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1755, 08-09
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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
A OUST 1755.
Diverfité, c'est ma devife . La Fontaine .
Chez
Cochin
FiliusLov
Popillo Sculp
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais .
PISSOT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques
Avec Approbation & Privilege du Roi
M
AVERTISSEMENT.
IE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTION , Avocat , & Greffier - Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers .
C'est à lui qu'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. de Boiſſy
Auteur du Mercure.
Le prix eft de 36 fols , mais l'on ne payera
d'avance , en s'abonnant , que 21 livres pour
l'année , à raison de quatorze volumes . Les
volumes d'extraordinaire feront également de
30fuls pour les Abonnés , fe payeront avec
l'année qui les fuivra.
Les perfonnes de province auxquelles on
l'enverra par la pofte , payeront 31 livres
10 fols d'avance en s'abonnant , & elles le
recevront franc de port.
Celles qui auront des occafions pour lefaire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront qu'à raison de 30
fols par volume , c'est- à- dire 21 livres d'avance
, en s'abonnant pour l'année , fans les
extraordinaires .
Les Libraires des provinces ou des Pays
CANNEXA
A ij
étrangers, qui voudront faire venir le Meri
cure , écriront à l'adreſſe ci - deſſus.
On Supplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la pofte , en payant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le payement en foit fait d'avance an
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteroni au rebut.
L'on trouvera toujours quelqu'un en état
de répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine, aprèsmidi.
On peut fe procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainfi que les Liures
, Estampes & Mufique qu'ils annoncent .
MERCURE
DE FRANCE.
AO UST . 1755.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
PORTRAITS
DE CINQ FAMEUX PEINTRES
D'ITALIE.
Le Parmesan.
CEft fans doute des mains des graces
Que cet artiſte a reçu les pinceaux ,
A iij
MERCURE DE FRANCE.
L'élégance , l'efprit , faivent par- tout les traces.
A cette riche empreinte on connoît ſes tableaux.
Le vent femble jouer avec les draperies ,
La belle touche : Ah ! Dieux , quel contour immortel!

Peut- on trop admirer ces figures cheries ?
Tout y fent le Correge & le grand Raphaël .
Philippe Lauri.
Ce Peintre fait l'hiftoire avec goût & fineffe ,
Mais ce n'eft qu'en petit ; il dégénere en grand.:
Ses fonds payfagés font frais , pleins de vagueffe
Leur fite eft embelli du fard qu'il y répand .
Quel aimable crayon ! que d'efprit il diftille !
A créer de l'efpace il fe montre fçavant ,
Si Lauri des Romains n'eft pas le plus habile ,
11 eft Phonneur du fecond rang.
Le Primatice.
Les charmes du pinceau romain
Furent chez les François tranſplantés par ce Maître.
L'on vit Fontainebleau décoré de ſa main .
Le Roffo le craignit dès qu'il put le connoître.
Quelle gloire ! il parut au-deffus des bienfaits ,
Dont quatre de nos Rois à l'envi le comblerent .
On crut du Parmeſan revoir en lui les traits :
Du mauvais goût enfin fes talens triompherent.
A O UST. 1955 :
Polidore.
De vil manoeuvre il devint Peintre habile ,
En voyant les beautés qu'enfantoit Raphaël.
Que de correction ! que de goût dans ſon ſtyle !
La nature y confacre à l'antique un autel .
S'il peint de clair-obfcur des frifes ou des armes
L'oeil par le feul toucher peut être détrompé."
Son payfage auffi féduit par mille charines ,
Le connoiffeur s'oublie en étant occupé.
Louis Garzi.
Dans ces grouppés d'enfans , quels ragoût de cou
leur .
Quel tendre dans leur chair ! oui , le fang y circules
Cet ange me ravit par fa douce fplendeur ;
Mon oeil d'un jour divin croit voir le crépuscule .
Je reconnois Garzi , frais , correct , & ſçavant , `
Traitant bien payfage , hiftoire , architecture .
L'âge fur fa vigueur lance un trait impuiffant.
Prêt à payer rribut à la nature *
Un chef- d'oeuvre nouveau couronna ſon talent.
* Il s'engagea à l'âge de quatre-vingt ans , par
ordre de Clement XI , à peindre la voûte de l'Eglife
desftigmates , qu'il termina heureuſement. Rien n'y
fent la vieilleffe , & l'on regarde ce morceau comme
le triomphe de ce grand maître.
0904
6345
Aug
,Sep
1755
.
A j
ANNEX
A
MERCURE DE FRANCE.
ROSA LI E.
Hiftoire véritable , par M. T....
Le celle d'etre odieux quand il n'a point
étouffé les qualités de l'ame . Une foibleffe
de coeur prend auffi fouvent fon origine
dans une certaine facilité d'humeur que
dans l'attrait du plaifir. Un amant fe préfente
, ou il eft enjoué , ou il eft homme à
fentiment. Le premier eft le moins dange
reux , il ne féduit jamais qu'une étourdie ,
& il ne triomphe que dans une faillie téméraire
: Le fecond , plus refpectueux en
apparence , va à fon but par la délicateffe
vante fa conftance, déclame contre les perfi
des, & finit par l'être. Que devient une jeune
perfonne qui dans l'ivreffe de la gaieté
s'eft laiffée forprendre , ou qui eft tombée
dans le piége d'une paffion décorée extérieu
rement par le fentiment ? ce que font prefque
toutes celles qui ont débuté par une
fragilité , elles fe familiarifent avec le vice ,
elles s'y précipitent ; l'amour du luxe & de
l'oifeveté les y entretient ; elles ont des
modeles , elles veulent y atteindre ; incapables
d'un attachement fincere elles en
E vice n'est jamais eftimable , mais il
A O UST. 1755. 9
affectent l'expreffion , elles ont été la dupe
d'un homme , & elles fe vengent fur
toute l'efpece. Heureufes celles dont le
le coeur n'eft point affez dépravé pour fe
refufer aux inftances de la vertu qui cher
che à y rentrer .
Telle étoit Rofalie , elle étoit galante
avec une forte de décence . Ses moeurs
étoient déréglées , mais elle fçavoit louer
& admirer la vertu . Ses yeux pleins de
douceur & de vérité annonçoient fa franchife.
On entrevoyoit bien dans fa démarche
, dans fes manieres le manege de
la coquetterie , mais fon langage étoit modefte
, & elle ne s'abandonna jamais à ces
intempérances de langue , qui caractériſent
fi baffement fes femblables . Fidele à fes
engagemens , elle les enviſagea toujours
comme des liens qu'elle ne pouvoit rompre
fans ingratitude , & les conventions
faites , l'offre la plus éblouiffante n'auroit
pû la déterminer à une perfidie.
Elle ne fut jamais parjure la premiere.
Son coeur plus fenfible à la reconnoiffance
qu'à l'amour , étoit incapable de ſe laiffer
féduire à l'appas de l'intérêt & aux charmes
de l'inconftance . Solitaire , laborieuſe,
fobre , elle eût fait les délices d'un mari
fi une premiere foibleffe ne l'eût en quelque
façon fixée à un état dont elle ne
A v
to MERCURE DE FRANCE,
pouvoit parler fans rougir. Affable , compatiffante
, généreufe , elle ne voyoit jamais
un malheureux fans lui tendre une
main fecourable ; & quand on parloit de
fes bienfaits , on difoit que le vice étoit
devenu tributaire de la vertu . Des lectures
fenfées avoient ranimé dans fon coeur les
germes d'un beau naturel. Elle y fentoit
renaître le defir d'une conduite raifonnable
, elle vouloit fe dégager , & elle méditoit
même depuis long-tems une retraité
qui la fauvât de la honte d'avoir mal vécu ,
& du ridicule de mieux vivre , mais elle
avoit été arrêtée par un obftacle ; elle avoit
voulu fe faire une fortune qui put la mettre
à l'abri des tentations qu'elle infpiroit , &
des offres des féducteurs enfin elle vouloit
être vertueufe à fon aife ; elle ambitionnoit
deux cens mille francs , & par
dégrés elle étoit parveuue à les avoir . Contente
de ce que la fortune & l'amour lui
avoient procuré , elle avoit congédié fon
dernier amant , elle fe préparoit à fuirloin
de Paris les occafions d'une rechûte .
:
Ce fut alors qu'un jeune Gentilhomme
nommé Terlieu , vint loger dans une petite
chambre qui étoit de plain- pied à l'appartement
qu'elle occupoit . Il fortoit tous
les jours à fept heures du matin , il rentroit
à midi pour fe renfermer , & il borAOUST.
1755 11
noit à une révérence muette fon cérémonial
avec fa voifine, La fingularité de la
vie de ce jeune homme irrita la curiofité
de Rofalie. Un jour qu'il venoit de rentrer
, elle s'approche de la porte de fa
chambre , prête l'oreille , porte un regard
fur le trou de la ferrure , & voit l'infortuné
Terlieu qui dînoit avec du pain
fec , chaque morceau étoit accompagné
d'un gémiffement , & fes larmes en fai,
foient l'affaifonnement. Quel fpectacle
pour une ame fenfible ! celle de Rofalie
en fut pénétrée de douleur. Dans ce mo
ment une autre avec les vûes les plus pures ,
eût été peut- être indifcrette , elle fe fût
écriée , & généreufement inhumaine elle
eût décelé la mifere de Terlieu ; mais Rofalie
qui fçavoit combien il eft douloureux
d'être furpris dans les befoins de l'indigence,
rentra promptement chez elle pour y attendre
l'occafion d'être fecourable avec le
refpect qu'on doit aux infortunés. Elle épia
le lendemain l'inftant où Terlieu étoit dans
l'habitude, de fe retirer , & pour que fon
deffein parut être amené par le hazard
elle fit transporter fon métier de rapifferie
dans fon anti- chambre , dont elle eut
foin de tenir la porte ouverte.
Terlieu accablé de fatigue & de trifteffe
parut à fon heure ordinaire , fit fa révé-
C
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
rence , & alloit fe jetter dans l'obſcurité
de fa petite chambre , lorfque Rofalie ,
avec ce ton de voix aifé & poli , qui eſt
naturel au beau fexe , lui dit : En vérité ,
Monfieur , j'ai en vous un étrange voifin ;
j'avois penfé qu'une femme , quelle qu'elle
fût , pouvoit mériter quelque chofe par- delà
une révérence. Ou vous êtes bien farouche
, ou je vous parois bien méprifable. Si
vous me connoiffez , j'ai tort de me plaindre
, & votre dedain m'annonce un homme
de la vertu la plus fcrupuleufe , & dèslors
j'en réclame les confeils & les fecours.
Seroit-ce auffi que cette févérité que je lis
fur votre front prendroit fa caufe de quel
que chagrin qui vous accable Souffrez
que je m'y intéreffe. Entrez , Monfieur , je
Vous fupplie : que fçavons- nous fi le fort
ne nous raffemble point pour nous être
mutuellement utiles ? je fuis feule , mon
dîner eft prêt , faites - moi , je vous conjufe
, Phonneur de le partager avec moi :
j'ai quelquefois un peu de gaieté dans
l'efprit , je pourrai peut-être vous diffi
per.
Mademoiſelle , répondit Terlieu , vous
méritez fans doute d'être connue , & l'accueil
dont vous m'honorez , annonce en
vous un beau caractere. Qui que vous
foyez , il m'eft bien doux de trouver quel
A O UST. 7753°
qu'un qui ait la générofité de s'appercet
voir que je fuis malheureux . Depuis quinze
jours que je fuis à Paris , je ne ceffe
d'importuner tous ceux fur la fenfibilité
defquels j'ai des droits , & vous êtes la
premiere perfonne qui m'ait favorisé de
quelques paroles de bienveillance. N'imputez
point de grace , Mademoiſelle , ni
à orgueil ni à mépris ma négligence à votre
égard : fi vous avez connu l'infortune ,
vous devez fçavoir qu'elle eft timide . On
fe préfente de mauvaife grace , quand le
coeur eft dans la peine . L'affliction appéfantit
l'efprit , elle défigure les traits , elle
dégrade le maintien , & elle verfe une
efpece de ridicule fur tout l'extérieur de
la perfonne qui fouffre . Vous êtes aimable
, vous êtes fpirituelle , vous me paroiffez
dans l'abondance ; me convenoit-il
de venir empoifonner les douceurs de votre
vie ? Si vous êtes généreufe , comme
j'ai lieu de le croire , vous auriez pris part
à mes maux : je vous aurois attristée .
Monfieur , répliqua Rofalie , je ne fuis
point affez vaine pour me flater du bonheur
de vous rendre fervice , mais je puis
me vanter que je ferois bien glorieufe fi
je pouvois contribuer à vous confoler , à
vous encourager. J'ai de grands défauts ,
mes moeurs ne font rien moins que régu
14 MERCURE DE FRANCE .
lieres , mais mon coeur eft fenfible au fort
des malheureux ; il ne me refte qué cette
vertu ; elle feule me ſoutient , me ranime ,
& me fait efperer le retour de celles que
j'ai négligées. Daignez , Monfieur , par
un peu de confiance , favorifer ce préfage.
Que rifquez -vous ? vos avenx , ne feront
fûrement pas auffi humilians que les miens,
& cependant je vous ai donné l'exemple
d'une fincérité peu commune. Je ne puis
croire que ce foit votre mauvaife fortune
qui vous afflige . Avec de l'efprit , de la
jeuneffe , un extérieur auffi noble , on
manque rarement de reffources. Vous foupirez
? c'eſt donc l'honneur , c'eſt donc la
crainte d'y manquer , ou de le perdre qui
caufe la confternation où je vous vois.
Oui , cette peine eft la feule qui puiffe
ébranler celui qui en fait profeflion .
+
Voilà , s'écria Terlieu avec une forte
d'emportement , voilà l'unique motif de
mon défefpoir , voilà ce qui déchire
mon coeur , voilà ce qui me rend la vie
infupportable. Vous defirez fçavoir mon
fecret , je ne réfifte point à la douceur
de vous le confier ; apprenez donc que
je n'ai rien , apprenez que je ne puis
fubfifter qu'en immolant aux befoins de
la vie cet honneur qui m'eft fi cher . Jefuis
Gentilhomme , j'ai fervi , je viens d'être
réformé je follicite , j'importune .... &
AOUST. 1755: ry
qui ! des gens qui portent mon nom , des
gens qui font dans l'abondance , dans les
honneurs , dans les dignités. Qu'en ar- je
obtenu des refus , des défaites , des dédains
, des hauteurs , le croirez- vous , Mademoiſelle
, le plus humain d'entr'eux
fans refpect pour lui - même , vient d'avoir
Finfolence de me propofer un emploi dans
les plus baffes fonctions de la Finance ! le
malheureux fembloit s'applaudir de l'iné
digne faveur qu'il avoit obtenue pour moi.
Je l'avouerai , je n'ai pû être maître de
mon reffentiment . Confus , outré , j'ai déchiré
& jetté au vifage de mon lache bienfaiteur
le brevet humiliant qu'il a ofé me
préfenter. Heureux au moins d'avoir ap
pris à connoître les hommes , plus heureux
encore fi je puis parvenir à fuir , à
oublier , à détester des parens qui veulent
que je deshonore le nom qu'ils portent . Je
fçais bien que ce n'eft point là le ton de
Pindigence ; que plus humble , plus modefte
, elle doit fe plier aux circonftances ;
que la nobleffe eft un malheur de plus
quand on eft pauvre , qu'enfin la fierté
eft déplacée quand les reffources de la vie
manquent. J'ai peut- être en tort de rejerter
celles qui m'ont été offertes. J'avouerai
même que mon orgueil eut fléchi fi j'euffe
pû envifager dans l'exercice d'un pofte de
16 MERCURE DE FRANCE .
quoi fubfifter un peu honnêtement ; mais
s'avilir pour tourmenter laborieufement
les autres ; ah ! Mademoiſelle , c'eſt à quoi
je n'ai pû me réſoudre .
Monfieur , reprit Rofalie , je ne fçais fi
je dois applaudir à cette délicateffe , mais
je fens
que je ne puis vous blâmer. Votre
fituation ne peut être plus fâcheufe ......
Voici quelqu'un qui monte , remettezvous
, je vous prie , & tachez de vous
rendre aux graces de votre naturel ; il n'eft
pas convenable qu'on life dans vos yeux
l'abattement de votre coeur : fouffrez que
je me réſerve ſeule le trifte plaifir de vous
entendre , & de vous confoler . Ah ! c'eft
Orphife , continua Rofalie fur le ton de la
gaieté , approche mon amie & félicitemoi
.... & de quoi , répliqua Orphiſe en
Pinterrompant , eft- ce fur le parti fingulier
que tu prens d'abandonner Paris à la fleur
de ton âge , & d'aller te confiner en prude
prématurée dans la noble chaumiere dont
tu médites l'acquifition ? mais vraiment
tu vas embraffer un gente de vie fort attrayant
. Fort bien , répondit Rofalie , raille
, diverti - toi ? mais tes plaifanteries ne
me détourneront point du deffein que j'ai
pris. Je venois cependant te prier d'un
fouper.... Je ne foupe plus que chez moi ,
répliqua Rofalie . Mais toi - même tu me
A O UST. 1755. 17
paroiffois déterminée à fuivre mon exemple.
C'étoit , répondit Orphiſe dans un accès
d'humeur , j'extravaguois.. Une nouvelle
conquête m'a ramenée au fens commun.
Tant pis .... Ah ! point de morale.
Dînons. On fervit.
Pendant qu'elles furent à table , Orphife
parla feule , badina Rofalie , prit Terlicu
pour un for , en conféquence le perfifla .
Pour lui il mangea peu : étoit - ce faute
d'appétit non , peut- être ; mais il n'ofa
en avoir. Le caffè pris , Orphife fit fes
adieux , & fe recommanda ironiquement
aux prieres de la belle pénitente.
Rofalie débarraffée d'une visite auffi
choquante qu'importune , fit paffer Terlieu
dans fon fallon de compagnie . Après
un filence de quelques inftans , pendant
lequel Terlieu , les yeux baiffés , lui ménageoit
le plaifir de pouvoir le fixer avec
cette noble compaffion dont fe laiffent
toucher les belles ames à l'afpect des infor
tunés ; elle prit la parole , & lui dit
Monfieur , que je vous ai d'obligation ! la
confiance dont vous m'avez honorée , eft
de tous les événemens de ma vie celui qui
m'a le plus flatée , & l'impreffion qu'elle
fait fur mon coeur me caufe une joie ....
Pardonnez- moi ce mot , celle que je reffens
ne doit point vous affliger , elle ne peut
18 MERCURE DE FRANCE.
vous être injurieufe , je ne la tiens que
du bonheur de partager vos peines. Oui ,
Monfieur , ma fenfibilité pour votre fi
tuation me perfuade que j'étois née pour
la vertu ; mais que dis-je ? A quoi vous
peut être bon fon retour chez moi , fi
vous ne me croyez digne de vous en donner
des preuves. Vous rougiffez : hélas ,
je vois bien que je ne mérite point cette
gloire , foyez , je vous prie , plus généreux
, ou du moins faites- moi la grace de
penfer qu'en me refufant vous m'humiliez
d'une façon bien cruelle.
Vous êtes maîtreffe de mon fecret , ré
pondit Terlieu , ne me mettez point dans
le cas de me repentir de vous l'avoit confié
: je ne m'en défends point , j'ai trouvé
quelques charmes à vous le révéler ; j'a
vouerai même que mon coeur avoit un befoin
extrême de cette confolation : il me
femblé que je refpire avec plus de facilité.
Je vous dois donc , Mademoiselle' , ce
commencement de foulagement ; c'est beau
coup de fouffrir moins , quand on a beaucoup
fouffert. Permettez que je borne à
cette obligation toutes celles que je pour
rois efperer de votre générofité . Ne mef
ufez point , je vous prie de la connoiffance
que vous avez de mon fort ; il aně
peut être plus cruel , mais je fçaurai le
AOUST. 1755. 19
fupporter fans en être accablé. C'en eft fait,
je reprens courage ; j'ai trouvé quelqu'un'
qui me plaint. Au refte , Mademoiselle ,
je manquerois à la reconnoiffance fi je
renonçois entierement à vos bontés ; &
puifque vous me permettez de vous voir ,
je viendrai vous inftruire tous les jours de
ce que mes démarches & mes follicirations
auront opéré je recevrai vos confeils
avec docilité , mais auffi c'eft tout ce
qu'il vous fera permis de m'offrir , autrement
je cefferois ....N'achevez pas , ré-'
pliqua Rofalie en l'interrompant , je n'aime
point les menaces. Dites - moi , Monfeur
, eft- ce que l'infortune rend les hommes
intraitables ? eft - ce qu'elle répand
fur les moeurs ', fur les manieres , une inquiétude
fauvage ? eft-ce qu'elle prête au
langage de la féchereffe , de la dureté ?
s'il eft ainfi , elle eſt bien à redouter . N'eftil
pas vrai que vous n'étiez point tel dans
la profpérité vous n'euffiez point alors
rejetté une offre de fervice
J'en conviens , répondit Terlieu , j'enffe
accepté parce que je pouvois efperer de rendre
, mais à préfent je ne le puis en confcience.
Quant à cette dureté que vous
me reprochez , j'avouerai que je la crois
honorable , néceffaire même à celui qui eft
dans la peine . Elle annonce de la fermeté ,
20 MERCURE DE FRANCE.
elle repouffe l'orgueil de ceux qui font
dans l'opulence , elle fait refpecter le miférable.
L'humilité du maintien , la modeftie
, la timidité du langage donneroient
trop d'avantage à ceux qui ne font que
riches ; car enfin celui qui rampe , court
les risques d'être écraſé.
Et vous êtes , reprit Rofalie , dans l'appréhenfion
que je ne me prévale des aveux
que vous m'avez fait : oui , dans mon dépit
vous me faites imaginer des fouhaits
extravagants je l'efpere au moins , votre
mauvaiſe fortune me vengera , vos parens
font de monftres ... que je ferois contente.
s'ils vous rebutoient au point que vous
fuffiez forcé d'avoir recours à cette Rofalie
que vous dédaignez , puifque vous ne
la croyez point capable de vous obliger
dans le fecret de fa confcience .
Sur le point de quitter Paris je voulois
en fortir en faifant une action qui pût
tranquilifer mes remors , & m'ouvrir la
route des vertus que je me propofe ; le hazard
, ou pour mieux dire , le ciel permet
que je faffe votre connoiffance ; je
crois que vous m'êtes adreffé pour vous,
être fecourable , & je ne trouve en vous
que la fierté la plus inflexible. Hé bien ,
n'y fongeons plus. Cependant puis - je vous
demander fi vous envifagez quelques refA
OU ST . 1755. 21
fources plus flateuſes que celles
pourriez efperer de votre famille ?
que vous
& vous vous
Aucune , répondit Terlieu , j'ai bien
quelques amis ; mais comme je ne les
tiens que du plaifir , je n'y compte point.
Quoi ! reprit Rofalie , le néceffaire eft
prêt de vous manquer ,
amufez à folliciter des parens ? c'est bien
mal à propos que l'on prétend que la néceffité
eft ingénieufe ! N'auriez - vous de
l'efprit que pour refléchir fur vos peines ?
que pour en méditer l'amertume ? Allez ,
Monfieur , allez faire un tour de promenade
rêvez , imaginez , faites même ce
qu'on appelle des châteaux en Eſpagne ; il
eft quelquefois des illufions que la fortune
fe plaît à réalifer : il eft vrai qu'elles fe
réduifent prefque toujours à des chimeres ,
mais elles exercent l'efprit , elles amuſent
l'imagination , elles bercent les chagrins ,
& c'eft autant de gagné fur les réflexions
affligeantes. Je vais de mon côté me donner
la torture : heureuſe fi je fuis affez ingénieuſe
pour trouver quelque expédient
qui puiffe adoucir vos peines , & contenter
l'envie extrême que j'ai de contribuer
à votre bonheur !
Terlieu fe leva pour fortir , & Roſalie
en le reconduifant le pria de venir manger
le foir un poulet avec elles afin de
22 MERCURE DE FRANCE.
mais
pour
raifonner , & de concerter enſemble ce
que leur auroit fuggeré leur imagination ;
être plus fûre de l'exactitude de
Terlieu au rendez -vous , elle lui gliffa
adroitement une bourfe dans fa poche.
Terlieu alla s'enfoncer dans l'allée la plus
folitaire du Luxembourg , il y rêva beaucoup
& très infructueufement.
Tous les hommes ne font point féconds
en reffources ; les plus fpirituels font ordinairement
ceux qui en trouvent le moins.
Les idées , à force de fe multiplier , fſe confondent
; d'ailleurs on voit trouble dans
l'infortune.
Il n'eſt que deux fortes d'induftrie ; l'une
légitime , c'eft celle des bras , du travail ,
& le préjugé y a attaché une honte : Terlieu
étoit Gentilhomme , il n'a donc pû en
être exemt.
L'autre induſtrie , nommée par dégradation
l'induftrie par excellence , eft celle
qui s'affigne des revenus fur la fottife , la
facilité , les foibleffes & les paffions d'au-
Irui ; mais comme elle eft incompatible
avec la probité , Terlieu en étoit incapable.
Il y avoit deux heures. que cet infor
tuné Gentilhomme tourmenté par fon inquiétude,
marchoit à grands pas en croyant
fe promener , lorfque fouillant fans deffein
dans fa poche , il y fentit une bourſe.
A O UST. 1755. 23
Cette découverte décida promptement fon
retour ; le moindre délai pouvoit , felon
lui , faire fuppofer de l'incertitude dans
fon procédé ; il craignoit qu'on ne le foupçonnât
même d'avoir combattu contre la
tentation. 1
Il arrive effoufflé , franchit rapidement
l'efcalier de Rofalie , il entre ; celle- ci qui
le voit hors d'haleine , ne lui donne pas le
tems de s'expliquer , & débute par une
queftion vague ; lui fans parler , jette la
bourfe fur une table ; Rofalie affecte une
furpriſe de fatisfaction , & lui fait compli
ment fur le bonheur qu'il a eu de trouver
un ami généreux . Terlieu protefte très- ſérieufement
qu'il n'a parlé à qui que ce
foit ; celle- ci , infifte fur l'heureuſe rencontre
qu'il a faite , Terlieu fe fâche , il eft ,
dit- il , outragé , il jure qu'il ne reverra de
fa vie Rofalie , fi elle ne reprend un argent
qui lui appartient : Elle s'en défend ,
elle en nie la proprieté , elle ofe foutenir
qu'elle ne fçait ce qu'on veut lui dires
quelle rare effronterie ! elle eut peut - être
pouffé plus loin l'opiniâtreté , fi elle ne fe
fut avifée de rougir. Rofalie rougir . Quoi !
une fille qui a vécu dans le defordre fe
laiffe démentir par le coloris involontaire
de la franchife ? Hé pourquoi non ! quand
le motif en eft fi beau . On rougit bien des
་ ཟླ་
14 MERCURE DE FRANCE.
premieres paroles d'obfcénité qu'on entend
, parce que le coeur eft neuf; celui
de Rofalie reprend fa premiere pureté ,
elle a donc pu rougir d'un menfonge généreux
, & rendre en même tems cet hommage
à la vérité. La conviction étoit trop
claire pour que fon obftination put durer
plus long - temps ; elle reprit la bourfe
avec un dépit fi brufque qu'elle lui échappa
des mains , & qu'elle alla frapper conire
une commode où elle s'ouvrit en répandant
fur le parquet une cinquantaine
de louis . Comme Terlieu fe mit en devoir
de les ramaffer , Rofalie lui dit d'un ton
ironique & piqué : Monfieur , ne prenez
point cette peine , je fuis bien aife de fçavoir
fi le compte y eft : vous m'avez pouf
fée à bout par votre peu de confiance en
moi , il eft jufte qu'à mon tour j'en manque
à votre égard.
Je fais trop de cas de cette colere
pour
m'en offenfer , reprit Terlieu , le fond
m'en paroît trop refpectacle . Puis- je , continua
- t-il , fans vous irriter , vous avertir
que j'apperçois
dans ce coin quelques
louis qui ont échappé à vos recherches ?
Puis-je , répliqua Rofalie fur le même
ton , fans vous irriter , vous annoncer que
vous êtes des mortels le plus bizarre & le
plus haïffable ? Refferrerai -je , continua-telle
A O UST. 1755.. 25
elle d'une voix modefte & attendrie l'argent
de cet ami du Luxembourg . Oui ,
Mademoiselle , répondit Terlieu d'un ton
ferme , je vous prie de le lui rendre , & de
le remercier de ma part.
Ils alloient continuer ces débats de générofité
mutuelle , lorqu'on vint avertir
que le fouper étoit fervi ; au moins , Monfieur
, dit Rofalie , vous me ferez peut-être
la grace de me tenir compagnie à très-volontiers
, répondit Terlieu , il y a trop à
gagner pour moi , & voilà le feul cas où
il peut m'être permis de vous montrer que
j'entends mes intérêts ; bien entendu cependant
que vous aurez moins d'humeur .
Je m'y engage , reprit- elle , pourvû que je
puiffe vous gronder , fi vous ne pensez pas
à ma fantaifie. Allons promptement manger
un morceau , je fuis fort impatiente
d'apprendre à quoi auront abouti les rêveries
de votre promenade. Vous parlerez
le premier , après quoi je vous ferai part
de mes idées , & nous verrons qui de nous
deux aura faifi le meilleur expédient .
Pendant le tems qu'ils furent à table ;
Rofalie déploya toutes les graces de fon
efprit pour égayer Terlieu , mais avec la
délicateffe dont on doit ufer avec un coeur
ferméà la joie , & avec cette circonfpection
qui met en défaut la malignité atten-
B
26 MERCURE DE FRANCE.
tive des domeftiques. Le deffert fervi elle
les renvoya en leur ordonnant de ne point
entrer qu'elle n'eut fonné. Ils eurent beau
raifonner entr'eux ; l'extérieur de Terlieu ,
l'accablement où ils le voyoient , & plus
que cela encore , la médiocrité très - négligée
de fon ajuſtement dérouterent leurs
conjectures.
Monfieur , dit alors Rofalie en reprenant
la parole , nous voilà feuls , perfonne
ne peut nous entendre ; faites - moipart
, je vous prie , de ce que vous avez
imaginé. Je ferai bien charmée fi vous me
mettez dans le cas de vous applaudir , plus
encore fi je puis ajouter quelques réflexions
utiles à vos projets .... parlez donc
de grace.
Hé ! que puis-je vous dire , répondit- il ,
finon que dans l'état où je fuis il ne m'eſt
pas poffible de penfer . J'ai eu beau creufer
ma tête , il n'en eft rien forti qui ne fut déraifonnable
, extravagant , au-deffous du
fens commun. Jugez , Mademoiſelle , de
la mifere d'un eſprit retréci par l'infortu
ne ; il n'a pu me procurer que la reſſource
de m'expatrier en entrant au fervice de la
Compagnie des Indes : qu'en penfez- vous ?
ce parti vous paroît- il fi ridicule ?
Non , Monfieur , reprit- elle , je yous y
exhorterai même , dès que vous m'aurez
AOUST. 1753 27
promis de mettre eu ufage l'expédient que
je
vais vous donner : écoutez-moi attenrivement
, ne m'interrompez pas , & furtout
point de faillie d'orgueil. Votre famille
, je le fçais , jouit de toutes les diftinctions
que donne l'opulence , & qu'on
accorde à celles qui ont bien mérité du
Prince & de la patrie. Je conçois qu'elle
pourra vous refufer de nouveau les fecours
que vous êtes en droit d'en exiger , mais
je ne puis penfer qu'elle fouffrit que vous
vous deshonoraffiez. C'eft fur cette délicateffe
que j'établis l'efpoir dont je me flate
pour vous , & j'ofe croire que vous arracherez
de la vanité de vos parens ce que
vos inftances ne pourroient obtenir de
leur bienveillance. Dès demain , Monfieur,
retournez les voir ; qu'ils lifent fur votre
front ce que la douleur a de plus attendriffant
: priez , preffez , humiliez - vous
même , & ne rougiffez point d'employer
les expreffions les plus foumifes. Si vous
ne les touchez point , s'ils font impitoyables
, ofez leur dire , avec la fureur dans
les yeux , que vous allez prendre un parti
fi indigne du nom qu'ils portent , que l'opprobre
en rejaillira fur eux . Oui, Monfieur,
menacez-les.... Non , je crois vous connoître
, vous n'en aurez jamais la force. Par
grace , M. de Terlicu , prenez fur vous
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
de proférer des paroles feules capables
d'effrayer vos parens , & d'intéreffer en
votre faveur , je ne dis pas leur fenfibilité ,
mais au moins leur orgueil.
Qu'allez -vous me propofer , répliqua
Terlieu avec agitation ? vous me faites
frémir.
Ne craignez rien , répondit Rofalie , ce
n'eft qu'une menace dont le but est d'al
larmer des gens qui n'auroient point encore
renoncé à l'honneur , qui conféquemment
peut faire un grand effet , mais dont
je ferai toujours bien loin de vous confeiller,
ni même d'en fouffrir l'exécution . Baiffez
les yeux , ne me regardez point de grace
; je ne pourrois mettre au jour mon idée
fi vous me fixiez . Dès que vous aurez épuifé
tout ce que l'éloquence du befoin a de plus
pathétique ; dès que vous aurez défefpéré
d'émouvoir vos indignes parens , ofez leur
dire que leur barbarie vous détermine à
profiter de la fenfibilité d'une fille qui a
vécu dans le défordre , que Rofalie plus
généreufe qu'eux , ne peut fouffrir qu'un
homme comme vous paffe fes jours dans
la mifere , que Rofalie ... hélas ! elle n'eft
que trop connue , que Rofalie vous offre
de partager fa fortune , & que vous êtes
prêt de contracter avec elle un mariage.....
Je n'acheve point ; ce fera à vous , Mong
AOUST. 1755. 29
fieur , à finir le tableau , & à y mettre une
expreffion , & des couleurs dignes du fujet .
Terlieu alors leva les yeux , & Rofalie y
vit un trouble , & quelques larmes qu'elle
ne fit pas femblant d'appercevoir. Qu'avez-
vous ? continua -t-elle , vos regards
m'inquietent , & je crains fort que l'expédient
que je viens de vous propofer ne
yous révolte ; mais enfin , s'il réuffiffoit
m'en fçauriez- vous mauvais gré ? que
quez- vous d'en hafarder l'épreuve ?
rif-
Un malheur nouveau qui acheveroit de
m'accabler , s'écria Terlieu , mes cruels
parens ne manqueroient point d'attenter à
votre liberté , & je ferois la caufe & le prétexte
d'une barbarie.
Hé ! Monfieur , reprit- elle , courons- en
les rifques , fi cette violence peut rendre
votre fort plus heureux. La perte de la
liberté n'eft point un fi grand mal pour quiconque
eft déterminé à renoncer au monde
. D'ailleurs il fuffira à ma juftification ,
& à la vôtre que l'on fçache que ce n'étoit
qu'une rufe imaginée pour amener vos
parens à la néceffité de vous rendre fervice ;
& comme il fera de l'intérêt de votre honneur
de défavouer un bruit auffi ridicule
l'amour qu'on vous connoît pour la vérité ,
ne laiffera aucun doute & nous nous
trouverons juſtifiés tous les deux .
و
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
Ah Rofalie , Rofalie ! répliqua Terlieu ,
en foupirant , terminons un entretien done
les fuites deviendroient trop à craindre
pour moi. Je vous quitte pénétré d'admiration
, & peut-être d'un fentiment encore
plus intéreffant. Oui , je ferai ufage de vos
confeils ; je verrai demain ma famille
Mais hélas ! je ne fçai fi vous ne me faites
point defirer d'être rebuté de nouveau. Je
ne puis dire ce que mon coeur reffent , mais
il vous refpecte déja , & vraisemblablement
il ne fe refufera pas long- temps à ce
que la tendreffe a de plus féduifant.
Monfieur , reprit Rofalie , allez vous
repofer , vous avez befoin de rafraîchir
votre fang ; vous venez de me prouver
qu'il eft un peu échauffé. Je préfume que
le fommeil vous rendra votre raifon , &
qu'à votre reveil , où vous rirez , où vous
rougirez du petit délire de la veille.
Fort bien , répliqua Terlieu en fouriant,
voilà un agrément de plus dans votre efprit
, & vous entendez fupérieurement la
raillerie . Oui , Roſalie , je vais me retirer
mais avec la certitude de ne point dormir
& comptez que fi le fommeil me furprend,
mon imagination , ou pour mieux dire
mon coeur ne fera occupé que de vous .
Terlieu tint parole , il ne ferma point
l'oeil de la nuit , & cependant il ne la trou
A O UST. 17550 31
va pas longue. Le jour venu , il fut incertain
s'il iroit de nouveau importuner fa
famille , ou s'il fuivroit le penchant d'une
paffion que le mérite de Rofalie avoit fait
naître en fon coeur , & que les réflexions
ou peut-être les illufions de la nuit avoient
fortifiée. Après avoir combattu quelque
tems entre ces deux partis , le foin de fa
réputation l'emporta fur un amour que
fa
raifon plus tranquille lui repréfentoit malgré
lui fous un point de vûe un peu déshonorant.
Quelle fituation ? l'amour , la pauvreté
, defirer d'être aimé , d'être heureux ,
& n'ofer fe livrer à des penchans fi naturels
! Partez Terlieu , vous avez promis ,
& votre honneur exige que vous faffiez du
moins encore une démarche avant de fonger
au coeur de Rofalie.
>
La fortune ne le fervit jamais mieux
qu'en lui faifant effuyer des dédains nouveaux
de la part de fa famille. Les prieres
les inftances , les fupplications qu'il eut le
courage d'employer , ne lui attirerent que
des rebuts, que des outrages . Ses parens impurerent
à fa baffeffe les larmes qu'il verfa.
Outré , défefpéré , il mit en oeuvre fa derniere
reffource ; il leur peignit avec les
couleurs les plus effrayantes l'alliance dont
il les menaça de fouiller leur nom ; ce tableau
ne fit qu'ajouter au mépris dont ils
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
l'accablerent , & l'un d'eux en parlant au
nom de tous , & fans en être défavoué par
un feul , eut la lâcheté de lui dire : hé
Monfieur , concluez ; que nous importe la
femme que vous prendrez , pourvu qu'elle
nous débarraffe de votre vue , & de vos
importunités. Au refte , nous vous défavouons
dès ce jour pour parent , & fi vous
avez le front d'ofer dire que vous nous appartenez
, nous fçaurons réprimer votre
infolence .
Et moi , Meffieurs , répliqua fierement
Terlieu , je le publierai partout , non pas
que je tienne à honneur d'être votre plus
proche parent , mais afin que perfonne n'ignore
que vous êtes plus indignes que moimême
du fang qui coule dans nos veines ,
& que fije fuis réduit à le deshonorer , ce
font vos duretés qui m'y ont forcé . Adieu ,
Meffieurs , & pour toujours.
Terlieu courut promtement répandre
dans le fein de la généreufe Rofalie les
horreurs qu'il venoit d'entendre. C'en eft
fait , s'écria- t -il en entrant , je n'ai que
vous au monde , vous me tenez lieu d'amis
, de parens , de famille . Oui , Rofalie,
continua-t-il , en tombant à fes genoux ,
c'eſt à vous feule que je veux appartenir ,
de vous feule je veux dépendre , & votre
coeur eft le feul bien que j'ambitionne
AOUST. 1755.
33
Soyez , je vous conjure , magnanime au
point de croire que ce n'eft pas l'extrémité
où je me trouve , qui me fait defirer le
bonheur de vous plaire : comptez qu'un motifauffi
bas eft trop au deffous de ce que vous
m'infpirez , & d'un coeur comme le mien.
Eh , vous ne méritez point que je vous
écoute , lui répondit , Rofalie , fi vous me
croyez capable d'un tel foupçon . Levezvous
, Monfieur , on pourroit vous furprendre
dans une attitude qu'il ne me convient
plus de fouffrir , on croiroit que je
la tolere , & elle feroit douter de la fincérité
du parti que j'ai pris de renoncer à mes
égaremens..... Je voudrois , repliqua Terlieu
en l'interrompant , avoir mille témoins
de l'hommage que je vous rends , & je fuis
fûr qu'il n'en feroit pas un qui n'y applau
dit , fi je l'inftruifois de la force des raifons
qui me l'arrachent , & des vertus que
j'honore en vous .
J'avois efpéré , reprit- elle , que le fommeil
auroit diffipé le vertige qui vous troubloit
hier au foir . Je fuis fâchée , & prefque
irritée que ce mal vous tourmente encore.
Par grace , daignez en guérir. Il feroit
honteux que vous n'en euffiez point le
courage. Oui , Monfieur , j'afpire à votre
eftime , & non pas à votre coeur , & je ne
pourrois me difpenfer de renoncer à l'une,
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
fi vous vous obſtiniez à m'offrir l'autre.
Et moi , répondit tendrement Terlicu ,
je veux les acquérir toutes deux. Ne féparons
point deux fentimens qui ne peuvent
fubfifter l'un fans l'autre : leur réunion fera
votre bonheur & le mien . Ah , Rofalie !
nous fommes dignes de le goûter long- tems,
nous fommes capables de les concilier.
Belles fpéculations , repliqua - t- elle , qui
prouvent bien que vous m'aimez , mais qui
ne me raffurent point fur la crainte de l'avenir
! Je le dis fans rougir , j'ai entendu.
tant de fois de ces propos , tant de femmes
en ont été les victimes qu'il eft téméraire
d'y ajouter foi, Dans l'emportement de la
paffion , les promeffes ne coutent rien , on
ne croit pas même pouvoir y manquer ; &
puifque les mépris , les dégouts fe font
fentir dans les mariages affortis par l'égalité
des conditions , & par la pureté reciproque
des moeurs , que ne dois- je point
redouter de l'union que vous me propoſez?
vous en rougiriez bientôt vous - même , la
haine fuccéderoit au repentir , & je tarderois
peu à fuccomber fous le poids de l'honneur
que vous m'auriez fait . Croyez- moi ,
Monfieur , ne nous expofons point à des
peines inévitables. Qu'il nous fuffife que
l'on fçache que Terlieu pénétré de reconnoiffance
pour Rofalie lui a offert une
AOUST. 1755. 33
main qu'elle a eu le refpect de ne point accepter.
Un trait de cette nature nous fera
bien plus glorieux qu'une témérité qui
peut faire mon malheur en vous couvrant
de honte. Que mon refus , je vous prie ,
ne vous afflige point. Laiffez- moi jouir
d'une fenfibilité plus noble mille fois que
le retour que vous pourriez efpérer de la
foibleffe de mon coeur. Souffrez que je
m'en tienne au bonheur de vous obliger
& comptez qu'il me fera bien plus doux
de le faire par fentiment que par devoir.
Non , Rofalie , reprit Terlieu , votre
refus entraîne néceffairement le mien . Le
titre d'époux peut feul me faire. accepter
vos bontés. Vos craintes fur l'avenir m'outragent
! Ah ! bien loin de m'aimer , vous
ne m'eftimez pas , la pitié eft le feul fentiment
qui vous parle en ma faveur. Adieu
je vous quitte plus malheureux encore que
lorfque j'ai commencé à vous connoître ;
j'avois un défefpoir de moins dans le coeur.
Terlieu fe leva en fixant tendrement
Rofalie , fit un foupir en couvrant fon vifage
avec fes mains , & alla fe jetter dans fa
petite chambre. Il n'y fut pas long tems
Rofalie le coeur ferré de la douleur la plus
vive , fonna pour avoir du fecours. Elle
en avoit un befoin réel. Sa femme de
chambre la trouva dans un étouffement
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
affreux & fans connoiffance . Elle donna
un peu de jour à fa refpiration , elle la traî
na de fon mieux fur une ducheffe , & après
l'avoir queſtionnée à plufieurs repriſes ,
elle n'en put tirer que ces paroles : ah Terlieu
, Terlieu ! cette exclamation , quoique
inconcevable pour elle , la détermina à
Faller prier de venir voir Rofalie . Il entre
la trouve pâle , les yeux éteints , & preſque
auffi foible qu'elle , il tombe à fes genoux ,
il prend une de fes mains qu'il baigne de
fes larmes : elle entr'ouvre un oeil languiffant
, & d'une voix qui expiroit fur ſes lévres
, voilà , dit- elle , l'état où roe réduifent
la dureté de vos refus , & les aveux
d'une paffion qu'il eft honteux pour vous
de reffentir. Monfieur , continua- t- elle
ne me voyez plus , & fi vous prenez quelque
intérêt à mon repos , à ma fanté , ne
ne vous obftinez plus à me refufer la fatisfaction
fecrette que j'exige de vous. Dans
huit jours je ne ferai plus à Paris , & puifqu'il
eft indifpenfable que nous nous féparions
, laiffez - moi acquérir le droit de m'informer
de l'état de vos affaires , laiſſez - moi
enfin acheter l'honneur d'être dans votre
fouvenir.
>
Si l'état où je vous vois , repliqua Terlieu
, m'accabloit moins , je vous le dis ,
Rofalie , je ne pourrois peut-être me conAOUST.
1755 . 37
tenir. Quoi , vous avez la cruauté de m'annoncer
qu'il faut que je renonce au feul
bien qui me refte ? dans huit jours je ne
vous verrai plus ! non , il n'eft pas poffible
que je ceffe de vous voir : quelque retraite
que vous choififfiez , je fçaurai vous y découvrir
; je fçaurai y porter un amour que
vous vous lafferez peutêtre de rebuter. La
voilà , dirai-je , cette Rofalie , cet affemblage
refpectable , de grandeur , de foibleſſe
! Hélas , elle ne m'a pas jugé digne
de l'accompagner , & de la guider dans le
fentier de la vertu , elle ne m'a pas jugé
digne de vivre heureufement & vertueufement
avec elle. Me fera-t- il permis aut
moins , continua - t- il , d'un ton paffionné ,
& en reprenant une main qu'on n'eut past
la force de retirer , de jouir pendant le peu
de temps que vous refterez à Paris , du
bonheur de vous voir ce fera , n'en dou
tez point , les feuls beaux jours de ma vie.
Il ne tiendroit qu'à vous d'en prolonger le
cours & la félicité ; mais vous l'avez décidé
, & vous voulez que je vive éternellement
malheureux .
Retirez vous , dit Rofalie à fa femme
de chambre , je me fens mieux , & foyez
difcrette , je vous prie. Comment , Monfieur
, continua-t - elle , vous voulez tout
obtenir , & vous n'accordez rien ? oui ,
vous ferez le maître de me voir , & vous
38 MERCURE DE FRANCE,
ſçaurez le nom du lieu où je vais fixer mon
féjour , mais c'eſt à une condition ; & s'il
eft vrai que vous m'aimiez , je veux me
prévaloir de l'afcendant qu'une maitreſſe
eft en droit de prendre fur fon amant .Vous
allez me traiter de bizarre , d'opiniâtre
hé , dites - moi , Monfieur , qui de nous
deux l'eft d'avantage ? je fuis laffe de prier,
il est temps que je commande. Ce ton ,
vous paroît fingulier ; je conviens qu'il
tient un peu du dépit : je l'avoue , ceci
commence à me fatiguer , à me tourmenter.
Finiffons par un mot fans replique . Voilà
ma bourfe ; ce qu'il vous plaira d'y prendre
déterminera en proportion la confiance
que vous voulez que j'aye en vous , l'ef
time que je dois faire de votre perfonne ,
& le dégré de votre amour pour moi.
Hé , je la prens toute entiere , s'écria
Terlieu en la faitiffant des deux mains .
Et moi , reprit Rofalie , je vous embraffe
. Oui , mon cher Terlieu , vous m'aimez
, j'ai triomphé de votre orgueil . Ne
prenez point cette faillie pour un emportement
de tendreffe , elle eft née dans la
joie involontaire de mon ame , & non pas
dans les tranfports d'une paffion inſenſée.
Terlieu fe retira , le coeur trafporté de
joie , & de la plus flatteufe efpérance , &
Rofalie charmée d'être parvenue à contenter
fon inclination bienfaifante , s'occupa
A O UST. 1755. 39.
une partie de la nuit du deffein de fa retraite
, & des mesures néceffaires à fon
départ. Le lendemain elle fortit fur les
neuf heures du matin pour aller conclure
l'acquifition d'une terre. Elle dîna , & foupa
avec Terlieu , elle affecta pendant toute
lajournée une fatisfaction & une gaieté qui
ne laifferent à ſon amant aucun foupçon
du delfein qu'elle avoit pris de partir à la
pointe du jour. Quelle accablante nouvelle
pour Terlieu , lorfqu'il apprit le départ de
Rofalie ! Il faut avoir aimé pour bien fen-.
tir l'état d'un coeur qui eft privé de l'objet
qu'il adore. Tous les maux raffemblés ne
font rien en comparaiſon . C'eft la fecouffe
la plus violente que l'ame puiffe recevoir
& c'eft la derniere épreuve de la fermeté
humaine. Terlieu abbattu & prefque fupide
, alloit fuccomber fous le poids de fa
douleur , lorfqu'il lui fut remis un billet.
de la part de Rofalie . Hélas , il ne fit qu'ajouter
à fes tourmens . Il l'ouvre en frémiffant
, & lit , .....
Monfieur , renfermons- nous , je vous
prie , dans les bornes d'une pure amitié ..
» J'ai dû fuir , & c'est l'estime que je vous
» dois qui a précipité mon départ . Vous
» me ferez toujours cher , vous recevrez
» de mes nouvelles ; je ne fuis point faite
» pour oublier un homme de votre mérite.
» Encore une fois tenons- nous- en aux en-
"
40 MERCURE DE FRANCE.

"gagemens de la plus inviolable amitié
" c'eft le feul fentiment qui puiffe nous
» convenir , & c'est celui qui me fait pren-
»dre la qualité de votre meilleure amie.
Rofalie.
Ah cruelle , s'écria Terlieu ! vous fuyez ,
vous m'abandonnez ! & vous ne me laiffez
pour
reffource que les offres d'une froide
& trifte amitié ! non , Rofalie , elle ne
peut fuffire à mon coeur . Mais que dis je ?
hélas ! vous ne m'aimez point. Cette tranquillité
, cette joie dont vous jouiffiez hier
à mes yeux , ne me prouvent que trop que
je vous fuis indifférent . Que j'étois crédule !
que j'étois aveugle de les interpréter en ma
faveur ! Amant trop préfomptueux , je les
ai prifes pour des marques de la fatisfaction
que vous reffentiez d'être fûre de mon
coeur. Quel étrange compofé que votre caractere
! vous avez l'ame généreufe , noble;
des vertus réelles me forcent à vous admirer
, je ne puis réfifter à l'impreffion qu'el
les font fur moi , elles y font naître la paffion
la plus tendre , la plus refpectable , je
crois recevoir des mains de votre amour
les bienfaits dont vous me comblez , &
vous partez ! j'ignore où vous êtes ! Dieu !
fe peut-il qu'un coeur qui m'a paru auffi
franc , auffi fincere , ait pu être capable
d'une diffimulation auffi réfléchie , aufli
AOUST. 1755 . 41
perfide. Vous partez ! ..... & vous ne me
laiffez que le repentir , & la honte d'avoir
fuccombé aux inftances de votre indigne
générofité. Oui , je fçaurai vous découvrir,
je fçaurai répandre à vos pieds ce que contient
cette bourfe infultante , je fçaurai
mourir à vos yeux.
Il s'habille à la hâte , il alloit fortir lorf
qu'on vint frapper à fa porte. Il ouvre , il
voit un homme qui lui demande s'il n'a
pas l'honneur de parler à M. de Terlieu .
C'est moi-même , répondit- il fechement ,
mais pardon , Monfieur , je n'ai pas le
temps de vous entendre. Monfieur , repliqua
l'inconnu , je ne vous importunerai
pas longtems , je n'ai befoin que de votre
fignature , vous avez acquis une terre , en
voici le contrat de vente , & il eft néceffaire
que votre nom figné devant moi , en conftate
la validité. Que voulez - vous dire ,
reprit Terlieu ? ou vous êres fou , ou je
rêve. Monfieur , dit l'inconnu , je fuis
Notaire ; il n'y a guerres de fous dans ma
profeffion . Je vous protefte que vous êtes
trés-éveillé , & qu'un acte de ma façon n'a
point du tout l'air d'un rêve. Ah , Rofalie,
s'écria Terlieu ! C'eft elle-même , reprit le
Notaire . Voici une plume , fignez . Non ,
Monfieur , répondit Terlieu , je ne puis
m'y réfoudre , remportez votre acte , &
dites-moi feulement où eft fituée cette terre.
42 MERCURE DE FRANCE.
C'eft préciſement , répliqua le Notaire , ce
qui m'eft défendu , & vous ne pourrez en
être inftruit qu'après avoir figné. Allons
donc , reprit Terlieu en verfant un torrent
de larmes , donnez cette plume. Voilà qui
eft à merveille , dit le Notaire , & voici
une expédition de l'acte. Vous pouvez
aller prendre poffeffion quand vous le
jugerez à propos. Adieu , Monfieur , je
vous fouhaite un bon voyage ; faites , je
vous prie , mes complimens à l'inimitable
Rofalie. Ah , Monfieur , reprit Terlieu en
le reconduifant , elle ne tardera gueres રે
les recevoir.
Son premier foin fut de chercher dans
l'acte qui venoit de lui être remis le nom
de la province , & du lieu dont Rofalie
avoit pris le chemin ; il alla tout de fuite
prendre des chevaux de pofte. Qu'ils alloient
lentement felon lui ! après avoir
couru , fans prendre aucun repos pendant
trente-fix heures , il arriva prefqu'en même
temps que Rofalie. Quoi , c'eft vous ? lui
dit-elle en fouriant , que venez - vous faire
ici ? vous rendre hommage de ma terre ,
répondit-il , en lui baifant la main , en
prendre poffeffion , & époufer mon amie..
Je ne vous attendois pas fitôt , reprit- elle ,
& j'efpérois que vous me laifferiez le temps
de tendre ce féjour plus digne de vous re
cevoir. Hé , que lui manque-t-il pour me
A OUST . 1755. 43
plaire ,, pour m'y fixer , repliqua- t- il , vous
y êtes , je n'y vois , & je n'y verrai jamais
que ma chere Rofalie . J'ai de l'inclination
à vous croire , lui dit- elle , en le regardant
tendrement , & mon coeur , je le fens , auroit
de la peine à fe refufer à ce que vous
lui infpirez ; il eft prêt à fe rendre à vos
defirs. Mais encore une fois , mon cher
Terlieu , interrogez le vôtre , ou pour
mieux dire , écoutez les confeils de votre
raifon. Ne pouvons- nous vivre fous les loix
de l'amitié ? & ne craignez-vous point que
celles de l'hymen n'en troublent la pureté ,
n'en appéfantiffent le joug ? Et cette terre ,
repliqua- t- il , peut- elle m'appartenir , fi je
n'acquiers votre main ? D'ailleurs , y fongez-
vous , Rofalie ? je vivrois avec vous
& je n'aurois d'autre titre pour jouir de ce
bonheur que celui de l'amitié ? Penfezvous
que la médifance nous épargnât ? en
vain nous vivrions dans l'innocence , la
calomnie , cette ennemie irréconciliable
des moeurs les plus chaftes , ne tarderoit
pas à fouiller la pureté de notre amitié
& elle y fuppoferoit des liens qui nous
deshonoreroient. Mais enfin , reprit Rofalie
, à quels propos , à quelles indignes
conjectures ne vous expofez - vous point }
on dira que
que Terlieu n'ayant pû foutenir le
poids de fon infortune , a mieux aimé re
44 MERCURE DE FRANCE .
chercher la main de Rofalie que de languir
dans une honorable pauvreté. Vains
difcours , s'écria Terlieu , qui ne peuvent
m'allarmer ! venez , répondrai- je , à la malignité
, à l'orgueil ; venez , fi vous êtes
capables d'une légitime admiration , reconnoître
en Rofalie un coeur plus noble , une
ame plus pure que les vôtres . Vous n'avez
que l'écorce des vertus , ou vous ne les pratiquez
que par oftentation , & Rofalie en
avouant les égaremens a la force d'y renoncer
, & les épure par le repentir , par
la bienfaifance. Apprenez vils efclaves de
la vanité que la plus fage des bienféances
eft de s'unir avec un coeur qu'on eft fûr
d'eftimer , & que le lien d'une reconnoiffance
mutuelle eft le feul qui puiffe éternifer
l'amour. Je ne réfifte plus , reprit Rofalie
, je me rends à la jufteffe de vos raifons
, & plus encore à la confiance que la
bonté , que la nobleffe de votre coeur ne
ceffent de répandre dans le mien : le don
que je vous ferai de ma main n'approchera
jamais du retour que j'en efpere .
Terlieu & Rofalie allerent fe jurer une
fidélité inviolable aux pieds des autels , où
au défaut de parens , tous les pauvres des
environs leur fervirent de témoins , de famille
, & en quelque façon de convives ,
puifqu'ils partagerent la joie des deux
A O UST.
45

1755
époux à une table abondante qui leur fut
fervie. Terlieu & Rofalie goûtent depuis
long-temps les délices d'une flâme fincere.
Leur maiſon eſt le féjour des vertus . Ils en
font les modeles . On les cite avec éloge
on les montre avec admiration , on fe fait
honneur de les voir , on les écoute avec
refpect , & , comme partout ailleurs , pref
que perfonne n'a le courage de les imiter.
LA VARIÉT É. (a)
CANTA TILLE.
DEE fes airs brillans , l'Italie
Fit envain retentir ces lieux !
Que peut la feule mélodie
Sans flatter le coeur ni les yeux.
Nos Amphions trouvent mieux l'art de plaire
Far un mêlange féducteur.
D'une liqueur qui paroiffoit amere ,
Ils font un breuvage enchanteur ;
Ainfi que l'abeille volage ,
Le François leger & badin
En folâtrant rend fon hommage
A la nouvelle fleur qu'il dédaigne foudain i
Mais bientôt devenu plus fage ,
Il en fçait tirer avantage ,
Et fe pare de fon larcin.
(a) Ou les parodies des Boufons.
)
46 MERCURE DE FRANCE,
Fuyons toute ombre d'esclavage
Dans nos goûrs & dans nos amours ;
Que le plaifir feul nous engage ;
On gagne à voltiger toujours .
Le papillon brille dans fa carriere
Tant qu'il vôle de fleur en fleur ,
Le cercle étroit d'une vive lumiere ,
En le fixant , fait fon malheur.
JE
Epître à M. de Voltaire.
E viens offrir au Temple de mémoire
Le doux parfum d'un pur encens ;
C'eſt dans les coeurs reconnoiffans ,
Voltaire , qu'à jamais on lira ton hiftoire ,
Pour moi , je dis ce que je fens.
Je dois à tes écrits le beau feu qui m'anime ;
Dans l'élégance de tes vers
J'adore le dieu de la rime ,
L'Apollon de cet univers.
Ta voix chanta les dieux , les héros & les belles
Le théâtre françois te doit fes plus beaux jours ,
Jamais les doctes foeurs ne te furent cruelles ,
Tes mains ont décoré le palais des amours .
Que de lauriers ont couronné ta tête !
Que de talens te font chérir !
Je vois déja dans l'avenir
Le jour marqué pour célébrer ta fête.
A O UST. 1755. 47
Drès d'Homere & Pindare au haut de l'Helicon ,
zôté de Virgile , & d'Ovide , & d'Horace ,
1. Le dieu du Goût retient ta place
pe le grand Corneille & le divin Newton.
erfuis longtems , pourfuîs tes hautes deſtinées
Les dieux te conduiront à l'âge de Neftor :
Ils te doivent autant d'années
Qu'il parut de beaux jours dans l'heureux fieclé
d'or.
Par M. Dalais de Valogne.
VERS
De M. Dubois , Médecin de fene Madame
la Princeffe de Conty , à Madame de
Forgeville.
·
Mon tendre hommage à celle On
Qui tous les jours à Fontenelle
Confacre fa voix & fes yeux.
Pour prix d'un foin fi précieux, '
Puiffe l'amie être immortelle :
Puiffe l'ami , rival des Dieux ,
Toujours charmant , toujours fidele ,
Oublier fon rang dans les cieux
Pour vivre ici-bas avec elle .
48 MERCURE DE FRANCE.
La Promenade de province.
NOUVELLE.
Umerce depuis fort long -tems avec une
N Philofophe cabalifte étoit en co
aimable Silphide qu'il avoit immortalifée ,
& goûtoit dans cette fociété mille charmes
inconnus au refte des mortels. Une maifon
de campagne , à trois lieues de R ... ville
affez confidérable , étoit le lieu qu'il avoit
choifi pour fe retirer du monde. Cette maifon
fituée fur le penchant d'une coline ,
dominoit une vallée fertile , qui préſentoit
à la vûe la plus agréable variété.
Les appartemens étoient rians , & meublés
avec une fimplicité philofophique.
Une bibliothéque peu nombreuſe , mais
curieufe , des caracteres de la cabale , des
eftampes qui repréfentoient l'empire fouverain
que les Salamandres , les Silphes ,
les Ondins , les Gnomes exercent fur tous
les élémens , les tapiffoient agréablement.
Le jardin qui accompagnoit cette maiſon
étoit cultivé par un Gnome intelligent ;
auffi rien de tout ce qui pouvoit flater les
fens n'y manquoit.
Tel étoit le féjour que notre philofophe
avoit choisi pour méditer les plus fublimes
vérités. C'étoit là qu'il paffoit les plus
délicieux
AOUST. 1755: 49
délicieux Inftans , tantôt en s'entretenant
avec fa charmante Silphide , tantôt en lifant
quelques ouvrages compofés par les
plus éclairés des Salamandres , quelquefois
en admirant la beauté de fes fleurs , en
favourant l'excellence de fes fruits , ou
bien en refpirant le frais dans des allées
fombres au bord d'une fource naiffante.
Tout s'offroit à fes defirs dans ces lieux
enchantés. Vouloit - il fe défaltérer ? un
ruiffeau de lait paroiffoit auffi - tôt. Mille
Gnomes toujours attentifs à lui plaire agitoient
les arbres , & formoient pour le
rafraîchir de gracieux zéphirs. Les uns
s'occupoient à parfumer l'air qu'il refpiroit
des plus délicieufes odeurs : ceux - ci prenoient
le foin d'affembler les oifeaux dans
le boccage qu'il honoroit de fa préfence
pour l'égayer par leur ramage ; & d'autres.
enfin baiffoient les branches chargées de
fruits pour lui donner la facilité de les
prendre.
Un jour qu'Oromafis , ( c'eft le nom que
notre philofophe avoit pris pour plaire à
fa belle Silphide. ) Un jour , dis-je , qu'il
l'attendoit pour lui communiquer quelques
remarques qu'il avoit faites en décompofant
un rayon de foleil , elle arriva
en riant un peu plus tard qu'à l'ordinaire.
Surpris de ce mouvement de gaieté , le
C
50 MERCURE DE FRANCE.
philofophe ne put s'empêcher de lui en
demander le fujet. J'arrive de Mercure ,
lui dit - elle , cette petite planette proche le
foleil , appellée autrement le féjour de
l'imagination ; j'en ai vû aujourd'hui de
fi ridicules que je ne puis m'empêcher d'en
rire encore : Ce que vous me dites là ,
eft
une énigme que vous m'expliquerez quand
il vous plaira , répondit à l'inftant Oromafis
; je vais le faire tout-à-l'heure , reprit-
elle auffi tôt : écoutez . Le foleil eft
vous le fçavez , l'habitation ordinaire des
Salamandres , ce font eux qui entretiennent
ce feu continuel , fi néceffaire à la
confervation & à l'accroiffement de toutes
les créatures . Mercure en eſt une dépendance
; c'eſt dans cette planette qu'ils viennent
fe rafraîchir tour-à-tour , & c'eft là
que viennent ſe peindre tous les deſirs &
toutes les imaginations des hommes , ces
agréables fonges que l'on fait en veillant
ces projets , ces châteaux que l'on bâtit en
Efpagne. Quoi ! dit le philofophe , j'imagine
, par exemple , pour m'amufer , que
je fuis monarque , je donne audience à des
Ambaffadeurs , ou je fuis à la tête de mon
armée , tout cela fera repréſenté foudain
dans Mercure ? Oui , répondit la Silphide ,
votre perfonne telle que la voilà , c'est-àdire
vivante , marchant , & parlant , ira
".
A O UST. 1755 . ST
fe peindre au milieu d'une cour brillante ,
ou bien à la tête d'une armée nombreuſe ,
enfin dans la même pofition que vous imaginerez
. Bien plus , fi vous faites en vousmême
un difcours à vos troupes pour les
encourager , vous le reciterez dans Mercure
d'une voix intelligible . Si vous imaginez
enfuite être dans un magnifique jardin ,
l'armée s'évanouira , & un jardin prendra
la place. Ceffez - vous d'imaginer , tout
s'efface auſſi - tôt , & la place qui vous eſt
affignée dans Mercure (car chacun y a la
fienne ) refte vuide , jufqu'à ce qu'il vous
plaife de defirer , ou de faire des projets.
Ah ! voilà ce que je voulois fçavoir , dit
alors Oromafis ; fi les defirs fe peignent de
la même façon que les projets ou les imaginations
Sans contrédit , répondit la
Silphide , avec la différence cependant
que vous n'y paroiffez point quand il n'y
a qu'un fimple defir. Par exemple , vous
defirez une maifon de campagne , elle paroît
à l'inſtant : Si je l'avois , continuezvous
, j'irois dès le matin m'y promener
avec un livre à la main ; vous paroiffez
vous-même en lifant dans les allées du
jardin qui accompagne cette maifon. Mercure
, tel que vous me le dépeignez , doit
être un féjour fort amufant , reprit Oromafis
; mais fi toutes les imaginations y
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
font
reçues , il doit y en avoir
de bien.
impertinentes
, ajouta
- t- il. Celles
qui choquent
l'honnêteté
n'y font point
admiſes
,
répondit
la Silphide
. Tout eft pur
dans un
féjour
que fréquentent
les Salamandres
;
mais il me reste encore
une chofe à vous
apprendre
, continua
- t- elle , Mercure
n'eft .
pas feulement
fait pour recevoir
les diverfes
imaginations
des hommes
, il a encore
une autre deftination
. Ce pays charmant
eft le paradis
, ou les Champs
élifées
des Poëtes
, des Muficiens
, des Peintres
, des Philofophes
à fyftêmes
, des faifeurs
d'hiftoriettes
& de romans
, des conquerans
, & enfin des Alchymiftes
. C'eſtlà
que viennent
fe rendre
leurs
ames
après
leur mort. Ce féjour
eft d'autant
plus flateur
pour
elles qu'il n'eft pas impoffible
d'en fortir
quand
on s'y ennuie
.
il fe tient tous les dix ans une affemblée
.
générale
de Silphes
& de Salamandres
;
toutes
les ames qui regretent
la vie , peuvent
demander
à revenir
dans ce monde
que vous habitez
. Pour y parvenir
, elles
font obligées
d'expofer
fidelement
quelles
ont été leurs
inclinations
, leur caractere
, leurs
occupations
, & on leur permet
de revivre
à de certaines
conditions
qu'elles
peuvent
rejetter
ou accepter
. Rien n'eft
plus curieux
que cette aſſemblée
, ajoutaA
O UST. 53 1755
t- elle , c'eſt un ſpectacle que je veux vous
donner. Très - volontiers , répondit Oromafis
, je fuis toujours prêt à vous fuivre :
mais fe tiendra- t- elle bientôt ? Dans quatre
mois treize jours dix- huit heures cinquante-
fix minutes quarante- quatre fecondes ,
répondit- elle ; mais en attendant cet amufement
je puis vous en procurer d'autres ,
ajouta- t- elle d'un air complaifant. Je viens
de pafler par R ... la beauté de la faiſon
& la fraîcheur du foir a fait fortir tout le
monde pour goûter le plaifir de la promenade
; j'en ai remarqué une fort brillante
fi vous y confentez , nous nous y tranf
porterons tout- à-l'heure . Je vous ferai remarquer
les perfonnages les plus finguliers,
je vous inftruirai du fujet de leur converfation
, je vous apprendrai même ce qu'ils
penfent , & quel et leur caractere .
A peine Oromafis eut - il accepté cette
agréable propofition , qu'ils fe trouverent
fur une des plus belles promenades de R ...
On étoit pour lors à la fin du mois de Mai ,
il faifoit un temps calme & frais , capable
d'adoucir les efprits les plus faronches
, & de les porter à la gaieté. Le foleil
prêt à quitter l'horifon , s'étoit difſcrétement
enveloppé d'un nuage , qu'il fe plaifoit
à varier des plus éclatantes couleurs .
L'or , l'argent , le pourpre , l'azur , l'incar-
Cij
54 MERCURE DE FRANCE .
nat , l'amaranthe , étoient prodigués : mais
le fpectacle qu'offroit la promenade , n'étoit
pas moins raviffant. Les étoffes les plus
brillantes recevoient un nouveau luftre
des beautés qui avoient voulu s'en parer ;
enfin il fembloit que le ciel & la terre fe
fuffent fait un défi, & les fpectateurs charmés
n'ofoient décider lequel des deux
l'emportoit. }
Arrêtons- nous ici , dit la Silphide , vous
fçavez que je fuis invifible pour tout autre
que pour vous. Commençons nos obſer
vations par cet homme que voilà feul ; c'eft
un fçavant , un efprit profond qui n'eſt
que pour quelques jours dans cette ville où
il a pris naiffance. Ses parens lui avoient
laiffe un bien fuffifant pour mener une
vie tranquille ; mais le démon de la gloire
qui s'eft emparé de lui , l'a conduit à Paris
, Fa livré entre les mains d'un Libraire ,
qui lui a fait changer la moitié de fon bien
en une nombreuſe bibliothéque. Il a paſſe
fix ans à étudier pour fe mettre en état de
faire un livre qui lui a couté en frais d'impreffion
, qu'il n'a pas retirés , la moitié de
ce qui lui reftoit. Il travaille actuellement
à un autre ouvrage qui va le conduire à
l'hôpital . Je ne puis m'empêcher de le
plaindre , dit Oromaks , fa manie eft celle
d'une infinité d'honnêtes gens. Il est d'au
AOUST. 17338 55
tant plus malheureux , interrompit la Silphide
, que fes ouvrages font très-bons
dans le fond ; il ne pêche que par le ftyle.
Pour vouloir être concis il eft obfcur ;
voilà fon feul défaut. Ses amis l'en avertiffent
en vain , il ne lui eft pas poffible de
s'en corriger. En voulez - vous fçavoir la
raiſon ? c'eſt que dans une premiere vie il
a habité le corps d'un Avocat qui s'eſt
enrichi à force d'être diffus .
Le jeune homme qui vient de l'aborder ,
eft dans la joie la plus vive ; il fort de fon
cabinet , où il vient de finir par cinq ou
fix épigrammes la feconde fcene du quatriéme
acte d'une tragédie qu'il a entrepriſe
uniquement pour le produit ; car il
ne fe croit pas encore affez habile pour
amaffer des lauriers : mais il a befoin d'argent
pour aller à Paris apprendre le bon
ton dans les caffés , & devenir homme de
belles Lettres dans toutes les régles . Il s'informe
à ce fçavant comment un jeune auteur
qui veut faire jouer une piece de fa
façon doit s'y prendre avec les Comédiens .
Voyez - vous plus loin ces trois politiques
, occupés fort férieufemenr à réformer
l'état. L'un eft un marchand que le
jeu & le luxe de fa femme va bientôt réduite
à la néceffité de faire banqueroute.
L'autre et un Magiftrat qui vient de ven-
Cili
56 MERCURE DE FRANCE.
dre une fort belle terre pour faire bâtir
une maiſon de campagne : Le troifiéme eft
d'un libertin le qui mange d'avance
pere
fa fucceffion.
Cet homme brodé qui marche après
eft un riche financier , & l'Eccléfiaftique
avec qui il eft en converſation , eft le Curé
d'une Paroiffe dont il eft Seigneur. Ce
premier médite depuis dix ans de fe retirer
à la campagne pour penfer à fon falut.
Il y en a plus de quinze que le Curé fe
promet de jour en jour de fe retirer à la
ville pour fe repofer. Le Seigneur vante
à fon Curé les agrémens de la vie champêtre
, & le Curé exagere les charmes de la
ville.
Voici un peu plus loin deux hommes
bien embarraffés , & qui ne difent pas ce
qu'ils penfent. Le premier de notre côté
eft un jeune homme qui a fait certaines
dépenfes qu'il ne trouve pas à propos que
fa femme fçache ; il voudroit bien trouver
mille écus à emprunter . L'autre eft un vieil
avaricieux qui voudroit placer la même
fomme à l'infçu de fes parens , à qui il
fait entendre qu'il eft dans l'indigence.
Celui - ci a peur de mal placer fon argent ,
& l'autre de n'en pas trouver.
Quel eft celui qui les fuit ? interrompi
Oromafis , c'eft encore un jeune mari , re
A OUS T. 1755. 57
partit la Silphide. Sa deftinée eft finguliere.
Il vient d'époufer une vieille dévote
qui lui a fait fa fortune . Les uns l'ont loué
d'avoir pris ce parti , d'autres l'ont blâmé :
mais ces derniers ne fçavent pas qu'il n'eft
revenu dans ce monde qu'à cette condition
, parce que dans une premiere vie il
a mangé fon bien en époufant une jeune
& aimable Comédienne.
Regardez , je vous prie , ce Confeiller
qui veut apprendre à ce Marchand de chevaux
à connoître leurs défauts , parce qu'il
a lu ce matin le parfait maréchal .
Voulez - vous voir quatre jeunes gens
dégoûtés du monde ? jettez la vûe là- bas
fous ces arbres : Vous y voilà Le premier
éft un Poëte mécontent du public , qui refufe
abfolument de l'admirer. Le fecond
eft un Auteur qui revient de Paris fans
avoir pu trouver un Imprimeur affez complaifant
, pour fe charger de faire voir le
jour à une petite hiftoriette fort plate de
fa compofition.
Le troifiéme eft le fils d'un avare , le
quatrième un indolent à qui fes parens
veulent faire prendre une profeflion . Ils
projettent de fe retirer à la campagne , &
de donner un ouvrage périodique qui aura
pour titre , Loifir des quatre Philofophes
folitaires. L'Auteur doit fronder l'infolen-
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
ce & l'avarice des Imprimeurs. Le Poëte
veut écrire contre le mauvais goût du fiécle.
Le fils de l'avare fur l'abus du pouvoir
paternel , & l'indolent veut faire l'éloge
de la pareffe .
Voici tout proche d'eux la femme d'un
Médecin très - médifante. Ceux qui mar
chent après font dans l'embarras de décider
lequel ils aimeroient mieux de tomber
entre les mains du mari ou de la femme
?
Cet homme habillé de drap de Siléfie
eft un étranger qui cherche en lui - même
les moyens de tromper un marchand de
cette ville afin d'avoir fa fille ; & voilà
plus loin ce marchand qui médite une banqueroute
, afin de pouvoir donner à fa fille
vingt mille écus qu'il a promis verbalement
à ceux qui lui ont parlé de cet étranger
comme d'un parti fort avantageux.
Etes-vous curieux de voir un Alchymifte
qui croit avoir bientôt trouvé la pierre
philofophale Regardez ce grand homme
fec & blême.
Ce Cavalier qui falue ces deux Dames
en paffant , fait fort bien fa cour à cette
grande brune que voilà à côté de lui . Il
lui fait accroire qu'un Chymifte de fes
amis a trouvé un élixir qui blanchit merveilleufement
la peau .
AOUS T. 1755. 39
Dans la même compagnie eft le fils d'un
riche Commerçant qui vient d'acheter une
charge de Secrétaire du Roi . Il demandoit
hier avant que
de louer une piece de vers ,
qu'on venoit de lire , fi l'Auteur étoit Gentilhomme.
Apprenez- moi , je vous prie , demanda
Oromafis , quei eft ce jeune homme que
cette Dame paroît regarder avec complaifance
? C'eft un Médecin , répondit la Silphide
, qui doit faire une fortune confidérable
dans cette profeffion, parce que dans
une premiere vie il a été Capitaine de Cavalerie
, & s'eft ruiné à la guerre. A cauſe .
de quelques vers affez jolis qu'il a faits
dans fes momens de loifir , il a été reçu
dans la planette de Mercure. A l'affemblée
générale il s'eft plaint amerement de
l'injuftice du fort . J'ai défait ma patrie
d'un nombre infini d'ennemis , a - t- il dit
entr'autres chofes , & pour toute récompenfe
je n'ai trouvé à mon retour que la
plus trifte indigence. Le Salamandre qui
préfidoit , voulant rendre le contrafte parfait
, a ordonné qu'il naîtroit pour être
Médecin , & en même tems a commis un
Silphe pour travailler à lui faire une haute
réputation. Je ferois affez curieux de fçavoir
, dit alors Oromafis , quel's moyens
il employera pour en venir à bout . Bon ,
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
répondit la Silphide , rien de plus aifé , ce
enne Médecin eft , comme vous le voyez ,
d'une figure aimable. Une Dame de confideration
qui ne fera gueres malade & qui
croira l'ètre beancoup, doit bientôt le faire
appeller , il la guérira ; l'obligation qu'elle
croira lui avoir l'intéreffera en fa faveur ,
la bonne mine du jeune Efculape donnera
de la vivacité au zéle de fa malade . De
retour à Paris où elle fait fon féjour ordinaire
, elle le vantera à toutes fes connoif.
fances , on le fera venir , il fera goûté. Sa
fortune deviendra pour lors fon affaire ,
le Silphe doit l'abandonner à lui-même.
Ce Salamandre étoit plaifant , continua
la Silphide je ne finirois point fi je
vous rapportois tous les jugemens finguliers,
& fi l'on ofe parler ain , épigrammatiques
qu'il a portés . Lucullus , ce voluptueux
Romain , ayant entendu vanter la
délicarelle & le raffine bent de la cuifine
françoiſe , demanda à revenir pour en ju- .
ger lui - même. Devinez où il l'envoya ?
fans doute , répondit Oromafis , dans le
corps pefant & matériel de quelque gros
Bénéficier , ou de quelque homme de la
vieille finance; point du tout , reprit elle ,
mais dans le corps d'un Maître d'Hôtel .
Ménélas dans la même affemblée demanda
à revivre , il le lui permit à condition.
AOUST. 1755 : 61
qu'il deviendroit amoureux d'une fille
d'Opéra jufques à l'époufer pour le punir
de fa folie d'avoir couru après fa femme
à la tête de toute la Gréce. Hélene qui
avoit été par fa coqueterie la caufe de
tant de maux , fut condamnée à revenir
pour être la fixiéme fille d'un Gentilhomme
, campagnard , qui auroit des fils à
foutenir à la guerre.
Confiderez , continua fur le champ la
Silphide , fans laiffer au Philofophe le
tems de répondre : confiderez cette Demoifelle
, déja furannée , qui regarde les
paffans avec tant d'attention , elle paffe
les nuits à rêver , & le jour à deviner ce
que fes rêves fignifient. Pour fçavoir comment
elle paffera la journée , il faut lui
demander , quels fonges avez vous fair
cette nuit ? ils décident de fon humeur.
Elle en a fair un , il y a environ huit
jours , qui fignifie , fuivant fon interprétarion
, qu'elle fe mariera dans peu , mais
elle ne fçait point à qui , & c'est ce qui
l'embarralle.
Ces deux hommes que vous voyez enfemblé
après cette rêveufe , font bien mal
affortis. C'est un Antiquaire & un Fleurifte.
Celui - ci s'eft emparé du premier
pour lui détailler les beautés miraculeufes
de fes tulipes & de fes renoncules. L'An62
MERCURE DE FRANCE.
tiquaire qui a la tête remplie de l'explica
tion d'une médaille du tems de Caracalla ,
pefte contre l'importun , & traite de fadaife
tout ce qu'il lui compte à la gloire
de fes fleurs.
Voici fur ce banc vis-à- vis de nous une
femme qui s'ennuie beaucoup . La converfation
eft pourtant affez animée , répondit
Oromafis , fi l'on en juge par les geftes
que ce petit homme fait en parlant. Il eſt
vrai , répartit la Silphide ; mais cette Dame
n'y prend aucune part. C'eft une differtation
fur le plaifir, & felon elle il vaut
bien mieux le fentir que de perdre le tems
à le définir.
Cette jeune perfonne qui rit de fi bon
coeur , eft menacée de vivre & mourir fille.
Pourquoi cela , demanda le Philofophe
c'eft , répondit la Silphide , qu'elle ne veut
fe marier qu'à un homme fans fatuité.
Ce grand homme au milieu de ces deux
petits , eft un Avocat qui compte tous les
procès qu'il a fait gagner ; & voilà plus
loin , fon confrere qui compte tous ceux
qu'il a fait perdre.
Confiderez ce garçon habillé de brun
qui vient vers nous , c'eft un domeftique.
Il ne fe doute nullement qu'il eft bon
Gentilhomme. Il a été changé en nourrice
, & paffe pour le fils d'un payfan . Cette
A O UST. 1755. 63
pénitence lui a été impofée , parce que
dans une premiere vie il fe croyoit le fils
d'un homme de confidération , & s'eft
rendu infupportable à tout le monde par
fa fierté , fon arrogance & fes hauteurs.
Il a été bien furpris quand après la mort
on lui a fait connoître qu'il n'étoit que
le fils du valet de chambre de fa mere.
Voilà deux jeunes gens fur le point de
s'époufer , qui ont des idées bien différentes.
Le jeune homme eft abfolu & inté-,
reffé , il ne fe marie que pour groflir font
revenu , & compte exercer dans fon ménage
un pouvoir defpotique. La Demoifelle
eft fort haute , elle aime le plaifir &
la dépenfe , & ne fonge en fe mariant qu'à
fe fouftraire à l'autorité d'un pere & d'une
mere économes.
Celui qui vient d'arrêter ces Dames ,
eft un perfonnage fingulier , il fait des dépenfes
confidérables pour fe donner la réputation
de fin connoiffeur , & n'a réuffi
qu'à fe donner un ridicule. Il arrive hier
à une vente , on crioit un tableau à cinq
livres : qu'eft- ce qu'on vend là , s'écria- til
d'un ton de fupériorité infolente ? C'eſt
un tableau , je crois : mais voyons- le donc .
On le lui montre : allons , dit- il en hauffant
les épaules , & fans prefque le regarder
, à dix écus , à dix écus. Perfonne ,
64 MERCURE DE FRANCE .
comme bien vous penfez , ne s'eft avifé
de mettre fur fon enchere. Je gagne au
moins dix piftoles de ce qu'il n'y a point
ici de connoiffeur , a-t -il ajouté en le recevant.
Va-t-il à quelques ventes de livres ?
ne croyez pas qu'il s'amuſe à regarder des
volumes bien reliés ; mais s'il voit quelque
bouquin à moitié mangé des rats ou
des vers , c'eſt à celui - là qu'il court.
Je ne vous ai montré jufqu'ici que des
gens affez ridicules , continua la Silphide ,
mais je veux vous en faire voir de raifonnables.
Regardez à droite ces trois perfon
nes qui fe repofent ; le premier eft un Phi
lofophe très aimable ; il eft avec ſa femme
& un jeune Anglois qui eft fon ami particulier.
Un Silphe de ma connoiffance me
comptoit , il y a quelques jours , leur hiftoire
; elle eft affez intéreffante. Oromafis
ayant fait paroître quelque envie de l'entendre
, la Silphide qui ne demandoit pas
mieux que de lui en faire le récit , commença
par ces mots.
Nous la donnerons le mois prochain .
O
A O UST. 1755. 65
LE MALHEUR D'AIMER.
POEME ,
Par M. Gaillard , Avocat.
Non , je ne veya plus rien aimer ;
Un jufte orgueil m'enflamme , un jour heureux
m'éclaire ,
J'arrache en frémiffant ce coeur tendre & fincere
Aux perfides attraits qui l'avoient fçu charmer.
Combien l'illufion leur prêta de puiſſance !
Et combien je rougis de ma folle conftance !
Quoi ! c'eft-là cet objet adorable & facré ,
Chef-d'oeuvre de l'amour , par lui-même admiré ;
Sur qui la main des Dieux ( foit faveur ou colere )
Epuifa tous fes dons , & fur- tout l'art de plaire ! ...
Quel démon m'aveugloit ? quel charme impérieux
Enchaînoit ma raiſon & faſcinoit mes yeux ?
J'aimois . J'embelliffois ma fatale chimere
Des traits les plus touchans d'une vertu fincere ;
Que ne peut -on toujours couvrir la vérité
Du voile de l'amour & de la volupté !
Hélas ! de mon erreur j'aime encor la mémoire ,
Je regrette mes fers , & pleure ma victoire ......
Que dis-je , malheureux ? Ah ! je devois pleurer;
21
66 MERCURE DE FRANCE..
Lorfque prompt à me nuire , ardent à m'égarer,
Je ibis les rigueurs d'un indigne eſclavage ;
Les Dieux de ces périls m'avoient tracé l'image.
Un fonge ( & j'aurois dû plutôt m'en fouvenir )
A mon coeur imprudent annonçoit l'avenir.
J'errois fur les bords de la feine
Dans des bofquêts charmans confacrés au plaifir ;
Avec Thémire , avec Climene ,
Par des jeux innocens j'ainufois mon loifir.
Un enfant inconnu defcend fur le rivage ,
Il mêle un goût plus vif à notre badinage
Il
pare la nature , il embellit le jour ,
L'univers animé parut fentir l'amour.
Ses aîles , fon carquois m'inſpiroient quelque
crainte ,
Mais dans fes yeux touchans l'innocence étoit
peinte.
Il me tendit les bras . Son ingénuité
Intéreffa mon coeur qu'entraînoit fa beauté ;
Careffé par Thémire , & loué par Climéne
A leurs plus doux tranſports il ſe prêtoit à peine ,
J'attirois tous les foins , & j'étois feul flaté.
Il aimoit , difoit - il , à me voir , à m'entendre ,
Il fembloit à mon fort prendre un intérêt tendre ,
Avec un air charmant il plaçoit de ſa main
Des lauriers fur mon front , des roſes dans mon
fein ; ...
( Qui ne l'auroit aimé ? pardonnez , ô ſageſſe i
AOUST.
1755 67
Je fçais trop à préſent qu'il faut n'aimer que
vous ;
Mais de ce traître enfant que les piéges font doux !
Que fes traits ont de force & nos coeurs de foibleffe
! )
Il me montra de loin le palais des plaiſirs ,
J'y volai plein d'eſpoir , fur l'aîle des defirs.
Là , tout eft volupté ! tranfport , erreur , ivreffe ,
Là , tout peint , tout inſpire , & tout ſent la tendreffe
;
Dans mille objets trompeurs l'art fçait vous préfenter
Celui qui vous enchante , ou va vous enchanter .
J'apperçus deux portraits : l'un fut celui d'Or
phife ,
Mon oeil en fut frappé , mon ame en fut ſurpriſes
Vieille , elle avoit d'Hébé l'éclat & les attraits
Sa beauté m'éblouit fans m'attacher jamais.
Mais l'amour m'attendoit au portrait de Sylvie ,
• Il alloit décider du bonheur de ma vie.
Sans éclat , fans beauté , ſa naïve douceur
Fixa mon oeil avide , & pénétra mon coeur .
Dans les yeux languiſſans , ou l'art ou la nature
Avoient peint les vertus d'une ame noble & pure ;
Tous mes fens enivrés d'une rapide ardeur
Friffonnoient de plaifir , & nommoient mon vain
queur .....
Cependant fous mes pas s'ouvre un profond abî
me 2
68 MERCURE DE FRANCE.
J'y tombe , & je m'écrie : O trahifon , & crime ! ~
De quels fleuves de fang me vois-je environné ?
Dans ces fombres cachots des malheureux gémiffent
,
De leurs cris effrayans ces voûtes retentiffent :
Fuyons .... Des fers cruels me tiennent enchaîné ;
Mille dards ont percé mon coeur infortuné ,
O changement affreux ! quel art t'a pû produire ?
Une voix me répond : Pallas , va-t'en inftruire ?
L'amour fuit démaſquant ſon viſage odieux.
La rage d'Erinnys étincelle en fes yeux ,
Des ferpens couronnoient fa tête frémiflante ;
Le reſpect enchaînoit fon audace impuiſſante ;
Il fecouoit pourtant d'un bras féditieux
Un flambeau dont Pallas éteignoit tous les feux,
'Je la vis , & je crus l'avoir toujours aimée ,
Sés vertus s'imprimoient dans mon ame enflammée
,
J'admirois ces traits fiers , cette noble pudeur ,
Où du maître des Dieux éclatoit la fplendeur.
» Tombez , a-t - elle dit , chaînes trop rigoureu
>> fes !
» Fermez -vous pour jamais , cicatrices honteufes !
» Mortel ! je n'ai changé , ni l'amour, ni ces lieux ,
» Mais j'ai rompu le charme & deffillé tes yeux.
La volupté verfoit l'éclat fur l'infamie ,
» D'un mafque de douceur couvroit la perfidie ;
La vertu feule eft belle , & n'a qu'un mêmé
aspect ,
A O UST. 1755, 69.
» L'amour vrai qu'elle infpire eft enfant du ref-
» pect.
» Mais fui - moi , viens apprendre à détefter ce
>> maître
» Que les humains féduits fervent fans le connoî-
>> tre ,
» Qui t'entraînoit toi-même , & t'alloit écrafer
» Sous le poids de ces fers que j'ai daigné briſer.
» Ce monftre en traits de fang , fous ces voûtes
>> horribles ,
» Grava de fes fureurs les monumens terribles.
Que vis-je ? ....ô paffions ! ô fource des forfaits
!
Quels tourmens vous caufez , quels maux vous
avez faits !
Térée au fond des bois outrage Philomele ?
Progné , foeur trop fenfible & mere trop cruelle ;
A cet époux inceftueux ,
De fon fils déchiré , fert les membres affreux.
Soleil ! tu reculas pour le feftin d'Atrée !
'As-tu pu fans horreur voir celui de Tétée ?
Mais quels font ces héros enflammés de fureur ;
Qui partagent les Dieux jaloux de leur valeur ? ....
Dieux ! votre fang rougit les ondes du Scamandre;
Patrocle
, Hector
, Achille
, ont
confondu
leur
cendre
70 MERCURE DE FRANCE.
Sous fon palais brûlant Priam eſt écraſé ,
Le fceptre de l'Afie en fes mains eft brifé ,.
Tout combat , tout périt : Pour qui pour une
femme ,
De mille amans trompés vil rebut , refte infame.
Le fier Agamemnon , ce chef de tant de Rois ,
Dont l'indocile Achille avoit fubi les loix ,
Revient après vingt ans de gloire & de miſere
Expirer fous les coups d'une époufe adultere.
Aux autels de fes Dieux Pyrrhus eft égorgé ;
Hermione eft rendue à fon époux vengé.
Pour laver ton affront , ô Phédre ! l'impofture
Charge de tes forfaits la vertu la plus pure ;
Sur un fils trop aimable un pere furieux
Appelle en frémiflant la vengeance des Dieux.
Le courroux de Neptune exauçant fa priere
Seme d'ennuis mortels fa fatale carriere.
Biblis , & vous , Myrrha , d'une exécrable ar
deur
Par des pleurs éternels vous expiez l'horreur.
O Robbe de Neffus ! & trompeufe eſperance !
O d'un monftre infolent effroyable vengeance !
Sur le bucher fatal Hercule eft confumé ;
Héros plus grand qu'un Dieu , s'il n'avoit point
aimé !
Tu fuis , ingrat Jaſon , ta criminelle épouſe :
A O UST. 71 1755.
Mais ... connois -tu Médée & fa rage jalouſe ?
Elle immola fon frere , & fe perdit pour toi ,
Tu ne peux ni la voir , ni la fuir fans effroi ! ....
Mais la voici , grands Dieux ! furieuſe , tremblan
te ......
Un fer étincélant arme fa main ſanglante ,
Elle embraffe fes fils , & frémit de terreur ...:
Ah ! d'un crime effrayant tout annonce l'horreur..
Arrête , Amour barbare , & toi , mere égarée
De quel fang fouilles-tu ta main deſeſpérée ?
La nature en frémit , l'enfer doute en ce jour
Qui l'emporte en fureur , ou Médée ou l'Amour.
Le jour vint m'arracher à ce ſpectacle horrible,
Pour éclairer mon coeur la vérité terrible
Avoit emprunté par pitié
Les traits d'un utile menfonge ,
Tout fuit , tout n'étoit qu'un vain fonge ,
Et mon coeur a tout oublié.
Deux Amours , deux erreurs ont partagé ma
vie ,
J'adorai la vertu dans le coeur de Sylvie ,
Par des vices brillans Orphiſe m'enchanta ,
La vertu s'obſcurcit , & le vice éclata ,
Orphife étoit perfide autant qu'elle étoit belle ,
Sylvie .... elle étoit femme , elle fut infidelle.
Sur quel fable mouvant fondois -je un vain eſpoir à
La candeur , la conftance eft-elle en leur pou
voir ?
72 MERCURE DE FRANCE.
Je te connois enfin , fexe aimable & parjure ,
Ornement & fléau de la trifte nature !
Tu veux vaincre & regner , fur-tout tu veux trad
hir.
Notre opprobre eft ta gloire , & nos maux ton
plaifir.
Du généreux excès d'un amour héroïque
La vertueufe Alcefte étoit l'exemple unique.
Adorable en fa vie , admirable en fa mort ,
Elle étonna les Dieux , & confondit le fort .
En fubiffant fa loi cruelle.
Otoi , qui poffedas cette épouſe fidele ,
Tu ne méritois pas , Admete , un fort fi beau ,
Si l'Amour ne t'entraîne avec elle au tombeau !
Elle eft mere , & du fang t'immole la foibleffe !
Elle eft Reine , & connoit la conftante amitié !
Infenfible à fa perte , elle plaint ta tendreſſe ,
Dans les yeux prefque éteints brille encor la
pitié ;
Elle entre en t'embraffant dans la nuit éternelle ,
C'est pour toi qu'elle meurt , peux- tu vivre fans
elle ?

Hélas ! le coeur humain doit-il former des voeux ?
De toutes les vertus Alcefte eft le modele ,
Mais s'il étoit fuivi , ferions-nous plus heureux ?
Amour ! contre tes traits où prendroit - on des
armes ?
femmes qui pourroit fe fouftraire à vos charmes
Si
A OUST. 1755. 75
Si vos coeurs fecondoient le pouvoir de vos yeux
La nature s'émeut à l'afpect d'une belle :
Le coeur dit : La voilà , mon bonheur dépend d'elle.
Que l'épreuve dément un préfage fi doux !
Hélas les vrais plaifirs ne font pas faits pour
nous.
Nous jouiffons bien peu de la douceur fuprême
De plaire à nos tyrans , ou d'aimer qui nous aime
Dans l'empire amoureux tout coeur eſt égaré ,
Et loin des biens offerts cherche un bien defiré ,
Ariane brûloit pour Pinconftant Théfée :
Mais il venge à fon tour cet e amante abuſée ;
Il aime , & dans fon fils on lui donne un rival ;
Phédre adore Hyppolite , & Phédre eft mépriſée
Phyllis eft fufpendue à l'amandier fatal ;
Démophoon fidele eût vû Phyllis volage ,
Tel eft de Cupidon le cruel badinage ;
Il fe nourrit de fang , il s'abbreuve de pleurs ,
Il enchaîne , & jamais il n'affortit les coeurs.
Vous , dont un vent propice enfle aujourd'hui
les voiles ,
Qui lifez , pleins d'efpoir , fur le front des étoiles
L'approche du bonheur & la route du port.
Ah ! tremblez ! mille écueils vous préfentent la
mort.
J'entens mugir les flots & gronder les tempêtes.
L'abime eft fous vos pieds , la foudre eft fur vos
têtes ;
D
74 MERCURE DE FRANCE.
D'une fauffe amitié les perfides douceurs
De l'infidélité préparent les noirceurs ;
Bientôt on oubliera jufqu'à ces faveurs même ,
Dont on fate avec art votre tendreffe extrême ;
On verra vos tourmens d'un oeil fec & ferein .
Vainement pour voler à des ardeurs nouvelles
Le dépit & l'orgueil vous prêteront leurs aîles
Vous ferez retenus par cent chaînes d'airain .
Les caprices fougueux , les fombres jaloufies ,
Et la haine allumée au flambeau des Furies ,
Etoufferont fans ceffe & produiront l'amour ,
De vos coeurs déchirés , indomptable vautour.
Sauvez de ces revers vos flammes généreuſes ;
Sortez , s'il en eft tems , de ces mers orageuſes ,
Regagnez le rivage , & cherchez le bonheur
Dans le calme des fens & dans la paix du coeur.
Des fieres paffions brifez le joug infânie ,
Fuyez la volupté , ce doux poifon de l'ame ,
La gloire & la vertu combleront tous vos voeux ,
Sous leur aimable empire on vit toujours heu
reux.
Ainfi parloit Sylvandre , & fa douleur amere
Méconnoiffoit l'Amour mafqué par la colere ,
Quand d'un fouris flateur , fait pour charmer les
Dieux ,
A fes yeux éperdus Sylvie ouvrit les cieux ;
Quel moment ! quel combat pour fon ame at
tendrie !
AOUST. 1755
75
Elle approche , il pâlit , il fe trouble ....... it
s'écrie ,
Frémiffant de couroux , de tendreffe & d'effroi ;
Tu l'emportes , cruelle , & mon coeur eft à toi.
Un feul de tes regards affure ta victoire,
T'aimer eft ma vertu , t'enflammer eft ma gloire:
DE L'ESTIME DE SOI - MESME ,
Par M. de Baftide.
J'Entreprends de donner aux hommes
des leçons d'amour propre. Ce projet
paroîtra le fonge d'un jeune homme à qui
le coeur humain n'eft pas encore connu.
L'art de l'amour propre n'eft- il pas épuifé ?
J'aurois fait , à vingt ans , cette question
qui ne peut être pardonnable qu'à cet âge ,
& qui , à trente , prouveroit une ame &
un efprit médiocres. L'amour propre eft un
être immenfe . Il a toute forte d'intérêts, de
prétentions , toute forte de droits ; il peut
donc avoir toute forte de formes . Il eft vifiblement
partout , car il fe fait fentir dans tout
ce que les hommes ont fait. C'eft un acteur
public à qui chacun fait jouer un rôle différent
dont le but eft le même. Semblable
à l'immortel Baron qui jouoit pour Pradon
& pour Racine ; mais avec cette différence
que Baron repréfentoit toujours fupérieu-
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
rement pour le Poëte admirable , comme
pour le verfificateur ridicule , & que l'art
de l'amour propre, acteur dépend précifement
de l'efprit de celui qui lui donne un
rôle à jouer.
Rien n'eft fi néceffaire que de fentir
l'amou: propre . Je le diftingue de l'orgueil
qui eft un vice de l'ame d'après lequel on
peut jnger d'homme & le néprifer . Je
paile de ce défir actif & délicat d'être cité ,
loué , compenté que on fent loiqu'on
1
a mérité de cure . Ce défir a été la fource
de tout ce qu'il y a de bien dans le monde .
On fait bien à proportion qu'on le regarde
comme un premier moyen de bien faire.
Pour le fentir , il faut s'ellimer ce que l'on
vaur. Si l'on doute de fon mérite , on dou
tera de fes reffources , on ne s'élevera jamais
foiblement au - deffus du médioque
cre ; on travaillera , parce que l'efprit eft
un feu qu'il faut nourrir & qui fçait nous
y contraindre , mais ce fera avec beaucoup
moins de talent & beaucoup plus de peine,
& l'on ignorera qu'on peut très - bien faire
même après avoir très -bien fait.
L'avantage de fçavoir s'apprécier ne fe
borne pas au bien perfonnel ; il s'étend à
l'infini , il eſt une fource d'avantages pour
la fociété. L'homme qui fçait ce qu' I vaur',
1
devient extrêmement utile aux autres...
AOUS T. 1755 . 77
S'agit- il , par exemple , de donner un confeil
dans une occafion où l'on a pris de faufſes
meſures & à un efprit orgueilleux qui
ne veut pas fouffrir qu'on le défabuſe ? il
parle avec une fierté active qui déconcerte
l'orgueil aveugle ; il fe cite , parle de fes
lumieres , de fes fuccès , de fa réputation.
Il réuffit , il perfuade , mais c'eft furtout
au ton qu'il a pris qu'il doit fon fuccès . Ses
raifons toutes folides qu'elles étoient n'auroient
pas fuffi .
>
Cette façon de fe citer , de parler avantageufement
de foi , n'eft pas feulement
légitime ; les circonftances la rendent néceffaire.
Henri IV , alors fimplement roi
de Navarre , ayant à combattre une armée
puiffante , fort fupérieure en nombre à la
fienne , trouva , dans le bonheur d'avoir
fçu fe rendre juftice , le moyen d'illuſtrer
à jamais fa petite troupe. Au moment de
l'action il fe tourna vers les princes de
Condé & de Soiffons , & , parlant d'un ton
affuré , je ne vous dirai rien autre chofe , leur
dit- il , finon que vous êtes de la maison de
Bourbon , & vive Dicu , je vous montrerai
que je fuis votre aîné . Son armée qui devoit
être taillée en pieces , fit des prodiges , &
fut victorieufe. Il eft aifé de fentir qu'elle
dut fa victoire à celui à qui elle devoit fon
grand courage.
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
Les hommes aiment à fentir l'admiration.
Le mérite modefte ne l'infpira prefque
jamais. Cette admiration mene à tout
ceux qui la fentent & celui qui l'infpire ; il
faut donc y prétendre lorfqu'on doit efpérer
de la faire naître ; c'eft un fervice que
l'on rend aux hommes dont la gloire éclatante
pique l'émulation ; c'eft de plus une
juftice que l'on doit à foi même , à fes
amis & à fes defcendans. Trop de modeftie
nuiroit à cette fage ambition . Pour la
faire naître en foi , ou du moins pour s'exciter
à en écouter les confeils & les infpirations
, il faut s'entretenir complaifamment
avec foi-même de ce que l'on vaut. Dès
qu'une fois l'on a fenti ce que l'on mérite ,
on fouhaitte bientôt de mériter encore d'avantage
, & ce fouhait conduit infenfiblement
aux grandes chofes dont on ne feroit
pas devenu capable fi l'on ne s'étoit rendu
compte de ce que l'on valoit.
L'orgueil tout mépriſable qu'il eft , peut
rendre les mêmes ſervices que l'amour propre
le plus refpectable . La plupart des hommes
célébres dans tous les genres , ont dû
à fon impulfion cette fureur de gloire qui
les a conduit à ce qu'on appelle vulgairement
l'immortalité . Mais fe regardera - t- on
comme grand tant que l'on ne pourra fe
flatter d'être l'exemple du fage , & jouira
A O UST. 1755 . 79
t- on bien paisiblement d'une gloire ufurpée
qu'on ne pourra s'empêcher de fentir qui
n'eft que l'effet de l'erreur des hommes ?
L'orgueilleux porte dans fon coeur fon juge
& fon châtiment. Il eft jaloux du vrai mérire
, il dévore la gloire des autres , il ne
jouit pas de la fienne , il fent qu'il n'en a
point. L'orgueil eft une ivreffe qu'une
cruelle agitation fuit toujours ; il nous
aveugle & nous cache la vraie valeur de
toutes chofes , il nous montre les autres
plus grands qu'ils ne font & nous montre
à nous-mêmes plus petits que nous ne
fommes , il nous réduit prefque à rien malgré
l'apparence , malgré l'éclat qui nous
environne dès qu'une fois il a ceffé de nous
empêcher de nous connoître.
L'orgueil eft l'abus de l'amour propre.
En s'y livrant , on peut faire une certaine
illufion & goûter un certain plaifir , mais
on vit intérieurement malheureux & l'on
eft toujours méprifable . Un fort bien différent
eft réfervé à celui qui en s'eftimant
n'abuſe point de l'opinion de fon mérite &
ne s'accorde que ce qui lui eft du . L'action
de fa vanité ſe tourne en fentiment ; il
s'eftime avec fécurité parce que les louanges
fecretes qu'il fe donne , n'empruntent
rien d'un certain mépris pour les autres ,
ne le rendent ni vain ni jaloux , & font la
Div
So MERCURE DE FRANCE.
fource de la plus innocente ambition , qui
eſt celle de valoir encore plus qu'on ne
vaut.
on
avec un
Notre intérêt dépend de notre eftime
encore plus que de notre mérite. Avec l'efprit
& les qualités les plus communes ,
réuffit tous les jours , même au-delà de fon
efpérance ; un peu de hardieffe tient lieu
fouvent de beaucoup de mérite , & l'on
connoît bien des gens qui n'ont été récompenfés
, confidérés , illuftrés , que fur leur
parole. Que ne doit donc ps craindre
l'homme trop modefte qui fera né
vrai mérite ; plus expofé à faire des jaloux ,
il rencontrera à chaque pas des obſtacles à
fon élévation ; l'orgueil de fes jaloux ou
de fes rivaux , cherchera fans ceffe à lui
impofer , & y réuffira toujours On a vu
cent fois un gentilhomme très ancien , fimplement
vêtu , pauvre & modefte , être décontenancé
, intimidé , abfolument effacé
par un noble très - nouveau qui avoit un
bel habit & de beaux chevaux . Que le
noble foit le concurrent du gentilhomme
pour une place que celui ci aura méritée ,
& dont l'autre ne fera pas digne , il n'eſt
pas difficile de deviner qui des deux l'emportera.
Le Gentilhomme modefte fera
anéanti par l'ennobli inpertinent , il ne
fera plus de démarches , il craindra même
A O UST. 81
1755.
que cette concurrence ne jette fur lui un
ridicule , & fe laiffera ainfi enlever le prix
de fon mérite , parce qu'il n'aura pas allez
connu le mérite qu'il avoit .
Il arrive tous les jours qu'avec beaucoup
d'efprit & de bon fens , on fait une fottife
par le confeil des autres & contre fon propre
avis . On avoit d'abord bien penfé ; fi
l'on n'avoit confulté que foi , on fe feroit
bien conduit , la modeftie n'a pas permis
qu'on crut qu'on penfoit allez bien pour
ne s'en rapporter qu'à foi - même ; il a fallu
confulter, l'avis qu'on a reçu ne valoit rien ,
on l'a fenti avant que de le fuivre , mais on
a craint d'être trompé par l'amour propre ,
& l'on a mieux aimé rifquer de faire une
fottife que de tomber dans un défaut .
Dans un cercle il arrive tous les jours
qu'un homme de beaucoup d'efprit eft déconcerté
par un fat ; qu'il ne dit rien , quoiqu'on
le prie de parler , de briller , & Fon
voit même qu'il ne peut rien dire. Cela eſt
quelquefois fi fort & fi vifible que l'on
pourroit croire que le génie de l'un tremble
devant celui de l'autre. Cette finguliere
pufillanimité eft caufée par un excès de
modeftie ; on fent cela , & il eft inutile de
le dire. Elle donne un ridicule & en eft
peut-être un.
En s'eftimant ce que l'on vaut , on évite
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
le rifque d'eftimer les autres plus qu'ils ne
valent , ce qui eft d'une très - grande importance
dans le monde où il n'y a aucune
forte de vertu dont on ne cherche à abufer.
Quel avantage n'a pas fur vous l'homme
le plus médiocre s'il vous voit embarraffé
devant lui , foit dans une concurrence ,
foit dans un démêlé , foit dans une converfation
? C'eft prendre fon role & lui
céder le vôtre , vous pouviez être le facrificateur
, vous devenez la victime ; il abufe
de votre modeftie qui l'aveugle après l'avoir
étonné ; la caufe de fon triomphe difparoît
à les yeux , fa fatuité ſe fait honneur
des armes que vous lui avez fournies ;
il devient préfomptueux & infolent de
modefte qu'il eut peut- être été , & vous
devenez en quelque façon comptable de
tout le mal que fon orgueil va faire .
Il eſt donc abfolument néceffaire de
s'apprécier ce que l'on vaut ; mais cela ne
fuffit pas ; il faut joindre à l'eftime de foimême
l'art d'augmenter celle des autres.
C'è une fuite que nous donnerons le
mois prochain.
L'Epitre àEglé par Mademoiselle Loifean,
que nous avons inférée dans le Mercure de
Juillet , nous a été envoyée à l'infçu de l'auteur;
c'est malgré fa modefkie que cette piece a vu le
jour.
AOUST. 1755. 83M
E PITRE
DE M. DE V ***.
En arrivant dans fa Terre près du Lac de
Geneve , en Mars 1755.
Maifon d'Ariftippe ! ô jardins d'Epicure !
Vous qui me préfentez dans vos enclos divers ,
Ce qui fouvent manque à mes vers ,
Le mérite de l'art foumis à la nature.
Empire de Pomone & de Flore få foeur ,
Recevez votre poffeffeur ?
Qu'il foit ainfi que vous folitaire & tranquille
Je ne me vante point d'avoir en cet azile
Rencontré le parfait bonheur ;
Il n'eft point retiré dans le fonds d'un bocage ;
Il eſt encor moins chez les Rois ;
Il n'eft pas même chez le fage :
De cette courte vie il n'eft point le partage ;
-Il faut y renoncer : mais on peut quelquefois
Embraffer au moins fon image.
Que tout plaît en ces lieux à mes fens étonnés !
D'un tranquile Océan ( a) l'eau pure & transparente
Baigne les bords fleuris de ces champs fortunés ;
D'innombrables côtaux ces champs font couronnés
;
(a ) Le lac de Geneve.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE
Bacchus les embellit : leur infenfible pente
Vous conduit par dégrez à ces monts fourcilleux(6)
Qui preffent les Enfers , & qui fendent les Cieux.
Le voilà ce Théâtre & de neige & de gloire ,
Eternel boulevard qui n'a point garenti
Des Lombards le beau territoire .
<
Voilà ces monts affreux célébrés dans l'hiſtoire ,
Ces monts qu'ont traverſé par un vol ſi hardi
Les Charles , les Ottons , Catinat & Conti
Sur les aîles de la victoire.
Au bord de cette mer où s'égarent mes yeux ,
Kipaille je te vois ; O ! bizarre Amedée ! ( c )
De quel caprice ambitieux
Ton ame eft elle poffédée ?
Duc , hermite , & voluptueux ,
Ah ! pourquoi t'échapper de la douce carriere ?
Comment as tu quitté ces bords délicieux ,
Ta cellule & ton vin , ta maîtreffe & tes jeux
Pour aller difputer la barque de Saint Pierre
Dieux facrés du repos je n'en ferois pas tant ,
Et malgré les deux clefs dont la vertu nous frappe ,
Si j'étois ainfi pénitent
Je ne voudrois point être Pape .
Que le chantre flatteur du Tiran des Romains ,
L'auteur harmonieux des douces géorgiques ,
(b) Les Alpes.
( c) Lepremier Duc de Savoye , Amédée , Pape
ou Anti-Papefous le nom de Felix,
A O UST. 1755 85
Ces Lacs
Ne vante plus çes Lacs & leurs bords magnifiques ,
que la Narure a creufés de fes mains
Dans les Campagnes italiques .
Mon Lac eft le premier. C'eft fur fes bords heu
reux
Qu'habite des humains la Déeffe éternelle ,
L'ame des grands travaux , l'objet des nobles voeux ,
Que tout mortel embrafle , ou defire , ou rappelle ,
Qui vit dans tous les coeurs , & dont le nom facré
Dans les cours des Tirans eft tout bas adoré ,
La Liberté. J'ai vû cette Déeffe altiere ,
Avec égalité répandant tous les biens ,
Defcendre de Morat en habit de guerriere,
Les mains teintes du fang des fiers Autrichiens
Et de Charles le téméraire.
Devant elle on portoit ces piques & ces dards ,
On traînoit ces canons , ces échel'es fatales
Qu'elle - même brifa , quand fes mains triomphales
De Genêve en danger deffendoient les remparts .
Un Peuple entier la fuit . Sa naïve allégreffe
Fait à tout l'Apennin répéter fes clameurs ;
Leurs fronts font couronnés de ces fleurs que la
Grece
Aux champs de Marathon prodiguoit aux vainqueurs.
C'eft-là leur Diadême ; ils en font plus de compte.
Que d'un cercle à fleurons de Marquis & de Cointe
Et de larges Mortiers à grands bords abaitus ,
$ 6 MERCURE DE FRANCE.
Et de ces Mitres d'or aux deux fommets pointus,
On ne voit point ici la grandeur infultante
Portant de l'épaule au côté
Un ruban que la vanité
A tiffu de fa main brillante :
Ni la fortune infolente
Repouffant avec fierté
La priere humble & tremblante
De la trifte pauvreté.
On ne mépriſe point les travaux néceffaires :
Les états font égaux , & les hommes font freres.
Liberté liberté ! ton trône eft dans ces lieux.
Rome depuis Brutus ne t'a jamais revûe.
Chez vingt peuples polis à peine es-tu connue.
Le Sarmate à cheval t'embraffe avec fureur ;
Mais le bourgeois à pied rampant dans l'efclavage,
Te regarde , foupire & meurt dans la douleur .
L'Anglois pour te garder fignala fon courage ;
Mais on prétend qu'à Londre on te vend quelquefois.
Non , je ne le crois point ; ce peuple fier & fage
Te paya de fon fang , & foutiendra tes droits.
Aux marais du Batave on dit que tu chanceles ;
peux te raffurer : la race des Naffaux , Tu
Qui dreffa fept autels (d ) à tes loix immortelles ,
Maintiendra de fes mains fideles ,
Et tes honneurs & tes faifceaux.
(d) L'union des fept Provinces,
AOUST . 1755.
87
.
Venife te conferve , & Genes t'a repriſe.
Tout à côté du trône à Stockholm on t'a miſe ;
Un fi beau voisinage eft fouvent dangereux .
Préfide à tout état où la Loi t'autorife ,
F Et reftes-y fi tu le peux.
Ne va plus fous le nom & de Ligue & de Fronde
Protectrice funefte , en nouveautés féconde ,
Troubler les jours brillans d'un Peuple de vainqueurs
Gouverné par les loix , plus encore par les moeurs :
Il chérit la grandeur ſuprême.
Qu'a-t- il befoin de tes faveurs
Quand fon joug eft fi doux qu'on le prend pour
toi-même ?
Dans le vafte Orient ton fort n'eft pas fi beau.
Aux murs de Conftantin tremblante confternée ,
Sous les pieds d'un Vifir tu languis enchaînée
Entre le fabre & le cordeau .
Chez tous les Lévantins tu perdis ton chapeau.
Que celui du grand Tell ( e ) orne en ces lieux ta
têre.
Defcends dans mes foyers en tes beaux jours de fète;
Viens m'y faire un deftin nouveau.
Embellis ma retraite où l'amitié t'appelle :
Sur de fimples gazons viens t'affeoir avec elle :
Elle fuit comme toi les vanités des Cours ,
Les cabales du monde & fon regne frivole.
O mes Divinités vous êtes mon recours ,
(e) L'Auteur de la liberté Helvétique,
88 MERCURE DE FRANCE.
L'une éleve mon ame & l'autre la confole ,
Préfidez à mes derniers jours !
Le mot de l'Enigme du Mercure de Juilet
eft Oifeau. Celui du Logogryphe eft
Conftantinople , dans lequel on trouve Nantes,
Naples , Nole , Pife , nains , Pilles , Pan,
canon , cannes , Nil , S. Jean , Lia , Pline ,
lion , Cinna , tifon , océan , none , plane, toxtine
, capitole ; Tinto , Latone , Nonce ,
Platon
, Efon , Conon , Caton .
ENIGM E.
J.E dois & mon être & mon prix
Au caprice éclairé de quelques beaux efprits
Dont la fçavante politique
Me donna tout d'abord un pouvoir chimérique ,
Auquel tout homme s'eft foumis.
J'ai bien des foeurs encor de la même fabrique ,
Mais très-peu d'entre nous font entendre leurs
voix.

Les autres de moindre importance
N'empruntent que de nous leur valeur & leur
poids ,
Et fans nous reſteroient dans un profond filence,
A OUST .
1755.
Je fuis pourtant muette en France ;
Mais enfin on ne peut , ni s'y paffer de moi ,
Ni fans moi finir nulle affaire .
Pour le peuple je fuis doublement néceflaire ,
Mais je ne fuis aux grands d'aucune utilité ;
Je termine la vie ainfi qu'un fimple fonge ,
Et malheureuſement je me prête au menfonge
Auffi-bien qu'à la vérité :
Au refte , quoique l'on en dife ,
Je m'établis dans Rome & préfide à l'Eglife :
Mais aux yeux de celui qui me connoît à fonds
Je n'ai point d'autre rang dans le chriſtianiſme
Que dans le paganiſme ,
Et tous mes droits ne font que des conventions .
Lecteur , fi cette Enigme à tes yeux eft obſcure,
Pour finir l'embarras où je puis t'avoir mis ,
Tu trouveras le mot à la fin du Mercure ,
Si l'Imprimeur n'a rien omis.
LOGOGRYPHE.
Ja porte moire ,
Je porte poire ,
Je porte mal ,
Je porte pal ,
Je porte lie ,
Je porte Pie ,
Je porte ma
92 MERCURE DE FRANCE
Je réforme les moeurs , & j'affermis les loix.
J'unis en paroiffant fous différentes formes
De grandes vérités & des erreurs énormes .
Je fers à différens emplois .
Autrefois je coutois des travaux & des peines ,
Maintenant chaque jour me produit par centai
nes.
Je n'ai pas , il eft vrai , toujours même fuccès.
Et fouvent en naiffant on me fait mon procès .
A des traits fi frappans peut-on me méconnoître
Hé ! Lecteur , tu me tiens peut- être.
Cinq pieds forment mon tout & je t'offre d'am
bord
>
Un lieu voifin de l'eau , fynonime de bord.
Cet inftrument vanté , dont la douce harmonie
Sçut attendrir Pluton , & du fein des enfers
Arracher Euridice , & lui rendre la vie ,
En brifant fes horribles fers.
Ce qu'à fe conferver chacun ici s'applique ;
La tribu confacrée au fervice divin';
L'effet que caufe en nous l'affreux excès du vin ; '
Plas une note de mufique ;
A plus d'un Carpillon ce qui donne la mort.
De l'ame dérangée un criminel transport .
Du peuple le plus bas l'Epithete ordinaire ;
Après le vin ce qui refte au tonneau ;
Un lieu tout environné d'eau ;
Mais j'apperçois , Lecteur , qu'il eft tems de me
taire.
Par T. P. de Paris.
A OUST. 1755. 9.1
Par nos propres arrêts nous montons au poteau;
Cependant on nous fait périr par le couteau ;
Ainfi les mêmes font nos meurtriers , nos peres.
Nous fommes dans la nuit de fort juftes quadrans.
Souvent nous nous trouvons à la table des grands
Et nous nous dépouillons ſouvent au lit des Dames.
Quand nous naiffons on chante , & quand nous
fommes morts
On fait un feu de joie , & là parmi les flammes
Tout à la fois on noie & l'on brûle nos corps.
D. L. V. d'Allanche , petite ville de la
haute Auvergne , près le Cantal.
LOGOGRYPHE.
PLus folide cent fois que le marbre & l'airaín
Que la rigueur du tems vient à bout de détruire ,
Sur moi fes coups font faux , & fon pouvoir eft
vain ,
Je ris de fes efforts , & brave fon empire.
Je fuis connu de tous , & j'habite en tous lieux :
A l'efprit des humains je dois mon origine ,
Mais elle eft fouvent fi divine ,
Que l'on me croit forti des Dieux.
Je trace du fçavoir la route la plus fûre :
De rayons éclatans je remplis la nature,
92 MERCURE DE FRANCE
Je réforme les moeurs , & j'affermis les loix.
J'unis en paroiffant fous différentes formes
De grandes vérités & des erreurs énormes.
Je fers à différens emplois.
'Autrefois je coutois des travaux & des peines ;
Maintenant chaque jour me produit par centai
nes.
Je n'ai pas , il eft vrai , toujours même fuccès.
Et fouvent en naiffant on me fait mon procès .
Ades traits fi frappans peut- on me méconnoître
Hé ! Lecteur , tu me tiens peut - être .
Cinq pieds forment mon tout , & je t'offre d'a
bord
Un lieu voifin de l'eau , fynonime de bord.
Cet inftrument vanté , dont la douce harmonie
Sçut attendrir Pluton , & du fein des enfers
Arracher Euridice , & lui rendre la vie ,
En brifant fes horribles fers.
} Ce qu'à fe conferver chacun ici s'applique ;'
La tribu confacrée au ſervice divin ;
L'effet que caufe en nous l'affreux excès du vin ;
Plas une note de mufique ;
A plus d'un Carpillon ce qui donne la mort.
De l'ame dérangée un criminel tranſport .
Du peuple le plus bas l'Epithete ordinaire ;
Après le vin ce qui refte au tonneau ;
Un lieu tout environné d'eau ;
Mais j'apperçois , Leaeur , qu'il eft tems de me
taire.
Par T. P. de Paris.

VAUDEVILLE
army nous la simple na
ture Gonne des loix et nous u
nitLony meconnoit l'impos
ture et toutperfide en estpros
= critGuyezAmants dont le lan
gage .Vexprime point laverite
refrain
nous on en
Les coeurs que chez n
gage Sontfaitspourla fidelité:
Moust 1756 .
A O UST. 1755 .
VAUDEVILLE
De l'ordre de la Fidelité.
Parmi nous la fimple nature
Donne des loix , & nous unit.
On y méconnoit l'impofture ,
Et tout perfide en eft profcrit.
Fuyez , amants , dont le langage
N'exprime point la vérité,
Les coeurs , que chez nous on engage ,
Sont faits pour la fidélité.
$3
Etre tendre , difcret , fincere ,
Toujours s'obliger , ſe chérir ,
S'entredonner le nom de frere ,
Se voir fouvent avec plaifir ;
Chez nous ces vertus admirables
S'uniffent à la volupté :
>
Et près de nos foeurs adorables ,
Nous goûtons la élité.
Tout frere fe fait un fyftême
D'aller toujours droit en amour
Il faut , près de l'objet qu'il aime ,
Qu'il foit attentif nuit & jour.
Une faut jamais qu'il fe vante
Quand il veut en être écouté ,
Il eft un cas où fon amante
Juge de la fidélité,
94 MERCURE DE FRANCE
Quand on entend la tourterelle
Gémir triftement dans les bois :
C'eft fon tourtereau qu'elle appelle ,
Et qui s'attendrit à fa voix.
Près de fa plaintive maîtreffe
Il vole avec rapidité :
Mille preuves de fa tendreffe
Affurent ſa fidélité.
Près du berger le chien timide
Dans les dangers peut tout prévoir ;
L'inftinet qui l'éclaire & le guide
Le rend efclave du devoir.
Sur fon exacte vigilance ,
Berger , dormez en fûreté.
On doit bannir la méfiance
Où veille la fidélité.
Vous qui faites couler nos larmes
En nous traitant avec rigueur ,
Belles , que vous fervent vos charmes,
S'ils ne caufent que la douleur.
Quand on plaît il faut être tendre ;
Et c'est un bien que La beauté.
Ah ! que ne pouvez-vous comprendre
Combien vaut la fidélité ?
La Mufique eft de M. Davefne.
Les paroles de M. Demantrofy.
AOUST. 1755. 95
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
Difcours que M. P*** a envoyé à la Société
royale & littéraire de Nancy , lorfque Sa
Majefté le roi Stanislas lui a fait l'honneur
de le nommerpour y remplir une place d'affocié
étranger.
Ca
Omme ce difcours m'a paru réunir
deux objets intéreffans , l'agréable &
l'utile ; les belles- lettres & les finances : j'ai
engagé l'auteur , qui cultive les unes par
goût , en travaillant pour les autres par état,
à me permettre de l'inférer ici.
MESSIEURS
Le premier fentiment que l'on éprouve
lorfqu'on reçoit une grace que l'on defiroit
ardemment , fans ofer y prétendre , c'eft
un fentiment de furpriſe & de joye , de
vanité même , qui ne permet guerres
de
réfléchir fur les nouveaux devoirs que cette
grace impofe : plus on eft occupé , rempli,
pénétré du bienfait , moins on apperçoit la
difficulté de le reconnoître & de le méri
8 MERCURE DE FRANCE.
ter ; mais la réflexion ne tarde pas à nous
découvrir toute l'étendue de nos engagemens
, l'illufion de ce que l'on croyoit
valoir , fait place à la véritable connoiſſance
de ce que l'on vaut ; l'enchantement
difparoît , & l'on ne voit plus qu'une dette
dont on défefpere pouvoir jamais s'acquitter.
Tel étoit , Meffieurs , mon raviffement ,
lorfque vous m'avez fait l'honneur de
m'affocier à vos travaux , tel eft aujourd'hui
mon embarras , pour juftifier votre
choix : mon unique reffource , eft la même
indulgence qui m'a valu vos bontés : elle
voudra bien , fans doute , en me rendant
juſtice fur le fentiment , me faire grace fur
Pexpreffion , & ne point juger de la vivacité
de ma reconnoillance , par la foibleſſe
de mon remerciement.
Il eft , Meſſieurs , des talens que l'on n'a
plus qu'à récompenfer ; il en eft qu'il faut
aider , animer , encourager ; les uns , font
des fruits qui ont acquis leur maturité ,
vous n'avez qu'à les cueillir ; les autres
font des fleurs , qui peuvent un jour devenir
des fruits ; mais enfin , ce font encore
des fleurs, & qui par cette raifon , méritent
toutes fortes de ménagemens.
Ce que vous avez fait , Meffieurs , pour
Couronner le mérite décidé des hommes
illuftres
A O UST .
.1755. 97
illuftres que vous avez fucceffivement affociés
à votre gloire , vous avez cru devoir
le faire pour m'exciter à marcher fur leurs
pas ; ces intentions , quoique différentes ,
concourent au même objet , c'eft à moi de
ne les pas confondre , & de chercher à
mériter par mes efforts , ce que d'autres
avoient fi légitimement acquis par leurs
fuccès.
Que pourrois- je faire de mieux pour les
imiter , que de travailler à réunir dans mes
occupations l'aimable & l'utile , comme on
voit chez vous , Meffieurs , les agrémens
affociés à la folidité ? Le goût des belleslettres
que j'ai cultivées dès mon enfance ,
ne m'a point empêché de me livrer férieufement
aux études particulieres à mon état;
& ces études , à leur tour , n'ont point altéré
le goût des connoiffances propres à la
littérature j'ofe au contraire efpérer , que
le concours de tous les deux , ne fera qu'accélérer
& perfectionner l'exécution du plan
que j'ai formé d'un Dictionnaire général
des finances qui manque à la nation .
Les idées philofophiques , dont les ficcles
futurs auront obligation à celui - ci , font
enfin parvenues à faire envifager comme
un objet intéreffant pour la faine politique
, & pour la véritable philofophie , ce
que la cupidité feule envifageoit aupara-
E
98 MERCURE DE FRANCE.
vant comme un objet d'intérêt ( ce mot
pris dans le fens le moins noble , le moins
eftimable , & le plus borné pour l'ufage &
pour le citoyen .)
Et quelle matiere méritoit mieux d'être
affujettie à des principes fûrs , à des regles
conftantes , à des loix judicieufes que les
commerce & les finances qui tiennent à tout ,
qui font tout fubfifter , & que l'on peut
confidérer à la fois , comme la bafe & le
comble de ce grand & fuperbe édifice que:
l'on nomme gouvernement ? Cet inftant de .
lumiere , eft donc à tous égards , le moment
fait pour rendre à mon état toute
l'équité , toute la clarté , toute la dignité ,
dont je le crois fufceptible.
Si je vous entretiens , Meffieurs , d'un pareil
projet, fi dans le fanctuaire des Mufes ,
j'ofe vous parler de la finance , & de ce qui
l'intéreffe , c'eft que je ne crois rien d'étranger
à ceux qui penfent ; c'eft que je
fuis infiniment perfuadé que le goût des
arts agréables , n'eft point incompatible ,
avec les plus grandes vûes ; & je vous avouerai
, Meffieurs , que j'ai befoin de cette
idée ,, pour me foutenir dans la carriere où .
je fuis entré ; mais quel intervalle immenfe
à parcourir , depuis cette idée , jufqu'aux
chofes qui peuvent la réalifer en moi ,
comme elle exiſte au milieu de vous !
t
A O UST. 1755. 99
Cette réflexion qui n'eft que trop bien
fondée , m'empêchera- t- elle de vous faire
part de quelques obfervations , que vos
écrits Meffieurs , démontrent encore
mieux que mes raifonnemens ?"
,
J'ofe donc avancer d'après vous- même ,
( pourrois- je choisir une preuve plus chere
& plus convainquante ? ) j'ofe avancer que
le goût , que la poffeffion , que la culture
des talens agréables , n'excluent point les
talens utiles , qu'ils font faits pour fe réunir
& pour opérer de concert , la gloire &
le bonheur de l'humanité ; fi l'on affecte
fouvent de les divifer , fi les efprits faux
ou bornés s'attachent à féparer ces deux
idées faites pour aller enfemble , ce ne peut
être que l'effet de la jaloufie des uns , &
de la foibleffe des autres ; de la foibleffe de
ceux qui écrivent , & de la jaloufie de ceux
qui jugent les uns ne fçauroient confentir
à réunir fur la tête d'un feul hommei
tant de couronnes à la fois , les autres 'ne
travaillent point affez pour les raffembler.
Permettez-moi , Meffieurs , que je réclame
contre ces deux abus , la jufteffe &
la juftice qui devroient toujours préfider
fur les écrivains , & fur ceux qui les jugent.
Jufteffe , de la part de ceux qui décident ;
pour ne point fe méprendre fur les chofes
qui font différentes fans être contraires ;
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
l'homme de lettres , par exemple , & l'homme
d'état font différens , mais ils ne font
pas oppofés.
De la part des écrivains , pour ne pas
confondre l'acceffoire & le principal , pour
ne pas s'appefantir dans un ouvrage d'agrémens
fur des idées rebutantes par leur
gravité , & pour ne point avilir un écrit
férieux par des agrémens trop légers , trop
frivoles , & trop recherchés.
Juftice de la part de ceux qui jugent ,
pour ne point refufer leur fuffrage aux
graces qui décorent un homme d'état ,
parce que la gravité doit être , & fait effentiellement
, le fonds de fes ouvrages ; &
pour ne point enlever à l'homme agréable
la faculté de penfer , de réfléchir & de raifonner
, parce qu'il eft fur-tout de fon effence
de chercher à plaire & d'y réuffir .
De la part des écrivains , juftice égale ,
pour n'efpérer & n'éxiger , felon les différens
genres dans leſquels ils s'exercent particulierement
, que la couronne qui leur
eft fingulierement dûe , pour ne point trouver
injufte & déplacé que le laurier domine
dans celles deftinées aux ouvrages
férieux , & les fleurs dans celles que l'on
accorde aux écrits agréables.
Mais le dirai -je ? il ſemble que le public
ait réglé le partage de l'eftime & de la
A O UST. 1755. 101
confidération , de maniere à ne pas fouffrir
que le même écrivain acquierre plus
d'une forte de gloire ; & de leur côté les
écrivains fe font négligés fur les moyens
de ramener au vrai ceux qui les jugent .
On voit , en effet , trop fouvent que les
auteurs qu'un génie riant & leger , rend
facilement créateurs des plus féduifantes
bagatelles , n'ont point le courage de s'élever
jufqu'aux chofes qui pourroient rendre
leurs agrémens même profitables à la
- fociété ; tandis que les citoyens nés pour
des objets férieux , croiroient defcendre
, & s'avilir , s'ils ornoient des fonds
intéreffans mais graves de cette forme
enchantereffe qui peut affurer le progrès
des plus fublimes vérités.
Qu'ils le rapprochent , qu'ils fe raffemblent,
& fe concilient , ils entraîneront tous
les fuffrages , parce qu'ils réuniront toutes
les fortes de perfections ; ils deviendront
chaque jour une nouvelle preuve que le
goût des arts agréables , n'eft point incompatible
avec les plus grandes vûes.
Cette vérité fi confolante pour les talens
& fi defefperante pour l'envie , eft portée
jufqu'à la démonftration par une foule
d'exemples qui ne laiffent que l'embarras
du choix.
Si je remontois jufqu'à ceux que fournit
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
1 la plus célébre antiquité , je ne les rappellerois
, Meffieurs , que pour les comparer
à ceux dont vous avez le bonheur d'être
ici les témoins.
Je ne vous peindrois Alexandre écoutant
les leçons d'Ariftote , samufant avec
Appelle , rendant au Prince des Poëtes un
culte prefque religieux , que pour vous
rappeller tout ce qu'a fait en faveur des
talens & de ceux qui les cultivent , votre
augufte fondateur , mille fois plus grand
par la modération que le fils de Philippe
le fut par fes conquêtes.
Je ne vous parlerois de Céfar , écrivant lui - même fon hiftoire , avec
crivant
autant de
feu , de nobleffe & de vérité qu'il en avoit
mis dans fes operations , mais avec autant
de modeftie que s'il n'en étoit pas le héros
, que pour vous parler de celui qui
vous a raffemblés & qui joint a l'avantage
fi peu commun d'être à la fois l'ami , le
protecteur & le favori des Mufes , cette
gloire encore plus grande de vouloir en
même tems qu'il nous éclaire , nous cacher
le flambeau qui nous conduit.
Je ne vous ferois voir Augufte accueillant
Homere & Virgile ; Scipion donnant à
Térence des confeils qu'il auroit pâ luimême
exécuter ; Marc Aurele écrivant
pour l'humanité des maximes qu'il accréAOUST.
1755. 103
ditoit par fa vertu , que pour vous retracer
l'image du Prince philofophe , du
Roi citoyen , du Monarque éclairé , qui
ne dédaigne pas d'exciter , d'animer , d'encourager
par fes leçons , par fes exemples
& par fes bienfaits les talens & les arts
même agréables au milieu de ces utiles , &
magnifiques établiffemens dans lefquels
fe peignent d'une maniere fi frappante ,
la bonté de fon coeur , l'élévation de fon
ame , & les reffources de fon efprit , établiffemens
qui lui garantiffent l'amour de
fes fujets , & qui lui donnent les droits
les mieux établis fur l'admiration & la
reconnoiffance de leur poftérité .
Un modele auffi grand , auffi cher , auffi
frappant ne pouvoit qu'enfanter tout ce
qu'il a produit ; c'eft un aftre dont les
heureufes influences fertilifent tout ce qui
Fenvironne. Vous devrez , Meffieurs , à
ce Mécene couronné les ouvrages que vons
infpirera le defir de lui plaire , & de juftifier
votre adoption ; comme il vous doit
la douceur & l'avantage d'avoir trouvé les
fujets les plus fufceptibles de fes impreffions
, les plus dignes de fes bienfaits , &
les plus capables de répondre à fes vûes.
Eft- il une de fes vertus qui ne ſe retrace
dans ceux qu'il a choifis pour former
cette Académie , & dont vous ne faffiez
E iiij
104 MERCURE DE FRANCE.
jouir à chaque inftant la bonté royale &
paternelle qui vous a raffemblés ?
Sa piété fincere éclairée fans oftentation
& fans fafte , également éloignée de la
fuperftition & de la témérité , ne fe retrace-
t- elle pas dans ces Prélats refpectables ,
qui ne dédaignent pas de venir prendre
chez les talens & les arts tout ce qui peut
orner la raifon & la vertu . Dans ces Miniftres
de la religion qui viennent puifer
dans vos affemblées cette éloquence douce
& perfuafive , qui pour corriger l'homme
fe prête aux foibleffes de l'humanité , femblables
à ces héros de l'Hiftoire fainte ,
qui ne rougiffoient point de faire fervir
les vafes profanes enlevés des temples des
faux Dieux pour en faire des vafes facrés
dans le temple de l'Eternel .
Le courage de ce Monarque qui doit
vous paroître encore plus grand , plus refpectable
par les conquêtes qu'il a dédaignées
, que par celles qu'il avoit déja faites
, & qu'il auroit pû faire encore , ne l'a
point éloigné des ſciences & des arts dont
les grands Rois font les protecteurs nés ,
& le plus ferme appui ; il a même ofé cultiver
de fes propres mains la terre qu'il defiroit
enrichir & fertilifer ; il n'a pas cru
qu'il fut indigne des héros d'étudier les
talens qui font faits pour les célébrer ; &
AOUS T. 1755. 105
c'eft à fon exemple que vous devez , Mefhieurs
, parmi vous , ces guerriers moins
illuftres encore par un grand nom que par
des lumieres fupérieures & diftinguées
qui joignent aux lauriers de Bellone &
de Mars ceux de Minerve & d'Apollon .
Pardonnez - moi , Meffieurs , ces expreffions
, celles de la poëfie font excufables ,
même en profe , lorfque l'on a beſoin de
tout pour bien peindre ce que l'on fent .
Si des vertus militaires nous paffons
aux vertus civiles & pacifiques , Tefprit
de juftice & d'équité qui conduit votre
illuftre fondateur dans tout ce qu'il dit ,
dans tout ce qu'il fait pour les chofes mêmes
dans lesquelles les règles de la Jurif
prudence font place à d'autres loix , fe retrace
dans les Magiftrats intégres , éclairés
, qui jugent parmi vous les ouvrages
d'efprit avec autant de connoiffance &
d'impartialité , qu'ils décident dans les
tribunaux les conteftations des particuliers.
Chacun de vous en un mot , juftifie les
motifs & l'objet de fon adoption , & tous
enfemble font l'éloge d'un établiffement
qui multiplie & perpétue les modeles des
belles lettres & des bonnes moeurs , 'du
bon efprit & du bon goût. Le tribut que
je leur paye en parlant de vous , me ra-
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
mene à mon infuffifance , & me fait d'autant
plus vivement fentir mon infériorités
mais le plaifir de vous rendre hommage
efface , ou du moins diminue le regret de
ne pouvoir pas vous égaler.
OBSERVATIONS
Sur le Dictionnaire des Poftes.
t
Ile nombre des Dictionnaires ; mais ce-
Ly a long-tems que l'on fe récrie für
lui des Poftes que M. Guyot vient de donner
au Public , manquoit réellement à un
royaume auffi floriffant que celui de France.
Les perfonnes qui font par état dans
des correfpondances étendues , formoient
depuis long-tems des voeux pour un pareil
ouvrage ; il ne pouvoit être entrepris par
un Ecrivain plus compétent que M.Guyot;
fes talens , & l'emploi qu'il occupe , l'ont
mis dans le cas de porter bien loin fes
connoiffances à cet égard ; & fi le public
ne fe trouve pas entierement fatisfait dans
cette premiere édition par le grand nombre
de Paroiffes obmifes ou mal indiquées,
il n'en rend pas moins de très - humbles
graces à l'Auteur , puifque perfonne ne
pouvoit être plus exact que lui en prenant
la voie qu'il a prife ; & c'eft par la conA
O UST. 1755. 107
fiance où nous fommes qu'il voudra bien
continuer fon zéle pour la perfection d'un
ouvrage auffi utile , que nous nous fommes
déterminés à faire quelques obſervatoins
pour une petite partie du bas Armagnac
, où nous avons trouvé les Paroifles
fuivantes obmifes .
Brimont par Agen.
Sainte-Marie.
Bequin par le port
Bonrencontre par Agen.
Belbeze par Baumont de Loumagne..
Caftetaroux ,
Caftera-Lectoure ,
}
par Lectoure..
Caumont par Caftelfarafin.
Fails ,
Goulens par Agen.
Glatens par Baumont de Loumagne ..
Leyrac ,
Lamonjoye
, par Agen.
Lafite par Baumont de Loumagne..
Montefquieu par Agen .
Marfac par Saint- Clar.
Marignac par Baumont de Loumagne..
Pachas par Agen ,
Poupas par Saint - Clar..
Pergan par Agen ,
Saint-Nicolas- de- la- Balerme par Lafpeyres.
Sérignac par Baumont de Loumagne.
E vj.
108 MERCURE DE FRANCE.
Sainte-Radegonde par Loumagne.
Saint-Jean du Bouzet par Valence.
Saint- Martin de la Saoumetes par Saint-
Clar.
Ce n'eſt que dans l'étendue de quatre à
cinq lieues que nous nous fommes fixés
feulement dans cette partie du bas Armagnac
, car nous euffions pû fournir un
très-grand nombre d'autres Paroiffes obmis
en nous éloignant davantage ; mais
notre but n'eft que de faire voir combien
ce dictionnaire feroit fufceptible d'augmentation
, fi M. Guyot pouvoit recueillir
des mémoires exacts . La chofe nous
paroît facile dans l'emploi qu'il occupe ,
vû la façon généreufe avec laquelle MM.
les Adminiſtrateurs des Poftes fe font prêtés
pour le débit de cet ouvrage d'ailleurs
pour accélérer la perfection de ce dictionnaire
, nous penfons que l'Auteur devroit
s'écarter du plan qu'il s'eft formé d'indiquer
le bureau de Pofte le plus prochain
du lieu de l'âdreffe des lettres ; car il s'enfuivroit
toujours des erreurs confidérables
, puifque c'eft fouvent le commerce
& la beauté des chemins qu'il y a d'un
lieu à l'autre qui détermine les petites villes
, Paroiffes , &c. d'envoyer leurs porteurs
au bureau de Pofte plutôt qu'à un
autre quelquefois moins éloigné ; & lorfAOUST
. 1755. 100
que
les lettres d'une Paroiffe ne font pas
indiquées pour le bureau où va fon porteur
ou meſſager , elles retardent confidérablement
, & s'égarent même très-fouvent
comme l'expérience de chaque jour le juftifie.
Il paroît donc effentiel que pour parvenir
au but que s'eft propofé M. Guyot dans
cet ouvrage , qu'il fuivit une autre route ,
fans quoi il reftera toujours une bonne
partie des inconvéniens qu'il voudroit
éviter ; ce qui nous le prouve , c'eft le
grand nombre de Paroiffes mal indiquées
dans ce dictionnaire , & qui monteroit à
plus de quatre cens fi nous voulions mettre
ici ce que nous fçavons par nous - mêmes
de différentes Provinces ; mais bornons-
nous toujours à notre petite partie
du bas Armagnac de quatre ou cinq lieues
de contour.
Auvillar eft mis par Auch,
La Chapelle par Baumont ,
Manfonville par Lectoure ,
S. Anthoine par Baumont ,
Bardiques par idem ,
Flamarens par Lectoure ,
S. Michel par
Amans
Mirande ,
par Condom ,
Cuq par Saint-Clar ,
Mettez Valence
d'Agenois
, qui eft
le Bureau de
poſte par où
ces Paroiffes
reçoivent
leurs lettres.
Mettez Agen.
FIO MERCURE DE FRANCE.
S. Médard par Mirande ,
Rouillac par Lectoure ,
Moirax par Baumont ,
Aubiac
Mettez Agen
Eftillac S
par idem
.
Nerac ,
Montaignac par
S. Avit 7
}
Ste Mere par Baumont, Mettez Lec-
Miradoux par
Montgaillard
Saint- Clair ,S
toure .
Avezan par Auch , Mettez Saint-
Lamothe Cumont par? Mettez Baumont
Clar.
Grenade , de Loumagne .
Brive- Caftel
Maumuffon par Auch
par idem.
Cumont
Dans le nombre des Paroiffes ci - deffus
il y en a de fi malin diquées , que nous ne
pouvons comprendre comment on a pu n'én
être point frappé ; par exemple, Auvilar eft
à fix lieues d'Auch , & n'eſt qu'à un quart
de lieue de Valence ; Saint- Avit eft à cinq
lieues de Baumont , & n'est qu'à un quart
de Lectoure ; Aubiac , Eftillac font à fept
lieues de Baumont , & d'Agen il n'y a
que demi-lieue , ainfi de nombre d'autres
Paroiffes & comme M. Guyot annonce
qu'il indique le bureau le plus prochain
A O UST. 1755 FEB
pour la remife des lettres , on feroit avec
confiance induit à erreur , fi on fuivoit ces
articles de fon dictionnaire.
Il nous a encore paru que l'on déplaçoit
le nom de certaines Paroiffes en partageant
leurs fyllables ; par exemples Laplume
, Lafpeyres , font mifes à la lettre P ,
Lamagiftere à la lettre M , ainfi que beaucoup
d'autres ; nous avons toujours penfé
que les fyllables des noms propres ne fe
partageoient point , & que dans ceux ci
la fyllable La fait partie des noms de Laplume
, Lafpeyres , &c. ainfi qu'ils devoient
être mis à la lettre L, & nous doutonsque
fur mille perfonnes il s'en trouvât dix
qui cherchant le mot Lafpeyres , fuffent à
la lettre P. Ce qu'il y a d'étonnant , c'eſt
que cette diftinction ne fe trouve pas généralement
dans ce dictionnaire ; car Lachauffade
, Lachaux , Lacollencelle , Leclu
feau , & c, font tous mis à la lettre L, où
la fyllable la fe trouve la même qu'à Lapłume.
Nous finirons ces obſervations en indiquant
un moyen qui nous a paru aifé pour
parvenir tout d'un coup à la perfection
de ce dictionnaire , c'eft de prier MM . les
Evêques de vouloir bien donner le nom.
des Paroiffes , Abbayes , &c. de leur Diocefe
, & le bureau de Pofte par lequel
112 MERCURE DE FRANCE.
elles reçoivent leurs lettres ; & comme ils
font pleins de zéle pour le bien public ,
on fe flare qu'ils fe prêteront avec complaifance
aux defirs de M. Guyot , ils
pourront avec une facilité étonnante remplir
cet objet , en donnant leurs ordres à
leurs Archiprêtres , ceux- ci aux Curés de
leur district , & par ce moyen on fçauroit
des Curés des Paroiffes de chaque Dioceſe
le bureau de pofte par où ils reçoivent
leurs lettres ; ces mémoires recueillis formeroient
un ouvrage parfait à la premicre
édition.
Cette voie nous a paru préférable à tous
les moyens que l'on pourroit mettre en
ufage , même à celle de MM. les Intendans
, parce que leur Généralité trop étendué
pour un pareil détail occafionneroit
des confufions entre les Subdélégués . Nous
efperons que M. Guyot ne prendra pas en
mauvaife part ces petites obfervations ;
comme bons patriotes , nous défirerions
qu'elles puffent être de quelque utilité
car nous regardons ce Dictionnaire des
Poftes comme un ouvrage précieux pour
tous les états , & fur-tout pour le commerce
qui eft la principale fource de la
richeffe du Royaume.
A Rouillac , ce 29 Juin 1755.
AOUST. 1755. 113
RÉFLEXIONS CRITIQUES fur la
méthode publiée par M. l'Abbé de Villefroypour
l'explication de l'Ecriture fainte,
adreffées aux auteurs des principes difcutés
, pour faciliter l'intelligence des livres
prophétiques : Ouvrage utile pour l'étude
des livres facrés. A Cologne , & fe trouve
à Paris , chez Guillyn , Libraire , quai des
Auguftins , du côté du pont S. Michel . In-
12 , de 172 pag.
Les principes que M. l'Abbé Villefroy
a prétendu établir pour l'explication des
livres prophétiques , étoient par leur fingularité
de nature à lui fufciter des adverfaires
qui ne fe borneroient point à en
contefter la folidité , mais iroient jufqu'à
les taxer de témérité dans l'application
qu'il en a faite : C'est ce qui n'a pas manqué
d'arriver . M. Dupuy , auteur de ces
Réflexions critiques , a été un de ceux qui
fe font mis fur les rangs , pour combattre
la nouvelle méthode expofée par M. de
Villefroy dans des Lettres à fes Eleves qu'il
publia en 1751. Notre auteur fit imprimer
à ce fujet une lettre qui parut dans
le Journal de Verdun , Août & Septembre.
Après y avoir examiné attentivement le
fyftême , que cette méthode avoit enfanté
, il penfa être en droit de qualifier
d'arbitraires , d'inutiles , & même de dan14
MERCURE DE FRANCE.
:
gereux les moyens dont on s'étoit fervi
pour l'appuyer. Il difcuta les raifons fur
lefquelles il fondoit fa critique , cependant
il eut foin de diftinguer les conféquences
fâcheufes que ce fyftème entraînoit néceffairement
après lui des motifs qui l'avoient
fait naître. Il rendit toute la juftice dûe à
la piété & à la droiture des intentions de
M. de Villefroy , qui n'avoient fans doute
point de part aux écarts de fon imagination
néanmoins cette critique touchoit
trop au fond de fa méthode favorite pour
-ne pas mériter une réponfe de lui -même ,
ou de quelques - uns de fes éleves . C'eſt
ce que les PP. Capucins qui fe font honneur
de porter ce nom , ont exécuté dans
un ouvrage que nous avons annoncé au
mois de Janvier , où ils foutiennent avec
chaleur les principes de leur Maître , &
emploient toutes les forces de leur érudition
à les préfenter fous l'afpect le plus
favorable. Il feroit feulement à defirer
qu'ils fe fuffent appliqués à réfuter la lettre
de M. Dupuy , fans fortir des bornes
de la modération , à laquelle l'équité naturelle
nous engage . Notre auteur a cru
en conféquence qu'il ne pouvoit fe difpenfer
de repliquer , de peur que fon filence
ne leur fournit le fujet d'un triomphe
imaginaire. C'eft pour le tirer de certe
A O UST. 1755. 755
penfée qu'il leur adreffe à eux mêmes ces
Réflexions critiques , écrites en forme de
lettres qui font au nombre de huit. Il agit
avec d'autant plus de confiance dans la
caufe qu'il défend , que c'eft moins la
fienne propre qu'il plaide que la caufe de
tous les interprêtes de l'Ecriture fainte généralement
eftimés , qui ont tenu une
route totalement oppofée à celle que M.
de Villefroy & fes éleves fuivent dans
l'objet de leur travail. Comme on l'avoit
recufé de n'être pas exempt des fautes qu'il
réprochoit aux autres , il commence par fe
juftifier de cette accufation , & ruine tout
ce qui peut avoir donné lien à de fatiffes
imputations. Après s'être tenu fur la défenfive
, il attaque à fan tour , & pourfuit
les auteurs de la Nouvelle Harmonie
prophétique à travers l'obfcurité des Termes
enigmatiques dans lefquels ils ont jugé à
propos de fe retrancher. Il faut convenir
qu'ils ont en tête un rude adverfaire qui
les pouffe vigoureufement , & les redreffe
dans prefque tous les pas où ils peuvent
avoir bronché. Les détours qu'ils ont pris
pour éluder la force de, fes objections.
n'échappent point à fa pénétration : Tout
ce qu'ils ont pu dire de plus fpécieux pour
la juftification de leur méthode n'a point
été capable de lui faire changer de fenti116
MERCURE DE FRANCE.
>

ment à fon égard. Il ne fe contente pas en
s'expliquant fur fon compte de réitérer les
mêmes qualifications , il en ajoute encore
de nouvelles , & n'avance rien qu'il ne tache
de prouver. Il entre dans l'analyse du
plan fur lequel ils l'ont exécutée , & faifit
avec habileté les contradictions qui en réfultent
; il fait de plus remarquer qu'elle
introduit des interprétations bizarres &
abfurdes, qui tendent à bouleverfer l'Ecriture
, & a ouvrir la porte aux fectes les
plus folles , & qui peuvent devenir par- là
nuifibles à la religion . Il prend auffi à tàche
de montrer combien elle choque la
raifon qu'elle fait dépendre des caprices
de l'imagination , outre qu'elle eft directement
contraire aux régles conftamme :
reconnues dans la maniere d'interprêter
avec fuccès le fens des prophéties. Il étend
fes vûes à mefure qu'il développe la fauffeté
des principes fur lefquels elle poſe :
Enfin pour ôter le moindre prétexte à la
récrimination , il laiffe à part les queſtions
incidentes , & s'attache au corps du fyftême
dont il ne fe propofe rien moins que
de faper les fondemens . Si l'on veut une
pleine conviction des chofes que nous indiquons
, il n'y a qu'à la chercher dans
l'ouvrage dont nous confeillons la lecture
à tous ceux qui font une étude de l'Ecri
A O UST. 1755. 117
ture fainte ; ils ne pourront refufer à l'auteur
l'éloge de bien pofféder le fujet qu'il
traite. Ses raifonnemens frappent pour
l'ordinaire au but , & ont outre cela le
mérite de la clarté & de la préciſion . Si
pourtant il nous eft permis de dire ce que
nous penfons du travail de l'auteur , nous
avouons qu'il étoit fufceptible d'une plus
grande perfection . Il y a certains détails
que M. Dupuy n'a pas approfondis autant
qu'il auroit pu le faire . Nous trouvons
encore qu'il a trop négligé la voie de fait ,
abfolument effentielle à l'état de cette controverfe.
Nous entendons par-là le témoignage
des Peres de l'Eglife qui ont travaillé
fur l'Ecriture fainte , les éleves de
M. de Villefroy ont trop bien fenti l'im
portance dont il étoit pour n'en pas faire
ufage dans leur méthode , à laquelle il peut
fervir d'appui .... On fçait que c'eſt le
moyen le plus propre à en impofer aux
lecteurs qui n'y regardent pas de fi près ,
& qui fe payent plus volontiers d'autorités
que de raifons. Comme les PP . Capucins
ont employé tous leurs efforts à mettre
dans leur parti un grand nombre des
Peres qu'on a cités , il auroit fallu s'affurer
de l'exactitude de leurs citations dans
les paffages qu'ils ont produits , en les
comparant avec le texte d'où ils les ont
118 MERCURE DE FRANCE
tirés. Un examen réfléchi auroit conduit a *
fçavoir s'ils ne leur ont pas fait dire plus
que ceux- ci ne difent en effet . On a fi peu
de fcrupule fur cet article , qu'il arrive
affez fouvent de furprendre en défaut
ceux qui affectent d'accumuler autorités "
fur autorités pour accréditer de nouvelles
opinions. Nous n'ignorons pas que cette
voie eft longue & pénible par les recherches
qu'elle demande ; mais nous n'avons
pas moins lieu d'être étonnés que l'Auteur
n'ait point rempli ce qu'on étoit en droit
d'attendre de lui fur ce fujet . Nous fouhaiterions
auffi qu'il eût été plus réservé¹
dans le choix de les preuves , qui ne font
pas toutes concluantes. L'emploi trop fré-'
quent qu'il fait des paroles empruntées des
Poëtes François , fatigue d'autant plus !
qu'il eft abfolument déplacé dans un ouvrage
qui roule fur une matiere auffi
grave
que l'eft celle dont il s'agit . Il eft à'
craindre qu'il ne juftifie par là le reproche
qu'il s'eft attiré de la part des éleves de
M. de Villefroy , qui l'ont accufé de s'être
livré à un badinage indécent . Nous ajouterons
que fon ſtyle vife quelquefois à la
déclamation , & qu'il faut le dépouiller de
ce qu'il a de trop vif contre les auteurs ,
de qui il combat les principes , pour lire
avec fruit fes réflexions. Il eft fâcheux que
AOUST. 1755. 119
dans les écrits polémiques , on ne foit pas
toujours affez maître de fes expreflions
pour les ménager autant qu'on le devroit.
M. Dupuy ufe à la vérité du droit de repré
failles ; puifqu'il fe plaint qu'on a manqué
pour lui des égards réciproques que les
gens de lettres fe doivent en écrivant les
uns contre les autres. Nous finirons par
avertir qu'il a eu la précaution de rendre
fes objections fenfibles pour tout le monde,
en les dégageant des difcuffions relatives à
la langue Hébraïque ; quoiqu'elles foient
effentiellement du reffort de cette matiere.
Comme il peut y avoir des perfonnes qu'el
le intéreffe , & qui cependant n'ont aucune
teinture des langues fçavantes , l'auteur
les a pour cet effet écarté de cette controverfe
, afin de mettre tous fes lecteurs, à
portée de juger avec connoiffance de cauſe,
& d'apprécier le nouveau fyftême.
M. GAUTIER , de l'Académie des fciences
& belles- lettres de Dijon , & penfionnaire
de fa Majefté , de qui nous avons annoncé,
dans le fecond volume de Juin , le quatrieme
tome de fes Obfervations fur l'histoire.
naturelle avec des planches en couleurs , a
publié depuis le commencement de cette,
année une feconde édition de fes planches,
anatomiques en couleur naturelle . Comme,
120 MERCURE DE FRANCE.
ce projet intéreffe les amateurs de cette
fcience ; il eft bon de mettre le public au
fait de cette nouvelle édition , qui fera une
fuite de quarante- fix grandes planches avec
l'explication des figures.
La premiere édition étoit auffi compofée
de quarante-fix planches avec leurs tables
explicatives.
L'auteur a tant d'obligations aux foufcripteurs
de cette premiere édition , que
par reconnoiffance pour eux , il a rangé
fon nouveau plan de façon que leurs planches
quadreront avec les augmentations de
la nouvelle édition , qui feront féparées.
Les nouveaux foufcripteurs également fatisfaits
, auront l'oeuvre complette où rien ne
manquera du détail de toutes les parties.
que l'on a déja données .
Plan de la feconde édition.
On donnera les quarante- fix planches
en deux diftributions. La premiere diftribution
qui fe fera inceffamment , contiendra
le fupplément de la premiere édition
, & l'augmentation faite fur tout l'ouvrage.
Elle fera de vingt grandes planches
qui repréſenteront dix figures entieres en
couleur naturelle fur pied , avec des pièces
détachées pour démontrer entierement les
coupes & la fituation de tous les vifceres ,
l'angéologie
A O UST. 1733. 121
Fangéologie & la névrologie du corps humain.
On foufcrit féparément pour cette
premiere diftribution , à caufe des foufcripteurs
de la premiere édition . Ils donnent
actuellement quatre-vingt-quatre liv.
pour lesquelles ils auront les vingt planches
du fupplément , qui compofent cette
premiere partie ; & après la diftribution
ces vingt planches , qui feront beaucoup
chargées d'ouvrage , fe vendront à part
cent vingt-fix livres.
La feconde & derniere diftribution fera
de vingt-fix grandes planches , où feront
repréfentées , à demi-nature & en couleur
naturelle , toutes les figures qui ont été
données dans la premiere édition.
Les nouveaux foufcripteurs font en deux
claffes ; ceux de la premiere claffe foufcrivent
actuellement , & donnent cent foixante-
huit livres pour le prix de tout l'ouvrage
avant la premiere diftribution ; &
ceux de la feconde claffe payeront deux
cens deux livres , en recevant la premiere
diftribution. Toutes les planches fe vendront
après la derniere diftribution deux
cens cinquante-deux livres. On foufcrit
chez l'auteur , rue de la Harpe , proche la
rue Poupée.
PROJET D'UN ORDRE FRANÇOIS EN
F
122 MERCURE DE FRANCE.
TACTIQUE , ou la phalange coupée & doublée
& foutenue par le mêlange des armes .
On la propofe comme fiftême général ,
on prouve fa fupériorité , comparant toujours
à la méthode aujourd'hui d'ufage ,
celle-ci qui n'eft à la bien définir , que le
fiftême du chevalier de Folard plus étendu ,
& mieux développé. On y a joint les idées
des plus grands maîtres , particulierement
du maréchal de Saxe. L'auteur à ce fujet ,
a pris pour épigraphe. .
Craint - on de s'égarer fur les traces d'Hercule .
Racine.
Ce livre dont nous avons annoncé l'édition
prochaine dans le Mercure de Mai , ſe
vend actuellement à Paris , chez Boudet ,
chez Jombert , & chez la veuve Gandouin .
La préface de l'auteur eft un modele.
pour la précifion. Comme elle ne contient
que cinq lignes , nous allons ici la tranfcrire
fans en rien retrancher.
Cet ouvrage rare dans fon efpece eft
très-mauvais ou très-bon. Fort inutile ou
de la plus grande importance.Pourfçavoir
lequel des deux , il faut le lire ; pour ne
» pas s'y méprendre , le lire fans prévention;
& comme c'eft un tout , le lire tout entier.
Cette raifon nous oblige à renvoyer le
lecteur au livre même , & nous difpenfe
d'en donner un extrait en forme. Nous
AOUST .
1755. 123
bornons à un précis très- court qui offrira
en racourci tous les avantages de la colonne
fur le bataillon . Nous l'avons tiré
du dernier chapitre de l'ouvrage . Voici
les termes de l'auteur , dans lefquels nous
nous renfermons . On pourra juger par eux
de fon ftyle. S'il n'eft pas toujours correct
& précis , il eft du moins vif , rapide &
plein d'une franchife militaire qui convient
au genre. Selon le Maréchal de Puyfegur ,
dit-il , toutes les parties qui peuvent contribuer
à la victoire , fe réduifent 1 ° , à profiter
de la fituation des lieux. 2º , A avoir
plus de troupes que fon ennemi , ou du
moins à en faire combattre davantage.
3., A infpirer plus de courage aux troupes.
4. A employer plus d'art à combattre .
Quand toutes ces parties fe trouvent réunies
, dit le favant auteur , on peut être
affuré de la victoire. Elles fe trouvent raffemblées
dans mon fyftême. C'eſt par conféquent
fur la parole du maréchal , que je
lui promets autant de victoires
combats.
que de
La raifon &
l'expérience
prouvent que
la profondeur fait la force de l'infanterie.
Rien n'eft donc fi fort que la pléfion
la plésion ou la
colonne rien n'eft fi foible que le bataillon
. Il ne pourra jamais la renverfer ou la
repouffer , ni même tenir un inftant contre
:
Fij
724 MERCURE DE FRANCE.
la violence de fon choc. La petiteffe de fon
front augmente cette force de beaucoup.
Car le bonheur naît de l'union & du bon
ordre. Un petit front eft toujours plus uni &
mieux en ordre. De-là vient encore la légéreté.
Sans le flottement & la crainte du défordre
, une troupe iroit auffi vîte qu'un
homme feul. La pléfion qui ne fe dérange
point , peut courir en bataille . Cette grande
légereté accroît encore confidérablement
fa force. C'eft la vîreffe jointe à la
maffe : elle previent d'ailleurs les mouvemens
de l'ennemi , épargne les hommes ,
ne tenant la troupe expofée à la moufqueterie
qu'un inftant , encourage le foldat ,
impofe au parti contraire. Auffi cette vivacité
a-t elle fouvent tenu lieu de l'ordre.
On a vu des bataillons charger en courant,
par conféquent , arriver à l'ennemi tout
en défordre , & cependant le renverfer ;
d'où l'on peut prévoir quel fera l'effet d'une
charge unie & ferrée , faite avec la même
violence.
? оц LA MUSE LIMONADIERE
Recueil d'ouvrages en vers & en profe ,
par Madame Bourette , ci- devant Madame
Curé , avec les différentes pieces qui lui
ont été adreffées. Deux parties. A Paris
chez Jorry , quai des Auguſtins , aux Cigognes
, 1755.
AOUST. 1755. 125
Le talent de Madame Bourette eft fi célebre
dans cette capitale , qu'il fuffic de la
nommer pour exciter la curiofité du lecteur,
& pour l'engager à acheter fon livre. Ce
n'eft qu'en faveur de la province , où fon
mérite eft peut- être moins connu que
je vais extraire ou plutôt tranfcrire quelques-
unes des pieces qui compofent fon
recueil.
Invitation circulaire envoyée à différens
Auteurs.
Comine on voit des hommes difcrets
Qui chez autrui ne vont jamais
Ou dîner ou fouper , fi l'on ne les invite.
De même l'on en pourroit voir
Qui ne préfument pas affez de leur mérite
Pour aller faire une viſite ,
S'ils ne font affurés qu'on veut la recevoir.
Unhomme tel que vous peut riſquer l'un & l'autre,
Sur-tout avec ardeur on defire la vôtre.
Reproche à M. le Bret , auteur de la double
extravagance , fur ce qu'il n'eft pas venu
dès ma premiere invitation.
Vous êtes un auteur ſçavant ,
Mais vous n'êtes gueres galant :
A mon premier fouhait vous faites réſiſtance.
De votre part c'eſt cruauté ,
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
Pour la deuxieme fois vous êtes invité ,
N'eft-ce pas de ma part la double extravagance.
4
I
Vers de M. Rouffeau de Toulouſe , qui
s'excufe de n'être pas venu me voir .
Vous , dont les graces
naturelles
Effacent l'art des enfans d'Apollon ,
O ! vous , qui du facré vallon ,
Sçavez fi bien franchir les routes éternelles ,
Pour regner au milieu de cent mufes nouvelles .
Et leur fervir d'exemple & de leçon .
Auffitôt que des mains tremblantes & cruelles ,
Souvent dans l'ignorance , & toujours criminelles,
Auront mû les refforts de ma foible fanté ,
J'irai vous rendre hommage ; oui , mon coeur enchanté
Du Dieu de Cythérée empruntera les aîles ,
Mais en reviendra- t-il avec la liberté
Réponse à M. Rouffeau.
Sur votre liberté peut - on rien entreprendre ?
A quoi bon fur ce point vouloir diffimuler
Et puifque votre coeur a réfolu de prendre
Les aîles de l'amour , c'eft qu'il veut s'envoler .
» Vous voyez , Monfieur , que je vous
» regarde comme un homme de précau-
» tion , qui fe munit de tout ce qu'il faut
» pour fe tirer du danger , s'il y en avoit.
A OUST. 1755 127
"
» La feule remarque que j'ai faite fur vos
» admirables vers , c'eft que vous avez mis
» le Dieu de Cytherée fans faire attention
» que Cytherée eft Venus , fans doute que
» vous avez voulu dire le fils de Cytherée.
» Pardon , Monfieur , fi je releve de pareil-
» les inadvertances , mais je n'aime pas à
» voir des taches dans le foleil .
Fers à M. l'Abbé de l'Autaignan.
Souvent la moindre chanfonnette
Qui part de votre goût exquis ,
Et dont mon coeur fent tout le prix ,
Y répand une joie , une douceur fecrette.
Chacun ne connoît pas celui d'une chanson ;
Mais les vôtres fur-tout font dignes de louange ,
On y voit l'efprit de Coulange ,
Et les graces d'Anacréon.
Je crois c'eft affez de ces morceaux que
fugitifs , pour faire connoître le caractere ,
Fefprit & le talent de Madame Bourette à
ceux qui n'ont jamais eu le bonheur de la
voir & de la lire.
QUESTIONS fur le commerce des François
au Levant , brochure in - 12 de 153
pages on la trouve chez Guerin & Delatour
, rue S. Jacques , à S. Thomas d'Aquin.
L'auteur prétend que ce commerce
Fiv
28 MERCURE DE FRANCE .
doit être libre. Il femble que fon fenti
ment eft d'autant plus défintéreffé , qu'il eft
négociant lui-même , & qu'il paroit préférer
le bien général de l'Etat à l'avantage
particulier du commerçant.
ou
L'ARITHMETIQUE CHOISIE
Pratique des Négocians , contenant les inftructions
néceffaires pour mettre en ufage.
toutes les regles utiles aux négocians banquiers
& financiers , avec un Traité des
changes étrangers tant fimples que doubles ,
par le fieur S. B. Rouquette , teneur de
livres & arithméticien Juré de Bordeaux.
A Bordeaux , chez P. Brun , Imprimeur-
Libraire , rue S. James , à l'Imitation de
Jefus.
Cet ouvrage paroît d'une grande utilité,
il feroit à fouhaiter que l'auteur en envoyât
des exemplaires aux Libraires de
Paris , pour en faciliter le débit ..
Dans l'annonce que nous avons faite (a) de
la premiere partie des tablettes de Themys,
nous avons oublié d'indiquer la feconde
qui eft contenue dans le même volume.
Pour fuppléer à cette omiffion , nous l'inférons
ici . Cette partie comprend la fucceffion
chronologique des préfidens , che-
(a) Deuxieme volume de Juin
A OUST. 1755. 129
valiers d'honneur , avocats & procureurs
généraux des Parlemens & des Confeils
fupérieurs , & la lifte des lieutenans civils
au Châtelet de Paris. Ce qui donne du
prix à cet ouvrage , c'eft qu'il renferme
des extraits fideles des regiftres des Cours
fouveraines. L'auteur y a ajoûté une table
alphabétique des noms de famille , pour les
rendre plus utiles aux lecteurs il défireroit
qu'il s'en trouvât quelques- uns qui
voluffent bien lui faire part des fautes &
des omiffions qu'ils pourront remarquer
dans fon livre , auffi bien que des changemens
qui pourront occafionner des additions
, il recevra avec reconnoiffance les
avis que l'on voudra bien lui donner.
IDÉE DE L'HOMME PHYSIQUE ET MORAL,
pour fervir d'introduction à un Traité de
Médecine.
Ne ..... intellecta priufquam fint contempta
relinquas .
Lucret. Lib. I.
A Paris , chez Guérin & Delatour , rue
S. Jacques à S. Thomas d'Aquin , 1755.
L'auteur fe propofe de faire voir par la
fimple expofition du méchanifme qui fert
aux fonctions de l'economie animale , que
les principes établis dans ( a ) le plan qu'il a
(4) C'eſt un plan de médecine qui a paru en
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
fuivi s'accordent exactement avec toutes les
obfervations , qu'on peut faire fur le corps
vivant , foit dans l'état de fanté , foit dans
l'état de maladie .
Il eft glorieux pour lui d'avoir fait d'un
ouvrage de médecine , un excellent livre
de morale , en nous montrant combien les
moeurs influent fur la fanté , il nous porte
à vivre fagement par amour pour nousmêmes.
Le meilleur moyen de perfuader
aux hommes une conduite réglée , eft de
leur prouver que non - feulement leur confervation
, mais encore leur bien être , leurs
vrais plaifirs & leur durée en dépendent.
C'eft de toutes les manieres de prêcher ,
la plus propre à faire des converfions.
Le Tome III de la collection de Jurifprudence
, par Me J. B. Denifart , Procureur
au Châtelet de Paris , paroît , & fe
vend chez Savoye , rue S. Jacques , à l'Efpérance
, & Leclerc , Grand'Salle du Palais,
au. fecond pillier.
On peut regarder ce Livre comme une
efpece de dictionnaire qui contient les
principes les plus néceffaires , & le plus
fouvens agités fur les matieres de droit
civil & canonique , & fur la pratique tant
1751 fous le titre de Specimen novi medicina con-
Spectus , & que l'auteur a beaucoup étendu .
A OUST. 1755. 131
civile que criminelle. Quoique le principal
objet de cet ouvrage foit d'inftruire les
commençans , il peut auffi être utile aux
jurifconfultes même les plus éclairés , en
ce qu'il contient un grand nombre de nouvelles
décifions très- importantes , & qui
n'ont pas encore été recueillies par aucun
jurifconfulte.
LA QUADRATURE DU CERCLE
démontrée à l'Académie royale des fciences
le 14 Mai 1755 , par M. le chevalier
de Caufans , ci- devant colonel du Régiment
d'infanterie de Conty.
La folution de ce fameux problême ( c'eft
l'auteur qui parle ) feroit d'un très- grand
avantage par la connoiffance des rapports
des lignes courbes aux lignes droites. Il
prétend que fa méthode eft fimple , & fe
flate d'avoir rectifié le cercle au moyen
d'un parallelogramme , & d'avoir prouvé
que le rapport de 7 à 21 fept huitiemes du
diametre d'un cercle à fa circonférence ',
eft le véritable , étant plus approché que
celui d'Archimede d'un cent foixante &
feizieme . M. le chevalier de Caufans ajoute
que les fçavans peuvent préfentement
vérifier cette propofition avec facilité . P
MEMOIRE pour le fieur P. Eftève , de la
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
Société Royale des Sciences de Montpellier
, contre Meffire J. L. V. de Mauléon
de Caufans , chevalier non profès de l'Or-,
dre de S. Jean de Jérufalem , ancien colonel
du régiment de Conti , infanterie ; &
contre le freur J. Digard , ancien Ingénieur
du Roi , profeffeur de mathématique , au
fujet du prix propofé par M. de Caufans ,
au premier qui démontreroit un paralogifme
dans fa démonftration de la quadrature
du cercle , à Paris , chez Jombert , rue
Dauphine , & Duchefne , rue S. Jacques .

DICTIONNAIRE ABRÉGÉ DE LA BIBLE,
pour la connoiffance des tableaux hiftoriques
tiré de la Bible même , & de Flavius Jo
fephe , petit vol. in - 12 de 480 pages. A
Paris , chez Defaint & Saillant , rue S. Jean
de Beauvais ,
Il y a plus de vingt ans que cet ouvrage
eft ébauché fur le plan d'un autre de même
forme dont le public eft fatisfait pour l'intelligence
des poëtes & la connoiffance des
tableaux du paganiſme. Celui- ci , tout autrement
intéreffant , demandoit plus de
travail. Il falloit refferrer une matiere propre
à fournir plufieurs volumes. Un récit ,
quelqu'abrégé qu'il foit , un mot même
& quelques fois un moindre figne , fuffifent
pour tirer d'embarras dans une lecture
AOUST. 1755. 133
ou à la vûe d'une peinture , dont le fujet
ne fe préfente pas d'abord à la mémoire.
C'est ce qu'on le propofe dans cet effai .
L'ufage de l'iconologie facrée eft expliqué
dans le court avertiffement qui eft à la
tête du livre. Les jeunes gens de l'un & de
l'autre fexe s'en accommoderont vraifemblablement
avec fruit.
METHODE ou maniere d'enseigner à lire
par le moyen des cartes imprimées. C'eft une
deuxieme édition quoique la brochure ne
le porte pas.
Ce que nous annonçons paroît mériter
Pattention des perfonnes qui s'intéreffent
aux premiers élémens des enfans . La méthode
dont il s'agit , connue déja depuis
long-tems , & très- mal à propos combattue
par ceux qui ne l'entendent pas ou qui ne
Pexaminent pas fincerement , produit des
effers furprenans dans les mains de ceux
qui l'entendent. En rendant juftice à feu
M. Dumas , auteur de cette méthode , on
a toujours fouhaité d'en voir diminuer
F'attirail fans s'écarter de ce qu'il a enfeigné.
Un des partifans de ce fyftême a heureufement
réduit avec netteté & préciſion
le bureau pour la lecture feulement , ent
une boëte de la groffeur & de la forme d'un
volume infolio , où font renfermés , par
34 MERCURE DE FRANCE.
ordre alphabétique , tous les caracteres
imprimés fur des cartes. Par ce moyen , un
enfant exécute tout ce qu'on lui demande ,
auffitôt qu'il connoît & qu'il fçait la déno-
'mination des lettres & des fons ; de forte
qu'il apprend agréablement à lire fansennui
& en très- peu de tems. Il n'y a rien
de plus aifé & de plus commode. Les peres
& meres , faute de maîtres qui s'y appliquent
, y réuffiffent à fouhait . On n'a rien
changé au fond de la doctrine de M. Dumas
que l'e muet qu'on met à la place de l'é
fermé , pour prononcer les confonnes ;
mais l'inventeur est toujours refpecté , &
c'eft ainfi qu'on devroit s'appliquer à perfectionner
ce qui eft bon , & non à le détruire.
Il ne s'agit pas ici par conféquent
d'une méthode nouvelle . C'en est une excellente
très- connue qu'on rend plus pratiquable
, que les méthodes nouvelles annoncées
dans le Mercure de Juillet ; fur
'quoi l'on peut obferver que , quelques inconvéniens
qu'il y ait dans notre langue ,
( & l'auteur des méthodes nouvelles en a
remarqué judicieufement un très - grand
nombre dans fon livre. ) on peut , dis -je ,
remarquer que les étrangers ne fe rebutent
pas de l'apprendre telle qu'elle eft . Les
cédilles , les points capitaux , &c. que le
réformateur voudroit qu'on introduifit ',
A O UST. 1755. 135
ne l'embelliroient pas aux yeux accoutu
més à lire tant d'excellens ouvrages que
nous avons . Les moindres abus n'échappent
pas à M. le Curé de .... l'auteur des
nouvelles méthodes : mais s'il s'appuie de
quelques autorités refpectables , il cite des
écrivains plus propres à décréditer fes réformes
qu'à les établir. A force de regles
on multiplie les difficultés. Il faut avoir
bien du courage pour mettre en pratique
fes fyllabaires. C'eft aux connoiffeurs à
juger s'il enfeigne le chemin le plus court.
Les partifans de M. Dumas n'y font pas
tant de façon. Il eft démontré dans l'expofition
de la méthode par les cartes imprimées
, que les principes de toute lecture
confiftent en une quarantaine de leçons
fur quarante cartes & non en deux cens
cinquante d'une part , cent fix d'une autre ,
& cinquante encore d'une autre , comme
l'ont avancé des écrivains qui n'entendent
pas le fiftême de M. Dumas , approuvé juridiquement
depuis plus de trente ans.
Lorfqu'on a voulu compofer un chapitre
de l'expofition de la méthode qui accompagne
le petit bureau , on auroit dû pren
dre la nouvelle édition beaucoup plus méthodique
que la premiere , & ne pas prêter
à l'un des inventions , qui appartiennent à
d'autres , comme la lame de cuivre gravée
136 MERCURE DE FRANCE.
à jour pour enfeigner à écrire. Au refte ;
toutes ces nouvelles méthodes qu'on public
chaque jour , font des démembremens ,
pour la plupart falfifiés , du fyftême de
M. Dumas. En approuvant cette admirable
invention , on fe fait plus d'honneur
qu'en la blâmant. Il faut avouer que les
cartes imprimées du petit bureau , tiennent
lieu par leur mobilité de tous les fyllabaires
immobiles : & le premier jeu élémentaire
des quarante cartes qui le précede,
renferme les principes de toute lecture poffible
fans embarras & à la portée de tout le
monde.
L'avantage de ce petit bureau , eft de
pouvoir le tranfporter fur une table , fur
un fauteuil , à la portée des enfans , felon
leur âge , & où l'on veut. Cette efpece
d'imprimerie , accompagnée de deux jeux
élémentaires avant que d'ouvrir le bureau ,
& la petite brochure qui donne lieu à cet
article pour guider ceux qui veulent en
faire ufage ,fe vendent vingt-quatre livres,
avec privilege & approbation . Il faut s'adreffer
à M. Chompré fils , rue des Carmes ,
à Paris. On y en trouve de plus ornés les
uns que les autres felon la dépenſe qu'on
veut faire.
AOUST. 1758. 137
Petit cours d'études latines.
Nous ajoutons , comme une fuite de ce
que nous annonçons , que , lorfqu'un enfant
fait lire & écrire on peut le mener
très- loin avec l'Introduction à la langue latine
par la voie de la traduction , dont l'Avertiffement
mérite d'être lu , principalement
par les gens du métier , & avec la collection
des extraits des auteurs connus fous le
titre de felelta latini fermonis exemplaria ,
en fix petites parties latines , dont on a
déja fait plufieurs éditions chez Guérin &
Delatour , à Paris , rue S. Jacques , à S. Themas
d'Aquin. La traduction fe vend à part.
Il réfulte , de tout ce qui vient de la même
main , un plan formé avec difcernement
pour commencer agréablement les premieres
études des lettres humaines , fans
s'éloigner de ce qu'on pratique ordinairement
jufqu'aux humanités. On a dans ces
recueils des échantillons non- feulement des
auteurs d'uſage , mais encore des auteurs
prefque totalement abandonnés. On fçait
cependant que ceux -ci , quoique peu lus ,
contiennent la plus grande partie des tréfors
de la plus précieufe latinité , comme
un Plaute , un Columelle , un Vitruve , & c.
qu'on lit ici avec plaifir & fans rifque pour
les bonnes moeurs
138 MERCURE DE FRANCE.
Vocabulaire univerfel latin -françois , & c .
Le vocabulaire univerfel , latin- françois ,
achevé d'être imprimé l'année dernierè , &
qu'on trouve chez les mêmes libraires ,
procure un fecours qu'on ne peut avoir
d'ailleurs qu'à grands frais.Les amateurs des
belles -lettres latines ont , dans cette efpece
de Veni mecum , la fignification des mots
de l'ancienne & de la baffe latinité par le
moyen de la clef qu'en donne l'avertiffement
. Ce travail a du coûter des recherches
de longue difcuffion , & il faudroit être
de mauvaife humeur pour ne pas fçavoir
gré , de leurs travaux , aux hommes qui fe
confacrent ainfi à l'utilité publique .
ELEMENS DE LA PHILOSOPHIE NEWTONIENNE
, par M. Pemberton , traduit de
l'anglois , 1 vol. in- 8° avec figures , 1755 ,
6 liv . relié . A Paris , chez Jombert , rue
Dauphine , à l'image Notre-Dame.
Le même Libraire vient de recevoir
quelques exemplaires de la magnifique
HISTOIRE MILITAIRE du Prince Eugene de
Savoye , du Duc de Malborough , & du
Prince d'Orange & de Naffau- Frife ; enrichie
des cartes & plans néceffaires , en trois
volumes , grand in -folio . Prix 150 livres
reliés.
A O UST. 139
1755.
SEANCE PUBLIQUE ,
de l'Académie royale de Nifmes.
L'Académie s'étant affemblée le 15 May
1755 , M. de Maffip , avocat du Roi an
préfidial de Nifmes , & directeur , ouvrit
la feance par un Difcoursfur les avantages
que procurent les Lettres à ceux qui les
cultivent.
A plupart des hommes , dit-il , cherchent
leur avantage dans des biens
fragiles & périffables qui leur font étrangers
, & ne fçauroient jamais les faire parvenir
au folide bonheur & à la véritable.
gloire. L'on eft affuré de trouver l'un &
: l'autre en s'attachant à l'étude des belleslettres
, én faifant fervir les divers talens
que la Providence nous a départis à
la perfection des fciences & des beaux
arts , deft la maniere la plus noble dont
nous puiffions payer cette obligation naturelle
le fervice perfonnel que tout citoyen
doit à la patrie , c'eft la voye la plus.
fure pour parvenir à la véritable gloire ' ,
gloire d'autant plus flatteufe qu'on ne la
partage avec perfonne comme celle qui
140 MERCURE DE FRANCE.
vient des fuccès militaires , & qu'on la tire
toute entiere de fon propre fonds ; à ces
premiers avantages fe joignent ceux d'être
exempts de ces paffions cruelles & tumultueufes
auxquelles les hommes vulgaires
font livrés , qui tirannifent leur coeur fans
pouvoir jamais le fatisfaire, l'homme de lettres
au contraire trouve dans le commerce
des mufes & la douceur de fa folitude une
tranquillité inaltérable . Content de fes
études & de foi- même , il cherche à augmenter
fes connoiffances à perfectionner
fes talens. Il jouit dans l'une & l'autre fortune
d'une égalité d'ame qui eft autant le
fruit de fa vertu que de fes lumieres. Elle
regle tous les mouvemens de fon coeur , en
fixe tous les defirs , enforte qu'elle paroît
comme affranchie des liens du corps , &
habiter déja cette région fupérieure du ciel
dont les vents & les tempêtes ne troublent
jamais le calme & la férénité . C'eſt à la faveur
de ce fecours qu'il eft inébranlable &
comme impaffible dans ces fameux revers
aufquels l'humanité eft fujerte & qu'il
fupporte avec un courage invincible les
difgraces , les perfécutions , l'exil , la mort
même , foutenu par l'efpérance qu'il ne
meurt pas tout entier , & que fa réputation
échappera aux ténebres de l'oubli tant
que l'empire des lettres fubfiftera.
AOUST. 1755. 147
Divers exemples des grands hommes de
l'antiquité.
Quelques travaux , quelques veilles qu'il
en coute , les grands exemples de ces ames
fupérieures , de ces génies fublimes qui
ont rendu la carriere fi brillante , font bien
propres à enflammer nos coeurs d'une généreufe
émulation . Nous en avons contracté
une obligation plus étroite en prenant
féance dans cette compagnie recommandable
par les grands hommes qu'elle a donnés
à la république des lettres , & qui en formerent
le premier établiſſement , leurs ralens
diftingués n'ont pas moins fait d'honneur
à l'académie qu'à la patrie ; quel engagement
pour conferver ce précieux héritage
, ce dépôt de gloire qu'ils nous ont laif
fé & le tranfmettre à nos fucceffeurs.
M. le Beau de Schofne , affocié , lut enfuite
un poëme en deux chants fur l'harmonie.
M. Meynier lut un mémoire fur l'hofpitalité
ancienne. Il ne doute pas que cette
pratique fondée fur le befoin mutuel des
hommes ne foit auffi ancienne que le monde.
Du moins les Patriarches qui vêcurent
d'abord après le déluge exercerent l'hofpitalité
, Abraham & Lot accueillirent les
142 MERCURE DE FRANCE.
anges qui alloient à Sodome & qu'ils prenoient
pour des voyageurs. Il diftingua
trois fortes d'hofpitalités. La premiere ,
celle que la piété faifoit exercer envers les
étrangers , voyageurs , inconnus , telle que
celle d'Abraham envers les anges , & celle
d'Alcinous envers Ulyffe . La feconde étoit
une fuite de la précédente ; ceux qui avoient
logé chez une perfonne étoient dès-lors.
liés avec elle par les liens de l'hofpitalité,
ils étoient obligés de fe loger & de fe fecourir
mutuellement , & ce droit paffoit à
leur postérité ; telle eft l'hofpitalité exercée
par Raguel envers le jeune Tobie , & celle
de Neftor & de Menelas envers Télémaque .
On contractoit la troifieme forte d'hofpitalité
fans avoir vu fes hôtes , on envoyoit
un préfent à une perfonne & on lui demandoit
de fe lier par le droit d'hofpitalité ,
fi elle renvoyoit un autre préfent ; & qu'elle
acceptat les offres , dès - lors les droits
étoient également facrés , telle eft l'hofpitalité
que Cyniras , roi de Chypre , contracte
avec Agamemnon dans l'illiade. On
pourroit encore conter une quatrieme
forte de droit également facré , c'eft le
droit du fuppliant . Le même principe de
religion obligeoit les payens à refpecter
& regarder comme un dépôt inviolable
dont on devoit rendre compte à la diviA
OUS T. 1755. 143
nité , un homme réduit par fes malheurs à
prendre leur maison pour refuge , fut-il
d'ailleurs leur plus grand ennemi . Le malheureux
s'affeyoit fur la cendre du foyer ,
& imploroit les dieux protecteurs de l'hofpitalité
, tel parut Themiftocle chez Admete
, roi des Moloffes , & tel encore le
fier Coriolan fe confia à Tullus , général
des Volfques fon ennemi capital . La maniere
d'exercer l'hofpitalité étoit peu différente
dans les fiecles héroïques entre les,
Hébreux & les Grecs ; M. M*** cite deux.
exemples de ces deux nations & en fait
voir les rapports , une coutume commune
entre les nations étoit de ne point demander
le nom de fes hôtes avant la fin du repas.
On trouve même un exemple plus
tard , c'eft celui de Bellerophon à la cour
de Proetus , à qui on ne le demande que le
dixieme jour après fon arrivée.
On lavoit les pieds des voyageurs , cette
coutume ne fe pratiquoit gueres que pour
ceux qui voyageoient à pied , une femme
de la maifon s'acquittoit de cet emploi ;
dans la Grèce les voyageurs plus diftingués
étoient mis dans le bain par les filles.
de l'hôte , les filles du roi même s'acquittoient
de cet emploi ; la plus jeune des filles
de Neftor , la belle Polycafte , met Télémaque
aux bains & le parfume d'effences :
144 MERCURE DE FRANCE.
tel étoit l'ufage de ces bons temps héroïques
, & tout fe paffoit avec fagelle. L'on
a remarqué avec raifon que nos moeurs
gagnent du côté de la délicateffe ce qu'elles
perdent du côté de la pureté.
Les préfens d'hofpitalité venoient enfuite
, ils fervoient de témoignage perpétuel
du lien qui uniffoit les familles , la
générofité des fiecles héroïques finit avec
les fiecles mêmes ; au lieu de ces préfens
on fe contenta de rompre en deux une
piece de monnoye dont chacun des deux
hôtes gardoit une portion , ou plus communement
de fcier en deux un bâton d'yvoire
qu'ou nommoit teffera hofpitalis , on
en trouve encore dans les cabinets des
curieux .
Des villes entieres accordoient l'hofpitalité
, les Romains agirent ainfi envers
Timafithée chef des corfaires de Lipari,
Le droit d'hofpitalité étoit imprefcriptible
, & à moins d'y avoir renoncé en
bonne forme par un acte devant les Magiftrats
, rien ne pouvoit y porter atteinte ,
dans la guerre même , les combattans
étoient obligés de fe refpecter. Le brave
Diomede dans le fixieme chapitre de l'Illiade
, n'ofe point porter une main facrilege
fur Glaucus fon hôte , tandis qu'Hector
& Teucer unis par les liens de la plus
proche
AOUST. 1755. 145
proche parenté combattent avec chaleur.
Les Dieux de l'hofpitalité étoient Jupiter
, iv , Venus , Minerve , Caftor &
Pollux , un Apollon furnommé déceVIO ,
& fur-tout les Dieux Lares , les fables les
plus anciennes & les plus facrées contribuoient
à faire refpecter le caractere d'hôte
comme facré. Jupiter & Mercure voyageant
parmi les hommes , puniffent Lycaon
pour avoir violé ce droit , récompenfant
Philemon & Baucis. Les Grecs ont pu avoir
quelque connoiffance indirecte par les
Egyptiens du voyage des Anges fur la terre
, du moins Homere fait dire fouvent à
fes perfonnages , que peut- être la perfonne
de l'étranger cache un des Dieux immortels.
M. Meynier finit par examiner
pourquoi l'hofpitalité n'eft plus pratiquée
parmi nous ? il en tire la raifon de l'excellent
ouvrage de ce Sage , dont nous
déplorons encore la perte , Pilluftre Montefquieu.
La perte de cette vertu vient
de l'efprit de commerce qui s'eft établi
parmi nous , il produit , dit-il , un certain
fentiment de juftice exacte , oppofé d'un
côté au brigandage , & de l'autre à ces
vertus morales qui font qu'on ne difcute
pas toujours fes intérêts avec rigueur , &
qu'on les néglige pour ceux des autres.
Les Grecs & les Romains , dès que leur
G
$ 46 MERCURE DE FRANCE.
empire fut étendu , n'exercerent plus l'hofpitalité
de la maniere généreufe que nous
admirons dans les fiécles héroïques ; ils
n'oferent renoncer à une coutume confervée
par leur religion & par leurs ancêtres
; mais ils reftreignirent l'hofpitalité
au logement & à l'uftenfile. L'étranger
fourniffoit la nourriture de fes chevaux ,
& fouvent même achetoit la fienne . La
charité du Chriftianifme a fuppléé au befoin
que les pauvres pourroient en avoir.
Nos voyageurs ont peu à defirer des
moeurs anciennes fur l'hofpitalité .
On donnera la fuite de cette féance dans
le Mercure du mois prochain.
A O UST. 1755- 147
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
ALGEBRE.
Lettre de M.G .... Ecuyer , Officier de la
Chambre de Madame la Dauphine , à M.
Bezout , Maître de Mathématiques à Paris.
M
ONSIEUR vous avez dû voir par
la méthode de folution du problême
d'Algébre inféré dans le Mercure dernier
,, que mon plan avoit été de le rendre
indéterminé , que j'avois même fixé le
rapport des pertes des foldats d'après la
détermination arbitraire des trois nombres
551 , 431,311 , fur lefquels nous fommes
parfaitement d'accord ; nous ne différons
donc dans le vrai que par rapport à
la forme : il m'eſt arrivé la même difgrace
qu'aux faifeurs de Logogryphes. A force
de parler j'en ai trop dit vous avez agi
en critique fenfé & judicieux ; en fait de
fciences de précifion il convient d'écarter
jufqu'aux moindres foupçons de l'erreur ;
:
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
& quelque légere que fut la mienne , vous
avez eû raiſon de venger le public que je
n'avois pas affez refpecté par une précipitation
dont je fais aujourd'hui ma confeffion.
J'ai l'honneur d'être , &c.
De Verfailles , ce 10 Juin 1755.
HISTOIRE.
Hiftoire abrégée des guerres des Algériens avec
les Hollandois , traduite de l'Allemand ,
par M. Radix de Sainte- Foy. 1755 .
Stoute
Elon toute apparence , Alger, ainfi que
toute la côte de Barbarie , fut peuplée
d'abord par les Egyptiens. Les Pheniciens
y établirent enfuite des colonies , & y bâtirent
Utique & Carthage . Depuis , tous les
petits Princes de la côte furent fubjugués
par les Carthaginois , ou devinrent leurs
tributaires : mais ces Princes , las enfin de
la domination Carthaginoife , s'offrirent
aux Romains pour leur aider à foumettre
Carthage. Ceux- ci refterent maîtres de la
côte jufqu'au cinquiéme fiécle , que les
Vandales s'en emparerent. Les Barbares
furent obligés dans la fuite de rendre leur
A O UST. 1755. 149
conquête aux Empereurs Romains , ou
pour mieux dire , aux Empereurs Grecs ,
qui poffederent cette côte , jufqu'à ce que
les Califes Sarrazins , fucceffeurs de Mahomet
envahirent dans le feptiéme fiécle
toute la partie feptentrionale de l'Afrique,
auquel tems l'Alger que nous connoiſons
devint la ville capitale de la Mauritanie.
Alger dépendit enfuite , premierement de
la ville de Conftantine , & fucceffivement
de Bugie , d'Hyppone , & enfin de Tremecen
, ou Telencin , jufqu'à l'incurfion
des Barbares Mahométans , qui diviferent
la côte de Barbarie en plufieurs royaumes ,
entre lefquels étoient Alger , Tunis & Tripoli
. Quelques fiécles après , la ville d'Alger
devint tributaire du Roi de Tunis ,
qui promit de lui laiffer , comme à une
République , la jouiffance de fes privileges.
L'an 1510 , Alger fe foumit par crainte
du Roi d'Efpagne à un riche More ,
nommé Sélim Eutimi ; cependant quelques
années après , Ferdinand , Roi d'Efpagne ,
la prit , bâtit une forte citadelle fur la place
où eft à préfent le port , & y mit une
nombreuſe garnifon . Après la mort de
Ferdinand , les Algériens chercherent à fecouer
le joug des Eſpagnols , & vers l'an
1516 ils appellerent à leur fecours le fameux
Pirate Barberouffe qui vint , maffa-
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
cra Eutimi , s'érigea lui - même en Rof
d'Alger , & regna jufqu'en l'année 1517 ,
qu'il fut tué dans un combat . Les Algériens
élurent pour leur Roi Héreddin Barberouffe
fon frere ; mais comme il n'étoit
pas en état de faire tête à fes ennemis , &
fur-tout aux Efpagnols , il eut recours à
la Porte , & rendit tributaire du Grand
Seigneur Alger , & une grande partie de
la côte de Barbarie .
:
Les Algériens enflés d'une telle protection
, en devinrent plus audacieux à piller
les vaiffeaux Chrétiens ; l'on vit de jour
en jour accroître leur infolence. L'Empereur
Charlequint irrité de leurs pirateries,
vint affiéger Alger l'an 1541 , avec cent
gros vaiffeaux , & dix-huit grandes galeres
qui portoient en tout vingt- deux mille
hommes mais une tempête violente & un
ouragan terrible qui s'éleverent le 20 Octobre
, firent couler à fond tous les vaiffeaux
& quinze galeres , pendant que les
troupes de débarquement furent pourfuivies
dans leur retraite précipitée. La plus
grande partie fut paffée au fil de l'épée , &
l'Empereur lui -même eût bien de la peine
à regagner la Sicile avec une feule galere.
De ce moment , Alger devint une retraite
formidable de Pirates , & un nid de voleurs.
Sa marine augmenta , & les courfes
AOUST. 1755-
151
de fes Barbares habitans , firent un grand
tort aux Chrétiens , principalement aux
habitans des Pays - Bas , fur - tout depuis
l'année 1590 que ceux-ci commencerent
à étendre leur commerce par le Détroit de
Gibraltar en Italie , & même jufqu'au Levant.
Enfin au commencement du dix-feptiéme
fiécle le mal devint fi grand que les
Etats Généraux fe déterminerent en 1612
à envoyer à Conftantinople , en qualité
d'Ambaffadeur , le fieur Cornelius Hage .
pour obtenir par un traité , à l'exemple des
autres nations , un commerce libre dans
toutes les provinces dépendantes de la Porte.
Cette Ambaffade eut un fuccès fi heureux
, que les Turcs dans le vingt & uniéme
article du traité défendirent aux Algé
riens de jamais faire le moindre tort aux
vaiffeaux hollandois , fous quelque prétexte
que ce put être : Mais ceux - ci fe
conformerent mal à cette défenfe , foit
que l'autorité des Turcs fut affez peu ref
pectée dans la Barbarie , foit que la Porte
ne pût donner affez de fecours à ceux
d'Alger & de Tunis contre les infultes des
Efpagnols établis à Oran : d'ailleurs , les
premiers repréfenterent que fi on les empêchoit
d'aller en courfe , il leur étoit abfolument
impoffible d'entretenir le nombre
Giiij
152 MERCURE DE FRANCE.
néceffaire de Janiffaires. La Porte fut donc
obligée de fermer les yeux fur leurs procé
dés , & ils continuerent d'attaquer indifféremment
amis & ennemis.
Cependant en 1617 , à la follicitation
de Cornelius Hage , la Porte renouvella la
défenſe faite aux Algériens , de prendre
les bâtimens hollandois ; mais ils continuerent
à les arrêter , & à s'emparer de
toutes les marchandifes appartenantes aux
Espagnols & aux Italiens ; & fur les plaintes
réitérées , en 1619 ils écrivirent aux
Etats Genéraux une lettre , dans laquelle
ils leurs faifoient connoître » qu'ils ne
"pouvoient nullement ceffer de vifiter
» leurs navires , & d'en enlever toutes les
» marchandiſes des Efpagnols & des Ita-
» liens , mais qu'afin qu'ils n'en fouffrif-
»fent aucun tort , ils leurs promettoient
de leur en payer exactement le fret.
و ر
Les Etats Généraux leur objecterent
que cette propofition étoit formellement
oppofée au traité fait en 1612 , avec le
Grand Seigneur , & ils les menacerent ,
s'ils refufoient plus long-tems de s'y conformer
, de les traiter en ennemis . En effet
en l'année 1619 leurs Hautes Puiffances
commencerent contre ces Corfaires des
hoftilités ouvertes.
Les Algériens , dans l'efpace de treize
A O UST. 1755. 753
mois,prirent aux Hollandois cent quarantetrois
vaiffeaux , ceux-ci leur en prirent auffi
plufieurs ; & leur animofité étoit fi forte
contre ces Pirates , que tous ceux qu'ils
prenoient étoient incontinent jettés à la
mer ; mais les Hollandois virent bientôt
que la guerre ne conduifoit pas à leur objet
; ils firent de nouvelles propofitions
aufquelles les Algériens répondirent » que
» leurs Hautes Puiffances pouvoient en-
» voyer quelqu'un avec des vaiffeaux de
» guerre pour emmener les efclaves , &
qu'ils verroient alors que » leur paix
feroit une véritable paix , leur parole une
parole inviolable , & leurs affurances des
furetés. Cependant la fauffeté de cette promeffe
s'eft foutenue jufqu'à préfent.
و د
وو
Dans le mois de Juin 1622 , les Etats
Généraux envoyerent le fieur Pinacker
Profeffeur dans l'Univerfité de Groningue,
à Alger , où il arriva le 3 Septembre ; il
fit tant par fes négociations qu'il obtine
que la vifite des vaiffeaux hollandois cefferoit
, & que les prifonniers feroient mis
en liberté : & afin d'ôter tout prétexte aux
Pirates , leurs Hautes Puiffances ordonnerent
que tous leurs vaiffeaux deftinés pour
le Détroit de Gibraltar ou pour le Levant ,
feroient munis d'un paffeport , qui déclareroit
que les Capitaines étoient vé-
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
» ritablement Hollandois , & qu'ils avoient
»fait ferment que leurs vaiffeaux , auffi-
» bien que leur chargement , n'apparte-
» noient ni en entier ni en partie aux en-
> nemis du Grand Seigneur.
Leurs Hautes Puiffances publierent dans
la même année une défenfe aux vaiffeaux
marchands de ne plus fortir fans eſcorte .
Malgré ces précautions la paix fut encore
rompue par les Algériens , dont la puiffance
augmenta tellement , qu'en l'année
1659 ils mirent en mer , en différentes
efcadres , feize vaiffeaux de guerre de
vingt- quatre à trente- fix piéces de canon
de quatre à cinq cens hommes d'équipage
, & deux galeres de vingt - deux à vingthuit
paires de rames , ayant à bord un pareil
nombre d'hommes ; alors les vaiffeaux
de guerre hollandois coururent eux - mêmes
rifque d'être enlevés avec les marchands
auxquels ils fervoient d'efcorte."
On avoit déja employé plufieurs moyens
pour détruire cette ville corfaire , & le fameux
Amiral Ruiter fut envoyé en 1655
pour brûler ces Barbarefques dans leur
port ; cependant ce projet échoua à caufe
d'un trop grand calme , & c'eft alors que
ce grand Amiral dit , que celui qui voudroit
attaquer la ville ou le port d'Alger , devroit
avoir pour lui le foleil & la lune , le jour &
AOUST. 1755. 155
la nuit , le vent & le tems ; le vent favorable
pour s'approcher de la ville & pour
s'en éloigner , le tems clair & ferein pour
découvrir l'entrée de la rade, ou au moins
un Pilote habile à qui la fituation des lieux
fut entierement connue , fans compter
qu'il faudroit que les habitans de la ville
ignoraffent abfolument ce deffein , parce
que pour peu qu'ils fuffent fur leurs gardes
, il leur feroit facile d'empêcher l'entrée
des vaiffeaux dans leur port.
Cependant perfonne n'a attaqué ces
Corfaires avec plus d'avantage , perfonne
ne leur a fait plus de tort que le méme
Amiral Ruiter , & n'a fçu mieux les combattre.
Il les ferra de fi près , & jetta fi
fort l'allarme parmi eux , que leurs foldats
refufoient de s'embarquer deforte
qu'en l'année 1662 ils furent obligés de
demander le rétabliſſement de la paix aux
mêmes conditions qu'ils venoient de la renouveller
avec les Anglois , c'eft - à- dire que
»leurs armateurs, lorfqu'ils rencontreroient
» un vaiffeau Hollandois , feroient obligés
> d'envoyer à fon borddeux hommes de leur
» équipage pour demander amiablement s'il
»n'avoit pas des hommes ou des marchan-
» difes qui appartiendroient à leurs ennemis.
Cette ftipulation fut rejettée , &
ils furent fort heureux d'obtenir des Hol-
G vj
156 MERCURE DE FRANCE .
landois la paix le 16 Novembre 1662 fous
cette condition : Vaiffeau libre , marchandifes
libres , nulle viſite .
La ville d'Alger & fes châteaux étoient
alors garnis de fept cens quatre - vingtcinq
piéces de canon , dont toutes les bouches
étoient tournées vers la mer , & les
rénégats difoient fecrettement à l'Amiral
Ruiter , » que fi les Etats Généraux vou-
»loient que la paix fut bien obfervée , ils
» ne devoient jamais laiffer fortir aucun
» vaiffeau marchand fans efcorte , qu'ils
devoient avoir un bon nombre de vaif-
» feaux de guerre dans la Méditerranée , &
» les faire voir quelquefois fur la rade d'Al-
» ger , fous prétexte de faire de l'eau , pour
tenir dans la crainte les ennemis , parce
» que fans cela les Algériens pourroient
facilement enfreindre les traités .
Dans la paix de 1662 , la Régence d'Al
ger ftipula deux ou trois articles pour prévenir
dans la fuite des tems toute occafion
de différens fâcheux : 1 °.» Qu'il fe-
>> roit défendu à tous les Hollandois de
» tirer fur les vaiffeaux algériens qu'ils
» pourroient rencontrer . 2 ° . Que les Etats
» Généraux feroient faire un fceau parti-
» culier pour les paffeports de mer , qu'ils
» l'enverroient au Conful d'Alger , qui
»F'imprimeroit fur tous les pleins pouvoirs
des Armateurs algériens , afin que ceux-
35
»
AOUST. 1755. 157 .
» ci puffent conftater la vérité des paffe-
" ports , en confrontant le fceau des Hollandois
avec le leur. 3 ° . Que les Etats
» Généraux auroient feuls le droit d'accor-
» der les paffeports de mer.
Ceci eft d'autant plus remarquable que
l'Amiral Ruiter écrivit peu de tems après
aux Etats Généraux , que les Hambourgeois
avoient des correfpondans à Amfterdam
, qui pour de l'argent faifoient ferment
que les vaiffeaux appartenoient à des
négocians de cette ville , & qu'il avoit auffi
découvert que plufieurs Confuls ne faifoient
nul fcrupule de délivrer des paffeports
à des Capitaines de vaiffeaux étrangers
.
Quoiqu'il en foit , la paix ne dura pas
long- tems ; car dès l'année fuivante 1663 ,
les Algériens vifiterent de nouveau quel
ques vaiffeaux hollandois , ils rompirent
par conféquent le traité , & enleverent
diverfes marchandifes , fous le prétexte
qu'elles appartenoient à leurs ennemis , &
que la ratification du traité des Etats Géneraux
, ainfi
que le payement payement de la rançon
des Efclaves hollandois , avoit tardé
trop long-tems.
La guerre recommença donc encore
une fois , & l'Amiral Tromp prir le 10
Janvier 1664 deux vaiffeaux algériens
158 MERCURE DE FRANCE.
"
qui emmenoient deux prifes avec eux.
Cette perte fit un fi grand tort à ces Pirates
qu'ils promirent de » rendre toutes
» les marchandifes qu'ils avoient enlevées
»fur mer , d'exécuter à l'avenir religieu-
» fement le traité , & même de rompre la
paix avec les Anglois , fi les Etats Gé-
» néraux étoient bien difpofés à ia faire
» avec eux. " Leurs Hautes Puiffances
bien loin de prêter l'oreille à ces propofitions
captieufes , propoferent à la France ,
à l'Efpagne & à l'Angleterre de fe joindre
à eux pour envoyer une flotte qui pourfaivroit
par-tout ces Barbares , bloqueroit
leurs ports , & empêcheroit abfolument
leurs croifieres & leurs pirateries , fans
jamais entendre à aucune propofition de
paix de leurs part , mais aucune de ces
trois Puiffances ne voulut s'y prêter ; cependant
les Hollandois envoyerent l'Amiral
Ruiter avec une flotte de douze vaiffeaux
de guerre dans la Méditerranée , &
à Alger pour hâter la conclufion du traité
avec la Régence ; mais les Algériens le
retinrent long-tems fans fujet , & l'amuferent
fous des prétextes frivoles ; deforte
qu'il fe vit obligé de leur déclarer la guerre
ordre de leurs Hautes Puiffances .
On donnera lafuite dans le Mercure du
mois prochain.
par
AOUST. 1755. 159
Difcours préliminaire d'un abregé chronologique
de l'hiftoire de la ville de Paris , à
T'imitation de l'abregé chronologique de l'hiftoire
de France,de M. le Préfid. Hénault.
Paris la villelaplus confiderable of
que nous connoiffons aujourd'hui
la plus floriflante de l'Europe , n'étoit dans
fon origine qu'une très - petite bourgade
renfermée dans l'étendue connue aujour
d'hui fous le nom d'ifle du Palais , les maifons
à un feul étage , & conftruites pour
la plûpart en bois & terre , étoient couverres
de paille ou chaume , des fourneaux
de terre fervoient dans l'ufage ordinaire
pour échauffer les appartemens , & pour
préparer les chofes néceffaires à la vie. Nos
prédéceffeurs ne connoiffoient pas les cheminées
ni les fuperfluités dont nous nous
faifons une néceffité. Leur petit bourg entouré
de collines charmantes procuroit à
leur famille fous des toicts ruftiques un
afyle heureux & tranquille ; fans ambition
& fans vanité leur goût étoit fatisfait
des productions de leurs terres , & le vin qui
eroiffoit fur leurs petites montagnes étoit
leur boiffon ordinaire . A l'ombre d'un tilleul
ou affis au pied d'un chêne , nos ayeux
couloient des jours purs & ferreins , ces
160 MERCURE DE FRANCE.
tems font bien changés , & les fauxbourgs
Montmartre , S. Jacques , S. Marceau , S.
Victor , & Sainte Genevieve ne produifent
affurément pas le même effet.
Jules-Céfar vint porter le trouble dans
un féjour fi fortuné ; il fe rendit le maître
de Paris , & fes habitans virent alors pour
la premiere fois élever fur les bords de
leur fleuve des forts dont ils ne connoiffoient
pas l'ufage. Leur ville entourée de
fortes murailles par ce conquerant ne leur
parut plus qu'une prifon. Quoique leur
nouveau maître , pour adoucir l'efpece de
fervitude fous laquelle il les réduifoit ,
fit conftruire dans l'intérieur nombre d'édifices
confidérables .
A Jules-Céfar fuccéderent les Empereurs
romains. Ils hériterent de ce grand homme
le goût le plus décidé pour Paris ; ils
y paffoient tous leurs quartiers d'hiver , &
firent commencer les fauxbourgs immenfes
que nous voyons de nos jours.
Les Francs chafferent les Romains , &
foumirent Paris à leur domination. Elle
devint la capitale de leurs Etats fous Clovis
I. En 508 ce Prince y fixa fon féjour ,
& l'augmenta confidérablement. Les Rois
de la feconde race ne furent pas fes imitateurs
, ils y firent très - peu de féjour
& leur abfence enhardit les Normands à
AOUST. 1755. 161
s'approcher de Paris ; ils ravagerent fes environs
, & en firent plufieurs fois le fiége ,
que les habitans de la campagne refugiés
dans la ville , de concert avec les Parifiens,
foutinrent avec beaucoup de valeur & de
'conftance.
Les Souverains de la troifiéme race
n'ont pas imité ceux de la feconde. Paris
a toujours été leur féjour ordinaire juſqu'à
Louis XIV , qui a transferé la demeure de
nos Rois au château de Verſaillés . Ils ont
augmenté confidérablement cette ville par
la jonction de plufieurs bourgades qui s'étoient
formées prefque fous fes murs , &
lui ont prodigué des embelliffemens de
toutes les efpeces.
En 1184 , Philippe- Augufte fit paver
les rues & les places . En 1199 , il fit commencer
une enceinte d'un mur très - fort ;
douze années fuffirent pour terminer un
ouvrage fi confidérable , & ce Prince eut
la fatisfaction de le voir parfait avant fa
mort.
Charles V fit conftruire une nouvelle
enceinte en 1367 ; & Charles VI fon fils &
fon fucceffeur , fit mettre la derniere main
à ce
que fon pere
avoit
commencé
.
François I , le reftaurateur des Lettres
en France , embellit confidérablement Paris
, & c.
161 MERCURE DE FRANCE.
Charles IX pofa le 11 Juillet 1566 la
premiere pierre d'une nouvelle enceinte .
Henri IV , le pere de la patrie , fit conftruire
nombre d'édifices.
Louis XIII fon fils , fit commencer une
nouvelle enceinte en 1634 ; & le 15 Janvier
1638 il fit rendre en fon Confeil unt
Arrêt , par lequel il fut ordonné de placer
des bornes de diftance en diftance dans
toute la circonférence de la ville , au- delà
defquelles il fut défendu de bâtir fans permiffion
.
Louis XIV a porté Paris à ce haut dégré
de fplendeur où nous le voyons , &
nos neveux pourront à peine ajouter foi au
trait de notre hiftoire qui contient l'énumération
des changemens arrivés fous fon
regne.
Louis XV furpaffera fans doute tous fes
prédéceffeurs , fi , comme il y a lieu de
l'efperer , il fait exécuter le projet de l'embelliffement
de Paris , actuellement fous
preffe , chez Duchefne , rue S. Jacques.
Voilà à peu-près , mais exactement , les
changemens arrivés dans la ville de Paris ,
depuis fon origine . Je me propofe d'en
donner un détail qui ne laiffera rien à defirer
, quoique renfermé en un feul volume
in 12. Je dirai même dès à préſent
que ces divers accroiffemens donnerent
A O UST . 1755. 1631
d'abord lieu à la divifion de cette ville en
quartiers.
Philippe- Auguste la divifa en quatre
parties.
Ses fucceffeurs , jufqu'à Charles VI , en
doublerent le nombre. Ce dernier les porta
jufqu'à feize. Louis XIII , la derniere
année de fon regne , en joignant le fauxbourg
S. Germain à Paris , en forma le
dix-feptiéme. Louis XIV enfin , en 1702 ,
en fixa le nombre à vingt , par une déclaration
du 14 Janvier , confirmée par
une autre , du 12 Septembre de la même
année , rreeggiiſſttrrééee au Parlement les Janvier
1703.
Poncet de la Grave , Avocat
au Parlement.
MEDECINE.
EXTRAIT du rapport de M. Hofty ,
Docteur- Régent de la Faculté de Médecine
de Paris , pendant fon féjour à Londres,
aufujet de l'Inoculation .
Mite de fujet de la Grande Bretagne ,
A profeffion de Médecin , ma quá-
& la connoiffance que j'ai de la langue,
m'ont procuré l'avantage d'être appellé de
164 MERCURE DE FRANCE .
puis la paix par la plûpart de mes compatriotes
, qui voyagent à Paris , & qui y
font tombés malades , & de m'entretenir
avec eux fur ce qui pouvoit être relatif à
la pratique de la Médecine en Angleterre ;
mais pour me mettre encore plus au fait
j'ai formé le deffein de me tranfporter à
Londres , afin d'y juger par moi -même des
variations arrivées depuis quelques années
en ce pays dans l'art de guérir.
Les fuccès conftans qu'a depuis trente
ans à Londres l'Inoculation de la petite
vérole , & les avantages que la France
pourroit retirer en l'introduifant chez elle,
m'ont fur-tout déterminé à entreprendre.
ce voyage .
J'arrivai à Londres le 12 Mars 1755 .
Mon premier foin fut d'aller voir MM .
Cox Willmod , Médecin du Roi , Hoadly ,
Garnier , Ranby , Mideleton , Hawkins ,
Gataker , Truifdal , Adair , Taylor , Heberdin
, Médecin de la Cour , Shaw , Kirk
Patrick , auteur de l'analyse de l'Inoculation
, le Docteur Maty , auteur du Journal
britannique , M. Pringle , connu par fon
excellent ouvrage fur les maladies des armées
, qui eft en commerce de lettres avec
M. Senac , les Docteurs Clephane , Jarnagagne,
Connel, MM. Bell, Pingfton , Brumfield,
Wal , Chirurgien de l'Hôpital de l'InocuA
O UST. 1755 : • 165
lation , Tompkins
, Chirurgien
des Enfans
trouvés
, M. Morton
qui en eft le Médecin.
Je cite tous ces Meffieurs
comme
autant
de garans de la vérité de ce rapport.
Ce font les praticiens
les plus employés
à
Londres
, & les plus connus
en France.
Il n'eft pas poffible
de marquer
plus de
zéle pour le bien du
genre
humain
qu'ils
en ont fait éclater à mes yeux , ni plus
d'envie
de répandre
dans toute
l'Europe
une pratique
qu'ils jugent
fi falutaire
.
Les facilités
qu'ils
m'ont
procurées
pour
l'exécution
de mon projet en font des
preuves
autentiques
.
L'Evêque de Worceſter , fi recommandable
par fa charité envers les pauvres , ce
Prélat qu'on peut regarder comme le fondateur
de l'Hôpital de l'Inoculation dont
il est actuellemeut Préfident , & qui fans
contrédit eft l'homme d'Angleterre le plus
éclairé fur tous les faits qui concernent
l'Inoculation , s'eft fait un mérite de m'inftruire
de tout ce qui y avoit rapport :
d'ailleurs , la protection dont m'a honoré
M. le Duc de Mirepoix à la recommendation
de M. Rouillé , Miniftre des affaires
étrangeres , & la connoiffance que j'avois
déja faite à Paris de plufieurs Seigneurs
anglois , ne m'ont laiffé rien à defirer fur
ce qui faifoit le principal objet de mon
voyage.
166 MERCURE DE FRANCE.
Pendant le tems que j'ai été à Londres ,
j'ai fuivi tant aux Hôpitaux qu'en ville
deux cens cinquante-deux perfonnes inoculées
, de différens âges & de conditions
différentes , qui m'ont fourni les obſerva
tions fuivantes . *
Le fujet qu'on veut inoculer étant préparé
, on lui fait une incifion très- légère à
un ou aux deux bras , fuivant l'idée de l'Ino.
culateur ; on y infére un fil impreigné de
la matiere variolique bien choifie , on
laiffe ce fil dans l'incifion l'efpace de
trente-fix heures , on l'ôte enfuite. Quelques-
uns appliquent fur la plaie une emplâtre
, mais d'autres n'y mettent rien du
tout ; elle paroît ordinairement guérie au
bout de quarante heures ; mais le troifiéme
ou quatrième jour elle s'enflamme de
nouveau , les bords en deviennent rouges,
* J'en ai vû inoculer depuis l'âge de trois jufqu'à
vingt-huit , & même jufqu'à trente - fix ans .
Il me paroît démontré que les adultes qu'on
voit inoculer à préfent , font les enfans d'autant
de gens autrefois ennemis de cette pratique , qui
ne le font rendus qu'à l'évidence du fuccès , &
qui forment aujourd'hui des preuves éclatantes
du progrès & de la bonté de cette méthode. J'ofe
d'années que dans peu il ne fe trouvera perfonne
en Angleterre , à l'âge de quinze ans , qui
n'ait eu la petite vérole naturellement , ou par
infertion.
dire
AOUS T. 1755. 167
fignes prefque certains que l'infertion a
bien pris. Le cinq ou fix on apperçoit une
ligne blanche dans le milieu , l'urine eft
de couleur de citron , indications plus fûres
que les précédentes . Le feptiéme ou le
huitième , le malade qui jufqu'alors n'a
point apperçu de changement dans fon
état , commence à fentir une douleur plus
ou moins vive , à une aiffelle , & quelquefois
aux deux. C'eft pour l'ordinaire le
premier fymptome , enfuite un malaife ,
une fievre plus ou moins forte , un mal
de tête , de reins , des naufées fuivies de
vomiſſemens . Le neuvième ou le dixiéme
il paroît une fueur très - abondante , accompagnée
d'une éruption milliaire par
tout le corps. Ces deux fymptomes précédent
communément de vingt- quatre heures
, plus ou moins , l'éruption de la petite
verole , & difparoiffent avec les autres , à
mefure que
fe fait cette éruption , qui
arrive pour l'ordinaire vers le dixiéme
jour de l'infertion ; dès qu'elle eft parfaite
le malade ne fouffre plus , il eft cenfé hors
de danger , puifqu'autant que l'expérience
me l'a fait voir , l'on n'a rien à craindre
de la fievre de fuppuration , qui eft fi dangereufe
, & fouvent fi funefte dans cette
maladie , lorfqu'on l'a naturellement . Les
inoculés paffent prefque toujours ce tems
:
168 MERCURE DE FRANCE.
fans fievre & fans accident , ce que les
Médecins regardent comme une preuve
convaincante des avantages de l'inoculation
; la fuppuration finit vers le feizième,
& la deffication vers le vingtiéme. On
purge plufieurs fois le malade , on lui donne
alors des alimens plus folides . Pendant
le cours de la maladie on ne permet que
des végétaux , ou des chofes légeres en
ufage dans le pays , telles que des navers
des afperges , & c. mais ni viande ni poiſfon.
Les ulceres de l'incifion fe dilatent &
fuppurent confidérablement vers l'état de
la maladie ; cette fuppuration continue
quelquefois après le traitement , ce qui
provient principalement de la profondeur
de l'incifion , & n'arrive que très-rarement
depuis qu'on ne fait plus qu'une inciſion
très-fuperficielle , ou pour mieux dire une
égratignure ; les fymptomes font quelquefois
fi légers , & le nombre des boutons fi
petit , qu'à la diete près , le malade vit à
fon ordinaire , s'occupe & s'amufe fuivant
fon âge , & n'eft pas obligé de garder
le lit. L'Envoyé de Dannemarck en Angleterre
qui s'eft fait inoculer avec la permiffion
de fa Cour & du confentement de
fa famille , à qui cette maladie a été ſouvent
fatale , n'a prefque rien changé à ſa
maniere
A OUST 1755 169
~
maniere de vivre accoutumée ; c'eſt de
lui-même que j'ai eu le détail journalier,
de fon traitement.
Le fils de l'Ambaffadeur de Sardaigne
s'eft foumis avec le même fuccès à cette
pratique.
}
Je paffe aux effets de cette méthode.
Les deux cens cinquante -deux perfonnes
que j'ai vûes inoculées , ont toutes.
été guéries fans aucunes fuites fâcheufes ,
elles m'ont paru fe fortifier après le traitement,
& pas une d'elles n'a été marquée;
mais ce qui m'a bien furpris , c'eft que
ceux -mêmes qui avoient beaucoup de
boutons & fort gros , ne paroiffoient pref
que pas rouges après la deffication , comme
ils le font dans la petite vérole naturelle.
L'avantage de conferver la beauté
n'a pas peu contribué à accréditer cette
méthode , auffi eft-il rare de voir à Lon--
dres quelqu'un au- deffous de vingt ans
défiguré par la petite vérole , à moins que
ce ne foit parmi le bas peuple, qui n'a pas
le moyen de fe faire inoculer , ou qui conferve
encore fes anciens préjugés.
OBSERVATIONS PARTICULIERES.
per
1º . Des deux cens cinquante - deux
fonnes dont j'ai fuivi l'inoculation , deux
H
170 MERCURE DE FRANCE.
feulement m'ont paru en danger . L'un'
étoit le fils du Major Jennings , homme de
condition , fort riche , âgé de trois ans
inoculé avec fa foeur , âgée de quatre ans ,
& fa gouvernante âgée de vingt trois . Cer
enfant a eu fix accès de convulfions dans
l'efpace de dix- huit heures , immédiatement
avant l'éruption , ' cé qui a donné de
vives allarmes à fes parens , mais non aux
Médecins ni aux Chirurgiens ; il a évacué
par le moyen de deux remedes , l'éruption'
s'eft bien faite , & auffi- tôt tous les accidens
ont difparu. Au refte cet enfant eft
fujet à ces accès convulfifs , il en avoit eus
antérieurement dans deux autres maladies .
2°. Il m'a paru que les enfans délicats
& les filles avoient les fymptomes moins
violens , plufieurs praticiens n'ont fait aucunes
obfervations là- deffus.
3º. Les Anglois pour fauver leurs enfans
du danger de cette maladie , m'ont
paru anticiper fur l'âge convénable en les
faifant inoculer à la mammelle & au-def
fous de quatre ans. J'ai obfervé conftamment
que l'âge depuis quatre ans jufqu'à
quinze , étoit le plus propre , & que les
perfonnes au- deffus de quinze fouffroient
moins que les enfans au-deffous de quatre
ans. Cette remarque eft conforme à celles
des gens de l'art.
A O UST. 1755. 171
J'ai vu des adultes des deux fexes
même forts , replets & très- robuftes guérir:
fans accident , & d'une façon furprenante.
5°. Quoiqu'on choififfe pour l'inoculation
le tems qui fuit immédiatement les
régles , elles furviennent cependant prefque
toujours dans le cours de la maladie ,
ent plus ou moins de durée , & finiffent
fans aucun accident.
6°. J'ai vu plufieurs perfonnes n'avoir
que très-peu de boutons , quelquefois feulement
autour de l'incifion comme la
fille du Comte de Fitz Williams . Un adulte
en eut une douzaine ; le premier lui
vint au gros doigt du pied , remarque cu+
rieufe , & qui prouve incontestablement
que le virus à circulé par toute la maffe du
fang , quoiqu'il n'y eut que peu de boutons.
Quelquefois la feule fuppuration des
ulceres tient lieu de tout.
7°. Les ſymptomes & l'éruption paroiffent
quelquefois fort tard . La fille de Myford
Dalkirk à qui ils n'ont paru que le
quatorziéme jour après l'infettion , & un
enfant trouvé , dont je parlerai plus bas ,
auquel ils n'ont paru que le vingt-fix en
font des exemples.
8. Cinq perfonnes n'ont pu prendre la
petite vérole , quoiqu'on eut réitéré l'infertion
; l'un étoit en ville , & les quatre
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
autres aux Hôpitaux ; & quoiqu'ils fuffent
tous cinq expofés pendant le traitement
des autres à l'infection , ils ne la contracterent
pas .
Les deux Hôpitaux dans lefquels fe pratique
cette méthode , font celui de la petite
verole , ainfi nommé , parce que l'on
n'y traite que cette feule maladie , foit naturelle
, foit artificielle , & celui des Enfans
trouvés. J'ai apporté tout ce qui regarde
l'établiffement & les réglemens de ces Hôpitaux
, auffi -bien que l'hiftoire de l'inoculation
, depuis le jour de leur établiſſement
jufqu'à celui de mon départ , qui m'ont été
renis par ordre du Commité : en voici
le détail.
Depuis le 26 Septembre 1746 , jour de
l'ouverture de l'Hôpital de l'Inoculation ,
jufqu'au 14 Mai 1755 , il y a eu fix cens
quatre inoculés , y compris quatre-vingtdix-
fept de cette année. Les cinq premieres
années de fon établiſſement cette méthode
y étant encore dans fon enfance , & l'hôpital
n'étant pas encore en état de fournir
toutes les commodités aux malades , de cent
trente une perfonnes , il en eft mort deux;
l'une attaquée de vers , l'autre foupçonnée
d'avoir cette maladie naturellement dans
le tems de fon inoculation *. Les quatre
• L'Hôpital pour l'Inoculation eft encore bien
A O UST. 1755 173
dernieres années , de quatre cens foixantetreize
, un feul eft mort ; & fuivant les regiftres
de ce même hôpital , de neuf perfonnes
qui ont la petite vérole naturelle ,
il en meurt deux .
Depuis 1741 , on a inoculé aux Enfans
trouvés deux cens quarante-fept , dont un
feul eft mort , à ce que l'on croit , par un
accident étranger à l'inoculation.
Total des inoculés dans les deux Hôpi-
85 !.
taux ,
Morts ,
La premiere fois que je vifitai l'Hôpital
de l'Inoculation , je fus témoin d'un contrafte
bien frappant . Il y avoit fur le même
quarré deux falles ; l'une deftinée à la
petite vérole naturelle , l'autre à la petite
vérole , qui s'y donne par infertion. Dans
la premiere de ces falles je vis des malades
qui excitoient non feulement la compaffion
, mais la terreur , hideux , gémiffans
, prêts à rendre l'ame ; on les auroit
cru frappés de la maladie la plus cruelle
& la plus dégoûtante. Dans l'autre falle
pauvre , ce qui oblige de mettre les inoculés avec
ceux qui font attaqués de la petite vérole naturelle
ce qui ne peut manquer d'infecter l'air , &
de rendre en cet endroit la pratique de l'inocula
tion plus fujette à des accidens qu'ailleurs
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE .
on n'entendoit ni cris de douleur , ni voix
-mourante ; on ne voyoit ni fouffrance ni
-accidens, ni même aucun malaiſe : au contraire
les malades étoient gais , & jouoient
entr'eux. Il y avoit vingt- fix filles inoculées
, depuis l'âge de dix ans jufqu'à vingtquatre
, qui n'étoient point alitées , qui
couroient les unes après les autres , & fe
divertiffoient comme on a coutume de le
faire à cet âge , lorfqu'on fe porte bien.
J'eus occafion de faire aux Enfans trou-
* vés une obfervation très intéreffante fur le
* nommé Claringdon , âgé de cinq ans , qui
fe trouva pris de la rougeole , fans que
-l'on s'en fût apperçu , dans le tems qu'il fut
inoculé. Le lendemain les fymptomês de
la rougeole fe manifefterent avec affez de
violence pour faire craindre pour fa vie ,
les taches parurent au tems ordinaire ; la
maladie prenant fon cours fe termina heureufement.
Le vingt- fixième jour de l'inoculation
la petite vérole parut en affez
grande quantité , & eut fon cours fans
aucun accident remarquable . Le malade
guérit des deux maladies , ce qui prouve le
peu de danger de cette pratique , & que
l'humeur de la petite vérole eft différente
des autres humeurs , & ne fe mêle point
avec elles.
AOUST. 1755 7 175
FAITS ET INFORMATIONS
.
1º. Je n'ai pu trouver dans tout Londres
un feul Medecin , Chirurgien ou
Apoticaire qui s'oppofât à l'inoculation ,
ils en font au contraire tellement partifans
qu'ils font tous inoculer leurs, propres
enfans. Ils regardent cette pratique
comme la plus grande découverte que
F'on ait fait en médecine depuis Hyppocrate
.
J'ai vu inoculer avec fuccès , les deux
filles du Docteur Ruffel , l'une âgée de 25
ans , l'autre de 23.
20 , M. Ranby , premier chirurgien du
Roy d'Angleterre m'a affuré avoir inoculé
plus de 1600 perfonnes fans qu'il en foit
mort une feule. M. Bell , éleve de M. Morand
, 90 ; avec le même fuccès . Enfin
M. Hadow , médecin à Warvick & ami du
docteur Pringle , inocule depuis 18 ans
avec un fuccès furprenant (a).
(a ) Le Docteur Pringle connu de M. Senac ,
écrit au docteur Hadow pendant mon féjour à
Londres , pour le prier de répondre à quelques
queftions que j'avois faites par écrit . J'ai reçu la
réponse aux trois premieres avec une lettre du
Docteur Pringle , depuis mon arrivée à Paris . J'ajoute
ici la traduction des deux lettres . Ces Meffieurs
me promettent de répondre aux douze autres
questions.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
23° N ne fe trouve pas un feul exemple
qu'une perfonne qui ait eu la petite vérole
bien caractérisée par l'inoculation , l'ait eu
une feconde fois , cela eft fondé fur plufieurs
expériences réitérées & bien avérées,
Pour décider que le malade eft à l'abri dé
cette infection , ils ne demandent qu'une
preuve non équivoque que le virus a opéré
fur la maffe du fang : quelques boutons fur
le corps , ou la fuppuration des incifions
fans éruption leur fuffifent .
I
4. Il ne fe trouve pas d'exemple d'aucane
autre humeur fcorbutique , &c. qui
ait été introduite par l'inoculation , cela
eft même confirmé par quelques expérien
ces , hardies à la vérité ; auffi l'on ne s'inquiette
plus à cet égard d'ailleurs il eft
facile par le choix du fujet qui fournit la
matiere d'en éviter le rifque (a) .
50. Il ne fe trouve point un médecin à
Londres , autant que je l'ai pu apprendre ,
qui croye que l'on ait la petite vérole plufleurs
fois (b).
( a ) L'exemple de la complication de la rou
geole & de la petite vérole dans l'enfant trouvé
dont je viens de parler , me paroît ne laiffer aucun
doute là- deffus.
(b) Le docteur Maty , qui avoit eu la petite
vérole naturelle , voulant fe convaincre de ce fait,
s'eft inoculé lui-même fans pouvoir fe la donner
AOUST. 1755 177
6. Les Catholiques s'y foumettent ainfi
que les Proteftans , Mylord Dillon a fait
inoculer fon fils & fa fille aînée ; Madame
Chelldon , fa parente , craignant beaucoup
cette maladie , s'eft fait inoculer ce printemps
à l'âge de trente- fix ans , & mere de
douze enfans aufquels elle a ainfi donné
l'exemple du courage.
La fille du Duc de Beaufort , âgée de 15
ans , m'a fourni un fecond exemple de réfolution
, elle s'eft fait inoculer le 25 Avril
dernier de fon propre mouvement . On la
regarde comme la beauté de l'Angleterre ;
tout le monde s'intéreffoit à cet évenement ,
& le fuccès a répondu aux voeux que le
public formoit pour elle . J'ai retardé mon
retour de quinze jours pour affifter à fon
traitement.
Je pourrois citer plufieurs autres obfervations
curieufes & intéreffantes touchant
cette pratique que je tiens de perfonnes
très - dignes de foi , mais voyant que ce
rapport paffe les bornes convenables , &
n'ayant d'autres but de que rapporter fimplement
ce que j'ai vu , & nullement de
décider la queftion , je finirai en affurant
que les libéralités des perfonnes prévenues
autrefois contre cette pratique par réligion
Ce dé ail ſe trouve dans fon Journal' Britannique
des mois de Novembre & Décembre 1754-
Hy
178 MERCURE DE FRANCE.
ou par quelque autre motif, font aujour
d'hui le principal revenu de l'hôpital de
l'inoculation , & que les regiftres font
remplis d'exemples curieux & touchans de
peres & meres qui ayant été maltraités par
la petite vérole naturelle ont eu recours
malgré leurs préjugés à l'inoculation ſouvent
pour fe conferver l'unique enfant qui
leur reftoit.
Lettre à M. Hofty. Londres , ce 5 Juin 1755 .
Enfin j'ai reçu , Monfieur , la réponſe
du docteur Hadow à quelques- unes de vos
queftions , elle me paroît judicieufe & fatisfaifante
par rapport aux trois premieres;
lorfqu'il aura fini , je ne manquerai pas de
Vous en faire part . Je vous renouvelle les
fouhaits finceres que je fais pour tous vos
fuccès , & pour celui de l'inoculation en
général .
J'ai l'honneur d'être , & c. .
Signé , Jean Pringle.
Lettre au docteur Pringle . Warwick ;
ce 2 Juin 1755 •
Je ſuis honteux , Monfieur , de répondre
fi tard à votre lettre ; je n'étois point
chez moi , lorfque je l'ai reçue , & j'ai été
tellement occupé depuis à achever les inoculations
de cette faifon , & à quelques
AOUST. 1755 179
tems
autres affaires , que je n'ai pas eu le
de faire une réponſe convenable aux queftions
du docteur Hofty. Je ferai toujours
prêt à lui communiquer ou à tout autre de
vos amis , tout ce que je fçai , & tout ce
que j'ai obfervé dans la pratique de l'inoculation
.
M. Hofty fouhaite d'abord fçavoir ce
que j'obferve dans le choix d'un fujet pour
Pinoculation par rapport au tempéramment
, à l'âge , au fexe ; il eft certain que
les jeunes gens qui fe portent bien font les
fujets les plus propres pour être inoculés.
Mais lorfque la petite vérole paroît en
quelque endroit , la terreur qu'elle occafionne
eft fi grande , & il fe trouve tant de
perfonnes qui demandent à être inoculées
que nous ne pouvons les renvoyer , d'autant
plus que ceux qui ont été refufés par
un inoculateur , ont recours à un autre . Je
n'ai jamais refufé qu'une feule perfonne
& depuis dix- huit ans que je me mêle de
cette opération , j'en ai inoculé depuis l'âge
de trois mois juſqu'à foixante deux ans.
Je pense que le tems le plus für pour l'inoculation
eft depuis trois ans , ou lorfque les
premieres dents ont toutes perçées , jufqu'à
l'âge de dix ou douze ans . A cet âge
on n'a aucune frayeur de cette maladie.
Les enfans dont les dents percent , ont des

H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
accès convulfifs , quelquefois la premiere
nuit de la fievre , & aucuns enfuite , mais
plus fréquemment la nuit de l'éruption .
Je n'ai pas remarqué que ce fymptome fut
fatal , la faignée ou l'application des fangfues
le fait communément ceffer. A force
de voir des malades inoculés fans diftinction
, je fuis devenu beaucoup plus hardi
que je ne l'aurois jamais cru . Les fcorbutiques
, les afthmatiques , ceux qui font
attaqués de rhumatifmes , les filles qui ont
les pâles couleurs , ne fe trouvent pas plus
mal de cette méthode que les autres . Un
fang épais & coëneux ne produit pas autant
de petite vérole qu'un fang bien vermeil
& qui a peu de férofité. Les perfonnes
blondes dont la peau eft fine & mince ,
Font communément moins que les noires
dont la peau eft épaiffe & dure. J'ai cependant
traité quelques unes de ces dernieres
qui ont eu des fymptomes très - favo
rables. Les perfonnes maigres ne réuffiffent
pas mieux que celles qui font un peu graf
fes & dans un embonpoint. J'ai inoculé
quelques hommes qui pefoient deux cens
cinquante- deux livres , dont l'éruption fe
fit d'une maniere très aifée. Les femmes
en général fouffrent davantage .
A l'égard des préparations générales qui
forment la feconde queftion de M. Hofty ,
AOUST. 1735. 181
elles font les mêmes que celles de Londres.
Au commencement je faifois faigner mes
malades le jour qui précédoit l'inoculation
pour voir en quel état étoit leur fang.
Si je n'en étois pas content , je leur faifois
continuer les remedes préparatoi
res un peu plus long- tems , mais mainte
nant je ne fuis pas fi fcrupuleux , je ne
faigne ni les enfans , ni les jeunes filles
pâles , ni les femmes hiftériques & foibles.
J'avois autrefois coutume de donner un
vomitifun foir ou deux avant que la fievre
parut , afin de nettoyer l'eftomac & les inteftins.
Mais j'ai plufieurs fois éprouvé que
la violence du vomitif occafionnoit la
fievre , qui ne difparoiffoit que dans le
tems de l'éruption ; à préfent lorfque je
jage qu'un vomitif eft néceffaire , je le
donne le foir qui fuit l'inoculation .
Pour fatisfaire à la troifiéme question
fur l'incifion , j'en fais maintenant une
ou deux , & auffi légere qu'il eft poffible.
Dans les commencemens , je faifois une in
cifion à un bras & à la jambe oppofée
Mais j'ai trouvé cette méthode fujette à
quelques inconvéniens parmi le beau ſexe,
des inflammations , des clous , des tumeurs
paroiffent quelquefois auffitor après l'exfice
cation de l'incifion de la jambe.
>
J'ai vu quelquefois des fymptômes très182
MERCURE DE FRANCE.
violens , occafionnés par une incifion trop
profonde fur le milieu du mufcle biceps.
J'efpere la femaine prochaine répondre
à quelques autres questions de M. Hofty
que je voudrois obliger fur ce que vous
m'en dites.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Signé , Jacques Hadow , M. D.
CHIRURGIE.
REFLEXIONS critiques adreffées à M***,
Médecin à Lyon , fur une Lettre annoncée
fousle nom dufieur Beranger , Oculifte , par
M. Daviel le fils , Maître- ès Arts en PUni
verfité de Paris.
En erit unquam
Ille dies , mihi cum liceat tua dicere facta ?
Virg. Bucolica,
MONSIEUR ,
ONSIEUR , j'avois déja vu la lettre
du fieur Beranger , lorfque vous eûres la
bonté de me l'envoyer ; je fuis cependant
fenfible autant qu'on le peut être à cette
marque d'attention de votre part ; j'ai été
fort furpris qu'elle eut déja parcouru vos
contrées , me perfuadant que l'on fe feroit
contenté d'en informer feulement les aubergiftes
fur la route de Bordeaux à Paris :
mais je m'apperçois que l'on n'aura fait
A OUST. 1755. 283

grace à qui que ce foit , il auroit été jufte
cependant que l'auteur fauvât les ports de
lettres à ces perfonnes qui ne m'ont informé
de cette anecdote , que par les plaintes
ameres qu'elles témoignoient contre cet
opérateur , qui fembloit les mettre à contribution
, pour leur faire tenir un ouvrage
, dont la matiere ne les intéreffoit
nullement . Permettez moi cette digreffion ,
elle
peut fervir à vous fatisfaire fur l'explication
que vous me demandez de quelques
articles de cette lettre , & de la bonne foi
de l'auteur.
: Perfuadez-vous , Monfieur , que quelques
fuccès que j'euffe pû me promettre
en faveur de la caufe que je défends ,
je n'aurois pu me réfoudre à refuter
un tel ouvrage ; je ne trouvois rien qui
put me flatter dans une pareille difcution
; d'ailleurs , que n'avois-je pas à ménager
, un public au fervice duquel je me
fuis dévoué pour la chirurgie , auquel j'aurois
voulu préfenter un effai bien différent
de mes travaux ; un pere auquel j'aurois
craint de déplaire en époufant fa querelle
dans une telle occurrence , perfuadé que
fon nom feul capable d'impofer un filence
refpectueux à l'auteur , fuffifoit pour me
prohiber toute voye deffenfive : vu ces raifons
, je m'étois condamné au filence , &
184 MERCURE DE FRANCE.
je le garderois encore fi plufieurs perfon
nes ne m'avoient fait rougir de mon indifférence
, à fouffrir qu'on put impunément
en impofer au public , & attaquer mon
pere par des propos indécens qui tendoient
à entamer la réputation dont il jouit à fi
jufte titre. J'ai cru devoir céder à des raifons
auffi plaufibles ; peut- être que ce même
public , juge integre dans tous les différends
, confidérera que c'eft un fils , qui
épargne à fon pere le déplaifir d'entrer en
lice avec un adverfaire fi peu digne de lui ;
vous connoiffez la façon de penfer , Monfieur
, puifque vous avez été un de ceux
qui ont rendu publiquement hommage à
fes talens , & je me perfuade volontiers
qu'il n'eft perfonne qui ne porte fur la lettre
du fleur Béranger , le même jugement
de Démophon dans Térence ? Ipfum geftio
dari mi in confpectum avec d'autant plus de
raiſon que l'on ne peut manquer de s'appercevoir
qu'il a péché par le fentiment le
plus noble , qui eft celui de la reconnoiffance
: comment n'a- t- il pu s'appercevoir
qu'il s'abufoit en déchirant la réputation
d'une perfonne dont il devoir tirer tout
l'éclat voulant s'annoncer fon éleve . Mais
ce n'eft pas la feule faute que j'aurai à lui
reprocher dans fa lettre , je vais vous les
faire appercevoir.
A OUST. 1755. 185
Ne nous abufe- t-il pas d'abord , lorfqu'il
veut nous perfuader que privant la capitale
de fa préfence , il est allé parcourir les pays
étrangers pour s'y rendre utile & s'y perfectionner
dans fon art ; mais comment l'auroit-
il pû , agité tour à tour par le tracas
d'un voyage , occupé à compofer différens
perfonnages fuivant la différence des
moeurs de chaque pays ; avec de telles vûes
comment s'avancer dans un art qui exige
une application fr exacte , des veilles fréquentes
, des lectures utiles & multipliées ,
dans lequel on ne peut qu'à l'abri d'un
féjour tranquille , pofer fes idées , les rédiger
, parcourir fes obfervations , en tirer
des conféquences utiles à la perfection
de cet art, & ' au bien des malades : croiroiton
que c'eft- là l'occupation d'une perfonne
qui court bien des villes , qui paffe de
contrées en contrées , pour y voir des maladés
, les opérer , & partir.
Cependant le fieur Beranger , bien loin
de convenir de cette allégation , foutient
au contraire que c'eft dans fes courfes
qu'il a pu s'illuftrer au point de mériter
qu'on lui déférat la primauté fur tous ceux
de fon état ; il a fçu trop bien manier la
nature à fon gré , difpofer des maladies ,
& des guérifons , juſques - là ( a) que mal-
(a) Voyez la gazette d'Amfterdam du mardi
& Octobre 1713.
186 MERCURE DE FRANCE.
&
gré les maladies fecrettes dont la plupart des
malades en Espagne avoient été infectés , &
un fang tout à fait corrompu , il n'a pas en
encore , dit-il , le déplaifir d'entreprendre la
guérison d'un malade , qu'il ne foit parvenu
à le guérir radicalement. Mais , malgré des
fuccès auffi brillans , les Efpagnols ne lui
ont point applaudi , il fe plaint amèrement
dans fa lettre de leur mauvaife grace à lui
faire un procès fur ce qu'il avoit fait imprimer
la liſte des malades qu'il avoit guéri ;
ils ont eu grand tort en effet , de prohiber
un écrit dont les faits vérifiés fufpects
légitimoient leur conduite à fon égard ,
ils font très-blamables auffi , fi bien loin
d'accueillir & favorifer cet oculifte, ils l'ontmaltraité
: mais comme dans ces contrées ,
nous avons plus à redouter de la calomnie &
des effets de la jalousie , voilà fans doute la
caufe de fa difgrace dans ce pays , il fçait
bientôt après prendre noblement fon parti ,
& fe confoler de fa mauvaiſe fortune , déclarant
qu'il n'eft pas auffi jaloux d'une réputation
dans l'étranger qu'il le feroit de celle
qu'il peut mériter dans fa patrie . La défaite
eft étrange : & c'eft en quoi il differe de
bien des gens de mérite , qui fçavent prifer
l'eftime des plus petits , que la moindre confiance
flate & fatisfait .
Un Oculifte auffi rare cependant devroit
A O UST. 1755. 187
être fatisfait , ce me femble , de fon haut
mérite , fans dérober ce qui fait celui des
autres , pour ajouter à fa gloire : pourquoi
fe montrer plagiaire des découvertes d'un
autre , quel avantage auffi peut- il fe promettre
en improuvant des faits dont tout
-un public eft inftruit ? Si nous en croyons
fon écrit , l'ancienne opération étoit la
feule connue en 1753 ( qui eft à peu près
le tems du retour de fes courfes , ) mais
comment nous perfuader ce qu'il avance :
croirons - nous que nullement informé de
ce qui a été annoncé la- deffus , il fe foit
trompé : non ; ne devroit - il pas fçavoir
qu'en 1752 , M. Daviel avoit dépofé dans
les faftes de l'académie de Chirurgie , un
mémoire fur cette nouvelle méthode , par
lequel il démontre avoir pratiqué deux
fois l'extraction de la cataracte avec fuccès
en 1745 , & l'avoir adoptée entierement en
1750. Tous les gens de l'art ont lu fa lettre
à M. de Joycufe , celle de M. de Vermale,
la vôtre même , Monfieur : defavoue- t- on
des faits auffi folidement conftatés ? ces
ouvrages ne feront fans doute pas échappés
à la vigilance du fieur Beranger. Ce n'eſt
pas tout , ne veut- il pas auffi à l'inftar de
quelques critiques defoeuvrés , lui dérober
la gloire d'avoir inventé cette opération :
Neferoit-ce pas , dit - il , pour avoir ofé mai188
MERCURE DE FRANCE.
tre en doute , qu'il fut l'inventeur de l'extrac
tion ; il a pû le fçavoir par des diſcours , mais
il en fera encore mieux inftruit , quand il
verra les preuves que j'en rapporte dans un
autre ouvrage , je dirai même qu'il paroît
s'en réferver la gloire , mais les reproches
amers que lui ont fait là-deffus la plupart
de Meffieurs les Chirurgiens de Bordeaux
auroient dû le défabufer d'une prétention
auffi mal fondée , qui tend , fi je ne me
trompe, à lui faire difputer le pas avec mon
pere. Mais par quelle voye fe promet- il de
l'atteindre ? eft- ce par la légereté de fa mains
comme fi avec une main legere on ne pou
voit pas faire habilement une mauvaiſe
opération ; eft- ce parce qu'il a réuſſi dans
des cas aufquels il ne s'attendoit point ? N'afpire-
t- il pas à devenir fon émule , en ouvrant
ici des artères angulaires , puis à
grands coups de tenaillons , brifant les
os voisins d'une partie qu'il ignore (a ) ,
il fçait perfuader adtoitement , que c'eſt
pour le bien du malade qu'il a mancuvré
ainfi Seroit- ce parce qu'il faifit dé
licatement le tarfe dans les trichaifes
d'où il reste un éraillement de la paupiere
fupérieure jufqu'au fourcil , telle eft une
dame que j'ai vifitée moi-même (b) , tels
(a ) Voyez la lettre de M. Larieux , ci-jointe.
(b) Madame Frefciné , bourgeoife de la même
ville , rue des Menus,
AOUS T. 1755. 189
font auffi deux malades à l'hôpital S. André
de Bordeaux , qu'il a opérés dans le même
goût. Ce reproche eft d'autant plus jufte
que de toutes les opérations que l'on pratique
fur les yeux , celle- là eft la plus fimple
, & le tarfe eft la feule partie que l'on
doive craindre de toucher ; voilà fans doute
par quel chemin le fieur Beranger prétend
effacer mon pere , que ne peut- il fe
perfuader que l'on n'eft pas opérateur pour
avoir vû opérer , il en feroit plus fage . Que
ne fe propofoit- il pour exemple nos meilleurs
auteurs , lefquels fe regardant comme
les artiſans de la nature , ont travaillé
fans ceffe à la connoître pour fçavoir l'aider
propos lorfqu'elle fe prête , la relever
lorfqu'elle manque ? ils lui euffent appris à
éviter les écueils où il a échoué , alors il
n'eut pas eu befoin de recourir à la prédeſtination
pour définir la caufe des accidens
: il étoit dit que ce malheureux fouffriroit
des contre-tems. Combien le public
ne devroit-il point être circonfpect fur le
choix de ces oculiftes , qui font à leur gré
des opérations pour s'exercer à porter un
inftrument avec vivacité , qui comptent fur
des guérifons par la légereté de leur main ,
qui ne fçavent ce que c'eft de mesurer leurs
pas à la délicateffe & à la fphere étroite
d'une partie ; depuis long- tems les vrais
190 MERCURE DE FRANCE.
praticiens ont abandonné aux empiriques ·
le brillant , le vif dans les opérations , pour
pouvoir avec toute fureté toucher , réflé
chir , combiner les parties qu'ils doivent
áttaquer , celles qu'il faut éviter , les maux
qu'ils ont à entreprendre,d'où ils concluent
qu'une bonne & utile opération eft affeztôt
faite , lorfqu'elle eft bien faite . Cela
pofé , je crois qu'il a mauvaiſe grace à confoler
, par la légereté de fa main , M. de la
Faye , de la critique qu'un homme véritables
ment de l'art , afaite de fon inftrument ; où
eft donc cette critique ? Quel eft donc ce
motif de confolation ? Mon pere , il eſt
vrai , connoiffant la bonté de fa méthode
par fes heureux fuccès , n'adopte pas pour
lui l'inftrament de M. de la Faye , & comment
ne peut-on ,
fans tomber dans cette
jaloufie , qui ne permet pas de voir avec plaifir
les progrès d'un art s'augmenter en d'au .
tres mains que dans les nôtres , garder ce que
l'on croit bon par pratique , fans le quitter
pour ce qui peut l'égaler . L'une & l'autre
méthode ont leurs avantages , l'une & l'au
tre ont leurs inconvéniens ; vu cette juftè
réflexion , notre oculifte a tort , veut- il
femer la zizanie parmi ces deux artiſtes ',
lefquels foigneufement occupés du bien
public , & non par des motifs d'uné fervile
jaloufie , fçavent fe contredire fans hu
AÖUST. 1755. 191
meur , fans préfomption , fe prêter leurs
avis , & fe céder mutuellement fans contrainte
, lorfque le mieux l'exige .
Volontiers , le fieur Beranger , pour fai
re valoir l'inftrument de M. de la Faye ,
exigeroit que la nature fe dérangeât dans
fon ordre , qu'un liquide qui n'eft plus
contenu , pût fe compofer , & refter en
place. Alors , dit -il , on éviteroit les accidens
auxquels cet inſtrument eſt ſujet ; mais s'ap
percevant bientôt du ridicule de cette idée ,
it engage l'opérateur à ne pas laiffer fortir
toute l'humeur aqueufe avant que l'inci
fion de la cornée ne foit achevée . Ce précepte
eft purement imaginaire , & ne fup
pofe pas une grande notion du méchanif
me de l'oeil dans celui qui le donne : car il
eft moralement impoffible d'empêcher que
t'humeur aqueufe contenue dans la chambre
antérieure , ne s'échappe auffi-tôt que
l'inftrument s'eft fait jour d'un angle à
l'autre. Cependant une main auffi légere que
la fienne peut en venir à bout , & l'on voit
bien que ce n'est ni la main , ni les yeux d'un
vieillard qui peuvent franchir ces obftacles.
( Je vous dirai , Monfieur , à propos de ce
nom de viellard par lequel cet opératent
croit défigner mon père, que parmi tous les
fecrets qu'il poffede , je ne lui connoiffois
pas encore celui de vieillir à fon gré des
192 MERCURE DE FRANCE.
perfonnes qui peuvent s'oppofer à fon
ambition dangereufe. Avec un peu moins
d'animofité il nous eut donné une critique
plus vraie & plus délicate. ) Pour ces opérations
, pourfuit-il , il faut une main exercée
au travail. Mais où font donc les travaux
du fieur Beranger par lefquels il a pu acquérir
cette habileté tant vantée ? ou font les
hôpitaux qui l'ont élevé , quels font les maîtres
de l'art qui l'ont enfeigné ? Ne croirat-
on pas plutôt que les yeux & les mains de
la perfonne refpectable dont je prens la
deffenfe , qui ont yu & démontré l'anatomie
, pendant vingt- cinq ans , qui fe font
exercés fur dix mille cadavres à pratiquer
des opérations quelconques , fans détailler
ici ce qu'ils ont pratiqué fur les vivans ,
ne fçauroient être attaqués par les fades
railleries de cet oculifte . Reconnoîtrezvous
là , Monfieur , un éleve qui fe dit foumis
, refpectueux , lequel aux dépens même de
fa gloire éleve fon maître au- deffus de tous les
hommes de fa profeffion . Le fieur Beranger
nefe décourage pas , & je ne puis parcou
rir aucun article de fa lettre fans y trouver
des découvertes qu'il s'approprie . Je ne regarde
point , nous dit -il , la hernie de l'uvée
comme un accident , quoiqu'en difent les au
teurs , & même je la coupe fans rien craindre.
Mais comment a-t-il pu fe promettre d'être
tranquillo
MAO U ST. 1755. 195
tranquille poffeffeur d'un bien qu'il n'eut
pas été en lui d'acquérir , en impofa-t- on
jamais à un public inftruit de ce qu'a dit
mon pere fur cette matiere dans les Journaux
publics , dans les mémoires de l'Académie
(4) , longtems avant que le fieur Beranger
eut penfé aux maladies des yeux. Je
foufcrirai volontiers qu'il ait eu des idées
fur cette matiere lorfqu'il a coupé l'iris
avec un inftrument qui n'étoit pas des mieux
faits , ni affex tranchant. Et pourquoi fans
Idéférer à mon pere la gloire de l'avoir dit
le premier , donne-t-il à penfer que c'eſt à
lui feul à qui on doit fçavoir gré d'une dé-
.couverte auffi intéreffante.
Notre oculifte cependant s'effaye quelquefois
à donner du nouveau fur des matieres
fort épineufes , annonçant, qu'il fçait
coup für déterminer l'état des cataractes
par leurs couleurs : cette découverte doit
vous paroître merveilleufe , mais je veux
-vous démontrer , qu'elle eft fans fondement.
A le fuivre avec réflexion dans cet
amas confus de paroles avec lefquelles il
veut nous perfuader la validité de fon ſyſ-
-tême , diviſant au hazard dix efpeces de
( a) Voyez la lettre de M. Daviel à M. de
Joyeule , fa réponſe à M. de Rouffilles , & les mémoires
de l'Académie royale de chirurgie . pag.
337. du II. vol.
I
194 MERCURE DE FRANCE.
couleurs en deux claffes , dont huit annoncent
le tiffu du cristallin , relâché , & deux
où les couches de ce même corps font intimement
unies , il eft aifé d'appercevoir
par les effets contraires de fon expérience
même qu'il n'a point réfléchi avant de le
produire au jour. A l'hôtel de ville de Bordeaux
, il opéra un homme il y a trois mois
dont il avoit annoncé les deux cataractes
bonnes & folides , à peine lamembrane crif
talloïde fut elle ouverte que l'idatide s'écoula
& furprit infiniment cer opérateur (a) . Il
n'eft pas plus für de fa nouvelle découverte
dans fa lettre , quoiqu'il la publie infaillible
, fes obfervations même le démentent.
Lorfque les couches fuperficielles du criſtallin
font plus étroitement unies , la cataraƐle a
plus de blancheur. Voilà la couleur & l'état
de folidité déterminés par l'auteur , & voi-
-ci fa contradiction. Deuxieme obfervation ,
>Jean Trigeart étoit affligé de deux cataractes
dont la couleur étoit blanchâtre qui me pararent
bonnes à êire opérées avec fuccès , je vis
bientôt avec ſurpriſe qu'il ne fortit point de
criftallin , mais feulement une quantité de pus,
comment veut-il donc faire valoir ſon ſyſ-
(a) J'étois préfent à cette opération avec M. de
1a Montagne médecin , & M. Forcade fils , chirurgien
, qui s'apperçurent comme moi de fon
erreur.
YA O UST. 1755. 195
tême le deffendant fi mal . Il ajoute que
l'humeur vîtrée étoit abcédée , comme le criftallin.
Je ne vois pas que cette défaite
puiffe lui être avantageufe en aucune façon.
Car il est évident que fi les yeux
avoient été abcédés ; l'abcès fe feroit maniil
fefté en dehors par des accidens quelconques
; delà avec un peu moins de routine
& plus de théorie , il eut prévu indubitablement
la diffolution de l'humeur vîtrée ;
par fon nouveau fyftême l'état de la cataracte
, & par une réflexion néceffaire ,
eut épargné au malade une opération &
des douleurs infructueufes , & à lui le déplaifir
d'être tombé dans une faute auffi
groffiere ; il eut mieux valu avouer ingénuement
qu'ayant voulu extraire la membrane
du criftallin qui eft fort épaiffe &
adhérante pour l'ordinaire en pareil cas ,
il l'avoit trop tiraillée , qu'en conféquence
des membranes internes déchirées auffi , s'étoient
abcédées , & avoient entraînées la
perte de l'oeil ; ç'eut été alors un malheur
que perfonne n'auroit été en droit de lui
reprocher.
que
fa L'adhérance des cataractes par ancienneté
, ne me paroîtra pas plus certaine
differtation fur les couleurs , je dirai même
qu'elle eft contraire à l'expérience , celle
qu'il fuppofe du criftallin avec fa mem-
I ij
196 MERCURE
DE FRANCE
.
par
brane n'arrive jamais , je m'explique ; feulement
dans les cataractes pierreufes ou
offeufes ; en un mot , je pense que fon idée
fur la maturité des cataractes eft fans fondement
. En effet , je dis : 1 ° . qu'une cataracte
ne peut fe rendre adhérante à la parinflamma-
tie poftérieure de l'uvée que par
tion , & par coup d'inftrumens tranchans
ou piquans (4) , cette adhérance même eſt
contractée dès le principe de la maladie ,
je dis même que le criftallin defféché
fon ancienneté , tendroit plutôt à dégafa
membrane de l'adhérance s'il s'en
ger
trouvoit ; cet oculifte auroit dû s'en rap,
porter au fentiment de feu M. Petit qu'il
rapporte lui-même . 2°. Le criſtallin , vu la
diftinction donnée , ne peut pas contracter
il ne
une adhérance avec fa membrane ,
peut fe faire tout au plus qu'un collement ,
produit par le deffechement de l'humeur
de Morgagni , j'ai vérifié moi - même ce
que j'avance dans des cristallins de vieillards,
lorfque j'en ai trouvé de defféchés je
les ai toujours féparés avec beaucoup de
ménagement , il eft vrai , de leurs memfaire
s'il y branes , ce que je n'aurois
avoit eu adhérance. 3 °. Il eft abfurde de
croire que nous devions juger de la matu-
(a) Voyez la réponſe de M. Daviel à M. de
Rouffilles .
AOUST. 1755. 197
tité des cataractes par la facilité que nous
pouvons nous promettre à porter un inftrument
dans l'oeil . La perte de la vûe au
jour près , que le malade doit toujours appercevoir
, eft la feule maturité à obſerver
, d'où je conclus que le fieur Berranger
s'eft lourdement trompé dans les trois
differtations que je viens de réfuter.
Cependant malgré les vérités que j'expofe
, il a trouvé des deffenfeurs qui lui
ont livré des certificats à l'abri defquels
il s'eft cru affez fort contre les reproches
que l'on pourroit lui faire ; mais quelque
foi que l'on doive ajouter aux certificats
, dont quelques uns font livrés
par des perfonnes non compétentes dans
l'art , on fçait bien qu'un empirique en
produit auffi , en eft- il cru plus habile ?
Les grands hommes font bien éloignés de
fe faire valoir par de pareils témoignages ,
c'est par leurs fuccès ,
leurs fuccès , c'eft par les éloges
que leur défere une fociété impartiale ,
c'eft enfin par les applaudiffemens , par les
honneurs qu'ils reçoivent de la république
des fçavans , voilà des certificats que la fupercherie
la plus rafinée ne peut furprendre
, que la mauvaife foi ne peut défavouer
, que l'ignorance même refpecte.
D'ailleurs comment fe deffendre de croire
que les certificats du Sr Beranger ne foient
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
fufpects s'ils fe démentént mutuellement.
Je vais , Monfieur , vous le faire appercevoir.
Le fieur Gouteyron certifie , comme
vous fçavez , que les foixante cataractes
opérées par le fieur Beranger à Bordeaux ;
ont toutes réuffi , cependant notre oculifte
avoue contre ce certificat , que fur fept il
en a manqué quatre , il eft aifé par propor
tion de conclure du refte . Pour vous expliquer
des contradictions femblables dans
quelques- autres certificats , j'aurois befoin
d'un loifir qui me manque ; je vous dirai
cependant que de tous ceux qu'il a produits ,
aucun ne m'a paru plus modefte , plus vrai
femblable , que celui du célebre M. Seris.
Toujours prudent il donne à connoître
qu'il n'a pas voulu fe répentir d'avoir trop
fuccombé à l'illufion . Quant à celui de
M. de Laliman , je ne crois pas devoir lui
oppofer quelque chofe de plus valable ,
que ce qu'on m'écrit fur fon état. Vous y
verrez auffi , Monfieur , comment le fieur
Beranger a bonne grace d'annoncer la guérifon
de tous fes malades à Marmande.
(a) Les malheurs qui accompagnent les pauvres
malades que le fieurBeranger a opérés ici,
font des preuves bien contraires au certificat
(a ) Extrait d'une lettre écrite par M. L'arieux
chirurgien , à Marmande , dattée du 13 Jun
1755.
AOUST. 1755 199
نم
qu'il produit , je vais vous enfaire le détail.
M. l'Abbé Laliman mérite toute votre
attention. Cet honnête homme eft affligé depuis
quinze ans d'un ulcere chancreux fitué à la
Paupiere inférieure de l'oeil droit , l'oculifte
fe contenta de faire quelques mouchetures ,
appliqua un médicamment que je ne connus
point ; quelques tems après l'opération , je
m'apperçus que le rebord de la paupiere étoit
toujours calleux , rouge & renversé , je me
retirai voyant unfi mauvais fuccès . Quoiqu'il
eut promis deguérir le malade en troisfemaines
, huit mois fe font écoulés fans tenir fa parole
, il étoit parti pour Bordeaux & avoit
laiffe fon malade fans emplâtre , mais celui- ci
a été obligé de le reprendre pour couvrir ſon
alcere qui a récidivé avec plus de rigueur que
jamais , j'ai obfervé que l'oeil eft moins faillant
, la paupiere fupérieure gonflée & d'un
rouge brun.
ن ب
Je passe à la cure d'une goute ferene imparfaite
que le fieur Beranger fe vente d'avoir
guérie. Mlle Faget reçut un coup fur la tête
par la chute d'un deffus de porte , elle en resta
aveugle . Par les foins de M. Dupuis , medecin
, fa vue s'eft bien rétablie . Que penferez.
vous , Monfieur , de ces fortes de miracles ,
par modeftie , fans doute , il n'a pas rempli ſa
lettre des obfervations de fiftules lacrymales
qu'il a opérées. Je veux à fon défaut vous en
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
>
faire le récit fidel. Lefils de M. Reaud fur
opéré par le fieur Beranger l'année paſſée
auquel il ouvrit lartere angulaire , brifa les
es voifins foitfains , foit cariés , & paſſa une
meche dans le conduit. Ce traitement dura
quatre mois inutilement , la playe n'ajamais
été bien guérie , puiſqu'il en fort toujours du
pus && des larmes, les parens fe font plaints de
ce mauvaisfuccés , cet oculifte a répondu qu'il
falloit faigner , purger le malade , le mettre à
Pufage du lait de vache , & appliquer des
compreffes graduées , j'ai fait tout cela Jans
aucun fruit.
Vous voyez , Monfieur , fa défaite ; car
que peuvent fervir ces remedes en pareil
cas , fi ce n'eſt à temporifer , jufqu'à ce
qu'il puiffe s'échapper à la fin de fon trimeftre
?
Que dirai je ( continue- t- on ) de lafemme
de M. Lançon , Perruquier , qu'il a operé
de deux fiftules. L'état de cette malade eft pitoyable
, fes yeux font toujours chaffieux , larmoyans
, douloureux , l'endroit des incifions
gonflé , rouge , le pus en découle fans ceffe ,
en un mot, tous les malades qu'il a operés ici
excepté le Sr Baguay , fe plaignent fort de fa
conduite , & font livrés à des infirmités pires
que les premieres . On m'avoit mandé pour
aller voir une femme à laquelle le Sr. Beranger
avoit ouvert une tumeur enkiſtée ſur un
A O UST. 1755- 201
genou , le delabrement eft fi grand , les douleurs
fi vives qu'elle ne peut ſe remuer.
J'ai vérifié par- moi-même tout ce que
l'on m'annonce : J'avouerai cependant
malgré l'avantage que de pareils fuccès
me donnent fur mon adverfaire , que la
qualité d'honnêtes gens dans ces malades
infortunés, a émouffé le plaifir que j'aurois
eu à les publier ; car je fens qu'il eft bien
dur de ne pouvoir , fans infulter à leurs
malheurs, s'applaudir d'avoir en défendant
mon droit , rappellé des faits qui leur reprochent
leur aveugle confiance. Je vous
épargnerai le détail de quelques autres
opérations qu'il a faites , je le réferve pour
une autre occafion qui me permettra de
vous inftruire du fuccès que j'ai eu dans
des cas femblables . Je ne veux pas qu'il
ait tant à fe plaindre des injuftices qu'il dit
lui être faites par des perfonnes envieuſes
de fon haut mérite , & par un cenfeur maderne
que fon âge rend incommode à lui-même
, & que fa jeuneſſe incommode encore
plus.
Mais fondons un peu les raifons qui
l'engagent à murmurer ? ne feroient- elles
pas l'effet d'une pufillanimité qui le por
te à croire que l'on penfe de lui ce qu'il
ne fçauroit fe defavouer ? A l'entendre ,
mon pere eft la caufe de fon difcrédit ;
1
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
mais où trouvera- t- il des témoignages qui
puiffent conftater que l'on ait travaillé
jamais à ternir fa réputation au contraire
, jufqu'ici mon père étoit affez difpofé
à oublier fon nom même , fi le bruit de
fes fautes ne l'avoit entretenu dans fa
mémoire. Cette imputation peut- elle avoir
quelque poids , étant fufcitée , parce que
mon pere lui refuſe la qualité de fon éleve
? Il eft vrai qu'il n'a pas pris la peine
encore de le publier , mais il n'en eſt pas.
moins convaincu ; & les rapports que l'on
a fait au fieur Beranger , font très -juftes ,
en cela mon pere ne croit pas porter aucune
atteinte au nom de cet Opérateur :
d'ailleurs , on fçait qu'il n'a jamais formé
d'autres éleves que fon fils. Comment
donc ? parce que le fieur Beranger l'aura
vu operer , aura même panfé quelques malades
, ce que l'on peut abandonner fans.
crainte aux mains de l'homme le plus ordinaire
, il aſpirera au titre d'éleve , ce
propos eft mal fondé , & la conféquence
eft injufte d'ailleurs , mon pere auroit- il
appris au fieur Beranger à en impofer au
public par des bulletins , que le charlatanifme
a dictés, que l'ignorance publie ; jugez-
en , Monfieur , par ces paffages , qui
' annoncent , 1º . que l'on trouvera chez *
C'eft un billet qu'il a fait diftribuer à Sarra
goffe , dont voici la teneur.
A O UST. 1755. 203
hui toutes fortes d'eaux qui fortifient vûe,
la maintiennent & guériffent diverfes maladies.
2°. Qu'il guérit la teigne , la gale
avec une pommade. ** 3 ° . Les maux de
bouche , le fcorbut , & autres , avec des
gargarifmes , fera- t-on furpris après , s'il
guérit , fuivant le certificat de M. de La
liman , l'afthme , les fievres lentes , les
coliques , & les rhumes de poitrine . Voilà
un homme qui paroît unique , Médecin ,
Chirurgien , Oculifte & Dentifte , rien ne
décourage fa fcience profonde ; les maladies
mêmes que l'on regarderoit comme
incurables , cédent à fes fpécifiques : reconnoîtra-
t- on là les leçons de mon pere ,
bien loin après cela d'exiger le titre de fon
éleve , il devroit travailler à mériter du
moins de l'avoir été.
Voilà des
preuves
affez fuffifantes pour
conſtater que le fieur Beranger n'eft point
éleve de mon pere , en dépit même des
lettres qui ne font pas à beaucoup près
En fu cafa fe encuentran todo genero de agnas,
que fortifican lavifta , la mantienen , y curan
differendes enfermedades.
2°. Adviertefe , que con una pomada que tiene
, curara el mal de tina fin dolor alguno ,
en poco tiempo , y tambien la farna.
* Con varios gargarifmos que tiene excuifitos
curara qualesquiera infermedades de laboca como
efcorbuto , y otras.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE:
affez fuffifantes pour lui fervir de tro
phées ; il croit trop vivement avoir gain
de caufe , parce que mon pere lui recom
mande de voir fes malades ; mais pour
cela étoit- il néceffaire qu'on lui connut du
mérite , en ce cas mon pere auroit craint de
confier fes malades en d'autres mains , cependant
le premier venu remplit preſque
au premier jour les occupations du fieur
Beranger ; la troifiéme lettre le prouve.
Recommandez , y eft- il dit , à ce jeune homme
d'avoirfoin de mes malades ; croiroit- on
que ce jeune homme , depuis deux jours
qu'il étoit dans la maifon de mon pere ,
pût être fort verfé dans ce genre de maladie
? auroit- il bonne grace auffi de s'annoncer
fon éleve ? mais dans la maladie
du Sr Beranger , mon pere le traitoit d'ami,
ce font là de petites attentions que
l'humanité prodigue en pareilles occurrences
. Rien en cela ne peut faire conclure
qu'il étoit fon éleve , la fufcription vague
des lettres qu'il produit le defavoue ; concevra-
t-on qu'il étoit chirurgien , parce
que mon pere lui en a donné le titre dans
la fufcription de fes lettres ? Cette préten
tion ne feroit point fondée.
En vain fon petit amour propre veut- il
** Lifez à M. Beranger , Chirurgien , ou éleve
en Chirurgie , ou à M. Beranger fimplement.
AOUST. 1755. 205
lui perfuader qu'on lui refufe le titre d'éleve
, » parce qu'il a travaillé lui feul auxe
maladies des yeux , parce qu'il a traité des albugo
, des ulceres à la cornée , en diffequant
fes lames, chofe qu'il ignore avoir été pratiquée
par M. Daviel. C'eft ici où il en impoſe
fans ménagement, étant perfuadé lui-même
du contraire ; il ne defavouera fans dou →
te pas d'avoir vû des yeux préparés, où mon
pere avoit féparé jufqu'à cinq lames de la
cornée : j'ajouterai auffi que depuis fix
ans que je le fuis , de deux millè opérations
pratiquées pour la cure de ces maladies
, il n'en eft pas trois cens dans lefquelles
il n'ait diffequé les lames de la cornée
pour déterger le foyer de l'ulcere , & lui
procurer une cicatrice folide. Je rougis
d'être contraint de refuter d'auffi foibles
imputations qui doivent néceffairement
retomber fur celui qui les a avancées.
Vous voyez bien, Monfieur, que ce n'eft
pas avec de pareils faits qu'il peut fe promettre
de faire tomber les armes de fes
tremblantes mains , comme il le dit avec
affez peu de ménagement ; au contraire ce
feroit un nouveau motif de les raffermir ,
s'il étoit néceffaire , ayant tant de fupériorité
fur fon prétendu concurrent. Ce trait
peu modefte demafque trop bien le fieur
Beranger , il eft même fi peu conforme à
106 MERCURE DE FRANCE.
la décence que je me fuis impofée, que je
ferai affez fatisfait de lui répondre avec
Cicéron par ces mots . * Rumoribus mecum
pugnas , ego autem à te rationes requiro .
Telles ont été mes réflexions fur la lettre
du fieur Beranger. Vous voyez , Monfieur
que , quamvis home fuerit , laudatus narra♣
tum ejus non laudatum eft . Je crois avoir
fuffifamment fatisfait à une partie de vos
queftions. Quant à celle par où je conçois
que vous doutez de l'auteur , je ne
dois pas la réfoudre : Les motifs intéreffés
qui ont pû engager une plume vénale à fe
prêter aux intentions du freur Beranger ,
ne fouffriroient pas volontiers le jour , je
fuis d'autant plus porté à garder le filence
là- deffus , que je puis fans flater beaucoup
cet oculifte , fouffrir qu'il jouiffe du plaifir
d'avoir produit un ouvrage auffi médiocre.
Si.je fçai , que de tous les fâcheux les
critiques font les plus incommodes , je ne
me fçai pas moins bon gré de l'avoir paru
dans une querelle , qui , quoique defagréable
, m'eft bien précieufe , ayant eu
pour motif le bien public & la défenſe
d'un pere : Je ne pouvois l'éviter , quelque
éloigné que je fus de la prévoir. J'ai l'hon
neur d'être , &c.. DAVIEL
A Paris , le 18 Juillet 1755 .
** Cic. liv. 3. de natura Deorum ,
AOUST. 1755. 207
ARTICLE IV .
BEAUX ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
DANSE .
Omme le Mercure eft fait pour être
Cle heraut des arts , & que notre devoir
eft furtout de marquer leurs progrès ,
à mefure qu'ils fe perfectionnent , nous
croirions y manquer , fi nous tardions plus
long tems à parler ici de la danfe. Elle eft.
actuellement la premiere colonne de l'Opéra
. L'art acceffoire y eft devenu l'art principal.
Les balets de M. Lani contribuent à
lui mériter cette gloire . Qu'on juge de leur
pouvoir par leurs effets . Ils ont réchauffé
la froideur d'Ajax , & viennent d'égayer
la trifteffe du Carnaval. Il eſt vrai que les
talens de la foeur ont bien fecondé les travaux
du frere . Mlle Lani met dans fes pas
la précifion , l'aifance , la légereté , en un
mot le fini que Mlle Fel met dans le chant ,
c'eft dire qu'elle vient de porter la haute
danfe à fon point de perfection . Mlle Camargo
avoit commencé le genre , Mlle Lani
268 MERCURE DE FRANCE:
l'acheve. Mlle Puvigné de fon côté fou
tient avec fuccès la danfe terre à terre. Elle
a heureuſement remplacé Mlle Salé. Quel
éloge ! les graces nobles & décentes la diftinguent.
La gaieté vive & brillante caractérife
Mlle Lyonnois , & l'effor
prompt &
facile d'un oifeau qui vole de branche en
branche peint l'agilité de Mlle Rey. On
peut dire pour le coup que la danſe eſt
tombée en quenouille , les femmes en font
tout l'ornement , elles tiennent le premier
rang à l'Opéra , ainfi qu'à tous les autres
fpectacles. Rien ne manqueroit au tableau
varié qu'elles offrent aujourd'hui fur la
fcene danfante , fi on y voyoit paroître
Mlle Veftris , cette aimable danfeufe de la
volupté , dont l'expreffion paffionnée porte
le feu du plaifir dans les ames les plus froides.
Il ferait à fouhaiter pour l'honneur des
hommes , & pour le bien de ce théâtre ,
que M. Veftris fon frere y rentrât au plutôt
avec elle. Son abfence y fait un vuide
que rien ne peut remplir ; & qui laiffe la
danfe imparfaite.
AOUST. 1755 209
SECOT
MUSIQUE.
ECOND livre ou recueil d'airs en duo,
choifis & ajuftés pour les flûtes , violons ,
& pardeffus de violes , dont la plupart.
peuvent fe jouer fur la vielle & la mufette,
tant naturellement , que par des clefs de
tranfpofition pofées au commencement
defdits airs , divifés en fept fuites , avec
un prélude fur chaque ton , par M. Bordet,
Maître de flûte traverfière , gravé par Labaflée.
Prix fix livres en blanc ; fe vend
Paris ,chez ledit fieur Berdet , rue du Ponceau
, près la Fontaine , la feconde porte
cochere à droite en entrant par la rue faint
Denis ; le fieur Bayard Marchand , rue S.
Honoré , à la Régle d'or , le fieur Le Clerc
Marchand , rue du Roule , à la Croix d'or ;
Mlle Caftagnery Marchande , rue des Prou
vaires , à la Mufique royale ; & à Lyon ,
chez M. Bretonne Marchand , grande rue
Merciere .
L'on trouvera aux même adreffes le premier
livre , auffi à l'ufage de la flûte , du
violon., du pardeffus de viole , & de la
mufette , avec des obfervations fur la touche
defdits inftrumens , en tête duquel eft
un précis des principes de la Mufique , ou110
MERCURE DE FRANCE.
vrage fait pour la commodité
des Maîtres
& l'utilité des Ecoliers. Ces deux livres
font encore fort utiles aux perfonnes qui
apprennent la Mufique vocale , parce que
la plus grande partie des airs qu'ils contiennent
, font des airs chantans & connus
, & qu'après avoir folfiés les premiers
deffus ils pourront auffi s'exercer fur les
feconds deffus , ce qui ne contribuera pas
peu 'à leur avancement & à les amufer.
Le premier livre ayant été fini avec
beaucoup de précipitation , il s'y étoit
gliffé quelques fautes que l'on a corrigées
avant d'en tirer de nouveaux exemplaires.
?
L'on trouvera encore aux mêmes adreffes
à Paris deux grands concerto pour la
flûte , du même Auteur , en huit parties
féparées ; fçavoir , la flute , quatre violons,
un alto viole , & deux baffes particulieres.
t
GRAVURE.
M. de Marcenay vient de faire paroî-
"
tre l'eftampe qu'il a gravée d'après le tableau
original du cabinet de M. le Marquis
de Voyer que nous avons annoncé dans
le Mercure du mois d'Avril dernier , en
parlant du début de cet Artifte. Il eft de
AOUST. 1735: 212
Rembrandt , & repréſente Tobie recou
vrant la vûe. La fcene fe paffe dans l'intérieur
d'une maiſon où le Peintre a préféré
certain defordre pittorefque à une architecture
affervie au coftume. Il paroît s'y
être furpaffé dans les effets furprenans qu'il
y a introduits ; fon grouppe principal compofé
de quatre figures, Tobie , fa femme ,
fon fils , & l'Ange qui lui avoit fervi de
guide , eſt placé dans le centre de la vifion ,
recevant immédiatement le jour de la fenêtre
, d'autant plus éclatant , qu'il a éteint
les extrêmités du tableau , 'qui d'ailleurs ne
laiffe rien à defirer fur cette partie fi difficile
à traiter , je veux dire le clair-obſcur .
La fingularité qui fouvent a déterminé
Rembrandt dans fes penfées , l'a fait écar
ter ici du texte de l'Ecriture pour transformer
le jeune tobie en oculifte , qui ,
l'aiguille à la main , leve la cataracte à fon
pere. Il est très attentifà cette opération
délicate , & le vieillard fort fenfible à la
douleur dont il eft affecté ; fa femme femble
l'exhorter à la patience , & prendre
part à fa peine par la façon affectueufe
dont elle lui ferre la main . Plufieurs figures
grouppées dans l'ombre témoignent
leur furpriſe d'une pareille cure.
Ce grand Maître a fçu tirer parti de
tous les accidens qui ont pu le favoriſer
212 MERCURE DE FRANCE.
dans la conduite d'un ouvrage auffi extra
ordinaire. Il a allumé du feu dans la cheminée
afin de détacher de ce fond enfumé
l'habillement du jeune homme d'un bleu
tirant fur le noir , dont avoit également
befoin une écharpe en or à qui l'ombre auroit
ôté l'effet fans ce ftratagême. C'eſt encore
par une fuite de ce folide raiſonnement
qu'il s'eft fervi de ce même vêtement
comme du fond le plus avantageux à la
poignée de fon fabre , qui pour être d'argent
, & frappée du jour principal , paroît
fortir fort réellement du tableau par la
violence de la pofition.
Ce détail , quoique fuccinct , pourra
néanmoins donner une idée légere des
beautés répandues dans cette production
piquante , où la touche eft auffi vraie que
fpirituelle , & le clair-obſcur porté à ˇun
dégré de fublimité , fi j'ofe le dire , par la
maniere excellente dont il y eft traité.
M. de Marcenay n'a point méconnu les
difficultés d'une pareille entreprife ; mais
les bontés du public fur fon effai l'ont excité
à les mériter de nouveau par des travaux
plus confidérables .
L'Eftampe fe vend à Paris chez l'Auteur,
rue des vieux Auguftins , près l'Egoût ...
A O UST. 1755 . 213
VERS
Pour être mis an bas de l'Eftampe de feu
M. Languet , Archevêque de Sens.
Digne de nos refpects , digne de notre amour ,
De la foi , défenſeur fidele,
Languet , du célefte féjour ,
Protege le Clergé dont tu fus le modele.
Chevalier pinxit 1752. Gaillard feulpfit 1753.
Hac Beneficiorum memor dicavit Mauroy, Canter
regalis Ecclefia de Meloduno.
Les Villageois de l'Apennin. J. Ouvrier les
a gravés d'après le tableau original d'un
pied cinq pouces de hauteur fur un pied
dix pouces de largeur , peint par M. Pierre,
& les a dédiés à M. Cochin , dont je fupprime
ici les qualités , perfuadé que fon
nom eft fon plus beau titre, L'Auteur de
cette Eftampe a l'avantage d'être fon éleve.
On y reconnoit le goût d'un fi grand
Maître. C'est l'éloge le plus flateur qu'on
en puiffe faire. On la trouve à Paris , chez
lui (J. Ouvrier , ) rue des Noyers , chez
M. Bertrand , Chirurgien .
Les Pêcheurs à la ligne. Cette Eftampe
eft gravée par J. B. Derrey , d'après le tableau
de J. Afelein du cabinet de M. Aved,
& fe vend à Paris , chez Noëlle Mire, rue
S. Jacques , au Soleil d'or , vis - à - vis le
Pleffis.
214 MERCURE DE FRANCE.
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
Suite du Mercure du mois de Juin de l'année
M.
2355.
dans un fecond Diver rend compte
mémoire , d'une antiquité découverte auprès
de l'églife de Sainte Génevieve de la
Montagne. C'eft une forte de vafe de bois,
orné de bas reliefs & figures de fculpture
de même matiere , très - délicatement travaillées.
Il a été trouvé fous des monceaux
de petites pierres , qui paroiffent être les
ruines de quelque bâtiment confidérable ..
ede
Dans la defcription qu'il fait de ce vafe ,
il fe fert d'une comparaifon un peu triviale
, que cependant nous ne pouvons nous
difpenfer de rapporter , parce qu'elle donne
une idée précife de la forme de cette
forte de vafe inconnu jufqu'ici . Il le compare
à l'égrugeoir qui nous fert à broyer
le fel en effet c'eft une forte de demi
tonneau , d'un plus grand diametre qu'aucun
de ceux qui font en ufage ; il eft terminé
en cul de lampe . Les figures qui le
décorent , & qui repréfentent des vertus
AO UST. 1755 215
"
chrétiennes , donnent lieu de croire qu'il
étoit deftiné à quelque ufage religieux.
La difficulté eft de deviner cet ufage.
Quelques auteurs qui avoient été inftruits
des premiers de cette découverte , ont
prétendu que c'étoit une chaire à prêcher.
Ils avançoient fans aucune apparence que
cette machine étoit en l'air clouée contre
un pilier , & que l'on y montoit par une
échelle ; en effet on trouve une partie de
la rondeur interrompue , qu'ils prétendent
être l'ouverture par laquelle le Prédicateur
entroit. Ils ont été jufqu'à croire que
quelques reftes fculptés en bois , auffi de
:forme ronde & convexe qu'on a trouvés au
même lieu , étoient une forte de couver-
-cle qu'on mettoit deffus , qui fermoit ce
vafe , lorfque le Prédicateur n'y étoit pas ,
& qui pouvoit s'élever par des machines
pour claiffer deffous l'efpace néceffaire à
Ï'Orateur ; alors , difent- ils , il fervoit comme
d'un rabat-voix pour empêcher qu'elle
ne fe perdit dans l'immenfité de l'églife .
Ils avancent encore pour comble d'abfurdité
, qu'une groffe ftatue de bois dont
son a trouvé quelques fragmens dans ce
même lieu , & qui n'a nulle proportion
avec les figures qui entourent le vafe ,
étoit placée fur ce couvercle, & lui fervoir
comme de bouton.
116 MERCURE DE FRANCE.
M. Diver refute toutes ces extravagan
tes idées , & ne laiffe aucun lieu à la replique
, nous donnerons ici en entier fes
preuves , parce que c'eft un objet de curiofité
très - important. » Remarquez que
» quand on fuppoferoit qu'on ne dût faire
remonter l'antiquité de ce vafe qu'au
» dix-feptiéme fiécle. ( il prouve plus bas
qu'il doit être beaucoup plus ancien , ) il eſt
toujours vrai que les François de ces tems
» là pouvoient voir encore affez de reftes
de l'ancienne Rome , & particulierement
de la fameufe tribune aux harangues
pour n'avoir pu adopter une forme auffi
ridicule pour y placer l'Orateur chrétien :
de plus , comment fe figurer que cette
lourde machine ait été implement attachée
à un pilier, & du refte toute en l'air,
» de maniere à donner à l'Auditeur l'inquiétude
de voir tomber la chaire & le
»Prédicateur.
»
» La fuppofition qu'on y foit monté par
une échelle , eft tout-à- fait indécente ,
ils devroient du moins fuppofer qu'il y
» avoit un eſcalier tournoyant autour du
» pilier ; il eft vrai qu'un efcalier de cette
forme paroît affez ridicule à imaginer
dans une églife où tout doit être de for
mes fimples & grandes.
» De quelle utilité feroit un couvercle
qui
AOUS T. 1755. 217
i
qui dans cette fuppofition ne couvriroit
le vafe que lorfqu'il n'y a rien dedans.
- De plus il eft impoffible qu'on fe foit jamais
figuré que ce couvercle pût empê-
>>> cher la voix de fe perdre ou la réfléchir.
Le cône de voix qui fort de la bouche
du Prédicateur ne pourroit jamais frapper
ce couvercle , qui n'avanceroit au-
» deffus de lui que d'un pied au plus , fi ce
» n'eft lorfqu'il leveroit la tête d'une maniere
forcée , & dans les apoftrophes &
» exclamations vers le ciel , qui font fort
rares dans un difcours. Si l'on prétend
qu'il arrête les ondulations de la voix
» & augmente leur force du côté où il eft
befoin d'être entendu , je réponds qu'une
furface de fix ou fept pieds au plus , eft
de nulle valeur par rapport à l'efpace
vuide , & fans obftacle prochain pour
» réfléchir la voix , qui refte dans l'églife ,
» devant , au - deffus & aux côtés du Prédicateur.
Il est évident qu'on n'a point
pu lui attribuer cette utilité . La fuppofi-
» tion même qu'on fait que ce vaſe ait été
» attaché à un pilier qui ne préfentoit
derriere le Prédicateur qu'une furface
» étroite , feroit contradictoire à ce qu'on
fuppofe , & prouveroit qu'on ne cherchoit
pas même alors le moyen le plus
fimple pour arrêter les ondulations fu
39
K
218 MERCURE DE FRANCE.
"
"
» perflues de la voix , qui eft de préſenter
derriere le Prédicateur la plus grande
» furface poffible , fans gâter la décoration
de l'églife. Les habiles Architectes
» à qui l'on a montré les deffeins faits fur
» cette fuppofition , où l'on a cru fuppléer
» aux parties qu'on n'a pu retrouver , ont
» déclaré qu'il étoit impoffible que dans
» les fiécles où le bon goût a été connu ,
» on ait fuivi une conftruction auffi bizar-
» re pour une tribune aux harangues . Ils
» remarquent que tout architecte , dès
qu'il y en a eus de dignes de porter ce
» nom , a infailliblement penſé aux principales
deſtinations pour lefquelles on
» conftruit des églifes. La premiere eft ,
"poury offrir le faint facrifice de la meffe,
» ainfi il a fallu compofer d'abord un au-
»tel , & le placer dans le lieu , le plus ap-
» parent. La feconde eft , pour y prêcher
» la parole de Dieu , ainſi la tribune con-
» facrée à cette fonction doit être très- ap-
»parente & très - confidérable , compofée
» avec l'églife , conftruite folidement, ainfi
que le refte , & non pas une machine de
» bois , poftiche , & qui auroit l'air d'y
» avoir été ajoutée après coup ; cet objet
« a toujours dû être lié avec la décoration
générale , de maniere à en augmenter
» la majesté.
"
»
"
A O UST. 1755. 219
D'ailleurs , l'efpace eft confidérable-
» ment trop borné pour laiffer la liberté
que demandent les grands mouvemens
de Part oratoire. Un homme ne pourroit
fe remuer là- dedans, qu'il ne parût à tout
inftant prêt à fe jetter dehors ; encore
moins pourroit-on fuppofer qu'il ait pû
contenir deux interlocuteurs , ce qui eft
pourtant néceffaire dans les conférences.
ils affurent donc que les chaires ont toujours
été ce qu'elles font à préfent , c'eſt-
» à-dire une grande tribune placée au mi-
» lieu de la plus grande arcade de l'égliſe ,
" ornée d'une balustrade , terminée de part
» & d'autre par deux efcaliers ; le fond en
doit préfenter une belle décoration d'ar-
» chitecture , & le couronnement , noble-
» ment élevé à une belle hauteur au - deſſus
» des Orateurs chrétiens , les couvre com-
» me d'un dais , mais peu faillant , & non
» point pour réfléchir leur voix , ce qui
»feroit une idée tout -à-fait dépourvûe de
» raiſon , puiſqu'ils ne fe tournent pas en
» parlant vers la partie de l'églife qui eſt
» directement au - deffus de leur tête. »
Pour abréger , M. Diver prouve que c'étoit
un baptiftère , il en fait remonter l'antiquité
jufqu'au tems où le baptême par immerfion
étoit encore en ufage. Quand on
lui conteſteroit cette date par la difficulté
Kij
220 MERCURE DE FRANCE .
qu'il y a qu'un ouvrage en bois fe foit
confervé entier pendant tant de fiécles, en
lui fuppofant une date plus récente , ik
s'enfuivroit que la forme qui y avoit été
donnée pour leur deftination primitive ,
s'eft confervée long-tems après que cer
uſage a été changé. Ce qu'il y a de certain
, c'eft que cette fuppofition répond
pleinement à tout , & que M. Diver l'apé
puie d'argumens irréffiftibles.
2
A O UST. 1755: 221
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
E 28
Ldonnerent la feconde repréſentation
de Zélide qui fut précédée de Mithridate.
Le fieur de Raucourt y débuta par le rôle
de Mithridate. Il a joué fucceffivement
Agamemnon , dans Iphigénie , & Burrhus
dans Britannicus. Le parterre l'a reçu avec
beaucoup de bonté. Cet acteur mérite
d'autant plus d'indulgence , qu'il n'a jamais
paru fur aucun théâtre.
les Comédiens françois
On a continué Zelide jufqu'au 16 Juil
let qu'on l'a jouée pour la neuvieme fois.
L'auteur l'a retirée pour la redonner l'hiver
prochain. Je ne doute pas qu'on ne la
revoye avec le même plaifir. Mlle Gauffin
y eft charmante. Elle y paroît telle qu'on
la voit dans l'Oracle & dans Zéneïde, c'eftà-
dire , avec ces graces ingénues qu'on
tâche de copier & que perfonne n'imite.
Quoique le théâtre françois ne foit pas
celui de la danſe , ce talent peut quelque-
K iij
222 MERCURE DE FRANCE.
fois y paroître dans fon aurore. Le fieur
Dauberval en eft un exemple. Ce jeune
danfeur s'y eft annoncé d'une façon diftinguée
, furtout dans les caracteres de la
danfe , il les a exécutés avec tant de grace ,
de nobleffe & de variété , qu'il s'eft montré
un digne éleve du fieur Veftris , & qu'il
a mérité l'approbation du plus grand maître
de l'art (a ) .
Le 14 , une actrice nouvelle joua pour
la premiere fois le rôle d'Azitre . Sa figure
prévient en fa faveur. Elle eft bien au theâtre
, & nous paroît mériter l'encouragement
du public. Le Samedi 19 , elle a re
préfenté Pauline dans Poliente. Comme
elle étoit plus raffurée , fon jeu a été plus
animé , il y a plufieurs dérails qu'elle a
très-bien rendus. On l'a furtout applaudie
avec juftice au quatrieme acte , dans la
fcene , où elle demande à Severe la grace
de fon mari. Elle a mis dans fa priere toute
la décence & en même tems toute la
force qu'éxige la fituation.
(a) M. Dupré.
A O UST. 1755- 223
COMEDIE ITALIENNE.
E3 Juillet, les Comédiens Italiens ont
donné la premiere repréſentation du
Prix de la beauté , ou du Jugement de Paris,
Comédie-Ballet , en un acte , en vers . Le
public l'a reçue favorablement. M. Mailhol
en eft l'auteur. Elle eſt accompagnée de la
Soirée villageoife , divertiffement de la compofition
de M. Deheffe. Tout le ballet eft
amufant & bien deffiné , mais il y a furtout
un pas de trois extrêmement piquant,
& parfaitement exécuté par Mlle Catinon
en berger , par Mlle Camille en payſanne ,
par le fieur Billioni en payfan . Ce dernier
qui furprend la payfanne qu'il aime
danfant avec le berger , fait éclater fa jaloufie
, ce qui occafionne entr'eux une difpute
qui finit par un raccommodement dont le
payfan eft la dupe .
&
Je faifis cette occafion pour parler d'un
très-joli divertiſſement intitulé le Bouquet
que Mlle Catinon , Mlle Louiſon ſa foeur ,
& le jeune Vifentini ont donné à M. Deheffe
chez lui à Fontarabie (a), la veille de
la S. Jean. On peut dire que la reconnoiffan-
(a) Fontarabie eft à l'extrêmité du Fauxbourg
Antoine.
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
ce a imaginé cette fête , & que le zele l'a
exécutée . Elle eft compofée de trois fcenes
qui amenent le ballet . Vifentini paroit feul
dans la premiere avec une corbeille de fleurs,
faifant un bouquet. Catinon furvient
& veut lui ravirla corbeille , mais quand
elle apprend que les fleurs font deftinées à
former un bouquet pour M. Deheffe , elle
compofe avec Vifentini & lui propofe de
faire ce bouquet enfemble , il y confent ;
à peine l'ont- ils fini que Louifon qui les
épie , s'en faifit fur le tabouret où ils l'ont
laiffé ; nouveau fujet de difpute . Louifon
ne veut pas céder , & leur dit que puifqu'ils
font obligés tous trois à la même reconnoiffance
, le bouquet doit être commun
entr'eux. Dans cet embarras , ils tirent au
doigt mouillé. Le fort favorife Catinon
qui récite la fable fuivante avant que de
préfenter le bouquet.
A peine éclofe , une jeune Fauvette
D'une aîle foible effayoit le reffort ....
Pour raifonner jeuneffe n'eft pas faite.
Quand elle réuffit c'eft l'ouvrage du fort.
Notre Fauvette donc , pour éprouver les forces
S'éleve , prend fon vol , & s'admire dans l'air ,
Premiers fuccès font des amorces.
Bientôt elle s'élance , & part comme un éclair.
Un homme près de là logéoit ... homme admirable
A O UST. 1755. 225
Qui poffédoit tous les talens ,
Sçavoit les enfeigner d'une maniere aimable ;
Et répandre fur eux des regards bienfaifans.
Dans fa chambre par la fenêtre
La Fauvette entre & fe pofe fur lui ;
31 la prend , il la flatte , enfin lui fait connoître.
Qu'elle n'a rien à craindre , & qu'il eſt ſon appui.
Depuis ce moment là , fes foins , fa patience
Ont pris plaifir à la former.
A fa table avec complaifance
Il la place , il la fifle .... Ah ! qu'on fe fait aimer ,
Quand aux bienfaits on joint la douceur , la conftance
,
Auffi l'oiſeau plein de reconnoiffance
Ah ! cher coufin , eft-il befoin qu'ici
Je pouffe plus avant cette fable imparfaite ?
Tout Paris connoît l'homme à qui j'écris ceci ,
Et l'on fçait bien que je fuis la Fauvette . (a )
Catinon préfente le bouquet . On danfe . Enfuite
on chante plufieurs couplets , dont je ne
mets que les deuxfuivans par le peu de place.
qui me refte.
(a) Cette fable , toute ingénieufe qu'elle eft ,
perd la moitié de fa grace fur le papier. L'aimable
Catinon en la récitant devant fon coufin y mettoit
un fentiment fi naïf & fi vrai , elle étoit fi touchée,
qu'elle arrachoit des larmes de tous les fpectateurs,
& j'avouerai que j'étois du nombre.
KX
226 MERCURE DE FRANCE.
Air. De la ronde de la fête d'amour
Sans le plaifir d'aimer , &c.
Catinon.
C'eft lui qui m'a fait avancer
Dans l'art de bien danfer.
Auffi c'eft à me furpaffer
Qu'en ce jour je m'apprête
Sans le plaifir d'danſer
Eft-il de bonne fête.
Vifentini
'Ah ! mon oncle , c'eft bien penſer ,
Quel plaifir d'danfer.
De tous nos coeurs fans balancer ,
Vous faites la conquête.
Ah ! quel plaifir d'danfer ,
Quand c'est pour votre fête.
On finit par la contredanfe.
11 eft doux d'être ainfi célébré de
par
jeunes talens , dont on eft le protecteur , &
qu'on a adoptés pour fa famille. Peut - on
être mieux payé de fes bienfaits ? La fête
dont le coeur fait les frais & les honneurs
efttoujours la plus intéreffante . Voilà pour -
quoi je m'empreffe de la publier pour le
bon exemple..
A OUST. 1755. 227
LE NOUVEAU DOCTEUR , Continue fon début
dans différentes pieces italiennes. Les
connoiffeurs le voient toujours avec la
même fatisfaction. C'eft dommage qu'un
docteur italien foit un perfonnage peu inté
reffant pour un public françois.
Voici l'extrait du Maître de mufique que
nous avions promis.
EXTRAIT du Maître de muſique.
Les trois principaux acteurs de cette
piece , font Lambert , maître de Mufique ,
joué par M. Rochard , Laurette fon écoliere
, repréſentée par Madame Favart , &
Tracolin entrepreneur d'Opéra , joué par
M. Chanville.
Lambert ouvre le premier acte avec Lau-
Kette & débute en grondant , par cet air.
Ah ! quel martire !
Sans ceffe inftruire
Cent fois redire
Sans rien produire ,
C'est toujours pire.
Eh , laiffe- moi ,
Va , tais-toi.
Laurette fe fâche à fon tour , & for
maître lui dit :
Mademoiſelle joue au mieux l'impertinente ,,
Et pour faire dans peu l'actrice d'importance.
Kvj
228. MERCURE DE FRANCE
Il ne lui manque plus , ma foi , que du talent ,
Encor fouvent on s'en diſpenſe ,
En mettant à la place un ton bien infolent,
Elle lui répond :
En ce cas là , Monfieur , je fuis en bonne école
Je puis très-bien l'apprendre ici de vous.
Lambert fe met ici au clavecin. Laurette
crie exprès méchamment au lieu de chanter
, il l'interrompt en difant :
Chanteur qui pour mieux nous féduire
Voulez être à la fois agréable & touchant ,
Que l'haleine du doux zéphire ,
Qui , de fa Flore , à l'oreille foupire ,
Soit l'image de votre chant.
Eh ! crois-moi , renvoyons aux halles
Tous ces chantres bruyans , qui fçavent feulement
De leurs grands cris remplir nos fálles.
Excellente leçon pour tous nos théâtres !
Laurette chante de nouveau & chante bien,
Lambert témoigne qu'il eft content , & lui
promet , fi elle continue de la rendre dans
peu une actrice parfaite . On annonce Tracolin
comme un perfonnage ridicule . Ik
entre , & après avoir embraffé Lambert , il
regarde Laurette , & s'informe quel eft ce
AOUST. 1755 229
tharmant objet. Lambert lui répond que
c'eft un fujet qu'il éleve pour le théâtre.
Tracolin fe récrie : quelle mine ! quel jeu !
quelle voix ! Lambert lui demande s'il l'a
entendue. Non , réplique- t- il.
Nous autres gens de l'art ,
Nous n'avons pour cela befoin que d'un regard ,
Et nous jugeons d'une voix par la vue.
D'ailleurs , ajoûte- t- il ,
Avec un tel minois ,
A-t-on jamais manqué de voix.
Il fe répanden fleurettes , qui donnent d'autant
plus de jaloufie à Lambert , que Lauret
te y répond par cet Air toujours applaudi
Suis-je bien pour une actrice a
Vrai , fuis-je bien a
Dites- moi fans artifice ,
Croyez-vous qu'on applaudiffe
Ce maintien ?
Suis-je bien
Je n'ofe me flatter de rien.
Croyez-vous qu'on applaudiffe ,
Qu'en public je réuſſiſſe ?
Mais hélas !
N'ai-je pas
L'air trop novice , eha
Pour une actrice , eh ?
Pour la couliffe , eh ?
Je n'ofe me flatter de rien..
130 MERCURE DE FRANCE:
Tracolin paroît fi tranfporté d'entendre
Laurette , qu'il l'embraffe , & la demande à
fon maître qui la lui refufe . On vient chercher
Lambert de la part d'une Ducheffe . Il
eft obligé de fortir malgré lui , & de laiffer
Tracolin feul avec fon écoliere. Tratolin
fait fa tendre déclaration Laurette
joue l'Agnès en difant ,
Air. La pudeur qui me guide ,
Me rend timide.
Je n'ofe lever les yeux ,
Si quelque curieux
Auprès de moi fe place ,
Et me regarde en face ,
Je fuis route honteuse de cela.
Ma langue s'embarraffe ,
En lui difant , de grace ,
Souffrez , Monfieur , que je paffe ,
Je ne puis refter là
Où me voilà.
La pudeur , & c.
Si quelque téméraire
Pourfuit trop loin l'affaire ,
Moi , qui fuis bonne , & ne me fiche guere ,
J'excite ma colere
Et lui dis d'un ton fevere ,
Mais finirez-vous donc , Monfieur;
Sçachez qu'on eft file d'honneur ,
Scachez qu'on a de la pudeux.
A O UST. 1755. 237
Tracolin lui offre fa fortune avec fa
main , & fe jette à fes
genoux , Lambert
revient & le furprend avec Laurette . Il fait
éclater fa jaloufie , & commence le beau
trio qui finit le premier acte. Ce morceau
eft fr triomphant , & les paroles font fi
bien coupées , que nous croyons obliger
le lecteur de les inférer ici dans leur entier.
Il eft bon d'ailleurs de les donner pour
modele.
TRIO EN DIALOGUE
Lambert.
Le feu me monte au vifage
Voilà donc tout l'avantage
D'avoir formé fon bas âge,
Pour le prix de tant de foins ,
Cette volage
Avec un autre s'engage.
Quel outrage !
Y
Et mes yeux en font témoins.
Je bravois déja l'orage ,
Quand le vent qui devient fort ,
Et qui fait rage ,
Me repouffe du rivage.
Quel dommage !
J'allois entrer dans le port.
Laurette..
Je guettois dans un bocage
232 MERCURE DE FRANCE.
Un oifeau d'un beau plumage.
Un chaffeur fonnant du cor ,
Faifant tapage ,
L'effarouche & lui fait prendre l'effor.
Quel trifte fort !
Ensemble.
Soins perdus ! inutile effort !
Lambert.
J'avois formé fon bas âge.
Tracolin
J'avois fait un bon voyage ,
Laurette.
Je le guettois au paffage.
Ensemble.
Laurette.
Un chaffeur fonnant du cor }
Faifant
tapage ,
Lui fait prendre
fon effor.
Traçolin.
Je touchois prefqu'an rivage
Quel dommage !
J'allois entrer dans le port
Lambert.
En voilà tout l'avantage.
Quel outrage !
Méritois-je un pareil forts
A. OU S T. 1755
233 ་
Seul. Un autre aujourd'hui l'engage ,
La volage.
Tracolin.
Je touchois prefqu'au rivage,
Queldommage !
Laurette.
Moi, j'allois le mettre en cage.
Tracolin .
Quel dommage !
Lambert.
La volage !
Ensemble:
Laurette.
Un chaffeur fonnant du cor;
Faifant tapage ,
Lui fait prendre fon effor,
Tracolin.
Quel dommage !
J'allois entrer dans le port.
Lambert.
Quel outrage !
Meritois-je un pareil fort
Tracolin.
J'allois entrer dans le port.
Laurette.
Moi , j'allois le mettre en cage
bisfeula
254 MERCURE DE FRANCE
Il prend l'effor.
Quel trifte fort !
Ce premier acte eft très- brillant & rempli
d'airs agréables.
Lambert , qui revient avec Laurette ,
commence le fecond acte par cet Air qui
exprime fi bien fon dépit jaloux.
Non , je fuis trop en colere ,
Me diras-tu le contraire ?
Quand moi-même j'ai vu le téméraire ,
Qui te faifoit les yeux doux !
Pourquoi faire
Etoit-il à tes genoux
Vaine rufe !
Mauvaiſe excufe !
Me crois-tu donc affez bufe
Pour m'en laiffer amufer ?
Mais voilà comme on s'abuſe ,
Quand on penfe m'abuſer.
Laurette perfifte à fe juftifier & l'amene
par degrés au point de l'obliger à demander
grace lui - même. Cette fcene eft parfaitement
bien traitée & filée avec beau
d'art. Lambert.eft furpris à fon tour
par Tracolin aux genoux de Laurette , qui
dit à ce dernier qu'il furvient à propos , &
qu'elle avoit befoin de fa préfence pour
faire connoître fes fentimens. Tracolin fe
coup
AOUST . 1755: 235
Aatte alors de fe voir choifi . Lambert tremble
au contraire de ne l'être point . Laurette
les défabuſe tous deux , en donnant
la main à fon maître. Tracolin fe retire
confus , & Lambert ravi , chante avec Laurette
un Duo qui termine la piece . Elle eſt
imprimée , & fe vend chez la veuve Delormel
, rue du Foin , & chez Prault , fils ,
quai de Conti ; le prix eft de
24fols.
OPERA COMIQUE.
L'Opéra comique ouvrit fon théâtre le
famedi 28 Juin , & donna le Lundi 30 , la
repréſentation de la Maifon à deux portes ,
piece en un acte , qui fut précédée de la
Rofe , & fuivie de Cithere affiegee . Le 14
Juillet , la Bohemienne , parodie de la Zingara,
intermede italien , a été jouée pour la
premiere fois avec le Cocq de village , & le
Ballet Chinois.
Les Comédiens Italiens doivent donner
inceffamment la parodie ou plutôt la traduction
du même intermede. Nous parlerons
de l'une & de l'autre dans le Mercure
du mois prochain . Nous dirons feulement
dans celui - ci que Mlle Rofaline
remplit très-bien le rôle de la Bohémienne.
Nous ajouterons que le ballet chimois
a toujours le mérité de la nouveauté ,
2.36 MERCURE DE FRANCE .
& qu'on le voit avec le même intérêt.
M. Ñover y a fait des changemens , qui
l'ont , pour ainfi dire , rajeuni .
On doit remettre bientôt la Fontaine de
Jouvence , en attendant un troiſieme ballet
nouveau du même compofiteur.
La danfe eft aujourd'hui la premiere
reffource de tous les fpectacles de Paris.
Le théâtre françois doit feul en être excepté
, c'eft un acceffoire , dont il pourroit
très-bien fe paffer. Nous croyons qu'il y
gagneroit , même en ne prenant que le
prix fimple.
A O UST.
1755. 237
ARTICLE SIXIEME.
NOUVELLES ÉTRANGERES,
ALDU. LEVANT.
DE CONSTANTINOPLE , le 3 Juin.
A
LI Pacha Ekim Oglou ayant été appellé le
20 Mai au Serail , le Grand Seigneur lui
redemanda les fceaux de l'Empire , & lui ordonna
de fe retirer dans l'ille de Chypre. Sa Hauteffe
a déclaré Grand Vifir Saïd Mehemet Pacha
Tefterdar. Le Kiaia du Miniftre difgracié a été
dépofé & relegué en Morée. Il a Jegben Effendi
pour fucceffeur. La charge de Nitfcanchi Pacha
vient d'être donnée au Selictar Aga. Le 12 , le
feu prit à Ejus , fitué à quelques lieues de cette
Capitale. Deux mofquées , & plus de trois cens
maiſons ont été confumées par les flammes.
Le 19 , le feu prit fur les dix heures du foir
au quartier des Juifs dans le fauxbourg de Ga
data . Près de quatre cens maiſons ont été réduites
en cendres.
Le Chevalier de Vergennes , Envoyé extraor
dinaire de Sa Majefté très-chrétienne , arriva ici
de 21. Il eut le 18 fa premiere audience du Grand
Vifir , & ce matin il doit être admis à celle de
Sa Hauteffe. Le Grand Vifir a reçu les compli
mens de tous les Miniftres étrangers fur fa nou
238 MERCURE DE FRANCE.
velle dignité. Quoiqu'il foit dans un âge avan
cé , il n'en montre pas moins d'activité dans
l'expédition des affaires . Sa charge de Tefterdar a
été donnée à Azem Oglou. Ali Pacha Ekim , le
jour qu'il fut dépofé , fur conduit à la Tour de
Leandre fur le Boſphore , d'où il partit le lendemain
pour l'ifle de Chypre , lieu de fon exil
DU NORD.
DE PETERSBOURG , le 16. Juin.
On équippe à Cronstadt quatre frégates , ſur
lefquelles on fera embarquer un certain nombre
de cadets de marine , pour les exercer dans l'art
de la navigation. Il eſt décidé que le commeree
demeurera libre entre Conftantinople & Temernikow
, jufqu'à ce qu'il fe forme une compagnie
marchande dans ce dernier port.
Sa Majesté Impériale a gratifié d'une penfion de
cinquante mille roubles le Comte Raloumowski
, Hetman de l'Ukraine , pour l'indemnifer de
la perte de divers droits dont il jouiffoit , & qu'on
a fupprimés.
On n'a reçu que le 4 de ce mois les lettres qu'on
devoit recevoir de Stockholm le 29 du mois dere
nier. La plupart étoient ouvertes. Il en manquoit
quelques-unes de celles qu'on attendoit. Le Maî
tre de la derniere pofte de Suede a mandé , que la
valife avoit été trouvée fur le grand chemin dans
l'état qu'il l'envoyoit , & que l'on ignoroit ce que
le courier étoit devenu .
Selon les nouvelles d'Efthonie , la ville de
Dorpt a été prefque totalement détruite par un
incendie. On doit au Régiment de Peterſbourg la
-conſervation du petit nombre de maiſons qui ont
A O UST. 1755. 239
été préfervées de l'embrafement . Quatre foldats
de ce Régiment ont eu le malheur de périr dans
les flammes , & plus de cinquante ont été bleffés.
#
Sa Majefté Impériale tint le 12 de ce mois un
Confeil d'Etat , à l'occafion de quelques dépêches
de M. Obreskoy , fon Réfident à Conftantinople.
On vient de recevoir la trifte nouvelle d'un incendie
, qui a réduit deux mille cinq cens mai
fons en cendres dans la ville de Moscou.
DE WARSOVIE , le 16 Juin.
au
Le Miniftre du Grand Seigneur , en revenant
de Frauftadt , a repaffé à Radom , & il y a été
reçu avec beaucoup de magnificence par le Comte
Malachowski , Maréchal du tribunal des revenus
de la Couronne. Le Gouvernement a affigné
feize mille écus pour les frais du voyage du Comte
de Mnifzeck , qui doit aller complimenter ,
nom du Roi & de la République , le Grand Sei-
•gneur fur fon avenement au trône . Un tiers de
cette fomme fera payé par le Grand Duché de
Lithuanie. Le Roi a envoyé au Miniftre de Sa
Hauteffe un ſervice de porcelaine , de la plus grande
beauté. Les Cofaques Haydamakis ont recom
mencé depuis peu leurs courfes. Une troupe de
ces brigands ayant pénétré dans la Staroftie de
-Byalacerkiew , a pillé le village de Jenifzewska ,
& maffacré le Prêtre qui deffervoit l'égliſe grecque.
DE STOCKHOLM , le 18 Juin.
Des lettres écrites d'Alger , le z du mois dera
nier , donnent lieu d'efperer que la paix continue
ra de fubfifter entre la Suede & les Algériens.
240 MERCURE DE FRANCE .
Les , le Comte de Solms , nouvel Envoyé ex
traordinaire du Roi de Pruffe , arriva de Berlin , &
le 10 il eut fes premieres audiences du Roi & de
la Reine.
Il paroît une Ordonnance , portant que con
formément à ce qui a été réglé dans la derniere
Diéte , aucun repréfentant d'une famille noble
n'aura féance aux Etats , s'il ne produit des pouvoirs
fignés par la famille qu'il fera chargé de
repréfenter .
M. Aurivillius , Médecin à Upfal , y a eſſayé
Pinoculation de la petite vérole fur un petit garçon
de huit ans. Cette expérience a eu tout le fuc
cès qu'on pouvoit defirer . M. Leche , Profeffeur
à Abo , vient de faire la même épreuve fur fa propre
fille , & il a également réuſſi .
DE COPPENHAGUE, le 21 Juin.
Sa Majefté a nommé Chevalier de l'Ordre de
Elephant le Comte de Frifenbourg , Lieutenantgénéral
, & Confeiller privé.
Un navire Hollandois a conduit ici un rhinoceros
, âgé de treize ans . Cet animal chaque jour
mange trente livres de pain , & quatre- vingt li◄
vres de foin. Il pefe foixante quintaux.
1
Le Roi pofa le 12 de ce mois la premierepierre
de l'Eglife Allemande , que l'on conſtruit à Chriftianshaven.
Les troupes qui étoient campées , fe féparerent
le 16. Dès le 14 , elles avoient ceffé de mancuvrer.
Ce dernier jour a été marqué par un fâcheux
accident. Dans le tems qu'un Canonier ouvroit
une caiffe remplie de cartouches , & pofée ſur un
chariot , un étincelle d'une méche fut portée de
ce côté par le vent , & mit le feu à la poudre,
A O UST. 1755 241
Le chariot ayant fauté en l'air , les éclats tucrent
trois hommes , & en blefferent plufieurs autres.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 28 Juin.
Le vol du Heron a été à Laxembourg un des
principaux amufemens de l'Empereur & de l'Impératrice
Reine. Il y a environ quinze jours qu'on
a pris un de ces oifeaux qui avoit à une de fes
pattes un anneau avec les armes de Portugal.
Le 10 , le Comte de Flemming , Ministre de Sa
Majefté Polonoife partit pour Dreſde . Il doit
aller à Hanovre exécuter une commiſſion du Roi
fon maître.
L'Impératrice Reine a chargé des Commiffaires
, d'examiner les dégats caufés à Lintz par le
dernier incendie .
Le départ de l'Envoyé du Grand Seigneur eft
fixé à la fin du mois d'Août . Ce Miniftre a fait
partir le 22 un Courier pour Conftantinople.
Le Général Harfch vient d'arriver de Gorz. Il
fera inceffamment fon rapport à l'Impératrice ,
au fujet de ce qui a été réglé avec les Commiffaires
de la République de Venife pour les limites
des Etats des deux Puiffances.
L'Impératrice Reine a fait préfent à l'Empereur
de la terre de Schloffoff , qu'elle a achetée
du Prince de Saxe -Hildbursghaufen , & qui appartenoit
autrefois au Prince Eugene de Savoye,
DE BERLIN , les Juillet.
Le 27 Juin , le Roi revint du Duché de Cleves.
Sa Majefté , en conférant au Prince Ferdinand de
L
242 MERCURE DE FRANCE.
Brunfwic le Gouvernement de Magdebourg , a
nommé le Lieutenant- général Comte de Borcke ,
pour y commander en l'abfence de ce Prince.
Sa Majesté vient d'établir à Stettin une Cham
bre de Commerce , compofée d'un Préfident & de
fix Affeffeurs , qui ont été choifis parmi les plus
habiles Négocians.
Le Baron de Pollnitz , Gentilhomme de la
Chambre du Prince héréditaire de Heffe- Darmſtad
, arriva içi avant - hier pour informer la Cour ,
que la Princeffe , épouse de ce Prince , étoit accouchée
la veille d'une Princeffe à Prentzlau . IĮ
eft allé porter la même nouvelle à la Cour de
Heffe Darmstadt.
Il y eut ici le 21 un orage , qui a cauſé beaucoup
de dégât. On a reçu avis que des incendiaires
avoient mis le feu à la petite ville de Friedland
, près de Neiff, & que vingt maiſons avoient
été brûlées.
Le Roi a donné au Comte de Schmettau , Lieutenant
général , le commandement des ville &
citadelle de Paitz , qu'avoit le Prince Ferdinand
de Brunſwic. Les troupes qui avoient formé un
camp dans la Pruffe , font retournées dans leurs
quartiers. En conféquence des ordres de Sa Majefté
, on a arrêté quelques- unes des perfonnes
employées à l'hôtel des monnoies de Cleves.
L'Académie royale des Sciences & Belles- Lettres
élut avant - hier pour affociés étrangers M. de
Montucla , de l'Académie de Lyon , & M. Runcalli
, Préfident du Collège de Médecine à Bref
cia.
DE HANOV RE , le 27 Juin.
La Princeffe , épouse du Prince héréditaire de
Heffe- Caffel , & les trois Princes leurs fils , acrię
AOUST. 1755. 243
werent le 21 de ce mois à Herrenhauſen. On y
célébra le lendemain avec éclat l'anniverfaire de
l'avènement du Roi au trône de la Grande Bretagne.
Le 23 , Sa Majeſté donna un magnifique bal
aux jeunes Princes de Heſſe .
1
ESPAGNE.
DE LISBONNE , le 10 Juin.
Cette Cour fe propofe de faire peupler par des
Portugais les pays fitués le long de la riviere de
Sena, autrement appellée la Riviere d'or. En conféquence
, elle a fait publier qu'elle accorderoit
plufieurs avantages aux familles qui voudroient
s'y établir. On y enverra tous les jeunes gens débauchés
de l'un & l'autre fexe , & les gens mariés
qui auront une mauvaiſe conduite. Plusieurs de
ces différentes fortes de perfonnes ont été déja
arrêtées, & l'on doit les embarquer fur le vaiffeau
le Glorieux , appartenant à la nouvelle Compagnie
de Commerce. Il les conduira jufqu'à Mofambique
, dont le Gouverneur eft chargé de leur
affigner des terres , & de leur fournir les maté
riaux néceffaires pour conftruire des habitations.
: Deux vaiffeaux de guerre qui ont eſcorté la
flotte deſtinée pour Maranham , revinrent le premier
de ce mois à Cafcaës. Ils n'ont rencontré
aucun Corfaire . Un autre vaiffeau du Roi fit voile.
hier d'ici pour Saint Ubés , d'où il doit conduire
à Caſcaës plufieurs navires Hollandois. Ces navires
, & ceux de la même nation qui font actuel
lement dans ce dernier port , feront enfuite convoyés
par ce vaiffeau & par deux autres , juſqu'à
la hauteur du Cap de Finifterre . On équippe le
nouveau vaiſſeau de Pinvention du Président de
la marine.
Lij
244 MERCURE DE FRANCE.
Avant-hier , le Comte de Bafchi , Ambaffadeurde
France , fe rendit avec tout fon cortège à Maravilla
, maifon de plaifance des Patriarches de
Liſbonne. Il y eft traité aux dépens du Roi. Demain
, ce Miniftre fera fon entrée publique en
cette ville. Après qu'il fera de retour en fon hôtel
, le Marquis de Valenza ira le prendre dans
les caroffes du Roi , pour le conduire à l'audience
de Sa Majeſté, I
4
DE MADRID , le premier Juillet.
Les vaiffeaux de guerre l'Europe & la Caftille ;
le vaiffeau de regiftre le Dragon , & le paquebot.
le Jupiter , font arrivés le 12 Juin à Cadix. Ces
bâtimens font partis le 6 Avril de la Havane avec
les vaiſſeaux le Mercure , le Mars , l'Avis & le S.
Jacques , dont ils ont été féparés par un coup de
vent , en débouchant du canal . Don Manuel Diegue
Efcobedo , Intendant de la marine à Saint- Sebaftien
, a donné avis à Sa Majefté , que le 9 le .
vaiffeau le Saint Ignace , de la Compagnie des
Caraques , étoit entré dans le port du Paffage.
Le Roi a appris auffi par des lettres du Comte des
Perelada , fon Ambaffadeur en Portugal , l'arrivée:
de la frégate le Saint- Sebastien à Liſbonne . La
charge de ces deux derniers bâtimens, conſiſte en
lingots d'argent , eii cuirs , en tabac , en cacao ,
& en divers autres marchandiſes.
On célébra le 18 dans la Chapelle du Palais le
ſervice annuel pour le repos de l'ame de la Reine.
Louife- Elifabeth d'Orléans , épouse du feu Roi
Louis I. L'Archevêque de Pharfale officia pontificalement
à la Meffe , qui fut chantée par la Mu
fique.
Les vaiffeaux le Mercure , le Mars & le Saint
A OUST. 1755. 245
Jacques font auffi arrivés à Cadix . La charge de
ces bâtimens , foit en efpeces d'or & d'argent ,
foit en marchandifes , monte à cent quatre-vingtdix
huit mille quatre cens vingt - trois piaftres.
On a appris que le 10 & le 12 il étoit entré dans
la baye de Cartagene deux polaques , à bord defquelles
étoient trois cens vingt - cinq elclaves , rachetés
à Alger par les Religieux Déchauffés de
l'Ordre de la Trinité. Cent quatre - vingt - onze
de ces captifs ont été échangés contre des Turcs ,
que Sa Majefté a permis de tirer de fes galeres.
Dans le nombre des perfonnes qui doivent leur
liberté aux Peres Rédempteurs , font deux Religieux
Francifcains , neuf femmes & neuf enfans.
ITALI E.
DE NAPLES , le 17 Juin.
Un chabec Algérien , monté de dix - huit canons
, & dont l'équipage étoit de quatre - vingt
hommes , ayant été furpris le 28 du mois dernier
par la tempête , eut la hardieffe de fe réfugier
dans le port de Trapani. Quoique le Capitaine
eût eu la précaution d'arborer pavillon Tofcan ,
& de mettre la plus grande partie de fon monde
à couvert , on reconnut bientôt que le bâtiment
étoit Barbarefque. Deux galeres s'en emparerent,
& il a été conduit à Palerme. Le Roi a ordonné à
fes vaiffeaux de protéger la navigation des navires
Hollandois , de les convoyer toutes les fois
qu'il feroit néceffaire , & de leur prêter les autres
fecours dont ils auroient befoin . Treize prifonniers
qui étoient détenus à Peſcara , ſe ſont ſauvés
, après avoir affaffiné un Sergent préposé pour
leur garde, Moyennant la diligence dont on a
Liij
246 MERCURE DE FRANCE.
ufé pour courir aprês ces malheureux ; on en a
arrêté quelques- uns ,
La Marquis Fogliani ceffa le 10 de ce mois
d'exercer les fonctions de Premier Miniftre. Il
part ces jours- ci pour aller prendre poffeffion de
la Viceroyauté de Sicile. Le Roi vient de créer
une troifiéme charge de Secrétaire d'Etat en faveur
du Marquis Brancaccio. Ce nouveau Miniftre
aura dans fon département les affaires Eccléfiaftiques.
En même tems il fera chargé de ce qui
concerne l'approvifionnement de cette Capitale .
Sa Majesté a donné au Marquis Bracolini la direction
des fpectacles.
DE ROME , le 21 Juin.
On repréſenta le 9 à Mondragone dans le magnifique
château qu'y poffede la Maiſon Borghefe
, la tragédie de Zaïre , de M. Voltaire ,
traduite en vers Italiens . Ce fpectacle fut ſuivi
d'un fouper fplendide , fervi à une table de quatre-
vingt- cing couverts . Le Margrave de Bareith
affifta à cette fête , ainfi que P'Ambaffadeur de
France , celui de la République de Venife , & les
époufes de ces deux Miniftres .
Le Pere Antoine Bremond , Général des Dominicains
, mourut le 11 à la maison de campagne
du Saint Pafteur , àgé de foixante - trois ans. Il
étoit né à Marseille , & il rempliffoit le Généradat
de fon Ordre depuis le premier Juin 1748. Son
corps a été tranfporté à Rome, & le 14 il fut inhumé
dans l'églife de Sainte Marie fur la Minerve.
Joachim Befozzi , Cardinal- Prêtre , du titre de
"Sainte Croix de Jérufalem , Grand Pénitencier ,
mourut à Tivoli le 18 , âgé de foixante- quinze
ans cinq mois & vingt-fix jours. Il étoit Milanois ,
A O UST. 1755. 247
& il avoit fait profeffion dans l'Ordre de Câteaux.
Le Pape l'avoit élevé à la pourpre en 1743. Par
la mort de ce Cardinal il vaque un dixième chapeau
dans le facré Collège .
DE RONCIGLIONE , le 18 Juin.
Depuis quelques années , les Peres de la Doctrine
Chrétienne ont établi une Académie de Belles
- Lettres dans le Collége qu'ils ont en cette
ville. Les Arcades viennent d'aggréger cette Académie
à leur Corps fous le nom de Colonie Cif
minia , & le Pere François Armorini a été déclaré
Président de cette nouvelle Société . Elle tint le
11 de ce mois fa premiere féance publique , &
les Académiciens réciterent plufieurs ouvrages
d'éloquence & de poësie .
DE VENISE , le premier Juillet.
Il regne ici une telle féchereffe , que les habitans
font réduits à la cruelle extrêmité de manquer
d'eau douce. On a commencé le 9 Juin des
prieres publiques , pout obtenir la ceffation de
ce fléau.
Selon les nouvelles de Smirne , on y a reçu
avis de Perle , qu'un détachement des troupes
d'Azad Kan avoit défait dix mille hommes de
l'armée de Mehemet , Chefdes Aghuans . Ce dernier
, malgré cet échec , continue de marcher vers
la capitale de ce Royaume. Azad Kan l'attend
dans les plaines voisines de cette ville avec une
armée de foixante - dix mille hommes , & le fait
harceler fans relâche par plufieurs corps de cava-
Jerie.
Liv
248 MERCURE DE FRANCE.
DE MILAN , le 17 Juin.
Une maladie épidémique caufe beaucoup de
ravage parmi les beftiaux dans le Milanez. Elle
fe manifefte par une veffie qui s'éleve ſur la langue.
Si l'on ne ſe hâte pas de percer cette efpece
de puftule , l'animal meurt en peu de jours.
L'Impératrice Reine & le Duc de Modéne ont
renouvellé pour cinq ans le cartel , par lequel
ils font convenus de fe rendre réciproquement
les criminels qu'ils réclameroient.
DE GENES , le 3 Juillet.
On procéda le 16 de ce mois au fcrutin pour
l'élection des nouveaux Sénateurs , & le fort eft
tombé fur le Marquis Spinola , Jean - Jacques
Cattaneo , Baptifte Grimaldi , & fur MM . Nicolas
& Vincent Propello.
Il eft arrivé une galere du Roi de Sardaigne ,
avec trois bâtimens , fur lefquels eft la chiourne ,
deſtinée pour la galete que ce Prince a fait con
ftruire ici.
GRANDE - BRETAGNE.
DE LONDRES , le 10 Juillet
Les vaiffeaux l'Effex , le Triton , l'Onflow , la
Princeffe Augufte & le Norfolk , appartenans à la
Compagnie des Indes orientales , font arrivés dans
la Tamife. Les quatre premiers de ces bâtimens
reviennent de la Chine . Le Norfolk vient de Madraff
. M. Saunderfon , Gouverneur de Madraf
eft revenu à bord de ce dernier vaiffeau , & a ing
A OUST. 1755. 249
formé les Directeurs de la Compagnie , qu'une
feconde treve de trois mois avoit été conclue entre
les François & les Anglois dans l'Inde . Il a en
même tems apporté un projet d'accommodement
que M. Godeheu , Gouverneur de Pondichery , a
concerté avec lui .
Selon ce traité , les troupes de ladite Compa
gnie , ni celles de la comapgnie Angloiſe , ne ſe
mêleront point de différends qui pourront furvenir
entre les naturels du pays. Suppofé que ces
derniers forment quelque entrepriſe contre les
établiffemens de l'une ou l'autre compagnie , les
troupes refpectives fe joindront pour défendre
l'établiffement attaqué . On le fournira de part
& d'autre les proviſions dont on aura beſoin ; &
au défaut d'argent comptant, on prendra des marchandifes
en échange ?
L'Amirauté mit encore le 25 en commiffion
dix vaiffeaux de guerre. Donze de ceux qui font
armés à Portsmouth , n'attendent que les derniers
ordres pour mettre à la voile.
Le camp que l'on s'étoit propofé de former en
Irlande , n'aura pas lieu cette année.
Le Duc de Cumberland , accompagné du Lord
Anfon , du Lord Duncannon , de l'Amiral Townshend
, & de M. Cléveland , Secrétaire de l'Amirauté
, partit le premier pour aller faire à Spithéad
la revue de la flotte. Le 2 , le Duc de Mire
poix , Ambaffadeur de France , ayant reçu da Paris
un courier extraordinaire , fe rendit aufli -tôr
chez le Chevalier Robinſon , Secrétaire d'Etat
avec qui il eut une longue conférence .
On n'a point encore de nouvelles de l'arrivée
de l'Eſcadre de l'Amiral Bofcawen ſur la côte de
l'Amérique feptentrionale. On apprend de Gibraltar
quelles Saletins ont rendu le navire An
LY
250 MERCURE DE FRANCE.
glois , dont un de leurs Corfaires s'étoit emparé
dernierement à la hauteur d'Arzila. A l'arrivée
de ce bâtiment , le Gouverneur de Gibraltar a
donné ordre de remettre en liberté plufieurs
Maures qu'il avoit fait arrêter .
On travaille avec diligence à préparer pour la
mer quinze bâtimens , que le Gouvernement a
frétés depuis peu. Le vaiffeau le Stafford , appartenant
à la Compagnie des Indes orientales ,
eft
de retour de la Chine. Les navires qui ont été
employés cette année à la pêche de la baleine.
rentrent fucceffivement dans leurs ports refpectifs.
Les Officiers des troupes fur l'établiſſement
de la Grande-Bretagne ont ordre de ne pas s'abfenter
de leurs corps .
PAYS - BAS.
DE LA HAYE , le 11 Juillet ..
Ce Capitaine Joachim Oujes , Commandant le
waiffeau le Keukenhof , a préfenté au Prince Stadhouder
, de la part de M. Moffel , Gouverneur
général des Indes hollandoifes,un Maure nain, âgé
de dix-huit ans , qui n'a que deux pieds & demi
de haut.
On a expédié aux Commandans de chaque Régiment
une permiffion de détacher un Sergent
& quatre foldats par compagnie , pour aller faire
des récrues dans les pays étrangers . Les Etats Généraux
viennent de rendre une Ordonnance au
fujet de la pêche du hareng.
D'AMSTERDAM , le 8 Juillet.
Selon les nouvelles qu'on a reçues par les vaifA
O UST. 1735. 251
feaux revenus depuis peu des Indes orientales , il
y eut le 18 Août de l'année derniere un affreux
tremblement de terre dans l'ifle d'Amboina , voifine
des Molucques. La terre s'entr'ouvrit en plufieurs
endroits . Les deux églifes , le fort & le
comptoir furent renverfés de fond en comble.
Un grand nombre de perfonnes ont péri fous les
ruines de leurs habitations. Depuis le 18 Août
jufqu'au 22 Septembre , on a fenti quatre- vingtcinq
autres fecouffes .
Les vaiffeaux l'Amiral de Ruyter , l'Overfchie
& le Ruyteveld , appartenans à la Compagnie des
Indes orientales , arriverent le 29 du mois dernier
au Texel. Les deux premiers viennent de la Chine
, & le dernier de Batavia .
DE BRUXELLES , le 28 Juin.
On acheva le 25 de ce mois le tirage de la
trofiéme claffe de la lotterie de cette ville.
Les troupes qui doivent former un camp près
de Malines , s'y affembleront auffi - tôt après la
moiffon.
L'Impératrice Reine a envoyé le Général Baron
d'Anger , pour vifiter les fortifications des
places des Pays-Bas.
L_vj
252 MERCURE DE FRANCE.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
E onzième tirage de la lotterie , pour le rem
bourfement de partie des capitaux des rentes
fur la caiffe générale des amortiffemens , fe fit
Fe 18 du mois de Juin à l'hôtel de Ville , en préfence
des Prévôt des Marchands & Echevins. Les
rembourfemens échus par le fort de la lotterie
montent à la fomme de quatorze cens cinq mille
quatre cens foixante livres. On acquittera les cou
pons & les rembourfemens à la caiffe des amortiflemens
chez M. Blondel de Gagny , Tréforier
de cette caiffe .
On fit le 20 les tirages des fotteries pour le
rembourfement de partie des capitaux des rentes.
établies fur les poftes par les Edits des mois de
Novembre 1735 & Juin 1742. Selon le fort il
fera remboursé trois cens foixante - fept mille
vingt livres fur les capitaux des rentes créées par
le premier de ces Edits , & quatre cens foixantetrois
mille deux cens foixante- cinq fur les capi→
taux des rentes créées par le fecond. Les payemens
de ces rembourſemens , ainfi que des arre
rages defdites rentes , le feront auffi à la caiffe des
amortiffemens.
La Comteffe d'Egmont , feconde douairiere ,
fille du Duc de Villars , prononça le 20 fes derniers
voeux dans le monaftere des Religieufes du
Calvaire , fauxbourg Saint Germain. Le Nonce du
Pape officia à cette cérémonie , & la Prédication
A O UST. 1755. 253
fut faite par le P. Chapelain , de la Compagnie de
-Jefus.
Le 27 Juin , le Roi nomma les femmes defti
nées au fervice du Prince ou de la Princeffe dont
Madame la Dauphine doit accoucher.
La Comteffe de Teffé fut préfentée le 29 à
leurs Majeftés & à la Famille royale . Elle a pris
le tabouret en qualité d'époufe d'un Grand d'Ef
pagne.
On fit le 30 du même mois le fixiéme tirage
de la lotterie pour le remboursement des capitaux
des rentes , à trois pour cent , établies fur les po
ftes par Edit du mois de Mai 1751. Les payemens
pour ces rembourfemens fe font chez M. Paris de
Montmartel , Garde du Tréfor royal.
Le premier Juillet, le Roi arriva à Compiegne,
accompagné de Mefdames de France. Sa Majefté ,
en venant de la Meute , fit l'honneur à M. de Machault
, Garde des Sceaux , de s'arrêter au château
d'Arnouville.
La Reine eft arrivée le 2 au foir. Mefdames de
France , après avoir aſſiſté au Salut dans l'Eglife
du Monaftere des Filles de Sainte - Marie , allerent
au-devant de la Reine jufqu'à deux lieues
elles revinrent dans le caroffe de Sa Majefté.
&
Le Roi a difpofé de l'Intendance de Rouen , va
cante par la démiffion de M. de la Bourdonnaye ,
Confeiller d'Etat , en faveur de M. Feydeau de
Brou , Maître des Requêtes , fils de M. Feydeau
de Brou , Confeiller d'Etat ordinaire , & au Confeil
royal.:
Le 9 , Monfeigneur le Dauphin arriva de Ver
failles à Compiegne . Ce Prince n'y demeura que
jufqu'au 15.
Les Chanoines Réguliers de l'Abbaye de Sainte
Genevieve ont eu l'honneur de préfenter à leurs
254 MERCURE DE FRANCE.
Majeftés & à la Famille royale une Ode du Pere
Bernard , de leur Congrégation , fur la réconftrution
de leur égife.
On a appris par des lettres de Londres , que le
8 du mois dernier l'Amiral Bofcawen a attaqué
avec fon Eſcadre fur les bancs de Terre - neuve le
vaiffeau l'Alcide, qu'il a trouvé féparé de l'Efcadre
Françoife , deſtinée pour le Canada , & qu'il s'en
eft emparé après une longue réfiftance de la part
de ce vaiffeau . Ces lettres ajoutent , que cet Amiral
a attaqué le même jour un vaiffeau chargé de
troupes , qui fe trouvoit auffi féparé de l'Eſcadre
du Roi , & fous l'efcorté de l'Alcide . Auflitôt que
le Roi a été informé de cet événement , Sa Majefté
a envoyé ordre au Duc de Mirepoix , fon Ambaffadeur
à Londres , & à M. de Buffi , fon Miniftre
à Hanovre , de partir fur le champ , fans prende
congé , & de revenir en France .
BENEFICES DONNÉS.
1
E Roi a donné l'Evêché de Dijon à l'Abbé d'Ap
chon , Vicaire Général du même Diocèfe ;
l'Evêché de Glandeve à l'Abbé de Treffemannes ,
Chanoine de l'églife métropolitaine d'Aix ; l'Abbaye
de Fontaine- Daniel , Ordre de Cîteaux, Diocèſe
du Mans , à l'Abbé de Galiffet , Vicaire Général
de l'Archevêché d'Aix , & le Prieuré de Pontarlier
, Ordre de S. Auguftin , Diocèle de Langres
, à l'Abbé Bureau de Saint - Pierre , Confeil
ler-Clerc at Parlement de Dijon.
AQUST. 1755. 255
MARIAGES ET MORTS.
Ouis- Gabriel de Conflans , Marquis de Conflans
, Meftre de Camp - Lieutenant du Régi
ment de Cavalerie d'Orléans , fut marié le 20 Mai
à Demoiselle Antoinette-Magdeleine-Jeanne Portail
, fille de Meffire Jean - Louis Portail , Préfident
honoraire du Parlement, & de Dame Marthe- An--
toinette Aubery de Vaftan. La Bénédiction Nuptiale
leur fut donnée dans la chapelle particuliere
de l'hôtel de Rothelin , par l'Archevêque de Nar
bonne. Leur contrat de mariage avoit été figné le
17 par leurs Majeftés & par la Famille royale. Le
Marquis de Conflans eft fils de Louis de Conflans ,
Marquis d'Armentieres , Chevalier des Ordres du
Roi & Lieutenant Général des Armées de Sa Majeſté
; & de feue Dame Adélaïde- Jeanne- Françoiſe
Boutroue d'Aubigny.
La Maiſon de CONFLANS eft fans contredit une
des plus illuftres du Royaume étant une branche
cadette de celle de BRIENNE , de laquelle , outre trois
Connétables de France , & des Ducs fouverains
d'Athènes , font fortis un Roi de Sicile dans la perfonne
de Gauthier III. du nom , & un Roi de Jérufalem
& Empereur de Conftantinople , dans celle
de Jean de Brienne , dont la fille Yoland , née de
fa premiere femine Marie de Montferrat , Reine
de Jérufalem , fut mariée l'an 1223 à l'Empereur
Fré deric II.
Engilbert de Brienne , troisieme fils de Gauthier f
du nom , Comte de Brienne , qui vivoit en 1068 ;
& d'Euftache , Comteffe de Bar- fur- Seine , ayant
eu en partage la feigneurie de Conflans , en prit le
nom fuivant l'ufage du tems , & le tranſmit à fa
256 MERCURE DE FRANCE.
poftérité , laquelle a toujours confervé les armes
de Brienne . Engilbert qui fit en 1138 plufieurs
dons avec fa femme , en préfence de fes fils , à
l'Abbaye de Molefmes pour l'ame du Comte Gauthier
fon pere , fut le cinquieme ayeul de Jean de
Conflans , feigneur de Vezilly en Champagne , du
chef de N... de Bazoches , fon ayeule maternelle.
Jean de Conflans eut de fa feconde femme Péronne
de Jouvengues, Dame d'Armentieres , Jean
II. qui vivoit en 1415 : pere par Magdeleine de
Hornes de Baucignies de Barthelemi de Conflans ,
feigneur de Vezilly, d'Armentieres , vicomte d'Ouchy
, &c. allié à Marie de Cramailles , Dame de
Saponnay , de laquelle nâquit Jean III. de Conflans
, qui époufa Marguerite de Bournonville , &
mourut en 1507. Son troifieme fils Antoine de
Conflans , qui a continué la postérité eut les feigueuries
de Vezilly , d'Armentieres , & c. & épou
fa en Décembre 1525. Barbe de Rouy , mere
d'Euftache , d'Antoine & de Robert de Conflans
qui ont fait trois branches.
La postérité d'Euftache, dont le fils de même nom
fut en 1597. Chevalier des Ordres du Roi & Lieute
nant Géneral de ſes armées , s'eft éteinte en 1690.
Antoine de Conflans II. du nom , ſeigneur de
S. Remi , &c . épousa en 1559. Françoiſe Boulart
, Dame d'Ennancourt- le- Sec. Leur fils aîné ,
Antoine de Conftans HI du nom , feigneur de
S. Remi & d'Ennancourt , s'allia en 1597. à
Magdeleine de Ravenel , Dame de Fouilleufe , de
laquelle vint entr'autres , Michel de Conflans ,
Marquis de S. Remi , Gentilhomme ordinaire de
la chambre du Roi , Colonel d'un Régiment de
Cavalerie étrangere en 1635. Celui - ci eut de fon
fecond mariage avec Louiſe de Carvoiſin , Michek
de Conflans II. du nom , qui devint le chef de fa
A OUS T. 1755. 257
maiſon en 1690. & mourut le 22 Janvier 1712. II
avoit épousé en 1667. Marguerite d'Agueffeau ,
qui fut mere de Michel de Conflans III . du nom ,
Marquis d'Armentieres , Vicomte d'Ouchy-le-
Châtel , feigneur de Breci , &c . premier Gentilhomme
de la Chambre du Duc d'Orléans Régent,
mort le 5 Avril 1717. Il avoit époufé le 11 Janvier
1709. Diane- Gabrielle de Juffac , Dame du
Palais de la Ducheffe de Berry. De ce mariage il a
eu Louis de Conflans , Marquis d'Armentieres ,
pere de Louis- Gabriel qui donne lieu à cet article,
& de Louis-Charles , appellé le chevalier de Conflans
, qui eft né le 5 Décembre 1737.
Les armes de la Maiſon de Conflans , font d'azur
au lion d'or , l'écu femé de billettes de même.
Meffire Joachim Dreux , Marquis de Brézé ;
Maréchal des Camps & Armées du Roy , Grand-
Maître des cérémonies de France , Gouverneur des
Villes & château de Loudun , & du Loudunnois
époufa le 27 du même mois Dlle Louife - Jeanne-
Marie de Courtarvel de Pézé ; elle eft fille de feu
Meffire Louis - René de Courtarvel , Marquis de
Pézé , & de Dame Louiſe - Charlotte de Thibault
de la Rochetulon , & niece de Hubert de Courtarvel
dit le Marquis de Pezé , Colonel du Régiment
du Roi infanterie , Lieutenant Général des
Armées de Sa Majeſté , mort le 28 Novembre
1734. à Guaſtalla , des bleffures qu'il avoit reçues
à la bataille de ce nom , ayant été nommé le 28
Octobre précédent , Chevalier des Ordres du Roy,
lequel n'a laiffé de fon mariage avec Lidie . Nicole
de Beringhen , qu'une fille unique Louife-Magdeleine
de Courtarvel de Pezé , mariée le 24 Mai
1743. à Armand-Mathurin , Marquis de Vaffé
fon coufin-germain
La Maison de COURTARVEL eft originaire du
258 MERCURE DE FRANCE.
Maine où elle eft connue dès le quatorzieme fiecle .
Foulque , feigneur de Courtarvel , époufa en 1390.
Anne , Dame de la Lucaziere , & fut bifayeul
d'Ambroise de Courtarvel , mariée en 1480 avec
Anne de Pézé , Dame du Boucher & de Pézé. Anne
de Pézé fut mere de Foulques de Courtarvel IV .
du nom , dont l'arriere petit- fils René II de Courtarvel
, fut créé Marquis de Pézé en 16.58. Il fut
pere de Charles , Marquis de Pézé qui par fa femme
Marie-Magdeleine de Vaffan eft ayeul de
Louife -Jeanne- Marie de Courtarvel de laquelle
nous annonçons le mariage.
Le Marquis de BRÉZÉ eft fecond fils de Meffire
Thomas Dreux , Marquis de Brézé , Lieutenant
général des Armées de Sa Majefté , Grand- maître
des cérémonies de France , Gouverneur des villes
& château de Loudun & du Loudunois , ainfi que
des Iles de Sainte- Marguerite & de S. Honorat
de Lerins , & de Dame Catherine-Angélique Chamillart
de Cani , & àvoit pour frere aine Michel
Dreux , Marquis de Brézé , Baron de Beric , &c .
Lieutenant-général des Armées du Roy , Infpecteur-
général d'infanterie , Grand-maître des céré
monies de France , Prevôt & Maître des cérémonies
des Ordres du Roi , Gouverneur de Loudun
& des Ifles de Saint- Marguerite & de S. Honorat ,
mort le 17 Février 1754. fans enfans de fes deux
femmes Elifabeth - Claire- Eugénie Dreux de Nancré
, morte le 22 Avril 1748 , & Louiſe - Elifabeth
de la Châtre de Nançay.
Le Marquis de Brézé , appellé du vivant de fon
frere aîné , le Chevalier de Dreux a d'abord été
Colonel du régiment de Guyenne , infanterie , let
16 Avril 1738. Brigadier des Armées du Roi , le
premier Mai 1745. Colonel- lieutenant du Régiment
Royal de la Marine , le 26 du même mois ,
A O UST . 1755. 259

Maréchal des Camps & Armées du Roy , le 10
May 1746. Grand- maître des cérémonies de France
& Gouverneur des ville & château de Loudun ,
au mois de Février 1754.
-
François-Martial de Montiers , Vicomte de Merinville
, Brigadier de cavalerie , & Capitaine-
Sous lieutenant de la compagnie des Gendarmes
de la Garde du Roy , époufa le 4 Juin ,
Charlotte - Elifabeth Galluci de l'Hôpital , fille
de Paul Galluci , Marquis de l'Hôpital , Chevalier
des ordres de Sa Majefté & de celui de S. Janvier ,
Lieutenant général des Armées du Roy , Infpecteur-
Général de la cavalerie & des dragons ,
& premier Ecuyer de Madame Adelaïde , cidevant
Ambaffadeur Extraordinaire de Sa Majefté
, auprès du Roi des deux Siciles ; & de Dame
Louife - Elifabeth de Boullongne. La Bénédiction
Nuptiale leur a été donnée à la Thuillerie , par le
Nonce du Pape dans la chapelle du ſieur de Boullongne
, Confeiller d'Etat , Intendant des Finances.
Le Vicomte de Merinville eft fils de Meffire
François- Louis-Martial de Montiers , Marquis de
Merinville , Maréchal des Camps & Armées du
Roy, & de Dame Marguerite-Françoiſe de Jaucen,
& petit - fils de François de Montiers , Comte de
Merinville , & de Rieux en Languedoc , créé Chevalier
des Ordres du Roi , le Décembre 1661 ,
& de Marguerite de la Jugie , Comteffe de Rieux.
Meffire Louis-Gafpart Rouillé d'Orfeuil , Maî
tre des Requêtes , fils de feu Meffire Jean- Louis
Rouillé auffi Maître des Requêtes , & petit - fils de
Jean Rouillé , feigneur de Fontaine -Guerin , Intendant
de Limoges , neveu de Meffire Antoine-
Louis Rouillé , Comte de Jouy , Miniftre d'Etat
au département des Affaires étrangeres , a épousé
le 18 Juin à S. Roch , Demoiselle Anne- Charlotte
31
260 MERCURE DE FRANCE.
Bernard de Montigny , fille de Memfire Charles
de Montigny , receveur général des finances de la
province de Picardie , & de Dame Claude - Anne-
Jeanne Brochet de Pontcharoft , fille de feu Meffire
Pierre Richard Brochet de Pontcharoft , tréforier
général des Ponts & Chauffées de France.
Elle eft coufine germaine de Meffire Simon - Charles-
Sébastien Bernard de Balinvilliers , Préfident
du Grand- Confeil.
On a oublié dans le Mercure précédent à l'ara
ticle de M. l'Evêque de Marfeille , en parlant de
ce qui refte de la branche de cet illuftre Prêlat ,
fes deux niéces , filles du feu Marquis de Caftelmoron
, l'aînée , Cécile - Génevieve de Belfunce
de Caftelmoron , Abbeffe de l'Abbaye royale de
Sainte Trinité de Caen par la nomination du Roy
du 18 Février 1754. & la cadette , Sufanne-
Gabrielle de Bellunce de Caftelmoron , mariée
en May 1740. à N ..... Comte d'Arcuffia , d'une
des plus anciennes & des plus illuftres maiſons de
Provence.
Meffire Michel- André Hennequin d'Ecquevilly,
'Abbé de l'Abbaye de Notre- Dame de Maifieres ,
Ordre de Cîteaux , Diocèfe de Chalons -fur-Saone,
eft mort à Paris le 9 Juin âgé de 72 ans.
Meffire Jean Alexandre Dutot , Marquis de
Varneville , Maréchal des Camps & Armées du
Roy , & Enfeigne des Gardes du Corps dans la
Compagnie de Villeroi , eft mort à Paris le 15 ,
âgé de 17 ans.
Meffire Céfar-Antoine de la Luzerne , Comte
de Beuzeville , Maréchal des Camps & Armées
du Roy , & ci- devant Meftre de Camp , Lieutenant
du Régiment des Carabiniers , mourut à
Paris le 17 , âge de 64 ans,
AOUST. 1755. 261
-
Dame Anne Dorothée du Hautoy , Marquife
de Béon- Luxembourg , eft morte en fon château
de Tichémont en Lorraine le 17 Juin : elle étoit
veuve du Marquis de Béon dont le pere avoit époufé
l'aînée , héritiere de la maifon de Luxembourg,
& en avoit partagé les biens avec M. le Marquis
de Montmorency qui en avoit époufé la cadette.
M. le Marquis de Béon n'a point laiffé d'enfans ,
& la moitié de fa fucceffion revient à deux petites.
njéces , filles du feu Marquis de Chemault dont la
mere étoit foeur du Marquis de Béon . L'aînée eft
Hyacinthe-Louife- Augufte de Bétaut de Chemault
encore fille. La feconde eft Hyacinthe- Ifa-
-belle Bétaut de Chemault , mariée depuis trois ans
à Meffire Pierre-François de Courcy , Capitaineau
Régiment de Cavalerie Bourgogne , fecond fils.
de Meffire François - Jean- Antoine de Courcy ,
Lieutenant pour le Roy & de Noffeigneurs les
Maréchaux de France à Verneuil au Perche.
Meffire Maximilien Chaluet de Rochemonteix
Comte de la Roche- Vernaffal , Lieutenant- Genéral
des Armées du Roy , Gouverneur de Rocroy ,
& Commandeur de l'Ordre royal & militaire de
$. Louis , mourut le 18 dans fa 96º année ,
262 MERCURE DE FRANCE.
AVIS.
E Sr Théodore Odiot , dont il a été mention
L'ansThe Mercure de Mai, avertit le public
qu'il entreprend toutes fortes d'ouvrages , tant en
équipages , bâtimens , toilettes , qu'en tapifferies
imitant l'étoffe de foie , avec dorure & fans
dorure , & qu'il tient manufacturede couleurs ,
tant en huile qu'en détrempe & en cire , foit à la
térébenthine , ou à l'eau , paftel , & généralement
tout ce qui concerne la peinture.
"
Le même artiſte avertit le Public , qu'il a peint
une falle chez lui de fa nouvelle compofition en
cire. Il n'en réſulte aucune mauvaiſe odeur , n'y
ayant point d'huile ni de térébenthine, quoiqu'elle
ait la même folidité , & que les couleurs ne foient
nullement changeantes . On pourra la voir depuis
neuf heures du matin jufqu'à midi ; & l'aprèsmidi
, depuis trois heures jufqu'à fix .
Il demeure rue baſſe de la porte Saint Denis , Ta
troifiémegrande porte après le cul de fac S. Laurent
ERRATA pour le Mercure de Juillet.
Age 19 , ligne 24 , après une longue période ,
lifez un long période . PA
Page 26 , lig. 1 , Eh ! qu'eft-ce qui ne l'a pas ? lif
Eh ! qui eft- ce qui ne l'a pas?
Page 80 , lig. 17 , Elémens de Dorimaftique , lif
Elémens de Docimaſtique.
265
J'A
AP PROBATION.
'Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier
, le Mercure d'Août , & je n'y ai rien
rouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
Paris , ce 30 Juillet 1755 .
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ortraits de cinq fameux Peintres d'Italie , page
Portraits
Rofalie , Hiftoire véritable
La variété , Cantatille ,
>
Epitre à M. de Voltaire ,
B
Vers de M. Dubois , Mme de Forgeville ,
La Promenade de Province. Nouvelle ,
Le malheur d'aimer. Poëme ,
45
46
47
48
65
De l'eftime de foi - même , par M. de Baſtide , 75
Epître de M. V ** en arrivant dans fa terre , près
du Lac de Geneve ,
Mots de l'Enigme & du Logogryphe du Mercure
de Juillet ,
Enigmes & Logogryphes ,
Vaudeville de l'ordre de la fidélité ,
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
83
83
ibid.
93
Difcours que M. Pa envoyé à la Société royale
& Littéraire de Nancy , &c.
25
264
Obfervations fur le Dictionnaire des poftes , 105
Extraits , précis , ou indications des livres nouveaux
.
Séance de la Société de Niſmes ,
ART III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
18 :
139
148
Algébre. Lettre de M. G *** à M. Bezout , 147
Médecine. Extrait du rapport de M. Hofty , Médecin
, au fujet de l'inoculation ,
Chirurgie. Réflexions critiques adreffées à M ***
Médecin à Lyon , fur une Lettre annoncée fous
le nom du fieur Beranger , par M. Daviel fils ,
ART. IV. BEAUX ARTS.
182
Danfe.
Mufique.
Gravure.
207
209
210
Architecture. Suite du Mercure du mois de Juin
de l'année 2355 , 214
ART. V. SPECTACLES
Comédie Françoife ,
221
Comédie Italienne ,
Extrait du Maître de Mufique , 235
Opéra comique. 238
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres ,
237
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 252
Mariages & Morts ,
254
Avis.
269
La Chanfon notée doit regarder la page 94.
De l'Imprimerie de Ch, A. JOM BERT,
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU
ROI .
SEPTEMBRE 1755.
Diverfité, c'eft ma devife. La Fontaine.
Chez,
Cochin
Filius inv.
Papillon Sculp
1715.
A
PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hu -epoix.
JEAN DE NULLY , au Palais .
PISSOT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
Avec Approbation & Privilege du Roi,
>
AVERTISSEMENT.
ن م
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier-Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis an
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers .
-C'est à lui qu'on prie d'adreſſer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. de Boiffy ,
Auteur du Mercure.
Le prix eft de 36 fols , mais l'on ne payera
d'avance , en s'abonnant , que 21 livres pour
l'année , à raison de quatorze volumes. Les
volumes
d'extraordinaire feront également de
30 fols pour les Abonnés , & fe payeront avec
l'année qui les fuivra .
Les perfonnes de province auxquelles on
Penverra par la poſte ,
pofte , payeront 31 livres
10 fols d'avance en s'abonnant , & elles le
recevront franc de port .
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du portfür
leur compte , ne payeront qu'à raison de 30
fols par volume , c'est- à- dire 21 livres d'avance
, en s'abonnant pour l'année , fans les
extraordinaires.
Les Libraires des provinces on des Pays
A ij
étrangers, qui voudront faire venir le Mers
cure , écriront à l'adreffe ci deffus .
On fupplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la pofte , en payanı le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le payement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
resteront au rebut.
L'on trouvera toujours quelqu'un en état
de répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque ſemaine , aprèsmidi
.
On peut se procurer par la voie du Merainsi
que les Licure
, les autres Journaux ,
vres, Estampes & Mufique qu'ils annoncent.
MERCURE
DE FRANCE.
SEPTEMBRE. 1755 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
STANCES
A Mademoiſelle ** * .
Ls trois Graces , jeune Thémire ,
Même la fuperbe Cipris ,
Sur les attraits qu'en vous j'admire ,
N'auroient point remporté le prix.
A iij
" MERCURE DE FRANCE.
Vous feule , fans en rien rabattre ,
Vous feule avez , fans vous flater ,
Ce qu'elles avoient toutes quatre,
Qui vous connoît peut l'atteſter.
Vous poffédez un art de plaire ,
Que peut- être elles n'avoient pas ;
Ce que je vous vois dire ou faire
A toujours de nouveaux appas.
On ne parle que de leurs charmes ,
Quant à l'efprit on n'en dit rien ,
Ce côté vous fournit des armes ,
Yous raviffez dans l'entretien .
Du plus ridicule des âges
Vous n'approuvez pas les erreurs ;
De loin vous fuivez fes uſages ,
Mais vous n'adoptez point les moeurs.
Chez vous une aigrette nouvelle
S'arrange fans trop réfléchir ,
Le plaifir de paroître belle
N'eft point votre unique plaifir.
SEPTEMBRE.
1755. 7
Vous méritez qu'on vous adore ,
Et l'ignorez en même tems ,
Cette ignorance donne encore
Plus de prix à vos agrémens.
Toutes nos ftériles brochures
Ne fécheront point votre esprit ,
Dans des fources fécondes , pures ,
De fon vrai fuc il fe nourrit.
Vous avez la rare habitude
Suivant les gens de vous plier ,
De borner votre vaſte étude ,
Ou , s'il le faut , de l'oublier.
t
Belle , fage , douce , difcrette ,
Sans humeur, fans fard , fans détour ....
Thémire , pour être parfaite ,
Prenez un peu de mon amour.
J. F. G. ****
De Chartrait , près Melun.
A iiij
8 MERCURE DE FRANCE
VERS
Adreffés à M. R. D. B..... par une jeune
Demoiselle , âgée de huit ans.
Faire des vers pour vous , Mirtil , je vous affure ,
Eft à mon gré le plaifir le plus doux ;
Et le travail fe paie avec uſure ,
Quand on a le bonheur de s'occuper de vous.
Mlle Roffignol.
Réponse à Mlle Roffignol.
DE vos talens qui ne feroit jaloux !'
Ils devancent chez vous l'heureux âge de plaire.
Pour des vers , jeune Eglé , vous n'en devez point
faire ,
Mais en laiffer faire pour yous.
Gnidi.
SEPTEMBRE 1755. 9
LE MO I.
HISTOIRE TRE'S - ANCIENNE.
A nature & la Fortune fembloient
LA
avoir confpiré au bonheur d'Alcibiade .
Richeffes , talens , beauté , naiſſance , la
fleur de l'âge & de la fanté , que de titres
pour avoir tous les ridicules Alcibiade
n'en avoit qu'un : il vouloit être aimé pour
lui- même. Depuis la coqueterie jufqu'à la
fagefle il avoit tout féduit dans Athènes ;
mais en lui étoit- ce bien lui qu'on aimoit ?
Cette délicateffe lui prit un matin comme
il venoit de faire fa cour à une prude . C'eft
le moment des réflexions . Alcibiade en fit
fur ce qu'on appelle le fentiment pur , la
métaphyfique de l'amour. Je fuis bien
duppe , difoit-il , de prodiguer mes foins à
une femme qui ne m'aime peut- être que
pour elle- même ! Je le fçaurai de par tous
les dieux , & s'il en eft ainfi , elle peut chercher
parmi nos athlétes un foupirant qui
me remplace .
La belle prude , fuivant l'ufage , oppofoit
toujours quelque foible réfiftance aux
defirs d'Alcibiade . C'étoit une choſe épouvantable.
Elle ne pouvoit s'y accoutumer.
Il falloit aimer comme elle aimoit pour s'y
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
réfoudre. Elle auroit voulu pour tout au
monde qu'il fut moins jeune & moins
empreffé. Alcibiade la prit au mot. Je vois
bien , Madame , lui dit il un jour , que ces
complaifances vous coutent ; hé bien , je
veux vous donner une preuve de l'amour
le plus parfait. Oui je confens , puifque
vous le voulez , que nos ames feules foient
unies , & je vous donne ma parole de
n'exiger rien de plus.
La prude loua cette réfolution d'un air
bien capable de la faire évanouir , mais
Alcibiade tint bon . Elle en fut furpriſe , &
piquée , cependant il fallut diffimuler .
Le jour fuivant tout ce que le deshabillé
peut avoir d'agaçant fut mis en ufage . La
vivacité du defir brilloit dans les yeux de
la prude , dans fon maintien , la nonchalance
& la volupté , les voiles les plus
legers , le défordre le plus favorable , tout
en elle invitoit Alcibiade à s'oublier . Il apperçut
le piege. Quel triomphe , lui dit- il ,
Madame , quel triomphe à remporter fur
moi- même ! Je vois bien que l'amour m'éprouve
, & je m'en applaudis : la délicateffe
de mes fentimens en éclatera davantage.
Ces voiles tranfparens & légers , ces
couffins dont la volupté femble avoir formé
fon trône , votre beauté , mes defirs
combien d'ennemis à vaincre. Ulyſſe n'y
;
SEPTEMBRE. 1 II 1755 .
échapperoit pas , Hercule y fuccomberoit.
Je ferai plus fage qu'Ulyffe & moins fragile
qu'Hercule. Oui , je vous prouverai que
le feul plaifir d'aimer peut tenir lieu de
tous les plaifirs. Vous êtes charmant , lui
dit-elle , & je puis me flatter d'avoir un
amant unique ; je ne crains qu'une chofe
c'eſt que votre amour ne s'affoibliffe par la
rigueur. Au contraire , interrompit vivement
Alcibiade , il n'en fera que plus ardent.
Mais , mon cher enfant , vous êtes
jeune , il eft des momens où l'on n'eft pas.
maître de foi , & je crois votre fidélité bien
hafardée , fi je vous livre à vos defirs.
Soyez tranquille , Madame : je vous réponds
de tout. Puifque je puis vaincre mes
defirs auprès de vous , auprès de qui n'en
ferai- je pas le maître. Vous me promettez
du moins que s'ils deviennent trop preffans
vous m'en ferez l'aveu . Je ne veux
point qu'une mauvaiſe honte vous retienne.
Ne vous piquez pas de me tenir parole,
il n'eft rien que je ne vous pardonne plutôt
qu'une infidélité . Oui , Madame , je
vous avouerai ma foibleffe de la meilleure
foi du monde , quand je ferai prêt d'y fuccomber
: mais laiffez moi du moins éprouver
mes forces : je fens qu'elles iront encore
loin , & j'efpere que l'amour m'en
donnera de nouvelles. La prude étoit
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
furieufe , mais fans fe démentir elle ne
pouvoit fe plaindre , elle fe contraignit
encore , dans l'efpoir qu'à une nouvelle
épreuve Alcibiade fuccomberoit. Il reçut
le lendemain à fon réveil un billet conçu
J'ai paffé la plus cruelle
» nuit , venez me voir. Je ne puis vivre
>> fans vous .
en ces termes : сс
Il arrive chez la prude . Les rideaux des
fenêtres n'étoient qu'entr'ouverts un jour
tendre fe gliffoit dans l'appartement à travers
des ondes de pourpre . La prude étoit
encore dans un lit parfemé de rofes. Venez,
lui dit- elle d'une voix plaintive , venez
calmer mes inquiétudes . Un fonge affreux
m'a tourmentée cette nuit , j'ai cru vous
voir aux genoux d'une rivale. Ah j'en frémis
encore ? Je vous l'ai dit Alcibiade , je
ne puis vivre dans la crainte que vous ne
foyez infidelle , mon malheur feroit d'autant
plus fenfible que j'en ferois moi même
la caufe , & je veux du moins n'avoir rien
à me reprocher. Vous avez beau me promettre
de vous vaincre ; vous êtes trop
jeune pour le pouvoir long- tems, Ne vous
connois- je pas ? je fens que j'ai trop exigé
de vous , je fens qu'il y a de l'imprudence
& de la cruauté à vous impofer une loi fi
dure. Comme elle parloit ainfi de l'air du
monde le plus touchant , Alcibiade fe jetta
SEPTEMBRE. 1755 .
à fes pieds : je fuis bien malheureux , lui
dit- il , Madame , fi vous ne m'estimez pas
affez pour me croire capable de m'attacher
à vous par les feuls liens du fentiment !
Après tout de quoi me fuis - je privé ? de ce
qui deshonore l'amour . Je rougis de voir
que vous comptiez ce facrifice pour quelque
chofe. Mais fut- il auffi grand que vous
vous l'imaginez , je n'en aurai que plus de
gloire. Non , mon cher Alcibiade , lui dit
la prude , en lui tendant la main , je ne
veux point d'un facrifice qui re coûte , je
fuis trop fure & trop flattée de l'amour pur
& délicat que tu m'as fi bien témoigné.
Sois heureux , j'y confens. Je le fuis , Madame
, s'écria t- il , du bonheur de vivre
pour vous , ceffez de me foupçonner & de
me plaindre , vous voyez l'amant le plus
fidele , le plus tendre , le plus respectueux ...
& le plus fot , interrompit- elle , en tirant
brufquement fes rideaux , & elle appella
fes efclaves . Alcibiade fortit furieux de
n'avoir été aimé que comme un autre , &
bien réfolu de ne plus revoir une femme
qui ne l'avoit pris que pour fon plaifir . Ce
n'eft pas ainfi , dit-il , qu'on aime dans l'âge
de l'innocence , & fi la jeure Glicérie
éprouvoit pour
moi ce que fes yeux femblent
me dire , je fuis bien certain que ce
feroit- là de l'amour pur .
14 MERCURE DE FRANCE.
Glicérie dans fa quinzieme année , attiroit
déja les voeux de la plus brillante jeuneffe.
Qu'on imagine une rofe au moment
de s'épanouir , tels étoient la fraîcheur &
l'éclat de fa beauté.
Alcibiade fe préfenta & fes rivaux fe
diffiperent. Ce n'étoit point encore l'ufage
à Athènes de s'époufer pour fe haïr & pour
fe méprifer le lendemain , & l'on donnoit
aux jeunes gens avant l'hymen , le loifir de
fe voir & de fe parler avec une liberté décente.
Les filles ne fe repofoient pas fur
leurs gardiens du foin de leur vertu . Elles
fe donnoient la peine d'être fages ellesmêmes.
La pudeur n'a commencé à combattre
foiblement , que depuis qu'on lui a
dérobé les honneurs de la victoire . Celle
de Glicérie fit la plus belle défenſe . Alci--
biade n'oublia rien pour la furprendre ou
pour la gagner. Il loua la jeune Athénienne
fur fes talens , fes graces , fa beauté , il
lui fit fentir dans tout ce qu'elle difoit ,
une fineffe qu'elle n'y avoit pas mife , &
une délicateffe dont elle ne fe doutoit pas.
Quel dommage qu'avec tant de charmes ,
elle n'eut pas un coeur fenfible ! je vous
adore , lui difoit- il , & je fuis heureux fi
vous m'aimez . Ne craignez pas de me le
dire , une candeur ingénue eft la vertu de
votre âge , on a beau donner le nom de
·
SEPTEMBRE. 1755. IS
prudence à la diffimulation , cette belle
bouche n'eft pas faite pour trahir les fentimens
de votre coeur : qu'elle foit l'organe
de l'amour , c'eft pour lui même qu'il l'a
formée. Si vous voulez que je fois fincere,
lui répondit Glicérie , avec une modeſtie
mêlée de tendreffe , faites du moins que je
puiffe l'être fans rougir Je veux bien ne
pas trahir mon coeur , mais je veux auffi ne
pas trahir mon devoir , & je trahirois l'un
ou l'autre fi j'en difois davantage . Glicérie
vouloit avant de s'expliquer , que leur
himen fur conclu . Alcibiade vouloit qu'elle
s'expliquât avant de penfer à l'himen.
Il fera bien tems , difoit- il de m'affurer
de votre amour , quand l'himen vous en
aura fait un devoir , & que je vous aurai
réduite à la néceffité de feindre. C'eft
aujourd'hui que vous êtes libre , qu'il feroit
flateur pour moi d'entendre de votre
bouche l'aveu défintéreffé d'un fentiment
naturel & pur. Hé bien , foyez content , &
ne me reprochez plus de n'avoir pas un
coeur fenfible : il l'eft du moins depuis que
je vous vois . Je vous eftime affez pour vous
confier mon fecret , mais à préfent qu'il
m'eft échappé , j'exige de vous une complaifance
, c'eft de ne plus me parler tête à
têre , que vous ne foyez d'accord avec ceux
dont je dépends. L'aveu qu'Alcibiade ve16
MERCURE DE FRANCE.
noit d'obtenir , auroit fait le bonheur d'un
amant moins difficile , mais fa chimere
l'occupoit. Il voulut voir jufqu'au bout
s'il étoit aimé pour lui-même. Je ne vous
diffimulerai pas , lui dit- il , que la démarche
que je vais faire peut avoir un mauvais
fuccès . Vos parens me reçoivent avec une
politeffe froide que j'aurois pris pour un
congé , fi le plaifir de vous voir n'eut vaincu
ma délicateffe ; mais ſi j'oblige votre
pere à s'expliquer , il ne fera plus tems de
feindre. Il eft membre de l'Aréopage , Socrate
, le plus vertueux des hommes , y eft
fufpect & odieux : je fuis l'ami & le difciple
de Socrate , & je crains bien que la
haine qu'on a pour lui , ne s'étende juſqu'à
moi. Mes craintes vont trop loin peut - êtres
mais enfin , fi votre pere nous facrifie à fa
politique , s'il me refufe votre main ; à
quoi vous déterminez vous . A être malheureufe
, lui répondit Glicérie , & à céder
à ma deſtinée . Vous ne me verrez donc
plus ? Si l'on me deffend de vous voir , il
faudra bien que j'obéiffe . Vous obéirez
donc auffi , fi l'on vous propofe un autre
époux ? Je ferai la victime de mon devoir.
Et par devoir vous aimerez l'époux qu'on
vous aura choifi ? Je tâcherai de ne le
point hair ; mais quelles queftions vous
me faites ? Que penferiez- vous de moi fi
SEPTEMBRE. 1755. 17
j'avois d'autres fentimens ? Je penferois
que vous m'aimez. Il eſt trop vrai que je
vous aime. Non , Glicérie , l'amour ne
connoît point de loi ; il eft au- deffus de
tous les obſtacles ; mais je vous rends juftice
, ce fentiment eſt trop fort pour votre
âge , il veut des ames fermes & courageufes
que les difficultés irritent & que les revers
n'étonnent pas. Un tel amour eft rare ,
je l'avoue. Vouloir un état , un nom , une
fortune dont on difpofe , fe jetter enfin
dans les bras d'un mari pour fe fauver de
fes parens
, voilà ce qu'on appelle amour ,
& voilà ce que j'appelle defir de l'indépendance.
Vous êtes bien le maître , lui
dit-elle , les larmes aux yeux , d'ajouter
l'injure au reproche. Je ne vous ai rien dit
que de tendre & d'honnête. Ai-je balancé
un moment à vous facrifier vos rivaux ?
Ai - je héſité à vous avouer votre triomphe?
Que me demandez - vous de plus ? Je vous
demande , lui dit- il , de me jurer une conftance
à toute épreuve , de me jurer que
vous ferez à moi , quoiqu'il arrive , & que
vous ne ferez qu'à moi. En vérité , Seigneur
, c'est ce que je ne ferai jamais . En
vérité , Madame , je devois m'attendre à
cette réponſe & je rougis de m'y être expofé.
A ces mots , il fe retira outré de colere
, & fe difant à lui- même , j'étois bien,
IS MERCURE DE FRANCE.
bon d'aimer un enfant qui n'a point d'ame
& dont le coeur ne fe donne que par avis
parens.
de
4X Il y avoit dans Athenes une jeune veuve
qui paroiffoit inconfolable de la perte de
fon époux. Alcibiade lui rendit comme tout
le monde , les premiers devoirs avec le
férieux que la bienféance impoſe auprès
des perfonnes affligées . La veuve trouva
un foulagement fenfible dans les entretiens
de ce difciple de Socrate , & Alcibiade un
charme inexprimable dans les larmes de la
veuve. Cependant leur morale s'égayoit de
jour en jour . On fit l'éloge des bonnes qualités
du défunt , & puis on convint des
mauvaiſes , c'étoit bien le plus honnête
homme du monde ; mais il n'avoit précifement
que le fens commun. Il étoit affez
bien de figure , mais fans élégance & fans
grace ; rempli d'attentions & de foins ,
mais d'une affiduité fatigante. Enfin , on
étoit au défefpoir d'avoir perdu un fi bon
mari ; mais bien réfolue à n'en pas prendre
un fecond . Eh ! quoi , dit Alcibiade , à
votre âge , renoncer à l'himen ! Je vous
avoue , répondit la veuve , qu'autant l'eſclavage
me répugne , autant la liberté m'effraye
. A mon âge , livrée à moi - même , &
ne tenant à rien , que vais-je devenir ? Alcibiade
ne manqua pas de lui infinuer
SEPTEMBRE . 1755. 19
qu'entre l'efciavage de l'himen & l'abandon
du veuvage , il y auroit un milieu à
prendre , & qu'à l'égard des bienféances ,
rien au monde n'étoit plus facile à concilier
avec un tendre attachement . On fut
révoltée de cette propofition . On eut mieux
aimé mourir. Mourir dans l'âge des amours
& des graces ! il étoit facile de faire voir
le ridicule d'un tel projet , & la veuve ne
craignoit rien tant que de fe donner des
ridicules. Il fut donc réfolu qu'elle ne
mourroit pas ; il étoit déja décidé qu'elle
ne pouvoit vivre , fans tenir à quelque
chofe , ce quelque chofe devoit être un
amant , & fans prévention elle ne connoif
foit point d'homme plus digne qu'Alcibiade
de lui plaire & de l'attacher . Il redoubla
fes affiduités , d'abord elle s'en plaignit
, bientôt elle s'y accoutuma , enfin elle
y exigea du miftere , & pour éviter les imprudences
, on s'arrangea décemment.
Alcibiade étoit au comble de fes voeux.
Ce n'étoit ni les plaiſirs de l'amour , ni les
avantages de l'hymen qu'on aimoit en lui ;
c'étoit lui - même ; du moins le croyoit-il
ainfi . Il triomphoit de la douleur , de la
fageffe , de la fierté d'une femme qui n'exigeoit
de lui que du fecret & de l'amour.
La veuve de fon côté s'applaudiffoit de
tenir fous fes loix l'objet de la jaloufie de
20 MERCURE DE FRANCE.
toutes les beautés de la Grece. Mais combien
peu de perfonnes fçavent jouir fans
confidens ! Alcibiade amant fecret , n'étoit
qu'un amant comme un autre , & le plus
beau triomphe n'eft flatteur qu'autant qu'il
eft folemnel. Un auteur a dit que ce n'eft
pas tout d'être dans une belle campagne ,
fi l'on n'a quelqu'un à qui l'on puiffe dire, la
belle campagne! La veuve trouva de même
que ce n'étoit pas affez d'avoir Alcibiade
pour amant , fi elle ne pouvoit dire à quelqu'un
, j'ai pour amant Alcibiade. Elle en
fit donc la confidence à une amie intime ,
qui le dit à fon amant , & celui - ci à toute
la Grece. Alcibiade étonné qu'on publiât
fon aventure , crut devoir en avertir la
veuve qui l'accufa d'indifcrétion . Si j'en
étois capable , lui dit - il , je laifferois courir
des bruits que j'aurois voulu répandre ,
& je ne fouhaite rien tant que de les faire
évanouir . Obſervons- nous avec foin , évitons
en public , de nous trouver enſemble ,
& quand le hafard nous réunira . Ne vous
offenfez point de l'air diftrait & diffipé
que j'affecterai auprès de vous . La veuve
reçut tout cela d'affez mauvaiſe humeur.
Je fens bien , lui dit-elle , que vous en
ferez plus à votre aife : les affiduités , les
attentions vous gênent , & vous ne demandez
pas mieux que de pouvoir voltiger.
SEPTEMBRE. 1755 . 21
Mais moi , quelle contenance voulez - vous
que je tienne . Je ne fçaurois prendre fur
moi d'être coquette : ennuyée de tout en
votre abfence , rêveufe & embarraffée
auprès de vous , j'aurai l'air d'être jouée ,
& je le ferai peut -être en effet. Si l'on eft
perfuadé que vous m'avez , il n'y a plus
aucun remede , le public ne revient pas.
Quel fera donc le fruit de ce prétendu
miftere. Nous aurons l'air , vous , d'un
amant détaché , moi , d'une amante délaiffée.
Cette réponſe de la veuve furprit Alcibiade
, la conduite qu'elle tint acheva de
le confondre. Chaque jour elle fe donnoit
plus d'aifance & de liberté. Au fpectacle
elle exigeoit qu'il fut affis derriere elle ,
qu'il lui donnât la main pour aller au Temple
, qu'il fut de fes promenades & de fes
foupers. Elle affectoit fur-tout de fe trouver
avec fes rivales , & au milieu de ce
concours elle vouloit qu'il ne vit qu'elle .
Elle lui commandoit d'un ton abfolu , le
regardoit avec miftere , lui fourioit d'un
air d'intelligence , & lui parloit à l'oreille
avec cette familiarité qui annonce au public
qu'on eft d'accord. Il vit bien qu'elle
le menoit partout , comme un efclave enchaîné
à fon char. J'ai pris des airs pour
des fentimens , dit-il , avec un foupir , ce
n'eft pas moi qu'elle aime , c'eſt l'éclat de
22 MERCURE DE FRANCE.
ma conquête ; elle me mépriferoit , fi elle
n'avoit point de rivales. Apprenons - lui que
la vanité n'eſt pas digne de fixer l'amour.
On donnera la fuite le mois prochain .
A SA MAJESTE
LE ROI DE POLOGNE ,
Sur laftatue du Roi de France , qu'il a
fait ériger à Nancy.
ROME de fes héros & de fes Empereurs ,
Par le marbre ou l'airain fe retraçoit l'image :
Et celle de LOUIS , outre cet avantage ,
Eft gravée au fond de nos coeurs .
Par vos foins on la voit dans l'heureuſe contrée ,
Où vous avez du ciel fait revenir , Aftrée :
Mais , Grand Roi , quel feroit notre contente
ment
S'ils n'étoient
pas bornés à ce feul monument !
que
le
nôtre ,
Sans craindre qu'un Monarque auffi bon
Puiffe jamais être jaloux
Des fentimens qu'on a pour vous ;
Auprès de ſa ſtatue on voudroit voir la vôtre .
Par la Mufe Limonadiere , ce 28 Juillet
1755
SEPTEMBRE. 1755. 23
LES SOUHAITS.
UNN tourtereau >
Perché fur un rameau ,
Attendoit le retour de fa chere
compagne ,
Qui butinoit encor dans la campagne.
Cet amoureux oiſeau
Par fes gémiffemens exprimoit les allarmes
Dont fon coeur étoit agité.
Philis en répandit des larmes :
Tout attendrit une jeune beauté
Abfente de l'objet qu'elle aime .
Grands Dieux ! quelle félicité ,
Dit- elle , fi Tircis penfoit à moi de même !
A peine elle eut fini ces mots ,
A fes
Que le plus tendre des moineaux ,
yeux careffa fon aimable femelle
Cent & cent fois en un moment ;
Amour , s'écria cette belle ,
En voyant leurs tranfports & leur raviffement ,
Ah ! fais que mon amant ,
Si tu veux que je fois à ton culte fidele ,
Imite abfent le tourtereau ,
Et qu'après fon retour il devienne moineau.
LA DOUCE VENGEANCE.
Dormons, difoit Cipris , au Dieu Mars fon amant,
Avec un ton de voix charmant ;
24
MERCURE DE FRANCE.
Dormons : la nuit acheve fa carriere ,
J'apperçois déja la lumiere.
Vous vous trompez , non , ce n'eft pas le jour ;
L'éclat que vous voyez , dit Mars avec tendreffe ,
Vient de vos yeux , belle Déeffe ;
C'eft l'ouvrage de mon amour.
Ah ! réprit auffi -tôt la Reine de Cithere :
S'il eft bien vrai , cher amant , vengeons- nous,
En rendant cette nuit fi brillante , fi claire ,
Que l'indifcret Phébus en devienne jaloux.
Ces deux pieces font de M. de Beuvri.
VERS
A Mlle C. Le jour de S. Louis fa fête , en
lui envoyant un petit panier couvert , dans
lequel il y avoit des pêches , & un bouquet
à la queue duquel étoient enchaînés fix
ferins , avec des faveurs.
CHargés des dons de Pomone & de Flore ,
Nous venons , députés de l'ifle de Paphos ,
Vous offrir , timides oifeaux ,
Des fleurs , que les zéphirs pour vous ont fait
éclorre :
Ouvrez ! ne craignez point notre légereté ,
Nul de nous ne fera volage.
Peut- on ne pas chérir ſon eſclavage ,
Quand c'est pour vous qu'on perd la liberté ?
* Lefoleil en éclairant les plaifirs de Mars & de
Venus , les fit furprendre par Vulcain.
SUITE
SEPTEMBRE. 1755. 25
SUITE
DE L'ESTIME DE SOI - MESME ,
Ou l'art d'augmenter celle des autres ,
Par M. de Baftide.
Es hommes naiffent avec deux foibleffes
contradictoires , la jaloufie aveugle
& l'admiration rapide . Ces foibleffes
ont donné le mouvement au monde , tel
qu'il eft aujourd'hui . On les fait aisément
naître dans le même jour ; la nuance qui
les fépare eft prefque imperceptible. Il eft
toujours heureux de finir par être l'objet
de la derniere , mais on a rifqué de n'y
pas parvenir ; & fi cela fut arrivé , on
reftoit bien loin du dégré d'eftime , de
fortune , ou d'élévation que l'on devoit
attendre de fon mérite.
Il est un moyen d'affurer à fon ambition !
tout le fuccès qu'elle s'eft promis , c'eft l'art
de fe faire valoir. Cet art paroît être partout,
aujourd'hui que les vices ont pris tant de crédit.
En effet, combien de gens réuffiffent, qui
n'auroient pas même ofé former des defirs,
fi le mérite étoit la feule clef des fuccès de
l'ambition . Soupleffes , trahifons , fauffes
confidences , faux fervices , fauffes louanges
, tous moyens heureux mais infâmes ,
B
26 MERCURE DE FRANCE.
Cet art eft un crime, & fes motifs toujours
découverts font tôt ou tard le châtiment
de l'homme coupable qui les a lâchement
employés.
L'art dont je parle , & dont je vais effayer
de donner des leçons , eft toujours
innocent , & réuffit toujours mieux ; il
affure l'eftime des hommes fans laquelle il
n'eſt point de vrai bonheur ; il n'eſt jamais
un fujet de reproches pour le coeur même
le plus délicat ; tous les plaifirs qu'il procure
font vrais , on y trouve la fatisfaction
inexprimable d'être l'auteur du dégré de
confidération auquel on eft parvenu , on y
trouve encore le plaifirflateur d'être agréa
ble aux hommes en leur faifant fentir une
admiration tendre qui ne va jamais fans
leur attachement, & qui ne peut jamais être
fans plaifir pour eux.
En quoi confifte cer art fi utile & fi favorable
? fuffit-il d'être né avec du mérite &
d'éviter la modeftie pour le pofféder ? Eſtce
en faifant adroitement valoir les autres
que l'on parvient à fe faire valoir ? Négliger
fes intérêts , paroître ignorer ce que
l'onvaut , être doux , careffant , docile ,
donner modeftement un confeil , demander
un avis avec cet air touchant qui fait
entrer la fimpatie dans le coeur de celui
qu'on confulte ; montrer une fermeté noble
SEPTEMBRE. 1755. 27
dans toutes les occafions de concurrence &
de difpute où la gloire eft intéreffée ; donner
à tout ce que la vanité fait dire ou entreprendre
l'air de cette gloire fi refpectable
, dans laquelle les hommes les plus
vains ont toujours trouvé tant d'excuſes ;
adoucir cet air par un regret apparent de
n'avoir pas pû éviter d'agir & de ne pouvoir
plus reculer ; être honnête dans la
concurrence & modefte dans le triomphe .
Eft-ce là l'art de fe faire valoir ? Il n'eft
point dans toutes ces chofes féparées ; il ſe
forme de toutes .
La modeſtie eft une qualité refpectable ,
mais elle eft le terme des avantages que le
mérite a droit de fe promettre dans le monde.
Une froide eftime eft tout ce que les
hommes lui accordent . Pour réuffir , il faut
s'annoncer & attirer les regards à foi. Le
monde, en cela , eft une image des fociétés
particulieres où l'homme le plus diftingué
par le mérite n'aura bientôt aucune forte
de diftinction , fi de tems en tems il ne fe
renouvelle dans les efprits , en y renouvellant
fa réputation par quelque trait de fa
vanité. Tout le monde fçait que ce n'eſt
que fur la fin de fa vie que l'immortel
Corneille eut une penfion de Louis XIV .
Ce grand Roi aimoit pourtant à récom
penfer, & il y penfoit de lui - même ; mais
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
il étoit entouré de poëtes plus courtifans ,
qui rempliffoient fes oreilles du bruit de
leur génie & le trop modefte Corneille
laiffoit parler le fien .
Ileft donc abfolument néceffaire de fe
montrer aux hommes fous un jour qui les
frappe , lorsque l'on veut repréfenter fur
la fcene du monde. Mais les nuances qui
doivent former cet éclat , font délicates ,
difficiles à réunir , plus difficiles à placer.
Les hommes accordent volontiers leur admiration
, mais le mépris , la jaloufie & la
haine font le prix du defir de l'obtenir , ſi
l'on n'a pas un cetain art de la faire naître ,
même en la méritant.
Parler trop fouvent de foi , en parler
trop bien , avoir l'air de fe careffer en fe
louant , fe louer dans des chofes que le
public a vu d'un ceil prévenu , attaquer la
réputation d'un homme eftimé pour affurer
la fienne , ce feroit choquer les hommes ,
trop préfumer de leur caprice, de leur foibleffe
ou de leur injuftice , & rifquer évidemment
de fe ruiner dans leur efprit , au
lieu de s'y bien établir. Mais fuivant les
cifconftances dire de foi le bien que les
autres en ont déja dit , retracer certains
traits qui ont fait généralement honneur ,
ne paroître fe louer que par l'exigence du
cas préfent , prouver ce que l'on peut faire
SEPTEMBRE. 1755. 26
par ce que l'on a fait , &n'en parler que pour
juftifier fa prétention actuelle , voilà le vrai
moyen de fe faire valoir. La modeftie nous
fait oublier des hommes , la préfomption
nous en fait hair ; une certaine vanité de
fituation prévient l'inconftance , écarte la
jaloufie , & fait naître la vraie eſtime .
Sçavoir faire valoir les autres , eft un
moyen infaillible de fe faire valoir foimême.
Quelques vains que foient les hommes
, ils ne fe jugent jamais avec affez de
complaifance pour n'avoir befoin que de
leur propre eftime . La voix du coeur fait
taire la voix de l'amour propre. Sçavoir
flatter cette avidité de louanges toujours
plus infurmontable à mefure qu'elle eft
moins véritablement fatisfaite , c'eft s'affurer
du reffort général qui fait mouvoir tous
les hommes , c'eft avoir trouvé l'art de
maîtriser l'efprit & le coeur.
Le feul defir de plaire indique mille
moyens de flatter leur vanité , mais il eſt
dangereux de n'en pas fçavoir régler l'ufage
, s'ils vous voyent trop frappés de leur
mérite , ils ne le feront plus du vôtre , il
faut fçavoir s'arrêter dans la louange comme
dans la plaifanterie. Les hommes font
naturellement ingrats . Ils haïffent qui ne
les loue pas affez , ils méprifent qui les
loue trop. Un homme d'efprit que l'on
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
connoîtra pour n'être point louangeur &
pour avoir un goût très - difficile fera für
de s'être fait autant d'amis qu'il y aura de
perfonnes dans un cercle qu'il aura diftinguées.
On fe parera complaifamment de
cette diftinction , moins parce qu'elle fera
flatteufe par elle-même , que parce qu'on
la devra à un homme qui n'eft pas dans
l'habitude de flatter , & fi l'on eft contrarié
dans l'opinion qu'on aura prife de la qualité
dont on aura été loué , on dira M. un
tel m'en a fait compliment. Ce M. un tel
pourtant , cité comme un oracle , ne fera
qu'un homme de goût comme tant d'autres
; il n'aura rien fait que de très - fimple
en louant ce qui étoit bien & fe taifant fur
ce qui ne méritoit pas d'être loué , mais
c'eft que ce qui eft très- fimple devient trèsméritoire
& très - confidérable , lorfqu'on
a fçu fe faire une réputation .
Négliger fes intérêts , eft encore un de
ces moyens de fe faire valoir qu'on ne doit
employer qu'avec prudence . Il réuffit alors
parfaitement. Je fuppofe un homme d'efprit
aux prifes , dans une converfation , avec
un fat déja prefque vaincu ; que cet homme
fi fupérieur par le mérite & par l'avantage
actuel , renonce à fa victoire , qu'il
paroiffe avoir épuifé fes reffources en faifant
finir la difpute par un filence qui laifSEPTEMBRE.
1755 : 31
fe la queftion indécidée ; tout le monde
admirera fa modération , & elle lui fera
plus d'honneur que fon triomphe ne lui en
eut fait. Mais pour pouvoir montrer fans
danger une pareille générofité , il faut que
les fpectateurs connoiffent votre fapériorité
, & vous rendent juftice , il faut encore
& non moins neceffairement, que l'objet
de la difpute ne ſoit pas effentie! par
lui-même , & que votre défaite ou votre
victoire n'intéreffe que votre vanité . Si au
contraire de l'une ou de l'autre dépendoit
l'intérêt de votre gloire ou de celle de votre
ami , négliger vos avantages , ce feroit
mériter que l'on doutât de votre efprit , ou
qu'on vous accufât d'ignorer ce que l'on
doit à fon ami ou à foi- même.
Cette regle s'étend à la douceur , à la
docilité , &c. qualités qui nous rendent
tous les hommes favorables , lorfque nous
fçavons les montrer avec art, & qui peuvent
au contraire nous faire un tort confidérable
dans leur efprit , fi cet art précieux
n'en regle pas l'ufage.
Un honnête homme , qui vient vous
demander un confeil , mérite que l'attention
de ne pas bleffer fon amour propre
foit votre premier foin . Il est toujours humiliant
d'être contraint à s'éclairer des lumieres
des autres ; demander un confeil
Biv
MERCURE DE FRANCE.
c'eft faire l'aveu d'un befoin , Donner un
confeil eft donc faire une action par laquelle
votre vanité agit en quelque forte
contre l'amour propre de celui à qui vous
le donnez ; fi vous ne lui paroiffez pas
modeſte , vous lui paroîtrez impertinent
vous ferez l'objet de fa haine immédiatement
après avoir été l'objet de fa confiance
; mais fi au contraire vos lumieres fe
cachent fous un air de modeftie , fi en le
confeillant vous paroiffez plus flaté du fervice
que vous pouvez lui rendre que de
l'honneur qu'il vous aura fait , fa vanité
reconnoiffante vous tiendra compte d'un
ménagement indifpenfable comme d'un
bienfait volontaire ; vous obtiendrez fon
amitié par votre confeil , & fon eftime par
votre procédé.
. Il eſt auffi néceffaire de demander un
confeil avec dignité , que de le donner
avec modeftie. On prévient l'injuſtice de
la vanité en confultant avec un air touchant
, toujours affez flatteur pour contenir
l'orgueil qui voudroit agir. Celui qui
confulte a un fervice à obtenir & une offenfe
à éviter ; un fervice , parce qu'un bon
confeil donné avec cet air de ménagement
qui vient de la confidération , porte naturellement
ce nom ; une offenfe , parce que
l'homme naturellement vain abuſe aiféSEPTEMBRE
. 1755. 33
ment des fervices qu'il rend , & les tourne
toujours en offenfe lorfque la façon de les
demander n'a pas quelque chofe d'impofant
qui lui imprime la confidération. On
eft fûr d'obtenir l'un & d'éviter l'autre par
l'art de demander . On réuffira même au- delà
de fes efpérances , fi l'on fçait tirer de cet art
tout ce que l'on peut en attendre . Celui
que vous confulterez , forcé à vous fuppofer
de la nobleffe à proportion que vous en
aurez montré , jugera de fon mérite & de
votre eſtime pour lui par votre démarche
qui les mettra dans tout leur jour ; ſa vanité
careffée , portera fes idées fur la préférence
que vous lui aurez donnée , & les détournera
du ſervice qu'il vous aura rendu ;
il vous chérira , vous estimera , vous refpectera.
La reconnoiffance lui dictera des
remerciemens dont vous verrez facilement
la fincérité. Si dans ce moment vous lui
demandiez les plus grandes preuves de prédilection
, il feroit capable de vous les accorder
& de vous en remercier de même.
Car que ne doit on pas attendre d'un homme
lorfqu'on a fçu flatter ſa vanité ?
La plupart des concurrens font ou diffimulés
avec baffefle , ou fermes avec infolence
, & il n'arrive que trop fouvent qu'ils
triomphent par l'un ou l'autre de ces défauts
, mais très - fouvent auffi leur victoire
By
34 MERCURE DE FRANCE.
les livre à la haine & au mépris publics.
L'on fent bien que , lorfqu'on demande
une préférence fur un rival , la gloire ne
fouffre pas que l'on manque , par ſa faute,
de l'obtenir ; afficher fon ambition , c'eſt
afficher la préfomption fil'on ne réuffit pas.
Mais pour réuflit n'y a- t-il point de moyens
innocens qui ne foient dangéreux ? Oui ,
fans doute , il en eft , & les voici . C'eſt à
celui- là feul qui en fçait faire ufage , que
font réfervés le véritable fuccès & la véritable
gloire de réuffir. Que l'on foit ouvert
avec prudence & ferme avec nobleffe , que
l'on paroiffe n'avoir de l'ambition que par
ce que l'on fe doit à foi-même d'en avoir
lorfqu'on eft fait pour parvenir , que cette
ambition n'ait pas l'air de la prétention ,
que l'opinion que l'on ade foi ne foit point
décélée par certain air de fuffifance , que
l'efpérance feule fe laiffe voir , mais qu'il
paroiffe que foutenue du defir de la gloire,
elle fuffira pour donner la conftance de folliciter
ce que l'on demande, ou de pourfuivre
ce que l'on a entrepris.
Si l'on a pour concurrent un homme
abfolument fupérieur en rang ou en mérite
, on ne fçauroit réparer par trop d'é
gards l'audace de s'être mis à côté de lui ,
mais ces égards dégénéreroient en baſſeſſe
s'ils ne laiffoient plus diftinguer cet air de
SEPTEMBRE. 1755. 35
R
refolution qui marque une ame courageufe
, & qui fçait rendre aux autres ce qui
deur eft dû fans oublier ce qu'elle fe doit à
elle-même.
Si celui dont on fe voit le rival eft un
homme médiocre mais modefte , s'il paroît
que fon ambition ait pris fa fource dans fa
mauvaiſe fortune , fi fon fort dépend de la
réuffite de fes idées ; le traiter avec humanité
, ne fe montrer à lui qu'avec la moitié
de fes moyens , foutenir fon efpérance en
lui fauvant les preuves de fon infériorité ,
defcendre jufqu'à lui & lui conferver fon
illufion , paroître regretter d'être fon compétiteur
, fans que ce regret ait rien d'humiliant
pour lui ; c'eft avoir le procédé d'un
homme généreux , d'un homme admirable
, d'un homme que tout le monde doit
aimer.
Voilà de fùrs moyens de fe faire valoir.
On les trouve dans fon coeur lorfque l'on
penfe bien. J'ai pris dans le mien le deffein
de les expofer aux yeux des hommes
pour les tenter s'il eft poffible. Je fuis fûc
d'avoir bien fait , mais aurai -je affez bien
dit pour être écouté ? tout dépend aujourd'hui
de l'art de l'efprit. Un fermon même
eft ennuyeux s'il n'eft agréable ; il n'y a
plus de milieu. La raifon devroit pourtant
avoir confervé quelque privilege ; elle dit
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
toujours des chofes & l'efprit en fait fouvent
fouhaiter. Je fçais que l'efprit eft trèsaimable
, & que s'il joignoit à fes agrémens
l'appanage de la raifon , il vaudroit beaucoup
mieux qu'elle ; mais il n'a pas tout ,
ce n'eft prefque qu'une belle fleur ; pourquoi
s'y attacher uniquement ? le printems
eft bien court ; doit-on vivre fans provifions
pour les autres faifons de l'année ?
Q
VERS
A Madame P ...
Ui voit P ... voit la beauté :
C'eft à cette Divinité
Qu'il appartient de fixer fur fes traces
Les jeux , les ris , les amours & les graces :
Mais on ne peut l'apprécier
Qu'en lui rendant le plus fidele hommage ,
Elle feule des Dieux eft la parfaite image ;
Elle les repréſente , & les fait oublier. *
* Il y a dans les Danaïdes , Tragédie de Gombauld
, un vers qui paroît le modele de ce dernier.
Repréfente les Dieux , & les fait oublier.
SEPTEMBRE. 1755. 37
EPITRE
A Mr F *** Docteur en Médecine , &
amateur de la Littérature , fur le choix
des livres .
Toujours fondé fur votre complaiſance ,
Dont jufqu'ici j'ai fait l'expérience ,
Puis-je , Docteur , par ce nouveau placet ,
Frapper encore à votre cabinet ?
Temple des arts , facré dépofitaire
De la ſcience & du goût littéraire ,
J'y viens cueillir , ( vous me l'avez permis )
de fleurs dont j'orne mes écrits : Le
peu
En vain croirois-je , allant à d'autres fources ,
Me procurer de meilleures reffources.
Par-tout ailleurs que trouve un curieux ?
Tout eft obfcène , ou tout eft ennuyeux.
Pour le prouver vous faut-il des exemples ?
J'ouvre à vos yeux deux ou trois de ces temples.
Voyez Damon , ce brillant Adonis ,
Damon vanté parmi nos Erudits ,
Qui joint , dit-on , aux traits de la figure
Ceux d'un génie orné par la culture :
J'entens par tout préconifer fon nom
Les belles font les bérauts de Damon :
On le defire ; il va dans les ruelles ,
Toujours porteur d'égayantes nouvelles ,
38 MERCURE DE FRANCE.
Faire briller fes graces , ſon eſprit ;
C'eſt un oracle : Eh ! d'où vient ? » c'eſt qu'il lit ;
» Me répond-on , il faut voir les volumes ,
>> Tous fruits récens des plus fçavantes plumes ,
» Dont il s'est fait un riche magazin ;
» Rien de plus beau , c'eft de l'exquis , du fin.
Moi qu'on verroit voler jufqu'à la Mecque
Si j'y fçavois une bibliothéque.
Sur ce rapport qui flate mon efpoir
Je cours chez lui , je m'empreffe à le voir.
Beau maroquin & brillantes dorures ,
Beau caractere , ô les charmans augures !
Oui , le dedans doit répondre au-dehors,
J'ouvre ... que vois - je ?……
fors ?
-01-0 & quels font ces tré-
Al ... , les lettres portugaifes ,
D S *** & mille autres fadaifes :
Lubrique amas des plus honteux recucils ,
De la pudeur , redoutables écueils ,
Damon , tranquille au milieu d'eux , ſe joue ,
Et puife là ces beaux talens qu'on loue ,
Ses complimens , fes contes , fes bons mots.
Quel répertoire ! Amathonte , Paphos ,
Etes-vous donc l'école favorite ,
Où de nos jours s'acquiert le vrai mérite ?
Un laid Satyre , un Priape laſcif ,.
Dignes objets d'un regard peu craintif,
Te font , Damon , admirer leurs grimaces ,
Et tu profcris les Mufes & les Graces ,
-SEPTEMBRE. 1755. 39
>
Comme beautés indignes de ton foin.
Moi , je les cherche ....Adieu , voyons plus loin
Si plus heureux enfin je les découvre.
Ici , Docteur , un fecond temple s'ouvre.
Erafte habite en ces paiſibles lieux ;
C'eft de Thémis un Prêtre ſtudieux ;
Que des neuf foeurs on croit auffi l'éleve ,
Si le palais , par quelque courte treve ,
Sufpend par fois fes travaux journaliers , -
Des lys qu'il quitte il va fous les lauriers ,
Près d'Apollon paffer de doux quarts- d'heure.
Je pourrai donc .... quel vain eſpoir me leurre !
Rongés des vers , mille auteurs découfus ,
Sont pêle-mêle en ces lieux étendus,
Que m'offrent-ils ? d'infipides matieres ,
C'eſt du barreau les antiques lumieres ,
Un froid Bertaud , un énorme Cujas.
O ciel où donc ai-je adreffé mes pas ?
Je pourſuivois Minerve en ces retraites ;
Qu'y rencontrai- je ? un hydre à mille têtes.
Des ais poudreux foutiennent les noirs flancs ,
Et la chicane occupe tous les rangs.
Ses louches yeux fatiguent ma paupiere ,
Elle mugit , je recule en arriere ,
Et curieux de plus rarés tréfors ,
Je vais ailleurs tenter d'autres efforts.
La fcene encore , Docteur , change de face :
de grace ....
Eatrons ici , fuivez mes pas ,
40 MERCURE DE FRANCE.
Où vous conduis - je ? .... où vais - je ? ... Nous
voilà.
Précipités de Carybde en Scylla ,
Philinte y loge : hériffé philofophe ,
Fort fur l'ergo , jugez de quelle étoffe
Sont les recueils qui tombent fous mes mains.
C'eft Epicure , & fes atômes vains ;
C'eft Ariftote avec le fillogifme ,
Je prens la fuite à l'aſpect du ſophiſme ;
Et je crains trop , éleve de Clio ,
D'être écrasé fous un in-folio.
Epris d'amour pour la littérature ,
J'en viens chercher chez vous la fource pure.
Ainfi l'abeille aux ftériles vallons ,
Ne rencontrant que ronces & chardons ,
Pour fon goût fin toutes plantes ameres ,
Prend fon effor vers ces rians parterres.
Beaux lieux où Flore , étalant ſes appas ,
Offre à fon choix des fucs plus délicats .
Ces belles fleurs que l'abeille cajole ,
De vos tréſors , ami , font le ſymbole.
L'hiftorien avec le traducteur ;
Là le poëte , & plus loin l'orateur
Compoſent tous , arrangés dans leur cafe
Un helicon dont le goût eft la baſe.
Y briguez-vous une place : ayez foin
Que vos effais foient marqués à ce coin.
Nouveaux auteurs , dont la race pullule.
Plus des écrits le nombre s'accumule ;
SEPTEMBRE. 1755. 41
Et plus auffi dans ce fatras fufpect ,
L'homme lettré fur le choix circonfpect ,
Pefe , compare , examine & difcerne
L'or ancien de ce clinquant moderne ,
Qui féduit l'oeil fans éclairer l'efprit ,
la mode a mis feule en crédit. Et que
Qu'à votre goút tous les goûts foient conformes ,
Bientôt , Docteur , que d'heureuſes réformes !
Que de Romans à l'oubli condamnés !
Que d'avortons , que de nains détrônés !
Nains aujourd'hui qui vont fur les toilettes ,
Dans les bureaux , jufqu'aux faintes retraites ,
Effrontément étaler leur orgueil ,
Que favorife un général accueil.
Mais puifqu'en vain à ce torrent rapide
La raifon veut oppofer fon Egide ,
Sans déformais chercher à l'affoiblir
Bornons nos foins à nous en garantir .
>
Par M. Li. de Limoges .
42 MERCURE DE FRANCE.
M
Lettre à l'Auteur du Mercure.
ONSIEUR , j'entre dans le monde,
& je me fuis informé de ce qu'il
falloit pour s'y avancer rapidement. Quatre
chofes , m'a- t- on répondu . Beaucoup de
talent pour voiler la vérité , prefque autant
de goût pour la galanterie , une pointe
de médifance , & par- deffus tout un petit
air de dévotion . Comme je fuis timide
, je n'ai pas ofé me produire fans eſſayer
à part moi fi je réuffirois . Mais comment
m'y prendre ? Je n'avois jamais fait de
vers ; j'ai imaginé d'en compofer fur les
quatre genres : Ainfi c'eſt la timidité qui
m'a créé poëte , & c'eft beaucoup ; car je
ne croyois jamais pouvoir faire quelque
chofe de cette timidité là. Ce font ces
effais que je vous envoie . Vous n'en prendrez
pour le Mercure que ce qu'il vous
plaira Mais prenez - y garde , Monfieur ,
la chofe eft plus féricufe que vous ne penfez
. C'eft du genre que vous choiſirez ,
que dépendra le caractere que j'apporterai
dans le monde.
:
J'ai l'honneur d'être , & c.
G ***
SEPTEMBRE. 1755. 43
STANCES A PHILIS.
Pour l'inviter à venir quelque tems à la
campagne.
A Llons , Philis , dans ces bocages ,
Contempler de nouveaux objets ,
Et fous ces ténébreux feuillages
Inventer de plus doux projets.
Allons , loin du fafte des villes ,
Loin du fiécle , loin des plaifirs ,
A nos coeurs fimples & dociles
Permettre d'innocens defirs...
1
Allons ... la nature embellie ,
Par-deffus l'éclat des cités
D'une douce mélancolie ,
Remplira nos coeurs enchantés.

Du repos de ce lieu champêtre
Amour pourra s'autorifer .
Tout y fert à le faire paître
Ainfi qu'à le favorifer.
44
MERCURE DE FRANCE.
Quand la plaintive tourterelle
Pouffera de tendres accens ,
Ton coeur peut- être apprendra d'elle
A fouffrir des maux que je fens.
Quand le cryſtal d'une onde pure
Offrira tés traits dans fon fein ,
Il t'apprendra que la nature
Ne forma pas ces traits en vain .
Ces fleurs même , ces fleurs nouvelles
Nous font fouvenir des inftans :
Elles ne font pas toujours belles ,
Philis , il n'eft qu'un feul printems.
Le tems , plus léger que l'aurore
S'envole d'un rapide cours :
Rendons-le plus rapide encore
En le confacrant aux Amours.
Tous deux de l'ardeur la plus vive ,
Philis , laiffons-nous enflammer :
Tu m'aimeras pour que je vive ,
Et moi je vivrai pour t'aimer.
SEPTEMBRE . 1755 .
45
Ah ! fi ton amour eſt durable ,
S'il ne fuit jamais d'autres loix ,´
Mon fort eft cent fois préférable
Au fort brillant des plus grands Rois.
D'une félicité plus pure
Les Dieux goûtent-ils la douceur ?
Au-deffous d'eux par ma nature ,
Au -deffus d'eux par mon bonheur.
Quand avec toi mon coeur s'explique ,
Je crois monter au rang des Dieux :
Et fous le toit le plus ruftique
Je trouve près de toi les cieux.
Tout eft divin' dans ta perſonne .
M'offres- tu la rouge liqueur ?
Je crois voir Hebé qui me donne
Un nectar rempli de douceur .
M'offres-tu la pomme nouvelle ?
Paris fe vit moins honoré :
La fienne étoit à la plus belle ,
La tienne eft au plus adoré.
46 MERCURE DE FRANCE.
Ces fleurs que ta main a choiſie ,
Tu leur donnes mille vertus ;
Ce font celles dont l'ambroifie
Parfument l'autel de Vénus.
Ah ! que l'amour répand dans l'ame
De fentimens délicieux .
Philis , en brûlant de fa flamme ,
Nous nous rendrons plus chers aux Dieux.
La cour des céleftes Monarques
Nous deftine les plus beaux jours .
Les
graces
deviennent les
parques
Des coeurs confacrés aux Amours,
L'amour , c'est le fil de la vie.
Les plaifirs tiennent le fuſeau ,
L'ivreffe dont elle eft fuivie ,
Philis , c'eft le coup du cifeau.
Veux-tu voir la métamorphofe
D'un mortel au - deffus d'un Roi ?
Un mot fait mon apothéoſe :
Cher Tircis , mon coeur eft à toi,
SEPTEMBRE. 1755. 47
ODE
Tirée du Pfeaume 100 .
Seigneur , Eigneur , de ta gloire immortelle
Je veux fonder la profondeur ,
Je veux célébrer la grandeur
De ta clémence paternelle ;
Et ce palais auguſte où je ſuis adoré ,
Ne fera plus qu'un temple à ton nom confacr
J'éloignerai de ma préſence
L'homme fouillé d'impureté ,
Celui dont le fouffle empeſté
Ne refpire que la licence ,
Et qui dans fes difcours , infâme féducteur ,
Fait trembler l'innocence , & rougir la pudeur.

J'en bannis les langues traîtreffes.
Tous ces noirs enfans du démon ,
Qui couvrant leur fubtil poifon
De mille fleurs enchantereffes ,
Déchirent leur prochain par des traits acérés ;
Et d'autant plus mortels qu'ils font mieux pré
parés.
48 MERCURE DE FRANCE .
Je ne reconnois , ni n'avoue
Ce courtisan fuperbe & vain ,
Dont le fafte & le front hautain
Ne cachent qu'une ame de boue ;
Qui n'ayant que fa pourpre à faire refpecter ,
Méprife des vertus qu'il ne peut imiter.

Je n'admettrai point à ma table
L'hypocrite ni le trompeur ,
Qui vend & fa langue & fon coeur
Par un commerce déteftable.
Celui dont l'intérêt formant l'unique loi
Sçait trahir fans remords ſa parole & ſa foi.
Mais le coeur fervent , l'ame jufte ,
L'ami de l'ordre & de la paix ,
Celui-là fera pour jamais
L'ornement de ma cour augufte.
Eclaire-moi , grand Dieu , de ces rayons divins ,
Qui te font difcerner tous les coeurs des humains.
LA
SEPTEMBRE. 1755. 49
LA NAISSANCE DE BACCHUS,
FABL E.
Lorfque le maître du tonnerre
Quitta le céleſte ſéjour ,
Et vint fe livrer fur la terre
Dans les bras de Sémele aux douceurs de l'a◄
mour
Il n'étoit point tel qu'à fa cour
Augufte , puiffant & terrible ;
Rien que d'humain en lui ne paroiffoit aux yeux,
Et tout ce qu'il porta des cieux ,
Ce fut un coeur tendre & ſenſible.
Cependant , quel plus grand honneur !
Que pour une fimple mortelle
Un Dieu faffe de fa grandeur
Un beau facrifice à la belle ,
Qu'il préfere l'étrange faut
Des hommages qu'il vient lui rendre
A ceux que l'on lui rend là- haut ?
Que pouvoit- elle encore attendre
Fatale curiofité !
Elle veut voir la Majeſté
Qui fait que tout l'Olympe adore
Celui qui venoit l'adorer ,
Et fa fierté demande encore
Qu'il vienne à fes yeux s'en parer.
C
jo MERCURE DE FRANCE.
Que me demandez- vous , cruelle ,
Lui difoit le Dieu confterné ?
Obéiffez , répond Sémele ,
Mon coeur à ce prix feul vous étoit deſtiné.
L'ame de chagrin pénétrée ,
Il quitte ce funeſte lieu ,
Et vole au célefte empirée
Transformer le mortel en Dieu.
Un fuperbe éclat l'environne.
Les tonnerres , les feux , les foudres , les éclairs
Qu'il lance du haut de fon trône ,
L'eſcortent au loin dans les airs .
Cependant la troupe légere
Des amours , des plaiſirs , desjeux ,
Suit en folâtrant , & tempére
Le feu qui brille dans fes yeux.
Que l'ambitieuſe Sémele
Dût s'applaudir de tant d'amour !
Jupiter revient à ſa cour
Plus majestueux , plus fidele.
Qu'elle lui paîra de retour !
Mais , grands Dieux ! que vois-je ? qu'entens
-je ? ...
Quel trouble enchaîne tous fes fens !
A ces éclairs éblouiffans
Son beau front eft couvert d'une pâleur étrange ,
Et d'un mortel effroi fon coeur fe fent faifir
Au fein du plaifir.
Plus prompt qu'Atalante
SEPTEMBRE 1755 .
st
Il court retenir
Sa vie expirante.
Sur fa froide amante
Il cueille un foupir
Qu'éteint du defir
La foifdévorante.
Dieux ! par combien d'ardens tranſports ,
Et par quels baiſers tout de flamme
Il cherche à rappeller fon ame ,
Qui déja touche aux fombres bords !
Mais hélas ! une nuit cruelle
Couvre les yeux de cette belle .
De ce funefte Hymen , Bacchus nâquit enfin ,
Charmant , mais dangereux , funefte Dieu du vin ,
De fon pere il reçut l'influence mortelle ,
Des foudres , des éclairs , l'éclat vif & divin ,
C'eſt ce feu pétillant dont le jus étincelle
Qui porte jufqu'au coeur fa douce impreffion ,
Mais le trouble affreux de Sémele ,
C'est celui de notre raiſon .
EPIGRAMME
CONTRE HERMOGUNE.
On dit par tout , fçavante brune ,
Que vous parlez françois , hébreu , grec & latin .
Quatre langues, grands Dieux ! fans mentir, Hermogune
,
Il faut que contre le prochain
Votre haine foit peu commune :
Cij
32 MERCURE DE FRANCE.
N'étoit- ce donc pas affez d'une
Pour tuer tout le genre humain ?
Nous n'ofons décider le caractere de
l'Auteur fur ces différens morceaux. Les
Stances , l'Ode & la Fable peuvent concourir
à le former . A l'égard de l'épigramme
, nous jugeons par fa lecture qu'heu
reufement pour lui , il n'eft pas appellé à
la médifance.
Comparaison d'Homere & de Virgile , par
M. l'Abbé Trublet .
Omere eft plus poëte , Virgile eſt un
H počte plus parfait.
Le premier poffede dans un dégré plus
éminent quelques - unes des qualités que
demande la poëfie ; le fecond réunit un
plus grand nombre de ces qualités , & elles
fe trouvent toutes chez lui dans la proportion
la plus exacte.
L'un caufe un plaifir plus vif , l'autre un
plaifir plus doux.
Il est encore plus vrai de la beauté de
l'efprit que
de celle du vifage , qu'une forte
d'irrégularité la rend plus piquante .
L'homme de génie eft plus frappé d'Homere
, l'homme de goût eft plus touché de
Virgile.
SEPTEMBRE. 1755. 53
On admire plus le premier , on eftime
plus le fecond.
Il y a plus d'or dans Homere ; ce qu'il y
en a dans Virgile , eft plus pur & plus poli .
Celui - ci a voulu être poëte , & il l'a
pu ; celui - là ne pouvoit ne le point être.
Si Virgile ne s'étoit point adonné à la
poësie , on n'auroit peut- être point foupçonné
qu'il étoit très - capable d'y réuffir.
Si , par impoffible , Homere , méconnoiffant
fon talent pour la poëfie , eût d'abord travaillé
dans un autre genre , la voix publique
l'auroit bientôt averti de fa méprife
ou peut - être feulement de fa modeftie :
on lui eût dit qu'il étoit capable de quelque
chofe de plus .
Homere eft un des plus grands génies
qui ayent jamais été ; Virgile eft un des
plus accomplis.
L'Eneïde vaut mieux que l'Iliade , mais
Homere valoit mieux que Virgile..
Une grande partie des défauts de l'Iliade
font ceux du fiécle d'Homere ; les défauts
de l'Eneïde font ceux de Virgile.
il y a plus de fautes dans l'Iliade & plus
de défauts dans l'Eneïde .
Ecrivant aujourd'hui , Homere ne feroit
pas les fautes qu'il a faites ; Virgile auroit
encore fes défauts .
On doit Virgile à Homere : On ignore fi
C iij
$4 MERCURE DE FRANCE .
celui- ci a eu des modeles , máis on fent
qu'il pouvoit s'en paffer.
Il y a plus de talent & d'abondance
dans Homere , plus d'art & de choix dans
Virgile.
L'un & l'autre font peintres ; ils peignent
toute la nature , & le coloris eft
admirable dans tous les deux ; mais il eft
plus gracieux dans Virgile , & plus vif
dans Homere.
Homere s'eft plus attaché que Virgile à
peindre les hommes , les caracteres , les
moeurs ; il eft plus moral ; & c'eſt -là à
mon gré , le principal avantage du poëte
grec fur le poëte latin . La morale de Vir
gile eft peut-être meilleure ; & c'eft le mérite
de fon fiècle , l'effet des lumieres acquifes
d'âge en âge : Mais Homere a plus
de morale , & c'eft en lui un mérite propre
& perfonnel , l'effet de fon tour d'efprit
particulier.
Virgile a furpaffé Homere dans le deffein
& dans l'ordonnance.
Il viendra plutôt un Virgile qu'un Homere.
Nous ne devons point craindre que les
fautes d'Homere fe renouvellent , un écolier
les éviteroit. Mais qui nous rendra fes
beautés ?
Il me femble que plufieurs des traits de
SEPTEM BR E. 1755. 55
ce parallele pourroient entrer dans celui
de Corneille & de Racine.
O DE
A la Vérité.
Dv fein de la voûte azurée
Quel rayon
éblouit mes yeux !
Quelle eft cette vierge facrée ,
Quivers moi s'élance des cieux ?
Afon éclat , à cette flamme
Qui pénétre & remplit mon ame ,
C'eft toi , célefte vérité ;
Tu-viens me.rendre à ta lumiere ,
Tu viens brifer fur ma paupiere
Le fceau de la crédulité.
Les rives de l'Inculte Ingrie , ( a )
Tôt ou tard rompent leurs glaçons ;
Tôt ou tard les vents en furie
Laiffent flotter les Alcions.
Le jour ferain qui fuit l'orage ,
Offre enfin l'éclatante image
Du calme fûr où je me voi.
Laiffons la foibleffe au vulgaire ,
Tout change , mon amne s'éclaire ,
Un ciel nouveau s'ouvre pour moi.
(a ) Pays très -froid , conquis par les Suédois fur
les Mofcovites , arrosépar la Nieva.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE .
Je connois enfin ces perfides
Que ma foibleffe ofoit aimer ;
Tandis que leurs coeurs parricides
Ne confpiroient qu'à m'opprimer.
Mon oeil franchit le labyrinthe ,
Où ces coeurs fermés par la crainte ,
Cachent l'enfer & fes fureurs ;
Plus d'égards , le Dieu qui m'éclaire ,
Cruels , pour indigner la terre ,
Vous livre à mes crayons vengeurs.
Parlez , Tyrans de ma foibleffe ,
Vils artifans de mes malheurs ,
N'avez- vous flaté ma tendreffe
Que pour vous nourrir de mes pleurs .
Coeurs ingrats , vous tramiez ma perte ,
Lorfque pour vous mon ame ouverte
A vous aimer bornoit fes foins ;
Ainfi l'agneau , dès ſa jeuneſſe ,
Chérit la main qui le careffe
Pour l'immoler à nos befoins.
Venge-moi , Dieu de l'innocence ,
Toi qui feul môteur des deftins
Foule à tes pieds l'intelligence ,
Et les vains projets des humains ,
De ces cruels Punis les crimes ...
SEPTEMBRE . 1755 .
$7
Que dis-je ces lâches victimes
Sont trop indignes de tes coups :
Je veux moi feul venger la terre ;
Grand Dieu , prête- moi ton tonnerre
Et laiffe éclater mon couroux.
*
Fuffent-ils dans les noirs abîmes ,
Je les pourfuivrai chez les morts.
J'irai leur reprocher leurs crimes ,
Traîner fur leurs pas les remords .
J'écraferai leur tête altiere ,
Leurs fronts brifés fur la pouffiere
N'outrageront plus les vertus :
Mais qu'eft-il befoin de ta foudre ,
Ton fouffle peut les mettre en poudre ?
Grand Dieu , parle , & qu'ils ne foient plus.
Poinfiner le jeune.
L'Auteur dans fa noble colere , prend
ici le ton du Pfalmifte : L'agneau timide
eft tout à coup transformé en aigle , qui
porte & lance la foudre , on peut dire de
lui ,
Facit indignatio verſum.
Су
58 MERCURE
DE
FRANCE
. 1
LES DEUX FOURNEAUX
FABLE.
A Mme Bourette , ci-devant Mme Curé.
DE deux fourneaux , une muraille antique
Faifoit la féparation.
Ces fourneaux n'étant point dans la même bou
tique ,
Ils n'avoient pas non plus la même fonction.
L'un , d'un diftillateur , ( à ce que dit l'hiſtoire :)
Servoit à diftiller les charmantes liqueurs.
Sur l'autre , un teinturier dans fon laboratoire
Faifoit bouillir fes diverfes couleurs .
Dès que les ouvriers avoient fait leur journée ,
Le feu n'exhalant plus ni flamme ni fumée ;
Les fourneaux , à travers le vieux mur mitoyen ,
De converfer enſemble , avoient trouvé moyen ::
Celui du teinturier difoit à fon confrere :
Le goût & l'odorat par vos foins font flatés ,
Au lieu que de mon miniftere
L'un & l'autre fouvent fe fentent rebutés ..
Lors le diftillateur lui répondit : Mon frere ,.
Vous avez votre utilité.
Dans moi , le feu par fon activité ,
Des fleurs , des fruits , abforbe la nature
SEPTEMBRE. 1755 . 59
Mais par vos foins , ainfi que la peinture
Qui fe fait admirer par fon beau coloris ;
Vous faites que les yeux font charmés , éblouis.
Vous femblez donner l'être aux plus aimables
chofes ;
Et même furpaffer par vos métamorphofes ,
L'azur qui brille au ciel , & la neige des lys ,
Et le feu du corail , & le vermeil des rofes.
Lyon , les Gobelins font valoir vos talens .
Vos travaux ont rendu ces endroits opulens.
C'eſt par le ponceau fia , par la riche écarlate
Que leur magnificence éclate .
Ne vous plaignez donc plus. Quant à flater le
goût
Par mes liqueurs délicieufes ,
A la fanté du corps fouvent pernicieuſes ;
Voilà tout mon mérite Eh ! qui peut avoir tout ?
On ne joint pas toujours l'utile à l'agréable.
Confolez -vous , l'utile eft toujours préférable :
Cependant , quand on peut les réunir tous deux ,
C'eft-là ce qui s'appelle avoir un fort heureux.
Oui , dit le Teinturier : c'eſt un double avantage.
Mais vous l'avez ſur moi , tel eft votre appanage.
Par le beau coloris de vos douces liqueurs
Vous charmez à la fois & les yeux & les coeurs.
Eh ! qui joint mieux que vous l'agréable à l'utile ?
Le goût & l'odorat ne me font point la cour ;
Mais ils fuivront toujours celui qui leur diftille
L'eau d'or & le parfait amour.
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Le fourneau d'un Poëte eft fon cerveau fans
doute.
Pour faire quelques vers je fçai ce qu'il m'en
coûte.
Bourette , mieux que moi , vous fentez cette ardeur
,
Dont le fils de Latone enflamme maint auteur.
Ne comparons donc pas nos fourneaux l'un à
l'autre ;
Le mien eft de beaucoup inférieur au vôtre .
J. L. Cappon.
Maître Teinturier , & Bedeau des Saints
Innocens à Paris.
Ces qualités doivent fervir de paffeport
aux vers que l'on vient de lire.
SEPTEMBR E. 1755 61
PENSEES DIVERSES.
AL vertu eft de tous les états ; mais la
médiocrité eft en quelque forte fon
élément .
Il ne faut pas être vertueux ni libéral
pour faire du bien aux miférables ; il fuffit
d'être homme.
Le vice traîne avec foi tant de maux "
que quand la vertu ne ferviroit qu'à nous
en garentir , fon prix devroit paroître infini.
Le dégoût de la vertu ne naît que dans
·les coeurs qui ne connoiffent ni la vertu ni
le vice .
C'eſt une vertu bien équivoque que
celle qui a befoin d'épreuves pour fe fortifier
; un homme vertueux par goûr & par
principes , l'eft autant qu'on peut l'être ,
& l'eft pour toute fa vie .
Le mauvais exemple eft à la vertu ce que
· la prévention eft à la vérité.
La loi la plus étroite ne gêne point
l'homme vertueux , parce que tout ce qui
eft deffendu lui devient impoffible.
On dit du guerrier : il a fait de grands
exploits ; du fçavant , il a fait de bons ouvrages
; du Légiflateur , il a fait de belles
61 MERCURE DE FRANCE.
conftitutions : l'éloge de l'homme vertueux
eft d'avoir fait le bien.
Le Philofophe définit la vertu & la néglige
; le faux dévôt l'affiche & la rend ridicule
; l'enthoufiafte la prêche & la fait haïrs
l'homme de bien la fuit & en eft le modele
.
Soyez riche , vous n'aurez pas de naiffance
; foyez brave , il vous manquera du
bonheur ; foyez puiffant , vous ne ferez
pas modéré ; foyez vertueux , vous ferez
tout ce qu'il faut être.
L'honneur eft un fouverain defpotique ;
c'eft la divinité du monde entier. Fortune,
fanté , repos , tout lui eft facrifié . Faut- il
l'honneur foit différent de la vertu !
La fageffe diftingue le bien , la vertu le
pratique.
que
Le Jurifconfulte s'applique à pénétrer
l'efprit des Loix ; le Phyficien travaille à
découvrir les fecrets de la nature ; le Théologien
tâche de percer la miftérieufe obfcurité
des Ecritures ; le Sage cherche à fe
connoître .
Les austérités , les jeûnes , les macérations
, &c. ne font bons qu'à compenfer
des excès contraires. Une vie uniforme &
réglée eft la vie de l'homme vertueux .
Les plus grands Princes ne font pas
toujours les meilleurs Rois.
SEPTEMBRE 1755- 63
Admirer la vertu & en négliger la prasique
, c'eft une contradiction bien étran
ge , & néanmoins encore trop rare.
Le zele ne differe de la paffion , qu'en
ce qu'il a un objet louable . Il eft quelquefois
dangereux , & a fait faire de grandes
fautes.
Les efprits forts font en fait de religion
ce que font les beaux efprits en fait de
littérature.
Il n'y a qu'un pas du fcrupule à la fuperftition.
Rien n'eft pire que l'anéantiffement. Du
faîte de la félicité , paffer au comble du
malheur , ce n'eft que changer de mode ;
de l'existence , paffer au néant , c'eft perdre
fon effence.
autre ,
Qui abandonne une Religion pour une
les trahit fouvent toutes deux .
Les moeurs fe forment des impreffions
qu'on reçoit , & s'épurent par les réflexions
qui en naiffent.
Qui cherche le péril eft teméraire ; qui
te fuit eft lâche ; qui l'attend & le brave ,
eft courageux.
Il y a peu d'incrédules , mais beaucoup
de gens qui s'étourdiffent ou s'endorment
fur leur croyance.
Toute affectation eft voifine du ridicule.
Un homme a-t-il de la naiflance , da
64 MERCURE DE FRANCE.
coeur , du bien , de l'efprit ? Voilà ce qu'on
regarde dans le monde . Mais a- t- il des
mours ? c'eft ce qu'on n'examine guères .
Il en eft des paffions comme des liqueurs
qui entrent dans la compofition de l'homme.
L'équilibre fubfifte- t-il entre ces liqueurs
le corps fe porte bien . Eft- il détruit
le corps fouffre . De même tant que
les paffions demeurent dans une certaine
affiette où elles fe contrebalançent refpectivement
, l'ame eft en bon état . Viennentelles
à fe déranger ? l'ame eft troublée , &
devient malheureuſe .
On peut définir le vrai bonheur une
paix de l'ame qui naît du calme des paffions
, & du témoignage d'une bonne confcience
.
La jaloufie eft la marque d'un amour
extrême , ou d'un extrême mépris.
Les gens de bien & les fcélérats ont
quelque chofe de commun ; c'eft de mourir
comme ils ont vêcu .
La politeffe n'eſt pas un vice ; mais c'eft
le voile & le mafque de prefque tous les
vices.
Qui craint l'avenir , ou regrette le paſſé ,
jouit mal du préfent.
La folitude eft l'écueil du fçavant , &
l'effroi de l'ignorant ; c'eft l'afile de l'homme
vertueux.
SEPTEMBRE 1755. 65
L'orgueil eft la fource du vice & de la
fauffe vertu.
La vertu qui ne fe prête pas aux ufages
du monde , paffe pour un vice d'humeur ;
le vice qui s'y accommode eft regardé comme
une vertu de fociété.
Entez l'émulation fur un bon naturel
fi vous ne voulez pas la voir dégénérer en
envie.
Craignez Dieu ; aimez les hommes ;
défiez-vous de vous- mêmes.
On peignoit autrefois le fentiment ; aujourd'hui
on l'anatomiſe.
>
La plus aigre cenfure offenfe moins
qu'une raillerie ; on veut bien être fautif,
vicieux même , mais non pas ridicule .
Qui fe trompe eft homme , qui trompe
eft un monftre .
Les grands titres font des monumens
de la vanité des hommes plutôt que des
témoignages de leur mérité.
Ce qu'on appelle modeftie , n'eft fouvent
qu'un rafinement de l'amour propre
qui quête des louanges en affectant de s'en
deffendre,
Il n'y a de vraiment malheureux que
ceux qui envient le bonheur des autres.
Il y a des gens , mais en petit nombre ,
qui ne font indignes d'une grande fortune,
que parce qu'ils la defirent.
66 MERCURE DE FRANCE.
Les plus grandes fautes dans l'ordre de
la fociété , font celles que l'on commet
contre les devoirs de fon état .
On parle toujours trop quand on parle
mal à
propos .
Les vérités fe tiennent & forment une
efpece de chaîne qu'on ne peut rompre ;
c'est ce qui a fait dire aux Philofophes que
la vérité eſt une.
La crainte naît de l'incertitude ; un péril
affuré ne peut produire que l'heroïfme
ou le defepoir.
Le monde fourmille de fots , & cependant
c'eſt l'ufage du monde qui forme les
gens d'efprit.
LE MARIE', Avocat au Parlement.
A M. Chevalier , premier Médecin de fon
Alteffe royale Marie Anne Princeſſe de
Saxe , Electrice de Baviere .
EPITRE
C'En eft donc fait , tu pars ,
mé ,
Médecin renom-
Toi , que ton feul génie & l'étude ont formé.
Célébre Chevalier , une augufte Princeffe ,
A qui le ciel fit part de fa haute fageſſe ;
Eprife des talens qu'on voit briller en toi ,
Te ravit aux François , t'appelle près de foi.
SEPTEMBRE. 1755. 67
Cours , vole , va fervir cette Princeffe aimable ;
Pour toi fut-il jamais un fort plus defirable ?
Toute jeune qu'elle eft , dans la fleur de fes ans ,
C'eft la mère & l'appui des arts & des talens.
Les graces , la beauté font un autre appanage ,
Qu'avec elle en fa cour nulle autre ne partage.
Que de preffans motifs , â docte Chevalier ,
Pour déployer ici ton fçavoir tout entier !
Mais que dis-je le ciel jaloux de fon ouvrage ,
Sans doute empêchera que le tems ne l'outrage ;
Confervera fes traits , fa fanté , fa fraîcheur.
J'en fais des voeux aux ciel pour elle dans mon
coeur :
Alors tu ne feras que fpectateur ftérile.
Heureux d'être à ce prix ferviteur inutile !
Le pauvre , j'en conviens , loin de toi fouffrira
,
Et peut-être en fes maux fans fecours périra :
Mais fi la charité , cette vertu féconde ,
Ne fe borne ici - bas qu'aux limites du monde ,
Qu'importe , que ce foit fur le pauvre François
Que tombent tes fecours , ou fur le Bavarois.
Le ciel t'ayant donné d'abord l'un pour partage ,
Par de brillans liens avec l'autre t'engage .
Ces peuples fi divers de langage & de lieu ,
* M. Chevalier eft dans l'ufage depuis vingt ans
de fecourir chaque jour un très - grand nombre de
pauvres dans leur mifere , & departager fa fortune
avec eux , en leur donnant par charité les remedes
convenables à leurs maux.
68 MERCURE DE FRANCE.
Appartiennent tous deux également à Dieu.
Il récompenfera d'une égale couronne
Quiconque de bon coeur à l'un ou l'autre donne,
Le Prince & la Princeffe à qui tu vas donner
Tes talens & tes jours , loin de te condamner
Louront , enflammeront par leur exemple même
Ce penchant que tu tiens de la bonté ſuprême .
Vole donc , & que rien n'arrête ici tes pas ,
Mais fouviens-toi de nous en quittant nos climats.
Par M. Jouin , Bourgeois de Paris.
L'Auteur m'ayant écrit que la Cour de
Baviere fouhaitoit que cette épitre parut
dans mon recueil , j'ai regardé ce defir
comme un ordre refpectable , & je l'ai
inférée fans l'examiner.
Préfenté
BOUQUET
par
les Chevaliers de l'Arquebufe
de Brie - Comte - Robert , à M. Paris de
Monmartel , leur Colonel depuis long- tems ,
la veille de la S. Jean 1755 .
CE
Ette Compagnie fe rendit à Brunoy ,
& après avoir mis pied à terre , elle
alla au nombre de trente fous les armes &
en uniforme au Château . M. de Monmartel
vint au-devant d'elle tenant M. fon fils
par la main. On portoit à la tête fur un
SEPTEMBRE. 175 5. 69
brancard , un bouquet en forme de furtout
de deffert , compofé de fleurs de fucre en
paftilles. Aux quatre extrêmités s'élevoient
quatre palmiers formant un cabinet , entrelaffés
de panneaux à la mofaïque . Sous
ce cabinet on voyoit les trois déeffes &
Pâris donnant la pomme à Venus entourée
d'amours voltigeans ; & au-deffus un Mercure
en attitude de la Renommée. Aux
pieds de chaque palmier étoit un génie en
habit uniforme de l'arquebufe avec des
trophées d'armes , chaque génie portoit
une emblême.
Le premier.
C'est en vain qu'aujourd'hui la gémiſfante Aurore
A fait voir les tréfors de la brillante Flore ,
L'attrait éblouiffant d'un éclat paffager
N'offriroit de nos coeurs qu'un tableau trop léger .
Fleurs , dont l'induftrieux & folide aſſemblage ,
Du deftructeur de tout redoute moins l'outrage ,
Vous allez devenir aux yeux judicieux
Le fimbole parfait de nos finceres voeux ,
Dites au pere , au fils , à l'époufe chérie ,
Que le dernier de nous leur donneroit ſa vie
Pour prolonger leurs jours , & les rendre immor
tels ,
Et que tous les defirs de notre Compagnie
Sont d'avoir , en dépit du tems & de l'envie,
A fa tête des MONMARTELS
70 MERCURE DE FRANCE.
Le fecond. Les armes de M. de Monmartel.
Une pomme d'or. Ces armes font fur les
drapeaux de la Compagnie .
La reine de Paphos l'obtint par fa beauté ,
Et toi par tes vertus & par ta probité.
Elle fait notre gloire & nos cheres délices ,
Et brille à tous nos exercices.
Le troifieme. Les armes de la Compagnie .
Par notre attachement , & par tous tes bienfaits ,
Nous goutons des plaifirs vifs & pleins d'innodence.
Et pour mieux confacrer la grandeur de fes faits ,
Nous uniffons l'amour à la reconnoiffance.
Le quatrieme. Colonel M. de Monmartel.
Que ce nom nous eft doux ! qu'il nous eſt précieux !
Il embellit chez nous la plus petite fête ,
Il nous fait difputer l'honneur de la conquête
Bien plus que le prix de nos jeux.
M. Greban , Capitaine en chef , fit trèsélégamment
un fort beau compliment à
M. de Monmartel , dans lequel il lui demanda
de vouloir bien accorder aux voeux
de la Compagnie , M. fon fils pour Lieutenant-
Colonel. Il fut reçu & inftallé ſur
le champ , & prêta ferment entre les mains
de M. le Colonel. Un enfant de onze ans ,
fils de M. Dauvergne le jeune , CapitaineSEPTEMBRE.
1755. 71
Guidon , admis depuis quelque tems dans
la Compagnie , & qui n'avoit pas encore
prêté ferment , le prêta entre les mains de
M. de Monmartel fils , Lieutenant - Colonel
, & lui débita le compliment en vers
libres , qui fuit.
Pour fe ranger, Monfieur , fous votre obéiflance ,
Les liens du ferment paroiffent fuperflus ,
Il ne faut qu'un coeur tout au plus ;
Voici quelle eft ma conféquence.
Quand à la fois on peut unir
Et fon devoir & fon plaifir ,
On goûte une douceur extrême ,
Or dês qu'on vous voit , on vous aime ,
Ainfi l'on doit donc fe tenir
Trop heureux de vous obéir.
Eh ! qui de vous aimer oferoit ſe deffendre ?
L'amour en vous formant vous donna ſa beauté,
un coeur bon , délicat & tendre ,
Ses graces & fa majesté.
La vertu , qui toujours a guidé votre pere ,
Et qui vous eft héréditaire ,
Dans fon difficile chemin ,
Vous conduit déja par la main,
Et vous tiendrez de votre mere
La valeur de tous fes ayeux ,
On le voit fur vos traits , on le lit dans vos yeux,
72 MERCURE DE FRANCE.
Pour moi , Monfieur , quel avantage
D'être à l'ombre de vos drapeaux.
Non , la toibleffe de mon âge
N'arrêtera pas mon courage
Pour furpaffer tous mes rivaux.
Je vais done confacrer tous les jours de ma vie
Au folide bonheur de vous être attaché ,
Et mon coeur en eft fi touché
Qu'il ne fent que par-là , le ferment qui me lie.
M. le Colonel fit fervir des rafraichiffemens
de toutes efpeces à la Compagnie ,
elle fut invitée d'affifter à la proceffion du
feu de la S. Jean , & eut l'honneur d'y
être commandée par M. le Lieutenant-
Colonel. M. de Monmartel a eu la bonté
de marquer beaucoup de fatisfaction , &
un grand nombre de perfonnes de confidération
qui étoient chez lui , & beaucoup
d'autres des campagnes voifines que cette
fête avoit attiré à Brunoy, en ont paru fort
contentes.
E mot de la premiere Enigme du Mer-
LEcure d'Août eft la voyelle e ; celui du
premier Logogriphe eſt Lamproie ; celui de
la feconde Enigme , Poulets ; & celui du
fecond Logogryphe Livre , dans lequel on
trouve rive , lire , vie , Levi , ivre , ré ,
ver , ire , vil , lie , île.
ENIGME.
SEPTEMBRE. 1755 .
73
JE
ENIGM E.
E fuis un triple cabinet
• Avec une double ouverture
Par où paffe plus d'une ordure
Que chacun y porte en fecret.
Celui qui reçoit le paquet
Ne le reçoit pas fans murmure.
Deux patiens font la figure.
De gens condamnés au gibet .
Pendant que l'un des deux raiſonne ,
Un tiers , fans confeils de perfonne
De tout point veut être éclairci.
Là ,
le , pour repos de fon ame ,
Il ne faudroit pas qu'un mari
Se trouvât derriere fa femme.
Par M. le Baron de B ***
LOGOGRYPHE.
AMi Lecteur je vais t'apprendre
Un fait qui n'eft guerres commun.
Porté far onze pieds je n'en ai fouvent qu'un ,
Mais pour mieux te faire comprendre
Ce Logogryphe ingénieux ,
D
74
MERCURE DE FRANCE.
Je vais décompoſer tout ce qui me compoſe ,
Et par mainte métamorphofe
Montrer à tous les curieux
Un mot bien grec , d'aucun ufage en France ,
Un autre un peu latin , connu dans tout pays ,
Et que je dis cinq fois en difant qui je ſuis ,
Quoiqu'une feule fois il foit dans mon effence .
Un arbriffeau tendre , charmant ,
Une couleur très -féduifante
Lorfqu'elle eft jointe avec l'argent ,
Sur une voiture roulante
Que l'on chérit tant à préfent.
Le contraire d'un continent .
Ce que dicte Thémis ; le fils du premier homme.
De dix fois cent , ce qui forme la fomme ;
Une riviere , un fleuve très-fameux ;
Ce qui n'eſt point une femelle ;
Un coffre ; un fuc délicieux ;
Un fynonime de querelle ;
Ce qu'on oppofe à la fureur des eaux
Pour mettre à couvert les vaiffeaux.
Ce qui fert à former les habits des Lévites ;
Un mauvais livre , un fouffle tout divin ,
Dans le tonneau ce qui refte du vin.
Ces hommes qui jadis vivoient en bons hermites ;
Seulement occupés des affaires du Ciel .
Une fontaine en Ifraël ,
Une ifle où Jupiter fit fabriquer la foudre
Qui réduifit tous les Titans en poudre.
SEPTEMBRE. 1755. 75
Le nom d'un Duc dont je fuis ferviteur ,
( Quand je dis moi , je veux dire l'auteur )
Celui d'un Maréchal de France ,
Et même le nom de fon fils.
Trois noms qui n'ont entr'eux aucune reffemblance
;
Ce dont nous fommes tous paîtris.
L'air agité qui frappe nos oreilles.
Deux grands Législateurs , l'un fit de fages loix ,
L'autre opéra bien des merveilles
Pour réduire un tyran indocile à ſa voix.
L'aftre que le Perfe révere.
Une meſure , une ville , un oiſeau
Dont le ramage n'eft pas beau.
La Nymphe que Junon punit dans fa colere ,
Et fit errer dans l'univers.
L'étoffe qui nous vient d'Anvers.
Deux animaux marchant fur terre.
Une fête célebre en des climats divers.
Enfin tu me tiens dans ce vers.
Par Saint - Remi , domeftique , chez M. le
Duc d'Ollonne.
ENIGM E.
PUR ouvrage de la nature ,
Od je fuis je fers d'ornement ;
Mais quand quelque trifte aventure
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
M'a produit , je fuis différent :
Le vulgaire ne m'enviſage ,
Qu'avec une efpece d'horreur.
Je ne fuis rien aux yeux du fage :
Le Courtifan me fait fervir à fa grandeur,
Et quoiqu'à mes fujets , outre un dur eſclavage ,
J'imprime un trait qui femble les flétrir ;
Chaque jour cependant j'aggrandis mon empire.
Tu demandes mon nom ? je n'ofe te le dire.
Je crains , lecteur , de te faire rougir.
Par T. P. de Paris.
LOGOGRYPHE.
ET des biens & des maux je fuis fouvent l'auteur
Du vulgaire ignorant je captive le coeur ,
Je forme quelquefois le plus fombre nuage
Et décide à mon gré du fuccès d'un ouvrage.
Je compofe dix pieds ; combine bien les mots ,
J'offre à tes yeux , lecteur , ce qui plaît aux trou
peaux ,
Le plus cruel tyran qu'ait produit la nature
Au Rhétoricien une heureuſe figure :
>
Ce que tous les mortels ne quittent qu'à regret ,
1
Qu'on aime par nature ; un précieux objet.
Ce qu'un Roi généreux , à donner trop facile ,
Voit fouvent fe changer en un bien inutile.
SEPTEMBRE. 1755. 77
Ce qui de nos efprits diffipe le chagrin ;
Un mot toujours préfent à notre efprit malin.
Ce que les matelots affrontant les orages ,
Regrettent , mais en vain , au milieu des naufrages.
Un animal rampant ; un art Ingénieux .
De nos jardins fleuris l'ennemi dangereux.
Un Prince infortuné très -fçavant dans l'augure ;
Que Circé par dépit fit changer de nature.
Le propre nom qu'on donne à tous les fronts
voilés.
Ce qui déplaît toujours aux efprits aveuglés.
A tous les bâtimens chofe très - néceffaire ,
Un gouffre où s'engloutit l'aliment ordinaire.
Un oiſeau plus jafeur qu'une None au parloir ,
Celui qui tient fur nous un fouverain pouvoir.
Expofé tous les jours fur la plaine liquide.
Je fers l'ambitieux , & fends l'onde rapide.
Adorable vertu , chafte fille des cieux ,
On aime a m'ériger des autels en tous lieux
Je fçûs forcer un jour à périr obftinée ,
Du Prince Acrifius la fille infortunée .
Je renferme un pronom ; une trifte couleur :
Et le nom d'un Poëte , & celui d'un Rhéteur.
Fort commode aux humains , de nature fragile
J'oppofe aux Aquilons une barriere utile ;
J'offre un nom que deſire un tas de vains eſprits,
Critiques ennuyeux dans leurs fades écrits ;
Les lieux où le foleil commence fa carriere ;
D iij
78 MERCURE DE FRANCE:
Aux ragoûts employée , une vive pouffiere.
Adverbes oppofés : fans chercher vainement
Peut- être tu me fuis , Lecteur , en ce moment.
N.
MUSETTE.
os hameaux font Pheureux féjour
De l'innocence & de l'amour..
La tendreffe
La fageffe
Par des accords charmans
S'y trouvent réunies ;
Tout les Berges y font amans "
Les Bergeres n'y font qu'amies
Blutte. Musette
Noshameaux,sont lheureux séjourde l'innocence e
deL'amourLatendresse la sagesse Pardes accords cha
-mans Sy trouventréuni es,Cous lesBergers y =
sont Amans,Les Bergeres n'y sontqu'ami - es
7bre 1755.

SEPTEMBR È. 1755 .
و ل و
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
SUITÉ
De la feance publique de l'Académie royale
de Nifmes.
M. le Marquis de Rochemore , Secrétaire
perpétuel , lut enfuite une piéce en
vers libres , intitulée Epitre d' Hypermnestre
à Lyncée. Cet ouvrage eft imité d'une des
Héroïdes d'Ovide ; mais l'auteur ne s'eft
point attaché à copier fon modele ; il a
pris quelques penfées du Poëte latin , il y
a joint les fiennes : nous allons citer quelques
morceaux détachés qui pourront faire
juger de tout l'ouvrage.
C'eft ainfi qu'Hypermneftre raconte à
fon époux les crimes de fes foeurs , & fes
propres combats.
Un bruit foudain glaça ton épouſe craintive ,
Un bruit fombre ... plaintif ... de lugubres accens
...
Je vis briller le fer ... les foupirs des mourans
Vinrent frapper mon oreille attentive :
Div
So MERCURE DE FRANCE.
Imitons , dis-je alors , l'exemple de mes foeurs ,
De Danaus fuivons les loix feveres ,
Uniffons Lyncée à fes freres.
Un Dieu fans doute , un Dieu fufpendit mes fureurs.
Mon bras étoit levé , ta criminelle amante
Mefuroit éperdue , interdite & tremblante ,
Le coup qui devoit t'immoler ,
Ton fang étoit prêt à couler , . .
J'avois trois fois repris l'arme inhumaine
Qu'avoient ravi trois fois à ma main incertaine
L'horreur , l'amour & la pitié .
Dérobons à mon père une feule victime.
Dois-je être l'inftrument de fon inimitié ,
Et la complice de fon crime ?
Moi je me fouillerois d'un fang fi précieux ,
J'obéirois à des ordres impies !
Et cet Hymen détefté par les Dieux
Auroit été formé par les Furies !
Ah plutôt dans mon fein le poignard odieux ......
C'eft en vain qu'un pere parjure
Veut me faire trahir l'amour & la nature ,
Leurs droits font gravés dans nos coeurs
Et la voix d'un tyran guidé par fes fureurs
Ne peut étouffer leur murmure.
Les fanglots d'Hypermneftre , fes.combats
, fes tranfports , arrachent enfin Lyncée
au fommeil : fuyez , lui dit- elle ,
6
SEPTEMBRE. 1755. 81
La trahiſon , la mort regnent dans ce palais' ,
Cette nuit féconde en forfaits
Dans le fombre féjour a réuni vos freres ,
Et les myrthes d'Hymen aux Cyprès funéraires.
» Mon amour feul vous a fauvé , &
» m'a fait trahir les ordres cruels de Da-
» naus. » Le jeune Prince s'échappe du palais
à la faveur de la nuit.
Du foleil cependant la jeune avantcouriere
Sur nos Lares fanglans répandoit fa lumiere.
Danaus ( la fierté brilloit dans fes regards )
Comptoit de nos époux les cadavres épars ;
Un feul manquoit , Lyncée en cette nuit perfide
Evita feul les coups de la parque homicide.
Hypermneftre raconte à fon époux la
fureur de Danaus quand ce Monarque barbare
s'apperçut qu'une de fes victimes lui
étoit échappée ; il jure la mort de fa fille ,
& la fait indignement traîner dans un
cachot affreux .
» Viens , cher époux , lui dit- elle enfin,
Viens finir ma captivité :
Mais n'écoutes point ta vengeance ,
Contente-toi de fauver l'innocence
Sans punir l'inhumanité.
Songe qu'Hypermneftre est la fille
Du meurtrier qui perdit ta familles .
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
Tout barbare qu'il fût daigne épargner les jours.
D'un fang cher à mon coeur ne rougis point tes
armes :
Que ton retour enfin hâté par les amours
Ne foit point fouillé par mes larmes.
Cette fin eft abfolument différente de
celle d'Ovide ; l'Auteur n'a pas jugé à
propos non plus d'imiter dans fon épitre
le long épiſode d'Io changée en vache.
Les connoiffeurs décideront s'il a bien ou
mal jugé:
M. Vincens lut enfuite une épitre à la
mort , dont voici l'extrait.
La mort peut infpirer l'effroi aux ames
vulgaires , mais elle préfente au Sage une
lumiere fûre qui écarte l'illufion des fens ,
& lui montre les objets précifément tels
qu'ils font ; c'eft une divinité favorable
qui enfeigne aux humains . l'art de jouir
de tout fans abufer de rien , & qui diffipant
le preftige des paffions foutient leur
coeur dans l'heureux équilibre , qui feul
peut faire la vraie félicité. Tel eft le point
de vûe fous lequel M. V. envifage la mort.
Il peint en commençant l'épitre qu'il
adreffe à cette Divinité , la fituation où
fe trouve l'homme lorfqu'il entre fur la
fcene du monde.
SEPTEMBRE. 1755.
Sur le bord d'une mer immenſe
L'homme au fortir de fon enfance ,
Par la nature eft expofé :
La fon coeur ingénu fans guide , fans défenſe ;
Par la féduifante apparence
Eft à chaque inftant abuſe :
Sur le mobile dos des ondes azurées ,
Les folâtres amours & les plaifirs légers
Déployant leurs aîles dorées ,
L'appellent par leurs jeux , & voilent les dan
gers ;
Les jours fereins dé la jeuneffe ,
Le calme féducteur , les cris des Matelots ,.
Tout le follicite & le preffe
*
De tenter la route des flots ;
Il part , fur les eaux il s'élance ,
L'impatient defir & la douce efpérance
Enflent la voile , & l'écartent du port
Mais à peine au loin de la plage
Voit-il difparoître le bord ,
Tout change , l'air frémit , tout annonce l'orage:
Tout découvre à fes yeux , trop tard deſabufész
Les périls où les jours demeurent expofés :
Des paffions tumultueuses ,
Les rapides , courans & les vents opposés
Offrent à chaque inftant fur les mers orageufes
Les débris des vaiffeaux par les vagues brifés
A la fureur de la tempête ,.
Lui-même tout-à-coup livré.
D vj
8 MERCURE DE FRANCE.
L'orgueil , l'ambition , déchaînent fur la tête ,
Leur fouffle impétueux contre lui conjuré ;
De la fougue des flots , malheureuſe victime ,
Quelquefois dans les cieux , quelquefois dans
l'abîme ,
Et loin de fa route égaré ;
Une mer inconnue & d'écueils hériffée ,
De toute part à fa nef fracaffée ,
Préfente un nauffrage affuré.
La mort eft la feule divinité qui puiffe
fauver l'homme de ce péril ; elle lui mon
tre la vanité des objets qui l'environnent ,
elle l'éclaire fur leur durée qui n'eſt que
d'un inftant . Inftruit par fes leçons le Poëte
n'envie point le fort des favoris de la
fortune : non , dit- il , leur état ne fçauroit
m'éblouir .
De troubles , de foupçons, leur ame environnée
Laiffe fuir le préfent , rédoute l'avenir ;
Et malgré leurs efforts leur vie eft moiſſonnée
Avant qu'ils ayent trouvé le moment de jouir.
*
L'ambition n'a pas plus de charmes pour
lui. En vain montre- t- elle fes favoris placés
fur le char de la gloire ou montés au
rang des Dieux ; l'ambitieux , dit M. V.
éblouit quelque tems l'univers :
* Ce mot , ayant , ne peut point s'élider , en conféquence
il ne doit jamais être employé qu'à la fin
d'un vers.
SEPTEMBRE. 1755 :
Aftre brillant il roule fur nos têtes ,
Il excite , il appaife à fon gré les tempêtes ,
Il couvre l'Univers d'un feu qui l'éblouit :
Mais tandis qu'oubliant fa foibleffe premiere
Il répand à nos yeux fa plus vive lumiere ,
Par fa propre fplendeur féduit ,
Tu parles , & foudain du haut de fa carriere
L'aftre eft précipité dans l'éternelle nuit .
O mort! continue le Poëte ,
O mort ! un ennemi cent fois plus rédoutable
Avoit fait chancéler mon coeur. "
La volupté d'un charme inévitable
Verfoit déja fur lui le poifon féducteur
De fleurs fans ceffe couronnée ,
:
Autour de moi fa voix appelloit le plaifir ;
De délices environnée
Son regard dans mon ame allumoit le defir ;
C'en étoit fait , l'amour achevoit ma défaite ,
Ses liens pour jamais alloient me retenir ;
Mais tu fouffles , & fur la tête
J'ai vu les roſes fe flétrir.
Ces détails font terminés par cette réflexion
.
Gloire , plaifir , pouvoir , richeffe ,
Atômes agités par Paveugle Déeffe ,
A la faveur d'un rayon lumineux ,
Vous voltigez quelque tems fous nos yeux :
Notre coeur ébloui s'empreffe
86 MERCURE DE FRANCE.
Pour arrêter votre cours incertain ,
Il vous pourfuit , il s'agite fans ceffe ,
Il croit vous pofféder enfin :
Mais le fouffle du tems vous emporte ſoudain.
Ce n'eft pas que M. V. ne trouve des
plaifirs dignes de fon coeur : l'amitié lui
offre des charmes aufquels il fe livre avec
tranfport , & qui le dédommagent de toutes
les traverſes de la vie humaine .
Telle une tendre fleur que le midi dévore ,
Sur fa tige panchée , & prête à ſe flétrir ,
Renaît , s'épanouit , de nouveau fe colore
Au fouffle amoureux du zéphir :
Telle au fein des foucis qu'à chaque inſtant fait
naître
Sur les pas des humains le deftin fans pitié ,
Mon ame prend un nouvel être
Aux doux accens de l'amitié .
3. Les Mufes viennent encore lui prodi
guer des plaifirs purs ; Erato , Uranie ,
Calliope , l'inftruifent & l'amufent tour à
tour : Cette derniere fur- tout égaie la fʊlitude
du Poëte en formant devant lui
mille tableaux gracieux.
Tantôt elle lui peint le calme de la mer ,
Le ciel eft pur , l'air eft tranquille ,
Du foleil l'image mobile
SEPTEMBRE. 1755 . 81
Luit & vacille au fond des eaux :
Zéphir & les Nymphes craintives.
De mille rides fugitives
Sillonent mollement les flots.
Tantôt elle lui peint une agréable fête ;
Au pied d'un côteau fortuné
Venus de pampre orne fa tête ,
Bacchus de myrthe eft couronné ,
Guidés par l'aimable folie
Les amours barbouillés de lie
Folätrent auprès des neuf foeurs :
Et les graces échevelées
Parmi les Bacchantes mêlées
Feignent d'éprouver leurs fureurs.
C'eft par de tels plaifirs , continue le
Poëte :
C'eſt par de tels plaifirs qu'égayant le voyage ,
Et variant l'emploi de mes paifibles jours ,
Du terreftre pélerinage
J'acheve doucement le cours ,
Prêt au moindre fignal de quitter fans allasmes
Des biens dont ici-bas je jouis fans remords ....
Le fort qui nous attend après cette vie ,
nè caufe aucun effroi à M. V. que les impies
, les injuftes & les autres criminels
foient faifis d'une jufte terreur au moment

MERCURE DE FRANCE.
88
fatal qui les fait defcendre dans le tombeau
, pour lui il eft rempli d'une noble
confiance.
Mon coeur ( dit-il ) ne connoit point ces craintes
formidables .
Soumis envers les Dieux , jufte envers mes femblables
,
Vertueux , ou du moins zélé pour la vertu ,
Sous le poids du courroux céleste
Je ne crains point d'être abattu ;
Et fi des paffions l'impreffion funefte
Altere de mon coeur l'ex acte pureté ,
Les Dieux qui l'ont formé , connoiffent qu'il
détefte
Sa fatale fragilité ;
Et fatisfaits de ma fincérité ,
Leur fouffle bienfaifant purifira le refte
De la débile humanité.
M. Perillier , Chancélier , a terminé la
féance par un Difcours fur la néceffité du
choix dans les lectures.
SEPTEMBRE . 1755 . 89
MEMOIRE
OUR le fieur Pierre Eftève , de la Société
royale des Sciences de Montpellier
, contre Meffire Jofeph- Louis- Vincent
de Mauleon de Caufans , &c. & contre le
hieur Jean Digard , ancien Ingénieur du
Roi , au fujet du prix propofe par M. de
Caufans , au premier qui démontreroit un
Paralogifme dans fa démonftration de la
quadrature du cercle. A Paris , chez Ch .
Ant. Jombert, Imprimeur-Libraire du Roi,
rue Dauphine ; & chez Duchefne , Libraire
, rue S. Jacques , au Temple du Goût ,
-36 pag. in-4°.
t
Il n'eft prefqueperfonne qui ignore que
-M. le Chevalier de Caufans croit avoir
trouvé la quadrature du cercle : il a du
moins annoncé plufieurs fois dans tous les
Journaux la nouvelle de cette découverte.
D'abord il avoit fixé fa récompenfe à quatre
millions qui devoient lui être donnés
en forme de foufcription ; mais lorsqu'il
y a eu feulement fix cens mille livres dépofées
, il a bien voulu publier ce qu'il
appelloit une découverte merveilleufe .
Comme il ne pouvoit fe faire adjuger l'argent
qui étoit dépofé pour être fa récompenfe
fans fe faire juger fur fes démonſtra-
.
go MERCURE DE FRANCE.
tions , il configna chez un Notaire la fom
me de dix mille livres qui devoit être remife
au premier qui démontreroit un paralogifme
dans fa découverte de la quadrature
du cercle . C'eft ce prix qui fait
l'objet du procès littéraire dont traite le
mémoire que nous venons d'annoncer . On
y trouvera d'abord un précis très- exact de
tout ce qu'il y a d'hiftorique dans cette affaire
, nous y renvoyons le lecteur pour ne
l'entretenir ici que de ce qui fait le fonds
du procès .
M. Eſtève nous apprend qu'il eft le premier
qui ait convaincu M. le Chevalier
de Caufans d'erreur : En effet il n'y a perfonne
qui ait dépofé avant lui une démonftration
du paralogifme en queftion . Il a
donc rempli tout ce qui étoit impoſé pár
l'affiche qui avoit annoncé le prix , & il
feroit en droit de fe faire adjuger pour
lui- même les dix mille livres ; cependant
voici quelles font fes conclufions.
Etant le premier qui a démontré aut
» Chevalier de Caufans un paralogifme
» dans fa quadrature du cercle , il deman-
» de qu'il plaiſe à la Cour que les dix mil-
» le livres lui foient remifes comme ju-
» ftement acquifes ; & pour fonder une
≫ chaire de Mathématiques qui fera à ſa
nomination & pour l'inftruction de ceux
SEPTEMBRE. 1755. 91
» qui pourroient à l'avenir confier indif-
» cretement leur fortune à un paralogifme
fait fur la quadrature du cercle .
L'Auteur du mémoire paffe enfuite aux
moyens qui établiffent fon droit. Il plaide
fa caufe comme s'il étoit devant la Grand'-
Chambre du Parlement , qui doit juger
cette affaire. Il prouve que M. de Caufans
a fait un véritable contrat avec le
public , qu'il ne fçauroit s'en faire relever
qu'en implorant la proteclion que les Magi-
Brats ne refufent point aux mineurs. Il fait
obferver que ce prix a été propofé avec
les formalités les plus rigoureufes que
la juftice ait jamais prefcrites pour cimenter
irrévocablement les conventions ;
qu'on ne doit pas le regarder comme un
pari , mais plutôt comme la récompenſe
des talens & le payement d'un travail qui
n'a été entrepris que pour fatisfaire M. de
Caufans à qui il étoit utile.
Pour qu'on puiffe connoître le ton &
le ftyle de l'ouvrage , nous allons en tranfcrire
un paragraphe.
» Mais doit- on être forcé à payer chere-
» ment ceux qui par de folides raifons nous
»prouvent notre erreur ? Oui , quand on
»la promis : il eft vrai que dans la plû-
» part des hommes l'amour propre s'op-
»pofe à un pareil marché, mais cela n'em92
MERCURE
DE FRANCE
.
» pêche pas que M. de Caufans ne fe foit
engagé à donner dix mille livres à qui
» lui démontreroit qu'il a ignoré les véritables
principes de la géométrie. Puifque
» la loi ne lui a pas interdit les moyens de
» faire ufage de ce qu'il poffede , fon en-
"gagement ne fçauroit être revoqué . Si
» M. de Caufans eût été un homme vain
» & avide d'éloges , il auroit pû propofer
» la même fomme à qui auroit prouvé
qu'il étoit un grand homme ; mais n'é-
» coutant que les fentimens philofophiques
dont il fait profeffion , il a feulement
demandé la démonftration de fon erreur.
Il feroit à fouhaiter que cet exemple
admirable trouvât des imitateurs
» en propofant des prix pour qui nous dé-
» montreroit nos erreurs , nos défauts, nos
» vices & nos ridicules , on apprendroit à
» fe connoître foi -même , & on devien-
» droit plus parfait. C'eft à M. de Caufans
que nous fommes redevables de cette
» idée avantageufe au bien de la fociété ,
» & nous ne fçaurions nous difpenfer de
» lui en faire ici honneur,
و ر
H
On trouve encore dans ce mémoire un
détail des avantages que procureroit la
découverte de la quadrature du cercle.
Les bornes de cet extrait ne nous permetrent
pas de fuivre M. Eftève dans le déSEPTEMBRE.
1755. 93
veloppement de tous fes moyens , nous
nous contenterons de dire qu'indépendamment
de l'intérêt qu'on doit prendre à une
caufe qui doit être plaidée folemnellement
en la Grand'Chambre du Parlement,
- ce mémoire mérite d'être lû comme ou-*
vrage d'efprit & de littérature,
Voici le trait qui termine ce mémoire .
IM. Estève , après avoir prouvé que M. de
Caufans doit être condamné aux dépens :
= ajoute » que fi M. de Caufans en faifant
»fon dépôt & fes affiches , n'a eu d'autre
» deffein que de violer le droit des gens
» en plaifantant le public en ce cas il
» doit être condamné à des dommages-
» en forme de réparation , & expier par
» la perte de fon argent l'indécence de fa
» mauvaiſe plaifanterie.
Lettre de M. le Chevalier de Caufans à Milord
Macclefield , Président de la Société
royale de Londres .
ILORD , de bonnes raifons m'ont
Mempêché de démontrer plutôt évidemment
, & géométriquement à l'Académie
royale des Siences de Paris, la quadrature
du cercle , que j'avois annoncée. Je
m'empreffe , Milord , à vous en préfenter
les preuves ; & comme la vérité eft l'objet
lés
94 MERCURE DE FRANCE.
5
de vos lumieres , & de celles de la Société
royale à laquelle vous préfidez , je
vous prie , Milord , de la découvrir dans
cette occafion . Si je me fuis trompé , je
ne demande aucune indulgence . Je fçai
que vous excluez des fciences tout refpect
humain : ainfi , Milord , je me flatte
, que fi je fuis dans l'erreur , vous vous
fervirez de la voie la plus authentique
pour m'éclairer ; & que fi votre jugement
m'eft favorable , vous le direz formellement
, ce qui inftruira de votre ſentiment
pour ou contre. Rendez , je vous fupplie
, Milord , juftice à ma confiance , de
même qu'au refpect avec lequel j'ai l'honneur
d'être , Milord , &c.
A Paris , ce 10 Juillet 1755 .
C. JULII CÆSARIS que exftant opera.
Cum A. Hirtii , five Oppii commentariis de
Bellis Gallic. Alexand. Afric. & Hifpanien-
Li
Accefferunt ejufdem Cafaris fragmenta ,
nec non& nomina populorum , oppidorum ,
& fluviorum , qua apud Cafarem reperiuntur.
Parifiis , Typis Jofephi Barbou , viâ
Jacobaâ, fub Ciconiis , in - 12, 2 tomi. C'eſtà-
dire , OEuvres de Céfar , qui conſiſtent en
Les commentaires & en des fragmens de
SEPTEMBRE. 1755. 95
quelques-uns de fes autres écrits qui font
perdus. 2 vol . in- 12 . pag. 360 & 4 ) S •
Cette édition que Barbou , Libraire , rue
S. Jacques , vient de mettre au jour , a
tout ce qu'il faut pour lui mériter l'accueil
des perfonnes qui s'occupent de la lecture
des Auteurs Latins par état ou par goût,
La beauté du papier , la netteté des caraçteres
, une planche dont elle eft ornée au
frontifpice , concourent à la rendre trèsélégante.
Elle peut affurement aller de pair
avec les belles éditions de plufieurs Hiftoriens
Latins , qui ont paru depuis quelques
années dans le même format. On y
trouve des cartes particulieres de la Gaule,
de l'Italie , & de l'Efpagne , où les lieuxqui
font partie de ces trois différens pays ,
font marqués felon leur ancienne pofition ,
Il y a auffi une notice alphabétique des
noms , des peuples , des villes , & des fleuves,
&c. dont il eft parlé dans Céfar. Mais
ce qui contribue fur- tout à en augmenter
le prix , eft une differtation latine , qui eft
inferée à la fuite des 8 livres de la guerre
des Gaules. Comme il n'y en a que fept qui
appartiennent véritablement à Céfar , on y
recherche quel eft précisément l'Auteur du
huitiéme , ainfi que des autres livres qui
traitent de la guerre d'Alexandrie , d'Afrique
& d'Espagne . Il fuffit de dire qu'elle
96 MERCURE DE FRANCE.
eft du célebre Henri Dodwel , pour faire
fon éloge. Il eſt aifé de le reconnoître à ce
grand fond d'érudition , & cette exactitu
de de critique qui caractériſent.prefque
toutes les productions , dont ce fçavant Anglois
a enrichi la République des Lettres.
C'eft une raifon de plus qui la fera rechercher
des Sçavans. Nous ajouterons encore
que le même Libraire promet de donner
dans un pareil format les Auteurs fuivans ,
qui font indiqués à la fin du premier volume
, Quinte- Curce , Ovide , Pline ( du
P. Hardouin ) & Juftin. S'il apporte les
mêmes foins pour les éditions qu'il prépare
, que pour celle que nous annonçons
actuellement, il peut être perfuadé qu'elles
feront également bien reçues du public.
CATALOGUE des livres de feu M. R.....
dont la vente fera indiquée par affiches. Il
fe trouve chez G. Martin Libraire
S. Jacques. 1755 .
› rue
EXPÉRIENCES & RÉFLEXIONS
fur la ftructure & l'ufage des vifceres , fuivies
d'une explication Phyfico - méchanique
de la plupart des maladies ; par M.
Raimond Vieuffens , Confeiller , & Médecin
ordinaire du Roi , de l'Académie
des Sciences de Paris , & de la Société
royale
SEPTEM BRE. 1755. 97
royale de Londres. A Paris , chez Jean-
Thomas Hériffant , rue S. Jacques , à faint
Paul , & à S. Hilaire ..
LEÇONS de Phyfique expérimentale ,
par M.l'Abbé Noller , de l'Académie roya
le des Sciences , Profeffeur de Phyfique
expérimentale au College de Navarre, &c.
tome v. A Paris , chez Guerrin & De Latour
, rue S. Jacques , à S. Thomas d'Acquin.
Ce volume , que le public attendoit depuis
long-tems , traite de la lumiere & des
couleurs , matiere intéreffante , & qui
s'affujettit mieux qu'aucune autre partie
de la phyfique aux régles de la Géométrie
& au calcul , mais que l'auteur , obligé de
fuivre la méthode qu'il a embraffée pour
tout l'ouvrage , s'eft appliqué à rendre
fenfible par la voie de l'expérience. Cela
nous met à portée de voir jufqu'à quel
-point les faits quadrent avec la théorie ;
& nous voyons que les perfonnes qui com-
-mencent à s'appliquer à cette fcience
prendront facilement par la lecture de
ces leçons des idées claires & méthodiques
qu'elles auroient peine à acquerir autre-
-ment.
Nous en avions conçu cette opinion en
confidérant que les principes y font expo
E
98 MERCURE DE FRANCE.
fés avec clarté , que les expériences qui
leur fervent de preuves , font curieuſes ,
décifives , & très bien repréfentées par les
figures ; mais nous en fommes encore plus
perfuadés , en apprenant par la voie du
public , avec quel intérêt & quelle affiduité
des perfonnes de tout âge & de toute
condition , fe font affemblées pendant les
mois de Juin & de Juillet derniers au
-College de Navarre , pour continuer d'entendre
M. l'Abbé Nollet , & lui voir exécuter
les expériences qui concernent cette
matiere ; c'eft peut-être la premiere fois
qu'on ait entrepris avec fuccès de les faire
voir à '500', à 600 perfonnes en même
tems.
Le volume dont nous parlons , contient
trois leçons ; fçavoir , la quinziéme , la
feizième , & la dix - feptiéme, & voici l'ordre
dans lequel les matieres fe préfentent.
L'auteur expofe d'abord l'état de la que
ftion qu'il fe propofe de traiter , il en fait
l'hiftoire ; & après avoir annoncé des propofitions
, il les établit par des raisons ou
par des expériences dont il a foin de bien
expliquer le méchanifme : après quoi il
fait venir par forme de remarques ou d'applications
les effets naturels qui peuvent
dériver du principe établi , ou avoir quel-
2
SEPTEMBRE. 1755.99
que rapport avec les expériences qui ont
fervi de preuves.
Dans la quinziéme leçon , par exemple,
où il s'agit d'abord de la nature & de la
propagation de la lumiere , M. L. N. expofe
au Lecteur les deux principales opinions
qui partagent aujourd'hui les Phyficiens
, celle de Defcartes & celle de
Newton ; il embraffe la premiere avec
quelques modifications , il rend raifon du
parti qu'il prend , il prévient les objec→
tions qu'on pourroit lui faire ; & enfin il
en vient à des expériences par lesquelles
il prétend prouver que la lumiere eſt une
matiere fubtile univerfellement répandue
au-dehors , comme au- dedans des corps ,
& toujours prête à devenir fenfible par
mouvement qu'elle peut recevoir des corps
enflammés , ou par la clarté du jour auquel
elle fe trouve expofée. Ces expériences
donnent lieu à une hiftoire trèscurieufe
des phoſphores , où l'on trouve
des nouvelles découvertes .
que
le
L'auteur examine enfuite les directions
la lumiere fuit dans fes mouvemens ',
foit qu'elle vienne directement du corps
lumineux vers nos yeux , foit qu'elle rencontre
en fon chemin un obftacle qui l'oblige
à fe refléchir , foit enfin qu'elle paffe
d'un milieu dans un autre de différente
denfité. E ij
Too MERCURE DE FRANCE.
Il s'arrête d'abord au mouvement direct
, & après quelques définitions néceffaires
pour l'intelligence de la queſtion ,
il énonce le principe de l'Optique , proprement
dite , en quatre propofitions , dont
voici les deux premieres. 1 ° . En quelque
endroit qu'on préfente un plan vis- à vis
d'un point radieux , ce plan devient comme
la bafe d'une pyramide de lumiere.
2º. Ce plan eft moins éclairé à meſure
qu'il s'éloigne du point radieux.
Deux expériences mettent ces faits fous
les yeux , & apprennent en même tems
dans quel rapport fe fait le décroiffement
de la lumiere , & l'accroiffement de l'ombre.
En comparant avec ces deux épreuves
ce qui fe paffe à l'égard de l'oeil qui fe
préfente vis- à- vis d'un objet éclairé , on
conçoit d'abord & très facilement , comment
plufieurs perfonnes placées en différens
endroits apperçoivent enſemble le
même corps , fi petit qu'il foit ; pourquoi
nous ne pouvons voir qu'en ligne droite ;
par quels moyens nous jugeons de la diftance
quand elle eft petite ; quelle eſt la
caufe des ombres , ce qui régle leur
deur & leurs figures ; par quels moyens
la lumiere peut augmenter ou diminuer
pour le même oeil , & c .
granSEPTEMBRE.
1755. 101
Les deux autres propofitions font énoncées
ainfi . 3 ° .Si le corps lumineux eft d'une
grandeur & d'une figure fenfibles , le plan
qu'on lui préfente , devient la bafe commune
d'autant de pyramides de lumiere ,
qu'il y a de points radieux tournés vers
lui. 4 ° . Si au lieu d'un plan qui arrête la
lumiere , on fait un trou dans une planche
mince , les pyramides lumineufes qui
viennent des différens points de l'objet
s'y croifent , paffant de droite à gauche
de haut en bas , &c . Deux expériences qui
mettent ces faits fous les yeux , font naître
naturellement les applications fuivan
tes.
Comment fe forment les images des
objets au fond de l'oeil ? pourquoi nous
voyons ces objets droits , quoique leurs
images foient renverfées fur l'organe ;
par quels moyens nous jugeons des gran.
deurs & des diftances des corps que nous
appercevons ; d'où vient que deux files de
foldats ou deux murailles paralleles femblent
fe rapprocher l'une de l'autre , à mefure
qu'elle s'éloignent de nous ; pour
quelle raifon la furface d'un canal femble.
s'élever dans l'éloignement ; pourquoi la
figure d'un grand corps apperçu de loin ,
change fuivant la direction de nos regards?
Sur quelles régles eft fondée la perfpe-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
&tive ? Comment les mouvemens apparens
des corps qu'on regarde dans le lointain ,
différent des mouvemens réels , tant pour
la direction que pour la viteffe ? Dans
quels cas leur vîteffe paroit nulle , ou devient
infenfible : Comment l'habitude , le
préjugé , les connoiffances précédemment
acquifes , nous font juger des grandeurs
& des diftances ? d'où vient que nous
voyons la voûte du ciel comme furbaiffée ,
le foleil & la lune plus grands à leur lever
qu'au zénith , & c.
La feiziéme leçon comprend la catoptrique
& la dioptrique , c'eft- à - dire les
mouvemens de la lumiere refléchie , &
ceux de la lumiere refractée .
L'Auteur commence par une differtation
qui nous a paru curieufe , & dans laquelle
il entreprend de prouver contre
l'opinion commune que la lumiere ne ſe
refléchit point de deffus les parties propres
des corps polis , des miroirs par exemple
, mais de deffus les particules de lumiere
qui font logées & comme enchaffées
dans les pores de ces furfaces. M. L. N.
s'attend bien que cette opinion aura de
la peine à prendre dans l'efprit de fes lecteurs.
J'avoue , dit - il , qu'en embraf-
» fant cette opinion , on fe met dans la
» néceffité de renoncer aux idées les plus
SEPTEMBRE. 1755. 103 .
"
communes , & de fe roidir contre des
» préjugés bien accrédités & bien diffici-
" les à vaincre. Se perfuadera - t - on , par
exemple , que les corps ne foient pas
vifibles par eux- mêmes , mais feulement
n par les points de lumiere , dont les fur-
» faces font parfemées ? qu'à proprement
parler , nous n'avons jamais rien vû de
"tout ce que nous avons touché : cepen
>> dant , quel moyen de penfer autrement ,
»fi nous ne pouvons rien voir que ce qui
" nous renvoie de la lumiere , & fi les
rayons qui nous tracent les images des
objets ne peuvent être renvoyés vers nos
» yeux que par les globules de cette matiere
impalpable qui fe trouve dans la
» même fuperficie , avec les parties pro-
» pres des corps.
Voici une comparaifon qui vient à
l'aide.
» Quand vous jettez la vûe fur un mor→
ceau de drap teint en écarlatte , continue
M. L. N. votre premiere pensée n'eftelle
pas que vous voyez un tiffu de laine
, & ne vous revolterez- vous pas d'a
» bord contre quiconque vous foutien-
» droit que vous voyez toute autre choſe
» que cela cependant , fi vous y faites
» attention , vous ferez obligé de conve
ور
nir que vous n'appercevrez qu'un enduit,
É iv
104 MERCURE DE FRANCE.
"
»
» de cochenille adhérent à la matiere
»propre de l'étoffe , des particules colo-
» rantes incruftées dans les pores de la
laine ; en un mot , une fubftance étran-:
» gere à l'objet que vous avez en penſée ,
» & qui ne vous laiffe voir de lui que fa
grandeur , fa fituation , fa figure , & nul-
» lement fa matiere propre ... Voilà donc
» des cas avoués de tout le monde , où les
»corps ne font pas vifibles par leur pro-
»pre matiere , mais par une fubftance
étrangere qui s'eft logée dans leurs pores.
Il faut voir dans l'ouvrage même
les autres raifons que l'Auteur fait valoir
en faveur de cette hypothèfe , & de quelle
maniere il prévient les difficultés qu'on
pourroit alléguer contre.
"
ور
On trouve enfuite la defcription d'un
inftrument nouveau & commode pour mefurer
l'angle de réflection de la lumiere'
dans toutes fortes de cas , & l'on voit par
une premiere expérience qui fert comme
de baſe à toutes les autres du même genre ,
qu'un rayon fimple étant refléchi par un
miroir , fait fon angle de réflection égal
à celui de fon incidence .
Les principales conféquences de ce premier
principe fe rendent fenfibles par des
expériences où l'on emploie fucceffivement
des rayons paralleles , convergens
&
SEPTEMBRE . 1755. 105
divergens , d'abord avec un miroir plan ,
enfuite avec un miroir convexe , & enfin
avec un miroir concave ; cela fait neuf
combinaiſons , dont les trois premieres
font connoître , que le miroir plan en renvoyoiant
la lumiere, ne change rien à la ſituation
refpective des rayons incidens , &
l'on en tire les raifons des effets fuivans .
On apprend pourquoi un feul miroir
plan ne peut fervir à raffembler les rayons
folaires dans un foyer. D'où vient que
dans un tel miroir l'image fe voit derriere
, & auffi loin que l'objet en eft éloigné
par-devant. Par quelle raifon la grandeur
& la figure apparentes font conformes à
celles de l'objet que l'on regarderoit directement
de la même diftance. De quelle
grandeur doit être le miroir plan , pour
qu'on puiffe s'y voir tout entier? Comment
la fituation de l'image fe régle relativement
à celle de l'objet qui eft placé devant
une glace ? Pourquoi & comment les images
fe multiplient entre deux miroirs ? De
quelle manière on doit expliquer les effets
des miroirs prifmatiques & pyramidaux ,
& c.
-Les trois combinaifons fuivantes fe font
avec un miroir convexe , & font voir : 1 °.
que tous les miroirs de cette efpece , petits
ou grands , diminuent pour le moins
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
la convergence des rayons qui tendroient
à fe réunir. 2. Qu'ils . rendent divergens
ceux qui ne font que paralleles. 3 ° . Qu'ils
augmentent la divergence de ceux qui en
avoient déja avant que de refléchir. Ce
qui fert à expliquer
Pourquoi de tels miroirs rarefient la
lumiere , & par quelle raifon celle qui
nous vient de la lune & des autres planetes
eft fi foible ? Pourquoi l'image dans
ces fortes de miroirs paroît plus petite que
fon objet , plus près que lui du miroir „
& fouvent défigurée ?
le
Enfin les trois dernieres combinaifons
fe font avec le miroir concave , & montrent
, 1°. que les rayons paralleles deviennent
convergens. 2 ° . Que ceux qui
font convergens dans leur incidence
font davantage après la réffection . 3°. Que
ceux qui font divergens , le deviennent
moins , ce qui peut aller jufqu'à les rendre
paralleles , ou même convergens .
Ces faits fourniffent des raifons pour
expliquer , pourquoi un charbon ardent
placé au foyer d'un miroir concave , &
excité par le vent d'un foufflet , allume de
l'amadoue au foyer d'un femblable miroir
, élevé parallelement en face du premier
, à la diſtance de trente ou quarante
pieds. Combien les rayons folaires renSEPTEMBRE,
1755. 107
voyés par ces fortes de miroirs , devien
nent capables d'embrafer ou de fondre les
corps les plus durs & les plus compactes :
d'où vient que dans certains cas les images
fe voyent entre la furface réfléchif
fante & l'oeil du fpectateur. Par quelle raifon
l'image y paroît plus grande que l'objet
& renversée , & c .
M. L. N. enfeigne ici par occafion , de
quelle maniere on fait des miroirs concaves
de verre , foit de plufieurs pieces , ſoit
d'une feule glace pliée au feu , & comment
ces derniers fe mettent au tain . Après
quoi il traite des miroirs mixtes , & expli
que les effets de ceux qui font cylindri
ques & côniques,
Il s'agit après cela des principes de diop
trique , ou de la lumiere réfractée. L'auteur
déduit les loix de la réfraction , d'une
expérience dans laquelle il employe
une machine très - commode , & qu'il décrit
avec beaucoup d'exactitude : il rapporte
les différens fentimens des Phyfi
ciens fur les caufes de la réfraction , il embraffe
celui des Carthéfiens en expofant
les raifons qui le déterminent , & paffe &
F'explication de certains effets qui ont rap
port à fa premiere expérience.
Il enfeigne pourquoi un bâton en par
tie plongé obliquement dans l'eau paroî
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
comme rompu ; par quelle raifon une piece
de monnoye placée au fond d'une cuvette
remplie d'eau , fe fait voir à ceux qui
ne l'appercevoient pas quand le vaſe ne
contenoit que de l'air. M. L. N. remarque
comme une conféquence naturelle de
ces effets , que le poiffon qui eft dans un
étang voit au- delà des bords , des objets
qu'il ne pourroit appercevoir en droite
ligne : que nous voyons de même le foleil ,
la lune , les étoiles , &c. avant que ces
aftres foient réellement fur l'horifon , à
caufe des réfractions de la lumiere dans
l'atmoſphere terreftre ; il fait fentir pourquoi
ce dernier effet diminue à mefure que
l'aftre s'éleve ; comment il peut arriver que
le foleil ou la pleine lune paroiffe ovale ,
dans quel cas l'on peut voir la lune éclipfée
, le foleil n'étant pas encore couché :
pourquoi la lune éclipfée paroît à nos yeux
d'un rouge obfcur. &c .
M. L. N. confidérant que les milieux
réfringens ne peuvent être terminés que
par des furfaces planes , concaves ou convexes
, examine dans ces différens cas quels
changemens il doit arriver ; 1 ° à des
rayons paralleles , enfuite à des rayons divergens
, & enfin à des rayons convergens;
ce qui fait encore neuf combinaiſons que
l'auteur met en expériences.
SEPTEMBRE. 1755. 109:
Des trois premieres dans lefquelles on
employe un milieu réfringent terminé
par deux furfaces planes & paralleles entr'elles
, il réfulte 1 ° que des rayons qui
font paralleles entr'eux dans leur incidence
, reftent paralleles après la réfraction
foit en paffant du milieu le plus rare dans
le plus denſe , foit en paffant de celui- ci
dans l'autre , au moins dans le cas ou le
milieu réfringent n'a qu'une médiocre
épaiffeur : 2 ° que dans le premier de ces
deux cas les rayons convergens le deviennent
moins , & que dans le fecond ils reprennent
le degré de convergence qu'ils
avoient perdu : 3 ° que des rayons divergens
mis à pareille épreuve , perdent d'abord
une partie de leur divergence , & la
reprennent enfuite.
On apprend dans deux corollaires qui
fuivent ces expériences , ce qu'on doit attendre
d'un milieu réfringent qui feroit
terminé par deux furfaces courbes , mais
concentriques , ou de celui dont les furfaces
oppofées feroient planes , mais inclinées
l'une vers l'autre. 1
Par des applications naturelles de ces
faits , on voit pourquoi tout ce que nous
appercevons en regardant dans l'eau , nous
paroît élevé vers la furface ; par quelle raifon
les baffins remplis d'eau nous paroif
110 MERCURE DE FRANCE.
fent moins profonds qu'ils ne le font en
effet , d'où vient que le fond de l'eau , s'il
eft d'une grande étendue nous femble courbe
quoiqu'il foit droit pourquoi les verres
taillés en prifmes nous changent le lieu de
L'objet , & par quelle raifon ceux qui font
à facettes , nous en multiplient l'image
, &c.
Les quatrieme , cinquieme & fixieme
combinaiſons ſe font avec un milieu plus
denſe que l'air , terminé par des furfaces
convexes , & apprennent 1 ° que des rayons
paralleles en entrant dans un tel milieu
deviennent convergents. 2° que fi dans
leur incidence , ils convergeoient au centre
de la fphéricité du milieu réfringent ,
il ne leur arrive aucun changement. 3 ° que
leur convergence diminue s'ils tendoient
à fe réunir plus près que le centre , & qu'elle
augmente au contraire dans le cas oppofé
: 4° que
les rayons divergens y perdent
au moins une partie de leur divergence ,
ce qui peut aller jufqu'à les rendre paral
leles , & même convergens.
De cette théorie rendue fenfible par l'ex
périence , on tire naturellement l'explica
tion des faits que voici .
Pourquoi l'ufage des bocaux de verre
remplis d'eau , eft- il fi utile aux artistes qui
ont befoin d'une lumiere vive. D'où vient
SEPTEMBRE. 1755. ITE
que les corps plongés dans des vafes de
verre , ordinairement cylindriques , ou à
peu près , nous paroiffent difformes quand
ces vafes font pleins d'eau. Pourquoi les
corps tranſparens & fphériques , raffemblent
les rayons du foleil dans un foyer ; a
quelle distance on doit attendre le foyer ;
pourquoi en cherchant à former des foyers,
on a fubftitué les lentilles aux globes , fur
quelles confidérations on a réglé la largeur
des lentilles tranfparentes. Comment les.
verres lenticulaires amplifient les images
des objets ; comment dans certains cas ,
elles nous font voir entr'elles & nous : d'où
vient qu'elles defforment quelques fois ces
images , & c .
Par les trois dernieres combinaifons qui
fe font avec un milieu réfringent terminé
par des furfaces concaves , on apprend
1° que par de tels milieux , les rayons paralleles
font rendus divergens ; 2° que
ceux qui font convergens y perdent une
partie de leur convergence , ce qui peut
aller jufqu'à les rendre paralleles ou même
divergens ; 3 que des rayons divergens.
qui ont leur point de difperfion au centre
même de la concavité du milieu réfringent
, ne fouffrent aucun changement ;
mais que ceux qui viennent de plus loin
que ce centre , augmentent en divergence.
112 MERCURE DE FRANCE.
"
& qu'il arrive tout le contraire à ceux qui
viennent de plus près.
On voit par là pourquoi les verres concaves
dont fe fervent les perfonnes qui ont
la vûe courte , font voir les objets plus
petits qu'on ne les voir à la vûe fimple ;
pourquoi l'image eft plus près du verre par
derriere , que l'objet ne l'eſt par- devant ;
d'où vient que ces fortes de verres , diminuent
la clarté de la vifion , &c.
Dans la dix- feptieme leçon M. L. N.
commence par traiter des couleurs : « Nous
diftinguons , dit- il , les objets vifibles ,
» non -feulement par leur grandeur , leur
figure, leur fituation , leur diftance, leurs
dégrés de clarté , &c. mais encore par
» une forte d'illumination qui fait que
» chacun d'eux brille à nos yeux d'une
façon particuliere , & qui ne dépend
pas de la quantité de lumiere qui l'é-
» claire , c'eft ce dernier moyen de viſibi-
» lité que la nature varie avec une magni-
» ficence fans égale , & dont elle embellit
» toutes fes productions ; c'eſt , dis - je ,
» cette apparence particuliere des furfaces
" que nous nommons couleur en général ,
» & dont nous exprimons les efpeces par
les noms de blanc , de rouge , de jaune ,
» de bleu , & c.
33
Les couleurs peuvent être confidérées
SEPTEMBRE. 1755. 113
1° dans la lumiere à qui elles appartien-.
nent effentiellement ; 2 ° . dans les corps
en tant que colorés . 3 ° . & dans celui de
nos fens qu'elles affectent particuliere- .
ment , & par lequel nous les diftinguons ;
c'eft auffi l'ordre dans lequel l'auteur traite
cette partie ; il préfere le fentiment de
Newton à celui de Defcartes , ou plutôt
il les adopte tous deux , en faiſant remarquer
qu'ils ne font pas incompatibles ; &
après avoir rapporté hiſtoriquement ce qui
donna occafion aux découvertes du philofophe
Anglois , il remet fous les yeux l'expérience
fondamentale , qui lui fit foupçonner
les deux points capitaux de tout
fon fyftême , fçavoir 1 ° que la lumiere
naturelle eft compofée de fept efpeces de
rayons plus réfrangibles , & plus réflectibles
les uns que les autres ; 2 ° que chacun
de ces rayons a le pouvoir d'exciter conftamment
en nous l'idée d'une couleur particuliere.
D'où il fuit que le défaut de couleur
dans la lumiere naturelle , vient de
l'affemblage complet de tous les rayons
colorés , & que le noir n'eft qu'une privation
de lumiere , plus ou moins parfaite.
M. L. N. rapporte , non pas toutes les
expériences que Newton a faites pour établir
cette doctrine , mais les plus décifives
& les moins difficiles à exécuter , afin , dit114
MERCURE DE FRANCE.
il, que chacun de fes lecteurs puiffe entreprendre
de les répéter , fans craindre de les
manquer. C'eft dans cette vue fans doute ,
qu'il avertit dans des notes , des précautions
qu'il faut prendre en certains cas, du
choix qu'il faut faire des inftrumens & des
manipulations les plus propres à procurer
un heureux fuccès.
A l'occafion de ces expériences , l'auteur
fuivant toujours fa méthode , ne manque
pas de rendre raifon des effets naturels qui
peuvent s'y rapporter. Il apprend par exemple
, pourquoi les objets paroiffent teints
de diverfes couleurs quand on les regarde
au travers d'un prifme de verre , pourquoi
ces couleurs font fituées différemment ,
quand l'objet eft brun fur un fond clair ,
que quand il eft blanc fur un fond obfcur
d'où vient qu'une riviere cu un canal vû à
travers un prifme , prend la forme d'un arc
de diverfes couleurs dont la convexité eft
tournée vers la terre : par quelle raiſon un
verre plein d'eau fait paroître dans certaines
occafions avec diverſes couleurs , les
rayons folaires qui le traverfent ; pourquoi
les diamans & les pierres fauffes qui font
brillantées , répréfentent les mêmes cou-
Purs que le prifme ; enfin comment fe
forme l'arc-en- ciel , & quelles font les cau
fes de fes diverfes apparences.
Après avoir confidéré les couleurs dans
SEPTEMBRE. 1755 115
la lumiere, M. L. N. examine comment il
peut fe faire que parmi différens corps expofés
à la lumiere naturelle du jour , les
uns fe teignent conftamment des rayons
d'une certaine espece , tandis que d'autres
fe colorent autrement : il penfe que cela
dépend de leurs différentes porofités &
primitivement de la grandeur & de la figure
de leurs parties infenfibles ; car fi les
pores d'une furface font propres à loger
une certaine efpece de lumiere , on conçoit
que les rayons de même nature qui
tomberont deffus , feront réfléchis plus
complettement & en plus grande abondance
que les autres ; & fi c'eft un corps
tranfparent qui foit imbu de cette efpece
particuliere de lumiere , les rayons incidens
de la même efpece , pourront mieux
que d'autres tranfmettre leur action à ceux
qui font au-delà : ainfi , fuivant cette opinion
,tous les corps font pleins de lum ere;
ceux qui la contiennent avec toutes fes
efpeces , font propres à réfléchir ou à tranfmettre
toutes celles qui fe préfentent à leur
furface , s'ils font opaques ils nous paroif
fent blancs ou brillans , s'ils font tranfparens
, nous les voyons clairs & limpides
comme le verre ou l'eau . Ceux qui n'ont
admis dans leurs pores qu'une forte de
lumiere , ne renvoyent ou ne tranfmettent
116 MERCURE DE FRANCE.
que celle-là , & nous paroiffent rouges ;
verts , bleux , jaunes , &c. Ceux enfin qui
par une contention particuliere de leurs
parties propres ou par le mauvais alignement
de leurs pores , ne peuvent ni renvoyer
ni tranfmettre l'action d'aucune
eſpece de lumiere , nous leur avons donné
le nom de noirs ou d'obſcurs.
Cette hippothefe eft appuyée par une
fuite d'expériences curieufes , dans lef
quelles on voit 1 ° que deux liqueurs claires
comme de l'eau , étant mêlées enfemble
, fe montrent fous une couleur qu'elles
n'avoient ni l'une ni l'autre. 2 ° . Qu'une
liqueur fans couleur , fait paffer du
bleu au rouge , ou du verd au violet une
autre liqueur avec laquelle on la mêle.
3. Qu'une couleur très - limpide rend
opaque une autre liqueur qui ne l'étoit
pas plus qu'elle ; 4° . enfin , qu'une goute
ou deux d'une certaine liqueur , rend la
limpidité à un mélange qui étoit opaque
& coloré.
A l'appui de ces expériences , arrivent
les obfervations fuivantes , qui s'expliquent
comme elles d'une maniere affez
plaufible , en fuppofant qu'un changement
de porofité fuperficielle ou intime
dans les corps , eft la principale caufe de
leurs changemens de couleur.
SEPTEMBRE. 1755 117
On obferve que le papier bleu ou violet,
devient rouge , quand il eft touché par un
acide , que les étoffes fe tachent , par l'at
touchement des matieres qui peuvent en
altérer la texture : que l'action du feu ,
celle du foleil rougit les écreviffés , les
crabes & les autres poiffons cruftalés , que
Pimpreffion continuelle de l'air fait prendre
la couleur verte aux plantes , & qu'en
les en privant on les fait blanchir ; que
plufieurs teintures ou fucs naturels , paffent
d'une couleur à l'autre par la même caufe ;
qu'une legere fomentation fuffit fouvent
pour produire des effets femblables , &c.
L'auteur cherche enfuite qu'elle eft la
caufe de la tranfparence des corps : après
avoir remarqué , qu'il n'y a aucun corps
ni abfolument tranfparent , ni abfolument
opaque , il prouve par plufieurs expériences
& obfervations , qu'un corps , toutes
chofes égales d'ailleurs , trafmet d'autant
mieux la lumiere , que fes parties font plus
homogenes , ou d'une denfité plus uniforme.
Ces expériences apprennent à fe défier
de la mauvaiſe foi de certaines gens qui
alterent & changent les écritures , elles
expliquent auffi pourquoi dans certains
tems , le foleil paroît d'un rouge de fang,
& fe laiffe voir fans bleffer la vûe : par
118 MERCURE DE FRANCE.
quelle raifon la teinture noire eft plus belle
& plus durable quand cette étoffe a été
mife au bleu auparavant.
Le reste de la dix- feptieme leçon roule
fur la vifion , tant naturelle qu'artificielle ;
M. L. N. diftingue ainfi celle qui fe fait à
la vûe fimple de celle qui eft aidée par
quelque inftrument de dioptrique ou de
catoptrique.
Cette partie commence par une defcription
de l'oeil qui expofe en détail les parties
de cet organe, leurs différentes fonctions
que l'on imite par des expériences
fort curieufes , fort inftructives , & qui
donnent lieu aux explications fuivantes.
Pourquoi la prunelle de l'oeil fe retire
au grand jour , & fe dilate dans l'obfcurité:
comment varient les limites de la
vifion diſtincte ; en quoi confifte le défaut
de la vûe courte , & celui de la vûe longue
: d'où vient que les Myopes , regardent
de fort près , & les Prefbites de fort
loin : par quelles raifons l'on croit que la
vifion s'accomplit fur la choroïde , & non
pas fur la retine : quels moyens contribuent
à la clarté des images , qui fe peignent
au fond de l'oeil. Pourquoi les objets
vifibles qui fe meuvent rapidement ,
produifent des images qui ne leur reflemblent
pas d'ou vient qu'avec les deux
SEPTEMBRE . 1755. rig
yeux nous ne voyons ordinairement qu'une
fois le même objet , quoiqu'il fe peigne
également dans les deux . Comment l'ufage
fimultané des deux yeux nous aide à juger
des petites diſtances. Quelle eft là caufe
duftrabisme ou vûe louche. En quoi.confifte
cette maladie de l'oeil appellée cataracle
, comment on y remédie ; pourquoi
dans certaines circonftances on voit tous
des objets teints de la même couleur.
A la fuite de ces obfervations , M. L. N.
explique d'où peuvent naître ces éclats de
lumiere qu'on appeçoit la nuit en fe frottant
les yeux , ou lorfqu'on fe donne quelque
coup à la tête ; il parle auffi de ces couleurs
que l'on continue de voir , lorfqu'on
ferme les yeux après avoir regardé le foleil
couchant , ou bien lorfqu'on applique la
vûe pendant quelque tems fur un même
corps de quelque couleur éclatante.
M. L. N. finit , par expliquer les effets
>des principaux inftrumens qui fervent à
aider la vue : a La vifion naturelle , dit-il ,
» lorfqu'elle eft dans fa plus grande force ,
» dans fon état le plus parfait , eft affujettie
à des conditions & renfermée dans
» des limites ; fi l'objet n'eft pas découvert
au point que de lui à nous on puiffe tirer
* une ligne droite fans obſtacle , nous ne
l'appercevons pas ; fût-il même conve-
1
120 MERCURE DE FRANCE.
nablement exposé à nos regards , s'il eſt
» trop loin ou trop petit , il nous échappe :
» & c'est encore pis fi l'oeil eft affoibli ou
» mal conformé ; la petiteſſe & la diſtance
» le gênent encore davantage .
"
» Ces inconvéniens ont fubfifté longtems
fans remede'; mais enfin le hazard
» d'un côté , l'induftrie de l'autre éclairée
,, & foutenue par l'étude , nous en ont
» affranchis en quelque façon ; par le fe-
"
39
cours des miroirs & des verres taillés
,, d'une certaine maniere , nous pouvons
appercevoir ce qui eft caché à nos regards
» directs ; nous découvrons dans le fein de
la nature des êtres qui fembloient devoir
être à jamais imperceptibles pour nous :
» les objets trop éloignés fe rapprochent ,
» pour ainfi dire , & fe laiffent voir diftinctement
: la vûe des vieillards à moitié
» éteinte fe ranime ; celle qui eft trop
courte devient plus étendue. Enfin ,
quand nos befoins font fatisfaits , les
mêmes fourniffent encore moyens des
amuſemens très- dignes de notre curio-
» fité ».
+39
Il est donc queſtion dans cette derniere
partie des lunettes à lire , tant à deux qu'à
un feul verre ; des chambres obſcures , tant
fixes que portatives ; des polemofcopes
grands & petits ; des boëtes optiques ou perf
pectives
SEPTEMBRE 1755 12
on en
pectives avec des verres convexes , & avec
des miroirs ; des lunettes d'approche à deux
& à quatre verres ; des télescopes de réflec
tion ; des microſcopes fimples & compofés ;
du mycroſcope folaire & de la lanterne
magique , a inftrument , dit M. L. N. qu'u-
» ne trop grande célébrité a prefque rendu
ridicule aux yeux de bien des gens :
» on la promene dans les rues ,
» divertit les enfans & le peuple ; cela
prouve avec le nom qu'elle porte , que
» les effets font curieux &
furprenans : &
>> parce que les trois quarts de ceux qui les
" voyent , ne font pas en état d'en com-
» prendre les caufes , eft ce une raifon
» pour fe difpenfer d'en inftruire les perfonnes
qui peuvent les entendre ? &c.
En parlant de ces
inftrumens , il remonte
aux tems de leur invention , il en défiles
auteurs , il fait connoître ceux qui
Les ont
perfectionnés , & il marque par
des figures bien correctes , la marche des
rayons de la lumiere dans chacun d'eux .
gne
Voilà à peu près les matieres
contenues
dans ce
cinquieme tome des leçons de phyfique
; leur grande
abondance pouvoit faire
craindre
qu'elles ne s'y
préfentaffent avec
confufion , mais l'auteur en y faifant régner
beaucoup d'ordre & de précision , a
fçu éviter cet
inconvénient ; & nous
F
122 MERCURE DE FRANCE.
croyons que le public recevra ce volume
auffi favorablement qu'il a reçu ceux qui
l'ont précédé.
-
OEUVRES de M. Clermont , Commiffaire
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Toiſeurs & aux Arpenteurs , avec figures ;
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brerie , miroiterie , &c. avec une explication
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, & aux réglemens des Mémoires , par
M *** Architecte , ancien Infpecteurtoifeur
de bâtiment . Ouvrage très - utile
aux Architectes & Entrepreneurs , à tous
propriétaires de maiſons , & à ceux qui
veulent bâtir. A Paris , chez Hériſſant &
Savoye , rue S. Jacques ; chez Didot , Nyon
& Damonneville , quai des Auguft. 1755
Le quatrième & le cinquiéme tomes des
traités des collations & provifions des Bénéfices
, par M. Piales , Avocat au Parlement
, paroiffent ; & fe vendent à Paris ,
chez Briaffon , rue S. Jacques , à la Science;
& à Chartres , chez Le Tellier , Imprimeur
, au bon Paſteur.
Le quatriéme volume contient les permutations
& réfignations pures & fimples ,
ou démiffions.
Le cinquième comprend les collations
& provisions fur réfignations , avec réſerve
de penſion.
LETTRE de M. Jourdan de Pelerin,
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
<
Médecin , Chymifte , privilegié du Roi ,
à l'occaſion d'une critique inferée dans le
Journal économique contre fa méthode
de conferver l'eau douce qu'on embarque
fur les vaiffeaux , & de la préferver de
toute corruption , à M. H ...
Cette lettre , qui contient foixante pages
, fe trouve chez Jorry , quai des Auguftins
, près le pont Saint Michel , aux
Cycognes. 1755. L'auteur y obferve , 1º.
qu'on cherche dans le Journal économique
à critiquer les termes dont il s'eft fervi
, plutôt qu'à détruire le fond de fes découvertes.
2 ° . Qu'on y préfere la métho
de de M. Appleby fur la maniere de deffaler
l'eau de la mer , méthode fans fuccès ,
& même impraticable. 3 °. Que le Journaliſte
ne connoît ni les effets du mercure
ni la chymie.
Dans fa premiere obſervation , M. Jourdan
fe borne à dire qu'il a toujours eu pour
maxime , que quand il s'agit de fcience ,
l'expreffion recherchée doit le céder à la chofe
, & quoiqu'il foit en état de prouver
qu'il s'eft fervi de termes les plus propres
lesplus ufués , ce point lui paroît trop frivole
pour y répliquer .
ح ل م
La feconde obfervation eft celle , que
l'Auteur approfondit le plus , & celle
auffi fur laquelle nous nous étendrons
SEPTEMBRE. 1753. 125
davantage. M. Appleby dit dans fa métho
de , que pour deffaler l'eau de la mer , il
faut prendre fix onces de pierre à cautere
, & fix onces d'os calcinés , les jetter
fur, vingt galons d'eau de la mer , & mettre
le tout enfemble dans un alambic pour
le faire diftiller. Pour nous faire mieux
fentir le danger de cette boiffon , M. Jourdan
nous apprend ce qui compofe la pierre
à cautere : Mettez , dit- il , dans une terrine
une partie de chaux vive , & deux
parties de cendre gravelée , verfez deffus
beaucoup d'eau chaude , laiffez infufer le
tout pendant cinq ou fix heures , faites - le
bouillir un peu , & enfuite filtrer avec du
papier gris , vous ferez évaporer l'eau
& il vous reftera un fel ; vous mettrez ce
fel dans un creufet , & vous le ferez fon-.
dre. Lorfqu'il fera en huile , & que l'humidité
en fera évaporée , vous le verferez
dans un plat , vous le couperez pendant
qu'il eft chaud , & vous le mettrez
promptement dans une bouteille de
verre , que vous boucherez avec de la
cire & de la veffie , parce que ce fel fe réfoud
facilement à l'air , & fe change en
liqueur ; tenez -le dans un lieu fec pour le .
conferver , & foyez fûr d'avoir le plus
violent cauftique. Il produit les mêmes.
effets que ceux de la pierre infernale. La
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
preuve , c'eft qu'on ne fçauroit faire filtrer
L'eau que l'on employe à fa compofition ,
fans qu'elle ne brûle le papier gris dont
on fe lert. Cette pierre corrofive fe joint
encore à une eau , qui de fa nature eft fort
pefante , & chargée de beaucoup de fels ,
de foufres & de bitumes. Quelle étrange
boiffon pour fe rafraîchir ! Avaler un cauftique
dévorant , que les Médecins n'ofent
appliquer extérieurement qu'avec une circonfpection
fans égale ? Voilà pourtant ,
ajoute l'Auteur , la méthode qu'on a la
bonté de préférer à celle que je donne pour
préferver de toute corruption l'eau douce
qu'on embarque.
Comme fa troifiéme obfervation attaque
le Journaliste , & devient perfonnelle ,
le filence fur cet article eft le feul parti
qui nous convient , & nous nous y renfermons.
LETTRES au Prince Royal de Suede
, par M. le Comte de Teffin , Miniftre
d'Etat , & Gouverneur de ce jeune Prince,
traduites du Suedois . Deux parties in- 12.
A Paris , chez Jombert , rue Dauphine.
Prixliv . relié.
Trois traductions françoifes qui viennent
de paroître en même tems de ces lettres ,
font une preuve de leur excellence ; mais
SEPTEMBRE. 1755. 827
il s'en faut bien que ces traductions ayent
un égal mérite . Celle de Londres , en un
volume in-8° . eft très - imparfaite . Celle
qu'on vient d'achever en Hollande , &
dont on trouve auffi quelques exemplaires
à Paris , eft une copie prefque fervile
de la premiere , à laquelle l'on n'a
fait qu'ajouter quelques fautes. La tradution
que nous annonçons , eft beaucoup
plus exacte , & mieux écrite.
Qu'on ne croie pas qu'un préjugé na
tional nous faffe donner la préférence à
ce qui s'eft fait chez nous , pour décrier
injuftement ce que les autres ont donné .
Il eft facile à tout lecteur de comparer ces
trois traductions , & de voir enfuite s'il y
a de la partialité dans le compte que nous
en rendons.
Pour dire un mot fur le fond de cet
ouvrage , nous ne craignons pas d'avancer
qu'il eft un des plus utiles & des
mieux faits qui ayent paru fur cette matiere.
Les maximes les plus faines , les fentimens
les plus nobles , enfin le germe de
toutes les vertus s'y trouvent réunis. Heureux
le Prince qui les poffèderoit toutes ,
& plus heureux encore fes fujets ! leur félicité
feroit parfaite.
Les Souverains ne font cependant pas
les feuls qui puiffent profiter des lectures
Fiv
18 MERCURE DE FRANCE.
fréquentes & refléchies de cet ouvrage
il n'eft point de particulier qui ne puiffe
en retirer beaucoup de fruit pour l'éducation
de fes enfans . Les préceptes & l'inftruction
qu'il offre font à la portée de tout
le monde , & utiles à tous les états , à
quelques modifications près.
ON avertit le public que le petit livre ,
intitulé Abrégé de l'Histoire univerſelle pour
en faciliter l'intelligence & la mémoire aux
enfans , & qui fe vend à vil prix & en cachette
, n'eft qu'une copie, mot pour mot,
des Tables chronologiques d'époques élémentaires
principales d'Hiftoire univerfelle
, par M. Mahaux , Maître , affocié
du fieur Viard , demeurant rue de Seine ,
fauxbourg S. Victor , à l'Académie des
Enfans. Ouvrage annoncé d'une maniere
convenable à la bonne méthode qu'il offre
pour la premiere étude de l'hiftoire , &
pour en faire rappeller les dates à ceux
qui l'ont déja faite , au moyen de la difpofition
fimple & naturelle , qui comme
un plan doivent laiffer à la vûe le tout
& les parties , pour qu'il foit poffible d'en
appercevoir les différences & les rapports ,
les diftances plus ou moins grandes , fans
être obligé de courir , ainfi que dans un
livre , d'une page à l'autre , & de fe fatiSEPTEMBRE.
1755. 129.
guer la vûe , les mains , & la mémoire ;
ainfi c'eft cette difpofition plutôt que le
fond de l'ouvrage qui en fait tout le mérite
; & fi on la lui enleve pour n'offrir
fucceffivement qu'une compilation d'époques
, il n'y aura pas plus de méthode ni
de facilité de s'inftruire que dans des milliers
d'autres . C'eſt ce que n'a pas fenti le
téméraire Editeur de cet abrégé.
Il a eu l'ignorance de tranfmettre dans
fa copie furtive jufqu'aux fautes d'impreffion
de fon original. On a déja annoncé
qu'il fe vend chez l'auteur, & chez Piffot ,
quai de Conti ; & Lambert , rue & proche
la Comédie.
LETTRE au fujet de la place deſtinée à la
ftatue du Roi , & des agrandiffemens de
Paris .
On avertit par une note modefte que
cette Lettre eft moins l'écrit d'un Artiſte
qui propofe un plan pour modele , que
l'ouvrage & le voeu d'un citoyen dont le
zéle a donné l'effor à fon imagination.
Nous croyons pouvoir ajouter qu'elle eft
en même tems la production d'un homme
d'efprit qui penfe fortement , & qui s'exprime
de même. On la trouve chez Hérif
fant , rue S. Jacques , à S. Paul , & à Saint
Hilaire.
Fv
130' MERCURE DE FRANCE.
COLLECTION ACADÉMIQUE , compofée
des mémoires , actes ou journaux des plus.
célébres Académies & Sociétés littéraires
étrangeres , des extraits des meilleurs ouvrages
périodiques , des traités particuliers,
& des piéces fugitives les plus rares concernant
l'hiftoire naturelle , & la botanique
, la phyfique expérimentale & la chymie
, la médecine & l'anatomie traduits
en françois , & mis en ordre par une Société
de gens de Lettres. 3. vol . in 4° . A
-
Dijon , chez F. Defventes , à l'image de la
Vierge , rue de Condé ; à Auxerre , chez
Fournier , Imprimeur- Libraire de la ville.

Cette collection intéreffante eft dédiée
à S. A. S. Mgr le Prince de Condé , & fe
vend à Paris , chez Villette , rue du Plâtre ;
Ganneau , rue Saint Severin ; & Guyllin , à
l'entrée du quai des Auguftins. Nous en
donnerons inceffamment un précis.
On trouve chez les mêmes Libraires les
deux volumes de Recueils des mémoires ,
ou collection françoife , extraits des mémoires
de l'Académie des Sciences de Paris
, qui ont été annoncés & mis en vente
en 1754.
SEPTEMBRE 1755. 131
ARTICLE III:
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
ALGEBRE.
SOLUTION DU SYSTEME PROPOSÉ
Par un Anonyme dans le fecond volume du
Mercure de Juin dernier ; Par M. Bezout
, Maître de Mathématiques.
M
.G... ayant propofé dans le Mercure
de Mai un problême d'Algebre,
j'ai effayé d'en donner la folution dans le
Mercure de Juin. Dans le 2d volume de ce
même mois a paru une autre folution par
un Anonyme. Comme elle eft femblable:
à celle de M. G ... je ne ferai aucune remarque
fur cette folution ; ce que j'en dirois
, ne feroit qu'une répétition de ce que
j'ai dit dans le premier Mercure de Juin
& dans celui de Juillet . Cette même folution
eft fuivie d'une invitation faite à M.-
G ... par l'Anonyme , pour la réſolution
du problême fuivant , fur lequel j'efpere
qu'il voudra bien me permettre de m'ef-
Layer auffi .
Le problême propofé eft celui - ci : Une
F vj
732 MERCURE DE FRANCE.
perfonne rencontre trois pauvres , & les fai
Sant ranger en cercle , donne à chacun des
pieces de douze fols , & des pieces de vingtquatre
fols.
Après la diftribution qui eft inégale , il fe
trouve que chaque pauvre a autant de pieces
que l'un de fes voifins a de livres , & autani
de livres que fon autre voifin a de pieces.
On demande combien chaque pauvre reçoit
de pieces de douze fols , & combien de
pieces de vingt-quatre fols.
SOLUTION.
Soient x , y , z les nombres de pieces
de douze fols , x , y ,z les nombres de
pieces de vingt - quatre , demandez. Il eſt
clair par la nature de la queftion que x ,
y , z , a ' , &c. doivent être des nombres
entiers pofitifs.
Les conditions du problême fourniſſent
fix équations ; mais de ces fix trois font les
mêmes que les trois autres , ainfi il refte
pour la folution de la queftion les trois
équations fuivantes ....
x +λ =
12y +247
20
J +y =
12 % +24 2'
20
z + 2 =
12 x + 24 x
20
De ces équations on tire , fuivant les
régles de l'Algebre , ces autres - ci ....
SEPTEMBRE . 1755. 137
-
(A ) .... 91x = 902 + 757 + 17x
( B ) ... 917
=
1
= 90, x + 752 + 17 y
( C ) ... 912 ′ = 90 y + 75x + 17 %
Je fais maintenant dans l'équation ( C )
75x + 172 = p , & je la change en 91 2
— 90 y = p ... ( R ) dans laquelle je remarque
que p étant fuppofé un nombre
entier pofitif , quelconque , puifque les
nombres 91 & co coëfficiens de z' & dey
font premiers entr'eux , on pourra toujours
trouver une infinité de nombres entiers &
pofitifs pour & pour y capables de fatisfaire
à cette équation.
Il ne s'agit donc plus , ayant trouvé l'expreffion
générale de toutes les valeurs de y
dans cette équation , que de déterminer
parmi ces valeurs celles qui peuvent fatis
faire en même tems aux deux autres équations.
Or l'expreffion générale de toutes les
valeurs de y dans l'équation R , eft y = p
+91 * ( u étant un nombre entier po-
Cette expreffion eft facile à trouver : L'équation
912-905p donne y
+
; faifant
90
912'-p
99
on trouve 2 =
>
n'a
90 up , d'où y = p + 91 и ; mais lors même
que uo , y , qui pour lors vaut p , pas
soujours la valeur la plus fimple qu'il puiffe avoir,
114 MERCURE DE FRANCE.
fitif, mais moindre que p lorſqu'il eft pris
en - ) ; il faut donc fi le problême a quelque
folution , que parmi toutes les valeurs
que peut avoir p + 91 , il y en ait quelqu'une
qui fubftituée à y dans les équations
A & B , rende le fecond membre multiple
de 91 , ou puifque 91 eft lui- même un
multiple de 91 , il faut que p fubftitué à y
dans ces mêmes équations rende leur ſecond
membre multiple de 91 ; or fi on fait
cette fubftitution en rendant à p fa vafeur
75x + 17 %, on verra facilement que
la chofe a lieu : donc , puifque dansp nous
n'avons affigné aucune valeur particulieax
& à z , il s'enfuit que quelques valeurs
entieres & pofitives qu'on donne à x
& à z , il en résultera toujours des nombres
entiers & pofitifs pour x , y , z j.
Enfin la fubftitution dont nous venons
de parler étant faite , on trouvera ( x &
étant prifes à volonté , ainfi que , pourvû
que x & z foient entiers & pofitifs , & que
n auffi , nombre entier , lorſqu'on le prendra
en
dis-je ,
n'excéde pas on trouvera ,
94
c'est pourquoi on peut même prendre u négatio
vement : or dans ce cas , pour que y foit politif,
il eft facile de voir quep doit être > 91 u , où ⇓
SEPTEMBRE. 1755. 238
x"= 152 + 62x ± 754
y = 15x + 42 ± 174
2 = 75x + 172 +90 n
y = 75x + 172± 914
HISTOIRE.
Suite de l'Hiftoire abrégée des guerres des
Algériens avec les Hollandois , traduite
de l'Allemand , par M. Radix de Sainte
Foy: 1755.
A Peine la guerre fut- elle déclarée, que
les Algériens commencerent à croifer
fur les Hollandois , à les attaquer &
à les piller. Leur puiffance augmenta fi
fort en quelques années , que dès 1669
ils étoient déja en état , felon le témoi
gnage de l'Amiral Ruiter même , d'envoyer
en courſe trente- deux à trente- quatre
vaiffeaux bien armés , & bien munis
d'hommes , dont il y en avoit dix huit quiétoient
des vaiffeaux de guerre , de trente
à quarante piéces de canon , outre plufieurs
galeres cela donna tant d'inquié
tude aux Hollandois , qu'ils manderent au
fieur Beuningen leur Ambaffadeur en Angleterre
, de chercher quelques moyens
136 MERCURE DE FRANCE.
avec le Miniftere de cette Cour pour réduire
ces Corfaires. Cet Ambaffadeur
écrivit à l'Amiral Ruiter , & le pria dans
fa lettre de lui mander fon fentiment fur
quelques points aufquels celui- ci répondit
par la lettre fuivante.
"
» Les vaiffeaux corfaires ont plus de
» monde , & font mieux armés qu'aucuns
» des vaiſſeaux Chrétiens . S'il eſt un tems
» où ils ont moins de monde , c'eſt celui
» de l'été , lorfque les Algériens ont befoin
de leurs foldats en campagne pour
»recueillir les tributs des Mores , pendant
»que leurs grains font encore fur terre.
» Dans ce tems leurs forces maritimes
»font fur le pied le plus foible : d'ailleurs
ils font accoutumés à ne jamais licen-
» cier leurs foldats , & à avoir toujours le
» même nombre de troupes. Ils font obligés
de tenir toujours prêts quelques
» vaiffeaux pour le ſervice du Grand Sei-
» gneur. Ils en envoyent auffi quelquesuns
pour commercer dans le Levant ,
& le refte qui fait à- peu -près le tiers
» de toutes leurs forces va en courſe.
ود
و ر »Ileftabfolumentimpoffibledepour-
» fuivre les vaiffeaux Algériens jufques
derriere.leur môle , parce que , pendant
prefque toute l'année , tous les vaiffeaux
venant de la mer , & voulant enSEPTEMBRE
. 1755. 137
» trer derriere le môle , lorfqu'ils en font
» à une portée de fufil , tombent dans un
» calme que la réverbération de la chaleur
»
de la ville cauſe par fa fituation , & ref-
» tent dans une telle inaction qu'ils font
» obligés de fe faire conduire par de petites
barques , ou des chaloupes , ou de
fe faire tirer avec des cordes ; mais cette
opération eft fi lente , qu'elle donne aux
habitans le tems d'empêcher par des
» trains , des chaînes , ou d'autres moyens
» l'entrée des vaiffeaux , quand même on
» les furprendroit tout- à fait .
ور
"
"

» J'en ai moi - même fait l'expérience
» dit- il , en 1655 , ainfi que l'Amiral Anglois
Sandvich en 1662 , mais pour montrer
le danger évident qu'il y a toute
» l'année à tenir bloquée la ville d'Alger ,
je vous ajouterai que pendant l'hiver les
» vents du Nord , Nord- eft , Nord oueft ,
Eft-fud - oueft , foufflent avec tant d'impétuofité
, & agitent la mer avec une
» telle violence , qu'il eft très- dangereux
» d'en approcher ; c'eft ce que les Algé-
» riens éprouverent eux - mêmes en Décem
» bre 1662 , lorfqu'un vent du Nord - eft
» fit périr , même derriere leur môle , qua➡
» torze barbarefques avec fept navires
qu'ils avoient pris. Quand même on braveroit
tous ces dangers , & fuppofé que
r38 MERCURE DE FRANCE.
par un long blocus on les forçêt à faire
la paix , fi leur marine n'en eft point
» affoiblie , ils ne tiendront le traité que
» jufqu'à ce qu'ils trouvent leur avantage
à le rompre , comme cela eft arrivé plu-
» fieurs fois. Je penfe donc que le meil
» leur moyen de leur nuise eft de croifer-
» conftamment fur eux , parce que la croifiere
eft ce qui peut leur faire le plus de
tort , & peut feule les empêcher d'enleurs
Pirates fur nos côtes. Qu'on
fe précautionne contre la vîteffe de leurs
vaiffeaux , que fur le foir on étende les
» nôtres à une bonne diftance les uns des
autres , & qu'on les laiffe dans un cou→
rant avec la petite voile ; par cette ma-
» noeuvre on laffera les Algériens ; & f
» pendant la nuit ou fur le matin on dé-
» voyer
couvre un ou plufieurs barbarefques
» que l'on coure auffi- tôt deffus , & qu'on
»les attaque ; de cette maniere , dit- il , je
» les ai tellement refferrés , qu'ils ne pouvoient
plus fe ranger fur deux lignes ,
& qu'il leur falloit combattre defavan-
>> tageufement , ou fe retirer fous leur môle
; mais il faut pour cela que les vaiffeaux
qui croifent ne foient point bor
» nés dans les ordres qu'ils ont des Etats
■ Généraux , & qu'ils puiffent agir &
changer leur croifiere felon l'eccafione
SEPTEMBRE. 1753. 139
38
n
L'entretien des bons réglemens qui regardent
l'armement & l'équipage des
» vaiffeaux , continue - t - il , la conftruction
des Amiraux , & les ordres pour les
» bonnes eſcortes eft bien le feul & le vrai
» moyen de couper entierement les vivres
» aux Barbares ; parce que s'ils voyoient
enfin qu'on leur ôtât toutes leurs reffources
, ils pourroient bien faire un effort ,
raffembler leurs forces , former une eſca❤
dre , & attaquer alors les eſcortes mémess
» & il n'eft pas douteux qu'avec leurs for-
» ces réunies , ils ne puiffent les enlever ,
parce que le tems du départ & du retour
des vaiffeaux chrétiens leur eft connu
ou que du moins ils peuvent toujours
en avoir avis.
»
« Les vaiffeaux de guerre qui croiferont
ainfi , pourront aifément tenir en bride
les Corfaires , & quoique ces fortes
d'armemens foient fort couteux , les con
» vois font cependant en fûreté ; les efcor-
>> tes n'ont pas befoin d'être fi bien équi-
" pées , & la République eft refpectée des
Barbares , comme les autres puiffances
» maritimes. Que la Hollande & l'Angleterre
fe joignent enfemble , que leurs
» efcadres fe tiennent éloignées l'une de
> l'autre , & que chacune ait fon parage
» à nettoyer de ces écumeurs de mer , que

>
140 MERCURE DE FRANCE.
» même , pour prévenir tout fujet de ja
» loufie , les deux flottes changent de pa-
» rage au bout de quelques mois ».

J'ai exhorté plus d'une fois , » dit encore
notre Amiral , « la Régence des Pro-
» vinces-Unies à ne jamais laiffer la Médi-
» terranée , fans y avoir des vaiffeaux de
croifiere , parce que cela pourroit leur
» être très défavantageux dans quelques
» occafions , & qu'ils fe plaindroient lorfqu'ils
ne feroient plus en état d'y appor
» ter remede . »
* La fin de fa lettre contient une espece.
de prophétie fur l'avenir , où il y dit , « les
» Hollandois ont profité heureuſement de
» la fureté que les François & les Anglois
» avoient établie dans la Méditerranée en
y tenant une flotte confidérable ; mais
que les Anglois viennent à faire la paix
» avec les Algériens , comme les François
l'ont déja faite , & que parlà la Répu-
» blique fe trouve feule en guerre avec les
» Barbares , alors elle court rifque de fouf-
» frir de grandes pertes. »
Les habitans des Provinces-Unies ont
éprouvé peu de tems après , pour leur malheur
, la vérité de ces paroles. Les Anglois
fous leur Vice- Amiral Allen , & les Hollandois
fous le Vice-Amiral Van- Gent , s'unirent
en 1670. pour croifer fur les Algés
SEPTEMBRE. 1755 14%
riens felon le confeil de Ruiter , ils firent
échouer & brûlerent fix de leurs armateurs
après un combat de fix heures. Les François
d'un autre côté bombarderent deux
fois la ville d'Alger , & la réduifirent en
cendres ; c'eft -à dire , une fois en 1682.
fous Duquefne , & une autre fois , en
1688. fous le Maréchal d'Eftrées . Il faut
remarquer en même tems que Duquesne
réitéra plus fort fon bombardement en
1683. Cet évenement fit que Baba- Haſſan,
Roi d'Alger , rendit tous les efclaves françois
, ce qui irrita tellement le peuple Algérien
qu'il maffacra Baba - Haſſan , & plaça
fur le trône fon Amiral Mezzomorto .
t
Les François en 1688. fous d'Eftrées ,
jetterent dans la ville dix mille quatrevingt
bombes , & détruifirent les deux
tiers de la ville & deux vaiffeaux qui étoient
.dans le port. Les Algériens pour ſe venger
mirent le Conful françois tout vivant dans
un mortier , & le tirerent fur la flotte
françoiſe.
Il eft remarquable dans ce que nous venons
de dire , que les François malgré ces
infultes , conclurent un traité de paix dans
l'année fuivante 1689. avec les Algériens
pour fe fervir du fecours de ces Barbares
contre les Chrétiens , fçavoir , les Anglais
& les Hollandois , jufqu'à ce qu'enfin les
142 MERCURE DE FRANCE.
premiers firent auffi la paix avec eux ; ainfi
des Hollandois refterent feuls en guerre
avec les Corfaires , & les pertes que fouffrirent
alors leur marine & leur commerce
, acheverent de vérifier ce que Ruiter
avoit annoncé à la fin de fa lettre.
Enfin il fut conclu un traité de paix entre
les Hollandois & les Algériens , ce fut
en 1712. que les Hollandois ne pouvant
voir plus long tems d'un oeil indifférent
des pirateries étonnantes de ces Barbares ,
la perte d'un nombre infini de leurs vaiffeaux
, la diminution de leur commerce &
de leur navigation , tandis que les Anglois,
les François & les autres nations , s'enrichiſſoient
de leurs dépouilles , ils réſolurent
de tout rifquer pour forcer les Algériens
à la paix.
En conféquence , ils firent les préparatifs
néceflaires , & ils parurent devant Alger
avec une efcadre nombreuſe de vaiffeaux
de guerre & de galiotes à bombes ,
prêts à traiter cette ville corfaire comme
les François leur en avoient déja donné
l'exemple ; les Algériens peu préparés à un
pareil évenement , fe prefferent de faire
des propofitions de paix , & dans cette
même année 1712. le traité fut conclu &
figné.
Les Articles de ce traité contenoient
SEPTEMBRE. 1755. 143
entr'autres : « Que les deux partis ne croi
»feroient plus l'un fur l'autre , & qu'ils
» fe regarderoient à l'avenir comme amis ,
& fe fecoureroient réciproquement ; que
les Hollandois dans la vente des marchandifes
qu'ils apporteroient à Alger ,
» ne payeroient pas plus de cinq pour
» cent de douane , & que pour celles qu'ils
» en emporteroient , ils n'auroient rien à
payer ; que lorfqu'ils partiroient d'Al-
» ger ; on ne chercheroit point à les rete-
" nir & à arrêter leur départ fous des prétextes
frivoles . Que fi un navire hollan-
» dois échouoit ou périffoit fur leurs côtes,
» les Algériens ne feroient aucun mal à
l'équipage , & ne les feroient pas efcla-
» ves , comme ils le faifoient auparavant.
" Que tous les différends qui pourroient
» s'élever , feroient à l'avenir portés de-
» vant le conful de Hollande,, réfident à
Alger , & que les Hollandois auroient
» chez lui le libre exercice de leur reli-
-gion. »
"
Cependant quelques belles que furent
ces paroles , les Algériens montrerent bientôt
combien on doit faire peu de fond fur
la parole & fur les promeffes d'une nation
barbare , car dès l'année 1716. ils rompi
rent par une trahifon , un traité fi folemnellement
conclu , & ils parurent en mer
144 MERCURE DE FRANCE .
avec des efcadres nombreuſes de barbaref
ques ; de forte que les affaires fe trouverent
fur le même pied qu'elles font à préfent.
En un mot , le Roy d'alors , ou plutôt
le Dey d'Alger & le Divan forcés par les
murmures & les mécontentemens du peuple
qui ménaçoit de maffacrer le Dey ,
furent obligés de déclarer la guerre aux
Hollandois qui n'y avoient donné nulle
occafion , car les armateurs fe plaignoient
alors comme aujourd'hui , qu'ils ne trouvoient
aucune priſe à faire pour fubfifter ,
parce qu'ils vivoient en paix avec trop de
Puiffances.
Lorfque les Etats Généraux apprirent
cette déclaration , ils envoyerent auffitôt
en mer quelques vaiffeaux de guerre pour
croifer fur les Algériens , felon le confeil
de Ruiter. Cet Amiral leur fit à la vérité
beaucoup de tort , fans cependant aucun
fuccès décidé , jufqu'en l'année 1721. que
leurs Hautes Puiffances fe déterminerent
à envoyer dans la Méditerranée une efcadre
confidérable pour forcer les Corfaires
à la paix.
Cette efcadre étoit au commencement
compofée de huit vaiffeaux de guerre &
deux Galiotes ; enfuite elle fut augmentée
de deux ou trois vaiffeaux de guerre fous
le
SEPTEMBRE . 1755. 145
le commandement du Vice - Amiral de
Sommelfdick , parce que les Algériens
étoient affez audacieux pour venir jufques
fur les côtes d'Angleterre pour y faire tous
les jours quelque prife fur les Hollandois.
Lorfque l'efcadre de ce Vice-Amiral parut
dans la Mediterranée , le Dey voulut faire
la paix , mais il en fut empêché par une
révolte qui s'éleva parmi les propriétaires
des vailleaux corfaires qui le menacerent
de le maffacrer auffitôt , s'il difoit feulement
un mot de paix avec les Hollandois.
Dans le mois d'Août 1721. trois vaiffeaux
de guerre Efpagnols commandés par
leVice- Amiral Don Antonio Serano qui avoit
reçu ordre du Roy d'Efpagne de croifer
avec les Hollandois fur les Algériens , joignirent
l'Efcadre Hollandoife qui étoit à
Malaga. De ce moment les Pirates firent
peu de prifes ou même aucune , & ils furent
tellement refferrés , qu'en 1722. ils
fongerent à faire un traité avec le Dey
d'Oran , le Dey de Conftantine & les plus
puiffans de leurs armateurs , par lequel
chacun d'eux devoit fournir un vaiffeau
neuf de foixante à foixante & dix pieces
de canon . Avec ces forces , ils efpéroient
braver l'efcadre chrétienne ; mais ce traité
ne fut pas exécuté , parce qu'il leur falloit
G
146 MERCURE DE FRANCE.
trop de tems pour la conftruction & l'armement
de ces vaiffeaux .
Dans le mois de May , le Capitaine Landgeveld
qui montoit le vaiffeau de guerre
Edam , prit près d'Heiſant un vaiſſeau Algérien
de quatorze canons & de cent quarante
hommes d'équipage , qui avoit à
bord fix efclaves chrétiens. Il le mena à
Cadix où les Turcs & les Mores furent
vendus à l'enchere. Ce vaiffeau de guerre
étoit un de ceux du chef d'efcadre Grave ,
qui étoit forti pour ſe joindre à l'eſcadre
du Vice Amiral eſpagnol Serano , & pour
confulter avec lui les moyens de faire le
plus de tort qu'il fe pourroit aux corfaires
d'Alger & de Salé.
Le 11 Juillet 1722. les vaiffeaux commandés
par le chef d'efcadre Grave , rencontrerent
près de la baye d'Althea l'efcadre
efpagnole que montoit le Vice-Amiral
Don Antonio Serano , compofée de neuf
vaiffeaux de guerre. Le chef d'efcadre vint
au bord du Vice- Amiral pour lui dire
qu'il avoit ordre de leurs Hautes- Puif-
» fances de croifer avec lui fur les corfai-
» res d'Alger & de Salé » . Le Vice - Amiral
approuva la réunion & demanda au chef
d'Efcadre Grave fon fentiment fur les
moyens de la faire le plus avantageufement
aux deux nations. Celui-ci lui réponSEPTEMBRE.
1755. 147
"
"
dit en ces termes : « Mon fentiment eft
que
» pour parvenir au but que nous nous fom-
» mes propofés , nous nous rendions fans
» perdre de tems avec nos deux eſcadres
» aux places où les corfaires ont coutume
» de fe tenir. Là , felon les forces que nous
» leur connoîtrons , nous nous féparerons
» en trois ou quatre efcadres , & fur le
foir nous nous tiendrons en panne , fort
» étendus , afin que fi pendant la nuit ,
» ou à la pointe du jour les barbares nous
» attaquoient , nous puiffions tomber fur
eux de tous côtés , par là nous gagne-
» rons fur eux beaucoup d'avantage , & la
plûpart de leurs prifes tomberont entre
» nos mains. Les Algériens , continue- t- il,
» n'ont pas plus de feize vaiffeaux de cour-
» fe , & ils ont à peine deux mille hommes
de mer , fi nous pouvons leur en
enlever la moitié , & vendre les hommes
» comme eſclaves , la force des autres ferá
» bien diminuée , d'autant que les proprié
taires des vaiffeaux corfaires font
pour la
plûpart gens dont les moyens font peu
confidérables. Qu'on enleve donc quel-
» ques-uns de leurs vaiffeaux , & qu'on
les empêche de faire aucune prife , alors
ils n'auront plus la force , ni l'envie d'envoyer
en mer ; ainfi , ce qui leur reftera
» de vaiffeaux , leur deviendra inutile , &
"
99
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
30 pourrira dans leur port. Il dit plus , fi les
Algériens perdent une fois leurs gens de
mer , ils ne pourront de long- tems en
inftruire d'autres , parce qu'ils ne font
prefqu'aucun commerce . Mon avis eft
» donc , puifque le Roi d'Efpagne & les
» Etats Généraux ont décidé que nos deux
» efcadres agiroient en commun ,
& que
" leurs ordres ne nous fixent fur aucun
» parage , de croiſer quelque tems dans la
Méditerranée , par- là nous mettrons les
Algériens hors d'état , de plufieurs an-
» nées , de faire le moindre tort aux deux
» Puiffances » .
32
»
Le Vice- Amiral Efpagnol lui répondit ,
que ces réflexions lui paroiffoient juftes ,
» mais qu'il avoit ordre du Roi fon maître
fitôt que fes vaiffeaux feroient pour-
» vus d'eau , dont ils avoient grand befoin ,
» parce qu'il y avoit déja quarante jours
» qu'ils étoient en mer , fans en avoir fait
» de fraiche , & fans avoir vu plus d'un
vaiffeau corfaire , de cingler vers Alger ,
» & de mouiller devant la ville pour empê-
» cher la fortie des Pirates , & furtout de
» huit d'entr'eux , qui felon les avis qu'on
lui en avoit donné , devoient aller join-
» dre dans le Levant quelques vaiffeaux
» Turcs ; que par cette raifon , il l'invitoit
» à partir avec lui pour Alger le dix - huit
SEPTEMBRE. 1755. 149
» du mois , auquel jour il efpéroit avoir
» fait fes provifions d'eau » .
Le chef d'efcadre Hollandois répondit :
« aller mouiller devant Alger , & y tenir
» enfermés les vaiffeaux prêts à en partir ,
» c'eft à mon avis , leur faire bien moins
» de tort que fi nous les attaquions & les
» détruifions en pleine mer , d'ailleurs je
» crains que fi vous ne fortez pas de cette
33 baye avant le 18 , il ne foit alors trop
tard pour empêcher le départ des Algériens
, parce que felon le témoignage
» unanime de mes prifonniers , les corfai-
» res ont coutume de fe mettre en mer
trois ou quatre jours après la premiere
» nouvelle lune , qui tombe après la fête
» de leur Bayram , qui finit après - demain.
» Outre cela les vents de l'Eft & de l'Ouest,
» foufflent avec tant d'impétuofité devant
» Alger , qu'il eft très- dangereux de fe te-
» nir long - tems dans la rade avec une eſ-
» cadre » .
و د
Enfin ils convinrent enfemble que Grave
fortiroit de la Baye d'Althea , le jour fuivant
qui étoit le 12 de Juillet , & qu'il
iroit fe joindre au capitaine Akerfloot ,
qui avoit eu ordre , auffitôt qu'il auroit
réparé le dommage qu'il avoit effuyé fur
mer , de croifer aux environs de Malagas
que l'Amiral Efpagnol cingleroit droit à
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
Alger le 18. qu'il y jetteroit l'ancre , & que
le chef d'efcadre auffitôt qu'il feroit arrivé
au cap Mole , prendroit pareillement la
route d'Alger pour y mouiller auffi .
Ils convinrent aufli que l'efcadre eſpagnole
prendroit fa route par le Levant , &
les Hollandois par le Couchant , pour enlever
plus certainement les Pirates qui devroient
être déja partis ; & que lorfqu'ils
feroient arrivés à la rade d'Alger , & qu'ils
auroient vu l'état des vaiffeaux qui y feroient
, ils examineroient davantage ce que
pourroient faire leurs deux efcadres pour
faire le plus de tort aux Barbares.
Cette convention fut fignée par les deux
commandans , enfuite on donna aux capitaines
des deux efcadres les fignaux néceffaires
pour qu'ils puffent toujours fe reconnoître
au loin , foit le jour , foit la nuit,
& les rendez-vous furent affignés pour fe
raffembler , foit que les vents de l'Eft ou de
l'Oueft les difperfaffent.
Le chef d'efcadre Grave qui avoit mis à
la voile d'Althea pour Alger le 18 , n'y
arriva que le 27 , à caufe d'un grand calme
, & il trouva neuf vaiffeaux corfaires
défarmés derriere le Mole qui étoit garni
d'une batterie de vingt- quatre canons , &
les Barbares bâtiffoient encore un fort à la
pointe extérieure de la Baye du côté du
Levant.
SEPTEMBRE. 1755. Ist
L'efcadre Efpagnole ne fe fit pas voir
devant Alger avant le 31 de Juillet , les
Hollandois s'en retournoient déja lorfqu'ils
la rencontrerent , ils convinrent alors que
les Efpagnols croiferoient jufqu'au 15 Septembre
devant Alger & fur les côtes d'Efpagne
& de Barbarie , depuis le cap Martin
, jufqu'au cap de Gata , pendant que
les Hollandois croiferoient jufqu'au même
jour depuis Malaga & le détroit de Gibral
tar , jufqu'au cap S. Vincent & jufqu'aux
côtes de la Mauritanie. Après cette décifion
les deux efcadres fe féparerent . La
croifiere de l'efcadre Hollandoife qui revint
dans le Texel le 27 Novembre , fut
totalement infructueufe , car elle ne vit
prefque aucun corfaire , & n'en prit aucun .
Les Algériens de leur côté ne leur firent
de même aucune prife pendant tout l'été .
Mais en Avril 1723. Ils mirent en mer
toutes leurs forces , & ils prirent deux
vaiffeaux Hollandois , & deux ou trois
Espagnols ; dans le mois de Juin ils prirent
quatre ou cinq flûtes Hollandoifes , &
firent encore quelques prifes.
La raison qui avoit porté les Algériens
à mettre en mer toutes leurs forces , étoit
la grande difette de bled & autres vivres
ce qui faifoit que lorfqu'ils prenoient quelques
bâtimens qui en étoient chargés , ces
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
prifes leur étoient d'un grand fecours , parlà
ils firent aux Hollandois fur tout un
tort confidérable , parce comme le bled
manquoit à Malaga & dans tous les autres
ports d'Espagne & de Portugal , les Hol-
Mandois en envoyoient des vaiffeaux chargés
qui tomboient entre les mains des Corfaires.
En attendant ces prifes , la difette
de bled , d'huile & d'autres chofes néceffaires
à la vie , étoit fi grande à Alger ,
que les Hollandois qui y étoient , penfoient
que l'on réduiroit facilement la ville à
toute extrémité , fi on bloquoit le port
feulement avec fix vaiffeaux de guerre , &
qu'alors maîtres des habitans , on les forceroit
à une paix avantageufe aux Hollandois.
Malgré la quantité de barbarefques
que les Algériens avoient en mer , le mois
de Septembre fe paffa tout entier fans qu'ils
fiffent aucune prife , mais au commencement
de Novembre , un vaiffeau de
guerre
Hollandois , monté par le Capitaine de
Graf, que la tempête avoit écarté de l'eſcadre
du Commandant Godin , prit un
vaiffeau de guerre Algérien de vingt - quatre
pieces de canons , & de deux cens dix
hommes d'équipage , & il trouva à fon
bord fix efclaves chrétiens .
Cette efcadre continuoit toujours à croifer
fans effet. Dans le mois de Février
SEPTEMBRE. 1755. 153
1724. Elle fut augmentée de deux autres
vaiffeaux & d'une galiote chargée de munitions
de guerre .
Le fieur Godin reçut avec ce renfort un
ordre de traiter de paix avec la Régence ;
en conféquence , il fit voile vers Alger , &
dans le mois de Mars 1724. il fit faire des
propofitions de paix au Dey qui parut trèsdifpofé
à les écouter . Les Barbares furent
fi irrités de cette prétendue foibleſſe de
leur fouverain , que le 18 Mars aprèsmidi
, comme il fe promenoit fur le bord
de la mer , ils tomberent fur lui avec fureur
& le mirent en pieces , ils éleverent à
fa place un certain Ofman , qui le jour
fuivant fit fabrer dix-huit des affaflins de
fon prédéceffeur.
Alors toutes les négociations de paix
devinrent inutiles , & l'efcadre Hollandoife
fut encore augmentée de deux vaiffeaux
de guerre ; malgré ces renforts tout
le butin qu'elle fit pendant cette année ,
confiftoit en trois ou quatre vaiffeaux corfaires
, & dans le mois de Décembre elle
revint en Zélande après avoir effuyé une
grande tempête.
Dans le mois d'Avril 1725 , es Hollandois
envoyerent une nouvelle efcadre
fous le Vice- Amiral Sommelick , & Is firent
prier , comme ils le font aujourd hui , le
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
Grand Seigneur , par leur Ambaffadeur à
Conftantinople , de vouloir bien engager
à la paix la République d'Alger. Les Algériens
firent de belles promeffes ; la conclufion
du traité ´traîna néanmoins jufqu'au
Septembre 1726 , mais pendant ce délai,
les Hollandois leur firent tout le tort poffible.
Le traité de paix confifte en douze articles.
Les Corfaires s'y obligerent à tenir
tout ce qu'ils n'avoient pas obfervé jufqu'alors
, comme nous allons le voir .
Plus les Algériens ont juré fur les traités
que la néceffité leur a fait conclure ,
moins ils les ont tenus , & il eſt étonnant
après cela que les Puiffances Chrétiennes
puiffent y avoir la moindre confiance ,
mais ils ne fe font joués d'aucune Puiffance
comme des Hollandois , qu'ils n'ont
refpectés , que tant que leurs vaiffeaux ont
croifé fur eux , & bloqué leur Port .
Les Articles de ce traité montrent combien
peu les Corfaires l'ont obfervé , & la
fuite n'a que trop confirmé leur mauvaiſe
foi. Nous les rapporterons pour finir cet
abrégé.
I. Il y aura une paix conftante entre la
Régence d'Alger & les Hollandois.
II. Les Hollandois feront tenus de payer
sing pour cent de douane pour les marchanSEPTEMBRE.
1755. 155
difes qu'ils apporteront fuivant le traité de
paix de 1712.
III. Les munitions de guerre & les autres
marchandises de contrebande neferont fujettes
à aucuns droits .
IV. Les Etrangers quife trouveront fur les
vaiffeaux Hollandois ne feront nullement inquienes
par les Algériens.
V. Les marchandifes && les effets des vaiffeaux
Hollandois échoués fur les côtes d'Alger
, ne feront point pillés , & les hommes ne
feront pasfaits efclaves.
VI. Il ne pourra entrer aucun vaiſſeau Algérien
dans les ports de Holande.
VII. Si un vaiffeau Hollandois mouille devant
Alger , il fera pourvu des vivres néceffaires.
VIII . Nul Marchand Hollandois ne pourra
être fait esclave dans aucune place appartenante
aux Algériens .
IX. Si un Commerçant Hollandois meurt à
Alger , on ne fera point de faifie de fes biens.
X. Les differends qui s'éleveront entre les
Hollandois les Mahometans , feront jugés
on accommodés par le Conful de Hollande.
XI . Le Conful de Hollande jouira d'une
protection entiere de la République , il aura
chez lui le libre exercice de fa Religion , anquel
les efclaves de la même Religion pourront
affifter.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
XII. Les paffe-ports qu'on donne auxMar .
chands Hollandois feront renouvellés tous les
trois ans , & toutes les hoftilités paffées feront
mifes en oubli.
ABRÉGÉ
CHRONOLOGIQUE
De l'hiftoire de la ville de Paris , contenant ce
qui s'eft paffe de plus remarquable dans fon
enceinte, ou aux environs ; par M. Poncet
de la Grave , Avocat au Parlement .
L
SOUVERAINS .
Jules-Cefar.
'Ancienneté de la ville de Paris ne fçauroit
être mieux prouvée que par l'obfcurité
répandue fur fon origine,
Jules- Céfar , (a) qui le premier en a fait
mention , l'appelle Lutetia , plufieurs Auteurs
, après lui , l'ont nommée différemment.
Elle fut affujettie aux Romains vers l'an
704 de la fondation de Rome , environ
cinquante ans avant la naiffance de Jefus-
Chrift. Jules - Céfar après en avoir fait la
conquête , y forma l'affemblée générale de
fes troupes , & partit enfuite pour l'Italie.
Les Parifiens profitent de fon abfence pour
fecouer le joug des Romains ( b) .
(a) Comment. L. 6. (b) Céfar , L. 7...
SEPTEMBRE . 1755. 157
Céfar apprend leur révolte , rentre dans
les Gaules , fait le fiége de Gergovie , &
dépêche Labienus un de fes Lieutenans ,
contre les Parifiens . Ces derniers , inftruits
de fon retour , & de l'approche de Labiénus
, mettent le feu à leur ville , & vont
au-devant de lui fous le commandement
de Camulogene , vieillard d'une expérienconfommée
; leur armée eft défaite , &
Paris rentre pour la feconde fois fous la
domination des Romains.
Vers l'an 250 , faint Denis qui avoit été
fait prêtre à Rome , arrive à Paris , en eſt
le premier Evêque , & après y avoir prêché
la Religion Chrétienne avec le prêtre
Ruftique & le Diacre Eleuthere. Il y reçoit
la couronne du martyre avec fes compagnons
fur le mont Martre , où ils eurent
tous les trois la tête tranchée. Leurs corps
furent enlevés par desperfonnes pieufes qui
les enterrerent dans un champ écarté de la
ville , fur lequel a depuis été bâtie l'églife
de l'Abbaye de faint Denis , actuellement
exiftante.
360-1-2 .
Julien proconful des Gaules , fait affembler
un concile à Paris (c) , auquel Victorin
Evêque & fucceffeur de faint Denis
(c) Premier concile de Paris .
158 MERCURE DE FRANCE.
préſida. Il y arrive lui-même , y féjourne
deux ans , & manque d'y périr par la vapeur
du charbon qu'on avoit allumé dans
fa chambre dans une urne de terre , fuivant
la coutume de ce tems - là.
Julien.
Julien eft proclamé Empereur à Paris
par les capitaines & foldats de fon armée ,
campée aux environs.
On fixe au regne de Julien la conftruction
du palais des Thermes , ou bains ,
dont on voit encore quelque refte dans
une maifon de la rue de la Harpe.
Jovien .
363-4-5 .
Jovien ayant fuccédé à Julien qui avoit
renoncé à la Religion chrétienne , caffe
toutes les loix que fon prédéceffeur avoit
faites contre les Chrétiens , & ne regne
que huit mois.
Valentinien I.
Valentinien I. arrive à Paris à la fin du
mois d'Octobre 365 , & y paffe l'hyver.
Nous avons de lui trois loix (d) dattées de
cette ville ; la premiere , pour la diftribution
des vivres ; la deuxieme pour l'or , l'ar-
(d) Cod. Theod. Tom. 2. chro. p, 76.
SEPTEMBRE . 1755. 159
gent , & les autres métaux ; la troifiéme
pour les Officiers des monnoies.
Valens affocié à l'Empire.
366 , & c.
Valens défait en Afie Procope qui s'étoit
fait proclamer Empereur ( e ) , & envoie fa
tête à Paris , à Valentinien fon frere.
Gratien.
Gratien , fils de Valentinien , fait quelque
féjour à Paris , y livre aux environs
une bataille à Maxime , qui avoit ufurpé
le titre d'Empereur ; il l'a perd , & eft
maffacré par fes ennemis.
Théodofe.
Saint Marcel , natif de Paris , occupe
le Siége Pontifical ; il meurt & fon corps
eft inhumé hors la ville dans une petite
chapelle dédiée à faint Clément .
ROIS DE FRANCE.
Pharamond . Clodion. Mérovée.
451-2-3.
و
Les conquêtes d'Attila roi des Huns
& les ravages que fon armée faifoit aux
environs de Paris , allarment les Parifiens .
Sainte Génevieve effaye de calmer les ef-
( e) Amm. Marcell. L. 27.
160 MERCURE DE FRANCE.
prits , les exhorte à mettre leur confiance
en Dieu , & leur prédit que ce Prince qui
fe faifoit appeller le fléau de Dieu , ne
paffera pas par Paris ; la chofe arriva comme
elle l'avoit dit , mais plufieurs en profirerent
pour l'accufer de fortilege. On alla
même jufqu'à délibérer de quel genre de
mort on la feroit mourir. Sur ces entrefaites
, l'Archidiacre d'Auxerre arriva à
Paris , & diffipa le complot.
454 , & c .
Les Francs fous la conduite de Mérovée ,
s'avancent vers la Seine ; traverfent la
Seine fous Childéric fon fucceffeur
ravagent les environs de Paris.
Childeric I.
476 , &c. -
Les François affiégent Paris , la ville
manque de vivres , & les affiégés font réduits
à la derniere extrêmité. Génevieve
(f) s'expofe feulé pour le falut de la patrie,
elle va elle -même à Arci fur Aube & à
Troyes , d'où elle revient avec plufieurs
batteaux chargés de bled . Childéric , malgré
ce fecours , fe rend maître de Paris ,
& en chaffe les Romains .
Clovis I.
Le Clergé & le Corps de Ville , à la fol-
(f) Vita Sanite Genovefoe . p . 146 .
SEPTEMBRE. 1755. 161
licitation de fainte Génevieve , font batir
une Chapelle fur le tombeau de S. Denis .
507-8.
Clovis , premier Roi Chrétien , vient à
Paris après la fameufe bataille de Vouille
en Poitou , il y fixe le Siége principal de
fon Empire ; habite le Palais des Thermes ,
& fait bâtir l'Eglife de Saint Pierre & Saint
Paul , aujourd'hui Sainte Génevieve.
509-10 .
Sainte Génevieve , déja très- avancée en
âge , meurt à Paris le trois Janvier 509. &
eft enterrée hors la ville du côté du Midi.
Les Parifiens remplis de vénération pour
cette Sainte , élevent une petite chapelle
fur fon tombeau .
511 , & c.
Rédaction de la Loi par Clovis ; ce prince
fonde l'abbaye Sainte Génevieve , meurt
& eft enterré dans l'églife qui étoit alors
fous l'invocation de S. Pierre & S. Paul .
Childebert.
Les quatre fils de Clovis , partagent le
royaume entr'eux . Thieri regne en Auftrafie
, Clodomir à Orléans , Childebert à
Paris , & Clotaire à Soiffons. Clodomir eft
tué dans une bataille contre les Bourguignons
& laiffe trois fils.
162 MERCURE DE FRANCE.
533, &c.
Clotaire inftruit de cet évenement ,
vient à Paris & délibere avec Childebert
fon frere , de priver leurs neveux du royaume
de leur pere , la réfolution prife , ils
font venir les trois princes , & Clotaire en
matfacre deux de fa propre main , le troifieme
, nommé Clodoalde fe fauve , & eft
rafé . On l'invoque fous le nom de faint
Cloud.
Childebert , Thieri & Clotaire partagent
entr'eux le royaume d'Orléans .
Clotilde fait inhumer les jeunes princes
Theobalde & Gonthier dans l'Eglife de
S. Pierre & S. Paul , & quitte enfuite
Paris pour revenir à Tours,
$43 , &c.
Mort de Clotilde , veuve de Clovis , à
Tours ; fon corps eft apporté à Paris , où
par les foins de Childebert & de Clotaire ,
elle eft enterrée à Sainte Génevieve auprès
de Clovis , & à côté de Clotilde fa fille ,
femme d'Amalaric , roi des Vifigoths .
Elle a été mife au nombre des Saints.
SSI- 2-3-4.
Childebert affemble un concile à Paris ;
(g ) les Evêques au nombre de vingt-fept , y
( g ) Deuxieme Concile de Paris.
SEPTEMBRE. 1755. 163
=
dépofent Safaraque Evêque de cette capitale
, & le releguent dans un Monaftere.
Le feu prend à quelques maifons de
bois , & les flammes pouffées avec violence
font craindre un incendie général . Saint
Lubin Evêque de Chartres alors à Paris ,
fe met en prieres & l'embrafement ceffe .
555-6-7.
Childebert ( b ) par les confeils de
Saint Germain Evêque de Paris , fait rebâtir
la cathédrale , & lui donne de grands
biens.
Célebre ordonnance de Childebert ( i ) ,
qui ordonne le renverſement de toutes les
idoles , & punition de cent coups de fonet
contre les efclaves qui profaneront le Dimanche
, & contre les perfonnes libres
d'une amande pécuniaire.
Troifieme concile de Paris (k ) fous le
pontificat de Saint Germain . Ce concile
(1) auquel Probien Archevêque de Bourges
préfida , fit dix canons tendant à la
confervation des biens eccléfiaftiques & à
la liberté des élections des Evêques.
Childebert fonde l'abbaye S. Vincent ,
connue aujourd'huy fous le nom de Saint
(h) Apud Duch. tom. I. p . 464. (i) Balut. capit.
Reg. Fr. L. I. p. 6. (k ) Troifieme concile de Paris.
(1) Concile , tom. 5. p . 814.
164 MERCURE DE FRANCE.
Germain des Prés , & y dépofe outre l'étole
de ce premier titulaire , quantité de vafes
précieux qu'il avoit apportés de Tolede,
la dotte d'amples revenus , & lui accorde
de grands privileges. L'églife finie le 23
Décembre eft dédiée , & la regle de Saint
Benoît eft introduite dans cette Abbaye
peu de tems après.
S. Germain l'Auxerrois fondé par Childebert
, dont on voit la figure avec celle
de la reine Ultrogothe fa femme , au grand
portail de cette églife.
558.
Mort de Childebert enterré à Paris dans
l'égliſe de S. Germain des Prés , on voit
encore fon tombeau au milieu de cette
églife.
Premier exèmple de la Loi fondamentale
qui n'admet que les mâles à la couronne.
Clotaire fuccede à fon frere à l'exclufion
de fes deux nieces.
Clotaire I.
559-60-61
.
Clotaire arrive à Paris , enleve tous les
tréfors de fon prédéceffeur , y fait trèspeu
de féjour , retourne à Soiffons , & y
meurt laiffant quatre fils .
562-3-4-5.
Chilpéric quoique le plus jeune , veut
SEPTEMBRE . 1755. 165
avoir Paris pour fon partage , fes trois
freres s'y oppofent , on tire au fort les
quatre royaumes , & il eft roi de Soiffons,
Caribert.
Caribert a Paris en partage , & fait
gouter à fes fujets la douceur de la paix .
Interregne..
566.
Caribert meurt & eft enterré à S. Germain
des Prés , fes freres partagent fa fucceffion
, mais comme chacun vouloit avoir
la ville de Paris (m) , ils conviennent de la
pofféder tous trois par indivis fous la condition
qu'aucun des trois n'y entreroit fans
le confentement des deux autres , & que
celui qui violeroit le ferment perdroit dès
ce moment la part qu'il y auroit,
$ 67 , &c.
Quatriéme Concile de Paris ( n ) , convoqué
par Gontran , Roi d'Orléans & de
Bourgogne , dans l'églife S. Pierre & S.
Paul. Les Evêques du Royaume affemblés ,
au nombre de trente (o) deux , propofent
plufieurs voyes d'accommodement pour
( m ) Préfident Henault , Abrégé de l'Hiftoire de
France , page 12. ( n ) Quatrieme concile de Paris .
(0 ) Concile , tam. V. p. 918.
166 MERCURE DE FRANCE.
terminer les différends des deux Rois , Sigebert
& Chilperic , ce qui ne réuffit pas.
$74.
Sigebert paffe la Seine , à la tête d'une
puiffante armée, force Chilperic à demander
la paix, ravage les environs de Paris , &
fes foldats portent leurs mains facriléges ſur
le tombeau de S. Denis , qu'ils dépouillent
.de fes ornemens.
575.
La paix eft conclue entre les deux Rois ;
mais à peine Sigebert s'eft- il retiré , que
Chilperic la viole . Sigebert indigné , s'avance
vers Paris , en ravage tous les environs
, fe rend maître de Rouen & de toute
la Neuftrie , & vient à Paris avec la Reine
Brunehaut & fes enfans.
Chilperic épouvanté de ce malheur &
de la mort de fon fils Théodebert , ſe ſauve
dans Tournai ; Sigebert l'y pourfuit ,
& met le fiége devant la ville . Il eſt affaffiné
dans fon camp , & Chilperic revient
à Paris , où ayant trouvé la femme de fon
frere , il pille tous fes tréfors , & l'exile
à Rouen.
576.
Mort de S. Germain , Evêque de Paris ,
âgé d'environ quatre -vingt ans. Il eſt enterré
dans la chapelle de S. Symphorien ,
SEPTEMBRE. 1755. 167
au bas de l'églife S. Vincent , à préfent S.
Germain des Prés , au côté droit du veftibule.
577
Cinquiéme Concile de Paris ( p ) , tenu
dans l'églife S. Pierre & S. Paul , compofé
de quarante-cinq Evêques ( 9 ) affemblés
par ordre du Roi Chilperic pour juger la
caufe de Prétextat , Evêque de Rouen ,
accufé de trahifon . Ce Prélat , quoiqu'innocent
, s'avoua coupable , pour appaifer
le Roi, qui lui avoit fait infinuer ce moyen
de le fléchir ; il fut néanmoins dépofé &
exilé dans l'ifle de Jerfai , où il demeura
jufqu'à la mort de Chilperic.
579 , 80 , 81 .
( r ) Le crime d'adultere alors puni de
mort à Paris. Etabliffement de l'églife Saint
Julien le Pauvre , place Maubert.
582.
Il tombe à Paris une pluie de fang ( )
qui infecte tout ce qu'elle touche .
Chilperic laffé de l'infolence des Juifs
qui habitoient la rue de la Juiverie , entre
le pont Notre-Dame & le petit Pont ,
veut les forcer d'embraffer la Religión (t )
(p)Cinquiéme Concile de Paris. ( 9 ) Greg.
Tur.liv. s . chap . 19. ( r ) Idem , liv. 5. chap. 35 .
(S)Idem , liv. 16. c. 5. ( t ) Idem , c. 17.
163 MERCURE DE FRANCE .
Chrétienne , quelques uns fe foumettent ,
les autres quittent le Royaume.
583.
La Seine & la Marne débordent confidérablement.
Plufieurs perfonnes font
noyées entre la cité & S. Laurent.
La veille de Pâques , Chilperic fort
brufquement de Paris , & y rentre à la fuite
d'une proceffion de reliques. Fait baptifer
fon fils par Ragnemode , Evêque de
Paris , qui fut fon parrein , & le nomma
Thiery. Chilperic (n ) fait à cette occafion
des aumônes confidérables , & rend la
liberté aux prifonniers .
Ce Prince fort une feconde fois de Paris
, fait un traité avec les Ambaffadeurs
du Roi Childebert , contre Gontran , Roi
d'Orléans ; rentre enfuite dans la ville , en
fort de nouveau pour affembler fon armée
près de Melun , brûle & pille tout ce qui
fe trouve fur fon paffage , livre la bataille
à Gontran , la perd , demande la
paix , l'obtient , & rentre dans Paris.
584.
Chilperic part pour Soiffons , d'où la
mort de fon fils Thieri le rappelle bientôt
à Paris. A peine y eft il arrivé , que la
Reine lui apprend qu'un bruit populaire
( u ) Greg. Tur. ch . 25 .
fait
SEPTEMBRE . 1755. 169
fait foupçonner des femmes d'avoir fait
mourir le jeune Prince par des fortileges.
Le Roi les fait arrêter ; elles avouent leur
crime à la queftion, & font punies de mort.
Monmole , Préfèt de Paris , compris
dans leur dépofition , avoue avoir reçu un
breuvage de leurs mains ; il eft chargé de
chaînes , & conduit en prifon , on lui fait
fon procès ; & lorfqu'il alloit être condamné
à perdre la tête , la Reine le fauve ,
& le fait conduire à Bordeaux , lieu de fa
naiffance , où il mourut de douleur en
arrivant.
Chilperic reçoit à Paris les Ambaffadeurs
de l'Euvigilde , Roi des Vifigoths
qui lui demandent Rigonte fa fille en mariage
, pour Ricarede , fecond fils de leur
Roi.
Chilperic agrée cette alliance , fait préparer
un train magnifique pour conduire
Rigonte en Espagne. Il prend par force
des efclaves ou ferfs dans les villages voifins
pour groffir la fuite de la Princeffe.
Childebert II dépêche des Ambaſſadeurs
à Chilperic pour s'en plaindre.
Rigonte part , & le chariot caffe aux
portes de Paris . On prend cet accident à
mauvais augure. Effectivement la Princeffe
ne va que jufqu'à Toulouſe , parce
que Ricarede inftruit de la mort de Chil-
H
170 MERCURE DE FRANCE.

peric affaffiné à Chelles en revenant de la
chaffe , fait une autre alliance .
Prétextat , Evêque de Rouen , qui avoit
été déposé au cinquiéme Concile de Paris ,
& exilé dans l'ifle de Jerfai , eft rappellé
& rétabli fur fon fiége , la Reine Frédegonde
, devenue veuve , fe retire auprès
de l'Evêque de Paris , & fe foumet avec
Clotaire fon fils à Gontran , frere de Chilperic
arrivé à Paris , avec une armée formidable
.
Childebert arrive quelque tems après ,
& les Parifiens lui refufent l'entrée de leur
ville .
585.
Gontran eft feul maître de Paris . Il
compofe un Confeil pour le jeune Clotaire
, & oblige Frédegonde à quitter Paris
: elle fe retire au Vaudrueil , où elle
fouffre impatiemment de fe voir fans autorité.
Gontran tient une affemblée à Paris.
Les Ambaffadeurs du Roi Childebert s'y
rendent , & y font maltraités ; ils n'obtiennent
ni portion du Royaume de Paris ,
qu'ils demandent , ni la liberté de Frédegonde
, veuve du feu Roi Chilperic.
Le même Prince craignant d'être aſſaſſiné
, fe retire à Châlons -fur- Saone , & reSEPTEMBRE
. 1755. 171
vient l'année d'après à Paris , pour tenir
fur les fonts de baptême Clotaire fon
neveu. Il envoie à cet effet les Evêques
de Lyon , d'Autun & de Châlons , avec
plufieurs Officiers de fa maifon pour conduire
fon Neveu à Ruel , où il étoit alors.
Delà il part pour Nanterre , où la cérémonie
fut faite.
Childebert envoie des Ambaffadeurs
pour fe plaindre de l'infraction au dernier
traité. Gontran leur promet de nouveau
de l'exécuter.
-Les corps de Clovis & de Mérouée font
trouvés & tranfportés dans l'églife de S.
Vincent , par ordre du Roi.
Un incendie confume prefque toute la
ville à l'exception des églifes.
Childebert & Gontran fe promettent
une fincere amitié dans l'affemblée d'Andelot
fur les confins du Royaume de Bourgogne
, près de Langres. Par ce traité , la
troifiéme partie de Paris & du territoire
qui avoit appartenu au Roi Sigebert ,
refta à Gontran , avec Châteaudun , Vendôme
, le pays d'Eftampes , & celui de
Chartres.
Gontran meurt .
On donnera la fuite le mois prochain.
* Greg. liv. 8 , chap . 33 .
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
JURISPRUDENCE.
Réflexions fur la maniere d'enfeigner &
d'étudier le Droit..
J Amais fiécle n'a été plus éclairé que celui
dans lequel nous vivons. L'efprit géométrique
qui y regne , a porté la lumiere
dans les fciences & dans les arts . On ne ſe
contente plus de connoiffances légeres &
fuperficielles , la Philofophie dans fes commencemens
, enveloppée des plus épaifes
ténébres , dans la fuite éclairée par de
fauffes lueurs , eft aujourd'hui une ſcience
où l'on n'admet que ce qu'on comprend ,
& où l'on ne fe conduit que par des principes
connus. La Médecine long-tems fondée
fur les préjugés & fur l'expérience , eft
en état de rendre raifon de toutes les opérations
. Les arts qui dépendent du goût &
de l'intelligence ne s'apprennent plus par
la feule pratique , mais encore par la méthode.
En tout on fe conduit d'une maniere
également prompte & fûre : on rend
raifon de tout, on démontre tout jufqu'aux
beautés de ftyle , jufqu'aux beautés de
fentiment.
Une ſcience feule femble n'avoir aucuSEPTEMBRE
1755. 173
la
le bien de la fociéne
part à ces progrès & à ces avantages ;
c'eft la ſcience du droit , la plus belle néanmoins
par l'origine de fes maximes
plus intéreffante pour
té , la plus fatisfaifante peut- être fi elle
étoit connue & pratiquée par des efprits
dignes de s'y appliquer. Nous avons vû
paroître de nos jours quelque compilation,
quelques éditions nouvelles augmen
tées de notes , quelques abrégés d'ordinaire
fecs & décharnés , mais du refte aucun
ouvrage de génie en cette matiere
aucun ouvrage d'un caractere nouveau .
Plufieurs cauſes , il eft vrai , peuvent
produire cet inconvénient. Défauts dans
les difpofitions de ceux qui étudient cette
fcience ; défauts dans les livres qui la
renferment ; défaut dans la méthode de
l'enfeigner dans les Univerfités ; difcrédit
où elle eft dans l'efprit du public .
Les perfonnes qui étudient cette fcience
, font quelquefois celles qui l'enviſagent
le moins dans fon objet & dans fes
principes. Les uns la regardent fimplement
comme l'inftrument de leur fortune , les
autres comme une occupation attachée à
leur état , & ce n'eft ni le befoin ni l'état
qui déterminent les qualités de l'efprit .
Les livres qui la renferment , font des
livres très- imparfaits. Le recueil des loix
Hij
174 MERCURE DE FRANCE.
compofé par Tribonien , eft un véritable
chaos plein d'obfcurités & de contradic
tions vraies ou apparentes , où les vrais
principes font noyés dans la décifion des
cas particuliers répandus en des endroits
tout- à fait différens , où ce qui eft préfenté
comme principe , n'eft fouvent
qu'une décifion d'un cas particulier , &
où le moindre défaut , quoique par luimême
très -conſidérable , eft le défaut de
méthode .
Malgré l'étendue de ce recueil , il s'en
faut bien qu'il contienne la décifion d'une
infinité de cas , c'eſt ce qui a donné lieu
à plufieurs Auteurs en différens tems de
ramaffer les décifions de ceux qui ſe ſont
préfentés Ces décifions n'ont pas toujours
été les mêmes fur les mêmes cas , le tems
donne des vûes & diffipe bien des erreurs.
Des réglemens d'ailleurs bons dans de certaines
circonftances , demandent d'être
changés ou modifiés dans d'autres ; mais
fi l'on continue ces fortes d'ouvrages ,
comment n'en fera-t-on pas accablé dans
les fuites?
On trouve bien peu de reffources pour
réfoudre les difficultés dans certains auteurs
qui ont travaillé fur le droit , aucun
d'eux n'a guere connu la vraie méthode.
La plupart de ces interprêtes nés fans goût
SEPTEMBRE. 1755. 175
naturel , & écrivant dans un tems d'ignorance
& de ténébres ont rempli leurs écrits
des plus grandes inepties & des plus grandes
fadaifes. Ceux qui ont travaillé le plus
fenfément , ne fe font point mis en peine
d'aider les commençans .
>
Il y en a qui ont travaillé d'une maniere
folide & profonde , on en convient ;
mais comme ils ne font point légiflateurs
eux-mêmes , & qu'ils n'ont fouvent que
leur opinion , quoique refpectable. Pour
les bien comprendre & pour faire un
ufage affuré de leurs découvertes il faudroit
avoir étudié prefque autant qu'eux ,
& bien peu de perfonnes font dans le goût
& la fituation néceffaires pour cela . Au
furplus , ce peu de perfonnes ne feroient
pas , du moins de leur vivant , fort utiles
à la fociété.
Les Profeffeurs de cette fcience , foit
qu'ils n'ayent à faire qu'à une jeuneffe indocile
& ignorante , foit que leur ambition
fe trouve bornée par la place qu'ils
occupent , font fujets à enfeigner le Droit
d'une maniere peu noble & affez infructueufe.
Les fubtilités du Droit romain , &
plufieurs autres inutilités rempliffent leurs
cayers , ils acquierent par - là plus de gloire,
& il y en a parmi eux qui ne font que trop
fouvent regardés que comme de vains dif
coureurs. Hiiij
176 MERCURE DE FRANCE.
On fe contente aujourd'hui , comme on
s'eft prefque toujours contenté dans les
Univerfités , de dicter la premiere année
des études du droit des commentaires fur
les inftitutes de Juftinien , que chacun
compoſe à fa fantaifie ; on y fuit communément
le même ordre qui s'y trouve , &
cet ordre n'eſt point du tout méthodique.
Il n'y a point de page qui , pour être bien
comprife , n'ait befoin de la page fuivante.
On eft réduit à expliquer ce qu'il y a
d'obfcur par des citations accablantes des
loix du Digefte , que la jeuneffe comprend
encore moins. C'eft porter un flambeau
éteint dans l'obfcurité de la nuit. On eft
fujet à y mêler une infinité de chofes inu- રે
tiles & hors d'ufage , qui font perdre de
vûe ce qu'il feroit utile de retenir.
Les autres années on explique quelques
titres du Digefte , où il n'y a pas plus d'ordre
; on fe fatigue à concilier les contradictions
des loix par le fentiment des Interprêtes
, qui ne font pas toujours d'accord
entr'eux . On confond l'étude du
Droit romain avec l'étude du droit de fon
pays ; & comme chacun a des principes
différens , au lieu d'employer utilement
fon tems on le perd réellement , & on
n'apprend ni l'un ni l'autre."
Dans ces circonftances , l'expérience fait
SEPTEMBRE . 1755. 177
voir , qu'il eft difficile de prendre le goût
de cette fcience ; & faute de l'avoir pris ,
le premier ufage qu'on fait de fa liberté
après ces études , eft d'oublier tout ce qu'on
a appris, & de fe féliciter de l'avoir oublié .
Il faut pourtant convenir , que malgré
ces difficultés , il fe trouve des perfonnes
qui s'appliquent à l'étude du droit , & qui
font en état de donner leur décifion fur
tous les différens qui fe rencontrent . Il s'en
trouve fans doute , & il s'en trouvera toujours.
Mais à la réserve d'un bien petit nombre
que l'amour de la gloire peut faire agir,
fi l'on confulte les autres , ou qu'on examine
de près leur conduite , on verra que
ce n'eft qu'un intérêt vil & méprifable en
pareil cas qui les conduit . La néceffité leur
fait furmonter les dégoûts inféparables du
commencement de cette étude , & dès
qu'ils en fçavent affez pour décider ce
fe préfente , ils ne vont pas plus
n'approfondiffent pas.
ce qui
loin , &
Il eſt aifé de voir combien le peu d'élévation
dans les fentimens chez des perfonnes
qui fe deftinent à cette étude entraîne
d'inconvéniens , leurs lumieres en
deviennent fufpectes , les Juges en deviennent
incertains & irréfolus , les plaideurs
en deviennent capricieux & obftinés.
Hv
178 MERCURE DE FRANCE
Toutes ces miferes font tomber cette
fcience dans le difcrédit , les perfonnes
éclairées , les amateurs des autres fciencès
qui n'en jugent que dans ceux qui la pratiquent
, en prennent de fauffes idées. Ils
voyent que certains ne la cultivent que
par un intérêt fordide , & s'ils penfent noblement
ne la regardent que comme un
métier. Ils la voyent pratiquée par des ef
prits médiocres , fans goût & fans talens ,
& la regardent par- là comme une ſcience
peu fatisfaifante , peu digne des recherches
d'un homme curieux & pénétrant. Ils
font confufément inftruits des longueurs
& des fombres détours de la chicane , de
la fauffe interprétation qu'on peut faire
des loix , & regardent comme effentiel à
cette ſcience un abus qui lui eft entierement
étranger. C'eft ainfi que penfent des
connoiffeurs fenfés & judicieux en toute
autre rencontre. D'autre côté , une infinité
de gens oififs qui cherchent néanmoins
à orner leur efprit & à bien conduire leurs
affaires , regardent la plus légere étude du
droit comme quelque chofe entierement
au- deffus de leur portée , héfitent dans les
moindres chofes qui y ont rapport , & ont
toujours befoin des lumieres d'autrui
dans des chofes qu'ils auroient pû , fans
beaucoup de peine ,
voir diftinctement
par leurs propres yeux.
SEPTEMBRE . 1755. 179
Ainfi cette fcience ne trouve prefque
plus perfonne qui l'étudie pour elle- même
, tandis que plufieurs autres fciences
-
moins utiles trouvent des amateurs fideles
qui s'y attachent , qui y entrent , qui les
approfondiffent. Auffi eft elle fuivie de
bien peu d'honneur & de bien peu de gloire
, fi l'on examine celle à laquelle elle
pourroit prétendre , & qui lui a été autrefois
accordée.
Quelle gloire en effet de faire fon occupation
de ce qui fait la vraie utilité publique
, fi on la fait avec les talens , les
motifs , la dignité convénables ? Quelle
gloire n'ont pas eu parmi les Grecs ceux
qui les premiers ont travaillé à écrire & à
faire pratiquer des loix ? Quelle gloire
n'acqueroient pas les Jurifconfultes parmi
les Romains ? La fcience du Droit élevoir
aux emplois les plus brillans , aux poftes
les plus diftingués , & affuroit à ceux qui
la pratiquoient une vénération publique.
Seroit -il avantageux de remédier à l'inconvénient
dont on vient de parler &
feroit- il impoffible d'y réuffir ?
Il femble qu'on ne peut méconnoître
les avantages qu'il y auroit de rendre l'étude
du Droit en même tems plus fami
here & plus recommandable. Sans parler
de l'excellence du droit naturel , qu'on ne
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
peut méconnoître , qu'en n'étant homme
qu'à demi , fan's rapporter les pompeux
éloges qui en font faits , fans parler du
droit public dont , quiconque prend intérêt
au bien de fa patrie , devroit defirer
d'être inftruit , l'étude elle -même du droit
civil n'eft pas fans utilité , ne fut- ce que
pour conduire fes propres affaires , pour
abandonner à propos des prétentions injuftes
, ou incertaines. Pour y parvenir , il
ne feroit pas néceffaire d'être Jurifconfulte
par
état , ou Avocat confultant ; il fuffiroit
d'apprendre quelques principes & quelques
régles , dont le détail pourroit être
rendu intéreffant , & qui n'eft pas infini ,
d'y apporter une difpofition & une attention
qu'on emploie pour plufieurs chofes
qui entrent dans une éducation au- deffus
de la commune.
Il feroit donc à fouhaiter qu'on enfeignât
le droit avec la dignité & la méthode
convénables pour en faire naître le
goût de plus en plus , & pour en affurer
le progrès. Pour cet effet il conviendroit
peur- être que ceux qui font prépofés à cet
exercice , fuffent parfaitement inſtruits
du droit de la nature & des gens , & qu'ils
viffent clairement dans ce droit le fondement
de tous les autres. On fçait qu'il y
a dans des états voiſins , des Univerfités
SEPTEMBRE . 1755. 181
où il
y a une chaire particuliere pour le
Droit de la nature & des gens. Il feroit à
fouhaiter qu'on fe départit de l'ancienne
forme d'enſeigner le droit , & qu'on s'appliquât
à donner les vrais élémens de cette
fcience , autant qu'elle en eft fufceptible.
Qu'on divifât les matieres , qu'on fit bien
fentir en chacune ce qui eft d'un droit immuable
d'avec ce qui n'eft que d'un droit
pofitif , qu'un avantage public a néanmoins
fait introduire ; qu'on fçût faire
comprendre ce que c'eft que la rigueur du
droit , & dans quel cas il eft permis d'y
apporter du tempérament. Il feroit fansdoute
infiniment plus avantageux d'inftruire
la jeuneffe de ces principes , que de
leur apprendre le détail des régles , ils les
apprendroient affez enfuite d'eux- mêmes .
Les anciens Jurifconfultes qui ont compofé
des inftitutes du Droit romain , fembloient
avoir reconnu la néceffité de fe
fervir de principes dans l'étude de cette
fcience. Ils en avoient pofé au commencement
de leur ouvrage , mais principes fi
primitifs , fi généraux , que l'application
n'en peut pas beaucoup fervir dans le
détail , & d'ailleurs on n'en voit point
dans la fuite de cet ouvrage.
Suivant cette méthode , on pourroit enfeigner
la premiere année ce qui regarde
182 MERCURE DE FRANCE.
les conventions , & les autres engagemens
qui en font les fuites . Dans la feconde , ce
qui regarde les fucceffions & les matieres
teftamentaires. Dans la troifiéme , quelques
matieres qui ont une origine particuliere
, comme les matieres des fiefs , ou
quelques matieres du droit public.
Il eft à préfumer qu'en fuivant ce plan
avec foin , peu à peu le goût de cette fcience
prendroit ; on verroit les perfonnes même
qui ne fe deſtinent pas à s'y appliquer
toute leur vie aimer à fe remplir de principes
qui feroient d'ufage dans la conduite
de leurs affaires ; on verroit des perfonnes
qui fe deſtinent à l'état eccléfiaftique
fe rendre capables par ce moyen d'être
dans la fociété d'une utilité infinie .
Un des foins principaux des Profeffeurs
devroit être de difcerner parmi ceux qui
étudient fous eux , ceux qui fe trouvent
avoir le génie de la fcience qu'on leur enfeigne
. On fçait qu'on entend par génie
l'aptitude naturelle que des perfonnes ont
de faire bien au prix d'une légere étude ,
ce que d'autres avec une étude pénible ne
parviennent à faire qu'imparfaitement . On
ne doit pas douter qu'il ne faille un génie
particulier pour l'étude des loix , un caractere
d'efprit fingulier une heurenfe pofirion
de coeur. L'inftruction feule & l'apSEPTEMBRE.
1755. 183
plication ne fuffifent pas , l'expérience ie
démontre. Où font les compagnies un peu
nombreuſes où l'on ne voie bien fouvent
des Magiftrats qui , fans étude , mais par
une droiture d'efprit qui leur eft naturelle ,
vont au but & à la vraie décifion , tandis
qu'on en voit , qui ayant forcé leurs talens
, & s'étant remplis de connoiffances
femblent ne s'en fervir que pour donner à
gauche avec plus d'obftination.
Ce difcernement mériteroit d'autant
plus d'attention , que parmi ceux qui s'appliquent
à l'étude du droit , c'eft prefque
un hazard s'il en eft quelqu'un qui ait
pour cette étude les difpofitions naturelles.
Sur cent écoliers qui prendront une
année des dégrés dans une Univerſité de
Droit , c'eft beaucoup s'il y en a trois qui
en faffent dans la fuite leur objet. Les autres
Gradués le négligent entierement. Ce
petit nombre dont on parle , ne fe détermine
que par des circonftances particulieres
où il fe trouve , comme la néceffité
de remplir quelque état , ou de pourvoir
aux befoins de la vie . Difpofitions infuffi
fantes , & avec lefquelles on ne va pas
loin.
Ce difcernement ainfi fait , ce feroit à
des Profeffeurs habiles & zélés pour
la
gloire
de leur
art d'encourager
les jeunes
184 MERCURE DE FRANCE .
éleves en qui ils verroient luire les étincelles
de ce génie. Il ne le pourroient gueres
que par leurs exhortations , & par leurs
exemples : mais quand il y auroit dans
l'état quelque diftinction & quelque récompenfe
pour les génies peu communs ,
cela ne paroît pas devoir tirer à une grande
conféquence.
De Ville Franche , de Rouergue .
ce 15 Juillet 1755 .
HISTOIRE NATURELLE.
Lettre à l'Auteur du Mercure.
MONSIEUR , les deux articles que
Vous avez
"
inférés fous mon nom
dans le Mercure du mois de Mai dernier
ont furpris certaines perfonnes réellement
fçavantes , ou fimplement curieuſes , &
les ont engagées à me demander fi les faits
dont je parle , font auffi réels qu'ils font
intéreffans , & pour quelles raifons j'en
cachois au public les preuves & les détails.
Un particulier de Paris ne s'eft pas contentéde
faire ces demandes générales , il en
a fait de particulieres , & paroît exiger que
je lui communique à lui -même les détails
de mes découvertes dans l'Artois. Je crois
SEPTEMBRE. 1755. 185
que
devoir répondre en deux mots à ces interrogations.
Je ferois difpenfé de le faire ,
fi on n'avoit pas fouftrait , * fans mon aveu ,
dans un de mes deux derniers extraits
quelques termes qui annonçoient mes travaux
& mes projets , & qui auroient prévenu
les demandes qu'on me fait aujourd'hui.
Je travaille depuis plufieurs années
à de mémoires fur l'Hiftoire naturelle &
ancienne de la province d'Artois , que j'ef.
pere donner au public , quand j'aurai un
peu plus de tems . Les preuves de détail
qu'on me demande , font des richeſſes
j'ai acquifes , & dont je n'ai point envie
de me dépouiller fi - tôt en faveur de qui
que ce foit , parce qu'elles doivent faire
une partie de mon ouvrage ; je me fuis
contenté d'en indiquer en général quelques-
unes dans un difcours fur l'Hiftoire
naturelle , lû à l'Affemblée publique de la
Société Littéraire d'Arras en 1754 ; mais
je réſerve les détails circonftanciés pour
l'ouvrage que je deſtine au public. Il n'eft
pas naturel que je les communique à un
particulier avant le tems. Les faits que j'ai
annoncés' , font réels . La chauffée romaine
a été découverte. Il en exifte encore une
partie : on ne peut fe tromper aux marques
caracteristiques qu'elle a offertes aux
C'eft la Société d'Arras qui a fait cette fuppreffion.
186 MERCURE DE FRANCE.
travailleurs. Les monnoies celtiques , ou
du moins que je crois telles , trouvées dans
l'Artois , ne préfentent pas toutes des caracteres
celtiques ; vous fçavez , Monſieur,
qu'il y en a de différentes efpeces ; celle
qui en a de deux côtés , n'en eft pas pour
cela plus lifible. Quand je les aurai fait
graver exactement , je fupplierai Meffieurs
de l'Académie royale des Infcriptions &
Belles - Lettres , de les examiner , & de
m'aider à en donner l'explication . Je me
ferai toujours gloire de foumettre à leurs
lumieres toutes mes découvertes & mes
obfervations.
Les tombeaux trouvés à Dinville ne
peuvent autorifer que des conjectures fur
leur antiquité ; c'eft pourquoi j'ai ajouté ,
quand j'en ai parlé , que peut - être ils
avoient plus de deux mille ans. Leur matiere
& leur forme femblent confirmer ce
que j'ai avancé au refte ils feront gravés
& j'expoferai dans le tems les raifons qui
me paroiffent indiquer la plus haute antiquité.
Si les vafes trouvés dans la fabliere de
Baralle ne font pas Romains , leur forme
paroît l'être , & une gravûre exacte affurera
peut-être qu'ils le font en effet .
J'ai l'honneur d'être , & c.
J.M. Lucas , de la Compagnie de Jefus .
A Arras , ce 22 Juillet 1755.
SEPTEMBRE. 1755. 187
MEDECINE.
Ref xions fur la fixime obfervation que le
feur Darluc , Médecin de Callian , a
fuit inférer dans le premier volume du
Mercure de Juin.
Sa
I tout écrivain eft obligé de prendre
la vérité pour guide , nul ne contracte
plus étroitement certe obligation que celui
qui écrit pour l'inftruction du public , &
pour le bien de la fociété. Plus on eft louable
par le motif que l'on fe propofe , plus
on eft blamable quand on s'écarte des bornes
de la vérité.
J'avoue qu'en lifant les obfervations
que M. Darluc , Médcin de Callian , a fait
inférer dans le Mercure du mois de Juin
je fus fort édifié du zéle qui l'animoit , &
des fentimens qu'il y étaloit fous l'enveloppe
de la modeftie ; mais en jettant les
yeux fur la fixiéme obfervation , j'eus
beaucoup à rabattre de cette premiere idée.
Elle roule fur un fait dont j'ai été témoin ,
& que M. Darluc a accommodé à fa guife
pour en faire une obfervation qui augmentât
le nombre des autres , & leur donnât
du poids.
L'Obfervateur devoit plus de juftice
188 MERCURE DE FRANCE.
à la vérité qu'il a fardée avec art , & à moi
qu'il a déprimé avec une habileté maligne .
L'honneur m'engage à rendre compte au
public de ma conduite pour me juftifier à
fes yeux , & l'amour de la vérité veut que
j'expofe ingénuement le fait , afin que ce
même public réduife l'obfervation à fa
jufte valeur.
Ce fut au mois de Septembre 1754 ,
que je fus appellé pour traiter la fille du Sr
Ferran , Aubergifte de la ville de Graffe ,
mordue par un chien au métacarpe gauche .
Cette morfure étoit fort légere , quoiqu'en
dife l'obfervateur , elle n'intéreffoit
que la peau .
Cependant , comme en pareil cas rien
n'eſt à négliger , & que tout peut tirer à
conféquence , je traitai cette maladie avec
toute la précaution poffible. Mon premier
foin fut de faire des fcarifications , & uné
ligature au- deffus du poignet , & je laiffai
faigner la partie plus de tems même que ne
demandoit l'état de la maladie . Je lavai la
main avec une eau thériacale , j'appliquai
enfuite fur la plaie , partie égale de thériaque
& d'huile de fcorpion . Quelque
tems après j'employai pendant huit à, dix
jours un doux fuppuratif , qui n'empêcha
pourtant pas la playe de fe confolider. En
me fervant de ces topiques , je ne manquai
SEPTEMBRE. 1755. 189
point de donner à la malade les antidotes
convénables . Les remédes ainfi adminif
trés , étoient , comme l'on voit , plus que
fuffifans pour remédier à tout inconvé
nient , fuppofé même que la maladie n'eût
pas été équivoque.
On peut fe perfuader aisément
que M.
Darluc , appellé fur cette entrefaite , ne
pouvoit manquer d'avoir beau jeu. Il fut
préfenté au fieur Ferran par fon maître de
Mufique , comme un renommé guériffeur
de la rage. Le Chirurgien ne fut point
appellé , ce qui affurement n'eft pas une
preuve de la prudence du Médecin ;
auffi n'agit -il que par maniere d'acquit.
Je ne fçais comment il ofe avancer que la
cicatrice de la plaie étoit fort douloureuſe;
puifque de l'aveu de tous les parens ,
malade n'y a jamais reffenti la moindre
douleur : convenons auffi que fes remédes
euffent éte bien infuffifans , fi la perfonne
eût été réellement hydrophobique.
la
1°. La pommade mercurielle étoit en
trop petite quantité pour produire l'effet
qu'on s'en promettoit. Il eft certain que
dans quinze jours le virus devoit avoir
fait bien des progrès , & avoir impreigné
toute la maffe des humeurs , par conféquent
fuffiroit- il de faire quelques légeres
frictions fur la partie offenſée ?
190 MERCURE DE FRANCE.
2º. Les frictions furent faites par la
mere de la fille ; rare prudence de la part
du Médecin , de confier à une femme cette
opération délicate , & d'ou il fait acpendre
la guérifon de la maladie !
3 ° . La malade ne fut afluettie à aucune
eſpèce de régime.
Le turbith minéral , dont l'obſervateur
faifoit un fecret de l'air , n'a du tout point
été pris par la fille , fes parens ayant affez
de lumiere pour comprendre l'inutilité &
le danger de ce reméde donné à un âge
fi tendre ( environ quatre ans. )
Au furplus M. Darluc auroit dû , avant
que d'employer fon prétendu fpécifique ,
prendre les informations néceffaires , il
auroit appris que le même chien , qu'il dit
vraisemblablement enragé , ne l'étoit vraifemblablement
pas ; puifqu'il en avoit
mordu bien d'autres qui ne le furent jamais
: D'ailleurs , m'étant enquis avec foin
de tout ce qu'avoit fait ce chien , je n'ai
pas pû tirer la moindre induction qu'il
fut attaqué de la rage.
Voilà en abrégé l'hiftoire véritable de
tout ce qui s'eft paffé au fujet de cette prétendue
maladie . J'ai crû que la juftice &
la vérité exigeoient de moi cet élairciffement.
Je n'ai pas prétendu par- là nuire à
la réputation de M. Darluc , qui peut être
SEPTEMBRE. 1755.
191
d'ailleurs un homme très- eftimable . Je ne
voudrois pas mên.e que l'on mît les autres
obfervations en parallele avec celle - ci ,
je voudrois feulement , je ne m'en cache
point , le rendre plus exact obfervateur &
plus équitable juge.
Crefp , Doven des Maîtres
en Chirurgie.
A Graffe , ce 5 Juillet 1755.
s
SEAN C E.
de l'Académie Royale de Chirurgie.
L'Académie Royale de Chirurgie tint Sa
feance publique le 10 Avril , à laquelle
M. dela Faye préfida comme Directeur.
M. Morand, Secrétaire perpétuel , onvrit
lafeance par le Difcours fuivant.
E feu eft un moyen que les Grecs , les
Romains , les Arabes , employoient
avec une égale confiance pour guérir les
maladies chirurgicales ; & la lecture des
Anciens nous apprend qu'ils n'ont fait que
fe copier fur cela . Les grandes découvertes
font en général dues au hazard ; le raifonnement
n'eft venu qu'après. A remonter
à l'origine des chofes , il eft vraifemblable
que l'ufage du feu appliqué aux opé192
MERCURE DE FRANCE .
rations de Chirurgie , a été imaginé d'après
l'effet de la brûlure faite par accident.
L'inftant en eft fort vif pour la douleur ;
les Anciens ont pû conclure que le feu devoit
être un remede dans les cas de ftupeur
où il est néceffaire d'exciter de la fenfibilité.
Le moment douloureux de la brûlure
étant paffé , il en réfylte une efcarre au
moyen de quoi une partie plus ou moins
profondément affectée , doit être féparée
de celles avec lefquelles il y avoit commerce
de fucs nourriciers ; les Anciens en
ont pu conclure
que
le feu étoit un
moyen
de féqueftrer
le mort d'avec
le vif. L'efcarre
d'une
brûlure
étant formée
, il ſe fait
une fuppuration
plus ou moins
abondante
,
à l'aide
de laquelle
les parties
qui étoient
gonflées
, fe détendent
& fe débarraffent
d'une
quantité
d'humeurs
proportionnée
a la grandeur
de l'efcarre
; les Anciens
en
ont pu conclure
que le feu étoit un remede
capable
d'exciter
des fontes
falutaires
. Enfin
l'efcarre
étant
tombée
, l'on découvre
une déperdition
de fubftance
, fuite de la
piece
emportée
, qui laiffe une breche
plus
ou moins
large
à la partie
faine
; les Anciens
en ont pu conclure
que le feu étoit
un moyen
de faire ouverture
, en fuppléant
à l'incifion
. Cette
fpéculation
toute
nue
des effets
de la brûlure
, pourroit
être regardée
SEPTEMBRE. 1755. 193
gardée comme la bafe de la doctrine des
Anciens fur cette matiere , & dès-lors ils
ont du employer le feu dans beaucoup de
maladies ; mais ils en ont abufé , & l'on
ne peut s'empêcher d'être furpris , quand
on voit cet abus porté au point de convertir
la Chirurgie opérante en pyrotechnie.
L'acquifition des connoiffances qu'introduit
naturellement la fucceffion des
tems , donneroit lieu de croire qu'à meſure
qu'on s'éloigne du fiecle d'Hippocrate , on
a fubftitué des moyens de guérir moins
cruels . Cependant le fameux traité de
Marc- Aurele Severin , Profeffeur à Naples,
eft de 1646. Cet Auteur met tout en feu
pour guérir les maladies du corps
humain ,
il annonce fon traité dans les termes les
plus pompeux , il l'intitule la Chirurgie efficace.
Nouvel Hercule , c'eft avec le feu
qu'il combat l'hydre morbifique . Il ne tarit
point fur les éloges qu'il donne à ce remede.
Il eft vrai que l'anatomie & la chymie
ont fait depuis ce tems- là des progrès bien
plus rapides , & de -là font venues les opérations
méthodiques qui font tant d'honneur
à la Chirurgie moderne.
Les notions anatomiques ont infpiré le
courage d'ouvrir avec le fer , la poitrine
inondée de liqueurs devenues étrangeres ,
le foye rempli de pus , les dépôts foup-
I
194 MERCURE DE FRANCE.
çonnés dans les parties les plus effentielles
å la vie , de fendre l'anneau inguinal ou
l'umbilical , pour lever l'étranglement de
celles qui font engagées dans les hernies ,
de lier les arteres pour arrêter les grandes
hémorragies.
La Chymie perfectionnée a fourni des
topiques dont l'application moins effrayante
que celle d'un fer rougi au feu , détruit
des parties dénaturées , & certaines tumeurs
qui , en termes de Botanique , feroient
bien appellées parafites. enfin la Chirurgie
plus éclairée a reconnu l'erreur des
Anciens à l'égard du feu tombé depuis le
dix- huitieme fiecle dans le plus grand difcrédit
; & en effet , il paroît déraifonnable
de l'employer pour la phthifie , l'empyeme ,
l'abcès du foye , le gonflement de la rate ,
l'hydropifie , l'extirpation des amygdales ,
les luxations , les hernies ; auffi l'ufage en
eft- il profcrit dans les cas dont il eft queftion
, quoiqu'on le voye encore foutenu
pour les luxations & les hernies par les auteurs
de quelques differtations , même trèsrécentes
, puifqu'il y en a une de 1752. A la
vérité ces Auteurs ne font pas Chirurgiens ,
& c'eft la feule réfutation qu'ils méritent .
Les arts font fujets à certaines révolutions
dont les époques femblent conftater
dans les mêmes tems les progrès de l'efprit
fur certains points , & fa décadence en
SEPTEMBRE. 1755. 195
d'autres , l'ufage du feu comme remede de
Chirurgie , n'avoit qu'à perdre à mesure
que l'on augmentoit en connoiffances , &
la délicateffe des hommes augmentée auffi
à mesure qu'ils s'éloignoient de la fimplicité
des premiers tems , y trouvoit fon
compte. Infenfiblement l'on a oublié ce
point de l'aphorifme d'Hippocrate , qui eſt
cependant très - vrai dans beaucoup de cas :
ce que le fer ne guérit point , le feu peut
guérir. Les modernes ne l'ont confervé
pour l'appliquer fur les os qui dénués de
leur périofte font infenfibles , & pour tout
le refte l'ayant abandonné à la Médecine
vétérinaire , ils ont fermé les yeux fur les
merveilles que celle- ci opere.
le
que
En même tems que les Méthodiques ont
rejetté le feu , les Empyriques ont mis les
médicamens cauftiques à tout , & c'eſt
avec peine que l'on voit cette contagion
gagner quelques Chirurgiens d'ailleurs
très -habiles. Ils n'ignorent cependant pas
le danger de l'arfenic , des différentes préparations
de fublimé , du précipité rouge ,
quoique fimplement appliqués fur des
chairs ; ou bien il faudroit ( ce que l'on ne
peut fuppofer ) qu'ils ignoraffent que les
veines , mêmes les pores réfoibans , peuvent
fuccer les parties corrofives de ces
remedes , les porter dans la maffe des
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
liqueurs , & les empoifonner.
L'ACADÉMIE avoit déja propofé les cauftiques
pour fujet du prix de 1748. confidérant
en particulier le feu ou caufere actuel
, & fans ceffe occupée de la perfection
de l'art , elle a trouvé la doctrine des anciens
& celle des modernes également répréhensibles
; les uns ayant abufé du feu ,
les autres l'ayant abfolument négligé. Elle
en a fait le fujet d'une queftion intéreffante
qui conduifoit naturellement à cette
feconde queftion très- utile : en quels cas le
fen doit- il être préféré aux autres moyens pour
la cure des maladies chirurgicales , & quelles
font les raisons de préférence. Cette matiere
déja préfentée pour le prix de 1753 ,
n'ayant pas été affez approfondie , a été
propofée de nouveau pour cette année
1755 , avec promeffe d'un prix double ;
c'eft à - dire , que celui qui au jugement de
l'Académie , auroit fait le meilleur mémoire
auroit deux médailles d'or de la valeur
de 500 livres , ou une médaille d'or ,
& la valeur de l'autre au choix de l'Auteur.
Les efpérances de l'Académie n'ont pas
été vaines ; elle a reçu vingt-un mémoires ,
dont trois font reftés au concours. Elle adjuge
le prix double au numéro 20 , qui
porte à la premiere page une emblême de la
Salamandre avec la deviſe : Nimium extinguit
, defideratum renovat ; & à la derniere
SEPTEMBRE. 1755. 197
page l'emblême d'un phoenix , avec la devile
Crematus ipfe refurgit . M. de la Boffiere
, Chirurgien Major des dragons de la
Reine a fait les preuves néceffaires pour
retirer le prix. L'Académie a jugé dignes
de l'impreffion , le mémoire numéro 14
ayant pour devife : Labor eft non levis effe
brevem , & le mémoire latin , numéro 5 ,
avec cette devife : ant Davus aut Edipus.
Après ce difcours , M. Morand lut l'avis
fuivant.
Il eft dit dans le teftamment de M. dela
Peyronnie que les revenus des fonds qu'il
a laiffé à la Communauté des Maîtres en
Chirurgie de Paris , étant appliqués à l'ufage
particulier qu'il ordonne lui -même en
être fait en trois articles , le furplus fera
employé en dépenfes pour l'utilité & les
progrès de la Chirurgie & de l'Académie
royale de Chirurgie.
Il vient d'être réglé qu'outre la médaille
de cinq cens livres pour le prix dont l'Académie
donne le fujet , il y aura dorénavant
une autre médaille d'or de deux cens
livres donnée chaque année à celui des
Chirurgiens étrangers ou regnicoles , qui
l'aura mérité par un ouvrage fur quelque
matiere de Chirurgie que ce foit , au choix
de l'Auteur ; ce fecond prix fera nommé
prix d'émulation.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Plus , cinq médailles d'or de cent livres
chacune pour cinq des Académiciens de la
claffe des libres & des Chirurgiens regnicoles
qui auront fourni pendant le cours de
l'année un mémoire ou trois obſervations
intéreffantès.
Le prix d'énulation fera adjugé publiquement
l'année prochaine avec le prix
ordinaire . Par ce nouvel établiffement ,
l'Europe partagera avec nous les bienfaits
de M. de la Peyronie , tandis que nous
rendrons fidelement à l'Europe les fruits
de ceux dont nous lui fommes redevables
en particulier.
Lettre de M. de la Chapelle , Cenfeur royal , à
l'Auteur du Mercure.
Lvient de paroître , Monfieur ,un Examen des
dernieres obfervations de M. de Lalande, de l'Académie
royale des Sciences , par M. Jodin , Horloger
, en date du 20 Juillet 1755 , chez Lambert , &
muni de mon approbation , du 4 Août . Au manufcrit
que j'ai paraphé , on en a ſubſtitué un autre
, qui paffe de beaucoup les bornes de la modération
& d'une défenfe légitime. L'honnêteté publique
y eft peu ménagée , & l'on y manque d'égards
pour le corps refpectable de l'Académie des
Sciences. Je n'ai donc aucune part à cette brochure.
L'Auteur en convient ; & c'eft pour cela ,
Monfieur , que je vous prie de rendre cette Lettre
publique. Je fuis , &c.
A Paris , ce 21 Août 1755 .
Nous ajoutons que l'Avertiffement eft auffi faux
que la brochure eft peu mefurée.
SEPTEMBRE. 1755. 199
ARTICLE IV.
BEAUX ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
Explication d'un tableau peint à l'encre de la
Chine , repréfentant l'Union de Pfiché avec
l'Amour , dédié à Madame la Comteffe
de Gifors ; par M. Gofmond de Vernon ,
Deffinateur & Penfionnaire du Roi.
C
E tableau , qui a pour objet le mariage
de M. le Comte de Gifors, avec Mlle
de Nivernois , eft compofé de plufieurs
grouppes de figures.
Le grouppe fupérieur repréfente Jupiter
dans la gloire , accompagné de Junon . Le
Souverain des Dieux paroît donner fon
applaudiffement à l'Union de Pfiché avec
l'Amour , qui fait le principal fujet du tableau.
Junon appuyée fur une corne d'abondance,
répand des fleurs fur les époux :
heureux préfage des douceurs & des fruits
précieux que doit produire cet Hymenée !
I iv
200 MERCURE DE FRANCE .
Ces Divinités qui , chez les anciens , préfidoient
aux mariages illuftres , ont pour
but de défigner l'augufte approbation que
le Roi & la Reine ont fait l'honneur d'accorder
à celui- ci .
On voit au -deffous , l'autel de l'Hymen :
Pfiché eft à côté , couronnée de rofes, qui
donne modeftement fa main à l'Amour.
Ce Dieu vole à elle , & marque par fon
air empreffé , combien il eft fenfible au
bonheur , dont il va jouir . L'Union de ce
Dieu & de cette Déeffe , préfente d'une
maniere allégorique M. le Comte de Gifors
, fous la forme de l'Amour ; & fous
celle de Pfiché , les perfections de Madame
la Comteffe fon époufe..
Au bas de l'autel eft l'Hymen , qui
tient un cartouche , où les armes des époux
font réunies. Il exprime par fon foûrire ,
la joie qu'il reffent d'unir le plus aimable
& le plus chéri des Dieux à la Beauté , qui
feule a eu droit de le charmer. Le flambeau
& l'arc de l'Amour dépofés , près de lui ,
auffi bien que les palmes jointes à l'écuffon
, font des types affez clairs de la tendreffe
& de la gloire qui doivent réſulter
d'une femblable alliance .
Les grouppes qu'on obferve fur les côtés
, font allufion aux maifons refpectables
qui s'uniffent enfemble par ce mariage.
SEPTEMBRE , 1755. 201
Celui qui eft auprès de l'Amour , défigne
allégoriquement Mr le Maréchal Duc
de Belle- Ifle , fous les figures de Minerve
& d'Hercule , images de la fageffe , du
goût , de la fublimité des talens & de la
force du courage du héros qu'on a voulu
caractériſer. Hercule appuyé fur fa maſſue
& fon bouclier , regarde avec fatisfaction
un Hymenée qui met le comble à tous fes
voeux , & Minerve offre une branche d'olivier
, fymbole du bonheur qui doit naître
d'une union que fa prudence a fçu ménager.
Le grouppe proche de Pfiché , eft compofé
d'Apollon & des Graces , Divinités
qui caractérisent M. le Duc & Madame la
Ducheffe de Nivernois. Les graces couronnées
de myrthes , préfentent une pareille
couronne fur la tête de Pfiché , &
paroiffent répandre fur elle par leur regards
affectionnées tous les dons aimables
dont elles peuvent gratifier les mortels.
Apollon , que la deftinée unit à ces filles
du ciel , confidere avec tranfport une liaifon
qui lui eft fi chere , puifqu'il y voit
réuni tout le prix de fes heureux talens &
de fes lumieres.
Iv
202 MERCURE DE FRANCE .
GRAVU R E.
Nfentant une vie de marine peinte par
annonçons une eftampe repréle
célébre M. Vernet , dédiée à M. le Marquis
de Marigny. L'accueil & les éloges
qu'elle a reçus , prouvent affez le mérite
de cette gravûre. Nous ne pouvons mieux
la louer que de tranfcrire ici les propres
expreffions de M. Vernet fur cet ouvrage
, tirées de la lettre qu'il a écrite à M.
Balechou , & préfentée à M. de Marigny ,
en même tems que l'eftampe gravée
Avignon.
Lettre de M. Vernet.
Monfieur , je fuis extrêmement fatisfait
de l'eftampe que vous avez gravée d'après
un de mes tableaux ; elle est bien entendue,
& a toute la force & l'harmonie qu'on
peut defirer dans une gravûre. J'approuve
très-fort l'intention où vous êtes de la dédier
à M. le Marquis de Marigny , il y va
de ma gloire & de mon intérêt , puifque
cela pourra augmenter la bonne opinion
qu'il a de mes talens , lorfqu'il verra que
vous employez le vôtre à tranfmettre à la
SEPTEMBRE.
1755. 203
postérité mes ouvrages . M. de Marigny a
trop de goût & de difcernement pour ne
pas faire un bon accueil à votre eftampe
& vous rendre toute la juftice que vous
méritez.
J'ai l'honneur d'être , &c.
A Toulon , le 3 Mai 1755 .
Vernet.
LE ST LE ROUGE , Ingénieur , Géographe
du Roi , rue des Auguftins , près
la rue S André , vient de publier une nouvelle
carte du Canada & de la Louifiane
pour l'intelligence des affaires actuelles en
Amérique.
Un effai du cours de l'Oyo ; l'élévation
perfpective de l'école royale militaire ; le
plan de la place de Louis XV. On trouve
chez le même l'Amérique feptentrionale ,
en huit feuilles , publiée a Londres par le
Docteur Mitchel . Prix 36 liv . Plus , un
affortiment des meilleures cartes & eftampes
Angloifes ; & un catalogue général des
meilleurs livres qui ont paru depuis cinquante
ans , en diverfes capitales de l'Allemagne
, & qu'il fournira à jufte prix.
*
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
ARCHITECTURE.
Suite des mémoires d'une Société de
Lettres publiés en l'année 2355 .
gens
de
P
OUR
fuivre
l'ordre
des matieres
plutôt
que celui
du livre , nous
pafferons
.
aù cinquième
mémoire
qui traite
d'architecture
.
M. Gainfay y donne ſes réfléxions fur
l'ancien bâtiment qu'on nomme le Palais
Royal . C'étoit autrefois la principale demeure
des Ducs d'Orléans , avant qu'ils
euffent bâti ce fuperbe édificé qu'ils habitent
maintenant au centre de la ville , &
qui eft un des plus beaux morceaux d'architecture
qu'il y ait en Europe. L'ancien
Palais royal n'eft plus qu'une de leurs maifons
de plaifance ; comme il a toujours
été entretenu avec foin , il ſe trouve vraifemblablement
à peu- près dans l'état dans
lequel il a été conftruit . L'architecture en
eft affez belle , & fon caractere prouve fon
ancienneté. Il eft plus lourd & moins recherché
que le Louvre , & les autres bâtitimens
confidérables qui nous reftent de
ces tems ; cependant , comme ce goût eft.
folide & bon en foi , on ne peut pas douSEPTEMBRE.
1755. 205
ter qu'il ne faille remonter , pour en fixer
la date avant le dix- huitiéme fiécle , dans
lequel on voit par le peu qui nous en reſte ,
qu'à la réferve de quelques édifices , le
goût étoit dégénéré , mefquin , irrégulier ,
& fouvent même extravagant.
>
M. Gainfay fait ici une digreffion pour
prouver qu'on doit attribuer la deftruction
de la plupart des édifices du dix- huitiéme
fiécle , à ce que dans les fiécles fuivans cù
le bon goût s'eft rétabli , ils furent trouvés
peu dignes de refter fur pied , & comme
tels abattus, afin de ne laiffer aucune trace
de ce tems de délire , honteux à une nation
qui a toujours été en poffeffion de
donner les exemples du goût à fes voifins ;
quoiqu'il en foit de ce fentiment il est
certain que M. Gainfay ne le prouve pas
fans réplique , puifqu'on peut auffi - bien
donner pour raifon de cette deftruction le
tems qui s'eft écoulé jufqu'à nous , & que
d'ailleurs il n'eft pas vraisemblable que les
propriétaires des palais ou maifons qui
nous auroient pû fervir à connoître le
goût d'architecture de ce fiécle , fe foient
prêtés à faire de tels facrifices à la gloire
de leur nation , fans quelque intérêt particulier
. De plus fi cela s'étoit fait par une
confpiration générale , il n'en feroit rien
refté du tout , au lieu qu'avec un peu de
206 MERCURE DE FRANCE .
recherches on en retrouve affez pour donner
lieu à des conjectures plus étendues.
font pas
M. Gainfay remarque très- judicieufement
qu'on ne peut point attribuer à ce
fiécle corrompu une conftruction auffi réguliere
que les deux grandes cours du Palais
royal , que l'architecture cependant
n'en étant pas fi épurée que celle du Louvre,
il y a lieu de croire qu'elle a précédé
& qu'elle eft du quinziéme fiécle , avant
qu'on eût entierement trouvé le point de
perfection , mais lorfqu'on en étoit fort
proche. On voit dans la feconde cour une
chofe finguliere. Les étages d'en haut ne
femblables dans les deux aîles.
Un côté eft décoré de croifées quarrées ,
de vafes , & un peu en arriere d'un petit
mur percé de petites croifées , & traité de
maniere qu'il forme un attique agréable
& fort élégant : l'autre côté préfente une
baluftrade ornée de vafes , mais il fe trouve
enfuite un étage de bois , dont le mur
eft incliné en arriere , fans qu'on puiffe
deviner ce qui a empêché de le mettre à
plomb. A - t - on crû qu'il en pût réſulter
quelque agrément à l'oeil ? Il ne paroît pas
poffible de le penfer. L'apparence de folidité
exige que tous les murs portent perpendiculairement
les uns fur les autres .
Eft ce quelque raifon de commodité intéSEPTEMBRE.
1755. 207
J
rieure ? On ne fçauroit la concevoir ; il
paroît au contraire que l'intérieur en eft
gâté , & qu'il eft plus difficile de s'approcher
de ces croifées fans fe heurter par
l'inclinaifon qu'elles ont en haut ; d'ailleurs
cela donne aux appartemens un air ignoble
en les faifant paroître des greniers lambriffés.
Voilà de ces obfcurités que l'ancienneté
ne nous permet pas de pénétrer
& fur lesquelles on ne peut fonder aucunes
conjectures raifonnables. On voit par
d'anciennes eftampes qui repréfentent cet
édifice , que le toît defcendoit juſqu'au
pied de cet étage , & qu'il n'y avoit que
des croifées éloignées les unes des autres ,
qui fervoient à éclairer les greniers. Ces
croifées avançant en faillie fur un pignon
très-élevé & fort pointu , étoient défectueufes
, & laiffoient voir trop de toît ,
ainfi il a été néceffaire d'en former un
étage ; mais le côté décoré en attique a
l'avantage d'avoir confervé les anciennes
fenêtres qui font d'un goût conforme
celui de tout l'édifice , au lieu que l'autre
eft dans un goût entierement différent .
M. Gainfay entre enfuite dans un examen
fort détaillé fur l'architecture d'une
cour qui eft fur le côté de ce Palais : nous
fupprimerons cette partie de fon difcours
à caufe de fa longueur , & nous renvoye208
MERCURE DE FRANCE.
rons fur ce fujet à l'original . On y trouvera
une critique fort judicieufe mêlée d'éloges
, également bien fondés , de ce morceau
d'architecture.
Nous pafferons à une des falles de ce
Palais , que M. Gainfay nomme la falle
des concerts. Quelques Aureurs ont prétendu
qu'autrefois cette falle a été la falle
de l'Opéra de Paris. M. Gainfay prouve
que ce fentiment eft infoutenable. Premierement
, elle eft beaucoup trop petite
pour avoir pû contenir les citoyens d'une
ville telle que Paris , même dans ces temslà
. On ne peut pas y fuppofer , quelque
peu confidérable qu'elle fut alors , moins
d'un million d'habitans , quoique ce foit
bien peu en comparaifon de ce qu'elle en
renferme aujourd'hui ; toujours eft- il certain
que dans cette fuppofition , quelque
bornée qu'elle foit , il a dû y avoir cent
mille perfonnes allant habituellement à
l'Opéra. A moins qu'on ne veuille croire ,
comme font ceux qui foutiennent ce fentiment
, que la mufique de ce tems étant
fort fimple, & n'étant proprement que nos
chants d'églife , avec quelques accompagnemens
auffi uniformes , elle n'infpiroit
pas alors ces fenfations délicieufes qu'elle
nous fait éprouver maintenant qu'elle eft
portée à fa perfection . Ils en concluent
SEPTEMBRE 1755. 209

qu'on n'avoit pas alors pour elle ce goût
vif qui nous détermine fi fortement , que
malgré la grandeur de nos théatres & la
quantité que nous en avons dans prefque
tous les quartiers de la ville , ils font néanmoins
toujours remplis ; conféquemment
que très - peu de perfonnes alloient au
fpectacle ; qu'à la réferve d'un très - petit
nombre qui s'étant habitués d'enfance à
goûter cette mufique , y trouvoient quelque
beauté , prefque perfonne ne s'en foucioit.
Que les étrangers même ne la pouvant
fouffrir n'y alloient point . Quoiqu'on
ne puiffe pas entierement rejetter ces faits ,
puifque la mufique de ces tems-là qui eft
parvenue jufqu'à nous , femble en faire
la preuve néanmoins , à quelque point
qu'on diminue la quantité de gens qui aimoient
ces fpectacles , il eft certain qu'on
ne peut la réduire , jufqu'à croire que
cette falle ait pû les contenir.
M. Gainfay tire fa feconde preuve de la
forme de cette falle. Elle eft fort étroite &
fort longue , ce qui eft contradictoire à la
forme effentielle d'un théatre qui doit être
de forme circulaire ou approchante du
cercle dans toute l'étendue de la falle où
font les fpectateurs . En effet , comment
concevoir qu'un architecte ait pu bâtir un
théatre dont la principale loge eft la plus
210 MERCURE DE FRANCE.
,
éloignée. Peut- on fuppofer qu'il ait ignoré
qu'une falle de théatre doit ( quelque for
me qu'on y donne ) s'ouvrir en largeur
plutôt que s'enfoncer en profondeur. Il eſt
vrai que dans celui- ci les côtés s'élargiffent
un peu en s'étendant vers la partie qu'on
prétend être le théatre , mais c'eſt de fi
peu de chofe,que cela eft inutile , & ne
fert qu'à y donner une forme défagréable .
La loge principale a toujours du être celle du
fond , puifque c'eft vis-à- vis d'elle & pour
elle , que fe fait toujours le jeu du théatre ;
dans cette fuppofition , celle- ci feroit trop
loin , & l'on n'y pourroit pas bien entendre
, d'autant plus que le fon feroit intercepté
en chemin par l'obftacle qu'y apporteroit
le petit murmure qui s'enfuit néceffairement
de l'interpofition de plufieurs
perfonnes qu'on ne peut empêcher de ſe
parler quelquefois à l'oreille : car on
prétend qu'il y avoit des fpectateurs affis
dans cette partie qui eft au - devant
& qu'on nomme l'amphithéatre. On ne
fait pas fi en effet l'ufage étoit alors
de mettre à tous les théatres cette partie
qu'on veut nommer ici amphithéatre.
Nos théatres ne contiennent plus rien
de femblable . De plus il n'y a que cinq
loges dans cette petite partie circulaire ,
qui ayent été placées , finon pour bien
SEPTEMBRE . 1755. 211
entendre du moins pour bien voir. Les loges
qui s'étendent fur les aîles font encore
plus malheureufes ; fi elles font plus à portée
d'entendre , elles le font bien moins
de voir. Le rang de devant ne voit qu'en
s'avançant avec effort , & celui de derriere
ne peut rien voir , ou fort difficilement ,
& en fe levant ou fe penchant au hazard
de tomber fur le rang de devant . On ne
peut s'imaginer qu'on louât des places
pour être affis , & que cependant on fe
tînt de bout. Si l'on confidere la partie
qu'ils nomment le théatre , on verra par
fon peu d'ouverture , qu'il n'eft pas poffible
qu'on y ait pû donner un fpectacle
fur-tout avec des choeurs , & l'on fçait
que les François en ont toujours joint à
leurs Opéra ; il faudroit que les perfonnages
de ces choeurs fuffent rangés de maniere
que
le premier cachât en partie le
fecond , & ainfi fucceffivement des autres
; ce qui ne produiroit point de fpectacle
, donneroit un air d'arrangement
apprêté , & détruiroit l'illufion qu'ils nous
doivent faire en fe plaçant par petits groupes
inégaux & naturels. De l'ordre proceffionnal
qu'il faut néceffairement leur fup .
pofer ici , il s'enfuit que les derniers qui
font au fond ne pourroient ni voir ni entendre
le claveffin. Comment pourroient212
MERCURE DE FRANCE.
ils donc fuivre une mefure exacte ? Quelques-
uns ont avancé fur ce fujet une abfurdité
ridicule , ils ont prétendu qu'il y
avoit derriere les derniers de ces choeurs
des Muficiens qui les régloient en battant
la meſure avec des bâtons . Comment peuton
s'imaginer qu'on pût fouffrir un bruit
auffi indécent , tandis que les oreilles délicates
ont peine à fupporter celui que
fait le Muficien lorfqu'il touche fortement
le claveffin pour remettre quelqu'un
dans la mefure ; ce qui eft extrêmement
rare , puifqu'on ne fouffre perfonne fur
nos theatres qui ne fçache très-bien la mufique
, du moins quant à la meſure . L'ou
verture de ce qu'ils appellent ici théatre ,
eft tellement étroite , qu'on ne peut pas
fuppofer qu'elle ait encore été divifée
en plufieurs parties , ainfi qu'il eft néceffaire
pour les à parte , dont les anciennes
piéces font remplies : Pouvons - nous
penfer qu'on ait négligé de l'illufion , &
choqué la vraisemblance , au point de faire
dire ou chanter dans le même lieu des
paroles qu'un acteur préfent eft fuppofé
ne pas entendre , il a fallu du moins qu'il
y eut entre ces acteurs un obftacle , ou réel
ou en peinture , qui donnât lieu de croire
qu'ils pouvoient parler fans être entendus
que du fpectateur : mais où eft ici l'efpace
SEPTEMBRE. 1755. 213.
néceffaire pour introduire ces obſtacles ?
Quelles fortes de décorations peut - on fuppofer
avoir été faites dans un lieu fi borné
on n'y peut imaginer qu'une fuite de
chaffis fort étroits fur lefquels on ne pourroit
rien peindre que les bords des objets ,
encore faudroit- il bien les mettre de fuite ,
& que l'un ne débordât l'autre qu'autant
que la perfpective le permet , ce qui produiroit
néceffairement une ennuyeufe uniformité.
Point de ces fuyans fur les côtés ,
qui font des effets fi agréables fur nos
théatres. Point de ces chaffis avancés audedans
de la fcéne , & découpés de maniere
à laiffer voir par leurs ouvertures les
côtés qui continuent de fuir , & les toiles
qui fervent de fond. Ici tout doit être
terminé par une feule toile. Une pareille
décoration , ne feroit propre qu'à
repréſenter une rue étroite & fort longue ;
cependant on fçait qu'alors la peinture
brilloit en France , le plaifir qu'elle y caufoit
par fon excellence , a dû néceffairement
engager à faire de grands théatres
pour donner aux Peintres un lieu propre
à montrer l'étendue de leur génie , & pour
profiter du plaifir que caufe l'illufion
produite par les effets de ce bel art . On
fçait encore que les anciens François introduifoient
la danfe dans leurs Opéra,
214 MERCURE DE FRANCE .
Dans les piéces qui nous reftent d'eux , on
yoit même qu'ils la lioient à l'action ,
quelquefois bien , le plus fouvent mal- àpropos
, quoique peut- être eût- il mieux
valu la renvoyer aux entr'actes , que de
forcer la vraisemblance , & la raiſon pour
la coudre à la piéce . Quoiqu'il en foit , il
paroît qu'ils avoient des ballets , & même
des ballers figurés, & repréfentans un fujet:
or , comment veut- on qu'on ait pû exécuter
de tels ballets dans un fi petit eſpace ? Il y
auroit eû une confufion infupportable ,
ceux de devant auroient caché ceux de
derriere , tellement qu'on n'en auroit pas
pû voir nettement le deffein : D'ailleurs ,
il n'y pourroit pas tenir affez de danfeurs ,
même en fe touchant à tout inftant les
uns les autres pour former un ballet compofé
avec quelque génie. Il faudroit fuppofer
que la danfe alors ne fût que de
deux , trois , ou quatre perfonnes qui auroient
danſé enſemble , & par conféquent
très -breve : car un fi petit nombre de danfeurs
qui figureroient enfemble , ne pourroient
, s'ils danfoient long- tems , s'empêcher
de retomber dans les mêmes pas,
& de répéter les mêmes figures , ce qui
deviendroit ennuyeux , quelques excellens
qu'ils fuffent.
Cependant , en mefurant le tems que
SEPTEMBRE. 1755 . 215
duroient leurs Opéra , qu'on fçait avoir
été , ainfi que de notre tems , d'environ
trois heures , on ne trouve pas que la mufique
en ait pû employer plus de la moitié
, encore en fuppofant qu'elle ait été
chantée d'une lenteur exceffive , le refte
doit avoir été occupé par la danſe. "
Le parterre de cette falle eft d'une
profondeur
dont on ne peut concevoir l'ufage
, fi la fuppofition que ce fut une falle
de théatre avoit lieu , les perfonnes affifes
aux trois ou quatre premiers rangs n'auroient
rien vû que ce qui fe feroit paffé
au bord de la fcene , & auroient affez mal
entendu , quoique proche , parce que le
fón auroit paffé par- deffus leurs têtes . Suppoferoit-
on qu'ils euffent été de bout , &
peut-on croire que quelqu'un eût pû reftér
dans une pofture fi fatigante durant
trois heures , expofé à la foule & au mouvement
tumultueux que caufe toujours un
nombre de perſonnes dans un lieu refferré,
pour entendre une mufique peu divertif
fante. On ne pourroit dans ce cas penfer
autre chofe , finon que ce lieu auroit été
abandonné à la livrée . M. Gainfay obſerve
encore que la décoration de cette falle
qui n'eft ornée d'aucune architecture , paroît
peu digne d'avoir été le lieu de fpectacle
d'une grande ville . Pas une colonne ,
216 MERCURE DE FRANCE .
pas même un feul pilaftre ! Trois petits
rangs de loges écrafées & foutenues par
des poteaux étroits , y font voir une économie
de terrein peu convénable dans un
édifice de cette importance. L'égalité de
ces deux rangs de loges n'annonce pas
plus de dignité dans ceux qui doivent occuper
le rang d'enbas que dans ceux qui
font au-deffus , & d'ailleurs c'eſt un défaut
de goût dans un lieu qu'on auroit prétendu
décorer pour le public : car un des premiers
principes du goût eft d'éviter l'égalité
dans les principales maffes d'un édifice
, & d'y trouver toujours quelques parties
dominantes.
11 eft d'autant moins à croire que les
anciens François ayent conftruit un théatre
femblable, qu'on fçait que dès ce temslà
tous les artiftes , tant les Peintres que les
Muficiens voyageoient dans leur jeuneffe
en Italie pour le former le goût : Or , il
eft impoffible qu'ils n'ayent pas vû le théatre
antique de Palladio qui eft vraiment
le modele d'un théatre parfait , foit pour
la commodité , foit pour la magnificence
de la décoration. C'eft de ce refpectable
monument que nous avons tiré la perfection
que nous avons donnée à nos théatres
modernes ; à la vérité il n'eft pas poffible
de conftruire un théatre de relle
maniere
SEPTEMBRE. 1755. 217
maniere que tout le monde y foit également
bien placé. Néceffairement il y a
quelques loges ou autres places où l'on eft
forcé de regarder de côté , mais il n'eft
aucun plan qui remédie auffi - bien aux
inconvéniens , & qui place autant de perfonnes
avec avantage que celui de cet admirable
édifice antique ; il eft vrai que
la
façade du théatre qui coupe cet ovale dans
fon plus grand diamétre , gâte la forme
totale de cet édifice , & le fait paroître à
demi -fait ; mais il eft aifé de fuppléer à ce
défaut comme nous avons fait dans nos
théatres modernes . C'eft de cet antique
que nous avons appris à décorer nos théatres
de cette belle colonnade qui y fait un
effet fi noble. M. Gainfay ne fçauroit fe
réfoudre à croire que les théatres des anciens
François ayent pû fe paffer d'un
ornement auffi magnifique qu'une colonnade
circulaire , & qui lui paroît y être
fi effentiellement néceffaire. Il faut le lire
pour concevoir avec quelle éloquence il
fait fentir la noble richeffe de cette décoration
; & en effet , il est difficile d'imaginer
qu'on ait prétendu rendre un lieu
digne d'y recevoir le public & les étrangers
, fans l'enrichir de colonnes , ornement
le plus magnifique que l'architecture
ait jamais inventé.
K
218 MERCURE DE FRANCE.
X
M. Gainfay ajoute une réflexion qui paroît
évidente. Quand il feroit poffible ,
dit-il , que les François euffent rejetté cet
exemple de Palladio par le défaut de fçavoir
comment remédier au defagrément
de fon avant-fcene : du moins ils auroient
fuivis les théatres ordinaires de l'Italie ,
qui , quoique très-défectueux à bien des
égards , avoient , & plus de grandeur , &
une forme plus rélative à leur deſtination,
que celui qu'on nous propofe ici comme
ayant été le principal theatre d'une ville
telle que Paris. Les reftes de celui d'Argentina
à Rome , & de quelques autres en
Italie nous en offrent la preuve. La forme
en eft defagréable , parce que leur plan
reffemble à une raquette , ou à un oeuf
tronqué , & qu'elle produit plufieurs loges
, où il n'y a abfolument que le premier
rang qui puiffe voir & entendre. La décoration
eft de mauvais goût en ce que
toutes les loges, dont il y a fix rangs les uns
fur les autres , font égales , & femblent des
enfoncemens pratiqués dans des murs de
catacombes. La principale loge qu'on a prétendu
décorer , eft toujours écrasée rélativement
à fa largeur. L'économie d'efpace ,
qui n'a permis de prendre que deux loges
pour fa hauteur , a empêché de lui donner
l'exhauffement qui lui convenoit.
SEPTEMBRE 1755 219
Néamoins , ces théatres ont un air de
grandeur, même dans les plus petites villes,
d'où M. Gainfay conclut , qu'on ne peut
pas fuppofer que les François ayent fuivi
un auffi mauvais plan que celui qu'on expoſe
ici comme le théatre prinel de Paris
, & qu'ayant fous les yeux ces modeles
, certainement ils ont donné à ces monumens
publics la dignité qui leur convient
; par conféquent on ne doit pas croire
que cette falle ait été un théatre. Il paroît
qu'on ne peut réſiſter à l'évidence de fes
preuves. La derniere objection qu'il fait ,
eft abfolument décifive. On ne voit autour
de cette falle aucun portique , ce qui eft
fi néceffaire à un théatre , qu'il feroit impoffible
qu'on en fortît , quelque petit
qu'il fût , fans courir à tout inftant rifque
de la vie. L'embarras que caufe la quantité
des équipages à la fortie des fpectacles
, a toujours rendu ces portiques d'une
néceffité indifpenfable , pour donner lieu
aux gens à pied de s'échapper par différens
chemins. Il remarque encore qu'il n'y
a qu'une feule porte d'une grandeur un
peu raiſonnable , & qu'il feroit infenfé de
croire qu'on eût donné dans un pareil lieu
des fpectacles , où l'on emploie fouvent le
feu , & qui font fréquemment expoſés au
hazard d'un incendie.
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
M. Gainfay paffe à l'explication de ce
qu'on doit penfer de cette falle. C'étoit ,
dit-il , la falle des concerts particuliers des
Princes de la Maifon d'Orléans. La partie
qu'on a prétendu être un Amphithéatre ,
étoit le lieu où fe plaçoient les Muficiens.
Au commencement il n'y avoit point toutes
ces loges qui l'entourent maintenant ;
mais cette grande maifon s'étant augmentée
dans le dix-neuviéme fiécle , on fut
obligé de les conftruire pour y placer tous
les Officiers de cette maifon qui obtenoient
la faveur de pouvoir entendre des
concerts , où tout ce qu'il y avoit de plus
excellens chanteurs , tant Italiens que François
, exécutoient la plus belle mufique
connue dans ces tems- là . Dans la partie
qu'on prétend avoir été le théatre , étoit
placée une magnifique tribune , qui a été
détruite depuis ; ce lieu étant devenu inutile
lorfque ces Princes ont ceffé d'y demeurer.
On ne peut pas douter que cette
tribune n'ait été décorée de colonnes de
la plus belle architecture , les pilaftres de
fer travaillés , qu'on voit encore aux deux
côtés , en font une continuation fimple ,
& comme pour fervir de tranfition d'un
lieu magnifique aux loges deftinées pour
les Officiers de la maiſon. La partie qui
eft au pied de cette tribune en enfonceSEPTEMBRE.
1755. 221
ment , & qu'on dit être l'orchestre des
Muficiens de l'Opéra , eft propremeut le
lieu où fe plaçoient les Officiers dont les
Princes pouvoient avoir befoin le plus
fréquemment , afin d'être à portée de recevoir
immédiatement leurs ordres ; &
ce qu'on a nommé le parterre étoit le lieu
où fe mettoit le plus bas domeftique , où
on avoit conſtruit une rampe douce , afin
que ceux qui étoient les plus proches de
la tribune principale , ne puffent point incommoder.
Il pourroît paroître que ceux
qui étoient les derniers , étoient mal placés
pour voir , parce que ceux qui étoient
devant eux , étoient plus élevés ; mais il
faut confidérer qu'il n'eft queftion ici
d'entendre un concert , où les principaux
chanteurs fe mettent toujours fur le devant
de l'appui qui les fépare des auditeurs
, & que cet appui eft fort élevé audeffus
de l'auditoire ; mais ce qui confir
me & donne la derniere évidence à ce
qu'avance M. Gainfay dans ce mémoire ,
c'eft qu'il en déduit une raifon fimple &
claire de l'evafement de cette falle en venant
vers la tribune, qui dans toute autre fuppofition
paroît fans fondement ; il confidere
l'amphithéatre , & qui eft véritablement
l'Orchestre , comme un centre d'où partent
des rayons de fon ; fi les murs étoient paque
K iij
122 MERCURE DE FRANCE.
ralleles , ces rayons les heurteroient fous
des angles qui pourroient les réfléchir , en
intercepter une partie rélativement à la
tribune principale , pour laquelle toute
cette falle eft conftruite , & par leur réflection
produire une cacophonie qui eft
l'effet naturel de toute voix réfléchie. Cette
douce inclinaiſon n'oppofe pas un obftacle
affez direct pour brifer ces rayons ,
elle les oblige feulement à gliffer par un
angle très- obtus , & à fe réunir vers la tribune
pour y produire un plus grand effet
d'harmonie . Si elle étoit plus évafée , elle
fuivroit la direction droite du fon , & n'en
augmenteroit pas la force ; il ne faut pas
s'embarraffer des loges qui y font un
obftacle ; parce qu'elles n'y ont été mifes
qu'après coup, & qu'elles ne doivent point
être reprochées à l'Architecte ingénieux ,
qui a imaginé cette forme très - propre
2
fon but. Il eft fâcheux que cette tribune
ait été détruite ; par elle nous aurions pâ
juger s'il avoit autant de goût que de bon
fens.
43 C'est ainsi que M. Gainfay explique ce
qui nous refte de la falle des concerts du
Palais royal . Il eft difficile , après l'avoir
lû dans l'original , de réfifter å la force de
fes preuves
.
La fuite au Mercurefuivant.
SEPTEMBRE. 1755. 223
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
E 23 Juillet , les Comédiens François
remirent pour la premiere fois Marius
, Tragédie de M. de Caux. Cette piece
n'avoit point été jouée depuis fa nouveauté
en 1716. Elle a de grandes beautés .
J'oferois prefque dire que le rôle du vieux
Marius eft frappé au coin du grand Corneille
, Celui d'Arisbe a été rendu fupérieurement
par Mlle Clairon , qui embellit
tout ce quelle joue,
Le Dimanche 27 du même mois , la
nouvelle Actrice , Mlle Mezieres , a repréfenté
Camille dans les Horaces , avec
l'approbation générale , qui dit plus aujourd'hui
que l'applaudiffement du Parterre.
L'applaudiffement eft fouvent acheré
, au lieu que l'approbation eft toujours
libre , & ne s'accorde qu'au talent par le
public connoiffeur , qui feul l'apprécie.
Ses arrêts font moins bruians , mais ils font
les feuls qui décident. Le fuccès & le mé-
K iiij
224 MERCURE DE FRANCE.
rite théatral de Mlle Mezieres ne font donc
plus douteux. Ce troifiéme rôle a convaincu
les plus incrédules. Elle l'a joué
avec autant d'ame que d'intelligence , &
s'eft furpaffée dans l'imprécation du quatriéme
acte. C'eft dans les grands morceaux
qu'un Acteur fe développe . Quoi
qu'on en dife , ils ne fervent que le vrai
talent , ils font toujours l'écueil de la médiocrité.
L'Actrice nouvelle n'eft point
bornée au férieux, elle n'a pas moins réuffi
dans le comique. Elle le rend avec d'autant
plus d'eſprit , qu'elle ne copie perfonne
, & qu'elle exprime également bien
les caracteres oppofés. Elle a joué l'Amoureuſe
dans le Florentin , avec une fineffe
qui eft à elle ; & Lucinde dans l'Oracle
, avec une naïveté fpirituelle , qui
n'eft pas montrée ; il ne lui manque que
l'ufage & le ton du théatre de Paris.
Le fieur Raucourt qui a été reçu pour
un an à l'effai , a repréſenté le vieil Horace
d'une maniere à mériter de plus en
plus l'encouragement du public.
Le 20 Août, les mêmes Comédiens ont
donné la premiere repréfentation de l'Or-.
phelin de la Chine , Tragédie nouvelle de
M. de Voltaire.
Toute la France y étoit , & le plus grand
nombre l'a applaudie, Ceux qui la jugent
SEPTEMBRE. 1755. 225
avec le plus de rigueur, font forcés de convenir
que les détails en font admirables.
Si la gloire de ce Poëte célébre pouvoit
croître , elle feroit comblée par ce nouveau
triomphe. Il eft vrai que Mlle Clairon doit
partager ; on peut dire que le talent de
l'Actrice difpute de force avec le génie de
le
l'Auteur. M. de Voltaire est né pour faire
de beaux vers , & Mlle Clairon eft faite
pour les dire. Heureufement pour la piéce
elle y joue le meilleur rôle. Je ne crois pas
que l'onpuiffe mettre au théatre un caractere
plus intéreffant que celui d'Idamé qu'elle
repréfente. Son héroïfme eft dans la nature.
Celui de fon mari fort de l'humanité.
Il eſt le modele des fujets , mais il en remplit
les devoirs aux dépens de ceux de pere
& d'époux. Il veut facrifier fon fils dans
le berceau , malgré les cris du fang , & il
exhorte fa femme à vivre pour regner avec
le tyran dont elle eſt aimée . Idamé au contraire,
mere auffi tendre qu'époufe parfaite,
défend les jours de fon fils au péril des fiens ,
& propofe à fon mari un parti plus noble
& plus convénable , c'eft de mourir tous
deux d'une mort libre par le fecours d'un
poignard qu'elle lui préfente. Nous aurons
le tems de parler plus au long de cette Tragédie
, dont vraisemblablement la réuffice
ne fera point paffagere .
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
COMEDIE ITALIENNE.
LE
E 28 Juillet , les Comédiens Italiens
ont joué pour la premiere fois la Bohémienne
, Comédie en deux Actes , en
vers , traduite de la Zingara , intermede
italien . Elle a eu un plein fuccès & le mérite
. Elle eft de M. Favart , fi accoutumé à
réuffir , & cependant fi modefte , qu'il
donne le titre de traduction à un ouvrage
qu'il s'eft rendu propre par la précifion &
la variété qu'il y a mifes , & par les beautés
qu'il y a ajoutées. Comme la Bohémienne
de l'Opéra- Comique a été difcontinuée
, nous ne parlerons que de celleci.
On peut dire qu'elle eft un digne pendant
de la Servante Maitreſſe ; elle a même
plus de gaieté , ce qui eft un grand
mérite au théatre, ainfi que dans le monde.
Mme Favart ne contribue pas peu à lui
donner ce caractere. Elle rend la Bohémienne
de façon à tourner la tête du public
, comme celle de Calcante. Ce dernier
perfonnage eft très-bien repréſenté
par M. Rochard. On ne peut pas mieux
chanter les Arietes , qu'il les chante du
moins pour des oreilles françoifes. M.
Chanville concourt auffi à la réuffite. On
peut affurer qu'il joue l'ours avecgrace ,
& qu'il fait joliment le diable.
SEPTEMBRE. 1755. 227.

La piéce a paru imprimée dès le premier
jour , comme les paroles d'Opera
pour l'intelligence des airs ; & fe vend
chez la veuve de Lormel & fils , rue du
Foin ; & chez Prault fils , quai de Conti.
Le prix eft de 24 fols.
Voici des vers à la louange de l'auteur.
AM. Favartfur la Bohémienne .
Air de fon nouveau Vaudeville .
Ce n'est pas en Automne qu'on moiffonne le
plaifir.
Toujours dans la vérité ,
Tantôt tu peins la tendreffe ,
Tantôt l'allégreffe ;
Chacun s'écrie , enchanté;
Ah ! quelle aimable Bohémienne !
Que n'eft-elle mienne !
Chantons l'oeuvre & l'oeuvrier,
Que tant de fel affaiffonne.
C'est ainfi qu'on couronne ,
Qui moiffonne
Le Laurier. Guerin
Le peu d'efpace qui nous refte , nous
oblige à remettre l'extrait de cette Comédie
au mois d'Octobre ; ainfi que celui du
prix de la Beauté , Drame de M. Mailhol .
OPERA COMIQUE.
E 11 Août , l'Opera -Comique donna
pour la premiere fois les Réjouiffances
K vj
22S MERCURE DE FRANCE.
Flamandes , balet nouveau , de la compofition
de M. Novere , & qui forme un joli
tableau de Teniers. On joua le même jour
les Amours de Nanterre , de Jerôme & Fanchonnette
, & le Confident heureux , piéce
nouvelle en un acte de M. Vadé.
CONCERT SPIRITUEL.
E 15 Août , jour de l'Affomption , le
Concert
Concert fut auffi brillant que varié.
Il commença par Deus nofter refugium , motet
à grand choeur , de M. Giraud . Ce morceau
fut généralement applaudi & très bien
exécuté. Mme Veftris de Giardini chanta
un air italien qui fit un grand effet . MM.
Héricourt freres , l'un âgé de treize ans ,
& l'autre de douze , exécuterent un concerto
de flûtes , en jouant l'un & l'autre
fur les deux inftrumens à la fois . Mlle
Sixte chanta avec fuccès Quam Delecta ,
petit motet nouveau , de M. Naudet. M.
Doudou , dit le Bouteux , joua un concerto
de violon , qui réunit tous les fuffrages.
Pour combler la fatisfaction du public, Mlle
Fel chanta Exultate Deo , petit motet , de
M. le Chevalier Durbain ; & le Concert
finit
par Confitebor , motet à grand choeur ,
de M. de Lalande,
SEPTEMBRE. 1755 : 229
ARTICLE SIXIE ME. -
·
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU LEVANT.
DE CONSTANTINOPLE , le 6 Juillet.
Pacha Ekim Oglou étant parti pour l'ifle de
Achypre, lica de fon exil , la galere fur laquelle
il s'eft embarqué , a été obligée de relâcher à l'ifle
de Scio. Il a demandé la permiffion d'y paffer le
tems du Ramazan , ou Carême des Mahométans ,
& le Grand Seigneur la lui a accordée. Sa Hauteffe
a difpofé du Gouvernement de la Morée en
faveur de Muftapha Pacha , qui rempliffoit avant
Ali Pacha la dignité de Grand Vifir . M. de Ludolf
, chargé ici des affaires du Roi des Deux Siciles
, vient d'apprendre que Sa Majefté Sicilienne
l'a nommé fon Envoyé extraordinaire , pour
complimenter le Grand Seigneur fur fon avéne→ ·
ment au trône . Il est arrivé un courier du Minif
tre , qui eft allé de la part de Sa Hauteffe à Peterfbourg.
Un vaiffeau de guerre Vénitien , qui
étoit ici depuis quelque tems , a remis à la voile
pour retourner en Italie. Conféquemment aux
ordres de l'Ambaffadeur de Veniſe , il a pris fous
fon convoi tous les navires Hollandois qui ont
voulu profiter de fon eſcorte.
Il s'eft élevé daus l'Eglife Grecque un grand
différend . Un Prêtre ayant foutenu que le feul
Baptême par immerfion étoit valide , une partie
du Clergé attaque cette propofition comme hésétique
, & l'autre partie en embraffe la défenfe
230 MERCURE DE FRANCE.
Les faites de cette oppofition de fentimens font
allées fi loin, qu'on a craine que la tranquillité de
cette capitale n'en fût troublée. Pour prévenir cet
inconvénient , le Grand Seigneur a ordonné , que
tous les Evêques qui ne penfoient pas comme le
Patriarche de Conftantinople fur l'objet de la difpute
, fe retiraffent dans leurs fiéges repectifs .
DU NORD.
DE PETERSBOURG , le 6 Juillet.
On enfeigne actuellement au Régiment de Peterfbourg
un nouvel exercice , que l'Impératrice
a réfolu de prefcrire à toute ſon infanterie . Sa Majefté
Impériale fe propofe auffi d'en établir un
nouveau pour la cavalerie .
DE STOCKHOLM , le 23 Juillet.
On procéde dans toutes les provinces à l'élection
des Députés qui doivent affifter à la Diete
générale.
DE COPPENHAGUE, le 25 Juillet.
Jufqu'à préfent , le Corps de la Marine n'avoit
Eté composé que de trois Brigades. Le Roi vient
d'en créer une quatriéme , dont M. de Lutzow a
été déclaré Commandant.
ALLEMAGN E.
DE VIENNE , le x2 Juillet.
Quelques-uns des païfans mutins , qu'on a relégués
en Transilvanie , ont voulu de nouveau fe
révolter ; mais la punition des plus coupables a
fait rentrer les autres dans le devoir.
SEPTEMBRE. 1755. 23T
Il s'eft tenu la ſemaine derniere plufieurs confeils
à Schonbrun. En conféquence des ordres de
Sa Majesté , le corps d'artillerie formera bientôt
un camp dans ce royaume , & le Feld- Maréchal
Prince de Lichtenſtein y fera exercer pendant
deux mois les canoniers & les Bombardiers.
On a donné ordre que tous les Régimens fuffent
complets avant la fin de cette année. Le
Feld-Maréchal Comte de Neuperg fe difpofe à
reprendre la route de Luxembourg.
L'Impératrice Reine a nommé le Marquis Recalati
, fenateur de Milan , à la place du Marquis
Goldoni-Vidoni , qui après quarante ans de fervice
a demandé la permiffion de fe retirer , & à
qui Sa Majefté a accordé une penfion confidérable.
On écrit de Moldavie que deux habitans d'un
village voifin de Jaffi , font morts le mois dernier
âgés l'un de cent douze ans , l'autre de cent trentetrois.
Pendant la plus grande partie de leur vie ,
'ils n'ont fubfifté que du travail de leurs mains ,
& jamais ils n'ont bû que de l'eau. Ils ont confervé
leurs forces jufqu'à la fin de leurs jours. Ces
vieillards étoient parens.
DE BERLIN , le premier Août.
Afin d'encourager les fabriques de Draps , établies
en cette ville , le Roi a déclaré qu'il acheteroit
ceux dont les Fabriquans ne trouveroient pas
le débit.
Les Chanoines du Chapitre de Magdebourg ne
feront pas feuls décorés d'une marque d'honneur ,
& Sa Majefté a jugé à propos que ceux de Havelberg
jouiffent de la même prérogative , Ceux- ci
porteront une croix d'or , octogone , émaillée de
pourpre , & furmontée d'une couronne. Sur cette
232 MERCURE DE FRANCE.
croix , d'un côté , la Vierge Marie eft repréſentée,
tenant l'Enfant Jefus dans fes bras. On voit au
revers l'Aigle noir de Pruffe , dont les ferres font
armées d'un foudre. Le chiffre F. R. eft placé dans
les différens angles de la croix. Elle eft attachée à
un ruban blanc , bordé de pourpre.
DE MUNICH , le 16 Juiller
La célébration du mariage de la Princeffe Marie
fe fit ici le 10 de ce mois avec la plus grande
pompe. Afix heures du foir , les Dames de la Cour
fe rendirent au Palais , où les Miniftres d'Etat ,
les Chambellans & les Confeillers étoient affemblés.
On alla fur les fept heures à la chapelle. L'Impératrice
douairiere & l'Electrice conduifirent la
Princefle Marie , & l'Electeur époufa cette Princeffe
, au nom du Margrave de Bade- Baden . Le
Cardinal de Baviere donna la Bénédiction Nup-
' tiale . Enfuite ce Prince entonna le Te Deum ,
qui fut fuivi d'une triple falve de l'artillerie
des remparts. La Cour étant retournée dans les
appartemens , l'Electeur ouvrit le bal avec la nou--
velle Margrave. Au bal fuccéda un fouper fplendide
, qui fut fervi à une table de cent couverts.
Avant-hier , l'Electrice & la Princeffe Jofephine
accompagnerent la Margrave à l'Abbaye de Eurftenfeld.
Čes Princeffes y avoient été devancées par
l'Electeur , & par l'Electeur de Cologne . Toute la
Cour dîna dans cette Abbaye. Après le repas , la
Margrave fit fes adieux à la Famille Electorale , &
prit la route de Raftadt. Elle arriva le foir à Friedberg
, où elle eut encore la fatisfaction de voir les
deux Electeurs , qui s'étoient fait un plaifir de la
furprendre. A Augfbourg , elle a trouvé les Dames
& les Officiers , que le Margrave a envoyés aus
SEPTEMBRE. 1755. 233
'devant d'elle . Hier elle a couché à Harthaufen
& elle doit arriver le 20 à fa nouvelle réſidence .
La Comtefle de Butler & les Comteffes de Fugger
& de Schweindeck fuivent certe Princefle , la premiere
en qualité de Grande Maîtreffe de fa Maifon
, les deux autres avec titre de Dames d'Honneur.
La Princeffe épouſe du Prince Electoral de
Saxe a envoyé à la Margrave plufieurs Services de
Porcelaine de la Manufacture de Meiffen.
ESPAGNE.
DE MADRID , le 22 Juillet.
Don Manuel Quintano Bonifaz , Archevêque
Titulaire de Pharfale , ci- devant Adminiſtrateur
de l'Archevêché de Tolede , a été nommé Inquifiteur
Général d'Eſpagne , à la place de feu Don
François Perez de Prado y Cuefta , Evêque de
Teruel.
Don Etienne-Jofeph d'Abaria , Préfident du Tribunal
de la Contractation , a informé le Roi , que
le 16 de ce mois les vaiffeaux le Condé , la Vigogne ,
le Diamant , & le faint Pafchal , étoient entrés
dans la Baye de Cadix . Les trois premiers viennent
de la Vera- Cruz , & le dernier de Cartagene. Ils
ont apporté , tant en or qu'en argent monnoyé , la
valeur de trois millions de piaftres . Le Vaiffeau
l'aimable Marie , venant des Ports de Callao & de.
Valparaiso , eft arrivé le 21 à la même Baye.
ITALI E.
DE NAPLES , le 17 Juillet.
On vient de trouver dans les ruines de l'ancienne
Herculanum un Groupe de trois Statues , qui repréfentent
des Satyres . Elles font d'un Sculpteur
Grec , & elles égalent tout ce que l'antiquité a pro
duit de plus beau en ce genre.
234 MERCURE DE FRANCE.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
E 24 Juillet , le Marquis de Pont-S. - Pierre ,
Roncherolles , premier Baron de Normandie-
Lieutenant - Général des armées du Roy , a été
reçu en la dignité de Conſeiller d'honneur- né au
Parlement de Normandie. Ce Seigneur accompagné
de la nobleffe & du corps des Officiers de dragons
du Régiment de la Reine , a fait fon entrée
au Palais , & après avoir prêté ferment de fidélité
en préfence des Chambres affemblées , a pris fa
féance avec tout l'éclat & la diftinction poffible.
Cette prérogative dont jouit feule en Normandie
l'ancienne maifon de Roncherolles , a été confirmée
en la perfonne de l'aîné des trois branches
de cette famille par Lettres Patentes des Rois
Henry III. Louis XIII . & Louis XIV. d'heureuſe
mémoire .
La nuit du 25 au 26 , le Duc de Mirepoix , cidevant
Ambaffadeur extraordinaire du Roi en Angleterre
, revint de Londres , fuivant l'ordre
qu'il
en avoit reçu de Sa Majefté. Le lendemain , il fut
préfenté au Roy par le fieur Rouillé , Miniftre &
Secrétaire d'Etat , ayant le département des Affaires
Etrangeres. Il eut enfuite l'honneur de rendre
fes refpects à la Reine & à Mefdames.
Le 6 Août , le Roi vint rendre à Madame la
Dauphine une nouvelle vifite ; & Sa Majefté
après avoir tiré dans la plaine de Saint Denis , fit
l'honneur au Prince de Soubize de fouper & de
coucher dans fa maifon de Saint- Ouen.
SEPTEMBRE 1755. 235
Le Samedy , d'Août 1755 , la Cour étant à
Compiegne ; Monfeigneur le Dauphin & Madame
Adelaide pour marquer au fieur Levefque ,
Ecuyer , Confeiller du Roy , Président de l'élection
, Maire & Lieutenant-Général de Police de la
ville de Compiegne , & Subdélégué de l'Intendance
de Paris , la fatisfaction que mérite le zele
avec lequel il remplit tous les devoirs de fes différentes
charges ,particulierement pendant les féjours
de la Cour , lui ont fait l'honneur de tenir fur les
fonts de Baptême , le fils dont Dame Magdeleine-
Françoife Lejeune fon époufe eft accouchée il y a
fix mois , & qui a été lors ondoyé.
Monfeigneur le Dauphin a été repréſenté par
M. le Duc de Gefvres , Pair de France , Premier
Gentilhomme de la Chambre du Roy , Chevalier
de fes ordres , Gouverneur de la ville , prevôté &
Vicomté de Paris & de la Province de l'ifle de
France.
9
Madame Adelaide a été repréfentée par Madame
la Ducheffe de Beauvilliers fa Dame d'honneur :
l'enfant a été nommé Alexandre - Louis-Marie ; la
cérémonie a été faite par le fieur Duquesnoy ,
Curé de la Paroiffe ; le Corps de Ville y a affifté
& y a été conduit avec le pere , la mere & l'enfant
dans les caroffes de M. le Duc de Gefvres
ainfi que Madame la Ducheffe de Beauvilliers que
M. le Duc de Gefvres alla prendre au Château ; ils
trouverent à la porte de l'Eglife , fous les armes ,
les Gardes du Gouvernement & ceux de M. le Duc
d'Aumont , Pair de France , Chevalier des ordres.
du Roy , premier Gentilhomme de fa Chambre ,
Gouverneur du Boullenois , & Gouverneur de l'a
ville de Compiegne ; les Trompettes des plaifirs
s'y trouverent , ainfi que les violons & inftrumens.
de la ville : après la cérémonie M. le Duc de Gef236
MERCURE DE FRANCE.
vres fit préfent à la mere de l'enfant , d'une trèsbelle
boëte d'or , de la part de Monfeigneur le
Dauphin.
Le Comte de Noailles , Grand d'Espagne de la
Premiere Claffe , Lieutenant- Général des Armées
du Roi , Chevalier de la Toifon d'or , & de l'Ordre
de Saint Louis , Bailli & Grand Croix de Malte,
vient d'être nommé par le Roi , ſon Ambaffadeur
Extraordinaire auprès du Roi de Sardaigne.
La diftribution des Prix généraux de l'Univerfité
fe fit le 4 de ce mois dans les Ecoles de Sorbonne
, en la maniere accoutumée . Le Parlement
y affifta, Cette cérémonie fut précédée d'un Dif
Cours Latin , que prononça le fieur Bertinot ,
Profeffeur de Rhétorique au College de Lizieux.
Le fieur Bille Rhétoricien du même college , a
remporté le premier prix. Il le reçut des mains
du fieur de Maupeou , Premier Préfident. Les autres
prix furent diftribués par le fieur Dulaurent
de la Barre , Recteur de l'Univerfité .
La Comteffe d'Eftrade ayant donné fa démiffion
de la charge de Dame d'Atours de Madame Adelaïde
, le Roi a difpofé de cette charge en faveur de
la Marquife de Civerac , une des Dames nommées
pour accompagner cette Princeſſe.
Le 15 , fête de l'Affomption de la Sainte Vierge
, la proceffion folemnelle , qui fe fait tous les
ans à pareil jour , en exécution du voeu de Louis
XIII , fe fit avec les cérémonies ordinaires . L'abbé
de Saint-Exupery , Doyen du Chapitre de l'Eglife
Métropolitaine , y officia. Le Parlement , la Chambre
des Comptes , la Cour des Aydes , & le Corps
de Ville , y affifterent .
Le vaiffeau la Compagnie des Indes eft arrivé le
6 de ce mois à Belle- Ifle , venant de Pondichery
& ayant à bord le fieur Godeheu.
SEPTEMBRE. 1755. 237
AVIS.
La fieur Jacques Cottin & Compagnie , Mare
chand , rue Thibautaudé , donne avis au public ,
qu'il trouvera chez lui toutes fortes de toiles teintes
à froid , avec réferves. Après une longue fuite
d'expériences on eft enfin venu à bout de fixer fur
la toile ( malgré tous les blanchiffages qu'on en
peut faire ) toute la fraîcheur & toute la variété
des couleurs. Ce fecret important & unique étoit
référvé au fieur Cabanes Anglois , qui par fes rares
talens a mérité l'approbation du Confeil. Le
débit confidérable qui fe fait dans tout le Royaume
de ces nouvelles toiles qui imitent parfaitement
celles de la Chine & des Indes , eft une
preuve autentique de la folidité des couleurs que
procure la teinture à froid , & le public ne peut
qu'applaudir à une découverte qui lui eſt ſi avantageufe.
L
AUTR E.
A veuve Simon Bailly continue à débiter les
véritables favonettes légeres de pure crême de
favon , & pain de pâte graffe pour les mains , dont
elle a feule le fecret. Comme plufieurs perfonnes
fe mêlent de les contrefaire , & les marquent comme
elle , pour n'y pas être trompé , il faut s'adreſchez
elle , rue Pavée S. Sauveur , au bout de celle
du Petit-lion , à l'image S. Nicolas , une porte co❤
here , prefque vis- à- vis la rue Françoiſe ; quartier
de laComédie Italienne.
238 MERCURE DE FRANCE.
Errata pour
le Mercure d'Août.
AGB 17 , ligne 2. répodit Orphiſe , liſez répon-
PAGE 17 dit.
Pag. 115 , lig. 12. on l'avoit recufé , lif. acufé.
Pag. 117 , lig. 27. qu'on a cités , lif. qu'ils ont
cités.
Pag. 142 , lig. 24 Illiade , lif. Iliade .
Ibid , lig. 18. Proetus , lif. Jobate.
Ibid , lig. 18. tard , lif. fort.
Pag. 143 , lig. 27. du Roi , lif. de Roi.
Pag. 144 , lig. 27. le fixiéme chapitre de l'Iliade ,
lif. le fixiéme livre de l'Iliade.
Pag. 145 , lig. 10. récompenfant , lif. récompenfent.
Pag. 146 , lig. 4. conſervée , lif. confacrée.
Pag. 222 , lig. 11. le rôle d'Alztre , lif. d'Alzire.
APPROBATION.
' Ai lu , par ordre de Monſeigneur le Chancetrouvé
qui puiffe en empêcher l'impreffion. A
Paris , ce 30 Août 1755.
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
S
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS AT IN PROSES.
rances à Mademoiſelle *** pages
Vers adreffés à M. R.-D. B. par une jeune De239
moifelle , âgée de huit ans ,
Le Moi. Hiftoire très-ancienne ,
Vers à S. M. le Roi de Pologne , far la ftatue da
Roi de France qu'il a fait ériger à Nancy , 22
Les fouhaits , & la douce Vengeance , 23
Vers à Mile C. le jour de fa fête,
Suite de l'eftime de foi-même, ou l'art d'augmenter
celle des autres , par M. de Baſtide ,
24
25
36
37
42
Vers à Madame P ...
Epitre à M. P *** fur le choix des livres ,
Lettre à l'Auteur du Mercure ,
Comparaison d'Homere & de Virgile , par M.
l'Abbé Trublet ,
Ode à la Vérité , par M. Poinfinet ,
Les deux Fourneaux. Fable ,
Penfées diverſes ,
52
SS
58
61
Epitre à M. Chevalier , premier Médecin de l'Electrice
de Baviere ,
Bouquet préfenté à M.de Monmartel ,
66
63
Mots des Enigmes & des Logogryphes du Mercure
d'Août ,
Enigmes & Logogryphes ,
Chanfon ,
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
72
73
78
Suite de la Séance publique de l'Ac. de Nifmes,79
Extraits , précis , ou indications des livres nouveaux
,
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES,
89
Algébre. Solution du problème propofé dans le
fecond volume du Mercure de Juin dernier ;
par M. Bezout , Maître de Mathématique , 131
Hiftoirs. Suite de l'hiftoire abrégée des guerres des
Algériens avec les Hollandois , 135
240
Abrégé chronologique de l'hiftoire de la ville de
Paris , 156
Jurisprudence. Réflexions fur la maniere d'enfeigner
& d'étudier le Droit 172
Hiftoire naturelle . Lettre à l'Auteur du Mercure
fur les découvertes faites dans l'Artois , 184
Médecine. Réflexions fur la fixiéme obſervation
que M. Darluc , Médecin de Callian , a fait inférer
dans le Mercure 187
Séance de l'Académie royale de Chirurgie , 191
ART. IV. BEAUX ARTS.
Peinture.
Gravure.
199
202
Architecture. Suite des Mémoires d'une Société
de gens de Lettres publiés eu l'année 2355 ,
ART. V. SPECTACLE S.
Comédie Françoiſe ,
Comédie Italienne
Vers à M. Favart ,
?
204
223
226 .
227
ibid.
228
Opéra comique ,
Concert fpirituel ,
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres , 229
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 235
La Chanfon notée doit regarder la page 78.
De l'Imprimerie de Ch. A. JoBERT,
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le