelles ,
De cet inexorable tems ,
Bornent la carriere des ans.
Sans la mort , vous verriez nos ardeurs éternelles,
A
Ad... d'Arp...
RONDE A U
enftyle de Marot.
AU nouvel an maint courtifan s'empreffe
( & c'eft raiſon ) de vous vouloir du bien ;
Tout au rebours honteux , Dieu fçait combien !
Je vois mes voeux au fond pleins de tendreffe ,
1
4
JANVIER. 1756. st
Tout bien compté , ne fe réduire à rien.
Car que vouloir en vous ? beauté , fageffe ,
Gentil efprit , agréable maintien ,
Quefçai-je moi ? l'ordinaire entretien
Au nouvel an ?
Or avez tout , ne le fçais que trop bien . !
Que dire donc Suis en grande détreffe
Je l'avouerai , & ne vois plus moyen
De fouhaiter ..... Ot fus , m'y voici ; Qu'est-ce ?
Qu'en mil huit cens lifiez cet oeuvre mien ,
Au nouvel an.
L. N. G. D. R.
Lettre à l'Auteur du Mercure.
Monfieur , depuis que je me ſuis avifé
de faire quelques mariages pour obliger
des perfonnes auxquelles je prenois un vés
ritable intérêt , j'ai la réputation d'être le
premier homme du monde pour former de
pareils noeuds ; en conféquence je fuis inondé
de lettres qui m'arrivent de toute part.
J'ai recours à vous , Monfieur , pour vous
prier d'inférer cette lettre dans votre Mercare
, afin que le public s'adreſſe doréna
vant ailleurs. Je joins ici quelques - unes
de celles que j'ai reçues , pour que ceux
ċ ij
12 MERCURE DE FRANCE.
qui s'y reconnoîtront , ne comptent plus
fur moi .
"
J'ai l'honneur d'être , & c.
C. D.
A Montreuil , ce 12 Decembre 1755 .
La premiere que j'ai reçue , étoit d'un
jeune Seigneur dont l'inconduite avoit diffipé
en partie le bien qu'il avoit hérité de
fes pere & mere. Il m'engage à lui trouver
une Demoiſelle dont la dot puiffe réparer
fes , torts & débrouiller fes affaires.
"
"
و ر
Quoique né d'un fang illuftre , dit- il ,
» je regarderai peu à la naiffance : on eft
» aujourd'hui revenu du fot préjugé qui
empêchoit les maifons de fe relever.
Quant à la figure elle ne fera jamais un
» obftacle. S'il le trouve du caractere , à la
bonne heure , mais j'infifterai fur la fortune
, étant néceffaire que j'en trouvé
pour foutenir le rang où je fuis placé.
Il n'y a pas de Financier qui ne foit flat-
" té de celui où mon alliance élevera
fa fille , ni de Demoiſelle qui ne l'ambitionne.
Comptez , Monfieur , que je
» proportionnerai ma reconnoiffance au
» mérite de celle que vous me ferez trou-
" ver : ceci devient donc votre affaire au-
» tant que la mienne, S'il pouvoit y avoir
»
ور
1.
JAN.VIE R. 1756. 53
» de l'argent comptant , il m'accommode-
Proit d'autant plus que fi la guerre avoit
» lieu , il m'en faudroit néceffairement
» pour former mon équipage .
» Monfieur , j'ai été au couvent avec
» Mdme la Ducheffe de.. Nous étions liées
» de l'amitié la plus étroite. Une conformi-
» té d'état & de façon de penfer , avoit for-
» méentre nous la plus parfaite union.Cet-
»te Dame eft fortie du couvent pour ſe ma-
» rier , & moi pour revenir avec une mere
qui n'a rien à me refufer . Etant en dernier
lieu aux Tuileries avec elle , noust
» rencontrâmes ma camarade de couvent :-
àpeine voulut- elle me reconnoître . Après
» une révérence de protection , qui flattoit
» autant fon amour propre qu'elle humi-
» lioit le mien , elle nous quitta. Ma mere
» s'étant aperçue de mon défefpoir , voulut
» me confoler en m'affurant que j'avois
» une fortune qui me permettoit de pré-
»tendre à devenir un jour fon égale . Dans
la crainte , Monfieur , qu'elle ne chan-
» ge de fentiment , & qu'elle ne veuille
» tout uniment me marier à un galant
» homme qui ne feroit pas Duc & Pair ,
je vous prie de m'indiquer à quelques-
» uns de ces Meffieurs , même à un Prince ,
» comme il y en a qui ne font pas riches.
Ciij
34
MERCURE
DE FRANCE
.
J'ai un million de bien de mon pere , &
j'en aurai encore autant de ma mere 3
» je ne fuis pas mal de figure , & j'ai affez
d'efprit pour mettre dans tout fon jour
» un très-bon caractere.
» Monfieur , je fuis un Gentilhomme
de province , né avec douze mille livres
» de rente. Mon pere a eu pour moi l'agré
≫ment d'une Compagnie de Dragons au
»commencement de la derniere guerre
» que j'ai faite en entier. A la paix vou
lant me diftinguer de mes égaux , & me
» croyant tout ce qu'il falloit pour compo
» fer un homme à la mode , je fuis venu
habiter Paris. J'avois dans les commen
» cemens les plus beaux projets d'arrange
ment qui foient jamais fortis de la tête
d'un homme fenfé. Dans la fuite j'ai
voulu aller de pair avec tout le monde
»ayant enfin compté avec moi-même j'ai
trouvé mon capital abforbé par mes
» dettes : en un mot , je fuis noyéfi je ne
» trouve pas une femme dont la fortune
puiffe réparer mes fottifes. Travaillez ,
»Monfieur , à me la faire avoir ; annon
» cez-moi comme ayant douze mille li-
»vres de rente , fans parler de ce que je
» dois ces fortes de chofes- là fe font tous.
»les jours. Je compte , Monfieur , fur yos
» bons foins.
-JAN-VIE R. 1756. 15
- Monfieur , j'ai eu le malheur de perdre
» mon mari il y a trois mois. Je fuis ref-
» tée encore jeune , avec un fils & une
» fille . Le premier eft aux ifles , & la fe-
» conde eft à marier. Les projets que j'ai
» fur mon falut , m'engagent à ne rien
négliger pour l'établir. Elle aura du
» bien de fon pere deux cens mille livres ,
» & j'y en joindrai cent mille du mien.
Si vous trouvez à m'en débarraffer , le
plutôt fera le mieux : vous aurez d'au-
" tant moins de peinej qu'elle est jolie de
figure , & fort aimable de caractere.
33
骂
*
» Monfieur , le Duc D ... m'a dit qu'il
» s'étoit adreffé à vous quand il avoit vou
lu fe marier ; vous avez réufi pour lui
» à un point , qui m'engage à avoir re-
» cours à vous . Le Miniftre vient de m'ac
» corder l'agrément d'un Régiment ; j'ai
>> trois femaines à me décider , foit pour
»l'accepter , foit pour le refufer . Je na
puis prendre le premier parti qu'autant
» que je trouverai un Financier qui foit
» Aatté de marier fa fille à un Colonel.
Voyez , Monfieur , & tâchez de me dé-
» terrer la perfonne dont j'ai beſoin ; n'ou
» bliez pas fur toutes chofes de faire var
loir ma naiſſance mon grade , & les
» protections que j'ai à la Cour : ce qu'il
30
-n
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
ya de plus grand fignera mon contrat
de mariage , & ma femme fera préſeh-
≫tée.
ور
» Monfieur , j'étois jadis Capitaine
d'Infanterie ; j'ai époufé une femme fans
»bien , mais fort jolie . Son attachement
» pour moi l'avoit engagée, afin de m'avoir
» auprès d'elle , à aller à la Cour faire'
» valoir au Miniftre mes longs fervices ;
» fes vives follicitations m'ont fait obtenir
la Lieutenance de Roi de ... Je jouiffois
» depuis un an des agrémens de la tran-
>
quillité & des douceurs de l'Hymen
» quand la mort m'enleva celle à qui je
» devois mon aifance & ma félicité. A
préfent veuf avec plufieurs enfans , ce
»feroit en vain que je chercherois une
»femme qui pût me faire oublier la perte
»que j'ai faite. Je me borne donc , Mon-
» fieur , à trouver une perfonne d'un certain
âge , avec affez d'ufage du monde ,
» pour repréfenter avec dignité dans la
place que j'occupe. Il vous fera d'autant
plus facile de me fatisfaire que je
»n'exige point de biens , je demande feulement
qu'elle foit d'âge à ne pas aug-
» menter le nombre de mes héritiers.
»Comme Paris eft fait pour trouver une
»telle perfonne , je m'adreſſe à vous, Mon-
» fieur , avec confiance.
JANVIER. 1756. 57
Monfieur , j'ai eu le malheur de me
39 voir trois fois veuve dans douze années
» de tems. Je voudrois bien me confoler,
» de mon dernier mari avec un quatrie-
» me , & je ne vois rien dans ma fociété
• qui puiffe me convenir. J'ai vingt mille
»livres de rente en douaires , & quelques
»biens de patrimoine . Si vous connoiffiez,
» Monfieur , un jeune homme fufceptible,
» de reconnoiffance , bien fain , qui eûc
» des moeurs , je vous prie de me l'adreffer.
» Je confens à lui faire des avantages fur
» mon bien. J'ai un équipage & trois foupers
par ſemaine chez moi ; je demeure
» à la vérité dans la rue S. Louis ; mais à
» cela près je fuis très-décemment logée.
J'exige , Monfieur , de celui qui m'é-
» pouſera qu'il quitte le fervice , s'il y eft.
ود
» J'habite Paris depuis 15 ans, où je fuis
répandu dans la plus élégante compagnie.
» Mon nom , Monfieur , eft depuis long-
» tems en tête du catalogue des gens à
>> bonnes fortunes. Ma fanté fe fent de
" la vie que j'ai menée. Je voudrois la
» rétablir : je cherche pour cela un prétex-
» te honnête ; je ne vois que le mariage.
» Je veux en deux mots faire une fin , &
»me retirer de la vie fatiguante des ruel-
» les , ennuié de la coquetterie des fem-
Cv
58 MERCURE DE FRANCE .
mes & de leurs caprices . Tâchez , Món-
» fieur , de m'en trouver une qui n'ait au-
» cun de ces défauts , & qui foit d'âge à
» me donner quelques enfans. Ne pré-
» voyant pas, quoiqu'Officier Général, que
» je fois employé la prochaine guerre ,
* je compte m'en aller dans mes terres
» faire fuccéder à la vie bruyante de ce
Pays- ci toutes les douceurs de l'Hymen
» & de la philofophie.
"
» Monfieur , je me fuis mariée à qua
» torze ans avec un homme auffi mauffa
» de par la figure que par l'efprit & le caractere.
Je fuis restée au couvent jufqu'à
feize. J'y fuis rentrée à dix-huit par
la mauvaiſe humeur de mon mari. J'en
>> fors une feconde fois , parce qu'il vient
» de mourir, pour n'y plus rentrer, à ce que
j'efpere. Je cherche préfentement'unépoux
commode qui , fans être homme
de Cour , en ait la façon de penfer , &
>> foit l'ennemi décidé des tracafferies.
bourgeoifes ; c'eft - à - dire , Monfieur ;
» que je voudrois faire de l'Hymen un
» état libre & non un efclavage ; car mon
pauvre mari ( Dieu veuille avoir fon
" ame ) , penfoit à cet égard comme un
bourgeois du Marais : nous logions cependant
au fauxbourg S. Germain. Je
>>
JANVIER. 1756. 159
veux de plus me féparer de bien , &
» mettre dans le contrat que nous ferons
réciproquement maîtres de nous retirer
» où bon nous femblera.
201
M. je fuis Cadet de bonne famille
originaire de Pezenas : un de mes proches
» parens au neuvieme degré, m'avoit ame-
» né avec lui dans le Régiment. Les diffé
» rentes affaires où je me fuis fignalé pen-
» dant cette derniere guerre , n'ont pas
empêché que je n'aye été compris dans
» le nombre des malheureux qui ont
» été réformés avec de petites penfions.
Ayant donc mangé ma légitime au fer-
» vice , je me vois forcé à prendre un parti
D violent. Si donc encore vous connoif-
» fiez quelque Demoifelle qui voulût
»prendre un état , & m'en faire un autre,
»je ne m'informe pas qui elle eft , ni ce
» qu'elle a fait ; quant à moi je n'ai que
» vingt- cinq ans ; je me porte bien , &
j'aime la bonne chere.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Le Chevalier de Mizerac
Cvj
Go MERCURE DE FRANCE.
BOUQUET.
PArmi la neige & les frimats ,
On ne voit plus de fleurs nouvelles.
L'hyver a détruit leurs appas ;
Recevez donc ces immortelles ;
Leur peu d'éclat & d'agrément ,
N'a que la durée en partage.
Elles triompheront du tems ,
C'eft-là leur unique avantage.
Thémire , de mes fentimens ,
Ces fleurs font la fidelle image.
A Mets , par Madame M... de R.
femme d'un Confeiller au Parlement .
MADRIGAL
De M. de Relongue de la Louptiere , Membre
de la Société des Sciences & Belles-
Lettres de Châlons fur Marne , aux aimables
parentes de faint Hubert , qui prétendent
avoir le don miraculeux de guérir les
enragés.
QuUand vous reçûtes dans vos veines
Le fang illuftre & renommé
Du pieux, Patron des Ardennes ,
JANVIER. 1756. 61
Je ne fçais fi fon tact vous fut bien confirmé ;
Mais fij'en crois l'ardeur dont je fuis confumé ,
Ce trouble , cet ennui , dont tous mes fens gémiffent
,
Vos yeux font plus de mal que vos mains n'en
guériffent.
A la Loupiere , en Champagne .
FABLE .
UN Mouton tant foit peu curieux de fa laine ,
Sentit par un buiffon arracher fon habit
Qu'il ne devoit quitter qu'à la Saint Jean prochaine.
11 eft même aux moutons des momens de dépit
Vil arbuſte , dit -il , trois fois fois-tu maudit ,
A quoi fers-tu , réfuge de vipere ?
Le malin te fit naître , ou fi le ciel te fit,
C'étoit , fans doute , en un jour de colere.
Comment ! Robin devient brutal ,
Repart paisiblement la ronce.
Dans peu tu verras ma réponſe ,
Mais apprends qu'ici - bas rien n'eſt fait pour un
mal .
En effet à l'inftant viennent à tire -d'aîle ,
Voltiger an tour du buiffon
Et la Fauvette & le Pinçon ,
Et la chanteufe Philomele ,
62 MERCURE DE FRANCE.
Tapifliers amoureux , chacun met à profit
Le duvet que l'épine étale ,
Et par la providence autant aidé qu'inftruit ,
Il en garnit fa couche nuptiale.
Eh bien , dit l'arbriffeau , le ciel avoit-il tort
Tu vois , ami : mon petit miniftere
Contre lequel tu déclamois fi fort ,
Unit les habitans des airs & de la terre.
Je fais plus , j'offre encor leçon très- falutaire ,
A qui dans un état tient l'empire abſolu ;
J'enleve au riche un fuperflu ,
Pour rendre au pauvre un néceffaire.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE,
Les hommes, Monfieur , font en vérité
bien étranges ; depuis le temps que vous les
étudiez , vous devez en être perfuadé. Cependant
je vais vous en fournis une
nouvelle preuve. Lorfque j'ai paru dans
le Public , quelques gens mal intentionnés
me traitant de feconde Malcrais de
la Vigne , ont voulu douter que je fulle
l'Auteur de mes premiers ouvrages. Aujourd'hui
par une erreur toute contraire ,
& plus dangereuse , on me donne même
JANVIER. 1756. 635
ceux des autres . J'apprens que quelques
perfonnes m'attribuent des Stances précédées
d'une Lettre , qui ont été imprimées
dans le Journal de Verdun , Novembre
1755, fignées la Bergere Annette . Permettez-
moi de diffuader'ici ces perfonnes ,
& de déclarer en même temps au Public ,
que comme j'espere ne produire aucun ouvrage
capable de me faire rougir , mon
nom fera toujours à la tête de tous ceux
que je croirai dignes de lui être préfentés .
C'eſt une méthode que j'ai fuivie jufqu'à
préfent , & que je compte fuivre à l'avenir.
Ainfi je prie ce même Public de ne
point croire dorénavant des gens malignement
officieux qui voudront me faire l'Au
teur de pieces anonymes , ou qui ont paru
fous des noms empruntés ; je les défavoue
d'avance
, fuffent- elles capables de me
porter au faîte de la gloire. Quant aux
perfonnes qui me donnent les vers en
queftion , j'ofe avancer qu'elles n'ont pas
lu avec attention les quatre ou cinq dernieres
lignes de l'annonce que le fçavant &
judicieux Auteur du Journal de Verdun
en a faite. Souffrez , Monfieur , que je
les tranfcrive. Après avoir dit que M. de
la L.... lui avoit envoyé ces Stances acinf
compagnées d'une Lettre qui ne l'a pas :
64 MERCURE DE FRANČE.
K
truit de la patrie & de l'état de la Berge
re Annette , il ajoute : « Nous allons don-
» ner la Lettre & les Stances , afin que
l'on voye que cette Bergere fçait écrire
» également bien en profe & en vers ,
&
l'on fentira aifément que quand elle
» auroit eu pour fecrétaire M. de la L ...
nelle n'auroit pu mieux réuffir. » Un ef
prit d'équité m'oblige encore de défabufer
le Public d'une erreur qui tourne , je
le fçais à ma gloire , mais auffi qui en pri
ve ceux à qui elle appartient légitimement.
La Bergere, auteur, ou leBerger, comme
quelques- uns le prétendent , trouveroit
mauvais avec raifon , fi je fouffrois
fans mot dire , que l'on me mît en poffeffion
d'un bien qu'elle a , ou qu'il a fi
juſtement acquis par fes veilles & fon travail.
Je devois donc à la bonne foi dont
je fais profeffion ce témoignage . Mais fi
j'aime l'équité , je ne chéris pas moins
la vérité ; or pourrois-je dire fans la bleffer:
Paffant ma vie au fond d'un hameau folitaire ,
Puifque j'habite une Ville affez confidérable
, & raifonnablement peuplée ? D'ailleurs
on me fait dire dans ces Stances des
chofes que je ne penſe point du tout . On
me fait faire un procès au fort de ce
qu'il n'a pas placé le berceau de mes
jours , auprès de celui de M. de la L ... afin
JANVIER. 1756. 65
que fa Mufe agréable & légere le rendit
foriffant & fameux pour toujours . Enfin
on veut que je fois fâchée de n'être pas
née Champenoise ,
Hélas ! il n'en eft rien,Meffieurs, je vous affure:
Pourquoi me faire dire une telle impoſture ?
En effet je fuis fort contente de ma
patrie que je chéris , de mes compatriotes
que je confidere , de ma Province qui eſt
agréable & fertile. Je finis cette Lettre
peut être déja trop longue , en vous fuppliant
, Monfieur , de la rendre publique ;
vous m'obligerez infiniment. Je vais travailler
à la fuite de la Promenade de province
; trop heureuſe fi je puis par ce petit
ouvrage , mériter votre eftime & vous
être de quelque utilité. C'eft l'unique
ambition d'une perfonne qui vous admire
, & qui a l'honneur de fe dire avec toute
la confidération poffible ,
Monfieur ,
Votre très- humble , & c.
PLISSON.
A Chartres , ce 10 Décembre 1755.
66 MERCURE DE FRANCE.
Portraits de fix fameux Peintres de l'Ecole
d'Italie.
François Cecco , dit Salviati.
L dut mille enemis à fa caufticité.
L'amour-propre lui fit autant de ridicules.
D'un puiffant protecteur le trouvoit- il fêté ?
L'inconftant le quittoit fans honte & fans fcrupules.
Enfin de la fortune il devint le jouet ,
Jaloux d'un meilleur fort il expira de rage.
Les graces fur fon urne expriment leur regret,
Et la peinture en pleurs s'écrie : Ah ! quel dommage
!
Jean- François Grimaldi , dit le Bolognese.
CE payfage eft bien dans le goût du Carrache.
Le Site en eft heureux , le Feuiller enchanté.
A l'efpace qu'il crée , il m'attire , il m'attache.
De quel objet réel pourrois-je être tenté ?
Trop féduifante erreur , tu fatisfais mon ame .
De ce riche palais le dehors me fuffit.
Ce ton frais , vigoureux dont l'art ourdit fa trâme,.
Efface la nature , elle s'en applaudit.
JANVIE R. 1756. 67
Barthelemi Murillo .
LEſpagne a ſon Vandick , Velaſqués l'a formé .
Sur la toile étonnée il imprime la vie.
Quelle fraicheur de chair ! Ah ! fi j'ai tant aimé ,
C'est que de tels attraits annonçoient ma Silvie.
La vigueur , la clarté dominent fon pinceau.
Mon oeil eft réveillé par ce coup de lumiere ;
La prudence l'amene ; Amour, prends ce flambeau,
Il ne peut qu'embellir ta riante carriere.
Benoist Caftiglione , dit le Benedete.
Heureux
Eureux imitateur des plus grands coloriſtes
Ce maître fçait charmer par fes précieux tons.
En lui le clair-obfcur étonne les Artiftes ,
Ils admirent furtout les bergers , fes moutons.
Du genre paftoral , c'eft le plus grand modele.
Quel deffein élégant quelle touche ! quels feux
Où brillent fes travaux , le génie étincelle ;
Et pour l'état champêtre il fait faire des voeux.
Lucas Jordans.
Quelle facilité ! fa main expéditive
S'étend fur chaque école , & moiffonne partout.
A compofer fon miel l'abeille eft moins active
Qu'il ne l'eft à former fa maniere & fon goût..
De fa fécondité le Tintoret s'étonne.
Il puifc fa penfée où l'aigle va planer.
68 MERCURE DE FRANCE.
L'harmonie avec foin lui treffe une couronne
Que fa fougue dérange , & femble abandonner.
Louis de Vargas.
Briller dans le portrait autant que dans Phiſtoire
,
Eft ton partage heureux , trop auftere Efpagnol.
Tous tes rivaux furpris , te cedent la victoire ,
Ils n'ofent afpirer à ton fublime vol.
De ta gloire , Vargas , Seville eft le théâtre .
Ton chef- d'oeuvre y ravit l'éclairé ſpectateur ,
De la mere commune on devient idolâtre ,
Dès
que
La Scene où tu la peins , rend le coeur bon acteur,
Perez de Alezio célébre Peintre Espa
gnol , eût vu le fameux tableau d'Adam & d'Eve,
il dit en l'admirant , lajambe qui s'y voit en racconrci
, vaut mieux que tout mon faint Chriftophe.
Ce dernier tableau de ce maître jouit cependant
d'une grande célébrité. Alexio fe voyant éclipfé par
Vargas retourna en Italie.
LELe mot de la premiere Enigme du pre- E
mier volume du Mercure de Janvier eft la
Mule des Dames ; celui du premier Logogryphe
, Combinaifon ; celui de la feconde.
Enigme , Commiffaire , & celui du fecond.
Logogryphe , vaiffeau , dans lequel on
trouve Eau , vis , veffe , vive , Yves , Afie ,
vie , & Sufe.
JANVIER. 1756 . 69
ENIGM E.
Rien n'eft égal à moi fous la voute des cieux;
L'on m'admire partout , mais pourras- tu bien
croire
Que mon deftin brillant puiffe être plein d'horreurs.
Apprens donc , cher Lecteur , que de cruels malheurs
Me conduifent toujours à ce faîte de gloire ,
Pouffés par l'intérêt , les avides humains
Courent pour me trouver dans des climats lointains
,
Malgré le fimple habit dont la fage nature
Semble m'avoir couvert pour tromper ces tyrans ,
Je ne puis échapper à leurs yeux pénétrans`,
Me trouver eft pour eux une heureuſe avan
ture.
T
On les voit , animés d'un plaifir fans égal,
M'arracher fans pitié de mon païs natal ,
Et forcer mes pareils , & comble d'infortunes !
A m'ôter mon habit , à me charger de coups ,
Dont la marque à jamais paroît aux yeux de tous.
Alors je fuis chéri des blondes & des brunes ,
Par mon mérite ſeul ſur le trône placé ,
Des Rois les plus puiffans j'orne la majefté.
Du tems qui détruit tout , je crains peu les outrages
,
70 MERCURE DE FRANCE .
Efclave fans retour , dans ma captivité
Si je joins mes attraits à ceux de la beauté ,
Je lui fais dans les coeurs caufer mille ravages ,
Si l'on ne me plaint pas , Lecteur , apprends
pourquoi , L
C'est que dans l'univers, rien n'eft plus dur que
moi.
Par Mademoiselle Gouin , de Rouen.
LOGOGRYPHE.
J.'Ai différens emplois ;
On me fait fervir à la
guerre ,
avec dédain
Soit par mer , foit par terre
Pour venger le courroux des Rois.
Tu me vois avec moins d'allarmes,
Décorer l'homme & relever les armes ;
Mais quittant les honneurs , je fuis
Travaillé par un vil humain.
Avec fept pieds on me compoſe ,
Si de l'un à l'autre on tranfpofe ,
On trouvera d'abord un mortel couronné ,
De Courtisans environné :
Une, ville en Héros féconde ,
Ce qui porte un vaiffeau de l'un à l'autre monde
Deux Saints fort connus ,à Paris , l
Un mot d'Eglife, un métal de grand prix ,
JANVIER. 1756. 71
Un terme négatif , deux notes de mufique ,
Le nom d'un habitant d'Afrique ,
Le préfent incivil d'un eftomac glouton ,
Un jeu la moitié d'un tricon ,
D'an livre entier une partie ,
La fin & l'agrément des vers ,
Un air chanté dans les concerts ,
La Nymphe en vache convertie ,
Un des fept péchés capitaux ,
Une plante qui très -fort pique ,
Une étoffe de foye , une Cour Papiſtique ,
Un animal , qui ronge les manteaux
Ce que tu dois faire à la chaffe
Si tu veux remplir ta beface :
Admire mon dernier effort ,
Tu me vois rire en t'annonçant la mort,
12
Par D. P. S.
J
I
Nous allons placer ici la chanfon alternativement
chantée par un payfan des
Vofges , & par un Citoyen de Nancy ,
à l'occafion de la Statue élevée dans la
Place Royale de Nancy , le 29 Novembre
1755. Pouvons-nous, en donner une
meilleure & fur un plus beau fujet ? Son
mérite particulier nous fait paffer pardeffus
fa longueur. Un ouvrage est toujours
court quand il eft intérellant. Les
paroles font fur l'air du Devin de village
ci de la fimple nature.
72 MERCURE DE FRANCE.
CHANSON EN
DIALOGUE.
A
Le Paysan.
H voici bian d'une autre affaire .
Et j'allons voir un biau fracas ;
Il n'eft , ma foi , rien für la terre
A comparer à STANISLAS ;
Aufli l'on s'écrie ,
D'une ame ravie ,
Dès qu'on en parle , ou qu'on le voit
C'eſt un grand Roi , c'eſt un bon Roi !
Le
Citoyen .
Eft-il un feul trait dans l'Hiftoire
Semblable à cet événement !
Un Roi confacre la mémoire
D'un autre Roi de fon vivant :
Dans fa capitale ,
Lui-même il l'inſtale ,
Sur l'airain il grave la foi ,
Qu'on doit au Roi , qu'on doit au Roi.
Le
Paysan.
Palfangué , le joli vacarme !
Quand monté fur un biau cheval ,
En habit d'or le zéro d'arme
Entonnera le chant Royal !
Déja
JANVIER . 1756. 73
Déja l'on s'écrie ,
D'une ame ravie ,
Vive le Roi , vive le Roi ,
Vive le Roi , vive le Roi !
Le Citoyen.
On bat aux champs , le Roi s'avance :
La joie eft peinte fur fon front ;
Tout s'embellit par la préfence ,
Et tout retentit de fon nom ;
La France attendrie ,
L'Europe ravie ,
Le monde entier dit comme moi :
C'eſt un grand Roi , c'eſt un bon Roi.
Le Paysan.
J'aimons d'entendre la fanfare
De la trompette & du tambour ,
Moufquets , canons , qual tintamare !
Allons , crions à notre tour ,
D'une ame ravie ,
D'une ame attendrie ,
Vive le Roi , vive le Roi !
"
Oh le grand Roi ! oh le bon Roi !
Le Citoyen.
Au nom de l'heureuſe Auftrafie ,
Nos Magiftrats vont dignement
Faire au pere de la Patrie
Un folemnel remerciment
II.Vol. D
74
MERCURE DE FRANCE.
D'une ame ravie ,
Comme eux l'on s'écrie ,
Qu'il eft doux de fuivre la loi
De ce grand Roi , de ce bon Roi !
Le Paysan.
Par refpect tous nos gens de guerre
Baiffont devant lui leurs drapiaux ,
Et nous , ne fçachant comment faire ,
Je jettons en l'air nos chapiaux ;
D'une ame ravie ,
D'une ame attendrie ,
Tout chacun crie ainfi
que
Vive le Roi , vive le Roi !
moi ;
Le Citoyen.
(1) De notre docte Académie ,
Je vois l'un & l'autre Orateur ,
Avec une grace infinie ,
Plaire à l'efprit , parler au coeur ,
Auffi l'on s'écrie
D'une ame ravie ,
( 1 ) M. le Comte de Breffey , Meftre de Camp de
Cavalerie , ancien Capitaine des Gardes du Corps,
Directeur actuel de la Société Royale de Nanci ,
harangua le Roi au nom de la Compagnie.
M. le Comte de Treffan , Lieutenant Général
des Armées du Roi , prononça le Diſcours relatif
à la folemnité de la Dédicace . Ce Diſcours eft im
primé dans le Mercure précédent .
JANVIER. 1756. 75
Tous enſemble , & tous d'une voix,
Ainfi l'on doit parler aux Rois !
Le Paysan.
Que notre Gendre a bonne mine ,
Sur fon pié d'étal tout mâbré :
Du haut de fa gloire il domine
Où fon biau pere eſt adoré ;
Auffi l'on s'écrie
D'une ame ravie ,
En bon Lorrains , en vieux Gaulois ,'
Vivent nos Rois , vivent nos Loir !
Le Citoyen.
Quelle touchante fymphonie !
J'entens les vieillards , les enfans ,
Joindre leurs voeux à l'harmonie
Des plus beaux fons , des plus doux chants ;
Leur ame ravie ,
Leur ame attendrie
Chante les plus chéris des Rois ,
Tous d'une voix , tous d'une voix.
Le Payfan.
L'allégreffe feroit parfaite ,
Si les deux Rois étion préfan ,
Ne pouvant être de la fête ,
LOUIS envoy fon Régiman ;
Auffi l'on s'écrie ,
D'une ame ravie ,
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Tout comme aux champs de Fontenoi ,
Vive le Roi , vive le Roi !
Le Citoyen.
Pour faire aimer dans tous les âges ,
Le doux empire des Titus ,
En bronze on grave leurs images ,
Leurs noms , leurs bienfaits , leurs vertus ;
C'eft fur ce modèle ,
Qu'aujourd'hui le zèle
Grave les traits de notre Roi ,
De ce grand Roi , de ce bon Roi.
Le Paysan.
Sur un biau tiatre en dorures ,
J'ons vu des Dames , des Monfieux ;
Qui danfiont comme des peintures ,
Qui difcouriont , on ne peut mieux ;
D'une ame ravie ,
D'une ame attendrie ,
Tretous difiont de notre Roi ,
C'est un grand Roi , c'eſt un bon Roi ,
Le Citoyen.
Il retrace le caractere
De tous nos Princes bienfaifans ;
La Patrie en lui trouve un pere ,
Tous les fujets font fes enfans :
Auffi l'on s'écrie ,
D'une ame attendrie ,
JANVIER. 1756. 77
Qu'un peuple est heureux fous la loi
D'un fi bon Roi , d'un fi bon Roi !
Le Paysan.
Morgué , c'eft un grand politique ,
Je fons heureux , il eſt content :
Pour cela voici fa rubrique ,
Il a nos coeurs , j'ons fon argent ;
Auffi chacun crie ,
D'une ame ravie ,
Que béni foit notre bon Roi !
C'eft un vrai Roi , c'eſt ´un vrai Roi
Le Citoyen.
(1 )Faut-il parler , faut-il écrire
Faut-il converfer finement .?
Tout ce qui vient de lui refpire
L'efprit , le gout , le fentiment ;
Auffi Pon s'écrie ,
D'un ame ravie ,
Qu'il penfe en fage , & parle en Roi !
L'habile Roi , l'aimable Roi !
Le Paysan.
J'avons compté ( chofe incroyable )
( z ) J'avons compté cent bâtimens ,
(1) Voyez la voix libre du Citoyen , le Difcours
d'un anonyme à la Société Royale de Nancy , la Réfutation
du Citoyen de Genève , c.
(2) Il y a ici une erreur de calcul dans le comp.
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
Très-vaftes , d'un gout admirable ,
Finis & payés dans trois ans ;
Auffi l'on s'écrie ,
Eft- ce par magie ,
Que l'on voit tout ce que l'on voit ?
Le riche Roi , qu'un ſage Roi !
Le Citoyen.
1
(1 ) C'est lui , qui de ces édifices ,
Fit les defleins , traça les plans ;
Ce n'est que d'après les efquiffes ,
Qu'on vit éclorre les talens :
Auffi l'on s'écrie ,
Quoi ! juſqu'au génie ,
Jufqu'aux Arts il donne la loi ?
C'eft plus qu'un Roi , c'est plus qu'un Roi.
Le Payfan.
Jarni , l'on dit qu'il eft Chimiste ,
( 2 ) Tout ce qu'il fait eft furprenant ,
te du Payfan , car on ne compte que quatre-vinge
dix-neuf Edifices nouvellement conftruits par le
Roi , même en y comprenant les deux nouvelles
Portes de la Ville , les deux Arcs de triomphe &
les Bâtimens pour loger tous les Officiers de la
Garniſon.
(1 ) C'eft le Roi de Pologne qui conçut l'idée
& donna de fa main l'Efquiffe du Kiofque & du
Treffle de Luneville , du Château & du Sallon de
Chanteux , du Pavillon Royal & du Pont de Commercy.
(2) Voyez le Rocher organique & hydrauliJANVIER.
1756. 79
Qu'avec l'Artifte il eft Artiste ,
Qu'il boute à quia le Sçavant ;
Auffi fans envie ,
Chacun d'eux s'écrie ,
Certe , il en fçait plus long que moi !
En tout , ma foi , c'eſt un grand Roi !
Le Citoyen.
Mais quel éclat ! mille fufées
Changent la nuit en un beau jour !
En foleils , en pluie , en trophées ,
Des feux renaiffent tour à tour ;
Auffi l'on s'écrie ,
D'une ame ravie ,
Tout brille au gré de notre Roi ,
De ce grand Roi , de ce bon Roi!
Le
Paysan.
Pargoy , j'ons fait bonne jornée ,
Sans travailler , j'ons de l'argent ;
Ils le jetiont à la poignée ;
J'ons attrapé dix écus blan ,
Çà , chantons victoire ,
Voici de quoi boire :
Buvons à la fanté du Roi ,
De ce grand Roi , de ce bon Roi.
que de Luneville , le Bateau de nouvelle conftruction
, qui par le moyen du feu remonte les Rivieres
, les diverfes machines pour varier la chute des
eaux & faciliter l'élévation des poids.
Div
To
MERCURE DE FRANCE
Le
Citoyen.
Que l'arbitre des deſtinées ,
Veille fur fes précieux jours !
Et qu'aux dépens de nos années ,
Il en prolonge l'heureux cours !
D'une ame ravie ,
Que long- tems on crie ,
Dans la Lorraine & le Barrois ,
Vivent nos Rois , vivent nos Rois !
Le Paysan.
Vive la France & la Lorraine !
Vive LOUIS plus de cent ans !
Vive la chere & digne Reyne !
Ses enfans & petits enfans !
Le
Citoyen.
D'une ame attendrie , "
Le Paysan.
D'une ame ravie ,
Le
Citoyen.
Chantons ,
Le Paysan.
Crions ,
Les deux
enfemble.
Tous à la fois ,
Vivent nos Rois , vivent nos Rois ↓
JANVIER. 1756.` sSI
VERS
DE M.... A MADAME DE ***
En lui envoyant des lacets de
Conftantinople.
JEE reviens du Sérail , adorable Daphné ,
Et filou téméraire ou galant fortuné ,
Que ce foit adrefle ou mérite ,
Je rapporte ce beau lacet ,
Jadis P'ornement du corfet
De la Sultane favorite.
Il fe vante d'avoir ferré
Le plus beau corfage du monde.
Qu'il vous ferve , & je l'avouerai ,
Sa premiere gloire , à mon gré ,
N'aura pas valu la feconde .
Avis de l'Auteur du Mercure.
Nous prions l'Auteur qui nous a envoyé
un Enigme qui commence par ces.
deux vers
Je fuis , ami Lecteur , un être original ,
Je fais le bien , jamais le mal , &c.
de nous en faire parvenir le mot qu'il a
oublié. Si nous le recevons
promptement ,
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
nous lui promettons de la mettre dans le prochain
Mercure . Plufieurs tombent dans cette
omiffion , & nous obligent par-là de les
laiffer dans l'oubli . D'autres nous adreffent
des vers qui ont feize ou dix-fept pieds ,
quoique les plus longs n'en doivent avoir
que douze ou treize , quand la derniere
fyllabe eft féminine . Ils font même les plus
empreffés à voir paroître leurs productions.
Mais nous les fupplions d'y employer
moins d'étoffe , ou de ne trouver pas mauvais
qu'elles foient mifes au rebut . Quelques-
uns portent la licence plus loin ; ils
nous envoient des vers , qu'ils appellent
libres. En effet ils le font au point , foit
pour le fonds , foit pour la forme , qu'on
ne peut les lire. Comme ils bleffent l'honnêteté
la rime & la raiſon , nous
que
autant
fommes doublement autorisés à les priver
du jour. Le Mercure de France eft un Mercure
chafte ; ou s'il lui eft encore permis
d'être galant , ce n'eft qu'avec la plus exacte
décence.
JANVIER . 1756.
83
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE
DE M. DE M... A M. DE S...
Au fujet des Ecrits Anglois fur les limites de
l'Amérique.
JEE me donnerai bien de garde , Monfieur
, de répondre à l'Ecrit annoncé dans
la Gazette d'Utrecht du 4 de ce mois , &
rapporté dans celle de Cologne du 28 du
mois dernier ; il n'eft qu'un tiffu de faits
démentis par les Auteurs mêmes dont
'on veut l'autorifer. Il faut être bien aveugle
ou bien hardi pour traiter la difcuffion
préfente , apès la publication des Mémoires
des Commiffaires du Roi , & de ceux
de S. M. Britannique , fur les poffeffions &
les droits refpectifs des deux Couronnes , en
Amérique , &c. Ces Mémoires confacrent
à jamais à la postérité les prétentions des
deux Puiffances. C'eft dans cet ouvrage
que M. le Marquis de la Galiſſoniere & M.
de Silhouette , pour la France , MM . W.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
}
Shirley & W. Mildmay , pour l'Angleterre,
chargés d'établir les titres réciproques,
ont traite & difcuté la matiere ; elle y eft
tellement éclaircie , que tout Lecteur impartial
pourra juger lá queftion . Ce n'eſt
point ici de ces Ecrits anonymes où l'on
peut hazarder impunément les faits les
plus faux , comme dans la plupart des
Ouvrages que l'on voit éclorre tous les jours.
à Londres , dictés par la paffion & par
l'infidélité ; mais fi les reifources de la
calomnie font inépuifables , celles de la
vérité ne le font pas moins . Rien ne feroit
plus aifé que de réfuter ces Ecrits : il faudroit
entrer pour cela dans une difcuffion
trop longue ; il ne fuffira feulement de
vous citer , Monfieur , une de ces Brochures
, qui a pour titre the Conduct ofˆ
French, &c. Conduite des François par rapport
à la Nouvelle Ecoffe , &c. L'Auteur ,
fans égard pour la vérité , y avance des
faits démontrés faux , & y débite les injures
les plus groffiéres : on vient d'en donner
une traduction , avec des notes où l'on
détruit les paralogifmes de l'Ecrivain Anglois
, & fes faulles affertions. Ces notes.
puifées dans l'Ouvrage même de MM . de
la Galiffoniere & de Silhouette , font un
corps complet de Titres & de Faits plus
forts les uns que les autres, qui fixent & déJANVIER
. 1756. 8.5
terminent les véritables & anciennes Limites
de l'Acadie , telles qu'elles ont été entendues
par le Traité d'Utrecht. C'est à ces autorités
refpectables qu'il faut répondre . Les
Anglois n'ont pu y oppofer que des faits
altérés , des titres fallifiés ou fans autorité
, & des conceffions abufives. N'eſt-il
pas fingulier , Monfieur , qu'ils fe croyent
en droit de fe dire les Maîtres d'un Pays ,
parce qu'il a plu à un de leurs Rois , de le
donner à un Particulier de leur Nation
fans s'embarraffer du véritable propiétaire
? Ne voudroient- ils pas quelque jour
réaliſer le titre chimérique de Roi de France
, que leur Monarque s'obftine à
prendre ? Je ne fuis point furpris que
quelques plumes paffionnées fe livrent
aux excès les plus condamnables , pour
foutenir le fyftême Anglois , mais je ne
conçois pas qu'il'fe trouve des Journaliſtes
affez peu jaloux de la confiance & de
l'eftime du Public , pour inférer dans leurs
Ouvrages ces écrits capables de les leur
faire perdre. L'aigreur qui y régne , la
groffiereté de leurs injures doit mettre
en garde contre ce qu'ils y avancent. Ce
n'eft pas fur des productions qui ne font
avouées de perfonne , & qui ne peuvent
l'être , que l'on peut juger des différends:
de l'une & de l'autre Nation ; il faut inter86
MERCURE DE FRANCE.
roger les Traités , examiner les conventions
, n'en point altérer le fens , ni tronquer
les paffages , & juger cette caufe de
deux grandes Puiffances , comme on jugeroit
celle de deux Particuliers au tribunal
de la Juftice. Il ne faut avoir aucune
idée de la bonne - foi , ou convenir qu'elle
eft ouvertement violée aujourd'hui dans
ces écrits. L'injuftice des prétentions qu'on
y foutient , les moyens qu'on y emploie
pour les appuyer , font entièrement détruits
& prévus dans les Mémoires des
Commiffaires François . Je ne vous parlerai
point de l'étrange conduite du Gouvernement
Anglois depuis dix huit mois ;
c'est un tableau effrayant pour l'humanité ,
de préfenter une Nation eftimable à tant
d'égards , oubliant fes vertus , violantˆ à
la fois la paix , le droit des gens & celui
de la guerre ; les faits feuls dépofent à l'univers
ce que j'avance ici . Puiffe la modération
de l'augufte Monarque qui nous
gouverne , faire ouvrir les yeux à cette
fiere Nation , & diffiper cet efprit de vertige
& d'iniquité , qui femble être l'ame
de fes Confeils & de fes réfolutions , &
faire renaître dans tous les coeurs la voix
de la juftice , étouffée depuis quelque
temps par des motifs particuliers , qui
doivent difparoître aujourd'hui dans cette
JANVIER. 1756. 87
illuftre Affemblée qui va décider de la
paix ou de la guerre !
*
J'ai l'honneur d'être , & c.
Le 9 Novembre 1755.
DE M ...
EXTRAIT du Difcours prononcé devant
MM. les Docteurs- Régens de la Faculté
de Médecine en l'Univerfité de Paris,
par M. Dienert , Docteur- Regent de la
même Faculté , touchant une liqueur fondante
, en l'Aſſemblée tenue le 4 Novembre
1755. aux Ecoles de Médecine pour le
primâ menfis.
CEtte Ette liqueur fondante eft plus efficace
que tout autre médicament , contre les
maladies qui dépendent du vice de la
lymphe ; les obftructions du bas -ventre ;
les dartres & autres affections de la peau ;
les pâles couleurs ; les tumeurs dures , certaines
cataractes , & même les maladies
qui dépendent du virus vénérien ou du
vice écrouelleux .
La découverte furprend les Sçavans 5
parce que la liqueur eft une diffolution
d'un demi- métal connu & très - ulité par
le moyen de quelque fubftance tirée des
plantes ; ce qui eft plus ami de l'homme
que les autres préparations qu'on avoit
SS MERCURE DE FRANCE.
pu faire. La liqueur eft très - douce dans fon
opération , tant intérieurement qu'extérieurement
; car on l'emploie & par la bouche,
& en topique , quand le cas le requiert.
TRAITÉ des Maladies de l'Urétre , contenant
l'origine , le progrès , la guériſon
radicale des carnofités , callofités , retentions
d'urine , & la compofition des bougies
de toute efpece , par M. Alliés
expert Lithotomifte , reçu à S. Côme. A
Paris , chez Defprez, Imprimeur ordinaire
du Roi , rue S. Jacques , à S. Profper
1755.
Mélanges de maximes , de réflexions &
de caracteres , par M. DD ... licencié en
droit. On y a joint une traduction des
Conclufioni d'Amore , de Scipion Maffey ,
avec le texte à côté . A Bruxelles; & fe vend
A Paris chez Hochereau l'aîné , quai de
Conti , à la defcente du Pont Neuf; Lambert
, rue de la Comédie Françoiſe , &
Duchefne , rue S. Jacques , 1755 .
Nous rendrons compte de cet ouvrage
le plutôt qu'il nous fera poffible .
CONSEILS pour former une Bibliothéque
peu nombreuſe , mais choifie , nouvelle
édition corrigée & augmentée , ` fuivie de
JANVIER. 1756. 8-
l'introduction générale à l'étude des Sciences
& Belles- Lettres , par M. de la Martiniere.
A Berlin , chez Haude & Spener ,
1755 ; & fe trouve à Paris , chez Briaffon,
rue S. Jacques .
L'Avis de l'Editeur nous apprend que
ce livre eft de M. Formey , fecretaire
perpétuel de l'Académie Royale de Pruffe.
Nous dirons comme lui que fon nom feul
annonce le goût & le fcavoir. M. Formey
, dans un avertiſſement qui fuit cer
avis , nous donne lui - même fuccinctement
une idée du plan de fon ouvrage ,
en nous déclarant qu'il n'a voulu mplement
qu'indiquer les meilleurs livres
d'un ufage à peu près univerfel , qui
peuvent entrer dans un cabinet , &
qu'il laiffe aux bibliothécaires le foin de
dreffer des bibliothèques .
DE LA CANONISATION DES SAINTS
Difcours tiré des ouvrages de N. S. P. le
Pape Benoît XIV . A Avignon , chez Giroud,
Imprimeur de Sa Sainteté , & fe trouve à
Paris , chez Briaffon , rue S. Jacques.
HISTOIRE DE M. CONSTANCE , premier
Miniftre du Roi de Siam , par M. Deflandes
, ancien Commiffaire général de la
Marine. Tolluntur in altum , ut lapfu gra90
MERCURE DE FRANCE.
viore ruamt. Claud. in Rufi. A Amfterdam,
& fe trouve à Paris , chez Duchesne , rue
S. Jacques , 1756.
On peut compter fur la fidélité de cette
Hiftoire. M. Deflandes , dont la droiture
eft auffi connue que le mérite littéraire ,
l'a compofée , comme il nous l'apprend ,
fur les Mémoires de M. le Chevalier Martin
, Gouverneur de Pondicheri , & Directeur
général de la Compagnie des Indes
Orientales. Ce dernier a vu de près la Révolution
arrivée à Siam ; il a connu tous
ceux qui y ont eu part . M. Deflandes , qui
a ces Mémoires entre les mains , nous affure
qu'ils font auffi vrais qu'ils font curieux
, & que l'Auteur étoit incapable
d'employer la fiction ; mais ce qui donne
à cette Hiftoire un degré de vérité de plus,
c'eft qu'elle a pour folide fondement plufieurs
Lettres & Mémoires de M. Deflandes,
pere de l'Auteur , qui avoit demeuré à
Siam dans une étroite liaifon avec M.
Conftance , & qui voyant fa conduite peu
mefurée , aima mieux le quitter & s'en
aller à Surate . Il avoit épousé la fille de
M. le Chevalier Martin , & la même probité
, le même défintéreffement uniffoient
le beau-pere & le gendre. Voilà les fources
où l'Auteur a puifé les traits de la vie
de M. Conftance ; fources pures , & qui
méritent la croyance du Public .
JANVIER. 1756. 91
POESIES del Signor Abate Pietro Metaftafio.
Cette édition contient toutes les
OEuvres de M. l'Abbé Meraftaze. Elle eft
faite avec autant de foin que d'élégance ,
& nous la devons à M. de Calfabigi , qui
l'a dédiée à Madame de Pompadour. Son
Epître eft en Vers Italiens : elle eſt ſuivie
d'une lettre de remerciement de M. l'Abbé
Metaftaze à fon Editeur , & d'une Differtation
de M. de Calfabigi fur les Ouvrages
Dramatiques de ce Poëte célebre. Ces
Euvres font en neuf volumes , & fe vendent
chez la veuve Quillan , rue Galande ,
chez Tillard , quai des Auguftins , & chez
M. de Calf.bigi , rue de Richelieu .
EXPLICATION PHYSIQUE des
fens , des idées , & des mouvemens tant
volontaires qu'involontaires , traduite de
l'Anglois de M. Harley , M. A. par M.
l'abbé Jurain , Proffeffeur de Mathématiques
à Reims , correfpondant de l'Académie
des Sciences ; deux volumes. A Reims,
chez de Laiftre Godet, Libraire, à Saint Hubert
& Saint Ignace , rue de l'Ecreviffe ,
1755.
EXTRAIT de la premiere partie du
traité de l'Art de la Guerre , de M.le Maréchal
de Puifégur , avec des obfervations &
2 MERCURE DE FRANCE.
des réflexions traitées en abrégé , premiere
partie. Ellai fur divers principes de l'ast
de la Guerre en partie extrait des commentaires
de M. de Folard , fur Polybe , &
de différens Auteurs , feconde partie , par
M. le Baron de Traverfe , Chevalier de
l'Ordre Royal & Militaire de S. Louis ,
Capitaine au Régiment des Gardes Suiffes,
& Brigadier des armées du Roi. A Bafle
chez Emanuel Tourneifen , 1755 ; & fe
trouve à Paris, chez Briaffon, rue S.Jacques .
ETRENNES aux Dames pour l'année
1756 , tomes troifiéme & quatrième , dans
lefquels on continue Abdeker ou l'Art de
conferver la Beauté, l'an de l'Hegyre 1170 .
Ces deux volumes fe trouvent chez Ganeau.
Il y a deux ans que les deux premiers
ont été annoncés dans le Mercure , & reçus
favorablement du Public. Nous fouhaitons
à ceux- ci la même fortune.
A propos d'Almanachs , nous devons
avertir ici que dans celui des Beaux Arts
ou de la France Littéraire , on attribue fauffement
à M. de Boiffy les Filles Femmes ,
conte qui n'en eft pas un , & les quinze
Minutes. Il n'a jamais travaillé dans ce
genre licencieux , & rougiroit même d'y
réuffit . On ne doit mettre fur le compte des
Auteurs. que les Ouvrages qu'ils avouent
JANVIER. 1756. 93
eux-mêmes . Nous prions l'Approbateur de
cet Almanach d'y faire attention une autre
année.
ESSAI fur la génération de la chaleur
dans les animaux , traduit de l'Anglois de
Robert Douglas , Docteur en Médecine .
A Paris , chez Pranlt pere , quai de Gêvres,
au Paradis , 1755 .
NOUVEAUX Dialogues des Morts , fe
trouvent chez Durand, rue du Foin, 1755 .
Ils font précédés d'une Epître à M. Touffaint
, & d'une Préface aux petits Maîtres
& aux Précieufes.
L'OBSERVATEUR Hollandois continue
fes Feuilles avec fuccès. La fixiéme a furtout
beaucoup réuffi ; le ton en paroît
d'autant meilleur , que la force eſt dans
les raifons, & non pas dans les expreffions
qui font très- ménagées.
TCHAO-CHI- COU- EULH , ou l'Orphelin
de la maison de Tchao , Tragédie Chinoife,
traduite par le R. P. de Prémare , Miffionaire
de la Chine ; avec des éclairciffemens
fur le Théâtre Chinois , & fur l'Hiftoire
véritable de l'Orphelin de Tchao ,
dédiée à Mme D* H*** , par M. Sorel des
94 MERCURE DE FRANCE.
Flottes. A Pekin 1755 , & fe trouve à
Paris , chez Duchefne , rue S. Jacques.
PLAN général des Traités de Mathématiques
les plus relatifs à la navigation ,
qui feront enfeignés par le P. Chardin ,
Jéfuite , de l'Académie Royale des Belles-
Lettres de Caën , & Profeffeur de l'Ecole
Royale d'Hydrographie & de Mathémati
ques de la ville de Nantes , avec l'ordre
qu'il fuivra en les enfeignant pendant les
années 1756 & fuivantes. A Nantes , de
l'Imprimerie de Jofeph Vatar , Imprimeur
du Roi , 1755.
-
ON fe plaint de la multiplicité des méthodes
nouvelles . Eft- ce qu'il ne manqueroit
rien aux anciennes , & celles- là même
n'ont elles pas été nouvelles dans leur
tems , eu égard à celles qui les ont précédées
? Que l'on foit en garde contre les
nouveautés , c'eſt- à- dire contre tout ce qui
eft abfolument oppofé aux pratiques ordinaires
dont on s'eft bien trouvé jufqu'à
préfent , à la bonne heure. Souvent une
chofe nouvelle ne l'eft que comme nouvellement
donnée , ou fous une meilleure
forme ; mais que l'on rejette fur ce feul
énoncé des plans rectifiés, augmentés , plus
Autendes , fimples , faciles , y a-t'il en
JANVIER. 1756. 95
cela ombre de raifon & de juftice ? Les arts
& les fciences ne s'accroiffent & ne fe
perfectionnent que par cette voie , à force
de critique , de combinaiſons & de vues
nouvelles.
Les Philofophes , les Mathématiciens
& prefque tous les Artiftes ne donnentils
pas des théories ou neuves , ou nouvelles
, des ſyſtèmes ,des effais , des hypothèſes
?
Pourquoi les Grammairiens , les Poëtes
, les Rhétoriciens , & tous autres Maîtres
d'Hiftoire , de Géographie , &c. n'auroient
- ils pas le même privilége ? n'au
roit-on pas pu dire aux Lock , Montagne,
S. Ciran , Le Vayer , Boffuet , Fénelon ,
Fleuri , Buffier , Rollin , Girard , Lenglet ,
Dumas , Pluche , Du Marfais , & autres
illuftres Méthodistes , que leurs ouvrages
n'étoient point néceffaires , & qu'avant
eux on fçavoit bien enſeigner , & faire des
fçavans ? Si cet argument étoit valable ,
on fent bien quelles conféquences il auroit
, tant pour le paffé que pour l'avenir ,
& qu'il n'eft au fonds qu'un paralogifme
& le feul effet de l'habitude & du préjugé.
Rien ne pourroit être plas nuifible à tout
progrès fucceffif & poffible.
Que l'on n'innove point en matiere de
religion , de politique & de loix fonda6
MERCURE DE FRANCE.
mentales , quant à ce qui conftitue leur
effence , & , fi l'on veut même , la forme de
leur expofition ; ce font des chofes facrées
& délicates auxquelles il doit être
défendu de toucher ; mais que fur tout
autre fujet , des additions , des machines
deftinées à faciliter l'éducation de la jeuneffe
, loin de prévenir perfonne contre
leur titre de nouveauté , foient au contraire
permiſes , & même agréées par cet
endroit là-même , fans préjudice de l'examen
rigoureux & de toute épreuve.
Pourquoi décourager ceux qui cherchent
& qui travaillent pour la fociété. Il y a
des Charlatans , des plagiaires , de pauvres
compilateurs , des chiffonniers , n'importe
, difcutez toujours , défiez - vous ,
mais ne condamnez rien indiftinctement.
C'est pourtant ce que l'on a fait , entre
autres au fujet de la Typographie de feu
Monfieur Dumas , & d'autres méthodes ,
non moins eftimées , dont les Auteurs ont
eu la modeftie de ne fe point faire connoitre
, non pour ſe fouftraire à la cenfure
& à l'envie , mais dans la vue d'une
plus grande liberté , à tous égards , d'écarter
tout foupçon d'intérêt & de vanité , &
de livrer enfin leurs ouvrages à leur bonne
ou mauvaiſe fortune.
Je ne fuis point en peine de fçavoir
fi
JANVIER. 1756. 97
A tôt ou tard on parviendra à mettre du
Latin , du Grec , des Vers , de la Rhétorique
, de l'Hiftoire , de la Géographie, & c.
dans la tête des enfans , mais comment
& en combien de tems on trouvera le
moyen de leur faire aimer fincérement
toutes ces chofes , parce qu'on aura fçu les
leur rendre familieres & agréables : car
en vérité la vie n'eft pas affez longue pour
en paffer toujours par les anciennes inftitutions
. Quoi ! trois ou quatre années pour
apprendre à lire ; autant & plus pour le
Latin , & puis cinq ou fix ans pour le
cours des grandes études , ou plutôt pour
fe mettre en état de les commencer par
foi-même ! N'y a -t'il donc pas des moyens
pour abréger fans y rien perdre ?
On a déja invité le public à voir une
école où fe trouve un affez grand nombre
d'élémens recueillis dans cette vue
& particuliérement les méthodes du fieur
Mahaux pour l'Hiftoire , la Géographie
les Généalogies , le Blafon , l'Hiftoire naturelle
, &c. dont le fuccès prouve l'utilité
, & donne à fon Auteur la hardieffe de
renouveller fes inftances à cet égard. Il
en eft de même des exercices que le fieur
Viard fait faire à fes Eleves fur la poéfie
Latine & Françoiſe , l'Eloquence & les Inf
tituts du Droit François & Romain. Ces
11. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
>
deux Maîtres affociés demeurent rue de
Seine , Fauxbourg S. Victor ; & leur maifon
a pour titre Académie des Enfans
digne objet de la curiofité des pères &
meres intéreffés à s'affurer de la vérité de
cet expofé. Il vient de paroître un fecond
Profpectus raifonné de cet établiffement ,
qui a été bien reçu , & qui fait connoître
le véritable efprit dont ces deux Maîtres
font animés .
On croit auffi devoir rappeller au public
le fouvenir d'un ouvrage intitulé Epőques
élémentaires
principales
d'Hiftoire univerfelle
, fuivant la Chronologie
vulgaire ,
par le fieur Mahaux , annoncée avec éloge
l'an paffé par tous les Journaux
périodiques.
Il n'y a rien de plus fimple , de plus
facile , & de plus expéditif que cet ouvra,
ge pour l'inftruction
des enfans .
On le trouve chez l'Auteur & chez les
Libraites Piffor , quai de Conty , & Lambert
, rue de la Comédie Françoife. On
doit remarquer furtout que le mérite
de cet ouvrage confifte à être en trois
grandes feuilles , formant chacune un ' tableau
, dont l'oeil faifit continuellement
l'enfemble & le rapport de toutes les
parties. Si on le met en livre , ce ne doit
être que pour le rendre portatif , & s'en
faire ce qu'on appelle an dade mecum. On
ག
JANVIER. 1756. 99
en trouvera de cette maniere , mais en petite
quantité,aux endroits ci-deffus indiqués.
LES AMOURS du Bon vieux temps : On
n'aime plus comme on aimoit jadis . A Vauclufe
& à Paris , chez Ducheſne , rue faint
Jacques , 17:56 , avec une très jolie gra
vure qui eft enchâllée dans le titre.
Cette Brochure contient deux Romances,
ou deux Fabliaux , compofés dutemps de
Saint Louis . L'avis du Libraire nous apprend
que le premier qui a déja paru dans
leMercure, obtint alors des fuffrages diftingués.
Nous croyons qu'il les a mérités par
la naïveté charmante qui le caracteriſe , &
qui peint fi bien nos moeurs anciennes. Ce
Fabliau eft mêlé de Vers & de Profe . Les
Vers mis en Mufique étoient chantés &
accompagnés par les Jongleurs. La Profe
a été mife en François intelligible , & l'on
a tâché de conferver la fimplicité ingénue
du Dialogue qui eft dans l'Original . La
feconde Romance qui a pour titre la Châtelaine
de Saint Giles , eft toute en Vers ;
elle nous paroît inférieure à celle de Daucaffin
& de Nicolette , mais elle a pour
le Lecteur l'avantage de la nouveauté, que
l'autre n'a pas.
NOUVEAU Dictionnaire Univerfel des
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
Arts & des Sciences , François , Latin &
Anglois , contenant la fignification des
mots de ces trois Langues , & des termes
propres de chaque état & profeffion , avec
l'explication de tout ce que renferment
les Arts & les Sciences , traduit de l'Anglois
de Thomas Dyche , 2. vol . in- 4° , à
Avignon , chez la veuve de Fr. Gerard ,
place S. Didier; & fe vend à Paris , chez
Guillyn, quai des Auguſtins , 1756.
NOUVEAUX Amuſemens Poétiques de
M. V. in- 12. prix 30. fols . A Amfterdam ,
& fe trouvent à Paris , chez Duchefne, rue
S. Jacques , 1756.
On lit après le titre , ce petit avis au
Lecteur.
L'entrepriſe de l'Auteur
Seroit plus que téméraire ,
S'il afpiroit à vous plaire
Dans ce préfent fi petit
Que fa mufe vient vous faire ;
Mais pour délaffer l'efprit ,
L'amufer & le diftraire ,
Il ne faut pas un Voltaire ,
Tout eft bon , un rien ſuffit.
Nous croyons l'Art d'amufer plus diffiJANVIER.
1756. 161
cile. Bien loin que tout foit bon , &
qu'un rien fuffife pour y réuffir , nous
fommes perfuadés qu'il y faut beaucoup
d'agrément , de fineffe & d'efprit. Nous
fouhaitons pour l'Auteur que fes Lecteurs
penfent comme lui , & qu'il en obtienne
toute la bienveillance que fa modeftie mérite.
ESSAI Phyfique fur l'heure des Mareés
dans la Mer Rouge , avec l'heure du paffades
Hébreux . A Cologne ; & fe vend a
Paris, chez Lambert , rue de la Comédie ,
au Parnaffe , 1755.
SUITE du Catalogue des Livres tant de
France que des Pays Etrangers qu'on trouve
chez Guillyn, quai des Auguftins, Bibliothéque
curieufe Hiftorique & critique
ou Catalogue raifonné de Livres difficiles
à trouver , par David Clement , in- 4° cinq
vol. on donnera le tome fixiéme inceffamment.
Bartholini ( Thoma ) Hiftoriarum
Anatomicarum Centuria , in- 8 ° . fig. Bartholini
(Thoma ) Epiftolarum Medicinalium
Centuria , s . vol. in- 8 ° . Beccheri ( Joan .
Joachimi ) Phyfica fubterranea , profundam
fubterraneorum genefim è principiis hucufque
ignoris oftendens . Accedit Georgii Ernefti Stahl
Specimen Becchertanumfundamentorum , de-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE .
S
cumentorum experimentorum , 1742. in-4;
Boehmeri ( Philippi- Adolphi) Obfervationum
Anatomicarum rariorum fafciculus , notabilia
circà uterum humanum continens , cum
figuris , 17:52 . in -fol. Boneti ( Theophili )
Polyalthes , five Thefaurus Medico-Practicus
Pathologiam veterem & novam exbibens.
in -fol. 3. vol. Boreli ( Joannis- Alphonfi ) de
motu animalium , &c . in-4° . figures. Boyle
( Roberti ) Phyfica , quæque extant opera ,
s vol. in- 4°. Camerarii ( Joachimi ) Symr
bolorum , ac Emblematum Ethico - politicorum
Centuria IV. &c. opus 400 figuris aneis adornatum
, in 8 ° . Conradii Gefneri Opera Betanica
, c. 1753. figures enluminées.
Canifii ( Henrici ) Thefaurus Monumentorum
Ecclefiafticorum & Hiftoricorum , ex editione
Jacobi Bafnage , 7 vol . in-fol, Cave (Guillelmi)
Scriptorum Ecclefiafticorum Hiftoria Littera
ria, nova editio , 1741. in fol. 2 vol . Cypriani
( Johannis ) Hiftoria animalium , & c. in-4°.
6 vol . Codex Diplomaticus , & c. 1543. in-
4°. Corps univerfel Diplomatique du droit
des Gens , &c. par Jean Dumont , 16 vol .
in fol. Supplément au corps Diplomatique,
continué jufqu'à préfent par Rouffet , &c.
10 vol . 1739. Négociations fecretes touchant
la paix de Munſter & d'Ofnabrug ,
depuis 1642. jufqu'en 1648 , &c. 4 vol.
in -fol. Hiftoire des Traités de paix , & au- 1
JAN VIE R. 1756. 103
tres négociations du dix - feptieme fiecle ,
depuis la paix de Vervins , jufqu'à celle
de Nimegue , par Jean-Yves de S. Preft ,
2 vol. in fol. Conradi ( Chriſtophori ) Sicelii,
alias Sikel , exercitationes cafuales Chimico-
Medice , & c. neuf parties in- 8 °. Cafaubonii
Epiflola , in -fol.
EXTRAIT de l'Etre penfant , annoncé
dans le premier volume de ce mois .
LE
སྩ མ
E Héros de ces Mémoires eft un
homme du monde , qui joue à peu près
le même rôle que le Comte D ... dans les
confeffions ; il ébauche rapidement plufieurs
intrigues volages , & finit par une
paflion véritable pour un objet digne
d'être aimé. Il déclare d'abord fon âge ;
il eft dans fa cinquantiéme année , & dit ,
qu'il quitte un monde qui commençoit à
l'ennuyer, & qu'il va dansfa retraite s'amuser
& rire à fes dépens , afin qu'il lui foit bon
encore à quelque chofe : il fait à ce deffein
un petit journal de fa vie. Je ne fuis
point méchant , ajoute- t'il ; mais on peut
me croire fingulier. Je penfe d'après le
fonds des chofes & non d'après l'opinion
des hommes.... Ma forte de philofophie
eft un mépris général des préjugés & des
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
ufages : un défaut me choque moins qu'un
préjugé. Pour mieux établir fon caractere
, notre Héros nous apprend que les
grands Seigneurs & les femmes , font les
premiers objets qu'il a foumis à fa raifon
, & qu'en vivant avec eux , il lès a
envifagés dans le point de vue jufte ,
pour jouir de ce qu'ils ont d'agréable ,
fans rifquer de s'avilir par une lâche fervitude
. Sa façon de penfer fur les femmes
n'étoit pas d'abord tout-à-fait décidée ;
quoiqu'il les fçût fauffes , légeres , faciles ,
il regardoit toujours intérieurement leur
défaite comme une faveur , & leur inconftance
comme une injure. Mais une
aventure qui lui arriva , eut bientôt perfectionné
fon efprit , & achevé fon caractere.
Il alloit dans une maison où il
vit une femme dont il fait un portrait
eftimable fous le nom d'Aminte . N'ayant
jamais été ni coquette ni galante , elle
avoit vécu dans la diffipation , parce que
la folitude n'eût convenu ni à fon état
ni à fon âge. N'attachant point de la vanité
à n'avoir plus un Amant , ne prétendant
à aucune confidération , voulant
mériter l'eftime & n'exigeant point le refpect
, n'étant point prude enfin , n'ayant
aucun faux air , aucun ridicule , & quoiqu'avec
beaucoup d'efprit , paroiffant
·
JANVIER. 1756. 105
prefque bonne femme. Un jour que notre
Héros faifoit avec elle une partie de
jeu , il fentit le pied d'Aminte s'appuyer
deux ou trois fois de fuite fur le fien , &
les yeux de la Dame paroiffoient être de
concert avec les pieds. Cette action imprévue
fit une fi forte impreffion fur lui , que
fon étonnement l'empêcha d'y répondre ;
qu'un violent battement de coeur fuccéda
à la furprife , & qu'il devint rêveur dès
qu'elle fut fortie ; il foupire & craint de
parler. Dans cette pofition délicate , pour
s'éclaircir s'il eft véritablement aimé , après
plufieurs autres traits marqués d'un feu
voilé qui perce dans Aminte , il lui écrit
fes doutes , & lui demande confeil en ces
termes : Tout malheureux que ma paffion
m'a rendu , je ne veux pas rifquer de déplaire
à Aminte . Si vous croyez qu'elle puiffe
s'offenfer , je fuis prêt à me condamner à
un éternelfilence. Confeillez - moi comme vous
voudriez confeiller un homme , qui feroit
avec vous dans le cas où je fuis avec elle.
Elle lui répond qu'Aminte a eu de l'amour
lui , pour mais que c'eſt un amour
de premier mouvement , qu'elle l'a combattu
dès qu'elle l'a connu , qu'il n'eft
facrifié qu'à la vertu ; mais qu'il l'eft vraifemblablement
fans retour ,. & que
meilleur confeil qu'elle puiffe lui donner ,
le:
Evic
106 MERCURE DE FRANCE.
1
eft de paroître ne s'être apperçu de rien .
Notre Amant prend cet arrêt à la lettre :
outre les plaifirs que lui promettoit une
femme aimable , il regrette en elle les
avantages de la raifon , les douceurs de
l'amitié , les agrémens de la fociété ; il ſe
guérit d'abord de fa paffion par une dofe
de milantropie : il prend le cruel parti de
fuir le monde & de hair toutes les femmes.
Les hommes partagent cette haine ,
mais elle perd peu à peu de fa force , il
rentre dans le tourbillon , où il fe fait un
nouveau fyftême , il fe borne au mépris
pour les deux fexes , & fait fervir les uns
& les autres à fon amufement ; il vit avec
eux , mais il ne vit que pour lui. Animé
de ces fentimens , il reparoît fur la fcene du
monde avec éclat. Il plaît à trois femmes à
la fois , l'une coquette , l'autre galante , &
la troifiéme femme à fentimens. Il triomphe
de la premiere ; la feconde capitule
fans fe rendre , & Lucinde la derniere
ne lui infpire pas un goût affez vif pour
Ta
tromper. Je fupprime une affaire qu'il
cut avec un jeune homme de robe , qui
fe traveftit en militaire pour fe battre contre
lui , & dont il punit la fatuité & corrigea
la mal- adreffe par un coup d'épée.
Pour me fervir de fes expreffions que je
gagne à tranſcrire , il devient enfuite non
JANVIE R. 1756. 107
pas amoureux , mais fenfible pour Julie ,
qui réuniffoit toutes les graces & tous les
talens. Elle étoit du nombre de celles que
l'on paye parce qu'elles font cheres , que
l'on prend parce qu'elles ont été prifes ,
& que l'on garde fouvent parce qu'elles
font infidéles. Mais Julie n'avoit de commun
avec elles que l'état . Folle à l'excès
mais capable d'attachement ; fans art lorfqu'elle
aimoit ; fans détour, lorfqu'elle
n'aimoit plus ; n'ayant ni les intrigues de
la galanterie , ni le manége de l'amourpropre
, ni les fineffes de l'impofture ; ne
diftinguant point les états ; trouvant tous
les hommes égaux pour elle ; ne rougiffant
jamais , & n'ayant jamais à rougir ,
ce caractere plaît à notre être penfant qui
s'y attache ; elle y répond au point qu'elle
veut lui facrifier un Financier opulent . Il
s'y oppofe ; mais quelques jours après il
la trouve refroidie : il la furprend avec
le Chevalier de S*** . Quand ce dernier
eft forti , il lui parle plus en ami fincere
qu'en amant jaloux , & lui repréfente que
le Chevalier aimable de figure , mais méprifable
par le coeur , eft accufé de dépouiller
les victimes , & qu'elle y prenne
garde. Julie pénétrée d'un procédé fi
honnête , fe jette à fes genoux , & fe reprend
de goût pour lui. Le Financier
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
furvient , & furieux d'être trompé , il enleve
à Julie tout ce qu'il lui a donné ,
c'eft-à- dire , tout ce qu'elle pofféde . Elle
Amoins fenfible à cette perte , qu'à l'indifférence
de fon Amant , que ce trait
de défintéreffement rengage avec plus de
force . Il lui apporte un fecours de trois
'cens louis , qu'elle n'accepte qu'avec peine.
N'étant point en état de la foutenir
même en s'incommodant , il lui procure
la connoiffance d'un jeune Mylord , auffi
riche qu'aimable , plus pour la rendre
heureufe que pour s'en débarraffer . Elle
s'y prête par complaifance , & le perd
avec regret ; pour s'étourdir lui - même
il fe jette dans le plus grand monde , &
devient l'objet des avances de deux femmes
de beaucoup d'efprit , & d'un rang
diftingué ; mais de moeurs fi dépravées
que je gliffe fur cette aventure .
Celle qu'il eut avec une Ducheffe qu'il
rencontra chez un Miniftre , eft encore du
même genre. Le triomphe facile qu'il
obtint auprès d'elle , ne fut qu'un éclair ,
& ne fait que groffir la lifte des femmes
méfeftimables qu'il a fucceffivement attachées
à fon char . Je paffe donc pardeſſus
pour en venir vite à l'hiftoire intéreffante
qui termine ces Mémoires , & que le
d'efpace me force d'abréger. Notre Héros
peu
JANVIER. 1756. 109)
volage eft fubitement fixé par la rencontre
d'une jeune perfonne charmante , qu'il
trouve endormie dans la forêt de faint
Germain. Après qu'elle s'eft éveillée , il
la raffure & lui parle avec une expreffion
fi tendre & fi refpectueuse en même tems
qu'il obtient fa confiance , & qu'elle lui
raconte fon infortune .
2
Elle lui apprend qu'elle eft née en
Province , d'un pere dont la fortune a
changé , mais dont elle a reçu une édu
cation noble , qui a perfectionné fes bonnes
qualités. Jeune , belle , fpirituelle &
fage , elle a eu le malheur de plaire à
un Colonel nommé le Marquis de Claville
, dont le régiment étoit en garnifon
dans la Ville qu'elle habitoit . Tout ce qui
peut féduire dans un amant , fe trouvoit
réuni dans ce brillant militaire ; la figure ,
l'efprit , la douceur , la modeftic. Le moyen
qu'un coeur tendre & fans expérience ,
ne fe laiffe pas prendre au piége d'un
amour revêtu des dehors de la fageffe !:
Cet amour ne s'annonce que par une
conduite mefurée , & ne fe déclare qu'après
des fervices rendus. Le Marquis accorde
une Lieutenance au frere , & promet
d'époufer la four. Pour faciliter cè
naud , fes lettres ont fi bien prévenu
l'efprit de la Comteſſe de Merſan fa tante ,
110 MERCURE DE FRANCE.
en faveur de la beauté qu'il aime , qu'elle
veut l'avoir auprès d'elle comme Demoifelle
de compagnie , & qu'elle l'envoie
chercher dans un équipage par une de
fes femmes. Notre Héroïne féduite part
tranfportée de reconnoiffance ; mais à peine
eſt elle arrivée , qu'elle eft défabuſée :
elle reconnoît que le Marquis eft un monftre
& que cette fauffe Comteffe eft une
vraie corruptrice de la vertu . Dans ce
malheur affreux tout ce qu'elle peut faire
pour s'y dérober , eft de fe fauver la nuit, &
de parvenir à la forêt où fon nouvel Amant
l'a rencontrée. Car il l'eft devenu dès la
premiere vue , & ce réçit l'acheve. Il lui
offre de la conduire partout où elle voudra
; elle le prie de la rendre à fon pere ,
& de la dérober à la vue de tous les hom
mes qu'elle doit abhorrer. Il en foupire ;
toute fois il obéit : mais une fiévre violenre
furvient , qui la retient en chemin .
Notre Héros ne quitte pas fon chevet ; &
c'eft à cette heureufe maladie dont elle revient
plus belle que jamais , qu'il doit fon
bonheur. La reconnoiffance fait naître un
tendre retour dans le coeur de la malade ,
& fa convalefcence eft célébrée par un
hymen afforti , qui les détrompe tous
deux pour leur félicité commune. Elle
éprouve qu'il eft encore des amans finJANVIER.
1756. 111
ceres , & il eft à fon tour convaincu qu'il
existe des femmes fidéles. Cette courte
analyſe juſtifie l'Auteur , que l'on accufoit
de faire impitoyablement le procès à tout
le genre féminin .
On compte dans fon Roman plus de
femmes eſtimables , que d'hommes fans
reproches ; Aminte , Lucinde , Julie même
, font de ce nombre. Si les réflexions
& les traits généraux portent fouvent contre
les femmes , les faits particuliers parlent
en leur faveur, le dénouement eſt tout
à leur gloire , & le contempteur du beau
fexe en devient l'apologifte.
Lettre à l'Auteur du Mercure.
LE hazard , Monfieur , vient de me faire
appercevoir d'une erreur bien confidérable
, dans laquelle M. de la Rue , Auteur
de la Bibliothéque des jeunes Négocians
, eft tombé , je veux dire une inadvertence
à la page 322. Il dit qu'il doit
à fon Correfpondant d'Hambourg 1730 l.
18 fols 6 deniers , monnoie de France , le
change de Paris fur Hambourg à 177 liv.
& demie de France pour 100 marcs lubs
d'Hambourg ; cet énoncé eft très -jufte.
A la page 330 , il donne la démonftration
de cette opération , & voici comme
il la propofe. Je copie
1
IFE MERCURE DE FRANCE.
Pour réduire 1730 livres 18 fols & deniers
de France en marcs & fols lubs , monnoie
de banque d'Hambourg au cours du
change , de 177 defdits marcs pour 100
écus , ou 300 livres de France.
La question eft mal propofée.
Il falloit dire pour réduire 1730 livres
18 fols 6 den. de France en marcs & fols.
lubs , monnoie de banque d'Hambourg au
cours du change de 177 livres de France
pour 108 defdits marcs lubs.
En conféquence de fa queftion mal établie
, il a opéré fur un principe faux en
avançant qu'il falloit dire :
Si 300 livres de France font 177 marcs
d'Hambourg , combien 1730 l . 18 f. 6.d.
multiplié par
177
Vient 307239 qu'il fait
divifer par 300 , qui donnent au quotien
pour réponſe 1024 marcs & fols lubs de
banque . Ce qui eft faux.
Il falloit établir l'opération ainfi.
Si 1771. de France donnent 100.marcs
d'Hambourg , combien 1730 l . 18 f. 6 d .
qu'il faut multiplier par 100
vient 173092
à divifer
par 177 : vient au quotien pour réponſe
275 marcs 2 fols lubs , ou 4 den . qui eft
Co
JANVIE R. 1756. 113
la véritable réponſe , & non pas 1024 m .
2 fols lubs.
L'inftruction qui eft à la fuire de fon
opération est également fauffe .
A la page 360 , il y a l'opération d'Hambourg
fur la France , qui eft l'inverſe de
celle ci- deffus, (je parle de mon opération)
& qui étoit pour fervir de preuve à la
fienne ; mais le réfultat venant à la mienne
& non à la fienne , cela confirme l'inadvertence
. L'on voit par cette opération
que 975 marcs 2 fols lubs au change
de 274 fols lubs , donnent pour réponſe
1730 liv. 18 f. ‹ den.
S
Le change d'Hambourg fur Paris à 27
4 fols lubs , eft le même que le change de
Paris fur Hambourg à 177 livres pour
cent marcs lubs.
Comme il eft de conféquence à ceux
qui fe fervent d'un pareil livre pour s'inftruire
de partir d'un principe vrai , je
donne ci-après la maniere dont on doit
relever cette leçon en la fubftituant à la
place de celle qui eft dans le livre .
Je ne fçais pas s'il y a d'autres erreurs
de ce genre, parce que je n'en ai point fait
la recherche ; elle eft trop groffiere pour
foupçonner qu'il y en ait de pareilles.
A
Je crois que vous voudrez bien rendre
fervice au public , en inférant cette lettre
1:14 MERCURE DE FRANCE .
qui pourra être utile à ceux qui ont les
exemplaires du livre de M. de la Rue, dont
l'édition a été enlevée en peu de tems. Une
feconde fe fait défirer , ainfi que de lui
voir effectuer fa promeffe fur fon traité
des parties doubles,
J'ai l'honneur d'être , &c.
Change de Francefur Hambourg.
Pour réduire 1730 livres 18 fols 6 den.
de France en marcs & fols lubs , monnoie
de banque d'Hambourg au cours du chan--
de 177 liv. de France pour cent marcs
ge
lubs.
Opération.
Si 177 liv. de France font 100 Marcs
de Hambourg , combien
17301. 18 f.
100
173.000 f.
so pour 10 la
173092
177
2.5 Sle
10 2 le de 10 ,
S
la de 2 .
6 d . ladeif.
173092
2
dividende.
975 Marcs 2 f. lubs , dont je
dois faire la traite fur
Hambourg.
JANVIER. 1756. 115
>
Inftruction.
Faites une régle de trois directe, difant,
fi 177 livres de France valent 100 marcs
lubs d'Hambourg , combien en vaudront
1730 livres 18 fols 6 deniers. Le produit
173092 de la multiplication du dernier
terme par celui du milieu étant divifé par
177 le premier terme , en réduifant
tout en demi , il restera 60 à multiplier
par 16 fols lubs , valeur du marc , & divifant
de même il vient 2 fols de banque ,
& 250 en reſte à multiplier par 12 deniers
valeur du fol , & divifant enfin de même
il vient 8 deniers ; en forte que pour lef
dites 1730 livres 18 fols 6 den . de France,
on recevra à Hambourg en monnoie de
banque 975 marcs 2 fols 8 deniers lubs.
Voici , Monfieur , encore une chofe que
je crois être une erreur dans le Commentaire
de l'ordonnance de la marine de
1681. Edition de 1747 , pag. 186 , au titre
du fret , ou nolis, art. 5. Le texte porte:
Ne fera réputé y avoir erreur en la déclaration
de la portée du vaisseau , fi elle
n'est au deffus du quarantieme .
Voici le Commentaire.
De la portée du vaiffeau , ] c'eſt -à - dire du
port ou capacité du vaiffeau.
116 MERCURE DE FRANCE.
Si celle n'eft au- deffus du quarantieme,
il faut donc que l'erreur dans la déclaration
faite par le Maître du navire foit
confidérable , pour donner lieu à des dommages
& intérêts contre lui . Il faut qu'il
y ait au moins un quarantieme complet
au- deffus du port du vaiffeau ; c'eft prefque
la moitié.
Je crois que ce commentaire & le texte
font trop intéreffans au public pour ne pas
demander ce que l'un & l'autre veut dire.
Le Commentateur donne à entendre que
c'eft les deux cinquiemes, que le quarantieme.
Le texte ne dit point que c'eft le 40°
de cent . Je demande à m'éclairer là deffus ,
parce que dans une affaire fur cette matiere
je n'ai jamais pu comprendre le jugement
, le commentaire m'empêchant
d'entendre le texte, comme le texte m'empêche
de concevoir le commentaire . Je ne
connois point l'Auteur du commentaire ,
fans cela je m'en expliquerois avec lui .
Je connois bien l'ordonnance, parce qu'elle
eft adoptée de toutes les nations de l'Europe
, comme le plus beau morceau de la
jurifprudence.J'efpere que ceux qui aiment
la vérité , ou qui fçavent les ufages maritimes
fur le fret ou nolis , voudront bien
expliquer par la voie de votre Mercure
quelle portion on doit entendre par un
JANVIER. 1756. 117
quarantieme fur la capacité d'un navire ,
& qu'ils voudront bien faire connoître fi
le texte eft expliqué par le commentaire ,
ou file commentaire n'embrouille pas le
texte.
ESSAI fur l'Agriculture moderne , dans
lequel il eft traité des Arbres , Arbriffeaux
& fous- Arbriffeaux de pleine terre , dont
on peut former des Allées , Bofquets, Maffifs
, Paliffades & Bordures dans un gout
moderne ; enſemble des Oignons de fleurs
& autres plantes , tant vivaces qu'annuelles
; des Arbres fruitiers furtout
ceux qui méritent la préférence dans le
plan des Potagers , à Paris , chez Prault
pere , quai de Gêvres , 1755 .
Ce petit Effai de Jardinage pourra fervir
de Catalogue à la Pepiniere de la
Santé , près le Petit Gentilly , & à celle
du Cloître S. Marcel. Les perfonnes qui
fouhaiteront quelques-uns des objets qui
у font contenus , s'adrefferont aux fieurs
Abbés Nolin & Blaves, Cloître S. Marcel.
118 MERCURE DE FRANCE.
AVERTISSEMENT.
Au bas de la lettre qui nous eſt adreſſée
par l'Editeur
de la Vie de Bacon , & dans
laquelle
il prend fur fon compte deux fautes
remarquables
qui fe trouvent
dans l'ouvrage
, on a omis fon nom , pag. 97 , lig. 18 , dans le Mercure précédent
. Pour fuppléer
à cet oubli , nous apprenons
au Lecteur
que c'eft M. de Leyre , dont le nom mérite d'être retenu , & la franchife
imitée.
On nous reprochera
peut-être de fer- vir aux autres d'errata
, & de ne pas nous
corriger
nous- mêmes
. Nous pourrions
apporter
pour excufe qu'un Auteur qui eft obligé de donner
cinq volumes
dans le
court efpace de deux mois , doit obtenir
quelque
indulgence
; nous pourrions
même
rejetter
tout le tort fur l'imprimeur
, mais nous aimons mieux prendre
M. de Leyre pour modele , & confeffer
nos fautes
publiquement
. Pour réparer les plus groffieres
, nous avons mis un errata
à la fin de ce volume
, & nous promettons
d'être corrects
à l'avenir
, autant qu'on peut
l'être dans une collection
rapide qui dépend
de l'heure
& du jour.
JAN VIER. 1756. 119
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES LETTRES.
HISTOIRE.
MEMOIRE fur les anciennes repréfenta-
- tions théâtrales pienfes , où le mêlange de
la fiction a quelquefois obfcurci le fonds de la
vérité ; par M. l'Abbé le Boeuf, de l'Académie
des Belles- Lettres .
Depuis que je me fuis appliqué à la
recherche & à la lecture des anciens manufcrits
, je me fuis apperçu que quelquefois
la découverte d'un manufcrit jufqu'ici
inconnu , fuffifoit pour engager les Lecteurs
que les préjugés n'aveuglent pas
entiérement à douter fur des faits qu'ils
avoient cru véritables , ou au moins vraifemblables
.
•
Lors donc que je parus , en 1726 , fatisfait
de la légende que le nouveau Bréviaire
d'Auxerre de cette année- là prefentoit
pour la fête de Saint Juft , enfant né à Auxerre
, martyrifé au mois d'Octobre dans
le Diocèfe de Beauvais , je n'étois pas en120
MERCURE DE FRANCE.
core parfaitement inftruit qu'autrefois on
fe plaifoit à repréfenter les vies des Saints
fur le théâtre pour occuper & amufer pieufement
les Fideles . Je n'avois pas encore
vu de recueils manufcrits de ces pieufes
repréſentations. Tous ces recueils ne font
pas parvenus jufqu'à nous ; mais ceux que
l'on conferve en caracteres du XIII fiecle ,
& qui font écrits en rimes latines ,font préfumer
que ces repréfentations font beaucoup
plus anciennes , & que ces collections
de rimes mefurées avoient été composées
dès le dixieme fiecle , fi ce n'a pas été dès
le neuvieme. Ce que j'ai vu de ces fortes
de pieces dans les manufcrits de l'Abbaye
de S. Benoît-fur- Loire , & qui a été copié
au treizieme fiecle , tant fur Saint Nicolas
que fur le maffacre des Innocens , la converfion
de S. Paul, &c. a dû être pris fur des
originaux de date, au moins auffi ancienne
que le font certaines pieces facétieuſes latines
& rimées qu'on trouve encore parmi
les manufcrits de l'ancienne Abbaye de S.
Martial de Limoges, confervés à la bibliothéque
du Roi , qui font du dixieme &
onzieme fiecles . Quelques- unes reffemblent
à ces comédies fpirituelles que l'on jouoit
encore il y a trois cens ans.
Il eſt inutile de rappeller ici les repréfentations
de la paffion , de la réfurrection
JANVIE R. 1756. 121
tion de notre Seigneur, & autres myſteres.
Cela eft connu de tout le monde . On fçait
auffi
communément en général , qu'à Paris
on a repréſenté la vie de fainte Géneviéve.
Le recueil des pieces de théâtre fur
cette Sainte eft encore confervé parmi les
manufcrits de l'Abbaye de fon nom , d'écriture
du quinzieme fiecle. J'ai vu dans
un manuferit de l'Abbaye de S. Victor de
la même ville une piece en forme de dialogue
entre Dieu , l'homme , le diable &
un Docteur , que l'Ecrivain dit avoir été
jouée en 1426 au Collège de Navarre :
mais plus
communément & plus anciennement
les tragédies de piété étoient pour
repréſenter la vie des Saints , & principalement
celle des Martyrs , fans qu'on difcernât
les faux actes d'avec les vrais , parce
qu'on ne le pouvoit guere alors , & que
ceux qui renfermoient le plus de merveilleux
étoient réputés les plus beaux , à raifon
de la fécondité de la matiere , tels que
ceux de S. Chriftophe , & de S. Euſtache ,
&c.
Maintenant donc que je fuis plus én
état de juger de toutes ces pieufes fictions
que je n'étois il y a quarante ans avant mes
principaux voyages , & avant mes recherches
dans les
manufcrits , je ne fais pas
éloigné de croire que la vie de S. Juſt mar-
II.Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
tyrifé dans le Beauvoifis , & celle de Saint
Juftin martyrifé dans le Parifis , font de ces
pieufes inventions de quelques Auteurs
qui vouloient toucher le peuple par des
repréfentations d'événemens merveilleux ,
& qui trouvoient qu'il étoit trop fec d'honorer
des martyrs fans raconter aux fide .
les à leur fujet quelques faits qui tinffent
du prodige. Je ne ferai ici que fuivre les
preffentimens que MM. de Tillemont &
Baillet , & depuis eux Dom Rivet , Bénédictin
, ont eu fur cette prétendue hiftoire
( 1 ). Mais je dois ajouter à ce qu'ils ont
dit , une obfervation importante qu'il leur
a été impoffible de faire , à moins que de
rechercher toutes les anciennes vies de ces
deux faints , ce qquu''iillss nn''oonntt pas fait. Ils
fe font bien apperçus que l'on a attribué à
ces faints Juft & Juftin , enfans, les mêmes
actions , la même patrie qui eft Auxerre ,
le même voyage pour Amiens , en paffant
par Melun & par Paris. Le rachat d'un de
leurs parens détenu captif à Amiens , l'envoi
de quelques archers après eux , lefquels
émiffaires , pour rejoindre Juft , ne
vont pas au delà d'une journée , & le font
décapiter dans le Beauvoifis en un lieu
pellé anciennement Sinomovicus , proche les
(1 ) Hift. Litter, T, 6, p. 204 .
ар-
1
JANVIE R. 1756. 123
bords de la petite riviere d'Aire : au lieu
que lorfqu'il s'agit de Juftin , les Soldats
ne rejoignent le jeune Saint que lorsqu'ils
font arrivés dans un lieu appellé Lupera.
Ce n'eft point dans la dénomination de
ces lieux que l'on peut foupçonner de l'invention
humaine. La preuve que S. Just
a été martyrifé à Sinomovicus , Bourgade
du Beauvoifis , eft que fon corps y avoit
été inhumé , & que le concours à fes reliques
a fait quitter l'ancien nom du lieu
pour l'appeller Saint Juft . Ce n'eſt pas non
plus une fiction que de dire qu'il y a eu à
Louvres en Parifis , un martyr du nom de
Juftin. Les plus anciens martyrologes de
l'Eglife Latine marquent fa mort au premier
Août , de même que le martyre de
S. Juft du Beauvoifis au 18 Octobre . Mais
ces deux Saints étant devenus célébres par
leurs reliques , la dévotion a fupporté impatiemment
qu'il n'y eût rien à dire fur
Juft , finon qu'il étoit enfant de neuf ans ,
ainfi que fes offemens le défignoient , &
l'on a recouru à l'ingénieuſe invention de
coudre enſemble plufieurs faits merveilleux
dont on a fait un tiffu de Légendes ;
& comme les Parifiens n'en fçavoient pas
plus fur leur S. Juftin que ceux du Beauvoifis
fur leur S. Juft , les mêmes Parifiens
ont emprunté les actions attribuées à l'au-
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
> fe contentant de changer quelques
noms propres , & furtout le nom de lieu
du martyre.
Or , que cette fabrication d'actes fe foit
faite dans le deffein d'en donner la repréfentation
pour repaître la piété des finples,
c'eft de quoi j'ai découvert une preuve
affez fenfible dans un Légendaire manufcrit
d'environ fix cens ans , en deux tomes
in folio , confervés aujourd'hui chez
les Carmes Déchaux de Paris . Il faut d'abord
fe reffouvenir que les Sçavans ont
été étonnés qu'on eût attribué à Bede une
Hiftoire de S. Juftin de Paris , en la faifant
imprimer dans le troifieme tome de fes
ouvrages. Si Bede avoit connu ce S. Juftin
du Parifis fi particulierement que cette
longue hiftoire le fuppofe , il n'eût pas
oublié ce Saint dans fon martyrologe : ainfi
cette vie eft un morceau fauffement attribué
à cet Ecrivain Anglois ; on l'aura
cru être de lui dans les fiécles où l'on s'imaginoit
que tout ce qui étoit écrit dans
un même volume , étoit forti de la plume
de l'Auteur nommé au commencement du
livre , lorfqu'il ne fe trouvoit point d'autre
nom. Il est encore à remarquer que
cette vie de S. Juftin eft écrite en efpece de
vers trochaïques qui furent fort en vogue
au IX & -X fiecles. C'eft comme une ef
JANVIER. 1756. 125
pece de profe rimée & mefurée quant au
nombre des fyllabes , à laquelle meſure
l'Auteur ne s'aftreint cependant point généralement
, employant dans chaque ligne.
plus ou moins de fyllabes , fuivant qu'en
fourniffent les mots & les termes qui lui
viennent à l'efprit. C'eſt à peu près comme
des vers libres , où l'on ne fe gêne que
pour la rime.
Il faut obferver en troifieme lieu que
ces fortes de profes rimées Latines avoient
l'avantage de pouvoir être retenues de mémoire
plus aifément , & d'être miſe en
chant pour la facilité de l'exécution ; on
en a divers exemples dans les vers ou rimes
publiées au IX fiecle fur la bataille de
Fontenai & fur la mort de quelques Princes
ou grands Seigneurs de ces tems - là
lefquels vers ou rimes font encore reftées
avec les anciennes notes de chant , fans lignes
ni fans clefs dans des manufcrits ( 1 )
de l'Eglife de S. Martial de Limoges.
Quatriemement , ( & ce qui fert le plus
à développer ma penfée ) ce ne font pas
feulement les Parifiens qui ont fait mettre
en vers rimés de cette forte , le martyre
de leur S. Juftin ; mais ceux du Beauvoifis
avoient eu le même foin à l'égard de leur
S. Juft , & apparemment pour la même fin ,
(1 ) In Biblioth. Regia.
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
c'est-à-dire pour pouvoir mettre les fideles ,
la jeuneffe principalement , & furtout celle
qui étudioit dans les monafteres , ou parmi
les Clercs , pour pouvoir , dis- je , les
mettre en état d'apprendre avec facilité
cette hiſtoire mémorable , de la chanter, &
même de la déclamer , comme on faifoit les
complaintes. Il faut recourir , pour être
convaincu de ce que je dis , au premier
volume du Légendaire des Carmes ci - deffus
cités . On y trouve vers la fête de S.Pierre
à la fin de Juin ( 1 ) , quatre feuillets copiés
comme le refte du livre , à ce qu'il m'a
paru ,vers le regne de Philippe- Augufte ou
de S. Louis au plus tard . Ces quatre feuillets
contiennent la vie rimée Latine de S.
Juft de Beauvoifis , différente totalement
en ftyle , & quelquefois en faits d'avec
celle de S. Juftin du Parifis. Le copiſte qui
vouloit épargner le parchemin , n'a point
à la vérité diftribué fa matiere en autant
de lignes qu'il y a de petits vers ou de rimes
; mais quoiqu'il ait écrit tout de fuite,
on s'apperçoit auffi- tôt que c'eft une profe
mefurée de la même maniere que la vie de
(1 ) La place de cette Légende auprès de celle
de faint Pierre , infinue que ce volume avoit été
tranferit après quelque cahier de la cathédrale
de S. Pierre de Beauvais , qui contenoit les deux
fêtes folemnelles.
JANVIER. 1756. 127
S. Juftin attribuée à Bede , & qui reffemble
à la fameuse hymne de S.Thomas , Pange ,
lingua .
De dire à préfent qui font les premiers
inventeurs de ces deux Légendes rimées ,
les Beauvoifins pour S. Jutt , ou les Parifiens
pour S. Juftin , c'est ce qui n'eft pas
facile. Dans l'un & l'autre pays l'on a ai
mé les repréſentations des Actes des Martyrs
; chacun a fait travailler pour le fien
à qui mieux mieux. Je croirois néanmoins ,
comme je viens de l'infinuer , que ce feroit
le Clergé & les Moines du Beauvoifis
qui auroient les premiers mis en oeuvre
cette poéfie groffiere fur S. Juft , parce
qu'ils étoient plus voifins de la ville d'Amiens
, où une partie de la tragédie s'eft
paffée , & parce qu'ils y ont mieux caractérifé
le lieu Sinomovicus , que les Parifiens
n'ont fait leur Lupera . Il y a de plus un
ruiffeau & des fontaines à ce Sinomovicus ,
dit aujourd'hui le Bourg S. Juft , & il n'y
en a point à Louvre , ce qui ne rendoit pas
le lieu fort propre au rafraîchiffement des
patens de l'enfant . Voici ce qu'en dit la vie
du même Saint en profe dans un manuf
crit venant du célébre M. Loifel ( 1 ) ´qui
l'avoit tiré du bourg de S. Juft : Eft locus
( 1 ) In Bibl. B. Maria Parif. cod. E. x1 . initio
XII. fac.
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
antiquâ appellatione Sinomovicus , ubi fons`
dictus Sirica exoritur, cujus decurfum Braïe
rivus excipit. La vie rimée des Carmes fe
fert des mêmes expreffions difpofées de
maniere à former de la rime. L'Auteur de
cette mauvaiſe poéfie y fait entendre qu'il
y avoit encore de fon tems à ce Sinomovicus
des reftes de très - anciens édifices couverts
de lierre .
Ceux du Clergé de Paris ne voulurent
pas laiffer aux Beauvoifins feuls l'honneur
d'avoir un ouvrage propre à fournir la repréfentation
du martyre de S. Juft. Quoiqu'ils
poffedaffent le corps avec la tête ( ce
qui ne s'accorde pas avec aucune des Légendes
qui font porter la tête à Auxerre
par le pere du jeune martyr ) il fouhaiterent
auffi avoir le plaifir de la repréſentation,
foit dans un monaftere , foit ailleurs;
mais ils ne voulurent pas qu'il fût dit
qu'ils euffent pillé la verfification faite à
Beauvais. C'eft pourquoi ils en firent une
toute différente , non quant aux penſées ,
mais quant aux expreffions ( 1 ) & pareillement
fuivant la même mefure trochaïque
, changeant le nom de Juftin pere de
l'enfant en celui de Matthieu , & le nom
de Sinomovicus en celui de Lupera . Com-
(1 ) J'y ai compté plus de 130 ftrophes de fix
vers : ce qui fait 7 à 800 vers.
JANVIER . 1756. 129
me les Religieux du Prieuré de S. Martin
des Champs à Paris, poffédoient dès la fin
du XI fiècle , par donation de l'Evêque
de Paris , l'Eglife de S. Juftin de Louvres,
je n'ai aucune répugnance à croire qu'étant
d'habiles gens pour ces tems- là , ce
foit quelqu'un de leurs Maîtres ou Ecolâtres
qui aura compofé à l'ufage de Paris
& du Parifis la feconde Légende d'entre
les légendes rimées & mefurées fur
l'enfant d'Auxerre , laquelle par mépriſe
s'eft trouvée mêlée avec les ouvrages du
vénérable Bede. C'eft , ce femble , faire
remonter affez haut que de placer vers la
fin du XIe fiecle cet ouvrage pour lequel les
Sçavans ci - deffus nommés , tant Religieux
que Prêtres féculiers , ont témoigné tant.
de mépris . Ce qui m'étonne , eft que l'Eglife
de Paris qui n'a jamais manqué de
Sçavans illuftres , fe trouve en contradiction
aujourd'hui avec elle- même , ayant
laiffé dans les leçons du 8 Août , que le S.
Juftin dont elle poffede le corps , eft un jeune
martyr , dont les parens emporterent la
tête à Auxerre après fa décolation , tandis
qu'à l'ouverture de fa châfle ( 1 ) confervée
dans cette même Egliſe de Paris , faite
(1 ) Procès- verbal , dans Sauval , T. I , pag. 375
Fv
130 MERCURE DE FRANCE:
l'an 1699 , on y trouva une partie de cette
tête , & qu'on eft certain par un autre
procès verbal de l'an 1571 , que le
Chapitre avoit donné des fragmens de
cette même tête à l'Eglife Paroifliale de S.
Juſtin de Louvres . Ces derniers faits étant
véritables , il s'enfuit que l'état des reliques
de S. Juft , tel qu'il eft à Beauvais ,
où l'on n'a jamais montré fa tête , s'accorde
même avec l'hiftoire de ce Saint mal
adaptée à S. Juftin du Parifis , au lieu que
l'état des reliques de S. Juftin eft démenti
par l'hiftoire même , felon laquelle fa tête
fut portée à Auxerre auffi - tôt après la décolation
du Saint. Ou il faut donc que
l'Eglife de Paris renonce à la tête de faint
Juftin , ou qu'elle renonce à fa Légende.
Le plus fûr parti eft celui de renoncer à
la Légende , & de ne pas dire que la tête
de S. Juftin fut portée à Auxerre , puifqu'elle
n'eft jamais fortie du Diocèfe de
Paris , & en reconnoiffant qu'on l'a toujours
poffedée , & qu'on la poffede encore
, avouer que la Légende attribuée à Bede
n'a jamais été faite originairement pour
ce S. Juftin , mais que c'eft un pieux vol ,
ou plutôt un emprunt fait de la Légende
de S. Juft , compofée dans le Beauvoifis.
Au refte , quoique dans deux Diocèfes liJANVIER.
1756. 135
mitrophes on life cette même Légende ,
les circonftances dont elle a été revêtue de
part & d'autre , font trop difficiles à croire
pour qu'on doive les regarder comme véri
tables , & elles étoient mieux à leur place
étant déclamées fur un théâtre que non pas
prononcées dans un choeur , ou dans une
tribune pendant l'Office divin .
On a été fi charmé autrefois dans la
Gaule Belgique de ces Légendes merveilleufes
, que ceux du Diocète d'Amiens ont
auffi voulu avoir leur S. Juft , (différent de
celui du Diocèle de Beauvais ) dont ils
renouvellent encore la mémoire le même
jour que les autres , le 18 Octobre. Par le
peu que la tradition a confervé fur ce dernier
, il eft vifible que fa Légende avoit
auffi été écrite pour être débitée & exécutée
fur le théâtre. Jufte & Artheme fon
frere , étoient natifs d'Orient , & s'étoient
fait baptifer à l'infçu de leur pere qui étoit
Roi dans ce pays - là.N'ofant ou ne pouvant
profeffer le Chriftianifme , ils profiterent
de l'occafion de l'ambaffade qu'Aaron Roi
de Perfe envoya à Charlemagne , & ils fe
retirerent en France , felon ceux qui ont
tâché de deviner l'époque de leur arrivée.
On leur donne même une foeur appellée
Honefta auffi Chrétienne. Leur pere , am
bout d'un certain tems , envoya après cus
F vi
132 MERCURE DE FRANCE.
On les fomma de revenir chez leur parens,
finon de les faire mourir. Sur leur refus ils
furent exécutés vers les confins de l'Amienois
& de l'Artois . Malabranca , en fon
hiſtoire des peuples Morins , tom. 2, page
2090 , eft le feul auteur qui ait parlé de
ces trois perfonnages. On voit par le peu
qu'il en dit en dit que la matiere pouvoit fervir
de canevas à une tragédie , & c'eft ce qui
paroît avoir été fait , mais qui eft perdu .
Je trouve une nouvelle preuve du gout
qui régnoit autrefois au pays de Beauvoifis
pour les tragédies faintes , dans un manufcrit
curieux confervé parmi ceux de la
bibliothéque du Chapitre de Beauvais ,
où l'on voit l'hiftoire du Prophete Daniel
mife en rimes Latines fous le titre de
Danielis ludus , à la tête duquel fe lifent
les quatre lignes fuivantes :
que
Ad honorem tui , Chrifte ,
Danielis ludus ifte :
In Belvaco eft inventus ,
Et invenit hunc juventus.
Il en faut conclure que dans ce pays-là
la jeuneffe s'occupoit fort à ces jeux , &
fouvent , afin de mieux réuffir , elle
prenoit pour fujet la vie & le martyre de
quelque jeune Saint , comme celui de Daniel
en la fofle aux lions , des trois Enfans
JANVIER. 1756. 133
dans la fournaife : la maniere dont on y
chantoit les dialogues, étoit un fimple plainchant
fyllabique. La piece étoit terminée
par le Te Deum , qui étoit chanté par tous
les affiftans , ainfi qu'on a vu , à la fin de
la Tragédie Latine de S. Nicolas du XIIIe
freele. Mercure de Décembre 1729 , 2º vol.
p. 2981 .
En finiffant ces obfervations fur les fpectacles
de piété par lefquels on exerçoit la
jeuneffe , je reviens à S. Juft du Beauvoifis
, & je dis que j'ai vu à la Bibliothéque
de Saint Victor de Paris des collections de
vies de Saints , dont l'Ecriture n'eft à la vérité
que de la fin du XIII fiecle , mais qui
peuvent avoir été tranfcrites fur des manufcrits
beaucoup plus anciens. Il y a une
vie de ce faint enfant , où il n'eft aucunement
parlé du voyage d'Amiens ; mais on
y lit feulement que la perfécution étant
déclarée , les archers étant dans le voifinage
, le pere de S. Juft cacha fon fils dans un
bois où il y avoit un vieux bâtiment abandonné
, tout couvert de feuilles de lierre .
Une autre vie auffi petite & peu chargée
de faits , porte que S. Juft , ou plutôt fes
parens , avertis par S. Loup de l'approche
des perfécuteurs , allerent fe cacher , mais
qu'ils furent découverts , & que l'Enfant
eut la tête coupée. Ce peu de parole fuffit
134 MERCURE DE FRANCE.
pour faire voir qu'il y a eu originairement
des Actes de S. Juft plus croyables
que ceux qui font en vers , & qui font cideffus
; car cet avertiffement de S. Loup
n'eft dans aucune des longues Légendes .
On juge delà que les Actes étoient fimples ,
& que ce font les Poëtes qui les ont amplifiés
pour en donner une repréfentation
touchante , & d'une certaine durée .
METALLURGIE.
REPONSE de M. de Machy , Apothicaire
, gagnant maîtrise de l'Hôtel- Dien de
Paris , aux obfervations de M. Cadet ,
Apothicaire Major de l'Hôtel Royal des
Invalides , fur un ouvrage qui a pour titre ,
Examen Phyfique & Chimique d'une
Eau minérale , &c. inférées dans le premier
volume du Mercure du mois de Décembre
1755.
DEUX articles feuls de mon ouvrage ont
excité l'animadverfion de M. Cadet. Le
premier eft à la page 30 , où je dis : » Que .
» l'Ochre en général,& celle des Eaux mi-
» nérales que j'ai traitées , eft une terre ,
» martiale diffoute par fon acide propre ,
JANVIER . 1756. 135
qui eft le vitriolique , & précipitée de
» ce même acide , foit ppaarrccee que celui- ci
» a trouvé quelque fubftance qui lui eſt
» plus analogue , foit parce qu'il fe trouve
plus délayé dans fon véhicule , comme
» on voit qu'il arrive au Vitriol martial ,
» qui dépofe fon Ochre , quand on le dif-
» fout dans beaucoup d'eau. Cette Ochre
» n'eft plus du fer ; c'eft un fer détruit qui
» a perdu fon phlogistique , qui n'eft point
» attirable à l'aimant. Quand on le traite
» avec le charbon , le culot qui en réſulte
» eft aigre & caffant.
J'appuie cette définition de l'autorité
des plus grands maîtres en cette partie ,
Linnaus & Valerius : je vais l'appuyer encore
des expériences que j'avois faites
alors à ce fujet , & que je ne prévoyois
pas avoir l'occafion de donner fi-tôt au
Public. Je rends graces à M. Cadet de me
l'avoir fournie. Il prétend , article 14 de
fon analyfe , que l'Ochre eft un fer parfait,
attirable à l'aimant , qui fait fufer le nitre ,
comme le fait la limaille de fer. Il ajoute
dans fon obfervation inférée dans le dernier
Mercure , qu'il la faut calciner fur un
teft fous la moufle . Comme l'expérience
doit être le feul juge en cette matiere ,
voici celles que j'ai faites , pour affirmer
ce que j'avance.
136 MERCURE DE FRANCE.
D'abord le fieur Cadet avoue lui-même
qu'illui faut calciner cette Ochre , pour la
rendre attirable à l'aimant. Avec un peu
moins de préoccupation , il auroit vu que
je parle de l'Ochre dans fon état naturel.
Mais j'ajoute que même étant calcinée à
différens dégrés , loin de devenir attirable
à l'aimant , elle perdroit cette vertu , fi par
hazard elle l'avoit. J'ai eu des aimans nuds
& montés , des barres magnétiques , tous
de force & de fenfibilité différentes , je les
ai préfentés à l'Ochre de nos Eaux minéra
les , telle qu'elle eft quand on la précipite
& calcinée à différens dégrés , & je puis
affurer que dans aucun de ces états , elle
n'a été attirée . C'eft un fait d'ailleurs conforme
à ce qui arrive à tous les produits
martiaux , & au fer lui- même : tant que
la baſe martiale n'eft point attaquée par
les acides , elle eft attirable à l'aimant ;
elle ceffe de l'être fi - tôt qu'elle en a été
diffoute. C'eft donc s'éloigner des élémens
de la faine Chimie , que de raifonner autrement
, & de dire que l'Ochre des Eaux
de M. Calfabigi , qui contiennent un acide
vitriolique nud , foit un fer parfait , que
l'acide n'ait point endommagé . Si du
moins cette Ochre faifoit fufer le nitre ,
comme l'avance M. Cadet , on pourroit la
foupçonner de contenir fon phlogistique ,
JANVIER. 1756. 137
mais c'eſt encore un fait démenti par
l'expérience.
J'ai tenu une once de nitre en fufion
fur un feu affez vif , dans deux cuillers
de fer ; dans l'une j'ai jetté douze grains
d'Ochre précipitée par la fimple chaleur des
eaux de M. Calfabigi : cette Ochre y a pris
une couleur rouge ; le nitre a bouillonné
un tant foit peu , fans fufer , ni s'alkalifer ,
comme je m'en fuis affuré , fur une portion
que j'ai retirée de la cuiller , qui n'a
point verdi le fyrop violat , ni fermenté
avec l'acide vitriolique. J'ai jetté enfuite
de la limaille de fer bien nette dans la
même cuiller ; le nitre a détonné , &
s'eft alkalifé . La détonnation s'eft faite de
la même maniere dans la feconde cuiller ,
en y jettant du charbon en poudre . L'Ochre
dans cette expérience empâte le nitre , en
bouillonnant avec lui , & ce bouillonnement
en a pu impofer au fieur Cader. Il
falloit qu'il s'affurât , comme je l'ai fait ,
de l'état de fon nitre après ce phénomene.
Il s'en faut de beaucoup que cet effet de
l'Ochre avec le nitre, reffemble à ce que la
limaille de fer préfente avec lui. Chaque
grain devient fcintillant , & les environs
font alkalifés. Voilà ce fer parfait bien déchu
de fa perfection : il lui manque ,
comme on le voit , fon phlogistique ; &
138 MERCURE DE FRANCE.
M. Cadet lui-même nous apprend comme
il le lui faut rendre , en indiquant un réductiftrès-
puiffant pour métallifer l'Ochre.
Cette petite inconféquence lui eft échappeu
, fans doute , pour avoir le plaifir de
ine critiquer fur le charbon que je cite
pour la réduction de cette terre martiale.
En effet , peut on concilier l'idée d'un métal
parfait , c'est - à- dire , à qui il ne manque
ni phlogistique , ni bafe métallique ,
avec celle d'un métal qui ne peut donner
un culot , qu'à l'aide d'un flux puiſſant ,
qui n'accélère la fufion qu'en fourniſſant
ou plus de phlogiftique , ou un phlogiſtique
plus approprié Autre inconféquence
de M. Cadet ; ( car il lui en échappe plus
d'une ) fa feconde terre jaune , ne peut ,
dit- il , être attirée par l'aimant , à raiſon
de la quantité de félénite qui y eft jointe.
Quel eft le dernier apprentif qui ignore
ue le couteau aimanté découvre le moindre
atôme de fer caché dans quelque fubftance
que ce foit , pourvu que cette fubftance
ne foit pas de nature à décompofer
ce fer. Il faudroit que la félénite attaquât
le fer , pour qu'il ne fût plus attirable à
l'aimant ; & dans ce cas ce ne fera plus à
raifon de la quantité , qui n'eft pas un obftacle
, mais à raifon de l'action de la félénite
fur le fer , qu'il ne fera pas attiré par
que
JANVIE R. 1756. 139
l'aimant. Ajoutons en dernier lieu que
M. Cadet foutenant dans fon analyſe que
le fel vitriolique des eaux de M. Calfabigi
eft un vitriol martial très-pur , ( ce qu'on
lui peut contefter ) il réfulte de fes propres
paroles que le fer de ces mêmes eaux , &
l'Ochre qui en eft précipitée , ont été diffous
par un acide , & ceffent dès cet inftant
d'avoir les combinaifons d'un métal
parfait , puifque lors de la diffolution du
fer dans l'acide vitriolique , le phlogiſtique
du fer s'échappe affez fenfiblement
pour être enflammé. Si toutes ces preuves,
qui appuient ma définition , ne font pas
voir clair à M. Cadet , je doute que jamais
on le puiffe convaincre. Il a contre lui
l'autorité d'Auteurs célébres le poids
d'expériences bien faites , & ce qui doit
être plus mortifiant pour lui , fes propres
paroles & fes contradictions : n'en fera -ce
pas affez pour le faire convenir de fon
erreur?
>
Si dans fa premiere obfervation M. Cadet
a été infpiré , comme il le dit , par
l'amour de la Chimie , il y a apparence que
cette infpiration a ceffé dans la feconde ,
pour faire place à l'amour - propre . Il s'y
agit du Bleu de Pruffe , qu'il a fait avec
les eaux de M. Calfabigi. Le fieur Cadet
eft choqué que j'aye traité fa prétendue
140 MERCURE DE FRANCE.
découverte , d'objet fait pour amuſer les gens
oififs cependant je ne vois pas par où
cette expreffion eft offenfante ; car une expérience
, une opération , un livre même
faits uniquement pour amufer les
gens oififs
, en font- ils moins d'honneur à leurs
Auteurs ? Combien la Phyfique expérimentale
a-t'elle de ces fortes d'expériences
? M. l'Abbé Nollet rougit-il de les rapporter
, de les exécuter , & même de s'en
avouer l'Auteur ? Parmi les travaux chimiques
, combien n'y en a- t-il pas , qui
jufqu'à préfent ne peuvent nous fervir
que d'amufement , & que Boherave &
M. Rouelle ont donné dans leurs Cours ,
fans fe croire plus petits pour cela aux
yeax du Public ?
Voyons du moins fi ce qu'il rapporte de
l'importance de fon Bleu , l'emporte fur
la feule preuve que je donne de fa futilité.
Le Bleu de Pruffe du Sieur Cadet , a d'abord
l'avantage d'être exempt de cuivre ;
parce que tout a concouru à démontrer ,
que les eaux de M. Calfabigi n'en contiennent
pas.
Mais qui lui a dit que le Bleu de Pruffe
ordinaire en contenoit ? Que le vitriol martial
qu'on emploie dans les Manufactures
de Bleu , contient du cuivre ? Quelle eft
l'expérience qui lui a montré que le bleu
JANVIER . 1756. 141
de nos Manufactures en contient ? ou , s'il
en eft quelqu'une , pourquoi la taire ?
tout eût été démontré : mais la vérité eft
qu'il n'y en a pas , & que vraisemblablement
, il n'y en aura de longtemps. 1 °. Parce
que le vitriol martial n'eft pas auffi rempli
de molécules cuivreufes , que le veulent
infinuer certains Chimiſtes . 2 °. Parce
qu'on a toujours remarqué que le vitriol
cuivreux n'étoit pas propre à former dụ
du
Bleu de Pruffe. 3 ° . Enfin , parce que le
Bleu de Pruffe ne contient réellement point
de cuivre. Voici comme je m'en fuis convaincu.
J'ai calciné à la moufle un gros de Bleu
de Pruffe , comme l'enfeigne M. Geoffroi ;
j'ai lavé la chaux rouge qui m'eft restée ,
& j'en ai fait la réduction : j'ai diffous les
grains métalliques que j'ai obtenus , dans
un peu d'acide vitriolique foible. J'ai
deffèché le tout , & je l'ai diflous dans
l'eau ni l'alkali volatil , ni le fer poli
n'ont fait paroître de molécules cuivreufes.
Ce premier avantage du Bleu de M. Cadet
, lui eft donc commun avec le Bleu de
Pruffe de nos Manufactures : ni l'un ni
l'autre ne contiennent donc pas de cuivre .
Ainfi le Confifeur des amis de M. Cadet ,
peut continuer de débiter fes prétendues
paftilles de violettes , fans crainte d'em142
MERCURE DE FRANCE.
poifonner le Public. Il peut , aidé des luinieres
de cet Artifte , rendre fon reméde
encore plus innocent , & étouffer fes
fcrupules , qui ne portent fur rien.
-Autre avantage du bleu de M. Cadet.
Il n'eft point avivé , dit il , par les acides.
Cet avantage lui a paru d'affez grande
conféquence , pour le répéter dans la
quantité d'extraits qu'il a inférés dans les
Journaux , de fon premier mémoire fur
le Bleu il y revient même à deux reprifes
dans celui- ci : cet avantage fi vanté
méritoit bien du moins d'être démontré.
Ne falloit- il pas prouver que cet acide
vitriolique contenu dans les eaux de M.
Calfabigi , cet acide furabondant , que
perfonne n'y méconnoît , qui en conftitue
une partie des mauvaifes qualités , que cet
acide qui eft plus développé , quand l'eau
eft dépouillée de fon Ochre , ne fert à rien
dans la confection du Bleu de Pruffe ?
La difficulté de l'entrepriſe y a fait renoncer.
En effet , comment imaginer que le
Bleu des eaux de M. Calfabigi , ne fera
point avivé par aucun acide minéral , s'il
eft conftant que ces eaux en contiennent
un tout prêt à faire les fonctions de celui
qu'on y verferoit en cas de befoin ?
Mais quand nous fuppoferions , ce qui
peut très-bien arriver , que l'acide fur-
1
JANVIER. 1756. 143
abondant des eaux de M. Calfabigi , eft
dans cette opération abſorbé par l'alkali
fanguin , quel avantage ce Bleu auroit -il
encore , pour le tant préconifer ? M. Cadet
ne fe fouvient- il plus que nous avons
fait enfemble du Bleu très - beau , & en
très-grande quantité , fans employer aucun
acide nud ? A t'il oublié qu'une diffolution
ancienne de vitriol martial , verfé
fur la fécule qui fe précipite , lui donne
la teinte bleue parfaite , & que nous imitions
alors le travail des Fabriquans de
Bleu Voudra t'il ignorer de combien ce
procédé eft moins couteux que l'autre ,
Jui devant qui j'ai calculé les frais du Bleu
fait de cette derniere maniere ?
Je ne vois rien de plus dans le mémoire
de M. Cadet , qui mérite quelque réponfe
: car ce qu'il a pu me dire de défobligeant
, n'est pas chofe à quoi le Public
prenne grand intérêt . J'y en prends peu
moi- même. On ne le croira pas fur fa
parole , dès qu'il fe déclare mon adverfaire
, & je n'ai que faire de me laver
d'imputations qui font fans poids.
Voici la preuve que je donne que le
travail du Sieur Cader n'eft fait que pour
amufer les gens oififs . Elle eft extraite du
Poftfcriptum de mon ouvrage.
Il faut 280 pintes d'eau , pour faire
144 MERCURE DE FRANCE.
» une livre de Bleu de Pruffe ; ainfi en en
» faifant deux livres par jour , on en
» employe 560 pintes ; ce qui fait pour
» quinze jours , ( & non pas pour un mois)
» huit mille quatre cens pintes d'eau . Or je
» demande quelle et la fource d'un mon-
» ticule en état de fournir à cette exploita-
» tion , fans s'altérer bientôt , & faire tort
» aux fources qui lui doivent leur ori-
» gine ? « ( Nota , que j'ai démonrré ,
quoi qu'en dife M. Cadet , que le puits de
M. Calfabigi eft l'origine des fources de
Madame Belami ) « On voit par ce calcul,
» qu'on ne doit jamais s'attendre raifon-
» nablement à voir exploiter le puits de
» M. Calfabigi en grand . » Eft- ce répondre
à cette preuve , que de vanter l'excellence
de ce Bleu ? fût-il cent fois plus
capable d'abforber du blanc de plomb
mille fois plus éclatant , fupérieur enfin
à tous les Bleus : cela détruira- t'il ma preuve
? En fera-t'il moins vrai qu'il faille une
quantité prodigieufe d'eau , pour obtenir
un très -petit poids de Bleu une pinte
n'en fournit qu'un peu moins de demigros.
Quand on auroit ajouté le prix modique
auquel ce Bleu doit revenir , tout
cela contrebalanceroit- il les dangers que
courent la fource elle - même , & toutes
celles qui font au- deffous d'elle cela
rendroit-il
?
JANVIE R. 1756. 145
rendroit- il enfin l'exploitation plus importante
, & moins faite pour amufer
les gens oififs ? que fera- ce fi les prétendus
avantages de ce bleu fe réduisent à
rien , comme je l'ai montré plus haut ?
En voilà beaucoup fur un objet affez
mince ; mais j'ai répondu amplement pour
avoir des raifons légitimes de me dif
penfer d'entrer dorénavant dans aucune
difpute fur cette matiere . Le tems de la
jeuneffe eft celui de l'étude ; il eft trop
précieux pour l'employer à des difcuffions ,
qui ceffent bientôt d'intéreffer le Public ,
pour devenir l'objet de fes railleries , fans
concourir à l'avantage de la vérité , qui
pourtant doit être le feul but de nos recherches.
11. Vol.
146 MERCURE
DE FRANCE.
CHIRURGIE
.
DISSERTATION
fur le Ver plai', ou
folitaire , préfentée à MM. de l'Académie
Royale de Chirurgie , où on indique des
remedes qui ont réuffi pour détruire cet in-
·fecte , & un inftrumeni propre à porter dans
L'eftomac fans danger , pour le tirer , ou le
divifer en morceaux.
Les accidens que j'ai vu arriver à des
perfonnes attaquées du Ver plat ou folitaire
, font fi rares & fi finguliers , que j'ai cru
devoir faire part au Public de mes recherches
& de mes conjectures fur l'origine
de ce Ver , fur fon accroiffement , comme
il fe nourrit , & enfin des moyens que j'ai
mis en ufage pour le détruire.
Si l'on écoute, ceux qui en font attaqués
ils vous affurent qu'ils ont porté au monde
ce fâcheux animal de façon que fon origine
fembleroit remonter au fang de leur mere ,
qui auroit déposé la femènce de Ver dans
leurs vifceres par la voie de la circulation
& qu'une qualité particuliere des ſucs ou
des folides auroit fait éclorre dans l'âge le
plus tendre cette hypothefe eft difficile à
foutenir , les vaiffeaux capillaires du foetus
>
4
JANVIE R. 1756. 147
ne pouvant être pénétrés que par des fucs
trop affinés pour les foupçonner chargés de
quelques oeufs d'infectes.
compropres
Suppofons pour un moment que cette
femence ait franchi cet obſtacle ,
ment fe perfuader quelle fe fera déposée
dans l'eftomac , ou dans les inteftins du
fetus , plutôt qu'ailleurs ? fera-ce parce
que la portion de matiere parvenue dans
les inteftins, aura trouvé des fucs
à la faire eclorre ; & quelle fe fera perdue
ailleurs faute des mêmes fucs ? Cette difcuffion
eft néceffaire pour fe concilier le
principe établi par les fçavans MM. Reaumur
, Pluche , &c. que le plus petit infecte
ne peut fe produire de lui même ; qu'il
faut qu'il y ait une premiere femence qui
en fe développant l'ait formé.
Par conféquent les difpofitions particulieres
de l'eftomac , les mauvaiſes digef
tions , & les liqueurs qu'on a coutume de
fuppofer viciées pour eclorre les vers , no
fçauroient faire fortune , ne pouvant jamais
créer un être organifé fans le fecours
d'une premiere fémence .
Toutes ces difficultés m'ont fait croire
qu'il étoit plus naturel de penfer que l'oeuf
ou le germe du Ver folitaire pouvoit s'introduire
dans l'eftomac avec les premiers
alimens qu'on a coutume de donner aux
Gij
148 MERCURE
DE FRANCE
.
•
enfans , s'y développer , croître & aug
menter tant par la difpofition particuliere
des fucs que par celle de ce vifcere.
Mais de quel fonds tirerons-nous cet
oeuf, ce germe , cette premiere femence du
Ver plat ou folitaire , qui a communément
plus de cent cinquante pieds de longueur ?
Nous n'en voyous aucun de fon efpece
fur la furface de la terre : on ne ramper
l'hérite point de fes
goutte , la gravelle , &c .
parens ,
ainfi que la
De penfer que l'oeuf ou la femence d'un
ver de l'efpece quelconque
puiffe changer
de forme , ou de figure dans l'eftomac ,
ou les inteftins par la qualité de nourriture
qu'il y reçoit, feroit une abfurdité qui renverferoit
l'ordre de création qui regne
dans chaque efpece , & qui eft toujours
égale & toujours la même ; ce feroit accorder
aux fucs nourriciers
la vertu de
créer les folides ; au lieu qu'ils fons bornés
à les nourrir , & à les développer
ens'infinuant
dans leurs fibres.
Perfonne n'ignore que l'être , le corps , la
configuration des parties des infectes ne
foient défignés en raccourci dans la femence
qui les produit , & qu'elles ne peuvent
prendre d'autre figure que celle qui ſe
trouve finie dans leur principe .
Ces reffources fyftématiques manquant
1
JANVIE R. 1756. 249
pour prouver l'origine du Ver plat ou folitaire
, il convient de la chercher ailleurs .
Seroit- il fi ridicule de hazarder que le Ver
folitaire eft un monftre qui provient de
l'accouplement de vers de différentes
efpeces? Ce fyftême n'a rien qui dégrade celui
de la génération reçue & établie . Ne
voit- on pas une infinité d'autres monftrès
provenir de l'accouplement d'animaux de
différentes efpeces ?
L'oeufd'un ver ayant été fécondé par une
femence étrangere àl'efpece dépofée par la
mere , fur les alimens qu'on donne aux
enfans , étant porté dans l'eftomac , peut
éclorre & fe développer par l'analogie
des fucs qu'il y rencontre , & former dans
la fuite des tems le Ver folitaire .
Ce Ver une fois développé & organifé ,
ne recevant qu'une médiocre nourriture ,
ne peut acquérir qu'un léger accroiſſement,
& doit fe reffentir d'ailleurs de la foibleſſe
des parties du fujet , par conféquent ne
caufer au commencement que de légeres
incommodités ; mais lorfque la nourriture
augmente avec l'âge & les forces , l'animal
devient vigoureux , & commence à
exercer fes cruelles fonctions : plus il vieillit
, plus il devient indomptable .
L'idée commune veut que ce Ver prenne
ſa nourriture par la bouche , qui naturelle-
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
ment doit être unique , & que cette nourriture
foit fuffifante pour le faire croître
& augmenter ce fyftême n'a rien que
de raifonnable ; mais comme j'en ai difféqué
plufieurs morceaux fort longs , &
qu'au lieu de vifceres je n'ai découvert
dans toute leur étendue qu'une fubftance
fpongieufe , j'ai cru pendant bien du tems
que cette chaîne fi longue étoit un compofé
de petits vers plats , unis les uns à
la queue des autres : effectivement ils font
féparés par des digitations qui femblent
indiquer leur jonction : d'où je concluois
qu'il n'étoit pas furprenant que je ne puffe
appercevoir les vifceres d'un fi petit animal.
Il m'a fallu des expériences fouvent
réitérées pour me tirer de mon erreur , &
voici ce que l'obfervation m'a montré.
En Avril 1737 , une femme âgée d'environ
foixante-cinq années , d'un très -forttempérament
, vint me confulter ; elle fe
plaignoit des douleurs infupportables que
lui faifoit fouffrir depuis fa tendre jeuneffe
le Ver plat ou folitaire ; elle avoit le vifage
plombé , tout le corps bouffi , les cuiffes
, les jambes & les pieds enflés , le ven.
tre rendu , des étourdiffemens , des foibleffes
& des infomnies continuelles , un dégoût
pour toute forte d'alimens , de fréquentes
envies de vomir , & enfin elle diJANVIER.
1756. 1st
foit que ce déteftable infecte lui montoit
dans la gorge , & paroiffoit vouloir l'étrangler
; elle m'ajoûta que les différens remedes
, defquels on lui avoit fait faire ufage
pendant le cours de fa vie , lui avoient procuré
la fortie de plufieurs milliers d'aunes
de cet animal ;, mais que depuis près de
trois années il s'étoit rendu fi fort & G
adroit , que les remedes le plus violens n'opéroient
plus rien , & qu'il n'en fortoit aucun
veftige.
J'étois fi novice fur les moyens de combattre
cette fâcheufe maladie , qu'avant de
prefcrire aucun remede à la malade , je
voulus confulter les auteurs qui en ont
écrit ; mais n'ayant pas de quoi me fatisfaire
, je fus obligé de m'en tenir à mes
foibles lumieres.
Je commençai par faigner & faire vomir la
malade, & la mis enfuite à l'ufage des plus
puiflans amers en infufion , fans aucun effet.
La malade étoit defefpérée par les douleurs
infupportables qu'elle fouffroit continuellement
, & par le peu de fuccès de
ces premiers remedes. Ses plaintes me rendirent
induſtrieux. Je lui fis faire un opiat
compofé d'extrait d'abfynthe , de centaurrée
, de poudre d'orange amere , de hiéra
pigrata , d'aloès fuccotrin , de trochifqualandal
, de crocus metallorum , d'éthiops
Giv
752 MERCURE DE FRANCE.
minéral , de diagreds , d'effence d'abſynthe
, & de firop d'abſynthe.
Le premier bolus fit faire cinq felles à la
malade , fans ver ; le lendemain elle en
prit deux , qui produifirent une grande
évacuation , mais rien ne parut. Comme
ce remede la foulageoit , quelques jours
après elle prit trois bolus à mon infçu , qui
évacuerent force férofités , & fept aunes
de cette vermine , que j'anatomiſai fans
pouvoir rien découvrir d'inftructif fur fa
compofition. La malade croyoit être guérie
, & faifoit grand bruit fur ce fuccès :
effectivement elle fut foulagée pour un
tems , ce qui fit qu'on m'apporta deux enfans
âgés d'environ neuf à dix années , qui
avoient été attaqués du ver folitaire au berceau
, auxquels l'opiat donné à petites dofes
, évacua force aunes de ce ver , dans
l'efpace d'un mois ; ils l'ont continué depuis
de loin en loin , avec le même ſuccès ,
& il y a plus de dix années que leurs parens
m'allurent qu'ils font guéris.
Il y avoit près de trois mois que je n'avois
vu ma premiere malade ; elle vint me
retrouver pour me dire que mon remede
n'opéroit plus rien depuis quelque tems ,
qu'elle étoit prête à étouffer à chaque inftant
, que le ver lui montoit jufqu'à la racine
de la langue , qu'elle me feroit appelJANVIER.
1756. 153
ler quand elle l'y fentiroit , pour que je le
tiraffe. Le foir même je fus mandé ; j'y regardai
, & ne vis rien . Elle me força d'introduire
dans l'afophage des longues pinces
, mais ce fut fans fuccès : elle me tourmenta
fi fouvent , qu'enfin je formai le
deffein de faire conftruire un inftrument
propre à introduire fans danger dans fon
eftomac , tant pour la contenter , que pour
effayer fi je ne pourrois pas accrocher la
chaîne de ce ver.
L'inftrument fabriqué comme on le verra
ci - après , bien frotté d'huile , je l'introduifis
dans fon eftomac ; elle en fupporta
la douleur avec fermeté ; je le tournai ,
l'ayant ouvert de tous les côtés ; & après
l'avoir fermé , je le tirai un peu ; je recommençai
de même fi fouvent , que croyant
avoir accroché quelque chofe , je le tiraj
à moi , & je fentis que j'entraînois un corps
affez réſiſtant ; la crainte que j'eus que ce
ne fût la membrane interne de l'eftomac ,
me fit frémir ; mais ce que j'avois accroché
, m'échappa ; la malade me força de
faire de nouvelles tentatives dans l'inftant,
& les jours fuivans. J'avois perfectionné
l'inſtrument au point que je croyois qu'il
n'y avoit plus de danger à fon introduction
. Le huitième jour je tirai quatre aunes
de cet animal , & c'est ce qui me fit
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
prendre confiance à cette nouvelle métho
de : la malade de fon côté en fut fi fatisfaite
, qu'elle auroit voulu que j'euffe continué
la même manoeuvre tous les jours .
Je lui confeillai de prendre de mon opiat ,
qui lui fit évacuer une quantité prodigieufe
des morceaux de ce ver tout vivans ;
elle les mefura les uns après les autres , &
ils fe trouverent paffer quinze aunes. J'examinai
de nouveau ces morceaux de ver
fans rien découvrir d'intéreffant fur fa
Structure particuliere. Cependant faiſant
réflexion à la rupture que mon inftrument
avoit fait de ce ver depuis plufieurs jours ,
je concluois que fes portions fortant vivanres
, il falloit que ce ver fût nourri par des
voies différentes des autres animaux. J'avois
déja apperçu dans mes premieres recherches
du côté du ventre , entre les digitations
, quatre petites éminences où
mamelons , que j'avois pris pour les pieds
de l'animal , que je foupçonnai alors pouvoir
être au contraire autant de pompes
afpirantes , propres à porter le chyle , duquel
fans doute il fe nourrit dans toutes
fes parties ; ce qui feroit plus que fuffifant,
& pour le nourrir , & pour le faire croître
auffi rapidement qu'il fait , & pour conferver
aux portions coupées une efpece delvie
pendant quelque tems .
JANVIER. 1756. ISS
Je cherchai enfuite le canal que M.
Winſlaw a découvert , & qu'il dit régner
le long des progrès du corps du ver folitaire
, fans avoir pu le rencontrer. Il n'eft
pas furprenant que ce que ce fçavant Anatomiſte
a trouvé, m'ait échappé ; mais je
n'ai rien apperçu , même avec une loupe ,
qui ait pu me le faire foupçonner.
Après la derniere opération , ma malade'
fe rétablit entiérement , & ne fentit plus
aucune incommodité caufée par le ver for
litaire : elle mourut cinq années après d'une
fluxion de poitrine.
L'inftrument duquel je me fuis fervi
pour tirer le ver folitaire , eft un tuyau d'argent
, du volume d'une plume à écrire ,
long de deux pieds , décrivant une figure
légerement courbe , à l'un des bouts eft
une boule de huit lignes de circonférence
il est percé dans toute fa longueur , pour
permettre le paffage d'un ftylet de même
matiere. Ce ftylet a deux pieds & trois lignes
de longueur ; il a un crochet plat ,
femi-lunaire , mouffe par fa pointe , qui
fe loge dans une rainure pratiquée à cette
boule lorsqu'il eft formé . L'autre bout qui
le termine , eft replié en forme de cercle ;
de façon que le ftylet , qui fait pour ainfi
dire l'office d'hameçon lorfqu'il eft porté
dans l'eftomac , n'a que trois lignes de
jeu.
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
Cet inftrument frotté d'huile , & bien
fermé , on l'introduit dans l'eftomac , &
F'on eft affuré qu'il eft dans ce vifcere par
le rapport du malade , parce qu'on ne ſent
plus de réfiftance à fon bout , & parce
qu'on peut le tourner facilement. Alors on
appuie légerement la boule fur le fond de
l'eftomac , ou fur la premiere de ſes ſurfaces
qui fe préfente ; on l'ouvre en pouffant
doucement le ftylet ; on le ferme & on
l'ouvre fucceffivement , jufqu'à ce qu'on
rencontre quelque corps qui fe place entre
cette boule & le crochet , & on tire à
foi. Si on amene un corps , il eft facile
de s'en appercevoir par la réfiftance qu'il
vous oppofe ; fi le corps que vous avez
accroché , gliffe ou fe rompt , on le fent
de même facilement , & on recommence
cette manoeuvre , autant que la patience
du malade , & les légeres douleurs qu'il
reffent , peuvent le permettre.
De tout ce détail il refte à apprécier aux
fçavans dans l'art de guérir , fi l'ufage de
l'opiat , & l'inftrument ci-deffus indiqués,
peuvent être employés avec fuccès pour
détruire le Ver plat ou folitaire.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Ravaton , Chirurgien Major de l'Hôpital
Royal & Militaire de Landaw , le 29. Inil
fet, 1755.
JANVIE R. 1756. 197
SÉANCE
PUBLIQUE
De l'Académie des Sciences & Belles-Lettres
de Béfiers, du 20 Février 1755 .
Onfieur d'Abbes , Directeur , ouvrit
la féance par un petit difcours à la fin
duquel il 'annonça la mort de M. d'Andoque
& du R. P. Loferan Dufec , tous
-deux Membres de cette Compagnie dès
que
l'inftitution , & fit de l'un & de l'autre
un éloge fort fuccinct , en attendant qu'on
rende à chacun plus au long legibut des
louanges qu'ils ont mérité.
Enfuite il lut un Mémoire fur la Beauté ,
où il rapporta les différentes idées que
s'en font formés les Peuples des différen-
-tes nations , & fit diverfes remarques.
là deffus .
M. de Guibal lut fon troifiéme Mémoire
, pour fervir à l'Hiftoire de la ville
de Béliers. Dans les deux précédens
qu'il avoit lus auffi dans deux différentes
affemblées publiques , il avoit pouffé fes
recherches fur tout ce qui regarde cette
hiftoire , jufqu'à la fin du dixiéme fiecle ,
& dans celui-ci il est allé jufqu'au milieu
du douzième fiecle. Comme ce Mémoire
158 MERCURE DE FRANCE.
occupa la plus grande partie de la féance
, il ne refta de temps que pour le Mémoire
que lut M. Bouillet le fils , où il
fit voir que pour prévenir les engorgemens
du poumon , les faignées réitérées de la gorge
ne font pas moins néceffaires que celles
du bras & du pied.
Comme mon Mémoire , dit- il , n'a été
fait qu'à l'occafion d'un ouvrage fur la
faignée , que mon pere annonça l'année
derniere à l'Académie Royale des Sciences
de Paris , & qu'il doit lui envoyer
bientôt ; que c'eft même cet écrit qui me
fit naître l'idée que je tâche de développer
dans mon Mémoire , j'ai cru devoir
commencer par vous expofer fur quoi
roule la differtation de mon pere , obfervant
de ne pas entrer dans la difcuffion
des principes Anatomiques & Phyfico-
Mathématiques , fur lefquels il eft fondé
, & qui le rendroient inintelligible
au plus grand nombre de ceux qui nous
font l'honneur d'affifter à nos affemblées
publiques.
Il s'agit dans fa differtation d'examiner
fi la faignée, pendant qu'on la fait , eft dérivative
& révulfive , dans le fens qu'ont
Idonné à ces mots , Bellini , fçavant Médecin
Italien , & M. Silva qui pratiquoit
avec éclat la médecine dans Paris , il y a
JANVIE R. 1756. 159
Nvingt ou trente ans ; c'eft- à- dire , qu'il eft
queftion d'examiner fi la faignée, pendant
qu'on la pratiqué , attire du fang vers les
vaiffeaux qui s'abouchent avec la veine ouverte,&
l'oblige à s'y porter en plus grande
quantité qu'avant l'ouverture de la veine ,
& en même temps fi elle le détourne des
vaiffeaux oppofés à ceux- là , & empêche
qu'il ne fe porte dans les vaiffeaux oppofés
en auffi grande quantité qu'avant
Îa faignée. C'eſt ce que croyoient les Médecins
dont ont vient de parler , & c'eft ce
qu'ils ont tâché d'établir dans leurs ouvrages
, fe fondant fur un fait qu'ils regardoient
comme certain , fçavoir que
pendant la faignée , le cours du fang eft accéléré
dans la veine piquée. Du refte ils
convenoient tous qu'après la faignée ,
ces deux effets la dérivation & la révulfion
qu'ils croyoient néceffairement accompagner
toute faignée en quelque endroit du
corps qu'on la pratiquât , ils convenoient ,
dis-je , unanimement qu'après la faignée
ces deux effets ceffoient totalement , &
qu'il fe faifoit une égale répartition du
fang, reftant après la faignée , dans tous
les vaiffeaux du corps , proportionnellement
à leurs calibres ou à leur capacité.
Cependant quoique le temps que dure
une faignée foit affez court , & que la dé160
MERCURE DE FRANCE.
T
rivation & la révulfion , fi elles avoien
lieu , ne puffent être que bien peu de
chofe , ces Médecins , & furtout M. Silva,
ne laifoient pas d'en tirer de grandes conféquences
pour le choix des faignées , ce
qui embaraffoit fouvent les Médecins dans
la pratique.
Il s'agit encore dans la même differtation
, d'examiner fi , comme l'avance M.
de Senac , premier Médecin du Roi ,
dans fon dernier ouvrage imprimé en
1749 , l'effet actuel de toute faignée fe
réduit uniquement à l'évacuation d'une
certaine quantité de fang ; c'eft à quoi l'a
conduit l'examen approfondi que mon
pere a fait de cette matiere , c'est- à dire ,
qu'il a reconnu que toute faignée n'étoit
qu'évacuative.
Il fe fonde fur ces deux principes .
1°. Que la faignée pendant qu'on l'a fait ,
n'augmente point par elle même la vîtefle
du fang dans les artéres & les veïnes qui
communiquent avec la veine qu'on a
ouverte , à caufe de la ligature qu'on eſt
obligé d'appliquer & qui gêne beaucoup
plus le cours du fang dans les vaiffeaux ,
comprimés que l'ouverture faite à la veine
ne le facilite. 2 ° . Que la faignée , en quel
qu'endroit qu'on la pratique , fruftre l'une
ou l'autre veine cave , & conféquem
JANVIER. 1756. 161
que
être conment
leur finus veineux , l'oreillete & le
ventricule droit du coeur , d'autant de
fang que la ligature en arrête , ou que la
veine ouverte en laiffe échapper.
Le fecond principe ne peut
refté ; car il eft vifible que le fang qui
fort par l'incifion de la veine , ne retourne
point au coeur , & conféquemment
le coeur eft fruftré de toute la quantité
de celui qui fort. A l'égard du premier
, fçavoir que la faignée n'accélere
point la viteffe du fang , mon pere le prouve
par la comparaifon des obftacles que le
fang eft obligé de furmonter pour couler
le long de la veine avant l'application
de la ligature , & pour couler par l'incifion
de la même veine , après que la
ligature a été appliquée : & cette comparaifon
, quoiqu'elle ne roule que fur des
quantités indéterminables , ou fur des chofes
qu'on ne peut apprécier au jufte , démontre
néanmoins incontestablement que
ce que Bellini & M. Silva regardoient
comme un fait certain , que pendant la faignée
le cours du fang eft accéléré dans la veine
piquée , le trouve visiblement faux ,
& que parconféquent aucune faignée n'ek
ni dérivative ni révulfive , comme ces Médecins
le prétendoient.
Du fecond principe mon pere conclut
161 MERCURE DE FRANCE .
que toute faignée pendant qu'on la pratique
, eft d'abord évacuative particuliere
à l'égard des vaiffeaux qui s'abouchent
immédiatement avec la veine piquée , &
tout de fuite évacuative générale , à l'égard
de tous les vaiffeaux du corps ; & il prouve
ce qu'il avance en quelque état que
foit le pouls de la perfonne qu'on faigne ,
& quelle que foit la quantité de fon fang ;
c'est -à-dire , foit que pendant la faignée
le pouls ne foit ni plus ni moins fort ,
ni plus ni moins fréquent , que dans l'état
naturel ou de fanté , foit que conftamment
il foit plus fort & plus fréquent , ou moins
fort & moins fréquent, foit enfin qu'il augmente
ou diminue de force & de fréquence
pendant la faignée , & foit que cette
perfonne n'ait ni plus ni moins de fang
que dans l'état naturel ,ou qu'elle en ait plus
ou moins ; ce qui embraffe toutes les pofitions
où fe peut trouver une perſonne
qu'on faigne , & prévient toutes les objections
qu'on pourroit faire.
Il fuit de cette théorie ou de ce que l'effet
actuel de toute faignée fe réduit à une
évacuation particuliere des vaiffeaux voifins
de la partie faignée, & à une évacuation
générale de tous les vaiffeaux du corps ,
que le choix des faignées doit être tout-àfait
indifférent, fi on n'a égard qu'à l'évacuaJANVIER.
1756. 163
tion générale ; mais que fi on a égard à l'évacuation
particuliere , il ne doit pas être
indifférent. Cependant comme mon pere
a trouvé que dans les premieres faignées
qu'on fait à un malade , l'évacuation particuliere
ne pouvoit être que peu de chofe ,
par rapport à la quantité totale du fang ,
il croit qu'on peut regarder comme affez
indifférent le choix de ces premieres faignées
: mais il penfe qu'il n'en eft pas de
même des faignées qu'on eft obligé de
réitérer , & que l'évacuation particuliere
qu'elles produifent , étant alors affez confidérable
, on doit faigner le plus près
qu'il fe peut de la partie affectée , & que
c'eft par cette raifon que la faignée du
col dégage fi efficacement la tête ; ajoutant
que fi la faignée du pied dégage auffi
quelquefois promptement latête, quoiqu'el
le ne foit pas évacuative particuliere , à l'égard
du cerveau , c'eft parce que par
la
faignée du pied on tire ordinairement beaucoup
de fang ; que parconféquent il en
revient pendant la faignée beaucoup
moins au coeur par la veine cave inférieure
; que la veine cave fupérieure ſe
décharge alors beaucoup plus aifément
dans le finus veineux & dans l'oreillete
droite ; que les fouclavieres fe déchargent
plus ailément dans cette veinė ,
164 MERCURE DE FRANCE.
!
que
& les jugulaires dans les fouclavieres , &
les veines du cerveau fe dégorgent
plus aifément dans les jugulaires : obfervant
en même-temps que cet avantage
que procure la faignée du pied , on l'obtiendroit
également de la faignée de l'un
des bras , fi elle étoit faite dans les mêmes
circonftances , & qu'on tirât autant de
fang par cette faignée , que par celle du
pied , parce que la veine cave fupérieure
fruftrée du fang qui devroit lui revenir
offriroit également moins de réfiftance au
fang que les jugulaires rapportent du cerveau
.
Cette derniere explication me fit penfer
qu'on pouvoit étendre l'ufage de la
faignée de la jugulaire plus loin que mon
pere n'avoit fait dans fa differtation , &
c'eft ce que je vais vous expliquer dans
ce Mémoire , où je fais voir que pour prévenir
les engorgemens du poumon , les faignées
réitérées de la gorge ne font
moins néceffaires que celles du bras & du pied.
pas
Ne nous lafferons- nous jamais de fuivre
aveuglément l'exemple de nos prédéceffeurs
? Faudra-t'il , en médecine comme
dans la vie civile , s'affervir toujours à
la mode , & même contre l'intérêt des
malades fe conformer fervilement à leurs
préjugés ou s'afſujettir à leur goût ? Qu'on
JANVIE R. 1756. 165
ne nous oppofe point qu'en médecine il
n'eft guere für de faire que ce qui a été
déja fait. Cette fage maxime ne doit
être exactement obfervée que lorsque ce
qui a été fait , fuffit feul pour nous conduire
furement au but qu'on fe propofe .
Car autant qu'un Praticien doit s'abstenir
de faire des effais téméraires , autant eftil
obligé d'inventer quelquefois de nouveaux
moyens , ou du moins de perfectionner
l'application des remedes connus ,
lorfque cela eft néceffaire pour la guériſon
de fes malades. D'ailleurs où en ferionsnous
aujourd'hui , fi dans la pratique les
Médecins modernes n'avoient ofé rien
ajouter à ce que faifoient les anciens ? De
combien de reffources ne ferions nous
pas privés ? Et de quelles reffources ? Nouveaux
fecours plus furs , plus efficaces &
la plupart plus doux que ceux dont on
fe fervoit autrefois ; nouvelles applications
beaucoup plus heureuſes des moyens
connus depuis longtemps ; tout cela feroit
perdu pour nous , & vous comprenez parfaitement
que la perte feroit bien grande.
Il n'eft point queſtion ici d'un nouveau
remede , & ce n'eft pas le lieu de marquer
les précautions qu'on doit prendre avane
d'en faire des effais. Il ne s'agit que
d'un moyen connu depuis fort long-tems ;
moyen éprouvé par les Anciens & les Mo
que
166 MERCURE DE FRANCE.
dernes , mais dont il ne me paroît pas
qu'on ait fait tout l'ufage qu'on n'en auroit
dû faire . Il ne s'agit que de la faignée
de la jugulaire , & je ne doute pas qu'on
n'en eût beaucoup plus étendu l'ufage ,
fi des raifons que je rapporterai , mais
qui ne doivent pas arrêter un Médecin .
attentif au foulagement des malades , &
zélé pour le progrès de fon Art , ne s'y
étoient oppofées ; c'eft du moins ce qu'on
Peut inférer de ce que nous ont laiffé
là- deffus Severinus , Willis , & M. Hecquet,
& du titre de l'ouvrage d'un Médecin Allemand
, imprimé en 1735 , de venâ jugulari
frequentius fecanda : je dis du titre ,
car je n'ai pas eu occafion de lire l'ouvrage
, ni d'en voir même aucun paffage cité
dans des Livres imprimés poftérieurement
en Allemagne & en Hollande , tels que
Trilleri commentatio de pleuritide ejufque curatione
; & Wanfwietin commentaria in Hermani
Boerhaave aphorifmos , & c. dont les
troisieme Volume imprimé l'année derniere
en Hollande , ne m'eft parvenu que
depuis peu , ce qui m'a fait préfumer que
l'ouvrage du Docteur Allemand n'avoit
pas plus accrédité la faignée de la gorge ,
que ceux de M. Hecquer & de fes prédéceffeurs.
En voici la raifon :
: Les malades ont de la répugnance pour
toutes fortes de faignées ; ils en ont d'orJANVIE
R. 1756. *
167.
dinaire plus pour la faignée du pied que
pour celle du bras , & plus encore pour
la faignée de la gorge que pour aucune
des autres. Les malades & les affliftans
n'acquiefcent guere à la faignée de la
jugulaire qu'à la derniere extrêmité , &
ordinairement on ne fouffre pas qu'on.
la réitere , ou bien alors il n'en eft plus,
tems . D'un autre côté la plupart des Chirurgiens
n'aiment guere cette commiſſion ,
& quelques - uns d'entr'eux n'ofent pas
s'en charger. Mais fi cette faignée dans
certains cas eft auffi néceffaire que les aupourquoi
ne pas vaincre la répugnance
des malades ? Pourquoi ne pas
obliger les Chirurgiens à fe familiarifer
avec cette opération , qui n'eft guere plus
difficile que la faignée du bras , & qui
n'en a pas les inconvéniens ? Si les Médecins
étoient d'accord là-deffus , il ne fepas
difficile de faire entendre raifon
aux malades & aux Chirurgiens.
tres ›
roit
T
Au refte il faut , ou que les raifons de
M. Tralles n'ayent pas convaincu M. Heif
ter qui connoiffoit fon Livre , ou que M.
Tralles n'ait pas appliqué la faignée de la
gorge à l'inflammation du poumon ,
poumon , puifqu'en
parlant de cette faignée dans la derniere
édition de fes Inftitutions de Chirurgie
, M. Heifter ne fait mention que
de l'inflammation du gofier , de la phré168
MERCURE DE FRANCE.
néfie , de la manie , & de la mélancolie
des affections foporeufes , & d'autres maladies
qui attaquent la tête , où il dit qu'il
n'eft pas nouveau qu'on faffe ufage de ce
fecours.
Pour faire voir que la faignée du col
n'eft pas moins néceffaire que celles du
bras & du pied , je n'ai d'abord qu'à rappeller
le principe dont mon pere s'eft fervi
dans le Mémoire dont je viens de vous
kire le précis ; fçavoir , que la faignée en
quelque partie du corps qu'on la faffe ,
dérobe au finus veineux & à l'oreille droi
te , une certaine quantité de fang , de forre
que pendant & après la faignée , le
ventricule droit du coeur en reçoit moins
qu'auparavant , & en jette moins dans les
arteres pulmonaires qui traverſent toute
la fubftance du poumon , & dont l'engorgement
eft plus à craindre que celui des
arteres bronchiales qui reçoivent de l'aorte
le fang néceffaire à la nourriture de
ce vifcere. Car il fuit de ce principe , que
la faignée du col fera à l'égard du poumon
, le même effet que toute autre faignée,
en fappofant égale la quantité de
fang tirée de ces veines.
Ce n'eft pas tout. Je prétends que dans
les cas d'inflammation au poumon , après
avoir faigné d'abord du bras une ou deux
fois
4
JANVIER. 1756. 169
fois , felon la violence de la fievre , &
avoir bientôt après pratiqué une faignée
au pied , on ne peut enfuite employer de
fecours plus efficace pour prévenir l'engorgement
, que la faignée de la jugulaire,
fuppofé que la faignée foit encore néceffaire
pour le prouver je n'ai qu'à faire
remarquer , 1 °. Qu'au moyen d'une ample
faignée du bras ou de deux faignées
médiocres affez proches l'une de l'autre
on évacue au moins feize onces de fang :
& que fi tout le fang du corps paffe dans
une ou deux heures à travers les poumons
, une ou deux heures après cette
évacuation il y en aura paffé feize onces
de moins , ce qui aura fort foulagé cette
partie. 2 °. Qu'en évacuant enfuite par le
pied feize autres onces de fang , une ou
deux heures après cette faignée , il en aura
paffé par les arteres pulmonaires trente-
deux onces de moins , fans compter
qu'il aura abordé moins de fang par les
arreres bronchiales à la fubftance propre
du poumon , parce qu'il s'en fera diftribué
trente-deux onces de moins dans toutes
les arteres qui partent de l'aorte ; diminution
qui aura permis aux extrêmités
capillaires des arteres pulmonaires &
bronchiales , de fe dégorger plus aifément
dans les ramifications des veines qui leur
II. Vol.
H
170 MERCURE DE FRANCE.
font continues . Nous ne faifons ici aucnne
attention au chyle & à la lymphe qui
font fournis au fang dans le même- tems ,
parce qu'on peut fuppofer que par les fecrétions
de la lymphe , de l'urine , de la
tranfpiration , &c. Il fort du fang en
tems égal , prefqu'autant d'humeurs qu'il
en entre. 3° . Qu'en tirant enfuite par la
faignée de la jugulaire huit ou dix onces
de fang , une ou deux heures après il en
fera paffé par les arteres pulmonaires environ
quarante ou quarante -deux onces
de moins , & qu'il en fera proportionnellement
moins entré dans les arteres bronchiales
; ce qui aura augmenté la facilité
à fe dégorger de leurs extrêmités capillaires.
Mais ce n'eft là le feul avantage
qu'on peut retirer de la faignée du
col , autrement il feroit aifé de l'obtenir
de toute autre faignée où l'on fruftrefoit
les poumons d'une pareille quantité de
fang.
pas
Par les faignées du bras & du pied , on
diminue promptement la quantité du
fang qui revient de ces parties vers l'une
& l'autre des veines caves ; mais on ne diminue
pas auffi promptement la quantité
du fang qui revient de la tête , qu'on le
feroit par la faignée de la jugulaire . Les
faignées dont on vient de parler,, permetJANVIER
1756. 171
tent bien aux veines jugulaires de fe dégorger
plus aifément dans les fouclavieres
qui verfent leur fang dans le tronc fupérieur
de la veine cave , mais ce qu'elles
verfent de plus alors , eft bien peu de chofe
en comparaifon de 8 ou 10 onces de fang ,
qu'on tireroit promptement par la faignée
de la gorge.
Ajoutons que par la faignée , en quelque
endroit qu'on la pratique , on diminue
farement la maffe du fang , mais
qu'on ne diminue pas toujours fon volume.
Le fang eſt une liqueur graffe qui fe
ratéfie ailément par la violence de la
fievre ; de forte que fouvent après une ou
deux faignées , les vaiffeaux fanguins ne
font guere moins pleins qu'auparavant :
quelquefois même ils fe trouvent plus
pleins par la feule raréfaction du fang ;
ce qui n'eft que trop ordinaire dans les
inflammations du poumon . Alors malgré
les faignées du bras & du pied , le fang
qui revient de la tête fe joignant à celui
qui revient de toutes les autres parties ,
offre un grand volume au ventricule droit :
il y en entre trop ; il en paffe trop dans les
artéres pulmonaires , & il en reflue même
vers les parties fupérieures , comme il
roît par la rougeur du vifage & par le
gonflement des veines des tempes & du
pa-
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
col , ainfi que je l'ai obfervé
d'après
tous
les
Médecins
anciens
&
modernes
. Ne
pas faigner
du col dans ces
circonftances
,
c'eft non
feulement
laiffer
accroître
l'embarras
du poumon
, mais encore
donner
le
temps
au cerveau
de s'engager
ou de fe
remplir
d'une
trop
grande
quantité
de
fang ; ce qu'un
délire
obfcur , ou la phrénéfie
qui
furvient
pour
l'ordinaire
, font
affez
connoître
. Si dans cet état on faigne
du pied
comme
on le pratique
ordinairement
, le cerveau
fe dégage
promp
tement
aux dépens
des poumons
qui s'engorgent
irrémédiablement
. La raifon
n'en
pas
difficile
à deviner . Le finus
veineux
&
l'oreillette
droite , privés par la faignée.
du pied
d'une
certaine
quantité
de fang ,
reçoivent
plus
aifément
celui
qui s'étoit
amaffé
dans le cerveau ; ce fang
entre en
abondance
dans le
ventricule
droit , le
cerveau
fe dégage
& les
poumons
achevent
de s'engorger
d'autant
plus
aifément
que par fon féjour
dans
la tête , le fang a
perdu
beaucoup
de fa fluidité
, & eft devenu
tout-à-fait incapble
de rouler
librement
dans les
rameaux
capillaires
des
arteres
pulmonaires
.
eſt
Cette faignée doit être non feulement
employée après les autres , mais réiterée
même , fi le cas le requiert,
JANVIER. 1756. 173
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
I
ARTS AGRÉABLE S.
MUSIQUE.
L paroît une Cantatille nouvelle , intitulée
l'Amour protecteur , dédiée à Madame
la Marquife d'Agoult , par M. le Fevre ,
Organifte. Cet Auteur eft déja connu par
plufieurs autres ouvrages , où l'on voit
régner une grande variété d'images rendues
avec autant de graces que d'expreffion.
On la trouve aux adreffes ordinaires.
Le fieur Gafpard Tritz , Maître de Mufique
& de violon a mis au jour deux
ouvrages de fa compofition , dont l'un contient
fix Sonates à violon feul & baffe , &
l'autre fix Sonates à deux violons & baffe ;
prix fix livres chacan . On les trouve chez
lui , rue de Buffi , à l'Hôtel d'Angleterre ,
& aux adreſſes ordinaires .
Hijj
174 MERCURE DE FRANCE .
PEINTURE, A
Lettre écrite de Bruxelles fur le fecret de
transporter les tableaux fur de nouveaux
fonds , & de les réparer.
It' y a plus de quatorze ans , Monfieur
que j'ai vu tranfmettre ici de vieux
Tableaux fur de nouveaux- fonds ; & il n'y
en a pas cinq que l'existence de ce fecret
à été divulguée dans les Mémoires de
Trévoux ( 1 ) , la premiere fois, par une lettre
Au P. B. J. SUR LES TABLEAUX EXPOSÉS
AU LUXEMBOURG. On y voit d'a
bord , y eft - il dit , un grand Tableau de la
Charité , peint par André del Sarte , fur
bois , & remis fur toile par le fieur Picaut ,
qui a fignalé en ceci fon adreffe & ſon attention
. Le fieur Riario , Italien , nous avoit
déja donné des preuves de fon fçavoir
dans le même genre : il étoit venu à bout de
tirer des Plafonds de l'Hôtel de Bouillon ' ,
plufieurs Tableaux de le Sueur , peints fur
plâtre , & il les avoit remis parfaitement
Sur toile.
Tout cela eft vrai. M. Riario , Gentilhomme
Italien , bon Peintre , & très-
( 1) Mois de Janvier , 1751 , p . 105 .
JANVIER. 1756. 175
expert en Phyfique , Médecine , Chimie,
Optique , &c. avoit été en liaifon avec M.
le Duc de Bifache , grand Amateur des
curiofités de la Nature & des Arts : celle
de la tranfmiffion des fonds de Tableaux
ne lui eft point échappée , non plus qu'à
M. le Comte d'Egmont fon fils , qui n'étoit
pas moins curieux. Se trouvant à Bruxelles
en 1741 , & M. le Duc d'Aremberg
fon beau - frere , lui ayant préfenté M.
Dumefnil , comme un des habiles Peintres
que nous ayons dans ce Pays depuis longtemps
, il reconnut bientôt fon mérite ,
l'honora de fon eftime , & lui enfeigna
cette méthode d'enlever les Tableaux de
leur fonds . J'ai eu l'avantage d'en être témoin
, & M. Dumefnil garde encore chez
lui une preuve convaincante de fes parfaites
réuffites .
C'est pareillement à la bonté de ce Seigneur
, que fon Valet de Chambre nommé
Pafquet , eft redevable de la connoiſſance
d'un fecret qui fait aujourd'hui tant de
bruit dans Paris. Le fieur Picaut peut l'avoir
appris de celui ci , ou peut- être de
M. Riario même. Mais ce qui donneroit
lieu d'en douter , eft fon opération finguliere
, rapportée par les Journaliſtes de
Trevoux , dans leur difcours intitulé :
OBSERVATIONS SUR L'ART DE CONSERHiv
176 MERCURE DE FRANCE.
»
VER LES OUVRAGES DE PEINTURE QUI
MENACENT RUINE. ( 1 ) « Après qu'on les
» eut affurés que ce fecret communique
» aux Tableaux tranfportés d'un fonds fur
un autre , plus de durée que les Peintres
» mêmes ne peuvent leur en donner , ils
difent qu'ils croient en appercevoir la
» raifon qui doit du moins être indiquée
; & voici comment. M. Picaut ,
continuent - ils , travaille long - temps
» avant que d'enlever un Tableau de deffus
fon fonds. Ce précieux épiderme ,
s'il eft permis de parler ainfi , eft tellement
inhérent fur la matiere qui l'a reçu
» d'abord , que le feu feul , & un grand
feu , accompagné des liqueurs qui font le
» fecret , peut à peine confommer l'opération.
Il ne nous eft ni permis ni poffible
d'indiquer le point précis , qui acheve
l'enlèvement des figures , qui a fait , par
exemple , que cette belle Charité d'André
del Sarte , détachée de la planche
qui la portoit , s'eft remife toute entiere
» dans les mains de l'Artifte . Ici eft le
myftere , la fcience , le coup de maître
» qui jette dans l'admiration . »
و د
Que vous en femble , Monfieur ? les
Obfervateurs n'en ont-ils pas trop dit ? &
(1) Mém. de Trévoux , Février 1751 , P. 45.2
JANVIE R. 1756, 177
ne font- ils pas trop appercevoir cette raifon
qu'ils ne vouloient qu'indiquer.
quoiqu'il ne leur foit ni permis ni poffi
ble ? Est- ce par conjecture & de leur propre
mouvement qu'ils parlent ? La complaifance
n'y entre t'elle pour rien ? J'ai
de la peine à me le perfuader ; & j'aime
mieux croire que ce n'est qu'un détour
fuggeré , pour embarraffer ceux qui voudroient
approfondir l'art mystérieux du
fieur Picant. Comment donc employer le
feu feul & un grand feu , pour détacher un
Tableau de deffus une planche , & pour
le tranfporter en entier fur un autre fonds?
où eft la vraisemblance ? Oh ! mais , ce
font des liqueurs compagnies de ce feul
grand feu , qui en arrêtent l'activité, &
qui achevent l'enlevement des figures . Autre
prodige ! Toute liqueur eft ou aqueufe
ou fpiritueufe , ou onctaeufe. Il faudroit
une grande quantité de la premiere pour
amortir un grand feu , & peu des deux autres
pour un effet tout contraire. Celles da
feur Picaut font apparemment compofées
ou mêlangées de façon qu'elles produifent
ce phénomene anti- phyfique. C'eft pousquoi
, fans vouloir en pénétrer le mytere,
je conviens avec les Sçavans Obfervateurs ,.
que c'est un bien qui n'appartient qu'à cex
Artifte , un bien dont il doit jouir fans river
Hy
"
178 MERCURE DE FRANCE.
lité ; c'est - à- dire , de cette étonnante opération
, & non pas de celle qui vient originairement
de M. Riario , dans laquelle il
n'entre ni feu, ni liqueurs , ni rien qui puiſſe
communiquer aux Tableaux tranſportés , plus
de durée que les Peintres mêmes ne peuvent
leur en donner. Cette derniere circonstance
eft imaginée à pure perte , puifqu'on ne
peut point la vérifier , & qu'elle n'augmente
pas le mérite du fecret. Eh ! qu'importe
après tout , qu'on opere différemment
, quand le fuccès eft égal ? Mais on
fait deux queſtions aux Artiftes , qui fe
portent eux-mêmes pour être en état de réuffir,
& qui pour cela font appellés cela font appellés antagonistes
du fitur Picant : la premiere , pourquoi jufqu'ici
ils n'ont pas fait ufage de leur talent ;
la feconde, pourquoi ils ne publient pas la méthode
qu'ils croient infaillible pour le fuccès
de l'opération. Je répons pour eux , que
s'ils n'en ont pas fait ufage , c'eft peut- être
faute d'occafion ; & s'ils l'ont fait , ç'a été
fans bruit & fans aucune envie de fe faire
préconifer. Pour la feconde queftion l'on
fuppofe qu'un fecret ne doit plus être un fecret
, dès que plufieurs perfonnes fe flattent
de réuffir également ; ce qui n'eft pas exactement
vrai : car combien d'Artistes ont
entre eux un fecret de métier , qui ne
fort point de leur famille ; & qui n'en
JANVIER. 1756. 179
diroient pas le mot , quand cent perfonnes
fe flatteroient de l'avoir comme eux ? auffi
ne s'avife-t'on guere de demander pourquoi
: on le devine affez . Il ne s'agit point
ici de ces découvertes dans les Sciences ,
dont la feule récompenfe eft la gloire de
les avoir faites : nos Artiftes nous diront
Que qui ne vit que de gloire ,
Peut fort bien mourir de faim ;
& que c'est pourquoi ils ne publient pas
leur méthode. Je ne crois pas auffi que M.
Picant puiffe rien alléguer de plus plaufible
pour cacher la fienne , & nous donner
le change ; en quoi je trouve qu'il a fait
très - fagement , & montré plus d'efprit &
de politeffe , que les indifcrets qui lui auront
fait la même queftion. Ainfi je ferois
d'avis , qu'au lieu de ce proverbe un peu
groffier : Afotte demande point de réponse ,
l'on dife déformais , à fotte demande réponſe
Normande.
Tous ces difcours , difent les Journaliſtes ,
tendent à conftaler de plus en plus le fecret
qui a pour but de réparer & de perpétuer
les chef- d'oeuvres de la Peinture . Attention ,
s'il vous plaît , Monfieur , à ce mot de réparer;
& remarquez que ces Meffieurs fe
font étendus fur l'adreffe merveilleufe de
H vj
180 MERCURE DE FRANCE .
M. Picaut , à faire changer de fonds aux
Tableaux qui dépétiffent , & qu'ils paffent
fort légerement fur ce point effentiel,
fans lequel le refte feroit peu de choſe ; à
moins que par un cas métaphyfique il ne
fe rencontrât quelque bon morceau qui ne
fût point endommagé , quoique für un
fonds prêt à tomber en ruine . Je trouve
dans les Mémoires de Trévoux , du mois.
de Mars de cette année , une nouvelle qui
confirme ce que je viens de vous expofer ;
c'est à l'article de Verdun. « M. Sauvages,
»premier Archidiacre & Chanoine de la
Cathédrale de cette ville , homme de
» Lettres , connoiffeur en Tableaux , &
curieux de nouvelles découvertes , avoit
une Décolation de S. Jean Baptifte , qu'on
»croit être du Giorgion , ayant cinq pieds.
»de largeur , fur près de quatre de hauteur
, mais dans un délabrement total
; c'eft tout , que les crevaffes &
» ruptures étoient de 5 , 6 , 7 & 8 pouces
» de longueur ; que , le vifage d'un des
principaux personnages étoit brifé en triangle
, tant peinture que toile ; qu'un mifé-
» rable Peintre avoit chargé de repeints
» les coutures , fans y obferver les tons de
couleurs ; qu'enfin la toile tomboit de-
» vétufté en lambeaux & en pouffiere . Ce
Tableau dans l'état qu'on vient de dire,,
JANVIER. 1756. 1SF
a paru néanmoins digne des attentions
induftrieufes du Poffeffeur. M. Sauvages
, inftruit ( N. B. ) des fuccès de M.
" Picaut , avoit déja tenté de lever d'au-
» tres tableaux de deffus leurs fonds , &
» il avoit réuffi .... Il a fait ufage de fon
» fecret , pour rétablir cette belle Décola-
» tion de S. Jean ; & fon travail a été fi
» bien conduit , qu'on admire ce Tableau
» reffufcité en quelque forte , & brillant
» de fon premier éclat fur la toile neuve
» qu'il occupe.... Il fuffit de l'avoir vu dans
» ces deux états fucceffifs , l'un d'anéan-
» tiffement prefque total , l'autre de ref-
» tauration parfaite. »
Voilà donc encore un antagoniſte , ou
plutôt un rival de M. Picaut , & un rival
qui fait ufage de fon talent avec une égale
réuffite : refte à fçavoir fi l'un n'eft pas fupérieur
à l'autre dans le point effentiel du
fecret. Le filence qu'on affecte à cet égard ,
ne jette que du foupçon & ne décide point,
il femble au contraire qu'on veuille toujours
nous faire accroire que cette réparation
, cette réfurrection de tableau , ne confifte
& ne fe fait qu'au moment qu'on
acheve de le détacher de fon fonds, commeil
eft dit de cette belle charité d'André děl
Sarte. Or il eft impoffible d'en détacher će
qui n'existe plus ; & ce tableau ne peut
182 MERCURE DE FRANCE.
reparoître fur la toile neuve, que tel qu'il
étoit , avecfes crevaffes , fes brifures & mauvais
repeints , bien loin de briller de fon
premier éclat donc pour rétablir fur ce
nouveau fonds ce qui a été détruit fur le
vieux , faire revivre entiérement ce tableau
prefque anéanti , il faut de néceffité employer
les mêmes agens , dont on s'eft ſervi
pour lui donner fa premiere vie , le pinceau
& les couleurs , & il n'y a qu'un Peintre
expérimenté qui puiffe opérer ce miracle.
De bonne foi fi toute l'industrie des
prétendus antagonistes du Sieur Picaut fe
bornoit à lever avec adreffe les tableaux de
deffus leurs fonds , & qu'ils duffent emprunter
le fecours d'un fçavant Artifte
pour perfectionner l'ouvrage ; pourroientils
prétendre une fort grande part dans les
louanges qu'auroit mérité ce dernier ?
Pourroient- ils avancer , fans charlatanerie
, d'avoir le fecret de réparer les chefd'oeuvres
de la Peinture , & de les perpéixer ?
Non , Monfieur ; cer honneur n'eft refervé
qu'à M. de Lyen , célèbre Peintre de l'Académie
Royale , & à tous ceux qui fçauront
faire ce qu'il a fait. « Il a parfaitement
» rétabli un des plus beaux tableaux que
» poffedât la France , & qui foit forti da
pinceau du Corrége ; c'eft la fameufe
» Leda , dont la tête féparée du corps avoir
JANVIE R. 1756. 183
33
32
» été la proie des flammes , le refte défiguré
& coupé en plufieurs morceaux.
» Cet habile Artiſte a rendu l'ouvrage tel
» qu'il étoit forti des mains de fon Au-
» teur : la tête furtout porte un air fi frap-
>> pant de vérité , qu'on juge qu'il n'étoit
» pas poffible que l'ancienne fût plus belle,
» ni mieux affortie au refte du tableau.
Voilà en abrégé ce que nous lifons dans
les Lettres fur quelques écrits de ce tems ,
tome 10, p . 142.
La même chofe eft arrivée à un autre tableau
du même Corrége , repréfentant lo
careffée par Jupiter. Les deux têtes furent
auffi féparées de leurs corps , & brûlées ; &
l'on publie que M. Collins , chargé de l'entretien
des tableaux du Roi , les a refaites
avec la même vérité & la même perfection
que M. de Lyen a refait la tête de Leda.
Voyez le tome 4 de l'année littéraire , 1754 ,
p. 92. Nous ne pouvons qu'applaudir aux
éloges légitimement dus à un grand Artifte
& à unpinceau créateur. Mais jugez de notre '.
étonnement , quand on vint nous apprendre
que c'eft le même Collins de Bruxelles ,
Brocanteur très-renommé , & connu de ce
qu'il y a de plus diftingué parmi les curieux
: il eft d'autant plus digne d'admiration
, qu'une connoiffance théorique , qu'il
peut avoir acquife dans cet exercice , toute
184 MERCURE DE FRANCE
grande qu'elle foit , ne fçauroit inculquer,
bien moins encore infufer , ce qu'on n'acquiert
que rarement par une longue pratique
de l'Art. Mais la qualité de Peintre
François que M. Freron lui donne ( ibid,
P. 94) nous tient en fufpens ; & la crainte
de nous tromper , fait que nous héfitons à
revendiquer un compatriote fi célébre.
Je dis donc qu'il faut avoir une longue
pratique jointe à l'intelligence , pour
fçavoir bien réparer les tableaux . Il n'y a
pas de Peintres quelques médiocres qu'ils
foyent , qui ne fe flattent d'en fçavoir làdeffus
autant que leurs compagnons ; auffi
font- ils de mauvaife befogne. La plûpart
fe glorifient de rendre d'abord les parties
endommagées qu'ils repeignent , égales
au refte de l'ouvrage , & ce ne fort
que
de fauffes teintes & autant de taches ,
qui bien-tôt après décélent leur préfomption.
Mais les plus experts , qui connoiffent
l'effet que le temps & l'impreffion de l'air
font fur les couleurs , donnent aux nouvelles
qu'ils emploient , un ton plus ou
moins clair , qui femble trancher avec les
anciennes ; & au bout de quelques mois
( il y a même des Artistes qui demandent
des années ) tout redevient à l'uniton , &
y refte.
JANVIER. 1756. 185
M. Dumefnil eft allez plus loin , &
jufqu'où perfonne que l'on fçache , n'eft
encore parvenu. L'étude particuliere qu'il
a faite pendant plus de vingt- cinq ans ,
de cet effet des couleurs & de leur entente
, l'a rendu capable de remettre les
tableaux les plus délabrés , dans l'état de
perfection qu'ils font fortis des mains
de leurs maîtres : chacun d'eux y reconnoîtroit
fon pinceau . Il faifit leur coloris ,
& fçait le fixer au premier coup , fans
rien craindre , ni rien attendre du temps.
Et c'eft- là , je penfe , poffeder fupérieurement
le fecret de réparer & de perpétuer les
chef- d'oeuvres de la Peinture.
On en peut voir plufieurs preuves
chez nos principaux Seigneurs & autres
curieux de tableaux. Je ne ferai mention
que des trois derniers ainfi reffufcités.
L'un eft depuis 160 ans dans la famille
de M. le Baron de Haren , Miniftre des
Etats Généraux des Provinces-Unies , à la
Cour de Bruxelles. C'eft une fortune
de grandeur naturelle , nue & debout
fur un globe , étendant des deux mains
une draperie qui voltige au-deffus de fa
tête . Cette charmante piéce avoit été trai
tée d'une maniere plus déplorable que
Io , la Leda , & la Décolation de Saint
Jean ; avec cette différence que la tête
186 MERCURE DE FRANCE.
de la fortune étoit la partie la plus entiere
, & le refte pourri , déchiré , criblé ,
y ayant cent quatre- vingt- quinze trous
de compte fait & de toute mefure , au
travers d'un defquels un homme auroit
pu paffer. Il faut en excepter quelques
parcelles par- ci par- là affez bien confervées
, pour avoir guidé notre fçavant &
laborieux Artifte. J'oubliois de vous dire ,
Monfieur , que M. de Haren , vrai amateur
de tableaux , & bon connoiffeur
avoit fouvent oui parler de celui- ci comme
d'un des plus beaux du Corrége ;
mais qu'on l'avoit cru perdu pendant
les troubles de Hollande ; & que depuis
peu d'années ce Seigneur en a recouvré
ces précieux lambeaux , avec lefquels M.
Dumefnil l'a fait revenir à fon premier
être , il y a près d'un an.
L'autre morceau qui lui a été mis en
mains par une perfonne diftinguée de
la Cour de S. A. R. le Duc Charles de
Lorraine , n'étoit pas tout- à- fait fi maltrai
té , la toile étant encore en fon entier :
mais les trois quarts au moins de la
peinture en étoient détachés avec l'enduit ,
& tombés par écailles. Il a quatre pieds
de Roi neuf pouces de largeur , fur trois
pieds fept pouces de hauteur , & repréfente
la Bénédiction de Jacob , où RemJANVIE
R. 1756. 1 $7
brant s'eft lui- même furpaffé. L'on eft
enchanté furtout de la tête d'Ifaac ; à peine
l'alpeut- il s'en raffafier.On n'eft pas moins
frappé du parfait accord & des effets de
lumiere , qui régnent dans ce tableau , en
quoi ce grand Peintre excelloit , & ce
que M. Dumefnil a judicieuſement rendu ,
en lui confervant un air de vétufté &
une fraîcheur préférable aux plus beaux
vernis (1 ) . Son Alteffe Royale , après l'avoir
admiré longtemps , dit qu'elle ne
s'étoit pas attendue à le revoir fi bien
reparé , témoignant à l'Auteur qu'elle étoit
bien- aife de le connoître , & de vérifier
par
fes yeux ce qu'on lui avoit dit de fon
fçavoir-faire.
Il vient d'en donner une nouvelle marque
& des plus frappantes , fur un des
tableaux échappés du feu , à l'Hôtel de M.
le Prince de Ligne. Je ne crains point
d'avancer que c'eft peut- être le premier
phénix qu'on ait vu renaître de fa cendre.
On a commencé ce miracle par une
opération bien plus difficile , que celle
de changer, fimplement le fonds d'un ta
bleau . Il faut que vous fçachiez , Monfieur,
(1) Cette belle piece eft paffée à Nancy , chez
M. le Marquis de Torcy , Gouverneur de cette
ville.
188 MERCURE DE FRANCE.
que celui-ci , dont la hauteur eft de neuf
pieds & demi , fur fix & demi de largeur ,
avoit déja été endommagé autrefois , &
mal racommodé ; qu'il avoit même été
rentoilé , c'est-à- dire , renforcé d'une feconde
toile , après qu'on eut reftauré la
premiere en plufieurs endroits , avec de
la filaffe , de la colofane , de la cire molle ,
rouge & verte ; qu'avec ces mêmes ingrédiens
, les deux toiles avoient été appliquées
l'une fur l'autre ; que fur le tout
on avoit donné une forte couche d'un
très-mauvais vernis ; & vous jugerez parlà
des effets de l'ardeur du feu. Les couleurs
fondues , brouillées avec ces drogues ,
avoient en bouillonnant formé quantité
d'ampoules ; & les carnations les plus
claires & les plus vives , paroiffent obfcures
& tannées , à caufe d'une fumée graffe
qui s'étoit répandue partout . Il a done
fallu rajuiter tout cela , nettoyer ces couleurs
, les dépouiller de toute matiere
hétérogéne , détacher la nouvelle toile &
ce qu'on avoit collé fur l'ancienne , qui
toute grillée fe brifoit comme une oublie ;
laiffant des ouvertures de 4 , 6 , 8 & 16 pouces
de circonférence. Autre opération pour
les refermer , pour ramollir cette toile
& la renforcer de nouveau . C'eft ainfi
que M. Dumefnil s'étoit préparé à faire
JANVIE R. 1756. 189
revivre un des meilleurs ouvrages de Luc
Jordan , Peintre très- habile à plus d'un
égard , furnommé Luca fa -prefto. Le ſujet
en est tiré de la fin de l'Enéïde.
C'est le combat fingulier d'Enée & de
Turnus. La compofition en eft fort belle ,
le deffein correct & hardi , l'expreffion
des plus vraies , & le coloris la nature
même. Outre ces deux figures principales
, qui font fur le devant , on y voit
celle de Jupiter , de Venus , de Saturne
& plufieurs autres dans des pofitions &
des attitudes convenables.
En voilà affez , Monfieur , pour exciter
votre curiofité : venez la fatisfaire entierement
vous même, & fuppléer à la foibleſſe
de mes expreffions.
Je fuis , &c.
Ge 25 Octobre 1755..
Lettre à l'Auteur du Mercure , & Réponse à
la Leuire anonyme inférée dans le premier
volume de Décembre , fur l'invention
d'imprimer les Tableaux.
Monfieur , vous avez cu la bonté d'annoncer
dans le Mercure de Novembre ,
les prémices de mon fils dans le nouvel
Art dont il eft queftion , & vous dites ,
190 MERCURE DE FRANCE.
parlant de moi , M. Gautier nous affure
qu'il est l'Inventeur de l'art d'imprimer les.
tableaux à quatre cuivres : vous dites vrai
en cela , & ce n'eft que fur ce que j'ai eu
Phonneur de vous dire que , fans vous
compromettre , vous avez fair part au Pa
blic des fruits de mon éleve . C'est mon
affaite maintenant de prouver , comme
je fuis en effet l'Inventeur d'un Art qui
m'appartient, & qui fait le fonds de mon
établiffement, & celui de toute ma famille.
L'Anonyme me ménage peu, & fans me
connoître , il me blame publiquement ; ib
feroit fans doute de mes amis fi j'avois
Pavantage d'être connu de lui : il pourra
peut-être le devenir , s'il eft amateur , par
la réponſe que je vais faire à fes quef
"
tions .
و ر
,
» Permettez- moi , dit-il , que par votre
» moyen , je lui demande l'explication
de ce qu'il a avancé dans le Mercure du
» mois de Novembre dernier . » S'il avoit
fait attention à votre annonce , il fe feroit
apperçu que ce n'eft pas moi qui parlė ;
mais n'importe : je fuppofe avoir dit ,
M. Gautier nous affure , & c. Il s'agit feulement
d'extraire la fubftance de fa lettre ,
& de répondre à tous les points , quoique
mal - à - propos l'Auteur Anonyme ait mêlé
mon talent de graver & d'imprimer des
JANVIE R. 1756. 19t
tableaux avec mon fyftème Phyfique des
couleurs contre Newton , & avec les découvertes
que j'ai données au Public.
L'Auteur anonyme veut faire entendre ,
1º. que l'art d'imprimer les tableaux eft
peu important. 2 °. Que je fuis éleve de
le Blond dans cet Art , & que fi je m'étois
d'abord deftiné à ce talent , je me ferois
préparé à l'exercer par une longue étude
de deffein. 3 ° . Que s'il y a quelque diftinction
entre ma pratique dans ce nouvel
Art , & celle de le Blond , cette différence
ne confifte que dans l'invention
d'une quatrieme planche. 4° . Que ceux
qui inventeront une cinquieme & fixieme
planche , auront la même diftinction
& le même avantage de contribuer à la
perfection de cet Art , mais qu'ils n'auront
pas plus de droit que moi à la qualité
d'Inventeur. Voilà ce qui forme la
critique des prétentions que j'ai fur la découverte
d'imprimer les tableaux .
Concernant mes écrits , c'eft autre chofe.
19. M. Gautier dit , à qui veut l'entendre
, qu'il a fait un fyftême meilleur qué
celui de Newton. 2°. J'attribuois , dit
l'Anonyme , à une oftentation impardonnable
, l'innattention allant jufqu'au mépris
, qu'ont les Sçavans pour les découvertes
de M. Gautier ; j'étois difpofé à
192 MERCURE DE FRANCE.
croire des chofes encore plus incroyables ;
mais je fuis affligé de me voir dans la néceffité
de retirer cette confiance aveugle.
3 °. Que la vafte étendue des connoiſſances
de M. Gautier , dont on a vu depuis
les fruits , le tenoit alors ( c'eſt à dire dans
le tems que je prenois des leçons de gravûre
, felon l'Anonyme , chez le Blond )
dans une espece d'indécifion , & que c'eft
maintenant fans doute ce qui caufe le
manque de mémoire de M. Gautier.
Enfin il eft question de citer qui font
les Académiciens qui ont approuvé les
ouvrages que j'ai eu l'honneur de préfenter
à M. le Marquis de Marigni.
Réponse aux quatre premieres queftions .
1. L'art d'imprimer les tableaux eft
très-important dans la repréfentation de
tous les fujets qui ont rapport à l'Anatomie
, à l'étude des Plantes , & à tout ce
qui concerne l'Hiftoire Naturelle . Le Roi
le juge ainfi par la protection qu'il a accordée
de tout tems à ceux qui ont tenté
de réuffir dans cet Art , par celle qu'il me
fait l'honneur de m'accorder préfentement
, & par les penfions dont il a toujours
honoré ceux que l'on a cru mériter
le titre d'inventeur . Sa Majefté bienfaifante
JANVIE R. 1756. 193
fante n'a rien épargné de ce qui pouvoit
contribuer à l'établiffement de cet Art en
France. Le public juge auffi en faveur de
l'importance de cet Art , par l'amour qu'il
fait paroître pour fes productions ; il préfere-
les Planches Anatomiques en couleurs
naturelles , & dont je donne une feconde
édition , à toutes celles qui ont paru jufqu'à
ce jour dans le genre de gravure
ordinaire. L'empreffement avec lequel il
demande l'Hiftoire des Plantes dans cette
nouvelle maniere , fait voir encore combien
cette découverte eft eftimable dans
tout ce qui regarde l'étude de la nature.
L'Académie des Sciences l'a jugé de même,
fur le rapport favorable qu'elle accorda
lors de l'enregistrement des Lettres
patentes qui oonntt ééttéé ddoonnnnééeess par Sa Majefté.
Je crois qu'il n'en faut pas d'avantage
pour prouver dans cette partie l'eftime
que l'on doit faire de ce talent.
Pour ce qui concerne les Tableaux
l'Académie des Sciences n'étoit pas à portée
de décider des pieces qu'on peut lui
avoir préfentées ; fi les Peintres & les Graveurs
n'ont encore rien dit de favorable
pour un Art fi propre à repréſenter les
Tableaux dans toutes leurs beautés , il
peut y avoir des raifons particulieres qui
les obligent au filence . Le Public feul a dé
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
cidé du mérite des morceaux de ce nouveau
genre de gravure, & il préferera toujours
une Eftampe qui fait l'effet de la
Peinture , à des achûres noires , qui ne
repréfentent
qu'un deffein à la plume .
On a vu fortir de mes mains trente ou
trente - cinq pieces dans cette nouvelle maniere
. Elles font répandues dans des fameufes
collections , & celles que je donnerai
par la fuite , ou que donneront mes
enfans , continueront de tenir toujours
leurs places dans tel cabinet que ce foit.
2. Si le Blond étoit l'inventeur de cet
Art , il auroit laiffé des éléves qui le remplaceroient
en Angleterre où il a travaillé
vingt ans , & il s'en trouveroit quelqu'un
dans la France qui continueroit de l'exercer
; mais c'est moi , dit- on , qui fuis fon
Eleve je le ferois en effet fi j'avois fuivi
fa méthode , & s'il y avoit quelque reffemblance
entre mon talent & celui de le
Blond . Je vais donc marquer encore une
feconde fois cette différence; je pourrois cependant
m'en difpenfer, l'ayant affez détaillée
dans le Mercure de Juillet 1749 , que
l'Anonyme auroit dû confulter avant d'écrire
, mais le Public me fçaura gré de répéter
ici à peu près ce que j'ai dit dans ce temslà
, pour ne laiffer rien à défirer fur la certitude
d'un Art qui vient de naître dans
JANVIER. 1756. 195
le fein de la France , & qu'on veut lui
arracher.
Imprimer les Tableaux , ou faire des Eftampes
coloriées , font deux talens différens ;
le Blond a exercé celui- ci avec peu de
fuccès & pendant long-tems : tout fon
but étoit de peindre des eftampes fous la
preffe ; il n'a jamais ofé tenter l'impreffion
des Tableaux , parce qu'il ignoroit
la vraie théorie des couleurs : fes planches
étoient pleines de achûres de traits grof
fiers de burin & couvertes de couleurs
dures qu'il adouciffoit au fortir de la
preffe avec le pinceau le mieux qu'il lui
étoit poffible , pour mettre ces pieces imparfaites
en état d'être préfentées au Public
; & à force de travail & de coups de
pinceau , le Blond venoit enfin à bout de
faire une eftampe qui coutoit plus qu'un
tableau.
Cette méthode longue & bornée a toujours
rebuté le Public par la défectuofité
& par la cherté des pieces , & encore
plus les Affociés de le Blond en Angleterre
& à Paris ; & malgré les fonds immenfes
que ceux-ci avoient avancés , jamais
l'Artifte dont il s'agit n'a été en
état de mieux faire. Cette manoeuvre n'a
duré long-tems , que parce que le Blond ,
comme nous venons de dire , finifloit fes
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
1
planches au pinceau , ce qu'il appelloit
miniatures ; c'est ce qu'il faifoit cependant
avec plus de foin qu'à l'ordinaire , lorfqu'il
étoit obligé de les préfenter quelquefois
à fes Protecteurs. Il faifoit alors accroire
qu'elles étoient tirées de la preffe
par des mains plus habiles , & cela pour
prolonger les avances qu'il efpéroit des
uns & des autres.
Ce font ces pieces que l'on veut
m'oppofer de tems en tems ; mais elles
n'ont aucun rapport avec le fonds de l'Art
dont il eft question ; ces pieces reffemblent
à ces lingots d'or , que les Alchimistes
gliffent quelquefois dans le creufet pour
attraper ceux qui font avides de faire de
ce précieux métal ; mais la rufe fe découvre
enfin par la perte du tems & des fonds
qui ont été employés à chercher la pierre
philofophale ; ces vérités font connues
de tout le monde.
Il n'en eft pas de même de mon talent :
j'imite le tableau ; je ne me fers d'aucun
trait de burin pour former les figures &
les draperies de mes fujets jamais le pinceau
ne paffe fur mes planches , je les imprime
devant tout le monde la facilité
avec laquelle elles fortent de la preffe , &
le fruit qu'elles portent à mon commer
ce , prouve que c'eft ici ce que l'on cher
JANVIE R. 1756. 197
she depuis long-tems. Le Blond n'eft pas
le premier qui ait tenté d'imprimer en
couleur ; & quand il y en auroit en avant
lui , ils ne feroient pas pour cela fes Inventeurs
de cet Art , s'il ne l'avoient jamais
pu mettre en pratique . Quoiqu'il y
ait eu , par exemple, des milliers de Chimiftes
qui ayent tenté de faire cet or dont
nous venons de parler , fi quelqu'un venoit
aujourd'hui à trouver ce fecret , qui
eft-ce qui feroit l'Inventeur de l'art de faire
du métal dont il s'agit ?
Un mot préfentement achevera de détrui
re le refte de la feconde propofition . Si
j'avois eu beſoin de le Blond pour apprendre
mon talent , & fi je ne m'étois
pas deſtiné à cet Art difficile , comme
tout le monde l'avoue , par des exercices
& des longues études , avant de connoître
le Blond, comment aurois - je pu graver
chez le Blond le premier jour que j'ai
travaillé chez lui ? Ne fçait- on pas que
j'avois gravé , avant de le connoître , une
coquille , dont le P. Caftel a vu des épreu
ves, puifque c'eft lui qui me prêta l'original?
N'avois-je pas fait divers effais à Marſeille
avant de venir à Paris , & avant de fçavoir
s'il y avoit un le Blond dans le monde ?
Est- ce que celui-ci & fes Affociés auroient
pu m'appeller à leur travail pendant trois
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
femaines , fous la promeffe de m'affocier',
en me payant en attendant fix livres par
jour , c'eft-à -dire la fomme de 108 liv.
pour le travail de dix- huit jours ? c'eſt ce
que l'on appelle avoir été éleve de leBlond.
J'y aurois refté plus long- tems , & je les
aurois aidés de toutes mes lumieres , s'ils
m'avoient tenu leur parole ; & l'entrepri
fe de le Blond ne feroit pas périe , fi je
ne les avois pas abandonnés à leur propre
ignorance. Le premier coup de maître
que je me fuis toujours réfervé , a fait
mon bien ; & fi je ne travaillois pas dans
ce tems- là à mon particulier , c'eſt que
l'on m'avoit lié les mains par un Privilege
exclufif , en confondant mon talent avec
celui de le Blond , dont je me gardois
bien de faire fentir la différence , pour
n'être pas facrifié & ne pas périr dans les
mains de plus fort que moi. Je fis alors
un morceau fecrétement , outre ceux que
j'ai déja indiqué ; c'eft la tête de S. Pierre
que
l'on a vu : ce morceau ruina le Blond
fes affociés le délaifferent ; fes preffes furent
féqueftrées ,& il mourut fort à plaindre.
La quatrieme planche dans laquelle
confifte une grande partie de mon fecret ,
n'eft point une planche d'aventure ; je
l'ai toujours cachée , cette quatrieme planJANVIER.
1756. 199
che , & n'en ai parlé que lorfque , par la
juftice que m'a rendu Sa Majesté , je me
fuis vu en pays de fureté . Certe piece
fixe le nombre des couleurs qu'il faut pour
exécuter un tableau ; fans elle rien ne
réuffit : ce n'eft cependant pas la planche
elle même dont je veux parler , c'eft de
la couleur qu'elle porte ; car s'il ne s'agiffuit
que de planches , le Blond quelquefois
en a employé quatre , auffi cinq , fix ,
& jufqu'à fept ; mais ces planches n'étant
que des cinquiemes roues à fon
char , il n'en étoit pas mieux attele . La
théorie des couleurs que je poffede , a
fixé le nombre des couleurs qu'il falloit
pour réuffir dans ce nouvel Art. C'eſt par
fon moyen que je fuis venu à bout de
tour.
Le Blond , Allemand de Nation , &
Anglois de fentiment , fuivoit aveuglément
le fyftême de Newton . Il bannifoit
le noir de la claffe des couleurs ; il vouloit
ridiculement que la réunion des couleurs
matérielles , difoit- il , fiffent le noir
comme la réunion des couleurs folaires faifoit
le blanc ; erreur capable de plonger
non-feulement le Blond , mais tous les
fectateurs de ce Philofophe dans les plus
grandes faures.
>
3. Ceux qui ajouteront d'autres cui-
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
vres n'ajouteront pas d'autres couleurs à
celles que j'ai admiſes . Le blanc du papier ,
le noir du premier cuivre , le bien du fecond
, le jaune du troifieme , & le rouge
du quatrieme , ne peuvent pas être augmentés
d'aucune autre couleur : car le
violet eft le compofé du rouge & du bleu ;
l'orangé du jaune & du rouge ; le verd
du bleu & du jaune , & enfin le gris eft
un mêlange du noir & du blanc que porte
naturellement le papier , &c. Il n'y a
pas d'autres couleurs dans la nature : toutes
les teintes imaginables font des combinaifons
des cinq que nous venons d'indiquer.
Ainfi un cinquieme cuivre feroit
inutile & même préjudiciable ; un cuivre
de moins rendroit le morceau imparfait.
Il n'y a donc que moi feul qui peux dire
avoir inventé la vraie théorie de l'impreffion
des tableaux , ayant fixé le nombre
de celles qu'il falloit pour réuffir. Le
Blond ne peut fe qualifier de ce titre , ni
ceux qui voudront raffiner fur ma décou
verte.
Je ne devois rien dire fur ce qui concerne
mes découvertes phyfiques , &
renvoyer le Lecteur à mes obfervations ,
fur l'Hiftoire Naturelle , fur la Phyſique , &
fur la Peinture , que je donne in - douze &
in- quarto tous les deux mois , avec des
JANVIER. 1756. 201
planches imprimées dans le nouvel Art dont
je fuis l'Inventeur ; mais je vais englober
les trois dernieres propofitions , & repartir
à la lettre de l'Anonyme . 1 ° . Que je
n'ai point fait de fyftême contre Newton ;
mais que j'ai donné des expériences contre
l'Optique de ce Philofophe Anglois.
2 °. Que j'ai mis au jour un fyftême différent
de celui de Defcartes & de Newton
, en ce qui concerne la Phyfique en
général ; que dans ce fyftême le Soleil eft
l'agent univerfel , qui fait agir les planetes
par l'impulfion de fes rayons ; que le feu
& la lumiere font la même chofe ; que
les effets du tonnerrè & de l'électricité
ne font que des modifications des parties
de feu que l'air contient ; que nos efprits
animaux ne font pas compofés d'autre matiere
que de celle du feu , & que l'ame
feule peut les faire agir felon les mouvemens
de notre volonté , & de plus que
ces parties de feu analogues aux autres en
tout point , repréfentent à nos fens tou--
tes les impreffions extérieures. Je dis encore
dans mon fyftême , que les volcans:
& les tremblemens de terre ne font occafionnés
que par la preffion des parties
de feu prefque toujours fur les côtes Oc-,
cidentales de toutes les parties du monde .
Voici en peu de mots la raifon que j'em
donne.
1 v
202
MERCURE DE FRANCE.
La preffion des rayons dans le mouve
ment d'Occident en Orient qu'ils occafionnent
à la terre , caufe ces phénomenes
( 1 ).
J'ajoute à toutes ces nouvelles explications
, que le flux & le reflux de la mer
ne viennent que de la même preffion &
de la même réaction de ces rayons ren-.
voyés de la Lune fur la terre ; ce qui fe
connoît par les
augmentations des marées.
felon les phafes de la Lune . Voilà en
fubftance ce qui felon
l'Anonyme , a occafionné
l'inattention des Sçavans allant jufqu'au
mépris , & les choſes qui meuent l'Anonyme
dans la néceffité de retirer la confiance
aveugle qu'il avoit pour moi , & les
raifons qui m'ont fait perdre la mémoire des
obligations que j'ai à le Blond.
Les témoins que je produis des éloges
des
Académiciens fur les ouvrages de
mon fils dans mon nouvel Art , pour ne
laiffer rien à défirer , font M. le Marquis
de Marigny lui- même que je prends la
liberté de citer. L'amour qu'il a pour les
fciences , l'a porté à daigner jetter des
regards favorables fur le Magifter Hot-
( 1 ) Voyez le détail que j'en donne dans une
brochure en particulier , avec une carte en couleur
des lieux ou font arrivés les Tremblemens . A
Paris , chez Delaguette , rue S. Jacques .
JANVIER . 1756. 203
landois & la Toilette de nuit , qu'il m'a
fait l'honneur d'accepter , & d'expofer
pendant plufieurs femaines fur la table
de fa falle d'Audience , lefquels ont été
gravés par mon fils aîné , d'après les ta-
Bleaux du cabinet de M. le Comte de
Vence ; c'eft lui auffi qui a approuvé ces
morceaux : il eft affez reconnu pour juge
compétent en cette matiere. C'eft M.
Slodtz , membre auffi de l'Académie de
Peinture , qui a eu la bonté de les louer
en ma préſence ; c'eft M. Colins , & une
infinité d'autres perfonnes , dont les jugemens
ne font point équivoques , qui les
ont approuvés. Je vous prie , Monfieur ,
d'avoir la bonté de publier cette lettre
contre mes Adverfaires qui fe cachent
toujours fous le voile d'Anonyme. Je ne
crains perfonne dans les vérités que j'annonce
; je fuis en état de certifier tous les
faits que j'avance fufceptibles d'écrits , &
de les prouver par des pieces authenti❤
ques. C'est ce que je m'engage de faire
dans ceux qui font contenus dans la préfente
lettre. Je fuis ,
Monfieur , & c.
GAUTIER ,
Penfionnaire du Roi.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
L'Anonyme n'ayant eu aucune intention
de nuire à M. Gautier , répondra à fa Lettre
avec une politeffe égale à la fienne.
GRAVURE.
L & fieur Moyreau , Graveur du Roi , en
E
fon Académie Royale de Peinture & Sculp
ture , vient de mettre au jour une nouvelle
Eftampe ( c'eſt le n° 8o de fa fuite ) qu'il a
gravée d'après le Tableau original de Philippe
Wouvermens, qui a pour titre Départ
pour la chaffe à l'oifean , & qui appartient
au Roi. L'Auteur demeure toujours rue des
Mathurins , la quatriéme porte cochere à
gauche , en entrant par la rue de la Harpe.
Nous annonçames au mois de Mai , 1755 ;
une Eftampe gravée par le fieur Gaillard ,
d'après M. Boucher , laquelle avoit pour
titre la Marchande de modes , & qui a eu
un très- heureux fuccès. Le Graveur a cru
pouvoir lui donner pour pendant un Morceau
inventé & peint par M. Gravelot
qui s'eft diftingué en France & en Angleterre
par plufieurs ouvrages du meilleur
goût ; il eft intitulé le Lecteur. Il repréJANVIER.
1756. 205
fente une jeune Demoifelle , auffi belle
que modefte , qui écoute la lecture qu'un
homme du monde lui fait d'un ouvrage
nouveau. On fera fans doute content de
la régularité du deffein , de l'intelligence
du clair obfcur , & du grand effet de cette
nouvelle Eftampe.
Elle fe trouve chez l'Auteur , rue faint
Jacques , an- deffus des Jacobins , entre
un Perruquier & une Lingere.
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
ETUDES d'Architecture , contenant leg
proportions générales , entre-colonnes, portes
, niches , croifées , profils & détails
choifis des meilleurs édifices de France &
d'Italie , levés & deffinés exactement fur
les lieux par P. Patte , Architecte . Premiere
fuite compofée de vingt planches en taille-
douce , dont une partie comprend les
développemens des profils & de la conftruction
du périftile du Louvre , cotés &
numérotés , avec des remarques & des obfervations
fur l'Architecture. Cet ouvrage
206 MERCURE DE FRANCE.
qui contient un petit volume in 4° , grand
format , fe vendra à Paris , chez l'Auteur
rue des Noyers , la fixiéme porte cochere à
droite , en entrant par la rue faint Jacques.
Comme l'Architecture a ſemblé juſqu'ici
un art fyftématique , & que la plupart
des Auteurs qui en ont écrit , n'ont pu encore
s'accorder fur les mefures & les proportions
des principaux membres d'Architecture
, qui font tout l'ornement & la majefté
des édifices , l'Auteur de cet ouvrage
annonce dans fa préface que rien ne lui a
paru plus propre à faciliter les progrès de
cet art , que de raffembler fous les yeux ,
cotés avec la plus grande exactitude , les
proportions générales , entre colonnes ,
portes , niches , croifées , profils & détails
choifis des plus belles parties des édifices
modernes , qui ont le fuffrage unanime
des connoiffeurs , afin que ceux qui voudront
étudier l'Architecture , puiffent facilement
approfondir par des faits de quelle
maniere le beau parvient à opérer fon
effet dans les différentes occafions ,
qu'au défaut de principes certains , ils
aient des exemples & des autorités approuvées
pour fe guider : car fi telle proportion
a réuffi à tel édifice , en pareille rencontre
ne peut-on pas fe flatter d'un fem-
&
JANVIER 1756. 207
blable fuccès , en fuivant les mêmes régles ?
C'eft ainfi qu'ont étudié l'Architecture
ceux qui s'y font le plus diftingués , & c'eft
peut- être la feule maniere de l'étudier avec
fruit. Enfin pour donner une idée diftincte
de cette entreprife , notre Auteur promet
de faire pour les édifices de nos jours ,
(fi le public paroît faire accueil à ce commencement
, ) ce que M. Defgodets a fait
pour les édifices antiques de Rome , avec
pourtant cette différence qu'il les a donnés
en entier , fans choix , indiftin &tement ,
fans autre raifon que leur antiquité , &
qu'au contraire il ne donne des édifices
modernes , que des détails & développemens
choifis & eftimés . Cette premiere
fuite qui fera fuivie de buit ou dix autres
de même volume , contient principalement
les détails des profils , proportions
& conftruction du périftile du Louvre , &
d'une partie de fa cour , cotés , à toute rigueur
, en toifes , pieds , &c. & en modules
, avec des remarques & obfervations
fur les proportions générales & particulieres
de cet édifice . La feconde fuite contiendra
la continuation des détails du vieux
Louvre , du Château des Tuileries , auffibien
que les développemens des coupoles
des Invalides & du Val- de - Grace .
208
MERCURE DE
FRANCE.
Le fieur Patte a auffi gravé le Plan &
l'Elévation du principal Portail de l'Eglife
de faint
Euſtache , projetté par L. Le Vau ,
fous le miniftere & par l'ordre du Grand
Colbert; il fe vend chez lui.
JANVIER . 1756. 209
ARTICLE CINQUIEM E.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
LEs de ce mois , les Comédiens François
, ont donné la premiere repréſentation
d'Aftianax , Tragédie nouvelle de
M. de Chateaubrun. Les trois premiers.
Actes ont reçu de grands applaudiffemens
avec juftice . Les deux derniers ont
paru moins intéreffer . L'Auteur pour y
faire des corrections , a jugé à propos de
retirer fa Piece.
COMEDIE ITALIENNE.
LESEs Comédiens Italiens n'ont donné
que quatre repréſentations de Bolan ;
cette parodie de Roland eft de monfieur
Bailli , auteur d'une parodie d'Armide
qui réuffit beaucoup il y a environ trente
ans : celle- ci n'a pas eu le même bonheur.
Le goût eft changé dans tous les
genres , même dans la parodie ; depuis
210 MERCURE DE FRANCE.
la nouvelle mufique les vieux airs ne
font plus de faifon. D'ailleurs le choix
du traveftiffement n'eft pas heureux. Quel
rapport , quelle allufion y a -t'il d'un Mé .
decin avec un Guerrier , un Paladin tel
que Roland : cette étrange maſcarade à
fait dire le premier jour à un homme
d'efprit , que la piece étoit un malade que
le Médecin tueroit.
Voici l'extrait ou le précis de l'Epoufe
fuivante , avec le programme des Fêtes
Parifiennes que nous avions promis .
Précis de l'Epoufe fuivante.
, y
Un jeune Comte étant en garniſon à
Mets , y devient amoureux de la fille d'un
Artifan , auf fage que belle , & l'époufe.
Inftruit que fa famille condamne ce
mariage , il quitte fa femme , & fe rend
à Paris , où la Marquife fa mere , l'appelle
pour l'unir à Conftance , parti convenable
à fon rang. Le hazard fait que celle
qu'il a abandonnée entre au fervice de
cette même Conftance . Le Comte & l'épouſe
fuivante font tous deux fort étonnés
de fe retrouver dans une maison , où
ils n'avoient eu garde de fe donner rendez
vous. L'amour du Comte fe rallume
avec plus de force : il eft furpris aux genoux
de fa femme par la Marquife , qui
き
JANVIE R. 1756. 211
d'abord eft révoltée ; mais dans une converfation
qu'elle a avec fa belle - fille
elle lui trouve tant d'efprit , de fageffe
& de fentiment , qu'elle approuve & confirme
le choix de fon fils. Cette derniere
fcène qui forme le dénouement , eft auffibien
faite par l'Auteur , qu'elle est bien
rendue par Mademoiſelle Silvia , & par
Mlle. Catinon. Un Baron qui figure dans la
piece , époufe Conftance qu'il aime , &
la confole de la perte du Comte dont il
eft l'ami . Frontin eft le feul qui n'eft pas
pourvu , mais comme il n'eft au fond
qu'un valet épifodique , qui ne tient à
rien , il n'eft pas mal qu'il refte garçon.
Si le fujet de la piece n'eft pas abfolument
neuf, on doit au moins convenir
qu'il eft mieux traité qu'il ne l'a été jufqu'à
préfent. L'Auteur reconnoiſſant , a
dédié fa Comédie à Mademoiſelle Catinon
: comme les vers qu'il lui adreſſe ne
font qu'au nombre de douze , & qu'ils
nous paroiffent valoir le peine d'être lus ,
nous allons ici les tranfcrire.
✪! toi , dont les talens , les graces , la décence ,
Jettent dans tous les coeurs un trait rempli de feu ,
Aimable Catinon , permets que je t'encenſes
Mes fuccès font les tiens , je les dois à ton jeu.
En peignant la vertu par tdi -même embellie , )
212 MERCURE DE FRANCE
Tu nous peignois ton coeur ;
Et tous les mouvemens de ton ame attendrie
Portoient l'efpoir au fein du fpectateur :
Pourfuis . Que ( 1 ) l'Actrice immortelle
Qui dirigea tes premiers pas ,
Soit toujours ton modele ;
Dès que l'on fuit Thalie , on ne s'égare pas.-
PROGRAMME
DES FETES PARISIENNES.
Comédie en vers , en un Alte,mêlée de chants
& de danfes.
LA Scene eft à Paris près de la Place que
la Nation a deſtinée à la gloire de Louis
le Bien- aimé , & fi digne de l'être. Le
peuple qui vient d'apprendre la naiffance
d'un nouveau Prince , fait éclater fa joie
par des cris & par des danfes. M. Géronte ,
homme fingulier ; mais François zélé , fort
de chez lui , & gronde de ce qu'on trouble
fon fommeil par le bruit qu'on fait à
fa porte. On lui en dit le fujet. Alors fon
vifage s'épanouit ; il partage la gaieté folle
des autres. Comme il a d'abord appris
cette heureufe nouvelle par un Avocat
(1) Mademoiſelle Silvia.
JANVIER. 1756.
213
amoureux de Julie fa fille , il la lui accorde
en mariage dans un tranſport de reconnoillance.
Madame de Préfec , tante de
cet Avocat , furvient. C'eft une extravagante
, dont la folie finguliere eft de vouloir
fe remarier à chaque réjouiffance publique
comme elle fe trouve alors veuve,
elle faifir M. Géronte , & veut à toute
force en faire fon mari , en lui difant :
De ce
royaume heureux tous les événemens
Ont commencé le bonheur de ma vie ,
Et c'eft pour le remplir qu'aujourd'hui je vous
prends.
Je vins au monde à l'inſtant que la France
Du Roi que nous aimons , célébroit la naiſſance,
A mon premier mari l'on unit mon deſtin
A l'heure que naquit notre augufte Dauphin ;
Je perdis cet époux , j'en ai bonne mémoire ,
En Mai , quarante- cinq , le jour qu'à Fontenoi ,"
On vit la valeur & la gloire
D'un laurier immortel couronner notre Roi ,
Aux champs de la victoire.
Je me remariai dans le même moment
Que pour combler nos voeux , vint le Duc de
Bourgogne.
Cet Epoux vécut peu ; c'étoit un important ,
Joueur , & cetera , mais furtout grand ivrogne,
Graces au ciel , je perdis ce mari ,
Le même jour que le Duc de Berri
214 MERCURE DE FRANCE.
Vint des François augmenter l'efpérance.
"
Un nouveau Prince à nos voeux eft donné :
Tirez , Monfieur , la conféquence ;
Et voyez que par-là vous m'êtes deſtiné .
M. Géronte ne peut tenir contre ces
brillantes époques , & s'écrie
Oh ! je vais vous prouver que je fuis bon François
,
Puifqu'avec vous j’unis ma deſtinée !
Madame de Préfec alors lui réplique :
Je ne vous prends , mon cher , que par arrangement
,
Et dans moins d'une année ,
J'attends pour mon repos un autre événement.
M. de la Chine , Décorateur , fous un
habit Chinois , & fous le mafque d'Arlequin
, vient faire exécuter la fête qu'il a préparée
par l'ordre de M. Géronte , qui lui a
recommandé d'employer tout fon art pour
la rendre digne du fujet qui l'occafionne' ;
n'épargnez point l'argent , lui a - t'il dit :
Le François n'en manqua jamais , '
Lorfque de fa patrie il chante les fuccès.
Prodiguer fon argent pour fêter fon Monarque ,
C'eft s'enrichir de fes bienfaits. I
JANVIER. 1756. 215
Le Théâtre change & repréſente une
Place publique entourée de colonnades
illuminées par des lampions. Au milieu de
la Place , on voit une ftatue pédestre de
Louis XV , au bas de laquelle on lit en
lettres d'or cette infcription auffi fimple
qu'elle eft vraie. La plus fidelle des Nations
au meilleur des Rois. Aux quatre
coins de la ftatue , on voit quatre figures
en petit , repréfentant les Génies
tutélaires de la France. Ils tiennent chacun
un cartouche en forme de Médailles
le premier repréfente le bufte de
la Reine ; le fecond , ceux de Monfeigneur
le Dauphin & de Madame la Dauphine
; le troifieme , ceux des Ducs de
Bourgogne , de Berri , & du Comte de
Provence : le quatrieme , ceux de Madame
Adelaïde & de Mefdames de France.
Une troupe de Parifiens & de Danfeurs
déguisés en Provençaux , terminent la
Piece par des danfes & par un Vaudeville ,
dont voici les deux derniers couplets :
TOINETTE.
Il est un âge où fur les fens
L'amour fait queuque manigance ;
Mais fur nos coeurs dans tous les tems ,
Nos Maîtres ont la parference.
216 MERCURE DE FRANCE.
Toujours joyeux , toujours contens ,
Chantons , danſons à l'honneur de la France.
JULIE , an Parterre.
Meffieurs , fi cet amuſement
A pu remplir votre esperance ,
Annoncez d'un ton bienfaifant
Ce que pour nous votre coeur penſe.
Le Public eft toujours content ,
Quand on écrit à l'honneur de la France.
Nous ne croyons pas ce refrein toujours
vrai. Il ne l'eft que quand on
écrit bien.
Ce petit Drame fe vend, ainfi que l'Epoufe
fuivante , chez Duchesne , rue S.
Jacques. Prix de chacun , 24 fols .
ARTICLE VI.
JANVIE R. 1756. 217
ARTICLE SIXIEME.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DUNOR D.
DE WARSOVIE , le 29 Novembre.
QuelUelque attentif que le Gouvernement foit
à maintenir la fureté publique dans cette ville ,
les vols y font toujours fréquens. La femaine
derniere encore , le magafin d'un riche négociant
Arménien a été forcé , & l'on en a enlevé beau→
coup de marchandiſes de grande valeur . Les Juifs
étant foupçonnés d'être complices des voleurs ,
ou du moins de les favorifer , on a chaffé de cette
capitale toutes les perfonnes de cette nation , par
un decret qui fut publié avant-hier , & qui a été
exécuté aujourd'hui . Depuis quelques jours , on
a arrêté dix brigands , & hier on fe faifit d'un de
leurs chefs.
Au commencement du mois dernier , il arriva
de Bender à Laticzew un jeune Turc , qu'on fçavoit
avoir été domeftique dans la premiere de
ces deux villes. Sa dépenfe furpaffant de beaucoup
les facultés d'un homme de ſon état , il
fur mis aux arrêts , & interrogé par ordre des
Magiftrats . Il déclara qu'il avoit hérité du bien
de fon Maître , qui l'avoit inftitué fon légataire
, & qui étoit mort de la pefte avec toute fa
famille. Quelques jours après il mourut. Les prifonniers
qui avoient été renfermés avec lui dans
La même chambre , & même les Geoliers qui
II. Vol. K
218 MERCURE DE FRANCE.
les avoient fervis , ne tarderent pas à avoir le
même fort. Ces accidens ont d'abord caufé beaucoup
d'épouvante à Laticzew , & même dans la
ville de Nimirow , qui en eft voifine. La plupart
des habitans ont abandonné leurs maifons , & fe
font retirés dans les bois. Mais aucun d'eux n'étant
mort depuis avec des fymptomes de mal
contagieux , les inquiétudes font entierement
diffipées.
DE STOCKHOLM , le 9 Decembre.
Suivant les nouvelles de Dalecarlie , & de quel
ques autres provinces , on y a fenti le premier du
mois dernier une fecouffe , pendant laquelle les
eaux de plufieurs rivieres & de différens lacs ont
été extrêmement agitées.
ALLEMAGNE.
DE DRESDE , le 8 Decembre.
Le 30 du mois dernier , on rendit de folemnelles
actions de graces dans toutes les églifes de
cette ville , pour les heureufes couches de Madame
la Dauphine.
DE HAMBOURG , le 10 Decembre.
Sur la nouvelle de l'affreux déſaftre que le Por
tugal vient d'effuyer , la Régence de cette ville a
réfolu de faire partir inceffamment quatre navires
chargés de tous les fecours néceffaires dont
ce Royaume infortuné peut avoir befoin. La plú
part des Hambourgeois qui étoient établis à Lif
bonne , fe font heureufement fauvés , mais leurs
maiſons & leurs effets ont été enveloppés dans la
JANVIER. 1756. 219
difgrace commune , & ont été détruits , ou par
le tremblement , ou par le feu.
ESPAGNE.
DE MADRID , le 16 Decembre.
Le Roi défirant de favorifer les progrès des
Sciences , particulierement de celles qui femblent
devoir être les plus utiles , a donné au Collège de
Médecine la maifon de plaifance de Migafcalientes
, afin qu'on y forme un jardin des plantes
. En même tems Sa Majesté a affigné une
fomme confiderable , tant pour l'entretien de ce
jardin , que pour la fondation de deux chaires de
Botanique dont elle difpofè en faveur de Don
Jofeph Quer & de Don Juan Mingar. Don Jofeph
Zugnol , premier Médecin du Roi , aura la direction
de cet établiſſement.
Le premier du mois dernier on reffentit à
Maroc un affreux tremblement de terre , à la
même heure qu'en Efpagne. La plupart des
maiſons & des édifices publics de cette ville ont
été totalement renversés , & une grande multirude
d'habitans a été enfevelie fous les ruines.
Le nombre des perfonnes qui ont péri , ne peut
pas encore le fixer. A huit lieues de cette ville
la terre s'eft ouverte , & a englouti une peuplade
entiere d'Arabes , avec leurs tentes , pavillons
chevaux , chameaux , mules , & généralement.
tous leurs beftiaux. Un fort qu'ils avoient pour
leur chef-lieu , & dans lequel il y avoit cinq
mille perfonnes , a difparn. Il a péri auffi fix
mille hommes de Cavalerie qui étoient dans dif
férens quartiers autour de ce fort , fans qu'il
en foit échappé un feul. Dans les villes de Safi
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
& de Sainte-Croix , il y a eu auffi beaucoup de
maifons & d'édifices ruinés qui ont écrasé un
nombre confidérable de perfonnes. La mer fe
retira , & s'éleva enfuite à une hauteur , dont
l'hiftoire ne rapporte point d'exemple. Elle cau
fa un notable dommage aux vaiffeaux qui étoient
dans l'un & l'autre port , & elle remplit tous
les environs de la côte de divers débris qu'elle
jetta fort avant dans les terres , avec une quantité
prodigieufe de poiffon.
On apprend par les lettres de Tetuan , du 24
du même mois , que le 18 à dix heures du foir ,
on y avoit éprouvé pendant quatre minutes ,
ainfi que dans les peuplades des environs , un
fecond tremblement de terre auffi fort que le
premier qu'il avoit continué avec moins de
force jufqu'à l'après- midi du jour ſuivant ; mais
que le 20
à deux heures du matin , à cinq , à
neuf & à midi , il avoit recommencé avec la même
violence que la premiere fois, Tous les ha
bitans fe font fauvés à la campagne , où ils
étoient encore au départ des lettres dans une
confternation générale-
Le même tremblement de terre s'eſt fait ſentir
à Tanger. Les fecouffes y ont été plus ou
moins fortes par intervalles. On y a remarqué
que pendant vingt- quatre heures l'eau s'étoit retige
, & que toutes les fontaines étoient demeurées
à Tec.
Il vient d'arriver un exprès de Fez , avec la nouvelle
que les tremblemens de terre du 18 & du
19 , avoient ruiné la plupart des édifices & des
maifons des deux villes de Fez , où plus de trois
mille perfonnes avoient perdu la vie ; que dans
le même jour la fameufe ville de Méquinez
avoit été détruite , & qu'il n'y reftoit qu'une
JANVIER. 1756 . 221
feule maiſon. Tous les habitans ſe font retirés
dans les champs , où ils font campés. On compte
que quatre mille Maures ont été enterrés fous
les ruines , ainfi que huit mille Juifs qui vivoient
dans un quartier féparé , & dont le nombre
montoit jufqu'à feize mille. Les mêmes lettres
ajoutent qu'on reffent dans toute cette partie
de l'Afrique de continuels mouvemens de
la terre , & qu'on entend des bruits fourds qui
répandent partout l'épouvante.
ITALI E.
DE ROME , le 6 Decembre.
Les Jéfuites , dans le Chapitre qu'ils tinrent le
30 Novembre , ont élu pour leur Général le Pere
Louis Centurione , Génois . L'après - midi , ce nouveau
Général alla rendre fes refpects au Pape , &
recevoir la bénédiction de Sa Sainteté.
DE GENES , le
15
Decembre.
La connoiffance que le Patricien Jean -Jacques
Grimaldi a acquife de la Corfe pendant le long
féjour qu'il y a fait , & le zele avec lequel il veut
bien expofer fa perfonne pour rétablir l'ordre
dans l'intérieur de l'ifle , a déterminé le Gouvernement
à lui en confier le foin , de concert avec
le Patricien Jofeph Doria , qui lui a fuccédé en
qualité de Commiffaire Général . La premiere
opération du Patricien Grimaldi a été de faire
conftruire fur une éminence appellée l'Ifola Roffa
, une redoute , qui bat la Plage du même nom
par où il fe faifoit ci - devant beaucoup de débarquemens
frauduleux , Cette redoute a battu parti-
Kiij
i22 MERCURE DE FRANCE.
culierement en ruine dans le continent un fort
qui fervoit à les favorifer. Le Patricien Grimaldi
eft paffé delà à S. Florent. Après avoir mis cette
pla e en état de défenſe , il a fait rafer plufieurs
redoutes qui la dominoient du côté de la terre.
Il s'eft mis enfuite à la tête d'un certain nombre
de Piquets , avec lefquels il a deffein de pénétrer
peu-à- peu dans tous les endroits de l'ifle
Jes plus propres au brigandage , & dont les habitans
font plus difpofés à fuivre les impreffions
de ceux qui trouvent leur intérêt à le perpétuer.
Le 16 du mois dernier , il avoit déja franchi les
plaines d'Oletta & la province de Nebbio , jufques
& compris le même village d'Oletta. Tous les
poftes de Paoli fe font repliés fucceffivement les
uns fur les autres. Dans les environs du village
d'Oletta , fe croyant fuffifamment en force ils
ont fait front. Mais les meſures ont été fi bien
prifes , que malgré leur nombre & la vivacité de
leur feu ils ont été bientôt mis en fuite.
Le Général Génois eft resté maître de tout le
pays qu'il a parcouru , fans avoir fait d'autre perte
que celle d'un ſoldat . A la vérité , il en a couté
trois ou quatre à un détachement qui eft forti
trop foible de la Baftie quelques momens après
l'action , & qui a donné dans le gros des fuyards.
Le 24 du mois dernier , il furprit un de leur
poftes affez confidérable ; & le 27 M. Bacigalu
po , Officier de beaucoup de mérite qui eft fous
Tes ordres , fit abattre en leur préfence plus de
quatre cens arbres pour effayer de rendre les
chemins un peu plus furs , fans qu'aucun des
Rébelles ofât s'y oppofer. Le 4 de ce mois ,
Général Génois , après avoir fait occuper la men
tagne de Penne-Roffe , chargea un détachement
commandé par un de leurs principaux Chefs ,
JANVIER. 1756. 223
nommé Cafa Bianca . Ce détachement prit auflitôt
la fuite , à l'exception de quarante hommes ,
qui furent tués ou faits prifonniers. Le Commandant
qui fut bleflé mortellement , fut du nombre
des derniers . Les troupes Génoiſes n'ont pas
perdu un foldat dans cette action,
1
GRANDE- BRETAGNE.
DE LONDRES , le 22 Decembre.
Les Seigneurs pafferent le 16 Decembre le Bil
de la taxe fur les terres . Le 12 de ce mois , la
Chambre des Communes accorda au Roi cent
mille livres fterlings, pour mettre Sa Majesté en
état de remplir les engagemens avec l'Impératrice
de Ruffie ; & cinquante- quatre mille cent quarante
pour fatisfaire au traité conclu avec le Landgrave
de Heffe- Caffel.
Il a été ordonné d'augmenter de dix hommes
chaque Efcadron des Régimens de Dragons fur
l'établiſſement de la Grande Bretagne. Les trois
-Régimens des Gardes à pied on ordre de prépa
rer leurs bagages. On affure que le Gouverner
ment fera pafler au Printems prochain un corps
de troupes Angloifes dans les Pays-Bas. 4
Le Comte d'Egmont s'étant excufé d'accepter
la charge de Tréforier Général des troupes , le
Roi l'a partagée entre le Comte de Darlington &
M. Hay.
Tous les vaiffeaux marchands qui étoient prêts
à faire voile de Spithead pour Lifbonne , lors
qu'on été informé de la ruine de cette ville
feront déchargés inceffamment.
On affure que le Comte Marchmont doit fe
rendre à Berlin en qualité d'Envoyé Extraordi
K iv
224 MERCURE DE FRANCE.
naire & Plénipotentiaire de Sa Majefté auprès du
Roi de Pruffe. Le Roi a nommé le Duc de Marlboroug
, Grand Maître de l'Artillerie ; le Comte
de Gower , Garde du Sceau Privé ; le Comte de
Sandwich , Garde des Forêts d'Angleterre ; le
Comte de Hilfbouroug , Tréforier de la Maifon
de Sa Majesté. Le Roi a difpofé du Gouvernement
de la nouvelle Ecofle , vacant par la démiffion
du Colonel Hopfon , en faveur de M. Lawrence
, Lieutenant - Gouverneur de cette Province.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
Il y a eu des illuminations & des feux de joie
'dans les terres de M. le Marquis de Monpefat ,
du Dauphiné & du Languedoc à l'occafion de la
naiffance de Monfeigneur le Comte de Provence.
2 Le 23 , M. le Duc de Mirepoix prit 'congé de
leurs Majeftés & de la Famille Royale. Il part
inceffamment pour aller tenir les Etats de Languedoc
, qui doivent s'affembler le mois prochain.
" M. le Chevalier Chauvelin Lieutenant - Général
des armées du Roi , & fon Ambaffadeur
auprès du Roi de Sardaigne étant arrivé depuis
peu de Turin , fut préfenté le 21 à Sa Majesté
par M. Rouillé , Miniftre & Secrétaire d'Etat ,
ayant le département des Affaires étrangeres.
Le même jour , Madame la Maréchale de Lo
JANVIE R. 1756 . 225
wendalh fit fes révérences au Roi , à la Reine , &
à la Famille Royale .
Madame la Marquife de Conflans fut préfentée
le même jour à leurs Majeftés.
On a fenti une legere fecouffe de tremblement
de terre à Besançon , & dans d'autres villes
de la Franche- Comté. M. de la Lande , de
l'Académie Royale des Sciences , a mandé à cette
Académie , que le 9 Décembre , à deux heures
quarts après-midi , il y avoit eu auffi deux fecouf-
Bourg-en Breffe .
Les eaux du Rhône , groffies par une fonte fubite
des neiges , font montées à une hauteur à
laquelle on ne les avoit jamais vués. Ce fleuve
a rompu toutes les digues. Une furface de plus
de quarante lieues quarrées , que contient le territoire
d'Arles , a été totalement fubmergée , à
P'exception feulement du fommet de quelques.
monticules. Les deux bras du fleuve qui entourent
l'ifle de Camargue , n'ont fait qu'une feule
riviere , & ils ont couvert entierement cette ifle.
Près de trente mille bêtes à laine ont été noyées,
ainfi qu'un nombre prodigieux de bêtes à cornes ,
de chevaux & de mulets. La ville d'Arles a , ellemême
beaucoup fouffert. A Tarascon , les eaux
ont paffé par- deflus les grandes chauffées , & ont
inondé la campagne jufqu'à huit pieds de hauteur.
Elles étoient au niveau du premier étage
des maifons dans la ville baffe. La ville d'Avignon
a été expofée au même fléau . L'inondation
y a fait écrouler plufieurs maiſons , & en a
ébranlé un grand nombre d'autres. Dans le Comtat
Venaiffin , auffi bien qu'en Provence , on a
fait une perte immenſe en bled , vin , huile , &
autres denrées.
Madame la Dauphine fut relevée de fes cou
K.v
226 MERCURE DE FRANCE.
ches le 28 du mois dernier , dans la chapelle du
Château. L'Archevêque de Sens , premier Aumônier
de cette Princeffe , fit la cérémonie , en préfence
du Curé de l'Eglife paroiffiale de Notre-
Dame.
Le même jour , Madame la Comteffe de Beuzeville
, à l'occafion de la mort du Comte fon
époux , fit fes révérences à leurs Majeſtés , & à la
Famille Royale.
Le même jour , M. Jannel , Chevalier de Saint
Michel , ci- devant Contrôleur Général des Poftes
& Relais de France , nommé le 24 pour fuc
céder à feu M. de Gerfeuil , Intendant Général
des Poftes & Relais de France , a été préſenté en
la même qualité au Roi dans fon cabinet par M.
le Comte d'Argenſon , Surintendant des Poftes .
M. Jannel a été Secrétaire du Congrès de Soiffons.
I eft connu d'ailleurs par plufieurs négociations
importantes , dont il a été chargé en différentes
Cours.
Le premier jour de l'an , les Princes & Prin
ceffes , ainfi que les Seigneurs & Dames de la
Cour , ont eu l'honneur de complimenter le Roi
fur la nouvelle année. Le Corps de Ville a rendu
à cette occafion fes refpects à leurs Majeftés & à
la Famille Royale.
Les Chevaliers , Commandeurs , & Officiers de
l'Ordre du Saint Efprit , s'étant afſemblés vers les
onze heures du matin dans le cabinet du Roi ; Sa
Majefté a tenu un Chapitre , dans lequel elle a
nommé Chevaliers de fes Ordres le Prince Camille
de Lorraine , le Duc d'Harcourt , le Duc de Fitz-
James , le Duc d'Aiguillon ; le Comte de Stainville
, Ambaffadeur Extraordinaire du Roi auprès
du Saint Siege ; le Comte de Bafchi , Ambaffadeur
de Sa Majesté en Portugal ; le Marquis de SaintJANVIER.
1756 . 227
Viral , Chevalier d'honneur de Madame Ducheffe
de Parme ; le Prince Jablonowski , & le Prince
Louis de Wirtemberg. Le Roi eft forti enfuite de
fon appartement pour aller à la chapelle. Sa Majefté
, devant qui les deux Huiffiers de la Chambre
portoient leurs Maffes , étoit en manteau , le
collier de l'Ordre par-deffus , ainfi que celui de
P'Ordre de la Toifon d'Or. Elle étoit précédée de
Mgr. le Dauphin , du Duc d'Orléans , du Prince
de Condé , du Comte de Charolois , du Comte de
Clermont , du Prince de Conty , du Comte de la
Marche , du Comte d'Eu , du Duc de Penthiévre ,
& des Chevaliers , Commandeurs & Officiers de
POrdre. Après la grand'Mefle , qui a été célébrée
par le Prince Conftantin , premier Aumônier
du Roi , & Prélat Commandeur de l'Ordre
du Saint Efprit , Sa Majefté a été reconduite à fon
appartement en la maniere accoutumée.
1. Le Roi a donné à M. le Maréchal Duc de Belle-
Ine le commandement général des côtes maritimes
depuis Bayonne juſqu'à Dunkerque.
Sa Majefté a accordé à M. le Comte de Dunois ,
fils aîné de M. le Duc de Chevreuſe , la Commiffion
du fecond Meftre de Camp- Lieutenant du
Régiment du Colonel général des Dragons , & le
commandement de ce Régiment en l'absence du
Marquis de Goyon , Brigadier , qui en eft prez
mier Mestre de Camp- Lieutenant .
On mande de Bruxelles , que la nuit du 26 au
27 Décembre , il y a eu deux fecouffes de tremblement
de terre , l'une à onze heures trois quarts,
l'autre à minuit. Elle n'ont pas été violentes.
Le 31 du mois dernier , les Actions de la Compagnie
des Indes étoient à quatorze cens vingt li
vres : les Billets de la feconde Loterie Royale à
fept cens vingt- deux, & ceux de la troifieme Lo-
K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
terie à fix cens vingt- un. Ceux de la premiere
fixe. Loterie n'avoient point de prix
NAISSANCE
ET MORTS..
LE 11 Novembre , l'Abbé de Lorraine , &
Mademoiſelle de Brionnė , au nom du Prince
Charles de Lorraine , Gouverneur des Pays- bas ;
& de la Princeſſe Charlotte de Lorraine , tinrent
fur les Fonts dans l'égliſe de S. Germain-l'Auxerrois
une fille du Comte de Brionne, Grand Ecuyer
de France , laquelle fut nommée Anne-Charlotte,
La cérémonie fut fuivie d'une fête que donna
J'Abbé de Lorraine, ..
5
Jacques-Nompar de Caumont , Duc de Caumont
, Pair de France , fils de M. le Duc de la
Force , eft décédé à Bagnieres le 14 Juiller, 175.5: 1 âgé de quarante-un ans. Il avoit épousé Dame
Marie-Louife de Noailles , fille de M. le Maréchal
de Noailles. La maison de Caumont -la korce eft
fi connue par fon ancienneté , qu'il eft inutile
d'en dire davantage, an
Le 25
I
Août mourut en ſon château du Grand,
val fous Sucy , Meflire Nicolas Daine , Confeile
ler , Secrétaire du Roi , Maifon - Couronne de
France & de fes Finances , Syndic de fa Compagnie
, ancien premier Secrétaire au département
de la guerre , fils de feu Marius-Bafile Daine ,
Infpecteur Général de l'habillement des troupes
de Sa Majefté ; & de défunte Damoiselle Marie-
Magdeleine de Montigny. Illaifle de fon mariage
avec Dainoifelle Sufanne de Wefterbourg un fils ,
Meffire Marius - Jean - Baptifte - Nicolas Daine
JANVIER. 1756. 229
Confeiller du Roi , fon Procureur au Bureau ,
Chambre des Finances & Voyerie de la Généralité
de Paris , Affocié de l'Académie Royale des
Sciences & Belles - Lettres de Pruffe; & deux filles.
Dame Marie- Marthe Landry , veuve de Meffire
Pierre-Gui-Baltazard Emé de Guiffrey de Monteynard
, Comte de Marcieu , Marquis de Boultieres
, Maréchal des camps & armées du Roi ,
Gouverneur des ville & citadelle de Grenoble , &
fous Lieutenant des Gendarmes de la Garde ordinaire
de Sa Majefté , mourut à Paris. le premier
Octobre , âgée de vingt- un ans.
Voyez le Mercure d'Octobre de l'année 1753 .
Dame Anne- Elifabeth Filleul , veuve de Paul
de Montefquiou , Comte d'Artagnan , Brigadier
de Cavalerie , eft morte le 2 à Paris dans la cinquante-
cinquieme année.
Voyez fur Pilluftre Maifon de Montefquiou les
Tablettes biftoriques , VIIe partie , pag. 30s , &
Les grands Officiers de la Couronne , tome VII ,
pag. 262.
"
Meffire Jean- Antoine-François de S. Simon de
Courtomer ; Comte de la Noue , connu fous le
nom de Chevalier de Courtomer , Brigadier d'In
fanterie, ci- devant Capitaine d'une Compagnie de
Grenadiers dans le Régiment des Gardes Françoifes
, mourut le 6 Octobre au Château de Mezy en
bafle Normandie , dans la cinquante -'feptiemé
année de fon âge .
Armande -Amélie Du Plaffis - Richelieu – d'Aiguillon
, fille d'Emmanuel - Armand - Louis dur
Pleflis -Richelieu , Duc d'Aiguillon , Pair de Fran
ce, Maréchal des Camps & Armées du Roi , Lieutenant
Général pour Sa Majeſté dans le Comté
Nantois, & Commandant en Bretagne, nommé Che
valier des Ordres du Roi le 1 Janvier 1756 ; & de
-
230 MERCURE DE FRANCE .
Louife- Félicité de Brebant-Mauron , eft morte
à Paris le 13 Octobre , âgée de trois ans.
Meffire Bernard Chauvelin , Seigneur de Beauféjour
, Confeiller d'Etat ordinaire , eft mort à
Paris le 16 dans fa quatre- vingt-troifiéme année.
Il étoit veuf depuis le 21 Juillet 1735 , de
Catherine Martin , de laquelle il a faillé pour
enfans.
1º. Jacques- Bernard Chauvelin , d'abord Confeiller
au Parlement en 1725 , Maître des Requê
tes en 1728 , Intendant d'Amiens en 1731 , &
actuellement Confeiller d'Etat & Intendant des
Finances depuis 1751. Il a époufé le 16 Février
1719 , Marie , fille de Jean Ourfin , Secrétaire du
Roi & Receveur Général des Finances de la
généralité de Caen , de laquelle il a eu un fils ,
mort en 1737 , & cinq filles actuellement vi
vantes.
2º, Louis-Germain Chauvelin , Abbé de Saint
Jouin , Diocéfe de Poitiers , Doyen de l'Eglife
du Mans , & Chanoine honoraire de celle de
Paris.
3. Bernard- Louis , appellé le Chevalier de
Chauvelin , Commandeur de l'Ordre de Sain
Louis , Lieutenant général des armées du Roi ,
nommé Ambaffadeur auprès du Roi de Sardaigne
en 1753.
4. Henri-Pierre Chauvelin , Abbé Commen
dataire de Montiere-Ramey , Chanoine Hono
raire de l'Eglife de Paris , & Confeiller- Clerc
au Parlement.
5. Marie-Reine Chauvelin , morte en 1739 ,
ayant été mariée en 1734 à Gui Chartraire , Seigneur
de Ragny , & c.
M. Chauvelin dont nous annonçons la mort ,
avoit été fucceffivement Confeiller au Parlement,
JANVIE R. 1756. 23 ?
Maître des Requêtes , Intendant de Tours , d'Alençon
& d'Amiens , & Confeiller d'Erat & Maître
des Requêtes honoraire ; il étoit iffu de Jacques
Chauvelin , Treforier de France en la Généralité
de Paris , frere du célébre François Chauvelin,
reçu en 1562 Avocat au Parlement de Paris,
dont il fut la lumiere & l'oracle ; ce même François
Chauvelin, fut depuis Intendant des affaires en
France , de Marie Stuart Reine d'Ecoffe , & femme
de François II , enfuite Maître des Requêtes
de la Reine Catherine de Médicis , & Procureur
Général de Marie de Médicis , feconde femme de
Henri IV. Il fat bifayeul de Louis Chauvelin , Seignear
de Crifenoi , Maître des Requêtes & Confeiller
d'Etat ordinaire , mort en 1719 ; ce dernier
cut pour enfans.
I. Louis Chauvelin , mort le z Août 1715 , Avocat
Général au Parlement , & Grand Tréforier ,
Commandeur des Ordres du Roi ; laiffant pour
'enfans , 1 °. Louis Chauvelin , Seigneur de Crifenoi
, &c. aujourd'hui Préfident du Parlement de
Paris , lequel a épousé le 25 Novembre 1729
Marie-Renée , fille d'Antoine Jacomel , Seigneur
d'Atis & de Bienaffife , Capitaine de Grenadiers
dans le régiment de Souppa ; de cette alliance if
n'y a point d'enfans. 20. Magdeleine-Françoife
Chauvelin , veuve da Mars 1744 , de . Denis-
Louis Talon , Marquis du Tremblai , Préſident da
Parlement de Paris.
- II. Germain Louis Chauvelin , Marquis de
Grofbois , &c. Succeffivement Confeiller au Grand
Confeil , Maître des Requêtes , Avocat Général
au Parlement , Préfident à Mortier en 1718 ,
dont il s'eft demis en 1746 , Garde des Sceaux de
France en 1727 , qu'il a remis en 1737 , avec la
charge de Secrétaire d'Etat au département des
232 MERCURE DE FRANCE.
affaires étrangeres , dont il avoit été pourvu la
même année 1727 ; & Secrétaire - Commandeur
des ordres du Roi en 1736. Il a été marié le 12
Août 1718 à Anne , fille de Claude Cahouet , Seigneur
de Beauvais , premier Préfident des Tréforiers
de France , en la Généralité d'Orleans , &
'de N... Fontaines - des - Montées. De cette alliance
font fortis. 1 °. Claude - Louis Chauvelin , mort
Gouverneur de Brie - Comte - Robert en 1750 .
2º. Anne-Germain Chauvelin , mort jeune. 3°.
Anne-Efpérance Chauvelin , née en 1725 , veuve
fans enfans depuis 1748 , de Henri -François-
René Edouard Colbert , Comte de Maulevrier ,
Sous-Lieutenant des Gendarmes Anglois. 4° . Anne-
Magdeleine Chauvelin , née le 19 Novembre
1727, femme de Louis - Michel Chamillart , Comte
de la Suze , &c . Lieutenant général des armées
du Roi , & Grand Maréchal des Logis de ſa Maifon.
5. Anne -Sabine - Rofalie Chauvelin , née en
1732 , époufe de Jean - François de la Rochefou
cauld , Comte de Surgeres , Cornette des Gendarmes
de Flandres.
III. Angelique-Henriette Chauvelin , qui a été
mariée le 1 Mai 1712 , à Anne - Claude de Thiard .
Marquis de Biffy , Lieutenant général des Armées
du Roi.
Chauvelin, porte pour armes, d'argent au choux
pommé arraché de finople entouré par la tige
d'unferpent d'or , la tête en haut .
Anne- Charlotte de Conflans , fille de Hubert ,
Comte de Conflans , Lieutenant - Général des
armées navales , eft décédée à Paris , & a été inhumée
le 18 Octobre à S. Sulpice .
Damoiſelle Thérefe Charron de Menars de Neuville
, morte à Paris , âgée de quatre-vingt ans
futinhumée le 21 à S. Euftache.
JANVIER. 1756. 233
Marie -Magdeleine- Jofephe de Croy -Havre,
veuve de Paſcal - Gaëtan d'Aragon , Comte d'Aliffe
, de la branche des Ducs de Laurenzano
mourut à Bruxelles le 27 Octobre , âgée de foixante-
quinze ans. Elle étoit fille de Ferdinand-
François- Jofeph de Croy , Duc d'Havré , Prince
& Maréchal de l'Empire , Grand d'Eſpagne de la
premiere claffe , & Chevalier de l'Ordre de la toifon
d'or , & de Jofephe - Barbe de Hallewin ,
derniere de fa maiſon.
Meffire Michel-Antoine Barberie de Courteille ,
Abbé de l'Abbaye de Beaulieu , Ordre de faint
Auguftin , Diocèle de Boulogne , eft mort le
28 , âgé d'environ foixante- dix ans.
Auguftin- François de Rochechouart-Mortem art,
Comte de Vihiers,eft mort à Paris le 31 Octobre,
âgé de quatorze ans , étant né le 21 Juin 1741 .
Il étoit unique fils de Jean- Baptifte - Victor de
Rochechouart-Mortemart, Duc de Rochechouart,
Pair de France , & Brigadier d'Infanterie ; & de
fa premiere femme Eléonore - Gabrielle- Louife-
Françoile de Crux , morte le 3 Octobre 1742. Le
Duc de Rochechouart avoit époufé en fecondes
noces le 13 Janvier 1749 , Marie- Therefe- Sophie
de Rouvroy , de laquelle il eft refté veuf fans
enfans , le 21 Février 1750. Il a été marié en troifiemes
noces le premier Mai 1751 , avec Charlotte-
Natalie de Manneville , fille de Henri- Jofeph
, Comte de Manneville , Gouverneur de
Dieppe , de laquelle il a pour fils Victurnien-
Jean -Baptifte - Marie de Rochechouart , né le g
Février 1752
N
Voyez fur la Maifon de Rochechouart les
grands Officiers de la Couronne , tom. IV. p. 649.
Dom Honoré, Abbé de l'Abbaye Régulière, de
S. Amand , Ordre de S. Benoît, Diocèle de Tour234
MERCURE DE FRANCE.
nay , eft mort dans le mois d'Octobre en fon
Abbaye.
Charles-Louis de Lorraine , Prince de Pons &
de Mortagne , Comte de Marfan , Souverain de
Bedeilles , Marquis de Mirambeau , Chevalier des
Ordres du Roi , & Lieutenant- Général des armées
de Sa Majeſté , mourut à Paris le 1 Novembre
, âgé de cinquante-neuf ans onze mois
& treize jours , étant né le 19 Novembre 1696.
Il étoit fils de Charles de Lorraine , Comte dé
Marfan , mort le 13 Novembre 1708 , & de
Catherine-Théréfe de Goyon - Matignon , morte le
7 Décembre 1699. De fon mariage avec feue
Elizabeth de Roquelaure , il a eu Gafton-Jean-
Baptifte de Lorraine , Comte de Marfan , Brigadier
d'infanterie , & Colonel du Régiment de
fon nom , marié en 1736 à Marie - Louiſe de
Roban- Soubize , aujourd'hui Gouvernante des
enfans de France , lequel mourut le 2 Mai 1743 ;
Louis-Jofeph de Lorraine , Chevalier de l'Ordre
de Saint Jean de Jérufalem , mort le 13 Janvier
1727 ; Camille-Louis de Loraine , connu fous le
nom de Prince Camille , Maréchal des camps
& armées du Roi ; Léopoldine- Elizabeth -Charlotte
de Lorraine , d'abord Chanoineffe de l'Abbaye
de Remiremont , enfuite mariée le i Mars
1733 , à Joachim de Zuniga Soto - Mayor , Comte
de Bejar , Grand d'Efpagne ; Louife-Henriette
Gabrielle de Lorraine , mariée à Godefroi- Charles-
Henri de la Tour d'Auvergne , Prince de
Turenne , Maréchal de camp , Colonel général
de la Cavalerie de France ; & Marguerite- Louiſe-
Elizabeth de Lorraine , Chanoineffe de Remiremont.
Le 26 Novembre 1755 , eft morte à Château,
Thieri , Dame Marianne de Valfan , veuve deJANVIER.
1756 . 1756. 235
puis les Novembre 1745 , de Pierre de Cugnac ,
Chevalier Seigneur Baron de Veuilli , Hautevefnes,
Lici- lez -Chanoines & autres lieux , âgée de
foixante-onze ans trois mois & vingt- cinq jours;
elle étoit fille de François de Vaffan , d'une ancienne
nobleffe du Valois , & d'Anne Provoſt.
Elle avoit pour fils unique , Anne- Gabriel
Marquis de Cugnac , Chevalier Seigneur Baron de
Veuilli , Hautevefnes , Lici-lez- Chanoines , Bezale-
Gueri & autres lieux , décedé au Château de
Veuilli , le 28 Novembre 1755 , âgé de quarantefept
ans & neuf mois ; il avoit fervi Lieutenant
dans le régiment des Gardes Françoiſes , & avoit
épousé en 1728 , Jeanne -Marie-Jofeph Guyon ,
fille d'Armand-Jacque Guyon , & de Marie de
Bauoncle , duquel mariage il laiffe trois filles ,
fçavoir Jeanne- Anne-Magdeleine de Cugnac ,
Marie-Louife de Cugnac , mariée à N ... Forget ,
Capitaine général des Fauconneries du cabinet
du Roi , & Henriette-Diane de Cugnac.
Voyez pour la généalogie de cette mailon ,
le Mercure de Décembre 1745 , & l'Hiftoire
généalogique des Grands Officiers de la Couronne
, du Pere Anfelme , chapitre des grands Mattes
des eaux & forêts de France , & des Chevaliers
du Saint-Elprit.
2
AVIS .
LE Sieur Beffon Oculite , reçu à S. Côme , fait
avec fuccès toutes les opérations qui font néceffaires
aux maladies des yeux.
Il fe dit poffeffeur d'une Eau , qui à la vertu de
fortifier les foibleffes de la vue , foit qu'elles proviennent
de maladies , ou d'une trop grande ap236
MERCURE DE FRANCE .
plication ; elle réfout les humeurs vicieufes dont
le féjour altére les organes de l'oeil , elle diffipe
les brouillards , & éclaircit la vue.
Il débite auffi une Pommade qui guérit les
maladies des paupieres , tels que font les ulceres
prurigineux, comme la galle, la gratelle , les dartres
qui s'attachent à leur bord , d'où découle
une fanie ou chaffie baveuſe & gluante , quelquefois
féche & dure , qui colle les paupieres pendant
la nuit , caufe des gonflemens , des durétes , démangeaifons
de chaleur & des rougeurs , tant à
l'oeil qu'aux paupieres.
Ladite Pommade les détruit promptement.
Les bouteilles de fon Eau font de 3 , 6 & 121.
Les pots de Pommade font de 30 fols 3 & 6 liv .
Il donne la maniere néceffaire de fe fervir de
ces remédes qui peuvent fe tranfporter dans les
Pays étrangers , fans fe corrompre ni perdre de
leur qualité.
On trouve chez lui tous les fecours néceſſaires ;
pour toutes les autres maladies des yeux.
On le trouve chez lui depuis huit heures jufqu'à
onze , & depuis deux jufqu'à cinq ; il va chez les
perfonnes qui lui font l'honneur de l'appeller ,
il prie ceux qui lui écriront de faire un petit
état de leur maladie & d'affranchir les lettres.
Sa demeure eft à Paris rue Montmartre , entre
la rue du Mail & la rue des Foffés , vis-à- vis le
Caffé de Billard.
Nota. Il vient d'achever la guérifon d'un enfant
né aveugle , fils de la Dame Benoiſt , demeurant
à Saint Denis , porte Pontoife ; il avoit un an
quand il l'a entrepris , & n'avoit jamais eu l'afage
de la lumiere ; il eft radicalement guéri , &
diftingue parfaitement les objets.
JANVIER. 1756. 237
ERRATA
Pour le fecond volume de Décembre.
PAGE 56 , lig. 26 , à M. le Marquis de Livri ,
lif. à M. le Marquis de Givri.
Page 131 , ligne 16 , des démonftrations d'admirations
, lif. d'admiration.
Pour le premier volume de ce mois.
Page 15 , lig. 30. toutes fois que vous fongerez ,
lif. toutes les fois.
Page 31 , lig. 7 , n'en trouble point le cours , lif.
n'en troublent point le cours.
Pag. 36 , lig. 8 , fi Ponçardin , lif. fi Ponçardin.
Page 44 , lig. 29 , au tems que perdois , líf. que
je perdois.
Page 67 , lig. 14 , fur le Comte de la Signora ,
lif. fur le compte de la Signora.
Page 75 , lig. 7 , quelque peu connue , lif. quelque
peu connu .
Page 94 , lig. premiere , attaches à fon ſervice ,
lif. attachés.
Page 120 , lig. 18 , trois partis , lif. trois parties.
Page 124 , lig. 8 , nous en avoit prié , lif. nous
en avoit priés.
Page 148 , lig. 23 , ceux qui enveront , lif. ceux
qui enverront.
Page 154, lig. 8 , les a conduit , lif. les a conduits.
Page 172 , lig. 10 , la Coquête corrigée , lif. la
Coquette , &c.
Même page , lig. 13 , qu'el- mettront, lif. qu'elles
mettront .
238
Même pag. lig 19 , Roland , ou le Médecin a moureux
, lif: Bolan , &c.
Page 174 , lig. 12 , fon nouveau concert , lifex
fon nouveau concerto.
J'ai
AP PROBATIO N.
' Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chance
lier , le fecond volume du Mercure de Janvier
,& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion. A Paris , ce 13 Janvier 1756.
GUIROY.
<
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
VErs Ers fur les Coquettes , par M. de Baſtide ,
pages
Les Mémoires d'un homme à bonnes fortunes ,.par
le même Auteur , 7
Vers àM. Monin , Secrétaire de M. le Prince de
Conty ,
18
Envoi d'une branche de Laurier cueillie fur le
tombeau de Virgile , par S. A. R. Madame la
Margrave de Bareith , au Roi de Pruffe fon
20
frere ,
Ellai fur le caractere des Nations , par M. Hume ,
21
Vers à Mademoiſelle *** pour le renouvellement
de l'année ,
239
Rondeau en ſtyle de Marot ,
50
Lettre à l'Auteur du Mercure au fujet des Mariages,
Bouquet ,
Madrigal ,
Fable. Le mouton , & le buiffon ,
60
ibid.
61
Lettre de Mlle Pliffon à l'Auteur du Mercure ,
62
Portraits de fix fameux Peintres de l'école d'Ita
fie ,
66
68
Explication du mot des Enigmes & des Logogryphes
du 1 volume du Mercure de Janvier,
Enigme & Logogryphe , 69
Chanfon à l'occafion de la Statue élevée dans la
place Royale de Nancy , 72
Vers de M ... à Madame de ***. en lui envoyant
des lacets de Conftantinople ,
Avis de l'Auteur du Mercure ,
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
81
ibid.
83
Lettre de M. de M .. à M. de S..au fujet des écrits
Anglois fur les limites de l'Amérique ,
Extraits , précis ou indication des livres nouveaux,
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
87,
Hiftoire. Mémoire fur les anciennes repréſentations
théâtrales pieuſes , où le mêlange de la
fiction a quelquefois obfcurci le fonds de la vé-
M. l'Abbé le Boeuf , de l'Académie des
119 rité; par
Belles -Lettres
,
Métallurgie
. Réponfe
de M. de Machy
aux obfervations
de M. Cadet
, inférées
dans
le premier
volume
du Mercure
de Décembre
, 134
Chirurgie
. Differtation
fur le ver plat ou folitai-
146
re ,
240
Séance publique de l'Académie des Sciences , &
Belles- Lettres de Befiers ,
ART. IV. BEAUX ARTS.
157
173 Mufique.
Peinture. Lettre écrite de Bruxelles fur le fecret
de tranfporter les tableaux fur de nouveaux
fonds , & de les réparer
174
Lettre de M. Gautier à l'Auteur du Mercure , &
réponſe à la lettre anonyme fur l'invention
d'imprimer en tableaux ,
189
204
205
Gravure.
Architecture.
ART. V.
SPECTACLES.
Comédie Françoiſe.
209
Comédie Italienne.
ibid.
Précis de l'Epouſe ſuivante ,
210
Programme des Fêtes Parifiennes ,
212
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres
217
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
224
Naiffance , & Morts ,
228
'Avis.
235
De l'Imprimerie de Ch. A. JOMBERT.
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ
AU
ROI .
FEVRIER
1756.
Diverfité, c'est ma devife. La Fontaine.
Ceckin
Saius i
By Sculp
A
PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE
NULLY , au Palais.
Chez
PISSOT , quai de Conti .
DUCHESNE , rue Saint Jacques,
CAILLEAU , quai des Auguftins.
Avec
Approbation & Privilege du Roi,
AVERTISSEMENT.
LE
Bureau du
Mercure eft chez M.
LUTTON ,
Avocat , &
Greffier- Commis au
Greffe Civil du
Parlement ,
Commis au
recouvrement du
Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui que l'on prie
d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à lapartie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du
Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera
d'avance , en
s'abonnant ,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les
perfonnes de
province
auxquelles on
enverra le
Mercure par la pofte ,
payeront
pour feize
volumes 36 livres
d'avance en s'abonnant
, & elles les
recevront francs de port.
Celles qui auront des
occafions pour lefaire
venir , ou qui
prendront les frais du portfur
leur compte , ne payeront
comme à Paris ,
qu'à raifon de 30 fols par
volume , c'est-àdire
24 livres
d'avance , en
s'abonnant pour
16 volumes.
-Les
Libraires des
provinces on des pays
A ij
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreffe ci- deffus.
On Supplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la poſte , en payant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres .
afin que le payement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
resteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lution ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine , aprèsmidi.
On peut fe procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainsi que les Livres
, Estampes & Mufique qu'ils annoncent .
MERCURE
DE FRANCE.
FEVRIER. 1756.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
J
ETRENNES
D'un Berger à fa Bergere.
Amais d'Almanach au village ,
On n'en fçait le nom , ni l'ufage ;
On n'y connoît que de beaux jours ,
Et rien n'en dérange le cours.
Toute éclipfe eft choſe étrangere ,
Surtout au coeur de fa Bergere .
Des jours heureux ou malheureux ,
A iij
6
MERCURE DE FRANCE.
"
Tout l'horofcope eft dans les yeux ,
Sur le ciel , fans aucun fyftême ,
On aime , on eft aimé de même.
Soit en conduifant fon troupeau ,
Soit en rentrant dans fon hameau ,
On ne s'occupe que de l'heure.
La plus touchante & la meilleure ,
Eft toujours celle du Berger ,
Qui fçait plaire & nous engager.
A l'inconftance rien qui méne ;
L'indifférence un phénomene ;
Et mille petits foins charmans ,
Font l'emploi des plus doux momens.
Rien n'échappe dans la nature ,
Pour fes moutons l'eau la plus pure ,
Refpirer l'air en même lieu
Bergere & Berger même feu ;
Un regard y fert de bouffole ,
Et le coeur eft l'unique pole.
Toujours de la plus belle humeur ,
On n'y connoit que la candeur ,
Les graces de la complaifance ,
Sous les charmes de l'innocence.
Auffi là , jamais on n'entend
Faire de fade compliment ,
Pas même à la nouvelle année ,
Faifons comme eux cette journée ;
Ah ! qu'un fentiment rechauffé
Eft un préfent bien étoffé ?
FEVRIER. 1756. 7
Je crois qu'une ame délicate
Se réjouit & ſe dilate ,
De voir un grand George - dandin ,
Venir d'un air prétendu fin ,
Avec un humble révérence ,
En lui demandant audience ,
Faire étalage de fes voeux ,
Sots comme lui , plus ennuieux ;
Et lui préfenter pour offrandes ,
Ou des bonbons , ou des amandes.
Faut-il donc faire tant de pas ,
'Pour dire ce qu'on ne fent pas ?
Auffi je fuis cette cohorte ,
Qui court , & va de porte en porte,
Chez moi je fuis claquemuré ,
Je voudrois m'y voir enterré,
Tant j'abhorre toute vifite ,
Qui fent le fourbe ou l'hypocrite .
Quiconque penfe comme moi,
Tout le jour doit refter chez foi.
Ne vous fâchez pas , ma Bergere ,
De mon humeur attrabilaire :
J'aime le vrai , vous le fçavez ;
Et vous , des fots , qui vous fauvez ,
Déja je vous vois en colere ,
Qu'on ne traite pas de chimere
Tous les complimens onéreux
De gens déja trop ennuieux :
Bien loin d'en augmenter le nombre ,
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Vous verrez à peine mon ombre ;
Ou fi je fors de mon réduit ,
Ce ne fera qu'avec la nuit ,
Pour aller vous rendre un hommage ;
Qui ne tiendra rien de l'ufage :
Vous me prendrez pour un hibou ,
Qui fera forti de fon trou ;
Mais ne jugeant pas la figure
Par le cadre , ou par la bordure ,
On vante en vain tous vos appas ,
Le babil ne vous féduit pas .
Un Berger , qui d'un ton fincere ,
( Le feul qui foit fait pour vous plaire )
Vous diroit tout bas fimplement :
Quand je vous vois , je fuis content.
Hélas ! auprès de vous j'oublie
Mes troupeaux & ma bergerie ,
Vous plairoit plus affurément ,
Qu'un compliment du jour de l'an.
Crainte de fentir mon village ,
Je n'en dirai pas davantage :
Si mille gèns en ont trop dit ,
Je crains d'en avoir trop écrit.
FEVRIER . 1756. 9
LES GRACES DE L'INGENUITÉ ,
NOUVELLE.
Melanie eft née de parens nobles
mais peu partagés des biens de la fortune
. Elle reçut l'éducation d'une de fest
tantes dont elle eft tendrement aimée .
Eugenie apperçut dans le coeur de fa jeune.
éleve des difpofitions tendres qu'elle jugea
devoir être un jour dangereufes à fon
repos. Pour prévenir les malheurs dont
elle la croyoit menacée , elle réfolut de la
laiffer dans une ignorance profonde fur
les effets de l'amour , perfuadée qu'en voulant
lui donner des préfervatifs contre cetre
paffion , elle l'expoferoit au défir, de la
connoître. Sa vigilante précaution alla
jufqu'au point de lui laiffer ignorer le mot
même d'amour. En revanche elle lui parloit
beaucoup de l'amitié : elle lui vantoit
les charmes de cet heureux fentiment , &
lui faifoit fentir combien il influe fur le
bonheur de la vie.
Melanie avoit atteint quatorze ans fans
qu'Eugenie eût trouvé aucun obftacle à
conferver cette chere niece dans l'innocence
où elle fe plaifoit à la voir jamais
le mot d'amour n'avoit frappé fes oreil
A v
10
MERCURE DE FRANCE.
les : fon amitié pour fa tante , & la reconnoiffance
qu'elle lui devoit ,
occupoient
entierement fon coeur : elle ne défiroit
rien , parce qu'elle ignoroit qu'il fût d'autres
biens à défirer que ceux dont elle
jouiffoit.
Une amie d'Eugenie l'invita un jour à
l'accompagner à une de fes terres où elle
devoit paffer quelque tems : Melanie fut
de la partie. De toutes les beautés que
renfermoit ce féjour , elle n'admira que
les jardins : ils lui parurent enchantés , &
elle y fixa tous fes plaifirs. Eugenie ne
craignoit pas qu'elle y trouvât rien de contraire
aux principes
d'éducation qu'elle lui
avoit donnée : elle la laiffa fe livrer fans
contrainte à
l'innocence de fon goût. Me-
Janie profita de la liberté qui lui étoit
accordée , pour jouit à fon aife des agrémens
de la nature , & d'un fpectacle nouveau
pour elle.
Un jour qu'elle parcouroit les différenres
avenues des jardins , elle apperçut une
porte qui donnoit dans la campagne ; elle
l'ouvrit , & fut furprife de voir à quelque
pas de-là un ruiffeau dont l'eau vive
& argentée , baignoit un gazon émaillé
des plus agréables fleurs ; un double rang
d'arbres le mettoit à l'abri de l'ardeur du
foleil , & formoit un couvert d'une fraîFEVRIER.
1756.
cheur admirable . Melanie s'approche ; la
beauté de cette retraite , le calme qui y
regne , la férénité du jour , & le chant
amoureux des oifeaux la féduifent , elle
s'affied fur le gazon : la folitude ne l'effrayoit
pas ; elle ignoroit qu'il fût des
périls pour les perfonnes de fon fexe : avec
une entiere confiance elle fe laiffa furprendre
par le fommeil.
Il y avoit quelque tems qu'elle y étoit
plongée , lorfqu'elle fut éveillée par un
mouvement qui fe fit auprès d'elle. Sa furprife
fut extrême de voir à fes pieds un
jeune homme qu'elle ne connoiffoit pas :
elle voulut fuir , la voix de l'Inconnu
l'arrêta.
"
per- a Les coups font portés , aimable
» fonne , lui dit - il ; je vous ai vue , & c'eſt
» dire que je vous adore. Le hazard vient
» de forger la chaine qui devoit captiver
» mon coeur : je me croyois à l'épreuve des
» traits de l'amour ; mais hélas ! qui peut
» l'être du pouvoir de vos charmes ? je n'y
» ai point réafté , & ce jour me va coûter
» le repos de ma vie
C'étoit la premiere fois que Melanie.
entendoit nommer l'amour , c'étoit la premiere
fois qu'on lui difoit qu'elle étoit
faire pour plaire ; Eugenie avoit toujours
fçu lui dérober une fi flatteufe , mais fou-
A vj
32
MERCURE DE FRANCE.
vent dangereufe connoiffance. Melanie
étoit belle fans le fçavoir. Quel fut fon
étonnement au difcours de l'Inconnu ;
mais à ce premier fentiment en fuccéda
bientôt un autre . Le jeune homme joignoit
aux plus tendres propos des foupirs &
des regards pleins de feu : fi l'innocence de
Melanie l'empêcha d'en comprendre le
fens , fon coeur ne s'y méprit pas : elle examinoit
l'Inconnu avec la plus curieufe
attention , & elle y prenoit un plaifir qui
augmentoit par degré . La nature en le
formant s'étoit furpaffée elle- même ; l'amour
n'auroit pu emprunter de traits plus
féduifans : les yeux de Melanie s'animoient
cependant d'un feu étranger ; un doux
faififfement s'emparoit de fes fens ; la
voix de fon amant , fes foupirs , & même
fon filence , répandoient dans fon ame la
plus vive émotion.
A ces différens effets qui auroit pu méconnoître
les attaques de l'amour ? Tout
annonçoit fa puiffance ; mais Melanie ne
la reconnut pas elle prit tout ce qu'elleéprouvoit
, & ce qu'elle infpiroit à l'Inconnu
, pour de fimples
mouvemens d'amitié.
Elle ne craignit pas de fe livrer à
un
fentiment fi doux , & que fa tante lui
avoit toujours offert fous des traits ref
pectables : elle croyoit
appercevoir dans
FEVRIER . 1756. 13
fon jeune amant des qualités qui méri
toient fon attachement ; la nobleffe de fa
phyfionomie , la douceur de fes expreffions
, la fincérité qui brilloit dans fes
yeux , & plus encore le rapport de fon
coeur engageoient Melanie à céder au
penchant qui l'entraînoit.
« Eft- il poffible , lui dit- elle ingénue-
» ment , qu'un feul inftant ait pu pro-
» duire tant d'effet fur votre coeur ? L'a-
» mitié ne prend- t'elle fa fource que dans
les yeux & fans connoître le caractere
» de l'objet qui nous frappe , peut- on lui
» être folidement attaché ? Mais qui êtes-
» vous , pourſuivit -elle , fans lui laiffer le
» tems de répondre ? Où avez-vous fixé
votre féjour ? Quel hazard enfin vous a
» conduit auprès de moi » ?
ע
Ces queftions embarrafferent l'Inconnu :
il héfica quelques momens à y répondre :
mais craignant fans doute d'infpirer de la
défiance à Melanie ,
« Mon nom eft Tervile , lui réponditnil
, Paris eft le lieu de ma naiflance ,
j'y ai laiffé une partie de ma famille.
» Quelques intérêts particuliers m'ont ap-
» pellé dans cette Province , où je fuis
» depuis deux mois je revenois de la
chaffe , lorfque le hafard m'a conduit.
» dans ces lieux ».
:
14 MERCURE DE FRANCE .
« L'amour , hélas ! m'y attendoit , con-
» tinua- t'il , pour me faire ſentir ſes pre-
» miers feux. J'ai admiré long- tems vos
» charmes , & chacun des regards que je
» leur ai donné a porté à mon coeur un
» nouveau trait de flamme . J'ai ofé
"
prendre votre main , j'y ai imprimé
» le baifer le plus tendre. Que ne m'eſt-
» il poffible de vous peindre la révo-
» lution qui s'est faite alors dans mon
» ame ; j'ai cru qu'un évenement furnaturel
» alloit changer fon exiſtence . Vos yeux
» fe font ouverts , & cet inftant a décidé
» ma défaite. Oui ; je vous adore , & je
" fens que fans vous il n'eft plus de repos
» pour moi ».
« Ah ' fi votre bonheur ne dépend que
» de moi , répliqua la naïve Melanie ,
» croyez que vous ferez le plus heureux
» des hommes. Je vous l'avoue , Tervile ,
» vous me paroiffez digne de mon amitié,
» mais je n'ofe vous l'offrir fans l'aveu de
» ma tante. Elle a toujours réglé mes fen-
» timens , un manque de confiance de ma
» part pourroit la chagriner. Suivez- moi ,
»pourfuivit - elle avec un tranfport char-
» mant ; elle est en ces lieux : elle chérit
» le vrai mérite , elle vous aimera , Ter-
» vile , quand elle vous aura vu , & fure-
» ment elle me permettra de devenir votre
>>
amie ».
FEVRIER. 1756.
15
Il eft plus aifé d'imaginer que d'exprimer
la furpriſe de Tervile. L'attention
que Melanie avoit donnée à fes diſcouts ,
& la facilité avec laquelle elle avoit cédé
aux mouvemens de fon coeur , lui avoient
fait juger qu'elle ignoroit l'ufage de la
diffimulation ; mais il ne croyoit pas qu'elle
pouffoit l'innocence au point de méconnoître
l'amour : fa réponſe ne lui
mit plus d'en douter. Quoique jeune , il
connut le prix de cette heureufe ignorance
: il a fouvent avoué depuis que ce moment
avoit été le plus doux de fa vie ;
l'innocence naïve avoit fourni un trait de
plus à l'amour.
per-
Tervile étoit trop intéreffé à conferver
Melanie dans une fi précieufe erreur , pour
qu'il hazardât de l'en tirer, Il s'appercevoit
que loin de devoir l'ignorance où elle
étoit à la foiblefle de fon efprit , il n'en
pouvoit être de plus vif, de plus pénétrant
& de plus folide que le fien : c'etoit
donc aux feuls préjugés de l'éducation
qu'elle avoit reçue , qu'il pouvoit attribuer
une méprife auffi finguliere. De quels
plaifirs n'auroit- il pas été privé , fi Mélanie
eût connu les périls où l'expofoit fon
ingénuité ? Tervile fe contenta d'exprimer
avec feu la fatisfaction que lui donnoient
les favorables difpofitions où il
16 MERCURE DE FRANCE.
voyoit le coeur de cette aimable perſonne.
Il lui jura une tendreffe éternelle :
mais il lui avoua qu'il ne pouvoit faire encore
auprès de fa tante la démarche qu'elle
lui propofoit ; qu'il étoit lui-même fousla
puiffance d'un oncle , dont il avoit befoin
de ménager l'efprit , pour l'engager à
confentir à fon bonheur.
» Eh bien ! Tervile , reprit Melanie
n'épargnons rien pour nous rendre favo-
» rables de fi chers parens. Pendant que
» vous travaillerez à mériter le fuffrage de
» votre oncle , je parlerai à Eugenie ; je
"lui dirai ...
" Ah ! Melanie , interrompit Tervile, elle va
» peut -être vous défendre de m'aimer ; elle
» va peut-être vous défendre de me voir.
" Quelle raifon en auroit- elle , reprie
» Melanie avec furpriſe L'amitié ne peut
me rendre coupable à fes yeux ; elle s'efb
» de tous tems appliquée à m'en faire con-
»noître les douceurs ; Mais quoi ! ... ne
و د
feroit- elle pas jaloufe de vous voir par-
» tager ma tendreffe avec elle ? Cela pour-
» roit bien être , & vous me faites ouvrir
» les yeux elle me defendroit de vous ai-
» mer ... Je ne pourrois plus vous voir ...
» Ah ! Tervile , vos craintes paffent dans
» mon ame , vous me faites trembler.
» Eh bien ! chere Melanie , repliqua
FEVRIER. 1756. 17
» l'amoureux Tervile , charmé du tour in-
" genu qu'elle donnoit elle-même aux al-
» larmes qu'il lui laiffoit voir , dérobez
quelque temps à votre tante l'intelli-
» gence de nos coeurs. Je parlerai à mon
"oncle ; je l'engagerai à faire lui- même
» les premieres démarches auprès d'Euge-
» nie. Il lui découvrira mon amour pour
» vous ; & les traits dont il le peindra à
» fes yeux , lui feront moins fufpects , que
» ceux qu'elle jugeroit partir d'un pinceau
» intéreffé. Mais en attendant me refufe-
» rez-vous le bonheur de vous voir ? m'in-
» terdirez-vous le plaifir de lire dans vos
» yeux que j'ai fçu vous toucher.
» Non , je ne vous refuferai rien , ré-
» pondit ingénuement Melanie : j'approuve
» vos raifons ; j'attendrai l'effet de vos
» démarches auprès de votre oncle. Il m'en
» coutera , je vous l'avoue, pour manquer
» de confiance envers Eugenie, c'eft la pre-
» miere fois qu'elle aura à s'en plaindre ;
" mais puifque les intérêts de notre ami-
» tié l'exigent , je leur ferai fidele . Ces
" mêmes lieux cependant pourront nous
» procurer le plaifir de nous voir ; j'y re-
» cevrai chaque jour avec joie l'afſurance
» d'un fentiment tendre de votre part , &
" Vous aurez la douceur de vous voir
payer de la mienne d'un retour fincere.
"
18
MERCURE DE
FRANCE.
La nuit approchoit ; Melanie & Tervile
furent contraints
d'interrompre un entretien
fi flatteur. Que cet inftant leur conta
de peine !
Je vais
m'éloigner de vous , difoit
avec douleur le paffionné Tervile ; nous
"nous
reverrons demain , reprenoit la
» naïve
Melanie : une fi courte abfence
>> doit-elle nous faire
foupirer ?
y
En difant ces mots , des larmes s'échappoient
de fes yeux ; Tervile
fiennes. » Ma tante m'a toujours dit que
mêloit les
» l'amitié ne cauſoit que des plaifirs , re-
» prit encore Melanie ; mais c'eft fans dou-
» te lorfqu'elle ne trouve aucun obftacle
» à s'exprimer. Tervile jura qu'il alloit
travailler fans retard à détruire ceux qui
s'oppofoient à leur commun bonheur . Melanie
lui tendit la main qu'il baifa avec
tranſport. Ils fe
féparerent enfin, en fe promettant
de
nouveaux plaiſirs pour le lendemain.
Melanie dormit peu. Livrée à l'amour
le plus vif , elle croyoit donner tout à
la
tranquille amitié. L'image de fon amant
s'offroit fans ceffe à fon efprit avec d'autant
plus de charmes qu'elle ne
trouvoit
point de fujet de l'en bannir.
L'innocence
de fes
fentimens lui montroit fon devoir
d'accord avec fon coeur.
Heureufe fituaFEVRIER.
1756. 19
tion ! quel aveuglement nous en fait méprifer
fes délices !
Melanie fut exacte à fe trouver au rendez-
vous qu'elle avoit donné à'Tervile.
Leur entretien fut encore plus tendre que
la veille . Ils avoient éprouvé les langueurs
de l'abfence , le plaifir de fe revoir leur
en parut plus vif. Melanie croyoit ne pouvoir
jamais affez convaincre fon amant
de ce qu'elle fentoit pour lui . Elle lui rapportoit
, avec une naïveté capable de charmer
le plus infenfible, tout ce qu'elle avoit
éprouvé depuis leur féparation. Tervile
voyoit fans nuage la félicité que lui préparoit
un coeur tendre , innocent & délicat.
Son amour puifoit dans fon bonheur
même une nouvelle force : des larmes
que le fentiment lui arrachoir , &
que Melanie prenoit foin d'effuyer, étoient
fouvent les feules expreffions du plaifir
qu'il reffentoit. Mais Tervile tout ver
tueux , tout admirateur qu'il étoit de l'innocence
de Melanie , Tervile étoit fujet
à des foibleffes : il étoit bien difficile que
fe trouvant feul avec une jeune & charmante
perfonne qui lui donnoit fans ceffe
des preuves de l'amour le plus tendre , il
n'éprouvât pas de ces défirs où les fens
n'ont fouvent que trop depart;il y avoit
quelque tems que ces deux amans fe
20 MERCURE DE FRANCE.
voyoient régulierement , fans qu'Eugenie
en eût le moindre foupçon , lorfque dans
un de leurs entretiens Melanie de qui
l'ingénuité étoit toujours la même , fe
laiffa
emporter au torrent de fon coeur .
» Je ne fçais , dit- elle à Tervile , quel
» genre d'amitié vous m'infpirez ; mais je
» n'ai jamais éprouvé auprès de ma tante
» ce que j'éprouve auprès de vous . C'eſt
qu'elle vous aime moins que moi , lui
» répondit Tervile. Ah ! Melanie , pour-
» riez- vous me refufer le prix du fenti-
» ment ; celui qui m'anime pour vous , eft
» de nature à ne pouvoir être égalé.
و ر
» Que je me plais dans cette douce cer-
» titude , s'écria Melanie ! Que vous m'ê-
» tes cher , Tervile ! Si vous ceffiez de
» m'aimer , je crois que je cefferois de vi-
» vre .
» Tervile , que le refpect qu'il avoit
» pour Melanie , avoit retenu jufqu'alors.
» dans les bornes les plus étroites , ne fut
» pas cette fois maître de fes tranfports.
» Livrez - vous fans allarmes aux mou-
» vemens de votre coeur , lui dit - il avec
» un trouble extrême , chere Melanie :
» l'amour même & vos charmes vous répondent
de ma conftance ... Mais ....
» vous m'aimez donc .... Ah ! Melanie ,
»affurez- m'en encore ,... vous m'aimez ...
» Melanie ...
"
FEVRIER . 1756 . 21
La vivacité avec laquelle Tervile prononça
les dernieres paroles , répandit le
trouble dans l'ame de Melanie : elle rougit
& foupira fans fçavoir pourquoi . Ses
yeux qui rencontrerent ceux de fon amant ,
furent à l'inftant baignés de ces délicieufes
larmes que l'amour fait répandre . Tervile
s'empreffe à les recueillir. Il y confond
les fiennes ; & guidé par fes défirs il prend
Melanie dans fes bras , la ferre tendrement
, fon ardeur augmente.
» Tervile , ... lui dit Melanie , d'une
» voix foible , qu'éprouvons- nous l'un &
» l'autre ? Quel étrange mouvement faites-
» vous 'naître dans mon coeur ? Ah ! que
» ma tante avoit raifon de me vanter les
» charmes de l'amitié ! Qu'ils font puif-
» fans ! Mais pourquoi ne les goûtai - je
» qu'avec vous ?
Ce difcours rappella Tervile à lui-mêmême.
L'innocence de Melanie y étoit repréfentée
avec trop davantage pour ne pas
faire effet fur un coeur naturellement ami
de la vertu ? ... « Qu'allois - je faire , dit-
83
il ! ce qui doit être l'objet de mon ado-
» ration, ce qui doit faire un jour ma féli-
» cité , alloit me rendre le plus coupa-
» ble des hommes . Non ... ma raifon s'y
refuſe ... mon amour même en feroit
» bleſſé ... En difant ces mots , Tervile
22 MERCURE DE FRANCE.
réprend auprès de Melanie la timidité du
véritable amour .
Melanie alloit fans doute queftionner
Tervile fur ce qui venoit de fe paffer entr'eux
, lorfqu'elle entendit la voix d'Eugenie
, qui répétoit fon nom avec inquiérude.
Contraints de fe féparer , nos deux
amans fe dirent en gémiffant l'adieu le plus
tendre. Melanie rentra dans le jardin , où fa
préfence calma les allarmes de la craintive
Eugenic.
» Où étiez-vous , ma chere enfant , lui
» dit - elle , fitôt qu'elle l'apperçut ? je vous
» cherche depuis long-tems. Venez , pour-
» fuivit -elle , fans attendre fa réponſe ;
» venez embraſſer votre mere qui vient
» d'arriver en ces lieux.
Melanie avoit befoin d'une nouvelle
auffi inattendue pour dérober à fa tante le
trouble où elle étoit encore.
» Ma mere , reprit- elle ! Quel bonheur
» l'amene auprès de moi !
»Vous le fçaurez , dit myſtérieufement
» Eugenie .
» Allons , repliqua Melanie , allons lui
» prouvertoute la fenfibilité de mon coeur.
Melanie ne foupçonnoit pas le motif du
voyage de Melife ; Eugenie qui l'avoit ocfionné
, lui en avoit fait un myftere. Madame
d'Arcourt , cette amie chez laquelle
FEVRIER. 1756 . 23
elle demeuroit alors , occupoit un rang qui
lui procuroit les plus belles connoiffances
de la province . Sa terre touchoit à celle du
Comte d'Armainville. Ce Seigneur avoit
paffé fa jeuneffe à la Cour. Parvenu à un
âge mûr , & fatigué du tumulte du monde
, il s'étoit retiré à la campagne , où il
jouiffoit de la tranquillité fi néceffaire au
bonheur de la vie. Il avoit lié connoiffan→ .
ce avec Madame d'Arcourt , & brilloit
dans la fociété qui fe raffembloit chez elle .
Le Comte y vit Melanie , & toute fa
raifon ne put le garantir des traits de l'amour
; il l'aima affez pour fe déterminer
fur le champ à partager avec elle fon rang
& la fortune. L'éducation qu'elle avoit
reçue , lui garantiffoit fa fageffe , & fembloit
lui répondre de la liberté de fon coeur,
qu'il efperoit fe rendre favorable , quand
l'Hymen lui permettroit de faire éclater
à fes yeux l'amour qu'elle lui avoit infpiré,
Il ne s'amufa pas à foupirer auprès d'elle ,
& ce ne fut qu'à Eugenie qu'il découvrit
fes fecrets fentimens. Eugenie reçut cer
aveu en perfonne qui s'en trouvoit honorée
, & qui regardoit les vues du Comte
comme devant faire le bonheur de fa niece.
Elle écrivit à Melife pour lui communiquer
cette agréable nouvelle. Sure que
le coeur de Melanie n'étoit point difpofé à
24 MERCURE DE FRANCE.
oppofer d'obſtacle à fes deffeins, elle crut
inutile de la prévenir. Elle voulut laiffer
à Melife le plaifir de furprendre fa fille
en lui faifant connoître l'amour de celui
qui devoit lui en faire goûter les douceurs.
Melife enchantée de l'efpoir que
lui donnoit fa four , partit aufli- tôt pour
fe rendre où l'heureufe deftinée de fa fille
l'appelloit ; mais Melanie ignoroit les difpofitions
du Comte en fa faveur . Son innocence
ne lui permettoit pas de deviner
les fentimens qu'elle faifoit naître , &
fon indifférence pour ce Seigneur étoit ſi
grande qu'elle avoit toujours oublié de
parler de lui à Tervile.
Le coeur de Melife fut partagé entre la
joie de revoir une fille & une foeur qu'elle
aimoit , & celle de recevoir du Comte
d'Armainville la confirmation de ce que
lui avoit mandé Eugenie. Elle fe chargea
du foin de prévenir fa fille fur l'honneur
qu'il lui deftinoit , & promit au
Comte que dès le lendemain , il recevroit
de la bouche même de Melanie l'aveu qu'il
défiroit : mais le Comte impatient , ne
put attendre jufqu'au lendemain pour s'éclaircir
d'une chofe qui l'intéreffoit fi vivement.
Il fçavoit que Melife devoit dès le
foir même s'expliquer avec Melanie , il fe
fit un plaifir délicat de jouir de la furpriſe
où
FEVRIER. 1756. 25
où feroit cette jeune perfonne , en entendant
nommer l'amour pour la premiere fois,
& de connoître par lui- même fi elle feroit
flattée d'apprendre qu'elle lui en avoit infpiré.
Il fe gliffa fecrètement dans un cabinet
qui touchoit à l'appartement de Melife
, où , par une porte vitrée , il fut à
portée de voir & d'entendre la fcene qui
fe préparoit.
Melife après avoir prodigué à fa fille
les careffes les plus tendres , s'empreffa de
l'inftruire du fujet de fon voyage : elle lui
peignit fous les couleurs les plus fenfibles
le bonheur que l'alliance du Comte lui
préparoit. Melanie frémit fans pouvoir
s'en rendre raifon ; fon filence furprit Melife
: « Vous ne répondez pas , ma fille ,
» lui dit- elle , auriez- vous de la répugnan-
» ce à époufer le Comte ? fongez que je
» fuis autant votre amie que votre mere ,
» & parlez- moi fans détour » .
Raflurée par le ton affectueux qu'em -`
ployoit fa mere , Melanie lui répondit en
l'embraffant , qu'elle ne connoiffoit pas
d'autre volonté que la fienne ; « mais ,
» ajouta-t'elle , apprenez-moi à quoi l'en-
» gagement que vous me propofez , doit
me foumettre qu'exige de moi le titre
» d'épouſe du Comte » ?
Melife fourit & reconnut dans cette
B
26 MERCURE DE FRANCE,
réponſe l'effet des foins d'Eugenie.
« Le Comte n'exige de vous , dit- elle ,
à fa fille , que ce que fes bonnes façons
» & fon amour vous forceront de lui ac-
» corder ; c'eſt une fidélité à toute épreu-
» ve , c'eſt enfin votre coeur qu'il deman-
» de & que vous ne pouvez lui refufer.
» Ah ! que me dites- vous , s'écria , Mela-
» nie , s'il en eft ainfi , je ne puis époufer
le Comte.
59
" Eh ! pourquoi , dit Melife avec furprife
».
Melanie vit avec chagrin qu'elle alloit
rompre le filence que Tervile lui avoit recommandé
; elle voulut retenir fon fecret ,
mais vivement preffée par fa mere ;
"Hélas ! reprit- elle , comment pour-
» rai- je donner mon coeur au Comte , il
» n'eft plus en mon pouvoir.
99
» Eh ! à qui l'avez- vous donné , repli-
» qua Melife ?
" A vous , Madame , dit Melanie , à
» ma chere tante , héfita un & ..... elle
inftant , à Tervile , pourfuivit- elle ; vous
rempliffez tous trois l'étendue de mon
» coeur , il n'y a plus de place pour d'au-
20
2)
» tres » .
Quel fujet d'étonnement pour Eugenie!
A quoi lui ont fervi tant de précautions
pour éviter à fon éleve la connoiffance de
FEVRIER. 1756. 27
l'amour. Elle fixe fur fa foeur des regards
interdits.
» Ah! ma foeur , lui dit Melife eft-ce là
» ce que vous m'aviez annoncé.
» Vous voyez ma furprife, reprit Eugenie
; les difpofitions du coeur de Me-
» lanie , fes liaifons avec Tervile , & le
» jeune homme lui-même me font incon-
" nus.
39
Expliquez- nous donc ce myftere , dit
" Melife à fa fille quel est ce Tervile
» dont vous nous parlez ? n
Melanie apprit à fa mere comment elle
avoit connu Tervile , & les circonftances
qui avoient formé leur liaiſons.
» Ah ! s'il paroiffoit devant vous pourfuivit-
t'elle avec vivacité , fi vous con-
» noiffiez les qualités de fon ame , vous
» l'aimeriez comme moi . Pouvois- je lui
» refufer mon amitié ? Il m'alluroit fans
ceffe de la fienne , & la fincérité même
s'exprimoit par fa bouche , »
Melife & Eugenie allarmées des périls
où l'innocence de Melanie avoit été expofée
dans fes entrevues avec Tervile, n'ofoient
plus la queſtionner , craignant d'en
trop apprendre ; il leur étoit cependant
effentiel de ne rien ignorer de cette aventure.
» A quoi paffiez-vous votre temps au-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
» près de Tervile , lui dit Melife ? que
" vous difoit- il ? quels étoient vos amu-
» femens enſemble ? mais furtout , Mela-
» nie , gardez - vous de me rien déguifer.
"
33
"3
» Eh ! que pourrois- je vous cacher , re-
" prit Melanie ? l'amitié n'eft pas un cri-
» me ; ma tante m'a toujours dit qu'elle
» étoit au contraire le plus doux lien de
» la fociété. Je paffois avec Tervile lès
plus beaux inftans de ma vie : il m'ai-
» moit , il me le difoit , je l'aimois & je
» l'en affurois avec la même fincérité ;
» Dieux ! que nos entretiens étoient doux !
» Chere Melanie , me difoit- il , connoiffez
l'étendue de votre empire ; toutes
» les puiffances de mon ame vous font
» affajéties , & vous fçavez triompher
» des défirs même que vous m'infpirez.
» Oui , fi l'amour lés excite , le refpect leur
» en impofe..... Il cheriffoit furtout ,
» difoit-il , l'innocence de mon coeur , je
n'étois pas moins empreffée à l'inf-
» truire de ce qui m'intéreffoit le plus en
lui , c'eft ainſi que nous paffions des
heures entieres & qui nous paroiffoient
» des momens. Hélas ! nous ne nous
» fommes jamais féparés fans répandre
» des larmes , que l'efpoir de nous revoir
» le lendemain ne pouvoit même arrêter . »
Melanie s'exprimoit avec trop d'ingépour
ne pas perfuader.
"
"
nuité
FEVRIER. 1756. 29
>>
" Graces au Ciel , dit Melife bas à Eugenie
, nos craintes font diffipées
» Tervile a refpecté l'innocence de ma
" fille au point de la laiffer dans fon
» erreur fur l'amour , profitons de fon peu
d'expérience pour détruire le penchant
que fon coeur oppofe aux défirs du
»
» Comte.
ود
» Je fuis contente , dit- elle enfuite à
» Melanie ; j'aime votre fincérité , mais
» ma fille , j'exige , au nom de cette ten-
>> dreffe que vous m'avez affurée tant de
» fois avoir pour moi , que vous oubliez
« Tervile , que vous renonciez à fon ami-
» tié , & que vous donniez la votre au
» Comte.
» Oublier Tervile , s'écria Melanie avec
douleur ! Ah , Madame ...
Ne repliquez pas reprit , Melife : obéif-
» fez, & dès demain difpofez-vous à re-
• çevoir favorablement celui que je vous
» deftine .
"3
» Et Tervile , dit la tendre Melanie , que
» va t'il donc devenir ?
» Oubliez jufqu'à fon nom , repliqua
» Melife : non , ma fille , non , Tervile ne
paroîtra jamais à vos yeux. »
"
Melanie ne put fupporter la rigueur
que renfermoit une telle menace : elle
perdit connoiffance ; Eugenie & Melife
B iij
30. MERCURE DE FRANCE.
s'empreffoient à la fecourir , lorfque le
Comte accablé de ce qu'il venoit d'entendre
s'offrit à leur regards .
»
»
» Ah Monfieur lui dit Melife ...
" Je fçais tout reprit le Comte , que je
» fuis malheureux ! mais de grace , ménagez
le coeur de votre aimable fille ; ce
n'eft pas en caufant fon malheur , que je
puis mériter fa tendreffe. Le fecret que
» je viens d'apprendre n'a rien diminué
» de mon amour. Quelle ingénuité ! quel-
» le innocence dans cette charmante perfonne
! que Tervile eft heureux ! »
$9
Melife affura le Comte qu'elle alloit travailler
à lever l'obftacle qui s'oppofoit à fon
bonheur : fes foins & ceux de fa foeur rappellerent
Melanie à la vie ; on la laiffa feule
& livrée à fes réflexions . Hélas ! elle n'employa
ce temps de loifir , qu'à regretter
fon amant & à gémir du cruel fort qui
fans doute alloit les féparer.
Eugenie & Melife pafferent la nuit à
méditer fur les moyens de détruire la tendreffe
de Melanie pour Tervile. Eugenie
fe reprochoit d'avoir ravi à fon éleve les
armes avec lefquelles elle auroit pu repouffer
les traits de l'amour , en la laiffant
dans une ignorance dont elle avoit efpéré
d'autres fruits. Elle aimoit trop fa niéce
pour l'abandonner au couroux d'une mere
FEVRIER. 1755. 31
qu'elle voyoit difpofée à ne la point épar
gner : elle voulut fe charger feule du foin
de ramener fon efprit à la docilité .
n
" Je connois fon coeur , dit - elle à Melife
, il eft tendre : c'eft l'étude que
» j'en avois faite qui m'avoit engagée à lui
» taire tout ce qui regarde l'amour ; je
» n'ai jamais trouvé en elle d'oppofition
» à mes volontés . Laiffez-moi ménager
» fon efprit ; elle nous aime & nous ga-
" gnerons plus auprès d'elle par
» ceur , que par des emportemens qui
» revolteroient fa raiſon. »
la dou-
Melife qui connoiffoit la fageffe de fa
feur , lui abandonna volontiers l'emploi
qu'elle demandoit , autant pour s'épar
gner le chagrin de traiter durement une
Elle qu'elle aimoit , que pour tranquillifer
la tendreffe d'Eugenie.
A peine le jour leur permit - il de
travailler à l'exécution de leur projet ,
qu'Eugenie fe rendit auprès de Melanie.
Qu'elle fut pénétrée à fa vue ! Melanie
avoit paffé la nuit dans les plus vives
allarmes ; fes yeux étoient encore baignés
de pleurs : elle étoit plongée dans un abattement
qui auroit touché les plus infenfibles
.
» Eh ! quoi , ma chere niéce , lui dit Eugenie
en la ferrant dans fes bras , eft- ce
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
.
ود
là le prix que vous refervez aux foins
» que j'ai pris pour votre éducation ? vous
» m'aviez tant de fois promis de n'aimer
perfonne fans mon aveu ? m'avez - vous
» tenu parole ? & dois - je à préfent comp-
» ter für votre amitié ? Ah ! je le vois
» bien ; vous aimez plus Tervile que vous
» ne m'avez jamais aimée .
"
"
ور »Vousfaitesinjureàmoncoeur,reprit
Melanie , je ne vous aime pas moins
» que Tervile , mais je vous l'avoue , je
» crois l'aimer autant que vous. Ah ! ma
» chere tante , que ne pouvez - vous le con-
» noître , vous cefferiez bientôt de me
» condamner. »>
Mais quel eft donc ce Tervile , repliqua
Eugenie ? quel eft fon pays , fa naiffance
& fa fortune ?
Melanie raporta tout ce que Tervile
lui avoit confié à ce sujet ; il n'eft pas loin
de ces lieux , pourfuivit- elle , & fi vous y
confentez je pourrai vous le préfenter dès
ce foir. Il doit fe trouver au lieu de nos
rendez - vous. Voyez-le , ma chere tante ,
& je fuis fure que vous applaudirez à mon
choix.
Non , ne l'eſpérez pas , reprit Eugenie ,
vous avez vu Tervile pour la derniere
fois ; le Comte feul mérite votre coeur ,
il vous offre avec le fien le titre de ComFEVRIER.
1756. 33
teffe & une fortune immenfe. Ceffez de
réfifter aux volontés de Melife ; elle vous
aime , mais une plus longue réfiftance la
contraindroit à vous hair , elle vous rendroit
malheureuſe fans qu'il me fût poffible
de vous fecourir.
Que m'annoncez-vous , repartit douloureufement
Melanie ? Que faut- il donc
faire pour la contenter ?
Epoufer le Comte dit Eugenie.
J'y confens , repliqua Melanie , mais
qu'il n'exige pas le don de mon coeur : je
vous l'ai déja dit , je n'en fuis plus la maîtreffe.
Oui , il m'eft abfolument impoffible
de l'aimer. Tervile feul , Tervile a
toute mon amitié .
Quelle obftination , dit Eugenie ! Melanie
, prenez garde de vous attirer le courroux
de Melife ; ma tendreffe même commence
à fe laffer . Oubliez Tervile , aimez
le Comte , voilà quels font vos devoirs.
Ne plus voir Tervile , reprit Melanie
..... renoncer à fon amitié ……….. Eh
bien ! il faut donc auffi que je renonce
à la vie ...
Cruelle niéce , s'écria Eugenie qui ne
s'étoit pas attendue à trouver tant de fermeté
dans le coeur de fon éleve , ne pou
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
rai - je gagner fur toi d'éviter le malheut
qui te menace ?
Impitoyable tante , repliqua Melanie ,
vous trouverai -je toujours infenfible à ma
peine ! Ah ! pourquoi m'avez vous fait un
portrait fi touchant de l'amitié ! pourquoi
m'en avez vous fi fouvent vanté les
charmes Elle fait , difiez - vous , le bonheur
de nos jours , il falloit au contraire endurcir
mon coeur contre fes féduifantes attaques.
Docile à vos leçons , j'aurois tyrannifé
fes plus chers fentimens , je les
aurois facrifiés à la crainte de vous dé
plaire & de me rendre coupable à vos
yeux ; mais tous vos foins fe font appli
qués à me faire goûter les douceurs de
l'amitié ; ces preuves mêmes que je reçevois
de la vôtre ont contribué à me
féduire ; j'y trouvois tant de charmes
qu'elle eft devenue l'ame de ma vie. C'eſt
dans ces difpofitions que j'ai connu Tervile
; cette aimable fympathie qui diſpoſe
de nos inclinations , a triomphé dans mon
ame . Je ne lui ai point réfifté , je l'avoue :
perfuadée qu'elle étoit une vertu , je me
fuis fait une gloire de céder à fes attraits ;
pour Tervile feul deviendroit- elle un crime
, lorfque vous m'en faites un devoir
pour le Comte Avouez- le , ma chere tanFEVRIER.
1756. 35
te , fi je fuis coupable , ce n'eft que de
vous avoir fait un myftere de ma tendreffe.
C'en étoit trop pour la fenfible Eugenie
; l'ingénuité de fa chere éleve , la
candeur & l'innocence de fes fentimens ,
& le tendre fouvenir qu'elle lui rappelloit,
lui offroient un tableau fi touchant , que
vivement pénétrée , elle l'embraffa , &
la quitta en lui promettant de travailler à
adoucit l'efprit de Melife en fa faveur.
Melife attendoit Eugenie avec impa
tience : elle fut furpriſe de la voir revenir
toute en larmes. Vous pleurez ma foeur
lui dit- elle rah ! vous n'avez rien gagné
fur l'efprit de ma fille ! fon obftination
perfifte ; c'est donc à moi qu'eft reſervé
ce triomphe. Votre amitié pour elle vous
rend trop foible , elle en abuſe , mais
elle apprendra bientôt ce qu'elle doit aux
volontés d'une mere.
Parlez-lui , j'y confens , repliqua Euge
nie,mais , ma foeur , ne la maltraitez pas;
fr vous connoiffiez , comme moi , l'excellent
naturel de cette chere enfant , non , vous
ne pourriez pas vous armer contr'elle..
Qu'elle eft aimable ! je l'admire jufques.
dans l'obftacle qu'elle oppofe à nos défirs.
Quelle foibleffe , s'écria Melife ! en
vérité, ma ſoeur , je ne vous reconnois plus .
B. vjj
36 MERCURE DE FRANCE.
Apprenez dans quelle erreur Melanie eft
plongée. J'ai appliqué tous mes foins à dé→
couvrir ce Tervile dont fon coeur eft charmé.
C'est un impofteur , un traître qui ,
fous un nom fuppofé , cherchoit à la féduire
; ce nom n'eft pas connu dans ces
cantons , & nous n'avons pu découvrir
aucunes de fes traces.
Cela peut être , dit Eugenie : cependant
fans chercher à le juftifier , je puis oppofer
à l'indignation qu'il vous infpire le
refpect qu'il a confervé pour votre fille.
Il pouvoit abufer de fon innocence , il ne
l'a pas fait. Ce trait feul le rend eſtimable
à mes yeux. Melanie d'ailleurs s'offre à
nous le préfenter. Il doit , dit- elle , fe trouver
ce foir à la porte du jardin de cette
maifon : elle demande qu'il lui foit permis
de le voir & de l'engager à s'expliquer
devant nous.
Et c'eft ce que nous devons éviter , interrompit
Melife : Tervile quelqu'il foit ,
ne peut furement lui faire un fort auffi
avantageux qu'eft celui que lui offre le
Comte. Plus elle le verra , plus elle fera
rebelle à nos volontés ; j'ai donné des
ordres furs pour qu'il ne paroiffe jamais à
fes yeux , & je vais travailler à rendre fon
efprit plus docile. Encore une fois , s'écria
Eugenie , ménagez ma chere niéce ; n'emFEVRIER.
1756. 37
ployez auprès d'elle que la voix de la
douceur !
Tranquillifez-vous , ma foeur , dit Melife
, j'efpere n'être pas fi foible que
vous.
L'air fombre & glacé que Melanie apperçut
fur le vifage de fa mere , ne lui
permit pas de douter du fujet qui l'amenoit
auprès d'elle , un tremblement général
la faifit. Melife affectant de ne pas
s'en apperçevoir , lui demanda froidement
à quoi elle étoit déterminée.
A vous obéir , Madame , répondit Melanie
d'une voix timide ; mais fi jamais je
vous fus chere , n'exigez de moi que ce
que je puis faire. J'épouferai le Comte ,
mais pour lui donner mon coeur , qu'il
ne l'efpere pas , il n'eft plus en mon pouvoir.
Melife indignée de trouver tant de réfiftance
dans l'efprit de fa fille , fe laiſſa
emporter à tout ce que la colere peut infpirer
de plus violent . Elle accabla Melanie
de reproches & de menaces , elle accufa
Tervile de perfidie & d'impofture ,
autorisée par le déguifement qu'il lui
avoit fait fans doute de fon véritable
nom .
Melanie voulut entreprendre de juftifier
fon amant , mais Melife lui im
38 MERCURE DE FRANCE.
pofa filence du ton le plus févere , & lui
ordonna pour la derniere fois d'oublier
Tervile , ou de fe préparer à fouffrir tous
les tourmens imaginables.
Difpofez de mon fort , répondit Melanie
au défefpoir ; je fubirai fans murmurer
toutes les peines qu'il vous plaira
de m'impofer , mais pour oublier Tervile,
non, mon coeur n'y confentira jamais. Ah !
ma chere mere , pourfuivit- elle en ſe jettant
aux genoux de Melife , laiffez- vous
attendrir par mes pleurs. Le Ciel m'eft
témoin que tous mes défirs fe bornent
à vous complaite , mais il a mis lui- même
un obftacle à vos deffeins fur moi, Non ;
je n'ai pas été la maîtreffe de mes fenti
mens , un pouvoir
un pouvoir fupérieur en a dif
pofé , je n'ai pu lui réfifter , ce pouvoir
fubfifte encore & conferve fes droits an
malheureux Tervile . Hélas ! fi l'on m'impofoit
aujourd'hui la dure loi de ceffer
de vous aimer , il en feroit de même
& je fens que je perdrois plutôt le jour
que d'y confentir , je fens.... Le faififfement
empêcha Melanie de pourfuivre :
elle embraffoit les genoux de fa mere ;
elle couvroit fes mains de baifers & de
larmes . Melife veut parler , l'émotion de
fon ame & fon
attendriffement l'en empêchent.
Prête à partager la fenfibilité da
FEVRIER. 1756. 39
fa fille , elle s'arrache de fes bras & va
rejoindre Eugenie.
Ah ma foeur , lui dit- elle , que Melanie
eft dangereufe ! Toute ma fermeté a cédé
à fa timide éloquence. Quel coeur ! quels
fentimens Eugenie , que vous lui avez
fourni d'armes contre nous !
Je vous l'avois bien dit , reprit Eugenie
, avec une fecrete complaifance ; ceffons
, croyez-moi , de contraindre fon
coeur. Son bonheur doit nous être préférable
aux avantages de la fortune.
Quoi , dit Melife , je l'applaudirois dans
une foibleffe qui a peut être pour objet un
fujet méprifable ! Non , la mienne ne s'étend
pas jufques- là .
» Ce que je puis faire pour elle , c'eft
» de laiffer au temps le foin de ramener
» fon coeur à la raifon : évitons cependant
» tout ce qui pourroit lui rappeller le
35
fouvenir de Tervile : elle ne verra plus
» que le Comte , & l'amour de ce Sei-
" gneur fçaura peut - être triompher de
» l'obſtacle qui s'oppofe à fes défits . "
13
Eugenie approuva le deffein de fa foeur ,
& dès le moment on ceffa de violenter les
fentimens de Melanie .
- Mais elle n'en fut pas plus heureuſe:
Tervile , fon cher Tervile ne paroiffoir
plus à fes yeux ; elle ignoroit s'il l'aimoit
40 MERCURE DE FRANCE.
C
toujours , & tout ce qui l'environnoit gatdoit
fur lui un filence qu'elle n'ofoit interrompre.
Elle étoit contrainte d'étouffer
les foupirs que fon fouvenir lui arrachoit ;
ce n'étoit plus dans le coeur de fa mere
qu'elle pouvoit chercher de la douceur :
armée contr'elle de l'air le plus froid &
le plus indifférent , Melife paroiffoit méprifer
la voix de la nature qui lui parloit
en faveur de fa fille ; Eugenie même , la
fenfible Eugenie n'ofoit faire éclater la
tendreffe qu'elle avoit pour une niece fi
chére. D'accord avec Melife , elle croyoit
gagner par une indifférence affectée ce
que les preuves de fon attachement n'avoient
pu obtenir du coeur de fon éleve ;
mais elles étoient toutes deux dans l'erreur.
Toute entiere à fon cher Tervile , Melanie
regardoit comme une injuftice criante
la loi qu'on lui impofoit de ne plus
l'aimer : elle étoit révoltée de voir fa mere
& fa tante facrifier à l'intérêt l'amitié , ce
fentiment noble & vertueux ; enfin Melanie
fortifioit fans ceffe fon coeur contre les
attaques qu'on lui portoit ; & le feul fruit
que Melife & Eugenie retiroient de leur
rigueur pour elle , étoit de la plonger dans
une mélancolie qui commençoit à les allarmer.
Le Comte d'Armainville s'éloignoit raș
FEVRIER. 1756. 41
tement de la maifon de Madame d'Arcourt.
Il y paffoit des journées entieres à
foupirer auprès de Melanie , & à tâcher de
l'attendrir. Melanie eftimoit ce Seigneur :
elle gémiffoit en fecret d'être cauſe du
chagrin auquel il fe livroit ; mais il lui
étoit impoffible de répondre à fa tendreffe.
Quelque tems s'écoula de la forte. Un
jour que le Comte étoit feul avec Melanie,
& qu'il lui portoit des plaintes touchantes
fur l'indifférence dont elle l'accabloit ,
»hélas ! lui dit- elle ingenuement , je vou-
» drois qu'il me fût poffible de vous fa-
D tisfaire. Je vous eftime , Monfieur , je
» ne vous hais pas , je fens même que
» s'il falloit facrifier à votre bonheur une
» partie de mes jours , je le ferois fans hé-
» fiter ; mais n'en exigez pas davantage ,
» mon coeur n'eft plus à donner. Ah !
» Comte , pourſuivit - elle , en voyant le
chagrin que fon difcours caufoit à ce
» tendre Seigneur , fi la vengeance peut
» avoir des charmes pour vous , jouiffez-
" en , je ne puis vous caufer autant depeine
que j'en fouffre moi-même depuis
n que je fuis féparée de Tervile.
39
" Eft- ce ainfi que vous prétendez adou-
» cir mes maux , s'écria le Comte ? Cruelle,
» en m'offrant la vengeance pour dédom-
» magement , vous portez à mon coeur
42 MERCURE DE FRANCE.
» un nouveau trait de défefpoir : ce font
» les mêmes tourmens auxquels vous êtes
» en proie , qui caufe mon malheur ; j'y
» reconnois la vivacité de votre amour
» pour le trop heureux Tervile ..
"
» N'enviez pas fon fort , reprit Mela-
» nie. Eft - il malheur femblable à celui
» d'être éloigné de ce qu'on aime ? Tervi-
» le ne me voit plus , il ignore fi je lui
» fuis fidele. Ah ! du moins , s'il fçavoit
» les foins que je prends pour lui confer-
» ver mon amitié, s'il fçavoit ... Pardonnez,
»Monfieur, reprit - elle, en voyant les mou-
» vemens d'impatience qui échappoient au
» Comte , l'on ne peut contraindre le fenti-
» ment , j'aime Tervile , je l'ai connu avant
» vous , avant vous il m'affura d'une tendreffe
éternelle ; s'il avoit laiffé du vui-
;
» de dans mon coeur , vous feul , Comte ,
» feriez digne de le remplir ; mais ... Melanie
s'arrêta ...
» Achevez , répliqua le Comte avec
» douleur ; dites que vous ne m'aimerez
» jamais , que tout efpoir m'eft interdit ,
» que je dois enfin étouffer l'amour mal-
» heureux que vous m'avez inſpiré .
"
" Ah ! fans m'ôter votre amitié , reprit
» vivement Melanie , foyez affez généreux ,
» cher Comte , pour vous contenter de
mon eftime , je vous l'offre ; & s'il étoit
4
.
FÉVRIER. 1756. 43
» une autre espece d'amitié que celle
que
» j'ai pour Tervile , je vous l'offrirois de
» même. Oui , je fens que vous avez des
» droits fur mes fentimens , mais je l'a-
» voue , ils ne font pas femblables à ceux
» que j'ai donnés à Tervile ; jouiffez des
» vôtres , & fouffrez qu'il jouiffe des fiens.
» Que ne vous devrai je pas ?
Melanie s'apperçut que fes dernieres
paroles avoient jetté le Comte dans une
profonde rêverie. Elle fe flatta qu'il difdifpofoit
fon ame à lui faire le facrifice
qu'elle demandoit. Pour exciter fa générofité
, elle lui prodigua mille noms tendres
& flatteurs , & mille carreffes que l'innocence
qui les accompagnoit , rendoit plus
touchantes » Oui , cher Comte , lui dit-
» elle en ferrant fes mains dans les fien-
» nes ; oui , je veux vous devoir mon bon-
» heur , il m'en paroîtra plus fenfible.
» Après Tervile vous ferez ce que j'aurai
» de plus cher.
Le Comte défarmé par les graces & la
douceur de cette aimable fille , céda enfin
à la générofité qu'elle excitoit dans fon
ame .
و د
» Vous triomphez , belle Melanie , lui
» dit-il je vais trahir les intérêts de mon
"amour pour m'occuper des vôtres ; je
» veux réparer tout le mal que je vous ai
44
MERCURE DE FRANCE.
» fait , mais c'eſt à votre fincérité que je
» dois facrifier le bonheur de ma vie ; inf-
» truiſez -moi de la naiffance & des pro-
" grès de vos fentimens pour Tervile .
"
33
»
» Je ne vous
déguiferai rien , répliqua
» Melanie
enchantée de l'efpoir que lui
» donnoit le Comte. Le hafard m'a procuré
la vue de Tervile. Le premier regard
que j'ai fixé fur lui , a captivé mon
» coeur. Il m'a juré mille fois que la fympathie
avoit produit le même effet fur
» le fien. Avec une égale fincérité nous
»nous enfommes donnés depuis de conti-
» nuelles aſſurances ; nous voir , nous ai-
» mer , nous le dire , étoient nos plaifirs
les plus
fenfibles. Dieux ! quand je me
» rappelle notre derniere entrevue , quel
» le eut des charmes pour nous ! La vivacité
de nos
fentimens
affoibliffoit notre
» voix , nos regards feuls nous inftrui-
» foient de ce qui fe paffoit dans nos ames.
» Qu'ils étoient tendres ! Que nous étions
» heureux !
Pouvois- je prévoir , hélas ! le
changement affreux qui fe préparoit dans
≫ notre fort.
93
»
Quel détail pour le Comte ! Funeſte
» curiofité , s'écria - t'il , tu fers à redoubler
» mes maux . Que d'amour ! ... que d'in-
"
génuité ! que de charmés ! je connois
» mieux encore la perte que je fais. Ciel !
FEVRIER. 1756. 45
» pourrai - je m'y réfoudre ? Il le faut ;
» raifon , honneur , tout m'en fait une loi;
» mais ... qu'il m'en va couter ! ... N'im-
»porte .. Adieu , belle Melanie , je vais ,
» s'il fe peut , déterminer mon coeur à ce
" grand facrifice.
Le Comte fortit à ces mots , & laiffa
l'efprit de Melanie flottant entre la crainte
& l'eſpérance ; mais il ne l'abandonna pas
long- tems à cette inquiétante fituation. II
revint le lendemain, & fans communiquer
fon deffein il invita Melife , Eugenie , &
la charmante Melanie à embellir de leur
préfence une fête qu'il donnoit , leur ditil
, le même jour dans fon château . Elles
s'y rendirent toutes accompagnées de Madame
d'Arcourt. Mais quelle agréable furpriſe
pour Melanie de reconnoître fon cher
Tervile dans le premier objet qui frappe
fes regards chez le Comte ! Elle jette un
cri de joie , & fans contraindre les mouvemens
de fon ame , elle fe lance dans les
bras de fon amant , qu'un pareil tranſport
amene au- devant de fes pas.
Cher Tervile , lui dit - elle , je vous revois
! Quel bonheur ! fa voix expire . Tervile
ne peut s'exprimer avec plus de facilité
. Des mots entrecoupés forment l'entretien
de ces tendres amans. Melife &
Eugenie les regardent , & dans l'excès de
46 MERCURE DE FRANCE.
leur furprife , elles ne penfent pas à les
féparer , ni à en impofer à leurs tranfports.
pour
Melanie s'arrache des bras de Tervile
voler dans ceux de fa mere & de fa
tante . Elle ne fe croyoit pas coupable d'avoir
à leur yeux prodigué à ſon amant les
preuves de fa tendreffe ; ainfi elle ne craignoit
pas leurs reproches .
» Le voilà ce cher Tervile , leur ditnelle
, dont le fouvenir me rendoit rebelle
»à vos defirs. Avois - je tort , & déja ne
» l'aimez- vous pas autant que moi ?
Melife & Eugenie n'avoient plus la liberté
de s'exprimer , l'étonnement leur
coupoit la parole. Melanie n'y fit pas attention
, elle avoit fatisfait fa tendreffe ;
elle crut devoir quelque chofe à la générofité
du Comte.
» Vous me rendez Tervile , lui dit- elle.
» Ah ! Monfieur , que ne vous dois- je pas ?
Le Comte qui vouloit ravir à fon coeur
l'occafion de s'affoiblir de nouveau , ne
répondit à Melanie qu'en prenant une de
fes mains qu'il mit dans celle de Tervile ,
& dans cet état les préfentant tous deux à
Melife ,
» J'ai triomphé de mon amour , lui-
» dit-il , j'ai facrifié mon bonheur à ce-
» lui de votre aimable fils ; ne rendez pas
FEVRIER. 1756. 47
mes combats infructueux , confentez à
» l'union de ces deux amans , ils font
» dignes l'un de l'autre. Sous le nom de
» Tervile reconnoiffez le fils du Marquis
» de Clerval mon frere.
n
13
àla
Melife apprit cette nouvelle avec joie.
Mais fa fille ne put cacher fa furpriſe ,
& demanda à Clerval quelle raiſon lui
avoit fait prendre un faux nom auprès
d'elle. Raffurez vous , Mademoiſelle , reprit
le Comte , je vais , pour lui , vous en
inftruire & le juftifier. Sa trifteffe & fa
répugnance pour un mariage avantageux
que je lui propofois , m'ont fait foupçonner
qu'une paffion fecrete formoit cette
oppofition dans fon coeur. Je l'ai fait fuivre
, j'ai fçu qu'il fe rendoit tous les jours
porte du jardin de Madame d'Arcourt ,
je l'y ai furpris moi- même , & je l'ai obligé
de m'ouvrir fon ame. Il m'a avoué
qu'il vous adoroit , & qu'il avoit déguiſe
fon nom pour me dérober la connoiffance
de fa flamme . Oui , dit alors Clerval à
Melanie , oui , c'eſt la crainte de vous perdre,
ou de me voir éloigné de vous, fi j'étois
reconnu , qui m'a fait employer cet artifice
. Que fous l'heureux nom de Tervile
j'ai goûté de douceurs ! Sous le titre de
l'amitié , vous m'avez offert l'amour le
plus tendre, Pardonnez , belle Melanie , fi
48 MERCURE DE FRANCE,
je vous ai laiffée fi longtems dans l'erreur :
mais content de mon fort , & pénétré de
refpect pour votre innocence , je n'ai oſé
entreprendre de vous défabufer. Que dites-
vous , Clerval , s'écria Melanie , les
fentimens que j'ai pour vous ne feroient
pas ceux de l'amitié ?
Clerval fut embarraffé , il s'étoit perfuadé
que l'amour du Comte fi fouvent
exprimé à Melanie l'avoit détrompée.
Quoique für de fa tendreffe , il craignit
que la connoiffance qu'il alloit lui donner
, n'apportât du changement dans fa
conduite avec lui . Pendant qu'il cherchoit
les moyens de l'inftruire fans effaroucher
fon innocence , Melanie le preffoit de s'expliquer
avec une vivacité qui divertiffoit
les fpectateurs. Ils fe regardoient tous,
& jouiffoient de l'embarras de Clerval ,
mais il fe rappella bientôt tout le feu de
fon efprit.
Quoi toujours de l'amitié , chere Melanie
, lui dit-il , d'un ton chagrin ! Ne
voulez - vous m'accorder qu'un fentiment fi
froid ? Il ne peut récompenfer la vivacité
des miens. L'amour peut feul payer l'amour
... Eh ! qu'elle différence mettezyous
donc entre l'amour & l'amitié , interrompit
Melanie. Je vous ai entendu fouvent
répéter le mot d'amour, Melife , Eugénie
FEVRIER . 1756. 49
genie & le Comte l'ont quelquefois prononcé
devant moi , mais j'ai cru qu'il renfermoit
les caracteres de l'amitié . Je vous
l'avoue cependant , il me fembloit qu'il
avoit quelque chofe de plus vif & de plus
intéreffant . J'aimois furtout , Clerval , jai-.
mois à l'entendre de votre bouche. Achevez
de m'inftruire. Apprenez- moi à diftinguer
ces deux fentimens. Clerval peignit
l'amour & l'amitié tels qu'il étoit
capable de les reffentir. Que d'efprit il
mit dans fes définitions ! que de chaleur
dans le portrait de l'amour ! Melanie y
reconnut le fentiment qui l'animoit . Le
voile de fon innocence fut déchiré ; mais
confufe de fon erreur , & craignant d'avoir
été coupable , elle rougit , regarde
en tremblant Melife & Eugenie , & n'ofe
plus fixer les yeux fur fon amant. Clerval
au défefpoir , fe croit le plus malheureux
des hommes , lorfque Melife & Eugenie
touchées de fa peine & de l'embarras de
Melanie, s'empreffent à la raffurer , en lui
apprenant que leur aveu juftifie alors les
mouvemens de fon coeur. Nos deux amans
fe livrent à leurs tranfports fans crainte .
Le Comte obtient pour eux l'agrément du
Marquis de Clerval fon frere : il leur affure
tous fes biens après fa mort , & les conduit
lui-même à l'autel. Jamais union n'a
C
50 MERCURE DE FRANCE.
été plus heureufe. Clerval a toujours pour
Melanie cet amour vif & tendre qu'il a
fenti
pour elle dès le premier inftant
qu'il l'a vue , & Melanie conferve toujours
cette candeur fi rare , & cette ingénuité
charmante que le commerce du
monde ne peut altérer , & qui la font
adorer de tous ceux qui la connoiffent .
Cette nouvelle eft de Mademoiſelle
Brohon , l'aimable auteur des Amans Philofophes
, dont nous avons fait l'extrait &
l'éloge l'année paffée dans le Mercure de
Mai. Il nous paroît qu'elle s'eft peinte
elle-même dans les Charmes de l'Ingénuité.
Heureux qui pourroît être fon Tervile
!
LA SOUCHE ET LE MARRONNIER.
UN
FABLE.
N Marronnier tout plein de l'avantage
Que lui donnoit fur plufieurs végétaux
L'abondance de fes rameaux
Et la beauté de fon feuillage ,
Infulta jadis , en ces mots ,
Une Souche du voisinage ;
Chetive Souche , ofes-tu bien
Montrer ton fep en ma préſence ?
Connois-tu ton néant , & de ton fort au mien ,
FEVRIER. 1756 . SI
Sçais- tu quelle eft la différence ?
Regarde mes rameaux fe perdre dans les airs.
Eft -il d'arbre dans l'Univers
Plus renommé pour fon feuillage ?
Ne voit- on pas fous mon ombrage
Se repofer les Princes & les Rois?
Dans leurs jardins , c'eft de moi qu'on fait
choix ,
Soit pour orner une terraffe ,
Soit pour border la rive des canaux.
Ma beauté ne doit rien à celle des Ormeaux ;
Et fouvent ma taille furpaffe
Celle des Chênes les plus hauts .
Mais toi , toujours trifte & débile ,
Sans l'appui fur lequel ton corps eft attaché ,
Ton bois tortu fur la terre couché
Ne feroit qu'un trone inutile.
Que je te plains ! En vérité ,
Tu n'as pas lieu d'être idolâtre
De ta force & de ta beauté.
La nature envers toi ne fut qu'une marâtre ,
Et moi , j'en fuis l'enfant gâté.
Tu reffens , je le vois , un fi fenfible outrage ;
Tu pleures , & fais bien ; les pleurs font ton partage
.
La Souche dit au Marronnier :
Arbre fuperbe , & qui devrois te taire ,
Ofes-tu te glorifier
D'une beauté frivole & paflagere.
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
Tu vantes tes rameaux ; mais enfin , montre-moi
Quelque fruit renommé qui provienne de toi.
Marronnier , mon ami , reviens de ta chimere.
Tu te crois un arbre fans pair ,
Et ne produis fous une écorce amer ,
Qu'un fruit encore plus amere ,
Qu'un fruit dont on ne peut rien faire .
Regarde le mien , au contraire.
Quels honneurs ne reçoit - il pas ?
Son jus eft l'ame des repas :
Il réjouit , il vivifie ,
Il eſt le charme de la vie ,
Et le Nectar qu'on fert aux Dieux .
Ce breuvage fi doux & fi délicieux ,
C'est moi qui le produis ; ceffe donc , je te prie ,
De t'enorgueillir fans raifon .
Je vois , fans l'envier , le fuperbe feuillage ,
Dont la nature t'a fait don.
Ce n'eft- là qu'un vain étalage ,
Et je me ris d'un avantage
Dont on ne tire rien de bon.
Simeon Valette.
ETRENNES
AM. deFontenelle de l'Académie Françoife .
AImable & galant Fontenelle ,
Que les graces fuivent toujours ,
FEVRIER. 1756. 53
Tu dois aux Chantres des Amours ,
Servir de guide & de modele.
Quand l'homme eft fous le poids des ans ,
La trifteffe & l'ennui font toujours à fa fuite.
Le plaifir jamais ne te qui tte ,
Et ton hyver vaut un printemps.
Pouffe au- delà des tems ta brillante carriere
Pour le bonheur de tes amis ;
Et que la parque meurtriere
3
Refpecte des jours ſi chéris .
ParM. de C ***
EXAMEN de la Surdité & de la Cécité ;
par un Sourd.
JE ne me trouve dans prefque aucune
maiſon , que la queftion , lequel est le plus
malheureux d'un Sourd ou d'un Aveugle ,
n'y foit débattue . Quelquefois en me demandant
mon avis , on m'oblige de prendre
part à la difpute. Je dis , quelquefois ,
car on ne m'attaque pas toujours. Bien
des gens penfent que cette thefe doit me
faire peine , en me faifant toujours plus
C iij
14 MERCURE DE FRANCE.
fentir tout ce qu'il y a de trifte dans mon
infirmité. On fe trompe. Tout ce qui me
procure l'occafion de parler , fans faire
de propos difcordans , me fait un plaifir
très - fenfible , parce que cela me diffipe.
J'ai fi fouvent befoin de diffipation , que
j'ai toujours la reconnoiffance la plus fincere
envers ceux qui me procurent l'occafion
d'en prendre.
Jufqu'ici j'ai trouvé peu de monde de
mon avis fur la queftion de la furdité &
de la cécité. Les femmes furtout fe révoltent
contre moi , & peut - être bien des
hommes ne fe tangent de leur côté que
par complaifance. Je ne fuis point furpris
de l'avis des femmes. La plupart regardent
la beauté comme ce qu'il y a de plus
précieux pour elles. La cécié défigure ,
& la furdité n'ôte rien aux traits d'un
beau vifage. Cette raifon doit être d'un
grand poids auprès des femmes.
J'ai entrepris d'examiner cette queſtion
à tête repofée. Mais je l'avoue , je crains
la féduction du fentiment rigoureux de
mon infirmité , & je regrette tous les
jours qu'un Aveugle , M. de la Mothe ,
par exemple , n'ait pas travaillé fur cette
matiere. Peut-être évitoit- il de fe livret
trop fortement à la penfée de ce qu'il
fouffroit par la privation de la vûte. Cente
FEVRIER . 1756. 5.5
raifon m'a arrêté quelque tems ; le courage
& la curiofité de fçavoir ce qu'on
penferoit de mes idées l'ont emporté.
Je fouhaite que quelqu'Aveugle fuive
mon exemple. La queftion bien décidée
feroit un fervice rendu au genre humain ,
puifque le débat cefferoit >, & que l'un
des deux feroit décidemment moins à
plaindre. Quant au perdant il n'y perdroit
rien de plus , puifque chacun fe croit
le plus malheureux. Le fujet que je
traite et donc digne d'un Philofophe.
Qu'il feroit à fouhaiter que ma bonne
volonté fût placée dans une tête & plus
philofophique & plus fgavante que la
mienne !
#
Je déclare que dans tout cet ouvrage
je n'entends point parler des ouvriers ou
gens à talens qui ont befoin de gagner
leur vie par le travail de leurs mains , ils
doivent fans doute préférer la furdité ;
mais il faut alors que leur métier foit fédentaire
& tranquille , & qu'ils n'ayent
point à fortir de chez eux , fans quoi la
furdité mettroit leur vie continuellement
en danger.
- Il est donc queftion ici de ceux que la
fortune a mis en état de ne rien refufer à
leurs commodités & à leurs plaifirs. Je
n'entends pas feulement ces opulens en
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
pofition de ne connoître aucun terme au
néceffaire ; mais généralement tous ceux
qui ont ce qu'on appelle de quoi vivre. Je
crois que dans cette fituation , il eſt moins
malheureux d'être aveugle que d'être
fourd , ainfi que dans celle d'un homme
fans aucun talent , réduit à la mendicité.
Pour développer notre idée , examinons
deux infirmes dans quelques - unes des
fituations poffibles ; elles ferviront à nous
faire juger de celles dont nous ne parlerons
pas. Mais je demande que l'on écarte,
en jugeant , tout préjugé , toute féduction
d'intérêt perfonnel ; que l'on n'écoute
que la raifon naturelle , les véritables
mouvemens de l'amour-propre , les vrais
principes de la fociété & de l'humanité ;
en un mot que l'on apporte dans fa décifion
cette impartialité que le feul bon
fens éclaire.
Damon opulent a une époufe aimable
& refpectable dont il eft adoré : il tient
une bonne table , à laquelle beaucoup de
gens de mérite fe font un plaifir de fe
trouver. C'eft un homme dont tous les
défirs fur le luxe font auffi -tôt remplis
que formés ; il n'a point de procès , point
d'affaires que celles de l'economie de fon
bien qui eft en bon état ; il eft aimé &
eftimé de fes parens qu'il chérit ; tous les
FEVRIER. 1756. $7
amis en font cas. Quelle heureufe fituation
! Eft-il poffible de n'être pas content
quand on en jouit ; Damon cependant eft
dévoré de trifteffe & de mélancolie. C'eſt
peut- être , dira-t'on , le défir d'une plus.
grande opulence , ou l'ambition qui le dévore
? Non , il ne veut point de charge ,
il ne défire rien au delà de ce qu'il poffede
, il ne fouhaite que de pouvoir jouir
de ce qu'il a , & d'en jouir avec fes amis.
Mais n'en jouit- il pas ? il eft toujours au
milieu d'eux , à une table fervie avec autant
de goût que d'abondance . Non , il
ne jouit pas au milieu de la meilleure
compagnie du monde , Damon eft plus à
plaindre que s'il étoit feul . Il eft fourd
& continuellement navré du chagrin de
ne pouvoir prendre part à une converfation
agréable , à laquelle il voit que chacun
prend du plaifir. Auffi remarquezvous
qu'il évite autant qu'il peut de fe
trouver à cette table dont il ne fait la
dépense que pour cette époufe qu'il adore :
c'eft pour elle qu'il veut attirer chez lui
une compagnie agréable. Il n'afpire qu'au
moment de fe trouver feul , ou tête à tête.
Suppofons un Aveugle dans la même
pofition ; que fon état eft différent ! Sans
ceffe diftrait par la converfation , par les
faillies charmantes que l'on n'a qu'à ta-
Cy
38 MERCURE DE FRANCE.
ble , par l'enjouement de ces propos que
la bonne chere & les vins délicieux excitent
dans les gens même hors delà les
plus férieux & les plus froids , la table
eft fon élément ; il y pafferoit les journées
entieres. Abfolument livré à la gaieté
& au plaifir que porte dans l'ame la converfation
, il oublie qu'il ne voit rien ; ce
qu'il entend l'occupe , l'amufe , & le diftrait
du fentiment de fon infirmité . On
fort de chez lui enchanté de l'efprit &
du goût qu'il a fait briller fur des matieres
d'amufement , du génie , & du jugement
qui lui font porter une nouvelle
lumiere fur des objets d'utilité. Livré au
plaifir qu'il a procuré , on ne fonge pas
même que fon état exige de la compaffon
, ( 1) fentiment toujours pénible pour
T'humanité.
A cent pas de fa porte eft un Sourd
qui demande l'aumône. Il s'épuife pour
perfuader à tous les paffans qu'il eft tel
que fon état l'empêche d'exercer aucune
profeffion , & que celle de fa femme ne
peut pas fuffire foutenir fa déplorable
famille. On l'envifage , rien n'annonce
dans fa phyfionomie un homme incommodé.
On traite fa furdité de rufe de
pour
.
(1 ) Il me femble que ce fentiment ne coûre
rien aux bons coeurs
FEVRIER. 1756. 59
gueux , on paffe fon chemin , & le рац-
vre malheureux ne recueille fouvent d'autre
fruit de fa journée que le chagrin
de s'appercevoir qu'on le regarde comme
un impofteur .
A l'autre coin de la rue on voit un
Aveugle qui en a fait le théâtre de fa
bonne humeur . Cet homme manque de
tour , & n'attend que de la charité des
pallans , le pain qui doit lui donner fa
fubfiftance , ainfi qu'à fa femme & à quatre
enfans . Toute fon ambition , fans efpoir
de la voir remplie , eft de trouver
un protecteur qui lui procure les quinze
vingts. Quelle affreufe fituation ! qu'un
homme qui l'éprouve en doit être affecté !
auffi l'eft- il vivement. Cependant penferon
que ce foit par une expofition lamentable
de fa fruation qu'il cherche à remuer
en fa faveur les entrailles des paffans
Non , il s'eft fair un nombre de
formules plus bouffonnes les ames que les
antres ; ce qu'il dit fixe d'attention des
paffans fur lui ; on s'arrête , on le queftionne
, une repartie plaifante eft fa réponſe
, on en rit , on s'amufe un inftam ,
& la charité fe reffent du plaifir qu'on a
pris. Notre aveugle content , redouble de
gaieté pour le premier qui paffera , &
retourne le foir à don grabat , augnacy-
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
ter joyeuſement fa famille. On peut m'ob-
•jecter que l'inexpérience du bien - être
que cet homme n'a jamais goûté , eft
caufe de fa bonne humeur ; j'efpere que
la fuite de cet Ecrit , en détruifant l'objection
, démontrera que c'eft avec raifon
que j'établis les propofitions fuivan-
*tes.
Un fourd eft toujours pour le moins
trifte & mélancolique , fouvent inquiet
impatient , fujet à l'humeur , à charge à
lui - même & aux autres , inutile & embarraffant
dans la fociété : il y a du mérite
à le fupporter , fût- il lui - même d'un
mérite fupérieur & décidé. Que cet état
eft violent !
Un Aveugle fera pour le moins toujours
tranquille ; fouvent il fera gai &
amufant felon le degré & le caractere
de fon efprit , de fon imagination , & de
fon génie qu'il a des occafions continuelles
de faire briller dans la converſation. Il
n'eft à charge qu'à ceux qui par état font
faits ou payés pour lui rendre fervice .
D'ailleurs il peut dans la converfation
être auffi utile qu'agréable à la fociété.
Le développement de ces deux propofitions
ne nous oblige point à confidérer
l'homme dans tous les états où il
puiffe être imaginé ; il fuffira de l'examiFEVRIER
. 1756. GI
ner fous la feule qualité d'homme d'ef
prit & de génie . Si nous développons
cette fituation d'une façon fatisfaifante
on fentira affez ce que l'on doit penſer
fur toutes les autres. La furdité eft une
affliction d'une efpece à l'épreuve de tous
les raifonnemens du Stoïcien le plus décidé.
En effet, un Sourd trouve de fi grandes
difficultés à la diffipation , qu'on peut
dire qu'il n'en trouve les moyens que
dans ce qui fait l'occupation des autres.
Il n'a de plaifir que par le travail , & de
délaffement que par le repos , qui bientôt
devient ennui . Il faudroit donc reprendre
le travail ; mais la fanté en fouffriroit
, l'épuifement des efprits augmen
teroit encore la mélancolie ; & les caufes
phyfiques fe joignant aux caufes morales ,
elles deviendroient extrêmes , & peutêtre
incurables.
Le Sourd le moins malheureux eft celui
qui va s'ennuyer par égard pour les
bienféances établies dans la fociété . Mais
combien y en a-t'il de ce genre ? Quelle
force d'efprit , quel courage , quelle douceur
de caractere ne faut- il pas pour prendre
ce parti ? Il faut pourtant bien qu'il
le prenne pour n'être pas rongé de chagrin
toutes les fois que la bienféance ou
les affaires l'obligent de paroître.
Je fens qu'on va m'objecter qu'un
62. MERCURE DE FRANCE.
-
Sourd qui tient cette conduite , eſt un
fot ; qu'on ne lui demande rien ; qu'on le
fuit même , par l'incommodité dont il
eft dans la converfation ; il le fent , &
c'eft ce qui doit lui caufer le plus de douleur.
Mais ce Sourd a du bien , par conféquent
des affaires qui demandent qu'il
fe produife plus fouvent qu'il ne le voudroit.
Le fuppofera-t'on affez ifolé pour
n'avoir aucun intérêt de famille , même
de bienféance , qui trop fouvent font les
plus à charge pour lui , anfquels cependant
on eft forcé de fe livrer ; s'il a des
enfans , n'eft - il pas obligé de faire des
démarches pour eux , de leur ménager
des amis , des connoiffances , des Protecteurs'
; enfin s'il aime naturellement le
monde & la fociété , que ne doit- il pas
fouffrit de s'en priver abfolument par la
certitude qu'on évite la préfence partout
Tous ces points de vue réunis ne doiventils
pas faire penfer qu'il fera bien moins
A plaindre , s'il prend pour la fociété ces
Tentimens de tendreffe & de foumiffion ,
dont un coeur fenfible eft pénétré pour
une maîtreffe tyrannique & cruelle dont
ilefpere vaincre la refiftance , que s'il fe
livroit fans réferve à une folitude ontrée
qui entraîneprefque toujours la mifantropie
?
Suivons notre Sourd. Si cet homme
FEVRIER. 1756. 63
aime autant l'étude & le travail que nous
lui fuppofons d'efprit & de génie , il ne
s'ennuyera jamais dans fon cabinet , mais
furement il s'y fatiguera. Cherchons à le
diffiper : le conduirons- nous au plus féduifant
de tous les fpectacles , à l'Opéra ?
Certainement l'inftant où la toile fera levée
dai fera plaifir. Il s'amufera de l'enfemble
du coup d'oeil , tant qu'il trouvera de nouvelles
obfervations à faire . Mais que chacun
s'examine , & me réponde de bonnefoi
; fi le premier coup d'oeil de l'Opéra
fatisfait on obligeoir tous les Spectatears
à fe boucher les oreilles de façon
à ne point entendre du tout , croit - on
qu'un feul pût refter jufqu'à la fin du
fpectacle : Non furement ; on s'y ennuieroit
trop , & je me fuis confirmé dans
ce fentiment par une obfervation que le
Public m'a fournie lui - même : la voici .
J'ai affifté aux repréfentations de plufeurs
Pantomimes très- bien exécutées " :
l'effet qu'elles ont produit m'a paru affez
général . On convenoit que cela n'étoit
bon à voir qu'une fois. On en donnoit
plufieurs raifons , dont l'effentielle eft furement
que cela n'intéreffoit point le
coeur , & occupoit trop l'efprit , fouvent
pure perte. Je fçais qu'il y a des geftes
de convention générale , & que tout le
monde entend. Mais quelle application ,
64 MERCURE DE FRANCE.
quelle fagacité ne faut-il pas pour deviner
fur le champ que tel gefte exprime
telle idée , telle affection de l'ame ? L'écriture
bien plus énergique n'a pas ellemême
cette faculté ; car l'inflexion de la
voix , le gefte , l'air , en un mot , dont
on accompagne ce qu'on dit , peut donner
aux paroles plus ou moins de force ,
un fens même contraire à celui qu'elles
préfentent naturellement dénuées de tous
ces acceffoires. L'Opéra n'eft donc pour
le Sourd qu'une Pantomime , par conféquent
ennuyeux , ou du moins un objet
d'étude , une énigme à deviner , ce qui
ne fçauroit s'appeller diffipation . On me
dira fans doute que le livre à la main ,
il fçaura ce qu'on chante ; mais fçaurat'il
fi l'on chante bien ou mal , fi les geftes
font juftes , fi l'on rend bien fon role ;
& compre-t'on pour rien le charme de la
mufique qu'il perdra toujours ? En vain efpere-
t'il que les ballets lui plairont , il
verra fauter fans fçavoir fi l'on danſe ;
car il faut convenir que fans la juſteſſe
de la cadence , les plus beaux mouvemens
ont quelque chofe de bifarre , même
de ridicule. Qu'on préfente à un
Sourd un tableau mouvant qui repréſente
un Opéra , il s'y amufera , parce qu'il fçait
qu'il n'y a d'autre plaifir à prendre que
celui de la vûe , & qu'il eft au niveau des
FEVRIER. 1756. 65
autres à cet égard. A l'Opéra il n'a pas
même la reffource de pouvoir s'imaginer
qu'il ne voit qu'une Pantomime ; les
applaudiffemens du Public , le plaifir que
fes voifins paroiffent prendre , tout le chagrine
& l'irrite. Ainfi le Sourd à l'Opéra
fentira tout le poids de fon infirmité , la
douleur de ne pouvoir juger du fpectacle ;
& c'eft à mon gré , ce jugement qui eft le
plus grand plaifir du Spectateur. Ce que
je viens de dire de l'Opéra me diſpenſe de
parler des autres Théâtres .
Un fourd au jeu , s'il ne l'aime pas , eft
très à charge aux autres & à lui- même ;
s'il l'aime , il eft au moins très- incommode
aux autres , & a beaucoup à fouffrir
des queftions qu'il eft obligé de faire.
La promenade eft une foible diffipation
forfque la converfation ne l'égaie
pas . Tous les jours on entend dire , je
m'y fuis ennuyé , je n'y ai trouvé perfonne de
connoiffance. Un fourd eft dans une polition
bien plus trifte. Il y trouve fes amis ,
les voit , & ne peut profiter de leur rencontre.
On fent que cela ne peut arriver
fans qu'il en reffente du chagrin. Le voi
là donc réduit pour faire de l'exercice ,
à chercher les endroits folitaires , à s'y
enfoncer dans la méditation ; alors n'eftpas
à craindre que la promenade , bien il
66 MERCURE DE FRANCE.
doin d'être utile à fa fanté , ne devienne
pour lui une dépenfe d'efprit plus grande
peut-être que celle qu'il feroit dans fon
cabinet , parce qu'elle fera double ? Je l'ai
éprouvé.
La chaffe n'eft un plaifir qu'autant
qu'elle eft une efpece de fureur ; tout le
monde n'en eft pas poflédé. Tout le monde
d'ailleurs n'eft pas à portée de fe fatiffaire
fur cet article . J'ai toujours beaucoup
aimé l'exercice , & je n'ai jamais pu
comprendre comment on peut trouver
du plaifir à courir pendant des heures entieres
un fufil fur les bras , pour revenir
chez foi le foir excédé de fatigue , croté ,
mouillé depuis la tête jufqu'aux pieds ,
& n'avoir fait autre chofe que tuer quelques
animaux. Si un Chaffeur poli fe contente
de me plaindre de ne pas fentir le
même plaifir que lui , il conviendra auffi
que je ne fuis pas feul de mon fentiment.
D'ailleurs on avouera qu'il faut entendre ,
pour bien chaffer & avoir tout le plaifir
qui peut réfulter de cet exercice.
La plus fure & l'unique diffipation que
je voye pour un Sourd , eft l'exercice du
cheval , s'il eft affez écuyer pour y prendre
un véritable plaifir , parce qu'il ne
fant point entendre pour raifonner avec
cet animal , avec lequel il y a des railonFEVRIER.
1756. 67
nemens à faire plus fins & plus fubtils que
le commun des hommes ne penfe , & dont
le fuccès dans chaque gradation gagnée ,
fait un plaifir vif & fenfible pour l'écuyer.
Mais cela convient- il à tout le monde &
à tout âge ?
J'ai lu quelque part ; a l'ame & le coeur
ne font point faits pour ne jouir que
» de leur propre bien ; trop foibles ou trop
» refferrés ils n'en peuvent foutenir la fé-
» condité. Il faut qu'il s'en échappe felon
» ce qu'il s'en produit , & fe faifant ainfi
» d'homme à homme une communication
de penſées & de fentimens , ces
» penſées & ces fentimens , fi les impref-
» fions en font agréables , forment entr'eux
les fociétés , comme elles en de-
» viennent l'obftacle , fi elles ne le font
» pas.
Cela ne peut s'entendre que de la converfation.
Elle eft le véritable commerce
d'ame à ame , la véritable communication
de penfées & de fentimens , communication
qui fait , fans contredit , un
de nos plaifirs les plus vifs , & le lien de
toutes les fociétés. Car fi cette communication
fe fait par tout autre fecours , par
l'écriture , par exemple , ce n'eft plus une
fociété , c'eft une correfpondance ; l'efprit
peut s'en fatisfaire , mais le fenti6S
MERCURE DE FRANCE.
ment trouve toujours qu'il y perd , & il
eft la principale fource de nos plaifirs.
Delà , en partie , l'effet fi différent de
quelques Tragédies ou Comédies dans la
tranquillité d'un cabinet , ou dans l'appareil
du théâtre , & de certains rôles joués
par un bon ou par un mauvais Acteur.
Le Lecteur peut voir mieux ; mais l'Auditeur
& le Spectateur fentent plus vivement.
>
En faut- il davantage pour convaincre
qu'un Sourd eft un être exclu de toute
fociété ; que cette exclufion lui doit être
très-fenfible & d'autant plus fenfible
qu'il aura plus d'efprit , de lumiere &
de fentiment ; qu'il lui eft par conféquent
impoffible de n'être pas rêveur dans une
compagnie ; trop heureux ' encore fi fes
rêveries ne portent pas fur les inconvéniens
de fon infirmité. Un de ces inconvéniens
eft que toujours , ou presque
toujours réduit à foi - même , on contracte
un air fombre & trifte . Cet air eft toujours
pris pour un fentiment actuel de
trifteffe. Tous les jours on attaque un
Sourd en lui difant : Mais pourquoi cette
trifteffe ? Faut-il s'affliger des maux fans remede
? Fous devriez vous rendre plus Philofophe
fur votre infirmité Je fuis perfuadé
que fi le Sourd eft homme d'efprit , la
FEVRIER, 1756. 69
politeffe feule ou la modeftie l'empêchent
de répondre : pourquoi ne fuis - je pas
un for ? car tout ce qu'on lui dit , n'eft ni
dans la nature , ni même dans la philofophie.
La premiere s'oppoſe à l'infenfibilité
fur nos maux perfonnels , & la feconde
ne peut procurer une fermeté qui
nous empêche d'en être accablé , fi la nature
ne nous a donné une force d'organes
intellectuels qui ne s'acquiert point , &
qui lors même qu'on en eft doué , ne
peut exclure la fenfibilité. D'ailleurs n'eftce
point là abufer du nom de Philofophe
? Car enfin qu'eft- ce qu'un Philofophe?
C'est un homme qui approfondit les paffions
, qui cherche à corriger leurs écarts.
à les diriger vers le but où elles doivent
tendre fans enfreindre ce qui eft du à
l'Etre Suprême & à la fociété ; un citoyen
, en un met , qui cherche à être
auffi utile au genre humain qu'à lui- même.
On peut foupçonner tout ce qui ne
va pas là d'être plutôt l'ouvrage de l'orgueil
ou de l'intérêt perfonnel , que le
fruit de la Philofophie.
Mais fans pouvoir être d'une utilité générale
au genre humain , qu'il eft trifte
pour un fourd de fe dire : Sans ma furdité
j'aurois couru telle carriere ; j'aurois été utile
à mapatrie; mon malheur m'a rendu inu70
MERCURE DE FRANCE.
tile aux autres & à moi - même . Il n'y a
point de philofophie qui puiffe empêcher
cette réflexion d'être accablante pour un
homme qui a des entrailles .
La fuite au prochain Mercure.
PORTRAIT DU ROI.
Dreux ! quel charme puiſſant vers ce palais.
m'attire !
Mon ame s'en émeut ; le trouble de mes fens
Sufpend les accords de ma lyre.
Mufe , réveille- toi , ranime mes accens ;
Tu fçais à qui je dois mes voeux & mon encens :
Redouble mes tranfports , féconde mon délire.
LOUIS , dans ces beaux lieux , devient mon Apol
lon ;
Sa Cour va déformais être mon Hélicon :
Je fens que c'est lui qui m'inſpire.
La douceur , la bonté de ce Roi généreux ,
Digne de commander à tout ce qui refpire ;
Son gout pour les beaux Arts , fes nobles foins
pour eux ,
Excitent les talens , font les fuccès heureux.
A lui plaire il n'eft point de Mufe qui n'aſpire .
Son front toujours ferein , fon air majestueux ,
Son regard impofant , fon affable fourire ,
Tout me rappelle en lui le fouverain des Dieux.
FEVRIER. 1756. 71
Semblable à Jupiter , s'il fçait lancer la foudre ,
Renverfer les Titans , & les réduire en poudre ,
Il eft des autres Dieux l'image tour à tour.
Aux combats, tel que Mars, nul péril ne l'étonne;
Minerve à fes confeils préfide & l'y couronne ;
Jufques dans fes loisirs des coeurs il eft l'amour ;
De Diane en fes Jeux tout l'éclat l'environne ;
Aux bienfaits qu'il répand il eft l'aftre du jour.
Si dans la guerre il fait redouter fon empire ,
Quand il donne la paix tout l'univers l'admire ;
Le bonheur des humains eft pour lui précieux.
Pour prix de cet amour , pour le repos du monde,
Que fa poftérité , de plus en plus féconde ,
Imitant fes vertus , s'accroiffe fous les yeux ,
Et pour mieux l'égaler furpaffe fes ayeux !
Qu'à tous fes voeux le deftin obéiffe .
Mufes, que nos concerts l'élevent juſqu'aux Cieux.
Que de fon nom l'Olympe rétentiffe ;
En eft-il un plus grand , plus glorieux ?
Et tandis que l'envie en frémit , en foupire ,
Que nos voix , que nos chants ne ceffent de redire
:
Rendre fon peuple heureux , & s'en voir adoré,
Vaincre fes ennemis , en être révéré ,
Au Temple de la paix enchaîner la victoire ,
C'est ce que l'avenir à peine pourra croire ,
C'eft ce qui de LOUIS , peint par la vérité,
72 MERCURE DE FRANCE.
Dans les faftes des Rois diftinguera l'hiſtoire ,
Et tranfmettant partout d'âge en âge fa gloire ,
Confacrera fon regne à Pimmortalité.
AU RO I.
A Te peindre en mes vers , grand Roi , j'ofe
prétendre ;
Ta modeftie en vain fembleroit le défendre ,
Elle-même eft un nouveau trait
Qui de ce fidele portrait
Vient embellir la reffemblance.
Mais fi tu ne le vois qu'avec indifférence ,
A la faveur de ces crayons divers ,
Mon zele aura du moins l'aveu de l'Univers.
A M. de **
VERS
pour prouverque la Conftance
eft une trahison contre la nature ; on fent
que ceci eft unfimple jeu d'efprit ; par M.
de Baſtide.
A Mi , dont la main toujours pure
Voudroit pefer avec févérité
La bienfaifante utilité
Des loix de la nature ,
Cher ami , fouffre que mon coeur
Ofe à la fin fentir & te répondre.
J'arrache
:1
73
FEVRIER. 1756.
J'arrache aux préjugés leur éclat impofteur ,
Je vais penfer enfin : fi je ſuis dans l'erreur,
Je te permets de me confondre .
Où crois-tu me conduire ? à d'éternels tourmens
Par une prudence ftoïque
Tu voudrois limiter le cours des fentimens.
Entends la voix de tes propres penchans,
Et d'un efprit philofophique
Sonde la profondeur de mes raiſonnemens.
L'homme eft né libre ; il lui falloit un maître ,
Un maître qu'il aimât , qui fçût le gouverner ;
En a- t'il un ? fans doute , & tu vas le connoître ,
C'eſt l'univers. Dieu voulut l'enchaîner
Par une ombre
d'indépendance
Qui prit la fource au ſein de la diverſité ;
Il fe croit toujours libre , & cette confiance
Accélere , & commence
La perte de fa liberté.
Une flatteufe avidité
Devient pour lui comme une chaîne immenſe
,
Qui lie à tout fon coeur , fes goûts , la vanité,
Par le charme de l'efpérance
,
Et par l'attrait plus fort de la légéreté ;
Tout jufqu'à fes plaifirs forme fa dépendance.
Si rebelle à ce tout qui pique fes penchans ,
Il place fa raiſon à refferrer ſon être ,
En réprimant fes fentimens ,
Ofons le dire , alors l'homme eft un traître;
D
74 MERCURE DE FRANCE.
Infidele à tout l'Univers ,
Ingra tenvers fon coeur dont la conftante étude
Etoit de déguifer les fers
Sous la féduifante habitude
De tant de fentimens divers,
Il devient à la fois , perfide & miférable
Né pour fentir toujours ce goût inſatiable
Qui nous livre au beſoin d'aimeṛ
Se laiffera-t'il enflammer
Par quelque objet bizarrement aimable ,
Dont tout le foin fera de l'attacher
Par un lien peut -être déteftable ,
Uniquement pour l'arracher
Au gout fenfé d'une ivreffe adorable ?
Non ,fur nos coeurs , tout plaifir a fes droits.
L'homme eft né pour changer , & rien ne l'en
difpenfe ;
Il eft injufte s'il › balance ,
Il eft ingrat s'il fait un choix.
Je fçais que ce fyftême engage
Un coeur qui veut en faire uſage
A la néceffité d'être toujours conduit
Par une machine volage ;
Mais la néceffité n'eſt plus un eſclavage ,
Quand le plaifir en eft le fruit.
FEVRIER. 1756. 75
DISSERTATION
Du même Auteur.
Sur les égards qu'une femme doit à un galane
homme quiluifait une déclaration d'amour.
Elle nous a été adreffée par la Dame à qui
M. Baftidea écrit la lettrefuivante.
LETTRE "
A Madame de *** en lui envoyant cette
Differtation.
Folle & jolie à l'excès , mais raiſonnable
lorsqu'il faut l'être , je ne vois que
vous qu'il me convienne de confulter fur
le petit ouvrage que je vous envoie . Vous
m'avez appris que la femme la plus folle
a toujours de la raifon pour fes amis :
employez la vôtre à me juger & à me
confeiller. Je crains que ma fincérité ne
me faffe des ennemies . Votre fexe s'offenfe
aifément ; c'eſt à la plus jolie femme,
c'est -à-dire , à celle à qui on doit plus d'égards
, à prononcer fur le droit des autres.
Voyez fi je puis en confcience publier
cette Differtation ; prononcez fans complaifance
, lorfque vous ferez fure d'avoir
lu avec attention. Vous ferez étonnée
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
de ma prudence extrême ; vous me croirez
amoureux ? tout ce que je puis vous
dire c'eft que je ne le fuis pas , & que
je voudrois l'être. C'eft un état qu'on eft
forcé de fouhaiter lorfque l'on a à fe reprocher
d'avoir épuifé les plaifirs. Mais
j'en attends vainement le miracle puifque
vous ne l'avez pas fait ; je vous ai
connue trop tôt , & j'ai penfé trop tard.
Vous êtes trop près de l'amour pour concevoir
combien il devient néceffaire à un
certain âge ; malheureuſement ce n'eft pas
lorfqu'on l'appelle qu'il vient : il fe fait
connoître & ne fe fait point fentir ; trifte
fituation , mais qui vaut encore mieux
qu'une ennuieufe & cruelle indifférence !
Quant à l'étonnement que pourra vous
caufer ma fubite circonfpection envers les
femmes , il fera naturel & me fervira de
reproche du paffé . Je vous avoue aujourd'hui
que je ne comprends pas comment
j'en ai pu dire beaucoup de mal , car j'en
ai toujours penfé beaucoup de bien . C'eſt
le ton du jour , on eft entraîné , on ſe
fait lire , & le fuccès féduit. Ce qui me
confole , c'eſt
mille gens ,
que & qui pis
eft , mille écrivains en ont dit beaucoup
plus de mal que moi , qui les connoiffoient
beaucoup moins.
FEVRIER. 1756. 77
DISSERTATION.
Une petite difpute ingénieufe & galante
qui s'éleva hier à un diner dont j'étois ,
a donné lieu à cette Differtation. Un
homme d'efprit , très- connu , avoit avan
cé dans la converfation , qu'il n'y avoit
point de femme qui fût difpenfée de répondre
, avec une politeffe pleine d'égards
, à un galant homme qui lui faifoit
une déclaration d'amour. Une Dame de
beaucoup d'efprit , & qui en aime l'éclat ,
ne voulut pas convenir de cette vérité fi
fenfible ; elle étoit fure de fe faire écouter
avec plaifir en difputant , & elle dif
puta contre fa propre opinion , parce qu'il
eft difficile de facrifier des avantages publics
qui fe forment des plaiſirs que
l'on
fait naître.
Je ne m'aviferois pas de traiter férieufement
cette matiere , fi nos droits ne nous
étoient jamais conteftés par des motifs
plus finceres & plus défobligeans. Ce
feroit attenter aux charmes des aimables
faillies , montrer un efprit froid & pointilleux
, & mériter que la vérité que je vais
défendre ceffât d'être un droit pour moi.
Toutes les femmes ne reffemblent pas
à celle dont je parle ; toutes n'ont pas
comme elle , la liberté de tout dire ; tou-
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
tes ne méritent pas qu'en les voyant défendre
une fauffe opinion ; on refte perfuadé
qu'elles ne difent pas ce qu'elles penfent
, & que ce n'eft qu'une nouvelle façon
de paroître aimables.
Il en eft de fieres, qui regardent l'amour
comme une offenfe ; il en eft de vaines ,
qui l'envifagent comme un droit ; il en éft
de fauffes qui n'ayant point de vertu ,
mais beaucoup de motifs coupables , veulent
fe cacher fous l'impertinence & y
mettre leurs intrigues à l'abri de la pénétration
.
En écrivant pour ces femmes, cette Differtation
devient raifonnable & prefque
utile. Il eft honteux pour elles qu'elles
nous contraignent à leur prouver que deux
& deux font quatre ; il le feroit bien plus
qu'elles perfiftaffent dans leur fottife &
leur hypocrifie , après que j'aurai publié
cet écrit , & je m'y attends
De tout temps l'amour fut le lien le
plus doux & le plus néceffaire. Si l'on regardoit
fes abus comme fes effets naturels
& inévitables , il faudroit conclure
contre fon principe , & alors la nature ne
feroit irréprochable dans aucune de fes
parties. Comme on peut abufer de tout ,
elle auroit tout fait pour notre malheur ;
tous fes bienfaits feroient des préfens tri
FEVRIER. 1756. 79
minels & funeftes ; fyftême abfurde &
cruel qu'il faudroit abandonner à l'ineptie
& à la férocité d'un Législateur Caraïbe ,
s'il pouvoit y avoir une Nation affez
barbare pour croire que l'amour n'eft pas.
dans fon principe le bienfait d'une main
divine.
Les hommes ont abufé de l'amour ;
ce n'eft pas le point dont il s'agit. Je dis
fimplement que la fource en étant pure ,
il doit être refpecté dans un galant homme,
par celle qui l'inſpire , parce qu'il
a dans un coeur droit toute fa pureté , &
que ce refpect eft autant un acte de juf
tice que la reconnoiffance des fervices ,
l'inviolabilité des fecrets confiés , & l'attention
confolante aux prieres d'un malheureux
qui gémit & dont on cauſe les
peines.
Qu'il me foit permis de donner au je
vous aime d'un honnête homme toute
l'extenfion qu'il a ; il fignifie exactement ,
j'étois tranquille , & je ne le fuis plus ; votre
idée a fait difparoître tout ce qui m'occupoit
, tout ce qui me plaifoit , tout ce qui
étoit à moi. Le feul bien qui me refte , lefeul
du moins qui ait un prix à mes yeux , c'eſt
un plaifir qui m'attache à vous , une douceur
feduifante que je goûte à vous souhaiter &*
à vous voir. Je vous aime fi tendrement
Div
Se MERCURE DE FRANCE.
que j'ai prefque la témérité de croire que
l'amour peut fe mériter . Il n'y a que lorf
que je vous vois , que je vous parle , que je
vous regarde , que vous me regardez , qu'à
force d'etre touché , pénétré , enchanté , jefens
que tout le mérite de mes fentimens n'est pas
un moment comparable au feul plaifir de les
éprouver . Je vous dis ce que je penfe, commeje
voudrois que vous me diffiez ce que vous
penfez , fi j'avois le bonheur de vous plaire.
Voilà mon coeur , tous mes voeux , toutes mes
penfees , tout mon être ; prononcez , & mon fort
fera décidé. Heureux ou malheureux pour
jamais ! je ne puis plus être que cela !
C'est ainsi que s'exprimeroit un homme
vrai , un homme fincérement amoureux
, s'il avoit le temps de dire tout ce
qu'il fent lorfqu'il dit , je vous aime . Je
deinande à préfent , s'il eft poffible de
repondre fierement à un tel homme fans
manquer à l'humanité . C'eft pourtant ce
qui arrive tous les jours. J'ai vu des femmes
trop honorées du moindre foin , d'un
feul regard , s'armer d'une hauteur infolente
à la moindre marque d'amour.
Dans la plupart des prudes , ce dédain
méprifable fe tourne fouvent en fervice.
Un confident , un ami indigné va aux informations.
Une longue fuite de foibleffes
, d'intrigues , de perfidies , eft le taFEVRIER.
1756. 81
bleau dans lequel on lui repréfente le vertueux
objet qu'il cherche à connoître . Il
peint à fon tour dans les tranfports d'une
jufte indignation , & bientôt l'amour éclairé
par l'amitié , fe venge par un mépris
terraffant d'une fierté audacieuſe.
Il feroit trop long d'attaquer en forme
& féparément , toutes les femmes que
je condamne dans le point dont il s'agit .
Renfermons toutes mes réflexions , tous
mes confeils , dans un raifonnement court
& fimple ; apprenons- leur ce qu'elles doivent
être , en leur apprenant ce qu'elles
font & ce que nous fommes .
De beaux yeux , un beau teint , une
belle bouche , de belles dents , une jolie
taille , de l'efprit , des talens , &c. affurent
aux femmes un empire délicieux , & l'on
peut dire , fans enthoufiafme , que celle
qui réuniroit tous ces dons féduifans
pourroit fe regarder comme la premiere
fouveraine du monde. Mais tous ces dons
feroient perdus fans l'amour. C'eft l'amour
qui affure le fceptre à la beauté :
fans lui , loin de donner des loix , elle
en recevroit elle même. L'homme eft né
avec un penchant décidé à être le premier
& le maître ; s'il n'aimoit pas , il feroit
le plus fort , & l'efclavage deviendroit
la condition des femmes . La beauté
D v
81 MERCURE DE FRANCE ;
feroit fans ceffe obligée de fe faire un
nouvel art de plaire , pour adoucir notre
caractere par le charme des défirs :
elle éprouveroit fouvent dans l'humiliation
l'impoffibilité de réuffir , & toute fa
récompenfe feroit d'avoir fufpendu pour
quelques momens les tourmens de la
fervitude .
Je ne fuppofe point une chimére . J'en
appelle à un nombre de femmes charmantes
, affez bonnes pour être fidéles à leur
mari , & affez malheureufes pour être
liées à un mari fans amour. Si nous étions
fans tendreffe , nous aurions les moeurs
des maris ; nous ferions fans galanterie ,
fans reconnoiffance & fans équité.
La plupart des femmes s'imaginent
qu'une coeffe eft une couronne. Elles fe
trompent , & pour leur bonheur il eft
néceffaire qu'elles fe défabufent. Elles regnent
par notre choix , par notre volonté.
Nos fentimens ne font point , comme
elles le penfent , cette foumiffion inévi
table des empires où regne le defpotif
me. Pour fe détromper de l'opinion fauffe
& orgueillenfe qu'elles ont de notre foi
bleffe , elles n'ont qu'à refléchir à la difficulté
qu'elles trouvent à nous rendre fidéles.
Elles confondent l'amour avec les dé
firs ; erreur étrange dont la durée eft le
FEVRIER. 1756. 83
vifible effet de l'orgueil ! Nos défirs ne
décident point leur empire . Un mari a
des défirs ; à quoi cela mene - t'il une femme?
quel droit cela lui donne - t'il dans fa
maiſon Elle fert aux befoins d'un maître
qu'elle ne rend point heureux , & fa
beauté n'éprouve que des outrages dans
le fein du plaifir. Les défirs font de l'état de
l'homme ; & il en éprouve néceffairement
& plus ou moins , fuivant fa conformation .
Pour en infpirer , il ne faut pas être belle .
Ils ne prouvent point une préférence , ils
ne font point un engagement , & conféquemment
ne donnent aucun titre.
Que l'amour eft différent ! Il naît pour
couronner la beauté ; il la publie & la fait
reconnoître. Le droit d'une jolie femme
eft quelquefois contefté ; l'amour lui fere
de défenfeur ; il prouve qu'elle a droit de
régner puifqu'elle eft adorée . Un être auffi
bienfaifant , aura- t'il trop de présomption
de prétendre aux égards.
Toutes les femmes infpirent des défirs ,
La nature les fit pour cela ; auffi beaucoup
de celles qui n'infpirent rien de plus , fontelles
intérieurement humiliées & piquées
de faire une forte de métier. Combien y
en auroit-il qui feroient réduites à cette
claffe obfcure & commune , s'il ne s'étoir
préfenté un amant pour les tirer de la
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
foule ! On convient qu'il y a des femmes
qui fans être mal , ne peuvent pourtant fe
faire aimer. Quel fervice ne leur rend- on
pas alors , & quelle reconnoiffance ne mérite
point ce fervice !
On eût été réduite à regretter toujours
d'être née avec un coeur fenfible & délicat
, à dévorer dans le fecret la gloire d'une
amante célebrée , à fécher d'ennui &
de douleur vis -à- vis de deux amans heureux.
L'amour vient de changer les cyprès
en lauriers , & les douleurs en plaifirs .
Lindor fe préfente avec toutes les marques
de la plus vive tendreffe , le fentiment
& le reſpect font dans fes yeux , la
fincerité eft fur fes lévres ; il dit qu'il aime,
& en demandant d'être aimé, il rend heureufe
une ame qui , par la loi diftributive
& irrévocable de la nature , ne pouvoit
l'être que par lui.
On fe repréfente aifément une femme
dans le tranſport d'une fituation fi douce ,
fi touchante , fi flatteufe. On la voit , pénetrée
d'un bonheur dont elle avoit toute
l'idée , & dont elle n'efperoit pas la douceur,
fe livrer à la furprife , au plaifir , à l'attendriffement
& exprimer des yeux ce
qu'elle penfe , en craignant modeftement
d'avouer ce qu'elle fent . Cette aimable ingenuité
eft refpectable : elle acquitte l'aFEVRIER.
1756. 85
&
mour fans offenfer la vertu ; les efprits les
plus féveres ne peuvent la condamner ,
les coeurs les plus amoureux y puifent encore
des leçons d'amour.
Mais qu'on fe repréfente au contraire
une femme dans une pareille fituation ,
avec les mêmes idées & les mêmes mouvemens
, affez maîtreffe de fon efprit pour fe
compofer un mafque , pour s'impofer une
fierté fauffe , pour fubftituer aux témoignages
tacites d'un plaifir qu'elle peut
laiffer paroître fans l'avouer, les expreffions
& les airs de la dignité , parce qu'elle fe
fera preferit de paroître infenfible , c'eſtà-
dire d'être prude. On fera révolté , indigné
, & l'on fe croira autorifé à lui fuppofer
une ame très- fauffe , très-méprifable
& très-indigne du bonheur qui lui eft offert.
On s'attache tous les jours à des femmes
qui ne font point jolies , & qui n'ayant
point l'art de paroître aimables , doivent regarder
une déclaration d'amour , lorfqu'elle
eft fincére , comme un honneur qui vient
les chercher. Il a fallu qu'un homme prît
la peine de fouiller dans l'intérieur , employât
fa raifon & fon bon efprit à difcerner
des qualités eftimables , & qu'il eût la
modeftie de s'en contenter , dans un fiecle
où toutes les femmes font charmantes &
86 MERCURE DE FRANCE.
où leur fureur de plaire donne le droit d'e
tre difficile , & même de choisir,
J'en veux repréſenter un , né folide
délicat , vertueux; il lui faut un objet dans
lequel il puiffe fe reconnoître , s'applaudir
& fe retrouver fans ceffe. C'eſt dans fon
coeur qu'eſt le goût & le befoin d'un attachement
; il lui faut des fentimens & des
plaifirs que l'eftime , la confiance , l'amitié
puiffent rendre permanens. Il a foupçonné
Araminte de pouvoir lui faire ce
bonheur vertueux dont il eſt fi digne ; il
s'explique ; fa réputation garantit fa fincérité
& l'honnêteté de fes fentimens : Araminte
le croit fincere , mais elle eſt élevée
dans des principes de hauteur qui lui
font enviſager une déclaration d'amour
comme une offenfe , & elle répond fans
égards au plus eftimable homme du monde
; elle humilie celui dont l'hommage
devoit la flatter : ce procédé , car c'en eft
un , eft digne du mépris.
Il eft une autre eſpèce de femmes fieres
dont je me garderai bien de ne pas parler.
Ce font celles qui encenfées ridiculement
dès le berceau , croient que les aimer c'eft
leur payer un tribut. Leur préfomption ne
feroit pas tout-à-fait folle, fi elles faifoient
des exceptions : mais elles n'en font point ;
& confondant l'homme droit , l'homme
FEVRIER. 1756. 87
fenfé , l'honnête-homme , avec ces étourdis
, ces parafites , ces fots brillans , qui
leur fifflent fans ceffe des airs d'amour
elles s'autorifent à méprifer , rejetter , publier
même les fentimens des premiers
comme elles font les fadeurs des autres ,
par le fyftême conftant d'un amour-propre
effréné fur les aîles duquel elles fe font
une fois pour toutes élevées aux nues.
à
Il ne feroit pas jufte que m'étant armé
contre les autres d'un efprit ferme & vrai ,
je careffaffe celles qui fourniffent le plus
la critique. Je fuis donc obligé de leur
dire que leur prétention eft ridicule autant
qu'injufte , & qu'il n'y a point d'honnêtehomme
dont l'amour ne les honore. Que
trente fats difent à la ronde , à une femmequ'elle
eft charmante , adorable , qu'un
de fes regards eft un prix trop flatteur de
leurs plus tendres foins ; qu'elle le croye
& qu'elle foit impertinente avec eux , à
la bonne heure ; mais qu'elle prenne le
même ton , & faffe les mêmes réponſes.
à un infortuné qui eût vécu tranquille ,
qui ne le fera plus , qui s'eft livré à la
feule paffion qu'il étoit peut - être capable
de fentir , qui ne fe confolera jamais
d'être mocqué , & qui , fi elle lui avoit
parlé avec raifon , avec douceur , feroit
peut- être parvenu à fe confoler de n'être
88 MERCURE DE FRANCE.
pas aimé , & à fe guérir ; c'eft le procédé
d'une ame dure , & le ridicule d'une forte .
J'ai dit & je répete pour conclure , que
la beauté , les talens , les qualités les plus
aimables ne font point un droit inné de
fouveraineté. Une déclaration d'amour
fera donc toujours un hommage libre , un
tribut flatteur & très- flatteur. Elle fignifie,
Vous régnez & votre couronne eft un préfent
de mon coeur ; vous avez fur moi un pouvoir
abfolu , mais c'est un pouvoir que je vous
donne. Si elle eft prononcée avec l'air de
la candeur , & tournée avec une certaine
fineffe , les plus grands égards , & je dirai
même la reconnoiffance , deviennent le
droit de celui à qui le grand amour vient
de l'arracher .
Si un héros fameux voyoit s'affembler
autour de lui un nombre d'hommes vertueux
qui vinffent dans l'admiration de fa
gloire fe vouer à lui , & lui demander des
loix , & qu'il leur répondît & les renvoyât
avec une hauteur méprifante , y auroit- il
quelqu'un dans la nature entiere qui ne
fût indigné d'une action fi barbare ? Tout
ce que je pourrois dire encore eft renfermé
dans cette comparaifon dont je ne crois
pas que les femmes puiffent s'offenfer.
Il feroit ridicule de m'oppofer les dangers
de l'amour & les préceptes de la moFEVRIER.
1756 . 89
rale . Je ne demande pas qu'en répondant.
poliment on s'engage ; conféquemment
que l'amour foit dangereux & interdit tant
qu'il plaira de le dire , cela ne diſpenſe
pas d'être polie.
Il n'y a rien à répondre à cela ni à tout
ce que j'ai avancé ; c'eft ici une de ces
vérités de fait qui ont toutes leurs preuves
dans le cri de la nature. Il feroit affreux
que quelques femmes m'objectaffent que
l'amour eft infurmontable , & qu'elles concluffent
de ce qu'il nait en nous malgré
nous-mêmes ; qu'il leur eft permis de parler
à un amant qui fe déclare comme un
Afiatique parle communément à des eſclaves
qu'il vient de foumettre . Je ne veux
pas fuppofer une maxime , une cruauté
une arrogance dont la feule idée fait
frémir.
VERS
D'un garçon perruquier à fes pratiques.
Contemplez- Ontemplez -vous dans ces miroirs ,
Voyez dans leurs glaces polies
Les fleurs de votre teint naître fous nos rafoirs.
A l'air des phyfionomies
90 MERCURE DE FRANce.
L'indocile cheveu fe prête artiftement.
Si les cizeaux ou la nature
Vous dépouillent de l'ornement
D'une brillante chevelure ,
Nous vous rendons fouvent plus que vous ne
perdez :
Nous fçavons vous parer des cheveux d'une belle
Et nos doigts , par l'art fecondés ,
Prêtent à la jeuneffe une grace nouvelle .
Plus habiles encor nous réparons l'affront
Que l'injure des ans imprime fur un front.
Le doux fommeil ferme en vain nos paupieres,
Ce tronc ( 1) nous voit fouvent paffer les nuits en
tieres .
Confultez ce muet témoin
De nos veilles & de nos peines.
Puiffiez -vous dans fon fein dépofer nos étrennes ;
Et dans vingt ans encor prendre ce noble foin.
Par L. R.
(1) Les Versfont fuppofés être expofés dans la boutique.
Ju k
FEVRIER. 1756. 91
LES SONGES.
TIRADE CHANTANTE.
Air : Prends , ma Philis , prends un verre.
QueUe la nuit m'a paru belle !
Que de plaifir j'ai goûté !
J'ai vu le portrait fidele
De l'aimable vérité.
La douceur étoit près d'elle ,
La raiſon , le foin , le zele ,
La vertu , la probité.
Sommeil couvre ma prunelle ,
Fais pour ma félicité ,
Qu'en tes bras je me rappelle
Ces momens de volupté.
Daphnis m'aimoit fi tendrement , Ö6.
J'ai rêvé quel enchantement !
Que les époux fages , fideles ,
Suivant l'efprit du Sacrement ,
Vivoient comme des Tourterelles.
Ils s'embraffoient fi tendrement ,
Qu'ils me plaifoient infiniment.
J'ai rêvé toute la nuit , &e.
J'ai rêvé qu'un Procureur
Difoit à certain Plaideur ,
* 92 MERCURE DE FRANCE.
La confcience eft mon lot,
Vous me donnez trop :
Reprenez ces cent écus ,
Car ils ne me font pas dûs.
bis.
A la foire , à la Courtille , &c.
J'ai révé qu'un pauvre diable
Injuſtement arrêté ,
Devant un Juge équitable ,
Recouvroit la liberté
Si défirable ,
Quoiqu'il fût préſenté
Par un Notable.
Sans le fçavoir , & c.
J'ai rêvé que le petit Maître ,
Se repentant d'avoir pu l'être ,
Etoit changé du blanc au noir :
Que la coquette infupportable ,
Ne confultoit plus de miroir
Et qu'elle étoit vraiment aimable
Sans le fçavoir.
Chacun à fon tour ,
J'ai rêvé que le vieux Timante
Offroit , non pour être loué ,
Prefque tout fon bien à Dorante ,
Que la fortune avoit joué :
&c.
Vous m'avez , dit-il , dans ma difette
Soutenu ; pour moi , l'heureux jour !
FEVRIER . 1756. 931
Chacun a fon tour ,
Liron , lirette :
Chacun a fon tour.
Le tems eft calme , & le vent eft doux , &c.
J'ai rêvé que le Commerçant
A dix pour cent ,
Sçavoit borner fon profit ,
bis.
Sans rien gagner fur le crédit .
Que le Financier ,
Jadis au coeur d'acier ,
Devenoit plus humain , plus traitable.
Que le Sénateur ,
Abjurant la fadeur ,
S'annonçoit noblement ,
Et qu'il étoit charmant
Au fpectacle , au palais , à table.
L'amour eft de tout âge , &c.
J'ai rêvé que le courtisan ,
Lorsqu'il s'agiffoit d'un fervice ,
Tout auffitôt formoit le plan
De vous être utile & propice ;
Que lorsqu'il vous ferroit la main
Pour prouver l'eftime parfaite ,
Vous étiez fûr le lendemain
De voir l'affaire faite..
94 MERCURE DE FRANCE.
Blaiſe , revenant des champs , &6.
J'ai rêvé que le clinquant
Etoit mourant : bis
Que l'efprit jufte & fçavant
L'avoit , fans offenſe ,
Réduit au filence .
Lerrela , lerrelanla , & c .
J'ai rêvé qu'on ne cherchoit plus
En fait d'Hymen , cent mille écus
Qu'on s'attachoit au caractere ,
Lerrela , lerrelanlere ,
Lerrela ,
Lerrelanla.
:
Ma pinte , & ma mie , o qué , &c,
J'ai rêvé que l'on avoit
De la complaifance :
Que perfonne ne mentroit
De l'indifférence:
Que poliment on parloit ;
Qu'aucun ne fe déclaroit
Pour la médifance ,
O gné,
Pour la médifance.
Pour toucher fon Isabelle , &c.
J'ai rêvé que l'opulence
Prenoit foin de
l'indigence ,
FEVRIER. 1756.
95
Sans jamais crier hola : a , a , a , 2, 2,
Qu'on excitoit la fcience
En lui donnant de çela : a , a
Qu'elle étoit fans fuffifance ,
M'auriez-vous attendu là ? a
· a , a, a;
a; a a
> •
Quandla Mer ronge apparut , &c .
J'ai rêvé que les Abbés
Dans le goût du Sage ,
Des efcaliers dérobés
Condamnoient l'uſage :
Que de leur maintien confus ,
Ces Meffieurs ne donnoient plus
Dans la dé , dé , dé ,
Dans la cou , cou , cou
Dans la pu , pu , pu ,
Dans la dé ,
Dans la cou ,
Dans la pu ,
Dans la découpure ;
L'agréable augure !
Suivons , fuivons tour à tour , &c.
J'ai rêvé que les familles
S'aimoient véritablement :
Que les garçons & les fille's
Partageoient également :
Qu'ainfi les ris & les jeux
Eroient faits pour eux,
96 MERCURE DE FRANCE.
Et voilà comme l'homme , &c.
J'ai rêvé qu'on ne portoit plus
Cent colifichets fuperflus :
Qu'on s'habilloit avec décence ,
Sans outrer la magnificence :
Que les revenus , les produits
Faifoient voir comme
L'homme
Devoit être mis.
Triolets.
J'ai rêvé qu'on ne jouoit plus
Avec cette fureur extrême :
Qu'on en reconnoiffoit l'abus ,
J'ai rêvé qu'on ne jouoit plus :
Qu'on perdoit un , ou deux écus ,
Sans fe fâcher contre foi - même :
J'ai rêvé qu'on ne jouoit plus
Avec cette fureur extrême .
Sur le ritanta , larela , &c ,
J'ai rêvé que le Médecin
Ne paffoit plus pour affaffin ,
Que tout malade étoit guéri ,
Sur le ritanta , larela
Sur le ritantaleri .
25. 1 29. -
Iris eft plus charmante , &c.
J'ai rêvé qu'un Notaire , # . 12
Pour finir une affaire ,
N'étoit
FEVRIER. 1756. 97
N'étoit plus néceffaire
A la Ville , à la Cour ,
Et que fans des mesures
Sures ,
On prêtoit une fomme ,
Comme
L'on donne le bonjour ,
Sans jamais craindre un mativais retour .
Vous parlez , Gaulois , &c.
Ne direz -vous pas de mes fonges ,
En les traitant de vrais menfonges ,
Vous rêvez , Gaulois.
Rêvez avec moins de franchife ,
Si vous voulez que chacun dife ,
Vous rêvez , François .
Par M. Fuzillier , à Amiens .
Lettre adreffée à l'Auteur du portrait de
MONS
T'honnête Homme.
ONSIEUR , j'ai lu le portrait de
l'honnête Homme , que vous avez fait inférer
dans le premier volume du Mercure
de Décembre. Vous n'avez oublié aucun
des traits qui le caractériferit ; mais, vous
citer pour modele , eft ( fi vous me per- 1
mettez de dire mon avis ) un peu hardi .
Je ne dis pas que le tableau ne vous re
E
98 MERCURE DE FRANCE.
préfente au naturel ; j'en fuis même perfuadé.
Mais mon fentiment ne fait pas
une loi générale . Qui vous répond du plus
grand nombre ? Laiffer aux autres le foin
de vous donner les éloges qué vous méritez
fi juftement , n'auroit-il pas été plus
avantageux ? Une vanité fecrete eft bien
proche d'un mérite fi rare. L'amour-propre
nevous faifoit- il pas trouver du plaifir
dans la vérité ? Il fe gliffe partout , il
empoiſonne les meilleures intentions.
Vous pouvez en avoir été exemt , mais
eft on obligé de le croire ? Les louanges
qu'on fe donne , quoique véritables , font
toujours fufpectes . Il eft des cas où on eft:
obligé d'en venir à cette extrêmité. Mais
depropos délibéré , s'afficher pour l'Ariftipe
moderne , le feul fage de la France ,
c'eft révolter les efprits. L'homme veut
être libre , & indépendant dans fes fentimens.
Il eft fier , & aime à donner fon
fuffrage comme une grace , mais il ne
veut pas qu'on l'exige. Votre déclaration
lui paroîtra téméraire. Ignorez- vous que
l'envie attaque toujours le mérite › Confiderez
combien d'ennemis. vous vous
faites , combien de gens vous découragez
, qui pouvoient afpirer à cette
gloire que vous poffedez . Mais ils n'ont
qu'à y renoncer ; leur arrêt eft proFEVRIER.
1756 .
99
noncé , leurs efforts feront inutiles. Vous
avez décidé qu'il n'y a qu'un feul fage
& vous affurez que vous l'êtes. Au contraire
, fi vous vous fufliez contenté de
repréfenter l'honnête homme fans le défigner
, vos amis , tous vos concitoyens
vous effent reconnu , & la gloire pour
vous eût été plus certaine .
Cependant il eft ailé de connoître la
vérité. Pour bien traiter un fujet il faut
en être rempli ; & vous n'euffiez pu faire
un portrait fi reffemblant , fi le coeur feul
n'y eût eu part , comme vous l'avez fort
bien fait remarquer. Auffi'c'eft avec les
fentimens d'admiration que vous méritez,
que j'ai l'honneur d'être , &c.
Ce 14 Décembre 1755 .
Le mot de l'Enigme du ſecond Mercure
de Janvier , eſt Diamant ; celui du Logogryphe
Mortier ; dans lequel on trouve Roi ,
Rome , mer, Remi , Meri, rit , or, mie , re , mi,
More , rot, tri , tome, rime , trio , Io , ire, oftie,
moire , Rote , mite , mirer , tirer.
ENIGME.
Dans plus d'un cachot j'empriſonge
Tous ceux qui fe fervent de moi.
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
Malgré d'étroits liens dont je les environne ,
Ce font eux qui me font la loi .
Je fuis par fois blanc comme albâtre ,
Par fois plus brun que le geai le plus noir ;
Ma contradiction ne fe peut concevoir.
Je fers à l'Eglife , au Théâtre.
En hyver , en été , par rufe , fans defſein ,
J'enferme des beautés , des horreurs dans mon ſein.
On m'emploie à finir les plus riches parures.
Tombai - je dans le difcrédit ?
Je fers à panfer des bleffures.
Mes égaux coûtent cher à maintes créatures.
Exiftons-nous , pour elles tout eft dit.
Lecteur , ne fois point interdit ,
Tu vas me deviner fans peine.
Quoique fouple & galant , ce n'eft point fans
effort ,
Que malgré moi , la jeune Iris m'entraîne
Au point qui couronne mon fort ;
Encore faut- il qu'elle m'enchaîne.
Dans l'efprit cependant de l'aimable inhumaine
Mon indocilité ne me fit jamais tort .
Je dois à mes captifs toutes mes gentilleffes ...
Mais quel tranfport audacieux !
Finis , Damon ; vainement tu t'empreffes
De me trahir par des foins fpécieux.
Non , ce n'eft point à moi qu'en veulent tes ca
reffes ,
C'eft à l'objet charmant que je voile à tes yeux ,
Par M. D. B.
FEVRIER . 1756 . IOI
LOGOGRYPHE.
Né du plus horrible adultere ,
É
A peine eus-je reçu le jour
Que l'on me ravit à ma mere ,
Et qu'on m'éloigna de la Cour.
Dans mes neuf pieds , je donne un Patriarche ;
Connu par la vigre & par l'Arche ,.
Et la fille d'Eréfichton.
Une ville ou jadis régnoit Pigmalion :
Une autre dont Homere a chanté la défaite.
La femme de l'Erebe , & le fameux Poëte ;
Qui de nos jours chanta le grand Henri ;
Ce que fille à quinze ans préfere au nom d'ami .
Un fleuve en Allemagne , une riviere en France ,
Le Dieu , qui met fous fa puiffance
yeux,
Les mortels ainfi que les dieux ;
Un mal à craindre pour les
Un ami de Céfar qui fuivit Cléopâtre ,
Une couleur oppofée à l'albâtre ,
Un Poëte lyrique , un arbre , une faiſon ,
Ce que l'on voit fouvent contraire à la raiſon ,
La fille de Cadmus , mere de Mélicerte ;
Un ennemi des Juifs qui confpira leur perte ;
Deux des rois d'Ifraël , deux pronoms , un métal
Qui caufe des Mortels ou le bien ou le mal ;
Un fameux miſantrope , un mont de l'Italie ,
Un autre dans la Grece , un Roi de Theffalie ,
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
Deux Muſes ; je finis , ce n'eft pourtant pas tout ,
Mais je crains d'ennuyer , fi je vais jufqu'au bout.
Par Mademoiselle Moniſeau.
CHANSON.
Venus me livre la
guerre
Pour s'emparer de mon coeur.
Bacchus veut à coup de verre , રે
Lui feul en être vainqueur.
De Venus j'aime les charmes ,
Et de Bacchus la liqueur :
A qui rendrai - je les armes
Pour affurer mon bonheur ?
L'un & l'autre ont de quoi plaire,
De tous deux je fuis jaloux.
Que le choix me coûte à faire
Entre deux plaifirs fi doux.
Bannir Venus , quel dommage !
Sans Bacchus ferois- je heureux !
On doit permettre à mon âge
De les adorer tous deux.
Dans ce cruel équilibre ,
Dieux ! difputez , le terrein.
Mon coeur du choix n'eft point libre ,
J'aime l'amour & le vin .
Les paroles font de M. *** la muſique
eft de M. Toulain.
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY.
ASTOR,
LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS.
Venus me livre la guerre Pours'em
parer de mon Coeur Bacchus
m
veut a coup de Verre Lui seul en e
= tre vainqueurDe Venusj'aime les
charmes Et de Bacchus la liqueur
m
B
c
Aqui rendrais je les Armes Pour as de
seurermon bonheurfun et l'autre ont
де
de quoy plaireDe tous deux je
P
suisJalouxQue le choix me coute a
faire Entre deux plaisirs si doux
BannirVenusquel domageSansBac
chus serois -je heureux On doit
+
permettre a menage Deles adorertous
Jeux Dans ce cruel EquilibreDieux dis
putez le terrain Mon coeur du choix
+
n'estpoint libreJ'aime l'Amouret le vin .
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY.
ASTOR, LENOX AND
TILDEN -
FOUNDATIONS.
FEVRIE R. 1756. 103
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie des Belles- Lettres de Montauban
, le 25.Août 1755.
L'Académie, après avoir affiſté le matin
à une Meffe qui fut fuivie de l'Exaudiat
pour le Roi & du Panégyrique de S. Louis
prononcé par le R. P. Montpellier , de l'Ordre
de Saint Dominique , tint l'après-midi
fon Affemblée publique dans la Salle de
l'Hôtel de Ville. La réception . de M. le
Comte d'Hérouville , Commandant en chef
dans la Province. & Gouvernement de
Guyenne , qui avoit été élu le 12 Juillet ,
y avoit attiré une foule extraordinaire de
perfonnes de tous les états . M. de la Mothe
Directeur de Quartier , ouvrit la féance
par un difcours en forme de femonce , fur
le travail de l'Académie & fur les devoirs
des Académiciens.
M. le Comte d'Hérouville qu'on recevoit
à la place de M. Duclos , prononça enfuite
fon difcours de remerciment , où vou
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
lant bien oublier les Ouvrages qu'il a déja
donnés au Public , il difoit qu'ayant été
» deſtiné dès fes jeunes ans au métier des
» armes , & élevé , pour ainfi dire , dans
les Camps , il n'avoit jufqu'alors connu
» que l'autorité abfolue & l'obéïffance
» aveugle ; qu'aujourd'hui occupé de foins
» plus pacifiques , & chargé d'une adminiftration
plus étendue , il devoit , avant
»de commander , fçavoir perfuader ; que
c'eft dans l'Académie qu'il en vouloit acquerit
le talent ; qu'il ne le confondoit pas
avec cet Art fi vanté de féduire , qui
>>fouvent cache fous les plus belles fleurs le
» venin le plus dangereux ; que cet Art
» n'eft point fait pour ceux à qui le Roi
» confie fon autorité ; que l'expofition la
plus fimple de fes intentions lui affurera
» toujours & l'obéiffance & l'amour de fes
fujets ; & que pour pouvoir le bien fer-
»vir , il ne défiroit ( lui ) que d'apprendre
à le faire bien connoître. Du refte une
énergique briéveté caracteriſe l'éloquence
de M. le Comte d'Hérouville , & c'eft affez
de l'entendre ou de le lire , pour fe convaincre
qu'il est également rempli de zele
pour le fervice du Roi & pour le bien pu,
و د
blic.
M. de la Mothe , en lui répondant , fubcitua
aux lieux communs qui compofent
FEVRIER. 1756. 1756. 105
les éloges ordinaires , les faits qui feuls
louent dignement les grands hommes . Il fit
remarquer que l'on ne pouvoit fe difpenfer
de reconnoître à la fois dans M. le
Comte d'Hérouville , Minerve fçavante
& Minerve guerriere ; & pour le prouver ,
il fit le détail de fes vaftes connoiffances ,
en obfervant « que les regles & les opérations
des mathématiques & de la Géometrie
tranfcendante avoient été les amu-
» femens de fa jeuneſſe ; qu'il avoit fait
un cours de Chimie , d'Anatomie & de
Phyfique expérimentale ; qu'il s'étoit particulierement
inftruit de toutes les branches
de notre commerce ; qu'il avoit étudié
tout ce qui concerne les manufactures ,
les fabriques , le débit des denrées , la nature
des terres , l'agriculture , le trafic de
l'or & de l'argent , &c . M. le Directeur
ajouta que M. d'Hérouville n'avoit rien
oublié pour connoître à fonds l'art mili
taire tel qu'il étoit pratiqué par les anciens
; qu'il avoit pour cela parcouru
tous les manufcrits Grecs , Latins , ou A
rabes qu'il avoit pu découvrir ; qu'en fuivant
à la trace , tous les Auteurs qui nous
ont parlé de la maniere dont les Anciens
attaquoient ou défendoient les Places , il
avoit deviné & comme créé une feconde
fois cette fameufe Balifte fi connue chez
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
les Grecs & chez les Romains , mais dont
il ne nous reftoit plus qu'une idée confuſe ;
qu'étant Major Général de l'Armée du Maréchal
de Saxe , obligé de commencer tous
les jours fous les yeux de l'aurore la revue
exacte du Camp , il avoit compofé en cinq
femaines fon Traité des Légions , qui eſt
déja à fa quatrième édition ; qu'à l'âge de
22 ans , ſe trouvant en Angleterre avec le
Comte de Cambiſe fon Oncle , il fçut gagner
l'eftime des Grands & des gens de
Lettres ; qu'envoyé à Berlin pour une
commiffion fecrete , il y foutint l'honneur
de la Nation par fon fçavoir & par fes
talens ; que dans les dernieres guerres , il
avoit commandé à Anvers , moins en ennemi
impérieux qu'en homme éclairé fur
les intérêts des peuples qui lui avoient été
confiés , &c. Mais tous ces faits furent attachés
les uns aux autres par des tranfitions
auffi variées que délicates. M. de la Mothe
termina fon difcours , ainfi qu'il l'avoit
commencé , c'eft à- dire , par des vers pro
pres à ramener les Auditeurs au fpectacle
de la réception qui faifoit la partie la plus
intéreffante de la cérémonie du jour .
Ici M. de Saint Hubert ancien Capitaine
de Cavalerie , & Chevalier de Saint
Louis , récita les vers fuivans , en adreffant
la parole à M. le Comte d'Hérouville.
FEVRIER. 1756. 107
Souffrez que militairement ,
Je vous faffe mon compliment ;
Qu'à ma façon je vous exprime
Combien chacun de nous eſtime
De vous voir affis parmi nous :
Duffions-nous faire des jaloux ,
Nous compterons cette féance
Au nombre de nos plus beaux jours.
Ne vous allarmez pas d'avance ;
Ce que j'ai dit en votre abſence ,
Je le tairai dans ce difcours.
Aux éloges inacceſſible ,
Vous louer , c'eft vous irriter ,
Vous ne fûtes jamais ſenſible
Qu'à l'honneur de les mériter.
Sans m'expofer à faire des excufes ;
Dirai-je à l'amateur des Arts ,
Qu'il donne des leçons à Mars
Et prête des graces aux Mufes ?
Deux jours auparavant , M. le Franc avoit
adreffé à M. le Comte d'Hérouville des
Remarques fur quelques Ouvrages d'Arrien,
Elles font le fruit d'une lecture réflechie de
cet Auteur , occafionnée par un fçavant
entretien que M. d'Hérouville avoit eu à
Pompignan avec M. le Franc , en l'abfence
duquel M. l'Abbé Bellet fut chargé
de les lire à l'Affemblée. Dans cet ouvrage
où l'utile & l'agréable marchent d'un pas
E vj
10S MERCURE DE FRANCE.
égal , M. le Franc obferve judicieuſement
que la partie de l'Hiftoire qui appartient
à la guerre , n'a jamais été bien difcutée
que par des Ecrivains guerriers. » Si je lis ,
»dit- il , des batailles dans Mezerai , dans
» le P. Daniel , dans Tite- Live même , il
ne me refte qu'un fouvenir confus de
»difpofitions vaguement décrites , d'atta-
» ques meurtrieres , de bataillons rompus ,
» d'ennemis pourfuivis & taillés en pièces.
»J'en dis de même des marches , des cam-
» pemens , des fiéges , & généralement
» d'une campagne entiere. On n'en voit
»dans ces Ecrivains , très eftimables d'ail-
» leurs , qu'une efquiffe fort imparfaite.
» Il n'eft donné qu'aux gens du métier d'en
» tracer aux yeux le véritable tableau....
» L'Auteur du TRAITE' DES LEGIONS.
» écriroit mieux les campagnes du Roi en
» Flandres que Tite Live & Mezerai .....
Non feulement , continue M. le Franc ,
» une hiftoire originale d'actions militaires
, mais la traduction même d'une telle
hiftoire ne fçauroit être bien exécutée
» que par un militaire de profeffion .....
Auffi M. le Franc fouhaiteroit- il que M.
le Comte d'Hérouville voulût employer
» quelques momens de fes loisirs à traduire
lui-même Arrien , ou à le faire traduire
» fous les yeux , en y joignant des remar
FEVRIER . 1756. 109
"3
ques de fa façon , ainfi que l'a fait M.
Folard , à l'égard de Polybe ......... Mi
le Franc remarque encore que « la guerre
» n'a confifté long tems chez toutes les Na-
» tions du monde , fans en excepter les
»plus civilifées , comme les Egyptiens ,
» les Perfes , les Hébreux , qu'à s'égorger
>> tumultuairement en pleine campagne ,
» ou qu'à s'emparer des Villes qu'on pil-
» loit & qu'on brûloit ; que les Grecs na-
"turellement inventifs & qui ont créé on
perfectionné tous les Arts , avoient ce-
»pendant dès lors une Tactique auffi réguliere
, auffi parfaite qu'elle l'ait été du
» tems de Pyrrhus & de Xantippe . La
» chofe eft étonnante , mais on n'en peut
» douter quand on a lu Thucydide , He-
» rodote & Homere. On comprend en li-
» fant l'Iliade , que dans ces fiécles reculés
» un Bataillon Grec marchoit , fe mettoit
" en bataille , & manoeuvroit avec le même
» ordre , le même filence , & la même
précifion que font aujourd'hui des Régimens
François ..... La verfion Latine
d'Arrien par Blanchard , prouve évidemment
, felon M. le Franc , que ce
n'eft pas affez pour bien traduire un
Ouvrage Didactique , d'avoir la tête
farcie de Grec & de Latin , mais qu'il
faut de plus connoître la profeflion ou les
ود
ور
Сс
,
110 MERCURE DE FRANCE.
ود
Arts dont il eft traité dans cet Ouvrage.
» La verfion de Blanchard eft fouvent in-
» intelligible , parce qu'il n'a pas lui -mê-
» me entendu les termes d'Arrien dans le
>>fens où il les emploie , & qu'il n'avoit
» pas l'idée de la chofe qu'ils expriment . "..
Il y a , continue M. le Franc , « dans la
» courte Tactique d'Arrien un endroit capable
d'amufer certainement tout Lec-
» teur un peu curieux ; c'eft l'exercice des
» troupes Grecques .... Il eft entierement
» conforme au nôtre. Il n'y a de différent
» que les armes . Ce font les mêmes évo
» lutions , les mêmes mouvemens , les
mêmes tems ; le commandement enfin
eft conçu dans les mêmes termes. Les Grecs
» faifoient auffi l'exercice à la voix , au
" fon des inftrumens , & à la muerte .
» Toutes ces regles nous viennent d'eux.
» Ils les obfervoient dès le fiége de Troyes,
» comme le remarque Arrien.... Il y a
ici une obfervation fur le génie des Langues
. On dit qu'il n'eft pas naturel d'attendre
la fin d'une phrafe & quelquefois
d'une longue période pour en fçavoir le
fens , & que dans cette partie de la conftruction
grammaticale , la Langue Françoife
eft fupérieure aux Langues Grecque
& Latine. Cependant Arrien affure que le
commandement de l'exercice ne pouvant être
FEVRIER. 1756. III
trop clair , ce feroit une grande faute à l'Officier
qui en eft chargé , de dire d'abord :
Tournez vous ou reposez- vous , avant d'indiquer
le côté de l'évolution on l'arme dont
il s'agit ; & que le moyen d'éviter toute
équivoque , c'est de mettre le verbe après
le mot qu'il régit : Du côté de la Pique ,
tournez - vous. Du côté du Bouclier , tournezvous
; car c'eſt ainfi qu'on lit dans l'original.
Quand on prétend donc , remarque M.
le Franc , que la tranfpofition du verbe va
directement contre la marche & la netteté des
idées , cela peut être vrai en général ,
mais ily a des exceptions à faire ; & fi nous
avions confervé la même armure que les
Grecs & les Romains , pour être entendus.
nettement du Soldat , malgré le prétendu
génie de notre Langue qui n'aime pas ,
dit-on , les inverfions , il vaudroit mieux
faire un folécifme , que de mettre en défordre
un bataillon..... M. le Franc regarderoit
volontiers comme l'origine des tournois
les exercices de Cavalerie fur lesquels
roule la derniere partie de la Tactique
d'Arrien. Je ne fçai` , dit- il , pourquoi l'on
va chercher chez les Barbares du Nord ,
l'invention de ces jeux guerriers .... Les
exercices que décrit l'Auteur Grec font de
véritables joutes qui réunifoient tout ce qui a
depuis caracterife les tournois..... Une re112
MERCURE DE FRANCE.
ود
marque finguliere , bien capable de nous
apprendre à nous défier des verfions , c'eſt
que , felon M. le Franc , Blanchard , quand
il a traduit l'expédition d'Arrien contre les
Alains , a changé en narration historique ce
qui n'est que le plan d'une expédition projettée.
M. le Franc releve plufieurs autres bévues
de cet infidele Traducteur , après
quoi il paffe à la Lettre d'Arrien , contenant
fon voyage fur le Pont Euxin ......
c'eft dans ce genre un chef- d'oeuvre.....
c'eft à la fois une Carte de Géographie ,
» une defcription Topographique , un recueil
d'obfervations d'hiftoire naturelle ,
» & de réflexions politiques ; le travail
d'un Infpecteur & d'un homme d'Etat ,
» le Journal enfin d'un Officier qui vous
»reffemble ; conclud M. le Franc en par-
» lant à M. d'Hérouville . ... Ce Journal
» d'Arrien contient une relation curieufe
» de l'Ile d'Achille . M. le Franc en donne
» la Traduction , & il préfume que dans
» ce Morceau l'Auteur Grec avoit voulu
faire fa Cour à l'Empereur Adrien fur
l'Apohéofe d'Antinous ..... Pour ce
» qui eft du voyage de la mer rouge , M.
» le Franc dit qu'il ne nous refte rien de
l'antiquité , qui nous faffe mieux con-
» noître en quoi confiftoient du tems d'Arrien
le commerce & les productions de
"
"7
-"3
33
-59
و د
.
FEVRIER. 1756. 113
29
30
33
و ر
"3
» l'Afie Orientale & de l'Afrique...
Il demande fi l'on croit « que la terre foit
» préfentement auffi peuplée en général ,
» auffi cultivée , auffi riche qu'elle l'étoit
» du tems de Trajan , d'Adrien , de Marc-
> Antonin ? Pour une nouvelle partie du
» monde que nous avons cru acquérir ,
» que n'avons- nous pas perdu ? Car j'ap-
» pelle perdu pour le genre humain tout
» ce qui devient inutile & malheureux .
Qu'est- ce préfentement que l'Afrique ?»
..... Et entrant dans quelque détail , il
foupçonne que le Caffé qui eft une des
productions naturelles de l'Arabie , &
qui par conféquent y a toujours été cul-
» tivé , formoit une de ces boiffons que
les hiftoriens nous défignent fous des
» noms dont la véritable fignification s'eft
» perdue.» ... A l'égard du Sucre , il af
fure que l'ufage , en eft infiniment plus ancien
qu'on ne croit , & qu'on en faifoit
un commerce aflez confidérable dans les
Villes marchandes d'Afrique , où on le
tranfportoit par mer du fond de l'Inde
Orientale avec d'autres denrées du même
Pays , fuivant la Coutume , ajoute Arrien ,
ور
& c.
M. le Franc penfe en général que nous
fommes trop avantageux en fait de découver
tes ; & quefouvent telle découverte qui récl
114 MERCURE DE FRANCE.
lement en eft une par rapport à l'Auteur ,
n'eft cependant en foi qu'une invention ancienne
, perdue & recouvrée , &c. & il dit
fa penfée fur un endroit d'Arrien , dans
fon voyage de la mer rouge , qui a fait
foupçonner que les Anciens faifoient de
la Porcelaine , & c.
Cette lecture fut fuivie de celle d'une
piece de vers de M. de Bernoi , où il invitoit
noblement M. le Comte d'Hérouville
à venir fe délaffer de fes travaux
guerriers dans le fein des Mufes ,
A côté de Polybe & du fage Maron.
M. Pradal , Procureur Général de la
Cour des Aydes , lut une Ode à la Philofophie
, & en l'adreffant à M. le Comte
d'Hérouville , il traça dans des vers d'une
autre meſure , le tableau de fes fçavantes
occupations , telles que M. de la Mothe
les avoit déja indiquées.
Qui mieux que toi , ( lui difoit M. Pradal ) jamais
a mérité la gloire
De joindre nos lauriers à ceux de la victoire ?
Ainfi les Dieux en toi mirent tous les talens ;
Je te vois rétablir les faſtes de l'Hiſtoire ,
Pénétrer dans la nuit des tems ,
Dérober à l'oubli ces exploits éclatans ;
Ces noms dont s'enrichit le Temple de Mémoire.
FEVRIER. 1756. 115
t
Je te vois par d'heureux efforts
Arracher la nature à fes loix éternelles ,
Unir les élémens & rompre leurs accords ,
Diffoudre & compofer les corps ,
Leur donner des formes nouvelles ,
Puis defcendre dans l'homme , & compter fes refforts
.
Uranie en tes mains a remis fon equerre ,
Ses Télescopes , fes niveaux.
Tu portes tes regards au deffus du tonnerre ,
Tu parcours des mondes nouveaux ,
Tu mefures les airs & la pente des eaux.
Ici ton oeil obferve , à la faveur d'un verre ,
Ces inviſibles animaux ,
Ces atômes vivans que tout liquide enferre :
Dans les veines des arbriffeaux ,
Ta main conduit les fucs préparés par la terre .
Soins glorieux , dignes travaux
D'un Sage qui fçait que la guerre
Seule ne fuffit pas à former les Héros , &c.
M. de Cathala lut des obfervations fur
un point de l'Hiftoire de Montauban , au
fujet d'un endroit du Siecle de Louis
XIV. par M. de Voltaire , où une inexactitude
d'expreffion pourroit donner lieu
à d'injuftes foupçons contre l'ancienne
fidélité des Montalbanois.
M. de Saint Hubert , pour varier les
lectures , lut les vers fuivans.
116 MERCURE DE FRANCE.
LES FLEURS ET LES ZEPHIRS ,
FABLE ALLEGORIQUE.
Froids Aquilons , fombres nuages ,
Difparoiffez , volez , Zéphirs ,
Vous trouverez fur ces rivages
Des fleurs dignes de vos foupirs .
Voyez ces lys & ces rofes nouvelles.
Quel doux parfum , quelle vive couleur !
Zéphirs , voltigez autour d'elles
Sans en altérer la fraîcheur .
Vous , jeunes fleurs , recevez leur hommage
Comme un tribut inconftant & léger
D'un fouffle flatteur & volage
Vous ne sçauriez trop craindre le danger.
Fraiche aujourd'hui , demain fannée ,
Formant d'inutiles défirs ,
On voit la rofe abandonnée ,
Rappeller en vain les Zéphirs ;
Leur vol en devient plus rapide ,
Ils font déja daus un autre climat ,
C'est l'inconftance qui les guide ,
Dès qu'ils ont terni votre éclat :
Des amans ils fuivent les traces.
Défiez-vous , Iris , d'un hommage affidu .
Le culte que l'on rend aux graces ,
Eft un piege pour la vertu .
Tous les écueils environnent votre âge.
FEVRIER. 1756. 117
و د
Prevenez de triſtes inſtans .
De la beauté , la fleur eſt une image .
Leur regne eft court ; la fleur n'a qu'un printems
;
Et la beauté n'en a pas davantage.
a
M. l'Abbé Bellet lut un Difcours qui
étoit une forte de Defcription de l'Empire
des lettres , pour tâcher « d'infpirer
» difoit- il , aux coeurs les moins ambi-
» tieux , finon le défir lõuable d'y former
» & d'y entretenir une relation fuivie ,
» du moins le courage d'envier juſqu'à
» un certain point le bonheur de ceux
» qui l'habitent » . Il prouva fucceffivement
que cet Empire à eft le plus ancien
" de tous ; qu'il eft le plus étendu , le
plus peuple , & le plus noblement peuplé
; que ce font les befoins de l'ef
prit qui l'ont formé ; que les richeſfes
de l'efprit étant les feules qui ayent ,
» pour ainsi dire , cours dans cet Em-
" pire , il n'eft point foumis à la fortune.
» Les titres qu'on y ambitionne ou qu'on
» y décerne , ne font pas de fon domaine :
» les biens qu'on y poffede n'ont rien de
» commun avec les faveurs qu'elle difpen-
" fe : les hommes n'y font appréciés que par
» les qualités qui font intimement liées à
>>
"3
leur être que par un mérite qui tient
» immédiatement à leur ame ; c'est - à-dire,
IS MERCURE DE FRANCE.
»
"
23.
» que par ce qu'ils valent en eux -mêmes.
» On croiroit que cette précieufe égalité
>> qui régnoit originairement entr'eux ,
échappée des débris du naufrage de
» l'âge d'or , s'y eft en quelque forte
» réfugiée , & y a trouve un afyle . Et
voilà pourquoi les Héros , les Prin-
» ces , les Rois ( 1 ) , tous ceux qui joi-
» gnirent une grandeur réelle aux gran-
» deurs d'inftitution dont ils étoient revêtus
, furent toujours ravis , fi je puis
»m'exprimer ainfi , de paffer dans ces
» heureuſes contrées. Quel touchant ſpec-
» tacle n'y offrent-ils pas aux yeux de la
» raiſon ! Là, dépouillés du fafte & de l'orgueil
du rang , ils recueillent des hom-
» mages uniquement adreffés à leur per-
» fonne ; ils reçoivent des tributs d'eftime
» ou d'admiration trop fouvent féparés
» des refpects extérieurs accordés aux pla-
» ces. Là , fans cortège , fans faiſceaux ,
» fans lauriers , ils fubjuguent la multi-
» tude , ils font taire l'envie , ils forcent
» la renommée d'ouvrir fes cent bouches
>> en leur faveur , pour reconnoître les
32
(1 ) Meffieurs les Maréchaux d'Eftrées , de Villars
, de Belle-Ifle , &c . M. le Comte de Clermont ,
Prince du fang, de l'Académie Françoiſe ; le Czar ,
Pierre I , de l'Académie des Sciences ; le Roi Staniflas
de l'Académie des Arcades , à Rome , & fondateur
de celle de Nancy.
FEVRIER. 1756. 119
33
qualités éminentes de leur coeur & de
» leur efprit. Oui , ceux- là font incontef
» tablement de grands hommes , qui ont
» de quoi paroître tels à nos yeux , indé-
» pendamment de la décoration qui leur
en prête les dehors fur le théâtre du
» monde . Dans le peu de cas qu'ils en font
» eu égard à l'honneur qui leur en revient,
» vis - a-vis des Mufes , je ferois prefque
» tenté de foupçonner toute la délicateffe
» d'un amour-propre auffi ingénieux que
» raifonnable ». M. l'Abbé Bellet s'attache
encore à expliquer la Nature du Gouvernement
qui diftingue l'empire des Lettres.
Il fit voir enfuite « que la liberté qui
n'a pas
de quoi faire ombrage
» à ceux que le ciel a placé fur nos têtes ; »
il montra " qu'il n'eft point d'Empire qui
» ne foit redevable de fes grands hommes
» à celui des Lettres ; & en finiffant , il
effaya de décharger les Lettres d'un reproche
amer qu'on leur a fait , difoit- il ,
fort éloquemment , mais avec beaucoup
" d'injuftice , &c.
" y regne ,
""
23
M. l'Abbé de Villars avoit compofé des
vers fur l'égalité Académique , & M. de
Cathala fut chargé d'en faire la lecture.
M. l'Abbé de Villars y emprunte de la circonftance
de l'inftallation de M. le Comte
d'Hérouville , de vives couleurs pour embellir
fon fujet.
120 MERCURE DE FRANCE .
M. Befombes de faint Geniés , Confeiller
à la Cour des Aydes , s'occupe depuis
quelque tems à traduire Homere en François
, & il lut un morceau du e Chant de
I'lliade. Sa traduction eft noble & élégante
autant qu'elle eft exacte & fidele .
La Séance fut terminée par la diftribution
du Programme fuivant.
PROGRAMM E.
M. l'Evêque de Montauban ayant deftiné
la fomme de deux cens cinquante livres,
pour donner un prix de pareille valeur à
celui qui , au jugement de l'Académie des
Belles- Lettres de cette ville , fe trouvera
avoir fait le meilleur Difcours fur un fujet
relatif à quelque point de morale tiré des
Livres faints , l'Academie diftribuera ce
prix le 25 Août prochain , fête de S. Louis
Roi de France .
Le fujet de ce Difcours fera pour l'année
1756 , Ilferoit nécessaire pour la perfection
des Arts , que chacun fe bornât à cultiver
fon talent , conformément à ces paroles
de l'Écriture fainte : Unuſquiſque in arte
fua fapiens eft . Eccli . 38 , 35.
L'Académie avertit les Orateurs de s'attacher
à bien prendre le fens du fujet qui
leur eft propofé , d'éviter le ton de déclamateur
FEVRIER .
1756. 121
mateur , de ne point s'écarter de leur plan ,
& d'en remplir toutes les parties avec juftelle
& avec préciſion .
Les Difcours ne feront tout au plus ,
que de demi- heure , & finiront toujours
par une courte priere à Jefus- Chrift."
On n'en recevra aucun qui n'ait une
approbation fignée de deux Docteurs en
Théologie.
Les Auteurs ne mettront point leur nom
à leurs ouvrages , mais feulement une
marque ou paraphe , avec un paffage de
l'Écriture fainte , ou d'un Pere de l'Eglife ,
qu'on écrira auffi fur le registre du Secrétaire
de l'Académie.
L'Académie ayant été obligée de réferver
le prix de l'année 1755 , elle l'a deftiné
à une Ode ou à un Poëme dont le fujet
fera
pour l'année 1756 , L'accord des Armes
& des Lettres chez les François.
11 y aura ainfi deux prix à diftribuer ,
l'année 1756 , un prix d'éloquence & un
prix de poésie .
Les Auteurs feront remettre leurs ouvrages
, pendant le mois de Mai prochain,
entre les mains de M. de Bernoy , Secré
taire perpétuel de l'Académie , en fa maifon
, rue Montmurat , ou , en fon abfence,
à M. l'Abbé Bellet , en fa maiſon , rue
Cour-de-Toulouſe.
F
122 MERCURE
DE FRANCE.
Le Prix ne fera délivré à aucun , qu'il
ne fe nomme , & qu'il ne fe préfente en
perfonne , ou par Procureur , pour le rece
voir , & pour figner le Difcours.
Les Auteurs font priés d'adreffer à M. le
Secrétaire trois copies bien lifibles de leurs
ouvrages , & d'affranchir les paquets qui
feront envoyés par la pofte, Sans ces deux
conditions , les ouvrages ne feront point
admis au concours .
ORONOKO imité de l'Anglois , nouvelle
édition , revue & corrigée ; par M.
de la Place. Qui fata trahunt , virtus fecura
fequetur Lucan . Deux parties. A Paris , chez
Jorry, quai des Auguftins , près le Pont
S. Michel , aux Cicognes , 1756.
Comme ce Roman a déja paru , nous
n'en ferons poins l'extrait ; mais nous
faififfons cette occafion pour rendre à M.
de la Place la juftice qu'il mérite. Perfonne
n'a mieux traduit les ouvrages
à Anglois , ne les a mieux accommodés
Hotre goût ; perfonne ne les a fi bien réduits
à leur jufte préciſion , & n'a fi bien
Sonnu ni traité l'intérêt.
HISTOIRE
de la Marquife de Terville
; dédiée à Mademoiſelle
..
Lovis una mors eft conjugis culpa.A Londres
...
FEVRIER. 1756. 123
& fe trouve à Paris , chez le même Libraire
, 1756.
Dans l'inftant que nous annonçons ce
nouveau Roman , nous recevons une lettre
dans laquelle nous fommes priés d'avertir
le Public que l'Epitre adreffée à
Mlle... qui paroît à la tête de l'ouvrage ,
y a été inférée à l'infçu de l'Auteur , &
qu'il la défavoue , comme contraire à fes
fentimens , & tout- à- fait éloignée de fes
moeurs. Il doit même la faire retrancher
dans tous les exemplaires qui reftent.
Nous rendrons compte de cette brochure
le plutôt qu'il nous fera poffible .
La troifiéme & la quatrième partie de
Amante Anonyme , ou de l'Hiftoire fecrete
de la Volupté avec des Contes nouveaux
de Fées , publiées par M. le Chevalier
de Mouhy , de l'Academie des Belles-
Lettres de Dijon , viennent de paroître ,
& fe vendent chez Jorry, 1756.
La 3 partie contient l'Hiftoire de Nitocris.
Comme elle eſt détachée , & qu'elle
nous a paru ingénieufe autant que finguliere
, nous en ferons l'extrait particulier
en Mars ou en Avril . Pour en donner un
général de tout l'ouvrage , nous attendrons
qu'il foit fini , & que la dernière partie
ait vu le jour.
Fij
124,MERCURE
DE FRANCE.
EXAMEN DES POÉSIES SACRÉES de M.
le Franc. A Paris , chez Chaubert , quai
des Auguftins , & chez Hériffant , rue neuve
Notre- Dame. 1755 .
Cet examen eft compofé de quatre Lettres.
La premiere , fur les Odes ; la feconde
, fur les Cantiques ; la troifiéme , fur
les Prophéties ; & la quatrième , fur les
Hymnes.
Quelques Lecteurs féveres trouveront
peut être la louange exagérée , mais en
lifant ces Poéfies fans prévention , on la
trouvera prefque partout juftifiée par les
beautés frappantes dont elles font remplies ;
& fi le Panégyrifte paroît ami de l'Auteur,
on ne peut difconvenir qu'il ne foit
ami éclairé. Il motive toujours ſes éloges
: il rend raifon de fon fentiment ,
quand même il le pouffe jufqu'au tranfport
, & le goût eft forcé d'applaudir à
l'enthoufiafme de l'amitié . Nous ne citerons
ici que deux ftrophes de la feconde
Ode , avec les réflexions qui les accompa
gnent , pour convaincre le Lecteur impartial
& connoiffeur en Poéfie , de la
vérité que nous avançons . Nous prenons
ces ſtances au hazard ; C'eft Dieu qui
parle .
Mortels , qui jugez vos femblables ,
Rois , qu'à la terre j'ai donnés ,
FEVRIER . 1756. 123
Rois devenus fi formidables
Par vos projets défordonnés ,
Inftruiſez-vous dans ma juftice ,
Si vous voulez que j'affermiffe
Vos droits par la révolte enfreints .
Pour mériter que l'on vous aime ,
Aimez , fervez ; craignez vous- même
Le Dieu par qui vous êtes craints.
Plus d'un exemple vous enfeigne.
Souverains trop ambitieux ,
Que les faftes de votre regne
Nuit & jour s'écrivent aux cieux .
Prévenez un revers finiftre
;
N'ayez de parent , de miniftre ,
Ni d'ami , que la vérité.
Heureux les Rois qu'elle environne !
Malheur à ceux qu'elle abandonne
Aux confeils de l'iniquité !
L'Auteur de l'examen s'écrie dans la
chaleur d'un premier tranfport. Ces admirables
fances qui devroient être gravées fur
la porte du Confeil des Rois , font d'un fublime
quifait friffonner . Pas une image , pas
un mot , pas un fon qui n'étonne l'ame Jans
la révolter. Dien même voulant du haut de
fa gloire inftruire les Rois , n'eût pas dédaigné
un tel langage. Nous foufcrivons à ce
jugement , & M. le Franc nous paroît
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
fi bien rendre le texte , qu'il devient l'émule
de David & l'égal de Rouffeau .
SECOND SUPPLEMENT du Parnaffe
François , ou fuite de l'ordre chronologique
des Poëtes & des Muficiens que la
mort a enlevés depuis le commencement
de l'année 1743 , jufqu'en cette année
1755. Cineri gloria datur , ſtat ſua cuique
merces . Chacun y tient fon rang , felon fes
talens & fon mérite. Il fe trouve chez
Lambert , chez Duchefne & Chaubert.
Pour rendre à M. Titon du Tillet le
tribut de louange que nous lui devons ,
nous allons tranfcrire de fon livre ce fixain
fait à fa gloire, par Mdme. l'Evêque , dont
il a confacré le nom par reconnoiffance.
Lorfque je vois ce Parnaffe charmant ,
Chef-d'oeuvre d'un coeur bienfaifant
Qui fait la gloire de la France ;
Je dis , admirant fon effor ,
D'un Roi que n'ai - je la Finance ?
Le Parnaffe & Titon feroient fculptés en or.
Nous adoptons ce dernier vers , & nous
excufons fa dureté en faveur du fentiment
qu'il renferme .
ESSAI fur l'éducation des petits Enfans
, par M. Picardet , Prêtre , ChanoiFEVRIER.
1756 . 127
ne de l'Eglife Collégiale & Paroiffiale de
S. Jean-Baptifte de Dijon . A Dijon , chez
L. Hucherot , Place du Palais ; & fe vend
à Paris , chez Barois , quai des Auguftins.
Les cinq premiers volumes de la nouvelle
édition de l'Hiftoire de France , par
le Pere Daniel , de la Compagnie de Jefus
, in- 4 ° . 16 vol. fe délivrent actuellement
en feuilles , chez Boudet , Imprimeur
du Roi , rue S. Jacques , à ceux qui n'ont
point encore foufcrit , moyennant 90 liv.
Les onze volumes reftans de cette édition
fe délivreront dans le cours de cette
année , moyennant 72 liv.
RECUEIL d'Antiquités Egyptiennes ,
Etrufques , Grecques & Romaines , tome
fecond. Peritiores vetuftas facit. Cicer. pro
domo. C. 45. A Paris , chez Duchesne , rue
S. Jacques, 1756.
Nous recevons dans le moment ce volume.
Nous n'avons que le tems de l'annoncer.
Ajuger par le premier coup d'oeil
la beauté de l'impreffion nous femble
répondre au mérite de l'ouvrage. En parcourant
l'Avertiffement nous avons été
frappés , ou plutôt édifiés du ton modeſte
dont il eft écrit. Il feroit à défirer que tous
nos Littérateurs , & furtout nos Erudits
Fiy
128 MERCURE DE FRANCE.
vouluffent bien l'imiter. Ils ne ſçauroient
choifir un meilleur modele. L'illuftre Auteur
de ces recherches , après s'être plaint
que le nombre de ces derniers diminue
tous les jours en France , invite poliment
les Doctes étrangers à l'aider de leurs lumieres.
C'eſt un éloge pour eux , & nous
ne croyons pas pouvoir le mieux louer
lui-même que de citer fes propres paroles.
Son zele pour l'accroiffement des Sciences
& des Arts y éclate , ainfi que fon amour
pour la découverte du vrai , & l'élégance
du ftyle y regne dans toute fa beauté.
Je ferois , dit - il , flatté d'obtenir les
fuffrages des Sçavans dans les explications
que je donne , ou d'être conduit à la vérité
par la critique. Je l'attends principalement
cette critique des Italiens. Ils habitent
une région fortunée , où les Arts fu
gitifs de l'Egypte & de la Grece chercherent
autrefois un afyle , & fixerent longtems
leur , féjour . Ils vivent au milieu des
édifices fuperbes qu'éléva le peuple Romain
, lorfque , maître du monde , il fut
dominé par le luxe. Ce luxe utile au progrès
des Arts , attira dans l'Italie , non feulement
les Artiftes habiles , mais même les
ouvrages fabriqués dans l'Egypte & dans
la Gréce. Rome fe vit tout-à- coup décorée
d'ornemens étrangers ; elle admira dans
FEVRIER. 1756. 129
les places publiques , dans les temples &
dans les maifons particulieres , les chefd'oeuvres
de plufieurs nations. Les Italiens
foulent aux pieds les débris refpectables
de l'antiquité. La terre s'ouvre tous
les jours fous leurs pas pour les enrichir.
Une ville entiere engloutie par les volcans
du Vefuve , reparoît au jour pour
leur fournir de nouvelles richeffes. Heureufe
découverte ! qui doit intéreffer les
nations fçavantes de l'Europe , & reveiller
dans elle le goût de l'antique trop négligé
dans ce tems , où l'on a plus de fecours
pour le cultiver. Auffi les Italiens
peuvent comparer les monumens nouvellement
découverts avec d'autres monumens
connus ; avantage qui nous eft fouvent
refufé. Ils peuvent établir des certitudes,
où nous ne propofons que des conjectures.
Ils releveront mes erreurs , & perfectionneront
cet ouvrage , en donnant peut- être
des explications préférables à celles que
je préſente.
Les tomes 4 , 5 & fixiéme de l'Hiftoi
re de Paris , par M. l'Abbé Lebeuf , de
l'Académie des Infcriptions & Belles - Lettres
, paroiffent , & fe vendent à Paris ',
chez Prault pere , quai de Gêvres . 1755 ,
Le quatriéme volume contient la fuite
F v
130 MERCURE DE FRANCE.
des Paroiffes du Doyenné de Montmorenci
, avec un détail circonftancié de leur
territoire , & le dénombrement de toutes
celles qui y font compriſes, enfemble quelques
remarques fur le temporel defdits
lieux . Le cinquième comprend la fin des
Paroiffes du Doyenné de Montmorenci ,
& le commencement de celles du Doyenné
de Chelle , avec le même détail. Le
fixiéme renferme la fuite du Doyenné de
Chelle , avec le détail du territoire ,
&c.
RECUEIL Périodique d'obfervations
de Médecine , Chirurgie, Pharmacie , & c.
par M. Vandermonde , Docteur- Régent
de la Faculté de Médecine de Paris. Artem
experientiafecit, exemplo monſtrate viam.
Marc . Marcil. Aftrom . lib. 1. v. 63 , 64.
Janvier 1756 , tom. 4. A Paris , chez Vincent
, tue S. Severin. Nous en parlerons
plus au long une autrefois .
LES TROYENNES & PHILOCTETE ,
tragédies de M. de Châteaubrun , de l'Académie
Françoife , fe vendent chez Bru
net , rue S. Jacques , vis-à-vis celle des
Mathurins , 1756. L'Auteur a dédié Philo-
&tete à S. A. S. Mgneur. le Duc d'Orléans.
FEVRIER. 1756. 131
SUPPLÉMENT aux Loix Civiles dans leur
ordre naturel , par Me Louis- François de
Jouy , Avocat au Parlement , à Paris
chez Knapen & chez Sangrain , Grand'-
Salle du Palais , 1756.
LETTRE A M. DE BOISSY ,
De l'Académie Françoife.
,
LA conformité de nom de M. Guis de
Marſeille , demeurant à Paris , & de M.
Guys Négociant à Marfeille , & Académicien
des Belles- Lettres de cette ville , vient
de produire une erreur , dont je vous prie,
Monfieur , de détromper le Public en inférant
cette lettre dans le Mercure. L'Auteur
de l'Année Littéraire , qui a l'attention
louable de faire connoître & de diftinguer
les gens , qui portant le même
nom , courent la carriere des Belles - Lettres
, a oublié fa pratique ordinaire dans
deux feuilles différentes. Ce défaut d'attention
de fa part dans l'occurrence préfente
, a fait attribuer au Négociant Académicien
les vers fur la naiffance de
Monfeigneur le Comte de Provence , &
fur le tremblement de terre arrivé à Lif
bonne , qui font imprimés dans les dernieres
feuilles du mois de Décembre de
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
l'année précédente . L'Auteur de ces vers
demeure depuis long-tems chez le refpectable
M. Titon du Tillet , dont les foins
s'étendent jufqu'à protéger & encourager
les talens. Il y a plus de vingt ans que ce
M. Guis eft connu par les pieces différentes
qu'il a fournies au Mercure. Il eft
d'ailleurs l'Auteur de la Tragédie de Terée
, d'une Comédie intitulée Abailard &
Heloïfe , d'un petit roman Turc , & de
plufieurs autres ouvrages , dont il eft inutile
ici de rappeller les titres. Quelque
avantage que M. Guys , Négociant , crût
pouvoir retirer dans cette occafion de la
reffemblance de fon nom avec celui du
Poëte , il n'a pourtant garde d'en profiter
pour partager une réputation & des
lauriers poétiques qui ne lui appartiennent
pas ; ce n'eft pas que le Négociant
n'ait fait des vers , mais c'étoit dans un
âge où il lui étoit permis d'en faire fon
amufement , & encore ne les a - t'il jamais
fait imprimer. Il eft attaché depuis longtems
à des objets plus férieux. Pendant un
affez long féjour qu'il a fait au Levant &
à Conftantinople , il a travaillé fur le com--
merce , & il a fait des recherches très-laborieufes
pour tâcher de faire connoître le
génie des anciens Grecs , en les comparant
avec les modernes. Aujourd'hui le com--
FEVRIER . 1756. 133
merce l'occupe entiérement , & je fçais
qu'il raffemble des matériaux pour former
un tableau de celui de Marſeille .
Dans le recueil de l'Académie des Belles-
Lettres de cette ville, imprimé l'année derniere
, on peut voir un difcours qu'il a
prononcé comme Directeur à l'affemblée
publique de cette Académie , fur l'utilité
du commerce pour les Lettres , & des
Lettres pour le commerce.
Voilà , Monfieur , les éclairciffemens
que je puis vous donner fur les deux Marfeillois
du même nom , afin que le Public
foit à portée de les diftinguer à l'avenir ,
& qu'il puiffe les reconnoître.
J'ai l'honneur d'être , & c.
LETTRE
D'un Profeffeur de l'Univerfité de Paris
à M. De Saintfoix
Vous avez écrit , Monfieur , dans la
premiere partie de vos Effais hiftoriques fu
Paris , pag. 117 , à l'occafion de la rue de
la Féronnerie. « Je n'entrerai pas dans
» des détails , & dans un amas de cir-
» conftances qui ne finiroient point , &
» que peu de perfonnes ignorent : Je dirai
134 MERCURE DE FRANCE.
» feulement ce que je penfe fur le carac-
» tere des deux fcélérats , dont les mains
»parricides s'armerent contre un de nos
meilleurs & de nos plus grands Rois.
»Jean Châtel , âgé de dix-huit à dix-neuf
ans , fils d'un riche Marchand , étudioit
» à l'Univerfité , &c. »
Permettez-moi , Monfieur , de vous re
préfenter que ces derniers mots contiennent
une erreur importante. Jean Châtel
n'étudioit point à l'Univerfité. Le lieu de
fes études eft fi connu & fi marqué dans
l'Hiftoire , qu'il femble bien étrange qu'un
auteur auffi inftruit & auffi exact que vous
ait pu l'ignorer , ou le confondre avec
l'Univerfité. A Dieu ne plaife que je juge,
par cet endroit , de l'exactitude du refte
de votre ouvrage !
Vous êtes , Monfieur , le premier Ecrivair.
qui foit tombé dans cette erreur ; &
elle eft fi notoire , qu'il y a peu d'appa
rence que vous puiffiez y en entraîner
d'autres : mais il n'en eft pas de même de
vos Lecteurs ; vous pourriez la conimuniquer
à un grand nombre d'entr'eux ; &
c'eft le motif qui m'engage à la relever.
L'amour de la vérité eût été fuffifant pour
m'y déterminer . Je fuis trop jaloux de ce
qu'un homme comme vous penfe & doit
penfer de l'Univerfité , pour ne pas cher
FEVRIER. 1756. 135
cher à vous en infpirer de juftes idées.
Ce fera pour moi une douce fatisfaction
que de pouvoir lui donner du moins cette
marque de mon zele , tandis que ceux
qui font à fa tête , s'occupent fi utilement
& fi glorieufement pour elle de foins plus
importans.
Je compte affez fur votre équité , Monfieur
, pour
croire que vous ne refuſerez
pas de contribuer, autant qu'il eft en vous ,
à réparer votre inadvertence. Le meilleur
moyen , & peut - être l'unique pour en détruire
& en arrêter entiérement les effets ,
feroit de l'avouer dans la troifiéme Partie
de vos Effais , fi , conformément à votre
promeffe & aux voeux du Public , vous
les continuez. Je vous demande cette juftice
avec la confiance d'un homme qui
croit devoir l'obtenir , & qui eſt aſſez fâché
d'avoir à vous la demander ; mais qui
ne fe pardonneroit pas plus long - temps
un filence , dont il pourroit avoir un jour
à partager le reproche , &c.
Le peu d'efpace où nous fommes reftraints
, ne nous permet pas d'inférer
cette lettre dans fon entier ; mais ce que
nous venons d'en tranfcrire , fuffit pour
mettre au fait le Lecteur qui peut-être y
eft déja , puifqu'elle eft publique. Nous
allons y joindre la réponse qui nous pa
136 MERCURE DE FRANCE.
roît avoir trois grands avantages , elle eft
courte , elle eft polie , & nous la croyons
fans réplique.
Réponse de M. de Saintfoix.
J'ai dit , Monfieur , que Jean Châtel
étudioit à l'Univerfité. Il m'eût paru peutêtre
moins indifférent de le dire , fi j'avois
été moins perfuadé de la vénération qu'a
& que doit avoir tout honnête homme ,
& tout citoyen pour un Corps fi célebre
depuis tant de fiecles . Dans la nouvelle
(1) Edition confidérablement augmentée ,
que l'on fait de mes Effais hiftoriques , j'ôterai
volontiers ces mots. Ce n'eft pas , Monfieur
, queje me fois trompé ; ayez la bonté
de lire les interrogatoires de ce fcélérat ,
( tom. 6. des Mémoires de Condé, pag. 160)
vous y verrez :
Interrogé de fon nom , furnom , âge ,
qualité & demeure .
A dit fe nommer Jean Châtel ,fils de Pierre
Châtel , Marchand Drapier , devant la
grande porte du Palais ; & de Deniſe Hazard
fa femme , qu'il est écolier étudiant à
l'Univerfité de Paris , & qu'il n'a autre
qualité.
(1) Elle paroîtra inceffamment avec la troifieme
& derniere partie,
FEVRIER. 1756. 137
Il n'y a pas de réponſe contre cette piece
authentique. Permettez - moi de vous
dire à préfent , Monfieur , qu'il me femble
qu'une perfonne qui critique avec autant
de politeffe que vous , & dont le motif
part fans doute d'un coeur très- eftimable
, auroit pu m'écrire un mot avant que
de faire imprimer fa lettre , & de la rendre
publique. Je crains que votre démarche
ne paroiffe une preuve bien complete ,
que trop de zele fait quelquefois commettre
des imprudences à l'homme même qui
a le plus d'efprit.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Saintfoix.
A Paris , ce 12 Janvier 1756.
RÉPONSE
De DomPelletier, Bénédictin & Curé de Senones
, à la Lettre qui lui a été adreffée dans
notrepremierMercure de Décembre 1755 .
J'ai lu , Monfieur , la Lettre que vous
m'avez fait l'honneur de m'adreffer dans
le Mercure de France , dans laquelle vous
me propofez vos regrets fur la forme Alphabétique
que j'ai donnée à notre Armorial
général de Lorraine. Votre bon
138 MERCURE DE FRANCE.
goût pour la Littérature vous a fait décider
en faveur de l'ordre Chronologique ,
& vous me confeillez de le fuivre ; c'eft
un effet de votre bonté dont je vous rends
graces ; mais outre que ce confeil eft venu
trop tard , je vois des difficultés dans l'exécution
.
Il eft vrai qu'on pouvoit fuivre l'ordre
Chronologique pour les familles ennoblies
, mais il n'en eft pas de même pour
les maifons de l'ancienne Chevalerie ; dès
que nous appellons Gentilshommes de
nom & d'armes , ceux dont l'origine eft £
ancienne que nous ne la connoiffons pas ,
dans quel fiecle les placer ? Il eft grand
nombre de Maifons très-anciennes qui font
éteintes , il en eft encore un plus grand de
celles dont les titres n'ont pu échapper à
la révolution des fiecles , tandis que des
Maifons moins anciennes & moins illuftres
ont confervé les leurs ; & parce que cellesci
ont de plus vieilles dates , & ont préfervé
de la pouffiere des mémoires domeftiques
, doivent- elles avoir la préférence
dans un ordre Chronologique ? Ce feroit
une injuftice contre laquelle on auroit
droit de fe récrier.
Sous quelle date pourroit on mettre
cinquante maifons dont les titres ne remontent
pas plus haut que le treizieme
FEVRIER . 1756. 139
fiecle , & plufieurs autres dont nous ne
trouvons aucun veftige avant le quatorziéme
? Un Gentilhomme de nom & d'armes
, que nous aurions fait naître au douziéme
fiecle , venant à recouvrer fes titres
qui reculent fes Auteurs au onzième , nous
fçauroit-il bon gré de lui avoir dérobé un
fiecle d'antiquité ?
Nous avons prévu & fenti toutes ces
difficultés en commençant notre Ouvrage ,
& nous avons cru que l'ordre Alphabétique
étoit le plus convenable & le moins fujet à
la critique. Je conviens qu'en ſuivant
l'ordre Chronologique , ceux qui n'ont
befoin que de quelques recherches ifolées ,
peuvent recourir à une table génerale &
alphabétique , mais combien de ces tables
font défectueufes , & citant mal , dans
quel embarras & quelle impatience ne
jettent- elles pas un Lecteur ? Cet inconvénient
ne fe rencontre pas dans un Dicrionnaire
, & je ne fuis pas furpris fi on
donne aujourd'hui dans ce goût.
Quant au Supplément dont vous parlez ;
il eft auffi facile que le refte de l'ouvrage
en le mettant en Dictionnaire ; je le crois
même plus facile que celui à faire après
un ordre Chronologique . Celui qui voudra
fe donner la peine de changer l'ordre
de notre Ouvrage , pourra bien y ajouter
140 MERCURE DE FRANCE.
par le moyen des titres dont il fera la découverte
, & qui ne nous ont pas été communiqués
: mais je ne pense pas qu'il doive
changer les dates que nous avons données ,
étant tirées du tréfor des Chartres & des
Nobiliaires les plus authentiques & les plus
vrais de la Province.
Je vois quelque différence entre la Bibliotheque
Lorraine de Dom Calmet &
notre Armorial ; dans celle- là on pouvoit
fuivre un ordre Chronologique pour faire
connoître les fiecles qui avoient produits
de grands hommes , & où les beaux Arts
avoient fleuri davantage. Mais dans celuici
, il importe peu de fçavoir combien un
fiecle a fait de Nobles plus qu'un autre. On
fçait que la facilité d'un Prince , & l'argent
ont donné naiffance à grand nombre
de Lettres d'ennobliffement dans plufieurs
fiecles , & l'ordre Chronologique ne donneroit
pas plus de relief à un ennobli par
Finance , du tems de René 1. qu'à un ennobli
par argent , par Charles IV.
J'ai l'honneur d'être , &c.
FEVRIER. 1756. 143
LETTRE
De M. de Chevrier , à Dom Pelletier , fur
le même Ouvrage.
J'ai lu , Monfieur , dans le premier volume
du Mercure de Décembre l'annonce
d'un Armorial de Lorraine dont vous êtes
l'Auteur. Cet Ouvrage qui manquoit à
notre Province eft digne d'un Citoyen qui
vit fans prétentions & qui éclaire fes compatriotes
fans orgueil. La Lettre qui fuit
l'annonce de votre foufcription , m'a paru
intéreffante par fon objet . Souffrez
j'ajoute aux Réflexions de l'Anonyme des
remarques utiles qui affermiront votre
gloire , parce qu'elles contribueront au
bien de l'Ouvrage , & à l'honneur de la
Patric,
$
que
Vous fçavez mieux que moi , Monfieur,
que tout Nobiliaire qui n'eft point hiftorique
, n'eft qu'une compilation Généalogique
qui fournit beaucoup de dates &
peu de faits ces fortes de productions
Téches par elles -mêmes , veulent être appuyées
fur des Mémoires intéreffans & inf.
tructifs tout-à-la fois : perfonne ne pouvoit
mieux que vous leur donner la forme que
142 MERCURE DE FRANCE.
j'ofe vous propofer, fuppofez qu'elle n'entrât
pas dans le plan de votre ouvrage que
le projet de foufcription nous laiffe défirer.
Un Nobiliaire ne peut être utile qu'il ne
foit hiftorique je connois tous ceux que.
nous avons en Lorraine . Dans le feizième
fiecle , & tandis que le Parlement de Nancy
tenoit encore fon fiege à Saint Mihiel
fous le titre des grands Jours , Charles
Bournon Confeiller de cette Cour Souveraine,
compofa un Nobiliaire de Lorraine
dans lequel il n'a inféré que des anecdotes
fingulieres , telles entr'autres que celle - ci...
Nicolas N *** ennobli fut en la Ville de Bar,
en 1544 , par le bon Duc Antoine y feant ,
pour avoir baillé à iceluy Prince, deux chiens
blancs de chaffe.
Claude Cachet Maître des Comptes , a
donné un Nobiliaire plus ample & plus
exact que celui de Bournon ,
, foit que l'ouvrage
de ce dernier dont on n'a que des
lambeaux, ne fût pas parvenu à la connoiffance
de Cachet , foit qu'il eût pensé que
de pareils motifs d'ennobliffement pouvoient
déplaire aux defcendans de N*** ,
il n'a rapporté aucunes des anecdotes qui
fe lifent dans le Nobiliaire de Bournon.
Quelques modernes ont voulu continuer
l'ouvrage de Cachet ; mais indépenFEVRIER.
1756. 143
damment de fon plan qu'ils ont fervilement
fuivi , ils ont fait les mêmes fautes
que ce Magiftrat , & l'on en trouve plus
J'une dans fon Ouvrage.
Le feul moyen , je le répete , de faire un
bon Nobiliaire , c'eft de le rapprocher de
l'Hiftoire ; cet objet eft aifé à remplir en
raine. Les Regnes des vingt- fept Ducs
qui ont gouverné cette Province par fucceffion
, n'ont rien d'obfcur , & j'ofe avancer
que depuis 1048 , tems auquel l'Empereur
Henri III donna l'inveftiture de
la Lorraine à Gerard d'Alface , jufqu'en
1737 , on ne trouvera pas une lacune
dans les événemens importans de la vie
de nos Souverains : tout eft lié , tout eft
fuivi , & par conféquent tout eft facile
à décrire . Joignez à la certitude de ces
époques le Regne glorieux du Monarque
que la Lorraine a le bonheur de pofféder
depuis près de dix-neuf ans , vous
ferez une Hiftoire exacte qui annoncera
le Maître bienfaifant & le fujet utile. Un
Nobiliaire qui ceffe d'être un Catalogue
alphabétique , doit renfermer un extrait
fuccinct de la vie du premier Souverain :
après ce préliminaire inftructif , on doit
placer par ordre Chronologique tous les
Citoyens que ce Prince a ennoblis , &
rapporter les caufes pour lefquelles ils
144 MERCURE DE FRANCE.
l'ont été ; ces anecdotes toujours glorieufes
impriment le refpect , excitent l'émulation,
& contribuent à l'avantage de l'Etat.
A l'égard des Maifons de l'ancienne
Chevalerie qu'on appelloit communément
les quatre grands Chevaux de Lorraine , on
pourroit unir leur Hiftoire à celle des Sor
verains , fous lefquels les defcendans de
ces Maifons diftinguées ont fervi : la même
marche s'obferveroit pour les anciens
Nobles dont l'origine fe perd dans les fiecles
les plus reculés. En fuivant ce Plan
méthodique , votre ouvrage n'auroit pas
la divifion que vous annoncez ; mais je
crois qu'il n'en feroit que plus utile.
Telles font , Monfieur , les Réflexions
que je foumets à votre examen ; elles font
d'un Citoyen qui ne refpire que l'amour
de fon Païs , & qui ne s'intéreffe qu'à la
gloire de ceux qui , comme vous , Monheur
, illuftrent leur Patrie & les Lettres.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Paris , le 6 Décembre 1755 .
ARTICLE
FEVRIER. 1756. 145
ARTICLE I I I.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
GRAMMAIRE.
OBSERVATIONS Grammaticales &
Ortographiques fur les différens fons de la
leure T , avec le moyen de les fixer ; par
M. de Montfort - Lautour , de la ville
d'Argentan.
LA lettre T produit un fon articulé &
naturel , lorfqu'elle eft fuivie de l'une des
cinq voyelles a , e , i , o , u , & forme par
ce moyen les fons fimples ta , te , ti , to
tu. Elle en fait de même lorfqu'elle eft .
fuivie d'une diphthongue comme dans
taon , tien , &c.
Il y a cependant un nombre confidérable
de mots , où la lettre T perd le fon
qui lui eft propre & naturel pour prendre
celui du C , ou de deux SS , comme
dans action , initié , primatie ; mots qui fe
prononcent comme s'ils étoient écrits
accion , iniffié , primacie.
G
146 MERCURE DE FRANCE.
On obfervera que ce changement de
fon ne fe fait que lorfque la lettre T eft
fuivie de la voyelle i ; mais cette exception
n'eft pas générale , puifque nous trouvons
d'autres mots , où le T , fuivi d'un i , conferve
fon articulation naturelle , comme
dans matiére , bénitier , galimatias , &c.
Cette différence de fons produits par la
même lettre , doit fans doute embarraſſer
un étranger qui veut apprendre la Langue
Françoife , en prononcer les mots , &
les écrire correctement. A qui aura- t'il
recours pour ſe tirer de fon incertitude ?
Jufqu'à préfent nos meilleurs Grammairiens
ne nous ont donné fur cela aucunes
regles pofitives qui puiffent détermi
ner & fixer notre prononciation . Un jeune
homme de quinze à feize ans , ou toute
autre perfonne qui n'a pas un ufage parfait
de la maniere de prononcer tous les
mots de la Langue Françoife , fe trouvera
tout d'un coup arrêté dans fa lecture :
s'il rencontre , par exemple , le mot primatie
, prononcera-t'il la derniere fyllabe par
tie , ou par cie ? Prononcera-t'il potion par
tion , ou par cion ? La raifon , jointe à la
regle générale , qui donne aux lettres un
fon propre & naturel comme ta , te , ti ,
to , tu , demanderoit qu'il prononçât tie
& tion ; cependant s'il le prononce ainſi ,
FEVRIER.
1756.
147
il fe trompera & parlera mal, puifque l'ufage
exige qu'on écrive
primatie & potion par
un T , & qu'on
prononce ces mots par un
C , primacie , pocion . Combien de fois n'aije
point entendu
prononcer
Ariftocratie
par tie , avec un T abfolu ,
quoique ce
mot doive fe
prononcer comme s'il étoit
écrit
Aristocracie ? Ne fe
trouve - t'on pas
tous les jours dans
l'incertitude de quelle
maniére on
prononcera les mots fuivans.
Eglantier , qui eft une plante
épineuſe :
Gothie ,
Province de Suede :
Antiade , qui
veut dire
amygdale : Scotie , qui eft un terme
d'Architecture :
Croatie , qui eft une
Province de
Hongrie : Antie , vieux mot
adjectif , qui
fignifioit ancien :
Acontias ,
nom d'un ferpent , & tant
d'autres mots ,
dont la
véritable
prononciation ne nous
eft pas familiére.
Nous
ofons
propofer un
moyen qui
nous
paroît
facile , c'eft de
mettre
fous le
T la
cedille que l'on met fous le C pour
lui
donner le fon de l'S
comme
dans ces
exemples, potion,
martiale ,
effentiel, &c. ;
à l'aide de cette
petite
marque , la
diftinction
des deux
fortes de T fera faite .
Cette
obfervation eft fi
naturelle , fi
fimple &
fi
néceffaire ,
qu'on doit être
furpris
que
l'ufage
n'en ait pas été établi , dès que la
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
Langue Françoiſe a commencé à prendre
une forme régulière.
MÉDAILLES.
Quelque recherche que puiffent faire
les curieux pour tirer du chaos de l'antiquité
des monumens que la diftance des
tems & la négligence des hommes ont
dérobés à nos connoiffances , un feul ne
fçauroit les voir tous par lui-même. Il
en eft de fi rares , qu'il eft moralement
impoffible qu'ils parviennent à la vue de
tout le monde. Il n'y a qu'un parti à prendre
; ou il faut douter de plufieurs , ou
il faut en croire la bonne-foi d'autrui.
Lés plus célébres Médailliftes ne font point
d'accord fur l'exiftence de certaines médailles
, ou de ce qui eft contenu fur leur
type. Le fçavant P. Jobert, Jefuite a avancé
dans fon livre intitulé La Science des
Médailles , que de toutes les Impératrices
il n'y a eu que IVLIA DOMNA , femme
de Septime Sévere , à qui on ait donné le
nom de PIA. Le célebre Auteur des remarques
fur ce même livre , le redreffe
fur cette aflertion : il cite plufieurs Princeffes
qui ont été honorées du même titre.
Parmi les Antiquaires , les uns rejetFEVRIER
. 1756. 149
tent cette critique comme dépourvue de
preuves , l'Auteur n'ayant pas indiqué les
cabinets où fe trouvent ces Médailles : les
autres l'adoptent & s'en tiennent à la bonne
- foi de M. l'Abatie qui l'a faite . Ils ont
raifon ; car outre celles qui peuvent fo
trouver ailleurs , on voit à Toulon entre
les mains du P. Moiette Minime , une
Fauftine la jeune , en argent , où on lit
autour de la tête , fans pouvoir ſe tromper
: DIVA FAUSTINA PIA . Au revers :
CONSECRATIO. Un bucher devant lequel
eft un paon. On peut delà raisonnablement
conclure , que les autres Médailles
rapportées par M. de l'Abatie exiftent
auffi , quoiqu'il nous ait laiffé ignorer
quels font les Cabinets qui poffedent ces
pieces rares.
PHYSIQUE.
Lettre à l'Auteur du Mercurefur le tremblement
de terre arrivé à Lisbonne , le premier
Novembre 1755 ; par M. l'Abbé
Montignot , Chanoine de Toul , Membre
de la Société Royale de Nancy.
L'Evénement
mémorable dont le
Royaume
de Portugal
vient d'être le théâtre , fait
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
frémir l'humanité; & vous n'avez point la
fans compaffion le détail d'un tremblement
de terre qui a fait périr tant d'hommes ,
& qui les a enfevelis fous les ruines d'une
ville très floriffante.
Liſbonne , capitale du Portugal , bâtie
fur les bords du Tage , à fon embouchure ,
fi propre, par l'avantage de fa fituation , au
commerce le plus floriffant , eft le centre
de ce tremblement ; elle eft le foyer de
cette explofion chimique ; elle en avoit
déja reffenti les terribles effets . Cet événement
tragique n'eft qu'une répétition de
ce qui étoit déja arrivé , il y a deux fiecles
, & prefque dans les mêmes circonftances.
Que s'enfuit- il de ces remarques
que je vais vous développer ? C'eft que le
Gouvernement de Portugal , inftruit par
deux exemples fi frappans , fera peut-être
contraint d'abandonner un port fi riche ,
& de pourvoir à la fureté de ſes ſujets , en
tranfportant la Capitale dans un lieu qui
foit moins expofé à de pareilles révolutions.
C'eft dans les hiftoires de Paul Jove
que vous pourrez prendre des éclairciffemens
, & y voir comme des préfages de
ce qui vient d'arriver. Nos arriere- neveux
ne parcourront - ils pas de même nos annales
› pour y comparer encore le tremFEVRIER.
1756. 15t
blement de terre qu'ils y effuyeront avec
celui dont nous avons été les témoins ? les
avertiffemens que la faine philofophie va
donner de toutes parts à ce Royaume , ne
ferviront peut- être de rien pour la fureté
des fiecles à venir. Les hommes tiennent
trop à leur climat , à leur patrie , à leur
lieu natal , & plus encore à leur intérêt ,
pour qu'on puiffe efperer qu'ils ouvrent
les yeux , & qu'ils fe tranfplantent. Raifonnez
, tant qu'il vous plaira , fur l'intervalle
immenfe qui fépare l'homme des
êtres infenfibles , ces réflexions vraies &
certaines ne contrédifent cependant pas
ce que j'avance , à fçavoir que les hommes
tiennent prefque autant au fol qui les porte
, & qui les nourrit que les plantes pri
vées du mouvement progreffif.
En vain l'Etat & le Roi qui le gouverne
fi fagement , encourageront- ils les hommes
effrayés à changer de demeure. Prenons-
nous affez d'intérêt au bonheur des
fiecles futurs pour facrifier un bien préfent
à un mal éloigné , & qui perd une
partie de fa réalité par l'éloignement dans
lequel on fe le repréſente ?
Quoique ces terribles pronoſtics ne doivent
peut-être pas fervir au bonheur des
hommes , la philofophie qui eft de tous
les lieux & de tous les âges , ne doit né- 2
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
gliger aucune occafion pour les exciter à
leur confervation ; & comment y réuffirat'elle
ici , fi ce n'eft en avertiffant que
Lifbonne court les mêmes rifques pour
l'avenir ?
Vous fçavez , Monfieur , quel fut le fignal
du tremblement ; je le remets fous
vos yeux , afin que la comparaifon que
vous en ferez avec celui de 1532 , vous
devienne plus fenfible. Il étoit neuf heures
du matin, le premierNovembre de cette année
1755 , lorfque tout- à- coup on entendit
un grand bruit femblable à un coup de
tonnerre. Il fut accompagné d'une fecouffe
violente , de rédoublemens , de grandes
crevaffes & ouvertures de terre , d'une
crue d'eau extraordinaire. Le Tage s'enfla
prefque foudainement , les vagues de la
mer furent pouffées au loin hors de fon
rivage ; les bâtimens , les édifices publics ,
les maiſons ont été renversées ; plufieurs
ont été englouties , & plus de la moitié
de Lisbonne n'eft qu'un trifte amas de pierres.
Voilà pour la Capitale.
Les villes peu diftantes de Liſbonne ont
autant fouffert. Setubal n'eft plus. Santaren
bâtie fur le rivage droit du Tage , à
quelques lieues au deffus de Lifbonne , a
éprouvé un malheur femblable. L'inondation
a détruit ce que le tremblement avoit
FEVRIER. 1755.
153
épargné.
J'oubliois de vous dire que
le feu s'étoit joint au
tremblement à Lifbonne
, & que l'incendie y avoit fait autant
de ravage que les fecouffes , enforte
que fes habitans peuvent dire avec vérité :
Tranfivimus per ignem & aquam ; ( 1 ) mais
cet incendie n'eft furvenu au
tremblement
que par occafion. Il aura fans doute pris
fa caufe dans les débris des maifons qui
feront tombés fur les feux..
1 Les fecouffes fe font fait fentir dans
tout le Royaume de Portugal , & dans la
plupart des villes
d'Efpagne : on marque
qu'elles ont été violentes , furtout à Séville
, dont la belle tour a
beaucoup fouffert
, & à Cadix. Ces villes font éloignées
de Lisbonne de foixante - dix lieues envi--
ron. Cette derniere a été prefque inondée
par un coup de mer qui lança contre fes
murs une vague d'une hauteur extraordinaire
;
heureuſement elle ſe brifa , & la
.mer rentra dans fon lit , pour ne le paffer
qu'une feule fois l'après - midi , où elle em--
porta une chauffée .
Je
m'écarterois trop de mon fujet, Monfieur
, en vous
parlant de ce
mouvement
des eaux de la mer , & en le
comparant
avec les
paroles de Job ( 2 ) : Huc ufque
(1 ) Pfal. 65. (2) Job. 38.
G
+
154 MERCURE DE FRANCE.
venies, & ibi confringes tumentes fluctus tuos.
Il eft certain d'une part que la mer a fouvent
pallé fes bords , & la Hollande ne le
fçait que trop. Le Golphe qui fépare Groningue
d'Embdem , eft une irruption de
la mer qui s'eft faite il n'y a guere plus
de deux cens ans. Je vous renvoie aux
Commentateurs , fi vous êtes curieux de
concilier les faits avec l'ordre donné par
Dieu à la mer.
Toute la côte de l'Océan a reffenti en
même tems cette fecouffe du premier Novembre.
Depuis Cadix jufqu'à Hambourg
fur la mer de Hollande , les nouvelles font
mention de Coïmbre , Bilbao , Bayonne ,
Angoulême , de quelques villes de Hollande
, de Hambourg. Je vous nomme les
principales pour que vous fuiviez fur la
carte la ligne du tremblement . Les côtes
de la Méditerranée ont été agitées , & furtout
Carthagene , Valence , &c.
Finiffons ce détail par l'inondation des
fleuves qui fe déchargent dans l'Océan.
On eft affuré du gonflement du Guadalquivir
, du Tage, du Douro, de la Garonne
, & du Wefel.
Il eft tems à préfent , Monfieur , de rapprocher
fous vos yeux les traits de comparaifon
des tremblemens de terre de Lif
bonne , de Janvier 1532 , & de NovemFEVRIER.
1756. 155
bre 1755. Les réflexions naîtront enfuite
les unes des autres .
Le tremblement de 1532 , dont l'Evêque
de Côme nous marque les particularités
au vingt-neuviéme livre des hiftoires
de fon tems , ne fut ni auffi violent ni
auffi univerfel que celui que vous venez
de lire. Paul Jove ne parle que du Portugal
. Il eft vrai qu'il fait mention d'une
irruption violente , des eaux de la mer
dont Harlem & l'Eclufe , villes de Hollande
, furent fubmergées ; mais outre que
cette irruption précéda de deux mois , elle
ne fut pas accompagnée de tremblement ;
& fi l'inondarion fut l'effet d'une explofion
, ce qui eft vraiſemblable , cette explofion
fe fit dans la mer.
Cependant le tremblement de 1532 fe
fit au même lieu qu'aujourd'hui . Liſbonne
en fut alors le centre & le foyer. L'Auteur
remarque que ce fut dans cette ville furtout
qu'il eut de fâcheufes fuites . La mer
ne fe feroit- elle pas creufé fous cette ville
de profondes cavernes , qui feront devenues
comme la miniere & le lieu de l'amas
des matieres bitumineufes & inflammables
qui font la bafe de l'exploſion ?
Vous avez vu , Monfieur , que les eaux
du Tage groffirent fi confidérablement le
premier Novembre , qu'elles étoient éle-
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
•
vées à la hauteur de dix pieds au deffus de
leur lit à Tolede. La caufe en eft fenfible.
Les vagues de la mer pouffées avec violence
faifoient réfiftance à l'écoulement des
eaux du Tage , fe font mêlées avec elles ,
les ont fait refluer , & c'eft là ce qui a caufé
l'inondation de Sétubal & de Santaren.
Or l'inondation de 1532 fut égale à celle-
ci. Les expreffions énergiques de Paul
Jove n'en laiffent pas douter , quoiqu'il
ait négligé cette précifion géométrique fi
néceffaire dans les phénomenes de la nature
, pour mieux tracer le tableau frappant
qu'il nous en donne. Vous comprenez
, Monfieur , l'étroite liaifon qui fe
rencontre entre une inondation & un tremblement
; elle est néceffaire quand le tremblement
arrive fur une côte , parce qu'il
agit toujours fous les eaux de la mer par
des éruptions de l'air qui fait bouillonner
& élever fes eaux.
Jove parle de deux autres villes qui fu
rent fécouées avec Lifbonne . L'une de ces
villes eft Santaren , la même dont je vous
difois plus haut , qu'elle étoit détruite.
Voici un dernier trait de reffemblance ,
qui à la vérité ne répand aucune lumiere
fur ces deux tremblemens , mais elle n'en
eft pas moins touchante , puifqu'elle nous
montre les foins de la providence fur les
FEVRIER. 1756. 1ST
perfonnes facrées des Rois . Jean III qui
étoit fur le trône du Portugal en 1532 ,
n'étoit pas alors à Lifbonne : il fut contraint
de camper plufieurs jours , & le péril
étoit fi grand & fi prochain qu'il n'ofoit
coucher dans le même endroit où il
avoit paffé la journée. Ne vous femble-t'il
pas voir la Cour à Belem , & le Roi expofé
au milieu de la campagne , n'ayant pour
tout logis que fon carroffe :Voici le paffage
de Paul Jove .
Nec multò poft fequenti menfe Januario
par propè exiii clades Lufitanis ( 1 ) in ipfis
procul vifceribus terra , furente debacchanreque
Eolo illata eft , cujus impetu Ulyffipo
( Liſbonne ) imprimis
incomparabile detrimentum
fenfit , & poft eam Coloniam
fanctæ Avennæ & Azemburga Almerinique
urbium publica privataque adificia, inufitato
terra motu, conquaffata profciffaque , magnam
vim mortalium ruinis oppreffère. Et nonnulla
etiam navigia turbulento inflati maris
hiatu abforpta funt. fic ut Tagus infanis
allidentis maris fluctibus repulfus , difcedenribufque
in utramque ripam fuis undis , ficca
in medio unda , obftupentibus cunctis oftenderet
, nemoque jam totâ propè Lufitania
tellis fuis confideret fubfultante fcilicet folo ,
,
… ( 1 ) Jov. Hift. 29. ad finem anni 1532.
ISS MERCURE DE FRANCE. s
ideoque non ciò defituram terra motus vim
ita pramonftrante , ut Regis Regina exemplum
fecuti univerfi fere incola , tabernacula
apertis in locis Caftrenfi more
repentinum terræ hiatum quo abforberi poffent
, non temerè extimefcendum arbitrarentur
.
›
cùm
Ne femble -t'il pas , Monfieur , qu'on
lit ce qui vient d'arriver en Portugal ? &
manque-t'il aucun trait au tableau pour
repréſenter les malheurs de ce Royaume ?
Je le répéte donc ; cette exploſion n'eſt
qu'un fecond amas de bitume , de foufre
, & d'autres matieres inflammables ,
que les eaux de la mer y ont apporté , ou
qu'elles y ont mis en action ; il a fallu
deux fiecles entiers pour que la matiere
de cette fermentation chimique s'y amaffât
en quantité fuffifante , pour que les
principes inflammables s'y perfectionnaffent
, & y acquiffent le dégré propre à une
déflagration .
L'air , comme vous fçavez , eft l'agent
le plus efficace & le plus terrible , furtout
quand il ne trouve aucune iffue dans
le moment qu'il brife les cellules dans
lefquelles il étoit comprimé , & qu'il fe
reftitue avec toute fa force élaftique pour
fe mettre en équilibre avec l'air ambiant.
L'art humain ne fçauroit parer à ces foμ-
FEVRIER. 1756.
159
dres menaçantes. Il ne peut éventer des
mines fi profondément creufées fous terre,
& d'une étendue fi grande. Le feul remede
que la philofophie a obfervé , mais qu'elle
ne fçauroit fournir , c'eft l'éruption d'un
volcan ou d'une bouche ouverte qui exhalant
par des canaux l'air qui fort par détonation
avec les matieres bitumineufes
empêche qu'il n'exerce toute fa force élaftique
contre la furface de la terre ; de la
même maniere que la poudre à canon agit
dans une mine fous un baftion , affoiblit
cet effort multiplié qui agite les fondemens
des édifices , fe fait des crevaſſes , s'ouvre
des abîmes qui ont englouti la moitié de
Liſbonne.
On s'accoutume trop
aifément à regarder
les volcans comme des phénomenes
terribles. Si l'on envifageoit en philofophe
l'utilité de ces feux fouterreins qui s'exhalent
, le volcan ne feroit plus qu'un
garant fûr qui préferve les lieux où il fe
trouve des malheurs que Lifbonne vient
d'éprouver Si le Mont Véfuve ne vomiffoit
fon bitume , & fa lave par des périodes
réglées , il y a long - tems que le Royaume
de Naples ne feroit plus.
Ce n'eft qu'avec peine , Monfieur , que
je vous fais part de ces triftes penfées ;
vous fçavez qu'il eft défagréable à un Phi160
MERCURE DE FRANCE.
lofophe de s'avancer jufqu'à faire le prophéte
, furtout pour annoncer des événemens
funeftes ; mais après tout , ces caufes
phyfiques ne nous ramenent- elles pas naturellement
à ces pronoftics , & ne les
touchons- nous pas au doigt ? Le tremblement
de terre de 1532 n'eft-il pas le même
que celui d'aujourd'hui ? n'a- t'il pas le
même foyer & le même centre fous Lif
bonne ? La mer qui fut repouffée par l'explofion
fouterreine de l'air , par la partie à
laquelle ces cavernes communiquent avec
elle , la mer , dis- je , n'a - t'elle pas reſſenti
pareillement le mois dernier un gonflement
& une agitation pareille ? & pouvezvous
attribuer les coups des vagues qui
paffent leurs rivages , qui fe portent avant
dans les terres par l'embouchure des fleuves
, pouvez-vous les attribuer à d'autres
caufes qu'à cette communication de l'air
dilaté par l'explofion , à ces caux de la
mer ? La détonation , le bruit du tonnerre
accompagné du tremblement des terres
des agitations de la mer , du gonflement
des fleuves , n'en eft- il pas un indice trop
certain ? La mer donc effuie de fon côté.
une agitation en même tems que les ter
res s'ébranlent ; c'eft la même caufe , mais.
elle agit différemment fur les corps d'une
nature différente , l'eau réfifte à l'action
FEVRIE R. 1756 . 161
de l'air , felon les regles que fuivent les
corps fluides dans leur choc. Vous voyez
encore , Monfieur , pourquoi les vaiffeaux
font engloutis dans les bourrafques violentes
; l'air qui s'échappe à travers les eaux ,
leur communique un mouvement violent
de tourbillon qui creufe l'abîme jufques
dans les fondemens. C'eft une efpece de
trombe de mer , dont la colonne eft placée
dans l'épaiffeur des couches de la mer.
C'est la caufe de ce que remarque Paul Jove
: ( 1 ) Et non nulla etiam navigia , turbu
lento inflati maris hiatu , abforpta funt . Nous
apprendrons peut- être qu'un pareil malheur
a précipité au fond des mers quelques
vailleaux qui étoient dans le voilinage
de Lisbonne,
Quant à l'étendue des lieux où le tremblement
s'eft fait fentir , c'eft un point
difficile à faifir & à comprendre. Ce n'eft
point par la communication des terres
précisément qu'il s'eft propagé : car fi ce
tremblement s'étoit communiqué par ondulation,
à peu près comme l'agitation des
eaux , ou comme le fon par une propagation
fucceffive qui s'affoiblit en s'éloignant
du centre du mouvement , pourquoi des
villes très éloignées de Lisbonne auroientelles
reffenti le tremblement , tandis que
(1) Ibid.
162 MERCURE DE FRANCE.
les lieux intermédiaires & beaucoup plus
près auroient été préfervés D'ailleurs ,
Milan a reçu plufieurs fecouffes. Hambourg
les a reffenties : Comment des terres
féparées par des eſpaces auffi vaftes auroient-
elles participé à ce mouvement par
communication ? on pourroit dire encore
que la matiere inflammable amaffée fous
ces lieux avoit fermenté , & détonné au
même moment. Il eft certain que les villes
n'ont pu être fécouées fans une caufe phyfique
préfente , & prefque immédiate qui
leur imprimât le mouvement fubit : mais
il ne fuffit pas pour l'intelligence de ce
phénomene de reconnoître une déflagration
momentanée ; car il feroit extraordinaire
qu'elle fe fût faite précisément à la
même heure ; & il eft néceffaire d'ajouter
que les lits de matiere bitumineufe fe
communiquent les uns aux autres par des
- fentes & des cavernes de même que les
mines qu'on fait jouer en même tems .
L'inflammation a été fi forte , fi confidérable
, fi univerfelle à Liſbonne , que les
foufres ambians ont participé à fa déflagration
; qu'elle s'eft communiquée avec
la même rapidité que des matieres graffes
& inflammables s'allument , & que l'incendie
fouterrein s'eft répandu à la ronde
par des canaux fouterreins ; qu'il a
-
FEVRIER . 1756. 163
fait des ravages à proportion de la matiere
enflammée , de la compreffion de l'air ,
de la proximité de cette mine , de la furface
des terres , & de la réfiftance de ces
terres à la dilatation de l'air.
Si l'on infifte jufqu'à exiger des preu
ves fenfibles & palpables de la communi.
cation de ces matieres, il eft évident qu'on
eft déraisonnable d'attendre pour s'en convaincre
qu'on l'apperçoive des yeux · les
faits font certains , cela fuffit. D'ailleurs ,
on fçait que les mines font répandues
prefque partout ; par conféquent , que le
foufre qui fait comme la bafe du phlogiftique
, eft diftribué par veines dans les
couches terreufes on a déja pouffé loin
les connoiffances de cette philofophie fouterreine.
Voyez , Monfieur , dans les Mémoires
de l'Académie, une carte des mines
pour la France.
J'ai l'honneur d'être , &c.
A Toul , le 11 Décembre 1755.
HISTOIRE NATURELLE.
Anecdocte finguliere d'Hiftoire naturelle.
SII les Tourterelles font de tous tems en
poffeffion d'être citées pour le modele de
164 MERCURE DE FRANCE.
la fidélité conjugale , ces volatiles ont ce
pendant des rivaux parmi des animaux
qu'on ne foupçonneroit guere d'une tendreffe
auffi délicate , je veux parler des
habitans des eaux. Le Lecteur trop preffé
eft peut-être déja tenté de prendre ce début
pour une fable ; mais ce n'eft pas là le premier
malheur de cette efpece que la vérité
a eu à effuyer. Je commence mon récit.
Une Lionne & un Lion marin font venus
s'échouer fur la côte de Bretagne dans l'anfe
du Poulinguen à l'embouchure de laLoire.
Il arrive affez fouvent que des Poiffons
d'un autre climat s'échouent fur des côtes
étrangeres,foit qu'une violente tempête les
y ait portés malgré eux , ou bien qu'ils fe
foyent obftinés à fuivre des vaiffeaux pour
profiter de ce qu'on jette à la mer. Les Requins
que l'on trouve à l'Amerique viennent
originairement de la côte de Guinée ,
en fuivant les navires qui tranfportent les
negres.
Mais je reviens à ma Lionne marine
échouée fur le fable. Lorfqu'on vouloit en
approcher , elle ouvroit une gueule armée
de dents plus blanches que la neige ; mais
comme elle avoit les reins fort roides , on
trouva le moyen de la faifir par derriere ,
on la tranfporta delà au Croific qui n'en
eft qu'à deux lieues. On la mit dans une
སྙ་
FEVRIER. 1756. 165
auge de bois remplie d'eau de mer que
l'on avoit foin de
renouveller à chaque
marée. On lui fourniffoit du poiffon , non
pas fuivant fon appétit , car elle eût feule
plus coûté à nourrir qu'une Communauté.
M. le Duc d'Eguillon & toute fa fuite lui
rendirent vifite au mois d'Août dernier en
paffant au Croific.
Pendant ce tems - là que faifoit le Lion
marin égaré dans l'Océan ? il fe promenoit
le long de la côte , & pendant la nuit il
faifoit retentir l'air de fes gémiffemens ;
ils étoient femblables aux ' hurlemens d'un
chien égaré. Pendant plus d'un mois il
refta conftamment autour de l'endroit où
fa fidele compagne lui avoit été ravie : il
avoit l'audace de s'avancer dans l'efperance
de la trouver , jufques dans des foffés d'eau
falée , c'étoit s'expofer à un péril inévitable
pour un auffi
un auffi gros animal. Il eft enfin
mort du regret de l'avoir perdue,
Remarques fur fa conftruction .
Les poiffons amphibies refpirent l'air ,
& peuvent vivre un certain tems hors de
l'eau . Le Lion marin femble être compofé
de la tête d'un Dogue , dont il imite le
hurlement , & du corps d'un poiffon. Il a
deux pattes en devant qui lui fervent à ſe
166 MERCURE DE FRANCE:
traîner lorsqu'il eft à terre . Il eft couvert
d'un poil fort ras de couleur grife . Il avoit
environ cinq pieds de long. Theliamed
dans fon fyftême plus que fingulier , nous
affurera que c'eft un poiffon qui commence
à s'humaniſer , mais perfonne ne le croira.
Si la nature peut quelquefois trahir
fon fecret à force de varier fes ouvrages ,
peut-être trouverons nous dans cet animal
quelque chofe de curieux fur la refpiration.
Du moins la ftructure de fes poumons
, femble - t'elle propre à extraire de
l'air ( ce magafin univerfel ) des molécules
, d'une figure différente de celles qui
font féparées par ceux des quadrupedes ;
ces fecrétions de l'air , qui fans doute font
auffi différentes en elles- mêmes que les inftrumens
de la refpiration ont de ſtructures
différentes , prouvent la varieté infinie
de la nature dans une chofe qui nous paroît
être la même ; j'efpere dans quelque
tems d'ici communiquer au Public les obfervations
que j'ai faites fur cette matiere. ·
y a environ quatre ans que M. de Buffon
fembloit approuver mes premieres
vues fur le méchanifme de la refpiration ,
dans une réponse à une de mes Lettres . Un
homme qui fçait fi bien voir la nature ,
n'encourage pas peu celui qu'il approuve.
Puifque nous fommes à parler de l'air , je
Il
FEVRIER.
1756.
167
veux dire un mot de celui du Croific , qui
eſt d'une activité qui
contribue à rendre
le fang & les autres humeurs
extrêmement
fluides. L'on ne
connoît dans ce petit
canton , ni les
obftructions , ni les maux
de tête , les
maladies de
langueur n'y font
pas plus connues : fa fituation fert à expliquer
la caufe
Phyfique de cette proprieté
.
Premierement , il eft prefque tout
entouré de la mer , fi vous ajoutez à cela
que toute la campagne eft en partie couverte
de gros tas de fel. L'air chargé des
particules falines & nitreufes qu'il détache,
de ces amas de fel & de la furface de la mer
augmente la proprieté qu'il a de raréfier
le fang qui eft porté aux
poumons ; il devient
un
diffolvant bien plus actif , que
l'air épais des Villes qui font fituées au
milieu des terres. Il est un bon remede
pour ces mélancolies
caufées
fement des
liqueurs. J'en ai fait l'expé- par l'épaifif
rience avec fuccès , je
l'enfeigne au Public
avec
défintereffement &
j'efpere qu'on
m'en croira , car je ne fuis pas Médecin.
J'ai
l'honneur d'être , &c.
3
Au Croific , ce 22
Décembre , 1755 .
DE
VILLENEUVE
168 MERCURE DE FRANCE.
MÉDECINE.
Mémoire par M. Fournier , Médecin de
l'Hôtel- Dieu de Montpellier.
L'Héméralopie
, qu'on rend fort bien en
Latin , par vifus diurnus ; & en François
par vue de jour , eft une maladie trèsrare
& fi peu connue , que j'ai été obligé
de me former moi - même le plan de fon
traitement , lorfque ces Héméralopes font
venus à l'Hôtel -Dieu. Ils ont commencé
à s'y préfenter vers la fin du mois de Janvier
de cette année ; ils étoient au nombre
de trois , & foldats du Régiment de
Briqueville ; je ne les vis qu'à la vifite du
foir. Après les avoir examinés , fans penfer
à leur Héméralopie , je leur trouvai la
fievre , une grande douleur de tête , la
langue chargée , la bouche mauvaiſe , l'eftomac
plein , tourmenté d'inquiétudes ,
avec des envies de vomir . J'allois d'abord
fuivre ces indications , lorfqu'ils ajouterent
que ce n'étoit pas là tout , qu'ils
avoient à fe plaindre d'autres accidens ,
qui les empêchoient de faire leur ſervice ,
qu'il n'y avoit point de lumiere ni d'objets
pour eux le matin & le foir , & qu'ils
ne
FEVRIER . 1756. 169
ne les appercevoient qu'aux grands rayons
du foleil , encore même avec quelque confuſion
, & d'une maniere peu diftincte . Je
revenois à peine de la furpriſe où m'avoit
jetté cette dépofition , que je les fis fucceffivement
approcher d'une grande fenêtre
de la falle , pour voir fi je ne pourrois
pas découvrir quelque vice dans les portions
du globe de l'oeil qui peuvent être
à portée de l'examen ; mais je n'apperçus
rien à quoi l'on pût raifonnablement imputer
ce phénomène. Voici ce que j'obfervai
, 1 ° . Que les yeux des malades étoient
bleus. 2°. Que la portion antérieure de
l'oeil étoit un peu chargée d'humidités.
3°. Que la cornée n'avoit rien perdu de fa
transparence , & qu'elle étoit partout dans
fon état naturel. 4°. Que l'humeur aqueufe
étoit limpide , comme elle doit l'être ,
& qu'elle ne donnoit au globe que l'extenfion
qu'il doit avoir , fans le faire excéder
en aucun point. 5 °. Que la pupille étoit
plus dilatée. Je remarquai au refte qu'elle
fe refferroit & fe dilatoit fenfiblement ;
mais je trouvai pourtant que fes mouvemens
de dilatation & de contraction
s'exécutoient plus lentement , & d'une
maniere moins rapide. 6 ° . Que l'iris étoit
dans fon état ordinaire , & n'avoit rien
de changé dans fa couleur. 7 ° . Enfin , que
}
*
H
170 MERCURE DE FRANCE.
le cryftallin avoit exactement fa tranſparence
, & la figure qu'il doit avoir.
Toutes ces confidérations une fois combinées
, me firent très-fûrement juger que
la caufe de l'hemeralopie de ces Soldats ne
réfidoit point dans les parties antérieures
de l'oeil , & qu'il falloit néceffairement
pour la trouver , s'adreffer aux parties poftérieures
qu'on ne sçauroit voir.
Entre ces dernieres , je compris fort bien
que le corps vitré donnant paffage aux
rayons de la lumiere, quand elle étoit affez
forte pour produire fes impreffions , ne
pouvoit être vive de maniere à l'occafionner.
Mes foupçons fe tournerent donc &
tomberent tous fur la rétine , & c'eſt à
cette membrane que je m'arrêtai pour y
fixer la caufe de la maladie que j'avois à
combattre , ne croyant pas comme certain
que la vifion fe faffe fur la choroide.
Je crus en conféquence que les fibres
de la rétine devoient être embarraffées d'une
lymphe trop groffiere qui y circuloit
avec peine ou avec trop de lenteur ;'ou bien
qu'elles étoient relâchées par des férofités
qui devoient avoir diminué leur tenfion ,
leur reffort , & les avoient rendues par- là
moins fufceptibles de l'impreffion qu'y excitent
les rayons vifuels.
C'eft à cette derniere idée que je m'arFEVRIE
R. 1756. 171
rêtai pour faire faigner ces malades du
bras , & prenant en confidération les autres
indications , je leur fis donner l'émétique
& appliquer un véficatoire au derrière
de chaque oreille .
Je trouvai le lendemain à la vifite du
matin ces Soldats beaucoup mieux à tous
égards ; ils m'affurerent qu'ils commençoient
à voir les objets , ce qui ne leur
étoit point arrivé depuis leur maladie ;
l'émétique avoit très- bien réuffi , & les
véficatoires avoient fait couler une quantité
furprenante de férofités .
Cependant la tête fe trouvoit encore
lourde & embarraffée ; l'eftomac étoit
moins chargé , mais on y fentoit encore
un poids , & les envies de vomir n'étoient
point entiérement diffipées , quoiqu'elles
fuffent moins fortes & moins fréquentes ,
les indications fe trouvant par- là dirigées
du côté du dégagement de la tête & de
l'eftomac. J'infiftai fur les premiers moyens
qui avoient été employés avec tant de fuccès
, & je revins à une faignée au pied &
à l'émétique , faifant foutenir conftamment
le véficatoire aux deux oreilles.
Cette derniere tentative emporta les autres
accidens & le refte des embarras qu'il
pouvoit y avoir dans la tête ; ces trois
Soldats me protefterent qu'ils voyoient
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
•
auffi parfaitement qu'ils euffent jamais vu
de leur vie ; on abandonna alors les véficatoires
, & ils partirent quelques jours
après très -bien portans pour le rendre à
leur quartier. A peine y furent- ils arrivés
qu'ils publierent leur guérifon , ce qui engagea
d'autres hemeralopes à fe rendre
dans notre Hôpital ; il en vint tout à coup
huit dans le même état que les premiers ,
& qui ne pouvoient faire aucun fervice.
On s'étoit trop bien trouvé de la méthode
dont on s'étoit fervi avec les autres
pour ne pas y revenir dans les mêmes circonftances
; on en fit donc encore ufage
avec les modifications convenables à leur
tempérament & aux autres accidens qui
fe trouvoient joints à leur hemeralopie ,
& on eut avec eux le même fuccès qu'on
avoit eu avec les autres : depuis ce moment
les hemeralopes fe font fuccédés à
l'Hôpital ; ils y ont été tous traités & gué
ris de même , au nombre de plus de foixante-
dix , qui font venus des Régimens
de Briqueville , Flandres , Hainaut , Trainel
, Royal , Navarre ; mais les Régimens
de Briqueville , d'Hainaut & de Trainel ,
font ceux qui en ont le plus envoyés.
Un accident arrivé à un Soldat de ce
premier Régiment a beaucoup contribué à
me confirmer dans l'idée où j'étais que la
FEVRIER . 1756 . 173
i
caufe antécédente de cette maladie étoit
dépendante d'une tranfpiration repercutée
par les grands froids , la neige , les vents.
& les brouillards ; ce Soldat ayant été
gueri de fon hemeralopie comme les autres
, fut rejoindre fa Compagnie cantonnée
fur les bords du Gardon ; comme il
étoit parfaitement rétabli il ne s'occupa
pas beaucoup des ménagemens qu'on doit
obferver dans toutes les convalefcences ›
& furtout dans celles qui intéreffent un
organe auffi délicat que celui de la vûe ; il
fit differens excès , & en jouant avec fes
camarades , il eut fi chaud , qu'il jetta ſon
chapeau & quitta fon habit pour être plus
à fon aife , quoiqu'il fit affez froid &
beaucoup de vent ; mais il fut bien furpris
quelques momens après , de ne voir
que foiblement les objets , & enfin de ne
les plus voir du tout . Allarmé au- delà de
tout ce qu'on peut dire , il fe rendit à Nif.
mes , ville la plus prochaine , où l'on décida
que tout étoit confommé pour lui ,
qu'il avoit les deux yeux cataractés ,
qu'il n'y avoit plus d'autre moyen de changer
fon état , que celui de l'opération toujours
douteufe , & très- certainement bien
éloignée des momens où on lui défignoit
ce fecours : ce langage affligeant porta dans
le coeur de ce jeune homme le coup le plus
&
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
fenfible , mais il ne fe découragea pas entiérement
; il fe hâta de partir pour notre
Hôpital;j'examinai fes yeux avec beaucoup
d'attention, & n'ayant rien trouvé de changé
dans les cryftallins, je compris qu'il avoit
été allarmé mal -à- propos , par des gens
qui n'avoient pas connu fon état , que
je regardai comme un retour de fa premiere
hemeralopie , plus forte à la vérité ,
& pouffée plus loin que dans la premiere
circonftance , mais dans le cas pourtant
d'être emportée par les mêmes reffſources
qui avoient été déja employées : le fuccès
répondit à nos efpérances ; le jeune homme
fortit quelques jours après bien portant,
jouiffant de tous les avantages de la lumiere
, & alla joindre avec bien de la joye
fon Régiment.
A Montpellier ce 12 Juin 1755.
CHIRURGIE.
LETTRE de M. Vacher , fils aîné
Maître- ès- Arts , étudiant en l'une &
l'autre Médecine , & Chirurgien à l' Hôpital
Militaire de Befançon , au Frere
Côme.
Monfieur , l'utilité de votre Lithotome
caché dans l'opération de la taille , eft fi
FEVRIER. 1756. 175
bien reconnue , que je ne crois pas qu'il
vous reste encore quelque contradicteur.
Les lettres qui vous ont été adreffées de toutes
parts, & qu'on vous adreffe encore dans
les Journaux & autres Ecrits , & le grand
nombre de perfonnes qui vous doivent leur
guérifon , ne laiffent plus aucun doute fur
le mérite de cet inftrument. Mais permettez-
moi la fatisfaction d'ajouter encore à
ces titres les expériences heureufes que
j'en ai faites moi- même dans trois opérations
, après l'avoir vu employer par mon
pere avec fuccès , & m'être exercé auparavant
fur plufieurs cadavres. Mon fuffrage
n'eft peut-être pas d'un poids bien confiderable
, mais j'aurai du moins l'avantage
de vous prouver mon eftime & ma
vénération .
J'ai fait la premiere opération le 8 du
mois d'Octobre de l'année précédente für
un enfant à la vérité bien conſtitué âgé de
7 à 8 ans , & fils d'un Charretier de Befançon
nommé la Fortune . J'opérai en préfence
de M. Rey Chirurgien Major de la
Citadelle de cette Ville , de M. Chanoine
Chirurgien Major d'un Bataillon d'Artillerie
, de mon pere & de tous fes éleves .
L'Opération fe fit en très- peu de tems ; la
pierre étoit de la groffeur d'un marron , &
quoique le malade n'obfervât aucun régî-
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
me , & usât d'affez mauvaiſe nourriture
fes urines ont pris leur cours naturel dès le
cinquième jour de l'opération , & en
moins de trois femaines la guérifon a été
parfaite.
La feconde opération a été faite quatre
jours après cette premiere fur un enfant
de même âge que le précédent , fils d'un
Vigneron nommé Bourlet , demeurant en
cette ville . Mais c'étoit un fujet débilité
par fa maladie habituelle , ayant fouffert
de la pierre depuis fa naiffance avec la
fievre ; il avoit le vifage & le ventre bourfouflés
, & étoit fort maigre dans tout le
refte du corps. L'heureux fuccès de ma
premiere opération engagea fes parens à
me preffer de le tailler , n'y ayant que ce
moyen de le rappeller à la vie , & de le
tirer de cet état douloureux où il languiffoit
depuis fi longtems ; je m'y déterminai
quoiqu'avec répugnance , l'état du malade
me paroiffant d'un fort mauvais augure
pour le fuccès . Il fut operé le 11 du même
mois d'Octobre en préfence de plufieurs
Medecins & Chirurgiens , & nommément
de M. Lange Profeffeur en l'Univerfité.
Je ne ferai point difficulté d'avouer que
l'envie que j'avois de ménager cet enfant
foible & délicat , & la crainte où j'étois
qu'il ne mourût entre mes mains , firent
FEVRIER. 1756. 177
que lorfque je retirai le Lithotome caché ,
je manquai le fphincter de la veflie , en
ne le dilatant qu'à moitié de fa route &
n'incifai que l'uretre . Mon pere qui s'en
apperçut porta le doigt dans la plaie , &
ayant reconnu que la veffie n'étoit point
ouverte , il introduifit lui - même la fonde
crenelée , & m'avertit de la faute que j'avois
faite. J'employai de nouveau le Lithotome
caché , & je fis une incifion convenable
. L'extraction de la pierre fut trèsdifficile
, parce qu'elle étoit oblongue &
fortement adhérente par une de fes extrêmités
à la partie laterale de la veffie . Mais
mon pere qui m'aidoit de fes avis & qui
reconnut , ainfi que moi, cette adhérence
chargea lui- même la pierre , & me la fit
tirer , en faisant doucement & fans violence
plufieurs demi- tours. Elle entraîna
avec elle par la pointe qui étoit adhérente ,
des mamelons charnus , mais une partie
d'elle-même refta dans le kifte , ce qui
fut reconnu visiblement par toute l'affemblée
, parce que cette pierre étoit rude &
inégale , & entamée de l'épaiffeur de deux
lignes en cet endroit qui paroiffoit moitié
pierreux moitié charnu . Il n'en falloit pas
moins pour défabufer quelques- uns des
affiftans qui nioient les adhérences des
pierres dans la veffie. Malgré cet accident
Hv
178 MERCURE
DE FRANCE.
& le mauvais état du malade , la plaie fe
cicatrifa après une fuppuration qui entraî
plufieurs efcarres chargées de graviers ,
& l'enfant fe rétablit à vue d'oeil.
J'ai fait la troifiéme opération trois jours
après cette derniere dans la Salle militaire
de l'Hôpital Saint Jacques , à un nommé
Sainte -Foi , de la Compagnie de Monchan
, Soldat du Régiment de Vaubecourt ,
âgé de 29 ans , qui avoit été mis en dépôt
dans l'Hôpital quand fon Régiment paffa
dans cette ville. Il étoit tourmenté de la
pierre depuis quatre ans , & avoit un Certificat
figné de M. Goulard Chirurgien
Major de l'Hôpital militaire de Montpellier
, par lequel il conftatoit , qu'eu égard
à une fievre intermittente accompagnée de
crachats purulens , habituels depuis près
d'une année , on avoit refufé de lui faire
P'opération par le peu d'apparence qu'il y
avoit de la réuffite. Nous lui trouvâmes
en effet une fievre qu'il nous dit être habituelle
; mais comme il n'avoit point craché
de pus depuis près d'un mois , & qu'il
avoit une impatience extrême de rejoindre
fon Régiment dont il fe voyoit en quelque
façon abandonné , comme d'ailleurs je venois
de faire en quatre jours deux opérations
qui m'avoient très - bien réuffi , quoique
le dernier malade fût dans un état
FEVRIER. 1756. 179
qui rendoit le fuccès fort douteux , il fut
le premier à me preffer de lui faire l'extraction.
Mon pere jugea à propos qu'il y
eût avant tout une Confultation entre le
Médecin de quartier & tous les Chirurgiens
, foir de la ville , foit des Régimens
qui s'y trouvoient en garnifon . Le mauvais
état du malade par rapport à fa fievre
habituelle occafionna un partage de fentimens.
Mais nous témoignant beaucoup
de réfolution & d'empreffement à fubir
l'opération , il fut préparé par les remedes
généraux , & je la lui.fis le 14 du même
mois en préfence d'un grand hombre de
Médecins & Chirurgiens. La faute que
j'avois faite en dernier lieu , eu égard à la
dilatation du Lithotome caché , me rendit
attentif à en éviter une feconde , &
l'opération eût été faite en une minute &
demie , fi la pierre qui étoit plate & d'un
volume confidérable , eût pu être chargée
du premier coup ; mais comme je l'eus
faifie par fa partie la plus large , elle m'échappa
à plufieurs reprifes , jufqu'à ce que
l'ayant chargée par fa partie plate , je lá
tirai à l'inftant avec beaucoup de facilité.
Depuis ce jour les douleurs du malade
cefferent entiérement , la fievre difparut ,
il n'y eut plus de crachats purulens , & * il
釉
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
fut guéri fans le moindre accident en moins
de fix femaines.
On ne peut difconvenir , Monfieur
que le Lithotome caché n'ait des avantages
réels fur tous les autres par rapport à
l'opération de la taille , pourvu qu'il foit
employé par des mains prudentes & exercées
, & je fuis fi convaincu de fon utilité
que je fuis déterminé à m'en tenir à cet
unique inftrument pour les opérations que
j'aurai à faire dans la fuite. J'elpere
l'employer avec de nouveaux fuccès au
printems prochain fur deux fujets que j'ai
refufé de tailler cet hyver pour attendre
une faifon plus favorable.
J'ai l'honneur d'être , & c.
SEANCE PUBLIQUE
'De l'Académie des Sciences & Belles- Lettres
de Dijon , le 17 Août 175.5 •
Morfieur .... a commencé la ſéance par
la lecture de la premiere partie d'un mémoire
intitulé , Expofition fuccincte d'un
nouveau système du monde , où l'on explique
par l'impulfion d'un fluide les phé
nomenes que M. le Chevalier Newton a
expliqués par l'attraction.
1
FEVRIER . 1756 . 181
Après avoir montré que felon Newton
même , la gravité peut être caufée par
l'impulfion d'un fluide , il viert à la définition
de la lumiere , qu'il prétend être
ce fluide , & qu'il fait confifter , comme
lut , dans des corpufcules extrêmement déliés
, qui partent du foleil & des étoiles ,
fucceflivement & en droite ligne , & dont
la vîrelle eft fi grande , qu'ils parcourent
l'efpace qui eft entre le foleil & la terre en
fept ou huit minutes. Il tire de cette définition
trois corollaires qui fervent de
fondement à ſon ſyſtême .
1°. Le foleil & les étoiles envoient
des corpufcules fur tous les points fenfibles
du Ciel & des planetes . En effet , il n'y
a aucun de ces points où l'on ne puiffe
les voir.
2º. La lumiere a une grande force, puifqu'elle
a tant de vîteffe.
30. Les rayons de la lumiere fe croifent
, ou vont en direction contraire fans
fe détruire.
Avec ce peu de principes , il explique
non feulement les phénomenes que Newton
a expliqués par l'attraction , mais encore
ceux des planeres qu'il attribue à
l'action immédiate du Créateur .
La pefanteur des corps vers la terre ,
dans ce fyftême , eft l'effet de l'impulfion
182 MERCURE DE FRANCE.
des rayons du foleil & des étoiles , dont
la force eft conftante & accélératrice ;
conftante , parce que les aftres envoient
toujours une même quantité de lumiere.
Accélératrice , parce que les rayons de
la lumiere allant infiniment plus vite que
le corps , il en reçoit continuellement de
nouveaux coups.
Les corpufcules qui compofent les
rayons de la lumiere étant extrêmement
déliés , pénétrent dans les pores des
corps les plus compactes , agiffent fur
chacune de leurs parties , & conféquemment
en raifon de leur maffe .
Plus les corps qui tombent font éloignés
des aftres , & plus leur gravité eft
grande , à caufe que la colonne de lunniere
qui les preffe eft plus grande. Deli
vient que ces corps tombent moins vîte
fous l'équateur que vers les poles , fur les
hautes montagnes que dans les vallées ;
que la lune elle-même gravite fur la terre,
en raiſon inverſe du quarré de fa diſtance
à fon centre , & que les autres planetes
gravitent fur le foleil en même raifon..
La diftance où les planetes font du ſoleil
, eft l'effet de la force de fes rayons ,
& de ceux des étoiles qui ont la même direction
que les fiens. Ces rayons les élevent
chacune à proportion de leur maffe ; comFEVRIER
. 1756. 183
me la force d'un mortier pofé perpendiculairement
à l'horizon feroit monter des
bombes de différens poids à des haureurs
différentes. La planete pouffée d'une
part par les rayons du foleil , & repouffée
de l'autre par les rayons des étoiles en
direction contraire , parvint à la fin à un
point où les deux forces étant égales , elle
refta en équilibre.
Dans cet état , fi les rayons qui venoient
du côté de l'Occident furent plus
forts que ceux qui venoient du côté de
l'Orient , elle dut aller d'Occident en
Orient : & fi ceux qui venoient du côté
du Septentrion furent plus forts que ceux
qui venoient du côté du Midi , elle dut
defcendre du Septentrion au Midi . Le
nombre inégal des étoiles dans les différentes
plages du Ciel , leur différent
éloignement , & leur différente grandeur
rendent ces fuppofitions plus que proba
bles.
滋
En fuppofant de même que la force des
rayons qui poufferent la planete d'Occident
en Orient où fa force projectile
fût un peu moins grande que la force de
ceux qui la repoufferent du Septentrion
au Midi , ou que fa force de gravité ,
elle dut pénétrer dans l'intérieur du cercle
décrit du centre , par le premier point
184 MERCURE DE FRANCE.
de la projection , & s'approcher de ce centre
Or en s'approch nt du centre , fa vîteffe
augmenta ; & elle décrivit une ellipfe
de la maniere dont l'explique Newton
dans fes principes.
La différente excentricité des ellipfes ,
des planetes , vient encore de ce que les
torrens de lumiere qui les poutfent du cô.
té de l'Occident , font moins forts les uns
que les autres ; moins forts , par exemple
, à l'élévation de Mercure qu'à celle de
Venus.
L'interception des rayons des étoiles qui
repouffent les planetes vers le foleil , caufe
le mouvement de leur aphélie. Si la terre,
par exemple , fe trouve en conjonction
avec Jupiter , la force qui la repouffe vers
le foleil étant comme amortie par l'interpofition
de ce grand corps , celle qui fait
qu'elle s'en éloigne , en devient un peu
plus grande , ayant un peu moins de réfiftance
à furmonter. La terre s'élevera
donc un peu plus haut. Or , fi la terre
s'éleve un peu plus haut , fon orbe en fera
un peu plus étendu , & il lui faudra un
peu plus de tems pour arriver à fon aphélie
que dans la précédente révolution.
L'inégale pefanteur des parties de la terre
caufe l'obliquité de fon axe fur le plan
de fon orbite.
FEVRIER . 1756. 1SS 185
L'inclinaifon de cette orbite vient de fa
figure fphéroïdale.
Enfin fon mouvement diurne eft l'effet
des rayons du foleil qui la pouffent dans
fon hémisphere intérieur , & de ceux des
étoiles en direction contraire qui la repouffent
dans fon hémisphere extérieur ,
à peu - près comme le mouvement contraire
des deux mains fait tourner un fufeau ,
lorfque l'une le pouffe en avant , & l'autre
en arriere.
Monfieur ... n'ayant pas eu le temps de
lire la feconde partie de fon Mémoire qui
traite du mouvement de la lune , de la
préceffion des équinoxes , du flux & du reflux
de la mer & des comeres , il en a donné
l'extrait pour être joint à celui- ci.
Plufieurs expériences prouvent l'exiftence
d'une force agiffante au centre de
la terre. Cette force repouffe en ligne
droite les corpufcules lumineux qui s'infinuent
dans fon globe ; & ce font ces corpufcules
qui foutiennent la lune à une
certaine diftance de la terre ; comme les
rayons du foleil & des étoiles qui font en
même direction , foutiennent les planetes
à une diftance de cet aftre proportionnée
à leur maffe.
Le mouvement de la lune dans fon orbite
a la même caufe que celui de la terre.
186 MERCURE DE FRANCE.
On peut fuppofer ces deux globes d'une
pefanteur égale , ou à peu- près égale. Il
s'enfuit dela que le point d'équilibre de la
lune feroit l'écliptique , ou à peu -près , fi
elle n'étoit point affujettie dans l'atmofphere
de la terre ; & que quand elle s'en
éloigne dans la partie inférieure de fon
orbe , elle doit y être repouffée par la
force du foleil , & dans fa partie fupérieure
par les étoiles en direction contraire.
Son orbe eft alors applati , comme le
feroit un ballon preffé entre deux plans :
Or , dans cette preffion , fon rayon vecteur
s'accourcit depuis les quadratures jufques
aux fifygies , & s'allonge depuis les fygies
aux quadratures. Ce qui ne peut être
fans que fa viteffe augmente & diminue
à mesure que le rayon vecteur augmente
& diminue ; & delà vient que la lune va
plus vite des quadratures aux fifygies , &
plus lentement des fifygies aux quadratures.
Delà vient encore le mouvement de
fon apogée , & les différentes excentricités
de fon orbe .
L'inégale pefanteur des parties du corps
de la lune fait que cet orbe eſt incliné fur
le plan de l'écliptique ; mais les rayons du
foleil qui pouffent la terre d'une part ,
les rayons des étoiles en direction con
&
FEVRIE R. 1756. 187
traire qui la repouffent d'une autre , venant
à la rencontrer , la ramenent tant ſoit
peu dans ce plan , à peu - près comme une
girouette eft ramenée dans la direction
du vent qui fouffle .
La force oblique du foleil & des étoiles
eft caufe des différentes inclinaiſons de
l'orbite de la lune , auffi- bien que du mouvement
de fes noeuds .
Son orbe eft plus étendu en hyver qu'en
été › parce qu'alors étant plus proche du
foleil , elle en eft moins repouffée vers la
terre , & la terre moins repouffée vers
elle . Voyez ci-devant l'article de la pefanteur
des corps vers la terre .
Pour la préceffion des équinoxes elle
eft produite comme le mouvement des
noeuds de la lune , par la force du ſoleil
& des étoiles qui ramene la terre du plan
de l'écliptique dans celui de l'équateur.
On ne parlera que des principaux phénomenes
du flux & reflux de la mer. Les
autres font des fuites de ceux que l'on va
expliquer , & on les en déduira facilement.
Comme la lune en paffant fous le Méridien
, intercepte une partie des rayons ,
foit du foleil , foit des étoiles , qui pouffent
la terre dans l'écliptique , les rayons
qui paffſent à côté , continuant de preſſer
188 MERCURE DE FRANCE.
A
les eaux de la mer , elles ne peuvent
manquer de fe porter fous la lune , où
elles trouvent moins de réſiſtance , & d'y
former une protubérance , qui donne à la
terre la forme d'un fphéroïde .
La force des rayons qui pouffe la terre
dans l'écliptique , étant en partie diminuée
par l'interpofition de la lune , elle
doit fe porter vers celle-ci par la force
des rayons en direction contraire ; mais
comme par ce déplacement de la terre , la
preflion des eaux qui font directement
fous le Méridien par derriere , eft moindre
à caufe que la réfiftance qu'apporte
la terre , eft moindre , la preffion des
eaux latérales étant d'ailleurs la même ,
elles doivent former en s'allongeant , une
protubérance , pareille à peu près à celle
qui eft du côté où eft la lune.
Les marées font plus hautes aux nouvelles
lunes que dans les quadratures , à
caufe que les eaux qui font à côté du Méridien
, font non feulement preffées par
les rayons des étoiles , mais encore par la
partie des rayons du foleil , qui ne font
point interceptés ; car ce corps du foleil
eft plus grand que celui de la lune , &
d'ailleurs le foleil & la lune font rarement
dans la même ligne au tems des fifygies.
Or la force des rayons du foleil , jointe
FEVRIER . 1756. 189
avec la force ordinaire des étoiles , doit
faire une augmentation dans la preffion
des eaux des côtés qui doivent par conféquent
monter plus haut dans la nouvelle
lune , que dans les quadratures.
Si les marées font plus hautes en hyver
qu'en été , c'eft que l'orbe de la lune
eft alors plus étendu . Or , c'eft un principe
reconnu par les Sectateurs de Newton ,
que plus le cercle que la lune décrit eft
grand , plus les eaux ont d'agitation ,
& plus elles s'élevent. C'eft par le même
principe que les marées font plus grandes
aux nouvelles & pleines lunes des équinoxes
qu'à celles des folftices.
Les cometes font des corps , qui ayant
trop peu de folidité pour fe tenir en équilibre
à une certaine diftance du foleil ,
comme les planetes , font pouffées par
l'action de fes rayons juſqu'au deffus de
Saturne , & bien au delà .
Dans ces immenfes régions elles peuvent
trouver des étoiles difpofées de telle
forte qu'elles ne les empêchent pas de
continuer leur route ; mais auffi elles peuvent
à la fin rencontrer quelque étoile
qui leur étant directement oppofée , ait
affez de force pour les faire rebrouffer
chemin , & reprendre la même route
qu'elles avoient tenue.
190 MERCURE DE FRANCE.
Cette differtation fut fuivie d'une autre
de M. Chauffier , Doyen du , College de
Médecine de Dijon , & Membre de l'Académie,
fur les coups de foleil.
Il manquoit à la Médecine une hiftoire
détaillée des pernicieux effets du ſoleil fur
les corps animés , qui dans certaines circonftances
s'y trouvent expofés . C'est pour
remplir le vuide que M. C. s'eft déterminé
à communiquer fes remarques & fes obfervations
fur ce fujet.
Si une pratique nombreuſe & étendue
ne laiffe que rarement au Médecin le rems
de fe livrer à des fpéculations prefque toujours
fuperflues , fur la manière dont les
caufes morbifiques agiffent fur nous , elle
lui fournit au moins l'occafion de faifir le
génie des maladies qu'elles occafionnent ;
connoiffance d'autant plus utile qu'elle
peut feule le guider furement dans le choix
de la méthode , & des remedes qu'il doit
leur oppofer. Laiffant donc à part les recherches
fut les circonftances qui doivent
concourir pour déterminer les effets qu'il
fe propofoit de fuivre , il s'eft contenté
d'en tracer la marche , & de communiquer
les remarques que le grand nombre
* des malades qu'il a fuivis , lui ont donné
occafion de faire fur les maladies qui en
font les fuites. Les effets étant toujours
FEVRIER . 1756. 191
proportionnés à leurs caufes & aux fujets
fur lefquels elles agiffent , on doit s'atrendre
à trouver une grande diverfité dans
leur produit. Cependant , quelques variés
qu'ils puiffent être ils ont toujours un
caractere propre , & un figne qui les diftingue
effentiellement.
>
Sur quelque partie que le foleil porte
fes impreffions , il occafionne toujours une
percuffion , une trépidation , un ébranlement
plus ou moins marqué , felon la fituation
& l'étendue des parties qui en font
affectées. Quoique leger , lorfqu'il n'y a
que les cheveux , la barbe ou fimplement
l'épiderme d'affecté , l'ébranlement n'en
eft pas moins réel , mais il est très - vif ,
lorfque les graiffes , les mufcles , le pé
riofte , &c. font atteints.
Le foleil ne prive pas de la vie les parties
fur lesquelles il agit , cependant il y
produit des changemens confidérables. Il
blanchit fouvent prefque dans l'inftant les
cheveux & la barbe , & occafionne des ta
ches blanches ou rouffes à la peau , qu'il
n'eft pas poffible d'enlever.
La trépidation qui eft le premier effer
du foleil , eft bientôt fuivie d'une féche
reffe à la peau , d'une rougeur éréfipélareufe
, tantôt fimple , tantôt compliquée
d'oedeme ou de phlegmon , & d'une fie192
MERCURE DE FRANCE.
*
vre plus ou moins vive . Cet éréfipele , foit
fimple , foit compliqué , a cela de particulier
qu'il eft rare qu'il fe fixe fur la partie
qu'il occupoit d'abord , & plus rare encore
qu'il fe termine par réfolution . De l'explication
des différens fymptomes qui accompagnent
les maladies , M. C. déduit
les indications curatives générales , dont
cependant on eft fouvent obligé de s'écarter
. L'Auteur en fournira des exemples
dans un fecond Mémoire.
M. l'Abbé Richard Académicien , Penfionnaire
de la claffe de Morale , lut enfuite
un difcours qui a pour titre .... On
juge mieux par fentiment que par réflexion....
La vraie Philofophie confifte à fe conque
noître foi- même : ainfi point d'étude plus
utile à l'homme que celle de l'homme ,
point de regles plus certaines de moeurs
celles qu'il peut tirer de cette connoiffance.
Il eft naturel à l'homme de s'aimer
& de chercher à fe rendre heureux .
Lorfque dans cette recherche , il fuit des
fentimens confus , des réflexions vagues ,
il ne fe fixe à rien de fûr , il fe méprend ,
il fait prefque autant de fauffes démarches
que de pas ; mais quand il n'obéit qu'à un
fentiment naturel & libre , à des idées
juftes , il va droit à la vérité. Conduit &
éclairé par ces guides , il fournit fa carriere
FEVRIE R. 1756. 193
riere avec feu , il travaille avec ardeur &
perfévérance à ce qui peut contribuer à ſa
perfection & à fa félicité . Si dans des momens
plus tranquilles , il fe rappelle le
paffé , il n'y voit rien qui puiffe le troubler
, il en a fait un ufage convenable ; le
préfent lui plaît , il en connoît & en fent le
prix ; l'avenir n'a rien qui l'inquiéte , fon
expérience lui fait prévoir les événemens
fans les craindre. Il jouit avec plaifir de
fon exiſtence , le tems eft pour lui un bienfait
fenfible , c'eft le plan fur lequel il
éleve l'édifice de fon bonheur ; mais pour
cela il faut que fes opérations ayent pour
bafe & pour direction , un principe inva
riable & lumineux fur lequel il puiffe
compter dans les différentes pofitions où
il fe trouve , il faut qu'il puiffe toujours
connoître la vérité & fe décider pour elle :
or point de moyen auffi fûr & auffi naturel
pour la connoître , dans ce qui a rapport
aux moeurs , que le fentiment .
On doit entendre par fentiment ce mouvement
de la volonté qui fe porte au bien
& qui s'éloigne du mal , & par vérité le
bien connu tel par le fentiment , indépendamment
du préjugé & de la paffion , d'où
l'on tire cette regle générale de mours...
tout objet qui affecte la volonté , de façon
que la douleur ou le dégoût fuivent de
I
194 MERCURE DE FRANCE.
près l'affection , n'a que l'apparence du
bien....
Après avoir expofé en détail les preu.
ves de fa propofition , & donné la folution
de quelques objections fpécieuſes
qu'on pourroit lui oppofer , M. R. parle
du fcepticifme moral..
Ce fcepticifme
qu'il a plu à des Ecrivains modernes
d'appeller le premier pas vers la vérité ;
qui doit être général , parce qu'il en eſt
la pierre de touche , qui eft l'unique fondement
de la vraie Philofophie , parce
qu'il apprend à examiner les chofes & à
en juger fans prévention.... Ces maximes
font autant de paradoxes ... Qu'est- ce en
effet que le fcepticifme , finon une inquié
tude d'efprit & un déréglement d'imagination
, qui affigne l'incertitude pour canfe
de la vérité , qui veut connoître & juger
fans prévention , & qui fait préfider
la prévention à toutes fes démarches. N'y
a-t'il pas des chofes fi vraies , fi fenfibles
qu'elles affectent le coeur & entraînent
l'efprit fans qu'il foit befoin de les examiner
? A peine fe préfentent - t'elles
que le caractere de vérité qui fait leur
effence , brille & diffipe les tenebres de
l'erreur .... Le fceptique eft frappé de
cette lumiere , mais il ne fe rend pas ,
parce qu'il doute par principe ; & que le
t
de li
FEVRIER. 1756. 195
fentiment n'a plus de droit fur fon coeur.
M. R. explique au long l'abus que le
Sceptique fait de fa raifon dont il reclame
les droits en les violant de propos déliberé.
Il fait voir les inconféquences dans lefquelles
il tombe , en mettant en oppoſition
fes principes avec fa conduite . Des
preuves métaphyfiques tirées de l'action
de l'ame & de la nature de nos connoiffances
, donnent un nouveau jour à la
propofition , après quoi il continue ainfi ...
Si la raifon dans l'homme , ou plutôt
l'abus qu'il en fait , ne fervoit pas trop
fouvent à dépraver le fentiment , nous
n'aurions rien à dire à ce fujer ; attentif
fur ce qui fe paffe en lui , il verroit que
le fentiment , quand il n'eft point diftrait
par les fophifmes d'une raifon captieuſe ,
répond toujours au vou de la nature , &
tend droit à fa deftination. Il verroit que
T'homme le plus fimple eft auffi clairvoyant
fur ce qui le touche , & va auffi furement
à fes intérêts que le plus habile , parce
qu'il y va par fentiment . Mais voudroiton
pour cela l'obliger à faire tous les raifonnemens
que fuppofe le jeu de l'amourpropre,&
que peuvent à peine démêler
les efprits les plus fins & les plus attentifs
ce feroit peine perdue. Il agit parce que
fon intérêt & fon devoir le portent à agic;
"
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
il cede à l'impulfion du fentiment qui lui
fert de guide , & qui l'éclaire d'une lumiere
plus vive que tous les raifonnemens
de la Philofophie.
On va plus loin encore , on fait honneur
à l'efprit & à la réflexion de ce qui
n'appartient qu'au fentiment & à la nature....
& pourquoi ? c'eft que la nature
qui n'aime point à faire de faux frais, dont
l'action eft uniforme & fimple , ménage
avec économie tous les mouvemens qu'elle
nous donne ; elle ne nous les accorde
qu'autant qu'ils nous font utiles & néceffaires
. L'habitude où l'on eft d'éprouver
ces mouvemens , & dont on ne connoît
la force que lorfqu'on eft attentif fur foimême
& que l'on s'examine avec foin ,
fait que l'on regarde comme un effet de la
réflexion ce qui ne l'eft que du fentiment..
Ce qui fuit eft une expofition des effets du
fentiment , par rapport au bien général de
la Societé . On prouve combien il eft fupérieur
à la raifon dans la connoiffance de
nos vrais intérêts , même dans les chofes
qui nous affectent le plus.
Toutes les parties de ce difcours font
tellement enchaînées les unes aux autres ,
qu'elles ne forment qu'un tout qu'il eft impoffible
de décompoſer fans lui faire perdre
fon prix. C'est la caufe pour laquelle
FEVRIER. 1756. 197
on n'en a pas donné un extrait plus détaillé.
OUVRAGE COURONNÉ ,
Sujet de 1756 & 1757.
L'Académie qui avoit propofé pour
fujet de Médecine de 1755 , de déterminer
la maniere d'agir du bain aqueux fimple
&c. a accordé le prix au Mémoire n° . 1 ,
qui a pour devife , l'excellent remede que
celui que l'inftinct nous apprend , dont
l'Auteur eft M. Raymond Médecin à Marfeille
. Le Mémoire n° . 4 , qui a pour devife
, Balfama fint agris & blanda papavera
feffis , &c. lui a auffi paru mériter de
grands éloges , & elle l'eût même afſocié
au triomphe , fi l'Auteur n'eût traité avec
un peu trop de négligence l'article des
Bains froids. Au refte , quoique ce Mémoire
n'ait obtenu que le fecond rang ,
l'Académie qui fait lui rendre juftice ,
reconnoît volontiers qu'il ne peut faire
qu'honneur à fon Auteur ; elle l'invite
auffi-bien que M. Raymond , à mettre
inceffamment le Public en état de jouir du
fruit de leurs recherches.
L'Académie propofe pour le fujet de
1757 , la queftion fuivante . Eft- il plus néceſſaire
d'étudier les hommes que les Livres ?
1 iij
198 MERCURE DE FRANCE:
Elle a annoncé celui de 1756 ; qui eft de
déterminer les caufes de la graiffe du vin ,
& de donner les moyens de l'en préſerver
out de le rétablir.
Il fera libte aux Auteurs d'écrire en Latin
ou en François , obfervant que leurs
Mémoires ne paffent pas trois quarts
d'heure de lecture. Ils feront francs de
port , adreffés avant le premier Avril à
M. Petit Greffier au Parlement , rue du
vieux marché. Les Auteurs qui fe feront
fait connoître avant la diftribution du
prix , en feront par là même exclus ; ils fe
contenteront d'écrire leurs noms fur un
billet cacheté à part , qui ne fera ouvert
que dans le cas où l'ouvrage fera couronné.
FEVRIER. 1756. 199
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
Nous annonçons aux amateurs le bonheur
de Phaon , Cantatille nouvelle , à
voix feule avec fymphonie , dédiée à fon
Alteffe Séréniffime Madame la Ducheffe
d'Orléans , par M. le Chevalier d'Herbain
, & gravée avec les parties de violon
, féparées pour la facilité de l'exécution.
Elle fe vend à Paris , chez le fieur
Bayart , à la Regle d'or , rue S. Honoré ,
Mademoiselle Caftagneri , rue des prouvaires
, à la Mufique Royale & à la Croix
d'or , rue du Roule.
Il doit paroître auffi inceffamment trois
ariettes détachées , paroles françoifes , &
mufique dans le goût de celle des ariettes
théâtrales d'Italie, à voix feule & gran
de fymphonic , intitulées Cloé , les Fleurs ,
& la Volage , gravées avec les parties fé-
I iv
200 MERCURE DE FRANCE ..
parées , comme la Cantatille du bonheur de
Phaon . Elles fe trouvent à Paris aux mêmes
adreffes , & font du même Auteur fi
avantageufement connu par différens ouvrages
de Mufique , dont nous avons fait
mention avec éloge dans notre Mercure
de Mai 1755 , à l'article des Beaux Arts .
Douze Sonates pour le Clavecin dans
le goût d'Alberti , de la compofition du
feur Sébastien Jerig , fe vendent aux
adreſſes ordinaires. Le prix eft de dix livres.
PEINTURE.
EXPLICATION d'un Tableau , peint
à l'encre de la Chine , repréfentant allégoriquement
, Minerve & Mars élevant un
Arc-de-Triomphe , à la gloire du Roi :
préfenté à Sa Majesté, le 4 Janvier 1756,
par le fieur Gofmond de Vernon , Auteur
de l'Hiftoire Métallique des Campagnes
du Roi.
LE Roi eft repréſenté dans ce Tableau
*
avec fa cotte- d'armes , couronné d'Olivier
, & ayant à fes côtés la Vérité & la
Juſtice , comme les fuppôts dé fon Trône.
Cet Augufte Prince montre d'une main
FEVRIER. 1756. 20.1
pour
la Vérité & la Prudence caractérisées fous
la même figure , qui doivent être toujours
l'objet des plus grands Rois ; & de l'autre
il s'appuie fur le timon de fon Empire , en
regardant affectueufement la Juftice qui
lui préfente fes attributs . On obferve, qu'il
tient de cette même main une Couronne
de Laurier , type particulier , qui exprime
qu'il peut s'en couronner toutes les
fois que fon équité & fon inclination
la Paix ne l'en empêcheront pas. Un Lion
couché à fes pieds , léche tendrement un
Agneau qui repofe dans fon fein , & qui
répond avec confiance aux careffes de ce
terrible animal. Ce Lion , le fymbole de
la force & du courage , défigne par cet
acte de douceur le CARACTERE DU Roy
qui pouyant étonner le monde, s'il le vouloit
, ne cherche néanmoins à employer fa
puiffance redoutable , que pour fe décla-.
rer le Protecteur de l'innocence , & Procurer
l'union & le bien univerfel de tous les
hommes.
C
On remarque fur le devant Minerve &
Mars , qui voulant élever d'un commun
accord un Arc de Triomphe à la gloire du
Roi , le forment du côté de Minerve par
un Olivier qui explique fymboliquement
combien le Roi aime la paix & la tranquillité
publique ; & de l'autre côté le Dieu
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
de la Guerre appuyé fur la victoire , ache
ve de le former par un Palmier qui s'unit
à l'Olivier fur la tère du Monarque de la
France image des Palmés immortelles
dont cet invincible Prince s'eft couvert , &
dont il peut fe couvrit dans toutes les occafions
où l'on provoquera fon courage.
La victoire affife auprès de Mars , en offre
les glorieux faits infcrits fur fon bouclier.
Proche de Minerve , on obferve un Amour
qui écrit fur l'Egide de cette Déeffe , tous
les biens que la bonté & la magnanimité
du Roi ont faits à toute l'Europe , & qu'il
répand inceffamment fur fes Sujets. Aurour
de Minerve , font les attributs des
Sciences & des beaux Arts , qui font aujourd'hui
les nobles amufemens de ce grand
Prince ; & c'eft ce qui eft defigne particulierement
par le Génie de l'Architecture ,
qui préfente à Mars le plan de l'Ecole Royale
Militaire , où doivent s'élever tant de
Guerriers , qui fe confacreront un jour à la
gloire du Roi & de la Nation. Le foin
particulier de récompenfer les talens s'offre
fous l'emblème d'une corne d'abondance ,
fur laquelle ce même Genie eft appuyé ,
qui pour couronner tous fes travaux , he
voit rien de plus digne de la grandeur de
fon Roi , que d'achever le Louvre , & d'en'
reftaurer la magnifique Colonnade dont le
FEVRIE R. 1756. 203
deffein eft près de lui comme le plus beau
monument qui exifte fur la terre , Mars
admirant tous ces prodiges , paroît remercier
Minerve des avantages qu'il retire des
Génies que fa fageffe a foin d'élever , &
qui tranfmettront à la poftérité la plus reculée
, toute la fplendeur du beau Regne
de Louis XV, le Vittorieux & le Pacificateur.
L'Olivier qui figure la Paix , environné
de Guirlandes de Laurier , & le Palmier
défignant la gloire , entouré de rameaux
d'Olive , font des images caractéristiques
des vertus du Roi , qui réunit dans fon Augufte
Perfonne , l'heureux affemblage de
la bonté & de la douceur de l'ame , avec
tout ce que le courage a de plus grand &
de plus intrépide . Le fond du Tableau eft
occupé par une Architecture d'Ordre
Corinthien , furmontée des Trophées d'Armes
qui font allufion aux Triomphes du
Roi. On lit fur le Pied - d'eftal cette infcription
que la Vérité montre `:
LUDOVICO XV.
FR.ET NAV. Reg. ChrisTIANISS,
Patr. Patr. Inviato , Pacifico,
Snorum dilectori dilectiffimo ;
Qui affident Veritas & Juftitia ;
Quem juftæ cingunt laureæ;
Magis tamen juvat Oleas
1404
715-43
1
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Quem profequuntur omnium
Amor , vota & admiratio.
C'eſt- à- dire ,
A la Gloire immortelle de Louis XV, Roi
Très- Chrétien , de France & de Navarre ,
à qui fon amour pour ſes ſujets a mérité le
titre de Bien-aimé , qui , quoiqu'invincible
dans les combats n'en aime pas moins la paix;
qui ne confulte que la Justice & la Vérité ;
qui ceint de lauriers leur préfere l'olive ; &
dont le nom eft par toute l'Europe , chéri ,
loné & admiré.
Sur l'Egide de Minerve , on y voit ces
mots tracés
par
l'Amour >
Pax exteris data ;
Regno fancita , lex concordiæ ;
Stirpi regiæ adjuncta foboles ;
Inftauratum nobili juventuti Gymnafium ;
Reftaurata domus regia.
Qui fignifient :
Paix accordée par le Roi à fes ennemis ;
mesures que prend fa fageffe pour la donner
auffi à fesfujets ; accroiffement de la Famille
Royale ; établiſſement d'une école militaire
pour la jeune nobleffe du Royaume ; achevement
du Louvre.
•
FEVRIER . 1756. 205
La Victoire préſente fur fon bouclier
ce qui fuit ,
Expugnatæ urbes Belgica ;
Ipfa & proftrata Bergoma ;
Devicta Mofa , territus Rhenus ;
Tranfmeatæ Alpes ;
Liberata Genua ;
Tergemino certamine debellata gentium confe
deratio ;
Addita imperio Lotharingia.
Qui veut dire ,
Conquêtes & victoires du Roi en Flandre ;
prife de Berg- op- Zoom ; Heureux fuccès fur
la Menfe , fur le Rhin ; avantages remportés
en Italie ; Genesfecourue & délivrée ; batailles
gagnées à Fontenoi , à Rocoux , à Laufeld;
ta Lorraine ajoutée à la France.
1
Autre Explication d'un Médaillon compose
à l'occafion de l'heureufe Naiffance de
Monfeigneur le Comte de Provence ,
· préfenté à Monseigneur le Dauphin , par
le même Auteur , le 4 Janvier 1756.
E Médaillon a pour objet , de repréfenter
la France & l'Amour au comble de
leurs voeux , par l'heureuſe naiffance de
Monfeigneur le Comte de Provence.
206 MERCURE DE FRANCE.
Le milieu eft occupé par un Palmier,
fymbole de la Gloire & de la Fécondité ,
entouré de branches de lys & de mirthes.
On y voit attachés les écuffons des
armes de Monfeigneur le Duc de Bourgogne
& de Monfeigneur le Duc de Berry.
Deux amours s'empreffent d'y placer l'écuffon
de Monfeigneur le Comte de Provence
, qui - vient de naître.
Auprès du Palmier , on remarque la
Déeffe de la Fécondité , qui montre à l'Amour
les Armoiries du jeune Prince ,
qu'elle vient de lui donner. Ce Dieu lui
émoigne de fa part , en lui baifant rendrement
la main , combien il eſt ſenſi
ble au nouveau préfent qu'elle lui fait.
La France , fous les traits de fon augulte
Maître , occupe le côté oppofé. Elle
eft repréſentée armée , couronnée de lau
rier , & environnée de trophées d'armes.
Elle regarde avec autant d'admiration
que de reconnoiffance , ce précieux don
& ce nouvel appai que le Ciel lui accorde
en ce jour . La colonne fur laquelle
elle eft appayée , caractériſe la force &
fa ftabilité , comme fa lance , entourée
d'un rameau d'Olivier , défigne tout à la
fois combien le Roi eft redoutable 1orfqu'on
l'oblige de prendre les armes , &
combien il eft en même-rems bon , pacifique
& magnanime.
FEVRIER. 1756. 207
On lit cette légende : Amoris pignus ,
merces & vinculum ; c'eſt à- dire , ce Prince
naiſſant , fruit & récompenfe de l'Amour ,
en afsûre auffi la conftance & la durée.
A l'Exergue : Regias Provincia comes natus
Verfalis , 17 Novembr. 1755. horâ mat.
4. qui fignifie , Naiffance de Monfeigneut
le Comte de Provence , né à Verfailles
le 17 de Novembre , à 4 heures du matin.
GRAVURE.
LE Paffage d'Honfleur au Havre de
Grace , gravé par le fieur Derrey d'après
le tableau original peint par Bonaventure
Perers , du Cabinet de Monfieur le Comte
de Vence ; fe vend à Paris chez le feur
leMire Graveur , rue Saint Jacques aut
Soleil d'or , vis - à -vis le College du Pleffis ;
cette Eftampe fait pendant avec les Pècheurs
àla ligne.
Il vient de paroître une Carte de l'Amérique
Septentrionale en huit feuilles's
par le Docteur Mitchel , traduite de l'Anglois
par le fieur le Rouge , avec des Notes.
Cette Carte étant très- détaillée on y
trouve tous les Forts: des deux Puiffances ,
& elle devient très-inftructive pour ce qui
regarde les affaires préfentes de l'Amérique,
ނ
20S MERCURE DE FRANCE.
prix,18 liv. fur papier fin , 12 liv. fur papier
ordinaire.
Plus , le plan de la Ville , Port & Rade
'de Lisbonne jufqu'à Cafcaes , avec différentes
vues du défaftre arrivé les 1. Novembre
& 21 Décembre dernier , accompagné
d'une petite Carte de l'ancien &
nouveau Portugal , en deux grandes feuilles
, prix 3 liv.
Nouvelle Carte du Milanois en fix feuilles
, chef- d'oeuvre de Géographie levé fur
les lieux par plufieurs Ingénieurs , propofé
par foufcription ; on prendra 12 liv. une
fois payées pour ladite Carte , que le fieur
le Rouge promet fournir dans le mois de
Juillet ; elle coutera 18 liv. à ceux qui ne
foufcriront point d'ici au premier Juin.
Les connoiffeurs verront le deflein original
toutes les après-dinées chez le fieur
le Rouge Ingénieur Géographe du Roi ,
rue des Grands Auguftins. Il fe flatre qu'on
le trouvera infiniment fupérieur à tout ce
qui a été publié jufqu'à préfent fur cette
partie.
FEVRIER. 1756. 209
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
LE 17 Janvier les Comédiens François
ont repris Philoctete , Tragedie de M. de
Châteaubrun qu'on revoit toujours avec le
même plaifir & la même eſtime , en attendant
la Coquette corrigée , Comédie nouvelle
en vers , en cinq Actes de M. de la
Noue.
CO-MEDIE ITALIENNE..
LE 19 , les Comédiens Italiens ont don
né la premiere repréfentation de la Pipée ,
Comédie en deux Actes , mêlée d'Ariettes ,
traduction d'll Paratajo , intermede Italien.
Cette Piece qui eft fuivie d'un nouveau
divertiſſement fort joli , a été bien
reçue du Public ; le choix des Ariettes a furtout
été applaudi . M. Clément en eſt l'Auteur.
Quelques perfonnes de Province nous
ont écrit pour nous prier de leur donner
210 MERCURE DE FRANCE.
:
des nouvelles de l'Opera , ou du moins de
leur apprendre les raifons de notre filence
fur ce Théâtre nous leur répondons ici
que nous en avons une très- légitime , &
que nous ne pouvons faire mention d'un
Spectacle où nous n'avons point notre entrée.
Comme l'Opera nous diſpute un droit,
ou nous prive d'une faveur dont tous nos
prédéceffeurs ont constamment joui ; qu'en
conféquence nous ne fommes point à portée
de le voir journellement pour en rendre
un compte convénable , nous avons
cru qu'il étoit plus fage de nous taire fur
fon fujet que de courir le rifque d'en mal
parler ; tout ce que nous pouvons faire en
faveur de nos abonnés , eft de leur dire
fuccinctement que l'Académie Royale de
Mufique a donné Roland depuis le mois
de Novembre jufqu'au 20 Janvier qu'il a
remis Zoroastre , ainfi que l'affiche & le
bruit public nous l'ont appris.
Dans l'Almanach des Spectacles de Paris,
à l'article des Pieces nouvelles , page 140 ,
où le trouve Deucalion & Pyrra , Acte
dont les paroles font de M. de Saint -Foix
& la Mufique de M. Girand , ajoutez &
de M. Berthon , qu'on a oublié de nommer.
FEVRIER . 1756. 211
ARTICLE V I.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU NORD.
DE STOCKHOLM , le 30 Décembre.
Entre les différens effets que le tremblentent de
tërre, du premier Novembre , a produits en Dale
earlie , on a remarqué que pendant la crue extraordinaire
des eaux des lacs de Frixem & de
Stora-Leed , le terrein des environs s'eft affaillé
avec un grand bruit , & qu'il s'eft relevé à meſure
que ces lacs font rentrés dans leur lit. Les lettres
de Wexio dans le Smaland marquent , que le 28
du même mois , à huit heures cinquante-une minutes
du foir , on apperçut au ciel un globe de
feu , dont le diametre apparent étoit de la grandeur
de celui de la lune , lorfqu'elle eft dans fon
plein. Ce globe courut rapidement du fud - oueft
au nord- est. Ainfi que plufieurs cometes il traînoit
après lui une queue lumineufe . Il ſe détacha
de ce globe une portion , qui après s'être développée
, remplit un très-grand efpace , & répandit
une clarté égale à celle du jour. La durée de
ce phénomene fut de trente fecondes.
Selon les avis reçus de la Gothie occidentale
, le tremblement de teire du premier Novembre
s'y eft fait fentir avec beaucoup de violence.
De très-gros arbres ont été renversés. En plufieurs
endroits , les eaux ont páru mugir . Sut le lac de
(
212 MERCURE DE FRANCE.
Miorn, près de Gothenbourg , la plupart des ra
deaux ont été emportés & difperfés de côté &
d'autre .
DE COPPENHAGUE, le 19 Déc.
Le 10 Septembre , vers minuit , on fentit une
violente fecouffe de tremblement de terre dans le
diftrict de Hufewig. Il y en eut le lendemain
plufieurs autres . Celle des deux heures après-midi
renverfa un grand nombre de maiſons. On a
perdu par ces accidens une quantité confidérable
de provifions d'hyver. Pendant prefque toute la
journée du 12 , les eaux d'une petite riviere , qui
coule près de Nord- Syffel , devinrent blanches
comme du lait.
ALLEMAGNE.
DE TEPLITZ , le 9 Décembre.
Une forte fecouffe de tremblement de terre fa
fit fentir ici le premier de ce mois . Elle ne cauſa
aucun dommage , mais elle affecta fingulierement
les bains chauds de cette ville , qui , ayant
été découverts en 762 , n'avoient point éprouvé
depuis près de mille ans le moindre changement.
Sur le midi , l'eau de la fource fe troubla. Bien
tot elle ceffa de couler. Quelques minutes après
elle revint à grands flots , mais fort épaiffe , &
auffi rouge que du fang. Pendant un quart-d'heure
elle fut abfolument froide. Elle reprit infenfiblement
fa limpidité & fon dégré de chaleur
ordinaire. Depuis cette fecouffe ," la fontaine eft
devenue plus abondante. Lorsqu'on avoit vuidé
les bains , il falloit huit heures pour les remplin,
à préfent il n'en faut plus que quatre. On foupFEVRIER.
1756. 213
çonne qu'il s'eft formé une feconde fource à côsé
de la premiere.
DE MUNICH , le 20 Décembre.
Il y eut ici le 9 de ce mois une légere ſecouſſe
de tremblement de terre . Le même jour on en
fentit une à Donawert. Elle a ébranlé le couvent
des Capucins , & endommagé une partie des murailles
de l'Abbaye de Sainte Croix. A Ingolstadt,
les eaux des fontaines baifferent confidérablement
, & devinrent d'une couleur rouffâtre. Le
11 , on éprouva une nouvelle fecouffe en divers
endroits de cet Electorat.
ESPAGNE.
DE CEUTA , le 24 Novembre.
Nous avons éprouvé le même tremblement ,
dont les lettres de Portugal rapportent des effets
fi funcftes. Le premier de ce mois , à dix heures
dix minutes du matin , nous eûmes une fecouffe
qui dura environ trente fecondes . Elle fut fuivie
peu après de quelques autres plus légeres , dont
la durée fut de trois minutes. Les fept pointes
du fommet de la montagnedes Sept Freres ont
paru s'élever & s'abaiffer , foit que ce mouvement
ait été réel , foit que ce n'ait été qu'une apparence
occafionnée dans les yeux des Spectateurs
par le propre mouvement de leurs corps.
La mer monta de la hauteur de fept pieds , & un
quart-d'heure après elle baiffa tellement , qu'il
refta quantité de barques & de poiffons à fec fur
le fable. Ces flux & feflux fe fuccéderent alternativement
jufqu'au lendemain matin ; mais à
deux heures après-midi ils commencerent à diminuer
par dégrés . Le 3 , à fept heures du matin ,
214 MERCURE DE FRANCE.
nous effuyâmes une nouvelle fecouffe affez vi
ve , mais très-courte. Il y en eut une légere le
4 , à deux heures après-midi. Les , à huit heures
un quart du foir , nouvelle fecouffle plus forte
que les deux précédentes. On en a eu encore
quelques- unes depuis le 6 jufqu'au 16. Le 17 , à
dix heures & demie du matin , on en reffentit
une autre plus confidérable , accompagnée d'une
horrible tempête . Pendant les fecoufles du premier
de ce mois , les fontaines de cette ville &
du château ont ceffé de couler. Leurs eaux font
enfuite revenues avec autant de rapidité que d'abondance.
Les Maures qui bloquent cette ville , épouvantés
par le tremblement , s'étoient réfugiés
dans l'intérieur des terres. Ils font revenus dans
leur camp , depuis que leur premiere terreur eſt
diffipée.
On mande de Tanger , que de même qu'ici ,
pendant le tremblement les fontaines ont tari , &
qu'enfuite elles ont donné une grande abondance
d'eau rouge comme du fang ; que la mer fur
la côte voisine a monté de cinquante pieds , &
que fes eaux dans cette crue ont perdu prefque
toute leur amertume & toute leur falure.
DE BELEM , le 19 Décembre.
Les exemples de févérité étant néceffaires pour
réprimer les brigandages qui fe commettent journellement
dans ce Royaume , on a exécuté depuis
quinze jours plus de deux cens perfonnes
convaincues de différens délits . Quoique les tremblemens
de terre n'ayent pas entiérement ceffé ,
les & qu'il y ait eu encore le 11 une fecouffe ,
habitans de Lifbonne commencent à ſe remettre
เอา
Les
OL
D
C
FEVRIER. 1756. 215
T
de leur épouvante. Ils font occupés à chercher
dans les ruines de cette malheureufe ville ceux
de leurs effets , qui ont échappé à la voracité des
Hammes , & à l'avidité des voleurs . Il regne quantité
de maladies cauſées par la rigueur de la faifon,
& par les autres incommodités auxquelles
les riches comme les pauvres , ont été exposés
dans le défaftre général. Sa Majesté ne s'eft point
encore expliquée , & elle feroit rebâtir Lisbonne ,
ou fi elle fonderoit iei une nouvelle ville .
DE COMPOSTELLE , le 22 Novemb.
Cette ville n'a pas été exemte du fléau , qui a
caufé en plufieurs endroits tant de ravage ; mais
elle en a peu fouffert. Celle de la Corogne a
efluyé des allarmes plus confidérables. Voici la
copie d'une lettre écrite de ce port. « Le trem-
» blement de terre du premier de ce mois s'eft
» fait fentir ici d'une façon très -violente . Il a du-
» ré cinq minutes. Tous les édifices en ont été
» ébranlés ; cependant il n'y en a eu aucun de
>> renverfé . La mier pendant les fecouffes s'enfla
» prodigieufement. En plufieurs endroits elle Ra-
» roiffoit bouillonner. A midi elle monta telle-
» ment , qu'on ne l'avoit jamais vue à une pa-
» reille hauteur. Depuis une heure jufqu'à une
» heure & demie , elle monta & baiffa fept fois,
> On devoit avoir la baffe mer à fix heures du
» foir , à fept heures & demie on ne l'avoit pas
encore. Peu après la mer baiffa un tiers de plus
que dans les plus vives eaux. La pleine mer paroiffant
devoir venir à proportion , l'on crai-
» gnit que la ville ne fût fubmergée Les flux &
>> reflux ne cefferent que fur les dix heures du ma-
» tin du jour fuivant , que l'oude reprit enfin fon
» affiette ordinaire .
216 MERCURE DE FRANCE .
DE CADIX , le 14 Décembre.
A quelque diſtance de ce port on a découvert
depuis peu un rocher , qui juſqu'à préſent
n'avoit pas été apperçu des Navigateurs . On conjecture
qu'il a été formé par les effets du dernier
tremblement. Le vaiffeau de guerre Anglois le
Briſtol, en allant au devant d'une flotte qui
de Turquie , a heurté contre cet écueil. Ce bâtiment
a été obligé de relâcher ici pour réparer le
dommage qu'il a fouffert.
revient
DE MALAGA , le 10 Décembre.
On fentit le 27 du mois dernier à Cordoue une
fecoufle affez forte. Il y en eut une ici le 29.
Pendant plufieurs jours on a remarqué une agitation
extraordinaire dans les eaux.
ITALI
E.
DE NAPLES , le 6 Décembre.
Depuis trois ſemaines on a effuyé dans toute
la partie méridionale de l'Italie des orages auffi
fréquens que violens , qui ont caufe de grands
dommages , tant à la campagne que dans les villes
,& beaucoup de naufrages fur les côtes.
DE ROME , le 16 Décembre.
avec
En creufant la terre près d'Orte , on a trouvé
un chandelier de la hauteur d'un homme ,
un grand piedeſtal en forme de pupitre . Ce chandelier
eft d'un métal de compoſition. Sa Sainteté
a ordonné de fouiller dans l'endroit d'où l'on a
tiré cette antiquité , pour voir ſi l'on n'en découvrira
pas quelques autres,
DE
FEVRIER. 1756. 217
DE MILAN , le 26 Décembre.
1 2
Le tremblement de terre qu'on a fenti ici le
de ce mois , a été plus effrayant que celui du premier
Novembre. La bibliothéque Ambrofienne a
éprouvé de fi rudes fecouffes , qu'on l'a crue fur
le point d'être renversée. Les murs du Collége
de Breve ont été confidérablement ébranlés , & la
façade de la falle des exercices publics s'eft entr'-
ouverte.
Le feu a pris ici le 28 du mois dernier , &
tout le quartier de la porte du Tefin a été confumé
par les flammes. Diverfes lettres affurent
qu'il y a eu au Grand Caire un incendie encore
plus terrible. Que plus de fix mille maiſons ont
été brulées , & que la perte causée par cet embrafement
monte à vingt millions . Selon les nouvelles
des côtes de Barbarie , la guerre continue
vivement entre la Régence de Tunis & celle d'Alger.
La Régence de Tripoli s'eft jointe aux Tunifiens.
:
GRANDE - BRETAGNE.
DE LONDRES , le 15 Janvier.
On a reçu avis qu'il y avoit eu à la Barbade ;
à Antigoa , & dans la plupart des autres Illes fous
le Vent , une agitation dans les eaux , ſemblable
à celle qu'on a remarqué , en divers endroits de
l'Europe.
On écrit du village de Glonfow , près de la
Wye dans le Comté de Hereford , qu'on y a été
fort allarmé le 18 du mois dernier par une violente
fecouffe de tremblement de terre , accompagnée
d'un bruit fouterrein affreux , Environ à
cinq cens pas de ce village , un terrein de près
K
218 MERCURE DE FRANCE.
de deux arpens s'eft abîmé. Selon les lettres de la
nouvelle Angleterre , cette province n'a pas été
exemte du fléau qui a caufé tant de ravage en
Europe & en Afrique. Le 18 Novembre , la ville
de Bofton a fouffert plufieurs fecouffes , & il y eft
tombé un grand nombre de cheminées & de toits
de maifons . Pendant ce tremblement , les eaux
partout font montées fubitement de vingt pieds.
Le 6 Janvier , on expédia fept couriers
pour différentes Cours. Il s'eft tenu ces jours- ci
plufieurs Confeils . Le Gouvernement a reçu de la
Virginie , & de la nouvelle Ecoffe des dépêches
qui ont été tenues fecretes , ce qui fait juger
qu'elles ne font pas favorables. Quelques lettres
écrites de ces Colonies à digers particuliers , af
furent que les Sauvages y ont fait de grands ravages.
On a été inftruit par les mêmes avis , que
le 18 du mois de Novembre il y avoit eu de fortes
fecouffes de tremblement de terre à Philadelphie
& à la nouvelle York , ainsi qu'en d'autres
endroits de la côte de l'Amérique Septentrionale,
mais qu'elles n'avoient caufé aucun dommage
notable . Ces lettres confirment que les opérations
militaires des Généraux Johnſon & Shirley
font abfolument fufpendues. Depuis quelques
jours on a commencé la vente des marchandifes
fujettes à dépériffement , qui font à bord des
vaiffeaux pris fur les François. Elle fe fait en préfence
des principales perfonnes des équipages
de chaque bâtiment. On fait prendre aux Capitaines
un duplicata de la note des marchandifes ,
& du prix qu'elles font vendues . I eft décidé
que chaque Régiment de Dragons aura défor
mais un Efcadron de Huffards. Chaque Compagnie
des trois Régimens des Gardes à pied doit
être portée de foixante- dix hommes à quatrevingt-
dix.
FEVRIE R. 1756. 219
Les derniers avis qu'on a reçus de nos Colonies
ne font pas plus favorables que les précédens.
On parle de faire paffer quelques troupes
à la Virginie , & l'on affure que le Roi a envoyé
ordre de lever plufieurs nouveaux Régimens
dans l'Amérique Septentrionale.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
LETTRE à l'Auteur du Mercure , par M.
l'Abbé Moreilhon , Prêtre , Docteur en
Théologie , Curé de Portet , Jurvielle , &
Pobean , Diocèfe de Commenges.
UN étrange phénomene , Monfieut , a répandu
l'effroi dans ce coin de l'Univers. Il pourra
mériter l'attention du Public , fi vous daignez
P'expofer à fes yeux dans un de vos recueils périodiques.
Le premier de ce mois , un vieux Paſteur con
duifit fes moutons dans la prairie de Jurvielle.
C'est un petit Bourg fitué à l'extrêmité de la vallée
de Larbouft , dans la Généralité d'Auch ,
tout au pied des Pyrenées. Vers les onze heures
du matin , ce Berger s'aflit auprès d'une fontaine
où il avoit accoutumé de faire fes champêtres repas.
Il avoit déja bu de cette eau pure dans le
creux de fa main , lorfqu'il vit tout- à -coup fa
Cource fe troubler , au point qu'il la crut changée
en fots de fang.
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
Effrayé du fpectacle il fuit d'un lieu qui avoit
fait jufqu'alors fes plus cheres délices ; mais à
peine a -t'il fait quelque pas , que le ruiffeau qui
ferpente dans le vallon , lui préfente un femblable
prodige. Il appelle d'autres Paſteurs. Des
cris mêlés de gémiflemens fe font entendre au
loin . Un peuple nombreux accourt au bord du
Ruiffeau. On crie de plus en plus au miracle. La
crainte redouble à chaque inftant , & l'allarme
vint me troubler dans les fonctions du faint miniftere
dont j'étois occupé.
Je voulois me convaincre par moi - même du
fujet de la terreur publique. J'allai fur les lieux
& je vis qu'on ne m'en avoit point impofé. Les
caux du ruiffeau étoient d'une couleur parfaitement
reffemblante à celle d'un fang livide . Je
remontai à la fource , & par la verification exacte
que j'en fis , je trouvai le long du vallon quatre
fontaines qui avoient fouffert le même changement.
Non feulement le cryſtal de leurs eaux ne
préfentoit plus fa tranfparence ordinaire , mais
leur goût & leur odeur étoient aufli changée ;
& dans le courant cette liqueur dépofoit une efpece
de limon , tel que le mar du caffé au
clair.
Ce n'eft pas tout. L'émotion populaire me
rendit témoin d'un autre prodige ; tandis que
les quatre fources dont j'ai parlé , avoient pris
une couleur rouge en coulant. de l'Ouestau Sud,
ily en a deux du côté de ce même vallon , dont
les eaux étoient blanches , comme fi l'on y avoir'
détrempé du plâtre. Je continuai mes obferva-"
tions vis- à- vis de ces fontaines qui coulent duNord
at Sud. Après les avoir examinées je trouvai que
cette cau fentoit la vafe , & que les parties craffes
qu'elle entraînoit , étoient de la véritable argille ,
FEVRIER. 1756. 221
Je m'informai fi l'on n'avoit jamais vu un pareil
changement dans ces fontaines , & des perfonnes
âgées de quatre-vingts ans me certifierent qu'elles
n'avoient point vu , ni même oui dire , que
la diverfité des faifons eût produit dans ces fources
la moindre altération. Le tems étoit affez ferein
, & mes foins ne me mirent point à même
de foupçonner quelque caufe extérieure qui eût
trait à cet événement .
Pendant environ fix heures , le changement de
couleur dans ces différentes fontaines fut toujours
au même dégré , fans qu'il furvînt aucune altération
dans plus de vingt fources qui fe trouvent
au-deffus , au- deffous , & à côté , dans l'efpace
d'environ demi - quart de lieue que, contient le
vallon de Jurvielle. Dans la nuit , le prodige diminua
, & vers les huit heures du lendemain matin
les fontaines furent parfaitement rétablies dans
leur étát naturel.
J'avois auguré qu'un tremblement de terre ou
des feux fouterreins avoient pu occafionner le
prétendu miracle. Mes conjectures fe font , à mon
avis , trouvées plus vraisemblables , lorfque les
nouvelles publiques ont annoncé les ravages arrivés
par le tremblement de terre qui a eu lieu
le même jour , premier Novembre à Sévile , à
Cadix, à Salamanque, à Ségovie, à Carthagene, à
Valence , à Bilbao , & furtout à Liſbonne.
Mais comment les fecouffes de la terre ébranlée
à l'embouchure du Tage & du Guadalquivir ,
ont- elles pu troubler des fontaines fituées à quatre
cens lieues de diftance ? Quand le tremblement
de terre auroit été encore plus violent &
plus étendu dans les provinces voifines du détroit
de Gibraltar , fe feroit-il communiqué jufqu'à
P'extrémité de la Gafcogne : Les Pyrenées ne font
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
ils pas une barriere fuffifante pour y mettre obf
tacle ? La communication a - t'elle pu fe faire
dans deux heures de tems, puifque le tremblement
a commencé dans Lifbonne à neuf heures, & qu'ici
les fources ont changé de couleur à onze heures
du matin D'où vient la teinture rouge des quatre
fontaines , & la couleur blanche des deux autres
fources dont j'ai parlé , fi les feux fouterreins,
la crue de la mer , ou l'ébranlement de la terre en
font la véritable cauſe D'où vient que les fontaines
voisines font demeurées dans leur état naturel ?
Ne pourroit-on pas dire , en adoptant l'opinion
commune , fur l'origine des fontaines , que celles-
ci tirent leur fource d'un grand refervoir , où
il s'eft fait quelque éboulement qui a communiqué
à l'eau la différente couleur , felon la différente
qualité du terrein ? Les fonctions rédoutables
dont je fuis furchargé , me rendent depuis
long tems étranger à la Philofophie. Je n'ai donc
garde de prévenir le jugement des Sçavans fur
les queftions propofées. Je me fuis borné à conftater
les faits avec exactitude , & je me contente
de les expofer avec fimplicité .
*
4
J'ai l'honneur d'être , &c.
Ce 20 Novembre 1755.
2
Morillon , Curé.
Les Chevaliers , Commandeurs & Officiers de
l'Ordre du Saint -Efprit , tous en Manteau de
deuil , s'étant affemblés le a de Janvier , vers les
dix heures du matin dans le Cabinet du Roi , Sa
Majefté fortit de fon appartement pour aller à la
Chapelle. Le Roi , devant qui les deux Huiffiers
de la Chambre portoient leurs Maffes , étoit en
Manteau violet ,le Collier de l'Ordre par- deffus ,
ainfi que celui de l'Ordre de la Toifon d'Or. Sa
FEVRI E R. 1756. 223
Majefté étoit précédée de Monfeigneur le Dauphin
, du Duc d'Orléans , du Prince de Condé ,
du Comte de Clermont , du Prince de Conty , du
Comte de la Marche , du Comte d'Eu , du Duc
de Penthiévre , & des Chevaliers , Commandeurs
& Officiers de l'Ordre . Elle affifta à la Meffe de
Requiem , que l'Archevêque de Narbonne , Prélat
Commandeur de l'Ordre du Saint - Esprit , célébra
pour le repos des ames des Chevaliers morts pendant
le cours de l'année derniere. Enfuite Sa Ma
jefté fut reconduite à fon appartement , ains
qu'Elle étoit venue à la Chapelle.
Le 3 , les Députés des Etats de Bretagne eurent
audience du Roi . Ils furent préfentés à Sa Majesté
par M. le Duc de Penthievre , Gouverneur de la
Province , & par M. le Comte de Saint Florentin ,
Miniftre & Secrétaire d'Etat , & conduits par M.
le Marquis de Dreux , Grand Maître des Cérémonies.
La Députation étoit compofée pour le Cler.
gé , de M. l'Evêque de Nantes qui porta la parole ;
de M. le Comte de Polignac pour la Nobleffe , &
de M. Marion , Député du Commerce de Saint-
Malo , pour le Tiers- Etat.
Le 4, Madame la Marquife de Broglie fur
préfentée à Leurs Majeftés & à la Famille Royale.
M. de Machault , Garde des Sceaux de France ,
Miniftre & Secrétaire d'Etat ayant le Département
de la Marine , préſenta le même jour au Roi M. le
Chevalier de Tourville , Officier des Vaiffeaux de
Sa Majesté.
Les Officiers Généraux qui feront employés
fur les côtes de l'Océan , depuis Dunkerque jufqu'à
la frontiere d'Efpagne , fous les ordres de M.
le Maréchal Duc de Belle-Ifle , font :
LIEUTENANS-GENERAUX , Meffieurs , le Mar
quis de Clermont Gallerande , fur les côtes de
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
Saintonge , Païs d'Aunis & Poitou . Le Comte
d'Eftrées & le Duc d'Harcourt , côtes de Normandie
& du Gouvernement du Havre . Le Prince de
Soubize , côtes de Flandre. Le Duc de Chaulnes ,
côtes de Picardie & Calaifis. M. de Crémille , le
Marquis d'Hérouville , côtes de Guyenne , de
Bayonne & du Païs de Labour. Le Comte de Saint
Germain , côtes de Flandre.
t.
MARECHAUX DE CAMP . MM . le Duc d'Aiguillon
, côtes de Bretagne . Du Barail , côtes de
Flandre. Le Marquis de Dreux , côtes de Saintonge
, Païs d'Aunis & Poitou, Le Marquis de Puyfegur
, côtes de Normandie & du Gouvernement
du Havre. Le Marquis de Voyer , M. Lally , dans
le Boulonnois. Le Marquis de Narbonne , côtes
de Guyenne , de Bayonne & du Pais de Labour.
Le Marquis de Curfay , côtes de Bretagne. Le
Comte de Raymond , côtes de Normandie & du
Gouvernement du Havre .
T
Le Maréchal Duc de Richelieu , à qui le Roi a
donné le commandement général des côtes de la
Méditerranée depuis la frontiere d'Eſpagne jufqu'au
Var , aura fous fes ordres trois Lieutenans-
Généraux, & deux Maréchaux de Camp .
LIEUTENANS- GENERAUX employés fous les ordres
de ce Maréchal. Le Duc de Mirepoix , fur les côtes
de Languedoc. Le Comte de Graville , côtes
de Rouffillon . Le Marquis de Maillebois , côtes
de Provence.
MARECHAUX DE CAMP qui ferviront fous les
mêmes ordres. Le Comte de Moncan , côtes de
Languedoc. Le Comte de Lannion , côtes de Provence
.
On a annoncé l'année derniere , que l'Académie
de Pau avoit propofé pour le Sujet du Prix
qu'elle doit diftribuer en 1756 , L'utilité des déFEVRIER.
1756. 225
44
couvertesfaites dans les Sciences fous le Regne de
Louis XV. Une des Pieces de Poélies qui ont été
envoyées à cette Académie , a été adreffée par la
Pofte à l'Abbé de Sorberio , ci - devant Secrétaire
de la Compagnie , & on lit au bas cette Sentence ,
Eft aliquidfub Sole novum. L'Auteur n'a pas joine
à fon Poëme le billet cacheté qui devoit contenir
fon nom , & fur lequel devoit être répetée la
Sentence ci- deſſus mentionnée. Il eft averti qu'il
ne peut entrer en concours s'il ne répare cette
omiffion , en envoyant une autre copie de fon
ouvrage , accompagnée d'un Billet dans lequel i
obferve les deux formalités dont on vient de parler.
On a appris que le 21 du mois dernier il y avoit
eu un nouveau tremblement de terre à Lisbonne.
Plufieurs des maifons qui n'avoient été qu'ébranlées
, ont été détruites . Leur chûte a fait périt
encore plus de trois cens perfonnes. Nouvelle
incertaine .
Sur la démiſſion volontaire'de M. le Duc de
Bethune en faveur de M. le Duc de Charoft fon
petit- fils , le Roi a accordé à ce dernier la Lieurtenance
- Générale de Picardie & du Boulonnois ,
ainfi que le Gouvernement des Ville & Citadelle
de Calais.
On apprend de Luneville , que le Roi ayant
nommé Commandeur Honoraire de l'Ordre Royal
& Militaire de Saint Louis M. de Baye , Brigadier
de Cavalerie , Commandant les deux Compagnies
des Cadets Gentilshommes du Roi de Pologne
Duc de Lorraine & de Bar , Sa Majefté Polonoife
a fait l'honneur à cet Officier , de le revêtir lui-
-même du grand Cordon rouge.
La nuit du 26 au 27 de Décembre , on fentit
à Rocroy deux legeres fecouffes de tremblement
de terre , la premiere à onze heures cin-
K v
226 MERCURE DE FRANCE.
quante-fix minutes , la feconde à minuit douze
minutes . Elles s'annoncerent par un bruit fourd
de peu de durée , & le Ciel , au rapport des fentinelles
qui étoient pour lors en faction , parut tour
en feu.
M. Rouillé , Miniftre & Secrétaire d'Etat ayant
le Département des Affaires Etrangeres , écrivit
le 21 du même mois à Monfieur Fox , Secrétaire
d'Etat du Roi d'Angleterre , la Lettre fuivante.
·
Monfieur , c'est par ordre du Roi mon Maître ,
que j'ai l'honneur d'envoyer à votre Excellence le
Mémoire que je joins ici , &c.
« Il n'a pas tenu au Roi que les différends concernant
l'Amérique n'ayent été terminés par les
» voies de la conciliation , & Sa Majesté eft en
» état de le démontrer à l'Univers entier par des
preuves authentiques.
Le Roi , toujours animé du défir le plus fin-
» cere de maintenir le repos public & la plus parfaite
intelligence avec Sa Majefté Britannique
» a fuivi avec la bonne foi & la confiance la plus
entiere la négociation relative à cet objet.
» Les affurances que le Roi de la Grande Bre-
» tagne & fes Miniftres renouvelloient fans ceffe
» de vive voix & par écrit , étoient fi formelles
» & fi préciſes fur les difpofitions pacifiques de Sa
Majefté Britannique , que le Roi fe feroit re-
» proché le moindre doute fur la droiture des in-
» tentions de la Cour de Londres .
» Il n'eft guere poflible de concevoir com-
» ment ces affurances pouvoient fe concilier avec
ples ordres offenfifs , donnés en Novembre 1754
au Général Braddock , & au mois d'Avril 1755à
» P'Amiral Bofſcawen.
» L'attaque au mois de Juillet dernier , & la
prife de deux vaiffeaux du Roi en pleine mer &
7 FEVRIER. 1756. 227
D fans déclaration de guerre , étoient une infulte
publique au pavillon de Sa Majefté ; & elle auroit
témoigné fur le champ tout le jufte reffen-
» tinient que lui infpiroit une entrepriſe fi irrégu
liere & fi violente , fi elle avoit pu croire que
» P'Amiral Boscawen n'eût agi que par les ordres.
» de la Cour.
» Le même motif avoit d'abord fufpendu le
» jugement du Roi fur les pirateries que les vaiffeaux
de guerre Anglois exercent depuis plu
» fieurs mois contre la navigation & le commervce
des fujets de Sa Majefté , au mépris du droit
des gens , de la foi des traités , des ufages établis
parmi les nations policées , & des égards
» qu'elles fe doivent réciproquement.
Le Roi avoit lieu d'attendre des fentimens
de Sa Majefté Britannique , qu'à fon retour à
» Londres elle défavoueroit la conduite de fon
Amirauté & de fes Officiers de mer , & qu'elle
» donneroit à Sa Majefté une fatisfaction'
tionnée à l'injure & au dommage,
propor
» Mais le Roi voyant que le Roi d'Angleterre
» bien loin de punir les brigandages de la Marine
» Angloife , les encourage au contraire , en demandant
à fes Sujets de nouveaux fecours con
» tre la France , Sa Majesté manqueroit à ce qu'el
» le doit à fa propre gloire , à la dignité de ſa
» Couronne , & à la défenfe de fes peoples , fi
elle différoit plus long - tems d'exiger du Roi
» de la Grande Bretagne une réparation éclatante:
» de l'outrage fait au pavillon François , & des
dommages caufes aux Sujets du Roi,
Sa Majefté croit donc devoir s'adreffer direc
tement à Sa Majefté Britannique , & lui deman
der la rehitution prompte & entiere de tous les
» vaiffeaux Francois , tant de guerre que mar-
3Y
K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
chands, qui, contre toutes les loix & contre tou
tes les bienséances , ont été pris par la Marine
» Angloife , & de tous les Officiers , Soldats , Ma-
» telots , Artillerie , Munitions , Marchandifes , &
genéralement de tout ce qui appartenoit à ces
>> vaiffeaux .
»
» Le Roi aimera toujours mieux devoir à l'équité
du Roi d'Angleterre qu'à tout autre moyen
»la fatisfaction que Sa Majeſté a droit de recla-
» mer & toutes les Puiffances verront fans dou
» te dans la démarche qu'elle s'eft déterminée à
» faire une nouvelle preuve bien ſenſible de cet
» amour conftant pour la paix , qui dirige fes
» confeils & fes réfolutions.
» Si Sa Majefté Britannique ordonne la refti-
» tution des vailleaux dont il s'agit , le Roi fera
» difpofé à entier en négociation fur les autres
fatisfactions qui lui font légitimement dues , &
» continuera de fe prêter , comme il a fait précé-
» demment à un accommodement équitable &
» folide fur les difcuffions qui concernent l'Amé
>> rique.
» Mais fi , contre toute efpérance , le Roi d'Angleterre
fe refufe à la réquifition que le Roi luí
» fait , Sa Majefté regardera će deni de jufticé
» comme la déclaration de guerre la plus authen-
» tique , & comme un deffein forme par la Cour
» de Londres , de troubler le repos de l'Europe .
M. Fox á fait à M. Rouillé la réponſe qui fuit
& qui eft datée de Whitehall , le 13 Janvier.
Monfieur , j'ai reçu le 3 de ce mois la lettre
dont votre Excellence m'a honoré , en date du zí
du mois paffé , avec le Mémoire dont elle étoit accompagnée
. Je n'ai pas tardé à les mettre devant
le Roi mon Maître, c'eft par fes ordres que j'ai
P'honneur d'informer votre Excellence que Sa Ma
FEVRIER. 1756. 229
jefté continue de fouhaiter la confervation de la
tranquillité publique ; mais quoique le Roi fe prê
tera volontiers à un accommodement équitable &
folide , Sa Majesté ne fçauroit accorder la deman
de qu'on fait de la reftitution prompte entiere
de tous les vaiffeaux François , & de tout ce qui y
appartenoit , comme une condition préliminaire à
toute négociation ; le Roi n'ayant rien fait dans
toutes fes démarches , que ce que les hoftilités com
mencées pas la France en tems de pleine paix ( dont
on a les preuves les plus authentiques ) , & ce que
Sa Majesté doit à fon honneur , à la défense des
droits & poffeffions de fa Couronne , & à la fureté
defes Royaumes, ont rendu jufte indifpenfable.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Le 18 M. le Duc de Charoft prêta ferment
entre les mains du Roi , pour la Lieutenance- Générale
de Picardie & du Boulonnais , & pour le
Gouvernement
des Ville & Citadelle de Calais .
Monfeigneur le Dauphin & Madame la Dauphine
vinrent le 19 de Janvier à Paris , pour rendre
à Dieu leurs folemnelles actions de graces , à
l'occafion de la naiffance de Monfeigneur le Comte
de Provence. Ce Prince & cette Princeffe arriverent
fur les trois heures & demie après- midi à
PEglife Métropolitaine , & furent reçus à la porte
de l'Eglife par l'Abbé de Saint- xupery , Doyen
du Chapitre , à la tête des Chanoines . Ayant été
conduits dans le Choeur , ils affifterent au Te
Deum , auquel le Doyen officia . En fortant , ils
firent leur priere à la Chapelle de la Vierge . De
1'Eglife Métropolitaine , Monfeigneur le Dau
phin & Madame Pa Dauphine fe rendirent à celle
de Sainte Geneviévé . L'Abbé , à la tête de fa Communauté
, les reçut à la porte de l'Eglife . Lorfque
ce Prince & cette Princeffe furent entrés dans le
230 MERCURE DE FRANCE.
Choeur , on célebra le Salut. La Châffe de Sainte
Géneviéve étoit découverte. Monfeigneur le Dauphin
& Madame la Dauphine , en arrivant à l'Eglife
Métropolitaine & à celle de Sainte Géneviéve
, ont trouvé une Compagnie des Gardes Françoifes
& une des Gardes Suiffes fous les armes . Le
foir , ce Prince & cette Princeffe retournerent à
Verfailles. Le peuple eft accouru partout en foule
fur leur paffage , & a témoigné par fes acclamations
la joie que lui caufoit leur préfence.
Sa Majesté voulant qu'il foit pourvu au remplacement
des Soldats , qui manquent dans les
Bataillons de Milice , & en même- tems à la levée
de l'augmentation qu'Elle a réfolu de faire dans
ces Bataillons , a ordonné ce qui fuit . ARTICLE I.
Les Bataillons de Milice , qui font actuellement
compofés de cinq cens hommes en dix Compa
gnies , feront portés à cinq cens quatre-vingt-dix
hommes chacun , formant le même nombre de
dix Compagnies , dont une de Grenadiers de cinquante
hommes , une de Grenadiers Poftiches de
foixante , & huit de Fufiliers de pareil nombre ;
les neuf Compagnies , tant de Grenadiers Poftiches
que de Fusiliers , devant être augmentées
chacune de dix hommes. ART. II. Entend Sa Majefté
, que , conformément aux ordres qu'Elle
donnés pour fufpendre la délivrance des congés
d'ancienneté aux Cavaliers , Dragons & Soldats
de fes troupes , il ne foit également délivré aucun
congé d'ancienneté aux Soldats de fes Bataillons
de Milice pendant la préfente année ; fe réſervant
de régler ceux qui devront être expédiés dans la
fuite. ART. III. Veut Sa Majefté , qu'il foit incel
famment procédé par le fieur Berryer , Lieutenant-
Général de Police de la Ville de Paris , &
par les Intendans des Provinces & Généralités di
FEVRIER. 1756. 271
A
Royaume , ou leurs Subdélégués , à la levée tant
des remplacemens qu'il y a à faire pour completer
le fonds actuel des Bataillons de Milice de
leurs Départemens , que des quatre -vingt- dix
hommes d'augmentation par Bataillon , enforte
qu'ils puiffent être affemblés auffi- tôt que Sa Majesté
le preferira .
L'honneur qu'a la Provence , de voir porter fon
nom au troifiéme petit - Fils de France , faifoit à la
Ville d'Aix une loi de célébrer la naiffance de ce
Prince , par des réjouiffances éclatantes. La Fêtefut
annoncée le 12 de Décembre par plufieurs
troupes de Trompettes , de Tambours & de Tambourins
qui parcoururent la Ville . Le 14 , on
chanta le Te Deum dans l'Eglife Métropolitaine.
Un Bucher fut allumé dans la Place des Prêcheurs.
Devant l'Hôtel du Gouvernement , dont la façade
étoit illuminée avec autant de goût que de magnificence
, s'élevoit un Arc de Triomphe , fous lequel
le Duc de Villars fir diftribuer des viandes au
peuple pendant quatre heures confécutives . Toute
la nuit , il coula des quatre angles du Buffet quatre
Fontaines de vin. Une Cavalcade d'environ deux
cens Citoyens , divifés en quatre Compagnies
différemment habillées , fe promena dans les principales
rues. Trois de ces Compagnies , l'une de
Mafques de divers caracteres , l'autre de Cavaliers
Turcs , la troifiéme vêtue d'un riche uniforme
militaire , précédoient un Char orné de dorures
& d'emblêmes , & rempli de Symphonistes. Au
fond de ce Char , on voyoit deux perfonnes ,
dont l'une repréſentoit la Provence tenant dans fes
bras un Enfant , & l'autre le Roi René , qui regardoit
cet enfant avec complaifance . La quatriéme
Compagnie , habillée à la Chinoife ,fuivait
le Char. Chaque Compagnieavoit fes laftrumens,
232 MERCURE DE FRANCE.
*
fes Etendards & fes Officiers ; & la bride du cheval
de chaque Cavalier étoit tenue par un Valet
mafqué , lequel portoit un flambeau. Quinze Bergeres
& autant de Bergers fe rendirent chez M. le
Duc de Villars en chantant l'événement qui
caufoit l'allégreffe publique , & en exprimant la
leur d'une maniere d'autant plus tonchante
qu'elle étoit plus naïve . Il y eut au Gouvernement
un fouper fomptueux , & l'on y fervit huit tables,
compofant enfemble deux cens cinquante couverts.
M. le Duc de Villars donna le lendemain dans
la Salle de l'Hôtel de Ville un Bal , pendant lequel
on diftribua des rafraîchiffemens de toute
efpece Le 21 , ce Seigneur a la tête des Confuls
& du Corps de Ville , affifta à la Meffe , que la
Ville fit chanter dans l'Eghte des Dominicains . A
Pentrée de la nuit , on tira dans la Place de l'Hô .
tul de Ville , un feu d'artifice qui dura trois quarts
d'heure. La face de cet Hôtel étoit illuminée en
lampions & en pots à feu. Toutes les perfonnes
de diftinction y fouperent. Cette Fête , dans laquelle
la Nobleffe & le peuple ont fait éclater à
l'envi leur zele & leur joie , fera mémorable particuliérement
pour les pauvres . La Ville en a habillé
& diverſement fecouru un très- grand nombre,
& M. le Duc de Villars a répandu fes largeſſes
fur tous ceux qui le font préfentés.
Pendant le cours de l'année derniere , il eft
mort à Paris vingt mille vingt- une perſonnes :
il s'y eft fait dix-neuf mille quatre cens douze
baptêmes , & quatre mille cinq cens un mariages;
& il y a eu quatre mille deux cens foixantetreize
Enfans Trouvés.
Le 22 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à quatorze cens livres : les Billets de la
premiere Loterie Royale , à huit cens vingt-cinq;
FEVRIER. 1756. 233
& ceux de la troifiéme Loterie , à fix cens dix- huit.
Ceux de la Seconde n'avoient point de prix fixe.
BENEFICES DONNÉS.
Le Roi a donné l'Abbaye Réguliere & Elective
de Marback , Ordre de Saint Auguftin , Diocèfe
de Bafle , à Dom Hergott , Religieux de cette
Abbaye , & celle de Cordillon , Ordre de Saint
Benoît , Diocèfe de Bayeux , à la Dame de Banneville
, Religieufe dudit Ordre .
Mariage & Morts.
M Effire N..... Marquis de Bréhant , Brigadier
d'Infanterie , & Colonel du Régiment de Picardie
, époufa le 17 Novembre au Château de
Bercy, Demoiselle N..... Tafchereau de Baudry
, fille de feu Meffire Gabriel - Talchereau de
Baudry , Confeiller d'Etat ordinaire , & Intendant
des Finances , mort le 22 Avril 1755. Le jour du
mariage le Régiment de Picardie donna à la Garnifon
de Valenciennes un fouper , qui fut fuivi
d'un bal auquel toute la Ville fut invitée.
Louis-Charles , Comte de la Mothe- Houdancourt
, Maréchal de France , Grand d'Espagne de
la premiere Claffe , Chevalier des Ordres du Roi ,
Chevalier d'honneur de la Reine &Gouverneur de
Gravelines , eft mort à Paris le 3 Novemb. âgé de
68 ans. Le Roi a difpofé de la charge de Chevalier
d'honneur de la Reine , vacante parfalnmort, en faveur
du Comte de Saulx-Tavannes , Lieutenant-
Général des Armées du Roi , Gouverneur du Châ
234 MERCURE DE FRANCE.
teau du Taureau en Baffe- Bretagne , & l'un des
Menins de Monfeigneur le Dauphin.
Le 27 Novembre , mourut dans fes terres de
Normandie , Louife- Elifabeth de Melun , Marquife
de Langheac ; elle avoit époufé en premieres
noces Alexandre - Théodofe , Comte de Melun,
Meftre de camp du régiment Royal , fon coufin
germain, mort en 1739 ; & en fecondes, Gilbert-
Allire , Marquis de Langheac : de ce mariage
elle laiffe trois filles ,& deux du premier , feu!
refte de la derniere branche de fon illuftre maifon
: ( 1 ) Charle- Alexandre-Albert de Melun , Vicomte
de Gand , grand pere de la Marquife
de Langheac , en étoit l'auteur. Il étoit fils puîné
de Guillaume de Melun , Prince d'Epinoi , &
d'Erneftine de Ligne-Aremberg , & avoit pour
frere 1°, Alexandre-Guillaume , Prince d'Epinoi ,
dont par la mort de fon petit-fils , Louis, créé Duc
de Joyeufe , tué par un cerf à Chantilli le 31 Juillet
1724 , tous les biens pafferent à fa foeur , Anne-
Julie-Adelaïde , Princeffe de Soubiſe . 2 °. François
- Philippe de Melun , Marquis de Richebourg
dont la poftérité mafculine s'eft pareillement
éteinte , par la mort de Philippe Marquis de
Kichebourg , Grand d'Efpagne de la premiere
claffe , & celle de Guillaume Comte de Beauffart,
auffi Grand d'Espagne , fes petits-fils . Le Vicomte
de Gand , par Renée de Rupiere fa femme
fut pere de trois fils ; Alexandre l'aîné , Marquis
de Melun , époufa Elifabeth de Rohan- Gué-
(1 ) Robert, Moine de S. Remi de Rheims , écrivant:
en 1089, dans fon Hiftoire d'Antioche , Contemporain
de Guillaume de Melun , dit le Charpentier
par fa valeur par fa force , le dit iſſu de race
royale
FEVRIER . 1756. 235
A
menée, dont une fille unique , Louife- Armande ,
mariée avec Gabriel Vicomte de Melun , le troifiéme
des freres de fon pere , mort en 1740 , Lieutenant
général des armées du Roi , Commandant
à Abbeville ; c'eft de ce mariage qu'étoit iffue
la Marquife de Langheac ; & fon premier mari ,
de celui de Charlotte de Monchy - Senarpont
avec Ambroise Comte de Melun , autre frere
de fon pere , & grand pere , tous trois fils du
Vicomte de Gand.
Marie - Louiſe - Victoire de Gramont , épouſe
d'Antoine Duc de Gramont , Pair de France
Souverain de Bidache , Brigadier d'Infanterie ,
Gouverneur & Lieutenant- Général de Navarre
& de Bearn , mourut à Paris le 11 de Janvier ,
âgée de trente-trois ans .
- Meffire Louis Antoine du Fos , Marquis de
Mery , eft mort le 12 au château de la Taule en
Picardie , dans fa cinquante - fixième année.
Meffire Henri , Comte de Bukeley , Chevalier
des Ordres de Sa Majefté , & Lieutenant - Général
de les armées , eft mort en cette ville le 14 .
Dame Jeanne-Thérefe- Pélagie d'Albert , veuve
de Meffire Louis de Guilhelm de Caftelnau de
Clermont Lodeve , Marquis de Seffac , Maître de
la Garde-robe du Roi , eft morte en cette ville le
14,dans la quatre-vingt-uniéme année de fon âge.
Geneviève de Gontant-Biron , veuve de Louis
"Duc de Gramont , Pair de France , Lieutenant-
Général des armées du Roi , Gouverneur & Lieutenant
- Général de Navarre & de Bearn , & Colonel
du Régiment des Gardes Françoifes , mourut
à Paris le is , agée de cinquante- neuf ans.
Le Pere Jean- Baptifte Radominski , Confeffeur
de la Reine , eft mort à Verſailles le 18 , âgé de
foixante- dix ans. Il étoit de la Compagnie de Jefus,,
& Polonois de Nation..
236 MERCURE DE FRANCE.
AVIS
BEchique fouverain , ou fyrop pectoral approuvé
par Brevet du 24 Août 1750 , pour les maladies
de poitrine , comme rhume , toux invétérées
, oppreffion , foiblefle de poitrine , & afthme
humide. Ce Béchique ayant la propriété de fondre
& d'atténuer les humeurs engorgées dans le
poumon , d'adoucir l'acrimonie de la lymphe en
tant que balfamique , & rétablir les forces abattues
, en rappellant peu- à- peu l'appétit & le fommeil
, comme parfait reftaurant , produit des effets
fi rapides dans les maladies énoncées , que la bouteille
taxée à fix livres , fcellée & étiquêtée à l'ordinaire
, eft fuffifante pour en procurer toute
P'efficacité avec fuccès.
Il ne le débite que chez la Dame veuve Mouton
, Marchande Apothicaire de Paris , rue faint
Denis , à côté de la rue Thevenot , vis - à- vis le
Roi François.
AUTRE.
LA veuve du fieur Bunon , Dentiste des Enfans
de France , donne avis qu'elle débite journellement
chez elle , rue fainte Avoye , au coin de
la rue de Braque , chez M. Georget fon frere ,
Chirurgien , les remedes de feu fon mari , dont
elle a feule la compofition , & qu'elle a toujours
préparés elle -même .
Sçavoir ;
1º. Un Elixir anti-fcorbutique qui affermit les
dents , diffipe le gonflement & l'inflammation
FEVRIER. 1756 . 237
des gencives , les fortifie , les fait recroître , diffipe
& prévient toutes les afflictions fcorbutiques ,
& appaiſe la douleur des dents .
20. Une eau appellée Souveraine , qui affermit
auffi les dents , rétablit les gencives , en diffipe
toutes tumeurs , chancres & boutons qui viennent
auffi à la langue , à l'intérieur des levres
& des joues en fe rinçant la bouche de quelques
gouttes dans de l'eau tous les jours , & elle la
rend fraîche & fans odeur , & en éloigne les
corruptions ; elle calme la douleur des dents.
3º. Un Opiat pour affermir & blanchir les
dents , diffiper le fang épais & groffier des gencives
, qui les rend tendres & moliaffes , & caufe
de l'odeur à la bouche.
4°. Une poudre de corail pour blanchir les
dents & les entretenir ; elle empêche que le limon
ne fe forme en tartre , & qu'il ne corrompe
les gencives , & elle les conferve fermes & bonnes
; de forte qu'elle peut fuffire pour les perfonnes
qui ont foin de leurs dents , fans qu'ilfoit
néceffaire de les faire nettoyer.
Les plus petites bouteilles d'Elixir font d'une
livre dix fols.
Les plus petites bouteilles d'eau Souveraine
font d'une livre quatre fols , mais plus grandes
que celles de l'Elixir .
Les petits pots d'Opiate font d'une livre dix fols.
Les boîtes de poudre de Corail font d'une liv.
quatre fols.
238
ERRAT A.
pour le fecond Volume de Janvier.
Page 11 , lig. 19 , au lieu de enfuite , lis. en
Suiffe .
Page 81 , lig. 16 , un Enigme , lif. une Enigme.
Pag. 91 , Poéfies del Signor Abbate Pietro Metaltafio
, lif. Poéfie del Signor , &c.
Page 101 ,lig. 9 , l'heure du pafla- , lif. du paflage
.
Page 180 , lig. 21 , au lieu de c'est tout , lis. c'eft
tout dire.
Page 188 , lig. 18 , au lieu de paroiffent , lif.
paroiffoient obfcures.
Page 189 , lig. 11 , au lieu de Saturne , lif. Juturne
.
Page 215 , lig. 12 , un cartouche en forme de médailles
, lif en forme de médaillon.
J'
AP PROBATION.
Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier
, le Mercure du mois de Février , & je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 29 Janvier 1756.
GUIROY.
239
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
page s
9
Trennes d'an Berger à fa Bergere ,
Les Graces de l'Ingénuité , Nouvelle ,
La Souche & le Marronnier ' , Fable ,
Etrennes à M. de Fontenelle de l'Académic Françoife
,
50
52
Examen de la Surdité & de la Cécité , par un
Sourd →
Portrait du Roi ,
Vers à M. D*** , par M. de Baſtide
53
70
72
Differtation du même Auteur fur les égards qu'u
ne femme doit à un galant homme qui lui
fait une déclaration d'amour 75
91
Vers d'un garçon Perruquier à fes pratiques , 89
Les Songes , Tirade chantante ,
Lettre adreffée à l'Auteur du portrait de l'honnêre
homme , 97
Mot de l'Enigme & du Logogryphe du fecond
volume de Janvier ,
Enigme & Logogryphe ,
Chanfon ,
99
ibid.
102
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Séance publique de l'Académie des Belles- Lettres
de Montauban , 103
Extraits , précis ou indications des Livres nouveaux
,
Lettre au fujet de Meffieurs Guis & Guys
122
131
Lettre d'un Profeffeur de l'Univerfité de Paris , à
M. de Saint-foix ,
Réponse de M. de Saint-foix ,
133
136
240
Réponse de Dom Pelletier à la lettre qui lui a été
adreflée dans le premier Mercure de Décembre
,
Lettre de M. de Chevrier à Dom Pelletier ,
137
141
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Grammaire . Obfervations fur les différens fons
de la lettre T , avec les moyens de les fixer , 145
Médailles ,
Phyfique . Lettre fur le tremblement de terre
arrivé à Lisbonne ,
148
149
Hiftoire naturelle. Anecdote finguliere au fujet
d'un Lion marin , 163
`Médecine. Mémoire au fujet de l'héméralopie, par
M. Fournier , Médecin de l'Hôtel - Dieu de
Montpellier ,
168
Chirurgie . Lettre au Frere Côme , au fujet de fon
Lithotome caché ,
174
Séance publique de l'Académie des Sciences , &
Belles- Lettres de Dijon ,
Mufique.
ART. IV. BEAUX ARTS.
180
199
Peinture. Explication de deux Tableaux allégoriques
, par M. Gofmond de Vernon ,
Gravure.
200
207
ART. V. SPECTACLES.
Comédie Françoiſe .
209
Comédie Italienne. ibid.
Avis au fujet de l'Opéra , ibid.
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres ,
211
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
219
Bénéfices donnés ,
233
Mariage , & Morts ,
ibid.
Avis. 236
こ
La Chanson notée doit regarder la Page 101.
De l'Imprimerie de Ch , A. JOMBERS .
MERCURE
DE FRANCE,
DÉDIÉ
Chez
AU ROI.
MARS. 1756 .
Diverfité, c'est ma devife. La Fontaine.
Cochin
Filiusinv
1. Sculp
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du
Mercure eſt chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'eft à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province
auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte ,
payeront
pour feize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les
recevront francs de port .
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui
prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront comme à Paris ,
qu'à raifon de 30 fols par volume , c'est- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes.
Les
Libraires des
provinces ou des pays
A ij
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreſſe ci - deſſus.
On fupplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la pofte , en payant le droit, le prix
deleur abonnement , ou de donner leurs ordres ,
afin que lepayement en foit fait d'avance au
Bureau .
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
resteront au rebut .
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine, aprèsmidi.
On peut se procurer par la voie du Merles
autres Journaux , ainfi que les Li
vres , Estampes & Mufique qu'ils annoncent.
`cure ,
匾
MERCURE
DE FRANCE.
MARS. 1756.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LE PAPILLON ET LE LIERRE.
FABLE.
UN Papillon las à la fin ,
D'avoir , fans fruit & fans deffein ,
Courtisé les fleurs d'un partere ,
Alla fe repofer dans un bofquet voisin.
Afes regards furpris s'offrit un jeune Lierre
A l'écorce d'un Chêne étroitement uni.
Sur fon attachement d'abord il fut honni ,
A iij
MERCURE DE FRANCE.
L'inconftant Papillon lui déclara la guerre.
Quoi ! lui dit l'infecte léger ,
Prétends-tu fur ce tronc paffer toute ta vie
Sans fonger à te dégager ?
Brife la chaîne qui te lie ;
Rends hommage aux nouveaux appas
De la tige tendre & fleurie
Du Tilleul qui te tend les bras :
Ce jeune Ormeau , ce beau Lilas
Ont de quoi piquer ton envie ;
Renonce à la fotte manie
D'être conftant jufqu'au trépas ;
Ma félicité t'en convie.
Je n'éprouve un charmant deftin
Qu'en pallant des fleurs d'un jardin
Aux-fleurettes de la prairie.
Dans l'efpace d'un feul matin ,
Jouet d'une inconftance heureuſe ,
Je porte mon vol incertain
Tour à tour fur la Tubéreuſe ,
La Violette ou le Jaſmin ;
Et bientôt je cours à la Rofe
La plus nouvellement écloſe ,
Que j'abandonne pour le Thyn.
J'en ai trop entendu , lui dit d'un ton niodefte ,
Le Lierre qui l'interrompit ;-
Par cette morale funeſte
Je ne ferai jamais féduit.
Ces propos fémillans , cet air brillant & lefte ,
MARS. 1756. 7
Sont tout-à-fait hors de faiſon ;
Des maximes que je déteſte
Va porter loin de moi le dangereux poiſon .
Tes charmantes couleurs , l'éclat de ta parure ,
Tes amours , tes plaifirs ne durent qu'un printems
:
Mais lorsque la rigueur des hyvers & des ans
Semble ravager la nature
Par les efforts les plus cruels ,
Elle refpecte la verdure
De mes feuillages immortels.
Ce n'eft qu'aux feuls coups de la hache
Qu'on voit enfin céder les noeuds que je chéris ;
Et mon fort , lorfque je péris ,
Eft de mourir où je m'attache.
Il eſt doux de fçavoir former
Un attachement véritable ;
On ne devient jamais aimable
Qu'en ne ceffant jamais d'aimer.
Heureux , heureux le coeur qui me prend pour
modele
Dans le choix d'un objet digne de fes déſirs !
Ce n'eft que dans les feux d'une ardeur éternelle
Que l'on trouve de vrais plaifirs.
Par M. le Chevalier de Pierres de Fontenailles
.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
SOLIMAN II.
ANECDOTE TURQU E.
C'Eft un plaifir de voir les graves Hiſtoriens
fe creufer la tête pour trouver de grandes
caufes aux grands événemens . Le Valetde-
chambre de Silla auroit peut-être bien
ri d'entendre les Politiques raifonner fur
l'abdication de fon maître ; mais ce n'eft
pas de Silla que je veux parler.
Soliman II époufa fon Efclave au mépris
des Loix des Sultans. On fe peint
d'abord cette Efclave comme une beauté
accomplie , avec une ame élevée , un génie
rare , une politique profonde. Rien
de tout cela : voici le fait.
Soliman s'ennuyoit au milieu de fa
gloire les plaifirs variés mais faciles
du Serrail lui étoient devenus infipides.
Je fuis las , dit-il un jour , de ne voir ici
que des machines careffantes. Ces Efclaves
me font pitié. Leur molle docilité n'a
rien de piquant , rien de flatteur . C'eſt à
des coeurs nourris dans le fein de la liberté
, qu'il feroit doux de faire aimer l'ef
clavage. Les fantaisies d'un Sultan font
des Loix pour fes Miniftres . On promir
MAR S. 1756. ༡
des fommes confidérables à qui ameneroit
au Serrail des Efclaves Européennes.
Il en vint trois en peu de tems , qui , pareilles
aux trois Graces , fembloient avoir
partagé entr'elles tous les charmes de la
beauté.
Des traits nobles & modeftes , des
yeux tendres & languiffans , un efprit ingénu
& une ame fenfible , diftinguoient
la touchante Elmire. L'entrée du Serrail
l'image de la fervitude l'avoient glacée
d'un mortel effroi : Soliman la trouva évanouie
dans les bras des femmes . Il
approche
; il la rappelle à la lumiere ; il la raffure
avec bonté. Elle leve fur lui de grands
yeux bleus mouillés de larmes ; il lui tend
la main ; il la foutient lui-même , elle le
fuit d'un pas chancelant . Les Efclaves ſe
retirent : & dès qu'il fut feul avec elle ,
ce n'eft pas de l'effroi , lui dit- il , belle
Elmire , que je prétends vous infpirer .
Oubliez que vous avez un Maître ; ne
voyez en moi qu'un Amant. Le nom d'Amant
ne m'eſt pas moins inconnu que celui
de Maître , lui dit- elle , & l'un & l'autre
me font trembler. On m'a dit , & j'en
fremis encore , que j'étois deftinée à vos
plaifirs. Hélas ! Eh quels plaifirs peut-on
avoir à tyrannifer la foibleffe & l'innocence:
Croyez- moi , je ne fuis point capable
A v
10 MERCURE DE FRANCE .
des complaifances de la fervitude ; & le
feul plaifir qu'il vous foit permis de goûter
avec moi , eft celui d'être généreux. Rendez-
moi à mes parens & à ma parrie ; &
en refpectant ma vertu , ma jeuneffe , &
mes malheurs , méritez ma reconnoiffance
, mon eftime & mes regrets .
Ce difcours d'une Efclave étoit nouveau
pour Soliman , fa grande ame en fut
émue. Non , lui dit il , ma chere enfant ,
je ne veux rien devoir à la violence. Vous
m'enchantez : je fais mon bonheur de vous
aimer & de vous plaire ; mais je préfère let
tourment de ne vous voir jamais , à celui
de vous voir malheureufe. Cependant
avant que de vous rendre la liberté, permettez-
moi d'effayer du moins , s'il ne me
feroit pas poffible de diffiper l'effroi que
vous cauſe le nom d'Efclaye . Je ne vous
demande qu'un mois d'épreuves , après
quoi , fi mon amour ne peut vous toucher ,
je ne me vengerai de votre ingratitude
qu'en vous livrant à l'inconftance & à la
perfidie des hommes. Ah ! Seigneur , s'écria
Elmire avec un faififfement mêlé de
joie, que les préjugés de ma patrie font infont
juftes ! & que vos vertus y peu connues
! Soyez tel que je vous vois , & je
ceffe de comprer ce jour au nombre des
jours malheureux.
MARS. 1756.
Quelques momens après , elle vit entrer
des Efclaves portant des corbeilles remplies
d'étoffes & de bijoux précieux . Choififfez
, lui dit le Sultan ; ce font des vêtemens
, non des parures qu'on vous préfente
; rien ne fçauroit vous embellir . Décidez-
moi , lui dit Elmire , en parcourantdes
yeux ces corbeilles. Ne me confultez
pas , répliqua le Sultan : je hais fans diftinction
tout ce qui peut me dérober vos
charmes. Elmire rougit ; & le Sultan s'apperçut
qu'elle préféroit les couleurs les
plus favorables au caractere de fa beauté.
Il en conçut une douce efpérance. Le foinde
s'embellir eft prefque le défir de plaire.
Le mois d'épreuves fe paffa en galanteries
timides de la part du Sultan , & du
côté d'Elmire , en complaifances & en attentions
délicates. Sa confiance pour lui
augmentoit chaque jour , fans qu'elle s'en
apperçut. D'abord il ne lui fut permis de
la voir qu'après la toilette , & jufqu'au
deshabillé : bientôt il fut admis au deshabillé
& à la toilette . C'étoit-là que fe formoit
le plan des amufemens du jour & du
lendemain . Ce que l'un propofoit étoit
précisément ce qu'alloit propofer l'autre.
Leurs difputes ne rouloient que fur des
larcins d'idées. Elmire dans ces difputes
ne s'appercevoir pas des petites négli
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
gences qui échappoient à fa pudeur. Un
peignoir dérangé , une jarretiere miſe imprudemment
, &c , ménageoient au Sultan
des plaifirs dont il n'avoit garde de rien
témoigner. Il fçavoit , & c'étoit beaucoup
fçavoir pour un Sultan , qu'il y a de la maladreffe
à avertir la pudeur des dangers où
elle s'expofe ; qu'elle n'est jamais plus farouche
que lorfqu'elle eft allarmée , &
que pour la vaincre il faut l'apprivoifer.
Cependant plus il découvroit de charmes
dans Elmire , plus il fentoit redoubler fes
craintes à l'approche du jour qui pouvoir
les lui enlever.
Ce terme fatal arrive. Soliman fait préparer
des caiffes remplies d'étoffes , de pierreries
& de parfums. Il fe rend chez Elmire
fuivi de ces préfens. C'eft demain ,
lui dit- il , que je vous ai promis de vous
rendre la liberté , fi vous la regrettez encore.
Je viens m'acquitter de ma parole &
vous dire adieu pour jamais. Quoi ! dit
Elmire tremblante , c'eſt demain ! je l'avois
oublié. C'eft demain , reprit le Sultan ,
que livré à mon défeſpoir , je vais être le
plus malheureux des hommes . Vous êtes
donc bien cruel à vous même de m'en avoir
fait fouvenir ? Hélas ! il ne tient qu'à vous ,
Elmire , que je l'oublie pour toujours. Je
yous avoue , lui dit-elle , que votre douMARS.
1756. 13
leur me touche , que vos procédés m'ont
intéreffée à votre bonheur , & que fi pour
Vous marquer ma reconnoiffance , il ne
falloit que prolonger de quelque tems mon
efclavage ..... Non , Madame , je ne fuis
que trop accoutumé au bonheur de vous
pofféder. Je fens que plus je vous aurois
connue, & plus il me feroit affreux de vous
perdre ce facrifice me coutera la vie ;
mais je ne le rendrois que plus douloureux
en le différant. Puiffe votre patrie en être
digne Puiffent les mortels à qui vous
allez plaire , vous mériter mieux que moi !
Je ne vous demande qu'une grace , c'eft
de vouloir bien accepter ces préfens comme
de foibles gages de l'amour le plus pur
& le plus tendre que vous-même , oui ,
que vous- même foyez capable d'infpirer.
Non , Seigneur , lui dit- elle d'une voix
prefque éteinte , je n'accepte point ces
préfens. Je pars ; vous le voulez : mais je
n'emporterai de vous que votre image .
Soliman levant les yeux fur Elmire , rencontra
les fiens mouillés de larmes . Adieu
donc , Elmire : adieu Soliman . Ils fe dirent
tant & de fi tendres adieux , qu'ils finirent
par fe jurer de ne fe féparer de la vie. Les
avenues du bonheur où il n'avoit fait que
paffer rapidement avec fes efclaves d'Afie ,
lui avoient paru fi délicieufes avec Elmire,
14 MERCURE
DE FRANCE.
qu'il avoit trouvé un charme inexprimable
à les parcourir pas à pas ; mais arrivé au
bonheur même , fes plaifirs eurent dèflors
le défaut qu'ils avoient eus : ils devinrent
trop faciles & bientôt après languiffans.
Leurs jours fi remplis jufqu'alors , commencerent
à avoir des vuides . Dans l'un de
ces momens où la feule complaifance retenoit
Soliman auprès d'Elmire , voulezvous
, lui dit- il , que nous entendions une
Efclave de votre patrie dont on m'a vanté
la voix . Elmire à cette propofition fentit
bien qu'elle étoit perdue : mais contraindre
un Amant qui s'ennuie , c'eſt l'ennuyer
encore plus. Je veux , lui dit- elle , tout ce
qu'il vous plaira , & l'on fit venir l'ELclave.
Délia , ( c'étoit le nom de la Muficienne
) avoit la taille d'une déeffe . Ses cheveux
effaçoient le noir de l'ébene , & fa
peau la blancheur de l'yvoire . Deux foureils
hardiment deffinés , couronnoient fes
yeux étincelans . Dès qu'elle vint à préluder
, fes levres du plus beau vermeil , laifferent
voir deux rangs de perles enchâffées
dans le corail. D'abord elle chanta les victoires
de Soliman , & le Héros fentit élever
fon ame au fouvenir de fes triomphes.
Son orgueil encore plus que fon goût , applaudiffoit
aux accens de cette voix écla
MARS. 1756. 1.5
tante qui rempliffoit la falle de fon volume
harmonieux .
Délia changea de mode pour chanter la
volupté. Alors elle prit le Théorbe , inftrument
favorable au développement d'un
bras arrondi & aux mouvemens d'une main
délicate & légere. Sa voix plus flexible &
plus tendre , ne fit plus entendre que des
fons touchans. Ses modulations liées par
des nuances infenfibles , exprimoient le
délire d'une ame enivrée de plaifir , ou
épuifée de fentiment Ses fons , tantôt expirans
fur fes levres , tantôt enflés &
battus rapidement , rendoient tour à tour
les foupirs de la pudeur & la véhémence
du défir ; & fes yeux encore plus que fa
voix animoient ces vives peintures.
Soliman hors de lui-même , la dévoroit
de l'oreille & des yeux. Non , difoit- il ,
jamais une fi belle bouche n'a formé de fi
beaux fons. Que celle qui chante fi bien le
plaifir , doit l'infpirer & le gouter avec
délices ! Quel charme de refpirer cette haleine
harmonieufe , & de recueillir au paffage
ces fons animés par l'amour ! Le Sultan
égaré dans ces réflexions , ne s'appercevoit
pas qu'il battoit la mefure fur le genou
de la tremblante Elmire . Le coeur
ferré de jaloufie , elle refpiroit à peine.
Qu'elle eft heureufe , difoit- elle tout bas à
16 MERCURE DE FRANCE.
Soliman d'avoir une voix fi docile ! Hélas,
ce devroit être l'organe de mon coeur !
Tout ce qu'elle exprime , vous me l'avez
fait éprouver. Ainfi parloit Elmire , mais
Soliman ne l'écoutoit pas.
Délia changea de ton une feconde fois
pour célébrer l'inconftance . Tout ce que la
mobile variété de la nature a d'intéreſſant
& d'aimable , fut retracé dans fes chants.
On croyoit voir le papillon voltiger fur
les rofes , & les Zéphirs s'égarer parmi les
fleurs . Ecoutez la Tourterelle , difoit Délia
: elle eft fidelle , mais elle eft trifte.
Voyez la Fauvette volage : le plaifir agite
fes aîles ; fa brillante voix n'éclate que
pour rendre grace à l'Amour. L'onde nefe
glace que dans le repos ; un coeur ne
languit que dans la conftance. Il n'eſt
qu'un mortel fur la terre qu'il foit poffible
d'aimer toujours. Qu'il change , qu'il
jouiffe de l'avantage de rendre mille coeurs
heureux , tous le préviennent ou le fuivent.
On l'adore dans fes bras , on l'aime
encore dans les bras d'une autre. Qu'il fe
rende ou qu'il fe dérobe à nos défirs , il
trouvera partout l'Amour , partout il le
laiffera fur fes traces.
Elmire ne put diffimuler plus long- tems
fon dépit & fa douleur . Elle fe leve & fe
retire le Sultan ne la rappelle point ; &
MARS. 1756. 17
tandis qu'elle va fe noyer dans fes larmes
en répétant mille fois : ah l'ingrat ! ah le
perfide ! Soliman charmé de fa divine
Cantatrice , va réaliſer avec elle quelques-
uns des tableaux qu'elle lui a peints
fi vivement. Dès le lendemain matin la
malheureuſe Elmire lui écrivit un billet
plein d'amertume & de tendreffe où elle
lui rappelloit la parole qu'il lui avoit donnée.
Cela eft jufte , dit le Sultan : qu'on
la renvoye dans fa patrie , comblée de mes
bienfaits. Cette enfant- là m'aimoit de
bonne-foi , & j'ai des torts avec elle .
Les premiers momens de fon amour
pour Délia ne furent qu'une ivreffe : mais
dès qu'il eut le tems de la réflexion , il
s'apperçut qu'elle étoit plus pétulante que
fenfible , plus avide de plaifir que flattée
d'en donner ; en un mot , plus digne que
lui d'avoir un Serrail fous fes loix. Pour
nourrir fon illufion , il invitoit quelquesfois
Délia à lui faire entendre cette voix
qui l'avoit enchanté ; mais cette voix n'étoit
plus la même. L'impreffion s'en affoibliffoit
chaque jour par l'habitude ; & ce
n'étoit plus qu'une émotion légere , lorfqu'une
circonftance imprévue la diffipa
pour jamais.
Le principal Miniftre du Serrail vint
déclarer au Sultan qu'il n'étoit plus poffi18
MERCURE DE FRANCE.
ble de contenir l'indocile vivacité d'une
de ces Efclaves d'Europe ; qu'elle fe mocquoit
des défenfes & des menaces , &
qu'elle ne lui répondoit que par de fanglantes
railleries & des éclats de rire immodérés
. Soliman qui étoit trop grand
homme pour traiter en affaire d'Etat la
police de fes plaifirs , fut curieux de voir
cette jeune évaporée. Il fe rendit chez elle
faivi de l'Eunuque. Dès qu'elle vit paroître
Soliman , graces au ciel , dit- elle , voici
une figure humaine. Vous êtes fans doute ,
le fublime Sultan dont j'ai l'honneur d'être
Efclave. Faites - moi le plaifir de chaffer
ce vieux coquin qui me choque la vue. Le
Sultan eut bien de la peine à ne pas rire
de ce début. Roxelane , lui dit- il , ( c'eft
ainfi qu'on l'avoit nommée ) refpectez ,
s'il vous plaît , le Miniftre de mes volontés.
Les moeurs du Serrail ne vous font
point connues : en attendant qu'on vous
en inftruife , modérez -vous & obéiffez.
Le compliment eft honnête , dit Roxelane.
Obéiffez ! eft- ce là de la galanterie turque?
Vous m'avez l'air d'être bien aimé , fi c'eft
fur ce ton-là que vous débutez avec les
femmes. Refpectez le Miniftre de mes volontés
! Vous avez donc des volontés ? &
quelles volontés , jufte ciel ! fi elles reffemblent
à leur Miniftre , un vieux monf
MAR S. 1756. 19
tre amphibie qui nous tient enfermées
comme dans un bercail , & qui rode à
l'entour avec des yeux terribles , fans ceffe
prêt à nous dévorer ; voilà le confident de
vos plaifirs & le gardien de notre fageffe .
Il faut lui rendre juftice , fi vous le payez
pour vous faire haïr , il ne vole pas fes
gages. Nous ne pouvons faire un pas qu'il
ne gronde. Il nous défend jufqu'à la promenade
& aux vifites mutuelles . Bientôt
il va nous pefer l'air & nous mefurer la
lumiere. Si vous l'aviez vu frémir hier au
foir pour m'avoir trouvée dans ces jardins
folitaires ! Eft-ce vous qui lui ordonnez de
nous en interdire l'entrée ? Avez - vous peur
qu'il ne pleuve des hommes ? & quand il'
en tomberoit quelques-uns des nues , le
grand mal ! le ciel nous devroit ce miracle.
Tandis que Roxelane parloit ainfi , le
Sultan examinoit avec furprife le feu de
fes regards & le jeu de fa phifionomie. Par
Mahomet , difoit- il en lui-même , voilà le
plus joli minois qui foit dans toute l'Afie.
On n'en fait de femblables qu'en Europe.
Roxelane n'avoit rien de beau, rien de régulier
dans les traits , mais leur enſemble avoit
cette fingularité piquante qui touche plus
que la beauté. Un regard parlant, une bouche
fraiche & tapiffée de rofe , un fin fourire
, un nez en l'air , une taille lefte & bien
20 MERCURE DE FRANCE.
prife , tout cela donnoit à fon étourderie
un charme qui déconcertoit la gravité de
Soliman. Mais les Grands dans ces fituations
, ont la reffource du filence , & Soliman
ne fçachant que lui répondre , prit le
parti de fe retirer en cachant fon embarras
fous un air de majesté.
L'Eunuque lui demanda ce qu'il ordonnoit
de cette Efclave audacieuſe. C'eft un
enfant , répondit le Sultan , il faut lui
paffer quelque chofe .
L'air , le ton , la figure , le caractere de
Roxelane , avoient excité dans l'ame de
Soliman un trouble & une émotion que le
fommeil ne put diffiper . A fon réveil , il
fit venir le chef des Eunuques. Il me femble
, lui dit- il , que tu es affez mal dans la
cour de Roxelane ; pour faire ta paix , va
lui annoncer que j'irai prendre du thé avec
elle. A l'arrivée du Miniftre , les femmes
de Roxelane fe hâterent de l'éveiller .
Que me veut ce finge , s'écria-t'elle , en
fe frottant les yeux ? Je viens , répondit
l'Eunuque , de la part de l'Empereur baifer
la pouffiere de vos pieds , & vous annoncer
qu'il viendra prendre du thé avec les
délices de fon ame. Va te promener avec
ta harangue. Mes pieds n'ont point de
pouffiere , & je ne prends point du thé fi
matin.
MARS. 1756. 21
L'Eunuque fe retira fans repliquer , &
rendit compte de fon ambaffade. Elle a
raifon , dit le Sultan : Pourquoi l'avoir
éveillée ? Vous faites tout de travers . Dès
qu'il fut grand jour chez Roxelane , il s'y
rendit.Vous êtes en colere contre moi, luidit-
il , on a troublé votre fommeil , & j'en
fuis la cauſe innocente. Çà faifons la paix ;
imitez-moi , vous voyez que j'oublie tout
ce que vous m'avez dit hier. Vous l'oubliez
, tant pis ; je vous ai dit de bonnes
chofes . Ma franchiſe vous déplaît, je le vois
bien ; mais vous vous y accoutumerez .
Et n'êtes - vous pas trop heureux de trouver
une amie dans une Efclave ? oui , une
amie qui s'intéreffe à vous , & qui veut
vous apprendre à aimer. Que n'avez- vous
fait quelque voyage dans ma patrie ? C'eft
que l'on connoît l'amour , c'eft-là qu'il
eft vif & tendre ; & pourquoi ? parce qu'il
eft libre. Le fentiment s'infpire , & ne fe
commande point. Notre mariage , à beaucoup
près, ne reffemble pas à la fervitude
cependant un mari aimé eft un prodige.
Tout ce qui s'appelle devoir attrifte l'ame ,
Alétrit l'imagination , réfroidit le défir
émouffe cette pointe d'amour-propre qui
fait tout le fel de l'amour. Or , fi l'on a
tant de peine à aimer fon mari , combien
plus il est difficile d'aimer fon maître ,
là
22 MERCURE DE FRANCE.
furtout s'il n'a pas l'adrefle de cacher les
fers qu'il nous donne ! Auffi , reprit le Sultan
, n'oublierai - je rien pour adoucir votre
fervitude ; mais vous devez à votre
tour .... Je dois , & toujours du devoir !
défaites - vous , croyez- moi de ces termes
humilians . Ils font déplacés dans la bouche
d'un galant homme , qui a l'honneur
de parler à une jolie femme . Mais Roxelane
, oubliez - vous qui je fuis , & qui
vous êtes ? Qui vous êtes , & qui je fuis ?
Vous êtes puiffant , je fuis jolie ; nous
voilà , je crois , de pair. Cela pourroit
être dans votre patrie , reprit le Sultan
avec hauteur ; mais ici , Roxelane , je fuis
maître , & vous êtes efclave . Oui , je fçais
que vous m'avez achetée ; mais le brigand
qui m'a vendue, n'a pu vous donner fur moi
que les droits qu'il avoit lui - même , les
droits de rapine & de violence , en un mot
les droits d'un brigand , & vous êtes trop
honnête-homme pour vouloir en abuſer.
Après tout vous êtes mon maître , parce
que ma vie eft en vos mains , mais je ne
fuis plus votre efclave , fi je fçais méprifer
la vie ; & franchement la vie qu'on
mene ici mérite peu qu'on la ménage.
Quelle idée funefte , s'écria le Sultan !
Me prenez -vous pour un barbare ? Non ,
ma chere Roxelane , je ne veux employer
MAR S. 1756. 23
mon pouvoir qu'à rendre pour vous & pour
moi cette vie délicieufe . Ma foi , cela s'annonce
mal , dit Roxelane , ces Gardiens , par
exemple , fi noirs , fi dégoûtans , fi difformes
,font- ce là les ris & les jeux qui accompagnent
ici l'amour ? Ces Gardiens ne
font pas ici pour vous feule . J'ai cinq cens
femmes far lefquelles nos moeurs & nos
loix m'obligent à faire veiller. Et à quoi,
bon cinq cens femmes , lui demanda- t'elle
en confidence ? c'eft une efpece de falte
que m'impofe la dignité de Sultan . Mais
qu'en faites - vous , s'il vous plait ? car
vous n'en prêtez à perfoane. L'inconftance
, répondit le Sultan , a introduit cet
ufage. Un coeur qui n'aime point , a befoin
de changer. Il n'appartient qu'à l'amour
d'être fidele , & je ne le fuis moimême
que depuis que je vous vois. Que
le nombre de ces femmes ne vous cauſe
aucun ombrage ; elles ne ferviront qu'à
orner votre triomphe. Vous les verrez
toutes empreffées à vous plaire , & vous
ne me verrez occupé que de vous. En
vérité , dit Roxelane d'un air compatiffant
vous méritiez un meilleur fort . C'est
dommage que vous ne foyez un fimple
particulier dans ma patrie , j'aurois pour
vous quelque foibleffe ; car au fonds ce
n'est pas vous que je hais , c'eft ce qui
24 MERCURE DE FRANCE.
vous environne. Vous êtes beaucoup mieux
qu'il n'appartient à un Turc : vous avez
même quelque chofe d'un François ; &
j'en ai aimé fans flatterie , qui ne vous
valoient pas. Vous avez aimé , s'écria Soliman
avec effroi. Oh ! point du tout ; je
n'ai eu garde. Ne prétendez- vous pas encore
qu'on ait dû être fage toute fa vie
pour ceffer de l'être avec vous ? En vérité
ces Turcs font plaifants ... Et vous n'avez
pas été fage ? O ciel ! que viens-je d'entendre
je fuis trahi , je ſuis déſeſpéré.
Ah ! qu'ils périffent , les traîtres qui ont
voulu m'en impofer. Pardonnez- leur , dit
Roxelane , les pauvres gens n'ont pas tort.
De plus habiles s'y trompent . Du reſte , le
mal n'eft pas grand. Que ne me rendezvous
la liberté , fi vous ne me croyez pas
digne des honneurs de l'efclavage. Oui ,
oui , je vous la rendrai cette liberté dont
vous avez fi bien ufé . A ces mots , le Sultan
fe retira furieux ; & il difoit en luimême
: Je l'avois bien prévu que ce petit
nez retrouffé auroit fait quelque fottife.
On ne peut fe peindre l'égarement où l'avoit
jetté l'imprudent aveu de Roxelane.
Tantôt il veut qu'on la chaffe , & tantôt
qu'on l'enferme , & puis qu'on l'amene à
fes pieds , & puis encore qu'on l'éloigne.
Le grand Soliman ne fçait plus ce qu'il
dit.
MARS. 1756. 25
dit. Seigneur , lui repréfenta l'Eunuque ,
faut-il vous défcfpérer pour une bagatelle ?
Une de plus , une de moins , eft - ce une
chofe fi rare ? D'ailleurs , qui fçait fi l'aveu
qu'elle vous a fait n'étoit pas un artifice
pour le faire renvoyer ? ... Que dis - tu ?
Quoi ! feroit-il poffible ? .. C'eſt cela - même
. Il m'ouvre les yeux . On n'avoue point
ces vérités : c'eft une feinte , c'eſt une ruſe
. Ah ! la perfide . Diffſimulons à notre
tour: je veux la pouffer à bout . Ecoute : va
lui dire que je lui demande à fouper ce
foir. Mais non , fais venir la Cantatrice ,
il vaut mieux la lui envoyer.
Délia fut chargée d'employer tout fon
art à gagner la confiance de Roxelane . Dès
que celle- ci l'eut entendue. Quoi ! lui dit- ,
elle , jeune & belle comme vous êtes , il
vous charge de ſes meffages , & vous avez
la foibleffe de lui obéir ! Allez , vous n'êtes
pas digne d'être ma compatriote . Ah !
je vois bien qu'on le gâte , & qu'il faut
que je me charge feule d'apprendre à vivre
à ce Turc. Je vais lui envoyer dire
que je vous retiens à fouper ; je veux qu'il
répare fon impertinence . Mais , Madame ,
il trouvera mauvais ... Lui ! je voudrois
bien voir qu'il trouvât mauvais ce que je
trouve bon... Mais il m'a femblé qu'il défiroit
de vous voir tête à tête. Tête à tête !
B
26 MERCURE
DE FRANCE.
Ah ! Nous n'en fommes pas là ; & je lui
ferai bien voir du pays avant que nous
ayons rien de particulier à nous dire.
Le Sultan fut aufli furpris que piqué
d'apprendre qu'ils auroient un tiers. Cependant
il fe rendit de bonne heure chez
Roxelane . Dès qu'elle le vit paroître , elle
courut au devant de lui d'un air auffi délibéré
s'ils avoient été le mieux du
que
monde enſemble . Voilà , dit- elle , un joli
homme , qui vient fouper avec nous . Madame
, vous voulez bien de lui ? Avouez ,
Solinian , que je fuis une bonne amie.
Allons , approchez , faluez Madame . Là ,
fort bien. A préfent remerciez- moi doucement.
Je n'aime pas qu'on appuie fur la
reconnoiffance . A merveille ! je vous affuque
deux leçons ,
re qu'il m'étonne. Il n'a
voyez comme il a profité ; je ne défepere
pas d'en faire quelque jour un François .
Qu'on s'imagine l'éronnement d'un Sultan
, & d'un Sultan vainqueur de l'Afie, de
fe voir traiter comme un écolier par une
Efclave de dix- huit ans. Elle fut pendant
le fouper d'une gaieté , d'une folie inconcevable.
Le Sultan ne fe poffédoit pas de
joie. Il l'interrogeoit fur les moeurs de
pas
l'Europe. Un tableau n'attendoit
tre. Nos préjugés , nos ridicules , nos travers
, tout fut faifi , tout fut joué. Solil'auMAR
S. 1756. 27
man croyoit être à Paris . La bonne tête ,
s'écrioit- il la bonne tête ! De l'Europe
elle tomba fur l'Afie , ce fut bien pis. La
morgue des hommes, l'imbécillité des femmes
, l'ennui de leur fociété , la mauffade
gravité de leurs amours , rien ne lui
étoit échappé , quoiqu'elle n'eût rien vu
qu'en paffant. Le Serrail eut fon tour , &
Roxelane commença par féliciter le Sultan
d'avoir imaginé le premier d'affurer la vertu
des femmes par la nullité abfolue des
Noirs. Elle alloit s'étendre fur l'honneur
que lui feroit dans l'Hiftoire cette circonftance
de fon regne , mais il la pria de l'épargner.
Ça , dit - elle , je m'apperçois que
j'occupe des momens que Délia rempliroit
bien mieux. Mettez - vous à fes pieds
pour obtenir un de ces airs qu'elle chante ,
dit- on , avec tant de goût & tant d'ame.
Délia ne fe fit point prier. Roxelane parut
charmée , elle demanda tout bas un
mouchoir à Soliman , il lui en donna un
fans fe douter de fon deffein . Madame , ditelle
à Délia , en le lui préfentant , c'eft de
la
part du Sultan que je vous donne le
mouchoir ; vous l'avez bien mérité. Oui ,
fans doute , dit le Sultan outré de dépit ;
& préfentant fa main à la Cantatrice , il
fe retira avec elle.
Dès qu'ils furent feuls , je vous avoue
Bij
128 MERCURE DE FRANCE.
peur
lui dit- il , que cette étourdie me confond ;
vous voyez le ton qu'elle a pris avec moi ;
je n'ai pas
le courage
de m'en fâcher : en
un mot , j'en fuis fou , & je ne fçais.comment
m'y prendre pour la réduire . Seigneur
, lui dit Délia , je crois avoir démêlé
fon caractere . L'autorité n'y peut rien ;
vous n'avez plus que l'extrême froideur
ou l'extrême galanterie . La froideur
la piquer , mais je crains qu'il ne foit plus
tems. Elle fçait que vous l'aimez . Elle
jouira en fecret de la violence qu'il vous
en coutera , & vous reviendrez plutôt
qu'elle. Ce moyen d'ailleurs eft triſte &
pénible , & s'il vous échappe un moment
de foibleffe , ce fera à recommencer. Hé
bien ! dit le Sultan , effayons de la galanterie.
Dans le Serrail dès lors chaque jour
fut une nouvelle fête , dont Roxelane étoit
l'objet , mais elle la recevoit comme un
hommage qui lui étoit dû , fans intérêt &
fans plaifir , avec une complaifance tranquille
. Le Sultan lui demandoit quelquefois
, comment avez - vous trouvé ces jeux,
ces concerts , ces fpectacles ? Affez bien ,
difoit- elle ; mais il y manquoit quelque
chofe . Eh quoi ? Des hommes & de la liberté.
Soliman étoit au défefpoir , il eut
recours à Délia . Ma foi , lui dit la Muficienne
, je ne fçais plus ce qui peut la tou
MAR S. 1756. 29
cher , à moins que la gloire ne s'en mêle .
Vous recevez demain les Ambaffadeurs de
vos Alliés, ne pourrois -je pas la mener voir
cette cérémonie à travers un voile , qui
nous déroberoit aux yeux de votre Cour. Et
croyez -vous , dit le Sultan , qu'elle y foit
fenfible ? Je l'efpere , dit Délia ; les femmes
de mon pays aiment la gloire. Vous
m'enchantez , s'écria Soliman : oui ma
chere Délia , je vous devrai mon bonheur.
1
?
,
Au retour de cette cérémonie qu'il eut
foin de rendre la plus pompeufe qu'il fut
poffible , il fe rendit chez Roxelane. Allez ,
lui dit- elle , ôrez- vous de mes yeux , & ne
me revoyez jamais . Le Sultan demeura
immobile & muet d'étonnement. C'eſt
donc ainfi , pourfuivit -elle , que vous
fçavez aimer La gloire & les grandeurs
les feuls biens dignes de toucher une ame,
· font
pour vous feul ; la honte & l'oubli
les plus accablans de tous les maux , font
mon partage , & vous voulez que je vous
aime ! je vous hais plus que la mort. Le
Sultan voulut tourner ce reproche en plaifanterie.
Rien n'est plus férieux , repritelle
. Si mon amant n'avoit qu'une cabane
, je partagerois fa cabane , & je ferois
contente. Il a un trône , je veux partager.
fon trône , ou il n'eft pas mon amant. Si
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
vous ne me croyez pas digne de régner
fur des Turcs, renvoyez - moi dans ma patrie
, où toutes les jolies femmes font fouveraines,
& bien plus abfolues que je ne le.
ferois ici ; car c'eft fur les coeurs qu'elles
regnent. L'empire. du mien ne vous fuffic
donc pas , lui dit le Sultan , de l'air du
monde le plus tendre ? Non , je ne veux
point d'un coeur qui a des plaifirs que je
n'ai pas. Ne me parlez plus de vos fêtes.
Jeux d'enfans que tout cela. Il me faut des
ambaffades . Mais , Roxelane , ou vous
êtes folle , ou vous rêvez : & que trouvez-
vous donc de fi extravaguant à vouloir
régner avec vous ? eft- on faite de maniere
à déparer un trône ? & croyez - vous
qu'on eût moins de nobleffe & de digniré
que vous à affurer de fa protection fes
fujets & fes alliés ? Je crois , dit le Sultan ,
que vous ferez tout avec grace ; mais il
ne dépend pas de moi de remplir votre
ambition , & je vous prie de n'y plus penfer.
N'y plus penfer ; oh ! je vous réponds
que je ne penferai à autre chofe , & que
je ne vais plus rêver que fceptre , couronne
, ambaſſade . Elle tint parole. Le lendemain
matin , elle avoit déja fait le deffein
de fon diadême , elle n'étoit plus indécife
que fur la couleur du ruban qui
devoit l'attacher. Elle fe fit porter des étofMAR
S. 1756 . 31
fes fuperbes pour fes habits de cérémonie ;
& dès que le Sultan parut , elle lui demanda
fon avis pour le choix . Il fit tous
fes efforts pour la détourner de cette idée ;
mais la contradiction la plongeoit dans
nne trifteffe mortelle , & pour l'en retirer
il étoit obligé de flatter fon illufion. Alors
elle devenoit d'une gaieté brillante. Il faififfoit
ces momens pour lui parler d'amour,
mais fans l'écouter elle lui parloit politique.
Toutes fes réponſes étoient déja préparées
pour les harangues des députés fur
fon avénement à la couronne . Elle avoit
même des projets de réglemens pour les
Etats du Grand Seigneur. Elle vouloit
qu'on plantât des vignes , & qu'on bâtit
des falles d'Opéra , qu'on fupprimât les
Eunuques , parce qu'ils n'étoient bons à
rien , qu'on enfermât les jaloux , parce
qu'ils troubloient la fociété , & qu'on
bannît tous les gens intéreffés, parce qu'ils
devenoient des fripons tôt ou tard. Le Sultan
s'amufa quelque tems de ces folies ;
cependant il bruloit du plus violent amour
fans aucun espoir d'être heureux.Au moindre
foupçon de violence elle devenoit furieufe
, & vouloit le donner la mort. D'un
autre côté , Soliman ne trouvoit pas l'ambition
de Roxelane fi folle ; car enfin
difoit-il , n'eft-il pas cruel d'être feul pri-
B iv
32 MERCURE DE FRANCE.
vé du bonheur d'affocier à mon fort une
femme que j'eftime & que j'aime. Tous
mes Sujets peuvent avoir une épouſe légitime
, une loi bizarre ne défend l'Hymen
que pour moi. Ainfi parloit l'amour,
mais la politique le faifoit taire. Il prit
le parti de confier à Roxelane les raifons
qui le retenoient . Je ferois , lui dit - il ,
mon bonheur de ne rien laiffer manquer
au vôtre ; mais nos moeurs ... ce font des
contes ... Nos loix ... ce font des chanfons
... Les Prêtres ... de quoi fe mêlent
ils ? ... Le peuple & les foldats ... que
leur importe en feront- ils plus malheureux
, quand vous m'aurez pour épouse ?
Vous avez bien peu d'amour , fi vous avez
fi peu de courage ; elle fit tant que Soliman
eut honte d'être fi timide. Il fait venir
le Muphti , le Vifir , le Caimacan ,
l'Aga de la mer & celui des Janiffaires ,
& il leur dit : J'ai porté auffi loin que je
l'ai pu la gloire du Croiffant , j'ai affermi
la puiffance & le repes de mon Empire ,
& je ne veux pour récompenfe de mes
travaux que de jouir au gré de mes Sujets
d'un bonheur dont ils jouiffent tous . Je
ne fçais quelle loi qui ne nous vient pas
du Prophéte , interdit aux Sultans les douceurs
du lit nuptial ; je me vois par-là réduit
à des efclaves que je méprife , & j'ai
MARS. 1756. 33
réfolu d'époufer une femme que j'honore.
Préparez mon Peuple à cet Hymen . S'il
l'approuve , je reçois fon aveu comme un
témoignage de fa reconnoiffance ; mais
s'il ofoit en murmurer , vous lui direz
que je le veux . L'Affemblée reçut les ordres
du Sultan dans un refpectueux filence
, & le peuple fuivit cet exemple . Soliman
tranfporté de joie & d'amour , vint
prendre Roxelane pour la mener à la Mofquée
, & il difoit tout bas en l'y conduifant
: Eft-il poffible qu'un petit nez retrouffé
renverfe les loix d'un Empire ?
O DE
Préfentée au Roi de Pologne , Duc de Lor
raine , le jour de la Dédicace folemnelle
de la Statue du Roi de France fon Gendre
, dans la nouvelle Place Royale de
Nancy : par le R. P. Leſlie , Jéfuite.
It luit enfin ce jour d'allegreffe & de gloire ,
Od STANISLAS , aux yeux de fon Peuple
enchanté ,
Confacre de LOUIS les traits & la mémoire
A l'immortalité .
Embellis cette fête , ô célefte Uranie ,
Defcends en ces beaux lieux dignes de tes regards,
Appelle les neuf Soeurs , le gout & le génie ,
В v
34 MERCURE DE FRANCE.
Au triomphe des Arts .
De leurs efforts divins tout offre ici Pempreinte.
Vois ces Places , ces Arcs , ces Temples ,
Palais ,
Quelle cité ratlemble en une même enceinte
Tant de travaux parfaits ?
ces .
Un Roi , que tu formas , & que fon Peuple adore ,
Digne image du Dieu qui créa l'Univers ,
Comme lui , du néant a d'un mot fait éclorre
Ces miracles divers..
Il commande , & la pierre à fes ordres docile ,.
S'éleve , flotte en l'air , & fe place à fa voix ;-
L'Artifte voit le fer fouple comme l'argile
Se plier fous fes loix .
Quel prodige ! Des dons de Flore & de Pomone ,
Quand l'Aquilon fougueux dépouille nos guérêts
Vulcain les fait renaître , & ce fer qu'il façonne
Nous rend tous leurs attraits . ( 1)
Le bronze fous la main d'un nouveau Praxitele ,
Bouillonne , coule , & montre un Héros à nos
yeux ,
Dans l'effai de fon art il en offre un modele ( 2 ) .
( 1 ) Les Ouvrages en fer du fieur Lamour
qu'on voit aux quatre coins de la Place Royale &
autour de la Statue de Louis XV, font des chefd'oeuvres
de l'Art ; cet Artiſte a rendu les fruits ,,
les fleurs , tout ce qu'il a imité de la nature , avec
une vérité furprenante.
(2 ) Le Roi qui aime à créer les talens , & qui:
n'emploie que fes Sujets pour fes Ouvrages , a.
MARS. 1756. 3.55
A nos derniers neveux .
Nancy , ton Fondateur qu'on vit au diadême ,
Joindre comme mon Roi , les talens , les vertus
Le Grand Charles ( 1 ) étonné te cherche dans toimême
,
Et ne te trouve plus.
Tel à l'afpect de Rome , agrandie & brillante
Des chef- d'oeuvres vantés du fecond des Céfars ,
Romulus eût jadis de fa ville naiffante ,
Méconnu les remparts.
Ces monumens pompeux , leur noble Architecture
,
Ces merveilles de l'Art , Grand Roi , font tess
bienfaits ;
Tu n'en cimentas point l'odieuſe ſtructure
Du fang de tes Sujets.
Par tes dons prodigués , ranimant l'induſtrie ”,,
Tu hâtas dans les Arts leurs progrès éclatans ,
Ils te durent leur gout , leur aifance , leur vie ,,
Leurs fuccès , leurs talens .
Tes peuples font heureux , de ton regne l'hiſtoire
Eft celle des bienfaits ; c'eft peu pour ton grand
coeur ,
fait fondre la Statue de Louis XV, par le fieur
Guibal ; c'eft en ce genre le coup d'effai de cet:
Artifte.
(1) C'eft Charles III , Duc de Lorraine , dit le:
Grand , qui a fait bâtir la Ville-neuve de Nancy ››
oui eft la Place Royale..
Bvil
36 MERCURE DE FRANCE.
Tu veux les illuftrer , & qu'aujourd'hui leur gloire
Egale leur bonheur.
Reine de nos Cités , en ce jour mémorable ,
Leve ta tête altiere , & vois dans le lointain ,
D'avides Spectateurs une foule innombrable ,
Accourir dans ton ſein.
Que vois-je ? Eft-ce Nerva , que fon amour pour
Rome ,
Porte à charger Trajan du bonheur des humains ,
Qui pour mieux l'affurer , inftalle ce grand
homme
Au trône des Romains ?
C'eft le meilleur des Rois , qui d'un peuple fidele,
Veut tranfmettre à LOUIS , & l'amour & la foi ;
Qui maître de nos coeurs , lui- même les appelle
Aux pieds de ce grand Roi.
C'est moins en lui l'époux d'une fille qu'il aime ,
Un Roi dans les revers , fon généreux appui ,
Qu'une ame , des vertus dignes du Diadême ,
Qu'il honore aujourd'hui.
Oui , ce bronze animé , du Héros de la France ,
M'offre l'air noble & grand , les graces, la bonté ,
J'y vois de la douceur une heureufe alliance
Avec la Majefté.
De cet air triomphant précédé de la foudre ,
Enchaînant la victoire à nos fiers étendards ,
Des Belges effrayés il réduifoit en poudre
Les nombreux boulevards.
Ou tel , plus grand encore au fort de fes conquê
res,
MARS. 1756. 37
Immolant fes lauriers au bien de ſes Sujets ,
Dans l'Europe agitée il calma les tempêtes ,
Et ramena la paix,
Le voilà des François la gloire & les délices ;
Pere tendre , ami fûr , homme aimable & grand
Roi ,
Peuples , voilà le Prince , à qui les cieux propices
Deſtinent votre foi !
Mais aux âges futurs , puiffantes deſtinées ,
Réſervez la douceur de vivre fous les loix ,
Et du fil de nos jours prolongez les années
Du plus chéri des Rois.
Que du moins à l'envi notre reconnoiffance
Sur le bronze immortel confacre auffi ſes traits.
Dans ces lieux embellis par fa magnificence ,
Et pleins de fes bienfaits !
Nancy , puiffe en tes murs fon image chérie ,
Anos derniers neveux rappeller chaque jour
Du peuple pour fon Roi , du Roi pour la Patrie
Et le zele & l'Amour !
Qu'adorant dans fes traits fon coeur noble & fublime
,
La Lorraine attendrie embraſſe ſes
genoux ;
Que des Arts ranimés la main fçavante exprime
Tout ce qu'il fait pour nous !
Touchés à cet afpect , les Peuples d'âge en âge ,
Lui vouant , à l'envi , leurs coeurs reconnoiffans ,
Viendront porter en foule aux pieds de fon image
Leurs voeux & leur encens .
L. J.
38 MERCURE DE FRANCE.
SUITE
De l'Examen de la Surdité & de la Cécité ,
par un Sourd.
Confinons donc le Sourd dans fon cabinet
au milieu d'une bibliotheque bien
choifie ; c'eft l'endroit où il fera le plus à
fon aife & le plus agréablement. Avec du
génie , une imagination fertile , beaucoup
de connoiffances acquifes , du bon fens ,
de l'amour pour le travail , & du goût
il évitera l'ennui , & pourra même faire
de bons ouvrages . Mais je foutiens qu'ils
feront toujours éloignés de la perfection
à laquelle il pourroit atteindre , à raiſon
de ce qui lui manquera de ce commerce
d'ame à ame , de cette communication de
penfées & de fentimens qui en font naître
en nous qui nous étonnent quelquefois
nous même. M. de Voltaire conviendra
de bonne foi qu'il y a dans fes ouvra
ges telle penfée fublime qui ne fe feroir
jamais préfentée à lui dans fon cabinet ,
malgré le feu de fon beau génie , & qu'une
converfation avec des efprits très - communs
lui a fuggérée . M. de la Mothe ( 1 ) ,
(1 ) Cependant M. le Sage fourd , a mis au jour
MAR S. 1756. 39
Sourd , ne nous auroit pas donné tout ce
que M. de la Mothe , Aveugle , nous a
laiffé.
Tels que puiffent être les ouvrages du
Sourd , il eft certain qu'ils font la feule
refource qu'il ait pour tuer le tems ; qu'il
eft réduit , comme je l'ai déja obfervé , à
fe faire une diffipation ( 1 ) de ce qui fait
pour tous les autres hommes un objet
d'application , un travail. Ifolé , réduit à
lui - même & aux livres , il eft privé de
toutes les douceurs & de tous les avantages
de la fociété. Que l'on y réfléchiffe ;
fans les occupations qu'il fçait fe former
toute fa vie feroit abfolument de niveau
avec celle des brutes , fi la raiſon & le
fentiment réunis ne lui faifoient voir &
fentir toute la durété de fa fituation ; diftinction
bien cruelle . Cela feul rend cette
fituation d'autant plus affreufe qu'on a
prefque toujours l'injuſtice de blâmer le
des Ouvrages très - agréables tels que le Diable
Boiteux , Gilblas ; des Comédies on brille la gaieté,
comme Crifpin rival de fon maître , Turcaret,
&c. M. le Sage aveugle auroit - il mieux réuſſi ?
(1 ) La lecture des brochures du jour , ne fait
qu'un amufement très-frivole. Ou , fi c'eſt une'
occupation , c'est celle d'un petit Maître , ou d'une
jolie femme. Un Sourd peut s'y appliquer , fans.
contention d'efprit , & y trouver la même diſſipation
que dans les converfations du monde.
40 MERCURE DE FRANCE.
Sourd de fa fenfibilité. Pour démontrer
combien on eft injufte , & combien fa
fenfibilité eft naturelle & raifonnable , je
me contenterai de rapporter une petite
anecdote qui égayera un moment cette
trifte differtation,
Je me trouvai il y a quelques années
dans une Ville où l'on donnoit beaucoup
de bals. Je m'étois mafqué plufieurs fois ,
& ma furdité m'avoit toujours fait reconnoître
. Une fort aimable Dame m'en fit
quelques plaifanteries . Je me piquai au
jeu , & je pariai contr'elle qu'au premier
bal je me mafquerois fans être reconnu .
Je fis faire fix mafques , fix dominos , &
fix paires de pantoufles pareils & propres
pour ima taille. Tout fut exécuté dans le
plus grand fecret . Dans le bal même je
propofai à fix de mes amis de venir chez
moi fe maſquer. Ils y vinrent fans être
prévenus de mon deffein . Je les fis habiller
, & je leur mis dans chaque oreille
un tampon de cotton avec une emplâtre
pardeffus qui enveloppoit l'oreille exactement.
Ils arriverent au bal dans cet équipage.
On prit pour moi le premier auquel
on parla ; enfin on s'apperçut qu'ils
étoient tous fourds. Il fut queftion de décider
lequel des fix étoit moi. On en étoit
là lorfque je parus déguifé en Courier ;
MAR S. 1756. 41
je joignis la troupe qui , fur des fignes
convenus , me faifoit telle ou telle queftion
à laquelle je répondois , & lorfque
je les queftionnois , réponſe de Sourd .
La préocupation que j'étois fous un des
fix dominos , fut confirmée , & éloigna
l'attention qu'on auroit pu porter fur le
Courier qui , pour la détourner encore ,
diftribua une douzaine de lettres aux Dames.
Les menuets danfés , on fe démafqua
l'un après l'autre , & je finis cette
plaifanterie. On en foupçonnoit un autre
fous mon mafque , & l'on rit beaucoup
de la façon dont je m'y étois pris pour
gagner mon pari. Mais mes fix amis
m'avouerent que quoique mon idée les
eût beaucoup divertis , ils fouffroient impatiemment
de ne pas entendre ce qui fe
difoit autour d'eux . Cela n'a duré qu'une
heure , leur dis -je ; jugez donc de ce que je
doisfouffrir.
Qu'un Aveugle eft moins à plaindre !
Dès que de deux maux on doit éviter le
pire , ne doit-il pas fe féliciter que l'accident
qui lui a enlevé la vue , ne lui ait
pas plutôt fait perdre l'ouie ? Il auroit
perdu tous les plaifirs les plus fenfibles de
l'ame , la diffipation la plus fûre , le remede
le plus certain que puiffe trouver
contre la fatigue de l'étude , un beau gé42
MERCURE DE FRANCE.
nie qui travaille au bonheur des autres ;
enfin la refource la plus puillante que
puiffent trouver contre l'ennui les gens
même les plus incapables de refléxion .
L'Aveugle tout entier à la fociété, jouit de
tous les charmes les plus fenfibles. Il peut
lui être d'une utilité fort étendue & trèsprécieufe.
Ne parlons plus de M. de la
Mothe , que nous avons déja cité. Com
bien de Magiftrats devenus aveugles ont
continué de remplir leurs places au Palais
, & en ont été les lumieres. Affemblées
de Finances , Compagnies de Commerce ,
Confeils d'Etat , où ne peut-il pas être
utile ? Si la Cécité ne lui permet pas d'entrer
dans certains détails , qui d'ailleurs
ne conviennent pas toujours aux grands
génies , conçoit- on quelque affaire à la tête
de laquelle il ne puiffe être , & qu'il
ne puiffe conduire fupérieurement & facilement
? En peut - on dire autant d'un
Sourd ? Un Aveugle enfin , continuellement
diffipé par tout ce qu'il entend & tout ce
qu'il a à y répondre , n'a pas le temas de
fe replier fur lui-même , & de penfer à fon
malheur auffi les Aveugles font - ils ordinairement
féconds en faillies , & remplis
d'une gaieté charmante.
Ne diffimulons rien : la cécité a fes inquiétudes
, & elles font terribles fans douMARS.
1756. 43
te :mais qu'un Aveugle foit affez heureux
pour trouver un parent , un ami , un domeftique
d'une probité alfez reconnue
pour lui donner fa confiance , fes inquiétudes
, qui dès - lors ne peuvent être que
momentanées , font bien légeres , & doivent
paroître bien douces auprès de celles
qui environnent fans ceffe un Sourd.
(1 ) Qu'on examine dans la pofition que
l'on voudra la vie de l'Aveugle & celle
du Sourd , la vie de l'Aveugle eft toujours
bien plus en sûreté que celle du fourd.
Pour rapprocher toutes nos idées , fup
pofons deux hommes d'un mérite parfaitement
égal , l'un Sourd & l'autre Aveugle
; l'Aveugle aura plus fréquemment
compagnie , on ira le voir avec plaifir
on n'ira chez le Sourd que par bienféance
. On pourroit dire que c'eft parce qu'il
y a plus de dépenfe de poitrine à faire
chez l'un que chez l'autre , & que l'on
s'aime. Mais M. l'Abbé Trublet ne nous en
(1 ) On peut voir ce que M. de Fontenelle a dit
de M. le Febvre , neveu de M. de la Mothe , dans
fa Réponse au Difcours de M. l'Evêque de Luçon ,
fucceffeur de M. de la Mothe dans l'Académie
Françoife. Je fçais un gré infini à M. de F. de cet
endroit de fa Réponſe . Le neveu étoit bien louable
, & l'oncle étoit bien heureux. M. de la Mothe
oublioit fa Cécité avec M. le Febvre ; mais auroitil
oublié de même la furdité ?
44 MERCURE DE FRANCE.
a -t'il pas donné une raifon plus fine , en
nous difant : « Qu'un homme qui n'eſt
» qu'eſtimable , n'eſt jamais auffi eſtimé
» qu'il eft digne de l'être , & que l'hom-
» me aimable eft toujours plus eftimé
» qu'il ne vaut. » On peut , ce me ſemble
, appliquer fort naturellement
certe
maxime aux deux privations de la vue &
de l'ouie , car un Aveugle peut être trèseftimable
& très-aimable , au lieu que
l'homme très- eftimable & très- aimable ,
qui devient Sourd , en perdant l'exercice
de la faculté qui lui donnoit le plus d'occafion
d'être aimable , ne nous paroît plus
qu'eftimable. L'homme aimable eft défiré.
& recherché , c'eft beaucoup pour l'homme
eſtimable s'il eft confideré . Un des
prodiges de la vie de M. de Fontenelle
& de fa perfonne , c'eft que fa gaieté
fe foit foutenue contre fa furdité , ainfi
m'en parlent tous ceux qui ont l'avantage
de connoître cet homme admirable.
Mais revenons ; il eft naturel que le
Sourd , plus ifolé que l'Aveugle , foit au
moins toujours férieux ou rêveur , fouvent
trifte & mélancolique , tandis que
l'aveugle jouit de toute fa gaieté. Il me
paroît donc qu'il n'y a pas à balancer entre
ces deux fituations , qui ont tant d'in-
Auence fur le bonheur de la vie & fur la
fanté.
MARS. 1756. 45
On fent affez que tout ce que j'ai dit
ne regarde que ceux qui ne font affligés
de leurs infirmités qu'après avoir eu le
tems de recevoir une bonne éducation
de perfectionner leurs lumieres naturelles ,
& d'acquérir des connoiffances ; car fur
les Sourds & les Aveugles nés , en quel
que état que le hazard les faffe naître ,
la question ne me paroît pas problématique.
Un Aveugle né eft fuceptible d'une
très- bonne éducation , & d'acquérir parlà
bien des reffources. Un Sourd de naif-·
fance eft incapable de recevoir aucune inftruction
morale. Il eft abfolument efclave
de la nature & des paffions ; où ne
portent- elles point quelquefois ( 1 )
Je dois ici prévenir une objection que
pourroit m'attirer l'efpece de prodige qu'a
operé M. Pereyre : il a inftruit , m'a- t'on
afluré , un jeune homme fourd & muet de
(1 ) Quelque efprit qu'eût un homme né fourd
& muet , & avec quelque habileté qu'on l'inftruisit
, on ne pourroit lui communiquer par l'écriture
qu'une très- petite partie des pensées que nous
nous communiquons fi facilement les uns aux
autres par la parole. A plus forte raiſon l'art d'écrire
, tel que des hommes nés fourds & muets
pourroient abfolument l'établir entr'eux , feroit
très-imparfait. M. Trublet , Effais de littérature &
de morale , chap. de la converfation , tome premier
, page 31 de la cinquieme Edition .
46 MERCURE DE FRANCE.
naiffance , & entre beaucoup d'autres chofes
, il lui a très- bien appris les principes
de la morale. Ne doutons point du fecret
de M. Pereyre ; mais qu'il me foit permis
de faire quelques réflexions qui , en fuppofant
même des fucccès ultérieurs à cet
exemple conftaté , ne pourront que confirmer
ce que j'ai avancé . M. Pereyre a
une méthode qu'il a imaginée, ou du moins
beaucoup perfectionnée , & qu'il a communiquée
à deux de fes freres. Ils en font
extrêmement jaloux avec raiſon , & femblent
craindre que des yeux philofophes ,
en obfervant bien leur éleve , ne devinent
le fecret. Tous les Sourds & Muets de l'univers
font donc réduits à avoir recours à
ces trois perfonnes pour recevoir quelque
inftruction. C'eft un cas unique que
mille accidens peuvent empêcher de fe
multiplier , & qui ne tire point le Sourd
de naiflance de la pofition cruelle où j'ai
dit que le réduifoit fon infirmité. Pour
anéantir ma propofition , il faudroit que
la méthode en queftion fût généralement
connue , & à la portée de tout le monde ,
des maîtres qui fe chargent de l'inftruc
tion de la jeuneffe , des peres qui n'ont
pas le moyen de donner des maîtres à
leurs enfans ; fans cette derniere condition
furtout , il n'y aura que les gens riches
MARS. 1756. 47
qui participeront au bénéfice de la méthode
, & alors ce fera une chofe particuliere
à un état privilégié par le caprice de
la fortune , dont on ne pourra rien conclure
pour le général . D'ailleurs , très- peu
de Sourds & Muets ont autant d'efprit
naturel qu'en a l'admirable éleve de M.
Pereyre. Il paroit aufli d'un excellent caracrere.
Mais pouffons plus loin nos réflexions
.
Les chofes extraordinaires ufurpent
fouvent au premier coup d'oeil des droits
fur notre admiration : L'expérience & la
réflexion qui peut quelquefois l'anticiper ,
forment le creufet qui réduit l'admiration
au degré mérité .
Quelque excellente que puiffe être la
méthode en queftion , elle ne peut embraffer
les détails d'inftruction que reçoit un
homme qui a le fens de l'ouie . Il eft fort
probable que M. Pereyre eft bien du tems
avant que de faire entrer dans l'ame de fes
éleves les perceptions & les idées fi aifément
communiquées par la voie ordinaire
de la parole. Combien plus de tems encore
lui faut - il pour faire concevoir , pour
faire fentir les différences & les rapports
des idées entr'elles , les nuances dont eft
fuceptible chaque idée ! fera- t'il bien aifé
de faire concevoir à ces éleves la différen4S
MERCURE DE FRANCE.
ce du préjugé au jugement , du fentiment
àl'imagination , de l'efprit au génie ,
de la fuperftition à la piété , de la mifantropie
à la probité? Nous nous difpenferons
de citer des rapports , des différences ,
des nuances beaucoup plus difficiles encore.
Mais ne peut-on pas croire que l'éducation
de ces éleves , réduite dans un
cercle très-étroit de notions communes ,
en fera des hommes à préjugés , & rien de
plus Suppofons la promulgation de la
méthode au point que nous avons indiqué
plus haut , & que les Sourds en retirent
tous les fruits imaginables , & deviennent
des fçavans ; il n'en réfultera pour
eux qu'un moyen de dépérir plus vîte par
leur application à l'étude qui fera affidue ,
& par conféquent d'autant plus contraire
à leur fanté , qu'ils auront plus d'efpri :
naturel , & par-là plus d'efpérance d'acquérir
beaucoup de lumieres , & de connoiffances
par l'étude. Un Aveugle né fera
donc toujours moins à plaindre , puifqu'il
peut fans travail , fans application ,
en fe diffipant par la converfation & par
les lectures qu'on lui fait , acquérir toutes
les connoiffances dont le préalable feul
doit être un travail très- dur , très- affidu ,
& fouvent très-rebutant pour le Maître &
l'éleve fourd de naiffance. L'objection par
elleMÁR
S. 1756. 49
elle-même ne peut donc , de quelque côté
qu'on l'envifage , que faire pencher la balance
en faveur de la Cécité.
3
Je fuis très-fourd , & de plus j'ai la
vue fi courte que je ne diftingue pas à
quatre pas de moi qui eft l'homme que je
vois . Depuis long- tems j'ai fait une férieufe
attention fur moi - même pour me mettre en
état de décider laquelle des deux infirmités
m'affectoit le plus . Je puis dire avec vérité
qu'il s'en faut infiniment que tout ce que
je perds à ne point voir , me caufe autant
de peine que ce que je perds à ne point
entendre.
Mais , me dit- on , ce que vous n'entendez
pas , le plusfouvent ne vaut pas la peine
d'être entendu. A la bonne heure ; ce font
cependant ces riens , ces bagatelles , ces
fottifes , fi l'on veut , dont je vois rire ce
profond Géometre qui eft forti de fon cabinet
pour les venir entendre , & fe remettre
par-là de la fatigue que lui ont caufé
fes calculs. J'apperçois un Moralifte qui y
donne attention , les médite , & va fe retirer
chez lui pour en faire la matiere
d'une inftruction . Un Poëte me femble
les faifir , & fe félicite d'en pouvoir faire
une épigramme ou un trait de Comédie.
Si la nature a donné à un Sourd un fentiment
aſſez vif pour faifir ces différens
C
50 MERCURE DE FRANCE..
objets dans une fociété , il faut convenir
qu'il ne lui eft pas poffible de penfer que
tout ce que l'on dit , ne foit pas intéreffant
par quelque côté . Il fouffre donc de ne
point entendre. L'Aveugle n'eft point dans
ce cas ; il peut s'amufer, amufer , & plaire
infiniment dans un cercle. Or , qui n'aime
à plaire le Sourd qui a le plus de mérite
, doit fentir que fon état n'excite
tout au plus que de la pitié & de la
compaffion ; ce fentiment eft humiliant
pour l'orgueil & pour l'amour-propre ; mais
qui peut fe défaire de l'un & de l'autre
affez entiérement , pour qu'il ne s'en éléve
pas quelque mouvement douloureux
dans notre ame ? Qu'il ne s'y expoſe pas ,
dira-t'on ; qu'il s'épuife donc par
le travail
& la méditation .
Après ces réflexions , paroîtra-t'on furpris
de ce que je penfe fur la Surdité &
la Cécité ? Mais je déclare que j'aurois la
plus fincere obligation à l'Aveugle qui voudroit
fe donner la peine de détruire mon
ouvrage , & me laiffer fans réplique. En
m'éclairant , il me feroit jouir de la douceur
d'être moins malheureux que je ne
crois l'être.
Tout fe réduit à fçavoir : Si un Sourd
doit fouhaiter d'être plutôt aveugle : fi un
Aveugle doit préférer d'être Sourd. Je dois
MARS. 1756.
me défier de mon opinion , parce que je
dois craindre , je le repéte , la féduction
du fentiment rigoureux de ma furdité. Si
je ne dois pas m'y livrer & penfer en conféquence
, qu'on me donne des moyens
& des raifons pour le combattre ; je n'en
trouve que pour le fupporter . Ceux qui
n'ont aucune de ces deux infirmités ,
pourront me dire que le fentiment de
l'une & de l'autre dépend beaucoup du
caractere & des paffions de l'homme aveugle
ou fourd. Je l'accorderois volontiers ,
je pouvois me diffimuler que les pafhions
quelconques ont un but , & que
le moyen le plus affuré qu'elles emploient
pour y parvenir , eft le défir de plaire. Un
Sourd y trouve des difficultés infurmonta
bles ; & d'ailleurs la furdité le force à une
retraite prefque abfolue. S'il n'a pas de
goût pour ce genre de vie , pour la retraite
, que ne fouffrira-t'il pas ? Si elle eſt
de fon goût , il s'y defféchera & épuifera
par le travail , l'étude & la méditation
tandis qu'un Aveugle entretiendra fa fan-.
τέ par la gaieté que la fociété lui infpirera .
Enfin , pour foutenir la retraite avec agrément
, il faut de l'acquis d'un genre ou
d'un autre , ou quelque talent pouffé au
moins à un certain point de perfection
de l'efprit , de l'imagination , du génie ,
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
du goût , de l'amour pour le travail , ou
tout au moins quelque partie de tout cela.
On pourra alors fe faire des occupations ,
mais d'autant plus fatiguantes qu'elles ſeront
fans diffipation . Combien d'hommes
parmi les véritables Sçavans même , ontils
, je ne dis pas une fanté , mais des facultés
intellectuelles à l'épreuve d'une pareille
application ?
Ceux qui me connoiffent perfonnellement
, m'objecteront que je me livre aux
affaires & à la fociété , & que je n'ai point
l'air mélancolique , quoique rêveur , &
conféquemment que je ne fouffre point ,
ou que je fouffre peu. En adoptant juſqu'à
la conféquence , je demanderai fi l'on a vu
beaucoup de Sourds de mon efpece ; & enfin
fi l'on imagine qu'il ne m'en ait rien
coûté pour parvenir au point de ne jamais
laiffer appercevoir le fentiment de mes
fouffrances. La carriere que j'avois entreprife
, & la nature de ma fortune m'ont
forcé jufqu'ici de refter dans le grand
monde , & j'ai travaillé pour m'y rendre
fupportable. J'avoue que je voudrois quelquefois
avoir affez d'acquis ou de naturel
pour me rendre agréable une entiere retraite.
La fupporterois- je ? je n'oſe l'aſſurer
, & je la crains . Abfolument livré à
moi-même , jecraindrois de tomber dans
MAR S. 1756. 53
les
la mélancolie , & d'aller juſqu'à la mifantropie.
J'ai donc lieu de croire qu'aveugle
je ferois moins à plaindre , puifque la table
, les concerts , la converfation
lectures que je me ferois faire , pourroient
fans travail & fans application , fucceffivement
, continuellement & agréablement
me diftraire du fentiment de mes maux.
Je vais finir par un confeil dont je me
fuis bien trouvé. Que les Sourds tâchent
de prendre affez fur eux pour ne point
paroître inquiets , & pour n'être jamais
questionneurs. L'inquiétude eft infultante
pour les autres & pour eux-mêmes , & les
queftions qui dérangent une converfation
font toujours rebutantes. Qu'ils attendent
qu'on les queftionne , c'eft fûrement le
meilleur moyen de ramener à eux la converfation
, s'ils font dignes qu'on prenne
cette peine. Par cette conduite ils éviteront
beaucoup de ridicules , s'ennuieront
fans doute , mais il faut prendre patience.
Eft- on fourd pour rien ? Quant aux Aveugles
, qu'ils fe félicitent , qu'entre tant
de maux dont la Providence pouvoit les
accabler , elle les ait affligés d'une privation
qui doit leur paroître fort légere ,
dès qu'elle les laiffe jouir de tous les
avantages d'être aimables , s'ils font tels
par leur efprit &
par leur caractere.
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
A MONSIEUR DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
SAlat à l'Auteur du Mercure.
Bon jour , bon an , bonne fanté ;
Toujours de la légereté :
Mais c'eft chez vous un don de la nature...
Rabattons fur d'autres fouhaits
Que de tout mon coeur je vous fais .
Puiffiez-vous ramaffer fans ceffe
Et ( comme on dit ) à pleine main ,
Les productions du Permeffe
Dont profite l'efprit humain !
Daigne Apollon , & les doctes Pucelles,
Vous conferver le Juge des bons vers !
Puiffe Pégale fur les aîles ,
Vous tranfporter au bout de l'univers !
Cueillez partout des fleurs nouvelles ,
Et formez-en mille & mille bouquets
le fein de nos belles ;
Pour parer
Et par des chanfons immortelles.
Egayez nos divins banquets.
En parcourant toute la terre ,
Prenez le nom des fublimes Auteurs ;
A leur tête , placez Voltaire ;.
Et me nommez de fes adorateurs.
C'eſt ( à mon ſens ) le vrai Dieu du Génie ,
MAR S. 1756. 55
On le connoît à fon front radieux ;
Il a porté fon vol audacieux
Dans la région d'Uranie ,
Et de la main de Polymnie
Son nom eft écrit dans les cieux.
D'Hébé , de Flore & de Pomone
Recevez les dons tour à tour.
A la clarté du flambeau de l'amour,
Allez , petit-fils de Pleione ,
Embelliffez ce terreftre séjour.
Rappellez-nous les heureux tems d'Aftrée ,
Chantez , Louis & fes vertus ;
Que par fes foins notre riche contrée
Jouiffe encor du fiecle de Titus .
Dallet , l'aîné.
A Vallognes , ce 20 Décembre , 175.5.
VERS
A Madame la Comteffe de Stainville
Ambaffadrice de France à Rome , le premier
jour de l'An 1756.
LE
E deftin trop fouvent de fes faveurs avare ,
Devint un jour prodigue, & voulut que les Dieux,
Eglé , fiffent en vous un affemblage rare
De leurs dons les plus précieux.
C iv
$ 6 MERCURE DE FRANCE.
Apollon vous donna l'efprit & la juſteſſe ;
Les neuf Soeurs , leurs talens , le goût & la fi
neffe ;
Junon mit dans vos yeux une noble fierté ;
Diane , la pudeur ; Minerve , la fageffe ;
Hébé , le doux fourire , & l'air de la jeuneſſe.
Sans mes dons , dit Plutus , céleste Comité ,
Les vôtres ne font rien : j'y joindrai la richeſſe
Et moi , dit Jupiter , la libéralité.
Flore ,fçavante en l'art d'embellir la nature ,
Se chargeoit de votre parure.
Je te difpenfe de ce foin ,
Lui dit Venus ; Eglé n'en aura pas beſoin,
Je lui fais don de ina ceinture .
Il vous manquoit encor un préfent de fon fils.
Au milieu des jeux & des ris ,
Les graces , le talent de plaire
Laiffent un vuide dans le coeur ;
L'amour en votre faveur
Embraffant Hymen fon frere
Voulut que leur paix fincere
Cimentât votre bonheur.
Stainville eft votre époux , Du Châtel votre mere:
Je vois vos coeurs unis par le plus doux lien :
Eglé , quel vou pour vous me refte-t'il à faire ¿
Que les Dieux ne vous êtent rien.
MARS. 1756. 57
LETTRE
D'un Bourgeois de Bordeaux , à l'Auteur
du Mercure.
MONSIEUR , en lifant votre Mercure
, j'ai trouvé une lettre de l'illuftre
M. Rouffeau , où il fe défend contre ceux
qui ofent attaquer les nouveautés étonnantes
de fes fyftêmes Je n'entre point
dans toutes ces difcuffions ; mais je ne
feindrai pas d'avouer que j'ai été furpris
de la hauteur Stoïque & Lacédémonienne
avec laquelle il nous traite . Il nous infinue
avec une clarté affez dure , que fom
deffein n'eft ni de nous amufer , ni de
nous inftruire. Je lui répons d'abord qu'il
fera l'un & l'autre malgré lui , par la feu
le raifon que nous nous occupons à le
lire. Chofe qu'il ne fçauroit empêcher.
Tout le fruit qu'il pourra tirer de fa mauvaiſe
intention pour nous , c'eft de nous
difpenfer de lui être reconnoiffans , puifqu'il
ne nous éclaire qu'en proteftant qu'il
ne veut pas nous éclairer. C'est un vrai
larcin que nous lui faifons.
Mais je demande quelle raifon lui avons
nous donnée de fe fâcher contre nous ? Si
quelqu'un de nos concitoyens a mérité
Cv
8 MERCURE DE FRANCE.
fa colere par quelques petits dilemmes
embarraffans , mais point incivils , toute
la ville qu'il profcrit n'a point de part à
cela. Une chofe bien certaine , c'eſt que
nous admirons fon éloquence comme tout
le reste du monde , preuve affez évidente
que nous valons quelque chofe. Comment
peut- il avoir la cruauté de foudroyer
ainfi fes admirateurs .
Il femble nous apprendre qu'il n'écrit
que pour Geneve, cela veut dire qu'il n'aime
qu'elle. J'avouerai que j'avois cru juf
qu'ici que le vrai philofophe étoit l'ami
du monde entier ; qu'il regardoit tous les
hommes comme des freres. Qu'il aime
Geneve , à la bonne heure ; mais nous.
ofons le prier de nous aimer un peu , tout
Bordelois que nous pouvons être : car
après tout que fçait-il Peut- être fommes-
nous, des hommes ?
Il feroit mieux , dit- il , de demander
à ceux qui ne font pas Genevois , & qui
ne me goûtent point , pourquoi ils lifent
mon ouvrage, que de leur expliquer pourquoi
il eft fait ? Les termes dont il fe fert
pour dire cela, ont un air fentencieux, mais.
j'ai bien peur qu'ils n'en ayent que l'air.
1. Il est très - fûr que tout le monde le
goûte & l'admire , Genevois ou non , ainfi
il fe fonde fur une hypothefe fauffe. SupMARS.
1756. 59
pofons, comme lui , l'impoffible. Suppofons,
dis-je , qu'il eût fait un ouvrage où l'utile.
& l'amufant ne fe trouvaflent point , &
qu'il dit à ceux qui s'en plaindroient
pourquoi le lifiez -vous ? Mais , Monfieur ,
pourroit-on lui répondre : Je ne prévoyois
pas , en prenant votre livre , qu'il ne devoit
m'amufer ni m'inftruire. La réponſe:
feroit bonne , perfonne n'étant devin.
Cependant quand je réfléchis à fa fentence
, je crois y démêler une idée trop
fiere pour être la fienne. Ne voudroit - il:
pas dire , qu'il eft peu de gens qui doivent
le lire , c'eft-à -dire qu'il en eft peu
qui foient dignes de le faire ; & puis en
cherchant quels font ces mortels privilégiés
, il femble que ce font les Genevois
& ceux qui le trouvent inftructif & amufant
, ou pour dire la chofe comme elle
eft , ceux qui font fes approbateurs . Voilà
une idée qu'on ne doit pas attribuer à:
un philofophe auffi modefte & auffi bon
Logicien que lui . Il eft donc de l'équité de
convenir que fa fentence ne fignifie rien ..
Au reste , il ne nous a pas appris à quoi
peuvent fervir fes fyitêmes , & quel a été
fon but en écrivant. J'ai écrit , dira-t'il ,
pour
donner aux Genevois de fortes raifons
d'aimer leur gouvernement , pour
leur infpirer l'humanité , l'amour de la
C.vjj
60 MERCURE DE FRANCE.
patrie & de la liberté , & l'obéiflance aux
loix.
Je crois donc entendre M. Rouffeau
parlant ainfi à fes concitoyens : Aimez votre
gouvernement , car l'homme auroit
beaucoup mieux fait de n'en point établir.
Aimez vos femblables , car nous avons eu
tort de fortir de cet état ancien où nous
n'aimions que le repos , une femelle & la
Bourriture. Aimez votre patrie , puifqu'il
eft vrai que nous devrions n'en avoir jamais
eu d'autre qu'une caverne ou le pied
d'un arbre. Soyez libres , attendu que nous
fommes à plaindre de n'être plus dépendans
d'un Lion ou d'un Ours , qui nous
auroit fait fuir devant lui . Enfin obéiffez
aux loix , puifque vous étiez faits pour
n'obéir à aucune. Si les Genevois n'avoient
pas de meilleures raifons pour être bons
citoyens , nous n'aurions pas admiré comme
nous faifons , la fageffe de leur gouvernement
& la pureté de leurs moeurs.
Je fçais bien qu'il pourroit répliquer ,
comme Agamemnon ; Seigneur , je ne rends
point compte de mes deffeins , furtout devant
des Adverfaires obfcurs & indignes de
moi , tels que vous êtes , vous dont je
craindrois de relever la baffeffe , fi je def
cendois jufqu'à elle. De plus , que m'importe
qu'on m'approuve , ou qu'on me
MARS. 1756. 61
condamne ? Mes Approbateurs font la raifon
& la vérité , ( à Dieu ne plaife que cela
foit , ) je n'attends rien de perfonne . Je
foule aux pieds les critiques & les fuffrages:
Si fractus illabatur orbis impavidum
ferient ruina. Tous ces fentimens ont une
majefté philofophique qui éblouit ; mais
je foupçonne qu'ils font trop métaphyfiques
pour être réels. La nature a mis dans
nos coeurs un violent défir d'être eftimé
de fes femblables ; & je croirois fort que
fans ce défir-là , perfonne ne fe feroit imprimer
, pas même M. Rouffeau . De plus ,
répéter mille & mille fois qu'on méprife
l'eftime des hommes , c'est répéter qu'on
méprife les hommes mêmes. Or, comme le
mépris dérive toujours d'une comparaiſon
relative à fa propre perfonne , dire qu'on
méprife les hommes , c'eft dire en termes
couverts , qu'on fe croit plus qu'eux . Il feroit
pourtant un peu violent de fe croire le
premier homme du monde.
y
L'affectation est toujours ridicule. Il
en a , ce me femble ,à fe proclamer philofophe
par un certain ton altier & crud ,
qu'on prend un peu trop dans notre fiécle.
Du moins pour l'être , on ne doit pas
traiter fon monde d'une maniere fi hautaine
, car alors il paroîtra qu'on a plus de
colere que de philofophie.
62 MERCURE DE FRANCE.
Pourquoi , par exemple , répondre par
des injures; (le titre de bel efprit en eft une
de la maniere que M. Rouffeau le donne) ?
Pourquoi , dis - je , ne pas répondre par des
raifons ? Il n'en avoit point , dira-t'on , il
ne falloit donc pas répondre.
Je connois des gens qui ont cru appercevoir
dans fes écrits une humeur fort
éloignée de cette douceur gracieuſe & liante
, qui doit être comme l'habit de la véritable
vertu. Je n'ai garde d'être de leur
avis , & je fuis perfuadé que M. Rouſſeau
eft auffi aimable par fon caractere , qu'il eft
eftimable par fes moeurs , & admirable par
fes écrits ; mais je fuis obligé de convenir
que cet avis où il répond fi durement , a été
écrit dans quelque quart- d'heure d'inquiétude
, & je gagerois que fa fanté n'étoit
pas bien difpofée dans ce moment -là.
Je finirai par l'avertir qué l'indifpofi
tion où il pouvoit être alors , lui a empêché
de faire affez d'attention à la lettre
qu'on lui écrit , enforte qu'il ne lui a pas
fait l'honneur de l'entendre. On ne l'exhorte
pas à quitter les difcuffions politiques
pour faire des Opera , on s'intéreffe
trop à fa gloire pour exiger de lui une
pareille chute ; on croit même que la lit
térature perdroit tout , s'il n'étoit que poëte
; & qu'en cas qu'il ne fût que Muficien,.
MAR S. 1756. 63
la mufique ne gagneroit pas autant que
l'éloquence a déja gagné à être cultivée.
par lui . On a voulu lui dire feulement ,
qu'il vaut mieux ne faire qu'amufer , que
de donner des inftructions fondées fur des
principes auffi dangereux que les fiens
d'où dérive naturellement la conféquence
que l'homme n'a été fait ni pour une morale
, ni pour une religion ; conféquence
que la droiture pieufe de fon coeur défavoueroit
affurément. Du refte , on l'exhorte
à poursuivre fes recherches , & furtout
à prétendre aux découvertes neuves ,
fans aimer les nouveautés. Cet avis , cen'eft
point les Bordelois feuls qui le lui
donnent , les Genevois , j'ofe le dire, le lui
donnent auffi.
Je ne crois pas avoir rien dit de choquant
à M. Rouffeau ; & je viens de relire.
ma lettre pour voir s'il m'eft échappé la:
moindre chofe qui démentît les fentimens
d'eftime , d'admiration , & même de refpect,
dont je fuis pénétré pour lui . Je fuis même
fi affuré de la nobleſſe & de la candeur
de fes fentimens , que jefuis perfuadé qu'il
confentira lui - même à ce que cette lettre.
foit inférée dans votre Mercure ; honneur
que je vous fupplis dé lui accorder .
De Bordeaux , le 14 Janvier 1756.-
1
64 MERCURE DE FRANCE.
Je remercie très humblement M. de
Boiffy , de la bonté qu'il a eue de me communiquer
cette piéce. Elle me paroît agréa
blement écrite , affaifonnée de cette ironie
fine & plaifante , qu'on appelle , je
crois , de la politeffe , & je ne m'y trouve
nullement offenfé. Non feulement je confens
à fa publication , mais je défire même
qu'elle foit imprimée dans l'état où
elle eft , pour l'inftruction du Public & la
mienne. Si la morale de l'Auteur paroît
plus faine que fa logique , & fes avis meilleurs
que fes raifonnemens , ne feroit - ce
point que les défauts de ma perfonne ſe
voient bien mieux que les erreurs de mon
livre ? Au refte , toutes les horribles chofes
qu'il y trouve , lui montrent plus que
jamais , qu'il ne devroit pas perdre fon
tems à le lire.
ROUSSEAU,
A Paris , le 24 Janvier 1756.
O DE
Sur la Nailfance de Monseigneur le Comte
de Provence..
C'Eft toi , grand Rouſſeau , que j'appelle -
Defcends du céleste féjour:
MARS. 1756. 65
Viens guider l'effort de mon zele
Qui m'anime dans ce beau jour.
Nouveau Pindare de la France ,
Viens foutenir par ta préſence
La foibleffe de mes accens :
Prête - moi ta fublime lyre ;
Le nom de Bourbon qui m'infpire
Eft digne des plus nobles chants.
Le Ciel en ta faveur s'explique ,
France , il te comble de fes dons
Et pour la fûreté publique ,
Etend la race des Bourbons .
Au milieu d'une paix profonde ,
Augufte , le maître du monde ,
Ne fut que le pere des Arts :
Mais dans un temps auffi tranquile
Des Mufes Louis eft l'afyle ,
Et le pere de nos Céfars.
Un fils de Pallas vient de naître ;
Sa grandeur éblouit nos yeux :
Nous voyons enfin reparoître
L'heureux fiecle de fes ayeux.
Louis , tout annonce ta gloire ;
Ta valeur fixa la victoire ;
Ton nom enchaîne les deftins ;
Et dans l'éclat qui t'environne ,
Trois Princes foutiennent le throne
Qui fait le bonheur des humains .
66 MERCURE DE FRANCE.
Mufes , defcendez du Parnaffe ;
Venez inftruire cet Enfant ;
Qu'il foit la gloire de fa race ,
De la paix qu'il foit le garant.
Doctes Filles de la Déeffe
Qui préfide aux bords du Permeffe ,
Et qui forme les coeurs guerriers ;
Qui , vous feules pourrez en faire
Un Héros , un Monarque , un Pere ,
Et joindre l'olive aux lauriers.
Que fais-je la raifon m'éclaire ;
Prêtons l'oreille à fes leçons.
Par quelle audace , téméraire ;
Ofai-je chanter les Bourbons
Ah ! Je reviens de mon délire ,
Mes doigts abandonnent la lire ,
Ceffez , ma Mufe , vos concerts ;
Poar ofer imiter Pindare ,
Je craindrois , malheureux Icare
De périr au milieu des Mers.
Si , fenfible à votre tendreffe ,
Le Ciel couronne tous vos voeux ,
François , par des chants d'allegreffe ,
Montrez que tout vous rend heureux..
De vos coeurs fuivez le langage ,
Offrez- lui ce fincere hommage ,.
C'est l'amour qui vous l'a dicté..
MARS. 1756.
67
Mais toi , trop heureuſe Provence ,
A célébrer cette naiſſance
Fais fervir ta vivacité.
Par un Profeffeur des Humanités au College
de l'Univerfité de Valence , tenu par
les Prêtres de la Congrégation du Saint Sacrement
.
་
VERS
Au fujet d'une petite figure d'émail repréfentant
l'Amour tenant un coeur dans fa main,
que Mademoiselle de Li ... avoit en la bonté
de me donner.
CE coeur
E coeur qu'on voit dans votre main ;
Dieu de Paphos , fans doute , nous dénote
Que vous êtes des coeurs l'aimable fouverain ; .
Vous n'avez pourtant pas encor foumis Linote.
Cette beauté bravant vos traits vainqueurs ,
N'a pas même daigné conferver votre image ,
Mais fi jamais elle vous rend hommage ,
Scachez que vous aurez le plus parfait des coeurs
Cof... d'Arles , Doleur en Médecins.
68 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
MONSIEUR , le Public a fous les
yeux un phénomene auquel un Journaliſte -
auffi empreffé que vous l'êtes à faifir tout
ce qui peut l'intéreffer , doit l'avertir de
donner une attention particuliere , finon
afin qu'il jette la vue fur un objet qui ne
peut manquer de la tenir déja fixée , du
moins afin qu'il fe confirme dans l'idée
que cet objet mérite d'attacher fes regards .
Je ne crois pas qu'aucun fiecle ait fourni
jufqu'à préfent l'exemple de trois freres
qui fe foient diftingués , l'un dans la
Poéfie , l'autre dans la Peinture , & le
troiſieme dans la Mufique. C'eft ce que
nous voyons dans le nôtre. Il y a même
une circonftance qui rend ce phénomene
encore plus intéreffant . Ces trois freres
font fils d'un Muficien célébre ( J. Aubert,
Intendant de la Mufique de M. le Duc ,
premier violon de l'Opéra , Auteur d'un
très-grandnombre d'ouvrages qui font entre
les mains de tout le monde ) . Le fils aîné
de cet homme habile, héritier de fes talens ,
l'un des meilleurs fujets de l'orchestre de
MAR S. 1756. 69
l'Opéra depuis l'âge le plus tendre , vient
de réunir tout nouvellement la place du
premier violon , qu'avoit fon pere , & celle
de Batteur de mefure. Il paroît depuis
quelques femaines un excellent livre de
fymphonies de fa compofition , dédié à
Madame la Marquife de Villeroi , où l'on
trouve un morceau extrêmement gouté
du Public , fur lequel a été fait un pas de
deux dansé à l'Opéra , par M. & Mlle
Lany , dans l'Acte Efpagnol , de l'Europe
galante.
La Mufique du pas de fix qui a reçu
cet hiver de fi juftes applaudiffemens
dans le dernier acte de Roland , eft encore
de lui . Le livre de Symphonies dont
nous venons de parler , eft le deuxiéme
OEuvre de l'Auteur. Le premier a été
dédié à Madame Adélaïde . Voilà l'aîné
des trois freres.
Le fecond , d'après qui font gravées
deux jolies Estampes nouvelles dans le
gout de M. Chardin , annoncées avec éloge
dans le Mercure du mois de Décembre
dernier, intitulées , l'une le Billet Doux , &
l'autre la Revendeuse à la Toilette , a fait
plufieurs tableaux qui décorent les apparmens
de Monfeigneur le Dauphin à Choify.
Il excelle dans le deffein , furtout pour
les fujets familiers , où il joint les graces
70 MERCURE DE FRANCE.
au naturel ; mérite qui a manqué fouvent
à ceux qui y ont le mieux réuffi .
Plufieurs fables d'un genre tout nouveau,
inférées fucceffivement dans le Mercure
, telles que le Miroir & le Merle
dont celui de Juin 1755 fait l'éloge , en
prévenant le Public favorablement pour le
recueil que l'Auteur annonce ; celle de
l'Ours Philofophe, donnée peu de tems après;
& tout récemment celle intitulée les Rêves ,
inférée dans celui de Décembre , font affez
connoître celui des trois freres qui s'applique
à la Poésie. Il eft le plus jeune des
trois , & travaille depuis quatre ans à un
ouvrage périodique , qui fans exiger des
talens fupérieurs , en demande toujours
beaucoup pour devenir auffi intéreffant
qu'il l'eft dans fes mains .
Les talens de ces trois freres fe prêtent
mutuellement les fecours qu'ils fe doivent.
Les vers au bas des Eſtampes du Peintre ,
& l'épître en vers mife en tête des fymphonies
du Muficien font du jeune Poëte . Je
tranfcrirai , fi vous voulez bien , cette derniere
adreffée à Madame la Marquife de
Villeroy , à qui le Muſicien a eu l'honneur
de montrer fon Art.
Vous , pour qui l'harmonie a de fi doux attraits ;
Et qu'un fentiment für éclaire ,
MAR S. 1756. 71
Pour connoître , approuver , feconder fes fuccès
Mes travaux recevront un glorieux ſalaire ,
Si vous applaudiffez à ces foibles effais.
Favorite des Dieux , vous ne fçûtes jamais
Combien il en coûte pour plaire.
Flatté de vous guider dans un art plein d'appas;
J'ai vu le Dieu du goût vous offrir la couronne ,
Et femer des fleurs fous vos pas ;
Ces fleurs qu'il nous vend cher , prodigue , il vous
les donne ;
Je nommerois mille vertus ,
Qui furpaffant ces dons ne vous coûtent pas plus.
Si vous pouvez rendre ma lettre publique
, je ferai charmé , Monfieur , que
l'amitié ait contribué en quelque chofe à
la gloire de ces trois perfonnes , en leur
rendant un témoignage que vous devez
approuver d'autant plus qu'il n'eft nullement
fardé. Je n'ai fait qu'expofer à vos
yeux la vérité toute fimple.
J'ai l'honneur d'être , &c .
Ce 30 Décembre 1755.
72 MERCURE DE FRANCE.
VERS
Envoyés à M. le Baron de Marchais , le
premier Janvier 1756 , par Mademoiſelle
d'Oph...
Recevez , cher Marchais , l'offrande la plus
pure ;
Rien ne fçait vous toucher que les vrais fentimens
,
Et préférant toujours au plus fublime encens
Les voeux qui font dictés par la fimple nature
Dont vous fçavez fi bien diftinguer les attraits ,
Vous donnerez le prix à tous ceux que je fais.
C'est plus pour vous donner un gage
De mon parfait attachement ,
Que pour fuivre un commun langage
D'un trivial arrangement
Admis par un ancien uſage.
Je vous rends en ce jour le plus fincere hommage ;
De ma reconnoiffance il eſt un ſûr garant ,
De vos bienfaits il eft l'ouvrage .
Que mon coeur ne peut -il s'expliquer davantage !
Mais on en dit affez quand on dit ce qu'on fent.
Monfieur,
MAR S. 1756 . 73
Monfieur Dubois défavoue les vers inférés
fous fon nom , dans le volume du
mois d'Août dernier , pag. 47. La publication
de ce défavcu eft un peu tardive ,
mais M. Dubois nous la fait demander
d'une maniere fi preffante , que nous ne
pouvons lui refufer cette fatisfaction . Nous
lui avons cependant l'obligation d'avoir
rétabli le premier vers que nous avions reçu
ainfi tronqué
Mon tendre hommage à celle
Nous allons redonner la piece entiere,
afin qu'on l'ait plus correcte.
Vers à Madame de Forgeville.
J'offre mon tendre hommage à celle
Qui tous les jours à Fontenelle
Confacre fa voix & les yeux :
Pour prix d'un foin fi précieux ,
Puiffe l'amie être immortelle !
Puiffe l'ami , rival des Dieux ,
Toujours charmant , toujours fidelle ,
Oublier fon rang dans les cieux
Pour vivre ici -bas avec elle !
Voici d'autres vers où l'on forme à
peu près le même fouhait pour ce grand
homme.
D
74 MERCURE DE FRANCE.
VERS
Sur l'indifpofition dont M. de Fontenelle a
été attaqué dans le mois de Janvier.
Sur ce Mortel autant aimé qu'aimable , Ur
Et dans tous les temps admirable ;
Viens , Déefle de la Santé ,
Porter ton fouffle fecourable.
Que par nos voeux il y foit arrêté ,
Et qu'enfin la divinité
Renouvellant , au gré de notre envie ,
Le fil précieux de ſa vie ,
Lui laiffe l'immortalité
Qu'elle a donné à fon génie !
Par Mlle. des T**** de B.
AUTRES
Sur le Portrait que Madame de Forgeville a
donné du caractere de M. de Fontenelle.
DE ceSage formé pour inſtruire & pour plaire,
Sous les yeux de la vérité
Minerve a peint le caractere
Pour fervir de modele à la postérité.
MAR S. 1756. 75
Seconde Lettre de M. Voifin , à M. le
Prince , de & c. ( 1 )
Monfieur , j'ai eu l'honneur de vous
annoncer dans ma premiere Lettre que je
confidérois les Princes & les autres grands
Seigneurs fous trois points de vue : fous
le premier , comme particuliers dans l'intérieur
de leurs maifons & de leurs Terres ;
fous le fecond , comme peres de famille ;
& enfin fous le troifieme , comme membres
de la Société & hommes d'Etat ; ces
trois parties qui divifent ma préface , font
auffi le plan analytique de mon ouvrage.
PREMIERE PART I E.
Le Prince ou le grand Seigneur confidéré
comme particulier dans l'intérieur de
fa maifon & de fes terres.
Son premier foin doit être de connoître
exactement fon revenu , pour juger du
nombre des Officiers & des domeſtiques
qui lui font néceffaires , relativement à fon
ufage journalier , ou à la néceffité de repréfenter
quelquefois extraordinairement.
(1) Voyez le premier Volume du Mercure de
Décembre.
Dij
76 MERCURE
DE FRANCE
.
L'économie ne permet pas que la dépenfe
égale toujours la recette. Cet équilibre
entr'elles pourroit à la fin , par des
accidens imprévus , faire pencher la balance
du côté de la dépenfe ; ce qui opéreroit
une diminution de revenus , & peut- être
de fonds , à moins qu'on n'y remédiât par
réformation . une prompte
La dépenfe
d'une pareille maifon deit
donc être noble , mais toujours
au deffous
des revenus , & j'explique
par le détail à
combien
on peut fixer la réferve de la re- cette , afin que le Prince ou le grand Seigneur
ne fe trouve jamais , quand il fut- vient des extraordinaires
, étonné , embar
raffé ni inquiété
par la crainte de les devoir
ou de ne les pouvoir payer , fans diminuer
l'ordinaire
.
Comme on ne peut trop s'oppofer à ce
que la dépenfe ordinaire , une fois réglée , forte de fa fixation , il faut avoir la même
précaution d'empêcher
la diminution
des
revenus & l'attention de les augmenter ,
fans néanmoins faire aucun préjudice à
perfonne , & fans diminuer les libéralités
raifonnées du Prince , ou du grand Seigreur.
Voilà la bafe générale fur laquelle doit
être établie une maison.
L'exemple
de plufieurs
Princes dont on
MAR S. 1756 . 77
ne peut trop admirer les vaftes connoiffances
en matiere d'arrangemens , & d'une
noble économie , démontreroit , s'il étoit
néceffaire , que le détail n'eft point indigne
d'un Grand. Si tous ceux qui lui appartiennent
font convaincus de fa capacité
& de fa réfolution d'entrer dans ce
détail , de la connoiffance qu'il a , ou qu'il
veut acquérir des regles de la fubordination
qui doit fubfifter entr'eux pour fon
fervice , de la nature & de l'étendue des
devoirs de chacun d'eux , fuivant fon emploi
, aucune inattention ni mauvaiſes
vues , ne les écarteront de ce qu'ils doivent
faire. Le dernier domestique , craignant
& aimant fon fupérieur , ne s'attachera
qu'à lui plaire ; & ainfi une fatisfaction
folide régnant dans toute la maiſon
, & arrivant par degré jufqu'au grand
Seigneur , il jouira d'une tranquillité &
d'une abondance , qui lui ouvriront les
mains pour diftribuer des récompenfes
méritées.
Tout dépend donc de la certitude où
font ceux qui compofent la maifon d'un
Prince ou d'un grand Seigneur , qu'il eft
également capable & réfolu d'éclairer leurconduite
; chacun d'eux fe renfermera
alors , avec autant de zele que de fidélité ,
dans fes fonctions , furtout s'il en eft bien
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
inftruit ; & c'eft pour ne lui rien laiffer
ignorer à cet égard , que j'en trace le tableau
dans la premiere partie de l'ouvrage,
en commençant par les Officiers du premier
rang , jufqu'aux domestiques de l'état
le plus inférieur inclufivement , foir
de la ville , foit de la campagne.
S'il eft vrai que par furbordination d'emploi
, & par exactitude de fervice , tous
les Officiers & domeftiques d'un Prince ,
cooperent à fa fatisfaction ; il eft également
vrai qu'il doit être l'ame de cet henreux
concours ; c'eft l'intelligence laborieufe
du grand Seigneur qui , ( fi elle ne
forme pas elle même le plan irrévocable
de leurs fonctions ) anime du moins , excite
& foutient leurs talens & leur bonne
conduite au lieu qu'un Prince , ou un
grand Seigneur qui , par indolence , ou
par une hauteur déplacée , refufe d'entrer
quelquefois dans le détail de fes affaires ,
ouvre un vafte champ au travers ruineux
d'Officiers ou domeftiques mal choifis ,
furtout de ceux qui ont la principale adminiftration.
Ce font donc encore une fois , cette intelligence
du Prince ou du grand Seigneur,
fon goût pour les réflexions économiques ,
& fa fermeté qui deviennent le reffort
liant de la correfpondance harmonicufe de
fa maifon.
MAR S. 1756. 79
Ce feroit abufer de mon principe , que
d'imaginer qu'il doit s'accabler d'ennui
par un détail de bourgeois indigent , ou
peut-être d'avare . Je fouhaite feulement.
qu'on le fçache feulement capable de tour.
voir , qu'il examine même de tems en
tems fans gêne & fans humeur , & que s'il
n'a pas des heures & des jours fixés de
travail , du moins il ne refufe & ne differe
jamais le tems de fon loifir qu'on lui demande
pour conférer fur l'intérêt de fes.
affaires , & fur l'examen des propofitions,
de juftice & de bienséance . 29
Après avoir fait le tableau des différentes
dépenfes de la maiſon d'un Prince
ou autre grand Seigneur , foit qu'il vive
garçon, foit qu'il fe, marie , de maniere
que ces dépenfes , quoiqu'au deffous de
fes revenus , lui, faffent cependant, honneur
, j'entre dans le détail de ces mêmes
revenus .
Les Princes & les grands. Seigneurs en
ont ordinairement de plufieurs fortes : les
uns proviennent des charges qu'ils ont à
la Cour , ou des penfions du Roi , qu des
rentes foit fur la Ville , foit fur les Etats ,
fur le Clergé , ou fur les Communautés ;
les autres confiftent en location de maifons
, foit à Paris , foit dans les Provinces
: enfin les autres , & ce font les plus
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
dignes d'attention , procédent du fruit de
leurs terres.
Ceux-là exigent de moi un détail fcrupuleux
pour parvenir à les bien connoître
& à les augmenter en contribuant même à
l'aifance des Vaffaux & des Cenfitaires du
Prince ou du grand Seigneur.
Je ne me contente pas de faire voir que
le bon ordre de fes archives , & la connoiffance
exacte de fes terres , font les deux
premiers moyens de le familiarifer avec le
détail de tous les droits de fes domaines ,
foit utiles , foit honorifiques ; mais je lui
préfente encore à cet égard une méthode
fi facile qu'elle peut en quelque forte lui
fervir d'amufement , même dans des inftans
de loifir : non que je veuille faire
d'un Grand un Titrier de profeffion , ( il fe
doit en général à des objets plus nobles &
plus importans ) , mais pour le mettre en
état , par cette méthode qui eft à la portée
de tout le monde , de fuivre quelquefois
de l'oeil , & de vérifier fans embarras les
arrangemens du garde de fes archives.
Les Titres d'une Terre une fois conftatés
, examinés , extraits & diftribués
relativement à chaque efpece de droits ,
de maniere qu'ils fe préfentent prefque
d'eux-mêmes fous la main , quand on le
défire , je développe au Prince ou au grand
MARS. 1756. SI
Seigneur , une méthode également aisée
de l'opération du terrier , & les moyens
folides d'en abréger les longueurs fon
objet , quand il eft fuivi avec intelligence ,'
eft de reffufciter des droits prefque oubliés
ou inconnus , quoique légitimes &
non preferits , de renouveller & de vérifier
la perception des autres , fans cependant
que les Vaffaux & les Cenfitaires
puiffent fe plaindre de l'ombre même de
la perfécution .
Deux hommes qui fe réuniffent quelquefois
en un feul , font également néceffaires
à cette opération importante ; le
Commiffaire à Terrier , qui peut être auffi
nommé Notaire pour la réception des déclarations
, & le Géometre chargé d'après
les obfervations du Commiſſaire , de lever
les plans .
:
Comme les fonctions de Commiſſaire
exigent autant d'équité que d'intelligence ,
on ne fçauroit être trop circonfpect dans
le choix qu'on en fait de ce choix dependent
fouvent , ou la tranquillité de
l'opération qui s'exécute fans conteftation ,
ou une involution de procès à charge au
Prince ou au grand Seigneur.
Les devoirs de ce Commiffaire à Terrier
ne font fondés , ni fur le caprice , ni fur
un travail arbitraire : ils font appuyés fur ,
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
des maximes & fur des principes que tout
le monde ne connoît pas , & que je réduis
dans une pratique fi facile , qu'avec l'habitude
de déchiffrer les anciennes Ecritures
,tout le monde peut la fuivre fans crainte
de fe tromper ; en forte que le Prince
même ou le grand Seigneur puiffe , quand
il le voudra , vérifier par amuſement , fi
fon Commiffaire s'égare ou non.
Tranquille fur le compte du Commiffaire
,par la réflexion qui a accompagné fon
choix , il doit donner la même attention à
celui du Géometre prépofé pour lever les
plans.
Ce n'est pas affez pour l'amélioration
des Terres du Prince , que l'opération
du
Terrier
foit réguliérement
faite & confommée
avec fuccès ; il faut qu'il prenne ,
par une curiofité
digne de lui , connoiffance
de leur nature & de leur propriété
.
Elles confiftent
ordinairement
en terres
labourables
, en prés & fainfoins
, en luzernes
, en vignes , en bois & en étangs ,
& quelquefois
même auffi en rivieres
.
La culture des Terres eft un objet affez
intéreffant pour mériter quelqu'étude de
la part du grand Seigneur : je la lui facilite
par des principes de Phyfique foutenus
d'expériences , qui prouvent qu'indépendaminent
de l'intempérie des faifons, fouMARS.
1756. 83
vent ce font l'ignorance , ou la mauvaiſe
habitude , & l'entêtement des Agriculteurs
qui s'opposent à l'abondance & à la
bonne qualité de la récolte. Le mal général
vient de ce qu'on s'attache trop peu à
connoître la différence des climats & des
terreins .
Comme je crains , Monfieur , de vous
dérober trop de momens à la fois , je ne
reprendrai la fuite de cette premiere Partie
, que pour le courier du 8 de ce mois .
VERS
Sur l'éloge de M. de Montefquieu , fait par
M. d'Alembert.
Lorfque de Montefquieu , de cé Sage célebre ,
Dont la perte cauſe nos pleurs ,
Nous lifons l'éloge funebre ,
Où la noble éloquence , en peignant les douleurs
De l'Europe encor défolée ,
Raflemble fur fon maufolée
Les lauriers immortels & les plus belles fleurs ,
Notre admiration juftement fe partage
Entre le fujet & l'ouvrage.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
VERS
AU ROI DE PRUSSE.
HEros fameux par la conquête
D'un Pays heureux fous tes loix ,
Grand Roi , tous les Dieux fur ta tête
Ont verfé leurs dons à la fois .
Bon foldat , Général habile ,
Tu joins à la valeur d'Achille ,
De Lycurgue tous les talens :
Né pour régner & pour écrire ,
Tu réunis le double Empire
Des Plutarques & des Trajans.
Par M. de Lanevere , ancien Moufquétaire
, du Roi ; à Dax , le 17 Janvier
1756.
VERS
A Mademoiſelle Brobon , fur fa nouvelle intitulée
Les Graces de l'Ingénuité . Elle eft
dans le Mercure de Février.
E ne connois que votre esprit ,
Je pourrois dire , & votre caractere ,
MARS. 1756. 85
Car je le vois dans cet écrit ,
Qui fûrement aura le don de plaire ,
A qui le fentiment eft cher ... à qui le lit.
Vous , qui de la charmante & tendre Mélanie
Avez fi bien dépeint les graces, la candeur
Pouvez-vous croire qu'on oublie
Que c'eft du fonds de votre coeur ,
Bien plus encor que de votre génie ,
Que vous avez tiré ce tableau féducteur ?
Pour moi je n'en veux pas connoître davantage ;
L'efprit & le coeur ont de quoi
Tourner la tête la plus fage.
Nature a , j'en fuis fûr , complété fon ouvrage ;
Et fi je le voyois , ... que feroit- ce de moi ?
RONDEAU ,
Par Madame **
pour une jeune Demoiselle
qui étoit fort incommodée d'un mal de
gorge , peu de jours avanı fon mariage .
UN mal de gorge eft chofe bien cruelle ;
Lorsqu'il atteint jeune & tendre pucelle ,
A qui l'amour , fans aucunes faveurs ,
Fait reffentir les défirs , fes langueurs :
Ce trifte état eft celui de Lucelle.
Fils d'Apollon , tu ne peux rien pour elle :
De tes fuppots la pédante féquelle
86 MERCURE DE FRANCE.
Loin de guérir , augmente en jeunes coeurs
Un mal de gorge.
Toi feul , amour , peux foulager la belle ,.
Qui de tes feux périt comme Semele.
Par tes bienfaits , par de douces erreurs ,
Métamorphofe en plaifirs enchanteurs ,
Ce mal affreux , ce mal que l'on appelle
Un mal de gorge.
LE mot de l'Enigme du Mercure de Février
eft les Gans . Celui du Logogryphe ,
Minotaure , dans lequel on trouve Noé,
Metra , Tir , Troie , nuit , Arouet , amant,
Mein , Marne , Amour , taie , Antoine ,
noir roi , orme , automne , rime , Ino ,
Aman , Amri & Joram , moi & toi , or ,
Timon , Etna , Oëta , Jon , Erato & Uranie.
ENIGM E.
Sans être Evêque j'ai ma croſſe ,
Sans être Berger j'ai mon chien ;
Et fans être Magicien
J'ai ma baguette & ma fureur atroce .
Par M. Contant.
MAR S. 1756. 87
S
LOGO GRYPHE
Veux-tu fçavoir quelle eft mon origine ?
Il te faut confulter un bon Chef de cuifine ;
On me connoiffoit peu chez nos fobres ayeux ,
Mais peut-être que toi ne me connois pas mieux-
Un fin gourmet m'a donné l'exiſtence .
L'Académie a confirmé mon nom ,
Toujours Comus préfide à ma naiffance ,
Ce qui fans doute augmente mon renom.
Neuf pieds complets compofent ma ftructure ;
Pour me trouver combine avec mefure,
J'enferme en moi ce qui m'offre à tes yeux ,
Qui plus que moi fouvent eft précieux ;
Ce qu'une blonde , avide de fleurettes ,
A dans fa poche ou bien fur fa toilette ,
Qui lui fournit ce moyen tant vanté ,
De corriger , d'animer la beauté.
Ce qu'une fille à quinze ans feule occupe ,
Dont ailément fans craindre d'être dupe ,
Elle offriroit une part cependant ,
Si le bon mot fixoit fon tendre amant.
Ce qui foutient Royaume ou République.
Terme expreffif de crainte , ou de douleur ,
Note connue en plein chant , en muſique .
Un animal utile & raviffeur ,
Dans le Pérou , une grande riviere ;
Mais terminons ici notre carriere ..
88 MERCURE DE FRANCE.
Mon dernier pied commence l'alphabet ,
Et je contiens un grand coup de piquet .
J
ENIGM E.
E fuis , ami Lecteur , un être original :
Je fais le bien , jamais le mal ;
Je me plais pourtant dans le vice ,
Et ne connois point la vertu .
C'eſt un malheur ; mais que veux-tu ?
Je fuis faite pour le caprice.
J'accompagne partout le Roi ,
Sans jamais fortir de la ville .
Je fers toujours l'orphelin , la pupille ;
Mais les tuteurs font des monftres pour moi.
Je fuis fenfible dans la peine ,
Encore plus dans le plaifir ;
Sans moi l'on ne sçauroit jouir
Ni porter d'amoureuſe chaîne.
Dans l'Univers je regne avec orgueil ,
Rien ne fçauroit éviter ma puiffance :
Mortel , j'affifte à la naiffance ,
Et l'on me retrouve au cercueil.
Jefon.
LOGOGRYPHE.
UN feul mot dans cinq pieds , fans y rien retrancher
,
Vous en fournira cinq , fi vous fçavez chercher :
MARS. 1756. 89
Tranfpofez - les fi bien , qu'en prenant chaque
lettre ,
Vous commenciez celui que vous voulez connoître.
Le premier en hyver fert dans notre maiſon ,
Et devient inutile en toute autre faifon.
Vous portez le fecond : quoiqu'en votre ſtructure
Il foit effentiel , c'eft fouvent une injure .
Le troifiéme déplaît au goût , તàે l'odorat ;
On peut le rejetter fans être délicat .
Sur mer le quatriéme aide à vaincre l'orage .
C'eft dans ce feul endroit qu'on en peut faire
ufage .
Le dernier , cher Lecteur , eft peut - être fur vous ;
Car on le voit briller dans les plus beaux bijoux.
A Besançon ; par un Officier.
Voici les quatre premiers vers d'un
troifiéme Logogryphe que l'Auteur nous
difpenfera d'inférer dans notre recueil.
Quatorze lettres en cinq membres renfermées
Me font une des villes les plus renommées.
Capitale d'un Empire Puiffant
Connue des anciens fous un nom différent.
Nous les citons exprès pour faire voir
à quel point on porte aujourd'hui l'oubli
des regles , & pour juftifier les plaintes
que nous avons faites à ce fujet dans le
fecond volume de Janvier . Nous fçavons
qu'une Enigme ou qu'unLogogryphe n'exi
90 MERCURE
DE FRANCE
.
pomgent
pas une exactitude
fcrupuleuſe
, mais
on doit au moins obferver la mefure . Souvent
on n'eft pas plus régulier pour des
piéces d'un gente plus élevé. On y rime
an hafard une profe des plus familieres
, & l'on lui donne fiérement
le nom de
Stances , quelquefois
même le titre
peux d'Ode. Le pis eft encore que cette
licence regne jufques dans des ouvrages
où brille d'ailleurs le vrai talent de la poéfie.
Nous fçavons qu'aux yeux de la raifon
une rime fauffe , ou une fyllabe de
trop ou de moins , font une petite taché , mais enfin c'en eft une ; & l'on eft d'autant
plus faché de la trouver dans de jolis
vers , qu'ils font faits
pour
& pour fervir de modele.
être retenus ,
CHANSON
.
A Mis ,que le plaifir affemble
Dans ce fallon délicieux ;
' N'eft-il pas vrai qu'il reffemble
Au féjour enchanté des Dieux ?
Pour moi je dis avec franchife ,
Qu'il eft joli ! qu'il eft charmant !
Mais il auroit moins d'agrément
Sans l'éclat des beaux yeux de l'aimable Céphife.
Air.
Amis, que leplaisir assemble,
Dans ce Salon delicieux : N'est il
pas vray qu'il resemble Au sejour
Enchanté des Dieux ! Pour moyje
dis avec franchise, Qu'il est Joli quil
estcharmant,Mais ilauroitmoins d'agr
ment Sans l'Eclatdes Beaux yeux
de l'Aimable Céphi- se .
Mars 1756.
!
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
MARS. 1756. 919
ARTICLE I I.
NOUVELLES LITTERAIRES.
EXTRAIT des Ouvrages lus à l'Affemblée
publique de la Société Littéraire de
Clermont en Auvergne , tenue le 25 Août
1755.
Monfieur de Féligonde , Secrétaire de
la Société , ouvrit la Séance par les éloges
de MM . de Varennes , Sédilot & Bompart
de S. Victor , Affociés morts dans le cours
de l'Année Littéraire.
L'Auteur paffe rapidement fur les premieres
années de ces Académiciens , pour
entrer dans un plus grand détail de leurs
talens & de leurs vertus ; il s'attache furtout
à celles qui caractérisent particuliérement
celui dont il fait l'éloge. Il dit , en
parlant de M. de Varennes , « l'exactitude
à obferver fes devoirs fut la vertu favo
» rite de notre Académicien : ceux de la
Religion , ceux de fa charge , ( 1 ) , ceux
"
(1 ) M. de Varennes étoit Tréforier Général des
Finances en la Généralité de Riom : il étoit beaufrere
de M. Boyer , ancien Evêque de Mirepoix.
92 MERCURE DE FRANCE.
» de la Société l'enchaînerent tour à tour ;.
», & l'habitude qu'il s'étoit faite de les rempiir
, les lui rendit comme naturels.
» Bon patriote , il étoit tout occupé du
» bien public ; on le voyoit prendre part
و د
ود
" aux événemens les moins caractérisés
» mais dont il prévoyoit des fuites utiles
» ou onéreuses à fa patrie ; l'agrandiffe-
» ment de notre ville , la perfection du
» Commerce , la culture des Arts le tou-
» choient perfonnellement. Que de plaifirs
» ne reffentit- il point , lorfqu'il vit au mi-
» lieu de nos murs s'élever un Parnaſſe ,
» &c » !
و د
و د
Dans l'éloge de M. Sedilot , l'Auteur ,
après avoir infinué que la fanté chancelante
de cet Académicien , & les occupations
attachées à fon état ( 1 ) , pouvoient
le difpenfer des études & des travaux aufquels
l'entraînoient fon goût pour les
Sciences ; « mais , dit- il , il ne fut jamais
» de prétextes pour les véritables amateurs
» des Lettres. Leurs progrès ou leur déca-
» dence , font les feuls motifs qui les tou-
» chent. Ils travaillent avec affiduité , foit
pour s'inftruire , foit pour communi-
"quer les fruits de leurs veilles ; ils cher-
» chent avec avidité l'occafion d'applau-
و د
"
(1 ) M. Sedilot étoit Docteur en Médecine de
la Faculté de Montpellier.
MAR S. 1756. 93
ور
ور
» dir aux efforts des Candidats ; & en ex-
» citant leur émulation , de rectifier par
» une critique faine & judicieufe ceux qui
» dans leurs ouvrages s'éloignent du vrai
» beau ; ou s'écartent dans leurs études de
» la route qui y conduit . Tel fut le carac-
» tere de notre Académicien , & c » .
ور
M. de S. Victor , dont l'éloge fuivit celui
de M. Sedilot , étoit né poëte : fes talens
ne furent point enfouis , & il s'eft fait
une réputation dans fa patrie par les pieces
de différens genres qu'il a donné au Public
; voici un trait de fon éloge qui n'eft
point commun à tous les poëtes. « La So-
"
و د
""
"
""
""
ciété n'eut jamais à fouffrir de M. de
» S. Victor ; de ces fortes de faillies , dont
» le venin diftillé avec art , attire des applaudiffemens
à un Auteur que l'on re-
» doute. La fatyre n'eut aucun attrait pour
» lui , & moins encore ce genre de poéfie
qui fervant de voile à une morale empeſtée
, ne femble en déguifer les traits ,
» que pour mieux en dévoiler les myfte-
»res , & lui prêter de plus fortes armes.
» Notre Académicien fçut faire de fes ta-
» lens un ufage moins pernicieux , & bien
plus agréable . Facile & plein d'enjouement
, fa mufe paroiffoit née pour
chanter les vertus , & non pour blâmer les
vices. La douceur de fon caractere , & fes
ود
94 MERCURE DE FRANCE.
rares talens lui attirerent à l'envi l'amitié
de fes concitoyens & les fuffrages des
gens de goût.
M. Dufraine pere , lut un Mémoire fur
l'étendue & les bornes de l'Auvergne , la
religion , le gouvernement , le commerce
, les moeurs des Auvergnars , & fur l'état
des Sciences dans cette Province aux
tems les plus reculés , avant même que
les Romains euffent fait la conquête des
Gaules.
Le titre de ce Mémoire annonce un trop
grand détail pour être fufceptible
d'éxtrait
: l'Auteur a appuyé fes fentimens
des
autorités
connues
; il a puifé dans les meilleures
fources : il fubfifte même encore
quelques
infcriptions
, dont il appuie
fon fentiment
fur la religion
des an- ciens Auvergnats
, qu'il ne regarde
pas comme idolâtres . M. Teillard de Beauvefeix
lut une Differtation fur une infcription
datée de la dix - neuvieme année du
regne d'Alaric II , fils d'Euric Roi des
Vifigots , découverte l'hyver dernier dans
le lieu de Coudes en Auvergne ; il fit obferver
l'épithète intéreſſante Domini noſtri,
qui y eft donnée à Alaric ; les termes mêmes
de cette partie du Mémoire de M. de Beauvefeix
, nous feront mieux connoître l'importance
de cette obfervation. « Vous
MAR S. 1756. 95
>>
ود
"
ود
ور
ود
» avez fans doute , Meffieurs , fait atten-
» tion à l'épithete Domini noftri donnée à
» Alaric. J'eus l'honneur de vous rappor-
» ter il y a quelques années une autre infcription
où vous obfervâtes une pareille
épithete donnée à Théodebert : elle étoit
» en effet remarquable : j'étois flatté de
» vous préfenter un monument qui con-
» couroit avec cette fameufe médaille regardée
comme unique , dans laquelle le
» Révérend Pere Daniel , M. le Préfident
» Hénault & tous les Sçavans , ont cru
trouver de quoi fixer l'époque certaine
» de la fouveraineté inconteftable des Rois
» de France , & de leur parfaite indépen-
» dance des Empereurs. Nul autre Prince
» avant Théodebert , n'avoit ofé , difentils
, prendre une qualité dont les Empe-
» reurs étoient feuls en poffeffion , dont
» ils étoient extrêmement jaloux , & qu'ils
regardoient comme la marque diftinc-
» tive de leur fupériorité fur toutes les
» autres puiffances de l'Univers. Leur rai-
» fonnemens s'évanouiffent aujourd'hui ;
"une pareille épithéte donnée à Alaric mort
»en 507 , long- tems avant qu'il fût queſtion
ور
"
و د
"
de Théodebert , détruit leur fyftême , &
» enlever en quelque façon à la médaille
» dont parle le P. Daniel , ce caractere
» intéreffant dont elle a été en poffeffion
juſqu'à ce jour » .
"
96 MERCURE DE FRANCE.
Cette differtation fut fuivie d'un Mémoire
fur l'utilité d'une table de réduction
des différens poids & mefures dont on
fe fert dans la Province d'Auvergne ; par
M. de Vernines.
Le Commerce eft l'ame d'un Etat , il en
eft la force , & y répand l'opulence ; il lie
auffi tous les membres de la Société , quoique
divifés par les moeurs , le caractere ,
& même le langage . Ces principes ne font
défavoués de perfonne. Une conféquence
jufte & naturelle eft, felon M. de Vernines,
que tout ce qui déguife les rapports qu'ont
entr'eux les objets du commerce doit être
écarté. C'est dans cette vue que j'ai cherché
, dit- il , ce qui réfultoit de la diverfité
prodigieufe qui fe trouve entre les poids &
les mefures , non feulement des différens
Etats , mais encore des Provinces d'un
même Royaume , & des villes d'une Province
: cette variété eft encore plus confidérable
en Auvergne que partout ailleurs.
Les plus petits endroits different de leurs
voifins ; il est même peu de denrées , qui
n'aient leur meſure particuliere. Des fages
réglemens ont fouvent profcrit cet abus
mais les difpofitions en ont toujours été
éludées ; & puifque l'expérience nous apprend
que les loix ont été fans vigueur,
pour faire ceffer ce défordre , voyons s'il
feroit
MAR S. 1756. 97
feroit poffible d'y trouver quelque remede.
Une table où toutes les différences des
poids & des mesures feroient évaluées &
rapportées à une proportion connue , préfentera
au premier coup d'oeil une idée
jufte de ce qu'on demande par rapport
aux denrées .
La meſure des héritages doit auffi entrer
dans ce projet ; elle eſt tout au moins auffi
variée : la feptérée de terre , l'oeuvre de
vigne , celle de pré ne font nulle part les
mêmes. Les villes , les bourgs , les villages
même ont leurs ufages différens ; & ces
mefures qui ne font confignées nulle part ,
varient felon le caprice des Arpenteurs.
Après un détail circonftancié de tous les
inconvéniens qui réfultent de la variété
dans les poids & les mefures , l'Auteur
annonce qu'il entreprendra lui- même de
mettre fon projet à exécution fous les aufpices
de la Société dont il eſt membre.
M. Ozy , Affocié , lut des obfervations
qu'il a fait fur les eaux de la Bourboule en
Auvergne .
Le village de la Bourboule eft fitué à
une lieue des eaux du Mont - d'or , auprès
du Château de Murat- le - Caire , fur les
bords de la riviere de Dordogne . Cetvillage
eft au bas d'une montagne terminée
par un grand banc de rochers inacceffibles ,
E
98 MERCURE DE FRANCE.
au bas defquels font trois fources d'eaux
minérales chaudes , dont l'une bouillonne
dans un baffin quarré d'environ trois pieds
de diametre. La fource n'est pas fi confidé.
rable que celle du bain de Ceſar au Montd'or
, mais elle eft plus chaude. Le Thermometre
y eft monté à 41 degrés & demi
au deffus de l'eau glacée , deux degrés &
demi de plus qu'aux bains de Céfar. Le
degré de chaleur de ce bain eft auffi plus
confidérable que celui des deux autres
fources qui font au deffus. Après avoir fait
la defcription de ces fources , M. Ozy rapporte
l'analyfe fcrupuleufe qu'il en a faite.
Le goût falé qu'il a trouvé aux eaux de la
Bourboule l'a engagé à les comparer à celles
de Balaruc ; le réſultat de cette opération
a été que les eaux de la Bourboule
contiennent plus d'alkalis fixes que celles
de Balaruc : celles- ci contiennent à la vérité
un fel marin parfait , mais celles de la
Bourboule , outre une partie de fel marin ,
renferment la bafe même de ce fel ,
eft un alkali fixe naturel . Dix livres des
caux de Balaruc ont rendu une once &
48 grains de matiere faline , au lieu que
celles de la Bourboule n'en ont donné que
fix
gros.
qui
Quant aux effets des unes & des autres ,
M. Ozy prétend qu'ils doivent être à peu
près
lan
de
bo
qu
ven
il s
da
éta
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ps
qu
de
e
Pe
ΩΣ
de
da
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ת
a
P
·
•
MARS. 1756. 99
près les mêmes ; contenant toutes les deux
la même nature de principes. La quantité
de fel qui manque aux eaux de la Bourboule
, eft remplacée par la nature de celui
qu'elles contiennent.
M. Ozy ajoute que ces dernieres doivent
être fupérieures dans les maladies où
il s'agit de divifer les fluides & de donner
du reffort aux folides ; leur fel alkali fixe
étant fans contredit bien plus irritant que
n'eft le fel neutre des eaux de Balaruc .
Elles doivent être très-faluraires aux
perfonnes qui font fujettes à la néphrétique
, pour expulfer & diffoudre le calcul
des reins & de la veffie , & même pour en
empêcher la formation . Cette découverte
peut être fort utile au Public.
M. Ozy confeille de préférer la fource
qui bouillonne dans le bain , tant à caufe
de fon degré de chaleur que de la qualité
du fel qui y domine . On en a déja fait
d'heureux effais fur des paralytiques qui
n'avoient reçu aucun foulagement du bain
de Céfar.
La Séance fut terminée par la lecture
d'un Mémoire fervant d'Introduction à un
calendrier pour la ville de Clermont que
le P. Sauvade , Minime , fe propofe de
donner à fes Concitoyens ; il explique les
principes d'aftronomie néceffaires pour le
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
calcul du lever & du coucher du foleil . Le
phénomene de l'inégalité des jours fe réduit
à deux chefs ; l'inégalité des différens
jours dans le même endroit , & l'inégalité
des mêmes jours dans différens endroits . Il
faut rapporter la premiere inégalité au
mouvement du foleil dans l'écliptique , &
la feconde à la fituation de l'horizon par
rapport à l'équateur .
Pour paffer au calcul du lever du Soleil,
l'Auteur cherche , par les principes de la
Trigonométrie fphérique , la différence
afcenfionnelle , laquelle ajoutée à yo degrés,
ou retranchée de 90 degrés felon l'hé
mifphere où le Soleil fe trouve , donne
l'arc femi- diurne , ce qui fuffit pour déter
miner le lever de cet Aftre.
La différence du lever vrai au lever apparent
, introduit le P. Sauvade dans la
doctrine des réfractions aftronomiques.
Après avoir déduit l'effet de ces réfrac
tions , l'Auteur établit que le plus grand
jour de Paris excede celui de Clermont de
vingt- fix minutes , cinquante- deux fecondes
; & au contraire , le plus petit jour de
Clermont excede celui de Paris de vingtcinq
minutes , vingt-quatre fecondes . Il
termine fon Mémoire , en avertiffant que
l'heure du lever apparent du foleil peut
être calculée affez exactement ; mais il
MARS. 1756 :
101
n'en eft pas de même pour le coucher.
L'horizon de Clermont eft découvert à
l'Orient , mais la fameufe montagne du
Puy de Dome , & la chaîne qui l'accompagne
, nous dérobent la lumiere du Soleil
avant qu'il foit fous l'horizon : elles
font ainfi un effet contraire à celui de la
réfraction. Le fentiment de l'Auteur eft
que ces montagnes doivent abréger de
vingt- une minutes , quarante-huit fecondes
, le tems de la préſence du Soleil aux
plus grands jours de l'année .
EXTRAIT ou précis des erreurs fur
la Mufique dans l'Encyclopédie , brochure
in- 8°. annoncée dans le premier volume
de Janvier.
De quelque autorité que foit le fentiment
de M. Rameau dans un art où il eft
fait pour parler en maître , notre charge
eft de l'expofer fimplement , & de nous
tenir dans une parfaite neutralité : en conféquence
nous donnons cet Extrait , tel
que nous l'avons reçu fans l'adopter , ni
pour le fonds , ni pour la forme."
M. Rameau admet deux principes dans
la théorie de la Mufique. Par le premier ,
l'harmonie eft la génératrice de la mélodie.
Le fecond exige que dans l'exécution on
rende l'harmonie pleine, & qu'on faffe en-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
募
tendre diftinctement tous les tons qui
compofent un accord. Ce fecond principe
fe trouve contredit dans l'Encyclopédie
ouvrage dans lequel on s'eft cependant fait
gloire de copier M. Rameau en preſque
tout ce qu'il a dit fur la théorie d'un art
qu'il a approfondi. C'eft pour réclamer
contre cette attaque que M. Rameau a
fait l'ouvrage dont il eft ici queſtion. Il
remarque que la feule objection qu'on lui
faffe contre la plénitude de l'harmonie , eft
que les Italiens ne s'y affetviffent pas. Cette
raifon qu'on a fait valoir comme victorieufe
dans la lettre fur la Mufique , ne
lui paroît pas convaincante : en effet elle ne
fçauroit l'être pour un philofophe qui veat
ne fe décider qu'après de juftes réflexions.
Les Italiens peuvent mériter des éloges fans
être regardés comme les modeles de la
plus grande perfection . Quelques talens fupérieurs
qu'on leur attribué , la nature doit
toujours leur être préférée. Auffi M. Rameau,
pour combattre l'autorité qu'on oppofe
à fes principes , ne fe contente pas de
dire : Les François ne fe plairoient point à
une harmonie tronquée ; mais il rappelle
ce qu'il avoit déja dit dans plufieurs de fes
ouvrages ; fçavoir que la nature donne
toujours une harmonie entiere , & qu'en
confervant la plénitude des accords on ne
fait que l'imiter.
MAR S. 1756. 103
Sans prétendre décider entre ces deux
combattans , je me contenterai de remarquer
que leurs armes font fort différentes .
L'Auteur de la partie muficale qui eft dans
l'Encyclopédie , a pour lui la pratique des
Muficiens Italiens ; mais M. Rameau s'autotife
de la nature qu'on pourroit regar
der comme la pratique de tous les hommes
de goût.
M. Rameau obferve auffi que c'eft malà-
propos qu'on a voulu infinuer dans la
plupart des articles de Mufique qui font
dans l'Encyclopédie , que la mefure donnoit
à la Mufique fa principale expreffion .
La mefure , dit-il , ne peut faire cer effet
que fur les oreilles incapables de difcernet
le haut , le bas , le changement de mode &
la jufteffe des accords. Ainfi réduire l'expreffion
muficale à la feule mefure , c'eſt
n'être encore qu'aux premiers élémens de
l'art. Il cite à cet effet le choeur de l'Amour
riomphe , qui eft dans l'Acte de Pygmalion
, & qui peut être exécuté fans mefure ,
fans perdre fenfiblement de fon expreffion.
M. Rameau ne faifant pas grace fur la
moindre négligence , trouve encore des
erreurs dans les articles de diffonnance, de
choeur , de chromatique ; mais ces détails
n'étant guere fufceptibles d'extraits , nous
y renvoyons le Lecteur.
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
fe
LA Faculté de Médecine me charge ,
Monfieur , de vous prier d'avertir le fublic
, qu'elle eft fâchée de fe trouver compromife
par l'annonce qui ſe trouve dans
le fecond volume du Mercure du mois de
Janvier , page 87 , d'une prétendue liqueur
fondante , de M. Dienert , Médecin de la
Faculté , la Compagnie déclare qu'elle defapprouve
fa conduite à cet égard , & que
d'ailleurs elle n'a encore aucune connoif-
Lance des vertas de fon remede.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Chomel , Doyen de la Faculté de
Médecine.
Ce 26 Janvier 1756.
Nous aurions inféré ce defaveu dès le
mois de Février , mais il nous a été envoyé
trop tard. On ne fçauroit ufer de trop de
diligence , lorfqu'il s'agit de détromper
le Public , & d'empêcher le cours d'un remede
qui n'a point l'attache de la Faculté
de Médecine. Il eft furprenant qu'un Docteur
, Régent de cette Faculté , ofe faire
imprimer & annoncer dans un ouvrage
MARS. 1756 . 105
public les vertus d'une liqueur fondante ,
qu'il dit avoir les fuffrages de fa Compagnie
, quand il fçait tout le contraire , &
qu'il eft für en conféquence d'en être
hautement défavoué. Il eft lui feul puni
de nous en avoir impofé , ainfi qu'à
tout Paris , nous n'avons que le chagrin
d'avoir été furpris. Eh ! qui ne l'auroit pas
été l'extrait d'un difcours prononcé
aux Ecoles de Médecine pour le primâ
menfis ?
par
LE précieux Cabinet de feu M. le Duc
de Tallard fera inceffamment exposé en
vente au plus offrant & dernier Enchériffeur.
La vente commencera le 22 Mars
1756. Il eft compofé d'un grand nombre
de Tableaux originaux du premier ordre ,
peints par les plus grands Maîtres d'Italie ,
de Flandres & de France ; de buftes & ftatues
de bronze & de marbre , tant antiques
que modernes ; de tables & vafes
de porphyres , granites , albâtre orientale ,
marbres antiques , & autres marbres précieux
d'Italie ; d'une collection choifie de
deffeins & eftampes des meilleurs Maîtres
des trois Ecoles ; de porcelaines anciennes
; bijoux , & autres effets de la plus
grande conféquence , dont on trouvera le
détail dans un catalogue raifonné qui le
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
diftribue à Paris , chez Didot quai
des Auguftins , à la Bible d'or. A Londres ,
chez M. Major, Engraver the his R. St. the
Prince of Wales , at the Golden head , in
Chandoir ftret near S. Martin 'Slane . A
Amfterdam , chez M. Fouquet junior , fur
le Heergnaft de Romyus temp, fteeg.
Dans les autres pays , il fera envoyé aux
Miniftres du Roi de France , & aux Confuls
de la Nation de France .
" Les perfonnes qui avant la vente vou-
» dront voir le Cabinet , s'adrefferont à
» M. le Marquis de Saffenage , Chevalier
» d'honneur de Madame la Dauphine , ou
» à Mdme la Marquife de Saffenage , niece
"
& héritiere de M. le Duc de Tallard ,
» demeurant à Paris en leur Hôtel , rue du
Bacq , Fauxbourg S Germain ; ou à M.
» Lacourlée , Avocat au Parlement , Exé-
" cuteur du teftament de M. le Duc de
»Tallard , demeurant à Paris , rue des
Foffés M. le Prince. ور
LETTRE de M. Defprez de Boiffy ,
Avocat en Parlement , à M. le Chevalier
de ** fur les fpectacles.
Mille hominum fpecies , & rerum difcolor ufus ,
Velle fuum cuique eſt , ne voto vivitur uno.
A Paris , chez la veuve Lottin , & J. H.
Butard , rue S. Jacques , à la vérité.
MAR S. 1756. 107
L'Auteur a renouvellé dans fa lettre tout
ce qu'on a dit tant de fois contre les ſpectacles.
Il n'en parle même , de fon propre
aveu , que fur le rapport d'autrui . Nous
fommes perfuadés que s'il les connoiffoit
par lui-même , & furtout la Comédie
dans l'état épuré où elle eft aujourd'hui,
il trouveroit d'auffi fortes raifons pour
prendre fa défenſe , qu'il en a employées
pour la condamner ; il vetroit que fur la
fcene l'honnêteté regne dans l'action &
dans les fentimens , ainfi que dans le langage
, que les moeurs y font refpectées
autant que la décence , & que la Comédie
actuelle en eft la véritable école . Nous
ofons avancer que les converfations du
monde font beaucoup plus libres , conféquemment
plus dangereufes que celles da
Théâtre , où l'on eft fouvent plus réſervé
que dans les lieux les plus refpectables.
Comme nous fommes trop intéreffés à fon
apologie pour en être crus , nous laiffons
à d'autres le foin de la faire , & nous n'en
dirons pas davantage , de peur qu'en nous
recufant on ne nous réplique : Monfieur
Jaffe , vous êtes Orfevre. Cependant, comme
la différence de fentimens ne doit pas nous
rendre injuftes , nous ajouterons à la louange
de l'Auteur , que fa lettre nous aparu
très- bien écrite , & qu'à travers fon extrême
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
rigueur pour la Comédie , nous avons
cru entrevoir que fes vives cenfures tomboient
plutôt fur l'abus du genre que fur
le genre même. Il nous a même ſemblé
qu'il exceptoit quelques ouvrages dramatiques
, fans les nommer , de la profcription
générale. Si cet Ecrivain eſtimable
avoit mieux développé fon intention , &
qu'il n'eût attaqué ouvertement que l'abus,
il eût réuni toutes les voix il auroit eu
même pour lui tous les partifans éclairés
du Théâtre. Qu'il faffe grace au Mifantrope
, aux Femmes Sçavantes , au Philofophe
Marié , au Glorieux , & c. les vrais
connoiffeurs lui abandonneront les Dom
Japhets , les Jodelets , les Moulins de Javelle
, les Vendanges de Surenne , & tant
d'autres farces indécentes qui n'offenſent
pas moins la raifon que la pudeur , & qui
deshonorent le premier Théâtre de la Nation.
CONJECTURES PHYSICO - MECHANIQUES
fur la Propagation des fecouffes dans les
tremblemens de Terre , & fur la difpof
tion des lieux qui en ont reffenti les effets.
1756. Tange monies .... & conturbabis eos.
Pf. 143. V. 67.
Cet écrit nous vient de bonne main ; il
eft de M. Defmarefts qui a déja fait fes
MARS. 1756 . 109
preuves dans ce genre , & le trouve chez
Ganeau , rue S. Severin ; Duchefne , rue S.
Jacques ; Aumont , place des Quatre Nations
; & l'Esclapart , quai de Gèvres .
Nous annonçons une feconde fois le 4º ,
le 5 ° , & le 6° Tomes de l'Hiftoire du Diocèle
de Paris , qui fe vend chez Prauli pere
; par M. l'Abbé le Beuf , pour réparer
l'omiffion qu'on a faite du mot Diocèle
dans la premiere indication que nous en
avons donnée le mois paffé , p. 129 , nous
ajouterons que ces trois derniers volumes
font dignes des premiers, & qu'on ne peut
fçavoir trop de gré à leur fçavant Auteur
des recherches laborieufes dont il les a enrichis.
LA NOBLESSE Commerçante, à Londres
, & fe trouve à Paris , chez Duchefue ,
rue S. Jacques, 1756. Le Frontifpice repréfente
un Gentilhomme qui , las de traîner
des jours inutiles dans l'indigence ,
montre un Ecuffon , un cafque d'Armoiries
, & un Parchemin qui contient de
vains titres. Il les abandonne , & va s'embarquer
pour fervir fon pays en s'enrichillant
par le commerce.
Cet ouvrage utile nous a paru écrit avec
´autant de vérité que d'efprit & de force.
170 MERCURE DE FRANCE.
L'Auteur y combat l'injufte préjugé , qui
veut que le Commerce déroge à la Nobleffe.
Il emploie fouvent pour le vaincre les
armes du ridicule , mais fes traits les plus
agréables cachent des raifons folides , c'eft
le bon fens qui fait des Epigrammes , &
qui les fait pour le bien de l'Etat , & voilà
les bonnes. Cet Ecrivain plein de feu &
d'agrément , s'exprime quelquefois en Poëte
, mais il raiſonne en Philofophe , calcule
en Géometre , & pour dire encore plus ,
il penfe en Homme , & il écrit en Citoyen.
Le but de fon livre eft d'engager nos Gentilshommes
indigens , pour leur bien être
& pour l'avantage de la Nation , à s'occuper
du Commerce , & de montrer clairement
que de leurs travaux on verra fortir
une culture plus étendue , une population
plus nombreuſe , une conformation plus
forte , une navigation plus grande : il tire
fes preuves du fein de l'expérience , &
puife fes exemples chez nos voifins. Ce
n'eft qu'en les imitant que nous pourrons
les vaincre .
Les terres de leur Nobleffe pauvre étoient
incultes comme celles de la nôtre. Les cadets
qui fe font jettés dans le commerce ,
ont remis en valeur les terres de leurs aînés
, & relevé leurs maifons abattues. En
étendant la culture , ils ont augmenté la
population.
MAR S. 1756.
La pauvreté eft trop fouvent forcée au
célibat ; notre Noblefle l'éprouve en France.
Qu'elle s'enrichiffe par le Commerce ,
elle fe mariera. Une femme eft une charge
dans tous les autres Etats ; mais le Commerçant
trouve dans la fienne une compagne
de fes travaux . Pefer , dit l'Auteur
mefurer , calculer , & c, tout cela n'excede
point la portée du fexe, & quadre fort bien
à l'ordre public ; enforte que fi le Commerçant
manquoit de goût pour le mariage,
il s'y porteroit par raifon , ou par
néceffité. Il va plus loin. Une Nobleffe
pauvre , ajoute -t'il , répand l'indigence &
la ftérilité fur tout ce qui l'environne . Elle
laiſſe en pâturages le pius de terres qu'elle
peut , parce que les pâturages ne demandent
point de frais , & l'augmentation des
pâturages diminue le nombre des hommes.
Elle épargne la culture , & dès - lors
il ne faut pas tant de cultivateurs . Que
deviendront - ils ? ils viennent dans cette
capitale remplir nos antichambres , affiéger
nos tables , & partager notre luxe
perdre l'amour du travail , & les moeurs
de la nature , & s'il n'y a pas affez de maîtres
pour tant de valets , le brigandage eft
leur reffource. La Nobleffe en retiendroit
un grand nombre fur fes fiefs , fi elle avoit
affez de fortune pour les occuper ; & ils
112 MERCURE DE FRANCE.
s'y multiplieroient au lieu de s'anéantir
dans la corruption . Nous dirons encore
avec lui : Défricher de nouvelles terres , c'est
conquérir de nouveaux pays , fans faire
de malheureux . Les Landes de Bordeaux à
Bayonne ont vingt lieues de diametre ; le Légiflateur
qui les peupleroit , feroit plus grand
qu'un Conquerant. Du Commerce naîtroit
encore une plus grande confommation.
L'Auteur déclare à ce fujet qu'il ne prétend
pas
être l'apôtre du luxe , mais qu'il
ne donne ce nom qu'au luxe qui appauvrit
l'état , & qui y eft étranger . Quant
aux fruits de notre crû , aux productions
de
nos fabriques , il eft à fouhaiter , ditil
, qu'il s'en faffe la plus grande confommation
poffible pour alimenter les Arts &
les Manufactures . Celui qui thefaurife eft
un fujet pernicieux , parce qu'il prive
l'état de la circulation qui fait fa vie. L'indigent
qui ne confomme pas , eft au même
niveau delà il paffe à un plus grand
objet , à la Navigation .
L'Angleterre , s'écrie - t'il , a pouffé fa
Nobleffe dans la Navigation , portons- y
la nôtre . Défendons notre Commerce comme
on l'attaque ...... Tirons de cette Nobleffe
des Lieutenans , des Capitaines , des
Armateurs , des Négocians qui couvriront
la mer de vailleaux , & qui arracheMAR
S. 1756. 113
ront aux Anglois la balance du Commerce.
Elle étoit de notre côté il y a quatre- vingts
ans. Qu'arriveroit- il encore , fi on le vouloit
? Ces Officiers de Marine marchande ,
après avoir fait la fortune de l'Etat & la
leur, de quoi ne feroient- ils pas capables en
paffant fur la Marine guerriere ? L'Auteur
prétend que non feulement la premiere eft
la nourrice de l'autre , mais qu'elle lui
ferviroit encore d'école..... C'eft de fon
fein que font fortis les Miniac , les Du
caffe , les Bart , les Dugué - Trouin. Ce dernier
nous apprit que l'expérience vaut
bien la Nobleffe. Notre Ecrivain attaque
enfuite le préjugé. Le Czar Pierre , ditil
, eût plus de peine à couper la barbe
aux Mofcovites , qu'à en faire des hommes.
Le Commerce ne blefferoit- il pas l'honneur
de la Nobleffe ? L'Auteur répond que
cet honneur , tout délicat qu'il eft , porte
la livrée des Grands , fert dans leurs écuries
& dans leurs antichambres . Un titre
de Page , d'Ecuyer , jette un vernis fur ces
fonctions domestiques. S'il ne faut que des
mots pour décorer leCommerçant en faveur
de la Nobleffe , notre langue en fournira.
d'autant plus facilement que le Commerce
ne préfente rien de fervile ; il ne dépend
de l'état & de lui-même. Mais que
deviendroient nos privileges , interromque
114 MERCURE DE FRANCE.
pront nos Gentilshommes , fi nous commercions
ils deviendroient ce qu'ils
font , leur répond l'Auteur. Vous pourriez
, comme auparavant , afficher des armoiries
, & murmurer contre les Bourgeois
qui en prennent ; parler de vos ancêtres
à ceux qui ne vous queftionnent
pas ; ... maintenir votre exemption de la
taille , à condition de payer fous un autre
nom ; prendre le froc ou la guimpe ,
felon votre fexe , dans des Cloîtres nobles ,
pour faire votre falut en gens de condition
; chaffer fans ménagement fur les
moiffons des Cultivateurs , battre , affommer
ces bonnes gens , & en cas de befoin
être décapités au lieu de périr bourgeoifement
par la corde. Il finit
par s'élever
avec autant de force que de folidité contre
la loi de dérogeance . Le Financier ,
dit-il , qui fait un commerce d'argent ,
conferve fa Nobleffe pure & fans tache.
Un Gentilhomme peut faire & vendre du
verre , & il ne pourra pas nous ouvrir
un magafin de draps. Quoi ! l'Efclave
conferveroit fa Nobleffe au milieu
des fervices les plus vils , & l'homme libre
la perdroit dans l'indépendance &
l'honnêteté du commerce ? Laiffons cet
ufage aux Barbares .... Eft il bien vrai .
M. de Servan , s'écrie - t'il , que malMARS.
1756. 115
177
gré vos armoiries , & votre qualité d'Ecuyer
, vous prenez couleur dans une
manufacture naiffante au Puy- en- Velay ?
Eft - il bien vrai que dans cet Hôtel de
commerce , honoré des armes & de la li
vrée du Roi , vous pafferez vos jours dans
des travaux & des productions continuelles
? Vous allez donc former un grand
nombre d'ouvriers , occuper & nourrir
quantité de pauvres familles , répandre de
l'argent dans une province peu fortunée ,
augmenter la maffe des richeffes publiques.
Si avec tout cela vous dérogez à votre
Nobleffe , comment faut- il faire pour la
conferver , ou pour l'acquerir ?
Il nous paroît que la caufe du Commerce
ne pouvoit rencontrer un Avocat plus
éloquent ; & que , fi l'on confulte la raifon
, les fervices que le Négociant rend à
la patrie , la pureté de la fource des biens
dont il l'enrichit , on jugera qu'il n'y a
point d'état qui mérite plus de confidération
que le fien , quoiqu'il foit celui qui
en ait le moins, grace au préjugé gothique
qui nous domine.
Nous finirons avec l'Auteur par cette
apoftrophe à la Nobleffe que la fortune a
maltraitée ; Devenez par le Commerce des
Dieux tutelaires pour vos femmes & pour
vos enfans ; devenez pour la Patrie les
116 MERCURE DE FRANCE.
nourriciers des terres , la vie des Arts , le
foutien de la population , l'appui de notre
Marine , l'ame de nos Colonies , le nerf de
l'Etat , les inftrumens de la fortune publique.
N'est- il pas tems de vous ennuyer
de votre inutilité & de votre mifere ?
Vous craignez le mépris , & vous reſtez
dans l'indigence ! Vous aimez la confidération
, & vous êtes nuls , victimes éternelles
du préjugé qui vous tue ! Le regne de
Louis le Grand fut le fiecle du génie & des
conquêtes. Que le regne de Louis le Bienaimé
foit celui de la Philofophie, du Commerce
& du bonheur.
Ce livre estimable eft de M. l'Abbé
Coyer fi heureuſement connu par
différens
ouvrages , où la Philofophie eft cachée
avec tant d'art fous l'habit des graces
, & les traits de l'enjouement.
VOLGARIZZAMENTO di Saggi fopra diverfe
materie di litteratura è di morale , del
fign. Abbate Trublet, dell' Academia Reale
delle Science Belle - Lettere di Pruffia ,
Archidiacono è Canonico di S. Malo , tradotti
in Lingua Tofcana , da un Accademico
della Crufca . All'illuftriff. fign . Bali,
Conte Luigi Lorenzi , Miniftro di S. M.
Chriftianiffima, alla Corte di Sua M.Cª , in
Tofcana. 2 tom. in - 12. In Firenze , nella
MARS. 1756. 117
Stamperia Mouckiana , con approvazione.
1753.
Nous répétons cette annonce déja faite
dans le Mercure de Mars 1754 , où l'on
trouve auffi la traduction de l'Epître Dédicatoire
, pour avertir que Briaffon a reçu
de Florence des exemplaires de ce livre.
Le même Académicien traduit encore le
troifiéme volume des Effais de Littérature
& de Morale ; & nous ne manquerons pas
d'annoncer cette fuite , auffitôt que nous
fçaurons qu'elle aura été imprimée. Cette
traduction eſt également élégante & fidelle.
Elle a été revue par le feu Comte Allamani
, Seigneur d'un mérite fi diftingué ,
par M. le Bailly Lorenzi , & en grande
partie par l'Auteur même des Effais , &c,
à qui trois ans de féjour à Rome ont donné
une affez grande connoiffance de la
Langue Italienne . Nous penfons que rien
n'eft plus propre à en faire connoître &
fentir les fineffes qu'une bonne traduction
en cette Langue d'un ouvrage François
bien écrit.
LA CARTE annoncée fous le titre
de Canada , Louisiane , & Terres Angloifes ,
en quatrefeuilles , par M. d'Anville , ayant
été retardée d'un mois par la gravûre , eft
aquellement rendue publique , & accom
**
11S MERCURE DE FRANCE.
pagnée d'un Mémoire , par lequel l'Auteur
donne l'analyfe de la construction de cette
Carte.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Monfieur , la lettre qu'un Anonyme
a fait inférer dans le Journal des Sçavans
du mois de Février dernier , au ſujet de
l'Imprimerie , & dans laquelle il paroît
qu'il a eu particuliérement en vue de décrier
la grande édition que l'on fait des
Fables de la Fontaine , eft fi clairement
dictée à cet égard par l'intérêt , le préjugé
, ou l'envie de nuire gratuitement ,
que je ne puis me difpenfer de vous fupplier
de me permettre d'y répondre tour
de fuite par la voie du Mercure. La défenfe
de la vérité & de la juftice m'animent;
& j'efpere que ces motifs donneront
du poids à mes raifons , aux yeax
des perfonnes défintéreffées & vraiment
connoiffeufes dans l'Art de l'Imprimerie.
3
Avant que de commencer l'examen de
la lettre de l'Anonyme , je ferois prefque
tenté de lui demander s'il connoît réellement
le vrai beau ; ce beau fimple que dans
tous les genres un goût particulier & la naMAR
S. 1756 . 112
que ture feule peuvent nous indiquer , &
fi peu de perfonnes font en état de difringuer
; ou fi au contraire , peu favorisé
à cet égard , & fe laiffant trop dominer
par l'habitude , la mode ou la paffion , il
ne prend pas pour ce beau , ce qui n'eft
que fingulier ou nouveau. En effet , je
ferois peut- être d'autant mieux fondé à
lui faire cette queftion , que je vois pref
que à chaque ligne de fa déclamation
qu'il eft plein de préjugés & de faux principes
, ou que fon goût n'eft pas encore
épuré par l'expérience & la refléxion.
>
L'énumération & l'examen que le Critique
fait des différens caracteres employés
à l'impreffion des Fables de la Fontaine
donneroient prefque lieu de croire qu'il
eft verfé dans la connoiffance de l'Art
Typographyque , & qu'il l'exerce peutêtre.
On feroit même porté à penser qu'il
cherche à s'attirer la confiance & le concours
du Public , en décriant tous les Confreres
, & en faifant un étalage faftueux
de toutes les qualités que doit avoir un
bon Imprimeur , & qu'on devroit lui fuppofer
, par conféquent , s'il étoit de cette
Profeffion ; mais avec un peu de refléxion ,
on découvre aisément qu'il n'eft pas à
beaucoup près auffi inftruit qu'il veut le
paroître. Suivons - le dans fes raiſonne
mens.
120 MERCURE DE FRANCE.
Ce qu'il dit d'abord au fujet de la difficulté
qu'il y a de trouver parmi les Ouvriers
de l'Imprimerie , des gens capables
d'exécuter parfaitement un ouvrage , eft
vrai , & la raiſon qu'il en donne eſt trèsjufte
; mais que devoit-il en conclure , fi ce
n'eft qu'il fera impoffible d'imprimer un
ouvrage parfait , & de porter l'Art au
point où il paroît qu'il pouroit être pouffé,
tant que l'Imprimeur , quoique homine de
goût , riche & zélé au point de tout facrifier
pour la perfection de fon Art , ne fera
pas le maître de fon ouvrage. De plus , il
faudroit qu'il fût Graveur, Fondeur, Com
pofiteur & Preffier , qu'il fît auffi fon encre
, & l'on pourroit ajouter fon papier ,
( car chacun fçait combien la belle impreffion
dépend de fa parfaite égalité & de
fes autres bonnes qualités ) & dans ce
cas même il reftera encore loin d'une
exacte perfection , parce qu'il y a de plus
mille circonstances locales , & de la part
des étoffes , qui empêchent qu'on n'y parvienne
, & qu'on ne fçauroit éviter , ni
même fouvent prévoir , comme dans tous
les autres Arts méchaniques : j'en appelle
aux gens inftruits .
» Dès le frontispice de cette grande édi-
» tion des Fables de la Fontaine , on ap-
› perçoit , dit l'Anonyme , des défauts qui
» décelent
"
MAR S. 1756 .
121
.و
93
» décelent le peu de goût des Ouvriers :
les noms des Libraires font renfermés
» par un crochet mal taillé , & celui de
I'Imprimeur eft en petites capitales de
la plus mauvaiſe grace. » En vérité ce
que l'on trouve à redire à ce titre eft de
bien peu de valeur , puifqu'il fe réduit à
un petit acceffoire auquel peu d'yeux s'arrêteront
, & qui d'ailleurs n'eft pas certainement
fi mal que l'Anonyme le voit.
و د
Vient enfuite l'Epitre dédicatoire .....
pour laquelle l'Imprimeur a employé
» un caractere maigre , mal formé & antique
, auquel il a joint des capitales trop
graffes.. Ce caractere antique & maigre
eft cependant d'un de ces Graveurs de réputation
dont l'Auteur a voulu parler
dans fa lettre ; les capitales qu'ony a jointes,
aux termes qu'il emploie , font celics
du caractere même ; eh ! pouvoit- on y en
mettre d'autres ? Ajoute - t'on des lettres
d'un autre corps ou d'un autre Fondeur
dans un ancien caractere , & fi celui ci
pa.
roît un peu maigre , ce n'eft qu'en le comparant
avec les italiques modernes qui pêchent
peut-être par un défaut contraire.
"
Après cela paroît pour l'Avertiffement
» un caractere de Petit- Parangon , fondu
exprès pour cet ouvrage : le mérite ne
confifte pas à faire fondre un caractere
23
F
122 MERCURE DE FRANCE.
93
»
pour une édition ; mais à le bien choifir
, & c'est précisément ce qu'on a oublié
pour celui-ci , qui feroit capable de
» ternir feul cette édition . Quels a ! quels
" g ! quelles r ! quels & ! Qu'on fe donne
» la peine de jetter un coup d'oeil fur
chaque lettre en particulier , on en trou-
» vera plus de la moitié fans graces &
» d'une figure manquée.
ود
ود
On fçait , fans doute , auffi bien que
l'Anonyme , qu'il ne s'agit pas feulement
de faire fondre exprès un caractere pour
faire une belle édition ; auffi ne s'elt - on
déterminé pour celui avec lequel on a fait
les Fables de la Fontaine , qu'après un
examen le plus rigoureux , des effais réitérés
, & une comparaifon fcrupuleufe de
tous les plus beaux Petits- Parangons qui
font en France ; l'Editeur de l'ouvrage ne
s'en eft même pas rapporté à fes luinieres
à cet égard , ni au confeil de fon Imprimeur
; les amateurs les plus éclairés & da
premier ordre , ont été confultés ; ils ont
tous donné leur voix au caractere dont il
s'agit , & iln'a eu la préférence que parce
qu'il eft réellement le plus parfait . En
effet , qu'on examine avec foin les lettres
fur lefquelles l'Anonyme fait des exclamarions
fi grandes , & toutes les autres ,
& l'on verra qu'il y a certainement trèsMAR
S. 1756. 123
peu de chofe , ou même rien à y défirer ,
& que les feules lettres peut - être défectueufes
en quelque chofe , c'eft le p , leg ,
& l'ft , mais elles ont échappé à l'oeil connoiffeur
de notre Critique.
La comparaifon qu'il veut , quelques
lignes après , que l'on faffe du Petit- Paran .
gon avec le Gros- Romain , montre encore
plus diftinctement l'incertitude de fes lumieres.
Que des yeux accoutumés à bien
voir les chofes , & à les juger fainement ,
faffent cette comparaifon , & l'on verra
fice Gros- Romain , quoique le plus parfait
de fon efpece , n'eft pas de beaucoup
inférieur au Petit- Parangon ; quelles capitales
fur-tout ! combien peu de lettres d'un
même oeil & égales dans ce premier caractere
; & malgré la docilité de l'habile
Fondeur qui l'a fait , à fe prêter à toutes
fes corrections que l'on a exigées dans
les poinçons , que n'y trouve- t'on pas à
défirer ! Mais l'Auteur de la lettre fur l'Imprimerie
oferoit - il lui -même , malgré fon
ton affirmatif , fe flatter que dans le nombre
infini de caracteres qui compofent la
caffe , & qui eft même beaucoup plus
grand à préfent que du tems de nos Graveurs
anciens , il fût poffible de trouver
une parfaite régularité ; & y aura-t'il ja-
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
mais un Graveur affez hardi pour fe flatter
de faire près de cent cinquante lettres parfaitement
égales dans leur forme , leur
pente , leur oeil , & kur alignement . Ce
feroit comme fi l'on demandoit autant de
têtes femblables & exactement de la même
grandeur à un Deffinateur ; on fent quelle
en eft l'impoffibilité .
33
33
ود
و و »Onvoitenfuitepourlatableune
italique de Petit - Parangen , fans déliés &
» fans contours gracieux , encore plus imparfaite
que le Romain avec lequel elle
» eft ' affortie ; ce qui rend la compofition
de cette table lourde , péfante & défagréable
. » L'examen des pieces peut encore
faire juger aifément fi l'Anonyme ne
fe trompe pas dans fa décifion : cette italique
eft certainement très- belle , & fort
correcte ; fi elle paroiffoit lourde à quelques
yeux , ce ne feroit que parce que
le noir que jette l'italique plus que le romain
, lui donne toujours quelque apparence
de pefanteur qui n'eft que relative ,
& très fûrement , une italique de Petit- Parangon
dans le nouveau goût , ne feroit
point plus légere , ni d'un contour plus
gracieux ; au contraire étant plus arrondie
& formant des efpeces de petits talons
derriere chaque lettre , elle paroîtroit plus
MARS . 1756. 125
1
pefante. D'ailleurs , quoi qu'en dife l'Anonyme
en plufieurs endroits , je ne crois
pas qu'il foit encore bien décidé parmi
les vrais Connoiffeurs , fi les nouvelles
italiques doivent avoir abfolument à tous
égards la préférence , & ne font plus analogues
au romain que les anciennes , fi elles
font plus naturelles , & fi elles n'ont pas
au moins autant de défauts .
""
ود »Cetteéditioncommencepar
des vers
>> en l'honneur de Monfeigneur le Dauphin.
Voyez ces mots à Monseigneur , &
» vous jugerez tout d'un coup que les let-
» tres qui le compofent ne devoient pas
» trouver place dans un ouvrage d'apparat
» comme celui-ci . » Mais ces lettres qu'ontelles
donc de fi extraordinaire & de fi négligé
Elles font de deux points de Cicero
italique , & gravées par un de ces fondeurs
modernes , dont l'Anonyme loue
tant les nouvelles italiques. « Tous les reglets
qui font à la tête de chaque page ...
font négligés , mefquins , & trop ferrés ;
» il falloit que le trait du milieu fût plus
" gros , que les traits qui l'accompagnent
» fuffent plus fins & plus féparés. » On
pourroit répondre ici ce que l'on a déja
dit au fujet du choix du Petit- Parangon. Les
reglets employés dans cette édition n'ont
été préférés qu'après une comparaifon at-
Fij
126 MERCURE DE FRANCE.
tentive avec d'autres beaucoup plus gras ;
mais pour démontrer à l'Auteur de la let
tre que fon goût n'eft pas encore bien
épuré , examinons ces reglets & l'uſage
qu'on en fait dans l'impreſſion.
Un reglet , ou pour mieux s'exprimer ,
( car l'Auteur ne fe fert pas toujours des
termes propres ) un double ou un triple
filet , fe met ordinairement au haut
des pages d'un ouvrage pour féparer le titre
courant du refte de la matiere , ou bien à
la tête d'un article , ou d'un chapitre , pour
le rendre plus indépendant du difcours
précédent. Mais comme dans l'un & l'autre
cas ce reglet devient, au goût des vrais
Artiftes , abfolument inutile , puifque les
blancs que l'on laiffe , & la différence des
caracteres qu'on emploie aux titres , féparent
affez les matieres , on doit ne le
confiderer que comme un ornement ; &
en effet on met fouvent à fa place des filets
de vignettes. Or , dans ce cas , je demande
fi une page eft véritablement ornée par
un gros trait noir , qui n'a aucun rapport
avec l'oeil du caractere qui eft deffous , &
qui l'écrafe le plus fouvent ? Dans les Fables
de la Fontaine , pour ne pas trop heurter
de front les préjugés , on a fuivi prefque
tous les ufages admis dans l'Imprimerie
; mais comme la plupart font des abus ,
MAR S. 1756 . 127
r
& n'ont aucun bon principe pour fondement
, on ne s'y eft conformé qu'avec les
précautions & les changemens néceffaires.
Les triples reglets qu'on a employés , font
proportionnés au corps du caractere , c'eſtà
-dire que le filet du milieu eft de la même
force que le plein des capitales de deux
points de Petit- Romain qui compofent la
premiere ligne du titre de chaque fable.
Les deux petits filets du côté font du tiers ,
& le vuide qui fe trouve du gros trait à
chacun des petits , eft de la même étendue
que ce gros trait. Qu'on juge à préfent
fi ces triples filets font négligés &
mefquins.
و ر
و د
"
و د
» Les titres particuliers en tête de chaque
fable , ne tranchent pas affez fur le corps
» de l'ouvrage ; ils font en petites capitales
» de Petit- Parangon , qui par leur maigreur
» paroiffent plus petites que les lettres
» courantes qui font au deffous. » L'abus
de faire de grands titres pefans eft encore
un de ceux que l'on a voulu éviter dans
cet ouvrage , où ils auroient été d'autant
plus ridicules que plufieurs des titres des
fables font forts longs : d'ailleurs , il eft
faux que les petites capitales dont il eft
queftion , foient maigres, ni qu'elles puiffent
fe confondre avec le texte : elles s'en
féparent parfaitement bien ; & fi elles pa-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
roiffent légeres , c'eft que , fuivant le bon
goût, & pour leur donner de la grace , elles
ont été efpaciées ; elles font d'ailleurs trèsbelles
& bien formées . » Un autre défaut
» non moins confidérable , ajoute notre
» Anonyme , c'eft que chaque fable com-
» mence par une lettre de deux points plus
»petite que celles qu'on emploie ordinaire-
» ment pour un in - 12 , &c. » On voit par
ces mots que l'Auteur , malgré fes connoiffances
, confond les lettres de deux points &
les lettres montantes , quoique bien différenres
, & qu'il eft en outre plein du ridicule
& peu naturel ufage qu'on avoit anciennement
de mettre toujours des lettres de deux,
trois , quatre , & même fouvent cinq , fix
& huit points , au commencement des
livres , & le plus fouvent à chaque chapitre.
Mais que des yeux accoutumés à
juger des belles chofes , décident encore
ici ; & malgré tous les efforts que la gravure
en bois , & celle en taille - douce
ont faits pour orner ces lettres , en leur
faifant prendre le nom de lettres grifes ,
qu'on juge fi elles ont de la vraisemblance
, & s'il n'eft pas contre tous les principes
du bon goût de placer au commencement
d'un difcours une grande lettre qui
écrafe le caractere qui la fuit , qui femble
ordinairement ne lui point appartenir , &
MARS . 1756. 129
dont le pied eft placé le plus fouvent de
façon à vous porter tout naturellement à
commencer à lire par la feconde , troifiéme
ou quatriéme ligne , vis - à - vis de laquelle
il fe trouve. L'écriture la plus parfaite
, qui a certainement dû être le modele
de l'impreffion , offre - t'elle aucun
exemple de ce goût gothique ? Les belles
pieces d'écriture commencent à la vérité
par une grande lettre , mais elle eſt montante
, elle fort dans la marge , & ne rend
aucune ligne plus courte que les autres ,
elle n'eft enfin ni lourde ni trop grande ;
d'ailleurs , on pourroit encore objecter
que les maîtres Écrivains les y placent autant
par habitude , & pour faire voir la
légereté & la hardieffe de leur main , que
par aucune néceffité . Si l'on eût fuivi en
tout le défir de l'Editeur des Fables de la
Fontaine , & qui eft peut-être celui de tous
les Artiftes , on n'eût mis aucune grande
lettre à la tête des fables; on les auroit commencées
par une fimple capitale de la caffe,
& l'on n'auroit pas fait plus mal. En effet ,
chaque fable , ( & dans un autre ouvrage
chaque chapitre , ) ne fe diftingue - t'elle
pas affez par fon titre , fans avoir befoin
de l'être encore par une chofe extravagante
? Mais en s'éloignant le plus qu'il a été
poffible de l'ufage admis de toute l'Im-
E v
130 MERCURE DE FRANCE.
primerie depuis fa nailfance , & dont
cependant on commence à s'éloigner à
Paris , on n'a pas voulu s'y fouftraire toutà-
fair.
ود
و د
" Dans les faux titres , il fe trouve des
» lettres romaines trop larges ; d'ailleurs
quelle néceffité d'avoir multiplié ces
>> titres comme on a fait. M. de Monte-
» nault dit , ( & cela eft vrai ) que c'eft
»pour éviter le défagrément d'ouvrir le
» livre entre deux pages blanches qui au-
» roient été occafionnées par la rencontre
» des deux dos blancs des Eftampes ».
Que veut dire l'Anonyme par ces lettres
trop larges ? Entend- il qu'elles font trop
larges proportionnellement à leur hauteur?
Il ne les a pas bien examinées , car elles
fort certainement dans un très bon rapport.
En fecond lieu , puifque M. de
Montenault a eu de bonnes raifons pour
faire mettre fi fouvent des faux titres
doit- on reprocher à l'Imprimeur , comme
un défaut , le petit défagrément qui en
réfulre ? & ne doit on pas au contraire
juger par cette chofe , qu'une néceffité
abfolue , ou des fujétions que le Critique
n'a pas ffeennttii ,, ont occafionné une partie
des autres prétendus défauts qu'il releve ?
Si , felon fon confeil , par exemple , on
eût commencé les fables qui ne tiennent
MARS. 1756.
qu'une page , au recto , au lieu du verfo ,
comment auroit- on fait pour celles qui en
auroient tenu deux ? il auroit fallu que
deux planches fe trouvaffent adoffées , &
par conféquent offriffent deux pages bianches
, ce qu'on a voulu abfolument éviter,
& ce qui ne fe trouve point , quoique
l'Auteur l'avance affirmativement. Chaque
eftampe eft placée exactement à la fin de
la fable qu'elle repréfente , de forte qu'a -
près avoir lu la fable , on la voit deffinée
& on la relit , pour ainfi dire , une feconde
fois dans l'Eftampe , & avec beaucoup
plus de plaifir que l'on n'en auroit en en
voyant des figures fans fçavoir ce qu'elles
fignifioient . Comment auroit- on d'ailleurs
agi au fujet des fables qui ont plufieurs
Eftampes ; le premier moment auroit-
il été placé vis - à - vis le recto où auroit
commencé la fable , & auroit-on mis
en rétrogradant les autres momens après :
pas
cet arrangement n'auroit- il été ridicule
, puifqu'il auroit mis le Lecteur dans
le cas d'examiner la derniere Eftampe
avant la premiere ? Feu M. de Boze , homme
reconnu pour le plus fçavant & le plus
zélé amateur de la Typographie , avoit
très-bien fenti tous ces inconvéniens ; &
c'est lui qui décida qu'il falloit placer les
Eftampes comme elles le font. C'est encore
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
d'après les confeils de ce curieux éclairé
qu'on a fait tout ce qu'il étoit poffible
pour rendre cette édition des Fables de la
Fontaine des plus parfaites en fon genre .
Notre Anonyme, qui ne fe laffe point de
décrier le caractere employé à cet ouvrage,
& qui apparemment n'eft point ami du
Fondeur qui l'a fait , y revient encore en
parlant de la nouvelle édition du Poëme
de Lucrece en Italien , & dit que le corps
de ce dernier livre eft d'un caractere beau
& bien choifi , ce qui le rend fupérieur ,
dans cette partie , aux Fables. Cejugement
prouve de plus en plus le fonds que l'on
doit faire fur les connoiffances de l'Auteur
? Qu'on le donne la peine de jetter le
moindre coup d'oeil fur le Saint- Augustin
avec lequel eft imprimé le Lucrece Italien,
on verra que ce caractere n'eft point du
tout en ligne , & que les lettres pour la
plus grande partie , en font infiniment inférieures
, & plus mal deffinées que celles
du Petit Parangon des Fables.
La juftelfe du goût & du difcernement
& l'impartialité de l'Auteur , fe dévoilent
encore quand deux pages plus loin , il
loue M. Gerbault du parti qu'il a pris de
faire graver les principaux titres de fon
Orlandofuriofo ; & convient que fi l'impreffion
de cet ouvrage eft foutenue comMAR
S. 1756.
133
gens un
me celle des huit premieres lignes qui font
fur fon Prospectus , il n'y aura rien de plus
admirable en ce genre . Notre Critique ne
pourra- t'il donc jamais fe figurer que tout
ce qui n'eft point
vraisemblable ou à fa place,
ne fçauroit être abfolument beau , ni de
bon goût. Eft - il naturel que des lettres de
fonte le trouvent mariées avec des lettres
gravées fur cuivre ? Le ton de l'impreffion
en taille- douce peut- il jamais s'accorder
avec celui de l'autre genre ? Les
peu au fait ne fçavent ils pas que quelques
précautions que l'on prenne en faifant
pafer l'impreflion en lettres fous le rouleau
de la preffe en taille - douce , pour y
ajouter les titres ou les vignettes gravées ,
l'impreffion s'écrafe plus à ces endroits
qu'au refte de la feuille , elle y devient nébuleufe
& même boueufe , & le papier
femble prendre un autre ton de couleur
qui fait tache
D'ailleurs plus un ouvrage
eft obligé de paffer dans différentes mains ,
moins il eft parfait , plus il s'en gâte , &
par conféquent plus il en faut rebuter , &
plus il coûte. Car malgré toutes les précautions
que l'on peut prendre pour faire
une belle édition d'un ouvrage , & furtout
d'un ouvrage en vers & plein de fleurons
en bois d'une difficulté infinie à bien tirer,
étant impoffible qu'il n'y ait beaucoup de
134 MERCURE DE FRANCE.
feuilles défectueufes dans quelqu'endroit
il faudroit abfolument en facrifier une
grande quantité ; confidération à laquelle
la plus grande partie du Public , même
des Amateurs , ne voudroit point avoir
égard .
Notre Critique , en finiffant fon examen
de l'édition des Fables de la Fontaine,
ne peut fe difpenfer de rendre à M. de
Montenault la juftice qui lui eft due au
fujet des fleurons en bois dont il a fait
orner cet ouvrage , préférablement aux vignettes
& fleurons gravés en cuivre &
imprimés en taille- douce , dont on a coutume
de remplir les éditions modernes.
On pourroit remarquer à cette occafion
que
fi le but de cet Anonyme n'avoit pas
été uniquement de dire du mal , il auroit
bien dû , ( s'il connoit véritablement l'art
de l'Imprimerie & les difficultés de bien
faire venir la gravûre en bois à côté de la
lettre , ) donner en même tems quelques
éloges à l'Imprimeur pour avoir furmonté
ces difficultés , & pour avoir imprimé ces
fleurons en bois d'une façon bien fupérieure
à tout ce qu'on en voit dans les autres
livres. Mais on n'attendoit pas certe
juftice d'une perfonne dont le but n'eft pas
de reconnoître le mérite , quelque part où
il fe trouve.
MAR S. 1756. 135
Quant à ce qu'il voudroit qu'on n'imprimât
tous les livres qu'avec des caracteres
parfairs & des fontes neuves , fa propofition
eft abfurde. Ces caracteres mis en
oeuvre par des ouvriers médiocres & fur
du papier commun , ne feroient guere plus
d'honneur à l'Imprimeur que des caracteres
vieux ; il faudroit donc encore trouver
& n'employer toujours que d'excellens ouvriers
& de bon papier ; il faudroit auffi
dans ce cas payer les ouvrages moitié d'avantage
; les trois quarts du Public le voudroient
ils , ou même le pourroient- ils ?
Ce malheur eft moins fenfible pour les curieux
& les gens à leur aife , parce qu'on
fait toujours quelque édition extraordinaire
des ouvrages recherchés , & que par
conféquent le grand & le petit , le fçavant
& l'ignorant ne font pas obligés de fe contenter
de la même impreffion , comme le dit
'Anonyme ; fi cet inconvénient a lieu , ce
ne peut être que dans les livres d'Eglife ,
ou de piété,qui fon ordinairement exécutés
avec la plus grande négligence ( comme il
le fçait fans doute très - bien, ) quoique le débit
en foit beaucoup plus prompt , plus
certain , & plus univerfel que celui de tous
les autres ouvrages.
Si j'euffe voulu m'éloigner de mon objet
principal , j'aurois pu reprendre encore
136 MERCURE DE FRANCE.
plus d'une erreur dans la Lettre de notre
Critique ; mais j'aime mieux laiffer le
Public ajouter à mes raifons , que de
paroître en avoir cherché d'étrangeres à
la caufe que je défends .
J'ai l'honneur d'être , &c .
Le fecond volume des Fables de la Fontaine
fe délivre aux Soufcripteurs depuis quelques
jours.
LE MIROIR des Princelles Orientales.
Ouvrage de Madame Fagnan , dont
nous avons rendu un compte favorable
dans le fecond volume du Mercure de
Juin , fe vend actuellement chez Duchefne,
rue S. Jacques.
PRONES fur les Commandemens de
Dieu , par M. Balet , ancien Curé de Gif,
Prédicateur de la Reine , tom. IV & V.
Panégyrique de Saints , par le même , tome
IV. A Paris , chez Prault pere , quai
de Gefvres , 1755. in - 12.
JOMBERT , Libraire rue Dauphine, à reçu
quelques exemplaires de la magnifique
Hiftoire militaire du Prince Eugene de Savoye
, du Duc de Malborough & du Prince
de Naffau-Frife , enrichie des Plans néceffaires
; 3 grands volumes in fol.
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
JETTONS DE
NS D
TRESOR ROYAL
1756
DIGNI
ASSONDREA BRING
HRIST
PHA
JOSE
DIE
CERTA
SPES
PHINA
H
PARTIES CASUZIE
1756
IV
IMILE
MAISON DEMARANG
LA DALPEzyS
L'ANNEE
1756 .
EMPER
INCONCUSSAVIGE
VII
CHA AUX DEN
1756
ARTE
EXTRAORDINAIRE
Das GUERRES
36
INSITA
VI
NOVA
VILI
BOSTEM
MUTAN
ORDINAIRE DES
GUERRES1750
ANIMUM
NON
SEDEM
N
MAIOR
MARINE
COL.FRANC DE
LAM. 1750
XI
TAMUR
CERTIUS
MATISTRY'SDIAO
1756
ONCESSA
XII
VOLUPT
MENU PLAISIRS SAR FILLERIE
3750
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
.
MARS. 1756. 137
ARTICLE I I I.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
MÉDAILLES.
Devises pour les Jettons
du premier
Janvier
1756 .
TRÉSOR ROYAL.
Une corne d'abondance au milieu d'un Ne
cercle ; fymbole de l'éternité.
Légende. Eternitas .
Exergue. Tréfor Royal.
1756 .
PARTIES CASUELLES.
Un ancre .
Légende. Spes certa falutis.
Exergue. Parties cafuelles.
1756.
MAISON DE LA REINE.
Un arbre qui s'éleve au deffus de plufieurs
autres ; il eft orné de guirlandes &
de couronnes.
133 MERCURE DE FRANCE.
Légende. Dignior una coli .
Exergue. Maifon de la Reine.
1756.
MAISON DE MADAME LA DAUPHINE.
Une aigle dans fon aire & deux aiglons
, dont l'un plus fort que l'autre ,
paroît en fortir davantage.
Légende. Laudatur fimili prole.
Exergue. Maifon de Madame le Dauphine
.
1756 .
EXTRAORDINAIRE DES GUERRES.
Un cheval aîlé prenant l'effor.
Légende. Velox arte novâ.
Exergue. Extraordinaire des Guerres.
1756.
ORDINAIRE DES GUERRES.
L'aigle fixant fes regards fur le foleil .
Légende. Hinc fortis in hoftem.
Exergue. Ordinaire des Guerres .
1756 .
CHAMBRE AUX DENIERS .
Un gros chêne au milieu de deux vents
qui foufflent pour l'abattre .
Légende. Semper inconcuffa vigebit.
Exergue, Chambre aux Deniers.
1756.
MAR S. 1756 . 139
MARINE.
Un aigle s'élevant dans les airs, malgré
les vents & l'orage .
Légende. Vis infita major.
Exergue. Marine .
1756.
BATIMENS DU ROI.
La façade du Louvre que l'on répare.
Legende. Mox hofpite digna.
Exergue. Bâtimens du Roi,
1756 .
MENUS PLAISIRS.
Des génies qui fe jouent avec des inftrumens
de mufique & des habillemens
de bal.
Légende. Conceffa voluptas.
Exergue. Menus plaifirs.
1756.
ARTILLERIE .
Un foudre & une épée croisés.
Légende. Meditamur certiùs illum.
Exergue. Artillerie.
1756 .
COLONIES.
Un effain qui fort d'une ruche pour en
aller peupler une autre plus éloignée.
140 MERCURE DE FRANCE.
Légende. Sedem non animum mutant .
Exergue. Colonies.
1756 .
HISTOIRE.
Lettre de M. d'Hozier - de Sérigny , Juge
d'Armes de France en furvivance , adreffee
à l'Auteur du Mercure , en forme de
défi littéraire , fignifié au corps entier de la
Littérature , & fingulièrement à ceux de
ce corps qui s'attachent au genre Diplomatique.
J'ai lu , Monfieur , dans le fecond Volume
de Décembre mil fept cent cinquantecinq
de votre Journal , l'extrait d'une brochure
qui a pour titre , Mémoire critique
Sur un des plus confidérables articles de l'Armorial
Général , ou plutôt des trois derniers
volumes des Regiftres de la Nobleffe
de France , ( ouvrage auquel j'ai ceffé depuis
quatre ans de donner mes foins ) dont
on a rendu compte dans prefque tous les Onvrages
périodiques , & dont je fuis l'Auteur
, c'eft-à-dire , des principaux articles ,
du nombre défquels eft celui- là . Vous vous
êtes contenté d'être le Rapporteur , d'après
ce feul Mémoire , du Procès littéraire que
MAR S. 1756. 141
l'on m'intente , fans avoir examiné dans
mon ouvrage la folidité de mes raifons , fans
doute effrayé de l'étude profonde qu'auroit
demandé cette queftion Diplomatique,
qui en effet dépend d'une infinité de détails
de littérature . Cependant , Monfieur ,
j'aurois été très flatté que vous euffiez voulu
entrer en lice avec moi : la belle réputation
dont vous jouiffez ne vous eût offert
à mes yeux , que comme un adverfaire
dont je me ferois fait honneur. Mais que
j'aille m'engager dans une difpute contre
un homme qui , parce qu'il me voit , &
que je ne le vois point , ofe attaquer ma
bonne foi , & m'accufer de caprice & de
partialité dans ce que j'ai avancé fur le
nom des anciens Seigneurs de Châteaux &
de S. Chriſtophe , je n'en ferai rien : je
veux, avant toutes chofes fçavoir à qui j'ai
à faire , & voir diftinctement où doivent
porter mes coups. D'ailleurs , je ne crains
point que les fauffes imputations d'un
Anonyme faffent la moindre impreffion
fur ceux qui connoiffent mon amour pour
le vrai. Je crois auffi être en droit , fans
trop d'amour- propre , de préférer aux critiques
injurieufes d'un homme qui n'ofe
fe nommer les éloges diftingués & multipliés
que les Auteurs des Journaux des
Sçavans , de Trévoux & de Verdun , ont
donné à mes Ouvrages.
142 MERCURE DE FRANCE .
Le morceau qui en fait partie , attaqué
par le critique Anonyme , eft un de ceux
que j'ai maniés & remaniés diverfes fois ,
faivant les divers degrés de connoiffances
que j'acquérois de jour en jour à meſure
que je me formois dans le genre de critique
Littéraire & Diplomatique. Aufli eftce
un des derniers que j'aie fait imprimer
pour avoir le tems d'y réfléchir davantage ,
& de faire des recherches , quoiqu'il foit
à la tête de mes trois volumes , ayant eu la
facilité de le faire au moyen de ce que
chaque article a fon chiffre particulier. Et
comme c'eſt un de ceux qui m'a le plus
coûté de travail , je dois le défendre avec
plus de vigueur & de vivacité que tout
autre qu'on pourroit attaquer. Mais le
temps eft paffé de fe battre avec cafque &
vifieres fermés : il me faut un adverfaire
connu : j'exige même qu'il foit honorable
; & pour en trouver un au moins de
cette forte , ( mille & dix mille ne m'épouvanteroient
pas tant je fuis fûr de la bonté
de ma caufe , ) je propoſe un défi Littéraire
au corps entier de la Littérature dans
le genre Diplomatique , c'eſt -à- dire , i
tous Membres des différentes Académies
& Sociétés de Lettres qui font dans le
Royaume. Ceux qui par honneur pour le
progrès des Sciences , qui doit être l'uniMAR
S. 1756. 143
que objet de cette difpute , croiront devoir
l'accepter , trouveront les raifons de
mon adverfaire Anonyme expliquées dans
fon Mémoire critique. Quant à mes Ouvrages
qui forment la plus grande partie
des trois derniers volumes des Regiſtres de
la Nobleffe de France , ils font entre les
mains du Public depuis le 23 Avril 1752 ,
jour auquel j'eus l'honneur de les préfenter
au Roi en préfence de toute la Cour ;
& l'article qui eft le fujet de la querelle ,
eft celui qui ouvre le premier de ces trois
volumes.
J'ofe donc défier tout Auteur ou tout
Sçavant , connu & eftimé dans la République
des Lettres , & qui ne fera pas homme
à vouloir cacher fon nom ,
1° . De me prouver par les regles de la
faine critique , celle des Du Chefne , des
Du Cange , des Mabillon , des Baluze ,
&c. que je n'aie pas eu de très-bonnes raifons
pour donner le nom d'Aluye aux anciens
& puiffans Seigneurs de S. Chriftophe
en Touraine , connus très- certainement
depuis l'an 1025 , & même ſuivant
toute apparence dès l'an 978 ; maifon
éteinte vers l'an 1260 .
2°. De ne pas convenir avec moi de la
folidité des raifons que j'apporte pour
avoir droit de rejetter comme abfolument
144 MERCURE DE FRANCE.
faulle la dénomination d'Alés ou d'Alais
donnée fans preuves aux anciens Seigneurs
de S. Chriftophe , par des Ecrivains trop
modernes, & qui vifiblement fe font copiés
les uns les autres ; fi modernes , que
le plus ancien d'entr'eux n'est autre que
l'Hermite Souliers qui écrivoit en 1665 ,
Auteur décrié par les fauffetés fans nombre
dont fon ignorance a infecté notre
Hiftoire Généalogique.
3°. D'infirmer les principes que j'ai pofé
pour que deux familles n'en faffent qu'une
, ou ( ce qui revient au même ) pour que
l'une foit un vrai rejetton de l'autre.
4°. De trouver à redire à l'application
que j'ai faite de ces principes à la famille
d'Alès de Corbet , originaire de Touraine,
établie dans le Bléfois , & dans le Dunois ;
famille ( & non Maiſon ) dont le premier
nom eft Alès fans article , ce qui ſeul devoit
être capable de lui interdire pour toujours
l'idée de pouvoir appartenir aux anciens
Seigneurs de S. Chriftophe , quand
bien même il feroit auffi vrai qu'il eft faux
que ces Seigneurs ayent jamais été appellés
d'Alès , foit de leur vivant , foit même
au deffus de l'an 1665 ; famille cependant
diftinguée par des fervices militaires , &
qui a contracté des alliances honorables ,
entr'autres celles de Brifay - Dénonville &
de
MARS. 1756. 145
de Courtarvel , Maifons d'ancienne Chevalerie
, & qui fur cet article n'auront jamais
de difpute avec moi : famille enfin
qui , quelques recherches qu'elle ait faites
jufqu'ici , n'a rien à montrer dont elle
puiffe fe faire honneur au-delà d'un ( 1 )
( 1 ) Page 3 de l'Article d'Alès - de Corbet , j'ai
écrit que « ce Jean Alès , Seigneur de Corbet ,
» étant Homme d'Armes en 1452 , c'est - à- dire
» fervant alors dans l'une des quinze Compa-
>> gnies d'Ordonnances créées par Edit du Roi
Charles VII en 1445 , pour la réforme de la Gen-
» darmerie Françoife , c'étoit une raison de croi-
» re qu'il pouvoit être noble d'extraction ; » & je
me fuis appuyé du témoignage du Pere Daniel
qui dit dans fon Hiftoire de la Milice Françoife
(Tome 1, page 210 ) « que les Gendarmes étoient
Gentilshommes , & qu'ils l'étoient tous encore
» fous le regne de Louis XII . ) » J'ignorois alors
ce que le fçavant Auteur du nouvel Abrégé Chronologique
de l'Hiftoire de France m'a appris
depuis. Voici fon texte. (*) « Tous les Hom-
» mes d'Armes étoient Gentilshommes du tems
» de Louis XII , c'eft-à-dire tous ceux qui com-
» pofoient les Compagnies d'Ordonnances ; ma's
» il ne faut pas entendre par les Gentils-
» hommes d'alors , les Gentilshommes iffus de
» race noble. Il fuffifoit, pour être réputé tel, qu'un
» homme né dans le Tiers - Etat fît uniquement
» profeffion des armes , fans exercer aucun autre
» emploi : il fuffifoit à plus forte raifon que cer
» homme né dans le Tiers- Etat eût acquis un fief
» noble qu'il deffervoit par fervice compétent ,
( * ) Tome II , page 573 , Edition de 1756 .
G
146 MERCURE DE FRANCE.
Jean Alès , ( & non d'Alès ) Ecuyer , Seigneur
de Corbet en partie par fa femme ,
& en partie par acquifition , Homme
d'Armes en 1452 , fixieme ayeul de Pierre
d'Alès, dit l'Abbé de Corbet , Prêtre & Chanoine
de l'Eglife Cathédrale de Blois , aujourd'hui
chef de la branche aînée de la
famille , pere de M. d'Alès , Lieutenant
des Maréchaux de France au Bailliage de
Blois , ci -devant Lieutenant dans le Régiment
de la Vieille-Marine .
Ici , Monfieur , je ine dépouille de ma
qualité de Juge de la Nobleffe pour ne
prendre que celle d'Historien ou d'homme
de Lettres ; & afin d'encourager ceux qui
pourroient refufer le combat , par cette
feule raifon que la querelle ne regardant
que la famille d'Alès - de Corbet , leur paroîtroit
peu importante , je les prie d'obferver
que cette caufe eft cependant celle
de laLittérature entiere ; que l'Auteur anonyme
ne raifonne que fur des principes
faux , qui n'iroient pas moins qu'à nous
c'est - à - dire qu'il fuivit fon Seigneur en guer
» re , pour être réputé Gentilhomme . Ainfi done
>> alors on s'ennoblißoit foi - même ,& on n'avoit
» befoin ni de lettres du Prince , ni de poffeder
» des offices pour obtenir la nobleffe : un homme
» extrait de race noble , & le premier noble de
fa race, s'appelloient également Gentilshommes
» de nom & d'armes » .
MAR S. 1756 . 147
replonger dans l'abyfme ténébreux , dont
nous ont tirés tant de grands hommes du
fiecle dernier , entr'autres ceux que j'ai
nommés plus haut ; que ce font leurs manes
qu'il faut venger ; qu'il eft très - intéreflant
de ne pas laiffer éteindre le flambeau
de la critique ; que c'eft pour nous
le feu des veftales à entretenir ; qu'avec
les lieux communs dont fe fert l'Auteur
anonyme , & qu'il a encore le malheur
d'appliquer mal , & avec fes principes il
n'eft point de Gentilhomme de 200 ans ,
plus ou moins , qui ne pût prétendre à la
plus haute ancienneté , & aux origines les
plus illuftres, fur une identité , ou même fur
une reffemblance , fur une approximation
de nom telle quelle ; enfin , que c'eſt la
caufe de la haute Nobleffe du Royaume ,
plaidée contre celle qui lui eft beaucoup
inférieure , comme l'eft celle de la famille
d'Alès - de Corbet.
Au refte , Monfieur , dans tout ce que
je viens de dire , je ne prétens pas avoir
répondu au Mémoire critique : il faudroit
le redreffer prefque à chaque ligne , & je
ne le ferai que dans le cas où il fe préfenteroit
quelque adverfaire , tel que je l'ai
exigé en toute juftice vers le commencement
de cette lettre. Me conviendroit- il
de prendre un autre parti dans quelque
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
circonftance que ce fût ; mais aujourd'hui
furtout que je dois tout mon tems à la
commiffion de confiance & importante
dont Sa Majesté m'a honoré depuis près
de trois ans , & qui me conftitue le Juge
de la Nobleffe des cinq cens Eleves de
l'Ecole Royale- Militaire , fous le titre de
Commiffaire du Roi pour la vérification
des Preuves de leur nobleffe.
Cependant dès aujourd'hui j'attaque le
Critique fur deux obfervations de fon
Mémoire , parce que fans cela je craindrois
qu'elles ne fiffent quelque impreffion
fur l'efprit de certains lecteurs qui lifent
communément fans réflexion .
Je m'éleve donc avec force , 1 °. contre
ce qu'il dit d'un Geoffroi de Ales d'une
charte de Saintes . Selon lui , j'ai employé
par malice cette charte dans le s. des
d'Alès , Alès , &c. en général . Hugues ,
( de Aluia ) dit-il , ( ou de Aloia , de Aludia
, de Aleia , III du nom , ) Seigneur de
S. Chriftophe , vivant en 1062 , eut un
fils nommé Geoffroi , qui fut préfent à
une charte antérieure à l'an 1081 , & qui
peut bien être le même que le Geoffroi de
Aleia de l'an 1 122. C'eft auffi , felon l'obfervation
du Critique, le même que le Geoffroj
de Ales de la charte de Saintes. Donc ,
conclut- il , le nom d'Alès eft celui qu'ont
MARS. 1756. 149
porté les Seigneurs de Saint Chriftophe.
Il y auroit fur cela , Monfieur , bien.
des chofes à dire , & certainement trop
pour pouvoir entrer dans cette lettre . Cependant
je ne craindrai point d'avancer
que c'eft- là l'endroit le plus abfurde du
Mémoire critique , ainfi que celui d'Adelaïs
, foeur de Geoffroi de Aleia , en confondant
celui- ci avec le Geoffroi de Ales
de la charte de Saintes , & en foutenant
que l'autre eft celle qui a donné fon nom
à la Ferté- Alès. Encore une fois , Monfieur,
ces deux endroits demandent une réponſe
d'un fi grand détail , que ce feroit excéder
les bornes d'une fimple lettre ; mais du
moins , je ne puis m'empêcher de vous fai
re obferver en deux mots , que j'ai raiſon,
aujourd'hui plus que jamais , de diftinguer
le Geoffroi de Aleia , fils de Hugues III ,
du Geoffroi de la charte de Saintes ,
puifque je fuis en état de prouver qu'il y
a grande apparence que le vrai nom de
celui - ci étoit de Claers , & non de Ales ,
comme je l'ai fuppofé fur la foi d'une
fimple note que j'ai eue de cette charte
de Saintes.
Le fecond endroit du Mémoire critique
que j'ai ici en vue , & contre lequel je
reclame hautement les lumieres & l'équité
de nos Sçavans , eft celui qui regarde le
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
Johannes d'Alée de la charte de 1225:
L'Anonyme chante ici victoire en ces termes
: Une charte de Jean II ..... eft
» bien plus préciſe. Ego , dit - il , parlant
» lui - même , Johannes D'ALE E ; on ne
» dira pas qu'il fe foit trompé , &c. » Non ,
Mais en rabaiffant ce ton de fuffifance de
l'Auteur du Mémoire , on lui fignifiera
que cet Ego n'eft point du texte de la charte
; & que quand il en feroit , il ne prouveroit
nullement que c'eft Jean II luimême
qui parle. Ne faut- il pas être bien
peu verfé dans la Diplomatique pour ignorer
que la Nobleffe de ce tems- là fçavoit
peine figner fon nom ? qu'il lui étoit
même inutile de le fçavoir , du moins par
rapport aux chartes ? S'agiffoit- il de faire
expédier quelque donation à un Noble ,
Chevalier ou autre ? un Prêtre , un Clerc ,
on un Notaire dreffoit l'acte ; on le portoit
enfuite au donateur qui , pour le rendre
authentique, y appofoit fon fceau ; &
ce fceau , c'étoit fa fignature , parce qu'alors
l'ufage étoit de ne point figner autrement
: Or ce Clerc , ce Notaire , ce
Prêtre devoit fouvent eftropier le nom
propre ; & ce vice d'écriture devoir dominer
, fartout lorfque ce nom n'étoit point
d'ufage dans la fociété . Les Seigneurs de
Châteaux & de S. Chriftophe étoient conMAR
S. 1756. Ist
nus dans le Public fous le nom de leurs
Terres ; & delà le nom de Alea qui leur
eft donné par altération au lieu de de Aluia
dans deux chartes des années 1218 &
1219 ; delà auffi le nom François Dalée ,
c'est - à-dire d'Alée , dans celle de 1225 :
car c'eft précisément le même que le latin
de Alea. Je laiffe là les autres variations.
qui expriment le nom d'Aluye , puifque la
Terre de ce nom a éprouvé les mêmes viciffitudes.
Ce ne font donc pas les Notaires de ce
tems là ( & ceci , comme nous ne le voyons
que trop , doit s'appliquer aux Notaires
& aux gens de pratique de ce tems- ci même
) qui doivent nous déterminer fur la
vraie façor. d'écrire les noms de ceux pour
lefquels les actes étoient dreffés . C'eft à
la fignature de ceux-ci , ou , ce qui revient
au même, à leurs propres fceaux. Il est vrai
que la charte de l'an 1225 du Johannes
D'ALEE ne nous repréfente pas aujourd'hui
fon fceau , parce que ce fceau a été
arraché ou s'eft perdu mais nous avons
l'équivalent. Le même Jean eft appellé
dans une charte de l'an 1218 de Alea ;
voilà bien le D'ALEE du titre de l'an 1225.
Cette charte de 1218 a un fceau : ce fceau
eft très bien confervé ; & on y lit très-
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
diftinctement de Aluia , quoique le Clerc
qui a dreffé l'acte ait mis en tête de Alea.
Ce de Aluia de la légende du fceau eft
équivalent à la fignature de Jean . Donc
c'eſt à ce dernier mot qu'il faut s'en tenir
pour déterminer le véritable furnom & du
même Jean II , & de tous les anciens Seigneurs
de S. Chriftophe.
A l'égard d'Adelais , & de quelque partie
même que ce foit de mon Article D'ALUYE
, je ne refufe point d'entrer en lice ,
s'il le faut ; j'en ai propofé même le défi
à quiconque voudra l'accepter , pourvu
que ce foit un Adverfaire honorable , tel .
que je l'ai demandé. Et pour lui donner
dès- à- préfent une premiere connoiffance
de mes preuves , avant qu'il fe donne la
peine de lire l'Article en entier , je vais
en expofer ici le précis , en me bornant
néanmoins aux principales.
1 °. Le nom des anciens Seigneurs de S.
Chriſtophe ayant effuyé les mêmes viciffitudes
que le nom de la Terre D'ALUYE ,
fituée fur le Loir , au Diocèſe de Chartres,
je leur ai donné, par cette raifon , le nom
D'ALUYE. Cette Terre eft appellée dans
les anciennes chartes de Alluya , de Aloya,
de Alogia , de Alodia , de Aleia ; & les différentes
chartes qui concernent les SeiMAR
S. 1756. 153
gneurs de Saint Chriftophe , les appellent
auffi de Aluia , de Aludia , de Aloya , de
Alodia , de Aleia , &c.
2º. Indépendamment des chartes , nous
avons le double témoignage de l'ancien
Hiftorien des Comtes d'Anjou , & de l'ancien
Hiſtorien des Seigneurs d'Amboiſe
qui vivoient l'un & l'autre vers l'an 1150.
L'un parle de Hugues II , Seigneur de S.
Chriftophe , fous l'année 1025 ou environ
; l'autre parle de Hugues III , Seigneur
de la même Terre , fils du précédent ; &
tous les deux les appellent de luia,
3°. Il y a un titre François de l'an 1260
ou environ , le feul qu'on ait dans cette
langue , & dont j'ai vu l'original qui eft
confervé dans le Tréfor des chartes. C'eft
un acte dreſſé dans le tems où les anciens
Seigneurs de Saint Chriftophe ont fini . Il
concerne Marguerite , héritiere des Baronnies
de Châteaux & de S. Chriftophe
fille de Hugues VI , nommé fur les titres
de Aleia ou de Aloya , & fur fon fceau de
Aluia ; & ce même Hugues eft appellé
D'ALUE dans cet acte François.
4°.On a deux fceaux différens de Jean II,
Seigneur de S. Chriftophe , & un autre de
Hugues VI fon fils , le dernier mâle de
cette Maifon qui ait été Seigneur de Saint
Chriftophe ; & für ces trois fceaux qui
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
pendent à des chartes des années 1218 ,
1239 & 1245 , la légende qui eſt autour ,
porte de Aluia très - diftinctement . Or ceci
feul doit paffer pour décifif. Les noms s'alterent
infenfiblement dans les actes , parce
que des Notaires différens fuivent différentes
ortographes . Mais il n'en eft pas
de même des fceaux , dont l'écriture eft
permanente ; celui du pere paffe au fils ,
il fert à plus d'une génération ; & communément
il n'y a que le nom de baptême
à changer , s'il fe trouve différent. Sur les
fceaux de Jean II , & de Hugues VI fon
fils , Seigneurs de Châteaux & de Saint
Chriftophe , on fit & il eft impoffible de
lire autrement que de Alnia. Si nous avions
leur propre fignatare , ne feroit- ce pas de
quoi décider la question de maniere à
n'y plus revenir ? Mais leurs fceaux en
tiennent lieu , & prouvent que s'ils avoient
figné eux mêmes , c'eft abfolument de
Aluia qu'ils auroient figné ; d'où il s'enfuit
que c'eft à ce dernier nom qu'il faut s'ar
rêter plus qu'à tout autre Or de Aluia
peut -il ne pas fe traduire en François par
d'ALUYE?
5. Et il faut bien remarquer qu'au
moyen de ces fceaux le nom de Aluia s'eft
toujours confervé fans altération depuis
Hugues de Alnia , Seigneur de S. ChriftoMARS.
1756. 155
>
phe qui yivoit en 1025 , ainfi appellé par
l'ancien Hiftorien des Comtes d'Anjou
jufqu'au tems où ont fini ces Seigneurs ;.
car ceci foutenu par le titre François d'environ
l'an 1260 , où Hugues VI eft appellé
D'ALUE , forme une démonſtration à
laquelle il n'y a que l'ignorance ou la mauvaife
foi qui puiffe refufer de fe rendre.
A des preuves de cette force , qu'oppofe
donc mon Adverfaire anonyme ? Voici
un échantillon de fes objections ; je ne
choifirai pas les plus foibles.
Il y a , dit- il , un Jean de Aluya Ecuyer ,
nommé dans un acte fans date , arrierevaffal
de l'Evêque d'Orleans ; il y a auſli
un Enguerrand de Allogio , du Bailliage
d'Orléans en 1272 ; & il y a un Pierre
D'ALLES OU D'ALES , auffi du Bailliage
d'Orléans en 1338. Donc , conclut-il , de
Aluya & de Allogio , c'eſt D'ALE's ; & cela
parce qu'il y a eu des collatéraux des anciens
Seigneurs de S. Chriftophe , & que
ces trois-ci doivent être du nombre . Voilà
ce que le raifonneur anonyme appelle
un raiſonnement. Faut- il après cela être
furpris de lui entendre dire qu'il n'entend
rien à ma Logique ? A l'occafion de ce
Pierre D'ALLES ou D'ALES qui n'appar
tient en aucune maniere , ni à Jean de
Aluja , ni à Enguerrand de Allogio , com-
Gvj
155 MERCURE DE FRANCE.
ci
me on ne voit pas non plus que ces deuxappartiennent
l'un à l'autre , j'ai eu tort
de ne pas obferver à la page 46 de l'article
d'Aluye , qu'on ne peut pas déterminer
fi c'eft D'ALLES précisément qu'il faut
l'appeller , ou D'ALLE'S avec un accent ,
parce que les accens ne paroiffent point ,
ou ne paroiffent que très rarement dans
les actes de ce tems -là ; & cependant cette
difference de prononciation qui indique
nécellairement une différence de nom , indiqueroit
aufli néceffairement une différence
de famille.
Il y a eu , pourfuit le Critique , un
Geoffroi , fils de Hugues de Aloia III du
nom , & on trouve un Geoffroi DE ALES
en 1153 ; donc c'eft le même Geoffroi :
donc de Aloia n'est autre que D'ALE'S. Il
faut avouer que la Logique dont je me
fers , ne tire point de pareilles conféquences.
Mais indépendamment de cela , fi ce
Geoffroi DE ALES s'appelloit en effet DE
ALES fans accent , au lieu de D'ALE'S
avec un accent , fi même au lieu de D'ALE's
il s'appelloit DE CLAERS , comme je
l'ai obfervé plus haut , que devient le raifonnement
de l'Anonyme , qui fans tout
cela, & par lui -même, n'étoit déja que trop
faux ?
Il y a eu , dit- il encore , une Adelaïs ,
MARS. 1756. 157
fille du même Hugues 111 de Aloia ; &
( felon lui ) « c'eft elle qui a laiſſé ſon
» nom de famille à la Ferté- ALE's ; donc
» de Aloia , c'eſt D'ALE'S . » Ici ce n'eft
point la conféquence que j'attaque , c'eſt
le principe même que je nie , jufqu'à ce
qu'on le prouve ; & je défie qu'on en puiffe
jamais trouver la preuve . J'ai déja dit que
c'étoit là un des endroits les plus abfurdes
du Mémoire critique.
Continuerai je de paffer en revue les
objections de l'Anonyme ? L'Hermite -Souliers
, dit-il , ( qui écrivoit en 1665 ) &
plufieurs autres Auteurs , des faifeurs même
de Dictionnaires , qui ont tous écrit
après lui , donnent aux anciens Seigneurs
de Sainthriftophe le nom de D'ALE'S ;
donc c'eft là leur véritable nom . L'Hermite-
Souliers n'étoit point capable d'inventer
une tradition ; donc il y avoit une tradition
réelle qu'il a fuivie en donnant à
ces anciens Seigneurs le nom de D'ALE'S.
Le Pere le Long dit que Carreau ( mort
en 1708 ) a travaillé avec beaucoup de
foin ; donc il faut croire Carreau lorfqu'il
dit que ces Seigneurs s'appelloient d'ALAIS.
L'Hermire- Souliers écrit D'AL E'S,
Carreau au contraire écrit D'ALAIS ; donc
celui - ci n'a pas copié l'autre . ALOYE eft
un des noms François de la terre d'Aluye ;
18 MERCURE DE FRANCE.
donc dans ce texte Latin d'un hommage
rendu par Marguerite Reine de Jérufalem ,
Terram noftram Alloye , Braioci , Balochie ,
&c. Alloye eft du François. Il ne paroît
perfonne du nom D'ALUXE , ni fur aucun
rôle de Ban ou Arriere- Ban , ni ...
Mais en vérité , c'en eft trop ; & j'abuſe
de votre patience. Il faut cependant que
je vous falle part encore d'une nouvelle
découverte que je viens de faire , très-importante
dans la querelle préfente.
«
Vous fouvenez- vous , Monfieur , qu'à
la page 7 du Mémoire critique , l'Anonyme
dit , qu'il étoit aisé à l'Hermite-
Souliers de tirer des lumieres de l'Abbé
» de Marolles , Abbé de Villeloin , qui en
» avoit beaucoup dans ces matieres , &
» qui indépendamment des ouvrages imprimés
en avoit compofé quatre volu-
» mes in-folio ( M. SS . ) que je ne parois pas
" connoître. » Il s'agit là , Monfieur , de
fçavoir fi j'ai bien ou mal fait de fubftituer
le mot François D'ALUYE plutôt que d'ALE's
, au mot Latin de Aluia ; ou plutôt fr
'Hermite- Souliers eft en effet le premier
qui ait traduit de Aluia par D'ALE'S , &
s'il n'auroit pas été prévenu en cela par le
fçavant Abbé de Marolles. J'ai donc fait
la recherche des ouvrages de cet Abbé.
J'ai trouvé entr'autres fa traduction de
MAR S. 1756. 159
l'ancien Hiftorien des Comtes d'Anjou , &
de l'ancien Hiſtorien des Seigneurs d'Amboife
, qui vivoient l'un & l'autre vers
l'an 1150 , traduction qu'il avoit faite
dit- il lui-même , dès l'an 1666 , & qu'il
ne fit cependant imprimer qu'en l'année
1681 , qui fut celle de fa mort. Or voi
ci , Monfieur , ce que j'y ai découvert .
A la page is , l'Abbé de Marolles parlant
de Hagues II , Seigneur de Châteaux
& de S. Chriftophe , qui vivoit vers l'an
1025 , nommé de Aluia par l'Hiftorien
Latin , l'appelle Hugues D'ALLUYE ; &
remarquez , je vous prie , Monfieur , que
cet Abbé fçavoit bien ce que c'étoit que la
Terre de S. Chriftophe , & qu'il en parle
comme un homme parfaitement inftruit ;
car à la page 108 , dans une note relative
à cette page 28 , il ajoute que la Baronnie
de Saint Chriftophe a aidé de notre temps
à faire la Duché de Vanjour pour Madame
de la Valiere ; fon château fiué entre Amboife
& Tours.
A la page 78 , parlant de Hugues 111 ,
fils de Hugues II , nommé aufli de Aluia.
par l'Hiftorien Latin , & qui vivoit en
1062 & 1085 , il l'appelle Hugues D'ALUYE.
A la page 79 , parlant de Jean I , préfumé
fils de Hugues III , vivant en 18 ,
160 MERCURE DE FRANCE.
& nommé de Aloia dans l'Hiftorien Latin ,
il l'appelle Jean D'ALUYE.
A la page 154 , parlant de Hugues IV,
fils de Hugues III , vivant auffi en 1118 ,
& nommé de même de Aloia dans l'Hiftorien
Latin , il l'appelle deux fois Hugues
D'ALUYE.
Aux pages 171 , 172 & 176 , parlant
d'André I , fils de Jean I , ou de Hugues
IV , vivant vers l'an 1155 , & nommé de
Aluia par l'Hiftorien Latin , il l'appelle
André D'ALUYE , OU D'ALUYE .
Voilà donc huit fois de fuite que l'Abbé
de Marolles , fans fe démentir , donne
le nom D'ALUYE aux anciens Seigneurs
de Châteaux & de Saint Chriftophe , nommés
en Latin de Aluia & de Aloia. Que
ne l'ai - je fçu dans le temps , Monfieur ,
c'eft à-dire pendant que je compofois l'Article
D'ALUYE ? J'en aurois bien fait mon
profit ; & c'est ce qui prouve à quiconque
connoît le coeur humain , que je n'en avois
alors aucune connoiffance. Graces foient
rendues à l'obligeant Anonyme , de m'avoir
mis fur la voie pour le mieux combattre
il s'eft enferré là lui même. Mais
fouffrez , Monfieur , que je ne termine
point cette lettre , quoique déja affez longue
, fans faire encore quelques réflexions
fur l'imprudence avec laquelle il m'a renMARS.
1756. 161
1
voyé à l'Abbé de Marolles .
1°. L'Abbé de Marolles étoit un hom
,
me de qualité , de la province de Touraine
, c'est - à- dire de celle où les d'Aluye
exiſtoient il y a cinq cens ans , & où les
d'Alès -de Corbet ( Alès dans l'origine ) faifoient
leur demeure avant que d'aller s'établir
dans le Dunois & le Biéfois. L'Abbé
de Marolles fe
connoiffoit en gens de qualité
, il avoit , felon l'Anonyme même
beaucoup de lumieres dans les matieres généalogiques
, & ( pouvoit- il ajouter encore )
le tait fin enfait de nobleffe , comme il le dit
de la Roque & de Ménage ? Nous avons
fes
mémoires imprimés en 1656. On y
lit ( pages 83 & fuivantes , 252 , 25· 3 &
254 ) une longue
énumération des gens
de qualité ou des familles de Nobleffe diftinguée
de fa province y réfidentes alors ,
ou tranfplantées dans d'autres provinces. Il
en nomme plus de cent foixante , & il n'y
eft fait aucune mention de la famille d'Alès-
de Corbet , quoique de fon tems ceux
de cette famille jouaffent un rôle plus
brillant qu'ils ne font aujourd'hui . Mais
faut-il s'en étonner ? il ne leur connoiffoit
que deux cens ans de nobleffe prouvée
peut-être n'avoit - il fous les yeux qu'une
fentence de l'Election de Châteaudun , de
l'an 1634 , par laquelle René d'Alès II°
162 MERCURE DE FRANCE.
du nom , Seigneur de Corbet , Gouverneur
de Chambort & de Châteaudun ,
Ecuyer ordinaire de la Petite Ecurie du
Roi , & Gentilhomme ordinaire de fa
Chambre , fut maintenu dans les privileges
des Nobles comme iffu de noble lignée ,
fur la repréfentation de les titres produits
feulement depuis Charles d'Alès " fon bif.
ayeul , Ecuyer , Seigneur de Corbet , qui
étoit Archer des Ördonnances du Roi en
1-491 , & dont la ( 1 ) femme fur Gouvernante
des enfans du Connétable de Montmorenci ,
qualité qu'elle avoit fur fon épitaphe qui ſe
voyoit encore dans l'Eglife des Cordeliers
de Senlis , le 16 Août 1636 , date d'une
lettre écrite à mon bifayeul par ce même
René d'Alès . Il remontoit dans cette lettre
jufqu'au pere de Charles : mais ce pere
nominé Jean Ales , ne va pas plus haut
que l'an 1452 , tems où il fervoit en qua-
( 1 ) Elle s'appelloit Madelene du Ceps , ou du
Cès , ou encore du Saiz , &c . L'anciennété de la
maifon du Saix en Breffe ( dont les Seigneurs
d'Arnens qui exiftent encore aujourd'hui , ) maifon
que Guichenon ( Auteur véridique ) appelle
illuftre , & qu'il fait remonter jufqu'à Hugues du
Saix , Chevalier , vivant en 1080 , juftifie le défir
qu'a la famille d'Alès-de Corbet , que la femme
de Charles d'Alès foit du fang de ces anciens Gentilshommes.
Le fait eft poffible ; mais il n'eft pas
démontré.
MARS. 1756. 163
lité d'Homme d'Armes . Il n'y avoit rien
dans tout cela d'affez frappant pour engager
l'Abbé de Marolles , hommeéclairé ,
(P'Anonyme en convient lui - même ) à
donner rang , il y a cent ans , à la famille
d'Alès - de Corbet parmi la Nobleſſe ancienne
& diftinguée de fa province.
2. Comment néanmoins auroit - il
pu
s'en difpenfer, s'il les avoit cru être véritablement
du fang des anciens Seigneurs de
Châteaux & de Saint Chriftophe , connus
dès l'an 1025 , & même très -vraisemblablement
dès l'an 978 Il connoiffoit MM.
d'Alès - de Corbet , & il ne pouvoit pas ne
les pas connoître , puifqu'il étoit de Touraine
auffi -bien qu'eux , & qu'il les voyoit
à la Cour , étant homme de Cour lui-même.
Claude de Marolles fon pere , & René
d'Alès II du nom , Seigneur de Corbet
, étoient l'un & l'autre & dans le même
tems Gentilshommes ordinaires. L'Abbé
de Marolles devoit fçavoir que l'Hermite-
Souliers dans fon Nobiliaire de Touraine
avoit appellé d'Alès les anciens Seigneurs
de Saint Chriftophe pour faire
honneur à la famille d'Alès - de Corbet . Il
avoit tamaffé lui-même beaucoup de titres
& de matériaux pour compofer une hiftoire
de Touraine ; & dans ce deffein il avoit
vifité les Abbayes de cette province , entr'autres
celle de la Clarté- Dieu , près S.
164 MERCURE DE FRANCE.
Chriftophe , dont il dit avoir vu les titres
( page 82 , de fa traduction de l'Hiftoire
d'Anjou , ) celle là même ( remarquez bien
ceci ) d où j'ai tiré tant de chartes pour
la compofition de l'Article D'ALUYE , & OÙ
fe trouve entr'autres celle de l'an 1225 ,
qui fait mention duJohannes D'ALE'E dont
l'Anonyme fe prévaut tant , & fi mal à
propos. Enfin l'Abbé de Marolles a compofé
fon ouvrage un an après que celui
de l'Hermite- Souliers a vu le jour . Il a
encore attendu quinze ans avant que de
le faire imprimer ; c'en étoit bien affez
pour faire les réflexions , & pour corriger
La traduction fur celle du Nobiliaire de
Touraine , s'il avoit cru devoir le faire ;
car c'eft là le dernier fruit de fes veilles ,
& il n'a voulu le donner au Public que
dans fa maturité. Cependant il n'a rien
corrigé ; il a laiffé là le D'ALE's de l'Hermite
Souliers , & s'en eft tenu conftamment
au mot D'ALUYE qu'il a répété
jufqu'à huit fois. Que conclure de tout cela
, Monfieur bien des chofes , mais entre
autres que la tradition prétendue de l'Abbaye
de la Clarté, fuivant laquelle de Alnia
n'eft autre chofe que D'ALE's , ou n'exiftoit
pas du tems de l'Abbé de Marolles qui
eft le même que celui de l'Hermite - Souliers
, ou qu'il ne l'a regardée que comme
une fauffe tradition.
MAR S. 1756. 165
3. A l'égard de fes manufcrits , j'ai fous
ma main les copies de plufieurs Généalogies
manufcrites , qu'il avoit communiquées
au célebre Pierre d'Hozier , Confeiller
d'Etat , Juge d'Armes de France ,
Chevalier de l'Ordre du Roi , Gentilhomme
ordinaire de fa Maiſon , mon bifayeul
& fon ami , dont il parle avec éloge fous
l'année 1635 dans fes Mémoires imprimées
en 1656 , ( pages 102 & 256 , ) où
il vante fa mémoire admirable , où il le loue
de la connoiſſance particuliere qu'il avoit de
la vraie nobleffe & des Généalogies des aneiennes
Maifons , & où il l'appelle le premier
homme de fon tems dans cette forte de
curiofité. Or ces manufcrits ne m'ont rien
appris fur les anciens Seigneurs de Saint-
Chriftophe. Mais je fuis certain à préfent
du nom qu'il leur auroit donné dans fes
Mémoires généalogiques , fi nous en avions
quelques - uns pour cette ancienne maiſon ,
dreffés par lui- même , & non pas d'après
le travail d'autres Auteurs. Nous y verrions
que conformément à fa traduction de l'ancien
Hiftorien des Comtes d'Anjou , il
les auroit appellés d'Aluge . Et dans la
fuppofition qu'il les y eût nommés autrement
, nous avons la preuve qu'il auroit
cru dans la fuite s'être trompé en cela ,
puifque dans le dernier de tous fes ouvra
166 MERCURE DE FRANCE .
ges , celui qu'il fit imprimer l'année même
de fa mort , quinze ans après l'avoir compofé
,feize ans après que l'Hermite- Souliers
les appelloit D'ALE's , il a cru néanmoins
qu'ils ne s'appelloient point autrement que
D'ALUYE, ou, ce qui revient au même, que
leur véritable nom étoit exactement celui
de la terre D'ALUYE dans le Perche- Goët.
N'est- il pas bien fingulier , Monfieur ,
& en même temps bien glorieux pour
moi , qu'un Auteur diftingué qu'on me
reprochoit de n'avoir pas confulté, & dont
on fe promettoit de fi belles chofes , foit
néanmoins précisément & entiérement de
mon avis ? Que l'Anonyme attaque donc
maintenant , s'il l'ofe , l'Abbé de Marolles
lui-même , je te lui livre tout entier ; &
ce qui me confole pour ce Sçavant dont je
refpecte la mémoire, c'eft qu'il fera impofble
à l'Anonyme de l'accufer , ni de jeuneffe
, ni d'incapacité. D'incapacité ! il
vient de recevoir l'encens de l'Anonyme
même pour fa fcience & pour les lumieres
dans les matieres généalogiques. De jeuneffe
! il avoit quatre-vingts ans lorfqu'il
imprima fa traduction de l'ancien Hiftorien
des Comtes d'Anjou .
Encore un mot , je vous prie, Monfieur ,
& je finis. On lit à la derniere page de
l'avertiffement qui précéde le Mémoire
MARS. 1756. 167
critique de l'Anonyme , que c'est à la famille
( d'Alès-de Corbet) qui eft perfonnellement
intéreſſée ( dans cette querelle ) à folliciter
, fi elle le juge à propos , une juſtice
plus entiere , que l'on est même étonné qu'elle
n'ait pas déja demandée . Ne diroit-on pas
à l'entendre que le Roi & toute la Nobleffe
du Royaume font pleinement convaincus
que la famille d'Alès -de Corbet ( Alès
dans l'origine ) defcend des anciens &
puiffans Seigneurs de Châteaux & de S.
Chriftophe ; prétention infoutenable , ridicule
& chimérique ? Si cette famille a
fujet de fe plaindre qu'au delà de fon Homme
d'Armes en 1452 , je lui aie ôté , je ne
dis pas cinq cens ans , je ne dis pas cent
ans , mais une feule année , un feul jour
de nobleſſe , elle avoit fans doute une voie
très-légitime de fe pourvoir , la feule même
dont elle eût dû fe fervir en tout honneur.
Au lieu de répandre ou de laiffer
répandre dans le Public une brochure fans
approbation , fans permiffion vifible , où
fous le masque d'un Anonyme on ofe
attaquer ma bonne foi , elle devoit s'adreffer
au Roi même , & réclamer fa juftice
au pied du thrône. Après tout , il en
eft tems encore ; & c'eft là où je l'attends.
J'ai l'honneur d'être , &c.
D'Hozier-de Serigny.
A Paris , le 20 Janvier 1756 ,
168 MERCURE DE FRANCE.
HISTOIRE NATURELLE.
Mémoire fur les Os fofiles , par M. l'Abbé
de Brancas.
LEs deſcriptions des tremblemens de
terre des enfondremens & des inondations
extraordinaires , en diverfes contrées,
depuis plufieurs fiecles , confirmeroient
parfaitement que le cours perpétuel & variable
des eaux , dans l'intérieur & fur la
furface du monde terraquée , fert d'inftrument
à la fageffe & à la Providence divine
pour la production de prefque tous
les phénomenes terreftres attribués avant
nous au déluge , ou même à un feu central
, ou à une mer centrale, ou bien à l'influence
de la lune par une preffion chimérique
, ou une attraction encore plus
abfurde.
Ayant ailleurs montré que c'eft à l'exiftence
d'anciens canaux fouterreins &
fous-marins , qui ont des communications
& une confiftance fort durable , & au
creuſement & comblement de nouveaux
conduits & réceptacles inteftins , où les
eaux dépofent ce qu'elles entraînent de
flottant , de maternel & d'héterogene , où
elles
MAR S. 1756. 169
elles contractent & reilerrent trop l'air en
diverfes occafions , qu'il faut attribuer
plufieurs fingularités des marées & des
courans de mer , l'origine des fontaines ,
des mines & carrieres , du moins de celles
qui , après avoir été fouillées , font renouvellées
fans main- d'oeuvre , la caufe
des volcans & de leurs déjections , des
tremblemens de terre , des enfondremens ,
des exhauffemens & renverfemens , des
élancemens & tranflations de vaſtes
quartiers
de terrein , ainfi que de plufieurs
vents ordinaires & extraordinaires & des
tempêtes. Bornons-nous à établir ici que
les atterriffemens & les comblemens internes
des continens & de la mer , ainfi que
les fuperficiels , n'ayant pas d'autre cauſe
naturelle que la circulation des eaux , ne
peuvent & ne doivent pas plus être attribués
au déluge , que ceux qui viennent
d'être découverts dans la Tofcane , & que
les volcans & les mines nouvelles.
La fuperficie des pleines , des vallées &
des montagnes doit baiffer par l'écoulement
des eaux pluviales , qui conféquemment
doivent altérer le baffin des mers par
les parties matérielles qu'elles entraînent
à moins que les eaux faillantes fur le continent
, avec divers ingrédiens , & les volcans
par leurs déjections & laves , & les
H
170 MERCURE DE FRANCE.
vents par le fable qu'ils emportent , ne
fallent compenfation . Par cette raifon le
lit des fleuves s'approfondit , & fe rétrecit
infenfiblement , autant que le niveau
des mers s'abaiffé , malgré tout le matériel
qu'entraînent continuellement dans
leur baffin , les eaux douces & falées , le
reflux & les vents : ne devroit-il pas être
relevé infenfiblement , & à la longue comblé
, fi les eaux marines n'emportoient en
partie ce materiel par des gouffres & des
conduits , dans des cavités fouterreines ,
d'où elles fe filtrent tout au moins à travers
différens terreins où elles s'épurent
pour pafler dans d'autres canaux qui les
ramenent jufqu'aux fources extérieures ?
( Ecclefiafte , chap. 1 , ¥.7. )
Une lettre du Docteur Tozzeti , inférée
dans le premier volume du Journal Etranger
de Décembre 1755 , apprend que dans
la vallée inférieure de l'Arno , de même
que dans la fupérieure qui eft une province
différente , & féparée de l'autre par
ce fleuve , quantité d'offemens de divers
animaux ont été trouvés épars & entaffés
horizontalement , avec des coquillages de
mer , dans des couches de fable & de craie
femblables à celles dont font compofées
les collines & les montagnes de ces deux
provinces ? Qu'en couclure feroit- ce que
MARS. 1756. 171
c'eſt un amas fait au tems du déluge ? Ces
offemens auroient- ils pu fe conferver depuis
quatre mille ans , préexifter en cette
quantité , & être raffemblés durant le déluge
, résister à tous les changemens furvenus
dans le terrein par divers accidens ?
n'y trouveroit-on pas d'offemens humains à
proportion, & même de gros poiffons cétacés
, ou teftacés qui auroient pu tout autant
ne pas devenir pulvérifés , & du moins des
os de volatiles , qui ne purent pas plus fe
fauver du déluge hors de l'arche que les
animaux terreftres ? les poiffons même l'auroient-
ils pu , s'il avoit diffous toute la
terre en boue, ou pâte molle , pour la former
tout à neuf fuperficiellement & intérieurement
, pour recompofer fes continens
, fes mers , fes ifles , fes fleuves , fes
ruiffeaux & fontaines , fes montagnes , fes
plaines, fes vallées , fes mines & carrieres ,
fes diverfes couches de terrein & de matieres
? autrement ' trouveroit-on des coquillages
, des offemens , des plantes dans
des marbres , des rochers , des agathes ,
des porphyres ?
Vraifemblablement le cours de l'eau
des rivieres confluentes dans l'Arno , & par
ce fleuve dans la mer , a ramaffé tous ces
offemens avec des fables & de la craie ,
que les eaux pluviales entraînent de la
-
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
croupe & du fommet des montagnes des
provinces fituées au delfus de ton cours
entre ces deux vallées; & des débordemens
en ont fait des atterriflemens à fon embouchures
dans la Méditerranée , & dans les
endroits que le Docteur Tozzeti appelle
des cimetières d'animaux , qui originairement
, s'ils en font éloignés , étoient des
vallons & de grands creux , où les eaux
de ce fleuve ne fe répandoient que par de
fortes crues & des inondations.
Jugeons de ce qui eft arrivé de tout tems
avant & depuis le déluge , par ce qui arrive
fous nos yeux ? Après les groffes pluies
tous les fleuves ont des eaux bourbeufes
& pleines d'ingrédiens héterogenes ; les
fedimens & les parties matérielles laiffés
à leur embouchure , où l'eau plus denfe
de la mer les repouffe , & même dans des
cavités & vallées éloignées , où un debordement
les fait parvenir , y produifent
des atterriffemens encore plus que dans leur
propre lit , où il eft ordinaire d'en voir
former & détruire. Prefque toutes les bouches
des fleuves dans la mer font dangereuſes
, à cauſe des hauts fonds qui y font
formés de cette maniere, En connoit - on
qui n'en fournillent des preuves ? Leurs
eaux emportent fans ceffe de toute notoriété
, & felon la tradition conftatée
1
1
MARS. 1756 . 173
par des actes publics , du terrein de diverfes
parties de leurs rivages , & forment
ainfi dans leur lit , & encore plus vers
l'embouchure , des atterriffemens confidé.
rables qui commencent par être des bancs
de fable & de gravier .
Seroit-il étonnant d'y trouver avec des
coquillages , & tous les débris que les eaux
falées y rejettent une quantité de cadavres
d'animaux de diverfes efpeces que les
inondations enlevent ? A en juger par les
recentes du Rhône , de la Loire , &c . combien
de ces animaux furpris dans les campagnes
& dans leurs pâturages,fans pouvoir
fe fauver , font entraînés dans la mer , ou
du moins dans des cavités inondées , quand
par de groffes & longues pluies , ou des
fontes trop fubites de la neige , des rivieres
débordent rapidement , & font des irruptions
dans les plaines , avec d'autant
plus de force qu'elles trouvent plus de
pente vers des vallées & des profondeurs ,
où leurs eaux fe précipitent avec tout ce
qu'elles entraînent. Faut - il d'autre caufe ,
afin d'y découvrir des planches , des bois
de charpente , & des débris des maifons
ruinées & des meubles emportés , des arbuftes
& des arbres entiers , avec leurs
branches & leurs racines , en un mot , des
amas de tout ce que les eaux des rivieres
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
dans de fortes inondations ont enlevés ,
entraînés & abandonnés dans ces vallées
& ces cavités qui en ont été comblées &
atterrées infenfiblement.
Des troupeaux de bêtes à laine & à cornes
étant emportés avec des chevaux , &
toutes les autres fortes d'animaux & de
volailles domestiques , & même des bêtes
fauves , leurs offemens doivent être découverts
dans ces atterriffemens , à meſure
que les eaux les détruifent, après les avoir
formés depuis plufieurs ficcles. Des canaux
fouterreins dont l'exiſtence & la
communication font bien prouvées dans
nos Ephémérides cofmographiques , peuvent
même faciliter leur tranfport fous des plaines
& des montagnes fort éloignées , &
jufques près de leur fommet , ou avec le
laps de tems , ils font découverts , ainfi
que des coquillages.
Si l'on trouve auffi des os d'éléphant
dans les collines & les terreins de la vallée
inférieure & fupérieure de l'Arno , qui
probablement font au deffous du niveau
cylindrique de la mer , & même du cours
de ce fleuve , eft-ce une raifon d'en induire
qu'anciennement cette région de la
Tofcane nourriffoit des animaux de cette
efpece ? Il eft plus naturel & plus probable
d'en inférer que fon climat n'ayant pas
ร
MAR S. 1756 . 175
plus changé que fa latitude , ces offemens
d'éléphant proviennent de ceux qu'en des
fiecles fort antérieurs , des armées d'Afiatiques
ou d'Africains , y avoient amenés ,
comme , par exemple , celle d'Annibal &
qui par des irruptions & des inondations
fubites des rivieres confluentes dans l'Arno,
ont été enlevés & entraînés , comme les
autres animaux domeftiques ou fauves
dont les offemens font reconnus mêlangés,
ainfi qu'ils doivent être en ces cas ; autrement
des reftes d'éléphans feroient trouvés
dans d'autres endroits de la Toscane , comme
en Afie & en Afrique , fans l'avoir encore
été dans aucuns cantons de l'Amérique.
Des bâtimens anciens , prefque entiers ,
font découverts de tems à autre à Rome
& dans fes environs , & dans toute l'italie
, après avoir été inhumés par des enfondremens
à la fuite des tremblemens de
terre , & par des inondations fort réitérées
. Ils deviennent exhumés à force d'enlever
le terrein imminent & circonvoifin ,
étant décélés en creufant les fondemens
d'édifices nouveaux . Les accidens éventuels
doivent nous faire juger de ceux des
fiecles précédens & les atterriffemens naiffans
fous nos yeux , des atterriffemens an-
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE .
ciennement formés par les dépôts , les fédimens
&
l'abandonnement de tout ce que
les eaux entraînent & emportent en pareilles
cataſtrophes.
Afin que des coquillages marins fe trouvent
mêlés dans ces crémens & atterriffemens
, fuppofé qu'ils foient fort éloignés
de la mer & de l'embouchure des fleuves ,
c'eft affez, fans recourir , comme en cas de
befoin pour certains endroits , aux conduits
fouterreins , qui en divers tems ont
été creufés & comblés par les eaux mêmes
fans main d'oeuvre , ainfi que des carrieres
& des minieres en font formées , détruites
& renouvellées, c'eft affez , dis - je , que dans
des tempêtes les ondes & les vagues furmontant
les digues & les limites artificielles de
la mer, & même les naturelles, qu'il leur eft
ordinairement défendu de franchir , ayent
pu trouver une pente jufques vers ces
comblemens. Si ces atterriffemens exiftent
à l'embouchure , la caufe de leur formation
avec mixtion de coquillages marins
& d'offemens d'animaux qui fe laiffent
furprendre par les eaux débordées , fe préfente
d'elle - même dans les réflexions précédentes
, fans recourir au changement
fucceffif & infenfible , mais très - difficile
& prefque impoffible , des continens en
C
MARS. 1756. 177
mer , & de leur baffin en continent.
Notre explication du flux & reflux , &
nos Ephemerides cofmographiques ayant enfeigné
que la principale caufe des phénomenes
terreftres doit être reconnue dans
la figure de la terre en cylindroïde arrondi
, & boffué par fes bafes qui figurent des
portions d'un fphéroïde , & qui forment
deux continens plus vaftes que ceux qui
font connus dans fa rotation , & dans la
facilité qu'ont les eaux en plufieurs plages
de terres & de mer d'entrer dans un canal
interne , qui en forme d'un immenfe fiphon
tortueux par les inflexions & la
courbure de fes jambages , fait des angles de
plus de quatre - vingts - dix degrés de longitude
, & de fortir ainfi par fon autre
extrêmité , quelqu'élévation qu'elle puiffe
avoir au deffus du niveau marin : nous affurons
d'après l'expérience & la vaie théorie
des cieux & de la terre , que les eaux font
occultement dans fa maffe ce qu'on leur
voit opérer fur fa furface à découvert ;
qu'elles creufent & comblent des conduits
internes comme externes ; qu'elles forment
& détruifent des atterriffemens inteftins
comme fuperficiels , des carrieres &
minieres de toute efpece , & des amas de
foffites de tout genre que leurs fedimens
avoient formés ; elles font multiplier les
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
coquillages dans ( 1 ) ces canaux concaves ,
comme dans la mer , puifque c'eft dans le
même élément , & que ces coquillages, à
force d'y multiplier , les obftruent & rempliffent
, en forment ainfi ce qu'on appelle
dans la Touraine & le Poitou , des falunicres
, c'est -à - dire des amas immenfes de
coquillages . Les eaux font ainfi circuler
l'air & l'électre intérieurement , comme
extérieurement ; elles en introduifent plus
ou moins dans ces conduits ou canaux
inteftins , & y cauſent avec des exhalaifons ,
divers météores. Leur crue extraordinaire y
refferre fouvent ces deux élémens mêlangés
, & un trop grand refferrement les
oblige à caufer des tremblemens de terre ,
& tous les phénomenes fimultanés qui
ont été remarqués : la terre femble ainfi
devenir de plus en plus un féjour dangereux
& incertain.
(1 ) Pour trouver des coquillages fous toute
contrée , à force de creufer , il fuffit que les
eaux creufent des conduits & autres fouterreins ,
& les comblent enfuite , tant par des coquillers
qui s'y multiplient , que par les fédimens
qu'elles y entraînent & y dépofent , ou par
les éboulemens & les enfondremens qu'elles y
produifent.
MAR S. 1756. 179
SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie des Belles - Lettres de la
Rochelle.
L'Académie de la Rochelle tint , felon
fa coutume , fa féance publique le feize
Avril 1755. M. l'Abbé Delavau Prieur
d'Aytré , Directeur , en fit l'ouverture par
un Difcours fur la Langue Latine , dans le
quel il entreprit de prouver que cette Langue
, telle qu'on la parle dans toutes les
Ecoles de l'Europe , depuis la renaifance
des lettres , eft un nouvel idiôme dérivé
de l'ancien Latin , qui a fon ufage & fes
regles particulieres , qui reffemble affez
» au Latin de l'ancienne Rome , pour que
» nous puiffions le confondre quelquefois
» avec lui , mais qui en différe fi confidé-
» tablement , qu'un Romain du fiecle d'Augufte
auroit de la peine à l'entendre . »
ود
"
«
EC
.33.
Pour annoncer ce ſyſtème , M. Delavau
traça une légere efquiffe des révolutions
de la Langue Latine . Vous fçavez , dit - il ,
Meffieurs , qu'elle n'étoit dans fon principe
qu'un compofé de différens jargons
des peuples groffers qui environnoient
» Rome naiffante ; qu'après plus de trois
» cens ans elle n'avoit encore ni ortho-
"3
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
"
» que
graphe , ni conftruction ; qu'elle ne com-
" mença à fe dépouiller de fa rufticité
fous les Scipions & les Lélius ; que
» fon état brillant dura tout au plus un
fiecle & demi ; qu'après le regne d'Augufte
elle dégénéra peu à peu , s'altéra
» & fe corrompit enfin entiérement , foit
» par l'election des Empereurs nés dans
» des provinces éloignées de la Capitale ,
» foit par les irruptions des barbares qui
ravagerent l'Italie , qui enfevelirent dans
» le même tombeau la gloire de l'Empire
» Romain & la gloire de la Langue Latine.»
"
Celle que les Sçavans y ont fubftituée,
n'eft pas cependant à méprifer , continue
M. Delavau : elle eft fufceptible de divers
degrés de perfection , & forme un
lien d'union & de commerce infiniment
précieux à la République des Lettres . Mais
ce n'eft plus la Langue de Rome brillante
& polie , « puifqu'elle a perdu fa pureté
originale , qu'elle a pris le goût d'un ter-
» roir étranger , qu'elle a changé la fignification
primitive d'un grand nom-
» bre de fes termes , & qu'elle a adopté
» un nombre encore plus grand de mots
» de nouvelle fabrique. " Le détail de
ces quatre preuves , & les exemples dont
M. Delavau ſe propofoit de les foutenir,
auroient paffé les bornes d'un Difcours
"
ور
?
MARS. 1756.
181
ordinaire ; il fe fixa donc à la premiere ,
& voici comment il l'établit.
Il nous offre d'abord la brillante époque
de la renaiffance des Lettres au quinzieme
fiecle , où des Génies vifs & hardis
excités par ces fameux Grecs échappés
des ruines de la capitale de l'Orient , entreprirent
de fecouer le joug de la barbarie
qui régnoit depuis fi long temps en
Europe. L'art typographique qui fut alors
heureufement découvert , fit reparoître &
multiplia les chef- d'oeuvres de Rome : « on
» en fit une étude fuivie ; on s'appliqua
» à corriger les fautes des manufcrits , à
» éclaircir le texte des Aureurs , à creu-
» fer leurs pensées , à difcurer leurs expreffions
, à éplucher leurs mots & jufqu'à
leurs fyllabes ; & après s'être affuré
» de leur méthode , autant qu'il étoit
poffible , on ne craignit plus de s'élan-
» cer dans la carriere de l'éloquence &
de la poéfie. "
و د
"
Le fuccès égala-t- il le zele & le cou
rage de ceux qui y coururent ? Ils crurent
avoir atteint la pureté & les graces
originales de la Langue Romaine au fiecle
d'Augufte , & tous leurs efforts n'aboutirent
qu'à faire éclorre en quelque forte
un nouvel idiôme , « qui tint une efpe-
» ce de milieu entre l'ancienne Langue
182 MERCURE DE FRANCE.
>
» Latine & leur langue maternelle , qui
» ne fut ni l'une ni l'autre , qui garda
» le fonds de la premiere pour les termes
» & les expreffions , & prit beaucoup de
» la feconde pour le tour & l'arrange-
» ment .... que pouvoient - ils faire de
plus ? On ne compofe point avec régu-
» larité dans une Langue étrangere ; comment
auroient - ils compofé poliment
dans une Langue morte ? »
"
»
Cette comparaifon devient fertile entre
les mains de M. Delavau ; il la préfente
fous toutes les faces , & il en tire
habilement toutes les inductions dont il
a befoin pour prouver que le Latin moderne
eft bien loin de fa pureté origi
nale. " Qu'un étranger , dit-il , fans fortir
de fon pays , veuille apprendre le Fran-
» çois; qu'il ait étudié avec foin nos livres
» élémentaires , & qu'il ouvre enfuite nos
» meilleurs Auteurs , les difficultés l'arrê-
» teront à chaque inſtant , tantôt fur la
fignification propre d'un mot , tantôt
» fur le tour fingulier d'une phrafe , fur
l'application d'une regle ambiguë , fur
» le fens obfcur d'une expreffion . Si après
» bien des veilles & des exercices , il li-
" vre au Public un effai de fes productions ,
"
"
"
combien de bévues , d'incongruités , de
» mots pris à contrefens le Lecteur n'y
$
MAR S. 1756 . 183
53
appercevra-t- il pas ? Si fa diction n'eſt
» tachée d'aucun vice groflier , combien
fera- t-elle gênée , rude , raboteufe &
éloignée du caractere & du génie de
» la Langue Françoife ? »
Entre plufieurs exemples , M. Delavan
en prend un dans la relation d'un voyage
compofé en François par un Capitaine
Danois , & revue par l'Auteur de la derniere
Hiftoire de Danemarck. Le Danois
parle ainfi d'Alexandrie . On peut dire avec
raifon que dans la nouvelle ville d'Alexandrie
on rencontre un pauvre orphelin , à
qui il n'est échu pour tout héritage que te
nom refpectable de fon pere .... Le fiege
royal eft devenu une maifon d'efclaves ...
Ce n'est plus un phénix qui renau de fes
cendres , c'est tout au plus une vermine fortie
de la boue ou de la pouffiere , dont l'Alcoran
a infecté tout le pays.
» Dans ce peu de mots , combien de
» fautes ? Chaque expreffion eft Françoife ,
» la conftruction même de la phrafe n'of-
و ر
fenfe aucune de nos regles ; cependant
» l'enſemble n'eft point François. On y
» dit les chofes d'un ton & d'un ftyle qui
s'éloigne du vrai goût de la Langue.
» L'Auteur n'ayant point employé les
» mots dans leur acception naturelle , ils
préfentent un double fens , & l'on n'eft
33
- "33
184 MERCURE DE FRANCE.
"
pas für de ce qu'il veut dire ... Que
ignifie ce fiege royal , qui dans Alé-
» xandrie eft devenu une maifon d'efcla-
» ves ? A-t-il entendu que le palais des
» anciens Rois , ou le lieu deftiné à rendre
la juftice , a été converti dans une
prifon pour les efclaves malfaicteurs ?
» Quelles images encore que cette vermi-
»ne fortie de la boue de l'Alcoran , & le
>>pauvre Orphelin , pour dire que cette
» ville eft déchue de fa premiere fplen-
» deur !
20
Nos modernes Romains , continue M.
Delavau , « font de pareilles fautes , & de
» plus grandes encore , parce qu'ils ne
connoiffent pas plus que le Danois les
» idées principales & les idées acceffoires
» que les anciens Romains attachoient aux
» termes de leur Langue ; ce fens fin & dé-
» licat , qui fans ôter aux mots le fonde-
» ment de reffemblance qu'ils ont entr'eux ,
≫y met néanmoins des différences effen-
» tielles. Il faudroit fçavoir diftinguer les
» termes du ftyle noble , de ceux du ſtyle
» bas ou familier ; ceux qui font de la
profe ou de la poéfie ; ceux qui fe difent
au propre fans fe dire au figuré , ou qui
" fe difent au figuré fans fe dire au pro-
» pre ...... Les bons Auteurs ne peuvent
» donner toutes ces connoiffances ; ce font
MAR S. 1756 . 185
» des guides muers qui n'avertiffent pas
» fi l'on prend bien ou mal leur fens ,
quand on fuit les regles , ou quand on
» s'en écarte .
Les Grammairiens dont nous ne manquons
point , ne peuvent nous raffurer.
Ils nous ont donné leurs conjectures ,
" leurs préventions , leurs erreurs même
"pour des oracles infaillibles ; ils ont
quelquefois pris l'exception pour la régle
, & il n'en eft prefque point qui ne
» foit contrédite par les grands modeles
» d'où ils prétendent les avoir tirées … .....
ور
و ر
" On ne doit , difent - ils , fe fervir de
» l'ablatif abfolu , que lorfqu'il eft indé-
>> pendant du verbe qui l'accompagne , &
» cependant Térence a dit , Quis , fe vidente
, patietur amicum fuum , &c ; & Ovide
, Me duce , ad hunc finem , me milite ,
veni.
Selon eux , l'adverbe magis fuivi d'un
» nom fubftantif , demande toujours un
» quàm , & jamais de comparatif. Cepen-
» dant Plaute a dit , magis eft dulcius ; &
» Columelle, novella Gallicana magis eden-
» dis quàm excubandis ovis utiliores funt ,
» & c.
« Un verbe précédé de plufieurs noms
» doit toujours être au pluriel .
pluriel . » Nous lifons
néanmoins dans Ciceron ↳ Mens &
186 MERCURE DE FRANCE.
ratio , & confilium in fenibus eft ; & dans
Horace, Cui pudor & juftitia foror incorruptafides
, nudaque veritas , quando ullum
inveniet parem , &c.
Les Vocabuliftes nous apprennent - ils
plus fûrement la force & l'acception des
mots ? Quel fonds peut-on faire fur leurs
décifions ? « Les plus anciens font pofté-
» rieurs de pluſieurs fiecles à la belle Lati-
» nité ; & le Novitius qui a relevé tant de
méprifes dans fes prédéceffeurs , eft- il
lui- même au deffus de toute critique ?
» Il nous faudroit donc , pourfuit M. De-
»lavau , d'après M. l'Abbé d'Olivet , un
» Dictionnaire Latin fur le modele de ce-
» lui de l'Académie Françoife , commencé
»par des Luciles , par des Gracques , des
» Terences , des Lélius , des Scipions ; con-
» tinuée par des Lucreces , des Catulles ,
23
و د
des Saluftes , des Titelives, des Cicerons;
» achevé par des Virgiles , des Horaces ,
» des Pollions , des Mécenes , & des Ovi-
» des.
« C'est là que nous apprendrions l'uni-
» que maniere de bien exprimer chaque
» chofe , ce grand art de joindre & d'af-
» fortir les mots qui font faits pour aller
" enfemble , quand il eft permis de fe met-
" tre au deffus des regles de la Grammaire
"pour former un fens plus énergique , ou
MARS. 1756. 187
و د
و ر
n
» un fon plus harmonieux . C'est là que
» nous puiferions le goût de ces inver-
» fions , qui caractérisent la Langue ; où
» nous prendrions l'unité du ftyle qui ne
fouffre point les vers profaïques , & qui
» ne défigure jamais la profe par des expreffions
confacrées à la poéfie ; qui ne
»permet point à l'Hiftorien les affèteries
», des Catulles , des Properces , des Méce-
» nes , & qui bannit des ouvrages de goût
les termes d'arts & de fciences réfervés
aux feuls Lucreces , aux Columelles , aux
» Vitruves. Faute d'un pareil flambeau nous
»fommes réduits à marcher au hazard, à tâ
» tonner dans prefque toutes les occaſions,
» à faire fouvent des faux pas .... Ce que
» nous pouvons faire de mieux , c'eft d'em-
» prunter, autant qu'il eft poffible, le langage
des Auteurs qui ont excellé chacun
» dans fon genre ; mais en croyant parler
» comme eux , on ne compofera que des
ouvrages formés de pieces difparates &
» mal aflorties , & c. »>
Quelque frappante que foit cette expoftion,
M. Delavau a bien fenti qu'elle n'entraîneroit
pas d'abord tous les efprits; qu'en
abandonnant les Vocabuliftes & les Grammairiens
comme des guides peu fûrs , plus
capables même d'égarer que de faire parvenir
au but de la belle & pure Latinité
188 MERCURE DE FRANCE.
on lui oppoferoit la lecture refléchie des
grands modeles , comme un moyen infaillible
d'en faifir toutes les beautés , à
l'aide des regles de l'analogie ; & cette
objection qui le fait revenir fur fes pas ,
lui donne lieu de confirmer fon ſyſtème
par des folides réponses.
Les Auteurs de la fçavante antiquité
ne font pas , dit - on , des guides muets ;
leurs voix fe fait entendre par leurs difcours
; puifque nous les lifons , nous les
écoutons encore ; en leur prêtant une oreille
attentive , nous comprendrons aifément
ce qu'ils nous difent.
و ر
و د
و ر
Si la voix des anciens fe fait encore
entendre , répond M. de L. « par quelle
» fatalité la voix de nos Ecrivains n'a- telle
"pas le même avantage auprès des étrangers
les plus attentifs ? notre Langue a
pris la place de la Grecque & de la Ro-
" maine on la parle dans toutes les cours
» & dans toutes les bonnes villes de l'Eu-
» rope ; l'eftime générale qu'on en fait
>> annonce qu'on met tout en ufage pour ;
» s'y perfectionner ; les étrangers recher-
»chent avec empreffement nos ouvrages ;
» ils ont entre les mains des Dictionnaires
» & des Grammaires , composés par les
» meilleurs maîtres ; cependant on n'en
» voit prefque réuffir aucun : ils n'écrivent
و د
و د
و د
ود
MAR S. 1756. 189
وو
"
93
و ر
point comme nos bons Auteurs ; ils n'atteignent
même prefque jamais nos Au-
» teurs médiocres . Quelle apparence y a-t'il
» donc que les Etrangers , qui à leur ému-
» lation joignent tant de fecours , fe ren-
» dent ridicules dans leurs compofitions
Françoifes, fans que celles des prétendus
» imitateurs de l'Eloquence & de la Poéfie
» Romaine s'attirent le même reproche ;
eux qui font privés du flambeau des
regles , & de la direction des maîtres ? ...
» Si la voix des Anciens fe fait encore
» entendre , pourquoi donc leurs interpre-
» tes donnent- ils fi fouvent à leurs paroles.
» des fens tout contraires ? l'un entend par
candidior barba , la barbe blanche d'un
» vieillard ; l'autre le poil follet d'un jeune
» homme. Amica filentia fua ; c'eft , felon
quelques - uns , une nuit très - obfcure , &
39
"
33
و ر
» felon d'autres , c'eft un beau clair de lune.
» Celui- ci veut que rupit aper plagas fignifie
un fanglier qui fe jette dans les toiles .
" & s'y trouve pris ; celui- là dit , que c'eft
» un fanglier qui ies brife & s'en échappe ;
», & Quintilien , fi voifin du fiecle d'Augufte
, ne déclare-t'il pas hautement qu'il
» y a bien des endroits à deviner dans les
» Poëtes , & même dans les Orateurs de ce
» tems - là ? ...
و ر
Mais quand rien ne nous arrêteroit dans
190 MERCURE DE FRANCE.
la lecture des Anciens , delà à parler leur
Langue avec la même pureté, il y a encore
bien loin. Comment aurions - nous affcz
de pénétration pour découvrir les principes
qui dirigeoient leurs compofitions , & allez
de précifion pour les fuivre d'un pas affuré
au milieu des variations que nous trouvons
dans les mêmes Auteurs ? fi nous décidons
du régime fur l'autorité d'un Poëte , un
Orateur rend la déciſion incertaine . Ovide
dit nec latet , Ciceron mihi latet ; lequel de
ces deux régimes eft préférable ?
» Euffions-nous même faifi la maniere
» de conftruire les mots felon leur régime ,
>nous ignorerions du moins l'art de les
" ranger fuivant leur convenance & dans
» le goût de la Langue. Le Cardinal Bembo
» fe vantoit de n'avoir aucun terme qui ne
»fût tiré de Ciceron , & Jufte Lipfe a
foutenu que fouvent il ne parloit pas
» Latin. C'eft que plufieurs termes qui font
Latins peuvent faire une phrafe qui ne
»foit pas Latine. Un feul mot changé ou
déplacé, fuffit pour défigurer la plus belle
» profe ou la plus belle poésie.... Que
» l'on change un mot , dit Ciceron lui-
» même dans cette période : Nam neque
» me divitiùs movent. Qu'on y faffe la
» moindre tranfpofition , elle perdra toute
»fa grace & toute fa force.... »
ود
MARS.
1756. 191
و و
» Les loix de la gradation nous feroient
» gâter une autre des plus belles périodes
» du même Orateur. Aderat junitor carce-
» ris , carnifex Pratoris , mors terrorque fo-
» ciorum & civium
Romanorum , fector fec-
» tius. Qui n'auroit cru qu'il falloit dire :
terror morfque fociorum.
33
» Suivant cette regle de critique , com-
» bien de beaux endroits les
Scholiaftes
» n'ont - ils pas
corrompus en croyant corriger
des fautes de copiſtes ? &
pour nous
quelle fource féconde de mépriſes &
d'erreurs ! &c. "
ود
و د
و د
33
M. de L. met tout à profit contre les
adverfaires de fon fyftême ; & en les
combattant avec toute forte d'égards , il
les preffe vivement par leurs propres aveus.
» Il eft impoffible , dit l'un d'entr'eux , d'égaler
les Anciens . . . une infinité de délicateffe
, foit dans les mots , foit dans les
» tours , échappent aux regards les plus pé-
» nétrans. Ce n'eft pas affez , reprend M.
» de Lavau , il faut convenir encore que
" nous ne fçaurions diftinguer ce qui eſt
exprimé délicatement , d'avec ce qui eft
» rendu baffement & d'une maniere impropre.
Virgile a dit , Casâ jungebant
»fædera porcâ ; ne feroit- il pas égal de
dire cafo jungebant fadera porco ? non ,
» répond Quintilien ; vous rendriez baffe-
و د
و ر
33
ود
"3
...
192 MERCURE DE FRANCE.
» ment ce que Virgile a exprimé d'une ma-
» niere élégante....
ور
و د
» Lucrece a fait feminin funis , unique-
» ment pour la cadence du vers . Aurea de
» coelo demifit funis in arva . Il auroit pu
» dire fans changer la mefure , aureus è coelo
› demifit funis in arva. Qui de nous trou-
» vera quelque chofe de plus doux & de
plus fonore dans la premiere façon de
s'exprimer ? ...
و ر
و د
ود
33
» Peut-être ferions-nous tentés de croire
" que Lucrece n'a retranché de plufieurs
» mots , des lettres & quelquefois des
fyllabes entieres , que par une licence
poétique qui ne doit pas être imitée ;
cependant Aulugelle nous avertit , que
» Ciceron , uniquement pour flatter l'oreil
» le , a mis peccatu pour peccato . Qui oferoit
» imiter cet exemple ? ...
33
و ر »C'estainsiquelenombre&lacadence
» des périodes , l'harmonie & la confon-
» nance des mots nous échappent ; comment
» nous feroit- il donné de les employer
» heureufement dans nos ouvrages Latins ,
» puifque nous ne les fentons pas dans les
" ouvrages desAnciens, eux qui pour éviter
» un fon défagréable , bravoient impuné-
"ment & folécifmes & barbarifmes ? & c.
"
Il n'eft qu'un moyen , reprend M. de
Lavau , pour bien fçavoir une Langue
étrangere ;
MARS. 1756. 193
93
étrangere ; c'eft de fe tranfporter dans le
pays où on la parle , ou de s'exercer longtems
avec des perfonnes qui la poffédent
naturellement . « La lecture des meilleurs
livres ne fera jamais un bon Ecrivain ,
>> furtout dans une Langue morte. Quelque
» exercé que l'on y puiffe être , on ne peut
imaginer de nouveaux tours qui y foient
analogues ; il faut fe borner à une imita-
» tion feche & fervile de phrafes dont on
» ne connoît point le méchaniſme , & c'eſt
» s'interdire l'eſpérance de jamais écrire
» avec pureté & délicateſſe. ...
39
כ
ود
ور
ود
وو
Les Romains eux-mêmes ont bien fenti
ces inconvéniens , lorfqu'ils ont voulu apprendre
l'idiôme des Grecs. « Ils avoient
entre les mains leurs meilleurs livres ;
mais ils les jugerent infuffifans . Ils firent
venir de la Grece des hommes habiles ,
qui furent pour eux un Dictionnaire vi-
" vant & une Grammaire parlante ; mais
» parce que le commerce de ces fçavans
maîtres n'avoit encore qu'ébauché leurs.
» connoiffances , ils voyagerent dans la
» Grece même , & féjournerent furtout à
» Athènes pour le perfectionner dans les
élégances Attiques... & n'eft- ce pas en-
» core ce que pratiquent les Etrangers qui
,, veulent faifir les fineffes de notre Langue,
& ce que nous pratiquons à notre tour ,
I
"
ود
و د
194 MERCURE DE FRANCE.
lorfque nous voulons apprendre les
» leurs ? ...
"
33
"3
33
و ر
» Où pourrions-nous prendre le goût
des urbanités Romaines , cet ufage de la
»cour & de la ville qui leur donna l'être ;
» cet ufage , le pere & le tyran des Langues
, qui ne fçait ce que c'eft que de
plier fous les regles ? cet ufage eft éteint
depuis plufieurs fiecles ; il n'eft plus aujourd'hui
ni pays qui le fuive , ni natu-
» tels qui puiffent l'enfeigner . Ceux qui
»ont prétendu nous en inftruire , y font
étrangers eux- mêmes. Que l'on remonte
» de maître en maître jufqu'à la renaiſſance
» des lettres , & qu'on voye quels font les
premiers reftaurateurs de la Langue Latine
, des hommes fortis du fein de la
» barbarie. Leurs peres avoient perdu la
» trace de la tradition orale , par l'inter-
» valle des fiecles d'ignorance ; lears def-
» cendans n'ont pu nous la tranfmettre .
Auffi la correction & la politeffe des Ecrivains
de Rome font- elles fi peu connues ,
qu'il s'eft élevé fur ce fujet des combats &
comme une guerre civile entre les Sçavans
des derniers âges. » Le P. Fabre , l'Abbé
Desfontaines, Dryden , & c. fous les dra-
» peaux d'un ancien Cardinal , défendent
» le culex & le coiris , comme un fruit digne
de la veine de Virgile , à en juger
رد
و ر
ور
MARS. 1756. 195
par la force de l'expreffion , & l'agrément
» des images. L'Abbé Goujet , le P. de la
» Rue , le P. Oudin , &c. fous les étendards
d'un autre chef , foutiennent que
» ces deux pieces font d'un Ecrivain bar-
» bare , fans goût & fans génie. Un fort
parti mer Quinte-Curce au fiecle d'or
» de la Latinité : une faction auffi puiſſante
le dégrade & le renvoie au fiecle d'ar-
» gent....
53
"3
"
و د
33
Lorfque le célebre Pierre Pithou imprima
pour la premiere fois à Troyes en
» 1996 , les Fables de Phédre , qu'il avoit
» tirées en manufcrit , de la pouffiere d'une
bibliothèque , les Sçavans de Rome moderne
, à qui le P. Sirmond les préſenta ,
rejetterent l'ouvrage comme fuppofé , &
ce ne fut qu'à force de titres qu'ils en
» déclarerent le ſtyle digne d'un affranchi
d'Augufte. Enfin un docte Anglois vient
d'arracher tout d'un coup des OEuvres
» de l'Orateur Romain quatre harangues
que jufqu'ici on avoit préconisées , imitées
, copiées fans le moindre fcrupule.
- De ces querelles littéraires , M. l'Abbé
de Lavau conclud que nous ne pouvons
juger sûrement ni du ftyle des Littérateurs
de Rome , ni de l'élégance de leurs écrits .
» Les contemporains de Quinte- Curce ne
» nous ont point parlé de lui , & nous ne
"
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
» fçavons fi fon ftyle eft pur , ou s'il y a de
l'alliage. Pollion a prétendu que celui de
Tite- Live fentoit un peu le terroir de
» Padoue , & il ne s'eft pas mis en peine
» de nous en donner quelques exemples ,
» pour nous apprendre à éviter ce vice de
» Province qu'il lui impute , &c..
2
وو
و د »Ainfilescontemporainsn'ayantpoint
porté leur jugement fur les expreſſions
» hazardées des meilleurs Auteurs , n'ayant
» point relevé leurs fautes , ou du moins
leur critique n'étant point parvenue juf-
» qu'à nous , ce qui eft bon , ce qui eft
défectueux , nous eft égal , & il doit fouvent
nous arriver de copier une faute de
langage , lorfque nous croyons imiter
» un tour élégant & heureux , & c.
33
M. de Lavau , en finiffant fon diſcours ,
avertit que par toutes ces réflexions , il n'a
nullement entendu infpirer du mépris pour
le Latin moderne. Cette Langue , dit-il ,
toute récente qu'elle eft , a fes loix , fes
utilités , fes agrémens. Elle a été illuftrée
par des Poëtes & par des Orateurs d'un
vrai mérite , à quelques - uns defquels il n'a
manqué que d'être nés au bel âge des Romains
pour les égaler en tout . Ainfi loin de
la méprifer , on doit la cultiver avec d'autant
plus de foin , qu'elle eft la clef de la
Littérature ancienne.
La fuite au prochain Mercure .
C
MARS. 1756. 197
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLE S.
MUSIQUE .
in
LE fieut Salvator Lanzetti , Napolitain
au fervice du Roi de Sardaigne , vient de
donner au Public fix nouvelles Sonates ,
qu'il a compofées pour rendre, aux Amateurs
l'exécution de celles qu'il avoit données
auparavant plus facile. Sa fupériorité
pour le Violoncelle lui a mérité la plus
grande réputation dans toute l'Europe.
C'est lui qui a fermé les deux plus célebres
Cantatrices d'Italie. Sa Mufique eft
agréable & mélodieufe . Les Sonates qu'il
vient de faire graver avec privilege , forment
le fixiéme oeuvre. Le prix eft de
fix livres quatre fols. On s'adreffera au
Portier de Meffieurs de la Live , rue neuye
Luxembourg , à Paris.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
PEINTURE.
LETTRE A M. GAUTIER.
VOUS ous me reprochez , Monfieur
l'Anonyme que j'ai gardé dans l'attaque
que je vous ai faite . Je demeure d'accord
qu'il y a quelque inégalité dans cette
forte de combat ; aufli je ne balance
point à convenir que j'ai honte de m'être
caché mais l'ayant fait , après cet aveu ,
il m'eft encore moins poffible de me découvrir.
On rougit toujours de convenir
d'un tort , quelque petit qu'il foit , &
d'ailleurs cela ne fait rien au fonds des
chofes que nous avons à difcuter enfemble.
Is
Ne vous en prenez qu'à vous même
du coup que je vous ai porté , & à l'oftentation
avec laquelle vous vous louez
à tout propos dans les Mercures , dans
les Gazettes , & dans vos propres écrits.
J'aime & refpecte les Arts ; je les regarde
comme des Profeffions nobles qui ne
doivent jamais être avilies par aucune ef
pece de charlatanifme . C'eft aux ouvrages
à parler eux- mêmes en leur faveur ,
& jamais les Artiftes ne doivent ſe vanter
MAR S. 1756. 199
ni fe perfuader d'avoir atteint le but
qu'ils fe propofent. C'eft le propre des
ignorans de croire facilement qu'ils y
font arrivés. Faites de belles chofes , Monfieur
, s'il vous eft poffible , & laiffez- les
louer au Public & aux Artiftes , qui ont
toutes les lumieres néceffaires pour en fentir
les beautés , s'il y en a.
Vous vous plaignez que je regarde votre
Art comme peu important , vous en
faites l'aveu vous même , lorfque vous le
bornez à l'Anatomie , à la repréfentation
des plantes & de ce qui concerne l'Hiftoire
Naturelle. Ce n'eft pas le moyen de
le mettre en parallele avec les autres Arts
qui fe propofent de repréfenter l'homme
même. Le Blon , qu'il vous plaît de traiter
avec mépris ( quoique vos productions
ne paroiffent pas encore vous avoir acquis
ce droit ) en avoit conçu une plus haute
idée : il prétendoit le porter au point où
peut atteindre la Peinture : c'étoit fans
doute trop préfumer. En vous bornant à
moins vous feriez plus fage ; mais ce feroit
toujours diminuer de l'importance de
cet Art , & ne le mettre , en le fuppofant
à fon plus haut degré , qu'un peu au deffus
d'une enluminure bien peinte . Cette
modeftie ne fe foutient pas long - tems ;
Vos ouvrages & les éloges que vous leur YOS
I iv
200 MERCURE DE FRANCE..
prodiguez , tentent de prouver plus que
vos difcours : vous n'avez pu vous empêcher
de prétendre à repréfenter des tableaux
de figures avec les nuances fines
des carnations. Il a été un rems où les
effais de Le Blon donnoient des efpérances
de la poffibilité d'un fuccès difficile dans
ce genre on eut lieu de croire que fi
quelque Peintre habile s'y appliquoit ,
cette invention feroit fufceptible d'une
réuffite agréable. Nous verrons ci-après
fi les changemens que vous avez faits
à fa maniere d'y procéder , y ont apporté
cette perfection dont vous faites
tant de bruit. Vous apportez comme une
preuve de l'importance dont ou a cru votre
Art , les graces dont le Roi vous a
honoré ; je la laiffe fans réponſe , elle
n'eft point fujette à mon examen . Seconde
preuve , l'empreſſement du Public à acheter
Vos ouvrages. Je vous en fais mon
compliment , & je fouhaite de tout mon
coeur qu'elle foit bien fondée fur la vérité.
Ce qui pourroit la rendre douteufe ,
c'est l'activité que vous avez à réveiller
le Public , apparemment endormi , par des
annonces récidivées : de plus elle ne prouve
pas autant que vous voulez bien le
croire , & nous voyons tous les jours des
fortunes faites fur des talens de nulte valeur.
MA RS. 1756.
201
Quant au rapport favorable fait par
l'Académie des Sciences en enrégiſtrant
les Lettres Patentes , fans aller chercher
ce rapport qui ne diroit peut-être pas tout
ce que vous croyez qu'il contient ( car
Vous vous flattez aifément ) il eft bon:
que vous confidériez que les Académies
Le renferment toujours dans ce qui eft de
leur reffort , & qu'ainfi il n'eft pas vraifemblable
que l'Académie des Sciences
vous ait donné un certificat de bon cokoris.
C'eft cependant ce qui feroit la perfection
effentielle de votre talent. Il ne
differe de la gravure en maniere noire ,
qu'en ce que vous y employez les couleurs
; or il s'agit de fçavoir fi vous les
employez avec art , & c'est ce qu'aſſurément
l'Académie des Sciences ne voudra
jamais décider. 123 .
·
Si , dites-vous , les Peintres & les Gra
veurs n'ont encore rien dit de favorable pour
un Art fi propre à représenter les tableaux
dans toutes leurs beautés , il peut y avoir des
raifons particulieres qui les obligent au
filence. Que voulez vous faire entendre
par ces paroles ? Vous flatteriez -vous de
leur caufer de l'envie , & les croyez - volis
affez lâches pour refufer leurs éloges à de
véritables talens , par un fentiment fi bas ?
Vous aveugleriez -vous jufqu'à ne pas voir
I v
202 MERCURE DE FRANCE
l'efpace immenfe qu'il vous faudroit parcourir
, avant que d'approcher d'affez près
ceux d'entr'eux qui fe diftinguent , pour
qu'ils en fuffent incommodés ? Si les Peintres
habiles qui font la gloire de notre
fiecle ne difent rien de favorable pour
vous , méfiez- vous de vos talens & non
pas de leurs lumieres , & moins encore
de leur probité.
Venons maintenant à l'honneur de l'invention
dont vous êtes fi jaloux : elle confifte
uniquement , je vous le répete , à
avoir conçu qu'en gravant des planches de
la même façon que la gravure en maniere.
noire , & les imprimant de diverfes couleurs,
on pouvoit obferver telle proportion
entre ces couleurs, qu'il en réfulteroit toutes
les teintes dont on auroit befoin pour
imiter la peinture. C'est ce que le Bion avoit
trouvé avant vous , & dont il a donné des
preuves par divers ouvrages , entr'autres
dans un portrait du Roi, & dans celui de M.
le Cardinal de Fleuri. Ce qu'on y a ajouté
depuis , & ce qu'on y pourra ajouter par
la fuite , ne peut , au cas qu'il réuffiffe ,
s'appeller qu'amélioration , à moins que
de changer l'expreffion connue des termes
de la Langue. Croyez -moi , Monfieur
, renoncez à ce faftueux titre d'Inventeur
, qu'on peut même conteſter à
MAR S. 1756. 203
Le Blon , & qui , pour dire le vrai , eft de
bien peu d'importance dans cette occafion
, puifque c'eft une invention fi fimple
, qu'il fuffic d'en avoir entendu parler
, pour pouvoir en très - peu de tems
exercer cet Art avec plus de fuccès que
fes Inventeurs , en y joignant quelques
talens plus étendus que les leurs . Vous
aviez , dites -vous , travaillé à Marſeille ,
& fait une coquille à Paris avant que de
travailler chez Le Blon . Ce feroit une recherche
trop difficultueufe , que d'en
vouloir recueillir d'autres preuves que vo
tre affertion : il feroit plus difficile encore
de découvrir fi c'étoit avant que de fçavoir
s'il y avoit un Le Blon dans le monde ,
ou du moins que quelqu'un eût trouvé le
moyen de produire des eftampes imprimées
en couleur par le fecours de la gravure
en maniere noire ; cependant ce
grand fecret eft tel , que cela feul dit ,
tout le monde le fçait. Il refte feulement
à examiner quel degré de talent on apporte
dans l'exécution. Inutilement prétendrez-
vous vous faire paffer pour l'Inventeur
, vous ne le perfuaderez à perfonne.
Ne vous feroit - il pas plus glorieux
d'afpirer fimplement à l'honneur de
perfectionner un Art refté informe dans
fon enfance certes il y auroit de quoi
Ivi
204 MERCURE DE FRANCE.
fatisfaire l'ambition d'un Artiſte du premier
ordre .
La magnifique comparaifon que vous
faites de votre talent avec la découverte
du grand oeuvre , outre qu'elle ne prouve
rien , manque de jufteffe de façon ou
d'autre fi ce fecret ( vraisemblablement
impoffible ) étoit découvert , le plus ignorant
une fois inftruit des matieres qu'il y
faut employer & du procédé , le feroit
auffi parfaitement que le plus fçavant :
en ce cas ce n'eft plus un Art. Si votre
talent eft un Art , il ne fuffit pas , & ce
n'est même rien , que de fçavoir le procédé
; il y faut joindre des études & un
degré de fçavoir , qui puiffe véritablement
mériter l'eftime publique . Le fecret
de peindre à huile , bien plus important
que le vôtre , n'auroit pas acquis une
grande eftime à fon Inventeur , fi en
même-tems il n'eût pas été un des bons
Peintres de fon fiecle : en donnant à fes tableaux
le même degré de mérite que fes
Contemporains , il y ajouta un degré de
force & de folidité qui excita la curiofité.
Le Blon , dites- vous , retouchoit fes morceaux
au pinceau . Je pourrois vous répondre
que cela prouve feulement qu'il
avoit fenti le foible de ce nouvel Art , &
qu'il y fupplécit par le fecours d'un autre.
MARS. 1756 . 205
>
Mais la vérité eft que Le Blon n'étoit pas
affez habile Peintre , pour trouver dans
le peu de couleurs qu'il employoit toutes.
les reffources qu'un grand Artifte en ſçauroit
tirer. Cette forte d'Art ne pourra
arriver à quelque degré de perfection
qu'autant que quelque Peintre , & même
habile , voudra s'y attacher . Vous croyez
avoir approché de cette perfection , parce
que vous avez ajouté une planche imprimée
de noir , c'eft précisément ce noir
qui gâte tout , qui répand fur ces ouvrages
une couleur fale qui ne peut que déplaire
infiniment , & qui n'en fait , à parler
jufte , qu'une enluminure d'autant
moins fupportable , qu'elle a les prétenrions
de la Peinture. Les Peintres bons
coloriftes , évitent de fe fervir de noir
dans les carnations de la chair , & produifent
les tons les plus bruns par le mêlange
d'autres couleurs , il n'en entre au
plus que dans les plus fortes touches , encore
eft - il mêlé avec d'autres couleurs
qui le dominent. Je ne vous fais point
un crime de ne pas fçavoir ceci , n'ayant
pas été Peintre mais je demande quel
agrément peut avoir une forte de Peinture
où l'on voit percer un noir fale &
bleuâtre à travers les demi teintes qui
devroient avoir le plus de fraîcheur. Le
·
206 MERCURE DE FRANCE.
a
Blon fçavoit affez la peinture pour ne pas
tomber dans ce défaut : c'est pourquoi ilne
vouloit point forcer fa planche de noir : il
s'enfuivoit que comme la gravure en maniere
noire à peu de profondeur , elle ne
donnoit pas à fes couleurs affez d'épaiffeur
pour produire le degré de force dont
il avoit befoin . Il tenta de donner des
coups de burin pour y remédier ; mais on
les voyoit trop fenfiblement. Il crut
mieux faire d'y fuppléer par quelques
coups de pinceau . Vous avez à la vérité
tranché la difficulté par la force que
donne votre planche noire . Mais le remede
eft pire que le mal.
Ceux qui ont travaillé avec Le Blon , ou
après lui , ont bien fenti qu'ils avoient
befoin d'une planche qui , fans employer
le noir , pût ombrer avec force : ce ne feroit
pas une découverte bien difficile à
faire , ni qui dût arrêter perfonne . Il fuffic
d'avoir la moindre connoiffance de l'Art
de la Peinture ; vous - même vous l'auriez
peut - être faite fans votre prédilection
pour la couleur noire , fruit d'une
connoiffance de la théorie des couleurs
qui vous eft apparemment toute particu
liere , & qui malheureufement ne féduit
pas dans la pratique. Ce qui paroît inconcevable
, c'eft que ce foit fur cette façon
d'opérer défectueule , que vous vous
•
•
MARS. 1756. 207
donniez le titre d'Inventeur . Si vous aviez
en effet trouvé la couleur qui convient ,
ce que je vous nie , ce ne feroit toujours
qu'avoir perfectionné , ou bien il faut
qu'un Art fe puiffe inventer plufieurs fois.
En ce cas nous attendrons pour l'admirer ,
que quelqu'un fe donne la peine de l'inventer
de nouveau .
Pour prouver que vous fçaviez ce talent
avant que de travailler pour Le Blon,
vous alléguez que dès que vous avez travaillé
pour lui vous avez gagné de l'argent
mais tous ceux qui ont travaillé
pour lui ont été payés , & ne l'auroient
pas fait fans cela , d'autant plus que
quelques- uns avoient d'autres talens dont
ils interrompirent l'exercice pour lui prê
ter leurs fecours. A peine Le Blon fut- il
arrivé , qu'il trouva tout ce qui lui étoit
néceffaire , puifqu'il n'étoit queftion que
d'un genre de gravure , qui , quoique
peu ulité en France , eft néanmoins trèsaifé
, particulièrement à ceux qui ont érudié
des talens plus difficiles. Sur quoi
j'obferverai que ce n'eft point du tout un
Art nouveau que ce que vous nous vanrez
tant , mais feulement une nouvellefaçon
d'employer un Art connu. Ces Artiftes
qui ont travaillé avec Le Blon , n'ont
cependant point eu la vanité de vouloir
fe donner enfuite pour les Inventeurs ,
208 MERCURE DE FRANCE.
quoiqu'ils y euffent au moins autant de
droit que vous.
Si Le Blon , dites- vous , étoit l'Inventeur
, il auroit laiffé après lui des éleves ,
& vous êtes le feul, qui travaillez en ce
genre. J'ignore s'il y a quelqu'un en Angleterre
qui ait fuivi ce talent ; mais à
l'égard de Paris , perfonne ne fçait mieux
que vous la raifon pourquoi ceux qui
avoient travaillé chez Le Blon l'ont abandonné
, & vous avez mauvaiſe grace à
leur reprocher leur inaction , lorsque le
privilege dont vous avez joui leur a lié
les mains. M. Blakey , Peintre de mérite
, & qui joint à la fcience de fon Art
les connoiffances acceffoires qui pourroient
contribuer à la perfection de ce
gente de travail , étoit alors difpofé à s'y
livrer , & l'on pouvoit en efpérer beaucoup
de fuccès. M. Tardieu ( neveu du
célebre M. Tardien , Graveur de l'Académie
Royale ) étoit auffi fort en état de
continuer. Depuis la mort de Le Blon , il s'y
exerça conjointement avec M. le Sueur ,
habile Peintre , maintenant à la Cour de
Pruffe. Ils firent enfemble pour M. Sue
Chirurgien , Profeffeur de l'Académie
Royale de Peinture pour l'Anatomie , un
morceau d'Anatomie d'un enfant qui
étoit né avec les parties intérieures du
MAR S. 1756. 209
corps différemment placées de l'état naturel
à l'homme je puis citer ce morceau
pour l'avoir vu , comme ce qui a
été fait de mieux en ce genre. Je ne parle
pas des parties du corps qui étant ouvert ,
ne préfente que des objets de couleur entiere
& facile à imiter , mais de la tête
qui étoit peinte d'une couleur fraîche &
pure , & prouvoit fuffifamment que ce talent
pouvoit être porté loin . Ces planches
ont depuis été perdues pour avoir été gâtées
par accident chez un Artifte à qui
elles avoient été confiées ; mais je ne donte
pas que M. Sue n'en ait confervé quelque
épreuve. Si vous croyez en
en effet que
perfonne ne puiffe vous égaler dans ce talent
, laiffez la liberté à tout le monde de
s'y exercer. Au refte je ne vous fais cette
propofition qu'en fuppofant que vous le
puiffiez , fans nuire à votre fortune. Il eft
beau qu'un Artifte facrifie fes intérêts à
la gloire , mais on n'a pas droit de l'exiger.
Je laiffe la fubtile & inintelligible diftinction
que vous faites entre , imprimer
des tableaux , & faire des eftampes coloriées .
Si vous voulez l'appeller ainfi, j'y confens,
à condition que Le Blon aura auffi imprimé –
des tableaux.
Je laille pareillement la nouvelle expli210
MERCURE DE FRANCE.
cation que vous faites de vos découvertes
Phyfiques. Je vous prie feulement de remarquer
que tout autre qui fe croiroit
Auteur à découvertes , & qui les verroit
accueillies avec fi peu d'eftime de la part
des Sçavans qui ont les lumieres néceffaires
pour en juger , feroit affez fage pour
fe défier de leur probabilité.
Je viens à la maniere dont vous répondez
à la question que je vous ai faites ;
fçavoir , quels font les Académiciens qui
ont approuvé vos ouvrages : vous l'éludez
d'abord , en citant des noms de perfonnes
refpectables , & dont la connoiffance
dans les Arts eft reconnue de tout le monde
, que je n'ai point pu comprendre fous
le fimple titre d'Académiciens ; mais ce
qui eft impardonnable vous les citez fans
leur aveu , & je pourrois dire même contre
leur volonté : il eft vrai qu'il ne femble
pas que vous y rifquiez rien , &
qu'il y a lieu de penfer qu'elles croiroient
fe compromettre , fi elles en faifoient un
défaveu public. Cependant tous ceux qui
ont l'honneur de les connoître , font
très-perfuadés que l'approbation que vous
fuppofez de leur part , eft inalliable avec
leur connoiffance , & que vous n'avez pu
l'imaginer' que fur quelques politeffes générales
, dont un peu d'amour-propre vous
MARS. 1756.
231
a fait augmenter la valeur. Sur ce fondement
vous vous êtes un peu trop hâté de
célebrer votre triomphe dans la Gazette.
La preuve que vous en apportez , c'eſt
que vos ouvrages font reftés long - tems
expofés chez M. le Marquis de Marigny
à la vue de tout le monde ; elle eft bien
équivoque : ne feroit- ce point par négli
gence , & parce qu'on en auroit fait
рец
d'état. Prenez -y garde , elle eft au moins
auffi fufceptible de ce fens que de l'autre.
Ma demande avoit
uniquement rapport
aux
Académiciens Artiftes de Profeffion.
Vous ne me citez que M. Slodiz qui en
eft fort peu fatisfait , & que par conféquent
je ne vous paffe pas comme un fuffrage.
Votre fils eft un jeune homme dont la
réputation n'eft point encore faite , ainſt
je crois pouvoir parler franchement de
fes ouvrages fans rifquer de lui nuire ,
puifqu'à fon âge on peut faire des progrès
rapides , & réparer
promptement
les fautes où on eft tombé . J'efpere même
que certe lettre lui fera utile , ne fervîtelle
qu'à l'empêcher de fe livrer aux mou →
vemens d'un amour- propre dangereux. Le
cri général des Académiciens qui fe trouverent
chez M. le Marquis de Marigny
lorfque vous eûres l'honneur de lui pré
fenter les ouvrages de votre fils , fue
212 MERCURE DE FRANCE .
un étonnement de voir chez le Protecteur
des Arts , où les plus habiles ne préfentent
d'excellens ouvrages qu'avec la crainte
que trop de lumieres n'y dévoilent des
fautes ; ils furent , dis- je , furpris d'y voir
paroître des chofes fi foibles , qu'ils ne
feignirent point de qualifier de très-défagréables
, furtout par le coloris. Je ne
fuis point furpris que vous n'en jugiez
pas vous-même ainfi ; la tendreffe paternelle
, fentiment trop refpectable pour
pouvoir être blâmé , ne vous le permet
pas mais vous ne devez pas prétendre
que les autres foient aveuglés de même.
Au refte , je ne dis pas que ce foit abfolament
la faute de votre fils , la plus
grande partie en doit être rejettée fur le
peu de progrès qu'a fait jufqu'à préfent
cet Art , & fur l'exceffive prétention
d'avoir voulu l'élever jufqu'à repréfenter
des tableaux de figures. Je chercherois à
encourager votre fils s'il avoit pris un
bon chemin ; mais comme il paroît que
la route qu'il fuit ne peut que l'égarer , je
crois qu'il vaut mieux l'arrêter , & lui
confeiller , s'il veut fuivre ce talent , de
chercher à l'inventer à fon tour.
.Ne penfez point , Monfieur , que par
cette lettre , j'aie deffein de vous nuire :
vous exercez feul votre talent ; ceux à qui
MAR S. 1756. 213
il
peut être utile ne peuvent s'adreffer qu'à
vous . Je ne défire autre chofe que de vous
engager à le profeffer avec cette modeftie
honnête , qui feule donne du luftre aux
Artiſtes d'un vrai mérite . Renoncez à ces
vaneries fuperflues , & ne vous appliquez
conjointement avec votre fils , dont la
jeuneffe donne beaucoup d'efpérance , qu'à
chercher les lumieres néceffaires pour perfectionner
ce talent ; de plus , je vous déclare
que foit que vous répondiez ou non ,
c'eft pour la derniere fois que j'entre en
lice avec vous ; la confidération que j'ai
pour l'illuftre Auteur qui a bien voulu
nous prêter la carriere , ne me permet pas de
lui dérober une place qu'il peut facilement
remplir d'une maniere plus intéreſfante
pour le Public . Je fuis , & c.
GRAVURE.
LES batailles dans la Peinture exigent
un génie bouillant , impétueux , le feul
capable de foutenir la chaleur d'une action
, où l'agitation , le défordre , l'horreur
, doivent dominer. Mais ce n'eft pas
affez que l'enthoufiafme préfide à la compofition
, fi par une exécution rapide on
214 MERCURE DE FRANCE.
#
n'empêche ce beau feu de s'éteindre , fi
le Peintre ne joint à l'Art difficile de faire
rapidement beaucoup , de rien ; cet Art
plus difficile encore , d'établir l'harmonie
dans le défordre , même à l'aide du clairobfcur
, l'agent le plus immédiat & de la
plus indifpenfable néceffité , puifqu'il
s'agit dans un fujet auffi étendu , de dégrader
, placer les grouppes avec tant
d'intelligence , qu'ils fuppofent la multisude
fans l'admettre , qu'ils fervent de repouffoirs
au grouppe principal , où la lumiere
& l'ombre arrêtées fortement , ren- 1
dent toujours l'expreffion plus terrible.
Ce peu de mots fuffit pour ébaucher le
portrait d'un Peintre de bataille , il n'eft
pas befoin je penfe de prévenir qu'il s'en
trouve peu ; on le fent ainsi que l'eftime
qu'on doit à ceux qui réuffiffent dans ce
genre. De ce nombre eft Parocel le pere ;
Auteur du tableau que M. de Marcenay
vient de graver. Ce Peintre habile dans
le clair-obfcur , s'eft fervi d'un accident
de lumiere furprenant : il feint que l'action
fe paffe au foleil couchant pour
avoir un ciel plus azuré , & donner parlà
plus de valeur à des tourbillons de
flammes produits par l'embrafement d'une
Ville qui fert de fonds au premier grouppe
très-rigoureuſement ombré.
MAR S. 1756 . 215
?
>
Il n'eft pas poffible qu'il en coute moins
à créer l'efpace & le grand nombre
moyennant une douzaine de figures , tant
Cavalerie qu'Infanterie ; on croit voir
une grande armée dans une vafte campagne
fignaler fes fureurs , & rendre fa victoire
complette , en exterminant le refte
des vaincus. Ce beau feu dont je viens
de parler , répand partout fa chaleur , &
fert d'excufe aux négligences de détail
qu'on peut remarquer dans ce tableau .
1
M. de Marcenay a dédié cette eſtampe ;
la treizieme de fon oeuvre , à M. de la
Live de Jully , diftingué par fon affabilité
& fon amour pour les beaux Arts ,
qu'il fatisfait tous les jours dans cette
précieuſe collection des ouvrages des Peintres
& Sculpteurs François , qui fait autant
d'honneur à fon bon goût que l'éloge
de la patrie. C'est à quoi fait allufion
l'Epigraphe qui eft à la fuite de la Dédicace.
Cura tibi patriæ Archetypos & templa tueri.
On trouve cette eftampe chez l'Auteur
rue des Vieux-Auguftins près l'Egoût , visà-
vis la deuxieme lanterne : & chez M.
Lutton , Commis au Recouvrement du
Mercure , rue Sainte- Anne ,
216 MERCURE DE FRANCE.
Il paroît deux nouvelles Eftampes , la
Curiofité & la Ruine. La premiere eft gravée
d'après M. Pierre , par le Sieur Pelletier;
& fa femme , dont le talent mérite
d'être encouragé , a gravé la feconde
d'après Vouvermans. Le prix de la Curio.
fité eft de $ f. celui de la Ruine eft de
24. Toutes les deux fe trouvent chez le
Sieur Pelletier , rue Saint -Jacques , chez
un Limonadier , vis - à - vis la rue des
Noyers.
Le Sieur Beauvarlet vient de mettre au
jour une nouvelle Eftampe qui a pour titre,
la Cornemufe ; elle eft gravée d'après
Teniers , & fe vend chez l'Auteur , rue S.
Jacques , au Temple du Goût . On y trouve
auffi une autre Eftampe , intitulée la Fureur
bachique , & gravée par le Vaffeur
un de fes éleves , d'après Braor.
Le Sieur Rigaud , Graveur , vient de
joindre à fon Recueil des Vues des Maifons
Royales , une nouvelle vue du Chateau
Royal de Madrid , fitué dans le
Bois de Boulogne. Outre la collection des
vues , on trouve chez lui des Marines &
Paylages propre pour l'Optique. Il demeure
rue Saint-Jacques un peu au deſſus
des Mathurins.
ARTS
MARS. 1756 . 217
ARTS UTILES.
TRAITÉ D'HORLOGERIE ,
Par M. Lepaute .
NOUS Ous avons annoncé ce Livre dans le
Mercure du mois de Novembre dernier ;
l'abondance des matieres que nous avions
pour lors entre les mains , fut la feule
caufe qui nous empêcha de nous étendre
fur cet ouvrage ; mais aujourd'hui que
la voix publique , & furtout les applaudiffemens
des Artiftes qui ne fçauroient
être fufpects , ont prévenu le jugement
que nous aurions dû en porter , nous ne
fçaurions différer de rendre juftice à l'Auteur
, & de faire connoître de plus en plus
un ouvrage qui ne pourra manquer de
devenir fort utile.
La Préface eſt une partie très- intéreſfante
, foit par le ſtyle , foit par le fujet
qu'elle traite. Après avoir montré l'utilité
de l'Horlogerie , on y établit en
abrégé l'Hiftoire de fon origine & de fes
progrès , à commencer depuis Anaximandre
qui fit le premier des cadrans folaires
à Sparte , $ 40 ans avant Jefus- Chriſt ,
K
218 MERCURE DE FRANCE.
jufqu'aux pieces d'Horlogerie les plus fameufes
que l'on connoiffe de notre tems .
On y trouve en abrégé la vie de M. Sulli ,
le Reftaurateur de l'Horlogerie en France.
Ce morceau est écrit d'un ftyle à mériter
d'être lu , & fe trouve rempli d'Anec.totes
les plus curieuſes .
Le corps de l'ouvrage eft divifé en deux
Parties ; la premiere , deftinée à donner
une idée élémentaire de toute l'Horlogerie
, contient des defcriptions claires &
détaillées des Pendules & des Montres ordinaires
, avec les figures des moindres
pieces qui les compofent , toutes les précautions
que les Horlogers doivent obferver
dans la conftruction , ou celles
qu'un Particulier devroit prendre pour
bien choifir les ouvrages dont il a befoin ,
pour en juger fainement , pour en cornoître
les défauts , pour les conduire , les
régler , les faire avancer ou retarder ; tout
y eft expliqué avec un foin & une clarté
fuffifante , pour mettre une perfonne un
peu adroite en état de remédier elle - même
à de petits défauts dans une Montre
ou dans une Pendule , fans le fecours
d'un Horloger , ou de n'être jamais trompé
à cet égard . On trouve auffi dans
cette premiere Partie , l'ufage des tables
d'Equation , c'eft- à dire , de l'inégalité du'
MAR S. 1756. 219
tems vrai ou folaire , avec le détail des
inégalités des mouvemens céleftes qui en
font la fource , expliqué avec toute la
clarté & la netteté poflible. La feconde
Partie comprend d'abord des defcriptions
fuivies de toutes les pieces d'Horlogerie
qui fe font aujourd'hui , telles que les
Pendules & les Montres à fonnerie , à répétition
, à équation , à réveil , & cela
dans les conftructions les plus parfaites &
les plus modernes , car rien n'eft plus fujet
que l'Horlogerie à une révolution continuelle
qui tend chaque jour à de nouveaux
degrés de perfection.
#
L'Auteur a traité la matiere des écha
pemens , une des parties les plus délicates
de l'Horlogerie , avec toutes les connoiffances
de théorie & de pratique , dont il
avoit déja donné des preuves publiques
en plufieurs occafions , la partie hiftorique
y eft fort étendue.
Le nouvel échapement qu'il a imaginé ,
le plus parfait que l'on ait encore employé
, y eft décrit dans le plus grand détail
, de même que le procédé qu'il emploie
pour le conftruire avec la derniere
exactitude.
Les Pendules à une roue , invention
la plus finguliere que nous ait fourni
l'Horlogerie depuis quelques années , n'y
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
font point oubliées. M. Lepaute en a décrit
de trois fortes entiérement différentes
les unes des autres , avec des
figures qui en font voir le mécanisme :
les Curieux trouveront de quoi fe fatisfaire
pleinement à cet égard.
Enfin M. Lepante aufli amateur des
Sciences & de la Théorie , que de la Pratique
& des Arts , a voulu enrichir fon
ouvrage de quelques morceaux de Géométrie
que M. de la Lande lui a fourni.
Le premier eft fur les figures des dents des
roues ; l'autre , fur le calcul des nombres
de dents qu'il faut donner à un rouage ,
lui faire faire les révolutions que
l'on juge à propos ; le dernier , fur le
mouvement du pendule & fur les centres
d'ofcillations. Il feroit à fouhaiter que
l'on pût ainfi accoutumer peu à peu les
Artistes à ne pas s'effrayer du nom d'Algebre
ou de Géométrie ; quel fecours n'en
tireroit-on pas!
pour
Madame le Paute a part auffi à cet ouvrage.
Son application aux Sciences Mathématiques
eft déja connue de plufieurs
Sçavans ; & l'on ne fera point furpris en
voyant dans ce Livre une table des longueurs
de Pendule qui eft fort étendue ,
& qu'elle a calculée par le fecours des
Logarithmes.
MAR S. 1756. 221
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
LE lundi 9 Février, les Comédiens François
ont redonné l'Orphelin de la Chine ,
avec plus d'affluence que lorfqu'ils l'ont
quitté . Ils l'ont joué le Mercredi 1 , avec
Nanine , Comédie du même Auteur , qui
a eu ce jour là la gloire finguliere d'être
également applaudi dans les deux genres.
La chambrée étoit comble , & cette Tragédie
a été continuée jufqu'au 23 , que les
mêmes Comédiens ont donné la premiere
repréſentation de la Coquette Corrigée , Comédie
en vers en cinq actes , de M. de la
Noue.
- Cette piece a été bien reçue , & réunit
tout ce qui peut mériter l'eftime
du Public. Le coloris , les détails & les
vers heureux foutiennent les premiers actes.
Le fentiment & l'intérêt regnent dans
les deux derniers , & furtout dans le cinquiéme.
La converfion de la Coquette eft
préparée avec beaucoup d'art , & forme
1
K iij
222 MERCURE DE FRANCE.
un dénouement qui a été généralement
applaudi avec juftice. Mais un éloge auffi
honorable pour l'Auteur que pour la piece
, c'eft qu'elle brille par les moeurs autant
que par l'efprit. Nous ne devons pas oublier
une circonftance finguliere. M. de
la Noue a joué le principal rôle dans fa
Comédie . Quelle fituation pour un Auteur
! Il a fçu la peindre lui- même aux
yeux du Public avec une éloquence modefte
, dans une courte harangue qui a
précédé la repréfentation de l'ouvrage ; elle
a vivement intéreffé pour lui , & reçu l'approbation
univerfelle. Nous parlerons plus
au long de cette Comédie dans le mois
prochain.
COMEDIE ITALIENNE.
LEs Comédiens Italiens ont donné famedi
14 , la Pipée pour la neuvième fois . Elle
eft toujours bien accueillie . Mlle Catinon
y joue non feulement avec grace , mais
elle y chante avec juftelle. Chaque jour
développe en elle de nouveaux talens.
Nous donnerons le plutôt qu'il nous fera
poffible l'extrait où le précis de cet intermede.
On a exécuté le 19 , un nouveau
Ballet pantomime de M. Dehelle. U a pour
MARS. 1756.
223
titre les Artiſans , & a été juliement applaudi.
On doit remettre famedi 28 , Ninette
à la Cour, avec des changemens confidérables.
Quoique dans fa nouveauté elle ait
réuffi en trois Actes , l'Auteur l'a réduite
à deux. Il y a tout lieu de croire que l'action
étant plus preffée , & les beautés plus
rapprochées , la piece doit plaire encore
davantage,
Monfieur Favart a toujours eu l'attention
de confulter la voix publique. fur fes
ouvrages , & l'art de les perfectionner
d'après elle. Cette voix feule eft le guide
& l'oracle des Auteurs qui ont des oreildes
pour l'entendre , & le talent d'en profi-
-ter . Après cette Comédie parodiée de Bertholde
à la Cour , nous annonçons le Chinois
en un Acte , parodie nouvelle d'un
autre intermede Italien qui porte ce titre.
OPERA
COMIQUE.
L'Opéra Comique fit le
3 Février
l'ouverture de fon Théâtre par Bertholde
à la Ville , le Confident Heureux , le Bal
Bourgeois , &c. Le famedi 7 , il donna Ni
caife pour la premiere fois. Cet acte a
beaucoup réuffi ; il eft de M. Vadé. L'Acteur
qui joue Nicaiſe , paroît être fait
pour
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
le rôle, & mérite les applaudiffemens qu'il
y reçoir . Cette piece eft fuivie d'un Balet
Pantomine , intitulé le Berger Préféré ,
qui termine le fpectacle.
CONCERT SPIRITUEL.
LE
E 2 Février , jour de la Purification ,
le Concert Spirituel commença par une
fymphonie. Enfuite Jubilate Deo , Moter
à grand choeur de M. Mondonville . M. Richer
, Page de la Mufique du Roi , y chanta.
Mdme Veftris de Giardini chanta deux
airs Italiens . Deux Hautbois Etrangers
jouerent un concerto. Mlle Dubois chanta
un petit motet de M. Mouret. M. Balbaftre
joua fur l'Orgue l'ouverture de
Pygmalion , fuivie des Sauvages. Le Concert
finit par Exaltabo te , moter à grand
choeur de Lalande.
MAR S.
1756.
225
ARTICLE V I.
NOUVELLES
ÉTRANGERES.
DU
LEVANT.
DE
CONSTANTINOPLE , le 20 Décembre.
Selon les avis reçus de Perfe , Azad Kan ayant
marché à Cafbin , pour en réduire les Habitans
qui s'étoient révoltés , Karum Kan s'eft avancé
vers Ifpahan. A fon approche , la Garnifon qu'Azad
Kan y avoit laiffée,a abandonné la Ville après
l'avoir pillée. Les mêmes nouvelles ajoutent
qu'Achmet , Souverain des Aghuaus , eft entré
en Perfe avec une armée de cent mille hommes ;
qu'il s'y eft emparé de quelques places , & qu'il
pourfuit vivement les conquêtes.
Après la mort du Grand Vifir Nidfchangi Pacha
, on a trouvé dans fes coffres trois millions
d'écus , quoiqu'il n'ait été guere plus de deux
mois & demi à la tête des affaires de l'Empire.
Il y a eu le 2 de ce mois un áffreux incendie
au Grand Caire. Dix mille maiſons ont été réduites
en cendres , & le feu ayant pris pendant la
nuit , lorfque tous les habitans étoient livrés au
fommeil , plus de trois mille perfonnes ont été la
proie des fammes . On attribue ce malheur à la
fureur d'une des femmes du Beglerbey . Jaloufe de
la préférence donnée à une de fes rivales par ce
Pacha , elle a mis le feu au Sérail , contente de
perdre la vie , pourvu que les deux objets de fon
reffentiment euffent le même fort . Ses projets de
KY
226 MERCURE DE FRANCE.
vengeance n'ont point été remplis. Elle a péri
mais la rivale dont elle vouloit la mort , s'eft fauvée
ainsi que le Pacha. La perte causée par cet
embrafement , monte à douze millions de piaftres
.
Selon les dernieres nouvelles reçues de Perfe ,
Achmet , Souverain des Aghuans , après avoir
laiffé des Garnifons dans les places qu'il a foumifes,
eft retourné précipitamment dans les Etats,
fur l'avis que des mécontens y avoient excité quelques
troubles. Sédar Mahomet Chalan Kan , Ġouverneur
du Mafanderan , a quitté le parti d'Azad
Kan , pour ſe joindre à Karum Kam.
DU NORD.
DE COPPENHAGUE, le 8 Janvier.
On n'apprend point que les derniers tremble.
mens ayent caufé de dommages dans aucune Ville
de Danemarck. Les effets produits par les fecouffes
ont été beaucoup moins fenfibles fur terre ,
que fur les eaux. Celles d'un Lac du Comté de
Laurvig ont éprouvé une agitation extraordinaire.
Les liens d'un train de bois de charpente
fe font rompus , & tout le bois a été difperfé.
Quelques barques ont été jettées fur le rivage ,
mais une feule a été fubmergée par les flots.
DE DRONTHEIM , le 16 Janvier.
La petite vérole ayant fait ici beaucoup de ravage
l'année derniere , M. Wachsmuth , Chirurgien
, a cru rendre fervice à cette Ville , en y introduifant
l'ufage de l'inoculation . Il en a fair
l'effai fur un de les enfans , âgé de deux ans. Cette
premiere expérience ayant réuffi , on en aten¬
MAR S. 17565 227
té plufieurs autres . Elles ont eu toutes un égal
fuccès , & il y a déja eu quarante enfans inoculés
. Un jeune homme de vingt- deux ans , ne fe
fouvenant pas s'il avoit eu la petite vérole , fe
l'eft fait donner par la même méthode . L'inocu
lation n'a produit aucun effet , & le jeune homme
n'en a point été incommodé .
ALLE MÀ G N E.
DE DRESDE , le 2 Février.
On apprend d'Erford , que la nuit du 13 au 14
de Janvier , pendant un violent ouragan , la terre
s'eft entr'ouverte dans le village d'Ofermiffen , &
qu'il s'eft formé un gouffre , dont l'ouvertute a 33
pieds de diametre. Sa partie inférieure eft remplie
d'eau , & l'on n'a pu en trouver le fond avec une
corde de cinquante toifes de longueur.
On écrit de Bilvenfels , de Bavenſtein , d'Inwalde
& d'Altenbourg , qu'on y a effuyé diverſes
fecouffes de tremblement de terre , & que plufieurs
maiſons en ont été fortement ébranlées .
DE HANOVRE , le 28 Janvier.
Depuis l'arrivée du dernier courier que la Régence
a reçu de Londres , le bruit court qu'on fera
une réforme de quelques hommes par Compagnie
dans les troupes de cet Electorat . Comme
il eft extrêmement difficile d'empêcher la contrebande
du tabac , on penfe à fupprimer l'impoſition
établie ſur cette marchandiſe , & l'on y ſubftituera
une capitation modique , que payeront
toutes les perfonnes au deflus de l'âge de feize
ans .
K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
DE COLOGNE , le 26 Janvier.
Ce matin , à trois heures cinquante - cinq minutes
, on a effuyé ici pendant fept ou huit fecondes
une legere fecouffe de tremblement de terre ,
dont la direction paroiffoit être de l'Ouest à l'Eft
ESPAGNE.
DE BELEM , le 10 Janvier.
Il y eut le 21 Décembre une nouvelle fecouffe
de tremblement de terre. L'Hôtel qu'occupe ici
le Comte d'Aranda , Ambaffadeur Extraordinaire
du Roi d'Espagne , fut confidérablement ébranlé.
Pour comble de malheur , le feu prit fubitement
au rez de chauffée & au premier étage avec une
telle violence , que l'Ambaffadeur & plufieurs de
fes Domeftiques coururent rifque d'être la proie
des flamines . Le Comte d'Aranda, en voulant ſauvet
une caffette où étoient fes papiers les plus importans
, a eu la main droite brûlée . Plusieurs des
édifices , qui étoient reſtés ſur pied à Liſbonne ,
ont été totalement détruits. Le Tage a fubmer
gé prefque entiérement le territoire de la Ville
ruinée. Par-là on a perdu en partie l'efpérance
de retirer de deffous les décombres les richeſſes
qui s'y trouvent ensevelies. Il eſt difficile de peindre
la défolation , dans laquelle ce nouveau défaftre
a jetté les efprits . Le découragement augmente
à tel point , qu'il eft impoffible de faivre
aucunes mefures. Les villes de Portugal , ſituées
Près des frontieres de l'Espagne , ayant moins
fouffert que celles qui font fur la côte , regorgent
d'habitans qui font allés y chercher afyle.
Depuis la violente fecouffe du 21 Décembre ,
MARS.
1756.
& ceffe qui l'a fuivie le 25 , on n'a prefque point
229
paffé dejours fans en effuyer quelques- unes. Quoiqu'elles
foient légeres , elles tiennent ici tout le
monde dans
l'épouvante. On paffe l'hyver dans des
barraques ,ou fous des
tentes.Douze
Bataillons ont
forméun camp , & ils détachent
alternativement
des
patrouilles , pour
empêcher les Brigands de
troubler la
tranquillité publique. Il paroît que la
réfolution eft prife de rebâtir cette Capitale dans
fon même
emplacement. Les rues de la nouvelle
Liſbonne feront tirées au cordeau , & l'on donnera
aux places publiques une décoration réguliere . Sa
Majefté a pris de fi juftes mefures , qu'on ne croit
pas qu'elle faffe ufage des fommes qui lui ont été
envoyées ou offertes par diverfes Puiffances .
Selon les avis du
Royaume des Algarves , le
dé faftre n'y eft pas moins grand que das le Portugal.
Plufeurs Villes font en partie ruinées.
Quelques Bourgs font totalement détruits. La
mer fortie de fon lit , a inondé la largeur d'une
lieue de pays le long des côtes. La pointe du Cap
de la Baque s'eft
confidérablemeut
affaiffée.
La flotte deftinée pour
Fernambouc mit à la
voile le 4 Janvier. On lui a donné pour eſcorte
un vaiffeau Garde- Côte , parce que tous les magafins
de la Marine étant réduits en cendres , on
n'a pu équiper le vaiffeau de guerre qui devoit
la
convoyer.
D'AN CÔNE , le 23 Janvier.
Sur la fin du mois dernier , on eut ici deux fe
couffes de
tremblement de terre , qui furent peu
fenfibles. Le premier de ce mois , on en fentit une
plus confidérable. Elle n'a cependant caufé que
très peu de dommage. Il y eat les une légere fecouffe
à Rimini .
230 MERCURE DE FRANCE.
GRANDE- BRETAGNE.
DE LONDRES , le 9 Février.
On fait monter à plufieurs millions fterlings
les pertes que les fujets du Roi ont effuyées par
le défaftre de Lisbonne. Toutes les lettres d'Amérique
ne parlent que des ravages caufés par les
Sauvages dans quelques unes des Colonies Angloifes.
Si l'on en croit les bruits publics , il a été ftipulé
par le Traité qui vient d'être conclu entre
cette Cour & celle de Berlin , que la Grande-
Bretagne payeroit au Roi de Pruffe vingt mille
livres fterlings pour indemnité des prifes illégitimes
faites fur les Prufliens par les Anglois pendant
la derniere guerre , & qu'en conféquence
Sa Majesté Pruffienne acquitteroit le refte des
dettes hypothéquées fur la Silésie.
On parle de former un camp dans la plaine de
Finchley. Le bruit court que le Corps de troupes
Heffoifes à la folde de la Grande- Bretagne , doit
être transporté inceffamment en Angleterre. Le
Gouvernement paroît être dans le deffein de
lever encore fix nouveaux Régimens. Les Amiraur
Ofborne , Moftyn & Townshend , firent voile
de Spithéad le 31 du mois dernier avec quinze
vaiffeaux de ligne & quatre frégates . Ils feront
joints à Plymouth par une Efcadre de fix vaiffeaux
& de huit frégates, que commande l'Amiral Weft.
Ces Amiraux prendront fous leur convoi une flotte
de deux cens navires marchands , qu'ils eſcorteront
jufqu'à une certaine hauteur . L'Amiral Holbourne
n'attend que fes derniers ordres pour
partir de Portſmouth avec fon Efcadre. Il a arboré
fon pavillon à bord du vaiffeau le Prince Geor
ges , de quatre -vingt - dix canons. Sur la nouvelle
MARS. 1756. 231
que
le Roi Très- Chrétien a fait arrêter tous les
bâtimens Anglois qui fe font trouvés dans fes
ports , la Cour a envoyé ordre dans les différens
perts de la Grande- Bretagne aux navires chargés
pour la France , de fufpendre leur départ.
Il paroît qu'on ne fera paffer d'abord en Angleterre
qu'une partie des troupes Heffoifes qui
ont été prifes à la folde de la Grande - Bretagne.
Le Gouvernement eft dans la réfolution d'augmenter
l'Infanterie en Irlande , jufqu'à douze
mille hommes . On y a envoyé ordre au Régiment
du Lord Jean Murray , à celui du Général
Orway , & à un Bataillon de Royal Ecoffois de fe
tenir prêts à s'embarquer pour la nouvelle Angleterre
. Les lettres qu'on reçoit de cette colonie ,
marquent que trois Officiers font partis de Philadelphie
pour faire conftruire dix Forts depuis la
riviere de Delawar jufqu'à Wills- Creek , ce qui
comprend une étendue de deux cens cinquante
milles. Ces avis ajoutent que les Gouverneurs
des différens établiffemens de l'Amérique Septentrionale
fe font raffemblés à la nouvelle Yorck ,
afin de concerter enfemble les opérations de la
campagne prochaine. Si l'on en croit les mêmes
avis , les fix Nations Iroquoifes fe font rangées
du côté des François. Hier l'Amiral Boscawen
partit pour Postmouth , où il va prendre le commandement
d'une Eſcadre. Celle qui eft fous les
ordres des Amiraux Oſborne , Mostyn & Townshend
, arriva le 3 à Plymouth , & y fut jointe lemême
jour par celle de l'Amiral Weft. Elles mirent
enfuite à la voile avec un vent favorable
pour leurs deftinations . Sa Majefté a nommé le
Comte d'Albemarle , Major Général .
Deux Juifs , dont l'un ſe nomme Wolf Iſaac
Liebman , & l'autre Jacob de Nadan Lévi Son232
MERCURE DE FRANCE.
fino , ont fait ici deux banqueroutes très - conf
dérables. La difette d'argent commence à être
telle ,que fideux navires chargés de piaftres qu'on
attend de Cadix n'arrivent pas bientôt , la confternatiod
fera générale.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
PAr Lettres- Patentes octroyées aux Chanoineffes
d'Alix , le Roi ( « voulant donner un témoi
gnage de la diftinction qu'il a fait du Chapitre
» noble d'Alix , & traiter favorablement un an-
» cien établiſſement avantageux à la Nobleffe ,
» & qui s'est toujours foutenu avec dignité. » )
a accordé aux Chanoineffes de ce Chapitre de
porter une médaille d'or émaillé , furmontée d'une
Couronne comtale , & attachée à un ruban ponceau
qu'elles porteront en écharpe. La médaille
eft une espece de croix pattée , fur laquelle d'un
côté font ces mots pour devife , Nobilis infignia
voti ; & de l'autre cette devife autour d'un Saint
Denis , Patron de ce Chapitre, Aufpice Galliarum
Patrono.
La Reine a choifi pour fon Confeſſeur le Pere
Biégenski , de la Compagnie de Jefus , & Polonois
de nation .
Le Roi a donné fon agrément au mariage de
M. le Comte d'Egmont , Brigadier de Cavalerie , &
Meftre de Camp d'un Régiment de fon nom ,
avec Mademoiſelle de Richelieu , fille de M.le
Maréchal Duc de Richelieu , Pair de France,
MARS. 1756. 233
Gouverneur de Guyenne , & premier Gentilhomme
de la Chambre de Sa Majefté.
•
Les ravages caufés dans Avignon par le débordement
du Rhône , avoient empêché cette Ville ,
pour lors trop occupée de fes malheurs , de témoigner
auffi -tôt qu'elle fut informée de la naiffance
de Monfeigneur le Comte de Provence , la
part qu'elle prenoit à cet heureux événement.
Dès qu'elle a été délivrée de fes allarmes , un de
fes premiers foins a été de faire éclater la joie
que lui infpiroit la nouvelle faveur accordée
par le Ciel aux François. Le 11 de ce mois , on
chanta dans l'Eglife métropolitaine un Te Deum
en Mufique , qui fut annoncé par une falve générale
de l'artillerie , & entonné par l'Abbé de
Monpefat , Grand Archidiacre. M. Paffionei
Vice-Légat , y affifta , accompagné des Viguier,
Confuls & Affeffeur , du Corps de Ville , & des
Magiftrats des différens Tribunaux. Il fut aifé de
s'appercevoir de la fatisfaction que les principales
perfonnes detous les Ordres reffentoient d'être interpretes
des fentimens des habitans , qui dans cette
occafion parurent oublier toutes leurs calamités
paffées. Le foir on tira un feu d'artifice . Il y eut de
magnifiques illuminations à l'Hôtel de Ville , à
ceux des Viguier , Confuls & Affeffeur , & à
ceux du Duc de Gadagne, du Marquis de Peruffis ,
du Vicomte de Cambis - d'Orfan , & du Marquis
de Forbin. L'hôtel de Monpefat ne fut pas ifluminé
avec moins de goût & de dépenfe , & PAbbé
de Monpelat fit tirer plufieurs boîtes de fufées
volantes. Le Marquis de Monpelat fon frere
a fignalé pareillement fon zele par les fêtes qui
ont été données conféquemment à fes ordres
dans fes terres du Languedoc & du Dauphiné.
Le 2 Février , Fête de la Purification de la Sain
234 MERCURE DE FRANCE.
Vierge , les Chevaliers , Commandeurs & Offciers
de l'Ordre du Saint - Esprit , s'étant affemblés
vers les onze heures du matin dans le cabinet
du Roi , Sa Majesté tint un Chapitre . L'information
des vie & moeurs , & la Profeffion de
foi de M. le Prince Camille , du Duc d'Harcourt ,
du Duc de Fitz-James & du Duc d'Aiguillon , qui
avoient été propofés le premier Janvier pour étre
Chevaliers , ayant été admiſes , ils furent introduits
dans le cabinet , & reçus Chevaliers de l'Ordre
de Saint Michel. Le Roi fortit enfuite de fon
appartement pour aller à la Chapelle . Sa Majefté,
devant laquelle les deux Huiffiers de la Chambre
portoient leurs Maffes , étoit en manteau ,
le Collier de l'Ordre par deffus , ainfi que celui
de l'Ordre de la Toifon d'or. Elle étoit précédée
de Monfeigneur le Dauphin , du Duc d'Orléans ,
du Prince de Condé , du Comte de Charolois, da
Comte de Clermont , du Prince de Conty , du
Comte de la Marche , du Comte d'Eu , du Duc de
Penthiévre , & des Chevaliers , Commandeurs &
Officiers de l'Ordre. Les nouveaux Chevaliers en
habits de Novices , marchoient entre les Chevaliers
& les Officiers. Le Roi aſſiſta à la bénédiction
des Cierges , & à la Proceffion qui fe fit autour
de la Chapelle . Après la grand'Meffe célébrée
par l'Evêque Duc de Langres , Prélat-Commandeur
, Sa Majefté monta fur fon Thrône , &
revêtit des marques de l'Ordre les quatre nou
veaux Chevaliers. Le Prince Camille eut pour
parrein le Comte de Brionne. Le Maréchal Duc
de Belle-Ifle fut parrein du Duc d'Harcourt. Les
parreins du Duc de Fitz - James & du Duc d'Aiguillon
furent le Duc de Fleury & le Duc d'Ayen.
Cette cérémonie étant finie , le Roi fut reconduit
àfon appartement en la maniere accoutumée.
MAR S. 1756. 235
M. le Marquis de Monteil , Colonel au Corps
de Grenadiers de France , a été nommé par le Roi
Miniftre Plénipotentiaire de Sa Majesté auprès de
l'Electeur de Cologne.
Le Roi a accordé à M. le Vicomte de Suzy ,
Lieutenant - Général des armées de Sa Majefté ,
Grand Croix Honoraire de l'Ordre Royal & Militaire
de Saint Louis , & Major des Gardes du
Corps , le Gouvernement des Ville & Citadelle
Saint-Jean-Pied-de -Port , vacant par le décès
du Comte de Bukeley , Lieutenant - Général , &
Chevalier des Ordres de Sa Majesté .
de
2.
le
Les Directeurs des Hôpitaux de Troye ayant
fupplié le Duc de Penthiévre , lorsqu'il paffa par
cette Ville au mois d'Avril de l'année derniere, de
pofer la premiere pierre du nouveau bâtiment
qu'ils font conftruire pour l'Hôtel- Dieu . Ce Prince
avoit chargé M. de Paget , Bailli de la Ville ,
de le repréfenter en cette occafion. Le 26 Jan
vier , jour fixé pour la cérémonie , les Directeurs
s'affemblerent vers les deux heures après
midi en leur Bureau , où peu de momens après
Corps de Ville , fuivant l'invitation qui lui avoit
été faite , arriva , précédé & fuivi de quatre Compagnies
de la Milice Bourgeoife. Auffi-tôt qu'il
fut entré , les Directeurs efcortés de deux de ces
Compagnies allerent prendre M. de Puget au Palais,&
le conduifirent à l'Hôtel - Dieu . M. de Puget,
au bruit des tambours , des trompettes , & de
plufieurs falves de moufqueterie , pofa fur la pre
miere pierre du nouveau bâtiment un marbre ,
fur lequel les armes de M. le Duc de Penthiévre
font gravées avec une infcription. Après la cérémonie
, M. de Puget fut reconduit au Palais
dans le même ordre. En y entrant , il fut falué
d'une nouvelle décharge de Moufqueterie. Une
236 MERCURE DE FRANCE.
grande affluence de peuple fe trouva à cette cétémonic
, & on lifoit fur les vifages de tous les ha
bitans leur reconnoiffance pour les libéralités dont
M. le Duc de Penthiévre a daigné favorifer les
Pauvres de la Ville.
Le Roi tint le 2 de ce mois , dans fon Cabinet,
un Chapitre de l'Ordre du Saint -Elprit . L'information
des titres , vie & moeurs , & la Profeffion
de Foi de M. le Comte de Stainville , Ambaſſadeur
Extraordinaire du Roi auprès du Saint Siege ; du
Comte de Bafchi , Ambaffadeur du Roi en Portugal
, & du Prince Louis de Wirtemberg , y farent
admifes ; & Sa Majeſté a envoyé à ces nouveaux
Chevaliers les marques de fes Ordres , avec la permiffion
de les porter.
Madame la Marquife de Pompadour a été nommée
Dame du Palais de la Reine. En cette qualité
, elle fut préfentée le 8 à Sa Majesté par Madame
la Ducheffe de Luynes.
M. le Marquis de Verneuil ayant demandé la
permiffion de fe démettre de fa Charge Platroducteur
des Ambaſſadeurs , le Roi en a accordé
l'agrément à M. de la Live de Jully.
Il eft enjoint aux Officiers tant de l'Infanterie
Françoife & Etrangere , que des Régimens de
Dragons , de Troupes Légeres & de Volontaires ,
de même qu'aux Officiers des Bataillons du Corps
Royal d'Artillerie & du Génie , & des Compagnies
de Mineurs & d'Ouvriers , qui font abfens de leurs
Corps , par congé ou par femeftre , de s'y rendre
le premier du mois d'Avril prochain. A l'égard
des Officiers des Régimens de Cavalerie , tant
Françoife qu'Etrangere , ils ne font tenus de rejoindre
leurs Corps , qu'à l'expiration de leur femeftre
ou de leurs congés.
Sa Majefté a jugé àpropos de proroger jufqu'au
F
MARS.
1756.
237
mois d'Avril prochain , le complet des Compagnies
nouvelles de fon Infanterie Françoiſe , dont
elle a prefcrit la levée par fon Ordonnance du
premier Août de l'année derniere.'
AVIS
M. Gallonde ,
Horloger du Roi , avoir
mis en loterie une Pendule
finguliere &
unique en fon genre. On en fit le tirage
le 27 de Janvier dernier , comme le Mercure
du même mois l'avoit annoncé , &
le numéro gagnant eft cinq cens vingtneuf.
みん
A
ERRAT A.
Pour le
Mercure de Février.
Page 19 , ligne 2 , méprifer fes délices , lifez ,
méprifer les délices..
Page 46 , lig. 30 , j'ai ſacrifié mon bonheur à celui
de votre aimable fils , lifez , de votre aimable
fille.
Page 52 , lignes & 6.
Et ne produis fous une écorce amer
Qu'un fruit encore plus amere
lifez,
Et ne produis fous une écorce amere,
Qu'un fruit encore plus amer ,
Page 75 , lig. 6 , M. Baſtidea écrit , lif. M. de
Baftide a écrit.
238
Page 100 , lig, 19 , encore faut-il qu'elle m'e Lchaîne
, lif. encor faut- il , & c.
Page 122 , lig. 21 & 22 , les ouvrages à Anglo o
lif. les ouvrages Anglois.
Même page , lig. 23 , nôtre goût , lif. à notrey
goût.
Page 210 , lig. 19 , qu'il a remis , lif. qu'elle a
remis.
Page 222 , lig. 24 , Morillon , Curé , lif. Moteilhon
, &c.
APPROBATION.
J'lier , le Mercure du mois de Mars , & je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 28 Février 1756.
' Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chance
GUIROY
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
La Papillon & le Lierre , fable , E
Soliman II, anecdote Turque ,
page s
Ode préfentée au Roi de Pologne , Duc de Lorraine
& de Bar , 33
Suite de l'Examen de la Surdité & de la Cécité ,
par un Sourd ,
Vers à M. de Boifly ,
38
54
55
Vers à Madame de Stainville , pour le premier
jour de l'an ·
239
Lettre d'un Bourgeois de Bordeaux , à l'Auteur du
Mercure , 57
Ode fur la Naiflance de
Monfeigneur le Comte de
Provence , 64
Vers fur une petite figure d'émail
repréſentant
l'Amour ,
67
Lettre à l'Auteur du Mercure , au fujet de MM .
Aubert ,
Vers à M. le Baron de
Marchais ,
Ves à
Madame de
Forgeville ,
68
72
73
Ver fur
l'indifpofition de M. de Fontenelle , 74
Secode Lettre de M. Voifin , à M. le Prince
de ***
>
Vers 1 ur l'Eloge de M. de
Montefquieu ,
Vers at Roi de Pruffe ,
75
83
84
Vers à Mademoiſelle Brohon , fur fa Nouvelle intitulé
, les Graces de l'Ingénuité ,
Rondeau
ibid.
85
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
Mer cure de Février ,
Enigmes & Logogryphes ,
Chankion ,
86
ibid.
90
ART. II.
NOUVELLES
LITTERAIRES.
Extrait des Ouvrages lus à l'Affemblée publique
de la Société Littéraire de Clermont en Auvergne
,
Extrait , Précis ou Indication de Livres nouveaux
,
+91
101
Lettre à l'Auteur du Mercure au fujet de la grande
édition des Fables de la Fontaine ,
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
119
137
Médailles. Devifes pour les Jettons du premier
Janvier 1756 ,
Hiftoire. Défi Littéraire fignifié par M. d'Hozier240
de Sérigny , Juge d'Armes de France en furvivance
, au corps entier de la Littérature , &
finguliérement
à ceux de ce corps qui s'attachent
au genre Diplomatique ,
140
Hiftoire naturelle. Mémoire fur les os foffiles , par
M. l'Abbé de Brancas ,
168
Séance publique de l'Académie des Belles - Lettre
de la Rochelle ,
ART. IV. BEAUX - ARTS.
17
Mufique.
Peinture. Lettre à M. Gautier ,
Gravure.
Horlogerie.
ART. V. SPECTACLES.
bance
e n'y ai
Comédie Françoiſe.
effion .
Comédie Italienne .
Opéra Comique.
Y:
Concert Spirituel,
ARTICLE
VI.
Nouvelles étrangeres ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
vis.
La Chanson notée doit regarder la Page 90.
22
234
237
De l'Imprimerie de Ch. A. JoMBERT.
L
Ve
Ve
Ver:
Seco
de
Vers i
Vers al
Vers à
titulé
Rondeau
Explica
Mer
Enign
Chant
DE FRANCE,
DÉDIÉ AU ROI.
JANVIER 1756 .
PREMIER VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine.
Cochin
Shasin
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
Chez PISSOT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
THE NEW YORK
UBLIC LIBRARY
$35290
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1005
C
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTION , Avocat , & Greffier-Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
deport , les paquets & leures , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront comme à Paris ,
qu'à raifon de 30 fols par volume , c'eſt- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreffe ci- deffus.
OnSupplie les perfonnes des provinces d'en-
A ij
voyer par la poſte , enpayant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres ,
afin que le payement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lution ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine , aprèsmidi.
On peut fe procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainsi que les Livres
, Estampes & Mufique qu'ils annoncent.
x
AVIS.
On trouvera le Mercure aux Adreſſes ciaprès.
A Bbeville , chez Levoyez.
Amiens , chez François , & Godard.
Angers , chez Jahier.
Arras , chez Nicolas , & Laureau.
Auxerre , chez Fournier.
Bâle en Suiffe , à la Pofte.
Beauvais , chez Defaint.
Belançon , chez Briffault , & à la Pofte.
Blois , chez Maffon.
Bordeaux , chez Chappuis l'aîné , à la nouvelle
Bourſe , Place royale ; & chez Jacques Labottiere
, Place du Palais ; L. G. Labottiere , rue
S. Pierre , vis-à- vis le puits de la Samaritaine ,
J. P. Labottiere , rue S. James , & à la Poſte.
Breft , chez Malaffis.
Brie , chez Lefevre .
Bruxelles , chez Pierre Vaſſe.
Caen , chez Manouri .
Dijon , à la Pofte , chez Mailly & Defaint.
Callais , chez Gilles Nee , fur la grande Place.
Châlons en Champagne , chez Briquet.
Charleville , chez Thezin .
Chartres , chez Gobelin , & Feftil.
Falaife , chez Piftel Préfontaine.
Fribourg en Suiffe , chez Charles de Boffe.
La Rochelle , chez Salvin , & Defbordes.
Liege , chez Bourguignon.
Lille , chez la veuve Pankouke , & la veuve Cramé.
A iij
Limoges , chez Barbou ,
Imprimeur du Roi.
Lyon , à la Pofte , chez J. Deville ; & chez Laro
che , ayant la direction du Bureau d'Avis .
Manheim , chez Charles Fontaine.
Marfeille , chez Sibié , Moffy , & Boyer fur le
Port.
Montargis , chez Bobin.
'Moulins , chez Faure , & la veuve Vernois.
Nancy , chez Nicolas .
Nantes , chez Jofeph Vatar.
Nîmes , chez Gaude.
Noyon , chez Brocher fils.
Orléans , chez le Pelletier , Aubry , & Rofeau de
Monteau.
Poitiers , chez Faulcon l'aîné , & Félix Faulcon.
Provins , chez la veuve Michelin .
Rennes , chez Vatar pere , Vatar fils , Julien Va
tar , & Garnier &
Compagnie.
Rheims , chez Godard .
Rouen , chez Hérault , & Fouques.
Saint Malo , chez Hovius .
Saint Omer , chez Jean Huguet.
Senlis , chez Des Roques.
Soiffons , chez Courtois.
Strafbourg , chez Dulfecker , Phole & Konig.
Toulouſe , chez Robert , & à la Poſte.
Tours ; chez Lambert , & Billaut.
Troyes , chez Bouillerot.
Verſailles , chez Fournier .
Vitry-le-François , chez Seneuze.
Le
१.
MERCURE
DE FRANCE.
JANVIER. 1756.
PREMIER VOLUME.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS FAITS A LA CAMPAGNE.
A Mademoiselle le *** , qu'on appelloit la
Bergere ; en la voyant paffer , très parée ,
pour aller diner à la ville , chez Madame
*** qui donnoit très-fouvent des diners
дне l'on difoit très-ennuyeux .*
de
Par M. de Baflide.
Pourquo
Ourquoi tant de parure ?
Iris , On plaît tout naturellement ;
1. Vol.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
L'art devient impoſture
S'il cache l'agrément.
Souvenez-vous qu'une Bergere
N'a point d'autre art que l'art de plaire
D'autres rubans qu'une chaîne de fleurs ,
D'autre miroir qu'une onde claire ,
Et d'autre tein que fes propres couleurs.
Voulez-vous renoncer à notre bergerie
Vous faites mal plus que vous ne pensez ;
Iris , le bonheur de la vie
Dépend de cet état auquel vous renoncez.
Quel eft le ton du monde où l'on vous aſſocie
Rien n'eft fi fot dans l'Univers.
Pour juger de votre folie ,
De ce monde , entre nous , connoiffez les travers.
Se lever dans la certitude
D'avoir beaucoup de gêne & beaucoup plus d'ennui
,
Vieillir à fa toilette & ſe faire une étude
D'un art fimple autrefois , fatiguant aujourd'hui,
Faire un dîner où l'on s'ennuie ,
Manger beaucoup , fans appétit ,
Se fervir avec fimétrie ,
Se complimenter fans efprit ;
Entendre des propos infpirés par l'envie
Auxquels tout le monde applaudit
JANVIE R. 1756. 9
Par contenance ou bien par jaloufie ;
Médire , enfin , parce que l'on médit.
Après un long repas , une longue partie ,
Et jouer comme on a dîné ,
Se voir placer par fantaisie ,
Ou par un motif raifonné ,
A la table de ceux dont le trifte génie
Vous a le plus affaffiné ;
Etre maudit par compagnie ,
Si , par malheur , on n'eft ruiné.
Raifonner pefamment fur une bagatelle ,
Raifonner fans être d'accord ;
Déchirer d'une dent cruelle
Une connoiffance nouvelle ,
Quoiqu'on la voye avec tranfport ,
Avec l'amitié la plus vive ;
La careffer dès qu'elle arrive ,
Et la noircir dès qu'elle fort.
Après un long martire
Se retirer chez foi , trifte , avec de l'humeur,
En déteftant au fonds du coeur
Les dîners où l'on ne peut rire ;
Iris, voilà le monde , & voilà le malheur
Où , malgré moi , j'ai peur
Que la foule ne vous attire.
1
A v
to MERCURE DE FRANCE.
Que le fort des Bergers eft un fort différent..
Ils n'ont point de toilette à faire ;
La nature eft leur art , ils plaifent en aimant ;
Leurs repas n'ont rien d'éclatant ,
Auffi chaque Berger digere
Le dîner qu'il fait fagement.
Ils ne font point jaloux , ils ne fçavent poing
feindre ,
Se déguiler c'est le contraindre ,
Et la contrain:e eft un tourment.
Ils ne font point d'hiftoire , & n'en ont point à
craindre ,
Cet art toujours honteux , & toujours fatiguant ,
Eft étranger , lorfque l'on vit content.
Sur un gazon naiffant ,
Leurs jeux font des chanfons & des danses légeres ;
Ils n'y perdent point leur argent ,
Ils y gagnent fouvent le coeur de leurs Bergeres
De ces états fi différens entr'eux ,
Comparés les plaifir's , les motifs & l'uſage ;
Pourrez - vous balancer à ſaiſir l'avantage
De préférer celui qui vaut le mieux.
Choififfez pour jouir , c'eſt le droit de votre âge.
Sçavoir choisir , c'eſt être fage ,
Sçavoir jouir , c'est être heureux.
Il eft vrai que la bergerie
Ne fouffre pas les coeurs indifférens ;
JANVIER . 1756 .
Le vôtre l'eft, & c'eft votre folie ;
Pourquoi craindre l'amour : Iris , quelle manie 1
Les plus fages mortels font les heureux amans.
N'écoutez pas tout ce que l'on publie
Contre ce Dieu , contre ſes traits charmans
Ah ! feroient- ils le bonheur de la vie
S'ils n'étoient innocens.
LA NAVETTE D'AMOUR ,
O U
L'ORIGINE DES NAVETTES .
Nous ne fommes plus dans le ſiecle de
la fcience ; cela m'afflige & ne m'étonne
pas ; il eft plus aifé de dire vingt bons
mots , que de faire une découverte , je l'ai
bien éprouvé par ce qu'il m'en a coûté pour
devenir fçavant ; l'on me fçauroit quelque
gré , fi l'on voyoit les volumes immenfes
que j'ai parcourus pour découvrir l'origine
des navettes ; je ne l'ai trouvé dans
aucun , le hazard me l'a procuré en feuilletant
un Manufcrit Chinois dans la bibliothéque
d'Avignon : en voici la traduction
fidele .
C'étoit autems d'étrennes , tems abufif ,
où la tromperie fait fon trafic , où la fauffeté
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
court les rues & donne fes premiers à compte.
Il n'y avoit aucune maifon dans Tunquin
où l'on ne trouvât des amis lourds ,
des vers plats , & des magots de porcelaine,
bien moins magots que ceux qui tes avoient
donnés.
Je ne parle pas des parens ; les coufins
'du jour de l'an font bien plus importuns
que les coufins du mois de Mai .
La ville étoit remplie de femmes fenfibles
qui attendoient pour quitter leur amant ,
qu'elles en euffent reçu les étrennes . L'amour
fe vendoit chez les Joalliers , & fa
valeur courante fuivoit celles des diamans.
L'amour pur , l'amour vrai , étoit dans
un afyle champêtre à deux lieues de Tunquin.
Il habitoit avec le Princeffe Zirzis
& le Prince Myrza . Zirzis étoit devenue
veuve trois mois après fon mariage ; ils lui
avoient parus longs. Cet hymen qui s'étoit
fait au préjudice de l'amour , avoit tourné
à fon profit ; il rendoit Zirzis maîtreffe de
fes actions ; c'est une grande facilité pour
ne pas refter longtems maîtreffe de fon
€oeur.
il
Myrza étoit fon plus proche voifin ,
ne dépendoit que de lui . Il étoit joli , il
étoit riche , il étoit Prince . Voilà bien des
dangers dont il fit des perfections.
Ilfentit combien un Prince court de rifJANVIE
R. 1756. 13
ques étant livré à lui -même. Il étoit fans
parens qui puffent le conduire. Quand il
en auroit eus , c'est un foible fecours : l'autorité
qu'ils ont , détruit prefque toujours
la confiance qu'on leur doit. Myrza méritoit
des amis ; mais qu'est- ce que les amis
d'un Prince ? fouvent des piéges.
Tout homme indépendant n'a d'autres
moyens que l'amour pour s'éclairer & pour
s'inftruire ; c'eft le parti que prit Myrza
fans s'en douter lui même. Il vit Zirzis &
l'admira.
Elle le tenoit toujours à la campagne ,
elle fe connoiffoit . Elle avoit une beauté
modeſte , un efprit fimple , une raifon douce
, une ame tendre ; qu'auroit- elle fait à
la ville ?
Elle reçut les vifites de Myrza , elle érudia
fon caractere , elle vit que ce n'étoit
encore ni un fot , ni un fat , mais qu'il ne
tiendroit qu'à la femme qu'il auroit , qu'il
devint l'un ou l'autre.
Elle réfolut de ne point l'avoir , & d'en
faire un homme aimable. Voilà deux chofes
bien difficiles ; le fuccès de l'une des
deux doit fuffire pour contenter une femme
fenfée.
Zinris convint avec Myrza qu'ils fe verroient
fouvent ; mais à condition que tous
leurs entretiens ne rouleroient que fur la
14 MERCURE DE FRANCE.
raifon & l'amitié , & que jamais on n'y feroit
entrer les mots de beauté ni d'amour,
J'y confens répondit Myrza ; le mot de
beauté ne fortira pas de ma bouche , mais
je diray fouvent , belle Zirzis. A l'égard
du mot d'amour , je vous avoue qu'il ne
me fera pas difficile de ne le point prononcer
; c'eft un fentiment que je redoute . Je
ne veux connoître que l'amitié , c'eſt un
ami que je cherche, je crois l'avoir trouvé en
vous , charmante Zirzis , vous me donnerez
des confeils ; ils fe graveront dans mon
coeur. Mes perfections , fi j'en acquiers
deviendront votre ouvrage , elles m'en feront
plus cheres . La différence de notre
fexe ne fervira qu'à jetter des nuances plus
douces fur notre amitié , elle en deviendra
plus intéreffante ; permettez , belle Zirzis ,
permettez , pourfuivit - il , avec tranfport ,
que je ferre & que je baife vos mains pour
vous marquer toute ma reconnoiffance.
Zirzis étoit enchantée de voir dans le
Prince une amitié fi vive.
Tandis qu'ils s'occupoient à fe jurer ainfi
une renonciation totale à l'amour , on vint
leur annoncer qu'un jeune Marchand demandoit
s'ils ne vouloient rien . On le fit
entrer ; il étala bien des fanfreluches , bien
des colifichets qui féduifoient les yeux , &
...n'étoient bons à rien.
2
JANVIER. 1756. 15
Pourquoi tant de chofes inutiles dit Zirzis
? C'est ce qui me fait vivre , repartit
le Marchand : les jeunes gens en donnent
bien davantage que des chofes qui leur
font néceffaires. Il femble qu'ils fe faffent
un plaifir d'acheter leur portrait. Tenez ,
pourfuivit-il, voici un bijou qui deviendra
bien à la mode , on appelle cela une navette
, c'est la premiere qui paroît ; je
l'aime d'autant plus , dit Zirzis qu'elle eft
toute fimple. Elle n'eft que de bois. Il eft
vrai qu'il eft bien poli & bien beau ; comment
appellez- vous ce bois-là ? c'eft du
myrthe , répondit le jeune Marchand , d'un
ton tout ingénu ; il jetta cependant de certains
regards malins fur la Princeffe qui
la firent rougir.
C'est une galanterie trop médiocre , reprit
Myrza , pour que vous ne me permettiez
pas de vous la faire , quel en eft le prix ?
Je la donnerai pour rien à la Princeſſe , répliqua
le Marchand , acceptez- la de grace ,
je ne vous fais que crédit ; un temps viendra
où vous me la payerez bien , je vais
feulement vous en montrer l'ufage . Vous
aurez l'attention d'avoir toujours de la foye
gris de lin pareil à cet écheveau . Lorsque
vous ferez feule & même dans le monde
vous formerez un petit noeud comme celui-
ci toutes fois que vous fongerez à la
16 MERCURE DE FRANCE.
perfonne pour laquelle vous avez le plus
d'amitié. Vous ferez bien-aiſe à fon retour
de lui prouver par la quantité de noeuds
que vous aurez faits , combien vous y avez
penſé , vous m'avouerez que c'eft un amufement
bien innocent.
Zirzis prit la navette , eſſaya de s'en
fervir , & réuffit très - bien.
A préfent , dit le Marchand , il eft juſte
que je donne auffi les étrennes à ce joli
Prince. Daignez accepter cette plume avec
ces petites tablettes ; vous avez fans doute,
auffi bien que la Princeffe , de l'amitié pour
quelqu'un ; quand vous ferez abſent , vous
écrirez toutes les remarques que cette
bonne amitié là vous aura fait faire. Adieu ,
leur dit- il , dans un an je vous donne rendez
vous à pareil jour dans la ville de Tunquin.
A peine fut-il parti que Myrza alla à la
chaffe , & Zirzis refta feule ; elle voulut
prendre l'air dans fes jardins , elle entendit
un roffignol , elle s'arrêta , tomba dans
la rêverie , & fit des noeuds. Elle pourſuivit
fa promenade , elle apperçut deux papillons
qui fe tournoient , fe careffoient , &
fe joignoient : ce fpectacle l'amufa , elle fit
des noeuds. A quelques pas delà , elle découvrit
deux tourterelles dont les deux
becs fe touchoient , cette rencontre l'occupa
, elle fit des noeuds.
JANVIER. 1756. 17
En revenant , elle remarqua des fleurs
doucement agitées par les careffes de Zéphir
, elle fit des noeuds . Elle rentra pour
ordonner le fouper. A chaque plat qu'elle
commandoit , elle ne manquoit pas de
dire , il me femble que le Prince aime ce
ragoût- là; (ce que c'eft que l'amitié) elle fit
encore des noeuds. Myrza trouva la navette
faite. Elle le queſtionna fur fa chaffe ; elle
étoit moins bonne que de coutume , il
avoit perdu prefque tout fon tems à écrire
fur fes tablettes : c'étoit des obfervations
qu'il avoit miles en vers . Cela m'empêchera
de les rapporter. Ce n'eft pas que je
n'aye beaucoup de refpect pour des vers de
Prince , mais je craindrois que cela ne fît
longueur.
Ils pafferent leur foirée à dire du mal de
l'amour ; ils convinrent que pour avoir ce
plaifir- là , il feroit permis de le nommer.
L'amour rioit de leurs injures. Tout ce
que demande ce Dieu , c'eft qu'on parle de
lui. Zirzis employoit fes journées à faire
des noeuds ; & Myrza à écrire fur fes, tablettes.
Il étoit attentif , dès que la Princeffe
étoit éveillée , à lui apporter les fleurs
qu'elle aimoit le mieux ; elle avoit la même
attention à les placer près de fon coeur ;
elle en mêloit auffi dans fa coëffure ; des
fleurs qu'on tient d'une main chere vaTS
MERCURE DE FRANCE.
lent bien mieux que des diamans. Venoitdes
vifites du voifinage , Zirzis quoique
polie , paroiffoit ennuyée , & cet ennui
trop marqué les abrégeoit toujours ; Zirzis
ne fe plaifoit qu'avec Myrza ; ils étoient
trop heureux lorfqu'ils fe trouvoient feuls
pour déclamer contre les amans.
Tandis qu'ils paffoient leur vie dans
cette indifférence ; le jeune Marchand vint
les chercher pour les mener à Tunquin ;
Pourquoi fortir d'ici , dit Zirzis ? nous y
fommes fi bien ; cependant , répartit le jeune
Marchand , la faifon eft bien avancée. Les
foirées font fi longues. Ah ! répondit Zirzis
, c'eft le plus beau tems de l'année ,
Myrza n'eft pas fi longtems à la chaffe.
il
Ce fentiment d'amitié , reprit le jeune
Marchand , m'affure que vous avez fait une
grande quantité de noeuds . Je n'ai pas ceffé
un inftant , répondit- elle ingénuement. Et
les tablettes de Myrza ? Il n'y a plus de
blanc du tout , reprit il , tenez , examinez.
Le Marchand les prit & les parcourut ,
ya , dit- il , dans ces vers -là plus de fentiment
que de poélie , mais n'importe , j'approuve
qu'un Prince faffe des vers médiocres
pour fe mettre en état de connoître les
bons & de protéger ceux qui les font. Je
voudrois à préfent , pourfuivit- il , voir
tous les noeuds qu'a fait Zirzis. On les
JANVIER. 1756. 12
apporta , ils ne pouvoient pas tenir dans la
falle. Allons dans le jardin , dit le jeune
homme ; nous ne manquerons point d'ef
pace . L'étalage de ce travail pourra faire
un fpectacle affez intéreffant. On fe tranfporta
dans le bofquet le plus vafte ; le
Marchand mit la main fur les noeuds . Je
vais , dit-il , vous montrer à quoi cela
fert. Dans l'inftant l'air qui étoit froid ,
s'adoucit ; une chaleur tempérée parut fortir
de la terre , les oifeaux fe crurent au
printemps , & fe firent l'amour , les arbres
mêmes furent émaillés de fleurs , & leurs
rameaux fe rapprocherent.
Que veulent dire ces prodiges , s'écrierent
Zirzis & Myrza Ils fignifient , répondit
le jeune homme , qu'il n'y a aucun
jour d'hyver pour les gens qui s'aiment de
bonne foi.
Zirzis & Myrza fe regarderent , mais
leur furprife augmenta bien davantage
lorfqu'ils virent tous les nauds fe devider ,
s'étendre , & former un rezeau qui les
enveloppa tous deux.
Le jeune Marchand parut à leurs yeux
avec un flambeau , un carquois , mais point
d'aîles. La piété , le refpect & le zèle de
Beaucis & de Philémon firent moins d'impreffion
fur leur coeur , lorfqu'ils s'apperçurent
que leur hôte étoit un dieu. Qui
20 MERCURE DE FRANCE.
êtes-vous donc , dit Zirzis en tremblant ?
l'Amitié , répondit l'Amour. L'Amitié
reprit Zirzis ! Oui , repartit ce dieu ; voilà
à peu près comme elle eft faite lorfqu'elle
regne entre homme & femme. Vous êtes
certains d'être amis ; voilà comme on
fe rend dignes d'être amans. A préfent
devenez époux , augmentez votre bonheur
en affermiffant de plus en plus cette
gaze qui vous environne , il ne faut qu'un
rien pour la déchirer , je ne vous quitterai
pas , & je choifis vos deux coeurs pour
azyle.
Zirzis & Myrza s'unirent , & par amitié ,
pafferent la nuit enſemble ; ils furent heureux
pendant toute leur vie ; le tableau d'une
fi belle union bleffa la vue du plus grand
nombre. La navette de bois parut plate &
ignoble aux yeux de la fotte vanité qui en
fabriqua d'or. La mode les adopta & leur
donna la vogue. Depuis ce tems , elles ont
pris le deffus , la navette de myrthe n'ofe
plus former des noeuds qu'en cachette pour
unir deux coeurs vrais entre mille. C'eſt
la navette de l'amour ou du fentiment qui
fe fixe au bonheur particulier. La navette
d'or tourne feule en public pout lier tout
le monde & n'attacher perfonne ; c'eft la
navette du ridicule qui circule fans ceffe
pour l'amufement général .
JANVIE R. 1756. 21
VERS
Pour accompagner un Manchon donné à
Mile ****.
IL faut aller fuivant chaque ſaiſon ,
En été l'éventail , en hyver le manchon ;
Trifte néceffité qu'impofe la froidure !
Que j'ai regret à pareil don !
Ah ! revenez bientôt agréable verdure !
De cette épaifle & maudite fourrure
Yous tirerez deux bras faits pour tout enchaîner .
Votre regne eft celui des Graces.
Je les verrai légerement orner
Thémire , dont fans ceffe elles fuivent les traces ;
Les longues coëffes tomberont ;
Cil féduifant de donner dans la vue ;
Les Zéphirs attirés fur tout voltigeront ,
Les badins fe demanderont
Depuis quand done Flore eft- elle vétue ?
Et de toute leur force à l'envi fouffleront ;
Les manches fe releveront ,
Et l'une & l'autre main paroîtra prefque nue,
Ma bouche à ce charmant aspect
Dérobera maints baifers de tendreffe ,
Qu'elle fera paffer pour baiſers de reſpect ,
Si d'elle-méme alors elle eft affez maîtreffe
Je vivrai moins en fûreté ,
22 MERCURE DE FRANCE.
Peut-être l'inftrument qui rafraîchit ma belle
Me punira d'être trop enchanté.
On ne fçait ce qu'on fait dans un excès de zele :
Mais fouffrirai - je autant que de refter trois mois
Sans lui voir feulement le petit bout des doigts ?
J.F.G. ***
De Chartrait , près Melun.
Députation de Voeux à Mile V *** › pour
le premier jour de l'An 1756.
C'Eft au temple de l'innocence ,
Séjour des plus beaux fentimens ,
Qu'il faut , mes voeux , par préférence
Fixer aujourd'hui votre encens.
Approchez du trône des fens ,
Ou fiége , l'aimable Déeffe ,
Careflez fes charmes naiffans ,
Mais fur l'aîle de la fageffe.
Dignes enfans de ma tendreffe ,
Offrez-lui mes premiers foupirs ,
Qu'enfanta la délicateffe
Au fein des plus chaftes défirs,
Dites-lui que tous mes plaifirs
▲ ce commencement d'année ,
>
JANVIER. 1756 . 23
Sont de confacrer mes loisirs
Afon heureuſe deſtinée .
Qu'à fon char mon ame enchaînée
Ne brula des plus nobles feux ,
Qu'autant qu'elle fut couronnée
Par l'eſpoir ... mais filence ... Allez , partez mes
youx.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE,
Sur une nouvelle traduction de Lucrece.
Monfieur, étant fur le point de donner
au Public , une traduction en profe de
Lucrece ; je vous ferois fort obligé , fi
vous vouliez mettre dans votte Mercure
quelques réflexions , que je veux lui communiquer
fur le plan de cet ouvrage ;
perfuadé qu'on ne peut trop le confulter
avant de fe faire imprimer.
Je n'ignore pas l'impuiffance où fe
trouve toutTraducteur , de faire paffer dans
la profe françoiſe , les beautés poétiques
d'un Auteur latin . Auffi n'eft- ce pas là
mon but ? Ce n'eft point Lucrece comme
Poëte ,, que je veux faireconnoître à ceux
qui n'entendent pas affez fa langue pour
24 MERCURE DE FRANCE.
le lire dans l'original , mais comme Philofophe
, en faisant connoître l'efprit qui
l'animoit , & dans quel fens l'on doit
expliquer fes penſées.
Ce grand peintre de la nature ne patoîtra
plus que dans de foibles eftampes ;
mais mon burin tâchera de vous exprimer
correctement les contours de ces tableaux
fi naturels , que le pinceau latin a
enrichi des plus vives couleurs.
J'ajouterai à ma traduction des notes
d'une efpéce finguliere ; elles ferviront indifféremment
à relever les erreurs de l'Auteur,
& à en faire voir les beautés , furtout
elle découvriront ces premieres fources
d'un très- grand nombre de penſées philofophiques
, fouvent copiées & même défigurées
par nos Auteurs modernes , qui fe
flattent auprès du Public du mérite de l'invention
.
Il y a peut- être moins de penfées primitives
, & pour ainfi dire génératrices ,
que l'on ne penfe communément. Qu'on
fe donne la peine d'examiner , l'on trouvera
qu'une réflexion d'une certaine efpéce
fuffit pour donner naiffance à un volume
, dont les penſées priſes en détail ſe
trouveront renfermées dans cette même
réflexion. Ceci bien entendu , nous n'aurons
pas de peine à trouver dans Lucrece ,
les
JANVIER . 1756. 25
les premiers principes de la phyfique générale
ou fyftématique de nos Philofophes
modernes. Les atômes élémentaires de Def
cartes , qui en fe mouvant en tous fens ,
ont pu donner la forme à l'univers , s'y trou
vent expliqués dans un grand détail ; fa
matiere fubtile , fon fyftemefur les couleurs ,
&c. lesforces vives de Leibnitz ; le vuide de
Newton fi néceffaire pour expliquer le
mouvement , &c. en un mot le poëme de
ce grand homme eft un magaſin fort riche
, où les Phyficiens fyftématiques ont
choiſi les matériaux qui leur convenoient ,
ou du moins en ont imaginés de fi femblables
, qu'on pourroit les accufer de les y
avoir pillés.
Nous avons vu nouvellement un fyftême
d'un grand Naturalifte fur la génération
, conforme à celui de notre Poëte ;
qui eût penſé qu'après toutes les découvertes
des Anatomiftes modernes fur la
génération , on eût encore été obligé
d'en revenir au fyftême de Lucrece.
Pour la physique de détail , l'on fent
bien que malgré tout fon genie , il doit
y jouer un petit rôle vis- à- vis les Modernes
qui ont trouvé le moyen de perfectionner
leurs fens & d'en reculer les
limites , par un fi grand nombre de machines
ingénieufes . C'eft principalement
I. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
ici où l'on doit avoir égard au temps
ou vivoit notre Philofophe Romain , &
furtout à l'état ou étoit alors la phyſique ;
Newton lui- même ou Leibnitz , n'euffent
peut-être pas été plus grands Phyficiens
que lui , s'ils euffent été fes contemporains.
Les grands hommes font égaux dans
le fonds : les temps où ils vivent & les
circonftances font leurs deftinées .
:
La morale de notre Auteur est vraiment
philofophique il y prêche la médiocrité
, & le renoncement aux prétendues
grandeurs de la maniere la plus perſuafive
, mais ce feroit lui faire tort que
d'en détacher ici quelques penfées ; parce
que ce ne feroit pas le tout-enfemble.
C'eft furtout par rapport à la religion ,
que Lucrece s'eft fait une fi grande réputation
dans le monde fçavant . Nous ne
diffimulerons point qu'il n'étoit d'aucune ;
il s'en étoit fait une d'après nature.
Il n'étoit guere poffible qu'il eût cru de
bonne-foi les abfurdités de la religion
payenne ; d'ailleurs étant venu au monde
avant J. C. il ne pouvoit pas être éclairé de
la lumiere du chriftianifme. Que pouvoitil
donc faire de mieux que de détromper
les hommes ?
Il refpecte cependant en partie les erreurs
établies. Mais en admettant les faux
JANVIER. 1756. 27
dieux , il leur ôte le gouvernement de l'univers,
& leur accorde feulement une tranquille
inaction . Sans cette précaution fon
fyftême eût été renverfé.
Les enfers des Romains , où des ombres
impalpables étoient tourmentées à la maniere
des corps vivans , n'étoient pas de
nature à épouvanter notre Poëte , auffi
prétend-t'il délivrer l'imagination de fes
contemporains de ces erreurs qu'il regarde
comme les plus grandes maladies de l'efprit
humain. Mais loin de nous confoler,il nous
effrayeroit bien davantage s'il eût pu réaffir
à nous prouver que l'ame meurt avec le
corps. Il est vrai que de fon temps l'on
croyoit l'ame matérielle , & il ne pouvoit
guere , en fuivant fes principes , lui donner
d'autre immortalité qu'au refte de la
mariere , laquelle confifte dans la qualité
inaltérable de fes premiers élémens . J'examinerai
dans mes notes la nature des fauffes
religions ; je tirerai des lignes de communication
des unes aux autres , pour les
comparer enfuite avec le fyftême de Lucrece
, d'où nous inférerons que fans les
lumieres de la révélation , nous n'aurions
rien de mieux à faire qu'à fuivre celles de
la nature.
Je tâche de conferver le précieux enchaînement
des penſées de l'Auteur ; elles
B ij
28 MERCURE DE FRANCE.
s'éclairent mutuellement : elles perdroient
beaucoup de leur lumiere en les féparant.
L'on peut voir par ce que je viens de
dire , que mon plan n'eft pas tant de traduire
Lucrece , que de faire une analyſe
exacte de fes ouvrages , qui fera voir
diftinctement tous les matériaux philofophiques
, dont il s'eft fervi pour compofer
fon poëme, & nous mettre à portée de
les reconnoître dans les édifices qu'ont
élevés fes fucceffeurs.
Si nous pouvions avoir une efpece
de dictionnaire de penfées philofophiques
dans ce goût -là , ce livre aideroit
beaucoup Meffieurs les efprits forts dans
la compofition de leurs brochures ; les
efprits foibles feroient en même- temps
mis par-là en état de découvrir ce qui eft
nouveau d'avec ce vieux poifon qui nous
a été tranfimis depuis Epicure , par la voie
de l'impreffion .
J'ai l'honneur d'être , &c.
DE
VILLENEUVE
Au Croific , ce 17 Novembre,
JANVIER. 1756. 29
ODE
An nouvel An.
TEmoin des fouhaits du vulgaire ,
Nouvel an , Dieu des complimens ,
Des préfens vains , des faux fermens ;
Viens recommencer ta carriere.
Que dis-je , hélas ! fufpens ton cours
Différe un moment de paroître ;
Vois fi ces jours qui vont renaître ,
Seront filés par les amours.
Si , fatal augure du crime ,
Et fourd à nos juftes ſoupirs ,
Tu n'amenes pas les plaifirs ,
Rentre dans le fein de l'abîme.
Mais fi plus tendre & plus flexible ,
Tu nous rends les ris & les jeux ,
Redouble ta marche infenfible ,
Cours , vole , & reviens avec eux.
Retrace-moi ces jours heureux ,
Où , près de l'objet que j'adore ,
Je ne pouvois former des voeux
Que pour ofer l'aimer encore.
Rends- moi ces trop courtes journées
Que je prenois pour des momens ;
B iij
30 MERCURE DE FRANCE .
Peins-moi ces heures fortunées
Qui couronnent les vrais amans.
Oui , fous fon adorable empire ,
Si tu peux enchaîner mes jours ,
Puiffe durer ton heureux cours
Autant que l'ardeur qui m'inſpire !
Mais hélas ! ton regne eft compté ;
Chaque jour fuit avec viteſſe :
Il n'eft qu'un tems pour la tendreffe ,
Qu'un inftant pour la volupté .
Plus heureux que toi , mon amour
N'aura de terme que ma vie ;
Et fi dans l'éternel féjour
On aime , j'aimerai Sylvie..
Hâte donc cette heure trop lente,
Où doit commencer mon bonheur:
Ma tendreffe s'impatiente-
De voir triompher mon ardeur.
Chaque jour nos coeurs enchaînés
T'offriront mille facrifices ,
L'Amour & l'Hymen couronnés
Croiront te devoir leurs délices.
A ce prix ta place eft aux cieux :
Etre heureux & fçavoir en faire ,
Doit être l'immortelle affaire
Des tendres amans & des Dieux.
L. N. Guillemard , de Rouen.
JANVIER. 1756 . 31
RÉPONSE
De M. Def... Gendarme Ecoffois ,
A M. Du L.....
Tume reproches la pareſſe ,
Dans laquelle coulent mes jours.
Plaisirs trop vifs , fombre trifteffe ,
Au moins n'en trouble point le cours,
Je ferois en fufpens peut- être ,
S'il me falloit choisir des deux.
Sort trop à plaindre , ou trop heureux ,
Nous empêche de nous connoître.
Ainfi que les infortunés
Qui gémiffent dans l'indigence ,
Dans les plaifirs dès leur naiffance ,
Les Grands font des aveugles nés.
11 eft beau que de la nature
On fçache admirer la grandeur ,
Quand de fon coeur d'une main fure
On peut fonder la profondeur.
Quand on peut faire dans foi-même
Regner la juftice & la paix ,
C'eft là le vrai bonheur fuprême ,
Ce font les feuls plaifirs parfairs.
Biv
32
MERCURE DE
FRANCE.
Si tu crois que c'eft ne rien faire
Que de chercher à vivre ainfi ;
Pour
l'abandonner , cher ami ,
Cette oifiveté m'eſt trop. chere.
La nature m'a fait réveur ,
Et d'une humeur
mélancholique ;
Trop franc pour être politique ,
Trop fier pour être adulateur.
Le fort me fut toujours contraire ;
De les coups j'ai fçu me parer :
La fortune toujours légere ,
Je l'éprouve fans murmurer.
J'ai paffé de la folitude
Jufques dans les bras du plaifir .
Des hommes j'ai fait mon étude ,
Je les plains tous fans les hair.
Pour moi le jeu n'a point d'amorce ;
Je trouve Bacchus fans attraits.
De l'amour jufqu'ici les traits
Sur mon coeur n'ont point eu de force;
J'aime tous ces objets divers .
Sortis du fein de la nature ;
Ces bois , cette eau , cette verdure :
J'aime la musique & les vers .
Encor tel plaifir que me donne
L'objet dont je fuis affecté ,
JANVIE R. 1756. 33
La réflexion l'empoifonne ,
Et j'en vois la futilité.
De mon bizare caractere ,
Voilà donc , puifque tu le veux ,
Le portrait fidele & fincere :
Apprend- moi fi je fuis heureux ?
Inpromptu de M. du L .. ;
La réflexion te tourmente ;
Il vaudroit mieux de ton printems
Mettre à profit tous les inftans :
L'avenir pour toi m'épouvante .
Un Philofophe de vingt ans
Eft un milantrope à quarante.
A Corbie , ce 17 Novembre 1755:
LETTRE
D'une jeune Dame Hollandoife , à l'Auteur
de la Toilette des Dames ; ouvrage periodique
qui paroît toutes les femaines à la
Haye.
LE titre de votre nouvel ouvrage , me
donne droit fur tout ce qui le compofe.
Je vois avec plaifir que la ſcience ne
vous a point gâté comme tant d'autres ,
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
puifque vous ne dédaignez pas de contribuer
à nos délaffemens . Vous avez donc
déja fait un pas vers notre eftime , il ne
tient qu'à vous de prétendre à notre reconnoiffance.
Nous ne doutons point de la fécondité
de votre imagination , & je fuis
perfuadée en mon particulier , que dans
votre efprit , vous trouverez des reffources
fuffifantes pour nous plaire. Mais ,
Monfieur , voudriez- vous nous infpirer
ce goût de frivolité fi juftement reproché
aux Françoifes ? fi c'étoit votre intention
, je crierois à l'allarme : je prémunirois
toutes mes compagnes contre le féducteur.
Je fuis dangereufe ; & avant peu ,
vous feriez perdu de réputation. Choififfez
donc , ou de la guerre , ou de la paix.
Nous défirons vivre avec vous en bonne
intelligence , mais c'eſt à des conditions ;
je fuis chargée de vous les annoncer ;
c'eft à vous d'en figner les articles.
1º . Vous ne nous entretiendrez point
dans nos foibleffes .
2°. Vous ne les expoferez pas trop fré
quemment à la malignité de nos complices
, c'est- à-dire , que les hiftoriettes & les
romans feront la plus courte partie de votre
ouvrage.
3 °. Nous attendons de vous le même
fervice , qu'autrefois le Spectateur Anglois
-JANVIER. 1756. 35
rendoit à fa patrie . Vous nous indiquerez
avec exactitude tous les bons livres nouveaux
, capables de former les moeurs ,
d'orner l'efprit, de nourrir le coeur , & d'élever
l'ame , la plus noble partie de nous
même , dont les hommes , par une rivalité
mal entendue , ont négligé jufqu'à préſent
la perfection.
4º . Vous nous amuſerez , enfin , par la
critique que vous ferez de tous les Auteurs
qui mériteront votre cenfure , & fur cet
article , nous nous engageons toutes folemnellement
, à vous prêter main-forte ,
dans nos converfations fcientifiques.
5º . Enfin fi vous jugez à propos de foutenir
notre curiofité par quelqu'autre aliment
, nous apprendrons fans regret , les
anecdotes intéreffantes qui fe débitent
dans la capitale du monde lettré.
Ces propofitions font raifonnables
nous espérons que vous y accéderez . C'eſt
dans cette idée flatteufe que je fuis.
Monfieur ,
A la Haye.
Votre admiratrice ***
P. S. Avant de vous envoyer cette lettre
, j'en ai fait la lecture à M. Guiard ,
qui m'a affuré que vous aviez trop de
mérite pour n'en pas profiter
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
VERS
A Madame la Baronne de Poncardin .
D'une voix flexible & légere ,
Venus t'entendoit l'autre jour
Dans une chanfon téméraire ,
Te déclarer contre l'amour.
Ciel ! c'en eft donc fait de Cithere ;
S'écria la Déeffe en pleurs ,
Si Poncardin nous fait la guerre ,
Trouverons-nous des défenfeurs ?
Le Marie.
VERS DU MÊME AUTEUR ,
A Mlle ....en lui envoyant un ruban dans
une bourſe.
Dans cette bourfe que veut dire
Ce ruban mis en guiſe d'or ?
Le voici , charmante Thémire.
Le lien qui m'attache à votre doux empire
Eft ma richeffe & mon tréfor.
JANVIER. 1756. 37
1
BOUQUET.
CE Bouquet eft pour une abſente .
Elle eft jeune , elle est belle , & l'amour dans fes
yeux ,
A mis le trait dont il enchante
Le coeur qui craint le plus de brûler de fes feux.
Cette Enigme n'eft pas énigme embarraſſante ,
Et fans être devin , ni chercher dans les cieux ,
Chacun dira , c'eſt pour notre ( 1 ) Intendante;
ENVO I.
Je voudrois... quoi ? je voudrois être E
Onì ce Bouquet va ſe placer.
Sans ceffe , fous vos yeux , j'apprendrois à penfer;
Je jouirois des biens dont je deviendrois maître.
On ne s'y fane point ; je fçaurois m'y fixer .
Eft-ce donc- là tout l'avantage
Qui flatteroit & mes yeux & mon goût >*
Non , je voudrois encore davantage :
Je fero's près du coeur , & le coeur mene à tout.
(1 ) Madame de Caumartin , Intendante de Metz.
M. Vallier eft auteur de ce joli Bouquet , ainſi que
des Versfuivans , qui font de fon état , & qui font
fon éloge , puifqu'ils peignent ſes ſentimens.
38 MERCURE DE FRANCE.
VERS
Sur les dangers de la guerre qu'il faut
affronter par devoir.
Nous voyons le couvreur gravir les plus hauts
Poits ;
Le Carreyeur au fond d'une carriere ,
S'enterre tout vivant au centre de la terre.
Ce font- là leurs dangers ; les braver , leurs exploits.
Mais le guerrier pour fervir fa patrie ,
Doit chercher un trépas certain ;
Et pour un feul inftant conferver un terrein ,
Au fond duquel il fçait qu'une mine enfouie
Doit décider de fon deftin .
Cet inftant à fon roi peut fauver la couronne.
Qu'après , la terre s'ouvre & vomiffe fes feux ,
C'eft Samfon qui du Temple ébranle la colonne ,
Et dont la mort encor rend le nom plus fameux.
C'est un héros qui périt fur fon trône ,
Et fon corps & fon nom font portés juſqu'aux
cieux.
JANVIER. 1756. 32
Lettre à l'Auteur du Mercure.
MONSIEUR , je voudrois faire parvenir
la lettre que vous trouverez dans
celle - ci à M. Rouffeau de Genève . Comme
j'ignore fon adreffe , je vous prie de la
joindre au Mercure.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Lettre à M. J. J. Rouffeau de Genève .
Monfieur , votre réponſe à M. de Voltaire
vous procure cette lettre : Vous ferez
étonné d'y voir un inconnu vous parler
avec autant de franchiſe ; mais comme je
m'adreffe à un ami de la vérité , je ne
crains point de la lui montrer toute nue.
Vous remarquez dans une de vos notes
que vous avez appris à ne point juger de
l'homme par les écrits , c'eſt à votre exem
ple que j'agis ; & pour fçavoir fi l'efprit
philofophique qui éclate dans vos ouvrages
regnoit dans votre ame , j'ai examiné
les motifs qui vous ont fait écrire. Eftce
pour rendre les hommes meilleurs? Vous
convenez vous-même , avec M. deVoltaire,
que la réforme eft impoffible. Eft- ce pour
les rendre plus heureux que vous leur étalez
un nouveau tableau de leur mifere ?
40 MERCURE DE FRANCE.
d'autant plus mortifiant qu'il eft peint par
main de maître ? Je n'apperçois dans votre
démarche que des motifs tout Contraires
. Puifque la fociété ne peut changer de
face , les arts lui font néceffaires , & l'inégalité
des conditions inévitable. Pourquoi
donc en troubler l'ordre , en portant
dans fes membres le découragement &
l'efprit d'indépendance ? Puifque l'homme.
ne peut revenir à fa condition primitive
( felon vous , plus heureuſe ) , pourquoi
augmenter le nombre de ſes maux connus
par ceux qu'il ignoroit ? Vous avez donc
rendu les hommes moins heureux fans les
rendre meilleurs.
Un homme tel que vous , quand il écrit
pour les autres , ne doit le faire que pour
amufer , ou pour inftruire. Ainfi, fi au lieu
d'avoir perdu votre tems à faire deux difcours
( qui vous font des admirateurs fans
vous faire des partifans ) , vous euffiez fait
un Opéra , comme le devin du Village
il vous auroit une feconde fois gagné les
coeurs de tous ceux qui l'auroient connu . Si
vous aviez voulu employer plus utilement
votre éloquence , & vos recherches , vous
auriez encouragé les arts , au lieu de les
détruire.
Vous dites , Monfieur , dans votre lettre
à M. de Voltaire , que les lettres vous
JANVIER. 1756.
font gouter les douceurs de l'amitié , vous
apprennent à jouir de la vie , à mépriſer
la mort , en un mot , quelles font le bonheur
; & cependant vous voudriez qu'elles
ne fuffent cultivées que par de grands génies
& de vrais fçavans , vous bornez trop
le nombre des heureux , Monfieur. Quoi !
vous voulez priver les autres d'un avantage
dont vous jouiffez , & qui peut être.
commun ! cela eft injufte. Je conviendrai
bien avec vous qu'un particulier à qui la
nature a refufé des talens , qu'un homme
inutile à fa patrie ne doit point fe produire
au grand jour , mais je ne l'empêcherois
pas de travailler pour lui & fur lui .
Le vrai Philofophe même fe contente de
cet exercice : dédaignant une vaine réputation
, il s'occupe feulement à régler fon.
coeur & fon efprit , pour bien vivre avec
lui-même & avec fes (emblables.
Les confolations que vous donnez à l'illuftre
M. de Voltaire , font mieux connoître
votre coeur que vos difcours. Ce grand
Poëte , depuis fon aurore jufqu'à fon dédin
, a trouvé fans ceffe des Zoïles attachés
à noircir fa réputation . Ce n'eft pas
le feul trait qui le rend femblable à Homere
; mais en admirant dans fa nouvelle
Tragédie le rôle d'Idamé , les gens délicats
y remarquent auffi quelque négli
42 MERCURE DE FRANCE.
gence dans la poéfie & le langage , reproche
nouveau que M. de Voltaite , jufqu'à
ce jour , n'a point mérité.
Je finis en revenant à mes premieres
réflexions. Croyez- vous , Monfieur , avoirrendu
un grand fervice à l'humanité , en
l'éclairant fur des malheurs inévitables ,
en lui faifant fentir le défagrément de fa
condition ? Ne fçauriez- vous pas mauvais
gré à quelqu'un qui vous annonceroit un
péril , en vous ôtant les moyens de l'éviter.
Ainfi , Monfieur , laiffez aller le mon
de comme il va : il n'arrivera jamais que
ce qui eft contenu dans l'etat des chofes .
J'efpere que vous me pardonnerez ces
réflexions en faveur de leur vérité ; c'eft
une bien petite revanche que je prends au
nom de l'humanité.
J'ai l'honneur d'être , &c.
A Bordeaux , ce i5 Novembre 1755-
AVIS
A un Anonyme , par J. J. Rouffean
J'ai reçu le 26 de ce mois une lettre anonyme
datée du 28 Octobre dernier , qui ,
JANVIER. 1756. 43
mal adreffée , après avoir été à Genève ,
m'eft revenue à Paris , franche de port. A
cette lettre étoit joint un écrit pour ma
défenfe que je ne puis donner au Mercure
comme l'Auteur le défire , par des raifons
qu'il doit fentir , s'il a réellement pour moi
Feftime qu'il m'y témoigne. Il peut donc
le faire retirer de mes mains au moyen
d'un billet de la même écriture , fans quoi
fa piece reftera fupprimée.
L'Auteur ne devoit pas croire fi facilement
, que celui qu'il refute , fût citoyen
de Genève , quoiqu'il fe donne pour tel ;
car il eſt aiſé de dater de ce pays-là : mais
tel fe vante d'en être qui dit le contraire
fans y penfer. Je n'ai ni la vanité ni la confolation
de croire que tous mes concitoyens
penfent comme moi ; mais je connois la
candeur de leurs procédés ; fi quelqu'un
d'eux m'attaque , ce fera hautement & fans
fe cacher ; ils m'eftimeront affez en me
combattant ou du moins s'eftimeront affez
eux-mêmes pour me rendre la franchiſe
dont j'ufe envers tout le monde . D'ailleurs
, eux pour qui cet ouvrage eſt écrit ,
eux à qui il eft dédié , eux qui l'ont honoré
de leur approbation ne me demanderont
point à quoi il eft utile : il ne m'objecteront
point , avec beaucoup d'autres ,
que quand tout cela feroit vrai , je n'au-
1
I
H
44
MERCURE DE FRANCE.
rois pas dû le dire , comme fi le bonheur
de la fociété n'étoit fondé que fur les erreurs
des hommes . Ils y verront , j'oſe le
croire , de fortes raifons d'aimer leur Gouvernement
, des moyens de le conſerver ,
& s'ils y trouvent les maximes qui conviennent
au bon & vertueux citoyen , ils
ne mépriferont point un écrit qui refpire
partout l'humanité , la liberté , l'amour
de la patrie , & l'obéiffance aux loix .
Quant aux habitans des autres pays , s'ils
ne trouvent dans cet ouvrage rien d'utile
ni d'amufant , il feroit mieux , ce me fem .
ble , de leur demander pourquoi ils le lifent
que de leur expliquer pourquoi il eft
écrit. Qu'un bel efprit de Bordeaux m'exhorte
gravement à laiffer les difcuffions.
politiques pour faire des Opéra , attendu
que lui , bel efprit , s'amufe beaucoup plus
a la repréfentation du Devin de village
qu'à la lecture du Difcours fur l'inégalité ,
il a raiſon fans doute , s'il eft vrai qu'en
écrivant aux Citoyens de Genève je fois
obligé d'amufer les Bourgeois de Bordeaux.
Quoiqu'il en foit , en témoignant ma
reconnoiffance à mon défenfeur , je le prie
de laiffer le champ libre à mes Adverfaires
, & j'ai bien du regret moi - même au
tems que perdois autrefois à leur répondre.
Quand la recherche de la verité dégénere
JANVIER. 1756. 45
en difputes & querelles perfonnelles , elle
ne tarde pas à prendre les armes du menfonge
; craignons de l'avilir ainfi . De quelque
prix que foit la fcience , la paix de
l'ame vaut encore mieux . Je ne veux point
d'autre défenſe pour mes écrits que la raifon
& la vérité , ni pour ma perfonne que
ma conduite & mes moeurs : fi ces appuis
me manquent , rien ne me foutiendra ; s'ils
me foutiennent , qu'ai-je à craindre ?
A Paris , le 29 Novembre 1755 .
ODE
Sur la Naiffance de Monfeigneur le Comte
de Provence.
Quelle bouche d'airain , émule du tonæeṛre ,
Soudain ſe fait entendre aux mortels , comme aux
Dieux ?
Que veut- elle apprendre à la terre ?
Que veut-elle annoncer aux cieux ?
Pourquoi d'un feu léger les vives étincelles ,
Du zéphir devançant les aîles ,
S'envolent dans les airs , & tombent avec bruit ?
Pourquoi , tant de flambeaux nous offrent leur
Jumiere ?
46 MERCURE DE FRANCE.
Phébus , pourfuivant fa carriere ,
Semble porter le jour dans le fein de la nuit.
Que préfente à nos yeux cette brillante ſcene
Peut-on le méconnoître à ces tranſports nouveaux
?
Les Dieux , Protecteurs de la Seine ,
Nous ont fait préfent d'un Héros.
Quoi ! toujours des Bourbons ! Cette tige féconde
Veut-elle embraſſer tout le monde ,
Enfanter elle-feule , & donner tous les Rois ?
Ce n'étoit pas affez de regner fur la France ;
L'Ibérie eft fous fa puiffance ,
Et bientôt l'univers ira prendre les loix.
Tel qu'un chêne orgueilleux , que refpecte l'orage
,
E: qui produit toujours quelqu'utile rameau ,
Couvrant lui feul , par fon ombrage ,
Le bois qui le vit au berceau ,
Pouffe fans ceffe , étend fes profondes racines ,
Au loin , dans les forêts voisines
Il va faire fleurir de nombreux rejettons.
Tel toujours plus fécond , l'efpoir de la Couronne,
Deftiné pour remplir le trône ,
Fera partout regner un effain de Bourbons.
7
JANVIER. 47 1756.
Il naît l'aimable Comte. Auffi- tôt la natu re
Ouvrefon fein prodigue , & pare fon berceau ;
Venus lui prête fa ceinture ,
L'amour , fon arc & fon flambeau :
Les graces , que la joie accompagne fans ceffe ,
Ces amantes de la jeuneffe ,
Se hâtent de fourire à ce Prince naiffant.
Mais , quel objet me frappe , & quel bras le couronne
?
Garde tes lauriers , ô Bellonne !
Les Myrtes & les Aeurs font les jeux d'un enfant .
Vous , Minerve , accourez . Ce nouveau fils d'U
liffe
Doit fervir de modele à la postérité .
Formez fon coeur à la justice ,
Et fa voix à la vérité.
De ce bouton de lys , qu'à peine on voit éclore ,
Soyez le zéphir & l'aurore :
Qu'il exhale en tous lieux fes parfums, fon odeur;
Et que les pallions , ces trompeufes Sirenes ,
Par leurs meurtrieres haleines ,
Ne puiffent renverfer ni flétrir cette fleur-
Mais , où fuis-je à l'instant e Quelle lumiere pure ,
S'échappant tout-à-coup de la voute des cieux ,
Vient éclairer la nuit obſcure ,
48 MERCURE DE FRANCE.
Dont l'avenir couvre mes yeux ?
C'en eft fait. J'ai franchi les bornes éternelles ;
Du tems j'ai précédé les aîles ,
J'arrive , je pénétre au temple des Deftins.
Quels triomphes brillans ! quels autels je décou
vre !
Quel livre redoutable s'ouvre ,
Où font écrits les jours , & le fort des humains !
Je lis : France, écoutez. « Le Comte de Provence,
Iffu du fang Bourbon , fi fertile en grands Rois,
» Sera chéri par fa clémence ,
» Et rédouté par les Exploits .
Sage pendant la paix , Héros pendant la guerre,
» D'une main lançant le tonnerre ,
» De l'autre il répandra mille bienfaits divers .
» Il doit être l'image & l'amour de fon pere ,
» L'appui du trône de fon frere ,
Le rempart de l'Etat , l'effroi de l'Univers.
Telles font , Prince heureux , tes belles deſtinées .
Tu dois vivre longtems au gré de nos fouhaits ,
Et tu dois compter tes journées ;
Par tes exploits & tes bienfaits.
Quand aux enfans de Mars Janus , au front horrible
,
Ouvrira fon temple terrible ;
Alors
JANVIE R. 1756,
4*
Alors te fignalant par mille faits guerriers ,
L'équité conduira le char de la victoire ;
L'Amour fera près de la gloire ,
Et les lys bienfaiſans à côté des lauriers.
ParTeifferenc , de Lodeve , Garde du Roi.
REMERCIMENT du même Auteur
à M. le Duc de Bethune , après qu'il
lui eut fait l'honneur de le recevoir dans
La Compagnie des Gardes - du - Corps du
Roi.
L'efpoir dont j'ai long - tems enrichi mon idée ,
N'eft donc pas une douce erreur ?
Tu daignes couronner la noble & vive ardeur
Dont mon ame étoit poffédée .
Je fens tout ce que vaut une telle faveur.
Je fuis membre d'un Corps qui , ſoigneux de ſa
gloire ,
Veille à la fureté du plus puiffant des Rois ,
Et qui dans les combats dirigé fous tes loix
Balance le deftin , & fixe la victoire
Par les plus éclatans exploits.
Grand Bethune , pour prix de cette grace infigne ,
Un autre bruleroit un encens mérité ,
Traceroit tes vertus , ta grandeur , ta bonté ,
Et s'en croiroit peut - être digne.
1. Vol. C
So MERCURE DE FRANCE.
Pour moi j'ai moins de gloire , ou moins de va◄
nité ,
Je n'ofe peindre cette image.
Il faut trop charger ton portrait ;
Il faut représenter le héros & le fage
Le bel efprit , l'homme parfait ,
J'aime mieux dire moins , & fentir davantage.
Le fentiment du coeur eft le prix du bienfait.
LETTRE A M. DE B.
Sur le Roman Anglois intitulé : Hiftoire du
Chevalier Charles Grandifon.
Vous avez vu , Monfieur , régner ſur
notre Scene la Comédie édifiante . A peu
près dans le même tems , naquit en Angleterre
un nouveau genre de Roman vertueux.
M. Richardfon en fut le Créateur . Tout
le monde connoît Pamela & Clariffe.
Le fuccès de ces deux Romans nous en
a valu un troifieme du même Auteur.
C'est l'Histoire du Chevalier ( 1 ) Charles
Grandifon. Il en va paroître , dit- on , une
traduction . Vous ferez peut - être bien- aiſe,
Monfieur , d'en avoir , & d'en donner une
idée aufli fuccincte que l'ouvrage eft prolixe.
(1 ) Ou Sir Charles , felon la maniere Angloife .
A
JANVIER. 1756. 58
Le fujet de Pamela , eft la vertu récompenfée
dans une jeune fille fans naiſſance
& fans biens , qui époufe un Seigneur opulent.
Celui de Clariffe , la défobéiffance
punie dans une fille de condition , riche
fage , & fpirituelle , mais qui périt pour
s'être imprudemment jettée du fein d'une
famille injufte dans les bras d'un fcélérat.
Dans Grandifon enfin , on a voulu nous
étaler les caracteres de deux Amans égaux
par la naiffance , par la fortune & par
le
mérite , tous deux charmans , tous deux
accomplis , fidéles à tous les préceptes de
la Religion , & de la Morale , & dont la
Aamme vertueuſe eft enfin couronnée par
un heureux mariage.
Ce Roman eft donc comme la troisieme
& derniere ( 1 ) partie d'un Sermon en
vingt-cinq ou trente volumes , dans lequel
M. Richardfon a parcouru à fa maniere
toutes les fituations & tous les de-'
voirs de la vie.
C'eft , fi vous l'aimez mieux , une efpece
de Drame formé , au lieu de Scenes ;
d'une fuite de lettres . Les interlocuteurs ,
ou plutôt les interfcripteurs font en trèsgrand
nombre. L'Auteur en a prudemment
donné le Catalogue , avec leurs titres &
(1 ) L'Auteur a l'attention de nous en affurer
C ij
52 MERCURE DE FRANCE.
qualités à la tête du premier volume . La
Scene eft principalement en Angleterre ,
fouvent auffi en Italie , quelquefois même
ailleurs ; car notre Romancier ufe trèsamplement
du privilege de l'Epifode . Par
la même raifon , elle offre dans les perfonnages
une grande diverfité d'Etat , de Nation
& de Religion . Des Seigneurs Anglois
, des Comtes Italiens , des Evêques ,
des Moines , des Miniftres Anglicans , des
Dames , & des Chevaliers courans les
aventures , des filles enlevées ; d'autres
qui s'enfuient de chez elles , & qui paffent
les Mers pour aller trouver leurs
amans , tout cela cependant en tout bien
& en tout honneur ; ce n'eft , Monfieur
qu'une partie des différens Acteurs de ce
Roman dramatique..
ג
Les premieres lettres fervent de Prologue.
Des voifins de campagne , & des
cheres coufines de Miff Henriette Byron ,
ont pris la peine de les écrire exprès , pour
nous faire le portrait de cette héroïne .
On nous y peint fa beauté , fes graces , fon
efprit , fes talens , fes vertus ; on nous
conte fa vie , fon âge , fon bien , fes prétentions
, fes efpérances , fes conquêtes.
On nous apprend que la tête en tourne à
tous les Country Squires ( 1 ) à vingt lieues
(1) Gentilshommes Campagnards ,
JANVIER. 1756. 53
à la ronde. En un mot , la défolation eft
dans le pays à la nouvelle d'un voyage
qu'on lui fait faire inceffamment pour la
montrer à la Capitale.
C'eft à fon arrivée dans Londres que
MiffByron ouvre la Scene. Elle l'occupe
enfuite pendant plufieurs volumes ; car fes
lettres à fa coufine MiffLucie Selby, ne contiennent
pas feulement fa propre hiftoire ,
mais celle du Chevalier Grandifon , de
fon pere , de fa mere , de fes foeurs , de
fes beaufreres , de fes parens , de fes amis
morts & vivans , de fes pupilles , de fes
protégés , & de toutes leurs familles , en
ligne directe & collatérale.
Logée à Londres , chez des parens dont
la vie étoit affez retirée , la nouvelle beauté
y attire , fans le vouloir , le torrent des
vifices & la foule des foupirans. Les peres ,
les oncles , les riches vieillards en déviennent
amoureux pour le compte de leurs
fils ou de leurs héritiers. Les amans de
Province viennent défendre leurs anciens
droits : les agréables de la ville accourent
tous dans la confiance de l'enlever aux
campagnards. De ceux ci le plus obftiné
fur la défenfive , eſt un M. Granville , jeune
, aimable , riche , & donnant le ton dans
trois ou quatre Shires ( 1 ) , mais trop liber-
(1) Comtés ou petites Provinces d'Angleterre. "
Ciij
$4 MERCURE DE FRANCE.
>
tin , & furtout point affez férieux , affèz
compofé , au gré de la précieufe & dévote
Henriette. Parmi ceux - là , le plus ardent
à l'attaque eft Sir Hargrave Pollexfen
jeune auffi , plus riche encore , avec de la
figure , du maintien , des propos , des airs,
des condes en ailes de pigeon , & des épaules
élégantes , le tout à la derniere mode , &
rapporté tout fraîchement d'un voyage en
France .
Tant d'avantages réunis manquent leur
effet auprès de MillByron. Elle ne veut
de Sir Hargrave ni pour amant , ni pour
époux. La vanité du petit Maître bleffée
de ce mépris , plus encore que fa paſſion ,
lui fait prendre un parti , dont les graces
Françoifes difpenfent ordinairement ceux
qui ont le bonheur de les pofféder : c'eſt
d'enlever la Belle au fortir du bal de l'Opera.
L'Auteur ne manque point ici de
déclamer , fous le nom d'Henriette , une
pieuſe invective contre ces profanes divertiffemens
, & d'avertir qu'elle s'étoit laiffée
entraîner à celui - ci par pure complaifance
.
Des porteurs , gagnés par le raviffeur ,
la livrent entre les mains , au lieu de la
remettre chez fa parente ; on la conduit
bien loin dans une maiſon écartée où Sir
Hargrave lui propofe de l'époufer fur le
JANVIER. 1756. 55
Ez
ce
ht
a
5 ,
X
n
e
S
le champ , fi elle ne veut s'expofer à tous
les tranfports d'un amant furieux. Un Miniftre
paroît , & fans la confulter , com-.
mence la cérémonie. La belle prifonniere
pleure , crie, protefte , & fait tant de bruit ,
que les gens de la maifon refufent de fe
prêter à cette violence ; le raviffeur outré ,
jette la défolée Henriette dans un carroffe
à fix chevaux , y monte avec elle , la ferre
dans fes bras , & pour l'empêcher de crier,
lui met un mouchoir dans la bouche. Il
ordonne en même tems qu'on le mene
ventre àterre pour arriver avant le jour à
une maison de campagne , où il compte
bien d'apprivoifer fon inhumaine.
Quelque diligence qu'on faffe , le jour
paroît & avec lui Sir Charles Grandifon
. Il alloit à Londres , fuivi de quelques
domestiques. A la vûe de fon équipage
, Miff Byron qui depuis longtems fe
démenoit en vain dans celui de Sir Hargrave
, fait un dernier effort. Ses cris à
demi étouffés un ftore qu'elle trouve
moyen de lever , & les mouvemens violens
qu'elle laiffe entrevoir dans le carrofle
, en apprennent affez au généreux
Chevalier. Auffitôt en vrai redreffeur de
torts , il faute du fien , vole à la portiere ,
Pouvre , & pendant que fes gens tiennent
en refpect l'efcorte du raviffeur , il lui arra-
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
che fa proie , après l'avoir défarmé. Le
Héros déconfit , n'en eft pas quitte pour
la honte : il reçoit , en fe débattant , un
coup de pommeau de fa propre épée , qui
lui fait fauter deux dents de devant . Il
les avoit belles , ou du moins s'en piquoit .
Qu'on juge de fon déſeſpoir .
Cependant l'heureux Grandifon prend
dans fes bras la belle inconnue pâmée
de frayeur à la vûe du combat , la porte
dans fon carroffe , & retournant fur fes
pas , la conduit à Colnebroke . Il avoit- là une
maifon où il demeuroit avec fes deux
foeurs à qui il remet entre les mains
Miff Byron toujours évanouie . A peine
par leurs foins a - t'elle repris connoiffance
, qu'en vainqueur modefte , il s'éclipfe,
& reprend la route de Londres .
Les attentions & les careffes de Mylady
L *** & de Miff Charlotte , rendent bientôt
la vie à notre dolente Héroïne. Mais
c'eft pour lui faire fentir la plus vive inquiétude
fur tout ce que ces Dames & fon
libérateur pourront penfer de fon aventure.
Elle étoit encore en habit de mafque.
Nouveau fujet de confuſion
pour la
prude Henriette ! Elle n'a pourtant pas de
peine à faire fon apologie ; fes juges font
gagnés. Le fage Grandiſon a été frappé de
fes charmes expirans , & les deux foears
JANVIER. 1756. 57
en font déja éprifes ; car une des chofes
où l'Auteur a le mieux obfervé la vraifemblance
, c'eft que toutes les femmes
fe prennent de tendreffe pour Miff Byron ,
précisément parce qu'elle eft la plus belle.
Sir Charles a bientôt fini les affaires qui
l'appelloient à Londres. Il reparoît à tems,
& c'est pour ſe montrer encore plus à fon
avantage aux yeux de la difficile Henriette.
Les belles chofes qu'elle apprend du
Chevalier par fes foeurs & toute fa maifon
; ce qu'elle en a vu elle- même ; la reconnoiffance.....
furtout l'amour de la vertu
, tout cela commence à la décider fans
qu'elle croye l'être . C'eft un fentiment
nouveau , inconnu , qu'on prend d'abord
pour de l'eftime , & bientôt il fe trouve
qu'on préfere Sir Charles à tout ce qu'on
a jamais vu . Ce n'eft point parce qu'il a
26 ans , qu'il eft fait à peindre , qu'il a les
plus beaux yeux , les plus belles dents , les
plus beaux cheveux du monde ; on fait bien.
en paffant , toutes ces petites remarques :
mais qui eft ce qui fe foucie de ces mifereslà
? C'est parce qu'on croit voir en lui le
plus honnête homme , le plus modeſte ,
plus vertueux de toute la Grande - Bretagne.
le
Careffée , adorée dans cet heureux afyle ,
quoique Miff Byron ait la force d'écrire
des lettres infinies à tous les parens & amis,
C v
S MERCURE DE FRANCE.
furtout à la chere Lucie , elle n'eſt pas encore
en état de voyager. Les violences de
Sir Hargrave l'avoient mife aux abois ; il
faut du tems pour s'en remettre. D'ailleurs
on l'aime , on la chérit trop à Colnebroke :
le moyen de quitter des gens à qui elle a
tant d'obligations ? Cette Mylady L*** eſt
d'un fi excellent caractere ! Mi Charlotte
eſt fi aimable , fi enjouée , fi fpirituelle ! &
puis on eft là fi tranquille ! on y goûte fi
bien le contrafte du tourbillon de Londres !
Point d'hommes furtout , quel plaiſir !
Quelquefois feulement Sir Charles Grandifon
, mais pas fouvent , ni fort longtems.
Ce pauvre Chevalier a tant d'affaires , fa
belle ame eft fans cefle fi occupée du bonheur
d'autrui ! Il part à tous momens pour
Londres !
Dans un de ces voyages , la vertu du
Héros eſt miſe à une finguliere épreuve . Il
reçoit un cartel de Fédenté Pollexfen. L'accepter
& tuer fon homme , feroit une
chofe triviale. Le fin de l'affaire , eft de
ne point fe battre , & d'en fortir couvert
de gloire ; c'est ce que fait Sir Charles.
Quoiqu'il n'exige aucun facrifice , qu'il
nie même les prétentions & les avantages
que Sir Hargrave lui fuppofe auprès
d'Henriette , il ne peut empêcher cet honnête
rival de lui facrifier les fiennes . En un
JANVIER. 1756. 59
mot , ils dînent enfemble , & fe quittent
les meilleurs amis du monde.
par
Vous jugez bien , Monfieur , que ce
n'eft pas l'affaire d'un moment , la feule
relation de cet exploit pacifique , tient au
moins un demi - volume. L'aventure n'eft
mife à fin qu'après un long enchaînement
de rendez-vous , de vifites & de conférences
où la doctrine des injures , des duels ,
& du point d'honneur , eft difcutée à fonds
les interlocuteurs. Ils étoient quatre ,
les deux parties & deux feconds de Sir
Hargrave. Pour nous conferver en entier
ce Traité de morale , un témoin obligeant
écrit tous ces dialogues dans la même forme
que des Scenes de Comedie. Il les envoye
àMiffByron qui recopie le tout pour
la chere coufine , & grace à fon admiration
pour les fentences dorées du fage Grandifon
, on n'en perd pas une fyllabe.
Ce n'eft pas ici feulement que M. Richardfon
a employé cette forme de diałogue.
Elle fe retrouve généralement dans
tout fon ouvrage . Rien n'étoit pour lui
plus commode , même plus néceffaire. Ses
converfations ne finiffent point , & s'il
avoit fallu les renouer fans ceffe avec des
dit-il , répondit-elle , répliqua- t'il , repritelle
, interrompit- il , ce fréquent retour de
trois ou quatre mots auroit achevé de le
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
> 2
rendre infoutenable au Lecteur le plus intrépide.
Franchement vous devriez
Monfieur , propofer fon exemple à quelques-
uns de nos Romanciers célebres . Avec
beaucoup plus de fineffe , de légereté , de
faillie , dans leurs entretiens , ils y montrent
le même goût pour la prolixité. La
morale de l'écrivain Anglois fe noye dans
un long verbiage. L'efprit des nôtres , eft.
délayé dans un long perfiflage . Qu'à fon
imitation , ils s'épargnent du moins l'embarras
monotone de ces liaifons parafites.
Ils en feront plus libres , & le Lecteur plus
à fon aife. Mais retournons à Colnebroke,
où j'ai laiffé notre Héroïne .
Jufqu'ici tout fembloit aller le mieux du
monde pour fa naiffante flamme . Des nou,
velles d'Italie arrivent fort mal à propos
au Chevalier Grandifon . Il n'en dit point
le contenu , mais il en paroît fi touché.
Il annonce fi fubirement un prochain départ
pour ce pays- là , que la fiere Henriette
commençe à connoître l'amour par
un accès de jalousie. En vain elle cherche
à fe déguifer tout ce qu'elle éprouve , fa
curiofité redouble fur la vie paffée de Sir
Charles , & elle apprend trop tôt qu'il
avoit eu en Italie une affaire de coeur, dont
il n'étoit point dégagé.
*
Quoique notre Héros n'eût pu cacher à
JANVIER. 1756. GL
cette Belle un eftime fort tendre , qu'il ne
ceffât pas même de lui marquer les foins
les plus empreffés , & les attentions les plus
délicates , il ne lui avoit point fait encore
de déclaration dans les formes ; il avoit
même paru extrêment réservé dans fes expreffions
& dans fes démarches .
Jugez , Monfieur , de l'agitation que
cette découverte doit caufer chez une
beauté accoutumée à des triomphes certains.
Son Chevalier eft dans la regle des
procédés . Le moyen de s'en prendre à lui ?
Elle lui doit tout , il n'a aucun tort. Le
coeur d'Henriette n'eft fait ni pour l'injuftice
, ni pour l'ingratitude ! Continuer à le
voir , cela eft dangereux : nourrir , fortifier
un fentiment qu'il faut détruire ; un
amour fans efpoir , l'idée en fait frémir !
Quelle honte quelle humiliation ! Elle
en mourroit de douleur. La fituation eft
embarraffante. Quel parti prendre ? Miff
Byron s'y réfout avec beaucoup de larmes.
C'eft de retourner à Londres , & d'en repartir
auffitôt pour aller fe renfermer avec !
une grand'mere au fond d'une terre écartée
; car elle ne veut plus voir le monde :
elle en a fait en peu de tems une trop
funefte expérience ; elle y renonce fans regret
; & comment fouffrir des hommes
après le Chevalier Grandifon ?
G2 MERCURE DE FRANCE.
Ces petits combats de l'amour & de
la vertu , ou fi vous voulez de l'orgueil
bleffé , percent dans les lettres de Miff
Byron à fa chere Lucie ; celle- ci ne fe contente
pas de lui en faire une petite guerre ;
ce qui paffe la raillerie , c'eft qu'elle lit
un peu ces lettres à toute la parenté ,
de forte que l'amour de la fiere Henriette
pour le miraculeux Grandifon , devient
un fecret de famille , dont on lui fait déja
d'affez fots compliment ; car vous fçaurez ,
Monfieur , que dans cette race des Selbys ,
il y a de très-mauvais plaifans ; un certain
oncle entr'autres , qui pour égayer la matiere
, nous régale par- ci par- là de fes
facéties , elles me feroient foupçonner que
le grand art du perfifflage eft encore loin en
Angleterre du point de perfection où
nous l'avons porté en France.
De retour à Londres , la trifte Henriette
voudroit s'aller précipiter dans les bras de
cette grand'mere . Mais fait - on jamais.
ce qu'on veut d'abord elle eft chez des
parens qui en font engoués comme tout
le monde : ils ne veulent point la laiffer
aller ; Sir Charles & fes foeurs font auffi à
Londres ils faut recevoirleurs vifites &
remplir, vis-à-vis de toute cette famille , les
devoirs de la bienféance. D'ailleurs Miff
Charlotte ne veut plus quitter fa nouvelle
JANVIER. 1756 . 63
amie : elle propoſe un expedient. Le Chevalier
eft fur fon dépatt , & pendant fon
abſence , MiſsByron reviendra paffer quelque
temps à Colnebroke. Miff Grandifon eft
vive , abfolue : il faut faire ce qu'elle veut
ou fe brouiller avec elle . Il eſt donc décidé
, qu'on ne fe jette point encore toutà-
fait dans la retraite .
Cependant Sir Charles part pour l'Italie.
MiffByron reſtée vis- à- vis des deux
foeurs de fon Chevalier , leur fait conter
l'hiftoire de fes amours dans ce pays- là.
Il s'étoit un peu plus ouvert fur le motif
de fon voyage ; il en avoit même dit un
mot à notre Héroïne , mais l'amour &
l'amour jaloux veut toujours des détails ;
c'eft la punition de fa curiofité. Les foeurs
de Grandifon n'en fçavoient pas affez pour
contenter celle de notre Héroïne ; mais
ce qu'elles ignorent , le révérend M. Bartlet
le fçait heureuſement par coeur.
Ce M. Barlet eft un vieux Miniftre qui
avoit accompagné le Chevalier dans fes
voyages , qui tient regiftre de fes vertus ,
de fes exploits , qui , à l'imitation du fidele
Feraulas ( 1 ), fçait le compte jufte des foupirs
de fon patron , & qui plus eft , de
ceux qu'on a pouffés pour lui.
(1 ) Ecuyer d'Artamene , dans le Roman de
Cyrus.
64 MERCURE DE FRANCE.
C'est ici , Monfieur , que commence le
prodigieux épiſode de la Signora Clementina.
Pour tâcher de le rendre auffi court
qu'il eft long , vous fçaurez que Sir Charles
étant en Italie , avoit fauvé par ſa valeur
des mains des affaffins , un Comte
Jeronimo della porreta , frere de cette Demoifelle
; que fa famille , une des plus
confidérables de Bologne , en avoit témoigné
fa reconnoiffance à notre voyageur
par toutes les marques d'attention &
d'amitié imaginables ; que devenu intime
& familier dans la maifon , on l'avoit
prié de donner quelques leçons d'Anglois
à la jeune Clementina ; qu'il s'en étoit fait
un amuſement , & cette pauvre enfant
une affaire trop férieufe ; qu'elle avoit
caché fa paffion jufqu'au départ de fon
aimable maître , & reçu même fes adieux
avec fermeté mais qu'après ce dernier
effort , elle avoit fuccombé à la violence
de fa douleur ; qu'elle étoit tombée
dans une alternative continuelle d'évanouiffemens
& de tranfports terribles , en
un mot devenue folle , & folle d'amour.
Que le mal étant connu ' , on avoit couru
au remede, en rappellant bien vîte le Chevalier
Grandifon ; que fa feule préfence
avoit fait difparoître tous les accidens ,
& qu'afin de guerir radicalement la jolie
JANVIER. 1756. 65
malade , on la lui avoit offerte en mariage
; que la Demoiſelle étant jeune ,
belle , riche , de qualité , vertueuſe , pleine
d'efprit , parfaitement bien élévée ,
ayant même infpiré au Chevalier des
fentimens que la différence de nation ,
de religion , & quelques autres motifs iui
avoient fait étouffer par prudence ; enfin
fon malheur même la rendant plus chere
à un coeur fenfible & généreux , il avoit
accepté cette offre avec joie ; mais qu'un
Pere Marefcotti , le Confeffeur & l'oracle
de la famille , avoit tout gâté en exigeant
que Sir Charles le fit catholique ; que
celui- ci piqué de la propofition , avoit
rompu là- deffus , laiffant à regret la pauvre
Clementina retombée dans fes accidens
à la nouvelle de cette rupture ; qu'il
avoit cependant promis de revenir , & de
renouer dès qu'on renonçeroit à cette prétention
; que depuis le retour du Chevalier
en Angleterre , l'état de Clementina
n'avoit fait qu'empirer , qu'il y alloit même
de fa vie , qu'en dernier lieu la famille
avoit écrit au Chevalier , pour le
fupplier d'accourir au fecours de cette infortunée
, & que c'étoit l'objet de fon
voyage en Italie.
Sir Charles arrivé à Bologne , y trouve
un rival fur les rangs ; c'eft le Comte de
66 MERCURE DE FRANCE.
Belvedere , grand Seigneur du pays , que la
paffion & la folie de Clementina , n'empêchent
point de la demander en mariage ;
mais l'obſtacle toujours le plus infurmontable
, c'eft le Confeffeur , qui a rempli
l'efprit de fa pénitente de fcrupules & de
terreur , au point qu'avec tout fon amour
elle préfere un cloître , à un époux proteftant.
Vous concevez dès -lors combien ce
voyage étoit inutile . Auffi ne fert - il qu'à
l'Auteur qui ne veut point finir , & qui
promene le Heros d'aventures en aventures
dans toute l'Italie , pour préfenter fous
plus de faces différentes , fon héroïſme
de courage , de morale & de religion.
Cela ne jette pourtant pas beaucoup
de variété dans fes peintures : le coloris
en eft triste , monotone , les attitudes forcées
, les figures mal grouppées & fans ordonnance.
La Signora Olivia , autre fille
de condition , riche héritiere de Florence ,
maîtreffe de fon bien & un peu trop de
fa perfonne , prefqu'auffi jeune & aufli
belle , pas tout-à- fait fi fage que Clementina
, mais auffi pas fi folle , fe contente
de courir les champs après notre Cheva .
lier , & de le fuivre jufqu'en Angleterre.
Il paroît que l'Auteur a voulu faire contrafter
ces deux caracteres de femme.
QNNB
JANVIER. 1756. 67
Cette oppofition , s'il y en a , ne fait
aucun effet. Olivia eft un perfonnage qui
ne produit rien , qui n'empêche rien , qui
ne mene à rien , qui ne fait qu'entrer par
une couliffe & fortir par l'autre , comme
prefque tous ceux que M. Richardfon
préfente fur la fcene. Il n'en réfulte
qu'une tentation de plus , à laquelle il
expofe fans néceffité la vertu de fon Chevalier
, pour l'en faire triompher fans mérite.
De retour en Angleterre , Sir Charles
retrouve Henriette un peu raffurée fur le
compte de la Signora Clementina : elle avoit
fçu de temps en temps , une partie de ce
qui fe paffoit en Italie : elle l'écrivoit à
mefure, à Miff Lucie Selby. Son Chevalier
lui raconte le refte , & cela fait une
feconde édition déja fort augmentée ; mais
ce n'eft pas encore affez : pendant fon
voyage , il avoit écrit fort régulierement ,
& de très -longues lettres à fon Mentor
Barlet . Pour fatisfaire pleinement l'ardente
curiofité de Miff Byron , ce Miniftre
les lui confie : elles les envoie ,
pour les lire à fa chere correfpondante ;
on ne manque point de nous en faire
part. C'est la troiſième édition , & aſſurément
la plus complete. Ah , Monfieur !
quelle mémoire que celle de notre Hé68
MERCURE DE FRANCE.
ros ! il a retenu mot pour mot non - feulement
toutes fes converfations avec Clementina
, avec les parens , mais encore
tous les difcours qu'elle a tenus dans fon
délire. Tout ce qu'il n'a point entendu ,
on le lui a rapporté fi exactement , qu'on
n'en perd pas un foupir, une exclamation , &
c'eft de ce délire que M. Richardfon a trouvé
le fecret de former environ deux volumes.
Apréfent , Monfieur , vous croyez peutêtre
que l'hiftoire eft finie & qu'il n'y a plus
qu'à marier nos deux principaux perfonnages
, point du tout : Sir Charles a bien
d'autres affaires. D'abord il n'eft pas décidé
a rompre fans retour fes engagemens
avec Clementina ; fa délicateffe du moins
exige qu'il donne à cette famille quelque
temps encore pour prendre un parti .
Mill Byron elle même eft plus touchée des
malheurs de fa rivale , qu'empreffée d'en
profiter ; elle l'aime tendrement , verfe unt
torrent de larmes au recit lamentable de
fes amours infortunées , & quoiqu'il en
coûte à fon coeur , elle eftimeroit moins
fon amant , s'il étoit capable d'oublier
fitôt une fi rare maîtreffe . D'ailleurs , des
foins oeconomiques , les affaires d'une tutelle
, la mort d'un ami qui l'a nommé
exécuteur teſtamentaire , le mariage de fa
JANVIER . 1756. 69
100
foeur cadette , la converfion d'un vieux
oncle libertin dont il doit hériter , & qu'il
marie auffi exprès par cette raifon , tout
cela exige de notre Héros plufieurs courſes
en Angleterre & un voyage en France.
Henriette cependant n'eft rien moins
que tranquille. Outre la pauvre Clementina
elle a encore à redouter une foule de
rivales. Il n'y a à cet égard que trop de
conformité , entre fon étoile & celle de
fon Chevalier. Si parmi la jeuneſſe Angloife
, tout ce qu'il y a de grand , de
beau , de riche , de brillant , forme pour
MiffByron des voeux légitimes , les jeunes
Myladis , les riches héritieres , les veuves
opulentes ne peuvent entrevoir Sir Charles ,
fans pouffer pour lui de chaftes foupirs . Il
eft accablé de propofitions , il n'en accepte
aucune ; mais enfin il n'en a pas fait encore
d'affez claires à la fiere Henriette ;
elle qui en a tant rejettées , attendoit celleci
avec une fecrete impatience. Sa beauté
célebrée , ſon mérite affiché , une fortune
honnête , & des eſpérances confidérables
lui en attirent tous les jours de nouvelles
; elle refuſe tout , jufqu'à des Pairs
du Royaume. Le manteau & la couronne ,
font des trophées pour Grandifon . Il eſt
temps enfin de fe payer de part & d'autre
ces brillans facrifices.
70 MERCURE DE FRANCE.
Je ne fuivrai point l'Héroïne dans ſes
différentes courfes à Londres , à la campagne
, dans fa province . Elle écrit de partout,
& partout elle reçoit des lettres . C'eſt
un enchaînement qui a dû être pénible
pour notre Romancier . Toutes les lettres
font datées ; il a fallu faire quadrer exactement
ces dates avec les circonstances
du temps & la diftance des lieux. Vous
voyez , Monfieur , que c'eſt un chef-d'oeuvre
de chronologie.
Mais revenons à MiffByron , je la retrouve
à Selbyboufe ( 1 ) , dans le fein de fa
famille ; elle y apprend enfin des nouvelles
plus décifives : le Chevalier en avoit
reçues d'Italie , qui le difpenfoient déformais
de fonger d'avantage à Clementina .
Depuis quelque temps , lui écrivoit- on
elle paroiffoit plus tranquille , mais toujours
remplie de fes anciens fcrupules : elle
parloit fans ceffe de fe faire religieufe.
Ses parens vouloient aucontraire la marier
au Comte de Belvedere , & fe flattoient
d'y réuffir ; ils rendoient à Sir Carles
toute fa liberté.
Le premier ufage qu'il en fait , c'eſt de
demander àHenriette fa permiffion , & aux
parens leur agrément , pour fe rendre au-
(1 ) C'eft-à- dire , Maifon ou Château des Selbys
JANVIER . 1756. 71
près d'elle. Il eft reçu à bras ouverts , &
dans peu de jours la cérémonie met le
comble à leurs voeux. Dans Pamela c'eſt
un mariage prefque clandeftin ; dans Clariffe
il n'y en a point du tout. Ici l'Auteur
fe dédommage , en déployant tout fon talent
pour la defcription d'une noce ; il
n'en omet aucune circonftance poffible : il
en fuit pas à pas tous les préliminaires , &
n'oublie pas les petites façons d'une mariée
, moitié commere , moitié précieufe ;
& le plus fingulier , c'eft que c'eft ellemême
qui fe retire à tout moment pour
écrire à meſure cette importante relation
: c'eft apparemment pour donner à tous
ceux qui fe trouveront à pareille fête ,
commes acteurs ou comme fpectateurs ,
un modèle de la conduite qu'ils doivent
y tenir.
Avec un autre Auteur que M. Richardfon
, il fembleroit que tout eft dit , mais il
ne quitte pas ainfi des gens dont il eft
fi content. Il accompagne les mariés dans
la tournée de leurs terres. Il les ramene
à Londres , reçoit avec eux les vifites ,
retient copie des complimens & des converfations
, les fait differter gravement
fur divers fujets de morale , affifte auteftament
& à la mort édifiante de Sir Hargrave
, converti & exhorté par le Cheva72
MERCURE DE FRANCE.
lier Grandifon ; & enfin , ne prend congé
de la nouvelle mariée , qu'après s'être
duement affuré de fa groffeffe. Auriezvous
défiré , Monfieur , qu'il eût attendu
après les couches , pour vous en faire le
récit ? Si vous étiez curieux de ce genre
d'hiftoire , notre Romancier y a pourvu
d'avance , il avoit eu foin de marier Mil
Charlotte Grandifon , avec Mylord G***,
neuf ou dix mois avant fon frere ; elle eſt
précisément en couche dans le temps de
la cérémonie , & c'eft à elle que l'Auteur
en fait adreffer la relation ; cette maternité
lui fournit mille jolies chofes . Mylady G***
quoique très- vertueufe , étoit une éveillée
, une petite philofophe , qui traitoit
fort légérement & fon mari & le mariage.
Mais à peine elle fe voit mere , qu'elle
prend bien un autre ton , & devient tout
bourgeoiſement ce qu'on appelle une bonne
femme. Elle careffe fon mari , elle eſt
folle de fon enfant , elle remplit des lettres
entieres de fes petits jeux & de fes
gentilleffes.
Mais une apparition à laquelle on ne
s'attend point , c'eft celle de la folle &
vertueufe Clementina . Peu de temps après
ce mariage , elle fe dérobe à la vigilance
de fes parens , & arrive incognito en Angleterre
. Elle ne fçait pas trop pourquoi.
Dans
JANVIE R. 1756. 73
dans fon état cela eft fimple , mais on
ne trouve pas aufli facilement l'excufe de
l'Auteur , pour lui avoir fait faire aprèscoup
cette finguliere équipée.
Quoiqu'il en foit , le Chevalier trop fûr
du caractere de fa femme , pour lui en faire
un myftere , lie entr'elle & fa rivale une
amitié fort tendre , & quoique Clementina
ne foit rien moins que guérie de fon
mal ni de fon amour , M. Richardſon accommode
fort bien tout cela avec le fecours
de la vertu . C'eft fon remede univerfel , &
qui entre fes mains ne manque jamais fon
effer. C'eft par- là qu'il étouffe le germe
du défir dans le coeur d'une amante , &
le levain de la jaloufie dans celui d'une
époufe , & qu'il tient fon Héros renfermé
entre ces deux femmes , dans les limites
chatouilleufes de l'amour & de l'amitié.
Ces trois perfonnages ne fuffifent pas
pour remplir la fcene, au gré de notre Romancier.
Il y amene de la Romagne, aux
bords de la Tamife , la famille entiere
della Parreta, pere, mere, freres , jufqu'au
Confeffeur, & au très-humble foupirant le
Comte de Belvedere. Ils retrouvent enfin ,
la chere Clementina : ſon eſcapade eft bientôt
pardonnée ; perfonne ne s'avife de
foupçonner fa conduite , & d'ailleurs Sir
Charles en répond. Il promene dans Lon-
1. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE .
dres , & mene enfuite dans fes terres cette
ambulante famille . Mylady Grandifon leur
en fait les honneurs : tout fe paffe le mieux
du monde; & tout jufqu'auMiniftre Bartelet,
devient ami intime du Moine Marefcotti ;
après quoi toute la caravane s'en retourne
avec Clementina , à peu près comme elle
étoit yenue ; & l'hiftoire finit parce qu'il
faut que tout finiffe .
pas
Voilà , Monfieur , tout le fujet & le
principal épifode ; je vous en ai déja indiqué
quelques autres , tous fubalternes &
ifolés . Il ne tiennent à rien qu'au deſſein
de l'Auteur , qui étoit de bien charger
le caractere de fon Héros , de le barder ,
pour ainfi dire , de toutes les vertus divines
& humaines . C'eft ainfi qu'à chaque
il fait trouver fur le chemin du brave
& picux Grandifon , d'honnêtes gens à
qui il fauve la vie , des fcélerats qu'il
met en faite , des rodomonts qu'il fubjugue
, des débanchés qu'il convertit , des
malheureux qu'il foulage , des ennemis
qu'il reconcilie , des mourans qu'il exhorte
, des donations , des legs qu'il refufe
ou qu'il diftribue aux héritiers légitimes
, des familles entieres qu'il prend fous
fa protection , des jeunes filles qu'il marie
ou qu'il prend le foin défintéreffé d'élever
lui-même ; telle eft une pupille de
JANVIER . 1756. 75
quatorze ans , Miff Emilie Jervis , jolie ,
tendre , touchante & innocemment amoureufe
de fon jeune tuteur.
Tout cela fait le rempliffage de ſept
gros volumes in- 12 . en très - petit caractere ,
fur lefquels je ne prétends point prévenir
votre jugement. Quelque peu connue que
foit encore en France ce Roman de bibliothèque
, les avis y font déja partagés.
Au gré de beaucoup de Lecteurs fenfés , le
nombre & la combinaifon de tant d'exploits
vertueux & de tentations furmontées
, entaffés dans deux ou trois ans de
la vie d'un jeune homme , ne font pas plus
vraisemblables que les aventures gigantefques
des Rolands & des Mandricaris ( 1 ).
Ils trouvent dans le caractere de Grandifon
, un Amadis dévot , & dans celui
de Miff Byron , une Cléopaire de campagne.
Ils foutiennent , d'après des Anglois
du grand monde , que M. Richardfon en
a totalement ignoré le coftume , que même
il l'a mal obfervé dans des aventures
bourgeoifes & triviales. D'autres au contraire
, ne voient dans le plan & dans
l'exécution de cet ouvrage , que le bon
fens, la vertu & la faine morale, perfonnifiés
d'une maniere auffi ingénieufe qu'in-
( 1) Héros du Berni , de l'Ariofte , &c.
2
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
téreffante . Ce livre même pourroit bien
avoir parmi nous , comme tant d'autres ,
fa cabale & fes fanatiques , Paris furtout
eft plein de ces beaux efprits en fous - ordre ,
Jurés-crieurs de certaines fectes littéraires
Auteurs à peu de frais , qui fçavent mal
leur langue & point du tout les autres ,
gens qui ne lifent ni ne jugent , mais
qui proclament fierement les déciſions
de leurs coriphées . J'en ai déja vu quelqués-
uns préconifer l'hiftoire du Chevalier
Grandifon , fur la foi d'un bel efprit en
chef qui ne l'avoit pas lue.
Si vous defirez , Monfieur , de fçavoir
ce qu'on en a penfé en Angleterre, ję
m'en rapporte à l'article fuivant . Je l'ai
trouvé dans le meilleur & le plus imparrial
des Journaux de Londres ( 1 ) ,
J'ai l'honneur , &c.
HISTOIRE.
Du Chevalier Charles Grandifon .
IL feroit fuperflu de nous étendre fur
un ouvrage que tout le monde lit , dont
tout le monde parle , qu'une moitié du
monde approuve
, & que l'autre cenfure.
( 1 ) Monthly Rewiew , on Revue du mois . Jan
vier 1754
JANVIE R. 1756 . 77
Cette différence eft fort naturelle : chacun
blâme ou loue un ouvrage felon le rapport
ou l'oppofition de goût & de fentimens ,
qui fe trouve entre l'Auteur & lui . Ainfi
les efprits vifs , prompts & faillans , condamnent
la prolixité qui caracterife notre
Romancier , & crient qu'au moins par
pitié , il leur abrege fept ennuyeux volumes
; d'autres plus froids , plus tournés à
la réflexion & à l'anatomie du fentiment ,
chantent encore plus haut les louanges
de l'Auteur. Ils ne fe laffent point d'admirer
, d'exalter ces innonibrables minucies ,
cette infinité de petits détails , ces foigneufes
énumérations de legeres circonftances,
ces fleurs de defcription , ces beautés
d'attitude , ces délicateffes de fituation ,
que l'on trouve fi fréquemment dans tant
de milliers de pages très- amples.
Dans cette diverfité de jugement , peutêtre
nos Lecteurs ne s'attendent point à
nous voir garder un profond filence . Cependant
nous obferverons que notre fonction
cft plutôt de tendre compte des ouvrages
nouveaux , que d'en décider . Nous
fommes difpenfés de faire l'analyfe d'un
livre auffi répandu ; nous prétendons encore
moins en porter aucun jugement.
Mais pour ne parler que de l'impreffion
que nous a fait cette lecture , nous avoue-
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
rons qu'elle a produit alternativement &
du plaifir & du dégoût . Nous devons l'un
au bon fens de l'Auteur , à fes excellens
fentimens , fes judicieufes obfervations ,
fes réflexions morales ; l'autre à l'abfurdité
d'un plan qui fuppofe une fociété entiere
, paffant toute fa vie à écrire des
lettres & à publier des fecrets de familles
, à l'abus continuel que l'Auteur a fait
de notre patience , par l'extrême verboſité
qui régne dans tout fon ouvrage ; à la gêne
étudiée où fa méthode l'affujettit ; à la
fréquente affectation qu'on remarque
dans fon langage , & à l'inconftance de caractere
& de conduite , qui défigure quelques-
uns de fes principaux perfonnages.
CHANSON.
Pour Mile F .... fur fa nouvelle demeure
dans l'ifle S. Louis.
Air : La Mufette de Deforoffes.
Divinité ( 1 ) de l'ifle oùma Bergere
Vient de fixer fon aimable féjour ,
Sois- moi propice ; écoute ma priere :
J'adore Iris , l'ornement de ta Cour.
Que nul mortel n'aborde ton rivage's
(1) La Seine.
Conseila MP9E9 ...de la Rav ...
Impromptu Poëtique & Musical .
ParM. Roualle de Boisgelou,
Mousquetaire Voir
Air Cendre unpeu animé et louré.
NEcoutesplusla voix de la raison aus
plus tendrem !
tere, Relenés la leçon d'un sincere Berger,
Reprise
+
Quand, comme vous on sçaitplaire Il
faudroit, co+mme moi, çavoir limer
Quand, comme vous on saitplaire Il
faudroit, comme moi,sçavoir Aimer
Dans ce vers Quand, comme vous,onsçaitplair
Il faut en chantantfaire une espece de petit
vilence aprés le motQuand, pour sauver le
dureté de ce overs. Fanvier 1756
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
ARTOR, LENOX AND
EN FOUNDATION
JANVIER . 1756. 79
Que de ta nymphe on refpecte la loi :
Cache fa grotte : ouvre- m'en le paflage ,
Et le refuſe à tout autre qu'à moi .
MADRIGAL.
De M. de Relongue de la Louptiere , à une
Dame déguisée en Chevalier de Malthe.
Genéreux
Enéreux Chevalier , qui dans vos caravanes ;
N'avez jamais admis de coeurs faux & profanes ,
Vous que la nature a formé
Sur les plus aimables modeles ,
Ah ! que vous êtes bien armé
Pour combattre les infideles !
Le mot mot de l'Enigme du fecond volume
du Mercure de Décembre eft Pelotte de
Neige ; celui du Logogryphe , Peur , dans
lequel on trouve peu , rue , pur , ver , pure .
Ce même mot fe trouve en Acroftiche
dans les quatre premiers vers.
ENIGM E.
TRès-difpofée à la hauteur ,
Prefque toujours je rampe à terre.
Ce pour & contre , Ami Lecteur
N'a pourtant rien que d'ordinaire .
Div
80 MERCURE DE FRANCE
Je fçai donner l'air de grandeur
A la Bourgeoife , ainfi qu'à la Princeffe.
Sans avoir part à la faveur ,
J'éleve & foutiens la nobleffe :
Qui croiroit après cet honneur ,
Que pour avoir quelque mérite ,
Il faille me montrer petite.
LOGOGRYPHE.
JE porte main ,
Je porte nain ,
Je porte bain ,
Je porte
fain ,
Je porte coin ,
Je porte foin ,
Je porte biais ,
Je porte niais ,
Je porte bois ,
Je porte mois ,
Je porte mi ,
Je porte fi ,
Je porte mis ,
Je porte Bis ,
Je porte anis ,
Je porte amis
Je porte ſon ,
Je porte mon
>
JANVIER. 1756. 81
Je porte anon ,
Je porte non ,
Je porte mion ,
Je porte fion ,
Je porte Siam ,
Je porte jam ,
Je porte Boc ,
Je porte foc ,
Je porte Bac ,
Je porte fac,
Je porte ac ,
Je porte mac ,
Je Bas
porte
Je porte cas.
Poiffon , à Pomard , près Beaune , en Bourgogne
, le 4 Décembre 1755.
Je fuis
ENIGM E.
E fuis craint à la fois des filles , des filoux , >
Du turbulent bourgeois , des fervantes , des foux ,
On n'entre point chez moi , qu'une nombreuſe
efcorte
Au peuple curieux ne défende la porte.
Mon habit en impofe , il eſt tout mon foutien ,
Avec lui je peux tout , fans lui je ne puis rien.
Par le Roux , domestique chez M. le Duc
d'Ollonne.
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
LOGO GRYPHE
, par B. D. B. En
Sonnet , par
L'Humaine ambition me donna la naiffance;
Mes fervices d'abord étoient de peu d'effets ;
Mais ayant reconnu quelle eft ma réſiſtance ,
On m'employa depuis à de très-grands projets.
Par mon fecours les Rois confervent leur puiffance
,
On peuple quelquefois des déferts , des forêts ,
L'Artifan s'enrichit , le Militaire avance ,
Enfin je fuis utile aux Princes , aux Sujets.
Huit lettres font mon nom ; pour peu qu'on les
déplace ,
Le Lecteur trouvera de l'homme une boiffon ,
Un fer propre à tenir , & glace , & lit en place.
II peut trouver encore une graine , un poiffon ,
Un Saint du mois de Mai , du Monde une partie,
la mort détruit , un gros bourg d'Italie. Ce
que
CHANSON.
Par M, Roualle de Boifgelou , Mousquetaire
noir, à Mlle L'Ev .. de la Rav..
N'Ecoutez plus la voix de la raiſon auftere ,
Retenez la leçon d'un fincere Berger :
Quand , comme vous , on fçait plaire ,
Il faudroit , comme moi , fçavoir aimer.
JANVIE R. 1756. 83
1.
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
DISCOURS
Prononcé en présence de Sa Majesté Polonoife
, Staniflas I , dit le Bienfaifant , le
26 Novembre 1755. jour de la Dédicace
de la Place & de la Staine de Sa Majesté
Très - Chrétienne Louis XV , dit le Bien-
Aimé par le Comte de Treffan , Lieutenant-
Général des Armées du Roi , Grand
Maréchal-des Logis du Roi de Pologne ,
Commandant en Toulois , Barrois , &
Lorraine- Françoife , Membre des Académies
Royales des Sciences de Paris & de
Berlin , des Sociétés Royales de Londres ,
d'Edimbourg , de Nancy , de Montpellier ,
de l'Academie des Belles - Lettres de
Caên ,
CE.
Difcours eft trop intéreffant par la
grandeur
du fujet , & par le mérite de
l'Orateur
, pour n'en donner qu'un fimple
Extrait. Nos Lecteurs y perdroient
trop
nous n'en pourrions
rien ôter , fans en
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
retrancher des beautés. Cette raifon nous
détermine à l'inférer ici tel qu'il a été prononcé.
SIRE ,
QUE toutes les Nations applaudiffent
au grand fpectacle que VOTRE MAJESTÉ
donne à la terre ! Spectacle vraiment nouveau
pour elle ! Monument éternel de la
plus généreufe reconnoiffance & du plus
parfait amour ! Deffein fublime , qui ne
pouvoit être conçu que dans l'ame la plus
élevée , la plus tendre & la plus philofophe
!
Sur un Trône où VOTRE MAJESTÉ
nous rappelle fans ceffe la fageffe de Licurgue
& la bienfaifance de Titus , Elle
paroît vouloir fufpendre les refpects &
les voeux que nos coeurs aiment à lui offrir
; Elle ne s'occupe dans ce grand jour
que de la gloire de LOUIS ; Elle nous
anime à la célébrer ; Elle nous en donne
l'exemple ; & cette pompe folemnelle nous
retrace les triomphes de Paul Émile &
de Scipion . Mais , SIRE , les fêtes préparées
par un Peuple vainqueur des plus
grands Rois , ces fêtes furent toujours
troublées par le bruit des chaînes &
les gémiffemens des Captifs ; fouvent elles
par
JANVIER. 1756. 85
confternerent la nature & l'humanité ; fourvent
on vit le Sage frémir & leur refufer
fes regards.
Un fpectacle bien différent raffemble aujourd'hui
vos Sujets fortunés ; LOUIS
reçoit ici des hommages dignes du Pacificateur
de l'Europe : fes Trophées , les
images de tant de Provinces & de Villes
conquifes , de tant de Fortereffes détruites
, font voilés par les mains de la
paix ; tout concourt , tout contribue à la
fplendeur de cette augufte fête ; une joie
pure remplit tous les coeurs , une Cour
brillante , un Peuple heureux , le Citoyen
& l'Etranger font également éclater leur
tranſports !
Que ces voeux ardens , ces cris de joie ;
que ces expreffions naïves de l'admiration
& de l'amour , s'élèvent jufqu'au Trône
de VOTRE MAJESTÉ ! Que ce jour , à jamais
célébre dans les annales de l'Univers
, rende la gloire de LOUIS & celle
de STANISLAS inféparables ( 1 ) ! Que
gravés & réunis fur le même bronze
leurs images & leurs noms adorés paffent
enſemble à l'immortalité !
Le temps fuit , il entraîne , il renverfe
( 1 ) La Ville de Nancy a fait frapper une Médaille
, où on voit les images des deux Rois ,
avec cette Légende : Utriufque immortalitati.
36 MERCURE DE FRANCE.
dans fa courfe rapide les monumens les
mieux affermis ; il couvre de fable ces
faftueufes Pyramides qui n'ont pu tranfmettre
jufqu'à nous le nom des Souverains
qui les éleverent ; il cache fous l'herbe
ces monftrueux Coloffes que Néron
crut faite paffer à la postérité ; il efface
jufqu'aux noms , jufqu'aux traces de ces
Villes triomphales , cimentées par le fang
de tant de Peuples ; les Palais , les Temples
prophanes , élevés à leurs Fondateurs
, n'offrent plus que des débris difperfés
! Cependant , au milieu des ruines
de la capitale du Monde , malgré la
fureur des barbares & les ravages des
temps , il femble qu'une Divinité fe plaife
à foutenir de fa main les monumens confacrés
aux Bienfaiteurs de la terre ; les
Colonnes de Trajan & d'Antonin fubfiftent
encore ; on contemple avec une forte
de refpect & d'amour l'Arc- de- Triomphe
de Titus ; & la Statue de Marc- Aurelle
fera toujours le plus bel ornement du
Capitole ! ( 1 )
Quel augure plus certain & plus cher
à nos coeurs pour les monumens que
VOTRE MAJESTÉ confacre en ce jour !
(1 ) Les feuls monumens entiers de l'ancienne
Rome qui fubfiftent aujourd'hui , font ceux qui
font ici rapportés.
JANVIE R. 1756. $7
Toutes les vertus fe raffemblent pour en
affermir la bafe ; elles paroiffent élever de
leurs mains la Statue d'un Héros qu'elles
ont formé ; leur préfence nous devient fen
fible ; elles pénétrent nos ames , elles unif
fent tous nos voeux ! O jour à jamais mémorable
! jour heureux , fi digne du beau régne
de STANISLAS ! Tu refferres encore
Les noeuds facrés qui réuniffent les François
& les Lorrains ; tu rappelles fous le
même Empire une Nation que nos Rois
durent toujours regretter.
Nation illuftre & toujours paffionnée
pour vos Maîtres ! le Ciel récompenfoit
leurs vertus ; il furpaffoit vos efpérances ,
lorfqu'il écouta les voeux que vous formiez
pour leur gloire ! L'Éternel qui couronne
, éteint ou change à fon gré les
dynaſties , éleva fur le trône des Céfars
cette Maiſon fi féconde en Princes mag--
nanimes , & le meilleur des Citoyens ;
un Sage couronné , le pacificateur de fa patrie
, le bienfaiteur de la vôtre , STANİSLAS
vous fut accordé.
Non , ce n'étoit plus à la Victoire à
faire briller fur vos remparts les Lys fi
fouvent unis aux Alérions ; l'Hymen &
la Paix , les Traités les plus folemnels feréuniffent
pour vous les rendre auffi chers
qu'il font refpectés ; c'eft STANISLAS
SS MERCURE DE FRANCE.
qui les éleve aujourd'hui dans vos murs ,
c'est ce Prince vertueux , éprouvé par les
revers , toujours grand dans l'une & l'autre
fortune , cher à la Religion , ami des
Arts & de l'Humanité ; c'est le Pere de
la Lorraine qui vous appelle aux pieds da
Monarque de la France ; c'eft STANISLAS
qui vous met fous la protection de LOUIS ,
& qui lui répond de votre fidélité .
C'eft du haut de ce Trône , où nous
voyons briller fur fon front augufte la force
& la douce férénité ; c'eft de ce Trône
même qu'il vous montre le Héros qui doit
un jour vous donner des Loix . LOUIS ,
du fein de fon Empire applaudit à votre
amour pour STANISLAS : il forme les
mêmes voeux que vous , pour le long
cours d'une fi belle vie. Tous les deux
vous annoncent , tous les deux vous affurent
que les mêmes loix , les mêmes
foins paternels veilleront à jamais fur vous ,
fur vos enfans & fur vos derniers neveux .
Antique Auftrafie , appanage des fils
de nos premiers Rois , tu n'as plus à
craindre de triftes viciffitudes : la France
heureuſe & réunie fous l'Empire des Bourbons
, voit régner hors de fes plus an
ciennes limites les auguftes rejettons de
LOUIS le Grand : mais elle ne connoît
plus ces partages dangereux , qui divifant
JANVIER. 1756. 89
un Etat , en énervent quelquefois la puiffance
& menacent toujours des plus cruelles
révolutions les Provinces aliénées qui
s'en féparent.
Des frontieres encore moins redoutées
par leurs places formidables , que par le
Monarque puiffant qui fçait les faire refpeeter
, ces barrieres impénétrables affurent
ta tranquillité , ton commerce , tes Villes
& tes moiffons. Des Traités folemnels &
fcelés de l'aveu de toute l'Europe garantiffent
tes derniers engagemens ; rien ne
peut altérer les fentimens qu'ils ont fait
naître en toi la force ne peut rien aujourd'hui
contre tes fermens écrits déja
dans les Cieux ; & le bruit des armes
ne fe fera plus entendre dans ton fein.
:
Jouis de ton bonheur ! Vois le Laboureur
cultiver fans crainte tes fertiles campagnes
, les Mufes & les Arts habiter &
décorer tes Villes ( 1 ) ! Vois ces remparts
ouverts & couronnés par des Arcs- de-
Triomphe ! Vois ces baſtions s'applanir &
devenir des ornemens pour ta Capitale !
Tout refpire ici les douceurs de la paix ;
( 1 ) On a ouvert le milieu d'une Courtine
pour y placer l'Arc-de-Triomphe ; les orillons.
des Baftions ont été enlevés , & font place à deux
fontaines magnifiques ; un autre baſtion fert da
promenade publique.
go MERCURE DE FRANCE.
tout annonce aux yeux de l'Etranger ,
& la fidélité de tes Peuples & la confiance
de ton Souverain.
Contemple cette Statue du plus jufte
& du plus aimé des Rois ( 1 ) ; les Muſes ,
la Juſtice , les Arts & l'Abondance entourent
la Place où STANISLAS vient de
l'élever , c'eft dans cette Place , dans
cette vafte carriere ( 2 ) que les jours de
fête vont fe multiplier pour toi ; tu verras
tes Peuples s'y raffembler pour célébrer
les bienfaits de STANISLAS , les victoires
de LOUIS, & la naiffance de leurs
auguftes Enfans.
Au milieu de ces monumens de l'amour
de ton Roi , fous ces portiques embellis
& confacrés par les attributs de
LOUIS , tes Citoyens (3 ) viendront fe
délaffer de leurs travaux , & s'entretenir
de leur bonheur ; c'eft ici que la Nation
trouvera toujours des fecours préfens
dans les malheurs publics ; tout eft prévu
par la fagefle de STANISLAS , tout eft
(1 ) Le Palais de la Cour Souveraine , celui de
P'Hôtel de Ville , ceux de l'Académie , des Marchands
, du Concert & des Spectacles entourent la
Place Royale .
(2 ) Cette Carriére immenfe , aujourd'hui trèsdécorée
, fervoit autrefois aux Joûtes & aux Carroufels
, & conſerve l'ancien nom de Carriere,
(3) O Mælibee , Deus nobis hac otia fecia F
JANVIER. 1756. 91
Y
affuré par fes foins les plus tendres , &
nul membre de l'Etat ne doit plus craindre
de demeurer inutile ou malheureux .
Ah ! Grand Roi , qu'il eft doux de
vous obeïr ! Qu'il vous eft aifé de faire
naître les talens & d'élever les ames !
Que votre génie fupérieur connoît bien.
le grand art de former des Sujets utiles
pour vos auguftes defcendans !
A peine les Nations voisines pourrontelles
croire ce que nous voyons exécuter
-fous votre regne ; on les entendra s'écrier
avec furprife , en admirant ces ouvrages
où brillent la magnificence & le goût
du fiecle d'Augufte. Nul Etranger ne
» fut appellé pour les conftruire & pour
» les embellir ; tous les ornemens qui
39
les décorent furent une fource de richeffes
pour les Lorrains ; éclairés par
STANISLAS , fes Sujets parvintent à la
perfection de tous les Arts , & les tréfors
prodigués pour ces ouvrages im-
» menfes ne fortirent point de l'inté-
» rieur de fes Etats . C'eft ainfi ( diront-
» elles encore ) que l'émulation , l'induf-
و و
trie & l'amour du travail naiffent fous
» l'Empire des Grands Rois ; c'eſt ainfi
que les vraies richeffes d'une Nation
» s'accroiffent par les foins prévoyans.
» du Sage »..
33
92 MERCURE DE FRANCE .
Cette même émulation , SIRE , ce fertiment
, ce beau feu fi naturel à cette
nobleffe illuftre qui foutient dignement
la gloire de tant de noms révérés ; c'eft
cette émulation , animée fans ceffe par
vos regards , qui caractériſe déja les Lorrains
parmi les autres nations de l'Europe
: attachés à vous plaire , puifans leurs
fentimens dans votre coeur , déjà l'on ne
diftingue plus les Lorrains des anciens
Sujets de LOUIS ; tous s'empreffent également
à participer à la gloire d'un auffi
beau regne.
Déja les noms infcrits depuis tant de
fiecles dans les faftes de l'Auftrafie , parent
la liste des Chefs de nos Guerriers ; nos
Cohortes les plus formidables s'honorent
de voir à leur tête les neveux de ces braves
Chevaliers qui combattirent fous les ordres
de Godefroi & fous les étendarts de
Philippe ( 1 ) ; cette Phalange fi digne par
fes actions brillantes de porter le nom de
fon Maître ; cette école d'une haute nobleffe
deſtinée aux premiers emplois , s'applaudit
de voir leurs enfans fous fes drapeaux.
Déja la Cour de Louis voit les Lorrains
partager avec nous les regards & les fa-
(1 ) Les Chevaliers Lorrains fe font fort diftingués
dans les anciennes Croiſades.
JANVIER. 1756. 93
-t
!
veurs de ce grand Roi ; ils accourent aux
pieds de notre augufte Reine : ils jouiffent
du bonheur de la voir & de l'entendre
; ils adorent avec nous les vertus céleftes
& toujours aimables que le Ciel prodigue
pour elle de fes tréfors , fe plût à
yerfer dans une fi belle ame.
Ils cherchent , ils aiment à reconnoître
les traits chéris de leur Bienfaiteur dans ce
grand Prince , que l'efprit de fageffe éclaira
dès l'enfance , & dont les premiers pas
dans les fentiers de la gloire l'annoncerent
à l'Univers comme le digne fils d'un Héros,
fuivant LOUIS dans fes campagnes , marchant
à ſes côtés dans les batailles , intrépide
comme lui dans les périls , comme
lui modéré dans la victoire. Heureux fils!
Heureux époux ! Pere fortuné ! Ce Prince
Auguste eft l'amour , il eft fans ceffe
l'exemple des fideles fujets de LOUIS ; fes
Enfans affurent le bonheur de la France ; ils
font notre félicité . Il n'eft plus de pere au- !
jourd'hui qui puiffe foupirer en fecret fur
la charge trop péfante d'une nombreuſe
famille ; il ne doit plus penfer qu'au bonheur
de l'élever pour fervir des Princes qui
nous font fi chers.
A leur vue , au milieu d'une Cour
parée par cette Augufte famille , qui raffemble
les graces les plus touchantes & les
94 MERCURE DE FRANCE.
vertus les plus fublimes ; attaches à fon
fervice ; à l'afpect des honneurs , des emplois
éclatans , des récompenfes qui nous
attendent ; aujourd'hui membres , d'un
Etat libre & floriffant , gouverné par l'autorité
la plus légitime , par les loix les plus
fages , par le plus grand & le plus aimé des
Maîtres , on entend les Lorrains s'écrier
avec nous : Que nos fermens nous font
chers & facrés ! Que nos liens font doux !
ils ne fe font fentir que par notre bonheur!
Telle eft la voix du coeur , ce cri fi tendre
de la nature que l'amour feul peut exciter.
Tels font les tranfports que nous
font éprouver nos maîtres , lorfque nous
approchons de leur perfonne facrée. Mais
qui pourroit exprimer ceux de notre ame ,
lorfque nous les voyons combattre à notre
têre , & voler à la victoire ? tout notre fang
enflammé dans nos veines , brule alors de
fe répandre pour eux , nous ne formons
de voeux que pour des têtes fi cheres , nous
ne voyons point les traits qu'on nous lance;
nous ne voyons que les lauriers que nous
fommes fûrs de cueillir fur leurs pas.
Aujourd'hui , prêts à voler au premier
fignal de LOUIS , je l'avoue , ŠIRE ,
peut-être une trop grande ardeur nous faitelle
défiter de le recevoir ; mais , digne
image de la Divinité , le Vainqueur de
JANVIER. 1756. 95
7
1
Fontenoy ne lance qu'à regret fon tonnerre
, tel que Henri IV , dans le feu des
combats ; mais humain comme lui dans le
fein de la victoire , defintéreffé dans la
paix , fidele à la foi des traités , LOUIS
par la douceur de fes regards , tempere le
beau feu qui nous anime ; nous n'ofons
former des voeux que pour les deffeins que
fa haute fageffe lui fait concevoir. Soumis
, pénétrés de confiance , pourrionsnous
douter que ce héros ne fçache maintenir
la plus ancienne Monarchie de l'Europe
dans toute fa gloire , & le bonheur
& la réputation dont une nation
-belliqueufe jouit fous fon empire,
Mais ne troublons point par l'image
d'une guerre , que des troupes aguerries
& difciplinées , que des tréfors immenfes,
la fagelle des Confeils & des projets , &
que l'expérience & l'audace des Généraux
de LOUIS rendroient glorieufe à fes armes
... Ne troublons point les afyles facrés
, où STANISLAS veille fans
ceffe au bonheur de l'humanité . Qu'il y
goute le plaifir fi pur pour les grandes
ames de voir des enfans heureux dans fes
fujets ! Que les Mufes , enrichies par fes
dons & par fes travaux , obéiffent à fa
voix ! Qu'elles célébrent LOUIS dans
leurs concerts ! Que leurs Aeurs immortelles
s'entrelacent avec les palmes de co
96 MERCURE DE FRANCE.
Héros ! Que leurs lyres , que leurs trompettes
laiffent quelquefois entendre autour
de fa ftatue les fons champêtres de nos
peuples heureux ! Et que des cris de joie
mille fois répétés , portent jufqu'à l'Eternel
les voeux ardens que nous formons
pour nos Maîtres !
Lettre à l'Auteur du Mercure.
M Traducteur de la vie de Bacon ,com--
Onfieur , quoique je ne fois pas le
me je me fuis chargé d'en revoir les épreuves
, je dois prendre fur mon compte une
faute confidérable que je n'ai pas corrigée.
C'eft à la page 71 , ligne 6 , au lieu de
Jeux communs , il faut lire des Plaidoyers
communs . Une autre faute moins pardonnable
, & qui m'eft uniquement perfonnelle
, fe trouve à la page 254 du même
volume, dans l'effai fur la Reine Elifabeth,
à qui j'ai donné Catherine d'Arragon pour
mere , tandis que c'étoit Anne de Boulen .
Il faut mettre la note au nombre des
errata. D'autres vous écrivent pour fe
juftifier , & je le fais auffi volontiers
pour me condamner , perfuadé que l'unique
moyen d'expier ma bévue , eft
d'avouer que je l'ai faite ; c'eft autant de
befogne épargnée à la critique , qui aura
fans doute bien d'autres reproches à me
faire ,
JANVIE R .. 1756 . 97
S
faire , dans le cours des deux volumes de
l'analyſe du Chancelier Bacon . Si tous
les Auteurs étoient de bonne foi , cette
animofité qui divife les Gens de Lettres
s'amortiroit bientôt , & les précepteurs
du genre humain ne fe querelleroient pas
comme des enfans . Mais qu'on leur laiffe
la vanité de s'exécuter eux-mêmes , ils
fe corrigeront plus vite , & ne perdront
pas du temps & des volumes à fe défendre.
C'eft à vous monfieur , qui recevez avec
tant d'impartialité les plaintes & les
apologies des Ecrivains , à faire de cette
lettre l'ufage qui vous paroitra le plus
convenable au bien public. Si je n'obtiens
pas grace à fes yeux , je fuis quitte
envers moi même , & c'eft une grande
avance pour mon repos .J'ai l'honneur, & c.
L'aveu que renferme cette lettre , nous
paroît trop louable pour ne pas le publier
& nous ofons même le donner pour modele.
PROJET d'une Hiftoire des Juifs , par
M. de Boiffi fils.
L'Ouvrage qu'on annonce ici , comportera
environ 12 volumes dont on fe flatte
de donner les premiers au public dans quelques
années. Comme l'Auteur s'applique
l'étude des Langues Orientales , & principalement
de la Langue Hébraïque , dont
il a tâché de pouffer la connoiffance juſ
1.Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
qu'à pouvoir feuilleter les productions
Thalmudiques & Rabbiniques ; une lecture
combinée de ces écrits , réunie à celle
des Hiftoriens , tant Eccléfiaftiques que
Profanes ou Mahométans , & des Peres de
l'Eglife , l'a mis en état de le compoſer :
Voici le titre fous lequel il doit paroître :
Hiftoire des Juifs difperfes en Orient , & des
Peuples au milieu defquels ils ont vécu , depuis
la ruine de Jérufalem jufqu'au douzieme
fiecle inclufivement ; contenant , outre des
Eclairciffemens Critiques & Chronologiques ,
des Remarques fur les antiquités de cette Nation
, & des Difcuffions Théologiques relativement
à quelques- uns de fes Dogmes , &
de fes Rits , & à certains points de la Créance
& de la Difcipline de l'Eglife primitive
dérivés de la Synagogue. Elle aura pour objet
la defcription de tout ce qui eft arrivé
de particulier dans cet intervalle , foit à la
forge , ou pour mieux dire , à une ombre
de gouvernement dont ils y ont joui , foit
à leur religion , après avoir paffé fucceffivement
fous la domination des Rois de
Perfe de la Dynaſtie des Saffanides , & des
Califes.
Ce fut fous celle des derniers que la Nation
Juive établie dans ces Régions Orientales
, ayant perdu l'entiere jouiffance des
Privileges qu'elle y poffédoit depuis long-
"
JANVIER. 1756. ༡༠
ns
2
tems , vit dépouiller fes Princes de la
captivité
de titres faftueux qu'ils portoient , &
les priver de l'autorité abfolue qu'on leur
avoit permis jufques- là d'exercer fur elle :
ce qui obligea fes Decteurs de chercher
une retraite dans les différentes parties de
l'Europe. C'eſt là où finira cette Hiftoire ,
qui , comme elle eft furtout deftinée à l'ufage
des Sçavans & des Théologiens , fera
accompagnée de beaucoup de difcuffions ,
tant par rapport à la Critique , que par rap
port à la Chronologie , & à quelques - uns
des Dogmes & des Rits propres au Judaïfme
, comparés avec ceux qui font communs
au Chriftianifme.Conféquemment elle fera
utile pour l'Eglife , par le jour qu'elle répandra
fur une partie de fa Doctrine . Il
fuffit de ce fimple expofé pour fe former
une idée de la grandeur du plan de cet
Ouvrage , & par cela même de la diffi
culté de fon exécution. Ce n'eft pas ici le
lieu de circonftancier le détail des parties
qui entrent dans fa compofition : on le réferve
pour la Préface que l'on y mettra à la
rête , où on aura foin de les ſpécifier. On
fent bien que les recherches profondes ,
on ofe dire immenfes , qu'exige un travail
de cette nature , demandent plufieurs
années pour le conduire à fa perfection.
On doit avertir qu'on auroit tort de
E ij
335250
100 MERCURE DE FRANCE.
s'étonner de ce qu'on traite une matiere
qui fait partie de l'Hiftoire des Juifs , que
nous devons aux veilles de l'illuftre M.
Bafnage. Comme fon plan eft plus général
, puifqu'il embraffe le récit des événemens
qui font arrivés aux Juifs , foit en
Orient ou en Occident , depuis J. C. jufqu'à
fon tems , il n'a fouvent parlé que
d'une maniere fort fuccincte , des affaires
des Juifs en Orient ; quoiqu'elles fourniffent
des matériaux affez abondans pour
en compofer une Hiftoire particuliere , indépendamment
de ce qui s'eft paffé parmi
ceux qui s'étoient établis dans l'Occident.
On ne fçauroit décider fi fon but a été de
s'étendre principalement fur ce qui regarde
leur difperfion dans les pays Occidentaux.
Ce qu'il y a de certain , c'eſt qu'il
n'a pas apporté les mêmes foins pour ta
partie qui concerne les bons ou mauvais
traitemens que cette Nation a effuyés
dans les Régions Orientales. C'est pourquoi
on a pris à tâche de les décrire avec
plus d'ordre , & de les expofer dans un
plus grand jour. Car qu'on y prenne garde :
on ne trouvera rien de ce qu'il dit fur cet
article , de fort fuivi ni de fort détaillé. Il
péche même quelquefois par l'exactitude ;
de forte qu'il est tombé dans des fautes
allez confidérables , qu'on aura occafion
JANVIER. 1756. 101
}
I
de relever : non pas qu'on veuille par- là
affoiblir l'eftime qu'on doit avoir malgré
l'injufte cenfure de M. de la Croze , &
que l'Auteur a lui - même pour l'ouvrage
de ce fçavant Théologien , que l'on peut
regarder comme un des plus habiles Critiques
de fon fiecle , & un des plus fermes
appuis de la Réforme. D'ailleurs on
aura lieu de profiter de quelques - unes de
fes obfervations . Mais malgré la justice
qu'on lui rend , ce feroit mal connoître
les bornes de l'efprit humain , que de croire
qu'un feul homme foit capable , en fait
d'un travail qui eft propre à occuper la vie
de plufieurs , de porter tout d'un coup les
chofes qu'il a pour objet à leur dernier dégré
de perfection . Au refte , on ne fe bornera
point à donner une fimple Hiftoire
des Juifs . On a fenti que le récit des événemens
qui y appartiennent , feroit trop
fec & décharné dans les circonftances qu'il
nous offre. Cela vient de ce que les Hiſtoriens
Juifs qui font en très petit nombre ,
tels que R. Scherira , Gaon , l'Auteur du
Seder Olam Zoutah, R. Abraham Ben Dior,
R. Abraham Zacouth , Salomon Ben Virga ,
R. Gedaliah , Ben Jachiah , & R. David
Ganz , ne fe font attachés la plupart du
tems , qu'à marquer le nom des Docteurs
de leur Nation , qui ont conduit les Aca-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
fi
démies , qu'elle avoit fondeés en Orient ,
& de fes Princes de la captivité. C'eft ainque
dans la fervitude où elle s'y yoyoit
réduite , elle appelloit des efpeces de Magiftrats
qui achetoient du Prince dont ils
dépendoient , le droit de gouverner tous
les Juifs répandus dans les lieux de fon
obéiffance , qui fe faifoient un honneur
de les reconnoître pour leurs Chefs . Ils adminiftroient
la juftice parmi leurs freres
dont ils recevoient les contributions néceffaires
pour foutenir avec éclat leur dignité
, & pour payer le tribut que les Rois
de Perfe en premier lieu , & enfuite les
Califes exigeoient d'eux ; de forte que toutes
les caufes criminelles & les cas de confcience
, qui furvenoient à la Nation ,
avoient coutume de reffortir à leur tribunal.
Enfin ils régloient avec un plein pouvoir
tout ce qui a rapport à la pratique des
ufages de la loi des Juifs , qui influant néceffairement
fur leur état civil , les fépare par là
des Peuples Etrangers. Les Ecrivains que je
viens de nommer ont pourtant eu foin dans
quelques endroits de particularifer les dif
putes qui fe font élevées dans les Écoles de
cette partie de la Nation fixée en Orient ,
entre les Docteurs qui en ont eu la direction
, & ces Princes de la captivité , avec
les démêlés qui les ont divifés. On ne pou
JANVI E R. 1756. 103
it compenfer ce défaut de féchereffe ,
qu'en incorporant dans cette Hiftoire
qu'on rendra plus inftructive , le détail des
affaires importantes des Peuples Orientaux
, avec lefquels les Juifs ont été mêlés
: ce qui procurera les moyens de lier
avec la leur celle des Princes , fous la dépendance
defquels ils ont vécu , & d'é
claircir l'une par l'autre , à l'exemple du
Docteur Prideaux , qui dans fon Hiftoire
des Juifs, qu'il a commencée un peu avant
le regne d'Achaz , Roi de Juda , & qu'il
a finie à la mort de J. C. a employé cette
méthode qu'on a généralement goutée . En
effet elle tend à intéreffer davantage les
Lecteurs , par la variété qu'elle jette dans
le plan de l'Ouvrage qu'elle agrandit , &
dont elle augmente l'importance , & par
cela même l'utilité. L'Auteur a cru devoir
annoncer au Public cette Hiftoire , dans
l'efpérance où il eft que les Sçavans voudront
bien lui communiquer leurs lumieres
qui contribueront à donner une plus
grande perfection à fon Ouvrage. Ils peuvent
être perfuadés qu'il fe fera un vrai
plaifir de fuivre leurs confeils .
NOUVEAU ZODIAQUE réduit à
l'année 1755 , avec les autres étoiles dont
la latitude s'étend jufqu'à dix dégrés au
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE.
Nord & au Sud du plan de l'Ecliptique ,
dont on pourra fe fervir pour en meſurer
les diſtances au difque de la lune , ou aux
planetes. A Paris , de l'Imprimerie royale .
1755.
On fouhaitoit depuis long- tems en France
une nouvelle édition du Zodiaque de Senex.
Les exemplaires en étoient devenus rares.
Les étoiles d'ailleurs commençoient à
avoir une pofition trop différente de celle
que leur avoit affigné Senex . Les Navigateurs
conçoivent facilement de quelle importance
il eft fur mer de connoître avec
précifion le vrai lieu des étoiles. La lune
ce fatellide fi rapide en fon mouvement
propre , nous offre le moyen le plus général
& le plus affuré de parvenir à la connoiffance
des longitudes , tant fur mer que
fur terre. Mais comment déterminer les
mouvemens de la lune , fi ce n'eſt en la
comparant avec les étoiles ? & comment
faire cette comparaifon , fi le lieu des étoiles
eft lui-même indéterminé ou incertain ?
On peut juger delà combien eft important
le fervice que M. de Séligny vient de rendre
à l'Aftronomie , à la Géographie & à
la Navigation . Ce jeune Officier des vaiffeaux
de la Compagnie des Indes , donne
lieu d'efperer tout de fes connoiffances déja
étendues , & d'un zele abfolument déJANVIER.
1756. 105
cidé , qui n'attend pas la maturité des années
pour paroître.
Le Zodiaque que nous annonçons , eft
parfaitement bien exécuté par M. d'Heulland
, dont le Public connoît le mérite &
l'habileté dans l'exécution de tout ce qui
regarde les Méchaniques , la Géographie
& la Navigation. Ce Zodiaque s'étend à
plus de dix dégrés de part & d'autre de
l'écliptique. On y a tracé , non - feulement
les cercles de longitude & de latitude, mais
encore ceux d'afcenfion droite & de déclinaifon.
Il eft accompagné d'un catalogue
de toutes les étoiles zodiacales . Ce catalogue
eft tiré du troiſieme volume de l'Hiftoire
célefte de Flamsteed. M. de Séligny
y a fait cependant les corrections néceffaires
pour le réduire au commencement de
l'année 1755.
Dans la conftellation du Taureau ily
a deux amas confidérables d'étoiles. L'un
au nord de l'écliptique eft nommé les Pléïades
; l'autre au fud a été appellé Hyades.
Tous les neuf ans la lune rencontre l'un de
ces deux amas, & en éclipfe à chaque lunaifon
plufieurs étoiles. Ces occultations durent
deux ou trois ans. Il étoit donc effentiel
de pouvoir les déterminer fur la carte.
Mais la trop grande proximité de ces étoiles
ne le permettoit pas Pour remédier à
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
cet inconvénient , M. de Séligny a fait
joindre au Zodiaque deux cartes particulieres
, fur lefquelles les Pléiades & les
Hyades font repréfentées en grand. Il a
calculé celle des Hyades fur des obfervations
qui lui ont été communiquées. Celle
des Pléiades eft de M. l'Abbé Outhier. M.
'de S. s'eft contenté de la réduire au commencement
de l'année 1755 :
Ces cartes font accompagnées de divers
mémoires imprimés , comme nous l'avons
dit , à l'imprimerie royale.
}
,
Le premier de ces mémoires a pour titre :
Expofition hiftorique des principaux usages
du catalogue des douze conftellations , & de
la carte du Zodiaque qui l'accompagne,
avec des remarques fur les moyens qui ont été
employés pour completer ce catalogue . Ce mémoire
fait fentir l'utilité d'une détermination
exacte du lieu des étoiles , & renferme
d'excellens préceptes fur le choix des
obfervations qu'on peut. faire pour décou
vrir la longitude des lieux.
Le fecond mémoire roule fur les élémens
du mouvement de Mercure , & fut
l'utilité qu'on pourroit retirer de cette planete
pour la détermination des longitudes ,
lorfque les circonftances empêchent de recourir
à la lune.
Le troifieme mémoire eft de M. de Sé
JANVIE R. 1756. 107
ligny. Il eſt intitulé Difcours que l'on peut
joindre au catalogue & à la nouvelle carte
célefte du Zodiaque , gravés par le Sieur
d'Heulland, & destinés à l'ufage des Officiers
de marine , pour fervir à la recherche des
Longitudes. Ce mémoire eft fuivi d'un avis
fur les différentes méthodes de déterminer
les longitudes. On conçoit que c'est ici la
partie la plus effentielle de l'ouvrage ,
comme ayant un rapport plus direct avec
la nouvelle carte . C'est l'explication de la
carte même , & de fon principal uſage .
Le dernier mémoire eft fur la nouvelle
carte des Hyades , fur fon utilité , fur les
moyens que M. de Séligny a employé pour
la conftruire , & c. Ce mémoire a été lu par
M. de S. à l'Académie des Sciences, le 15
Janvier 175 5 , & jugé digne de l'impreffion
le premier Février fuivant. Il eft fuivi
d'une table des principales étoiles des Hyades
, & d'une pareille des Pléiades . Dans
ces deux tables on donne la différence en
afcenfion droite , & en déclinaifon entre
chaque étoile , & la principale de chaque
amas. On fuppofe avec raifon la pofition
d'Aldebaran , ou il du Taureau exactement
connue , ainfi que celle de la luiſante
des Pléiades .
Enfin ce recueil eft terminé par un catalogue
, ou lifte des variantes , de la pre-
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
miere édition du catalogue de Flamsteed .
Ce nouveau Zodiaque extrêmement utile
, néceffaire même à ceux qui veulent
cultiver avec fuccès l'Aftronomie ou la
navigation , fe trouve à Paris , chez M.
d'Heulland , rue Saint Hiacynthe , près la
porte S. Jacques , vis - à-vis le Jeu de Paume.
Prix neuf livres en feuilles , compris
la grande carte .
ETAT DU CIEL pour l'an de grace
1756 , biffextile , calculé fur les principes
de M. Newton , rapporté à l'uſage de la
marine , par A. G. Pingré , Chanoine Régulier
, & Biblothécaire de Sainte Géneviéve
, ancien Correfpondant de l'Académie
royale des Sciences , Affocié de celle
de Rouen. A Paris, chez Durand & Piffot.
1756 , in- 8°.
a
Dans les mémoires dont nous venons
de rendre compte , M. de Séligny donne
de grands éloges à l'état du Ciel de M.
Pingré , & il a raifon . Ces deux ouvrages
qu'un zele égal , pour l'utilité publique
enfantés , femblent faits l'un pour l'autre.
Les deux enfemble font ce que l'on pour
roit appeller les Comptes faits du Navigateur
& de l'Aftronome. M. Pingré, dans
l'état du Ciel , repréfente deux fois par
jour , & l'on pourroit dire à toutes les
JANVIER. 1756. 109
!!
heures & à tous les inftans du jour & de
la nuit , la pofition de la lune dans le Zodiaque.
M. de Séligny préfente ce Zodiaque
aux yeux de l'obfervateur , lequel peut
en conféquence rapporter fur la carte le
lieu de la lune obfervé , & le comparer
avec le lieu calculé dans l'état du Ciel .
Ce rapport est néceffaire , mais il ne
fuffit point. L'Obfervation ne donne que
le lieu apparent de la lune , & ce lieu ap
parent differe prefque toujours du vrai
lieu de cet aftre . Il faut donc du lieu apparent
obfervé conclure le lieu vrai ; &
cette conclufion demandoit des calculs
longs , pénibles , & furtout extrêmement
délicats. Auffi voyons- nous qu'on a affez
peu profité jufqu'à préfent des fecours que
la lune ne ceffoie de nous offrir pour la
détermination des longitudes. M. Pingré
remedie à cet inconvénient . Le nombre des
calculs eft confidérablement diminué , fi
Fon fait ufage de fon ouvrage. On peut à
tout inftant, pour peu que la lune paroiffe ,
conclure d'une feule obfervation de cet
aftre , la différence entre le méridien de
l'Obfervateur & celui de Paris . M. P. dans
l'état du Ciel de 1755 , propofoit l'obſervation
d'une hauteur de la lune . Il conve
noit que cette méthode n'étoit pas toujours
praticable fur mer. En confèquence ,
110 MERCURE DE FRANCE.
non feulement il préfente en 1756 cette
même méthode éclaircie & mife dans le
jour le plus évident : il en propofe de plus
une femblable pour déduire la différence
des méridiens d'une feule obfervation de
la diſtance de la lune au foleil , ou à quelque
étoile dont la pofition foit bien connue.
Or quoi de plus facile que de connoître
exactement la poſition , au moins de
toutes les étoiles zodiacales , avec le nouveau
Zodiaque de M. d'Heulland . Il femble
donc qu'il ne refte rien à défirer fur
cet article.
L'état du Ciel eft annoncé comme calculé
pour l'ufage de la marine. Il femble
donc qu'il feroit à propos qu'il parût plutôt
, afin qu'au moins les Navigateurs qui
partent au commencement de l'automne ,
ou à la fin de l'été , puffent en recueillir
les avantages que M. Pingré fait profeffion
de vouloir leur procurer. Nous faifons
d'autant plus volontiers cette remarque
, que nous fçavons qu'il n'a point tenu
à l'Auteur que l'ouvrage ne fortît de
deffous la preffe dès le mois de Juillet . 11
avoit dès la mi- Juin l'approbation verbale
de l'Académie des Sciences. Il ne s'eft
point preffé de la demander par écrit à
caufe des délais de l'Imprimeur . Celui- ci
avoit des Romans à imprimer , & le puJANVIER.
1756. 111
blic achete plus volontiers les Romans que
des ouvrages utiles.
NOVA TABULARUM lunarium emendatio,
auttore J. d'Alembert.
Ce nouvel ouvrage de M. d'Alembert
étant principalement deſtiné aux Aftronomes
de toutes les nations , l'Auteur a jugé
à propos de le compofer en Latin. Il
n'eft que de 18 pages in-4° , & contient
plus de chiffres que de difcours. Voici la
traduction d'une partie de la préface trèscourte
que l'Auteur a miſe à la tête ; elle
fervira à donner une idée de l'objet que
M. d'Alembert s'eft propofé.
20
» Au commencement de 1754 , je mis
au jour un ouvrage intitulé Recherches
fur differens points importans du fyftême
du monde , dans lequel je donnai de nouvelles
tables de la lune , déduites d'une
théorie jointe à ces tables. Depuis ce
tems ayant réduit à un calcul encore plus
exact & plus facile quelques - unes des
équations contenues dans ces tables , en-
»forte que ces tables peuvent acquerir par-
» là de nouveaux dégrés de fimplicité &
» de perfection , j'ai cru devoir expoſer à
"l'examen & au jugement des Aftronomes
» ce nouveau fruit de mon travail dans
• l'ouvrage très-court que je publie : on
"
112 MERCURE DE FRANCE.
n'y trouvera point les principes fur lef
» quels mes nouvelles tables font fondées ;
j'expoferai ces principes plus au long
dans un ouvrage que je mettrai incef-
» famment fous preffe . De plus , comme je
crois qu'il eft plus utile à l'Aftronomic
» de chercher à corriger les anciennes ta
» bles dont les Aftronomes font ufage de-
» puis long - tems que d'en donner d'abfo-
» lument nouvelles dont l'exactitude feroit
» incertaine , je me contente d'expofer
» dans cet ouvrage
les corrections que l'on
» doit faire ( du moins fuivant ma théorie
& mes calculs ) aux tables que M. le
»Monnier a publiées dans fes Inftitutions
aftronomiques. Ainfi , après qu'on aura
» trouvé par les tables de ces Inftitutions ,
le lieu de la lune pour un tems quelcon-
» que , on trouvera très- promptement par
» les tables que je donne ici la correction
» que l'on doit faire fuivant ma théorie à
» ce lieu déja trouvé. Par- là on fera en état
» de juger fi en effet mes tables de correction
donnent le lieu de la lune plus exac-
»tement ; avantage qui ne peut être affuré
à quelques tables que ce foit que par une
longue épreuve. »
30
M. d'Alembert ajoute ici les raifons qui
ui font préférer pour cette correction les
ables des Inftitutions à toutes les autres , &
JANVIER. 1756. 113
t
44
il finit par prier tous les Aftronomes de
l'Europe d'éprouver fes nouvelles tables
de correction , dont le calcul demande à
peine quelques momens.
Cet ouvrage dont on n'a tiré qu'un trèspetit
nombre d'exemplaires , fe trouve chez
David l'aîné , Libraire , rue des Mathurins
, vis-à- vis l'églife.
ERREURS fur la Mufique dans l'Encyclopédie
. A Paris , chez Jorry , quai des
Auguftins , près le Pont S. Michel , 1755 .
Cette brochure eft du célébre M. Rameau.
ETRENNES HISTORIQUES à l'ufage
de la Breffe , dans lesquelles on trouve
les événemens remarquables de l'hiftoire
de cette Province , fon état actuel , fon
gouvernement , fa Jurifprudence , & une
defcription des principales villes qui s'y
trouvent , pour l'année biffextile 1756 ,
chez Jombert.
L'ETRE PENSANT en deux parties ;
à Amfterdam , & fe vend à Paris , chez
Hochereau, à la defcente du Pont- neuf, au
Phénix , 1755.
&
M. de Baſtide en eft l'Auteur . Il nous a
paru que l'ouvrage juftifioit le titre ,
qu'il étoit celui d'un homme qui joint au
talent d'écrire le mérite de penfer , quoique
ce ne foit pas toujours à la gloire des
114 MERCURE DE FRANCE.
femmes. Nous fommes forcés de convenir
que la premiere partie contient en général
une Satyre un peu trop vive de leurs moeurs
actuelles , mais nous dirons pour fa défenfe
, que la feconde offre dans un objet accompli
une exception qui honore le beau
fexe, & qui le venge du nôtre. Nous ajouterons
à la louange de cette brochure ,
qu'elle commence par l'efprit , & finit par
le fentiment. Nous en donnerons au plutôt
l'extrait .
La nouvelle édition des difcours politiques
de M. Hume qui vient de paroître
en Saxe , eft imprimée à Pfoerten ( 1 ) ,
chez Jean -Tobie Siefard ; & fe vend avec
privilege du Roi à Drefde , chez Michel
Groell , Libraire & Marchand d'Eftampes.
(1) Cette ville qui appartient à M. le Comte
de Bruhl , premier Miniftre de Sa Majesté le Roi
de Pologne , Electeur de Saxe , eft la ville capitale
du Comté de ce nom . Elle eft fituée dans la
baffe Luface , dans la partie qui confine la Pologue.
Les différentes manufactures que ce Minif
tre y a établies , & les Arts que l'encouragement
qu'il leur donne y fait fleurir , doivent l'en faire
regarder comme le véritable fondateur. Le livre
de M. Hume eft le premier ouvrage qui ait été
imprimé en cette ville , & c'eſt affurément un témoignage
éclatant du progrès que font en Alle
magne , & les Arts & la langue Françoife.
JANVIE R. 1756. 115
;
Cette édition eft vraiment digne de cet
excellent ouvrage , & comparable à tous
égards aux belles éditions que l'on a données
des Auteurs claffiques à Glafcouw.
La traduction françoife mérite auffi de
grands éloges , & fait honneur à M. l'Abbé
Le Blanc qui en eſt l'Auteur. Notre fentiment
fur ce point fe trouve conforme avec
celui de M. Hume lui même. La lettre fuivante
en eft la
preuve.
Traduction d'une lettre écrite en Anglois par
M. Hume à M. l'Abbé Le Blanc.
Monfieur , il y a quelque tems que j'ai
reçu & lu avec un extrême plaifir la traduction
dont vous avez honoré mes difcours
politiques. J'ai eu la plus grande
fatisfaction de trouver mes penfées rendues
partout avec tant de jufteffe , & en
même tems embellies par la propriété &
P'élégance de vos expreffions. Je vous ai
envoyé , comme un témoignage de ma
reconnoiffance, le premier volume de mon
Hiftoire de la Grande- Bretagne ; je regar
derois comme un très - grand bonheur , fi
vous le trouviez digne de votre approbation
; & je ferois au comble de mes voeux
fi je pouvois vous engager à faire à cet
ouvrage le même honneur que vous avez
116 MERCURE DE FRANCE.
fait aux difcours politiques. Il y a plusieurs
endroits dans cette hiftoire , que les Etrangers
peut-être ne pourront entendre fans
des notes , & je ne connois perfonne auſſi
capable de cette entrepriſe que vous . La
parfaite connoiffance que vous avez de la
conftitution de notre gouvernement & des
moeurs de notre nation , fera que vous n'y
trouverez aucune difficulté : cependant ,
s'il fe trouvoit dans le cours de l'ouvrage
quelque endroit qui pût vous arrêter , faites-
moi la grace de m'écrire , & je tâcherai
de vous communiquer toutes les lumieres
que j'ai été capable d'acquerir par
une longue application à ce fujet .
J'ai l'honneur d'être , &c.
DAVID HUME.
D'Edimbourg , ces Novembre 1755.
PENSÉES PIILOSOPHIQUES fur la fçience
de la Guerre , analogies , combinaiſons ,
portraits , tableaux , deux volumes à Berlin
; & fe vend à Paris , chez Robustel ,
quai des Auguftins .
Ce livre nous paroît la production d'un
Officier inftruit , & d'un Partiſan zélé du
fiecle de Louis XIV & du nôtre. Il eft
compofé d'une inftruction , & de dixfept
chapitres , ou afpects . Nous allons
feulement citer quelques endroits de la
JANVIER . 1756. 117
Préface qui les précéde. Le grand nombre
d'écrits que nous fommes obligés d'annoncer
, & les bornes refferrées que
Rous nous preſcrivons , ne nous permettent
pas de rous étendre davantage fur
celui- ci. Nous croyons que ces traits fuffront
pour donner une idée du deffein
de l'ouvrage , ainfi que du coloris , qui
peut-être arrêtera nos lecteurs. Ils y trouveront
des expreffions trop hazardées.
Mais un Militaire qui écrit , doit être jugé
avec moins de rigueur ; & fi le langage
de l'Auteur eft fouvent fingulier
on peut dire qu'il eft conforme à l'effor
nouveau qu'il a pris. D'ailleurs fes penfées
n'en font pas moins juftes , fes portraits
moins reffemblans , fes éloges
moins vrais , ni fes vues moins louables :
en un mot il a rempli fon titre.
L'affiche de cet ouvrage , dit l'Auteur ,
en m'ouvrant une route nouvelle dans
la fcience de la Guerre , me ménage la
liberté de m'étendre & d'embraffer le
terrein qui me conviendra le mieux . Je n'abuferai
point du privilége ; je me fixe
irrévocablement fur le fiecle de Louis
XIV, le bel âge de l'Univers , le chefd'oeuvre
des modernes ....
La fcience de la Guerre , avant le regne
de Louis XIV ne forme que des nuages ,
118 MERCURE DE FRANCE.
des entrepriſes vaftes , de grandes fautes ,
des combinaiſons jettées au hazard , défectueufes
, foit dans le cabinet , foit fur
le local , deftituées de préceptes , &
manquantes dans les fondemens ....
Les Généraux de Louis XIV font
plus foutenus ; leurs plans appuient davantage
fur l'uniformité ; leurs vues font
plus faillantes ; moins de foufre dans
l'efprit , ils jettent plus de nerf dans
leurs procédés.
M. le Prince de Condé , vaſte avant
le combat , eft terrible dans la mêlée
géometre dans la conduite de la Guerre ,
& créateur dans toutes fes fituations.
M. de Turenne , par la profondeur de
de fes réfolutions , place chaque objet à
fon point. Ce n'eft point un commandant
d'armée qui tranche du premier bond ,
c'eft un Général patient , qui devine les
événemens par fa conftance à les confidérer
, & qui ne fe trompe jamais dans
Les arrêts.
M. le Maréchal de Luxembourg eft
inimitable un jour de marche , de bataille
& de grande entrepriſe.
M. de Vendôme n'obferva rien audeffus
de fes forces ; chaud dans fa détermination
, fon ardeur fut maniable , fes
moyens plus vifs que le danger.
JANVIER. 1756. 119
M. le Maréchal de Catinat dut à lui- même
fes exploits, à l'obligation d'obéir le début
malheureux de la guerre d'Italie , 1701 .
ce fut un général que l'on devoit échauffer
par une pleine liberté d'aſſortimens , &
non fuffoquer par une multiplicité d'inf
tructions.
M. le Maréchal de Villars piquant
dans toutes les attitudes de fa vie , fou
verain à la tête des armées , eft magnifique
à Denain . Quels refforts ! quels
grands interêts ! quelle journée ! après
de tels artistes , eft- ce le cas pour perfuader
, de tranfporter les efprits fous
un ciel étranger , & de regratter les décom
bles de l'antiquité , pour en arracher des
vérités & des preuves.
L'objet principal de l'Auteur eft le plan
d'une Académie de la fcience de la Guerte
: il regarde cet établiffement comme le
feul & unique bien qui put parer contre les
abus dangereux qui fe font gliffes dans le
corps militaire , qui en énervent le dogme ,
& qui s'opposent à la pureté de fa circulation.
( c'est l'auteur qui parle :) J'avertis , dit- il ,
à ce fujet , ceux qui foupirent après des
manoeuvres d'exercice , de s'adreffer ailleurs.
J'ai fait profeffion de foi à cet égard;
je préfére de combiner à la fuite du
Grand Condé , de Monfieur de Turenne ,
120 MERCURE DE FRANCE.
de Mylord Malborough , que d'analifer
les rapports inftrumentels de la fcience de
la Guerre. Mon plan , ajoute - t'il , &
nous finirons par là , mon plan d'une
académie de la fcience de la Guerre ,
affaire uniquement d'ordre , qui ne jettera
dans aucune maniere de dépenſe , ne
prendra point ; je prévois fon fort , les
tems ne font point arrivés , on n'en
eft encore qu'à l'exercice. Que de chemin
à faire pour arriver au but !
MEMOIRES de Lucile , par M. le Baron
de V. S. & publiés par M. le Chevalier
N. à Londres, & fe trouvent à Paris , chez
Jorry. 1756.
LA COMEDIENNE fille & femme de
qualité , ou Mémoires de la Marquife
de *** écrits par elle-même , 3. partis ,
à Bruxelles , 1756. Nous parlerons plus
au long de ces deux Romans qui font de
différens auteurs , & qui ont chacun leur
caractere particulier.
OEUVRES DE THÉATRE de MM. de Bruéys
& Palaprat , nouvelle édition , revue &
augmentée , s . vol . à Paris , chez Briaffon
, à la Science , 1756.
ELOCI
JANVIER. 1756. 121
ELOGE de M. de Montefquicu , par
M. de Maupertuis , à Berlin , & fe vend
à Paris , chez Brunet , Libraire Imprimeur
de l'Académie Françoife , rue S. Jacques.
Il a été lu dans l'Affemblée de l'Académie
Royale de Berlin , le 5 Juin 1755 .
Après avoir été fi bien loué en France
par M. d'Alembert , M. de Montefquieu
ne pouvoit l'être plus dignement en Pruffe
que par M. de Maupertuis. Eloge qui
mérite d'autant plus d'eftime , qu'il eft
l'ouvrage de l'amitié . Rien ne manque
plus à la gloire de ce grand Homme. l'Europe
entiere retentit du bruit de fes
louanges. Elles s'étendent , fe multiplient
& fe répetent fans ceffe : mais on ne fe
Jaffe point de les entendre ; & nous
dirons d'après M. de Maupertuis luimême
, qu'on ne fçauroit trop parler , ni
parler dans trop de lieux d'un homme
qui a tant fait d'honneur à la fcience &
à l'humanité ; qu'on ne fçauroit trop
préfenter l'image de M. de Montefquieu
dans un fiecle furtout où tant de gens de
lettres paroiffent fi indifférens , fur les
moeurs ; où ils ont voulu perfuader , &
n'ont peut-être que trop perfuadé que les
qualités de l'efprit & celles du coeur devoient
être féparées , fi même , elles n'étoient
pas incompatibles . Qu'ils fe retracent
1. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
M. de Montefquieu ; quand ils verront
tant de vertus réunies dans l'homme dont
l'efprit fut le plus jufte & le plus fublime ,
quand ils verront les moeurs les plus pures
jointes aux plus grandes lumieres , ils penferont
peut-être que les vices ne font que
la fuite de l'imperfection de l'efprit. Ce
trait feul contient un panégyrique parfait ,
& nous nous y renfermons. Nous ajouterons
ſeulement que dans l'impreffion de
cet ouvrage , il s'eft gliffé les fautes fuivantes
, qu'il faut corriger ainfi . Pag. 16.
lig. 5. des vues & des ridicules , lifez ,
des vices & des ridicules . Pag. 21 , lig. 16.
ce qui nous manque de Tacite , ajoutez
ou ce qui manquoit dans Tacite. Page 28 ,
lig. 3. devroit égaler le fort , lifez devroit,
régler le fort.
Dans ce moment je reçois encore un
Eloge de M. de Montefquieu . Il a été prononcé
à l'Affemblée publique de la Société
Royale des Sciences & Belles- Lettres de
Nancy , le 20 Octobre 1755. par M. le
Chevalier de Solignac , Secrétaire perpétuel
. Nancy veut fe montrer en ce point
noble émule de Paris & de Berlin . Les
Académies qui ont eu le bonheur d'avoir
M. de Montefquieu pour membre , fe difputent
à l'envi l'honneur de le célébrer. 11
rencontre partout des Panégyriftes , &
"
JANVIE R. 1756. 123
:
pour comble de gloire des Panégyriftes
dignes de lui. Cet éloge eft imprimé à
Nancy chez Pierre Antoine , Imprimeur
ordinaire du Roi , & peut fe trouver à
Paris , chez Lambert , rue de la Comédie
Françoife.
RÉPONSE d'un Aveugle à Meffieurs les
Critiques des Tableaux expofés au Sallon ,
$755.
Le ton de cette plaifanterie , qui contient
à peine dix pages , nous a paru affez
bon. Pour mettre le Lecteur à portée d'en
juger , nous allons en tranfcrire le commencement
qui eft conçu en ces termes :
Vous ferez fans doute étonnés , Mefhieurs
, de recevoir une lettre d'un Aveugle
fur les Tableaux du Sallon , & quelque
mauvais plaifant ( car il y en a plus d'un
parmi vous ) ne manquera pas de me de-.
mander fi je les ai vus. Le peu de
perfonnes
qui ont lu vos Brochures , ne pourroient-
elles pas vous faire la même queftion
? En effet, quelle différence y a-t'il de
vous à moi ? Ne point voir, ou voir comme
vous voyez , n'eft-ce pas abfolument
la même chofe ? Quoiqu'il en foit , je n'ai
eu befoin pour l'objet que je me fuis propofé
que de la faculté d'entendre . Je vais
être l'écho du public ; ce font fes réfle-
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
xions , non les miennes que je vous communiquerai
: en cela je ferai plus raiſonnable
& plus modefte que vous qui hafardez
de lui donner les vôtres fur des chofes
dont vous ne vous doutez pas plus que moi.
Nous fommes fachés de ne pouvoir
mettre ici cette réponſe dans fon entier ,
comme l'Auteur nous en avoit prié
mais le terrein nous manque ; d'ailleurs
elle ne contient que les éloges des différens
Peintres qui ont décoré le fallon , & nous
leur avons donné le même tribut de louanges
dans notre Mercure de Novembre : cela
auroit eu l'air d'une répétition.
ASSEMBLÉE PUBLIQUE
De l'Académie des Belles- Lettres de Marfeille
, tenue dans la Grande Salle de l'Hôtel
de Ville , le 25 Août , jour de S. Louis ,
-1755.
M. Le Duc de Villars , Protecteur de
l'Académie , préfida à la féance , & en fit
l'ouverture en peu de mots.
M. Guy , Directeur , prononça un Difcours
fur l'utilité réciproque du commerce
pour les Lettres , & des Lettres pour
le commerce.
On lut le Poëme couronné , dont le fuJANVIE
R. 1756. 125
jet eft : la réunion de la Provence à la Cou
ronne , & dont l'Auteur eft M. Barthe
fils , de Marſeille , qui au mois de Mai
dernier avoit remporté le prix du Poëme
à l'Académie des Jeux Floraux , par un
Poëme intitulé le Temple de l'Hymen : il
reçut le prix de la main de M. le Duc de
Villars , & prononça un Remerciement en
vers.
On lut le Difcours couronné , dont le
fujet eft : L'homme eft moins grand par fis
talens , que par l'ufage qu'il en fait , & dont
l'Auteur eft le R. P. Mene , de Marſeille ,
Docteur en Théologie , & Prieur du Couvent
des RR. PP . Dominicains de cette
Ville. Il reçut le prix de la main de M.
le Duc de Villars , & prononça un Remerciement
en profe.
M. de Chalamont de la Vifclede , Sécrétaire
perpétuel , lut les éloges de M.
Cary , de M. Guriu , & de M. de Belfunce
, Evêque de Marſeille , Académiciens ,
morts depuis l'Affemblée publique du 25
Août , jour de S. Louis , de l'année der
niere 754.
L'Académie avertit le Public que le 25
Août , fère de S. Louis de l'année prochaine
1756 , elle adjugera le prix à un
Difcours d'un quart d'heure , ou tout au
plus d'une demi- heure de lecture , dont
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
le fujet fera : Le bonheur eft- il plus commun
chez les Grands que chez les petits ? &
elle déclare aux Auteurs que tout Difcours
qui excédera ces bornes , fera par cette
feule raifon exclu du concours.
Le prix qu'elle décerne , eft une Médaille
d'or de la valeur de 300 liv. portant
d'un côté le bufte de M. le Maréchal
Duc de Villars , Fondateur & Protecteur
de l'Académie , & fur le revers ces mots :
PREMIUM ACADEMIA MASSILIENSIS , entourés
d'une couronne de laurier.
Les Auteurs ne mettront point leurs
noms à leurs Ouvrages , mais une Sentence
tirée de l'Ecriture Sainte , des Peres de
l'Eglife , ou des Auteurs Profanes. Ils
marqueront à M. le Sécretaire une adreffe
, à laquelle il enverra fon récépiffé.
On les prie de prendre les mefures néceffaires
pour n'être point connus avant
la décifion de l'Académie , de ne point
figner les Lettres qu'ils pourront écrire à
M. le Secrétaire , de ne point lui préfenter
eux- mêmes leurs . Ouvrages , en feignant
de n'en être pas les Auteurs , ni
fe faire connoître à lui ou à quelqu'autre
Académicien ; & on les avertit que s'ils
font connus par leur faute , leurs Ouvrages
feront exclus du concours , auffi - bien
que tous ceux en faveur defquels on aura
JANVIE R. 1756. 127
follicité & tous ceux qui contiendront
quelque chofe d'indécent , de fatyrique ,
de contraire à la Religion ou au Gouver
nement.
L'Académie , en priant les Auteurs de
ne pas fe faire connoître , doit auffi les
avertir de fe précautionner contre le zele
indifcret , qui en follicitant pour de bons
Ouvrages , les expofe à être exclus du
concours. C'eft trahir un ami que de le
nommer , & il fuffira qu'un Auteur , avant
la décision de l'Académie , foit connu
dans le Public par la Devife qu'il aura
prife ,, pour qu'on fuive à fon égard avec
rigueur la loi qu'on s'eft impofée .
On en ufera de même envers les Au→
teurs plagiaires , lorfqu'ils feront décou
verts , & à moins que l'Ouvrage ne foit
abſolument mauvais , l'Académie le fera
imprimer , en défignant les endroits qui
auront été pillés. Elle s'eft contentée juf
qu'à préfent d'exclure ces ouvrages du concours
, & elle feroit obligée à regret de
les traiter à l'avenir avec moins d'indulgence.
On adreffera les Ouvrages à M. de Chalamont
de la Vifclede , Secrétaire perpétuel
de l'Académie des Belles - Lettres de
Marſeille , rue de l'Evêché . On affranchira
les Paquets à la Pofte , fans quoi ils
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
ne feront point retirés. Ils ne feront reçus
que jufqu'au premier May inclufivement.
L'Académie n'exige qu'une feule copie
des Ouvrages qu'on lui envoie ; mais elle
la fouhaite en caracteres bien lifibles &
point trop menus , & avertit les Auteurs
qu'ils perdent beaucoup , quand l'efprit
eft obligé de fe partager entre l'attention
qu'exige une lecture pénible , & l'impref- i
fion que doit faire fur lui ce qu'il lit.
S'ils fouhaitent que leur nom foit imprimé
à la tête de leur Ouvrage , ils doivent
l'envoyer avec leurs titres à une perfonne
domiciliée à Marfeille , qui les remettra
à M. le Secrétaire , dès qu'on apprendra
que le prix eft adjugé.
L'Auteur qui aura remporté le prix ,
viendra , s'il eft à Marſeille , le recevoir
dans la falle de l'Académie , le 25 Août ,
fête de Saint Louis , jour de la féance publique
dans laquelle il eft adjugé ; &
s'il eft abfent , il enverra à une perfonne
domiciliée en cette Ville , le récépiffé de
M. le Secrétaire , moyennant lequel le
prix fera délivré à cette perſonne.
,
JANVIE R. 1756. 129.
ARTICLE
IFI.
SCIENCES ET BELLES -LETTRES.
PHYSIQUE.
OBSERVATIONS fur une Lettre de
Tome IV. de l'Année Littéraire , du 30
Juin 1755 , par M. Olivier de Villeneuve
D. M. de Montpellier.
Isolé dans une province , je ne lis les
Ouvrages des grands hommes que par
lambeaux & par extraits. D'ailleurs je
fuis dans un âge qui ne me permet plus la
même application que me permettoient
mes années précédentes , lefquelles , pour
remplir les devoirs indifpenfables de mon
art , s'écouloient plus dans les rues que
dans le cabinet.
que
Je ne me fuis exercé dans un genre
de fciences , dans lequel , lorfqu'il s'éleve
quelques conteftations
, je crois pouvoir ,
fans attaquer perfonne , expofer tout unife
ment ce que j'en penfe : dans ce genre trouve renfermée
la differtation
fur l'irritabilité
qui fait le fujet de la lettre cideifus
annoncée.
I v
130 MERCURE DE FRANCE.
L'Auteur de cette Lettre ſe demande ce
qu'on entend par l'irritabilité , fi elle eft
une découverte nouvelle , en quoi elle
differe de l'élafticité , & de la fenfibilité ,
& c. ...
Ees queftions font conféquentes de la
differtation de M. Haller fur les parties
irritables & fenfibles des animaux . Ce fçavant
Académicien appelle partie irritable
celle qui devient plus courte quand quelque
corps étranger la touche un peu fortement.
Si c'eft une propriété des mufcles de s'accourcir
, elle l'eft auffi des fibres muſculaires
, qu'on a de tout tems regardées comme
les petits muſcles de plus grands muſcles ,
& quoiqu'elles n'en foient en apparence
qu'un tas de parties féparables , elles
n'ont pas moins l'avantage de pouvoir être
confidérées comme autant de muſcles ou
de tout charnus , quelque commerce qu'elles
aient entr'elles pendant la durée de
la vie.
L'action remarquable qu'on reconnoît
dans les muſcles ou dans leurs fibres , a toujours
été qualifiée de contraction , ou mouvement
mufculaire : on a également avoué
de tous les tems des véficules fibreufes ou
mufculeufes deſtinées à recevoir le liquide
qui leur eft propre. Le feul qui puiffe gonJANVIER.
1756. 13t
fer ces véhicules , c'eſt un air plus ou moins
éthéré , qu'on connoît dans les écoles fous
le nom d'efprits animaux .
Dans les expériences de l'électricité , lorf
qu'on détermine ou qu'on dévoie une abon.
dance infolite de ce liquide vers plufieurs
bras tendus , il s'enfuit autant de flexions
promptes , violentes & inopinées de ces
mêmes bras. Cette contraction inefpérée
des mufcles fléchiffeurs , cette raréfaction
exploſive de leurs véhicules , eft une action
du courant électrique dévoyé , qu'on auroit
tort de confondre avec un reffort. L'élafticité
en exercice , n'eft à proprement parler,
qu'une action feconde ou une réaction ;
or toute réaction , toute répulfion , tout
reffort , toute réfiftance , pour être une
feconde action n'eft pas moins une action
organique que celle qui l'a précédé ; elle
dépend par conféquent d'une caufe tout -àfait
femblable .
La diaftole des vaiffeaux eft antérieure
à leur fyftole , & l'on peut appeller à jufte
titre celle- là la premiere action des conduits
fanguins , comme on appelle celle- ci
la feconde : le flux de la mer précéde fon
reflux. La motion du coeur devance celle
des arteres ; la premiere introduction de la
matiere magnétique dans le pole d'entrée
de l'aimant , et avant fa fortie & fon re
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
flux : le fang eft pouffé hors du coeur avant
d'y retourner ; & ce feroit , ce me femble ,
infulter la loi unique , la fimplicité & l'uniformité
de la nature , que de recourir à
différentes caufes pour expliquer ces allées,
ces venues , ces flux , ces reflux , ces admirables
circulations qu'on y obferve . "
Tout doit être proportionné pendant
que l'action & la réaction confervent entr'elles
une parfaite égalité. Il s'agit donc
d'examiner de quel côté eft la fupériorité ,
lorfque l'alternative cloche , fi elle eft plus
fenfible dans l'action qui fe préfente , ou
fi elle fe déclare mieux dans la réfiftance
qui tient lieu de réaction .
Dans un âge moyen , fi la fanté eft de
la partie , tout fe paffe avec une certaine
proportion. L'efpace , qui eft deftiné dans
les véhicules fibreufes ou mufculeufes à
l'entrée d'un air éthéré , s'y prête plus aifément
que dans un âge trop avancé. Ici ces
véhicules font rétrecies , leurs parois font
durcies , la réfiſtance eft plus confidérable ;
là les véhicules font dociles , leurs parois
font fouples , la réfiftance eft des plus vincibles
; d'où l'on a inféré que l'action organique
étoit plus grande dans les jeunes
gens que dans les vieillards ; c'eft ce que
j'avouerai volontiers , pourvu qu'on avoue
en même tems que la réfiftance ou la réacJANVIER.
1756. 133
tion organique eft telle dans les vieillards
qu'elle empêche la premiere action de
luire , le mouvement muſculaire d'éclater,
l'alternative des organes de fe déclarer , &
tout cela prouve que là où la force eft plus
réunie , ( foit action , foit réaction ) on y
doit reconnoître cette furabondance , cette
fupériorité qui conftitue la feule regle , la
loi unique , l'uniformité que la nature
prend plaifir à fuivre dans tous fes effets ,
dans toutes les opérations , dans toutes fes
merveilles.
Il s'agit maintenant d'expliquer la propagation
de cette furabondance d'air éthéré
ou d'électricité naturelle,depuis les orga
nes externes jufqu'à l'organe commun ,
pour occafionner les fenfations , & pour
réunir ou faire fuccéder la fenfibilité à l'irritabilité.
J'avouerai ingénument que ce dernier
mot me paroît impropre , lorfque l'air
éthéré , quelque ravage qu'il faffe dans les
fibres ou dans les mufcles , ne continue pas
fa progreffion jufqu'aux fibres cérébrales .
Cette communication ne fe trouve ordinairement
interrompue que par la fection
des nerfs ou par tous les embarras qui les
faififfent dans les différentes maladies.
Je dois maintenant , pour me conformer
à l'Auteur de la lettre , expliquer pourquoi
134 MERCURE DE FRANCE.
le tact eft fi exquis aux extrémités des
doigts . Tout le monde fçait que non feulement
les filamens nerveux y fourmillent ,
mais encore que la peau s'y trouve en tout
âge plus refferrée & plus tendue que dans
les autres parties du corps , dont les rides
font les appanages des vieillards & des
morfondus : cela étant , l'électricité naturelle
, qui fe préfente aux extrêmités des
doigts , trouve plus de réfiftance à gonfler
leurs fibres & leurs muſcles , qu'à parcourir
un fi grand appareil de nerfs jufqu'aux
fibres cérébrales , pourvu cependant que
ces nerfs foyent exemts dans toute leur
continuité des fufdits embarras , qu'on ne
fçauroit trop attentivement démêler dans
la conduite des maladies . La fenfibilité des
tenfionsinflammatoires , & l'infenfibilité des
oedémateufes confirment cette explication . :
Nos expériences de l'électricité font encore
mieux toucher au doigt ce méchanif
me admirable. Les rotations du globe farciffent
l'athmofphere de l'électricité . L'air
de la chambre où elles fe pratiquent , en
acquiert une agitation & un trémoulfement
qui ne lui font point ordinaires .
Voilà comme s'exerce le jeu des muſcles &
des fibres qui ne rencontre aucun nerf fa
vorable pour fe tranfmettre jufqu'au cerveau.
Etabliffez enfuite une barre de fer &
JANVIE R. 1756. 135
des fils d'archal pour fervir de conduits
au courant électrique , vous verrez auffitôt
éclorre toutes les expériences qui font
l'objet de votre admiration . Les nerfs dans
le corps humain répondent à ces barres
& à ces fils d'archal , & ils aboutiffent à
un nombre prefque infini de véhicules fibreuſes
de tous les organes du corps. Si
l'électricité fe tranfmet trop abondamment
, foit de l'organe commun , foit des
corps étrangers à quelque partie de votre
corps que ce puiffe être , vous y découvrirez
des fecouffes , des trémouffemens
des convulfions , des mouvemens convulfifs
, des éréthifmes , & toute cette kyrielle
de maladies , que vous défignez par mille
noms fuperflus , & par des expreffions propres
à voiler la fimplicité & l'uniformité
de la nature ; mais l'électricité émanée des
corps étrangers ne produira aucune fenfation
, fi les nerfs qui doivent la conduire
jufqu'au cerveau, fe trouvent , ou coupés ,
ou embarraffés , comme je l'ai déja infinué
, ou fi le courant électrique fe porte
plus librement çà & là , qu'il ne fuit la rou
te que les nerfs lui préfentent.
Il eſt inutile d'établir ici les parties du
corps animal qui dans leur état naturel
font plus ou moins fufceptibles de contraction
ou de mouvement mufculaire ; leur
136/ MERCURE DE FRANCE.
feule infpection , avec les principes què
je viens de pofer , fuffira pour déterminer
ce plus & ce moins .
Qu'il me foit permis d'obferver , avant
de finir , que l'idée d'irritation renferme
celle d'un fentiment douloureux , & que
celle de l'irritabilité conduit à l'idée d'une
fenfibilité proportionnée . La contraction
au contraire peut être ou ne pas être fuivie
d'un fentiment qui lui réponde . Il faut
que
la contraction des fibres cérébrales fe
joigne , ou fuive telle autre contraction
que ce foit , pour pouvoir donner naiſſance
à la fenfation . Pour la fanté donc , fi la
contraction des organes qui ne font point
fenfiferes , jouit d'une alternative naturelle
& aifée , volontaire ou involontaire
, libre ou non libre , que la ſenſation
lui fuccede ou non , c'eft ce qui doit fe
pratiquer pour le maintien de la vie corporelle
; mais fi elle eft exceffive & permanente
, fi elle eft trop violente , quoique
fucceffive , fi elle dépend d'une raréfaction
infolite des véhicules fibreufes ou
mufculeuſes , fi elle eft une fuite d'une
raréfaction outrée du tiffu véhiculaire
membraneux ou vafculeux , l'on y trouve
de quoi expliquer clairement les défordres
qui arrivent à l'économie animale ,
fans recourir à de nouveaux termes qui ,
JANVIE R. 1756. 137
outre qu'ils furchargent la mémoire , femblent
infinuer aux afpirans qu'il y a autant
de myſteres à approfondir qu'il y a de termes
inventés pour les énoncer. Ce méchanifme
de contractions prendra , ce me femble
, un nouveau jour des réflexions phyfiques
, dont je vais couronner ce précis
d'obfervations fur la lettre ci- deffus mentionnée
.
Quoique je ne connoiffe aucun état des
corps qui leur foit effentiel , à l'exclufion
de tout autre , je veux bien admettre avec
tous les Phyficiens un nombre de portions
de la matiere qui conftituent un corps dans
un lieu donné avec une certaine pefanteur.
Je confens de plus avec eux , qu'on appelle
ces portions les parties propres de ce corps,
quoique toute électricité furvenante lui
devienne autant naturelle , pendant qu'il
en jouit , que toutes ces parties qu'on lui
affigne dans tel ou tel rapport avec les
corps qu'on lui fuppofe étrangers . Une
telle nature de corps qu'il doit à fon électricité
fpéciale , ne fçauroit varier en quelque
fens qu'elle varie , que par l'abord
d'une électricité plus abondante que ne
l'eft celle qui l'y affujettiffoit jufqu'alors.
Il faut donc , fi fon électricité croît pour
un nouveau lieu , qu'elle décroiffe à proportion
pour le lieu où on l'a d'abord fup138
MERCURE DE FRANCE.
pofée. S'il devient , par exemple , plus léger
, il ceffe d'avoir le même rapport avec
le centre commun des graves , & fon élec
tricité croît pour un lieu oppofé à celui
qu'il affectoit par fa premiere gravité. If
s'accourcit par conféquent , & s'éloigne
des graves pour s'étendre , & s'allonger en
un fens contraire dans la même raifon que
fa légereté l'augmente.
Le refte de la lettre ne contient que des
faits qui méritent l'attention des Chirur
giens dans les panfemens des plaies & des
bleffures.
MEDECINE ET MÉTALLURGIE.
Nous déclarons au Public que nous ne
fommes que Littérateurs & Nouvelliftes ,
& qu'ainfi nous aurons toujours la plus
forte répugnance à inférer dans le Mercure
les Lettres les mieux faites , quand il
y fera queftion de quelques objets litigieux
. Nous ne nous fommes prêtés à
l'impreffion de celle- ci , que parce qu'elle
contient des faits effentiels , & dignes de
l'examen de tous les Citoyens de Paris ,
auxquels les eaux de Paffy font ordonnées ;
nous annonçons , mais nous ne décidons
pas, & ce n'eft en effèt qu'avec crainte que
JANVIER. 1756. 139
nous donnons notre avis fur les matieres
même les plus indifférentes.
Lettre de M... à M. le Prieur de C.. an
fujet des Eaux Minérales de Paffy.
"Vous ne vous êtes point trompé , Monfieur
; je crois pouvoir au moins contribuer
à faire ceffer votre indécifion par
rapport aux Eaux de Paffy. Ceux qui
vous en ont confeillé l'ufage , n'ont point
fait de diftinction entre les anciennes &
les nouvelles , parce qu'apparemment ils
ne les connoillent que par cette réputation
vague qui doit s'apprécier fur les
lieux. Pour moi qui n'ai pas
l'honneur
d'être Médecin , je n'entreprendrai pas
fans doute fur les fonctions des gens du
métier ; je fçais me tenir à ma place : mais
je fuis Hiftorien fidele & furtout fort impartial
de plus je fuis très à portée de
vous faire un rapport exact du fuccès de
ces différentes eaux & de l'idée , qu'en ont
les plus habiles gens. C'est donc fimple
ment à l'Hiftoire des anciennes & des
nouvelles Eaux de Paffy que je veux ici
me borner ; j'en décrirai fommairement
l'origine , la fortune , & l'état actuel : ce
détail pourra fixer votre choix , & vous.
140 MERCURE DE FRANCE.
n'elfuierez point le conflit des préjugés ou
des opinions qui partagent nos Praticiens .
Les anciennes Eaux de Paffy font connues
depuis près de 300 ans. Le terrein
dans lequel eft fituée la fontaine qui les
diftribue , étoit anciennement une tuilerie
, & l'endroit s'appelloit expreffément
les Eaux falutaires . Ce nom qui peut-être
aujourd'hui paroîtroit un peu faftueux ,
étoit fort fimple dans des tems plus fimples
; il leur avoit été donné par l'expérience
des habitans . La réputation de ces
Eaux réveilla il y a 50 ans l'attention
des Médecins du Roi ; ils les vifiterent ,
& après un mûr examen ils les ordonnerent
à Madame la Duchefle de Bourgogne.
Le bien qu'elles firent à cette Princelfe
, engagea le Roi à faire conftruire à
fes dépens l'aqueduc qui fert à faire écouler
les eaux de la fource dans la riviere ,
& qui traverſe fous terre le chemin de
Verfailles .
Depuis cette heureuſe expérience , les
anciennes Eaux de Paffy , en poffeffion
de la confiance publique , devenoient de
jour en jour plus célebres ; un incident
leur fufcita des rivales , & fit éclorre toutà-
coup les nouvelles Eaux. Les premieres
dans leur plus grande vogue , étoient affermées
pour très -peu de chofe à un parJANVIER.
1756. 141
ticulier dont je tais le nom par confidération
pour fa famille . Le produit confidérable
que le Sieur M..... tiroit de ces
Eaux , fit ouvrir les yeux au Propriétaire :
il voulut augmenter le prix du bail , &
le fieur M..... n'ayant pas voulu fouffrir
la moindre augmentation , le premier bail
expiré , ce Propriétaire prit le parti de
faire valoir fes Eaux par lui - même . Le
Sieur M.... piqué de perdre un profit peu
jufte , mais für & auquel il étoit accourumé
, jura qu'il détruiroit les eaux . L'effet
fuivit bien- tôt la menace ; en quittant
il jetta dans la fontaine une quantité de
vif- argent fuffifante pour faire crevaller
le puits , & y introduire l'eau de la riviere
. Cette noirceur lui réuffit ; le vifargent
fit tout le ravage qu'il en attendoit ,
& l'eau douce pénétra dans le puits . Dans
le même tems ( c'étoit celui du fyftême en
1720 ) il alla trouver l'Abbé le Ragnis ,
& il lui propofa d'acheter en billets de
banque , une maifon fituée près des anciennes
eaux , pour en établir de nouvelles
qui feroient tomber les premieres.
L'Abbé le Ragois gouta fon projet , & il
acheta cette maifon qui appartenoir au
Duc de Lauzun ; il s'y trouva un filet d'eau
qui fut érigé en Eaux minérales ; & comme
alors les anciennes s'affoibliffoient fen
142 MERCURE DE FRANCE.
fiblement par l'abominable expédient du
fieur M..... bien des Médecins les abandonnerent
& accréditerent les nouvelles .
Voilà , Monfieur , exactement l'origine
de ces nouvelles eaux ; je tiens ces faits
de perfonnes fures qui ont connu le fieur
M..... Lui - même à l'article de la mort
avoua tout à la Propriétaire des anciennes
eaux , ce qui la mit en état de réparer le
mal. En effet , auffi- tôt qu'on fçut d'où
provenoit cette altération , dont , fans
l'aveu du coupable , on n'auroit jamais
deviné la caufe , on fit d'abord combler
le puits qui d'ailleurs étoit trop profond
& l'on conftruifit un baffin de pierre où
tombent les eaux de la fource auffi pures
qu'en fortant de la mine , fans courir le
rifque d'aucun mêlange avec des eaux
étrangeres.
Depuis ces réparations , les anciennes
& les nouvelles eaux ont eu à peu près le
même concours. Cependant nos plus
grands Médecins MM . Molin , Senac
Pouffe Vernage , & bien d'autres , ont
toujours préféré les anciennes ; ce font
toujours les anciennes eaux qu'on ordonne
à la Famille Royale. Madame la Dauphine
& Mefdames de France les ont prifes
l'année derniere avec tout le fuccès
poffible. Si j'oſe joindre mon témoignage
*
...
1.
*.
JANVIER. 1756. 143
à de pareilles confidérations , j'ai remarqué
plus d'une fois dans la façon dont fe
diftribuent les anciennes & les nouvelles
caux des circonftances qui m'ont frappé.
On voit la fource des anciennes. précitément
au même état où elle étoit il y a 200
ans : rien n'eſt changé à cet égard ; l'eau
coule librement & fans art dans le baffin
qui la reçoit ; on vous laiffe examiner à
loifir la fontaine & fes dépendances , chacun
peut s'affurer par fes propres yeux
que ces eaux font réellement telles que
Dieu les donne , fuivant l'expreffion de M.
Molin qui ne les défignoit pas autrement.
Il n'en eft pas de même des nouvelles
eaux. Premierement elles font troublées
par les moindres inondations de la Seine
ce qui n'arrive point aux autres , parce
que leur baffin eft plus élevé. Secondement
il n'eft pas aifé d'en voir la fource ;
elle eft fouftraite aux regards profanes de
tous les curieux inutiles. On me mena dîner
il y a quelques années chez M, Belami
, Propriétaire de ces eaux. J'étois avec
deux Médecins leurs Protecteurs déclarés
& par conféquent tout nous fut ouvert.
Nous defcendîmes dans les caves ; j'y vis
différens réfervoirs qui avoient tous leur
robinet ; ces robinets m'étoient fufpects :
mais je fus bien plus furpris , lorfque j'ap
144 MERCURE DE FRANCE.
perçus dans le coin d'une cave un fort
gros tas de machefer ; j'allois demander
bonnement à quoi fervoient là ces fcories;
la réflexion me fit fupprimer une queftion
qui pouvoit être indifcrette , & je me
contentai d'en foupçonner l'ufage.
Pour revenir à notre objet , on ne peut
nier que les nouvelles eaux de Paffy
n'ayent eu pendant quelque tems la fupériorité
de la vogue fur les anciennes
caux. Mais il est évident qu'elles ne l'ont
due qu'à la beauté des Jardins qui font
une promenade agréable , & à la commodité
des logemens qui facilitent les moyens
de prendre ces eaux fur les lieux . Ce qui
peut encore avoir beaucoup contribué à la
célébrité des nouvelles eaux ', eft l'analyſe
qui en fut faite il y a 15 ou 16 ans par M.
Bolduc , & qu'un Médecin de la Faculté
( M. Baron ) a miſe en theſe.
Les anciennes eaux de Paffy dont la longue
poffeffion & les bons fervices auroient
dû feuls leur attirer l'attention de nos Chymiſtes
, n'étoient encore connues que par
leur fuccès . M. Brouzet , Médecin Ordinaire
du Roi & de l'Infirmerie Royale de
Fontainebleau , en fit l'analyfe il y a deux
ans , & fon mémoire après avoir été préfenté
à l'Académie des Sciences , eft actuellement
imprimé. Comme le Volume
n'eft
JANVIE R. 1756. 145
n'eft pas gros , au lieu de vous en faire
un extrait qui vous feroit perdre bien des
chofes , j'ai cru devoir vous l'envoyer . Ce
qui vous intéreffe le plus , la comparaiſon
des anciennes eaux avec les nouvelles y
eft faire , & de main de maître. Cette
piece fuffiroit feule pour vous décider ;
mais quelques réflexions fur les faits
que je rapporte en homme inftruit & parfaitement
défintéreffé , jointes à la préférence
que les Médecins du Roi donnent
conftamment aux anciennes eaux , lorfqu'il
s'agit des fantés les plus précieufes , acheveront
de terminer votre irréſolution fur
ce point.
Je fuis avec tous les fentimens que vous
me connoiffez , Monfieur , votre & c.
SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie Royale des Sciences .
L'Académie des Sciences tint le 12 Novembre
la féance publique d'après la S.
Martin . M. de Fouchy , Secrétaire perpétuel
, lut les éloges de feu M. le Maréchal
de Lowen dalh , Académicien Honoraire
, & de feu M. Helvetius , Affocié
Vétéran . M. l'Abbé Nolet lut enfuite un
I. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
Mémoire intitulé , Examen de deux queftions
fur l'Electricité, M. le Gentil de la Galaifiere
termina la féance par la lecture
d'un Mémoire fur le diametre apparent du
Soleil.
SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie des Infcriptions & Belles-
Lettres.
LE 14 du même mois , l'Académie des
Infcriptions & Belles - Lettres tint auſſi ſon
affemblée publique d'après les vacances,
Après l'annonce des Prix , M. le Beau ,
Secrétaire perpétuel , lut les éloges du
Cardinal Querini & du Marquis Scipion
Maffei , avec l'approbation générale. M.
l'Abbé Belley donna l'explication d'un Camée
antique du Cabinet de Monfeigneur le
Duc d'Orléans , & prouva que cette Pierre
à été gravée à l'occafion des jeux Séculaires
, que l'Empereur Domitien fit célébrer.
Selon cet Académicien , elle repréfente
une cérémonie , dans laquelle ,
fuivant l'ufage , on diſtribua des parfums
au Peuple Romain , quelques jours avant
la folemnité. A la fin de la féance , M. l'Abbé
Batteux fit la lecture d'un fecond Mémoire
hiftorique fur le principe actif de
la nature .
JANVIE R. 1756. 147
Cette Académie défirant que les Auteurs
, qui compofent pour fes Prix ,
ayent tout le temps d'approfondir les
matieres , & de travailler les fujets qu'elle
leur donne à traiter , avertit dès à préfent
, que le fujet , pour le prix qu'elle
doit diftribuer à Pâques en 1757 , confifte
à examiner quel fut l'état des Villes
& des Républiques fituées dans le Continent
de la Grece Européene , depuis qu'elle eût
été réduite en Province Romaine , jusqu'à la
bataille d'Allium ? La même Académie
avoit proposé pour le fujet du prix qu'elle
devoit adjuger à la Saint Martin de cette
année , de rechercher , quels font les attributs
diftinitifs , qui caracterifent dans les
Auteurs , & fur les monumens , OSIRIS ,
ISIS & ORUS ? Quelles pouvoient être l'origine
& lesraifons de ces attributs ? S'il avoient
tous également rapport aux dogmes de la religion
Egyptienne ? Sils ont éprouvé , foit en
Egypte , foit dans les pays où cette partie
du culte Egyptien s'eft introduite , des altérations
propres à déterminer à peu près l'âge
F des monumens où ils font repréfentés ? Aucune
des pieces envoyées pour le concours
n'ayant paru fatisfaifante , l'Académie à
jugé à propos de remettre le Prix , & elle
propofe de nouveau le même fujet pour
la Saint Martin de l'année 1757. Comme
"
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
un des objets de la fondation faite de
ce prix par M. le Comte de Caylus eft
d'inftruire les Artiftes fur le coftume , on
recommande aux Auteurs qui voudront
concourir , de déterminer chacun des
attributs par les textes des anciens Auteurs
& par les monumens, de les expliquer avec
préciſion , & d'en fuivre les changemens
fucceffifs , fans s'écarter du fujet.Le prix
fera double , c'est- à- dire , de deux médailles
d'or , chacune de cinq cens livres.
PRIX proposé par l'Académie Royale de
Chirurgie , pour l'année 1757 .
L'Académie Royale de Chirurgie propofe
pour le Prix de l'année 1757 le ſujet
fuivant :
Dans les cas où l'amputation de la cuiffe
dans l'article , paroîtroit l'unique reſſource
pour fauver la vie à un malade ; déterminer
fi l'on doit pratiquer cette opération , &
quelle feroit la méthode la plus avantageufe
de la faire.
Ceux qui.enveront des Mémoires
font priés des les écrire en François ou
en Latin , & d'avoir attention qu'ils foient
fort lifibles .
Les Auteurs mettront fimplement une
>
JANVIER. 1756. 149
devife à leurs Ouvrages ; mais pour fe
faire connoître , ils y joindront dans un
papier cacheté & écrit de leur propre
main, leurs noms, demeures & qualités , &
ce papier ne fera ouvert qu'en cas que la
piece ait remporté le prix.
Ils adrefferont leurs Ouvrages , francs
de port , à M. Morand , Secrétaire perpétuel
de l'Académie Royale de Chirurgie ,
à Paris , ou les lui feront remettre entre
les mains .
Toutes perfonnes de quelque qualité
& pays qu'elles foient , pourront afpirer
au prix ; on n'excepte que les Membres
de l'Académie.
Le prix eft une médaille d'or de la
valeur de cinq cens livres , fondée par
M. de Lapeyronie , qui fera donnée à celui
qui , au jugement de l'Académie ,
aura fait le meilleur mémoire fur le fujet
propofe.
La médaille fera délivrée à l'Auteur
même qui fe fera fait connoître , ou au
Porteur d'une procuration de fa part ; l'un
ou l'autre repréfentant la marque diftinctive
, & une copie nette du mémoire.
Les ouvrages feront reçus jufqu'au dernier
jour de Décembre 1756 inclufivement
; & l'Académie , à fon Affemblée
publique de 1757 , qui fe tiendra le
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
jeudi d'après la quinzaine de Pâques , proclamera
la piece qui aura remporté le
prix.
L'Académie a annoncé dans les nouvelles
publiques , que fur les fonds qui
lui ont été legués par M. de Lapeyronie
, elle donneroit tous les ans une médaille
d'or de la valeur de deux cens
livres à celui des Chirurgiens étrangers
ou Regnicoles , non membres de l'Académie
, qui l'aura mérité par un ouvrage
fur quelque matiere de Chirurgie que
ce foit au choix de l'Auteur. Ce prix d'émulation
fera proclamé le jour de la féance
publique 1756 pour ceux qui ont
travaillé en 1755 .
›
L'Académie diftribuera de plus tous les
ans , cinq Médailles d'or de cent francs
chacune à cinq Chirurgiens , foit Académiciens
de la claffe des libres , foit fimplement
Regnicoles , qui auront fourni
dans le cours de l'année un mémoire ,
ou trois obfervations intéreffantes. Les
Regnicoles qui auront mérité une de
ces médailles , en feront informés par des
lettres particulieres du Secrétaire
*
JANVIE R. 1756. 151
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
M.
MUSIQUE.
Duphly vient de mettre au jour fon
troifieme livre de pieces de Clavecin , qui fe
vend aux adreffes ordinaires. Son talent &
fon mérite font trop connus pour avoir
befoin d'être prônés. Le nom feul de
l'Auteur fait l'éloge de l'ouvrage .
Le Cabriolet , Cantatille, avec accompa
gnement de violons & baffe- continue
dédiée à M. de R*** par M. Papavoine ;
prix 1 liv. 16 fols , à Paris , chez l'Auteur ,
rue S. Honoré , vis- à- vis l'Hôtel de Noailles
, & aux adreffes ordinaires.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
PEINTURE.
Suite des Mémoires d'une Société de Gens
de Lettres , publiés en l'année 2355.
LE Mémoire dont nous allons rendre
compre, & qui eft le fixiéme dans le volume
, eft de M. Truthlover déja connu par
plufieurs ouvrages. Son objet eft la peinture
des anciens François , qu'il juge en
général tant fur les fragmens qui nous en
reftent dans les monumens publics , que
fur ceux qui le trouvent dans les cabinets
des Curieux ; il a fallu fans doute un zéle
infatigable pour fuivre une recherche auffi
pénible & auffi défagréable par la difficulté
d'appercevoir le mérite de ces peintures
noircies par un long efpace de tems ,
& en partie détruites.
M. Truthlover remarque d'abord que les
Peintres de ces fiecles n'ayant pas encore
trouvé la liqueur inaltérable dont nous
nous fervons maintenant , & qui affure à
nos tableaux une durée éternelle , fe fervoient
de quelques huiles pour lier les
couleurs , & que c'eft à cela qu'on doit
attribuer la ruine de leurs ouvrages ; c'eft
ce qui les a fait noircir , & les a brifés en
JANVIER . 1756. 153
petites écailles. Non feulement il le prou
ve par quelques citations d'anciens livres ,
mais encore ce curieux obſervateur a
cru néceffaire de s'en affurer par une décompofition
chimique dont il a fait l'expérience
fur les tableaux qu'il a cru les
moins eſtimables du côté de l'art ; on ne
fçait ce qu'on doit le plus admirer de fon
zele pour les découvertes importantes ,
ou de la générofité qui le porte à facrifier
au bien public des morceaux toujours
de grand prix par leur rareté & par leur
antiquité . Il obferve que les Peintures du
dix-huitieme fiecle font beaucoup moins
noircies que celles du dix- feptieme , ce
qui ne préfente d'abord aucune difficul-'
té, par la raifon qu'il y a un fiecle de différence
entr'elles ; mais M. Truthlover , qui
ne fe contente pas des premieres idées qui
fatisfont le commun des hommes , a porté
fes recherches plus loin. Il prétend que la
différence de noirceur qu'il y a entre les
tableaux de ces deux fiecles , eft trop confidérable
pour être attribuée fimplement
à l'effet d'un efpace de tems fi court en
comparaifon des fiecles qui fe font écoulés
depuis , mais qu'en effet il s'étoit établi
dans le dix-huitieme fiecle une mode
de peindre clair & avec très peu d'ombres
fortes , & que c'est ce qui eft caufe que nous
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
›
voyons encore avec plaifir plufieurs beaux
tableaux de ce tems-là : ce qui -appuie le
plus fortement fon fentiment , ce font
quelques citations de Livres anciens extraordinairement
rares , par lefquels il
paroît qu'on reprochoit à ces Peintres ,
comme un défaut , de peindre clair . Il eſt
bien fingulier qu'on ait attaqué d'excellens
hommes fur ce qui les a conduit à
une durée infiniment plus longue , & ce
qui nous fait jouir encore du plaifir de
voir leurs ouvrages , & d'admirer leurs talens.
>
Il entre enfuite dans des détails pour
faire connoître l'empire que la mode avoit
dans ces tems fur la Peinture : il remarque
que l'école qui floriffoit au commencement
du dix- huitieme fiecle , s'aflujettiffoit
dans la compofition, de tous les fujets
d'Hiſtoire à mettre toujours aux
deux coins du tableau deux grouppes de
figures ombrées & bien noires , pour faire
paroître le milieu du tableau plus enfoncé
& plus lumineux ; que c'étoit une loi
fi fondamentale , qu'on y auroit plutôt mis
des figures inutiles & .hors de vraifemblance
que
de s'en priver. Vers le milieu
de ce même fiecle , certe mode changea
entierement , tellement qu'on eût mieux
aimé fupprimer des figures néceffaires, que
JANVIER. 1756. 155
de fe réfoudre à en placer dans les coins.
C'eft encore à la mode qu'il rapporte cette
façon de colorier les ombres de la chair
de tons olivâtres ou jaunâtres , que cinquante
ans auparavant on faifoit toutes de
tons rougeâtres . Mais il fait une diftinction
bien judicieufe entre les chofes peu
naturelles établies par la mode & celles
qui ne nous paroiffent telles , que parce
que nous ne connoiffons plus de nature
femblable à celle des hommes de ce temslà
: c'eft par cette imitation d'une nature
inconnue maintenant , qu'il juftifie ces
demi teintes fenfiblement violâtres
bleuâtres , ou verdâtres , qu'on trouve
dans plufieurs de ces tableaux ; elles ne
nous femblent fauffes qu'en ce qu'elles
font au- deffus de la nature préfente. Il
rapporte quantité de preuves qui démontrent
qu'elle étoit alors de cette agréable
couleur. En effet , on trouve tant de tableaux
de divers Auteurs qui fe reflemblent
en ce point , qu'on ne fçauroit douter
que leur différence d'avec ceux que
nous faifons à préfent , n'ait fa fource
dans les variations de la nature . C'eſt à
cette même caufe qu'il attribue la différence
des vifages que nous voyons de nos
jours à ceux que préfentent ces tableaux ;
ces derniers font unis & prefque fans dé
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
tails . Deux ou trois teintes brillantes ont
fuffi pour les colorier ; la nature étoit plus
belle étant plus près de fa création : tous
les vifages étoient encore agréables de
forme & de couleur ; au lieu que de notre
tems la quantité de tons de couleur peu
fenfibles & fi variés que nous voyons
dans la chair , & qui nous donne tant de
peine à imiter , eft la preuve d'une nature
Alétrie. Dans ces anciens tableaux on voit
à prefque toutes les têtes, des nés aquilins ,
des phifionomies nobles & des traits réguliers
, même lorfqu'on a voulu repréfenter
le plus bas peuple , ce qui y répand
un air de fraternité , & les fait paroître .
en quelque façon de la même famille.
Selon M. Truchlover , on ne doit point
s'en étonner la Ville de Paris étoit alors
fort petite , elle ne pouvoit contenir au
plus qu'environ un million d'habitans . Si
peu de monde dans un petit efpace , donne
lieu de croire que les habitans fe connoiffoient
tous , la grande habitude de fe
voir faifoit que tous leurs enfans fe reffembloient
, & cette conformité continuoit
dans l'âge d'homme fait . D'ailleurs
tous fes habitans étoient naturels du païs
ce qui augmentoit encore l'uniformité des
caracteres , au lieu que maintenant Paris
eft prefque auffi peuplé d'Etrangers de
:
JANVIER. 1756. 157
tous les païs de l'Univers , que la grandeur
de fon commerce & fa puiffance y
attirent , que de ſes habitans naturels ; delà
une race mêlée & une infinité de caracteres
de vifages différens. Il en réfulte
à la vérité une richeffe avantageufe
à la Peinture , par la variété que cela répand
dans le tableau ; mais en mêmetems
l'Art en eft devenu plus difficile . Il
pouvoit fuffire à un Peintre dans ces temslà
, d'avoir appris à bien deffiner une douzaine
de têtes ; elles lui fervoient à tout ,
& il n'avoit plus qu'à travailler de mémoire
, au lieu que maintenant nous ne
pouvons rien produire qui foit approuvé ,
que nous n'ayons continuellement la nature
devant les yeux : c'est encore de
l'exacte imitation de la nature que s'enfuit
la différence fenfible qu'on voit entre
les tableaux de la fin du dix-feptieme fiecle
, & ceux du milieu du dix-huitieme ;
dans les premiers toutes les figures
d'hommes font d'une nature courte , mufclée
, fort fenfiblement & partout prefque
également ; d'ailleurs leur chair eft généralement
d'une couleur rouge. Le dixfeptieme
fiecle ayant été long- tems expofé
à des guerres , les hommes allant tous
en Campagne s'y fortifioient , & étant
exposés aux injures de l'air , y perdoient
158 MERCURE DE FRANCE.
leur couleur naturelle , au lieu que dans le
fiecle fuivant en ayant été moins troublé ,
les François élevés à l'ombre & dans le
repos des Villes , devinrent d'une nature
plus élégante , plus coulante , & leurblancheur
naturelle fut moins altérée .
M. Truhlover rapporte un fait fingu
lier & qu'on ne peut révoquer en doute ,
quoiqu'il ait négligé de citer les Auteurs
qui l'autorifent. Ce fait lui fert à prouver
combien les Arts étoient déja protégés &
foutenus. Il dit qu'on faifoit choix dans
toute la Ville des plus belles perfonnes des
deux fexes de toute qualité, & condition;
pour fervir de modeles aux Peintres ; qu'elles
tenoient à grand honneur d'être de
ce nombre & avec raifon , puifque c'étoit
en effet obtenir le prix de la beauté , cho
fe fi importante pour les femmes , qu'elles
faifoient mille brigues auprès des Peintres
pour obtenir leurs fuffrages. O tems heu-> ·
reux , s'écrie M. Truthlover ! afin de faciliter
les moyens de traiter les fujets faints
on avoit choisi un nombre d'hommes pour
repréſenter les douze Apôtres. Ces hommes
laifoient croître leur barbe , & cette
marque caractéristique leur attiroit le refpect
& la confidération de tout le monde ;
en même tems il étoit expreffément défendu
aux Peintres de fe fervir d'aucun
JANVIER . 1756. 159
autre modele. En effet fans cette regle ,
comment fe pourroit- il que toutes les têtes
d'Apôtres que nous voyons dans ces
tableaux , fe reffemblaffent auffi exactement
qu'elles le font. Il faut voir comme
à l'appui de cette découverte hiftorique ,
M. Truthlover foudroie quelques Auteurs
qui ont prétendu que cette reffemblance
de têtes étoit feulement une convention.
parmi les Peintres , & qu'ils étoient obli
gés de tirer ces têtes de leur cerveau fans
en avoir de modele devant les yeux.
Quelle abfurdité ! ne fçait- on pas qu'il
» eft impoffible de rien faire qui porte un
» caractere de vérité fans le fecours de la
»> nature : c'eût été la perte de l'Art .« Combien
plus refute- t'il l'erreur que quelques-
uns ont avancée , en difant que les
Peintres d'Hiftoire faifoient toutes leurs
têtes fans prefque confulter la nature ;
qu'ils fe formoient l'idée vague d'une nature
imaginaire , à laquelle ils affujettif
foient celle de leur païs, « Qu'on conçoive ,
» dit- il , que les Peintres ayent pu étudier
»fur une nature étrangere ou fur des ou-
"
33 vrages anciens , pour apprendre à ano-
» blir celle de leur païs ; mais qu'on en
» conclue qu'ils ne faifoient plus rien que
» fur ces idées acquifes , & fans y ajouter
v les vérités que la nature préfente , &
"
160 MERCURE DE FRANCE.
» qui feules peuvent faire naître l'illuſion
» néceffaire dans la Peinture , c'eſt ce
que je ne puis accorder.
Cependant qu'il nous foit permis de
n'être pas entierement de l'avis de M.
Truthlover , & de dire qu'il a affoibli
l'objection en fupprimant les raifons que
ces Auteurs apportent pour excufer les
Artiftes. Appuyés fur quelques Livres anciens
, ils difent que la Nation Françoiſe
étoit alors montée fur un ton critique , qui
l'empêchoit de fe livrer au fentiment &
qui gênoit infiniment les Peintres ; qu'à
force d'analyfer tout & de n'approuver
que ce qui étoit hors de toute répréhenfion
, on donnoit des entraves au génie
qui le fatiguoient & fouvent le détruifoient
entierement ; que le plus grand
nombre ne pouvant arriver à la connoiffance
de ce qui fait le mérite effentiel
de la peinture , c'est- à- dire , le deffein &
le coloris , fe rejettoit fur le coftume
comme étant ce fur quoi l'éducation commune
donne le plus de lumiere ; que les
Gens de Lettres célebres ou non , ne manquoient
pas d'attacher toutes leurs réflexions
& toute leur fenfibilité à cette
partie acceffoire de l'Art , qui leur paroif
foit la plus importante , parce que c'étoit
celle dont ils étoient le mieux inftruits ,
JANVIE R. 1756. 161
Qu'en conféquence la plupart des fujets
qu'on repréfentoit , étant des faits arrivés
dans d'autres pays que la France , &
même hors de l'Europe , on exigeoit que
les caracteres des têtes fuffent abfolument
étrangers & différens de la nature connue
dans le pays. Quelque mérite de vérité
& d'illufion qu'eût eu un tableau ,
s'il n'eût pas rempli cette idée vague de
la vraie beauté que les Lettrés célebroient ,
il fe feroit élevé de leur part un cri de
défapprobation qui eût bientôt entraîné
le public , malgré le plaifir qui fuit d'abord
irrésistiblement de la repréſentation
vraie d'une nature connue .
Quoiqu'il en foit , de cette explication
qu'apparemment M. Truthlover n'a pas
trouvée auffi folide qu'elle nous le paroît ,
il conclut que fi nous ne trouvons pas
dans ces tableaux anciens , toute la vérité
de détail que nous exigeons dans les
nôtres , c'eft qu'en effet la nature étoit
alors fort différente de ce qu'elle eft maintenant.
Il ajoute au fujet de ces hommes
défignés pour fervir d'Apôtres , qu'ils por
toient des habits tels que nous les voyons
dans ces tableaux : en effet , ces vêtemens
font trop peu naturels, pour fuppofer qu'ils
n'ayent pas été faits exprès. Quelle apparence
que les Apôtres fuffent affez ri162
MERCURE DE FRANCE.
ches pour porter des manteaux où il entre
quatre fois plus d'étoffe qu'il n'en
faut pour envelopper un homme , &
quand il feroit poffible qu'ils cuffent eu
cette efpece de luxe , comment peut-on
fuppofer que des hommes qui travailloient
de leurs mains , s'incommodaſſent
d'un poids auffi lourd que l'eft une piece
d'étoffe groffiere de cette grandeur ? De
plus on a tâché de nos jours de trouver
la coupe de ces manteaux , & jamais on
n'a pu en tailler qui fourniffent la quantité
de plis & dans les mêmes endroits
que ces tableaux les font voir . On en
doit conclure que ce font des vêtemens
fictifs , taillés d'une maniere finguliere &
qui n'eft nullement naturelle : il n'ont pas
plus de rapport avec les conjectures qu'on
peut tirer fur une nation telle que les Juifs ,
qui ayant été floriffante pendant tant de
fiecles , devoit avoir perfectionné les manufactures
, & ne s'être pas bornée à ne faire
que de groffes étoffes rouges , bleues ,
vertes ou jaunes , qui font prefque les feules
couleurs qu'on trouve dans ces vêtemens
, & fans aucune rayure , ornement
dans les étoffes dont l'invention eft fi fimple
, & qu'il a toujours été naturel de trouver
agréable. On fçait de plus que les
nations Orientales ont toujours eu une
JANVIE R. 1756. 163
coëffure , & l'on n'en voit aucune dans
ces tableaux.
M. Truthlover entre enfuite dans des
détails intéreffans fur la nature des femmes
d'alors , qui avoient toutes le nez enfoncé
à la hauteur des yeux ; au contraine
des hommes qui avoient tous le nez
aquilin : elles étoient toutes un peu camufes
, ce qui produit des perfonnes plus
agréables que belles : leur taille étoit
élegante , & il n'y avoit point de ces perfonnes
graffes que nous voyons fi fréquemment
de nos jours : autrement il s'en trouveroit
dans les tableaux du moins pour
varier. Cette nature étant celle qui produit
le plus beau coloris , il n'eft pas raifonnable
de penfer que les Peintres fe
fuffent voulu priver de cette fource d'agrémens
dont nous tirons un parti fi avantageux
dans nos tableaux.
Il paroît auffi que les anciens François
étoient des gens fort doux , & qui fe paffionnoient
peu , car on ne voit que rarement
de la paffion dans les têtes de ces
morceaux .
M. Truthlover porte cette réflexion
plus loin , & remarque que prefque tous
les tableaux de ce temps -là font des fujets
agréables ou indifférens , qui ne donnent
point lieu à des expreffions de paffions
164 MERCURE DE FRANCE.
fortes ; il lui femble même entrevoir
quelque affectation à fuir tous les fujets
qui peindroient des fentimens de douleur .
Ce font cependant ceux qui font les plus
propres à affecter l'ame, & à porter la peinture
à fon plus haur période.
M. Truthlover ne fçait à quoi attribuer
ce choix de fujets infipides ; eft - ce une
fauffe délicateffe de la Nation , qui l'em-.
pêchoit de fupporter ces fpectacles forts
& tragiques eft ce une foible condefcendance
pour le beau fexe , qui femble toujours
tendre à énerver le courage de l'homme
? peut-on penfer que fon empire s'étendit
jufques fur la peinture ? Croironsnous
que cette raifon ait fuffi pour donner
des entraves aux Artiftes excellens ,
que leur génie devoit porter naturellement
aux fujets qui leur donnoient lieu
d'en déployer toute la force , ou bien fuppoferons
- nous que ces Artiftes eux - mêmes
les évitaflent par l'incapacité de les
rendre avec toute l'expreffion qu'ils
exigent ? Ce qui engage M. Truthlover à
jetter plutôt cette faute fur le goût dominant
de la Nation , c'eft qu'outre qu'il
fe trouve quelques tableaux d'Eglife repréfentant
des Martyres exprimés avec
force , & qui juftifient les Artiftes , il remarque
que dans le nombre des cataloJANVIER.
1756. 165
gues de tableaux des Curieux de ce tempslà
, ( tableaux maintenant perdus ) on ne
trouve prefqu'autre chofe que des fujets
agréables ou indifférens : ils tiroient cependant
les principaux objets de leur curiofité
de l'ancienne Italie & de la Flandre
. On fçait par tradition que la plupart
des morceaux d'Italie , repréfentoient de
ces fujets d'expreffion , & que c'étoit en
quoi ces admirables Peintres , fi vantés
dans l'hiftoire , faifoient confifter leurs
plus grands talens. Auffi fe trouve- t'il
très-peu de tableaux Italiens dans ces catalogues
, mais en récompenfe une quantité
innombrable de tableaux Flamands
dont il paroît par les defcriptions qui en
font faites , que les fujets étoient pour
la plupart des Fêtes champêtres , ou autres
objets de nature commune , qui pouvoient
être agréables par quelque coloris
, & par une verité qu'il eft plus facile de
rendre que d'imaginer ces fituations touchantes
qui font l'aliment de la grande
Peinture d'Hiftoire. Si cette fuppofition
a lieu , M. Truthlover ne craint pas
d'avancer que les François étoient alors
plus curieux de meubles agréables que de
Peinture .
M. Truthlover paffe enfuite à quelques
réflexions générales fur le dégré de mérite
166 MERCURE DE FRANCE.
de ces tableaux : il remarque qu'on n'y
trouve prefque point de défauts , que
ceux d'entre ces Peintres qui femblent les
plus coloriftes , confervent néanmoins affez
de régularité dans le deffein , & que
ceux qui peuvent paffer pour les plus fçavans
Deflinateurs , préfentent un coloris
agréable , & dont on ne peut abfolument
fe plaindre. Cette réflexion fur la réunion
de toutes les parties de la Peinture:
dans le même Peintre , n'avoit pas échappé
à M. Followfcent dans fon Traité de
l'origine des progrès de la feinture en
France ; mais il en faifoit un mérite aux
Artiftes du dix- huitieme fiecle. Ici au contraire
M. Truthlover le leur reproche comme
un défaut . Il prétend que le caractere
de la médiocrité eft de réuffir prefque
également à tout ; que fi le Peintre né
pour être Deffinateur exact & correct , force
fon caractere pour devenir colorifte ,
it ne portera pas la partie du deffein auffi
loin qu'il l'auroit pu , & quelque effort
qu'il faffe , ne fera que très - médiocre colorifte
; que de même celui que fa difpofition
naturelle entraîne vers le coloris ,
fera retenu dans des entraves , s'il s'efforce
à s'affujettir à la correction du trait ,`
& que cette fervitude eft tout - à- fait contraire
à l'enthoufiafme & à la chaleur
JANVIER . 1756. 167
d'imagination avec laquelle le coloriſte
doit opérer ; que les fentimens intérieurs
qui portent le Peintre vers l'une ou l'au
tre de ces parties de la Peinture , font
abfolument différens & oppofés l'un à
l'autre ; qu'ils ne peuvent fe rencontrer
dans le même fujet que foiblement &
qu'autant qu'il n'a point d'aptitude particuliere
à rien ; qu'ainfi il n'en réfulte
que du médiocre. Auffi , dit- il , que quoique
la vûe de plufieurs de ces tableaux anciens
cauſe un fentiment de plaifir géné
ral , on n'y voit que rarement de ces
traits de fublimité qui excitent l'admiration
, & qui tranfportent le Spectateur. Si
l'on y loue l'abfence des grands défauts ,
on eft forcé de convenir qu'on l'achete
trop cher par l'abſence des grandes beautés.
M. Truthlover croit pouvoir rejetter
ce tort fur le Public , chez qui la vraie
connoiffance de la peinture n'étoit pas
auffi univerfellement répandue qu'elle
l'eft maintenant. De quelques inductions
qu'il tire d'anciens livres , il affure que
dès qu'un Peintre paroiffoit avec des talens
diftingués dans quelques parties de
l'Art , il fe formoit une efpece de conjuration
d'Ecrivains obfcurs & auffi méprifables
qu'importuns , contre les moin168
MERCURE DE FRANCE.
dres défauts qu'on pouvoit lui reprocher ;
que fi on lui accordoit quelques foibles
éloges pour les beautés qui fe rencontroient
dans fes ouvrages , le zele qu'on
témoignoit pour lui faire perdre fes défauts
le plus fouvent imaginaires , alloit
jufqu'à la perfécution ; qu'on le tourmentoit
par des comparaifons défagréa
bles de fes ouvrages avec ceux de fes
Contemporains , en qui l'on prétendoit ne
pas trouver les mêmes fautes ; que quelques
beautés à lui particulieres qu'il pût
préfenter , elles ne pouvoient obtenir
fon pardon ; qu'enfin il a pu arriver fouvent
que l'Artifte laffé de cet acharnement
, abandonnât la route particuliere
que fon naturel lui indiquoit pour fuivre
le chemin battu , & perdit ce qui
le diftinguoit , pour n'acquérir que ce qui
le rendoit l'égal ou plutôt le Copifte de
tous les autres. Quoiqu'il en foit , de ces
conjectures de M. Truthlover , on ne peut
fe refufer à l'éloge qu'il fait des Peintres
de nos jours , & à l'encouragement qu'il
leur donne , en les exhortant à ofer hardiment
avoir des défauts , mais à fe fouvenir
qu'ils doivent les racheter par des
beautés . Une beauté fublime , dit- il , paye
pour mille défauts. Enfin il prie ceux qui
aiment & qui connoiffent la peinture
de
1
JANVIER . 1756. 169
de faire paroître dans leurs jugemens plus
de fenfibilité pour le vrai beau , & moins
de févérité dans leur critique .
Voilà ce que nous avons cru devoir
rapporter de l'excellent Mémoire de M.
Trathlover : les bornes que nous nous fommes
prefcrites nous ont obligés de fupprimer
quantité de détails intéreffans
dans lefquels il eft entré , tels que les jugemens
particuliers qu'il porte fut les ouvrages
de plufieurs Peintres anciens dont
il cite les noms. Notre but a été fimplement
d'exciter une louable curiofité de
confulter l'original qui nous paroît mériter
les plus grands éloges.
GRAVURE.
Nous annonçons une feconde fois ( 1 )
le Supplice de Prométhée & le repos de Baccbus
, deux Eftampes gravées par le fieur
Chenu , pour inftruire le Public qu'on les
trouve chez lui , rue de la Harpe , près la
Place S. Michel , vis-à-vis le Caffé de Condé.
Ces deux morceaux dont on ne sçauroit
trop louer la préciſion & la beauté
(1) Nous en avons fait mention dans le fecond
volume du mois paſſé .
I.Vol.
H
170 MERCURE DE FRANCE.
font dédiés à M. le Comte de Vence , Protecteur
éclairé des Arts .
Nous avertiffons que l'Eftampe repréfentant
Jefus-Chrift reffufcité , gravée par
Salvador , fe vend chez la veuve de F. Chereau
, rue S. Jacques , aux Piliers d'Or .
LE ST PATTE , Graveur , rue des Noyers,
la fixieme porte cochere à droite en entrant
par la rue S. Jacques , vient de mettre
au jour quatre fuites de différentes maifons
de Plaifance , avec leurs diftributions,
décorations , jardins de propreté & dépendances
, compofées par M. Cuvilliers, premier
Architecte des Electeurs de Baviere
& de Cologne ; ces quatre fuites dont les
unes font dédiées à S. A. S. l'Electeur de
Baviere , & les autres au Prince de Heffe-
Caffel , compofent feize planches de la
grandeur de la demi - feuille du nom de
Jefus : elle fe vendent liv. 12 f. & en
détail à proportion .
De plus , il vend auffi du même Architecte
un livre de plafonds à l'ufage des intérieurs
des appartemens , lequel eft compofé
de fept planches , & vaut 1 liv. 16 f.
JANVIER . 1756. 170
ARTICLE CINQUIEME.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
LEs Comédiens François ont eu l'affluence
pendant tout le mois de Décembre fans
le fecours d'aucune nouveauté . Leurs Pieces
courantes ou remiſes , ont fuffi pour l'attirer.
Mérope , les Dehors trompeurs , Héraclius
, & Cénie , ont fucceffivement rempli
la Sale. Jodelet même n'a pas été moins.
fuivi. La premiere fois on l'a trouvé mauvais
, peut-être avec raifon , mais la feconde
on y a beaucoup ri fans fçavoir pourquoi
, & tout bien confidéré , je crois qu'on
a mieux fait . Il est très- agréable de rire ,
& l'on ne rit bien que de cette façon . Vive
les Pieces où il n'y a pas le fens commun
pour nous bien divertir ! il eft vrai qu'il
faut qu'elles foient excellemment jouées.
Cette Comédie de Scarron a cet avantage.
On peut dire , fans être injufte , qu'elle
doit fon fuccès au talent de M. Préville
? qui prête au rôle de Jodelet un agrément
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
qu'il n'a point par lui - même. Cet Acteur
charmant dans le Comique où il s'eft
renfermé , pouvoit feul nous confoler de la
perte de Poiffon . Sans être fa copie , il eft
fon digne fucceffeur , peut- être même plus
agréable par la fineffe du jeu , & furtout par
les graces de la figure. L'Aftianax , de M.
de Châteaubrun , eft ainfi retardé juſqu'au
fept ou au huit de ce mois. Nous aurons
après lui la Coquête corrigée , Comédie
nouvelle en vers en cinq Actes de M. de
La Noue. Ces deux nouveautés viennent de
fi bonne main , qu'il eft à préfumer qu'elmettront
cet hyver le comble à la profpérité
du Théâtre François , & le feront
briller dans les deux genres.
COMEDIE ITALIENNE.
LE Samedi 27 Décembre les Comédiens
Italiens ont donné pour la premiere fois
Roland , ou le Médecin amoureux , Parodie
de l'Opéra de Roland. Nous en rendrons
compte le Mercure prochain. Ils n'ont
point difcontinué l'Epoufe fuivante , & les
Fêtes Parifiennes du même Auteur. On voit
toujours la premiere avec le même plaifir ,
& M. de Chevrier a tiré de la feconde tout
le parti qu'il en pouvoit tirer . La Scene de
JANVIE R. 1756. 173
Mlle Silvia qui fe trouve juftement veuve,
& qui fe remarie à chaque heureux événement
qui furvient à la France , nous paroît
à bon droit applaudie , & vraiment
comique. Nous fommes encore obligés de
retarder l'Extrait de ces deux Pieces pour
inférer dans l'article des nouvelles la Rélation
de ce qui s'eft paffé cette année en Canada,
& pour y mettre une Lettre que nous
avons reçue de Lisbonne , datée du 25
Novembre , & qui nous vient d'une main
fûre.
CONCERT SPIRITUEL.
LE 24 Décembre , veille de Noël , le
Concert Spirituel commença par Fugitnox,
Motet à grand choeur de M Boifmortier
mélé de Noëls , dans lesquels Mile Fel &
Mlle Chevalier chanterent , & M. Balbaftre
joua de l'orgue. Enfuite Mdme Veftris
de Giardini chanta deux airs Italiens . On
executa uné fymphonie. Mlle Fel chanta
Regina Cali , petit Motet de M. Mondonville.
M. Canavas joua un Concerto de
violon. Le Concert finit par In exitu »
Motet à grand choeur de M. Mondonville.
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
Le 25 , jour de Noël , le Concert fut
brillant par l'affemblée , & les morpar
ceaux qu'on y exécuta. On commença par
la premiere fonate des piéces de clavellin
de M. Mondonville , enfuite Cantate Do
mino , Motet à grand choeur , de M. de Lalande
. Mdme Veftris Giardini chanta deux
airs Italiens . Mlle Fel chanta un petit
Motet de M. Madin , dont la mufique parut
très-agréable , & l'exécution parfaite.
M. Balbaftre joua fur l'orgue fon nouveau
Concert qui reçut de nouveaux applaudiffemens.
Le Concert finit par le fublime
Venite exultemus , Motet à grand choeur
de M. Mondonville.
JANVIE R. 1756. 175
ARTICLE SIXIEM E.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU LEVANT.
DE CONSTANTINOPLE , le 2 Novembre.
LE 2 , du mois dernier , Niſchangi Pacha ;
Grand Vifir , fut mandé par le Grand Seigneur ,
qui fur le champ lui ôta les Sceaux de l'Empire ,
& le fit conduire entre les deux portes intérieures
du Palais. Il y demeura jufqu'au lendemain aprèsmidi,
qu'on lui apporta le fatal cordon . Ce Grand
Vifir n'étoit âgé que de trente - quatre ans. Son
corps a été exposé à la vue du peuple avec un
écriteau conçu en ces termes : Voilà le corps du
pervers Nifchangi , qui a trahi la confiance du
Sultan fon maître , & qui a mérité l'indignation
de Sa Hauteffe par les forfaits dont il s'eft rendu
coupable. Que chacun profite de cet exemple. Saïd
Effendi , dont le mérite & la probité font généralement
reconnus , a été déclaré Grand Vifir ;
& la place de Kiaya qu'il occupoit , a été donnée
au Reis Effendi.
ALLEMAGNE.
DE BERLIN , le 6 Decembre.
Selon les avis reçus de Templin , ville fituée
à douze lieues de cette capitale , & à trente de la
mer Baltique ; le premier Novembre , entre onze
heures & midi , le tems étant fort calme , les
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
eaux des Lacs Netzo , Muhlgaft , Roddelin &
Libbefé , commencerent à bouillonner avec un
mugiffement effrayant . Peu après elles s'éleverent
tellement au - deffus de leur niveau ordinaire ,
qu'elles fubmergerent les campagnes voisines.
Elles s'y arrêterent quelques minutes , & fe retirerent
enfuite dans leur lit avec la même rapidité
qu'elles en étoient forties. Ce flux & reflux
fe répéterent fix fois pendant l'intervalle d'une
demi- heure. Au dernier reflux il fe répandit dans
l'air une puanteur qu'il étoit difficile de fupporter.
Des Pêcheurs qui fe font trouvés fur le bord du
Lac Netzo , dans les premiers momens du phénoméne
, ont rapporté qu'à plus de cinquante
pas du Lac ils avoient eu de l'eau juſqu'au - deffus
de la génouillere de leurs bottes , & qu'ils avoient
couru rifque d'être entraînés par la violence du
reflux.
ESPAGNE.
DE MADRID , le 27 Novembre.
Le Roi a envoyé ordre aux Gouverneurs des
provinces limitrophes au Portugal , de fournir aux
Portugais tous les fecours de vivres & d'argent
qu'on pourroit leur procurer. Indépendamment
de cela , Sa Majefté a fait expédier plufieurs couriers
avec des fommes confidérables , afin que le
Secrétaire du feu Comte de la Perelada les diftribuât
aux habitans de Lisbonne , qui ont été ruinés
par le défaftre qu'a effuyé cette ville . Il n'y a
prefque aucune partie des deux Royaumes de Sa
Majefté Très - Fidele , qui ne fe foit reffentie des
effets du tremblement de terre . Les villes de Por
to , de Santarem , de Guimaraens , de Bragance ,
de Viana , de Lamego , deSintra , de Villaréal
JANVIER. 1756. 177
de Caftellobranco , de Beja , de Portalegre , d'Elvas
& de Taveira , préfentent , chacune en particulier
, de triftes veftiges du dégât que les feconfles
y ont caufé . Plufieurs montagues , entre
autres l'Estrella , l'Arrabida , le Marvan , & le
Monte Junio , ont été fortement ébranlées . Quelques-
unes fe font entr'ouvertes. La crue extraordinaire
des eaux du Tage , de la Guadiana , du
Minho & du Douro , a produit des inondations ,
qui ont interrompu prefque toute communication
entre les différentes provinces.
DE TARIFFA , le 19 Novembre,
Si l'on en croit diverfes lettres , les fecouffes
ont été encore plus violentes à Gibraltar que dans
toutes les autres villes de cette côte . Une partie
de la montagne voifine du port s'est écroulée fur
La ville , & y a caufé un grand dommage.
ITALI E.
DE ROME , le 15 Novembre.
On effuya ici la nuit du au un orage furrieux.
Le tonnerre tomba fur le Monaftere de Ste
Anne de Catenari, & y fit beaucoup de ravage. II
tomba auffi dans la Galerie du Palais Colonna
di Sciarra ; mais le dommage qu'il y a caufé , eft
peu confidérable. Deux Eccléfiaftiques font venus
de la province de la Capitanate pour faire ap
prouver par le Pape le deffein qu'ils ont d'établir
une nouvelle Congrégation de Miffionnaires.
Le Corfaire Algérien , dont le Chevalier de Polaftron
s'eft emparé , étoit monté de quatorze
canons & de vingt pierriers . Son équipage étoit
composé de cent dix Turcs ou Mores. Trente-
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
quatre ont été tués . Les autres , parmi lesquels il
ya trente-fix bleffés , ont été faits efclaves. Le
Chevalier de Polaftron n'a eu fur fon bord que
deux hommes tués , & quatre bleffés.
DE NAPLES , le 15 Novembre.
On effuya ici ces jours derniers un orage fi térrible
, qu'on ne fe fouvient point d'en avoir vu de
femblable. La grêle étoit d'une groffeur extraordinaire
, & il s'eft trouvé des grains qui peſoient
jufqu'à dix onces.
DE MILAN , le 18 Novembre.
On reçoit journellement les triftes détails du
ravage , que le débordement du Po a caufé dans la
Lombardie Autrichienne & dans les pays voifins.
La ville de Cazal- Major a couru rifque d'une fubmerſion
totale. Il a fallu que la Garnifon , pendant
plufieurs jours , luttât contre l'impétuofité
des eaux ; foit en leur oppofant des digues , foit
en faifant des coupures , pour leur procurer des
écoulemens. Il en a été prefque de même à Ferrare.
Dans le Parmeſan & le Plaiſantin tout le
plat pays a été inondé. Plufieurs perfonnes ont
été noyées , & dans une feule maiſon il en a péri
quatorze. Les villages de Montecelli , de Pancegiano
, de San Lazaro , de San Pedretto , de Caf
telrettro & de San Giuliano , font fous les eaux,
DE SCHAFFOUSE , le 20 Novembre.
Les vents du Sud & d'Oueft ont fait fondre fi
fubitement les neiges , qu'il eft tombé des montagnes
une infinité de torrens , qui ont emporté
dix-neuf moulins & plus de trente ponts. Cet ac
JANVIER. 179 1756 .
cident a couté la vie à un grand nombre d'habi
tans de la campagne.
GRANDE- BRETAGNE.
DE LONDRES , le 11 Decembre.
Les Communes délibérerent le 21 Novembre
en grand Comité fur le fubfide , & elles accorderent
au Roi cinquante mille Matelots , en
y comprenant cinq mille cent trente- huit foldats
de marine. Le 26 , cette Chambre régla qu'on
leveroit quatre fchelings par livre fterling fur les
revenus des terres dans toute l'étendue de la Grande-
Bretagne , & que les droits fur la Dréche ſeroient
continués pendant l'année prochaine. Les
traités conclus avec l'Impératrice de Ruffie &
avec le Landgrave de Heffe Caffel furent remis â
la Chambre des Seigneurs par le Comte de Holderneff
, & à celle des Communes par M. Fox .
L'une & l'autre Chambre ont renvoyé à la quinzaine
l'examen de ces traités , & elles ont ordonné
que tous les membres feroient fommés d'y
affifter.
Plufieurs des Miniftres Ettangers furent le 25
Novembre en conférence avec les Miniftres du
Roi. La Compagnie des Indes Orientales tint le
26 une affemblée générale. Il y fut décidé que le
Dividende fur fon fonds capital , à compter du
commencement du mois de Janvier 1756 , feroit
réduit de huit à fix pour cent. Dans une affemblée
que le Corps de la Bourgeoisie de cette ville
tint le 25 Novembre , on propofa de fupplier le
Parlement d'établir en Angleterre une milice générale.
Mais la négative l'emporta à la pluralité
de quatre-vingt-fix voix contre foixante - fix . La
Milice particuliere des provinces méridionales
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
fe leve avec toute la diligence poffible . Le Duc de
Marlbouroug partira dans peu pour aller prendre
le commandement des troupes dans la province
de Kent . Suivant l'arrangement propofé
par le Général Ligonier , chaque Bataillon aura
déformais deux pieces de campagne. Quelques
Bataillons des Gardes à pied & une Compagnie
des Gardes du Corps ont reçu ordre de fe tenir
prêts à marcher. Le Duc de Bedfort a fait offre au
Roi d'entretenir à fes dépens pendant une année
un Corps de dix mille hommes . Des Commiffaires
font chargés d'aller vifiter les fortifications
de toutes les places d'Irlande , & de faire réparer
celies qui en auront befoin .
Quelques vaiffeaux & plufieurs chaloupes croifent
le long de la côte du Comté de Suffex , afin
de s'opposer aux defcentes qu'on pourroit tenter
dans ce te province.
En divers endroits de la Grande- Bretagne on
a obſervé dans les eaux la même agitation qui
s'eft fait remarquer en Hollande , en Allemagne
& en Italie , & qui a caufé de fi terribles ravages
à Cadix & dans le Portugal.
On propofa le 2 de ce mois à la Chambre d'encourager
les Matelots par quelques récompenfes.
extraordinaires , & de requérir que le Roi décla
rât légitimes les prifes faites fur les Francois. Ces
deux propofitions exciterent de longs débats , &
furent enfin rejettées.
On a embarqué ces jours - ci vingt - cinq mille
livres fterlings , & une grande quantité de toutes
fortes de provifions pour le Portugal . En faveur
de ce Royaume défolé on a levé l'embargo qui
avoit été mis dans tous les ports d'Irlande fur les
beftiaux & fur les grains.
Le s,le Comte de Holderneffremit à la Chambre
JANVIER. 1756. 181
les copies qu'elle avoit demandées de plufieurs an
ciens Traités. Elle réfolut de fupplier le Roi de
lai faire communiquer les Mémoires refpectifs
de ce Miniſtere & de celui de France au fujet des
différends qui regardent l'Amérique . Le Roi fe
rendit à la Chambre le ro , & S. M. ayant mandé les
Communes, donna fon confentement au Bill de la
Dréche. Lorsque le Roi fe fut retiré, les Seigneurs
prirent en confidération les deux Traités faits avec
' Impératrice de Ruffie & avec le Landgrave de
Heffe-Caffel. L'un & l'autre furent approuvés à
la pluralité de quatre-vingt - cinq voix contre douze.
Lei , le 6 & le 8 , la Chambre des Communes
examina en Committé le Bill de la taxe fur les ter
res. Il fut ordonné de porter un Bill pour recruter
plus promptement les troupes. La Chambre
a accordé neuf cens trente mille fix cens trois
livres sterlings pour l'entretien des troupes employées
dans la Grande- Bretagne ; deux cens huit
mille cinq cens trente- quatre pour les troupes
d'Amérique , ainfi que pour les garnifons de Ġibraltar
& de Port-Mahon ; cent cinquante- deux
mille quatre cens trente- cinq pour l'artillerie de
terre, cent quarante -fix mille pour les dépenses extraordinaires
que ce département a exigées, & auxquelles
le Parlement n'avoit pas pourvu ; cent
mille pour fecourir les malheureux qui ont été
rainés par la cataſtrophe de Liſbonne.
Le vaiffeau de guerre la Hamptoncourt , de
foixante-dix canons , a fait voile de Portsmouth
pour Lisbonne, chargé de provifions , & de cinquante
mille livres fterlings. Plufieurs autres vaiffeaux
partirone fucceffivement avec de femblables
fecours pour la même deſtination . Le Capitaine
& l'équipage d'un navire , appartenant à MM.
de Godwill & Cotterel ont déclaré que le & No182
MERCURE DE FRANCE.
vembre ils avoient effuyé en pleine mer , à plus
de foixante lieues des côtes du Portugal , une fecouffe
auffi violente que celle du plus fort tremblement
de terre.
J
FRANC E.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
LETTRE A L'AUTEUR DU MERCURE.
E m'empreffe , Monfieur , à vous faire part
d'un nouveau phénoméne, afin que les Sçavans
en étant inftruits , veuillent bien nous en donner
l'explication.
Plufieurs perfonnes du voisinage , des étrangers
même , & furtout les Médecins du pays , à qui la
confidération en appartient plus particuliérement ,
ont vu ce phénoméne ; ils en ont été étonnés ,
comme les plus ignorans , mais ils n'ont pas voulu
, ou plutôt ils n'ont pu nous en donner aucune
raifon , & nous ont laiffé dans l'étonnement
fans pouvoir nous en tirer .
Voici , Monfieur , quel eft ce phénoméne , on
fi vous voulez , ce prodige . C'eft une fille qui a
vécu plus de trois ans fans manger , près de ſix
mois fans boire , & qui vit encore.
Entrons dans le détail . Pour une plus grande
intelligence , il faut en faire l'hiftoire , & vous
en marquer le commencement , le progrès & la
fin ; en un mot toutes les circonftances qui ont
précédé & accompagné la maladie de cette fille ,
qui n'eft pas entièrement rétablie , puifquelle ne
peut encore marcher qu'avec des potences .
Une nommée Michelot , âgée d'onze ans , néc
JANVIER. 1756. 185
en 1742 à Ponfard , village fitué à une demilieue
de Beaune , au Diocèle d'Autun , fille d'un
Vigneron dudit lieu , fut furprife en 1751 , quelque
tems après la vendange , à laquelle elle avoit
travaillé à couper quelques raifins , autant que
fon âge le permettoit , fut furprife , dis-je , environ
vers la Touffaint , d'un évanouiffement
confidérable , qui dura long-tems . Pour la faire
revenir , quelques-uns du village s'érigeant en
médecins , & donnant leur avis à tout hazard ,
dirent qu'il falloit écorcher un mouton , & envelopper
l'enfant dans fa peau : on le fit , elle revint
de fon évanouiffement ; mais il lui prit des
tremblemens par tout le corps , ' qui lui durerent
près d'un mois , & fi violens , qu'il falloit la tenir
ou l'attacher.
Depuis fa chute jufqu'au commencement du
Carême de 1755 , cette fille n'a rien mangé exactement
, n'a pas même pu prendre du bouillon .
Tout ce qu'on vouloit lui faire avaler par force ,
elle le rejettoit . Dans les fix premiers mois de fa
maladie , elle n'a bu ni eau ni vin ; elle trempoit
feulement de fois à autre fon doigt dans de
Peau , & le fuçoit . La plupart de ceux qui la
voyoient , & fes parens même , crurent que c'étoit
un fort qu'on avoit jetté ſur cet enfant.
Comme ce font des gens de la campagne , il n'eft
pas étonnant qu'ils ayent donné dans cette idée ,
qui eft aflez ordinaire aux villageois , quand ils
ne connoiffent point une maladie , & qu'elle a
quelque chofe de fingulier dans fon principe &
dans les effets. Au bout de fix mois elle a commencé
à boire de l'eau , mais en petite quantité ;
elle a toujours uriné , mais elle n'alloit pas à la
felle.
Elle devint très-maigre, fon ventre étoit appla
184 MERCURE DE FRANCE.
ti , & même enfoncé comme celui d'un levrier ,
cela eft tout fimple ; mais elle avoit toutefois le
vifage affez plein , un beau teint , avec toutes les
couleurs de la jeuneffe : ce qui eft furprenant.
Elle perdit en même tems avec l'appétit & le
befoin de manger , la parole & l'ufage de fes
jambes. Du commencement , pour aller d'un endroit
de la chambre à l'autre , elle fe traînoit fur
fon ventre , à l'aide de fes mains , enfuite fur le
derriere ; & long- tems après elle a marché fur
fes genoux , & enfin avec des potences ; actucllement
même elle ne marche pas autrement.
Ses parens n'oublierent rien pour lui donner.
tous les fecours imaginables , autant que le permettoit
leur petite faculté . On envoya chercher
les Médecins , les Chirurgiens , toute la Pharmacie
fut appellée , mais en vain . Voyant que les
remedes naturels étoient inutiles , & que les Maîtres
de l'Art n'y connoiffoient rien , & l'avoient
abandonnée dix -huit mois après ils,eurent recoursaux
prieres & aux 'remedes furnaturels ; ils implorerent
le fecours du médecin des Médecins,
celui qui d'une feule parole guérit tous les maux.
Touchés du triste état où étoit leur fille , la piété
& la tendreffe paternelle leur fuggéra la penſée
de s'adreffer au Seigneur par l'interceffion de la
Sainte Vierge ; ils la menerent à cet effet en dévotion
à fept ou huit lieues delà , à une Notre-
Dame , qu'on appelle N. D. d'Etang , à deux
lieues de Dijon , où il y a un couvent de Minimes.
Il y firent leurs prieres , & y firent célébrer
une Meffe pour la guérifon de leur fille . Au retour
de leur pélérinage , & pendant le chemin , la
malade recouvra la parole ; & voici comment ..
Les gens qui la conduifoient fur une petite voitre
, comme il faifoit chaud , s'arrêterent fur le
JANVIER. 1756. 183
bord d'un ruiffeau pour étancher leur foif ; quand
le premier eut bu , la fille demanda à boire à fon
pere , qui pleura de joie d'entendre que fa fille
avoit recouvré la parole , & en rendit graces au
Seigneur. Dès ce moment elle a toujours parlé ;
mais toutes les pfieres & les remedes qu'on a
pu faire , n'ont pu lui rendre l'appétit , ni la
faculté de marcher.
Pendant tout le cours de fa maladie , elle n'a
pas eu de fievre. Il y apparence que les jambes
étoient attaquées de paralyfie ; car on les avoit
piquées , fans qu'elle en eût rien fenti : enfin ,
aprés avoir vécu plus de trois ans en cet état ,
elle a commencé à manger au mois de Février
1755-
Quoique bien des perfonnes foient allées voir
cette fille par curiofité , comme j'ai déja eu l'honneur
de vous le dire , perfonne n'a encore pu
jufqu'ici nous expliquer ni la caufe , ni les effets
d'une maladie auffi extraordinaire . Perfonne n'a
pu rendre raison de ce qu'elle a pu vivre filongtems
fans manger , & près de fix mois fans boire.
Il ne paroît pas d'abord à l'efprit que cela puiffe
fe faire fans miracle ; on ne peut cependant pas
dire qu'il y en ait eu , fi ce n'eft peut- être dans
le recouvrement de la parole , car il ne faut pas
multiplier les miracles fans néceffité . Comme la
maladie de cette fille probablement eft venue
naturellement , & non par un fort , comme le
croyoient ces bonnes gens , il y a toutes les apparences
du monde que la guérifon s'eft faite de
même . Mais comment a-t- elle pu fubfifter naturellement
pendant près de quarante mois fans.
Labor eft manger : Hoc opus , lic labor eft
Ce prodige , tout fingulier qu'il eft , n'eft pas
unique en France . La même chofe eft arrivée à
186 MERCURE DE FRANCE.
ne ,
pea-près à une femme de Moify , village de Beauil
y a déja quelques années. La maladie , &
furtout la guérilon de cette femme fit beaucoup
plus de bruit , que celle de notre fille de Pommard.
Là on crioit au miracle , ici perfonne ne dit mot .
On m'a pourtant affuré que M.Piloye , un des plus
accrédités Médecins de Beaune , en avoit écrit à
la Faculté de Médecine de Paris , pour fçavoir làdeffus
fon fentiment ; mais je ne fçais ce qu'elle
a répondu , ni même fielle a répondu.
J'ai l'honneur d'être , & c.
F ..... D ....
A Beaune , ce 24 Juillet 1755.
CAMP DE VALENCE.
Le Camp formé près de cette Ville , étoit compolé
des Régimens d'infanterie de Navarre ,
de Bretagne , de Bigorre , de Nice de Vaubecourt
& de la Roche- Aymon , & des Régimens
de Dragons , Dauphin & de Languedoc.
M. le Marquis de Voyer ; Maréchal des Camps &
armées du Roi , & Infpecteur général de la Cavalerie
, commandoit ce camp. Il avoit fous fes
ordres le Marquis de Monteynard , auſſi Maréchal
de Camp les Comtes de la Queuille & de
la Roche -Aymon , Brigadiers d'Infanterie ; & M.
Severac de Juffes , Brigadier de Dragons. Le
Chevalier de Soupire rempliffoit les fonctions
de Maréchal Général des Logis.
Le 22 Août , le Marquis de Voyer fit la revue
générale des troupes , qui étoient fous les ordres.
Tous les Corps étant en bataille fans alignemens
tracés , qui étoient défendus pendant la
durée du Camp , les Brigades d'Infanterie fo
JANVIER . 1756. 187
porterent fur le centre . Au fignal d'un coup de
canon , la Ligne d'Infanterie fe trouva rompue ,
à droite , par tiers de rang , & à gauche , jufqu'à
la droite du Camp. Chaque divifion fit enfuite
un quart de converfion à gauche , marcha quarante
pas en avant , fit un fecond quart de converfion
à gauche , & marcha jufqu'à la droite du
Camp , d'où par des quarts de converfion à droite ,
chaque Corps fe trouva fur le front de fon terrein
, & y rentra par un demi-tour à droite . Les
Régimens de Dragons Dauphin & de Languedoc,
qui s'étoient rompus par Compagnies , l'un à
la droite , l'autre à la gauche , rentrerent auffi
dans le Camp , peu après l'Infanterie. Le Marquis
de Voyer vifita enfuite tous les poftes avancés
. Avant -hier , les troupes firent en fa préfence
, d'abord par Régiment , & enfuite par
Brigade , tous les feux preferits par l'Ordonnance
du 6 Mai de cette année. Les deux Brigades de
la gauche ſe ferrerent fur celle de Navarre. Elles
marcherent en bataille , au pas ordinaire & au
pas redoublé , environ deux cens toifes en avant
des fleches qui couvrent le Camp. Les Bataillons ,
qui dans la marche avoient trouvé des obſtacles ,
comme Caffines, Haies , Redents , s'étoient placés,
par le pas de côté, derriere les Bataillons qui avoient
trouvé le chemin libre . Ils les avoient fuivis jufqu'au
de-là de l'obſtacle. Alors , par le pas de côté ,
ils s'étoient replacés vis-à- vis des intervalles , &
par le pas redoublé ils avoient repris leur rang
dans la Ligne. Vis -à- vis des obftacles , quelquesuns
des Bataillons fe formerent en colonne derriere
les Bataillons , dont le chemin n'étoit point
embarraflé , & quand l'obftacle étoit paffé , ils
rentroient dans la ligne à pas redoublé . Sur
les onze heures , le Marquis de Voyer fit rompre.
188 MERCURE DE FRANCE.
la ligne par un quart de converfion à gauche par
Bataillon. La colonne marcha , jufqu'à ce que
chaque Bataillon fe trouvât vis - vis de fon Camp
où il rentra . L'objet de cette manoeuvre fut d'exercer
les troupes à faire les pas perfcrits par l'Ordonnance
, & de leur apprendre à s'en fervir
felon les différentes occafions & les différens terreins
.
Le 3 Septembre , le Marquis de Voyer fuppofa
que des troupes ennemies , qui couvroient
la ville de Valence , s'en étoient écartées pour
inquietter l'armée, Il fe propofa de leur dérober
une marche , & de fe pofter entr'elles & la
Ville , dans le deffein de les éloigner , ou de les
combattre . Selon cette idée , fix Bataillons &
la moitié des Dragons , deftinés à repréſenter
P'armée ennemie , partirent à cinq heures du
matin fous les ordres du Marquis de Monteynard
, & fe porterent fur deux colonnes vers l'a
Ville , entre les hauteurs de l'Auragne & la droite
du Camp. Une heure après , le Marquis de Voyer
fe mit en marche avec fept Bataillons , le refte
des Dragons & l'artillerie , & il s'avança auffi
fur deux colonnes vers la Ville par la cenfe de
Faventine . L'artillerie étoit à la colonne de la
droite , qui étoit compofée de deux Bataillons ,
& précédée des Dragons & de quelques Piquets.
Le reste de l'Infanterie formoit la colonne de la
gauche. Le Marquis de Monteynard , informé
de la marche du Marquis de Voyer , fe mit en
bataille dans les Prez le long d'une naville profonde
& pleine d'eau , & dont la digue couvroit
le Soldat par un parapet. La droite des ennemis appuyoit
à un chemin étroit , qui formoit un retranchement
, & leur gauche à la cenfe de la Palla. Ils
jetterent leurs troupes legeres avec quelque Infan
JANVIER. 1756. 189
terie dans des navilles à fec , & derriere des haies,
& ils placerent leur Cavalerie dans une petite , plaine
, à côté de la Cenfe. Le Marquis de Voyer ,
ayant reconnu cette difpofition , forma la fienne
en conféquence. L'armée devoit arriver par un
plateau , qui déroboit fes manoeuvres aux enne
mis . Il eût été défavantageux de les attaquer par
leur front de bataille , parce que les troupes fe
feroient trouvées obligées de fe former fous le
feu d'une Infanterie , qui auroit tiré à couvert.
Ainfi le Marquis de Voyer fe détermina , à diriger
La principale attaque fur le flanc gauche. Profitant
de la fupériorité de fon artillerie , il fit faire
feu. 11 dépofta les piquets & les troupes légeres , &
jl fit attaquer le gros de l'armée ennemie par les
Grenadiers , par les Dragons à pied , & par quatre
Bataillons. Les troupes , qui étoient à la gauche
& au centre fur le plateau , étoient luffifantes
pour contenir la droite & le centre des
ennemis , & pour les empêcher de fe dégarnir ,
& de le porter en force fur la gauche . Par - lá
on les mit hors d'état de foutenir la cenfe , qui
fit beaucoup de réfiftance , mais qu'à la fin on
emporta. Les ennemis , voyant le Marquis de
Voyer dans leur flanc , abandonnerent le terrein
fur lequel ils vouloient combattre. Leur Infanterie
fit demi- tour à droite, marcha en bataille,
& fe porta lentement vers une naville Parallele ;
& leur droite fe trouva appuyée au même chemin
, qui l'appuyoit dans leur premiere pofition .
Le Marquis de Monteynard couvrit cette ma
noeuvre par des Grenadiers & des Piquets de
fon centre & de fa gauche , qui firent ferme
fur la naville abandonnée , & if fe retira à petits
pas vers la cenfe de Thibert , qu'il occupa. Les
Grenadiers & les Piquets de la droite s'avançe
190 MERCURE DE FRANCE.
tent fur le chemin , & inquiéterent affez la gauche
du Marquis de Voyer , pour la contenir . Ils
fe replierent enfuite le long du chemin fur la
droite de leur armée. Dans l'intervalle , la Cavalerie
, l'artillerie & les troupes legeres du Marquis
de Voyer , avancerent pour attaquer la
Ĉavalerie des ennemis , & pour l'éloigner de la
cenfe , d'où il vouloit les dépofter. La nature du
terrein obligea la colonne de fon artillerie & de
la Cavalerie , de fe féparer de l'Infanterie . Alors
les ennemis firent gliffer entre les colonnes leurs
troupes legeres , leurs Dragons à pied & quelques
Grenadiers , qui firent feu fur le flanc de la Cavalerie
du Marquis de Voyer. Elle fut en mêmetemps
chargée par la Cavalerie du Marquis de
Monteynard, & obligée de fe replier. Les enennemis
tomberent fur l'efcorte de l'artillerie ,
& s'emparerent même de quelques pieces de canon
; mais le Marquis de Voyer y ayant promptement
porté des Grenadiers , des Dragons , des
Piquets & deux Bataillons , reprit fon artillerie
, & força les ennemis de fe remettre dans
leur premiere pofition. Il fit pour lors canonner
la cenfe , qu'on prit à revers. Les Ravins ,
dont elle est entourée , furent attaqués par les
troupes , que le Marquis de Voyer avoit portées
à fa droige ; & le Marquis de Monteynard fe retira
en bon ordre derriere une troifiéme naville ,
la Cavalerie en échiquier , par la tête d'un Ravin
garni de troupes legeres , qui tinrent aflez
longtemps pour favorifer fa retraite , & qui fe
replierent enfuite fur le corps de l'armée. Dans
cette troifiéme pofition , les ennemis fe retirerent
fur deux colonnes, & le Marquis de Voyer ,
dont l'objet étoit rempli , ne les inquiéta plus
que par de foibles détachemens . Nous nous borJANVIER.
1756. 191
hons àce Camp faute d'efpace ; d'ailleurs celui
de Richemont a été fuffisamment décrit par l'extrait
du Journal de M. Vallier , que nous avons
donné dans le premier Mercure de Decembre.
RELATION de ce qui s'eft paffé cette année
en Canada.
La frégate du Roi la Syrene , partie de Québec
le 8 Novembre , & arrivée à Brest le 10 Décembre
, a apporté des lettres qui contiennent les détails
de ce qui s'eft paffé cette année en Canada ,
rélativement aux entreprifes des Anglois contre
cette Colonie.
Indépendamment des forces navales que les
Anglois ont envoyées dès le commencement du
printemps dans les mers de l'Amérique feptentrionale
, afin d'intercepter les Vaiffeaux François
qui feroient destinés pour le Canada & pour l'ife
Royale ; ils avoient raffemblé dans leurs Colonies
plufieurs corps de troupes , pour attaquer le
Canada tout à la fois par les frontieres de l'Acadie ,
par le Lac Champlain , par le Lac Ontario , & du
côté de la Belle Riviere.
Le corps de troupes deſtiné à agir contre les
frontieres du côté de l'Acadie , & compolé d'environ
dix-huit cens hommes , fe rendit dans les
premiers jours du mois de Juin avec un train confidérable
d'artillerie de toute efpece , au fond de la
Baye Françoiſe , & attaqua tout d'un coup le Fort
de Beauféjour , qui , par les effets du canon & des
bombes , fe trouva en peu de jours hors d'état de
défenſe. La garnifon , qui n'étoit que de deux
compagnies de einquante hommes chacune , fur
obligée de capituler , aux conditions qu'elle forti
192 MERCURE DE FRANCE.
roit avec armes & bagages , tambour battant ;
qu'elle feroit tranfportée à Louisbourg , & qu'elle
ne porteroit point les armes en Amérique pendant
le terme de fix mois . Les Anglois fommerent
tout de fuite l'Officier François qui commandoit
à Gafpareaux , pofte fitué à quelques lieues de
Beauféjour , & où il n'y avoit qu'un détachement
de vingt hommes , & cet Officier fe rendit aux
mêmes conditions de la capitulation de Beauféjour.
Après cette expédition , les Anglois marcherent
du côté de la riviere Saint -Jean. Il n'y avoit
fur cette riviere qu'un petit Fort très-anciennement
bâti . L'Officier qui y commandoit & qui
n'avoit que quelques foldats , prit le parti de le
brûler & de fe retirer chez des habitans établis
dans ce canton , où il s'eft maintenu ; & il n'y a
eu de ce côté là que quelques efcarmouches , dans
lefquelles les Anglois ont toujours été battus par
les François & les Sauvages qui ont joint cet
Officier.
Le corps de troupes qui avoit été raffemblé
pour agir du côté de la Belle Riviere , étoit compofé
des Régimens de troupes reglées , qui avoient
été envoyés d'Angleterre à la Virginie , & des régimens
de Milices , qui avoient été formés tant
dans cette Colonie que dans les Colonies voisines.
Il fe trouvoit compofé de trois mille hommes ,
lorfque le Général Braddock en prit le commandement
pour marcher contre le Fort du Quefne.
Le fieur de Contrecoeur , Capitaine dans les troupes
du Canada , qui commandoit dans ce Fort ,
avoit été informé qu'on faifoit des préparatifs en
Virginie ; mais il ne s'attendoit pas à devoir être
attaqué par des forces fi confidérables . Ayant envoyé
différens détachemens fur la route des Anglois,
il apprit le & Juillet qu'ils n'étoient qu'à
fix
JANVIER. 1756. 193
Gx lieues du Fort , & qu'ils marchoient fur trois
colonnes. Il forma fur le champ un détachement
de tout ce qu'il crut pouvoir mettre hors du Fort
pour aller à leur rencontre. Ce détachement fe
trouva compofé de deux cens cinquante François
& de fix cens cinquante Sauvages ; & M. de
Beaujeu qui le commandoit , avoit avec lui
MM. Dumas & Ligneris , tous deux Capitaines ,
& quelques autres Officiers fubalternes . Il partit
à huit heures du matin , & dès midi & demi , il
fe trouva en préſence des Anglois à environ trois
lieues du Fort. Il les attaqua fur le champ avec
beaucoup de vivacité . Les deux premieres décharges
de leur artillerie firent un peu reculer fa petite
troupe ; mais à la troifieme où il eut le malheur
d'être tué , M. Dumas , qui prit le commandement
, M. de Ligneris & les autres Officiers
, fuivis des François & des Sauvages , tomberent
avec tant de vigueur fur les Anglois , qu'ils
les firent plier à leur tour. Ceux-ci le défendirent
encore quelque tems en faifant très-bonne contenance
; mais enfin après quatre heures d'un grand
feu , ils fe débanderent , & la déroute fut générale .
On les pourfuivit pendant quelque tems ; mais
M. Dumas ayant appris que le Général Braddock
avoit laiffé à quelques lieues de - là un corps de
fept cens hommes fous les ordres du Colonel
Dumbar , il fit ceffer la pourfuite. Les Anglois
ont perdu dans cette affaire près de dix- fept cens
hommes. Prefque tous leurs Officiers ont été tués ,
& le Général Braddock eft mort peu de jours après
de fes bleffures . On a pris tous leurs équipages
qui étoient fort confidérables , leurs vivres , leur
artillerie , qui étoit compofée de huit pieces de
canon , fept mortiers & uftenciles de toute efpece
, beaucoup d'armes & de munitions de guerre ,
I,Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE .
leur caiffe militaire , & généralement toutes leurs
provisions . On a trouvé auffi les inftructions qui
avoient été données en Angleterre au Général
Braddock , avec plufieurs lettres qu'il avoit écrites
aux Miniftres du Roi de la Grande- Bretagne , pour
leur rendre compte des difpofitions qu'il faifoit
pour l'exécution des projets dont il avoit été
chargé en fa qualité de Commandant en chef
de toutes les troupes de Sa Majesté Britannique
dans l'Amérique feptentrionale. M. de Contrecoeur
eft resté enfuite fur la défenfive dans fon
Fort , après s'être affuré de la retraite du corps
de troupes du Colonel Dumbar . Mais quelques
partis Sauvages ont fait des incurfions fur les
frontieres des Colonies Angloifes.
Les deux autres corps de troupes Angloifes s'étoient
auffi mis en marche , l'un compofé d'environ
cinq mille hommes vers le Lac Ontario
pour attaquer le Fort de Niagara & le Fort Frontenac
, & l'autre encore plus confidérable vers le
Lac Champlain pour affiéger le Fort Saint -Fréderic
. M. de Vaudreuil , Gouverneur & Lieutenant
Général de la Nouvelle France , ayant d'abord
été informé que le fieur Shirley , Gouver
neur de la Nouvelle Angleterre , étoit déja rendu
avec une partie du premier de ces deux corps à
Choueguen , pofte Anglois établi depuis quelques
années au Sud du Lac Ontario , il prit le parti de
faire marcher un Détachement des Troupes &
des Milices de Canada , les quatre Bataillons de la
Reine , de Languedoc , de Guyenne & de Béarn ,
que le Roi a fait paffer cette année à Quebec , &
un certain nombre de Sauvages , pour aller couvrir
les Forts de Niagara & de Frontenac , & il
donna le commandement du tout au Baron de
Dieskaw , Maréchal de Camp. Mais ayant été
JANVIER. 1756. 195
inftruit peu de jours après , que le Colonel
Jonhlon étoit en pleine marche à la tête de
L'autre Corps , pour attaquer le Fort Saint- Frederic
, & qu'il avoit même déja établi plufieurs poftes
d'entrepôt fur la route , il envoya un courier
au Baron de Dieskaw, pour l'informer de ces avis ,
& du parti qu'il prenoit de faire marcher en diligence
un Detachement de Troupes & de Milices
avec des Sauvages , pour aller au fecours du
Fort Saint- Frederic. Le Baron de Dieskaw y marcha
lui -même , & amena avec lui les Bataillons
de la Reine & de Languedoc , qui ne ſe trouvoient
compofés que de neuf Compagnies chacun. A
fon arrivée au Fort Saint- Frederic , il jugea à propos
d'aller au-devant des Anglois , & le 1r de Septembre
il fe trouva à huit lieues en avant de ce
Fort , à un endroit appellé Carillon . Il s'arrêtalà
, & ayant envoyé à la découverte de différens
côtés , il apprit que les Anglois étoient occupés
à conftruire un Fort à quelques lieues de - là ;
qu'il y avoit déja dans ce Fort , qui fe trouvoit
très- avancé , une Garnifon de cinq cens hommes;
qu'on y attendoit inceffamment un renfort
confidérable de troupes ; & que le Colonel
Jonhlon étoit avec fon Corps d'armée au fond
du Lac Saint-Sacrement. Sur ce rapport le Baron
de Dieskaw prit le parti de marcher en diligence
, pour tâcher de furprendre ce même Fort à
la tête de quinze cens hommes ; fçavoir , fix cens
Sauvages fous les ordres de M. de Saint - Pierre ,
fix cens Canadiens fous les ordres de M. de Repentigny
, & trois cens hommes de troupes , y
compris les deux Compagnies de Grenadiers des
Bataillons de la Reine & de Languedoc avec
trois Piquets de la Compagnie de Canonniers
de la Colonic. Il envoya le refte de ces deux
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Bataillons fous les ordres de M. de Roquemaure
, Commandant de celui de la Reine , à
l'endroit nommé les Deux Rochers , afin de fe replier
fur lui en cas qu'il fût obligé de ſe retirer
; & il fit marcher M. de Celoron Major ,
commandant les Troupes & Milices de la Colonie
, avec le reftant de fon Corps , vers la chute
du Lac Saint - Sacrement , pour empêcher les
Anglois de tenter une entreprife de ce côté- là.
En conféquence de ces difpofitions , il marcha
depuis le 4 jufqu'au 7 Septembre qu'il fe trouva
à environ une lieue du Fort Anglois . Comme la
fin du jour approchoit , il s'arrêta avec la troupe
, & envoya un Détachement de Sauvages
commandé par le fieur de Saint - Pierre , pour reconnoître
les lieux . Les Sauvages tuerent un
courier que le Colonel Jonhfon envoyoit au
Commandant du Fort pour l'avertir de la marche
des François. Ils s'emparerent auffi de quelques
charriots, qui y portoient de l'artillerie & des munitions
, mais dont quelques-uns des conducteurs
fe fauverent. Comme il n'étoit plus douteux que
le Fort Anglois étoit averti , le Baron de Diefkaw
fit propofer aux Sauvages l'option , ou de
fuivre le projet d'aller attaquer ce Fort , ou de
marcher contre le Camp du Colonel Jonhion ,
n'étoit qui ,fuivant tous les avis qu'on avoit eus ,
qu'à cinq ou fix lieues de- là avec un Corps de
troupes de trois mille hommes . Les Sauvages
opinerent tous pour cette derniere entrepriſe.
Le 8 on partit de grand matin fur cinq colonnes
dans l'ordre fuivant ; les troupes de France ,
& les canonniers au centre , une colonne de Canadiens
, & une autre de Sauvages à la droite ,
deux autres Colonnes femblables à la gauche.
Dès dix heures du matin , on ne fe trouva qu'à
&
JANVIER. 1756. 197
une lieue du Camp . Des prifonniers qui furent
faits par les Sauvages , déclarerent que , par le
chemin où marchoit l'Armée , il venoit des charriots
que les Anglois envoyoient à leur Fort , &
que ces chatriots étoient efcortés par un Détachement
confidérable. Le Baron de Dieskaw fit paffer
fur la gauche du chemin les Canadiens & les
Sauvages , avec ordre de laiffer engager les Anglois
, & de ne tirer fur eux que lorfque les troupes
reglées , qui continueroient leur marche par
le chemin , auroient commencé l'attaque . Quelques
minutes après , on entendit des coups de fufil
, & le feu s'anima entre les Sauvages qui marchoient
devant , & les Anglois. Les Canadiens
coururent fur le champ à leur fecours . Les Anglois
prirent la fuite. On les pourfuivit juſqu'à la
vae de leurs tentes ; & ce détachement qui étoit
de buit à neuf cens hommes , fut prefque tout détrait
: il en rentra fort peu dans le Camp ; & c'eſt
dans ce choc que M. de Saint - Pierre fut tué.
Le Baron de Dieskaw marchoit toujours par le
chemin , pendant que l'Ennemi fe battoit en retraite.
Quoique les Canadiens & les Sauvages fe
trouvaffent fort fatigués , il crut que le meilleur
moyen de les engager à le fuivre étoit de hâter fa
marche , pour profiter de la confufion que la défaite
de ce détachement devoit occafionner parmi
les troupes du Camp du Colonel Jonhfon. Il ne
fut pas longtems fans être en préfence . On lui
fit remarquer qu'il n'avoit point de colonne à la
droite pour le foutenir. Alors une petite troupe
de Canadiens s'étendit de ce côté-là , & fit un trèsgrand
feu fur les Anglois . Mais le Camp fe trouvant
retranché avec des bateaux , des charriots &
de gros arbres : l'infanterie des François , qui étoit
en front , eut un fi grand feu d'artillerie & de
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
moufqueterie à effuyer, qu'elle fut obligée de reculer,
& de s'emparer de quelques arbres : elle y
refta pendant deux heures à fufiller avec le refte
des troupes , qui ne confiftoit pas en plus de cinq
cens hommes dans cette attaque , parce qu'il n'y
avoit qu'une partie des Canadiens , qui avoit fuivi,
& que les Sauvages s'étoient arrêtés. Ce fut- là que
le Baron de Dieskaw fut d'abord bleflé à la jambe ,
& que peu de tems après il reçut une balle qui lui
perça le genouil droit , & lui paffa dans les chairs
de la cuiffe gauche ; ce qui l'obligea de fe laiffer
porter à quelques pas de - là pour s'affeoir. Il ordonna
au Chevalier de Montreuil , Major général,
& Commandant en fecond , de le laiffer là , &
d'aller voir fi on ne pouvoit pas pénétrer dans le
Camp. Le Chevalier de Montreuil en vit l'impoffibilité
:les troupes étoient trop fatiguées , en trop
petit nombre , & trop maltraitées par le feu qu'elles
avoient effuyé. Il prit le parti de la retraite.
Il y eut d'abord quelque confufion ; mais la Troupe
fe rendit en bon ordre au lieu où l'on avoit laiffé
les bateaux. La perte des Anglois a été de plus
de fept cens hommes dans le détachement qui a
été attaqué par les Sauvages & les Canadiens , fans
compter les bleffés qui font rentrés dans le camp ,
& l'on ignore la perte qu'ils ont dû faire dans les
retranchemens . Celle des François n'a été que de
quatre-vingt-quinze hommes tués , tant officiers ,
feldats , que Canadiens & Sauvages , & cent- trente
bleffés de tous ces différens corps. Le Baron de
Dieskaw a été pris & conduit à Orange avec le
fieur Bernier fon Aide- de - Camp , & deux officiciers
de milice , tous trois bleffés comme lui.
Il ne s'est rien paffé depuis de ce côté-là . La
perte que le Colonel Jonshfon avoit faite , & la
préfence des troupes Françoifes , qui fe font enJANVIER.
1756. 199
fuite retranchées aux environs du FortSaint- Frédéric
, lui ont fait abandonner l'exécution de fon
projet contre ce Fort.
Les fecours que M. de Vaudreuil avoit envoyés
aux Forts Frontenac & de Niagara , en ont
impofé auffi au Gouverneur Shirley , qui s'eft retiré
avec les troupes , à l'exception d'une Garnifon
nombreufe qu'il a laiffée à Chouegen avec un
train confidérable d'artillerie. La défaite du Général
Braddok , & le mauvais fuccès du Colonel
Jonshfon doivent avoir contribué à lui faire prendre
ce parti ; car toutes ces différentes entrepriſes
avoient été combinées enfemble.
Dédicace de la Statue du Roy , dans la Place
Royale de Nancy.
Sa Majesté Polonoife , Duc de Lorraine & de
Bar , ayant conçu en 1752 le deflein de faire élever
un monument de fa tendreffe à Sa Majesté
Très-Chrétienne , a dreffé elle - même le plan
d'une place , dont l'exécution confiée à M. Heré
de Corny, fon premier Architecte , répond à la
magnificence des idées de Sa Majesté & à la gran
deur du fujet . Les édifices qui environnent cette
place , font d'une fymmétrie parfaite . Celui du
fond eft deftiné à l'Hôtel de Ville . Ceux de droite
& de gauche forment quatre pavillons . La place
eft terminée par un Corps de bâtimens à un
étage , qui fait retour pour donner une rue de
communication de la Ville Neuve à la Ville
Vieille. Au fond de la rue eft un arc de triomphe
, compoféde trois portiques. Dans les quatre
angles de la place , dont l'extérieur eft décoré
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
d'une architecture d'ordre Corinthien en pilaftres
, on a mis quatre grands grillages fur un
plan ceintré. Les deux du fond font employés à
mafquer les baftions . Ils forment chacun un grand
portique & deux petits. Le portique du milieu
eft une cafcade , où l'on voit la figure de Neptune
fur fon char tiré par des chevaux marins ;
d'un côté , un fleuve & une Nayade ; & de l'autre
un dragon. Toutes les eaux que jettent ces différentes
figures , fe répandent en nappes dans un
vafte baffin. Les fontaines des petits portiques
font ornées de grouppes d'enfans qui jouent avec
des poiffons. Les deux autres grands grillages
font aux angles de l'Hôtel de Ville , & ils forment
deux effeces de portes Flamandes , de vingtdeux
pieds d'ouvertures , deftinés pour donner entrée
à quatre rues.
Au milieu de la place s'éleve un piedestal de
marbre blanc , fur lequel eft la ftatue pedeftre
de Louis XV habillé à la Romaine , cuiraflé &
revêtu du manteau royal . Cette figure de bronze
eft haute de onze pieds. Quatre bas reliefs auffi
de bronze décorent les quatre faces du piedeftal ,
& repréfentent , le premier le mariage du Roi
Très - Chrétien ; le fecond la paix conclue à Vienne
; le 3e la prife de poffeffion de la Lorraine ; le
quatrieme l'Academie des Sciences & Belles - Lettres
établie dans cette ville. Aux quatre angles du
piedeftal , fur le pallier des marches font quatre
figures coloffales , qui repréfentent la prudence ,
la juftice , la valeur & la clémence.
Sa Majefté Polonoiſe ayant fixé le jour de la
Dédicace de la ftatue au 26 Novembre ,vingt trois
jours auparavant à la Malgrange. La fête ne pouvoit
mieux commencer que par des actions de
graces , pour la naiffance de Monfeigneur le Com
ง
JANVIER. 1756. 201
te de Provence. Le Roi fe rendit le 25 à l'églife
primatiale , pour y aflitter à une Meffe folemnelle
, & au Te Deum. Le Primat revêtu de fes
habits pontificaux , reçut Sa Majesté à la porte de
l'églife , où les Compagnies fupérieures , les autres
Corps de Juftice , & le Clergé féculier &
régulier s'étoient rendus.
疹
Le lendemain 26 , Sa Majefté entendit dans
P'églife de Bon-Secours une Mefle célébrée par le
Primat. Vers midi , Sa Majefté arriva ici avec
toute la pompe de la Royauté. Le Régiment d'Infanterie
du Roi Très -Chrétien en garnifon dans
cette ville , bordoit en haie les rues depuis la porte
Saint Nicolas jufqu'à la place royale . Sa Majefté
Polonoife fut faluée de trois décharges de
l'artillerie des remparts. A la porte de l'Hôtel de
Ville , elle fut complimentée par M. Thibault ,
Lieutenant- Général de Police , à la tête des Magiftrats
.
Sa Majefté s'étant placée fur le balcon du grand
fallon de l'Hôtel de Ville , un Héraut d'Armes ,
précédé des Timballiers & Trompettes des plaifirs,"
& monté fur un cheval richement caparaçonné ,
fortit de deffous l'arc de triomphe , & en s'avançant
par la droite , il fit le tour de la place . Devant
chaque pavillon , il fit à haute voix la proclamation
de la Dédicace de la ftatue. La Nobleſſe
& le peuple répondirent à l'envi par des acclamations
réitérées. Alors on ôta de deffus la ftatue le
voile qui la couvroit , & de nouvelles acclamations
en couronnerent la Dédicace. Pendant la
cérémonie , l'artillerie des remparts & la moufqueterie
du Régiment du Roi Très - Chrétien firent
des falves continuelles .
Au lieu d'eau il coula du vin des Fontaines de
la place pendant le refte du jour . Quatre Confeil-
I y
202 MERCURE DE FRANCE.
lers de l'Hôtel de Ville jetterent à pleines mains
de l'argent par les fenêtres des quatre pavillons ,
& l'on diftr bua en même - tems dans toute la ville
des largeffes confidérables aux pauvres honteux .
Sa Majesté reçut les complimens de fa Cour fupérieure
, de fa Chambre des Comptes , de l'Académie
des Sciences & Belles- Lettres , & des quatre
Chapitres de Chanoineffes de Remiremont
d'Epinal , de Bouxieres & de Pouffay.
Sur les quatre heures elle fe rendit à la falle de
la Comédie , où elle entendit un prologue relatif
à la cérémonie du jour. L'Auteur des paroles eft
M. Paliffot de Montenoy , & la Mufique eft de M.
Surat . Après le fpectacle , Sa Majefté paffa à la
falle du bal paré que donnoit la Ville. Il étoit
compofé de toute la haute Nobleffe de Lorraine ,
& d'Etrangers de la plus grande diftinction , que le
défir de faire leur cour à Sa Majefté avoit attirés
de toutes parts. Le Roi y demeura une demi-heure,
& partit enfuite au bruit de l'artillerie , & au
milieu des acclamations dictées par l'allégrefle
générale.
En paffant près de la grande place de la Ville
Neuve , Sa Majefté y vit les Soldats & Sergens
des quatre Bataillons du Régiment du Roi , affis
à de longues tables , où la Ville leur avoit fait
fervir un repas dans lequel il régna autant d'ordre
que d'abondance. Les tables formoient un
quarré. Elles étoient éclairées par cinq pyramides
, dont quatre de vingt- trois pieds , & celle
du milieu de quarante , toutes furmontées de
fleurs de lys couronnées , ayant dans leurs corps
les armes de Sa Majefté Polonoife , & celles de la
Ville en feu tranfparent. Le devant & le derriere
des tables étoient ornés des faifceaux d'armes
du Régiment , fur chacun defquels il y avoit une
JANVIE R. 1756. 203
fleur de lys illuminée. Les drapeaux étoient déployés
autour des tables , fur lefquelles veillont
le Corps des Officiers , le Marquis de Guerchy ,
Colonel-Lieutenant , à la tête .
A la fuite du bal paré il y eut grand bal
mafqué à l'Hôtel de Ville.
Sa Majesté revint ici le 27. La Place royale
étoit illuminée fuivant l'ordre de l'architecture .
Après avoir confidéré l'illumination , le Roi defcendit
du grand fallon de l'Hôtel de Ville pour
fe rendre fous le periftile de l'arc de triomphe.
Avant fa fortie , M. Thibault lui préfenta fur
le feuil de la porte une médaille d'or . Eile porte
d'un côté la tête de Sa Majesté Polonoife avec cette
infcription : Stanislaus Í , Rex Polonia , Magnus
Duc Lithuania , Lotharingia & Barri . Au revers
eft la ftatue pedeſtre de Louis XV fur fon piedeftal
, avec cette légende : Uriufque immortalitati,
Et pour exergue , Civitas Nanceiana . MDCCLV.
En recevant cette médaille , qui a été gravée
par la Dame de Saint Urbain , Sa Majesté eut la
bonté de dire aux Magiftrtas : Meffieurs , fur ce médaillon
eft mon effigie , mais les vôtres font gravées
dans mon coeur.
On tira enfuite le magnifique feu d'artifice ,
qui avoit été préparé . Sa Majesté après le feu ,
retourna à la place royale , pour voir une feconde
fois l'illumination , & elle partit enfin au bruit de
nouvelles falves d'artillerie & de moufqueterie.
Pendant les trois jours qu'ont duré les réjouiffances
publiques , les habitans de Nancy ont fait
les honneurs de la Ville , en tenant table ouverte
pour les Etrangers , qui , après avoir admiré les
magnificences dont ils ont été témoins , ont remporté
la plus haute idée de l'amour fincere &
refpectueux des Lorrains pour leurs Majeftés
Très- Chrétienne & Polonoife.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Cette fête n'a point été particuliere à la ville
de Nancy : elle a été générale dans toutes les
villes & dans les bourgs de la Lorraine & du
Barrois.
Le 14 Décembre , les Députés de la Ville de
Nancy eurent l'honneur de préſenter au Roi les
Médailles d'or & d'argent , qui ont été frappées
à l'occafion de cette Dédicace. Le Roi pour leur
donner de fa fatisfaction une marque diftinguée ,
les reçut dans fon cabinet. Ils furent préfentés à Sa
Majefté par M. le Duc de Fleury, premier Gentilhomme
de la Chambre , Gouverneur & Lieutenant-
Général de Lorraine & du Barrois, & par M.
le Comte d'Argenfon, Miniftre & Secrétaire d'Etat.
Les Députés eurent le même honneur chez la
Reine , chez Monfeigneur le Dauphin , Madame
la Dauphine , Monfeigneur le Duc de Bourgogne
, Monfeigneur le Duc de Berry , & Monfeigneur
le Comte de Provence , ainfi que chez Madame
, & chez Mefdames Victoire , Sophie &
Louife, étant préfentés de même par M. le Duc de
Fleury , & M. le Comte d'Argenfon. La Députation
étoit compofée de M. Thibault , Lieutenant-
Général de Police , & Chef du Magiſtrat de
Nancy ; de M. Breton , Confeiller pour la Nobleffe
; de M. Puiffeur , Confeiller pour le Tiers-
Etat ; & de M. Richer , Confeiller , Tréforier de
l'Hôtel de Ville de Nancy. M. Thibault porta la
parole.
Le 12 , la rentrée de la Cour des Aides fe fit
avec les cérémonies ordinaires. Après la Meffe
célébrée , felon la coutume , dans la falle de la
Cour , les trois Chambres s'affemblerent dans la
premiere , & l'on fit la lecture des Ordonnances
& des Réglemens. Les Huifliers ayant prêté ferJANVIER
. 1756. 205
ment , M. de Lamoignon de Malesherbes , Premier
Préfident , prononça un difcours fur le choix
des Etudes. Enfuite M. Boula de Mareuil , fecond
Avocat Général , prit la parole , & haranguafur
Pemploi du Tems.
M. de Landreville , Maréchal de Camp & chef
de Brigade des Gardes du Corps , vint le 17 Novembre
, de la part du Roi , annoncer la naiffance
de Monfeigneur le Comte de Provence au Corps
de ville qui s'étoit affemblé fur la premiere nouvelle
que Madame la Dauphine avoit reffenti
quelques douleurs. M. le Marquis de Dreux , Grand
Maître des cérémonies , a remis en même tems
au Corps de ville une lettre de Sa Majeſté ſur le
même ſujet. Auffi - tôt les Prévôt des Marchands
& Echevins firent annoncer à toute la ville , par
une falve générale de l'artillerie , & par la cloche
de l'Hôtel de ville , qui a fonné jufqu'à minuit ,
la nouvelle faveur qu'il a plu à Dieu d'accorder à
la France.
A fix heures du foir on fit une feconde falve
de l'artillerie , après laquelle les Prévôt des Marchands
& Echevins allumerent , avec les cérémonies
ordinaires , le bucher qui avoit été dreſſé
dans la Place devant l'Hôtel de ville . On tira enfuite
une grande quantité de fufées volantes ; on
fit couler dans les quatre coins de la place des
fontaines de vin , & on diftribua au peuple du
pain & des viandes. Plufieurs Orcheftres remplis
de Muficiens , mêlerent le fon de leurs inftrumens
aux acclamations dictées par l'alegreffe
publique. La façade de l'Hôtel de ville fut illuminée
le foir par plufieurs filets de terrines , ainfi
que l'hôtel du Duc de Gefvres , Gouverneur de
Paris , celui du Prévôt des Marchands & les maifons
des Echevins & Officiers du Bureau de la
ville,
206 MERCURE DE FRANCE.
Le Roi ayant écrit à l'Archevêque de Paris
pour faire rendre à Dieu de folemnelles actions
de graces à l'occafion de la naiffance de Monfeigneur
le Comte de Provence , on chanta le 23
Novembre le Te Deum dans l'églife Métropolitaine
, & l'Abbé de Saint Exupery , Doyen du
Chapitre , y officia. Le Chancelier & le Garde
des Sceaux , accompagnés de plufieurs Confeillers
d'Etat & Maîtres des Requêtes , y affifterent , ainfi
que le Parlement , la Chambre des Comptes ,
la Cour des Aides , & le Corps de ville , qui y
avoient été invités de la part de Sa Majesté par
le Marquis de Dreux , Grand Maître des cérémonies.
On tira le même jour dans la place de l'Hôtel
de ville , par ordre des Prévôt des Marchands &
Echevins , un très -beau feu d'artifice . La décoration
repréfentoit un Temple de Lucine , formant
par fon plan un quarré régulier de marbre blanc.
Une ordonnance compofite , portée fur un focle
& terminée par un attique , préfentoit fur chaque
face du quarré quatre colonnes ifolées , embraffées
par des branches de lys , & grouppées
deux à deux , qui foutenoient un fronton triangulaire.
A côté des colonnes étoient des figures de
fept pieds de proportion , repréfentant des Vertus.
Le milieu des façades étoit ouvert par un portique
élevé fur des dégrés de marbre blanc , qui
conduifoient jufqu'à l'autel , fur lequel étoit placée
la Déeffe . Les colonnes , les frontons , les panneaux
du focle & de l'attique étoient de marbre
ferancolin. L'intérieur du temple étoit de bréche
violette. Les chapiteaux , la frife , les moulures ,
les bas reliefs & les figures étoient en or . Au-deffus
du fronton étoit le médaillon des armes du
Roi , fupporté par le Génie de la France , & par
JANVIER. 1756. 207
une Renommée. Des Amours , foutenus fur des
nuages , formoient différens jeux , & fervoient
de couronnement à tout l'édifice . Le temple avoit
ving- cinq pieds de largeur fur quarante de hauteur.
Il portoit fur une terraffe de quarante-huit
pieds de baſe , dont les appuis formoient autour
de l'édifice principal , une enceinte décorée dans
tous les angles par des acroteres qui foutenoient
des vafes de fleurs . On montoit fur la terrafle
par des perrons diftribués fur toutes les faces .
Après l'artifice , la façade de l'Hôtel de ville fut
illuminée avec autant de goût que de magnifi- *
cence. Toutes les colonnes dans leur pourtour
étoient garnies de lampions . Des filets de terrines
regnoient le long des entablemens. Plufieurs
Juftres formés de lanternes de verre éclairoient
les autres parties . La place vis - à- vis de l'Hôtel de
ville étoit entourée d'Ifs , portant chacun plus de
cent cinquante lumieres .
Il y eut auffi de magnifiques illuminations
aux hôtels du Duc de Gefvres & du Prévôt des
Marchands , ainfi qu'aux maifons des Echevins &
des principaux Officiers du Corps de Ville .
Des fontaines de vin coulerent dans ces différens
endroits , de même que dans la place de
l'Hôtel de ville , & dans les autres principales places
de Paris ; & l'on diftribua du pain & des viandes
au peuple. On avoit placé des orcheftres partout
où le faifoient ces diftributions.
La cloche de l'Hôtel de ville fonna en tocfin
depuis cinq heures du matin juſqu'à minuit. Pendant
la journée il y eut quatre falves d'artillerie ;
une à cinq heures du matin , une à midi , une pendant
le Te Deum , & la derniere avant le feu
d'artifice .
Le 23 , la Vicomteffe de Cambis fut préſentée
à leurs Majeftés .
208 MERCURE DE FRANCE.
Le 24 , le Corps de ville alla à l'Eglife paroiffiale
de Saint Jean en Greve , pour rendre les
actions particulieres de graces ; & il affifta à un
Te Deum qu'il fic chanter en mufique L'Hôtel
de ville , les hôtels du Duc de Gefvres & du Prévôt
des Marchands , & les maiſons des Echevins
& des principaux Officiers du Corps de Ville furent
de nouveau illuminés.
Le Marquis de Braffac , un des Chambellans du
Roi de Pologne Duc de Lorraine & de Bar , eft
venu de la part de Sa Majefté Polonoiſe pour
complimenter ieurs Majeftés & la Famille royale
fur la naiffance de Monfeigneur le Comte de Provence
; & le 24 Novembre il s'acquitta de cette
commiffion.
M. Séguier , Avocat Général du Parlement ,
ouvrit le 24 les Audiences de la Grand'Chambre ,
par une barangue fur l'Emulation. Cette harangue
fut fuivie d'un difcours de M. de Maupeou , premier
Préfident , fur le Vice de la Jalousie.
Selon les lettres de Bordeaux , on y effuya le
premier Novembre une fecouffe de tremblement
de terre qui dura quelques minutes . Elle fut accompagnée
d'une agitation extraordinaire des
eaux de la Garonne. Heureufement la ville n'a
fouffert aucun dommage.
Conformément à l'ordre que le Roi avoit donné
, le Régiment des Gardes Suiffes s'affembla
à Versailles le 29 de Novembre dans la place
d'armes vis - à-vis de la grille du château , & il
forma un bataillon quarré. A midi & demi M. le
Comte d'Eu ayant averti le Roi , que le Régiment
étoit fous les armes , Sa Majesté monta à cheval ,
accompagnée de M.le Comte d'Argenfon ,Miniftre
& Secrétaire d'Etat ayant le département de laGuerre,
ainsi que de M.le Marquis de Paulmy , Secrétaire
JANVIER. 1756. 209
d'Etat en ſurvivance de M. le Comte d'Argenſon.
Le Bataillon quarré s'ouvrit à l'arrivée du Roi ; Sa
Majefté y entra avec la fuite & avec les Officiers
des Gardes du Corps , & le Bataillon ſe referma
fur le champ , les Gardes du Corps reftant en
dehors. Les Capitaines des Gardes Suifles firent
un cercle autour de Sa Majefté ; les Lieutenans
formerent un fecond cercle , & les Sergens un
troifieme. Après que les tambours eurent battu
le ban , le Roi ordonna au Régiment de reconnoître
le Comte d'Eu pour Colonel Général des
Suiffes & Grifons , & de lui obéir en tout ce qui
concerne le fervice de Sa Majefté. Enfuite le Roi
fortit du Bataillon , & alla fe placer vis- à- vis de
la petite Ecurie , d'où Sa Majesté vit défiler le
Régiment. Le Comte d'Eu étoit à la tête. Lorfque
la premiere ligne fut paffée , ce Prince fe
plaça auprès de Sa Majeſté. Il donna le même jour
dans fon château de Clagny un fomptueux dîner
aux Officiers du Régiment , & il fit diftribuer du
pain , de la viande & du vin à tous les foldats .
Sur ce qui a été repréſenté au Roi , qu'entre les
différens moyens qui peuvent concourir avec ceux
que Sa Majefté s'elt déja procurés , pour fubvenir
aux dépenses extraordinaires auxquelles les circonftances
préfentes l'obligent , il n'en eft point
de plus facile & de plus défiré qu'une nouvelle
Loterie ; Sa Majesté s'y eſt d'autant plus volontiers
déterminée , que l'augmentation du bail de
fes Fermes la met en état d'y fatisfaire , fans rien
prendre fur fex autres revenus. En conféquence ,
par un Arrêt du Confeil d'Etat , du 11 de Novembre
, elle a établi une troiſieme Loterie royale.
Cette Loterie dont l'exécution durera douze
ans , à compter du premier Avril 1756 , & dont
le Roi a fixé le fonds à la fomme de trente mil
210 MERCURE DE FRANCE.
lions de livres , fut ouverte le 1t de Décembre au
Tréfor royal. Elle fera compofée de so mille billets
, chacun de fix cens livres. Il y aura cent mille
lots , dont cinquante mille , dits de rembourfement,
qui éteindront & amortiront le capital des
billets & cinquante mille de faveur , aufquels les
billets amortis par le remboursement qui leur
fera parvenu , participeront nonobftant ledit rem
bourfement. Les cent mille lots feront diftribués
en quatorze Tirages pendant le cours des douzé
années que durera la Loterie. Le premier tirage
du premier femeftre fe fera le 15 du mois d'Avril
prochain , & les cinq autres d'année en année au
même tems . Ces fix premiers tirages feront de
lots de rembourfement. Le feptieme qui fera de
faveur , ſe fera un mois après. Le premier des fix
tirages du deuxieme femeftre qui feront également
pour lots de remboursement , fe fera le 15
Avril 1762 , les cinq autres auffi d'année en année,
& le quatorzieme & dernier qui fera de faveur ,
un mois après le fixieme du fecond femeftre. Les
vingt-quatre mille deux ceux quarante huit billets,
qui auront obtenu les lots de rembourſement dans
les fix tirages du Ir femeftre , participeront feuls
au tirage de faveur qui les fuivra. De même les
vingt-cinq mille fept cens cinquante- deux billets.
aufquels feront échus les lots de remboursement
des fix tirages du deuxieme femeftre , auront feuls
part au quatorzieme tirage , qui formera la clôture
de la Loterie . A chacun des douze tirages
pour lots de remboursement il y aura un premier
lot de vingt mille livres , un fecond de dix mille,
un troifieme de quatre mille , deux autres de deux
mille. Dans le premier des deux tirages de faveur
le premier lot fera de cent vingt mille livies
, & le fecond de cinquante mille . Le princiJANVIE
R. 1756. 211
pal lot du quatorzieme & dernier tirage fera de
deux cens mille livres , & le fecond de quatrevingt
mille. Sa Majefté attribue pendant chacune
des deuxieme & fubfequentes années de l'exécution
de la Loterie , jufques & compris la onzieme,
vingt-quatre livres à chacun des billets qui entreront
dans la roue , pour concourir en chaque femeftre
au gain des lots de remboursement , & ce
jufqu'à ce qu'il leur en foit échu un à chacun ;
laquelle attribution fera payée , même pour l'année
révolue , au tems que lefdits lots échoiront
fans aucune réduction deſdits lots.
Il paroît une Ordonnance du Roi pour augmenter
de dix Maîtres chaque Compagnie des Régimens
de Cavalerie, tant Françoifes qu'Etrangeres,
même celles des cinq Brigades du Régiment des
Carabiniers.
Sa Majesté a accordé des lettres d'ennobliffement
à M. Daran , l'un de fes Chirurgiens , qui
s'eft acquis un nom célébre dans toute l'Europe.
Le Marquis de Soragna , Gentilhomme de la
Chambre de l'Infant Duc de Parme , & qui eft
venu de la part de ce Prince & de Madame Infante
pour complimenter leurs Majestés fur la naiffance
de Monfeigneur le Comte de Provence
s'acquitta le 16 de fa commiffion. Il fut préfenté
par Don Jaimes Mafones de Lima & Sotomayor,
Ambaffadeur Extraordinaire & Plénipotentiaire
du Roi d'Efpagne.
Six cloches de la nouvelle Eglife Paroiffiale de
Saint Louis à Verfailles furent bénites le 15. M. le
Duc de Fleury & Me. la Ducheffe de Laynes , Dame
d'honneur de la Reine , les tinrent au nom de
leurs Majeftés & de la Famille royale. Le Curé de
la Paroiffe fit la cérémonie. Il y eut mufique , illumination
, feu , & plufieurs falves de mouſqueterie,
212 MERCURE DE FRANCE.
Le 14,Mdme la Marquise de Gamaches fut préfentée
à leurs Majeftés & à la Famille royale .
Dans ces préfentations elle prit le tabouret
comme Grande d'Espagne , ayant hérité de la
Grandeffe par la mort du Maréchal de la Mothe .
Houdancourt , dont elle eft fille unique.
Madame la Marquiſe de Brehant fut préſentée le
même jour.
Le 17 M. le Marquis de Marigny, Directeur Général
des Bâtimens , Arts & Manufactures , préfenta
à Leurs Majeftés plufieurs pieces de Tapif
ferie en haute- liffe , de la Manufacture des Gobelins.
Quatre de ces pieces repréfentent : la premiere
, Jafon affoupiffant le Dragon , enlevant
la Toifon d'Or , & partant avec Medée : la
deuxieme , le mariage de Jafon & de Creüfe , fille
du Roi de Corinthe : la troisieme , Creuſe confumée
par le feu de la robe fatale , dont Medée
lui a fait préfent : la quatrieme , Medée poignar
dant les deux fils qu'elle avoit eus de Jafon , &
embrafant Corinthe. Ces morceaux ont été exécutés
fur des Tableaux de feu M. de Troy , & ils
font les trois premiers de M. Cozette , & le dernier
de M. Audran. Trois autres Pieces font de M.
Audran. Les ſujets font la Scene s du quatrieme
Acte de l'Opera de Roland : la Scene 4 du cinquieme
Acte d'Armide , d'après feu M. Coypel
& l'Entrée de Marc - Antoine à Ephefe
d'après M. Nattoire , Directeur de l'Académie
de Peinture à Rome. Une huitieme Piece de l'exécution
de M. Cozette , eft une copie d'un Tableau
de M. Parrocel , d'Avignon , repréfentant
la Sainte-Famille , & qui a trois pieds deux pouces
de haut , fur deux pieds cinq pouces de large.
Par une Ordonnance du 8 de ce mois , le Roi
a réglé que les Bataillons du Régiment Royal
JANVIER . 1756. 213
Artillerie , les Compagnies de Mineurs & d'Ouvriers
qui fervent à leur fuite , les Officiers d'Artillerie
& les Ingénieurs , ne feroient dorénavant
qu'un feul & même Corps , fous la dénomination
de Corps Royal de l'Artillerie & du Génie.
On a répandu mal -à-propos le bruit , que le
Coche d'eau d'Auxerre avoit péri. Cette Voiture
n'a pas couru le moindre danger , & celles
de cette efpece ne vont que lorfque la riviere eft
navigable.
Le 18 Décembre les Actions de la Compagnie
des Indes étoient à quatorze cens quatre-vingt livres
les Billets de la premiere Loterie Royale à
huit cens quarante quatre ; ceux de la feconde
Loterie à fept cens vingt - huit , & ceux de la
troifieme Loterie à fix cens vingt-trois.
·
BENEFICES
DONNÉ s.
LE Roi a donné l'Abbaye de S. Amand , Ordre
de S. Benoît , Diocèle de Cambrai , au Cardinal
d'Yorck.
Sa Majesté a accordé l'Abbaye de S. Vandrille ,
Ordre de Saint Benoît , Diocèſe de Rouen , au
Cardinal de la Rochefoucauld .
Elle a auffi donné l'Abbaye d'Aumale , Ordre de
Saint Benoît , Diocèfe de Rouen , à l'Abbé de
Savary de Breves , Vicaire Général de l'Archevêché
de Vienne ; celle de Chezi , même Ordre ,
Diocèfe de Soiffons , à l'Abbé Thierri , Chancelier
de l'Eglife Métropolitaine
& de l'Univerfité
de Paris ; celle de Beaulieu , Ordre de Saint Auguftin
, Diocèfe de Boulogne , à l'Abbé de Mons ,
Vicaire Général de l'Evêché de Saint - Flour ; &
Dioceile
de Ferrieres , Ordre de Saint Benoît ,
cèfe de Poitiers , à l'Abbé de Fretat de Sarra ,
Vicaire Général de l'Evêché du Puy,
214 MERCURE DE FRANCE .
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE .
De Lisbonne , ce 25 Novembre , 1755.
Vous ferez fans doute informé , Monfieur
, du malheur que vient d'effuyer le
Portugal. Le premier de Novembre à neuf
heures quarante- cinq minutes du matin ,
par un temps calme & le ciel le plus ferain
, le mercure étant à vingt- fept pouces
fept lignes , & le termometre de M. de
Réaumur à quatorze degrés , la terre trembla
par trois reprifes. La premiere fecouffe
fut fi foible qu'elle n'épouvanta prefque
perfonne , & dura à peu près une minute :
mais après un intervalle de trente à quarante
fecondes , la terre trembla de nouveau
, mais avec tant de violence que la
plupart des maifons commencerent à crouler.
Cette feconde fecouffe dura à peu près
huit ou dix minutes . Il y eut encore un intervalle
de deux minutes à peu près ; ce que je
préfume , parce que la pouffiere que caufa
l'écroulement des maifons , & qui étoit fi
épaiffe que le foleil en étoit totalement
obfcurci , baiffa peu à peu , & rendit au
jour affez de clarté pour que l'on pût s'envifager
& fe reconnoître.
JANVIE R. 1756. 215
Une troifieme fecouffe reconfondit tout
de nouveau ; les maifons qui avoient réfifté
jufqu'alors , tomberent avec fracas. Le ciel
s'obfurcit , & la terre fembloit vouloir
rentrer dans le cahos . Les gémiffemens des
mourans , les cris de ceux qui étoient expofés
au danger , les fecouffes réitérées de
la terre, l'obfcurité du jour augmentoient le
trouble , la confufion , l'horreur & l'effroi.
Enfin , après dix à douze minutes , tout ſe
calma . Mais notre malheur n'étoit pas
encore à fon comble. A peine commençions-
nous à refpirer , le feu parut dans
différens quartiers de la Ville. Le vent qui
fouffloit avec violence , excitoit la flamme.
Perfonne ne penfa à empêcher fa voracité ,
on ne fongea qu'à fauver fa vie , & à fuir
vers la campagne : les tremblemens de terre
fe fuccédoient toujours foibles à la vérité
, mais trop violens pour des gens qui
avoient échappé à une mort qui fembloit
inévitable. Ainfi Lifbonne devint en peu
de tems une feconde Troie.
On auroit pu fans doute apporter quelque
remede au feu , fi la mer n'eût menacé
de fubmerger la ville ; ou du moins
le peuple effrayé par une fi horrible
cataſtrophe , fe le perfuada , en voyant les
Alots entrer avec fureur dans des lieux ou
il fembloit impoffible que la mer pût
jamais parvenir.
216 MERCURE DE FRANCE.
Dans le commencement du tremblement
, quelques perfonnes croyant trouver
un afyle fur les eaux , s'y expoferent ;
mais la mer ne leur fut pas plus favorable
car le flux portoit vaiffeaux ,
barques , batteaux contre le rivage , les
écrafoit les uns contre les autres , &
bientôt les retirant avec violence , fembloit
vouloir les engloutir avec les malheureux
qu'ils portoient.
Ce flux & reflux dura toute la nuit
& fe faifoit fentir plus fortement de cinq
en cinq minutes. L'effroi n'a pas encore
ceffé ; car il n'y a pas de jour que nous
n'ayons fenti deux ou trois fecouffes.
J'ai remarqué que les plus fortes , que
l'on peut comparer à un coup de canon
tiré dans un fouterrein , fe font toujours
fentir à la fortie de la Lune , & vers le
crépuscule du matin.
Le 8. vers les cinq heures & demie du
matin , nons avons fenti une fecouffe de
peu de durée , mais très violente. Le
16. à trois heures & demie après midi ,
la terre bailla & fit le même effet que
le d'un navire à la cape. corps
On affure que la mer a furpaffé de 9 .
pieds le plus grand débordement dont on
fe fouvienne en Portugal.
Le tremblement & le feu ont détruit
1S
JANVIER. 1756. 217
18 paroilles , prefque tous les couvens ,
& les plus beaux Palais de Liſbonne , tels
que le Palais du Roi , celui de Bragance ,
le Tréfor , les Hôtels des Ducs de Cadaval
, de Lafoens & d'Avéiro , ceux des
Marquis de Valence , de Lourical , de
Tavora , de Marialva , de Limiares , de
Frontiere , d'Anjeja , des Comtes de
Vimieiro , d'Atouguia , das Galvéas , de
Saint Jacques , d'Alva , de Coucoulin :
l'Hôtel de l'Ambaffadeur d'Efpagne l'a
enfeveli fous fes ruines. Le chantier ,
toutes les douanes pleines de marchandifes
, les Magafins publics du bled ont
été confumés . Les environs de Lisbonne
ont prefque tous été détruits . Les Bourgs
d'Alverca , Alandra , Villa Franca , Caftanheira
, Povos , Alenquer , Sétuval ,
font prefque entierement ravagés. La
partie baffe de Santarem a beaucoup
fouffert , de même que Peniche & la
fortereffe de Cafcaes . Quelques villes du
Royaume des Algarves ont été détruites
moins le tremblement de terre , que
par la mer qui a inondé une lieue de
Pays. La pointe du Cap de la Boque s'eft
affaiffée. La fameufe bibliotheque de S.
Dominique , celle du Comte de Ericeira
& celle du Comte de Vimieiro , célébres
I. Vol.
par
K
218 MERCURE DE FRANCE.
par leurs manufcrits rares , ont été la
proie des flammes.
On ne fçait pas encore le nombre des
morts. On conjecture qu'il doit monter
de 30. à 40. mille perfonnes. Tout le
monde campe , depuis le Roi jufqu'au
dernier membre de la République.
Pedegache.
MARIAGES ET MORTS.
François-Martial Comte de Choifeul - Beaupré ,
Brigadier , Inspecteur général de l'Infanterie , &
Menin de Monfeigneur le Dauphin , veuf depuis
1753 de Charlotte-Rofalie de Romanet , époufa
le 24 Juin Demoiſelle N ... Thiroux de Mauregard
; la bénédiction nuptiale leur a été donnée à
Paris dans la chapelle de la maifon de la Dame
de Lailly : le Roi avoit figné le 22 leur contrat de
mariage.
Raymond- Pierre , Marquis de Beranger , Comte
du Guat , Chevalier d'honneur de Madame la
Dauphine en furvivance , & Colonel dans le corps
des Grenadiers de France , époufa le 2 de Juillet
Marie-Françoile de Saffenage , fille de Charles-
François , Marquis de Saffenage , fecond Baron
du Dauphiné , Commiffaire né des Etats de cette
province , Brigadier de Cavalerie , Chevalier des
Ordres du Roi ; & Chevalier d'honneur de Madame
la Dauphine , & de Marie- Françoife- Camille
de Saffenage , Baronne de Saffenage , Marquife
de Pont- en - Royan , Comtefle de Montallier.
La bénédiction nuptiale leur fut donnée par
1.
JANVIER. 1756. 219
l'Archevêque de Sens , dans l'Eglife de la Paroifle
du château , à Verfailles . Le Marquis de
Beranger eft fils de feu Pierre , Comte de Beranger
, Lieutenant général des armées du Roi , &
Chevalier des Ordres de fa Majefté , & de Dame
Antoinette-Françoife Boucher d'Orsay.
Voyez fur les Maifons de Beranger & de Saffenage,
les Tablettes hiftoriques , IV. Part. page
54 fuivantes.
Meffire René-Théophile de Maupeon , Marquis
de Sablonieres , Colonel du Régiment d'Infanterie
de Bigorre , fils de feu Meffire René-
Theophile de Maupeou , Marquis de Sablonieres,
Lieutenant général des armées du Roi , Infpecteur
général d'Infanterie , & .de Dame Jeane-
René Blanchard de Banneville , épouſa le 13 Juillet
dans la Chapelle du château de Paris - Fontaine
, Damoiſelle Marie - Julie de Caqueray de-
Maucomble.
Meffire Claude-Etienne Bidal , Marquis d'Affeld
, Maréchal des camps & armées du Roi , fut
marié le 14 à Damoifelle Anne- Louiſe-Charlotte
Pajot de Villeperot , fille de feu Meffire
Pierre-Maximilien Pajot de Villeperot , Maréchal
de camps , & de Dame Louiſe- Génévieve
Pajot. La bénédiction nuptiale leur fut donnée à
Paris par l'Archevêque de Narbonne , dans l'Eglife
de S. Germain l'Auxerrois. Leur contrat
de mariage avoit été figné le 8 par leurs Majeftés.
Le Marquis d'Asfeld eft fils de feu Claude-François
Bidal , Marquis d'Asfeld , Maréchal de France ,
Chevalier de l'Ordre de la Toifon d'or , Commandeur
de celui de S. Louis , Gouverneur des
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
ville & citadelle de Strafbourg , Directeur géné
ral des fortifications de France , Lieutenant Général
des armées du Roi ; & de feu Dame Anne le
Clerc- de- Lafferille. -
Voyez la VII. Part. des Tablettes hiſtoriques.
page 84.
Meffire Anne-Joachim - Annibal Comte de Rochemore
, fils de Mefire Jean-Louis-Annibal de
Rochemore & de Dame Catherine - Pauline de
Fays- de Rochepierre , époufa le 31 Juillet à Vivier
, Damoiselle Judith de Boufchet , fille de Meffire
Louis de Boufchet , Marquis de Sourches , Comte
de Montforeau , Lieutenant général des armées
du Roi , Prevôt de l'Hôtel de fa Majefté, & Grand
Prevôt de France , & de feue Charlotte-Antonine
de Gontaut de Biron. La bénédiction nuptiale leur
a été donnée par l'Evêque de Viviers.
Claude -Antoine- Cleriadus Comte de Choiseul ,
Lieutenant général de la Province de Champagne
& de Brie , Guidon de Gendarmerie , Meftre de
Camp de Cavalerie , Chambellan & Capitaine des
Gardes du Corps du Roi de Pologne , Duc de Lorraine
& de Bar , époufa le 1 Sept. au château de Harouel
en Lorraine , Diane- Gabriele , Marquife de
la Baume - Montrevel , ci -devant Chanoineffe de
Kemiremont , fille de feu Charles - Ferdinand-
François , Marquis de la Baume Montrevel , Meſtre
de Camp de Cavalerie & de Elifabeth - Charlotte de
Beauvau. La bénédiction nuptiale leur a été donnée
par l'Abbé de Choifeul , Vicaire général &
Grand Archidiacre de Châlons fur Marne . Le
Comte de Choifeul eft fils de Charles - Marie ,
Marquis de Choifeul Beaupré , Lieutenant général
des armées du Roi , & ci - devant Chevalier
JANVIER. 1756. 221
d'honneur de la feu Reine de Pologne , & de
Henriette-Charlotte de Balompierve , Dame du
Palais de cette Princelle .
François- Jacques Damas d'Antigny , Comte de
Ruffey , Baron de Chevreau , Gouverneur de la
fouveraineté de Dombes , fils de Jofeph - François
Damas , Marquis d'Antigny , Conite de Ruffey
& de Commarin , Baron de Chevreau , Colonel
du Régiment de Boulonnois , Brigadier des
armées du Roi , mort en 1736 , & de Maric-Judith
de Vienne , Comteffe de Commarin , a épousé
le 6 Octobre Zephirine-Félicité de Rochechouart ,
fille de Charles de Rochechouart , Lieutenant
Général des armées du Roi , Ambaffadeur de fa
Majefté auprès de l'Infant Don Philippe , Duc
de Parme , & de Marie- Françoife de Conflans
d'Armentieres , Dame de Madame la Dauphine.
Monſeigneur l'Evêque Duc de Laon , fon oncle
paternel , leur a donné la bénédiction nuptiale
dans la Paroiffe de S. Sulpice.
Ces maifons font trop connues pour avoir be
foin d'en donner la généalogie . Nous renvoyons
à tous les Généalogiſtes qui en ont parlé Voyez
pour la maison de Damas le P. Anfelme. Généalogie
des Grands Officiers de la Couronne , trorfiéme
édition en 1733 , tome 8 , page 339 , à
l'article des Grands Maîtres de la Maifon du
Roi. Pour la maiſon de Vienne , l'article des
Amiraux de France , même édition , page 804 :
& pour la maifon de Rochechouart , le même
ouvrage , tome IV. page 649.
Demoiſelle Catherine - Henriette Canonville
de Raffetot , eft morte à Paris le premier Juin.
K iij
222 MERCURE DE FRANCE.
Meffire Charles - Pierre- Jofeph de Caftagnet de
Tanchoue , Brigadier des Gardes du Corps , eft
décédé le 12 à Paris.
Meffire Jean - Baptifte Duval de Morgny , fils
de Meffire Yves - Michel Duval de Morgny
-Préfident à la Chambre des Comptes de Rouen ,
eft mort à Paris le 26.
Eleonore-Marie de Montmorenci-Luxembourg-
Tingry , époufe de Meffire Louis -Leon Potier de
Gefures , Comte de Trefmes , Lieutenant - Géné–
ral des armées du Roi , Gouverneur des ville &
château de Ponteau de Mer , & Lieutenant pour
Sa Majefté au Bailliage de Rouen & pays de Caux ,
eft morte le 3 Juillet dans la quarante- neuvieme
année de fon âge.
Jacques- Nompar de Caumont , Duc de Caumont
, Pair de France par la démiffion du Duc de
la Force fon pere , mourut à Bagnieres le 14 ,
âgé de quarante-un ans.
Louis Benigne , Marquis de Baufrement & de
Liftenois, fubftitué aux noms & armes des maiſons
de Vienne Liftenois de Villelume & de Gorrevod ,
Seigneur héréditaire du Duché de Pontdevaux
Chevalier de l'Ordre de laToiſon d'or , Grand Bailli
d'Aval & Lieutenant - Général des armées du Roi ,
mourut à Paris le 18 Juillet , âgé d'environ foixante-
treize ans .
Voyez les Tablettes hiſtoriques , IV partie , p.
388 ; lave, p. 269..
Meffire Louis Hardouin- Jacques - Augufte de
Grout de Beaufort , penfionné du Roi , ci - devant
Capitaine au Régiment de Briouze , Infanterie
, eft décédé dans le mois de Juillet dernier
JANVIE R. 1756. 223
la terre de la Harie en Baffe -Normandie , âgé
d'environ foixante-dix -huit ans . Il eut l'honneur
d'avoir beaucoup de part dans les bonnes graces
de feu Louis XIV , & de Monfeigneur le Grand
Dauphin , & fut toujours de leur Cour jufqu'à
leur mort . Il étoit fils de feu Louis -Hardouin
de Grout-de Beaufort , Capitaine au Régiment
Dauphin , qui avoit été nommé par Mlle de
Montpenfier , dite Mademoiſelle , & petit fils de
feu Louis- Hardouin de Grout , ou Groulth - de
Beaufort , Chevalier de l'Ordre du Roi , Gentilhomme
ordinaire de fa Chambre , nommé Major
des Gardes du Corps . Il vint en France fur la
fin du regne de Louis XIII , & éprouva les
bontés de la Reine - Mere Anne d'Autriche. Louis
Hardouin , qui donne occafion à cet article ,
laiffe deux fils & une fille ; fçavoir , Anne- Ange-
Gabriel de Grout de Beaufort , Préfident en la
Cour des Monnoies à Paris ; Louis de Grout- de
Beaufort , Religieux de l'ancienne Obfervance de
l'Ordre de Cluni , Prieur en titre de Notre-Dame
de Mainfat; Marie-Magdeleine de Grout de Beaufort
, Religieufe Bernardine à l'Abbaye de Villers-
Cannivet , près Falaiſe en Normandie. Cette famille
qui eft originaire d'Allemagne , s'eft bien
alliée depuis qu'elle eft en France.
Meffire Louis-François Vivet de Montelus ;
Evêque d'Alais , & Abbé de l'Abbaye Royale &
féculiere de S. Gilles , Diocéfe de Nifme , eft
mort à Alais le 21 dans la foixante - feiziéme année
de fon âge. Il avoit été nommé en 1727 à
l'Evêché de S. Brieux , & en 1744 à celui d'Alais.
Meffire N... Soucelier , Abbé de l'Abbaye de
5. Paul - lez- Sens , & Doyen de Bray-fur- Seine ,
K iv
224 MERCURE DE FRANCE .
eft mort en cette derniere ville le 24 , âgé d'envi
ron cinquante- fept ans.
Meffire Chriſtophe, Marquis de Cuftine , grand
Bailli de Nanci , mourut à Nanci le 26 dans fa
quatre-vingt- quinziéme année. Après - avoir fervi
en France jufqu'au fiége de Bonne , & avoir
obtenu le grade de Lieutenant- Colonel , il paffa
au fervice de l'Empereur Léopold , & fit toutes
les campagnes de Hongrie contre les Turcs ,
depuis 1683 jufqu'en 1697. Il revint alors en
Lorraine avec le Duc Léopold , qui le nomma
d'abord fon premier Chambellan , enfuite Colonel
de fon Régiment des Gardes , Commandant
en Lorraine , Gouverneur des ville & citadelle
de Nanci , & Confeiller d'Etat d'épée . Le
Marquis de Cuftine à la ceffion de la Lorraine
refta attaché à la France malgré les offres avantageufes
de l'Empereur Charles VI . le Roi de Pologne
Duc de Lorraine & de Bar , lui donna le
grand Baillage de Nanci , & le Roi le gratifia
d'une penfion de 4000 liv. que Sa Majefté a bien
voulu continuer à fa famille .
Louife-Françoise de Rohan-Rohan , veuve de
Gui- Paul- Jules Mazarin , Duc de Mazarin & de
la Meilleraye , Pair de France , Prince de Châr
teau-Porcien , Gouverneur des villes du Port-
Louis , de Hennebont & de Quimperlay , mou
rut à Paris le 27 Juillet , âgée de foixante ans.
Demoiſelle Petronille - Elizabeth Maffon de
Melay, fille de Mefire Antoine- Lambert Maffon
de Mellay , Préfident en la Chambre des
Comptes , eft morte à Paris le 6 Août.
>
Demoiſelle Julie -Apolline - Géneviève Hubers
"
JANVIER. 1756. 225
Fontenu , Baronne d'Evon , Vicomtefle de Prémartin
, eft morte à Paris le 12 , & a été inhuméc
le lendemain à S. Sulpice.
Dame Bonne Barillon , veuve de Meffire François-
Germain le Camus , Marquis de Bligny ,
Maréchal de Camp , eft morte à Paris le 13 ,
& a été inhumée à S. Sulpice.
Dame Marie-Magdelaine de la Vieuville , veu
ve de Meffire Céfar- Alexandre de Baudéan, Com
te de Parabere , eſt morte le 14 à Paris , âgée
de foixante- deux ans.
Meffire Jean- Gabriel de la Porte du Theil,
Chevalier des Ordres de N. D. du Mont-Carmel
& de Saint - Lazare , Secrétaire de la chambre
& du cabinet de Sa Majefté & des comman
demens de Monfeigneur le Dauphin & de Mefdames
de France , eft mort à Paris le 17 Août
âgé de foixante- douze ans. Il avoit été ci-devant
premier Commis des affaires étrangeres : il
fat chargé en différens temps de la part du
Roi , de commiffions importantes dans plufieurs
Cours de l'Europe : en 1747 il affifta aux conférences
de Breda en qualité de Miniftre Plemipotentiaire
, & fut revêtu du titre d'Ambafla--
deur extraordinaire & Plenipotentiaire à cellesqui
fe tinrent en 1748 à Aix- la- Chapelle . Lestalens
& le zéle avec lefquels il s'eft acquitté de
ces différens emplois , lui ont mérité les marques
de fatisfaction & de bonté dont le Roi a bien vou--
lu l'honorer..
Meffire Jean Baptifte Bofe , Chancelier & Gar
de des Sceaux des Ordres Royaux , Militaires &
Hafpitaliers de Notre Dame du Mont Carmel &
K
226 MERCURE DE FRANCE.
de S. Lazare , de Jérufalem , & Confeiller d'honneur
de la Cour des Aides , dans laquelle il a été
pendant quarante - fept ans Procureur- Général , eft
mort le 18 Août à Paris , âgé de quatre-vingt- deux
ans.
Meffire Jean - François Boyer , ancien Evêque
de Mirepoix , Abbé de l'Abbaye de Corbie , Ordre
de S. Benoît , Diocèſe d'Amiens , l'un des quarante
de l'Académie Françoiſe , honoraire de l'Académie
royale des Infcriptions & Belles- Lettres ,
& de l'Académie royale des Sciences , mourut à
Verſailles le 20 dans fa quatre - vingt - unieme
année . Il avoit été Précepteur de Monſeigneur
le Dauphin , & enfuite premier Aumônier de Madame
la Dauphine . En 1743 , à la mort du Cardinal
de Fleury , le Roi chargea l'ancien Evêque de
Mirepoix du détail des affaires qui concernent la
nomination aux Bénéfices.
Claude- Lamoral- Hyacinthe-Ferdinand , Prince
de Ligne , & du S. Empire , Chevalier de l'Ordre
de S. Hubert , mourut à Paris le 30 , âgé de foixante-
douze ans.
Voyez les Tablettes hiftoriques , III. part. pag.
70 ; & lave, p. 158 .
Meffire Guy- Michel Billard de Loriere , fous-
Doyen des Confeillers du Grand Confeil, Seigneur
de Charenton , eft mort à Paris le 31 , âgé de
foixante-quinze ans. Il a été préfenté à S André
des Arts , & tranſporté en l'égliſe paroiffiale de
Charenton .
Damoiselle Claire-Françoiſe de Roncherolles de
Heuqueville , eft morte le 4 Septembre à Paris.
JANVIE R. 1756. 227
Jofeph-Marie d'Hoftun , Duc d'Hoftun , Pair
de France , Comte de Tallard , Chevalier des Ordres
du Roi , Brigadier d'Infanterie , Gouverneur
de Franche-Comté , & Gouverneur particulier des
Ville & Citadelle de Befançon , mourut à Paris.
le 6 Septembre , âgé de près de foixante - onze
ans. Par fa mort eſt éteint le Duché de Hoftun ,
qui avoit été érigé par Lettres - Patentes , du mois
de Mars 1712 , en faveur de Camille d'Heftun
Comte de Tallard , Maréchal de France , & qui
fut déclaré Pairie , par Lettres - Patentes du mois
de Mars 1715 , en faveur du Duc qui vient de
mourir , & qui étoit fils du Maréchal de Tallard .
Meffire Edme-Marie Duval de Sainte Marie ,
Grand Prévôt Général de la Cavalerie de France &
Etrangere, eft mort à Baubigny , près de Pantin,
le 7 , & a été inhumé dans l'Eglife paroiffiale de
ce lieu .
Meffire Charles-Nicolas Rouillé d'Orfeuil , Enfeigne
au Régiment des Gardes Françoiles , eft
mort à Paris le 11.
Meffire Charles- François Renouard , Doyen
des Confeillers honoraires à la Grand'Chambre
de Parlement de Paris , eft mort le 20 en fon
Château de Fleuri , près d'Auxerre , âgé de quatrevingt-
trois ans.
Mellire Louis-Etienne Jobal , fecond Préfident
du Parlement de Metz , eft mort à Paris le 24
âgé de foixante-buit ans.
Meffire Jean-Profper Goujon de Gafville , Maltre
des Requêtes honoraire & ancien Intendant
de Rouen , eft mort à Paris le même jour , âgé
de foixante-quatorze ans.
Kj
22S MERCURE DE FRANCE
Louis Charles - Antoine de Saint Simon de
Courtomer , Chevalier de l'Ordre de Saint Jean
de Jérufalem , Lieutenant au Régiment du Roi
infanterie , fils de feu Meffire Guy- Antoine de
Saint - Simon , Chevalier Seigneur Marquis de
Courtomer , Comte de Montreuil - Bonnin , Meftre
de Camp de cavalerie , Capitaine des Gardes
de feu fon Alteffe Royale Madame Ducheffe de
Berry ; & de Dame Marie - Magdelaine de Saint
Remi , Marquife de Courtomer , Dame de la
Motte-Fouqué & Mongoubert , Dame Chateleine.
de Pecoux eft décédé le 3 Novembre au Château
de la Motte- Fouqué en Normandie , âgé de
vingt-un ans huit mois.
;
Meffire Jean de Mailly, Marquis de Mailly-Hau
court , mourut le 7 Décembre au Château de la
Roche de Vaux , dans le Maine , âgé de quatrevingt-
quatre ans. Le Comte de Mailly , fon fils ,
Lieutenant-Général des Armées du Roi , & Infpecteur
de la Cavalerie , ayant perdu deux fre-.
res , dont l'un étoit Eccléfiaftique , & l'autre Che-.
valier de Malte , eft le feul qui refte de cette
Branche. Le Chevalier eft mort à Vienne en Autriche
après la derniere campagne de Hongrie ,
où il étoit allé finir les Caravanes .
Le nommé Marais eft mort à Honfleur , dans :
la cent-fixieme année de fon âge. Il n'a connu.
aucune des infirmités de la vieilleffe .
Dom Jacques-Nicolas Maumouffeau , Supérieur
Général de la Congrégation de Saint Maur ,
mourut le 12 Décembre , à Paris , en l'Abbaye de
Saint Germain-des-Prés , dans la foixante- onzieme
année de fon âge , & dans la cinquante - troi-
Geme de fa Profeffion Religieufe .
JANVIER. 1756. 229
Dame Marie-Louiſe Henriette de Beaumanoir-
Lavardin , veuve de Meffire Jacques- Louis , Marquis
de Beringhen , Maréchal des Camps & Armées
du Roi , Premier Ecuyer de Sa Majesté , &
Gouverneur des Ville & Citadelle de Marſeille ,
mourut en cette Ville le 14 Décembre , âgée de
foixante- cinq ans..
AVIS
Almanach LE BON JARDINIER.
pour l'année 1756 , contenant une idée
générale des quatre fortes de Jardins , lest
régles pour les cultiver , & la maniere
d'élever les plus belles fleurs. A Paris ,
chez Guillyn , quai des Auguftins. 1756.
On trouve chez le même Libraire , chez
Ganeau , rue S. Severin , & chez Defventes
, à Dijon , les Tablettes hiftoriques , topographiques
& Phyfiques de Bourgogne ,
pour l'année 1756 .
Catalogue des Livres de la Bibliotheque
de feu M. Bernard de Chantant , Con-.
feiller au Parlement de Dijon , dont la
vente fe fera dans cette ville. L'on trouve
ce Catalogue à Paris , chez Guillyn , quay
des Augustins , qui donnera les éclairciffemens
néceffaires : il fe chargera de faire.
230 MERCURE DE FRANCE .
acheter les Livres que l'on lui commettra ,
& de les remettre aux acquéreurs à Paris :
on peut auffi s'adreffer chez Defventes à
Dijon.
AUTRE.
E Sieur Compigné , Marchand Tabletier , Pri
vilegié du Roi , qui demeuroit ci- devant dans
le Temple , donne avis au Public qu'il a tranfporté
fes fabriques de Tabatieres d'écaille & de
carton , rue Grenetal , à l'enfeigne du Roi David ,
où le vafte emplacement lui a permis de l'augmenter
confidérablement ; pour mériter dans fon
art, les éloges du Public & des gens de goût , il
travaille tous les jours à le perfectionner.
Depuis plufieurs années , il exécute avec fes
tours des deffeins d'étoffe de toute espece.
Il va inceffamment mettre au jour différens
deffeins de fa compofition , qu'il exécute fur l'écaille
& fur le carton ; l'effet de ce travail eft d'autant
plus frappant qu'il repréfente le naturel .
Ceux qui défireront les avoir fur or & fur argent
, ou autres métaux , pourront les lui commander
: il les rendra avec autant de précifion
que tels deffeins Chinois , de fleurs , d'architecture
, de païfage , & autres qu'on voudroit ſe
procurer.
Il double en écaille les tabatieres de carton :
il raccommode les unes & les autres , & vend des
deux efpeces à très -jufte prix , en gros & en
détail.
On trouvera encore chez lui des affortimens
de toutes efpeces , en ce qui concerne la Tabletterie.
JANVIE R. 1756. 231
AUTR E.
E fieur Georges Douay, Marchand fabriquant
vis le Bon Paſteur , Fauxbourg S. Marceau à Paris
, donne avis aux Négocians qu'il poffede le
fecret de faire le Marly d'Angleterre , de toutes
les façons qu'il puiffe fe faire ; fçavoir , à carreau ,
rayé & uni , noir & blanc , & du plus beau blanc
qu'on puiffe le défirer.
AUTR E.
ON a fait depuis plufieurs années différentes
tentatives en Horlogerie , pour fimplifier les pendules
, & furtout celles d'obfervation ; mais le
haut prix auquel on étoit obligé de les mettre ,
a toujours affez prouvé au Public , & fait fentir
à leurs Auteurs mêmes , qu'elles n'étoient rien
moins que fimples.
En voici une dont la préciſion & la folidité
font à toute épreuve , & dont on n'a voulu faire
part au Public , qu'après des expériences réitérées
depuis environ huit années par des Aftronoines
& autres Connoiffeurs en ce genre. La nouvelle
conftruction de celle - ci en eft une preuve fatiffaifante
, puifqu'elle offre l'avantage d'une machine
perfectionnée principalement par des
voies très-peu difpendieufes : fa fimplicité ne peur
échapper à quiconque voudra l'examiner & faire
attention à la modicité du prix de ces pendules ,
qui n'eft que de vingt piftoles tout ajustées dans
feurs caiffes de transport . Ce motif d'oeconomie
joint à leur exactitude , en a fait débiter un aſſez
grand nombre,
23,2 MERCURE DE FRANCE.
Ces pendules font renfermées dans des boëtesde
cuivre , ajustées d'une façon nouvelle par des
vis qui les font mouvoir, & qui fervent à les fixer
dans leurs échappemens , d'une maniere au
fimple que folide. On les place à fix pieds environ
de hauteur , ce qui fuffit pour les faire aller
à peu près quinze jours ; elles marquent les heures
, les minutes & les fecondes , & toutes leurs
aiguilles font placées concentriquement . Elles ne
fonnent point , mais on fçait d'ailleurs qu'une
fonnerie eft inutile aux Pendules d'obfervation.
Le pendule fe brife en trois parties d'une façon
nouvelle , & cela fans fe féparer , afin de diminuer
le volume de la caiffe , & rendre par-là ces
machines plus portatives. La caiffe qui leur fert
d'enveloppe , a environ dix-huit pouces de longueur
fur fept à huit pouces de largeur & d'épaiffeur.
On donne à ceux qui prennent de ces Pendules
une petite inftruction fur la façon de les
conduire & de les placer ; & ces Pendules fe trouvent
chez leur Auteur M. Gallonde , Horloger
du Roi , rue Quincanpoix .
Le fieur Gallonde avertit auffi qu'il a fait une
Loterie d'une Pendule finguliere & unique en
fon genre ; cette Loterie eft composée de millè
billets à raison de fix livres le billet , & qu'il ne
lui en refte plus que très- peu. Le jour du tirage
eft fixé au 27 de Janvier prochain , l'après- midi ,
au College de Navarre. Ceux qui fouhaiteront
prendre de ces billets , auront la bonté d'envoyer.
chez M. Gallonde.
JANVIER 1756. 233
AUTRE.
LE Sieur MAILLARD au College des Trois-
Evêques , Place de Cambray , près la rue Saint-
Jacques , fait & vend différens fujets d'Etrennes
gravés & enluminés , ornés de vignettes . Il mérite
la préférence par le choix qu'il a fait de tout
ce qui peut amufer & inferuire ; Emblêmes facrés
, petites Fables , Devifes , Complimens , Sou
haits heureux , Bouquets , &c. avec lesquels on
peut compoſer ou orner des Tabacieres , Ecrans. ,
Almanachs , &c . Il continue de faire & vendre
toutes fortes de caracteres , deffeins , vignettes.,
& papiers à lettres peints en vignettes. On le
trouve tous les jours juſqu'à midi.
AUTRE.
Mademoiſelle COLLET continue de vendre
pour l'utilité du Public , une pomade de fa compofition
qui foulage dans l'inftant , & guérit radicalement
les Hémorroïdes tant internes qu'externes
, fuffent- elles ulcérées & fiftuleuſes ; cette
pomade eft fi connue qu'elle n'a pas besoin de
recommandation , la preuve en a été faite à
l'Hôtel Royal des Invalides , par ordre de feu
Monfieur de Breteuil , Miniftre d'Etat , M. Morand
, Chirurgien , lui a délivré fon certificat
après avoir vu les guérifons des perfonnes qui
en étoient affligées , de même que M. Peirard ,
Chirurgien Accoucheur de la Reine , & plufieurs
autres Chirurgiens & perfonnes de diftinction.
Cette Pomade ne peut produire aucun mauvais
effet. Ceux qui craignent par un préjugé mal
234 MERCURE DE FRANCE.
fondé de fe faire guérir radicalement , pourront
en ufer feulement pour fe foulager dans leurs
fouffrances. Toutes les perfonnes qui feront ufage
de certe pomade , ne doivent avoir aucune
crainte de la fiftule , au contraire elle la détourneroit.
Cette Pomade fe garde autant de tems que
l'on veut , & fe peut transporter par tout , pourvû
qu'on ait foin de la garantir de la chaleur &
& du feu Elle avertit le Public qu'il n'y a qu'elle
feule qui débite fa Pomade , & fon nom eft audeffus
de chaque écrit de fa main.
Les moindres pôts font de 3 liv . de 6 liv. de
10 liv. de 12 liv . de 18 liv . de 20 liv . & de tous
les prix que l'on fouhaitera , on donnera la façon
de s'en fervir aux perfonnes qui voudront en faire
ufage ; on aura la bonté d'affranchir les ports de
Lettres.
Mademoiſelle Collet demeure rue des Petits-
Champs, vis-à-vis la petite porte S. Honoré , dans
la maifon de M. Jollivet , Marchand Papetier , à
l'enſeigne de l'Espérance.
AUTRE.
LE public eft averti que M. Seignette Confeillier
au préfidial de la Rochelle y demeurant rue
des Auguftins , continue de compofer & débiter
le véritable fel polychrefte ainfi qu'il a toujours
fait depuis la mort de fon pere Medecin de S. A. R.
Monfeigneur le Duc Dorléans . Il met comme cidevant
fon parafe dans chaque paquet , ceux qui
auront befoin de fon fel peuvent s'adreffer directement
à lui a l'adreffe c'y deffus on trouve à Paris
du fel de fa compofition chez le fieur le Fébvre
JANVIE R. 1756. 235
Marchand Epicier , rue des Arcis au coin de la
rue de la Vannerie , à côté de la petite vertu .
Le Public eft auffi averti que la Demoiſelle
Efter Seignette , Marchande Droguiſte à la Rochelle
, continue de compofer & débiter le véritable
fel Polichrefte , ainfi qu'elle a toujours fait
depuis la mort de fon pere. Elle met fon parafe
dans le dedans de chaque paquet , & tous ceux
qui ne l'ont pas,font faux & fuppofés aujourd'hui.
Ceux qui en auront befoin , pourront s'adreffer
directement à elle , à l'adreffe ci - deffus . Elle en
envoie à tous ceux qui lui font l'honneur de lui
en demander.
AUTRE.
LE Steur d'Ardel ancien Echevin de Chamberri
, donne avis au Public que fon Bureau pour
la diftribution général de fon Eau Royale , eft
toujours chez le fieur Bertaut , rue S. Antoine ,
au coin de la rue Percée , à Paris .
Les freres Alice Sommini , de Lunéville , Diftillateurs
du Roi de Pologne , donnent aufli avis ,
qu'ils viennent d'établir chez ledit fieur Bertaut ,
un entrepôt général de toutes leurs liqueurs ; le
Public y trouvera le même avantage de les prendre
audit entrepôt , que s'ils les tiroient directement
de Lunéville , tant pour le prix que pour la
qualité.
AUTRE.
LE fieur d'Offemont qui a inventé des corps
d'une ingénieufe ftructure , tant pour prévenir
que pour corriger le défaut de la taille des enfans ,
en a préfenté deux , un de chaque fexe , au Cabi236
MERCURE DE FRANCE.
net des Curiofités, au Jardin du Roi, qui y ont été
agréés pour y être vus au nombres des Curieufes
inventions. Il en fait pour le jour & pour la nuit ;
ceux de la nuit ne nuifent aucunement au repo's.
Tous ces corps fervent un jour d'un côté & l'autze
de l'autre côté , afin que la taille ne prenne aucune
forme contraire à la fanté & à l'ordre naturel
, pour empêcher le dérangement des os , ou
opérer le parfait rétabliffement de ceux qui pouroient
être dérangés. Ces corps font droits dans
toutes leurs parties , ont une parfaite folidité , fans
aucuns ferremens qui font toujours très-dangereux
, & caufent fouvent de très- grands dérangemens
dans la taille .
Le fieur d'Offemont. diftribue chez lui un Livre
contenant les détails des différentes formes de
Les corps : pour en prouver l'utilité , il a l'approbation
de plufieurs perfonnes illuftres qui
en ont fait ufage , & celle de Meffieurs du Collége
& Accadémie Royale de Chirurgie, qui en
ont reconnu la bonté & la perfection : il a le
privilége du Roi de faire imprimer ſes livres.
Sa demeure eft rue de la Verrerie , vis-à-vis
l'Eglife S. Meri , à côté du Coq lié de Perles , au
fecond fur le devant , à Paris.
AUTRE.
CHERVAIN , ci -devant Officier de maiſon ;
actuellement Négociant à Paris , donne avis que
depuis vingt ans qu'il a imaginé les bijoux en
fucre , ayant toujours travaillé dans le dernier
goût , il eft parvenu encore à fe faire connoître
avantageufement par les nouvelles piéces qu'il a
compofées cette année , lefquelles réuniffeat
JANVIE R. 1756. 237
l'utile & l'agréable tout enſemble ; il ofe fe flatter
d'avoir pouffé les ouvrages en fucre au dernier
degré il a furtout une piece furnommée le
Palais de Bacchus , conronné d'un treillage rempli
de raifins ; le petit tonneau fur lequel Bacchus
eft en triomphe , répand toutes fortes de
liqueurs les plus fines & les plus excellentes ,
fans que la liqueur ne gâte nin'humecte le fucre
; les barils font de différentes façons .
Il a auffi une botte d'afperges , imitant le naturel
à s'y méprende.
Un grouppe d'enfans portans une corbeille de
feurs.
Une corbeille nouvelle , garnie de fleurs les
mieux choifies avec de l'artifice aux quatre coins ,
fait & exécuté par le fieur Gautier , Artificier
ordinaire du Roi & de fes menus plaifirs .
Un pot d'ornement en façon de la Manufacture
Royale de Vincennes , des petits paniers
à jour , des petits buffets , de trente - deux façons
de tabatieres en facre , tant rondes que
quarrées , peintes en miniature dans le dernier
goût , des Tabatieres de Bergamotte peintes auffi
en toutes fortes de beaux camayeux ; toutes fortes
d'ouvrages au Cabriolet , & autres que l'on
ne peut détailler ; vingt - neufà trente façons de
petits paftillages des plus excellens , pour remplir
les ouvrages qu'il vend. Il tient chez lui magafin
de dragées de Verdun , toutes fortes de fruits ,
figures , & ouvrages à devifes , toutes fortes d'attrapes
dans quelque genre qu'elles puiffent être .
Ces fortes de bijoux s'envoient dans les Provinces
, par la précaution que l'on a de faire
faire des étuis pour chaque piece . Il eft connu
Four vendre en confcience. Il fait auffi les envois
238 MERCURE DE FRANCE.
de toutes les marchandiſes qu'on lui demande :
le tout à jufte prix.
> Il demeure rue Montmartre au coin de la
rue du Jour , près S. Euftache , la porte cochere
vis-à-vis le Notaire , à Paris.
ERRAT A.
Dans les Exemplaires de ce Mercure où
il y aura décombles , page 119 , ligne 16 ,
-lifez décombres .
Page 174 , ligne 9 , M. Madin , lifez
M. Martin.
AP PROBATION.
' Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier
, le premier volume du Mercure de Janvier
, & je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreſſion. A Paris , ce 27 Décemb. 1755 .
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
V
Ers faits à la campagne , par M. de Baſtide
page 7
La Navette d'amour , ou l'origine des Navettes ,
II
239
21
Vers pour accompagner un manchon donné à
Mademoiſelle ***
Députation de voeux à Mademoiſelle V*** , pour
le premier jour de l'An 1756. 22
Lettre à l'Auteur du Mercure fur une nouvelle
traduction de Lucrece ,
Ode au nouvel An ,
23
29
31
Réponse de M. Def... Gendarme Ecoffois , à M.
du L...
Lettre d'une jeune Dame Hollandoife, à l'Auteur
de la Toilette des Dames ,
33
Vers à Madame la Baronne de Ponçardin , par M.
Lemarié ,
36
Vers du même Auteur , à Mademoiſelle *** en
lui envoyant uu ruban dans une bourſe , ibid.
Bouquet ,
Vers fur les dangers de la guerre ,
37
38
Lettre à l'Auteur du Mercure au fujet de M. Rouffeau
de Genève .
Avis d'un Anonyme par M. Rouffeau ,
39
42
Ode fur la naiffance de Monfeigneur le Comte de
Provence , par M. Teifferenc , de Lodève , 45
Remerciement du même , Auteur à M. le Duc de
Béthune , après qu'il lui eut fait l'honneur de
le recevoir Garde- du - corps ,
Lettre à M. de B. fur le Roman Anglois intitulé :
Hiftoire du Chevalier Charles Grandifon , 50
Chanfon ,
49
78
79
Madrigal , à une Dame déguiſée en chevalier de
Malte ,
Explication du mot de l'Enigme & du Logogryphe
du fecond volume du Mercure de Decembre
,
Enigmes & Logogryphes ,
Chanfon ,
Ibid.
ibida
821
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
Difcours prononcé le jour de la Dédicace de la
240
Place Royale de Nancy ,
83
Lettre à l'Auteur du Mercure au fujet de la vie de
Bacon , 96
Précis , annonces & indications des livres nouveaux
,
97
Aflemblée Publique de J'Académie des Belles-
Lettres de Marſeille , 124
129
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Phyfique. Obfervations fur une Lettre de l'Année
Littéraire ,
Médecine & Métallurgie. Lettre au fujet des Eaux
Minérales de Pafly ,
Séance publique de l'Académie Royale des Sciences
,
138
145
Séance publique de l'Académie des Infcriptions &
Belles- Lettres , 146
Prix proposé par l'Académie de Chirurgie , 148
ART. IV. BEAUX ARTS.
151 Mufique.
Peinture . Suite des Mémoires d'une Société de
Gens de Lettres , publiés en l'année 2355 , 152
Gravure. 169
ART. V. SPECTACLES.
Comédie Françoife.
171
Comédie Italienne. 172
Concert Spirituel. 173
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres ,
175
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
182
Camp de Valence ,
Relation de ce qui s'eſt paſſé en Canada ,
Bénéfices donnés .
Lettre de Lisbonne .
Mariages & morts.
Avis .
La Chanfon notée doit regarder la page 82.
De l'Imprimerie de Ch. A. JOMBERT.
186
191
213
214
216
229
2
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
JANVIER 1756 .
SECOND VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine.
Cochin
Stusin
By Sculp
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais .
Chez PISSOT , quai de Conti .
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
*
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant ,
que 24 livres pour ſeize volumes , à raiſon
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront comme à Paris ,
qu'à raifon de 30 fols par volume , c'eſt- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant four
16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
A ij
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreffe ci- deffus.
Onfupplie lesperfonnes des provinces d'envoyerpar
la poste , en payant le droit , le prix
de leur abonnement , cu de donner leurs ordres,
afin que le payement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Aercredi & Jeudi de chaque femaine , aprèsmidi.
On peut fe procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainfi que les Livres
, Estampes & Mufique qu'ils annoncent .
豆豆豆豆類
MERCURE
DE FRANCE.
JANVIER. 1756.
SECOND VOLUME.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE .
VERS SUR LES COQUETTES ,
par M. de Baftide.
Coquettes
font l'écueil du Sage :
Dès qu'une fois l'on apperçoit
Certain minois , certain corfage ,
On a bientôt répondu , foit.
Coquette n'eft jamais fauvage ;
Dans fes regards , dans fon langage ,
A iij
6
MERCURE DE
FRANCE.
€
Elle peint l'amoureux defir :
Toujours un air
d'apprentiſſage ,
Cache avec foin l'art dù plaifir.
Dans tous les goûts elle eft volage;
Tout l'enchante , tout la féduit ,
Mais on l'en aime
davantage ,
Son
inconftance vous engage ,
Un nouveau charme en eft le fruit.
Son retour marque de l'eſtime , '
Et l'estime à son tour le fuit ;
Elle paroît voir en victime
L'oeil pénétrant qui la pourſuit :
Elle revient humble & fincere ,
Elle s'accufe , elle rougit ,
On lui croit plus de caractere ,
Et l'on fent mourir le dépit.
Le défir l'offre avec des charmes
Que trop d'ufage avoit détruit ,
Qui vous confolent de vos larmes ,
fon crime reproduit. Et
que
Vous pardonnez malgré vous -même ;
Vous fongez qu'il faut la punir :
Mais vous croyez qu'elle vous aime
Et la raifon cede au plaifir.
JANVIE R. 1756. 7
LES MEMOIRES
d'un homme à bonnes fortunes.
par le même Auteur.
Si j'avois donné mes mémoires il y a dix
ans , ils auroient eu douze volumes , aulieu
de douze pages. J'avois écrit tous les
foirs , pendans trente années de vogue , &
je donnois à tout le nom trop prodigué
d'aventure. Aujourd'hui que l'âge m'apprend
à juger , je relis & j'efface , mes
fonges difparoiffent d'eux- mêmes .
Je vais donc réduire ce qui m'est arrivé
à ce que j'en penfe. Le récit en fera court.
C'est un exemple que je donné , mais qui
ne fera point fuivi & ne doit pas l'être.
Depuis que la lecture remplit les vuides ,
il faut des volumes & non pas des livres.
J'ai vécu avec toutes les femmes que j'ai
rencontrées dans le monde , parce que toutes
m'ont plu , & que j'ai plu à toutes . Le
temps ne me manquoit pas , j'en avois
même beaucoup de refte. La galanterie
n'occupe plus : un regard renferme tout ce
qu'une femme exige , & tout ce qu'elle
infpire.
Heureux fans plaifir , parjure fans amour,
je vivois dans le mouvement par habi-
3
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
$
tude , par befoin de m'exercer , précifément
comme un homme fait tous les jours
fa
promenade dans un jardin varié de
fleurs , fans être jamais frappé d'aucune.
J'étois
quelquefois quitté , & alors je
fentois quelque chofe. Ce n'étoit pas l'infidélité
qui me remuoit , c'étoit le manege
de
l'infidelle. Tant que ce manege duroit ,
j'étois prefque
amoureux ; il étoit à peine
difparu , foit qu'on revînt , foit qu'on ceffât
de feindre , que je retombois dans mon
indifférence .
L'exceffive facilité des femmes m'avoit
frappé à mon début , mais je n'avois pas
tardé à la trouver ce qu'elle étoit , trèsnaturelle
, comme on trouve bientôt trèsfimple
un fecret qui étoit dans la nature &
dont la découverte a d'abord étonné. Je
raifonnois leurs fyftêmes d'après l'efprit
du monde ; je regardois leurs faveurs &
leurs avances à de certains hommes ,
peu
près comme on doit regarder ces offres de
fervice & ces
proteftations d'amitié que les
égards exigent , dans un certain rang , &
dont la probité même ne difpenfe pas.
à
Je penfe encore de même aujourd'hui.
L'âge m'a pouffé vers la retraite , mais j'ai
toujours devant les yeux ce tableau du
monde d'où je fuis effacé , & il conferve
fes mêmes couleurs. Plus je l'examine
JANVIER . 1756. 9
plus les femmes font juftifiées. Leur facilité
eſt l'efprit de leur état. Ce n'eft pas à
elles à fe réformer ; fi les hommes les veulent
autrement , qu'ils le difent , ils n'auront
qu'à parler. Leur plus grande paffion
fera toujours de nous plaire. Nous leur
montrons nos goûts , & elles obéiffent .
J'ai réufli auprès de vingt femmes qui
n'ont eu que la peine de m'écouter ; j'en
ai eu vingt autres qui ont eu la peine de fe
rendre. La réfiftance de ces dernieres ne
venoit pas d'une vertu plus réelle ; elles
n'étoient défendues que par l'expérience
qui leur avoit appris à placer une faveur.
De toutes ces aventures la feule qui mérite
ce nom , eft celle que je vais écrire .
Elle eft d'autant plus digne de la diftinction
que je lui accorde , qu'elle a le caraetere
intéreffant de la vraisemblance , & le
mérite rare de l'utilité.
La Marquife de Préancour venoit de
faire un mariage de fituation . Peu de femmes
réunifoient autant de beauté & autant
de graces. Elle eût mérité d'avoir un
amant dans un mari , fi cela avoit été
permis.
Il y avoit à peine trois jours qu'elle étoit
mariée. Je m'apperçus qu'avec un coeur
fenfible elle vouloir refpecter fes devoirs .
Je frémis , pour elle , d'un avenir inévi-
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
6
table , & ne confultant que fes intérêts ,
je lui écrivis cette Lettre .
"
"
« Permettez , Madame , que je vous
»rende un fervice. Le cas eft preffant , &
» tout mon zele peut à peine fuffire au
danger de votre fi uation . Il n'y a que
trois jours que vous exiftez , & vous
» avez déja tous les torts de la raiſon .
» Vous débutez par montrer deux foiblef-
" fes que l'accord général a profcrites , le
refpect de vos devoirs & l'amour pour
» votre mari. C'eft braver le public, &
vouloir vous faire autant d'ennemis qu'il
» y a d'hommes qui ont des égards à atten-
» dre & de femmes qui n'ont plus une ré-
»putation à perdre. Ce monde inexora-
»ble & point injufte , réunira contre vous
» autant de forces que vous avez de char-
» mes : il vous demandera compte de tous
» les amans que vous n'aurez pas eus , &
» de toutes les femmes que vous aurez en-
»levées à votre mari ; fes cris continuels
vous frapperont enfin , vous vous trou-
» verez furchargée de dettes à payer , &
» vous vivrez encore dans le remors de
» ces dettes longtemps après vous être acquittée.
Une lettre ne permet pas , Ma-
» dame , le détail dans lequel je voudrois
≫ entrer , mais il fuffit de préfenter la lu-
» miere à l'efprit , & cela me raffure » .
»
JANVIER . 1756.
II
Cette démarche n'eût pas fuffi. Madame
de Préancour telle que je la repréſente ,
ne pouvoit fe rendre qu'aux raifons . Il n'y
a que l'expérience qui apprenne que la
meilleure raifon , c'eft l'ufage.
Je gagnai du moins par cette premiere
tentative de me faire écouter. Lorsque je
lui parlai , elle me dit qu'elle me trouvoit
fingulier , & je vis qu'elle le penfoit . Je
compris que je pouvois tout efpérér .
Elle n'avoit jamais aimé , & elle étoit
née pour l'amour : contrariée par mes confeils
, dans fes premieres émotions elle
étoit dans le cas de la privation ; auffi fusje
difpenfé de perfuader .
Ce bonheur alloit avoir des fuites que
je ne pouvois me difpenfer de prévenir. La
Marquife étoit de tout point un objet à
former. Je fentois ce que fa paffion exigeoit
de moi . Depuis huit jours que je l'avois
mife dans le monde , elle s'y étoit
affichée : j'entendois des murmures ; je ſongeai
à éviter l'ufurpation.
Je lui appris fes devoirs & les miens .
Vous êtes belle & vous m'aimez , lui disje
; toute la Cour , par cette raiſon me détefte
déja , vous condamne & vous adore.
Vos charmes ni votre coeur n'étoient point
à vous , vous en avez difpofé , c'eft déja
une injuftice ; vous annoncez que vous ne
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
voulez aimer que moi ? c'est un crime dont
l'accufation eft dans tous les coeurs. Vos
attraits ont fait votre dépendance dès le
moment qu'on vous a vue ; vous deviez
votre reconnoiffance à tous les empreffemens
, & vous ne pouviez accorder votre
coeur à perfonne ; c'eft un mot qui bleffe
les oreilles , c'eft un don qui trouble les
plaifirs. Jugez donc de votre pofition , repris-
je , connoiffez en tout le danger .
Ridicule parce que vous avez fait un
choix ; criminelle , parce que vous avez pris
un engagement , vous n'avez plus qu'à
opter entre le reffentiment univerfel , &
la réparation univerfelle : j'ai déja effuyé
des plaintes , j'ai entendu des murmures ,
ils font le fignal du traitement dont nous
fommes menacés l'un & l'autre . Prononcez
il faut choisir , il faut nous perdre , ou
nous ..... ou nous féparer , me dit- elle triftement.
Pas tout à fait, répondis - je ; on
peut s'aimer dans le fecret des coeurs . Avec
beaucoup de prudence , nous pouvons conduire
cette affaire heureufement : mais , à
vous parler franchement , je ne vous crois
pas propre à tant de myftere. Vous avez
une ame avec laquelle on ne croit fentir
qu'en prouvant , & ces ames-là , trop tendres
pour n'être pas indociles , trop jaloufes
de leurs plaifirs pour n'y pas renferJANVIER.
1756. 13
mer leurs devoirs , perdent un amant fans
retour.
J'eus beaucoup de peine à lui faire entendre
raiſon ; j'y réuffis pourtant. Enfin ,
Monfieur , me dit - elle , il eft décidé que
vous me maîtriſerez en tout : j'obéis ,
parce que je vous aime , mais ne vous Alattez
pas que je rempliffe avec efprit un rôle
cruel. La coquetterie n'eft pas mon talent :
elle eft fi naturelle dans tant de femmes ,
que l'on s'appercevra aifément ..... Il n'importe
, répondis je , on vous verra du
moins de la bonne volonté , & vos charmes
feront le reſte.
Elle me tint parole. Bientôt tous les
agréables s'attrouperent autour d'elle : ce
que j'avois prévu arriva ; on la foupçonna
, mais on ne la jugea pas à la rigueur :
l'impreffion de fa beauté étoit fi forte ,
qu'un feul de fes regards ſuffiſoit à la vanité
du fat le plus couru .
Je ne la laiffai pas longtemps tranquille
; c'étoit peu qu'elle ne mît pas affez
d'art dans fon jeu ; elle ne mettoit pas
même affez de régularité dans fa conduite
.
Ily a des petits maîtres de toute efpece :
elle ne fupportoit que ceux qui avoient un
agrément vrai ; les autres lui étoient
odieux , & elle leur refufoit jufqu'aux
politeffes.
14 MERCURE DE FRANCE .
Je fçavois que les moins aimables font
les plus difficiles ; je craignis leur pénétration
, & je la grondai de faire des exceptions
qui m'expofoient horriblement.
peu
Elle obéit encore : mais elle fupportoit
très-impatiemment cette efpece de tyrannie .
Une circonstance décifive fut le terme de
fa docilité ; un grand Prince éprouva tout
le pouvoir de fes charmes ; il lui fit connoître
qu'il l'adoroit ; elle poulfa l'imprudence
jufqu'à lui refuſer ſa porte , dès qu'il
fe fut expliqué clairement . Le Prince
fait pour trouver une cruelle , nous fit
épier , & comprit très-bien que c'étoit l'amour
qu'elle avoit pour moi , qui l'empêchoit
d'en prendre pour lui. Il traita
publiquement notre commerce de ménage
: il ajouta le faux au vrai , fit cent
contes , & le bruit s'en répandit fi bien ,
que j'eus à endurer mille avanies terraffantes
épigrammes , chanſons , eſtampes
, tien ne me fut épargné.
Accablé de l'aventure , je ne vis qu'un
moyen de me réhabiliter , & j'ofai l'employer.
J'allai trouver la Marquife , &
après l'avoir préparée par mon air défolé
à ce que j'avois à exiger d'elle , vous
m'avez perdu par un amour étourdi , lui
dis je ; je fuis la fable de la cour & de la
ville : il n'y a plus qu'un remede , j'ofe
JANVIER. 1756 . Is
vous le propofer : fi vous me refufez , il
faut que jaille m'enfermer pour jamais
dans mes terres.
Quel eft ce remede me demanda - t- elle
avec douceur : il vous paroîtra épouvantable
, repondis- je ; mais les plus grandes
douleurs n'ont qu'un temps. C'est que
vous receviez le Prince chez vous autant
qu'il lui plaira d'y venir .... Et s'il veut
abfolument que je l'aime , me demandat-
elle. Eh bien , lui dis- je , vous l'aimerez
, vous céderez au torrent qui nous
entraîne.
Elle ne répondit rien . Je jugeai de fon
dépit profond ; mais je ne la menageai pas
davantage. Je lui dis tout ce qui me vint
à l'efprit , je me mis à fes genoux , je fis
cent folies. Dans mes plus vifs tranfports ,
je n'avois jamais paru fi tendre.
Elle retrouva enfin l'ufage de la parole ,
& elle me répondit que mes menaces devant
décider de fa deftinée , elle demandoit
quelque temps pour y refléchir. Je
reçus le lendemain cette lettre .
» Si je ne tenois au refpect de ma paf-
» fion que par le refpect de la vertu , je
pourrois confentir au facrifice barbare
» que vous exigez de moi ; mais je vous
» aime avec une violence de fentiment ,
qui ne me permet pas de rien retrancher ย
15 MERCURE DE FRANCE.
» de mon attachement extrême. J'ai fait
» ce que j'ai pu pour vous plaire ;
" vous exigiez des efforts violens , &
» je n'ai confulté que mes forces ; fi
j'avois celle de vous obéir encore ,
» vous feriez déja fatisfait ; mais la gé-
» nérofité n'eft point inépuifable. Vous
» me menacez de vous éloigner fi je vous
n refuſe ; j'y vois un remede ; je ne vous
» le propofe pas , car il eſt déja employé .
» Il n'eft pas jufte que vous quittiez un
» monde où je juge , par ce qui arrive ,
» que vous êtes un objet néceffaire ;
c'eft à moi de m'exiler , à moi dont les
fentimens font des outrages , & qui
» ne pouvant jamais me corriger d'aimer ,
» ne pourrois jamais me corriger de déplaire.
Auffitôt que vous futes parti
» je dis à mon mari que je voulois aller
» paffer quelques jours à la campagne ; il
» m'aime & il met à me plaire tout le
»
و د
و د
plaifir de fa tendreffe , que vous m'avez
» privée de fentir ; il a confenti que je
partiffe ce matin , & je ferai déja ar-
» rivée lorsque vous reçevrez cette lettre.
» Vous voilà donc tranquille du côté de
» ma paffion ; elle n'obfcurcira plus vo-
» tre gloire , elle ne troublera plus vos
plaifirs ; je fouhaite qu'ils durent au-
» tant qu'eûr duré votre bonheur fi vous
» l'aviez mis à être adoré. »
JANVIER. 1756 . 17
Cette lettre me pénétra jufqu'au fonds
du coeur ; le fentinient fut toutes mes réflexions
; il eut bientôt l'appui folide du
repentir & de la raifon. Je volai fur les
traces de la Marquife ; quel moment enchanteur
! Je fentis combien l'amour profite
de ce qu'il a à réparer.
Voilà la feule de mes aventures qui
offre quelque réalité ; toutes les autres
font parfaitement oubliées , & ce qui ne
laiffe rien dans l'efprit , n'eft rien . Combien
de mémoires feroient encore plus
courts , fi le plat amour - propre & le
mauvais goût fe paffionnoient moins pour
ce qui les caractériſe.
Ma fincérité déplaira aux femmes ; je
n'ai pourtant pas deffein de les attaquer.
Ce n'eft pas leur faute fi leurs fantaifies
& leurs préférences ne font plus des faveurs
; c'eft la faute de la nature qui a
mis un terme à tout.
Dans cette révolution des fenfations &
des chofes , elles ont du moins confervé
un mérite & prefque une vertu : c'eſt
leur bonne-foi dans le point dont il s'agit .
L'artifice pourroit cacher leur caractere ,
elles pourroient nous affujetttir à des foins ,
à des peines , & nous faire acheter des
caprices fans valeur ; il eft beau qu'une
facilité déclarée nous immole leur der18
MERCURE DE FRANCE.
nier droit ; il est beau , dis - je , qu'elles ne
ne nous vendent pas ce qu'elles ne nous
donnent point.
VERS
A M. Monin , Secrétaire de Son Alteffe
Séréniffime Monseigneur le Prince de
Conty.
SAge Secrétaire d'un Prince
Qui teftime , & qui te chérit ;
Toi qui , des bords lointains d'une obſcure Province
,
Sur les aîles de ton efprit ,
As fçu , fijeune encore , prendre un effor fublime,
Et , pouffé d'une noble ardeur ,
T'élever , fans guide , à la cime
De la fortune & de l'honneur ;
Toi , de qui les talens auffi brillans qu'utiles ,
Connus , éprouvés tant de fois ,
1
Dans une Cour féconde en connoiffeurs habiles ,•
T'ouvrent le coeur des Grands & l'oreille des Rois;
Toi , qu'à Paris enfin , au ſein de la molleffe
Des plaifirs & des jeux la troupe enchantereffe
Pourfuit partout , flatte , careffe ,
Obfede , & peut- être féduit ;
Quoi tu penfes à moi , moi Curé de village ,
JANVIER. 1756. 19
Et Curé du plus bas étage ,
Qui , fous le toit rampant d'un ruftique hermitage
,
Qu'habitent la faim & l'ennui ,
Dans une ignorance profonde
De Paris , de l'Europe , & du refte du monde ,
Croyois n'être connu dans la machine ronde ,
Que du feul receveur de notre don gratuit.
Quoi ! Monin , tu voudrois , par ton puiflant
appui ,
M'arrachant de ce lieu de peine & de fouffrance,
Me procurer ailleurs , avec un peu d'aifance ,
Le mérite flatteur d'obſerver l'abſtinence ,
Et de gagner le Paradis
Sans le fecours de l'indigence !
Ah ! cher Monin , tes voeux font accomplis !
Ton fouvenir , ta bienveillance ,
Sont pour moi d'un auffi grand prix ..
Que le meilleur bénéfice de France.
Par un Curé des Amognes en Nivernois ,
le 12 Décembre 1755.
Si l'on mefure la bonté du Bénéfice à celle des
vers qu'on vient de lire , nous croyons que ce Curé
doit être pourvu d'un bon Prieuré,
20
MERCURE DE
FRANCE .
ENVOI
D'une branche de
Laurier cueillie fur le -
Tombeau de Virgile , par Son Alteffe Royale
Madame la
Margrave de
Bareith ,
Roi de Pruffe fon frere.
Sur P
Ur l'Urne de Virgile un immortel Laurier
De l'outrage des tems feul a fçu le défendre ,
Toujours verd & toujours entier.
Je voulois le cueillir , & n'ofois
l'entreprendre.
Trevenant mon effort je l'ai vu ſe plier ,
Et cette voix s'eft fait entendre :
Au
» Approche, Augufte Soeur du moderne Alexandre ;
» Frédéric de ma lyre eft le digne héritier ;
» J'y joins un nouveau don que lui feul peut prétendre
.
» Déja fon front par Mars fut cinq fois couronné ;
»
Qu'aujourd'hui par ta main il foit encore orné
» Du Laurier qu'Apollon fit naître de ma cendre.
JANVIE R. 1756. 21
ESSAI
Sur le Caractere des Nations , par M. Hume,
Gentilhomme Ecoffois , traduit de l'Anglois,
en 1754 , par *** M.
... Omnis fert omnia tellus . Virg.
LE vulgaire eft très- fujet à donner trop
d'étendue au caractere des Nations . Quand
il a une fois établi comme un principe ,
qu'un tel peuple eft fourbe , lâche ou ignorant
, il n'admettra plus d'exception , &
comprendra chaque individu fous le même
caractere. Les gens de bon fens "condamnent
ces jugemens fans diftinction ,
quoiqu'ils conviennent en même- tems que
chaque Nation a une forme & une habitude
de moeurs & d'ufages qui lui font
propres , & qu'on rencontre plus fouvent
quelques qualités particulieres chez un
peuple que parmi fes voifins . Enfuite on
trouvera certainement plus de probité
dans le commun des hommes qu'en Irlande.
Ainfi par cette raifon feule tout
homme prudent mefurera les degrés de
confiance qu'il fera obligé d'avoir avec les
uns & les autres . Nous attendons avec
raiſon plus d'étendue & de gaieté d'ef22
MERCURE DE FRANCE.
prit d'un François que d'un Eſpagnol
quoique l'Efpagne ait produit le célebre
Cervantes. On fuppofera toujours plus de
connoiffances dans un Anglois que dans
un Danois , quoique le fçavant Tichobrabé
ait pris naiffance en Dannemarc.
On donne différentes raifons de ces caracteres
des Nations , que les uns rapportent
à des caufes morales , d'autres à des
caufes phyfiques. Par caufes morales , j'entends
toutes les circonftances qui font capables
d'exciter dans l'efprit autant de motifs
que
de raifons pour nous rendre habituelles
& propres une fuite de moeurs &
d'ufages. La nature du gouvernement , les
révolutions dans les affaires publiques
l'abondance ou la difette dans lesquelles
vit une Nation , fa fituation par rapport
à fes voifins , & d'autres femblables circonftances
font de cette efpece. Par caufes
phyfiques j'entends ces qualités de l'air
& du climat , qui font fuppofées agir infenfiblement
fur le tempérament , en modifiant
la compofition du corps , & en lui
donnant telle complexion particuliere
qui peut être quelquefois furmontée par
la raifon & les réflexions , mais qui néanmoins
prévaudra toujours dans la généralité
des hommes , & influera fur leurs
moeurs & leurs coutumes.
"
JANVIER. 1756. 23
Il doit être évident à ceux mêmes qui
obfervent le plus fuperficiellement les
chofes , que le caractere d'une Nation eft
dans une étroite dépendance des caufes
morales , puifqu'une Nation n'eſt autre
chofe qu'une affemblée d'individus , &
que leurs moeurs font fouvent déterminées
par ces caufes , comme la pauvreté
& la fatigue du travail abaiffent l'efprit du
peuple , & le rendent incapable d'aucun
Içavoir & d'aucune profeffion ingénieuſe.
Toutgouvernement qui opprime beaucoup
les fujets , doit néceffairement avoir un
effet proportionné fur leur caractere &
leur efprit ; il en duit bannir abfolument
tous les arts libéraux . Le monde eft plein
d'exemples qui le prouvent.
Le même principe des caufes morales
fixe le caractere des différentes profeffions
, & change même la difpofition que
ceux qui les exercent ont reçue de la nature.
Les Militaires & les gens d'une autre
profeffion ont des caracteres différens
dans toutes les Nations & dans tous les
âges , & cette différence très conftante eſt
fondée fur des circonstances dont l'influen
ce doit durer & fe foutenir.
L'incertitude où les Militaires font de
leur vie les rend généreux , prodigues
même , autant que braves. Leur oifiveté ,
24 MERCURE DE FRANCE.
auffi -bien que l'habitude de vivre toujours
en grande fociété dans les camps ,
ou dans les garnifons , les portent au plaifir
& à la galanterie. En fréquentant le
monde ils acquierent le fçavoir-vivre , la
politeffe & l'air aifé . N'étant employés que
contre l'ennemi public & déclaré , ils ont
de la candeur , de l'honnêteté & de la bonté.
Enfin comme pour l'ordinaire ils exercent
plus leur corps que leur efprit , ils
penfent peu , & n'ont pas beaucoup de
connoiffances ( 1 ) .
•
Pour ce qui eft des caufes phyfiques , ( 2 )
je fuis porté à douter de leur concours
à cet égard , & je ne crois nullement que
les hommes doivent quelque chofe de leur
tempérament ; ou de leur génie , à l'air , à
la nourriture ou au climat j'avouerai
que l'opinion contraire peut juftement paroître
très-probable au premier coup- d'oeil , "
( 1 ) Le Militaire actuel , du moins en France
ne mérite plus ce reproche. Il lit , il étudie ,
écrit même avec fuccès , & compofe des livres fur
l'art qu'il profeffe .
(2) Nous croyons que l'Auteur va dans cet endroit
non feulement plus loin qu'il ne faut , mais
au-delà même de fon opinion : car dans la fuite il
accorde quelque chofe au climat , & c'eſt avec
raifon. Il est vrai que M. de Montefquieu de fon·
côté paroît y avoir trop donné , comine M. de
Maupertuis en convient page 43.
puifque
JANVIER . 1756 .
25
puifque nous voyons que ces circonftances
influent fur tout autre animal , & que
même ceux qui peuvent vivre en tous clicomme
les chiens , les chevaux &
autres , ne parviennent jamais en tout à la
même perfection . Le courage des dogues
& des coqs de combat femble particulier
à ceux d'Angleterre. Les chevaux de la
Flandre fe font remarquer par leur maffe
& leur pefanteur. Au contraire ceux d'Efpagne
font diftingués par leur légereté ,
leur ardeur & leur courage ; & fi quelques
races de ces animaux font tranfplantées
d'un pays dans un autre , elles perdent
en peu de tems les qualités qu'elles
tenoient du lieu de leur origine. ( 1) Il eſt
donc très - permis de demander pourquoi
il n'en feroit pas de même à l'égard de
l'efpece humaine.
( 1 ) Céfar dans le premier Livre de la Guerre des
Gaules , dit que les chevaux des Gaulois étoient
très-bons , & ceux des Germains très-mauvais ,
Nous lifons dans le Livre VII , qu'il fut obligé de
remonter une partie de fa Cavalerie Germanique
avec des chevaux des Gaulois : à préſent il n'y a
aucun Pays en Europe où il y en ait d'aùffi médiocres
qu'en France , & l'Allemagne abonde de l'efpece
la meilleure pour la guerre . Ces obfervations
peuvent fort bien faire foupçonner que les
animaux mêmes ne dépendent pas abfolument du
climat , mais bien plutôt du mélange des races , &
II.Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
Il y a peu de queſtions plus dignes de
curiofité que celle- ci , & qui mérite plus
nos recherches , puiſqu'elle intéreffe l'humanité
; c'est pourquoi il me paroît trèsà
propos d'en faire un examen approfondi.
: Strabon dans fon fecond Livre , rejette
fort loin Pinfluence du climat fur les
hommes . Il dit pofitivement que la coutume
& l'éducation font tout , que ce n'eft
point par la nature , que les Athéniens
étoient ingénieux & éclairés , les Lacédémoniens
groffiers & ignorans , & même
les Thébains , quoiqu'ils fuffent encore
plus voifins d'Athenes . Il en eft de même
des animaux , ajoute- t'il ; leur différence
ne dépend point du climat.
L'efprit de l'homme eft de fa nature extrêmement
porté à l'imitation : il n'eſt pas
poffible à des hommes en fociété de converfer
fouvent les uns avec les autres , fans
contracter une grande conformité de fenrimens
, d'avis & de manieres , & ſans fe
communiquer leurs vices , auffi -bien que
leurs vertus. Rien n'eft plus fort que le
1
de l'induftrie & du foin de les élever. Le Nord
d'Angleterre produit les meilleurs chevaux de toute
efpece qui foient dans le monde . Cependant dans
les contrées voisines , le long de la riviere de
Tweede , il n'eft pas poffible d'en trouver de bons
d'aucune espece que ce foit.
་
•
JANVIER. 1756. 27
penchant à la fociété dans toutes les créatures
raisonnables ; & la même difpofition
qui nous donne cette inclination , nous fair
pénétrer profondément dans nos fentimens
réciproques , & fait circuler des paflions
& des défirs dans une troupe de gens af
femblés. Comme la contagion fe communiqueroit
des uns aux autres partout où
il y a un peuple affez nombreux pour former
un corps politique , les occafions de
s'unir deviennent fi fréquentes pour veiller
à fa défenfe , au maintien du commerce
& du gouvernement , que les membres
de ce corps difcourant toujours enſemble
dans la même langue , ils doivent contracter
une grande conformité dans les
manieres , & former un caractere commun
& National , nonobftant la diftinction
particuliere à chaque individu.
Or malgré la fécondité de la nature à
créer toutes fortes de tempéramens & d'ef
prits , il ne s'enfuit pas qu'elle les produife
toujours en pareille proportion , &
que dans chaque fociété les germes de l'induftrie
& de la pareffe , de la valeur & de
la lâcheté , de la douceur & de la bruta-
Hité , de la fageffe & de la folie , foient
répandus & mêlés de la même façon .
Dans l'érabliffement d'une fociété , fi
quelqu'une de ces difpofitions fe trouve
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
abonder davantage que toute autre , elle
dominera naturellement dans la compofition
de cette fociété , & le caractére National
en recevra une forte teinture : ou
fi on prétendoit qu'il n'eft pas à préfumer
qu'aucune forte de caractere ait dominé
fur une autre , & que les mêmes proportions
ont dû fe conferver dans leurs mêlanges
, il eft néanmoins certain que les
perfonnes en crédit , & en autorité faifant
un corps plus rapproché & plus ferré , ne
peuvent pas toujours être cenfées du même
caractere , & leur influence fur les
moeurs & les ufages du peuple doit dans
tous les tems être fort confidérable.
Si dans l'établiffement d'une République
un Brutus revêtu de l'autorité , étoit
tranfporté d'entoufiafme pour la liberté &
le bien de la patrie , au point de méprifer
les liens de la nature , autant que fon intérêt
particulier , un exemple auffi illuftre
fera naturellement fon effet fur toute la fociété
, & allumera la même paffion dans
tous les coeurs.
De tout ce qui forme les opinions & le
caractere d'une génération , la fuivante
doit encore prendre une plus forte teinture
de la même couleur , les hommes étant
plus fufceptibles de toutes les impreffions
durant l'enfance , & retenant ces impref
JANVIER. 1756. 29
fions tant qu'ils ont à refter dans le
monde.
Je conclus donc que tous les caracteres
nationaux , quand ils ne dépéndent pas
des caufes purement morales , tirent leurs
fources d'accidens femblables à ceux dont
nous venons de faire mention , & que les
caufes phyfiques n'ont point fur l'efprit
humain d'opération certaine , & qu'il foit
facile de difcerner.
Si on veut parcourir toute la terre , &
examiner tous les monumens hiftoriques ,
on découvrira partout des fignes de la
fympathie & de la communication des
moeurs & des ufages , & rien qui puiffe
faite admettre les influences de l'air & du
climar.
:
1 ° . On peut obferver que partout où
s'est établi un gouvernement très -étendu ,
& qui s'eft maintenu pendant plufieurs fiecles
, il forme & répand à la fin un caractere
national dans tout l'Empire , & il communique
à chaque partie une reffemblance
de moeurs & d'ufages : auffi les Chinois
ont la plus grande uniformité de caractere
qu'on puiffe imaginer , quoique l'air & le
climat , dans les différentes parties de ce
vafte Empire , admettent de très - confidérables
variations .
2º. Dans les petits gouvernemens qui
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
font très - contigus , chaque peuple a ,
nonobftant la proximité , un caractere fort
différent , & ces petits Etats font fouvent
auffi différens dans leurs opinions & dans
leurs coutumes que les Nations les plus
éloignées. Les Villes d'Athenes & de
Thebes n'étoient diftantes l'une de l'autre
que d'une petite journée ; cependant
les Athéniens étoient auffi renommés pour
l'efprit , la politeſſe , la gayeté & la vivacité
, que les Thébains pour la rufticité
la ftupidité & la froideur. Plutarque difcourant
des effets de l'air fur l'efprit des
hommes , obferve que les habitans du Pirée
avoient un caractere très- différent de
ceux qui occupoient le haut de la Ville
d'Athenes , qui n'étoient éloignés du Pirée
que de quatre milles. Mais je crois que
perfonne aujourd'hui n'attribuera la différence
des moeurs & des manieres entre de
fameufes Capitales & des lieux qui en font
auffi voifins , à la différence de l'air & du
climat.
3°. Le même caractere National fe plie
ordinairement fi fort fous l'autorité du
gouvernement , & fi précisément , qu'en
paffant une riviere , ou une montagne ,
on trouve d'autres moeurs & d'autres caracteres
avec un autre gouvernement. Les
Languedociens & les Gafcons font de tous
JANVIER. 1756. 3x
les habitans de la France les plus gais ; mais
à peine eft- on fur les Pyrennées qu'on trouve
des Espagnols graves & férieux . Eft- il
concevable que les qualités de l'air changeroient
fi exactement avec les limites de
deux Empires , dont l'arrangement dépend
fi fort du fort des batailles , des négociations
& des alliances ?
4°. Dès qu'une fociété d'hommes répan
due parmi des Nations fort éloignées les
unes des autres , reftera liée par les mêmes
fentimens & les mêmes intérêts , elle
entretiendra , malgré les diftances immenfes
qui les féparent , une grande conformité
de moeurs & de coutumes , & n'aura
prefque rien de commun avec les Nations
parmi lefquelles elle fubfifte . Ainfi les Juifs
en Europe , & les Arméniens dans le Levant
, ont chacun leur caractere diſtinctif,
& les premiers font auffi notés pour
leur mauvaife foi , que les autres pour leur
franchife.
5 °. Quand quelque cas fortuit , malgré
la différence du langage & de la religion ,
raffemblera deux Nations qui habiteront
le même pays fans aucun mélange de l'ure
avec l'autre , elles conferveront chacune
une forme de moeurs & de manieres
diftinctes & oppofées , & cela pendant plu-
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
fieurs fiecles. L'intégrité , la gravité & la
bravoure des Turcs , forment un parfait
contrafte avec la fourberie , la légereté &
la lâcheté des Grecs d'aujourd'hui .
6°. Les mêmes moeurs , les mêmes manieres
accompagnent une Nation , quetque
partie du globe qu'elle aille habiter ,
& ne la quittent point , non plus que fes
Joix & fon langage. Les Colonies des Efpagnols
, des François , des Hollandois &
des Anglois , font toutes très- reconnoiſſables
, même entre les Tropiques.
du
7°. Les moeurs & les ufages d'un peuple
changent très confidérablement d'un
fecle à l'autre , foit par les révolutions
gouvernement , foit par le mêlange
d'un nouveau peuple , ou bien par cette
inconftance à laquelle toutes les chofes du
monde font fujettes. L'efprit & l'induſtrie
des anciens Grecs n'ont plus rien de commun
avec la ftupidité & l'induſtrie de ceux
qui habitent préfentement ces mêmes régions.
La candeur , la bravoure & l'amour
de la liberté formoient le caractere des
anciens Romains , comme l'artifice , la poltronerie
, & une difpofition à l'efclavage ,
forment celui des Italiens. Les anciens Efpagnols
étoient inquiets , remuans & fi
adonnés à la guerre , qu'ils fe tuoient euxJANVIER
. 1756. 33
mêmes quand ils étoient privés de leurs
armes par les Romains ; ( 1 ) il feroit bien
difficile à préfent , ou du moins il l'auroit
été il y a cinquante ans , d'exciter un
pareil efprit guerrier dans la Nation Efpagnole.
Les Bataves étoient tous des foldats
de fortune , & s'engageoient eux mêmes
dans les armées Romaines à prix d'argent ;
leurs defcendans fe fervent des étrangers
de même que les Romains fe fervoient de
leurs ancêtres. Quoiqu'on trouve encore
aujourd'hui dans les François quelquesuns
des traits dont Céfar a peint les Gaulois
, cependant quelle comparaifon de la
politeffe , de l'humanité & des connoiffances
de ceux qui habitent aujourd'hui tout
ce pays , & de l'ignorance , de la barbarie
& de la groffiereté des hommes de ce temslà
! Et fans infifter fur la différence qui fe
trouve entre les Anglois d'à- préfent & ceux
d'avant la conquête des Romains , on peut
obferver que nos ancêtres , il y a quelques
fiecles , étoient plongés dans la plus abfurde
fuperftition , & que le dernier fiecle en
fit des entoufiaftes furieux , tandis qu'à
préfent ils font la nation du monde la plus
indifférente fur les matieres de Religion .
8°. Quand différentes nations voisines
(1 ) Tite-Live ,
Liv. 34. ch. 17.
By
34 MERCURE DE FRANCE.
ont de fréquentes relations par des objets
de politique , de commerce & de curiofité ,
elles acquierent dans leur caractere quelque
conformité proportionnée au plus ou
moins d'habitude qu'elles ont de communiquer
enfenible. Ainfi les Francs paroiffent
avoir un caractere uniforme avec les
peuples du Levant : les différences entre
eux ne font que comme des accens particuliers
à diverfes provinces , qui ne font
difcernés que par une oreille exercée parmi
elles , & qui échappent communément
toujours à celle d'un étranger.
9. Nous pouvons fouvent remarquer
an mêlange furprenant de moeurs & de
caracteres dans la même nation , parlant le
même langage , & foumife au même gouvernement
; & à l'égard de cette fingulatité
, les Anglois font de tous les peuples
qui ont jamais été fur la terre le plus remarquable
. Cela ne doit pas être attribué
à la variation & à l'inconftance de leur climat
, ni à aucune des autres caufes phyfiques
, puifque ces mêmes caufes regarderoient
également le Royaume d'Ecoffe ,
qui eft fi proche , & où on ne voit pas
le même effet. Partout où le gouvernement
fera entierement républicain , il fera
propre à produire une conformité de
moeurs & d'ufage : s'il eft entierement
JANVIER. 1756. 35
monarchique , il fera encore plus propre
à former cette conformité. L'imitation des
Supérieurs étendant plus vite les manieres
nationales parmi le peuple , fi un Etat
confifte entierement en Négocians , comme
la Hollande , la profeffion commune
& dominante fixera un caractere général
pour le reste de la nation. S'il eft compofé
de grands Seigneurs & de Nobleffe , comme
l'Allemagne, la France & l'Espagne , le
même effet s'enfuit . Le génie d'une Secte
ou d'une religion particuliere eft auffi
très - capable de former les moeurs & le
caractere d'un peuple ; mais le gouvernement
Anglois eft un mêlange de Monarchie
, d'Ariftocratie & de Démocratie. Le
peuple comprend les Gentilhommes & les
Marchands ; toutes les Sectes & Religions
s'y trouvent. La grande liberté & l'indépendance
dont elles jouiffent , permettent
à chacun de développer les qualités qui
lui font particulieres. Delà les Anglois
ont moins de caractere national qu'aucun
peuple qui foit dans l'univers , à moins
que cette fingularité qui leur eft propre
ne leur en tienne lieu.
Si les caracteres des hommes dépendoient
de l'air & du climat , on s'attendroit
que la chaleur & le froid à un dégré
plus ou moins confiderable , auroient une
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
forte influence fur eux , puifque rien n'agit
plus puiffamment fur les plantes & fur
les animaux ; cependant il y a quelque
raifon de croire que toutes les nations qui
habitent au- delà des cercles polaires , ou
entre les tropiques , font inférieures au
refte de leurs femblables , & qu'elles font
entierement incapables des plus grands
progrès de l'efprit . La pauvreté & la mifere
des habitans du Nord , l'indolence &
la pareffe de ceux du Midi provenant de
leur peu de befoin , peuvent peut - être
rendre raifon de cette grande différence ,
fans avoir recours à des caufes phyfrques.
Il eft cependant certain que les caracteres
des peuples des climats tempérés , font fort
confus & peu frappans , & que prefque
toutes les obfervations générales que l'on a
faites fur les nations des extrêmités du Midi
, & fur celles qui font au fond du Nord,
paffent pour être fort incertaines & fort
trompeufes. ( 1 )
(1 )Je fuis fort porté à foupçonner que lesNegres,
& en général toutes les autres efpeces d'hommes,
car il y en a de quatre ou cinq fortes différentes ,
font naturellement inférieures aux Blancs . Il n'y a
jamais eu de Nation civilifée que parmi ceux de
cette couleur de teint . On ne trouve parmi les
autres ni Manufactures , ni Arts , ni Sciences , ni
même quelque homme éminent , ou par les actions,
ou par fes fpéculations ; tandis que les plus
JANVIE R. 1756. 37
Diraron que la proximité du ſoleil
échauffe l'imagination , & donne un tour
particulier d'efprit & de vivacité ? Les
François , les Grecs , les Egyptiens & les
Perfans font cités pour leur gaieté. On
parle d'un autre côté de la gravité des Efpagnols
, des Turcs & des Chinois , fans
obfervations de différence de climat pour
produire cette variété de caractere .
Les Grecs & les Romains , qui qualifioient
de Barbares toutes les autres nations
, accordoient du génie & de l'intelbarbares
& les plus féroces parmi les blancs , tels
que les anciens Germains , & les Tartares d'aujourd'hui
, fe trouvent remarquables par leur valeur
, par quelque partie du Gouvernement , ou
quelque qualité finguliere. Une différence auffi
uniforme & auffi conftante ne feroit pas arrivée
dans tant de Pays , & pendant tant de fiecles , fi la
nature n'avoit pas , dans l'origine , diftingué ainfi
ces races d'hommes. Car fans parler des Negres
efclaves qui font répandus dans toute l'Europe , aucun
ne s'eft jamais fait remarqueren donnant des
fignes d'induftrie. Quoique parmi nous , on voie
dans le bas-peuple fans éducation certains hommes
s'élever & fe diftinguer dans leur profeffion ,
il est pourtant vrai qu'on parle beaucoup aujourd'hui
d'un Negre de la Jamaïque , fingulier par
l'efprit & les connoiffances qu'il fait voir : mais
n'eft- il pas probable qu'il eft peut -être admirépour
quelques légeres perfections , comme un
perroquet qui parle avec facilité & affez diftinctement
2
38 MERCURE DE FRANCE.
ligence aux peuples les plus méridionaux ,
& décidoient que les nations du Nord
étoient tout-à- fait incapables de fçavoir &
de politeffe ; mais l'Angleterre n'a- t'elle
pas produit d'aufli grands hommes dans
la guerre & dans les fciences que la Grece
& l'Italie peuvent fe vanter d'en avoir eu?
On prétend que les fentimens des hommes
deviennent plus fins & plus délicats à
mefure qu'ils font plus voifins du foleil,
& que leur gout pour le beau & la perfection
a des progrès proportionnés en
chaque latitude. On peut obferver particulièrement
dans les Langues que celles
des peuples du Midi font douces & mélodieules
, tandis que celles des habitans
du Nord font dures & fans harmonie .
Cependant cela n'eft pas univerfel. La Langue
Arabe eft rude & défagréable. La Mofcovite
eft douce & fonore . L'énergie , la
force , & quelquefois la dureté forment le
caractere de la Langue Latine , tandis
que
l'Italienne eft fi coulante , fi douce , &
même fi pleine de molleffe.
Chaque Langue tiendra bien quelque
chofe du caractere d'un peuple , mais elle
dépendra beaucoup plus du fonds original
de fons & de mots qu'il aura reçu de fes
ancêtres , & qui ne changent point , même
lorfque fon caractere admettra les
JANVIER. 1756. 39
plus grands changemens . Qui peut douter
que les Anglois ne foient à préfent plus
polis & plus fçavans que les Grecs ne furent
pendant plufieurs fiecles après le fiege
de Troye. Cependant il n'y a point de
comparaison entre le langage de Milton &
celui d'Homere . Plus les changemens &
les progrès qui fe font fentir dans les caracteres
& les moeurs d'une nation font
confidérables , moins on en doit attendre
dans fa Langue. Quelques grands & finguliers
génies communiqueront leur gout
& leur fçavoir à tout un peuple , & occafionneront
un infinité de progrès en conféquence
; mais ces efprits diftingués fixent
la Langue par leurs écrits , préviennent &
diminuent en quelques degrés les changemens
qu'elle éprouveroit.
Milord Bacon a obfervé
que les peuples
du Midi font généralement plus ingénieux
que ceux du Nord , mais que le génie qui
à pris naiffance dans un climat froid , s'élevera
à un dégré où ne pourront jamais
atteindre les plus grands efprits des pays
chauds. Un célébre Ecrivain moderne ( 1 )
a confirmé cette obfervation par une comparaifon
commune , mais très- ingénieufe .
il dit que les efprits du Midi font comme
(1 ) Le Docteur Berkeley.
40 MERCURE DE FRANCE.
les concombres qui font bons dans leur
efpece , mais dont le meilleur n'eft jamais
qu'un fruit affez infipide , tandis que les
génies du Nord font comme les melons
dont parmi cinquante il n'y en aura peutêtre
pas un de bon ; mais fi on vient à le
trouver , il fera d'un gout rare & exquis.
>
Je crois qu'on peut fentir la jufteffe de
cette remarque , en l'appliquant aux nations
de l'Europe , au fiecle préfent , ou
plutôt même au précédent , mais auffi je
penfe qu'on en peut rendre raiſon par les
caufes morales.
Toutes les fciences & tous les arts nous
ont été apportés du Midi ; & il eft facile
d'imaginer que dans la premiere ardeur
de l'application qu'on y porta , le petit
nombre de ceux qui fe livrerent à l'étude ,
animés par l'émulation & par la gloire
voulurent fe diftinguer , & employerent
tous leurs efforts & leurs talens pour atteindre
le point de perfection . Des exemples
fi fameux répandirent partout le fçavoir
, & firent naître une eftime univerfelle
pour les fciences & pour les arts. Mais
dès qu'on ceffa de trouver des encouragemens
proportionnés , & que les bons efprits
défefpererent de parvenir à quelque
distinction par leurs entreprifes & leurs
travaux il n'eft
étonnant que
pas
l'inJANVIER.
1756. 41
duftrie & la curiofité fe foient ralenties.
Quand une fois les connoiffances & le
fçavoir font multipliés & répandus dans
une nation , & qu'on en a chaffé l'ignorance
& la rudeffe , on ne doit pas s'attendre
à voir fouvent paroître des hommes
célébres par quelque ouvrage d'une certaine
perfection. Anciennement , dit Juvenal
, les fciences étoient fixées en Grece
& en Italie ; préfentement le monde entier
difpute de fçavoir avec Athenes &
Rome. Le Gaulois qui eft éloquent , inftruit
le Breton qui eft légifte , & jufqu'au
fond du Nord à Thulé , on eft occupé de
faire venir des Maîtres de Rhétorique ( 1 ).
Cet état où étoient les fciences eft remarquable
, parce que Juvenal eft lui-même
le dernier des bons Ecrivains parmi les
Romains qui ait eu du talent & du génie
jufqu'à un certain point. Ceux qui lui ont
fuccédé , ne font eftimés que pour nous
avoir tranfmis quelques matériaux hiftoriques.
Je fouhaite que l'étude des fciences
qui font depuis quelque tems fi fort
encouragées en Mofcovie & chez d'autres
Puiffances du Nord , ne nous pronostique
pas quelque chofe de pareil , vu l'état où
les fciences font actuellement parmi nous.
(1 ) Juvenal , Sat. 15.
42 MERCURE DE FRANCE.
Le Cardinal Bentivoglio donne la préférence
aux peuples du Nord fur ceux du
Midi , pour ce qui regarde la candeur &
la fincérité. Il cite d'un côté les Efpagnols
& les Italiens , de l'autre les Flamans &
les Allemands ; mais jefuis perfuadé que
ce changement n'eft qu'accidentel . Les anciens
Romains ont toujours été francs &
finceres , comme font les Turcs d'aujourd'hui
; & fi nous avions befoin de fuppofer
que cela eft venu de caufes fixes &
effentielles , nous pouvons feulement en
conclure que toutes les extrêmités font
propres au concours des mêmes conféquences
, & en font communément fuivies
la fourberie eft la compagne la plus familiere
de l'ignorance & de la barbarie š
& quand les nations civilifées ont eu recours
à une politique fubtile & compliquée
, c'eft par une fauffe délicateffe qui
feur a fait méprifer la voie fimple qui me
ne à la puiffance & à la gloire.
La plupart des conquêtes ont procédé
du Nord au Sud , & on en infére que
les Peuples du Nord avoient un degré
fupérieur de courage & de valeur. Mais
n'auroit- il pas été plus jufte de dire que
les conquêtes fe font par la pauvreté & le
befoin fur l'abondance & les richeffes ?
Les Sarrazins abandonnant les deferts de
JANVIER. 1756. 43 .
l'Arabie , porterent leurs conquêtes du côté
du Nord dans les fertiles provinces de
l'empire Romain , & rencontrerent en leur
chemin les Turcs qui quittoient les parties
Méridionales des deferts de la Tartarie.
Le Chevalier Temple a remarqué que
tous les animaux courageux font en même
temps carnaffiers , & qu'il fe doit trouver
bien plus de courage dans un Peuple ,
tel que les Anglois , dont la nourriture eft
forre & cordiale , que dans la populace
prefque affamée des autres Nations . Mais
les Suédois , nonobftant une nourriture
moins forte , & plus frugale , ont l'ame
auffi guerriere qu'aucun Peuple qu'il y ait
jamais eu dans le monde .
En général on peut confidérer que le
courage eft de toutes les qualités nationales
, celle qu'il faut le plus exercer
pour l'acquérir , parce qu'elle n'eft exercée
que par intervalles & par un petit nombre
dans chaque Nation ; tandis que l'induftrie
, le fçavoir & la politefle peuvent
être d'un ufage conftant & univerfel , qui
peut devenir familier à tout un Peuple.
Si le courage fe maintient , il faut que
ce foit par la difcipline , l'exemple & l'opinion.
La dixiéme légion de Céfar , &
le régiment de Picardie ont toujours été
44 MERCURE DE FRANCE.
compofés d'une maniere confufe & au
hazard de tout ce qui s'eft rencontré parmi
les Citoyens. Mais ces corps ayant une
fois bien faifi la notion qu'ils étoient les
meilleures troupes qu'il y ait jamais eues
au fervice , cette opinion s'eft réaliſée &
les a rendus tels.
On peut donner comme une preuve
que le courage dépend de l'opinion
cette remarque , que des deux peuples
Grecs , les Doriens & les Ioniens , les
Doriens furent toujours eftimés les plus
braves & les plus vigoureux ; & quoique
les Colonies forties de ces deux Peuples
fuffent difperfées & mêlées dans l'étendue
de toute la Grece , dans l'Afie mineure
, la Sicile , l'Italie & les ifles de
l'Archipel , les Athéniens furent les feuls
des Ioniens qui fe diftinguerent par les
armes , quoique leur réputation cedât à
celle des Lacédémoniens eftimés les plus
'braves d'entre les Doriens.
La feule obfervation fur les différences
des hommes par rapport aux climats , fur
laquelle on puiffe raifonnablement infifter
eft la remarque générale , que les Nations
du Nord ont un plus grand penchant
pour le vin & les liqueurs fortes , &
celles du Midi pour l'amour & pour les
femmes. On pourroit affigner, ce me femJANVIE
R. 1756. 45.
ble , à cette différence , une caufe phyfique
très-probable . Le vin & lesliqueurs
diftiliées échauffent le fang qui fe glace.
dans les climats froids , & fortifient les
hommes contre la rigueur de l'air , de
même que la chaleur féconde du foleil,
dans les pays les plus expofés à fes rayons ,
enflamme le fang , & excite à l'amour l'un
& l'autre fexe .
Au refte cette matiere peut être auffi
expliquée par les caufes morales . Toutes
les liqueurs fortes font plus rares dans le
Nord, & conféquemment y font plus défirées.
Diodore de Sicile ( 1 ) rapporte que
les Gaulois , dans fon tems , étoient grands,
buveurs , & fort adonnés au vin , particulierement
pour fa rareté & fa nouveauté.
D'un autre côté la chaleur dans les climats
du Midi , obligeant les hommes &
les femmes d'être à demi- nuds , rend par- là
plus dangereux leur commerce , & ajoute
un aiguillon à leur penchant naturel. Les
parens & les maris en font & plus jaloux
& plus précautionnés , ce qui aiguife
encore davantage les paffions. Et fans
(1 ) Liv. V , le même Auteur taxe auffi de taciturnité
cette même Nation ; nouvelle preuve que
le caractere national s'altere & change infiniment,
La taciturnité, comme caractere de Nation, impli →
que peu de difpofition à la ſociété , ou une hu
meur infociable.
46 MERCURE DE FRANCE,
parler d'ailleurs des femmes dont le tempérament
eft beaucoup plus avancé dans
ces régions , il eft néceffaire d'y montrer
une plus grande jaloufie , & d'obſerver
plus d'attention dans leur éducation , étant
évident qu'une fille de douze ans ne peut
pas avoir la même difcrétion qu'une autre
jeune perfonne qui ne reffent les feux
de l'amour qu'à l'âge de dix- fept ou dixhuit
ans , pour moderer les excès de cette
paffion.
Peut être auffi n'eft- il pas vrai que la
nature ait diftribué ces différentes inclinations
aux différents climats , felon les
caufes phyfiques ou morales. Les anciens
Grecs , quoique nés dans un pays chaud ,
femblent avoir été fort livrés au vin
leurs parties de plaifir n'étoient que des
gageures & des défis de boire entre hommes
qui paffoient leur temps dans l'éloignement
des femmes. Cependant quand
Alexandre conduifit les Grecs en Perfe ,
climat encore plus proche du midi , ( 1 ) ils
multiplierent leurs débauches de vin à
l'imitation des moeurs Perfannes. Le caractere
de grands buveurs parmi les
Perfes étoit fi honorable que le jeune Cy-
( 1) Babylonii maximè in vinum & quæ ebrietatem
fequuntur , effufi funt. Quint- Curt. Lib. s.
JANVIE R. 1756. 47
rus follicitant le fecours des fobres Lacédémoniens
contre fon frere Artaxercès
, le reclame particulierement , en faveur
de fes grandes qualités , comme
étant le plus brave , le plus généreux
des Princes , & en même- temps le meilleur
buveur. (1 ) Darius Hyftafpide fit
mettre en infcription fur fon tombeau
que parmi les autres vertus & fes talens
de Prince , perfonne ne pouvoit por
ter autant de vin que lui ; on peut obtenir
des Negres tout ce qu'on veut en
leur offrant des liqueurs fpiritueufes ,
jufqu'à leur faire vendre , non -feulement
leurs parens , mais même leurs femmes &
leurs maîtreffes pour un barril d'eau - devie
. En France , en Italie on ne boit guere
généralement de vin pur , fi ce n'eft dans
les grandes chaleurs de l'été . Cette boiffon
eft prefque alors auffi néceffaire pour réta
blir la trop grande diffipation des efprits ,
comme elle l'eft en Suede pour réchauffer
les corps congelés & engourdis par la
rigueur exceffive de l'hyver.
Si la jaloufie eft regardée comme une
preuve de difpofition à l'amour , aucun
Peuple ne fut plus jaloux que les Mofcovites
, avant que leur communication
(1 ) Plutarq. des Banquets , Liv, I. Queſt. 4.
48 MERCURE DE FRANCE.
avec l'Europe eût un peu changé leurs
moeurs fur ce point.
Mais en fuppofant qu'il foit vrai que
la nature , par des principes phyfiques, ait
régulierement diftribué ces deux paffions ,
l'une aux régions du Nord , l'autre à celles
du Midi, nous en pouvons feulement inférer
que le climat peut affecter les organes
les plus groffiers de notre machine , & qu'il
ne peut pas agir fur les plus fins & les
plus délicats , dont dépendent les opérations
de l'efprit & de l'entendement : ceci
eft entierement conforme à l'analogie
de la nature . Les races d'animaux ne dégénerent
jamais quand elles font foigneufement
maintenues ; & les chevaux par
ticulierement font bientôt connoître leur
origine par leur forme , leur feu & leur
légereté ; mais un fot peut engendrer un
grand philofophe , comme un homme de
mérite & de courage peut laiffer après - lui
une race de poltrons.
Je concluerai donc , en obfervant que ,
quoique la paffion pour le vin foit plus
brutale & plus aviliffante que l'amour
pour les femmes , qui , lorsqu'il eft renfermé
dans de certaines bornes , devient
une fource de politeffe & d'agrément ,
cependant celui- ci ne donne pas un fi
grand avantage aux climats du Midi ,
comme
1
JANVIER. 1756. 49
comme on pourroit fe l'imaginer au premier
coup d'oeil ; car quand l'amour n'eſt
point modéré , il engendre la jaloufie ,
& détruit la liberté du commerce entre
les deux fexes , d'où la politeffe d'une
Nation dépendra toujours. Deplus , fi on
vouloit examiner & développer davantage
ce fujet , on pourroit découvrir que les
Nations des climats tempérés ont le plus
d'avantages pour toute forte de progrès
& d'avancement dans les fciences & dans
les arts , parce que leur fang n'eft pas affez
enflammé pour les porter aux fureurs de
l'amour , & que cependant il eſt affez
animé pour leur faire connoître les charmes
& les agrémens qui réfultent du
commerce des femmes.
VERS A MADEMOISELLE ***
Pour le renouvellement de l'année.
LE Printems rend hommage à Flore
Par tous les dons qu'il fait éclore.
Lorfque le blond Eté colore nos guérets ,
Ses tréfors jauniffans enrichiffent Cerès.
Le rival de Fomone ,
Reçoit les tributs de l'Automne.
L'Hyver qui de fon fein voit fortir les amours
II.Vd.
C
30 MERCURE DE FRANCE.
Répare par les jeux la perte des beaux jours ,
Un nouvel an commence ;
Affurez ma félicité ;
Donnez- moi votre coeur , qu'il foit la récompenfe
De ma fidélité.
Vos appas feront mes richelles .
Livrés aux plus douces tendrefles
Nos coeurs moiffonneront dans les champs des
plaifirs :
Yos faveurs ne feront qu'accroître mes défirs,
La faifon la plus belle
Voit terminer fon cours ;
Une conftance mutuelle
Sera le fruit de nos amours.
Les mains toujours cruelles ,
De cet inexorable tems ,
Bornent la carriere des ans.
Sans la mort , vous verriez nos ardeurs éternelles,
A
Ad... d'Arp...
RONDE A U
enftyle de Marot.
AU nouvel an maint courtifan s'empreffe
( & c'eft raiſon ) de vous vouloir du bien ;
Tout au rebours honteux , Dieu fçait combien !
Je vois mes voeux au fond pleins de tendreffe ,
1
4
JANVIER. 1756. st
Tout bien compté , ne fe réduire à rien.
Car que vouloir en vous ? beauté , fageffe ,
Gentil efprit , agréable maintien ,
Quefçai-je moi ? l'ordinaire entretien
Au nouvel an ?
Or avez tout , ne le fçais que trop bien . !
Que dire donc Suis en grande détreffe
Je l'avouerai , & ne vois plus moyen
De fouhaiter ..... Ot fus , m'y voici ; Qu'est-ce ?
Qu'en mil huit cens lifiez cet oeuvre mien ,
Au nouvel an.
L. N. G. D. R.
Lettre à l'Auteur du Mercure.
Monfieur , depuis que je me ſuis avifé
de faire quelques mariages pour obliger
des perfonnes auxquelles je prenois un vés
ritable intérêt , j'ai la réputation d'être le
premier homme du monde pour former de
pareils noeuds ; en conféquence je fuis inondé
de lettres qui m'arrivent de toute part.
J'ai recours à vous , Monfieur , pour vous
prier d'inférer cette lettre dans votre Mercare
, afin que le public s'adreſſe doréna
vant ailleurs. Je joins ici quelques - unes
de celles que j'ai reçues , pour que ceux
ċ ij
12 MERCURE DE FRANCE.
qui s'y reconnoîtront , ne comptent plus
fur moi .
"
J'ai l'honneur d'être , & c.
C. D.
A Montreuil , ce 12 Decembre 1755 .
La premiere que j'ai reçue , étoit d'un
jeune Seigneur dont l'inconduite avoit diffipé
en partie le bien qu'il avoit hérité de
fes pere & mere. Il m'engage à lui trouver
une Demoiſelle dont la dot puiffe réparer
fes , torts & débrouiller fes affaires.
"
"
و ر
Quoique né d'un fang illuftre , dit- il ,
» je regarderai peu à la naiffance : on eft
» aujourd'hui revenu du fot préjugé qui
empêchoit les maifons de fe relever.
Quant à la figure elle ne fera jamais un
» obftacle. S'il le trouve du caractere , à la
bonne heure , mais j'infifterai fur la fortune
, étant néceffaire que j'en trouvé
pour foutenir le rang où je fuis placé.
Il n'y a pas de Financier qui ne foit flat-
" té de celui où mon alliance élevera
fa fille , ni de Demoiſelle qui ne l'ambitionne.
Comptez , Monfieur , que je
» proportionnerai ma reconnoiffance au
» mérite de celle que vous me ferez trou-
" ver : ceci devient donc votre affaire au-
» tant que la mienne, S'il pouvoit y avoir
»
ور
1.
JAN.VIE R. 1756. 53
» de l'argent comptant , il m'accommode-
Proit d'autant plus que fi la guerre avoit
» lieu , il m'en faudroit néceffairement
» pour former mon équipage .
» Monfieur , j'ai été au couvent avec
» Mdme la Ducheffe de.. Nous étions liées
» de l'amitié la plus étroite. Une conformi-
» té d'état & de façon de penfer , avoit for-
» méentre nous la plus parfaite union.Cet-
»te Dame eft fortie du couvent pour ſe ma-
» rier , & moi pour revenir avec une mere
qui n'a rien à me refufer . Etant en dernier
lieu aux Tuileries avec elle , noust
» rencontrâmes ma camarade de couvent :-
àpeine voulut- elle me reconnoître . Après
» une révérence de protection , qui flattoit
» autant fon amour propre qu'elle humi-
» lioit le mien , elle nous quitta. Ma mere
» s'étant aperçue de mon défefpoir , voulut
» me confoler en m'affurant que j'avois
» une fortune qui me permettoit de pré-
»tendre à devenir un jour fon égale . Dans
la crainte , Monfieur , qu'elle ne chan-
» ge de fentiment , & qu'elle ne veuille
» tout uniment me marier à un galant
» homme qui ne feroit pas Duc & Pair ,
je vous prie de m'indiquer à quelques-
» uns de ces Meffieurs , même à un Prince ,
» comme il y en a qui ne font pas riches.
Ciij
34
MERCURE
DE FRANCE
.
J'ai un million de bien de mon pere , &
j'en aurai encore autant de ma mere 3
» je ne fuis pas mal de figure , & j'ai affez
d'efprit pour mettre dans tout fon jour
» un très-bon caractere.
» Monfieur , je fuis un Gentilhomme
de province , né avec douze mille livres
» de rente. Mon pere a eu pour moi l'agré
≫ment d'une Compagnie de Dragons au
»commencement de la derniere guerre
» que j'ai faite en entier. A la paix vou
lant me diftinguer de mes égaux , & me
» croyant tout ce qu'il falloit pour compo
» fer un homme à la mode , je fuis venu
habiter Paris. J'avois dans les commen
» cemens les plus beaux projets d'arrange
ment qui foient jamais fortis de la tête
d'un homme fenfé. Dans la fuite j'ai
voulu aller de pair avec tout le monde
»ayant enfin compté avec moi-même j'ai
trouvé mon capital abforbé par mes
» dettes : en un mot , je fuis noyéfi je ne
» trouve pas une femme dont la fortune
puiffe réparer mes fottifes. Travaillez ,
»Monfieur , à me la faire avoir ; annon
» cez-moi comme ayant douze mille li-
»vres de rente , fans parler de ce que je
» dois ces fortes de chofes- là fe font tous.
»les jours. Je compte , Monfieur , fur yos
» bons foins.
-JAN-VIE R. 1756. 15
- Monfieur , j'ai eu le malheur de perdre
» mon mari il y a trois mois. Je fuis ref-
» tée encore jeune , avec un fils & une
» fille . Le premier eft aux ifles , & la fe-
» conde eft à marier. Les projets que j'ai
» fur mon falut , m'engagent à ne rien
négliger pour l'établir. Elle aura du
» bien de fon pere deux cens mille livres ,
» & j'y en joindrai cent mille du mien.
Si vous trouvez à m'en débarraffer , le
plutôt fera le mieux : vous aurez d'au-
" tant moins de peinej qu'elle est jolie de
figure , & fort aimable de caractere.
33
骂
*
» Monfieur , le Duc D ... m'a dit qu'il
» s'étoit adreffé à vous quand il avoit vou
lu fe marier ; vous avez réufi pour lui
» à un point , qui m'engage à avoir re-
» cours à vous . Le Miniftre vient de m'ac
» corder l'agrément d'un Régiment ; j'ai
>> trois femaines à me décider , foit pour
»l'accepter , foit pour le refufer . Je na
puis prendre le premier parti qu'autant
» que je trouverai un Financier qui foit
» Aatté de marier fa fille à un Colonel.
Voyez , Monfieur , & tâchez de me dé-
» terrer la perfonne dont j'ai beſoin ; n'ou
» bliez pas fur toutes chofes de faire var
loir ma naiſſance mon grade , & les
» protections que j'ai à la Cour : ce qu'il
30
-n
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
ya de plus grand fignera mon contrat
de mariage , & ma femme fera préſeh-
≫tée.
ور
» Monfieur , j'étois jadis Capitaine
d'Infanterie ; j'ai époufé une femme fans
»bien , mais fort jolie . Son attachement
» pour moi l'avoit engagée, afin de m'avoir
» auprès d'elle , à aller à la Cour faire'
» valoir au Miniftre mes longs fervices ;
» fes vives follicitations m'ont fait obtenir
la Lieutenance de Roi de ... Je jouiffois
» depuis un an des agrémens de la tran-
>
quillité & des douceurs de l'Hymen
» quand la mort m'enleva celle à qui je
» devois mon aifance & ma félicité. A
préfent veuf avec plufieurs enfans , ce
»feroit en vain que je chercherois une
»femme qui pût me faire oublier la perte
»que j'ai faite. Je me borne donc , Mon-
» fieur , à trouver une perfonne d'un certain
âge , avec affez d'ufage du monde ,
» pour repréfenter avec dignité dans la
place que j'occupe. Il vous fera d'autant
plus facile de me fatisfaire que je
»n'exige point de biens , je demande feulement
qu'elle foit d'âge à ne pas aug-
» menter le nombre de mes héritiers.
»Comme Paris eft fait pour trouver une
»telle perfonne , je m'adreſſe à vous, Mon-
» fieur , avec confiance.
JANVIER. 1756. 57
Monfieur , j'ai eu le malheur de me
39 voir trois fois veuve dans douze années
» de tems. Je voudrois bien me confoler,
» de mon dernier mari avec un quatrie-
» me , & je ne vois rien dans ma fociété
• qui puiffe me convenir. J'ai vingt mille
»livres de rente en douaires , & quelques
»biens de patrimoine . Si vous connoiffiez,
» Monfieur , un jeune homme fufceptible,
» de reconnoiffance , bien fain , qui eûc
» des moeurs , je vous prie de me l'adreffer.
» Je confens à lui faire des avantages fur
» mon bien. J'ai un équipage & trois foupers
par ſemaine chez moi ; je demeure
» à la vérité dans la rue S. Louis ; mais à
» cela près je fuis très-décemment logée.
J'exige , Monfieur , de celui qui m'é-
» pouſera qu'il quitte le fervice , s'il y eft.
ود
» J'habite Paris depuis 15 ans, où je fuis
répandu dans la plus élégante compagnie.
» Mon nom , Monfieur , eft depuis long-
» tems en tête du catalogue des gens à
>> bonnes fortunes. Ma fanté fe fent de
" la vie que j'ai menée. Je voudrois la
» rétablir : je cherche pour cela un prétex-
» te honnête ; je ne vois que le mariage.
» Je veux en deux mots faire une fin , &
»me retirer de la vie fatiguante des ruel-
» les , ennuié de la coquetterie des fem-
Cv
58 MERCURE DE FRANCE .
mes & de leurs caprices . Tâchez , Món-
» fieur , de m'en trouver une qui n'ait au-
» cun de ces défauts , & qui foit d'âge à
» me donner quelques enfans. Ne pré-
» voyant pas, quoiqu'Officier Général, que
» je fois employé la prochaine guerre ,
* je compte m'en aller dans mes terres
» faire fuccéder à la vie bruyante de ce
Pays- ci toutes les douceurs de l'Hymen
» & de la philofophie.
"
» Monfieur , je me fuis mariée à qua
» torze ans avec un homme auffi mauffa
» de par la figure que par l'efprit & le caractere.
Je fuis restée au couvent jufqu'à
feize. J'y fuis rentrée à dix-huit par
la mauvaiſe humeur de mon mari. J'en
>> fors une feconde fois , parce qu'il vient
» de mourir, pour n'y plus rentrer, à ce que
j'efpere. Je cherche préfentement'unépoux
commode qui , fans être homme
de Cour , en ait la façon de penfer , &
>> foit l'ennemi décidé des tracafferies.
bourgeoifes ; c'eft - à - dire , Monfieur ;
» que je voudrois faire de l'Hymen un
» état libre & non un efclavage ; car mon
pauvre mari ( Dieu veuille avoir fon
" ame ) , penfoit à cet égard comme un
bourgeois du Marais : nous logions cependant
au fauxbourg S. Germain. Je
>>
JANVIER. 1756. 159
veux de plus me féparer de bien , &
» mettre dans le contrat que nous ferons
réciproquement maîtres de nous retirer
» où bon nous femblera.
201
M. je fuis Cadet de bonne famille
originaire de Pezenas : un de mes proches
» parens au neuvieme degré, m'avoit ame-
» né avec lui dans le Régiment. Les diffé
» rentes affaires où je me fuis fignalé pen-
» dant cette derniere guerre , n'ont pas
empêché que je n'aye été compris dans
» le nombre des malheureux qui ont
» été réformés avec de petites penfions.
Ayant donc mangé ma légitime au fer-
» vice , je me vois forcé à prendre un parti
D violent. Si donc encore vous connoif-
» fiez quelque Demoifelle qui voulût
»prendre un état , & m'en faire un autre,
»je ne m'informe pas qui elle eft , ni ce
» qu'elle a fait ; quant à moi je n'ai que
» vingt- cinq ans ; je me porte bien , &
j'aime la bonne chere.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Le Chevalier de Mizerac
Cvj
Go MERCURE DE FRANCE.
BOUQUET.
PArmi la neige & les frimats ,
On ne voit plus de fleurs nouvelles.
L'hyver a détruit leurs appas ;
Recevez donc ces immortelles ;
Leur peu d'éclat & d'agrément ,
N'a que la durée en partage.
Elles triompheront du tems ,
C'eft-là leur unique avantage.
Thémire , de mes fentimens ,
Ces fleurs font la fidelle image.
A Mets , par Madame M... de R.
femme d'un Confeiller au Parlement .
MADRIGAL
De M. de Relongue de la Louptiere , Membre
de la Société des Sciences & Belles-
Lettres de Châlons fur Marne , aux aimables
parentes de faint Hubert , qui prétendent
avoir le don miraculeux de guérir les
enragés.
QuUand vous reçûtes dans vos veines
Le fang illuftre & renommé
Du pieux, Patron des Ardennes ,
JANVIER. 1756. 61
Je ne fçais fi fon tact vous fut bien confirmé ;
Mais fij'en crois l'ardeur dont je fuis confumé ,
Ce trouble , cet ennui , dont tous mes fens gémiffent
,
Vos yeux font plus de mal que vos mains n'en
guériffent.
A la Loupiere , en Champagne .
FABLE .
UN Mouton tant foit peu curieux de fa laine ,
Sentit par un buiffon arracher fon habit
Qu'il ne devoit quitter qu'à la Saint Jean prochaine.
11 eft même aux moutons des momens de dépit
Vil arbuſte , dit -il , trois fois fois-tu maudit ,
A quoi fers-tu , réfuge de vipere ?
Le malin te fit naître , ou fi le ciel te fit,
C'étoit , fans doute , en un jour de colere.
Comment ! Robin devient brutal ,
Repart paisiblement la ronce.
Dans peu tu verras ma réponſe ,
Mais apprends qu'ici - bas rien n'eſt fait pour un
mal .
En effet à l'inftant viennent à tire -d'aîle ,
Voltiger an tour du buiffon
Et la Fauvette & le Pinçon ,
Et la chanteufe Philomele ,
62 MERCURE DE FRANCE.
Tapifliers amoureux , chacun met à profit
Le duvet que l'épine étale ,
Et par la providence autant aidé qu'inftruit ,
Il en garnit fa couche nuptiale.
Eh bien , dit l'arbriffeau , le ciel avoit-il tort
Tu vois , ami : mon petit miniftere
Contre lequel tu déclamois fi fort ,
Unit les habitans des airs & de la terre.
Je fais plus , j'offre encor leçon très- falutaire ,
A qui dans un état tient l'empire abſolu ;
J'enleve au riche un fuperflu ,
Pour rendre au pauvre un néceffaire.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE,
Les hommes, Monfieur , font en vérité
bien étranges ; depuis le temps que vous les
étudiez , vous devez en être perfuadé. Cependant
je vais vous en fournis une
nouvelle preuve. Lorfque j'ai paru dans
le Public , quelques gens mal intentionnés
me traitant de feconde Malcrais de
la Vigne , ont voulu douter que je fulle
l'Auteur de mes premiers ouvrages. Aujourd'hui
par une erreur toute contraire ,
& plus dangereuse , on me donne même
JANVIER. 1756. 635
ceux des autres . J'apprens que quelques
perfonnes m'attribuent des Stances précédées
d'une Lettre , qui ont été imprimées
dans le Journal de Verdun , Novembre
1755, fignées la Bergere Annette . Permettez-
moi de diffuader'ici ces perfonnes ,
& de déclarer en même temps au Public ,
que comme j'espere ne produire aucun ouvrage
capable de me faire rougir , mon
nom fera toujours à la tête de tous ceux
que je croirai dignes de lui être préfentés .
C'eſt une méthode que j'ai fuivie jufqu'à
préfent , & que je compte fuivre à l'avenir.
Ainfi je prie ce même Public de ne
point croire dorénavant des gens malignement
officieux qui voudront me faire l'Au
teur de pieces anonymes , ou qui ont paru
fous des noms empruntés ; je les défavoue
d'avance
, fuffent- elles capables de me
porter au faîte de la gloire. Quant aux
perfonnes qui me donnent les vers en
queftion , j'ofe avancer qu'elles n'ont pas
lu avec attention les quatre ou cinq dernieres
lignes de l'annonce que le fçavant &
judicieux Auteur du Journal de Verdun
en a faite. Souffrez , Monfieur , que je
les tranfcrive. Après avoir dit que M. de
la L.... lui avoit envoyé ces Stances acinf
compagnées d'une Lettre qui ne l'a pas :
64 MERCURE DE FRANČE.
K
truit de la patrie & de l'état de la Berge
re Annette , il ajoute : « Nous allons don-
» ner la Lettre & les Stances , afin que
l'on voye que cette Bergere fçait écrire
» également bien en profe & en vers ,
&
l'on fentira aifément que quand elle
» auroit eu pour fecrétaire M. de la L ...
nelle n'auroit pu mieux réuffir. » Un ef
prit d'équité m'oblige encore de défabufer
le Public d'une erreur qui tourne , je
le fçais à ma gloire , mais auffi qui en pri
ve ceux à qui elle appartient légitimement.
La Bergere, auteur, ou leBerger, comme
quelques- uns le prétendent , trouveroit
mauvais avec raifon , fi je fouffrois
fans mot dire , que l'on me mît en poffeffion
d'un bien qu'elle a , ou qu'il a fi
juſtement acquis par fes veilles & fon travail.
Je devois donc à la bonne foi dont
je fais profeffion ce témoignage . Mais fi
j'aime l'équité , je ne chéris pas moins
la vérité ; or pourrois-je dire fans la bleffer:
Paffant ma vie au fond d'un hameau folitaire ,
Puifque j'habite une Ville affez confidérable
, & raifonnablement peuplée ? D'ailleurs
on me fait dire dans ces Stances des
chofes que je ne penſe point du tout . On
me fait faire un procès au fort de ce
qu'il n'a pas placé le berceau de mes
jours , auprès de celui de M. de la L ... afin
JANVIER. 1756. 65
que fa Mufe agréable & légere le rendit
foriffant & fameux pour toujours . Enfin
on veut que je fois fâchée de n'être pas
née Champenoise ,
Hélas ! il n'en eft rien,Meffieurs, je vous affure:
Pourquoi me faire dire une telle impoſture ?
En effet je fuis fort contente de ma
patrie que je chéris , de mes compatriotes
que je confidere , de ma Province qui eſt
agréable & fertile. Je finis cette Lettre
peut être déja trop longue , en vous fuppliant
, Monfieur , de la rendre publique ;
vous m'obligerez infiniment. Je vais travailler
à la fuite de la Promenade de province
; trop heureuſe fi je puis par ce petit
ouvrage , mériter votre eftime & vous
être de quelque utilité. C'eft l'unique
ambition d'une perfonne qui vous admire
, & qui a l'honneur de fe dire avec toute
la confidération poffible ,
Monfieur ,
Votre très- humble , & c.
PLISSON.
A Chartres , ce 10 Décembre 1755.
66 MERCURE DE FRANCE.
Portraits de fix fameux Peintres de l'Ecole
d'Italie.
François Cecco , dit Salviati.
L dut mille enemis à fa caufticité.
L'amour-propre lui fit autant de ridicules.
D'un puiffant protecteur le trouvoit- il fêté ?
L'inconftant le quittoit fans honte & fans fcrupules.
Enfin de la fortune il devint le jouet ,
Jaloux d'un meilleur fort il expira de rage.
Les graces fur fon urne expriment leur regret,
Et la peinture en pleurs s'écrie : Ah ! quel dommage
!
Jean- François Grimaldi , dit le Bolognese.
CE payfage eft bien dans le goût du Carrache.
Le Site en eft heureux , le Feuiller enchanté.
A l'efpace qu'il crée , il m'attire , il m'attache.
De quel objet réel pourrois-je être tenté ?
Trop féduifante erreur , tu fatisfais mon ame .
De ce riche palais le dehors me fuffit.
Ce ton frais , vigoureux dont l'art ourdit fa trâme,.
Efface la nature , elle s'en applaudit.
JANVIE R. 1756. 67
Barthelemi Murillo .
LEſpagne a ſon Vandick , Velaſqués l'a formé .
Sur la toile étonnée il imprime la vie.
Quelle fraicheur de chair ! Ah ! fi j'ai tant aimé ,
C'est que de tels attraits annonçoient ma Silvie.
La vigueur , la clarté dominent fon pinceau.
Mon oeil eft réveillé par ce coup de lumiere ;
La prudence l'amene ; Amour, prends ce flambeau,
Il ne peut qu'embellir ta riante carriere.
Benoist Caftiglione , dit le Benedete.
Heureux
Eureux imitateur des plus grands coloriſtes
Ce maître fçait charmer par fes précieux tons.
En lui le clair-obfcur étonne les Artiftes ,
Ils admirent furtout les bergers , fes moutons.
Du genre paftoral , c'eft le plus grand modele.
Quel deffein élégant quelle touche ! quels feux
Où brillent fes travaux , le génie étincelle ;
Et pour l'état champêtre il fait faire des voeux.
Lucas Jordans.
Quelle facilité ! fa main expéditive
S'étend fur chaque école , & moiffonne partout.
A compofer fon miel l'abeille eft moins active
Qu'il ne l'eft à former fa maniere & fon goût..
De fa fécondité le Tintoret s'étonne.
Il puifc fa penfée où l'aigle va planer.
68 MERCURE DE FRANCE.
L'harmonie avec foin lui treffe une couronne
Que fa fougue dérange , & femble abandonner.
Louis de Vargas.
Briller dans le portrait autant que dans Phiſtoire
,
Eft ton partage heureux , trop auftere Efpagnol.
Tous tes rivaux furpris , te cedent la victoire ,
Ils n'ofent afpirer à ton fublime vol.
De ta gloire , Vargas , Seville eft le théâtre .
Ton chef- d'oeuvre y ravit l'éclairé ſpectateur ,
De la mere commune on devient idolâtre ,
Dès
que
La Scene où tu la peins , rend le coeur bon acteur,
Perez de Alezio célébre Peintre Espa
gnol , eût vu le fameux tableau d'Adam & d'Eve,
il dit en l'admirant , lajambe qui s'y voit en racconrci
, vaut mieux que tout mon faint Chriftophe.
Ce dernier tableau de ce maître jouit cependant
d'une grande célébrité. Alexio fe voyant éclipfé par
Vargas retourna en Italie.
LELe mot de la premiere Enigme du pre- E
mier volume du Mercure de Janvier eft la
Mule des Dames ; celui du premier Logogryphe
, Combinaifon ; celui de la feconde.
Enigme , Commiffaire , & celui du fecond.
Logogryphe , vaiffeau , dans lequel on
trouve Eau , vis , veffe , vive , Yves , Afie ,
vie , & Sufe.
JANVIER. 1756 . 69
ENIGM E.
Rien n'eft égal à moi fous la voute des cieux;
L'on m'admire partout , mais pourras- tu bien
croire
Que mon deftin brillant puiffe être plein d'horreurs.
Apprens donc , cher Lecteur , que de cruels malheurs
Me conduifent toujours à ce faîte de gloire ,
Pouffés par l'intérêt , les avides humains
Courent pour me trouver dans des climats lointains
,
Malgré le fimple habit dont la fage nature
Semble m'avoir couvert pour tromper ces tyrans ,
Je ne puis échapper à leurs yeux pénétrans`,
Me trouver eft pour eux une heureuſe avan
ture.
T
On les voit , animés d'un plaifir fans égal,
M'arracher fans pitié de mon païs natal ,
Et forcer mes pareils , & comble d'infortunes !
A m'ôter mon habit , à me charger de coups ,
Dont la marque à jamais paroît aux yeux de tous.
Alors je fuis chéri des blondes & des brunes ,
Par mon mérite ſeul ſur le trône placé ,
Des Rois les plus puiffans j'orne la majefté.
Du tems qui détruit tout , je crains peu les outrages
,
70 MERCURE DE FRANCE .
Efclave fans retour , dans ma captivité
Si je joins mes attraits à ceux de la beauté ,
Je lui fais dans les coeurs caufer mille ravages ,
Si l'on ne me plaint pas , Lecteur , apprends
pourquoi , L
C'est que dans l'univers, rien n'eft plus dur que
moi.
Par Mademoiselle Gouin , de Rouen.
LOGOGRYPHE.
J.'Ai différens emplois ;
On me fait fervir à la
guerre ,
avec dédain
Soit par mer , foit par terre
Pour venger le courroux des Rois.
Tu me vois avec moins d'allarmes,
Décorer l'homme & relever les armes ;
Mais quittant les honneurs , je fuis
Travaillé par un vil humain.
Avec fept pieds on me compoſe ,
Si de l'un à l'autre on tranfpofe ,
On trouvera d'abord un mortel couronné ,
De Courtisans environné :
Une, ville en Héros féconde ,
Ce qui porte un vaiffeau de l'un à l'autre monde
Deux Saints fort connus ,à Paris , l
Un mot d'Eglife, un métal de grand prix ,
JANVIER. 1756. 71
Un terme négatif , deux notes de mufique ,
Le nom d'un habitant d'Afrique ,
Le préfent incivil d'un eftomac glouton ,
Un jeu la moitié d'un tricon ,
D'an livre entier une partie ,
La fin & l'agrément des vers ,
Un air chanté dans les concerts ,
La Nymphe en vache convertie ,
Un des fept péchés capitaux ,
Une plante qui très -fort pique ,
Une étoffe de foye , une Cour Papiſtique ,
Un animal , qui ronge les manteaux
Ce que tu dois faire à la chaffe
Si tu veux remplir ta beface :
Admire mon dernier effort ,
Tu me vois rire en t'annonçant la mort,
12
Par D. P. S.
J
I
Nous allons placer ici la chanfon alternativement
chantée par un payfan des
Vofges , & par un Citoyen de Nancy ,
à l'occafion de la Statue élevée dans la
Place Royale de Nancy , le 29 Novembre
1755. Pouvons-nous, en donner une
meilleure & fur un plus beau fujet ? Son
mérite particulier nous fait paffer pardeffus
fa longueur. Un ouvrage est toujours
court quand il eft intérellant. Les
paroles font fur l'air du Devin de village
ci de la fimple nature.
72 MERCURE DE FRANCE.
CHANSON EN
DIALOGUE.
A
Le Paysan.
H voici bian d'une autre affaire .
Et j'allons voir un biau fracas ;
Il n'eft , ma foi , rien für la terre
A comparer à STANISLAS ;
Aufli l'on s'écrie ,
D'une ame ravie ,
Dès qu'on en parle , ou qu'on le voit
C'eſt un grand Roi , c'eſt un bon Roi !
Le
Citoyen .
Eft-il un feul trait dans l'Hiftoire
Semblable à cet événement !
Un Roi confacre la mémoire
D'un autre Roi de fon vivant :
Dans fa capitale ,
Lui-même il l'inſtale ,
Sur l'airain il grave la foi ,
Qu'on doit au Roi , qu'on doit au Roi.
Le
Paysan.
Palfangué , le joli vacarme !
Quand monté fur un biau cheval ,
En habit d'or le zéro d'arme
Entonnera le chant Royal !
Déja
JANVIER . 1756. 73
Déja l'on s'écrie ,
D'une ame ravie ,
Vive le Roi , vive le Roi ,
Vive le Roi , vive le Roi !
Le Citoyen.
On bat aux champs , le Roi s'avance :
La joie eft peinte fur fon front ;
Tout s'embellit par la préfence ,
Et tout retentit de fon nom ;
La France attendrie ,
L'Europe ravie ,
Le monde entier dit comme moi :
C'eſt un grand Roi , c'eſt un bon Roi.
Le Paysan.
J'aimons d'entendre la fanfare
De la trompette & du tambour ,
Moufquets , canons , qual tintamare !
Allons , crions à notre tour ,
D'une ame ravie ,
D'une ame attendrie ,
Vive le Roi , vive le Roi !
"
Oh le grand Roi ! oh le bon Roi !
Le Citoyen.
Au nom de l'heureuſe Auftrafie ,
Nos Magiftrats vont dignement
Faire au pere de la Patrie
Un folemnel remerciment
II.Vol. D
74
MERCURE DE FRANCE.
D'une ame ravie ,
Comme eux l'on s'écrie ,
Qu'il eft doux de fuivre la loi
De ce grand Roi , de ce bon Roi !
Le Paysan.
Par refpect tous nos gens de guerre
Baiffont devant lui leurs drapiaux ,
Et nous , ne fçachant comment faire ,
Je jettons en l'air nos chapiaux ;
D'une ame ravie ,
D'une ame attendrie ,
Tout chacun crie ainfi
que
Vive le Roi , vive le Roi !
moi ;
Le Citoyen.
(1) De notre docte Académie ,
Je vois l'un & l'autre Orateur ,
Avec une grace infinie ,
Plaire à l'efprit , parler au coeur ,
Auffi l'on s'écrie
D'une ame ravie ,
( 1 ) M. le Comte de Breffey , Meftre de Camp de
Cavalerie , ancien Capitaine des Gardes du Corps,
Directeur actuel de la Société Royale de Nanci ,
harangua le Roi au nom de la Compagnie.
M. le Comte de Treffan , Lieutenant Général
des Armées du Roi , prononça le Diſcours relatif
à la folemnité de la Dédicace . Ce Diſcours eft im
primé dans le Mercure précédent .
JANVIER. 1756. 75
Tous enſemble , & tous d'une voix,
Ainfi l'on doit parler aux Rois !
Le Paysan.
Que notre Gendre a bonne mine ,
Sur fon pié d'étal tout mâbré :
Du haut de fa gloire il domine
Où fon biau pere eſt adoré ;
Auffi l'on s'écrie
D'une ame ravie ,
En bon Lorrains , en vieux Gaulois ,'
Vivent nos Rois , vivent nos Loir !
Le Citoyen.
Quelle touchante fymphonie !
J'entens les vieillards , les enfans ,
Joindre leurs voeux à l'harmonie
Des plus beaux fons , des plus doux chants ;
Leur ame ravie ,
Leur ame attendrie
Chante les plus chéris des Rois ,
Tous d'une voix , tous d'une voix.
Le Payfan.
L'allégreffe feroit parfaite ,
Si les deux Rois étion préfan ,
Ne pouvant être de la fête ,
LOUIS envoy fon Régiman ;
Auffi l'on s'écrie ,
D'une ame ravie ,
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Tout comme aux champs de Fontenoi ,
Vive le Roi , vive le Roi !
Le Citoyen.
Pour faire aimer dans tous les âges ,
Le doux empire des Titus ,
En bronze on grave leurs images ,
Leurs noms , leurs bienfaits , leurs vertus ;
C'eft fur ce modèle ,
Qu'aujourd'hui le zèle
Grave les traits de notre Roi ,
De ce grand Roi , de ce bon Roi.
Le Paysan.
Sur un biau tiatre en dorures ,
J'ons vu des Dames , des Monfieux ;
Qui danfiont comme des peintures ,
Qui difcouriont , on ne peut mieux ;
D'une ame ravie ,
D'une ame attendrie ,
Tretous difiont de notre Roi ,
C'est un grand Roi , c'eſt un bon Roi ,
Le Citoyen.
Il retrace le caractere
De tous nos Princes bienfaifans ;
La Patrie en lui trouve un pere ,
Tous les fujets font fes enfans :
Auffi l'on s'écrie ,
D'une ame attendrie ,
JANVIER. 1756. 77
Qu'un peuple est heureux fous la loi
D'un fi bon Roi , d'un fi bon Roi !
Le Paysan.
Morgué , c'eft un grand politique ,
Je fons heureux , il eſt content :
Pour cela voici fa rubrique ,
Il a nos coeurs , j'ons fon argent ;
Auffi chacun crie ,
D'une ame ravie ,
Que béni foit notre bon Roi !
C'eft un vrai Roi , c'eſt ´un vrai Roi
Le Citoyen.
(1 )Faut-il parler , faut-il écrire
Faut-il converfer finement .?
Tout ce qui vient de lui refpire
L'efprit , le gout , le fentiment ;
Auffi Pon s'écrie ,
D'un ame ravie ,
Qu'il penfe en fage , & parle en Roi !
L'habile Roi , l'aimable Roi !
Le Paysan.
J'avons compté ( chofe incroyable )
( z ) J'avons compté cent bâtimens ,
(1) Voyez la voix libre du Citoyen , le Difcours
d'un anonyme à la Société Royale de Nancy , la Réfutation
du Citoyen de Genève , c.
(2) Il y a ici une erreur de calcul dans le comp.
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
Très-vaftes , d'un gout admirable ,
Finis & payés dans trois ans ;
Auffi l'on s'écrie ,
Eft- ce par magie ,
Que l'on voit tout ce que l'on voit ?
Le riche Roi , qu'un ſage Roi !
Le Citoyen.
1
(1 ) C'est lui , qui de ces édifices ,
Fit les defleins , traça les plans ;
Ce n'est que d'après les efquiffes ,
Qu'on vit éclorre les talens :
Auffi l'on s'écrie ,
Quoi ! juſqu'au génie ,
Jufqu'aux Arts il donne la loi ?
C'eft plus qu'un Roi , c'est plus qu'un Roi.
Le Payfan.
Jarni , l'on dit qu'il eft Chimiste ,
( 2 ) Tout ce qu'il fait eft furprenant ,
te du Payfan , car on ne compte que quatre-vinge
dix-neuf Edifices nouvellement conftruits par le
Roi , même en y comprenant les deux nouvelles
Portes de la Ville , les deux Arcs de triomphe &
les Bâtimens pour loger tous les Officiers de la
Garniſon.
(1 ) C'eft le Roi de Pologne qui conçut l'idée
& donna de fa main l'Efquiffe du Kiofque & du
Treffle de Luneville , du Château & du Sallon de
Chanteux , du Pavillon Royal & du Pont de Commercy.
(2) Voyez le Rocher organique & hydrauliJANVIER.
1756. 79
Qu'avec l'Artifte il eft Artiste ,
Qu'il boute à quia le Sçavant ;
Auffi fans envie ,
Chacun d'eux s'écrie ,
Certe , il en fçait plus long que moi !
En tout , ma foi , c'eſt un grand Roi !
Le Citoyen.
Mais quel éclat ! mille fufées
Changent la nuit en un beau jour !
En foleils , en pluie , en trophées ,
Des feux renaiffent tour à tour ;
Auffi l'on s'écrie ,
D'une ame ravie ,
Tout brille au gré de notre Roi ,
De ce grand Roi , de ce bon Roi!
Le
Paysan.
Pargoy , j'ons fait bonne jornée ,
Sans travailler , j'ons de l'argent ;
Ils le jetiont à la poignée ;
J'ons attrapé dix écus blan ,
Çà , chantons victoire ,
Voici de quoi boire :
Buvons à la fanté du Roi ,
De ce grand Roi , de ce bon Roi.
que de Luneville , le Bateau de nouvelle conftruction
, qui par le moyen du feu remonte les Rivieres
, les diverfes machines pour varier la chute des
eaux & faciliter l'élévation des poids.
Div
To
MERCURE DE FRANCE
Le
Citoyen.
Que l'arbitre des deſtinées ,
Veille fur fes précieux jours !
Et qu'aux dépens de nos années ,
Il en prolonge l'heureux cours !
D'une ame ravie ,
Que long- tems on crie ,
Dans la Lorraine & le Barrois ,
Vivent nos Rois , vivent nos Rois !
Le Paysan.
Vive la France & la Lorraine !
Vive LOUIS plus de cent ans !
Vive la chere & digne Reyne !
Ses enfans & petits enfans !
Le
Citoyen.
D'une ame attendrie , "
Le Paysan.
D'une ame ravie ,
Le
Citoyen.
Chantons ,
Le Paysan.
Crions ,
Les deux
enfemble.
Tous à la fois ,
Vivent nos Rois , vivent nos Rois ↓
JANVIER. 1756.` sSI
VERS
DE M.... A MADAME DE ***
En lui envoyant des lacets de
Conftantinople.
JEE reviens du Sérail , adorable Daphné ,
Et filou téméraire ou galant fortuné ,
Que ce foit adrefle ou mérite ,
Je rapporte ce beau lacet ,
Jadis P'ornement du corfet
De la Sultane favorite.
Il fe vante d'avoir ferré
Le plus beau corfage du monde.
Qu'il vous ferve , & je l'avouerai ,
Sa premiere gloire , à mon gré ,
N'aura pas valu la feconde .
Avis de l'Auteur du Mercure.
Nous prions l'Auteur qui nous a envoyé
un Enigme qui commence par ces.
deux vers
Je fuis , ami Lecteur , un être original ,
Je fais le bien , jamais le mal , &c.
de nous en faire parvenir le mot qu'il a
oublié. Si nous le recevons
promptement ,
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
nous lui promettons de la mettre dans le prochain
Mercure . Plufieurs tombent dans cette
omiffion , & nous obligent par-là de les
laiffer dans l'oubli . D'autres nous adreffent
des vers qui ont feize ou dix-fept pieds ,
quoique les plus longs n'en doivent avoir
que douze ou treize , quand la derniere
fyllabe eft féminine . Ils font même les plus
empreffés à voir paroître leurs productions.
Mais nous les fupplions d'y employer
moins d'étoffe , ou de ne trouver pas mauvais
qu'elles foient mifes au rebut . Quelques-
uns portent la licence plus loin ; ils
nous envoient des vers , qu'ils appellent
libres. En effet ils le font au point , foit
pour le fonds , foit pour la forme , qu'on
ne peut les lire. Comme ils bleffent l'honnêteté
la rime & la raiſon , nous
que
autant
fommes doublement autorisés à les priver
du jour. Le Mercure de France eft un Mercure
chafte ; ou s'il lui eft encore permis
d'être galant , ce n'eft qu'avec la plus exacte
décence.
JANVIER . 1756.
83
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE
DE M. DE M... A M. DE S...
Au fujet des Ecrits Anglois fur les limites de
l'Amérique.
JEE me donnerai bien de garde , Monfieur
, de répondre à l'Ecrit annoncé dans
la Gazette d'Utrecht du 4 de ce mois , &
rapporté dans celle de Cologne du 28 du
mois dernier ; il n'eft qu'un tiffu de faits
démentis par les Auteurs mêmes dont
'on veut l'autorifer. Il faut être bien aveugle
ou bien hardi pour traiter la difcuffion
préfente , apès la publication des Mémoires
des Commiffaires du Roi , & de ceux
de S. M. Britannique , fur les poffeffions &
les droits refpectifs des deux Couronnes , en
Amérique , &c. Ces Mémoires confacrent
à jamais à la postérité les prétentions des
deux Puiffances. C'eft dans cet ouvrage
que M. le Marquis de la Galiſſoniere & M.
de Silhouette , pour la France , MM . W.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
}
Shirley & W. Mildmay , pour l'Angleterre,
chargés d'établir les titres réciproques,
ont traite & difcuté la matiere ; elle y eft
tellement éclaircie , que tout Lecteur impartial
pourra juger lá queftion . Ce n'eſt
point ici de ces Ecrits anonymes où l'on
peut hazarder impunément les faits les
plus faux , comme dans la plupart des
Ouvrages que l'on voit éclorre tous les jours.
à Londres , dictés par la paffion & par
l'infidélité ; mais fi les reifources de la
calomnie font inépuifables , celles de la
vérité ne le font pas moins . Rien ne feroit
plus aifé que de réfuter ces Ecrits : il faudroit
entrer pour cela dans une difcuffion
trop longue ; il ne fuffira feulement de
vous citer , Monfieur , une de ces Brochures
, qui a pour titre the Conduct ofˆ
French, &c. Conduite des François par rapport
à la Nouvelle Ecoffe , &c. L'Auteur ,
fans égard pour la vérité , y avance des
faits démontrés faux , & y débite les injures
les plus groffiéres : on vient d'en donner
une traduction , avec des notes où l'on
détruit les paralogifmes de l'Ecrivain Anglois
, & fes faulles affertions. Ces notes.
puifées dans l'Ouvrage même de MM . de
la Galiffoniere & de Silhouette , font un
corps complet de Titres & de Faits plus
forts les uns que les autres, qui fixent & déJANVIER
. 1756. 8.5
terminent les véritables & anciennes Limites
de l'Acadie , telles qu'elles ont été entendues
par le Traité d'Utrecht. C'est à ces autorités
refpectables qu'il faut répondre . Les
Anglois n'ont pu y oppofer que des faits
altérés , des titres fallifiés ou fans autorité
, & des conceffions abufives. N'eſt-il
pas fingulier , Monfieur , qu'ils fe croyent
en droit de fe dire les Maîtres d'un Pays ,
parce qu'il a plu à un de leurs Rois , de le
donner à un Particulier de leur Nation
fans s'embarraffer du véritable propiétaire
? Ne voudroient- ils pas quelque jour
réaliſer le titre chimérique de Roi de France
, que leur Monarque s'obftine à
prendre ? Je ne fuis point furpris que
quelques plumes paffionnées fe livrent
aux excès les plus condamnables , pour
foutenir le fyftême Anglois , mais je ne
conçois pas qu'il'fe trouve des Journaliſtes
affez peu jaloux de la confiance & de
l'eftime du Public , pour inférer dans leurs
Ouvrages ces écrits capables de les leur
faire perdre. L'aigreur qui y régne , la
groffiereté de leurs injures doit mettre
en garde contre ce qu'ils y avancent. Ce
n'eft pas fur des productions qui ne font
avouées de perfonne , & qui ne peuvent
l'être , que l'on peut juger des différends:
de l'une & de l'autre Nation ; il faut inter86
MERCURE DE FRANCE.
roger les Traités , examiner les conventions
, n'en point altérer le fens , ni tronquer
les paffages , & juger cette caufe de
deux grandes Puiffances , comme on jugeroit
celle de deux Particuliers au tribunal
de la Juftice. Il ne faut avoir aucune
idée de la bonne - foi , ou convenir qu'elle
eft ouvertement violée aujourd'hui dans
ces écrits. L'injuftice des prétentions qu'on
y foutient , les moyens qu'on y emploie
pour les appuyer , font entièrement détruits
& prévus dans les Mémoires des
Commiffaires François . Je ne vous parlerai
point de l'étrange conduite du Gouvernement
Anglois depuis dix huit mois ;
c'est un tableau effrayant pour l'humanité ,
de préfenter une Nation eftimable à tant
d'égards , oubliant fes vertus , violantˆ à
la fois la paix , le droit des gens & celui
de la guerre ; les faits feuls dépofent à l'univers
ce que j'avance ici . Puiffe la modération
de l'augufte Monarque qui nous
gouverne , faire ouvrir les yeux à cette
fiere Nation , & diffiper cet efprit de vertige
& d'iniquité , qui femble être l'ame
de fes Confeils & de fes réfolutions , &
faire renaître dans tous les coeurs la voix
de la juftice , étouffée depuis quelque
temps par des motifs particuliers , qui
doivent difparoître aujourd'hui dans cette
JANVIER. 1756. 87
illuftre Affemblée qui va décider de la
paix ou de la guerre !
*
J'ai l'honneur d'être , & c.
Le 9 Novembre 1755.
DE M ...
EXTRAIT du Difcours prononcé devant
MM. les Docteurs- Régens de la Faculté
de Médecine en l'Univerfité de Paris,
par M. Dienert , Docteur- Regent de la
même Faculté , touchant une liqueur fondante
, en l'Aſſemblée tenue le 4 Novembre
1755. aux Ecoles de Médecine pour le
primâ menfis.
CEtte Ette liqueur fondante eft plus efficace
que tout autre médicament , contre les
maladies qui dépendent du vice de la
lymphe ; les obftructions du bas -ventre ;
les dartres & autres affections de la peau ;
les pâles couleurs ; les tumeurs dures , certaines
cataractes , & même les maladies
qui dépendent du virus vénérien ou du
vice écrouelleux .
La découverte furprend les Sçavans 5
parce que la liqueur eft une diffolution
d'un demi- métal connu & très - ulité par
le moyen de quelque fubftance tirée des
plantes ; ce qui eft plus ami de l'homme
que les autres préparations qu'on avoit
SS MERCURE DE FRANCE.
pu faire. La liqueur eft très - douce dans fon
opération , tant intérieurement qu'extérieurement
; car on l'emploie & par la bouche,
& en topique , quand le cas le requiert.
TRAITÉ des Maladies de l'Urétre , contenant
l'origine , le progrès , la guériſon
radicale des carnofités , callofités , retentions
d'urine , & la compofition des bougies
de toute efpece , par M. Alliés
expert Lithotomifte , reçu à S. Côme. A
Paris , chez Defprez, Imprimeur ordinaire
du Roi , rue S. Jacques , à S. Profper
1755.
Mélanges de maximes , de réflexions &
de caracteres , par M. DD ... licencié en
droit. On y a joint une traduction des
Conclufioni d'Amore , de Scipion Maffey ,
avec le texte à côté . A Bruxelles; & fe vend
A Paris chez Hochereau l'aîné , quai de
Conti , à la defcente du Pont Neuf; Lambert
, rue de la Comédie Françoiſe , &
Duchefne , rue S. Jacques , 1755 .
Nous rendrons compte de cet ouvrage
le plutôt qu'il nous fera poffible .
CONSEILS pour former une Bibliothéque
peu nombreuſe , mais choifie , nouvelle
édition corrigée & augmentée , ` fuivie de
JANVIER. 1756. 8-
l'introduction générale à l'étude des Sciences
& Belles- Lettres , par M. de la Martiniere.
A Berlin , chez Haude & Spener ,
1755 ; & fe trouve à Paris , chez Briaffon,
rue S. Jacques .
L'Avis de l'Editeur nous apprend que
ce livre eft de M. Formey , fecretaire
perpétuel de l'Académie Royale de Pruffe.
Nous dirons comme lui que fon nom feul
annonce le goût & le fcavoir. M. Formey
, dans un avertiſſement qui fuit cer
avis , nous donne lui - même fuccinctement
une idée du plan de fon ouvrage ,
en nous déclarant qu'il n'a voulu mplement
qu'indiquer les meilleurs livres
d'un ufage à peu près univerfel , qui
peuvent entrer dans un cabinet , &
qu'il laiffe aux bibliothécaires le foin de
dreffer des bibliothèques .
DE LA CANONISATION DES SAINTS
Difcours tiré des ouvrages de N. S. P. le
Pape Benoît XIV . A Avignon , chez Giroud,
Imprimeur de Sa Sainteté , & fe trouve à
Paris , chez Briaffon , rue S. Jacques.
HISTOIRE DE M. CONSTANCE , premier
Miniftre du Roi de Siam , par M. Deflandes
, ancien Commiffaire général de la
Marine. Tolluntur in altum , ut lapfu gra90
MERCURE DE FRANCE.
viore ruamt. Claud. in Rufi. A Amfterdam,
& fe trouve à Paris , chez Duchesne , rue
S. Jacques , 1756.
On peut compter fur la fidélité de cette
Hiftoire. M. Deflandes , dont la droiture
eft auffi connue que le mérite littéraire ,
l'a compofée , comme il nous l'apprend ,
fur les Mémoires de M. le Chevalier Martin
, Gouverneur de Pondicheri , & Directeur
général de la Compagnie des Indes
Orientales. Ce dernier a vu de près la Révolution
arrivée à Siam ; il a connu tous
ceux qui y ont eu part . M. Deflandes , qui
a ces Mémoires entre les mains , nous affure
qu'ils font auffi vrais qu'ils font curieux
, & que l'Auteur étoit incapable
d'employer la fiction ; mais ce qui donne
à cette Hiftoire un degré de vérité de plus,
c'eft qu'elle a pour folide fondement plufieurs
Lettres & Mémoires de M. Deflandes,
pere de l'Auteur , qui avoit demeuré à
Siam dans une étroite liaifon avec M.
Conftance , & qui voyant fa conduite peu
mefurée , aima mieux le quitter & s'en
aller à Surate . Il avoit épousé la fille de
M. le Chevalier Martin , & la même probité
, le même défintéreffement uniffoient
le beau-pere & le gendre. Voilà les fources
où l'Auteur a puifé les traits de la vie
de M. Conftance ; fources pures , & qui
méritent la croyance du Public .
JANVIER. 1756. 91
POESIES del Signor Abate Pietro Metaftafio.
Cette édition contient toutes les
OEuvres de M. l'Abbé Meraftaze. Elle eft
faite avec autant de foin que d'élégance ,
& nous la devons à M. de Calfabigi , qui
l'a dédiée à Madame de Pompadour. Son
Epître eft en Vers Italiens : elle eſt ſuivie
d'une lettre de remerciement de M. l'Abbé
Metaftaze à fon Editeur , & d'une Differtation
de M. de Calfabigi fur les Ouvrages
Dramatiques de ce Poëte célebre. Ces
Euvres font en neuf volumes , & fe vendent
chez la veuve Quillan , rue Galande ,
chez Tillard , quai des Auguftins , & chez
M. de Calf.bigi , rue de Richelieu .
EXPLICATION PHYSIQUE des
fens , des idées , & des mouvemens tant
volontaires qu'involontaires , traduite de
l'Anglois de M. Harley , M. A. par M.
l'abbé Jurain , Proffeffeur de Mathématiques
à Reims , correfpondant de l'Académie
des Sciences ; deux volumes. A Reims,
chez de Laiftre Godet, Libraire, à Saint Hubert
& Saint Ignace , rue de l'Ecreviffe ,
1755.
EXTRAIT de la premiere partie du
traité de l'Art de la Guerre , de M.le Maréchal
de Puifégur , avec des obfervations &
2 MERCURE DE FRANCE.
des réflexions traitées en abrégé , premiere
partie. Ellai fur divers principes de l'ast
de la Guerre en partie extrait des commentaires
de M. de Folard , fur Polybe , &
de différens Auteurs , feconde partie , par
M. le Baron de Traverfe , Chevalier de
l'Ordre Royal & Militaire de S. Louis ,
Capitaine au Régiment des Gardes Suiffes,
& Brigadier des armées du Roi. A Bafle
chez Emanuel Tourneifen , 1755 ; & fe
trouve à Paris, chez Briaffon, rue S.Jacques .
ETRENNES aux Dames pour l'année
1756 , tomes troifiéme & quatrième , dans
lefquels on continue Abdeker ou l'Art de
conferver la Beauté, l'an de l'Hegyre 1170 .
Ces deux volumes fe trouvent chez Ganeau.
Il y a deux ans que les deux premiers
ont été annoncés dans le Mercure , & reçus
favorablement du Public. Nous fouhaitons
à ceux- ci la même fortune.
A propos d'Almanachs , nous devons
avertir ici que dans celui des Beaux Arts
ou de la France Littéraire , on attribue fauffement
à M. de Boiffy les Filles Femmes ,
conte qui n'en eft pas un , & les quinze
Minutes. Il n'a jamais travaillé dans ce
genre licencieux , & rougiroit même d'y
réuffit . On ne doit mettre fur le compte des
Auteurs. que les Ouvrages qu'ils avouent
JANVIER. 1756. 93
eux-mêmes . Nous prions l'Approbateur de
cet Almanach d'y faire attention une autre
année.
ESSAI fur la génération de la chaleur
dans les animaux , traduit de l'Anglois de
Robert Douglas , Docteur en Médecine .
A Paris , chez Pranlt pere , quai de Gêvres,
au Paradis , 1755 .
NOUVEAUX Dialogues des Morts , fe
trouvent chez Durand, rue du Foin, 1755 .
Ils font précédés d'une Epître à M. Touffaint
, & d'une Préface aux petits Maîtres
& aux Précieufes.
L'OBSERVATEUR Hollandois continue
fes Feuilles avec fuccès. La fixiéme a furtout
beaucoup réuffi ; le ton en paroît
d'autant meilleur , que la force eſt dans
les raifons, & non pas dans les expreffions
qui font très- ménagées.
TCHAO-CHI- COU- EULH , ou l'Orphelin
de la maison de Tchao , Tragédie Chinoife,
traduite par le R. P. de Prémare , Miffionaire
de la Chine ; avec des éclairciffemens
fur le Théâtre Chinois , & fur l'Hiftoire
véritable de l'Orphelin de Tchao ,
dédiée à Mme D* H*** , par M. Sorel des
94 MERCURE DE FRANCE.
Flottes. A Pekin 1755 , & fe trouve à
Paris , chez Duchefne , rue S. Jacques.
PLAN général des Traités de Mathématiques
les plus relatifs à la navigation ,
qui feront enfeignés par le P. Chardin ,
Jéfuite , de l'Académie Royale des Belles-
Lettres de Caën , & Profeffeur de l'Ecole
Royale d'Hydrographie & de Mathémati
ques de la ville de Nantes , avec l'ordre
qu'il fuivra en les enfeignant pendant les
années 1756 & fuivantes. A Nantes , de
l'Imprimerie de Jofeph Vatar , Imprimeur
du Roi , 1755.
-
ON fe plaint de la multiplicité des méthodes
nouvelles . Eft- ce qu'il ne manqueroit
rien aux anciennes , & celles- là même
n'ont elles pas été nouvelles dans leur
tems , eu égard à celles qui les ont précédées
? Que l'on foit en garde contre les
nouveautés , c'eſt- à- dire contre tout ce qui
eft abfolument oppofé aux pratiques ordinaires
dont on s'eft bien trouvé jufqu'à
préfent , à la bonne heure. Souvent une
chofe nouvelle ne l'eft que comme nouvellement
donnée , ou fous une meilleure
forme ; mais que l'on rejette fur ce feul
énoncé des plans rectifiés, augmentés , plus
Autendes , fimples , faciles , y a-t'il en
JANVIER. 1756. 95
cela ombre de raifon & de juftice ? Les arts
& les fciences ne s'accroiffent & ne fe
perfectionnent que par cette voie , à force
de critique , de combinaiſons & de vues
nouvelles.
Les Philofophes , les Mathématiciens
& prefque tous les Artiftes ne donnentils
pas des théories ou neuves , ou nouvelles
, des ſyſtèmes ,des effais , des hypothèſes
?
Pourquoi les Grammairiens , les Poëtes
, les Rhétoriciens , & tous autres Maîtres
d'Hiftoire , de Géographie , &c. n'auroient
- ils pas le même privilége ? n'au
roit-on pas pu dire aux Lock , Montagne,
S. Ciran , Le Vayer , Boffuet , Fénelon ,
Fleuri , Buffier , Rollin , Girard , Lenglet ,
Dumas , Pluche , Du Marfais , & autres
illuftres Méthodistes , que leurs ouvrages
n'étoient point néceffaires , & qu'avant
eux on fçavoit bien enſeigner , & faire des
fçavans ? Si cet argument étoit valable ,
on fent bien quelles conféquences il auroit
, tant pour le paffé que pour l'avenir ,
& qu'il n'eft au fonds qu'un paralogifme
& le feul effet de l'habitude & du préjugé.
Rien ne pourroit être plas nuifible à tout
progrès fucceffif & poffible.
Que l'on n'innove point en matiere de
religion , de politique & de loix fonda6
MERCURE DE FRANCE.
mentales , quant à ce qui conftitue leur
effence , & , fi l'on veut même , la forme de
leur expofition ; ce font des chofes facrées
& délicates auxquelles il doit être
défendu de toucher ; mais que fur tout
autre fujet , des additions , des machines
deftinées à faciliter l'éducation de la jeuneffe
, loin de prévenir perfonne contre
leur titre de nouveauté , foient au contraire
permiſes , & même agréées par cet
endroit là-même , fans préjudice de l'examen
rigoureux & de toute épreuve.
Pourquoi décourager ceux qui cherchent
& qui travaillent pour la fociété. Il y a
des Charlatans , des plagiaires , de pauvres
compilateurs , des chiffonniers , n'importe
, difcutez toujours , défiez - vous ,
mais ne condamnez rien indiftinctement.
C'est pourtant ce que l'on a fait , entre
autres au fujet de la Typographie de feu
Monfieur Dumas , & d'autres méthodes ,
non moins eftimées , dont les Auteurs ont
eu la modeftie de ne fe point faire connoitre
, non pour ſe fouftraire à la cenfure
& à l'envie , mais dans la vue d'une
plus grande liberté , à tous égards , d'écarter
tout foupçon d'intérêt & de vanité , &
de livrer enfin leurs ouvrages à leur bonne
ou mauvaiſe fortune.
Je ne fuis point en peine de fçavoir
fi
JANVIER. 1756. 97
A tôt ou tard on parviendra à mettre du
Latin , du Grec , des Vers , de la Rhétorique
, de l'Hiftoire , de la Géographie, & c.
dans la tête des enfans , mais comment
& en combien de tems on trouvera le
moyen de leur faire aimer fincérement
toutes ces chofes , parce qu'on aura fçu les
leur rendre familieres & agréables : car
en vérité la vie n'eft pas affez longue pour
en paffer toujours par les anciennes inftitutions
. Quoi ! trois ou quatre années pour
apprendre à lire ; autant & plus pour le
Latin , & puis cinq ou fix ans pour le
cours des grandes études , ou plutôt pour
fe mettre en état de les commencer par
foi-même ! N'y a -t'il donc pas des moyens
pour abréger fans y rien perdre ?
On a déja invité le public à voir une
école où fe trouve un affez grand nombre
d'élémens recueillis dans cette vue
& particuliérement les méthodes du fieur
Mahaux pour l'Hiftoire , la Géographie
les Généalogies , le Blafon , l'Hiftoire naturelle
, &c. dont le fuccès prouve l'utilité
, & donne à fon Auteur la hardieffe de
renouveller fes inftances à cet égard. Il
en eft de même des exercices que le fieur
Viard fait faire à fes Eleves fur la poéfie
Latine & Françoiſe , l'Eloquence & les Inf
tituts du Droit François & Romain. Ces
11. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
>
deux Maîtres affociés demeurent rue de
Seine , Fauxbourg S. Victor ; & leur maifon
a pour titre Académie des Enfans
digne objet de la curiofité des pères &
meres intéreffés à s'affurer de la vérité de
cet expofé. Il vient de paroître un fecond
Profpectus raifonné de cet établiffement ,
qui a été bien reçu , & qui fait connoître
le véritable efprit dont ces deux Maîtres
font animés .
On croit auffi devoir rappeller au public
le fouvenir d'un ouvrage intitulé Epőques
élémentaires
principales
d'Hiftoire univerfelle
, fuivant la Chronologie
vulgaire ,
par le fieur Mahaux , annoncée avec éloge
l'an paffé par tous les Journaux
périodiques.
Il n'y a rien de plus fimple , de plus
facile , & de plus expéditif que cet ouvra,
ge pour l'inftruction
des enfans .
On le trouve chez l'Auteur & chez les
Libraites Piffor , quai de Conty , & Lambert
, rue de la Comédie Françoife. On
doit remarquer furtout que le mérite
de cet ouvrage confifte à être en trois
grandes feuilles , formant chacune un ' tableau
, dont l'oeil faifit continuellement
l'enfemble & le rapport de toutes les
parties. Si on le met en livre , ce ne doit
être que pour le rendre portatif , & s'en
faire ce qu'on appelle an dade mecum. On
ག
JANVIER. 1756. 99
en trouvera de cette maniere , mais en petite
quantité,aux endroits ci-deffus indiqués.
LES AMOURS du Bon vieux temps : On
n'aime plus comme on aimoit jadis . A Vauclufe
& à Paris , chez Ducheſne , rue faint
Jacques , 17:56 , avec une très jolie gra
vure qui eft enchâllée dans le titre.
Cette Brochure contient deux Romances,
ou deux Fabliaux , compofés dutemps de
Saint Louis . L'avis du Libraire nous apprend
que le premier qui a déja paru dans
leMercure, obtint alors des fuffrages diftingués.
Nous croyons qu'il les a mérités par
la naïveté charmante qui le caracteriſe , &
qui peint fi bien nos moeurs anciennes. Ce
Fabliau eft mêlé de Vers & de Profe . Les
Vers mis en Mufique étoient chantés &
accompagnés par les Jongleurs. La Profe
a été mife en François intelligible , & l'on
a tâché de conferver la fimplicité ingénue
du Dialogue qui eft dans l'Original . La
feconde Romance qui a pour titre la Châtelaine
de Saint Giles , eft toute en Vers ;
elle nous paroît inférieure à celle de Daucaffin
& de Nicolette , mais elle a pour
le Lecteur l'avantage de la nouveauté, que
l'autre n'a pas.
NOUVEAU Dictionnaire Univerfel des
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
Arts & des Sciences , François , Latin &
Anglois , contenant la fignification des
mots de ces trois Langues , & des termes
propres de chaque état & profeffion , avec
l'explication de tout ce que renferment
les Arts & les Sciences , traduit de l'Anglois
de Thomas Dyche , 2. vol . in- 4° , à
Avignon , chez la veuve de Fr. Gerard ,
place S. Didier; & fe vend à Paris , chez
Guillyn, quai des Auguſtins , 1756.
NOUVEAUX Amuſemens Poétiques de
M. V. in- 12. prix 30. fols . A Amfterdam ,
& fe trouvent à Paris , chez Duchefne, rue
S. Jacques , 1756.
On lit après le titre , ce petit avis au
Lecteur.
L'entrepriſe de l'Auteur
Seroit plus que téméraire ,
S'il afpiroit à vous plaire
Dans ce préfent fi petit
Que fa mufe vient vous faire ;
Mais pour délaffer l'efprit ,
L'amufer & le diftraire ,
Il ne faut pas un Voltaire ,
Tout eft bon , un rien ſuffit.
Nous croyons l'Art d'amufer plus diffiJANVIER.
1756. 161
cile. Bien loin que tout foit bon , &
qu'un rien fuffife pour y réuffir , nous
fommes perfuadés qu'il y faut beaucoup
d'agrément , de fineffe & d'efprit. Nous
fouhaitons pour l'Auteur que fes Lecteurs
penfent comme lui , & qu'il en obtienne
toute la bienveillance que fa modeftie mérite.
ESSAI Phyfique fur l'heure des Mareés
dans la Mer Rouge , avec l'heure du paffades
Hébreux . A Cologne ; & fe vend a
Paris, chez Lambert , rue de la Comédie ,
au Parnaffe , 1755.
SUITE du Catalogue des Livres tant de
France que des Pays Etrangers qu'on trouve
chez Guillyn, quai des Auguftins, Bibliothéque
curieufe Hiftorique & critique
ou Catalogue raifonné de Livres difficiles
à trouver , par David Clement , in- 4° cinq
vol. on donnera le tome fixiéme inceffamment.
Bartholini ( Thoma ) Hiftoriarum
Anatomicarum Centuria , in- 8 ° . fig. Bartholini
(Thoma ) Epiftolarum Medicinalium
Centuria , s . vol. in- 8 ° . Beccheri ( Joan .
Joachimi ) Phyfica fubterranea , profundam
fubterraneorum genefim è principiis hucufque
ignoris oftendens . Accedit Georgii Ernefti Stahl
Specimen Becchertanumfundamentorum , de-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE .
S
cumentorum experimentorum , 1742. in-4;
Boehmeri ( Philippi- Adolphi) Obfervationum
Anatomicarum rariorum fafciculus , notabilia
circà uterum humanum continens , cum
figuris , 17:52 . in -fol. Boneti ( Theophili )
Polyalthes , five Thefaurus Medico-Practicus
Pathologiam veterem & novam exbibens.
in -fol. 3. vol. Boreli ( Joannis- Alphonfi ) de
motu animalium , &c . in-4° . figures. Boyle
( Roberti ) Phyfica , quæque extant opera ,
s vol. in- 4°. Camerarii ( Joachimi ) Symr
bolorum , ac Emblematum Ethico - politicorum
Centuria IV. &c. opus 400 figuris aneis adornatum
, in 8 ° . Conradii Gefneri Opera Betanica
, c. 1753. figures enluminées.
Canifii ( Henrici ) Thefaurus Monumentorum
Ecclefiafticorum & Hiftoricorum , ex editione
Jacobi Bafnage , 7 vol . in-fol, Cave (Guillelmi)
Scriptorum Ecclefiafticorum Hiftoria Littera
ria, nova editio , 1741. in fol. 2 vol . Cypriani
( Johannis ) Hiftoria animalium , & c. in-4°.
6 vol . Codex Diplomaticus , & c. 1543. in-
4°. Corps univerfel Diplomatique du droit
des Gens , &c. par Jean Dumont , 16 vol .
in fol. Supplément au corps Diplomatique,
continué jufqu'à préfent par Rouffet , &c.
10 vol . 1739. Négociations fecretes touchant
la paix de Munſter & d'Ofnabrug ,
depuis 1642. jufqu'en 1648 , &c. 4 vol.
in -fol. Hiftoire des Traités de paix , & au- 1
JAN VIE R. 1756. 103
tres négociations du dix - feptieme fiecle ,
depuis la paix de Vervins , jufqu'à celle
de Nimegue , par Jean-Yves de S. Preft ,
2 vol. in fol. Conradi ( Chriſtophori ) Sicelii,
alias Sikel , exercitationes cafuales Chimico-
Medice , & c. neuf parties in- 8 °. Cafaubonii
Epiflola , in -fol.
EXTRAIT de l'Etre penfant , annoncé
dans le premier volume de ce mois .
LE
སྩ མ
E Héros de ces Mémoires eft un
homme du monde , qui joue à peu près
le même rôle que le Comte D ... dans les
confeffions ; il ébauche rapidement plufieurs
intrigues volages , & finit par une
paflion véritable pour un objet digne
d'être aimé. Il déclare d'abord fon âge ;
il eft dans fa cinquantiéme année , & dit ,
qu'il quitte un monde qui commençoit à
l'ennuyer, & qu'il va dansfa retraite s'amuser
& rire à fes dépens , afin qu'il lui foit bon
encore à quelque chofe : il fait à ce deffein
un petit journal de fa vie. Je ne fuis
point méchant , ajoute- t'il ; mais on peut
me croire fingulier. Je penfe d'après le
fonds des chofes & non d'après l'opinion
des hommes.... Ma forte de philofophie
eft un mépris général des préjugés & des
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
ufages : un défaut me choque moins qu'un
préjugé. Pour mieux établir fon caractere
, notre Héros nous apprend que les
grands Seigneurs & les femmes , font les
premiers objets qu'il a foumis à fa raifon
, & qu'en vivant avec eux , il lès a
envifagés dans le point de vue jufte ,
pour jouir de ce qu'ils ont d'agréable ,
fans rifquer de s'avilir par une lâche fervitude
. Sa façon de penfer fur les femmes
n'étoit pas d'abord tout-à-fait décidée ;
quoiqu'il les fçût fauffes , légeres , faciles ,
il regardoit toujours intérieurement leur
défaite comme une faveur , & leur inconftance
comme une injure. Mais une
aventure qui lui arriva , eut bientôt perfectionné
fon efprit , & achevé fon caractere.
Il alloit dans une maison où il
vit une femme dont il fait un portrait
eftimable fous le nom d'Aminte . N'ayant
jamais été ni coquette ni galante , elle
avoit vécu dans la diffipation , parce que
la folitude n'eût convenu ni à fon état
ni à fon âge. N'attachant point de la vanité
à n'avoir plus un Amant , ne prétendant
à aucune confidération , voulant
mériter l'eftime & n'exigeant point le refpect
, n'étant point prude enfin , n'ayant
aucun faux air , aucun ridicule , & quoiqu'avec
beaucoup d'efprit , paroiffant
·
JANVIER. 1756. 105
prefque bonne femme. Un jour que notre
Héros faifoit avec elle une partie de
jeu , il fentit le pied d'Aminte s'appuyer
deux ou trois fois de fuite fur le fien , &
les yeux de la Dame paroiffoient être de
concert avec les pieds. Cette action imprévue
fit une fi forte impreffion fur lui , que
fon étonnement l'empêcha d'y répondre ;
qu'un violent battement de coeur fuccéda
à la furprife , & qu'il devint rêveur dès
qu'elle fut fortie ; il foupire & craint de
parler. Dans cette pofition délicate , pour
s'éclaircir s'il eft véritablement aimé , après
plufieurs autres traits marqués d'un feu
voilé qui perce dans Aminte , il lui écrit
fes doutes , & lui demande confeil en ces
termes : Tout malheureux que ma paffion
m'a rendu , je ne veux pas rifquer de déplaire
à Aminte . Si vous croyez qu'elle puiffe
s'offenfer , je fuis prêt à me condamner à
un éternelfilence. Confeillez - moi comme vous
voudriez confeiller un homme , qui feroit
avec vous dans le cas où je fuis avec elle.
Elle lui répond qu'Aminte a eu de l'amour
lui , pour mais que c'eſt un amour
de premier mouvement , qu'elle l'a combattu
dès qu'elle l'a connu , qu'il n'eft
facrifié qu'à la vertu ; mais qu'il l'eft vraifemblablement
fans retour ,. & que
meilleur confeil qu'elle puiffe lui donner ,
le:
Evic
106 MERCURE DE FRANCE.
1
eft de paroître ne s'être apperçu de rien .
Notre Amant prend cet arrêt à la lettre :
outre les plaifirs que lui promettoit une
femme aimable , il regrette en elle les
avantages de la raifon , les douceurs de
l'amitié , les agrémens de la fociété ; il ſe
guérit d'abord de fa paffion par une dofe
de milantropie : il prend le cruel parti de
fuir le monde & de hair toutes les femmes.
Les hommes partagent cette haine ,
mais elle perd peu à peu de fa force , il
rentre dans le tourbillon , où il fe fait un
nouveau fyftême , il fe borne au mépris
pour les deux fexes , & fait fervir les uns
& les autres à fon amufement ; il vit avec
eux , mais il ne vit que pour lui. Animé
de ces fentimens , il reparoît fur la fcene du
monde avec éclat. Il plaît à trois femmes à
la fois , l'une coquette , l'autre galante , &
la troifiéme femme à fentimens. Il triomphe
de la premiere ; la feconde capitule
fans fe rendre , & Lucinde la derniere
ne lui infpire pas un goût affez vif pour
Ta
tromper. Je fupprime une affaire qu'il
cut avec un jeune homme de robe , qui
fe traveftit en militaire pour fe battre contre
lui , & dont il punit la fatuité & corrigea
la mal- adreffe par un coup d'épée.
Pour me fervir de fes expreffions que je
gagne à tranſcrire , il devient enfuite non
JANVIE R. 1756. 107
pas amoureux , mais fenfible pour Julie ,
qui réuniffoit toutes les graces & tous les
talens. Elle étoit du nombre de celles que
l'on paye parce qu'elles font cheres , que
l'on prend parce qu'elles ont été prifes ,
& que l'on garde fouvent parce qu'elles
font infidéles. Mais Julie n'avoit de commun
avec elles que l'état . Folle à l'excès
mais capable d'attachement ; fans art lorfqu'elle
aimoit ; fans détour, lorfqu'elle
n'aimoit plus ; n'ayant ni les intrigues de
la galanterie , ni le manége de l'amourpropre
, ni les fineffes de l'impofture ; ne
diftinguant point les états ; trouvant tous
les hommes égaux pour elle ; ne rougiffant
jamais , & n'ayant jamais à rougir ,
ce caractere plaît à notre être penfant qui
s'y attache ; elle y répond au point qu'elle
veut lui facrifier un Financier opulent . Il
s'y oppofe ; mais quelques jours après il
la trouve refroidie : il la furprend avec
le Chevalier de S*** . Quand ce dernier
eft forti , il lui parle plus en ami fincere
qu'en amant jaloux , & lui repréfente que
le Chevalier aimable de figure , mais méprifable
par le coeur , eft accufé de dépouiller
les victimes , & qu'elle y prenne
garde. Julie pénétrée d'un procédé fi
honnête , fe jette à fes genoux , & fe reprend
de goût pour lui. Le Financier
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
furvient , & furieux d'être trompé , il enleve
à Julie tout ce qu'il lui a donné ,
c'eft-à- dire , tout ce qu'elle pofféde . Elle
Amoins fenfible à cette perte , qu'à l'indifférence
de fon Amant , que ce trait
de défintéreffement rengage avec plus de
force . Il lui apporte un fecours de trois
'cens louis , qu'elle n'accepte qu'avec peine.
N'étant point en état de la foutenir
même en s'incommodant , il lui procure
la connoiffance d'un jeune Mylord , auffi
riche qu'aimable , plus pour la rendre
heureufe que pour s'en débarraffer . Elle
s'y prête par complaifance , & le perd
avec regret ; pour s'étourdir lui - même
il fe jette dans le plus grand monde , &
devient l'objet des avances de deux femmes
de beaucoup d'efprit , & d'un rang
diftingué ; mais de moeurs fi dépravées
que je gliffe fur cette aventure .
Celle qu'il eut avec une Ducheffe qu'il
rencontra chez un Miniftre , eft encore du
même genre. Le triomphe facile qu'il
obtint auprès d'elle , ne fut qu'un éclair ,
& ne fait que groffir la lifte des femmes
méfeftimables qu'il a fucceffivement attachées
à fon char . Je paffe donc pardeſſus
pour en venir vite à l'hiftoire intéreffante
qui termine ces Mémoires , & que le
d'efpace me force d'abréger. Notre Héros
peu
JANVIER. 1756. 109)
volage eft fubitement fixé par la rencontre
d'une jeune perfonne charmante , qu'il
trouve endormie dans la forêt de faint
Germain. Après qu'elle s'eft éveillée , il
la raffure & lui parle avec une expreffion
fi tendre & fi refpectueuse en même tems
qu'il obtient fa confiance , & qu'elle lui
raconte fon infortune .
2
Elle lui apprend qu'elle eft née en
Province , d'un pere dont la fortune a
changé , mais dont elle a reçu une édu
cation noble , qui a perfectionné fes bonnes
qualités. Jeune , belle , fpirituelle &
fage , elle a eu le malheur de plaire à
un Colonel nommé le Marquis de Claville
, dont le régiment étoit en garnifon
dans la Ville qu'elle habitoit . Tout ce qui
peut féduire dans un amant , fe trouvoit
réuni dans ce brillant militaire ; la figure ,
l'efprit , la douceur , la modeftic. Le moyen
qu'un coeur tendre & fans expérience ,
ne fe laiffe pas prendre au piége d'un
amour revêtu des dehors de la fageffe !:
Cet amour ne s'annonce que par une
conduite mefurée , & ne fe déclare qu'après
des fervices rendus. Le Marquis accorde
une Lieutenance au frere , & promet
d'époufer la four. Pour faciliter cè
naud , fes lettres ont fi bien prévenu
l'efprit de la Comteſſe de Merſan fa tante ,
110 MERCURE DE FRANCE.
en faveur de la beauté qu'il aime , qu'elle
veut l'avoir auprès d'elle comme Demoifelle
de compagnie , & qu'elle l'envoie
chercher dans un équipage par une de
fes femmes. Notre Héroïne féduite part
tranfportée de reconnoiffance ; mais à peine
eſt elle arrivée , qu'elle eft défabuſée :
elle reconnoît que le Marquis eft un monftre
& que cette fauffe Comteffe eft une
vraie corruptrice de la vertu . Dans ce
malheur affreux tout ce qu'elle peut faire
pour s'y dérober , eft de fe fauver la nuit, &
de parvenir à la forêt où fon nouvel Amant
l'a rencontrée. Car il l'eft devenu dès la
premiere vue , & ce réçit l'acheve. Il lui
offre de la conduire partout où elle voudra
; elle le prie de la rendre à fon pere ,
& de la dérober à la vue de tous les hom
mes qu'elle doit abhorrer. Il en foupire ;
toute fois il obéit : mais une fiévre violenre
furvient , qui la retient en chemin .
Notre Héros ne quitte pas fon chevet ; &
c'eft à cette heureufe maladie dont elle revient
plus belle que jamais , qu'il doit fon
bonheur. La reconnoiffance fait naître un
tendre retour dans le coeur de la malade ,
& fa convalefcence eft célébrée par un
hymen afforti , qui les détrompe tous
deux pour leur félicité commune. Elle
éprouve qu'il eft encore des amans finJANVIER.
1756. 111
ceres , & il eft à fon tour convaincu qu'il
existe des femmes fidéles. Cette courte
analyſe juſtifie l'Auteur , que l'on accufoit
de faire impitoyablement le procès à tout
le genre féminin .
On compte dans fon Roman plus de
femmes eſtimables , que d'hommes fans
reproches ; Aminte , Lucinde , Julie même
, font de ce nombre. Si les réflexions
& les traits généraux portent fouvent contre
les femmes , les faits particuliers parlent
en leur faveur, le dénouement eſt tout
à leur gloire , & le contempteur du beau
fexe en devient l'apologifte.
Lettre à l'Auteur du Mercure.
LE hazard , Monfieur , vient de me faire
appercevoir d'une erreur bien confidérable
, dans laquelle M. de la Rue , Auteur
de la Bibliothéque des jeunes Négocians
, eft tombé , je veux dire une inadvertence
à la page 322. Il dit qu'il doit
à fon Correfpondant d'Hambourg 1730 l.
18 fols 6 deniers , monnoie de France , le
change de Paris fur Hambourg à 177 liv.
& demie de France pour 100 marcs lubs
d'Hambourg ; cet énoncé eft très -jufte.
A la page 330 , il donne la démonftration
de cette opération , & voici comme
il la propofe. Je copie
1
IFE MERCURE DE FRANCE.
Pour réduire 1730 livres 18 fols & deniers
de France en marcs & fols lubs , monnoie
de banque d'Hambourg au cours du
change , de 177 defdits marcs pour 100
écus , ou 300 livres de France.
La question eft mal propofée.
Il falloit dire pour réduire 1730 livres
18 fols 6 den. de France en marcs & fols.
lubs , monnoie de banque d'Hambourg au
cours du change de 177 livres de France
pour 108 defdits marcs lubs.
En conféquence de fa queftion mal établie
, il a opéré fur un principe faux en
avançant qu'il falloit dire :
Si 300 livres de France font 177 marcs
d'Hambourg , combien 1730 l . 18 f. 6.d.
multiplié par
177
Vient 307239 qu'il fait
divifer par 300 , qui donnent au quotien
pour réponſe 1024 marcs & fols lubs de
banque . Ce qui eft faux.
Il falloit établir l'opération ainfi.
Si 1771. de France donnent 100.marcs
d'Hambourg , combien 1730 l . 18 f. 6 d .
qu'il faut multiplier par 100
vient 173092
à divifer
par 177 : vient au quotien pour réponſe
275 marcs 2 fols lubs , ou 4 den . qui eft
Co
JANVIE R. 1756. 113
la véritable réponſe , & non pas 1024 m .
2 fols lubs.
L'inftruction qui eft à la fuire de fon
opération est également fauffe .
A la page 360 , il y a l'opération d'Hambourg
fur la France , qui eft l'inverſe de
celle ci- deffus, (je parle de mon opération)
& qui étoit pour fervir de preuve à la
fienne ; mais le réfultat venant à la mienne
& non à la fienne , cela confirme l'inadvertence
. L'on voit par cette opération
que 975 marcs 2 fols lubs au change
de 274 fols lubs , donnent pour réponſe
1730 liv. 18 f. ‹ den.
S
Le change d'Hambourg fur Paris à 27
4 fols lubs , eft le même que le change de
Paris fur Hambourg à 177 livres pour
cent marcs lubs.
Comme il eft de conféquence à ceux
qui fe fervent d'un pareil livre pour s'inftruire
de partir d'un principe vrai , je
donne ci-après la maniere dont on doit
relever cette leçon en la fubftituant à la
place de celle qui eft dans le livre .
Je ne fçais pas s'il y a d'autres erreurs
de ce genre, parce que je n'en ai point fait
la recherche ; elle eft trop groffiere pour
foupçonner qu'il y en ait de pareilles.
A
Je crois que vous voudrez bien rendre
fervice au public , en inférant cette lettre
1:14 MERCURE DE FRANCE .
qui pourra être utile à ceux qui ont les
exemplaires du livre de M. de la Rue, dont
l'édition a été enlevée en peu de tems. Une
feconde fe fait défirer , ainfi que de lui
voir effectuer fa promeffe fur fon traité
des parties doubles,
J'ai l'honneur d'être , &c.
Change de Francefur Hambourg.
Pour réduire 1730 livres 18 fols 6 den.
de France en marcs & fols lubs , monnoie
de banque d'Hambourg au cours du chan--
de 177 liv. de France pour cent marcs
ge
lubs.
Opération.
Si 177 liv. de France font 100 Marcs
de Hambourg , combien
17301. 18 f.
100
173.000 f.
so pour 10 la
173092
177
2.5 Sle
10 2 le de 10 ,
S
la de 2 .
6 d . ladeif.
173092
2
dividende.
975 Marcs 2 f. lubs , dont je
dois faire la traite fur
Hambourg.
JANVIER. 1756. 115
>
Inftruction.
Faites une régle de trois directe, difant,
fi 177 livres de France valent 100 marcs
lubs d'Hambourg , combien en vaudront
1730 livres 18 fols 6 deniers. Le produit
173092 de la multiplication du dernier
terme par celui du milieu étant divifé par
177 le premier terme , en réduifant
tout en demi , il restera 60 à multiplier
par 16 fols lubs , valeur du marc , & divifant
de même il vient 2 fols de banque ,
& 250 en reſte à multiplier par 12 deniers
valeur du fol , & divifant enfin de même
il vient 8 deniers ; en forte que pour lef
dites 1730 livres 18 fols 6 den . de France,
on recevra à Hambourg en monnoie de
banque 975 marcs 2 fols 8 deniers lubs.
Voici , Monfieur , encore une chofe que
je crois être une erreur dans le Commentaire
de l'ordonnance de la marine de
1681. Edition de 1747 , pag. 186 , au titre
du fret , ou nolis, art. 5. Le texte porte:
Ne fera réputé y avoir erreur en la déclaration
de la portée du vaisseau , fi elle
n'est au deffus du quarantieme .
Voici le Commentaire.
De la portée du vaiffeau , ] c'eſt -à - dire du
port ou capacité du vaiffeau.
116 MERCURE DE FRANCE.
Si celle n'eft au- deffus du quarantieme,
il faut donc que l'erreur dans la déclaration
faite par le Maître du navire foit
confidérable , pour donner lieu à des dommages
& intérêts contre lui . Il faut qu'il
y ait au moins un quarantieme complet
au- deffus du port du vaiffeau ; c'eft prefque
la moitié.
Je crois que ce commentaire & le texte
font trop intéreffans au public pour ne pas
demander ce que l'un & l'autre veut dire.
Le Commentateur donne à entendre que
c'eft les deux cinquiemes, que le quarantieme.
Le texte ne dit point que c'eft le 40°
de cent . Je demande à m'éclairer là deffus ,
parce que dans une affaire fur cette matiere
je n'ai jamais pu comprendre le jugement
, le commentaire m'empêchant
d'entendre le texte, comme le texte m'empêche
de concevoir le commentaire . Je ne
connois point l'Auteur du commentaire ,
fans cela je m'en expliquerois avec lui .
Je connois bien l'ordonnance, parce qu'elle
eft adoptée de toutes les nations de l'Europe
, comme le plus beau morceau de la
jurifprudence.J'efpere que ceux qui aiment
la vérité , ou qui fçavent les ufages maritimes
fur le fret ou nolis , voudront bien
expliquer par la voie de votre Mercure
quelle portion on doit entendre par un
JANVIER. 1756. 117
quarantieme fur la capacité d'un navire ,
& qu'ils voudront bien faire connoître fi
le texte eft expliqué par le commentaire ,
ou file commentaire n'embrouille pas le
texte.
ESSAI fur l'Agriculture moderne , dans
lequel il eft traité des Arbres , Arbriffeaux
& fous- Arbriffeaux de pleine terre , dont
on peut former des Allées , Bofquets, Maffifs
, Paliffades & Bordures dans un gout
moderne ; enſemble des Oignons de fleurs
& autres plantes , tant vivaces qu'annuelles
; des Arbres fruitiers furtout
ceux qui méritent la préférence dans le
plan des Potagers , à Paris , chez Prault
pere , quai de Gêvres , 1755 .
Ce petit Effai de Jardinage pourra fervir
de Catalogue à la Pepiniere de la
Santé , près le Petit Gentilly , & à celle
du Cloître S. Marcel. Les perfonnes qui
fouhaiteront quelques-uns des objets qui
у font contenus , s'adrefferont aux fieurs
Abbés Nolin & Blaves, Cloître S. Marcel.
118 MERCURE DE FRANCE.
AVERTISSEMENT.
Au bas de la lettre qui nous eſt adreſſée
par l'Editeur
de la Vie de Bacon , & dans
laquelle
il prend fur fon compte deux fautes
remarquables
qui fe trouvent
dans l'ouvrage
, on a omis fon nom , pag. 97 , lig. 18 , dans le Mercure précédent
. Pour fuppléer
à cet oubli , nous apprenons
au Lecteur
que c'eft M. de Leyre , dont le nom mérite d'être retenu , & la franchife
imitée.
On nous reprochera
peut-être de fer- vir aux autres d'errata
, & de ne pas nous
corriger
nous- mêmes
. Nous pourrions
apporter
pour excufe qu'un Auteur qui eft obligé de donner
cinq volumes
dans le
court efpace de deux mois , doit obtenir
quelque
indulgence
; nous pourrions
même
rejetter
tout le tort fur l'imprimeur
, mais nous aimons mieux prendre
M. de Leyre pour modele , & confeffer
nos fautes
publiquement
. Pour réparer les plus groffieres
, nous avons mis un errata
à la fin de ce volume
, & nous promettons
d'être corrects
à l'avenir
, autant qu'on peut
l'être dans une collection
rapide qui dépend
de l'heure
& du jour.
JAN VIER. 1756. 119
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES LETTRES.
HISTOIRE.
MEMOIRE fur les anciennes repréfenta-
- tions théâtrales pienfes , où le mêlange de
la fiction a quelquefois obfcurci le fonds de la
vérité ; par M. l'Abbé le Boeuf, de l'Académie
des Belles- Lettres .
Depuis que je me fuis appliqué à la
recherche & à la lecture des anciens manufcrits
, je me fuis apperçu que quelquefois
la découverte d'un manufcrit jufqu'ici
inconnu , fuffifoit pour engager les Lecteurs
que les préjugés n'aveuglent pas
entiérement à douter fur des faits qu'ils
avoient cru véritables , ou au moins vraifemblables
.
•
Lors donc que je parus , en 1726 , fatisfait
de la légende que le nouveau Bréviaire
d'Auxerre de cette année- là prefentoit
pour la fête de Saint Juft , enfant né à Auxerre
, martyrifé au mois d'Octobre dans
le Diocèfe de Beauvais , je n'étois pas en120
MERCURE DE FRANCE.
core parfaitement inftruit qu'autrefois on
fe plaifoit à repréfenter les vies des Saints
fur le théâtre pour occuper & amufer pieufement
les Fideles . Je n'avois pas encore
vu de recueils manufcrits de ces pieufes
repréſentations. Tous ces recueils ne font
pas parvenus jufqu'à nous ; mais ceux que
l'on conferve en caracteres du XIII fiecle ,
& qui font écrits en rimes latines ,font préfumer
que ces repréfentations font beaucoup
plus anciennes , & que ces collections
de rimes mefurées avoient été composées
dès le dixieme fiecle , fi ce n'a pas été dès
le neuvieme. Ce que j'ai vu de ces fortes
de pieces dans les manufcrits de l'Abbaye
de S. Benoît-fur- Loire , & qui a été copié
au treizieme fiecle , tant fur Saint Nicolas
que fur le maffacre des Innocens , la converfion
de S. Paul, &c. a dû être pris fur des
originaux de date, au moins auffi ancienne
que le font certaines pieces facétieuſes latines
& rimées qu'on trouve encore parmi
les manufcrits de l'ancienne Abbaye de S.
Martial de Limoges, confervés à la bibliothéque
du Roi , qui font du dixieme &
onzieme fiecles . Quelques- unes reffemblent
à ces comédies fpirituelles que l'on jouoit
encore il y a trois cens ans.
Il eſt inutile de rappeller ici les repréfentations
de la paffion , de la réfurrection
JANVIE R. 1756. 121
tion de notre Seigneur, & autres myſteres.
Cela eft connu de tout le monde . On fçait
auffi
communément en général , qu'à Paris
on a repréſenté la vie de fainte Géneviéve.
Le recueil des pieces de théâtre fur
cette Sainte eft encore confervé parmi les
manufcrits de l'Abbaye de fon nom , d'écriture
du quinzieme fiecle. J'ai vu dans
un manuferit de l'Abbaye de S. Victor de
la même ville une piece en forme de dialogue
entre Dieu , l'homme , le diable &
un Docteur , que l'Ecrivain dit avoir été
jouée en 1426 au Collège de Navarre :
mais plus
communément & plus anciennement
les tragédies de piété étoient pour
repréſenter la vie des Saints , & principalement
celle des Martyrs , fans qu'on difcernât
les faux actes d'avec les vrais , parce
qu'on ne le pouvoit guere alors , & que
ceux qui renfermoient le plus de merveilleux
étoient réputés les plus beaux , à raifon
de la fécondité de la matiere , tels que
ceux de S. Chriftophe , & de S. Euſtache ,
&c.
Maintenant donc que je fuis plus én
état de juger de toutes ces pieufes fictions
que je n'étois il y a quarante ans avant mes
principaux voyages , & avant mes recherches
dans les
manufcrits , je ne fais pas
éloigné de croire que la vie de S. Juſt mar-
II.Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
tyrifé dans le Beauvoifis , & celle de Saint
Juftin martyrifé dans le Parifis , font de ces
pieufes inventions de quelques Auteurs
qui vouloient toucher le peuple par des
repréfentations d'événemens merveilleux ,
& qui trouvoient qu'il étoit trop fec d'honorer
des martyrs fans raconter aux fide .
les à leur fujet quelques faits qui tinffent
du prodige. Je ne ferai ici que fuivre les
preffentimens que MM. de Tillemont &
Baillet , & depuis eux Dom Rivet , Bénédictin
, ont eu fur cette prétendue hiftoire
( 1 ). Mais je dois ajouter à ce qu'ils ont
dit , une obfervation importante qu'il leur
a été impoffible de faire , à moins que de
rechercher toutes les anciennes vies de ces
deux faints , ce qquu''iillss nn''oonntt pas fait. Ils
fe font bien apperçus que l'on a attribué à
ces faints Juft & Juftin , enfans, les mêmes
actions , la même patrie qui eft Auxerre ,
le même voyage pour Amiens , en paffant
par Melun & par Paris. Le rachat d'un de
leurs parens détenu captif à Amiens , l'envoi
de quelques archers après eux , lefquels
émiffaires , pour rejoindre Juft , ne
vont pas au delà d'une journée , & le font
décapiter dans le Beauvoifis en un lieu
pellé anciennement Sinomovicus , proche les
(1 ) Hift. Litter, T, 6, p. 204 .
ар-
1
JANVIE R. 1756. 123
bords de la petite riviere d'Aire : au lieu
que lorfqu'il s'agit de Juftin , les Soldats
ne rejoignent le jeune Saint que lorsqu'ils
font arrivés dans un lieu appellé Lupera.
Ce n'eft point dans la dénomination de
ces lieux que l'on peut foupçonner de l'invention
humaine. La preuve que S. Just
a été martyrifé à Sinomovicus , Bourgade
du Beauvoifis , eft que fon corps y avoit
été inhumé , & que le concours à fes reliques
a fait quitter l'ancien nom du lieu
pour l'appeller Saint Juft . Ce n'eſt pas non
plus une fiction que de dire qu'il y a eu à
Louvres en Parifis , un martyr du nom de
Juftin. Les plus anciens martyrologes de
l'Eglife Latine marquent fa mort au premier
Août , de même que le martyre de
S. Juft du Beauvoifis au 18 Octobre . Mais
ces deux Saints étant devenus célébres par
leurs reliques , la dévotion a fupporté impatiemment
qu'il n'y eût rien à dire fur
Juft , finon qu'il étoit enfant de neuf ans ,
ainfi que fes offemens le défignoient , &
l'on a recouru à l'ingénieuſe invention de
coudre enſemble plufieurs faits merveilleux
dont on a fait un tiffu de Légendes ;
& comme les Parifiens n'en fçavoient pas
plus fur leur S. Juftin que ceux du Beauvoifis
fur leur S. Juft , les mêmes Parifiens
ont emprunté les actions attribuées à l'au-
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
> fe contentant de changer quelques
noms propres , & furtout le nom de lieu
du martyre.
Or , que cette fabrication d'actes fe foit
faite dans le deffein d'en donner la repréfentation
pour repaître la piété des finples,
c'eft de quoi j'ai découvert une preuve
affez fenfible dans un Légendaire manufcrit
d'environ fix cens ans , en deux tomes
in folio , confervés aujourd'hui chez
les Carmes Déchaux de Paris . Il faut d'abord
fe reffouvenir que les Sçavans ont
été étonnés qu'on eût attribué à Bede une
Hiftoire de S. Juftin de Paris , en la faifant
imprimer dans le troifieme tome de fes
ouvrages. Si Bede avoit connu ce S. Juftin
du Parifis fi particulierement que cette
longue hiftoire le fuppofe , il n'eût pas
oublié ce Saint dans fon martyrologe : ainfi
cette vie eft un morceau fauffement attribué
à cet Ecrivain Anglois ; on l'aura
cru être de lui dans les fiécles où l'on s'imaginoit
que tout ce qui étoit écrit dans
un même volume , étoit forti de la plume
de l'Auteur nommé au commencement du
livre , lorfqu'il ne fe trouvoit point d'autre
nom. Il est encore à remarquer que
cette vie de S. Juftin eft écrite en efpece de
vers trochaïques qui furent fort en vogue
au IX & -X fiecles. C'eft comme une ef
JANVIER. 1756. 125
pece de profe rimée & mefurée quant au
nombre des fyllabes , à laquelle meſure
l'Auteur ne s'aftreint cependant point généralement
, employant dans chaque ligne.
plus ou moins de fyllabes , fuivant qu'en
fourniffent les mots & les termes qui lui
viennent à l'efprit. C'eſt à peu près comme
des vers libres , où l'on ne fe gêne que
pour la rime.
Il faut obferver en troifieme lieu que
ces fortes de profes rimées Latines avoient
l'avantage de pouvoir être retenues de mémoire
plus aifément , & d'être miſe en
chant pour la facilité de l'exécution ; on
en a divers exemples dans les vers ou rimes
publiées au IX fiecle fur la bataille de
Fontenai & fur la mort de quelques Princes
ou grands Seigneurs de ces tems - là
lefquels vers ou rimes font encore reftées
avec les anciennes notes de chant , fans lignes
ni fans clefs dans des manufcrits ( 1 )
de l'Eglife de S. Martial de Limoges.
Quatriemement , ( & ce qui fert le plus
à développer ma penfée ) ce ne font pas
feulement les Parifiens qui ont fait mettre
en vers rimés de cette forte , le martyre
de leur S. Juftin ; mais ceux du Beauvoifis
avoient eu le même foin à l'égard de leur
S. Juft , & apparemment pour la même fin ,
(1 ) In Biblioth. Regia.
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
c'est-à-dire pour pouvoir mettre les fideles ,
la jeuneffe principalement , & furtout celle
qui étudioit dans les monafteres , ou parmi
les Clercs , pour pouvoir , dis- je , les
mettre en état d'apprendre avec facilité
cette hiſtoire mémorable , de la chanter, &
même de la déclamer , comme on faifoit les
complaintes. Il faut recourir , pour être
convaincu de ce que je dis , au premier
volume du Légendaire des Carmes ci - deffus
cités . On y trouve vers la fête de S.Pierre
à la fin de Juin ( 1 ) , quatre feuillets copiés
comme le refte du livre , à ce qu'il m'a
paru ,vers le regne de Philippe- Augufte ou
de S. Louis au plus tard . Ces quatre feuillets
contiennent la vie rimée Latine de S.
Juft de Beauvoifis , différente totalement
en ftyle , & quelquefois en faits d'avec
celle de S. Juftin du Parifis. Le copiſte qui
vouloit épargner le parchemin , n'a point
à la vérité diftribué fa matiere en autant
de lignes qu'il y a de petits vers ou de rimes
; mais quoiqu'il ait écrit tout de fuite,
on s'apperçoit auffi- tôt que c'eft une profe
mefurée de la même maniere que la vie de
(1 ) La place de cette Légende auprès de celle
de faint Pierre , infinue que ce volume avoit été
tranferit après quelque cahier de la cathédrale
de S. Pierre de Beauvais , qui contenoit les deux
fêtes folemnelles.
JANVIER. 1756. 127
S. Juftin attribuée à Bede , & qui reffemble
à la fameuse hymne de S.Thomas , Pange ,
lingua .
De dire à préfent qui font les premiers
inventeurs de ces deux Légendes rimées ,
les Beauvoifins pour S. Jutt , ou les Parifiens
pour S. Juftin , c'est ce qui n'eft pas
facile. Dans l'un & l'autre pays l'on a ai
mé les repréſentations des Actes des Martyrs
; chacun a fait travailler pour le fien
à qui mieux mieux. Je croirois néanmoins ,
comme je viens de l'infinuer , que ce feroit
le Clergé & les Moines du Beauvoifis
qui auroient les premiers mis en oeuvre
cette poéfie groffiere fur S. Juft , parce
qu'ils étoient plus voifins de la ville d'Amiens
, où une partie de la tragédie s'eft
paffée , & parce qu'ils y ont mieux caractérifé
le lieu Sinomovicus , que les Parifiens
n'ont fait leur Lupera . Il y a de plus un
ruiffeau & des fontaines à ce Sinomovicus ,
dit aujourd'hui le Bourg S. Juft , & il n'y
en a point à Louvre , ce qui ne rendoit pas
le lieu fort propre au rafraîchiffement des
patens de l'enfant . Voici ce qu'en dit la vie
du même Saint en profe dans un manuf
crit venant du célébre M. Loifel ( 1 ) ´qui
l'avoit tiré du bourg de S. Juft : Eft locus
( 1 ) In Bibl. B. Maria Parif. cod. E. x1 . initio
XII. fac.
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
antiquâ appellatione Sinomovicus , ubi fons`
dictus Sirica exoritur, cujus decurfum Braïe
rivus excipit. La vie rimée des Carmes fe
fert des mêmes expreffions difpofées de
maniere à former de la rime. L'Auteur de
cette mauvaiſe poéfie y fait entendre qu'il
y avoit encore de fon tems à ce Sinomovicus
des reftes de très - anciens édifices couverts
de lierre .
Ceux du Clergé de Paris ne voulurent
pas laiffer aux Beauvoifins feuls l'honneur
d'avoir un ouvrage propre à fournir la repréfentation
du martyre de S. Juft. Quoiqu'ils
poffedaffent le corps avec la tête ( ce
qui ne s'accorde pas avec aucune des Légendes
qui font porter la tête à Auxerre
par le pere du jeune martyr ) il fouhaiterent
auffi avoir le plaifir de la repréſentation,
foit dans un monaftere , foit ailleurs;
mais ils ne voulurent pas qu'il fût dit
qu'ils euffent pillé la verfification faite à
Beauvais. C'eft pourquoi ils en firent une
toute différente , non quant aux penſées ,
mais quant aux expreffions ( 1 ) & pareillement
fuivant la même mefure trochaïque
, changeant le nom de Juftin pere de
l'enfant en celui de Matthieu , & le nom
de Sinomovicus en celui de Lupera . Com-
(1 ) J'y ai compté plus de 130 ftrophes de fix
vers : ce qui fait 7 à 800 vers.
JANVIER . 1756. 129
me les Religieux du Prieuré de S. Martin
des Champs à Paris, poffédoient dès la fin
du XI fiècle , par donation de l'Evêque
de Paris , l'Eglife de S. Juftin de Louvres,
je n'ai aucune répugnance à croire qu'étant
d'habiles gens pour ces tems- là , ce
foit quelqu'un de leurs Maîtres ou Ecolâtres
qui aura compofé à l'ufage de Paris
& du Parifis la feconde Légende d'entre
les légendes rimées & mefurées fur
l'enfant d'Auxerre , laquelle par mépriſe
s'eft trouvée mêlée avec les ouvrages du
vénérable Bede. C'eft , ce femble , faire
remonter affez haut que de placer vers la
fin du XIe fiecle cet ouvrage pour lequel les
Sçavans ci - deffus nommés , tant Religieux
que Prêtres féculiers , ont témoigné tant.
de mépris . Ce qui m'étonne , eft que l'Eglife
de Paris qui n'a jamais manqué de
Sçavans illuftres , fe trouve en contradiction
aujourd'hui avec elle- même , ayant
laiffé dans les leçons du 8 Août , que le S.
Juftin dont elle poffede le corps , eft un jeune
martyr , dont les parens emporterent la
tête à Auxerre après fa décolation , tandis
qu'à l'ouverture de fa châfle ( 1 ) confervée
dans cette même Egliſe de Paris , faite
(1 ) Procès- verbal , dans Sauval , T. I , pag. 375
Fv
130 MERCURE DE FRANCE:
l'an 1699 , on y trouva une partie de cette
tête , & qu'on eft certain par un autre
procès verbal de l'an 1571 , que le
Chapitre avoit donné des fragmens de
cette même tête à l'Eglife Paroifliale de S.
Juſtin de Louvres . Ces derniers faits étant
véritables , il s'enfuit que l'état des reliques
de S. Juft , tel qu'il eft à Beauvais ,
où l'on n'a jamais montré fa tête , s'accorde
même avec l'hiftoire de ce Saint mal
adaptée à S. Juftin du Parifis , au lieu que
l'état des reliques de S. Juftin eft démenti
par l'hiftoire même , felon laquelle fa tête
fut portée à Auxerre auffi - tôt après la décolation
du Saint. Ou il faut donc que
l'Eglife de Paris renonce à la tête de faint
Juftin , ou qu'elle renonce à fa Légende.
Le plus fûr parti eft celui de renoncer à
la Légende , & de ne pas dire que la tête
de S. Juftin fut portée à Auxerre , puifqu'elle
n'eft jamais fortie du Diocèfe de
Paris , & en reconnoiffant qu'on l'a toujours
poffedée , & qu'on la poffede encore
, avouer que la Légende attribuée à Bede
n'a jamais été faite originairement pour
ce S. Juftin , mais que c'eft un pieux vol ,
ou plutôt un emprunt fait de la Légende
de S. Juft , compofée dans le Beauvoifis.
Au refte , quoique dans deux Diocèfes liJANVIER.
1756. 135
mitrophes on life cette même Légende ,
les circonftances dont elle a été revêtue de
part & d'autre , font trop difficiles à croire
pour qu'on doive les regarder comme véri
tables , & elles étoient mieux à leur place
étant déclamées fur un théâtre que non pas
prononcées dans un choeur , ou dans une
tribune pendant l'Office divin .
On a été fi charmé autrefois dans la
Gaule Belgique de ces Légendes merveilleufes
, que ceux du Diocète d'Amiens ont
auffi voulu avoir leur S. Juft , (différent de
celui du Diocèle de Beauvais ) dont ils
renouvellent encore la mémoire le même
jour que les autres , le 18 Octobre. Par le
peu que la tradition a confervé fur ce dernier
, il eft vifible que fa Légende avoit
auffi été écrite pour être débitée & exécutée
fur le théâtre. Jufte & Artheme fon
frere , étoient natifs d'Orient , & s'étoient
fait baptifer à l'infçu de leur pere qui étoit
Roi dans ce pays - là.N'ofant ou ne pouvant
profeffer le Chriftianifme , ils profiterent
de l'occafion de l'ambaffade qu'Aaron Roi
de Perfe envoya à Charlemagne , & ils fe
retirerent en France , felon ceux qui ont
tâché de deviner l'époque de leur arrivée.
On leur donne même une foeur appellée
Honefta auffi Chrétienne. Leur pere , am
bout d'un certain tems , envoya après cus
F vi
132 MERCURE DE FRANCE.
On les fomma de revenir chez leur parens,
finon de les faire mourir. Sur leur refus ils
furent exécutés vers les confins de l'Amienois
& de l'Artois . Malabranca , en fon
hiſtoire des peuples Morins , tom. 2, page
2090 , eft le feul auteur qui ait parlé de
ces trois perfonnages. On voit par le peu
qu'il en dit en dit que la matiere pouvoit fervir
de canevas à une tragédie , & c'eft ce qui
paroît avoir été fait , mais qui eft perdu .
Je trouve une nouvelle preuve du gout
qui régnoit autrefois au pays de Beauvoifis
pour les tragédies faintes , dans un manufcrit
curieux confervé parmi ceux de la
bibliothéque du Chapitre de Beauvais ,
où l'on voit l'hiftoire du Prophete Daniel
mife en rimes Latines fous le titre de
Danielis ludus , à la tête duquel fe lifent
les quatre lignes fuivantes :
que
Ad honorem tui , Chrifte ,
Danielis ludus ifte :
In Belvaco eft inventus ,
Et invenit hunc juventus.
Il en faut conclure que dans ce pays-là
la jeuneffe s'occupoit fort à ces jeux , &
fouvent , afin de mieux réuffir , elle
prenoit pour fujet la vie & le martyre de
quelque jeune Saint , comme celui de Daniel
en la fofle aux lions , des trois Enfans
JANVIER. 1756. 133
dans la fournaife : la maniere dont on y
chantoit les dialogues, étoit un fimple plainchant
fyllabique. La piece étoit terminée
par le Te Deum , qui étoit chanté par tous
les affiftans , ainfi qu'on a vu , à la fin de
la Tragédie Latine de S. Nicolas du XIIIe
freele. Mercure de Décembre 1729 , 2º vol.
p. 2981 .
En finiffant ces obfervations fur les fpectacles
de piété par lefquels on exerçoit la
jeuneffe , je reviens à S. Juft du Beauvoifis
, & je dis que j'ai vu à la Bibliothéque
de Saint Victor de Paris des collections de
vies de Saints , dont l'Ecriture n'eft à la vérité
que de la fin du XIII fiecle , mais qui
peuvent avoir été tranfcrites fur des manufcrits
beaucoup plus anciens. Il y a une
vie de ce faint enfant , où il n'eft aucunement
parlé du voyage d'Amiens ; mais on
y lit feulement que la perfécution étant
déclarée , les archers étant dans le voifinage
, le pere de S. Juft cacha fon fils dans un
bois où il y avoit un vieux bâtiment abandonné
, tout couvert de feuilles de lierre .
Une autre vie auffi petite & peu chargée
de faits , porte que S. Juft , ou plutôt fes
parens , avertis par S. Loup de l'approche
des perfécuteurs , allerent fe cacher , mais
qu'ils furent découverts , & que l'Enfant
eut la tête coupée. Ce peu de parole fuffit
134 MERCURE DE FRANCE.
pour faire voir qu'il y a eu originairement
des Actes de S. Juft plus croyables
que ceux qui font en vers , & qui font cideffus
; car cet avertiffement de S. Loup
n'eft dans aucune des longues Légendes .
On juge delà que les Actes étoient fimples ,
& que ce font les Poëtes qui les ont amplifiés
pour en donner une repréfentation
touchante , & d'une certaine durée .
METALLURGIE.
REPONSE de M. de Machy , Apothicaire
, gagnant maîtrise de l'Hôtel- Dien de
Paris , aux obfervations de M. Cadet ,
Apothicaire Major de l'Hôtel Royal des
Invalides , fur un ouvrage qui a pour titre ,
Examen Phyfique & Chimique d'une
Eau minérale , &c. inférées dans le premier
volume du Mercure du mois de Décembre
1755.
DEUX articles feuls de mon ouvrage ont
excité l'animadverfion de M. Cadet. Le
premier eft à la page 30 , où je dis : » Que .
» l'Ochre en général,& celle des Eaux mi-
» nérales que j'ai traitées , eft une terre ,
» martiale diffoute par fon acide propre ,
JANVIER . 1756. 135
qui eft le vitriolique , & précipitée de
» ce même acide , foit ppaarrccee que celui- ci
» a trouvé quelque fubftance qui lui eſt
» plus analogue , foit parce qu'il fe trouve
plus délayé dans fon véhicule , comme
» on voit qu'il arrive au Vitriol martial ,
» qui dépofe fon Ochre , quand on le dif-
» fout dans beaucoup d'eau. Cette Ochre
» n'eft plus du fer ; c'eft un fer détruit qui
» a perdu fon phlogistique , qui n'eft point
» attirable à l'aimant. Quand on le traite
» avec le charbon , le culot qui en réſulte
» eft aigre & caffant.
J'appuie cette définition de l'autorité
des plus grands maîtres en cette partie ,
Linnaus & Valerius : je vais l'appuyer encore
des expériences que j'avois faites
alors à ce fujet , & que je ne prévoyois
pas avoir l'occafion de donner fi-tôt au
Public. Je rends graces à M. Cadet de me
l'avoir fournie. Il prétend , article 14 de
fon analyfe , que l'Ochre eft un fer parfait,
attirable à l'aimant , qui fait fufer le nitre ,
comme le fait la limaille de fer. Il ajoute
dans fon obfervation inférée dans le dernier
Mercure , qu'il la faut calciner fur un
teft fous la moufle . Comme l'expérience
doit être le feul juge en cette matiere ,
voici celles que j'ai faites , pour affirmer
ce que j'avance.
136 MERCURE DE FRANCE.
D'abord le fieur Cadet avoue lui-même
qu'illui faut calciner cette Ochre , pour la
rendre attirable à l'aimant. Avec un peu
moins de préoccupation , il auroit vu que
je parle de l'Ochre dans fon état naturel.
Mais j'ajoute que même étant calcinée à
différens dégrés , loin de devenir attirable
à l'aimant , elle perdroit cette vertu , fi par
hazard elle l'avoit. J'ai eu des aimans nuds
& montés , des barres magnétiques , tous
de force & de fenfibilité différentes , je les
ai préfentés à l'Ochre de nos Eaux minéra
les , telle qu'elle eft quand on la précipite
& calcinée à différens dégrés , & je puis
affurer que dans aucun de ces états , elle
n'a été attirée . C'eft un fait d'ailleurs conforme
à ce qui arrive à tous les produits
martiaux , & au fer lui- même : tant que
la baſe martiale n'eft point attaquée par
les acides , elle eft attirable à l'aimant ;
elle ceffe de l'être fi - tôt qu'elle en a été
diffoute. C'eft donc s'éloigner des élémens
de la faine Chimie , que de raifonner autrement
, & de dire que l'Ochre des Eaux
de M. Calfabigi , qui contiennent un acide
vitriolique nud , foit un fer parfait , que
l'acide n'ait point endommagé . Si du
moins cette Ochre faifoit fufer le nitre ,
comme l'avance M. Cadet , on pourroit la
foupçonner de contenir fon phlogistique ,
JANVIER. 1756. 137
mais c'eſt encore un fait démenti par
l'expérience.
J'ai tenu une once de nitre en fufion
fur un feu affez vif , dans deux cuillers
de fer ; dans l'une j'ai jetté douze grains
d'Ochre précipitée par la fimple chaleur des
eaux de M. Calfabigi : cette Ochre y a pris
une couleur rouge ; le nitre a bouillonné
un tant foit peu , fans fufer , ni s'alkalifer ,
comme je m'en fuis affuré , fur une portion
que j'ai retirée de la cuiller , qui n'a
point verdi le fyrop violat , ni fermenté
avec l'acide vitriolique. J'ai jetté enfuite
de la limaille de fer bien nette dans la
même cuiller ; le nitre a détonné , &
s'eft alkalifé . La détonnation s'eft faite de
la même maniere dans la feconde cuiller ,
en y jettant du charbon en poudre . L'Ochre
dans cette expérience empâte le nitre , en
bouillonnant avec lui , & ce bouillonnement
en a pu impofer au fieur Cader. Il
falloit qu'il s'affurât , comme je l'ai fait ,
de l'état de fon nitre après ce phénomene.
Il s'en faut de beaucoup que cet effet de
l'Ochre avec le nitre, reffemble à ce que la
limaille de fer préfente avec lui. Chaque
grain devient fcintillant , & les environs
font alkalifés. Voilà ce fer parfait bien déchu
de fa perfection : il lui manque ,
comme on le voit , fon phlogistique ; &
138 MERCURE DE FRANCE.
M. Cadet lui-même nous apprend comme
il le lui faut rendre , en indiquant un réductiftrès-
puiffant pour métallifer l'Ochre.
Cette petite inconféquence lui eft échappeu
, fans doute , pour avoir le plaifir de
ine critiquer fur le charbon que je cite
pour la réduction de cette terre martiale.
En effet , peut on concilier l'idée d'un métal
parfait , c'est - à- dire , à qui il ne manque
ni phlogistique , ni bafe métallique ,
avec celle d'un métal qui ne peut donner
un culot , qu'à l'aide d'un flux puiſſant ,
qui n'accélère la fufion qu'en fourniſſant
ou plus de phlogiftique , ou un phlogiſtique
plus approprié Autre inconféquence
de M. Cadet ; ( car il lui en échappe plus
d'une ) fa feconde terre jaune , ne peut ,
dit- il , être attirée par l'aimant , à raiſon
de la quantité de félénite qui y eft jointe.
Quel eft le dernier apprentif qui ignore
ue le couteau aimanté découvre le moindre
atôme de fer caché dans quelque fubftance
que ce foit , pourvu que cette fubftance
ne foit pas de nature à décompofer
ce fer. Il faudroit que la félénite attaquât
le fer , pour qu'il ne fût plus attirable à
l'aimant ; & dans ce cas ce ne fera plus à
raifon de la quantité , qui n'eft pas un obftacle
, mais à raifon de l'action de la félénite
fur le fer , qu'il ne fera pas attiré par
que
JANVIE R. 1756. 139
l'aimant. Ajoutons en dernier lieu que
M. Cadet foutenant dans fon analyſe que
le fel vitriolique des eaux de M. Calfabigi
eft un vitriol martial très-pur , ( ce qu'on
lui peut contefter ) il réfulte de fes propres
paroles que le fer de ces mêmes eaux , &
l'Ochre qui en eft précipitée , ont été diffous
par un acide , & ceffent dès cet inftant
d'avoir les combinaifons d'un métal
parfait , puifque lors de la diffolution du
fer dans l'acide vitriolique , le phlogiſtique
du fer s'échappe affez fenfiblement
pour être enflammé. Si toutes ces preuves,
qui appuient ma définition , ne font pas
voir clair à M. Cadet , je doute que jamais
on le puiffe convaincre. Il a contre lui
l'autorité d'Auteurs célébres le poids
d'expériences bien faites , & ce qui doit
être plus mortifiant pour lui , fes propres
paroles & fes contradictions : n'en fera -ce
pas affez pour le faire convenir de fon
erreur?
>
Si dans fa premiere obfervation M. Cadet
a été infpiré , comme il le dit , par
l'amour de la Chimie , il y a apparence que
cette infpiration a ceffé dans la feconde ,
pour faire place à l'amour - propre . Il s'y
agit du Bleu de Pruffe , qu'il a fait avec
les eaux de M. Calfabigi. Le fieur Cadet
eft choqué que j'aye traité fa prétendue
140 MERCURE DE FRANCE.
découverte , d'objet fait pour amuſer les gens
oififs cependant je ne vois pas par où
cette expreffion eft offenfante ; car une expérience
, une opération , un livre même
faits uniquement pour amufer les
gens oififs
, en font- ils moins d'honneur à leurs
Auteurs ? Combien la Phyfique expérimentale
a-t'elle de ces fortes d'expériences
? M. l'Abbé Nollet rougit-il de les rapporter
, de les exécuter , & même de s'en
avouer l'Auteur ? Parmi les travaux chimiques
, combien n'y en a- t-il pas , qui
jufqu'à préfent ne peuvent nous fervir
que d'amufement , & que Boherave &
M. Rouelle ont donné dans leurs Cours ,
fans fe croire plus petits pour cela aux
yeax du Public ?
Voyons du moins fi ce qu'il rapporte de
l'importance de fon Bleu , l'emporte fur
la feule preuve que je donne de fa futilité.
Le Bleu de Pruffe du Sieur Cadet , a d'abord
l'avantage d'être exempt de cuivre ;
parce que tout a concouru à démontrer ,
que les eaux de M. Calfabigi n'en contiennent
pas.
Mais qui lui a dit que le Bleu de Pruffe
ordinaire en contenoit ? Que le vitriol martial
qu'on emploie dans les Manufactures
de Bleu , contient du cuivre ? Quelle eft
l'expérience qui lui a montré que le bleu
JANVIER . 1756. 141
de nos Manufactures en contient ? ou , s'il
en eft quelqu'une , pourquoi la taire ?
tout eût été démontré : mais la vérité eft
qu'il n'y en a pas , & que vraisemblablement
, il n'y en aura de longtemps. 1 °. Parce
que le vitriol martial n'eft pas auffi rempli
de molécules cuivreufes , que le veulent
infinuer certains Chimiſtes . 2 °. Parce
qu'on a toujours remarqué que le vitriol
cuivreux n'étoit pas propre à former dụ
du
Bleu de Pruffe. 3 ° . Enfin , parce que le
Bleu de Pruffe ne contient réellement point
de cuivre. Voici comme je m'en fuis convaincu.
J'ai calciné à la moufle un gros de Bleu
de Pruffe , comme l'enfeigne M. Geoffroi ;
j'ai lavé la chaux rouge qui m'eft restée ,
& j'en ai fait la réduction : j'ai diffous les
grains métalliques que j'ai obtenus , dans
un peu d'acide vitriolique foible. J'ai
deffèché le tout , & je l'ai diflous dans
l'eau ni l'alkali volatil , ni le fer poli
n'ont fait paroître de molécules cuivreufes.
Ce premier avantage du Bleu de M. Cadet
, lui eft donc commun avec le Bleu de
Pruffe de nos Manufactures : ni l'un ni
l'autre ne contiennent donc pas de cuivre .
Ainfi le Confifeur des amis de M. Cadet ,
peut continuer de débiter fes prétendues
paftilles de violettes , fans crainte d'em142
MERCURE DE FRANCE.
poifonner le Public. Il peut , aidé des luinieres
de cet Artifte , rendre fon reméde
encore plus innocent , & étouffer fes
fcrupules , qui ne portent fur rien.
-Autre avantage du bleu de M. Cadet.
Il n'eft point avivé , dit il , par les acides.
Cet avantage lui a paru d'affez grande
conféquence , pour le répéter dans la
quantité d'extraits qu'il a inférés dans les
Journaux , de fon premier mémoire fur
le Bleu il y revient même à deux reprifes
dans celui- ci : cet avantage fi vanté
méritoit bien du moins d'être démontré.
Ne falloit- il pas prouver que cet acide
vitriolique contenu dans les eaux de M.
Calfabigi , cet acide furabondant , que
perfonne n'y méconnoît , qui en conftitue
une partie des mauvaifes qualités , que cet
acide qui eft plus développé , quand l'eau
eft dépouillée de fon Ochre , ne fert à rien
dans la confection du Bleu de Pruffe ?
La difficulté de l'entrepriſe y a fait renoncer.
En effet , comment imaginer que le
Bleu des eaux de M. Calfabigi , ne fera
point avivé par aucun acide minéral , s'il
eft conftant que ces eaux en contiennent
un tout prêt à faire les fonctions de celui
qu'on y verferoit en cas de befoin ?
Mais quand nous fuppoferions , ce qui
peut très-bien arriver , que l'acide fur-
1
JANVIER. 1756. 143
abondant des eaux de M. Calfabigi , eft
dans cette opération abſorbé par l'alkali
fanguin , quel avantage ce Bleu auroit -il
encore , pour le tant préconifer ? M. Cadet
ne fe fouvient- il plus que nous avons
fait enfemble du Bleu très - beau , & en
très-grande quantité , fans employer aucun
acide nud ? A t'il oublié qu'une diffolution
ancienne de vitriol martial , verfé
fur la fécule qui fe précipite , lui donne
la teinte bleue parfaite , & que nous imitions
alors le travail des Fabriquans de
Bleu Voudra t'il ignorer de combien ce
procédé eft moins couteux que l'autre ,
Jui devant qui j'ai calculé les frais du Bleu
fait de cette derniere maniere ?
Je ne vois rien de plus dans le mémoire
de M. Cadet , qui mérite quelque réponfe
: car ce qu'il a pu me dire de défobligeant
, n'est pas chofe à quoi le Public
prenne grand intérêt . J'y en prends peu
moi- même. On ne le croira pas fur fa
parole , dès qu'il fe déclare mon adverfaire
, & je n'ai que faire de me laver
d'imputations qui font fans poids.
Voici la preuve que je donne que le
travail du Sieur Cader n'eft fait que pour
amufer les gens oififs . Elle eft extraite du
Poftfcriptum de mon ouvrage.
Il faut 280 pintes d'eau , pour faire
144 MERCURE DE FRANCE.
» une livre de Bleu de Pruffe ; ainfi en en
» faifant deux livres par jour , on en
» employe 560 pintes ; ce qui fait pour
» quinze jours , ( & non pas pour un mois)
» huit mille quatre cens pintes d'eau . Or je
» demande quelle et la fource d'un mon-
» ticule en état de fournir à cette exploita-
» tion , fans s'altérer bientôt , & faire tort
» aux fources qui lui doivent leur ori-
» gine ? « ( Nota , que j'ai démonrré ,
quoi qu'en dife M. Cadet , que le puits de
M. Calfabigi eft l'origine des fources de
Madame Belami ) « On voit par ce calcul,
» qu'on ne doit jamais s'attendre raifon-
» nablement à voir exploiter le puits de
» M. Calfabigi en grand . » Eft- ce répondre
à cette preuve , que de vanter l'excellence
de ce Bleu ? fût-il cent fois plus
capable d'abforber du blanc de plomb
mille fois plus éclatant , fupérieur enfin
à tous les Bleus : cela détruira- t'il ma preuve
? En fera-t'il moins vrai qu'il faille une
quantité prodigieufe d'eau , pour obtenir
un très -petit poids de Bleu une pinte
n'en fournit qu'un peu moins de demigros.
Quand on auroit ajouté le prix modique
auquel ce Bleu doit revenir , tout
cela contrebalanceroit- il les dangers que
courent la fource elle - même , & toutes
celles qui font au- deffous d'elle cela
rendroit-il
?
JANVIE R. 1756. 145
rendroit- il enfin l'exploitation plus importante
, & moins faite pour amufer
les gens oififs ? que fera- ce fi les prétendus
avantages de ce bleu fe réduisent à
rien , comme je l'ai montré plus haut ?
En voilà beaucoup fur un objet affez
mince ; mais j'ai répondu amplement pour
avoir des raifons légitimes de me dif
penfer d'entrer dorénavant dans aucune
difpute fur cette matiere . Le tems de la
jeuneffe eft celui de l'étude ; il eft trop
précieux pour l'employer à des difcuffions ,
qui ceffent bientôt d'intéreffer le Public ,
pour devenir l'objet de fes railleries , fans
concourir à l'avantage de la vérité , qui
pourtant doit être le feul but de nos recherches.
11. Vol.
146 MERCURE
DE FRANCE.
CHIRURGIE
.
DISSERTATION
fur le Ver plai', ou
folitaire , préfentée à MM. de l'Académie
Royale de Chirurgie , où on indique des
remedes qui ont réuffi pour détruire cet in-
·fecte , & un inftrumeni propre à porter dans
L'eftomac fans danger , pour le tirer , ou le
divifer en morceaux.
Les accidens que j'ai vu arriver à des
perfonnes attaquées du Ver plat ou folitaire
, font fi rares & fi finguliers , que j'ai cru
devoir faire part au Public de mes recherches
& de mes conjectures fur l'origine
de ce Ver , fur fon accroiffement , comme
il fe nourrit , & enfin des moyens que j'ai
mis en ufage pour le détruire.
Si l'on écoute, ceux qui en font attaqués
ils vous affurent qu'ils ont porté au monde
ce fâcheux animal de façon que fon origine
fembleroit remonter au fang de leur mere ,
qui auroit déposé la femènce de Ver dans
leurs vifceres par la voie de la circulation
& qu'une qualité particuliere des ſucs ou
des folides auroit fait éclorre dans l'âge le
plus tendre cette hypothefe eft difficile à
foutenir , les vaiffeaux capillaires du foetus
>
4
JANVIE R. 1756. 147
ne pouvant être pénétrés que par des fucs
trop affinés pour les foupçonner chargés de
quelques oeufs d'infectes.
compropres
Suppofons pour un moment que cette
femence ait franchi cet obſtacle ,
ment fe perfuader quelle fe fera déposée
dans l'eftomac , ou dans les inteftins du
fetus , plutôt qu'ailleurs ? fera-ce parce
que la portion de matiere parvenue dans
les inteftins, aura trouvé des fucs
à la faire eclorre ; & quelle fe fera perdue
ailleurs faute des mêmes fucs ? Cette difcuffion
eft néceffaire pour fe concilier le
principe établi par les fçavans MM. Reaumur
, Pluche , &c. que le plus petit infecte
ne peut fe produire de lui même ; qu'il
faut qu'il y ait une premiere femence qui
en fe développant l'ait formé.
Par conféquent les difpofitions particulieres
de l'eftomac , les mauvaiſes digef
tions , & les liqueurs qu'on a coutume de
fuppofer viciées pour eclorre les vers , no
fçauroient faire fortune , ne pouvant jamais
créer un être organifé fans le fecours
d'une premiere fémence .
Toutes ces difficultés m'ont fait croire
qu'il étoit plus naturel de penfer que l'oeuf
ou le germe du Ver folitaire pouvoit s'introduire
dans l'eftomac avec les premiers
alimens qu'on a coutume de donner aux
Gij
148 MERCURE
DE FRANCE
.
•
enfans , s'y développer , croître & aug
menter tant par la difpofition particuliere
des fucs que par celle de ce vifcere.
Mais de quel fonds tirerons-nous cet
oeuf, ce germe , cette premiere femence du
Ver plat ou folitaire , qui a communément
plus de cent cinquante pieds de longueur ?
Nous n'en voyous aucun de fon efpece
fur la furface de la terre : on ne ramper
l'hérite point de fes
goutte , la gravelle , &c .
parens ,
ainfi que la
De penfer que l'oeuf ou la femence d'un
ver de l'efpece quelconque
puiffe changer
de forme , ou de figure dans l'eftomac ,
ou les inteftins par la qualité de nourriture
qu'il y reçoit, feroit une abfurdité qui renverferoit
l'ordre de création qui regne
dans chaque efpece , & qui eft toujours
égale & toujours la même ; ce feroit accorder
aux fucs nourriciers
la vertu de
créer les folides ; au lieu qu'ils fons bornés
à les nourrir , & à les développer
ens'infinuant
dans leurs fibres.
Perfonne n'ignore que l'être , le corps , la
configuration des parties des infectes ne
foient défignés en raccourci dans la femence
qui les produit , & qu'elles ne peuvent
prendre d'autre figure que celle qui ſe
trouve finie dans leur principe .
Ces reffources fyftématiques manquant
1
JANVIE R. 1756. 249
pour prouver l'origine du Ver plat ou folitaire
, il convient de la chercher ailleurs .
Seroit- il fi ridicule de hazarder que le Ver
folitaire eft un monftre qui provient de
l'accouplement de vers de différentes
efpeces? Ce fyftême n'a rien qui dégrade celui
de la génération reçue & établie . Ne
voit- on pas une infinité d'autres monftrès
provenir de l'accouplement d'animaux de
différentes efpeces ?
L'oeufd'un ver ayant été fécondé par une
femence étrangere àl'efpece dépofée par la
mere , fur les alimens qu'on donne aux
enfans , étant porté dans l'eftomac , peut
éclorre & fe développer par l'analogie
des fucs qu'il y rencontre , & former dans
la fuite des tems le Ver folitaire .
Ce Ver une fois développé & organifé ,
ne recevant qu'une médiocre nourriture ,
ne peut acquérir qu'un léger accroiſſement,
& doit fe reffentir d'ailleurs de la foibleſſe
des parties du fujet , par conféquent ne
caufer au commencement que de légeres
incommodités ; mais lorfque la nourriture
augmente avec l'âge & les forces , l'animal
devient vigoureux , & commence à
exercer fes cruelles fonctions : plus il vieillit
, plus il devient indomptable .
L'idée commune veut que ce Ver prenne
ſa nourriture par la bouche , qui naturelle-
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
ment doit être unique , & que cette nourriture
foit fuffifante pour le faire croître
& augmenter ce fyftême n'a rien que
de raifonnable ; mais comme j'en ai difféqué
plufieurs morceaux fort longs , &
qu'au lieu de vifceres je n'ai découvert
dans toute leur étendue qu'une fubftance
fpongieufe , j'ai cru pendant bien du tems
que cette chaîne fi longue étoit un compofé
de petits vers plats , unis les uns à
la queue des autres : effectivement ils font
féparés par des digitations qui femblent
indiquer leur jonction : d'où je concluois
qu'il n'étoit pas furprenant que je ne puffe
appercevoir les vifceres d'un fi petit animal.
Il m'a fallu des expériences fouvent
réitérées pour me tirer de mon erreur , &
voici ce que l'obfervation m'a montré.
En Avril 1737 , une femme âgée d'environ
foixante-cinq années , d'un très -forttempérament
, vint me confulter ; elle fe
plaignoit des douleurs infupportables que
lui faifoit fouffrir depuis fa tendre jeuneffe
le Ver plat ou folitaire ; elle avoit le vifage
plombé , tout le corps bouffi , les cuiffes
, les jambes & les pieds enflés , le ven.
tre rendu , des étourdiffemens , des foibleffes
& des infomnies continuelles , un dégoût
pour toute forte d'alimens , de fréquentes
envies de vomir , & enfin elle diJANVIER.
1756. 1st
foit que ce déteftable infecte lui montoit
dans la gorge , & paroiffoit vouloir l'étrangler
; elle m'ajoûta que les différens remedes
, defquels on lui avoit fait faire ufage
pendant le cours de fa vie , lui avoient procuré
la fortie de plufieurs milliers d'aunes
de cet animal ;, mais que depuis près de
trois années il s'étoit rendu fi fort & G
adroit , que les remedes le plus violens n'opéroient
plus rien , & qu'il n'en fortoit aucun
veftige.
J'étois fi novice fur les moyens de combattre
cette fâcheufe maladie , qu'avant de
prefcrire aucun remede à la malade , je
voulus confulter les auteurs qui en ont
écrit ; mais n'ayant pas de quoi me fatisfaire
, je fus obligé de m'en tenir à mes
foibles lumieres.
Je commençai par faigner & faire vomir la
malade, & la mis enfuite à l'ufage des plus
puiflans amers en infufion , fans aucun effet.
La malade étoit defefpérée par les douleurs
infupportables qu'elle fouffroit continuellement
, & par le peu de fuccès de
ces premiers remedes. Ses plaintes me rendirent
induſtrieux. Je lui fis faire un opiat
compofé d'extrait d'abfynthe , de centaurrée
, de poudre d'orange amere , de hiéra
pigrata , d'aloès fuccotrin , de trochifqualandal
, de crocus metallorum , d'éthiops
Giv
752 MERCURE DE FRANCE.
minéral , de diagreds , d'effence d'abſynthe
, & de firop d'abſynthe.
Le premier bolus fit faire cinq felles à la
malade , fans ver ; le lendemain elle en
prit deux , qui produifirent une grande
évacuation , mais rien ne parut. Comme
ce remede la foulageoit , quelques jours
après elle prit trois bolus à mon infçu , qui
évacuerent force férofités , & fept aunes
de cette vermine , que j'anatomiſai fans
pouvoir rien découvrir d'inftructif fur fa
compofition. La malade croyoit être guérie
, & faifoit grand bruit fur ce fuccès :
effectivement elle fut foulagée pour un
tems , ce qui fit qu'on m'apporta deux enfans
âgés d'environ neuf à dix années , qui
avoient été attaqués du ver folitaire au berceau
, auxquels l'opiat donné à petites dofes
, évacua force aunes de ce ver , dans
l'efpace d'un mois ; ils l'ont continué depuis
de loin en loin , avec le même ſuccès ,
& il y a plus de dix années que leurs parens
m'allurent qu'ils font guéris.
Il y avoit près de trois mois que je n'avois
vu ma premiere malade ; elle vint me
retrouver pour me dire que mon remede
n'opéroit plus rien depuis quelque tems ,
qu'elle étoit prête à étouffer à chaque inftant
, que le ver lui montoit jufqu'à la racine
de la langue , qu'elle me feroit appelJANVIER.
1756. 153
ler quand elle l'y fentiroit , pour que je le
tiraffe. Le foir même je fus mandé ; j'y regardai
, & ne vis rien . Elle me força d'introduire
dans l'afophage des longues pinces
, mais ce fut fans fuccès : elle me tourmenta
fi fouvent , qu'enfin je formai le
deffein de faire conftruire un inftrument
propre à introduire fans danger dans fon
eftomac , tant pour la contenter , que pour
effayer fi je ne pourrois pas accrocher la
chaîne de ce ver.
L'inftrument fabriqué comme on le verra
ci - après , bien frotté d'huile , je l'introduifis
dans fon eftomac ; elle en fupporta
la douleur avec fermeté ; je le tournai ,
l'ayant ouvert de tous les côtés ; & après
l'avoir fermé , je le tirai un peu ; je recommençai
de même fi fouvent , que croyant
avoir accroché quelque chofe , je le tiraj
à moi , & je fentis que j'entraînois un corps
affez réſiſtant ; la crainte que j'eus que ce
ne fût la membrane interne de l'eftomac ,
me fit frémir ; mais ce que j'avois accroché
, m'échappa ; la malade me força de
faire de nouvelles tentatives dans l'inftant,
& les jours fuivans. J'avois perfectionné
l'inſtrument au point que je croyois qu'il
n'y avoit plus de danger à fon introduction
. Le huitième jour je tirai quatre aunes
de cet animal , & c'est ce qui me fit
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
prendre confiance à cette nouvelle métho
de : la malade de fon côté en fut fi fatisfaite
, qu'elle auroit voulu que j'euffe continué
la même manoeuvre tous les jours .
Je lui confeillai de prendre de mon opiat ,
qui lui fit évacuer une quantité prodigieufe
des morceaux de ce ver tout vivans ;
elle les mefura les uns après les autres , &
ils fe trouverent paffer quinze aunes. J'examinai
de nouveau ces morceaux de ver
fans rien découvrir d'intéreffant fur fa
Structure particuliere. Cependant faiſant
réflexion à la rupture que mon inftrument
avoit fait de ce ver depuis plufieurs jours ,
je concluois que fes portions fortant vivanres
, il falloit que ce ver fût nourri par des
voies différentes des autres animaux. J'avois
déja apperçu dans mes premieres recherches
du côté du ventre , entre les digitations
, quatre petites éminences où
mamelons , que j'avois pris pour les pieds
de l'animal , que je foupçonnai alors pouvoir
être au contraire autant de pompes
afpirantes , propres à porter le chyle , duquel
fans doute il fe nourrit dans toutes
fes parties ; ce qui feroit plus que fuffifant,
& pour le nourrir , & pour le faire croître
auffi rapidement qu'il fait , & pour conferver
aux portions coupées une efpece delvie
pendant quelque tems .
JANVIER. 1756. ISS
Je cherchai enfuite le canal que M.
Winſlaw a découvert , & qu'il dit régner
le long des progrès du corps du ver folitaire
, fans avoir pu le rencontrer. Il n'eft
pas furprenant que ce que ce fçavant Anatomiſte
a trouvé, m'ait échappé ; mais je
n'ai rien apperçu , même avec une loupe ,
qui ait pu me le faire foupçonner.
Après la derniere opération , ma malade'
fe rétablit entiérement , & ne fentit plus
aucune incommodité caufée par le ver for
litaire : elle mourut cinq années après d'une
fluxion de poitrine.
L'inftrument duquel je me fuis fervi
pour tirer le ver folitaire , eft un tuyau d'argent
, du volume d'une plume à écrire ,
long de deux pieds , décrivant une figure
légerement courbe , à l'un des bouts eft
une boule de huit lignes de circonférence
il est percé dans toute fa longueur , pour
permettre le paffage d'un ftylet de même
matiere. Ce ftylet a deux pieds & trois lignes
de longueur ; il a un crochet plat ,
femi-lunaire , mouffe par fa pointe , qui
fe loge dans une rainure pratiquée à cette
boule lorsqu'il eft formé . L'autre bout qui
le termine , eft replié en forme de cercle ;
de façon que le ftylet , qui fait pour ainfi
dire l'office d'hameçon lorfqu'il eft porté
dans l'eftomac , n'a que trois lignes de
jeu.
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
Cet inftrument frotté d'huile , & bien
fermé , on l'introduit dans l'eftomac , &
F'on eft affuré qu'il eft dans ce vifcere par
le rapport du malade , parce qu'on ne ſent
plus de réfiftance à fon bout , & parce
qu'on peut le tourner facilement. Alors on
appuie légerement la boule fur le fond de
l'eftomac , ou fur la premiere de ſes ſurfaces
qui fe préfente ; on l'ouvre en pouffant
doucement le ftylet ; on le ferme & on
l'ouvre fucceffivement , jufqu'à ce qu'on
rencontre quelque corps qui fe place entre
cette boule & le crochet , & on tire à
foi. Si on amene un corps , il eft facile
de s'en appercevoir par la réfiftance qu'il
vous oppofe ; fi le corps que vous avez
accroché , gliffe ou fe rompt , on le fent
de même facilement , & on recommence
cette manoeuvre , autant que la patience
du malade , & les légeres douleurs qu'il
reffent , peuvent le permettre.
De tout ce détail il refte à apprécier aux
fçavans dans l'art de guérir , fi l'ufage de
l'opiat , & l'inftrument ci-deffus indiqués,
peuvent être employés avec fuccès pour
détruire le Ver plat ou folitaire.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Ravaton , Chirurgien Major de l'Hôpital
Royal & Militaire de Landaw , le 29. Inil
fet, 1755.
JANVIE R. 1756. 197
SÉANCE
PUBLIQUE
De l'Académie des Sciences & Belles-Lettres
de Béfiers, du 20 Février 1755 .
Onfieur d'Abbes , Directeur , ouvrit
la féance par un petit difcours à la fin
duquel il 'annonça la mort de M. d'Andoque
& du R. P. Loferan Dufec , tous
-deux Membres de cette Compagnie dès
que
l'inftitution , & fit de l'un & de l'autre
un éloge fort fuccinct , en attendant qu'on
rende à chacun plus au long legibut des
louanges qu'ils ont mérité.
Enfuite il lut un Mémoire fur la Beauté ,
où il rapporta les différentes idées que
s'en font formés les Peuples des différen-
-tes nations , & fit diverfes remarques.
là deffus .
M. de Guibal lut fon troifiéme Mémoire
, pour fervir à l'Hiftoire de la ville
de Béliers. Dans les deux précédens
qu'il avoit lus auffi dans deux différentes
affemblées publiques , il avoit pouffé fes
recherches fur tout ce qui regarde cette
hiftoire , jufqu'à la fin du dixiéme fiecle ,
& dans celui-ci il est allé jufqu'au milieu
du douzième fiecle. Comme ce Mémoire
158 MERCURE DE FRANCE.
occupa la plus grande partie de la féance
, il ne refta de temps que pour le Mémoire
que lut M. Bouillet le fils , où il
fit voir que pour prévenir les engorgemens
du poumon , les faignées réitérées de la gorge
ne font pas moins néceffaires que celles
du bras & du pied.
Comme mon Mémoire , dit- il , n'a été
fait qu'à l'occafion d'un ouvrage fur la
faignée , que mon pere annonça l'année
derniere à l'Académie Royale des Sciences
de Paris , & qu'il doit lui envoyer
bientôt ; que c'eft même cet écrit qui me
fit naître l'idée que je tâche de développer
dans mon Mémoire , j'ai cru devoir
commencer par vous expofer fur quoi
roule la differtation de mon pere , obfervant
de ne pas entrer dans la difcuffion
des principes Anatomiques & Phyfico-
Mathématiques , fur lefquels il eft fondé
, & qui le rendroient inintelligible
au plus grand nombre de ceux qui nous
font l'honneur d'affifter à nos affemblées
publiques.
Il s'agit dans fa differtation d'examiner
fi la faignée, pendant qu'on la fait , eft dérivative
& révulfive , dans le fens qu'ont
Idonné à ces mots , Bellini , fçavant Médecin
Italien , & M. Silva qui pratiquoit
avec éclat la médecine dans Paris , il y a
JANVIE R. 1756. 159
Nvingt ou trente ans ; c'eft- à- dire , qu'il eft
queftion d'examiner fi la faignée, pendant
qu'on la pratiqué , attire du fang vers les
vaiffeaux qui s'abouchent avec la veine ouverte,&
l'oblige à s'y porter en plus grande
quantité qu'avant l'ouverture de la veine ,
& en même temps fi elle le détourne des
vaiffeaux oppofés à ceux- là , & empêche
qu'il ne fe porte dans les vaiffeaux oppofés
en auffi grande quantité qu'avant
Îa faignée. C'eſt ce que croyoient les Médecins
dont ont vient de parler , & c'eft ce
qu'ils ont tâché d'établir dans leurs ouvrages
, fe fondant fur un fait qu'ils regardoient
comme certain , fçavoir que
pendant la faignée , le cours du fang eft accéléré
dans la veine piquée. Du refte ils
convenoient tous qu'après la faignée ,
ces deux effets la dérivation & la révulfion
qu'ils croyoient néceffairement accompagner
toute faignée en quelque endroit du
corps qu'on la pratiquât , ils convenoient ,
dis-je , unanimement qu'après la faignée
ces deux effets ceffoient totalement , &
qu'il fe faifoit une égale répartition du
fang, reftant après la faignée , dans tous
les vaiffeaux du corps , proportionnellement
à leurs calibres ou à leur capacité.
Cependant quoique le temps que dure
une faignée foit affez court , & que la dé160
MERCURE DE FRANCE.
T
rivation & la révulfion , fi elles avoien
lieu , ne puffent être que bien peu de
chofe , ces Médecins , & furtout M. Silva,
ne laifoient pas d'en tirer de grandes conféquences
pour le choix des faignées , ce
qui embaraffoit fouvent les Médecins dans
la pratique.
Il s'agit encore dans la même differtation
, d'examiner fi , comme l'avance M.
de Senac , premier Médecin du Roi ,
dans fon dernier ouvrage imprimé en
1749 , l'effet actuel de toute faignée fe
réduit uniquement à l'évacuation d'une
certaine quantité de fang ; c'eft à quoi l'a
conduit l'examen approfondi que mon
pere a fait de cette matiere , c'est- à dire ,
qu'il a reconnu que toute faignée n'étoit
qu'évacuative.
Il fe fonde fur ces deux principes .
1°. Que la faignée pendant qu'on l'a fait ,
n'augmente point par elle même la vîtefle
du fang dans les artéres & les veïnes qui
communiquent avec la veine qu'on a
ouverte , à caufe de la ligature qu'on eſt
obligé d'appliquer & qui gêne beaucoup
plus le cours du fang dans les vaiffeaux ,
comprimés que l'ouverture faite à la veine
ne le facilite. 2 ° . Que la faignée , en quel
qu'endroit qu'on la pratique , fruftre l'une
ou l'autre veine cave , & conféquem
JANVIER. 1756. 161
que
être conment
leur finus veineux , l'oreillete & le
ventricule droit du coeur , d'autant de
fang que la ligature en arrête , ou que la
veine ouverte en laiffe échapper.
Le fecond principe ne peut
refté ; car il eft vifible que le fang qui
fort par l'incifion de la veine , ne retourne
point au coeur , & conféquemment
le coeur eft fruftré de toute la quantité
de celui qui fort. A l'égard du premier
, fçavoir que la faignée n'accélere
point la viteffe du fang , mon pere le prouve
par la comparaifon des obftacles que le
fang eft obligé de furmonter pour couler
le long de la veine avant l'application
de la ligature , & pour couler par l'incifion
de la même veine , après que la
ligature a été appliquée : & cette comparaifon
, quoiqu'elle ne roule que fur des
quantités indéterminables , ou fur des chofes
qu'on ne peut apprécier au jufte , démontre
néanmoins incontestablement que
ce que Bellini & M. Silva regardoient
comme un fait certain , que pendant la faignée
le cours du fang eft accéléré dans la veine
piquée , le trouve visiblement faux ,
& que parconféquent aucune faignée n'ek
ni dérivative ni révulfive , comme ces Médecins
le prétendoient.
Du fecond principe mon pere conclut
161 MERCURE DE FRANCE .
que toute faignée pendant qu'on la pratique
, eft d'abord évacuative particuliere
à l'égard des vaiffeaux qui s'abouchent
immédiatement avec la veine piquée , &
tout de fuite évacuative générale , à l'égard
de tous les vaiffeaux du corps ; & il prouve
ce qu'il avance en quelque état que
foit le pouls de la perfonne qu'on faigne ,
& quelle que foit la quantité de fon fang ;
c'est -à-dire , foit que pendant la faignée
le pouls ne foit ni plus ni moins fort ,
ni plus ni moins fréquent , que dans l'état
naturel ou de fanté , foit que conftamment
il foit plus fort & plus fréquent , ou moins
fort & moins fréquent, foit enfin qu'il augmente
ou diminue de force & de fréquence
pendant la faignée , & foit que cette
perfonne n'ait ni plus ni moins de fang
que dans l'état naturel ,ou qu'elle en ait plus
ou moins ; ce qui embraffe toutes les pofitions
où fe peut trouver une perſonne
qu'on faigne , & prévient toutes les objections
qu'on pourroit faire.
Il fuit de cette théorie ou de ce que l'effet
actuel de toute faignée fe réduit à une
évacuation particuliere des vaiffeaux voifins
de la partie faignée, & à une évacuation
générale de tous les vaiffeaux du corps ,
que le choix des faignées doit être tout-àfait
indifférent, fi on n'a égard qu'à l'évacuaJANVIER.
1756. 163
tion générale ; mais que fi on a égard à l'évacuation
particuliere , il ne doit pas être
indifférent. Cependant comme mon pere
a trouvé que dans les premieres faignées
qu'on fait à un malade , l'évacuation particuliere
ne pouvoit être que peu de chofe ,
par rapport à la quantité totale du fang ,
il croit qu'on peut regarder comme affez
indifférent le choix de ces premieres faignées
: mais il penfe qu'il n'en eft pas de
même des faignées qu'on eft obligé de
réitérer , & que l'évacuation particuliere
qu'elles produifent , étant alors affez confidérable
, on doit faigner le plus près
qu'il fe peut de la partie affectée , & que
c'eft par cette raifon que la faignée du
col dégage fi efficacement la tête ; ajoutant
que fi la faignée du pied dégage auffi
quelquefois promptement latête, quoiqu'el
le ne foit pas évacuative particuliere , à l'égard
du cerveau , c'eft parce que par
la
faignée du pied on tire ordinairement beaucoup
de fang ; que parconféquent il en
revient pendant la faignée beaucoup
moins au coeur par la veine cave inférieure
; que la veine cave fupérieure ſe
décharge alors beaucoup plus aifément
dans le finus veineux & dans l'oreillete
droite ; que les fouclavieres fe déchargent
plus ailément dans cette veinė ,
164 MERCURE DE FRANCE.
!
que
& les jugulaires dans les fouclavieres , &
les veines du cerveau fe dégorgent
plus aifément dans les jugulaires : obfervant
en même-temps que cet avantage
que procure la faignée du pied , on l'obtiendroit
également de la faignée de l'un
des bras , fi elle étoit faite dans les mêmes
circonftances , & qu'on tirât autant de
fang par cette faignée , que par celle du
pied , parce que la veine cave fupérieure
fruftrée du fang qui devroit lui revenir
offriroit également moins de réfiftance au
fang que les jugulaires rapportent du cerveau
.
Cette derniere explication me fit penfer
qu'on pouvoit étendre l'ufage de la
faignée de la jugulaire plus loin que mon
pere n'avoit fait dans fa differtation , &
c'eft ce que je vais vous expliquer dans
ce Mémoire , où je fais voir que pour prévenir
les engorgemens du poumon , les faignées
réitérées de la gorge ne font
moins néceffaires que celles du bras & du pied.
pas
Ne nous lafferons- nous jamais de fuivre
aveuglément l'exemple de nos prédéceffeurs
? Faudra-t'il , en médecine comme
dans la vie civile , s'affervir toujours à
la mode , & même contre l'intérêt des
malades fe conformer fervilement à leurs
préjugés ou s'afſujettir à leur goût ? Qu'on
JANVIE R. 1756. 165
ne nous oppofe point qu'en médecine il
n'eft guere für de faire que ce qui a été
déja fait. Cette fage maxime ne doit
être exactement obfervée que lorsque ce
qui a été fait , fuffit feul pour nous conduire
furement au but qu'on fe propofe .
Car autant qu'un Praticien doit s'abstenir
de faire des effais téméraires , autant eftil
obligé d'inventer quelquefois de nouveaux
moyens , ou du moins de perfectionner
l'application des remedes connus ,
lorfque cela eft néceffaire pour la guériſon
de fes malades. D'ailleurs où en ferionsnous
aujourd'hui , fi dans la pratique les
Médecins modernes n'avoient ofé rien
ajouter à ce que faifoient les anciens ? De
combien de reffources ne ferions nous
pas privés ? Et de quelles reffources ? Nouveaux
fecours plus furs , plus efficaces &
la plupart plus doux que ceux dont on
fe fervoit autrefois ; nouvelles applications
beaucoup plus heureuſes des moyens
connus depuis longtemps ; tout cela feroit
perdu pour nous , & vous comprenez parfaitement
que la perte feroit bien grande.
Il n'eft point queſtion ici d'un nouveau
remede , & ce n'eft pas le lieu de marquer
les précautions qu'on doit prendre avane
d'en faire des effais. Il ne s'agit que
d'un moyen connu depuis fort long-tems ;
moyen éprouvé par les Anciens & les Mo
que
166 MERCURE DE FRANCE.
dernes , mais dont il ne me paroît pas
qu'on ait fait tout l'ufage qu'on n'en auroit
dû faire . Il ne s'agit que de la faignée
de la jugulaire , & je ne doute pas qu'on
n'en eût beaucoup plus étendu l'ufage ,
fi des raifons que je rapporterai , mais
qui ne doivent pas arrêter un Médecin .
attentif au foulagement des malades , &
zélé pour le progrès de fon Art , ne s'y
étoient oppofées ; c'eft du moins ce qu'on
Peut inférer de ce que nous ont laiffé
là- deffus Severinus , Willis , & M. Hecquet,
& du titre de l'ouvrage d'un Médecin Allemand
, imprimé en 1735 , de venâ jugulari
frequentius fecanda : je dis du titre ,
car je n'ai pas eu occafion de lire l'ouvrage
, ni d'en voir même aucun paffage cité
dans des Livres imprimés poftérieurement
en Allemagne & en Hollande , tels que
Trilleri commentatio de pleuritide ejufque curatione
; & Wanfwietin commentaria in Hermani
Boerhaave aphorifmos , & c. dont les
troisieme Volume imprimé l'année derniere
en Hollande , ne m'eft parvenu que
depuis peu , ce qui m'a fait préfumer que
l'ouvrage du Docteur Allemand n'avoit
pas plus accrédité la faignée de la gorge ,
que ceux de M. Hecquer & de fes prédéceffeurs.
En voici la raifon :
: Les malades ont de la répugnance pour
toutes fortes de faignées ; ils en ont d'orJANVIE
R. 1756. *
167.
dinaire plus pour la faignée du pied que
pour celle du bras , & plus encore pour
la faignée de la gorge que pour aucune
des autres. Les malades & les affliftans
n'acquiefcent guere à la faignée de la
jugulaire qu'à la derniere extrêmité , &
ordinairement on ne fouffre pas qu'on.
la réitere , ou bien alors il n'en eft plus,
tems . D'un autre côté la plupart des Chirurgiens
n'aiment guere cette commiſſion ,
& quelques - uns d'entr'eux n'ofent pas
s'en charger. Mais fi cette faignée dans
certains cas eft auffi néceffaire que les aupourquoi
ne pas vaincre la répugnance
des malades ? Pourquoi ne pas
obliger les Chirurgiens à fe familiarifer
avec cette opération , qui n'eft guere plus
difficile que la faignée du bras , & qui
n'en a pas les inconvéniens ? Si les Médecins
étoient d'accord là-deffus , il ne fepas
difficile de faire entendre raifon
aux malades & aux Chirurgiens.
tres ›
roit
T
Au refte il faut , ou que les raifons de
M. Tralles n'ayent pas convaincu M. Heif
ter qui connoiffoit fon Livre , ou que M.
Tralles n'ait pas appliqué la faignée de la
gorge à l'inflammation du poumon ,
poumon , puifqu'en
parlant de cette faignée dans la derniere
édition de fes Inftitutions de Chirurgie
, M. Heifter ne fait mention que
de l'inflammation du gofier , de la phré168
MERCURE DE FRANCE.
néfie , de la manie , & de la mélancolie
des affections foporeufes , & d'autres maladies
qui attaquent la tête , où il dit qu'il
n'eft pas nouveau qu'on faffe ufage de ce
fecours.
Pour faire voir que la faignée du col
n'eft pas moins néceffaire que celles du
bras & du pied , je n'ai d'abord qu'à rappeller
le principe dont mon pere s'eft fervi
dans le Mémoire dont je viens de vous
kire le précis ; fçavoir , que la faignée en
quelque partie du corps qu'on la faffe ,
dérobe au finus veineux & à l'oreille droi
te , une certaine quantité de fang , de forre
que pendant & après la faignée , le
ventricule droit du coeur en reçoit moins
qu'auparavant , & en jette moins dans les
arteres pulmonaires qui traverſent toute
la fubftance du poumon , & dont l'engorgement
eft plus à craindre que celui des
arteres bronchiales qui reçoivent de l'aorte
le fang néceffaire à la nourriture de
ce vifcere. Car il fuit de ce principe , que
la faignée du col fera à l'égard du poumon
, le même effet que toute autre faignée,
en fappofant égale la quantité de
fang tirée de ces veines.
Ce n'eft pas tout. Je prétends que dans
les cas d'inflammation au poumon , après
avoir faigné d'abord du bras une ou deux
fois
4
JANVIER. 1756. 169
fois , felon la violence de la fievre , &
avoir bientôt après pratiqué une faignée
au pied , on ne peut enfuite employer de
fecours plus efficace pour prévenir l'engorgement
, que la faignée de la jugulaire,
fuppofé que la faignée foit encore néceffaire
pour le prouver je n'ai qu'à faire
remarquer , 1 °. Qu'au moyen d'une ample
faignée du bras ou de deux faignées
médiocres affez proches l'une de l'autre
on évacue au moins feize onces de fang :
& que fi tout le fang du corps paffe dans
une ou deux heures à travers les poumons
, une ou deux heures après cette
évacuation il y en aura paffé feize onces
de moins , ce qui aura fort foulagé cette
partie. 2 °. Qu'en évacuant enfuite par le
pied feize autres onces de fang , une ou
deux heures après cette faignée , il en aura
paffé par les arteres pulmonaires trente-
deux onces de moins , fans compter
qu'il aura abordé moins de fang par les
arreres bronchiales à la fubftance propre
du poumon , parce qu'il s'en fera diftribué
trente-deux onces de moins dans toutes
les arteres qui partent de l'aorte ; diminution
qui aura permis aux extrêmités
capillaires des arteres pulmonaires &
bronchiales , de fe dégorger plus aifément
dans les ramifications des veines qui leur
II. Vol.
H
170 MERCURE DE FRANCE.
font continues . Nous ne faifons ici aucnne
attention au chyle & à la lymphe qui
font fournis au fang dans le même- tems ,
parce qu'on peut fuppofer que par les fecrétions
de la lymphe , de l'urine , de la
tranfpiration , &c. Il fort du fang en
tems égal , prefqu'autant d'humeurs qu'il
en entre. 3° . Qu'en tirant enfuite par la
faignée de la jugulaire huit ou dix onces
de fang , une ou deux heures après il en
fera paffé par les arteres pulmonaires environ
quarante ou quarante -deux onces
de moins , & qu'il en fera proportionnellement
moins entré dans les arteres bronchiales
; ce qui aura augmenté la facilité
à fe dégorger de leurs extrêmités capillaires.
Mais ce n'eft là le feul avantage
qu'on peut retirer de la faignée du
col , autrement il feroit aifé de l'obtenir
de toute autre faignée où l'on fruftrefoit
les poumons d'une pareille quantité de
fang.
pas
Par les faignées du bras & du pied , on
diminue promptement la quantité du
fang qui revient de ces parties vers l'une
& l'autre des veines caves ; mais on ne diminue
pas auffi promptement la quantité
du fang qui revient de la tête , qu'on le
feroit par la faignée de la jugulaire . Les
faignées dont on vient de parler,, permetJANVIER
1756. 171
tent bien aux veines jugulaires de fe dégorger
plus aifément dans les fouclavieres
qui verfent leur fang dans le tronc fupérieur
de la veine cave , mais ce qu'elles
verfent de plus alors , eft bien peu de chofe
en comparaifon de 8 ou 10 onces de fang ,
qu'on tireroit promptement par la faignée
de la gorge.
Ajoutons que par la faignée , en quelque
endroit qu'on la pratique , on diminue
farement la maffe du fang , mais
qu'on ne diminue pas toujours fon volume.
Le fang eſt une liqueur graffe qui fe
ratéfie ailément par la violence de la
fievre ; de forte que fouvent après une ou
deux faignées , les vaiffeaux fanguins ne
font guere moins pleins qu'auparavant :
quelquefois même ils fe trouvent plus
pleins par la feule raréfaction du fang ;
ce qui n'eft que trop ordinaire dans les
inflammations du poumon . Alors malgré
les faignées du bras & du pied , le fang
qui revient de la tête fe joignant à celui
qui revient de toutes les autres parties ,
offre un grand volume au ventricule droit :
il y en entre trop ; il en paffe trop dans les
artéres pulmonaires , & il en reflue même
vers les parties fupérieures , comme il
roît par la rougeur du vifage & par le
gonflement des veines des tempes & du
pa-
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
col , ainfi que je l'ai obfervé
d'après
tous
les
Médecins
anciens
&
modernes
. Ne
pas faigner
du col dans ces
circonftances
,
c'eft non
feulement
laiffer
accroître
l'embarras
du poumon
, mais encore
donner
le
temps
au cerveau
de s'engager
ou de fe
remplir
d'une
trop
grande
quantité
de
fang ; ce qu'un
délire
obfcur , ou la phrénéfie
qui
furvient
pour
l'ordinaire
, font
affez
connoître
. Si dans cet état on faigne
du pied
comme
on le pratique
ordinairement
, le cerveau
fe dégage
promp
tement
aux dépens
des poumons
qui s'engorgent
irrémédiablement
. La raifon
n'en
pas
difficile
à deviner . Le finus
veineux
&
l'oreillette
droite , privés par la faignée.
du pied
d'une
certaine
quantité
de fang ,
reçoivent
plus
aifément
celui
qui s'étoit
amaffé
dans le cerveau ; ce fang
entre en
abondance
dans le
ventricule
droit , le
cerveau
fe dégage
& les
poumons
achevent
de s'engorger
d'autant
plus
aifément
que par fon féjour
dans
la tête , le fang a
perdu
beaucoup
de fa fluidité
, & eft devenu
tout-à-fait incapble
de rouler
librement
dans les
rameaux
capillaires
des
arteres
pulmonaires
.
eſt
Cette faignée doit être non feulement
employée après les autres , mais réiterée
même , fi le cas le requiert,
JANVIER. 1756. 173
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
I
ARTS AGRÉABLE S.
MUSIQUE.
L paroît une Cantatille nouvelle , intitulée
l'Amour protecteur , dédiée à Madame
la Marquife d'Agoult , par M. le Fevre ,
Organifte. Cet Auteur eft déja connu par
plufieurs autres ouvrages , où l'on voit
régner une grande variété d'images rendues
avec autant de graces que d'expreffion.
On la trouve aux adreffes ordinaires.
Le fieur Gafpard Tritz , Maître de Mufique
& de violon a mis au jour deux
ouvrages de fa compofition , dont l'un contient
fix Sonates à violon feul & baffe , &
l'autre fix Sonates à deux violons & baffe ;
prix fix livres chacan . On les trouve chez
lui , rue de Buffi , à l'Hôtel d'Angleterre ,
& aux adreſſes ordinaires .
Hijj
174 MERCURE DE FRANCE .
PEINTURE, A
Lettre écrite de Bruxelles fur le fecret de
transporter les tableaux fur de nouveaux
fonds , & de les réparer.
It' y a plus de quatorze ans , Monfieur
que j'ai vu tranfmettre ici de vieux
Tableaux fur de nouveaux- fonds ; & il n'y
en a pas cinq que l'existence de ce fecret
à été divulguée dans les Mémoires de
Trévoux ( 1 ) , la premiere fois, par une lettre
Au P. B. J. SUR LES TABLEAUX EXPOSÉS
AU LUXEMBOURG. On y voit d'a
bord , y eft - il dit , un grand Tableau de la
Charité , peint par André del Sarte , fur
bois , & remis fur toile par le fieur Picaut ,
qui a fignalé en ceci fon adreffe & ſon attention
. Le fieur Riario , Italien , nous avoit
déja donné des preuves de fon fçavoir
dans le même genre : il étoit venu à bout de
tirer des Plafonds de l'Hôtel de Bouillon ' ,
plufieurs Tableaux de le Sueur , peints fur
plâtre , & il les avoit remis parfaitement
Sur toile.
Tout cela eft vrai. M. Riario , Gentilhomme
Italien , bon Peintre , & très-
( 1) Mois de Janvier , 1751 , p . 105 .
JANVIER. 1756. 175
expert en Phyfique , Médecine , Chimie,
Optique , &c. avoit été en liaifon avec M.
le Duc de Bifache , grand Amateur des
curiofités de la Nature & des Arts : celle
de la tranfmiffion des fonds de Tableaux
ne lui eft point échappée , non plus qu'à
M. le Comte d'Egmont fon fils , qui n'étoit
pas moins curieux. Se trouvant à Bruxelles
en 1741 , & M. le Duc d'Aremberg
fon beau - frere , lui ayant préfenté M.
Dumefnil , comme un des habiles Peintres
que nous ayons dans ce Pays depuis longtemps
, il reconnut bientôt fon mérite ,
l'honora de fon eftime , & lui enfeigna
cette méthode d'enlever les Tableaux de
leur fonds . J'ai eu l'avantage d'en être témoin
, & M. Dumefnil garde encore chez
lui une preuve convaincante de fes parfaites
réuffites .
C'est pareillement à la bonté de ce Seigneur
, que fon Valet de Chambre nommé
Pafquet , eft redevable de la connoiſſance
d'un fecret qui fait aujourd'hui tant de
bruit dans Paris. Le fieur Picaut peut l'avoir
appris de celui ci , ou peut- être de
M. Riario même. Mais ce qui donneroit
lieu d'en douter , eft fon opération finguliere
, rapportée par les Journaliſtes de
Trevoux , dans leur difcours intitulé :
OBSERVATIONS SUR L'ART DE CONSERHiv
176 MERCURE DE FRANCE.
»
VER LES OUVRAGES DE PEINTURE QUI
MENACENT RUINE. ( 1 ) « Après qu'on les
» eut affurés que ce fecret communique
» aux Tableaux tranfportés d'un fonds fur
un autre , plus de durée que les Peintres
» mêmes ne peuvent leur en donner , ils
difent qu'ils croient en appercevoir la
» raifon qui doit du moins être indiquée
; & voici comment. M. Picaut ,
continuent - ils , travaille long - temps
» avant que d'enlever un Tableau de deffus
fon fonds. Ce précieux épiderme ,
s'il eft permis de parler ainfi , eft tellement
inhérent fur la matiere qui l'a reçu
» d'abord , que le feu feul , & un grand
feu , accompagné des liqueurs qui font le
» fecret , peut à peine confommer l'opération.
Il ne nous eft ni permis ni poffible
d'indiquer le point précis , qui acheve
l'enlèvement des figures , qui a fait , par
exemple , que cette belle Charité d'André
del Sarte , détachée de la planche
qui la portoit , s'eft remife toute entiere
» dans les mains de l'Artifte . Ici eft le
myftere , la fcience , le coup de maître
» qui jette dans l'admiration . »
و د
Que vous en femble , Monfieur ? les
Obfervateurs n'en ont-ils pas trop dit ? &
(1) Mém. de Trévoux , Février 1751 , P. 45.2
JANVIE R. 1756, 177
ne font- ils pas trop appercevoir cette raifon
qu'ils ne vouloient qu'indiquer.
quoiqu'il ne leur foit ni permis ni poffi
ble ? Est- ce par conjecture & de leur propre
mouvement qu'ils parlent ? La complaifance
n'y entre t'elle pour rien ? J'ai
de la peine à me le perfuader ; & j'aime
mieux croire que ce n'est qu'un détour
fuggeré , pour embarraffer ceux qui voudroient
approfondir l'art mystérieux du
fieur Picant. Comment donc employer le
feu feul & un grand feu , pour détacher un
Tableau de deffus une planche , & pour
le tranfporter en entier fur un autre fonds?
où eft la vraisemblance ? Oh ! mais , ce
font des liqueurs compagnies de ce feul
grand feu , qui en arrêtent l'activité, &
qui achevent l'enlevement des figures . Autre
prodige ! Toute liqueur eft ou aqueufe
ou fpiritueufe , ou onctaeufe. Il faudroit
une grande quantité de la premiere pour
amortir un grand feu , & peu des deux autres
pour un effet tout contraire. Celles da
feur Picaut font apparemment compofées
ou mêlangées de façon qu'elles produifent
ce phénomene anti- phyfique. C'eft pousquoi
, fans vouloir en pénétrer le mytere,
je conviens avec les Sçavans Obfervateurs ,.
que c'est un bien qui n'appartient qu'à cex
Artifte , un bien dont il doit jouir fans river
Hy
"
178 MERCURE DE FRANCE.
lité ; c'est - à- dire , de cette étonnante opération
, & non pas de celle qui vient originairement
de M. Riario , dans laquelle il
n'entre ni feu, ni liqueurs , ni rien qui puiſſe
communiquer aux Tableaux tranſportés , plus
de durée que les Peintres mêmes ne peuvent
leur en donner. Cette derniere circonstance
eft imaginée à pure perte , puifqu'on ne
peut point la vérifier , & qu'elle n'augmente
pas le mérite du fecret. Eh ! qu'importe
après tout , qu'on opere différemment
, quand le fuccès eft égal ? Mais on
fait deux queſtions aux Artiftes , qui fe
portent eux-mêmes pour être en état de réuffir,
& qui pour cela font appellés cela font appellés antagonistes
du fitur Picant : la premiere , pourquoi jufqu'ici
ils n'ont pas fait ufage de leur talent ;
la feconde, pourquoi ils ne publient pas la méthode
qu'ils croient infaillible pour le fuccès
de l'opération. Je répons pour eux , que
s'ils n'en ont pas fait ufage , c'eft peut- être
faute d'occafion ; & s'ils l'ont fait , ç'a été
fans bruit & fans aucune envie de fe faire
préconifer. Pour la feconde queftion l'on
fuppofe qu'un fecret ne doit plus être un fecret
, dès que plufieurs perfonnes fe flattent
de réuffir également ; ce qui n'eft pas exactement
vrai : car combien d'Artistes ont
entre eux un fecret de métier , qui ne
fort point de leur famille ; & qui n'en
JANVIER. 1756. 179
diroient pas le mot , quand cent perfonnes
fe flatteroient de l'avoir comme eux ? auffi
ne s'avife-t'on guere de demander pourquoi
: on le devine affez . Il ne s'agit point
ici de ces découvertes dans les Sciences ,
dont la feule récompenfe eft la gloire de
les avoir faites : nos Artiftes nous diront
Que qui ne vit que de gloire ,
Peut fort bien mourir de faim ;
& que c'est pourquoi ils ne publient pas
leur méthode. Je ne crois pas auffi que M.
Picant puiffe rien alléguer de plus plaufible
pour cacher la fienne , & nous donner
le change ; en quoi je trouve qu'il a fait
très - fagement , & montré plus d'efprit &
de politeffe , que les indifcrets qui lui auront
fait la même queftion. Ainfi je ferois
d'avis , qu'au lieu de ce proverbe un peu
groffier : Afotte demande point de réponse ,
l'on dife déformais , à fotte demande réponſe
Normande.
Tous ces difcours , difent les Journaliſtes ,
tendent à conftaler de plus en plus le fecret
qui a pour but de réparer & de perpétuer
les chef- d'oeuvres de la Peinture . Attention ,
s'il vous plaît , Monfieur , à ce mot de réparer;
& remarquez que ces Meffieurs fe
font étendus fur l'adreffe merveilleufe de
H vj
180 MERCURE DE FRANCE .
M. Picaut , à faire changer de fonds aux
Tableaux qui dépétiffent , & qu'ils paffent
fort légerement fur ce point effentiel,
fans lequel le refte feroit peu de choſe ; à
moins que par un cas métaphyfique il ne
fe rencontrât quelque bon morceau qui ne
fût point endommagé , quoique für un
fonds prêt à tomber en ruine . Je trouve
dans les Mémoires de Trévoux , du mois.
de Mars de cette année , une nouvelle qui
confirme ce que je viens de vous expofer ;
c'est à l'article de Verdun. « M. Sauvages,
»premier Archidiacre & Chanoine de la
Cathédrale de cette ville , homme de
» Lettres , connoiffeur en Tableaux , &
curieux de nouvelles découvertes , avoit
une Décolation de S. Jean Baptifte , qu'on
»croit être du Giorgion , ayant cinq pieds.
»de largeur , fur près de quatre de hauteur
, mais dans un délabrement total
; c'eft tout , que les crevaffes &
» ruptures étoient de 5 , 6 , 7 & 8 pouces
» de longueur ; que , le vifage d'un des
principaux personnages étoit brifé en triangle
, tant peinture que toile ; qu'un mifé-
» rable Peintre avoit chargé de repeints
» les coutures , fans y obferver les tons de
couleurs ; qu'enfin la toile tomboit de-
» vétufté en lambeaux & en pouffiere . Ce
Tableau dans l'état qu'on vient de dire,,
JANVIER. 1756. 1SF
a paru néanmoins digne des attentions
induftrieufes du Poffeffeur. M. Sauvages
, inftruit ( N. B. ) des fuccès de M.
" Picaut , avoit déja tenté de lever d'au-
» tres tableaux de deffus leurs fonds , &
» il avoit réuffi .... Il a fait ufage de fon
» fecret , pour rétablir cette belle Décola-
» tion de S. Jean ; & fon travail a été fi
» bien conduit , qu'on admire ce Tableau
» reffufcité en quelque forte , & brillant
» de fon premier éclat fur la toile neuve
» qu'il occupe.... Il fuffit de l'avoir vu dans
» ces deux états fucceffifs , l'un d'anéan-
» tiffement prefque total , l'autre de ref-
» tauration parfaite. »
Voilà donc encore un antagoniſte , ou
plutôt un rival de M. Picaut , & un rival
qui fait ufage de fon talent avec une égale
réuffite : refte à fçavoir fi l'un n'eft pas fupérieur
à l'autre dans le point effentiel du
fecret. Le filence qu'on affecte à cet égard ,
ne jette que du foupçon & ne décide point,
il femble au contraire qu'on veuille toujours
nous faire accroire que cette réparation
, cette réfurrection de tableau , ne confifte
& ne fe fait qu'au moment qu'on
acheve de le détacher de fon fonds, commeil
eft dit de cette belle charité d'André děl
Sarte. Or il eft impoffible d'en détacher će
qui n'existe plus ; & ce tableau ne peut
182 MERCURE DE FRANCE.
reparoître fur la toile neuve, que tel qu'il
étoit , avecfes crevaffes , fes brifures & mauvais
repeints , bien loin de briller de fon
premier éclat donc pour rétablir fur ce
nouveau fonds ce qui a été détruit fur le
vieux , faire revivre entiérement ce tableau
prefque anéanti , il faut de néceffité employer
les mêmes agens , dont on s'eft ſervi
pour lui donner fa premiere vie , le pinceau
& les couleurs , & il n'y a qu'un Peintre
expérimenté qui puiffe opérer ce miracle.
De bonne foi fi toute l'industrie des
prétendus antagonistes du Sieur Picaut fe
bornoit à lever avec adreffe les tableaux de
deffus leurs fonds , & qu'ils duffent emprunter
le fecours d'un fçavant Artifte
pour perfectionner l'ouvrage ; pourroientils
prétendre une fort grande part dans les
louanges qu'auroit mérité ce dernier ?
Pourroient- ils avancer , fans charlatanerie
, d'avoir le fecret de réparer les chefd'oeuvres
de la Peinture , & de les perpéixer ?
Non , Monfieur ; cer honneur n'eft refervé
qu'à M. de Lyen , célèbre Peintre de l'Académie
Royale , & à tous ceux qui fçauront
faire ce qu'il a fait. « Il a parfaitement
» rétabli un des plus beaux tableaux que
» poffedât la France , & qui foit forti da
pinceau du Corrége ; c'eft la fameufe
» Leda , dont la tête féparée du corps avoir
JANVIE R. 1756. 183
33
32
» été la proie des flammes , le refte défiguré
& coupé en plufieurs morceaux.
» Cet habile Artiſte a rendu l'ouvrage tel
» qu'il étoit forti des mains de fon Au-
» teur : la tête furtout porte un air fi frap-
>> pant de vérité , qu'on juge qu'il n'étoit
» pas poffible que l'ancienne fût plus belle,
» ni mieux affortie au refte du tableau.
Voilà en abrégé ce que nous lifons dans
les Lettres fur quelques écrits de ce tems ,
tome 10, p . 142.
La même chofe eft arrivée à un autre tableau
du même Corrége , repréfentant lo
careffée par Jupiter. Les deux têtes furent
auffi féparées de leurs corps , & brûlées ; &
l'on publie que M. Collins , chargé de l'entretien
des tableaux du Roi , les a refaites
avec la même vérité & la même perfection
que M. de Lyen a refait la tête de Leda.
Voyez le tome 4 de l'année littéraire , 1754 ,
p. 92. Nous ne pouvons qu'applaudir aux
éloges légitimement dus à un grand Artifte
& à unpinceau créateur. Mais jugez de notre '.
étonnement , quand on vint nous apprendre
que c'eft le même Collins de Bruxelles ,
Brocanteur très-renommé , & connu de ce
qu'il y a de plus diftingué parmi les curieux
: il eft d'autant plus digne d'admiration
, qu'une connoiffance théorique , qu'il
peut avoir acquife dans cet exercice , toute
184 MERCURE DE FRANCE
grande qu'elle foit , ne fçauroit inculquer,
bien moins encore infufer , ce qu'on n'acquiert
que rarement par une longue pratique
de l'Art. Mais la qualité de Peintre
François que M. Freron lui donne ( ibid,
P. 94) nous tient en fufpens ; & la crainte
de nous tromper , fait que nous héfitons à
revendiquer un compatriote fi célébre.
Je dis donc qu'il faut avoir une longue
pratique jointe à l'intelligence , pour
fçavoir bien réparer les tableaux . Il n'y a
pas de Peintres quelques médiocres qu'ils
foyent , qui ne fe flattent d'en fçavoir làdeffus
autant que leurs compagnons ; auffi
font- ils de mauvaife befogne. La plûpart
fe glorifient de rendre d'abord les parties
endommagées qu'ils repeignent , égales
au refte de l'ouvrage , & ce ne fort
que
de fauffes teintes & autant de taches ,
qui bien-tôt après décélent leur préfomption.
Mais les plus experts , qui connoiffent
l'effet que le temps & l'impreffion de l'air
font fur les couleurs , donnent aux nouvelles
qu'ils emploient , un ton plus ou
moins clair , qui femble trancher avec les
anciennes ; & au bout de quelques mois
( il y a même des Artistes qui demandent
des années ) tout redevient à l'uniton , &
y refte.
JANVIER. 1756. 185
M. Dumefnil eft allez plus loin , &
jufqu'où perfonne que l'on fçache , n'eft
encore parvenu. L'étude particuliere qu'il
a faite pendant plus de vingt- cinq ans ,
de cet effet des couleurs & de leur entente
, l'a rendu capable de remettre les
tableaux les plus délabrés , dans l'état de
perfection qu'ils font fortis des mains
de leurs maîtres : chacun d'eux y reconnoîtroit
fon pinceau . Il faifit leur coloris ,
& fçait le fixer au premier coup , fans
rien craindre , ni rien attendre du temps.
Et c'eft- là , je penfe , poffeder fupérieurement
le fecret de réparer & de perpétuer les
chef- d'oeuvres de la Peinture.
On en peut voir plufieurs preuves
chez nos principaux Seigneurs & autres
curieux de tableaux. Je ne ferai mention
que des trois derniers ainfi reffufcités.
L'un eft depuis 160 ans dans la famille
de M. le Baron de Haren , Miniftre des
Etats Généraux des Provinces-Unies , à la
Cour de Bruxelles. C'eft une fortune
de grandeur naturelle , nue & debout
fur un globe , étendant des deux mains
une draperie qui voltige au-deffus de fa
tête . Cette charmante piéce avoit été trai
tée d'une maniere plus déplorable que
Io , la Leda , & la Décolation de Saint
Jean ; avec cette différence que la tête
186 MERCURE DE FRANCE.
de la fortune étoit la partie la plus entiere
, & le refte pourri , déchiré , criblé ,
y ayant cent quatre- vingt- quinze trous
de compte fait & de toute mefure , au
travers d'un defquels un homme auroit
pu paffer. Il faut en excepter quelques
parcelles par- ci par- là affez bien confervées
, pour avoir guidé notre fçavant &
laborieux Artifte. J'oubliois de vous dire ,
Monfieur , que M. de Haren , vrai amateur
de tableaux , & bon connoiffeur
avoit fouvent oui parler de celui- ci comme
d'un des plus beaux du Corrége ;
mais qu'on l'avoit cru perdu pendant
les troubles de Hollande ; & que depuis
peu d'années ce Seigneur en a recouvré
ces précieux lambeaux , avec lefquels M.
Dumefnil l'a fait revenir à fon premier
être , il y a près d'un an.
L'autre morceau qui lui a été mis en
mains par une perfonne diftinguée de
la Cour de S. A. R. le Duc Charles de
Lorraine , n'étoit pas tout- à- fait fi maltrai
té , la toile étant encore en fon entier :
mais les trois quarts au moins de la
peinture en étoient détachés avec l'enduit ,
& tombés par écailles. Il a quatre pieds
de Roi neuf pouces de largeur , fur trois
pieds fept pouces de hauteur , & repréfente
la Bénédiction de Jacob , où RemJANVIE
R. 1756. 1 $7
brant s'eft lui- même furpaffé. L'on eft
enchanté furtout de la tête d'Ifaac ; à peine
l'alpeut- il s'en raffafier.On n'eft pas moins
frappé du parfait accord & des effets de
lumiere , qui régnent dans ce tableau , en
quoi ce grand Peintre excelloit , & ce
que M. Dumefnil a judicieuſement rendu ,
en lui confervant un air de vétufté &
une fraîcheur préférable aux plus beaux
vernis (1 ) . Son Alteffe Royale , après l'avoir
admiré longtemps , dit qu'elle ne
s'étoit pas attendue à le revoir fi bien
reparé , témoignant à l'Auteur qu'elle étoit
bien- aife de le connoître , & de vérifier
par
fes yeux ce qu'on lui avoit dit de fon
fçavoir-faire.
Il vient d'en donner une nouvelle marque
& des plus frappantes , fur un des
tableaux échappés du feu , à l'Hôtel de M.
le Prince de Ligne. Je ne crains point
d'avancer que c'eft peut- être le premier
phénix qu'on ait vu renaître de fa cendre.
On a commencé ce miracle par une
opération bien plus difficile , que celle
de changer, fimplement le fonds d'un ta
bleau . Il faut que vous fçachiez , Monfieur,
(1) Cette belle piece eft paffée à Nancy , chez
M. le Marquis de Torcy , Gouverneur de cette
ville.
188 MERCURE DE FRANCE.
que celui-ci , dont la hauteur eft de neuf
pieds & demi , fur fix & demi de largeur ,
avoit déja été endommagé autrefois , &
mal racommodé ; qu'il avoit même été
rentoilé , c'est-à- dire , renforcé d'une feconde
toile , après qu'on eut reftauré la
premiere en plufieurs endroits , avec de
la filaffe , de la colofane , de la cire molle ,
rouge & verte ; qu'avec ces mêmes ingrédiens
, les deux toiles avoient été appliquées
l'une fur l'autre ; que fur le tout
on avoit donné une forte couche d'un
très-mauvais vernis ; & vous jugerez parlà
des effets de l'ardeur du feu. Les couleurs
fondues , brouillées avec ces drogues ,
avoient en bouillonnant formé quantité
d'ampoules ; & les carnations les plus
claires & les plus vives , paroiffent obfcures
& tannées , à caufe d'une fumée graffe
qui s'étoit répandue partout . Il a done
fallu rajuiter tout cela , nettoyer ces couleurs
, les dépouiller de toute matiere
hétérogéne , détacher la nouvelle toile &
ce qu'on avoit collé fur l'ancienne , qui
toute grillée fe brifoit comme une oublie ;
laiffant des ouvertures de 4 , 6 , 8 & 16 pouces
de circonférence. Autre opération pour
les refermer , pour ramollir cette toile
& la renforcer de nouveau . C'eft ainfi
que M. Dumefnil s'étoit préparé à faire
JANVIE R. 1756. 189
revivre un des meilleurs ouvrages de Luc
Jordan , Peintre très- habile à plus d'un
égard , furnommé Luca fa -prefto. Le ſujet
en est tiré de la fin de l'Enéïde.
C'est le combat fingulier d'Enée & de
Turnus. La compofition en eft fort belle ,
le deffein correct & hardi , l'expreffion
des plus vraies , & le coloris la nature
même. Outre ces deux figures principales
, qui font fur le devant , on y voit
celle de Jupiter , de Venus , de Saturne
& plufieurs autres dans des pofitions &
des attitudes convenables.
En voilà affez , Monfieur , pour exciter
votre curiofité : venez la fatisfaire entierement
vous même, & fuppléer à la foibleſſe
de mes expreffions.
Je fuis , &c.
Ge 25 Octobre 1755..
Lettre à l'Auteur du Mercure , & Réponse à
la Leuire anonyme inférée dans le premier
volume de Décembre , fur l'invention
d'imprimer les Tableaux.
Monfieur , vous avez cu la bonté d'annoncer
dans le Mercure de Novembre ,
les prémices de mon fils dans le nouvel
Art dont il eft queftion , & vous dites ,
190 MERCURE DE FRANCE.
parlant de moi , M. Gautier nous affure
qu'il est l'Inventeur de l'art d'imprimer les.
tableaux à quatre cuivres : vous dites vrai
en cela , & ce n'eft que fur ce que j'ai eu
Phonneur de vous dire que , fans vous
compromettre , vous avez fair part au Pa
blic des fruits de mon éleve . C'est mon
affaite maintenant de prouver , comme
je fuis en effet l'Inventeur d'un Art qui
m'appartient, & qui fait le fonds de mon
établiffement, & celui de toute ma famille.
L'Anonyme me ménage peu, & fans me
connoître , il me blame publiquement ; ib
feroit fans doute de mes amis fi j'avois
Pavantage d'être connu de lui : il pourra
peut-être le devenir , s'il eft amateur , par
la réponſe que je vais faire à fes quef
"
tions .
و ر
,
» Permettez- moi , dit-il , que par votre
» moyen , je lui demande l'explication
de ce qu'il a avancé dans le Mercure du
» mois de Novembre dernier . » S'il avoit
fait attention à votre annonce , il fe feroit
apperçu que ce n'eft pas moi qui parlė ;
mais n'importe : je fuppofe avoir dit ,
M. Gautier nous affure , & c. Il s'agit feulement
d'extraire la fubftance de fa lettre ,
& de répondre à tous les points , quoique
mal - à - propos l'Auteur Anonyme ait mêlé
mon talent de graver & d'imprimer des
JANVIE R. 1756. 19t
tableaux avec mon fyftème Phyfique des
couleurs contre Newton , & avec les découvertes
que j'ai données au Public.
L'Auteur anonyme veut faire entendre ,
1º. que l'art d'imprimer les tableaux eft
peu important. 2 °. Que je fuis éleve de
le Blond dans cet Art , & que fi je m'étois
d'abord deftiné à ce talent , je me ferois
préparé à l'exercer par une longue étude
de deffein. 3 ° . Que s'il y a quelque diftinction
entre ma pratique dans ce nouvel
Art , & celle de le Blond , cette différence
ne confifte que dans l'invention
d'une quatrieme planche. 4° . Que ceux
qui inventeront une cinquieme & fixieme
planche , auront la même diftinction
& le même avantage de contribuer à la
perfection de cet Art , mais qu'ils n'auront
pas plus de droit que moi à la qualité
d'Inventeur. Voilà ce qui forme la
critique des prétentions que j'ai fur la découverte
d'imprimer les tableaux .
Concernant mes écrits , c'eft autre chofe.
19. M. Gautier dit , à qui veut l'entendre
, qu'il a fait un fyftême meilleur qué
celui de Newton. 2°. J'attribuois , dit
l'Anonyme , à une oftentation impardonnable
, l'innattention allant jufqu'au mépris
, qu'ont les Sçavans pour les découvertes
de M. Gautier ; j'étois difpofé à
192 MERCURE DE FRANCE.
croire des chofes encore plus incroyables ;
mais je fuis affligé de me voir dans la néceffité
de retirer cette confiance aveugle.
3 °. Que la vafte étendue des connoiſſances
de M. Gautier , dont on a vu depuis
les fruits , le tenoit alors ( c'eſt à dire dans
le tems que je prenois des leçons de gravûre
, felon l'Anonyme , chez le Blond )
dans une espece d'indécifion , & que c'eft
maintenant fans doute ce qui caufe le
manque de mémoire de M. Gautier.
Enfin il eft question de citer qui font
les Académiciens qui ont approuvé les
ouvrages que j'ai eu l'honneur de préfenter
à M. le Marquis de Marigni.
Réponse aux quatre premieres queftions .
1. L'art d'imprimer les tableaux eft
très-important dans la repréfentation de
tous les fujets qui ont rapport à l'Anatomie
, à l'étude des Plantes , & à tout ce
qui concerne l'Hiftoire Naturelle . Le Roi
le juge ainfi par la protection qu'il a accordée
de tout tems à ceux qui ont tenté
de réuffir dans cet Art , par celle qu'il me
fait l'honneur de m'accorder préfentement
, & par les penfions dont il a toujours
honoré ceux que l'on a cru mériter
le titre d'inventeur . Sa Majefté bienfaifante
JANVIE R. 1756. 193
fante n'a rien épargné de ce qui pouvoit
contribuer à l'établiffement de cet Art en
France. Le public juge auffi en faveur de
l'importance de cet Art , par l'amour qu'il
fait paroître pour fes productions ; il préfere-
les Planches Anatomiques en couleurs
naturelles , & dont je donne une feconde
édition , à toutes celles qui ont paru jufqu'à
ce jour dans le genre de gravure
ordinaire. L'empreffement avec lequel il
demande l'Hiftoire des Plantes dans cette
nouvelle maniere , fait voir encore combien
cette découverte eft eftimable dans
tout ce qui regarde l'étude de la nature.
L'Académie des Sciences l'a jugé de même,
fur le rapport favorable qu'elle accorda
lors de l'enregistrement des Lettres
patentes qui oonntt ééttéé ddoonnnnééeess par Sa Majefté.
Je crois qu'il n'en faut pas d'avantage
pour prouver dans cette partie l'eftime
que l'on doit faire de ce talent.
Pour ce qui concerne les Tableaux
l'Académie des Sciences n'étoit pas à portée
de décider des pieces qu'on peut lui
avoir préfentées ; fi les Peintres & les Graveurs
n'ont encore rien dit de favorable
pour un Art fi propre à repréſenter les
Tableaux dans toutes leurs beautés , il
peut y avoir des raifons particulieres qui
les obligent au filence . Le Public feul a dé
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
cidé du mérite des morceaux de ce nouveau
genre de gravure, & il préferera toujours
une Eftampe qui fait l'effet de la
Peinture , à des achûres noires , qui ne
repréfentent
qu'un deffein à la plume .
On a vu fortir de mes mains trente ou
trente - cinq pieces dans cette nouvelle maniere
. Elles font répandues dans des fameufes
collections , & celles que je donnerai
par la fuite , ou que donneront mes
enfans , continueront de tenir toujours
leurs places dans tel cabinet que ce foit.
2. Si le Blond étoit l'inventeur de cet
Art , il auroit laiffé des éléves qui le remplaceroient
en Angleterre où il a travaillé
vingt ans , & il s'en trouveroit quelqu'un
dans la France qui continueroit de l'exercer
; mais c'est moi , dit- on , qui fuis fon
Eleve je le ferois en effet fi j'avois fuivi
fa méthode , & s'il y avoit quelque reffemblance
entre mon talent & celui de le
Blond . Je vais donc marquer encore une
feconde fois cette différence; je pourrois cependant
m'en difpenfer, l'ayant affez détaillée
dans le Mercure de Juillet 1749 , que
l'Anonyme auroit dû confulter avant d'écrire
, mais le Public me fçaura gré de répéter
ici à peu près ce que j'ai dit dans ce temslà
, pour ne laiffer rien à défirer fur la certitude
d'un Art qui vient de naître dans
JANVIER. 1756. 195
le fein de la France , & qu'on veut lui
arracher.
Imprimer les Tableaux , ou faire des Eftampes
coloriées , font deux talens différens ;
le Blond a exercé celui- ci avec peu de
fuccès & pendant long-tems : tout fon
but étoit de peindre des eftampes fous la
preffe ; il n'a jamais ofé tenter l'impreffion
des Tableaux , parce qu'il ignoroit
la vraie théorie des couleurs : fes planches
étoient pleines de achûres de traits grof
fiers de burin & couvertes de couleurs
dures qu'il adouciffoit au fortir de la
preffe avec le pinceau le mieux qu'il lui
étoit poffible , pour mettre ces pieces imparfaites
en état d'être préfentées au Public
; & à force de travail & de coups de
pinceau , le Blond venoit enfin à bout de
faire une eftampe qui coutoit plus qu'un
tableau.
Cette méthode longue & bornée a toujours
rebuté le Public par la défectuofité
& par la cherté des pieces , & encore
plus les Affociés de le Blond en Angleterre
& à Paris ; & malgré les fonds immenfes
que ceux-ci avoient avancés , jamais
l'Artifte dont il s'agit n'a été en
état de mieux faire. Cette manoeuvre n'a
duré long-tems , que parce que le Blond ,
comme nous venons de dire , finifloit fes
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
1
planches au pinceau , ce qu'il appelloit
miniatures ; c'est ce qu'il faifoit cependant
avec plus de foin qu'à l'ordinaire , lorfqu'il
étoit obligé de les préfenter quelquefois
à fes Protecteurs. Il faifoit alors accroire
qu'elles étoient tirées de la preffe
par des mains plus habiles , & cela pour
prolonger les avances qu'il efpéroit des
uns & des autres.
Ce font ces pieces que l'on veut
m'oppofer de tems en tems ; mais elles
n'ont aucun rapport avec le fonds de l'Art
dont il eft question ; ces pieces reffemblent
à ces lingots d'or , que les Alchimistes
gliffent quelquefois dans le creufet pour
attraper ceux qui font avides de faire de
ce précieux métal ; mais la rufe fe découvre
enfin par la perte du tems & des fonds
qui ont été employés à chercher la pierre
philofophale ; ces vérités font connues
de tout le monde.
Il n'en eft pas de même de mon talent :
j'imite le tableau ; je ne me fers d'aucun
trait de burin pour former les figures &
les draperies de mes fujets jamais le pinceau
ne paffe fur mes planches , je les imprime
devant tout le monde la facilité
avec laquelle elles fortent de la preffe , &
le fruit qu'elles portent à mon commer
ce , prouve que c'eft ici ce que l'on cher
JANVIE R. 1756. 197
she depuis long-tems. Le Blond n'eft pas
le premier qui ait tenté d'imprimer en
couleur ; & quand il y en auroit en avant
lui , ils ne feroient pas pour cela fes Inventeurs
de cet Art , s'il ne l'avoient jamais
pu mettre en pratique . Quoiqu'il y
ait eu , par exemple, des milliers de Chimiftes
qui ayent tenté de faire cet or dont
nous venons de parler , fi quelqu'un venoit
aujourd'hui à trouver ce fecret , qui
eft-ce qui feroit l'Inventeur de l'art de faire
du métal dont il s'agit ?
Un mot préfentement achevera de détrui
re le refte de la feconde propofition . Si
j'avois eu beſoin de le Blond pour apprendre
mon talent , & fi je ne m'étois
pas deſtiné à cet Art difficile , comme
tout le monde l'avoue , par des exercices
& des longues études , avant de connoître
le Blond, comment aurois - je pu graver
chez le Blond le premier jour que j'ai
travaillé chez lui ? Ne fçait- on pas que
j'avois gravé , avant de le connoître , une
coquille , dont le P. Caftel a vu des épreu
ves, puifque c'eft lui qui me prêta l'original?
N'avois-je pas fait divers effais à Marſeille
avant de venir à Paris , & avant de fçavoir
s'il y avoit un le Blond dans le monde ?
Est- ce que celui-ci & fes Affociés auroient
pu m'appeller à leur travail pendant trois
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
femaines , fous la promeffe de m'affocier',
en me payant en attendant fix livres par
jour , c'eft-à -dire la fomme de 108 liv.
pour le travail de dix- huit jours ? c'eſt ce
que l'on appelle avoir été éleve de leBlond.
J'y aurois refté plus long- tems , & je les
aurois aidés de toutes mes lumieres , s'ils
m'avoient tenu leur parole ; & l'entrepri
fe de le Blond ne feroit pas périe , fi je
ne les avois pas abandonnés à leur propre
ignorance. Le premier coup de maître
que je me fuis toujours réfervé , a fait
mon bien ; & fi je ne travaillois pas dans
ce tems- là à mon particulier , c'eſt que
l'on m'avoit lié les mains par un Privilege
exclufif , en confondant mon talent avec
celui de le Blond , dont je me gardois
bien de faire fentir la différence , pour
n'être pas facrifié & ne pas périr dans les
mains de plus fort que moi. Je fis alors
un morceau fecrétement , outre ceux que
j'ai déja indiqué ; c'eft la tête de S. Pierre
que
l'on a vu : ce morceau ruina le Blond
fes affociés le délaifferent ; fes preffes furent
féqueftrées ,& il mourut fort à plaindre.
La quatrieme planche dans laquelle
confifte une grande partie de mon fecret ,
n'eft point une planche d'aventure ; je
l'ai toujours cachée , cette quatrieme planJANVIER.
1756. 199
che , & n'en ai parlé que lorfque , par la
juftice que m'a rendu Sa Majesté , je me
fuis vu en pays de fureté . Certe piece
fixe le nombre des couleurs qu'il faut pour
exécuter un tableau ; fans elle rien ne
réuffit : ce n'eft cependant pas la planche
elle même dont je veux parler , c'eft de
la couleur qu'elle porte ; car s'il ne s'agiffuit
que de planches , le Blond quelquefois
en a employé quatre , auffi cinq , fix ,
& jufqu'à fept ; mais ces planches n'étant
que des cinquiemes roues à fon
char , il n'en étoit pas mieux attele . La
théorie des couleurs que je poffede , a
fixé le nombre des couleurs qu'il falloit
pour réuffir dans ce nouvel Art. C'eſt par
fon moyen que je fuis venu à bout de
tour.
Le Blond , Allemand de Nation , &
Anglois de fentiment , fuivoit aveuglément
le fyftême de Newton . Il bannifoit
le noir de la claffe des couleurs ; il vouloit
ridiculement que la réunion des couleurs
matérielles , difoit- il , fiffent le noir
comme la réunion des couleurs folaires faifoit
le blanc ; erreur capable de plonger
non-feulement le Blond , mais tous les
fectateurs de ce Philofophe dans les plus
grandes faures.
>
3. Ceux qui ajouteront d'autres cui-
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
vres n'ajouteront pas d'autres couleurs à
celles que j'ai admiſes . Le blanc du papier ,
le noir du premier cuivre , le bien du fecond
, le jaune du troifieme , & le rouge
du quatrieme , ne peuvent pas être augmentés
d'aucune autre couleur : car le
violet eft le compofé du rouge & du bleu ;
l'orangé du jaune & du rouge ; le verd
du bleu & du jaune , & enfin le gris eft
un mêlange du noir & du blanc que porte
naturellement le papier , &c. Il n'y a
pas d'autres couleurs dans la nature : toutes
les teintes imaginables font des combinaifons
des cinq que nous venons d'indiquer.
Ainfi un cinquieme cuivre feroit
inutile & même préjudiciable ; un cuivre
de moins rendroit le morceau imparfait.
Il n'y a donc que moi feul qui peux dire
avoir inventé la vraie théorie de l'impreffion
des tableaux , ayant fixé le nombre
de celles qu'il falloit pour réuffir. Le
Blond ne peut fe qualifier de ce titre , ni
ceux qui voudront raffiner fur ma décou
verte.
Je ne devois rien dire fur ce qui concerne
mes découvertes phyfiques , &
renvoyer le Lecteur à mes obfervations ,
fur l'Hiftoire Naturelle , fur la Phyſique , &
fur la Peinture , que je donne in - douze &
in- quarto tous les deux mois , avec des
JANVIER. 1756. 201
planches imprimées dans le nouvel Art dont
je fuis l'Inventeur ; mais je vais englober
les trois dernieres propofitions , & repartir
à la lettre de l'Anonyme . 1 ° . Que je
n'ai point fait de fyftême contre Newton ;
mais que j'ai donné des expériences contre
l'Optique de ce Philofophe Anglois.
2 °. Que j'ai mis au jour un fyftême différent
de celui de Defcartes & de Newton
, en ce qui concerne la Phyfique en
général ; que dans ce fyftême le Soleil eft
l'agent univerfel , qui fait agir les planetes
par l'impulfion de fes rayons ; que le feu
& la lumiere font la même chofe ; que
les effets du tonnerrè & de l'électricité
ne font que des modifications des parties
de feu que l'air contient ; que nos efprits
animaux ne font pas compofés d'autre matiere
que de celle du feu , & que l'ame
feule peut les faire agir felon les mouvemens
de notre volonté , & de plus que
ces parties de feu analogues aux autres en
tout point , repréfentent à nos fens tou--
tes les impreffions extérieures. Je dis encore
dans mon fyftême , que les volcans:
& les tremblemens de terre ne font occafionnés
que par la preffion des parties
de feu prefque toujours fur les côtes Oc-,
cidentales de toutes les parties du monde .
Voici en peu de mots la raifon que j'em
donne.
1 v
202
MERCURE DE FRANCE.
La preffion des rayons dans le mouve
ment d'Occident en Orient qu'ils occafionnent
à la terre , caufe ces phénomenes
( 1 ).
J'ajoute à toutes ces nouvelles explications
, que le flux & le reflux de la mer
ne viennent que de la même preffion &
de la même réaction de ces rayons ren-.
voyés de la Lune fur la terre ; ce qui fe
connoît par les
augmentations des marées.
felon les phafes de la Lune . Voilà en
fubftance ce qui felon
l'Anonyme , a occafionné
l'inattention des Sçavans allant jufqu'au
mépris , & les choſes qui meuent l'Anonyme
dans la néceffité de retirer la confiance
aveugle qu'il avoit pour moi , & les
raifons qui m'ont fait perdre la mémoire des
obligations que j'ai à le Blond.
Les témoins que je produis des éloges
des
Académiciens fur les ouvrages de
mon fils dans mon nouvel Art , pour ne
laiffer rien à défirer , font M. le Marquis
de Marigny lui- même que je prends la
liberté de citer. L'amour qu'il a pour les
fciences , l'a porté à daigner jetter des
regards favorables fur le Magifter Hot-
( 1 ) Voyez le détail que j'en donne dans une
brochure en particulier , avec une carte en couleur
des lieux ou font arrivés les Tremblemens . A
Paris , chez Delaguette , rue S. Jacques .
JANVIER . 1756. 203
landois & la Toilette de nuit , qu'il m'a
fait l'honneur d'accepter , & d'expofer
pendant plufieurs femaines fur la table
de fa falle d'Audience , lefquels ont été
gravés par mon fils aîné , d'après les ta-
Bleaux du cabinet de M. le Comte de
Vence ; c'eft lui auffi qui a approuvé ces
morceaux : il eft affez reconnu pour juge
compétent en cette matiere. C'eft M.
Slodtz , membre auffi de l'Académie de
Peinture , qui a eu la bonté de les louer
en ma préſence ; c'eft M. Colins , & une
infinité d'autres perfonnes , dont les jugemens
ne font point équivoques , qui les
ont approuvés. Je vous prie , Monfieur ,
d'avoir la bonté de publier cette lettre
contre mes Adverfaires qui fe cachent
toujours fous le voile d'Anonyme. Je ne
crains perfonne dans les vérités que j'annonce
; je fuis en état de certifier tous les
faits que j'avance fufceptibles d'écrits , &
de les prouver par des pieces authenti❤
ques. C'est ce que je m'engage de faire
dans ceux qui font contenus dans la préfente
lettre. Je fuis ,
Monfieur , & c.
GAUTIER ,
Penfionnaire du Roi.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
L'Anonyme n'ayant eu aucune intention
de nuire à M. Gautier , répondra à fa Lettre
avec une politeffe égale à la fienne.
GRAVURE.
L & fieur Moyreau , Graveur du Roi , en
E
fon Académie Royale de Peinture & Sculp
ture , vient de mettre au jour une nouvelle
Eftampe ( c'eſt le n° 8o de fa fuite ) qu'il a
gravée d'après le Tableau original de Philippe
Wouvermens, qui a pour titre Départ
pour la chaffe à l'oifean , & qui appartient
au Roi. L'Auteur demeure toujours rue des
Mathurins , la quatriéme porte cochere à
gauche , en entrant par la rue de la Harpe.
Nous annonçames au mois de Mai , 1755 ;
une Eftampe gravée par le fieur Gaillard ,
d'après M. Boucher , laquelle avoit pour
titre la Marchande de modes , & qui a eu
un très- heureux fuccès. Le Graveur a cru
pouvoir lui donner pour pendant un Morceau
inventé & peint par M. Gravelot
qui s'eft diftingué en France & en Angleterre
par plufieurs ouvrages du meilleur
goût ; il eft intitulé le Lecteur. Il repréJANVIER.
1756. 205
fente une jeune Demoifelle , auffi belle
que modefte , qui écoute la lecture qu'un
homme du monde lui fait d'un ouvrage
nouveau. On fera fans doute content de
la régularité du deffein , de l'intelligence
du clair obfcur , & du grand effet de cette
nouvelle Eftampe.
Elle fe trouve chez l'Auteur , rue faint
Jacques , an- deffus des Jacobins , entre
un Perruquier & une Lingere.
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
ETUDES d'Architecture , contenant leg
proportions générales , entre-colonnes, portes
, niches , croifées , profils & détails
choifis des meilleurs édifices de France &
d'Italie , levés & deffinés exactement fur
les lieux par P. Patte , Architecte . Premiere
fuite compofée de vingt planches en taille-
douce , dont une partie comprend les
développemens des profils & de la conftruction
du périftile du Louvre , cotés &
numérotés , avec des remarques & des obfervations
fur l'Architecture. Cet ouvrage
206 MERCURE DE FRANCE.
qui contient un petit volume in 4° , grand
format , fe vendra à Paris , chez l'Auteur
rue des Noyers , la fixiéme porte cochere à
droite , en entrant par la rue faint Jacques.
Comme l'Architecture a ſemblé juſqu'ici
un art fyftématique , & que la plupart
des Auteurs qui en ont écrit , n'ont pu encore
s'accorder fur les mefures & les proportions
des principaux membres d'Architecture
, qui font tout l'ornement & la majefté
des édifices , l'Auteur de cet ouvrage
annonce dans fa préface que rien ne lui a
paru plus propre à faciliter les progrès de
cet art , que de raffembler fous les yeux ,
cotés avec la plus grande exactitude , les
proportions générales , entre colonnes ,
portes , niches , croifées , profils & détails
choifis des plus belles parties des édifices
modernes , qui ont le fuffrage unanime
des connoiffeurs , afin que ceux qui voudront
étudier l'Architecture , puiffent facilement
approfondir par des faits de quelle
maniere le beau parvient à opérer fon
effet dans les différentes occafions ,
qu'au défaut de principes certains , ils
aient des exemples & des autorités approuvées
pour fe guider : car fi telle proportion
a réuffi à tel édifice , en pareille rencontre
ne peut-on pas fe flatter d'un fem-
&
JANVIER 1756. 207
blable fuccès , en fuivant les mêmes régles ?
C'eft ainfi qu'ont étudié l'Architecture
ceux qui s'y font le plus diftingués , & c'eft
peut- être la feule maniere de l'étudier avec
fruit. Enfin pour donner une idée diftincte
de cette entreprife , notre Auteur promet
de faire pour les édifices de nos jours ,
(fi le public paroît faire accueil à ce commencement
, ) ce que M. Defgodets a fait
pour les édifices antiques de Rome , avec
pourtant cette différence qu'il les a donnés
en entier , fans choix , indiftin &tement ,
fans autre raifon que leur antiquité , &
qu'au contraire il ne donne des édifices
modernes , que des détails & développemens
choifis & eftimés . Cette premiere
fuite qui fera fuivie de buit ou dix autres
de même volume , contient principalement
les détails des profils , proportions
& conftruction du périftile du Louvre , &
d'une partie de fa cour , cotés , à toute rigueur
, en toifes , pieds , &c. & en modules
, avec des remarques & obfervations
fur les proportions générales & particulieres
de cet édifice . La feconde fuite contiendra
la continuation des détails du vieux
Louvre , du Château des Tuileries , auffibien
que les développemens des coupoles
des Invalides & du Val- de - Grace .
208
MERCURE DE
FRANCE.
Le fieur Patte a auffi gravé le Plan &
l'Elévation du principal Portail de l'Eglife
de faint
Euſtache , projetté par L. Le Vau ,
fous le miniftere & par l'ordre du Grand
Colbert; il fe vend chez lui.
JANVIER . 1756. 209
ARTICLE CINQUIEM E.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
LEs de ce mois , les Comédiens François
, ont donné la premiere repréſentation
d'Aftianax , Tragédie nouvelle de
M. de Chateaubrun. Les trois premiers.
Actes ont reçu de grands applaudiffemens
avec juftice . Les deux derniers ont
paru moins intéreffer . L'Auteur pour y
faire des corrections , a jugé à propos de
retirer fa Piece.
COMEDIE ITALIENNE.
LESEs Comédiens Italiens n'ont donné
que quatre repréſentations de Bolan ;
cette parodie de Roland eft de monfieur
Bailli , auteur d'une parodie d'Armide
qui réuffit beaucoup il y a environ trente
ans : celle- ci n'a pas eu le même bonheur.
Le goût eft changé dans tous les
genres , même dans la parodie ; depuis
210 MERCURE DE FRANCE.
la nouvelle mufique les vieux airs ne
font plus de faifon. D'ailleurs le choix
du traveftiffement n'eft pas heureux. Quel
rapport , quelle allufion y a -t'il d'un Mé .
decin avec un Guerrier , un Paladin tel
que Roland : cette étrange maſcarade à
fait dire le premier jour à un homme
d'efprit , que la piece étoit un malade que
le Médecin tueroit.
Voici l'extrait ou le précis de l'Epoufe
fuivante , avec le programme des Fêtes
Parifiennes que nous avions promis .
Précis de l'Epoufe fuivante.
, y
Un jeune Comte étant en garniſon à
Mets , y devient amoureux de la fille d'un
Artifan , auf fage que belle , & l'époufe.
Inftruit que fa famille condamne ce
mariage , il quitte fa femme , & fe rend
à Paris , où la Marquife fa mere , l'appelle
pour l'unir à Conftance , parti convenable
à fon rang. Le hazard fait que celle
qu'il a abandonnée entre au fervice de
cette même Conftance . Le Comte & l'épouſe
fuivante font tous deux fort étonnés
de fe retrouver dans une maison , où
ils n'avoient eu garde de fe donner rendez
vous. L'amour du Comte fe rallume
avec plus de force : il eft furpris aux genoux
de fa femme par la Marquife , qui
き
JANVIE R. 1756. 211
d'abord eft révoltée ; mais dans une converfation
qu'elle a avec fa belle - fille
elle lui trouve tant d'efprit , de fageffe
& de fentiment , qu'elle approuve & confirme
le choix de fon fils. Cette derniere
fcène qui forme le dénouement , eft auffibien
faite par l'Auteur , qu'elle est bien
rendue par Mademoiſelle Silvia , & par
Mlle. Catinon. Un Baron qui figure dans la
piece , époufe Conftance qu'il aime , &
la confole de la perte du Comte dont il
eft l'ami . Frontin eft le feul qui n'eft pas
pourvu , mais comme il n'eft au fond
qu'un valet épifodique , qui ne tient à
rien , il n'eft pas mal qu'il refte garçon.
Si le fujet de la piece n'eft pas abfolument
neuf, on doit au moins convenir
qu'il eft mieux traité qu'il ne l'a été jufqu'à
préfent. L'Auteur reconnoiſſant , a
dédié fa Comédie à Mademoiſelle Catinon
: comme les vers qu'il lui adreſſe ne
font qu'au nombre de douze , & qu'ils
nous paroiffent valoir le peine d'être lus ,
nous allons ici les tranfcrire.
✪! toi , dont les talens , les graces , la décence ,
Jettent dans tous les coeurs un trait rempli de feu ,
Aimable Catinon , permets que je t'encenſes
Mes fuccès font les tiens , je les dois à ton jeu.
En peignant la vertu par tdi -même embellie , )
212 MERCURE DE FRANCE
Tu nous peignois ton coeur ;
Et tous les mouvemens de ton ame attendrie
Portoient l'efpoir au fein du fpectateur :
Pourfuis . Que ( 1 ) l'Actrice immortelle
Qui dirigea tes premiers pas ,
Soit toujours ton modele ;
Dès que l'on fuit Thalie , on ne s'égare pas.-
PROGRAMME
DES FETES PARISIENNES.
Comédie en vers , en un Alte,mêlée de chants
& de danfes.
LA Scene eft à Paris près de la Place que
la Nation a deſtinée à la gloire de Louis
le Bien- aimé , & fi digne de l'être. Le
peuple qui vient d'apprendre la naiffance
d'un nouveau Prince , fait éclater fa joie
par des cris & par des danfes. M. Géronte ,
homme fingulier ; mais François zélé , fort
de chez lui , & gronde de ce qu'on trouble
fon fommeil par le bruit qu'on fait à
fa porte. On lui en dit le fujet. Alors fon
vifage s'épanouit ; il partage la gaieté folle
des autres. Comme il a d'abord appris
cette heureufe nouvelle par un Avocat
(1) Mademoiſelle Silvia.
JANVIER. 1756.
213
amoureux de Julie fa fille , il la lui accorde
en mariage dans un tranſport de reconnoillance.
Madame de Préfec , tante de
cet Avocat , furvient. C'eft une extravagante
, dont la folie finguliere eft de vouloir
fe remarier à chaque réjouiffance publique
comme elle fe trouve alors veuve,
elle faifir M. Géronte , & veut à toute
force en faire fon mari , en lui difant :
De ce
royaume heureux tous les événemens
Ont commencé le bonheur de ma vie ,
Et c'eft pour le remplir qu'aujourd'hui je vous
prends.
Je vins au monde à l'inſtant que la France
Du Roi que nous aimons , célébroit la naiſſance,
A mon premier mari l'on unit mon deſtin
A l'heure que naquit notre augufte Dauphin ;
Je perdis cet époux , j'en ai bonne mémoire ,
En Mai , quarante- cinq , le jour qu'à Fontenoi ,"
On vit la valeur & la gloire
D'un laurier immortel couronner notre Roi ,
Aux champs de la victoire.
Je me remariai dans le même moment
Que pour combler nos voeux , vint le Duc de
Bourgogne.
Cet Epoux vécut peu ; c'étoit un important ,
Joueur , & cetera , mais furtout grand ivrogne,
Graces au ciel , je perdis ce mari ,
Le même jour que le Duc de Berri
214 MERCURE DE FRANCE.
Vint des François augmenter l'efpérance.
"
Un nouveau Prince à nos voeux eft donné :
Tirez , Monfieur , la conféquence ;
Et voyez que par-là vous m'êtes deſtiné .
M. Géronte ne peut tenir contre ces
brillantes époques , & s'écrie
Oh ! je vais vous prouver que je fuis bon François
,
Puifqu'avec vous j’unis ma deſtinée !
Madame de Préfec alors lui réplique :
Je ne vous prends , mon cher , que par arrangement
,
Et dans moins d'une année ,
J'attends pour mon repos un autre événement.
M. de la Chine , Décorateur , fous un
habit Chinois , & fous le mafque d'Arlequin
, vient faire exécuter la fête qu'il a préparée
par l'ordre de M. Géronte , qui lui a
recommandé d'employer tout fon art pour
la rendre digne du fujet qui l'occafionne' ;
n'épargnez point l'argent , lui a - t'il dit :
Le François n'en manqua jamais , '
Lorfque de fa patrie il chante les fuccès.
Prodiguer fon argent pour fêter fon Monarque ,
C'eft s'enrichir de fes bienfaits. I
JANVIER. 1756. 215
Le Théâtre change & repréſente une
Place publique entourée de colonnades
illuminées par des lampions. Au milieu de
la Place , on voit une ftatue pédestre de
Louis XV , au bas de laquelle on lit en
lettres d'or cette infcription auffi fimple
qu'elle eft vraie. La plus fidelle des Nations
au meilleur des Rois. Aux quatre
coins de la ftatue , on voit quatre figures
en petit , repréfentant les Génies
tutélaires de la France. Ils tiennent chacun
un cartouche en forme de Médailles
le premier repréfente le bufte de
la Reine ; le fecond , ceux de Monfeigneur
le Dauphin & de Madame la Dauphine
; le troifieme , ceux des Ducs de
Bourgogne , de Berri , & du Comte de
Provence : le quatrieme , ceux de Madame
Adelaïde & de Mefdames de France.
Une troupe de Parifiens & de Danfeurs
déguisés en Provençaux , terminent la
Piece par des danfes & par un Vaudeville ,
dont voici les deux derniers couplets :
TOINETTE.
Il est un âge où fur les fens
L'amour fait queuque manigance ;
Mais fur nos coeurs dans tous les tems ,
Nos Maîtres ont la parference.
216 MERCURE DE FRANCE.
Toujours joyeux , toujours contens ,
Chantons , danſons à l'honneur de la France.
JULIE , an Parterre.
Meffieurs , fi cet amuſement
A pu remplir votre esperance ,
Annoncez d'un ton bienfaifant
Ce que pour nous votre coeur penſe.
Le Public eft toujours content ,
Quand on écrit à l'honneur de la France.
Nous ne croyons pas ce refrein toujours
vrai. Il ne l'eft que quand on
écrit bien.
Ce petit Drame fe vend, ainfi que l'Epoufe
fuivante , chez Duchesne , rue S.
Jacques. Prix de chacun , 24 fols .
ARTICLE VI.
JANVIE R. 1756. 217
ARTICLE SIXIEME.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DUNOR D.
DE WARSOVIE , le 29 Novembre.
QuelUelque attentif que le Gouvernement foit
à maintenir la fureté publique dans cette ville ,
les vols y font toujours fréquens. La femaine
derniere encore , le magafin d'un riche négociant
Arménien a été forcé , & l'on en a enlevé beau→
coup de marchandiſes de grande valeur . Les Juifs
étant foupçonnés d'être complices des voleurs ,
ou du moins de les favorifer , on a chaffé de cette
capitale toutes les perfonnes de cette nation , par
un decret qui fut publié avant-hier , & qui a été
exécuté aujourd'hui . Depuis quelques jours , on
a arrêté dix brigands , & hier on fe faifit d'un de
leurs chefs.
Au commencement du mois dernier , il arriva
de Bender à Laticzew un jeune Turc , qu'on fçavoit
avoir été domeftique dans la premiere de
ces deux villes. Sa dépenfe furpaffant de beaucoup
les facultés d'un homme de ſon état , il
fur mis aux arrêts , & interrogé par ordre des
Magiftrats . Il déclara qu'il avoit hérité du bien
de fon Maître , qui l'avoit inftitué fon légataire
, & qui étoit mort de la pefte avec toute fa
famille. Quelques jours après il mourut. Les prifonniers
qui avoient été renfermés avec lui dans
La même chambre , & même les Geoliers qui
II. Vol. K
218 MERCURE DE FRANCE.
les avoient fervis , ne tarderent pas à avoir le
même fort. Ces accidens ont d'abord caufé beaucoup
d'épouvante à Laticzew , & même dans la
ville de Nimirow , qui en eft voifine. La plupart
des habitans ont abandonné leurs maifons , & fe
font retirés dans les bois. Mais aucun d'eux n'étant
mort depuis avec des fymptomes de mal
contagieux , les inquiétudes font entierement
diffipées.
DE STOCKHOLM , le 9 Decembre.
Suivant les nouvelles de Dalecarlie , & de quel
ques autres provinces , on y a fenti le premier du
mois dernier une fecouffe , pendant laquelle les
eaux de plufieurs rivieres & de différens lacs ont
été extrêmement agitées.
ALLEMAGNE.
DE DRESDE , le 8 Decembre.
Le 30 du mois dernier , on rendit de folemnelles
actions de graces dans toutes les églifes de
cette ville , pour les heureufes couches de Madame
la Dauphine.
DE HAMBOURG , le 10 Decembre.
Sur la nouvelle de l'affreux déſaftre que le Por
tugal vient d'effuyer , la Régence de cette ville a
réfolu de faire partir inceffamment quatre navires
chargés de tous les fecours néceffaires dont
ce Royaume infortuné peut avoir befoin. La plú
part des Hambourgeois qui étoient établis à Lif
bonne , fe font heureufement fauvés , mais leurs
maiſons & leurs effets ont été enveloppés dans la
JANVIER. 1756. 219
difgrace commune , & ont été détruits , ou par
le tremblement , ou par le feu.
ESPAGNE.
DE MADRID , le 16 Decembre.
Le Roi défirant de favorifer les progrès des
Sciences , particulierement de celles qui femblent
devoir être les plus utiles , a donné au Collège de
Médecine la maifon de plaifance de Migafcalientes
, afin qu'on y forme un jardin des plantes
. En même tems Sa Majesté a affigné une
fomme confiderable , tant pour l'entretien de ce
jardin , que pour la fondation de deux chaires de
Botanique dont elle difpofè en faveur de Don
Jofeph Quer & de Don Juan Mingar. Don Jofeph
Zugnol , premier Médecin du Roi , aura la direction
de cet établiſſement.
Le premier du mois dernier on reffentit à
Maroc un affreux tremblement de terre , à la
même heure qu'en Efpagne. La plupart des
maiſons & des édifices publics de cette ville ont
été totalement renversés , & une grande multirude
d'habitans a été enfevelie fous les ruines.
Le nombre des perfonnes qui ont péri , ne peut
pas encore le fixer. A huit lieues de cette ville
la terre s'eft ouverte , & a englouti une peuplade
entiere d'Arabes , avec leurs tentes , pavillons
chevaux , chameaux , mules , & généralement.
tous leurs beftiaux. Un fort qu'ils avoient pour
leur chef-lieu , & dans lequel il y avoit cinq
mille perfonnes , a difparn. Il a péri auffi fix
mille hommes de Cavalerie qui étoient dans dif
férens quartiers autour de ce fort , fans qu'il
en foit échappé un feul. Dans les villes de Safi
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
& de Sainte-Croix , il y a eu auffi beaucoup de
maifons & d'édifices ruinés qui ont écrasé un
nombre confidérable de perfonnes. La mer fe
retira , & s'éleva enfuite à une hauteur , dont
l'hiftoire ne rapporte point d'exemple. Elle cau
fa un notable dommage aux vaiffeaux qui étoient
dans l'un & l'autre port , & elle remplit tous
les environs de la côte de divers débris qu'elle
jetta fort avant dans les terres , avec une quantité
prodigieufe de poiffon.
On apprend par les lettres de Tetuan , du 24
du même mois , que le 18 à dix heures du foir ,
on y avoit éprouvé pendant quatre minutes ,
ainfi que dans les peuplades des environs , un
fecond tremblement de terre auffi fort que le
premier qu'il avoit continué avec moins de
force jufqu'à l'après- midi du jour ſuivant ; mais
que le 20
à deux heures du matin , à cinq , à
neuf & à midi , il avoit recommencé avec la même
violence que la premiere fois, Tous les ha
bitans fe font fauvés à la campagne , où ils
étoient encore au départ des lettres dans une
confternation générale-
Le même tremblement de terre s'eſt fait ſentir
à Tanger. Les fecouffes y ont été plus ou
moins fortes par intervalles. On y a remarqué
que pendant vingt- quatre heures l'eau s'étoit retige
, & que toutes les fontaines étoient demeurées
à Tec.
Il vient d'arriver un exprès de Fez , avec la nouvelle
que les tremblemens de terre du 18 & du
19 , avoient ruiné la plupart des édifices & des
maifons des deux villes de Fez , où plus de trois
mille perfonnes avoient perdu la vie ; que dans
le même jour la fameufe ville de Méquinez
avoit été détruite , & qu'il n'y reftoit qu'une
JANVIER. 1756 . 221
feule maiſon. Tous les habitans ſe font retirés
dans les champs , où ils font campés. On compte
que quatre mille Maures ont été enterrés fous
les ruines , ainfi que huit mille Juifs qui vivoient
dans un quartier féparé , & dont le nombre
montoit jufqu'à feize mille. Les mêmes lettres
ajoutent qu'on reffent dans toute cette partie
de l'Afrique de continuels mouvemens de
la terre , & qu'on entend des bruits fourds qui
répandent partout l'épouvante.
ITALI E.
DE ROME , le 6 Decembre.
Les Jéfuites , dans le Chapitre qu'ils tinrent le
30 Novembre , ont élu pour leur Général le Pere
Louis Centurione , Génois . L'après - midi , ce nouveau
Général alla rendre fes refpects au Pape , &
recevoir la bénédiction de Sa Sainteté.
DE GENES , le
15
Decembre.
La connoiffance que le Patricien Jean -Jacques
Grimaldi a acquife de la Corfe pendant le long
féjour qu'il y a fait , & le zele avec lequel il veut
bien expofer fa perfonne pour rétablir l'ordre
dans l'intérieur de l'ifle , a déterminé le Gouvernement
à lui en confier le foin , de concert avec
le Patricien Jofeph Doria , qui lui a fuccédé en
qualité de Commiffaire Général . La premiere
opération du Patricien Grimaldi a été de faire
conftruire fur une éminence appellée l'Ifola Roffa
, une redoute , qui bat la Plage du même nom
par où il fe faifoit ci - devant beaucoup de débarquemens
frauduleux , Cette redoute a battu parti-
Kiij
i22 MERCURE DE FRANCE.
culierement en ruine dans le continent un fort
qui fervoit à les favorifer. Le Patricien Grimaldi
eft paffé delà à S. Florent. Après avoir mis cette
pla e en état de défenſe , il a fait rafer plufieurs
redoutes qui la dominoient du côté de la terre.
Il s'eft mis enfuite à la tête d'un certain nombre
de Piquets , avec lefquels il a deffein de pénétrer
peu-à- peu dans tous les endroits de l'ifle
Jes plus propres au brigandage , & dont les habitans
font plus difpofés à fuivre les impreffions
de ceux qui trouvent leur intérêt à le perpétuer.
Le 16 du mois dernier , il avoit déja franchi les
plaines d'Oletta & la province de Nebbio , jufques
& compris le même village d'Oletta. Tous les
poftes de Paoli fe font repliés fucceffivement les
uns fur les autres. Dans les environs du village
d'Oletta , fe croyant fuffifamment en force ils
ont fait front. Mais les meſures ont été fi bien
prifes , que malgré leur nombre & la vivacité de
leur feu ils ont été bientôt mis en fuite.
Le Général Génois eft resté maître de tout le
pays qu'il a parcouru , fans avoir fait d'autre perte
que celle d'un ſoldat . A la vérité , il en a couté
trois ou quatre à un détachement qui eft forti
trop foible de la Baftie quelques momens après
l'action , & qui a donné dans le gros des fuyards.
Le 24 du mois dernier , il furprit un de leur
poftes affez confidérable ; & le 27 M. Bacigalu
po , Officier de beaucoup de mérite qui eft fous
Tes ordres , fit abattre en leur préfence plus de
quatre cens arbres pour effayer de rendre les
chemins un peu plus furs , fans qu'aucun des
Rébelles ofât s'y oppofer. Le 4 de ce mois ,
Général Génois , après avoir fait occuper la men
tagne de Penne-Roffe , chargea un détachement
commandé par un de leurs principaux Chefs ,
JANVIER. 1756. 223
nommé Cafa Bianca . Ce détachement prit auflitôt
la fuite , à l'exception de quarante hommes ,
qui furent tués ou faits prifonniers. Le Commandant
qui fut bleflé mortellement , fut du nombre
des derniers . Les troupes Génoiſes n'ont pas
perdu un foldat dans cette action,
1
GRANDE- BRETAGNE.
DE LONDRES , le 22 Decembre.
Les Seigneurs pafferent le 16 Decembre le Bil
de la taxe fur les terres . Le 12 de ce mois , la
Chambre des Communes accorda au Roi cent
mille livres fterlings, pour mettre Sa Majesté en
état de remplir les engagemens avec l'Impératrice
de Ruffie ; & cinquante- quatre mille cent quarante
pour fatisfaire au traité conclu avec le Landgrave
de Heffe- Caffel.
Il a été ordonné d'augmenter de dix hommes
chaque Efcadron des Régimens de Dragons fur
l'établiſſement de la Grande Bretagne. Les trois
-Régimens des Gardes à pied on ordre de prépa
rer leurs bagages. On affure que le Gouverner
ment fera pafler au Printems prochain un corps
de troupes Angloifes dans les Pays-Bas. 4
Le Comte d'Egmont s'étant excufé d'accepter
la charge de Tréforier Général des troupes , le
Roi l'a partagée entre le Comte de Darlington &
M. Hay.
Tous les vaiffeaux marchands qui étoient prêts
à faire voile de Spithead pour Lifbonne , lors
qu'on été informé de la ruine de cette ville
feront déchargés inceffamment.
On affure que le Comte Marchmont doit fe
rendre à Berlin en qualité d'Envoyé Extraordi
K iv
224 MERCURE DE FRANCE.
naire & Plénipotentiaire de Sa Majefté auprès du
Roi de Pruffe. Le Roi a nommé le Duc de Marlboroug
, Grand Maître de l'Artillerie ; le Comte
de Gower , Garde du Sceau Privé ; le Comte de
Sandwich , Garde des Forêts d'Angleterre ; le
Comte de Hilfbouroug , Tréforier de la Maifon
de Sa Majesté. Le Roi a difpofé du Gouvernement
de la nouvelle Ecofle , vacant par la démiffion
du Colonel Hopfon , en faveur de M. Lawrence
, Lieutenant - Gouverneur de cette Province.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
Il y a eu des illuminations & des feux de joie
'dans les terres de M. le Marquis de Monpefat ,
du Dauphiné & du Languedoc à l'occafion de la
naiffance de Monfeigneur le Comte de Provence.
2 Le 23 , M. le Duc de Mirepoix prit 'congé de
leurs Majeftés & de la Famille Royale. Il part
inceffamment pour aller tenir les Etats de Languedoc
, qui doivent s'affembler le mois prochain.
" M. le Chevalier Chauvelin Lieutenant - Général
des armées du Roi , & fon Ambaffadeur
auprès du Roi de Sardaigne étant arrivé depuis
peu de Turin , fut préfenté le 21 à Sa Majesté
par M. Rouillé , Miniftre & Secrétaire d'Etat ,
ayant le département des Affaires étrangeres.
Le même jour , Madame la Maréchale de Lo
JANVIE R. 1756 . 225
wendalh fit fes révérences au Roi , à la Reine , &
à la Famille Royale .
Madame la Marquife de Conflans fut préfentée
le même jour à leurs Majeftés.
On a fenti une legere fecouffe de tremblement
de terre à Besançon , & dans d'autres villes
de la Franche- Comté. M. de la Lande , de
l'Académie Royale des Sciences , a mandé à cette
Académie , que le 9 Décembre , à deux heures
quarts après-midi , il y avoit eu auffi deux fecouf-
Bourg-en Breffe .
Les eaux du Rhône , groffies par une fonte fubite
des neiges , font montées à une hauteur à
laquelle on ne les avoit jamais vués. Ce fleuve
a rompu toutes les digues. Une furface de plus
de quarante lieues quarrées , que contient le territoire
d'Arles , a été totalement fubmergée , à
P'exception feulement du fommet de quelques.
monticules. Les deux bras du fleuve qui entourent
l'ifle de Camargue , n'ont fait qu'une feule
riviere , & ils ont couvert entierement cette ifle.
Près de trente mille bêtes à laine ont été noyées,
ainfi qu'un nombre prodigieux de bêtes à cornes ,
de chevaux & de mulets. La ville d'Arles a , ellemême
beaucoup fouffert. A Tarascon , les eaux
ont paffé par- deflus les grandes chauffées , & ont
inondé la campagne jufqu'à huit pieds de hauteur.
Elles étoient au niveau du premier étage
des maifons dans la ville baffe. La ville d'Avignon
a été expofée au même fléau . L'inondation
y a fait écrouler plufieurs maiſons , & en a
ébranlé un grand nombre d'autres. Dans le Comtat
Venaiffin , auffi bien qu'en Provence , on a
fait une perte immenſe en bled , vin , huile , &
autres denrées.
Madame la Dauphine fut relevée de fes cou
K.v
226 MERCURE DE FRANCE.
ches le 28 du mois dernier , dans la chapelle du
Château. L'Archevêque de Sens , premier Aumônier
de cette Princeffe , fit la cérémonie , en préfence
du Curé de l'Eglife paroiffiale de Notre-
Dame.
Le même jour , Madame la Comteffe de Beuzeville
, à l'occafion de la mort du Comte fon
époux , fit fes révérences à leurs Majeſtés , & à la
Famille Royale.
Le même jour , M. Jannel , Chevalier de Saint
Michel , ci- devant Contrôleur Général des Poftes
& Relais de France , nommé le 24 pour fuc
céder à feu M. de Gerfeuil , Intendant Général
des Poftes & Relais de France , a été préſenté en
la même qualité au Roi dans fon cabinet par M.
le Comte d'Argenſon , Surintendant des Poftes .
M. Jannel a été Secrétaire du Congrès de Soiffons.
I eft connu d'ailleurs par plufieurs négociations
importantes , dont il a été chargé en différentes
Cours.
Le premier jour de l'an , les Princes & Prin
ceffes , ainfi que les Seigneurs & Dames de la
Cour , ont eu l'honneur de complimenter le Roi
fur la nouvelle année. Le Corps de Ville a rendu
à cette occafion fes refpects à leurs Majeftés & à
la Famille Royale.
Les Chevaliers , Commandeurs , & Officiers de
l'Ordre du Saint Efprit , s'étant afſemblés vers les
onze heures du matin dans le cabinet du Roi ; Sa
Majefté a tenu un Chapitre , dans lequel elle a
nommé Chevaliers de fes Ordres le Prince Camille
de Lorraine , le Duc d'Harcourt , le Duc de Fitz-
James , le Duc d'Aiguillon ; le Comte de Stainville
, Ambaffadeur Extraordinaire du Roi auprès
du Saint Siege ; le Comte de Bafchi , Ambaffadeur
de Sa Majesté en Portugal ; le Marquis de SaintJANVIER.
1756 . 227
Viral , Chevalier d'honneur de Madame Ducheffe
de Parme ; le Prince Jablonowski , & le Prince
Louis de Wirtemberg. Le Roi eft forti enfuite de
fon appartement pour aller à la chapelle. Sa Majefté
, devant qui les deux Huiffiers de la Chambre
portoient leurs Maffes , étoit en manteau , le
collier de l'Ordre par-deffus , ainfi que celui de
P'Ordre de la Toifon d'Or. Elle étoit précédée de
Mgr. le Dauphin , du Duc d'Orléans , du Prince
de Condé , du Comte de Charolois , du Comte de
Clermont , du Prince de Conty , du Comte de la
Marche , du Comte d'Eu , du Duc de Penthiévre ,
& des Chevaliers , Commandeurs & Officiers de
POrdre. Après la grand'Mefle , qui a été célébrée
par le Prince Conftantin , premier Aumônier
du Roi , & Prélat Commandeur de l'Ordre
du Saint Efprit , Sa Majefté a été reconduite à fon
appartement en la maniere accoutumée.
1. Le Roi a donné à M. le Maréchal Duc de Belle-
Ine le commandement général des côtes maritimes
depuis Bayonne juſqu'à Dunkerque.
Sa Majefté a accordé à M. le Comte de Dunois ,
fils aîné de M. le Duc de Chevreuſe , la Commiffion
du fecond Meftre de Camp- Lieutenant du
Régiment du Colonel général des Dragons , & le
commandement de ce Régiment en l'absence du
Marquis de Goyon , Brigadier , qui en eft prez
mier Mestre de Camp- Lieutenant .
On mande de Bruxelles , que la nuit du 26 au
27 Décembre , il y a eu deux fecouffes de tremblement
de terre , l'une à onze heures trois quarts,
l'autre à minuit. Elle n'ont pas été violentes.
Le 31 du mois dernier , les Actions de la Compagnie
des Indes étoient à quatorze cens vingt li
vres : les Billets de la feconde Loterie Royale à
fept cens vingt- deux, & ceux de la troifieme Lo-
K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
terie à fix cens vingt- un. Ceux de la premiere
fixe. Loterie n'avoient point de prix
NAISSANCE
ET MORTS..
LE 11 Novembre , l'Abbé de Lorraine , &
Mademoiſelle de Brionnė , au nom du Prince
Charles de Lorraine , Gouverneur des Pays- bas ;
& de la Princeſſe Charlotte de Lorraine , tinrent
fur les Fonts dans l'égliſe de S. Germain-l'Auxerrois
une fille du Comte de Brionne, Grand Ecuyer
de France , laquelle fut nommée Anne-Charlotte,
La cérémonie fut fuivie d'une fête que donna
J'Abbé de Lorraine, ..
5
Jacques-Nompar de Caumont , Duc de Caumont
, Pair de France , fils de M. le Duc de la
Force , eft décédé à Bagnieres le 14 Juiller, 175.5: 1 âgé de quarante-un ans. Il avoit épousé Dame
Marie-Louife de Noailles , fille de M. le Maréchal
de Noailles. La maison de Caumont -la korce eft
fi connue par fon ancienneté , qu'il eft inutile
d'en dire davantage, an
Le 25
I
Août mourut en ſon château du Grand,
val fous Sucy , Meflire Nicolas Daine , Confeile
ler , Secrétaire du Roi , Maifon - Couronne de
France & de fes Finances , Syndic de fa Compagnie
, ancien premier Secrétaire au département
de la guerre , fils de feu Marius-Bafile Daine ,
Infpecteur Général de l'habillement des troupes
de Sa Majefté ; & de défunte Damoiselle Marie-
Magdeleine de Montigny. Illaifle de fon mariage
avec Dainoifelle Sufanne de Wefterbourg un fils ,
Meffire Marius - Jean - Baptifte - Nicolas Daine
JANVIER. 1756. 229
Confeiller du Roi , fon Procureur au Bureau ,
Chambre des Finances & Voyerie de la Généralité
de Paris , Affocié de l'Académie Royale des
Sciences & Belles - Lettres de Pruffe; & deux filles.
Dame Marie- Marthe Landry , veuve de Meffire
Pierre-Gui-Baltazard Emé de Guiffrey de Monteynard
, Comte de Marcieu , Marquis de Boultieres
, Maréchal des camps & armées du Roi ,
Gouverneur des ville & citadelle de Grenoble , &
fous Lieutenant des Gendarmes de la Garde ordinaire
de Sa Majefté , mourut à Paris. le premier
Octobre , âgée de vingt- un ans.
Voyez le Mercure d'Octobre de l'année 1753 .
Dame Anne- Elifabeth Filleul , veuve de Paul
de Montefquiou , Comte d'Artagnan , Brigadier
de Cavalerie , eft morte le 2 à Paris dans la cinquante-
cinquieme année.
Voyez fur Pilluftre Maifon de Montefquiou les
Tablettes biftoriques , VIIe partie , pag. 30s , &
Les grands Officiers de la Couronne , tome VII ,
pag. 262.
"
Meffire Jean- Antoine-François de S. Simon de
Courtomer ; Comte de la Noue , connu fous le
nom de Chevalier de Courtomer , Brigadier d'In
fanterie, ci- devant Capitaine d'une Compagnie de
Grenadiers dans le Régiment des Gardes Françoifes
, mourut le 6 Octobre au Château de Mezy en
bafle Normandie , dans la cinquante -'feptiemé
année de fon âge .
Armande -Amélie Du Plaffis - Richelieu – d'Aiguillon
, fille d'Emmanuel - Armand - Louis dur
Pleflis -Richelieu , Duc d'Aiguillon , Pair de Fran
ce, Maréchal des Camps & Armées du Roi , Lieutenant
Général pour Sa Majeſté dans le Comté
Nantois, & Commandant en Bretagne, nommé Che
valier des Ordres du Roi le 1 Janvier 1756 ; & de
-
230 MERCURE DE FRANCE .
Louife- Félicité de Brebant-Mauron , eft morte
à Paris le 13 Octobre , âgée de trois ans.
Meffire Bernard Chauvelin , Seigneur de Beauféjour
, Confeiller d'Etat ordinaire , eft mort à
Paris le 16 dans fa quatre- vingt-troifiéme année.
Il étoit veuf depuis le 21 Juillet 1735 , de
Catherine Martin , de laquelle il a faillé pour
enfans.
1º. Jacques- Bernard Chauvelin , d'abord Confeiller
au Parlement en 1725 , Maître des Requê
tes en 1728 , Intendant d'Amiens en 1731 , &
actuellement Confeiller d'Etat & Intendant des
Finances depuis 1751. Il a époufé le 16 Février
1719 , Marie , fille de Jean Ourfin , Secrétaire du
Roi & Receveur Général des Finances de la
généralité de Caen , de laquelle il a eu un fils ,
mort en 1737 , & cinq filles actuellement vi
vantes.
2º, Louis-Germain Chauvelin , Abbé de Saint
Jouin , Diocéfe de Poitiers , Doyen de l'Eglife
du Mans , & Chanoine honoraire de celle de
Paris.
3. Bernard- Louis , appellé le Chevalier de
Chauvelin , Commandeur de l'Ordre de Sain
Louis , Lieutenant général des armées du Roi ,
nommé Ambaffadeur auprès du Roi de Sardaigne
en 1753.
4. Henri-Pierre Chauvelin , Abbé Commen
dataire de Montiere-Ramey , Chanoine Hono
raire de l'Eglife de Paris , & Confeiller- Clerc
au Parlement.
5. Marie-Reine Chauvelin , morte en 1739 ,
ayant été mariée en 1734 à Gui Chartraire , Seigneur
de Ragny , & c.
M. Chauvelin dont nous annonçons la mort ,
avoit été fucceffivement Confeiller au Parlement,
JANVIE R. 1756. 23 ?
Maître des Requêtes , Intendant de Tours , d'Alençon
& d'Amiens , & Confeiller d'Erat & Maître
des Requêtes honoraire ; il étoit iffu de Jacques
Chauvelin , Treforier de France en la Généralité
de Paris , frere du célébre François Chauvelin,
reçu en 1562 Avocat au Parlement de Paris,
dont il fut la lumiere & l'oracle ; ce même François
Chauvelin, fut depuis Intendant des affaires en
France , de Marie Stuart Reine d'Ecoffe , & femme
de François II , enfuite Maître des Requêtes
de la Reine Catherine de Médicis , & Procureur
Général de Marie de Médicis , feconde femme de
Henri IV. Il fat bifayeul de Louis Chauvelin , Seignear
de Crifenoi , Maître des Requêtes & Confeiller
d'Etat ordinaire , mort en 1719 ; ce dernier
cut pour enfans.
I. Louis Chauvelin , mort le z Août 1715 , Avocat
Général au Parlement , & Grand Tréforier ,
Commandeur des Ordres du Roi ; laiffant pour
'enfans , 1 °. Louis Chauvelin , Seigneur de Crifenoi
, &c. aujourd'hui Préfident du Parlement de
Paris , lequel a épousé le 25 Novembre 1729
Marie-Renée , fille d'Antoine Jacomel , Seigneur
d'Atis & de Bienaffife , Capitaine de Grenadiers
dans le régiment de Souppa ; de cette alliance if
n'y a point d'enfans. 20. Magdeleine-Françoife
Chauvelin , veuve da Mars 1744 , de . Denis-
Louis Talon , Marquis du Tremblai , Préſident da
Parlement de Paris.
- II. Germain Louis Chauvelin , Marquis de
Grofbois , &c. Succeffivement Confeiller au Grand
Confeil , Maître des Requêtes , Avocat Général
au Parlement , Préfident à Mortier en 1718 ,
dont il s'eft demis en 1746 , Garde des Sceaux de
France en 1727 , qu'il a remis en 1737 , avec la
charge de Secrétaire d'Etat au département des
232 MERCURE DE FRANCE.
affaires étrangeres , dont il avoit été pourvu la
même année 1727 ; & Secrétaire - Commandeur
des ordres du Roi en 1736. Il a été marié le 12
Août 1718 à Anne , fille de Claude Cahouet , Seigneur
de Beauvais , premier Préfident des Tréforiers
de France , en la Généralité d'Orleans , &
'de N... Fontaines - des - Montées. De cette alliance
font fortis. 1 °. Claude - Louis Chauvelin , mort
Gouverneur de Brie - Comte - Robert en 1750 .
2º. Anne-Germain Chauvelin , mort jeune. 3°.
Anne-Efpérance Chauvelin , née en 1725 , veuve
fans enfans depuis 1748 , de Henri -François-
René Edouard Colbert , Comte de Maulevrier ,
Sous-Lieutenant des Gendarmes Anglois. 4° . Anne-
Magdeleine Chauvelin , née le 19 Novembre
1727, femme de Louis - Michel Chamillart , Comte
de la Suze , &c . Lieutenant général des armées
du Roi , & Grand Maréchal des Logis de ſa Maifon.
5. Anne -Sabine - Rofalie Chauvelin , née en
1732 , époufe de Jean - François de la Rochefou
cauld , Comte de Surgeres , Cornette des Gendarmes
de Flandres.
III. Angelique-Henriette Chauvelin , qui a été
mariée le 1 Mai 1712 , à Anne - Claude de Thiard .
Marquis de Biffy , Lieutenant général des Armées
du Roi.
Chauvelin, porte pour armes, d'argent au choux
pommé arraché de finople entouré par la tige
d'unferpent d'or , la tête en haut .
Anne- Charlotte de Conflans , fille de Hubert ,
Comte de Conflans , Lieutenant - Général des
armées navales , eft décédée à Paris , & a été inhumée
le 18 Octobre à S. Sulpice .
Damoiſelle Thérefe Charron de Menars de Neuville
, morte à Paris , âgée de quatre-vingt ans
futinhumée le 21 à S. Euftache.
JANVIER. 1756. 233
Marie -Magdeleine- Jofephe de Croy -Havre,
veuve de Paſcal - Gaëtan d'Aragon , Comte d'Aliffe
, de la branche des Ducs de Laurenzano
mourut à Bruxelles le 27 Octobre , âgée de foixante-
quinze ans. Elle étoit fille de Ferdinand-
François- Jofeph de Croy , Duc d'Havré , Prince
& Maréchal de l'Empire , Grand d'Eſpagne de la
premiere claffe , & Chevalier de l'Ordre de la toifon
d'or , & de Jofephe - Barbe de Hallewin ,
derniere de fa maiſon.
Meffire Michel-Antoine Barberie de Courteille ,
Abbé de l'Abbaye de Beaulieu , Ordre de faint
Auguftin , Diocèle de Boulogne , eft mort le
28 , âgé d'environ foixante- dix ans.
Auguftin- François de Rochechouart-Mortem art,
Comte de Vihiers,eft mort à Paris le 31 Octobre,
âgé de quatorze ans , étant né le 21 Juin 1741 .
Il étoit unique fils de Jean- Baptifte - Victor de
Rochechouart-Mortemart, Duc de Rochechouart,
Pair de France , & Brigadier d'Infanterie ; & de
fa premiere femme Eléonore - Gabrielle- Louife-
Françoile de Crux , morte le 3 Octobre 1742. Le
Duc de Rochechouart avoit époufé en fecondes
noces le 13 Janvier 1749 , Marie- Therefe- Sophie
de Rouvroy , de laquelle il eft refté veuf fans
enfans , le 21 Février 1750. Il a été marié en troifiemes
noces le premier Mai 1751 , avec Charlotte-
Natalie de Manneville , fille de Henri- Jofeph
, Comte de Manneville , Gouverneur de
Dieppe , de laquelle il a pour fils Victurnien-
Jean -Baptifte - Marie de Rochechouart , né le g
Février 1752
N
Voyez fur la Maifon de Rochechouart les
grands Officiers de la Couronne , tom. IV. p. 649.
Dom Honoré, Abbé de l'Abbaye Régulière, de
S. Amand , Ordre de S. Benoît, Diocèle de Tour234
MERCURE DE FRANCE.
nay , eft mort dans le mois d'Octobre en fon
Abbaye.
Charles-Louis de Lorraine , Prince de Pons &
de Mortagne , Comte de Marfan , Souverain de
Bedeilles , Marquis de Mirambeau , Chevalier des
Ordres du Roi , & Lieutenant- Général des armées
de Sa Majeſté , mourut à Paris le 1 Novembre
, âgé de cinquante-neuf ans onze mois
& treize jours , étant né le 19 Novembre 1696.
Il étoit fils de Charles de Lorraine , Comte dé
Marfan , mort le 13 Novembre 1708 , & de
Catherine-Théréfe de Goyon - Matignon , morte le
7 Décembre 1699. De fon mariage avec feue
Elizabeth de Roquelaure , il a eu Gafton-Jean-
Baptifte de Lorraine , Comte de Marfan , Brigadier
d'infanterie , & Colonel du Régiment de
fon nom , marié en 1736 à Marie - Louiſe de
Roban- Soubize , aujourd'hui Gouvernante des
enfans de France , lequel mourut le 2 Mai 1743 ;
Louis-Jofeph de Lorraine , Chevalier de l'Ordre
de Saint Jean de Jérufalem , mort le 13 Janvier
1727 ; Camille-Louis de Loraine , connu fous le
nom de Prince Camille , Maréchal des camps
& armées du Roi ; Léopoldine- Elizabeth -Charlotte
de Lorraine , d'abord Chanoineffe de l'Abbaye
de Remiremont , enfuite mariée le i Mars
1733 , à Joachim de Zuniga Soto - Mayor , Comte
de Bejar , Grand d'Efpagne ; Louife-Henriette
Gabrielle de Lorraine , mariée à Godefroi- Charles-
Henri de la Tour d'Auvergne , Prince de
Turenne , Maréchal de camp , Colonel général
de la Cavalerie de France ; & Marguerite- Louiſe-
Elizabeth de Lorraine , Chanoineffe de Remiremont.
Le 26 Novembre 1755 , eft morte à Château,
Thieri , Dame Marianne de Valfan , veuve deJANVIER.
1756 . 1756. 235
puis les Novembre 1745 , de Pierre de Cugnac ,
Chevalier Seigneur Baron de Veuilli , Hautevefnes,
Lici- lez -Chanoines & autres lieux , âgée de
foixante-onze ans trois mois & vingt- cinq jours;
elle étoit fille de François de Vaffan , d'une ancienne
nobleffe du Valois , & d'Anne Provoſt.
Elle avoit pour fils unique , Anne- Gabriel
Marquis de Cugnac , Chevalier Seigneur Baron de
Veuilli , Hautevefnes , Lici-lez- Chanoines , Bezale-
Gueri & autres lieux , décedé au Château de
Veuilli , le 28 Novembre 1755 , âgé de quarantefept
ans & neuf mois ; il avoit fervi Lieutenant
dans le régiment des Gardes Françoiſes , & avoit
épousé en 1728 , Jeanne -Marie-Jofeph Guyon ,
fille d'Armand-Jacque Guyon , & de Marie de
Bauoncle , duquel mariage il laiffe trois filles ,
fçavoir Jeanne- Anne-Magdeleine de Cugnac ,
Marie-Louife de Cugnac , mariée à N ... Forget ,
Capitaine général des Fauconneries du cabinet
du Roi , & Henriette-Diane de Cugnac.
Voyez pour la généalogie de cette mailon ,
le Mercure de Décembre 1745 , & l'Hiftoire
généalogique des Grands Officiers de la Couronne
, du Pere Anfelme , chapitre des grands Mattes
des eaux & forêts de France , & des Chevaliers
du Saint-Elprit.
2
AVIS .
LE Sieur Beffon Oculite , reçu à S. Côme , fait
avec fuccès toutes les opérations qui font néceffaires
aux maladies des yeux.
Il fe dit poffeffeur d'une Eau , qui à la vertu de
fortifier les foibleffes de la vue , foit qu'elles proviennent
de maladies , ou d'une trop grande ap236
MERCURE DE FRANCE .
plication ; elle réfout les humeurs vicieufes dont
le féjour altére les organes de l'oeil , elle diffipe
les brouillards , & éclaircit la vue.
Il débite auffi une Pommade qui guérit les
maladies des paupieres , tels que font les ulceres
prurigineux, comme la galle, la gratelle , les dartres
qui s'attachent à leur bord , d'où découle
une fanie ou chaffie baveuſe & gluante , quelquefois
féche & dure , qui colle les paupieres pendant
la nuit , caufe des gonflemens , des durétes , démangeaifons
de chaleur & des rougeurs , tant à
l'oeil qu'aux paupieres.
Ladite Pommade les détruit promptement.
Les bouteilles de fon Eau font de 3 , 6 & 121.
Les pots de Pommade font de 30 fols 3 & 6 liv .
Il donne la maniere néceffaire de fe fervir de
ces remédes qui peuvent fe tranfporter dans les
Pays étrangers , fans fe corrompre ni perdre de
leur qualité.
On trouve chez lui tous les fecours néceſſaires ;
pour toutes les autres maladies des yeux.
On le trouve chez lui depuis huit heures jufqu'à
onze , & depuis deux jufqu'à cinq ; il va chez les
perfonnes qui lui font l'honneur de l'appeller ,
il prie ceux qui lui écriront de faire un petit
état de leur maladie & d'affranchir les lettres.
Sa demeure eft à Paris rue Montmartre , entre
la rue du Mail & la rue des Foffés , vis-à- vis le
Caffé de Billard.
Nota. Il vient d'achever la guérifon d'un enfant
né aveugle , fils de la Dame Benoiſt , demeurant
à Saint Denis , porte Pontoife ; il avoit un an
quand il l'a entrepris , & n'avoit jamais eu l'afage
de la lumiere ; il eft radicalement guéri , &
diftingue parfaitement les objets.
JANVIER. 1756. 237
ERRATA
Pour le fecond volume de Décembre.
PAGE 56 , lig. 26 , à M. le Marquis de Livri ,
lif. à M. le Marquis de Givri.
Page 131 , ligne 16 , des démonftrations d'admirations
, lif. d'admiration.
Pour le premier volume de ce mois.
Page 15 , lig. 30. toutes fois que vous fongerez ,
lif. toutes les fois.
Page 31 , lig. 7 , n'en trouble point le cours , lif.
n'en troublent point le cours.
Pag. 36 , lig. 8 , fi Ponçardin , lif. fi Ponçardin.
Page 44 , lig. 29 , au tems que perdois , líf. que
je perdois.
Page 67 , lig. 14 , fur le Comte de la Signora ,
lif. fur le compte de la Signora.
Page 75 , lig. 7 , quelque peu connue , lif. quelque
peu connu .
Page 94 , lig. premiere , attaches à fon ſervice ,
lif. attachés.
Page 120 , lig. 18 , trois partis , lif. trois parties.
Page 124 , lig. 8 , nous en avoit prié , lif. nous
en avoit priés.
Page 148 , lig. 23 , ceux qui enveront , lif. ceux
qui enverront.
Page 154, lig. 8 , les a conduit , lif. les a conduits.
Page 172 , lig. 10 , la Coquête corrigée , lif. la
Coquette , &c.
Même page , lig. 13 , qu'el- mettront, lif. qu'elles
mettront .
238
Même pag. lig 19 , Roland , ou le Médecin a moureux
, lif: Bolan , &c.
Page 174 , lig. 12 , fon nouveau concert , lifex
fon nouveau concerto.
J'ai
AP PROBATIO N.
' Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chance
lier , le fecond volume du Mercure de Janvier
,& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion. A Paris , ce 13 Janvier 1756.
GUIROY.
<
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
VErs Ers fur les Coquettes , par M. de Baſtide ,
pages
Les Mémoires d'un homme à bonnes fortunes ,.par
le même Auteur , 7
Vers àM. Monin , Secrétaire de M. le Prince de
Conty ,
18
Envoi d'une branche de Laurier cueillie fur le
tombeau de Virgile , par S. A. R. Madame la
Margrave de Bareith , au Roi de Pruffe fon
20
frere ,
Ellai fur le caractere des Nations , par M. Hume ,
21
Vers à Mademoiſelle *** pour le renouvellement
de l'année ,
239
Rondeau en ſtyle de Marot ,
50
Lettre à l'Auteur du Mercure au fujet des Mariages,
Bouquet ,
Madrigal ,
Fable. Le mouton , & le buiffon ,
60
ibid.
61
Lettre de Mlle Pliffon à l'Auteur du Mercure ,
62
Portraits de fix fameux Peintres de l'école d'Ita
fie ,
66
68
Explication du mot des Enigmes & des Logogryphes
du 1 volume du Mercure de Janvier,
Enigme & Logogryphe , 69
Chanfon à l'occafion de la Statue élevée dans la
place Royale de Nancy , 72
Vers de M ... à Madame de ***. en lui envoyant
des lacets de Conftantinople ,
Avis de l'Auteur du Mercure ,
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
81
ibid.
83
Lettre de M. de M .. à M. de S..au fujet des écrits
Anglois fur les limites de l'Amérique ,
Extraits , précis ou indication des livres nouveaux,
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
87,
Hiftoire. Mémoire fur les anciennes repréſentations
théâtrales pieuſes , où le mêlange de la
fiction a quelquefois obfcurci le fonds de la vé-
M. l'Abbé le Boeuf , de l'Académie des
119 rité; par
Belles -Lettres
,
Métallurgie
. Réponfe
de M. de Machy
aux obfervations
de M. Cadet
, inférées
dans
le premier
volume
du Mercure
de Décembre
, 134
Chirurgie
. Differtation
fur le ver plat ou folitai-
146
re ,
240
Séance publique de l'Académie des Sciences , &
Belles- Lettres de Befiers ,
ART. IV. BEAUX ARTS.
157
173 Mufique.
Peinture. Lettre écrite de Bruxelles fur le fecret
de tranfporter les tableaux fur de nouveaux
fonds , & de les réparer
174
Lettre de M. Gautier à l'Auteur du Mercure , &
réponſe à la lettre anonyme fur l'invention
d'imprimer en tableaux ,
189
204
205
Gravure.
Architecture.
ART. V.
SPECTACLES.
Comédie Françoiſe.
209
Comédie Italienne.
ibid.
Précis de l'Epouſe ſuivante ,
210
Programme des Fêtes Parifiennes ,
212
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres
217
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
224
Naiffance , & Morts ,
228
'Avis.
235
De l'Imprimerie de Ch. A. JOMBERT.
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ
AU
ROI .
FEVRIER
1756.
Diverfité, c'est ma devife. La Fontaine.
Ceckin
Saius i
By Sculp
A
PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE
NULLY , au Palais.
Chez
PISSOT , quai de Conti .
DUCHESNE , rue Saint Jacques,
CAILLEAU , quai des Auguftins.
Avec
Approbation & Privilege du Roi,
AVERTISSEMENT.
LE
Bureau du
Mercure eft chez M.
LUTTON ,
Avocat , &
Greffier- Commis au
Greffe Civil du
Parlement ,
Commis au
recouvrement du
Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui que l'on prie
d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à lapartie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du
Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera
d'avance , en
s'abonnant ,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les
perfonnes de
province
auxquelles on
enverra le
Mercure par la pofte ,
payeront
pour feize
volumes 36 livres
d'avance en s'abonnant
, & elles les
recevront francs de port.
Celles qui auront des
occafions pour lefaire
venir , ou qui
prendront les frais du portfur
leur compte , ne payeront
comme à Paris ,
qu'à raifon de 30 fols par
volume , c'est-àdire
24 livres
d'avance , en
s'abonnant pour
16 volumes.
-Les
Libraires des
provinces on des pays
A ij
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreffe ci- deffus.
On Supplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la poſte , en payant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres .
afin que le payement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
resteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lution ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine , aprèsmidi.
On peut fe procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainsi que les Livres
, Estampes & Mufique qu'ils annoncent .
MERCURE
DE FRANCE.
FEVRIER. 1756.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
J
ETRENNES
D'un Berger à fa Bergere.
Amais d'Almanach au village ,
On n'en fçait le nom , ni l'ufage ;
On n'y connoît que de beaux jours ,
Et rien n'en dérange le cours.
Toute éclipfe eft choſe étrangere ,
Surtout au coeur de fa Bergere .
Des jours heureux ou malheureux ,
A iij
6
MERCURE DE FRANCE.
"
Tout l'horofcope eft dans les yeux ,
Sur le ciel , fans aucun fyftême ,
On aime , on eft aimé de même.
Soit en conduifant fon troupeau ,
Soit en rentrant dans fon hameau ,
On ne s'occupe que de l'heure.
La plus touchante & la meilleure ,
Eft toujours celle du Berger ,
Qui fçait plaire & nous engager.
A l'inconftance rien qui méne ;
L'indifférence un phénomene ;
Et mille petits foins charmans ,
Font l'emploi des plus doux momens.
Rien n'échappe dans la nature ,
Pour fes moutons l'eau la plus pure ,
Refpirer l'air en même lieu
Bergere & Berger même feu ;
Un regard y fert de bouffole ,
Et le coeur eft l'unique pole.
Toujours de la plus belle humeur ,
On n'y connoit que la candeur ,
Les graces de la complaifance ,
Sous les charmes de l'innocence.
Auffi là , jamais on n'entend
Faire de fade compliment ,
Pas même à la nouvelle année ,
Faifons comme eux cette journée ;
Ah ! qu'un fentiment rechauffé
Eft un préfent bien étoffé ?
FEVRIER. 1756. 7
Je crois qu'une ame délicate
Se réjouit & ſe dilate ,
De voir un grand George - dandin ,
Venir d'un air prétendu fin ,
Avec un humble révérence ,
En lui demandant audience ,
Faire étalage de fes voeux ,
Sots comme lui , plus ennuieux ;
Et lui préfenter pour offrandes ,
Ou des bonbons , ou des amandes.
Faut-il donc faire tant de pas ,
'Pour dire ce qu'on ne fent pas ?
Auffi je fuis cette cohorte ,
Qui court , & va de porte en porte,
Chez moi je fuis claquemuré ,
Je voudrois m'y voir enterré,
Tant j'abhorre toute vifite ,
Qui fent le fourbe ou l'hypocrite .
Quiconque penfe comme moi,
Tout le jour doit refter chez foi.
Ne vous fâchez pas , ma Bergere ,
De mon humeur attrabilaire :
J'aime le vrai , vous le fçavez ;
Et vous , des fots , qui vous fauvez ,
Déja je vous vois en colere ,
Qu'on ne traite pas de chimere
Tous les complimens onéreux
De gens déja trop ennuieux :
Bien loin d'en augmenter le nombre ,
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Vous verrez à peine mon ombre ;
Ou fi je fors de mon réduit ,
Ce ne fera qu'avec la nuit ,
Pour aller vous rendre un hommage ;
Qui ne tiendra rien de l'ufage :
Vous me prendrez pour un hibou ,
Qui fera forti de fon trou ;
Mais ne jugeant pas la figure
Par le cadre , ou par la bordure ,
On vante en vain tous vos appas ,
Le babil ne vous féduit pas .
Un Berger , qui d'un ton fincere ,
( Le feul qui foit fait pour vous plaire )
Vous diroit tout bas fimplement :
Quand je vous vois , je fuis content.
Hélas ! auprès de vous j'oublie
Mes troupeaux & ma bergerie ,
Vous plairoit plus affurément ,
Qu'un compliment du jour de l'an.
Crainte de fentir mon village ,
Je n'en dirai pas davantage :
Si mille gèns en ont trop dit ,
Je crains d'en avoir trop écrit.
FEVRIER . 1756. 9
LES GRACES DE L'INGENUITÉ ,
NOUVELLE.
Melanie eft née de parens nobles
mais peu partagés des biens de la fortune
. Elle reçut l'éducation d'une de fest
tantes dont elle eft tendrement aimée .
Eugenie apperçut dans le coeur de fa jeune.
éleve des difpofitions tendres qu'elle jugea
devoir être un jour dangereufes à fon
repos. Pour prévenir les malheurs dont
elle la croyoit menacée , elle réfolut de la
laiffer dans une ignorance profonde fur
les effets de l'amour , perfuadée qu'en voulant
lui donner des préfervatifs contre cetre
paffion , elle l'expoferoit au défir, de la
connoître. Sa vigilante précaution alla
jufqu'au point de lui laiffer ignorer le mot
même d'amour. En revanche elle lui parloit
beaucoup de l'amitié : elle lui vantoit
les charmes de cet heureux fentiment , &
lui faifoit fentir combien il influe fur le
bonheur de la vie.
Melanie avoit atteint quatorze ans fans
qu'Eugenie eût trouvé aucun obftacle à
conferver cette chere niece dans l'innocence
où elle fe plaifoit à la voir jamais
le mot d'amour n'avoit frappé fes oreil
A v
10
MERCURE DE FRANCE.
les : fon amitié pour fa tante , & la reconnoiffance
qu'elle lui devoit ,
occupoient
entierement fon coeur : elle ne défiroit
rien , parce qu'elle ignoroit qu'il fût d'autres
biens à défirer que ceux dont elle
jouiffoit.
Une amie d'Eugenie l'invita un jour à
l'accompagner à une de fes terres où elle
devoit paffer quelque tems : Melanie fut
de la partie. De toutes les beautés que
renfermoit ce féjour , elle n'admira que
les jardins : ils lui parurent enchantés , &
elle y fixa tous fes plaifirs. Eugenie ne
craignoit pas qu'elle y trouvât rien de contraire
aux principes
d'éducation qu'elle lui
avoit donnée : elle la laiffa fe livrer fans
contrainte à
l'innocence de fon goût. Me-
Janie profita de la liberté qui lui étoit
accordée , pour jouit à fon aife des agrémens
de la nature , & d'un fpectacle nouveau
pour elle.
Un jour qu'elle parcouroit les différenres
avenues des jardins , elle apperçut une
porte qui donnoit dans la campagne ; elle
l'ouvrit , & fut furprife de voir à quelque
pas de-là un ruiffeau dont l'eau vive
& argentée , baignoit un gazon émaillé
des plus agréables fleurs ; un double rang
d'arbres le mettoit à l'abri de l'ardeur du
foleil , & formoit un couvert d'une fraîFEVRIER.
1756.
cheur admirable . Melanie s'approche ; la
beauté de cette retraite , le calme qui y
regne , la férénité du jour , & le chant
amoureux des oifeaux la féduifent , elle
s'affied fur le gazon : la folitude ne l'effrayoit
pas ; elle ignoroit qu'il fût des
périls pour les perfonnes de fon fexe : avec
une entiere confiance elle fe laiffa furprendre
par le fommeil.
Il y avoit quelque tems qu'elle y étoit
plongée , lorfqu'elle fut éveillée par un
mouvement qui fe fit auprès d'elle. Sa furprife
fut extrême de voir à fes pieds un
jeune homme qu'elle ne connoiffoit pas :
elle voulut fuir , la voix de l'Inconnu
l'arrêta.
"
per- a Les coups font portés , aimable
» fonne , lui dit - il ; je vous ai vue , & c'eſt
» dire que je vous adore. Le hazard vient
» de forger la chaine qui devoit captiver
» mon coeur : je me croyois à l'épreuve des
» traits de l'amour ; mais hélas ! qui peut
» l'être du pouvoir de vos charmes ? je n'y
» ai point réafté , & ce jour me va coûter
» le repos de ma vie
C'étoit la premiere fois que Melanie.
entendoit nommer l'amour , c'étoit la premiere
fois qu'on lui difoit qu'elle étoit
faire pour plaire ; Eugenie avoit toujours
fçu lui dérober une fi flatteufe , mais fou-
A vj
32
MERCURE DE FRANCE.
vent dangereufe connoiffance. Melanie
étoit belle fans le fçavoir. Quel fut fon
étonnement au difcours de l'Inconnu ;
mais à ce premier fentiment en fuccéda
bientôt un autre . Le jeune homme joignoit
aux plus tendres propos des foupirs &
des regards pleins de feu : fi l'innocence de
Melanie l'empêcha d'en comprendre le
fens , fon coeur ne s'y méprit pas : elle examinoit
l'Inconnu avec la plus curieufe
attention , & elle y prenoit un plaifir qui
augmentoit par degré . La nature en le
formant s'étoit furpaffée elle- même ; l'amour
n'auroit pu emprunter de traits plus
féduifans : les yeux de Melanie s'animoient
cependant d'un feu étranger ; un doux
faififfement s'emparoit de fes fens ; la
voix de fon amant , fes foupirs , & même
fon filence , répandoient dans fon ame la
plus vive émotion.
A ces différens effets qui auroit pu méconnoître
les attaques de l'amour ? Tout
annonçoit fa puiffance ; mais Melanie ne
la reconnut pas elle prit tout ce qu'elleéprouvoit
, & ce qu'elle infpiroit à l'Inconnu
, pour de fimples
mouvemens d'amitié.
Elle ne craignit pas de fe livrer à
un
fentiment fi doux , & que fa tante lui
avoit toujours offert fous des traits ref
pectables : elle croyoit
appercevoir dans
FEVRIER . 1756. 13
fon jeune amant des qualités qui méri
toient fon attachement ; la nobleffe de fa
phyfionomie , la douceur de fes expreffions
, la fincérité qui brilloit dans fes
yeux , & plus encore le rapport de fon
coeur engageoient Melanie à céder au
penchant qui l'entraînoit.
« Eft- il poffible , lui dit- elle ingénue-
» ment , qu'un feul inftant ait pu pro-
» duire tant d'effet fur votre coeur ? L'a-
» mitié ne prend- t'elle fa fource que dans
les yeux & fans connoître le caractere
» de l'objet qui nous frappe , peut- on lui
» être folidement attaché ? Mais qui êtes-
» vous , pourſuivit -elle , fans lui laiffer le
» tems de répondre ? Où avez-vous fixé
votre féjour ? Quel hazard enfin vous a
» conduit auprès de moi » ?
ע
Ces queftions embarrafferent l'Inconnu :
il héfica quelques momens à y répondre :
mais craignant fans doute d'infpirer de la
défiance à Melanie ,
« Mon nom eft Tervile , lui réponditnil
, Paris eft le lieu de ma naiflance ,
j'y ai laiffé une partie de ma famille.
» Quelques intérêts particuliers m'ont ap-
» pellé dans cette Province , où je fuis
» depuis deux mois je revenois de la
chaffe , lorfque le hafard m'a conduit.
» dans ces lieux ».
:
14 MERCURE DE FRANCE .
« L'amour , hélas ! m'y attendoit , con-
» tinua- t'il , pour me faire ſentir ſes pre-
» miers feux. J'ai admiré long- tems vos
» charmes , & chacun des regards que je
» leur ai donné a porté à mon coeur un
» nouveau trait de flamme . J'ai ofé
"
prendre votre main , j'y ai imprimé
» le baifer le plus tendre. Que ne m'eſt-
» il poffible de vous peindre la révo-
» lution qui s'est faite alors dans mon
» ame ; j'ai cru qu'un évenement furnaturel
» alloit changer fon exiſtence . Vos yeux
» fe font ouverts , & cet inftant a décidé
» ma défaite. Oui ; je vous adore , & je
" fens que fans vous il n'eft plus de repos
» pour moi ».
« Ah ' fi votre bonheur ne dépend que
» de moi , répliqua la naïve Melanie ,
» croyez que vous ferez le plus heureux
» des hommes. Je vous l'avoue , Tervile ,
» vous me paroiffez digne de mon amitié,
» mais je n'ofe vous l'offrir fans l'aveu de
» ma tante. Elle a toujours réglé mes fen-
» timens , un manque de confiance de ma
» part pourroit la chagriner. Suivez- moi ,
»pourfuivit - elle avec un tranfport char-
» mant ; elle est en ces lieux : elle chérit
» le vrai mérite , elle vous aimera , Ter-
» vile , quand elle vous aura vu , & fure-
» ment elle me permettra de devenir votre
>>
amie ».
FEVRIER. 1756.
15
Il eft plus aifé d'imaginer que d'exprimer
la furpriſe de Tervile. L'attention
que Melanie avoit donnée à fes diſcouts ,
& la facilité avec laquelle elle avoit cédé
aux mouvemens de fon coeur , lui avoient
fait juger qu'elle ignoroit l'ufage de la
diffimulation ; mais il ne croyoit pas qu'elle
pouffoit l'innocence au point de méconnoître
l'amour : fa réponſe ne lui
mit plus d'en douter. Quoique jeune , il
connut le prix de cette heureufe ignorance
: il a fouvent avoué depuis que ce moment
avoit été le plus doux de fa vie ;
l'innocence naïve avoit fourni un trait de
plus à l'amour.
per-
Tervile étoit trop intéreffé à conferver
Melanie dans une fi précieufe erreur , pour
qu'il hazardât de l'en tirer, Il s'appercevoit
que loin de devoir l'ignorance où elle
étoit à la foiblefle de fon efprit , il n'en
pouvoit être de plus vif, de plus pénétrant
& de plus folide que le fien : c'etoit
donc aux feuls préjugés de l'éducation
qu'elle avoit reçue , qu'il pouvoit attribuer
une méprife auffi finguliere. De quels
plaifirs n'auroit- il pas été privé , fi Mélanie
eût connu les périls où l'expofoit fon
ingénuité ? Tervile fe contenta d'exprimer
avec feu la fatisfaction que lui donnoient
les favorables difpofitions où il
16 MERCURE DE FRANCE.
voyoit le coeur de cette aimable perſonne.
Il lui jura une tendreffe éternelle :
mais il lui avoua qu'il ne pouvoit faire encore
auprès de fa tante la démarche qu'elle
lui propofoit ; qu'il étoit lui-même fousla
puiffance d'un oncle , dont il avoit befoin
de ménager l'efprit , pour l'engager à
confentir à fon bonheur.
» Eh bien ! Tervile , reprit Melanie
n'épargnons rien pour nous rendre favo-
» rables de fi chers parens. Pendant que
» vous travaillerez à mériter le fuffrage de
» votre oncle , je parlerai à Eugenie ; je
"lui dirai ...
" Ah ! Melanie , interrompit Tervile, elle va
» peut -être vous défendre de m'aimer ; elle
» va peut-être vous défendre de me voir.
" Quelle raifon en auroit- elle , reprie
» Melanie avec furpriſe L'amitié ne peut
me rendre coupable à fes yeux ; elle s'efb
» de tous tems appliquée à m'en faire con-
»noître les douceurs ; Mais quoi ! ... ne
و د
feroit- elle pas jaloufe de vous voir par-
» tager ma tendreffe avec elle ? Cela pour-
» roit bien être , & vous me faites ouvrir
» les yeux elle me defendroit de vous ai-
» mer ... Je ne pourrois plus vous voir ...
» Ah ! Tervile , vos craintes paffent dans
» mon ame , vous me faites trembler.
» Eh bien ! chere Melanie , repliqua
FEVRIER. 1756. 17
» l'amoureux Tervile , charmé du tour in-
" genu qu'elle donnoit elle-même aux al-
» larmes qu'il lui laiffoit voir , dérobez
quelque temps à votre tante l'intelli-
» gence de nos coeurs. Je parlerai à mon
"oncle ; je l'engagerai à faire lui- même
» les premieres démarches auprès d'Euge-
» nie. Il lui découvrira mon amour pour
» vous ; & les traits dont il le peindra à
» fes yeux , lui feront moins fufpects , que
» ceux qu'elle jugeroit partir d'un pinceau
» intéreffé. Mais en attendant me refufe-
» rez-vous le bonheur de vous voir ? m'in-
» terdirez-vous le plaifir de lire dans vos
» yeux que j'ai fçu vous toucher.
» Non , je ne vous refuferai rien , ré-
» pondit ingénuement Melanie : j'approuve
» vos raifons ; j'attendrai l'effet de vos
» démarches auprès de votre oncle. Il m'en
» coutera , je vous l'avoue, pour manquer
» de confiance envers Eugenie, c'eft la pre-
» miere fois qu'elle aura à s'en plaindre ;
" mais puifque les intérêts de notre ami-
» tié l'exigent , je leur ferai fidele . Ces
" mêmes lieux cependant pourront nous
» procurer le plaifir de nous voir ; j'y re-
» cevrai chaque jour avec joie l'afſurance
» d'un fentiment tendre de votre part , &
" Vous aurez la douceur de vous voir
payer de la mienne d'un retour fincere.
"
18
MERCURE DE
FRANCE.
La nuit approchoit ; Melanie & Tervile
furent contraints
d'interrompre un entretien
fi flatteur. Que cet inftant leur conta
de peine !
Je vais
m'éloigner de vous , difoit
avec douleur le paffionné Tervile ; nous
"nous
reverrons demain , reprenoit la
» naïve
Melanie : une fi courte abfence
>> doit-elle nous faire
foupirer ?
y
En difant ces mots , des larmes s'échappoient
de fes yeux ; Tervile
fiennes. » Ma tante m'a toujours dit que
mêloit les
» l'amitié ne cauſoit que des plaifirs , re-
» prit encore Melanie ; mais c'eft fans dou-
» te lorfqu'elle ne trouve aucun obftacle
» à s'exprimer. Tervile jura qu'il alloit
travailler fans retard à détruire ceux qui
s'oppofoient à leur commun bonheur . Melanie
lui tendit la main qu'il baifa avec
tranſport. Ils fe
féparerent enfin, en fe promettant
de
nouveaux plaiſirs pour le lendemain.
Melanie dormit peu. Livrée à l'amour
le plus vif , elle croyoit donner tout à
la
tranquille amitié. L'image de fon amant
s'offroit fans ceffe à fon efprit avec d'autant
plus de charmes qu'elle ne
trouvoit
point de fujet de l'en bannir.
L'innocence
de fes
fentimens lui montroit fon devoir
d'accord avec fon coeur.
Heureufe fituaFEVRIER.
1756. 19
tion ! quel aveuglement nous en fait méprifer
fes délices !
Melanie fut exacte à fe trouver au rendez-
vous qu'elle avoit donné à'Tervile.
Leur entretien fut encore plus tendre que
la veille . Ils avoient éprouvé les langueurs
de l'abfence , le plaifir de fe revoir leur
en parut plus vif. Melanie croyoit ne pouvoir
jamais affez convaincre fon amant
de ce qu'elle fentoit pour lui . Elle lui rapportoit
, avec une naïveté capable de charmer
le plus infenfible, tout ce qu'elle avoit
éprouvé depuis leur féparation. Tervile
voyoit fans nuage la félicité que lui préparoit
un coeur tendre , innocent & délicat.
Son amour puifoit dans fon bonheur
même une nouvelle force : des larmes
que le fentiment lui arrachoir , &
que Melanie prenoit foin d'effuyer, étoient
fouvent les feules expreffions du plaifir
qu'il reffentoit. Mais Tervile tout ver
tueux , tout admirateur qu'il étoit de l'innocence
de Melanie , Tervile étoit fujet
à des foibleffes : il étoit bien difficile que
fe trouvant feul avec une jeune & charmante
perfonne qui lui donnoit fans ceffe
des preuves de l'amour le plus tendre , il
n'éprouvât pas de ces défirs où les fens
n'ont fouvent que trop depart;il y avoit
quelque tems que ces deux amans fe
20 MERCURE DE FRANCE.
voyoient régulierement , fans qu'Eugenie
en eût le moindre foupçon , lorfque dans
un de leurs entretiens Melanie de qui
l'ingénuité étoit toujours la même , fe
laiffa
emporter au torrent de fon coeur .
» Je ne fçais , dit- elle à Tervile , quel
» genre d'amitié vous m'infpirez ; mais je
» n'ai jamais éprouvé auprès de ma tante
» ce que j'éprouve auprès de vous . C'eſt
qu'elle vous aime moins que moi , lui
» répondit Tervile. Ah ! Melanie , pour-
» riez- vous me refufer le prix du fenti-
» ment ; celui qui m'anime pour vous , eft
» de nature à ne pouvoir être égalé.
و ر
» Que je me plais dans cette douce cer-
» titude , s'écria Melanie ! Que vous m'ê-
» tes cher , Tervile ! Si vous ceffiez de
» m'aimer , je crois que je cefferois de vi-
» vre .
» Tervile , que le refpect qu'il avoit
» pour Melanie , avoit retenu jufqu'alors.
» dans les bornes les plus étroites , ne fut
» pas cette fois maître de fes tranfports.
» Livrez - vous fans allarmes aux mou-
» vemens de votre coeur , lui dit - il avec
» un trouble extrême , chere Melanie :
» l'amour même & vos charmes vous répondent
de ma conftance ... Mais ....
» vous m'aimez donc .... Ah ! Melanie ,
»affurez- m'en encore ,... vous m'aimez ...
» Melanie ...
"
FEVRIER . 1756 . 21
La vivacité avec laquelle Tervile prononça
les dernieres paroles , répandit le
trouble dans l'ame de Melanie : elle rougit
& foupira fans fçavoir pourquoi . Ses
yeux qui rencontrerent ceux de fon amant ,
furent à l'inftant baignés de ces délicieufes
larmes que l'amour fait répandre . Tervile
s'empreffe à les recueillir. Il y confond
les fiennes ; & guidé par fes défirs il prend
Melanie dans fes bras , la ferre tendrement
, fon ardeur augmente.
» Tervile , ... lui dit Melanie , d'une
» voix foible , qu'éprouvons- nous l'un &
» l'autre ? Quel étrange mouvement faites-
» vous 'naître dans mon coeur ? Ah ! que
» ma tante avoit raifon de me vanter les
» charmes de l'amitié ! Qu'ils font puif-
» fans ! Mais pourquoi ne les goûtai - je
» qu'avec vous ?
Ce difcours rappella Tervile à lui-mêmême.
L'innocence de Melanie y étoit repréfentée
avec trop davantage pour ne pas
faire effet fur un coeur naturellement ami
de la vertu ? ... « Qu'allois - je faire , dit-
83
il ! ce qui doit être l'objet de mon ado-
» ration, ce qui doit faire un jour ma féli-
» cité , alloit me rendre le plus coupa-
» ble des hommes . Non ... ma raifon s'y
refuſe ... mon amour même en feroit
» bleſſé ... En difant ces mots , Tervile
22 MERCURE DE FRANCE.
réprend auprès de Melanie la timidité du
véritable amour .
Melanie alloit fans doute queftionner
Tervile fur ce qui venoit de fe paffer entr'eux
, lorfqu'elle entendit la voix d'Eugenie
, qui répétoit fon nom avec inquiérude.
Contraints de fe féparer , nos deux
amans fe dirent en gémiffant l'adieu le plus
tendre. Melanie rentra dans le jardin , où fa
préfence calma les allarmes de la craintive
Eugenic.
» Où étiez-vous , ma chere enfant , lui
» dit - elle , fitôt qu'elle l'apperçut ? je vous
» cherche depuis long-tems. Venez , pour-
» fuivit -elle , fans attendre fa réponſe ;
» venez embraſſer votre mere qui vient
» d'arriver en ces lieux.
Melanie avoit befoin d'une nouvelle
auffi inattendue pour dérober à fa tante le
trouble où elle étoit encore.
» Ma mere , reprit- elle ! Quel bonheur
» l'amene auprès de moi !
»Vous le fçaurez , dit myſtérieufement
» Eugenie .
» Allons , repliqua Melanie , allons lui
» prouvertoute la fenfibilité de mon coeur.
Melanie ne foupçonnoit pas le motif du
voyage de Melife ; Eugenie qui l'avoit ocfionné
, lui en avoit fait un myftere. Madame
d'Arcourt , cette amie chez laquelle
FEVRIER. 1756 . 23
elle demeuroit alors , occupoit un rang qui
lui procuroit les plus belles connoiffances
de la province . Sa terre touchoit à celle du
Comte d'Armainville. Ce Seigneur avoit
paffé fa jeuneffe à la Cour. Parvenu à un
âge mûr , & fatigué du tumulte du monde
, il s'étoit retiré à la campagne , où il
jouiffoit de la tranquillité fi néceffaire au
bonheur de la vie. Il avoit lié connoiffan→ .
ce avec Madame d'Arcourt , & brilloit
dans la fociété qui fe raffembloit chez elle .
Le Comte y vit Melanie , & toute fa
raifon ne put le garantir des traits de l'amour
; il l'aima affez pour fe déterminer
fur le champ à partager avec elle fon rang
& la fortune. L'éducation qu'elle avoit
reçue , lui garantiffoit fa fageffe , & fembloit
lui répondre de la liberté de fon coeur,
qu'il efperoit fe rendre favorable , quand
l'Hymen lui permettroit de faire éclater
à fes yeux l'amour qu'elle lui avoit infpiré,
Il ne s'amufa pas à foupirer auprès d'elle ,
& ce ne fut qu'à Eugenie qu'il découvrit
fes fecrets fentimens. Eugenie reçut cer
aveu en perfonne qui s'en trouvoit honorée
, & qui regardoit les vues du Comte
comme devant faire le bonheur de fa niece.
Elle écrivit à Melife pour lui communiquer
cette agréable nouvelle. Sure que
le coeur de Melanie n'étoit point difpofé à
24 MERCURE DE FRANCE.
oppofer d'obſtacle à fes deffeins, elle crut
inutile de la prévenir. Elle voulut laiffer
à Melife le plaifir de furprendre fa fille
en lui faifant connoître l'amour de celui
qui devoit lui en faire goûter les douceurs.
Melife enchantée de l'efpoir que
lui donnoit fa four , partit aufli- tôt pour
fe rendre où l'heureufe deftinée de fa fille
l'appelloit ; mais Melanie ignoroit les difpofitions
du Comte en fa faveur . Son innocence
ne lui permettoit pas de deviner
les fentimens qu'elle faifoit naître , &
fon indifférence pour ce Seigneur étoit ſi
grande qu'elle avoit toujours oublié de
parler de lui à Tervile.
Le coeur de Melife fut partagé entre la
joie de revoir une fille & une foeur qu'elle
aimoit , & celle de recevoir du Comte
d'Armainville la confirmation de ce que
lui avoit mandé Eugenie. Elle fe chargea
du foin de prévenir fa fille fur l'honneur
qu'il lui deftinoit , & promit au
Comte que dès le lendemain , il recevroit
de la bouche même de Melanie l'aveu qu'il
défiroit : mais le Comte impatient , ne
put attendre jufqu'au lendemain pour s'éclaircir
d'une chofe qui l'intéreffoit fi vivement.
Il fçavoit que Melife devoit dès le
foir même s'expliquer avec Melanie , il fe
fit un plaifir délicat de jouir de la furpriſe
où
FEVRIER. 1756. 25
où feroit cette jeune perfonne , en entendant
nommer l'amour pour la premiere fois,
& de connoître par lui- même fi elle feroit
flattée d'apprendre qu'elle lui en avoit infpiré.
Il fe gliffa fecrètement dans un cabinet
qui touchoit à l'appartement de Melife
, où , par une porte vitrée , il fut à
portée de voir & d'entendre la fcene qui
fe préparoit.
Melife après avoir prodigué à fa fille
les careffes les plus tendres , s'empreffa de
l'inftruire du fujet de fon voyage : elle lui
peignit fous les couleurs les plus fenfibles
le bonheur que l'alliance du Comte lui
préparoit. Melanie frémit fans pouvoir
s'en rendre raifon ; fon filence furprit Melife
: « Vous ne répondez pas , ma fille ,
» lui dit- elle , auriez- vous de la répugnan-
» ce à époufer le Comte ? fongez que je
» fuis autant votre amie que votre mere ,
» & parlez- moi fans détour » .
Raflurée par le ton affectueux qu'em -`
ployoit fa mere , Melanie lui répondit en
l'embraffant , qu'elle ne connoiffoit pas
d'autre volonté que la fienne ; « mais ,
» ajouta-t'elle , apprenez-moi à quoi l'en-
» gagement que vous me propofez , doit
me foumettre qu'exige de moi le titre
» d'épouſe du Comte » ?
Melife fourit & reconnut dans cette
B
26 MERCURE DE FRANCE,
réponſe l'effet des foins d'Eugenie.
« Le Comte n'exige de vous , dit- elle ,
à fa fille , que ce que fes bonnes façons
» & fon amour vous forceront de lui ac-
» corder ; c'eſt une fidélité à toute épreu-
» ve , c'eſt enfin votre coeur qu'il deman-
» de & que vous ne pouvez lui refufer.
» Ah ! que me dites- vous , s'écria , Mela-
» nie , s'il en eft ainfi , je ne puis époufer
le Comte.
59
" Eh ! pourquoi , dit Melife avec furprife
».
Melanie vit avec chagrin qu'elle alloit
rompre le filence que Tervile lui avoit recommandé
; elle voulut retenir fon fecret ,
mais vivement preffée par fa mere ;
"Hélas ! reprit- elle , comment pour-
» rai- je donner mon coeur au Comte , il
» n'eft plus en mon pouvoir.
99
» Eh ! à qui l'avez- vous donné , repli-
» qua Melife ?
" A vous , Madame , dit Melanie , à
» ma chere tante , héfita un & ..... elle
inftant , à Tervile , pourfuivit- elle ; vous
rempliffez tous trois l'étendue de mon
» coeur , il n'y a plus de place pour d'au-
20
2)
» tres » .
Quel fujet d'étonnement pour Eugenie!
A quoi lui ont fervi tant de précautions
pour éviter à fon éleve la connoiffance de
FEVRIER. 1756. 27
l'amour. Elle fixe fur fa foeur des regards
interdits.
» Ah! ma foeur , lui dit Melife eft-ce là
» ce que vous m'aviez annoncé.
» Vous voyez ma furprife, reprit Eugenie
; les difpofitions du coeur de Me-
» lanie , fes liaifons avec Tervile , & le
» jeune homme lui-même me font incon-
" nus.
39
Expliquez- nous donc ce myftere , dit
" Melife à fa fille quel est ce Tervile
» dont vous nous parlez ? n
Melanie apprit à fa mere comment elle
avoit connu Tervile , & les circonftances
qui avoient formé leur liaiſons.
» Ah ! s'il paroiffoit devant vous pourfuivit-
t'elle avec vivacité , fi vous con-
» noiffiez les qualités de fon ame , vous
» l'aimeriez comme moi . Pouvois- je lui
» refufer mon amitié ? Il m'alluroit fans
ceffe de la fienne , & la fincérité même
s'exprimoit par fa bouche , »
Melife & Eugenie allarmées des périls
où l'innocence de Melanie avoit été expofée
dans fes entrevues avec Tervile, n'ofoient
plus la queſtionner , craignant d'en
trop apprendre ; il leur étoit cependant
effentiel de ne rien ignorer de cette aventure.
» A quoi paffiez-vous votre temps au-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
» près de Tervile , lui dit Melife ? que
" vous difoit- il ? quels étoient vos amu-
» femens enſemble ? mais furtout , Mela-
» nie , gardez - vous de me rien déguifer.
"
33
"3
» Eh ! que pourrois- je vous cacher , re-
" prit Melanie ? l'amitié n'eft pas un cri-
» me ; ma tante m'a toujours dit qu'elle
» étoit au contraire le plus doux lien de
» la fociété. Je paffois avec Tervile lès
plus beaux inftans de ma vie : il m'ai-
» moit , il me le difoit , je l'aimois & je
» l'en affurois avec la même fincérité ;
» Dieux ! que nos entretiens étoient doux !
» Chere Melanie , me difoit- il , connoiffez
l'étendue de votre empire ; toutes
» les puiffances de mon ame vous font
» affajéties , & vous fçavez triompher
» des défirs même que vous m'infpirez.
» Oui , fi l'amour lés excite , le refpect leur
» en impofe..... Il cheriffoit furtout ,
» difoit-il , l'innocence de mon coeur , je
n'étois pas moins empreffée à l'inf-
» truire de ce qui m'intéreffoit le plus en
lui , c'eft ainſi que nous paffions des
heures entieres & qui nous paroiffoient
» des momens. Hélas ! nous ne nous
» fommes jamais féparés fans répandre
» des larmes , que l'efpoir de nous revoir
» le lendemain ne pouvoit même arrêter . »
Melanie s'exprimoit avec trop d'ingépour
ne pas perfuader.
"
"
nuité
FEVRIER. 1756. 29
>>
" Graces au Ciel , dit Melife bas à Eugenie
, nos craintes font diffipées
» Tervile a refpecté l'innocence de ma
" fille au point de la laiffer dans fon
» erreur fur l'amour , profitons de fon peu
d'expérience pour détruire le penchant
que fon coeur oppofe aux défirs du
»
» Comte.
ود
» Je fuis contente , dit- elle enfuite à
» Melanie ; j'aime votre fincérité , mais
» ma fille , j'exige , au nom de cette ten-
>> dreffe que vous m'avez affurée tant de
» fois avoir pour moi , que vous oubliez
« Tervile , que vous renonciez à fon ami-
» tié , & que vous donniez la votre au
» Comte.
» Oublier Tervile , s'écria Melanie avec
douleur ! Ah , Madame ...
Ne repliquez pas reprit , Melife : obéif-
» fez, & dès demain difpofez-vous à re-
• çevoir favorablement celui que je vous
» deftine .
"3
» Et Tervile , dit la tendre Melanie , que
» va t'il donc devenir ?
» Oubliez jufqu'à fon nom , repliqua
» Melife : non , ma fille , non , Tervile ne
paroîtra jamais à vos yeux. »
"
Melanie ne put fupporter la rigueur
que renfermoit une telle menace : elle
perdit connoiffance ; Eugenie & Melife
B iij
30. MERCURE DE FRANCE.
s'empreffoient à la fecourir , lorfque le
Comte accablé de ce qu'il venoit d'entendre
s'offrit à leur regards .
»
»
» Ah Monfieur lui dit Melife ...
" Je fçais tout reprit le Comte , que je
» fuis malheureux ! mais de grace , ménagez
le coeur de votre aimable fille ; ce
n'eft pas en caufant fon malheur , que je
puis mériter fa tendreffe. Le fecret que
» je viens d'apprendre n'a rien diminué
» de mon amour. Quelle ingénuité ! quel-
» le innocence dans cette charmante perfonne
! que Tervile eft heureux ! »
$9
Melife affura le Comte qu'elle alloit travailler
à lever l'obftacle qui s'oppofoit à fon
bonheur : fes foins & ceux de fa foeur rappellerent
Melanie à la vie ; on la laiffa feule
& livrée à fes réflexions . Hélas ! elle n'employa
ce temps de loifir , qu'à regretter
fon amant & à gémir du cruel fort qui
fans doute alloit les féparer.
Eugenie & Melife pafferent la nuit à
méditer fur les moyens de détruire la tendreffe
de Melanie pour Tervile. Eugenie
fe reprochoit d'avoir ravi à fon éleve les
armes avec lefquelles elle auroit pu repouffer
les traits de l'amour , en la laiffant
dans une ignorance dont elle avoit efpéré
d'autres fruits. Elle aimoit trop fa niéce
pour l'abandonner au couroux d'une mere
FEVRIER. 1755. 31
qu'elle voyoit difpofée à ne la point épar
gner : elle voulut fe charger feule du foin
de ramener fon efprit à la docilité .
n
" Je connois fon coeur , dit - elle à Melife
, il eft tendre : c'eft l'étude que
» j'en avois faite qui m'avoit engagée à lui
» taire tout ce qui regarde l'amour ; je
» n'ai jamais trouvé en elle d'oppofition
» à mes volontés . Laiffez-moi ménager
» fon efprit ; elle nous aime & nous ga-
" gnerons plus auprès d'elle par
» ceur , que par des emportemens qui
» revolteroient fa raiſon. »
la dou-
Melife qui connoiffoit la fageffe de fa
feur , lui abandonna volontiers l'emploi
qu'elle demandoit , autant pour s'épar
gner le chagrin de traiter durement une
Elle qu'elle aimoit , que pour tranquillifer
la tendreffe d'Eugenie.
A peine le jour leur permit - il de
travailler à l'exécution de leur projet ,
qu'Eugenie fe rendit auprès de Melanie.
Qu'elle fut pénétrée à fa vue ! Melanie
avoit paffé la nuit dans les plus vives
allarmes ; fes yeux étoient encore baignés
de pleurs : elle étoit plongée dans un abattement
qui auroit touché les plus infenfibles
.
» Eh ! quoi , ma chere niéce , lui dit Eugenie
en la ferrant dans fes bras , eft- ce
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
.
ود
là le prix que vous refervez aux foins
» que j'ai pris pour votre éducation ? vous
» m'aviez tant de fois promis de n'aimer
perfonne fans mon aveu ? m'avez - vous
» tenu parole ? & dois - je à préfent comp-
» ter für votre amitié ? Ah ! je le vois
» bien ; vous aimez plus Tervile que vous
» ne m'avez jamais aimée .
"
"
ور »Vousfaitesinjureàmoncoeur,reprit
Melanie , je ne vous aime pas moins
» que Tervile , mais je vous l'avoue , je
» crois l'aimer autant que vous. Ah ! ma
» chere tante , que ne pouvez - vous le con-
» noître , vous cefferiez bientôt de me
» condamner. »>
Mais quel eft donc ce Tervile , repliqua
Eugenie ? quel eft fon pays , fa naiffance
& fa fortune ?
Melanie raporta tout ce que Tervile
lui avoit confié à ce sujet ; il n'eft pas loin
de ces lieux , pourfuivit- elle , & fi vous y
confentez je pourrai vous le préfenter dès
ce foir. Il doit fe trouver au lieu de nos
rendez - vous. Voyez-le , ma chere tante ,
& je fuis fure que vous applaudirez à mon
choix.
Non , ne l'eſpérez pas , reprit Eugenie ,
vous avez vu Tervile pour la derniere
fois ; le Comte feul mérite votre coeur ,
il vous offre avec le fien le titre de ComFEVRIER.
1756. 33
teffe & une fortune immenfe. Ceffez de
réfifter aux volontés de Melife ; elle vous
aime , mais une plus longue réfiftance la
contraindroit à vous hair , elle vous rendroit
malheureuſe fans qu'il me fût poffible
de vous fecourir.
Que m'annoncez-vous , repartit douloureufement
Melanie ? Que faut- il donc
faire pour la contenter ?
Epoufer le Comte dit Eugenie.
J'y confens , repliqua Melanie , mais
qu'il n'exige pas le don de mon coeur : je
vous l'ai déja dit , je n'en fuis plus la maîtreffe.
Oui , il m'eft abfolument impoffible
de l'aimer. Tervile feul , Tervile a
toute mon amitié .
Quelle obftination , dit Eugenie ! Melanie
, prenez garde de vous attirer le courroux
de Melife ; ma tendreffe même commence
à fe laffer . Oubliez Tervile , aimez
le Comte , voilà quels font vos devoirs.
Ne plus voir Tervile , reprit Melanie
..... renoncer à fon amitié ……….. Eh
bien ! il faut donc auffi que je renonce
à la vie ...
Cruelle niéce , s'écria Eugenie qui ne
s'étoit pas attendue à trouver tant de fermeté
dans le coeur de fon éleve , ne pou
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
rai - je gagner fur toi d'éviter le malheut
qui te menace ?
Impitoyable tante , repliqua Melanie ,
vous trouverai -je toujours infenfible à ma
peine ! Ah ! pourquoi m'avez vous fait un
portrait fi touchant de l'amitié ! pourquoi
m'en avez vous fi fouvent vanté les
charmes Elle fait , difiez - vous , le bonheur
de nos jours , il falloit au contraire endurcir
mon coeur contre fes féduifantes attaques.
Docile à vos leçons , j'aurois tyrannifé
fes plus chers fentimens , je les
aurois facrifiés à la crainte de vous dé
plaire & de me rendre coupable à vos
yeux ; mais tous vos foins fe font appli
qués à me faire goûter les douceurs de
l'amitié ; ces preuves mêmes que je reçevois
de la vôtre ont contribué à me
féduire ; j'y trouvois tant de charmes
qu'elle eft devenue l'ame de ma vie. C'eſt
dans ces difpofitions que j'ai connu Tervile
; cette aimable fympathie qui diſpoſe
de nos inclinations , a triomphé dans mon
ame . Je ne lui ai point réfifté , je l'avoue :
perfuadée qu'elle étoit une vertu , je me
fuis fait une gloire de céder à fes attraits ;
pour Tervile feul deviendroit- elle un crime
, lorfque vous m'en faites un devoir
pour le Comte Avouez- le , ma chere tanFEVRIER.
1756. 35
te , fi je fuis coupable , ce n'eft que de
vous avoir fait un myftere de ma tendreffe.
C'en étoit trop pour la fenfible Eugenie
; l'ingénuité de fa chere éleve , la
candeur & l'innocence de fes fentimens ,
& le tendre fouvenir qu'elle lui rappelloit,
lui offroient un tableau fi touchant , que
vivement pénétrée , elle l'embraffa , &
la quitta en lui promettant de travailler à
adoucit l'efprit de Melife en fa faveur.
Melife attendoit Eugenie avec impa
tience : elle fut furpriſe de la voir revenir
toute en larmes. Vous pleurez ma foeur
lui dit- elle rah ! vous n'avez rien gagné
fur l'efprit de ma fille ! fon obftination
perfifte ; c'est donc à moi qu'eft reſervé
ce triomphe. Votre amitié pour elle vous
rend trop foible , elle en abuſe , mais
elle apprendra bientôt ce qu'elle doit aux
volontés d'une mere.
Parlez-lui , j'y confens , repliqua Euge
nie,mais , ma foeur , ne la maltraitez pas;
fr vous connoiffiez , comme moi , l'excellent
naturel de cette chere enfant , non , vous
ne pourriez pas vous armer contr'elle..
Qu'elle eft aimable ! je l'admire jufques.
dans l'obftacle qu'elle oppofe à nos défirs.
Quelle foibleffe , s'écria Melife ! en
vérité, ma ſoeur , je ne vous reconnois plus .
B. vjj
36 MERCURE DE FRANCE.
Apprenez dans quelle erreur Melanie eft
plongée. J'ai appliqué tous mes foins à dé→
couvrir ce Tervile dont fon coeur eft charmé.
C'est un impofteur , un traître qui ,
fous un nom fuppofé , cherchoit à la féduire
; ce nom n'eft pas connu dans ces
cantons , & nous n'avons pu découvrir
aucunes de fes traces.
Cela peut être , dit Eugenie : cependant
fans chercher à le juftifier , je puis oppofer
à l'indignation qu'il vous infpire le
refpect qu'il a confervé pour votre fille.
Il pouvoit abufer de fon innocence , il ne
l'a pas fait. Ce trait feul le rend eſtimable
à mes yeux. Melanie d'ailleurs s'offre à
nous le préfenter. Il doit , dit- elle , fe trouver
ce foir à la porte du jardin de cette
maifon : elle demande qu'il lui foit permis
de le voir & de l'engager à s'expliquer
devant nous.
Et c'eft ce que nous devons éviter , interrompit
Melife : Tervile quelqu'il foit ,
ne peut furement lui faire un fort auffi
avantageux qu'eft celui que lui offre le
Comte. Plus elle le verra , plus elle fera
rebelle à nos volontés ; j'ai donné des
ordres furs pour qu'il ne paroiffe jamais à
fes yeux , & je vais travailler à rendre fon
efprit plus docile. Encore une fois , s'écria
Eugenie , ménagez ma chere niéce ; n'emFEVRIER.
1756. 37
ployez auprès d'elle que la voix de la
douceur !
Tranquillifez-vous , ma foeur , dit Melife
, j'efpere n'être pas fi foible que
vous.
L'air fombre & glacé que Melanie apperçut
fur le vifage de fa mere , ne lui
permit pas de douter du fujet qui l'amenoit
auprès d'elle , un tremblement général
la faifit. Melife affectant de ne pas
s'en apperçevoir , lui demanda froidement
à quoi elle étoit déterminée.
A vous obéir , Madame , répondit Melanie
d'une voix timide ; mais fi jamais je
vous fus chere , n'exigez de moi que ce
que je puis faire. J'épouferai le Comte ,
mais pour lui donner mon coeur , qu'il
ne l'efpere pas , il n'eft plus en mon pouvoir.
Melife indignée de trouver tant de réfiftance
dans l'efprit de fa fille , fe laiſſa
emporter à tout ce que la colere peut infpirer
de plus violent . Elle accabla Melanie
de reproches & de menaces , elle accufa
Tervile de perfidie & d'impofture ,
autorisée par le déguifement qu'il lui
avoit fait fans doute de fon véritable
nom .
Melanie voulut entreprendre de juftifier
fon amant , mais Melife lui im
38 MERCURE DE FRANCE.
pofa filence du ton le plus févere , & lui
ordonna pour la derniere fois d'oublier
Tervile , ou de fe préparer à fouffrir tous
les tourmens imaginables.
Difpofez de mon fort , répondit Melanie
au défefpoir ; je fubirai fans murmurer
toutes les peines qu'il vous plaira
de m'impofer , mais pour oublier Tervile,
non, mon coeur n'y confentira jamais. Ah !
ma chere mere , pourfuivit- elle en ſe jettant
aux genoux de Melife , laiffez- vous
attendrir par mes pleurs. Le Ciel m'eft
témoin que tous mes défirs fe bornent
à vous complaite , mais il a mis lui- même
un obftacle à vos deffeins fur moi, Non ;
je n'ai pas été la maîtreffe de mes fenti
mens , un pouvoir
un pouvoir fupérieur en a dif
pofé , je n'ai pu lui réfifter , ce pouvoir
fubfifte encore & conferve fes droits an
malheureux Tervile . Hélas ! fi l'on m'impofoit
aujourd'hui la dure loi de ceffer
de vous aimer , il en feroit de même
& je fens que je perdrois plutôt le jour
que d'y confentir , je fens.... Le faififfement
empêcha Melanie de pourfuivre :
elle embraffoit les genoux de fa mere ;
elle couvroit fes mains de baifers & de
larmes . Melife veut parler , l'émotion de
fon ame & fon
attendriffement l'en empêchent.
Prête à partager la fenfibilité da
FEVRIER. 1756. 39
fa fille , elle s'arrache de fes bras & va
rejoindre Eugenie.
Ah ma foeur , lui dit- elle , que Melanie
eft dangereufe ! Toute ma fermeté a cédé
à fa timide éloquence. Quel coeur ! quels
fentimens Eugenie , que vous lui avez
fourni d'armes contre nous !
Je vous l'avois bien dit , reprit Eugenie
, avec une fecrete complaifance ; ceffons
, croyez-moi , de contraindre fon
coeur. Son bonheur doit nous être préférable
aux avantages de la fortune.
Quoi , dit Melife , je l'applaudirois dans
une foibleffe qui a peut être pour objet un
fujet méprifable ! Non , la mienne ne s'étend
pas jufques- là .
» Ce que je puis faire pour elle , c'eft
» de laiffer au temps le foin de ramener
» fon coeur à la raifon : évitons cependant
» tout ce qui pourroit lui rappeller le
35
fouvenir de Tervile : elle ne verra plus
» que le Comte , & l'amour de ce Sei-
" gneur fçaura peut - être triompher de
» l'obſtacle qui s'oppofe à fes défits . "
13
Eugenie approuva le deffein de fa foeur ,
& dès le moment on ceffa de violenter les
fentimens de Melanie .
- Mais elle n'en fut pas plus heureuſe:
Tervile , fon cher Tervile ne paroiffoir
plus à fes yeux ; elle ignoroit s'il l'aimoit
40 MERCURE DE FRANCE.
C
toujours , & tout ce qui l'environnoit gatdoit
fur lui un filence qu'elle n'ofoit interrompre.
Elle étoit contrainte d'étouffer
les foupirs que fon fouvenir lui arrachoit ;
ce n'étoit plus dans le coeur de fa mere
qu'elle pouvoit chercher de la douceur :
armée contr'elle de l'air le plus froid &
le plus indifférent , Melife paroiffoit méprifer
la voix de la nature qui lui parloit
en faveur de fa fille ; Eugenie même , la
fenfible Eugenie n'ofoit faire éclater la
tendreffe qu'elle avoit pour une niece fi
chére. D'accord avec Melife , elle croyoit
gagner par une indifférence affectée ce
que les preuves de fon attachement n'avoient
pu obtenir du coeur de fon éleve ;
mais elles étoient toutes deux dans l'erreur.
Toute entiere à fon cher Tervile , Melanie
regardoit comme une injuftice criante
la loi qu'on lui impofoit de ne plus
l'aimer : elle étoit révoltée de voir fa mere
& fa tante facrifier à l'intérêt l'amitié , ce
fentiment noble & vertueux ; enfin Melanie
fortifioit fans ceffe fon coeur contre les
attaques qu'on lui portoit ; & le feul fruit
que Melife & Eugenie retiroient de leur
rigueur pour elle , étoit de la plonger dans
une mélancolie qui commençoit à les allarmer.
Le Comte d'Armainville s'éloignoit raș
FEVRIER. 1756. 41
tement de la maifon de Madame d'Arcourt.
Il y paffoit des journées entieres à
foupirer auprès de Melanie , & à tâcher de
l'attendrir. Melanie eftimoit ce Seigneur :
elle gémiffoit en fecret d'être cauſe du
chagrin auquel il fe livroit ; mais il lui
étoit impoffible de répondre à fa tendreffe.
Quelque tems s'écoula de la forte. Un
jour que le Comte étoit feul avec Melanie,
& qu'il lui portoit des plaintes touchantes
fur l'indifférence dont elle l'accabloit ,
»hélas ! lui dit- elle ingenuement , je vou-
» drois qu'il me fût poffible de vous fa-
D tisfaire. Je vous eftime , Monfieur , je
» ne vous hais pas , je fens même que
» s'il falloit facrifier à votre bonheur une
» partie de mes jours , je le ferois fans hé-
» fiter ; mais n'en exigez pas davantage ,
» mon coeur n'eft plus à donner. Ah !
» Comte , pourſuivit - elle , en voyant le
chagrin que fon difcours caufoit à ce
» tendre Seigneur , fi la vengeance peut
» avoir des charmes pour vous , jouiffez-
" en , je ne puis vous caufer autant depeine
que j'en fouffre moi-même depuis
n que je fuis féparée de Tervile.
39
" Eft- ce ainfi que vous prétendez adou-
» cir mes maux , s'écria le Comte ? Cruelle,
» en m'offrant la vengeance pour dédom-
» magement , vous portez à mon coeur
42 MERCURE DE FRANCE.
» un nouveau trait de défefpoir : ce font
» les mêmes tourmens auxquels vous êtes
» en proie , qui caufe mon malheur ; j'y
» reconnois la vivacité de votre amour
» pour le trop heureux Tervile ..
"
» N'enviez pas fon fort , reprit Mela-
» nie. Eft - il malheur femblable à celui
» d'être éloigné de ce qu'on aime ? Tervi-
» le ne me voit plus , il ignore fi je lui
» fuis fidele. Ah ! du moins , s'il fçavoit
» les foins que je prends pour lui confer-
» ver mon amitié, s'il fçavoit ... Pardonnez,
»Monfieur, reprit - elle, en voyant les mou-
» vemens d'impatience qui échappoient au
» Comte , l'on ne peut contraindre le fenti-
» ment , j'aime Tervile , je l'ai connu avant
» vous , avant vous il m'affura d'une tendreffe
éternelle ; s'il avoit laiffé du vui-
;
» de dans mon coeur , vous feul , Comte ,
» feriez digne de le remplir ; mais ... Melanie
s'arrêta ...
» Achevez , répliqua le Comte avec
» douleur ; dites que vous ne m'aimerez
» jamais , que tout efpoir m'eft interdit ,
» que je dois enfin étouffer l'amour mal-
» heureux que vous m'avez inſpiré .
"
" Ah ! fans m'ôter votre amitié , reprit
» vivement Melanie , foyez affez généreux ,
» cher Comte , pour vous contenter de
mon eftime , je vous l'offre ; & s'il étoit
4
.
FÉVRIER. 1756. 43
» une autre espece d'amitié que celle
que
» j'ai pour Tervile , je vous l'offrirois de
» même. Oui , je fens que vous avez des
» droits fur mes fentimens , mais je l'a-
» voue , ils ne font pas femblables à ceux
» que j'ai donnés à Tervile ; jouiffez des
» vôtres , & fouffrez qu'il jouiffe des fiens.
» Que ne vous devrai je pas ?
Melanie s'apperçut que fes dernieres
paroles avoient jetté le Comte dans une
profonde rêverie. Elle fe flatta qu'il difdifpofoit
fon ame à lui faire le facrifice
qu'elle demandoit. Pour exciter fa générofité
, elle lui prodigua mille noms tendres
& flatteurs , & mille carreffes que l'innocence
qui les accompagnoit , rendoit plus
touchantes » Oui , cher Comte , lui dit-
» elle en ferrant fes mains dans les fien-
» nes ; oui , je veux vous devoir mon bon-
» heur , il m'en paroîtra plus fenfible.
» Après Tervile vous ferez ce que j'aurai
» de plus cher.
Le Comte défarmé par les graces & la
douceur de cette aimable fille , céda enfin
à la générofité qu'elle excitoit dans fon
ame .
و د
» Vous triomphez , belle Melanie , lui
» dit-il je vais trahir les intérêts de mon
"amour pour m'occuper des vôtres ; je
» veux réparer tout le mal que je vous ai
44
MERCURE DE FRANCE.
» fait , mais c'eſt à votre fincérité que je
» dois facrifier le bonheur de ma vie ; inf-
» truiſez -moi de la naiffance & des pro-
" grès de vos fentimens pour Tervile .
"
33
»
» Je ne vous
déguiferai rien , répliqua
» Melanie
enchantée de l'efpoir que lui
» donnoit le Comte. Le hafard m'a procuré
la vue de Tervile. Le premier regard
que j'ai fixé fur lui , a captivé mon
» coeur. Il m'a juré mille fois que la fympathie
avoit produit le même effet fur
» le fien. Avec une égale fincérité nous
»nous enfommes donnés depuis de conti-
» nuelles aſſurances ; nous voir , nous ai-
» mer , nous le dire , étoient nos plaifirs
les plus
fenfibles. Dieux ! quand je me
» rappelle notre derniere entrevue , quel
» le eut des charmes pour nous ! La vivacité
de nos
fentimens
affoibliffoit notre
» voix , nos regards feuls nous inftrui-
» foient de ce qui fe paffoit dans nos ames.
» Qu'ils étoient tendres ! Que nous étions
» heureux !
Pouvois- je prévoir , hélas ! le
changement affreux qui fe préparoit dans
≫ notre fort.
93
»
Quel détail pour le Comte ! Funeſte
» curiofité , s'écria - t'il , tu fers à redoubler
» mes maux . Que d'amour ! ... que d'in-
"
génuité ! que de charmés ! je connois
» mieux encore la perte que je fais. Ciel !
FEVRIER. 1756. 45
» pourrai - je m'y réfoudre ? Il le faut ;
» raifon , honneur , tout m'en fait une loi;
» mais ... qu'il m'en va couter ! ... N'im-
»porte .. Adieu , belle Melanie , je vais ,
» s'il fe peut , déterminer mon coeur à ce
" grand facrifice.
Le Comte fortit à ces mots , & laiffa
l'efprit de Melanie flottant entre la crainte
& l'eſpérance ; mais il ne l'abandonna pas
long- tems à cette inquiétante fituation. II
revint le lendemain, & fans communiquer
fon deffein il invita Melife , Eugenie , &
la charmante Melanie à embellir de leur
préfence une fête qu'il donnoit , leur ditil
, le même jour dans fon château . Elles
s'y rendirent toutes accompagnées de Madame
d'Arcourt. Mais quelle agréable furpriſe
pour Melanie de reconnoître fon cher
Tervile dans le premier objet qui frappe
fes regards chez le Comte ! Elle jette un
cri de joie , & fans contraindre les mouvemens
de fon ame , elle fe lance dans les
bras de fon amant , qu'un pareil tranſport
amene au- devant de fes pas.
Cher Tervile , lui dit - elle , je vous revois
! Quel bonheur ! fa voix expire . Tervile
ne peut s'exprimer avec plus de facilité
. Des mots entrecoupés forment l'entretien
de ces tendres amans. Melife &
Eugenie les regardent , & dans l'excès de
46 MERCURE DE FRANCE.
leur furprife , elles ne penfent pas à les
féparer , ni à en impofer à leurs tranfports.
pour
Melanie s'arrache des bras de Tervile
voler dans ceux de fa mere & de fa
tante . Elle ne fe croyoit pas coupable d'avoir
à leur yeux prodigué à ſon amant les
preuves de fa tendreffe ; ainfi elle ne craignoit
pas leurs reproches .
» Le voilà ce cher Tervile , leur ditnelle
, dont le fouvenir me rendoit rebelle
»à vos defirs. Avois - je tort , & déja ne
» l'aimez- vous pas autant que moi ?
Melife & Eugenie n'avoient plus la liberté
de s'exprimer , l'étonnement leur
coupoit la parole. Melanie n'y fit pas attention
, elle avoit fatisfait fa tendreffe ;
elle crut devoir quelque chofe à la générofité
du Comte.
» Vous me rendez Tervile , lui dit- elle.
» Ah ! Monfieur , que ne vous dois- je pas ?
Le Comte qui vouloit ravir à fon coeur
l'occafion de s'affoiblir de nouveau , ne
répondit à Melanie qu'en prenant une de
fes mains qu'il mit dans celle de Tervile ,
& dans cet état les préfentant tous deux à
Melife ,
» J'ai triomphé de mon amour , lui-
» dit-il , j'ai facrifié mon bonheur à ce-
» lui de votre aimable fils ; ne rendez pas
FEVRIER. 1756. 47
mes combats infructueux , confentez à
» l'union de ces deux amans , ils font
» dignes l'un de l'autre. Sous le nom de
» Tervile reconnoiffez le fils du Marquis
» de Clerval mon frere.
n
13
àla
Melife apprit cette nouvelle avec joie.
Mais fa fille ne put cacher fa furpriſe ,
& demanda à Clerval quelle raiſon lui
avoit fait prendre un faux nom auprès
d'elle. Raffurez vous , Mademoiſelle , reprit
le Comte , je vais , pour lui , vous en
inftruire & le juftifier. Sa trifteffe & fa
répugnance pour un mariage avantageux
que je lui propofois , m'ont fait foupçonner
qu'une paffion fecrete formoit cette
oppofition dans fon coeur. Je l'ai fait fuivre
, j'ai fçu qu'il fe rendoit tous les jours
porte du jardin de Madame d'Arcourt ,
je l'y ai furpris moi- même , & je l'ai obligé
de m'ouvrir fon ame. Il m'a avoué
qu'il vous adoroit , & qu'il avoit déguiſe
fon nom pour me dérober la connoiffance
de fa flamme . Oui , dit alors Clerval à
Melanie , oui , c'eſt la crainte de vous perdre,
ou de me voir éloigné de vous, fi j'étois
reconnu , qui m'a fait employer cet artifice
. Que fous l'heureux nom de Tervile
j'ai goûté de douceurs ! Sous le titre de
l'amitié , vous m'avez offert l'amour le
plus tendre, Pardonnez , belle Melanie , fi
48 MERCURE DE FRANCE,
je vous ai laiffée fi longtems dans l'erreur :
mais content de mon fort , & pénétré de
refpect pour votre innocence , je n'ai oſé
entreprendre de vous défabufer. Que dites-
vous , Clerval , s'écria Melanie , les
fentimens que j'ai pour vous ne feroient
pas ceux de l'amitié ?
Clerval fut embarraffé , il s'étoit perfuadé
que l'amour du Comte fi fouvent
exprimé à Melanie l'avoit détrompée.
Quoique für de fa tendreffe , il craignit
que la connoiffance qu'il alloit lui donner
, n'apportât du changement dans fa
conduite avec lui . Pendant qu'il cherchoit
les moyens de l'inftruire fans effaroucher
fon innocence , Melanie le preffoit de s'expliquer
avec une vivacité qui divertiffoit
les fpectateurs. Ils fe regardoient tous,
& jouiffoient de l'embarras de Clerval ,
mais il fe rappella bientôt tout le feu de
fon efprit.
Quoi toujours de l'amitié , chere Melanie
, lui dit-il , d'un ton chagrin ! Ne
voulez - vous m'accorder qu'un fentiment fi
froid ? Il ne peut récompenfer la vivacité
des miens. L'amour peut feul payer l'amour
... Eh ! qu'elle différence mettezyous
donc entre l'amour & l'amitié , interrompit
Melanie. Je vous ai entendu fouvent
répéter le mot d'amour, Melife , Eugénie
FEVRIER . 1756. 49
genie & le Comte l'ont quelquefois prononcé
devant moi , mais j'ai cru qu'il renfermoit
les caracteres de l'amitié . Je vous
l'avoue cependant , il me fembloit qu'il
avoit quelque chofe de plus vif & de plus
intéreffant . J'aimois furtout , Clerval , jai-.
mois à l'entendre de votre bouche. Achevez
de m'inftruire. Apprenez- moi à diftinguer
ces deux fentimens. Clerval peignit
l'amour & l'amitié tels qu'il étoit
capable de les reffentir. Que d'efprit il
mit dans fes définitions ! que de chaleur
dans le portrait de l'amour ! Melanie y
reconnut le fentiment qui l'animoit . Le
voile de fon innocence fut déchiré ; mais
confufe de fon erreur , & craignant d'avoir
été coupable , elle rougit , regarde
en tremblant Melife & Eugenie , & n'ofe
plus fixer les yeux fur fon amant. Clerval
au défefpoir , fe croit le plus malheureux
des hommes , lorfque Melife & Eugenie
touchées de fa peine & de l'embarras de
Melanie, s'empreffent à la raffurer , en lui
apprenant que leur aveu juftifie alors les
mouvemens de fon coeur. Nos deux amans
fe livrent à leurs tranfports fans crainte .
Le Comte obtient pour eux l'agrément du
Marquis de Clerval fon frere : il leur affure
tous fes biens après fa mort , & les conduit
lui-même à l'autel. Jamais union n'a
C
50 MERCURE DE FRANCE.
été plus heureufe. Clerval a toujours pour
Melanie cet amour vif & tendre qu'il a
fenti
pour elle dès le premier inftant
qu'il l'a vue , & Melanie conferve toujours
cette candeur fi rare , & cette ingénuité
charmante que le commerce du
monde ne peut altérer , & qui la font
adorer de tous ceux qui la connoiffent .
Cette nouvelle eft de Mademoiſelle
Brohon , l'aimable auteur des Amans Philofophes
, dont nous avons fait l'extrait &
l'éloge l'année paffée dans le Mercure de
Mai. Il nous paroît qu'elle s'eft peinte
elle-même dans les Charmes de l'Ingénuité.
Heureux qui pourroît être fon Tervile
!
LA SOUCHE ET LE MARRONNIER.
UN
FABLE.
N Marronnier tout plein de l'avantage
Que lui donnoit fur plufieurs végétaux
L'abondance de fes rameaux
Et la beauté de fon feuillage ,
Infulta jadis , en ces mots ,
Une Souche du voisinage ;
Chetive Souche , ofes-tu bien
Montrer ton fep en ma préſence ?
Connois-tu ton néant , & de ton fort au mien ,
FEVRIER. 1756 . SI
Sçais- tu quelle eft la différence ?
Regarde mes rameaux fe perdre dans les airs.
Eft -il d'arbre dans l'Univers
Plus renommé pour fon feuillage ?
Ne voit- on pas fous mon ombrage
Se repofer les Princes & les Rois?
Dans leurs jardins , c'eft de moi qu'on fait
choix ,
Soit pour orner une terraffe ,
Soit pour border la rive des canaux.
Ma beauté ne doit rien à celle des Ormeaux ;
Et fouvent ma taille furpaffe
Celle des Chênes les plus hauts .
Mais toi , toujours trifte & débile ,
Sans l'appui fur lequel ton corps eft attaché ,
Ton bois tortu fur la terre couché
Ne feroit qu'un trone inutile.
Que je te plains ! En vérité ,
Tu n'as pas lieu d'être idolâtre
De ta force & de ta beauté.
La nature envers toi ne fut qu'une marâtre ,
Et moi , j'en fuis l'enfant gâté.
Tu reffens , je le vois , un fi fenfible outrage ;
Tu pleures , & fais bien ; les pleurs font ton partage
.
La Souche dit au Marronnier :
Arbre fuperbe , & qui devrois te taire ,
Ofes-tu te glorifier
D'une beauté frivole & paflagere.
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
Tu vantes tes rameaux ; mais enfin , montre-moi
Quelque fruit renommé qui provienne de toi.
Marronnier , mon ami , reviens de ta chimere.
Tu te crois un arbre fans pair ,
Et ne produis fous une écorce amer ,
Qu'un fruit encore plus amere ,
Qu'un fruit dont on ne peut rien faire .
Regarde le mien , au contraire.
Quels honneurs ne reçoit - il pas ?
Son jus eft l'ame des repas :
Il réjouit , il vivifie ,
Il eſt le charme de la vie ,
Et le Nectar qu'on fert aux Dieux .
Ce breuvage fi doux & fi délicieux ,
C'est moi qui le produis ; ceffe donc , je te prie ,
De t'enorgueillir fans raifon .
Je vois , fans l'envier , le fuperbe feuillage ,
Dont la nature t'a fait don.
Ce n'eft- là qu'un vain étalage ,
Et je me ris d'un avantage
Dont on ne tire rien de bon.
Simeon Valette.
ETRENNES
AM. deFontenelle de l'Académie Françoife .
AImable & galant Fontenelle ,
Que les graces fuivent toujours ,
FEVRIER. 1756. 53
Tu dois aux Chantres des Amours ,
Servir de guide & de modele.
Quand l'homme eft fous le poids des ans ,
La trifteffe & l'ennui font toujours à fa fuite.
Le plaifir jamais ne te qui tte ,
Et ton hyver vaut un printemps.
Pouffe au- delà des tems ta brillante carriere
Pour le bonheur de tes amis ;
Et que la parque meurtriere
3
Refpecte des jours ſi chéris .
ParM. de C ***
EXAMEN de la Surdité & de la Cécité ;
par un Sourd.
JE ne me trouve dans prefque aucune
maiſon , que la queftion , lequel est le plus
malheureux d'un Sourd ou d'un Aveugle ,
n'y foit débattue . Quelquefois en me demandant
mon avis , on m'oblige de prendre
part à la difpute. Je dis , quelquefois ,
car on ne m'attaque pas toujours. Bien
des gens penfent que cette thefe doit me
faire peine , en me faifant toujours plus
C iij
14 MERCURE DE FRANCE.
fentir tout ce qu'il y a de trifte dans mon
infirmité. On fe trompe. Tout ce qui me
procure l'occafion de parler , fans faire
de propos difcordans , me fait un plaifir
très - fenfible , parce que cela me diffipe.
J'ai fi fouvent befoin de diffipation , que
j'ai toujours la reconnoiffance la plus fincere
envers ceux qui me procurent l'occafion
d'en prendre.
Jufqu'ici j'ai trouvé peu de monde de
mon avis fur la queftion de la furdité &
de la cécité. Les femmes furtout fe révoltent
contre moi , & peut - être bien des
hommes ne fe tangent de leur côté que
par complaifance. Je ne fuis point furpris
de l'avis des femmes. La plupart regardent
la beauté comme ce qu'il y a de plus
précieux pour elles. La cécié défigure ,
& la furdité n'ôte rien aux traits d'un
beau vifage. Cette raifon doit être d'un
grand poids auprès des femmes.
J'ai entrepris d'examiner cette queſtion
à tête repofée. Mais je l'avoue , je crains
la féduction du fentiment rigoureux de
mon infirmité , & je regrette tous les
jours qu'un Aveugle , M. de la Mothe ,
par exemple , n'ait pas travaillé fur cette
matiere. Peut-être évitoit- il de fe livret
trop fortement à la penfée de ce qu'il
fouffroit par la privation de la vûte. Cente
FEVRIER . 1756. 5.5
raifon m'a arrêté quelque tems ; le courage
& la curiofité de fçavoir ce qu'on
penferoit de mes idées l'ont emporté.
Je fouhaite que quelqu'Aveugle fuive
mon exemple. La queftion bien décidée
feroit un fervice rendu au genre humain ,
puifque le débat cefferoit >, & que l'un
des deux feroit décidemment moins à
plaindre. Quant au perdant il n'y perdroit
rien de plus , puifque chacun fe croit
le plus malheureux. Le fujet que je
traite et donc digne d'un Philofophe.
Qu'il feroit à fouhaiter que ma bonne
volonté fût placée dans une tête & plus
philofophique & plus fgavante que la
mienne !
#
Je déclare que dans tout cet ouvrage
je n'entends point parler des ouvriers ou
gens à talens qui ont befoin de gagner
leur vie par le travail de leurs mains , ils
doivent fans doute préférer la furdité ;
mais il faut alors que leur métier foit fédentaire
& tranquille , & qu'ils n'ayent
point à fortir de chez eux , fans quoi la
furdité mettroit leur vie continuellement
en danger.
- Il est donc queftion ici de ceux que la
fortune a mis en état de ne rien refufer à
leurs commodités & à leurs plaifirs. Je
n'entends pas feulement ces opulens en
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
pofition de ne connoître aucun terme au
néceffaire ; mais généralement tous ceux
qui ont ce qu'on appelle de quoi vivre. Je
crois que dans cette fituation , il eſt moins
malheureux d'être aveugle que d'être
fourd , ainfi que dans celle d'un homme
fans aucun talent , réduit à la mendicité.
Pour développer notre idée , examinons
deux infirmes dans quelques - unes des
fituations poffibles ; elles ferviront à nous
faire juger de celles dont nous ne parlerons
pas. Mais je demande que l'on écarte,
en jugeant , tout préjugé , toute féduction
d'intérêt perfonnel ; que l'on n'écoute
que la raifon naturelle , les véritables
mouvemens de l'amour-propre , les vrais
principes de la fociété & de l'humanité ;
en un mot que l'on apporte dans fa décifion
cette impartialité que le feul bon
fens éclaire.
Damon opulent a une époufe aimable
& refpectable dont il eft adoré : il tient
une bonne table , à laquelle beaucoup de
gens de mérite fe font un plaifir de fe
trouver. C'eft un homme dont tous les
défirs fur le luxe font auffi -tôt remplis
que formés ; il n'a point de procès , point
d'affaires que celles de l'economie de fon
bien qui eft en bon état ; il eft aimé &
eftimé de fes parens qu'il chérit ; tous les
FEVRIER. 1756. $7
amis en font cas. Quelle heureufe fituation
! Eft-il poffible de n'être pas content
quand on en jouit ; Damon cependant eft
dévoré de trifteffe & de mélancolie. C'eſt
peut- être , dira-t'on , le défir d'une plus.
grande opulence , ou l'ambition qui le dévore
? Non , il ne veut point de charge ,
il ne défire rien au delà de ce qu'il poffede
, il ne fouhaite que de pouvoir jouir
de ce qu'il a , & d'en jouir avec fes amis.
Mais n'en jouit- il pas ? il eft toujours au
milieu d'eux , à une table fervie avec autant
de goût que d'abondance . Non , il
ne jouit pas au milieu de la meilleure
compagnie du monde , Damon eft plus à
plaindre que s'il étoit feul . Il eft fourd
& continuellement navré du chagrin de
ne pouvoir prendre part à une converfation
agréable , à laquelle il voit que chacun
prend du plaifir. Auffi remarquezvous
qu'il évite autant qu'il peut de fe
trouver à cette table dont il ne fait la
dépense que pour cette époufe qu'il adore :
c'eft pour elle qu'il veut attirer chez lui
une compagnie agréable. Il n'afpire qu'au
moment de fe trouver feul , ou tête à tête.
Suppofons un Aveugle dans la même
pofition ; que fon état eft différent ! Sans
ceffe diftrait par la converfation , par les
faillies charmantes que l'on n'a qu'à ta-
Cy
38 MERCURE DE FRANCE.
ble , par l'enjouement de ces propos que
la bonne chere & les vins délicieux excitent
dans les gens même hors delà les
plus férieux & les plus froids , la table
eft fon élément ; il y pafferoit les journées
entieres. Abfolument livré à la gaieté
& au plaifir que porte dans l'ame la converfation
, il oublie qu'il ne voit rien ; ce
qu'il entend l'occupe , l'amufe , & le diftrait
du fentiment de fon infirmité . On
fort de chez lui enchanté de l'efprit &
du goût qu'il a fait briller fur des matieres
d'amufement , du génie , & du jugement
qui lui font porter une nouvelle
lumiere fur des objets d'utilité. Livré au
plaifir qu'il a procuré , on ne fonge pas
même que fon état exige de la compaffon
, ( 1) fentiment toujours pénible pour
T'humanité.
A cent pas de fa porte eft un Sourd
qui demande l'aumône. Il s'épuife pour
perfuader à tous les paffans qu'il eft tel
que fon état l'empêche d'exercer aucune
profeffion , & que celle de fa femme ne
peut pas fuffire foutenir fa déplorable
famille. On l'envifage , rien n'annonce
dans fa phyfionomie un homme incommodé.
On traite fa furdité de rufe de
pour
.
(1 ) Il me femble que ce fentiment ne coûre
rien aux bons coeurs
FEVRIER. 1756. 59
gueux , on paffe fon chemin , & le рац-
vre malheureux ne recueille fouvent d'autre
fruit de fa journée que le chagrin
de s'appercevoir qu'on le regarde comme
un impofteur .
A l'autre coin de la rue on voit un
Aveugle qui en a fait le théâtre de fa
bonne humeur . Cet homme manque de
tour , & n'attend que de la charité des
pallans , le pain qui doit lui donner fa
fubfiftance , ainfi qu'à fa femme & à quatre
enfans . Toute fon ambition , fans efpoir
de la voir remplie , eft de trouver
un protecteur qui lui procure les quinze
vingts. Quelle affreufe fituation ! qu'un
homme qui l'éprouve en doit être affecté !
auffi l'eft- il vivement. Cependant penferon
que ce foit par une expofition lamentable
de fa fruation qu'il cherche à remuer
en fa faveur les entrailles des paffans
Non , il s'eft fair un nombre de
formules plus bouffonnes les ames que les
antres ; ce qu'il dit fixe d'attention des
paffans fur lui ; on s'arrête , on le queftionne
, une repartie plaifante eft fa réponſe
, on en rit , on s'amufe un inftam ,
& la charité fe reffent du plaifir qu'on a
pris. Notre aveugle content , redouble de
gaieté pour le premier qui paffera , &
retourne le foir à don grabat , augnacy-
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
ter joyeuſement fa famille. On peut m'ob-
•jecter que l'inexpérience du bien - être
que cet homme n'a jamais goûté , eft
caufe de fa bonne humeur ; j'efpere que
la fuite de cet Ecrit , en détruifant l'objection
, démontrera que c'eft avec raifon
que j'établis les propofitions fuivan-
*tes.
Un fourd eft toujours pour le moins
trifte & mélancolique , fouvent inquiet
impatient , fujet à l'humeur , à charge à
lui - même & aux autres , inutile & embarraffant
dans la fociété : il y a du mérite
à le fupporter , fût- il lui - même d'un
mérite fupérieur & décidé. Que cet état
eft violent !
Un Aveugle fera pour le moins toujours
tranquille ; fouvent il fera gai &
amufant felon le degré & le caractere
de fon efprit , de fon imagination , & de
fon génie qu'il a des occafions continuelles
de faire briller dans la converſation. Il
n'eft à charge qu'à ceux qui par état font
faits ou payés pour lui rendre fervice .
D'ailleurs il peut dans la converfation
être auffi utile qu'agréable à la fociété.
Le développement de ces deux propofitions
ne nous oblige point à confidérer
l'homme dans tous les états où il
puiffe être imaginé ; il fuffira de l'examiFEVRIER
. 1756. GI
ner fous la feule qualité d'homme d'ef
prit & de génie . Si nous développons
cette fituation d'une façon fatisfaifante
on fentira affez ce que l'on doit penſer
fur toutes les autres. La furdité eft une
affliction d'une efpece à l'épreuve de tous
les raifonnemens du Stoïcien le plus décidé.
En effet, un Sourd trouve de fi grandes
difficultés à la diffipation , qu'on peut
dire qu'il n'en trouve les moyens que
dans ce qui fait l'occupation des autres.
Il n'a de plaifir que par le travail , & de
délaffement que par le repos , qui bientôt
devient ennui . Il faudroit donc reprendre
le travail ; mais la fanté en fouffriroit
, l'épuifement des efprits augmen
teroit encore la mélancolie ; & les caufes
phyfiques fe joignant aux caufes morales ,
elles deviendroient extrêmes , & peutêtre
incurables.
Le Sourd le moins malheureux eft celui
qui va s'ennuyer par égard pour les
bienféances établies dans la fociété . Mais
combien y en a-t'il de ce genre ? Quelle
force d'efprit , quel courage , quelle douceur
de caractere ne faut- il pas pour prendre
ce parti ? Il faut pourtant bien qu'il
le prenne pour n'être pas rongé de chagrin
toutes les fois que la bienféance ou
les affaires l'obligent de paroître.
Je fens qu'on va m'objecter qu'un
62. MERCURE DE FRANCE.
-
Sourd qui tient cette conduite , eſt un
fot ; qu'on ne lui demande rien ; qu'on le
fuit même , par l'incommodité dont il
eft dans la converfation ; il le fent , &
c'eft ce qui doit lui caufer le plus de douleur.
Mais ce Sourd a du bien , par conféquent
des affaires qui demandent qu'il
fe produife plus fouvent qu'il ne le voudroit.
Le fuppofera-t'on affez ifolé pour
n'avoir aucun intérêt de famille , même
de bienféance , qui trop fouvent font les
plus à charge pour lui , anfquels cependant
on eft forcé de fe livrer ; s'il a des
enfans , n'eft - il pas obligé de faire des
démarches pour eux , de leur ménager
des amis , des connoiffances , des Protecteurs'
; enfin s'il aime naturellement le
monde & la fociété , que ne doit- il pas
fouffrit de s'en priver abfolument par la
certitude qu'on évite la préfence partout
Tous ces points de vue réunis ne doiventils
pas faire penfer qu'il fera bien moins
A plaindre , s'il prend pour la fociété ces
Tentimens de tendreffe & de foumiffion ,
dont un coeur fenfible eft pénétré pour
une maîtreffe tyrannique & cruelle dont
ilefpere vaincre la refiftance , que s'il fe
livroit fans réferve à une folitude ontrée
qui entraîneprefque toujours la mifantropie
?
Suivons notre Sourd. Si cet homme
FEVRIER. 1756. 63
aime autant l'étude & le travail que nous
lui fuppofons d'efprit & de génie , il ne
s'ennuyera jamais dans fon cabinet , mais
furement il s'y fatiguera. Cherchons à le
diffiper : le conduirons- nous au plus féduifant
de tous les fpectacles , à l'Opéra ?
Certainement l'inftant où la toile fera levée
dai fera plaifir. Il s'amufera de l'enfemble
du coup d'oeil , tant qu'il trouvera de nouvelles
obfervations à faire . Mais que chacun
s'examine , & me réponde de bonnefoi
; fi le premier coup d'oeil de l'Opéra
fatisfait on obligeoir tous les Spectatears
à fe boucher les oreilles de façon
à ne point entendre du tout , croit - on
qu'un feul pût refter jufqu'à la fin du
fpectacle : Non furement ; on s'y ennuieroit
trop , & je me fuis confirmé dans
ce fentiment par une obfervation que le
Public m'a fournie lui - même : la voici .
J'ai affifté aux repréfentations de plufeurs
Pantomimes très- bien exécutées " :
l'effet qu'elles ont produit m'a paru affez
général . On convenoit que cela n'étoit
bon à voir qu'une fois. On en donnoit
plufieurs raifons , dont l'effentielle eft furement
que cela n'intéreffoit point le
coeur , & occupoit trop l'efprit , fouvent
pure perte. Je fçais qu'il y a des geftes
de convention générale , & que tout le
monde entend. Mais quelle application ,
64 MERCURE DE FRANCE.
quelle fagacité ne faut-il pas pour deviner
fur le champ que tel gefte exprime
telle idée , telle affection de l'ame ? L'écriture
bien plus énergique n'a pas ellemême
cette faculté ; car l'inflexion de la
voix , le gefte , l'air , en un mot , dont
on accompagne ce qu'on dit , peut donner
aux paroles plus ou moins de force ,
un fens même contraire à celui qu'elles
préfentent naturellement dénuées de tous
ces acceffoires. L'Opéra n'eft donc pour
le Sourd qu'une Pantomime , par conféquent
ennuyeux , ou du moins un objet
d'étude , une énigme à deviner , ce qui
ne fçauroit s'appeller diffipation . On me
dira fans doute que le livre à la main ,
il fçaura ce qu'on chante ; mais fçaurat'il
fi l'on chante bien ou mal , fi les geftes
font juftes , fi l'on rend bien fon role ;
& compre-t'on pour rien le charme de la
mufique qu'il perdra toujours ? En vain efpere-
t'il que les ballets lui plairont , il
verra fauter fans fçavoir fi l'on danſe ;
car il faut convenir que fans la juſteſſe
de la cadence , les plus beaux mouvemens
ont quelque chofe de bifarre , même
de ridicule. Qu'on préfente à un
Sourd un tableau mouvant qui repréſente
un Opéra , il s'y amufera , parce qu'il fçait
qu'il n'y a d'autre plaifir à prendre que
celui de la vûe , & qu'il eft au niveau des
FEVRIER. 1756. 65
autres à cet égard. A l'Opéra il n'a pas
même la reffource de pouvoir s'imaginer
qu'il ne voit qu'une Pantomime ; les
applaudiffemens du Public , le plaifir que
fes voifins paroiffent prendre , tout le chagrine
& l'irrite. Ainfi le Sourd à l'Opéra
fentira tout le poids de fon infirmité , la
douleur de ne pouvoir juger du fpectacle ;
& c'eft à mon gré , ce jugement qui eft le
plus grand plaifir du Spectateur. Ce que
je viens de dire de l'Opéra me diſpenſe de
parler des autres Théâtres .
Un fourd au jeu , s'il ne l'aime pas , eft
très à charge aux autres & à lui- même ;
s'il l'aime , il eft au moins très- incommode
aux autres , & a beaucoup à fouffrir
des queftions qu'il eft obligé de faire.
La promenade eft une foible diffipation
forfque la converfation ne l'égaie
pas . Tous les jours on entend dire , je
m'y fuis ennuyé , je n'y ai trouvé perfonne de
connoiffance. Un fourd eft dans une polition
bien plus trifte. Il y trouve fes amis ,
les voit , & ne peut profiter de leur rencontre.
On fent que cela ne peut arriver
fans qu'il en reffente du chagrin. Le voi
là donc réduit pour faire de l'exercice ,
à chercher les endroits folitaires , à s'y
enfoncer dans la méditation ; alors n'eftpas
à craindre que la promenade , bien il
66 MERCURE DE FRANCE.
doin d'être utile à fa fanté , ne devienne
pour lui une dépenfe d'efprit plus grande
peut-être que celle qu'il feroit dans fon
cabinet , parce qu'elle fera double ? Je l'ai
éprouvé.
La chaffe n'eft un plaifir qu'autant
qu'elle eft une efpece de fureur ; tout le
monde n'en eft pas poflédé. Tout le monde
d'ailleurs n'eft pas à portée de fe fatiffaire
fur cet article . J'ai toujours beaucoup
aimé l'exercice , & je n'ai jamais pu
comprendre comment on peut trouver
du plaifir à courir pendant des heures entieres
un fufil fur les bras , pour revenir
chez foi le foir excédé de fatigue , croté ,
mouillé depuis la tête jufqu'aux pieds ,
& n'avoir fait autre chofe que tuer quelques
animaux. Si un Chaffeur poli fe contente
de me plaindre de ne pas fentir le
même plaifir que lui , il conviendra auffi
que je ne fuis pas feul de mon fentiment.
D'ailleurs on avouera qu'il faut entendre ,
pour bien chaffer & avoir tout le plaifir
qui peut réfulter de cet exercice.
La plus fure & l'unique diffipation que
je voye pour un Sourd , eft l'exercice du
cheval , s'il eft affez écuyer pour y prendre
un véritable plaifir , parce qu'il ne
fant point entendre pour raifonner avec
cet animal , avec lequel il y a des railonFEVRIER.
1756. 67
nemens à faire plus fins & plus fubtils que
le commun des hommes ne penfe , & dont
le fuccès dans chaque gradation gagnée ,
fait un plaifir vif & fenfible pour l'écuyer.
Mais cela convient- il à tout le monde &
à tout âge ?
J'ai lu quelque part ; a l'ame & le coeur
ne font point faits pour ne jouir que
» de leur propre bien ; trop foibles ou trop
» refferrés ils n'en peuvent foutenir la fé-
» condité. Il faut qu'il s'en échappe felon
» ce qu'il s'en produit , & fe faifant ainfi
» d'homme à homme une communication
de penſées & de fentimens , ces
» penſées & ces fentimens , fi les impref-
» fions en font agréables , forment entr'eux
les fociétés , comme elles en de-
» viennent l'obftacle , fi elles ne le font
» pas.
Cela ne peut s'entendre que de la converfation.
Elle eft le véritable commerce
d'ame à ame , la véritable communication
de penfées & de fentimens , communication
qui fait , fans contredit , un
de nos plaifirs les plus vifs , & le lien de
toutes les fociétés. Car fi cette communication
fe fait par tout autre fecours , par
l'écriture , par exemple , ce n'eft plus une
fociété , c'eft une correfpondance ; l'efprit
peut s'en fatisfaire , mais le fenti6S
MERCURE DE FRANCE.
ment trouve toujours qu'il y perd , & il
eft la principale fource de nos plaifirs.
Delà , en partie , l'effet fi différent de
quelques Tragédies ou Comédies dans la
tranquillité d'un cabinet , ou dans l'appareil
du théâtre , & de certains rôles joués
par un bon ou par un mauvais Acteur.
Le Lecteur peut voir mieux ; mais l'Auditeur
& le Spectateur fentent plus vivement.
>
En faut- il davantage pour convaincre
qu'un Sourd eft un être exclu de toute
fociété ; que cette exclufion lui doit être
très-fenfible & d'autant plus fenfible
qu'il aura plus d'efprit , de lumiere &
de fentiment ; qu'il lui eft par conféquent
impoffible de n'être pas rêveur dans une
compagnie ; trop heureux ' encore fi fes
rêveries ne portent pas fur les inconvéniens
de fon infirmité. Un de ces inconvéniens
eft que toujours , ou presque
toujours réduit à foi - même , on contracte
un air fombre & trifte . Cet air eft toujours
pris pour un fentiment actuel de
trifteffe. Tous les jours on attaque un
Sourd en lui difant : Mais pourquoi cette
trifteffe ? Faut-il s'affliger des maux fans remede
? Fous devriez vous rendre plus Philofophe
fur votre infirmité Je fuis perfuadé
que fi le Sourd eft homme d'efprit , la
FEVRIER, 1756. 69
politeffe feule ou la modeftie l'empêchent
de répondre : pourquoi ne fuis - je pas
un for ? car tout ce qu'on lui dit , n'eft ni
dans la nature , ni même dans la philofophie.
La premiere s'oppoſe à l'infenfibilité
fur nos maux perfonnels , & la feconde
ne peut procurer une fermeté qui
nous empêche d'en être accablé , fi la nature
ne nous a donné une force d'organes
intellectuels qui ne s'acquiert point , &
qui lors même qu'on en eft doué , ne
peut exclure la fenfibilité. D'ailleurs n'eftce
point là abufer du nom de Philofophe
? Car enfin qu'eft- ce qu'un Philofophe?
C'est un homme qui approfondit les paffions
, qui cherche à corriger leurs écarts.
à les diriger vers le but où elles doivent
tendre fans enfreindre ce qui eft du à
l'Etre Suprême & à la fociété ; un citoyen
, en un met , qui cherche à être
auffi utile au genre humain qu'à lui- même.
On peut foupçonner tout ce qui ne
va pas là d'être plutôt l'ouvrage de l'orgueil
ou de l'intérêt perfonnel , que le
fruit de la Philofophie.
Mais fans pouvoir être d'une utilité générale
au genre humain , qu'il eft trifte
pour un fourd de fe dire : Sans ma furdité
j'aurois couru telle carriere ; j'aurois été utile
à mapatrie; mon malheur m'a rendu inu70
MERCURE DE FRANCE.
tile aux autres & à moi - même . Il n'y a
point de philofophie qui puiffe empêcher
cette réflexion d'être accablante pour un
homme qui a des entrailles .
La fuite au prochain Mercure.
PORTRAIT DU ROI.
Dreux ! quel charme puiſſant vers ce palais.
m'attire !
Mon ame s'en émeut ; le trouble de mes fens
Sufpend les accords de ma lyre.
Mufe , réveille- toi , ranime mes accens ;
Tu fçais à qui je dois mes voeux & mon encens :
Redouble mes tranfports , féconde mon délire.
LOUIS , dans ces beaux lieux , devient mon Apol
lon ;
Sa Cour va déformais être mon Hélicon :
Je fens que c'est lui qui m'inſpire.
La douceur , la bonté de ce Roi généreux ,
Digne de commander à tout ce qui refpire ;
Son gout pour les beaux Arts , fes nobles foins
pour eux ,
Excitent les talens , font les fuccès heureux.
A lui plaire il n'eft point de Mufe qui n'aſpire .
Son front toujours ferein , fon air majestueux ,
Son regard impofant , fon affable fourire ,
Tout me rappelle en lui le fouverain des Dieux.
FEVRIER. 1756. 71
Semblable à Jupiter , s'il fçait lancer la foudre ,
Renverfer les Titans , & les réduire en poudre ,
Il eft des autres Dieux l'image tour à tour.
Aux combats, tel que Mars, nul péril ne l'étonne;
Minerve à fes confeils préfide & l'y couronne ;
Jufques dans fes loisirs des coeurs il eft l'amour ;
De Diane en fes Jeux tout l'éclat l'environne ;
Aux bienfaits qu'il répand il eft l'aftre du jour.
Si dans la guerre il fait redouter fon empire ,
Quand il donne la paix tout l'univers l'admire ;
Le bonheur des humains eft pour lui précieux.
Pour prix de cet amour , pour le repos du monde,
Que fa poftérité , de plus en plus féconde ,
Imitant fes vertus , s'accroiffe fous les yeux ,
Et pour mieux l'égaler furpaffe fes ayeux !
Qu'à tous fes voeux le deftin obéiffe .
Mufes, que nos concerts l'élevent juſqu'aux Cieux.
Que de fon nom l'Olympe rétentiffe ;
En eft-il un plus grand , plus glorieux ?
Et tandis que l'envie en frémit , en foupire ,
Que nos voix , que nos chants ne ceffent de redire
:
Rendre fon peuple heureux , & s'en voir adoré,
Vaincre fes ennemis , en être révéré ,
Au Temple de la paix enchaîner la victoire ,
C'est ce que l'avenir à peine pourra croire ,
C'eft ce qui de LOUIS , peint par la vérité,
72 MERCURE DE FRANCE.
Dans les faftes des Rois diftinguera l'hiſtoire ,
Et tranfmettant partout d'âge en âge fa gloire ,
Confacrera fon regne à Pimmortalité.
AU RO I.
A Te peindre en mes vers , grand Roi , j'ofe
prétendre ;
Ta modeftie en vain fembleroit le défendre ,
Elle-même eft un nouveau trait
Qui de ce fidele portrait
Vient embellir la reffemblance.
Mais fi tu ne le vois qu'avec indifférence ,
A la faveur de ces crayons divers ,
Mon zele aura du moins l'aveu de l'Univers.
A M. de **
VERS
pour prouverque la Conftance
eft une trahison contre la nature ; on fent
que ceci eft unfimple jeu d'efprit ; par M.
de Baſtide.
A Mi , dont la main toujours pure
Voudroit pefer avec févérité
La bienfaifante utilité
Des loix de la nature ,
Cher ami , fouffre que mon coeur
Ofe à la fin fentir & te répondre.
J'arrache
:1
73
FEVRIER. 1756.
J'arrache aux préjugés leur éclat impofteur ,
Je vais penfer enfin : fi je ſuis dans l'erreur,
Je te permets de me confondre .
Où crois-tu me conduire ? à d'éternels tourmens
Par une prudence ftoïque
Tu voudrois limiter le cours des fentimens.
Entends la voix de tes propres penchans,
Et d'un efprit philofophique
Sonde la profondeur de mes raiſonnemens.
L'homme eft né libre ; il lui falloit un maître ,
Un maître qu'il aimât , qui fçût le gouverner ;
En a- t'il un ? fans doute , & tu vas le connoître ,
C'eſt l'univers. Dieu voulut l'enchaîner
Par une ombre
d'indépendance
Qui prit la fource au ſein de la diverſité ;
Il fe croit toujours libre , & cette confiance
Accélere , & commence
La perte de fa liberté.
Une flatteufe avidité
Devient pour lui comme une chaîne immenſe
,
Qui lie à tout fon coeur , fes goûts , la vanité,
Par le charme de l'efpérance
,
Et par l'attrait plus fort de la légéreté ;
Tout jufqu'à fes plaifirs forme fa dépendance.
Si rebelle à ce tout qui pique fes penchans ,
Il place fa raiſon à refferrer ſon être ,
En réprimant fes fentimens ,
Ofons le dire , alors l'homme eft un traître;
D
74 MERCURE DE FRANCE.
Infidele à tout l'Univers ,
Ingra tenvers fon coeur dont la conftante étude
Etoit de déguifer les fers
Sous la féduifante habitude
De tant de fentimens divers,
Il devient à la fois , perfide & miférable
Né pour fentir toujours ce goût inſatiable
Qui nous livre au beſoin d'aimeṛ
Se laiffera-t'il enflammer
Par quelque objet bizarrement aimable ,
Dont tout le foin fera de l'attacher
Par un lien peut -être déteftable ,
Uniquement pour l'arracher
Au gout fenfé d'une ivreffe adorable ?
Non ,fur nos coeurs , tout plaifir a fes droits.
L'homme eft né pour changer , & rien ne l'en
difpenfe ;
Il eft injufte s'il › balance ,
Il eft ingrat s'il fait un choix.
Je fçais que ce fyftême engage
Un coeur qui veut en faire uſage
A la néceffité d'être toujours conduit
Par une machine volage ;
Mais la néceffité n'eſt plus un eſclavage ,
Quand le plaifir en eft le fruit.
FEVRIER. 1756. 75
DISSERTATION
Du même Auteur.
Sur les égards qu'une femme doit à un galane
homme quiluifait une déclaration d'amour.
Elle nous a été adreffée par la Dame à qui
M. Baftidea écrit la lettrefuivante.
LETTRE "
A Madame de *** en lui envoyant cette
Differtation.
Folle & jolie à l'excès , mais raiſonnable
lorsqu'il faut l'être , je ne vois que
vous qu'il me convienne de confulter fur
le petit ouvrage que je vous envoie . Vous
m'avez appris que la femme la plus folle
a toujours de la raifon pour fes amis :
employez la vôtre à me juger & à me
confeiller. Je crains que ma fincérité ne
me faffe des ennemies . Votre fexe s'offenfe
aifément ; c'eſt à la plus jolie femme,
c'est -à-dire , à celle à qui on doit plus d'égards
, à prononcer fur le droit des autres.
Voyez fi je puis en confcience publier
cette Differtation ; prononcez fans complaifance
, lorfque vous ferez fure d'avoir
lu avec attention. Vous ferez étonnée
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
de ma prudence extrême ; vous me croirez
amoureux ? tout ce que je puis vous
dire c'eft que je ne le fuis pas , & que
je voudrois l'être. C'eft un état qu'on eft
forcé de fouhaiter lorfque l'on a à fe reprocher
d'avoir épuifé les plaifirs. Mais
j'en attends vainement le miracle puifque
vous ne l'avez pas fait ; je vous ai
connue trop tôt , & j'ai penfé trop tard.
Vous êtes trop près de l'amour pour concevoir
combien il devient néceffaire à un
certain âge ; malheureuſement ce n'eft pas
lorfqu'on l'appelle qu'il vient : il fe fait
connoître & ne fe fait point fentir ; trifte
fituation , mais qui vaut encore mieux
qu'une ennuieufe & cruelle indifférence !
Quant à l'étonnement que pourra vous
caufer ma fubite circonfpection envers les
femmes , il fera naturel & me fervira de
reproche du paffé . Je vous avoue aujourd'hui
que je ne comprends pas comment
j'en ai pu dire beaucoup de mal , car j'en
ai toujours penfé beaucoup de bien . C'eſt
le ton du jour , on eft entraîné , on ſe
fait lire , & le fuccès féduit. Ce qui me
confole , c'eſt
mille gens ,
que & qui pis
eft , mille écrivains en ont dit beaucoup
plus de mal que moi , qui les connoiffoient
beaucoup moins.
FEVRIER. 1756. 77
DISSERTATION.
Une petite difpute ingénieufe & galante
qui s'éleva hier à un diner dont j'étois ,
a donné lieu à cette Differtation. Un
homme d'efprit , très- connu , avoit avan
cé dans la converfation , qu'il n'y avoit
point de femme qui fût difpenfée de répondre
, avec une politeffe pleine d'égards
, à un galant homme qui lui faifoit
une déclaration d'amour. Une Dame de
beaucoup d'efprit , & qui en aime l'éclat ,
ne voulut pas convenir de cette vérité fi
fenfible ; elle étoit fure de fe faire écouter
avec plaifir en difputant , & elle dif
puta contre fa propre opinion , parce qu'il
eft difficile de facrifier des avantages publics
qui fe forment des plaiſirs que
l'on
fait naître.
Je ne m'aviferois pas de traiter férieufement
cette matiere , fi nos droits ne nous
étoient jamais conteftés par des motifs
plus finceres & plus défobligeans. Ce
feroit attenter aux charmes des aimables
faillies , montrer un efprit froid & pointilleux
, & mériter que la vérité que je vais
défendre ceffât d'être un droit pour moi.
Toutes les femmes ne reffemblent pas
à celle dont je parle ; toutes n'ont pas
comme elle , la liberté de tout dire ; tou-
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
tes ne méritent pas qu'en les voyant défendre
une fauffe opinion ; on refte perfuadé
qu'elles ne difent pas ce qu'elles penfent
, & que ce n'eft qu'une nouvelle façon
de paroître aimables.
Il en eft de fieres, qui regardent l'amour
comme une offenfe ; il en eft de vaines ,
qui l'envifagent comme un droit ; il en éft
de fauffes qui n'ayant point de vertu ,
mais beaucoup de motifs coupables , veulent
fe cacher fous l'impertinence & y
mettre leurs intrigues à l'abri de la pénétration
.
En écrivant pour ces femmes, cette Differtation
devient raifonnable & prefque
utile. Il eft honteux pour elles qu'elles
nous contraignent à leur prouver que deux
& deux font quatre ; il le feroit bien plus
qu'elles perfiftaffent dans leur fottife &
leur hypocrifie , après que j'aurai publié
cet écrit , & je m'y attends
De tout temps l'amour fut le lien le
plus doux & le plus néceffaire. Si l'on regardoit
fes abus comme fes effets naturels
& inévitables , il faudroit conclure
contre fon principe , & alors la nature ne
feroit irréprochable dans aucune de fes
parties. Comme on peut abufer de tout ,
elle auroit tout fait pour notre malheur ;
tous fes bienfaits feroient des préfens tri
FEVRIER. 1756. 79
minels & funeftes ; fyftême abfurde &
cruel qu'il faudroit abandonner à l'ineptie
& à la férocité d'un Législateur Caraïbe ,
s'il pouvoit y avoir une Nation affez
barbare pour croire que l'amour n'eft pas.
dans fon principe le bienfait d'une main
divine.
Les hommes ont abufé de l'amour ;
ce n'eft pas le point dont il s'agit. Je dis
fimplement que la fource en étant pure ,
il doit être refpecté dans un galant homme,
par celle qui l'inſpire , parce qu'il
a dans un coeur droit toute fa pureté , &
que ce refpect eft autant un acte de juf
tice que la reconnoiffance des fervices ,
l'inviolabilité des fecrets confiés , & l'attention
confolante aux prieres d'un malheureux
qui gémit & dont on cauſe les
peines.
Qu'il me foit permis de donner au je
vous aime d'un honnête homme toute
l'extenfion qu'il a ; il fignifie exactement ,
j'étois tranquille , & je ne le fuis plus ; votre
idée a fait difparoître tout ce qui m'occupoit
, tout ce qui me plaifoit , tout ce qui
étoit à moi. Le feul bien qui me refte , lefeul
du moins qui ait un prix à mes yeux , c'eſt
un plaifir qui m'attache à vous , une douceur
feduifante que je goûte à vous souhaiter &*
à vous voir. Je vous aime fi tendrement
Div
Se MERCURE DE FRANCE.
que j'ai prefque la témérité de croire que
l'amour peut fe mériter . Il n'y a que lorf
que je vous vois , que je vous parle , que je
vous regarde , que vous me regardez , qu'à
force d'etre touché , pénétré , enchanté , jefens
que tout le mérite de mes fentimens n'est pas
un moment comparable au feul plaifir de les
éprouver . Je vous dis ce que je penfe, commeje
voudrois que vous me diffiez ce que vous
penfez , fi j'avois le bonheur de vous plaire.
Voilà mon coeur , tous mes voeux , toutes mes
penfees , tout mon être ; prononcez , & mon fort
fera décidé. Heureux ou malheureux pour
jamais ! je ne puis plus être que cela !
C'est ainsi que s'exprimeroit un homme
vrai , un homme fincérement amoureux
, s'il avoit le temps de dire tout ce
qu'il fent lorfqu'il dit , je vous aime . Je
deinande à préfent , s'il eft poffible de
repondre fierement à un tel homme fans
manquer à l'humanité . C'eft pourtant ce
qui arrive tous les jours. J'ai vu des femmes
trop honorées du moindre foin , d'un
feul regard , s'armer d'une hauteur infolente
à la moindre marque d'amour.
Dans la plupart des prudes , ce dédain
méprifable fe tourne fouvent en fervice.
Un confident , un ami indigné va aux informations.
Une longue fuite de foibleffes
, d'intrigues , de perfidies , eft le taFEVRIER.
1756. 81
bleau dans lequel on lui repréfente le vertueux
objet qu'il cherche à connoître . Il
peint à fon tour dans les tranfports d'une
jufte indignation , & bientôt l'amour éclairé
par l'amitié , fe venge par un mépris
terraffant d'une fierté audacieuſe.
Il feroit trop long d'attaquer en forme
& féparément , toutes les femmes que
je condamne dans le point dont il s'agit .
Renfermons toutes mes réflexions , tous
mes confeils , dans un raifonnement court
& fimple ; apprenons- leur ce qu'elles doivent
être , en leur apprenant ce qu'elles
font & ce que nous fommes .
De beaux yeux , un beau teint , une
belle bouche , de belles dents , une jolie
taille , de l'efprit , des talens , &c. affurent
aux femmes un empire délicieux , & l'on
peut dire , fans enthoufiafme , que celle
qui réuniroit tous ces dons féduifans
pourroit fe regarder comme la premiere
fouveraine du monde. Mais tous ces dons
feroient perdus fans l'amour. C'eft l'amour
qui affure le fceptre à la beauté :
fans lui , loin de donner des loix , elle
en recevroit elle même. L'homme eft né
avec un penchant décidé à être le premier
& le maître ; s'il n'aimoit pas , il feroit
le plus fort , & l'efclavage deviendroit
la condition des femmes . La beauté
D v
81 MERCURE DE FRANCE ;
feroit fans ceffe obligée de fe faire un
nouvel art de plaire , pour adoucir notre
caractere par le charme des défirs :
elle éprouveroit fouvent dans l'humiliation
l'impoffibilité de réuffir , & toute fa
récompenfe feroit d'avoir fufpendu pour
quelques momens les tourmens de la
fervitude .
Je ne fuppofe point une chimére . J'en
appelle à un nombre de femmes charmantes
, affez bonnes pour être fidéles à leur
mari , & affez malheureufes pour être
liées à un mari fans amour. Si nous étions
fans tendreffe , nous aurions les moeurs
des maris ; nous ferions fans galanterie ,
fans reconnoiffance & fans équité.
La plupart des femmes s'imaginent
qu'une coeffe eft une couronne. Elles fe
trompent , & pour leur bonheur il eft
néceffaire qu'elles fe défabufent. Elles regnent
par notre choix , par notre volonté.
Nos fentimens ne font point , comme
elles le penfent , cette foumiffion inévi
table des empires où regne le defpotif
me. Pour fe détromper de l'opinion fauffe
& orgueillenfe qu'elles ont de notre foi
bleffe , elles n'ont qu'à refléchir à la difficulté
qu'elles trouvent à nous rendre fidéles.
Elles confondent l'amour avec les dé
firs ; erreur étrange dont la durée eft le
FEVRIER. 1756. 83
vifible effet de l'orgueil ! Nos défirs ne
décident point leur empire . Un mari a
des défirs ; à quoi cela mene - t'il une femme?
quel droit cela lui donne - t'il dans fa
maiſon Elle fert aux befoins d'un maître
qu'elle ne rend point heureux , & fa
beauté n'éprouve que des outrages dans
le fein du plaifir. Les défirs font de l'état de
l'homme ; & il en éprouve néceffairement
& plus ou moins , fuivant fa conformation .
Pour en infpirer , il ne faut pas être belle .
Ils ne prouvent point une préférence , ils
ne font point un engagement , & conféquemment
ne donnent aucun titre.
Que l'amour eft différent ! Il naît pour
couronner la beauté ; il la publie & la fait
reconnoître. Le droit d'une jolie femme
eft quelquefois contefté ; l'amour lui fere
de défenfeur ; il prouve qu'elle a droit de
régner puifqu'elle eft adorée . Un être auffi
bienfaifant , aura- t'il trop de présomption
de prétendre aux égards.
Toutes les femmes infpirent des défirs ,
La nature les fit pour cela ; auffi beaucoup
de celles qui n'infpirent rien de plus , fontelles
intérieurement humiliées & piquées
de faire une forte de métier. Combien y
en auroit-il qui feroient réduites à cette
claffe obfcure & commune , s'il ne s'étoir
préfenté un amant pour les tirer de la
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
foule ! On convient qu'il y a des femmes
qui fans être mal , ne peuvent pourtant fe
faire aimer. Quel fervice ne leur rend- on
pas alors , & quelle reconnoiffance ne mérite
point ce fervice !
On eût été réduite à regretter toujours
d'être née avec un coeur fenfible & délicat
, à dévorer dans le fecret la gloire d'une
amante célebrée , à fécher d'ennui &
de douleur vis -à- vis de deux amans heureux.
L'amour vient de changer les cyprès
en lauriers , & les douleurs en plaifirs .
Lindor fe préfente avec toutes les marques
de la plus vive tendreffe , le fentiment
& le reſpect font dans fes yeux , la
fincerité eft fur fes lévres ; il dit qu'il aime,
& en demandant d'être aimé, il rend heureufe
une ame qui , par la loi diftributive
& irrévocable de la nature , ne pouvoit
l'être que par lui.
On fe repréfente aifément une femme
dans le tranſport d'une fituation fi douce ,
fi touchante , fi flatteufe. On la voit , pénetrée
d'un bonheur dont elle avoit toute
l'idée , & dont elle n'efperoit pas la douceur,
fe livrer à la furprife , au plaifir , à l'attendriffement
& exprimer des yeux ce
qu'elle penfe , en craignant modeftement
d'avouer ce qu'elle fent . Cette aimable ingenuité
eft refpectable : elle acquitte l'aFEVRIER.
1756. 85
&
mour fans offenfer la vertu ; les efprits les
plus féveres ne peuvent la condamner ,
les coeurs les plus amoureux y puifent encore
des leçons d'amour.
Mais qu'on fe repréfente au contraire
une femme dans une pareille fituation ,
avec les mêmes idées & les mêmes mouvemens
, affez maîtreffe de fon efprit pour fe
compofer un mafque , pour s'impofer une
fierté fauffe , pour fubftituer aux témoignages
tacites d'un plaifir qu'elle peut
laiffer paroître fans l'avouer, les expreffions
& les airs de la dignité , parce qu'elle fe
fera preferit de paroître infenfible , c'eſtà-
dire d'être prude. On fera révolté , indigné
, & l'on fe croira autorifé à lui fuppofer
une ame très- fauffe , très-méprifable
& très-indigne du bonheur qui lui eft offert.
On s'attache tous les jours à des femmes
qui ne font point jolies , & qui n'ayant
point l'art de paroître aimables , doivent regarder
une déclaration d'amour , lorfqu'elle
eft fincére , comme un honneur qui vient
les chercher. Il a fallu qu'un homme prît
la peine de fouiller dans l'intérieur , employât
fa raifon & fon bon efprit à difcerner
des qualités eftimables , & qu'il eût la
modeftie de s'en contenter , dans un fiecle
où toutes les femmes font charmantes &
86 MERCURE DE FRANCE.
où leur fureur de plaire donne le droit d'e
tre difficile , & même de choisir,
J'en veux repréſenter un , né folide
délicat , vertueux; il lui faut un objet dans
lequel il puiffe fe reconnoître , s'applaudir
& fe retrouver fans ceffe. C'eſt dans fon
coeur qu'eſt le goût & le befoin d'un attachement
; il lui faut des fentimens & des
plaifirs que l'eftime , la confiance , l'amitié
puiffent rendre permanens. Il a foupçonné
Araminte de pouvoir lui faire ce
bonheur vertueux dont il eſt fi digne ; il
s'explique ; fa réputation garantit fa fincérité
& l'honnêteté de fes fentimens : Araminte
le croit fincere , mais elle eſt élevée
dans des principes de hauteur qui lui
font enviſager une déclaration d'amour
comme une offenfe , & elle répond fans
égards au plus eftimable homme du monde
; elle humilie celui dont l'hommage
devoit la flatter : ce procédé , car c'en eft
un , eft digne du mépris.
Il eft une autre eſpèce de femmes fieres
dont je me garderai bien de ne pas parler.
Ce font celles qui encenfées ridiculement
dès le berceau , croient que les aimer c'eft
leur payer un tribut. Leur préfomption ne
feroit pas tout-à-fait folle, fi elles faifoient
des exceptions : mais elles n'en font point ;
& confondant l'homme droit , l'homme
FEVRIER. 1756. 87
fenfé , l'honnête-homme , avec ces étourdis
, ces parafites , ces fots brillans , qui
leur fifflent fans ceffe des airs d'amour
elles s'autorifent à méprifer , rejetter , publier
même les fentimens des premiers
comme elles font les fadeurs des autres ,
par le fyftême conftant d'un amour-propre
effréné fur les aîles duquel elles fe font
une fois pour toutes élevées aux nues.
à
Il ne feroit pas jufte que m'étant armé
contre les autres d'un efprit ferme & vrai ,
je careffaffe celles qui fourniffent le plus
la critique. Je fuis donc obligé de leur
dire que leur prétention eft ridicule autant
qu'injufte , & qu'il n'y a point d'honnêtehomme
dont l'amour ne les honore. Que
trente fats difent à la ronde , à une femmequ'elle
eft charmante , adorable , qu'un
de fes regards eft un prix trop flatteur de
leurs plus tendres foins ; qu'elle le croye
& qu'elle foit impertinente avec eux , à
la bonne heure ; mais qu'elle prenne le
même ton , & faffe les mêmes réponſes.
à un infortuné qui eût vécu tranquille ,
qui ne le fera plus , qui s'eft livré à la
feule paffion qu'il étoit peut - être capable
de fentir , qui ne fe confolera jamais
d'être mocqué , & qui , fi elle lui avoit
parlé avec raifon , avec douceur , feroit
peut- être parvenu à fe confoler de n'être
88 MERCURE DE FRANCE.
pas aimé , & à fe guérir ; c'eft le procédé
d'une ame dure , & le ridicule d'une forte .
J'ai dit & je répete pour conclure , que
la beauté , les talens , les qualités les plus
aimables ne font point un droit inné de
fouveraineté. Une déclaration d'amour
fera donc toujours un hommage libre , un
tribut flatteur & très- flatteur. Elle fignifie,
Vous régnez & votre couronne eft un préfent
de mon coeur ; vous avez fur moi un pouvoir
abfolu , mais c'est un pouvoir que je vous
donne. Si elle eft prononcée avec l'air de
la candeur , & tournée avec une certaine
fineffe , les plus grands égards , & je dirai
même la reconnoiffance , deviennent le
droit de celui à qui le grand amour vient
de l'arracher .
Si un héros fameux voyoit s'affembler
autour de lui un nombre d'hommes vertueux
qui vinffent dans l'admiration de fa
gloire fe vouer à lui , & lui demander des
loix , & qu'il leur répondît & les renvoyât
avec une hauteur méprifante , y auroit- il
quelqu'un dans la nature entiere qui ne
fût indigné d'une action fi barbare ? Tout
ce que je pourrois dire encore eft renfermé
dans cette comparaifon dont je ne crois
pas que les femmes puiffent s'offenfer.
Il feroit ridicule de m'oppofer les dangers
de l'amour & les préceptes de la moFEVRIER.
1756 . 89
rale . Je ne demande pas qu'en répondant.
poliment on s'engage ; conféquemment
que l'amour foit dangereux & interdit tant
qu'il plaira de le dire , cela ne diſpenſe
pas d'être polie.
Il n'y a rien à répondre à cela ni à tout
ce que j'ai avancé ; c'eft ici une de ces
vérités de fait qui ont toutes leurs preuves
dans le cri de la nature. Il feroit affreux
que quelques femmes m'objectaffent que
l'amour eft infurmontable , & qu'elles concluffent
de ce qu'il nait en nous malgré
nous-mêmes ; qu'il leur eft permis de parler
à un amant qui fe déclare comme un
Afiatique parle communément à des eſclaves
qu'il vient de foumettre . Je ne veux
pas fuppofer une maxime , une cruauté
une arrogance dont la feule idée fait
frémir.
VERS
D'un garçon perruquier à fes pratiques.
Contemplez- Ontemplez -vous dans ces miroirs ,
Voyez dans leurs glaces polies
Les fleurs de votre teint naître fous nos rafoirs.
A l'air des phyfionomies
90 MERCURE DE FRANce.
L'indocile cheveu fe prête artiftement.
Si les cizeaux ou la nature
Vous dépouillent de l'ornement
D'une brillante chevelure ,
Nous vous rendons fouvent plus que vous ne
perdez :
Nous fçavons vous parer des cheveux d'une belle
Et nos doigts , par l'art fecondés ,
Prêtent à la jeuneffe une grace nouvelle .
Plus habiles encor nous réparons l'affront
Que l'injure des ans imprime fur un front.
Le doux fommeil ferme en vain nos paupieres,
Ce tronc ( 1) nous voit fouvent paffer les nuits en
tieres .
Confultez ce muet témoin
De nos veilles & de nos peines.
Puiffiez -vous dans fon fein dépofer nos étrennes ;
Et dans vingt ans encor prendre ce noble foin.
Par L. R.
(1) Les Versfont fuppofés être expofés dans la boutique.
Ju k
FEVRIER. 1756. 91
LES SONGES.
TIRADE CHANTANTE.
Air : Prends , ma Philis , prends un verre.
QueUe la nuit m'a paru belle !
Que de plaifir j'ai goûté !
J'ai vu le portrait fidele
De l'aimable vérité.
La douceur étoit près d'elle ,
La raiſon , le foin , le zele ,
La vertu , la probité.
Sommeil couvre ma prunelle ,
Fais pour ma félicité ,
Qu'en tes bras je me rappelle
Ces momens de volupté.
Daphnis m'aimoit fi tendrement , Ö6.
J'ai rêvé quel enchantement !
Que les époux fages , fideles ,
Suivant l'efprit du Sacrement ,
Vivoient comme des Tourterelles.
Ils s'embraffoient fi tendrement ,
Qu'ils me plaifoient infiniment.
J'ai rêvé toute la nuit , &e.
J'ai rêvé qu'un Procureur
Difoit à certain Plaideur ,
* 92 MERCURE DE FRANCE.
La confcience eft mon lot,
Vous me donnez trop :
Reprenez ces cent écus ,
Car ils ne me font pas dûs.
bis.
A la foire , à la Courtille , &c.
J'ai révé qu'un pauvre diable
Injuſtement arrêté ,
Devant un Juge équitable ,
Recouvroit la liberté
Si défirable ,
Quoiqu'il fût préſenté
Par un Notable.
Sans le fçavoir , & c.
J'ai rêvé que le petit Maître ,
Se repentant d'avoir pu l'être ,
Etoit changé du blanc au noir :
Que la coquette infupportable ,
Ne confultoit plus de miroir
Et qu'elle étoit vraiment aimable
Sans le fçavoir.
Chacun à fon tour ,
J'ai rêvé que le vieux Timante
Offroit , non pour être loué ,
Prefque tout fon bien à Dorante ,
Que la fortune avoit joué :
&c.
Vous m'avez , dit-il , dans ma difette
Soutenu ; pour moi , l'heureux jour !
FEVRIER . 1756. 931
Chacun a fon tour ,
Liron , lirette :
Chacun a fon tour.
Le tems eft calme , & le vent eft doux , &c.
J'ai rêvé que le Commerçant
A dix pour cent ,
Sçavoit borner fon profit ,
bis.
Sans rien gagner fur le crédit .
Que le Financier ,
Jadis au coeur d'acier ,
Devenoit plus humain , plus traitable.
Que le Sénateur ,
Abjurant la fadeur ,
S'annonçoit noblement ,
Et qu'il étoit charmant
Au fpectacle , au palais , à table.
L'amour eft de tout âge , &c.
J'ai rêvé que le courtisan ,
Lorsqu'il s'agiffoit d'un fervice ,
Tout auffitôt formoit le plan
De vous être utile & propice ;
Que lorsqu'il vous ferroit la main
Pour prouver l'eftime parfaite ,
Vous étiez fûr le lendemain
De voir l'affaire faite..
94 MERCURE DE FRANCE.
Blaiſe , revenant des champs , &6.
J'ai rêvé que le clinquant
Etoit mourant : bis
Que l'efprit jufte & fçavant
L'avoit , fans offenſe ,
Réduit au filence .
Lerrela , lerrelanla , & c .
J'ai rêvé qu'on ne cherchoit plus
En fait d'Hymen , cent mille écus
Qu'on s'attachoit au caractere ,
Lerrela , lerrelanlere ,
Lerrela ,
Lerrelanla.
:
Ma pinte , & ma mie , o qué , &c,
J'ai rêvé que l'on avoit
De la complaifance :
Que perfonne ne mentroit
De l'indifférence:
Que poliment on parloit ;
Qu'aucun ne fe déclaroit
Pour la médifance ,
O gné,
Pour la médifance.
Pour toucher fon Isabelle , &c.
J'ai rêvé que l'opulence
Prenoit foin de
l'indigence ,
FEVRIER. 1756.
95
Sans jamais crier hola : a , a , a , 2, 2,
Qu'on excitoit la fcience
En lui donnant de çela : a , a
Qu'elle étoit fans fuffifance ,
M'auriez-vous attendu là ? a
· a , a, a;
a; a a
> •
Quandla Mer ronge apparut , &c .
J'ai rêvé que les Abbés
Dans le goût du Sage ,
Des efcaliers dérobés
Condamnoient l'uſage :
Que de leur maintien confus ,
Ces Meffieurs ne donnoient plus
Dans la dé , dé , dé ,
Dans la cou , cou , cou
Dans la pu , pu , pu ,
Dans la dé ,
Dans la cou ,
Dans la pu ,
Dans la découpure ;
L'agréable augure !
Suivons , fuivons tour à tour , &c.
J'ai rêvé que les familles
S'aimoient véritablement :
Que les garçons & les fille's
Partageoient également :
Qu'ainfi les ris & les jeux
Eroient faits pour eux,
96 MERCURE DE FRANCE.
Et voilà comme l'homme , &c.
J'ai rêvé qu'on ne portoit plus
Cent colifichets fuperflus :
Qu'on s'habilloit avec décence ,
Sans outrer la magnificence :
Que les revenus , les produits
Faifoient voir comme
L'homme
Devoit être mis.
Triolets.
J'ai rêvé qu'on ne jouoit plus
Avec cette fureur extrême :
Qu'on en reconnoiffoit l'abus ,
J'ai rêvé qu'on ne jouoit plus :
Qu'on perdoit un , ou deux écus ,
Sans fe fâcher contre foi - même :
J'ai rêvé qu'on ne jouoit plus
Avec cette fureur extrême .
Sur le ritanta , larela , &c ,
J'ai rêvé que le Médecin
Ne paffoit plus pour affaffin ,
Que tout malade étoit guéri ,
Sur le ritanta , larela
Sur le ritantaleri .
25. 1 29. -
Iris eft plus charmante , &c.
J'ai rêvé qu'un Notaire , # . 12
Pour finir une affaire ,
N'étoit
FEVRIER. 1756. 97
N'étoit plus néceffaire
A la Ville , à la Cour ,
Et que fans des mesures
Sures ,
On prêtoit une fomme ,
Comme
L'on donne le bonjour ,
Sans jamais craindre un mativais retour .
Vous parlez , Gaulois , &c.
Ne direz -vous pas de mes fonges ,
En les traitant de vrais menfonges ,
Vous rêvez , Gaulois.
Rêvez avec moins de franchife ,
Si vous voulez que chacun dife ,
Vous rêvez , François .
Par M. Fuzillier , à Amiens .
Lettre adreffée à l'Auteur du portrait de
MONS
T'honnête Homme.
ONSIEUR , j'ai lu le portrait de
l'honnête Homme , que vous avez fait inférer
dans le premier volume du Mercure
de Décembre. Vous n'avez oublié aucun
des traits qui le caractériferit ; mais, vous
citer pour modele , eft ( fi vous me per- 1
mettez de dire mon avis ) un peu hardi .
Je ne dis pas que le tableau ne vous re
E
98 MERCURE DE FRANCE.
préfente au naturel ; j'en fuis même perfuadé.
Mais mon fentiment ne fait pas
une loi générale . Qui vous répond du plus
grand nombre ? Laiffer aux autres le foin
de vous donner les éloges qué vous méritez
fi juftement , n'auroit-il pas été plus
avantageux ? Une vanité fecrete eft bien
proche d'un mérite fi rare. L'amour-propre
nevous faifoit- il pas trouver du plaifir
dans la vérité ? Il fe gliffe partout , il
empoiſonne les meilleures intentions.
Vous pouvez en avoir été exemt , mais
eft on obligé de le croire ? Les louanges
qu'on fe donne , quoique véritables , font
toujours fufpectes . Il eft des cas où on eft:
obligé d'en venir à cette extrêmité. Mais
depropos délibéré , s'afficher pour l'Ariftipe
moderne , le feul fage de la France ,
c'eft révolter les efprits. L'homme veut
être libre , & indépendant dans fes fentimens.
Il eft fier , & aime à donner fon
fuffrage comme une grace , mais il ne
veut pas qu'on l'exige. Votre déclaration
lui paroîtra téméraire. Ignorez- vous que
l'envie attaque toujours le mérite › Confiderez
combien d'ennemis. vous vous
faites , combien de gens vous découragez
, qui pouvoient afpirer à cette
gloire que vous poffedez . Mais ils n'ont
qu'à y renoncer ; leur arrêt eft proFEVRIER.
1756 .
99
noncé , leurs efforts feront inutiles. Vous
avez décidé qu'il n'y a qu'un feul fage
& vous affurez que vous l'êtes. Au contraire
, fi vous vous fufliez contenté de
repréfenter l'honnête homme fans le défigner
, vos amis , tous vos concitoyens
vous effent reconnu , & la gloire pour
vous eût été plus certaine .
Cependant il eft ailé de connoître la
vérité. Pour bien traiter un fujet il faut
en être rempli ; & vous n'euffiez pu faire
un portrait fi reffemblant , fi le coeur feul
n'y eût eu part , comme vous l'avez fort
bien fait remarquer. Auffi'c'eft avec les
fentimens d'admiration que vous méritez,
que j'ai l'honneur d'être , &c.
Ce 14 Décembre 1755 .
Le mot de l'Enigme du ſecond Mercure
de Janvier , eſt Diamant ; celui du Logogryphe
Mortier ; dans lequel on trouve Roi ,
Rome , mer, Remi , Meri, rit , or, mie , re , mi,
More , rot, tri , tome, rime , trio , Io , ire, oftie,
moire , Rote , mite , mirer , tirer.
ENIGME.
Dans plus d'un cachot j'empriſonge
Tous ceux qui fe fervent de moi.
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
Malgré d'étroits liens dont je les environne ,
Ce font eux qui me font la loi .
Je fuis par fois blanc comme albâtre ,
Par fois plus brun que le geai le plus noir ;
Ma contradiction ne fe peut concevoir.
Je fers à l'Eglife , au Théâtre.
En hyver , en été , par rufe , fans defſein ,
J'enferme des beautés , des horreurs dans mon ſein.
On m'emploie à finir les plus riches parures.
Tombai - je dans le difcrédit ?
Je fers à panfer des bleffures.
Mes égaux coûtent cher à maintes créatures.
Exiftons-nous , pour elles tout eft dit.
Lecteur , ne fois point interdit ,
Tu vas me deviner fans peine.
Quoique fouple & galant , ce n'eft point fans
effort ,
Que malgré moi , la jeune Iris m'entraîne
Au point qui couronne mon fort ;
Encore faut- il qu'elle m'enchaîne.
Dans l'efprit cependant de l'aimable inhumaine
Mon indocilité ne me fit jamais tort .
Je dois à mes captifs toutes mes gentilleffes ...
Mais quel tranfport audacieux !
Finis , Damon ; vainement tu t'empreffes
De me trahir par des foins fpécieux.
Non , ce n'eft point à moi qu'en veulent tes ca
reffes ,
C'eft à l'objet charmant que je voile à tes yeux ,
Par M. D. B.
FEVRIER . 1756 . IOI
LOGOGRYPHE.
Né du plus horrible adultere ,
É
A peine eus-je reçu le jour
Que l'on me ravit à ma mere ,
Et qu'on m'éloigna de la Cour.
Dans mes neuf pieds , je donne un Patriarche ;
Connu par la vigre & par l'Arche ,.
Et la fille d'Eréfichton.
Une ville ou jadis régnoit Pigmalion :
Une autre dont Homere a chanté la défaite.
La femme de l'Erebe , & le fameux Poëte ;
Qui de nos jours chanta le grand Henri ;
Ce que fille à quinze ans préfere au nom d'ami .
Un fleuve en Allemagne , une riviere en France ,
Le Dieu , qui met fous fa puiffance
yeux,
Les mortels ainfi que les dieux ;
Un mal à craindre pour les
Un ami de Céfar qui fuivit Cléopâtre ,
Une couleur oppofée à l'albâtre ,
Un Poëte lyrique , un arbre , une faiſon ,
Ce que l'on voit fouvent contraire à la raiſon ,
La fille de Cadmus , mere de Mélicerte ;
Un ennemi des Juifs qui confpira leur perte ;
Deux des rois d'Ifraël , deux pronoms , un métal
Qui caufe des Mortels ou le bien ou le mal ;
Un fameux miſantrope , un mont de l'Italie ,
Un autre dans la Grece , un Roi de Theffalie ,
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
Deux Muſes ; je finis , ce n'eft pourtant pas tout ,
Mais je crains d'ennuyer , fi je vais jufqu'au bout.
Par Mademoiselle Moniſeau.
CHANSON.
Venus me livre la
guerre
Pour s'emparer de mon coeur.
Bacchus veut à coup de verre , રે
Lui feul en être vainqueur.
De Venus j'aime les charmes ,
Et de Bacchus la liqueur :
A qui rendrai - je les armes
Pour affurer mon bonheur ?
L'un & l'autre ont de quoi plaire,
De tous deux je fuis jaloux.
Que le choix me coûte à faire
Entre deux plaifirs fi doux.
Bannir Venus , quel dommage !
Sans Bacchus ferois- je heureux !
On doit permettre à mon âge
De les adorer tous deux.
Dans ce cruel équilibre ,
Dieux ! difputez , le terrein.
Mon coeur du choix n'eft point libre ,
J'aime l'amour & le vin .
Les paroles font de M. *** la muſique
eft de M. Toulain.
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY.
ASTOR,
LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS.
Venus me livre la guerre Pours'em
parer de mon Coeur Bacchus
m
veut a coup de Verre Lui seul en e
= tre vainqueurDe Venusj'aime les
charmes Et de Bacchus la liqueur
m
B
c
Aqui rendrais je les Armes Pour as de
seurermon bonheurfun et l'autre ont
де
de quoy plaireDe tous deux je
P
suisJalouxQue le choix me coute a
faire Entre deux plaisirs si doux
BannirVenusquel domageSansBac
chus serois -je heureux On doit
+
permettre a menage Deles adorertous
Jeux Dans ce cruel EquilibreDieux dis
putez le terrain Mon coeur du choix
+
n'estpoint libreJ'aime l'Amouret le vin .
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY.
ASTOR, LENOX AND
TILDEN -
FOUNDATIONS.
FEVRIE R. 1756. 103
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie des Belles- Lettres de Montauban
, le 25.Août 1755.
L'Académie, après avoir affiſté le matin
à une Meffe qui fut fuivie de l'Exaudiat
pour le Roi & du Panégyrique de S. Louis
prononcé par le R. P. Montpellier , de l'Ordre
de Saint Dominique , tint l'après-midi
fon Affemblée publique dans la Salle de
l'Hôtel de Ville. La réception . de M. le
Comte d'Hérouville , Commandant en chef
dans la Province. & Gouvernement de
Guyenne , qui avoit été élu le 12 Juillet ,
y avoit attiré une foule extraordinaire de
perfonnes de tous les états . M. de la Mothe
Directeur de Quartier , ouvrit la féance
par un difcours en forme de femonce , fur
le travail de l'Académie & fur les devoirs
des Académiciens.
M. le Comte d'Hérouville qu'on recevoit
à la place de M. Duclos , prononça enfuite
fon difcours de remerciment , où vou
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
lant bien oublier les Ouvrages qu'il a déja
donnés au Public , il difoit qu'ayant été
» deſtiné dès fes jeunes ans au métier des
» armes , & élevé , pour ainfi dire , dans
les Camps , il n'avoit jufqu'alors connu
» que l'autorité abfolue & l'obéïffance
» aveugle ; qu'aujourd'hui occupé de foins
» plus pacifiques , & chargé d'une adminiftration
plus étendue , il devoit , avant
»de commander , fçavoir perfuader ; que
c'eft dans l'Académie qu'il en vouloit acquerit
le talent ; qu'il ne le confondoit pas
avec cet Art fi vanté de féduire , qui
>>fouvent cache fous les plus belles fleurs le
» venin le plus dangereux ; que cet Art
» n'eft point fait pour ceux à qui le Roi
» confie fon autorité ; que l'expofition la
plus fimple de fes intentions lui affurera
» toujours & l'obéiffance & l'amour de fes
fujets ; & que pour pouvoir le bien fer-
»vir , il ne défiroit ( lui ) que d'apprendre
à le faire bien connoître. Du refte une
énergique briéveté caracteriſe l'éloquence
de M. le Comte d'Hérouville , & c'eft affez
de l'entendre ou de le lire , pour fe convaincre
qu'il est également rempli de zele
pour le fervice du Roi & pour le bien pu,
و د
blic.
M. de la Mothe , en lui répondant , fubcitua
aux lieux communs qui compofent
FEVRIER. 1756. 1756. 105
les éloges ordinaires , les faits qui feuls
louent dignement les grands hommes . Il fit
remarquer que l'on ne pouvoit fe difpenfer
de reconnoître à la fois dans M. le
Comte d'Hérouville , Minerve fçavante
& Minerve guerriere ; & pour le prouver ,
il fit le détail de fes vaftes connoiffances ,
en obfervant « que les regles & les opérations
des mathématiques & de la Géometrie
tranfcendante avoient été les amu-
» femens de fa jeuneſſe ; qu'il avoit fait
un cours de Chimie , d'Anatomie & de
Phyfique expérimentale ; qu'il s'étoit particulierement
inftruit de toutes les branches
de notre commerce ; qu'il avoit étudié
tout ce qui concerne les manufactures ,
les fabriques , le débit des denrées , la nature
des terres , l'agriculture , le trafic de
l'or & de l'argent , &c . M. le Directeur
ajouta que M. d'Hérouville n'avoit rien
oublié pour connoître à fonds l'art mili
taire tel qu'il étoit pratiqué par les anciens
; qu'il avoit pour cela parcouru
tous les manufcrits Grecs , Latins , ou A
rabes qu'il avoit pu découvrir ; qu'en fuivant
à la trace , tous les Auteurs qui nous
ont parlé de la maniere dont les Anciens
attaquoient ou défendoient les Places , il
avoit deviné & comme créé une feconde
fois cette fameufe Balifte fi connue chez
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
les Grecs & chez les Romains , mais dont
il ne nous reftoit plus qu'une idée confuſe ;
qu'étant Major Général de l'Armée du Maréchal
de Saxe , obligé de commencer tous
les jours fous les yeux de l'aurore la revue
exacte du Camp , il avoit compofé en cinq
femaines fon Traité des Légions , qui eſt
déja à fa quatrième édition ; qu'à l'âge de
22 ans , ſe trouvant en Angleterre avec le
Comte de Cambiſe fon Oncle , il fçut gagner
l'eftime des Grands & des gens de
Lettres ; qu'envoyé à Berlin pour une
commiffion fecrete , il y foutint l'honneur
de la Nation par fon fçavoir & par fes
talens ; que dans les dernieres guerres , il
avoit commandé à Anvers , moins en ennemi
impérieux qu'en homme éclairé fur
les intérêts des peuples qui lui avoient été
confiés , &c. Mais tous ces faits furent attachés
les uns aux autres par des tranfitions
auffi variées que délicates. M. de la Mothe
termina fon difcours , ainfi qu'il l'avoit
commencé , c'eft à- dire , par des vers pro
pres à ramener les Auditeurs au fpectacle
de la réception qui faifoit la partie la plus
intéreffante de la cérémonie du jour .
Ici M. de Saint Hubert ancien Capitaine
de Cavalerie , & Chevalier de Saint
Louis , récita les vers fuivans , en adreffant
la parole à M. le Comte d'Hérouville.
FEVRIER. 1756. 107
Souffrez que militairement ,
Je vous faffe mon compliment ;
Qu'à ma façon je vous exprime
Combien chacun de nous eſtime
De vous voir affis parmi nous :
Duffions-nous faire des jaloux ,
Nous compterons cette féance
Au nombre de nos plus beaux jours.
Ne vous allarmez pas d'avance ;
Ce que j'ai dit en votre abſence ,
Je le tairai dans ce difcours.
Aux éloges inacceſſible ,
Vous louer , c'eft vous irriter ,
Vous ne fûtes jamais ſenſible
Qu'à l'honneur de les mériter.
Sans m'expofer à faire des excufes ;
Dirai-je à l'amateur des Arts ,
Qu'il donne des leçons à Mars
Et prête des graces aux Mufes ?
Deux jours auparavant , M. le Franc avoit
adreffé à M. le Comte d'Hérouville des
Remarques fur quelques Ouvrages d'Arrien,
Elles font le fruit d'une lecture réflechie de
cet Auteur , occafionnée par un fçavant
entretien que M. d'Hérouville avoit eu à
Pompignan avec M. le Franc , en l'abfence
duquel M. l'Abbé Bellet fut chargé
de les lire à l'Affemblée. Dans cet ouvrage
où l'utile & l'agréable marchent d'un pas
E vj
10S MERCURE DE FRANCE.
égal , M. le Franc obferve judicieuſement
que la partie de l'Hiftoire qui appartient
à la guerre , n'a jamais été bien difcutée
que par des Ecrivains guerriers. » Si je lis ,
»dit- il , des batailles dans Mezerai , dans
» le P. Daniel , dans Tite- Live même , il
ne me refte qu'un fouvenir confus de
»difpofitions vaguement décrites , d'atta-
» ques meurtrieres , de bataillons rompus ,
» d'ennemis pourfuivis & taillés en pièces.
»J'en dis de même des marches , des cam-
» pemens , des fiéges , & généralement
» d'une campagne entiere. On n'en voit
»dans ces Ecrivains , très eftimables d'ail-
» leurs , qu'une efquiffe fort imparfaite.
» Il n'eft donné qu'aux gens du métier d'en
» tracer aux yeux le véritable tableau....
» L'Auteur du TRAITE' DES LEGIONS.
» écriroit mieux les campagnes du Roi en
» Flandres que Tite Live & Mezerai .....
Non feulement , continue M. le Franc ,
» une hiftoire originale d'actions militaires
, mais la traduction même d'une telle
hiftoire ne fçauroit être bien exécutée
» que par un militaire de profeffion .....
Auffi M. le Franc fouhaiteroit- il que M.
le Comte d'Hérouville voulût employer
» quelques momens de fes loisirs à traduire
lui-même Arrien , ou à le faire traduire
» fous les yeux , en y joignant des remar
FEVRIER . 1756. 109
"3
ques de fa façon , ainfi que l'a fait M.
Folard , à l'égard de Polybe ......... Mi
le Franc remarque encore que « la guerre
» n'a confifté long tems chez toutes les Na-
» tions du monde , fans en excepter les
»plus civilifées , comme les Egyptiens ,
» les Perfes , les Hébreux , qu'à s'égorger
>> tumultuairement en pleine campagne ,
» ou qu'à s'emparer des Villes qu'on pil-
» loit & qu'on brûloit ; que les Grecs na-
"turellement inventifs & qui ont créé on
perfectionné tous les Arts , avoient ce-
»pendant dès lors une Tactique auffi réguliere
, auffi parfaite qu'elle l'ait été du
» tems de Pyrrhus & de Xantippe . La
» chofe eft étonnante , mais on n'en peut
» douter quand on a lu Thucydide , He-
» rodote & Homere. On comprend en li-
» fant l'Iliade , que dans ces fiécles reculés
» un Bataillon Grec marchoit , fe mettoit
" en bataille , & manoeuvroit avec le même
» ordre , le même filence , & la même
précifion que font aujourd'hui des Régimens
François ..... La verfion Latine
d'Arrien par Blanchard , prouve évidemment
, felon M. le Franc , que ce
n'eft pas affez pour bien traduire un
Ouvrage Didactique , d'avoir la tête
farcie de Grec & de Latin , mais qu'il
faut de plus connoître la profeflion ou les
ود
ور
Сс
,
110 MERCURE DE FRANCE.
ود
Arts dont il eft traité dans cet Ouvrage.
» La verfion de Blanchard eft fouvent in-
» intelligible , parce qu'il n'a pas lui -mê-
» me entendu les termes d'Arrien dans le
>>fens où il les emploie , & qu'il n'avoit
» pas l'idée de la chofe qu'ils expriment . "..
Il y a , continue M. le Franc , « dans la
» courte Tactique d'Arrien un endroit capable
d'amufer certainement tout Lec-
» teur un peu curieux ; c'eft l'exercice des
» troupes Grecques .... Il eft entierement
» conforme au nôtre. Il n'y a de différent
» que les armes . Ce font les mêmes évo
» lutions , les mêmes mouvemens , les
mêmes tems ; le commandement enfin
eft conçu dans les mêmes termes. Les Grecs
» faifoient auffi l'exercice à la voix , au
" fon des inftrumens , & à la muerte .
» Toutes ces regles nous viennent d'eux.
» Ils les obfervoient dès le fiége de Troyes,
» comme le remarque Arrien.... Il y a
ici une obfervation fur le génie des Langues
. On dit qu'il n'eft pas naturel d'attendre
la fin d'une phrafe & quelquefois
d'une longue période pour en fçavoir le
fens , & que dans cette partie de la conftruction
grammaticale , la Langue Françoife
eft fupérieure aux Langues Grecque
& Latine. Cependant Arrien affure que le
commandement de l'exercice ne pouvant être
FEVRIER. 1756. III
trop clair , ce feroit une grande faute à l'Officier
qui en eft chargé , de dire d'abord :
Tournez vous ou reposez- vous , avant d'indiquer
le côté de l'évolution on l'arme dont
il s'agit ; & que le moyen d'éviter toute
équivoque , c'est de mettre le verbe après
le mot qu'il régit : Du côté de la Pique ,
tournez - vous. Du côté du Bouclier , tournezvous
; car c'eſt ainfi qu'on lit dans l'original.
Quand on prétend donc , remarque M.
le Franc , que la tranfpofition du verbe va
directement contre la marche & la netteté des
idées , cela peut être vrai en général ,
mais ily a des exceptions à faire ; & fi nous
avions confervé la même armure que les
Grecs & les Romains , pour être entendus.
nettement du Soldat , malgré le prétendu
génie de notre Langue qui n'aime pas ,
dit-on , les inverfions , il vaudroit mieux
faire un folécifme , que de mettre en défordre
un bataillon..... M. le Franc regarderoit
volontiers comme l'origine des tournois
les exercices de Cavalerie fur lesquels
roule la derniere partie de la Tactique
d'Arrien. Je ne fçai` , dit- il , pourquoi l'on
va chercher chez les Barbares du Nord ,
l'invention de ces jeux guerriers .... Les
exercices que décrit l'Auteur Grec font de
véritables joutes qui réunifoient tout ce qui a
depuis caracterife les tournois..... Une re112
MERCURE DE FRANCE.
ود
marque finguliere , bien capable de nous
apprendre à nous défier des verfions , c'eſt
que , felon M. le Franc , Blanchard , quand
il a traduit l'expédition d'Arrien contre les
Alains , a changé en narration historique ce
qui n'est que le plan d'une expédition projettée.
M. le Franc releve plufieurs autres bévues
de cet infidele Traducteur , après
quoi il paffe à la Lettre d'Arrien , contenant
fon voyage fur le Pont Euxin ......
c'eft dans ce genre un chef- d'oeuvre.....
c'eft à la fois une Carte de Géographie ,
» une defcription Topographique , un recueil
d'obfervations d'hiftoire naturelle ,
» & de réflexions politiques ; le travail
d'un Infpecteur & d'un homme d'Etat ,
» le Journal enfin d'un Officier qui vous
»reffemble ; conclud M. le Franc en par-
» lant à M. d'Hérouville . ... Ce Journal
» d'Arrien contient une relation curieufe
» de l'Ile d'Achille . M. le Franc en donne
» la Traduction , & il préfume que dans
» ce Morceau l'Auteur Grec avoit voulu
faire fa Cour à l'Empereur Adrien fur
l'Apohéofe d'Antinous ..... Pour ce
» qui eft du voyage de la mer rouge , M.
» le Franc dit qu'il ne nous refte rien de
l'antiquité , qui nous faffe mieux con-
» noître en quoi confiftoient du tems d'Arrien
le commerce & les productions de
"
"7
-"3
33
-59
و د
.
FEVRIER. 1756. 113
29
30
33
و ر
"3
» l'Afie Orientale & de l'Afrique...
Il demande fi l'on croit « que la terre foit
» préfentement auffi peuplée en général ,
» auffi cultivée , auffi riche qu'elle l'étoit
» du tems de Trajan , d'Adrien , de Marc-
> Antonin ? Pour une nouvelle partie du
» monde que nous avons cru acquérir ,
» que n'avons- nous pas perdu ? Car j'ap-
» pelle perdu pour le genre humain tout
» ce qui devient inutile & malheureux .
Qu'est- ce préfentement que l'Afrique ?»
..... Et entrant dans quelque détail , il
foupçonne que le Caffé qui eft une des
productions naturelles de l'Arabie , &
qui par conféquent y a toujours été cul-
» tivé , formoit une de ces boiffons que
les hiftoriens nous défignent fous des
» noms dont la véritable fignification s'eft
» perdue.» ... A l'égard du Sucre , il af
fure que l'ufage , en eft infiniment plus ancien
qu'on ne croit , & qu'on en faifoit
un commerce aflez confidérable dans les
Villes marchandes d'Afrique , où on le
tranfportoit par mer du fond de l'Inde
Orientale avec d'autres denrées du même
Pays , fuivant la Coutume , ajoute Arrien ,
ور
& c.
M. le Franc penfe en général que nous
fommes trop avantageux en fait de découver
tes ; & quefouvent telle découverte qui récl
114 MERCURE DE FRANCE.
lement en eft une par rapport à l'Auteur ,
n'eft cependant en foi qu'une invention ancienne
, perdue & recouvrée , &c. & il dit
fa penfée fur un endroit d'Arrien , dans
fon voyage de la mer rouge , qui a fait
foupçonner que les Anciens faifoient de
la Porcelaine , & c.
Cette lecture fut fuivie de celle d'une
piece de vers de M. de Bernoi , où il invitoit
noblement M. le Comte d'Hérouville
à venir fe délaffer de fes travaux
guerriers dans le fein des Mufes ,
A côté de Polybe & du fage Maron.
M. Pradal , Procureur Général de la
Cour des Aydes , lut une Ode à la Philofophie
, & en l'adreffant à M. le Comte
d'Hérouville , il traça dans des vers d'une
autre meſure , le tableau de fes fçavantes
occupations , telles que M. de la Mothe
les avoit déja indiquées.
Qui mieux que toi , ( lui difoit M. Pradal ) jamais
a mérité la gloire
De joindre nos lauriers à ceux de la victoire ?
Ainfi les Dieux en toi mirent tous les talens ;
Je te vois rétablir les faſtes de l'Hiſtoire ,
Pénétrer dans la nuit des tems ,
Dérober à l'oubli ces exploits éclatans ;
Ces noms dont s'enrichit le Temple de Mémoire.
FEVRIER. 1756. 115
t
Je te vois par d'heureux efforts
Arracher la nature à fes loix éternelles ,
Unir les élémens & rompre leurs accords ,
Diffoudre & compofer les corps ,
Leur donner des formes nouvelles ,
Puis defcendre dans l'homme , & compter fes refforts
.
Uranie en tes mains a remis fon equerre ,
Ses Télescopes , fes niveaux.
Tu portes tes regards au deffus du tonnerre ,
Tu parcours des mondes nouveaux ,
Tu mefures les airs & la pente des eaux.
Ici ton oeil obferve , à la faveur d'un verre ,
Ces inviſibles animaux ,
Ces atômes vivans que tout liquide enferre :
Dans les veines des arbriffeaux ,
Ta main conduit les fucs préparés par la terre .
Soins glorieux , dignes travaux
D'un Sage qui fçait que la guerre
Seule ne fuffit pas à former les Héros , &c.
M. de Cathala lut des obfervations fur
un point de l'Hiftoire de Montauban , au
fujet d'un endroit du Siecle de Louis
XIV. par M. de Voltaire , où une inexactitude
d'expreffion pourroit donner lieu
à d'injuftes foupçons contre l'ancienne
fidélité des Montalbanois.
M. de Saint Hubert , pour varier les
lectures , lut les vers fuivans.
116 MERCURE DE FRANCE.
LES FLEURS ET LES ZEPHIRS ,
FABLE ALLEGORIQUE.
Froids Aquilons , fombres nuages ,
Difparoiffez , volez , Zéphirs ,
Vous trouverez fur ces rivages
Des fleurs dignes de vos foupirs .
Voyez ces lys & ces rofes nouvelles.
Quel doux parfum , quelle vive couleur !
Zéphirs , voltigez autour d'elles
Sans en altérer la fraîcheur .
Vous , jeunes fleurs , recevez leur hommage
Comme un tribut inconftant & léger
D'un fouffle flatteur & volage
Vous ne sçauriez trop craindre le danger.
Fraiche aujourd'hui , demain fannée ,
Formant d'inutiles défirs ,
On voit la rofe abandonnée ,
Rappeller en vain les Zéphirs ;
Leur vol en devient plus rapide ,
Ils font déja daus un autre climat ,
C'est l'inconftance qui les guide ,
Dès qu'ils ont terni votre éclat :
Des amans ils fuivent les traces.
Défiez-vous , Iris , d'un hommage affidu .
Le culte que l'on rend aux graces ,
Eft un piege pour la vertu .
Tous les écueils environnent votre âge.
FEVRIER. 1756. 117
و د
Prevenez de triſtes inſtans .
De la beauté , la fleur eſt une image .
Leur regne eft court ; la fleur n'a qu'un printems
;
Et la beauté n'en a pas davantage.
a
M. l'Abbé Bellet lut un Difcours qui
étoit une forte de Defcription de l'Empire
des lettres , pour tâcher « d'infpirer
» difoit- il , aux coeurs les moins ambi-
» tieux , finon le défir lõuable d'y former
» & d'y entretenir une relation fuivie ,
» du moins le courage d'envier juſqu'à
» un certain point le bonheur de ceux
» qui l'habitent » . Il prouva fucceffivement
que cet Empire à eft le plus ancien
" de tous ; qu'il eft le plus étendu , le
plus peuple , & le plus noblement peuplé
; que ce font les befoins de l'ef
prit qui l'ont formé ; que les richeſfes
de l'efprit étant les feules qui ayent ,
» pour ainsi dire , cours dans cet Em-
" pire , il n'eft point foumis à la fortune.
» Les titres qu'on y ambitionne ou qu'on
» y décerne , ne font pas de fon domaine :
» les biens qu'on y poffede n'ont rien de
» commun avec les faveurs qu'elle difpen-
" fe : les hommes n'y font appréciés que par
» les qualités qui font intimement liées à
>>
"3
leur être que par un mérite qui tient
» immédiatement à leur ame ; c'est - à-dire,
IS MERCURE DE FRANCE.
»
"
23.
» que par ce qu'ils valent en eux -mêmes.
» On croiroit que cette précieufe égalité
>> qui régnoit originairement entr'eux ,
échappée des débris du naufrage de
» l'âge d'or , s'y eft en quelque forte
» réfugiée , & y a trouve un afyle . Et
voilà pourquoi les Héros , les Prin-
» ces , les Rois ( 1 ) , tous ceux qui joi-
» gnirent une grandeur réelle aux gran-
» deurs d'inftitution dont ils étoient revêtus
, furent toujours ravis , fi je puis
»m'exprimer ainfi , de paffer dans ces
» heureuſes contrées. Quel touchant ſpec-
» tacle n'y offrent-ils pas aux yeux de la
» raiſon ! Là, dépouillés du fafte & de l'orgueil
du rang , ils recueillent des hom-
» mages uniquement adreffés à leur per-
» fonne ; ils reçoivent des tributs d'eftime
» ou d'admiration trop fouvent féparés
» des refpects extérieurs accordés aux pla-
» ces. Là , fans cortège , fans faiſceaux ,
» fans lauriers , ils fubjuguent la multi-
» tude , ils font taire l'envie , ils forcent
» la renommée d'ouvrir fes cent bouches
>> en leur faveur , pour reconnoître les
32
(1 ) Meffieurs les Maréchaux d'Eftrées , de Villars
, de Belle-Ifle , &c . M. le Comte de Clermont ,
Prince du fang, de l'Académie Françoiſe ; le Czar ,
Pierre I , de l'Académie des Sciences ; le Roi Staniflas
de l'Académie des Arcades , à Rome , & fondateur
de celle de Nancy.
FEVRIER. 1756. 119
33
qualités éminentes de leur coeur & de
» leur efprit. Oui , ceux- là font incontef
» tablement de grands hommes , qui ont
» de quoi paroître tels à nos yeux , indé-
» pendamment de la décoration qui leur
en prête les dehors fur le théâtre du
» monde . Dans le peu de cas qu'ils en font
» eu égard à l'honneur qui leur en revient,
» vis - a-vis des Mufes , je ferois prefque
» tenté de foupçonner toute la délicateffe
» d'un amour-propre auffi ingénieux que
» raifonnable ». M. l'Abbé Bellet s'attache
encore à expliquer la Nature du Gouvernement
qui diftingue l'empire des Lettres.
Il fit voir enfuite « que la liberté qui
n'a pas
de quoi faire ombrage
» à ceux que le ciel a placé fur nos têtes ; »
il montra " qu'il n'eft point d'Empire qui
» ne foit redevable de fes grands hommes
» à celui des Lettres ; & en finiffant , il
effaya de décharger les Lettres d'un reproche
amer qu'on leur a fait , difoit- il ,
fort éloquemment , mais avec beaucoup
" d'injuftice , &c.
" y regne ,
""
23
M. l'Abbé de Villars avoit compofé des
vers fur l'égalité Académique , & M. de
Cathala fut chargé d'en faire la lecture.
M. l'Abbé de Villars y emprunte de la circonftance
de l'inftallation de M. le Comte
d'Hérouville , de vives couleurs pour embellir
fon fujet.
120 MERCURE DE FRANCE .
M. Befombes de faint Geniés , Confeiller
à la Cour des Aydes , s'occupe depuis
quelque tems à traduire Homere en François
, & il lut un morceau du e Chant de
I'lliade. Sa traduction eft noble & élégante
autant qu'elle eft exacte & fidele .
La Séance fut terminée par la diftribution
du Programme fuivant.
PROGRAMM E.
M. l'Evêque de Montauban ayant deftiné
la fomme de deux cens cinquante livres,
pour donner un prix de pareille valeur à
celui qui , au jugement de l'Académie des
Belles- Lettres de cette ville , fe trouvera
avoir fait le meilleur Difcours fur un fujet
relatif à quelque point de morale tiré des
Livres faints , l'Academie diftribuera ce
prix le 25 Août prochain , fête de S. Louis
Roi de France .
Le fujet de ce Difcours fera pour l'année
1756 , Ilferoit nécessaire pour la perfection
des Arts , que chacun fe bornât à cultiver
fon talent , conformément à ces paroles
de l'Écriture fainte : Unuſquiſque in arte
fua fapiens eft . Eccli . 38 , 35.
L'Académie avertit les Orateurs de s'attacher
à bien prendre le fens du fujet qui
leur eft propofé , d'éviter le ton de déclamateur
FEVRIER .
1756. 121
mateur , de ne point s'écarter de leur plan ,
& d'en remplir toutes les parties avec juftelle
& avec préciſion .
Les Difcours ne feront tout au plus ,
que de demi- heure , & finiront toujours
par une courte priere à Jefus- Chrift."
On n'en recevra aucun qui n'ait une
approbation fignée de deux Docteurs en
Théologie.
Les Auteurs ne mettront point leur nom
à leurs ouvrages , mais feulement une
marque ou paraphe , avec un paffage de
l'Écriture fainte , ou d'un Pere de l'Eglife ,
qu'on écrira auffi fur le registre du Secrétaire
de l'Académie.
L'Académie ayant été obligée de réferver
le prix de l'année 1755 , elle l'a deftiné
à une Ode ou à un Poëme dont le fujet
fera
pour l'année 1756 , L'accord des Armes
& des Lettres chez les François.
11 y aura ainfi deux prix à diftribuer ,
l'année 1756 , un prix d'éloquence & un
prix de poésie .
Les Auteurs feront remettre leurs ouvrages
, pendant le mois de Mai prochain,
entre les mains de M. de Bernoy , Secré
taire perpétuel de l'Académie , en fa maifon
, rue Montmurat , ou , en fon abfence,
à M. l'Abbé Bellet , en fa maiſon , rue
Cour-de-Toulouſe.
F
122 MERCURE
DE FRANCE.
Le Prix ne fera délivré à aucun , qu'il
ne fe nomme , & qu'il ne fe préfente en
perfonne , ou par Procureur , pour le rece
voir , & pour figner le Difcours.
Les Auteurs font priés d'adreffer à M. le
Secrétaire trois copies bien lifibles de leurs
ouvrages , & d'affranchir les paquets qui
feront envoyés par la pofte, Sans ces deux
conditions , les ouvrages ne feront point
admis au concours .
ORONOKO imité de l'Anglois , nouvelle
édition , revue & corrigée ; par M.
de la Place. Qui fata trahunt , virtus fecura
fequetur Lucan . Deux parties. A Paris , chez
Jorry, quai des Auguftins , près le Pont
S. Michel , aux Cicognes , 1756.
Comme ce Roman a déja paru , nous
n'en ferons poins l'extrait ; mais nous
faififfons cette occafion pour rendre à M.
de la Place la juftice qu'il mérite. Perfonne
n'a mieux traduit les ouvrages
à Anglois , ne les a mieux accommodés
Hotre goût ; perfonne ne les a fi bien réduits
à leur jufte préciſion , & n'a fi bien
Sonnu ni traité l'intérêt.
HISTOIRE
de la Marquife de Terville
; dédiée à Mademoiſelle
..
Lovis una mors eft conjugis culpa.A Londres
...
FEVRIER. 1756. 123
& fe trouve à Paris , chez le même Libraire
, 1756.
Dans l'inftant que nous annonçons ce
nouveau Roman , nous recevons une lettre
dans laquelle nous fommes priés d'avertir
le Public que l'Epitre adreffée à
Mlle... qui paroît à la tête de l'ouvrage ,
y a été inférée à l'infçu de l'Auteur , &
qu'il la défavoue , comme contraire à fes
fentimens , & tout- à- fait éloignée de fes
moeurs. Il doit même la faire retrancher
dans tous les exemplaires qui reftent.
Nous rendrons compte de cette brochure
le plutôt qu'il nous fera poffible .
La troifiéme & la quatrième partie de
Amante Anonyme , ou de l'Hiftoire fecrete
de la Volupté avec des Contes nouveaux
de Fées , publiées par M. le Chevalier
de Mouhy , de l'Academie des Belles-
Lettres de Dijon , viennent de paroître ,
& fe vendent chez Jorry, 1756.
La 3 partie contient l'Hiftoire de Nitocris.
Comme elle eſt détachée , & qu'elle
nous a paru ingénieufe autant que finguliere
, nous en ferons l'extrait particulier
en Mars ou en Avril . Pour en donner un
général de tout l'ouvrage , nous attendrons
qu'il foit fini , & que la dernière partie
ait vu le jour.
Fij
124,MERCURE
DE FRANCE.
EXAMEN DES POÉSIES SACRÉES de M.
le Franc. A Paris , chez Chaubert , quai
des Auguftins , & chez Hériffant , rue neuve
Notre- Dame. 1755 .
Cet examen eft compofé de quatre Lettres.
La premiere , fur les Odes ; la feconde
, fur les Cantiques ; la troifiéme , fur
les Prophéties ; & la quatrième , fur les
Hymnes.
Quelques Lecteurs féveres trouveront
peut être la louange exagérée , mais en
lifant ces Poéfies fans prévention , on la
trouvera prefque partout juftifiée par les
beautés frappantes dont elles font remplies ;
& fi le Panégyrifte paroît ami de l'Auteur,
on ne peut difconvenir qu'il ne foit
ami éclairé. Il motive toujours ſes éloges
: il rend raifon de fon fentiment ,
quand même il le pouffe jufqu'au tranfport
, & le goût eft forcé d'applaudir à
l'enthoufiafme de l'amitié . Nous ne citerons
ici que deux ftrophes de la feconde
Ode , avec les réflexions qui les accompa
gnent , pour convaincre le Lecteur impartial
& connoiffeur en Poéfie , de la
vérité que nous avançons . Nous prenons
ces ſtances au hazard ; C'eft Dieu qui
parle .
Mortels , qui jugez vos femblables ,
Rois , qu'à la terre j'ai donnés ,
FEVRIER . 1756. 123
Rois devenus fi formidables
Par vos projets défordonnés ,
Inftruiſez-vous dans ma juftice ,
Si vous voulez que j'affermiffe
Vos droits par la révolte enfreints .
Pour mériter que l'on vous aime ,
Aimez , fervez ; craignez vous- même
Le Dieu par qui vous êtes craints.
Plus d'un exemple vous enfeigne.
Souverains trop ambitieux ,
Que les faftes de votre regne
Nuit & jour s'écrivent aux cieux .
Prévenez un revers finiftre
;
N'ayez de parent , de miniftre ,
Ni d'ami , que la vérité.
Heureux les Rois qu'elle environne !
Malheur à ceux qu'elle abandonne
Aux confeils de l'iniquité !
L'Auteur de l'examen s'écrie dans la
chaleur d'un premier tranfport. Ces admirables
fances qui devroient être gravées fur
la porte du Confeil des Rois , font d'un fublime
quifait friffonner . Pas une image , pas
un mot , pas un fon qui n'étonne l'ame Jans
la révolter. Dien même voulant du haut de
fa gloire inftruire les Rois , n'eût pas dédaigné
un tel langage. Nous foufcrivons à ce
jugement , & M. le Franc nous paroît
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
fi bien rendre le texte , qu'il devient l'émule
de David & l'égal de Rouffeau .
SECOND SUPPLEMENT du Parnaffe
François , ou fuite de l'ordre chronologique
des Poëtes & des Muficiens que la
mort a enlevés depuis le commencement
de l'année 1743 , jufqu'en cette année
1755. Cineri gloria datur , ſtat ſua cuique
merces . Chacun y tient fon rang , felon fes
talens & fon mérite. Il fe trouve chez
Lambert , chez Duchefne & Chaubert.
Pour rendre à M. Titon du Tillet le
tribut de louange que nous lui devons ,
nous allons tranfcrire de fon livre ce fixain
fait à fa gloire, par Mdme. l'Evêque , dont
il a confacré le nom par reconnoiffance.
Lorfque je vois ce Parnaffe charmant ,
Chef-d'oeuvre d'un coeur bienfaifant
Qui fait la gloire de la France ;
Je dis , admirant fon effor ,
D'un Roi que n'ai - je la Finance ?
Le Parnaffe & Titon feroient fculptés en or.
Nous adoptons ce dernier vers , & nous
excufons fa dureté en faveur du fentiment
qu'il renferme .
ESSAI fur l'éducation des petits Enfans
, par M. Picardet , Prêtre , ChanoiFEVRIER.
1756 . 127
ne de l'Eglife Collégiale & Paroiffiale de
S. Jean-Baptifte de Dijon . A Dijon , chez
L. Hucherot , Place du Palais ; & fe vend
à Paris , chez Barois , quai des Auguftins.
Les cinq premiers volumes de la nouvelle
édition de l'Hiftoire de France , par
le Pere Daniel , de la Compagnie de Jefus
, in- 4 ° . 16 vol. fe délivrent actuellement
en feuilles , chez Boudet , Imprimeur
du Roi , rue S. Jacques , à ceux qui n'ont
point encore foufcrit , moyennant 90 liv.
Les onze volumes reftans de cette édition
fe délivreront dans le cours de cette
année , moyennant 72 liv.
RECUEIL d'Antiquités Egyptiennes ,
Etrufques , Grecques & Romaines , tome
fecond. Peritiores vetuftas facit. Cicer. pro
domo. C. 45. A Paris , chez Duchesne , rue
S. Jacques, 1756.
Nous recevons dans le moment ce volume.
Nous n'avons que le tems de l'annoncer.
Ajuger par le premier coup d'oeil
la beauté de l'impreffion nous femble
répondre au mérite de l'ouvrage. En parcourant
l'Avertiffement nous avons été
frappés , ou plutôt édifiés du ton modeſte
dont il eft écrit. Il feroit à défirer que tous
nos Littérateurs , & furtout nos Erudits
Fiy
128 MERCURE DE FRANCE.
vouluffent bien l'imiter. Ils ne ſçauroient
choifir un meilleur modele. L'illuftre Auteur
de ces recherches , après s'être plaint
que le nombre de ces derniers diminue
tous les jours en France , invite poliment
les Doctes étrangers à l'aider de leurs lumieres.
C'eſt un éloge pour eux , & nous
ne croyons pas pouvoir le mieux louer
lui-même que de citer fes propres paroles.
Son zele pour l'accroiffement des Sciences
& des Arts y éclate , ainfi que fon amour
pour la découverte du vrai , & l'élégance
du ftyle y regne dans toute fa beauté.
Je ferois , dit - il , flatté d'obtenir les
fuffrages des Sçavans dans les explications
que je donne , ou d'être conduit à la vérité
par la critique. Je l'attends principalement
cette critique des Italiens. Ils habitent
une région fortunée , où les Arts fu
gitifs de l'Egypte & de la Grece chercherent
autrefois un afyle , & fixerent longtems
leur , féjour . Ils vivent au milieu des
édifices fuperbes qu'éléva le peuple Romain
, lorfque , maître du monde , il fut
dominé par le luxe. Ce luxe utile au progrès
des Arts , attira dans l'Italie , non feulement
les Artiftes habiles , mais même les
ouvrages fabriqués dans l'Egypte & dans
la Gréce. Rome fe vit tout-à- coup décorée
d'ornemens étrangers ; elle admira dans
FEVRIER. 1756. 129
les places publiques , dans les temples &
dans les maifons particulieres , les chefd'oeuvres
de plufieurs nations. Les Italiens
foulent aux pieds les débris refpectables
de l'antiquité. La terre s'ouvre tous
les jours fous leurs pas pour les enrichir.
Une ville entiere engloutie par les volcans
du Vefuve , reparoît au jour pour
leur fournir de nouvelles richeffes. Heureufe
découverte ! qui doit intéreffer les
nations fçavantes de l'Europe , & reveiller
dans elle le goût de l'antique trop négligé
dans ce tems , où l'on a plus de fecours
pour le cultiver. Auffi les Italiens
peuvent comparer les monumens nouvellement
découverts avec d'autres monumens
connus ; avantage qui nous eft fouvent
refufé. Ils peuvent établir des certitudes,
où nous ne propofons que des conjectures.
Ils releveront mes erreurs , & perfectionneront
cet ouvrage , en donnant peut- être
des explications préférables à celles que
je préſente.
Les tomes 4 , 5 & fixiéme de l'Hiftoi
re de Paris , par M. l'Abbé Lebeuf , de
l'Académie des Infcriptions & Belles - Lettres
, paroiffent , & fe vendent à Paris ',
chez Prault pere , quai de Gêvres . 1755 ,
Le quatriéme volume contient la fuite
F v
130 MERCURE DE FRANCE.
des Paroiffes du Doyenné de Montmorenci
, avec un détail circonftancié de leur
territoire , & le dénombrement de toutes
celles qui y font compriſes, enfemble quelques
remarques fur le temporel defdits
lieux . Le cinquième comprend la fin des
Paroiffes du Doyenné de Montmorenci ,
& le commencement de celles du Doyenné
de Chelle , avec le même détail. Le
fixiéme renferme la fuite du Doyenné de
Chelle , avec le détail du territoire ,
&c.
RECUEIL Périodique d'obfervations
de Médecine , Chirurgie, Pharmacie , & c.
par M. Vandermonde , Docteur- Régent
de la Faculté de Médecine de Paris. Artem
experientiafecit, exemplo monſtrate viam.
Marc . Marcil. Aftrom . lib. 1. v. 63 , 64.
Janvier 1756 , tom. 4. A Paris , chez Vincent
, tue S. Severin. Nous en parlerons
plus au long une autrefois .
LES TROYENNES & PHILOCTETE ,
tragédies de M. de Châteaubrun , de l'Académie
Françoife , fe vendent chez Bru
net , rue S. Jacques , vis-à-vis celle des
Mathurins , 1756. L'Auteur a dédié Philo-
&tete à S. A. S. Mgneur. le Duc d'Orléans.
FEVRIER. 1756. 131
SUPPLÉMENT aux Loix Civiles dans leur
ordre naturel , par Me Louis- François de
Jouy , Avocat au Parlement , à Paris
chez Knapen & chez Sangrain , Grand'-
Salle du Palais , 1756.
LETTRE A M. DE BOISSY ,
De l'Académie Françoife.
,
LA conformité de nom de M. Guis de
Marſeille , demeurant à Paris , & de M.
Guys Négociant à Marfeille , & Académicien
des Belles- Lettres de cette ville , vient
de produire une erreur , dont je vous prie,
Monfieur , de détromper le Public en inférant
cette lettre dans le Mercure. L'Auteur
de l'Année Littéraire , qui a l'attention
louable de faire connoître & de diftinguer
les gens , qui portant le même
nom , courent la carriere des Belles - Lettres
, a oublié fa pratique ordinaire dans
deux feuilles différentes. Ce défaut d'attention
de fa part dans l'occurrence préfente
, a fait attribuer au Négociant Académicien
les vers fur la naiffance de
Monfeigneur le Comte de Provence , &
fur le tremblement de terre arrivé à Lif
bonne , qui font imprimés dans les dernieres
feuilles du mois de Décembre de
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
l'année précédente . L'Auteur de ces vers
demeure depuis long-tems chez le refpectable
M. Titon du Tillet , dont les foins
s'étendent jufqu'à protéger & encourager
les talens. Il y a plus de vingt ans que ce
M. Guis eft connu par les pieces différentes
qu'il a fournies au Mercure. Il eft
d'ailleurs l'Auteur de la Tragédie de Terée
, d'une Comédie intitulée Abailard &
Heloïfe , d'un petit roman Turc , & de
plufieurs autres ouvrages , dont il eft inutile
ici de rappeller les titres. Quelque
avantage que M. Guys , Négociant , crût
pouvoir retirer dans cette occafion de la
reffemblance de fon nom avec celui du
Poëte , il n'a pourtant garde d'en profiter
pour partager une réputation & des
lauriers poétiques qui ne lui appartiennent
pas ; ce n'eft pas que le Négociant
n'ait fait des vers , mais c'étoit dans un
âge où il lui étoit permis d'en faire fon
amufement , & encore ne les a - t'il jamais
fait imprimer. Il eft attaché depuis longtems
à des objets plus férieux. Pendant un
affez long féjour qu'il a fait au Levant &
à Conftantinople , il a travaillé fur le com--
merce , & il a fait des recherches très-laborieufes
pour tâcher de faire connoître le
génie des anciens Grecs , en les comparant
avec les modernes. Aujourd'hui le com--
FEVRIER . 1756. 133
merce l'occupe entiérement , & je fçais
qu'il raffemble des matériaux pour former
un tableau de celui de Marſeille .
Dans le recueil de l'Académie des Belles-
Lettres de cette ville, imprimé l'année derniere
, on peut voir un difcours qu'il a
prononcé comme Directeur à l'affemblée
publique de cette Académie , fur l'utilité
du commerce pour les Lettres , & des
Lettres pour le commerce.
Voilà , Monfieur , les éclairciffemens
que je puis vous donner fur les deux Marfeillois
du même nom , afin que le Public
foit à portée de les diftinguer à l'avenir ,
& qu'il puiffe les reconnoître.
J'ai l'honneur d'être , & c.
LETTRE
D'un Profeffeur de l'Univerfité de Paris
à M. De Saintfoix
Vous avez écrit , Monfieur , dans la
premiere partie de vos Effais hiftoriques fu
Paris , pag. 117 , à l'occafion de la rue de
la Féronnerie. « Je n'entrerai pas dans
» des détails , & dans un amas de cir-
» conftances qui ne finiroient point , &
» que peu de perfonnes ignorent : Je dirai
134 MERCURE DE FRANCE.
» feulement ce que je penfe fur le carac-
» tere des deux fcélérats , dont les mains
»parricides s'armerent contre un de nos
meilleurs & de nos plus grands Rois.
»Jean Châtel , âgé de dix-huit à dix-neuf
ans , fils d'un riche Marchand , étudioit
» à l'Univerfité , &c. »
Permettez-moi , Monfieur , de vous re
préfenter que ces derniers mots contiennent
une erreur importante. Jean Châtel
n'étudioit point à l'Univerfité. Le lieu de
fes études eft fi connu & fi marqué dans
l'Hiftoire , qu'il femble bien étrange qu'un
auteur auffi inftruit & auffi exact que vous
ait pu l'ignorer , ou le confondre avec
l'Univerfité. A Dieu ne plaife que je juge,
par cet endroit , de l'exactitude du refte
de votre ouvrage !
Vous êtes , Monfieur , le premier Ecrivair.
qui foit tombé dans cette erreur ; &
elle eft fi notoire , qu'il y a peu d'appa
rence que vous puiffiez y en entraîner
d'autres : mais il n'en eft pas de même de
vos Lecteurs ; vous pourriez la conimuniquer
à un grand nombre d'entr'eux ; &
c'eft le motif qui m'engage à la relever.
L'amour de la vérité eût été fuffifant pour
m'y déterminer . Je fuis trop jaloux de ce
qu'un homme comme vous penfe & doit
penfer de l'Univerfité , pour ne pas cher
FEVRIER. 1756. 135
cher à vous en infpirer de juftes idées.
Ce fera pour moi une douce fatisfaction
que de pouvoir lui donner du moins cette
marque de mon zele , tandis que ceux
qui font à fa tête , s'occupent fi utilement
& fi glorieufement pour elle de foins plus
importans.
Je compte affez fur votre équité , Monfieur
, pour
croire que vous ne refuſerez
pas de contribuer, autant qu'il eft en vous ,
à réparer votre inadvertence. Le meilleur
moyen , & peut - être l'unique pour en détruire
& en arrêter entiérement les effets ,
feroit de l'avouer dans la troifiéme Partie
de vos Effais , fi , conformément à votre
promeffe & aux voeux du Public , vous
les continuez. Je vous demande cette juftice
avec la confiance d'un homme qui
croit devoir l'obtenir , & qui eſt aſſez fâché
d'avoir à vous la demander ; mais qui
ne fe pardonneroit pas plus long - temps
un filence , dont il pourroit avoir un jour
à partager le reproche , &c.
Le peu d'efpace où nous fommes reftraints
, ne nous permet pas d'inférer
cette lettre dans fon entier ; mais ce que
nous venons d'en tranfcrire , fuffit pour
mettre au fait le Lecteur qui peut-être y
eft déja , puifqu'elle eft publique. Nous
allons y joindre la réponse qui nous pa
136 MERCURE DE FRANCE.
roît avoir trois grands avantages , elle eft
courte , elle eft polie , & nous la croyons
fans réplique.
Réponse de M. de Saintfoix.
J'ai dit , Monfieur , que Jean Châtel
étudioit à l'Univerfité. Il m'eût paru peutêtre
moins indifférent de le dire , fi j'avois
été moins perfuadé de la vénération qu'a
& que doit avoir tout honnête homme ,
& tout citoyen pour un Corps fi célebre
depuis tant de fiecles . Dans la nouvelle
(1) Edition confidérablement augmentée ,
que l'on fait de mes Effais hiftoriques , j'ôterai
volontiers ces mots. Ce n'eft pas , Monfieur
, queje me fois trompé ; ayez la bonté
de lire les interrogatoires de ce fcélérat ,
( tom. 6. des Mémoires de Condé, pag. 160)
vous y verrez :
Interrogé de fon nom , furnom , âge ,
qualité & demeure .
A dit fe nommer Jean Châtel ,fils de Pierre
Châtel , Marchand Drapier , devant la
grande porte du Palais ; & de Deniſe Hazard
fa femme , qu'il est écolier étudiant à
l'Univerfité de Paris , & qu'il n'a autre
qualité.
(1) Elle paroîtra inceffamment avec la troifieme
& derniere partie,
FEVRIER. 1756. 137
Il n'y a pas de réponſe contre cette piece
authentique. Permettez - moi de vous
dire à préfent , Monfieur , qu'il me femble
qu'une perfonne qui critique avec autant
de politeffe que vous , & dont le motif
part fans doute d'un coeur très- eftimable
, auroit pu m'écrire un mot avant que
de faire imprimer fa lettre , & de la rendre
publique. Je crains que votre démarche
ne paroiffe une preuve bien complete ,
que trop de zele fait quelquefois commettre
des imprudences à l'homme même qui
a le plus d'efprit.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Saintfoix.
A Paris , ce 12 Janvier 1756.
RÉPONSE
De DomPelletier, Bénédictin & Curé de Senones
, à la Lettre qui lui a été adreffée dans
notrepremierMercure de Décembre 1755 .
J'ai lu , Monfieur , la Lettre que vous
m'avez fait l'honneur de m'adreffer dans
le Mercure de France , dans laquelle vous
me propofez vos regrets fur la forme Alphabétique
que j'ai donnée à notre Armorial
général de Lorraine. Votre bon
138 MERCURE DE FRANCE.
goût pour la Littérature vous a fait décider
en faveur de l'ordre Chronologique ,
& vous me confeillez de le fuivre ; c'eft
un effet de votre bonté dont je vous rends
graces ; mais outre que ce confeil eft venu
trop tard , je vois des difficultés dans l'exécution
.
Il eft vrai qu'on pouvoit fuivre l'ordre
Chronologique pour les familles ennoblies
, mais il n'en eft pas de même pour
les maifons de l'ancienne Chevalerie ; dès
que nous appellons Gentilshommes de
nom & d'armes , ceux dont l'origine eft £
ancienne que nous ne la connoiffons pas ,
dans quel fiecle les placer ? Il eft grand
nombre de Maifons très-anciennes qui font
éteintes , il en eft encore un plus grand de
celles dont les titres n'ont pu échapper à
la révolution des fiecles , tandis que des
Maifons moins anciennes & moins illuftres
ont confervé les leurs ; & parce que cellesci
ont de plus vieilles dates , & ont préfervé
de la pouffiere des mémoires domeftiques
, doivent- elles avoir la préférence
dans un ordre Chronologique ? Ce feroit
une injuftice contre laquelle on auroit
droit de fe récrier.
Sous quelle date pourroit on mettre
cinquante maifons dont les titres ne remontent
pas plus haut que le treizieme
FEVRIER . 1756. 139
fiecle , & plufieurs autres dont nous ne
trouvons aucun veftige avant le quatorziéme
? Un Gentilhomme de nom & d'armes
, que nous aurions fait naître au douziéme
fiecle , venant à recouvrer fes titres
qui reculent fes Auteurs au onzième , nous
fçauroit-il bon gré de lui avoir dérobé un
fiecle d'antiquité ?
Nous avons prévu & fenti toutes ces
difficultés en commençant notre Ouvrage ,
& nous avons cru que l'ordre Alphabétique
étoit le plus convenable & le moins fujet à
la critique. Je conviens qu'en ſuivant
l'ordre Chronologique , ceux qui n'ont
befoin que de quelques recherches ifolées ,
peuvent recourir à une table génerale &
alphabétique , mais combien de ces tables
font défectueufes , & citant mal , dans
quel embarras & quelle impatience ne
jettent- elles pas un Lecteur ? Cet inconvénient
ne fe rencontre pas dans un Dicrionnaire
, & je ne fuis pas furpris fi on
donne aujourd'hui dans ce goût.
Quant au Supplément dont vous parlez ;
il eft auffi facile que le refte de l'ouvrage
en le mettant en Dictionnaire ; je le crois
même plus facile que celui à faire après
un ordre Chronologique . Celui qui voudra
fe donner la peine de changer l'ordre
de notre Ouvrage , pourra bien y ajouter
140 MERCURE DE FRANCE.
par le moyen des titres dont il fera la découverte
, & qui ne nous ont pas été communiqués
: mais je ne pense pas qu'il doive
changer les dates que nous avons données ,
étant tirées du tréfor des Chartres & des
Nobiliaires les plus authentiques & les plus
vrais de la Province.
Je vois quelque différence entre la Bibliotheque
Lorraine de Dom Calmet &
notre Armorial ; dans celle- là on pouvoit
fuivre un ordre Chronologique pour faire
connoître les fiecles qui avoient produits
de grands hommes , & où les beaux Arts
avoient fleuri davantage. Mais dans celuici
, il importe peu de fçavoir combien un
fiecle a fait de Nobles plus qu'un autre. On
fçait que la facilité d'un Prince , & l'argent
ont donné naiffance à grand nombre
de Lettres d'ennobliffement dans plufieurs
fiecles , & l'ordre Chronologique ne donneroit
pas plus de relief à un ennobli par
Finance , du tems de René 1. qu'à un ennobli
par argent , par Charles IV.
J'ai l'honneur d'être , &c.
FEVRIER. 1756. 143
LETTRE
De M. de Chevrier , à Dom Pelletier , fur
le même Ouvrage.
J'ai lu , Monfieur , dans le premier volume
du Mercure de Décembre l'annonce
d'un Armorial de Lorraine dont vous êtes
l'Auteur. Cet Ouvrage qui manquoit à
notre Province eft digne d'un Citoyen qui
vit fans prétentions & qui éclaire fes compatriotes
fans orgueil. La Lettre qui fuit
l'annonce de votre foufcription , m'a paru
intéreffante par fon objet . Souffrez
j'ajoute aux Réflexions de l'Anonyme des
remarques utiles qui affermiront votre
gloire , parce qu'elles contribueront au
bien de l'Ouvrage , & à l'honneur de la
Patric,
$
que
Vous fçavez mieux que moi , Monfieur,
que tout Nobiliaire qui n'eft point hiftorique
, n'eft qu'une compilation Généalogique
qui fournit beaucoup de dates &
peu de faits ces fortes de productions
Téches par elles -mêmes , veulent être appuyées
fur des Mémoires intéreffans & inf.
tructifs tout-à-la fois : perfonne ne pouvoit
mieux que vous leur donner la forme que
142 MERCURE DE FRANCE.
j'ofe vous propofer, fuppofez qu'elle n'entrât
pas dans le plan de votre ouvrage que
le projet de foufcription nous laiffe défirer.
Un Nobiliaire ne peut être utile qu'il ne
foit hiftorique je connois tous ceux que.
nous avons en Lorraine . Dans le feizième
fiecle , & tandis que le Parlement de Nancy
tenoit encore fon fiege à Saint Mihiel
fous le titre des grands Jours , Charles
Bournon Confeiller de cette Cour Souveraine,
compofa un Nobiliaire de Lorraine
dans lequel il n'a inféré que des anecdotes
fingulieres , telles entr'autres que celle - ci...
Nicolas N *** ennobli fut en la Ville de Bar,
en 1544 , par le bon Duc Antoine y feant ,
pour avoir baillé à iceluy Prince, deux chiens
blancs de chaffe.
Claude Cachet Maître des Comptes , a
donné un Nobiliaire plus ample & plus
exact que celui de Bournon ,
, foit que l'ouvrage
de ce dernier dont on n'a que des
lambeaux, ne fût pas parvenu à la connoiffance
de Cachet , foit qu'il eût pensé que
de pareils motifs d'ennobliffement pouvoient
déplaire aux defcendans de N*** ,
il n'a rapporté aucunes des anecdotes qui
fe lifent dans le Nobiliaire de Bournon.
Quelques modernes ont voulu continuer
l'ouvrage de Cachet ; mais indépenFEVRIER.
1756. 143
damment de fon plan qu'ils ont fervilement
fuivi , ils ont fait les mêmes fautes
que ce Magiftrat , & l'on en trouve plus
J'une dans fon Ouvrage.
Le feul moyen , je le répete , de faire un
bon Nobiliaire , c'eft de le rapprocher de
l'Hiftoire ; cet objet eft aifé à remplir en
raine. Les Regnes des vingt- fept Ducs
qui ont gouverné cette Province par fucceffion
, n'ont rien d'obfcur , & j'ofe avancer
que depuis 1048 , tems auquel l'Empereur
Henri III donna l'inveftiture de
la Lorraine à Gerard d'Alface , jufqu'en
1737 , on ne trouvera pas une lacune
dans les événemens importans de la vie
de nos Souverains : tout eft lié , tout eft
fuivi , & par conféquent tout eft facile
à décrire . Joignez à la certitude de ces
époques le Regne glorieux du Monarque
que la Lorraine a le bonheur de pofféder
depuis près de dix-neuf ans , vous
ferez une Hiftoire exacte qui annoncera
le Maître bienfaifant & le fujet utile. Un
Nobiliaire qui ceffe d'être un Catalogue
alphabétique , doit renfermer un extrait
fuccinct de la vie du premier Souverain :
après ce préliminaire inftructif , on doit
placer par ordre Chronologique tous les
Citoyens que ce Prince a ennoblis , &
rapporter les caufes pour lefquelles ils
144 MERCURE DE FRANCE.
l'ont été ; ces anecdotes toujours glorieufes
impriment le refpect , excitent l'émulation,
& contribuent à l'avantage de l'Etat.
A l'égard des Maifons de l'ancienne
Chevalerie qu'on appelloit communément
les quatre grands Chevaux de Lorraine , on
pourroit unir leur Hiftoire à celle des Sor
verains , fous lefquels les defcendans de
ces Maifons diftinguées ont fervi : la même
marche s'obferveroit pour les anciens
Nobles dont l'origine fe perd dans les fiecles
les plus reculés. En fuivant ce Plan
méthodique , votre ouvrage n'auroit pas
la divifion que vous annoncez ; mais je
crois qu'il n'en feroit que plus utile.
Telles font , Monfieur , les Réflexions
que je foumets à votre examen ; elles font
d'un Citoyen qui ne refpire que l'amour
de fon Païs , & qui ne s'intéreffe qu'à la
gloire de ceux qui , comme vous , Monheur
, illuftrent leur Patrie & les Lettres.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Paris , le 6 Décembre 1755 .
ARTICLE
FEVRIER. 1756. 145
ARTICLE I I I.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
GRAMMAIRE.
OBSERVATIONS Grammaticales &
Ortographiques fur les différens fons de la
leure T , avec le moyen de les fixer ; par
M. de Montfort - Lautour , de la ville
d'Argentan.
LA lettre T produit un fon articulé &
naturel , lorfqu'elle eft fuivie de l'une des
cinq voyelles a , e , i , o , u , & forme par
ce moyen les fons fimples ta , te , ti , to
tu. Elle en fait de même lorfqu'elle eft .
fuivie d'une diphthongue comme dans
taon , tien , &c.
Il y a cependant un nombre confidérable
de mots , où la lettre T perd le fon
qui lui eft propre & naturel pour prendre
celui du C , ou de deux SS , comme
dans action , initié , primatie ; mots qui fe
prononcent comme s'ils étoient écrits
accion , iniffié , primacie.
G
146 MERCURE DE FRANCE.
On obfervera que ce changement de
fon ne fe fait que lorfque la lettre T eft
fuivie de la voyelle i ; mais cette exception
n'eft pas générale , puifque nous trouvons
d'autres mots , où le T , fuivi d'un i , conferve
fon articulation naturelle , comme
dans matiére , bénitier , galimatias , &c.
Cette différence de fons produits par la
même lettre , doit fans doute embarraſſer
un étranger qui veut apprendre la Langue
Françoife , en prononcer les mots , &
les écrire correctement. A qui aura- t'il
recours pour ſe tirer de fon incertitude ?
Jufqu'à préfent nos meilleurs Grammairiens
ne nous ont donné fur cela aucunes
regles pofitives qui puiffent détermi
ner & fixer notre prononciation . Un jeune
homme de quinze à feize ans , ou toute
autre perfonne qui n'a pas un ufage parfait
de la maniere de prononcer tous les
mots de la Langue Françoife , fe trouvera
tout d'un coup arrêté dans fa lecture :
s'il rencontre , par exemple , le mot primatie
, prononcera-t'il la derniere fyllabe par
tie , ou par cie ? Prononcera-t'il potion par
tion , ou par cion ? La raifon , jointe à la
regle générale , qui donne aux lettres un
fon propre & naturel comme ta , te , ti ,
to , tu , demanderoit qu'il prononçât tie
& tion ; cependant s'il le prononce ainſi ,
FEVRIER.
1756.
147
il fe trompera & parlera mal, puifque l'ufage
exige qu'on écrive
primatie & potion par
un T , & qu'on
prononce ces mots par un
C , primacie , pocion . Combien de fois n'aije
point entendu
prononcer
Ariftocratie
par tie , avec un T abfolu ,
quoique ce
mot doive fe
prononcer comme s'il étoit
écrit
Aristocracie ? Ne fe
trouve - t'on pas
tous les jours dans
l'incertitude de quelle
maniére on
prononcera les mots fuivans.
Eglantier , qui eft une plante
épineuſe :
Gothie ,
Province de Suede :
Antiade , qui
veut dire
amygdale : Scotie , qui eft un terme
d'Architecture :
Croatie , qui eft une
Province de
Hongrie : Antie , vieux mot
adjectif , qui
fignifioit ancien :
Acontias ,
nom d'un ferpent , & tant
d'autres mots ,
dont la
véritable
prononciation ne nous
eft pas familiére.
Nous
ofons
propofer un
moyen qui
nous
paroît
facile , c'eft de
mettre
fous le
T la
cedille que l'on met fous le C pour
lui
donner le fon de l'S
comme
dans ces
exemples, potion,
martiale ,
effentiel, &c. ;
à l'aide de cette
petite
marque , la
diftinction
des deux
fortes de T fera faite .
Cette
obfervation eft fi
naturelle , fi
fimple &
fi
néceffaire ,
qu'on doit être
furpris
que
l'ufage
n'en ait pas été établi , dès que la
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
Langue Françoiſe a commencé à prendre
une forme régulière.
MÉDAILLES.
Quelque recherche que puiffent faire
les curieux pour tirer du chaos de l'antiquité
des monumens que la diftance des
tems & la négligence des hommes ont
dérobés à nos connoiffances , un feul ne
fçauroit les voir tous par lui-même. Il
en eft de fi rares , qu'il eft moralement
impoffible qu'ils parviennent à la vue de
tout le monde. Il n'y a qu'un parti à prendre
; ou il faut douter de plufieurs , ou
il faut en croire la bonne-foi d'autrui.
Lés plus célébres Médailliftes ne font point
d'accord fur l'exiftence de certaines médailles
, ou de ce qui eft contenu fur leur
type. Le fçavant P. Jobert, Jefuite a avancé
dans fon livre intitulé La Science des
Médailles , que de toutes les Impératrices
il n'y a eu que IVLIA DOMNA , femme
de Septime Sévere , à qui on ait donné le
nom de PIA. Le célebre Auteur des remarques
fur ce même livre , le redreffe
fur cette aflertion : il cite plufieurs Princeffes
qui ont été honorées du même titre.
Parmi les Antiquaires , les uns rejetFEVRIER
. 1756. 149
tent cette critique comme dépourvue de
preuves , l'Auteur n'ayant pas indiqué les
cabinets où fe trouvent ces Médailles : les
autres l'adoptent & s'en tiennent à la bonne
- foi de M. l'Abatie qui l'a faite . Ils ont
raifon ; car outre celles qui peuvent fo
trouver ailleurs , on voit à Toulon entre
les mains du P. Moiette Minime , une
Fauftine la jeune , en argent , où on lit
autour de la tête , fans pouvoir ſe tromper
: DIVA FAUSTINA PIA . Au revers :
CONSECRATIO. Un bucher devant lequel
eft un paon. On peut delà raisonnablement
conclure , que les autres Médailles
rapportées par M. de l'Abatie exiftent
auffi , quoiqu'il nous ait laiffé ignorer
quels font les Cabinets qui poffedent ces
pieces rares.
PHYSIQUE.
Lettre à l'Auteur du Mercurefur le tremblement
de terre arrivé à Lisbonne , le premier
Novembre 1755 ; par M. l'Abbé
Montignot , Chanoine de Toul , Membre
de la Société Royale de Nancy.
L'Evénement
mémorable dont le
Royaume
de Portugal
vient d'être le théâtre , fait
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
frémir l'humanité; & vous n'avez point la
fans compaffion le détail d'un tremblement
de terre qui a fait périr tant d'hommes ,
& qui les a enfevelis fous les ruines d'une
ville très floriffante.
Liſbonne , capitale du Portugal , bâtie
fur les bords du Tage , à fon embouchure ,
fi propre, par l'avantage de fa fituation , au
commerce le plus floriffant , eft le centre
de ce tremblement ; elle eft le foyer de
cette explofion chimique ; elle en avoit
déja reffenti les terribles effets . Cet événement
tragique n'eft qu'une répétition de
ce qui étoit déja arrivé , il y a deux fiecles
, & prefque dans les mêmes circonftances.
Que s'enfuit- il de ces remarques
que je vais vous développer ? C'eft que le
Gouvernement de Portugal , inftruit par
deux exemples fi frappans , fera peut-être
contraint d'abandonner un port fi riche ,
& de pourvoir à la fureté de ſes ſujets , en
tranfportant la Capitale dans un lieu qui
foit moins expofé à de pareilles révolutions.
C'eft dans les hiftoires de Paul Jove
que vous pourrez prendre des éclairciffemens
, & y voir comme des préfages de
ce qui vient d'arriver. Nos arriere- neveux
ne parcourront - ils pas de même nos annales
› pour y comparer encore le tremFEVRIER.
1756. 15t
blement de terre qu'ils y effuyeront avec
celui dont nous avons été les témoins ? les
avertiffemens que la faine philofophie va
donner de toutes parts à ce Royaume , ne
ferviront peut- être de rien pour la fureté
des fiecles à venir. Les hommes tiennent
trop à leur climat , à leur patrie , à leur
lieu natal , & plus encore à leur intérêt ,
pour qu'on puiffe efperer qu'ils ouvrent
les yeux , & qu'ils fe tranfplantent. Raifonnez
, tant qu'il vous plaira , fur l'intervalle
immenfe qui fépare l'homme des
êtres infenfibles , ces réflexions vraies &
certaines ne contrédifent cependant pas
ce que j'avance , à fçavoir que les hommes
tiennent prefque autant au fol qui les porte
, & qui les nourrit que les plantes pri
vées du mouvement progreffif.
En vain l'Etat & le Roi qui le gouverne
fi fagement , encourageront- ils les hommes
effrayés à changer de demeure. Prenons-
nous affez d'intérêt au bonheur des
fiecles futurs pour facrifier un bien préfent
à un mal éloigné , & qui perd une
partie de fa réalité par l'éloignement dans
lequel on fe le repréſente ?
Quoique ces terribles pronoſtics ne doivent
peut-être pas fervir au bonheur des
hommes , la philofophie qui eft de tous
les lieux & de tous les âges , ne doit né- 2
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
gliger aucune occafion pour les exciter à
leur confervation ; & comment y réuffirat'elle
ici , fi ce n'eft en avertiffant que
Lifbonne court les mêmes rifques pour
l'avenir ?
Vous fçavez , Monfieur , quel fut le fignal
du tremblement ; je le remets fous
vos yeux , afin que la comparaifon que
vous en ferez avec celui de 1532 , vous
devienne plus fenfible. Il étoit neuf heures
du matin, le premierNovembre de cette année
1755 , lorfque tout- à- coup on entendit
un grand bruit femblable à un coup de
tonnerre. Il fut accompagné d'une fecouffe
violente , de rédoublemens , de grandes
crevaffes & ouvertures de terre , d'une
crue d'eau extraordinaire. Le Tage s'enfla
prefque foudainement , les vagues de la
mer furent pouffées au loin hors de fon
rivage ; les bâtimens , les édifices publics ,
les maiſons ont été renversées ; plufieurs
ont été englouties , & plus de la moitié
de Lisbonne n'eft qu'un trifte amas de pierres.
Voilà pour la Capitale.
Les villes peu diftantes de Liſbonne ont
autant fouffert. Setubal n'eft plus. Santaren
bâtie fur le rivage droit du Tage , à
quelques lieues au deffus de Lifbonne , a
éprouvé un malheur femblable. L'inondation
a détruit ce que le tremblement avoit
FEVRIER. 1755.
153
épargné.
J'oubliois de vous dire que
le feu s'étoit joint au
tremblement à Lifbonne
, & que l'incendie y avoit fait autant
de ravage que les fecouffes , enforte
que fes habitans peuvent dire avec vérité :
Tranfivimus per ignem & aquam ; ( 1 ) mais
cet incendie n'eft furvenu au
tremblement
que par occafion. Il aura fans doute pris
fa caufe dans les débris des maifons qui
feront tombés fur les feux..
1 Les fecouffes fe font fait fentir dans
tout le Royaume de Portugal , & dans la
plupart des villes
d'Efpagne : on marque
qu'elles ont été violentes , furtout à Séville
, dont la belle tour a
beaucoup fouffert
, & à Cadix. Ces villes font éloignées
de Lisbonne de foixante - dix lieues envi--
ron. Cette derniere a été prefque inondée
par un coup de mer qui lança contre fes
murs une vague d'une hauteur extraordinaire
;
heureuſement elle ſe brifa , & la
.mer rentra dans fon lit , pour ne le paffer
qu'une feule fois l'après - midi , où elle em--
porta une chauffée .
Je
m'écarterois trop de mon fujet, Monfieur
, en vous
parlant de ce
mouvement
des eaux de la mer , & en le
comparant
avec les
paroles de Job ( 2 ) : Huc ufque
(1 ) Pfal. 65. (2) Job. 38.
G
+
154 MERCURE DE FRANCE.
venies, & ibi confringes tumentes fluctus tuos.
Il eft certain d'une part que la mer a fouvent
pallé fes bords , & la Hollande ne le
fçait que trop. Le Golphe qui fépare Groningue
d'Embdem , eft une irruption de
la mer qui s'eft faite il n'y a guere plus
de deux cens ans. Je vous renvoie aux
Commentateurs , fi vous êtes curieux de
concilier les faits avec l'ordre donné par
Dieu à la mer.
Toute la côte de l'Océan a reffenti en
même tems cette fecouffe du premier Novembre.
Depuis Cadix jufqu'à Hambourg
fur la mer de Hollande , les nouvelles font
mention de Coïmbre , Bilbao , Bayonne ,
Angoulême , de quelques villes de Hollande
, de Hambourg. Je vous nomme les
principales pour que vous fuiviez fur la
carte la ligne du tremblement . Les côtes
de la Méditerranée ont été agitées , & furtout
Carthagene , Valence , &c.
Finiffons ce détail par l'inondation des
fleuves qui fe déchargent dans l'Océan.
On eft affuré du gonflement du Guadalquivir
, du Tage, du Douro, de la Garonne
, & du Wefel.
Il eft tems à préfent , Monfieur , de rapprocher
fous vos yeux les traits de comparaifon
des tremblemens de terre de Lif
bonne , de Janvier 1532 , & de NovemFEVRIER.
1756. 155
bre 1755. Les réflexions naîtront enfuite
les unes des autres .
Le tremblement de 1532 , dont l'Evêque
de Côme nous marque les particularités
au vingt-neuviéme livre des hiftoires
de fon tems , ne fut ni auffi violent ni
auffi univerfel que celui que vous venez
de lire. Paul Jove ne parle que du Portugal
. Il eft vrai qu'il fait mention d'une
irruption violente , des eaux de la mer
dont Harlem & l'Eclufe , villes de Hollande
, furent fubmergées ; mais outre que
cette irruption précéda de deux mois , elle
ne fut pas accompagnée de tremblement ;
& fi l'inondarion fut l'effet d'une explofion
, ce qui eft vraiſemblable , cette explofion
fe fit dans la mer.
Cependant le tremblement de 1532 fe
fit au même lieu qu'aujourd'hui . Liſbonne
en fut alors le centre & le foyer. L'Auteur
remarque que ce fut dans cette ville furtout
qu'il eut de fâcheufes fuites . La mer
ne fe feroit- elle pas creufé fous cette ville
de profondes cavernes , qui feront devenues
comme la miniere & le lieu de l'amas
des matieres bitumineufes & inflammables
qui font la bafe de l'exploſion ?
Vous avez vu , Monfieur , que les eaux
du Tage groffirent fi confidérablement le
premier Novembre , qu'elles étoient éle-
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
•
vées à la hauteur de dix pieds au deffus de
leur lit à Tolede. La caufe en eft fenfible.
Les vagues de la mer pouffées avec violence
faifoient réfiftance à l'écoulement des
eaux du Tage , fe font mêlées avec elles ,
les ont fait refluer , & c'eft là ce qui a caufé
l'inondation de Sétubal & de Santaren.
Or l'inondation de 1532 fut égale à celle-
ci. Les expreffions énergiques de Paul
Jove n'en laiffent pas douter , quoiqu'il
ait négligé cette précifion géométrique fi
néceffaire dans les phénomenes de la nature
, pour mieux tracer le tableau frappant
qu'il nous en donne. Vous comprenez
, Monfieur , l'étroite liaifon qui fe
rencontre entre une inondation & un tremblement
; elle est néceffaire quand le tremblement
arrive fur une côte , parce qu'il
agit toujours fous les eaux de la mer par
des éruptions de l'air qui fait bouillonner
& élever fes eaux.
Jove parle de deux autres villes qui fu
rent fécouées avec Lifbonne . L'une de ces
villes eft Santaren , la même dont je vous
difois plus haut , qu'elle étoit détruite.
Voici un dernier trait de reffemblance ,
qui à la vérité ne répand aucune lumiere
fur ces deux tremblemens , mais elle n'en
eft pas moins touchante , puifqu'elle nous
montre les foins de la providence fur les
FEVRIER. 1756. 1ST
perfonnes facrées des Rois . Jean III qui
étoit fur le trône du Portugal en 1532 ,
n'étoit pas alors à Lifbonne : il fut contraint
de camper plufieurs jours , & le péril
étoit fi grand & fi prochain qu'il n'ofoit
coucher dans le même endroit où il
avoit paffé la journée. Ne vous femble-t'il
pas voir la Cour à Belem , & le Roi expofé
au milieu de la campagne , n'ayant pour
tout logis que fon carroffe :Voici le paffage
de Paul Jove .
Nec multò poft fequenti menfe Januario
par propè exiii clades Lufitanis ( 1 ) in ipfis
procul vifceribus terra , furente debacchanreque
Eolo illata eft , cujus impetu Ulyffipo
( Liſbonne ) imprimis
incomparabile detrimentum
fenfit , & poft eam Coloniam
fanctæ Avennæ & Azemburga Almerinique
urbium publica privataque adificia, inufitato
terra motu, conquaffata profciffaque , magnam
vim mortalium ruinis oppreffère. Et nonnulla
etiam navigia turbulento inflati maris
hiatu abforpta funt. fic ut Tagus infanis
allidentis maris fluctibus repulfus , difcedenribufque
in utramque ripam fuis undis , ficca
in medio unda , obftupentibus cunctis oftenderet
, nemoque jam totâ propè Lufitania
tellis fuis confideret fubfultante fcilicet folo ,
,
… ( 1 ) Jov. Hift. 29. ad finem anni 1532.
ISS MERCURE DE FRANCE. s
ideoque non ciò defituram terra motus vim
ita pramonftrante , ut Regis Regina exemplum
fecuti univerfi fere incola , tabernacula
apertis in locis Caftrenfi more
repentinum terræ hiatum quo abforberi poffent
, non temerè extimefcendum arbitrarentur
.
›
cùm
Ne femble -t'il pas , Monfieur , qu'on
lit ce qui vient d'arriver en Portugal ? &
manque-t'il aucun trait au tableau pour
repréſenter les malheurs de ce Royaume ?
Je le répéte donc ; cette exploſion n'eſt
qu'un fecond amas de bitume , de foufre
, & d'autres matieres inflammables ,
que les eaux de la mer y ont apporté , ou
qu'elles y ont mis en action ; il a fallu
deux fiecles entiers pour que la matiere
de cette fermentation chimique s'y amaffât
en quantité fuffifante , pour que les
principes inflammables s'y perfectionnaffent
, & y acquiffent le dégré propre à une
déflagration .
L'air , comme vous fçavez , eft l'agent
le plus efficace & le plus terrible , furtout
quand il ne trouve aucune iffue dans
le moment qu'il brife les cellules dans
lefquelles il étoit comprimé , & qu'il fe
reftitue avec toute fa force élaftique pour
fe mettre en équilibre avec l'air ambiant.
L'art humain ne fçauroit parer à ces foμ-
FEVRIER. 1756.
159
dres menaçantes. Il ne peut éventer des
mines fi profondément creufées fous terre,
& d'une étendue fi grande. Le feul remede
que la philofophie a obfervé , mais qu'elle
ne fçauroit fournir , c'eft l'éruption d'un
volcan ou d'une bouche ouverte qui exhalant
par des canaux l'air qui fort par détonation
avec les matieres bitumineufes
empêche qu'il n'exerce toute fa force élaftique
contre la furface de la terre ; de la
même maniere que la poudre à canon agit
dans une mine fous un baftion , affoiblit
cet effort multiplié qui agite les fondemens
des édifices , fe fait des crevaſſes , s'ouvre
des abîmes qui ont englouti la moitié de
Liſbonne.
On s'accoutume trop
aifément à regarder
les volcans comme des phénomenes
terribles. Si l'on envifageoit en philofophe
l'utilité de ces feux fouterreins qui s'exhalent
, le volcan ne feroit plus qu'un
garant fûr qui préferve les lieux où il fe
trouve des malheurs que Lifbonne vient
d'éprouver Si le Mont Véfuve ne vomiffoit
fon bitume , & fa lave par des périodes
réglées , il y a long - tems que le Royaume
de Naples ne feroit plus.
Ce n'eft qu'avec peine , Monfieur , que
je vous fais part de ces triftes penfées ;
vous fçavez qu'il eft défagréable à un Phi160
MERCURE DE FRANCE.
lofophe de s'avancer jufqu'à faire le prophéte
, furtout pour annoncer des événemens
funeftes ; mais après tout , ces caufes
phyfiques ne nous ramenent- elles pas naturellement
à ces pronoftics , & ne les
touchons- nous pas au doigt ? Le tremblement
de terre de 1532 n'eft-il pas le même
que celui d'aujourd'hui ? n'a- t'il pas le
même foyer & le même centre fous Lif
bonne ? La mer qui fut repouffée par l'explofion
fouterreine de l'air , par la partie à
laquelle ces cavernes communiquent avec
elle , la mer , dis- je , n'a - t'elle pas reſſenti
pareillement le mois dernier un gonflement
& une agitation pareille ? & pouvezvous
attribuer les coups des vagues qui
paffent leurs rivages , qui fe portent avant
dans les terres par l'embouchure des fleuves
, pouvez-vous les attribuer à d'autres
caufes qu'à cette communication de l'air
dilaté par l'explofion , à ces caux de la
mer ? La détonation , le bruit du tonnerre
accompagné du tremblement des terres
des agitations de la mer , du gonflement
des fleuves , n'en eft- il pas un indice trop
certain ? La mer donc effuie de fon côté.
une agitation en même tems que les ter
res s'ébranlent ; c'eft la même caufe , mais.
elle agit différemment fur les corps d'une
nature différente , l'eau réfifte à l'action
FEVRIE R. 1756 . 161
de l'air , felon les regles que fuivent les
corps fluides dans leur choc. Vous voyez
encore , Monfieur , pourquoi les vaiffeaux
font engloutis dans les bourrafques violentes
; l'air qui s'échappe à travers les eaux ,
leur communique un mouvement violent
de tourbillon qui creufe l'abîme jufques
dans les fondemens. C'eft une efpece de
trombe de mer , dont la colonne eft placée
dans l'épaiffeur des couches de la mer.
C'est la caufe de ce que remarque Paul Jove
: ( 1 ) Et non nulla etiam navigia , turbu
lento inflati maris hiatu , abforpta funt . Nous
apprendrons peut- être qu'un pareil malheur
a précipité au fond des mers quelques
vailleaux qui étoient dans le voilinage
de Lisbonne,
Quant à l'étendue des lieux où le tremblement
s'eft fait fentir , c'eft un point
difficile à faifir & à comprendre. Ce n'eft
point par la communication des terres
précisément qu'il s'eft propagé : car fi ce
tremblement s'étoit communiqué par ondulation,
à peu près comme l'agitation des
eaux , ou comme le fon par une propagation
fucceffive qui s'affoiblit en s'éloignant
du centre du mouvement , pourquoi des
villes très éloignées de Lisbonne auroientelles
reffenti le tremblement , tandis que
(1) Ibid.
162 MERCURE DE FRANCE.
les lieux intermédiaires & beaucoup plus
près auroient été préfervés D'ailleurs ,
Milan a reçu plufieurs fecouffes. Hambourg
les a reffenties : Comment des terres
féparées par des eſpaces auffi vaftes auroient-
elles participé à ce mouvement par
communication ? on pourroit dire encore
que la matiere inflammable amaffée fous
ces lieux avoit fermenté , & détonné au
même moment. Il eft certain que les villes
n'ont pu être fécouées fans une caufe phyfique
préfente , & prefque immédiate qui
leur imprimât le mouvement fubit : mais
il ne fuffit pas pour l'intelligence de ce
phénomene de reconnoître une déflagration
momentanée ; car il feroit extraordinaire
qu'elle fe fût faite précisément à la
même heure ; & il eft néceffaire d'ajouter
que les lits de matiere bitumineufe fe
communiquent les uns aux autres par des
- fentes & des cavernes de même que les
mines qu'on fait jouer en même tems .
L'inflammation a été fi forte , fi confidérable
, fi univerfelle à Liſbonne , que les
foufres ambians ont participé à fa déflagration
; qu'elle s'eft communiquée avec
la même rapidité que des matieres graffes
& inflammables s'allument , & que l'incendie
fouterrein s'eft répandu à la ronde
par des canaux fouterreins ; qu'il a
-
FEVRIER . 1756. 163
fait des ravages à proportion de la matiere
enflammée , de la compreffion de l'air ,
de la proximité de cette mine , de la furface
des terres , & de la réfiftance de ces
terres à la dilatation de l'air.
Si l'on infifte jufqu'à exiger des preu
ves fenfibles & palpables de la communi.
cation de ces matieres, il eft évident qu'on
eft déraisonnable d'attendre pour s'en convaincre
qu'on l'apperçoive des yeux · les
faits font certains , cela fuffit. D'ailleurs ,
on fçait que les mines font répandues
prefque partout ; par conféquent , que le
foufre qui fait comme la bafe du phlogiftique
, eft diftribué par veines dans les
couches terreufes on a déja pouffé loin
les connoiffances de cette philofophie fouterreine.
Voyez , Monfieur , dans les Mémoires
de l'Académie, une carte des mines
pour la France.
J'ai l'honneur d'être , &c.
A Toul , le 11 Décembre 1755.
HISTOIRE NATURELLE.
Anecdocte finguliere d'Hiftoire naturelle.
SII les Tourterelles font de tous tems en
poffeffion d'être citées pour le modele de
164 MERCURE DE FRANCE.
la fidélité conjugale , ces volatiles ont ce
pendant des rivaux parmi des animaux
qu'on ne foupçonneroit guere d'une tendreffe
auffi délicate , je veux parler des
habitans des eaux. Le Lecteur trop preffé
eft peut-être déja tenté de prendre ce début
pour une fable ; mais ce n'eft pas là le premier
malheur de cette efpece que la vérité
a eu à effuyer. Je commence mon récit.
Une Lionne & un Lion marin font venus
s'échouer fur la côte de Bretagne dans l'anfe
du Poulinguen à l'embouchure de laLoire.
Il arrive affez fouvent que des Poiffons
d'un autre climat s'échouent fur des côtes
étrangeres,foit qu'une violente tempête les
y ait portés malgré eux , ou bien qu'ils fe
foyent obftinés à fuivre des vaiffeaux pour
profiter de ce qu'on jette à la mer. Les Requins
que l'on trouve à l'Amerique viennent
originairement de la côte de Guinée ,
en fuivant les navires qui tranfportent les
negres.
Mais je reviens à ma Lionne marine
échouée fur le fable. Lorfqu'on vouloit en
approcher , elle ouvroit une gueule armée
de dents plus blanches que la neige ; mais
comme elle avoit les reins fort roides , on
trouva le moyen de la faifir par derriere ,
on la tranfporta delà au Croific qui n'en
eft qu'à deux lieues. On la mit dans une
སྙ་
FEVRIER. 1756. 165
auge de bois remplie d'eau de mer que
l'on avoit foin de
renouveller à chaque
marée. On lui fourniffoit du poiffon , non
pas fuivant fon appétit , car elle eût feule
plus coûté à nourrir qu'une Communauté.
M. le Duc d'Eguillon & toute fa fuite lui
rendirent vifite au mois d'Août dernier en
paffant au Croific.
Pendant ce tems - là que faifoit le Lion
marin égaré dans l'Océan ? il fe promenoit
le long de la côte , & pendant la nuit il
faifoit retentir l'air de fes gémiffemens ;
ils étoient femblables aux ' hurlemens d'un
chien égaré. Pendant plus d'un mois il
refta conftamment autour de l'endroit où
fa fidele compagne lui avoit été ravie : il
avoit l'audace de s'avancer dans l'efperance
de la trouver , jufques dans des foffés d'eau
falée , c'étoit s'expofer à un péril inévitable
pour un auffi
un auffi gros animal. Il eft enfin
mort du regret de l'avoir perdue,
Remarques fur fa conftruction .
Les poiffons amphibies refpirent l'air ,
& peuvent vivre un certain tems hors de
l'eau . Le Lion marin femble être compofé
de la tête d'un Dogue , dont il imite le
hurlement , & du corps d'un poiffon. Il a
deux pattes en devant qui lui fervent à ſe
166 MERCURE DE FRANCE:
traîner lorsqu'il eft à terre . Il eft couvert
d'un poil fort ras de couleur grife . Il avoit
environ cinq pieds de long. Theliamed
dans fon fyftême plus que fingulier , nous
affurera que c'eft un poiffon qui commence
à s'humaniſer , mais perfonne ne le croira.
Si la nature peut quelquefois trahir
fon fecret à force de varier fes ouvrages ,
peut-être trouverons nous dans cet animal
quelque chofe de curieux fur la refpiration.
Du moins la ftructure de fes poumons
, femble - t'elle propre à extraire de
l'air ( ce magafin univerfel ) des molécules
, d'une figure différente de celles qui
font féparées par ceux des quadrupedes ;
ces fecrétions de l'air , qui fans doute font
auffi différentes en elles- mêmes que les inftrumens
de la refpiration ont de ſtructures
différentes , prouvent la varieté infinie
de la nature dans une chofe qui nous paroît
être la même ; j'efpere dans quelque
tems d'ici communiquer au Public les obfervations
que j'ai faites fur cette matiere. ·
y a environ quatre ans que M. de Buffon
fembloit approuver mes premieres
vues fur le méchanifme de la refpiration ,
dans une réponse à une de mes Lettres . Un
homme qui fçait fi bien voir la nature ,
n'encourage pas peu celui qu'il approuve.
Puifque nous fommes à parler de l'air , je
Il
FEVRIER.
1756.
167
veux dire un mot de celui du Croific , qui
eſt d'une activité qui
contribue à rendre
le fang & les autres humeurs
extrêmement
fluides. L'on ne
connoît dans ce petit
canton , ni les
obftructions , ni les maux
de tête , les
maladies de
langueur n'y font
pas plus connues : fa fituation fert à expliquer
la caufe
Phyfique de cette proprieté
.
Premierement , il eft prefque tout
entouré de la mer , fi vous ajoutez à cela
que toute la campagne eft en partie couverte
de gros tas de fel. L'air chargé des
particules falines & nitreufes qu'il détache,
de ces amas de fel & de la furface de la mer
augmente la proprieté qu'il a de raréfier
le fang qui eft porté aux
poumons ; il devient
un
diffolvant bien plus actif , que
l'air épais des Villes qui font fituées au
milieu des terres. Il est un bon remede
pour ces mélancolies
caufées
fement des
liqueurs. J'en ai fait l'expé- par l'épaifif
rience avec fuccès , je
l'enfeigne au Public
avec
défintereffement &
j'efpere qu'on
m'en croira , car je ne fuis pas Médecin.
J'ai
l'honneur d'être , &c.
3
Au Croific , ce 22
Décembre , 1755 .
DE
VILLENEUVE
168 MERCURE DE FRANCE.
MÉDECINE.
Mémoire par M. Fournier , Médecin de
l'Hôtel- Dieu de Montpellier.
L'Héméralopie
, qu'on rend fort bien en
Latin , par vifus diurnus ; & en François
par vue de jour , eft une maladie trèsrare
& fi peu connue , que j'ai été obligé
de me former moi - même le plan de fon
traitement , lorfque ces Héméralopes font
venus à l'Hôtel -Dieu. Ils ont commencé
à s'y préfenter vers la fin du mois de Janvier
de cette année ; ils étoient au nombre
de trois , & foldats du Régiment de
Briqueville ; je ne les vis qu'à la vifite du
foir. Après les avoir examinés , fans penfer
à leur Héméralopie , je leur trouvai la
fievre , une grande douleur de tête , la
langue chargée , la bouche mauvaiſe , l'eftomac
plein , tourmenté d'inquiétudes ,
avec des envies de vomir . J'allois d'abord
fuivre ces indications , lorfqu'ils ajouterent
que ce n'étoit pas là tout , qu'ils
avoient à fe plaindre d'autres accidens ,
qui les empêchoient de faire leur ſervice ,
qu'il n'y avoit point de lumiere ni d'objets
pour eux le matin & le foir , & qu'ils
ne
FEVRIER . 1756. 169
ne les appercevoient qu'aux grands rayons
du foleil , encore même avec quelque confuſion
, & d'une maniere peu diftincte . Je
revenois à peine de la furpriſe où m'avoit
jetté cette dépofition , que je les fis fucceffivement
approcher d'une grande fenêtre
de la falle , pour voir fi je ne pourrois
pas découvrir quelque vice dans les portions
du globe de l'oeil qui peuvent être
à portée de l'examen ; mais je n'apperçus
rien à quoi l'on pût raifonnablement imputer
ce phénomène. Voici ce que j'obfervai
, 1 ° . Que les yeux des malades étoient
bleus. 2°. Que la portion antérieure de
l'oeil étoit un peu chargée d'humidités.
3°. Que la cornée n'avoit rien perdu de fa
transparence , & qu'elle étoit partout dans
fon état naturel. 4°. Que l'humeur aqueufe
étoit limpide , comme elle doit l'être ,
& qu'elle ne donnoit au globe que l'extenfion
qu'il doit avoir , fans le faire excéder
en aucun point. 5 °. Que la pupille étoit
plus dilatée. Je remarquai au refte qu'elle
fe refferroit & fe dilatoit fenfiblement ;
mais je trouvai pourtant que fes mouvemens
de dilatation & de contraction
s'exécutoient plus lentement , & d'une
maniere moins rapide. 6 ° . Que l'iris étoit
dans fon état ordinaire , & n'avoit rien
de changé dans fa couleur. 7 ° . Enfin , que
}
*
H
170 MERCURE DE FRANCE.
le cryftallin avoit exactement fa tranſparence
, & la figure qu'il doit avoir.
Toutes ces confidérations une fois combinées
, me firent très-fûrement juger que
la caufe de l'hemeralopie de ces Soldats ne
réfidoit point dans les parties antérieures
de l'oeil , & qu'il falloit néceffairement
pour la trouver , s'adreffer aux parties poftérieures
qu'on ne sçauroit voir.
Entre ces dernieres , je compris fort bien
que le corps vitré donnant paffage aux
rayons de la lumiere, quand elle étoit affez
forte pour produire fes impreffions , ne
pouvoit être vive de maniere à l'occafionner.
Mes foupçons fe tournerent donc &
tomberent tous fur la rétine , & c'eſt à
cette membrane que je m'arrêtai pour y
fixer la caufe de la maladie que j'avois à
combattre , ne croyant pas comme certain
que la vifion fe faffe fur la choroide.
Je crus en conféquence que les fibres
de la rétine devoient être embarraffées d'une
lymphe trop groffiere qui y circuloit
avec peine ou avec trop de lenteur ;'ou bien
qu'elles étoient relâchées par des férofités
qui devoient avoir diminué leur tenfion ,
leur reffort , & les avoient rendues par- là
moins fufceptibles de l'impreffion qu'y excitent
les rayons vifuels.
C'eft à cette derniere idée que je m'arFEVRIE
R. 1756. 171
rêtai pour faire faigner ces malades du
bras , & prenant en confidération les autres
indications , je leur fis donner l'émétique
& appliquer un véficatoire au derrière
de chaque oreille .
Je trouvai le lendemain à la vifite du
matin ces Soldats beaucoup mieux à tous
égards ; ils m'affurerent qu'ils commençoient
à voir les objets , ce qui ne leur
étoit point arrivé depuis leur maladie ;
l'émétique avoit très- bien réuffi , & les
véficatoires avoient fait couler une quantité
furprenante de férofités .
Cependant la tête fe trouvoit encore
lourde & embarraffée ; l'eftomac étoit
moins chargé , mais on y fentoit encore
un poids , & les envies de vomir n'étoient
point entiérement diffipées , quoiqu'elles
fuffent moins fortes & moins fréquentes ,
les indications fe trouvant par- là dirigées
du côté du dégagement de la tête & de
l'eftomac. J'infiftai fur les premiers moyens
qui avoient été employés avec tant de fuccès
, & je revins à une faignée au pied &
à l'émétique , faifant foutenir conftamment
le véficatoire aux deux oreilles.
Cette derniere tentative emporta les autres
accidens & le refte des embarras qu'il
pouvoit y avoir dans la tête ; ces trois
Soldats me protefterent qu'ils voyoient
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
•
auffi parfaitement qu'ils euffent jamais vu
de leur vie ; on abandonna alors les véficatoires
, & ils partirent quelques jours
après très -bien portans pour le rendre à
leur quartier. A peine y furent- ils arrivés
qu'ils publierent leur guérifon , ce qui engagea
d'autres hemeralopes à fe rendre
dans notre Hôpital ; il en vint tout à coup
huit dans le même état que les premiers ,
& qui ne pouvoient faire aucun fervice.
On s'étoit trop bien trouvé de la méthode
dont on s'étoit fervi avec les autres
pour ne pas y revenir dans les mêmes circonftances
; on en fit donc encore ufage
avec les modifications convenables à leur
tempérament & aux autres accidens qui
fe trouvoient joints à leur hemeralopie ,
& on eut avec eux le même fuccès qu'on
avoit eu avec les autres : depuis ce moment
les hemeralopes fe font fuccédés à
l'Hôpital ; ils y ont été tous traités & gué
ris de même , au nombre de plus de foixante-
dix , qui font venus des Régimens
de Briqueville , Flandres , Hainaut , Trainel
, Royal , Navarre ; mais les Régimens
de Briqueville , d'Hainaut & de Trainel ,
font ceux qui en ont le plus envoyés.
Un accident arrivé à un Soldat de ce
premier Régiment a beaucoup contribué à
me confirmer dans l'idée où j'étais que la
FEVRIER . 1756 . 173
i
caufe antécédente de cette maladie étoit
dépendante d'une tranfpiration repercutée
par les grands froids , la neige , les vents.
& les brouillards ; ce Soldat ayant été
gueri de fon hemeralopie comme les autres
, fut rejoindre fa Compagnie cantonnée
fur les bords du Gardon ; comme il
étoit parfaitement rétabli il ne s'occupa
pas beaucoup des ménagemens qu'on doit
obferver dans toutes les convalefcences ›
& furtout dans celles qui intéreffent un
organe auffi délicat que celui de la vûe ; il
fit differens excès , & en jouant avec fes
camarades , il eut fi chaud , qu'il jetta ſon
chapeau & quitta fon habit pour être plus
à fon aife , quoiqu'il fit affez froid &
beaucoup de vent ; mais il fut bien furpris
quelques momens après , de ne voir
que foiblement les objets , & enfin de ne
les plus voir du tout . Allarmé au- delà de
tout ce qu'on peut dire , il fe rendit à Nif.
mes , ville la plus prochaine , où l'on décida
que tout étoit confommé pour lui ,
qu'il avoit les deux yeux cataractés ,
qu'il n'y avoit plus d'autre moyen de changer
fon état , que celui de l'opération toujours
douteufe , & très- certainement bien
éloignée des momens où on lui défignoit
ce fecours : ce langage affligeant porta dans
le coeur de ce jeune homme le coup le plus
&
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
fenfible , mais il ne fe découragea pas entiérement
; il fe hâta de partir pour notre
Hôpital;j'examinai fes yeux avec beaucoup
d'attention, & n'ayant rien trouvé de changé
dans les cryftallins, je compris qu'il avoit
été allarmé mal -à- propos , par des gens
qui n'avoient pas connu fon état , que
je regardai comme un retour de fa premiere
hemeralopie , plus forte à la vérité ,
& pouffée plus loin que dans la premiere
circonftance , mais dans le cas pourtant
d'être emportée par les mêmes reffſources
qui avoient été déja employées : le fuccès
répondit à nos efpérances ; le jeune homme
fortit quelques jours après bien portant,
jouiffant de tous les avantages de la lumiere
, & alla joindre avec bien de la joye
fon Régiment.
A Montpellier ce 12 Juin 1755.
CHIRURGIE.
LETTRE de M. Vacher , fils aîné
Maître- ès- Arts , étudiant en l'une &
l'autre Médecine , & Chirurgien à l' Hôpital
Militaire de Befançon , au Frere
Côme.
Monfieur , l'utilité de votre Lithotome
caché dans l'opération de la taille , eft fi
FEVRIER. 1756. 175
bien reconnue , que je ne crois pas qu'il
vous reste encore quelque contradicteur.
Les lettres qui vous ont été adreffées de toutes
parts, & qu'on vous adreffe encore dans
les Journaux & autres Ecrits , & le grand
nombre de perfonnes qui vous doivent leur
guérifon , ne laiffent plus aucun doute fur
le mérite de cet inftrument. Mais permettez-
moi la fatisfaction d'ajouter encore à
ces titres les expériences heureufes que
j'en ai faites moi- même dans trois opérations
, après l'avoir vu employer par mon
pere avec fuccès , & m'être exercé auparavant
fur plufieurs cadavres. Mon fuffrage
n'eft peut-être pas d'un poids bien confiderable
, mais j'aurai du moins l'avantage
de vous prouver mon eftime & ma
vénération .
J'ai fait la premiere opération le 8 du
mois d'Octobre de l'année précédente für
un enfant à la vérité bien conſtitué âgé de
7 à 8 ans , & fils d'un Charretier de Befançon
nommé la Fortune . J'opérai en préfence
de M. Rey Chirurgien Major de la
Citadelle de cette Ville , de M. Chanoine
Chirurgien Major d'un Bataillon d'Artillerie
, de mon pere & de tous fes éleves .
L'Opération fe fit en très- peu de tems ; la
pierre étoit de la groffeur d'un marron , &
quoique le malade n'obfervât aucun régî-
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
me , & usât d'affez mauvaiſe nourriture
fes urines ont pris leur cours naturel dès le
cinquième jour de l'opération , & en
moins de trois femaines la guérifon a été
parfaite.
La feconde opération a été faite quatre
jours après cette premiere fur un enfant
de même âge que le précédent , fils d'un
Vigneron nommé Bourlet , demeurant en
cette ville . Mais c'étoit un fujet débilité
par fa maladie habituelle , ayant fouffert
de la pierre depuis fa naiffance avec la
fievre ; il avoit le vifage & le ventre bourfouflés
, & étoit fort maigre dans tout le
refte du corps. L'heureux fuccès de ma
premiere opération engagea fes parens à
me preffer de le tailler , n'y ayant que ce
moyen de le rappeller à la vie , & de le
tirer de cet état douloureux où il languiffoit
depuis fi longtems ; je m'y déterminai
quoiqu'avec répugnance , l'état du malade
me paroiffant d'un fort mauvais augure
pour le fuccès . Il fut operé le 11 du même
mois d'Octobre en préfence de plufieurs
Medecins & Chirurgiens , & nommément
de M. Lange Profeffeur en l'Univerfité.
Je ne ferai point difficulté d'avouer que
l'envie que j'avois de ménager cet enfant
foible & délicat , & la crainte où j'étois
qu'il ne mourût entre mes mains , firent
FEVRIER. 1756. 177
que lorfque je retirai le Lithotome caché ,
je manquai le fphincter de la veflie , en
ne le dilatant qu'à moitié de fa route &
n'incifai que l'uretre . Mon pere qui s'en
apperçut porta le doigt dans la plaie , &
ayant reconnu que la veffie n'étoit point
ouverte , il introduifit lui - même la fonde
crenelée , & m'avertit de la faute que j'avois
faite. J'employai de nouveau le Lithotome
caché , & je fis une incifion convenable
. L'extraction de la pierre fut trèsdifficile
, parce qu'elle étoit oblongue &
fortement adhérente par une de fes extrêmités
à la partie laterale de la veffie . Mais
mon pere qui m'aidoit de fes avis & qui
reconnut , ainfi que moi, cette adhérence
chargea lui- même la pierre , & me la fit
tirer , en faisant doucement & fans violence
plufieurs demi- tours. Elle entraîna
avec elle par la pointe qui étoit adhérente ,
des mamelons charnus , mais une partie
d'elle-même refta dans le kifte , ce qui
fut reconnu visiblement par toute l'affemblée
, parce que cette pierre étoit rude &
inégale , & entamée de l'épaiffeur de deux
lignes en cet endroit qui paroiffoit moitié
pierreux moitié charnu . Il n'en falloit pas
moins pour défabufer quelques- uns des
affiftans qui nioient les adhérences des
pierres dans la veffie. Malgré cet accident
Hv
178 MERCURE
DE FRANCE.
& le mauvais état du malade , la plaie fe
cicatrifa après une fuppuration qui entraî
plufieurs efcarres chargées de graviers ,
& l'enfant fe rétablit à vue d'oeil.
J'ai fait la troifiéme opération trois jours
après cette derniere dans la Salle militaire
de l'Hôpital Saint Jacques , à un nommé
Sainte -Foi , de la Compagnie de Monchan
, Soldat du Régiment de Vaubecourt ,
âgé de 29 ans , qui avoit été mis en dépôt
dans l'Hôpital quand fon Régiment paffa
dans cette ville. Il étoit tourmenté de la
pierre depuis quatre ans , & avoit un Certificat
figné de M. Goulard Chirurgien
Major de l'Hôpital militaire de Montpellier
, par lequel il conftatoit , qu'eu égard
à une fievre intermittente accompagnée de
crachats purulens , habituels depuis près
d'une année , on avoit refufé de lui faire
P'opération par le peu d'apparence qu'il y
avoit de la réuffite. Nous lui trouvâmes
en effet une fievre qu'il nous dit être habituelle
; mais comme il n'avoit point craché
de pus depuis près d'un mois , & qu'il
avoit une impatience extrême de rejoindre
fon Régiment dont il fe voyoit en quelque
façon abandonné , comme d'ailleurs je venois
de faire en quatre jours deux opérations
qui m'avoient très - bien réuffi , quoique
le dernier malade fût dans un état
FEVRIER. 1756. 179
qui rendoit le fuccès fort douteux , il fut
le premier à me preffer de lui faire l'extraction.
Mon pere jugea à propos qu'il y
eût avant tout une Confultation entre le
Médecin de quartier & tous les Chirurgiens
, foir de la ville , foit des Régimens
qui s'y trouvoient en garnifon . Le mauvais
état du malade par rapport à fa fievre
habituelle occafionna un partage de fentimens.
Mais nous témoignant beaucoup
de réfolution & d'empreffement à fubir
l'opération , il fut préparé par les remedes
généraux , & je la lui.fis le 14 du même
mois en préfence d'un grand hombre de
Médecins & Chirurgiens. La faute que
j'avois faite en dernier lieu , eu égard à la
dilatation du Lithotome caché , me rendit
attentif à en éviter une feconde , &
l'opération eût été faite en une minute &
demie , fi la pierre qui étoit plate & d'un
volume confidérable , eût pu être chargée
du premier coup ; mais comme je l'eus
faifie par fa partie la plus large , elle m'échappa
à plufieurs reprifes , jufqu'à ce que
l'ayant chargée par fa partie plate , je lá
tirai à l'inftant avec beaucoup de facilité.
Depuis ce jour les douleurs du malade
cefferent entiérement , la fievre difparut ,
il n'y eut plus de crachats purulens , & * il
釉
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
fut guéri fans le moindre accident en moins
de fix femaines.
On ne peut difconvenir , Monfieur
que le Lithotome caché n'ait des avantages
réels fur tous les autres par rapport à
l'opération de la taille , pourvu qu'il foit
employé par des mains prudentes & exercées
, & je fuis fi convaincu de fon utilité
que je fuis déterminé à m'en tenir à cet
unique inftrument pour les opérations que
j'aurai à faire dans la fuite. J'elpere
l'employer avec de nouveaux fuccès au
printems prochain fur deux fujets que j'ai
refufé de tailler cet hyver pour attendre
une faifon plus favorable.
J'ai l'honneur d'être , & c.
SEANCE PUBLIQUE
'De l'Académie des Sciences & Belles- Lettres
de Dijon , le 17 Août 175.5 •
Morfieur .... a commencé la ſéance par
la lecture de la premiere partie d'un mémoire
intitulé , Expofition fuccincte d'un
nouveau système du monde , où l'on explique
par l'impulfion d'un fluide les phé
nomenes que M. le Chevalier Newton a
expliqués par l'attraction.
1
FEVRIER . 1756 . 181
Après avoir montré que felon Newton
même , la gravité peut être caufée par
l'impulfion d'un fluide , il viert à la définition
de la lumiere , qu'il prétend être
ce fluide , & qu'il fait confifter , comme
lut , dans des corpufcules extrêmement déliés
, qui partent du foleil & des étoiles ,
fucceflivement & en droite ligne , & dont
la vîrelle eft fi grande , qu'ils parcourent
l'efpace qui eft entre le foleil & la terre en
fept ou huit minutes. Il tire de cette définition
trois corollaires qui fervent de
fondement à ſon ſyſtême .
1°. Le foleil & les étoiles envoient
des corpufcules fur tous les points fenfibles
du Ciel & des planetes . En effet , il n'y
a aucun de ces points où l'on ne puiffe
les voir.
2º. La lumiere a une grande force, puifqu'elle
a tant de vîteffe.
30. Les rayons de la lumiere fe croifent
, ou vont en direction contraire fans
fe détruire.
Avec ce peu de principes , il explique
non feulement les phénomenes que Newton
a expliqués par l'attraction , mais encore
ceux des planeres qu'il attribue à
l'action immédiate du Créateur .
La pefanteur des corps vers la terre ,
dans ce fyftême , eft l'effet de l'impulfion
182 MERCURE DE FRANCE.
des rayons du foleil & des étoiles , dont
la force eft conftante & accélératrice ;
conftante , parce que les aftres envoient
toujours une même quantité de lumiere.
Accélératrice , parce que les rayons de
la lumiere allant infiniment plus vite que
le corps , il en reçoit continuellement de
nouveaux coups.
Les corpufcules qui compofent les
rayons de la lumiere étant extrêmement
déliés , pénétrent dans les pores des
corps les plus compactes , agiffent fur
chacune de leurs parties , & conféquemment
en raifon de leur maffe .
Plus les corps qui tombent font éloignés
des aftres , & plus leur gravité eft
grande , à caufe que la colonne de lunniere
qui les preffe eft plus grande. Deli
vient que ces corps tombent moins vîte
fous l'équateur que vers les poles , fur les
hautes montagnes que dans les vallées ;
que la lune elle-même gravite fur la terre,
en raiſon inverſe du quarré de fa diſtance
à fon centre , & que les autres planetes
gravitent fur le foleil en même raifon..
La diftance où les planetes font du ſoleil
, eft l'effet de la force de fes rayons ,
& de ceux des étoiles qui ont la même direction
que les fiens. Ces rayons les élevent
chacune à proportion de leur maffe ; comFEVRIER
. 1756. 183
me la force d'un mortier pofé perpendiculairement
à l'horizon feroit monter des
bombes de différens poids à des haureurs
différentes. La planete pouffée d'une
part par les rayons du foleil , & repouffée
de l'autre par les rayons des étoiles en
direction contraire , parvint à la fin à un
point où les deux forces étant égales , elle
refta en équilibre.
Dans cet état , fi les rayons qui venoient
du côté de l'Occident furent plus
forts que ceux qui venoient du côté de
l'Orient , elle dut aller d'Occident en
Orient : & fi ceux qui venoient du côté
du Septentrion furent plus forts que ceux
qui venoient du côté du Midi , elle dut
defcendre du Septentrion au Midi . Le
nombre inégal des étoiles dans les différentes
plages du Ciel , leur différent
éloignement , & leur différente grandeur
rendent ces fuppofitions plus que proba
bles.
滋
En fuppofant de même que la force des
rayons qui poufferent la planete d'Occident
en Orient où fa force projectile
fût un peu moins grande que la force de
ceux qui la repoufferent du Septentrion
au Midi , ou que fa force de gravité ,
elle dut pénétrer dans l'intérieur du cercle
décrit du centre , par le premier point
184 MERCURE DE FRANCE.
de la projection , & s'approcher de ce centre
Or en s'approch nt du centre , fa vîteffe
augmenta ; & elle décrivit une ellipfe
de la maniere dont l'explique Newton
dans fes principes.
La différente excentricité des ellipfes ,
des planetes , vient encore de ce que les
torrens de lumiere qui les poutfent du cô.
té de l'Occident , font moins forts les uns
que les autres ; moins forts , par exemple
, à l'élévation de Mercure qu'à celle de
Venus.
L'interception des rayons des étoiles qui
repouffent les planetes vers le foleil , caufe
le mouvement de leur aphélie. Si la terre,
par exemple , fe trouve en conjonction
avec Jupiter , la force qui la repouffe vers
le foleil étant comme amortie par l'interpofition
de ce grand corps , celle qui fait
qu'elle s'en éloigne , en devient un peu
plus grande , ayant un peu moins de réfiftance
à furmonter. La terre s'élevera
donc un peu plus haut. Or , fi la terre
s'éleve un peu plus haut , fon orbe en fera
un peu plus étendu , & il lui faudra un
peu plus de tems pour arriver à fon aphélie
que dans la précédente révolution.
L'inégale pefanteur des parties de la terre
caufe l'obliquité de fon axe fur le plan
de fon orbite.
FEVRIER . 1756. 1SS 185
L'inclinaifon de cette orbite vient de fa
figure fphéroïdale.
Enfin fon mouvement diurne eft l'effet
des rayons du foleil qui la pouffent dans
fon hémisphere intérieur , & de ceux des
étoiles en direction contraire qui la repouffent
dans fon hémisphere extérieur ,
à peu - près comme le mouvement contraire
des deux mains fait tourner un fufeau ,
lorfque l'une le pouffe en avant , & l'autre
en arriere.
Monfieur ... n'ayant pas eu le temps de
lire la feconde partie de fon Mémoire qui
traite du mouvement de la lune , de la
préceffion des équinoxes , du flux & du reflux
de la mer & des comeres , il en a donné
l'extrait pour être joint à celui- ci.
Plufieurs expériences prouvent l'exiftence
d'une force agiffante au centre de
la terre. Cette force repouffe en ligne
droite les corpufcules lumineux qui s'infinuent
dans fon globe ; & ce font ces corpufcules
qui foutiennent la lune à une
certaine diftance de la terre ; comme les
rayons du foleil & des étoiles qui font en
même direction , foutiennent les planetes
à une diftance de cet aftre proportionnée
à leur maffe.
Le mouvement de la lune dans fon orbite
a la même caufe que celui de la terre.
186 MERCURE DE FRANCE.
On peut fuppofer ces deux globes d'une
pefanteur égale , ou à peu- près égale. Il
s'enfuit dela que le point d'équilibre de la
lune feroit l'écliptique , ou à peu -près , fi
elle n'étoit point affujettie dans l'atmofphere
de la terre ; & que quand elle s'en
éloigne dans la partie inférieure de fon
orbe , elle doit y être repouffée par la
force du foleil , & dans fa partie fupérieure
par les étoiles en direction contraire.
Son orbe eft alors applati , comme le
feroit un ballon preffé entre deux plans :
Or , dans cette preffion , fon rayon vecteur
s'accourcit depuis les quadratures jufques
aux fifygies , & s'allonge depuis les fygies
aux quadratures. Ce qui ne peut être
fans que fa viteffe augmente & diminue
à mesure que le rayon vecteur augmente
& diminue ; & delà vient que la lune va
plus vite des quadratures aux fifygies , &
plus lentement des fifygies aux quadratures.
Delà vient encore le mouvement de
fon apogée , & les différentes excentricités
de fon orbe .
L'inégale pefanteur des parties du corps
de la lune fait que cet orbe eſt incliné fur
le plan de l'écliptique ; mais les rayons du
foleil qui pouffent la terre d'une part ,
les rayons des étoiles en direction con
&
FEVRIE R. 1756. 187
traire qui la repouffent d'une autre , venant
à la rencontrer , la ramenent tant ſoit
peu dans ce plan , à peu - près comme une
girouette eft ramenée dans la direction
du vent qui fouffle .
La force oblique du foleil & des étoiles
eft caufe des différentes inclinaiſons de
l'orbite de la lune , auffi- bien que du mouvement
de fes noeuds .
Son orbe eft plus étendu en hyver qu'en
été › parce qu'alors étant plus proche du
foleil , elle en eft moins repouffée vers la
terre , & la terre moins repouffée vers
elle . Voyez ci-devant l'article de la pefanteur
des corps vers la terre .
Pour la préceffion des équinoxes elle
eft produite comme le mouvement des
noeuds de la lune , par la force du ſoleil
& des étoiles qui ramene la terre du plan
de l'écliptique dans celui de l'équateur.
On ne parlera que des principaux phénomenes
du flux & reflux de la mer. Les
autres font des fuites de ceux que l'on va
expliquer , & on les en déduira facilement.
Comme la lune en paffant fous le Méridien
, intercepte une partie des rayons ,
foit du foleil , foit des étoiles , qui pouffent
la terre dans l'écliptique , les rayons
qui paffſent à côté , continuant de preſſer
188 MERCURE DE FRANCE.
A
les eaux de la mer , elles ne peuvent
manquer de fe porter fous la lune , où
elles trouvent moins de réſiſtance , & d'y
former une protubérance , qui donne à la
terre la forme d'un fphéroïde .
La force des rayons qui pouffe la terre
dans l'écliptique , étant en partie diminuée
par l'interpofition de la lune , elle
doit fe porter vers celle-ci par la force
des rayons en direction contraire ; mais
comme par ce déplacement de la terre , la
preflion des eaux qui font directement
fous le Méridien par derriere , eft moindre
à caufe que la réfiftance qu'apporte
la terre , eft moindre , la preffion des
eaux latérales étant d'ailleurs la même ,
elles doivent former en s'allongeant , une
protubérance , pareille à peu près à celle
qui eft du côté où eft la lune.
Les marées font plus hautes aux nouvelles
lunes que dans les quadratures , à
caufe que les eaux qui font à côté du Méridien
, font non feulement preffées par
les rayons des étoiles , mais encore par la
partie des rayons du foleil , qui ne font
point interceptés ; car ce corps du foleil
eft plus grand que celui de la lune , &
d'ailleurs le foleil & la lune font rarement
dans la même ligne au tems des fifygies.
Or la force des rayons du foleil , jointe
FEVRIER . 1756. 189
avec la force ordinaire des étoiles , doit
faire une augmentation dans la preffion
des eaux des côtés qui doivent par conféquent
monter plus haut dans la nouvelle
lune , que dans les quadratures.
Si les marées font plus hautes en hyver
qu'en été , c'eft que l'orbe de la lune
eft alors plus étendu . Or , c'eft un principe
reconnu par les Sectateurs de Newton ,
que plus le cercle que la lune décrit eft
grand , plus les eaux ont d'agitation ,
& plus elles s'élevent. C'eft par le même
principe que les marées font plus grandes
aux nouvelles & pleines lunes des équinoxes
qu'à celles des folftices.
Les cometes font des corps , qui ayant
trop peu de folidité pour fe tenir en équilibre
à une certaine diftance du foleil ,
comme les planetes , font pouffées par
l'action de fes rayons juſqu'au deffus de
Saturne , & bien au delà .
Dans ces immenfes régions elles peuvent
trouver des étoiles difpofées de telle
forte qu'elles ne les empêchent pas de
continuer leur route ; mais auffi elles peuvent
à la fin rencontrer quelque étoile
qui leur étant directement oppofée , ait
affez de force pour les faire rebrouffer
chemin , & reprendre la même route
qu'elles avoient tenue.
190 MERCURE DE FRANCE.
Cette differtation fut fuivie d'une autre
de M. Chauffier , Doyen du , College de
Médecine de Dijon , & Membre de l'Académie,
fur les coups de foleil.
Il manquoit à la Médecine une hiftoire
détaillée des pernicieux effets du ſoleil fur
les corps animés , qui dans certaines circonftances
s'y trouvent expofés . C'est pour
remplir le vuide que M. C. s'eft déterminé
à communiquer fes remarques & fes obfervations
fur ce fujet.
Si une pratique nombreuſe & étendue
ne laiffe que rarement au Médecin le rems
de fe livrer à des fpéculations prefque toujours
fuperflues , fur la manière dont les
caufes morbifiques agiffent fur nous , elle
lui fournit au moins l'occafion de faifir le
génie des maladies qu'elles occafionnent ;
connoiffance d'autant plus utile qu'elle
peut feule le guider furement dans le choix
de la méthode , & des remedes qu'il doit
leur oppofer. Laiffant donc à part les recherches
fut les circonftances qui doivent
concourir pour déterminer les effets qu'il
fe propofoit de fuivre , il s'eft contenté
d'en tracer la marche , & de communiquer
les remarques que le grand nombre
* des malades qu'il a fuivis , lui ont donné
occafion de faire fur les maladies qui en
font les fuites. Les effets étant toujours
FEVRIER . 1756. 191
proportionnés à leurs caufes & aux fujets
fur lefquels elles agiffent , on doit s'atrendre
à trouver une grande diverfité dans
leur produit. Cependant , quelques variés
qu'ils puiffent être ils ont toujours un
caractere propre , & un figne qui les diftingue
effentiellement.
>
Sur quelque partie que le foleil porte
fes impreffions , il occafionne toujours une
percuffion , une trépidation , un ébranlement
plus ou moins marqué , felon la fituation
& l'étendue des parties qui en font
affectées. Quoique leger , lorfqu'il n'y a
que les cheveux , la barbe ou fimplement
l'épiderme d'affecté , l'ébranlement n'en
eft pas moins réel , mais il est très - vif ,
lorfque les graiffes , les mufcles , le pé
riofte , &c. font atteints.
Le foleil ne prive pas de la vie les parties
fur lesquelles il agit , cependant il y
produit des changemens confidérables. Il
blanchit fouvent prefque dans l'inftant les
cheveux & la barbe , & occafionne des ta
ches blanches ou rouffes à la peau , qu'il
n'eft pas poffible d'enlever.
La trépidation qui eft le premier effer
du foleil , eft bientôt fuivie d'une féche
reffe à la peau , d'une rougeur éréfipélareufe
, tantôt fimple , tantôt compliquée
d'oedeme ou de phlegmon , & d'une fie192
MERCURE DE FRANCE.
*
vre plus ou moins vive . Cet éréfipele , foit
fimple , foit compliqué , a cela de particulier
qu'il eft rare qu'il fe fixe fur la partie
qu'il occupoit d'abord , & plus rare encore
qu'il fe termine par réfolution . De l'explication
des différens fymptomes qui accompagnent
les maladies , M. C. déduit
les indications curatives générales , dont
cependant on eft fouvent obligé de s'écarter
. L'Auteur en fournira des exemples
dans un fecond Mémoire.
M. l'Abbé Richard Académicien , Penfionnaire
de la claffe de Morale , lut enfuite
un difcours qui a pour titre .... On
juge mieux par fentiment que par réflexion....
La vraie Philofophie confifte à fe conque
noître foi- même : ainfi point d'étude plus
utile à l'homme que celle de l'homme ,
point de regles plus certaines de moeurs
celles qu'il peut tirer de cette connoiffance.
Il eft naturel à l'homme de s'aimer
& de chercher à fe rendre heureux .
Lorfque dans cette recherche , il fuit des
fentimens confus , des réflexions vagues ,
il ne fe fixe à rien de fûr , il fe méprend ,
il fait prefque autant de fauffes démarches
que de pas ; mais quand il n'obéit qu'à un
fentiment naturel & libre , à des idées
juftes , il va droit à la vérité. Conduit &
éclairé par ces guides , il fournit fa carriere
FEVRIE R. 1756. 193
riere avec feu , il travaille avec ardeur &
perfévérance à ce qui peut contribuer à ſa
perfection & à fa félicité . Si dans des momens
plus tranquilles , il fe rappelle le
paffé , il n'y voit rien qui puiffe le troubler
, il en a fait un ufage convenable ; le
préfent lui plaît , il en connoît & en fent le
prix ; l'avenir n'a rien qui l'inquiéte , fon
expérience lui fait prévoir les événemens
fans les craindre. Il jouit avec plaifir de
fon exiſtence , le tems eft pour lui un bienfait
fenfible , c'eft le plan fur lequel il
éleve l'édifice de fon bonheur ; mais pour
cela il faut que fes opérations ayent pour
bafe & pour direction , un principe inva
riable & lumineux fur lequel il puiffe
compter dans les différentes pofitions où
il fe trouve , il faut qu'il puiffe toujours
connoître la vérité & fe décider pour elle :
or point de moyen auffi fûr & auffi naturel
pour la connoître , dans ce qui a rapport
aux moeurs , que le fentiment .
On doit entendre par fentiment ce mouvement
de la volonté qui fe porte au bien
& qui s'éloigne du mal , & par vérité le
bien connu tel par le fentiment , indépendamment
du préjugé & de la paffion , d'où
l'on tire cette regle générale de mours...
tout objet qui affecte la volonté , de façon
que la douleur ou le dégoût fuivent de
I
194 MERCURE DE FRANCE.
près l'affection , n'a que l'apparence du
bien....
Après avoir expofé en détail les preu.
ves de fa propofition , & donné la folution
de quelques objections fpécieuſes
qu'on pourroit lui oppofer , M. R. parle
du fcepticifme moral..
Ce fcepticifme
qu'il a plu à des Ecrivains modernes
d'appeller le premier pas vers la vérité ;
qui doit être général , parce qu'il en eſt
la pierre de touche , qui eft l'unique fondement
de la vraie Philofophie , parce
qu'il apprend à examiner les chofes & à
en juger fans prévention.... Ces maximes
font autant de paradoxes ... Qu'est- ce en
effet que le fcepticifme , finon une inquié
tude d'efprit & un déréglement d'imagination
, qui affigne l'incertitude pour canfe
de la vérité , qui veut connoître & juger
fans prévention , & qui fait préfider
la prévention à toutes fes démarches. N'y
a-t'il pas des chofes fi vraies , fi fenfibles
qu'elles affectent le coeur & entraînent
l'efprit fans qu'il foit befoin de les examiner
? A peine fe préfentent - t'elles
que le caractere de vérité qui fait leur
effence , brille & diffipe les tenebres de
l'erreur .... Le fceptique eft frappé de
cette lumiere , mais il ne fe rend pas ,
parce qu'il doute par principe ; & que le
t
de li
FEVRIER. 1756. 195
fentiment n'a plus de droit fur fon coeur.
M. R. explique au long l'abus que le
Sceptique fait de fa raifon dont il reclame
les droits en les violant de propos déliberé.
Il fait voir les inconféquences dans lefquelles
il tombe , en mettant en oppoſition
fes principes avec fa conduite . Des
preuves métaphyfiques tirées de l'action
de l'ame & de la nature de nos connoiffances
, donnent un nouveau jour à la
propofition , après quoi il continue ainfi ...
Si la raifon dans l'homme , ou plutôt
l'abus qu'il en fait , ne fervoit pas trop
fouvent à dépraver le fentiment , nous
n'aurions rien à dire à ce fujer ; attentif
fur ce qui fe paffe en lui , il verroit que
le fentiment , quand il n'eft point diftrait
par les fophifmes d'une raifon captieuſe ,
répond toujours au vou de la nature , &
tend droit à fa deftination. Il verroit que
T'homme le plus fimple eft auffi clairvoyant
fur ce qui le touche , & va auffi furement
à fes intérêts que le plus habile , parce
qu'il y va par fentiment . Mais voudroiton
pour cela l'obliger à faire tous les raifonnemens
que fuppofe le jeu de l'amourpropre,&
que peuvent à peine démêler
les efprits les plus fins & les plus attentifs
ce feroit peine perdue. Il agit parce que
fon intérêt & fon devoir le portent à agic;
"
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
il cede à l'impulfion du fentiment qui lui
fert de guide , & qui l'éclaire d'une lumiere
plus vive que tous les raifonnemens
de la Philofophie.
On va plus loin encore , on fait honneur
à l'efprit & à la réflexion de ce qui
n'appartient qu'au fentiment & à la nature....
& pourquoi ? c'eft que la nature
qui n'aime point à faire de faux frais, dont
l'action eft uniforme & fimple , ménage
avec économie tous les mouvemens qu'elle
nous donne ; elle ne nous les accorde
qu'autant qu'ils nous font utiles & néceffaires
. L'habitude où l'on eft d'éprouver
ces mouvemens , & dont on ne connoît
la force que lorfqu'on eft attentif fur foimême
& que l'on s'examine avec foin ,
fait que l'on regarde comme un effet de la
réflexion ce qui ne l'eft que du fentiment..
Ce qui fuit eft une expofition des effets du
fentiment , par rapport au bien général de
la Societé . On prouve combien il eft fupérieur
à la raifon dans la connoiffance de
nos vrais intérêts , même dans les chofes
qui nous affectent le plus.
Toutes les parties de ce difcours font
tellement enchaînées les unes aux autres ,
qu'elles ne forment qu'un tout qu'il eft impoffible
de décompoſer fans lui faire perdre
fon prix. C'est la caufe pour laquelle
FEVRIER. 1756. 197
on n'en a pas donné un extrait plus détaillé.
OUVRAGE COURONNÉ ,
Sujet de 1756 & 1757.
L'Académie qui avoit propofé pour
fujet de Médecine de 1755 , de déterminer
la maniere d'agir du bain aqueux fimple
&c. a accordé le prix au Mémoire n° . 1 ,
qui a pour devife , l'excellent remede que
celui que l'inftinct nous apprend , dont
l'Auteur eft M. Raymond Médecin à Marfeille
. Le Mémoire n° . 4 , qui a pour devife
, Balfama fint agris & blanda papavera
feffis , &c. lui a auffi paru mériter de
grands éloges , & elle l'eût même afſocié
au triomphe , fi l'Auteur n'eût traité avec
un peu trop de négligence l'article des
Bains froids. Au refte , quoique ce Mémoire
n'ait obtenu que le fecond rang ,
l'Académie qui fait lui rendre juftice ,
reconnoît volontiers qu'il ne peut faire
qu'honneur à fon Auteur ; elle l'invite
auffi-bien que M. Raymond , à mettre
inceffamment le Public en état de jouir du
fruit de leurs recherches.
L'Académie propofe pour le fujet de
1757 , la queftion fuivante . Eft- il plus néceſſaire
d'étudier les hommes que les Livres ?
1 iij
198 MERCURE DE FRANCE:
Elle a annoncé celui de 1756 ; qui eft de
déterminer les caufes de la graiffe du vin ,
& de donner les moyens de l'en préſerver
out de le rétablir.
Il fera libte aux Auteurs d'écrire en Latin
ou en François , obfervant que leurs
Mémoires ne paffent pas trois quarts
d'heure de lecture. Ils feront francs de
port , adreffés avant le premier Avril à
M. Petit Greffier au Parlement , rue du
vieux marché. Les Auteurs qui fe feront
fait connoître avant la diftribution du
prix , en feront par là même exclus ; ils fe
contenteront d'écrire leurs noms fur un
billet cacheté à part , qui ne fera ouvert
que dans le cas où l'ouvrage fera couronné.
FEVRIER. 1756. 199
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
Nous annonçons aux amateurs le bonheur
de Phaon , Cantatille nouvelle , à
voix feule avec fymphonie , dédiée à fon
Alteffe Séréniffime Madame la Ducheffe
d'Orléans , par M. le Chevalier d'Herbain
, & gravée avec les parties de violon
, féparées pour la facilité de l'exécution.
Elle fe vend à Paris , chez le fieur
Bayart , à la Regle d'or , rue S. Honoré ,
Mademoiselle Caftagneri , rue des prouvaires
, à la Mufique Royale & à la Croix
d'or , rue du Roule.
Il doit paroître auffi inceffamment trois
ariettes détachées , paroles françoifes , &
mufique dans le goût de celle des ariettes
théâtrales d'Italie, à voix feule & gran
de fymphonic , intitulées Cloé , les Fleurs ,
& la Volage , gravées avec les parties fé-
I iv
200 MERCURE DE FRANCE ..
parées , comme la Cantatille du bonheur de
Phaon . Elles fe trouvent à Paris aux mêmes
adreffes , & font du même Auteur fi
avantageufement connu par différens ouvrages
de Mufique , dont nous avons fait
mention avec éloge dans notre Mercure
de Mai 1755 , à l'article des Beaux Arts .
Douze Sonates pour le Clavecin dans
le goût d'Alberti , de la compofition du
feur Sébastien Jerig , fe vendent aux
adreſſes ordinaires. Le prix eft de dix livres.
PEINTURE.
EXPLICATION d'un Tableau , peint
à l'encre de la Chine , repréfentant allégoriquement
, Minerve & Mars élevant un
Arc-de-Triomphe , à la gloire du Roi :
préfenté à Sa Majesté, le 4 Janvier 1756,
par le fieur Gofmond de Vernon , Auteur
de l'Hiftoire Métallique des Campagnes
du Roi.
LE Roi eft repréſenté dans ce Tableau
*
avec fa cotte- d'armes , couronné d'Olivier
, & ayant à fes côtés la Vérité & la
Juſtice , comme les fuppôts dé fon Trône.
Cet Augufte Prince montre d'une main
FEVRIER. 1756. 20.1
pour
la Vérité & la Prudence caractérisées fous
la même figure , qui doivent être toujours
l'objet des plus grands Rois ; & de l'autre
il s'appuie fur le timon de fon Empire , en
regardant affectueufement la Juftice qui
lui préfente fes attributs . On obferve, qu'il
tient de cette même main une Couronne
de Laurier , type particulier , qui exprime
qu'il peut s'en couronner toutes les
fois que fon équité & fon inclination
la Paix ne l'en empêcheront pas. Un Lion
couché à fes pieds , léche tendrement un
Agneau qui repofe dans fon fein , & qui
répond avec confiance aux careffes de ce
terrible animal. Ce Lion , le fymbole de
la force & du courage , défigne par cet
acte de douceur le CARACTERE DU Roy
qui pouyant étonner le monde, s'il le vouloit
, ne cherche néanmoins à employer fa
puiffance redoutable , que pour fe décla-.
rer le Protecteur de l'innocence , & Procurer
l'union & le bien univerfel de tous les
hommes.
C
On remarque fur le devant Minerve &
Mars , qui voulant élever d'un commun
accord un Arc de Triomphe à la gloire du
Roi , le forment du côté de Minerve par
un Olivier qui explique fymboliquement
combien le Roi aime la paix & la tranquillité
publique ; & de l'autre côté le Dieu
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
de la Guerre appuyé fur la victoire , ache
ve de le former par un Palmier qui s'unit
à l'Olivier fur la tère du Monarque de la
France image des Palmés immortelles
dont cet invincible Prince s'eft couvert , &
dont il peut fe couvrit dans toutes les occafions
où l'on provoquera fon courage.
La victoire affife auprès de Mars , en offre
les glorieux faits infcrits fur fon bouclier.
Proche de Minerve , on obferve un Amour
qui écrit fur l'Egide de cette Déeffe , tous
les biens que la bonté & la magnanimité
du Roi ont faits à toute l'Europe , & qu'il
répand inceffamment fur fes Sujets. Aurour
de Minerve , font les attributs des
Sciences & des beaux Arts , qui font aujourd'hui
les nobles amufemens de ce grand
Prince ; & c'eft ce qui eft defigne particulierement
par le Génie de l'Architecture ,
qui préfente à Mars le plan de l'Ecole Royale
Militaire , où doivent s'élever tant de
Guerriers , qui fe confacreront un jour à la
gloire du Roi & de la Nation. Le foin
particulier de récompenfer les talens s'offre
fous l'emblème d'une corne d'abondance ,
fur laquelle ce même Genie eft appuyé ,
qui pour couronner tous fes travaux , he
voit rien de plus digne de la grandeur de
fon Roi , que d'achever le Louvre , & d'en'
reftaurer la magnifique Colonnade dont le
FEVRIE R. 1756. 203
deffein eft près de lui comme le plus beau
monument qui exifte fur la terre , Mars
admirant tous ces prodiges , paroît remercier
Minerve des avantages qu'il retire des
Génies que fa fageffe a foin d'élever , &
qui tranfmettront à la poftérité la plus reculée
, toute la fplendeur du beau Regne
de Louis XV, le Vittorieux & le Pacificateur.
L'Olivier qui figure la Paix , environné
de Guirlandes de Laurier , & le Palmier
défignant la gloire , entouré de rameaux
d'Olive , font des images caractéristiques
des vertus du Roi , qui réunit dans fon Augufte
Perfonne , l'heureux affemblage de
la bonté & de la douceur de l'ame , avec
tout ce que le courage a de plus grand &
de plus intrépide . Le fond du Tableau eft
occupé par une Architecture d'Ordre
Corinthien , furmontée des Trophées d'Armes
qui font allufion aux Triomphes du
Roi. On lit fur le Pied - d'eftal cette infcription
que la Vérité montre `:
LUDOVICO XV.
FR.ET NAV. Reg. ChrisTIANISS,
Patr. Patr. Inviato , Pacifico,
Snorum dilectori dilectiffimo ;
Qui affident Veritas & Juftitia ;
Quem juftæ cingunt laureæ;
Magis tamen juvat Oleas
1404
715-43
1
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Quem profequuntur omnium
Amor , vota & admiratio.
C'eſt- à- dire ,
A la Gloire immortelle de Louis XV, Roi
Très- Chrétien , de France & de Navarre ,
à qui fon amour pour ſes ſujets a mérité le
titre de Bien-aimé , qui , quoiqu'invincible
dans les combats n'en aime pas moins la paix;
qui ne confulte que la Justice & la Vérité ;
qui ceint de lauriers leur préfere l'olive ; &
dont le nom eft par toute l'Europe , chéri ,
loné & admiré.
Sur l'Egide de Minerve , on y voit ces
mots tracés
par
l'Amour >
Pax exteris data ;
Regno fancita , lex concordiæ ;
Stirpi regiæ adjuncta foboles ;
Inftauratum nobili juventuti Gymnafium ;
Reftaurata domus regia.
Qui fignifient :
Paix accordée par le Roi à fes ennemis ;
mesures que prend fa fageffe pour la donner
auffi à fesfujets ; accroiffement de la Famille
Royale ; établiſſement d'une école militaire
pour la jeune nobleffe du Royaume ; achevement
du Louvre.
•
FEVRIER . 1756. 205
La Victoire préſente fur fon bouclier
ce qui fuit ,
Expugnatæ urbes Belgica ;
Ipfa & proftrata Bergoma ;
Devicta Mofa , territus Rhenus ;
Tranfmeatæ Alpes ;
Liberata Genua ;
Tergemino certamine debellata gentium confe
deratio ;
Addita imperio Lotharingia.
Qui veut dire ,
Conquêtes & victoires du Roi en Flandre ;
prife de Berg- op- Zoom ; Heureux fuccès fur
la Menfe , fur le Rhin ; avantages remportés
en Italie ; Genesfecourue & délivrée ; batailles
gagnées à Fontenoi , à Rocoux , à Laufeld;
ta Lorraine ajoutée à la France.
1
Autre Explication d'un Médaillon compose
à l'occafion de l'heureufe Naiffance de
Monfeigneur le Comte de Provence ,
· préfenté à Monseigneur le Dauphin , par
le même Auteur , le 4 Janvier 1756.
E Médaillon a pour objet , de repréfenter
la France & l'Amour au comble de
leurs voeux , par l'heureuſe naiffance de
Monfeigneur le Comte de Provence.
206 MERCURE DE FRANCE.
Le milieu eft occupé par un Palmier,
fymbole de la Gloire & de la Fécondité ,
entouré de branches de lys & de mirthes.
On y voit attachés les écuffons des
armes de Monfeigneur le Duc de Bourgogne
& de Monfeigneur le Duc de Berry.
Deux amours s'empreffent d'y placer l'écuffon
de Monfeigneur le Comte de Provence
, qui - vient de naître.
Auprès du Palmier , on remarque la
Déeffe de la Fécondité , qui montre à l'Amour
les Armoiries du jeune Prince ,
qu'elle vient de lui donner. Ce Dieu lui
émoigne de fa part , en lui baifant rendrement
la main , combien il eſt ſenſi
ble au nouveau préfent qu'elle lui fait.
La France , fous les traits de fon augulte
Maître , occupe le côté oppofé. Elle
eft repréſentée armée , couronnée de lau
rier , & environnée de trophées d'armes.
Elle regarde avec autant d'admiration
que de reconnoiffance , ce précieux don
& ce nouvel appai que le Ciel lui accorde
en ce jour . La colonne fur laquelle
elle eft appayée , caractériſe la force &
fa ftabilité , comme fa lance , entourée
d'un rameau d'Olivier , défigne tout à la
fois combien le Roi eft redoutable 1orfqu'on
l'oblige de prendre les armes , &
combien il eft en même-rems bon , pacifique
& magnanime.
FEVRIER. 1756. 207
On lit cette légende : Amoris pignus ,
merces & vinculum ; c'eſt à- dire , ce Prince
naiſſant , fruit & récompenfe de l'Amour ,
en afsûre auffi la conftance & la durée.
A l'Exergue : Regias Provincia comes natus
Verfalis , 17 Novembr. 1755. horâ mat.
4. qui fignifie , Naiffance de Monfeigneut
le Comte de Provence , né à Verfailles
le 17 de Novembre , à 4 heures du matin.
GRAVURE.
LE Paffage d'Honfleur au Havre de
Grace , gravé par le fieur Derrey d'après
le tableau original peint par Bonaventure
Perers , du Cabinet de Monfieur le Comte
de Vence ; fe vend à Paris chez le feur
leMire Graveur , rue Saint Jacques aut
Soleil d'or , vis - à -vis le College du Pleffis ;
cette Eftampe fait pendant avec les Pècheurs
àla ligne.
Il vient de paroître une Carte de l'Amérique
Septentrionale en huit feuilles's
par le Docteur Mitchel , traduite de l'Anglois
par le fieur le Rouge , avec des Notes.
Cette Carte étant très- détaillée on y
trouve tous les Forts: des deux Puiffances ,
& elle devient très-inftructive pour ce qui
regarde les affaires préfentes de l'Amérique,
ނ
20S MERCURE DE FRANCE.
prix,18 liv. fur papier fin , 12 liv. fur papier
ordinaire.
Plus , le plan de la Ville , Port & Rade
'de Lisbonne jufqu'à Cafcaes , avec différentes
vues du défaftre arrivé les 1. Novembre
& 21 Décembre dernier , accompagné
d'une petite Carte de l'ancien &
nouveau Portugal , en deux grandes feuilles
, prix 3 liv.
Nouvelle Carte du Milanois en fix feuilles
, chef- d'oeuvre de Géographie levé fur
les lieux par plufieurs Ingénieurs , propofé
par foufcription ; on prendra 12 liv. une
fois payées pour ladite Carte , que le fieur
le Rouge promet fournir dans le mois de
Juillet ; elle coutera 18 liv. à ceux qui ne
foufcriront point d'ici au premier Juin.
Les connoiffeurs verront le deflein original
toutes les après-dinées chez le fieur
le Rouge Ingénieur Géographe du Roi ,
rue des Grands Auguftins. Il fe flatre qu'on
le trouvera infiniment fupérieur à tout ce
qui a été publié jufqu'à préfent fur cette
partie.
FEVRIER. 1756. 209
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
LE 17 Janvier les Comédiens François
ont repris Philoctete , Tragedie de M. de
Châteaubrun qu'on revoit toujours avec le
même plaifir & la même eſtime , en attendant
la Coquette corrigée , Comédie nouvelle
en vers , en cinq Actes de M. de la
Noue.
CO-MEDIE ITALIENNE..
LE 19 , les Comédiens Italiens ont don
né la premiere repréfentation de la Pipée ,
Comédie en deux Actes , mêlée d'Ariettes ,
traduction d'll Paratajo , intermede Italien.
Cette Piece qui eft fuivie d'un nouveau
divertiſſement fort joli , a été bien
reçue du Public ; le choix des Ariettes a furtout
été applaudi . M. Clément en eſt l'Auteur.
Quelques perfonnes de Province nous
ont écrit pour nous prier de leur donner
210 MERCURE DE FRANCE.
:
des nouvelles de l'Opera , ou du moins de
leur apprendre les raifons de notre filence
fur ce Théâtre nous leur répondons ici
que nous en avons une très- légitime , &
que nous ne pouvons faire mention d'un
Spectacle où nous n'avons point notre entrée.
Comme l'Opera nous diſpute un droit,
ou nous prive d'une faveur dont tous nos
prédéceffeurs ont constamment joui ; qu'en
conféquence nous ne fommes point à portée
de le voir journellement pour en rendre
un compte convénable , nous avons
cru qu'il étoit plus fage de nous taire fur
fon fujet que de courir le rifque d'en mal
parler ; tout ce que nous pouvons faire en
faveur de nos abonnés , eft de leur dire
fuccinctement que l'Académie Royale de
Mufique a donné Roland depuis le mois
de Novembre jufqu'au 20 Janvier qu'il a
remis Zoroastre , ainfi que l'affiche & le
bruit public nous l'ont appris.
Dans l'Almanach des Spectacles de Paris,
à l'article des Pieces nouvelles , page 140 ,
où le trouve Deucalion & Pyrra , Acte
dont les paroles font de M. de Saint -Foix
& la Mufique de M. Girand , ajoutez &
de M. Berthon , qu'on a oublié de nommer.
FEVRIER . 1756. 211
ARTICLE V I.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU NORD.
DE STOCKHOLM , le 30 Décembre.
Entre les différens effets que le tremblentent de
tërre, du premier Novembre , a produits en Dale
earlie , on a remarqué que pendant la crue extraordinaire
des eaux des lacs de Frixem & de
Stora-Leed , le terrein des environs s'eft affaillé
avec un grand bruit , & qu'il s'eft relevé à meſure
que ces lacs font rentrés dans leur lit. Les lettres
de Wexio dans le Smaland marquent , que le 28
du même mois , à huit heures cinquante-une minutes
du foir , on apperçut au ciel un globe de
feu , dont le diametre apparent étoit de la grandeur
de celui de la lune , lorfqu'elle eft dans fon
plein. Ce globe courut rapidement du fud - oueft
au nord- est. Ainfi que plufieurs cometes il traînoit
après lui une queue lumineufe . Il ſe détacha
de ce globe une portion , qui après s'être développée
, remplit un très-grand efpace , & répandit
une clarté égale à celle du jour. La durée de
ce phénomene fut de trente fecondes.
Selon les avis reçus de la Gothie occidentale
, le tremblement de teire du premier Novembre
s'y eft fait fentir avec beaucoup de violence.
De très-gros arbres ont été renversés. En plufieurs
endroits , les eaux ont páru mugir . Sut le lac de
(
212 MERCURE DE FRANCE.
Miorn, près de Gothenbourg , la plupart des ra
deaux ont été emportés & difperfés de côté &
d'autre .
DE COPPENHAGUE, le 19 Déc.
Le 10 Septembre , vers minuit , on fentit une
violente fecouffe de tremblement de terre dans le
diftrict de Hufewig. Il y en eut le lendemain
plufieurs autres . Celle des deux heures après-midi
renverfa un grand nombre de maiſons. On a
perdu par ces accidens une quantité confidérable
de provifions d'hyver. Pendant prefque toute la
journée du 12 , les eaux d'une petite riviere , qui
coule près de Nord- Syffel , devinrent blanches
comme du lait.
ALLEMAGNE.
DE TEPLITZ , le 9 Décembre.
Une forte fecouffe de tremblement de terre fa
fit fentir ici le premier de ce mois . Elle ne cauſa
aucun dommage , mais elle affecta fingulierement
les bains chauds de cette ville , qui , ayant
été découverts en 762 , n'avoient point éprouvé
depuis près de mille ans le moindre changement.
Sur le midi , l'eau de la fource fe troubla. Bien
tot elle ceffa de couler. Quelques minutes après
elle revint à grands flots , mais fort épaiffe , &
auffi rouge que du fang. Pendant un quart-d'heure
elle fut abfolument froide. Elle reprit infenfiblement
fa limpidité & fon dégré de chaleur
ordinaire. Depuis cette fecouffe ," la fontaine eft
devenue plus abondante. Lorsqu'on avoit vuidé
les bains , il falloit huit heures pour les remplin,
à préfent il n'en faut plus que quatre. On foupFEVRIER.
1756. 213
çonne qu'il s'eft formé une feconde fource à côsé
de la premiere.
DE MUNICH , le 20 Décembre.
Il y eut ici le 9 de ce mois une légere ſecouſſe
de tremblement de terre . Le même jour on en
fentit une à Donawert. Elle a ébranlé le couvent
des Capucins , & endommagé une partie des murailles
de l'Abbaye de Sainte Croix. A Ingolstadt,
les eaux des fontaines baifferent confidérablement
, & devinrent d'une couleur rouffâtre. Le
11 , on éprouva une nouvelle fecouffe en divers
endroits de cet Electorat.
ESPAGNE.
DE CEUTA , le 24 Novembre.
Nous avons éprouvé le même tremblement ,
dont les lettres de Portugal rapportent des effets
fi funcftes. Le premier de ce mois , à dix heures
dix minutes du matin , nous eûmes une fecouffe
qui dura environ trente fecondes . Elle fut fuivie
peu après de quelques autres plus légeres , dont
la durée fut de trois minutes. Les fept pointes
du fommet de la montagnedes Sept Freres ont
paru s'élever & s'abaiffer , foit que ce mouvement
ait été réel , foit que ce n'ait été qu'une apparence
occafionnée dans les yeux des Spectateurs
par le propre mouvement de leurs corps.
La mer monta de la hauteur de fept pieds , & un
quart-d'heure après elle baiffa tellement , qu'il
refta quantité de barques & de poiffons à fec fur
le fable. Ces flux & feflux fe fuccéderent alternativement
jufqu'au lendemain matin ; mais à
deux heures après-midi ils commencerent à diminuer
par dégrés . Le 3 , à fept heures du matin ,
214 MERCURE DE FRANCE.
nous effuyâmes une nouvelle fecouffe affez vi
ve , mais très-courte. Il y en eut une légere le
4 , à deux heures après-midi. Les , à huit heures
un quart du foir , nouvelle fecouffle plus forte
que les deux précédentes. On en a eu encore
quelques- unes depuis le 6 jufqu'au 16. Le 17 , à
dix heures & demie du matin , on en reffentit
une autre plus confidérable , accompagnée d'une
horrible tempête . Pendant les fecoufles du premier
de ce mois , les fontaines de cette ville &
du château ont ceffé de couler. Leurs eaux font
enfuite revenues avec autant de rapidité que d'abondance.
Les Maures qui bloquent cette ville , épouvantés
par le tremblement , s'étoient réfugiés
dans l'intérieur des terres. Ils font revenus dans
leur camp , depuis que leur premiere terreur eſt
diffipée.
On mande de Tanger , que de même qu'ici ,
pendant le tremblement les fontaines ont tari , &
qu'enfuite elles ont donné une grande abondance
d'eau rouge comme du fang ; que la mer fur
la côte voisine a monté de cinquante pieds , &
que fes eaux dans cette crue ont perdu prefque
toute leur amertume & toute leur falure.
DE BELEM , le 19 Décembre.
Les exemples de févérité étant néceffaires pour
réprimer les brigandages qui fe commettent journellement
dans ce Royaume , on a exécuté depuis
quinze jours plus de deux cens perfonnes
convaincues de différens délits . Quoique les tremblemens
de terre n'ayent pas entiérement ceffé ,
les & qu'il y ait eu encore le 11 une fecouffe ,
habitans de Lifbonne commencent à ſe remettre
เอา
Les
OL
D
C
FEVRIER. 1756. 215
T
de leur épouvante. Ils font occupés à chercher
dans les ruines de cette malheureufe ville ceux
de leurs effets , qui ont échappé à la voracité des
Hammes , & à l'avidité des voleurs . Il regne quantité
de maladies cauſées par la rigueur de la faifon,
& par les autres incommodités auxquelles
les riches comme les pauvres , ont été exposés
dans le défaftre général. Sa Majesté ne s'eft point
encore expliquée , & elle feroit rebâtir Lisbonne ,
ou fi elle fonderoit iei une nouvelle ville .
DE COMPOSTELLE , le 22 Novemb.
Cette ville n'a pas été exemte du fléau , qui a
caufé en plufieurs endroits tant de ravage ; mais
elle en a peu fouffert. Celle de la Corogne a
efluyé des allarmes plus confidérables. Voici la
copie d'une lettre écrite de ce port. « Le trem-
» blement de terre du premier de ce mois s'eft
» fait fentir ici d'une façon très -violente . Il a du-
» ré cinq minutes. Tous les édifices en ont été
» ébranlés ; cependant il n'y en a eu aucun de
>> renverfé . La mier pendant les fecouffes s'enfla
» prodigieufement. En plufieurs endroits elle Ra-
» roiffoit bouillonner. A midi elle monta telle-
» ment , qu'on ne l'avoit jamais vue à une pa-
» reille hauteur. Depuis une heure jufqu'à une
» heure & demie , elle monta & baiffa fept fois,
> On devoit avoir la baffe mer à fix heures du
» foir , à fept heures & demie on ne l'avoit pas
encore. Peu après la mer baiffa un tiers de plus
que dans les plus vives eaux. La pleine mer paroiffant
devoir venir à proportion , l'on crai-
» gnit que la ville ne fût fubmergée Les flux &
>> reflux ne cefferent que fur les dix heures du ma-
» tin du jour fuivant , que l'oude reprit enfin fon
» affiette ordinaire .
216 MERCURE DE FRANCE .
DE CADIX , le 14 Décembre.
A quelque diſtance de ce port on a découvert
depuis peu un rocher , qui juſqu'à préſent
n'avoit pas été apperçu des Navigateurs . On conjecture
qu'il a été formé par les effets du dernier
tremblement. Le vaiffeau de guerre Anglois le
Briſtol, en allant au devant d'une flotte qui
de Turquie , a heurté contre cet écueil. Ce bâtiment
a été obligé de relâcher ici pour réparer le
dommage qu'il a fouffert.
revient
DE MALAGA , le 10 Décembre.
On fentit le 27 du mois dernier à Cordoue une
fecoufle affez forte. Il y en eut une ici le 29.
Pendant plufieurs jours on a remarqué une agitation
extraordinaire dans les eaux.
ITALI
E.
DE NAPLES , le 6 Décembre.
Depuis trois ſemaines on a effuyé dans toute
la partie méridionale de l'Italie des orages auffi
fréquens que violens , qui ont caufe de grands
dommages , tant à la campagne que dans les villes
,& beaucoup de naufrages fur les côtes.
DE ROME , le 16 Décembre.
avec
En creufant la terre près d'Orte , on a trouvé
un chandelier de la hauteur d'un homme ,
un grand piedeſtal en forme de pupitre . Ce chandelier
eft d'un métal de compoſition. Sa Sainteté
a ordonné de fouiller dans l'endroit d'où l'on a
tiré cette antiquité , pour voir ſi l'on n'en découvrira
pas quelques autres,
DE
FEVRIER. 1756. 217
DE MILAN , le 26 Décembre.
1 2
Le tremblement de terre qu'on a fenti ici le
de ce mois , a été plus effrayant que celui du premier
Novembre. La bibliothéque Ambrofienne a
éprouvé de fi rudes fecouffes , qu'on l'a crue fur
le point d'être renversée. Les murs du Collége
de Breve ont été confidérablement ébranlés , & la
façade de la falle des exercices publics s'eft entr'-
ouverte.
Le feu a pris ici le 28 du mois dernier , &
tout le quartier de la porte du Tefin a été confumé
par les flammes. Diverfes lettres affurent
qu'il y a eu au Grand Caire un incendie encore
plus terrible. Que plus de fix mille maiſons ont
été brulées , & que la perte causée par cet embrafement
monte à vingt millions . Selon les nouvelles
des côtes de Barbarie , la guerre continue
vivement entre la Régence de Tunis & celle d'Alger.
La Régence de Tripoli s'eft jointe aux Tunifiens.
:
GRANDE - BRETAGNE.
DE LONDRES , le 15 Janvier.
On a reçu avis qu'il y avoit eu à la Barbade ;
à Antigoa , & dans la plupart des autres Illes fous
le Vent , une agitation dans les eaux , ſemblable
à celle qu'on a remarqué , en divers endroits de
l'Europe.
On écrit du village de Glonfow , près de la
Wye dans le Comté de Hereford , qu'on y a été
fort allarmé le 18 du mois dernier par une violente
fecouffe de tremblement de terre , accompagnée
d'un bruit fouterrein affreux , Environ à
cinq cens pas de ce village , un terrein de près
K
218 MERCURE DE FRANCE.
de deux arpens s'eft abîmé. Selon les lettres de la
nouvelle Angleterre , cette province n'a pas été
exemte du fléau qui a caufé tant de ravage en
Europe & en Afrique. Le 18 Novembre , la ville
de Bofton a fouffert plufieurs fecouffes , & il y eft
tombé un grand nombre de cheminées & de toits
de maifons . Pendant ce tremblement , les eaux
partout font montées fubitement de vingt pieds.
Le 6 Janvier , on expédia fept couriers
pour différentes Cours. Il s'eft tenu ces jours- ci
plufieurs Confeils . Le Gouvernement a reçu de la
Virginie , & de la nouvelle Ecoffe des dépêches
qui ont été tenues fecretes , ce qui fait juger
qu'elles ne font pas favorables. Quelques lettres
écrites de ces Colonies à digers particuliers , af
furent que les Sauvages y ont fait de grands ravages.
On a été inftruit par les mêmes avis , que
le 18 du mois de Novembre il y avoit eu de fortes
fecouffes de tremblement de terre à Philadelphie
& à la nouvelle York , ainsi qu'en d'autres
endroits de la côte de l'Amérique Septentrionale,
mais qu'elles n'avoient caufé aucun dommage
notable . Ces lettres confirment que les opérations
militaires des Généraux Johnſon & Shirley
font abfolument fufpendues. Depuis quelques
jours on a commencé la vente des marchandifes
fujettes à dépériffement , qui font à bord des
vaiffeaux pris fur les François. Elle fe fait en préfence
des principales perfonnes des équipages
de chaque bâtiment. On fait prendre aux Capitaines
un duplicata de la note des marchandifes ,
& du prix qu'elles font vendues . I eft décidé
que chaque Régiment de Dragons aura défor
mais un Efcadron de Huffards. Chaque Compagnie
des trois Régimens des Gardes à pied doit
être portée de foixante- dix hommes à quatrevingt-
dix.
FEVRIE R. 1756. 219
Les derniers avis qu'on a reçus de nos Colonies
ne font pas plus favorables que les précédens.
On parle de faire paffer quelques troupes
à la Virginie , & l'on affure que le Roi a envoyé
ordre de lever plufieurs nouveaux Régimens
dans l'Amérique Septentrionale.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
LETTRE à l'Auteur du Mercure , par M.
l'Abbé Moreilhon , Prêtre , Docteur en
Théologie , Curé de Portet , Jurvielle , &
Pobean , Diocèfe de Commenges.
UN étrange phénomene , Monfieut , a répandu
l'effroi dans ce coin de l'Univers. Il pourra
mériter l'attention du Public , fi vous daignez
P'expofer à fes yeux dans un de vos recueils périodiques.
Le premier de ce mois , un vieux Paſteur con
duifit fes moutons dans la prairie de Jurvielle.
C'est un petit Bourg fitué à l'extrêmité de la vallée
de Larbouft , dans la Généralité d'Auch ,
tout au pied des Pyrenées. Vers les onze heures
du matin , ce Berger s'aflit auprès d'une fontaine
où il avoit accoutumé de faire fes champêtres repas.
Il avoit déja bu de cette eau pure dans le
creux de fa main , lorfqu'il vit tout- à -coup fa
Cource fe troubler , au point qu'il la crut changée
en fots de fang.
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
Effrayé du fpectacle il fuit d'un lieu qui avoit
fait jufqu'alors fes plus cheres délices ; mais à
peine a -t'il fait quelque pas , que le ruiffeau qui
ferpente dans le vallon , lui préfente un femblable
prodige. Il appelle d'autres Paſteurs. Des
cris mêlés de gémiflemens fe font entendre au
loin . Un peuple nombreux accourt au bord du
Ruiffeau. On crie de plus en plus au miracle. La
crainte redouble à chaque inftant , & l'allarme
vint me troubler dans les fonctions du faint miniftere
dont j'étois occupé.
Je voulois me convaincre par moi - même du
fujet de la terreur publique. J'allai fur les lieux
& je vis qu'on ne m'en avoit point impofé. Les
caux du ruiffeau étoient d'une couleur parfaitement
reffemblante à celle d'un fang livide . Je
remontai à la fource , & par la verification exacte
que j'en fis , je trouvai le long du vallon quatre
fontaines qui avoient fouffert le même changement.
Non feulement le cryſtal de leurs eaux ne
préfentoit plus fa tranfparence ordinaire , mais
leur goût & leur odeur étoient aufli changée ;
& dans le courant cette liqueur dépofoit une efpece
de limon , tel que le mar du caffé au
clair.
Ce n'eft pas tout. L'émotion populaire me
rendit témoin d'un autre prodige ; tandis que
les quatre fources dont j'ai parlé , avoient pris
une couleur rouge en coulant. de l'Ouestau Sud,
ily en a deux du côté de ce même vallon , dont
les eaux étoient blanches , comme fi l'on y avoir'
détrempé du plâtre. Je continuai mes obferva-"
tions vis- à- vis de ces fontaines qui coulent duNord
at Sud. Après les avoir examinées je trouvai que
cette cau fentoit la vafe , & que les parties craffes
qu'elle entraînoit , étoient de la véritable argille ,
FEVRIER. 1756. 221
Je m'informai fi l'on n'avoit jamais vu un pareil
changement dans ces fontaines , & des perfonnes
âgées de quatre-vingts ans me certifierent qu'elles
n'avoient point vu , ni même oui dire , que
la diverfité des faifons eût produit dans ces fources
la moindre altération. Le tems étoit affez ferein
, & mes foins ne me mirent point à même
de foupçonner quelque caufe extérieure qui eût
trait à cet événement .
Pendant environ fix heures , le changement de
couleur dans ces différentes fontaines fut toujours
au même dégré , fans qu'il furvînt aucune altération
dans plus de vingt fources qui fe trouvent
au-deffus , au- deffous , & à côté , dans l'efpace
d'environ demi - quart de lieue que, contient le
vallon de Jurvielle. Dans la nuit , le prodige diminua
, & vers les huit heures du lendemain matin
les fontaines furent parfaitement rétablies dans
leur étát naturel.
J'avois auguré qu'un tremblement de terre ou
des feux fouterreins avoient pu occafionner le
prétendu miracle. Mes conjectures fe font , à mon
avis , trouvées plus vraisemblables , lorfque les
nouvelles publiques ont annoncé les ravages arrivés
par le tremblement de terre qui a eu lieu
le même jour , premier Novembre à Sévile , à
Cadix, à Salamanque, à Ségovie, à Carthagene, à
Valence , à Bilbao , & furtout à Liſbonne.
Mais comment les fecouffes de la terre ébranlée
à l'embouchure du Tage & du Guadalquivir ,
ont- elles pu troubler des fontaines fituées à quatre
cens lieues de diftance ? Quand le tremblement
de terre auroit été encore plus violent &
plus étendu dans les provinces voifines du détroit
de Gibraltar , fe feroit-il communiqué jufqu'à
P'extrémité de la Gafcogne : Les Pyrenées ne font
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
ils pas une barriere fuffifante pour y mettre obf
tacle ? La communication a - t'elle pu fe faire
dans deux heures de tems, puifque le tremblement
a commencé dans Lifbonne à neuf heures, & qu'ici
les fources ont changé de couleur à onze heures
du matin D'où vient la teinture rouge des quatre
fontaines , & la couleur blanche des deux autres
fources dont j'ai parlé , fi les feux fouterreins,
la crue de la mer , ou l'ébranlement de la terre en
font la véritable cauſe D'où vient que les fontaines
voisines font demeurées dans leur état naturel ?
Ne pourroit-on pas dire , en adoptant l'opinion
commune , fur l'origine des fontaines , que celles-
ci tirent leur fource d'un grand refervoir , où
il s'eft fait quelque éboulement qui a communiqué
à l'eau la différente couleur , felon la différente
qualité du terrein ? Les fonctions rédoutables
dont je fuis furchargé , me rendent depuis
long tems étranger à la Philofophie. Je n'ai donc
garde de prévenir le jugement des Sçavans fur
les queftions propofées. Je me fuis borné à conftater
les faits avec exactitude , & je me contente
de les expofer avec fimplicité .
*
4
J'ai l'honneur d'être , &c.
Ce 20 Novembre 1755.
2
Morillon , Curé.
Les Chevaliers , Commandeurs & Officiers de
l'Ordre du Saint -Efprit , tous en Manteau de
deuil , s'étant affemblés le a de Janvier , vers les
dix heures du matin dans le Cabinet du Roi , Sa
Majefté fortit de fon appartement pour aller à la
Chapelle. Le Roi , devant qui les deux Huiffiers
de la Chambre portoient leurs Maffes , étoit en
Manteau violet ,le Collier de l'Ordre par- deffus ,
ainfi que celui de l'Ordre de la Toifon d'Or. Sa
FEVRI E R. 1756. 223
Majefté étoit précédée de Monfeigneur le Dauphin
, du Duc d'Orléans , du Prince de Condé ,
du Comte de Clermont , du Prince de Conty , du
Comte de la Marche , du Comte d'Eu , du Duc
de Penthiévre , & des Chevaliers , Commandeurs
& Officiers de l'Ordre . Elle affifta à la Meffe de
Requiem , que l'Archevêque de Narbonne , Prélat
Commandeur de l'Ordre du Saint - Esprit , célébra
pour le repos des ames des Chevaliers morts pendant
le cours de l'année derniere. Enfuite Sa Ma
jefté fut reconduite à fon appartement , ains
qu'Elle étoit venue à la Chapelle.
Le 3 , les Députés des Etats de Bretagne eurent
audience du Roi . Ils furent préfentés à Sa Majesté
par M. le Duc de Penthievre , Gouverneur de la
Province , & par M. le Comte de Saint Florentin ,
Miniftre & Secrétaire d'Etat , & conduits par M.
le Marquis de Dreux , Grand Maître des Cérémonies.
La Députation étoit compofée pour le Cler.
gé , de M. l'Evêque de Nantes qui porta la parole ;
de M. le Comte de Polignac pour la Nobleffe , &
de M. Marion , Député du Commerce de Saint-
Malo , pour le Tiers- Etat.
Le 4, Madame la Marquife de Broglie fur
préfentée à Leurs Majeftés & à la Famille Royale.
M. de Machault , Garde des Sceaux de France ,
Miniftre & Secrétaire d'Etat ayant le Département
de la Marine , préſenta le même jour au Roi M. le
Chevalier de Tourville , Officier des Vaiffeaux de
Sa Majesté.
Les Officiers Généraux qui feront employés
fur les côtes de l'Océan , depuis Dunkerque jufqu'à
la frontiere d'Efpagne , fous les ordres de M.
le Maréchal Duc de Belle-Ifle , font :
LIEUTENANS-GENERAUX , Meffieurs , le Mar
quis de Clermont Gallerande , fur les côtes de
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
Saintonge , Païs d'Aunis & Poitou . Le Comte
d'Eftrées & le Duc d'Harcourt , côtes de Normandie
& du Gouvernement du Havre . Le Prince de
Soubize , côtes de Flandre. Le Duc de Chaulnes ,
côtes de Picardie & Calaifis. M. de Crémille , le
Marquis d'Hérouville , côtes de Guyenne , de
Bayonne & du Païs de Labour. Le Comte de Saint
Germain , côtes de Flandre.
t.
MARECHAUX DE CAMP . MM . le Duc d'Aiguillon
, côtes de Bretagne . Du Barail , côtes de
Flandre. Le Marquis de Dreux , côtes de Saintonge
, Païs d'Aunis & Poitou, Le Marquis de Puyfegur
, côtes de Normandie & du Gouvernement
du Havre. Le Marquis de Voyer , M. Lally , dans
le Boulonnois. Le Marquis de Narbonne , côtes
de Guyenne , de Bayonne & du Pais de Labour.
Le Marquis de Curfay , côtes de Bretagne. Le
Comte de Raymond , côtes de Normandie & du
Gouvernement du Havre .
T
Le Maréchal Duc de Richelieu , à qui le Roi a
donné le commandement général des côtes de la
Méditerranée depuis la frontiere d'Eſpagne jufqu'au
Var , aura fous fes ordres trois Lieutenans-
Généraux, & deux Maréchaux de Camp .
LIEUTENANS- GENERAUX employés fous les ordres
de ce Maréchal. Le Duc de Mirepoix , fur les côtes
de Languedoc. Le Comte de Graville , côtes
de Rouffillon . Le Marquis de Maillebois , côtes
de Provence.
MARECHAUX DE CAMP qui ferviront fous les
mêmes ordres. Le Comte de Moncan , côtes de
Languedoc. Le Comte de Lannion , côtes de Provence
.
On a annoncé l'année derniere , que l'Académie
de Pau avoit propofé pour le Sujet du Prix
qu'elle doit diftribuer en 1756 , L'utilité des déFEVRIER.
1756. 225
44
couvertesfaites dans les Sciences fous le Regne de
Louis XV. Une des Pieces de Poélies qui ont été
envoyées à cette Académie , a été adreffée par la
Pofte à l'Abbé de Sorberio , ci - devant Secrétaire
de la Compagnie , & on lit au bas cette Sentence ,
Eft aliquidfub Sole novum. L'Auteur n'a pas joine
à fon Poëme le billet cacheté qui devoit contenir
fon nom , & fur lequel devoit être répetée la
Sentence ci- deſſus mentionnée. Il eft averti qu'il
ne peut entrer en concours s'il ne répare cette
omiffion , en envoyant une autre copie de fon
ouvrage , accompagnée d'un Billet dans lequel i
obferve les deux formalités dont on vient de parler.
On a appris que le 21 du mois dernier il y avoit
eu un nouveau tremblement de terre à Lisbonne.
Plufieurs des maifons qui n'avoient été qu'ébranlées
, ont été détruites . Leur chûte a fait périt
encore plus de trois cens perfonnes. Nouvelle
incertaine .
Sur la démiſſion volontaire'de M. le Duc de
Bethune en faveur de M. le Duc de Charoft fon
petit- fils , le Roi a accordé à ce dernier la Lieurtenance
- Générale de Picardie & du Boulonnois ,
ainfi que le Gouvernement des Ville & Citadelle
de Calais.
On apprend de Luneville , que le Roi ayant
nommé Commandeur Honoraire de l'Ordre Royal
& Militaire de Saint Louis M. de Baye , Brigadier
de Cavalerie , Commandant les deux Compagnies
des Cadets Gentilshommes du Roi de Pologne
Duc de Lorraine & de Bar , Sa Majefté Polonoife
a fait l'honneur à cet Officier , de le revêtir lui-
-même du grand Cordon rouge.
La nuit du 26 au 27 de Décembre , on fentit
à Rocroy deux legeres fecouffes de tremblement
de terre , la premiere à onze heures cin-
K v
226 MERCURE DE FRANCE.
quante-fix minutes , la feconde à minuit douze
minutes . Elles s'annoncerent par un bruit fourd
de peu de durée , & le Ciel , au rapport des fentinelles
qui étoient pour lors en faction , parut tour
en feu.
M. Rouillé , Miniftre & Secrétaire d'Etat ayant
le Département des Affaires Etrangeres , écrivit
le 21 du même mois à Monfieur Fox , Secrétaire
d'Etat du Roi d'Angleterre , la Lettre fuivante.
·
Monfieur , c'est par ordre du Roi mon Maître ,
que j'ai l'honneur d'envoyer à votre Excellence le
Mémoire que je joins ici , &c.
« Il n'a pas tenu au Roi que les différends concernant
l'Amérique n'ayent été terminés par les
» voies de la conciliation , & Sa Majesté eft en
» état de le démontrer à l'Univers entier par des
preuves authentiques.
Le Roi , toujours animé du défir le plus fin-
» cere de maintenir le repos public & la plus parfaite
intelligence avec Sa Majefté Britannique
» a fuivi avec la bonne foi & la confiance la plus
entiere la négociation relative à cet objet.
» Les affurances que le Roi de la Grande Bre-
» tagne & fes Miniftres renouvelloient fans ceffe
» de vive voix & par écrit , étoient fi formelles
» & fi préciſes fur les difpofitions pacifiques de Sa
Majefté Britannique , que le Roi fe feroit re-
» proché le moindre doute fur la droiture des in-
» tentions de la Cour de Londres .
» Il n'eft guere poflible de concevoir com-
» ment ces affurances pouvoient fe concilier avec
ples ordres offenfifs , donnés en Novembre 1754
au Général Braddock , & au mois d'Avril 1755à
» P'Amiral Bofſcawen.
» L'attaque au mois de Juillet dernier , & la
prife de deux vaiffeaux du Roi en pleine mer &
7 FEVRIER. 1756. 227
D fans déclaration de guerre , étoient une infulte
publique au pavillon de Sa Majefté ; & elle auroit
témoigné fur le champ tout le jufte reffen-
» tinient que lui infpiroit une entrepriſe fi irrégu
liere & fi violente , fi elle avoit pu croire que
» P'Amiral Boscawen n'eût agi que par les ordres.
» de la Cour.
» Le même motif avoit d'abord fufpendu le
» jugement du Roi fur les pirateries que les vaiffeaux
de guerre Anglois exercent depuis plu
» fieurs mois contre la navigation & le commervce
des fujets de Sa Majefté , au mépris du droit
des gens , de la foi des traités , des ufages établis
parmi les nations policées , & des égards
» qu'elles fe doivent réciproquement.
Le Roi avoit lieu d'attendre des fentimens
de Sa Majefté Britannique , qu'à fon retour à
» Londres elle défavoueroit la conduite de fon
Amirauté & de fes Officiers de mer , & qu'elle
» donneroit à Sa Majefté une fatisfaction'
tionnée à l'injure & au dommage,
propor
» Mais le Roi voyant que le Roi d'Angleterre
» bien loin de punir les brigandages de la Marine
» Angloife , les encourage au contraire , en demandant
à fes Sujets de nouveaux fecours con
» tre la France , Sa Majesté manqueroit à ce qu'el
» le doit à fa propre gloire , à la dignité de ſa
» Couronne , & à la défenfe de fes peoples , fi
elle différoit plus long - tems d'exiger du Roi
» de la Grande Bretagne une réparation éclatante:
» de l'outrage fait au pavillon François , & des
dommages caufes aux Sujets du Roi,
Sa Majefté croit donc devoir s'adreffer direc
tement à Sa Majefté Britannique , & lui deman
der la rehitution prompte & entiere de tous les
» vaiffeaux Francois , tant de guerre que mar-
3Y
K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
chands, qui, contre toutes les loix & contre tou
tes les bienséances , ont été pris par la Marine
» Angloife , & de tous les Officiers , Soldats , Ma-
» telots , Artillerie , Munitions , Marchandifes , &
genéralement de tout ce qui appartenoit à ces
>> vaiffeaux .
»
» Le Roi aimera toujours mieux devoir à l'équité
du Roi d'Angleterre qu'à tout autre moyen
»la fatisfaction que Sa Majeſté a droit de recla-
» mer & toutes les Puiffances verront fans dou
» te dans la démarche qu'elle s'eft déterminée à
» faire une nouvelle preuve bien ſenſible de cet
» amour conftant pour la paix , qui dirige fes
» confeils & fes réfolutions.
» Si Sa Majefté Britannique ordonne la refti-
» tution des vailleaux dont il s'agit , le Roi fera
» difpofé à entier en négociation fur les autres
fatisfactions qui lui font légitimement dues , &
» continuera de fe prêter , comme il a fait précé-
» demment à un accommodement équitable &
» folide fur les difcuffions qui concernent l'Amé
>> rique.
» Mais fi , contre toute efpérance , le Roi d'Angleterre
fe refufe à la réquifition que le Roi luí
» fait , Sa Majefté regardera će deni de jufticé
» comme la déclaration de guerre la plus authen-
» tique , & comme un deffein forme par la Cour
» de Londres , de troubler le repos de l'Europe .
M. Fox á fait à M. Rouillé la réponſe qui fuit
& qui eft datée de Whitehall , le 13 Janvier.
Monfieur , j'ai reçu le 3 de ce mois la lettre
dont votre Excellence m'a honoré , en date du zí
du mois paffé , avec le Mémoire dont elle étoit accompagnée
. Je n'ai pas tardé à les mettre devant
le Roi mon Maître, c'eft par fes ordres que j'ai
P'honneur d'informer votre Excellence que Sa Ma
FEVRIER. 1756. 229
jefté continue de fouhaiter la confervation de la
tranquillité publique ; mais quoique le Roi fe prê
tera volontiers à un accommodement équitable &
folide , Sa Majesté ne fçauroit accorder la deman
de qu'on fait de la reftitution prompte entiere
de tous les vaiffeaux François , & de tout ce qui y
appartenoit , comme une condition préliminaire à
toute négociation ; le Roi n'ayant rien fait dans
toutes fes démarches , que ce que les hoftilités com
mencées pas la France en tems de pleine paix ( dont
on a les preuves les plus authentiques ) , & ce que
Sa Majesté doit à fon honneur , à la défense des
droits & poffeffions de fa Couronne , & à la fureté
defes Royaumes, ont rendu jufte indifpenfable.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Le 18 M. le Duc de Charoft prêta ferment
entre les mains du Roi , pour la Lieutenance- Générale
de Picardie & du Boulonnais , & pour le
Gouvernement
des Ville & Citadelle de Calais .
Monfeigneur le Dauphin & Madame la Dauphine
vinrent le 19 de Janvier à Paris , pour rendre
à Dieu leurs folemnelles actions de graces , à
l'occafion de la naiffance de Monfeigneur le Comte
de Provence. Ce Prince & cette Princeffe arriverent
fur les trois heures & demie après- midi à
PEglife Métropolitaine , & furent reçus à la porte
de l'Eglife par l'Abbé de Saint- xupery , Doyen
du Chapitre , à la tête des Chanoines . Ayant été
conduits dans le Choeur , ils affifterent au Te
Deum , auquel le Doyen officia . En fortant , ils
firent leur priere à la Chapelle de la Vierge . De
1'Eglife Métropolitaine , Monfeigneur le Dau
phin & Madame Pa Dauphine fe rendirent à celle
de Sainte Geneviévé . L'Abbé , à la tête de fa Communauté
, les reçut à la porte de l'Eglife . Lorfque
ce Prince & cette Princeffe furent entrés dans le
230 MERCURE DE FRANCE.
Choeur , on célebra le Salut. La Châffe de Sainte
Géneviéve étoit découverte. Monfeigneur le Dauphin
& Madame la Dauphine , en arrivant à l'Eglife
Métropolitaine & à celle de Sainte Géneviéve
, ont trouvé une Compagnie des Gardes Françoifes
& une des Gardes Suiffes fous les armes . Le
foir , ce Prince & cette Princeffe retournerent à
Verfailles. Le peuple eft accouru partout en foule
fur leur paffage , & a témoigné par fes acclamations
la joie que lui caufoit leur préfence.
Sa Majesté voulant qu'il foit pourvu au remplacement
des Soldats , qui manquent dans les
Bataillons de Milice , & en même- tems à la levée
de l'augmentation qu'Elle a réfolu de faire dans
ces Bataillons , a ordonné ce qui fuit . ARTICLE I.
Les Bataillons de Milice , qui font actuellement
compofés de cinq cens hommes en dix Compa
gnies , feront portés à cinq cens quatre-vingt-dix
hommes chacun , formant le même nombre de
dix Compagnies , dont une de Grenadiers de cinquante
hommes , une de Grenadiers Poftiches de
foixante , & huit de Fufiliers de pareil nombre ;
les neuf Compagnies , tant de Grenadiers Poftiches
que de Fusiliers , devant être augmentées
chacune de dix hommes. ART. II. Entend Sa Majefté
, que , conformément aux ordres qu'Elle
donnés pour fufpendre la délivrance des congés
d'ancienneté aux Cavaliers , Dragons & Soldats
de fes troupes , il ne foit également délivré aucun
congé d'ancienneté aux Soldats de fes Bataillons
de Milice pendant la préfente année ; fe réſervant
de régler ceux qui devront être expédiés dans la
fuite. ART. III. Veut Sa Majefté , qu'il foit incel
famment procédé par le fieur Berryer , Lieutenant-
Général de Police de la Ville de Paris , &
par les Intendans des Provinces & Généralités di
FEVRIER. 1756. 271
A
Royaume , ou leurs Subdélégués , à la levée tant
des remplacemens qu'il y a à faire pour completer
le fonds actuel des Bataillons de Milice de
leurs Départemens , que des quatre -vingt- dix
hommes d'augmentation par Bataillon , enforte
qu'ils puiffent être affemblés auffi- tôt que Sa Majesté
le preferira .
L'honneur qu'a la Provence , de voir porter fon
nom au troifiéme petit - Fils de France , faifoit à la
Ville d'Aix une loi de célébrer la naiffance de ce
Prince , par des réjouiffances éclatantes. La Fêtefut
annoncée le 12 de Décembre par plufieurs
troupes de Trompettes , de Tambours & de Tambourins
qui parcoururent la Ville . Le 14 , on
chanta le Te Deum dans l'Eglife Métropolitaine.
Un Bucher fut allumé dans la Place des Prêcheurs.
Devant l'Hôtel du Gouvernement , dont la façade
étoit illuminée avec autant de goût que de magnificence
, s'élevoit un Arc de Triomphe , fous lequel
le Duc de Villars fir diftribuer des viandes au
peuple pendant quatre heures confécutives . Toute
la nuit , il coula des quatre angles du Buffet quatre
Fontaines de vin. Une Cavalcade d'environ deux
cens Citoyens , divifés en quatre Compagnies
différemment habillées , fe promena dans les principales
rues. Trois de ces Compagnies , l'une de
Mafques de divers caracteres , l'autre de Cavaliers
Turcs , la troifiéme vêtue d'un riche uniforme
militaire , précédoient un Char orné de dorures
& d'emblêmes , & rempli de Symphonistes. Au
fond de ce Char , on voyoit deux perfonnes ,
dont l'une repréſentoit la Provence tenant dans fes
bras un Enfant , & l'autre le Roi René , qui regardoit
cet enfant avec complaifance . La quatriéme
Compagnie , habillée à la Chinoife ,fuivait
le Char. Chaque Compagnieavoit fes laftrumens,
232 MERCURE DE FRANCE.
*
fes Etendards & fes Officiers ; & la bride du cheval
de chaque Cavalier étoit tenue par un Valet
mafqué , lequel portoit un flambeau. Quinze Bergeres
& autant de Bergers fe rendirent chez M. le
Duc de Villars en chantant l'événement qui
caufoit l'allégreffe publique , & en exprimant la
leur d'une maniere d'autant plus tonchante
qu'elle étoit plus naïve . Il y eut au Gouvernement
un fouper fomptueux , & l'on y fervit huit tables,
compofant enfemble deux cens cinquante couverts.
M. le Duc de Villars donna le lendemain dans
la Salle de l'Hôtel de Ville un Bal , pendant lequel
on diftribua des rafraîchiffemens de toute
efpece Le 21 , ce Seigneur a la tête des Confuls
& du Corps de Ville , affifta à la Meffe , que la
Ville fit chanter dans l'Eghte des Dominicains . A
Pentrée de la nuit , on tira dans la Place de l'Hô .
tul de Ville , un feu d'artifice qui dura trois quarts
d'heure. La face de cet Hôtel étoit illuminée en
lampions & en pots à feu. Toutes les perfonnes
de diftinction y fouperent. Cette Fête , dans laquelle
la Nobleffe & le peuple ont fait éclater à
l'envi leur zele & leur joie , fera mémorable particuliérement
pour les pauvres . La Ville en a habillé
& diverſement fecouru un très- grand nombre,
& M. le Duc de Villars a répandu fes largeſſes
fur tous ceux qui le font préfentés.
Pendant le cours de l'année derniere , il eft
mort à Paris vingt mille vingt- une perſonnes :
il s'y eft fait dix-neuf mille quatre cens douze
baptêmes , & quatre mille cinq cens un mariages;
& il y a eu quatre mille deux cens foixantetreize
Enfans Trouvés.
Le 22 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à quatorze cens livres : les Billets de la
premiere Loterie Royale , à huit cens vingt-cinq;
FEVRIER. 1756. 233
& ceux de la troifiéme Loterie , à fix cens dix- huit.
Ceux de la Seconde n'avoient point de prix fixe.
BENEFICES DONNÉS.
Le Roi a donné l'Abbaye Réguliere & Elective
de Marback , Ordre de Saint Auguftin , Diocèfe
de Bafle , à Dom Hergott , Religieux de cette
Abbaye , & celle de Cordillon , Ordre de Saint
Benoît , Diocèfe de Bayeux , à la Dame de Banneville
, Religieufe dudit Ordre .
Mariage & Morts.
M Effire N..... Marquis de Bréhant , Brigadier
d'Infanterie , & Colonel du Régiment de Picardie
, époufa le 17 Novembre au Château de
Bercy, Demoiselle N..... Tafchereau de Baudry
, fille de feu Meffire Gabriel - Talchereau de
Baudry , Confeiller d'Etat ordinaire , & Intendant
des Finances , mort le 22 Avril 1755. Le jour du
mariage le Régiment de Picardie donna à la Garnifon
de Valenciennes un fouper , qui fut fuivi
d'un bal auquel toute la Ville fut invitée.
Louis-Charles , Comte de la Mothe- Houdancourt
, Maréchal de France , Grand d'Espagne de
la premiere Claffe , Chevalier des Ordres du Roi ,
Chevalier d'honneur de la Reine &Gouverneur de
Gravelines , eft mort à Paris le 3 Novemb. âgé de
68 ans. Le Roi a difpofé de la charge de Chevalier
d'honneur de la Reine , vacante parfalnmort, en faveur
du Comte de Saulx-Tavannes , Lieutenant-
Général des Armées du Roi , Gouverneur du Châ
234 MERCURE DE FRANCE.
teau du Taureau en Baffe- Bretagne , & l'un des
Menins de Monfeigneur le Dauphin.
Le 27 Novembre , mourut dans fes terres de
Normandie , Louife- Elifabeth de Melun , Marquife
de Langheac ; elle avoit époufé en premieres
noces Alexandre - Théodofe , Comte de Melun,
Meftre de camp du régiment Royal , fon coufin
germain, mort en 1739 ; & en fecondes, Gilbert-
Allire , Marquis de Langheac : de ce mariage
elle laiffe trois filles ,& deux du premier , feu!
refte de la derniere branche de fon illuftre maifon
: ( 1 ) Charle- Alexandre-Albert de Melun , Vicomte
de Gand , grand pere de la Marquife
de Langheac , en étoit l'auteur. Il étoit fils puîné
de Guillaume de Melun , Prince d'Epinoi , &
d'Erneftine de Ligne-Aremberg , & avoit pour
frere 1°, Alexandre-Guillaume , Prince d'Epinoi ,
dont par la mort de fon petit-fils , Louis, créé Duc
de Joyeufe , tué par un cerf à Chantilli le 31 Juillet
1724 , tous les biens pafferent à fa foeur , Anne-
Julie-Adelaïde , Princeffe de Soubiſe . 2 °. François
- Philippe de Melun , Marquis de Richebourg
dont la poftérité mafculine s'eft pareillement
éteinte , par la mort de Philippe Marquis de
Kichebourg , Grand d'Efpagne de la premiere
claffe , & celle de Guillaume Comte de Beauffart,
auffi Grand d'Espagne , fes petits-fils . Le Vicomte
de Gand , par Renée de Rupiere fa femme
fut pere de trois fils ; Alexandre l'aîné , Marquis
de Melun , époufa Elifabeth de Rohan- Gué-
(1 ) Robert, Moine de S. Remi de Rheims , écrivant:
en 1089, dans fon Hiftoire d'Antioche , Contemporain
de Guillaume de Melun , dit le Charpentier
par fa valeur par fa force , le dit iſſu de race
royale
FEVRIER . 1756. 235
A
menée, dont une fille unique , Louife- Armande ,
mariée avec Gabriel Vicomte de Melun , le troifiéme
des freres de fon pere , mort en 1740 , Lieutenant
général des armées du Roi , Commandant
à Abbeville ; c'eft de ce mariage qu'étoit iffue
la Marquife de Langheac ; & fon premier mari ,
de celui de Charlotte de Monchy - Senarpont
avec Ambroise Comte de Melun , autre frere
de fon pere , & grand pere , tous trois fils du
Vicomte de Gand.
Marie - Louiſe - Victoire de Gramont , épouſe
d'Antoine Duc de Gramont , Pair de France
Souverain de Bidache , Brigadier d'Infanterie ,
Gouverneur & Lieutenant- Général de Navarre
& de Bearn , mourut à Paris le 11 de Janvier ,
âgée de trente-trois ans .
- Meffire Louis Antoine du Fos , Marquis de
Mery , eft mort le 12 au château de la Taule en
Picardie , dans fa cinquante - fixième année.
Meffire Henri , Comte de Bukeley , Chevalier
des Ordres de Sa Majefté , & Lieutenant - Général
de les armées , eft mort en cette ville le 14 .
Dame Jeanne-Thérefe- Pélagie d'Albert , veuve
de Meffire Louis de Guilhelm de Caftelnau de
Clermont Lodeve , Marquis de Seffac , Maître de
la Garde-robe du Roi , eft morte en cette ville le
14,dans la quatre-vingt-uniéme année de fon âge.
Geneviève de Gontant-Biron , veuve de Louis
"Duc de Gramont , Pair de France , Lieutenant-
Général des armées du Roi , Gouverneur & Lieutenant
- Général de Navarre & de Bearn , & Colonel
du Régiment des Gardes Françoifes , mourut
à Paris le is , agée de cinquante- neuf ans.
Le Pere Jean- Baptifte Radominski , Confeffeur
de la Reine , eft mort à Verſailles le 18 , âgé de
foixante- dix ans. Il étoit de la Compagnie de Jefus,,
& Polonois de Nation..
236 MERCURE DE FRANCE.
AVIS
BEchique fouverain , ou fyrop pectoral approuvé
par Brevet du 24 Août 1750 , pour les maladies
de poitrine , comme rhume , toux invétérées
, oppreffion , foiblefle de poitrine , & afthme
humide. Ce Béchique ayant la propriété de fondre
& d'atténuer les humeurs engorgées dans le
poumon , d'adoucir l'acrimonie de la lymphe en
tant que balfamique , & rétablir les forces abattues
, en rappellant peu- à- peu l'appétit & le fommeil
, comme parfait reftaurant , produit des effets
fi rapides dans les maladies énoncées , que la bouteille
taxée à fix livres , fcellée & étiquêtée à l'ordinaire
, eft fuffifante pour en procurer toute
P'efficacité avec fuccès.
Il ne le débite que chez la Dame veuve Mouton
, Marchande Apothicaire de Paris , rue faint
Denis , à côté de la rue Thevenot , vis - à- vis le
Roi François.
AUTRE.
LA veuve du fieur Bunon , Dentiste des Enfans
de France , donne avis qu'elle débite journellement
chez elle , rue fainte Avoye , au coin de
la rue de Braque , chez M. Georget fon frere ,
Chirurgien , les remedes de feu fon mari , dont
elle a feule la compofition , & qu'elle a toujours
préparés elle -même .
Sçavoir ;
1º. Un Elixir anti-fcorbutique qui affermit les
dents , diffipe le gonflement & l'inflammation
FEVRIER. 1756 . 237
des gencives , les fortifie , les fait recroître , diffipe
& prévient toutes les afflictions fcorbutiques ,
& appaiſe la douleur des dents .
20. Une eau appellée Souveraine , qui affermit
auffi les dents , rétablit les gencives , en diffipe
toutes tumeurs , chancres & boutons qui viennent
auffi à la langue , à l'intérieur des levres
& des joues en fe rinçant la bouche de quelques
gouttes dans de l'eau tous les jours , & elle la
rend fraîche & fans odeur , & en éloigne les
corruptions ; elle calme la douleur des dents.
3º. Un Opiat pour affermir & blanchir les
dents , diffiper le fang épais & groffier des gencives
, qui les rend tendres & moliaffes , & caufe
de l'odeur à la bouche.
4°. Une poudre de corail pour blanchir les
dents & les entretenir ; elle empêche que le limon
ne fe forme en tartre , & qu'il ne corrompe
les gencives , & elle les conferve fermes & bonnes
; de forte qu'elle peut fuffire pour les perfonnes
qui ont foin de leurs dents , fans qu'ilfoit
néceffaire de les faire nettoyer.
Les plus petites bouteilles d'Elixir font d'une
livre dix fols.
Les plus petites bouteilles d'eau Souveraine
font d'une livre quatre fols , mais plus grandes
que celles de l'Elixir .
Les petits pots d'Opiate font d'une livre dix fols.
Les boîtes de poudre de Corail font d'une liv.
quatre fols.
238
ERRAT A.
pour le fecond Volume de Janvier.
Page 11 , lig. 19 , au lieu de enfuite , lis. en
Suiffe .
Page 81 , lig. 16 , un Enigme , lif. une Enigme.
Pag. 91 , Poéfies del Signor Abbate Pietro Metaltafio
, lif. Poéfie del Signor , &c.
Page 101 ,lig. 9 , l'heure du pafla- , lif. du paflage
.
Page 180 , lig. 21 , au lieu de c'est tout , lis. c'eft
tout dire.
Page 188 , lig. 18 , au lieu de paroiffent , lif.
paroiffoient obfcures.
Page 189 , lig. 11 , au lieu de Saturne , lif. Juturne
.
Page 215 , lig. 12 , un cartouche en forme de médailles
, lif en forme de médaillon.
J'
AP PROBATION.
Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier
, le Mercure du mois de Février , & je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 29 Janvier 1756.
GUIROY.
239
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
page s
9
Trennes d'an Berger à fa Bergere ,
Les Graces de l'Ingénuité , Nouvelle ,
La Souche & le Marronnier ' , Fable ,
Etrennes à M. de Fontenelle de l'Académic Françoife
,
50
52
Examen de la Surdité & de la Cécité , par un
Sourd →
Portrait du Roi ,
Vers à M. D*** , par M. de Baſtide
53
70
72
Differtation du même Auteur fur les égards qu'u
ne femme doit à un galant homme qui lui
fait une déclaration d'amour 75
91
Vers d'un garçon Perruquier à fes pratiques , 89
Les Songes , Tirade chantante ,
Lettre adreffée à l'Auteur du portrait de l'honnêre
homme , 97
Mot de l'Enigme & du Logogryphe du fecond
volume de Janvier ,
Enigme & Logogryphe ,
Chanfon ,
99
ibid.
102
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Séance publique de l'Académie des Belles- Lettres
de Montauban , 103
Extraits , précis ou indications des Livres nouveaux
,
Lettre au fujet de Meffieurs Guis & Guys
122
131
Lettre d'un Profeffeur de l'Univerfité de Paris , à
M. de Saint-foix ,
Réponse de M. de Saint-foix ,
133
136
240
Réponse de Dom Pelletier à la lettre qui lui a été
adreflée dans le premier Mercure de Décembre
,
Lettre de M. de Chevrier à Dom Pelletier ,
137
141
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Grammaire . Obfervations fur les différens fons
de la lettre T , avec les moyens de les fixer , 145
Médailles ,
Phyfique . Lettre fur le tremblement de terre
arrivé à Lisbonne ,
148
149
Hiftoire naturelle. Anecdote finguliere au fujet
d'un Lion marin , 163
`Médecine. Mémoire au fujet de l'héméralopie, par
M. Fournier , Médecin de l'Hôtel - Dieu de
Montpellier ,
168
Chirurgie . Lettre au Frere Côme , au fujet de fon
Lithotome caché ,
174
Séance publique de l'Académie des Sciences , &
Belles- Lettres de Dijon ,
Mufique.
ART. IV. BEAUX ARTS.
180
199
Peinture. Explication de deux Tableaux allégoriques
, par M. Gofmond de Vernon ,
Gravure.
200
207
ART. V. SPECTACLES.
Comédie Françoiſe .
209
Comédie Italienne. ibid.
Avis au fujet de l'Opéra , ibid.
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres ,
211
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
219
Bénéfices donnés ,
233
Mariage , & Morts ,
ibid.
Avis. 236
こ
La Chanson notée doit regarder la Page 101.
De l'Imprimerie de Ch , A. JOMBERS .
MERCURE
DE FRANCE,
DÉDIÉ
Chez
AU ROI.
MARS. 1756 .
Diverfité, c'est ma devife. La Fontaine.
Cochin
Filiusinv
1. Sculp
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du
Mercure eſt chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'eft à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province
auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte ,
payeront
pour feize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les
recevront francs de port .
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui
prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront comme à Paris ,
qu'à raifon de 30 fols par volume , c'est- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes.
Les
Libraires des
provinces ou des pays
A ij
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreſſe ci - deſſus.
On fupplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la pofte , en payant le droit, le prix
deleur abonnement , ou de donner leurs ordres ,
afin que lepayement en foit fait d'avance au
Bureau .
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
resteront au rebut .
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine, aprèsmidi.
On peut se procurer par la voie du Merles
autres Journaux , ainfi que les Li
vres , Estampes & Mufique qu'ils annoncent.
`cure ,
匾
MERCURE
DE FRANCE.
MARS. 1756.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LE PAPILLON ET LE LIERRE.
FABLE.
UN Papillon las à la fin ,
D'avoir , fans fruit & fans deffein ,
Courtisé les fleurs d'un partere ,
Alla fe repofer dans un bofquet voisin.
Afes regards furpris s'offrit un jeune Lierre
A l'écorce d'un Chêne étroitement uni.
Sur fon attachement d'abord il fut honni ,
A iij
MERCURE DE FRANCE.
L'inconftant Papillon lui déclara la guerre.
Quoi ! lui dit l'infecte léger ,
Prétends-tu fur ce tronc paffer toute ta vie
Sans fonger à te dégager ?
Brife la chaîne qui te lie ;
Rends hommage aux nouveaux appas
De la tige tendre & fleurie
Du Tilleul qui te tend les bras :
Ce jeune Ormeau , ce beau Lilas
Ont de quoi piquer ton envie ;
Renonce à la fotte manie
D'être conftant jufqu'au trépas ;
Ma félicité t'en convie.
Je n'éprouve un charmant deftin
Qu'en pallant des fleurs d'un jardin
Aux-fleurettes de la prairie.
Dans l'efpace d'un feul matin ,
Jouet d'une inconftance heureuſe ,
Je porte mon vol incertain
Tour à tour fur la Tubéreuſe ,
La Violette ou le Jaſmin ;
Et bientôt je cours à la Rofe
La plus nouvellement écloſe ,
Que j'abandonne pour le Thyn.
J'en ai trop entendu , lui dit d'un ton niodefte ,
Le Lierre qui l'interrompit ;-
Par cette morale funeſte
Je ne ferai jamais féduit.
Ces propos fémillans , cet air brillant & lefte ,
MARS. 1756. 7
Sont tout-à-fait hors de faiſon ;
Des maximes que je déteſte
Va porter loin de moi le dangereux poiſon .
Tes charmantes couleurs , l'éclat de ta parure ,
Tes amours , tes plaifirs ne durent qu'un printems
:
Mais lorsque la rigueur des hyvers & des ans
Semble ravager la nature
Par les efforts les plus cruels ,
Elle refpecte la verdure
De mes feuillages immortels.
Ce n'eft qu'aux feuls coups de la hache
Qu'on voit enfin céder les noeuds que je chéris ;
Et mon fort , lorfque je péris ,
Eft de mourir où je m'attache.
Il eſt doux de fçavoir former
Un attachement véritable ;
On ne devient jamais aimable
Qu'en ne ceffant jamais d'aimer.
Heureux , heureux le coeur qui me prend pour
modele
Dans le choix d'un objet digne de fes déſirs !
Ce n'eft que dans les feux d'une ardeur éternelle
Que l'on trouve de vrais plaifirs.
Par M. le Chevalier de Pierres de Fontenailles
.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
SOLIMAN II.
ANECDOTE TURQU E.
C'Eft un plaifir de voir les graves Hiſtoriens
fe creufer la tête pour trouver de grandes
caufes aux grands événemens . Le Valetde-
chambre de Silla auroit peut-être bien
ri d'entendre les Politiques raifonner fur
l'abdication de fon maître ; mais ce n'eft
pas de Silla que je veux parler.
Soliman II époufa fon Efclave au mépris
des Loix des Sultans. On fe peint
d'abord cette Efclave comme une beauté
accomplie , avec une ame élevée , un génie
rare , une politique profonde. Rien
de tout cela : voici le fait.
Soliman s'ennuyoit au milieu de fa
gloire les plaifirs variés mais faciles
du Serrail lui étoient devenus infipides.
Je fuis las , dit-il un jour , de ne voir ici
que des machines careffantes. Ces Efclaves
me font pitié. Leur molle docilité n'a
rien de piquant , rien de flatteur . C'eſt à
des coeurs nourris dans le fein de la liberté
, qu'il feroit doux de faire aimer l'ef
clavage. Les fantaisies d'un Sultan font
des Loix pour fes Miniftres . On promir
MAR S. 1756. ༡
des fommes confidérables à qui ameneroit
au Serrail des Efclaves Européennes.
Il en vint trois en peu de tems , qui , pareilles
aux trois Graces , fembloient avoir
partagé entr'elles tous les charmes de la
beauté.
Des traits nobles & modeftes , des
yeux tendres & languiffans , un efprit ingénu
& une ame fenfible , diftinguoient
la touchante Elmire. L'entrée du Serrail
l'image de la fervitude l'avoient glacée
d'un mortel effroi : Soliman la trouva évanouie
dans les bras des femmes . Il
approche
; il la rappelle à la lumiere ; il la raffure
avec bonté. Elle leve fur lui de grands
yeux bleus mouillés de larmes ; il lui tend
la main ; il la foutient lui-même , elle le
fuit d'un pas chancelant . Les Efclaves ſe
retirent : & dès qu'il fut feul avec elle ,
ce n'eft pas de l'effroi , lui dit- il , belle
Elmire , que je prétends vous infpirer .
Oubliez que vous avez un Maître ; ne
voyez en moi qu'un Amant. Le nom d'Amant
ne m'eſt pas moins inconnu que celui
de Maître , lui dit- elle , & l'un & l'autre
me font trembler. On m'a dit , & j'en
fremis encore , que j'étois deftinée à vos
plaifirs. Hélas ! Eh quels plaifirs peut-on
avoir à tyrannifer la foibleffe & l'innocence:
Croyez- moi , je ne fuis point capable
A v
10 MERCURE DE FRANCE .
des complaifances de la fervitude ; & le
feul plaifir qu'il vous foit permis de goûter
avec moi , eft celui d'être généreux. Rendez-
moi à mes parens & à ma parrie ; &
en refpectant ma vertu , ma jeuneffe , &
mes malheurs , méritez ma reconnoiffance
, mon eftime & mes regrets .
Ce difcours d'une Efclave étoit nouveau
pour Soliman , fa grande ame en fut
émue. Non , lui dit il , ma chere enfant ,
je ne veux rien devoir à la violence. Vous
m'enchantez : je fais mon bonheur de vous
aimer & de vous plaire ; mais je préfère let
tourment de ne vous voir jamais , à celui
de vous voir malheureufe. Cependant
avant que de vous rendre la liberté, permettez-
moi d'effayer du moins , s'il ne me
feroit pas poffible de diffiper l'effroi que
vous cauſe le nom d'Efclaye . Je ne vous
demande qu'un mois d'épreuves , après
quoi , fi mon amour ne peut vous toucher ,
je ne me vengerai de votre ingratitude
qu'en vous livrant à l'inconftance & à la
perfidie des hommes. Ah ! Seigneur , s'écria
Elmire avec un faififfement mêlé de
joie, que les préjugés de ma patrie font infont
juftes ! & que vos vertus y peu connues
! Soyez tel que je vous vois , & je
ceffe de comprer ce jour au nombre des
jours malheureux.
MARS. 1756.
Quelques momens après , elle vit entrer
des Efclaves portant des corbeilles remplies
d'étoffes & de bijoux précieux . Choififfez
, lui dit le Sultan ; ce font des vêtemens
, non des parures qu'on vous préfente
; rien ne fçauroit vous embellir . Décidez-
moi , lui dit Elmire , en parcourantdes
yeux ces corbeilles. Ne me confultez
pas , répliqua le Sultan : je hais fans diftinction
tout ce qui peut me dérober vos
charmes. Elmire rougit ; & le Sultan s'apperçut
qu'elle préféroit les couleurs les
plus favorables au caractere de fa beauté.
Il en conçut une douce efpérance. Le foinde
s'embellir eft prefque le défir de plaire.
Le mois d'épreuves fe paffa en galanteries
timides de la part du Sultan , & du
côté d'Elmire , en complaifances & en attentions
délicates. Sa confiance pour lui
augmentoit chaque jour , fans qu'elle s'en
apperçut. D'abord il ne lui fut permis de
la voir qu'après la toilette , & jufqu'au
deshabillé : bientôt il fut admis au deshabillé
& à la toilette . C'étoit-là que fe formoit
le plan des amufemens du jour & du
lendemain . Ce que l'un propofoit étoit
précisément ce qu'alloit propofer l'autre.
Leurs difputes ne rouloient que fur des
larcins d'idées. Elmire dans ces difputes
ne s'appercevoir pas des petites négli
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
gences qui échappoient à fa pudeur. Un
peignoir dérangé , une jarretiere miſe imprudemment
, &c , ménageoient au Sultan
des plaifirs dont il n'avoit garde de rien
témoigner. Il fçavoit , & c'étoit beaucoup
fçavoir pour un Sultan , qu'il y a de la maladreffe
à avertir la pudeur des dangers où
elle s'expofe ; qu'elle n'est jamais plus farouche
que lorfqu'elle eft allarmée , &
que pour la vaincre il faut l'apprivoifer.
Cependant plus il découvroit de charmes
dans Elmire , plus il fentoit redoubler fes
craintes à l'approche du jour qui pouvoir
les lui enlever.
Ce terme fatal arrive. Soliman fait préparer
des caiffes remplies d'étoffes , de pierreries
& de parfums. Il fe rend chez Elmire
fuivi de ces préfens. C'eft demain ,
lui dit- il , que je vous ai promis de vous
rendre la liberté , fi vous la regrettez encore.
Je viens m'acquitter de ma parole &
vous dire adieu pour jamais. Quoi ! dit
Elmire tremblante , c'eſt demain ! je l'avois
oublié. C'eft demain , reprit le Sultan ,
que livré à mon défeſpoir , je vais être le
plus malheureux des hommes . Vous êtes
donc bien cruel à vous même de m'en avoir
fait fouvenir ? Hélas ! il ne tient qu'à vous ,
Elmire , que je l'oublie pour toujours. Je
yous avoue , lui dit-elle , que votre douMARS.
1756. 13
leur me touche , que vos procédés m'ont
intéreffée à votre bonheur , & que fi pour
Vous marquer ma reconnoiffance , il ne
falloit que prolonger de quelque tems mon
efclavage ..... Non , Madame , je ne fuis
que trop accoutumé au bonheur de vous
pofféder. Je fens que plus je vous aurois
connue, & plus il me feroit affreux de vous
perdre ce facrifice me coutera la vie ;
mais je ne le rendrois que plus douloureux
en le différant. Puiffe votre patrie en être
digne Puiffent les mortels à qui vous
allez plaire , vous mériter mieux que moi !
Je ne vous demande qu'une grace , c'eft
de vouloir bien accepter ces préfens comme
de foibles gages de l'amour le plus pur
& le plus tendre que vous-même , oui ,
que vous- même foyez capable d'infpirer.
Non , Seigneur , lui dit- elle d'une voix
prefque éteinte , je n'accepte point ces
préfens. Je pars ; vous le voulez : mais je
n'emporterai de vous que votre image .
Soliman levant les yeux fur Elmire , rencontra
les fiens mouillés de larmes . Adieu
donc , Elmire : adieu Soliman . Ils fe dirent
tant & de fi tendres adieux , qu'ils finirent
par fe jurer de ne fe féparer de la vie. Les
avenues du bonheur où il n'avoit fait que
paffer rapidement avec fes efclaves d'Afie ,
lui avoient paru fi délicieufes avec Elmire,
14 MERCURE
DE FRANCE.
qu'il avoit trouvé un charme inexprimable
à les parcourir pas à pas ; mais arrivé au
bonheur même , fes plaifirs eurent dèflors
le défaut qu'ils avoient eus : ils devinrent
trop faciles & bientôt après languiffans.
Leurs jours fi remplis jufqu'alors , commencerent
à avoir des vuides . Dans l'un de
ces momens où la feule complaifance retenoit
Soliman auprès d'Elmire , voulezvous
, lui dit- il , que nous entendions une
Efclave de votre patrie dont on m'a vanté
la voix . Elmire à cette propofition fentit
bien qu'elle étoit perdue : mais contraindre
un Amant qui s'ennuie , c'eſt l'ennuyer
encore plus. Je veux , lui dit- elle , tout ce
qu'il vous plaira , & l'on fit venir l'ELclave.
Délia , ( c'étoit le nom de la Muficienne
) avoit la taille d'une déeffe . Ses cheveux
effaçoient le noir de l'ébene , & fa
peau la blancheur de l'yvoire . Deux foureils
hardiment deffinés , couronnoient fes
yeux étincelans . Dès qu'elle vint à préluder
, fes levres du plus beau vermeil , laifferent
voir deux rangs de perles enchâffées
dans le corail. D'abord elle chanta les victoires
de Soliman , & le Héros fentit élever
fon ame au fouvenir de fes triomphes.
Son orgueil encore plus que fon goût , applaudiffoit
aux accens de cette voix écla
MARS. 1756. 1.5
tante qui rempliffoit la falle de fon volume
harmonieux .
Délia changea de mode pour chanter la
volupté. Alors elle prit le Théorbe , inftrument
favorable au développement d'un
bras arrondi & aux mouvemens d'une main
délicate & légere. Sa voix plus flexible &
plus tendre , ne fit plus entendre que des
fons touchans. Ses modulations liées par
des nuances infenfibles , exprimoient le
délire d'une ame enivrée de plaifir , ou
épuifée de fentiment Ses fons , tantôt expirans
fur fes levres , tantôt enflés &
battus rapidement , rendoient tour à tour
les foupirs de la pudeur & la véhémence
du défir ; & fes yeux encore plus que fa
voix animoient ces vives peintures.
Soliman hors de lui-même , la dévoroit
de l'oreille & des yeux. Non , difoit- il ,
jamais une fi belle bouche n'a formé de fi
beaux fons. Que celle qui chante fi bien le
plaifir , doit l'infpirer & le gouter avec
délices ! Quel charme de refpirer cette haleine
harmonieufe , & de recueillir au paffage
ces fons animés par l'amour ! Le Sultan
égaré dans ces réflexions , ne s'appercevoit
pas qu'il battoit la mefure fur le genou
de la tremblante Elmire . Le coeur
ferré de jaloufie , elle refpiroit à peine.
Qu'elle eft heureufe , difoit- elle tout bas à
16 MERCURE DE FRANCE.
Soliman d'avoir une voix fi docile ! Hélas,
ce devroit être l'organe de mon coeur !
Tout ce qu'elle exprime , vous me l'avez
fait éprouver. Ainfi parloit Elmire , mais
Soliman ne l'écoutoit pas.
Délia changea de ton une feconde fois
pour célébrer l'inconftance . Tout ce que la
mobile variété de la nature a d'intéreſſant
& d'aimable , fut retracé dans fes chants.
On croyoit voir le papillon voltiger fur
les rofes , & les Zéphirs s'égarer parmi les
fleurs . Ecoutez la Tourterelle , difoit Délia
: elle eft fidelle , mais elle eft trifte.
Voyez la Fauvette volage : le plaifir agite
fes aîles ; fa brillante voix n'éclate que
pour rendre grace à l'Amour. L'onde nefe
glace que dans le repos ; un coeur ne
languit que dans la conftance. Il n'eſt
qu'un mortel fur la terre qu'il foit poffible
d'aimer toujours. Qu'il change , qu'il
jouiffe de l'avantage de rendre mille coeurs
heureux , tous le préviennent ou le fuivent.
On l'adore dans fes bras , on l'aime
encore dans les bras d'une autre. Qu'il fe
rende ou qu'il fe dérobe à nos défirs , il
trouvera partout l'Amour , partout il le
laiffera fur fes traces.
Elmire ne put diffimuler plus long- tems
fon dépit & fa douleur . Elle fe leve & fe
retire le Sultan ne la rappelle point ; &
MARS. 1756. 17
tandis qu'elle va fe noyer dans fes larmes
en répétant mille fois : ah l'ingrat ! ah le
perfide ! Soliman charmé de fa divine
Cantatrice , va réaliſer avec elle quelques-
uns des tableaux qu'elle lui a peints
fi vivement. Dès le lendemain matin la
malheureuſe Elmire lui écrivit un billet
plein d'amertume & de tendreffe où elle
lui rappelloit la parole qu'il lui avoit donnée.
Cela eft jufte , dit le Sultan : qu'on
la renvoye dans fa patrie , comblée de mes
bienfaits. Cette enfant- là m'aimoit de
bonne-foi , & j'ai des torts avec elle .
Les premiers momens de fon amour
pour Délia ne furent qu'une ivreffe : mais
dès qu'il eut le tems de la réflexion , il
s'apperçut qu'elle étoit plus pétulante que
fenfible , plus avide de plaifir que flattée
d'en donner ; en un mot , plus digne que
lui d'avoir un Serrail fous fes loix. Pour
nourrir fon illufion , il invitoit quelquesfois
Délia à lui faire entendre cette voix
qui l'avoit enchanté ; mais cette voix n'étoit
plus la même. L'impreffion s'en affoibliffoit
chaque jour par l'habitude ; & ce
n'étoit plus qu'une émotion légere , lorfqu'une
circonftance imprévue la diffipa
pour jamais.
Le principal Miniftre du Serrail vint
déclarer au Sultan qu'il n'étoit plus poffi18
MERCURE DE FRANCE.
ble de contenir l'indocile vivacité d'une
de ces Efclaves d'Europe ; qu'elle fe mocquoit
des défenfes & des menaces , &
qu'elle ne lui répondoit que par de fanglantes
railleries & des éclats de rire immodérés
. Soliman qui étoit trop grand
homme pour traiter en affaire d'Etat la
police de fes plaifirs , fut curieux de voir
cette jeune évaporée. Il fe rendit chez elle
faivi de l'Eunuque. Dès qu'elle vit paroître
Soliman , graces au ciel , dit- elle , voici
une figure humaine. Vous êtes fans doute ,
le fublime Sultan dont j'ai l'honneur d'être
Efclave. Faites - moi le plaifir de chaffer
ce vieux coquin qui me choque la vue. Le
Sultan eut bien de la peine à ne pas rire
de ce début. Roxelane , lui dit- il , ( c'eft
ainfi qu'on l'avoit nommée ) refpectez ,
s'il vous plaît , le Miniftre de mes volontés.
Les moeurs du Serrail ne vous font
point connues : en attendant qu'on vous
en inftruife , modérez -vous & obéiffez.
Le compliment eft honnête , dit Roxelane.
Obéiffez ! eft- ce là de la galanterie turque?
Vous m'avez l'air d'être bien aimé , fi c'eft
fur ce ton-là que vous débutez avec les
femmes. Refpectez le Miniftre de mes volontés
! Vous avez donc des volontés ? &
quelles volontés , jufte ciel ! fi elles reffemblent
à leur Miniftre , un vieux monf
MAR S. 1756. 19
tre amphibie qui nous tient enfermées
comme dans un bercail , & qui rode à
l'entour avec des yeux terribles , fans ceffe
prêt à nous dévorer ; voilà le confident de
vos plaifirs & le gardien de notre fageffe .
Il faut lui rendre juftice , fi vous le payez
pour vous faire haïr , il ne vole pas fes
gages. Nous ne pouvons faire un pas qu'il
ne gronde. Il nous défend jufqu'à la promenade
& aux vifites mutuelles . Bientôt
il va nous pefer l'air & nous mefurer la
lumiere. Si vous l'aviez vu frémir hier au
foir pour m'avoir trouvée dans ces jardins
folitaires ! Eft-ce vous qui lui ordonnez de
nous en interdire l'entrée ? Avez - vous peur
qu'il ne pleuve des hommes ? & quand il'
en tomberoit quelques-uns des nues , le
grand mal ! le ciel nous devroit ce miracle.
Tandis que Roxelane parloit ainfi , le
Sultan examinoit avec furprife le feu de
fes regards & le jeu de fa phifionomie. Par
Mahomet , difoit- il en lui-même , voilà le
plus joli minois qui foit dans toute l'Afie.
On n'en fait de femblables qu'en Europe.
Roxelane n'avoit rien de beau, rien de régulier
dans les traits , mais leur enſemble avoit
cette fingularité piquante qui touche plus
que la beauté. Un regard parlant, une bouche
fraiche & tapiffée de rofe , un fin fourire
, un nez en l'air , une taille lefte & bien
20 MERCURE DE FRANCE.
prife , tout cela donnoit à fon étourderie
un charme qui déconcertoit la gravité de
Soliman. Mais les Grands dans ces fituations
, ont la reffource du filence , & Soliman
ne fçachant que lui répondre , prit le
parti de fe retirer en cachant fon embarras
fous un air de majesté.
L'Eunuque lui demanda ce qu'il ordonnoit
de cette Efclave audacieuſe. C'eft un
enfant , répondit le Sultan , il faut lui
paffer quelque chofe .
L'air , le ton , la figure , le caractere de
Roxelane , avoient excité dans l'ame de
Soliman un trouble & une émotion que le
fommeil ne put diffiper . A fon réveil , il
fit venir le chef des Eunuques. Il me femble
, lui dit- il , que tu es affez mal dans la
cour de Roxelane ; pour faire ta paix , va
lui annoncer que j'irai prendre du thé avec
elle. A l'arrivée du Miniftre , les femmes
de Roxelane fe hâterent de l'éveiller .
Que me veut ce finge , s'écria-t'elle , en
fe frottant les yeux ? Je viens , répondit
l'Eunuque , de la part de l'Empereur baifer
la pouffiere de vos pieds , & vous annoncer
qu'il viendra prendre du thé avec les
délices de fon ame. Va te promener avec
ta harangue. Mes pieds n'ont point de
pouffiere , & je ne prends point du thé fi
matin.
MARS. 1756. 21
L'Eunuque fe retira fans repliquer , &
rendit compte de fon ambaffade. Elle a
raifon , dit le Sultan : Pourquoi l'avoir
éveillée ? Vous faites tout de travers . Dès
qu'il fut grand jour chez Roxelane , il s'y
rendit.Vous êtes en colere contre moi, luidit-
il , on a troublé votre fommeil , & j'en
fuis la cauſe innocente. Çà faifons la paix ;
imitez-moi , vous voyez que j'oublie tout
ce que vous m'avez dit hier. Vous l'oubliez
, tant pis ; je vous ai dit de bonnes
chofes . Ma franchiſe vous déplaît, je le vois
bien ; mais vous vous y accoutumerez .
Et n'êtes - vous pas trop heureux de trouver
une amie dans une Efclave ? oui , une
amie qui s'intéreffe à vous , & qui veut
vous apprendre à aimer. Que n'avez- vous
fait quelque voyage dans ma patrie ? C'eft
que l'on connoît l'amour , c'eft-là qu'il
eft vif & tendre ; & pourquoi ? parce qu'il
eft libre. Le fentiment s'infpire , & ne fe
commande point. Notre mariage , à beaucoup
près, ne reffemble pas à la fervitude
cependant un mari aimé eft un prodige.
Tout ce qui s'appelle devoir attrifte l'ame ,
Alétrit l'imagination , réfroidit le défir
émouffe cette pointe d'amour-propre qui
fait tout le fel de l'amour. Or , fi l'on a
tant de peine à aimer fon mari , combien
plus il est difficile d'aimer fon maître ,
là
22 MERCURE DE FRANCE.
furtout s'il n'a pas l'adrefle de cacher les
fers qu'il nous donne ! Auffi , reprit le Sultan
, n'oublierai - je rien pour adoucir votre
fervitude ; mais vous devez à votre
tour .... Je dois , & toujours du devoir !
défaites - vous , croyez- moi de ces termes
humilians . Ils font déplacés dans la bouche
d'un galant homme , qui a l'honneur
de parler à une jolie femme . Mais Roxelane
, oubliez - vous qui je fuis , & qui
vous êtes ? Qui vous êtes , & qui je fuis ?
Vous êtes puiffant , je fuis jolie ; nous
voilà , je crois , de pair. Cela pourroit
être dans votre patrie , reprit le Sultan
avec hauteur ; mais ici , Roxelane , je fuis
maître , & vous êtes efclave . Oui , je fçais
que vous m'avez achetée ; mais le brigand
qui m'a vendue, n'a pu vous donner fur moi
que les droits qu'il avoit lui - même , les
droits de rapine & de violence , en un mot
les droits d'un brigand , & vous êtes trop
honnête-homme pour vouloir en abuſer.
Après tout vous êtes mon maître , parce
que ma vie eft en vos mains , mais je ne
fuis plus votre efclave , fi je fçais méprifer
la vie ; & franchement la vie qu'on
mene ici mérite peu qu'on la ménage.
Quelle idée funefte , s'écria le Sultan !
Me prenez -vous pour un barbare ? Non ,
ma chere Roxelane , je ne veux employer
MAR S. 1756. 23
mon pouvoir qu'à rendre pour vous & pour
moi cette vie délicieufe . Ma foi , cela s'annonce
mal , dit Roxelane , ces Gardiens , par
exemple , fi noirs , fi dégoûtans , fi difformes
,font- ce là les ris & les jeux qui accompagnent
ici l'amour ? Ces Gardiens ne
font pas ici pour vous feule . J'ai cinq cens
femmes far lefquelles nos moeurs & nos
loix m'obligent à faire veiller. Et à quoi,
bon cinq cens femmes , lui demanda- t'elle
en confidence ? c'eft une efpece de falte
que m'impofe la dignité de Sultan . Mais
qu'en faites - vous , s'il vous plait ? car
vous n'en prêtez à perfoane. L'inconftance
, répondit le Sultan , a introduit cet
ufage. Un coeur qui n'aime point , a befoin
de changer. Il n'appartient qu'à l'amour
d'être fidele , & je ne le fuis moimême
que depuis que je vous vois. Que
le nombre de ces femmes ne vous cauſe
aucun ombrage ; elles ne ferviront qu'à
orner votre triomphe. Vous les verrez
toutes empreffées à vous plaire , & vous
ne me verrez occupé que de vous. En
vérité , dit Roxelane d'un air compatiffant
vous méritiez un meilleur fort . C'est
dommage que vous ne foyez un fimple
particulier dans ma patrie , j'aurois pour
vous quelque foibleffe ; car au fonds ce
n'est pas vous que je hais , c'eft ce qui
24 MERCURE DE FRANCE.
vous environne. Vous êtes beaucoup mieux
qu'il n'appartient à un Turc : vous avez
même quelque chofe d'un François ; &
j'en ai aimé fans flatterie , qui ne vous
valoient pas. Vous avez aimé , s'écria Soliman
avec effroi. Oh ! point du tout ; je
n'ai eu garde. Ne prétendez- vous pas encore
qu'on ait dû être fage toute fa vie
pour ceffer de l'être avec vous ? En vérité
ces Turcs font plaifants ... Et vous n'avez
pas été fage ? O ciel ! que viens-je d'entendre
je fuis trahi , je ſuis déſeſpéré.
Ah ! qu'ils périffent , les traîtres qui ont
voulu m'en impofer. Pardonnez- leur , dit
Roxelane , les pauvres gens n'ont pas tort.
De plus habiles s'y trompent . Du reſte , le
mal n'eft pas grand. Que ne me rendezvous
la liberté , fi vous ne me croyez pas
digne des honneurs de l'efclavage. Oui ,
oui , je vous la rendrai cette liberté dont
vous avez fi bien ufé . A ces mots , le Sultan
fe retira furieux ; & il difoit en luimême
: Je l'avois bien prévu que ce petit
nez retrouffé auroit fait quelque fottife.
On ne peut fe peindre l'égarement où l'avoit
jetté l'imprudent aveu de Roxelane.
Tantôt il veut qu'on la chaffe , & tantôt
qu'on l'enferme , & puis qu'on l'amene à
fes pieds , & puis encore qu'on l'éloigne.
Le grand Soliman ne fçait plus ce qu'il
dit.
MARS. 1756. 25
dit. Seigneur , lui repréfenta l'Eunuque ,
faut-il vous défcfpérer pour une bagatelle ?
Une de plus , une de moins , eft - ce une
chofe fi rare ? D'ailleurs , qui fçait fi l'aveu
qu'elle vous a fait n'étoit pas un artifice
pour le faire renvoyer ? ... Que dis - tu ?
Quoi ! feroit-il poffible ? .. C'eſt cela - même
. Il m'ouvre les yeux . On n'avoue point
ces vérités : c'eft une feinte , c'eſt une ruſe
. Ah ! la perfide . Diffſimulons à notre
tour: je veux la pouffer à bout . Ecoute : va
lui dire que je lui demande à fouper ce
foir. Mais non , fais venir la Cantatrice ,
il vaut mieux la lui envoyer.
Délia fut chargée d'employer tout fon
art à gagner la confiance de Roxelane . Dès
que celle- ci l'eut entendue. Quoi ! lui dit- ,
elle , jeune & belle comme vous êtes , il
vous charge de ſes meffages , & vous avez
la foibleffe de lui obéir ! Allez , vous n'êtes
pas digne d'être ma compatriote . Ah !
je vois bien qu'on le gâte , & qu'il faut
que je me charge feule d'apprendre à vivre
à ce Turc. Je vais lui envoyer dire
que je vous retiens à fouper ; je veux qu'il
répare fon impertinence . Mais , Madame ,
il trouvera mauvais ... Lui ! je voudrois
bien voir qu'il trouvât mauvais ce que je
trouve bon... Mais il m'a femblé qu'il défiroit
de vous voir tête à tête. Tête à tête !
B
26 MERCURE
DE FRANCE.
Ah ! Nous n'en fommes pas là ; & je lui
ferai bien voir du pays avant que nous
ayons rien de particulier à nous dire.
Le Sultan fut aufli furpris que piqué
d'apprendre qu'ils auroient un tiers. Cependant
il fe rendit de bonne heure chez
Roxelane . Dès qu'elle le vit paroître , elle
courut au devant de lui d'un air auffi délibéré
s'ils avoient été le mieux du
que
monde enſemble . Voilà , dit- elle , un joli
homme , qui vient fouper avec nous . Madame
, vous voulez bien de lui ? Avouez ,
Solinian , que je fuis une bonne amie.
Allons , approchez , faluez Madame . Là ,
fort bien. A préfent remerciez- moi doucement.
Je n'aime pas qu'on appuie fur la
reconnoiffance . A merveille ! je vous affuque
deux leçons ,
re qu'il m'étonne. Il n'a
voyez comme il a profité ; je ne défepere
pas d'en faire quelque jour un François .
Qu'on s'imagine l'éronnement d'un Sultan
, & d'un Sultan vainqueur de l'Afie, de
fe voir traiter comme un écolier par une
Efclave de dix- huit ans. Elle fut pendant
le fouper d'une gaieté , d'une folie inconcevable.
Le Sultan ne fe poffédoit pas de
joie. Il l'interrogeoit fur les moeurs de
pas
l'Europe. Un tableau n'attendoit
tre. Nos préjugés , nos ridicules , nos travers
, tout fut faifi , tout fut joué. Solil'auMAR
S. 1756. 27
man croyoit être à Paris . La bonne tête ,
s'écrioit- il la bonne tête ! De l'Europe
elle tomba fur l'Afie , ce fut bien pis. La
morgue des hommes, l'imbécillité des femmes
, l'ennui de leur fociété , la mauffade
gravité de leurs amours , rien ne lui
étoit échappé , quoiqu'elle n'eût rien vu
qu'en paffant. Le Serrail eut fon tour , &
Roxelane commença par féliciter le Sultan
d'avoir imaginé le premier d'affurer la vertu
des femmes par la nullité abfolue des
Noirs. Elle alloit s'étendre fur l'honneur
que lui feroit dans l'Hiftoire cette circonftance
de fon regne , mais il la pria de l'épargner.
Ça , dit - elle , je m'apperçois que
j'occupe des momens que Délia rempliroit
bien mieux. Mettez - vous à fes pieds
pour obtenir un de ces airs qu'elle chante ,
dit- on , avec tant de goût & tant d'ame.
Délia ne fe fit point prier. Roxelane parut
charmée , elle demanda tout bas un
mouchoir à Soliman , il lui en donna un
fans fe douter de fon deffein . Madame , ditelle
à Délia , en le lui préfentant , c'eft de
la
part du Sultan que je vous donne le
mouchoir ; vous l'avez bien mérité. Oui ,
fans doute , dit le Sultan outré de dépit ;
& préfentant fa main à la Cantatrice , il
fe retira avec elle.
Dès qu'ils furent feuls , je vous avoue
Bij
128 MERCURE DE FRANCE.
peur
lui dit- il , que cette étourdie me confond ;
vous voyez le ton qu'elle a pris avec moi ;
je n'ai pas
le courage
de m'en fâcher : en
un mot , j'en fuis fou , & je ne fçais.comment
m'y prendre pour la réduire . Seigneur
, lui dit Délia , je crois avoir démêlé
fon caractere . L'autorité n'y peut rien ;
vous n'avez plus que l'extrême froideur
ou l'extrême galanterie . La froideur
la piquer , mais je crains qu'il ne foit plus
tems. Elle fçait que vous l'aimez . Elle
jouira en fecret de la violence qu'il vous
en coutera , & vous reviendrez plutôt
qu'elle. Ce moyen d'ailleurs eft triſte &
pénible , & s'il vous échappe un moment
de foibleffe , ce fera à recommencer. Hé
bien ! dit le Sultan , effayons de la galanterie.
Dans le Serrail dès lors chaque jour
fut une nouvelle fête , dont Roxelane étoit
l'objet , mais elle la recevoit comme un
hommage qui lui étoit dû , fans intérêt &
fans plaifir , avec une complaifance tranquille
. Le Sultan lui demandoit quelquefois
, comment avez - vous trouvé ces jeux,
ces concerts , ces fpectacles ? Affez bien ,
difoit- elle ; mais il y manquoit quelque
chofe . Eh quoi ? Des hommes & de la liberté.
Soliman étoit au défefpoir , il eut
recours à Délia . Ma foi , lui dit la Muficienne
, je ne fçais plus ce qui peut la tou
MAR S. 1756. 29
cher , à moins que la gloire ne s'en mêle .
Vous recevez demain les Ambaffadeurs de
vos Alliés, ne pourrois -je pas la mener voir
cette cérémonie à travers un voile , qui
nous déroberoit aux yeux de votre Cour. Et
croyez -vous , dit le Sultan , qu'elle y foit
fenfible ? Je l'efpere , dit Délia ; les femmes
de mon pays aiment la gloire. Vous
m'enchantez , s'écria Soliman : oui ma
chere Délia , je vous devrai mon bonheur.
1
?
,
Au retour de cette cérémonie qu'il eut
foin de rendre la plus pompeufe qu'il fut
poffible , il fe rendit chez Roxelane. Allez ,
lui dit- elle , ôrez- vous de mes yeux , & ne
me revoyez jamais . Le Sultan demeura
immobile & muet d'étonnement. C'eſt
donc ainfi , pourfuivit -elle , que vous
fçavez aimer La gloire & les grandeurs
les feuls biens dignes de toucher une ame,
· font
pour vous feul ; la honte & l'oubli
les plus accablans de tous les maux , font
mon partage , & vous voulez que je vous
aime ! je vous hais plus que la mort. Le
Sultan voulut tourner ce reproche en plaifanterie.
Rien n'est plus férieux , repritelle
. Si mon amant n'avoit qu'une cabane
, je partagerois fa cabane , & je ferois
contente. Il a un trône , je veux partager.
fon trône , ou il n'eft pas mon amant. Si
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
vous ne me croyez pas digne de régner
fur des Turcs, renvoyez - moi dans ma patrie
, où toutes les jolies femmes font fouveraines,
& bien plus abfolues que je ne le.
ferois ici ; car c'eft fur les coeurs qu'elles
regnent. L'empire. du mien ne vous fuffic
donc pas , lui dit le Sultan , de l'air du
monde le plus tendre ? Non , je ne veux
point d'un coeur qui a des plaifirs que je
n'ai pas. Ne me parlez plus de vos fêtes.
Jeux d'enfans que tout cela. Il me faut des
ambaffades . Mais , Roxelane , ou vous
êtes folle , ou vous rêvez : & que trouvez-
vous donc de fi extravaguant à vouloir
régner avec vous ? eft- on faite de maniere
à déparer un trône ? & croyez - vous
qu'on eût moins de nobleffe & de digniré
que vous à affurer de fa protection fes
fujets & fes alliés ? Je crois , dit le Sultan ,
que vous ferez tout avec grace ; mais il
ne dépend pas de moi de remplir votre
ambition , & je vous prie de n'y plus penfer.
N'y plus penfer ; oh ! je vous réponds
que je ne penferai à autre chofe , & que
je ne vais plus rêver que fceptre , couronne
, ambaſſade . Elle tint parole. Le lendemain
matin , elle avoit déja fait le deffein
de fon diadême , elle n'étoit plus indécife
que fur la couleur du ruban qui
devoit l'attacher. Elle fe fit porter des étofMAR
S. 1756 . 31
fes fuperbes pour fes habits de cérémonie ;
& dès que le Sultan parut , elle lui demanda
fon avis pour le choix . Il fit tous
fes efforts pour la détourner de cette idée ;
mais la contradiction la plongeoit dans
nne trifteffe mortelle , & pour l'en retirer
il étoit obligé de flatter fon illufion. Alors
elle devenoit d'une gaieté brillante. Il faififfoit
ces momens pour lui parler d'amour,
mais fans l'écouter elle lui parloit politique.
Toutes fes réponſes étoient déja préparées
pour les harangues des députés fur
fon avénement à la couronne . Elle avoit
même des projets de réglemens pour les
Etats du Grand Seigneur. Elle vouloit
qu'on plantât des vignes , & qu'on bâtit
des falles d'Opéra , qu'on fupprimât les
Eunuques , parce qu'ils n'étoient bons à
rien , qu'on enfermât les jaloux , parce
qu'ils troubloient la fociété , & qu'on
bannît tous les gens intéreffés, parce qu'ils
devenoient des fripons tôt ou tard. Le Sultan
s'amufa quelque tems de ces folies ;
cependant il bruloit du plus violent amour
fans aucun espoir d'être heureux.Au moindre
foupçon de violence elle devenoit furieufe
, & vouloit le donner la mort. D'un
autre côté , Soliman ne trouvoit pas l'ambition
de Roxelane fi folle ; car enfin
difoit-il , n'eft-il pas cruel d'être feul pri-
B iv
32 MERCURE DE FRANCE.
vé du bonheur d'affocier à mon fort une
femme que j'eftime & que j'aime. Tous
mes Sujets peuvent avoir une épouſe légitime
, une loi bizarre ne défend l'Hymen
que pour moi. Ainfi parloit l'amour,
mais la politique le faifoit taire. Il prit
le parti de confier à Roxelane les raifons
qui le retenoient . Je ferois , lui dit - il ,
mon bonheur de ne rien laiffer manquer
au vôtre ; mais nos moeurs ... ce font des
contes ... Nos loix ... ce font des chanfons
... Les Prêtres ... de quoi fe mêlent
ils ? ... Le peuple & les foldats ... que
leur importe en feront- ils plus malheureux
, quand vous m'aurez pour épouse ?
Vous avez bien peu d'amour , fi vous avez
fi peu de courage ; elle fit tant que Soliman
eut honte d'être fi timide. Il fait venir
le Muphti , le Vifir , le Caimacan ,
l'Aga de la mer & celui des Janiffaires ,
& il leur dit : J'ai porté auffi loin que je
l'ai pu la gloire du Croiffant , j'ai affermi
la puiffance & le repes de mon Empire ,
& je ne veux pour récompenfe de mes
travaux que de jouir au gré de mes Sujets
d'un bonheur dont ils jouiffent tous . Je
ne fçais quelle loi qui ne nous vient pas
du Prophéte , interdit aux Sultans les douceurs
du lit nuptial ; je me vois par-là réduit
à des efclaves que je méprife , & j'ai
MARS. 1756. 33
réfolu d'époufer une femme que j'honore.
Préparez mon Peuple à cet Hymen . S'il
l'approuve , je reçois fon aveu comme un
témoignage de fa reconnoiffance ; mais
s'il ofoit en murmurer , vous lui direz
que je le veux . L'Affemblée reçut les ordres
du Sultan dans un refpectueux filence
, & le peuple fuivit cet exemple . Soliman
tranfporté de joie & d'amour , vint
prendre Roxelane pour la mener à la Mofquée
, & il difoit tout bas en l'y conduifant
: Eft-il poffible qu'un petit nez retrouffé
renverfe les loix d'un Empire ?
O DE
Préfentée au Roi de Pologne , Duc de Lor
raine , le jour de la Dédicace folemnelle
de la Statue du Roi de France fon Gendre
, dans la nouvelle Place Royale de
Nancy : par le R. P. Leſlie , Jéfuite.
It luit enfin ce jour d'allegreffe & de gloire ,
Od STANISLAS , aux yeux de fon Peuple
enchanté ,
Confacre de LOUIS les traits & la mémoire
A l'immortalité .
Embellis cette fête , ô célefte Uranie ,
Defcends en ces beaux lieux dignes de tes regards,
Appelle les neuf Soeurs , le gout & le génie ,
В v
34 MERCURE DE FRANCE.
Au triomphe des Arts .
De leurs efforts divins tout offre ici Pempreinte.
Vois ces Places , ces Arcs , ces Temples ,
Palais ,
Quelle cité ratlemble en une même enceinte
Tant de travaux parfaits ?
ces .
Un Roi , que tu formas , & que fon Peuple adore ,
Digne image du Dieu qui créa l'Univers ,
Comme lui , du néant a d'un mot fait éclorre
Ces miracles divers..
Il commande , & la pierre à fes ordres docile ,.
S'éleve , flotte en l'air , & fe place à fa voix ;-
L'Artifte voit le fer fouple comme l'argile
Se plier fous fes loix .
Quel prodige ! Des dons de Flore & de Pomone ,
Quand l'Aquilon fougueux dépouille nos guérêts
Vulcain les fait renaître , & ce fer qu'il façonne
Nous rend tous leurs attraits . ( 1)
Le bronze fous la main d'un nouveau Praxitele ,
Bouillonne , coule , & montre un Héros à nos
yeux ,
Dans l'effai de fon art il en offre un modele ( 2 ) .
( 1 ) Les Ouvrages en fer du fieur Lamour
qu'on voit aux quatre coins de la Place Royale &
autour de la Statue de Louis XV, font des chefd'oeuvres
de l'Art ; cet Artiſte a rendu les fruits ,,
les fleurs , tout ce qu'il a imité de la nature , avec
une vérité furprenante.
(2 ) Le Roi qui aime à créer les talens , & qui:
n'emploie que fes Sujets pour fes Ouvrages , a.
MARS. 1756. 3.55
A nos derniers neveux .
Nancy , ton Fondateur qu'on vit au diadême ,
Joindre comme mon Roi , les talens , les vertus
Le Grand Charles ( 1 ) étonné te cherche dans toimême
,
Et ne te trouve plus.
Tel à l'afpect de Rome , agrandie & brillante
Des chef- d'oeuvres vantés du fecond des Céfars ,
Romulus eût jadis de fa ville naiffante ,
Méconnu les remparts.
Ces monumens pompeux , leur noble Architecture
,
Ces merveilles de l'Art , Grand Roi , font tess
bienfaits ;
Tu n'en cimentas point l'odieuſe ſtructure
Du fang de tes Sujets.
Par tes dons prodigués , ranimant l'induſtrie ”,,
Tu hâtas dans les Arts leurs progrès éclatans ,
Ils te durent leur gout , leur aifance , leur vie ,,
Leurs fuccès , leurs talens .
Tes peuples font heureux , de ton regne l'hiſtoire
Eft celle des bienfaits ; c'eft peu pour ton grand
coeur ,
fait fondre la Statue de Louis XV, par le fieur
Guibal ; c'eft en ce genre le coup d'effai de cet:
Artifte.
(1) C'eft Charles III , Duc de Lorraine , dit le:
Grand , qui a fait bâtir la Ville-neuve de Nancy ››
oui eft la Place Royale..
Bvil
36 MERCURE DE FRANCE.
Tu veux les illuftrer , & qu'aujourd'hui leur gloire
Egale leur bonheur.
Reine de nos Cités , en ce jour mémorable ,
Leve ta tête altiere , & vois dans le lointain ,
D'avides Spectateurs une foule innombrable ,
Accourir dans ton ſein.
Que vois-je ? Eft-ce Nerva , que fon amour pour
Rome ,
Porte à charger Trajan du bonheur des humains ,
Qui pour mieux l'affurer , inftalle ce grand
homme
Au trône des Romains ?
C'eft le meilleur des Rois , qui d'un peuple fidele,
Veut tranfmettre à LOUIS , & l'amour & la foi ;
Qui maître de nos coeurs , lui- même les appelle
Aux pieds de ce grand Roi.
C'est moins en lui l'époux d'une fille qu'il aime ,
Un Roi dans les revers , fon généreux appui ,
Qu'une ame , des vertus dignes du Diadême ,
Qu'il honore aujourd'hui.
Oui , ce bronze animé , du Héros de la France ,
M'offre l'air noble & grand , les graces, la bonté ,
J'y vois de la douceur une heureufe alliance
Avec la Majefté.
De cet air triomphant précédé de la foudre ,
Enchaînant la victoire à nos fiers étendards ,
Des Belges effrayés il réduifoit en poudre
Les nombreux boulevards.
Ou tel , plus grand encore au fort de fes conquê
res,
MARS. 1756. 37
Immolant fes lauriers au bien de ſes Sujets ,
Dans l'Europe agitée il calma les tempêtes ,
Et ramena la paix,
Le voilà des François la gloire & les délices ;
Pere tendre , ami fûr , homme aimable & grand
Roi ,
Peuples , voilà le Prince , à qui les cieux propices
Deſtinent votre foi !
Mais aux âges futurs , puiffantes deſtinées ,
Réſervez la douceur de vivre fous les loix ,
Et du fil de nos jours prolongez les années
Du plus chéri des Rois.
Que du moins à l'envi notre reconnoiffance
Sur le bronze immortel confacre auffi ſes traits.
Dans ces lieux embellis par fa magnificence ,
Et pleins de fes bienfaits !
Nancy , puiffe en tes murs fon image chérie ,
Anos derniers neveux rappeller chaque jour
Du peuple pour fon Roi , du Roi pour la Patrie
Et le zele & l'Amour !
Qu'adorant dans fes traits fon coeur noble & fublime
,
La Lorraine attendrie embraſſe ſes
genoux ;
Que des Arts ranimés la main fçavante exprime
Tout ce qu'il fait pour nous !
Touchés à cet afpect , les Peuples d'âge en âge ,
Lui vouant , à l'envi , leurs coeurs reconnoiffans ,
Viendront porter en foule aux pieds de fon image
Leurs voeux & leur encens .
L. J.
38 MERCURE DE FRANCE.
SUITE
De l'Examen de la Surdité & de la Cécité ,
par un Sourd.
Confinons donc le Sourd dans fon cabinet
au milieu d'une bibliotheque bien
choifie ; c'eft l'endroit où il fera le plus à
fon aife & le plus agréablement. Avec du
génie , une imagination fertile , beaucoup
de connoiffances acquifes , du bon fens ,
de l'amour pour le travail , & du goût
il évitera l'ennui , & pourra même faire
de bons ouvrages . Mais je foutiens qu'ils
feront toujours éloignés de la perfection
à laquelle il pourroit atteindre , à raiſon
de ce qui lui manquera de ce commerce
d'ame à ame , de cette communication de
penfées & de fentimens qui en font naître
en nous qui nous étonnent quelquefois
nous même. M. de Voltaire conviendra
de bonne foi qu'il y a dans fes ouvra
ges telle penfée fublime qui ne fe feroir
jamais préfentée à lui dans fon cabinet ,
malgré le feu de fon beau génie , & qu'une
converfation avec des efprits très - communs
lui a fuggérée . M. de la Mothe ( 1 ) ,
(1 ) Cependant M. le Sage fourd , a mis au jour
MAR S. 1756. 39
Sourd , ne nous auroit pas donné tout ce
que M. de la Mothe , Aveugle , nous a
laiffé.
Tels que puiffent être les ouvrages du
Sourd , il eft certain qu'ils font la feule
refource qu'il ait pour tuer le tems ; qu'il
eft réduit , comme je l'ai déja obfervé , à
fe faire une diffipation ( 1 ) de ce qui fait
pour tous les autres hommes un objet
d'application , un travail. Ifolé , réduit à
lui - même & aux livres , il eft privé de
toutes les douceurs & de tous les avantages
de la fociété. Que l'on y réfléchiffe ;
fans les occupations qu'il fçait fe former
toute fa vie feroit abfolument de niveau
avec celle des brutes , fi la raiſon & le
fentiment réunis ne lui faifoient voir &
fentir toute la durété de fa fituation ; diftinction
bien cruelle . Cela feul rend cette
fituation d'autant plus affreufe qu'on a
prefque toujours l'injuſtice de blâmer le
des Ouvrages très - agréables tels que le Diable
Boiteux , Gilblas ; des Comédies on brille la gaieté,
comme Crifpin rival de fon maître , Turcaret,
&c. M. le Sage aveugle auroit - il mieux réuſſi ?
(1 ) La lecture des brochures du jour , ne fait
qu'un amufement très-frivole. Ou , fi c'eſt une'
occupation , c'est celle d'un petit Maître , ou d'une
jolie femme. Un Sourd peut s'y appliquer , fans.
contention d'efprit , & y trouver la même diſſipation
que dans les converfations du monde.
40 MERCURE DE FRANCE.
Sourd de fa fenfibilité. Pour démontrer
combien on eft injufte , & combien fa
fenfibilité eft naturelle & raifonnable , je
me contenterai de rapporter une petite
anecdote qui égayera un moment cette
trifte differtation,
Je me trouvai il y a quelques années
dans une Ville où l'on donnoit beaucoup
de bals. Je m'étois mafqué plufieurs fois ,
& ma furdité m'avoit toujours fait reconnoître
. Une fort aimable Dame m'en fit
quelques plaifanteries . Je me piquai au
jeu , & je pariai contr'elle qu'au premier
bal je me mafquerois fans être reconnu .
Je fis faire fix mafques , fix dominos , &
fix paires de pantoufles pareils & propres
pour ima taille. Tout fut exécuté dans le
plus grand fecret . Dans le bal même je
propofai à fix de mes amis de venir chez
moi fe maſquer. Ils y vinrent fans être
prévenus de mon deffein . Je les fis habiller
, & je leur mis dans chaque oreille
un tampon de cotton avec une emplâtre
pardeffus qui enveloppoit l'oreille exactement.
Ils arriverent au bal dans cet équipage.
On prit pour moi le premier auquel
on parla ; enfin on s'apperçut qu'ils
étoient tous fourds. Il fut queftion de décider
lequel des fix étoit moi. On en étoit
là lorfque je parus déguifé en Courier ;
MAR S. 1756. 41
je joignis la troupe qui , fur des fignes
convenus , me faifoit telle ou telle queftion
à laquelle je répondois , & lorfque
je les queftionnois , réponſe de Sourd .
La préocupation que j'étois fous un des
fix dominos , fut confirmée , & éloigna
l'attention qu'on auroit pu porter fur le
Courier qui , pour la détourner encore ,
diftribua une douzaine de lettres aux Dames.
Les menuets danfés , on fe démafqua
l'un après l'autre , & je finis cette
plaifanterie. On en foupçonnoit un autre
fous mon mafque , & l'on rit beaucoup
de la façon dont je m'y étois pris pour
gagner mon pari. Mais mes fix amis
m'avouerent que quoique mon idée les
eût beaucoup divertis , ils fouffroient impatiemment
de ne pas entendre ce qui fe
difoit autour d'eux . Cela n'a duré qu'une
heure , leur dis -je ; jugez donc de ce que je
doisfouffrir.
Qu'un Aveugle eft moins à plaindre !
Dès que de deux maux on doit éviter le
pire , ne doit-il pas fe féliciter que l'accident
qui lui a enlevé la vue , ne lui ait
pas plutôt fait perdre l'ouie ? Il auroit
perdu tous les plaifirs les plus fenfibles de
l'ame , la diffipation la plus fûre , le remede
le plus certain que puiffe trouver
contre la fatigue de l'étude , un beau gé42
MERCURE DE FRANCE.
nie qui travaille au bonheur des autres ;
enfin la refource la plus puillante que
puiffent trouver contre l'ennui les gens
même les plus incapables de refléxion .
L'Aveugle tout entier à la fociété, jouit de
tous les charmes les plus fenfibles. Il peut
lui être d'une utilité fort étendue & trèsprécieufe.
Ne parlons plus de M. de la
Mothe , que nous avons déja cité. Com
bien de Magiftrats devenus aveugles ont
continué de remplir leurs places au Palais
, & en ont été les lumieres. Affemblées
de Finances , Compagnies de Commerce ,
Confeils d'Etat , où ne peut-il pas être
utile ? Si la Cécité ne lui permet pas d'entrer
dans certains détails , qui d'ailleurs
ne conviennent pas toujours aux grands
génies , conçoit- on quelque affaire à la tête
de laquelle il ne puiffe être , & qu'il
ne puiffe conduire fupérieurement & facilement
? En peut - on dire autant d'un
Sourd ? Un Aveugle enfin , continuellement
diffipé par tout ce qu'il entend & tout ce
qu'il a à y répondre , n'a pas le temas de
fe replier fur lui-même , & de penfer à fon
malheur auffi les Aveugles font - ils ordinairement
féconds en faillies , & remplis
d'une gaieté charmante.
Ne diffimulons rien : la cécité a fes inquiétudes
, & elles font terribles fans douMARS.
1756. 43
te :mais qu'un Aveugle foit affez heureux
pour trouver un parent , un ami , un domeftique
d'une probité alfez reconnue
pour lui donner fa confiance , fes inquiétudes
, qui dès - lors ne peuvent être que
momentanées , font bien légeres , & doivent
paroître bien douces auprès de celles
qui environnent fans ceffe un Sourd.
(1 ) Qu'on examine dans la pofition que
l'on voudra la vie de l'Aveugle & celle
du Sourd , la vie de l'Aveugle eft toujours
bien plus en sûreté que celle du fourd.
Pour rapprocher toutes nos idées , fup
pofons deux hommes d'un mérite parfaitement
égal , l'un Sourd & l'autre Aveugle
; l'Aveugle aura plus fréquemment
compagnie , on ira le voir avec plaifir
on n'ira chez le Sourd que par bienféance
. On pourroit dire que c'eft parce qu'il
y a plus de dépenfe de poitrine à faire
chez l'un que chez l'autre , & que l'on
s'aime. Mais M. l'Abbé Trublet ne nous en
(1 ) On peut voir ce que M. de Fontenelle a dit
de M. le Febvre , neveu de M. de la Mothe , dans
fa Réponse au Difcours de M. l'Evêque de Luçon ,
fucceffeur de M. de la Mothe dans l'Académie
Françoife. Je fçais un gré infini à M. de F. de cet
endroit de fa Réponſe . Le neveu étoit bien louable
, & l'oncle étoit bien heureux. M. de la Mothe
oublioit fa Cécité avec M. le Febvre ; mais auroitil
oublié de même la furdité ?
44 MERCURE DE FRANCE.
a -t'il pas donné une raifon plus fine , en
nous difant : « Qu'un homme qui n'eſt
» qu'eſtimable , n'eſt jamais auffi eſtimé
» qu'il eft digne de l'être , & que l'hom-
» me aimable eft toujours plus eftimé
» qu'il ne vaut. » On peut , ce me ſemble
, appliquer fort naturellement
certe
maxime aux deux privations de la vue &
de l'ouie , car un Aveugle peut être trèseftimable
& très-aimable , au lieu que
l'homme très- eftimable & très- aimable ,
qui devient Sourd , en perdant l'exercice
de la faculté qui lui donnoit le plus d'occafion
d'être aimable , ne nous paroît plus
qu'eftimable. L'homme aimable eft défiré.
& recherché , c'eft beaucoup pour l'homme
eſtimable s'il eft confideré . Un des
prodiges de la vie de M. de Fontenelle
& de fa perfonne , c'eft que fa gaieté
fe foit foutenue contre fa furdité , ainfi
m'en parlent tous ceux qui ont l'avantage
de connoître cet homme admirable.
Mais revenons ; il eft naturel que le
Sourd , plus ifolé que l'Aveugle , foit au
moins toujours férieux ou rêveur , fouvent
trifte & mélancolique , tandis que
l'aveugle jouit de toute fa gaieté. Il me
paroît donc qu'il n'y a pas à balancer entre
ces deux fituations , qui ont tant d'in-
Auence fur le bonheur de la vie & fur la
fanté.
MARS. 1756. 45
On fent affez que tout ce que j'ai dit
ne regarde que ceux qui ne font affligés
de leurs infirmités qu'après avoir eu le
tems de recevoir une bonne éducation
de perfectionner leurs lumieres naturelles ,
& d'acquérir des connoiffances ; car fur
les Sourds & les Aveugles nés , en quel
que état que le hazard les faffe naître ,
la question ne me paroît pas problématique.
Un Aveugle né eft fuceptible d'une
très- bonne éducation , & d'acquérir parlà
bien des reffources. Un Sourd de naif-·
fance eft incapable de recevoir aucune inftruction
morale. Il eft abfolument efclave
de la nature & des paffions ; où ne
portent- elles point quelquefois ( 1 )
Je dois ici prévenir une objection que
pourroit m'attirer l'efpece de prodige qu'a
operé M. Pereyre : il a inftruit , m'a- t'on
afluré , un jeune homme fourd & muet de
(1 ) Quelque efprit qu'eût un homme né fourd
& muet , & avec quelque habileté qu'on l'inftruisit
, on ne pourroit lui communiquer par l'écriture
qu'une très- petite partie des pensées que nous
nous communiquons fi facilement les uns aux
autres par la parole. A plus forte raiſon l'art d'écrire
, tel que des hommes nés fourds & muets
pourroient abfolument l'établir entr'eux , feroit
très-imparfait. M. Trublet , Effais de littérature &
de morale , chap. de la converfation , tome premier
, page 31 de la cinquieme Edition .
46 MERCURE DE FRANCE.
naiffance , & entre beaucoup d'autres chofes
, il lui a très- bien appris les principes
de la morale. Ne doutons point du fecret
de M. Pereyre ; mais qu'il me foit permis
de faire quelques réflexions qui , en fuppofant
même des fucccès ultérieurs à cet
exemple conftaté , ne pourront que confirmer
ce que j'ai avancé . M. Pereyre a
une méthode qu'il a imaginée, ou du moins
beaucoup perfectionnée , & qu'il a communiquée
à deux de fes freres. Ils en font
extrêmement jaloux avec raiſon , & femblent
craindre que des yeux philofophes ,
en obfervant bien leur éleve , ne devinent
le fecret. Tous les Sourds & Muets de l'univers
font donc réduits à avoir recours à
ces trois perfonnes pour recevoir quelque
inftruction. C'eft un cas unique que
mille accidens peuvent empêcher de fe
multiplier , & qui ne tire point le Sourd
de naiflance de la pofition cruelle où j'ai
dit que le réduifoit fon infirmité. Pour
anéantir ma propofition , il faudroit que
la méthode en queftion fût généralement
connue , & à la portée de tout le monde ,
des maîtres qui fe chargent de l'inftruc
tion de la jeuneffe , des peres qui n'ont
pas le moyen de donner des maîtres à
leurs enfans ; fans cette derniere condition
furtout , il n'y aura que les gens riches
MARS. 1756. 47
qui participeront au bénéfice de la méthode
, & alors ce fera une chofe particuliere
à un état privilégié par le caprice de
la fortune , dont on ne pourra rien conclure
pour le général . D'ailleurs , très- peu
de Sourds & Muets ont autant d'efprit
naturel qu'en a l'admirable éleve de M.
Pereyre. Il paroit aufli d'un excellent caracrere.
Mais pouffons plus loin nos réflexions
.
Les chofes extraordinaires ufurpent
fouvent au premier coup d'oeil des droits
fur notre admiration : L'expérience & la
réflexion qui peut quelquefois l'anticiper ,
forment le creufet qui réduit l'admiration
au degré mérité .
Quelque excellente que puiffe être la
méthode en queftion , elle ne peut embraffer
les détails d'inftruction que reçoit un
homme qui a le fens de l'ouie . Il eft fort
probable que M. Pereyre eft bien du tems
avant que de faire entrer dans l'ame de fes
éleves les perceptions & les idées fi aifément
communiquées par la voie ordinaire
de la parole. Combien plus de tems encore
lui faut - il pour faire concevoir , pour
faire fentir les différences & les rapports
des idées entr'elles , les nuances dont eft
fuceptible chaque idée ! fera- t'il bien aifé
de faire concevoir à ces éleves la différen4S
MERCURE DE FRANCE.
ce du préjugé au jugement , du fentiment
àl'imagination , de l'efprit au génie ,
de la fuperftition à la piété , de la mifantropie
à la probité? Nous nous difpenferons
de citer des rapports , des différences ,
des nuances beaucoup plus difficiles encore.
Mais ne peut-on pas croire que l'éducation
de ces éleves , réduite dans un
cercle très-étroit de notions communes ,
en fera des hommes à préjugés , & rien de
plus Suppofons la promulgation de la
méthode au point que nous avons indiqué
plus haut , & que les Sourds en retirent
tous les fruits imaginables , & deviennent
des fçavans ; il n'en réfultera pour
eux qu'un moyen de dépérir plus vîte par
leur application à l'étude qui fera affidue ,
& par conféquent d'autant plus contraire
à leur fanté , qu'ils auront plus d'efpri :
naturel , & par-là plus d'efpérance d'acquérir
beaucoup de lumieres , & de connoiffances
par l'étude. Un Aveugle né fera
donc toujours moins à plaindre , puifqu'il
peut fans travail , fans application ,
en fe diffipant par la converfation & par
les lectures qu'on lui fait , acquérir toutes
les connoiffances dont le préalable feul
doit être un travail très- dur , très- affidu ,
& fouvent très-rebutant pour le Maître &
l'éleve fourd de naiffance. L'objection par
elleMÁR
S. 1756. 49
elle-même ne peut donc , de quelque côté
qu'on l'envifage , que faire pencher la balance
en faveur de la Cécité.
3
Je fuis très-fourd , & de plus j'ai la
vue fi courte que je ne diftingue pas à
quatre pas de moi qui eft l'homme que je
vois . Depuis long- tems j'ai fait une férieufe
attention fur moi - même pour me mettre en
état de décider laquelle des deux infirmités
m'affectoit le plus . Je puis dire avec vérité
qu'il s'en faut infiniment que tout ce que
je perds à ne point voir , me caufe autant
de peine que ce que je perds à ne point
entendre.
Mais , me dit- on , ce que vous n'entendez
pas , le plusfouvent ne vaut pas la peine
d'être entendu. A la bonne heure ; ce font
cependant ces riens , ces bagatelles , ces
fottifes , fi l'on veut , dont je vois rire ce
profond Géometre qui eft forti de fon cabinet
pour les venir entendre , & fe remettre
par-là de la fatigue que lui ont caufé
fes calculs. J'apperçois un Moralifte qui y
donne attention , les médite , & va fe retirer
chez lui pour en faire la matiere
d'une inftruction . Un Poëte me femble
les faifir , & fe félicite d'en pouvoir faire
une épigramme ou un trait de Comédie.
Si la nature a donné à un Sourd un fentiment
aſſez vif pour faifir ces différens
C
50 MERCURE DE FRANCE..
objets dans une fociété , il faut convenir
qu'il ne lui eft pas poffible de penfer que
tout ce que l'on dit , ne foit pas intéreffant
par quelque côté . Il fouffre donc de ne
point entendre. L'Aveugle n'eft point dans
ce cas ; il peut s'amufer, amufer , & plaire
infiniment dans un cercle. Or , qui n'aime
à plaire le Sourd qui a le plus de mérite
, doit fentir que fon état n'excite
tout au plus que de la pitié & de la
compaffion ; ce fentiment eft humiliant
pour l'orgueil & pour l'amour-propre ; mais
qui peut fe défaire de l'un & de l'autre
affez entiérement , pour qu'il ne s'en éléve
pas quelque mouvement douloureux
dans notre ame ? Qu'il ne s'y expoſe pas ,
dira-t'on ; qu'il s'épuife donc par
le travail
& la méditation .
Après ces réflexions , paroîtra-t'on furpris
de ce que je penfe fur la Surdité &
la Cécité ? Mais je déclare que j'aurois la
plus fincere obligation à l'Aveugle qui voudroit
fe donner la peine de détruire mon
ouvrage , & me laiffer fans réplique. En
m'éclairant , il me feroit jouir de la douceur
d'être moins malheureux que je ne
crois l'être.
Tout fe réduit à fçavoir : Si un Sourd
doit fouhaiter d'être plutôt aveugle : fi un
Aveugle doit préférer d'être Sourd. Je dois
MARS. 1756.
me défier de mon opinion , parce que je
dois craindre , je le repéte , la féduction
du fentiment rigoureux de ma furdité. Si
je ne dois pas m'y livrer & penfer en conféquence
, qu'on me donne des moyens
& des raifons pour le combattre ; je n'en
trouve que pour le fupporter . Ceux qui
n'ont aucune de ces deux infirmités ,
pourront me dire que le fentiment de
l'une & de l'autre dépend beaucoup du
caractere & des paffions de l'homme aveugle
ou fourd. Je l'accorderois volontiers ,
je pouvois me diffimuler que les pafhions
quelconques ont un but , & que
le moyen le plus affuré qu'elles emploient
pour y parvenir , eft le défir de plaire. Un
Sourd y trouve des difficultés infurmonta
bles ; & d'ailleurs la furdité le force à une
retraite prefque abfolue. S'il n'a pas de
goût pour ce genre de vie , pour la retraite
, que ne fouffrira-t'il pas ? Si elle eſt
de fon goût , il s'y defféchera & épuifera
par le travail , l'étude & la méditation
tandis qu'un Aveugle entretiendra fa fan-.
τέ par la gaieté que la fociété lui infpirera .
Enfin , pour foutenir la retraite avec agrément
, il faut de l'acquis d'un genre ou
d'un autre , ou quelque talent pouffé au
moins à un certain point de perfection
de l'efprit , de l'imagination , du génie ,
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
du goût , de l'amour pour le travail , ou
tout au moins quelque partie de tout cela.
On pourra alors fe faire des occupations ,
mais d'autant plus fatiguantes qu'elles ſeront
fans diffipation . Combien d'hommes
parmi les véritables Sçavans même , ontils
, je ne dis pas une fanté , mais des facultés
intellectuelles à l'épreuve d'une pareille
application ?
Ceux qui me connoiffent perfonnellement
, m'objecteront que je me livre aux
affaires & à la fociété , & que je n'ai point
l'air mélancolique , quoique rêveur , &
conféquemment que je ne fouffre point ,
ou que je fouffre peu. En adoptant juſqu'à
la conféquence , je demanderai fi l'on a vu
beaucoup de Sourds de mon efpece ; & enfin
fi l'on imagine qu'il ne m'en ait rien
coûté pour parvenir au point de ne jamais
laiffer appercevoir le fentiment de mes
fouffrances. La carriere que j'avois entreprife
, & la nature de ma fortune m'ont
forcé jufqu'ici de refter dans le grand
monde , & j'ai travaillé pour m'y rendre
fupportable. J'avoue que je voudrois quelquefois
avoir affez d'acquis ou de naturel
pour me rendre agréable une entiere retraite.
La fupporterois- je ? je n'oſe l'aſſurer
, & je la crains . Abfolument livré à
moi-même , jecraindrois de tomber dans
MAR S. 1756. 53
les
la mélancolie , & d'aller juſqu'à la mifantropie.
J'ai donc lieu de croire qu'aveugle
je ferois moins à plaindre , puifque la table
, les concerts , la converfation
lectures que je me ferois faire , pourroient
fans travail & fans application , fucceffivement
, continuellement & agréablement
me diftraire du fentiment de mes maux.
Je vais finir par un confeil dont je me
fuis bien trouvé. Que les Sourds tâchent
de prendre affez fur eux pour ne point
paroître inquiets , & pour n'être jamais
questionneurs. L'inquiétude eft infultante
pour les autres & pour eux-mêmes , & les
queftions qui dérangent une converfation
font toujours rebutantes. Qu'ils attendent
qu'on les queftionne , c'eft fûrement le
meilleur moyen de ramener à eux la converfation
, s'ils font dignes qu'on prenne
cette peine. Par cette conduite ils éviteront
beaucoup de ridicules , s'ennuieront
fans doute , mais il faut prendre patience.
Eft- on fourd pour rien ? Quant aux Aveugles
, qu'ils fe félicitent , qu'entre tant
de maux dont la Providence pouvoit les
accabler , elle les ait affligés d'une privation
qui doit leur paroître fort légere ,
dès qu'elle les laiffe jouir de tous les
avantages d'être aimables , s'ils font tels
par leur efprit &
par leur caractere.
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
A MONSIEUR DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
SAlat à l'Auteur du Mercure.
Bon jour , bon an , bonne fanté ;
Toujours de la légereté :
Mais c'eft chez vous un don de la nature...
Rabattons fur d'autres fouhaits
Que de tout mon coeur je vous fais .
Puiffiez-vous ramaffer fans ceffe
Et ( comme on dit ) à pleine main ,
Les productions du Permeffe
Dont profite l'efprit humain !
Daigne Apollon , & les doctes Pucelles,
Vous conferver le Juge des bons vers !
Puiffe Pégale fur les aîles ,
Vous tranfporter au bout de l'univers !
Cueillez partout des fleurs nouvelles ,
Et formez-en mille & mille bouquets
le fein de nos belles ;
Pour parer
Et par des chanfons immortelles.
Egayez nos divins banquets.
En parcourant toute la terre ,
Prenez le nom des fublimes Auteurs ;
A leur tête , placez Voltaire ;.
Et me nommez de fes adorateurs.
C'eſt ( à mon ſens ) le vrai Dieu du Génie ,
MAR S. 1756. 55
On le connoît à fon front radieux ;
Il a porté fon vol audacieux
Dans la région d'Uranie ,
Et de la main de Polymnie
Son nom eft écrit dans les cieux.
D'Hébé , de Flore & de Pomone
Recevez les dons tour à tour.
A la clarté du flambeau de l'amour,
Allez , petit-fils de Pleione ,
Embelliffez ce terreftre séjour.
Rappellez-nous les heureux tems d'Aftrée ,
Chantez , Louis & fes vertus ;
Que par fes foins notre riche contrée
Jouiffe encor du fiecle de Titus .
Dallet , l'aîné.
A Vallognes , ce 20 Décembre , 175.5.
VERS
A Madame la Comteffe de Stainville
Ambaffadrice de France à Rome , le premier
jour de l'An 1756.
LE
E deftin trop fouvent de fes faveurs avare ,
Devint un jour prodigue, & voulut que les Dieux,
Eglé , fiffent en vous un affemblage rare
De leurs dons les plus précieux.
C iv
$ 6 MERCURE DE FRANCE.
Apollon vous donna l'efprit & la juſteſſe ;
Les neuf Soeurs , leurs talens , le goût & la fi
neffe ;
Junon mit dans vos yeux une noble fierté ;
Diane , la pudeur ; Minerve , la fageffe ;
Hébé , le doux fourire , & l'air de la jeuneſſe.
Sans mes dons , dit Plutus , céleste Comité ,
Les vôtres ne font rien : j'y joindrai la richeſſe
Et moi , dit Jupiter , la libéralité.
Flore ,fçavante en l'art d'embellir la nature ,
Se chargeoit de votre parure.
Je te difpenfe de ce foin ,
Lui dit Venus ; Eglé n'en aura pas beſoin,
Je lui fais don de ina ceinture .
Il vous manquoit encor un préfent de fon fils.
Au milieu des jeux & des ris ,
Les graces , le talent de plaire
Laiffent un vuide dans le coeur ;
L'amour en votre faveur
Embraffant Hymen fon frere
Voulut que leur paix fincere
Cimentât votre bonheur.
Stainville eft votre époux , Du Châtel votre mere:
Je vois vos coeurs unis par le plus doux lien :
Eglé , quel vou pour vous me refte-t'il à faire ¿
Que les Dieux ne vous êtent rien.
MARS. 1756. 57
LETTRE
D'un Bourgeois de Bordeaux , à l'Auteur
du Mercure.
MONSIEUR , en lifant votre Mercure
, j'ai trouvé une lettre de l'illuftre
M. Rouffeau , où il fe défend contre ceux
qui ofent attaquer les nouveautés étonnantes
de fes fyftêmes Je n'entre point
dans toutes ces difcuffions ; mais je ne
feindrai pas d'avouer que j'ai été furpris
de la hauteur Stoïque & Lacédémonienne
avec laquelle il nous traite . Il nous infinue
avec une clarté affez dure , que fom
deffein n'eft ni de nous amufer , ni de
nous inftruire. Je lui répons d'abord qu'il
fera l'un & l'autre malgré lui , par la feu
le raifon que nous nous occupons à le
lire. Chofe qu'il ne fçauroit empêcher.
Tout le fruit qu'il pourra tirer de fa mauvaiſe
intention pour nous , c'eft de nous
difpenfer de lui être reconnoiffans , puifqu'il
ne nous éclaire qu'en proteftant qu'il
ne veut pas nous éclairer. C'est un vrai
larcin que nous lui faifons.
Mais je demande quelle raifon lui avons
nous donnée de fe fâcher contre nous ? Si
quelqu'un de nos concitoyens a mérité
Cv
8 MERCURE DE FRANCE.
fa colere par quelques petits dilemmes
embarraffans , mais point incivils , toute
la ville qu'il profcrit n'a point de part à
cela. Une chofe bien certaine , c'eſt que
nous admirons fon éloquence comme tout
le reste du monde , preuve affez évidente
que nous valons quelque chofe. Comment
peut- il avoir la cruauté de foudroyer
ainfi fes admirateurs .
Il femble nous apprendre qu'il n'écrit
que pour Geneve, cela veut dire qu'il n'aime
qu'elle. J'avouerai que j'avois cru juf
qu'ici que le vrai philofophe étoit l'ami
du monde entier ; qu'il regardoit tous les
hommes comme des freres. Qu'il aime
Geneve , à la bonne heure ; mais nous.
ofons le prier de nous aimer un peu , tout
Bordelois que nous pouvons être : car
après tout que fçait-il Peut- être fommes-
nous, des hommes ?
Il feroit mieux , dit- il , de demander
à ceux qui ne font pas Genevois , & qui
ne me goûtent point , pourquoi ils lifent
mon ouvrage, que de leur expliquer pourquoi
il eft fait ? Les termes dont il fe fert
pour dire cela, ont un air fentencieux, mais.
j'ai bien peur qu'ils n'en ayent que l'air.
1. Il est très - fûr que tout le monde le
goûte & l'admire , Genevois ou non , ainfi
il fe fonde fur une hypothefe fauffe. SupMARS.
1756. 59
pofons, comme lui , l'impoffible. Suppofons,
dis-je , qu'il eût fait un ouvrage où l'utile.
& l'amufant ne fe trouvaflent point , &
qu'il dit à ceux qui s'en plaindroient
pourquoi le lifiez -vous ? Mais , Monfieur ,
pourroit-on lui répondre : Je ne prévoyois
pas , en prenant votre livre , qu'il ne devoit
m'amufer ni m'inftruire. La réponſe:
feroit bonne , perfonne n'étant devin.
Cependant quand je réfléchis à fa fentence
, je crois y démêler une idée trop
fiere pour être la fienne. Ne voudroit - il:
pas dire , qu'il eft peu de gens qui doivent
le lire , c'eft-à -dire qu'il en eft peu
qui foient dignes de le faire ; & puis en
cherchant quels font ces mortels privilégiés
, il femble que ce font les Genevois
& ceux qui le trouvent inftructif & amufant
, ou pour dire la chofe comme elle
eft , ceux qui font fes approbateurs . Voilà
une idée qu'on ne doit pas attribuer à:
un philofophe auffi modefte & auffi bon
Logicien que lui . Il eft donc de l'équité de
convenir que fa fentence ne fignifie rien ..
Au reste , il ne nous a pas appris à quoi
peuvent fervir fes fyitêmes , & quel a été
fon but en écrivant. J'ai écrit , dira-t'il ,
pour
donner aux Genevois de fortes raifons
d'aimer leur gouvernement , pour
leur infpirer l'humanité , l'amour de la
C.vjj
60 MERCURE DE FRANCE.
patrie & de la liberté , & l'obéiflance aux
loix.
Je crois donc entendre M. Rouffeau
parlant ainfi à fes concitoyens : Aimez votre
gouvernement , car l'homme auroit
beaucoup mieux fait de n'en point établir.
Aimez vos femblables , car nous avons eu
tort de fortir de cet état ancien où nous
n'aimions que le repos , une femelle & la
Bourriture. Aimez votre patrie , puifqu'il
eft vrai que nous devrions n'en avoir jamais
eu d'autre qu'une caverne ou le pied
d'un arbre. Soyez libres , attendu que nous
fommes à plaindre de n'être plus dépendans
d'un Lion ou d'un Ours , qui nous
auroit fait fuir devant lui . Enfin obéiffez
aux loix , puifque vous étiez faits pour
n'obéir à aucune. Si les Genevois n'avoient
pas de meilleures raifons pour être bons
citoyens , nous n'aurions pas admiré comme
nous faifons , la fageffe de leur gouvernement
& la pureté de leurs moeurs.
Je fçais bien qu'il pourroit répliquer ,
comme Agamemnon ; Seigneur , je ne rends
point compte de mes deffeins , furtout devant
des Adverfaires obfcurs & indignes de
moi , tels que vous êtes , vous dont je
craindrois de relever la baffeffe , fi je def
cendois jufqu'à elle. De plus , que m'importe
qu'on m'approuve , ou qu'on me
MARS. 1756. 61
condamne ? Mes Approbateurs font la raifon
& la vérité , ( à Dieu ne plaife que cela
foit , ) je n'attends rien de perfonne . Je
foule aux pieds les critiques & les fuffrages:
Si fractus illabatur orbis impavidum
ferient ruina. Tous ces fentimens ont une
majefté philofophique qui éblouit ; mais
je foupçonne qu'ils font trop métaphyfiques
pour être réels. La nature a mis dans
nos coeurs un violent défir d'être eftimé
de fes femblables ; & je croirois fort que
fans ce défir-là , perfonne ne fe feroit imprimer
, pas même M. Rouffeau . De plus ,
répéter mille & mille fois qu'on méprife
l'eftime des hommes , c'est répéter qu'on
méprife les hommes mêmes. Or, comme le
mépris dérive toujours d'une comparaiſon
relative à fa propre perfonne , dire qu'on
méprife les hommes , c'eft dire en termes
couverts , qu'on fe croit plus qu'eux . Il feroit
pourtant un peu violent de fe croire le
premier homme du monde.
y
L'affectation est toujours ridicule. Il
en a , ce me femble ,à fe proclamer philofophe
par un certain ton altier & crud ,
qu'on prend un peu trop dans notre fiécle.
Du moins pour l'être , on ne doit pas
traiter fon monde d'une maniere fi hautaine
, car alors il paroîtra qu'on a plus de
colere que de philofophie.
62 MERCURE DE FRANCE.
Pourquoi , par exemple , répondre par
des injures; (le titre de bel efprit en eft une
de la maniere que M. Rouffeau le donne) ?
Pourquoi , dis - je , ne pas répondre par des
raifons ? Il n'en avoit point , dira-t'on , il
ne falloit donc pas répondre.
Je connois des gens qui ont cru appercevoir
dans fes écrits une humeur fort
éloignée de cette douceur gracieuſe & liante
, qui doit être comme l'habit de la véritable
vertu. Je n'ai garde d'être de leur
avis , & je fuis perfuadé que M. Rouſſeau
eft auffi aimable par fon caractere , qu'il eft
eftimable par fes moeurs , & admirable par
fes écrits ; mais je fuis obligé de convenir
que cet avis où il répond fi durement , a été
écrit dans quelque quart- d'heure d'inquiétude
, & je gagerois que fa fanté n'étoit
pas bien difpofée dans ce moment -là.
Je finirai par l'avertir qué l'indifpofi
tion où il pouvoit être alors , lui a empêché
de faire affez d'attention à la lettre
qu'on lui écrit , enforte qu'il ne lui a pas
fait l'honneur de l'entendre. On ne l'exhorte
pas à quitter les difcuffions politiques
pour faire des Opera , on s'intéreffe
trop à fa gloire pour exiger de lui une
pareille chute ; on croit même que la lit
térature perdroit tout , s'il n'étoit que poëte
; & qu'en cas qu'il ne fût que Muficien,.
MAR S. 1756. 63
la mufique ne gagneroit pas autant que
l'éloquence a déja gagné à être cultivée.
par lui . On a voulu lui dire feulement ,
qu'il vaut mieux ne faire qu'amufer , que
de donner des inftructions fondées fur des
principes auffi dangereux que les fiens
d'où dérive naturellement la conféquence
que l'homme n'a été fait ni pour une morale
, ni pour une religion ; conféquence
que la droiture pieufe de fon coeur défavoueroit
affurément. Du refte , on l'exhorte
à poursuivre fes recherches , & furtout
à prétendre aux découvertes neuves ,
fans aimer les nouveautés. Cet avis , cen'eft
point les Bordelois feuls qui le lui
donnent , les Genevois , j'ofe le dire, le lui
donnent auffi.
Je ne crois pas avoir rien dit de choquant
à M. Rouffeau ; & je viens de relire.
ma lettre pour voir s'il m'eft échappé la:
moindre chofe qui démentît les fentimens
d'eftime , d'admiration , & même de refpect,
dont je fuis pénétré pour lui . Je fuis même
fi affuré de la nobleſſe & de la candeur
de fes fentimens , que jefuis perfuadé qu'il
confentira lui - même à ce que cette lettre.
foit inférée dans votre Mercure ; honneur
que je vous fupplis dé lui accorder .
De Bordeaux , le 14 Janvier 1756.-
1
64 MERCURE DE FRANCE.
Je remercie très humblement M. de
Boiffy , de la bonté qu'il a eue de me communiquer
cette piéce. Elle me paroît agréa
blement écrite , affaifonnée de cette ironie
fine & plaifante , qu'on appelle , je
crois , de la politeffe , & je ne m'y trouve
nullement offenfé. Non feulement je confens
à fa publication , mais je défire même
qu'elle foit imprimée dans l'état où
elle eft , pour l'inftruction du Public & la
mienne. Si la morale de l'Auteur paroît
plus faine que fa logique , & fes avis meilleurs
que fes raifonnemens , ne feroit - ce
point que les défauts de ma perfonne ſe
voient bien mieux que les erreurs de mon
livre ? Au refte , toutes les horribles chofes
qu'il y trouve , lui montrent plus que
jamais , qu'il ne devroit pas perdre fon
tems à le lire.
ROUSSEAU,
A Paris , le 24 Janvier 1756.
O DE
Sur la Nailfance de Monseigneur le Comte
de Provence..
C'Eft toi , grand Rouſſeau , que j'appelle -
Defcends du céleste féjour:
MARS. 1756. 65
Viens guider l'effort de mon zele
Qui m'anime dans ce beau jour.
Nouveau Pindare de la France ,
Viens foutenir par ta préſence
La foibleffe de mes accens :
Prête - moi ta fublime lyre ;
Le nom de Bourbon qui m'infpire
Eft digne des plus nobles chants.
Le Ciel en ta faveur s'explique ,
France , il te comble de fes dons
Et pour la fûreté publique ,
Etend la race des Bourbons .
Au milieu d'une paix profonde ,
Augufte , le maître du monde ,
Ne fut que le pere des Arts :
Mais dans un temps auffi tranquile
Des Mufes Louis eft l'afyle ,
Et le pere de nos Céfars.
Un fils de Pallas vient de naître ;
Sa grandeur éblouit nos yeux :
Nous voyons enfin reparoître
L'heureux fiecle de fes ayeux.
Louis , tout annonce ta gloire ;
Ta valeur fixa la victoire ;
Ton nom enchaîne les deftins ;
Et dans l'éclat qui t'environne ,
Trois Princes foutiennent le throne
Qui fait le bonheur des humains .
66 MERCURE DE FRANCE.
Mufes , defcendez du Parnaffe ;
Venez inftruire cet Enfant ;
Qu'il foit la gloire de fa race ,
De la paix qu'il foit le garant.
Doctes Filles de la Déeffe
Qui préfide aux bords du Permeffe ,
Et qui forme les coeurs guerriers ;
Qui , vous feules pourrez en faire
Un Héros , un Monarque , un Pere ,
Et joindre l'olive aux lauriers.
Que fais-je la raifon m'éclaire ;
Prêtons l'oreille à fes leçons.
Par quelle audace , téméraire ;
Ofai-je chanter les Bourbons
Ah ! Je reviens de mon délire ,
Mes doigts abandonnent la lire ,
Ceffez , ma Mufe , vos concerts ;
Poar ofer imiter Pindare ,
Je craindrois , malheureux Icare
De périr au milieu des Mers.
Si , fenfible à votre tendreffe ,
Le Ciel couronne tous vos voeux ,
François , par des chants d'allegreffe ,
Montrez que tout vous rend heureux..
De vos coeurs fuivez le langage ,
Offrez- lui ce fincere hommage ,.
C'est l'amour qui vous l'a dicté..
MARS. 1756.
67
Mais toi , trop heureuſe Provence ,
A célébrer cette naiſſance
Fais fervir ta vivacité.
Par un Profeffeur des Humanités au College
de l'Univerfité de Valence , tenu par
les Prêtres de la Congrégation du Saint Sacrement
.
་
VERS
Au fujet d'une petite figure d'émail repréfentant
l'Amour tenant un coeur dans fa main,
que Mademoiselle de Li ... avoit en la bonté
de me donner.
CE coeur
E coeur qu'on voit dans votre main ;
Dieu de Paphos , fans doute , nous dénote
Que vous êtes des coeurs l'aimable fouverain ; .
Vous n'avez pourtant pas encor foumis Linote.
Cette beauté bravant vos traits vainqueurs ,
N'a pas même daigné conferver votre image ,
Mais fi jamais elle vous rend hommage ,
Scachez que vous aurez le plus parfait des coeurs
Cof... d'Arles , Doleur en Médecins.
68 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
MONSIEUR , le Public a fous les
yeux un phénomene auquel un Journaliſte -
auffi empreffé que vous l'êtes à faifir tout
ce qui peut l'intéreffer , doit l'avertir de
donner une attention particuliere , finon
afin qu'il jette la vue fur un objet qui ne
peut manquer de la tenir déja fixée , du
moins afin qu'il fe confirme dans l'idée
que cet objet mérite d'attacher fes regards .
Je ne crois pas qu'aucun fiecle ait fourni
jufqu'à préfent l'exemple de trois freres
qui fe foient diftingués , l'un dans la
Poéfie , l'autre dans la Peinture , & le
troiſieme dans la Mufique. C'eft ce que
nous voyons dans le nôtre. Il y a même
une circonftance qui rend ce phénomene
encore plus intéreffant . Ces trois freres
font fils d'un Muficien célébre ( J. Aubert,
Intendant de la Mufique de M. le Duc ,
premier violon de l'Opéra , Auteur d'un
très-grandnombre d'ouvrages qui font entre
les mains de tout le monde ) . Le fils aîné
de cet homme habile, héritier de fes talens ,
l'un des meilleurs fujets de l'orchestre de
MAR S. 1756. 69
l'Opéra depuis l'âge le plus tendre , vient
de réunir tout nouvellement la place du
premier violon , qu'avoit fon pere , & celle
de Batteur de mefure. Il paroît depuis
quelques femaines un excellent livre de
fymphonies de fa compofition , dédié à
Madame la Marquife de Villeroi , où l'on
trouve un morceau extrêmement gouté
du Public , fur lequel a été fait un pas de
deux dansé à l'Opéra , par M. & Mlle
Lany , dans l'Acte Efpagnol , de l'Europe
galante.
La Mufique du pas de fix qui a reçu
cet hiver de fi juftes applaudiffemens
dans le dernier acte de Roland , eft encore
de lui . Le livre de Symphonies dont
nous venons de parler , eft le deuxiéme
OEuvre de l'Auteur. Le premier a été
dédié à Madame Adélaïde . Voilà l'aîné
des trois freres.
Le fecond , d'après qui font gravées
deux jolies Estampes nouvelles dans le
gout de M. Chardin , annoncées avec éloge
dans le Mercure du mois de Décembre
dernier, intitulées , l'une le Billet Doux , &
l'autre la Revendeuse à la Toilette , a fait
plufieurs tableaux qui décorent les apparmens
de Monfeigneur le Dauphin à Choify.
Il excelle dans le deffein , furtout pour
les fujets familiers , où il joint les graces
70 MERCURE DE FRANCE.
au naturel ; mérite qui a manqué fouvent
à ceux qui y ont le mieux réuffi .
Plufieurs fables d'un genre tout nouveau,
inférées fucceffivement dans le Mercure
, telles que le Miroir & le Merle
dont celui de Juin 1755 fait l'éloge , en
prévenant le Public favorablement pour le
recueil que l'Auteur annonce ; celle de
l'Ours Philofophe, donnée peu de tems après;
& tout récemment celle intitulée les Rêves ,
inférée dans celui de Décembre , font affez
connoître celui des trois freres qui s'applique
à la Poésie. Il eft le plus jeune des
trois , & travaille depuis quatre ans à un
ouvrage périodique , qui fans exiger des
talens fupérieurs , en demande toujours
beaucoup pour devenir auffi intéreffant
qu'il l'eft dans fes mains .
Les talens de ces trois freres fe prêtent
mutuellement les fecours qu'ils fe doivent.
Les vers au bas des Eſtampes du Peintre ,
& l'épître en vers mife en tête des fymphonies
du Muficien font du jeune Poëte . Je
tranfcrirai , fi vous voulez bien , cette derniere
adreffée à Madame la Marquife de
Villeroy , à qui le Muſicien a eu l'honneur
de montrer fon Art.
Vous , pour qui l'harmonie a de fi doux attraits ;
Et qu'un fentiment für éclaire ,
MAR S. 1756. 71
Pour connoître , approuver , feconder fes fuccès
Mes travaux recevront un glorieux ſalaire ,
Si vous applaudiffez à ces foibles effais.
Favorite des Dieux , vous ne fçûtes jamais
Combien il en coûte pour plaire.
Flatté de vous guider dans un art plein d'appas;
J'ai vu le Dieu du goût vous offrir la couronne ,
Et femer des fleurs fous vos pas ;
Ces fleurs qu'il nous vend cher , prodigue , il vous
les donne ;
Je nommerois mille vertus ,
Qui furpaffant ces dons ne vous coûtent pas plus.
Si vous pouvez rendre ma lettre publique
, je ferai charmé , Monfieur , que
l'amitié ait contribué en quelque chofe à
la gloire de ces trois perfonnes , en leur
rendant un témoignage que vous devez
approuver d'autant plus qu'il n'eft nullement
fardé. Je n'ai fait qu'expofer à vos
yeux la vérité toute fimple.
J'ai l'honneur d'être , &c .
Ce 30 Décembre 1755.
72 MERCURE DE FRANCE.
VERS
Envoyés à M. le Baron de Marchais , le
premier Janvier 1756 , par Mademoiſelle
d'Oph...
Recevez , cher Marchais , l'offrande la plus
pure ;
Rien ne fçait vous toucher que les vrais fentimens
,
Et préférant toujours au plus fublime encens
Les voeux qui font dictés par la fimple nature
Dont vous fçavez fi bien diftinguer les attraits ,
Vous donnerez le prix à tous ceux que je fais.
C'est plus pour vous donner un gage
De mon parfait attachement ,
Que pour fuivre un commun langage
D'un trivial arrangement
Admis par un ancien uſage.
Je vous rends en ce jour le plus fincere hommage ;
De ma reconnoiffance il eſt un ſûr garant ,
De vos bienfaits il eft l'ouvrage .
Que mon coeur ne peut -il s'expliquer davantage !
Mais on en dit affez quand on dit ce qu'on fent.
Monfieur,
MAR S. 1756 . 73
Monfieur Dubois défavoue les vers inférés
fous fon nom , dans le volume du
mois d'Août dernier , pag. 47. La publication
de ce défavcu eft un peu tardive ,
mais M. Dubois nous la fait demander
d'une maniere fi preffante , que nous ne
pouvons lui refufer cette fatisfaction . Nous
lui avons cependant l'obligation d'avoir
rétabli le premier vers que nous avions reçu
ainfi tronqué
Mon tendre hommage à celle
Nous allons redonner la piece entiere,
afin qu'on l'ait plus correcte.
Vers à Madame de Forgeville.
J'offre mon tendre hommage à celle
Qui tous les jours à Fontenelle
Confacre fa voix & les yeux :
Pour prix d'un foin fi précieux ,
Puiffe l'amie être immortelle !
Puiffe l'ami , rival des Dieux ,
Toujours charmant , toujours fidelle ,
Oublier fon rang dans les cieux
Pour vivre ici -bas avec elle !
Voici d'autres vers où l'on forme à
peu près le même fouhait pour ce grand
homme.
D
74 MERCURE DE FRANCE.
VERS
Sur l'indifpofition dont M. de Fontenelle a
été attaqué dans le mois de Janvier.
Sur ce Mortel autant aimé qu'aimable , Ur
Et dans tous les temps admirable ;
Viens , Déefle de la Santé ,
Porter ton fouffle fecourable.
Que par nos voeux il y foit arrêté ,
Et qu'enfin la divinité
Renouvellant , au gré de notre envie ,
Le fil précieux de ſa vie ,
Lui laiffe l'immortalité
Qu'elle a donné à fon génie !
Par Mlle. des T**** de B.
AUTRES
Sur le Portrait que Madame de Forgeville a
donné du caractere de M. de Fontenelle.
DE ceSage formé pour inſtruire & pour plaire,
Sous les yeux de la vérité
Minerve a peint le caractere
Pour fervir de modele à la postérité.
MAR S. 1756. 75
Seconde Lettre de M. Voifin , à M. le
Prince , de & c. ( 1 )
Monfieur , j'ai eu l'honneur de vous
annoncer dans ma premiere Lettre que je
confidérois les Princes & les autres grands
Seigneurs fous trois points de vue : fous
le premier , comme particuliers dans l'intérieur
de leurs maifons & de leurs Terres ;
fous le fecond , comme peres de famille ;
& enfin fous le troifieme , comme membres
de la Société & hommes d'Etat ; ces
trois parties qui divifent ma préface , font
auffi le plan analytique de mon ouvrage.
PREMIERE PART I E.
Le Prince ou le grand Seigneur confidéré
comme particulier dans l'intérieur de
fa maifon & de fes terres.
Son premier foin doit être de connoître
exactement fon revenu , pour juger du
nombre des Officiers & des domeſtiques
qui lui font néceffaires , relativement à fon
ufage journalier , ou à la néceffité de repréfenter
quelquefois extraordinairement.
(1) Voyez le premier Volume du Mercure de
Décembre.
Dij
76 MERCURE
DE FRANCE
.
L'économie ne permet pas que la dépenfe
égale toujours la recette. Cet équilibre
entr'elles pourroit à la fin , par des
accidens imprévus , faire pencher la balance
du côté de la dépenfe ; ce qui opéreroit
une diminution de revenus , & peut- être
de fonds , à moins qu'on n'y remédiât par
réformation . une prompte
La dépenfe
d'une pareille maifon deit
donc être noble , mais toujours
au deffous
des revenus , & j'explique
par le détail à
combien
on peut fixer la réferve de la re- cette , afin que le Prince ou le grand Seigneur
ne fe trouve jamais , quand il fut- vient des extraordinaires
, étonné , embar
raffé ni inquiété
par la crainte de les devoir
ou de ne les pouvoir payer , fans diminuer
l'ordinaire
.
Comme on ne peut trop s'oppofer à ce
que la dépenfe ordinaire , une fois réglée , forte de fa fixation , il faut avoir la même
précaution d'empêcher
la diminution
des
revenus & l'attention de les augmenter ,
fans néanmoins faire aucun préjudice à
perfonne , & fans diminuer les libéralités
raifonnées du Prince , ou du grand Seigreur.
Voilà la bafe générale fur laquelle doit
être établie une maison.
L'exemple
de plufieurs
Princes dont on
MAR S. 1756 . 77
ne peut trop admirer les vaftes connoiffances
en matiere d'arrangemens , & d'une
noble économie , démontreroit , s'il étoit
néceffaire , que le détail n'eft point indigne
d'un Grand. Si tous ceux qui lui appartiennent
font convaincus de fa capacité
& de fa réfolution d'entrer dans ce
détail , de la connoiffance qu'il a , ou qu'il
veut acquérir des regles de la fubordination
qui doit fubfifter entr'eux pour fon
fervice , de la nature & de l'étendue des
devoirs de chacun d'eux , fuivant fon emploi
, aucune inattention ni mauvaiſes
vues , ne les écarteront de ce qu'ils doivent
faire. Le dernier domestique , craignant
& aimant fon fupérieur , ne s'attachera
qu'à lui plaire ; & ainfi une fatisfaction
folide régnant dans toute la maiſon
, & arrivant par degré jufqu'au grand
Seigneur , il jouira d'une tranquillité &
d'une abondance , qui lui ouvriront les
mains pour diftribuer des récompenfes
méritées.
Tout dépend donc de la certitude où
font ceux qui compofent la maifon d'un
Prince ou d'un grand Seigneur , qu'il eft
également capable & réfolu d'éclairer leurconduite
; chacun d'eux fe renfermera
alors , avec autant de zele que de fidélité ,
dans fes fonctions , furtout s'il en eft bien
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
inftruit ; & c'eft pour ne lui rien laiffer
ignorer à cet égard , que j'en trace le tableau
dans la premiere partie de l'ouvrage,
en commençant par les Officiers du premier
rang , jufqu'aux domestiques de l'état
le plus inférieur inclufivement , foir
de la ville , foit de la campagne.
S'il eft vrai que par furbordination d'emploi
, & par exactitude de fervice , tous
les Officiers & domeftiques d'un Prince ,
cooperent à fa fatisfaction ; il eft également
vrai qu'il doit être l'ame de cet henreux
concours ; c'eft l'intelligence laborieufe
du grand Seigneur qui , ( fi elle ne
forme pas elle même le plan irrévocable
de leurs fonctions ) anime du moins , excite
& foutient leurs talens & leur bonne
conduite au lieu qu'un Prince , ou un
grand Seigneur qui , par indolence , ou
par une hauteur déplacée , refufe d'entrer
quelquefois dans le détail de fes affaires ,
ouvre un vafte champ au travers ruineux
d'Officiers ou domeftiques mal choifis ,
furtout de ceux qui ont la principale adminiftration.
Ce font donc encore une fois , cette intelligence
du Prince ou du grand Seigneur,
fon goût pour les réflexions économiques ,
& fa fermeté qui deviennent le reffort
liant de la correfpondance harmonicufe de
fa maifon.
MAR S. 1756. 79
Ce feroit abufer de mon principe , que
d'imaginer qu'il doit s'accabler d'ennui
par un détail de bourgeois indigent , ou
peut-être d'avare . Je fouhaite feulement.
qu'on le fçache feulement capable de tour.
voir , qu'il examine même de tems en
tems fans gêne & fans humeur , & que s'il
n'a pas des heures & des jours fixés de
travail , du moins il ne refufe & ne differe
jamais le tems de fon loifir qu'on lui demande
pour conférer fur l'intérêt de fes.
affaires , & fur l'examen des propofitions,
de juftice & de bienséance . 29
Après avoir fait le tableau des différentes
dépenfes de la maiſon d'un Prince
ou autre grand Seigneur , foit qu'il vive
garçon, foit qu'il fe, marie , de maniere
que ces dépenfes , quoiqu'au deffous de
fes revenus , lui, faffent cependant, honneur
, j'entre dans le détail de ces mêmes
revenus .
Les Princes & les grands. Seigneurs en
ont ordinairement de plufieurs fortes : les
uns proviennent des charges qu'ils ont à
la Cour , ou des penfions du Roi , qu des
rentes foit fur la Ville , foit fur les Etats ,
fur le Clergé , ou fur les Communautés ;
les autres confiftent en location de maifons
, foit à Paris , foit dans les Provinces
: enfin les autres , & ce font les plus
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
dignes d'attention , procédent du fruit de
leurs terres.
Ceux-là exigent de moi un détail fcrupuleux
pour parvenir à les bien connoître
& à les augmenter en contribuant même à
l'aifance des Vaffaux & des Cenfitaires du
Prince ou du grand Seigneur.
Je ne me contente pas de faire voir que
le bon ordre de fes archives , & la connoiffance
exacte de fes terres , font les deux
premiers moyens de le familiarifer avec le
détail de tous les droits de fes domaines ,
foit utiles , foit honorifiques ; mais je lui
préfente encore à cet égard une méthode
fi facile qu'elle peut en quelque forte lui
fervir d'amufement , même dans des inftans
de loifir : non que je veuille faire
d'un Grand un Titrier de profeffion , ( il fe
doit en général à des objets plus nobles &
plus importans ) , mais pour le mettre en
état , par cette méthode qui eft à la portée
de tout le monde , de fuivre quelquefois
de l'oeil , & de vérifier fans embarras les
arrangemens du garde de fes archives.
Les Titres d'une Terre une fois conftatés
, examinés , extraits & diftribués
relativement à chaque efpece de droits ,
de maniere qu'ils fe préfentent prefque
d'eux-mêmes fous la main , quand on le
défire , je développe au Prince ou au grand
MARS. 1756. SI
Seigneur , une méthode également aisée
de l'opération du terrier , & les moyens
folides d'en abréger les longueurs fon
objet , quand il eft fuivi avec intelligence ,'
eft de reffufciter des droits prefque oubliés
ou inconnus , quoique légitimes &
non preferits , de renouveller & de vérifier
la perception des autres , fans cependant
que les Vaffaux & les Cenfitaires
puiffent fe plaindre de l'ombre même de
la perfécution .
Deux hommes qui fe réuniffent quelquefois
en un feul , font également néceffaires
à cette opération importante ; le
Commiffaire à Terrier , qui peut être auffi
nommé Notaire pour la réception des déclarations
, & le Géometre chargé d'après
les obfervations du Commiſſaire , de lever
les plans .
:
Comme les fonctions de Commiſſaire
exigent autant d'équité que d'intelligence ,
on ne fçauroit être trop circonfpect dans
le choix qu'on en fait de ce choix dependent
fouvent , ou la tranquillité de
l'opération qui s'exécute fans conteftation ,
ou une involution de procès à charge au
Prince ou au grand Seigneur.
Les devoirs de ce Commiffaire à Terrier
ne font fondés , ni fur le caprice , ni fur
un travail arbitraire : ils font appuyés fur ,
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
des maximes & fur des principes que tout
le monde ne connoît pas , & que je réduis
dans une pratique fi facile , qu'avec l'habitude
de déchiffrer les anciennes Ecritures
,tout le monde peut la fuivre fans crainte
de fe tromper ; en forte que le Prince
même ou le grand Seigneur puiffe , quand
il le voudra , vérifier par amuſement , fi
fon Commiffaire s'égare ou non.
Tranquille fur le compte du Commiffaire
,par la réflexion qui a accompagné fon
choix , il doit donner la même attention à
celui du Géometre prépofé pour lever les
plans.
Ce n'est pas affez pour l'amélioration
des Terres du Prince , que l'opération
du
Terrier
foit réguliérement
faite & confommée
avec fuccès ; il faut qu'il prenne ,
par une curiofité
digne de lui , connoiffance
de leur nature & de leur propriété
.
Elles confiftent
ordinairement
en terres
labourables
, en prés & fainfoins
, en luzernes
, en vignes , en bois & en étangs ,
& quelquefois
même auffi en rivieres
.
La culture des Terres eft un objet affez
intéreffant pour mériter quelqu'étude de
la part du grand Seigneur : je la lui facilite
par des principes de Phyfique foutenus
d'expériences , qui prouvent qu'indépendaminent
de l'intempérie des faifons, fouMARS.
1756. 83
vent ce font l'ignorance , ou la mauvaiſe
habitude , & l'entêtement des Agriculteurs
qui s'opposent à l'abondance & à la
bonne qualité de la récolte. Le mal général
vient de ce qu'on s'attache trop peu à
connoître la différence des climats & des
terreins .
Comme je crains , Monfieur , de vous
dérober trop de momens à la fois , je ne
reprendrai la fuite de cette premiere Partie
, que pour le courier du 8 de ce mois .
VERS
Sur l'éloge de M. de Montefquieu , fait par
M. d'Alembert.
Lorfque de Montefquieu , de cé Sage célebre ,
Dont la perte cauſe nos pleurs ,
Nous lifons l'éloge funebre ,
Où la noble éloquence , en peignant les douleurs
De l'Europe encor défolée ,
Raflemble fur fon maufolée
Les lauriers immortels & les plus belles fleurs ,
Notre admiration juftement fe partage
Entre le fujet & l'ouvrage.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
VERS
AU ROI DE PRUSSE.
HEros fameux par la conquête
D'un Pays heureux fous tes loix ,
Grand Roi , tous les Dieux fur ta tête
Ont verfé leurs dons à la fois .
Bon foldat , Général habile ,
Tu joins à la valeur d'Achille ,
De Lycurgue tous les talens :
Né pour régner & pour écrire ,
Tu réunis le double Empire
Des Plutarques & des Trajans.
Par M. de Lanevere , ancien Moufquétaire
, du Roi ; à Dax , le 17 Janvier
1756.
VERS
A Mademoiſelle Brobon , fur fa nouvelle intitulée
Les Graces de l'Ingénuité . Elle eft
dans le Mercure de Février.
E ne connois que votre esprit ,
Je pourrois dire , & votre caractere ,
MARS. 1756. 85
Car je le vois dans cet écrit ,
Qui fûrement aura le don de plaire ,
A qui le fentiment eft cher ... à qui le lit.
Vous , qui de la charmante & tendre Mélanie
Avez fi bien dépeint les graces, la candeur
Pouvez-vous croire qu'on oublie
Que c'eft du fonds de votre coeur ,
Bien plus encor que de votre génie ,
Que vous avez tiré ce tableau féducteur ?
Pour moi je n'en veux pas connoître davantage ;
L'efprit & le coeur ont de quoi
Tourner la tête la plus fage.
Nature a , j'en fuis fûr , complété fon ouvrage ;
Et fi je le voyois , ... que feroit- ce de moi ?
RONDEAU ,
Par Madame **
pour une jeune Demoiselle
qui étoit fort incommodée d'un mal de
gorge , peu de jours avanı fon mariage .
UN mal de gorge eft chofe bien cruelle ;
Lorsqu'il atteint jeune & tendre pucelle ,
A qui l'amour , fans aucunes faveurs ,
Fait reffentir les défirs , fes langueurs :
Ce trifte état eft celui de Lucelle.
Fils d'Apollon , tu ne peux rien pour elle :
De tes fuppots la pédante féquelle
86 MERCURE DE FRANCE.
Loin de guérir , augmente en jeunes coeurs
Un mal de gorge.
Toi feul , amour , peux foulager la belle ,.
Qui de tes feux périt comme Semele.
Par tes bienfaits , par de douces erreurs ,
Métamorphofe en plaifirs enchanteurs ,
Ce mal affreux , ce mal que l'on appelle
Un mal de gorge.
LE mot de l'Enigme du Mercure de Février
eft les Gans . Celui du Logogryphe ,
Minotaure , dans lequel on trouve Noé,
Metra , Tir , Troie , nuit , Arouet , amant,
Mein , Marne , Amour , taie , Antoine ,
noir roi , orme , automne , rime , Ino ,
Aman , Amri & Joram , moi & toi , or ,
Timon , Etna , Oëta , Jon , Erato & Uranie.
ENIGM E.
Sans être Evêque j'ai ma croſſe ,
Sans être Berger j'ai mon chien ;
Et fans être Magicien
J'ai ma baguette & ma fureur atroce .
Par M. Contant.
MAR S. 1756. 87
S
LOGO GRYPHE
Veux-tu fçavoir quelle eft mon origine ?
Il te faut confulter un bon Chef de cuifine ;
On me connoiffoit peu chez nos fobres ayeux ,
Mais peut-être que toi ne me connois pas mieux-
Un fin gourmet m'a donné l'exiſtence .
L'Académie a confirmé mon nom ,
Toujours Comus préfide à ma naiffance ,
Ce qui fans doute augmente mon renom.
Neuf pieds complets compofent ma ftructure ;
Pour me trouver combine avec mefure,
J'enferme en moi ce qui m'offre à tes yeux ,
Qui plus que moi fouvent eft précieux ;
Ce qu'une blonde , avide de fleurettes ,
A dans fa poche ou bien fur fa toilette ,
Qui lui fournit ce moyen tant vanté ,
De corriger , d'animer la beauté.
Ce qu'une fille à quinze ans feule occupe ,
Dont ailément fans craindre d'être dupe ,
Elle offriroit une part cependant ,
Si le bon mot fixoit fon tendre amant.
Ce qui foutient Royaume ou République.
Terme expreffif de crainte , ou de douleur ,
Note connue en plein chant , en muſique .
Un animal utile & raviffeur ,
Dans le Pérou , une grande riviere ;
Mais terminons ici notre carriere ..
88 MERCURE DE FRANCE.
Mon dernier pied commence l'alphabet ,
Et je contiens un grand coup de piquet .
J
ENIGM E.
E fuis , ami Lecteur , un être original :
Je fais le bien , jamais le mal ;
Je me plais pourtant dans le vice ,
Et ne connois point la vertu .
C'eſt un malheur ; mais que veux-tu ?
Je fuis faite pour le caprice.
J'accompagne partout le Roi ,
Sans jamais fortir de la ville .
Je fers toujours l'orphelin , la pupille ;
Mais les tuteurs font des monftres pour moi.
Je fuis fenfible dans la peine ,
Encore plus dans le plaifir ;
Sans moi l'on ne sçauroit jouir
Ni porter d'amoureuſe chaîne.
Dans l'Univers je regne avec orgueil ,
Rien ne fçauroit éviter ma puiffance :
Mortel , j'affifte à la naiffance ,
Et l'on me retrouve au cercueil.
Jefon.
LOGOGRYPHE.
UN feul mot dans cinq pieds , fans y rien retrancher
,
Vous en fournira cinq , fi vous fçavez chercher :
MARS. 1756. 89
Tranfpofez - les fi bien , qu'en prenant chaque
lettre ,
Vous commenciez celui que vous voulez connoître.
Le premier en hyver fert dans notre maiſon ,
Et devient inutile en toute autre faifon.
Vous portez le fecond : quoiqu'en votre ſtructure
Il foit effentiel , c'eft fouvent une injure .
Le troifiéme déplaît au goût , તàે l'odorat ;
On peut le rejetter fans être délicat .
Sur mer le quatriéme aide à vaincre l'orage .
C'eft dans ce feul endroit qu'on en peut faire
ufage .
Le dernier , cher Lecteur , eft peut - être fur vous ;
Car on le voit briller dans les plus beaux bijoux.
A Besançon ; par un Officier.
Voici les quatre premiers vers d'un
troifiéme Logogryphe que l'Auteur nous
difpenfera d'inférer dans notre recueil.
Quatorze lettres en cinq membres renfermées
Me font une des villes les plus renommées.
Capitale d'un Empire Puiffant
Connue des anciens fous un nom différent.
Nous les citons exprès pour faire voir
à quel point on porte aujourd'hui l'oubli
des regles , & pour juftifier les plaintes
que nous avons faites à ce fujet dans le
fecond volume de Janvier . Nous fçavons
qu'une Enigme ou qu'unLogogryphe n'exi
90 MERCURE
DE FRANCE
.
pomgent
pas une exactitude
fcrupuleuſe
, mais
on doit au moins obferver la mefure . Souvent
on n'eft pas plus régulier pour des
piéces d'un gente plus élevé. On y rime
an hafard une profe des plus familieres
, & l'on lui donne fiérement
le nom de
Stances , quelquefois
même le titre
peux d'Ode. Le pis eft encore que cette
licence regne jufques dans des ouvrages
où brille d'ailleurs le vrai talent de la poéfie.
Nous fçavons qu'aux yeux de la raifon
une rime fauffe , ou une fyllabe de
trop ou de moins , font une petite taché , mais enfin c'en eft une ; & l'on eft d'autant
plus faché de la trouver dans de jolis
vers , qu'ils font faits
pour
& pour fervir de modele.
être retenus ,
CHANSON
.
A Mis ,que le plaifir affemble
Dans ce fallon délicieux ;
' N'eft-il pas vrai qu'il reffemble
Au féjour enchanté des Dieux ?
Pour moi je dis avec franchife ,
Qu'il eft joli ! qu'il eft charmant !
Mais il auroit moins d'agrément
Sans l'éclat des beaux yeux de l'aimable Céphife.
Air.
Amis, que leplaisir assemble,
Dans ce Salon delicieux : N'est il
pas vray qu'il resemble Au sejour
Enchanté des Dieux ! Pour moyje
dis avec franchise, Qu'il est Joli quil
estcharmant,Mais ilauroitmoins d'agr
ment Sans l'Eclatdes Beaux yeux
de l'Aimable Céphi- se .
Mars 1756.
!
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
MARS. 1756. 919
ARTICLE I I.
NOUVELLES LITTERAIRES.
EXTRAIT des Ouvrages lus à l'Affemblée
publique de la Société Littéraire de
Clermont en Auvergne , tenue le 25 Août
1755.
Monfieur de Féligonde , Secrétaire de
la Société , ouvrit la Séance par les éloges
de MM . de Varennes , Sédilot & Bompart
de S. Victor , Affociés morts dans le cours
de l'Année Littéraire.
L'Auteur paffe rapidement fur les premieres
années de ces Académiciens , pour
entrer dans un plus grand détail de leurs
talens & de leurs vertus ; il s'attache furtout
à celles qui caractérisent particuliérement
celui dont il fait l'éloge. Il dit , en
parlant de M. de Varennes , « l'exactitude
à obferver fes devoirs fut la vertu favo
» rite de notre Académicien : ceux de la
Religion , ceux de fa charge , ( 1 ) , ceux
"
(1 ) M. de Varennes étoit Tréforier Général des
Finances en la Généralité de Riom : il étoit beaufrere
de M. Boyer , ancien Evêque de Mirepoix.
92 MERCURE DE FRANCE.
» de la Société l'enchaînerent tour à tour ;.
», & l'habitude qu'il s'étoit faite de les rempiir
, les lui rendit comme naturels.
» Bon patriote , il étoit tout occupé du
» bien public ; on le voyoit prendre part
و د
ود
" aux événemens les moins caractérisés
» mais dont il prévoyoit des fuites utiles
» ou onéreuses à fa patrie ; l'agrandiffe-
» ment de notre ville , la perfection du
» Commerce , la culture des Arts le tou-
» choient perfonnellement. Que de plaifirs
» ne reffentit- il point , lorfqu'il vit au mi-
» lieu de nos murs s'élever un Parnaſſe ,
» &c » !
و د
و د
Dans l'éloge de M. Sedilot , l'Auteur ,
après avoir infinué que la fanté chancelante
de cet Académicien , & les occupations
attachées à fon état ( 1 ) , pouvoient
le difpenfer des études & des travaux aufquels
l'entraînoient fon goût pour les
Sciences ; « mais , dit- il , il ne fut jamais
» de prétextes pour les véritables amateurs
» des Lettres. Leurs progrès ou leur déca-
» dence , font les feuls motifs qui les tou-
» chent. Ils travaillent avec affiduité , foit
pour s'inftruire , foit pour communi-
"quer les fruits de leurs veilles ; ils cher-
» chent avec avidité l'occafion d'applau-
و د
"
(1 ) M. Sedilot étoit Docteur en Médecine de
la Faculté de Montpellier.
MAR S. 1756. 93
ور
ور
» dir aux efforts des Candidats ; & en ex-
» citant leur émulation , de rectifier par
» une critique faine & judicieufe ceux qui
» dans leurs ouvrages s'éloignent du vrai
» beau ; ou s'écartent dans leurs études de
» la route qui y conduit . Tel fut le carac-
» tere de notre Académicien , & c » .
ور
M. de S. Victor , dont l'éloge fuivit celui
de M. Sedilot , étoit né poëte : fes talens
ne furent point enfouis , & il s'eft fait
une réputation dans fa patrie par les pieces
de différens genres qu'il a donné au Public
; voici un trait de fon éloge qui n'eft
point commun à tous les poëtes. « La So-
"
و د
""
"
""
""
ciété n'eut jamais à fouffrir de M. de
» S. Victor ; de ces fortes de faillies , dont
» le venin diftillé avec art , attire des applaudiffemens
à un Auteur que l'on re-
» doute. La fatyre n'eut aucun attrait pour
» lui , & moins encore ce genre de poéfie
qui fervant de voile à une morale empeſtée
, ne femble en déguifer les traits ,
» que pour mieux en dévoiler les myfte-
»res , & lui prêter de plus fortes armes.
» Notre Académicien fçut faire de fes ta-
» lens un ufage moins pernicieux , & bien
plus agréable . Facile & plein d'enjouement
, fa mufe paroiffoit née pour
chanter les vertus , & non pour blâmer les
vices. La douceur de fon caractere , & fes
ود
94 MERCURE DE FRANCE.
rares talens lui attirerent à l'envi l'amitié
de fes concitoyens & les fuffrages des
gens de goût.
M. Dufraine pere , lut un Mémoire fur
l'étendue & les bornes de l'Auvergne , la
religion , le gouvernement , le commerce
, les moeurs des Auvergnars , & fur l'état
des Sciences dans cette Province aux
tems les plus reculés , avant même que
les Romains euffent fait la conquête des
Gaules.
Le titre de ce Mémoire annonce un trop
grand détail pour être fufceptible
d'éxtrait
: l'Auteur a appuyé fes fentimens
des
autorités
connues
; il a puifé dans les meilleures
fources : il fubfifte même encore
quelques
infcriptions
, dont il appuie
fon fentiment
fur la religion
des an- ciens Auvergnats
, qu'il ne regarde
pas comme idolâtres . M. Teillard de Beauvefeix
lut une Differtation fur une infcription
datée de la dix - neuvieme année du
regne d'Alaric II , fils d'Euric Roi des
Vifigots , découverte l'hyver dernier dans
le lieu de Coudes en Auvergne ; il fit obferver
l'épithète intéreſſante Domini noſtri,
qui y eft donnée à Alaric ; les termes mêmes
de cette partie du Mémoire de M. de Beauvefeix
, nous feront mieux connoître l'importance
de cette obfervation. « Vous
MAR S. 1756. 95
>>
ود
"
ود
ور
ود
» avez fans doute , Meffieurs , fait atten-
» tion à l'épithete Domini noftri donnée à
» Alaric. J'eus l'honneur de vous rappor-
» ter il y a quelques années une autre infcription
où vous obfervâtes une pareille
épithete donnée à Théodebert : elle étoit
» en effet remarquable : j'étois flatté de
» vous préfenter un monument qui con-
» couroit avec cette fameufe médaille regardée
comme unique , dans laquelle le
» Révérend Pere Daniel , M. le Préfident
» Hénault & tous les Sçavans , ont cru
trouver de quoi fixer l'époque certaine
» de la fouveraineté inconteftable des Rois
» de France , & de leur parfaite indépen-
» dance des Empereurs. Nul autre Prince
» avant Théodebert , n'avoit ofé , difentils
, prendre une qualité dont les Empe-
» reurs étoient feuls en poffeffion , dont
» ils étoient extrêmement jaloux , & qu'ils
regardoient comme la marque diftinc-
» tive de leur fupériorité fur toutes les
» autres puiffances de l'Univers. Leur rai-
» fonnemens s'évanouiffent aujourd'hui ;
"une pareille épithéte donnée à Alaric mort
»en 507 , long- tems avant qu'il fût queſtion
ور
"
و د
"
de Théodebert , détruit leur fyftême , &
» enlever en quelque façon à la médaille
» dont parle le P. Daniel , ce caractere
» intéreffant dont elle a été en poffeffion
juſqu'à ce jour » .
"
96 MERCURE DE FRANCE.
Cette differtation fut fuivie d'un Mémoire
fur l'utilité d'une table de réduction
des différens poids & mefures dont on
fe fert dans la Province d'Auvergne ; par
M. de Vernines.
Le Commerce eft l'ame d'un Etat , il en
eft la force , & y répand l'opulence ; il lie
auffi tous les membres de la Société , quoique
divifés par les moeurs , le caractere ,
& même le langage . Ces principes ne font
défavoués de perfonne. Une conféquence
jufte & naturelle eft, felon M. de Vernines,
que tout ce qui déguife les rapports qu'ont
entr'eux les objets du commerce doit être
écarté. C'est dans cette vue que j'ai cherché
, dit- il , ce qui réfultoit de la diverfité
prodigieufe qui fe trouve entre les poids &
les mefures , non feulement des différens
Etats , mais encore des Provinces d'un
même Royaume , & des villes d'une Province
: cette variété eft encore plus confidérable
en Auvergne que partout ailleurs.
Les plus petits endroits different de leurs
voifins ; il est même peu de denrées , qui
n'aient leur meſure particuliere. Des fages
réglemens ont fouvent profcrit cet abus
mais les difpofitions en ont toujours été
éludées ; & puifque l'expérience nous apprend
que les loix ont été fans vigueur,
pour faire ceffer ce défordre , voyons s'il
feroit
MAR S. 1756. 97
feroit poffible d'y trouver quelque remede.
Une table où toutes les différences des
poids & des mesures feroient évaluées &
rapportées à une proportion connue , préfentera
au premier coup d'oeil une idée
jufte de ce qu'on demande par rapport
aux denrées .
La meſure des héritages doit auffi entrer
dans ce projet ; elle eſt tout au moins auffi
variée : la feptérée de terre , l'oeuvre de
vigne , celle de pré ne font nulle part les
mêmes. Les villes , les bourgs , les villages
même ont leurs ufages différens ; & ces
mefures qui ne font confignées nulle part ,
varient felon le caprice des Arpenteurs.
Après un détail circonftancié de tous les
inconvéniens qui réfultent de la variété
dans les poids & les mefures , l'Auteur
annonce qu'il entreprendra lui- même de
mettre fon projet à exécution fous les aufpices
de la Société dont il eſt membre.
M. Ozy , Affocié , lut des obfervations
qu'il a fait fur les eaux de la Bourboule en
Auvergne .
Le village de la Bourboule eft fitué à
une lieue des eaux du Mont - d'or , auprès
du Château de Murat- le - Caire , fur les
bords de la riviere de Dordogne . Cetvillage
eft au bas d'une montagne terminée
par un grand banc de rochers inacceffibles ,
E
98 MERCURE DE FRANCE.
au bas defquels font trois fources d'eaux
minérales chaudes , dont l'une bouillonne
dans un baffin quarré d'environ trois pieds
de diametre. La fource n'est pas fi confidé.
rable que celle du bain de Ceſar au Montd'or
, mais elle eft plus chaude. Le Thermometre
y eft monté à 41 degrés & demi
au deffus de l'eau glacée , deux degrés &
demi de plus qu'aux bains de Céfar. Le
degré de chaleur de ce bain eft auffi plus
confidérable que celui des deux autres
fources qui font au deffus. Après avoir fait
la defcription de ces fources , M. Ozy rapporte
l'analyfe fcrupuleufe qu'il en a faite.
Le goût falé qu'il a trouvé aux eaux de la
Bourboule l'a engagé à les comparer à celles
de Balaruc ; le réſultat de cette opération
a été que les eaux de la Bourboule
contiennent plus d'alkalis fixes que celles
de Balaruc : celles- ci contiennent à la vérité
un fel marin parfait , mais celles de la
Bourboule , outre une partie de fel marin ,
renferment la bafe même de ce fel ,
eft un alkali fixe naturel . Dix livres des
caux de Balaruc ont rendu une once &
48 grains de matiere faline , au lieu que
celles de la Bourboule n'en ont donné que
fix
gros.
qui
Quant aux effets des unes & des autres ,
M. Ozy prétend qu'ils doivent être à peu
près
lan
de
bo
qu
ven
il s
da
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de
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ת
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P
·
•
MARS. 1756. 99
près les mêmes ; contenant toutes les deux
la même nature de principes. La quantité
de fel qui manque aux eaux de la Bourboule
, eft remplacée par la nature de celui
qu'elles contiennent.
M. Ozy ajoute que ces dernieres doivent
être fupérieures dans les maladies où
il s'agit de divifer les fluides & de donner
du reffort aux folides ; leur fel alkali fixe
étant fans contredit bien plus irritant que
n'eft le fel neutre des eaux de Balaruc .
Elles doivent être très-faluraires aux
perfonnes qui font fujettes à la néphrétique
, pour expulfer & diffoudre le calcul
des reins & de la veffie , & même pour en
empêcher la formation . Cette découverte
peut être fort utile au Public.
M. Ozy confeille de préférer la fource
qui bouillonne dans le bain , tant à caufe
de fon degré de chaleur que de la qualité
du fel qui y domine . On en a déja fait
d'heureux effais fur des paralytiques qui
n'avoient reçu aucun foulagement du bain
de Céfar.
La Séance fut terminée par la lecture
d'un Mémoire fervant d'Introduction à un
calendrier pour la ville de Clermont que
le P. Sauvade , Minime , fe propofe de
donner à fes Concitoyens ; il explique les
principes d'aftronomie néceffaires pour le
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
calcul du lever & du coucher du foleil . Le
phénomene de l'inégalité des jours fe réduit
à deux chefs ; l'inégalité des différens
jours dans le même endroit , & l'inégalité
des mêmes jours dans différens endroits . Il
faut rapporter la premiere inégalité au
mouvement du foleil dans l'écliptique , &
la feconde à la fituation de l'horizon par
rapport à l'équateur .
Pour paffer au calcul du lever du Soleil,
l'Auteur cherche , par les principes de la
Trigonométrie fphérique , la différence
afcenfionnelle , laquelle ajoutée à yo degrés,
ou retranchée de 90 degrés felon l'hé
mifphere où le Soleil fe trouve , donne
l'arc femi- diurne , ce qui fuffit pour déter
miner le lever de cet Aftre.
La différence du lever vrai au lever apparent
, introduit le P. Sauvade dans la
doctrine des réfractions aftronomiques.
Après avoir déduit l'effet de ces réfrac
tions , l'Auteur établit que le plus grand
jour de Paris excede celui de Clermont de
vingt- fix minutes , cinquante- deux fecondes
; & au contraire , le plus petit jour de
Clermont excede celui de Paris de vingtcinq
minutes , vingt-quatre fecondes . Il
termine fon Mémoire , en avertiffant que
l'heure du lever apparent du foleil peut
être calculée affez exactement ; mais il
MARS. 1756 :
101
n'en eft pas de même pour le coucher.
L'horizon de Clermont eft découvert à
l'Orient , mais la fameufe montagne du
Puy de Dome , & la chaîne qui l'accompagne
, nous dérobent la lumiere du Soleil
avant qu'il foit fous l'horizon : elles
font ainfi un effet contraire à celui de la
réfraction. Le fentiment de l'Auteur eft
que ces montagnes doivent abréger de
vingt- une minutes , quarante-huit fecondes
, le tems de la préſence du Soleil aux
plus grands jours de l'année .
EXTRAIT ou précis des erreurs fur
la Mufique dans l'Encyclopédie , brochure
in- 8°. annoncée dans le premier volume
de Janvier.
De quelque autorité que foit le fentiment
de M. Rameau dans un art où il eft
fait pour parler en maître , notre charge
eft de l'expofer fimplement , & de nous
tenir dans une parfaite neutralité : en conféquence
nous donnons cet Extrait , tel
que nous l'avons reçu fans l'adopter , ni
pour le fonds , ni pour la forme."
M. Rameau admet deux principes dans
la théorie de la Mufique. Par le premier ,
l'harmonie eft la génératrice de la mélodie.
Le fecond exige que dans l'exécution on
rende l'harmonie pleine, & qu'on faffe en-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
募
tendre diftinctement tous les tons qui
compofent un accord. Ce fecond principe
fe trouve contredit dans l'Encyclopédie
ouvrage dans lequel on s'eft cependant fait
gloire de copier M. Rameau en preſque
tout ce qu'il a dit fur la théorie d'un art
qu'il a approfondi. C'eft pour réclamer
contre cette attaque que M. Rameau a
fait l'ouvrage dont il eft ici queſtion. Il
remarque que la feule objection qu'on lui
faffe contre la plénitude de l'harmonie , eft
que les Italiens ne s'y affetviffent pas. Cette
raifon qu'on a fait valoir comme victorieufe
dans la lettre fur la Mufique , ne
lui paroît pas convaincante : en effet elle ne
fçauroit l'être pour un philofophe qui veat
ne fe décider qu'après de juftes réflexions.
Les Italiens peuvent mériter des éloges fans
être regardés comme les modeles de la
plus grande perfection . Quelques talens fupérieurs
qu'on leur attribué , la nature doit
toujours leur être préférée. Auffi M. Rameau,
pour combattre l'autorité qu'on oppofe
à fes principes , ne fe contente pas de
dire : Les François ne fe plairoient point à
une harmonie tronquée ; mais il rappelle
ce qu'il avoit déja dit dans plufieurs de fes
ouvrages ; fçavoir que la nature donne
toujours une harmonie entiere , & qu'en
confervant la plénitude des accords on ne
fait que l'imiter.
MAR S. 1756. 103
Sans prétendre décider entre ces deux
combattans , je me contenterai de remarquer
que leurs armes font fort différentes .
L'Auteur de la partie muficale qui eft dans
l'Encyclopédie , a pour lui la pratique des
Muficiens Italiens ; mais M. Rameau s'autotife
de la nature qu'on pourroit regar
der comme la pratique de tous les hommes
de goût.
M. Rameau obferve auffi que c'eft malà-
propos qu'on a voulu infinuer dans la
plupart des articles de Mufique qui font
dans l'Encyclopédie , que la mefure donnoit
à la Mufique fa principale expreffion .
La mefure , dit-il , ne peut faire cer effet
que fur les oreilles incapables de difcernet
le haut , le bas , le changement de mode &
la jufteffe des accords. Ainfi réduire l'expreffion
muficale à la feule mefure , c'eſt
n'être encore qu'aux premiers élémens de
l'art. Il cite à cet effet le choeur de l'Amour
riomphe , qui eft dans l'Acte de Pygmalion
, & qui peut être exécuté fans mefure ,
fans perdre fenfiblement de fon expreffion.
M. Rameau ne faifant pas grace fur la
moindre négligence , trouve encore des
erreurs dans les articles de diffonnance, de
choeur , de chromatique ; mais ces détails
n'étant guere fufceptibles d'extraits , nous
y renvoyons le Lecteur.
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
fe
LA Faculté de Médecine me charge ,
Monfieur , de vous prier d'avertir le fublic
, qu'elle eft fâchée de fe trouver compromife
par l'annonce qui ſe trouve dans
le fecond volume du Mercure du mois de
Janvier , page 87 , d'une prétendue liqueur
fondante , de M. Dienert , Médecin de la
Faculté , la Compagnie déclare qu'elle defapprouve
fa conduite à cet égard , & que
d'ailleurs elle n'a encore aucune connoif-
Lance des vertas de fon remede.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Chomel , Doyen de la Faculté de
Médecine.
Ce 26 Janvier 1756.
Nous aurions inféré ce defaveu dès le
mois de Février , mais il nous a été envoyé
trop tard. On ne fçauroit ufer de trop de
diligence , lorfqu'il s'agit de détromper
le Public , & d'empêcher le cours d'un remede
qui n'a point l'attache de la Faculté
de Médecine. Il eft furprenant qu'un Docteur
, Régent de cette Faculté , ofe faire
imprimer & annoncer dans un ouvrage
MARS. 1756 . 105
public les vertus d'une liqueur fondante ,
qu'il dit avoir les fuffrages de fa Compagnie
, quand il fçait tout le contraire , &
qu'il eft für en conféquence d'en être
hautement défavoué. Il eft lui feul puni
de nous en avoir impofé , ainfi qu'à
tout Paris , nous n'avons que le chagrin
d'avoir été furpris. Eh ! qui ne l'auroit pas
été l'extrait d'un difcours prononcé
aux Ecoles de Médecine pour le primâ
menfis ?
par
LE précieux Cabinet de feu M. le Duc
de Tallard fera inceffamment exposé en
vente au plus offrant & dernier Enchériffeur.
La vente commencera le 22 Mars
1756. Il eft compofé d'un grand nombre
de Tableaux originaux du premier ordre ,
peints par les plus grands Maîtres d'Italie ,
de Flandres & de France ; de buftes & ftatues
de bronze & de marbre , tant antiques
que modernes ; de tables & vafes
de porphyres , granites , albâtre orientale ,
marbres antiques , & autres marbres précieux
d'Italie ; d'une collection choifie de
deffeins & eftampes des meilleurs Maîtres
des trois Ecoles ; de porcelaines anciennes
; bijoux , & autres effets de la plus
grande conféquence , dont on trouvera le
détail dans un catalogue raifonné qui le
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
diftribue à Paris , chez Didot quai
des Auguftins , à la Bible d'or. A Londres ,
chez M. Major, Engraver the his R. St. the
Prince of Wales , at the Golden head , in
Chandoir ftret near S. Martin 'Slane . A
Amfterdam , chez M. Fouquet junior , fur
le Heergnaft de Romyus temp, fteeg.
Dans les autres pays , il fera envoyé aux
Miniftres du Roi de France , & aux Confuls
de la Nation de France .
" Les perfonnes qui avant la vente vou-
» dront voir le Cabinet , s'adrefferont à
» M. le Marquis de Saffenage , Chevalier
» d'honneur de Madame la Dauphine , ou
» à Mdme la Marquife de Saffenage , niece
"
& héritiere de M. le Duc de Tallard ,
» demeurant à Paris en leur Hôtel , rue du
Bacq , Fauxbourg S Germain ; ou à M.
» Lacourlée , Avocat au Parlement , Exé-
" cuteur du teftament de M. le Duc de
»Tallard , demeurant à Paris , rue des
Foffés M. le Prince. ور
LETTRE de M. Defprez de Boiffy ,
Avocat en Parlement , à M. le Chevalier
de ** fur les fpectacles.
Mille hominum fpecies , & rerum difcolor ufus ,
Velle fuum cuique eſt , ne voto vivitur uno.
A Paris , chez la veuve Lottin , & J. H.
Butard , rue S. Jacques , à la vérité.
MAR S. 1756. 107
L'Auteur a renouvellé dans fa lettre tout
ce qu'on a dit tant de fois contre les ſpectacles.
Il n'en parle même , de fon propre
aveu , que fur le rapport d'autrui . Nous
fommes perfuadés que s'il les connoiffoit
par lui-même , & furtout la Comédie
dans l'état épuré où elle eft aujourd'hui,
il trouveroit d'auffi fortes raifons pour
prendre fa défenſe , qu'il en a employées
pour la condamner ; il vetroit que fur la
fcene l'honnêteté regne dans l'action &
dans les fentimens , ainfi que dans le langage
, que les moeurs y font refpectées
autant que la décence , & que la Comédie
actuelle en eft la véritable école . Nous
ofons avancer que les converfations du
monde font beaucoup plus libres , conféquemment
plus dangereufes que celles da
Théâtre , où l'on eft fouvent plus réſervé
que dans les lieux les plus refpectables.
Comme nous fommes trop intéreffés à fon
apologie pour en être crus , nous laiffons
à d'autres le foin de la faire , & nous n'en
dirons pas davantage , de peur qu'en nous
recufant on ne nous réplique : Monfieur
Jaffe , vous êtes Orfevre. Cependant, comme
la différence de fentimens ne doit pas nous
rendre injuftes , nous ajouterons à la louange
de l'Auteur , que fa lettre nous aparu
très- bien écrite , & qu'à travers fon extrême
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
rigueur pour la Comédie , nous avons
cru entrevoir que fes vives cenfures tomboient
plutôt fur l'abus du genre que fur
le genre même. Il nous a même ſemblé
qu'il exceptoit quelques ouvrages dramatiques
, fans les nommer , de la profcription
générale. Si cet Ecrivain eſtimable
avoit mieux développé fon intention , &
qu'il n'eût attaqué ouvertement que l'abus,
il eût réuni toutes les voix il auroit eu
même pour lui tous les partifans éclairés
du Théâtre. Qu'il faffe grace au Mifantrope
, aux Femmes Sçavantes , au Philofophe
Marié , au Glorieux , & c. les vrais
connoiffeurs lui abandonneront les Dom
Japhets , les Jodelets , les Moulins de Javelle
, les Vendanges de Surenne , & tant
d'autres farces indécentes qui n'offenſent
pas moins la raifon que la pudeur , & qui
deshonorent le premier Théâtre de la Nation.
CONJECTURES PHYSICO - MECHANIQUES
fur la Propagation des fecouffes dans les
tremblemens de Terre , & fur la difpof
tion des lieux qui en ont reffenti les effets.
1756. Tange monies .... & conturbabis eos.
Pf. 143. V. 67.
Cet écrit nous vient de bonne main ; il
eft de M. Defmarefts qui a déja fait fes
MARS. 1756 . 109
preuves dans ce genre , & le trouve chez
Ganeau , rue S. Severin ; Duchefne , rue S.
Jacques ; Aumont , place des Quatre Nations
; & l'Esclapart , quai de Gèvres .
Nous annonçons une feconde fois le 4º ,
le 5 ° , & le 6° Tomes de l'Hiftoire du Diocèle
de Paris , qui fe vend chez Prauli pere
; par M. l'Abbé le Beuf , pour réparer
l'omiffion qu'on a faite du mot Diocèle
dans la premiere indication que nous en
avons donnée le mois paffé , p. 129 , nous
ajouterons que ces trois derniers volumes
font dignes des premiers, & qu'on ne peut
fçavoir trop de gré à leur fçavant Auteur
des recherches laborieufes dont il les a enrichis.
LA NOBLESSE Commerçante, à Londres
, & fe trouve à Paris , chez Duchefue ,
rue S. Jacques, 1756. Le Frontifpice repréfente
un Gentilhomme qui , las de traîner
des jours inutiles dans l'indigence ,
montre un Ecuffon , un cafque d'Armoiries
, & un Parchemin qui contient de
vains titres. Il les abandonne , & va s'embarquer
pour fervir fon pays en s'enrichillant
par le commerce.
Cet ouvrage utile nous a paru écrit avec
´autant de vérité que d'efprit & de force.
170 MERCURE DE FRANCE.
L'Auteur y combat l'injufte préjugé , qui
veut que le Commerce déroge à la Nobleffe.
Il emploie fouvent pour le vaincre les
armes du ridicule , mais fes traits les plus
agréables cachent des raifons folides , c'eft
le bon fens qui fait des Epigrammes , &
qui les fait pour le bien de l'Etat , & voilà
les bonnes. Cet Ecrivain plein de feu &
d'agrément , s'exprime quelquefois en Poëte
, mais il raiſonne en Philofophe , calcule
en Géometre , & pour dire encore plus ,
il penfe en Homme , & il écrit en Citoyen.
Le but de fon livre eft d'engager nos Gentilshommes
indigens , pour leur bien être
& pour l'avantage de la Nation , à s'occuper
du Commerce , & de montrer clairement
que de leurs travaux on verra fortir
une culture plus étendue , une population
plus nombreuſe , une conformation plus
forte , une navigation plus grande : il tire
fes preuves du fein de l'expérience , &
puife fes exemples chez nos voifins. Ce
n'eft qu'en les imitant que nous pourrons
les vaincre .
Les terres de leur Nobleffe pauvre étoient
incultes comme celles de la nôtre. Les cadets
qui fe font jettés dans le commerce ,
ont remis en valeur les terres de leurs aînés
, & relevé leurs maifons abattues. En
étendant la culture , ils ont augmenté la
population.
MAR S. 1756.
La pauvreté eft trop fouvent forcée au
célibat ; notre Noblefle l'éprouve en France.
Qu'elle s'enrichiffe par le Commerce ,
elle fe mariera. Une femme eft une charge
dans tous les autres Etats ; mais le Commerçant
trouve dans la fienne une compagne
de fes travaux . Pefer , dit l'Auteur
mefurer , calculer , & c, tout cela n'excede
point la portée du fexe, & quadre fort bien
à l'ordre public ; enforte que fi le Commerçant
manquoit de goût pour le mariage,
il s'y porteroit par raifon , ou par
néceffité. Il va plus loin. Une Nobleffe
pauvre , ajoute -t'il , répand l'indigence &
la ftérilité fur tout ce qui l'environne . Elle
laiſſe en pâturages le pius de terres qu'elle
peut , parce que les pâturages ne demandent
point de frais , & l'augmentation des
pâturages diminue le nombre des hommes.
Elle épargne la culture , & dès - lors
il ne faut pas tant de cultivateurs . Que
deviendront - ils ? ils viennent dans cette
capitale remplir nos antichambres , affiéger
nos tables , & partager notre luxe
perdre l'amour du travail , & les moeurs
de la nature , & s'il n'y a pas affez de maîtres
pour tant de valets , le brigandage eft
leur reffource. La Nobleffe en retiendroit
un grand nombre fur fes fiefs , fi elle avoit
affez de fortune pour les occuper ; & ils
112 MERCURE DE FRANCE.
s'y multiplieroient au lieu de s'anéantir
dans la corruption . Nous dirons encore
avec lui : Défricher de nouvelles terres , c'est
conquérir de nouveaux pays , fans faire
de malheureux . Les Landes de Bordeaux à
Bayonne ont vingt lieues de diametre ; le Légiflateur
qui les peupleroit , feroit plus grand
qu'un Conquerant. Du Commerce naîtroit
encore une plus grande confommation.
L'Auteur déclare à ce fujet qu'il ne prétend
pas
être l'apôtre du luxe , mais qu'il
ne donne ce nom qu'au luxe qui appauvrit
l'état , & qui y eft étranger . Quant
aux fruits de notre crû , aux productions
de
nos fabriques , il eft à fouhaiter , ditil
, qu'il s'en faffe la plus grande confommation
poffible pour alimenter les Arts &
les Manufactures . Celui qui thefaurife eft
un fujet pernicieux , parce qu'il prive
l'état de la circulation qui fait fa vie. L'indigent
qui ne confomme pas , eft au même
niveau delà il paffe à un plus grand
objet , à la Navigation .
L'Angleterre , s'écrie - t'il , a pouffé fa
Nobleffe dans la Navigation , portons- y
la nôtre . Défendons notre Commerce comme
on l'attaque ...... Tirons de cette Nobleffe
des Lieutenans , des Capitaines , des
Armateurs , des Négocians qui couvriront
la mer de vailleaux , & qui arracheMAR
S. 1756. 113
ront aux Anglois la balance du Commerce.
Elle étoit de notre côté il y a quatre- vingts
ans. Qu'arriveroit- il encore , fi on le vouloit
? Ces Officiers de Marine marchande ,
après avoir fait la fortune de l'Etat & la
leur, de quoi ne feroient- ils pas capables en
paffant fur la Marine guerriere ? L'Auteur
prétend que non feulement la premiere eft
la nourrice de l'autre , mais qu'elle lui
ferviroit encore d'école..... C'eft de fon
fein que font fortis les Miniac , les Du
caffe , les Bart , les Dugué - Trouin. Ce dernier
nous apprit que l'expérience vaut
bien la Nobleffe. Notre Ecrivain attaque
enfuite le préjugé. Le Czar Pierre , ditil
, eût plus de peine à couper la barbe
aux Mofcovites , qu'à en faire des hommes.
Le Commerce ne blefferoit- il pas l'honneur
de la Nobleffe ? L'Auteur répond que
cet honneur , tout délicat qu'il eft , porte
la livrée des Grands , fert dans leurs écuries
& dans leurs antichambres . Un titre
de Page , d'Ecuyer , jette un vernis fur ces
fonctions domestiques. S'il ne faut que des
mots pour décorer leCommerçant en faveur
de la Nobleffe , notre langue en fournira.
d'autant plus facilement que le Commerce
ne préfente rien de fervile ; il ne dépend
de l'état & de lui-même. Mais que
deviendroient nos privileges , interromque
114 MERCURE DE FRANCE.
pront nos Gentilshommes , fi nous commercions
ils deviendroient ce qu'ils
font , leur répond l'Auteur. Vous pourriez
, comme auparavant , afficher des armoiries
, & murmurer contre les Bourgeois
qui en prennent ; parler de vos ancêtres
à ceux qui ne vous queftionnent
pas ; ... maintenir votre exemption de la
taille , à condition de payer fous un autre
nom ; prendre le froc ou la guimpe ,
felon votre fexe , dans des Cloîtres nobles ,
pour faire votre falut en gens de condition
; chaffer fans ménagement fur les
moiffons des Cultivateurs , battre , affommer
ces bonnes gens , & en cas de befoin
être décapités au lieu de périr bourgeoifement
par la corde. Il finit
par s'élever
avec autant de force que de folidité contre
la loi de dérogeance . Le Financier ,
dit-il , qui fait un commerce d'argent ,
conferve fa Nobleffe pure & fans tache.
Un Gentilhomme peut faire & vendre du
verre , & il ne pourra pas nous ouvrir
un magafin de draps. Quoi ! l'Efclave
conferveroit fa Nobleffe au milieu
des fervices les plus vils , & l'homme libre
la perdroit dans l'indépendance &
l'honnêteté du commerce ? Laiffons cet
ufage aux Barbares .... Eft il bien vrai .
M. de Servan , s'écrie - t'il , que malMARS.
1756. 115
177
gré vos armoiries , & votre qualité d'Ecuyer
, vous prenez couleur dans une
manufacture naiffante au Puy- en- Velay ?
Eft - il bien vrai que dans cet Hôtel de
commerce , honoré des armes & de la li
vrée du Roi , vous pafferez vos jours dans
des travaux & des productions continuelles
? Vous allez donc former un grand
nombre d'ouvriers , occuper & nourrir
quantité de pauvres familles , répandre de
l'argent dans une province peu fortunée ,
augmenter la maffe des richeffes publiques.
Si avec tout cela vous dérogez à votre
Nobleffe , comment faut- il faire pour la
conferver , ou pour l'acquerir ?
Il nous paroît que la caufe du Commerce
ne pouvoit rencontrer un Avocat plus
éloquent ; & que , fi l'on confulte la raifon
, les fervices que le Négociant rend à
la patrie , la pureté de la fource des biens
dont il l'enrichit , on jugera qu'il n'y a
point d'état qui mérite plus de confidération
que le fien , quoiqu'il foit celui qui
en ait le moins, grace au préjugé gothique
qui nous domine.
Nous finirons avec l'Auteur par cette
apoftrophe à la Nobleffe que la fortune a
maltraitée ; Devenez par le Commerce des
Dieux tutelaires pour vos femmes & pour
vos enfans ; devenez pour la Patrie les
116 MERCURE DE FRANCE.
nourriciers des terres , la vie des Arts , le
foutien de la population , l'appui de notre
Marine , l'ame de nos Colonies , le nerf de
l'Etat , les inftrumens de la fortune publique.
N'est- il pas tems de vous ennuyer
de votre inutilité & de votre mifere ?
Vous craignez le mépris , & vous reſtez
dans l'indigence ! Vous aimez la confidération
, & vous êtes nuls , victimes éternelles
du préjugé qui vous tue ! Le regne de
Louis le Grand fut le fiecle du génie & des
conquêtes. Que le regne de Louis le Bienaimé
foit celui de la Philofophie, du Commerce
& du bonheur.
Ce livre estimable eft de M. l'Abbé
Coyer fi heureuſement connu par
différens
ouvrages , où la Philofophie eft cachée
avec tant d'art fous l'habit des graces
, & les traits de l'enjouement.
VOLGARIZZAMENTO di Saggi fopra diverfe
materie di litteratura è di morale , del
fign. Abbate Trublet, dell' Academia Reale
delle Science Belle - Lettere di Pruffia ,
Archidiacono è Canonico di S. Malo , tradotti
in Lingua Tofcana , da un Accademico
della Crufca . All'illuftriff. fign . Bali,
Conte Luigi Lorenzi , Miniftro di S. M.
Chriftianiffima, alla Corte di Sua M.Cª , in
Tofcana. 2 tom. in - 12. In Firenze , nella
MARS. 1756. 117
Stamperia Mouckiana , con approvazione.
1753.
Nous répétons cette annonce déja faite
dans le Mercure de Mars 1754 , où l'on
trouve auffi la traduction de l'Epître Dédicatoire
, pour avertir que Briaffon a reçu
de Florence des exemplaires de ce livre.
Le même Académicien traduit encore le
troifiéme volume des Effais de Littérature
& de Morale ; & nous ne manquerons pas
d'annoncer cette fuite , auffitôt que nous
fçaurons qu'elle aura été imprimée. Cette
traduction eſt également élégante & fidelle.
Elle a été revue par le feu Comte Allamani
, Seigneur d'un mérite fi diftingué ,
par M. le Bailly Lorenzi , & en grande
partie par l'Auteur même des Effais , &c,
à qui trois ans de féjour à Rome ont donné
une affez grande connoiffance de la
Langue Italienne . Nous penfons que rien
n'eft plus propre à en faire connoître &
fentir les fineffes qu'une bonne traduction
en cette Langue d'un ouvrage François
bien écrit.
LA CARTE annoncée fous le titre
de Canada , Louisiane , & Terres Angloifes ,
en quatrefeuilles , par M. d'Anville , ayant
été retardée d'un mois par la gravûre , eft
aquellement rendue publique , & accom
**
11S MERCURE DE FRANCE.
pagnée d'un Mémoire , par lequel l'Auteur
donne l'analyfe de la construction de cette
Carte.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Monfieur , la lettre qu'un Anonyme
a fait inférer dans le Journal des Sçavans
du mois de Février dernier , au ſujet de
l'Imprimerie , & dans laquelle il paroît
qu'il a eu particuliérement en vue de décrier
la grande édition que l'on fait des
Fables de la Fontaine , eft fi clairement
dictée à cet égard par l'intérêt , le préjugé
, ou l'envie de nuire gratuitement ,
que je ne puis me difpenfer de vous fupplier
de me permettre d'y répondre tour
de fuite par la voie du Mercure. La défenfe
de la vérité & de la juftice m'animent;
& j'efpere que ces motifs donneront
du poids à mes raifons , aux yeax
des perfonnes défintéreffées & vraiment
connoiffeufes dans l'Art de l'Imprimerie.
3
Avant que de commencer l'examen de
la lettre de l'Anonyme , je ferois prefque
tenté de lui demander s'il connoît réellement
le vrai beau ; ce beau fimple que dans
tous les genres un goût particulier & la naMAR
S. 1756 . 112
que ture feule peuvent nous indiquer , &
fi peu de perfonnes font en état de difringuer
; ou fi au contraire , peu favorisé
à cet égard , & fe laiffant trop dominer
par l'habitude , la mode ou la paffion , il
ne prend pas pour ce beau , ce qui n'eft
que fingulier ou nouveau. En effet , je
ferois peut- être d'autant mieux fondé à
lui faire cette queftion , que je vois pref
que à chaque ligne de fa déclamation
qu'il eft plein de préjugés & de faux principes
, ou que fon goût n'eft pas encore
épuré par l'expérience & la refléxion.
>
L'énumération & l'examen que le Critique
fait des différens caracteres employés
à l'impreffion des Fables de la Fontaine
donneroient prefque lieu de croire qu'il
eft verfé dans la connoiffance de l'Art
Typographyque , & qu'il l'exerce peutêtre.
On feroit même porté à penser qu'il
cherche à s'attirer la confiance & le concours
du Public , en décriant tous les Confreres
, & en faifant un étalage faftueux
de toutes les qualités que doit avoir un
bon Imprimeur , & qu'on devroit lui fuppofer
, par conféquent , s'il étoit de cette
Profeffion ; mais avec un peu de refléxion ,
on découvre aisément qu'il n'eft pas à
beaucoup près auffi inftruit qu'il veut le
paroître. Suivons - le dans fes raiſonne
mens.
120 MERCURE DE FRANCE.
Ce qu'il dit d'abord au fujet de la difficulté
qu'il y a de trouver parmi les Ouvriers
de l'Imprimerie , des gens capables
d'exécuter parfaitement un ouvrage , eft
vrai , & la raiſon qu'il en donne eſt trèsjufte
; mais que devoit-il en conclure , fi ce
n'eft qu'il fera impoffible d'imprimer un
ouvrage parfait , & de porter l'Art au
point où il paroît qu'il pouroit être pouffé,
tant que l'Imprimeur , quoique homine de
goût , riche & zélé au point de tout facrifier
pour la perfection de fon Art , ne fera
pas le maître de fon ouvrage. De plus , il
faudroit qu'il fût Graveur, Fondeur, Com
pofiteur & Preffier , qu'il fît auffi fon encre
, & l'on pourroit ajouter fon papier ,
( car chacun fçait combien la belle impreffion
dépend de fa parfaite égalité & de
fes autres bonnes qualités ) & dans ce
cas même il reftera encore loin d'une
exacte perfection , parce qu'il y a de plus
mille circonstances locales , & de la part
des étoffes , qui empêchent qu'on n'y parvienne
, & qu'on ne fçauroit éviter , ni
même fouvent prévoir , comme dans tous
les autres Arts méchaniques : j'en appelle
aux gens inftruits .
» Dès le frontispice de cette grande édi-
» tion des Fables de la Fontaine , on ap-
› perçoit , dit l'Anonyme , des défauts qui
» décelent
"
MAR S. 1756 .
121
.و
93
» décelent le peu de goût des Ouvriers :
les noms des Libraires font renfermés
» par un crochet mal taillé , & celui de
I'Imprimeur eft en petites capitales de
la plus mauvaiſe grace. » En vérité ce
que l'on trouve à redire à ce titre eft de
bien peu de valeur , puifqu'il fe réduit à
un petit acceffoire auquel peu d'yeux s'arrêteront
, & qui d'ailleurs n'eft pas certainement
fi mal que l'Anonyme le voit.
و د
Vient enfuite l'Epitre dédicatoire .....
pour laquelle l'Imprimeur a employé
» un caractere maigre , mal formé & antique
, auquel il a joint des capitales trop
graffes.. Ce caractere antique & maigre
eft cependant d'un de ces Graveurs de réputation
dont l'Auteur a voulu parler
dans fa lettre ; les capitales qu'ony a jointes,
aux termes qu'il emploie , font celics
du caractere même ; eh ! pouvoit- on y en
mettre d'autres ? Ajoute - t'on des lettres
d'un autre corps ou d'un autre Fondeur
dans un ancien caractere , & fi celui ci
pa.
roît un peu maigre , ce n'eft qu'en le comparant
avec les italiques modernes qui pêchent
peut-être par un défaut contraire.
"
Après cela paroît pour l'Avertiffement
» un caractere de Petit- Parangon , fondu
exprès pour cet ouvrage : le mérite ne
confifte pas à faire fondre un caractere
23
F
122 MERCURE DE FRANCE.
93
»
pour une édition ; mais à le bien choifir
, & c'est précisément ce qu'on a oublié
pour celui-ci , qui feroit capable de
» ternir feul cette édition . Quels a ! quels
" g ! quelles r ! quels & ! Qu'on fe donne
» la peine de jetter un coup d'oeil fur
chaque lettre en particulier , on en trou-
» vera plus de la moitié fans graces &
» d'une figure manquée.
ود
ود
On fçait , fans doute , auffi bien que
l'Anonyme , qu'il ne s'agit pas feulement
de faire fondre exprès un caractere pour
faire une belle édition ; auffi ne s'elt - on
déterminé pour celui avec lequel on a fait
les Fables de la Fontaine , qu'après un
examen le plus rigoureux , des effais réitérés
, & une comparaifon fcrupuleufe de
tous les plus beaux Petits- Parangons qui
font en France ; l'Editeur de l'ouvrage ne
s'en eft même pas rapporté à fes luinieres
à cet égard , ni au confeil de fon Imprimeur
; les amateurs les plus éclairés & da
premier ordre , ont été confultés ; ils ont
tous donné leur voix au caractere dont il
s'agit , & iln'a eu la préférence que parce
qu'il eft réellement le plus parfait . En
effet , qu'on examine avec foin les lettres
fur lefquelles l'Anonyme fait des exclamarions
fi grandes , & toutes les autres ,
& l'on verra qu'il y a certainement trèsMAR
S. 1756. 123
peu de chofe , ou même rien à y défirer ,
& que les feules lettres peut - être défectueufes
en quelque chofe , c'eft le p , leg ,
& l'ft , mais elles ont échappé à l'oeil connoiffeur
de notre Critique.
La comparaifon qu'il veut , quelques
lignes après , que l'on faffe du Petit- Paran .
gon avec le Gros- Romain , montre encore
plus diftinctement l'incertitude de fes lumieres.
Que des yeux accoutumés à bien
voir les chofes , & à les juger fainement ,
faffent cette comparaifon , & l'on verra
fice Gros- Romain , quoique le plus parfait
de fon efpece , n'eft pas de beaucoup
inférieur au Petit- Parangon ; quelles capitales
fur-tout ! combien peu de lettres d'un
même oeil & égales dans ce premier caractere
; & malgré la docilité de l'habile
Fondeur qui l'a fait , à fe prêter à toutes
fes corrections que l'on a exigées dans
les poinçons , que n'y trouve- t'on pas à
défirer ! Mais l'Auteur de la lettre fur l'Imprimerie
oferoit - il lui -même , malgré fon
ton affirmatif , fe flatter que dans le nombre
infini de caracteres qui compofent la
caffe , & qui eft même beaucoup plus
grand à préfent que du tems de nos Graveurs
anciens , il fût poffible de trouver
une parfaite régularité ; & y aura-t'il ja-
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
mais un Graveur affez hardi pour fe flatter
de faire près de cent cinquante lettres parfaitement
égales dans leur forme , leur
pente , leur oeil , & kur alignement . Ce
feroit comme fi l'on demandoit autant de
têtes femblables & exactement de la même
grandeur à un Deffinateur ; on fent quelle
en eft l'impoffibilité .
33
33
ود
و و »Onvoitenfuitepourlatableune
italique de Petit - Parangen , fans déliés &
» fans contours gracieux , encore plus imparfaite
que le Romain avec lequel elle
» eft ' affortie ; ce qui rend la compofition
de cette table lourde , péfante & défagréable
. » L'examen des pieces peut encore
faire juger aifément fi l'Anonyme ne
fe trompe pas dans fa décifion : cette italique
eft certainement très- belle , & fort
correcte ; fi elle paroiffoit lourde à quelques
yeux , ce ne feroit que parce que
le noir que jette l'italique plus que le romain
, lui donne toujours quelque apparence
de pefanteur qui n'eft que relative ,
& très fûrement , une italique de Petit- Parangon
dans le nouveau goût , ne feroit
point plus légere , ni d'un contour plus
gracieux ; au contraire étant plus arrondie
& formant des efpeces de petits talons
derriere chaque lettre , elle paroîtroit plus
MARS . 1756. 125
1
pefante. D'ailleurs , quoi qu'en dife l'Anonyme
en plufieurs endroits , je ne crois
pas qu'il foit encore bien décidé parmi
les vrais Connoiffeurs , fi les nouvelles
italiques doivent avoir abfolument à tous
égards la préférence , & ne font plus analogues
au romain que les anciennes , fi elles
font plus naturelles , & fi elles n'ont pas
au moins autant de défauts .
""
ود »Cetteéditioncommencepar
des vers
>> en l'honneur de Monfeigneur le Dauphin.
Voyez ces mots à Monseigneur , &
» vous jugerez tout d'un coup que les let-
» tres qui le compofent ne devoient pas
» trouver place dans un ouvrage d'apparat
» comme celui-ci . » Mais ces lettres qu'ontelles
donc de fi extraordinaire & de fi négligé
Elles font de deux points de Cicero
italique , & gravées par un de ces fondeurs
modernes , dont l'Anonyme loue
tant les nouvelles italiques. « Tous les reglets
qui font à la tête de chaque page ...
font négligés , mefquins , & trop ferrés ;
» il falloit que le trait du milieu fût plus
" gros , que les traits qui l'accompagnent
» fuffent plus fins & plus féparés. » On
pourroit répondre ici ce que l'on a déja
dit au fujet du choix du Petit- Parangon. Les
reglets employés dans cette édition n'ont
été préférés qu'après une comparaifon at-
Fij
126 MERCURE DE FRANCE.
tentive avec d'autres beaucoup plus gras ;
mais pour démontrer à l'Auteur de la let
tre que fon goût n'eft pas encore bien
épuré , examinons ces reglets & l'uſage
qu'on en fait dans l'impreſſion.
Un reglet , ou pour mieux s'exprimer ,
( car l'Auteur ne fe fert pas toujours des
termes propres ) un double ou un triple
filet , fe met ordinairement au haut
des pages d'un ouvrage pour féparer le titre
courant du refte de la matiere , ou bien à
la tête d'un article , ou d'un chapitre , pour
le rendre plus indépendant du difcours
précédent. Mais comme dans l'un & l'autre
cas ce reglet devient, au goût des vrais
Artiftes , abfolument inutile , puifque les
blancs que l'on laiffe , & la différence des
caracteres qu'on emploie aux titres , féparent
affez les matieres , on doit ne le
confiderer que comme un ornement ; &
en effet on met fouvent à fa place des filets
de vignettes. Or , dans ce cas , je demande
fi une page eft véritablement ornée par
un gros trait noir , qui n'a aucun rapport
avec l'oeil du caractere qui eft deffous , &
qui l'écrafe le plus fouvent ? Dans les Fables
de la Fontaine , pour ne pas trop heurter
de front les préjugés , on a fuivi prefque
tous les ufages admis dans l'Imprimerie
; mais comme la plupart font des abus ,
MAR S. 1756 . 127
r
& n'ont aucun bon principe pour fondement
, on ne s'y eft conformé qu'avec les
précautions & les changemens néceffaires.
Les triples reglets qu'on a employés , font
proportionnés au corps du caractere , c'eſtà
-dire que le filet du milieu eft de la même
force que le plein des capitales de deux
points de Petit- Romain qui compofent la
premiere ligne du titre de chaque fable.
Les deux petits filets du côté font du tiers ,
& le vuide qui fe trouve du gros trait à
chacun des petits , eft de la même étendue
que ce gros trait. Qu'on juge à préfent
fi ces triples filets font négligés &
mefquins.
و ر
و د
"
و د
» Les titres particuliers en tête de chaque
fable , ne tranchent pas affez fur le corps
» de l'ouvrage ; ils font en petites capitales
» de Petit- Parangon , qui par leur maigreur
» paroiffent plus petites que les lettres
» courantes qui font au deffous. » L'abus
de faire de grands titres pefans eft encore
un de ceux que l'on a voulu éviter dans
cet ouvrage , où ils auroient été d'autant
plus ridicules que plufieurs des titres des
fables font forts longs : d'ailleurs , il eft
faux que les petites capitales dont il eft
queftion , foient maigres, ni qu'elles puiffent
fe confondre avec le texte : elles s'en
féparent parfaitement bien ; & fi elles pa-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
roiffent légeres , c'eft que , fuivant le bon
goût, & pour leur donner de la grace , elles
ont été efpaciées ; elles font d'ailleurs trèsbelles
& bien formées . » Un autre défaut
» non moins confidérable , ajoute notre
» Anonyme , c'eft que chaque fable com-
» mence par une lettre de deux points plus
»petite que celles qu'on emploie ordinaire-
» ment pour un in - 12 , &c. » On voit par
ces mots que l'Auteur , malgré fes connoiffances
, confond les lettres de deux points &
les lettres montantes , quoique bien différenres
, & qu'il eft en outre plein du ridicule
& peu naturel ufage qu'on avoit anciennement
de mettre toujours des lettres de deux,
trois , quatre , & même fouvent cinq , fix
& huit points , au commencement des
livres , & le plus fouvent à chaque chapitre.
Mais que des yeux accoutumés à
juger des belles chofes , décident encore
ici ; & malgré tous les efforts que la gravure
en bois , & celle en taille - douce
ont faits pour orner ces lettres , en leur
faifant prendre le nom de lettres grifes ,
qu'on juge fi elles ont de la vraisemblance
, & s'il n'eft pas contre tous les principes
du bon goût de placer au commencement
d'un difcours une grande lettre qui
écrafe le caractere qui la fuit , qui femble
ordinairement ne lui point appartenir , &
MARS . 1756. 129
dont le pied eft placé le plus fouvent de
façon à vous porter tout naturellement à
commencer à lire par la feconde , troifiéme
ou quatriéme ligne , vis - à - vis de laquelle
il fe trouve. L'écriture la plus parfaite
, qui a certainement dû être le modele
de l'impreffion , offre - t'elle aucun
exemple de ce goût gothique ? Les belles
pieces d'écriture commencent à la vérité
par une grande lettre , mais elle eſt montante
, elle fort dans la marge , & ne rend
aucune ligne plus courte que les autres ,
elle n'eft enfin ni lourde ni trop grande ;
d'ailleurs , on pourroit encore objecter
que les maîtres Écrivains les y placent autant
par habitude , & pour faire voir la
légereté & la hardieffe de leur main , que
par aucune néceffité . Si l'on eût fuivi en
tout le défir de l'Editeur des Fables de la
Fontaine , & qui eft peut-être celui de tous
les Artiftes , on n'eût mis aucune grande
lettre à la tête des fables; on les auroit commencées
par une fimple capitale de la caffe,
& l'on n'auroit pas fait plus mal. En effet ,
chaque fable , ( & dans un autre ouvrage
chaque chapitre , ) ne fe diftingue - t'elle
pas affez par fon titre , fans avoir befoin
de l'être encore par une chofe extravagante
? Mais en s'éloignant le plus qu'il a été
poffible de l'ufage admis de toute l'Im-
E v
130 MERCURE DE FRANCE.
primerie depuis fa nailfance , & dont
cependant on commence à s'éloigner à
Paris , on n'a pas voulu s'y fouftraire toutà-
fair.
ود
و د
" Dans les faux titres , il fe trouve des
» lettres romaines trop larges ; d'ailleurs
quelle néceffité d'avoir multiplié ces
>> titres comme on a fait. M. de Monte-
» nault dit , ( & cela eft vrai ) que c'eft
»pour éviter le défagrément d'ouvrir le
» livre entre deux pages blanches qui au-
» roient été occafionnées par la rencontre
» des deux dos blancs des Eftampes ».
Que veut dire l'Anonyme par ces lettres
trop larges ? Entend- il qu'elles font trop
larges proportionnellement à leur hauteur?
Il ne les a pas bien examinées , car elles
fort certainement dans un très bon rapport.
En fecond lieu , puifque M. de
Montenault a eu de bonnes raifons pour
faire mettre fi fouvent des faux titres
doit- on reprocher à l'Imprimeur , comme
un défaut , le petit défagrément qui en
réfulre ? & ne doit on pas au contraire
juger par cette chofe , qu'une néceffité
abfolue , ou des fujétions que le Critique
n'a pas ffeennttii ,, ont occafionné une partie
des autres prétendus défauts qu'il releve ?
Si , felon fon confeil , par exemple , on
eût commencé les fables qui ne tiennent
MARS. 1756.
qu'une page , au recto , au lieu du verfo ,
comment auroit- on fait pour celles qui en
auroient tenu deux ? il auroit fallu que
deux planches fe trouvaffent adoffées , &
par conféquent offriffent deux pages bianches
, ce qu'on a voulu abfolument éviter,
& ce qui ne fe trouve point , quoique
l'Auteur l'avance affirmativement. Chaque
eftampe eft placée exactement à la fin de
la fable qu'elle repréfente , de forte qu'a -
près avoir lu la fable , on la voit deffinée
& on la relit , pour ainfi dire , une feconde
fois dans l'Eftampe , & avec beaucoup
plus de plaifir que l'on n'en auroit en en
voyant des figures fans fçavoir ce qu'elles
fignifioient . Comment auroit- on d'ailleurs
agi au fujet des fables qui ont plufieurs
Eftampes ; le premier moment auroit-
il été placé vis - à - vis le recto où auroit
commencé la fable , & auroit-on mis
en rétrogradant les autres momens après :
pas
cet arrangement n'auroit- il été ridicule
, puifqu'il auroit mis le Lecteur dans
le cas d'examiner la derniere Eftampe
avant la premiere ? Feu M. de Boze , homme
reconnu pour le plus fçavant & le plus
zélé amateur de la Typographie , avoit
très-bien fenti tous ces inconvéniens ; &
c'est lui qui décida qu'il falloit placer les
Eftampes comme elles le font. C'est encore
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
d'après les confeils de ce curieux éclairé
qu'on a fait tout ce qu'il étoit poffible
pour rendre cette édition des Fables de la
Fontaine des plus parfaites en fon genre .
Notre Anonyme, qui ne fe laffe point de
décrier le caractere employé à cet ouvrage,
& qui apparemment n'eft point ami du
Fondeur qui l'a fait , y revient encore en
parlant de la nouvelle édition du Poëme
de Lucrece en Italien , & dit que le corps
de ce dernier livre eft d'un caractere beau
& bien choifi , ce qui le rend fupérieur ,
dans cette partie , aux Fables. Cejugement
prouve de plus en plus le fonds que l'on
doit faire fur les connoiffances de l'Auteur
? Qu'on le donne la peine de jetter le
moindre coup d'oeil fur le Saint- Augustin
avec lequel eft imprimé le Lucrece Italien,
on verra que ce caractere n'eft point du
tout en ligne , & que les lettres pour la
plus grande partie , en font infiniment inférieures
, & plus mal deffinées que celles
du Petit Parangon des Fables.
La juftelfe du goût & du difcernement
& l'impartialité de l'Auteur , fe dévoilent
encore quand deux pages plus loin , il
loue M. Gerbault du parti qu'il a pris de
faire graver les principaux titres de fon
Orlandofuriofo ; & convient que fi l'impreffion
de cet ouvrage eft foutenue comMAR
S. 1756.
133
gens un
me celle des huit premieres lignes qui font
fur fon Prospectus , il n'y aura rien de plus
admirable en ce genre . Notre Critique ne
pourra- t'il donc jamais fe figurer que tout
ce qui n'eft point
vraisemblable ou à fa place,
ne fçauroit être abfolument beau , ni de
bon goût. Eft - il naturel que des lettres de
fonte le trouvent mariées avec des lettres
gravées fur cuivre ? Le ton de l'impreffion
en taille- douce peut- il jamais s'accorder
avec celui de l'autre genre ? Les
peu au fait ne fçavent ils pas que quelques
précautions que l'on prenne en faifant
pafer l'impreflion en lettres fous le rouleau
de la preffe en taille - douce , pour y
ajouter les titres ou les vignettes gravées ,
l'impreffion s'écrafe plus à ces endroits
qu'au refte de la feuille , elle y devient nébuleufe
& même boueufe , & le papier
femble prendre un autre ton de couleur
qui fait tache
D'ailleurs plus un ouvrage
eft obligé de paffer dans différentes mains ,
moins il eft parfait , plus il s'en gâte , &
par conféquent plus il en faut rebuter , &
plus il coûte. Car malgré toutes les précautions
que l'on peut prendre pour faire
une belle édition d'un ouvrage , & furtout
d'un ouvrage en vers & plein de fleurons
en bois d'une difficulté infinie à bien tirer,
étant impoffible qu'il n'y ait beaucoup de
134 MERCURE DE FRANCE.
feuilles défectueufes dans quelqu'endroit
il faudroit abfolument en facrifier une
grande quantité ; confidération à laquelle
la plus grande partie du Public , même
des Amateurs , ne voudroit point avoir
égard .
Notre Critique , en finiffant fon examen
de l'édition des Fables de la Fontaine,
ne peut fe difpenfer de rendre à M. de
Montenault la juftice qui lui eft due au
fujet des fleurons en bois dont il a fait
orner cet ouvrage , préférablement aux vignettes
& fleurons gravés en cuivre &
imprimés en taille- douce , dont on a coutume
de remplir les éditions modernes.
On pourroit remarquer à cette occafion
que
fi le but de cet Anonyme n'avoit pas
été uniquement de dire du mal , il auroit
bien dû , ( s'il connoit véritablement l'art
de l'Imprimerie & les difficultés de bien
faire venir la gravûre en bois à côté de la
lettre , ) donner en même tems quelques
éloges à l'Imprimeur pour avoir furmonté
ces difficultés , & pour avoir imprimé ces
fleurons en bois d'une façon bien fupérieure
à tout ce qu'on en voit dans les autres
livres. Mais on n'attendoit pas certe
juftice d'une perfonne dont le but n'eft pas
de reconnoître le mérite , quelque part où
il fe trouve.
MAR S. 1756. 135
Quant à ce qu'il voudroit qu'on n'imprimât
tous les livres qu'avec des caracteres
parfairs & des fontes neuves , fa propofition
eft abfurde. Ces caracteres mis en
oeuvre par des ouvriers médiocres & fur
du papier commun , ne feroient guere plus
d'honneur à l'Imprimeur que des caracteres
vieux ; il faudroit donc encore trouver
& n'employer toujours que d'excellens ouvriers
& de bon papier ; il faudroit auffi
dans ce cas payer les ouvrages moitié d'avantage
; les trois quarts du Public le voudroient
ils , ou même le pourroient- ils ?
Ce malheur eft moins fenfible pour les curieux
& les gens à leur aife , parce qu'on
fait toujours quelque édition extraordinaire
des ouvrages recherchés , & que par
conféquent le grand & le petit , le fçavant
& l'ignorant ne font pas obligés de fe contenter
de la même impreffion , comme le dit
'Anonyme ; fi cet inconvénient a lieu , ce
ne peut être que dans les livres d'Eglife ,
ou de piété,qui fon ordinairement exécutés
avec la plus grande négligence ( comme il
le fçait fans doute très - bien, ) quoique le débit
en foit beaucoup plus prompt , plus
certain , & plus univerfel que celui de tous
les autres ouvrages.
Si j'euffe voulu m'éloigner de mon objet
principal , j'aurois pu reprendre encore
136 MERCURE DE FRANCE.
plus d'une erreur dans la Lettre de notre
Critique ; mais j'aime mieux laiffer le
Public ajouter à mes raifons , que de
paroître en avoir cherché d'étrangeres à
la caufe que je défends .
J'ai l'honneur d'être , &c .
Le fecond volume des Fables de la Fontaine
fe délivre aux Soufcripteurs depuis quelques
jours.
LE MIROIR des Princelles Orientales.
Ouvrage de Madame Fagnan , dont
nous avons rendu un compte favorable
dans le fecond volume du Mercure de
Juin , fe vend actuellement chez Duchefne,
rue S. Jacques.
PRONES fur les Commandemens de
Dieu , par M. Balet , ancien Curé de Gif,
Prédicateur de la Reine , tom. IV & V.
Panégyrique de Saints , par le même , tome
IV. A Paris , chez Prault pere , quai
de Gefvres , 1755. in - 12.
JOMBERT , Libraire rue Dauphine, à reçu
quelques exemplaires de la magnifique
Hiftoire militaire du Prince Eugene de Savoye
, du Duc de Malborough & du Prince
de Naffau-Frife , enrichie des Plans néceffaires
; 3 grands volumes in fol.
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
JETTONS DE
NS D
TRESOR ROYAL
1756
DIGNI
ASSONDREA BRING
HRIST
PHA
JOSE
DIE
CERTA
SPES
PHINA
H
PARTIES CASUZIE
1756
IV
IMILE
MAISON DEMARANG
LA DALPEzyS
L'ANNEE
1756 .
EMPER
INCONCUSSAVIGE
VII
CHA AUX DEN
1756
ARTE
EXTRAORDINAIRE
Das GUERRES
36
INSITA
VI
NOVA
VILI
BOSTEM
MUTAN
ORDINAIRE DES
GUERRES1750
ANIMUM
NON
SEDEM
N
MAIOR
MARINE
COL.FRANC DE
LAM. 1750
XI
TAMUR
CERTIUS
MATISTRY'SDIAO
1756
ONCESSA
XII
VOLUPT
MENU PLAISIRS SAR FILLERIE
3750
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
.
MARS. 1756. 137
ARTICLE I I I.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
MÉDAILLES.
Devises pour les Jettons
du premier
Janvier
1756 .
TRÉSOR ROYAL.
Une corne d'abondance au milieu d'un Ne
cercle ; fymbole de l'éternité.
Légende. Eternitas .
Exergue. Tréfor Royal.
1756 .
PARTIES CASUELLES.
Un ancre .
Légende. Spes certa falutis.
Exergue. Parties cafuelles.
1756.
MAISON DE LA REINE.
Un arbre qui s'éleve au deffus de plufieurs
autres ; il eft orné de guirlandes &
de couronnes.
133 MERCURE DE FRANCE.
Légende. Dignior una coli .
Exergue. Maifon de la Reine.
1756.
MAISON DE MADAME LA DAUPHINE.
Une aigle dans fon aire & deux aiglons
, dont l'un plus fort que l'autre ,
paroît en fortir davantage.
Légende. Laudatur fimili prole.
Exergue. Maifon de Madame le Dauphine
.
1756 .
EXTRAORDINAIRE DES GUERRES.
Un cheval aîlé prenant l'effor.
Légende. Velox arte novâ.
Exergue. Extraordinaire des Guerres.
1756.
ORDINAIRE DES GUERRES.
L'aigle fixant fes regards fur le foleil .
Légende. Hinc fortis in hoftem.
Exergue. Ordinaire des Guerres .
1756 .
CHAMBRE AUX DENIERS .
Un gros chêne au milieu de deux vents
qui foufflent pour l'abattre .
Légende. Semper inconcuffa vigebit.
Exergue, Chambre aux Deniers.
1756.
MAR S. 1756 . 139
MARINE.
Un aigle s'élevant dans les airs, malgré
les vents & l'orage .
Légende. Vis infita major.
Exergue. Marine .
1756.
BATIMENS DU ROI.
La façade du Louvre que l'on répare.
Legende. Mox hofpite digna.
Exergue. Bâtimens du Roi,
1756 .
MENUS PLAISIRS.
Des génies qui fe jouent avec des inftrumens
de mufique & des habillemens
de bal.
Légende. Conceffa voluptas.
Exergue. Menus plaifirs.
1756.
ARTILLERIE .
Un foudre & une épée croisés.
Légende. Meditamur certiùs illum.
Exergue. Artillerie.
1756 .
COLONIES.
Un effain qui fort d'une ruche pour en
aller peupler une autre plus éloignée.
140 MERCURE DE FRANCE.
Légende. Sedem non animum mutant .
Exergue. Colonies.
1756 .
HISTOIRE.
Lettre de M. d'Hozier - de Sérigny , Juge
d'Armes de France en furvivance , adreffee
à l'Auteur du Mercure , en forme de
défi littéraire , fignifié au corps entier de la
Littérature , & fingulièrement à ceux de
ce corps qui s'attachent au genre Diplomatique.
J'ai lu , Monfieur , dans le fecond Volume
de Décembre mil fept cent cinquantecinq
de votre Journal , l'extrait d'une brochure
qui a pour titre , Mémoire critique
Sur un des plus confidérables articles de l'Armorial
Général , ou plutôt des trois derniers
volumes des Regiftres de la Nobleffe
de France , ( ouvrage auquel j'ai ceffé depuis
quatre ans de donner mes foins ) dont
on a rendu compte dans prefque tous les Onvrages
périodiques , & dont je fuis l'Auteur
, c'eft-à-dire , des principaux articles ,
du nombre défquels eft celui- là . Vous vous
êtes contenté d'être le Rapporteur , d'après
ce feul Mémoire , du Procès littéraire que
MAR S. 1756. 141
l'on m'intente , fans avoir examiné dans
mon ouvrage la folidité de mes raifons , fans
doute effrayé de l'étude profonde qu'auroit
demandé cette queftion Diplomatique,
qui en effet dépend d'une infinité de détails
de littérature . Cependant , Monfieur ,
j'aurois été très flatté que vous euffiez voulu
entrer en lice avec moi : la belle réputation
dont vous jouiffez ne vous eût offert
à mes yeux , que comme un adverfaire
dont je me ferois fait honneur. Mais que
j'aille m'engager dans une difpute contre
un homme qui , parce qu'il me voit , &
que je ne le vois point , ofe attaquer ma
bonne foi , & m'accufer de caprice & de
partialité dans ce que j'ai avancé fur le
nom des anciens Seigneurs de Châteaux &
de S. Chriſtophe , je n'en ferai rien : je
veux, avant toutes chofes fçavoir à qui j'ai
à faire , & voir diftinctement où doivent
porter mes coups. D'ailleurs , je ne crains
point que les fauffes imputations d'un
Anonyme faffent la moindre impreffion
fur ceux qui connoiffent mon amour pour
le vrai. Je crois auffi être en droit , fans
trop d'amour- propre , de préférer aux critiques
injurieufes d'un homme qui n'ofe
fe nommer les éloges diftingués & multipliés
que les Auteurs des Journaux des
Sçavans , de Trévoux & de Verdun , ont
donné à mes Ouvrages.
142 MERCURE DE FRANCE .
Le morceau qui en fait partie , attaqué
par le critique Anonyme , eft un de ceux
que j'ai maniés & remaniés diverfes fois ,
faivant les divers degrés de connoiffances
que j'acquérois de jour en jour à meſure
que je me formois dans le genre de critique
Littéraire & Diplomatique. Aufli eftce
un des derniers que j'aie fait imprimer
pour avoir le tems d'y réfléchir davantage ,
& de faire des recherches , quoiqu'il foit
à la tête de mes trois volumes , ayant eu la
facilité de le faire au moyen de ce que
chaque article a fon chiffre particulier. Et
comme c'eſt un de ceux qui m'a le plus
coûté de travail , je dois le défendre avec
plus de vigueur & de vivacité que tout
autre qu'on pourroit attaquer. Mais le
temps eft paffé de fe battre avec cafque &
vifieres fermés : il me faut un adverfaire
connu : j'exige même qu'il foit honorable
; & pour en trouver un au moins de
cette forte , ( mille & dix mille ne m'épouvanteroient
pas tant je fuis fûr de la bonté
de ma caufe , ) je propoſe un défi Littéraire
au corps entier de la Littérature dans
le genre Diplomatique , c'eſt -à- dire , i
tous Membres des différentes Académies
& Sociétés de Lettres qui font dans le
Royaume. Ceux qui par honneur pour le
progrès des Sciences , qui doit être l'uniMAR
S. 1756. 143
que objet de cette difpute , croiront devoir
l'accepter , trouveront les raifons de
mon adverfaire Anonyme expliquées dans
fon Mémoire critique. Quant à mes Ouvrages
qui forment la plus grande partie
des trois derniers volumes des Regiſtres de
la Nobleffe de France , ils font entre les
mains du Public depuis le 23 Avril 1752 ,
jour auquel j'eus l'honneur de les préfenter
au Roi en préfence de toute la Cour ;
& l'article qui eft le fujet de la querelle ,
eft celui qui ouvre le premier de ces trois
volumes.
J'ofe donc défier tout Auteur ou tout
Sçavant , connu & eftimé dans la République
des Lettres , & qui ne fera pas homme
à vouloir cacher fon nom ,
1° . De me prouver par les regles de la
faine critique , celle des Du Chefne , des
Du Cange , des Mabillon , des Baluze ,
&c. que je n'aie pas eu de très-bonnes raifons
pour donner le nom d'Aluye aux anciens
& puiffans Seigneurs de S. Chriftophe
en Touraine , connus très- certainement
depuis l'an 1025 , & même ſuivant
toute apparence dès l'an 978 ; maifon
éteinte vers l'an 1260 .
2°. De ne pas convenir avec moi de la
folidité des raifons que j'apporte pour
avoir droit de rejetter comme abfolument
144 MERCURE DE FRANCE.
faulle la dénomination d'Alés ou d'Alais
donnée fans preuves aux anciens Seigneurs
de S. Chriftophe , par des Ecrivains trop
modernes, & qui vifiblement fe font copiés
les uns les autres ; fi modernes , que
le plus ancien d'entr'eux n'est autre que
l'Hermite Souliers qui écrivoit en 1665 ,
Auteur décrié par les fauffetés fans nombre
dont fon ignorance a infecté notre
Hiftoire Généalogique.
3°. D'infirmer les principes que j'ai pofé
pour que deux familles n'en faffent qu'une
, ou ( ce qui revient au même ) pour que
l'une foit un vrai rejetton de l'autre.
4°. De trouver à redire à l'application
que j'ai faite de ces principes à la famille
d'Alès de Corbet , originaire de Touraine,
établie dans le Bléfois , & dans le Dunois ;
famille ( & non Maiſon ) dont le premier
nom eft Alès fans article , ce qui ſeul devoit
être capable de lui interdire pour toujours
l'idée de pouvoir appartenir aux anciens
Seigneurs de S. Chriftophe , quand
bien même il feroit auffi vrai qu'il eft faux
que ces Seigneurs ayent jamais été appellés
d'Alès , foit de leur vivant , foit même
au deffus de l'an 1665 ; famille cependant
diftinguée par des fervices militaires , &
qui a contracté des alliances honorables ,
entr'autres celles de Brifay - Dénonville &
de
MARS. 1756. 145
de Courtarvel , Maifons d'ancienne Chevalerie
, & qui fur cet article n'auront jamais
de difpute avec moi : famille enfin
qui , quelques recherches qu'elle ait faites
jufqu'ici , n'a rien à montrer dont elle
puiffe fe faire honneur au-delà d'un ( 1 )
( 1 ) Page 3 de l'Article d'Alès - de Corbet , j'ai
écrit que « ce Jean Alès , Seigneur de Corbet ,
» étant Homme d'Armes en 1452 , c'est - à- dire
» fervant alors dans l'une des quinze Compa-
>> gnies d'Ordonnances créées par Edit du Roi
Charles VII en 1445 , pour la réforme de la Gen-
» darmerie Françoife , c'étoit une raison de croi-
» re qu'il pouvoit être noble d'extraction ; » & je
me fuis appuyé du témoignage du Pere Daniel
qui dit dans fon Hiftoire de la Milice Françoife
(Tome 1, page 210 ) « que les Gendarmes étoient
Gentilshommes , & qu'ils l'étoient tous encore
» fous le regne de Louis XII . ) » J'ignorois alors
ce que le fçavant Auteur du nouvel Abrégé Chronologique
de l'Hiftoire de France m'a appris
depuis. Voici fon texte. (*) « Tous les Hom-
» mes d'Armes étoient Gentilshommes du tems
» de Louis XII , c'eft-à-dire tous ceux qui com-
» pofoient les Compagnies d'Ordonnances ; ma's
» il ne faut pas entendre par les Gentils-
» hommes d'alors , les Gentilshommes iffus de
» race noble. Il fuffifoit, pour être réputé tel, qu'un
» homme né dans le Tiers - Etat fît uniquement
» profeffion des armes , fans exercer aucun autre
» emploi : il fuffifoit à plus forte raifon que cer
» homme né dans le Tiers- Etat eût acquis un fief
» noble qu'il deffervoit par fervice compétent ,
( * ) Tome II , page 573 , Edition de 1756 .
G
146 MERCURE DE FRANCE.
Jean Alès , ( & non d'Alès ) Ecuyer , Seigneur
de Corbet en partie par fa femme ,
& en partie par acquifition , Homme
d'Armes en 1452 , fixieme ayeul de Pierre
d'Alès, dit l'Abbé de Corbet , Prêtre & Chanoine
de l'Eglife Cathédrale de Blois , aujourd'hui
chef de la branche aînée de la
famille , pere de M. d'Alès , Lieutenant
des Maréchaux de France au Bailliage de
Blois , ci -devant Lieutenant dans le Régiment
de la Vieille-Marine .
Ici , Monfieur , je ine dépouille de ma
qualité de Juge de la Nobleffe pour ne
prendre que celle d'Historien ou d'homme
de Lettres ; & afin d'encourager ceux qui
pourroient refufer le combat , par cette
feule raifon que la querelle ne regardant
que la famille d'Alès - de Corbet , leur paroîtroit
peu importante , je les prie d'obferver
que cette caufe eft cependant celle
de laLittérature entiere ; que l'Auteur anonyme
ne raifonne que fur des principes
faux , qui n'iroient pas moins qu'à nous
c'est - à - dire qu'il fuivit fon Seigneur en guer
» re , pour être réputé Gentilhomme . Ainfi done
>> alors on s'ennoblißoit foi - même ,& on n'avoit
» befoin ni de lettres du Prince , ni de poffeder
» des offices pour obtenir la nobleffe : un homme
» extrait de race noble , & le premier noble de
fa race, s'appelloient également Gentilshommes
» de nom & d'armes » .
MAR S. 1756 . 147
replonger dans l'abyfme ténébreux , dont
nous ont tirés tant de grands hommes du
fiecle dernier , entr'autres ceux que j'ai
nommés plus haut ; que ce font leurs manes
qu'il faut venger ; qu'il eft très - intéreflant
de ne pas laiffer éteindre le flambeau
de la critique ; que c'eft pour nous
le feu des veftales à entretenir ; qu'avec
les lieux communs dont fe fert l'Auteur
anonyme , & qu'il a encore le malheur
d'appliquer mal , & avec fes principes il
n'eft point de Gentilhomme de 200 ans ,
plus ou moins , qui ne pût prétendre à la
plus haute ancienneté , & aux origines les
plus illuftres, fur une identité , ou même fur
une reffemblance , fur une approximation
de nom telle quelle ; enfin , que c'eſt la
caufe de la haute Nobleffe du Royaume ,
plaidée contre celle qui lui eft beaucoup
inférieure , comme l'eft celle de la famille
d'Alès - de Corbet.
Au refte , Monfieur , dans tout ce que
je viens de dire , je ne prétens pas avoir
répondu au Mémoire critique : il faudroit
le redreffer prefque à chaque ligne , & je
ne le ferai que dans le cas où il fe préfenteroit
quelque adverfaire , tel que je l'ai
exigé en toute juftice vers le commencement
de cette lettre. Me conviendroit- il
de prendre un autre parti dans quelque
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
circonftance que ce fût ; mais aujourd'hui
furtout que je dois tout mon tems à la
commiffion de confiance & importante
dont Sa Majesté m'a honoré depuis près
de trois ans , & qui me conftitue le Juge
de la Nobleffe des cinq cens Eleves de
l'Ecole Royale- Militaire , fous le titre de
Commiffaire du Roi pour la vérification
des Preuves de leur nobleffe.
Cependant dès aujourd'hui j'attaque le
Critique fur deux obfervations de fon
Mémoire , parce que fans cela je craindrois
qu'elles ne fiffent quelque impreffion
fur l'efprit de certains lecteurs qui lifent
communément fans réflexion .
Je m'éleve donc avec force , 1 °. contre
ce qu'il dit d'un Geoffroi de Ales d'une
charte de Saintes . Selon lui , j'ai employé
par malice cette charte dans le s. des
d'Alès , Alès , &c. en général . Hugues ,
( de Aluia ) dit-il , ( ou de Aloia , de Aludia
, de Aleia , III du nom , ) Seigneur de
S. Chriftophe , vivant en 1062 , eut un
fils nommé Geoffroi , qui fut préfent à
une charte antérieure à l'an 1081 , & qui
peut bien être le même que le Geoffroi de
Aleia de l'an 1 122. C'eft auffi , felon l'obfervation
du Critique, le même que le Geoffroj
de Ales de la charte de Saintes. Donc ,
conclut- il , le nom d'Alès eft celui qu'ont
MARS. 1756. 149
porté les Seigneurs de Saint Chriftophe.
Il y auroit fur cela , Monfieur , bien.
des chofes à dire , & certainement trop
pour pouvoir entrer dans cette lettre . Cependant
je ne craindrai point d'avancer
que c'eft- là l'endroit le plus abfurde du
Mémoire critique , ainfi que celui d'Adelaïs
, foeur de Geoffroi de Aleia , en confondant
celui- ci avec le Geoffroi de Ales
de la charte de Saintes , & en foutenant
que l'autre eft celle qui a donné fon nom
à la Ferté- Alès. Encore une fois , Monfieur,
ces deux endroits demandent une réponſe
d'un fi grand détail , que ce feroit excéder
les bornes d'une fimple lettre ; mais du
moins , je ne puis m'empêcher de vous fai
re obferver en deux mots , que j'ai raiſon,
aujourd'hui plus que jamais , de diftinguer
le Geoffroi de Aleia , fils de Hugues III ,
du Geoffroi de la charte de Saintes ,
puifque je fuis en état de prouver qu'il y
a grande apparence que le vrai nom de
celui - ci étoit de Claers , & non de Ales ,
comme je l'ai fuppofé fur la foi d'une
fimple note que j'ai eue de cette charte
de Saintes.
Le fecond endroit du Mémoire critique
que j'ai ici en vue , & contre lequel je
reclame hautement les lumieres & l'équité
de nos Sçavans , eft celui qui regarde le
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
Johannes d'Alée de la charte de 1225:
L'Anonyme chante ici victoire en ces termes
: Une charte de Jean II ..... eft
» bien plus préciſe. Ego , dit - il , parlant
» lui - même , Johannes D'ALE E ; on ne
» dira pas qu'il fe foit trompé , &c. » Non ,
Mais en rabaiffant ce ton de fuffifance de
l'Auteur du Mémoire , on lui fignifiera
que cet Ego n'eft point du texte de la charte
; & que quand il en feroit , il ne prouveroit
nullement que c'eft Jean II luimême
qui parle. Ne faut- il pas être bien
peu verfé dans la Diplomatique pour ignorer
que la Nobleffe de ce tems- là fçavoit
peine figner fon nom ? qu'il lui étoit
même inutile de le fçavoir , du moins par
rapport aux chartes ? S'agiffoit- il de faire
expédier quelque donation à un Noble ,
Chevalier ou autre ? un Prêtre , un Clerc ,
on un Notaire dreffoit l'acte ; on le portoit
enfuite au donateur qui , pour le rendre
authentique, y appofoit fon fceau ; &
ce fceau , c'étoit fa fignature , parce qu'alors
l'ufage étoit de ne point figner autrement
: Or ce Clerc , ce Notaire , ce
Prêtre devoit fouvent eftropier le nom
propre ; & ce vice d'écriture devoir dominer
, fartout lorfque ce nom n'étoit point
d'ufage dans la fociété . Les Seigneurs de
Châteaux & de S. Chriftophe étoient conMAR
S. 1756. Ist
nus dans le Public fous le nom de leurs
Terres ; & delà le nom de Alea qui leur
eft donné par altération au lieu de de Aluia
dans deux chartes des années 1218 &
1219 ; delà auffi le nom François Dalée ,
c'est - à-dire d'Alée , dans celle de 1225 :
car c'eft précisément le même que le latin
de Alea. Je laiffe là les autres variations.
qui expriment le nom d'Aluye , puifque la
Terre de ce nom a éprouvé les mêmes viciffitudes.
Ce ne font donc pas les Notaires de ce
tems là ( & ceci , comme nous ne le voyons
que trop , doit s'appliquer aux Notaires
& aux gens de pratique de ce tems- ci même
) qui doivent nous déterminer fur la
vraie façor. d'écrire les noms de ceux pour
lefquels les actes étoient dreffés . C'eft à
la fignature de ceux-ci , ou , ce qui revient
au même, à leurs propres fceaux. Il est vrai
que la charte de l'an 1225 du Johannes
D'ALEE ne nous repréfente pas aujourd'hui
fon fceau , parce que ce fceau a été
arraché ou s'eft perdu mais nous avons
l'équivalent. Le même Jean eft appellé
dans une charte de l'an 1218 de Alea ;
voilà bien le D'ALEE du titre de l'an 1225.
Cette charte de 1218 a un fceau : ce fceau
eft très bien confervé ; & on y lit très-
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
diftinctement de Aluia , quoique le Clerc
qui a dreffé l'acte ait mis en tête de Alea.
Ce de Aluia de la légende du fceau eft
équivalent à la fignature de Jean . Donc
c'eſt à ce dernier mot qu'il faut s'en tenir
pour déterminer le véritable furnom & du
même Jean II , & de tous les anciens Seigneurs
de S. Chriftophe.
A l'égard d'Adelais , & de quelque partie
même que ce foit de mon Article D'ALUYE
, je ne refufe point d'entrer en lice ,
s'il le faut ; j'en ai propofé même le défi
à quiconque voudra l'accepter , pourvu
que ce foit un Adverfaire honorable , tel .
que je l'ai demandé. Et pour lui donner
dès- à- préfent une premiere connoiffance
de mes preuves , avant qu'il fe donne la
peine de lire l'Article en entier , je vais
en expofer ici le précis , en me bornant
néanmoins aux principales.
1 °. Le nom des anciens Seigneurs de S.
Chriſtophe ayant effuyé les mêmes viciffitudes
que le nom de la Terre D'ALUYE ,
fituée fur le Loir , au Diocèſe de Chartres,
je leur ai donné, par cette raifon , le nom
D'ALUYE. Cette Terre eft appellée dans
les anciennes chartes de Alluya , de Aloya,
de Alogia , de Alodia , de Aleia ; & les différentes
chartes qui concernent les SeiMAR
S. 1756. 153
gneurs de Saint Chriftophe , les appellent
auffi de Aluia , de Aludia , de Aloya , de
Alodia , de Aleia , &c.
2º. Indépendamment des chartes , nous
avons le double témoignage de l'ancien
Hiftorien des Comtes d'Anjou , & de l'ancien
Hiſtorien des Seigneurs d'Amboiſe
qui vivoient l'un & l'autre vers l'an 1150.
L'un parle de Hugues II , Seigneur de S.
Chriftophe , fous l'année 1025 ou environ
; l'autre parle de Hugues III , Seigneur
de la même Terre , fils du précédent ; &
tous les deux les appellent de luia,
3°. Il y a un titre François de l'an 1260
ou environ , le feul qu'on ait dans cette
langue , & dont j'ai vu l'original qui eft
confervé dans le Tréfor des chartes. C'eft
un acte dreſſé dans le tems où les anciens
Seigneurs de Saint Chriftophe ont fini . Il
concerne Marguerite , héritiere des Baronnies
de Châteaux & de S. Chriftophe
fille de Hugues VI , nommé fur les titres
de Aleia ou de Aloya , & fur fon fceau de
Aluia ; & ce même Hugues eft appellé
D'ALUE dans cet acte François.
4°.On a deux fceaux différens de Jean II,
Seigneur de S. Chriftophe , & un autre de
Hugues VI fon fils , le dernier mâle de
cette Maifon qui ait été Seigneur de Saint
Chriftophe ; & für ces trois fceaux qui
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
pendent à des chartes des années 1218 ,
1239 & 1245 , la légende qui eſt autour ,
porte de Aluia très - diftinctement . Or ceci
feul doit paffer pour décifif. Les noms s'alterent
infenfiblement dans les actes , parce
que des Notaires différens fuivent différentes
ortographes . Mais il n'en eft pas
de même des fceaux , dont l'écriture eft
permanente ; celui du pere paffe au fils ,
il fert à plus d'une génération ; & communément
il n'y a que le nom de baptême
à changer , s'il fe trouve différent. Sur les
fceaux de Jean II , & de Hugues VI fon
fils , Seigneurs de Châteaux & de Saint
Chriftophe , on fit & il eft impoffible de
lire autrement que de Alnia. Si nous avions
leur propre fignatare , ne feroit- ce pas de
quoi décider la question de maniere à
n'y plus revenir ? Mais leurs fceaux en
tiennent lieu , & prouvent que s'ils avoient
figné eux mêmes , c'eft abfolument de
Aluia qu'ils auroient figné ; d'où il s'enfuit
que c'eft à ce dernier nom qu'il faut s'ar
rêter plus qu'à tout autre Or de Aluia
peut -il ne pas fe traduire en François par
d'ALUYE?
5. Et il faut bien remarquer qu'au
moyen de ces fceaux le nom de Aluia s'eft
toujours confervé fans altération depuis
Hugues de Alnia , Seigneur de S. ChriftoMARS.
1756. 155
>
phe qui yivoit en 1025 , ainfi appellé par
l'ancien Hiftorien des Comtes d'Anjou
jufqu'au tems où ont fini ces Seigneurs ;.
car ceci foutenu par le titre François d'environ
l'an 1260 , où Hugues VI eft appellé
D'ALUE , forme une démonſtration à
laquelle il n'y a que l'ignorance ou la mauvaife
foi qui puiffe refufer de fe rendre.
A des preuves de cette force , qu'oppofe
donc mon Adverfaire anonyme ? Voici
un échantillon de fes objections ; je ne
choifirai pas les plus foibles.
Il y a , dit- il , un Jean de Aluya Ecuyer ,
nommé dans un acte fans date , arrierevaffal
de l'Evêque d'Orleans ; il y a auſli
un Enguerrand de Allogio , du Bailliage
d'Orléans en 1272 ; & il y a un Pierre
D'ALLES OU D'ALES , auffi du Bailliage
d'Orléans en 1338. Donc , conclut-il , de
Aluya & de Allogio , c'eſt D'ALE's ; & cela
parce qu'il y a eu des collatéraux des anciens
Seigneurs de S. Chriftophe , & que
ces trois-ci doivent être du nombre . Voilà
ce que le raifonneur anonyme appelle
un raiſonnement. Faut- il après cela être
furpris de lui entendre dire qu'il n'entend
rien à ma Logique ? A l'occafion de ce
Pierre D'ALLES ou D'ALES qui n'appar
tient en aucune maniere , ni à Jean de
Aluja , ni à Enguerrand de Allogio , com-
Gvj
155 MERCURE DE FRANCE.
ci
me on ne voit pas non plus que ces deuxappartiennent
l'un à l'autre , j'ai eu tort
de ne pas obferver à la page 46 de l'article
d'Aluye , qu'on ne peut pas déterminer
fi c'eft D'ALLES précisément qu'il faut
l'appeller , ou D'ALLE'S avec un accent ,
parce que les accens ne paroiffent point ,
ou ne paroiffent que très rarement dans
les actes de ce tems -là ; & cependant cette
difference de prononciation qui indique
nécellairement une différence de nom , indiqueroit
aufli néceffairement une différence
de famille.
Il y a eu , pourfuit le Critique , un
Geoffroi , fils de Hugues de Aloia III du
nom , & on trouve un Geoffroi DE ALES
en 1153 ; donc c'eft le même Geoffroi :
donc de Aloia n'est autre que D'ALE'S. Il
faut avouer que la Logique dont je me
fers , ne tire point de pareilles conféquences.
Mais indépendamment de cela , fi ce
Geoffroi DE ALES s'appelloit en effet DE
ALES fans accent , au lieu de D'ALE'S
avec un accent , fi même au lieu de D'ALE's
il s'appelloit DE CLAERS , comme je
l'ai obfervé plus haut , que devient le raifonnement
de l'Anonyme , qui fans tout
cela, & par lui -même, n'étoit déja que trop
faux ?
Il y a eu , dit- il encore , une Adelaïs ,
MARS. 1756. 157
fille du même Hugues 111 de Aloia ; &
( felon lui ) « c'eft elle qui a laiſſé ſon
» nom de famille à la Ferté- ALE's ; donc
» de Aloia , c'eſt D'ALE'S . » Ici ce n'eft
point la conféquence que j'attaque , c'eſt
le principe même que je nie , jufqu'à ce
qu'on le prouve ; & je défie qu'on en puiffe
jamais trouver la preuve . J'ai déja dit que
c'étoit là un des endroits les plus abfurdes
du Mémoire critique.
Continuerai je de paffer en revue les
objections de l'Anonyme ? L'Hermite -Souliers
, dit-il , ( qui écrivoit en 1665 ) &
plufieurs autres Auteurs , des faifeurs même
de Dictionnaires , qui ont tous écrit
après lui , donnent aux anciens Seigneurs
de Sainthriftophe le nom de D'ALE'S ;
donc c'eft là leur véritable nom . L'Hermite-
Souliers n'étoit point capable d'inventer
une tradition ; donc il y avoit une tradition
réelle qu'il a fuivie en donnant à
ces anciens Seigneurs le nom de D'ALE'S.
Le Pere le Long dit que Carreau ( mort
en 1708 ) a travaillé avec beaucoup de
foin ; donc il faut croire Carreau lorfqu'il
dit que ces Seigneurs s'appelloient d'ALAIS.
L'Hermire- Souliers écrit D'AL E'S,
Carreau au contraire écrit D'ALAIS ; donc
celui - ci n'a pas copié l'autre . ALOYE eft
un des noms François de la terre d'Aluye ;
18 MERCURE DE FRANCE.
donc dans ce texte Latin d'un hommage
rendu par Marguerite Reine de Jérufalem ,
Terram noftram Alloye , Braioci , Balochie ,
&c. Alloye eft du François. Il ne paroît
perfonne du nom D'ALUXE , ni fur aucun
rôle de Ban ou Arriere- Ban , ni ...
Mais en vérité , c'en eft trop ; & j'abuſe
de votre patience. Il faut cependant que
je vous falle part encore d'une nouvelle
découverte que je viens de faire , très-importante
dans la querelle préfente.
«
Vous fouvenez- vous , Monfieur , qu'à
la page 7 du Mémoire critique , l'Anonyme
dit , qu'il étoit aisé à l'Hermite-
Souliers de tirer des lumieres de l'Abbé
» de Marolles , Abbé de Villeloin , qui en
» avoit beaucoup dans ces matieres , &
» qui indépendamment des ouvrages imprimés
en avoit compofé quatre volu-
» mes in-folio ( M. SS . ) que je ne parois pas
" connoître. » Il s'agit là , Monfieur , de
fçavoir fi j'ai bien ou mal fait de fubftituer
le mot François D'ALUYE plutôt que d'ALE's
, au mot Latin de Aluia ; ou plutôt fr
'Hermite- Souliers eft en effet le premier
qui ait traduit de Aluia par D'ALE'S , &
s'il n'auroit pas été prévenu en cela par le
fçavant Abbé de Marolles. J'ai donc fait
la recherche des ouvrages de cet Abbé.
J'ai trouvé entr'autres fa traduction de
MAR S. 1756. 159
l'ancien Hiftorien des Comtes d'Anjou , &
de l'ancien Hiſtorien des Seigneurs d'Amboife
, qui vivoient l'un & l'autre vers
l'an 1150 , traduction qu'il avoit faite
dit- il lui-même , dès l'an 1666 , & qu'il
ne fit cependant imprimer qu'en l'année
1681 , qui fut celle de fa mort. Or voi
ci , Monfieur , ce que j'y ai découvert .
A la page is , l'Abbé de Marolles parlant
de Hagues II , Seigneur de Châteaux
& de S. Chriftophe , qui vivoit vers l'an
1025 , nommé de Aluia par l'Hiftorien
Latin , l'appelle Hugues D'ALLUYE ; &
remarquez , je vous prie , Monfieur , que
cet Abbé fçavoit bien ce que c'étoit que la
Terre de S. Chriftophe , & qu'il en parle
comme un homme parfaitement inftruit ;
car à la page 108 , dans une note relative
à cette page 28 , il ajoute que la Baronnie
de Saint Chriftophe a aidé de notre temps
à faire la Duché de Vanjour pour Madame
de la Valiere ; fon château fiué entre Amboife
& Tours.
A la page 78 , parlant de Hugues 111 ,
fils de Hugues II , nommé aufli de Aluia.
par l'Hiftorien Latin , & qui vivoit en
1062 & 1085 , il l'appelle Hugues D'ALUYE.
A la page 79 , parlant de Jean I , préfumé
fils de Hugues III , vivant en 18 ,
160 MERCURE DE FRANCE.
& nommé de Aloia dans l'Hiftorien Latin ,
il l'appelle Jean D'ALUYE.
A la page 154 , parlant de Hugues IV,
fils de Hugues III , vivant auffi en 1118 ,
& nommé de même de Aloia dans l'Hiftorien
Latin , il l'appelle deux fois Hugues
D'ALUYE.
Aux pages 171 , 172 & 176 , parlant
d'André I , fils de Jean I , ou de Hugues
IV , vivant vers l'an 1155 , & nommé de
Aluia par l'Hiftorien Latin , il l'appelle
André D'ALUYE , OU D'ALUYE .
Voilà donc huit fois de fuite que l'Abbé
de Marolles , fans fe démentir , donne
le nom D'ALUYE aux anciens Seigneurs
de Châteaux & de Saint Chriftophe , nommés
en Latin de Aluia & de Aloia. Que
ne l'ai - je fçu dans le temps , Monfieur ,
c'eft à-dire pendant que je compofois l'Article
D'ALUYE ? J'en aurois bien fait mon
profit ; & c'est ce qui prouve à quiconque
connoît le coeur humain , que je n'en avois
alors aucune connoiffance. Graces foient
rendues à l'obligeant Anonyme , de m'avoir
mis fur la voie pour le mieux combattre
il s'eft enferré là lui même. Mais
fouffrez , Monfieur , que je ne termine
point cette lettre , quoique déja affez longue
, fans faire encore quelques réflexions
fur l'imprudence avec laquelle il m'a renMARS.
1756. 161
1
voyé à l'Abbé de Marolles .
1°. L'Abbé de Marolles étoit un hom
,
me de qualité , de la province de Touraine
, c'est - à- dire de celle où les d'Aluye
exiſtoient il y a cinq cens ans , & où les
d'Alès -de Corbet ( Alès dans l'origine ) faifoient
leur demeure avant que d'aller s'établir
dans le Dunois & le Biéfois. L'Abbé
de Marolles fe
connoiffoit en gens de qualité
, il avoit , felon l'Anonyme même
beaucoup de lumieres dans les matieres généalogiques
, & ( pouvoit- il ajouter encore )
le tait fin enfait de nobleffe , comme il le dit
de la Roque & de Ménage ? Nous avons
fes
mémoires imprimés en 1656. On y
lit ( pages 83 & fuivantes , 252 , 25· 3 &
254 ) une longue
énumération des gens
de qualité ou des familles de Nobleffe diftinguée
de fa province y réfidentes alors ,
ou tranfplantées dans d'autres provinces. Il
en nomme plus de cent foixante , & il n'y
eft fait aucune mention de la famille d'Alès-
de Corbet , quoique de fon tems ceux
de cette famille jouaffent un rôle plus
brillant qu'ils ne font aujourd'hui . Mais
faut-il s'en étonner ? il ne leur connoiffoit
que deux cens ans de nobleffe prouvée
peut-être n'avoit - il fous les yeux qu'une
fentence de l'Election de Châteaudun , de
l'an 1634 , par laquelle René d'Alès II°
162 MERCURE DE FRANCE.
du nom , Seigneur de Corbet , Gouverneur
de Chambort & de Châteaudun ,
Ecuyer ordinaire de la Petite Ecurie du
Roi , & Gentilhomme ordinaire de fa
Chambre , fut maintenu dans les privileges
des Nobles comme iffu de noble lignée ,
fur la repréfentation de les titres produits
feulement depuis Charles d'Alès " fon bif.
ayeul , Ecuyer , Seigneur de Corbet , qui
étoit Archer des Ördonnances du Roi en
1-491 , & dont la ( 1 ) femme fur Gouvernante
des enfans du Connétable de Montmorenci ,
qualité qu'elle avoit fur fon épitaphe qui ſe
voyoit encore dans l'Eglife des Cordeliers
de Senlis , le 16 Août 1636 , date d'une
lettre écrite à mon bifayeul par ce même
René d'Alès . Il remontoit dans cette lettre
jufqu'au pere de Charles : mais ce pere
nominé Jean Ales , ne va pas plus haut
que l'an 1452 , tems où il fervoit en qua-
( 1 ) Elle s'appelloit Madelene du Ceps , ou du
Cès , ou encore du Saiz , &c . L'anciennété de la
maifon du Saix en Breffe ( dont les Seigneurs
d'Arnens qui exiftent encore aujourd'hui , ) maifon
que Guichenon ( Auteur véridique ) appelle
illuftre , & qu'il fait remonter jufqu'à Hugues du
Saix , Chevalier , vivant en 1080 , juftifie le défir
qu'a la famille d'Alès-de Corbet , que la femme
de Charles d'Alès foit du fang de ces anciens Gentilshommes.
Le fait eft poffible ; mais il n'eft pas
démontré.
MARS. 1756. 163
lité d'Homme d'Armes . Il n'y avoit rien
dans tout cela d'affez frappant pour engager
l'Abbé de Marolles , hommeéclairé ,
(P'Anonyme en convient lui - même ) à
donner rang , il y a cent ans , à la famille
d'Alès - de Corbet parmi la Nobleſſe ancienne
& diftinguée de fa province.
2. Comment néanmoins auroit - il
pu
s'en difpenfer, s'il les avoit cru être véritablement
du fang des anciens Seigneurs de
Châteaux & de Saint Chriftophe , connus
dès l'an 1025 , & même très -vraisemblablement
dès l'an 978 Il connoiffoit MM.
d'Alès - de Corbet , & il ne pouvoit pas ne
les pas connoître , puifqu'il étoit de Touraine
auffi -bien qu'eux , & qu'il les voyoit
à la Cour , étant homme de Cour lui-même.
Claude de Marolles fon pere , & René
d'Alès II du nom , Seigneur de Corbet
, étoient l'un & l'autre & dans le même
tems Gentilshommes ordinaires. L'Abbé
de Marolles devoit fçavoir que l'Hermite-
Souliers dans fon Nobiliaire de Touraine
avoit appellé d'Alès les anciens Seigneurs
de Saint Chriftophe pour faire
honneur à la famille d'Alès - de Corbet . Il
avoit tamaffé lui-même beaucoup de titres
& de matériaux pour compofer une hiftoire
de Touraine ; & dans ce deffein il avoit
vifité les Abbayes de cette province , entr'autres
celle de la Clarté- Dieu , près S.
164 MERCURE DE FRANCE.
Chriftophe , dont il dit avoir vu les titres
( page 82 , de fa traduction de l'Hiftoire
d'Anjou , ) celle là même ( remarquez bien
ceci ) d où j'ai tiré tant de chartes pour
la compofition de l'Article D'ALUYE , & OÙ
fe trouve entr'autres celle de l'an 1225 ,
qui fait mention duJohannes D'ALE'E dont
l'Anonyme fe prévaut tant , & fi mal à
propos. Enfin l'Abbé de Marolles a compofé
fon ouvrage un an après que celui
de l'Hermite- Souliers a vu le jour . Il a
encore attendu quinze ans avant que de
le faire imprimer ; c'en étoit bien affez
pour faire les réflexions , & pour corriger
La traduction fur celle du Nobiliaire de
Touraine , s'il avoit cru devoir le faire ;
car c'eft là le dernier fruit de fes veilles ,
& il n'a voulu le donner au Public que
dans fa maturité. Cependant il n'a rien
corrigé ; il a laiffé là le D'ALE's de l'Hermite
Souliers , & s'en eft tenu conftamment
au mot D'ALUYE qu'il a répété
jufqu'à huit fois. Que conclure de tout cela
, Monfieur bien des chofes , mais entre
autres que la tradition prétendue de l'Abbaye
de la Clarté, fuivant laquelle de Alnia
n'eft autre chofe que D'ALE's , ou n'exiftoit
pas du tems de l'Abbé de Marolles qui
eft le même que celui de l'Hermite - Souliers
, ou qu'il ne l'a regardée que comme
une fauffe tradition.
MAR S. 1756. 165
3. A l'égard de fes manufcrits , j'ai fous
ma main les copies de plufieurs Généalogies
manufcrites , qu'il avoit communiquées
au célebre Pierre d'Hozier , Confeiller
d'Etat , Juge d'Armes de France ,
Chevalier de l'Ordre du Roi , Gentilhomme
ordinaire de fa Maiſon , mon bifayeul
& fon ami , dont il parle avec éloge fous
l'année 1635 dans fes Mémoires imprimées
en 1656 , ( pages 102 & 256 , ) où
il vante fa mémoire admirable , où il le loue
de la connoiſſance particuliere qu'il avoit de
la vraie nobleffe & des Généalogies des aneiennes
Maifons , & où il l'appelle le premier
homme de fon tems dans cette forte de
curiofité. Or ces manufcrits ne m'ont rien
appris fur les anciens Seigneurs de Saint-
Chriftophe. Mais je fuis certain à préfent
du nom qu'il leur auroit donné dans fes
Mémoires généalogiques , fi nous en avions
quelques - uns pour cette ancienne maiſon ,
dreffés par lui- même , & non pas d'après
le travail d'autres Auteurs. Nous y verrions
que conformément à fa traduction de l'ancien
Hiftorien des Comtes d'Anjou , il
les auroit appellés d'Aluge . Et dans la
fuppofition qu'il les y eût nommés autrement
, nous avons la preuve qu'il auroit
cru dans la fuite s'être trompé en cela ,
puifque dans le dernier de tous fes ouvra
166 MERCURE DE FRANCE .
ges , celui qu'il fit imprimer l'année même
de fa mort , quinze ans après l'avoir compofé
,feize ans après que l'Hermite- Souliers
les appelloit D'ALE's , il a cru néanmoins
qu'ils ne s'appelloient point autrement que
D'ALUYE, ou, ce qui revient au même, que
leur véritable nom étoit exactement celui
de la terre D'ALUYE dans le Perche- Goët.
N'est- il pas bien fingulier , Monfieur ,
& en même temps bien glorieux pour
moi , qu'un Auteur diftingué qu'on me
reprochoit de n'avoir pas confulté, & dont
on fe promettoit de fi belles chofes , foit
néanmoins précisément & entiérement de
mon avis ? Que l'Anonyme attaque donc
maintenant , s'il l'ofe , l'Abbé de Marolles
lui-même , je te lui livre tout entier ; &
ce qui me confole pour ce Sçavant dont je
refpecte la mémoire, c'eft qu'il fera impofble
à l'Anonyme de l'accufer , ni de jeuneffe
, ni d'incapacité. D'incapacité ! il
vient de recevoir l'encens de l'Anonyme
même pour fa fcience & pour les lumieres
dans les matieres généalogiques. De jeuneffe
! il avoit quatre-vingts ans lorfqu'il
imprima fa traduction de l'ancien Hiftorien
des Comtes d'Anjou .
Encore un mot , je vous prie, Monfieur ,
& je finis. On lit à la derniere page de
l'avertiffement qui précéde le Mémoire
MARS. 1756. 167
critique de l'Anonyme , que c'est à la famille
( d'Alès-de Corbet) qui eft perfonnellement
intéreſſée ( dans cette querelle ) à folliciter
, fi elle le juge à propos , une juſtice
plus entiere , que l'on est même étonné qu'elle
n'ait pas déja demandée . Ne diroit-on pas
à l'entendre que le Roi & toute la Nobleffe
du Royaume font pleinement convaincus
que la famille d'Alès -de Corbet ( Alès
dans l'origine ) defcend des anciens &
puiffans Seigneurs de Châteaux & de S.
Chriftophe ; prétention infoutenable , ridicule
& chimérique ? Si cette famille a
fujet de fe plaindre qu'au delà de fon Homme
d'Armes en 1452 , je lui aie ôté , je ne
dis pas cinq cens ans , je ne dis pas cent
ans , mais une feule année , un feul jour
de nobleſſe , elle avoit fans doute une voie
très-légitime de fe pourvoir , la feule même
dont elle eût dû fe fervir en tout honneur.
Au lieu de répandre ou de laiffer
répandre dans le Public une brochure fans
approbation , fans permiffion vifible , où
fous le masque d'un Anonyme on ofe
attaquer ma bonne foi , elle devoit s'adreffer
au Roi même , & réclamer fa juftice
au pied du thrône. Après tout , il en
eft tems encore ; & c'eft là où je l'attends.
J'ai l'honneur d'être , &c.
D'Hozier-de Serigny.
A Paris , le 20 Janvier 1756 ,
168 MERCURE DE FRANCE.
HISTOIRE NATURELLE.
Mémoire fur les Os fofiles , par M. l'Abbé
de Brancas.
LEs deſcriptions des tremblemens de
terre des enfondremens & des inondations
extraordinaires , en diverfes contrées,
depuis plufieurs fiecles , confirmeroient
parfaitement que le cours perpétuel & variable
des eaux , dans l'intérieur & fur la
furface du monde terraquée , fert d'inftrument
à la fageffe & à la Providence divine
pour la production de prefque tous
les phénomenes terreftres attribués avant
nous au déluge , ou même à un feu central
, ou à une mer centrale, ou bien à l'influence
de la lune par une preffion chimérique
, ou une attraction encore plus
abfurde.
Ayant ailleurs montré que c'eft à l'exiftence
d'anciens canaux fouterreins &
fous-marins , qui ont des communications
& une confiftance fort durable , & au
creuſement & comblement de nouveaux
conduits & réceptacles inteftins , où les
eaux dépofent ce qu'elles entraînent de
flottant , de maternel & d'héterogene , où
elles
MAR S. 1756. 169
elles contractent & reilerrent trop l'air en
diverfes occafions , qu'il faut attribuer
plufieurs fingularités des marées & des
courans de mer , l'origine des fontaines ,
des mines & carrieres , du moins de celles
qui , après avoir été fouillées , font renouvellées
fans main- d'oeuvre , la caufe
des volcans & de leurs déjections , des
tremblemens de terre , des enfondremens ,
des exhauffemens & renverfemens , des
élancemens & tranflations de vaſtes
quartiers
de terrein , ainfi que de plufieurs
vents ordinaires & extraordinaires & des
tempêtes. Bornons-nous à établir ici que
les atterriffemens & les comblemens internes
des continens & de la mer , ainfi que
les fuperficiels , n'ayant pas d'autre cauſe
naturelle que la circulation des eaux , ne
peuvent & ne doivent pas plus être attribués
au déluge , que ceux qui viennent
d'être découverts dans la Tofcane , & que
les volcans & les mines nouvelles.
La fuperficie des pleines , des vallées &
des montagnes doit baiffer par l'écoulement
des eaux pluviales , qui conféquemment
doivent altérer le baffin des mers par
les parties matérielles qu'elles entraînent
à moins que les eaux faillantes fur le continent
, avec divers ingrédiens , & les volcans
par leurs déjections & laves , & les
H
170 MERCURE DE FRANCE.
vents par le fable qu'ils emportent , ne
fallent compenfation . Par cette raifon le
lit des fleuves s'approfondit , & fe rétrecit
infenfiblement , autant que le niveau
des mers s'abaiffé , malgré tout le matériel
qu'entraînent continuellement dans
leur baffin , les eaux douces & falées , le
reflux & les vents : ne devroit-il pas être
relevé infenfiblement , & à la longue comblé
, fi les eaux marines n'emportoient en
partie ce materiel par des gouffres & des
conduits , dans des cavités fouterreines ,
d'où elles fe filtrent tout au moins à travers
différens terreins où elles s'épurent
pour pafler dans d'autres canaux qui les
ramenent jufqu'aux fources extérieures ?
( Ecclefiafte , chap. 1 , ¥.7. )
Une lettre du Docteur Tozzeti , inférée
dans le premier volume du Journal Etranger
de Décembre 1755 , apprend que dans
la vallée inférieure de l'Arno , de même
que dans la fupérieure qui eft une province
différente , & féparée de l'autre par
ce fleuve , quantité d'offemens de divers
animaux ont été trouvés épars & entaffés
horizontalement , avec des coquillages de
mer , dans des couches de fable & de craie
femblables à celles dont font compofées
les collines & les montagnes de ces deux
provinces ? Qu'en couclure feroit- ce que
MARS. 1756. 171
c'eſt un amas fait au tems du déluge ? Ces
offemens auroient- ils pu fe conferver depuis
quatre mille ans , préexifter en cette
quantité , & être raffemblés durant le déluge
, résister à tous les changemens furvenus
dans le terrein par divers accidens ?
n'y trouveroit-on pas d'offemens humains à
proportion, & même de gros poiffons cétacés
, ou teftacés qui auroient pu tout autant
ne pas devenir pulvérifés , & du moins des
os de volatiles , qui ne purent pas plus fe
fauver du déluge hors de l'arche que les
animaux terreftres ? les poiffons même l'auroient-
ils pu , s'il avoit diffous toute la
terre en boue, ou pâte molle , pour la former
tout à neuf fuperficiellement & intérieurement
, pour recompofer fes continens
, fes mers , fes ifles , fes fleuves , fes
ruiffeaux & fontaines , fes montagnes , fes
plaines, fes vallées , fes mines & carrieres ,
fes diverfes couches de terrein & de matieres
? autrement ' trouveroit-on des coquillages
, des offemens , des plantes dans
des marbres , des rochers , des agathes ,
des porphyres ?
Vraifemblablement le cours de l'eau
des rivieres confluentes dans l'Arno , & par
ce fleuve dans la mer , a ramaffé tous ces
offemens avec des fables & de la craie ,
que les eaux pluviales entraînent de la
-
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
croupe & du fommet des montagnes des
provinces fituées au delfus de ton cours
entre ces deux vallées; & des débordemens
en ont fait des atterriflemens à fon embouchures
dans la Méditerranée , & dans les
endroits que le Docteur Tozzeti appelle
des cimetières d'animaux , qui originairement
, s'ils en font éloignés , étoient des
vallons & de grands creux , où les eaux
de ce fleuve ne fe répandoient que par de
fortes crues & des inondations.
Jugeons de ce qui eft arrivé de tout tems
avant & depuis le déluge , par ce qui arrive
fous nos yeux ? Après les groffes pluies
tous les fleuves ont des eaux bourbeufes
& pleines d'ingrédiens héterogenes ; les
fedimens & les parties matérielles laiffés
à leur embouchure , où l'eau plus denfe
de la mer les repouffe , & même dans des
cavités & vallées éloignées , où un debordement
les fait parvenir , y produifent
des atterriffemens encore plus que dans leur
propre lit , où il eft ordinaire d'en voir
former & détruire. Prefque toutes les bouches
des fleuves dans la mer font dangereuſes
, à cauſe des hauts fonds qui y font
formés de cette maniere, En connoit - on
qui n'en fournillent des preuves ? Leurs
eaux emportent fans ceffe de toute notoriété
, & felon la tradition conftatée
1
1
MARS. 1756 . 173
par des actes publics , du terrein de diverfes
parties de leurs rivages , & forment
ainfi dans leur lit , & encore plus vers
l'embouchure , des atterriffemens confidé.
rables qui commencent par être des bancs
de fable & de gravier .
Seroit-il étonnant d'y trouver avec des
coquillages , & tous les débris que les eaux
falées y rejettent une quantité de cadavres
d'animaux de diverfes efpeces que les
inondations enlevent ? A en juger par les
recentes du Rhône , de la Loire , &c . combien
de ces animaux furpris dans les campagnes
& dans leurs pâturages,fans pouvoir
fe fauver , font entraînés dans la mer , ou
du moins dans des cavités inondées , quand
par de groffes & longues pluies , ou des
fontes trop fubites de la neige , des rivieres
débordent rapidement , & font des irruptions
dans les plaines , avec d'autant
plus de force qu'elles trouvent plus de
pente vers des vallées & des profondeurs ,
où leurs eaux fe précipitent avec tout ce
qu'elles entraînent. Faut - il d'autre caufe ,
afin d'y découvrir des planches , des bois
de charpente , & des débris des maifons
ruinées & des meubles emportés , des arbuftes
& des arbres entiers , avec leurs
branches & leurs racines , en un mot , des
amas de tout ce que les eaux des rivieres
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
dans de fortes inondations ont enlevés ,
entraînés & abandonnés dans ces vallées
& ces cavités qui en ont été comblées &
atterrées infenfiblement.
Des troupeaux de bêtes à laine & à cornes
étant emportés avec des chevaux , &
toutes les autres fortes d'animaux & de
volailles domestiques , & même des bêtes
fauves , leurs offemens doivent être découverts
dans ces atterriffemens , à meſure
que les eaux les détruifent, après les avoir
formés depuis plufieurs ficcles. Des canaux
fouterreins dont l'exiſtence & la
communication font bien prouvées dans
nos Ephémérides cofmographiques , peuvent
même faciliter leur tranfport fous des plaines
& des montagnes fort éloignées , &
jufques près de leur fommet , ou avec le
laps de tems , ils font découverts , ainfi
que des coquillages.
Si l'on trouve auffi des os d'éléphant
dans les collines & les terreins de la vallée
inférieure & fupérieure de l'Arno , qui
probablement font au deffous du niveau
cylindrique de la mer , & même du cours
de ce fleuve , eft-ce une raifon d'en induire
qu'anciennement cette région de la
Tofcane nourriffoit des animaux de cette
efpece ? Il eft plus naturel & plus probable
d'en inférer que fon climat n'ayant pas
ร
MAR S. 1756 . 175
plus changé que fa latitude , ces offemens
d'éléphant proviennent de ceux qu'en des
fiecles fort antérieurs , des armées d'Afiatiques
ou d'Africains , y avoient amenés ,
comme , par exemple , celle d'Annibal &
qui par des irruptions & des inondations
fubites des rivieres confluentes dans l'Arno,
ont été enlevés & entraînés , comme les
autres animaux domeftiques ou fauves
dont les offemens font reconnus mêlangés,
ainfi qu'ils doivent être en ces cas ; autrement
des reftes d'éléphans feroient trouvés
dans d'autres endroits de la Toscane , comme
en Afie & en Afrique , fans l'avoir encore
été dans aucuns cantons de l'Amérique.
Des bâtimens anciens , prefque entiers ,
font découverts de tems à autre à Rome
& dans fes environs , & dans toute l'italie
, après avoir été inhumés par des enfondremens
à la fuite des tremblemens de
terre , & par des inondations fort réitérées
. Ils deviennent exhumés à force d'enlever
le terrein imminent & circonvoifin ,
étant décélés en creufant les fondemens
d'édifices nouveaux . Les accidens éventuels
doivent nous faire juger de ceux des
fiecles précédens & les atterriffemens naiffans
fous nos yeux , des atterriffemens an-
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE .
ciennement formés par les dépôts , les fédimens
&
l'abandonnement de tout ce que
les eaux entraînent & emportent en pareilles
cataſtrophes.
Afin que des coquillages marins fe trouvent
mêlés dans ces crémens & atterriffemens
, fuppofé qu'ils foient fort éloignés
de la mer & de l'embouchure des fleuves ,
c'eft affez, fans recourir , comme en cas de
befoin pour certains endroits , aux conduits
fouterreins , qui en divers tems ont
été creufés & comblés par les eaux mêmes
fans main d'oeuvre , ainfi que des carrieres
& des minieres en font formées , détruites
& renouvellées, c'eft affez , dis - je , que dans
des tempêtes les ondes & les vagues furmontant
les digues & les limites artificielles de
la mer, & même les naturelles, qu'il leur eft
ordinairement défendu de franchir , ayent
pu trouver une pente jufques vers ces
comblemens. Si ces atterriffemens exiftent
à l'embouchure , la caufe de leur formation
avec mixtion de coquillages marins
& d'offemens d'animaux qui fe laiffent
furprendre par les eaux débordées , fe préfente
d'elle - même dans les réflexions précédentes
, fans recourir au changement
fucceffif & infenfible , mais très - difficile
& prefque impoffible , des continens en
C
MARS. 1756. 177
mer , & de leur baffin en continent.
Notre explication du flux & reflux , &
nos Ephemerides cofmographiques ayant enfeigné
que la principale caufe des phénomenes
terreftres doit être reconnue dans
la figure de la terre en cylindroïde arrondi
, & boffué par fes bafes qui figurent des
portions d'un fphéroïde , & qui forment
deux continens plus vaftes que ceux qui
font connus dans fa rotation , & dans la
facilité qu'ont les eaux en plufieurs plages
de terres & de mer d'entrer dans un canal
interne , qui en forme d'un immenfe fiphon
tortueux par les inflexions & la
courbure de fes jambages , fait des angles de
plus de quatre - vingts - dix degrés de longitude
, & de fortir ainfi par fon autre
extrêmité , quelqu'élévation qu'elle puiffe
avoir au deffus du niveau marin : nous affurons
d'après l'expérience & la vaie théorie
des cieux & de la terre , que les eaux font
occultement dans fa maffe ce qu'on leur
voit opérer fur fa furface à découvert ;
qu'elles creufent & comblent des conduits
internes comme externes ; qu'elles forment
& détruifent des atterriffemens inteftins
comme fuperficiels , des carrieres &
minieres de toute efpece , & des amas de
foffites de tout genre que leurs fedimens
avoient formés ; elles font multiplier les
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
coquillages dans ( 1 ) ces canaux concaves ,
comme dans la mer , puifque c'eft dans le
même élément , & que ces coquillages, à
force d'y multiplier , les obftruent & rempliffent
, en forment ainfi ce qu'on appelle
dans la Touraine & le Poitou , des falunicres
, c'est -à - dire des amas immenfes de
coquillages . Les eaux font ainfi circuler
l'air & l'électre intérieurement , comme
extérieurement ; elles en introduifent plus
ou moins dans ces conduits ou canaux
inteftins , & y cauſent avec des exhalaifons ,
divers météores. Leur crue extraordinaire y
refferre fouvent ces deux élémens mêlangés
, & un trop grand refferrement les
oblige à caufer des tremblemens de terre ,
& tous les phénomenes fimultanés qui
ont été remarqués : la terre femble ainfi
devenir de plus en plus un féjour dangereux
& incertain.
(1 ) Pour trouver des coquillages fous toute
contrée , à force de creufer , il fuffit que les
eaux creufent des conduits & autres fouterreins ,
& les comblent enfuite , tant par des coquillers
qui s'y multiplient , que par les fédimens
qu'elles y entraînent & y dépofent , ou par
les éboulemens & les enfondremens qu'elles y
produifent.
MAR S. 1756. 179
SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie des Belles - Lettres de la
Rochelle.
L'Académie de la Rochelle tint , felon
fa coutume , fa féance publique le feize
Avril 1755. M. l'Abbé Delavau Prieur
d'Aytré , Directeur , en fit l'ouverture par
un Difcours fur la Langue Latine , dans le
quel il entreprit de prouver que cette Langue
, telle qu'on la parle dans toutes les
Ecoles de l'Europe , depuis la renaifance
des lettres , eft un nouvel idiôme dérivé
de l'ancien Latin , qui a fon ufage & fes
regles particulieres , qui reffemble affez
» au Latin de l'ancienne Rome , pour que
» nous puiffions le confondre quelquefois
» avec lui , mais qui en différe fi confidé-
» tablement , qu'un Romain du fiecle d'Augufte
auroit de la peine à l'entendre . »
ود
"
«
EC
.33.
Pour annoncer ce ſyſtème , M. Delavau
traça une légere efquiffe des révolutions
de la Langue Latine . Vous fçavez , dit - il ,
Meffieurs , qu'elle n'étoit dans fon principe
qu'un compofé de différens jargons
des peuples groffers qui environnoient
» Rome naiffante ; qu'après plus de trois
» cens ans elle n'avoit encore ni ortho-
"3
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
"
» que
graphe , ni conftruction ; qu'elle ne com-
" mença à fe dépouiller de fa rufticité
fous les Scipions & les Lélius ; que
» fon état brillant dura tout au plus un
fiecle & demi ; qu'après le regne d'Augufte
elle dégénéra peu à peu , s'altéra
» & fe corrompit enfin entiérement , foit
» par l'election des Empereurs nés dans
» des provinces éloignées de la Capitale ,
» foit par les irruptions des barbares qui
ravagerent l'Italie , qui enfevelirent dans
» le même tombeau la gloire de l'Empire
» Romain & la gloire de la Langue Latine.»
"
Celle que les Sçavans y ont fubftituée,
n'eft pas cependant à méprifer , continue
M. Delavau : elle eft fufceptible de divers
degrés de perfection , & forme un
lien d'union & de commerce infiniment
précieux à la République des Lettres . Mais
ce n'eft plus la Langue de Rome brillante
& polie , « puifqu'elle a perdu fa pureté
originale , qu'elle a pris le goût d'un ter-
» roir étranger , qu'elle a changé la fignification
primitive d'un grand nom-
» bre de fes termes , & qu'elle a adopté
» un nombre encore plus grand de mots
» de nouvelle fabrique. " Le détail de
ces quatre preuves , & les exemples dont
M. Delavau ſe propofoit de les foutenir,
auroient paffé les bornes d'un Difcours
"
ور
?
MARS. 1756.
181
ordinaire ; il fe fixa donc à la premiere ,
& voici comment il l'établit.
Il nous offre d'abord la brillante époque
de la renaiffance des Lettres au quinzieme
fiecle , où des Génies vifs & hardis
excités par ces fameux Grecs échappés
des ruines de la capitale de l'Orient , entreprirent
de fecouer le joug de la barbarie
qui régnoit depuis fi long temps en
Europe. L'art typographique qui fut alors
heureufement découvert , fit reparoître &
multiplia les chef- d'oeuvres de Rome : « on
» en fit une étude fuivie ; on s'appliqua
» à corriger les fautes des manufcrits , à
» éclaircir le texte des Aureurs , à creu-
» fer leurs pensées , à difcurer leurs expreffions
, à éplucher leurs mots & jufqu'à
leurs fyllabes ; & après s'être affuré
» de leur méthode , autant qu'il étoit
poffible , on ne craignit plus de s'élan-
» cer dans la carriere de l'éloquence &
de la poéfie. "
و د
"
Le fuccès égala-t- il le zele & le cou
rage de ceux qui y coururent ? Ils crurent
avoir atteint la pureté & les graces
originales de la Langue Romaine au fiecle
d'Augufte , & tous leurs efforts n'aboutirent
qu'à faire éclorre en quelque forte
un nouvel idiôme , « qui tint une efpe-
» ce de milieu entre l'ancienne Langue
182 MERCURE DE FRANCE.
>
» Latine & leur langue maternelle , qui
» ne fut ni l'une ni l'autre , qui garda
» le fonds de la premiere pour les termes
» & les expreffions , & prit beaucoup de
» la feconde pour le tour & l'arrange-
» ment .... que pouvoient - ils faire de
plus ? On ne compofe point avec régu-
» larité dans une Langue étrangere ; comment
auroient - ils compofé poliment
dans une Langue morte ? »
"
»
Cette comparaifon devient fertile entre
les mains de M. Delavau ; il la préfente
fous toutes les faces , & il en tire
habilement toutes les inductions dont il
a befoin pour prouver que le Latin moderne
eft bien loin de fa pureté origi
nale. " Qu'un étranger , dit-il , fans fortir
de fon pays , veuille apprendre le Fran-
» çois; qu'il ait étudié avec foin nos livres
» élémentaires , & qu'il ouvre enfuite nos
» meilleurs Auteurs , les difficultés l'arrê-
» teront à chaque inſtant , tantôt fur la
fignification propre d'un mot , tantôt
» fur le tour fingulier d'une phrafe , fur
l'application d'une regle ambiguë , fur
» le fens obfcur d'une expreffion . Si après
» bien des veilles & des exercices , il li-
" vre au Public un effai de fes productions ,
"
"
"
combien de bévues , d'incongruités , de
» mots pris à contrefens le Lecteur n'y
$
MAR S. 1756 . 183
53
appercevra-t- il pas ? Si fa diction n'eſt
» tachée d'aucun vice groflier , combien
fera- t-elle gênée , rude , raboteufe &
éloignée du caractere & du génie de
» la Langue Françoife ? »
Entre plufieurs exemples , M. Delavan
en prend un dans la relation d'un voyage
compofé en François par un Capitaine
Danois , & revue par l'Auteur de la derniere
Hiftoire de Danemarck. Le Danois
parle ainfi d'Alexandrie . On peut dire avec
raifon que dans la nouvelle ville d'Alexandrie
on rencontre un pauvre orphelin , à
qui il n'est échu pour tout héritage que te
nom refpectable de fon pere .... Le fiege
royal eft devenu une maifon d'efclaves ...
Ce n'est plus un phénix qui renau de fes
cendres , c'est tout au plus une vermine fortie
de la boue ou de la pouffiere , dont l'Alcoran
a infecté tout le pays.
» Dans ce peu de mots , combien de
» fautes ? Chaque expreffion eft Françoife ,
» la conftruction même de la phrafe n'of-
و ر
fenfe aucune de nos regles ; cependant
» l'enſemble n'eft point François. On y
» dit les chofes d'un ton & d'un ftyle qui
s'éloigne du vrai goût de la Langue.
» L'Auteur n'ayant point employé les
» mots dans leur acception naturelle , ils
préfentent un double fens , & l'on n'eft
33
- "33
184 MERCURE DE FRANCE.
"
pas für de ce qu'il veut dire ... Que
ignifie ce fiege royal , qui dans Alé-
» xandrie eft devenu une maifon d'efcla-
» ves ? A-t-il entendu que le palais des
» anciens Rois , ou le lieu deftiné à rendre
la juftice , a été converti dans une
prifon pour les efclaves malfaicteurs ?
» Quelles images encore que cette vermi-
»ne fortie de la boue de l'Alcoran , & le
>>pauvre Orphelin , pour dire que cette
» ville eft déchue de fa premiere fplen-
» deur !
20
Nos modernes Romains , continue M.
Delavau , « font de pareilles fautes , & de
» plus grandes encore , parce qu'ils ne
connoiffent pas plus que le Danois les
» idées principales & les idées acceffoires
» que les anciens Romains attachoient aux
» termes de leur Langue ; ce fens fin & dé-
» licat , qui fans ôter aux mots le fonde-
» ment de reffemblance qu'ils ont entr'eux ,
≫y met néanmoins des différences effen-
» tielles. Il faudroit fçavoir diftinguer les
» termes du ftyle noble , de ceux du ſtyle
» bas ou familier ; ceux qui font de la
profe ou de la poéfie ; ceux qui fe difent
au propre fans fe dire au figuré , ou qui
" fe difent au figuré fans fe dire au pro-
» pre ...... Les bons Auteurs ne peuvent
» donner toutes ces connoiffances ; ce font
MAR S. 1756 . 185
» des guides muers qui n'avertiffent pas
» fi l'on prend bien ou mal leur fens ,
quand on fuit les regles , ou quand on
» s'en écarte .
Les Grammairiens dont nous ne manquons
point , ne peuvent nous raffurer.
Ils nous ont donné leurs conjectures ,
" leurs préventions , leurs erreurs même
"pour des oracles infaillibles ; ils ont
quelquefois pris l'exception pour la régle
, & il n'en eft prefque point qui ne
» foit contrédite par les grands modeles
» d'où ils prétendent les avoir tirées … .....
ور
و ر
" On ne doit , difent - ils , fe fervir de
» l'ablatif abfolu , que lorfqu'il eft indé-
>> pendant du verbe qui l'accompagne , &
» cependant Térence a dit , Quis , fe vidente
, patietur amicum fuum , &c ; & Ovide
, Me duce , ad hunc finem , me milite ,
veni.
Selon eux , l'adverbe magis fuivi d'un
» nom fubftantif , demande toujours un
» quàm , & jamais de comparatif. Cepen-
» dant Plaute a dit , magis eft dulcius ; &
» Columelle, novella Gallicana magis eden-
» dis quàm excubandis ovis utiliores funt ,
» & c.
« Un verbe précédé de plufieurs noms
» doit toujours être au pluriel .
pluriel . » Nous lifons
néanmoins dans Ciceron ↳ Mens &
186 MERCURE DE FRANCE.
ratio , & confilium in fenibus eft ; & dans
Horace, Cui pudor & juftitia foror incorruptafides
, nudaque veritas , quando ullum
inveniet parem , &c.
Les Vocabuliftes nous apprennent - ils
plus fûrement la force & l'acception des
mots ? Quel fonds peut-on faire fur leurs
décifions ? « Les plus anciens font pofté-
» rieurs de pluſieurs fiecles à la belle Lati-
» nité ; & le Novitius qui a relevé tant de
méprifes dans fes prédéceffeurs , eft- il
lui- même au deffus de toute critique ?
» Il nous faudroit donc , pourfuit M. De-
»lavau , d'après M. l'Abbé d'Olivet , un
» Dictionnaire Latin fur le modele de ce-
» lui de l'Académie Françoife , commencé
»par des Luciles , par des Gracques , des
» Terences , des Lélius , des Scipions ; con-
» tinuée par des Lucreces , des Catulles ,
23
و د
des Saluftes , des Titelives, des Cicerons;
» achevé par des Virgiles , des Horaces ,
» des Pollions , des Mécenes , & des Ovi-
» des.
« C'est là que nous apprendrions l'uni-
» que maniere de bien exprimer chaque
» chofe , ce grand art de joindre & d'af-
» fortir les mots qui font faits pour aller
" enfemble , quand il eft permis de fe met-
" tre au deffus des regles de la Grammaire
"pour former un fens plus énergique , ou
MARS. 1756. 187
و د
و ر
n
» un fon plus harmonieux . C'est là que
» nous puiferions le goût de ces inver-
» fions , qui caractérisent la Langue ; où
» nous prendrions l'unité du ftyle qui ne
fouffre point les vers profaïques , & qui
» ne défigure jamais la profe par des expreffions
confacrées à la poéfie ; qui ne
»permet point à l'Hiftorien les affèteries
», des Catulles , des Properces , des Méce-
» nes , & qui bannit des ouvrages de goût
les termes d'arts & de fciences réfervés
aux feuls Lucreces , aux Columelles , aux
» Vitruves. Faute d'un pareil flambeau nous
»fommes réduits à marcher au hazard, à tâ
» tonner dans prefque toutes les occaſions,
» à faire fouvent des faux pas .... Ce que
» nous pouvons faire de mieux , c'eft d'em-
» prunter, autant qu'il eft poffible, le langage
des Auteurs qui ont excellé chacun
» dans fon genre ; mais en croyant parler
» comme eux , on ne compofera que des
ouvrages formés de pieces difparates &
» mal aflorties , & c. »>
Quelque frappante que foit cette expoftion,
M. Delavau a bien fenti qu'elle n'entraîneroit
pas d'abord tous les efprits; qu'en
abandonnant les Vocabuliftes & les Grammairiens
comme des guides peu fûrs , plus
capables même d'égarer que de faire parvenir
au but de la belle & pure Latinité
188 MERCURE DE FRANCE.
on lui oppoferoit la lecture refléchie des
grands modeles , comme un moyen infaillible
d'en faifir toutes les beautés , à
l'aide des regles de l'analogie ; & cette
objection qui le fait revenir fur fes pas ,
lui donne lieu de confirmer fon ſyſtème
par des folides réponses.
Les Auteurs de la fçavante antiquité
ne font pas , dit - on , des guides muets ;
leurs voix fe fait entendre par leurs difcours
; puifque nous les lifons , nous les
écoutons encore ; en leur prêtant une oreille
attentive , nous comprendrons aifément
ce qu'ils nous difent.
و ر
و د
و ر
Si la voix des anciens fe fait encore
entendre , répond M. de L. « par quelle
» fatalité la voix de nos Ecrivains n'a- telle
"pas le même avantage auprès des étrangers
les plus attentifs ? notre Langue a
pris la place de la Grecque & de la Ro-
" maine on la parle dans toutes les cours
» & dans toutes les bonnes villes de l'Eu-
» rope ; l'eftime générale qu'on en fait
>> annonce qu'on met tout en ufage pour ;
» s'y perfectionner ; les étrangers recher-
»chent avec empreffement nos ouvrages ;
» ils ont entre les mains des Dictionnaires
» & des Grammaires , composés par les
» meilleurs maîtres ; cependant on n'en
» voit prefque réuffir aucun : ils n'écrivent
و د
و د
و د
ود
MAR S. 1756. 189
وو
"
93
و ر
point comme nos bons Auteurs ; ils n'atteignent
même prefque jamais nos Au-
» teurs médiocres . Quelle apparence y a-t'il
» donc que les Etrangers , qui à leur ému-
» lation joignent tant de fecours , fe ren-
» dent ridicules dans leurs compofitions
Françoifes, fans que celles des prétendus
» imitateurs de l'Eloquence & de la Poéfie
» Romaine s'attirent le même reproche ;
eux qui font privés du flambeau des
regles , & de la direction des maîtres ? ...
» Si la voix des Anciens fe fait encore
» entendre , pourquoi donc leurs interpre-
» tes donnent- ils fi fouvent à leurs paroles.
» des fens tout contraires ? l'un entend par
candidior barba , la barbe blanche d'un
» vieillard ; l'autre le poil follet d'un jeune
» homme. Amica filentia fua ; c'eft , felon
quelques - uns , une nuit très - obfcure , &
39
"
33
و ر
» felon d'autres , c'eft un beau clair de lune.
» Celui- ci veut que rupit aper plagas fignifie
un fanglier qui fe jette dans les toiles .
" & s'y trouve pris ; celui- là dit , que c'eft
» un fanglier qui ies brife & s'en échappe ;
», & Quintilien , fi voifin du fiecle d'Augufte
, ne déclare-t'il pas hautement qu'il
» y a bien des endroits à deviner dans les
» Poëtes , & même dans les Orateurs de ce
» tems - là ? ...
و ر
Mais quand rien ne nous arrêteroit dans
190 MERCURE DE FRANCE.
la lecture des Anciens , delà à parler leur
Langue avec la même pureté, il y a encore
bien loin. Comment aurions - nous affcz
de pénétration pour découvrir les principes
qui dirigeoient leurs compofitions , & allez
de précifion pour les fuivre d'un pas affuré
au milieu des variations que nous trouvons
dans les mêmes Auteurs ? fi nous décidons
du régime fur l'autorité d'un Poëte , un
Orateur rend la déciſion incertaine . Ovide
dit nec latet , Ciceron mihi latet ; lequel de
ces deux régimes eft préférable ?
» Euffions-nous même faifi la maniere
» de conftruire les mots felon leur régime ,
>nous ignorerions du moins l'art de les
" ranger fuivant leur convenance & dans
» le goût de la Langue. Le Cardinal Bembo
» fe vantoit de n'avoir aucun terme qui ne
»fût tiré de Ciceron , & Jufte Lipfe a
foutenu que fouvent il ne parloit pas
» Latin. C'eft que plufieurs termes qui font
Latins peuvent faire une phrafe qui ne
»foit pas Latine. Un feul mot changé ou
déplacé, fuffit pour défigurer la plus belle
» profe ou la plus belle poésie.... Que
» l'on change un mot , dit Ciceron lui-
» même dans cette période : Nam neque
» me divitiùs movent. Qu'on y faffe la
» moindre tranfpofition , elle perdra toute
»fa grace & toute fa force.... »
ود
MARS.
1756. 191
و و
» Les loix de la gradation nous feroient
» gâter une autre des plus belles périodes
» du même Orateur. Aderat junitor carce-
» ris , carnifex Pratoris , mors terrorque fo-
» ciorum & civium
Romanorum , fector fec-
» tius. Qui n'auroit cru qu'il falloit dire :
terror morfque fociorum.
33
» Suivant cette regle de critique , com-
» bien de beaux endroits les
Scholiaftes
» n'ont - ils pas
corrompus en croyant corriger
des fautes de copiſtes ? &
pour nous
quelle fource féconde de mépriſes &
d'erreurs ! &c. "
ود
و د
و د
33
M. de L. met tout à profit contre les
adverfaires de fon fyftême ; & en les
combattant avec toute forte d'égards , il
les preffe vivement par leurs propres aveus.
» Il eft impoffible , dit l'un d'entr'eux , d'égaler
les Anciens . . . une infinité de délicateffe
, foit dans les mots , foit dans les
» tours , échappent aux regards les plus pé-
» nétrans. Ce n'eft pas affez , reprend M.
» de Lavau , il faut convenir encore que
" nous ne fçaurions diftinguer ce qui eſt
exprimé délicatement , d'avec ce qui eft
» rendu baffement & d'une maniere impropre.
Virgile a dit , Casâ jungebant
»fædera porcâ ; ne feroit- il pas égal de
dire cafo jungebant fadera porco ? non ,
» répond Quintilien ; vous rendriez baffe-
و د
و ر
33
ود
"3
...
192 MERCURE DE FRANCE.
» ment ce que Virgile a exprimé d'une ma-
» niere élégante....
ور
و د
» Lucrece a fait feminin funis , unique-
» ment pour la cadence du vers . Aurea de
» coelo demifit funis in arva . Il auroit pu
» dire fans changer la mefure , aureus è coelo
› demifit funis in arva. Qui de nous trou-
» vera quelque chofe de plus doux & de
plus fonore dans la premiere façon de
s'exprimer ? ...
و ر
و د
ود
33
» Peut-être ferions-nous tentés de croire
" que Lucrece n'a retranché de plufieurs
» mots , des lettres & quelquefois des
fyllabes entieres , que par une licence
poétique qui ne doit pas être imitée ;
cependant Aulugelle nous avertit , que
» Ciceron , uniquement pour flatter l'oreil
» le , a mis peccatu pour peccato . Qui oferoit
» imiter cet exemple ? ...
33
و ر »C'estainsiquelenombre&lacadence
» des périodes , l'harmonie & la confon-
» nance des mots nous échappent ; comment
» nous feroit- il donné de les employer
» heureufement dans nos ouvrages Latins ,
» puifque nous ne les fentons pas dans les
" ouvrages desAnciens, eux qui pour éviter
» un fon défagréable , bravoient impuné-
"ment & folécifmes & barbarifmes ? & c.
"
Il n'eft qu'un moyen , reprend M. de
Lavau , pour bien fçavoir une Langue
étrangere ;
MARS. 1756. 193
93
étrangere ; c'eft de fe tranfporter dans le
pays où on la parle , ou de s'exercer longtems
avec des perfonnes qui la poffédent
naturellement . « La lecture des meilleurs
livres ne fera jamais un bon Ecrivain ,
>> furtout dans une Langue morte. Quelque
» exercé que l'on y puiffe être , on ne peut
imaginer de nouveaux tours qui y foient
analogues ; il faut fe borner à une imita-
» tion feche & fervile de phrafes dont on
» ne connoît point le méchaniſme , & c'eſt
» s'interdire l'eſpérance de jamais écrire
» avec pureté & délicateſſe. ...
39
כ
ود
ور
ود
وو
Les Romains eux-mêmes ont bien fenti
ces inconvéniens , lorfqu'ils ont voulu apprendre
l'idiôme des Grecs. « Ils avoient
entre les mains leurs meilleurs livres ;
mais ils les jugerent infuffifans . Ils firent
venir de la Grece des hommes habiles ,
qui furent pour eux un Dictionnaire vi-
" vant & une Grammaire parlante ; mais
» parce que le commerce de ces fçavans
maîtres n'avoit encore qu'ébauché leurs.
» connoiffances , ils voyagerent dans la
» Grece même , & féjournerent furtout à
» Athènes pour le perfectionner dans les
élégances Attiques... & n'eft- ce pas en-
» core ce que pratiquent les Etrangers qui
,, veulent faifir les fineffes de notre Langue,
& ce que nous pratiquons à notre tour ,
I
"
ود
و د
194 MERCURE DE FRANCE.
lorfque nous voulons apprendre les
» leurs ? ...
"
33
"3
33
و ر
» Où pourrions-nous prendre le goût
des urbanités Romaines , cet ufage de la
»cour & de la ville qui leur donna l'être ;
» cet ufage , le pere & le tyran des Langues
, qui ne fçait ce que c'eft que de
plier fous les regles ? cet ufage eft éteint
depuis plufieurs fiecles ; il n'eft plus aujourd'hui
ni pays qui le fuive , ni natu-
» tels qui puiffent l'enfeigner . Ceux qui
»ont prétendu nous en inftruire , y font
étrangers eux- mêmes. Que l'on remonte
» de maître en maître jufqu'à la renaiſſance
» des lettres , & qu'on voye quels font les
premiers reftaurateurs de la Langue Latine
, des hommes fortis du fein de la
» barbarie. Leurs peres avoient perdu la
» trace de la tradition orale , par l'inter-
» valle des fiecles d'ignorance ; lears def-
» cendans n'ont pu nous la tranfmettre .
Auffi la correction & la politeffe des Ecrivains
de Rome font- elles fi peu connues ,
qu'il s'eft élevé fur ce fujet des combats &
comme une guerre civile entre les Sçavans
des derniers âges. » Le P. Fabre , l'Abbé
Desfontaines, Dryden , & c. fous les dra-
» peaux d'un ancien Cardinal , défendent
» le culex & le coiris , comme un fruit digne
de la veine de Virgile , à en juger
رد
و ر
ور
MARS. 1756. 195
par la force de l'expreffion , & l'agrément
» des images. L'Abbé Goujet , le P. de la
» Rue , le P. Oudin , &c. fous les étendards
d'un autre chef , foutiennent que
» ces deux pieces font d'un Ecrivain bar-
» bare , fans goût & fans génie. Un fort
parti mer Quinte-Curce au fiecle d'or
» de la Latinité : une faction auffi puiſſante
le dégrade & le renvoie au fiecle d'ar-
» gent....
53
"3
"
و د
33
Lorfque le célebre Pierre Pithou imprima
pour la premiere fois à Troyes en
» 1996 , les Fables de Phédre , qu'il avoit
» tirées en manufcrit , de la pouffiere d'une
bibliothèque , les Sçavans de Rome moderne
, à qui le P. Sirmond les préſenta ,
rejetterent l'ouvrage comme fuppofé , &
ce ne fut qu'à force de titres qu'ils en
» déclarerent le ſtyle digne d'un affranchi
d'Augufte. Enfin un docte Anglois vient
d'arracher tout d'un coup des OEuvres
» de l'Orateur Romain quatre harangues
que jufqu'ici on avoit préconisées , imitées
, copiées fans le moindre fcrupule.
- De ces querelles littéraires , M. l'Abbé
de Lavau conclud que nous ne pouvons
juger sûrement ni du ftyle des Littérateurs
de Rome , ni de l'élégance de leurs écrits .
» Les contemporains de Quinte- Curce ne
» nous ont point parlé de lui , & nous ne
"
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
» fçavons fi fon ftyle eft pur , ou s'il y a de
l'alliage. Pollion a prétendu que celui de
Tite- Live fentoit un peu le terroir de
» Padoue , & il ne s'eft pas mis en peine
» de nous en donner quelques exemples ,
» pour nous apprendre à éviter ce vice de
» Province qu'il lui impute , &c..
2
وو
و د »Ainfilescontemporainsn'ayantpoint
porté leur jugement fur les expreſſions
» hazardées des meilleurs Auteurs , n'ayant
» point relevé leurs fautes , ou du moins
leur critique n'étant point parvenue juf-
» qu'à nous , ce qui eft bon , ce qui eft
défectueux , nous eft égal , & il doit fouvent
nous arriver de copier une faute de
langage , lorfque nous croyons imiter
» un tour élégant & heureux , & c.
33
M. de Lavau , en finiffant fon diſcours ,
avertit que par toutes ces réflexions , il n'a
nullement entendu infpirer du mépris pour
le Latin moderne. Cette Langue , dit-il ,
toute récente qu'elle eft , a fes loix , fes
utilités , fes agrémens. Elle a été illuftrée
par des Poëtes & par des Orateurs d'un
vrai mérite , à quelques - uns defquels il n'a
manqué que d'être nés au bel âge des Romains
pour les égaler en tout . Ainfi loin de
la méprifer , on doit la cultiver avec d'autant
plus de foin , qu'elle eft la clef de la
Littérature ancienne.
La fuite au prochain Mercure .
C
MARS. 1756. 197
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLE S.
MUSIQUE .
in
LE fieut Salvator Lanzetti , Napolitain
au fervice du Roi de Sardaigne , vient de
donner au Public fix nouvelles Sonates ,
qu'il a compofées pour rendre, aux Amateurs
l'exécution de celles qu'il avoit données
auparavant plus facile. Sa fupériorité
pour le Violoncelle lui a mérité la plus
grande réputation dans toute l'Europe.
C'est lui qui a fermé les deux plus célebres
Cantatrices d'Italie. Sa Mufique eft
agréable & mélodieufe . Les Sonates qu'il
vient de faire graver avec privilege , forment
le fixiéme oeuvre. Le prix eft de
fix livres quatre fols. On s'adreffera au
Portier de Meffieurs de la Live , rue neuye
Luxembourg , à Paris.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
PEINTURE.
LETTRE A M. GAUTIER.
VOUS ous me reprochez , Monfieur
l'Anonyme que j'ai gardé dans l'attaque
que je vous ai faite . Je demeure d'accord
qu'il y a quelque inégalité dans cette
forte de combat ; aufli je ne balance
point à convenir que j'ai honte de m'être
caché mais l'ayant fait , après cet aveu ,
il m'eft encore moins poffible de me découvrir.
On rougit toujours de convenir
d'un tort , quelque petit qu'il foit , &
d'ailleurs cela ne fait rien au fonds des
chofes que nous avons à difcuter enfemble.
Is
Ne vous en prenez qu'à vous même
du coup que je vous ai porté , & à l'oftentation
avec laquelle vous vous louez
à tout propos dans les Mercures , dans
les Gazettes , & dans vos propres écrits.
J'aime & refpecte les Arts ; je les regarde
comme des Profeffions nobles qui ne
doivent jamais être avilies par aucune ef
pece de charlatanifme . C'eft aux ouvrages
à parler eux- mêmes en leur faveur ,
& jamais les Artiftes ne doivent ſe vanter
MAR S. 1756. 199
ni fe perfuader d'avoir atteint le but
qu'ils fe propofent. C'eft le propre des
ignorans de croire facilement qu'ils y
font arrivés. Faites de belles chofes , Monfieur
, s'il vous eft poffible , & laiffez- les
louer au Public & aux Artiftes , qui ont
toutes les lumieres néceffaires pour en fentir
les beautés , s'il y en a.
Vous vous plaignez que je regarde votre
Art comme peu important , vous en
faites l'aveu vous même , lorfque vous le
bornez à l'Anatomie , à la repréfentation
des plantes & de ce qui concerne l'Hiftoire
Naturelle. Ce n'eft pas le moyen de
le mettre en parallele avec les autres Arts
qui fe propofent de repréfenter l'homme
même. Le Blon , qu'il vous plaît de traiter
avec mépris ( quoique vos productions
ne paroiffent pas encore vous avoir acquis
ce droit ) en avoit conçu une plus haute
idée : il prétendoit le porter au point où
peut atteindre la Peinture : c'étoit fans
doute trop préfumer. En vous bornant à
moins vous feriez plus fage ; mais ce feroit
toujours diminuer de l'importance de
cet Art , & ne le mettre , en le fuppofant
à fon plus haut degré , qu'un peu au deffus
d'une enluminure bien peinte . Cette
modeftie ne fe foutient pas long - tems ;
Vos ouvrages & les éloges que vous leur YOS
I iv
200 MERCURE DE FRANCE..
prodiguez , tentent de prouver plus que
vos difcours : vous n'avez pu vous empêcher
de prétendre à repréfenter des tableaux
de figures avec les nuances fines
des carnations. Il a été un rems où les
effais de Le Blon donnoient des efpérances
de la poffibilité d'un fuccès difficile dans
ce genre on eut lieu de croire que fi
quelque Peintre habile s'y appliquoit ,
cette invention feroit fufceptible d'une
réuffite agréable. Nous verrons ci-après
fi les changemens que vous avez faits
à fa maniere d'y procéder , y ont apporté
cette perfection dont vous faites
tant de bruit. Vous apportez comme une
preuve de l'importance dont ou a cru votre
Art , les graces dont le Roi vous a
honoré ; je la laiffe fans réponſe , elle
n'eft point fujette à mon examen . Seconde
preuve , l'empreſſement du Public à acheter
Vos ouvrages. Je vous en fais mon
compliment , & je fouhaite de tout mon
coeur qu'elle foit bien fondée fur la vérité.
Ce qui pourroit la rendre douteufe ,
c'est l'activité que vous avez à réveiller
le Public , apparemment endormi , par des
annonces récidivées : de plus elle ne prouve
pas autant que vous voulez bien le
croire , & nous voyons tous les jours des
fortunes faites fur des talens de nulte valeur.
MA RS. 1756.
201
Quant au rapport favorable fait par
l'Académie des Sciences en enrégiſtrant
les Lettres Patentes , fans aller chercher
ce rapport qui ne diroit peut-être pas tout
ce que vous croyez qu'il contient ( car
Vous vous flattez aifément ) il eft bon:
que vous confidériez que les Académies
Le renferment toujours dans ce qui eft de
leur reffort , & qu'ainfi il n'eft pas vraifemblable
que l'Académie des Sciences
vous ait donné un certificat de bon cokoris.
C'eft cependant ce qui feroit la perfection
effentielle de votre talent. Il ne
differe de la gravure en maniere noire ,
qu'en ce que vous y employez les couleurs
; or il s'agit de fçavoir fi vous les
employez avec art , & c'est ce qu'aſſurément
l'Académie des Sciences ne voudra
jamais décider. 123 .
·
Si , dites-vous , les Peintres & les Gra
veurs n'ont encore rien dit de favorable pour
un Art fi propre à représenter les tableaux
dans toutes leurs beautés , il peut y avoir des
raifons particulieres qui les obligent au
filence. Que voulez vous faire entendre
par ces paroles ? Vous flatteriez -vous de
leur caufer de l'envie , & les croyez - volis
affez lâches pour refufer leurs éloges à de
véritables talens , par un fentiment fi bas ?
Vous aveugleriez -vous jufqu'à ne pas voir
I v
202 MERCURE DE FRANCE
l'efpace immenfe qu'il vous faudroit parcourir
, avant que d'approcher d'affez près
ceux d'entr'eux qui fe diftinguent , pour
qu'ils en fuffent incommodés ? Si les Peintres
habiles qui font la gloire de notre
fiecle ne difent rien de favorable pour
vous , méfiez- vous de vos talens & non
pas de leurs lumieres , & moins encore
de leur probité.
Venons maintenant à l'honneur de l'invention
dont vous êtes fi jaloux : elle confifte
uniquement , je vous le répete , à
avoir conçu qu'en gravant des planches de
la même façon que la gravure en maniere.
noire , & les imprimant de diverfes couleurs,
on pouvoit obferver telle proportion
entre ces couleurs, qu'il en réfulteroit toutes
les teintes dont on auroit befoin pour
imiter la peinture. C'est ce que le Bion avoit
trouvé avant vous , & dont il a donné des
preuves par divers ouvrages , entr'autres
dans un portrait du Roi, & dans celui de M.
le Cardinal de Fleuri. Ce qu'on y a ajouté
depuis , & ce qu'on y pourra ajouter par
la fuite , ne peut , au cas qu'il réuffiffe ,
s'appeller qu'amélioration , à moins que
de changer l'expreffion connue des termes
de la Langue. Croyez -moi , Monfieur
, renoncez à ce faftueux titre d'Inventeur
, qu'on peut même conteſter à
MAR S. 1756. 203
Le Blon , & qui , pour dire le vrai , eft de
bien peu d'importance dans cette occafion
, puifque c'eft une invention fi fimple
, qu'il fuffic d'en avoir entendu parler
, pour pouvoir en très - peu de tems
exercer cet Art avec plus de fuccès que
fes Inventeurs , en y joignant quelques
talens plus étendus que les leurs . Vous
aviez , dites -vous , travaillé à Marſeille ,
& fait une coquille à Paris avant que de
travailler chez Le Blon . Ce feroit une recherche
trop difficultueufe , que d'en
vouloir recueillir d'autres preuves que vo
tre affertion : il feroit plus difficile encore
de découvrir fi c'étoit avant que de fçavoir
s'il y avoit un Le Blon dans le monde ,
ou du moins que quelqu'un eût trouvé le
moyen de produire des eftampes imprimées
en couleur par le fecours de la gravure
en maniere noire ; cependant ce
grand fecret eft tel , que cela feul dit ,
tout le monde le fçait. Il refte feulement
à examiner quel degré de talent on apporte
dans l'exécution. Inutilement prétendrez-
vous vous faire paffer pour l'Inventeur
, vous ne le perfuaderez à perfonne.
Ne vous feroit - il pas plus glorieux
d'afpirer fimplement à l'honneur de
perfectionner un Art refté informe dans
fon enfance certes il y auroit de quoi
Ivi
204 MERCURE DE FRANCE.
fatisfaire l'ambition d'un Artiſte du premier
ordre .
La magnifique comparaifon que vous
faites de votre talent avec la découverte
du grand oeuvre , outre qu'elle ne prouve
rien , manque de jufteffe de façon ou
d'autre fi ce fecret ( vraisemblablement
impoffible ) étoit découvert , le plus ignorant
une fois inftruit des matieres qu'il y
faut employer & du procédé , le feroit
auffi parfaitement que le plus fçavant :
en ce cas ce n'eft plus un Art. Si votre
talent eft un Art , il ne fuffit pas , & ce
n'est même rien , que de fçavoir le procédé
; il y faut joindre des études & un
degré de fçavoir , qui puiffe véritablement
mériter l'eftime publique . Le fecret
de peindre à huile , bien plus important
que le vôtre , n'auroit pas acquis une
grande eftime à fon Inventeur , fi en
même-tems il n'eût pas été un des bons
Peintres de fon fiecle : en donnant à fes tableaux
le même degré de mérite que fes
Contemporains , il y ajouta un degré de
force & de folidité qui excita la curiofité.
Le Blon , dites- vous , retouchoit fes morceaux
au pinceau . Je pourrois vous répondre
que cela prouve feulement qu'il
avoit fenti le foible de ce nouvel Art , &
qu'il y fupplécit par le fecours d'un autre.
MARS. 1756 . 205
>
Mais la vérité eft que Le Blon n'étoit pas
affez habile Peintre , pour trouver dans
le peu de couleurs qu'il employoit toutes.
les reffources qu'un grand Artifte en ſçauroit
tirer. Cette forte d'Art ne pourra
arriver à quelque degré de perfection
qu'autant que quelque Peintre , & même
habile , voudra s'y attacher . Vous croyez
avoir approché de cette perfection , parce
que vous avez ajouté une planche imprimée
de noir , c'eft précisément ce noir
qui gâte tout , qui répand fur ces ouvrages
une couleur fale qui ne peut que déplaire
infiniment , & qui n'en fait , à parler
jufte , qu'une enluminure d'autant
moins fupportable , qu'elle a les prétenrions
de la Peinture. Les Peintres bons
coloriftes , évitent de fe fervir de noir
dans les carnations de la chair , & produifent
les tons les plus bruns par le mêlange
d'autres couleurs , il n'en entre au
plus que dans les plus fortes touches , encore
eft - il mêlé avec d'autres couleurs
qui le dominent. Je ne vous fais point
un crime de ne pas fçavoir ceci , n'ayant
pas été Peintre mais je demande quel
agrément peut avoir une forte de Peinture
où l'on voit percer un noir fale &
bleuâtre à travers les demi teintes qui
devroient avoir le plus de fraîcheur. Le
·
206 MERCURE DE FRANCE.
a
Blon fçavoit affez la peinture pour ne pas
tomber dans ce défaut : c'est pourquoi ilne
vouloit point forcer fa planche de noir : il
s'enfuivoit que comme la gravure en maniere
noire à peu de profondeur , elle ne
donnoit pas à fes couleurs affez d'épaiffeur
pour produire le degré de force dont
il avoit befoin . Il tenta de donner des
coups de burin pour y remédier ; mais on
les voyoit trop fenfiblement. Il crut
mieux faire d'y fuppléer par quelques
coups de pinceau . Vous avez à la vérité
tranché la difficulté par la force que
donne votre planche noire . Mais le remede
eft pire que le mal.
Ceux qui ont travaillé avec Le Blon , ou
après lui , ont bien fenti qu'ils avoient
befoin d'une planche qui , fans employer
le noir , pût ombrer avec force : ce ne feroit
pas une découverte bien difficile à
faire , ni qui dût arrêter perfonne . Il fuffic
d'avoir la moindre connoiffance de l'Art
de la Peinture ; vous - même vous l'auriez
peut - être faite fans votre prédilection
pour la couleur noire , fruit d'une
connoiffance de la théorie des couleurs
qui vous eft apparemment toute particu
liere , & qui malheureufement ne féduit
pas dans la pratique. Ce qui paroît inconcevable
, c'eft que ce foit fur cette façon
d'opérer défectueule , que vous vous
•
•
MARS. 1756. 207
donniez le titre d'Inventeur . Si vous aviez
en effet trouvé la couleur qui convient ,
ce que je vous nie , ce ne feroit toujours
qu'avoir perfectionné , ou bien il faut
qu'un Art fe puiffe inventer plufieurs fois.
En ce cas nous attendrons pour l'admirer ,
que quelqu'un fe donne la peine de l'inventer
de nouveau .
Pour prouver que vous fçaviez ce talent
avant que de travailler pour Le Blon,
vous alléguez que dès que vous avez travaillé
pour lui vous avez gagné de l'argent
mais tous ceux qui ont travaillé
pour lui ont été payés , & ne l'auroient
pas fait fans cela , d'autant plus que
quelques- uns avoient d'autres talens dont
ils interrompirent l'exercice pour lui prê
ter leurs fecours. A peine Le Blon fut- il
arrivé , qu'il trouva tout ce qui lui étoit
néceffaire , puifqu'il n'étoit queftion que
d'un genre de gravure , qui , quoique
peu ulité en France , eft néanmoins trèsaifé
, particulièrement à ceux qui ont érudié
des talens plus difficiles. Sur quoi
j'obferverai que ce n'eft point du tout un
Art nouveau que ce que vous nous vanrez
tant , mais feulement une nouvellefaçon
d'employer un Art connu. Ces Artiftes
qui ont travaillé avec Le Blon , n'ont
cependant point eu la vanité de vouloir
fe donner enfuite pour les Inventeurs ,
208 MERCURE DE FRANCE.
quoiqu'ils y euffent au moins autant de
droit que vous.
Si Le Blon , dites- vous , étoit l'Inventeur
, il auroit laiffé après lui des éleves ,
& vous êtes le feul, qui travaillez en ce
genre. J'ignore s'il y a quelqu'un en Angleterre
qui ait fuivi ce talent ; mais à
l'égard de Paris , perfonne ne fçait mieux
que vous la raifon pourquoi ceux qui
avoient travaillé chez Le Blon l'ont abandonné
, & vous avez mauvaiſe grace à
leur reprocher leur inaction , lorsque le
privilege dont vous avez joui leur a lié
les mains. M. Blakey , Peintre de mérite
, & qui joint à la fcience de fon Art
les connoiffances acceffoires qui pourroient
contribuer à la perfection de ce
gente de travail , étoit alors difpofé à s'y
livrer , & l'on pouvoit en efpérer beaucoup
de fuccès. M. Tardieu ( neveu du
célebre M. Tardien , Graveur de l'Académie
Royale ) étoit auffi fort en état de
continuer. Depuis la mort de Le Blon , il s'y
exerça conjointement avec M. le Sueur ,
habile Peintre , maintenant à la Cour de
Pruffe. Ils firent enfemble pour M. Sue
Chirurgien , Profeffeur de l'Académie
Royale de Peinture pour l'Anatomie , un
morceau d'Anatomie d'un enfant qui
étoit né avec les parties intérieures du
MAR S. 1756. 209
corps différemment placées de l'état naturel
à l'homme je puis citer ce morceau
pour l'avoir vu , comme ce qui a
été fait de mieux en ce genre. Je ne parle
pas des parties du corps qui étant ouvert ,
ne préfente que des objets de couleur entiere
& facile à imiter , mais de la tête
qui étoit peinte d'une couleur fraîche &
pure , & prouvoit fuffifamment que ce talent
pouvoit être porté loin . Ces planches
ont depuis été perdues pour avoir été gâtées
par accident chez un Artifte à qui
elles avoient été confiées ; mais je ne donte
pas que M. Sue n'en ait confervé quelque
épreuve. Si vous croyez en
en effet que
perfonne ne puiffe vous égaler dans ce talent
, laiffez la liberté à tout le monde de
s'y exercer. Au refte je ne vous fais cette
propofition qu'en fuppofant que vous le
puiffiez , fans nuire à votre fortune. Il eft
beau qu'un Artifte facrifie fes intérêts à
la gloire , mais on n'a pas droit de l'exiger.
Je laiffe la fubtile & inintelligible diftinction
que vous faites entre , imprimer
des tableaux , & faire des eftampes coloriées .
Si vous voulez l'appeller ainfi, j'y confens,
à condition que Le Blon aura auffi imprimé –
des tableaux.
Je laille pareillement la nouvelle expli210
MERCURE DE FRANCE.
cation que vous faites de vos découvertes
Phyfiques. Je vous prie feulement de remarquer
que tout autre qui fe croiroit
Auteur à découvertes , & qui les verroit
accueillies avec fi peu d'eftime de la part
des Sçavans qui ont les lumieres néceffaires
pour en juger , feroit affez fage pour
fe défier de leur probabilité.
Je viens à la maniere dont vous répondez
à la question que je vous ai faites ;
fçavoir , quels font les Académiciens qui
ont approuvé vos ouvrages : vous l'éludez
d'abord , en citant des noms de perfonnes
refpectables , & dont la connoiffance
dans les Arts eft reconnue de tout le monde
, que je n'ai point pu comprendre fous
le fimple titre d'Académiciens ; mais ce
qui eft impardonnable vous les citez fans
leur aveu , & je pourrois dire même contre
leur volonté : il eft vrai qu'il ne femble
pas que vous y rifquiez rien , &
qu'il y a lieu de penfer qu'elles croiroient
fe compromettre , fi elles en faifoient un
défaveu public. Cependant tous ceux qui
ont l'honneur de les connoître , font
très-perfuadés que l'approbation que vous
fuppofez de leur part , eft inalliable avec
leur connoiffance , & que vous n'avez pu
l'imaginer' que fur quelques politeffes générales
, dont un peu d'amour-propre vous
MARS. 1756.
231
a fait augmenter la valeur. Sur ce fondement
vous vous êtes un peu trop hâté de
célebrer votre triomphe dans la Gazette.
La preuve que vous en apportez , c'eſt
que vos ouvrages font reftés long - tems
expofés chez M. le Marquis de Marigny
à la vue de tout le monde ; elle eft bien
équivoque : ne feroit- ce point par négli
gence , & parce qu'on en auroit fait
рец
d'état. Prenez -y garde , elle eft au moins
auffi fufceptible de ce fens que de l'autre.
Ma demande avoit
uniquement rapport
aux
Académiciens Artiftes de Profeffion.
Vous ne me citez que M. Slodiz qui en
eft fort peu fatisfait , & que par conféquent
je ne vous paffe pas comme un fuffrage.
Votre fils eft un jeune homme dont la
réputation n'eft point encore faite , ainſt
je crois pouvoir parler franchement de
fes ouvrages fans rifquer de lui nuire ,
puifqu'à fon âge on peut faire des progrès
rapides , & réparer
promptement
les fautes où on eft tombé . J'efpere même
que certe lettre lui fera utile , ne fervîtelle
qu'à l'empêcher de fe livrer aux mou →
vemens d'un amour- propre dangereux. Le
cri général des Académiciens qui fe trouverent
chez M. le Marquis de Marigny
lorfque vous eûres l'honneur de lui pré
fenter les ouvrages de votre fils , fue
212 MERCURE DE FRANCE .
un étonnement de voir chez le Protecteur
des Arts , où les plus habiles ne préfentent
d'excellens ouvrages qu'avec la crainte
que trop de lumieres n'y dévoilent des
fautes ; ils furent , dis- je , furpris d'y voir
paroître des chofes fi foibles , qu'ils ne
feignirent point de qualifier de très-défagréables
, furtout par le coloris. Je ne
fuis point furpris que vous n'en jugiez
pas vous-même ainfi ; la tendreffe paternelle
, fentiment trop refpectable pour
pouvoir être blâmé , ne vous le permet
pas mais vous ne devez pas prétendre
que les autres foient aveuglés de même.
Au refte , je ne dis pas que ce foit abfolament
la faute de votre fils , la plus
grande partie en doit être rejettée fur le
peu de progrès qu'a fait jufqu'à préfent
cet Art , & fur l'exceffive prétention
d'avoir voulu l'élever jufqu'à repréfenter
des tableaux de figures. Je chercherois à
encourager votre fils s'il avoit pris un
bon chemin ; mais comme il paroît que
la route qu'il fuit ne peut que l'égarer , je
crois qu'il vaut mieux l'arrêter , & lui
confeiller , s'il veut fuivre ce talent , de
chercher à l'inventer à fon tour.
.Ne penfez point , Monfieur , que par
cette lettre , j'aie deffein de vous nuire :
vous exercez feul votre talent ; ceux à qui
MAR S. 1756. 213
il
peut être utile ne peuvent s'adreffer qu'à
vous . Je ne défire autre chofe que de vous
engager à le profeffer avec cette modeftie
honnête , qui feule donne du luftre aux
Artiſtes d'un vrai mérite . Renoncez à ces
vaneries fuperflues , & ne vous appliquez
conjointement avec votre fils , dont la
jeuneffe donne beaucoup d'efpérance , qu'à
chercher les lumieres néceffaires pour perfectionner
ce talent ; de plus , je vous déclare
que foit que vous répondiez ou non ,
c'eft pour la derniere fois que j'entre en
lice avec vous ; la confidération que j'ai
pour l'illuftre Auteur qui a bien voulu
nous prêter la carriere , ne me permet pas de
lui dérober une place qu'il peut facilement
remplir d'une maniere plus intéreſfante
pour le Public . Je fuis , & c.
GRAVURE.
LES batailles dans la Peinture exigent
un génie bouillant , impétueux , le feul
capable de foutenir la chaleur d'une action
, où l'agitation , le défordre , l'horreur
, doivent dominer. Mais ce n'eft pas
affez que l'enthoufiafme préfide à la compofition
, fi par une exécution rapide on
214 MERCURE DE FRANCE.
#
n'empêche ce beau feu de s'éteindre , fi
le Peintre ne joint à l'Art difficile de faire
rapidement beaucoup , de rien ; cet Art
plus difficile encore , d'établir l'harmonie
dans le défordre , même à l'aide du clairobfcur
, l'agent le plus immédiat & de la
plus indifpenfable néceffité , puifqu'il
s'agit dans un fujet auffi étendu , de dégrader
, placer les grouppes avec tant
d'intelligence , qu'ils fuppofent la multisude
fans l'admettre , qu'ils fervent de repouffoirs
au grouppe principal , où la lumiere
& l'ombre arrêtées fortement , ren- 1
dent toujours l'expreffion plus terrible.
Ce peu de mots fuffit pour ébaucher le
portrait d'un Peintre de bataille , il n'eft
pas befoin je penfe de prévenir qu'il s'en
trouve peu ; on le fent ainsi que l'eftime
qu'on doit à ceux qui réuffiffent dans ce
genre. De ce nombre eft Parocel le pere ;
Auteur du tableau que M. de Marcenay
vient de graver. Ce Peintre habile dans
le clair-obfcur , s'eft fervi d'un accident
de lumiere furprenant : il feint que l'action
fe paffe au foleil couchant pour
avoir un ciel plus azuré , & donner parlà
plus de valeur à des tourbillons de
flammes produits par l'embrafement d'une
Ville qui fert de fonds au premier grouppe
très-rigoureuſement ombré.
MAR S. 1756 . 215
?
>
Il n'eft pas poffible qu'il en coute moins
à créer l'efpace & le grand nombre
moyennant une douzaine de figures , tant
Cavalerie qu'Infanterie ; on croit voir
une grande armée dans une vafte campagne
fignaler fes fureurs , & rendre fa victoire
complette , en exterminant le refte
des vaincus. Ce beau feu dont je viens
de parler , répand partout fa chaleur , &
fert d'excufe aux négligences de détail
qu'on peut remarquer dans ce tableau .
1
M. de Marcenay a dédié cette eſtampe ;
la treizieme de fon oeuvre , à M. de la
Live de Jully , diftingué par fon affabilité
& fon amour pour les beaux Arts ,
qu'il fatisfait tous les jours dans cette
précieuſe collection des ouvrages des Peintres
& Sculpteurs François , qui fait autant
d'honneur à fon bon goût que l'éloge
de la patrie. C'est à quoi fait allufion
l'Epigraphe qui eft à la fuite de la Dédicace.
Cura tibi patriæ Archetypos & templa tueri.
On trouve cette eftampe chez l'Auteur
rue des Vieux-Auguftins près l'Egoût , visà-
vis la deuxieme lanterne : & chez M.
Lutton , Commis au Recouvrement du
Mercure , rue Sainte- Anne ,
216 MERCURE DE FRANCE.
Il paroît deux nouvelles Eftampes , la
Curiofité & la Ruine. La premiere eft gravée
d'après M. Pierre , par le Sieur Pelletier;
& fa femme , dont le talent mérite
d'être encouragé , a gravé la feconde
d'après Vouvermans. Le prix de la Curio.
fité eft de $ f. celui de la Ruine eft de
24. Toutes les deux fe trouvent chez le
Sieur Pelletier , rue Saint -Jacques , chez
un Limonadier , vis - à - vis la rue des
Noyers.
Le Sieur Beauvarlet vient de mettre au
jour une nouvelle Eftampe qui a pour titre,
la Cornemufe ; elle eft gravée d'après
Teniers , & fe vend chez l'Auteur , rue S.
Jacques , au Temple du Goût . On y trouve
auffi une autre Eftampe , intitulée la Fureur
bachique , & gravée par le Vaffeur
un de fes éleves , d'après Braor.
Le Sieur Rigaud , Graveur , vient de
joindre à fon Recueil des Vues des Maifons
Royales , une nouvelle vue du Chateau
Royal de Madrid , fitué dans le
Bois de Boulogne. Outre la collection des
vues , on trouve chez lui des Marines &
Paylages propre pour l'Optique. Il demeure
rue Saint-Jacques un peu au deſſus
des Mathurins.
ARTS
MARS. 1756 . 217
ARTS UTILES.
TRAITÉ D'HORLOGERIE ,
Par M. Lepaute .
NOUS Ous avons annoncé ce Livre dans le
Mercure du mois de Novembre dernier ;
l'abondance des matieres que nous avions
pour lors entre les mains , fut la feule
caufe qui nous empêcha de nous étendre
fur cet ouvrage ; mais aujourd'hui que
la voix publique , & furtout les applaudiffemens
des Artiftes qui ne fçauroient
être fufpects , ont prévenu le jugement
que nous aurions dû en porter , nous ne
fçaurions différer de rendre juftice à l'Auteur
, & de faire connoître de plus en plus
un ouvrage qui ne pourra manquer de
devenir fort utile.
La Préface eſt une partie très- intéreſfante
, foit par le ſtyle , foit par le fujet
qu'elle traite. Après avoir montré l'utilité
de l'Horlogerie , on y établit en
abrégé l'Hiftoire de fon origine & de fes
progrès , à commencer depuis Anaximandre
qui fit le premier des cadrans folaires
à Sparte , $ 40 ans avant Jefus- Chriſt ,
K
218 MERCURE DE FRANCE.
jufqu'aux pieces d'Horlogerie les plus fameufes
que l'on connoiffe de notre tems .
On y trouve en abrégé la vie de M. Sulli ,
le Reftaurateur de l'Horlogerie en France.
Ce morceau est écrit d'un ftyle à mériter
d'être lu , & fe trouve rempli d'Anec.totes
les plus curieuſes .
Le corps de l'ouvrage eft divifé en deux
Parties ; la premiere , deftinée à donner
une idée élémentaire de toute l'Horlogerie
, contient des defcriptions claires &
détaillées des Pendules & des Montres ordinaires
, avec les figures des moindres
pieces qui les compofent , toutes les précautions
que les Horlogers doivent obferver
dans la conftruction , ou celles
qu'un Particulier devroit prendre pour
bien choifir les ouvrages dont il a befoin ,
pour en juger fainement , pour en cornoître
les défauts , pour les conduire , les
régler , les faire avancer ou retarder ; tout
y eft expliqué avec un foin & une clarté
fuffifante , pour mettre une perfonne un
peu adroite en état de remédier elle - même
à de petits défauts dans une Montre
ou dans une Pendule , fans le fecours
d'un Horloger , ou de n'être jamais trompé
à cet égard . On trouve auffi dans
cette premiere Partie , l'ufage des tables
d'Equation , c'eft- à dire , de l'inégalité du'
MAR S. 1756. 219
tems vrai ou folaire , avec le détail des
inégalités des mouvemens céleftes qui en
font la fource , expliqué avec toute la
clarté & la netteté poflible. La feconde
Partie comprend d'abord des defcriptions
fuivies de toutes les pieces d'Horlogerie
qui fe font aujourd'hui , telles que les
Pendules & les Montres à fonnerie , à répétition
, à équation , à réveil , & cela
dans les conftructions les plus parfaites &
les plus modernes , car rien n'eft plus fujet
que l'Horlogerie à une révolution continuelle
qui tend chaque jour à de nouveaux
degrés de perfection.
#
L'Auteur a traité la matiere des écha
pemens , une des parties les plus délicates
de l'Horlogerie , avec toutes les connoiffances
de théorie & de pratique , dont il
avoit déja donné des preuves publiques
en plufieurs occafions , la partie hiftorique
y eft fort étendue.
Le nouvel échapement qu'il a imaginé ,
le plus parfait que l'on ait encore employé
, y eft décrit dans le plus grand détail
, de même que le procédé qu'il emploie
pour le conftruire avec la derniere
exactitude.
Les Pendules à une roue , invention
la plus finguliere que nous ait fourni
l'Horlogerie depuis quelques années , n'y
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
font point oubliées. M. Lepaute en a décrit
de trois fortes entiérement différentes
les unes des autres , avec des
figures qui en font voir le mécanisme :
les Curieux trouveront de quoi fe fatisfaire
pleinement à cet égard.
Enfin M. Lepante aufli amateur des
Sciences & de la Théorie , que de la Pratique
& des Arts , a voulu enrichir fon
ouvrage de quelques morceaux de Géométrie
que M. de la Lande lui a fourni.
Le premier eft fur les figures des dents des
roues ; l'autre , fur le calcul des nombres
de dents qu'il faut donner à un rouage ,
lui faire faire les révolutions que
l'on juge à propos ; le dernier , fur le
mouvement du pendule & fur les centres
d'ofcillations. Il feroit à fouhaiter que
l'on pût ainfi accoutumer peu à peu les
Artistes à ne pas s'effrayer du nom d'Algebre
ou de Géométrie ; quel fecours n'en
tireroit-on pas!
pour
Madame le Paute a part auffi à cet ouvrage.
Son application aux Sciences Mathématiques
eft déja connue de plufieurs
Sçavans ; & l'on ne fera point furpris en
voyant dans ce Livre une table des longueurs
de Pendule qui eft fort étendue ,
& qu'elle a calculée par le fecours des
Logarithmes.
MAR S. 1756. 221
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
LE lundi 9 Février, les Comédiens François
ont redonné l'Orphelin de la Chine ,
avec plus d'affluence que lorfqu'ils l'ont
quitté . Ils l'ont joué le Mercredi 1 , avec
Nanine , Comédie du même Auteur , qui
a eu ce jour là la gloire finguliere d'être
également applaudi dans les deux genres.
La chambrée étoit comble , & cette Tragédie
a été continuée jufqu'au 23 , que les
mêmes Comédiens ont donné la premiere
repréſentation de la Coquette Corrigée , Comédie
en vers en cinq actes , de M. de la
Noue.
- Cette piece a été bien reçue , & réunit
tout ce qui peut mériter l'eftime
du Public. Le coloris , les détails & les
vers heureux foutiennent les premiers actes.
Le fentiment & l'intérêt regnent dans
les deux derniers , & furtout dans le cinquiéme.
La converfion de la Coquette eft
préparée avec beaucoup d'art , & forme
1
K iij
222 MERCURE DE FRANCE.
un dénouement qui a été généralement
applaudi avec juftice. Mais un éloge auffi
honorable pour l'Auteur que pour la piece
, c'eft qu'elle brille par les moeurs autant
que par l'efprit. Nous ne devons pas oublier
une circonftance finguliere. M. de
la Noue a joué le principal rôle dans fa
Comédie . Quelle fituation pour un Auteur
! Il a fçu la peindre lui- même aux
yeux du Public avec une éloquence modefte
, dans une courte harangue qui a
précédé la repréfentation de l'ouvrage ; elle
a vivement intéreffé pour lui , & reçu l'approbation
univerfelle. Nous parlerons plus
au long de cette Comédie dans le mois
prochain.
COMEDIE ITALIENNE.
LEs Comédiens Italiens ont donné famedi
14 , la Pipée pour la neuvième fois . Elle
eft toujours bien accueillie . Mlle Catinon
y joue non feulement avec grace , mais
elle y chante avec juftelle. Chaque jour
développe en elle de nouveaux talens.
Nous donnerons le plutôt qu'il nous fera
poffible l'extrait où le précis de cet intermede.
On a exécuté le 19 , un nouveau
Ballet pantomime de M. Dehelle. U a pour
MARS. 1756.
223
titre les Artiſans , & a été juliement applaudi.
On doit remettre famedi 28 , Ninette
à la Cour, avec des changemens confidérables.
Quoique dans fa nouveauté elle ait
réuffi en trois Actes , l'Auteur l'a réduite
à deux. Il y a tout lieu de croire que l'action
étant plus preffée , & les beautés plus
rapprochées , la piece doit plaire encore
davantage,
Monfieur Favart a toujours eu l'attention
de confulter la voix publique. fur fes
ouvrages , & l'art de les perfectionner
d'après elle. Cette voix feule eft le guide
& l'oracle des Auteurs qui ont des oreildes
pour l'entendre , & le talent d'en profi-
-ter . Après cette Comédie parodiée de Bertholde
à la Cour , nous annonçons le Chinois
en un Acte , parodie nouvelle d'un
autre intermede Italien qui porte ce titre.
OPERA
COMIQUE.
L'Opéra Comique fit le
3 Février
l'ouverture de fon Théâtre par Bertholde
à la Ville , le Confident Heureux , le Bal
Bourgeois , &c. Le famedi 7 , il donna Ni
caife pour la premiere fois. Cet acte a
beaucoup réuffi ; il eft de M. Vadé. L'Acteur
qui joue Nicaiſe , paroît être fait
pour
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
le rôle, & mérite les applaudiffemens qu'il
y reçoir . Cette piece eft fuivie d'un Balet
Pantomine , intitulé le Berger Préféré ,
qui termine le fpectacle.
CONCERT SPIRITUEL.
LE
E 2 Février , jour de la Purification ,
le Concert Spirituel commença par une
fymphonie. Enfuite Jubilate Deo , Moter
à grand choeur de M. Mondonville . M. Richer
, Page de la Mufique du Roi , y chanta.
Mdme Veftris de Giardini chanta deux
airs Italiens . Deux Hautbois Etrangers
jouerent un concerto. Mlle Dubois chanta
un petit motet de M. Mouret. M. Balbaftre
joua fur l'Orgue l'ouverture de
Pygmalion , fuivie des Sauvages. Le Concert
finit par Exaltabo te , moter à grand
choeur de Lalande.
MAR S.
1756.
225
ARTICLE V I.
NOUVELLES
ÉTRANGERES.
DU
LEVANT.
DE
CONSTANTINOPLE , le 20 Décembre.
Selon les avis reçus de Perfe , Azad Kan ayant
marché à Cafbin , pour en réduire les Habitans
qui s'étoient révoltés , Karum Kan s'eft avancé
vers Ifpahan. A fon approche , la Garnifon qu'Azad
Kan y avoit laiffée,a abandonné la Ville après
l'avoir pillée. Les mêmes nouvelles ajoutent
qu'Achmet , Souverain des Aghuaus , eft entré
en Perfe avec une armée de cent mille hommes ;
qu'il s'y eft emparé de quelques places , & qu'il
pourfuit vivement les conquêtes.
Après la mort du Grand Vifir Nidfchangi Pacha
, on a trouvé dans fes coffres trois millions
d'écus , quoiqu'il n'ait été guere plus de deux
mois & demi à la tête des affaires de l'Empire.
Il y a eu le 2 de ce mois un áffreux incendie
au Grand Caire. Dix mille maiſons ont été réduites
en cendres , & le feu ayant pris pendant la
nuit , lorfque tous les habitans étoient livrés au
fommeil , plus de trois mille perfonnes ont été la
proie des fammes . On attribue ce malheur à la
fureur d'une des femmes du Beglerbey . Jaloufe de
la préférence donnée à une de fes rivales par ce
Pacha , elle a mis le feu au Sérail , contente de
perdre la vie , pourvu que les deux objets de fon
reffentiment euffent le même fort . Ses projets de
KY
226 MERCURE DE FRANCE.
vengeance n'ont point été remplis. Elle a péri
mais la rivale dont elle vouloit la mort , s'eft fauvée
ainsi que le Pacha. La perte causée par cet
embrafement , monte à douze millions de piaftres
.
Selon les dernieres nouvelles reçues de Perfe ,
Achmet , Souverain des Aghuans , après avoir
laiffé des Garnifons dans les places qu'il a foumifes,
eft retourné précipitamment dans les Etats,
fur l'avis que des mécontens y avoient excité quelques
troubles. Sédar Mahomet Chalan Kan , Ġouverneur
du Mafanderan , a quitté le parti d'Azad
Kan , pour ſe joindre à Karum Kam.
DU NORD.
DE COPPENHAGUE, le 8 Janvier.
On n'apprend point que les derniers tremble.
mens ayent caufé de dommages dans aucune Ville
de Danemarck. Les effets produits par les fecouffes
ont été beaucoup moins fenfibles fur terre ,
que fur les eaux. Celles d'un Lac du Comté de
Laurvig ont éprouvé une agitation extraordinaire.
Les liens d'un train de bois de charpente
fe font rompus , & tout le bois a été difperfé.
Quelques barques ont été jettées fur le rivage ,
mais une feule a été fubmergée par les flots.
DE DRONTHEIM , le 16 Janvier.
La petite vérole ayant fait ici beaucoup de ravage
l'année derniere , M. Wachsmuth , Chirurgien
, a cru rendre fervice à cette Ville , en y introduifant
l'ufage de l'inoculation . Il en a fair
l'effai fur un de les enfans , âgé de deux ans. Cette
premiere expérience ayant réuffi , on en aten¬
MAR S. 17565 227
té plufieurs autres . Elles ont eu toutes un égal
fuccès , & il y a déja eu quarante enfans inoculés
. Un jeune homme de vingt- deux ans , ne fe
fouvenant pas s'il avoit eu la petite vérole , fe
l'eft fait donner par la même méthode . L'inocu
lation n'a produit aucun effet , & le jeune homme
n'en a point été incommodé .
ALLE MÀ G N E.
DE DRESDE , le 2 Février.
On apprend d'Erford , que la nuit du 13 au 14
de Janvier , pendant un violent ouragan , la terre
s'eft entr'ouverte dans le village d'Ofermiffen , &
qu'il s'eft formé un gouffre , dont l'ouvertute a 33
pieds de diametre. Sa partie inférieure eft remplie
d'eau , & l'on n'a pu en trouver le fond avec une
corde de cinquante toifes de longueur.
On écrit de Bilvenfels , de Bavenſtein , d'Inwalde
& d'Altenbourg , qu'on y a effuyé diverſes
fecouffes de tremblement de terre , & que plufieurs
maiſons en ont été fortement ébranlées .
DE HANOVRE , le 28 Janvier.
Depuis l'arrivée du dernier courier que la Régence
a reçu de Londres , le bruit court qu'on fera
une réforme de quelques hommes par Compagnie
dans les troupes de cet Electorat . Comme
il eft extrêmement difficile d'empêcher la contrebande
du tabac , on penfe à fupprimer l'impoſition
établie ſur cette marchandiſe , & l'on y ſubftituera
une capitation modique , que payeront
toutes les perfonnes au deflus de l'âge de feize
ans .
K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
DE COLOGNE , le 26 Janvier.
Ce matin , à trois heures cinquante - cinq minutes
, on a effuyé ici pendant fept ou huit fecondes
une legere fecouffe de tremblement de terre ,
dont la direction paroiffoit être de l'Ouest à l'Eft
ESPAGNE.
DE BELEM , le 10 Janvier.
Il y eut le 21 Décembre une nouvelle fecouffe
de tremblement de terre. L'Hôtel qu'occupe ici
le Comte d'Aranda , Ambaffadeur Extraordinaire
du Roi d'Espagne , fut confidérablement ébranlé.
Pour comble de malheur , le feu prit fubitement
au rez de chauffée & au premier étage avec une
telle violence , que l'Ambaffadeur & plufieurs de
fes Domeftiques coururent rifque d'être la proie
des flamines . Le Comte d'Aranda, en voulant ſauvet
une caffette où étoient fes papiers les plus importans
, a eu la main droite brûlée . Plusieurs des
édifices , qui étoient reſtés ſur pied à Liſbonne ,
ont été totalement détruits. Le Tage a fubmer
gé prefque entiérement le territoire de la Ville
ruinée. Par-là on a perdu en partie l'efpérance
de retirer de deffous les décombres les richeſſes
qui s'y trouvent ensevelies. Il eſt difficile de peindre
la défolation , dans laquelle ce nouveau défaftre
a jetté les efprits . Le découragement augmente
à tel point , qu'il eft impoffible de faivre
aucunes mefures. Les villes de Portugal , ſituées
Près des frontieres de l'Espagne , ayant moins
fouffert que celles qui font fur la côte , regorgent
d'habitans qui font allés y chercher afyle.
Depuis la violente fecouffe du 21 Décembre ,
MARS.
1756.
& ceffe qui l'a fuivie le 25 , on n'a prefque point
229
paffé dejours fans en effuyer quelques- unes. Quoiqu'elles
foient légeres , elles tiennent ici tout le
monde dans
l'épouvante. On paffe l'hyver dans des
barraques ,ou fous des
tentes.Douze
Bataillons ont
forméun camp , & ils détachent
alternativement
des
patrouilles , pour
empêcher les Brigands de
troubler la
tranquillité publique. Il paroît que la
réfolution eft prife de rebâtir cette Capitale dans
fon même
emplacement. Les rues de la nouvelle
Liſbonne feront tirées au cordeau , & l'on donnera
aux places publiques une décoration réguliere . Sa
Majefté a pris de fi juftes mefures , qu'on ne croit
pas qu'elle faffe ufage des fommes qui lui ont été
envoyées ou offertes par diverfes Puiffances .
Selon les avis du
Royaume des Algarves , le
dé faftre n'y eft pas moins grand que das le Portugal.
Plufeurs Villes font en partie ruinées.
Quelques Bourgs font totalement détruits. La
mer fortie de fon lit , a inondé la largeur d'une
lieue de pays le long des côtes. La pointe du Cap
de la Baque s'eft
confidérablemeut
affaiffée.
La flotte deftinée pour
Fernambouc mit à la
voile le 4 Janvier. On lui a donné pour eſcorte
un vaiffeau Garde- Côte , parce que tous les magafins
de la Marine étant réduits en cendres , on
n'a pu équiper le vaiffeau de guerre qui devoit
la
convoyer.
D'AN CÔNE , le 23 Janvier.
Sur la fin du mois dernier , on eut ici deux fe
couffes de
tremblement de terre , qui furent peu
fenfibles. Le premier de ce mois , on en fentit une
plus confidérable. Elle n'a cependant caufé que
très peu de dommage. Il y eat les une légere fecouffe
à Rimini .
230 MERCURE DE FRANCE.
GRANDE- BRETAGNE.
DE LONDRES , le 9 Février.
On fait monter à plufieurs millions fterlings
les pertes que les fujets du Roi ont effuyées par
le défaftre de Lisbonne. Toutes les lettres d'Amérique
ne parlent que des ravages caufés par les
Sauvages dans quelques unes des Colonies Angloifes.
Si l'on en croit les bruits publics , il a été ftipulé
par le Traité qui vient d'être conclu entre
cette Cour & celle de Berlin , que la Grande-
Bretagne payeroit au Roi de Pruffe vingt mille
livres fterlings pour indemnité des prifes illégitimes
faites fur les Prufliens par les Anglois pendant
la derniere guerre , & qu'en conféquence
Sa Majesté Pruffienne acquitteroit le refte des
dettes hypothéquées fur la Silésie.
On parle de former un camp dans la plaine de
Finchley. Le bruit court que le Corps de troupes
Heffoifes à la folde de la Grande- Bretagne , doit
être transporté inceffamment en Angleterre. Le
Gouvernement paroît être dans le deffein de
lever encore fix nouveaux Régimens. Les Amiraur
Ofborne , Moftyn & Townshend , firent voile
de Spithéad le 31 du mois dernier avec quinze
vaiffeaux de ligne & quatre frégates . Ils feront
joints à Plymouth par une Efcadre de fix vaiffeaux
& de huit frégates, que commande l'Amiral Weft.
Ces Amiraux prendront fous leur convoi une flotte
de deux cens navires marchands , qu'ils eſcorteront
jufqu'à une certaine hauteur . L'Amiral Holbourne
n'attend que fes derniers ordres pour
partir de Portſmouth avec fon Efcadre. Il a arboré
fon pavillon à bord du vaiffeau le Prince Geor
ges , de quatre -vingt - dix canons. Sur la nouvelle
MARS. 1756. 231
que
le Roi Très- Chrétien a fait arrêter tous les
bâtimens Anglois qui fe font trouvés dans fes
ports , la Cour a envoyé ordre dans les différens
perts de la Grande- Bretagne aux navires chargés
pour la France , de fufpendre leur départ.
Il paroît qu'on ne fera paffer d'abord en Angleterre
qu'une partie des troupes Heffoifes qui
ont été prifes à la folde de la Grande - Bretagne.
Le Gouvernement eft dans la réfolution d'augmenter
l'Infanterie en Irlande , jufqu'à douze
mille hommes . On y a envoyé ordre au Régiment
du Lord Jean Murray , à celui du Général
Orway , & à un Bataillon de Royal Ecoffois de fe
tenir prêts à s'embarquer pour la nouvelle Angleterre
. Les lettres qu'on reçoit de cette colonie ,
marquent que trois Officiers font partis de Philadelphie
pour faire conftruire dix Forts depuis la
riviere de Delawar jufqu'à Wills- Creek , ce qui
comprend une étendue de deux cens cinquante
milles. Ces avis ajoutent que les Gouverneurs
des différens établiffemens de l'Amérique Septentrionale
fe font raffemblés à la nouvelle Yorck ,
afin de concerter enfemble les opérations de la
campagne prochaine. Si l'on en croit les mêmes
avis , les fix Nations Iroquoifes fe font rangées
du côté des François. Hier l'Amiral Boscawen
partit pour Postmouth , où il va prendre le commandement
d'une Eſcadre. Celle qui eft fous les
ordres des Amiraux Oſborne , Mostyn & Townshend
, arriva le 3 à Plymouth , & y fut jointe lemême
jour par celle de l'Amiral Weft. Elles mirent
enfuite à la voile avec un vent favorable
pour leurs deftinations . Sa Majefté a nommé le
Comte d'Albemarle , Major Général .
Deux Juifs , dont l'un ſe nomme Wolf Iſaac
Liebman , & l'autre Jacob de Nadan Lévi Son232
MERCURE DE FRANCE.
fino , ont fait ici deux banqueroutes très - conf
dérables. La difette d'argent commence à être
telle ,que fideux navires chargés de piaftres qu'on
attend de Cadix n'arrivent pas bientôt , la confternatiod
fera générale.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
PAr Lettres- Patentes octroyées aux Chanoineffes
d'Alix , le Roi ( « voulant donner un témoi
gnage de la diftinction qu'il a fait du Chapitre
» noble d'Alix , & traiter favorablement un an-
» cien établiſſement avantageux à la Nobleffe ,
» & qui s'est toujours foutenu avec dignité. » )
a accordé aux Chanoineffes de ce Chapitre de
porter une médaille d'or émaillé , furmontée d'une
Couronne comtale , & attachée à un ruban ponceau
qu'elles porteront en écharpe. La médaille
eft une espece de croix pattée , fur laquelle d'un
côté font ces mots pour devife , Nobilis infignia
voti ; & de l'autre cette devife autour d'un Saint
Denis , Patron de ce Chapitre, Aufpice Galliarum
Patrono.
La Reine a choifi pour fon Confeſſeur le Pere
Biégenski , de la Compagnie de Jefus , & Polonois
de nation .
Le Roi a donné fon agrément au mariage de
M. le Comte d'Egmont , Brigadier de Cavalerie , &
Meftre de Camp d'un Régiment de fon nom ,
avec Mademoiſelle de Richelieu , fille de M.le
Maréchal Duc de Richelieu , Pair de France,
MARS. 1756. 233
Gouverneur de Guyenne , & premier Gentilhomme
de la Chambre de Sa Majefté.
•
Les ravages caufés dans Avignon par le débordement
du Rhône , avoient empêché cette Ville ,
pour lors trop occupée de fes malheurs , de témoigner
auffi -tôt qu'elle fut informée de la naiffance
de Monfeigneur le Comte de Provence , la
part qu'elle prenoit à cet heureux événement.
Dès qu'elle a été délivrée de fes allarmes , un de
fes premiers foins a été de faire éclater la joie
que lui infpiroit la nouvelle faveur accordée
par le Ciel aux François. Le 11 de ce mois , on
chanta dans l'Eglife métropolitaine un Te Deum
en Mufique , qui fut annoncé par une falve générale
de l'artillerie , & entonné par l'Abbé de
Monpefat , Grand Archidiacre. M. Paffionei
Vice-Légat , y affifta , accompagné des Viguier,
Confuls & Affeffeur , du Corps de Ville , & des
Magiftrats des différens Tribunaux. Il fut aifé de
s'appercevoir de la fatisfaction que les principales
perfonnes detous les Ordres reffentoient d'être interpretes
des fentimens des habitans , qui dans cette
occafion parurent oublier toutes leurs calamités
paffées. Le foir on tira un feu d'artifice . Il y eut de
magnifiques illuminations à l'Hôtel de Ville , à
ceux des Viguier , Confuls & Affeffeur , & à
ceux du Duc de Gadagne, du Marquis de Peruffis ,
du Vicomte de Cambis - d'Orfan , & du Marquis
de Forbin. L'hôtel de Monpefat ne fut pas ifluminé
avec moins de goût & de dépenfe , & PAbbé
de Monpelat fit tirer plufieurs boîtes de fufées
volantes. Le Marquis de Monpelat fon frere
a fignalé pareillement fon zele par les fêtes qui
ont été données conféquemment à fes ordres
dans fes terres du Languedoc & du Dauphiné.
Le 2 Février , Fête de la Purification de la Sain
234 MERCURE DE FRANCE.
Vierge , les Chevaliers , Commandeurs & Offciers
de l'Ordre du Saint - Esprit , s'étant affemblés
vers les onze heures du matin dans le cabinet
du Roi , Sa Majesté tint un Chapitre . L'information
des vie & moeurs , & la Profeffion de
foi de M. le Prince Camille , du Duc d'Harcourt ,
du Duc de Fitz-James & du Duc d'Aiguillon , qui
avoient été propofés le premier Janvier pour étre
Chevaliers , ayant été admiſes , ils furent introduits
dans le cabinet , & reçus Chevaliers de l'Ordre
de Saint Michel. Le Roi fortit enfuite de fon
appartement pour aller à la Chapelle . Sa Majefté,
devant laquelle les deux Huiffiers de la Chambre
portoient leurs Maffes , étoit en manteau ,
le Collier de l'Ordre par deffus , ainfi que celui
de l'Ordre de la Toifon d'or. Elle étoit précédée
de Monfeigneur le Dauphin , du Duc d'Orléans ,
du Prince de Condé , du Comte de Charolois, da
Comte de Clermont , du Prince de Conty , du
Comte de la Marche , du Comte d'Eu , du Duc de
Penthiévre , & des Chevaliers , Commandeurs &
Officiers de l'Ordre. Les nouveaux Chevaliers en
habits de Novices , marchoient entre les Chevaliers
& les Officiers. Le Roi aſſiſta à la bénédiction
des Cierges , & à la Proceffion qui fe fit autour
de la Chapelle . Après la grand'Meffe célébrée
par l'Evêque Duc de Langres , Prélat-Commandeur
, Sa Majefté monta fur fon Thrône , &
revêtit des marques de l'Ordre les quatre nou
veaux Chevaliers. Le Prince Camille eut pour
parrein le Comte de Brionne. Le Maréchal Duc
de Belle-Ifle fut parrein du Duc d'Harcourt. Les
parreins du Duc de Fitz - James & du Duc d'Aiguillon
furent le Duc de Fleury & le Duc d'Ayen.
Cette cérémonie étant finie , le Roi fut reconduit
àfon appartement en la maniere accoutumée.
MAR S. 1756. 235
M. le Marquis de Monteil , Colonel au Corps
de Grenadiers de France , a été nommé par le Roi
Miniftre Plénipotentiaire de Sa Majesté auprès de
l'Electeur de Cologne.
Le Roi a accordé à M. le Vicomte de Suzy ,
Lieutenant - Général des armées de Sa Majefté ,
Grand Croix Honoraire de l'Ordre Royal & Militaire
de Saint Louis , & Major des Gardes du
Corps , le Gouvernement des Ville & Citadelle
Saint-Jean-Pied-de -Port , vacant par le décès
du Comte de Bukeley , Lieutenant - Général , &
Chevalier des Ordres de Sa Majesté .
de
2.
le
Les Directeurs des Hôpitaux de Troye ayant
fupplié le Duc de Penthiévre , lorsqu'il paffa par
cette Ville au mois d'Avril de l'année derniere, de
pofer la premiere pierre du nouveau bâtiment
qu'ils font conftruire pour l'Hôtel- Dieu . Ce Prince
avoit chargé M. de Paget , Bailli de la Ville ,
de le repréfenter en cette occafion. Le 26 Jan
vier , jour fixé pour la cérémonie , les Directeurs
s'affemblerent vers les deux heures après
midi en leur Bureau , où peu de momens après
Corps de Ville , fuivant l'invitation qui lui avoit
été faite , arriva , précédé & fuivi de quatre Compagnies
de la Milice Bourgeoife. Auffi-tôt qu'il
fut entré , les Directeurs efcortés de deux de ces
Compagnies allerent prendre M. de Puget au Palais,&
le conduifirent à l'Hôtel - Dieu . M. de Puget,
au bruit des tambours , des trompettes , & de
plufieurs falves de moufqueterie , pofa fur la pre
miere pierre du nouveau bâtiment un marbre ,
fur lequel les armes de M. le Duc de Penthiévre
font gravées avec une infcription. Après la cérémonie
, M. de Puget fut reconduit au Palais
dans le même ordre. En y entrant , il fut falué
d'une nouvelle décharge de Moufqueterie. Une
236 MERCURE DE FRANCE.
grande affluence de peuple fe trouva à cette cétémonic
, & on lifoit fur les vifages de tous les ha
bitans leur reconnoiffance pour les libéralités dont
M. le Duc de Penthiévre a daigné favorifer les
Pauvres de la Ville.
Le Roi tint le 2 de ce mois , dans fon Cabinet,
un Chapitre de l'Ordre du Saint -Elprit . L'information
des titres , vie & moeurs , & la Profeffion
de Foi de M. le Comte de Stainville , Ambaſſadeur
Extraordinaire du Roi auprès du Saint Siege ; du
Comte de Bafchi , Ambaffadeur du Roi en Portugal
, & du Prince Louis de Wirtemberg , y farent
admifes ; & Sa Majeſté a envoyé à ces nouveaux
Chevaliers les marques de fes Ordres , avec la permiffion
de les porter.
Madame la Marquife de Pompadour a été nommée
Dame du Palais de la Reine. En cette qualité
, elle fut préfentée le 8 à Sa Majesté par Madame
la Ducheffe de Luynes.
M. le Marquis de Verneuil ayant demandé la
permiffion de fe démettre de fa Charge Platroducteur
des Ambaſſadeurs , le Roi en a accordé
l'agrément à M. de la Live de Jully.
Il eft enjoint aux Officiers tant de l'Infanterie
Françoife & Etrangere , que des Régimens de
Dragons , de Troupes Légeres & de Volontaires ,
de même qu'aux Officiers des Bataillons du Corps
Royal d'Artillerie & du Génie , & des Compagnies
de Mineurs & d'Ouvriers , qui font abfens de leurs
Corps , par congé ou par femeftre , de s'y rendre
le premier du mois d'Avril prochain. A l'égard
des Officiers des Régimens de Cavalerie , tant
Françoife qu'Etrangere , ils ne font tenus de rejoindre
leurs Corps , qu'à l'expiration de leur femeftre
ou de leurs congés.
Sa Majefté a jugé àpropos de proroger jufqu'au
F
MARS.
1756.
237
mois d'Avril prochain , le complet des Compagnies
nouvelles de fon Infanterie Françoiſe , dont
elle a prefcrit la levée par fon Ordonnance du
premier Août de l'année derniere.'
AVIS
M. Gallonde ,
Horloger du Roi , avoir
mis en loterie une Pendule
finguliere &
unique en fon genre. On en fit le tirage
le 27 de Janvier dernier , comme le Mercure
du même mois l'avoit annoncé , &
le numéro gagnant eft cinq cens vingtneuf.
みん
A
ERRAT A.
Pour le
Mercure de Février.
Page 19 , ligne 2 , méprifer fes délices , lifez ,
méprifer les délices..
Page 46 , lig. 30 , j'ai ſacrifié mon bonheur à celui
de votre aimable fils , lifez , de votre aimable
fille.
Page 52 , lignes & 6.
Et ne produis fous une écorce amer
Qu'un fruit encore plus amere
lifez,
Et ne produis fous une écorce amere,
Qu'un fruit encore plus amer ,
Page 75 , lig. 6 , M. Baſtidea écrit , lif. M. de
Baftide a écrit.
238
Page 100 , lig, 19 , encore faut-il qu'elle m'e Lchaîne
, lif. encor faut- il , & c.
Page 122 , lig. 21 & 22 , les ouvrages à Anglo o
lif. les ouvrages Anglois.
Même page , lig. 23 , nôtre goût , lif. à notrey
goût.
Page 210 , lig. 19 , qu'il a remis , lif. qu'elle a
remis.
Page 222 , lig. 24 , Morillon , Curé , lif. Moteilhon
, &c.
APPROBATION.
J'lier , le Mercure du mois de Mars , & je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 28 Février 1756.
' Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chance
GUIROY
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
La Papillon & le Lierre , fable , E
Soliman II, anecdote Turque ,
page s
Ode préfentée au Roi de Pologne , Duc de Lorraine
& de Bar , 33
Suite de l'Examen de la Surdité & de la Cécité ,
par un Sourd ,
Vers à M. de Boifly ,
38
54
55
Vers à Madame de Stainville , pour le premier
jour de l'an ·
239
Lettre d'un Bourgeois de Bordeaux , à l'Auteur du
Mercure , 57
Ode fur la Naiflance de
Monfeigneur le Comte de
Provence , 64
Vers fur une petite figure d'émail
repréſentant
l'Amour ,
67
Lettre à l'Auteur du Mercure , au fujet de MM .
Aubert ,
Vers à M. le Baron de
Marchais ,
Ves à
Madame de
Forgeville ,
68
72
73
Ver fur
l'indifpofition de M. de Fontenelle , 74
Secode Lettre de M. Voifin , à M. le Prince
de ***
>
Vers 1 ur l'Eloge de M. de
Montefquieu ,
Vers at Roi de Pruffe ,
75
83
84
Vers à Mademoiſelle Brohon , fur fa Nouvelle intitulé
, les Graces de l'Ingénuité ,
Rondeau
ibid.
85
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
Mer cure de Février ,
Enigmes & Logogryphes ,
Chankion ,
86
ibid.
90
ART. II.
NOUVELLES
LITTERAIRES.
Extrait des Ouvrages lus à l'Affemblée publique
de la Société Littéraire de Clermont en Auvergne
,
Extrait , Précis ou Indication de Livres nouveaux
,
+91
101
Lettre à l'Auteur du Mercure au fujet de la grande
édition des Fables de la Fontaine ,
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
119
137
Médailles. Devifes pour les Jettons du premier
Janvier 1756 ,
Hiftoire. Défi Littéraire fignifié par M. d'Hozier240
de Sérigny , Juge d'Armes de France en furvivance
, au corps entier de la Littérature , &
finguliérement
à ceux de ce corps qui s'attachent
au genre Diplomatique ,
140
Hiftoire naturelle. Mémoire fur les os foffiles , par
M. l'Abbé de Brancas ,
168
Séance publique de l'Académie des Belles - Lettre
de la Rochelle ,
ART. IV. BEAUX - ARTS.
17
Mufique.
Peinture. Lettre à M. Gautier ,
Gravure.
Horlogerie.
ART. V. SPECTACLES.
bance
e n'y ai
Comédie Françoiſe.
effion .
Comédie Italienne .
Opéra Comique.
Y:
Concert Spirituel,
ARTICLE
VI.
Nouvelles étrangeres ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
vis.
La Chanson notée doit regarder la Page 90.
22
234
237
De l'Imprimerie de Ch. A. JoMBERT.
L
Ve
Ve
Ver:
Seco
de
Vers i
Vers al
Vers à
titulé
Rondeau
Explica
Mer
Enign
Chant
Qualité de la reconnaissance optique de caractères