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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
JUILLET 1755.
Diverfité, c'eft ma devife . La Fontaine.
Cochin
Filine in
Php Sculp
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais .
PISSOT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques .
Avec Approbation : Privilege du Roi.
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
335288
ASTOR , LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1905
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft cher M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui qu'on prie d'adreſſer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre
quant à la partie littéraire , à M. de Boiffy ,
Auteur du Mercure.
Le prix eft de 36 fols , mais l'on ne payera
d'avance , en s'abonnant , que 21 livres pour
l'année , à raison de quatorze volumes . Les
volumes d'extraordinaire feront également de
30fols pour les Abonnés , & fe payeront avec
l'année qui les fuivra.
Les perfonnes de province auxquelles on
lenverra par la pofte , payeront 31 livres
10 fols d'avance en s'abonnant , & elles le
recevront franc de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront lesfrais du port fur
leur compte , ne payeront qu'à raison de 30
fals par volume , c'est-à- dire 21 livres d'a
vance , en s'abonnant pour l'année , fans les
extraordinaires .
Les Libraires des provinces ou des pays
A ij
étrangers, qui voudront faire venir le Merà
cure , écriront à l'adreffe ci - deſſus.
On Supplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la pofte , enpayant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le payement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteront au rebut.
L'on trouvera toujours quelqu'un en état
de répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de refter à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine , aprèsmidi.
On peut fe procurer par la voie du Mer
les autres Journaux , ainſi que les Livres
, Estampes & Mufique qu'ils annoncent,
cure
00000
***
S
C0000
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET. 1755 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
A M. L'ABBÉ DE ***
Par Madame de ***
Vous en répondrez devant Dies
De m'avoir trop ennorgueillie ;
Entre la Balourdife & l'efprit de faillie,
Javois pris un jufte milien :
Sans ofer me coëffer du poëtique liere ;
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
>
Contente de fçavoir , & penfer & fentir,
Abbé , je fourniffois ma modefte carriere
Et vous m'en avez fait fortir.
A de la profe mal rimée ,
Qui m'échappe à tort à travers
Je n'étois point accoutumée
A prodiguer le nom de vers :
Mais vaine de votre fuffrage •
J'ai dit: verfifions ....Il fe peut après tout ,
Que d'un talent en moi le germe fe dégage ,
J'en dois croire le Dieu du goût.
J'invoque vainement les Mufes & les graces ,
Vous feul donnez au bon le coloris du beau ;
Des Térences & des Horaces A
J'apperçois bien en vous l'affemblage nouveau ,
Mais tel modele à fuivre eft un pefant fardeau
Si vous m'appellez fur vos traces ,
Au moins de l'ignorance ôtez moi le bandeau."
Chaque habitant de la voûte azurée
Vient vous feconder à fon tour :
Moi par aucun je ne fuis infpirée.
Le Dieu qui difpenfe le jour ,
Momus , Minerve , Cithérée ,
Dans votre cabinet ont fixé leur fejour ,
Et votre plume fut tirée
D'une des aîles de l'amour.
生
JUILL E T. 1755. 7
LE PHILOSOPHE MILITAIRE.
Est-il un fort plus heureux que le mien ?
Dans ma petite folitude
Je n'ai que ce qu'il faut de bien
Pour vivre fans inquiétude.
Je me fuis fait de tout tems une loi
D'être réglé dans ma conduite ;
Cependant jamais je n'évite
Le plaifir quand il s'offre à moi .
Une douce philofophie ,
Que Dieu fait parler dans mon coeur ,
Seule eft la régle de ma vie ,
Et la caufe de mon bonheur.
**
A Corbi fous un toît ruftique ,
Au milieu des champs & des bois ,
C'eft-là que fouvent je m'applique
A regner dans mon coeur , à lui donner des loix.
C'eft-là que quand je vois fans ceffe
Mes paffions flater mes fens ,
Je crois voir des flateurs la troupe enchantereffe
M'offrir uninfipide encens.
A iv
S MERCURE DE FRANCE.
Je vois Corbi du même oeil que Verſailles
Souverain de mon coeur j'y vis en liberté :
L'innocence , la probité ,
Sont les remparts , font les murailles
Qui défendent notre cité.
Corbi n'eft qu'une foible image
De ce qu'il fut anciennement ;
Mais au moins a-t- il l'avantage,
S'il eft petii , d'être charmant.
Rien de plus gai , rien de plus agréable :
Il n'a point de Paris l'éclat tumultueux ;
Le plaifir eft moins vif, mais il eft plus durable
Mais il eſt plus délicieux.
Fait pour Paris , le fard ne peut rien fur nos ames,
Il feroit inutile en ces lieux écartés :
Autant on voit de jeunes Dames ,
Autant on compte de beautés.
Après le portrait fi fincere
Que je vous trace de ces lieux ,
Comment peut-on ne pas ſe plaire
Dans un féjour digne des Dieux.
De Sauvigny , Gendarme , à Corbi
JUILLET. 1755. 9
LET TRE
A L'AUTEUR DU MERCURE,
Sur le projet d'un nouveau Dictionnaire plus
utile que tous les autres.
M
ONSIEUR, je fuis François , mais
malheureufement j'arrive de ma
province. Je m'étois laiffe perfuader qu'avant
de me rendre à la capitale , ce centre
où tout ce qu'il y a de bon & de mauvais
vient aboutir , il m'étoit effentiel de meubler
ma tête de belles connoiffances , & de
tout ce qui peut orner l'efprit d'un jeune
homme , afin de n'être point déplacé parmi
les honnêtes gens : En conféquence
comme je ne me figurois rien de plus agréa
ble que de venir à Paris , & d'y tenir mon
coin dans les compagnies fans avoir l'air
provincial , je prenois avec une ardeur
incroyable des idées un peu plus que fuccintes
de toutes les fciences & de toutes
les parties des belles lettres : Je m'attachois
principalement à l'étude de ma langue , me
doutant bien que ce feroit à cela qu'on feroit
le plus d'attention , & que la maniere
de parler étoit l'étiquette des Provincianx.
Je m'étois même procuré le dictionnaire
Aw
10 MERCURE DE FRANCE.
néologique , afin de n'être pas plus embarrallé
qu'un autre fur les termes nouveaux
& précieux mais croiriez - vous ,
Monfieur , que malgré toutes mes précautions
& tous mes foins je n'en fuis pas plus
avancé. Je fuis précisément dans le cas
d'un répondant qui s'eft long- tems préparé
fur les principaux points de fa thefe , &
qu'on argumente fur toute autre chofe.
En quelque endroit que j'aille , on ne dit
pas un mot de ce que jai étudié , & l'on
parle de chofes qui font tout -à- fait neuves
pour moi. Modes dans les habits modes
dans les ameublemens ; modes dans les
équipages , modes dans la cuifine , modes.
de toute efpece ; voilà avec les nouvelles
du jour ce qui fait l'entretien de tous les
gens comme il faut. Je fuis h neuf fur toutes
ces matieres qu'on me prend tout - à-fait
pour un étranger , on ne me fait pas même
l'honneur de me regarder comme un pro
vincial j'ai beau m'obferver & m'étudier
à parler comme les autres , je fuis tout
auffi embarraffé que le premier jour , non
feulement pour le tour & la conftruction
des phrafes , mais même fur les termes.
Je tache de retenir quelque chofe dans un
cercle pour aller vîte briller en le débitant
dans un autre , comme font la plupart des
gens à la mode , mais je confonds les mots.
JUILLET. 1755 .
& j'ai le chagrin de m'appercevoir que je
fais rire les autres . A table , fi on me demande
d'un plat , je fers d'un autre ; ce
qui me femble être de la viande eft du
poiffon , ce qui me paroît poiffon eft légume
, & je prends de la volaille des
pour
écreviffes , tant on a porté loin l'art de
mafquer tout ce que l'on mange. Les noms
feuls des différens ragoût qui ont déja
frappé mon oreille effrayent ma mémoire.
Les coëffures des Dames & même celle des
hommes , par je ne fçais quel rapport avec
les événemens du fiécle , changent auffi
fouvent de formes & de noms qu'il futvient
de circonftances nouvelles dans les
affaires du tems , ou dans les phénomenes
naturels. Nos meubles , grace aux recherches
des heureux du fiécle & à l'art ingénieux
de nos ouvriers , ne reffemblent plus
à ceux de nos peres. Ces induftrieux Dé
dales , fous prétexte de rendre les chofes
plus commodes , multiplient les inutilités .
Habiles à faire tourner notre légereté à leur
profit & à fe faire un fonds folide de notre
goût pour les futilités , ils femblent
avoir envie d'épuifer toutes les combinaifons
des figures , & chaque nouvelle
forme reçoit un nouveau nom ; mais tout
cela n'est rien en comparaifon du nombre
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
>
immenfe d'équipages de différente efpe
ce , dont Paris voit avec empreffement fes
promenades décorées , & qui nous font
l'honneur de nous éclabouffer ou de nous
faire avaler la pouffiere. Quel plaifir au
fortir de cette belle & agréable promena→
de des Boulevards de s'entretenir dans un
cercle de gens d'efprit & du bon ton de
toutes les jolies chofes qu'on y a vûes
de faire un éloge emphatique des voitures
les plus leftes , des peintures les plus gaies ,
des vernis les plus beaux , enfin des jolis
chevaux , des harnois brillans , des robes.
de goût & afforties aux couleurs du carroffe
, & de s'entr'exciter à faire encore
mieux le Jeudi ou le Dimanche fuivant :
mais auffi quel chagrin de ne pouvoir rendre
un compte exact de tout ce qu'on a
vu , faute de fçavoir les noms de toutes
ces admirables inventions modernes , &
quelle mortification pour un jeune homme
qui veut fe faire une réputation dans
le monde d'être arrêté à chaque inftant ,
de confondre fans ceffe les termes & de
ne fçavoir pas diftinguer les cabriolets ,
les culs- de-finge , les diables , les defobli
geantes , les vis - à- vis , les folo , les foufflets
, les dormenfes , les fabots , les phaëtans ,
les ......
JUILLE T. 1755 13
Ma foi, fur tant de mots ma mémoire chancelle . *
Voilà précisément ce qui me défefpere ,
& ce qui m'oblige , Monfieur , à prendre
la liberté de vous écrire. Vous pourrez ,
en rendant ma lettre publique ,faire naître
à quelque bel efprit verfé dans toutes ces
connoiffances précieufes , & qui n'aura
rien de mieux à faire , une idée que je
m'étonne n'être encore venue à perfonne
dans le tems & dans le pays où nous vivons
:c'eſt le projet d'un dictionnaire qui
expliqueroit tous ces termes de nouvelle
fabrique , & qui nous en fixeroit la juſte
valeur & la vraie fignification . Quoi ! on
a la manie de tout mettre en dictionnaire
, jufqu'aux fciences mathématiques . On
nous donne par ordre alphabétique des
théorêmes , des fermons , des vérités métaphyfiques
, des régles mêmes pour la conduite
des moeurs , & perfonne ne s'eft encore
avifé de travailler à l'explication des
termes nouveaux de cuifine , d'ajuftemens,
d'équipages & de meubles . Voilà pourtant
, fi je ne me trompe , une vraie matiere
à dictionnaire. Le nom feul de ces
fortes d'ouvrages emporte l'idée de l'ex-
* M. Deftouches. Dans la Comed. du Glorieux
Act. S
14 MERCURE DE FRANCE.
plication des mots d'une langue , & affitrement
je ne vois pas qu'il y en ait qui
reviennent plus fouvent dans la converfation
que ceux dont il eft ici queftion . Comme
le befoin que j'ai d'un pareil livre m'en
a fait fentir toute l'importance , & que
j'ai long-tems médité & réfléchi fur ce
projet , je veux bien communiquer me's
idées & tracer le plan felon lequel je conçois
qu'on pourroit l'exécuter. L'ouvra
ge , en imprimant d'un caractere un peu
moins gros que de coutume , & en fupprimant
pour la commodité du lecteur ce
qu'on appelle les reffources de la Librairie
,fauf à le faire payer plus cher , pourra
être réduit à un vome in - 8 °. fous le titre
de Dictionnaire portatif de tous les
>> termes nouveaux & en ufage parmi un
certain monde , concernant la table , les
équipages , les ameublemens , les ajuſte-
» mens , tant d'hommes que de femmes ,
» & les modes de toute efpece , pour fer-
» vir de monument à la conftance & au
» bon goût de la nation ; ouvrage extrê-
» mement utile à tous ceux qui veulent
» fe répandre & paroître bonne compagnie ,
avec des anecdotes , & c.
-39
Vous voyez , Monfieur , que le titre de
l'ouvrage intéreffe & promet beaucoup
mais la maniere de l'exécuter peut encore
JUILLET. 1755. I'S
furpaffer l'attente du lecteur , & je la crois
fufceptible de beaucoup d'agrémens. L'aureur
pourra à chaque article , outre l'étymologie
, la définition & la critique des
termes , donner des anecdotes auffi curieufes
qu'intéreffantes. La matiere eft affez
ample , & la provifion des ridicules n'eft
pas prête à être épuifée. Pour un qui difparoît
il en renaît dix, Combien de jolies
chofes à nous apprendre , combien d'aventures
amufantes à nous raconter , combien
d'apoftilles qu'on peut placer à propos de
chaque efpece de mode différente ? L'origine
& la commodité des vis-à vis , l'hiftoire
& l'étymologie des cabriolets , la
généalogie d'un brillant équipage qu'on a
vû paffer fucceflivement d'une Actrice à
une honnête femme , & d'une honnête
femme à une Actrice ; les différentes fcenes
que nos jeunes éventés nous donnent
tous les jours fur les Boulevards ; leurs
difputes & la fage retenue de quelquesuns
d'entr'eux ; la defcription de cette délicieufe
promenade qui eft bordée d'un
côté par des derrieres de maifon & de l'autre
par les égoûts , la voirie & quelques
fauxbourgs en perfpective ; les embelliffemens
qui s'y font tous les jouts en élevant
à menus frais des cabarers à bierre mal
alignés , mauvaiſes copies d'un joli petis
16 MERCURE DE FRANCE.
caffé gardé par un Suiffe pour empêche
les laquais de boire avec leurs maîtres , &
diverfes baraques pour les géans , les nains,
les marionettes , les danfeurs de corde ,
les finges , & autres curiofités ; ces parades
fi fpirituelles qui amufent également le
petit peuple & les gens à équipages ; ces
parties fines auffi promptement exécutées
que formées , de s'en aller après -minuir
d'un air évaporé faire relever les joueurs
de marionettes pour s'ennuyer , bâiller ,
& feperfuader au fortir de là qu'on s'eft
bien amufé parce qu'on a fait quelque chofe
d'extraordinaire ; ces différentes fortes
de voitures à la file les unes des autres ,
dont les plus maflives écrafent les plus
leftes , les difputes des cochers , les cris
des Dames , le contrafte burlefque du carroffe
d'un grand Seigneur vis- à- vis de celui
d'un Sou -fermier , d'un demi - équipage de
Médecin à côté de la berline d'un conva
lefcent en bonnet fourré , de la voiture
noble & décente d'un Abbé à la faite d'un
vis-à vis lefte & brillant d'une fille à talent
, le tout entrelardé de remifes & de
fiacres poudreux ; la même confufion &
peut - être encore plus bizarre parmi ce
qu'on appelle l'infanterie ; cerse cohue mal
compofée de gens de toute efpece qui fe
condoient , qui fe preffent , & qui s'obfti
JUILLET. 1755. 17
Want à fe promener toujours dans un efpace
très-limité , s'aveuglent & s'étranglent
de pouffiere malgré les attentions du fucceffeur
de M. Jofeph Outrequin ; les beautés
de tout âge étalées fur des chaiſes , &
qui prendroient grand plaifir à voir la
foule & à en être vûes fi on ne leur marchoit
pas fur les pieds , & fi on ne leur faifoit
pas avaler la pouffiere ; les Dames qui
veulent mettre pied à terre pour mieux
refpirer , & qui font obligées de remonter
en leurs carroffes & de s'y enfermer pour
ne pas étouffer ; les bourgeoifes du Marais
en gand panier qui ont la patience de refter
affifes jufqu'à la nuit fermée , malgré
les incommodités de la promenade , pour
ne pas paroître s'en retourner à pied ; des
jeunes filles qui jouent les Agnés & qui
amufent deux hommes à la fois ; fur des
chaiffes un peu plus à l'écart certaines
beautés d'une autre efpece , moins honnêtes
à la vérité , mais peut- être moins fourbes
, qui attendent un fouper ; les honnêtes
gens confondus avec la canaille , parmi
des foldats ivres qui vous infultent ,
des pauvres qui vous demandent l'aumône
, des artiſans qui reviennent de la guinguette
, des marchands de ptifane avec
leurs maudites fontaines , dont le robinet
femble s'alonger tout exprès pour vous
is MERCURE DE FRANCE.
meurtrir les bras ; des nourrices affifes aux
pieds des arbres qui donnent à têter à leurs
enfans , & qui jurent & peftent contre les
cabriolets dont elles appréhendent les reculades
, & encore plus contre les jeunes
fous qui veulent faire le métier de leurs
cochers fans y rien entendre ; enfin tous
ces objets divers forment un tableau bien
varié , dont le détail ne peut manquer de
plaire étant amené à
,
propos.
Au refte , quelque habile que foit l'auil
ne faut pas qu'il fe repofe trop fur
fes propres lumieres , il doit tout voir
tout confulter , & n'épargner aucune démarche
pour perfectionner fes recherches.
Il faudra qu'il fe trouve affidument aux
fpectacles , aux promenades , principalement
fur les cours , qu'il fréquente les
gens de l'art , qu'il fe rende dans les cuifines
des Fermiers Généraux , & même
"des Commis , qu'il aille vifiter les boutiques
des felliers , des marchands de modes
, des bijoutiers & autres marchands de
fuperfluités pour les confulter & pour s'entretenir
avec eux : c'eſt ſouvent avec ces
gens - là qu'on puife les lumieres les plus
folides , & pour peu qu'on fçache les interroger
& les faire parler , on profite plus
avec eux qu'avec les livres : par ce moyen
il fera informé de la premiere main de
JUILLET. 1755. 19
toutes les admirables variations qui font
furvenues dans nos modes , il fera en état
d'en faire l'hiftoire , de fixer le fens de
chaque terme , d'en donner la véritable
étymologie , & d'expofer au jufte la circonftance
de l'événement , foit politique ,
foit phyfique qui y a donné lieu . Il apprendra
aux lecteurs étonnés que ce n'eft
pas toujours aux ouvriers qu'on doit les
belles découvertes dans ce genre , & que
fouvent c'eft à la fagacité & aux réflexions
fages de certaines têtes qu'on croiroit occupées
du bien public que nous fommes
redevables de la tournure d'une manche ,
ou de la forme d'un fiége de cocher : ainſi
il affurera la gloire & l'invention à celui à
qui elle eſt dûc .“
Comme il eft vraisemblable qu'il y aura
des changemens & des augmentations à
faire tous les ans , on pourra donner le
fupplément gratis à ceux qui auront foufcript
, jufqu'à ce que tous les termes qui
font aujourd'hui en ufage étant vieillis &
tout- à-fait tombés après une longue période
, * par exemple , de vingt ans on foit
* On lit dans nos Auteurs comiques qui vivoient
il y a quarante ou cinquante ans , des
termes alors en ufage pour fignifier des mots
tout-à-fait inconnus , la ftinkerque , la malice
l'innocente, lafouris.
20 MERCURE DE FRANCE.
obligé de recommencer un autre vocabu→
laire.
Voilà , Monfieur , le projet que j'ai
conçu , & que j'aurois exécuté fi je m'étois
fenti en état de le faire. Je vous prie d'en
faire part au public , afin que fi quelqu'un
fe fent affez de capacité , de mérite & de
patience , il le mette en exécution ; je puis
répondre d'un grand nombre de foufcripteurs.
J'ai l'honneur d'être , &c.
JUILLET. 1755. 27
L'OURS ET LE RAT,
OU L'OURS PHILOSOPHE
FABLE.
Ertain Ours mal léché n'ayant ri de fes
jours ,
S'avifa de vouloir devenir philofophc.
On dit que Jupiter fit de la même étoffe
Les Philofophes & les Ours.
Tout fage étant d'humeur un tant ſoit
tale ,
peu bru
Un Ours peut embraffer cette profeffion.
Celui que j'introduis choifit dans la morale
Pour premiere vertu la modération.
Au fond d'un bois obſcur un antre folitaire
Lui parut propre à fon projet.
Rien dans ce lieu caché ne le pouvoit diftraire,
Il eſt vrai ; mais auffi feul en cette forêt ,
Quel mérite avoit- il de vaincre la colere
Tout hermite eſt bâti de cette façon là :
Ils cherchent les déferts , les bois , la folitudes
Hé mes amis , ce n'eft pas là
Que l'on peut de fon coeur faire une heureuſe
étude ;
Le vice y dort, mais n'y meurt pas
22 MERCURE DE FRANCE.
Il n'eft pas étonnant qu'à l'abri de l'injure
La vengeance foit fans appas.
Loin de tout bienfaiteur , c'eft chofe auffi très
sûre
Que vous ne ferez point ingrats.
Pauvres , vous ne fçauriez abuſer des richeffes ;
Payer des flateurs , des maîtreffes ,
Intenter d'injuftes procès.
Seuls , j'imagine bien que vous êtes difcrets :
Vous ne pouvez tromper par de fauffes careffes
Que quelques images de Saints :
Mais quel exemple auffi donnez - vous aux hu
mains ?
Je reviens à notre Ours qui plein d'un zéle extrême
,
Et brûlant d'arriver à la perfection ,
Refléchiffoit fur l'art de fe vaincre foi-même.
Un Rat interrompit fa méditation :
De notre fage alors le cerveau fe dérange.
Il fe livre aux accès d'une fureur étrange;
Rugit après ce Rat comme après un lion ,
Le pourfuit , l'atteint & le venge.
Vertueux fans effort dans un lâche loifir
On cache des penchans que l'on devroit pour
fuivre ;
Ce n'eft qu'un feu couvert toujours prêt à revivre
:
JUILLET.
17558 2.3
Bientôt au moindre fouffle il fçaura nous trahir.
Le coeur pour le former a beſoin d'exercice ,
Contre les paffions ardent à fe roidir ,
Jamais par la retraite il ne faut qu'il fléchiffe :
On doit édifier le monde & non le fuïr.
EPITRE
A ÉGLÉ ,
Par Mademoiselle Loifean.
C'Eft un peu tard acquitter ma parole ;
Mais , Eglé , le tems qui s'envole
A paffé trop rapidement.
L'excufe doit te paroître frivole ;
Abrégeons donc le compliment.
• Ecoute le récit d'un fait intéreffant ;
C'eft de tes agrémens l'époque curieuſe :
Ceci n'eft point hiftoire fabuleuse ,
Charmante Eglé , l'autre jour je l'appris,
De l'aimable fils de Cipris.
Morphée avec l'Amour eut de tout tems querellé
,
L'Amour le redoutoit plus que les autres Dieux ;
Le tranquille fommeil s'emparant d'une belle ,
Voiloit le charme de ſes yeux.
C'en étoit fait de ſa puiſſance i
24 MERCURE DE FRANCE.
Il ne faut qu'an regard d'une jeune beauté
Pour furprendre la liberté
D'un coeur qui veut en vain s'armer d'indiffé
rence.
Par un coup d'oeil l'inconftant arrêté ,
Ne fent plus le poids de fa chaîne ,
Et le plaifir qui le rameine
S'offre à lui fous les traits de la variété.
L'enfant aîlé quitte Cithere ;
Guidé par fon courroux , il voudroit de la terre
Bannir Morphée & fa trifte langueur :
Mais aux mortels il eſt trop néceffaire ,
Un teint fleuri lui doit ſa plus vive couleur ;
C'est lui qui des appas conferve la fraîcheur.
Que faire ? Amour , jaloux de foutenir ſa gloire ,
Imagine un moyen d'être enfin le vainqueur.
Les pavots deformais vont hâter la victoire ,
Et ferviront à dompter plus d'un coeur.
Pour triompher des ames les plus fieres ,
A la beauté , ce Dieu donna longues paupieres .
Une belle pour lors dans les bras du fommeil
Parut avoir de nouveaux charmes .
Ses attraits pour l'Amour font de nouvelles armes,
Et rendent plus touchant le moment du réveil.
L'aftre du jour à travers un feuillage ,
Fait briller fes rayons , mais leurs feux font plus
doux:
De deux beaux yeux il nous offre l'image :
Les paupieres font cet ombrage
Qui
JUILLET. 1755. 25
Qui rend certain le fuccès de leurs coups ,
Le regard s'attendrit & bleſſe davantage.
Depuis cette victoire , Amour n'a plus d'égal .
C'est ainsi que fon art triompha de Morphée ;
Il goûte le plaifir de foumettre un rival ,
Et fes pavots lui fervent de trophée.
Si de la fiction , permife dans les vers ,
Quelqu'un croît ici que j'abufe ;
Je puis convaincre l'univers ,
Eglé juſtifiera les tranfports de ma`muſe.
En la voyant , d'un Dieu l'on reffent tous les
traits.
Oui , belle Eglé , tes féduifans attraits ,
Jufques dans le fommeil confervent leur puiffance.
De fes douceurs jouis en affurance ,
L'Amour qui s'eft fixé pour jamais fous ta loi ,
Lorfque tu dors veille pour toi.
26 MERCURE DE FRANCE.
IL EUT TORT.
Hiftoire vraisemblable.
H! qu'est- ce qui ne l'a pas ? on n'eft
dans le monde environné que de torts.
Ils font néceffaires , ce font les fondemens
de la fociété ; ils rendent l'efprit liant , ils
abaiffent l'amour- propre. Quelqu'un qui
auroit toujours raifon feroit infupportable.
On doit pardonner tous les torts ,
excepté celui d'être ennuyeux , celui là eſt
irréparable. Lorfqu'on ennuye les autres ,.
il faut refter chez foi tour feul comme
l'opéra d'Ajax . Je demande ce que l'on
deviendroit s'il alloit faire fes vifites dans
les maifons ?
Paffons à l'hiftoire de Mondor. C'étoit
un jeune homme malheureuſement né ; il
avoit l'efprit jufte , le coeur tendre & l'ame
douce voilà trois grands torts qui en
produiront bien d'autres.
En entrant dans le monde , il s'appliqua
principalement à tâcher d'avoir toujours
raifon. On va voir comme cela lui réuffit.
Il fit connoiffance avec un homme de la
cour ; la femme lui trouva l'efprit jufte ,
parce qu'il avoit une jolie figure ; le mari
JUILLET. 1755. 27
lui trouva l'efprit faux , parce qu'il n'étoit
jamais de fon avis.
La femme fit beaucoup d'avances à la
jufteffe de fon efprit ; mais comme il n'en
étoit point amoureux , il ne s'en apperçut
pas. Le mari le pria d'examiner un traité
fur la guerre qu'il avoit compofé à ce
qu'il prétendoit. Mondor après l'avoir lû
lui dit tout naturellement qu'en examinant
fon
ouvrage , il avoit jugé qu'il feroit
un fort bon négociateur pour un traité de
paix.
Dans cette circonftance , un régiment
vint à vacquer , un petit Marquis avorté
trouva l'auteur de cour un génie tranfcendant
, & traita fa femme comme fi elle
eût été jolie , il eut le régiment : le Marquis
fut Colonel . Mondor ne fut qu'un
homme vrai ; il eut tort .
Cette aventure le rebuta , il perdit toutes
vûes de fortune , vint à Paris vivre en
particulier , & forma le projet de s'y faire
des amis. Ah ! bon Dieu , comme il eut
tort ! il crut en trouver un dans la perfonne
du jeune Alcipe ; Alcipe étoit aimable
avoit le maintien décent & les propos
d'un homme effentiel.
Un jour il aborda Mondor avec un air
affligé , auffi tôt Mondor s'affligea ( car il
n'y a point de plus fottes gens que les gens
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
d'efprit qui ont le coeur bon ) ; Alcipe lui
dit qu'il avoit perdu cent louis fur fa parole
, Mondor les lui prêta fans vouloir de
billet ; il crut par là s'être acquis un ami.
Il eut tort : il ne le revit plus.
que
Il donna dans les gens de lettres ; ils le
jugerent capable d'examiner leurs piéces :
als obtinrent audience de lui plus aifément
que du public : il y en eut un en qui Mondor
crut reconnoître du talent , il lui fembla
digne de la plus grande févérité il
lût fon ouvrage avec attention : c'étoit une
Comédie il retrancha des détails fuperflus
, exigea plus de fonds , demanda à
l'auteur de mieux enchaîner fes fcènes , de
les faire naître l'une de l'autre , de mettre
toujours les acteurs en fituation , de prendre
bien plus garde à la jufteffe du dialogue
qu'au faux brillant de l'efprit , de
foutenir fes caracteres , de les nuancer
finement fans trop les contrafter ; il lui
fit remarquer que les pacquets de vers
jettent prefque toujours du froid fur l'action.
Voilà les confeils qu'il donna à l'auteur
; il corrigea fa piéce en conféquence ;
il éprouva que Mondor l'avoit mal confeillé.
Les comédiens ne trouverent pas
qu'elle fût jouable .
Cela le dégoûta de donner des avis. Le
même auteur qui auroit dû fe dégoûter de
JUILLE T. 1755. 29
faire des pièces , en compofa une autre qui
n'étoit qu'un amas de fcènes informes &
découfues. Mondor n'ofa pas lui confeiller
de ne la point donner ; il eut tort , la pièce
fut fifflée . Cela le jetta dans la perplexité ;
s'il donnoit des confeils , il avoit tort ; s'il
n'en donnoit pas , il avoit tort encore . Il
renonça au commerce des beaux efprits &
fe lia avec des fçavans ; il les trouva prefqu'auffi
triftes que des gens qui veulent
être plaifans. Ils ne vouloient parler que
lorfqu'ils avoient quelque chofe à dire ; ils
fe taifoient fouvent. Mondor s'impatienta
& ne parut qu'un étourdi . Il fit connoiffance
avec des femmes à prétentions , autre
méprife : il fe crut dans un climat plus voifin
du foleil ; c'étoit le pays des éclairs ,
où prefque toujours les fruits font brûlésavant
que d'être murs ; il remarqua que
la plupart de ces Dames n'avoient qu'une
idée qu'elles fubdivifoient en petites penfées
abftraites & luifantes ; il s'apperçut
que tout leur art n'étoit que de hâcher
l'efprit ; il connut le tort qu'il avoit eu de
rechercher leur fociété ; il voulut y briller ,
parut lourd ; il voulut y raifonner , il
parut gauche en un mot , il déplût quoiqu'il
fçût fort bien fes auteurs latins , &
fentit qu'on ne pouvoit pas dire à un jeune
il
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
homme voulez - vous réuffir auprès des
femmes , lifez Ciceron.
Mondor étoit l'homme du monde le
plus raifonnable , & ne fçavoit quel parti
prendre avoir raifon. Il éprouva pour que
dans le monde les torts viennent bien
moins de prendre un mauvais parti que
d'en prendre un bon mal adroitement.
Il avoit voulu être courtifan , il s'étoit
caffé le coû ; il avoit cherché à ſe faire des
amis , il en avoit été la dupe ; il avoit vu
de beaux efprits , il s'en étoit laffé ; des
fçavans , il s'y étoit ennuyé ; des femmes ,
il y avoit été ennuyeux : il entendit vanter
le bonheur de deux perfonnes qui s'aiment
véritablement , il crut que le parti le plus
fenfé étoit d'être amoureux ; il en forma
le projet , c'étoit précisément le moyen de
ne le pas devenir. Il examinoit toutes les
femmes ; il mettoit dans la balance les
agrémens & les talens de chacune , afin de
fe déterminer pour celle qui auroit une
perfection de plus. Il croyoit que l'amour
eft un dieu avec lequel on peut marchander.
Il eut bean faire cette revûe , il eut beau
s'efforcer d'être amoureux , cela fut inutile
; mais un jour fans y penfer , il le devint
de la perfonne la plus laide & la plus capricieufe
: il fe remercia de fon choix ; it
1
JUILLET. 1755. 31
vit cependant bien qu'elle n'étoit pas belle ;
il s'en applaudiffoit ; il fe flattoit de n'avoir
point de rivaux : il avoit tort ; il ignoroit
que les femmes les plus laides font les plus
coquettes. Il n'y a point de minauderie ,
point de regard , point de petit difcours
qui n'ait fon intention : elles fe donnent
autant de foin pour faire valoir leur figu
re , qu'on en prend ordinairement pour
faire rapporter une mauvaife terre . Cela
leur réuffit ; les avances qu'elles font flattent
l'orgueil , & la vanité d'un homme
efface prefque toujours la laideur d'une
femme.
Mondor en fit la trifte expérience ; il
fe trouva environné de concurrens ; il en
fut inquiet : il eut tort ; cela le conduifit
à un plus grand tort , ce fut de fe marier.
Il traita fa femme avec tous les égards
poffibles : il eut tort ; elle prit fa douceur
pour foibleffe de caractere & le maîtrifa
durement ; il voulut fe brouiller : il eut
tort ; cela lui menagea le tort de fe raccommoder
; dans les raccommodemens
il eut deux enfans , c'est-à-dire deux torts :
il devint veuf , il eut raifon ; mais il en fit
un tort : il fut fi affligé qu'il fe retira dans
fes terres.
Il trouva dans le pays un homme riche ,
mais qui vivoit avec hauteur , & ne voyoit
Biiij
32 MERCURE DE FRANCE.
aucun de fes voisins , il jugea qu'il avoit
tort il eut autant d'affabilité que l'autre
en avoit peu , il eut grand tort ; fa maifon
devint le réceptacle de gentillaftres qui
l'accablerent fans relâche . Il envia le fort
de fon voifin , & s'apperçut trop tard que
le malheur d'être obfedé eft bien plus fâcheux
que le tort d'être craint . On lui fit
un procès pour des droits de terres ; il aima
mieux céder une partie de ce qu'on lui
demandoit injuſtement que de plaider ; il
fe comporta en honnête homme , donna à
dîner à fa partie adverfe , & fit un accommodement
defavantageux : il eut tort. Un
fi bon procédé fe répandit dans la province
; tous fes petits voifins voulurent profiter
de fa facilité , & reclamer fans aucun titre
quelque droit chymérique ; il eut vinge
procès pour en avoir voulu éviter un , cela
le révolta ; il vendit fa terre , il eut tort :
il ne fçut que faire de fes fonds. On lui
confeilla de les placer fur le concert d'une
grande ville voifine qui étoit très - accrédité .
Le Directeur étoit un joli homme qui s'étoit
fait Avocat pour apprendre à fe connoître
en mufique. Mondor lui confia fon argent ,
il eut grand tort. Le concert fit banqueroute
au bout d'un an malgré la gentilleffe
de M. l'Avocat . Cet événement ruina Mondor
, il fentit le néant des chofes d'ici -bas ;
JUILLET. 1755. 33
il voulut devenir néant lui - même ; il fe fit
Moine , & mourut d'ennui : voilà fon dernier
tort.
ÉLOGE DU MENSONGE.
A Damon.
Vieillirons -nous dans les entraves ,
Martyrs de notre auftérité ?
Cher Damon , de la vérité
Ne verra-t-on que nous d'efclaves ?
De ce perfonnage onéreux
Abjurons la morgue importune ,
Et fans faire les rigoureux ,
Mentons , puifque tout ment , fuivons la loi
commune.
Tu ris : tu prens cette leçon
Pour un frivole badinage ;
Mais je prétens à ce foupçon
Faire fuccéder ton fuffrage.
Raifonnons. Entraîné par une vaine erreur ,
Tu crus la vérité digne de préférence ;
Mais par quel attrait féducteur
Mérite -t-elle ta conftance ?
Eft-ce par un air fec , un ton fouvent grondeur ?
Sans foupleffe , fans complaifance ,
Que fait- elle pour le bonheur ?
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
Peut- elle l'emporter fur un rival aimable ?
Le menfonge riant , ce zélé bienfaiteur
Au contraire toujours affable ,
Par de là nos defirs nous comble de faveurs .
C'eft lui dont la main fecourable
Sur un affreux deftin fçait répandre des fleurs ;
Il féduit les efprits , il enchaîne les coeurs :
Nous lui devons enfin l'utile & l'agréable.
Damon , je n'exagere point ;
Sui moi pour éclaircir ce point.
Cet eſpace inconnu d'où nous vient la lumiere ,
Où des foleils fans nombre étincellent fans fin ,
Fut jadis une mer de fubtile matiere ,
Où le noyoit l'efprit humain.
Mon impofteur par fa bonté féconde ,
Dans ce cahos vous fabriqua des cieux ;
Fit mieux encor ; il les peupla de Dieux
Qu'il enfanta pour régir ce bas-monde.
A chacun d'eux il impofa fes loix ;
Son premier-né fut armé du tonnerre ;
L'un fit aimer , l'autre alluma la guerre ;
Ainfi de tous il fixa les emplois.
Il leur bâtit des temples fur la terre ,
Sur leurs autels il fit fumer l'encens ;
Bref , il voulut que de ces Dieux naifans.
L'homme attendît les biens & la mifere.
De tel événement vulgaire
Qu'on croiroit digne de mépris ,
Souvent il fçut faire un mystere ,
JUILLE T. 1755. 35
Lui donnant à propos ce divin caractere ,
Qui du peuple étonné fubjugue les efprits .
Autrefois à fon gré les Vautours , les Corneilles
Prophétifoient dans l'air par d'utiles ébats ;
Le bourdonnement des abeilles
Préfageoit le fort des combats ,
Et cent fois il fixa le deftin des états
Par d'auffi burleſques merveilles .
Combien de conquérans & de héros fameux
Verroient retrancher de leur gloire ,
S'il laiffoit redire à l'hiſtoire
Ce que le fort a fait pour eux ;
S'il ne nous déguifoit leurs honteufes foibleffes ;
Et fi d'un voile généreux ,
Il ne couvroit leurs petiteffes.
Laiffant à part ces hauts objets ;
C'eft dans le commerce ordinaire ,
Que du menfonge néceffaire
Tu vas admirer les bienfaits .
Pour ne point offenſer notre délicateſſe ,
Il s'y montre toujours fous un titre emprunté ;
Gardant l'incognito fous ceux de politeffe ,
D'amitié, d'amour , de tendreffe ,
Souvent même de charité ,
Seul il fait tous les frais de la fociété .
Suppofons un moment que le ciel en colere
Contraignit les mortels par un arrêt févere ,
A peindre dans leurs moeurs & dans tớis lears
discours ,
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Ces fecrets fentimens dont ils gênent le cours ;
Quelle honte pour notre espece !
Paris plus effrayant que les antres des ours
Deviendroit un féjour d'horreur & de triſtelle !
Tu verrois , cher ami , les trois quarts des humains
S'accablant tour à tour de leur indifférence ;
De leur haine , de leurs dédains ,
S'annoncer par leur
arrogance
Qu'ils font prêts d'en venir aux mains.
Tu verrois des enfans , des héritiers avides ,
Sur des biens à venir trop lents
Attacher fans pudeur des regards dévorans
Et par des foupirs homicides
Compter les jours de leurs parens.
Dans les chaînes du mariage
Des captifs inquiets , victimes de P'humeur
Feroient par leur bifarre aigreur
Un enfer de leur esclavage.
Maint ami prétendu , léger , intéreſſé ,
Négligeant de voiler fon ame déteſtable ,
Ne fe montreroit empreffé
Que pour l'amuſement , la fortune & la table.
L'incorrigible protegé .
Dans les yeux du patron , ou glacés ou mauffades
,
Dans d'affligeantes rebuffades.
Liroit clairement fon congé..
Un amant brutal & volage
JUILLET. 1755 3.7 .
Sans prélude , fans petits foins ,
Offriroit à fa belle un infipide hommage
Toujours reglé fur fes befoins .
L'amante fans fard , fans fineffe ,
Soumise à fon vainqueur dès le premier inftant ,
Ne prendroit d'autre avis pour marquer la foibleffe
,
Que celui d'un groffier penchant.
Leurs defirs amortis diffipant toute ivreffe ,
Un prompt & fot dégoût finiroir le roman .
Tel feroit l'homme vrai guidé par ſa nature.
Mais détournons les yeux de ce tableau pervers ,
Et parcourons le bien que l'utile impofture
Fait en réformant l'univers .
L'intérêt , l'envie & la haine
Frémiffent vainement dans l'abîme des coeurs ;
La bienféance les enchaîne
Et dérobe au grand jour leurs perfides noirceurs.
L'homme , bien loin d'être farouche ,
D'un amour fraternel , prend les dehors ' trompeurs
;
Ses yeux font careffans , fes geftes font flateurs ,
Et le miel coule de ſa bouche.
A travers les égards , les doux empreffemens ,
Les foins refpectueux , la tendre inquiétude ;
Les yeux même les plus perçans
Pourroient - ils découvrir l'avide ingratitude
Des héritiers & des enfans ?
Şi maudire leur joug & perdre patience ,
38 MERCURE DE FRANCE.
Eft le deftin fecret d'une foule d'époux ,
Le fçavoir vivre & la décence
De la tendreffe encor confervent l'apparence ,
Et couvrent au moins les dégoûts.
D'équivoques amis le monde entier foiſonne
Mais le peu de fincérité ,
L'intérêt & la vanité
Dont à bon droit on les foupçonne
S'éclipfent fous l'amenité ,
Sous l'air fagement affecté
De n'en vouloir qu'à la perfonne.
Le moins fenfible protecteur
Sous un mafque riant déguifant fa froideur ,
D'une féduifante fumée
Sçait repaître l'ame affamée
D'un fuppliant perfécuteur .
L'amour ne feroit qu'un fonge ,
Une puérilité ;
Mais l'officieux menfonge ,
L'érige en divinité ;
Redoutable par les armes ,
Ou foumettant à fes charmes
Le coeur le plus indompté ,
Il change en idolâtrie
Notre goût pour la beauté.
L'art de la coquetterie
Fut lui feul inventé ,
par
Et fans la fupercherie
Seroit-il exécuté ?
JUILLET. 39 1755.
*
Pour obtenir douce chance ,
L'amant jure la conftance
Et projette un autre amour :
à fon tour ;
L'amante trompe
Feint une pudeur craintive ,
Et pour s'affurer d'un coeur ,
Cache Pardeur la plus vive
Sous l'air froid & la rigueur.
Friands de tendres premices
Cherchons-nous la nouveauté ?
Malgré leur habileté ,
Nos belles font les novices ;
Un ton de naïveté ,
Mille obligeans artifices
Flattent notre vanité.
Si l'ufage des délices
Eteint leur vivacité ;
Le jeu fçavant des caprices
Rameine la volupté.
C'eſt ainfi qu'une folie
Devient par la tricherie
Le plaifir le plus vanté.
C'eft ainfi que dans la vie
Mutuelle duperie ,
Fait notre, félicité.
Si tu veux ajoûter un dégré d'évidence
Aux preuves de mon fentiment ,
Suivons notre Protée exerçant fa puiffance
Sur ces arts renommés on regne l'agrément..
40 MERCURE DE FRANCE.
Sans lui que feroit l'éloquence
Un infupportable talent .
Prives la de fes fleurs ; elle eft fans véhémence ,
Elle rampe fans ornemens :
Mais ces brillantes fleurs , métaphore , hyperbole
,
Allégorie & parabole ,
Et cent noms qu'à citer je perdrois trop de tems ;
Du menfonge orateur font les noms différens .
En vain fa rare modeftie
Permet qu'on invoque Apollon ;
Je ne m'y méprens point ; il est le feul génie
Qui préfide au facré vallon .
Pere de toute illufion ,
Seul il peut fouffler la manie
De plaire par la fiction.
Vois- tu prendre aux vertus , à chaque paffion ,
Un corps , la parole & la vie ?
C'est lui qui les perfonnifie.
Il déraisonne enfin dans tout égarement
D'une bouillante fantaisie :
Qui , mentir agréablement
Fait tout l'art de la poëfie .
Que vois-je , cher Damon ? que d'objets raviffans
!
Arrêtons - nous à ce ſpectacle ,
Où tout eft chef- d'oeuvre & miracle ,
Où tout enleve l'ame en ſurprenant les fens.
Quel pouvoir divin ou magique
JUILLET. 1755. 41
Fait qu'une e pace fi borné
Paroît vafte à mes yeux , & le plus magnifique
Que jamais nature ait orné ?
Qui fçut y renfermer ces fuperbes montagnes ,
Ces rochers , ces fombres forêts ,
Ces fleuves effrayans , ces riantes campagnes ,
Ces riches temples , ces palais ?
Quel génie ou démon pour enchanter ma vûe ,
A fes ordres audacieux
Fit obéir le ciel , la terre & l'étendue ?
Sans doute , quelqu'il foit , c'eſt l'émule des
Dieux.
Une amufante fymphonie
Des chantres des forêts imite les accens !
Que dis- je ? roffignols , ah ! c'eft vous que j'entens
,
De vos tendres concerts la champêtre harmonie
Me fait goûter ici les charmes du printemps.
Des ruiffeaux , l'aimable murmure
Vient s'unir à vos fons dictés par la nature :
On ne me trompe point , tout eft vrai , je le fens .
Mais grands Dieux ! quel revers étrange !
Le plaifir fuit , la scène change ;
Eole à leur fureur abandonne les vents.
Quels effroyables fifflemens !
L'air mugit , le tonnerre gronde !
Un defordre bruyant , le choc des élémens ,
Tout femble m'annoncer le dernier jour da
monde !
42 MERCURE DE FRANCE .
Fuyons vers quelqu'antre écarté ,
Echappons , s'il fe peut , à ce cruel orage ..
Mais je rougis de ma fimplicité.
J'ai pris pour la réalité
Ce qui n'en étoit que l'image.
Ces murmures , ces bruits , ces champêtres concerts
,
Ne font dus qu'aux accords d'une adroite mufique
;
Et ces payfages divers
Sont les jeux d'un pinceau que dirigea l'optique.
Mais de ces arts ingénieux
Comment s'opperent les merveilles ?
Servandoni ment à nos yeux ,
Et Rameau ment à nos oreilles.
En un mot tout ment ici -bas ;
A cet ordre commun , il n'eft rien de rebelle .
Eh ! pourquoi l'univers ne mentiroit- il pas a
Il imite en ce point le plus parfait modele.
L'or des aftres , l'azur des cieux
Sont une éternelle impofture ;
Toute erreur invincible à nos fens curieux
Eft menfonge de la nature .
Mais tu verrois fans fin les preuves s'amaffer ,
Si j'approfondiffois un fujet fi fertile ;
Pour terminer en omets mille ,
Dans la crainte de te laffer..
Je te laiffe à pourſuivré une route facile ..
Réfléchis à loifir : & , tout bien médité ,
JUILLET. 1755 . 43
Tu diras comme moi que notre utilité
A prefque interdit tout azile
A l'impuiffante vérité.
Où fe reffugira cette illuftre bannie ?
L'abandonnerons-nous à tant d'ignominie ?
Non : retirons la par pitié.
Logeons la dans nos coeurs : que toute notre vie ,
Elle y préfide à l'amitié.
44 MERCURE DE FRANCE.
PORTRAITS
DE CINQ FAMEUX PEINTRES
J'Adn
D'ITALIE.
Jacques Baffan.
' Admire un heureux choix dans ces fujets
champêtres.
Ils mettent fous mes yeux l'efprit des livres
faints.
Quel pinceau ferme & gras ! non , non les plus
grand maîtres ,
D'un fuccès plus brillant n'ont pas eu leurs fronts
ceints.
Loin de noyer fa touche , il eft plein de franchife
,
L'expreffion s'y trouve , & l'effet en furprend.
Payfage , animaux , portraits , tout y maîtrife.
Tromper eft pour le Peintre un triomphe écla
tant.
Annibal Carrache.
La maniere , le goût qu'Annibal fe forma ,
A fes Maîtres enfin fervirent de modele.
De fon feu la Peinture avec foin l'anima ;
Et bientôt à Bologne il s'y montra fidele .
JUILLE T. 1755. 45
*
Quel ouvrage divin je vois la poësie
Applaudir au pinceau de ce fier féducteur ;
Et pleine du tranfport dont le beau l'a faifie
Elle fourit , embraffe , & reconnoît fa foeur.
Camille Proccaffini.
Qui préfente à mes yeux ces contours reffentis ?
Seroit-ce le pinceau d'un fecond Michel - Ange ?
L'ordonnance , la main , l'efprit , le coloris ,
Tout fe difpute ici le prix de la louange .
Ce corps vit , il fe meut par un pouvoir divin ,
L'expreffion ravit dans ce bel air de tête .
Si Camille à fa fougue eût toujours mis un frein ,
Nature l'eût créé fon premier interprête.
Paul Veroneze.
Que de feu , de grandeur , quelle magnificence !
Non , non , Peintre charmant , tu n'a point de
rivaux.
Plus ton pinceau s'éleve , & plus fon excellence
Immortalife tes travaux.
Tes chefs-d'oeuvres font ceux du génie & des graces
:
L'amateur éclairé les dévore des
yeux :
* On peut regarder la galerie Farnese peinte à
Pologne , comme un vrai poëme. Le Pouffin difoit
que dans cet ouvrage Annibal avoit furpallé tous
les Peintres , qui l'avoient précédé qu'il s'étoit
auſſi ſurpaſſé lui-même.
I
46 MERCURE DE FRANCE.
La nature partout y reconnoît ſes traces
Et s'étonne d'y voir le coloris des Dieux.
Carle Maratte.
>
La Peinture fourit aux graces de Maratte
C'est le reftaurateur du divin Raphaël.
Ce qui fait le grand Maître en fes tableaux éclate,
Il rend l'ame & les traits de la Reine du ciel .
A ce dernier talent * on crut qu'il ſe bornoit :
Mais peignant Conftantin qui renverſe l'idole ,
Il détruifit le faux bruit qui couroit.
En vain fa modestie aux honneurs s'oppofoit ,
Il en reçut au Capitole.
* On difoit qu'il ne fçavoit bien peindre que des
Vierges, fes confreres le nommoient par dériſion
Carluccio delle Madonne ; mais le baptiftaire de
S. Jean de Latran fit bientôt ceffer ce bruit.
JUILLET. 1755. 47
DIALOGUE
PAR M. DE BASTIDE.
La Ducheffe Mazarin , Saint- Evremond.
V
LA DUCHESSE.
Oudrez-vous toujours me paroître
extraordinaire ? Que dans l'autre
monde vous ne fentiffiez pas le ridicule de
votre paffion , à la bonne heure ; cela n'eft
pas tout - à - fait inconcevable . Quoique
vieux & prefqu'ufé , vous pouviez eſpérer
de faire naître un caprice ; j'étois vive &
légere , vous aviez de l'efprit , de la complaifance
, de la fineffe , beaucoup d'uſage
des femmes , toutes chofes qui avec du
tems & de la patience peuvent produire
les révolutions les plus fingulieres dans un
coeur de la trempe du mien. Mais à préfent
que pouvez - vous attendre de vos
beaux fentimens ? il n'y a plus de caprice
à eſpérer .
SAINT-EVREMOND.
Vous avez jugé de ma paffion par l'opinion
que les hommes vous donnoient
48 MERCURE DE FRANCE.
de l'amour permettez moi de vous dire
que vous ne l'avez pas bien connue . Il eft
un amour général que tous les hommes
fentent , auquel ils donnent les titres les
plus nobles , & fans l'empire duquel ils
auroient à un certain âge peu de vrais
plaifirs & peut être peu de vrai mérite.
Cet amour là eft l'effet naturel du feu de
l'âge on le place honnêtement dans le
coeur; mais il n'eft que dans le fang &
dans l'imagination . Celui qui le fent lui
donne une origine illuftre , & prend de
bonne-foi fes fenfations pour des fentimens.
Celui qui l'examine le réduit à ce
qu'il eft , & ne le diftingue point du defir
machinal, mais déguilé dès faveurs. Ce qui
fait qu'il aura toujours en fa faveur la prévention
publique , & qu'on ne le connoîtra
jamais pour ce qu'il eft véritablement ,
ou que fi on le connoît fon empire n'en
fera pas plus défert . Il eft un autre amour
beaucoup plus noble & beaucoup plus rare
que le premier. Il fe forme de l'impreffion
délicate de la beauté , de l'eftime fympathique
des vertus & des talens , de l'attrait
féduifant de l'efprit , du rapport des ames
& de la douceur de l'habitude . Il naît ,
s'augmente & fe foutient par le feul attrait
qui la fait naître. Le defir des faveurs ne
lui eft ni néceſſaire , ni étranger ; il deſire
avec
JUILLET. 1755. 49
avec délicateffe & jouit avec oeconomie.
Cet amour là eft l'effet de l'honnêteté de
l'ame & des réfléxions de l'efprit. Dans le
printemps de la vie , on le regarde comme
une idée de roman ; dans l'âge mur , on le
chérit comme un fentiment délicieux . Voilà
l'amour que je fentois pour vous & que je
fens encore : il eft précisément dans l'ame ,
il a trouvé la mienne telle qu'il lui en falloir
une , & il s'y eft confervé.
LA DUCHESSE.
Je ne vous concevois pas tout à l'heure ;
je vous conçois encore moins à préfent .
Si vous fentiez véritablement cet amour
fi délicat à qui les faveurs ne font pas néceffaires
, pourquoi étiez- vous fi jaloux des
préférences que je paroiffois accorder à
d'autres qu'à vous ? vous voyez bien que
cette feule contradiction entre vos idées
& vos fentimens prouve que vous venez
de peindre une chimere.
SAINT-EVREMOND.
Je vous retrouve bien dans vos jugemens
; mais votre vivacité n'a plus fur
mon efprit ce pouvoir dont elle abuſoit ;
la mort a détruit l'inégalité qui étoit entre
nos efprits , la matiere n'agir plus , je puis
wous fuivre & vous arrêter. Souffrez que
*C
fo MERCURE DE FRANCE.
je vous defabuſe . De ce que l'on gâte une
chofe , doit-on conclurre qu'elle n'exiſte
pas ? je gâtois l'amour pur dont je brûlois
pour vous , parce que j'avois connu trop
tard un amour délicat ; l'habitude des
plaiſirs avoit donné le ton à la machine ;
j'étois jaloux , parce que lorfque l'on a
trop accordé à la matiere , elle ne cede
jamais tout à l'efprit ; mais dans le fond
de mon coeur je rougiffois de ma jaloufie ,
je ne me diffimulois pas que j'étois encore
loin de mériter , de fentir la noble ardeur
dont vous me pénétriez .
LA DUCHESSE .
Cette noble ardeur & toutes vos belles,
idées n'étoient qu'une erreur de votre efprit.
Un fi parfait amour feroit mieux
connu des hommes s'il exiftoit réellement ,
on en verroit quelques traces dans le
monde , & je ne l'ai encore vû que dans
vos métaphifiques raiſonnemens .
SAINT-EVREMOND.
Je ne dirai pas qu'il foit bien commun ;
mais il n'eft pas fi rare que vous vous
l'imaginez , il y a même des coeurs à qui
feul il convient.
LA DUCHESSE.
Tant pis pour ces coeurs là. Les hommes
JUILLE T. 1755-
51
font faits pour penfer tous de même ; ceux
qui fe féparent du corps général , fût- ce
pour penfer mieux , ont moins de plaifirs
& plus de peines ; ils trouvent plus de difficulté
à s'affortir , ils font heureux fans
témoins ; s'ils en ont , leur bonheur paffe
pour un ridicule , il faut qu'ils paffent leur
vie à le juftifier , ils trouvent à peine le
moment d'en jouir.
SAINT- EVREMOND.
Ils l'augmentent en le juftifiant , ou
bien ils dédaignent d'en prendre la peine ;
ils fe contentent d'être heureux en euxmêmes
. Croyez - vous que le bonheur ne
dans l'éclat ?
foit
que
.2 11
LA DUCHESSE.
Si ce que vous foutenez étoit vrai , je
trouverois tous les hommes à plaindre. Ils
ne feroient plus heureux qu'en particulier ,
il n'y auroit plus entr'eux cette fociété que
leurs plaifirs forment. Croyez moi , il faut
aux hommes plufieurs objets de bonheur :
fi vous diminuez le cercle de leurs plaifirs ,
vous diminuerez celui de leurs intérêts &
de leurs idées . Le monde entier ne fera
plus pour chacun qu'un très - petit efpace ;
à une ligne du point de leur félicité , il n'y
aura plus rien qui mérite leurs foins : le
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
monde ainfi divifé fera bientôt détruit ; il
faut que les chofes foient comme elles
font , elles n'auroient pas tant duré fi elles
n'étoient pas bien.
La naifance de l'ennui , conte traduit de
l'Anglois , par Miss Rebecca.
Au fiècle d'or où l'on ne croit plus guères ,
Pandore n'avoit point reçu le don fatal ,
Qui recéloit notre miſere ,
Et le bonheur n'étoit mêlangé d'aucun mal.
Point de ces noms affreux d'homicide & de guerre
Qu'enfanta le tien & le mien ;
L'innocence regnoit , on s'en trouvoit fort bien :
Source des vrais plaifirs elle en peuploit la terre ,
Chaque mortel avoit le fien.
Dans ces jours fortunés Aliſbeth prit naiffance.
Son pere étoit pafteur , devot envers les Dieux ,
Autant qu'Enée étoit pieux ,
Bon , généreux ; mais que fert qu'on l'encenſe ?
Les hommes l'étoient tous , & pour le peindre
mieux
Il avoit avec eux parfaite reffemblance ,
Et rien ne le diftinguoit d'eux .
Il cheriffoit fon fils , & de fa deſtinée
Voulant pénétrer le fecret ,
Que fon ame fut étonnée
Lorfqu'on lui prononça ce funefte decret ;
JUILLET. 1755. 53 .
( » De l'ennui dévorant ton fils fera la proye. ) .
Ce monftre encor n'exiftoit pas :
Mais l'Oracle annonçoit qu'il viendroit à grands
Le
pas ,
Et qu'il feroit l'ennemi de la joie.
On fe peint aifément ce que dût reffentir
pere d'Alifbeth ; fa douleur fut amere.
Mais plus le fort menace une tête fi chere ,
Plus il cherche à la garentir.
Plaifir , ce fut à vous qu'il remit fon enfance ;
Par mille jeux nouveanx vous filiez fes loisirs ,
Et du vent de votre aîle , écartant la licence ,
Vous allumiez fes innocens defirs .
Alifbeth cependant formoit fouvent des plaintes ,
Inftruit du fort qui l'attendoit.
Toujours tremblant il fe perfuadoit
L'ennui moins cruel que fes craintes.
Quand le plaifir s'éloignoit un inftant ,
Il fentoit augmenter fon trouble.
Refléchiffons , dit- il : fi ma frayeur redouble
Quand je vois échapper ce Dieu trop inconftant ;
Fixons-le pour toujours , c'eft me rendre content ,
Et detourner les malheurs de l'Oracle.
Ce projet n'avoit pas peu de difficulté ;
Mais de tout tems fut cette vérité
Que le defir s'accroit par un obftacle.
Un jour que le plaifir dormoit ,
Ravi d'avoir trouvé ce moyen falutaire
De diffiper tout ce qui l'allarmoit ,
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
Alifbeth s'enfonça dans un bois folitaire.
Là , par quelques mots enchanteurs ,
Dont il connoiffoit l'énergie ,
Il invoqua les noires Soeurs ;
( Heureux , s'il eût toujours ignoré la magie ! )
Trop favorables à ſes voeux
Les Parques près de lui bientôt fe raffemblerent ;
On dit qu'à leur afpect hideux
Tous les fens d'effroi ſe glacerent ,
Et que du trio ténébreux
Pour la premiere fois les fronts fe dériderent.
Filles du Stix , puiffantes Déités ,
Dit Alifbeth , voyez un miférable ,
Qui pour finir fon deftin déplorable ,
N'efpere plus qu'en vos bontés .
Fiere Atropos , c'est toi que je réclame ;
Prêtes moi tes cifeaux , qu'ils m'ôtent du danger ;
Si d'un inſtant de trop ce fil va s'alonger :
Ah ! que toi ni Cloto n'en craigne point de blâme
;
Celui dont elle ourdit la trâme ,
Te bénira de ne point l'abréger.
Lachefis à ces mots fourit avec malice ,
Et les trois Soeurs qu'amufent nos revers ,
Voulurent fervir un caprice ,
Qu'elles jugeoient funefte à l'univers .
Aliſbeth en obtient le dépôt qu'il demande ,
Au Dieu qu'il veut fixer il vole promptement ;
Il fommeilloit encor , il faifit ce moment.
JUILLET. 1755 .
Les aîles du plaifir font la premiere offrande ,
Que l'ennemi qu'il appréhende
Reçoit de fon égarement :
Mais déja le plaifir qu'une flateufe image
Dans les bras du repos avoit trop arrêté ,
Pour éprouver la trifte vérité
Voit diffiper cet aimable nuage.
Il s'éveille , & cédant à fa pente volage
Veut fuir avec légereté.
Ses efforts pour la liberté
L'inftruifent de fon esclavage.
Des inutiles foins qu'il mettoit en uſage
Alifbeth fe faifoit un jeu ;
Mais que fon bonheur dura peu.
Chaque inftant fon captiflui femble moins aima
ble ;
Il lui
devient
bientôt
indifférent
,
Au bâillement qui le furprend
Succéde un dégoût véritable :
II foupire , & le Dieu justement irrité !
Lançant un regard effroyable ,
Lui montre ainfi le fruit de ſa témérité.
Malheureux ! qu'as - tu fait des chaînes éternelles
Ponr caufer tes regrets me fixent aujourd'hui ;
» Ton horoscope eft accompli ;
» Le plaifir privé de fes aîles
>> N'eft autre chose que l'ennui.
Civ
56, MERCURE DE FRANCE.
Lettre apologétique d'un Gentilhomme
Italien à M. l'Abbé Prevot.
Sur l'article du Journal étranger de Janvier
1755 , qui a pour titre Introduction à
la partie hiftorique.
Plaine morale que vous avez répandue
Lus l'Italie a fçu apprécier & goûter la
dans vos Romans , chefs - d'oeuvre d'une
imagination vive & féconde , & d'un coeur
qui fans effort a adopté la vertu & réprouvé
le vice , plus elle a dû être fenfible aux
idées defavantageufes que vous donneriez
de fes habitans à qui n'en jugeroit que
d'après vos fuffrages. Mere des fciences &
des arts elle fe voit à regret accufée par
un juge auffi intégre qu'éclairé , d'en être
devenue la marâtre , & de n'avoir pas vou
lu conferver chez elle ce goût même qui y
avoit pris naiſſance.
Affez malheureux pour être né dans un
pays qui nefe reffemble plus , je le ne fuis pas
au point de négliger entierement fa réputation
. L'amour de la patrie, peut- être le
defir d'être éclairé par vos lumieres , m'ont
fait entreprendre fa juftification. Ces deux
principes qui me guident , méritent l'inJUILLET.
1755. 57
dulgence d'un auteur vertueux : daignez
en leur faveur pardonner à un étranger
des fautes de ſtyle ou de langage.
vous ,
Tous les étrangers conviennent , dites-
Monfieur , que cette belle partie de
Europe n'est plus que la dépofitaire oifive
des travaux de fes ancêtres ; les écoles n'y
font plus des corps fubfiftans de peinture ...
L'art refte encore ; mais les ouvriers manquent
à lart .
Sans entrer dans une difcuffion , qui n'eſt
point de ma compétence , fur la derniere
de ces phrafes , qui pourroit être regardée
même par un François comme peu intellible
, permettez que j'en examine ce qui
fait mon objet : La vérité.
Pour que l'Italie fut la dépofitaire oifive
des travaux de fes ancêtres , il faudroit
néceffairement , de deux chofes l'une , ou
qu'on n'y travaillât plus du tout dans les
mêmes genres , ou qu'on trouvât ( .chez
fes voisins qui fe font élevés , tandis qu'elle
s'eft mal foutenue ) des Artiſtes fort fupérieurs.
Quant à la premiere de ces propofitions
il faudroit , Monfieur , que vous cuffiez
paffé vos jours dans le trifte tombeau de
Selima , pour ignorer avec quelle ardeur
on cultive encore en Italie la peinture , la
fculpture & l'architecture .
Cv
58 MERCURE DE FRANCE..
La feconde propofition mérite un peut
plus d'être difcutée.
Quoiqu'il foit peut- être vrai que nous
ne fuivions
pas d'affez près les grands modeles
du fiécle de Léon X , il faut voir fi
les arts de l'Italie font fi fort dégénérés
dans le nôtre , qu'on ne puiffe les comparer
à ceux de fes voifins.
Peut-être , Monfieur , avec l'étendue
de connoiffances que vous poffedez , découvrirez-
vous parmi eux des Peintres fupérieurs
à l'Espagnolet , au Tréviſan , à Sebaftien
Coucha , à Solimene , à Carle Maratte
, au Tripolo , au Piazzetta , au Panini
tous de ces derniers tems , & dont quelques-
uns jouiffent encore de leur réputation.
La France qui a fur ce point le tort
de ne pas penfer comme vous , tache en
attendant d'enrichir fes galeries des ouvrages
de ces Artiſtes médiocres , guidés uniquement
par leur instinct mêlé de goût &
de raifon , tandis que notre pauvre Italie
n'a pas encore décoré les fiennes des morceaux
rares & précieux de vos Peintres
modernes non qu'elle leur refufât le génie
& le talent , mais parce qu'elle les croiroit
un peu moins approchant des grands
modeles de Raphaël , du Titien , des Carraches
dont elle eft l'oifive dépofutaire. Les
noms fameux de leurs fucceffeurs que je
JUILLET. 1755. 59
viens de vous indiquer , vous prouveront
du moins les ouvriers ne manquent
point à l'art , au moins dans ce genre.
que
L'architecture & la fculpture s'y fou
tiennent de même avec un vif empreffement
d'atteindre à la perfection des grands
modeles . Un homme de condition qui s'eft
adonné en homme de génie * au premier
de ces arts , ne nous laifferoit point regretter
le fiécle de Vitruve , s'il ne falloit
que du talent pour exécuter de grandes
chofes. Tout ce qui nous refte de la belle
antiquité , eft devenu inimitable ; non
pas faute de goût ni de lumieres dans nos
artiftes , mais faute de moyens dans ceux
qui les emploient . Où prendroient nos
Architectes les fonds néceffaires à la conftruction
de ces thermes , ces amphithéatres
, ces cirques , ces arcs de triomphe ,
ces temples , ces palais , ornemens de l'ancienne
Rome ? Maîtreffe de l'univers elle
pouvoit fournir à ces dépenfes prodigieufes
. Des Etats dont les bornes font refferrées
, les revenus médiocres , les citoyens
peu riches , ne peuvent fans donner dans le
ridicule , envifager de fi grands objets.
Pour juger fainement du talent des Ar-
M. le Comte Alfieri , Architecte de S. M. le
Roi de Sardaigne.
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
tiſtes, il faut examiner fi dans la proportion
des moyens , leurs ouvrages ont atteint le
vrai beau. Sans remonter plus haut que le
Pontife regnant , je ne vous citerai de Rome
que la feule fontaine de Trevi : oppofez-
lui , Monfieur , la plus belle des vôtres.
Ecoutez vos Artiſtes même les plus diftingués
, vos Académiciens jufqu'au Mécene *
qui dirige , qui éclaire , qui anime leurs
travaux , tous éleves de l'Italie , ils lui doivent
trop pour ne pas prendre fa défenfe .
Ce feroit entrer dans une difcuffion dont
on eft déja fatigué , que de m'étendre ici
fur notre Mufique ; il fuffit qu'en général
on lui accorde la fupériorité.
J'aime fi fort , Monfieur , à m'en rapporter
à vos décifions , que je ne vous
difputerai point l'origine de la langue
italienne . Je crois avec vous qu'elle tire
fa fource du Grec & du Latin ; mais je ne
fçaurois vous paffer , Monfieur , cette application
que vous nous fuppofez à décliner
de notre fource : nous y puifons.
journellement , non feulement les termes ,
mais les phraſes entieres ; & nos Académiciens
della Crufca en adoptent entierement
la fyntaxe. Ce n'eft , décidez -vous , qu'à
Rome & à Florence qu'elle fe conferve dans
toute fa pureté. Mais que diriez - vous de
quelqu'un qui affureroit qu'on ne parle
JUILLET. 1755. 61.
François qu'à Blois , & Allemand qu'à
Leipfick ? Vous avez confondu avec la
langue même les différens idiômes du même
peuple que vous appellés en France
patois. Penfez-y , Monfieur , & lifez nos
écrits modernes , vous verrez que les gens
de lettres parlent ou du moins écrivent
auffi-bien à Naples qu'à Rome , à Padoue
qu'à Florence , & ainfi de toutes les langues
de l'univers.
Pardonnez , fi j'appelle auffi de l'arrêt
que vous prononcez fur le mérite de cette
langue : Vous avez la bonté de lui accorder
la moleffe & la douce harmonie, mais
vous lui refuſez la force & l'énergie :
Souffrez , Monfieur , une queftion qui ne
doit jamais offenfer un homme de lettres
lorfqu'il cherche la vérité. La connoiffezvous
affez cette langue & les morceaux de
force qu'elle a produits , pour donner un
certain dégré d'autenticité à l'oracle que
vous prononcez ? Lifez , s'il vous plaît ,
ces huit ou dix vers que je cite au hazard ,
de quelqu'un qui n'eft pas auteur de profeffion
* , ( c'eft le defefpoir d'un amant ; )
vous me direz de bonne foi fi vous connoiffez
un crayon plus noir & plus énergique.
* M. le Comte Pietro Scoți de Sarmato.
62 MERCURE DE FRANCE.
Tra balge & rupi inpenetrabile fia
Latro ritiro ; urli di lupi ogn'ora ,
Turbino i fonni , e la nafcente aurora »
Tarda ritorni a ricondurre il giorno.
Forbida luce de Digiuno fuoco .
Qual ne i fepolcri la pietá racchiude
O poco fcemi , o crefca orrore al loco,
Qui federommi al mio dolor Vicino ,
Stanco d'effer materia all ' atra incude
Del fiero amore del crudel deftino.
Je me flate , Monfieur , que vous ne
refuferez pas plus à ces vers la force &
l'énergie que le fon & l'harmonie : La
peinture y eft affreufe , mais d'une vérité
frappante ; & ne diroit- on pas que l'ima
gination qui en a broyé les couleurs , avoit
pris fes nuances dans Cleveland , ou l'Homme
de qualité ?
λ
Mais laiffons enfin les arts agréables
pour nous élever jufqu'aux fciences fublimes.
Je fuis trop preffé de vous remercier
au nom de toute ma nation de ce que
vous lui permettez d'avoir fes Hiftoriens ,
fes Philofophes & fes Poëtes , pour m'ar
rêter plus long-tems à des objets fur lef
quels je crois l'avoir fuffisamment juftifiée.
Je crois voir cependant que ce petit éloge
n'eft qu'un buiffon de fleurs deftiné à cacher
un ferpent : J'apperçois trop que vous
JUILLE T. 1755. 03
.
nous refufez la folidité néceffaire pour
les recherches profondes , la jufteffe d'efprit
fans laquelle on ne peut imaginer ,
fuivre & détailler un fyftême , la longue
& patiente méditation par laquelle on parvient
à la connoiffance des vérités philofophiques.
MM. d'Alembert & Clairault ,
Mathématiciens françois , que l'Italie fait
gloire d'honorer & de refpecter , vous diront
cependant qu'ils eftiment un Marquis
Poleni , un Zachieri , & beaucoup d'autres
dont les noms peut- être vous font inconnus
des études différentes détournoient
votre attention ) ; mais ils n'ont
point échappé aux autres Mathématiciens
de l'Europe. M. Morand , que les étrangers
n'en eftiment pas moins , parce que
la France l'admire , daigne avouer Morgagni
& Molinelli . Vous n'avez point de
Botanifte qui ne faffe le plus grand cas de
Pontedera , & la Tofcane feule fournit
plufieurs Naturaliftes dont les Buffon &
les Réaumur n'ignorent dès long-tems ni
l'existence ni le mérite . Ajoutons à ces
noms célebres deux femmes illuftres dignes
rivales de votre Emilie , Mefdames Baffi &
Agnefi que les Italiens & les étrangers admirent
également , & dans leurs profonds
écrits & dans les chaires de Profeffeurs ,
que la premiere remplit à Bologne.
64 MERCURE DE FRANCE.
Si vous aviez connu , Monfieur , tous
ces noms déja confacrés dans les faftes
du fçavoir , auriez vous foupçonné nos
Philofophes de ne pouvoir fe garantir des
préjugés de la Magie & de l'Aftrologie 2 à
ce foupçon ma réponſe eft bien fimple
Long - tems avant les procès fameux de
Gauffredi , d'Urbain Grandier , de la Maréchale
d'Ancre & d'autres affaires d'éclat
qui plus récemment ont occupé la France ,
nos Philofophes & nos fçavans ne parloient
déja plus de Magie. A l'égard de
l'Aftrologie lifez vos hiftoriens , ils vous
diront que la France commença de s'en
entêter lorfque l'Italie achevoit de s'en
defabufer ; mais avouons de bonne foi
qu'on s'en moque aujourd'hui autant d'un
côté que de l'autre.
,
J
» Il s'en faut beaucoup que l'Italie mo-
» derne ait des modeles à nous offrir , ni
» qu'elle approche de ceux qu'elle a reçus
» comme nous de l'Italie latine . Tel eft ,
Monfieur votre jugement au fujet de
l'hiftoire ; il eft vrai que nous n'avons plus
les Tites Live , les Salufte , les Tacite
& c , mais nous refuferez - vous Guicciardin
, Macchiaveli , Bembo , Davila , Frapaolo;
& de nos jours les Gianoni , les
Muratori & les Burnamici . Vous avez
affurement lû ces hiftoriens , convenez
JUILLET. 175 5 :
qu'ils auroient mérité votre approbation .
Sur l'éloquence de la chaire , vous êtes
encore en défaut ; vous nous accufez ,
Monfieur , d'un vice que nous condamnons
dans le mauvais fiécle du Seicento
où les Bifchicci , les Allegories , & mille
autres puérilités de même nature remplaçoient
fouvent la morale , l'onction & let
raifonnement . Revenus nous - mêmes de
notre erreur paffée nous déplorons les fautes
de nos ancêtres , & nous blâmons autant
les modernes qui y retombent que
ceux qui nous condamnent fans nous connoître.
Que répondriez-vous à un critique
qui jugeroit vos prédicateurs fur les fermons
de Coiffereau , ou fur les capucinades
de vos Miffionaires.
Je ne vous fuivrai point à la piſte dans
le labyrinthe des phrafes un peu entortillées
, où vous déclamez contre notre genre
dramatique : Je ne vous faifirai qu'au paffage
, où vous imaginez ne pas bleffer la
vraiſemblance en ofant avancer qu'en Italie
c'est l'imperfection de la fociété , le peu de
commerce entre les deux fexes qui a retardé
les progrès du théatre comique . Je reſpecte
trop les gens
de lettres , & vous particu-:
lierement , Monfieur , pour vous paffer
les propofitions que vous hazardez à ce
fujet.
,
66 MERCURE DE FRANCE.
A
Vous , Monfieur , qui fçavez , & qui
nous apprenez fi bien les moeurs de tant
de peuples dont on connoit à peine les
noms , comment avez - vous pu imaginer
les deux fexes auíli féparés que vous les
fuppofez en Italie ? fi moins attaché à vos
Penates vous aviez daigné employer quel
ques mois feulement à la connoiffance de
nos climats , vous auriez vû avec plaifir
que les deux fexes y font bien plus réunis
qu'à Paris. Là au lieu de fe raffembler a
T'heure d'un fouper on fe voit toute la
journée , toutes les maifons font ouvertes
à la bonne compagnie depuis le matin juſ
qu'affez avant dans la nuit , coutumé qui
rend inutile chez nous l'établiffement de
ces petites maiſons où chacun à Paris fem
ble chercher plutôt un afyle pour la liberté
& pour le plaifir qu'un théatre du fentiment
& des grandes paffions.
Je ferai , fi vous voulez , un peu plus
d'accord avec vous fur la rareté que vous
croyez voir en Italie de certains ouvrages
de pur agrément , tel que les pieces fugiti
ves , les effais , les mêlanges de littérature &
de poësie , & tant d'autres productions lé
geres dont la France abonde , & qui peuvent
recevoir le nom de liberiinage d'esprit.
Mais hélas ! Monfieur , croiriez- vous de
bonne foi que nous duffions tant vous en
JUILLET. 1753. 207
vier cette abondance , & vous fembler fi
fort à plaindre de n'écrire guères que pour
notre raiſon ?
Telles font , Monfieur , les obfervations
que j'ai crû devoir faire fur votre introduction
à la partie hiftorique. Avec moins
d'envie de mériter vos éloges , j'aurois
peut-être négligé la défenſe de ma patrie.
Je vous crois trop d'efprit , de modération
& d'impartialité pour ne pas m'en fçavoir
quelque gré. Un Journal étranger eft fait
pour plaire à toute l'Europe ; il ne faut
donc point qu'il prenne trop le goût du
terroir qui l'a produit ; & fi jamais il étoit
permis de s'écarter du vrai , du moins il
feroit plus fûr de flater que de cenfurer
trop légerement des nations entieres : celles-
ci pourroient à leur tour apprécier trop
vite l'auteur fur l'étiquete de l'ouvrage.
68 MERCURE DE FRANCE.
LeE mot de l'Enigme du fecond volume du
Mercure de Juin eft les Quilles. Celui du
Logogryphe eft Matadores , dans lequel on
trouve modes , Sem , or , atômes , dôme , Eft,
orme, amer, rame , rat , mets ; Mars , Dieu ;
armes ; Mars , planette ; Mars, mois ; mars,
ou fer ; Adam , mot , ame , dames , damas ,
mort , Mores , Arts , dot , aftre , des , Rome ,
dam , os , dés , mer , Ode , re.
Cing
ENIGM E.
Inq voyelles , une confonne
Forment mon nom ;
Et je porte fur ma perfonne
De quoi l'écrire fans crayon.
JUILLET. 1755. 69.
Q
LOGOGRYPHE.
Uatorze pieds , Lecteur , forment mon exiftence
;
Je fuis depuis long- tems fameux & d'importance.
De villes dans mon fein je renferme un Etat :
Des mortels dont la taille eft peu propre au combat
,
D'autres qui fe peignoient le corps & le vifage ;
Le Dieu qui le premier mit la flûte en ufage ;
Le champs fatal qui vit périr tant de Romains ;
Un feuve dans l'Egypte , un faint Evangéliſte ;
La femme de Jacob , un grand naturaliſte :
Le roi des animaux , l'adjoint de Marius ;
Ce qui fit expirer la femme de Brutus;
Un nom propre à la mer , une vierge voilée ;
Un arbre peu commun pour border une allée,
Ce fyftême fondé fur bien des accidens ,
Qui procure du pain quand on n'a plus de dents.
Un fort qu'on eût furpris fans le bruit que fit
l'oye
Un vin rouge excellent que d'Efpagne on envoyé
La mere d'Apollon , du Pape un Député ;
Un ami de Dion , Philoſophe vanté.
Le pere de Jafon , un fameux Aftronome ,
Et l'auftere Cenfeur qui fut l'appui de Rome,
70 MERCURE DE FRANCE ..
}
CHANSON.
Tircis voyant que fa Lifette
S'attendriffoit en l'écoutant ,
N'avoit recours qu'à ſa muſette ,
Et ne s'exprimoit qu'en chantant .
Tu m'enchantes , dit la folette ;
Mais veux-tu chanter tout le jour ?
Hé , quoi ! Tircis , le tendre amour
N'a-t-il donc pas d'autre interprête?
Vois-tu fous ce naiffant feuillage
Ces oifeaux badiner entr'eux ?
Ils interrompent leur ramage.
Pour prouver autrement leurs feux.
Tes tendres chants & ta mufette
Peuvent m'amufer à leur tour ,'
Mais , quoi ! Tircis , de tendre amour
N'a-t-il donc pas d'autre interprete ?
Sur l'Air du Majeur.
510
Amans , qui près d'une coquette
Croyez la charmer par vos fons ,
Sachez qu'ainfi que pour Lifette ,
Chanfons pour elle font chanſons.
Vos tendres chants , votre mufette ,
Peuvent l'amufer à leur tour ?
Mais pour mieux exprimer l'amour
Changez quelquefois d'interprete.
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATION
CHANSON
Nouvelle
Majeur.
ircis voyant que sa Li - sette
'attendrissoit en l'coutant
avoit recours qu'a sa
Musette
Et ne s'exprimoit qu'en chantant
Ө
Tu m'enchantes, dit la Follette
Mais vene tu chanter toutlejour?
O
He quoi? Circis, le tendre Amour
Vatil donepas d'autre interprete?
Mineur.
3 же
Vois tusous ce naissantfeuillage
Ces Oiseaux ba - di-ner entre euer.
Is interrompent leur Ramage
Courprouver autrement leurs penge
-Ө
Penseut m'amieser à leur tour
*O
Maisquoi ?Cirois, le tendre Amour,
+
Vat-il donopas d'autre in terpre-le?
La Musique est deM.Dexx et Beauvais
Fuillet 1755.
1
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
'
JUILLET. 1755. 71
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
EMOIRES du Comte de Banefton ,
Mécrits par le Chevalier de Forceville,
en deux parties in- 12 . Se trouvent chez
Duchefne , rue S. Jacques , au Temple du
Goût , 1755.
L'expofition de ce roman excite la curiofité
la plus vive . Un françois enterré
tout vivant au nord de l'Angletterfe dans
une maiſon iſolée , où il n'eft fervi que
par un payfan & une payfanne qui ne l'entendent
pas , où perfonne n'entre jamais.
Un homme enfin qui ne paroît point le
jour & qui ne fort que la nuit , annonce un
héros fingulier dont on brûle de fçavoir
Thiftoire. Le Chevalier de Forceville qui
arrive dans ce pays pour y recueillir une
fucceffion , parvient par un incident que
je fupprime à pénétrer dans ce tombeau.
Il reconnoît dans le cadavre animé qui
l'habite , le Comte de Banefton qu'il a vû
autrefois en France , & dont il étoit l'ami .
Il veut l'obliger de retourner avec lui dans
fa patrie; mais tout ce qu'il peut en obrehir
eft de lui apprendre les raifons qui
72 MERCURE DE FRANCE.
l'ont déterminé à s'enfevelir dans cette habitation
fauvage. Il lui fait un récit détaillé
de fa vie. Il lui conte d'abord les premiers
écarts de fa jeuneffe ; c'eft la partie de ce
roman la moins intéreflante : elle n'eft
qu'une foible imitation des confeffions du
Comte de .... La feconde attache beaucoup
plus par le beau caractere de Mlle de
Mareville , qui joint à la naiffance , aux
grands biens , les graces extérieures & toutes
les beautés de l'ame , une douceur furtout
qui la rend adorable & qui méritoit
un fort plus heureux. Elle préfère le Comte
de Banefton à tous fes rivaux : il eft le plus
heureux des maris ; mais l'auteur donne à
cette femme accomplie une rivale trop
odieufe. Le contrafte eft révoltant : on n'a
jamais réuni tant de noirceur ; c'eſt une
charge de Cleveland . Léonore dont le nom
elt trop doux à prononcer pour le donner
à un monftre fi noir & fi barbare , Léonore
, dis-je , furpaffe en cruauté Cléopatre
dans Rodogune , & qui plus eft Atrée.
Les crimes de la premiere ont pour objet
le trône , qui les ennoblit, & ceux de l'autre
font fondés fur la plus cruelle des injures ,
qui motive fa vangeance ; mais l'exécrable
Léonore eft méchante pour l'être. Elle ne
s'eft déterminée à fixer fa demeure près de
la terre du Comte de Banefton , & à fe lier
avec
JUILLE T. 1755. 73
avec fon aimable époufe , que dans l'affreufe
vûe de troubler de gaité de coeur
leur union vertueufe. Elle n'employe l'art
le plus raffiné pour captiver le coeur du
mari , que pour percer celui de la femme.
Comme le crime féducteur réuffit toujours
mieux que la vertu fans artifice , elle parvient
à fe faire aimer du Comte de Banefton
en dépit de lui-même , elle le rend
non feulement coupable , mais encore imbécile
au point de l'engager à quitter la
France & à fe rendre à Venife avec elle ,
exprès pour l'aider à cacher plus facilement
un accouchement adultere . Elle a même
l'impudence de mettre la Comteffe de la
partie avec fon fils unique , fans oublier
la gouvernante . Cet étrange voyage eſt
ainfi arrangé pour la commodité du roman .
La barbare Léonore avoit befoin de fe
faire accompagner de toute cette famille
infortunée pour l'immoler fucceffivement à
fa fureur. Elle fait noyer la gouvernante ,
elle précipite le fils du haut d'une terraffe ,
empoifonne la mere : le Comte lui-même
eft fur le point de fubir un pareil fort
avoir refufé d'époufer cette furie après la
mort de fa femme ; mais par une jufte
méprife Léonore perit du poifon qu'elle
avoit deſtiné à fon amant , & lui fait en
expirant l'aveu de toutes ces horreurs. Le
D
pour
74 MERCURE DE FRANCE.
Comte de Banefton déchiré de douleur
fait enbaumer les corps de fa femme & de
fon fils , & va s'enterrer avec eux au fond
de l'Angleterre , d'où rien ne peut le tirer .
Cette complication de cruautés accumulées
les unes fur les autres bleffe la vraifemblance
autant que l'humanité. De tels
monftres n'existent point dans la nature ,
ou s'il s'en trouve un par hazard , il faut
l'étouffer & non pas le peindre. L'auteur
paroît avoir du talent pour traiter le roman
dans le grand intérêt ; il a dans M. l'Abbé
Prevôt un excellent maître en ce genre :
mais on doit l'avertir de ne pas outrer fon
modele. Qu'il donne de la force à fes caracteres
plutôt que de la noirceur , & qu'il·
tâche de nous attendrir fans nous effrayer.
HISTOIRE & regne de Louis XI ,
par Mlle de Luffan , 6 vol . A Paris , chez
Piffot , quai de Conti , 1755.
On peut compter Mlle de Luffan parmi
nos bons écrivains. Le roman où elle a excellé
l'a placée à côté de l'auteur de Cleveland.
L'hiftoire où elle réuffit l'approche
du Tacite * françois.
Louis XI eft dédié à S. A. S. Mgr le
Prince de Condé . V. A. S. dit l'auteur >
y verra les manoeuvres fourdes & mena-
* M. Duckos.
JUILLET. 1755. 75
gées de ce Monarque ; en oppofition
avec la véhémence & la préfomption de
Charles dernier Duc de Bourgogne , &
par quelles routes différentes leur haine
réciproque fe manifefte. Ce contrafte ( ſi
j'ai bien traité cette hiftoire ) doit y jetter
un genre d'intérêt qui donnera matiere à
d'utiles réfléxions.
Voilà l'idée générale de l'ouvrage & fon
bût particulier expliqués en peu de mots.
Je n'en puis donner un meilleur précis , &
je m'y borne.
' HISTOIRE de Louis XII , 3 vol. A
Paris , chez Lottin , rue S. Jacques , au
Coq , 1755
mens ,
Elle est précédée d'une préface , où l'auteur
nous dit que I hiftoire eft un pédagogue
agréable , un cenfeur poli & un prédi
sateur perfuafif, tout muet qu'il eft. Il
ajoûte que l'hiftoire générale du monde
nous préfente pour l'ordinaire des événedont
la plupart nous font tout- àfait
étrangers , des perfonnages que nous
n'avons que peu ou point d'intérêt de connoître
, & des moeurs fouvent incompatibles
avec les nôtres : que l'hiftoire de notre
pays au contraire nous met fous les yeux
une fuite de faits qui nous touchent , des
perfonnages avec lesquels nous partageons
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
la gloire ou le deshonneur , & des moeurs
qui deviennent la régle des nôtres. C'eſt
une vérité fenfible qu'on ne peut conteſter ;
mais ce qu'il hazarde dans une note au
commencement de fon premier livre , me
paroît plus difficile à accorder. On ne
trouve , dit-il , dans aucun auteur le tems
» de la naiffance de Louis XII ; mais il eft
» certain qu'il eft né au mois de Mars 1462 .
Si aucun écrivain n'en a parlé , fur quoi
fonde-t- il fa certitude ?
و ر
On fera peut- être bien aife de voir le
portrait qu'il fait d'un Monarque que fa
bonté a rendu fi intéreffant. Le voici :
Les exercices du corps rendirent ce
Prince fi nerveux , qu'il n'y avoit point de
jeunes Seigneurs de fon âge qu'il ne terrafsâr
. Pour ceux qui étoient d'un âge plus
avancé & d'un tempéramment plus vigoureux
, il entroit volontiers en lice contre
eux ; & s'il n'avoit pas la gloire de remporter
la victoire , il avoit celle de n'être
vaincu & de fortir du combat à armes
pas
égales. Au jeu , il étoit charmant ; il regardoit
la perte & le gain avec la même
indifférence ... Il lui étoit ordinaire de
remettre à ceux qui jouoient contre lui la
perte qu'ils faifoient , ou de diftribuer aux
affiftans. le gain provenant du jeu. A ces
avantages , Louis réuniffoit une phifionoJUILLE
T.
1755 77
mie peu commune . Il avoit les yeux écine
cellans comme le feu , le nez un peu long
& retrouffé , les traits du vifage tels qu'u
ne femme touchée des charmes de la beau
té pourroit les fouhaiter. Il étoit de moyenne
taille , mais extrêmement fort & robuftes
Par la conftitution de fon corps , qui étoit
bonne & faine , il jouiffoit d'une fanté
parfaite , dont il étoit fans doute redevable
à fa tempérance , au travail & aux exercices
du corps.
A cette peinture de Louis XII , je vais
joindre le portrait de Louis XI , par Mile
de Luffan . Par la comparaifon , le lecteur
fera mieux en état de décider lequel des
deux auteurs a mieux faifi la reffemblance
& le vrai coloris , c'eft - à-dire cette élégante
fimplicité , & cette vérité précife que l'hif
toire demande. C'eſt à lui de prononcer
je m'en rapporte à fon jugement.
Louis XI , dit Mlle de Luffan , n'avoit
pas reçu de la nature les mêmes avantages
que Monfieur ; il étoit grand fans avoir
bon air, Il fe courboit un peu & affectoit
de ne porter que des habits fimples ; il n'en
mettoit de riches que les jours de cérémonie.
Alors on ne pouvoir difconvenir qu'il
n'eût l'air d'un Prince..
L'inégalité de fes traits fembloit marquer
les variations de fon caractere. Sa tête
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
n'étoit ni groffe , ni petite , & s'élevoit un
peu en pointe. Il avoit le front petir , les
yeux gros , à fleur de tête & vacillans , le
teint blanc & uni , les cheveux courts , les
narrines larges , les levres groffes & vermeilles
, les dents belles , le menton pointu
, le cou délié & un peu court , la poitrine
étroite , les mains & les bras longs
& menus , les cuiffes maigres ; la jambe
bienfaite , quoiqu'il marchất mal.
Le DICTIONNAIRE APOSTOLIQUE
à l'ufage de MM. les Curés des villes & de
la campagne , & de tous ceux qui fe deftinent
à la chaire , par le P. Hyacinte de
Montargon , Auguftin de Notre - Dame
des Victoires , Prédicateur du Roi , Aumônier
& Prédicateur du Roi de Pologne.
Duc de Lorraine & de Bar , tome 8 , & 2°
& dernier des myfteres , vol. in- 8 ° . 4 liv .
en blanc & s liv. relié.
Il comprend la Réfurrection & l'Afcenfion
de N. S. J. C. la defcente du S. Efprie
fur les Apôtres , le Myftete de la Trinité ,
l'Euchariftie en tant que Sacrificè & confidérée
comme Sacrement. Le neuvieme volume
eft fous preffe , & il comprendra les
fêtes de la Sainte Vierge , & paroîtra à la
Touffaints . Chez Lottin , rue S. Jacques ,
au Coq , où fe trouvent tous les livres à
Pufage du Diocèfe de Paus les livres à
JUILLET. 1735 79
La troifieme partie des TABLETTES DE
THEMIS , dont j'ai annoncé les premieres
parties dans le Mercure précédent , vient
de paroître , & fe vend chez les mêmes
Libraires. Elle contient la chronologie des
Préfidens , Chevaliers d'honneur , Avocats
& Procureurs généraux des Chambres des
Comptes de France & de Lorraine , des
Cours des Aides & de celles des Monnoies ;
les Prevôts des Marchands de Paris & de
Lyon , & la lifte des Bureaux des Finances ,
Préfidiaux , Bailliages , Sénéchauffées &
Prevôtés , avec une table alphabétique des
noms de famille.
L'auteur invite de nouveau ceux qui
poffedent des terres érigées en titre de
Marquifat , Comté , Vicomté & Baronie ,
de lui envoyer copie des lettres patentes
d'érection , ou au moins des extraits avec
des mémoires inftructifs tant fur lefdites
terres , que fur la généalogie de leur famille,
dont on marquera exactement l'état actuel
avec le blafon des armes , obfervant de
faire écrire ces mémoires très-lifiblement ,
fur-tout les noms propres , & de les adreffer
francs de port , à M. Chafot , rue des
Canettes , près S. Sulpice , à Paris .
TELLIAMED , ou entretiens d'un Philofophe
Indien avec un Miffionnaire Fran-
Diiij
80
MERCURE DE FRANCE.
çois fur la
diminution de la mer , par M.
de Maillet. Nouvelle édition , revûe , corrigée
& augmentée fur les originaux de
l'auteur , avec une vie de M. de Maillet ,
2 vol. in-12. Ce livre fingulier fe trouve
chez Duchefne , rue S. Jacques , au Temple
du Goût.
HISTOIRE de Simonide & du fiécle
où il a vêcu , avec des éclairciffemens chronologiques
, par M. de Boiffy fils , 2 vol .
in- 12 , prix 2 liv. 1o fols broché . A Paris ,
chez Duchefne , rue S. Jacques , au Temple
du Goût , 1755.
Cet ouvrage eft précédé d'une préface
raifonnée. Nous en donnerons l'extrait le
mois prochain .
ELEMENS DE
DORIMASTIQUE *,
ou de l'art des effais , divifés en deux
par
ties , la premiere théorique & la feconde
pratique , 4 vol. in- 12 . A Paris , chez
Briaffon , rue S. Jacques , à la Sciencé.
* Ce livre eft traduit du latin de M. Cramer
, & le traducteur eft du choix de M.
Par , élémens de Dorimaftique , on entend
cette partie de la chymie qui concerne l'effai
des minéraux , lequel n'eft autre choſe qu'un
examen rigoureux de ces mêmes fubftances fait
en petit.
JUILLET51 1755 83
ز ا
Rouelle. On ne peut faire un plus grand
éloge de l'un & de l'autre . M. de V. dans
fon avertiffement déclare modeftement
que c'eft à M. Rouelle qu'il doit le peu
qu'il fçait en chymie. Non content , dit - il ,
de me fournir les éclairciffemens qui m'étoient
néceſſaires , fur ce que j'avois appris
dans fes leçons particulieres , que j'ai eu
le bonheur de fuivre plufieurs années , il
a bien voulu auffi m'apprendre à en faire
ufage. Ces remarques étoient néceffaires ;
elles feront au public un garant du mérite
de l'ouvrage qu'on lui préfente & de
l'exactitude de ma traduction , & elles me
fourniffent l'occafion de témoigner, ma
teconnoiffance à mon illuftre maître & de
la rendre publique.
Un pareil aveu le loue plus que tout
-ce que nous pourrions dire en fa faveur.
20: 1
VOYAGE de Paris à la Rocheguion
en vers burlesques , divifé en fix chants ,
par M. M ***. Se, trouve à Paris , chez
Caillean quai des Auguftins , & Chardon
fils , rue S. Jacques près la fontaine S. Severin
, à la Couronne d'or , 1 liv . broché.
Ce poëme eft dédié à l'ombre de Scarron .
Je crois qu'il ne le fera pas revivre.
02 2301 :
ESSAL HISTORIQUE , critique
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
philologique , politique , moral , littéraire
& galant , fur les lanternes , leur origine ,
Feur forme , leur utilité , &c . par une fociété
de gens de Lettres .
Cette brochure en profe fe trouve
chez Ganeau , rue S. Severin , & peut
fervir de pendant au Voyage en vers cideffus
indiqué. Elle eft adreffée au Docteur
Swift ; mais je doute qu'il veuille y
mettre fon attache pour la faire paffer á la
poftérité , comme l'auteur l'en prie.
HUDIBRAS , poëme héroïcomiques,
tité de l'Anglois de M. Samuel Butler ,
avec des notes & des figures . Se vend chez
Despilly Libraire , rue S. Jacques goabla
vieille Pofte. Cap duq 9 busi ni
La guerre civile & la fecte des Puritains
tournée én ridicule , font le fuiser de
ce poëme qui eft compofé de neuf chants.
On n'en a publié que le premier avec une
préface & la vie de l'auteur. Qu'on juge
par ce début de l'élégance de la traduction.
» Le noir démon dés guerres civiles & la
pâle difcorde , fa fdent bien- aimée , avoit
» lâché parmi nous leurs plus gros ferpens ;
» l'envie aux yeux verons & fournois ,
» nous échauffoit la bile par fes mauvais
"propos ; déja nous commencions à nous
quereller fans trop fçavoir pourquoi ,
JUILLET. 1755 * 81
» femblables à des gens ivres qui balbutient
» de colere , & fe gourment pour exalter
" une fille de théâtre , nous nous battions
» déja comme des fous & des enragés pour
❤le fimulacre de la religion... Nos épaules
» devenues les tambours de l'Eglife rece-
» voient au heu de coups de baguettes ,
» une grêle de coups de poings & c. Je
m'arrête là , je ne puis aller plus loin. Sur
cet échantillon , je crois qu'on dira (com
me M. de Voltaire ) que ce poëme eft intraduifible
, ou du moins qu'il est mal
traduit. C
Le tome cinquieme des LEGONS DE
PHYSIQUE EXPERIMENTALE, par
M. l'Abbé Nollet , de l'Académie royale
des Sciences , de la Société royale de Londres
, Maître de Phyfique de Monfeigneur
le Dauphin , & Profeffeur de Phyfique expérimentale
, vient de paroître , & le vend
à Paris , chez Guérin & Delatour , rue S.
Jacqués , à Saint Thomas d'Aquin
8 liv. en feuilles , & 3 liv. 2 f. 6 den.
broché.
Il eft augmenté de 10 fols attendu qu'il
a cent pages , & quatre ou cinq planches
en taille douce plus que les tomes précédens
; mais l'auteur déclare qu'il n'a confenti
à cette augmentation que pour ce
D vj
$4 MERCURE DE FRANCE.
volume feulement. Il fe plaint dans le
même avertiffement qu'il fe répand en
France & dans les pays étrangers des exemplaires
contrefaits qui fourmillent de fautes.
Il defavoue ces éditions furtives , &
ne reconnoît pour fon ouvrage que ce qui
eft contenu dans celles qui fe font fous fes
yeux à Paris , chez les fieurs - Guerin &
Delatour.
2
Ce ' volume contient la quinzieme , la
feizieme & la dix- feptieme leçons fur la
lumiere & fur fes propriétés . Nous en
parlerons une autrefois plus au long. On
ne peut faire trop fouvent mention d'un
auffi excellent ouvrage , ni donner de
chaque partie un précis trop foigné.
TABLETTES GEOGRAPHIQUES
pour l'intelligence des hiftoriens & des
poëtes latins , 2 vol . Chez Lottin , rue S.
Jacques au Coq , 1755.
Elles font de M. Philippe de Pretot qui
a fi bien mis à profit les fages confeils de
fon illuftre pere , & qui a hérité de fon
fçavoir. Elles font imprimées fur le
même papier , & dans le même format
que les poëtes & les hiftoriens , dont il
nous a donné une édition fi juftement efti
mée , & peuvent leur fervir de notes.
JUILLET . 1755. 8 ¢
TRAITÉ du beau effentiel dans les
arts , appliqué particulierement à l'architecture
, & démontré physiquement & par
l'expérience. Avec un traité des proportions
harmoniques , où l'on fait voir que
c'eft de ces feules proportions que les
édifices généralement approuvés empruntent
leur beauté invariable . On y a joint
les deffeins de ces édifices & de plufieurs
autres , compofés par l'auteur fur les proportions
& leurs différentes divifions har
moniques tracées à côté de chaque deffein,
pour une plus facile intelligence. Les cinq
Ordres d'architecture des plus célebres Ar
chitectes , & l'on démontre qu'il font reglés
par les proportions. Plufieurs effais
de l'auteur fur chacun de ces Ordres , avec
la maniere de les exécuter fuivant fes principes
, & un abregé de l'hiſtoire de l'architecture
.
Par le S. C. E. Brifeux , Architecte ,
auteur de l'art de bâtir les maifons de
campagne , 2 vol . en un in -fol. 1752. Les
deux volumes au burin avec 98 planches ,
fervant de fuite à l'art de bâtir les maifons
de campagne. Ce traité fe trouve chez la
veuve Gandouin , Libraire , quai des Au+
guftins , à la Belle Image , la premiere
boutique du côté des Auguftins , à la def
cente du Pont-Neuf.
86 MERCURE DE FRANCE.
MANUEL DES DAMES DE CHARITÉ ,
troifieme édition , revûe , corrigée & augmentée
de plufieurs remedes choifis , extraits
des Ephémérides d'Allemagne. A Paris
, chez de Bure l'aîné , quai des Auguf
tins , à l'image S. Paul . 1755 .
*
Ce livre utile contient plufieurs formules
de médicamens faciles à préparer ,
dreffées en faveur des perfonnes charitables
, qui diftribuent des remedes aux pauvres
dans les villes & dans les campagnes ,
avec des remarques néceffaires pour faci
liter la jufte application des remedes qui
font contenus.
Y
>
Dans l'annonce que nous avons faite de
P'Oryctologie qui fe vend chez le même
Libraire , il nous eft échappé une erreur
que nous devons corriger nous avons
fait honneur de tous les frais de l'impreffion
à M. le Baron de Sparre , qui n'a contribué
que pour la dépenfe de la premiere
planche. C'eſt de Bure feul- qui a fait celle
du livre entier.
LE TRIOMPHE DE JESUS- CHRIST
dans le defert. Poëme facré , traduction libre
en vers françois du Paradis reconquis
de Milton ; Par M. Lancelin. A Paris
chez Defaint & Saillant , rue S. Jean de
Beauvais ; & chez Lambert , rue de la Comédie
françoiſe , au Parnaſſe.
JUILLET. 1755 87
Quoique M. Lancelin ait mis en vers
le Poëme le moins parfait de Milton , on
doit toujours lui fçavoir gré de fon effort.
Il s'eft peut-être ellayé par le plus foible
pour tenter un jour le plus fort. On peut
même dire à la rigueur qu'il a commencé
par le plus difficile. Le Paradis perdu réunit
tout ce qui peut élever l'efptit & lui
fervir de reffource , le fublime des idées !
la variété des images , & la chaleur de
l'action. Le Paradis reconquis eft admira
ble par fa morale , mais le fonds en eefkt
trifte & monotone; il ne peut fe foutenir
que par la beauté des détails , & par un
coloris fupérieurs qui eft peut-être la partie
dans tout original la plus malaifée à
traduire. C'eft au public , connoiffeur en
Poëfie , à décider fi M , Lancelin ya réuffr.
Pour moi je me borne au devoir de Journalifte
: j'indique fimplement fa traduction
. w insta
mennti fol ach sein.. who egokia ok ag
SPOT BOver, Tragédie en cinq
actes , avec préface. Prix 1 livre 4 folo; fe
vend chez Duchesne , rue S. Jacques.
Cette Tragédie, dont le héros eft un frorteur
& l'héroïne une foubrette , paroît une
imitation d'Arcagambis , avec cette diffe
rence qu'Arcagambis parodie le Cothar
ne dansle noble , & que Pilotboufi le tra
$ 8 MERCURE DE FRANCE.
veftit dans le plus bas. Ce drame m'a paru
très-bienfait pour amufer l'antichambre ,
mais peu digne de pénétrer jufqu'à l'appar
tement. Je ne puis me flater d'être lû de la
livrée ; cette raifon me difpenfe d'en don
ner l'extrait.
-1.
3'1 SOULS
slit baig s
REPONSE à la réfutation que M. Dibon
vient de faire de deux écrits publiés ,
il y a un an , en faveur de M. de Torrès ,
& dont nous avons parlé dans le premier
Mercure de Juin.
M. Carboneil , Docteur en Médecine , eft
l'auteur de cette réponſe. Il eſt d'abord trèsfcandalife
que M. Dibon doute de fon exifftence
, ainfi que de celle de M. Bertrand ,
Médecin comme lui . Vous affurez , lui dit- il,
que nous ne fommes que des Eires de raiſon ,
dans le tems que votre ouvrage paroît , on
nous voit tous deux , l'on apprend que M.
Bertrand eft fur le point d'obtenir une charge
de Médecin ordinaire du Roi . L'auteur
Le plaint enfuite de ce que M. Dibon traite
de chimerique la guérison de ce dernier
qui la publie & la certifie lui- même . M.
Carboneil ajoute que MM . Morand ,
Dieuxaide & Fernandès ont conftaté l'état
de ce malade , & que c'eft fous les yeux
de MM. Falconnet , Vernage , Lavirote &
Sanchez qu'il a été radicalement guério Il
T
JUILLET. 1755. 89
forme une autre plainte au ſujet de la lettre
du malade de cent cinquante lieues
que M. Dibon a rapportée feule , fans faire
mention de celle que ce malade écrivit à
fon pere avant fon départ . Pour la juftification
& la gloire de M. de Torrès , M. Carboneil
a inféré cette derniere lettre dans
fa réponſe. Elle contient l'éloge le plus
grand de fon ami , & la reconnoiffance la
plus vive du malade qui fe trouve guéri
après huit ans de fouffrances.
Nous rapportons les faits tels qu'on les
expofe de part & d'autre ; c'eft aux Maîtres
de l'art à les vérifier & à prononcer d'après
eux. Nous nous tenons àcet égard dans une
parfaite neutralité , comme nous l'avons
promis , &' comme il convient à tout Journaliſte,
90 MERCURE DE FRANCE.
SUITE d'une difcuffion fur la nature
du goût , où après avoir prouvé
que fes principes font invariables
qu'ils ne font pointfujets aux révolutions
de la mode , on examine
s'ils font foumis au pouvoir du
tems , & à la différence des climats
, & quels fontfes objets principaux.
> A révolution des tems la fucceffion
des différens âges font
fans doute plus à redouter pour le goûr ,
que l'empire momentanée de la mode.
Rien , dit -on , pour le tems n'eft facré.
La force de cet agent eft terrible , je l'avoue
, mais poufferoit- il la barbarie jufqu'à
faire fentir au bon goût les triftes
effets de fon pouvoir ? Aidé par l'enchaînement
des événemens humains , favorifé
par quelques circonftances décifives
, il peut étendre ou refferrer fa domination.
Parcourons nos annales , confultons
l'antiquité , jettons nos regards fur les
peuples qui nous environnent , & nous
JUILLET. 1755. ༡ ་
verrons qu'il eft encore de fon reffort de
transferer le trône du bon goût d'une nation
dans une autre . Pour cela détruit- il
fes principes ? non : je le dis avec confiance
; ce fier deftructeur refpecte les monumens
précieux qui conftatent les progrès
de l'efprit humain . Villes fécondes en
grands hommes ! Athenes , Rome , vous n'avez
pas été à l'abri de fes coups ! Orateurs
immortels , Démofthenes , Ciceron , vous
vivez , & le tems , loin de vous faire outrage
, a réuni fous vos loix tous les peuples
du monde lettré. C'est le tems qui ,
de tant de nations différentes en a formé
une feule & même république , & vous
en êtes les premiers citoyens.
Par quel fecret les poëtes , les peintres ,
les muficiens , les fculpteurs , tant anciens
que modernes, fe font ils fouftraits à la loi
commune ? comment ont- ils reçu une nouvelle
vie de la postérité ? c'est parce que
dans leurs ouvrages on trouve l'expreffion
fidele de la belle nature. Heureufe expreffion
! elle fait les délices de l'homme de
goût , je dis plus , de tous ceux fur qui la
raifon n'a pas perdu tous fes droits ; expreffion
enfin qui , par le choix judicieux
des ornemens , la vivacité des images ,
nous rend des traits de la nature ſous aut
tant de formes , qu'elle varie elle -même
92 MERCURE DE FRANCE.
fes mouvemens & fes opérations.
Convenons néanmoins qu'il eft des tems
critiques pour les talens . Ce n'eft point
en jettant les fondemeus d'une monarchie
qu'un fouverain peut fe flater de faire fleurir
les beaux arts. En vain effayeroit- il
de fixer le bon goût dans fes Etats , tandis
que , le fer à la main , il en difputera
les limites contre fes voifins. Il étoit refervé
à Athenes d'enfanter fes plus grands
hommes dans les plus grands périls . Periclès
, Ifocrate , Demofthenes , fe font formés
au fein de la tempête , il eft vrai ; mais
l'éloquence , chez cette nation , étoit une
qualité indifpenfable. L'Orateur & le Capitaine
prefque toujours étoient réunis dans
la même perfonne ; & chez nous ils feroient
deux grands hommes : la paix eft
donc la mere des beaux arts , le trône du
bon goût n'est jamais mieux placé que
dan's
fon temple. Le trouble , l'agitation , fuïtes
inevitables de la guerre , rendent les ef
prits prefque incapables de toute autre application
; un ébranlement violent dure encore
après que la caufe en a ceffé . L'ame
fortie de fon affiette ordinaire par les fecouffes
qu'elle a éprouvées, ne recouvre pas
fi - tôt le calme & la tranquilité néceffaires
pour reprendre le fil délié d'une étude fuivie.
JUILLET. 1755. 93
Il eft donc des tems plus favorables que
d'autres aux talens ; mais pour cela le tems
n'attaque point le bon goût dans fon principe.
La gloire dont jouiffent tant d'auteurs
célébres , celle qui a été le prix des
travaux illuftres de tous ceux qui fe font
diftingués , foit dans la pénible carriere
des hautes fciences , foit dans celle d'une
littérature fine & exquife , les honneurs
qu'ils ont reçus dans tous les fiecles , l'eftime
, l'admiration dont ils font en poflef
fion depuis tant d'années , l'application
des artiſtes de nos jours à mériter les fuffrages
de l'homme de goût , leurs fuccès enfin
ne font-ce pas là des preuves démonfratives
que le fentiment du beau , du vrai ,
eft de tous les âges , & qu'un goût épuré
pour ce beau , pour ce vrai , feul eft exempt
des variations qu'éprouvent le refte des
chofes humaines.
(b) De tout tems on eft convenu de la dif
férence de l'air qui regne dans les climats
; mais on a parlé diverſement de fes
effets. Il feroit égalememt abfurde de dire
que l'air ne peut rien fur le bon goût , ou
de prétendre qu'il peut tout. Saififfons un
jufte milieu : la différence de la température
de l'air forme celle des climats ; fon
( b ) Climats
94 MERCURE DE FRANCE .
influence n'eft point chimérique , l'air agit
fur le corps , le corps imprime fes mouvemens
à l'ame , & fes mouvemens font
fouvent proportionels à ceux que le corps
éprouve ; il fuffit de refpirer pour s'en
convaincre. Mais fi l'union du corps & de
l'ame foumet cette derniere partie à une
certaine dépendance à l'égard de la pre-
-miere , fi celle- ci eft foumife à fon tour
aux influences de l'air qui varie dans chaque
climat , peut - on en conclure que l'ame
foit fervilement fubordonnée dans toutes
fes opérations à ces deux caufes , qui d'ailleurs
lui font fi inférieures ? Un efprit fain
ne jugeroit-il pas autrement ? H verroir
fans doute , dans une fubordination mu→
tuelle , une nouvelle preuve de l'attention
du fouverain être qui veille à la confervation
de ces deux fubftances hétérogenes.
Quelque foit l'effet de l'air fur le
corps , & celui du corps fur l'ame , jamais
on ne prouvera que le concours de ces
deux puiffances , foit auffi abfolu qu'on fe
le perfuade communément. En vain m'objetera
t -on que l'air eft une caufe générale
qui foumet à fon pouvoir tous les
hommes ; fans vouloir fe fouftraire à fa
puiffance , ne peut-on pas examiner quelles
en font les limites ? un oeil éclairé en
reconnoîtra l'étendue , il eft vrai , mais il
JUILLET. 1755- 95
la verra bornée , cette étendue , par la fage
prudence de Dieu - même.
Interrogeons l'Hiftoire , appellons à notre
fecours la Phyfique fousun même point
de vûe , celle- ci nous repréfentera les habitans
de ce vafte univers caracterisés par
des attributs particuliers , cette autre , après
un mûr examen , jugera de la conftitution
de leurs climats ; & elles décideront toutes
deux que l'influence de l'air ne peut dans
aucune région , tyranifer le corps au point
d'interdire à l'ame l'exercice de fes plus
nobles fonctions . L'heureufe pofition de
l'Arabie & de l'Egypte a fait éclore , diton
, au milieu de leurs peuples les principes
des beaux arts. C'est dans le fein de
cette terre féconde , qu'on a vû germer les
élémens de toutes les fciences. Pourquoi
les habitans de ces contrées fortunées fontils
fi différens de ce qu'ils étoient autrefois
? quelle étrange métamorphofe ? la nature
du climat leur avoit été fi favorable
dabord : pourquoi n'eft- elle plus leur bienfaictrice
? qu'eft devenue cette fagacité ,
cette pénétration qui les rendoit fi profonds
dans l'étude des hautes fciences ? L'air d'un
fiecle a un autre , éprouve à la vérité des
variations aufquelles le corps eft foumis ;
mais comme les émanations de la terre
conflituent principalement les qualités de
MERCURE DE FRANCE
l'air , & comme les qualités de ces émanations
dépendent de la nature des corps qui
les forment , il s'enfuit que ces corps n'ayant
pas pû changer entierement de nature , leurs /
émanations ne font pas affez différentes
de ce qu'elles étoient autrefois , pour altérer
les qualités de l'air au point de caufer
des changemens auffi prodigieux que nous
le remarquons dans les Egyptiens : ont- ils
d'ailleurs perdu quelque chofe de cette vivacité
, de ce feu dont ils étoient doués
anciennement ? il a feulement changé d'objet.
L'amour des fciences a été remplacé
par celui des plaifirs.
S'il eft vrai que la bonne température
de l'air faffe éclore le bon goût , le génie
Efpagnol ne devroit -il pas porter l'empreinte
de l'excellence de fon terrein ? cependant
pourroit- on le définir fans tomber
dans des contradictions ? Ce peuple a droit
de réaliſer dans fa vie privée les peintures
extravagantes dont le ridicule fait le principal
mérite de fes ouvrages.
Les Grecs , autrefois fi déliés , font ils
reconnoiffables ? contens de croupir aujourd'hui
dans une molle oifiveté , ils cedent
aux nations étrangeres la gloire de
connoître le prix des ouvrages de leurs
peres ; & leur ignorance groffiere forceroit
quiconque voudroit les rapprocher de leurs
ancêtres
JUILLET. 1755 97
ancêtres , à avouer la différence du parallele.
Si la température de l'air influe tellement
fur le progrès des fciences , fi la bonté
de cet air produit le bon goût , fi fes
mauvaises qualité le détruifent entierement
, pourquoi voit- on une différence fi
prodigieufe entre les Athéniens & les habitans
de la Beotie? Dira -t- on que la fituation
des deux pays a produit cette fingularité
remarquable ? y auroit - il de la vraifemblance
ne fçait- on pas qu'ils n'étoient
féparés que par le mont Cytheron ? cette
diftance auroit- elle produit un phénomene
de cette espéce ?
N'avons- nous pas vû d'ailleurs des changemens
uniformes dans le caractere des
mêmes peuples , fans qu'il foit arrivé aucune
révolution dans leur climat ? Le Perfan
, fous Darius , eft- il le même que fous
le regne des Arfacides ? Avant les victoires
de Charles XII , eut - on foupçonné les
Mofcovites de valeur ? & avant les fuccès
du Czar , eut-on cru qu'on pouvoit les
policer ? fi la puiffance de l'air étoit telle
qu'on fe l'imagine vulgairement , l'ame
des Indiens , amollie en quelque forte par
la chaleur du climat , feroit-elle capable
des plus terribles refolutions ? confidérons
les peuples du nord , un froid glacial en-
E
98 MERCURE DE FRANCE.
gourdit leurs membres , leurs fibres compactes
s'émeuvent à peine : manquent- ils
ponr cela de raifon ? n'ont- ils pas le jugement
fain ? ne comparent-ils pas avec facilité
eft-il un peuple qui poffede à un plus
haut dégré la perception des rapports.
Avouons donc que tout climat peut être
celui des beaux arts. Par tout où il y a des
hommes , il y a de la raiſon , du fens , du
jugement , & les fciences y peuvent être cultivées
; il n'eft donc point de régions inacceffibles
au bon goût , & s'il en eft encore où
les fciences n'ayent pas pénétré , l'éducation
que reçoivent les fujets , les occupations
auxquelles l'Etat les oblige de fe livrer
, la forme du gouvernement , les qualités
& les difpofitious de ceux à qui ils
obéiffent , y contribuent , fans doute , plus
puiffamment que le climat. Ce n'eft donc
point par les dégrés de latitude qu'on mefure
l'empire du goût.
(c) Que fe propofent les artiſtes ? l'imitation
de la belle nature : quel eft le but de
l'homme de goût ? de fentir & de juger le
dégré de cette heureufe imitation . L'objet
eft commun , les opérations font différentes
: le premier produit ,, enfante ; le fecond
approuve ou condamne. Une tendre
(c ) Objets du goût.
JUILLET. 1755. 99
complaifance peut aveugler l'un ', fur les
défauts de fes plus cheres productions ;
l'autre eft un juge éclairé , équitable , févere
, quoique fenfible . L'idée archetype
હતી pour celui- ci un trait de lumiere qui le
dirige dans le cours entier de l'exécution
de fon ouvrage ; elle guide , elle éclaire
Fautre dans les décifions les plus délicates.
La nature , comme une glace fidele , tranf
met à tous deux les traits principaux de
ce divin original : c'eft de ce point qu'ils
partent , c'eft dans ce centre qu'ils ſe réuhiffent.
Confultent-ils cette copie ? l'un y
fit l'éloge ou la cenfure de fon ouvrage , il
y trouve une matiere inépuifable d'imitation
; l'autre y découvre une fource de
plaifirs épurés , de ces plaifirs refervés
au noble & rare exercice d'une faculté fenfible
& intelligente. L'objet du travail de
l'artifte eft auffi folide que le domaine de
l'homme de goût eft étendu ; je vois tous
les grands maîtres de l'univers s'envier la
gloire d'exciter le plus de mouvemens dans
fon ame.
(d) Par l'art d'un pinceau créateur , une
toile , une foible toile , vit , refpire , la fiction
prend la couleur de la vérité , l'ame
du fpectateur frappée , faifie , émue , fe
( d ) Peinture,
335288
E if
100 MERCURE DE FRANCE.
livre avec impétuofité aux délicieuſes agitations
qu'elle éprouve ; chaque trait fem
ble fe réfléchir fur elle-même , il s'y imprime
, il s'y colore ; rien n'échappe , tout
eft vivement fenti . Ici une touche gracieufe
& légere attire , flate , féduit : l'homme de
goût entre dans le myftere , il voit la nature
fourire à cet artifte bien aimé ; là un
craïon mâle ,vrai , nerveux, peint noblement
de nobles objets : it fixe , il attache , mais
il ne fatigue pas ; la vérité fut fon guide ,
le fuffrage de l'homme de goût eft fa récompenfe.
Quel eft ce pinceau fier & menaçant
crée-t-il de nouvelles paffions ▸
non : il maîtrife celles de mon ame : ce
peintre m'étonne , m'éfraye , mais il me
touche. Ici l'imitation l'emporte fur la réalité
; des objets véritables , mais auffi terribles
ne produiroient en moi que des fentimens
lugubres ou tumultueux ; font- ils
repréſentés ? ma fituation eft moins critique
, l'éloignement de l'objet réel me raffure
: je goûte le plaifir de l'émotion , je
n'en fens point le défordre ; émotion vraiment
digne d'un être penfant ; de fimples
fenfations n'en font pas le terme : des ob
jers ainfi exprimés fervent de dégrés à l'ame
, ils l'élevent jufqu'à la fource des
perfections : c'eft en elle que l'homme de
goût juftifie fes plaifirs , & l'artiſte ſes
fuccès,
JUILLET. 1755 . 1755. Idr
(e) Ici, un cifeau donne du fentiment à un
marbre froid , brute , infenfible ; une main
le guide , le héros eft reproduit. Art heureux
qui , pour tenir de plus près à la nature
, ne produit que plus difficilement
des chef- d'oeuvres : en ce genre , les artiftes
excellens font auffi rares que les beautés
parfaites , ou les héros accomplis . Pour
me toucher , j'exige des Phidias , ou des
Puget; des Praxitelle ou des Girardon . Le
fond où ces artiſtes ont puifé les traits qui
vivifient leurs ouvrages , les préferve de
l'inconftance de l'efprit humain dans fes
jugemens : en quelque fiécle que paroiffent
des morceaux auffi achevés , la copie forcera
les hommes malgré leurs préjugés à
remonter jufqu'à l'original.
(f) C'eft en le confultant que s'eft ennobli
cet art , né de la néceffité , ébauché par
l'ignorance , défiguré & perfectionné par
le luxe. L'imitation de la belle nature s'y
fait moins remarquer ; ce n'eft cependant
que de fa main qu'il reçoit fes charmes &
fes agrémens ; elle fit entendre fa voix à
Vitruve : il prit goût à fes leçons , l'idée
du fouverain modele qu'elle offrit à fes
yeux lui en développa les principes , &
parce qu'il ne s'écarta point de ce guide ,
(e ) Sculpture.
(f) Architecture.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
l'homme de goût l'a établi le légiflateur de
ceux qui lui fuccederont à jamais .
(g) Quels plaifirs ne lui procure pas cet
art dont le mérite confifte à rendre fidelement
celui des autres ? avec quelle vérité
n'expofe - t - il pas à nos yeux les majestueu ,
fes productions de l'Architecture & de la
Sculpture. Le burin eft l'imitateur du pinceau
, fans vouloir en être le rival ; il
s'immortalife en éternifant les artiftes . Sans
doute qu'en faveur des gens de goût la
nature a laiffé échapper de fon fein cet
art ingénieux : fi elle a fait le ferment de
ne produire que rarement des grands hommes
; elle l'a modifiée en quelque forte
en confiant à la Gravûre le foin de multiplier
leurs chef-d'oeuvres . Cet art mérite
d'exercer le talent de l'artifte , parce qu'il
peut ne travailler que d'après le génie des
grands maîtres. Mais fi la gloire le tou
che , que fon oeil pénétrant fe familiarife
en quelque forte avec le fublime de l'idée
archetype ; l'exacte obfervation de
cette regle univerfelle a fait le mérite de
de ceux qu'il imite , elle feule l'immortali
fera comme eux.
(b ) C'est par cette voie que fe font placés
au temple de Mémoire les créateurs de la
(g ) Gravure.
(b ) Mufique.
JUILLET . 1753. 103
mufique. Cette four aînée des beaux arts
répand l'aménité fur les travaux de l'homme
de goût la douceur de fes accords
charme fes fens , fon ame épuifée de reflexions
reprend une nouvelle activité ,
après s'être livrée aux délices d'une ivreffe
momentanée ; l'harmonie fufpend fa penfée
, comment n'en reconnoîtroit -elle pas
les droits ? ceux qu'elle exerce fur elle font
fi naturels !
Jufqu'ici l'artiste a fourni aux plaifirs
de l'homme de goût ; l'homme de lettres
n'y contribue pas moins efficacement. Ceux
qu'il lui procure ayant moins à démêler
avec la matiere , ont plus de rapport avec
la nobleffe de fon origine , les belles connoiffances
forment fon véritable élément ,
tous ceux qui cultivent les belles lettres
avec fuccès , ont droit à fon eftime , parce
qu'ils font partie de fon bonheur.
(i ) Cependant quelque fouveraine que
foit l'éloquence fur fon ame , elle la maî
trife plus fouvent qu'elle ne la remplit . O !
vous , qui fûtes l'oracle de votre fiécle ,
Boffuet , l'orateur de ma nation , vos foudres
m'annoncent votre puiffance , je la
reconnois , vous me captivez , vous m'enchaînez
; mais je découvre en portant vos
(i) L'éloquence.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
fers un autre maître que vous ; vous n'êtes
point l'orateur dont j'ai l'idée , vous me
le repréfentez feulement. Tant il eſt vrai
que les objets intermédiaires , quels qu'ils
foient , ne ralentiffent point la marche
d'une ame dégagée du preftige des fens ;
ils ne forment que le milieu à travers
lequel elle s'éleve avec rapidité , jufques à
la fource des perfections.
(k) C'est dans cette fource que le Poëte
puife le fublime dont l'homme de goût
connoît fi bien les effets. Les auteurs de
notre fiécle qui ont obtenu fon fuffrage
ont mérité fa critique . L'heureuſe alliance
d'un fentiment exquis & d'une droite raifon
, ont établi de tout tems l'homme de
goût le juge du poëte ; ce génie formé de
deux contraires le jugement & l'enthou
fiafme.
( 1 ) Quelques fatisfaifans que foient les
objets que j'ai parcourus, l'homme de goût
n'y eft pas borné : fans prétendre à l'univerfalité
des connoiffances , il fçait étendre
fa fphere , & fes propres reflexions
lui fourniffent toujours les plaifirs les plus
délicats. L'étude des langues eft digne de
fes foins ; il s'y livre , mais le défir d'aggrandir
fon efprit en eft plutôt le motifque
(k ) Poëfie. :)
(1 ) Etabliffement des Langues,
JUILLET . 1755 105
Fenvie d'orner fa mémoire ; pour lui l'établiffement
des langues n'eft point le réfultat
de l'affemblage bizarre & fortuit de
fyllabes & de mots : il voit la connexion
intime de l'art de la parole à celui de pen
fer , les efforts réunis du métaphyficien
délié , & de l'homme de goût , feuls ont
été capables de concevoir & d'executer un
projet auffi immenſe .
Avec quelle complaifance ne jette-t- il
pas fes regards dans le lointain là il découvre
les peuples de l'univers tyrranifés
par les paffions , féparés par la différence
des religions , divifés par l'intérêt , & réunis
par le goût ; fon difcernement lui fait
appercevoir , il eft vrai , que ce point dans
lequel les nations conviennent n'eft pas
indivifible ; mais la nature lui en découvre
la caufe ; le petit efpace qu'elle a laiffé
libre en donnant plus de jeu aux inclina
tions de chaque peuple , caractériſe leur
génie particulier.
J'ai montré que le beau , le vrai en tout
genre , faifoient impreffion fur l'homme de
goût. Ce n'eft point le tirer de la foule , ill
a des prérogatives ; repréfentons- nous les' ,.
nous aurons fon caractere diftinctif. Quoi--
que la faculté de fentir le vrai , le beau ,,
foit la nourriture de toute ame qui n'eft:
point dégénérée , convenons qu'il y a au
E.V
106 MERCURE DE FRANCE.
tant de dégrés dans ce fentiment exquis
que les connoiffeurs diftinguent de tons
différens dans les couleurs. Offrez un tableau
aux yeux d'un homme de bon lens
fans culture , & à ceux d'un efprit mûri &
perfectionné par l'étude ; il eft bean , s'écriront
ils tous deux : l'expreflion eft la
même , l'impreffion ne l'eft pas . Dans le
premier , ce tableau reveille une ame oifive
, qui avoit oublié d'ufer de ſes richeffes
; l'objet fenfible renouvelle heureufement
l'idée archetype , gravée dans le
fond de cet être fans qu'il le foupçonnât.
Le défaut de penfer l'empêchoit d'en faire
une féconde application ; la reffemblance
des traits fe fait jour , l'ame fe ranime , &
les perfections de l'original qu'elle ne peut
méconnoître la font juger fainement du
mérite de la copie. D'un oeil pénétrant ,
mais refpectueux , l'homme de goût leve le
voile qui interdit au refte des mortels , le
fpectacle de Dieu même repréfenté dans
fes ouvrages ; l'habitude de refléchir lui a
acquis le droit ineftimable d'être en fociété
avec la nature & fon auteur. Il faifit
avec rapidité tout ce qui a trait à cet
objet intéreffant ; quoique les objets materiels
l'affectent fenfiblement , cependant
il accorde moins au plaifir d'être émû qu'à
celui de comparer & de réfléchir ; chez
JUILLET 1755 . 107
lui le fentiment du beau eft vif , éclairé ,
foutenu , fon jugement eft fain , vrai , ir,
révocable. Une exacte perception des гар-
ports en eft le principe , une profonde connoiffance
de caufe en eft le fondement. t
Tels font les titres précieux dont la nature
décore ceux qui , par une reflexion
continue , ont appris à connoître les perfections
de leur auteur dans celles qu'elle
renferme elle - même. En vain me flatterois-
je que ces confidérations fur la nature
du goût , augmenteront le nombre des
amateurs . Réduire fous les loix d'une faine
philofophie , ce que quelques perfonnes ,
peut- être trop intéreffées , vouloient regarder
comme abandonné à la bizarrerie
des goûts , aux révolutions de la mode ,
des tems , & à la différente température
des climats , c'étoit mon deffein. J'ai fait
quelques efforts pour remonter aux fources
du beau ; puiffent -ils ne pas paroître
inutiles à celui dont j'ai foutenu les droits.
Cette fuite eft de M. Guiard , de Troyes .
La premiere partie de fon ouvrage a été
imprimée dans le Journal de Verdun ,
mois de Mai 1753 .
MÉTHODES NOUVELLES pour apprendre
à lire aifément & en peu de tems ,
même par maniere de jeu & d'amufement ,
E vj
108 MERCURE DE FRANCE
auffi inftructives pour les Maîtres que
commodes aux peres & meres , & faciles.
aux enfans.
Voilà tous les avantages qu'on peut defirer
, réunis dans le feul titre. On y joint
les moyens de remédier à plufieurs équivoques
& bizarreries de l'ortographe fran
çoife : c'eft encore un nouveau mérite qu'il
n'eſt pas aifé d'avoir.
Le nom de l'Auteur eft prefque un chif
fre. C'eft S. Ch. Ch. R. d. N. & d. P. Comme
on ne voit plus d'ouvrage fans épigraphe
, celui-ci a la fienne , qui eft tirée de
S. Jerôme , épitre à Læta. Non funt contemnenda
quafi parva , fine quibus magna conf
tare non poffunt. Il fe vend chez Lottin , rue-
S. Jacques , au Coq: 1755.
Le Libraire avertit qu'on trouvera chez
lui au premier Août prochain différens
alphabets en quinze planches pour fervir
de premieres leçons aux enfans. On y trouvera
auffi le livre que nous annonçons relié
en carton & parchemin pour leur en
faciliter l'acquifition ..
JUILLET. 1755. 109
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
ALGEBRE.
Réfléxions fur la méthode employée par M.
G.... Ecuyer , Officier de Madame la
Dauphine & de la Société littéraire de
Senlis , pour réfoudre le problême qu'il a
propofe dans le Mercure du mois de Mai
dernier. Par M. Bezout , Maître de
Mathématiques.
'Ai avancé & fuffifamment démontré
J'dans le Mercure de Juin dernier , que
les nombres 551 , 431 , 311 étoient les
feuls qui fatisfaifoient à toutes les conditions
du problême , & les raifonnemens
fur lefquels j'ai appuyé mon affertion ont
pû donner à connoître que la forme indéterminée
que donnoit M. G. à la folution
du problême , ne pouvoit venir que de ce
qu'il auroit fous-entendu ( par quelque
caufe que ce puiffe être ) l'expreffion de
quelques - unes des conditions du problême .
C'est l'opinion dans laquelle j'ai toujours
été & dans laquelle j'ai été confirmé en
110 MERCURE DE FRANCE.
donnant à u quelques valeurs dans les expreffions
de x, y , z qu'a données M. G.
& en dernier lieu par la lecture de fa méthode
.
M. G. après avoir rappellé les 6 , 7 & -
8 conditions de fon énoncé , pourfuit en
difant , l'on fera donc pour remplir les 7 &
buitieme conditions cette analogie , & c . 140 :
61 ::
x + 9
210p -1059 +7
7
-4 y
7
420 p- 3369-
28
4
; au moyen de cette analogie
, il réduit à une feule u les deux indéterminées
p & q , & transforme les valeurs
préparées de x , y , z en celles qu'il
avoit annoncées .
Mais la folution eft - elle achevée ? toutes
les conditions du problême ont-elles été
parcourues & exprimées ? Il me femble
que non ; car je ne vois aucune expreffion
du rapport de la perte faire au premier
pofte à la perte faite au troifieme.
Cependant, dira- t- on , les nombres 5 5 1,
431 , 311 trouvez par cette méthode ,
fatisfont à toutes les conditions du problême
? cela eft vrai ; mais c'eſt par hazard .
Un nombre qui fatisfait à certaines conditions
demandées a encore la propriété de
fatisfaire à beaucoup d'autres qu'on ne lui
demande pas.
D'ailleurs pour fe convaincre
que c'eſt par hazard qu'ils fatisfont à
4
4
JUILLET . 1753 111
cette derniere condition : on n'a qu'à réfoudre
le problême comme s'il étoit énoncé
fans cette même condition , & alors la
queftion qui fera effectivement indéterminée
aura pour les nombres les plus fimples
qui rempliffent les conditions , les
mêmes nombres 551 , 431 , 311 .
que Je ne crois pas non plus qu'on dife
le rapport de la perte faite au premier
pofte à la perte faire au fecond , détermine
ces deux chofes ; 1º. le rapport ddee llaa perte
faite au premier pofte à la perte faite au
troifieme ; 2 °. que la perte faite à ce troifieme
pofte foit le tiers du nombre des
troupes qu'on y avoit envoyées : le problême
dans ce cas feroit à la vérité indéterminé
, & on auroit eu raifon de fousentendre
la derniere condition , parce
qu'elle auroit été renfermée dans la précédente
; mais c'eft ce qu'on ne voit point
& qu'on ne peut voir , car les équations
que fourniffent ces deux conditions , font
très- différentes & ne peuvent être conclues
l'une de l'autre.
Il fuit de là 1 ° . qu'abſtraction faite des
nombres 551 , 431 , 311 , tous les autres
qui font annoncés dans le Mercure de
Mai , doivent manquer à la huitieme condition
, & ils y manquent en effet .
2°. Qu'abſtraction faite des mêmes
112 MERCURE DE FRANCE .
nombres $ 51 , &c. tous les autres qu'on
propofe de nouveau , comme trouvés par
la huitieme condition manquent néceffairement
à la feptieme , & ils y manquent
en effet.
Enfin de ce que des deux différentes
manieres qu'on propofe pour trouver x
y , z, la premiere en omettant ainsi qu'il
paroît ) la huitieme condition ; la feconde
en omettant la feptieme condition , il
en réfulte des valeurs différentes ; on en
doit , ce me femble , conclure que les feptieme
& huitieme conditions font trèsdifférentes
entr'elles ; qu'elles doivent par
conféquent fournir chacune une équation
& déterminer le problême , ainfi que je
l'ai avancé .
Nous donnerons le Mercure prochain
la réponſe de M. G. dans laquelle il a la
noble franchife de convenir qu'il s'ekt
trompé, & que fon problême eft en effet
déterminé comme M. Bezout le prétend.
JUILLET. 1755. 113.
HISTOIRE NATURELLE.
Lettre à l'Auteur du Mercure.
M
quelle
ONSIEUR , il eft indifférent de
quelle façon l'on enrichit la Répu
blique des Lettres , foir par des ouvrages
fuivis , foit par des morceaux détachés
foit même par des Almanachs , nous avons
toujours obligation à ceux qui cherchent
à nous inftruire ; mais dans quelqu'ouvrage
que ce foit , il faut être vrai : c'eft ce qui
manque dans la lettre de M. l'Abbé Jacquîn
fur les pétrifications d'Albert . *
L'eau du puits du fieur de Calogne eft
effectivement à trente- cinq pieds jufques
à fon niveau , mais la carriere n'en a pas
tant ; elle n'a , comme on l'a dit dans l'almanach
d'Amiens , que vingt à vingt- deux
pieds de profondeur. Il y a de la contradiction
dans ce que dit M. l'Abbé Jacquin.
L'eau du puits eft à trente - cinq pieds , & il
donne quarante- huit à cinquante pieds de
profondeur à la carriere ; or comment auroit-
on pû creufer quinze pieds au - deffous
de l'eau fans en être inondé ? cepen-
* Premier Mercure de Juin 1755 , pag. 19
114 MERCURE DE FRANCE.
dant toute la carriere eft totalement féche ,
& ce puits la traverſe dans le milieu ; c'eft
par lui que le fieur de Calogne a monté
les pierres qu'il a tirées.
Il eft à remarquer que les ponts qui ſe
fe
trouvent fur la riviere d'Albert , n'ont pas
à vûe d'oeil plus de dix pieds fous voûte ,
& que cette riviere eft pleine de fources.
Les terres font de différentes nuances→
brunes dans la carriere , ainfi que les pétrifications
, mais il eft vrai qu'elles blanchiffent
à l'air.
Il fembleroit , fuivant M. Jacquin , que
les coquillages qui fe trouvent dans cette
carriere font pétrifiés ; ils ne le font nullement
, ils font au naturel.
M. Jacquin n'a pas bien vifité les marais
; s'il l'avoit fait avec atention , il y
auroit trouvé des fougeres , fur- tout lorfqu'il
y a des arbres , & que le fol eft ſablonneux
.
Il faut fçavoir exagérer pour donner
foixante pieds à la cafcade ; quand M.
Jacquin reviendra dans fa patrie qu'il
prenne la peine de retourner fur les lieux
la toife à la main , qu'il prenne fes mefures
perpendiculaires , alors il pourra
donner des dimenſions juftes .
Comme je crois que ces réflexions peuvent
être de quelque utilité pour les cuJUILLET
. 1755. 115
rieux , je crois auffi devoir vous les envoyer
, Monfieur , pour être inférées dans
votre Mercure du mois prochain.
Je n'ai ici que l'intérêt du vrai , c'eft
pourquoi il eft inntile de me nommer.
J'ai l'honneur d'être , & c.
A Peronne , ce 15 Juin 1753.
1
MEDECINE.
Lettre de M. Dequen , Docteur en Médecine
, de la Faculté de Montpellier , à un
Médecin defes amis , fur un accident arrivé
dans le cuvage de M. le Comte de la
Queuille , Brigadier des armées du Roi ,
Colonel du Régiment de Nice , au château
de Chateangay , près de Riom en Auvergne.
A
Vez -vous entendu parler , Monfieur
, d'un accident arrivé chez M.
le Comte de la Queuille , à Chateaugay ,
le 24 du mois d'Avril dernier ? il n'eft pas ,
on peut le dire , abſolument nouveau ;
mais il me paroît accompagné de circonf
tances affez frappantes pour mériter peuts
être un peu de votre attention .
On avoit achevé de vuider te matin une
116 MERCURE DE FRANCE.
cuve où l'on avoit confervé pendant l'hiver
fix à fept cens pots de vin de notre
mefure , qui , comme vous le fçavez , à
quinze pintes le pot , font un objet de
neuf à dix mille pintes de Paris.
3
Environ trois quarts d'heure après
l'avoir découverte , le fommelier de la
maiſon , nommé Joli , eut l'imprudence
de commander à un jeune domeftique de
feize à dix-fept ans d'y entrer avec un balai
pour la nettoyer & en faire fortir la
lie. Cet enfant lui repréfenta le danger
auquel il vouloit l'expofer , & qu'il devoit
d'autant plus connoître que peu de
jours avant il étoit forti lui-même à la
hâte & à demi-mort d'une cuve pareille ,
quoique découverte depuis fept à huit
jours. Joli s'obftina , on ne fçait pas trop
pourquoi , & le petit domeftique effrayé
de fes menaces eut le malheur de lui obéir ;
mais à peine fut-il defcendu dans la cuve
qu'il tomba roide , fans connoiffance &
fans mouvement . Joli ne l'entendant
travailler ni repondre aux commandemens
réiterés qu'il lui en faifoit , vit bien alors ,
mais trop tard , les fuites de fon imprudence
; il faute dans la cuve pour le fecourir
, en criant à un marmiton qui fe trouvoit
auffi dans le cuvage , de lui faire venir
du fecours. Il fe baiffe pour relever
pas
JUILLET. 1755 117
#
l'enfant qui fe mouroit , & tombe dans lẹ
même état que lui.
Le marmiton court au château , il trouve
dans la cuifine un payfan , un des Gardes-
chaffe , le Cuifinier & un laquais ; il
feur apprend l'embarras de Joli. On vole
à fon fecours. L'allarme fe répand dans le
château : Maîtres , Domeftiques , tout le
monde s'empreffe de gagner le cuvage. Le
payfan qui étoit un jeune homme de vingtdeux
ans , fort & vigoureux , arrive , &
defcend le premier dans cette cuve funeſte ,
il veut encore fe baiffer pour relever ces
deux perfonnes qu'il voyoit fans mouvement
; & dans l'inftant , comme s'il eût
été frappé de la foudre , il tombe lui - mê-'
me inmobile , & pour ainfi dire mort . Le
Garde- chaffe qui venoit après lui fuit ſon
exemple , & fubit le même fort.
Le Cuifinier qui defcendoit le troifieme,
voyant ce trifte fpectacle , & fe fentant
tout-à- coup étouffer par les vapeurs
qui s'élevoient , remonte au plus vite au
haut de la cuve , il arrête le laquais qui
avoit déja une partie du corps dedans , &
tous deux hors d'état de fecourir les mourans
, bornerent leurs foins à empêcher de
defcendre ceux qui les fuivoient ; mais le
zéle de tous ces domeftiques pour fauver
la vie à leurs camarades étoit fi grand ,
18 MERCURE DE FRANCE.
qu'ils voyoient à peine un danger audi
effrayant. Un paltrenier fe jette dans la
cuve , & le trouve pris auffi tôt , mais
comme le haut en étoit déja bordé de
beaucoup de monde , il fat affez heureux
pout qu'on le faifit aux cheveux dans le
moment qu'il alloit tomber , & qu'on le
retira évanoui. Il en fut de même d'un
poftillon , à qui on paffa une corde fous
Fes bras dans le tems qu'il defcendoit , &
qu'on arracha à la mort par ce moyen ; ils
revinrent l'un & l'autre dès qu'ils furent
expofés à l'air extérieur .
Dansle trouble où l'on étoit , ne voyant
aucune reſſource pour retirer ces quatre
hommes de la cuve , on prit le parti de la
tompre ; mais comme les cercles en étoient
très-forts , garnis de bandes de fer , & que
les douves en étoient unies par des chevilles
, l'opération fut longue , & ces malheureux
étoient morts , lorfqu'on fut à
portée de leur donner du fecours.
Cependant on avoit envoyé chercher
un Chirurgien au bourg le plus près . Dès
qu'il fut arrivé , on effaya de les faigner ;
il ne fortit de fang qu'une ou deux gouttes
de l'ouverture qui fut faite au plus
jeune , qui le premier étoit entré dans la
cuve. Les autres n'en donnerent pas. Оп
deur jetta de l'eau au vifage ; on leur mit
JUILLET . 1755. 119
des eaux fpiritueufes dans la bouche &
dans le nez . Tous ces foins furent inutiles.
Il ne parut aucun figne de vie.
Il eft conftant , Monfieur , qu'on ne peut
attribuer la caufe de ces morts , qu'aux
vapeurs ou efprits ardens du vin qui s'étoient
ramaffés dans cette cuve , & qui
continuoient de s'exhaler de la lie qui y
reftoit. On ne peut pas en reconnoître
d'autre . Le vin étoit très- naturel & fort
bon. Il avoit été vendu en détail à des
marchands de nos montagnes , qui en
avoient débité déja la plus grande partie
dans leurs cabarets , fans que perfonne fe
fût plaint d'en avoir reçu la moindre incommodité.
J'aurois bien fouhaité avoir
été averti à tems pour voir par l'ouverture
de ces cadavres les effets que ces efprits
pénétrans avoient produits fur les différentes
parties qui en avoient fouffert l'impreffion
. M. le Comte de la Queuille qui
me fit appeller deux jours après pour voir
Madame la Comteffe fon époufe , que la
frayeur & la douleur de cet événement
avoient fort incommodée , me dit avoir
été fâché de ne me l'avoir pas mandé plu
iôt ; mais qu'il n'y avoit penfé qu'après
l'enterrement.
Je fus donc forcé de me borner à interroger
ceux qui avoient manqué à être
120 MERCURE DE FRANCE.
>
enveloppés dans ce malheur. Le palfrenier
& le poftillon ne me donnerent pas de
grands éclairciffemens . La maniere promp
te dont ils avoient été pénétrés de la vapeur
, la connoiffance qu'ils avoient perdu
à l'inftant ne leur avoient laiffé le
pas
tems de s'appercevoir de ce qui avoit produit
leur évanouiffement. Le Cuifinier qui
n'avoit reçu cette vapeur qu'à demi , & qui
s'étoit toujours reconnu , fut plus en état
de me rendre compte de ce qu'il en avoit
reffenti. Il me dit qu'elle lui étoit montée
au nez avec tant de force , qu'il en avoit
été fubitement étourdi , & qu'il avoit en
même-tems & par la même caufe , ſenti
que la refpiration lui manquoit.
Je m'informai auffi de l'état de ces malheureux
après qu'on les eût retirés de la
cuve ; ils étoient femblables en tout à
ceux qui font morts fuffoqués. Une Demoiſelle
qui avoit travaillé à leur donner
du fecours , m'en dit une feule particularité
qui l'avoit frappée : c'eft qu'en leur
ouvrant la bouche pour y introduire des
eaux fpiritueufes , elle avoit trouvé leurs
gencives , leurs dents , leur palais & leur
Langue , blancs , deffechés & comme à demi-
cuits. J'en conclus que ces vapeurs
volatiles & pénétrantes ont produit deux
principaux effets , que je regarde comme
la
JUILLE T. 1755. 121
la caufe de la mort prefque fubite de ces
quatre hommes , 1 °. qu'entraînées par l'air
avec abondance & rapidité dans la cavité
du nez & des finus qui y aboutiſſent , elles
ont fecoué & picotté vivement les petites
pointes nerveufes de la membrane pituitaire
faciles à ébranler. Cette irritation
communiquée au cerveau a produit dans
tous les nerfs une contraction fpafmodique
, une conftriction qui a intercepté
dans l'inftant l'écoulement des efprits animaux
vers les organes des fens & vers les
mufcles ; ce qui a donné lieu à la privation
fubite des fenfations & des mouvemens.
2º . Qu'entraînées pareillement au tems
de l'inſpiration dans la trachée artere &
dans les poulmons , elles les ont crepés ,
defféchés & comme cuits , ainsi qu'on l'a
obfervé aux gencives , au palais & à la
langue ; ce qui a rendu les véhicules d'autant
plus incapables d'être dilatées , & de
céder à l'impulfion de l'air , que ce fluide
toujours extrêmement chargé de ces vapeurs
, & conféquemment peu élastique ,
au lieu de vaincre cette réfiſtance ne faifoit
que l'augmenter de plus en plus par
l'irritation continuelle des efprits qu'il y
portoit fans ceffe ; de forte que la refpiration
bientôt fuffoquée a produit néceffairement
une ceffation totale de la circula-
F
122 MERCURE DE FRANCE.
tion du fang , qui dans quelques minutes
a fait périr ces malheureux.
par Ce que j'avance fe trouve confirmé
le prompt rétabliſſement du palfernier &
du poftillon , qui ont eu le bonheur d'étre
retirés de la cuve avant que les poulmons
euffent été confidérablement affectés . Affez
élaſtique pour en vaincre la réſiſtance, l'air
extérieur a rétabli la refpiration , & rendu
à la circulation fa liberté naturelle. Le
poſtillon a feulement confervé pendant
quelques jours un affoibliffement , effet
fenfible des violentes fecouffes que les
nerfs avoient fouffertes.
, Il n'eft pas nouveau comme je l'ai annoncé
, Monfieur , de voir périr des gens
dans de grandes cuves en foulant une
vendange qui fermente, Enivrés & étourdis
par les efprits que la fermentation évapore
, ils tombent dans le vin , & périffent
bientôt noyés s'ils ne font pas fecourus à
tems ; mais dans ce cas-ci il paroît fingu-
Hier de les voir périr prefque fubitement
dans une cuve vuide , où il y avoit à peine
deux ou trois lignes de lie répandue fur le
fond , dans une cuve découverte depuis
plus de trois quarts-d'heure ; de voir enfin
arriver cet accident au mois d'avril , dans
un tems où la fermentation n'eft plus fenfible.
On peut cependant rendre raiſon
de ces effets furprenans.
JUILLET. 1755. 123
1º. On fera moins étonné de la promptitude
de la mort de ces quatre hommes ,
fi l'on fait attention qu'ils fe font tous
baiffés ; le petit domeftique pour balayer
& faire fortir la lie , & les trois autres fucceffivement
pour relever ceux qui étoient
tombés avant eux ; qu'en inclinant ainfi
la face vers le fond de la cuve & en s'enfonçant
dans le plus épais de la vapeur
ils l'ont humée directement avec la plus
grande abondance , & fe font exposés à fa
plus vive impreffion ; au lieu que le Cuifinier
qui n'y eft pas entierement defcendu
& qui eft demeuré debout , n'en a reçu
qu'une petite portion , qui n'ayant agi que
foiblement lui a laiffé le tems de gagner
le haut de la cuve , & de retourner à l'air
pur.
2. On trouve dans la configuration &
dans la fituation de cette cuve la raifon du
fécond effet ; c'est-à-dire comment les vapeurs
avoient pu s'y ramaffer en une auffi
grande quantité dès qu'il n'y avoit pas de
vin , & y demeurer renfermées malgré la
communication qui depuis trois quartsd'heure
étoit ouverte avec l'air extérieur.
C'étoit une grande cuve , d'environ neuf
pieds de profondeur , dont la circonférence
ne répondoit pas à la hauteur , faite en
forme de cône coupé , qui avoit fon fond
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
à la bafe & l'ouverture au fommet , dont
l'ouverture enfin étoit peu éloignée du toît
du cuvage : A quoi on peut ajouter que le
vin n'en ayant pas été tiré tout d'un trait
mais à repriſes , les efprits qui s'exhaloient
fans ceffe de celui qui y reftoit , au lieu
de s'attacher à la couverture de la cuve ,
comme il feroit arrivé fi elle avoit continué
d'être pleine , ſe répandoient & demeuroient
fufpendus dans l'air qui prenoit
à chaque fois la place du vin tiré ; deforte
la Cuve s'eft trouvée remplie par
dégrés d'un air extrêmement chargé de
ces vapeurs , dont les plus baffes n'ont pas
pu fe diffiper , foit a caufe de la profondeur
de la cuve , foit à cauſe de fa figure
conique & de la moindre étendue de fon
ouverture , foit enfin à cauſe de la proxique
mité du toît.
3 °. Les raifons que je viens de rapporter
, font affez voir comment l'évaporation
ordinaire qui fe fait du vin , a pu , fans le
fecours de la fermentation , fournir beau-
Coup de vapeurs dans cette cuve . Il faut
obferver de plus que la chaleur printaniere
qui ranime & fait monter la féve dans les
plantes , excite dans le vin une feconde
fermentation , qui , quoique moins fenfible
que la premiere , ne laiffe pas d'être
confidérable. Les vins blancs fpiritueux ,
JUILLET . 1755. 125
tels que ceux de Champagne , mis en
bouteilles au mois de Mars & d'Avril les
caffent , font partir les bouchons , & s'élancent
en mouffe par l'ouverture. Ils font
tranquilles au contraire , & ne produifent
aucun de ces effets violens fi on les y met
dans d'autres faifons : Or c'eft précisément
fur la fin de Mars & dans le courant d'Avril
que cette cuve avoit été vuidée , c'eftà-
dire au tems de cette feconde fermentation
, & elle a dû être très- grande dans
une auffi grande quantité de vin , parce
que les chaleurs ont été très - vives pendant
tout ce tems dans cette province , &
que cette cuve étoit placée à côté d'une
porte expofée au plein midi ; il n'eft donc
pas furprenant qu'il s'y foit fait une grande
évaporation d'efprits.
Il me femble qu'on peut comparer cette
cave à une espece de méphitis . La feule
différence que j'y vois , c'eft que là ce font
des vapeurs minérales , fulphureufes ou
falines , & qu'ici ce font des foufres végétaux
, exaltés & volatifés par la fermentation.
Je trouve une certaine affinité entre
fes effets & ceux de la fameuse Mofète de
la Grotte du Chien , près du lac Agnano
dans le royaume de Naples. Les hommes
plongés dans la vapeur de la cuve , comme
les animaux plongés dans celle de la
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
grotte font tombés fubitement évanouis ,
& font morts bientôt dès qu'il n'a pas été
poffible de les en retirer affez vîte . Ceux
qui ont eu le bonheur d'être remis promp
tement à l'air extérieur , font revenus de
même fans aucune fuite fâcheufe ; & fi les
hommes font tombés fans mouvement dès
l'inftant qu'ils fe font baiffés dans la cuve ,
au lieu que les animaux dans la vapeur de
la grotte s'agitent quelque tems par des
mouvemens convulfifs , cela vient fans
doute de ce que cette vapeur plus groffiere
& moins pénétrante que les efprits ardens
du vin , ne porte pas au nez , & n'affecte
pas le genre nerveux , de maniere à y cau,
fer cette constriction fubite , qui a intercepté
le cours de ces efprits.
Dans l'impoffibilité où l'on étoit de retirer
affez vîte ces malheureux de la vapeur
, y auroit- il eu quelque moyen de
les empêcher de périr ? Je crois qu'en arrofant
le dedans de la cuve de beaucoup
d'eau , on y auroit peut- être réuffi. D'un
côté les gouttes de ce fluide en fe précipitant
, auroient précipité avec elles les efprits
répandus dans l'air , & lui auroient
rendu fa pureté & fon reffort ; & de l'autre
celles qui feroient tombées fur le corps
de ces mourans , auroient pu en rappellant
la force fiftaltique des vaiffeaux , ranimer
JUILLET. 1755 . 127
la circulation qui s'éteignoit. L'expérience
apprend que les animaux à demi- fuffoqués
dans la grotte du Chien reprennent
beaucoup plus vite leurs efprits , fi on les
plonge dans l'eau du lac Agnano ; mais
il auroit fallu employer ce moyen à tems :
ce qui auroit été difficile dans ce cas , à
caufe de l'éloignement qui fe trouve du
cuvage à la fontaine .
Enfin , Monfieur , fi cet accident eft
pour ceux qui font dans le cas de faire
vuider de pareilles cuves , un avertiffement
de ne point y expofer perfonne fans
avoir donné à la vapeur le tems de fe diffiper
, ou du moins fans l'avoir précipitée
avec de l'eau , il n'en préfente pas un moins
important pour ceux qui font un ufage immodéré
du vin & des liqueurs ardentes ;
car fi ces efprits appliqués au-dehors ont
produit des effets auffi prompts & auffi
funeftes , combien ne doivent - ils pas en
produire de fâcheux , lorfque pris intérieu
rement avec excès , & circulant dans la
maffe des humeurs ils fe portent au cerveau
, & agiffent immédiatement fur les
fibres médullaires & nerveufes ?
J'ai l'honeur d'être , &c .
A Riom en Auvergne , le 15 Mai 1755 .
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
M
Lettre à l'Auteur du Mercure.
ONSIEUR , j'ai toujours eu des doutes
obftinés , fur la poffibilité où nous
fommes , de reconnoître infailliblement
par l'ouverture des cadavres , les caufes
éloignées & immédiates des maladies du
corps humain. M. l'Abbé Raynal votre prédéceffeur
, affure néanmoins dans le Mercure
de Septembre 1751 , pages 149 & fuivantes
, » que que les avantages qui résultent
» de l'ouverture des cadavres , foumettent
alors à l'examen des fens , la cauſe même
» qui avoit produit la maladie , &c n .
C'eft à l'occafion des obfervations Anatomiques
tirées de l'ouverture d'un grand
nombre de cadavres , propres à découvrir
les caufes des maladies , & leurs remedes ,
par M. Barrere , médecin à Perpignan , & c.
que M. l'Abbé Raynal , nous donne ce
moyen prefque comme certain de nous
inftruire fur cette matiere. J'ai parcouru
avec des yeux avides , & j'ai lu enfuite
avec toute l'application poffible le Livre en
queſtion , Edition de 1753 , mais je n'y ai
point trouvé ce que l'Auteur & M. l'Abbé
Raynal promettent. Si on nous eut promis
de nous montrer par l'ouverture des cadavres
les caufes certaines de la mort , au lieu
JUILLET. 1755- 129
de celles des maladies , on y auroit infiniment
mieux réuffi . En effet , Monfieur ,
qu'apperçoit-on dans la tête d'un homme
mort d'une fievre maligne , d'une phrénéfie
, d'une apoplexie & dans les maladies
caufées par de fortes paffions de l'ame.
Comme dans les fix premieres obfervations
de l'Auteur , on trouvera les vaiffeaux de
la dure-mere & ceux du cerveau , farcis &.
gorgés d'un fang épais & noirâtre , quelque
épanchement de férofités dans l'un ou
l'autre des ventricules , des grumeaux de.
fang caillé dans les finus , qu'on prend pour
des concrétions polipeufes ; il eft aifé de
fentir que ces accidens font plûtôt l'effet de.
la maladie , que fa caufe , & que ces,
mêmes effets font évidemment celle de la
mort. Un empiéme , des dépôts particu
liers dans le poulmon , & les ulcères qu'on
trouve dans l'ouverture des cadavres de
ceux qui font morts d'une de ces maladies.
de poitrine , n'annoncent pas la caufe qui
a produit ces défordres , mais feulement,
leurs effers , en faifant fuccomber le malade
à la force de ces accidens , lorfque la capacité
de la poitrine a été remplie par un
épanchement , qui a fuffoqué le malade ,
ou que fon poulmon a été fondu en partie ,
par d'abondantes fupurations , & c. Voilà
done encore des caufes de mort , & non de
F v
130 MERCURE DE FRANCE.
maladies. Les eaux épanchées dans le ventre
d'un hydropique , font-elles la caufe de
l'hydropifie ; un abcès au foye fe produitil
de lui-même , pour caufer les accidens
qui font périr le malade , non fans doute ;
& quoiqu'on fçache en général que cet
abcès eft la fuite de quelque inflammation
locale ou générale de ce vifcère , on n'eſt
pas plus inftruit , fur ce qui a donné lieu à
cette inflammation , pour être en état de
l'attaquer dans fon principe , & de la prévenir
même afin d'éviter de bonne heure
les fuites funeftes qu'elle peut avoir.
En attendant , Monfieur , le grand ouvrage
que Monfieur Barrere doit publier ,
& dont celui qu'il a donné n'eft que l'efquiffe
, je perfifte toujoujours dans mes
doutes fur l'infuffifance de l'ouverture des
cadavres pour découvrir la caufe des maladies.
Je fouhaite ardemment qu'il réuffiſſe,
mais ce ne fera affurément pas comme il a
déja fait , en prenant les effets d'une maladie
pour fa caufe.
Je vous prie , Monfieur , d'inférer la
préfente dans un de vos Mercures , non
dans la vûe de diminuer en rien le mérite
de l'ouvrage de M. Barrere , mais feulement
pour convaincre de plus en plus le
public , qu'il eft des cauſes infenfibles de
maladies , que toute la fagacité de l'efprit
JUILLET. 1755. 1755 131
humain , ne fçauroit appercevoir , & que
dans bien des cas , l'Aphorifme d'Hippocrate
, fublatâ caufâ tollitur effectus, eft d'une
exécution impoffible.
J'ai l'honneur d'être , &c.
A Toulouſe , ce 25 Avril 1755 .
CHIRURGIE.
... Profeffeur en
Lettre écrite à M. M ....
Chirurgie , par M. Boucher , Capitaine
d'Infanterie.
C
'Eft un époux , Monfieur , qui va vous
entretenir ; c'eſt un militaire qui va
vous écrire ; c'eſt affez vous en dire pour
mériter votre indulgence . Ce préambule
vous feroit inutile fi j'étois initié dans l'art
de la Chirurgie. Ecrivant à un maître tel
que vous , je n'aurois befoin que de m'énoncer
, vous m'entendriez clairement
mais il s'agit de vous parler une langue qui
m'eft étrangere , & de vous donner à deviner
le plus aiſement que je pourrai. Ce
fera donc , Monfieur , l'amour conjugal
qui fera mon interprête ; c'eſt lui qui m'engage
aujourd'hui à vous rendre compte
d'une maladie que j'ai d'autant mieux étu-
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
diée qu'elle m'a tant effrayé pour les jours
de ma chere femme.
›
Vous ne rae remettez peut - être plus ,
Monfieur , & par conféquent il eft néceffaire
de vous dire qui je fuis. Mon nom
n'eft pas fuffifant pour vous remettre fur
la voie il faut vous dire qu'au mois de
Décembre dernier je vous invitai chez
moi , rue Poiffonniere , avec M. M ....
Chirurgien major de l'Hôtel - Dieu , pour
vous confulter für la maladie dont ma
femme étoit attaquée depuis treize ans.
Cette maladie , Monfieur , étoit la plus
terrible fiftule qu'on ait jamais eue Ma femme
eft créole , de l'ifle de Bourbon , & elle
attribue cette maladie à une chûte qu'elle
fit quelques années avant que je l'époufaffe
, d'une terraffe de vingt pieds de haut
pour le moins. Cette chûte ne lui caufa
que quelques douleurs & meurtriffures
qui fe diffiperen: en peu de tems , par les
fecours qu'on lui donna. Elle n'eût aucun.
fymptome de fiftule , mais un an après notre
mariage elle mit au monde un fils
foit effet de la groffefle ou de la couche ,
elle commença à fentir des douleurs à l'anus
, qui cefferent néanmoins lorfqu'elle
fut rélevée & rétablie de cette premiere
couche. Elle fut environ trois ans fans devenir
enceinte , pendant lequel tems elle
"
JUILLET . 1755. 133
ne fentit aucune douleur ; mais l'étant
devenue , fur le neuvieme meis de fa groffelle
il fe forma en neuf jours un dépot
ficonfidérable qu'elle fouffrit nuit & jour
Toutes les douleurs qu'un panari violent
peut occafionner . Les Chirurgiens de l'afle
peu au fait de leur métier , encore moins
de ces fortes de maladies , ne regarderent
ce dépôt que comme un abcès . Lorfque la
matiere fut bien formée la tumeur perça
d'elle- même , & vuida une quantité prodigieufe
de pûs . Cette évacuation foulagea
fubitement & totalement la malade
qui accoucha le lendemain d'une fille qui fe
porte très bien aujourd'hui. Nos Docteurs
laifferent fermer le fac de lui- même , &
fans doute le loup fut enfermé dans la bergerie
, puifqu'à une troifieme grofleffe.
l'abcès reparut. Pour lors d'autres Chirur
giens de vaiffeaux qui fe trouverent là ,
martyriferent la malade a grands coups de
biftouris , & s'efforcerent de cueillir un
fruit qui n'étoit pas mûr , & qu'ils ne connoilfoient
fans doute pas ; cependant elle
accoucha d'un garçon bien à terme , mais ,
mort par une peur qu'un incendie avoit
caufée à la mere chez elle . L'abcès diſparut
donc encore , & tant que ma femme ne
devenoit pas groffe elle ne fe fentoit de
rien. A la quatrieme groffeffe l'abcès re134
MERCURE DE FRANCE .
que cet
commença , à la cinquieme de même ; &
enfin à la fixieme qui eft arrivée l'année
derniere , il fe forma fur le dernier mois.
Mon épouſe fouffrit beaucoup , le Chirurgien
du logis qui avoit foin d'elle depuis
fon arrivée en Europe , me confia
abcès étoit fiftuleux , pour lors je lui
гар-
portai tout ce que je viens d'avoir l'honneur
de vous dire , & il la panfa en conféquence.
Elle étoit trop avancée dans fa
groffeffe pour entreprendre la guérifon
d'une pareille maladie ; mais loin de la
traiter comme on avoit fait aux Indes , au
contraire il eut grand foin de conferver
cet abcès ouvert , & de donner iffue à la
matiere qu'il fourniffoit journellement
illa panfoit deux fois par jour , & au terme
de neufmois elle accoucha d'une fille pleine
de fanté , & cela fans accident. Le
Chirurgien de la maifon continua à la
panſer exactement pendant deux mois depuis
fa couche , après lequel tems il me
confeilla lui-même de vous appeller au fecours
, me déclarant que la maladie étoit
une fiftule .
Voici , Monfieur , où la grande hiftoire
commence. Vous eûtes la bonté de vous
rendre chez moi avec M. M..... mon
Chirurgien y étoit , & on vous rendit
compte de tout ce que je viens de vous
JUILLET. 1755- 135
répéter. La malade étoit bien prévenue
qu'elle avoit une fiftule , mais elle n'étoit
point portée pour l'opération , parce que
quelques perfonnes lui avoient confeillé
les cauftiques. Vous fondâtes vous-même
le mal , & fuivant votre avis , ainfi que
celui de M. M. . . . vous jugeâtes que
c'étoit une fiftule borgne ; même , me
dites- vous alors , fans clapier & fans que
l'inteftin fût offenfé , car vous fuppofiez
encore une grande diſtance entre le vice &
l'inteftin. Eh bien , Monfieur , l'événement
a fait voir le contraire , & je m'en fuis
convaincu par ce que j'ai vû. Mais fuivez
moi , s'il vous plaît : vous jugeates donc
la fiftule borgne ordinaire , en un mot
point confidérable ; je vous demandai ce
qu'il y avoit à faire , vous me fites l'honneur
de me dire qu'il falloit faire l'opération
, que cela feroit peu de chofe , & que
ma femme n'avoit aucun rifque à courir ;
je vous dis que la malade ne s'y réfoudroit
jamais , & qu'elle préféreroit de fe faire
guérir par les cauftiques. M. Braffant
me dites - vous fur le champ , peut la
guérir ; mais je fuis furpris qu'on préfere
des fouffrances de cinq à fix mois à
une minute & demie. Cependant , continuates-
vous , je vous confeille de commencer
par lui guérir l'efprit. Elle préfere ce
>
136 MERCURE DE FRANCE.
remede , il faut le lui donner. Il détruir
par le feu ce que le nôtre détruit par le fer.
Ho! nous y voilà , Monfieur. Riez tant
qu'il vous ppllaaiirraa de mon extravagance ;
mais je ne veux point difputer avec vous .
Je prétens vous prouver que les événemens
dont je vous ai parlé , font feuls
capables de faire connoître les maladies.
De plus , je prétends vous démontrer que
la méthode des cauftiques eft préférable à
l'opération , fur- tout à de pareilles fiftulles .
Je vous vois déja me railler & me tourner
en ridicule : n'importe , je me hazarde , &
m'encourage ; c'eft que ma femme eft guérie.
Je commence.
La fiſtulle , Monfieur , me paroît à préfent
un terrier de lapin , lequel dans l'inté
rieur forme la figure de ziczac. Si je pouffe
un bâton par fon ouverture , il arrive que
je trouve bientôt une réſiſtance , mais ce
n'eſt pas le fond du terrier ; & quand j'em- -
porterois toute la furface , jufqu'à la profondeur
qui en a procuré la réfiſtance au
bâton , je n'aurois pas encore découvert le
fond de mon gîte. Or la fonde me paroît de
même dans une fiftulle à un pouce , deux
pouces , & plus , fi vous voulez ; elle peut
fentir un arrêt qui paroît être le fond , mais
Louvent ce n'eft que l'endroit où le finus
prend un détour, & qui s'étend encore à une
י
}
JUILLET. 1735 137
certaine profondeur , où il en prend encore
une autre. Comment la fonde peut- elle
nous dire tout cela ? Non , il est donc im- -
poffible de juger d'une fiftulle par la fonde
, & pour voir ce qu'il y a dans un vaſe ,
il faut le découvrir. Je fçais qu'avec l'inftrument
on emporte plus que moins , &
qu'enfuite les cifeaux fuppléent au beſoin ,
mais le fang accable & peut fort bien empêcher
de voir un malin finus qui pourſuit
fa route bien au- delà de ce qu'on s'imaginoit
; néanmoins l'opération guérit radicalement
la fiftulle , je le fçais , j'en conviens
; mais jamais elle n'eût guéri celle
de ma femme , puifque l'inftrument n'auroit
pû aller à la profondeur , & qu'encore
une fois on ne la croyoit pas confiderable .
Je fuis moralement sûr qu'elle eût été manquée
, elle n'auroit pas été la premiere ;
mais en outre quel rifque n'eut- elle point
couru ? les fouffrances des panfemens , les
douleurs de la garderobe , les rifques du
dévoiement , d'une fiévre , d'une hémoragie
, en un mot , un nombre de jours dans
un lit à fouffrir & à vivre fans manger.
Or par la méthode de M. Braffant avec fon
cauftique , il eft impoflible qu'il manque
une fiftulle , lorsqu'il la traitera lui -même,
& fon malade ne court aucun des rifques
que je viens de dire ; il eft vrai qu'on
138 MERCURE DE FRANCE.
fouffre le martyre. On dit qu'il en a guéri
& qu'il en a manqué : je foutiens qu'il n'en
a manqué aucun , à moins que ce foit des
gens aufquels les douleurs ont fait abandonner
le remede ; mais quand on voudra
les fouffrir , on eft sûr de la guérifon . Il
n'y a peut- être jamais eu perfonne que má
femme qui ait fouffert une quantité fi prodi
gieufe de cauftiques, puifqu'elle en a eu 33 ;
mais fi elle avoit abandonné au trentieme ,
sûrement elle n'eût point été guérie. J'appellai
donc M. Braffant le lendemain de votre
vifite. Je ne lui parlai point de la conful
tation qui avoit été faite la veille , je lui
dis fimplement que ma femme étoit atta
quée d'une fiftulle depuis 13 ans. Je lui fis
le détail de cette maladie tel que j'avois
eu l'honneur de vous le faire , & j'ajoûtai
que la malade ayant oui parler de fa méthode
la préféroit à l'opération . Il vit fon
mal & le confidera long- tems ; il tâta les
environs , & jugea que la fiftulle étoit con
fidérable , affurant que l'inteftin étoit of
fenfé ; mais qu'il étoit sûr de la guérifon
radicale , fi la malade vouloit avoir de la
confiance & du courage , parce que font
remede étoit violent : ma femme s'y livra
toute entiere , fur-tout efpérant de pouvoir
guérir fans opération . Elle lui demanda le
régime qu'elle avoit à fuivre ; mais quelle
JUILLET. 1755. 139
fut la joye & fa furpriſe lorfque M. Bralfant
lui dit qu'elle n'avoit qu'à vivre à ſon
ordinaire & conferver fon apétit.
Avouez , Monfieur , que voilà un régime
bien doux & bien différent de celui que
l'oppération exige. La malade avoit été
préparée , & deux mois s'étoient écoulés
depuis fa couche , ce qui fit que M. Braffant
la commença le lendemain 10 Décembre
1754. Il lui appliqua le premier cauftique
à 9 heures du matin , qui fit l'effet
qu'il en attendoit. La malade fouffrit la
douleur que ce remede lui caufa avec un
courage héroïque ; elle fouffroit , mais elle
difoit elle-même que c'étoit fupportable.
M. Braſſant vint la voir le foir , & il fut
furpris de trouver une femme fi courageufe.
Le lendemain matin il vint la panfer ,
les cauftiques avoient brûlé une quantité
de chairs qui commençoient à former un
efcard , ils avoient occafionné un gonfle→
ment confidérable dans toutes les parties
fpongieufes & vicieufes. Le troifieme jour
cet efcard tomba & occafionna une ouverture
affez confidérable , procura la facilité
à M. Braffant de voir différens finus renfermés
dans cette partie ; il les attaqua les
uns après les autres par fes cauftiques , &
plus il en détruifoit , plus l'ouverture s'agrandiffoit
& la profondeur paroiffoit.
140 MERCURE DE FRANCE.
Après que la malade cut fupporté dix a
douze cauftiques , pour lors M. Braffant vit
clairement toute l'étendue du mal ; il s'apperçut
que l'inteftin étoit percé , qu'un
finus fe pourfuivoit droit au gros boyau
il tint toujours ce finus découvert , & s'attachant
à détruire toutes les parties qui
l'environnoient & qui étoient offenfées ; it
y parvint par la fuite , & c'eft ce qui prolongea
la guérifon pour lors , il ne lui
refta plus que le finus principal , ou le fond
du fac qu'il attaqua avec tant de fuccès
que le 30 Avril il vit tout le vice détruit ,
& parvint à une guérifon radicale & certaine
. Voilà , Monfieur , tout le détail que
mon affiduité aux panfemens me permet
de vous faire ; mais vous ne pouvez vous
imaginer l'étendue de ce mal , & je crois
fermement que l'opération ne l'eût point
guéri , d'autant mieux qu'on ne jugeoit
point cette fiftulle fi confidérable. Remarquez
que par la méthode de M. Braffant ,
il n'y a point de fiévre à craindre , point
de dévoiement à appréhender , point de
régime à garder & point de douleurs en
allant à la garderobbe , en un mot point
de danger à courir pour le malade rout
cela , Monfieur , ne me feroit point balancer
à préferer cette méthode à l'opération
d'autant mieux encore qu'il eft impoffible
JUILLET. 1755- 141
qu'on laiffe la moindre chofe par cette fade
traiter une fiftulle.
çon
Il me reste encore à vous parler d'un
article auquel peu de Chirurgiens ajoûtent
foi , c'eft fur l'efpéce de cauftique dont
M. Braffant fe fert . Je crois réellement que
ce cauftique eft à lui feul & à fon fils , &
je ferois porté à croire qu'un autre que lui
qui voudroit traiter la fiftulle par ces cauftiques
y échoueroit , n'ayant ni la pratique
, ni le cauftique de M. Braffant : ne
feroit- ce pas cela qui auroit donné lieu de
croire au public que fi M. Braffant en a
guéri , il en a auffi manqué ? Cela fe
roit bien , Monfieur , & j'en ferois conyaincu
, fi quelqu'un me difoit avoir été
manqué par M. Braffant , pere ou fils.
pour-
Je fuis fâché , Monfieur , de vous avoir
diftrait & peut-être ennuyé par mon verbiage
; mais paffez- le moi en faveur de la
joye que me caufe la guérifon de ma femme
, & de la part que vous avez bien voulu
prendre à fa maladie .
J'ai l'honneur d'être , &c..
BOUCHER.
Paris , ce 2 Mai 1755 .
142 MERCURE DE FRANCE.
MECHANIQUE.
Machines nouvelles à curer les ports
& les rivieres.
E fieur Theveu , architecte , connu par pluheurs
machines propres à approfondir & à
curer le lit des rivieres , & faciliter l'entrée des navires
dans les ports , en a exécuté une qu'il a employée
avec un grand fuccès à curer le port de
Rouen , qu'il a recreufé de plus de fept pieds de
profondeur ; la machine agiffant à dix-neuf pieds
au-deffous de la furface de l'eau.
Malgré la dureté du terrein elle en enlevoit par
jour dix-huit à vingt toifes cubes. Avec le fecours
de la même machine , il a arraché & enlevé plus
de trois cens pieux de douze à quinze pieds de fiche,
élevés feulement de fix pouces au -deffus du terrein,
& enfoncés à dix-fept pieds au-deffous de lafuperficie
des eaux.
L'auteur s'eft fervi d'une autre machine , auffi
de fa compofition , examinée & approuvée par
Meffieurs de lA'cadémie des Sciences , pour enlever
du fond de la riviere des blocs de pierre de dix-fept
a dix-huit pieds cubes. а
Le fieur Theveu ſe tranſportera dans les endroits
où il fera néceffaire de faire quelques- unes des
opérations ci - deſſus indiquées , les perfonnes qui
voudront l'employer , lui feront l'honneur de lui
écrire à Paris , chez M. Lange , Sculpteur de
M. le Duc d'Orléans , rue du Vert-bois ; & à
Rouen , chez M. Duboc , à la Barbacane.
JUILLET. 1755. 143
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
R
MUSIQU E.
ECUEIL d'airs de contredanfes
menuets , & vaudevilles nouveaux
chantés fur les théâtres de l'Académie
royale de Muſique & de l'Opéra Comique
, lefquels fe jouent fur toutes fortes
d'inftrumens : 13 partie , prix 24 fols.
A Paris , chez M. Boivin , rue S. Honoré ,
à la Regle d'or ; M. le Clerc , rue du Roule ,
à la Croix d'or ; Mile Caftagnery , rue des
Prouvaires , au Luth royal ; & le fieur
Duchesne , rue S. Jacques , au Temple du
Goût.
Le Deffert des petits foupers , fixieme
feptieme , huitieme , neuvieme & dixieme
parties. A Paris , aux mêmes adreſſes .
Chaque partie 24 fols.
144 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE
DU PERE CASTEL ,
A M. Rondet , Mathématicien , furfa Réponſe
au P. L. J. au fujet du Clavecin
des couleurs.
pour
Ous vous honorez , Monfieur , en
m'honorant. J'aime fur -tout la décence
: je vous fçais gré d'avoir preffenti l'embarras
où j'allois être d'entrer en lice avec un
adverfaire dans lequel je devois beaucoup
me refpecter moi- même. Je ne vous con-
Hoiffois pas malin. Vous aimez à prolonger
votte triomphe , & vous gardez le plus beau
le dernier. Pour toute apologie vous
pouviez dire comme Scipion accufe devant
le peuple : Meffieurs , allons au Capitole
remercier les Dieux de ce qu'à pareil jour
Numance ou Carthage ont été foudroyées.
Car duofulmina Belli , Scipiadas , dit Virgile
) . Meffieurs , pouviez - vous dire , remercions
Dieu de ce que le clavecin a joué
avec l'applaudiffement de 200 perfonnes
le premier de l'an 1755 , pour les étrennes
du public . Il avoit bien joué devant cinquante
perfonnes , qui battirent des mains
àquatre reprifes , le 21 de Décembre 1754,
le
JUILLET . 1755. 145
le jour de faint Thomas , Apôtre , qui en
eft le Patron. Chaque art , chaque métier
a le fien.
J'aime les arts , vous le fçavez mon
cher Monfieur , je les aime dans le vrai ,
en géometre , en homme même , & avec
une forte de paffion ; je les chéris en citoyen
, ne connoiffant d'autre reffource
momentanée aux befoins renaiffans de
l'humanité . Par le ſentiment , j'ofe dire ,
plus que par la fenfation : Humani à me
nil alienum puto. Je fuis vivement affecté
des befoins de mon prochain , & je ne
m'en connois d'autre bien preffant que
celui d'y pourvoir en commun , felon la
mefure de mes petits talens , dont toute la
fingularité , ce me femble , n'eft que d'être.
en commun & fort gratuitement au fervice
du public , felon le devoir de mon état &
l'efprit de ma vocation.
Plein de cet amour affez pur pour les
arts , je gémis donc de les voir tomber par
une ambition de ſtyle & de bel-efprit qui
ne remplace point la noble émulation ni
le vrai goût du travail , caractériſé par ce
beau vers de Virgile que j'inculque à tous
venans :
Difce puer virtutem ex me , verumque laborem ;
C'eſt ce verus labor qui n'eft point affez
G
146 MERCURE DE FRANCE .
connu. J'en gémirois bien davantage fi je
pouvois me croire auteur de cette décadence
des arts. Peut- être les montai -je trop
haut , les mets-je à trop haut prix ? En
doublant la mufique , je n'ôte rien à la
mufique vulgaire , que j'ai même un peu
perfectionnée , peut- être il y a 30 ans ,
avant & depuis mon clavecin .
·
Point d'éloge en effet auquel j'aie été
plus fenfible , qu'à celui du brillant M. de
Voltaire , qui dit que j'aggrandis la carriere
des arts , de la nature des plaifirs,
Plaiſirs honnêtes , plaifirs même d'efprit ,
tels que la mufique , la peinture , les couleurs
, les belles nuances de toutes choſes.
En faveur de cet éloge , je lui en paffai un
autre moins brillant , où il dit du clavecin
il y a travaillé de fes mains. Il le dit en
grand poete ( vates ) par une forte d'infpiration
qui a droit d'infpirer ce travail .
Entre têtes , je ne dis rien des coeurs ,
l'enthoufiafme eft contagieux , fur- tour
lorfqu'il eft à l'uniffon de deux autres têtes,
telles qu'un Montefquieu & un Fontenelfe
, dont le premier en réponſe à bien des
chofes , m'écrivoit , il y a un an , faites le
clavecin , & tout ira ; & le dernier m'envoya
dire , il y a neuf mois , qu'il ne vouloit
pas mourir fans voir le clavecin : ce
qui auroit dû peut- être m'empêcher de le
JUILLET. 1755. 147
faire fi vîte , fi j'étois fuperftitieux avec
gens peu fufpects fur l'article , mais dont la
miféricorde divine peut couronner la vie
de bel-efprit d'une fin folidement religieufe
& chrétienne , comme on vient de
le voir dans un événement qui m'affligeroit
trop , fans la bonne part que Dieu a
bien voulu me donner dans cette vraie
confolation .
Bien des découvertes fe perdent avec
leurs auteurs , immortels en paroles &
mortels en réalité . Voici de quoi le public
doit remercier Dieu avec moi , c'est qu'il
m'ait laiffé furvivre 30 ans à la premiere
idée de mon clavecin. De fçavant fpéculatif
, il m'a régulierement fallu devenir
artifte de goût , & enfin artiſan de fait , &
comme de métier . Sutor erit fapiens ; c'eft
de moi qu'Horace l'a dit .
Quand j'annonçai cette bagatelle , point
fi bagatelle , dit- on , en 1725 ; ce n'étoit
en effet qu'une idée , & je n'avois nulle
intention de l'exécuter. J'en pris acte dans
le même Journal ( le Mercure ) au fujet
d'un foi-difant Philofophe Gafcon , anonyme
à cela près , qui me fommoit familierement
d'y mettre la main. A quoi je repli.
quai trop fierement peut- être : Monfieur ,
Monfieur , je fuis Geometre , je fuis Philofophe
, & ne fuis luthier , facteur , ou faiseur
G ij
148 MERCURE DE FRANCE:
d'orgues ni de clavecin. Dieu m'en a puni ,
j'ai fait un orgue en quatre jeux de rofeau
de mes mains depuis ce tems- là . Mais en
ce tems-là , je n'étois pas même artifte , &
l'anonyme , que j'ai bien reconnu depuis ,
n'étoit ni un Voltaire , ni un Fontenelle ,
ni un Montefquieu pour m'infpirer.
Je devins artiſte en 1735 , dans mes fix
grandes lettres à l'illuftre Préfident que je
n'ofe fi fouvent nommer ; & tout le monde
convint que l'art du clavecin étoit démontré
en douze dégrés bien tranchés de coloris
, & en douze octaves préciſes de clairebfcur
, faifant en tout 144 nuances ou
demi-teintes , depuis le grand noir jufqu'au
blanc extrême, en parallele exact aux douze
demi- tons chromatiques , & aux douze
octaves de grave aigu , faifant 144 demitons
de fon depuis le plus bas tuyau poffible
de 64 pieds qui râle , jufqu'à celui
de deux ou trois lignes qui glapit.
L'art eft chofe encore trop fine pour
ceux qui n'ont que des yeux pour en juger :
j'eus beau montrer & démontrer tout cela
en nature , fur des papiers colorés , dans
des rubans même & des étoffes faites exprès
, & que tout le monde a vûes avec
empreffement , je puis même dire admirées.
C'étoient bien là les propres cordes , les
propres touches du clavecin , aufquelles il
JUILLET. 1755 : 149
ne manquoit plus que la groffe facture des
ouvriers en titre pour le monter. Point du
tout , il s'éleva une voix qui dit que le
clavecin étoit démontré vrai en théorie , mais
qu'il étoit faux & infaifable en pratique . Et
de ce feul coup de langue le clavecin non
monté fut démonté , tout mon art réduit
à rien , & mes étoffes , rubans & couleurs
au pillage , comme s'il s'agiffoit de
l'élection d'un Roi de Pologne , où le fuffrage
d'un feul eft l'oracle de la multitude.
J'ai toujours dit , toujours éprouvé du
moins que les paroles de l'envie étoient de
foi efficaces : elles intimident , elles décou
ragent , elles tiennent en arrêt un inventeur.
Cela feul d'avoir déclaré le clavecin
infaifable , l'a rendu tel pendant 20 ans ;
car s'il ne m'a fallu que 10 ans pour devenir
artifte , il m'en a fallu deux fois 10 enfuite
pour devenir artifan , en me dégradant toujoursde
l'efprit au goût & du goût au travail
des mains , qui eft pourtant le vrai goût
de néceffité , de bon fens même , au lieu
de tout ce babil de bel - efprit , non faifeur
, mais fimplement difcoureur , qui
dégrade les arts & l'humanité , la raifon
même. Car homo natus ad laborem.
Je reconnois cependant avec plaifir , en
honnête-homme , que fi j'ai perdu à cela
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
du repos & une honnête fatisfaction d'efprit
, le public y a gagné. Par ces prétendues
dégradations , comme de moi - même
je me fuis toujours rapproché du public ,
de fes befoins , de fes plaifirs. C'est bien
lui qui me difoit toujours faites le claveein,
& foyez plutôt maçon ſi c'est votre talent.
Le public entend fur-tout fes intérêts . Le
clavecin lui auroit trop coûté dans fa primeur.
Je n'ai fait que le mûrir", le rendre
pratiquable. En 1725 , on ne l'auroit pas
fait pour 100 , 000 écus par les mains des
ouvriers & artiſtes qui s'offroient aſſez à
moi , mais avec des bouches plus qu'avec
des mains , & avec plus d'appétit que de
fçavoir faire. En 1735 , je n'eftimois plus
la facture du clavecin que 20 , coc écus :
en 45 , 10 , 000 écus ou même 1000 guinées
, difois -je aux Anglois. Il y a 3 ans,
que je le voyois faifable pour 100 louis ,
quelqu'un le mettoit à 2000 écus ; & voilà
qu'aujourd'hui je viens de le faire fans
ouvriers pour 50 écus.
On m'a prié de dire tout cela naïvement
, & je fuis bien aiſe de compter tout
au public pour n'avoir jamais à compter
avec lui. Qu'on s'en prenne à la langue fi
je fais des jeux de mots . Encore eft- il bon
de jouer, à propos de clavecin ; & deformais
on ne me défieroit pas impunément
JUILLET.
1755. ISL
de faire jouer tout ce que les hommes traitent
de plus férieux dans leurs prétendues
affaires qui ne font que jeu , difent les
plus experts même.
En tout cas , je ne furfais point mon
ouvrage , & j'aggrandis la carriere des arts
en écartant les artiftes , les ouvriers , les
mains , & tout ce qui n'eft que bouche &
appétit au fervice du public : car les bouches
mangent les arts , on ne fçauroit trop
le répéter. Plus on m'a difputé la poffibi
lité du clavecin , plus j'ai pris à tâche d'en
conftater la facilité & d'en fimplifier la
pratique. Et puifque toutes mes démonftrations
ne m'ont fervi de rien , me voilà
de démonftrateur devenu monftrateur , ou
montreur de curiofité , de rareté , de fingularité
, puifque ce mot plaît tant à la
pluralité de deux ou trois beaux efprits.
Je veux bien en convenir ; la chofe eft
finguliere , rare & curieufe , de colorer le
fon , de faire fonner la couleur , de rendre
l'aveugle juge des couleurs par l'oreille , &
le fourd juge du fon par l'oeil . Autrefois je
m'en défendois comme d'un beau meutre :
aujourd'hui je me livre à tout le paradoxe
de mon entrepriſe depuis que j'en ai fait
un jeu . Or je n'avois promis qu'un jeu .
Et en bonne- foi , mon cher ami , vous le
fçavez , vous le voyez , vous en avez vû
G iiij
152 MERCURE DE FRANCE.
isz
tous les progrès nuancés ; n'eft - ce pas un
jeu de trouver même fi difficile , fi impoffible
, en tirant un cordon , une targette ;
en baiffant une touche d'ouvrir une foupape
de lumiere , lorfqu'on ouvre une foupape
de fon , & de faire voir bleu , lorfqu'on
entend ut , rouge en entendant ſol ;
de faire voir du clair , lorfqu'on entend
de l'aigu , du fombre , en entendant du
grave ?
Du refte , il n'y a que du bien dans mon
projet , & quand je ne réuffirois pas à aggrandir
la carriere des arts , je n'ôte rien à
fa grandeur , & perfonne n'a droit de la
refferrer , de la borner plus qu'elle n'eft
jufqu'ici bornée & refferrée. Ce n'eft pas
moi qui ai le premier affirmé l'harmonie
des couleurs , de la peinture , de l'architecture
. Je n'ai fait que les démontrer &
les montrer. Avant moi Pline , les Grecs
Felibien même , en avoient beaucoup difcouru
par instinct , par fentiment , en gens
d'efprit , en experts . Mais voilà peut - être
comme on aime les chofes dans le nuage ,
dans le myftere , dans ce fameux je ne fçais
quoi dont les littérateurs font tant d'éloges.
›
On a voulu voir & revoir mes couleurs ,
& je crois que je ne les ai que trop montrées
, & que je n'y ai été que trop d'abord
JUILLET. 17550 153
·
en mal habile artifte , en mauffade ouvrier.
Elles ont ébloui , fatigué , offufqué la vûe ,
les yeux. M. de Voltaire le difoit , le prédifoit
, le préfentoit ainfi il y a 20 ans. Ne
montrons donc point tant , difcourons en
fimples littérateurs , en poëtes même . Horace
, le poëte du goût , définit l'harmonie
une unité , une fimplicité : Denique fit
quod vis fimplex dum taxat & unum. Ailleurs
il la définit l'ordre , la régularité : Ordinis
hac virtus erit & verus. Les peintres la
font confifter dans l'entente des couleurs
dans l'unité du deffein , dans le beau toutenfemble.
Tout cela ne vient il pas au fimple accord
des parties confonantes des muficiens,
vrais juges en cette matiere ? Et puis la
vraie étymologie du mot harmonie décide
de tout. Apta commiſſura , junctura , difent
les Grecs , que je traduirois même plus littéralement
, ce me femble , par apta unitas ,
comme Horace , fimplex unitas ; car il y a
du monas dans harmonie. En un mot , variété
& unité , variété de parties , unité de
tout , font l'harmonie en tout genre felon
tout le monde . Eft - ce que les couleurs
manquent de variété en elles- mêmes ? Il y
en a autant que de fons . Eft- ce que la nature
, eft-ce que l'art n'en font pas tous
les jours des grouppes , des contraftes ,
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
des affortimens , des accords charmans ?
Mais c'eft l'architecture , calomniée à
mon occafion , que je me reprocherois de
laiffer retomber dans une barbarie pis qué
gothique , en l'abandonnant à l'enharmonie
où on l'a réduit. Quoi ! un grand
fuperbe & majestueux édifice , une bafili
que telle que S. Pierre de Rome , Notre
Dame de Paris , & mille autres magnifiques
temples du Seigneur. Un palais de
Roi , le Louvre , le Luxembourg , le Vatitan
même , & des millions de palais &
d'hôtels n'ont donc point d'harmonie
d'union de parties , de régularité , d'ordre
d'accord , de beau tout- enfemble , capable
d'impofer à l'oeil , de charmer l'efprit ?
›
Je vois , j'entends , je fens dequoi il s'a
git. Nos adverfaires fe trompent en habiles
gens. Ils me battent de mes armes : ils me
prennent en géometre, lorfque je leur écha
pe en artiſte , & me dérobe à leurs yeux fçavans
en artifan. Odi profanum vulgus , me
difent- ils noblement. Il y a long-tems que
j'ai obfervé que la géométrie eft une fcience
fublime , mais fiere , guindée & abftraite
, qui n'éclaire que la plus haute
région de l'efprit , dédaignant de rayoner
fur des mains. Auffi m'en fuis-je toujours
préparé l'échapatoire , fi ce terme eft permis
à un artifan , & vous ai répété vingt fois
JUILLET. 1755 155
mon cher Monfieur , que l'efprit géométrique
valoit mieux dans les arts que la géométrie
même & en perfonne.
La géométrie , qu'il me foit permis de
le redire , eft le corps fec , le fquelete décharné
de tous les objets fenfibles , réduits
non à leurs linéamens propres , comme le
deffein , mais à leurs dimenfions vagues ,
longueur , largeur , profondeur , lignes
furfaces & points extrêmes , figures marginales
, coupes & profils. Les arts net
manient point toutes ces impalpabilités là ,
vrais fpectres , vains fantômes dans l'uſage
ordinaire de la vie.
Nommément l'harmonie , les anciens
l'ont tout-à- fait alembiquée & rendue immaniable
, en la remontant aux proportions
géométriques , compliquées avec les
proportions arithmétiques , complication
qui acheve d'en débouter les arts . Or on la
voit dans ces différences de nombres combinées
avec leurs rapports : car qui dit
différence , dit de l'arithmétique ; & qui
dit rapport , dit du géométrique. Et tout
` eft dit.
Parce qu'on n'a pû ou fçû retrouver
l'harmonie des muficiens même , & à plus
forte raifon des peintres & des architectes ,
dans cette proportion foi-difant harmonique
, on a conclu néant d'harmonie pour
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
ces derniers arts , comme fi les mefures ;
par exemple , d'une colonne , de fon renflement
, de fa bafe , de fon piédeftal , focle
, couronnement , corniche , volute , architrave
, & d'un fimple fefton même ,
n'étoient pas chofes déterminées par des
nombres précis dans les fimples devis d'un
architecte comme fi la détermination du
module ne fondoit pas tous les rapports
des parties d'un ornement , d'un bâtiment
même tout entier. Or qui dit nombre ,
rapports quelconques , modules & détermination
, dit évidemment harmonie ; harmonie
même ici pour les yeux , n'y manquant
que le jeu pour en faire un clavecin .
Le feul plaifir de l'oeil ou de tout autre
de nos fens , ne peut- être qu'un plaifir
d'harmonie : car tel qui m'avoue que le
jeu de mon clavecin fait ou fera plaifir à
voir , fe croit un habile homme à me difputer
que ce plaifir foit un plaifir d'harmonie
, comme s'il pouvoit y en avoir
d'autre. On ne chicane pas les plaifirs , &
l'on feroit mieux de fe rendre acceffible à
celui- ci , que de me forcer à le tout analyfer
. La plupart de nos plaifirs analyſés
ne font plus des plaifirs : ils font faits pour
être fentis & non pour être connus . Con◄
noître eft un plaifir d'efprit , la plûpart ne
s'en foucient gueres. Dès que nos plaifirs
JUILLET. 1755. 157
font le réfultat de plufieurs fentimens caufés
par une fucceffion , ou une diverfité
d'objets , de mouvemens & d'opérations ;
il eft hors de doute que ce réſultat doit
être un & fimple , naiffant du concert &
de l'accord de toutes les parties , objets ,
mouvemens & fentimens qui le compofent.
Pour moi , je ne conçois que l'enfer ubi
nullus ordo , fed fempiternus horror inhabitat ,
& j'aime à penfer que le paradis eſt tout
harmonie .
C'eft tout franc la bonne & belle littérature
, & le bon goût même de toutes
chofes qui me paroiffent de tous les arts
les plus tombés , par un bel efprit foidifant
de philofophie bien plus que de
géométrie. Sans géométrie même ni arithmétique
, il ne m'a fallu qu'un peu de
goût de la belle nature , pour trouver que
le bleu mene au verd par le celadon , le
verd au jaune par l'olive , le jaune au
rouge par l'aurore & l'orangé , le rouge
aux violets par les cramoifis ; les violets.
nous ramenant au bleu pour recommencer
une nouuelle octave nuancée de coloris , à
l'aide du clair- obſcur , dont voici les dégrés.
Le noir ténébreux mene à l'obfcur , l'obfcur
au fombre , le fombre au brun , le
brun au foncé , le foncé au férieux , le
158 MERCURE DE FRANCE.
férieux au majeftuenx , le majestueux au
noble , le noble au beau , le beau au gracieux
, le gracieux au joli , au gai , le gai
au clair , le clair au blanc , le blanc au
lumineux éblouiffant qui ne fe laiffe point
voir , mais par qui tout eft vû . Sont-ce là
des termes mais on en a vû les échantillons
, il y a zo ans , & tous les jours ces
termes nous fervent à caractérifer les couleurs.
Eft-ce ma faute s'il y a des efprits ,
des yeux même pour qui les termes ne
font que des termes , des mots , verba &
voces.
J'aurois pû me fervir des mots un peu
plus techniques de gris noir , gris brun ,
gris d'ardoife , gris de fouris , &c . J'ai
mieux aimé me fervir des termes qui réveillent
des fentimens . Les anciens difoient
lés couleurs , c'eft le clair-obfcur qui eft unt
mêlange d'ombre & de lumiere. Je fuis
avec beaucoup de confidération , mon cher
Monfieur , & c.
L. CASTEL.
JUILLET. 1755. 159
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
Mercure du mois de Juin de l'année 2355-
Ne fociété de Gens de Lettres , vient
de publier un nouveau volume de fes
Mémoires *.
C'eft une chofe admirable que la vertueuſe
ténacité avec laquelle cet illuftre
corps s'attache à multiplier fes découvertes
fur nos antiquités françoiſes .
J'en rendrai compte , non fuivant l'ordre
felon lequel les Mémoires font arrangés
dans le volume , mais en mettant de
* Ces mémoires fontd'autant plus rares , qu'ils
font l'ouvrage des fçavans qui font à naître , &
qu'ils ont été faits plufieurs fiecles après le nôtre.
Jufqu'ici l'érudition avoit employé fa fagacité à
débrouiller le cahos des tems paffés , mais elle
étend aujourd'hui fes lumieres jufqu'à percer les
ténébres d'un âge à venir. C'eſt donner un être à
la poffibilité , c'eft réaliſer les conjectures , & ( ce
que j'eftime le plus dans ce morceau , ) c'est trouver
une maniere auffi nouvelle qu'ingénieufe , de
louer le fiecle préfent , fans bleffer la modeftie de
perfonne. Je crois faire un vrai préſent au public
de l'inférer dans mon journal.
160 MERCURE DE FRANCE.
fuite ceux qui traittent des matieres qui ont
du rapport les unes aux autres. Ainfi , je
rapporterai d'abord ceux qui concernent
l'Architecture antique.
Le premier eft celui du célébre M. Scarcher
, déja connu par tant d'ouvrages remplis
de la plus profonde érudition , il Y
traite des reftes d'Architecture de l'ancienne
ville de Paris. Il prouve d'abord d'une
maniere irréfiftible que le quartier de la
Cour , que nous diftinguons fous le nom
de quartier de Verfailles , étoit autrefois
hors de la ville de Paris , & qu'il y avoit
même une étendue confidérable de terrein
inhabité entre l'une & l'autre , il prétend
qu'alors la ville n'avoit qu'environ une
lieue d'étendue. On eft furpris , fans doute ,
de voir que cette ville magnifique ait eû
de fifoibles commencemens. Cependant il
eft difficile de fe refufer à la force des
ves qu'il a recueillies avec un courage infatigable
dans une quantité prodigieufe
d'anciens livres qu'il lui a fallu parcourir.
Il entreprend de prouver que la ville finiffoit
où l'on voit à préfent cette admirable
ftatue du grand Roi Louis XV. qui fut
furnommé par fes fujets le Bien -aimé
comme on le voit par les infcriptions de
la ftatue qui nous refte auffi bien confervée
que fi elle fortoit de la fonte , & qui
preuJUILLET.
1755 161
durera moins encore que la mémoire d'un
fi beau titre & la gloire de ce grand Monarque.
Enfuite il fait voir par un raifonnement
très étendu & plein d'érudition , que le
pont qu'on nomme Royal a pris fon nom
de cette ſtatue, contre le fentiment de quelques-
uns qui croyent qu'il fe nommoit
ainfi avant qu'elle fut érigée, Ce qu'il dit
fur ce fujer eft fi evident qu'il ne femble
pas qu'on puiffe le contefter d'avantage.
Il paffe enfuite à des recherches trèscurieufes
fur le merveilleux bâtiment du
Louvre , il réfute furabondamment le mémoire
donné dans la même Société l'année
précédente où l'on avoit avancé que ce fuperbe
édifice avoit été achevé & porté à fon
entiere perfection fous le regne de Louis
XIV. fondé fur l'autorité des Hiftoires ,
confervées dans les anciennes bibliothetheques
; il fait voir qu'il a été long- temps
abandonné à caufe des guerres qui ont troublé
la fin du XVIIe fiécle & le commencement
du XVIII , & qui ont affuré à la
France la fupériorité fur fes voifins , la
fplendeur & le repos dont elle jouit depuis
ces deux fiécles également célébres . Il rapporte
à ce fujet un trait d'hiftoire curieux
où l'on voit que celui qui étoit alors à la
tête des Arts , fecondant avec zele & avec
162 MERCURE DE FRANCE.
un goût peu commun , les intentions & l'inclination
du Roy régnant , pour les grandes
chofes , entreprit de reftaurer & d'achever
cet édifice , dont une partie tomboit
en ruine. Il fixe la datte de cet important
événement vers le milieu du XVIIIe fiécle .
"
Il détruit enfuite entiérement l'objection
la plus impofante que fon antagoniſte
avoit alléguée contre la vérité de ce fait
qui étoit le peu de vraisemblance qu'il
trouvoit à croire qu'une perfonne en place
pût avoir abandonné la gloire de conftruire
de nouveaux édifices , & s'être contentée
de celle d'amener à leur fin les ouvrages
commencés par fes prédéceffeurs , qui
méritoient d'être confervés à la postérité.
M. Scarcher fait voir combien cette idée
eft fauffe , & qu'elle n'eft fondée que fur
la reffemblance que nous fuppofons entre
les hommes d'alors , & ceux du temps où
nous vivons. Il eſt bien vrai que de nos
jours nous voyons rarement achever les
grandes entrepriſes , parce qu'il eft du bon
air de ne point fuivre les maximes ni les
idées de fes prédéceffeurs , mais il n'en
étoit pas ainfi dans ces temps héroïques ;
chacun mettoit fa gloire à contribuer autant
qu'il étoit en lui à celle du Roy
régnant , & lorfque le moyen le plus digne
avoit été trouvé par fon devancier , on le
JUILLET. 1755. 163
fuivoit fans difficulté. D'ailleurs , on ne
peut pas dire que le Supérieur de ces tempslà
fe foit uniquement borné à fuivre ou à
finir ce que les autres avoient tracé . Il nous
refte plufieurs édifices très confidérables
& d'une grande beauté qui ont été commencés
& achevés fous ce regne.
On ne peut trop admirer la facilité & la
juftefle avec laquelle notre Sçavant éclaircit
ces temps que leur éloignement nous
rend fi obfcurs . Si d'une part il nous fait
voir avec certitude que ce fuperbe bâtiment
a été négligé pendant quelques années
, en même temps il s'éleve avec la plus
grande force contre ceux qui ont avancé
que pendant long-temps cet édifice a été
environné d'écuries , de petites maiſons ,
même d'échoppes. Il fait voir quelle abfurdité
il y a à penfer que dans un fiècle auffi
éclairé , on ait fouffert une pareille profanation
, ce qu'il dit là- deffus eft rempli
d'éloquence.
J'abrege quantité de réflexions non moins
curieufes qu'il fait fur les beautés du Lou
vre & qu'il faut lire dans l'original , pour
paffer à ce qu'il dit fur l'Eglife antique de
fainte Génevieve de la montagne. Il croit
que cet admirable édifice a été bâti par le
même architecte que le fuperbe périftile du
Louvre. La tradition reçue jufqu'à préfent
164 MERCURE DE FRANCE.
étoit que cette églife avoit été commencée
vers le milieu du dix -huitiéme fiécle : en
admettant fes preuves , il faudroit en établir
la datte environ un fiécle plûtôt , ce
qui répugne un peu à la beauté de fa confervation
, cependant les raifons qu'il apporte
ne font point à rejetter. Il s'appuie
fur le fentiment de nos plus habiles architectes
, qui en conſidérant la noble ſimplicité
du goût de cette architecture , y reconnoiffent
le même ſtile qu'au Louvre , quoique
dans une compofition différente. Ils
prétendent que le goût du dix- huitiéme
fiécle a été inférieur , à en juger par quelques
reftes de bâtimens dont la datte eft
certaine & par quelques écrits de ces
temps- là qui font remplis de plaintes contre
le mauvais goût qui régnoit alors , &
où l'on en explique les défauts de maniere
à nous en donner une idée affez diftincte.
Or , on ne voit aucun de ces défauts ni
dans cette églife , ni au Louvre ; au contraire
ces édifices font encore les regles du
vrai beau .
La feconde preuve qu'il tire du nom
de l'architecte , fait voir avec quelle fagacité
il éclaircit les antiquités les plus épineuſes.
L'hiſtoire nous a confervé le nom
de l'architecte de ce beau periftile du Louvre
qui regarde le Levant , il fe nommoit
JUILLE T. 1755. 165
Perrault. M. Scarcher prouve à travers
mille difficultés que c'eft ce même nom qui
eft tracé à fainte Genevieve , & qui eft tellement
effacé , qu'il n'y a qu'un homme
auffi verfé dans les antiquités que M. Scarcher
, qui puiffe nous en donner l'intelligence.
La premiere difficulté qui fe rencontre
eft que le nom de Perrault eft compofé
de huit lettres & qu'on n'en apperçoit
que fept dans les foibles traces qui restent
fur ce marbre ; mais nous verrons bien-tôt
comment on doit expliquer cela. Les deux
dernieres lettres de ce nom , qui fe voyent
encore affez diftin&tement , font OT, & il
ya tout lieu de croire que celle qui les
précede eft une L. M. Scarcher prouve premierement
par un grand nombre d'autorités
refpectables que les anciens François
prononçoient la diphtongue an , de même
que la lettre o , & qu'ainfi ils mettoient indifféremment
l'une pour l'autre. Cette découverte
répond en même temps d'une ma
niere évidente à la premiere difficulté des
fept premieres lettres qui fe trouvent à
fainte Génevieve au lieu de huit , que demande
fa fuppofition , car il eft clair qu'ici
la lettre o tient lieu de deux . Il reste la difficulté
de L qui fe trouve avant l'O , au
lieu que dans le nom de Perrault , elle ſe
trouve après an. 11 y fatisfait du moins
曩
166 MERCURE DE FRANCE .
d'une maniere probable , en difant qu'il eft
poffible que la modeſtie de l'architecte
l'ayant empêché d'y mettre lui-même fon
nom , il n'a été mis qu'après la mort , &
que ceux qui l'ont gravé , l'ont ainfi défiguré
, ou par corruption , ou plûtôt parce
que c'étoit en effet la véritable prononciation
de ce temps- là , comme nous voyons
encore dans le nôtre que les Allemands
prononcent Makre quoiqu'ils écrivent Maker
, ainfi on peut avoir prononcé OLT,
quoiqu'il foit écrit LOT. Nous nous fommes
un peu étendus fur cet article , quoique
nous l'ayons beaucoup abrégé , parce
que c'eft un des plus importans de ce fçavant
mémoire & celui où l'on découvre la
plus rare érudition ; s'il y a quelque choſe
qui paroiffe inadmiffible , c'eft cet excès
de modeſtie qu'il ſuppoſe dans un architecte
; mais encore une fois , nous ne deyons
pas juger des hommes de ces fiécles
vertueux par ceux du nôtre. Il reſte encore
une objection. Plufieurs fçavans ont prétendu
que la premiere lettre de ce nom eft
une S , & qu'il eft difficile avec les traces
qui en reftent d'en faire un P * . C'eſt là
* Il y en a qui vont plus loin . Ayant de meilleurs
yeux , ils ont cru entrevoir uneƒavant l , &
fuppléant à la diphtongue qui manque , ils ont
conjecturé que le véritable nom de l'architecte
JUILLET. 1755- 167
qu'il faut voir M. Scarcher employer toutes
les forces de fon éloquence pour y trouver
un P , il faut le lire dans l'original ,
mais il eft vrai qu'il eft bien difficile quand
on l'a lû de ne l'y pas trouver avec lui ,
malgré les difficultés que préfente l'infpection
du marbre.
M. Scarcher traite enfuite des reftes antiques
de l'Eglife de faint Pierre & faint
Paul , qu'une tradition fans fondement
nomme faint Sulpice. Il démontre que nous
n'avons pas cet édifice ( dont il ne refte
prefque que le portail ) tel qu'il a été bâti .
Que les arcades qui font au fecond ordre ,
y ont été conftruites depuis par quelque
raifon de folidité occafionnée par les ravages
du temps , & qu'il n'y a nulle apparènce
qu'un architecte de ce mérite eut mis ces
maffifs au fecond ordre n'en ayant pas mis
au premier , c'eft- à-dire , le fort fur le
foible. Il prouve encore que les coloffes
monftrueux qui font fur les tours , ont été
pareillement ajoûtés par quelque raifon de
dévotion populaire , qui a voulu que l'on
vit les patrons de cette églife les plus
grands qu'il étoit poffible ; que les tours
ont été terminées en ligne droite par l'architecte
premier auteur de cet édifice , &
étoit Sauflot ou Souflot. J'avoue que je ferois affez
de ce dernier ſentiment,
168 MERCURE DE FRANCE:
que le couronnement que nous y voyons
maintenant eft une augmentation faite
dans un fiecle où le goût avoit dégénéré.
Il ne paroît pas auffi bien fondé , lorfqu'il
foutient que le fronton eft dans le même
cas d'être venu après coup. Il prétend
décider le problême qui embarraffe tous
nos architectes , c'est - à - dire , l'impoffibilité
qu'il y a que l'églife dont nous jugeons
par quelques arcades demi ruinées
qui fubfiftent encore , puiffe avoir été liée
avec ce portail . En effet , on ne voit aucune
hauteur ni aucune ligne qui y ait du rapport.
Il dit qu'alors l'intérieur de l'égliſe
étoit à deux ordres l'un fur l'autre femblables
à ceux du portail avec un rang de galleries
regnant tout au tour, que cette églife
ayant été détruite ou par quelque accident
ou par la barbarie des fiecles fuivans , on a
édifié à fa place ce bâtiment irrégulier qui
s'y accorde fi peu ; ce qui donne quelque
vraisemblance à fa fuppofition , c'eft qu'indépendamment
de leur peu de rapport avec
le portail ces fragmens qui nous reftent
n'en ont pas même entr'eux . Ce fentiment
n'eft cependant pas fans difficulté , on a
peine à concevoir que dans l'efpace de
temps qui s'est écoulé depuis fa premiere
conftruction , une égliſe auffi bien bâtie
que celle qui devoit tenir à ce portail , ait
été
JUILLET. 1755. 169
été détruite , relevée une feconde fois aufli
folidement que nous le voyons par ces
reftes , & encore ruinée . On ne peut que
difficilement fuppofer qu'elle ait été abbattue
exprès , d'ailleurs nous ne connoiffons
point de fiecle de barbarie depuis ces temps
mémorables. Les arts ont toujours été floriffans
, & n'ont fait que fe perfectionner
jufqu'au point d'élévation où nous les
voyons maintenant. M. Scarcher permettra
que nous ne nous rendions pas encore
fur cet article , & que nous attendions des
preuves plus fortes que le temps & fon
profond fçavoir lui feront découvrir.
Notre favant auteur paffe enfuite à un
refte de bâtiment ancien qu'on croit avoir
été une églife fous l'invocation de faint
Roch. Ce qu'on trouve de plus fatisfaiſant
dans les réflexions de M. Scarcher fur cette
églife , ce font les raifons dont il s'appuye
pour détruire le fentiment de ceux qui foutiennent
que le double focle qui porte les
arcades de la nef a été apparent dans fa
premiere conftruction . Il fait voir que le
focle d'enbas étoit la fondation qui fe trouvoit
enfevelie dans l'intérieur du terrein
qu'il n'eft vifible que parce qu'on a baiffé
le terrein intérieur de l'églife , & combien
il eft ridicule de penfer que jamais aucun
architecte fe foit avifé de mettre deux fo-
H
170 MERCURE DE FRANCE.
cles l'un fur l'autre , & fi élévés que les
bazes des colonnes font de beaucoup audeffus
de la vue. Il établit une feconde
preuve fur ce qu'on trouve par d'anciennes
eftampes qu'on croit gravées dans ces mêmes
tems , qu'il y a eu 15 ou 16 marches
pour monter à cette églife , au lieu qu'à
préfent il ne s'en trouve que cinq. Selon
fon idée , on a détruit les marches qui
montoient jufqu'au niveau du premier
focle. Ce fentiment n'eft probable que dans
la fuppofition que les marches que l'on y
voit maintenant ne font point du tout les
anciennes , car il auroit fallu pour monter
jufqu'à la hauteur des bazes du portail
qu'elles n'euffent laiffé aucun pallier ; ce
qui , quoique poffible , laiffe quelque doute
, d'autant plus qu'en calculant la hauteur
& l'enfoncement que produifent un
nombre de marches femblables à celles qui
reftent , on n'y trouve pas un rapport jufte
avec le nombre des marches indiquées dans
l'eftampe , il eft vrai qu'il ajoute une raifon
plaufible pour remédier au défaut de
juftelle du calcul de ces marches , il fait
remarquer que naturellement le terrein
des villes fe hauffe par un abus auquel on
ne fonge point à tenir la main , parce que
l'on apporte toujours & qu'on ne remporte
jamais. Tout ceci porta un caractere de
JUILLET. 1755. 171
vraisemblance auquel on a peine à ſe
refufer.
·
Il entreprend de prouver que cette églife
précede au moins d'un fiecle le bâtiment
du Louvre , c'est- à- dire , avant que la bonne
architecture fut bien connue . Premierement
par le défaut infupportable des bazes
& des chapiteaux des colomnes qui ſe pénetrent
avec les pilaftres , défaut ridicule
qu'on n'eut jamais fouffert dans un fiecle
plus éclairé. Secondement , par les fauffes
courbes qui font l'enfoncement des efpeces
de niches où font les petites portes de
l'églife . Il prétend que ces courbes font
les effais par où l'on a commencé avant
que de trouver les formes régulieres . Cette
feconde preuve n'eſt pas de la force de la
premiere , car on trouve plufieurs édifices
dont la datte eft certaine , & qui font conftruits
plus d'un fiecle & demi après , où
l'on voit ces mêmes courbes employées &
de plus mauvaiſes encore , d'ailleurs plufieurs
fçavans prétendent quele propre de
l'efprit humain , eft de trouver d'abord
tour naturellement le fimple qui eft le vrai
beau ; & que le goût ne fe corrompt qu'à
force de vouloir aller au-delà.
Au refte , il eft fi difficile de pénétrer
dans ces tems anciens , que les conjectures
vraisemblables doivent être regardées
Hij
172 MERCURE DE FRANCE:
comme des démonftrations . Ce mémoire
renferme quantité de recherches intéreſfantes
aufquelles je renvoye le lecteur
pour ne pas être trop long.
Nouveau projet de décoration pour les
L
Théatres.
'Économie d'accord avec le bon goût
& la raiſon , a porté M *** à conftruire
un théatre dans fon château , où il
a fupprimé les couliffes & les bandes
du haut de la ſcene , qui repréſentent tantôt
le ciel , d'autres fois le plafond d'un
appartement , des berceaux d'allées , ou la
voûte d'une caverne . Toute la fcene con--
fifte en un très- beau fallon , figuré par des
peintures plates , tant en haut qu'en bas ;
& quand cela a été fait , on a trouvé
cela étoit bon.
que
Au fond du théatre il y a deux piliers
de chaque côté ; ils font fort éclairés par
derriere , & font voir un tableau qui
change felon les pieces que l'on repréſente.
Tantôt c'est une place publique que
l'on voit , tantôt un palais , une forêt , la
mer , ou des jardins.
Ainfi l'endroit de la ſcene eft dormant ;
il eft composé d'un plafond , & de deux
côtés richement ornés d'architecture , méJUILLET.
1755. 173
nuiferie fculptée , ftatues & glaces , des
chandeliers à plufieurs branches , torcheres
& bras qui éclairent fort la fcene. On
y a ménagé deux portes de chaque côté
pour l'entrée & la fortie des Acteurs , ce
qui fait le même effet que les couliffes .
Aux quatre coins de la fcene font quatre
gros piliers , deux fur le devant furmontés
d'un fronton d'où defcend la toile ,
& les deux du fond avec pareil fronton ,
ou corniche pour encadrer la ferme ,
comme j'ai dit . Une de ces fermes ou décorations
, peut être affortie avec la ſcene,
& ne former qu'un bel appartement.
Il m'a paru que cette maniere de décorer
un théatre avoit de grands avantages
fur celle des couliffes changeantes & des
bandes d'en- haut qui les accompagnent
.
Toute illufion de l'art doit être rendue la
plus vraisemblable qu'il eft poffible ; celle
des couliffes approche trop près de l'oeil
du fpectateur , pour ne pas paroître pauvre
& groffiere. La perfpective , la dégradation
de lumiere , & les proportions des
perfonnages avec le lieu de la fcene ne
peuvent jamais s'y rencontrer. L'on apperçoit
par les couliffes le jeu des machines
& le travail des Machiniſtes : l'on y
voit tous les coopérateurs étrangers au
fpectacle , & on y place même des fpecta-
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
teurs , dont la préfence & les mouvemens
choquent toujours la vérité des repréfentations.
Remarquons à ce fujet deux chofes intéreffantes
; l'une , combien les loges , balcons
, ou amphithéatre placés fur le théatre
, jettent de confufion dans les repréfentations
de l'Opéra ou de la Comédie ,
& combien les fpectateurs mêlés avec les
Acteurs y font nuifibles & indécens ; l'autre
obſervation eft que par ce même ufage
auquel on a accoutumé le public , on a
déja adopté mon fyftême , en deftinant
pour la fcene un lieu différent de celui
des décorations . Au théatre de Fontainebleau
, par exemple , la fcene fe paffe entre
deux rangs de loges , & la décoration
ne change qu'au fond du théatre ; mais
il feroit bien mieux d'adopter entierement
, ou de rejetter tout - à - fait ce ſyſtême.
Il confifte à deftiner un lieu exprès &
exclufivement pour la fcene , à l'imitation
des anciens. Ce lieu ne peut être mieux
entendu qu'en un très- beau fallon , & tout
un côté en feroit ouvert pour laiffer voir
celui que defire le fujet de la piece , on le
fuppoferoit joint aux lieux divers où fe
paffe l'action . Illufion pour illufion , le
fpectateur fe prêtera facilement à la moinJUILLET.
1755 175
dre des deux. Tout eft orné dans les repréfentations
dramatiques ; on y parle en
vers ou en chants ; les perfonnages les plus
fatigués fortans d'un naufrage , y font parés
& bien mis , les payfans y font galamment
vêtus. Ne peut-on pas fuppofer de
même qu'ils s'avancent vers le public , &
dans un lieu qui eft au public pour parler
de leurs intérêts , lorfqu'on voit par le
fond du théatre qu'ils en traitent dans
une chambre , dans une place , ou dans
une campagne ? L'on fuppofera que ce fallon
eft bâti fur le bord d'une forêt ou
d'une rue par cette illufion on ennoblit
la repréfentation , & par celle des couliffes
& de tout ce qui s'y paffe , on l'avilir.
Le jeu des machines , comme vols ,
chars , gloires , doit fe paffer au fond du
théatre & hors du lieu de la ſcene , pour
en mieux cacher les défauts.
La raifon d'économie feroit miférable
fi le ſpectacle ne s'en trouvoit pas mieux ;
en récompenfe fi l'on veut calculer les
frais , on pourra augmenter de dépense &
de magnificence fur d'autres chofes . La
fcene en fera mieux éclairée par des flambeaux
apparens que par ceux qui font à
moitié cachés derriere les couliffes ; l'on
pourra renouveller plus fouvent les décotations
& le fallon de la fcene ; l'on pro-
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
1
fitera des progrès de l'architecture moderne
& du deffein d'ornement.
La falle ( ou lieu des loges & des fpectateurs
) ne doit jamais avoir rien de commun
avec la fcene qui fe cache derriere
un rideau jufqu'au commencement de la
repréfentation : ce font , pour ainfi dire ,
deux pays différens ; l'on ne devroit orner
la falle qu'avec la plus grande fimplicité
pour contrafter & faire briller davantage
la magnificence & l'éclat du fpectacle
quand la toile fe leve .
On ne doit rien épargner pour la beauté
de la ferme du : ond du théatre. Dans
le plan que je propofe , ce devroit être
autant de tableaux exquis peints par les
meilleurs Maîtres , & toujours d'un coloris
frais ; ils ne doivent jamais être difpofés
en deux parties , ce qui y y forme au
milieu une raye noire & defagréable ; ces
tableaux feroient plus ou moins reculés &
diftans des deux colonnes de la fcene , felon
les lieux qu'ils repréſenteroient & les
machines qui devroient paroître dans cette
diſtance. On y verroit donc quelquefois
le théatre très- profond avec des morceaux
avancés ,, comme portiques , tours , arbres ,
rochers , &c. mais jamais de couliffes.
L'on pourroit effſayer ce projet au théatre
de l'Opéra qui y eft tout difpofé , l'on
JUILLE T. 1755. 177
formeroit un fallon des fix premieres couliffes
de chaque côté , & le goût du public
décideroit.
HORLOGERI E.
Lettre du fieur Caron fils , Horloger du Roi ,
à l'Auteur du Mercure.
M
ONSIEUR , je fuis un jeune artiſte
qui n'ai l'honneur d'être connu du
public que par l'invention d'un nouvel
échappement à repos pour les montres , que
l'Académie a honoré de fon approbation
& dont les Journaux ont fait mention l'année
paffée. Ce fuccès me fixe à l'état d'horloger
, & je borne toute mon ambition à
acquerir la fcience de mon art ; je n'ai jamais
porté un oeil d'envie fur les productions
de mes confreres :( cette lettre le
prouve ) mais j'ai le malheur de fouffrir
fort impatiemment qu'on veuille m'enle- ver le peu de terrein que l'étude & le travail
m'ont fait défricher ; c'eſt cette chaleur
de fang dont je crains bien que l'âge
ne me corrige pas , qui m'a fait défendre
avec tant d'ardeur les juftes prétentions
que j'avois fur l'invention de mon échappement
, lorſqu'elle me fut conteſtée il y
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
,
a environ dix-huit mois. L'Académie des
Sciences , non feulement me déclara auteur
de cet échappement , mais elle jugea
qu'il étoit dans fon état actuel le plus parfait
qu'on eut encore adapté aux montres ;
cependant elle fçavoit , & je voyois bien
qu'il étoit fufceptible de quelques perfections
mais la néceffité de conftater
promptement mon titre , à laquelle mon
adverfaire me força en publiant fes fauffes
prétentions , m'empêcha de les y ajouter.
Alors devenu poffeffeur tranquille de mon
échappement , j'ai donné tous mes foins
à le rendre encore fupérieur à lui- même ,
& c'eft l'état où il eft maintenant ; mais
en même-tems trop bon citoyen pour en
faire un myftere , je l'ai rendu public autant
qu'il m'a été poffible. Les divers écrits
que cet échappement a occafionné & le
jugement que l'Académie en a porté , attirant
fur lui l'attention des Horlogers , il
devint l'objet des réflexions & des recherches
de quelques- uns des plus habiles d'entr'eux
: deforte que pendant que j'y ajoutois
les petites perfections qui lui manquoient
, M. de Romilly s'apperçut qu'effectivement
il en étoit fufceptible ; il y travailla
de fon côté , & préfenta à l'Académie
en Décembre 1754 le changement
qu'il y avoit fait ; le ſoir même de ſa préJUILLET.
1755. 179
fentation M. Le Roy m'en ayant apporté la
nouvelle , je demandai fur le champ à
l'Académie , qu'en faveur de ma qualité
d'Auteur , elle voulut bien examiner avant
tout l'état de perfection auquel j'avois moimême
porté mon échappement . Cette perfection
étoit des repos plus près du centre
& des arcs de vibrations plus étendus ,
elle y confentit , & l'examen qu'elle fit
des piéces que nous préfentâmes , l'un &
l'autre lui montra que M. Romilly avoit
atteint le même but que moi en travaillant
fur le même fujet : ainfi l'Académie
toujours équitable dans les jugemens , ne
voulant pas accorder plus d'avantage fur
cette perfection à ma qualité d'Auteur de
l'échappement qu'à l'antériorité de préfentation
de M. de Romilly , qui n'eft
effectivement que d'un feul jour , a dévré
à chacun de nous le certificat fuivant
, que je publie d'autant plus volontiers
que M. de Romilly qui a jugé mon
échappement digne de fes recherches , eft
un très - galant homme , & que j'eftime véritablement
d'ailleurs je ferois fâché que
cette petite concurrence entre lui & mor
pût être envisagée comme une difpute femblable
à la premiere ; l'émulation qui anime
les honnêtes gens mérite un nom plus
honorable. J'ai l'honneur d'être , & c.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
Extrait des Regiftres de l'Académie royale
des Sciences , du 11 Juin 1755.
>
MM . de Mairan, de Montigni & Le Roi,
qui avoient été nommés pour examiner une
montre à fecondes , à laquelle eft adapté
l'échappement du fieur Caron fils , perfectionné
par le fieur Romilly , Horloger ,
citoyen de Genêve , & par lui préfentée
à l'Académie , avec un mémoire fur les
échappemens en général , en ayant fait
leur rapport , l'Académie a jugé que le
changement fait à cet échappement , &
qui permet d'en rendre le cylindre auffr
petit qu'on le juge à propos : de rapprocher
les points de repos du centre , & de
donner aux arcs du balancier plus de trois
cens dégrés d'étendue , étoit ingénieux &
utile , mais en même- tems elle ne peut douter
que le fieur Caron n'ait de fon côté
porté fon échappement au même dégré de
perfection ; puifque le jour même que M.
Le Roi , l'un des Commiffaires, lui en donna
connoiffance en Décembre 1754 , cet
Horloger lui fit voir un modele de fon
échappement qu'il avoit perfectionné , auquel
il travailloit alors, & dont la roue d'échappement
avoit les dents fouillées par
derriere , & étoit exactement femblable.
à la conftruction du fieur Romilly , dont
JUILLET. 1755. 181
il n'avoit cependant point eu de communication
; d'ailleurs dans la boîte de preuve
que le fieur Caron dépofa en Septembre
1753 au Secrétariat de l'Académie , &
qui eft jufques à préfent reftée entre les
mains de MM. les Commiffaires , il y a
plufieurs petits cylindres dont les repos
font très- près du centre , mais qu'il n'eut
pas alors le tems de perfectionner.
Ainfi le mérite d'avoir amené cette invention
au point de perfection dont elle
étoit fufceptible , appartient également au
fieur Romilly & au fieur Caron fon auteur
; mais le fieur Romilly en a préſenté
la premiere exécution : en foi de quoi j'ai
figné le préfent certificat . A Paris , ce 14
Juin 1715.
Grandjean de Fouchy , Secrétaire
perpétuel de l'Académie royale
des Sciences .
Je profite de cette occafion pour répondre
à quelques objections qu'on a faites fur
mon échappement dans divers écrits rendus
publics. En fe fervant de cet échappement
, a-t-on dit , on ne peut pas faire des
montres plates , ni même de petites montres.
Ce qui fuppofé vrai , rendroit le meilleur
échappement connu très-incommode , des
182 MERCURE DE FRANCE.
faits feront toute ma réponſe . Plufieurs
expériences m'ayaut démontré que mon
échappement corrigeoit par fa nature les
inégalités du grand reffort fans aucun befoin
d'un autre régulateur , j'ai fupprimé
de mes montres toutes les pièces qui exigeoient
de la hauteur au mouvement ,
comme la fufée , la chaîne , la potence ,
toute roue à couronne , fur- tout celles dont
l'axe eft parallele aux platines dans les
montres ordinaires , & toutes les piéces
que ces principales entraînoient à leur fuite.
Par ce moyen je fais des montres aufſi
plates qu'on le juge à propos , & plus plates
qu'on en ait encore faites , fans que
cette commodité diminue en rien de leur
bonté. La premiere de ces montres fimplifiées
eft entre les mains du Roi. Sa Majefté
la porte depuis un an , & en eft trèscontente.
Si des faits répondent à la premiere
objection , des faits répondent également
à la feconde . J'ai eu l'honneur de
préfenter à Mme de Pompadour ces jours
paffés une montre dans une bague, de cette
nouvelle conftruction fimplifiée , la plus
petite qui ait encore été faite ; elle n'a que
quatre lignes & demie de diametre , &
une ligne moins un tiers de hauteur entre
les platines . Pour rendre cette bague plus
commode , j'ai imaginé en place de clef
JUILLE T. 1755. 183
un cercle autour du cadran , portant un
petit crochet faillant ; en tirant ce crochet
avec l'ongle , environ les deux tiers
du tour du cadran , la bague eft remontée ,
& elle va trente heures. Avant que de la
porter à Mme de Pompadour , j'ai vû cette
bague fuivre exactement pendant cinq
jours ma pendule à fecondes , ainfi en
fe fervant de mon échappement & de ma
conftruction on peut donc faire d'excellentes
montres auffi plates:& auffi petites
qu'on le jugera à propos.
J'ai l'honneur d'être , &c.
CARON fils , Horloger du Roi.
Rue S. Denis , près celle de la Chanvererie.
A Paris , le 16 Juin 1755 .
Remarques de M. de Lalande de l'Académie
royale des Sciences fur un ouvrage d'Horlogerie.
M pu-
Onfieur J.... ci-devant Horloger à
Saint-Germain-en- laye vient de
blier ces jours paffés une addition à * fon
Traité des échappemens , dans laquelle il con-
*
Ce traité , ainfi que l'addition , fe trouve chez
Jombert , rue Dauphine.
184 MERCURE DE FRANCE.
tinue des confidérations fur le nouvel
échappement de M. Lepaute qu'il avoit
commencées en 1754. dans le fecond volume
du mercure de Juin . Depuis un an il
a eu le tems d'accroître fes prétentions ,
aufli ne fe contente- t-il plus comme auparavant
de reprocher à cet échappement en
montres des défauts qu'il n'a pas , il ofe
aujourd'hui s'en attribuer à lui-même les
perfections , & comme le feul juge du mérite
d'une nouvelle invention , il entreprend
de montrer les erreurs où il prétend que
l'Académie eft tombée .
Cependant M. J. ne fait que répéter ce
qu'il avoit déja dit fur les chûtes des chevilles
& fur l'inégalité des rayons de la
roue , j'ai fait voir dans une lettre inférée
au mercure du mois d'Août 1754 , qu'il étoit
abfolument faux que cet échappement ,
bien exécuté , eut aucune chûte , ou que
les rayons de la roue fuffent inégaux , la
difficulté ne peut donc venir que de ce que
M. J. n'a point encore conçu la véritable
difpofition de cet échappement.
Il faut mettre au même rang ce que dit
M. J. de l'impulfion de la roue fur les
plans au moment ou chaque cheville quitte
les arcs de repos ; rien n'empêche qu'on ne
donne à ces plans , tout comme aux courbes
de l'échappement à cylindre , une
JUILLET . 1755 185
courbure fuffifante pour imprimer peu de
force au balancier dans le commencement
de la pulfion . Cette courbure n'augmentera
point l'arc conftant ou la levée de l'échappement
au-delà de trente ou quarante
degrés , qui eft celle de toutes les bonnes
montres .
Il y a beaucoup de vaine gloire de la
part de M. J. à prétendre que les perfections
que j'ai fait valoir dans cet échappe
ment , étoient le fruit de ſes converſations ; la
prétention à cet égard eft auffi fauffe qu'injurieufe
; cet échappement fortit en 1753
des mains de M. Lepaute dans le même
état de perfection où il eft actuellement :
fi l'on eut eu befoin de fecours , les auroiton
demandé à M. J. qui non - feulement
n'entendoit point alors l'échappement , mais
qui prouve encore aujourd'hui par des objections
triviales que faute de s'y être exercé
lui-même , il ne l'a point entendu . M. J.
dit encore page 239 , qu'il a connoiffance
de la variété des montres où cet échappement
eft appliqué ; c'eft un fait fuppofé
dont le public d'ailleurs pourra juger fans
lui , & le jugement du public a été juſqu'à
préfent fort contraire à cette allégation
puifque le grand nombre de montres où il
a été appliqué , vont avec toute la préci-
Lon poffible.
186 MERCURE DE FRANCE.
Pour ce qui eft de la diffipation de l'huile
, l'expérience a prouvé qu'en en mettant
fur le cylindre ( qui eft un peu arrondi de
bas en haut , & qui ne touche point à la
roue ) elle s'y étendoit & s'y confervoit
fort long-temps. L'huile fait même ici
beaucoup mieux fon effet que dans l'échappement
à cylindre , où l'on voit très - fouvent
une rainure profonde faite dans le
cylindre par les pointes des dents , ce qui
ruine en peu de temps toute l'exactitude
d'une montre. Au refte , M. J. fait un raifonnement
( page 220 ) fur l'attraction ou
fur la direction des huiles qui tendroit à
prouver que l'huile ne fe conferve ja
mais dans une même place , ce qui eft
contraire à l'expérience ; il ne fuffit pas de
connoître la regle , il faut fçavoir en ménager
l'application .
Le prix des montres faites avec le nouvel
échappement , n'ôte rien , ce me femble
, à leur bonté ; il eſt bien fûr qu'elles
coûtent moins que les montres à cylindre
ne coûtoient dans les premiers tems qu'elles
parurent ; elles ne coûtent pas aujourd'hui
plus que les montres à cylindre les
plus parfaites ; au refte, cela ne dépend que
du nombre plus ou moins grand des artiſtes
qui y travaillent. Lorfque Charles V. fut
obligé d'appeller du fond de l'Allemagne
JUILLET. 1755. 187
Henri de Vic , pour faire à Paris une horloge
, elle coûta fans doute plus que
celles
qui fe font aujourd'hui beaucoup mieux
par les ouvriers de tourne- broches .
J'ai répondu dans la lettre que je viens
de citer , à toutes les autres difficultés que
M. J. avoit faites ; mais je ne fçai pourquoi
ce que j'ai dit des montres plattes lui paroît
fi éloigné des regles de la pratique ; quelque
foit fon avis là- deffus , on ne peut
s'empêcher de reconnoître avec tout le
monde dans les montres abfolument plates,
un reffort trop foible , une réſiſtance trop
grande de la part des frottemens ; des roues
trop nombrées par rapport à leurs pignons ,
qui par conféquent doivent produi.e
moins d'uniformité dans le rouage , le dófaut
des jours , la trop grande proximité
des pieces , qui caufe toujours au bout de
peu de temps des frottemens du barillet
contre la petite platine & fur la grande
roue moyenne , de la roue de longue tige
avec la platine des pilliers , une grande
variation dans l'engrénage de la roue de
champ , tout cela eft de théorie autant que
de pratique.
Ce que M. J. appelle théorie , n'eft
qu'un bon fens éclairé qu'il auroit grand
tort de rejetter , ce n'eft pas en exécutant
d'une maniere fupérieure qu'on perfection188
MERCURE DE FRANCE.
quant
nera l'horlogerie , c'eſt par la réflexion , le
raifonnement , l'examen , le calcul , la
combinaiſon des forces , des frottemens ;
à la difficulté d'exécution , c'est une
chofe affez arbitraire , qui dépend prefque
uniquement de l'habitude que plufieurs
perfonnes ont contractée , on fçait que ce
qui étoit d'abord très- difficile , peut devenir
fort aifé & fort commun ..
Après cela , j'imagine que
l'on trouvera
un peu de petiteffe & de ridicule dans le
confeil que me donne M. J. page 230 de
refter dans les bornes de la théorie jusqu'à
nouvel ordre , & de ne point raiſonner fur
les chofes de pratique ; faut-il avoir limé
pendant trente ans pour connoître la force
d'un reffort , le mauvais effet d'un frottement
, pour diftinguer un grand arc d'un
plus petit , & une forme rectiligne d'une
forme circulaire . Pour voir fi les aîles d'un
pignon font égales , faut-il en avoir travaillé
deux ou trois mille ; la juſteſſe de
l'oeil , l'ufage du compas ou des verres eftil
réſervé exclufivement aux horlogers ; je
demande enfin en quoi confiftent les principes
particuliers de l'art ( page 228 ) que
M. J. prétend me faire regarder comme
un miftère impénétrable pour moi , & fans
lequel je ne fçaurois juger du mécanifme
d'un échappement ; s'il ne me fuffit pas
JUILLET.
189
d'en avoir vû faire , d'en avoir examiné , 1755
d'en avoir fait , d'en avoir éprouvé plufieurs
, pour en connoître les
propriétés &
les défauts ;
j'attendrai avec plaifir qu'on
m'inftruife de ce j'ignore à cet égard.
J'avouerai
cependant que les
avantages
de cette grande
pratique qui forme l'entouſiaſme
de M. J. me
paroiffent bien méprifables
dans la
circonftance
préfente , en
voyant
malgré fa
fupériorité dans ce genre,
les
contradictions où il tombe toutes les
fois qu'il s'agit de
raifonner ou
d'approfondir
.
Il nous rappelle , par exemple , ( page
222 ) que dans fes premieres
confidérations
, il avoit
démontré les vices de la manivelle
qu'on
employe dans le nouvel
échappement ; il infifte encore fur la divifion
qu'elle apporte dans la grandeur des arcs,
L'espace qu'elle occupe
inutilement , le poids
dont elle charge les pivots , la prife qu'elle
donne à l'air , les défauts de
conftruction , les
difficultés
d'exécution , qui ne croiroit après
cela M. J. bien affermi dans fon préjugé
contre cette
manivelle ; on fe
tromperoit
cependant
beaucoup , puiſqu'à la page fuivante
223 , ligne 3 , il dit que l'obftacle de
la
manivelle eft plus dans
Pimagination que
dans la réalité furtout
relativement à la prife
qu'elle peut
donner à l'air.
190 MERCURE DE FRANCE.
Mais
pour
faire
voir
encore
mieux
combien
la grande
pratique
de M. J. eft aveugle
, stérile
, incertaine
& peu
propre
à le
faire
juger
fainement
d'une
nouvelle
invention
d'horlogerie
, je vais
montrer
en
comparant
deux
paffages
de fon livre
, qu'il
ne connoît
pas même
en véritable
artiſte
,
l'échappement
à cylindre
auquel
il travaille
depuis
quinze
ans .
M. J. nous dit page 103 de fon Traité
des échappemens , qu'il a enfin déterminé la
nature des courbes qui doivent être placées
à la circonférence de la roue , en leur donnant
cette propriété , qu'étant divisées en
parties égales , ces parties operent chacune des
quantités de levée égales , il employe pluheurs
pages pour apprendre à former cette
courbe , & il lui donne de grands éloges ;
on s'imagine d'abord que ces recherches
font le fruit d'une expérience confommée
& que fans aller plus loin , elles peuvent
fervir de regle à tout le monde. On doit
être fort étonné en lifant un autre chapitre
de trouver ( page 116 ) en parlant de la
même courbe , que s'étant attaché à cette
courbe , il n'en avoit pas été plus fatisfait
que d'une autre qui après une très- profonde
ſpéculation , lui avoit fait faire les plus
mauvais échappemens ; il ajoûte qu'il n'eft
d'aucune importance que chacune des par,
JUILLET. 1755. 191
ties de la courbe faffe décrire des arcs
égaux , & il démontre enfin qu'on doit rejetter
cette courbe . M. J. étoit-il moins éclairé,
lorfqu'il fit fa démonftration de la page.
103 , qu'en faifant celle de la page 116 ,
ou a-t-il mis vingt ans d'intervalle entre
ces deux chapitres ?
Il eft donc clair que pour bien faire
une piece d'horlogerie , il n'eft pas toujours
néceffaire de fçavoir ce que l'on fait , ni
pourquoi l'on opere ; le coup de main qui
eft la feule qualité effentielle dans la
tique n'apprend point à juger des effets que
doit avoir une machine , avant que de les
avoir éprouvé dans toutes les fituations &
dans toutes les circonftances .
pra-
Ainfi M. J. réduit lui-même à rien tout
ce qu'il a écrit là - deffus , & montre que
ce n'eft qu'au hazard qu'il nous a fatigué
jufqu'à préfent de fes réflexions fur ces
matieres : l'intérêt fut d'abord fon principal
motif , il ſe perfuada que venant demeurer
à Paris , & étant obligé de s'y faire
connoître, il falloit s'annoncer par un livre,
il prit pour fon fujet l'échappement à cylindre
, il apprit aux horlogers la maniere
dont il s'y prenoit pour le bien exécuter ;
il falloit s'en tenir- là ; l'adreſſe & le talent
d'une heureuſe exécution , ne pouvoient
ſe tranſmettre au public ; mais en voulant
192 MERCURE DE FRANCE .
approfondir il s'égara ; il a cru depuis être
obligé de défendre l'échappement qu'il
avoit adopté contre un nouvel échappement
qui lui eft fupérieur , & qui alloit
faire abandonner l'ufage du premier ; mais
fes idées fe font confondues en voulant
foutenir un jugement qu'il avoit d'abord
hafardé. Il l'a fait fans équité , fans connoiffances
, fans égards , & il a préfervé le
public par fes contradictions des erreurs
qu'il avoit entrepris de répandre.
A Paris , le 22 Juin 1755 .
ARTICLE
JUILLET. 1755 193
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
L
E7 Juin les Comédiens François
donnerent Britannicus . Le fieur Rofimont
, qui avoit déja débuté l'année paffée
, y joua le rôle de Burrhus. Le 14 , il
repréſenta Agamemnon dans Iphigenie , &
le 19 Dom Diegue , dans le Cid. Il a un
pathétique qui peut toucher en province
mais qui n'a pas eu le même bonheur à
Paris .
la
>
Le 23 un nouveau Roi parut fur la
ſcène : c'eſt le fieur Dumenil qui étoit de
troupe de Compiegne. Il a débuté pour
la premiere & derniere fois par le rôle de
Palamede dans Electre. Pour me renfermer
dans le bien qu'on en peut dire , il a une
très belle voix.
On annonce encore pour Samedi prochain
28 , un troifieme Acteur qui doit
jouer Mitridate. Je fouhaite pour le bien
du théâtre françois que fon regne foit plus
long.
I
194 MERCURE DE FRANCE.
Le Jeudi 26 on donna la premiere repréfentation
de Zelide , Comédie en un
acte , en vers avec un divertiſſement . Elle
fut précédée de Manlius , Tragédie de
la Foffe . M. Renout eft l'auteur de cette
petite Féérie qui a été très- bien reçue du
public , & qui annonce du talent.
COMEDIE ITALIENNE.
Es Comédiens Italiens continuent le
Maitre de Mufique . Ils l'ont joué le
21 Juin pour la dixieme fois. Il étoit précédé
de la Fête d'Amour & fuivi du Mai
ce qui formoit un fpectacle auffi varié
qu'amufant. Plus on voit ce drame , plus
on en trouve les détails agréables .
Le 28 on en donna la treizieme repréfentation.
Nous promettons l'extrait
le Mercure d'Août.
pour
dans Le 19 un nouveau docteur parut
Jes Anneaux magiques , Comédie italienne ,
& fut généralement applaudi. Une nouvelle
Actrice italienne joua dans la même
-piece un rôle d'amoureufe . Le public la
reçut avec bonté. Les débuts gagnent tous
les théâtres. Nous en parlerons plus au
long le mois prochain , fuppofé qu'ils durent.
JUILLET. 1735. 195
ARTICLE SIXIEM E.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU NORD.
DE WARSOVIE , le 31 Mai. -
HALY AGA, Ambaffadeur du Grand Seigneur ,
repaflet ici ea retournant à
nople , & l'on attend inceffamment ce Miniftre .
On a effuyé à Poſen un affreux orage , accompagné
de grêle , dont les grains étoient d'une groffeur
extraordinaire. Le feu du ciel eft tombé fur
le village de Stipulke en Lithuanie , & a brûlé
douze maiſons & quatorze granges.
On mande de Conftantinople que le nouveau
Grand Vifir vient d'obtenir pour fon fils la charge
d'Imbrahor , ou de Grand Ecuyer de Sa Hauteffe.
Les mêmes lettres ajoutent que vraisemblablement
le Kiflar Aga , ou Chef des Eunuques Noirs ,
ne demeurera pas long -tems en place , & qu'il
aura pour fucceffeur le Hafnadar Aga , ou Tréforier
de la caffette du Sultan.
DE FRAUSTADT , le 26 Mai.
Ce matin l'Ambaffadeur de Sa Hauteffe a eu
fon audience de congé du Roi ; il avoit eu fa
premiere audience le 22. Sa Majeſté a repris cet
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
après-midi le chemin de Drefde . Pendant fon fe
jour ici , elle a conféré le Palatinat de Volhinie
au Comte Potocki , & le Palatinat de Novogorod
au Prince Jablonowski . Le Comte Malachowski ,
Starofte d'Ofwieczim , a été pourvû de la charge
de Grand Ecuyer Tranchant de la Couronne , &
la place de Stolnitz de Lithuanie a été donnée aú
fecond fils du Comte de Poniatowski , Caftellan
de. Cracovie. Sa Majefté a fait choix du Comte de
Mnifzeck , Grand Chambellan de Lithuanie , pour
aller complimenter le Grand Seigneur ſur ſon avépement
au Trône.
DE
STOCKHOLM , le 30 Mai.
On a détaché douze cens hommes des Régimens
d'Uplande & de Sudermanie , pour travailler
anx fortifications en Finlande. Ils font partis depuis
quelques jours à bord de cinq galeres qui doi
vent les tranfporter à Helfingford."
-
Les Auteurs des deux ouvrages que l'Académie
royale des Belles lettres couronna l'année der
niere , ont enfin ceffé de cacher leurs noms. Le
heur Toneld , Auditeur de la Cour , a compofé la
differtation à laquelle le prix d'histoire a été adjugé.
La piece qui a remporté le prix de poësie
eft du fieur Ancherfen , Profeffeur d'Eloquence
& Bibliothécaire de l'Univerfité à Coppenhague.
Par des Lettres circulaires que le Roi vient de
faire expédier , la Diete générale du Royaume eft
convoquée pour le 13 du mois d'Octobre prochain.
Le renouvellement des traités entre la Suede
& la Porte fera l'un des principaux objets des
délibérations de cette affemblée . Le fieur Celfing,
frere du Miniftre qui réfide de la part de cette
Cour à Conftantinople , et chargé de porter la
JUILLET. 1755. 197
réponſe du Roi à la Lettre que le Sultan a écrite à
Sa Majesté.
DE COPPENHAGUE, le 1 Juin.
La femaine derniere le Roi fit près d'Elfeneur
la revue de fon Régiment d'Infanterie. Sa Majeſté
arriva ici le 24. Hier elle fe rendit avec le
Prince Royal au camp qu'elle a ordonné de former
près de cette ville ; & elle vit les troupes qui
s'y font raffemblées , faire diverſes manoeuvres
militaires.
Il a été réfolu dans une affemblée générale que
les actionnaires de la Compagnie Afiatique ont
tenue depuis peu d'augmenter de trois cens mille
écus de Banque le fond de cette Compagnie.
Un détachement de deux cens hommes doit
s'embarquer à bord des deux vaiffeaux qu'on arme
Four protéger la navigation des Danois dans la
Méditerranée. Le Roi eft retourné à Friedensbourg.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 31 Mai.
Hadgi Ali Effendi , Envoyé extraordinaire du
Grand Seigneur , rendit le 22 vifite aux fieurs
de Gundel & de Binder , Référendaires de la Cour.
Il alla le même jour à la Comédie Françoiſe. On
ne fçait pas encore quand il aura fes audiences
de congé. Ce Miniftre montre beaucoup d'empreffement
à voir tout ce qui peut être digne
de curiofité dans cette capitale & dans les envi
rons. Le Baron de Penckler eft attendu inceffamment
de retour de Conftantinople. Le Comte de
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Colloredo , qui réfide en qualité d'Envoyé extraordinaire
de leurs Majeftés Impériales auprès
du Roi de la Grande-Bretagne , eft venu ici pour
recevoir de nouvelles inftructions , avant de ſe
rendre à Hanovre.
On conftruit dans le jardin de Binder un vaſte
bâtiment , pour y placer diverfes manufactures.
Les principaux féditieux de Croatie font arrêtés
ou difperfés , & la tranquillité eft rétablie dans
Cette Province.
DE DRESDE , le 2 Juin.
Depuis le 27 du mois dernier , le Roi eft de
retour de Frauftadt. Sa Majeſté n'a employé que
dix-huit heures à revenir de cette ville . Le Comte
de Soltikow , qui va remplacer à Hambourg le
Knés Gallitzin en qualité d'Envoyé extraordinaire
de l'Impératrice de Ruffie auprès du Cercle de
la Baffe - Saxe , fut préfenté le 29 à leurs Majeftés
& à la Famille royale. Le Roi a permis au Comte
de Flemming , fon Miniftre à la Cour de Vienne
de fe rendre ici. On compte qu'avant de retourner
en Autriche , il ira complimenter de la part
du Roi Sa Majefté Britannique fur fon arrivée
dans fes Etats d'Allemagne . Sa Majefté a donné
au Prince Maximilien , fecond fils du Prince
Royal , le Régiment d'infanterie qui étoit vacant.
DE SCHWEDT , le 3 Juin.
>
'Avant-hier le Roi de Pruffe arriva du camp de
Stargard en cette ville , & la cérémonie des fiançailles
de la Princeffe , feconde fille du Margrave,
avec le Prince Ferdinand , frere de Sa Majeſté
Pruffienne , fe fit avec la plus grande pompe. Le
JUILLET . 1755 . 199
mariage de ce Prince & de cette Princeffe , fera
célébré dans le mois d'Août à Berlin.
DE BERLIN , le 7 Juin.
Le Roi revint ici le 2 de ce mois , & Sa Majefte
partit avant-hier pour Magdebourg. Elle doit y
faire la revue des troupes qui font campées près
de Pitzphul . De Magdebourg le Roi ſe rendra à
Cleves, & enfuite à Embden . Le Prince héréditaire
de Heffe - Darmstadt , & le Prince Ferdinand de
Brunſwic , accompagnent Sa Majeſté .
L'Académie royale des Sciences & Belles- lettres
tint avant-hier une féance publique à3 l'occafion
de l'anniverfaire de l'avénement du Roi au trône,
Le Prince Frederic - Henri- Charles , fecond fils
du Prince de Pruffe , honora cette affemblée de fa
préfence. Le fieur Formey , Secrétaire perpétuel
de la Compagnie, annonça que le prix de la claffe
de Philofophie fpéculative , pour cette année , avoit
été adjugé à la Piece , nº . 7 , ayant pour device :
Nihil mortalibus arduum eft. Il informa en même
tems l'affemblée que l'auteur de ce Mémoire
eft le fieur Adolphe - Frederic Reinhard , Secretaire
de Juftice du Duc de Mecklenbourg- Strelitz.
Après que le fieur de Maupertuis , Président de
P'Académie , eut lû l'éloge du feu Préfident de
Montefquieu ; le fieur Eller , Directeur , fit la defcription
d'un monftre Cyclope , né le premier Fé
vrier de cette année dans cette Capitale. L'Académie
propoſe pour le Sujet du prix , que la claſſe
de Philofophie expérimentale doit donner en 1757,
de déterminer , Si l'arfenic qui se trouve en grande
quantité dans les mines métalliques de divers genres
, eft le véritable principe des métaux , ou fi
c'est une fubftance qui en naît & qui en fort par
voie d'excrétion.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
1
DE HANOVRE , le 7 Juin.
formes Toutes les troupes commandées pour
un camp dans la plaine de Bult , s'y affemblent
aujourd'hui. On y conduifit hier un train d'artillerie
de trente pieces de canon.
Il eſt arrivé de Vienne le 28 du mois dernier
an courier avec des lettres de M. Keith , Miniftre
Plénipotentiaire de la Grande-Bretagne auprès de
leurs Majeftés Impériales. Le Comte de Holderneff
alla fur le champ rendre compte à Sa Majeſté
du contenu de ces dépêches. Cette Cour
eft convenue d'un Cartel avec celle de Mayence ,
pour l'extradition réciproque des déferteurs.
On attend ici dans quelques jours la Princeffe
épouse du Prince héréditaire de Heffe-Caffel , &
les trois Princes fes fils. Le Roi fait.trayailler à
trois épées d'or , qu'il deftine pour ces Princes.
Sa Majesté a ordonné de fortifier la ville de Staden.
On va bâtir ici un nouvel Hôtel des Monnoies. A
DE RATISBONNE, les Juin.
Sur le bruit qui s'eft répandu que les ſujets Proteftans
de l'Impératrice Reine , tranfplantés en
Hongrie & en Tranfilvanie , y éprouvoient de
mauvais traitemens , les Miniſtres de cette Princeffe
à la Diete , ont diftribué un Mémoire pour
détruire ces fauffes allégations.
DE CLEVES , le 4 Juin,
La Régence a reçu un refcrit par lequel le Roi
lui enjoint de laiffer à la Communauté de Ronsdorffle
libre exercice de la Religion Réformée.
JUILLET. 1755. 201
#
ESPAGNE.
DE LISBONNE , le 15 Mai.
Deux des vaiffeaux deſtinés à croifer fur les cotes
de ce Royaume , mirent à la voile il y a quel
ques jours. Ils ont pris fous leur convoi plufieurs
bâtimens Hollandois , qu'ils doivent escorter jufqu'au
cap de Finifterre.
DE MADRID , le 3 Juin.
On a célébré le 30 du mois dernier, avec beau
coup de magnificence , la Fête de Saint Ferdinand
dont le Roi porte le nom. Le foir , après
un divertiffement en mufique , leurs Majeftés fe
rendirent dans les jardins qui , par le goût nouveau
dans lequel ils étoient illuminés , offroient
un coup d'oeil des plus frappans. Un très -beau feu
d'artifice termina cette éclatante journée.
Le Roi a créé Grand d'Efpagne de la premiere
claffe le Marquis de. Sarria , Lieutenant- Général
de fes armées , & Colonel du Régiment des Gar
des Eſpagnoles.
ITALI E.
DE NAPLES , le 19 Mai.
L'Infante , troifiéme fille de leurs Majeſtés , eft
morte le 11 de ce mois au foir dans le château
de Portici . Cette Princeffe qui fe nommoit Marie-
Anne , étoit née le 3 de Juillet de l'année derniere.
Son corps fut apporté ici le 13 , pour être inhumé:
dans le tombeau de la Famille royale.
LV
202 MERCURE DE FRANCE.
Le Marquis Fogliani dont la fanté eft parfaitement
rétablie , fe difpofe à aller bientôt prendre
poffeffion de la Vice -royauté de Sicile. On
croit que Sa Majesté veut partager entre deux Miniftres
les départemens dont il étoit chargé , en
donnant au Marquis Tanucci celui des Affaires
étrangeres, & au Marquis Gregori ceux de la Guerre
& de la Marine ..
Une felouque a conduit à l'Ile de Nifita vingtdeux
Turcs faits efclaves fur une galiotte qu'elle
a coulée à fond près du canal de Piombino.
Les dernieres nouvelles de Sicile annoncent la
mort du Comte de Grimau , qui y exerçoit par
trim les fonctions de Viceroi .
DE ROME , le 7 Juin.
in-
Le 23 Mai , le Margrave de Bareith prit la route
Naples . La Margrave n'y fuivit ce Prince que
quelques jours après.
Sa Sainteté a accordé au Comte Paul de Canale
la furvivance de la charge de Gouverneur des armes
de l'Etat Eccléfiaftique , poffedée par le Bailli
Antinori.
L'Académie des Arcades vient d'aggréger à fon
corps le Duc Clement- François de Baviere. Elle a
mis auffi au nombre de fes membres l'Abbé de
la Baume , auteur du Poëme en Profe , qui a pour:
titre la Chriftiade , ou le Paradis reconquis.
DE FLORENCE , le 22 Mai.
Des détachemens ont été poftés en différen
endroits le long des côtes de ce Grand Duché ,
particulierement à l'embouchure de l'Arno , pour
soppofer aux defcentes que les Algériens pourroient
tenter. Selon les lettres de Liyourne ,
un
JUILLET . 1755. 203
Feloucon deftiné à protéger la pêche du corail , a
attaqué trois petits bâtimens corfaires de Tripoli.
Deux ont été coulés à fond , & le troifiéme a pris
la fuite . On mande de Viterbe qu'une nuit de la
ſemaine avant la derniere , on y a effuyé trois vio
lentes fecouffes de tremblement de terre . L'allarme
fut telle , que cette même nuit on fit une Proceffion
folemnelle , à laquelle tous les habitans
affifterent pour demander à Dieu d'être délivrés
de ce fléau.
DE LIVOURNE , les Juin.
Il paroît que la croifiere des vaiffeaux de guerre
de l'Empereur en a impofé aux barbarefques . Ces
corfaires , depuis quelque tems , ne s'approchent
plus des parages de ce Grand Duché.
Les lettres de Naples marquent qu'une polacre
d'Alger , qui troubloit la navigation entre la Sicile
& la Calabre , a été prife par le Capitaine
Peppe , commandant un des chabecs de Sa Majesté
Sicilienne. On a fait cinquante efclaves à bord
de ce bâtiment.
DE VENISE , le 18 Mai.
On a été informé par un navire arrivé du Levant
, que le Capitan Pacha croife actuellement
dans l'Archipel , & qu'il a reçu ordre du Grand
Seigneur , d'empêcher que les Algériens n'y trou
blaffent la navigation des vaiffeaux Hollandois.
Le même bâtiment a rapporté que Mehemet Kan,
chef des Aghuans , s'eft mis fur les rangs pour dif
puter la Couronne de Perfe . Ce nouveau compé
titeur eft à la tête d'une armée de cent mille hom
mes. Sa premiere expédition a été contre la ville
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
de Meched , dont la prife lui a frayé le chemin
plufieurs autres fuccès. Il marche vers la capitale
du Royaume , dans le deffein d'y affiéger Azad
Kan , fi ce rival , qui eſt le feul dont il ait à redouter
la concurrence , y demeure renfermé.
DE GENES , le 25 Mai.
Suivant les nouvelles d'Afrique , la Milice s'eft
de nouveau foulevée à Alger , & elle a exigé la
dépofition de quelques membres du Divan. Le.
Dey, craignant les fuites de cette fermentation , a
doublé la garde de fon palais. Les mêmes avis.
portent que tous les corfaires de Tunis , à l'excep¬
tion de deux , font rentrés dans leur port..
DE MILAN , le 27 Mai.
Après une longue féchereffe qui faifoit crain
'dre la perte totale de la récolte , eft enfin furvenue
une pluie abondante. Une maladie épidémique
fait beaucoup de ravages à Novare. Elle fe
manifefte par une fievre ardente , & elle emporte
en quatre ou cinq jours les perfonnes qu'elle at
taque.
GRANDE- BRETAGNE
DE LONDRES , le 12 Juin.
Tous les Officiers des vaiffeaux de guerre qui
font à Chatham & dans la riviere de Medway
ont ordre de fe rendre fur leurs bords . Il eft arrivé
à Portsmouth quatre vaiffeaux de la Compagnie
des Indes Orientales , par lefquels on a appris
qu'il y avoit cu un grand incendie à Canton , &
JUILLET. 1755. 205
que cet accident avoit caufé aux Anglois une perte
confidérable. On a reçu avis par quelques navires
revenus de Smirne , que l'Ile de Metelin avoit
beaucoup fouffert d'un tremblement de terre ; que
plus de deux mille fept cens maifons avoient été
renverfées, & que plufieurs Infulaires avoient péri
fous les ruines de leurs habitations . Le bruit fè répand
que les Saletins ont déclaré la guerre à la
Grande-Bretagne , & qu'ils ont enlevé deux bâtimens
Anglois.
1
Une fregate arrivée le 30 du mois dernier à
Cork en Irlande , a rapporté que le 18 elle avoit
rencontré l'efcadre de l'Amiral Boscawen. Deux
vaiffeaux de guerre partiront dans peu pour la
nouvelle Ecoffe. Le 6 , un bâtiment chargé de
munitions & de plufieurs foldats de recrues , fit
voile pour cette colonie. Les équipages des vaiffeaux
que les Commiffaires de l'Amirauté ons ordonné
d'armer à Spithead , font prefque complets.
On les exerce régulierement à la manoeuvre. Toutes
les nouvelles troupes de marine fe rendent
fucceffivement à Portsmouth & à Plymouth. Les
navires be Prince Edouard & le Grantham , appartenans
à la Compagnie des Indes Orientales ,
font entrés ces jours- ci dans la Tamile. Le premier
vient de Bombay ; le fecond de Bencolen.
La Compagnie attend plufieurs autres bâtimens.
On a appris par le vaiffeau l'Ilchefter, venant de la
Chine , que le 29 du mois d'Octobre dernier il y
avoit eu à Wampoa un grand incendie , dans lequel
quatre magafins , dont deux appartenoient
aux Anglois , & les deux autres aux Suédois , avoient
été réduits en cendres . Selon les nouvelles d'Amérique
, la colonie de Philadelphie ayant fourni
un fubfide de quinze mille livres ſterlings , on a
diftribué les deux tiers de cette fomme dans les au
206 MERCURE DE FRANCE.
tres colonies Angloifes, pour fubvenir à une partie
des dépenfes qu'exige la levée des troupes.
On parle de former un camp dans Hyde Parc.
Le bruit court qu'on en formera auffi un de quatre
mille huit cens hommes en Irlande.
Avant-hier , fur une lettre anonyme qu'on trouva
dans la rue du Marché au foin , & qui portoit
qu'il y avoit des armes & de la poudre cachées
dans la maifon de l'Opera , les Directeurs de ce
fpectacle furent conduits en prifon . Bientôt on a
reconnu que cette accufation étoit une calomnie
inventée par quelqu'un de leurs ennemis. Moyennant
l'acte que le Parlement , dans fa derniere
Seffion , a donné en faveur des débiteurs infolvables
, plus de douze cens perfonnes en cette ſeule
ville , recouvreront leur liberté. Le nombre de
celles qui , dans le refte de la Grande- Bretagne ,
profiteront de cet acte , monte au moins à cinq
mille.
PATS · BAS.
DE LA HAYE , le 13 Juin.
Le Chevalier de la Quadra , qui depuis la mort
du Marquis del Puerto jufqu'à l'arrivée du Marquis
de Grimaldi , a été chargé des affaires de Sa
Majefté Catholique auprès de leurs Hautes Puiffances
, partit le 31 pour Hanovre. Il y remplira
les fonctions de Miniftre de la Cour de Madrid
pendant le féjour du Roi de la Grande-Bretagne
dans fon Electorat.
Les vaiffeaux le Sloterdyk , l'Espérance , le Keukenhof,
le Cattendyk , le Bevalligheid , le Pilswaart
& le Rotterdam , appartenans à la Compagnie des
Indes Orientales , font arrivés au Texel, Ces bâJUILLET.
1755. 207
f
timens viennent de Batavia , de Bengale & de Ceylan.
Ils ont laiffé au Cap de Bonne- Efpérance le
vaiffeau le Rhoon , qui revient de la Chine . Le
premier de ce mois les vaiffeaux de guerre le Waterland
& le Maarfen firent voile du Texel pour
aller protéger la navigation des navires Hollandois
dans la Méditerranée.
"' M. de Kauderbach , Réſident du Roi de Pologne
Electeur de Saxe , remit le 9 un Mémoire
au fieur de Gefler , Préfident de l'Affemblée des
Etats Généraux. Le lendemain , le Colonel York,
Envoyé extraordinaire du Roi de la Grande Bretagne
, eut une conférence avec quelques Seigneurs
de la Régence.. M. Paravicini , ci -devant Conful
de la nation Hollandoiſe à Alger , eſt arrivé d'Afrique.
DE BRUXELLES , le 14 Juin.
Il y a ordre d'augmenter jufqu'à cent trentecinq
hommes chaque compagnie des Régimens
d'infanterie nationaux. Les deux derniers bataillons
du Régiment de Platz arriverent ici de Luxembourg
le 31 du mois dernier.
M. Molinari , Internonce du Pape en cette
Cour , a fait fçavoir à M. Van Haren , Député
des Etats Généraux des Provinces -Unies , que les
deux frégates Papales qui croifent fur les côtes de
P'Etat Eccléfiaftique , avoient ordre d'y garantir
les navires Hollandois des infultes des Algériens ,
Cette déclaration a été reçue par M. Van- Haren
avec les marques d'une fincère reconnoiffance.
Il a affuré M. Molinari qu'il en informeroit au
plutôt leurs Hautes Puiffances , dans la perfuafion .
qu'elles n'y feroient pas moins fenfibles.
208 MERCURE DE FRANCE.
D'ANVERS , le 4 Juin.
La tour de l'Eglife Paroiffiale de Saint-André
s'écroula fubitement le 30 du mois dernier à dix
heures & demie du foir. L'Eglife en a été confidérablement
endommagée , ainfi que plufieurs
maiſons voiſines. Heureufement , perfonne n'a été
tué ni bleffé. Quelques heures plutôt , cet accident
auroit coûté la vie à trois ou quatre mille
habitans qui affiftoient au Salat dans cette Eglife.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &6.
LE Roi fit le 6 juin , au Champ de Mars dans -le
parc de Marly , la revue des quatre Compagnies
des Gardes du Corps , de celles des Gendarmes &
des Chevaux- Legers de la Garde de Sa Majesté ,
des deux Compagnies des Moufquetaires , & de
celle des Grenadiers à Cheval . Sa Majefté paffa
dans les rangs , & les vit défiler . La Reine , Monfeigneur
le Dauphin , Madame la Dauphine , Monfeigneur
le Duc de Bourgogne , Madame & Mefdames
de France affifterent à cette revue. Madame
la Dauphine qui avance heureufement dans
fa groffeffe , ne s'eft point trouvée indifpofée de
cette promenade .
Nous joignons ici l'état de la revue du Roi ,
pour les deux Compagnies de fes Moufquetaires ,
tel qu'il nous a été envoyé.
JUILLET. 1755. 209
PREMIERE COMPAGNIE.
LE ROI, Capitaine
M. DE JUMILHAC , Capitaine -Lieutenant.
M. DE PERUSSY , premier Sous- Lieutenant.
M. DE CARVOISIN , fecond Sous-Lieutenant.
M. DE LA CHEZE , premier Enfeigne.
M. DE CUCÉ , fecond Enſeigne.
M. DE LA VAUPAILLERE , premier Cornette.
M. DE MONTILLET , fecond Cornette .
Maréchaux des Logis.
M. de Banne , premier Aide-major.
M. de Brunville.
M. de Chavigny.
M. de Bulftrode , fecond Aide- major.
M. du Rouret.
M. Huet.
M. de Nacquart.
M. de Beauclair.
M. de la Brulerie.
M. Dorvilliers.
M. La Foreft,
M. Roberic, Sous Aides- majors:
· Moufquetaires préfens
Surnuméraires , abfens ou malades
Total de la Compagnie
286
88
· • · 374
SECONDE COMPAGNIE.
LE ROI , Capitaine.
M. LE COMTE LE LA RIVIERE , Capitaine-Lieute
nant
210 MERCURE DE FRANCE.
M. DE MONTBOISSIER , premier Sous - Lieutenant.
M. DE CHABANNES , fecond Sous- Lieutenant .
M. DE BISSY , premier Enſeigne.
M. DE VILLEGAGNON , fecond Enfeigne.
M. DE LA GRANGE , premier Cornette.
M. LE CHEVALIER DE VATAN , fecond Cornette,
Maréchaux des Logis.
M. de Savoify.
M. de Pidoux , abfent malade.
M. de Kerravel .
M. de Ja Gohiere , abfent malade.
M. de Garriffon ; premier Aide- major.
M. de Montfort , abfent malade.
M. de Neufont.
M. de Vervan , abfent malade.
M. Dufou.
M. Ancelet , fecond Aide- major.
:
195
S
Moufquetaires en pied préfens ..
Moufquetaires en pied abfens malades ,
Moufquetaires furnuméraires préfens , 143
Total 343 1
On apprend par les lettres de Moulins, du 6 Juin ,
que la nuit du 2 au 3 le feu y a pris au château,
dans l'appartement occupé par le Marquis des
Gouttes , Capitaine des vaiffeaux du Roi. Les fecours
n'ont pû être auffi promts que l'exigeoit la
circonftance ; & le corps du château a été prefque
totalement réduit en cendres . On ne fçait pas
encore à quoi peut monter la perte caufée par cet
incendie. Il y a eu deux hommes tués , & plufieurs
bleffés , par l'écroulement des charpentes.
Le 6, au départ du courier , le feu étoit encore
JUILLET . 1755. 251
dans les bas
appartemens , mais il n'y avoit aucun
danger pour le refte du château. Si le vent qui
fouffloit avec violence dans le commencement
de
l'embrasement , eût continué , une partie de la
ville eût couru un très - grand rifque. M. de
Lherbouché , un des Aumôniers de la Gendarmerie
, dont l'Etat -Major eft en quartier à Moulins ,
a rendu en cette occafion des fervices importans.
Touché des cris de la Marquife des Gouttes , qui
demandoit qu'on fauvât fes enfans , il fe rendit
courageufement
avec un feul domestique
à leur
appartement qui étoit déja tout en feu ; & il les
retira du milieu des flammes. Il s'eft porté avec la
même intrépidité dans tous les lieux les plus périlleux
, ou fa préfence pouvoit être de quelque
utilité.
Le 7 , le Roi revint de Trianon où il étoit allé
le s .
Le Comte de Sartirane , Ambaſſadeur ordinaire
du Roi de Sardaigne , eut le 8 une audience particuliere
du Roi , à laquelle il fut conduit par le
Marquis de Verneuil , Introducteur des Ambaffadeurs.
La Marquife de la Ferté fut préſentée le même
jour à leurs Majeftés & à la Famille royale
par la Comteffe de Marfan , Gouvernante des Enfans
de France. Le même jour , la Marquife de
Lhopital préſenta la Marquife de Merinville.
Le Roi partit le 9 pour Crecy od Sa Majesté
demeura jufqu'au 14 ; elle y retourna le 16 , & en
revint le 21 .
Sa Majefté a accordé les honneurs de Grands-
Croix de l'Ordre royal & militaire de S. Louis
au Comte de la Riviere , Capitaine- Lieutenant de
la feconde Compagnie des Moufquetaires ; an
Baron de Zurlauben , Coloneldu Régiment des
212 MERCURE DE FRANCE.
Gardes-Suiffes ; & au Vicomte du Suzy , Major
des Gardes du Corps.
M. de Buffy , premier Commis des Affaires
étrangeres , a été nommé par le Roi , pour fe
rendre à Hanovre en qualité de Miniftre de Sa
Majefté auprès du Roi de la Grande-Bretagne.
M. L'Abbé , Comte de Bernis , Ambaſſadeur du
Roi auprès de la République de Veniſe , eſt arrivé
depuis quelques jours ; & il a eu l'honneur
de rendre fes refpects à Sa Majesté.
Dom Jean-François de Brezillac , Bénédictin
de la Congrégation de S. Maur , a préſenté au
Roi le fecond volume de l'hiftoire des Gaules &
des conquêtes des Gaulois.
L'Affemblée générale du Clergé a accordé par
une délibération unanime le fecours de feize millions
, demandé de la part du Roi par les Commiffaires
de Sa Majesté.
Sa Majefté a accordé au fieur de Senozan , fils
du Président de Senozan , & petit - fils de M. de
Lamoignon , Chancelier de France , l'agrément de
la charge d'Avocat général au Grand Confeil ,
qu'avoit M. Seguier, Avocat général au Parlement.
Monfeigneur le Dauphin vint le 16 de ce mois
fur les fix heures du foir , fe promener à cheval
dans le Cours .
Madame la Dauphine fut faignée le 21 par
précaution.
Le 24 , le Baron Wan Eyck , Envoyé extraor
dinaire de l'Electeur de Baviere , eut fa premiere
audience publique du Roi.
Le Marquis du Châtelet Lomont , Lieutenant
général des armées du Roi , a obtenu le Gouver
nement de Toul qui vaquoit par la mort du Comte
de Caſteja.
Sa Majefté a nommé Commandeur de l'Ordre
JUILLET. 1755. 213
royal & militaire de S. Louis le Marquis de Balin-
Court , Lieutenant général de ſes armées , & Lieutenant
des Gardes du Corps dans la Compagnie.
de Villeroi.
Le Roi a difpofé du Régiment d'Infanterie allemande
, vacant par la mort du Maréchal-Comte
de Lowendalh, en faveur du Comte de Lowendalhfon
fils , Capitaine dans le même Régiment.
En même-tems Sa Majesté a déclaré qu'elle
augmentoit de quatorze mille livres la penfion
de deux mille écus , dont jouiffoit déja la Marée
chale de Lowendalh .
+
La Brigade des Gardes du Corps , que le feu
Marquis de Varneville commandoit dans la Compagnie
de Villeroi , a été donnée au fieur de la
Ferriere , Maréchal de camp , Exempt dans cette
Compagnie , & Aide-major des Gardes du Corps.
M. de Cherifey fuccede à M. de la Ferrière
dans la place d'Aide- major.
Le marquis de Calvieres , Lieutenant - général
des armées du Roi , Commandeur de l'Ordre de S.
Louis , & Lieutenant des Gardes du Corps , ayant
demandé la permiffion de fe demettre de fa Brigade
; Sa Majefté en a difpofé en faveur du Chevalier
de Scepeaux , Mestre de camp de Cavalerie.
Le Roi a accordé au Marquis de Calvieres ,
outre la retraite ordinaire , l'expectative d'une
place de Grand-Croix dans l'Ordre de S. Louis.
Les vaiffeaux le Duc de Bourgogne & le Duc
d'Orléans , appartenans à la Compagnie des Indes
, font arrivés , l'un le 8 , l'autre le 21 , au port
de l'Orient. M. Dupleix , ci -devant Gouverneur
général des établiffemens de la Compagnie dans
Plade , eft de retour par le dernier de ces deux
vaiffeaux.
Le nommé Songeux , Maître Maçon , eft mort
214 MERCURE DE FRANCE.
à Fontainebleau , âgé de cent cinq ans.
Le 26 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix-fept cens foixante- dix-fept livres
dix fols ; les billets de la feconde lotterie royale ,
à fept cens cinquante-deux. Les billets de la pres
miere lotterie étoient à huit cinquante-deux.
BENEFICES DONNÉS.
E Roi a donné l'Abbaye de Sellieres , Ordre de
LCiteaux , Diocefede Troyes, à l'Abbé Mignot,
Confeiller-Clerc au Grand-Confeil ; l'Abbaye
Réguliere de Saint-Sulpice , Ordre de S. Benoît ,
Dioceſe de Rennes , à la Dame de la Bourdonnaye
, Religieufe de l'Ordre de Fontevrault ; le
Prieuré conventuel & électif de Boutteville , Or
dre de S. Auguſtin , Dioceſe de Saintes , à l'Abbé
de Barret , Vicaire général de l'Evêché de Bazas.
Sa Majefté a nommé à l'Evêché de Marſeille
vacant par le décès de M. de Belfance de Caf
telmoron , M. Jean-Baptifte de Belloy , Evêque
de Glandeve , à la charge de deux mille huit cens
livres de penfions :
SÇAVOIR ,
1000 livres à M. Olivier , Prêtre du Dioceſe de
Marſeille ;
1000 livres à M. Pierre de Châteauneuf de la
Saigne , Prêtre du Dioceſe de Mende;
800 livres à M. Ange-Joſeph Dalleman , Prêtre
du Dioceſe de Carpentras.
Le Roi a donné l'Abbaye de Saint Arnoul , Ordre
de S. Benoît , Diocefe & ville de Metz , vacante
par le décès de M. de Belfunce , à M. FranJUILLET.
1755 217
çois - Joachim de Pierre de Bernis , Soudiacre ,
Comte de Lyon , & Ambaffadeur du Roià Veniſe.
L'Abbaye de Chambons , Ordre de Cîteaux ,
Dioceſe de Viviers , vacante par le décès de M. de
Bellance , à M. René-Jofeph-Marie de Gouyon
de Vaurouault , à la charge de quatre mille deux
cens livres de penfions :
SCAVOIR ,
1200 livres à M. Sehier , Grand Vicaire de
Rouen ;
1200 livres à M. Laugier de Rouffet de Beaurecueil
, Grand Vicaire de Senez ;
1000 livres à M. Gaubert , Prêtre ;
800 livres à M. de Boifmilon Dorgeville , Pro
tre du Diocefe d'Évreux .
9
L'Abbaye de Maizieres , Ordre de Câteaux ,
Diocefe de Châlons-fur-Saone vacante par le
décès de M. Hennequin d'Ecquevilly , à M. de
Romilley, à la charge de 3400 livres de penſions.
SÇAVOIR,
1200 livres à M. d'Aguille , Grand Vicaire de
Condom ;
800 livres à M. Château de la Fayette;
800 livres à M. Cliquet de Fontenai , Prêtre
du Dioceſe de Paris ;
600 livres à M. Bonvallet des Broffes , Prêtre
du Diocefe de la Rochelle.
216 MERCURE DE FRANCE :
MARIAGES ET MORTS.
E 1 Février , François- Philibert de Bonvouft ;
>
Philibert de Bonvouft , Marquis de Prulay , Capitaine-
Lieutenant des Gendarmes Dauphins , &
de Dame Marie de la Grange , fut marié le premier
Février à Damoifelle Marie, Louife-Françoife
Durey de Noinville , fille de Meffire Jacques-
Bernard Durey de Noinville , Maître des Requê
tes , & Préfident honoraire au Grand- Conſeil™, &
de Dame Marie-Françoife- Pauline de Simiane.
La cérémonie fut faite dans la Chapelle de l'hôtel
de Pons , par l'Evêque de Gap.
Jean-Paul -François de Noailles, Comte d'Ayen;
Gouverneur & Capitaine des Chaffes de S. Germain-
en-Laye en furvivance , époufa le 4 Février
Damoifelle Henriette- Anne- Louiſe Dagueffeau ,
fille de Meffire Jean-Baptiste-Paulin Dagueffeau
de Frefnes , Confeiller d'Etat ordinaire , & de
feue Dame Anne- Louife-Françoife Dupré . La
Bénédiction nuptiale leur fut donnée par l'Archevêque
de Rouen , dans la Chapelle de l'hôtel de
Machault. Le Comte d'Ayen eft fils de Louis de
Noailles , Duc d'Ayen , Chevalier des Ordres du
Roi , Lieutenant général des Armées de Sa Majefté
, Capitaine de la Compagnie Ecoffoife des
Gardes du Corps , Gouverneur de la Province de
Rouillon , en furvivance , Gouverneur & Capitaine
des Chaffes de S. Germain-en- Laye , & de
Catherine - Françoife - Charlotte de Coffé de
Briffac .
Meffire Simon-Claude Graſſin , Maréchal des
Camps & Armées du Roi , Lieutenant pour Sa
Majesté
JUILLET: 1755 : 217
Majefté , & Commandant des Ville & Citadelle de
Saint-Tropez , fut marié le 6 Mars en fecondes
nôces , à Damoiselle Marguerite- Françoiſe- Genevieve
de Vion de Teffancourt de Maiſoncelle ,
fille de feu Meffire René de Vion , Seigneur de
Teffancourt - Maifoncelle , & de Dame Marie-
Marguerite de la Salle .
Meffire Jofeph- Augufte le Camus , fils de Meffire
Barthélemi le Camus , Gouverneur de Mevoillon
, & de Dame Jeanne de Cauſans , fut marié
le 18 à Damoiſelle Antoinette-Nicole le Camus
, fille de Meffire Nicolas le Camus , Commandeur
des Ordres du Roi , & ci-devant Premier
Préfident de la Cour des Aydes .
Le 8 Avril , Meffire Jean- Baptifte- Calixte de
Montmorin , Marquis de Saint - Herem , Colonel
d'un Régiment d'Infanterie de fon nom , fut
marié à Damoiſelle Amable-Emilie- Gabrielle le
Tellier de Souvré , fille de Meffire François- Louis
le Tellier , Comte de Rebenac , Marquis de Souvré
, Chevalier des Ordres du Roi , Lieutenant
général des Armées de Sa Majesté , & Lieutenant
général pour le Roi dans les Provinces de haute
& balle- Navarre & de Bearn , Maître de la Garderobe
de Sa Majefté , & de feue Dame Jeanne-
Françoife Dauver des Marefts. La Bénédiction
nuptiale leur fut donnée dans la Chapelle de la
Congrégation de S. Sulpice , par l'Evêque d'Agen.
Leur contrat de mariage avoit été figné le 6 par
Leurs Majeftés & par la Famille royale . Le Marquis
de Saint-Herem eft fils de Mellire Jean-
Baptifte-François , Marquis de Montmorin , Lieutenant
général des Armées du Roi , & Gouverneur
de Fontainebleau , & de Dame Conſtance-Lucie
de Valois de Villette.
La Maiſon de Montmorin qui tire fon nom
K
218 MERCURE DE FRANCE.
d'une terre en Auvergne , doit être comptée par
mi les premieres de cette Province & les plus anciennes
du Royaume . Elle n'eft pas moins illuftre
par fes alliances que par fon ancienneté. Calixte I ,
Seigneur de Montmorin , qui vivoit fous le regne
du Roi Lothaire , & qui eft mentionné dans une
charte du Prieuré de Saucillange , avec Hugues
fon fils , eft le 9e ayeul de Geoffroi , Seigneur de
Montmorin , qui vivoit en 1417 , & qui de fa
femme Dauphine de Thinieres , eut pour fecond
fils Jacques de Montmorin , Seigneur de Saint-
Herem , du chef de fa femme Jeanne Gouge , dite
de Charpaigne , mere de Gilbert de Montmorin
qui d'Alix de Chalancon eut Jean de Montmorin ,
Seigneur de Saint-Herem , allié en 1490 à Marie
de Chazeron. Leur fils François de Montmorin ,
Gouverneur de la haute & baffe- Auvergne , eut de
Jeanne de Joyeufe , Gafpard de Montmorin
Gouverneur d'Auvergne après fon pere , & Jean ,
qui époufa Gabrielle de Murol , Dame du Broc
de Gignac , & de Saint-Bonnet. Leur fils Gafpard
de Montmorin , Seigneur de Saint- Herem , fut
allié à Claude de Chazeron , mere de Gilbert-
Gafpard de Montmorin , décedé le 27 Février
1660 , laiffant de Catherine de Caftille , François-
Gafpard & Edouard de Montmorin , qui ont formé
les deux branches qui fubfiftent aujourd'hui.
François-Gafpard , l'aîné fut grand Louvetier de
France en 1655 , Gouverneur & Capitaine des
Chaffes de Fontainebleau. Son fils Charles-Louis
de Montmorin , qui eut la furvivance de cette
derniere Charge , eft ayeul par fa femme Marie-
Genevieve Rioult de Douilly , du Marquis de
Montmorin qui donne lieu à cet article.
Voyez l'Hiftoire des Grands Officiers de la
Couronne , t, 8. p. 813 , & les Tablettes hiftori
ques , t. 4. P. 419.
JUILLET. 1753. 219
Meffire Charles- Adrien , Comte de Ligny , Vicomte
de Damballe , Meftre de Camp de Cavalerie
, époufa le 17 Avril Demoifeile Elifabeth-
Jeanne de la Roche de Rambures , fille de Meffire
Louis-Antoine de la Roche , Marquis de Rambures
, Maréchal des Camps & Armées du Roi , &
de Dame Elifabeth-Marguerite de Saint - Georges
de Verac. La Bénédiction nuptiale leur fut donnée
par l'Evêque de Meaux , dans la Chapelle
particuliere de l'hôtel de Rothelin . Le Comte de
Ligny eft veuf de Dame Reine -Magdeleine de
Hunolfthein.
Marie-François- Henri de Francquetot , Marquis
de Coigny , Meftre de Camp général des
Dragons de France , & Gouverneur de Choify- le-
Roi , fils de feu Jean- Antoine- François de Francquetot
, Comte de Coigny & de Dame Théreſe-
Jofephe-Corentine de Nevet , & petit- fils du Maréchal
de France de ce nom , fut marié le 21 à
Dame Marie-Jeanne-Olimpe de Bonnevie , Dame
des Ville & Marquifat de Vervins , veuve de
Louis- Augufte , Vicomte de Chabot.
Voyez les Tablettes hiftoriques , 3 part. p. 60, ´ .
& 4 part. p. 310.
>
Atmand , Marquis de Bethune Meftre de
Camp général de la Cavalerie , veuf de Dame
Marie-Edmée de Boullongne, a épousé le 22 Avril
Damoiselle Louife- Thérefe Crozat de Thiers , fille
de Meffire Antoine -Louis Crozat de Thiers , Brigadier
des Armées du Roi & Lecteur du cabinet
de Sa Majefté , & de Marie- Louife Auguftine de
Laval-Montmorenci . L'Evêque de Blois leur donna
la Bénédiction nuptiale dans la Chapelle du château
de Brunoy.
Meffire Jean- Fréderic de la Tour- Dupin de
Gouvernet , Comte de Paulin , Marquis de la
Kij
220 MERCURE DE FRANCE .
Roche- Chalais , Colonel dans le Corps des Gre
nadiers de France , a été márié le 24 à Demoiſelle
Cecile- Marguerite - Séraphine Guignot de Monconfeil,
fille de Meffire Etienne Guignot , Marquis
de Monconfeil , Lieutenant général des Armées
du Roi & Inspecteur général de l'Infanterie , &
de Dame Cécile Thérele Rioult de Curfay. Leur
contrat de mariage avoit été figné le 22 par leurs
Majeftés & par la Famille royale.
Meffire François de Laftic , Comte de Laſtic ;
Capitaine de Cavalerie dans le Régiment de Saint-
Jal , fut marié le 30 à Demoiſelle Anne Charron
de Menars , fille de feu Meffire Michel-Jean-
Baptifte Charron , Marquis de Menars , Brigadier
d'Infanterie , Capitaine des Chaffes de la Capitai
nerie de Blois & Gouverneur du Château de ladite
Ville , & de Dame Anne de Caftres de la
Rivierre. La Bénédiction nuptiale leur fut donnée
dans l'Eglife de Saint Sulpice , par l'Evêque de
Comminges. Le Comte de Laftic eft fils de Meffire
François , Marquis de Laftic , Maréchal des Camps
& Armées du Roi , & Lieutenant des Gardes du
Corps , & de Dame. Magdeleine- Héleine Camus
de Pontcarré. 1
Le a Mars eft mort à Paris Louis de Rouvroi §
Duc de Saint-Simon , Pair de France , Grand d'Eſpagne
de la premiere claffe , Chevalier des Ordres
du Roi, Vidame de Chartres, Gouverneur des Ville,
Château & Citadelle de Blaye , ainſi que du Fort
de Medoc , Grand Bailli & Gouverneur de Senlis
& du Pont Saint-Maxence. Ce Seigneur étoit âgé
de 30 ans. Il avoit été du Confeil de Régence &
Ambaffadeur extraordinaire du Roi en Eſpagne.
Par cette mort fe trouve éteinte la Duché-
Pairie de Saint-Simon , & la derniere branche de
l'illuftre Maifon de Rouvroi- Saint-Simon , n
JUILLET. 1733 : 221
reftant de cette branche Ducale que Marie-Chrif
tine -Chrétienne de Saint-Simon , fille unique de
Jacques-Louis de Rouvroi S.S mon , Duc de Ruffec ,
mort en 1746 , & de Catherine- Charlotte Thérefe
de Gramont , fille d'Antoine , Duc de Gramont.
Elle eft petite-fille du Duc dont nous annonçons
la mort & a époulé le 10 Décembre 1749 ,
Charles Maurice Grimaldi , appellé Comte de
Valentinois.
Il y a encore trois autres branches de la Maifon
de Saint-Simon , aînées de la Ducale. La premiere
fubfifte dans la perfonne de Claude , Bailli de
Saint-Simon , qui a été Général des Galeres de
Malthe en 1735 & 1736 , & de Claude de Saint-
Simon , Evêque de Metz , fon frere. La feconde
a pour chef Louis- Gabriel de Saint-Simon , Marquis
de Montbleru , veuf depuis le mois de Décembre
1753 , de Catherine-Marguerite Pineau
de Lucé , de laquelle il a quatre garçons & quatre
filles. La troifieme branche fubfifte dans cinq
garçons & une fille , enfans de Louis François de
Saint-Simon , Marquis de Sandricourt , Lieute
nant général des Armées du Roi , mort en 1749 .
& de Marie-Louife -Gabrielle de Gourgues , morte
en 1753:
Marie- Thérefe-Emmanuelle Cafimire- Genevie.
ve de Béthune , épouſe de Louis- Augufte Fouquer
de Belle- Ifle , Duc de Gifors , Pair & Maréchal de
France , Prince du S. Empire Romain , Chevalier
des Ordres du Roi & de l'Ordre de la Toifon d'or,
Gouverneur des Ville & Citadelle de Metz & du
pays Meflin , Commandant en chef dans les trois
Evêchés , frontiere de Champagne & pays de Luxembourg
, & Lieutenant général des Duchés de
Lorraine & de Bar , oft morte le 3 dans la 46€
année de fon âge.
"
Kiij
222 MERCURF DE FRANCE.
Dame Françci'e - Marie - Elifabeth Couvay ,
époufe de Louis Balb - Bertons Marquis de Crillon
, Maréchal des Camps & Armées du Roi ,
mourut à Paris le 6 Mars âgée de 30.
Le Comte de Rohan , Chambellan , Grand
Ecuyer & Grand Veneur de l'Infant Duc de Parme
, eft mort à Parme le 77.Mars.
Diane- Henriette de Bafchi d'Aubaïs , épouse
de Jofeph de Montainard , Marquis de Montfrin ,
Comte de Souternon , eft morte le 18 au château
de Montfrin en Languedoc , dans fa 44° année.
Voyez Bafchi, 4. part. des Tablettes hiftoriques
, pag. 170 , 212 , 217 & 325. & Montainard ,
ibid. pag. 110 & 158 .
9
Meffire Matthieu-Henri Molé de Champlaftreux
fils de Meffire Matthieu-François Molé
fecond Préfident du Parlement , eft mort le 20 dans
La 7e année.
Catherine Charlotte - Thérefe de Gramont ,
venve de Jacques- Louis de Saint- Simon , Duc de
Ruffec , Pair de France, Vidame de Chartres, Chevalier
de la Toifon d'or , mourut en cette ville le 21
âgée de 48 ans. Elle avoit été mariée en premieres
nôces à Philippe- Alexandre , Prince de Bournonville
, mort en 1727. Elle étoit fille d'Antoine de
Gramont , Pair & Maréchal de France , Lieutenant
général de Navarre & de Bearn , Colonel du Régiment
des Gardes- Françoiſes , & de Marie- Chriftine
de Noailles.
Le fieur Jacques Molin , Médecin de la Faculté
de Montpellier , & l'un des Médecins confultans
da Roi , eft mort le 21 Mars âgé de 92 ans. Ses
lumieres , fon expérience & fes fuccès , l'ont fait
compter , avec juftice , au nombre des plus grands
Médecins de ce fiecle.
Meffire Nicolas -Alexandre de Ségur , Préfident
JUILLET. 1755. 223
honoraire du Parlement de Bordeaux , eft mort le
24 dans la cinquante-huitieme année de fon âge.
Meffire Pierre de Forges , Marquis de Châteaubrun
, eft mort le 28 en fon château de Château
vieux , âgé de 75 ans. Il laiffe deux fils & trois
filles de fon fecond mariage avec Dame Gabrielle
de la Marche , fille de Meffire François de la Marche
, Baron de Fins , & de feu Gabrielle de Montmorenci.
Augufte-Henri , Comte de Friefe , Maréchal
des Camps & Armées du Roi , Mestre de Camp
d'un Régiment de Cavalerie légere de fon nom ,
& Colonel - Lieutenant du Régiment de Madame
la Dauphine , mourut à Paris le 29 Mars âgé de 27 ans.
隔Meffire Guillaume Raffin d'Hauterive , Abbé
de l'Abbaye de Belleville , Ordre de Saint Auguftin
, Diocèfe de Lyon , eft mort le 31 dans la
78e année .
Le 2 Avril , Meffire Jofeph- Philibert d'Apchies ,
Comte de Vabres, des Deux Chiens & de la Baume,
Grand Sénéchal d'Arles , eft mort en cette ville
dans la 69 année de fon âge.
Dame Marie -Jofephe le Duc , veuve de Meffire
Jules , Marquis de Grave , eft morte le 6 Avril
âgée de 70 ans.
Dame Catherine -Félicité- Arnauld de Pompon
ne , veuve de Meffire Jean-Baptifte Colbert , Mar
quis de Torcy , Commandeur des Ordres du Roi ,
Miniftre & Secrétaire d'Etat , ayant le département
des Affaires étrangeres , & Surintendant des
Poſtes , mourut à Paris le 7 âgée de 77 ans.
Dame Marie-Magdeleine Camus de Pontcarré ,
veuve de Méffire Louis- Balthazard de Ricouart ,
Comte d'Herouville, mourut le 12 du même mois.
Meffire Jochim PEfpinette-le-Mairat , Seigneur
Kiiij
224 MERCURE DE FRANCE.
de Nogent , Préfident de la Chambre des Comp
ies , eft mort le 15 âgé de 74 ans.
Meffire Gabriel Tachereau de Baudry , Confeiller
d'Etat ordinaire & Intendant des Finances ,
mourut en cette ville le 22 âgé de 82 ans .
Meffire Jean-Baptifte de Francheville , Préfident
du Parlement de Bretagne , mourut le 29 âgé de
67 ans.
Meffire Jean Bart , Vice-Amiral , Grand- Croix
de l'Ordre royal & militaire de Saint Louis , eſt
mort à Dunkerque fur la fin d'Avril .
Le 4 Mai , Meffire Nicolas Malezieu , Major
de Carabiniers , fils de Meffire Pierre de Malezieu,
Commandeur de l'Ordre royal & militaire de
S. Louis & Lieutenant général des Armées du
Roi , & de Dame Marthe Stoppa , mourut à Paris
dans la 34 année de fon âge.
Don Manuel Gallevon , Comte de la Cerda
Commandeur de l'Ordre de Chrift , & Envoyé
extraordinaire du Roi de Portugal auprès de Sa
Majefté , mourut le 9 en cette ville âgé de ao
ans.
Meffire Charles -Louis de Biaudos , Comte de
Cafteja , Maréchal des Camps & Armées du Roi
Gouverneur de Toul & de Saint-Dizier , ci devant
'Ambaffadeur de Sa Majeſté en Suede , eft mort le
10 dans la 72 ° année de fon âge.
Dame Marie-Françoiſe - Victoire de Verthamon,
veuve de Meffire Louis de Perruffe , Comte
d'Efcars , Lieutenant général pour le Roi au Gouvernement
du haut & bas Limoufin , mourut le
12 au château d'Eſcars , dans la 72º année de fon
âge.
Jean-Marie de Bourbon , Duc de Châteauvi
Jain , fils de Louis-Jean- Marie de Bourbon , Duc
de Penthievre , & de feue Marie- Thétefe- Félicité
JUILLET. 1753. 223
'Eft , Princeffe de Modene , mourut le 19 à Paris,
âge de fix ans , fix mois & deux jours.
Mre Marc-René des Ruaux de Rouffiac , Abbé
de l'Abbaye de Notre-Dame de Sellieres , Ordre
de Citeaux , Diocèfe de Troyes & Vicaire Général
de l'Evêché de Sarlat , mourut à Versailles le
25 dans fa quarante- cinquième année.
Meffire Pierre-Emmanuel , Marquis de Roqué-
Jaure , eft mort dans le mois de Mai , dans fon
château en Auvergne , âgé de quatre - vingt - deux
ans.
Meffire Samuel de Meherenc , Comte de Varennes
, l'un des Lieutenans de Roi dans la Province
de Flandres , Lieutenant pour Sa Majesté &
Commandant au Gouvernement de Béthune , eſt
mort en Normandie dans fa foixante- dix- huitieme
année.
L'Eglife de France vient de perdre un Prélat digne
des premiers temps. Son nom manque à la
તે
lifte des Princes de l'Eglife , dont la pourpre eut
reçu un nouvel éclat , s'il en eut été décoré,
Henri-François -Xavier de Bel unce de Caftelmoron
, étoit né en Décembre 1671. Il entra dans
la Société des Jéfaites en Septembre 1691 , il en
fortit pour être grand-Vicaire de l'Evêque d'Agen ;
il fut nommé à l'évêché de Marfeille en 1709 , &
facré à Paris en1710pendant l'affemblée du Clergé
à laquelle il étoit député en qualité de fuffragant
de la province d'Arles, La pefte arrivée à Marfeille
en 1720 , & qui dura toute l'année 1721. fit éclater
fa charité , fon courage & fon zèle , & nous fit voir
un fecond Charles- Boromée. M. le Régent ne tarda
pas à récompenfer tant de vertus , en le nommant
le 16 Octobre 1723 à l'Evêché de Laon , feconde
pairie du royaume. Il en étoit d'autant plus
digne qu'il refufa ce nouvel honneur pour fe
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
conferver tout entier à fon troupeau pour lequel
'il avoit facrifié fes biens , & tant de fois expofé fa
vie. Il continua de vieillir dans les travaux apoftoliques
, parcourant fon diocèfe en fimple miffionnaire
, & verfant partout avec profuſion ſes inftructions
& fes aumônes. Clément XI . lui envoya
le pallium , & l'honora de plufieurs brefs : ce Pape
mourut au moment où il alloit le faire cardinal :
on ne doit pas omettre que ce Prélat a refufé depuis
l'archevêché de Bordeaux. Il eft mort le 4
Juin , au même jour où la ville de Marfeille renouvelle
tous les ans la confécration qu'il fit pendant
les horreurs de la pefte , de lui & de tout fon
peuple au facré coeur de Jefus. Les regrets de tous
les habitans de cette ville , & les honneurs rendus
à cet illuftre Prélat , éterniferont à jamais fa mémoire
& leur reconnoiffance .
Sa Maiſon eft trop connue pour entrer ici dans
un grand détail : originaire de Navarre , & portant
dans fes armes depuis un tems.immémorial
celles de Bearn , elle fe perd dans les tems les plus
reculés. La fuite non interrompue des ancêtres de
M. de Marſeille , remonte à un Guillaume de Bel
funce , Vicomte de Macaye qui tefta en 1209. Les
Seigneurs de Belfunce font en poffeffion du titre
de Vicomtes depuis le douzieme fiecle. Les chroniques
de Bayonne rapportent l'entrepriſe d'un
cadet de Belfunce qui combattit un monftre à trois.
têtes , & qui fut écrafé par ce monftre après l'avoir
tué. L'événement fabuleux ou véritable en eft
confervé par ce qui fe voit dans leurs armes : c'eſt
un dragon qu'ils ont ajouté à leur écu par la permiffion
du Roi de Navarre Charles III , dit le
Noble. Ils poffederent les premieres charges dans
la maifon des Rois de Navarre. Le titre de Ricombre
qui répond à celui de haut & puiſſant SeiJUILLET.
1755. 227
gneur , fut concédé à Guillaume-Arnaud de Bel-
Tunce par le Roi Charles II , dit le Mauvais , &
parmi les maifons de Navarre établies , en France
, on ne connoît que celles de Grammont de
Luxe & de Belfunce qui foient parvenues à cette
dignité. Les illuftres alliances que les feigneurs
de Belfunce ont contractées , foit par des filles,
données , foit par des filles reçues en mariage ,
répondent bien à la nobleffe de cette maifon. Elle
eft alliée aux maifons de Grammont , d'Efchau
d'Armindaris , d'Arambure , d'Urtubre de Luxe ,
de Montmorency - Luxembourg , Gontaud de
Saint -Geniès , de Foix , de Navailles , d'Elbeuf ,
Pompadour , Rothelin , de Leffe du Coudrai proche
parent de Georges Duc de Virtemberg , Caumont-
la-Force , Montalambert -Moubaux , Beaumont
des Junies , la Lane , Fumel de Monfegur
d'Albret , de Tallerant , de Montp fat , de Goth ,
maifon du Pape Clement V. de Bourdeille , Caf
telnau de Clermont - Lodeve , Pardaillant , de
Rye-Rouffy , de la Rochefoucault , Candale de
Foix , Gontaud-Biron , d'Aydie de Riberac , Théobon
, de Pons , Fumel , Beaupoil - Saint - Aulaire ,
Harcourt -Beuvron , de Chapt de Raftignac , Dur
fort de Duras , de Bearn de Braflac , &c.
"
Il ne refte de la branche de M. l'Evêque de
Marſeille que le Marquis de Belfunce de Caftelmoron
fon petit neveu , fils de feu Antonin Armand
, Comte de Belfunce , Grand Louvetier de
France , & d'Alexandrine- Charlotte Sublet d'Heudicourt
& petit-fils de Charles- Gabriel de Belfance
, Marquis de Caftelmoron , &c. Capitaine-
Lieutenant des Gendarmes Bourguignons , Lieuten
ant général des armées du Roi , Gouverneur &
Sé échal des provinces d'Agenois & Condommois ,
& de Cécile- Genevieve de Fontanicu. 3
Kvi
228 MERCURE DE FRANCE.
Le chef de la branche aînée de cette maifon , eft
'Armand , Vicomte de Belfunce , Colonel du régiment
de ce nom.
Louis-François- Alexandre Savary , Seigneur &
Marquis de Lancofme , Chevalier de l'Ordre
royal & Militaire de Saint Louis , ci - devant
capitaine de Grenadiers Grenadiers au Régiment de
Richelieu , eft décédé le 12 Juin 1755 , dans
fon Château de Lancofme en Touraine , âgé de
foixante ans , il étoit chef du nom & armes de
Savary, & avoit épousé par contrat de mariage du
9 Janvier 1725 , damoiſelle Marie- Anne de Vaillant
, fille de Meffire François de Vaillant , Chevalier,
Seigneur d'Avignon , & de Dame Margue
rite de la Bouchardiere , dont font iffus trois fils
fçavoir ,
*
Louis-Jean-Baptifte Savary , Seigneur & Marquis
de Lancofne , Capitaine dans le régiment de
Bourgogne , cavalerie, marié à Damoiſelle Louiſe-
Renée de Roncée.
Louis-Alexandre Savary-Lancofme , chevalier
'de Malthe.
Louis-François Savary-Lancofme , Prêtre , Bathelier
de la Faculté de Théologie de Paris , à la
fin de fa Licence.
Ily a une autre branche de la maifon de Savary,
connue depuis 200 ans fous le nom de Bréves , de
laquelle est aîné Paul- Louis-Jean - Baptifte-Camille
de Savary-Breves , appellé le Marquis de Jarzé ,
parce qu'il a hérité du Marquifat de Jarzé en Anjou
dans la fucceffion collatéralle de Marie- Urbain-
René du Pleffis , Marquis de Jarzé , décédé
fans enfans .
Voyez à l'article des Morts & mariages du fe-
Bond volume de Juin , il y eft parlé très au long des
deux branches de cette maison,
JUILLET . 1755. 229
ARRESTS NOTABLES.
Rrêt de la Chambre des Comptes , da 22 Février
1755 , qui ordonne que toutes les rentes
créées par le Roi fur les Aydes & Gabelles ;
fur les Tailles , fur les Poftes , ou fous telle autre
dénomination que ce foit , conferveront leur nature
d'immeubles .
Ordonnance du Roi , pour régler la diftribution
des Congés d'ancienneté , du premier Mai 1755 .
De par le Roi. Sa Majeſté voulant régler le nombre
des Cavaliers , Dragons & Soldats de fes troupes
, aufquels il devra être délivré des congés
d'ancienneté pendant l'hiver prochain , Elle a ordonné
& ordonne ce qui fuit :
ART. I. Il ſera délivré deux congés abfolus dans
chaque compagnie de fufiliers , de grenadiers &
d'ouvriers , & dans celles de cavalerie & de dragons
à cheval , & trois congés dans chaque compagnie
du régiment royal- artillerie , de mineurs'
& de dragons à pied , le tout autant qu'il fe trou
vera dans lefdites compagnies un pareil nombre
de cavaliers , dragons & foldats , dont les engagemens
feront expirés.
II. Ces congés feront délivrés le premier du
mois de Septembre prochain , dans les régimens
qui ne font point du nombre de ceux qui ont
reçu des ordres pour camper , & dans ces derniers
, à la féparation des camps où ils auront
fervi.
7
III. On renvoyera par préférence les cavaliers ,"
dragons & foldats de chaque compagnie , dont
230 MERCURE DE FRANCE.
les engagemens feront expirés les premiers ; &
s'il s'en trouve plufieurs dans une même compagnie
qui ayent fini le tems de leur fervice de la
même date , ils tireront au fort.
IV. Lorsqu'un cavalier , dragon ou foldat qui
devra avoir fon congé d'ancienneté , préférera de
renouveller fon engagement dans la même compagnie
, celui qui le fuivra ne pourra demander
d'être congédié à ſa place.
V. Celui qui étant redevable à ſon capitaine
de quelques avances , ne fera pas en état de le
rembourfer à l'échéance de fon congé , fera
obligé de continuer à fervir dans la même compagnie
, jufqu'à ce que s'étant acquitté , il puiffe
reprendre fon rang dans la diftribution des congés
; & cependant le congé qu'il auroit dû avoir
s'il n'eût pas été redevable , fera donné au plus
ancien de ceux qui feront en droit de l'obtenir
après lui.
VI. Le Capitaine payera de fon côté à ceux
qui feront congédiés , ce qu'il pourra leur devoir ;
& il aura l'option de leur laiffer leur habit , ou de
leur donner à chacun quinze livres , en les renvoyant
avec la vefte & le chapeau.
VII. Sa Majefté ayant fixé le prix des engagemens
à la fomme de trente livres , fon intention
eft qu'aucun cavalier , dragon ou foldat ne puiſſe
obtenir fon congé abfolu qu'après avoir reſtitué
àfon Capitaine ce qu'il auroit reçû d'engagement
au-delà de cette fomme , & il en fera ufé à l'égard
de ceux qui ne pourront y fatisfaire , comme il
eft porté à l'article V. Entend néanmoins Sa Majefté
que le Capitaine ne pourra rien répéter de
ce qu'il aura donné au- delà de trente livres , a
ceux qui auront fervi pendant trois années de
guerre de plus que leur premier engagement , o
(
JUILLET. 1755. 230
qui auront rempli confécutivement deux engagemens
de fix ans dans la même compagnie.
VIII. Ceux qui ont été admis aux places de
fergent , caporal , anfpeffade & grenadier dans
l'infanterie & les dragons à pied , & à celles de
brigadier dans la cavalerie & les dragons à cheval ,
ou qui le feront par la fuite , ferviront pendant trois.
années dans lefdites places au-delà du tems porté
par leurs engagemens précédens , lefquelles trois
années feront comptées pour ceux qui auront
paffé fucceffivement à plufieurs haute-payes , du
jour qu'ils auront reçû la derniere defdites hautepayes.
Si cependant dans le nombre de ceux qui
feront propres à remplir lesdites places , il s'en
trouve qui confentent de renouveller leur engagement
pour fix années , elles leur feront données
par préférence ; & les mêmes conditions s'oblerveront
à l'égard des foldats -apprentifs du régiment
Royal- artillerie , & des compagnies de mineurs &
d'ouvriers qui feront paffés ou pafferont à l'avenir
aux places de fergent & aux haute-payes de fappeurs
, bombardiers , canoniers , mineurs , ouvriers
, fous-maître ou maître- ouvriers .
IX. Quoique fuivant le réglement du 3 Janvier
1710 aucun fergent , brigadier , cavalier , dragon
ou foldat , ne puiffe être reçû à l'Hôtel royal
des Invalides , qu'il n'ait au moins vingt ans de
fervice actuel & confécutif , ou qu'il n'ait été
eftropié au fervice de Sa Majefté fon intention
eft cependant que ceux aufquels , après avoir renouvelle
deux fois des engagemens de fix ans
dans la même compagnie , il furviendra pendant
le cours de leur troifieme engagement , des infirmités
qui les mettent hors d'état de continuer
leur fervice , foient reçus audit Hôtel .
X. L'intention de Sa Majesté étant que les Ca
232 MERCURE DE FRANCE.
valiers , Dragons & Soldats fervent pendant cont
le temps pour lequel ils s'engagent , elle veut
qu'aucun d'eux ne puiffe prétendre fon congé abfolu
, qu'après avoir porté les armes & fait réellement
le fervice dans la compagnie pendant fix années
entieres ; & que ceux qui fe feront abſentés
par des congés limités , pour leurs affaires particulieres
, foient obligés de fervir à leur troupe un
temps égal à celui de leur abfence , par- delà le
terme de leur engagement. Quant à ceux qui fe
feront abfentés pour aller travailler à des recrues
ils feront réputés avoir fervi pendant tout le temps
de leur congés , où il fera fait mention pour cet
effet , des motifs pour lefquels ils auront été accordés
; & il fera tenu par le Major de chaque
´régiment , `un état exact de ces congés , duquel il
délivrera une copie au Commiffaire des guerres
qui en aura la police , pour y avoir recours en
cas de befoin.
XI . Tiendront de même lefdits Majors , un
état des engagemens limités de chaque compagnie
, dans lequel ils feront mention des fommes
qu'ils vérifieront avoir été données ou promifes
pour lefdits engagemens , afin que le Commiffaire
des guerres , auquel ils feront tenus de le communiquer
, puiffe en envoyer un extrait au mois
d'Octobre prochain , au Secrétaire d'Etat ayant
le département de la guerre , lequel extrait contiendra
le fignalement des cavaliers , dragons &
foldats qui auront été congédiés , & de ceux qui
en renouvellant leur engagement , ou en paffant
aux haute-payes , auront préféré la continuation
de leur fervice à leur congé abfolu , pour du tout
être rendu compte à Sa Majefté , laquelle veut
que la préfente Ordonnance foit exécutée , nonobftant
ce qui pourroit être contraire aux prét
JUILLET. 1755. 233
cédentes , aufquelles elle a dérogé & déroge pour
ce regard feulement.
Ordonnance du Roi fur l'exercice de l'Infanterie
, du 6 Mai 1755. A Paris , de
l'Imprimerie royale.
Voici les titres contenus dans cette Ordonnance
.
Des obligations des Officiers , & de la maniere
dont ils doivent porter les armes & en faluer.
De l'école du foldat ,
De la formation & affemblée des Bataillons ,
Du maniment des armes ,
De la marche ,
Des manoeuvres des armes
De la marche ,
>
Des manoeuvres par rang & par files ,
Des évolutions pour rompre & réformer les
Bataillons ,
De la colonne ,
De l'exercice du feu ,
Des batteries de tambours , & des fignaux relatifs
aux évolutions ,
Des revúes.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 4 Mai
1755 , qui proroge pour cinq années l'attribution
donnée aux Intendans pour connoître des contef
tations nées & à naître fur l'exécution des réglemens
des 27 Janvier 1739 & 18 Septembre 1741,
fur la fabrication du papier.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi, du 6 Mai 1755 ,
concernant les indemnités accordées aux Procugeurs
du Roi de différens fiéges , pour papier &
234 MERCURE DE FRANCE.
parchemin tymbrès , dont le fonds n'a pas été ordonné
par l'Arrêt du 7 Juin 1740 , & autres reddus
poftérieurement.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 20 Mai 1755 ,
portant réglement pour les droits & épices dûs
aux bureaux des finances par ceux qui ont à s'y
faire inftaller & recevoir , ou à y prêter ferment,
ainsi que pour les vérification & attache des provifions
d'offices , l'enregistrement des contrats
d'aliénation du Domaine de Sa Majefté , & autres
droits énoncés audit arrêt.
Ordonnance du Bureau des Finances de la Généralité
de Paris , du 6 Juin 1755 , qui ordonne
que les échoppes pofées au-devant & le long de
la grille qui ferme l'enceinte où eft fituée la figure
équeftre de Henri IV fur le Pont - neuf , feront
fupprimées , ainfi que celles fur & au bas des marches
des trottoirs : Fait défenfes d'en pofer à l'avenir
, & à toutes perfonnes de percevoir aucuns
droits pour la poſition deſdits échoppes.
A VIS
Illiard , Libraire , quai des Auguftins , à S.
Benote, donne avis qu'il a acquis , & qu'il
vend les livres fuivans."
Méditations fur des paffages choifis de l'écriture
fainte pour tous les jours de l'année ; par le
P. Segneri , traduit de l'Italien . Cinq volumes
in-12 , relié. 12 liv. 10 fols.
Réflexions fur le nouveau Teftament , avec des
notes par le P. Lallemand. 12 voh in-12. 30 liwa
JUILLET. 1755. 235
Les quatre fins de l'homme , avec des réflexions
capables de toucher les pécheurs les plus endurcis,
& de les ramener dans la voie du falut ; par M.
Rouault , Curé de Saint- Pair-fur-mer. I volume
relié , 1 liv. 16 f.
Les tables aftronòmiques dreffées par les ordres
& la magnificence de Louis XIV ; par M. de la
Hire. 1 vol . in-4°. figures , relié. 7 liv.
Supplément à la méthode pour étudier l'hiſtoire
; par M. l'Abbé Langlet du Frefnoy. 2 vol . in-
4° , grand papier , relié , 21 liv.
Le même livre en 3 vol. in- 12 , 9 liv.
AUTRE .
E Sieur Neilſon , Chirurgien écoffois , reçu à
Ls.
>
centes , traite ces maladies avec beaucoup de fuccès
, par le fecours de bandages élaſtiques qu'il a
inventés pour les hommes , femmes & enfans.
Ces bandages font fort approuvés , non feulement
à caufe qu'ils font très- legers & commodes à porter
jour & nuit , mais ils font auffi très - utiles
par rapport à leurs refforts qui compriment la
partie malade , ferment exactement l'ouverture
qui a permis la defcente , & réfiftent aux impulfions
que font les parties intérieures , ſoit à cheval
ou à pied. En envoyant la meſure priſe autour
du corps fur les aînes , marquant fur - tout l'état
de la defcente & le côté malade on eſt affuré de
les avoir juftes , auffi-bien que ceux qu'il fait pour
- le nombril.
Il donne fon avis , & felon l'âge & le tempérament
, il prépare des remedes qui lui font partiouliers
& convenables à ces maladies.
236 MERCURE DE FRANCE.
Voyant que les chaffeurs & ceux qui courent à
cheval ou en chaife , qui prêchent , chantent , danfent,
font des armes , &c. font continuellement
expofés à ces maladies ; il a auffi inventé des bandages
élastiques très -légers , commodes & néceffaires
à porter pendant ces exercices , ou d'autres
viclens , pour le garantir des maux , & prévenir
Jes incommodités qui arrivent tous les jours.
Sa demeure eft à Paris , fur le quai de la Mégifferie
ou de la Feraille , près le Pont-neuf, au Coq.
Nota. Il ne reçoit point de lettre fans que le
port en foit payé.
AUTR E.
Hallé de la Touche , expert Dentifte , reçu à
S. Côme , eft feul poffeffeur de trois remedes
pour les dents , un opiat , une effence &
un élixir.
'Opiat auquel il a donné le nom d'opiat turc ,
n'eft compofé que de fimples. Il n'a ni goût
ni odeur ; il a la vertu d'empêcher les dents
de fe gâter & de tomber ; il conferve Pémail
prévient la carie , empêche le tartre ou limon de
s'y attacher , préferve des gencives de tout accident
, de fluxions , d'abcès , de fiftule.
›
Cet opiat conferve les dents dans une parfaite
blancheur , dégonfle les gencives , les raffermit
au point qu'il n'eft pas néceffaire de recourir fouvent
aux inftrumens , qui ne fervent qu'à les détruire
on peut s'en fervir pour les enfans depuis
cinq à fix ans , par ce moyen on empêche la carie
A
"
JUILLET . 1755. 237
des dents de lait , qui bien fouvent par négligence
entraînent avec elles celles qui leur fuccedent.
L'effence s'appelle effence pruffienne , elle eft fpi
ritueufe, pénétrante, defficative , balfamique & anti-
fcorbutique ; elle a la vertu de guérir les affec
tions fcorbutiques , locales de la bouche qui s'atta
chent aux gencives , elle raffermit les dents dans
leur alvéole , quand même elle commenceroient à
s'ébranler par différentes maladies ; elle adoucit
l'àcreté des liqueurs qui arrofent la bouche & les
gencives ; elle détruit cette faumure qui ronge
les vaiffeaux capillaires des gencives , & occafion
ne quelquefois des ruptures de vaiffeaux & des hémorragies.
Ces parties fe relachant les fibres fe
defuniffent , le fang y abonde en trop grande
quantité , la férotfiey croupit ; delà ces ulceres,
ces fungofitées qui déchauffent & déracinent les
dents .
Enfin cette effence détruit tous les petits ulce
res ou aphtes qui fe multiplient dans la bouche ,
rafraîchit les lèvres , donne une odeur agréable
& détruit la puanteur , qui fouvent eft unefuite
de mauvais foin , ou des maladies ci-deſſus énoncées
que cette effence guérit.
L'Auteur s'étant appliqué férieufement & depuis
plusieurs années à la perfection de fon art ,
a découvert que ce qui étoit le plus pernicieux
aux dents & aux gencives , étoit de fe fervir fou
vent de feremens , & en conféquence il a imagi
né après fon expérience les remèdes qu'il propofe
au public.
Pour éviter le nettoyemeut , il fe fert d'un Elixir
qui a la propriété d'enlever le tartre , les taches
noires de deffus les dents , & les blanchit fur le
champ , fans leur faire aucun tort , ni aux autres
parties de la bouche , qu'il préferve & guérit de
toutes les maladies qui leur font ordinaires,
238 MERCURE DE FRANCE.
Il travaille à tout ce qui regarde l'ornement de
la bouche , rend les dents égales entr'elles , les
fépare , les redreffe , en met d'artificielles & de
naturelles , fans qu'elles expofent à la mauvaiſe
odeur ; les plombe , foit en or , argent ou plomb ;
il tire les dents , les racines caffées , fuflent- elles
couvertes par les gencives .
Il travaille gratis pour les pauvres , depuis deux
heures jufqu'à cinq : depuis & avant ces heures
il va en ville où il a l'honneur d'être appellé.
Son nom & fon cachet font fur fes boîtes &
bouteilles.
Les boîtes d'opiat font de trois livres ; les bouteilles
d'effence de trente fóls , trois livres , fix
livres , douze livres , & vingt- quatre ; & fon élixir
eft de trente fols , & de trois livres,
By
Ces remedes fe peuvent tranfporter dans les
pays étrangers , fans fe corrompre jamais.
Il donne la maniere facile de fe fervir des remedes
ci-deffus.
Sa demeure & fon enfeigne font , rue S. Honoré,
au Caffé des Beaux Arts , vis- à- vis P'Opéra , jau
coin de la rue Fromenteau , place du Palais royal.
Il n'y a que chez l'Auteur que lesdits remedes
fe difttribuent.
J'e
AP PROBATIO N.
' Ai 10 , par ordre de Monfeigneur le Chancelier
, le Mercure de Juillet , & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A
Paris , ce 30 Juin 1755 .
GUIROY.
239
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
Ers à M. l'Abbé de *** par Madame
de ***
page's
7
Le Philofophe militaire ,
Lettre à l'Auteur du Mercure , fur le projet d'un
nouveau Dictionnaire plus utile que tous les
autres ,
9
L'Ours & le Rat , ou l'Ours philofophe , fable , 21
Epitre à Eglé , par Mademoiſelle Loifeau ,
Il eut tort. Hiftoire vraisemblable ,
Eloge du menfonge à Damon ,
Portraits de cinq fameux Peintres d'Italie >
Dialogue par M. de Baftide ,
23
26
33
44
47
32
La naiffance de l'ennui , conte traduit de l'anglois
,
Lettre apologétique d'un Gentilhomme italien , à
M. l'Abbé Prevôt , 56
Mots de l'Enigme & du Logogryphe du fecond
volume du Mercure de Juin ,
Enigme & Logogryphe ,
Chanfon ,
68
69
79
ART. II . NOUVELLES LITTERAIRES.
Extraits , Précis ou Indications des Livres nouveaux
, 71
Suite d'une difcution fur la nature du goût , 90
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES,
Algébre. Réflexions fur la méthode employée par
M. G. pour réfoudre le problême qu'il a propofé
dans le Mercure du mois de Mai dernier.
Par M, Bezout , -109
113
240
Hiftoire naturelle. Lettre à l'Auteur du Mercure
au fujet de la Lettre de M. l'Abbé Jacquin fur
les pétrifications d'Albert ,
Médecine, Lettre de M. Dequen , fur un accident
arrivé dans le cuvage de M. le Comte de la
Queuille ,
Lettre à l'Auteur du Mercure fur la poffibilité de
connoître par l'ouverture des cadavres les
caufes des maladies ,
IIS
128
Chirurgie. Lettre écrite à M…….. au ſujet d'une fiſtule
confidérable , 131
Mécanique. Nouvelles machines pour curer les
ports de mer,
ART . IV. BEAUX ARTS .
Mufique. Recueil d'airs , &c.
142
143
Lettrre du P. Caftel à M. Rondet , au fujet du
clavecin des couleurs ,
Architecture. Mercure du mois de Juin de l'année
144
159
23555
Nouveau projet de décoration pour les théâtres ,
172
177
Horlogerie. Lettre du fieur Caron fils , à l'Auteur
4 du Mercure ,
Remarques de M. de Lalande , de l'Académie des
Sciences , fur un ouvrage d'Horlogerie, 183
ART. V. SPECTACLES.
Comédie Françoiſe ,
*
193
Comédie Italienne ,
194€
ARTICLE VI
Nouvelles étrangeres,
195
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
208
Bénéfices donnés , 214
Mariages & Morts ,
216
Arrêts notables , 228
Avis divers ,
234
LaChanson notée doit regarder la page 70.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
A OUST 1755.
Diverfité, c'est ma devife. La Fontaine .
Chez .
Cochin
Filius inv
Bi1o778Seulp
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais .
PISSOT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
Avec Approbation & Privilege du Roi,
୮
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
1
LUTION , Avocat , & Greffier - Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers .
C'eſt à lui qu'on prie d'adreſſer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. de Boiſſy ,
Auteur du Mercure.
Le prix eft de 36 fols , mais l'on ne payera
d'avance , en s'abonnant , que 21 livres pour
l'année , à raison de quatorze volumes . Les
volumes d'extraordinaire feront également de
30fols pour les Abonnés , & fe payeront avec
l'année qui les fuivra.
Les perfonnes de province auxquelles on
l'enverra par la pofte , payeront 31 livres
10 fols d'avance en s'abonnant , & elles le
recevrontfranc de port.
Celles qui auront des occafions pour lefaire
venir , ou qui prendront les frais du portfur
leur compte , ne payeront qu'à raison de 30
fols par volume, c'est à dire 21 livres d'avance
, en s'abonnant pour l'année , fans les
extraordinaires.
Les Libraires des provinces on des pays
A ij
étrangers, qui voudront faire venir le Mer
cure , écriront à l'adreffe ci- deffus.
On fupplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la poſte , en payant le droit , le prix
deleur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le payement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranehis ,
refteroni au rebut.
L'on trouvera toujours quelqu'un en état
de répondre chez le fieur Lutton ; & il obſervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque ſemaine , aprèsmidi.
On peut se procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainfi que les Livres
. Estampes & Mufique qu'ils annoncent.
MERCURE
DE FRANCE.
AOUST.
1755 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
PORTRAITS
DE CINQ FAMEUX PEINTRES
D'ITALIE.
Le Parmesan.
CEft fans doute des mains des graces
Que cet artiſte a reçu les pinceaux ,
A 11)
6 MERCURE DE FRANCE.
L'élégance , l'efprit , ſuivent par - tout ſes traces,
A cette riche empreinte on connoît ſes tableaux.
Le vent femble jouer avec fes draperies ,
La belle touche : Ah ! Dieux , quel contour immortel!
Peut-on trop admirer ces figures cheries? -
Tout y fent le Correge & le grand Raphaël .
Philippe Lauri.
Ce Peintre fait l'hiftoire avec goût & fineffe ,
Mais ce n'eft qu'en petit ; il dégénere en grand.
Ses fonds payfagés font frais , pleins de vagueffe ,
Leur fite eft embelli du fard qu'il y répand .
Quel aimable crayon ! que d'efprit il diftille !
A créer de l'efpace il fe montre fçavant ,
Si Lauri des Romains n'eft pas le plus habile ,
11 eft l'honneur du fecond fang.
Le Primatice.
>
Les charmes du pinceau remain
Furent chez les François tranfplantés par ce Maîtré.
L'on vit Fontainebleau décoré de fa main.
Le Roffo le craignit dès qu'il put le connoître.
Quelle gloire il parut au-deffus des bienfaits , !
Dont quatre de nos Rois à l'envi le comblerent.
On crut du Parmeſan revoir en lui les traits :
Du mauvais goût enfin fes talens triompherent.
}
AOUST. 17551 7
Polidore.
De vil manoeuvre il devint Peintre habile ,
En voyant les beautés qu'enfantoit Raphaël.
Que de correction ! que de goût dans fon ftyle !
La nature y confacre à l'antique un autel.
S'il peint de clair-obfcur des frifes ou des armes ;
L'oeil par le feul toucher peut être détrompé .
Son payfage auffi féduit par mille charmes ,
Le connoiffeur s'oublie en étant occupé.
Louis Garzi.
Dans ces grouppes d'enfans , quels ragoût de cou
leur.
Quel tendre dans leur chair ! oui , le fang y circule.
Cet ange me ravit par fa douce fplendeur ;
Mon oeil d'un jour divin croit voir le crépuscule .
Je reconnois Garzi , frais , correct , & fçavant ,
Traitant bien payſage , hiftoire , architecture.
L'âge fur fa vigueur lance un trait impuiſſant.
Frêt à payer tribut à la nature *
Un chef-d'oeuvre nouveau couronna fon talent.
* Il s'engagea à l'âge de quatre-vingt ans , par
ordre de Clement XI , à peindre la voûte de l'Eglife
desftigmates , qu'il termina beureufement. Rien n'y
fent la vieilleffe , & l'on regarde ce morceau comme
le triomphe de ce grand maître.
A inj
6 MERCURE DE FRANCE.
L'élégance , l'efprit , fuivent par -tout ſes traces.
A cette riche empreinte on connoît ſes tableaux.
Le vent femble jouer avec fes draperies ,
La belle touche : Ah ! Dieux , quel contour immortel!
Peut-on trop admirer ces figures cheries?
Tout y fent le Correge & le grand Raphaël.
Philippe Lauri.
Ce Peintre fait l'hiftoire avec goût & fineffe ,
Mais ce n'eft qu'en petit ; il dégénere en grand.
Ses fonds payfagés font frais , pleins de vagueffe ,
Leur fite eft embelli du fard qu'il y répand .
Quel aimable crayon ! que d'efprit il diftille !
A créer de l'efpace il fe montre fçavant ,
Si Lauri des Romains n'eft pas le plus habile ,
11 eft l'honneur du fecond fang.
Le Primatice.
Les charmes du pinceau remain
Furent chez les François tranfplantés par ce Maftre
.
L'on vit Fontainebleau décoré de fa main.
Le Roffo le craignit dès qu'il put le connoître.
Quelle gloire il parut au - deffus des bienfaits ,
Dont quatre
de nos Rois à l'envi le comblerent .
On crut du Parmeſan revoir en lui les traits :
Du mauvais goût enfin fes talens triompherent.
AOUST. 7 1755
Polidore.
De vil manoeuvre il devint Peintre habile ,
En voyant les beautés qu'enfantoit Raphaël .
Que de correction ! que de goût dans ſon ſtyle !
La nature Y confacre à l'antique un autel .
S'il peint de clair-obfcur des frifes ou des armes ;
L'oeil par le feul toucher peut être détrompé.
Son payſage auffi féduit par mille charmes ,
Le connoiffeur s'oublie en étant occupé.
Louis Garzi.
Dans ces grouppes d'enfans , quels ragoût de cou
leur.
Quel tendre dans leur chair ! oui , le fang y circule.
Cet ange me ravit par fa douce fplendeur ;
Mon oeil d'un jour divin croit voir le crépuscule .
Je reconnois Garzi , frais , correct , & fçavant ,
Traitant bien payſage , hiftoire , architecture.
L'age fur fa vigueur lance un trait impuiſſant.
Frêt à payer tribut à la nature *
Un chef- d'oeuvre nouveau couronna fon talent.
* Il s'engagea à l'âge de quatre-vingt ans , par
ordre de Clement XI , à peindre la voûte de l'Eglife
desftigmates , qu'il termina heureusement . Rien n'y
fent la vieilleffe , & l'on regarde ce morceau comme
le triomphe de ce grand maître.
A inj
8 MERCURE DE FRANCE.
ROSAL I E.
Hiftoire véritable , par M.Y....
L'celle d'être odieux quand il n'a point
E vice n'eft jamais eftimable , mais il
:
étouffé les qualités de l'ame. Une foiblefle
de coeur prend auffi fouvent fon origine
dans une certaine facilité d'humeur que
dans l'attrait du plaifir. Un amant fe préfente
, ou il eft enjoué , ou il eft homie à
fentiment. Le premier eft le moins dangereux
, il ne féduit jamais qu'une étourdie ,
& il ne triomphe que dans une faillie téméraire
Le fecond , plus refpectueux en
apparence , va à fon but par la délicateſſe
vante fa conftance, déclame contre les perfides,
& finit par l'être. Que devient une jeune
perfonne qui dans l'ivreffe de la gaieté
s'eft laiffée furprendre , ou qui eft tonbée
dans le piége d'une paffion décorée extérieurement
par le fentiment ? ce que font prefque
toutes celles qui ont débuté par une
fragilité ; elles fe familiarifent avec le vice ,
elles s'y précipitent ; l'amour du luxe & de
l'oifeveté les y entretient ; elles ont des
modeles , elles veulent y atteindre ; incapables
d'un attachement fincere elles en
AOUS T 1755. 9.
affectent l'expreffion , elles ont été la dupe
d'un homme , & elles fe vengent fur
toute l'efpece. Heureufes celles dont le
le coeur n'eft point affez dépravé pour fe
refufer aux inftances de la vertu qui cherche
à y rentrer .
Telle étoit Rofalie , elle étoit galante
avec une forte de décence . Ses moeurs
étoient déréglées , mais elle fçavoit louer
& admirer la vertu . Ses yeux pleins de
douceur & de vérité annonçoient fa franchife.
On entrevoyoit bien dans fa démarche
, dans fes manieres le manege de
la coquetterie , mais fon langage étoit modefte
, & elle ne s'abandonna jamais à ces
intempérances de langue , qui caractériſent
fi baffement fes femblables. Fidele à fes
engagemens , elle les envifagea toujours
comme des liens qu'elle ne pouvoit rompre
fans ingratitude , & les conventions
faites , l'offre la plus éblouiffante n'auroit
pû la déterminer à une perfidie.
Elle ne fut jamais parjure la premiere.
Son coeur plus fenfible à la reconnoiffance
qu'à l'amour , étoit incapable de fe laiffer
féduire à l'appas de l'intérêt & aux charmes
de l'inconftance . Solitaire , laborieuſe ,
fobre , elle eût fait les délices d'un mari ,
fi une premiere foibleffe ne l'eût en quelque
façon fixée à un état dont elle ne
A v
To MERCURE DE FRANCE.
pouvoit parler fans rougir. Affable , compatiffante
, généreufe , elle ne voyoit ja→
mais un malheureux fans lui tendre une
main fecourable ; & quand on parloit de
fes bienfaits , on difoit que le vice étoit
devenu tributaire de la vertu . Des lectures
fenfées avoient ranimé dans fon coeur les .
germes d'un beau naturel . Elle y fentoit
renaître le defir d'une conduite raifonnable
, elle vouloit fe dégager , & elle méditoit
même depuis long-tems une retraite
qui la fauvât de la honte d'avoir mal vécu ,
& du ridicule de mieux vivre , mais elle
avoit été arrêtée par un obftacle , elle avoit
voulu fe faire une fortune qui put la mettre
à l'abri des tentations qu'elle infpiroit , &
des offres des féducteurs : enfin elle vouloit
être vertueufe à fon aife ; elle ambitionnoit
deux cens mille francs , & par
dégrés elle étoit parvenue à les avoir. Contente
de ce que la fortune & l'amour lui
avoient procuré , elle avoit congédié fon
dernier amant , elle fe préparoit à fuir loin
de Paris les occafions d'une rechûte.
Ce fut alors qu'un jeune Gentilhomme
nommé Terlieu , vint loger dans une petite
chambre qui étoit de plain pied à l'appartement
qu'elle occupoit. Il fortoit tous
les jours à fept heures du matin , il rentroit
à midi pour fe renfermer , & il borA
O UST. 1955. 11
noit à une révérence muette fon cérémonial
avec fa voifine. La fingularité de la
vie de ce jeune homme irrita la curiofité
de Rofalie. Un jour qu'il venoit de rentrer
, elle s'approche de la porte de fa
chambre , prête l'oreille , porte un regard
fur le trou de la ferrure , & voit l'infortuné
Terlieu qui dînoit avec du pain
fec , chaque morceau étoit accompagné
d'un gémiffement , & fes larmes en fai
foient l'affaifonnement. Quel fpectacle
pour une ame fenfible ! celle de Rofalie
en fut pénétrée de douleur . Dans ce mo
ment une autre avec les vûes les plus pures ,
eût été peut-être indiferette , elle fe für
écriée , & généreufement inhumaine elle
eût décelé la mifere de Terlieu ; mais Rofalie
qui fçavoit combien il eft douloureux
d'être furpris dans les befoins de l'indigen
ce, rentra promptement chez elle pour y attendre
l'occafion d'être fecourable avec le
refpect qu'on doit aux infortunés. Elle épia
le lendemain l'inftant où Terlieu étoit dans
l'habitude de fe retirer , & pour que fon
deffein parut être amené par le hazard
elle fit tranfporter fon métier de tapifferie
dans fon anti- chambre , dont elle eur
foin de tenir la porte ouverte.
Terlieu accablé de fatigue & de trifteffe
parur à fon heure ordinaire , fit fa révé-
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
rence , & alloit fe jetter dans l'obfcurité
de fa petite chambre , lorfque Rofalie ,
avec ce ton de voix aifé & poli , qui eſt
naturel au beau fexe , lui dit : En vérité ,
Monfieur , j'ai en vous un étrange voifin ;
j'avois penfé qu'une femme , quelle qu'elle
fût, pouvoit mériter quelque chofe par-delà
une révérence. Ou vous êtes bien farouche
, ou je vous parois bien méprifable . Si
vous me connoiffez , j'ai tort de me, plaindre
, & votre dedain m'annonce un homme
de la vertu la plus fcrupuleuſe , & dèslors
j'en réclame les confeils & les fecours.
Seroit-ce auffi que cette févérité que je lis
fur votre front prendroit fa caufe de quelque
chagrin qui vous accable ? Souffrez
que je m'y intereffe. Entrez , Monfieur , je
Vous fupplie : que fçavons- nous fi le fort
ne nous raffemble point pour nous être
mutuellement utiles ? je fuis feule , mon
dîner eft prêt , faites moi , je vous conjure
, l'honneur de le partager avec moi :
j'ai quelquefois un peu de gaieté dans
l'efprit , je pourrai peut-être vous diffiper.
Mademoiſelle , répondit Terlieu , vous
méritez fans doute d'être connue , & l'accueil
dont vous m'honorez ,, annonce en
vous un beau caractere. Qui que vous
foyez , il m'eft bien doux de trouver quel
1
1
A O UST . 1755. 13
qu'un qui ait la générofité de s'appercevoir
que je fuis malheureux . Depuis quinze
jours que je fuis à Paris , je ne ceffe
d'importuner tous ceux fur la fenfibilité
defquels j'ai des droits , & vous êtes la
premiere perfonne qui m'ait favorisé de
quelques paroles de bienveillance . N'imputez
point de grace , Mademoiſelle , ni
à orgueil ni à mépris ma négligence à votre
égard : fi vous avez connu l'infortune ,
vous devez fçavoir qu'elle eft timide . On
fe préfente de mauvaife grace , quand le
coeur eft dans la peine. L'affliction appéfantit
l'efprit , elle défigure les traits , elle
dégrade le maintien , & elle verſe une
efpece de ridicule fur tout l'extérieur de
la perfonne qui fouffre . Vous êtes aimable
, vous êtes fpirituelle , vous me paroiffez
dans l'abondance ; me convenoit- il
de venir empoifonner les douceurs de votre
vie ? Si vous êtes généreufe , comme
j'ai lieu de le croire , vous auriez pris part
à mes maux je vous aurois attriftée .
Monfieur , répliqua Rofalie , je ne fuis
point affez vaine pour me flater du bonheur
de vous rendre fervice , mais je puis
me vanter que je ferois bien glorieufe fi
je pouvois contribuer à vous confoler , à
vous encourager. J'ai de grands défauts ,
mes moeurs ne font rien moins que régu14
MERCURE DE FRANCE.
lieres , mais mon coeur eft fenfible au fort
des malheureux ; il ne me refte que cette
vertu ; elle feule me foutient , me ranime ,
& me fait efperer le retour de celles que
j'ai négligées. Daignez , Monfieur , par
un peu de confiance , favorifer ce préfage.
Que rifquez- vous ? vos aveux ne feront
fûrement pas auffi humilians que les miens,
& cependant je vous ai donné l'exemple
d'une fincérité peu commune. Je ne puis
croire que ce foit votre mauvaiſe fortune
qui vous afflige. Avec de l'efprit , de la
jeuneffe , un extérieur auffi noble , on
manque rarement de reffources . Vous foupirez
? c'est donc l'honneur , c'est donc la
crainte d'y manquer , ou de le perdre qui
caufe la confternation où je vous vois.
Oui , cette peine eft la feule qui puiffe
ébranler celui qui en fait profeflion.
Voilà , s'écria Terlieu avec une forte
d'emportement , voilà l'unique motif de
mon défeſpoir , voilà ce qui déchire
mon coeur , voilà ce qui me rend la vic
infupportable . Vous defirez fçavoir mon
fecret , je ne réfifte point à la douceur
de vous le confier ; apprenez donc que
je n'ai rien , apprenez que je ne puis
fubfifter qu'en immolant aux befoins de
la vie cethonneur qui m'eft fi cher. Je fuis
Gentilhomme , j'ai fervi , je viens d'être
réformé je follicite , j'importune .... &
A O UST. 1755. 15
qui ! des gens qui portent mon nom , des
gens qui font dans l'abondance , dans les
honneurs , dans les dignités . Qu'en ai - je
obtenu ? des refus , des défaites , des dédains
, des hauteurs , le croirez - vous , Mademoiſelle
, le plus humain d'entr'eux ,
fans refpect pour lui- même , vient d'avoir
l'infolence de me propofer un emploi dans
les plus baffes fonctions de la Finance ! le
malheureux fembloit s'applaudir de l'indigne
faveur qu'il avoir obtenue pour moi .
Je l'avouerai , je n'ai pû être maître de
mon reffentiment. Confus , outré , j'ai déchiré
& jetté au vifage de mon lache bienfaiteur
le brevet humiliant qu'il a ofé me
préſenter. Heureux au moins d'avoir appris
à connoître les hommes , plus heureux
encore fi je puis parvenir à fuir , à
oublier , à détefter des parens qui veulent
que je deshonore le nom qu'ils portent. Je
fçais bien que ce n'eft point là le ton de
l'indigence ; que plus humble , plus modefte
, elle doit fe plier aux circonftances ;
que la nobleffe eft un malheur de plus
quand on eft pauvre , qu'enfin la fierté
eft déplacée quand les reffources de la vie
manquent. J'ai peut- être eu tort de rejetter
celles qui m'ont été offertes . J'avouerai
même que mon orgueil eut fléchi fi j'euffe
pû envifager dans l'exercice d'un pofté de
16 MERCURE DE FRANCE.
quoi fubfifter un peu honnêtement ; mais
s'avilir pour tourmenter laborieufement
les autres ; ah ! Mademoiſelle , c'eſt à quoi
je n'ai pû me réfoudre .
Monfieur , reprit Rofalie , je ne fçais fi
je dois applaudir à cette délicateffe , mais
je fens que je ne puis vous blâmer. Votre
fituation ne peut être plus fâcheufe .
Voici quelqu'un qui monte , remettezvous
, je vous prie , & tachez de vous
rendre aux graces de votre naturel ; il n'eft
pas convenable qu'on life dans vos yeux
l'abattement de votre coeur : fouffrez que
je me réſerve ſeule le trifte plaifir de vous
entendre , & de vous confoler . Ah ! c'eſt
Orphife , continua Rofalie fur le ton de la
gaieté , approche mon amie & félicitemoi
.... & de quoi , répliqua Orphife en
l'interrompant , eft- ce fur le parti fingulier
que tu prens d'abandonner Paris à la fleur
de ton âge , & d'aller te confiner en prude
prématurée dans la noble chaumiere dont
tu médites l'acquifition ? mais vraiment
tu vas embraffer un genre de vie fort attrayant.
Fort bien , répondit Rofalie , raille
, diverti- toi mais tes plaifanteries ne
me détourneront point du deffein que j'ai
pris. Je venois cependant te prier d'un
fouper.... Je ne foupe plus que chez moi ,
répliqua Rofalie. Mais toi - même tu me
?
}
AOUS T. 1755. 17
paroiffois déterminée à fuivre mon exemple.
C'étoit , répodit Orphiſe dans un accès
d'humeur , j'extravaguois. Une nouvelle
conquête m'a ramenée au fens commun.
Tant pis .... Ah ! point de morale.
Dînons. On fervit.
Pendant qu'elles furent à table , Orphiſe
parla feule , badina Rofalie , prit Terlicu
pour un fot , en conféquence le perfifa.
Pour lui il mangea peu : éroit- ce faute
d'appétit non , peut être ; mais il n'ofa
en avoir. Le caffé pris , Orphife fit fes
adieux , & fe recommanda ironiquement
aux prieres de la belle pénitente .
Rofalie débarraffée d'une visite auffi
choquante qu'importune , fit paffer Terlieu
dans fon fallon de compagnie. Après
un filence de quelques inftans , pendant
lequel Terlieu , les yeux baiffés , lui ménageoit
le plaifir de pouvoir le fixer avec
cette noble compaffion dont fe laiffent
toucher les belles ames à l'afpect des infor
tunés ; elle prit la parole , & lui dit ,
Monfieur , que je vous ai d'obligation ! la
confiance dont vous m'avez honorée , eft
de tous les événemens de ma vie celui qui
m'a le plus flatée , & l'impreffion qu'elle
fait fur mon coeur me caufe une joie ....
Pardonnez -moi ce mot, celle que je reffens
ne doit point vous affliger , elle ne peut
18 MERCURE DE FRANCE.
vous être injurieufe , je ne la tiens que
du bonheur de partager vos peines. Oui ,
Monfieur , ma fenfibilité pour votre fituation
me perfuade que j'étois née pour
la vertu ; mais que dis-je ? A quoi vous
peut être bon fon retour chez moi , fi
vous ne me croyez digne de vous en donner
des preuves. Vous rougiffez : hélas ,
je vois bien que je ne mérite point cette
gloire , foyez , je vous prie , plus génćreux
, ou du moins faites- moi la grace de
penfer qu'en me refufant vous m'humiliez
d'une façon bien cruelle.
• Vous êtes maîtreffe de mon fecret , répondit
Terlieu , ne me mettez point dans
Je cas de me repentir de vous l'avoir confié
: je ne m'en défends point , j'ai trouvé
quelques charmes à vous le révéler ; j'avouerai
même que mon coeur avoit un befoin
extrême de cette confolation : il me
femble que je refpire avec plus de facilité .
Je vous dois donc , Mademoiſelle , ce
commencement de foulagement ; c'est beaucoup
de fouffrir moins , quand on a beaucoup
fouffert. Permettez que je borne à
cette obligation toutes celles que je pourrois
efperer de votre générofité. Ne mefufez
point , je vous prie de la connoiffance
que vous avez de mon fort ; il ne
peut être plus cruel , mais je fçaurai le
-
AOUST. 1755. 19
fupporter fans en être accablé . C'en eft fair,
je reprens courage ; j'ai trouvé quelqu'un
qui me plaint. Au refte , Mademoiſelle ,
je manquerois à la reconnoiffance fi je
renonçois entierement à vos bontés ; &
puifque vous me permettez de vous voir ,
je viendrai vous inftruire tous les jours de
ce que mes démarches & mes follicitations
auront opéré je recevrai vos confeils
avec docilité , mais auflì c'est tout ce
qu'il vous fera permis de m'offrir , autrement
je cefferois .... N'achevez pas , répliqua
Rofalie en l'interrompant , je n'aime
point les menaces. Dites - moi , Monfieur
, eft-ce que l'infortune rend les hommes
intraitables ? eft - ce qu'elle répand
fur les moeurs , fur les manieres , une inquiétude
fauvage : eft- ce qu'elle prête au
langage de la féchereffe , de la dureté ?
s'il eft ainfi , elle eft bien à redouter. N'eftpas
vrai que vous n'étiez point tel dans
la prospérité ? vous n'euffiez point alors
rejetté une offre de fervice .
il
J'en conviens , répondit Terlieu , j'euſſeaccepté
parce que je pouvois efperer de rendre
, mais à préfent je ne le puis en confcience.
Quant à cette dureté que vous
me reprochez , j'avouerai que je la crois
honorable , néceſſaire même à celui qui eft
dans la peine. Elle annonce de la fermeté ,
20 MERCURE DE FRANCE.
elle repouffe l'orgueil de ceux qui font
dans l'opulence , elle fait refpecter le miférable.
L'humilité du maintien , la modeftie
, la timidité du langage donneroient
trop d'avantage à ceux qui ne font que
riches ; car enfin celui qui rampe , court
les rifques d'être écrasé.
Et vous êtes , reprit Rofalie , dans l'appréhenfion
que je ne me prévale des aveux
que vous m'avez fait : oui , dans mon dépit
vous me faites imaginer des fouhaits
extravagants je l'efpere au moins , votre
mauvaife fortune me vengera , vos parens
font de monftres ... que je ferois contente
s'ils vous rebutoient au point que vous
fuffiez forcé d'avoir recours à cette Rofalie
que vous dédaignez , puifque vous ne
la croyez point capable de vous obliger
dans le fecret de fa confcience.
Sur le point de quitter Paris je voulois
en fortir en faifant une action qui pût.
tranquilifer mes remors , & m'ouvrir la
route des vértus que je me propofe ; le hazard
, ou pour mieux dire , le ciel permet
que je falfe votre connoiffance ; je
crois que vous m'êtes adreffé pour vous ,
être fecourable , & je ne trouve en vous
que la fierté la plus inflexible . Hé bien ,
n'y fongeons plus . Cependant puis- je vous
demander fi vous envifagez quelques refA
OU ST. 1755. 21
fources plus fateufes que celles que vous
pourriez efperer de votre famille ?
Aucune , répondit Terlieu , j'ai bien
quelques amis ; mais comme je ne les
tiens que du plaifir , je n'y compte point.
Quoi ! reprit Rofalie , le néceffaire eft
prêt de vous manquer ,
& vous vous
amufez à folliciter des parens : c'est bien
mal à propos que l'on prétend que la néceffité
eft ingénieufe ! N'auriez - vous de
l'efprit que pour refléchir fur vos peines ?
que pour en méditer l'amertume ? Allez
Monfieur , allez faire un tour de promenade
: rêvez , imaginez , faites même ce
qu'on appelle des châteaux en Eſpagne ; il
eft quelquefois des illufions que la fortune
fe plaît à réalifer : il eft vrai qu'elles fe
réduifent prefque toujours à des chimeres ,
mais elles exercent l'efprit , elles amufent
l'imagination , elles bercent les chagrins ,
& c'eft autant de gagné fur les réflexions
affligeantes. Je vais de mon côté me donner
la torture : heureufe fi je fuis affez ingénieufe
pour trouver quelque expédient
qui puiffe adoucir vos peines , & contenter
l'envie extrême que j'ai de contribuer
à votre bonheur !
Terlieu fe leva pour fortir , & Roſalie
en le reconduifant le pria de venir manger
le foir un poulet avec elle , afin de
22 MERCURE DE FRANCE.
raifonner , & de concerter enfemble ce
que leur auroit fuggeré leur imagination ;
mais pour être plus fûre de l'exactitude de
Terlicu au rendez - vous , elle lui gliffa
adroitement une bourfe dans fa poche.
Terlieu alla s'enfoncer dans l'allée la plus
folitaire du Luxembourg , il y rêva beaucoup
& très infructueufement.
Tous les hommes ne font point féconds
en reffources ; les plus fpirituels font ordinairement
ceux qui en trouvent le moins.
Les idées , à force de fe multiplier , fe confondent
; d'ailleurs on voit trouble dans
l'infortune .
Il n'eft que deux fortes d'induſtrie ; l'une
légitime , c'eft celle des bras , du travail ,
& le préjugé y a attaché une honte : Terlieu
étoit Gentilhomme , il n'a donc pû en
être exemt.
L'autre induftrie , nommée par dégradation
l'induſtrie par excellence , eft celle
qui s'affigne des revenus fur la fottife , la
facilité , les foibleffes & les paffions d'autrui
; mais comme elle eft incompatible
avec la probité , Terlieu en étoit incapable.
Il y avoit deux heures que cet infortuné
Gentilhomme tourmenté par fon inquiétude,
marchoit à grands pas en croyant
fe promener , lorfque fouillant fans deffein
dans fa poche , il y fentit une bourſe.
AOUST. 1755. 23
Cette découverte décida promptement fon
retour ; le moindre délai pouvoit , felon
lui , faire fuppofer de l'incertitude dans
fon procédé ; il craignoit qu'on ne le foup.
çonnâc même d'avoir combattu contre la
tentation.
Il arrive effoufflé , franchit rapidement
l'efcalier de Rofalie , il entre ; celle - ci qui
le voit hors d'haleine , ne lui donne pas le
tems de s'expliquer , & débute par une
queftion vague ; lui fans parler , jette la
bourfe fur une table ; Rofalie affecte une
furpriſe de fatisfaction , & lui fait compli
ment fur le bonheur qu'il a eu de trouver
un ami généreux . Terlieu protefte très -férieufement
qu'il n'a parlé à qui que ce
fort ; celle- ci infifte fur l'heureuſe rencontre
qu'il a faite , Terlieu fe fâche , il eft ,
dit-il , outragé , il jure qu'il ne reverra de
fa vie Rofalie , fi elle ne reprend un argent
qui lui appartient : Elle s'en défend ,
elle en nie la proprieté , elle ofe foutenir
qu'elle ne fçait ce qu'on veut lui dire ;
quelle rare effronterie ! elle eut peut - être
pouffé plus loin l'opiniâtreté , fi elle ne fe
fut avifée de rougir . Rofalie rougir . Quoi!
une fille qui a vécu dans le defordre fe
laiffe démentir par le coloris involontaire
de la franchife? Hé pourquoi non ! quand
le motif en eft fi beau . On rougit bien des
24 MERCURE DE FRANCE.
mage
premieres paroles d'obfcénité qu'on entend
, parce que le coeur eft neuf ; celui
de Rofalie reprend fa premiere pureté ,
elle a donc pu rougir d'un menfonge généreux
, & rendre en même tems cet homà
la vérité. La conviction étoit trop
claire pour que fon obftination put durer
plus long - temps ; elle reprit fa bourſe
avec un dépit fi brufque qu'elle lui échappa
des mains , & qu'elle alla frapper conire
une commode où elle s'ouvrit en répandant
fur le parquet une cinquantaine
de louis. Comme Terlieu fe mit en devoir
de les ramaffer , Rofalie lui dit d'un ton
ironique & piqué : Monfieur , ne prenez
point cette peine , je fuis bien aiſe de ſçavoir
fi le compte y eft : vous m'avez pouffée
à bout par votre peu de confiance en
moi , il eft jufte qu'à mon tour j'en manque
à votre égard .
Je fais trop de cas de cette colere
pour
m'en offenfer , reprit Terlieu , le fond
m'en paroît trop refpectacle
. Puis- je , con- tinua - t-il , fans vous irriter , vous avertir
que j'apperçois
dans ce coin quelques
louis qui ont échappé
à vos recherches
? Puis- je , répliqua
Rofalie fur le même
ton , fans vous irriter , vous annoncer
que
vous êtes des mortels le plus bizarre & le
plus haïffable
? Refferrerai
-je , continua-telle
A O UST. 1755. 25
elle d'une voix modefte & attendrie l'ar-:
gent de cet ami du Luxembourg. Oui ,
Mademoiselle , répondit Terlieu d'un ton
ferme , je vous prie de le lui rendre , & de
le remercier de ma part.
la
Ils alloient continuer ces débats de générofité
mutuelle , lorqu'on vint avertir
que le fouper étoit fervi ; au moins , Monfieur
, dit Rofalie , vous me ferez peut -être
grace de me tenir campagnie très-volontiers
, répondit Terlieu , il y a trop à
gagner pour moi , & voilà le feul cas où
il peut m'être permis de vous montrer que
j'entends mes intérêts ; bien entendu cependant
que vous aurez moins d'humeur.
Je m'y engage , reprit- elle , pourvû que je
puiffe vous gronder , fi vous ne penfez pas
à ma fantaifie. Allons promptement manger
un morceau , je fuis fort impatiente
d'apprendre à quoi auront abouti les rêveries
de votre promenade . Vous parlerez
le premier , après quoi je vous ferai part
de mes idées , & nous verrons qui de nous
deux aura faifi le meilleur expédient.
Pendant le tems qu'ils furent à table ;
Rofalie déploya toutes les graces de fon
efprit pour égayer Terlicu , mais avec la
délicateffe dont on doit uſer avec un coeur
fermé à la joie , & avec cette circonfpection
qui met en défaut la malignité atten-
B
26- MERCURE DE FRANCE.
tive des domeftiques. Le deffert fervi elle
les renvoya en leur ordonnant de ne point
entrer qu'elle n'eut fonné. Ils eurent beau
raifonner entr'eux ; l'extérieur de Terlieu ,
l'accablement où ils le voyoient , & plus
que cela encore , la médiocrité très - négligée
de fon ajuftement dérouterent leurs.
conjectures.
Monfieur , dit alors Rofalie en reprenant
la parole , nota voilà feuls , perfonne
ne peut nous entendre ; faites- moi.
part , je vous prie , de ce que vous avez,
imaginé. Je ſerai bien charmée ſi vous me
mettez dans le cas de vous applaudir , plus
encore fi je puis ajouter quelques réflexions
utiles à vos projets .... parlez donc.
grace.q
de
Hé ! que puis- je vous dire , répondit-il ,
finon que dans l'état où je fuis il ne m'eft
pas poffible de penfer. J'ai eu beau creufer
ma tête , il n'en eft rien forti qui ne fut dé
raifonnable , extravagant , au-deffous du
fens commun. Jugez , Mademoiſelle , de
la mifere d'un efprit retréci par
l'infortu
ne ; il n'a pu me procurer que la reffource
de m'expatrier en entrant au fervice de la
Compagnie des Indes : qu'en penfez- vous ?>
ce parti vous paroît- il fi ridicule ?
Non , Monfieur , reprit- elle , je yous y
exhorterai même , dès que vous m'aurez
L
A OUST. 1755. 27
promis de mettre eu ufage l'expédient que
je vais vous donner : écoutez -moi attentivement
, ne m'interrompez pas , & furtout
point de faillie d'orgueil. Votre famille
, je le fçais , jouit de toutes les diftinctions
que donne l'opulence , & qu'on
accorde à celles qui ont bien mérité du
Prince & de la patrie. Je conçois qu'elle
pourra vous refufer de nouveau les fecours
que vous êtes en droit d'en exiger , mais
je ne puis penfer qu'elle fouffrit que vous
vous deshonorafliez . C'eft fur cette délicateffe
que j'établis l'efpoir dont je me flate
pour vous , & j'ofe croire que vous arracherez
de la vanité de vos parens ce que
vos inftances ne pourroient obtenir de
leur bienveillance . Dès demain , Monfieur ,
retournez les voir ; qu'ils lifent fur votre
front ce que la douleur a de plus attendriffant
: priez , preffez , humiliez - vous
même , & ne rougiffez point d'employer
les expreffions les plus foumifes. Si vous
ne les touchez point , s'ils font impitoyables
, ofez leur dire , avec la fureur dans
les yeux , que vous allez prendre un parti
fi indigne du nom qu'ils portent , que l'opprobre
en rejaillira fur eux . Oui, Monfieur,
menacez-les....Non , je crois vous connoître
, vous n'en aurez jamais la force . Par
grace , M. de Terlieu , prenez fur vous
Bij
28. MERCURE DE FRANCE.
de proférer des paroles feules capables
d'effrayer vos parens , & d'intéreffer en
votre faveur , je ne dis pas leur fenfibilité ,
mais au moins leur orgueil.
Qu'allez -vous me propofer , répliqua
Terlieu avec agitation ? vous me faites
frémir.
Ne craignez rien , répondit Rofalie , ce
n'eft qu'une menace dont le but eſt d'allarmer
des gens qui n'auroient point encore
renoncé à l'honneur , qui conféquemment
peut faire un grand effet , mais dont
je ferai toujours bien loin de vous confeiller
, ni même d'en fouffrir l'exécution. Baiffez
les yeux , ne me regardez point de grace;
je ne pourrois mettre au jour mon idée
fi vous me fixiez . Dès que vous aurez épuifé
tout ce que l'éloquence du befoin a de plus
pathétique ; dès que vous aurez déſeſpéré
d'émouvoir vos indignes parens , ofez leur
dire que leur barbarie vous détermine à
profiter de la fenfibilité d'une fille qui a
vécu dans le défordre , que Rofalie plus
généreuse qu'eux , ne peut fouffrir qu'an
homme comme vous paffe fes jours dans
la mifere , que Rofalie , .. hélas ! elle n'eft
que trop connue , que Rofalie vous offre
de partager fa fortune , & que vous êtes
prêt de contracter avec elle un mariage......
Je n'acheve point ; ce fera à vous , MonAOUST.
1755. 29
fieur , à finir le tableau , & à y mettre une
expreffion , & des couleurs dignes du fujet.
Terlieu alors leva les yeux , & Rofalie y
vit un trouble , & quelques larmes qu'elle
ne fit as femblant d'appercevoir. Qu'avez-
vous ? continua-t- elle , vos regards
m'inqui tent , & je crains fort que l'expédient
que je viens de vous propofer ne
vous révolte ; mais enfin , s'il réuffiffoit
m'en fçauriez-vous mauvais gré ? que rifquez-
vous d'en hafarder l'épreuve ?
Un malheur nouveau qui acheveroit de
m'accabler , s'écria Terlieu , mes cruels
parens ne manqueroient point d'attenter à
votre liberté , & je ferois la caufe & le prétexte
d'une barbarie.
Hé ! Monfieur , reprit elle , courons - en
les rifques , fi cette violence peut rendre
votre fort plus heureux. La perte de la
liberté n'eft point un fi grand mal pour quiconque
eft déterminé à renoncer au monde.
D'ailleurs il fuffira à ma juftification ,
& à la vôtre que l'on fçache que ce n'étoit
qu'une rufe imaginée pour amener vos
parens à la néceffité de vous rendre fervice ;
& comme il fera de l'intérêt de votre honneur
de défavouer un bruit auffi ridicule ,
l'amour qu'on vous connoît pour la vérité ,
ne laiffera aucun doute & nous nous
trouverons juſtifiés tous les deux .
,
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
Ah Rofalie , Rofalie ! répliqua Terlieu ,
en foupirant , terminons un entretien dont
les fuites deviendroient trop à craindre
pour moi. Je vous quitte pénétré d'admiration
, & peut-être d'un fentiment encore
plus intéreffant. Oui , je ferai ufage de vos
confeils ; je verrai demain ma famille .....
Mais hélas ! je ne fçai fi vous ne me faites
point defirer d'être rebuté de nouveau . Je
ne puis dire ce que mon coeur reffent , mais
il vous refpecte déja , & vraisemblablement
il ne fe refufera pas long-temps à ce
que la tendreffe a de plus féduifant.
Monfieur , reprit Rofalie , allez vous
repofer , vous avez befoin de rafraîchir
votre fang ; vous venez de me prouver
qu'il eft un peu échauffé. Je préfume que
le fommeil vous rendra votre raison , &
qu'à votre reveil , où vous rirez , où vous
rougirez du petit délire de la veille.
Fort bien , répliqua Terlieu en fouriant,
voilà un agrément de plus dans votre ef
prit , & vous entendez fupérieurement la
raillerie . Oui , Rofalie , je vais me retirer ,
mais avec la certitude de ne point dormir ,
& comptez que fi le fommeil me furprend,
mon imagination , ou pour mieux dice ,
mon coeur ne fera occupé que de vous.
Terlieu tint parole , il ne ferma point
l'oeil de la nuit , & cependant il ne la trouA
O UST. 1755: 31
va pas longue. Le jour venu , il fut incertain
s'il iroit de nouveau importuner fa
famille , ou s'il fuivroit le penchant d'une
paffion que le mérite de Rofalie avoit fait
naître en fon coeur , & que les réflexions
ou peut-être les illufions de la nuit avoient
fortifiée. Après avoir combattu quelque
tems entre ces deux partis , le foin de fa
réputation l'emporta fur un amour que fa
raifon plus tranquille lui repréfentoit malgré
lui fous un point de vûe un peu déshonorant
. Quelle fituation ? l'amour , la pauvreté
, defirer d'être aimé , d'être heureux ,
& n'ofer fe livrer à des penchans fi naturels
! Partez Terlieu , vous avez promis ,
& votre honneur exige que vous faffiez du
moins encore une démarche avant de fonger
au coeur de Rofalie.
La fortune ne le fervit jamais mieux
qu'en lui faiſant effuyer des dédains nouveaux
de la part de fa famille. Les prieres ,
les inftances , les fupplications qu'il eut le
courage d'employer , ne lui attirerent que
des rebuts , que des outrages. Ses parens imputerent
à fa baffefle les larmes qu'il verfa.
Outré , défefpéré , il mit en oeuvre fa derniere
reffource ; il leur peignit avec les
couleurs les plus effrayantes l'alliance dont
il les menaça de fouiller leur nom ; ce tableau
ne fit qu'ajouter au mépris dont ils
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
l'accablerent , & l'un d'eux en parlant au
nom de tous , & fans en être défavoué
par
un feul , eut la lâcheté de lui dire : hé >
Monfieur , concluez ; que nous importe la
femme que vous prendrez , pourvu qu'elle
nous débarraffe de votre vûe , & de vos
importunités. Au refte , nous vous défavouons
dès ce jour pour parent , & fi vous
avez le front d'ofer dire que vous nous appartenez
, nous fçaurons réprimer votre
infolence.
Et moi , Meffieurs , répliqua fierement
Terlieu , je le publierai partout , non pas
que je tienne à honneur d'être votre plus
proche parent , mais afin que perfonne n'ignore
que vous êtes plus indignes que moimême
du fang qui coule dans nos veines ,
& que fi je fuis réduit à le deshonorer , ce
font vos duretés qui m'y ont forcé. Adieu ,
Meffieurs , & pour toujours.
Terlieu courut promtement répandre
dans le fein de la généreufe Rofalie les
horreurs qu'il venoit d'entendre. C'en eft
fait , s'écria-t-il en entrant , je n'ai que
vous au monde , vous me tenez lieu d'amis
, de parens , de famille. Oui , Roſalie,
continua-t-il , en tombant à fes genoux ,
c'eft à vous feule que je veux appartenir ,
de vous feule je veux dépendre , & votre
coeur eft le feul bien que j'ambitionne.
AOUST. 1755. 33
Soyez , je vous conjure , magnanime au
point de croire que ce n'eſt pas l'extrémité
où je me trouve , qui me fait deficer le
bonheur de vous plaire : comptez qu'un motifauffi
bas eft trop au deffous de ce que vous
m'infpirez , & d'un coeur comme le mien.
Eh , vous ne méritez point que je vous
écoute , lui répondit , Rofalie , fi vous me
croyez capable d'un tel foupçon. Levezvous
, Monfieur , on pourroit vous furprendre
dans une attitude qu'il ne me convient
plus de fouffrir , on croiroit que je
la tolere , & elle feroit douter de la fincérité
du parti que j'ai pris de renoncer à mes
égaremens ..... Je voudrois , repliqua Terlieu
en l'interrompant , avoir mille témoins
de l'hommage que je vous rends , & je fuis
fûr qu'il n'en feroit pas un qui n'y applaudit
, fi je l'inſtruifois de la force des raifons
qui me l'arrachent , & des vertus que
j'honore en vous.
J'avois efpéré , reprit elle , que le fommeil
auroit diffipé le vertige qui vous trou
bloit hier au foir. Je fuis fâchée , & prefque
irritée que ce mal vous tourmente encore.
Par grace , daignez en guérir . Il feroit
honteux que vous n'en euffiez point le
courage. Oui , Monfieur , j'afpire à votre
eftime , & non pas à votre coeur , & je ne
pourrois me difpenfer de renoncer à l'une
Bv
34 MERCURE DE FRANCE .
fi vous vous obſtiniez à m'offrir l'autre.
Et moi , répondit tendrement Terlieu ,
je veux les acquérir toutes deux. Ne féparons
point deux fentimens qui ne peuvent
fubfifter l'un fans l'autre : leur réunion fera
votre bonheur & le mien. Ah , Roſalie
nous fommes dignes de le goûter long - tems,
fi nous fommes capables de les concilier.
Belles fpéculations , repliqua t- elle , qui
prouvent bien que vous m'aimez , mais qui
ne me raffurent point fur la crainte de l'avenir
! Je le dis fans rougir , j'ai entendu
tant de fois de ces propos , tant de femmes
en ont été les victimes qu'il eft téméraire
d'y ajouter foi . Dans l'emportement de la
paffion , les promeffes ne coutent rien , on
ne croit pas même pouvoir y manquer ; &
puifque les mépris , les dégouts fe font !
fentir dans les mariages affortis par l'égalité
des conditions , & par la pureté reciproque
des moeurs , que ne dois-je point
redouter de l'union que vous me propofez?
vous en rougiriez bientôt vous -même , la
haine fuccéderoit au repentir , & je tarde-
Bois peu à fuccomber fous le poids de l'honneur
que vous m'auriez fait . Croyez- moi ,
Monfieur , ne nous expofons point à des
peines inévitables . Qu'il nous fuffife que
l'on fçache que Terlieu pénétré de reconnoiffance
pour Rofalie lui a offert une
AOUST. 1755 35
main qu'elle a eu le refpect de ne point accepter.
Un trait de cette nature nous fera
bien plus glorieux qu'une témérité qui
peut
faire mon malheur en vous couvrant
de honte. Que mon refus , je vous prie ;
ne vous afflige point. Laiffez- moi jouir
d'une fenfibilité plus noble mille fois que
le retour que vous pourriez efpérer de la
foibleffe de mon coeur. Souffrez que je
m'en tienne au bonheur de vous obliger ,
& comptez qu'il me fera bien plus doux
de le faire par fentiment que par devoir.
Non , Rofalie , reprit Terlieu , votre
refus entraîne néceffairement le mien. Le
titre d'époux peut feul me faire accepter
vos bontés. Vos craintes fur l'avenir m'ou '
tragent ! Ah ! bien loin de m'aimer , vous
ne m'eftimez pas , la pitié eſt le feul fentiment
qui vous parle en ma faveur. Adieu ,
je vous quitte plus malheureux encore que
lorfque j'ai commencé à vous connoître ;
j'avois un défefpoir de moins dans le coeur.
Terlieu fe leva en fixant tendrement
Rofalie , fit un foupir en couvrant fon viſage
avec fes mains , & alla fe jetter dans fa
petite chambre. Il n'y fut pas long tems
Rofalie le coeur ferré de la douleur la plus
vive , fonna pour avoir du fecours. Elle
en avoit un befoin réel. Sa femme de
chambre la trouva dans un étouffement
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
affreux & fans connoiffance. Elle donna
un peu de jour à fa refpiration , elle la traîna
de fon mieux fur une ducheffe , & après
l'avoir queftionnée à plufieurs repriſes ,
elle n'en put tirer que ces paroles : ah Terlieu
, Terlieu ! cette exclamation , quoique
inconcevable pour elle , la détermina à
l'aller prier de venir voir Rofalie . Ilentre ,
la trouve pâle , les yeux éteints , & preſque
auffi foible qu'elle , il tombe à fes genoux ,
il prend une de ſes mains qu'il baigne de
fes larmes : elle entr'ouvre un oeil languiffant
, & d'une voix qui expiroit fur fes lévres
, voilà , dit- elle , l'état où me réduifent
la dureté de vos refus , & les aveux
d'une paffion qu'il eft honteux pour vous
de reffentir. Monfieur , continua t- elle ,
ne me voyez plus , & fi vous prenez quelque
intérêt à mon repos , à ma fanté , ne
ne vous obftinez plus à me refufer la fatisfaction
fecrette que j'exige de vous. Dans
huit jours je ne ferai plus à Paris , & puifqu'il
eft indifpenfable que nous nous féparions
, laiffez - moi acquérir le droit de m'informer
de l'état de vos affaires , laiffez- moi
enfin acheter l'honneur d'être dans votre
fouvenir.
Si l'état où je vous vois , repliqua Terlieu
, m'accabloit moins , je vous le dis ,
Rofalie , je ne pourrois peut- être me conAOUST
. 1755 37
tenir. Quoi , vous avez la cruauté de m'annoncer
qu'il faut que je renonce au ſeul
bien qui me refte ? dans huit jours je ne
vous verrai plus ! non , il n'eft pas poffible
que je ceffe de vous voir : quelque retraite
que vous choififfiez , je fçaurai vous y découvrir
; je fçaurai y porter un amour que
vous vous lafferez peutêtre de rebuter. La
voilà , dirai-je , cette Rofalie , cet affemblage
refpectable , de grandeur , de foibleffe
! Hélas , elle ne m'a pas jugé digne
de l'accompagner , & de la guider dans le
fentier de la vertu , elle ne m'a pas jugé
digne de vivre heureuſement & vertueufement
avec elle . Me fera-t-il permis au
moins , continua- t- il , d'un ton paffionné ,
& en reprenant une main qu'on n'eut pas
la force de retirer , de jouir pendant le peu
de temps que vous refterez à Paris , du
bonheur de vous voir ce fera , n'en doutez
point , les feuls beaux jours de ma vie.
Il ne tiendroit qu'à vous d'en prolonger le
cours & la félicité ; mais vous l'avez déci
dé , & vous voulez que je vive éternellement
malheureux .
Retirez- vous , dir Rofalie à fa femme
de chambre , je me fens mieux , & foyez
difcrette , je vous prie. Comment , Monfieur
, continua- t - elle , vous voulez tout
obtenir , & vous n'accordez rien ? oui ,
vous ferez le maître de me voir , & vous
8 MERCURE DE FRANCE.
fçaurez le nom du lieu où je vais fixer mom
féjour , mais c'eſt à une condition ; & s'il
eft vrai que vous m'aimiez , je veux me
prévaloir de l'afcendant qu'une maitreſſe
eft en droit de prendre fur fon amant . Vous
allez me traiter de bizarre , d'opiniâtre :
hé , dites- moi , Monfieur , qui de nous
deux l'eft d'avantage ? je fuis laffe de prier,
il est temps que je commande. Ceton ,
vous paroît fingulier ; je conviens qu'il
tient un peu du dépit je l'avoue , ceci
commence à me fatiguer , à me tourmenter.
Finiffons par un mot fans replique. Voilà.
ma bourfe ; ce qu'il vous plaira d'y prendre
déterminera en proportion la confiance
que vous voulez que j'aye en vous , l'eftime
que je dois faire de votre perfonne ,
& le dégré de votre amour pour moi.
Hé , je la prens toute entiere , s'écria
Terlieu en la faififfant des deux mains .
Et moi , reprit Rofalie , je vous embraffe.
Oui , mon cher Terlieu , vous m'aimez
, j'ai triomphé de votre orgueil. Ne
prenez point cette faillie pour un emportement
de tendreffe , elle eft née dans la:
joie involontaire de mon ame , & non pas
dans les tranfports d'une paffion infenfée .
Terlieu fe retira , le coeur trafporté de
joie , & de la plus flatteufe efpérance , &
Rofalie charmée d'être parvenue à contenter
fon inclination bienfaifante , s'occupa
A OUST . 1755.
39
une partie de la nuit du deffein de fa re
traite , & des mefures néceffaires à fon
départ. Le lendemain elle fortit fur les
neuf heures du matin pour aller conclure
l'acquifition d'une terre . Elle dîna , & ſoupa
avec Terlieu , elle affecta pendant toute
la journée une fatisfaction & une gaieté qui
ne laifferent à fon amant aucun foupçon
du deffein qu'elle avoit pris de partir à la
pointe du jour. Quelle accablante nouvelle
pour Terlieu , lorfqu'il apprit le départ de
Rofalie ! Il faut avoir aimé pour bien fentir
l'état d'un coeur qui eft privé de l'objet
qu'il adore. Tous les maux raffemblés ne
font rien en comparaifon. C'eft la fecouffe
la plus violente que l'ame puiffe recevoir
& c'eft la dernière épreuve de la fermeté
humaine. Terlieu abbattu & prefque ftupide
, alloit fuccomber fous le poids de fa
douleur , lorfqu'il lui fut remis un billet
de la part de Rofalie. Hélas , il ne fit qu'ajouter
à fes tourmens . Il l'ouvre en frémiffant
, & lit , .....
*
Monfieur , renfermons- nous , je vous
prie , dans les bornes d'une pure amitié.
»J'ai dû fuir , & c'eft l'eftime que je vous
dois qui a précipité mon départ . Vous
» me ferez toujours cher , vous recevrez
» de mes nouvelles ; je ne fuis point faite
»pour oublier un homme de votre mérite ..
» Encore une fois tenons- nous- en aux en40
MERCURE DE FRANCE.
" gagemens de la plus inviolable amitié
" c'eft le feul fentiment qui puiffe nous
» convenir , & c'eft celui qui me fait pren-
» dre la qualité de votre meilleure amie.
Rofalie .
Ah cruelle , s'écria Terlieu ! vous fuyez,
vous m'abandonnez ! & vous ne me laiffez
pour reffource que les offres d'une froide
& triſte amitié ! non , Rofalie , elle ne
peut fuffire à mon coeur. Mais que dis je
hélas ! vous ne m'aimez point . Cette tranquillité
, cette joie dont vous jouiffiez hier
à mes yeux , ne me prouvent que trop que
je vous fuis indifférent. Que j'étois crédule!
que j'étois aveugle de les interpréter en ma
faveur ! Amant trop préfomptueux , je les
ai prifes pour des marques de la fatisfaction
que vous reffentiez d'être fûre de mon
coeur. Quel étrange compofé que votre caractere
! vous avez l'ame généreufe , noble;
des vertus réelles me forcent à vous admirer
, je ne puis réfifter à l'impreffion qu'elles
font fur moi , elles y font naître la paffion
la plus tendre , la plus refpectable , je
crois recevoir des mains de votre amour
les bienfaits dont vous me comblez , &
vous partez ! j'ignore où vous êtes ! Dieu !
fe peut - il qu'un coeur qui. m'a paru auffi
franc , auffi fincere , ait pu être capable
d'une diffimulation auſſi réfléchie , auffi
A OUST . 1755. 41
perfide. Vous partez ! ..... & vous ne me
laiſſez que le repentir , & la honte d'avoir
fuccombé aux inftances de votre indigne
générofité. Oui , je fçaurai vous découvrir,
je fçaurai répandre à vos pieds ce que contient
cette bourfe infultante , .... je fçaurai
mourir à vos yeux.
Il s'habille à la hâte , il alloit fortir lorf
qu'on vint frapper à fa porte. Il ouvre , il
voit un homme qui lui demande s'il n'a
pas l'honneur de parler à M. de Terlieu .
C'est moi -même , répondit- il fechement
mais pardon , Monfieur , je n'ai pas le
temps de vous entendre. Monfieur , repliqua
l'inconnu , je ne vous importunerai
pas longtems , je n'ai befoin que de votre
fignature , vous avez acquis une terre , en
voici le contrat de vente , & il eft néceffaire
que votre nom figné devant moi , en conftate
la validité. Que voulez - vous dire ,
reprit Terlieu ? ou vous êtes fou , ou je
rêve. Monfieur , dit l'inconnu , je fuis
Notaire ; il n'y a guerres de fous dans ma
profeffion. Je vous protefte que vous êtes
trés-éveillé , & qu'un acte de ma façon n'a
point du tout l'air d'un rêve. Ah , Rofalie,
s'écria Terlieu ! C'eft elle-même , reprit le
Notaire. Voici une plume , fignez . Non ,
Monfieur , répondit Terlieu , je ne puis
m'y réfoudre , remportez votre acte , &
dites-moi feulement où eft fituée cette terre.
42 MERCURE DE FRANCE.
C'eft préciſement , répliqua le Notaire , ce
qui m'eft défendu , & vous ne pourrez en
être inftruit qu'après avoir figné. Allons
donc , reprit Terlieu en verfant un torrent
de larmes , donnez cette plume . Voilà qui
eft à merveille , dit le Notaire , & voici
une expédition de l'acte. Vous pouvez
aller prendre poffeffion quand vous le
jugerez à propos. Adieu , Monfieur , je
vous fouhaite un bon voyage ; faites , je
vous prie , mes complimens à l'inimitable
Rofalie. Ah , Monfieur , reprit Terlieu en
le reconduifant , elle ne tardera gueres à
les recevoir.
Son premier foin fut de chercher dans
l'acte qui venoit de lui être remis le nom
de la province , & du lieu dont Rofalie
avoit pris le chemin ; il alla tour de fuite
prendre des chevaux de pofte. Qu'ils alloient
lentement felon lui ! après avoir
couru , fans prendre aucun repos pendant
trente- fix heures , il arriva prefqu'en même
temps que Rofalie. Quoi , c'est vous ? lui
dit-elle en fouriant , que venez -vous faire
ici ? vous rendre hommage de ma terre ,
répondit- il , en lui baifant la main , en
prendre poffeffion , & époufer mon amie.
Je ne vous attendois pas fitôt , reprit- elle ,
& j'efpérois que vous me laifferiez le temps
de rendre ce féjour plus digne de vous recevoir.
Hé , que lui manque-t-il pour me
A OUST. 43 1755 .
plaire , pour m'y fixer , repliqua- t- il , vous
y êtes , je n'y vois , & je n'y verrai jamais
que ma chere Rofalie . J'ai de l'inclination
à vous croire , lui dit-elle , en le regardant
tendrement , & mon coeur , je le fens , auroit
de la peine à fe refufer à ce que vous
lui infpirez ; il eft prêt à fe rendre à vos
defirs . Mais encore une fois , mon cher
Terlieu , interrogez le vôtre , ou pour
mieux dire , écoutez les confeils de votre
raifon. Nepouvons- nous vivre fous les loix
de l'amitié? & ne craignez- vous point que
celles de l'hymen n'en troublent la pureté ,
n'en appéfantiffent le joug ? Et cette terre ,
repliqua- t-il , peut- elle m'appartenir , fi je
n'acquiers votre main ? D'ailleurs , y fongez-
vous , Rofalie ? je vivrois avec vous ,
& je n'aurois d'autre titre pour jouir de ce
bonheur que celui de l'amitié ? Penſezvous
que la médifance nous épargnât en
vain nous vivrions dans l'innocence , la
calomnie , cette ennemie irréconciliable
des moeurs les plus chaftes , ne tarderoit
pas à fouiller la pureté de notre amitié
& elle y fuppoferoit des liens qui nous
deshonoreroient. Mais enfin , reprit Rofalie
, à quels propos , à quelles indignes
conjectures ne vous expofez- vous point ?
on dira que Terlieu n'ayant pû foutenir le
poids de fon infortune , a mieux aimé re
44 MERCURE DE FRANCE .
chercher la main de Rofalie que de lan
guir dans une honorable pauvreté. Vains
difcours , s'écria Terlieu , qui ne peuvent
m'allarmer ! venez , répondrai - je , à la malignité
, à l'orgueil ; venez , fi vous êtes
capables d'une légitime admiration , reconnoître
en Rofalie un coeur plus noble , une
ame plus pure que les vôtres . Vous n'avez
que l'écorce des vertus , ou vous ne les pratiquez
que par oftentation , & Rofalie en
avouant fes égaremens a la force d'y renoncer
, & les épure par le repentir , par
la bienfaifance. Apprenez vils efclaves de
la vanité que la plus fage des bienséances
eft de s'unir avec un coeur qu'on eſt fûr
d'eftimer , & que le lien d'une reconnoiffance
mutuelle eft le feul qui puiffe éternifer
l'amour. Je ne réfifte plus , reprit Rofalie
, je me rends à la jufteffe de vos raifons
, & plus encore à la confiance que la
bonté , que la nobleffe de votre coeur ne
ceffent de répandre dans le mien : le don
que je vous ferai de ma main n'approchera
jamais du retour que j'en efpere .
Terlieu & Rofalie allerent fe jurer une
fidélité inviolable aux pieds des autels , où
au défaut de parens , tous les pauvres des
environs leur fervirent de témoins , de famille
, & en quelque façon de convives ,
puifqu'ils partagerent la joie des deux
A OUST. 1755 45
époux à une table abondante qui leur fut
fervie. Terlieu & Rofalie goûtent depuis
long- temps les délices d'une flâme fincere.
Leur maison eft le féjour des vertus . Ils en
font les modeles. On les cite avec éloge ,
on les montre avec admiration , on fe fait
honneur de les voir , on les écoute avec
reſpect , & , comme partout ailleurs , pref
que perfonne n'a le courage de les imiter.
LA VARIÉTÉ. (a)
CANTA TILL E.
De fes airs brillans , l'Italie
Fit envain retentir ces lieux !
Que peut la feule mélodie
Sans flatter le coeur ni les yeux.
Nos Amphions trouvent mieux l'art de plaire
Par un mêlange féducteur.
D'une liqueur qui paroiffoit amere ,
Ils font un breuvage enchanteur ;
Ainfi que l'abeille volage ,
Le François leger & badin
En folâtrant rend fon hommage
A la nouvelle fleur qu'il dédaigne foudain ;
Mais bientôt devenu plus fage ,
Il en fçait tirer avantage ,
Et fe pare de fon larcin.
(a) Du les parodies des Boufons.
46 MERCURE DE FRANCE.
Fuyons toute ombre d'esclavage
Dans nos goûts & dans nos amours ;
Que le plaifir feul nous engage ;
On gagne à voltiger toujours.
Le papillon brille dans fa carriere
Tant qu'il vôle de fleur en fleur ,
Le cercle étroit d'une vive lumiere ,
En le fixant , fait fon malheur.
JE
Epitre à M. de Voltaire.
E viens offrir au Temple de mémoire ,
Le doux parfum d'un pur encens ;
C'eſt dans les coeurs reconnoiffans ,
Voltaire , qu'à jamais on lira ton hiftoire ,
Pour moi , je dis ce que je fens .
Je dois à tes écrits le beau feu qui m’anime ;
Dans l'élégance de tes vers
J'adore le dieu de la rime
L'Apollon de cet univers.
•
Ta voix chanta les dieux , les héros & les belles ;
Le théâtre françois te doit fes plus beaux jours ,
Jamais les doctes foeurs ne te furent cruelles ,
Tes mains ont décoré le palais des amours.
Que de lauriers ont couronné ta tête !
Que de talens te font chérir !
Je vois déja dans l'avenir
Le jour marqué pour célébrer ta fête.
AOUST. 1755. 47
Pies d'Homere & Pindare au haut de l'Helicon ,
A côté de Virgile , & d'Ovide , & d'Horace ,
Le dieu du Goût retient ta place
Entre le grand Corneille & le divin Newton.
Pourfuis longtems , pourfuîs tes hautes deſtinées ;'
Les dieux te conduiront à l'âge de Neftor :
Ils te doivent autant d'années
Qu'il parut de beaux jours dans l'heureux fiecle
d'or.
Par M. Dalais de Valogne.
VERS
De M. Dubois , Médecin de fene Madame
la Princeffe de Conty , à Madame de
Forgeville.
.
Mon tendre hommage à celle
Qui tous les jours à Fontenelle
Confacre fa voix & fes yeux.
Pour prix d'un fain fi précieux ,
Puiffe l'amie être immortelle :
Puiffe l'ami , rival des Dieux ,
Toujours charmant , toujours fidele ,
Oublier fan rang dans les cieux
Pour vivre ici- bas avec elle.
48 MERCURE DE FRANCE.
La Promenade de province.
NOUVELLE.
UN
Philofophe N Philofophe cabaliſte étoit en commerce
depuis fort long- tems avec une
aimable Silphide qu'il avoit immortaliſée ,
& goûtoit dans cette fociété mille charmes
inconnus au refte des mortels. Une maifon
de campagne , à trois lieues de R ... ville
affez confidérable , étoit le lieu qu'il avoit
choifi pour fe retirer du monde. Cette maifon
fituée fur le penchant d'une coline ,
dominoit une vallée fertile , qui préſentoit
à la vûe la plus agréable variété.
Les appartemens étoient rians , & meublés
avec une fimplicité philofophique.
Une bibliothéque peu nombreufe , mais
curieufe , des caracteres de la cabale , des
eſtampes qui repréfentoient l'empire fouverain
que les Salamandres , les Silphes ,
les Ondins , les Gnomes exercent fur tous
les élémens , les tapiffoient agréablement.
Le jardin qui accompagnoit cette maiſon ,
étoit cultivé par un Gnome intelligent ;
auffi rien de tout ce qui pouvoit flater les
fens n'y manquoit.
Tel étoit le féjour que notre philofophe
avoit choisi pour méditer les plus fublimes
vérités. C'étoit là qu'il paffoit les plus
délicieux
A O UST. 1755i 49
délicieux inftans , tantôt en s'entretenant
avec fa charmante Silphide , tantôt en li-.
fant quelques ouvrages compofés par les
plus éclairés des Salamandres , quelquefois
en admirant la beauté de fes fleurs , en
favourant l'excellence de fes fruits , ou
bien en refpirant le frais dans des allées
fombres au bord d'une fource naiffante.
Tout s'offroit à fes defirs dans ces lieux
enchantés. Vouloit - il fe défaltérer ? un
ruiffeau de lait paroiffoit auffi -tôt . Mille
Gnomes toujours attentifs à lui plaire agitoient
les arbres , & formoient pour le
rafraîchir de gracieux zéphirs. Les uns
s'occupoient àparfumer l'air qu'il refpiroit
des plus délicieufes odeurs : ceux- ci prenoient
le foin d'affembler les oifeaux dans
le boccage qu'il honoroit de fa préfence
pour l'égayer par leur ramage ; & d'autres
enfin baifoient les branches chargées de
fruits pour lui donner la facilité de les
prendre.
Un jour qu'Oromafis , ( c'eft le nom que
notre philofophe avoit pris pour plaire à
fa belle Silphide. ) Un jour , dis-je , qu'il
l'attendoit pour lui communiquer quelques
remarques qu'il avoit faites en décompofant
un rayon de foleil , elle arriva
en riant un peu plus tard qu'à l'ordinaire.
Surpris de ce mouvement de gaieté , le
C
to MERCURE DE FRANCE.
philofophe ne put s'empêcher de lui ent
demander le fujet . J'arrive de Mercure ,
lui dit-elle , cette petite planette proche le
foleil , appellée autrement le féjour de
l'imagination ; j'en ai vû aujourd'hui de
fi ridicules que je ne puis m'empêcher d'en
rire encore : Ce que vous me dites là , eſt
une énigme que vous m'expliquerez quand
il vous plaira , répondit à l'inftant Oromafis
; je vais le faire tout-à- l'heure , reprit-
elle auffi tôt : écoutez. Le foleil eft ,
vous le fçavez , l'habitation ordinaire des
Salamandres , ce font eux qui entretiennent
ce feu continuel , fi néceffaire à la
confervation & à l'accroiffement de toutes
les créatures. Mercure en eft une dépendance
; c'eft dans cette planette qu'ils viennent
fe rafraîchir tour-à-tour , & c'eft là
que viennent fe peindre tous les defirs &
toutes les imaginations des hommes , ces
agréables fonges que l'on fait en veillant ,
ces projets , ces châteaux que l'on bâtit en
Efpagne. Quoi ! dit le philofophe , j'imagine
, par exemple , pour m'amufer , que
je fuis monarque , je donne audience à des
Ambaffadeurs , ou je fuis à la tête de mont
armée , tout cela fera repréfenté foudain
dans Mercure ? Oui , répondit la Silphide ,
votre perfonne telle que la voilà , c'eft- àdire
vivante , marchant , & parlant , ira
A O UST. 1755. St
fe peindre au milieu d'une cour brillante ,
ou bien à la tête d'une armée nombreuſe ,
enfin dans la même pofition que vous imaginerez.
Bien plus , fi vous faites en vousmême
un difcours à vos troupes pour les,
encourager , vous le reciterez dans Mercure
d'une voix intelligible . Si vous imaginez
enfuite être dans un magnifique jardin ,
l'armée s'évanouira , & un jardin prendra
la place. Ceffez - vous d'imaginer , tout
s'efface auffi - tôt , & la place qui vous eft
affignée dans Mercure ( car chacun y a la
fienne ) refte vuide , jufqu'à ce qu'il vous:
plaife de defirer , ou de faire des projets.
Ah ! voilà ce que je voulois fçavoir , dit
alors Oromafis ; fi les defirs fe peignent de
la même façon que lleess pprroojjeettss ou les imaginations
? Sans contrédit , répondit la
Silphide , avec la différence cependant
que vous n'y paroiffez point quand il n'y
a qu'un fimple defir. Par exemple , vous
defirez une maifon de campagne , elle paroît
à l'inftant : Si je l'avois , continuezvous
, j'irois dès le matin m'y promener
avec un livre à la main ; vous paroiffez
vous-même en lifant dans les allées du
jardin qui accompagne cette maifon . Mercure
, tel que vous me le dépeignez , doit
être un féjour fort amufant , reprit Oromafis
; mais fi toutes les imaginations y "
Cij
5 MERCURE DE FRANCE.
font
reçues , il doit y en avoir
de bien
impertinentes
, ajouta
- t-il. Celles
qui choquent
l'honnêteté
n'y font point
admifes
,
répondit
la Silphide
. Tout
eft pur dans un
féjour
que fréquentent
les Salamandres
;
mais il me reste encore
une chose à vous
apprendre
, continua
- t- elle , Mercure
n'eſt
pas feulement
fait pour
recevoir
les diverfes
imaginations
des hommes
, il a encore
une autre
deftination
. Ce pays charmant
eft le paradis
, ou les Champs
élifées
des Poëtes
, des Muficiens
, des Peintres
, des Philofophes
à fyftêmes
, des faifeurs
d'hiftoriettes
& de romans
, des conquerans
, & enfin
des Alchymiftes
. C'eſtlà
que viennent
fe rendre
leurs
ames
après
leur mort . Ce féjour
eft d'autant
plus fateur
pour
elles
qu'il n'eft pas impoffible
d'en fortir
quand
on s'y ennuie
.
Il fe tient
tous les dix ans une affemblée
générale
de Silphes
& de Salamandres
;
toutes
les ames qui regretent
la vie , peuvent
demander
à revenir
dans ce monde
que vous habitez
. Pour
y parvenir
, elles
font
obligées
d'expofer
fidelement
quelles
ont été leurs
inclinations
, leur caractere
, leurs
occupations
, & on leur permet
de revivre
à de certaines
conditions
qu'elles
peuvent
rejetter
ou accepter
. Rien
n'eft
plus curieux
que cette affemblée
, ajouta-
"
AOUS T. 1755 33
*
r-elle , c'eſt un ſpectacle que je veux vous
donner. Très- volontiers , répondit Oromafis
, je fuis toujours prêt à vous fuivre :
mais fe tiendra- t- elle bientôt ? Dans quatre
mois treize jours dix- huit heures cinquante-
fix minutes quarante- quatre fecondes ,
répondit- elle ; mais en attendant cet amufement
je puis vous en procurer d'autres ,
ajouta- t-elle d'un air complaifant. Je viens
de paffer par R ... la beauté de la faiſon
& la fraîcheur du foir a fait fortir tout le
monde pour goûter le plaifir de la promenade
; j'en ai remarqué une fort brillante
fi vous y confentez , nous nous y tranfporterons
tout-à-l'heure. Je vous ferai remarquer
les perfonnages les plus finguliers ,
je vous inftruirai du fujet de leur converfation
, je vous apprendrai même ce qu'ils
penfent , & quel elt leur caractere .
A peine Oromafis eut - il accepté cette
agréable propofition , qu'ils fe trouverent
fur une des plus belles promenades de R ...
On étoit pour lors à la fin du mois de Mai,
il faifoit un temps calme & frais , capable
d'adoucir les efprits les plus faronches
, & de les porter à la gaieté. Le folcil
prêt à quitter l'horifon , s'étoit difcrétement
enveloppé d'un nuage , qu'il fe plaifoit
à varier des plus éclatantes couleurs.
L'or , l'argent , le pourpre , l'azur , l'incar-
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
nat , l'amaranthe , étoient prodigués : mais
le fpectacle qu'offroit la promenade , n'étoit
pas moins raviffant. Les étoffes les plus
brillantes recevoient un nouveau luftre
des beautés qui avoient voulu s'en parer ;
enfin il fembloit que le ciel & la terre fe
fuffent fait un défi, & les fpectateurs charmés
n'ofoient décider lequel des deux
l'emportoit.
Arrêtons- nous ici , dit la Silphide , vous
fçavez que je fuis invifible pour tout autre
que pour vous. Commençons nos obfervations
par cet homme cet homme que voilà feul ; c'eft
un fçavant , un efprit profond qui n'eſt
que pour quelques jours dans cette ville où
il a pris naiffance . Ses parens lui avoient
laiffè un bien fuffifant pour mener une
vie tranquille ; mais le démon de la gloire
qui s'eft emparé de lui , l'a conduit à Paris
, l'a livré entre les mains d'un Libraire,
qui lui a fait changer la moitié de fon bien
en une nombreufe bibliothéque. Il a paffé
fix ans à étudier pour fe mettre en état de
faire un livre qui lui a couté en frais d'impreffion
, qu'il n'a pas retirés , la moitié de
ce qui lui reftoit. Il travaille actuellement
à un autre ouvrage qui va le conduire à
l'hôpital. Je ne puis m'empêcher de le
plaindre , dit Oromafis , fa manie eft celle
d'une infinité d'honnêtes gens, Il eſt d'au
A OUST. 1755 55
tant plus malheureux , interrompit la Silphide
, que fes ouvrages font très - bons
dans le fond ; il ne pêche que par le ftyle.
Pour vouloir être concis il eft obfcur ;
voilà fon feul défaut . Ses amis l'en avertiffeut
en vain , il ne lui eft pas poffible de
s'en corriger. En voulez - vous fçavoir la
raifon ? c'eſt que dans une premiere vie il
a habité le corps d'un Avocat qui s'eſt
enrichi à force d'être diffus .
Le jeune homme qui vient de l'aborder ,
eft dans la joie la plus vive ; il fort de fon
cabinet , où il vient de finir par cinq ou
fix épigrammes la feconde fcene du quatriéme
acte d'une tragédie qu'il a entreprife
uniquement pour le produit ; car il
ne fe croit pas encore affez habile pour
amaffer des lauriers : mais il a befoin d'argent
pour aller à Paris apprendre le bon
ton dans les caffés , & devenir homme de
belles Lettres dans toutes les régles . Il s'informe
à ce fçavant comment un jeune auteur
qui veut faire jouer une piece de fa
façon doit s'y prendre avec les Comédiens .
Voyez - vous plus loin ces trois politiques
, occupés fort férieufement à réformer
l'état. L'ún eft un marchand que le
jeu & le luxe de fa femme va bientôt réduite
à la néceffité de faire banqueroute.
L'autre eft un Magiftrat qui vient de ven-
Cij
56 MERCURE DE FRANCE.
dre une fort belle terre pour faire bâtir
une maiſon de campagne : Le troifiéme eſt
pere d'un libertin qui mange d'avance
fa fucceffion .
le
Cet homme brodé qui marche après
eft un riche financier , & l'Eccléfiaftique
avec qui il eft en converſation , eft le Curé
'd'une Paroiffe dont il eft Seigneur. Ce
premier médite depuis dix ans de fe retirer
à la campagne pour penfer à fon falut .
Il y en a plus. de quinze que le Curé fe
promet de jour en jour de fe retirer à la
ville pour fe repofer. Le Seigneur vante
à fon Curé les agrémens de la vie champêtre
, & le Curé exagere les charmes de la
ville.
Voici un peu plus loin deux hommes
bien embarraffés , & qui ne difent pas ce
qu'ils penfent. Le premier de notre côté
eft un jeune homme qui a fait certaines
dépenfes qu'il ne trouve pas à propos que
fa femme fçache ; il voudroit bien trouver
mille écus à emprunter . L'autre eft un vieil
avaricieux qui voudroit placer la même
fomme à l'infçu de fes parens , à qui il
fait entendre qu'il eft dans l'indigence .
Celui- ci a peur de mal placer fon argent ,
& l'autre de n'en pas trouver.
Quel eft celui qui les fuit interrompit
Oromafis , c'eft encore un jeune mari , re
A OUS T. 1755. $7
partit la Silphide. Sa deftinée eft finguliere.
Il vient d'époufer une vieille dévote
qui lui a fait ſa fortune. Les uns l'ont loué
d'avoir pris ce parti , d'autres l'ont blâmé :
mais ces derniers ne fçavent pas qu'il n'eſt
revenu dans ce monde qu'à cette condition
, parce que dans une premiere vie il
a mangé fon bien en époufant une jeune
& aimable Comédienne.
Regardez , je vous prie , ce- Confeiller
qui veut apprendre à ce Marchand de chevaux
à connoître leurs défauts , parce qu'il
a lu ce matin le parfait maréchal .
Voulez - vous voir quatre jeunes gens
dégoûtés du monde ? jettez la vûe là- bas
fous ces arbres : Vous y voilà Le premier
eft un Poëte mécontent du public , qui refufe
abfolument de l'admirer. Le fecond
eft un Auteur qui revient de Paris fans
avoir pu trouver un Imprimeur affez complaifant
, pour fe charger de faire voir le
jour à une petite hiftoriette fort plate de
La compofition.
Le troifiéme eft le fils d'un avare , le
quatriéme un indolent à qui fes parens
veulent faire prendre une profeffion . Ils
projettent de fe retirer à la campagne , &
de donner un ouvrage périodique qui aura
pour titre , Loifir des quatre Philofophes
folitaires. L'Auteur doit fronder l'infolen-
Cv
38 MERCURE DE FRANCE.
ce & l'avarice des Imprimeurs. Le Poëte
veut écrire contre le mauvais goût du fiécle.
Le fils de l'avare fur l'abus du pouvoir
paternel , & l'indolent veut faire l'éloge
de la pareffe .
Voici tout proche d'eux la femme d'un
Médecin très - médifante. Ceux qui marchent
après font dans l'embarras de décider
lequel ils aimeroient mieux de tomber
entre les mains du mari ou de la femme
?
Cet homme habillé de drap de Siléfie
eft un étranger qui cherche en lui - même
les moyens de tromper un marchand de
cette ville afin d'avoir fa fille ; & voilà
plus loin ce marchand qui médite une banqueroute
, afin de pouvoir donner à fa fille
vingt mille écus qu'il a promis verbalement
à ceux qui lui ont parlé de cet étranger
comme d'un parti fort avantageux..
Etes -vous curieux de voir un Alchymifte
qui croit avoir bientôt trouvé la pierre
philofophale Regardez ce grand homme
fec & blême.
› Ce Cavalier qui falue ces deux Dames
en paffant , fait fort bien fa cour à cette
grande brune que voilà à côté de lui . Il
lui fait accroire qu'un Chymifte de fes
amis a trouvé un élixir qui blanchit merveilleufement
la peau.
AOUS T. 1755. 39
Dans la même compagnie eft le fils d'un
riche Commerçant qui vient d'acheter une
charge de Secrétaire du Roi . Il demandoit
hier avant que de louer une piece de vers ,
qu'on venoit de lire , fi l'Auteur étoit Gentilhomme.
Apprenez- moi , je vous prie , demanda
Oromafis , quel eft ce jeune homme que
cette Dame paroît regarder avec complai- ,
fance ? C'eft un Médecin , répondit la Silphide
, qui doit faire une fortune confidérable
dans cette profeffion, parce que dans
une premiere vie il a été Capitaine de Cavalerie
, & s'eſt ruiné à la guerre . A caufe
de quelques vers affez jolis qu'il a faits
dans fes momens de loifir , il a été reçu
dans la planette de Mercure . A l'affemblée
générale il s'eft plaint amerement de
l'injuftice du fort . J'ai défait ma patrie
d'un nombre infini d'ennemis , a - t- il dit
entr'autres chofes , & pour toute récompenfe
je n'ai trouvé à mon retour que la
plus trifte indigence. Le Salamandre qui
préfidoit , voulant rendre le contrafte parfait
, a ordonné qu'il naîtroit pour être
Médecin , & en même tems ,a commis un
Silphe pour travailler à lui faire une haute
réputation. Je ferois affez curieux de fçavoir
, dit alors Oromafis , quels moyens
il employera pour en venir à bout . Bon
Cvj
Go MERCURE DE FRANCE:
"
répondit la Silphide , rien de plus aifé , ce
jeune Médecin eft , comme vous le voyez ,
d'une figure aimable . Une Dame de confidération
qui ne fera gueres malade & qui
croira l'être beancoup, doit bientôt le faire
appeller , il la guérira ; l'obligation qu'elle
croira lui avoir l'intéreffera en fa faveur ,
la bonne mine du jeune Efculape donnera
de la vivacité au zéle de fa malade . De
retour à Paris où elle fait fon féjour ordinaire
, elle le vantera à toutes fes connoiffances
, on le fera venir , il fera goûté . Sa
fortune deviendra pour lors fon affaire ,
le Silphe doit l'abandonner à lui-même.
Ce Salamandre étoit plaifant , continua
la Silphide je ne finirois point fi je
vous rapportois tous les jugemens finguliers,
& fi l'on ofe parler ainň, épigrammatiques
qu'il a portés . Lucullus , ce voluptueux
Romain , ayant entendu vanter la
délicateffe & le raffinement de la cuifine
françoife ,demanda à revenir pour en juger
lui - même. Devinez où il l'envoya ?
fans doute , répondit Oromafis , dans le
corps pefant & matériel de quelque gros
Bénéficier , ou de quelque homme de la
vieille finance; point du tout , reprit- elle ,
mais dans le corps d'un Maître d'Hôtel.
Ménélas dans la même affemblée demanda
à revivre , il le lui permit à condition
AOUST. 1755: 61
qu'il deviendroit amoureux d'une fille
d'Opéra jufques à l'époufer pour le punir
de fa folie d'avoir couru après fa femme
à la tête de toute la Gréce. Hélene qui
avoit été par fa coqueterie la caufe de
tant de maux , fut condamnée à revenir
pour être la fixiéme fille d'un Gentilhomme
, campagnard , qui auroit des fils à
foutenir à la guerre.
Confiderez , continua fur le champ la
Silphide , fans laiffer au Philofophe le
tems de répondre : confiderez cette Demoifelle
, déja furannée , qui regarde les
paffans avec tant d'attention , elle paffe
les nuits à rêver , & le jour à deviner ce
que fes rêves fignifient . Pour fçavoir comment
elle paffera la journée , il faut lui
demander , quels fonges avez - vous fait
cette nuit ? ils décident de fon humeur.
Elle en a fair un , il y a environ huit
jours , qui fignifie , fuivant fon interprétation
, qu'elle fe mariera dans peu , mais
elle ne fçait point à qui , & c'est ce qui
l'embarraſſe.
Ces deux hommes que vous voyez enfemble
après cette rêveuſe , font bien mal
affortis. C'eft un Antiquaire & un Fleurifte
. Celui - ci s'eft emparé du premier
lui détailler les beautés miraculeufes
de fes tulipes & de fes renoncules . L'Anpour
62 MERCURE DE FRANCE.
tiquaire qui a la tête remplie de l'explica
tion d'une médaille du tems de Caracalla ,
pefte contre l'importun , & traite de fadaife
tout ce qu'il lui compte à la gloire
de fes fleurs .
Voici fur ce banc vis- à- vis de nous une
femme qui s'ennuie beaucoup. La converfation
eft pourtant affez animée , répondit
Oromafis , fi l'on en juge par les geftes
que ce petit homme fait en parlant . Il eft
vrai , répartit la Silphide ; mais cette Dame
n'y prend aucune part . C'eft une differtation
fur le plaifir, & felon elle il vaut
bien mieux le fentir que de perdre le tems
à le définir.
Cette jeune perfonne qui rit de fi bon
coeur , eft menacée de vivre & mourir fille.
Pourquoi cela , demanda le Philofophe ,
c'eft , répondit la Silphide , qu'elle ne veut
fe marier qu'à un homme fans fatuité .
Ce grand homme au milieu de ces deux
petits , eft un Avocat qui compte tous les
procès qu'il a fait gagner ; & voilà plus
loin , fon confrere qui compte tous ceux
qu'il a fait perdre.
Confiderez ce garçon habillé de brun ,
qui vient vers nous , c'eft un domeſtique.
Il ne fe doute nullement qu'il eft bon
Gentilhomme. Il a été changé en nourrice
, & paffe pour le fils d'un payfan . Cette
A O UST. 1755. 63
pénitence lui a été impofée , parce que
dans une premiere vie il fe croyoit le fils
d'un homme de confidération , & s'eft
rendu infupportable à tout le monde par
fa fierté , fon arrogance & fes hauteurs.
Il a été bien furpris quand après la mort
on lui a fait connoître qu'il n'étoit que
le fils du valet de chambre de fa mere.
Voilà deux jeunes gens fur le point de
s'époufer , qui ont des idées bien différentes.
Le jeune homme eft abfolu & intéreffé
, il ne fe marie que pour groffir fon
revenu , & compte exercer dans fon ménage
un pouvoir defpotique. La Demoifelle
eft fort haute , elle aime le plaifir &
la dépenfe , & ne fonge en fe mariant qu'à
fe fouftraire à l'autorité d'un pere & d'une
mere économes .
Celui qui vient d'arrêter ces Dames ,
eft un perfonnage fingulier , il fait des dépenfes
confidérables pour fe donner la réputation
de fin connoiffeur , & n'a réuffi
qu'à fe donner un ridicule. Il arrive hier
à une vente , on crioit un tableau à cinq
livres : qu'eft- ce qu'on vend là , s'écria - til
d'un ton de fupériorité infolente ? C'eſt
un tableau , je crois : mais voyons- le donc.
On le lui montre : allons , dit-il en hauffant
les épaules , & fans prefque le regarder
, à dix écus , à dix écus. Perfonne
64 MERCURE DE FRANCE.
comme bien vous penfez , ne s'eft avifé
de mettre fur fon enchere. Je gagne au
moins dix piftoles de ce qu'il n'y a point
ici de connoiffeur , a- t- il ajouté en le recevant.
Va-t- il à quelques ventes de livres ?
ne croyez pas qu'il s'amufe à regarder des
volumes bien reliés ; mais s'il voit quelque
bouquin à moitié mangé des rats ou
des vers , c'eft à celui - là qu'il court .
Je ne vous ai montré jufqu'ici que des
gens affez ridicules , continua la Silphide ,
mais je veux vous en faire voir de raifonnables
. Regardez à droite ces trois perfonnes
qui fe repofent ; le premier eft un Philofophe
très- aimable ; il eft avec fa femme
& un jeune Anglois qui eft fon ami particulier.
Un Silphe de ma connoiffance me
comptoit , il y a quelques jours , leur hiftoire
; elle eft affez intéreffante . Oromafis
ayant fait paroître quelque envie de l'entendre
, la Silphide qui ne demandoit pas
mieux que de lui en faire le récit , commença
par ces mots.
Nous la donnerons le mois prochain.
O
A OUST .
1755 65
LE MALHEUR D'AIMER.
POEME ,
Par M. Gaillard , Avocat.
N On , je ne veux plus rien aimer ;
Un jufte orgueil m'enflamme , un jour heureux
m'éclaire ,
J'arrache en frémiffant ce coeur tendre & fincere
Aux perfides attraits qui l'avoient fçu charmer..
Combien l'illufion leur prêta de puiffance !
Et combien je rougis de ma folle conſtance !
Quoi ! c'eft-là cet objet adorable & facré ,
Chef- d'oeuvre de l'amour , par lui-même admiré ,
Sur qui la main des Dieux ( foit faveur ou colere)
Epuifa tous fes dons , & fur- tout l'art de plaire ! ...
Quel démon m'aveugloit : quel charme impérieux
Enchaînoit ma raiſon & faſcinoit mes yeux ?
J'aimois . J'embelliffois ma fatale chimere
Des traits les plus touchans d'une vertu fincere ;
Que ne peut-on toujours couvrir la vérité
Du voile de l'amour & de la volupté !
Hélas ! de mon erreur j'aime encor la mémoire ;
Je regrette mes fers , & pleure ma victoire 30
Que dis-je , malheureux ? Ah ! je devois pleurer,
66 MERCURE DE FRANCE.
Lorfque prompt à me nuire , ardent à m'égarer ;
Je fubis les rigueurs d'un indigné efclavage ;
Les Dieux de ces périls m'avoient tracé l'image.
Un fonge ( & j'aurois dû plutôt m'en ſouvenir )
A mon coeur imprudent annonçoit l'avenir.
J'errois fur les bords de la feine
Dans des bofquêts charmans confacrés au plaifir }
Avec Thémire , avec Climene ,
Par des jeux innocens j'amufois mon loifir.
Un enfant inconnu deſcend fur le rivage ,
Il mêle un goût plus vif à notre badinage ,
Il pare la nature , il embellit le jour ,
L'univers animé parut fentir l'amour.
Ses aîles , fon carquois m'infpiroient quelque
crainte ,
Mais dans les yeux touchans l'innocence étoit
peinte.
Il me tendit les bras . Son ingénuité
Intéreffa mon coeur qu'entraînoit fa beauté ;
Careffé par Thémire , & loué par Climéne
A leurs plus doux tranfports il fe prêtoit à peine ,
J'attirois tous fes foins , & j'étois feul flaté .
Il aimoit , diſoit-il , à me voir , à m'entendre ,
Il fembloit à mon fort prendre un intérêt tendre ,
Avec un air charmant il plaçoit de ſa main
Des lauriers fur mon front , des roſes dans mon
fein ; . -
Qui ne l'auroit aimé ? pardonnez , ô fageffe
AOUST.
1755 67
Je fçais trop à préfent qu'il faut n'aimer que
vous ;
Mais de ce traître enfant que les piéges font doux !
Que les traits ont de force & nos coeurs de foibleffe
! )
Il me montra de loin le palais des plaiſirs ,
J'y volai plein d'eſpoir , fur l'aîle des defirs .
Là , tout eft volupté ! tranfport , erreur , ivreffe ,
Là , tout peint , tout infpire , & tout fent la tendreffe
;
Dans mille objets trompeurs l'art fçait vous préfenter
Celui qui vous enchante , ou va vous enchanter.
J'apperçus deux portraits : l'un fut celui d'Or
phife ,
Mon oeil en fut frappé , mon ame en fut ſurpriſes
Vieille , elle avoit d'Hébé l'éclat & les attraits
Sa beauté m'éblouit fans m'attacher jamais .
Mais l'amour m'attendoit au portrait de Sylvie
Il alloit décider du bonheur de ma vie.
Sans éclat , fans beauté , fa naïve douceur
Fixa mon oeil avide , & pénétra mon coeur.
Dans fes yeux languiffans , ou l'art ou la nature
Avoient peint les vertus d'une ame noble & pure
Tous mes fens enivrés d'une rapide ardeur
Friffonnoient de plaifir , & nommoient mon vain
queur ...
Cependant fous mes pas s'ouvre un profond abî
me 2
68 MERCURE DE FRANCE.
J'y tombe , & je m'écrie : O trahiſon , ô crime !
De quels fleuves de fang me vois-je environné ?
Dans ces fombres cachots des malheureux gémiffent
,
De leurs cris effrayans ces voûtes retentiſſent :
Fuyons .... Des fers cruels me tiennent enchaîné ;
Mille dards ont percé mon coeur infortuné ,
O changement affreux ! quel art t'a pû produire ?
Une voix me répond : Pallas , va-t'en inftruire ?
L'amour fuit démafquant fon viſage odieux .
La rage d'Erinnys étincelle en fes yeux ,
Des ferpens couronnoient fa tête frémiffante ;
Le reſpect enchaînoit fon audace impuiffante ;
Il fecouoit pourtant d'un bras féditieux
Un flambeau dont Pallas éteignoit tous les feuxJ
Je la vis , & je crus l'avoir toujours aimée ,
Ses vertus s'imprimoient dans mon ame enflam
mée ,
J'admirois ces traits fiers , cette noble pudeur ,
Où du maître des Dieux éclatoit la fplendeur.
» Tombez , a- t-elle dit , chaînes trop rigoureu-
>> fes !
» Fermez-vous pour jamais, cicatrices honteufes !
>> Mortel ! je n'ai changé, ni l'amour , ni ces lieux ,
» Mais j'ai rompu le charme & deffillé tes yeux.
» La volupté verfoit l'éclat fur l'infamie ,
» D'un mafque de douceur couvroit la perfidie ;
La vertu feule eft belle , & n'a qu'un même
aſpect ,
A OUST . 1755. 69
» L'amour vrai qu'elle infpire eft enfant du ref-
» pect.
» Mais ſui – moi , viens apprendre à détefter ce
>> maître
>> Que les humains féduits fervent fans le connoî-
» tre ,
» Qui t'entraînoit toi -même , & t'alloit écraser
» Sous le poids de ces fers que j'ai daigné brifer.
>> Ce monftre en traits de fang , ſous ces voûtes
» horribles ,
» Grava de fes fureurs les monumens terribles.
ô Que vis-je ? .... ô paffions & fource des for
faits !
Quels tourmens vous caufez , quels maux vous
avez faits !
Térée au fond des bois outrage Philomele ?
Progné, foeur trop fenfible & mere trop cruelle ;
A cet époux inceftueux ,
De fon fils déchiré , fert les membres affreux.
Soleil ! tu reculas pour le feftin d'Atrée !
As-tu
pu
fans horreur voir celui de Térée ?
Mais quels font ces héros enflammés de fureur ;
Qui partagent les Dieux jaloux de leur valeur ? ....
Dieux votre fang rougit les ondes du Scamandre
;
Patrocle , Hector , Achille , ont confondu leur
cendre
70 MERCURE DE FRANCE.
Sous fon palais brûlant Priam eft écrasé ,
Le fceptre de l'Afie en fes mains eft brifé ,
Tout combat , tout périt : Pour qui ? pour une
femme ,
De mille amans trompés vil rebut , refte infame.
Le fier Agamemnon , ce chef de tant de Rois ,
Dont l'indocile Achille avoit fubi les loix ,
Revient après vingt ans de gloire & de mifere
Expirer fous les coups d'une épouse adultere .
Aux autels de les Dieux Pyrrhus eft égorgé ;
Hermione eft rendue à ſon époux vengé.
Pour laver ton affront , ô Phédre ! l'impofture
Charge de tes forfaits la vertu la plus pure ;
Sur un fils trop aimable un pere furieux
Appelle en frémiffant la vengeance des Dieux .
Le courroux de Neptune exauçant fa priere
Seme d'ennuis mortels fa fatale carriere.
Biblis , & vous , Myrrha , d'une exécrable ar
deur
Par des pleurs éternels vous expiez l'horreur.
O Robbe de Neffus ! & trompeufe efperance !
O d'un monftre infolent effroyable vengeance !
Sur le bucher fatal Hercule eft confumé ;
Héros plus grand qu'un Dieu , s'il n'avoit point
aimé !
Tu fuis , ingrat Jaſon , ta criminelle épouſe :
A O UST. 1755 71 .
Mais ... connois -tu Médée & fa rage jalouſe ?
Elle immola fon frere , & fe perdit pour toi ,
Tu ne peux ni la voir , ni la fuir fans effroi ! ....^
Mais la voici , grands Dieux ! furieufe , tremblan
I
te ......
Un fer étincélant arme fa main fanglante ,
Elle embraffe fes fils , & frémit de terreur
Ah ! d'un crime effrayant tout annonce l'horreur...
Arrête , Amour barbare , & toi , mere égarée ,
De quel fang fouilles-tu ta main deſeſpérée ?
La nature en frémit , l'enfer doute en ce jour
Qui l'emporte en fureur , ou Médée ou l'Amour.
Le jour vint m'arracher à ce fpectacle horrible,
Pour éclairer mon coeur la vérité terrible
Avoit emprunté par pitié
Les traits d'un utile menfonge. , .
Tout fuit , tout n'étoit qu'un vain fonge ,
Et mon coeur a tout oublié.
Deux Amours,, deux erreurs ont partagé ma
vie ,
Fadorai la vertu dans le coeur de Sylvie ,
Par des vices brillans Orphiſe m'enchanta ,
La vertu s'obscurcit , & le vice éclata ,
Orphife étoit perfide autant qu'elle étoit belle ,
Sylvie .... elle étoit femme , elle fut infidelle..
Sur quel fable mouvant fondois-je un vain eſpoir &
La candeur, la conftance eft-elle en leur pou
voir ?
72 MERCURE DE FRANCE.
(
Je te connois enfin , ſexe aimable & parjure ,
Ornement & fléau de la trifte nature !
Tu veux vaincre & regner , fur- tout tu veux tra
hir.
Notre opprobre eft ta gloire , & nos maux ton
t
plaifir.
Du généreux excès d'un amour héroïque
La vertueufe Alçefte étoit l'exemple unique.
Adorable en fa vie , admirable en ſa mort ,
Elle étonna les Dieux , & confondit le fort.
En fubiffant fa loi cruelle.
Otoi , qui poffedas cette épouſe fidele ,
Tu ne méritois pas , Admete , un fort fi beau ;
Si l'Amour ne t'entraîne avec elle au tombeau !
Elle eſt mere , & du fang t'immole la foibleffe !
Elle eft Reine , & connoit la conftante amitié !
Infenfible à fa perte , elle plaint ta tendreſſe ,
Dans les yeux prefque éteints brille encor la
pitié ;
Elle entre en t'embraffant dans la nuit éternelle ,
C'est pour toi qu'elle meurt , peux- tu vivre fans
elle ?
Hélas ! le coeur humain doit-il former des voeux ?
De toutes les vertus Alcefte eft le modele ,
Mais s'il étoit fuivi , ferions -nous plus heureux ?
Amour ! contre tes traits où prendroit - on des
armes ?
Ofemmes qui pourroit fe fouftraire à vos charmes
si
A O UST. 1755 . 75
Si vos coeurs fecondoient le pouvoir de vos yeux ?
La nature s'émeut à l'aspect d'une belle :
Le coeur dit : La voilà , mon bonheur dépend d'elle.
Que l'épreuve dément un préfage fi doux !
Hélás les vrais plaifirs ne font pas faits pour
nous.
Nous jouiffons bien peu de la douceur fuprême
De plaire à nos tyrans , ou d'aimer qui nous aimed
Dans l'empire amoureux tout coeur eſt égaré ,
Et loin des biens offerts cherche un bien defiré.
Ariane brûloit pour l'inconftant Théfée :
Mais il venge àfon tour cette amante abufée ;
Il aime , & dans fon fils on lui donne un rival ;
Phédre adore Hyppolite , & Phédre eft mépriféer
Phyllis eft fufpendue à l'amandier fatal ;
Démophoon fidele eût vû Phyllis volage ,
Tel eft de Cupidon le cruel badinage ;
Il fe nourrit de fang , il s'abbreuve de pleurs ,
Il enchaîne , & jamais il n'affortit les coeurs.
Vous , dont un vent propice enfle aujourd'hui
les voiles ,
Qui lifez , pleins d'efpoir , fur le front des étoiles
L'approche du bonheur & la route du port.
Ah ! tremblez ! mille écueils vous préfentent la
mort.
J'entens mugir les flots & gronder les tempêtes.
L'abime eft fous vos pieds , la foudre eft fur vos
têtes ;
D
74 MERCURE DE FRANCE.
D'une fauffe amitié les perfides douceurs
De l'infidélité préparent les noirceurs ;
Bientôt on oubliera juſqu'à ces faveurs même ,
Dont on flate avec art votre tendreffe extrême ;
On verra vos tourmens d'un oeil fec & ferein .
Vainement pour voler à des ardeurs nouvelles
Le dépit & l'orgueil vous prêteront leurs aîles.
Vous ferez retenus par cent chaînes d'airain.
Les caprices fougueux , les fombres jaloufies ,
Et la haine allumée au flambeau des Furies ,
Etoufferont fans ceffe & produiront l'amour ,
De vos coeurs déchirés , indomptable vautour.
Sauvez de ces revers vos flammes généreuſes ;
Sortez , s'il en eft tems , de ces mers orageuſes ,
Regagnez le rivage , & cherchez le bonheur
Dans le calme des fens & dans la paix du coeur.
Des fieres paffions brifez le joug infâme ,
Fuyez la volupté , ce doux poifon de l'ame ,
La gloire & la vertu combleront tous vos voeux ,
Sous leur aimable empire on vit toujours heureux
.
Ainfi parloit Sylvandre , & fa douleur amere
Méconnoiffoit l'Amour maſqué par la colere ,
Quand d'un fouris flateur , fait pour charmer les
Dieux ,
A fes yeux éperdus Sylvie ouvrit les cieux ;
Quel moment ! quel combat pour fon ame attendrie
!
AOUST. 1755:
75
Elle approche , il pålit , il fe trouble ....... il
s'écrie ,
Frémiffant de couroux , de tendreffe & d'effroi ;
Tu l'emportes , cruelle , & mon coeur est à toi.
Unfeul de tes regards affure ta victoire ,
T'aimer eft ma vertu , t'enflammer eft ma gloire.
DE L'ESTIME DE SOI - MESME ,
Par M. de Baftide.
J'Entreprends de donner aux hommes
des leçons d'amour propre. Ce projet
paroîtra le fonge d'un jeune homme à qui
le coeur humain n'eft pas encore connu.
L'art de l'amour propre n'eft-il pas épuifé ?
J'aurois fait , à vingt ans , cette queſtion
qui ne peut être pardonnable qu'à cet âge ,
& qui , à trente , prouveroit une ame &
un efprit médiocres . L'amour propre eft un
être immenfe. Il a toute forte d'intérêts , de
prétentions , toute forte de droits ; il реце
donc avoir toute forte de formes . Il eft vifiblement
partout , car ilfe fait fentir dans tout
les hommes ont fait. C'eſt un acteur
public à qui chacun fait jouer un rôle différent
dont le but est le même. Semblable
à l'immortel Baron qui jouoit pour Pradon
& pour Racine ; mais avec cette différence
que Baron repréfentoit toujours fupérieuce
que
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
rement pour le Poëte admirable , comme
pour le verfificateur ridicule , & que l'art
de l'amour propre acteur dépend précifement
de l'efprit de celui qui lui donne un
rôle à jouer.
Rien n'eft fi néceffaire que de fentir
l'amour propre. Je le diftingue de l'orgueil
qui eft un vice de l'ame d'après lequel on
peut juger d'un homme & le méprifer. Je
parle de ce défir actif& délicat d'être cité ,
loué , récompenfé que l'on fent lorſqu'on
a mérité de l'etre . Ce défir a été la fource
de tout ce qu'il y a de bien dans le monde.
On fait bien à proportion qu'on le regarde
comme un premier moyen de bien faire.
Pour le fentir , il faut s'eftimer ce que l'on
vaut. Si l'on doute de fon mérite , on doutera
de fes reffources , on ne s'élevera jamais
que foiblement au- deffus du médiocre
; on travaillera , parce que l'efprit eft
un feu qu'il faut nourrir & qui fçait nous
y contraindre , mais ce fera avec beaucoup
moins de talent & beaucoup plus de peine,
& l'on ignorera qu'on peut très -bien faire
même après avoir très - bien fait .
L'avantage de fçavoir s'apprécier ne fe
borne pas au bien perfonnel ; il s'étend à
l'infini , il eft une fource d'avantages pour
la fociété, L'homme qui fçait ce qu'il vaut ,
devient extrêmement utile aux autres.
A OUST. 1755: 77
S'agit- il , par exemple , de donner un confeil
dans une occafion où l'on a pris de faufſes
meſures & à un efprit orgueilleux qui
ne veut pas fouffrir qu'on le défabuſe ? il
parle avec une fierté active qui déconcerte
l'orgueil aveugle ; il fe cite , parle de fes
lumieres , de fes fuccès , de fa réputation.
Il réuffit , il perfuade , mais c'eft furtout ,
au ton qu'il a pris qu'il doit fon fuccès . Ses
raifons toutes folides qu'elles étoient n'auroient
pas fuffi .
Cette façon de fe citer , de parler avantageufement
de foi , n'eft pas feulement
légitime ; les circonftances la rendent néceffaire.
Henri IV , alors fimplement roi
de Navarre , ayant à combattre une armée
puiffante , fort fupérieure en nombre à la
fienne , trouva , dans le bonheur d'avoir
fçu fe rendre juſtice , le moyen d'illuſtrer
à jamais fa petite troupe . Au moment de
l'action il fe tourna vers les princes de
Condé & de Soiffons , & , parlant d'un ton
affuré , je ne vous dirai rien autre chofe , leur
dit- il , finon que vous êtes de la maison de
Bourbon , & vive Dicu , je vous montrerai
que je fuis votre aîné. Son armée qui devoit
être taillée en pieces , fit des prodiges , &
fut victorieufe. Il eft aifé de fentir qu'elle
dut fa victoire à celui à qui elle devoit fon
grand courage.
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
Les hommes aiment à fentir l'admira
tion. Le mérite modefte ne l'infpira prefque
jamais. Cette admiration mene à tout
ceux qui la fentent & celui qui l'infpire ; il
faut donc y prétendre lorfqu'on doit efpérer
de la faire naître ; c'eſt un ſervice que
l'on rend aux hommes dont la gloire éclatante
pique l'émulation ; c'eft de plus une
juftice que l'on doit à foi - même , à fes
amis & à fes defcendans. Trop de modeftie
nuiroit à cette fage ambition . Pour la
faire naître en foi , ou du moins pour s'exciter
à en écouter les confeils & les infpirations
, il faut s'entretenir complaifamment
avec foi-même de ce que l'on vaut. Dès
qu'une fois l'on a fenti ce que l'on mérite ,
on fouhäitte bientôt de mériter encore d'avantage
, & ce fouhait conduit infenfiblement
aux grandes chofes dont on ne feroit
pas devenu capable fi l'on ne s'étoit rendu
compte de ce que l'on valoit.
L'orgueil tout méprifable qu'il eft , peut
rendre les mêmes fervices que l'amour propre
le plus refpectable. La plupart des hommes
célébres dans tous les genres , ont dû
à fon impulfion cette fureur de gloire qui
les a conduit à ce qu'on appelle vulgairement
l'immortalité. Mais fe regardera- t- on
comme grand tant que l'on ne pourra fe
flatter d'être l'exemple du fage , & jouira
A O UST. 1755 . 79
t-on bien paisiblement d'une gloire ufurpée
qu'on ne pourra s'empêcher de fentir qui
n'eft que l'effet de l'erreur des hommes ?
L'orgueilleux porte dans fon coeur fon juge
& fon châtiment. Il eft jaloux du vrai mérire
, il dévore la gloire des autres , il ne
jouit pas de la fienne , il fent qu'il n'en a
point. L'orgueil eft une ivreffe qu'une
cruelle agitation fuit toujours ; il nous
aveugle & nous cache la vraie valeur de
toutes chofes , il nous montre les autres
plus grands qu'ils ne font & nous montre
à nous- mêmes plus petits que nous ne
fommes , il nous réduit prefque à rien malgré
l'apparence , malgré l'éclat qui nous
environne dès qu'une fois il a ceffé de nous
empêcher de nous connoître.
L'orgueil eft l'abus de l'amour propre .
En s'y livrant , on peut faire une certaine
illufion & goûter un certain plaifir , mais
on vit intérieurement malheureux & l'on
eft toujours méprifable . Un fort bien différent
eft réſervé à celui qui en s'eftimant
n'abuſe point de l'opinion de fon mérite &
ne s'accorde que ce qui lui eft du. L'action
de fa vanité fe tourne en fentiment ; il
s'eftime avec fécurité parce que les louanges
fecretes qu'il fe donne , n'empruntent
rien d'un certain mépris pour les autres ,
ne le rendent ni vain ni jaloux , & font la
Div
82 MERCURE DE FRANCE.
le rifque d'eftimer les autres plus qu'ils ne
valent , ce qui eft d'une très - grande importance
dans le monde où il n'y a aucune
forte de vertu dont on ne cherche à abufer.
Quel avantage n'a pas fur vous l'homme
le plus médiocre s'il vous voit embarraffél
devant lui , foir dans une concurrence ,
foit dans un démêlé , foit dans une converfation
? C'eft prendre fon role & lui
céder le vôtre , vous pouviez être le facrificateur
, vous devenez la victime ; il abuſe
de votre modeftie qui l'aveugle après l'avoir
étonné ; la caufe de fon triomphe dif
paroît à fes yeux , fa fatuité fe fait honneur
des armes que vous lui avez fournies ;
il devient préfomptueux & infolent de
modefte qu'il eut peut-être été , & vous
devenez en quelque façon comptable de
tout le mal que fon orgueil va faire.
Il eft donc abfolument néceffaire de
s'apprécier ce que l'on vaut ; mais cela ne
fuffic pas ; il faut joindre à l'eftime de foimême
l'art d'augmenter celle des autres.
C'eft une fuite que nous donnerons le
mois prochain.
L'Epitre à Eglé par Mademoiſelle Loiſeau,
que nous avons inférée dans le Mercure de
Juillet , nous a été envoyée à l'infçu de l'auteur ;
c'est malgré fa modestie que cette piece a vu le
jour.
AOUST. 1735. 83
EPITRE
DE M. DE V ***.
En arrivant dans fa Terre près du Lac de
Geneve , en Mars 1755 .
O
Maifon d'Ariftippe ! ô jardins d'Epicure !
Vous qui me préſentez dans vos enclos divers ,
Ce qui fouvent manque à mes vers ,
Le mérite de l'art foumis à la nature.
Empire de Pomone & de Flore fâ foeur ,
Recevez votre poffeffeur ?
Qu'il foit ainfi que vous folitaire & tranquille.
Je ne me vante point d'avoir en cet azile
*
Rencontré le parfait bonheur ;
Il n'eſt point retiré dans le fonds d'un bocage ;
Il eft encor moins chez les Rois ;
Il n'eft pas même chez le fage :
De cette courte vie il n'eft point le partage ;
Il faut y renoncer : mais on peut quelquefois
Embraffer au moins fon image.
Que tout plaît en ces lieux à mes fens étonnés !
D'un tranquile Océan ( a) l'eau pure & transparente
Baigne les bords fleuris de ces champs fortunés ;
D'innombrables côtaux ces champs font couronnés
;
(a) Le lac de Geneve.
D vi
84 MERCURE DE FRANCE.
Bacchus les embellit : leur infenfible pente
Vous conduit par dégrez à ces monts fourcilleux (6)
Qui preffent les Enfers , & qui fendent les Cieux.
Le voilà ce Théâtre & de neige & de gloire ,
Eternel boulevard qui n'a point garenti
Des Lombards le beau territoire .
Voilà ces monts affreux célébrés dans l'hiſtoire ,
Ces monts qu'ont traversé par un vol fi hardi
Les Charles , les Ottons , Catinat & Conti
Sur les aîles de la victoire.
Au bord de cette mer où s'égarent mes yeux ,
Kipaille je te vois ; O ! bizarre Amedée ! (c )
De quel caprice ambitieux
Ton ame eft elle poffédée ?
Duc ,hermite , & voluptueux ,.
Ah ! pourquoi t'échapper de la douce carriere
Comment as- tu quitté ces bords délicieux ,
Ta cellule & ton vin , ta maîtreffe & tes jeux
Four aller difputer la barque de Saint Pierre ?
Dieux facrés du repos je n'en ferois pas tant ,
Et malgré les deux clefs dont la vertu nous frappe,
Si j'étois ainfi pénitent
Je ne voudrois point être Pape.
Que le chantre flatteur du Tiran des Romains
L'auteur harmonieux des douces géorgiques ,
(b) Les Alpes.
3
(c ) Le premier Duc de Savoye , Amédée , Pape
on Anti-Papeſous le nom de Felix
A O UST . 85 1755
Ne vante plus ces Lacs & leurs bords magnifiques ,
Ces Lacs que la Nature a creufés de fes mains
Dans les Campagnes italiques.
Mon Lac eft le premier. C'eft fur fes bords heu
reux
Qu'habite des humains la Déeffe éternelle ,
L'ame des grands travaux , l'objet des nobles voeux ,
Que tout mortel embraffe , ou defire , ou rappelle ,
Qui vit dans tous les coeurs , & dont le nom facré
Dans les cours des Tirans eft tout bas adoré ,
La Liberté. J'ai vu cette Déeffe altiere ,
Avec égalité répandant tous les biens ,
Defcendre de Morat en habit de guerriere ,
Les mains teintes du fang des fiers Autrichiens ,
Et de Charles le téméraire.
Devant elle on portoit ces piques & ces dards ,
On traînoit ces canons ces échelles fatales
Qu'elle - même brifa , quand fes mains triomphales.
De Genêve en danger deffendoient les remparts.
Un Peuple entier la fuit . Sa naïve allégreffe
Fait à tout l'Apennin répéter fes clameurs ;
Leurs fronts font couronnés de ces fleurs que la
Grece:
Aux champs de Marathon prodiguoit aux vainqueurs,
C'eſt-là leur Diadême ; ils en font plus de compte.
Que d'un cercle à fleurons de Marquis & de Comte,
Et de larges Mortiers à grands bords abattus ,
$ 6 MERCURE DE FRANCE.
Et de ces Mitres d'or aux deux fommets pointus.
On ne voit point ici la grandeur infultante
Portant de l'épaule au côté
Un ruban que la vanité
A tiffu de fa main brillante :
Ni la fortune infolente
Repouffant avec fierté
La priere humble & tremblante
De la trifte pauvreté.
On ne mépriſe point les travaux néceffaires :
Les états font égaux , & les hommes font freres
Liberté liberté ! ton trône eft dans ces lieux.
Rome depuis Brutus ne t'a jamais revûe .
Chez vingt peuples polis à peine es- tu connue.
Le Sarmate à cheval t'embraffe avec fureur ;
Mais le bourgeois à pied rampant dans l'eſclavage,
Te regarde , foupire & meurt dans la douleur.
L'Anglois pour te garder fignala fon courage ;
Mais on prétend qu'à Londre on te vend quelquefois.
Non , je ne le crois point ; ce peuple fier & fage
Te paya de fon fang , & foutiendra tes droits.
Aux marais du Batave on dit que tu chanceles ;
Tu peux te raffurer : la race des Naffaux ,
Qui dreffa fept autels ( d) à tes loix immortelles ,
Maintiendra de fes mains fideles ,
Et tes honneurs & tes faifceaux.
(d) L'union des fept Provinces.
AOUST. 1755. 87
Venife te conferve , & Genes t'a repriſe.
Tout à côté du trône à Stockholm on t’a miſe ;
Un fibeau voisinage eft fouvent dangereux.
Préfide à tout état où la Loi t'autorife ,
Et reftes-y fi tu le peux.
Ne va plus fous le nom & de Ligue & de Fronde ,
Protectrice funefte , en nouveautés féconde ,
Troubler les jours brillans d'un Peuple de vainqueurs
Gouverné par les loix , plus encore par les moeurs :
Il chérit la grandeur fuprême .
Qu'a-t-il befoin de tes faveurs
Quand fon joug eft fi doux qu'on le prend pour
toi-même ?
Dans le vafte Orient ton fort n'eft pas fi beau.
Aux murs de Conftantin tremblante conſternée ,
Sous les pieds d'un Vifir tu languis enchaînée
Entre le fabre & le cordeau.
Chez tous les Lévantins tu perdis ton chapeau .
Que celui du grand Tell ( e) orne en ces lieux ta
tête.
Defcends dans mes foyers en tes beaux jours de fête;
Viens m'y faire un deftin nouveau.
Embellis ma retraite où l'amitié t'appelle :
Sur de fimples gazons viens t'affeoir avec elle :
Elle fuit comme toi les vanités des Cours ,
Les cabales du monde & fon regne frivole.
O mes Divinités vous êtes mon recours ,
(e) L'Auteur de la liberté Helvétique .
88 MERCURE DE FRANCE.
L'une éleve mon ame & l'autre la confole ,
Préfidez à mes derniers jours !
LEE mot de l'Enigme du Mercure de Juillet
eft Oifean . Celui du Logogryphe eſt
Conftantinople , dans lequel on trouve Nanres,
Naples , Nole , Pife , nains , Pictes , Pan,
canon , cannes , Nil , S. Jean , Lia , Pline ,
lion , Cinna , tifon , océan , none , plane, ton-
`tine , capitole ; Tinto , Latone , Nonce , Platon
, Efon , Conon , Caton.
J
ENIGM E.
E dois & mon être & mon prix.
Au caprice éclairé de quelques beaux efprits
Dont la fçavante politique
Me donna tout d'abord un pouvoir chimérique¿
Auquel tout homme s'eft foumis .
J'ai bien des foeurs encor de la même fabrique ,
Mais très-peu d'entre nous font entendre leurs
voix.
·
Les autres de moindre importance
N'empruntent que de nous leur valeur & leur
5 poids ,
Et fans nous reſteroient dans un profond filence,
A O UST. 89 1755 .
Je fuis pourtant muette en France ;
Mais enfin on ne peut , ni s'y paffer de moi ,
Ni fans moi finir nulle affaire.
Pour le peuple je fuis doublernent néceflaire ,
Mais je ne fuis aux grands d'aucune utilité ;
Je termine la vie ainfi qu'un fimple ſonge ,
Et malheureuſement je me prête au menfonge
Auffi- bien qu'à la vérité :
Au refte , quoique l'on en dife ,
Je m'établis dans Rome & préfide à l'Eglife :
Mais aux yeux
de celui qui me connoît à fonds
Je n'ai point d'autre rang dans le chriftianiſme
Que dans le paganiſme ,
Et tous mes droits ne font que des conventions.
Lecteur , fi cette Enigme à tes yeux eft obfcure,
Pour finir l'embarras où je puis t'avoir mis ,
Tu trouveras le mot à la fin du Mercure ,
Si l'Imprimeur n'a rien omis.
LOGOGRYPHE.
E porte moire ,
Je porte poire ,
Je porte mal ,
Je porte pal ,
Je porte lie ,
Je porte Pie ,
Je porte ma >
90 MERCURE DE FRANCE.
Je porte la ,
Je porte pire ,
Je porte lire ,
Je porte Roi ,
Je porte loi ,
Je porte pore ,
Je porte more ,
Je porte pair
Je porte mer ,
>
1
Je porte rame ,
Je porte l'ame ,
Je porte ré ,
Je porte pré ,
Je porte rimė ,
Je porte lime ,
Par M. Troy , Bénéficier de la
Cathédrale de Sarlat.
Q
ENIGM E.
Ui fçait fi morts ou vifs nous fortons de nos
Avant que
meres.
d'être nés nous fommes au berceau ;
Mais plutôt en naiffant nous entrons au tombeau
,
Où l'on fçait par un art animer nos arteres.
Souvent l'homme fait naître , & fait mourir nos
freres.
*
A OUST. 1755. 91
Par nos propres arrêts nous montons au poteau;
Cependant on nous fait périr par le couteau ;
Ainfi les mêmes font nos meurtriers , nos peres.
Nous fommes dans la nuit de fort juftes quadrans.
Souvent nous nous trouvons à la table des grands
Et nous nous dépouillons fouvent au lit des Dames
.
Quand nous naiffons on chante , & quand nous
femmes morts
On fait un feu de joie , & là parmi les flammes
Tout à la fois on noie & l'on brûle nos corps .
D. L. V. d'Allanche, petite ville de la
haute Auvergne , près le Cantal.
LOGOGRYPHE.
PLus folide cent fois que le marbre & l'airain ;
Que la rigueur du tems vient à bout de détruire ,
Sur moi fes coups font faux , & fon pouvoir eft
vain ,
Je ris de ſes efforts , & brave fon empire.
Je fuis connu de tous , & j'habite en tous lieux :
A l'efprit des humains je dois mon origine ,
Mais elle eft fouvent fi divine,
Que l'on me croit forti des Dieux.
Je trace du fçavoir la route la plus fûre :
De rayons éclatans je remplis la nature.
92 MERCURE DE FRANCE,
Je réforme les moeurs , & j'affermis les loix,
J'unis en paroiffant fous différentes formes
De grandes vérités & des erreurs énormes.
Je fers à différens emplois.
Autrefois je coutois des travaux & des peines ;
Maintenant chaque jour me produit par centai
nes.
Je n'ai pas , il eft vrai , toujours même fuccès.
Et fouvent en naiffant on me fait mon procès.
A des traits fi frappans peut - on me méconnoître
Hé ! Lecteur , tu me tiens peut- être.
Cinq pieds forment mon tout , & je t'offre d'a
bord
Un lieu voifin de l'eau , fynonime de bord.
Cet inftrument vanté , dont la douce harmonię
Sçut attendrir Pluton , & du fein des enfers
Arracher Euridice , & lui rendre la vie ,
En brifant fes horribles fers.
Ce qu'à fe conferver chacun ici s'applique s
La tribu confacrée au fervice divin ;
L'effet que cauſe en nous l'affreux excès du vin;
Plus une note de mufique ;
'A plus d'un Carpillon ce qui donne la mort.
De l'ame dérangée un criminel tranſport.
Du peuple le plus bas l'Epithete ordinaire ;
Après le vin ce qui refte au tonneau ;
Un lieu tout environné d'eau ;
Mais j'apperçois , Lecteur , qu'il eft tems de me
taire,
Par T. P. de Paris.
ཝི
VAUDEVILLE
Parmy nous la simple na :
m
ture Donne des loix etnous u =
nitL'on y meconnoit l'impos
= ture Et toutperfide en estpros
M
critFuyez Amants dont le lan
gage Nexprimepoint laverite
refrain
Les coeursque chez nous on en
gage Sontfaitspourla fidelite
Aoust 1755.
A O UST. 1755 . 91
VAUDEVILLE
De l'ordre de la Fidélité.
Parmi nous la fimple nature
Donne des loix , & nous unit.
On y méconnoit l'impofture ,
Et tout perfide en eft profcrit.
Fuyez , amants , dont le langage
N'exprime point la vérité,
Les coeurs , que chez nous on engage,
Sont faits pour la fidélité.
餾
Etre tendre , difcret , fincere ,
Toujours s'obliger , fe chérir ,
S'entredonner le nom de frere ,
Se voir fouvent avec plaifir ;
Chez nous , ces vertus admirables
S'uniffent à la volupté :
Et près de nos foeurs adorables ,
Nous goûtons la fidélité.
Tout frere fe fait un fyftême
D'aller toujours droit en amour ♦
Il faut , près de l'objet qu'il aime ,
Qu'il foit attentif nuit & jour.
Il ne faut jamais qu'il ſe vante
= Quand il veut en êtré écouté ,
Il eft un cas où ſon amante
Juge de fa fidélité.
94 MERCURE DE FRANCE.
Quand on entend la tourterelle
Gémir triftement dans les bois :
C'eft fon tourtereau qu'elle appelle ,
Et qui s'attendrit à ſa voix.
Près de fa plaintive maîtreffe
Il vole avec rapidité :
Mille preuves de fa tendreffe
Affurent fa fidélité .
Près du berger le chien timide.
Dans les dangers peut tout prévoir ;
L'inſtinct qui l'éclaire & le guide
Le rend efclave du devoir,
Sur fon exacte vigilance ,
Berger , dormez en fûreté .
On doit bannir la méfiance
Où veille la fidélité.
#
Vous qui faites couler nos larmes
En nous traitant avec rigueur ,
Belles , que vous fervent vos charmes,
S'ils ne caufent que la douleur.
Quand on plaît il faut être tendre ;
Et c'eft un bien que la beâuté.
Ah ! que ne pouvez-vous comprendre
Combien vaut la fidélité ?
La Mufique eft de M. Daveſne.
Les paroles de M. Demontrofy.
AOUST. 1755. 95
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
Difcours que M. P *** a envoyé à la Société
royale & littéraire de Nancy , lorsque Sa
Majefté le roi Stanislas lui a fait l'honneur
de le nommer pour y remplir une place d'affocié
étranger.
Cdeux
Omme ce difcours m'a paru réunir
deux objets intéreffans , l'agréable &
l'utile ; les belles- lettres & les financès : j'ai
engagé l'auteur , qui cultive les unes par
goût , en travaillant pour les autres par état,
à me permettre de l'inférer ici.
MESSIEURS
-Le premier fentiment que l'on éprouve
lorfqu'on reçoit une grace que l'on defiroit
ardemment , fans ofer y prétendre , c'eſt
un fentiment de furpriſe & de joye , de
vanité même , qui ne permet guerres de
réfléchir fur les nouveaux devoirs que cette
grace impofe : plus on eft occupé , rempli,
pénétré du bienfait , moins on apperçoit la
difficulté de le reconnoître & de le méri96
MERCURE DE FRANCE .
ter ; mais la réflexion ne tarde pas à nous
découvrir toute l'étendue de nos engagemens
; l'illufion de ce que l'on croyoit
valoir , fait place à la véritable connoiſſance
de ce que l'on vaut ; l'enchantement
difparoît , & l'on ne voit plus qu'une dette
dont on défefpere pouvoir jamais s'acquitter.
Tel étoit , Meffieurs , mon raviffement ,
lorfque vous m'avez fait l'honneur de
m'affocier à vos travaux , tel eft aujourd'hui
mon embarras , pour juftifier votre
choix : mon unique reffource , eft la même
indulgence qui m'a valu vos bontés : elle
voudra bien , fans doute , en me rendant
juftice fur le fentiment , me faire grace fur
l'expreffion , & ne point juger de la vivacité
de ma reconnoiffance , par la foibleffe
de mon remerciement.
Il eft , Meffieurs , des talens que l'on n'a
plus qu'à récompenfer ; il en eft qu'il faut
aider , animer , encourager ; les uns , font
des fruits qui ont acquis leur maturité ,
vous n'avez qu'à les cueillir ; les autres
font des fleurs , qui peuvent un jour devenir
des fruits ; mais enfin , ce font encore
des fleurs, & qui par cette raifon , méritent
toutes fortes de ménagemens.
Ce que vous avez fait , Meffieurs , pour
couronner le mérite décidé des hommes
illuftres
A O UST. 1755. 97
黎
illuftres que vous avez fucceffivement affociés
à votre gloire , vous avez cru devoir
le faire pour m'exciter à marcher fur leurs
pas ; ces intentions , quoique différentes ,
concourent au même objet , c'eft à moi de
ne les pas confondre , & de chercher à
mériter par mes efforts , ce que d'autres
avoient fi légitimement acquis par leurs
fuccès.
Que pourrois-je faire de mieux pour les
imiter , que de travailler à réunir dans mes
occupations l'aimable & l'utile , comme on
voit chez vous , Meffieurs , les agrémens
affociés à la folidité ? Le goût des belleslettres
que j'ai cultivées dès mon enfance ,
ne m'a point empêché de me livrer férieufement
aux études particulieres à mon état;
& ces études , à leur tour , n'ont point al-.
téré le goût des connoiffances propres à la
littérature j'ofe au contraire efpérer , que
le concours de tous les deux , ne fera qu'accélérer
& perfectionner l'exécution du plan
que j'ai formé d'un Dictionnaire général
des finances qui manque à la nation.
Les idées philofophiques , dont les fiecles
futurs auront obligation à celui- ci , font
enfin parvenues à faire envifager comme
un objet intéreffant pour la faine politique
, & pour la véritable philofophie , ce
que la cupidité feule enviſageoit aupara-
E
98 MERCURE DE FRANCE.
vant comme un objet d'intérêt ( ce mot
pris dans le fens le moins noble , le moins
eftimable , & le plus borné pour l'ufage &
pour le citoyen. )
le
Et quelle matiere méritoit mieux d'être
affujettie à des principes fûrs , à des regles
conftantes , à des loix judicieufes que
commerce & lesfinances qui tiennent à tout ,
qui font tout fubfifter , &
& que l'on peut
confidérer à la fois , comme la bafe & le
comble de ce grand & fuperbe édifice que
l'on nomme gouvernement? Cet inftant de
lumiere , eft donc à tous égards , le moment
fait pour rendre à mon état toute
l'équité , toute la clarté , toute la dignité ,
dont je le crois fufceptible.
pa- Si je vous entretiens, Meffieurs , d'un
reil projet, fi dans le fanctuaire des Mufes ,
j'ofe vous parler de la finance , & de ce qui
l'intéreffe , c'eft que je ne crois rien d'étranger
à ceux qui penfent ; c'eft que je
fuis infiniment perfuadé que le goût des
arts agréables , n'eft point incompatible
avec les plus grandes vûes ; & je vous avouerai
, Meffieurs , que j'ai befoin de cette
idée , pour me foutenir dans la carriere oùje
fuis entré ; mais quel intervalle immenfe
à parcourir , depuis cette idée , jufqu'aux
chofes qui peuvent la réaliſer en moi ,
comme elle exiſte au milieu de vous !
AOUST. 1755 . 99
Cette réflexion qui n'eft que trop bien
fondée , m'empêchera - t- elle de vous faire
part de quelques obfervations , que vos
écrits , Meffieurs , démontrent encore
mieux que mes raiſonnemens ?
J'ofe donc avancer d'après vous - même ,
( pourrois-je choifir une preuve plus chere
& plus convainquante ? ) j'ofe avancer que
le goût , que la poffeffion , que la culture
des talens agréables , n'excluent point les
talens utiles , qu'ils font faits pour fe réunir
& pour opérer de concert , la gloire &
le bonheur de l'humanité ; fi l'on affecte
fouvent de les divifer , fi les efprits faux
ou bornés s'attachent à féparer ces deux
idées faites aller enfemble , ce ne peut
être que l'effet de la jaloufie des uns , &
de la foibleffe des autres ; de la foibleſſe de ;
ceux qui écrivent , & de la jaloufie de ceux
qui jugent : les uns ne fçauroient confentir
á réunir fur la tête d'un feul homme"
tant de couronnes à la fois , les autres ne'
travaillent point affez pour les raffembler .
pour
Permettez- moi , Meffieurs , que je réclame
contre ces deux abus , la juſteſſe &
la juftice qui devroient toujours préfider
fur les écrivains , & fur ceux qui les jugent.
Jufteffe , de la part de ceux qui décident,
pour ne point fe méprendre fur les chofes
qui font différentes fans être contraires ;
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
l'homme de lettres , par exemple , & l'homme
d'état font différens , mais ils ne font
pas oppofés.
De la part des écrivains , pour ne pasconfondre
l'acceffoire & le principal , pour
ne pas s'appefantir dans un ouvrage d'agrémens
fur des idées rebutantes , par leur
gravité , & pour ne point avilir un écrit
férieux par des agrémens trop légers , trop
frivoles , & trop recherchés.
Juftice de la part de ceux qui jugent ,
pour ne point refufer leur fuffrage aux
graces, qui décorent un homme d'état ,
parce que la gravité doit être , & fait effentiellement
, le fonds de fes ouvrages ;
pour ne point enlever à l'homme agréable
la faculté de penfer , de réfléchir & de raifonner
, parce qu'il eft fur- tout de fon effence
de chercher à plaire & d'y réuffir .
&
De la part des écrivains , juftice égale ,
pour n'efpérer & n'éxiger , felon les différens
genres dans lefquels ils s'exercent particulierement
, que la couronne qui leur
eft fingulierement dûe , pour ne point trouver
injufte & déplacé que le laurier domine
dans celles deftinées aux ouvrages
férieux , & les fleurs dans celles que l'on
accorde aux écrits agréables .
Mais le dirai - je ? il femble que le public
ait réglé le partage de l'eftime & de la
A O UST. 1755. IOI
confidération , de maniere à ne pas fouffrir
que le même écrivain acquierre plus
d'une forte de gloire ; & de leur côté les
écrivains fe font négligés fur les moyens
de ramener au vrai ceux qui les jugent.
On voit , en effet , trop fouvent que les
auteurs qu'un génie riant & leger , rend
facilement créateurs des plus féduifantes
bagatelles , n'ont point le courage de s'élever
jufqu'aux chofes qui pourroient rendre
leurs agrémens même profitables à la
fociété ; tandis que les citoyens nés pour
des objets férieux , croiroient defcendre
, & s'avilir , s'ils ornoient des fonds
intéreffans mais graves de cette forme
enchantereffe qui peut affurer le progrès
des plus fublimes vérités.
Qu'ils le rapprochent , qu'ils fe raffemblent,
& fe concilient , ils entraîneront tous
les fuffrages , parce qu'ils réuniront toutes
les fortes de perfections ; ils deviendront
chaque jour une nouvelle preuve que le
goût des arts agréables , n'eft point incompatible
avec les plus grandes vûes.
Cette vérité fi confolante pour les talens
& fi defefperante pour l'envie , eft portée
jufqu'à la démonftration par une foule
d'exemples qui ne laiffent que l'embarras
du choix.
Si je remontois jufqu'à ceux que fournit
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
la plus célébre antiquité , je ne les rappellerois
, Meffieurs , que pour les comparer
à ceux dont vous avez le bonheur d'être
ici les témoins .
Je ne vous peindrois Alexandre écoutant
les leçons d'Ariftote , s'amufant avec
Appelle , rendant au Prince des Poëtes un
culte prefque religieux , que pour vous
rappeller tout ce qu'a fait en faveur des
talens & de ceux qui les cultivent , votre
augufte fondateur , mille fois plus grand
par la modération que le fils de Philippe
le fut par fes conquêtes .
Je ne vous parlerois de Céfar , écrivant
lui - même fon hiftoire , avec autant de
feu , de nobleffe & de vérité qu'il en avoit
mis dans fes operations , mais avec autant
de modeftie que s'il n'en étoit pas le héros
, que pour vous parler de celui qui
vous a raffemblés & qui joint a l'avantage
fi peu commun d'être à la fois l'ami , le
protecteur & le favori des Mufes , cette
gloire encore plus grande de vouloir en
même tems qu'il nous éclaire , nous cacher
le flambeau qui nous conduit .
Je ne vous ferois voir Augufte accueillant
Homere & Virgile ; Scipion donnant à
Térence des confeils qu'il auroit pû luimême
exécuter ; Marc Aurele écrivant
pour l'humanité des maximes qu'il accréA
O UST. 1755. 103
ditoit par fa vertu , que pour vous retracer
l'image du Prince philofophe , du
Roi citoyen , du Monarque éclairé , qui
ne dédaigne pas d'exciter , d'animer , d`encourager
par fes leçons , par fes exemples
& par fes bienfaits les talens & les arts
même agréables au milieu de ces utiles , &
magnifiques établiffemens dans lefquels
fe peignent d'une maniere fi frappante ,
la bonté de fon coeur , l'élévation de fon
ame , & les reffources de fon efprit , établiffemens
qui lui garantiffent l'amour de
fes fujets , & qui lui donnent les droits
les mieux établis fur l'admiration & la
reconnoiffance de leur poftérité .
Un modele auffi grand , auffi cher , auſſi
frappant ne pouvoit qu'enfanter tout ce
qu'il a produit ; c'eft un aftre dont les
heureufes influences fertilifent tout ce qui
l'environne. Vous devrez , Meffieurs , à
ce Mécene couronné les ouvrages que vous
infpirera le defir de lui plaire , & de juftifier
votre adoption ; comme il vous doit
la douceur & l'avantage d'avoir trouvé les
fujets les plus fufceptibles de fes impreffions
, les plus dignes de fes bienfaits , &
les plus capables de répondre à fes vûes.
Eft-il une de fes vertus qui ne fe retrace
dans ceux qu'il a choifis pour former
cette Académie , & dont yous ne faffiez
E iiij
104 MERCURE DE FRANCE .
jouir à chaque inftant la bonté royale &
paternelle qui vous a raffemblés ?
Sa piété fincere éclairée fans oftentation
& fans fafte , également éloignée de la
fuperftition & de la témérité , ne fe retrace-
t- elle pas dans ces Prélats refpectables ,
qui ne dédaignent pas de venir prendre
chez les talens & les arts tout ce qui peut
orner la raifon & la vertu . Dans ces Miniftres
de la religion qui viennent puifer
dans vos affemblées cette éloquence douce
& perfuafive , qui pour corriger l'homme
fe prête aux foibleffes de l'humanité , femblables
à ces héros de l'Hiftoire fainte ,
qui ne rougiffoient point de faire fervir
les vafes profanes enlevés des temples des
faux Dieux pour en faire des vafes facrés
dans le temple de l'Eternel .
Le courage de ce Monarque qui doit
vous paroître encore plus grand , plus refpectable
par les conquêtes qu'il a dédaignées
, que par celles qu'il avoit déja faites
, & qu'il auroit pu faire encore , ne l'a
point éloigné des fciences & des arts dont
les grands Rois font les protecteurs nés ,
& le plus ferme appui ; il a même ofé cultiver
de fes propres mains la terre qu'il defiroit
enrichir & fertilifer ; il n'a pas cru
qu'il fut indigne des héros d'étudier les
talens qui font faits pour les célébrer ; &
A OUS T. 1755. 105
>
c'est à fon exemple que vous devez , Melfieurs
, parmi vous , ces guerriers moins
illuftres encore par un grand nom que par
des lumieres fupérieures & diftinguées
qui joignent aux lauriers de Bellone &
de Mars ceux de Minerve & d'Apollon .
Pardonnez - moi , Meffieurs , ces expreffions
, celles de la poëfie font excufables ,
même en profe , lorfque l'on a beſoin de
tout pour bien peindre ce que l'on fent.
Si des vertus militaires nous paffons
aux vertus civiles & pacifiques , l'efprit
de juftice & d'équité qui conduit votre
illuftre fondateur dans tout ce qu'il dit ,
dans tout ce qu'il fait pour les chofes mêmes
dans lefquelles les régles de la Jurif
prudence font place à d'autres loix , fe retrace
dans les Magiftrats intégres , éclairés
, qui jugent parmi vous les ouvrages
d'efprit avec autant de connoiffance &
d'impartialité , qu'ils décident dans les
tribunaux les conteftations des particuliers.
Chacun de vous en un mot , juftifie les
motifs & l'objet de fon adoption , & tous
enfemble font l'éloge d'un établiſſement
qui multiplie & perpétue les modeles des
belles lettres & des bonnes moeurs , du
bon efprit & du bon goût. Le tribut que
je leur paye en parlant de vous , me ra-
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
mene à mon infuffifance , & me fait d'autant
plus vivement fentir mon infériorité ;
mais le plaifir de vous rendre hommage
efface , ou du moins diminue le regret de
ne pouvoir pas vous égaler.
I
OBSERVATIONS
Sur le Dictionnaire des Poftes.
Ly a long-tems que l'on fe récrie fur
le nombre des Dictionnaires ; mais celui
des Poftes que M. Guyot vient de donner
au Public , manquoit réellement à un
royaume auffi floriffant que celui de France.
Les perfonnes qui font par état dans
des correfpondances étendues , formoient
depuis long-tems des voeux pour un pareil
ouvrage ; il ne pouvoit être entrepris par
un Ecrivain plus compétent que M. Guyot;
fes talens , & l'emploi qu'il occupe , l'ont
mis dans le cas de porter bien loin fes
connoiffances à cet égard ; & fi le public
ne fe trouve pas entierement fatisfait dans
cette premiere édition par le grand nom
bre de Paroiffes obmifes ou mal indiquées,
il n'en rend pas moins de très - humbles
graces à l'Auteur , puifque perfonne ne
pouvoit être plus exact que lui en prenant
la voie qu'il a prife ; & c'eſt par la conA
O UST. 3755. 107
fiance où nous fommes qu'il voudra bien
continuer fon zéle pour la perfection d'un
ouvrage auffi utile , que nous nous fommes
déterminés à faire quelques obſervatoins
pour une petite partie du bas Armagnac
, où nous avons trouvé les Paroiffes
fuivantes obmifes.
Brimont par Agen.
Bequin par le port Sainte-Marie.
Bonrencontre par Agen.
Belbeze par Baumont de Loumagne.
Cafteraroux ,
Caftera-Lectoure ,
par Lectoure
.
Caumont par Caftelfarafin.
Fails ,
Goulens , par Agen.
Glatens par Baumont de Loumagne.
Leyrac ,
Lamonjoye
, } par Agen.
?
Lafite par Baumont de Loumagne .
Montefquieu par Agen .
Marfac par Saint-Clar .
Marignac par Baumont de Loumagne.
Pachas par Agen ,
Poupas par Saint-Clar.
Pergan par Agen ,
Saint-Nicolas-de- la-Balerme par Lafpeyres.
Sérignac par Baumont de Loumagne .
E vj
108 MERCURE DE FRANCE .
Sainte - Radegonde par Loumagne.
Saint-Jean du Bouzet par Valence.
Saint -Martin de la Saoumetes par Saint-
Clar.
Ce n'eft que dans l'étendue de quatre à
cinq lieues que nous nous fommes fixés
feulement dans cette partie du bas Armagnac
, car nous euffions pû fournir un
très- grand nombre d'autres Paroiffes obmis
en nous éloignant davantage ; mais
notre but n'eft que de faire voir combien
ce dictionnaire feroit fufceptible d'augmentation
, fi M. Guyot pouvoit recueillir
des mémoires exacts. La chofe nous
paroît facile dans l'emploi qu'il occupe ,
vû la façon généreufe avec laquelle MM .
les Adminiſtrateurs des Poftes fe font prêtés
pour le débit de cet ouvrage d'ailleurs
pour accélérer la perfection de ce dictionnaire
, nous penfons que l'Auteur devroit
s'écarter du plan qu'il s'eft formé d'indiquer
le bureau de Pofte le plus prochain
du lieu de l'adreffe des lettres ; car il s'enfuivroit
toujours des erreurs confidérables
, puifque c'eft fouvent le commerce
& la beauté des chemins qu'il y a d'un
lieu à l'autre qui détermine les petites villes
, Paroiffes , & c. d'envoyer leurs porteurs
au bureau de Pofte plutôt qu'à un
autre quelquefois moins éloigné ; & lorf
AOUS T. 1755. 109
que
les lettres d'une Paroiffe ne font pas
indiquées pour le bureau où va fon porteur
ou meſſager , elles retardent confidérablement
, & s'égarent même très -fouvent
comme l'expérience de chaque jour le juſtifie.
Il paroît donc effentiel que pour parvenir
au but que s'eft propofé M. Guyot dans
cet ouvrage , qu'il fuivit une autre route ,
fans quoi il reftera toujours une bonne
partie des inconvéniens qu'il voudroit
éviter ; ce qui nous le prouve , c'eſt le
grand nombre de Paroiffes mal indiquées
dans ce dictionnaire , & qui monteroit à
plus de quatre cens fi nous voulions mettre
ici ce que nous fçavons par nous- mêmes
de différentes Provinces ; mais bornons
- nous toujours à notre petite partie
du bas Armagnac de quatre ou cinq lieues
de contour.
Baumont,
Auvillar eft mis par Auch,
La
Chapelle par
Manfonville par Lectoure ,
S. Anthoine par Baumont ,
Bardiques par idem ,
Flamarens par Lectoure ,
S. Michel par Mirande ,
Amans par Condom ,
Cuq par Saint-Clar ,
Mettez Valence
d'Agenois
, qui eft
le bureau de
poſte par où
ces Paroiffes
reçoivent
leurs lettres.
Mettez Agen
110 MERCURE DE FRANCE .
S. Médard par Mirande ,
Rouillac par Lectoure ,
Moirax par Baumont ,
Aubiac
Eftillac
par
idem .
Montaignac par Nerac ,
S. Avit
て
Ste Mere
Mettez Agen.
par Baumont , Mettez Lec-
Miradoux par Saint-Clair ,
toure .
Montgaillard
Mettez Saint-
Avezan
par Auch
'S Clar.
Lamothe Cumont par Mettez Baumont
Grenade ,
S de Loumagne.
Brive-Caftel
Maumuffon
Cumont }
par Auch ,
›}p
par idem.
Dans le nombre des Paroiffes ci- deffus
il y en a de fi malin diquées , que nous ne
pouvons comprendre comment on a pu n'en
être point frappé ; par exemple, Auvilar eft
à fix lieues d'Auch , & n'eft qu'à un quart
de lieue de Valence ; Saint- Avit eft à cinq
lieues de Baumont , & n'eft qu'à un quart
de Lectoure ; Aubiac , Eftillac font à fept
lieues de Baumont , & d'Agen il n'y a
que demi-lieue , ainfi de nombre d'autres
Paroiffes & comme M. Guyot annonce
qu'il indique le bureau le plus prochain
:
A O UST. 1755. III
pour la remife des lettres , on feroit avec
confiance induit à erreur , fi on fuivoit ces
articles de fon dictionnaire .
Il nous a encore paru que l'on déplaçoit
le nom de certaines Paroiffes en partageant
leurs fyllables ; par exemples Laplume
, Lafpeyres , font mifes à la lettre P ,
Lamagiftere à la lettre M , ainfi que beaucoup
d'autres ; nous avons toujours penfé
que les fyllables des noms propres ne fe
partageoient point , & que dans ceux- ci
la fyllable La fait partie des noms de Laplume
, Lafpeyres , &c. ainſi qu'ils devoient
être mis à la lettre L , & nous doutons
que fur mille perfonnes il s'en trouvât dix
qui cherchant le mot Lafpeyres , fuffent à
la lettre P. Ce qu'il y a d'étonnant , c'eſt
que cette diftinction ne fe trouve pas généralement
dans ce dictionnaire ; car Lachauffade
, Lachaux , Lacollencelle , Leclufeau
, &c. font tous mis à la lettre L' , où
la fyllable la fe trouve la même qu'à Laplume.
Nous finirons ces obfervations en indiquant
un moyen qui nous a paru aifé pour
parvenir tout d'un coup à la perfection
de ce dictionnaire , c'eft de prier MM. les
Evêques de vouloir bien donner le nom
des Paroiffes , Abbayes , &c. de leur Diocefe
, & le bureau de Pofte par lequel
111 MERCURE DE FRANCE .
elles reçoivent leurs lettres ; & comme ils
font pleins de zéle pour le bien public ,
on fe flate qu'ils fe prêteront avec complaifance
aux defirs de M. Guyot , ils
pourront avec une facilité étonnante remplir
cet objet , en donnant leurs ordres à
leurs Archiprêtres , ceux - ci aux Curés de
leur diftrict , & par ce moyen on fçauroit
des Curés des Paroiffes de chaque Dioceſe
le bureau de pofte par où ils reçoivent
leurs lettres ; ces mémoires recueillis formeroient
un ouvrage parfait à la premicre
édition.
Cette voie nous a paru préférable à tous
les moyens que l'on pourroit mettre en
ufage , même à celle de MM . les Intendans
, parce que leur Généralité trop étendue
pour un pareil détail occafionneroit
des confufions entre les Subdélégués . Nous
efperons que M. Guyot ne prendra pas en
mauvaife part ces petites obfervations ;
comme bons patriotes , nous défirerions
qu'elles puffent être de quelque utilité ,
car nous regardons ce Dictionnaire des
Poftes comme un ouvrage précieux pour
tous les états , & fur-tout pour le commerce
qui eft la principale fource de la
richeffe du Royaume.
A Rouillac , ce 29 Juin 1755..
"
AOUST. 1755. 113
REFLEXIONS CRITIQUES fur la
méthode publiée par M. l'Abbé de Villefroy
pour l'explication de l'Ecriture fainte,
adreffées aux auteurs des principes difcutés
, pour faciliter l'intelligence des livres
prophétiques : Ouvrage utile pour l'étude
des livres facrés. A Cologne , & fe trouve
à Paris , chez Guillyn , Libraire , quai des
Auguftins , du côté du pont S. Michel . In-
12 , de 172 pag.
Les principes que M. l'Abbé Villefroy
a prétendu établir pour l'explication des
livres prophétiques , étoient par leur fingularité
de nature à lui fufciter des adverfaires
qui ne fe borneroient point à en
contefter la folidité , mais iroient jufqu'à
les taxer de témérité dans l'application
qu'il en a faite : C'eft ce qui n'a pas manqué
d'arriver . M. Dupuy , auteur de ces
Réflexions critiques , à été un de ceux qui
fe font mis fur les rangs , pour combattre
la nouvelle méthode expofée par M. de
Villefroy dans des Lettres à fes Eleves qu'il
publia en 1751. Notre auteur fit imprimer
à ce fujet une lettre qui parut dans
le Journal de Verdun , Août & Septembre.
Après y avoir examiné attentivement le
fyfteme , que cette méthode avoit enfanté
, il penfa être en droit de qualifier
d'arbitraires , d'inutiles , & même de dan
14 MERCURE DE FRANCE.
gereux les moyens dont on s'étoit fervi
pour l'appuyer. Il difcuta les raiſons fur
lefquelles il fondoit fa critique , cependant
il eut foin de diftinguer les conféquences
fâcheufes que ce fyftême entraînoit néceffairement
après lui des motifs qui l'avoient
fait naître. Il rendit toute la juftice dûe à
la piété & à la droiture des intentions de
M. de Villefroy , qui n'avoient fans doute
point de part aux écarts de fon imagination
: néanmoins cette critique touchoit
trop au fond de fa méthode favorite pour
ne pas mériter une réponſe de lui- même ,
ou de quelques - uns de fes éleves. C'eſt
ce que les PP . Capucins qui fe font honneur
de porter ce nom , ont exécuté dans
un ouvrage que nous avons annoncé au
mois de Janvier , où ils foutiennent avec
chaleur les principes de leur Maître , &
emploient toutes les forces de leur érudi
tion à les préfenter fous l'afpect le plus
favorable . Il feroit feulement à defirer
qu'ils fe fuffent appliqués à réfuter la lettre
de M. Dupuy , fans fortir des bornes
de la modération , à laquelle l'équité naturelle
nous engage . Notre auteur a cru
en conféquence qu'il ne pouvoit fe difpenfer
de repliquer , de peur que
fon filence
ne leur fournit le fujet d'un triom
phe imaginaire . C'eft pour le tirer de cette
A O UST. 1755. TIS
penfée qu'il leur adreffe à eux- mêmes ces
Réflexions critiques , écrites en forme de
lettres qui font au nombre de huit. Il agit
avec d'autant plus de confiance dans la
caufe qu'il défend , que c'est moins la
fienne propre qu'il plaide que la caufe de
tous les interprêtes de l'Ecriture fainte généralement
eftimés , qui ont tenu une
route totalement oppofée à celle que M.
de Villefroy & fes éleves fuivent dans
l'objet de leur travail . Comme on l'avoit
recufé de n'être pas exempt des fautes qu'il
réprochoit aux autres , il commence par fe
juftifier de cette accufation , & ruine tout
ce qui peut avoir donné lieu à de fauffes
imputations. Après s'être tenu fur la défenfive
, il attaque à fon tour , & pourfuit
les auteurs de la Nouvelle Harmonie
prophétique à travers l'obfcurité des Termes
énigmatiques dans lefquels ils ont jugé à
propos de fe retrancher. Il faut convenir
qu'ils ont en tête un rude adverfaire qui
les pouffe vigoureufement , & les redrelle
dans prefque tous les pas où ils peuvent
avoir bronché. Les détours qu'ils ont pris
pour éluder la force de fes objections
n'échappent point à fa pénétration : Tout
ce qu'ils ont pu dire de plus fpécieux pour
la juftification de leur méthode n'a point
été capable de lui faire changer de fenti116
MERCURE DE FRANCE.
ment à fon égard . Il ne fe contente pas en
s'expliquant fur fon compte de réitérer les
mêmes qualifications , il en ajoute encore
de nouvelles , & n'avance rien qu'il ne tache
de prouver. Il entre dans l'analy fe du
plan fur lequel ils l'ont exécutée , & faifit
avec habileté les contradictions qui en réfultent
; il fait de plus remarquer qu'elle
introduit des interprétations bizarres &
abfurdes, qui rendent à bouleverfer l'Ecriture
, & a ouvrir la porte aux fectes les
plus folles , & qui peuvent devenir par- là
nuifibles à la religion . Il prend auffi à tache
de montrer combien elle choque la
raifon qu'elle fait dépendre des caprices
de l'imagination , outre qu'elle eft directement
contraire aux régles conftamment
reconnues dans la maniere d'interprêter
avec fuccès le fens des prophéties . Il étend
fes vues à mesure qu'il développe la fauffeté
des principes fur lefquels elle poſe :
Enfin pour ôter le moindre prétexte à la
récrimination , il laiffe à part les queftions
incidentes , & s'attache au corps du fyftême
dont il ne fe propofe rien moins que
de faper les fondemens. Si l'on veut une
pleine conviction des chofes que nous indiquons
, il n'y a qu'à la chercher dans
l'ouvrage dont nous confeillons la lecture
à tous ceux qui font une étude de l'EcriA
O UST. 1755 117
ture fainte ; ils ne pourront refufer à l'auteur
l'éloge de bien pofféder le fujet qu'il
traite. Ses raifonnemens frappent pour
ordinaire au but , & ont outre cela le
mérite de la clarté & de la préciſion . Si
pourtant il nous eft permis de dire ce que
nous penfons du travail de l'auteur , nous
avouons qu'il étoit fufceptible d'une plus
grande perfection . Il y a certains détails
que M. Dupuy n'a pas approfondis autant
qu'il auroit pu le faire. Nous trouvons
encore qu'il a trop négligé la voie de fait ,
abfolument effentielle à l'état de cette controverfe.
Nous entendons par- là le témoignage
des Peres de l'Eglife qui ont travaillé
fur l'Ecriture fainte , les éleves de
M. de Villefroy ont trop bien fenti l'importance
dont il étoit pour n'en pas faire
ufage dans leur méthode, à laquelle il peut
fervir d'appui .... On fçait que c'eſt le
moyen le plus propre à en impofer aux
lecteurs qui n'y regardent pas de fi près ,
& qui fe payent plus volontiers d'autorités
que de raifons. Comme les PP. Capucins
ont employé tous leurs efforts à mettre
dans leur parti un grand nombre des
Peres qu'on a cités , il auroit fallu s'affurer
de l'exactitude de leurs citations dans
les paffages qu'ils ont produits , en les
comparant avec le texte d'où ils les ont
118 MERCURE DE FRANCE
tirés. Un examen réfléchi auroit conduit à
fçavoir s'ils ne leur ont pas fait dire plus
que ceux- ci ne difent en effet. On a fi peu
de fcrupule fur cet article , qu'il arrive
affez fouvent de furprendre en défaut
ceux qui affectent d'accumuler autorités
fur autorités pour accréditer de nouvelles
opinions . Nous n'ignorons pas que cette
voie eft longue & pénible par les recherches
qu'elle demande ; mais nous n'avons
pas moins lieu d'être étonnés que l'Auteur
n'ait point rempli ce qu'on étoit en droit
d'attendre de lui fur ce fujet. Nous fouhaiterion's
auffi qu'il eût été plus réservé
dans le choix de fes preuves , qui ne font
pas toutes concluantes. L'emploi trop fréquent
qu'il fait des paroles empruntées des
Poëtes François , fatigue d'autant plus
qu'il eft abfolument déplacé dans un ouvrage
qui roule fur une matiere auffi grave
que l'eft celle dont il s'agit . Il eft à
craindre qu'il ne juftifie par là le reproche
qu'il s'eft attiré de la part des éleves de
M. de Villefroy , qui l'ont accufé de s'être
livré à un badinage indécent. Nous ajouterons
que fon ftyle vife quelquefois à la
déclamation , & qu'il faut le dépouiller de
ce qu'il a de trop vif contre les auteurs ,
de qui il combat les principes , pour lire
avec fruit fes réflexions . Il eſt fâcheux que
A O UST. 1755. 119
dans les écrits polémiques , on ne foit pas
toujours affez maître de fes expreffions
pour les ménager autant qu'on le devroit.
M. Dupuy ufe à la vérité du droit de repré
failles ; puifqu'il fe plaint qu'on a manqué
pour lui des égards réciproques que les
gens de lettres fe doivent en écrivant les
uns contre les autres . Nous finirons par
avertir qu'il a eu la précaution de rendre
fes objections fenfibles pour tout le monde,
en les dégageant des difcuffions relatives à
la langue Hébraïque ; quoiqu'elles foient
effentiellement du reffort de cette matiere .
Comme il peut y avoir des perfonnes qu'el
le intéreffe , & qui cependant n'ont aucu→
ne teinture des langues fçavantes , l'auteur
les a pour cet effet écarté de cette controverfe
, afin de mettre tous fes lecteurs à
portée de juger avec connoiffance de caufe ,
& d'apprécier le nouveau fyftême.
M. GAUTIER , de l'Académie des fciences
& belles- lettres de Dijon , & penfionnaire
de fa Majefté , de qui nous avons annoncé,
dans le fecond volume de Juin , le , quatrieme
tome de fes Obfervations fur l'histoire
naturelle avec des planches en couleurs , a
publié depuis le commencement de cette
année une feconde édition de fes planches
anatomiques en couleur naturelle. Comme
20 MERCURE DE FRANCE.
ce projet intéreffe les amateurs de cette
fcience ; il eft bon de mettre le public au
fait de cette nouvelle édition , qui fera une
fuite de quarante- fix grandes planches avec
l'explication des figures.
La premiere édition étoit auffi compofée
de quarante-fix planches avec leurs tables
explicatives.
L'auteur a tant d'obligations aux foufcripteurs
de cette premiere édition , que
par reconnoiffance pour eux , il a rangé
fon nouveau plan de façon que leurs planches
quadreront avec les augmentations de
la nouvelle édition , qui feront féparées.
Les nouveaux foufcripteurs également fatisfaits
, auront l'oeuvre complette où rien ne
manquera du détail de toutes les parties
que l'on a déja données .
莹
Plan de la feconde édition.
On donnera les quarante- fix planches
en deux diftributions . La premiere diftribution
qui fe fera inceffamment , contiendra
le fupplément de la premiere édition
, & l'augmentation faite fur tout l'ouvrage.
Elle fera de vingt grandes planches
qui repréſenteront dix figures entieres en
couleur naturelle fur pied , avec des pieces
détachées pour démontrer entierement les
coupes & la fituation de tous les vifceres ,
l'angéologie
AOUST. 1755. 121
l'angéologie & la névrologie du corps humain.
On fouferit féparément pour cette
premiere diftribution , à caufe des foufcripteurs
de la premiere édition . Ils donnent
actuellement quatre-vingt- quatre liv.
pour lesquelles ils auront les vingt planches
du fupplément , qui compofent cette
premiere partie ; & après la diftribution ,
ces vingt planches , qui feront beaucoup
chargées d'ouvrage , fe vendront à part
cent vingt- fix livres.
La feconde & derniere diftribution fera
de vingt- fix grandes planches , où feront
repréfentées , à demi-nature & en couleur
naturelle , toutes les figures qui ont été
données dans la premiere édition.
Les nouveaux fonfcripteurs font en deux
claffes ; ceux de la premiere claffe foufcrivent
actuellement , & donnent cent foixante-
huit livres pour le prix de tout l'ouvrage
avant la premiere diftribution ; &
ceux de la feconde claffe payeront deux
cens deux livres , en recevant la premiere
diftribution. Toutes les planches fe vendront
après la derniere diſtribution deux
cens cinquante-deux livres. On fouſcrit
chez l'auteur , rue de la Harpe , proche la
rue Poupée.
PROJET D'UN ORDRE FRANÇOIS EN
F
122 MERCURE DE FRANCE .
TACTIQUE , ou la phalange coupée & doublée
& foutenue par le mêlange des armes.
On la propofe comme fiftême général ,
on prouve fa fupériorité , comparant toujours
à la méthode aujourd'hui d'ufage ,
celle- ci qui n'eſt à la bien définir , que le
fiftême du chevalier de Folard plus étendu ,
& mieux développé. On y a joint les idées
des plus grands maîtres , particulierement
du maréchal de Saxe. L'auteur à ce sujet ,
a pris pour épigraphe.
Craint- on de s'égarer fur les traces d'Hercule.
Racine.
Ce livre dont nous avons annoncé l'édition
prochaine dans le Mercure de Mai , fe
vend actuellement à Paris , chez Boudet ,
chez Jombert , & chez la veuve Gandouin.
La préface de l'auteur eft un modele
pour la précifion . Comme elle ne contient
que cinq lignes , nous allons ici la tranfcrire
fans en rien retrancher.
« Cet ouvrage rare dans fon efpece eft
très-mauvais ou très- bon . Fort inutile ou
» de la plus grande importance.Pour fçavoir
» lequel des deux , il faut lelire ; pour ne
pas s'y méprendre, le lire fans prévention ;
» & comme c'eft un tout , le lire tout entier.
Cette raifon nous oblige à renvoyer le
lecteur au livre même , & nous difpenfe
d'en donner un extrait en forme. Nous
"
A O UST. 1755. 12.3
bornons à un précis très- court qui offrira
en racourci tous les avantages de la colonne
fur le bataillon . Nous l'avons tiré
du dernier chapitre de l'ouvrage. Voici
les termes de l'auteur , dans lefquels nous
nous renfermons. On pourra juger par eux
de fon ftyle. S'il n'eft pas toujours correct
& précis , il eft du moins vif , rapide &
plein d'une franchife militaire qui convient
au genre . Selon le Maréchal de Puyfegur
dit-il , toutes les parties qui peuvent contribuer
à la victoire , fe réduifent 1 ° , à profiter
de la fituation des lieux . 2º , A avoir
plus de troupes que fon ennemi , ou du
moins à en faire combattre davantage.
3 °, A infpirer plus de courage aux troupes.
4° , A employer plus d'art à combattre.
Quand toutes ces parties fe trouvent réunies
, dit le favant auteur , on peut être
affuré de la victoire . Elles fe trouvent raffemblées
dans mon fyftême. C'est par conféquent
fur la parole du maréchal , que je
lui promets autant de victoires que de
combats .
La raifon & l'expérience prouvent que
la profondeur fait la force de l'infanterie.
Rien n'eft donc fi fort que la pléfion ou la
colonne : rien n'eft fi foible que le bataillon
. Il ne pourra jamais la renverfer ou la
repouffer , ni même tenir un inftant contre
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
la violence de fon choc. La petiteffe de fon
front augmente cette force de beaucoup.
Car le bonheur naît de l'union & du bon
ordre. Un petit front est toujours plus uni &
mieux en ordre. De- là vient encore la légéreté.
Sans le flottement & la crainte du défordre
, une troupe iroit auffi vite qu'un
homme feul. La pléfion qui ne fe dérange
point , peut courir en bataille. Cette grande
légereté accroît encore confidérablement
fa force. C'eft la vîreffe jointe à la
maffe :elle previent d'ailleurs les mouvemens
de l'ennemi , épargne les hommes ,
ne tenant la troupe expofée à la moufqueterie
qu'un inftant , encourage le foldar ,
impofe au parti contraire. Auffi cette vivacité
a-t elle fouvent tenu lieu de l'ordre.
On a vu des bataillons charger en courant,
par conféquent , arriver à l'ennemi tout
en défordre , & cependant le renverfer ;
d'où l'on peut prévoir quel fera l'effet d'une
charge unie & ferrée , faite avec la même
violence.
ou
LA MUSE LIMONADIERE
Recueil d'ouvrages en vers & en profe ,
par Madame Bourette , ci - devant Madame
Curé , avec les différentes pieces qui lui
ont été adreffées . Deux parties . A Paris ,
chez Jorry , quai des Auguſtins , aux Cigognes
, 175s .
AOUST. 1755. 125
Le talent de Madame Bourette eft fi célebre
dans cette capitale , qu'il fuffit de la
nommer pour exciter la curiofité du lecteur,
& pour l'engager à acheter fon livre. Ce
n'eft qu'en faveur de la province , où fon
mérite eft peat-être moins connu , que
je vais extraire ou plutôt tranfcrire quelques-
unes des pieces qui compofent fon
recueil.
Invitation circulaire envoyée à différens
Auteurs.
Comine on voit des hommes difcrets
Qui chez autrui ne vont jamais
Ou dîner ou fouper , fi l'on ne les invite.
De même l'on en pourroit voir
Qui ne préfument pas affez de leur mérite
Pour aller faire une viſite ,
S'ils ne font affurés qu'on veut la recevoir.
Un homme tel que vous peut rifquer l'un & l'autre,
Sur-tout avec ardeur on deſire la vôtre.
Reproche à M. le Bret , auteur de la double
extravagance , fur ce qu'il n'eft pas venu
dès ma premiere invitation.
Vous êtes un auteur fçavant ,
Mais vous n'êtes gueres galant :
A mon premier fouhait vous faites réſiſtance.
De votre part c'eſt cruauté`,
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
Pour la deuxieme fois vous êtes invité ,
N'eft- ce pas de ma part la double
extravagance,
Vers de M. Rouffeau de Toulouse , qui
1.
s'excufe de n'être pas venu me voir.
Vous , dont les graces naturelles.
Effacent l'art des enfans d'Apollon ,
O! vous , qui du facré vallon ,
Sçavez fi bien franchir les routes éternelles ,
Pour regner au milieu de cent mufes nouvelles
Et leur fervir d'exemple & de leçon .
Auffitôt que des mains tremblantes & cruelles ,
Souvent dans l'ignorance , & toujours criminelles ,
Auront mû les refforts de ma foible fanté ,
J'irai vous rendre hommage ; oui , mon coeur enchanté
Du Dieu de Cythérée empruntera les ailes
Mais en reviendra-t-il avec la liberté ?
Réponse à M. Rouffeau .
Sur votre liberté peut - on rien entreprendre ?
A quoi bon fur ce point vouloir diffimuler ?
Et puifque votre coeur a réfolu de prendre
Les aîles de l'amour , c'eft qu'il veut s'envoler.
» Vous voyez , Monfieur , que je vous
» regarde comme un homme de précau-
» tion , qui fe munit de tout ce qu'il faut
» pour fe tirer du danger , s'il y en avoit.
A O UST . 1755. 127
» La feule remarque que j'ai faite fur vos
» admirables vers , c'eſt que vous avez mis
» le Dieu de Cytherée fans faire attention
» que Cytherée eft Venus , fans doute que
» vous avez voulu dire le fils de Cytherée ,
» Pardon , Monfieur , fi je releve de pareil-
» les inadvertances , mais je n'aime pas à
» voir des taches dans le foleil .
Fers à M. l'Abbé de l'Autaignan .
Souvent la moindre chanfonnette
Qui part de votre goût exquis ,
Et dont mon coeur fent tout le prix
Y répand une joie , une douceur fecrette .
Chacun ne connoît pas celui d'une chanſon ;
Mais les vôtres fur- tout font dignes de louange ,
On y voit l'efprit de Coulange ,
Et les
Je crois
graces d'Anacréon.
que c'eft affez de ces morceaux
fugitifs , pour faire connoître le caractère ,
l'efprit & le talent de Madame Bourette à
ceux qui n'ont jamais eu le bonheur de la
voir & de la lire.
QUESTIONS fur le commerce des François
au Levant , brochure in- 12 de 153
pages on la trouve chez Guerin & Delatour
, rue S. Jacques , à S. Thomas d'Aquin.
L'auteur prétend que ce commerce
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
doit être libre. Il femble que fon fentiment
eft d'autant plus défintéreffé , qu'il eſt
négociant lui-même , & qu'il paroit préférer
le bien général de l'Etat à l'avantage
particulier du commerçant.
L'ARITHMETIQUE CHOISIE , OU
Pratique des Négocians , contenant les inftructions
néceffaires pour mettre en ufage
toutes les regles utiles aux négocians banquiers
& financiers , avec un Traité des
changes étrangers tant fimples que doubles ,
par le fieur S. B. Rouquette , teneur de
livres & arithméticien Juré de Bordeaux, &
A Bordeaux , chez P. Brun , Imprimeur-
Libraire , rue S. James , à l'Imitation de
Jefus.
Cet ouvrage paroît d'une grande utilité,
il feroit à fouhaiter que l'auteur en envoyât
des exemplaires aux Libraires de
Paris , pour en faciliter le débit.
Dans l'annonce que nous avons faite (a) de
la premiere partie des tablettes deThemys,
nous avons oublié d'indiquer la feconde
qui eft contenue dans le même volume.
Pour fuppléer à cette omiffion , nous l'inférons
ici. Cette partie comprend la fucceffion
chronologique des préfidens , che
(a) Deuxieme volume de Juin.
AOUST. 1755. 129
valiers d'honneur , avocats & procureurs
généraux des Parlemens & des Confeils
fupérieurs , & la lifte des lieutenans civils
au Châtelet de Paris . Ce qui donne du
prix à cet ouvrage , c'est qu'il renferme
des extraits fideles des regiftres des Cours
fouveraines . L'auteur y a ajoûté une table
alphabétique des noms de famille , pour les
rendre plus utiles aux lecteurs il défireroit
qu'il s'en trouvât quelques- uns qui
voluffent bien lui faire part des fautes &
des omiffions qu'ils pourront remarquer
dans fon livre , auffi bien que des changemens
qui pourront occafionner des additions
, il recevra avec reconnoiffance les
l'on voudra bien lui donner.
avis
que
IDÉE DE L'HOMME PHYSIQUE ET MORAL ,
pour fervit d'introduction à un Traité de
Médecine, st
Ne ……….. intellecta priufquam fint contempta
relinquas.
Lucret. Lib. I.
A Paris , chez Guérin & Delatour , rue
S. Jacques à S. Thomas d'Aquin , 1755.
L'auteur fe propofe de faire voir par la
fimple expofition du méchanifme qur fert
aux fonctions de l'economie animale , que
les principes établis dans ( a ) le plan qu'il a
(a) C'est un plan de médecine qui a paru en
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
fuivi s'accordent exactement avectoutes les
obfervations , qu'on peut faire fur le corps
vivant , foit dans l'état de fanté , foit dans
l'état de maladie .
Il eft glorieux pour lui d'avoir fait d'un
ouvrage de médecine , un excellent livre
de morale , en nous montrant combien les
moeurs influent fur la fanté , il nous porte
à vivre fagement par amour pour, nousmêmes.
Le meilleur moyen de perfuader
aux hommes une conduire réglée , eft de
leur prouver que non - feulement leur confervation
, mais encore leur bien être , leurs
vrais plaifirs & leur durée en dépendent .
C'eft de toutes les manieres de prêcher
la plus propre à faire des converfions .
Le Tome III de la collection de Jurif
prudence , par M J. B. Denifart , Procureur
au Châtelet de Paris , paroît , & fe
vend chez Savoye , rue S. Jacques , à l'Eſpérance,
& Leclerc , Grand'Salle du Palais,
au fecond pillier.
On peut regarder ce Livre comme une
efpece de dictionnaire qui contient les
principes les plus néceffaires , & le plus
fouvens agités fur les matieres de droit
civil & canonique , & fur la pratique tant
1751 fous le titre de Specimen novi medicina con-
Spectus , & que étendu.
l'auteur a beaucou
conA
O UST. 1755 . 131
civile que criminelle. Quoique le principal
objet de cet ouvrage foit d'inftruire les
commençans , il peut auffi être utile aux
jurifconfultes même les plus éclairés , en
ce qu'il contient un grand nombre de nouvelles
décifions très- importantes , & qui
n'ont pas encore été recueillies par aucun
jurifconfulte .
LA QUADRATURE DU CERCLE
démontrée à l'Académie royale des fciences
le 14 Mai 175-5 , par M. le chevalier
de Caufans , ci-devant colonel du Régiment
d'infanterie de Conty.
1
La folution de ce fameux problême ( c'eft
l'auteur qui parle ) feroit d'un très-grand
avantage par la connoiffance des rapports
des lignes courbes aux lignes droites . Il
prétend que fa méthode eft fimple , & fe
flate d'avoir rectifié le cercle au moyen
d'un parallelogramme , & d'avoir prouvé
que le rapport de 7 à 21 fept huitiemes du
diametre d'un cercle à fa circonférence
eſt le véritable , étant plus approché que
celui d'Archimede d'un cent foixante &
feizieme: M.le chevalier de Caufans ajou
te que les fçavans peuvent préfentement
vérifier cette propofition avec facilité .
MEMOIRE pour le fieur P. Eftève , de la
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
Société Royale des Sciences de Montpellier
, contre Meflire J. E. V. de Mauléon
de Caufans , chevalier non profès de l'Ordre
de S. Jean de Jérufalem , ancien colonel
du régiment de Conti , infanterie ; &
contre le fieur J. Digard , ancien Ingénieur
du Roi , profeffeur de mathématique , au
fujet du prix propofé par M. de Caufans ,
au premier qui démontreroit un paralogifme
dans fa démonftration de la quadrature
du cercle , à Paris , chez Jombert , rue
Dauphine , & Duchesne , rue S. Jacques.
DICTIONNAIRE ABREGE DE LA BIBLE;
pour la connoiffance des tableaux hiftoriques ,
tiré de la Bible même, & de Flavius Jofephe
, petit vol. in 12 de 480 pages. A
Paris , chez Defaint & Saillant , rue S. Jean
de Beauvais. !
Il y a plus de vingt ans que cet ouvrage
eft ébauché fur le plan d'un autre de même
forme dont le public eft fatisfait
pour l'intelligence
des poëtes & la connoiffance des
tableaux du paganifme . Celui- ci , tout autrement
intéreffant , demandoit plus de
travail . Il falloit refferrer une matiere pro
pre à fournir plufieurs volumes. Um récit ,
quelqu'abrégé qu'il foit , un mot même ,
& quelques fois un moindre figne , fuffifent
pour tirer d'embarras dans une lecture
AOUST. 1755. 133
ou à la vûe d'une peinture , dont le fujet
ne fe préfente pas d'abord à la mémoire.
C'eft ce qu'on fe propofe dans cet effai .
L'ufage de l'iconologie facrée eft expliqué
dans le court avertiffement qui eft à la
tête du livre. Les jeunes gens de l'un & de
l'autre fexe s'en accommoderont vraifemblablement
avec fruit.
METHODE on maniere d'enſeigner à lire
par le moyen des cartes imprimées. C'est une
deuxieme édition quoique la brochure ne
le porte pas.
Ce que nous annonçons paroît mériter
l'attention des perfonnes qui s'intéreſſent
aux premiers élémens des enfans. La méthode
dont il s'agit , connue déja depuis
long- tems , & très - mal à propos combattue
par ceux qui ne l'entendent pas ou qui ne
l'examinent pas fincerement , produit des
effets furprenans dans les mains de ceux
qui l'entendent. En rendant juftice à feu
M. Dumas , auteur de cette méthode , on
a toujours fouhaité d'en voir diminuer
l'attirail fans s'écarter de ce qu'il a enfei
gné. Un des partifans de ce fyftême a heureufement
réduit avec netteté & précision
le bureau pour la lecture feulement , en
une boëte de la groffeur & de la forme d'un
volume infolio , où font renfermés , par
134 MERCURE DE FRANCE.
ordre alphabétique , tous les caracteres
imprimés fur des cartes . Par ce moyen , un
enfant exécute tout ce qu'on lui demande ,
auffitôt qu'il connoît & qu'il fçait la dénomination
des lettres & des fons ; de forte
qu'il apprend agréablement à lire fans
ennui & en très - peu de tems. Il n'y a rien
de plus aifé & de plus commode. Les peres
& meres , faute de maîtres qui s'y appliquent
, y réuffiffent à fouhait. On n'a rien
changé au fond de la doctrine de M. Dumas
que l'e muet qu'on met à la place de l'é
fermé , pour prononcer les confonnes ;
mais l'inventeur eft toujours refpecté , &
c'eft ainfi qu'on devroit s'appliquer à perfectionner
ce qui eft bon , & non à le détruire.
Il ne s'agit pas ici par conféquent
d'une méthode nouvelle . C'en est une excellente
très - connue qu'on rend plus pratiquable
, ,
que les méthodes nouvelles annoncées
dans le Mercure de Juillet ; fur
quoi l'on peut obferver que , quelques inconvéniens
qu'il y ait dans notre langue ,
( & l'auteur des méthodes nouvelles en a
remarqué judicieufement un très - grand
nombre dans fon livre. ) on peut , dis-je ,
remarquer que les étrangers ne fe rebutent
pas de l'apprendre telle qu'elle eft . Les
cédilles , les points capitaux , &c. que le
réformateur voudroit qu'on introduifit ,
A O UST. 1755 T39
霉
ne l'embelliroient pas aux yeux accoutu →
més à lire tant d'excellens ouvrages que
nous avons. Les moindres abus n'échappent
pas à M. le Curé de .... l'auteur des
nouvelles méthodes : mais s'il s'appuie de
quelques autorités refpectables , if cite des
écrivains plus propres à décréditer fes réformes
qu'à les établir. A force de regles
on multiplie les difficultés. Il faut avoir
bien du courage pour mettre en pratique
fes fyllabaires. C'eft aux connoiffeurs à
juger s'il enfeigne le chemin le plus court.
Les partifans de M. Dumas n'y font pas
tant de façon . Il est démontré dans l'expofition
de la méthode par les cartes imprimées
, que les principes de toute lecture
confiftent en une quarantaine de leçons
fur quarante cartes & non en deux cens
cinquante d'une part , cent fix d'une autre,
& cinquante encore d'une autre , comme
l'ont avancé des écrivains qui n'entendent
pas le fiftême de M. Dumas , approuvé juridiquement
depuis plus de trente ans
Lorfqu'on a voulu compofer un chapitre
de l'expofition de la méthode qui accompagne
le petit bureau , on auroit dû prendre
la nouvelle édition beaucoup plus mé
thodique que la premiere , & ne pas prêter
à l'un des inventions , qui appartiennent à
d'autres , comme la lame de cuivre gravée
136 MERCURE DE FRANCE.
à jour pour enfeigner à écrire. Au reste ;
toutes ces nouvelles méthodes qu'on public
chaque jour , font des démembremens ,
pour la plupart falfifiés , du ſyſtême de
M. Dumas. En approuvant cette admirable
invention , on fe fait plus d'honneur
qu'en la blâmant . Il faut avouer que
les
cartes imprimées du petit bureau , tiennent
lieu par leur mobilité de tous les fyllabaires
immobiles : & le premier jeu élémentaire
des quarante cartes qui le précede ,
renferme les principes de toute lecture poffible
fans embarras & à la portée de tout le
monde.
L'avantage de ce petit bureau , eft de
pouvoir le tranfporter fur une table , fur
un fauteuil , à la portée des enfans , felon
leur âge , & où l'on veut. Cette efpece
d'imprimerie , accompagnée de deux jeux
élémentaires avant que d'ouvrir le bureau ,
& la petite brochure qui donne lieu à cet
article pour guider ceux qui veulent en
faire ufage , fe vendent vingt - quatre livres,
avec privilege & approbation . Il faut s'adreffer
à M. Chompré fils , rue des Carmes ,
à Paris. On y en trouve de plus ornés les
uns que les autres felon la dépense qu'on
veut faire.
A O UST. 1755. 137
Petit cours d'études latines.
Nous ajoutons , comme une fuite de ce
que nous annonçons , que , lorfqu'un enfant
fait lire & écrire on peut le mener
très-loin avec l'Introduction à la langue latine
par la voie de la traduction , dont l'Avertiffement
mérite d'être lu , principalement
par les gens du métier , & avec la collection
des extraits des auteurs connus fous le
titre de felecta latini fermonis exemplaria ,
en fix petites parties latines , dont on a
déja fait plufieurs éditions chez Guérin &
Delatour , à Paris , rue S. Jacques , à S. Tho
mas d'Aquin. La traduction fe vend à part.
Il réſulte , de tout ce qui vient de la même
main , un plan formé avec difcernement
pour commencer agréablement les premieres
études des lettres humaines , fans
s'éloigner de ce qu'on pratique ordinairement
jufqu'aux humanités . On a dans ces
recueils des échantillons non- feulement des
auteurs d'ufage , mais encore des auteurs
prefque totalement abandonnés . On fçait
cependant que ceux- ci , quoique peu lus ,
contiennent la plus grande partie des tréfors
de la plus précieufe latinité , comme
un Plaute , un Columelle , un Vitruve , & c.
qu'on lit ici avec plaifir & fans rifque pour
les bonnes moeurs
138 MERCURE DE FRANCE.
/
Vocabulaire univerfel latin -françois , &C.
Le vocabulaire univerſel , latin - françóis,
achevé d'être imprimé l'année derniere , &
qu'on trouve chez les mêmes libraires ,
procure un fecours qu'on ne peut avoir
d'ailleurs qu'à grands frais.Les amateurs des
belles -lettres latines ont , dans cette espece
de Veni mecum , la fignification des mots
de l'ancienne & de la baffe latinité par le
moyen de la clef qu'en donne l'avertiffement.
Ce travail a du coûter des recherches
de longue difcuffion , & il faudroit être
de mauvaiſe humeur pour ne pas fçavoir
gré , de leurs travaux , aux hommes qui fe
confacrent ainfi à l'utilité publique.
ÉLÉMENS DE LA PHILOSOPHIE NEWTONIENNE
, par M. Pemberton , traduit de
l'anglois , 1 vol. in- 8° avec figures , 1755,
6 liv . relié . A Paris , chez Jombert , rue
Dauphine , à l'image Notre-Dame.
Le même Libraire vient de recevoir
quelques exemplaires de la magnifique
HISTOIRE MILITAIRE du Prince Eugene de
Savoye , du Duc de Malborough , & du
Prince d'Orange & de Naffau- Frife ; enrichie
des cartes & plans néceffaires , en trois
volumes , grand in-folio. Prix 150 livres
reliés.
A O UST. 1755. 139
}
SEANCE PUBLIQUE
de l'Académie royale de Nifmes .
L'Académie s'étant affemblée le 15 May
1755 , M. de Maffip , avocat du Roi an
préfidial de Nifmes , & directeur , ouvrit
la feance par un Difcoursfur les avantages
que procurent les Lettres à ceux qui les
cultivent.
A plupart des hommes , dit- il , cherchent
leur avantage dans des bien's
fragiles & périffables qui leur font étrangers
, & ne fçauroient jamais les faire par.
venir au folide bonheur & à la véritable
gloire. L'on eft affuré de trouver l'un &
l'autre en s'attachant à l'étude des belleslettres
, en faifant fervir les divers talens
que la Providence nous a départis à
la perfection des fciences & des beaux.
arts , c'eft la maniere la plus noble dont
nous puiffions payer cette obligation naturelle
, le fervice perfonnel que tout citoyen
doit à la patrie , c'eft la voye la plus
fure pour parvenir à la véritable gloire ,
gloire d'autant plus flatteufe qu'on ne la
partage avec perfonne comme celle qui
140 MERCURE DE FRANCE.
vient des faccès militaires , & qu'on la tire
toure entiere de fon propre fonds ; à ces
premiers avantages fe joignent ceux d'être
exempts de ces paffions cruelles & tumultueufes
auxquelles les hommes vulgaires
font livrés , qui tirannifent leur coeur fans
pouvoirjamais le fatisfaire , l'homme de lettres
au contraire trouve dans le commerce
des mufes & la douceur de fa folitude une
tranquillité inaltérable. Content de fes
études & de foi-même , il cherche à augmenter
fes connoiffances à perfectionner
fes talens. Il jouit dans l'une & l'autre fortune
d'une égalité d'ame qui eft autant le
fruit de fa vertu que de fes lumieres . Elle
regle tous les mouvemens de fon coeur , en
fixe tous les defirs , enforte qu'elle paroît
comme affranchie des liens du corps , &
habiter déja cette région fupérieure du ciel
dont les vents & les tempêtes ne troublent
jamais le calme & la férénité. C'eſt à la faveur
de ce fecours qu'il eft inébranlable &
comme impaffible dans ces fameux revers
aufquels l'humanité eft fujette & qu'il
fupporte avec un courage invincible les
difgraces , les perfécutions , l'exil , la mort
même , foutenu par l'efpérance qu'il ne
meurt pas tout entier , & que fa réputa
tion échappera aux ténebres de l'oubli tant
que l'empire des lettres fubfiftera .
AOUST. 1755. 141
Divers exemples des grands hommes de
Lantiquité.
Quelques travaux , quelques veilles qu'il
en coute , les grands exemples de ces ames
fupérieures , de ces génies fublimes qui
ent rendu la carriere fi brillante , font bien
propres à enflammer nos coeurs d'une géné
reufe émulation . Nous en avons contracté
une obligation plus étroite en prenant
féance dans cette compagnie recommandable
par les grands hommes qu'elle a donnés
à la république des lettres , & qui en for
merent le premier établiſſement , leurs talens
diftingués n'ont pas moins fait d'honneur
à l'académie qu'à la patrie ; quel engagement
pour conferver ce précieux héritage
, ce dépôt de gloire qu'ils nous ont laif
fé & le tranfmettre à nos fucceffeurs.
M. le Beau de Schofne , affocié , lut enfuite
un poëme en deux chants fur l'harmonie.
M. Meynier lut un mémoire fur l'hofpitalité
ancienne. Il ne doute pas que cette
pratique fondée fur le befoin mutuel des
hommes ne foit auffi ancienne que le monde.
Du moins les Patriarches qui vêcurent
d'abord après le déluge exercerent l'hofpitalité
, Abraham & Lot accueillirent les
142 MERCURE DE FRANCE .
anges qui alloient à Sodome & qu'ils prenoient
pour des voyageurs. Il diftingua
trois fortes d'hofpitalités. La premiere ,
celle que la piété faifoit exercer envers les
étrangers , voyageurs , inconnus , telle que
celle d'Abraham envers les anges , & celle
d'Alcinous envers Ulyffe. La feconde étoit
une fuite de la précédente ; ceux qui avoient
logé chez une perfonne étoient dès - lors
liés avec elle par les liens de l'hofpitalité,
ils étoient obligés de fe loger & de ſe ſecourir
mutuellement , & ce droit paffoit à
leur poftérité ; telle eft l'hofpitalité exercée
par Raguel envers le jeune Tobie , & celle
de Neftor & de Menelas enversTélémaque .
On contractoit la troisieme forte d'hofpitalité
fans avoir vu les hôtes , on envoyoit
un préfent à une perfonne & on lui demandoit
de fe lier par le droit d'hofpitalité,
fi elle renvoyoit un autre préfent , & qu'elle
acceptat les offres , dès -lors les droits
étoient également facrés , telle eft l'hofpi
talité que Cyniras , roi de Chypre , contracte
avec Agamemnon dans l'Illiade. On
pourroit encore conter une quatrieme
forte de droit également facré , c'eſt le
droit du fuppliant . Le même principe de
religion obligeoit les payens à refpecter
& regarder comme un dépôt inviolable
dont on devoit rendre compte à la divi
1
A O UST. 1755. 143
nité , un homme réduit par fes malheurs à
prendre leur maifon pour refuge , fut- il
d'ailleurs leur plus grand ennemi . Le malheureux
s'affeyoit fur la cendre du foyer ,
& imploroit les dieux protecteurs de l'hofpitalité
, tel parut Themiftocle chez Admere
, roi des Moloffes , & tel encore le
fier Coriolan fe confia à Tullus , général
des Volfques fon ennemi capital . La maniere
d'exercer l'hospitalité étoit peu différente
dans les fiecles héroïques entre les
Hébreux & les Grecs ; M. M*** cite deux
exemples de ces deux nations & en fait
voir les rapports , une coutume commune
entre les nations étoit de ne point demander
le nom de fes hôtes avant la fin du repas.
On trouve même un exemple plus
tard , c'eft celui de Bellérophon à la cour
de Proetus , à qui on ne le demande que le
dixieme jour après fon arrivée.
On lavoit les pieds des voyageurs , cette
coutume ne fe pratiquoit gueres que pour
ceux qui voyageoient à pied , une femme
de la maifon s'acquittoit de cet emploi ;
dans la Grèce les voyageurs plus diftingués
étoient mis dans le bain par les filles
de l'hôte , les filles du roi même s'acquittoient
de cet emploi ; la plus jeune des filles
de Neftor , la belle Polycafte , met Télémaque
aux bains & le parfume d'effences:
144 MERCURE DE FRANCE.
tel étoit l'ufage de ces bons temps héroïques
, & tout fe paffoit avec fagelle . L'on
a remarqué avec raifon que nos moeurs
gagnent du côté de la délicareffe ce qu'elles
perdent du côté de la pureté.
Les préfens d'hofpitalité venoient enfuite
, ils fervoient de témoignage perpétuel
du lien qui uniffoit les familles , la
générofité des fiecles héroïques finit avec
les fiecles mêmes ; au lieu de ces préfens
on fe contenta de rompre en deux une
piece de monnoye dont chacun des deux
hôtes gardoit une portion , ou plus communement
de ſcier en deux un bâton d'yvoire
qu'ou nommoit teffera hofpitalis , on
en trouve encore dans les cabinets des
curieux .
Des villes entieres accordoient l'hofpitalité
, les Romains agirent ainfi envers
Timafithée chef des corfaires de Lipari.
Le droit d'hofpitalité étoit imprefcriptible
, & à moins d'y avoir renoncé ea
bonne forme par un acte devant les Magiftrats
, rien ne pouvoit y porter atteinte ,
dans la guerre même , les combattans
étoient obligés de fe refpecter. Le brave
Diomede dans le fixieme chapitre de l'Illiade
, n'ofe point porter une main facrilege
fur Glaucus fon hôte , tandis qu'Hector
& Teucer unis par les liens de la plus
proche
AOUST. 1755. 145
proche parenté combattent avec chaleur.
Les Dieux de l'hofpitalité étoient Jupiter,
ir , Venus , Minerve , Caftor &
Pollux , un Apollon furnommé bécğeri☺ ,
& fur-tout les Dieux Lares , les fables les
plus anciennes & les plus facrées contribuoient
à faire reſpecter le caractere d'hôte
comme facré. Jupiter & Mercure voya
geant parmi les hommes , puniffent Lycaon
pour avoir violé ce droit , récompenfant
Philemon & Baucis . Les Grecs ont pu avoir
quelque connoiffance indirecte par les
Egyptiens du voyage des Anges fur la terre
, du moins Homere fait dire fouvent à
fes perfonnages , que peut- être la perfonne
de l'étranger cache un des Dieux immortels.
M. Meynier finit par examiner
pourquoi l'hofpitalité n'eſt plus pratiquée
parmi nous ? il en tire la raifon de l'excellent
ouvrage de ce Sage , dont nous
déplorons encore la perte , l'illuftre Montefquieu.
La perte de cette vértu vient
de l'efprit de commerce qui s'eft établi
parmi nous , il produit , dit- il , un certain
fentiment de juftice exacte , oppofé d'un
côté au brigandage , & de l'autre à ces
vertus morales qui font qu'on ne diſcute
pas toujours fes intérêts avec rigueur , &
qu'on les néglige pour ceux des autres.
Les Grecs & les Romains , dès que leuc
G
146 MERCURE DE FRANCE.
empire fut étendu , n'exercerent plus l'hof
pitalité de la maniere généreufe que nous
admirons dans les fiécles héroïques ; ils
n'oferent renoncer à une coutume confervée
par leur religion & par leurs ancêtres
; mais ils reftreignirent l'hofpitalité
au logement & à l'uftenfile. L'étranger
fourniffoit la nourriture de fes chevaux ,
& fouvent même achetoit la fienne. La
charité du Chriftianifme a fuppléé au befoin
que les pauvres pourroient en avoir.
Nos voyageurs ont peu à defirer des
moeurs anciennes fur l'hofpitalité.
On donnera la fuite de cette féance dans
le Mercure du mois prochain.
1
A O UST. 1755. 147
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
ALGEBRE.
Lettre de M.G .... Ecuyer , Officier de la
Chambre de Madame la Dauphine , à M.
Bezout , Maître de Mathématiques à Paris
.
M
par
ONSIEUR , vous avez dû voir
la méthode de folution du problême
d'Algébre inféré dans le Mercure dernier
, que mon plan avoit été de le rendre
indéterminé , que j'avois même fixé le
rapport des pertes des foldats d'après la
détermination arbitraire des trois nombres
551 , 431,311 , fur lefquels nous fommes
parfaitement d'accord ; nous ne différons
donc dans le vrai que par rapport &
la forme : il m'eft arrivé la même difgrace
qu'aux faifeurs de Logogryphes . A force
de parler j'en ai trop dit vous avez agi
en critique fenfé & judicieux ; en fait de
fciences de précifion il convient d'écarter
jufqu'aux moindres foupçons de l'erreur ;
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
& quelque légere que fut la mienne , vous
avez eû raifon de venger le public que je
n'avois pas affez refpecté par une précipitation
dont je fais aujourd'hui ma confeffion.
J'ai l'honneur d'être , &c.
De Verfailles , ce 10 Juin 1755.
HISTOIRE.
Hiftoire abrégée des guerres des Algériens avec
les Hollandois , traduite de l'Allemand ,
par M. Radix de Sainte- Foy . 1755 .
Elon toute apparence , Alger, ainfi que
toute la côte de Barbarie , fut peuplée
d'abord par les Egyptiens . Les Pheniciens
y établirent enfuite des colonies , & y bâtirent
Utique & Carthage. Depuis, tous les
petits Princes de la côte furent fubjugués
par les Carthaginois , ou devinrent leurs
tributaires : mais ces Princes , las enfin de
la domination Garthaginoife , s'offrirent
aux Romains pour leur aider à foumettre
Carthage. Ceux- ci refterent maîtres de la
côte jufqu'au cinquiéme fiécle , que les
Vandales s'en emparerent. Les Barbares
furent obligés dans la fuite de rendre leur
AOUST. 1755. 149
conquête aux Empereurs Romains , ou
pour mieux dire , aux Empereurs Grecs ,
qui poffederent cette côte , jufqu'à ce que
les Califes Sarrazins , fucceffeurs de Mahomet
envahirent dans le feptiéme fiécle
toute la partie feptentrionale de l'Afrique,
auquel tems l'Alger que nous connoiffons
devint la ville capitale de la Mauritanie .
Alger dépendit enfuite , premierement de
la ville de Conftantine , & fucceffivement
de Bugie , d'Hyppone , & enfin de Tremecen
, ou Telencin , jufqu'à l'incurfion
des Barbares Mahométans , qui diviferent
la côte de Barbarie en plufieurs royaumes ,
entre lefquels étoient Alger , Tunis & Tripoli
. Quelques fiécles après , la ville d'Alger
devint tributaire du Roi de Tunis ,
qui promit de lui laiffer , comme à une
République , la jouiffance de fes privileges.
L'an 1510 , Alger fe foumit par crainte
du Roi d'Espagne à un riche More ,
nommé Sélim Eutimi ; cependant quelques
années après , Ferdinand , Roi d'Efpagne ,
la prit , bâtit une forte citadelle fur la place
où eft à préfent le port , & y mit une
nombreuſe garnifon. Après la mort de
Ferdinand , les Algériens chercherent à fecouer
le joug des Efpagnols , & vers l'an
1516 ils appellerent à leur fecours le fameux
Pirate Barberouffe qui vint , maffa-
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
cra Eutimi , s'érigea lui - même en Roid'Alger
, & regna jufqu'en l'année 1517 ,
qu'il fut tué dans un combat. Les Algériens
élurent pour leur Roi Héreddin Barberouffe
fon frere ; mais comme il n'étoit
pas en état de faire tête à fes ennemis , &
fur tout aux Efpagnols , il eut recours à
la Porte , & rendit tributaire du Grand
Seigneur Alger , & une grande partie de
la côte de Barbarie .
Les Algériens enflés d'une telle protection
, en devinrent plus audacieux à pillerles
vaiffeaux Chrétiens ; l'on vit de jour
en jour accroître leur infolence. L'Empereur
Charlequint irrité de leurs pirateries,
vint affiéger Alger l'an 1 541 , avec cent
gros vaiffeaux , & dix- huit grandes galeres
qui portoient en tout vingt- deux mille
hommes : mais une tempête violente & un
ouragan terrible qui s'éleverent le 20 Octobre
, firent couler à fond tous les vaiffeaux
& quinze galeres , pendant que les
troupes de débarquement furent pourfuivies
dans leur retraite précipitée . La plus
grande partie fut paffée au fil de l'épée , &
l'Empereur lui -même eût bien de la peine
à regagner la Sicile avec une feule galere.
De ce moment , Alger devint une retraite
formidable de Pirates , & un nid de voleurs
. Sa marine augmenta , & les courfes
A O UST. 1755 15 !
de fes Barbares habitans , firent un grand
tort aux Chrétiens , principalement aux
habitans des Pays-Bas , fur- tout depuis
l'année 1590 que ceux - ci commencerent
à étendre leur commerce par le Détroit de
Gibraltar en Italie , & même jufqu'au Levant.
Enfin au commencement du dix-feptiéme
fiécle le mal devint fi grand que les
Etats Généraux fe déterminerent en 1612
à envoyer à Conftantinople , en qualité
d'Ambaſſadeur , le fieur Cornelius Hage
pour obtenir par un traité , à l'exemple des
autres nations , un commerce libre dans
toutes les provinces dépendantes de la Porte.
Cette Ambaffade eut un fuccès fi heureux
, que les Turcs dans le vingt & unié-.
me article du traité défendirent aux Algé
riens de jamais faire le moindre tort aux
vaiffeaux hollandois , fous quelque prétexte
que ce put être : Mais ceux - ci fe
conformerent mal à cette défenſe , foit
que l'autorité des Turcs fut affez peu refpectée
dans la Barbarie , foit que la Porte
ne pût donner affez de fecours à ceux
d'Alger & de Tunis contre les infultes des
Efpagnols établis à Oran : d'ailleurs , les
premiers repréfenterent que fi on les em →
pêchoit d'aller en courfe , il leur étoit abe
folument impoffible d'entretenir le nombre
G
iiij
152 MERCURE DE FRANCE .
néceſſaire de Janiffaires. La Porte fut donc
obligée de fermer les yeux fur leurs procé
dés , & ils continuerent d'attaquer indifféremment
amis & ennemis.
Cependant en 1617 , à la follicitation
de Cornelius Hage , la Porte renouvella la
défenfe faite aux Algériens , de prendre
les bâtimens hollandois ; mais ils continuerent
à les arrêter , & à s'emparer de
toutes les marchandiſes appartenantes aux
Efpagnols & aux Italiens ; & fur les plaintes
réitérées , en 1619 ils écrivirent aux
Etats Genéraux une lettre , dans laquelle
ils leurs faifoient connoître » qu'ils ne
pouvoient nullement ceffer de vifiter
leurs navires , & d'en enlever toutes les
" marchandiſes des Efpagnols & des Ita
» liens , mais qu'afin qu'ils n'en fouffrif
fent aucun tort , ils leurs promettoient
de leur en payer exactement le fret .
و و
-
Les Etats Généraux leur objecterent
que cette propofition étoit formellement
oppofée au traité fait en 1612 , avec le
Grand Seigneur , & ils les menacerent ,
s'ils refufoient plus long- tems de s'y conformer
, de les traiter en ennemis . En effet
en l'année 1619 leurs Hautes Puiffances
commencerent contre ces Corfaires des
hoftilités ouvertes.
Les Algériens , dans l'efpace de treize
A O UST. 1755. 153
mois,prirent aux Hollandois cent quarantetrois
vaiſſeaux , ceux-ci leur en prirent auffi
plufieurs ; & leur animofité étoit fi forte
contre ces Pirates , que tous ceux qu'ils
prenoient étoient incontinent jettés à la
mer ; mais les Hollandois virent bientôt
que la guerre ne conduifoit pas à leur objet
; ils firent de nouvelles propofitions
aufquelles les Algériens répondirent » que
» leurs Hautes Puiffances pouvoient en-
» voyer quelqu'un avec des vaiffeaux de
»guerre pour emmener les efclaves , &
qu'ils verroient alors que » leur paix
feroit une véritable paix , leur parole une
parole inviolable , & leurs affurances des
furetés. Cependant la fauffeté de cette promeffe
s'eft foutenue jufqu'à préfent.
39
Dans le mois de Juin 1622 , les Etats
Généraux envoyerent le fieur Pinacker
Profeffeur dans l'Univerfité de Groningue,
à Alger , où il arriva le 3 Septembre ; il
fit tant par fes négociations qu'il obtint
que la vifite des vaiffeaux hollandois cefferoit
, & que les prifonniers feroient mis
en liberté & afin d'ôter tout prétexte aux
Pirates , leurs Hautes Puiffances ordonnerent
que tous leurs vaiffeaux deftinés pour
le Détroit de Gibraltar ou pour le Levant ,
feroient munis d'un paffeport , qui déclareroit
que les Capitaines étoient vé-
,
:
»
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
و ر
ritablement Hollandois , & qu'ils avoient
» fait ferment que leurs vaiffeaux , auffi-
» bien que leur chargement , n'apparte-
» noient ni en entier ni en partie aux en-
» nemis du Grand Seigneur.
Leurs Hautes Puiffances publierent dans
la même année une défenfe aux vaiffeaux
marchands de ne plus fortir fans eſcorte.
Malgré ces précautions la paix fut encore
rompue par les Algériens , dont la puiffance
augmenta tellement , qu'en l'année
1659 ils mirent en mer , en différentes
efcadres , feize vaiffeaux de guerre de
vingt quatre à trente- fix piéces de canon ,
de quatre à cinq cens hommes d'équipage
, & deux galeres de vingt- deux à vingthuit
paires de rames , ayant à bord un pareil
nombre d'hommes ; alors les vaiffeaux
de guerre hollandois coururent eux - mêmes
rifque d'être enlevés avec les marchands
auxquels ils fervoient d'efcorte .
On avoit déja employé plufieurs moyens
pour détruire cette ville corfaire , & le fameux
Amiral Ruiter fut envoyé en 1655
pour brûler ces Barbarefques dans leur
port ; cependant ce projet échoua à cauſe
d'un trop grand calme , & c'eft alors que
ce grand Amiral dit , que celui qui voudroit
attaquer la ville ou le port d'Alger , devroit
avoir pour lui le foleil & la lune , le jour &
A O UST. 1755. 155
la nuit , le vent & le tems ; le vent favoiable
pour s'approcher de la ville & pour
s'en éloigner , le tems clair & ferein pour
découvrir l'entrée de la rade , ou au moins
un Pilote habile à qui la fituation des lieux
fut entierement connue fans compter
qu'il faudroit que les habitans de la ville
ignoraflent abfolument ce deffein , parce
que pour peu qu'ils fuffent fur leurs gardes
, il leur feroit facile d'empêcher l'entrée
des vaiffeaux dans leur port.
›
Cependant perfonne n'a attaqué ces
Corfaires avec plus d'avantage , perfonne
ne leur a fait plus de tort que le méme
Amiral Ruiter , & n'a fçu mieux les combattre.
Il les ferra de fi près , & jetta fi
fort l'allarme parmi eux ; que leurs foldats
refufoient de s'embarquer : deforte
qu'en l'année 1662 ils furent obligés de
demander le rétabliffement de la paix aux
mêmes conditions qu'ils venoient de la renouveller
avec les Anglois, c'est- à- dire que
»leurs armateurs, lorfqu'ils rencontreroient
» un vaiffeau Hollandois , feroient obligés
d'envoyer à fon bord deux hommes de leur
Ȏquipage pour demander amiablement s'il
» n'avoit pas des hommes ou des marchan-
» difes qui appartiendroient à leurs ennemis.
Cette ftipulation fut rejettée , &
ils furent fort heureux d'obtenir des Hol
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
landois la paix le 16 Novembre 1662 fous
cette condition : Vaiffeau libre , marchandifes
libres , nulle vifite .
"
La ville d'Alger & fes châteaux étoient
alors garnis de fept cens quatre - vingtcinq
pieces de canon , dont toutes les bouches
étoient tournées vers la mer , & les
rénégats difoient fecrettement à l'Amiral
Ruiter , que fi les Etats Généraux vou-
» loient que la paix fut bien obſervée , ils
» ne devoient jamais laiffer fortir aucun
vaiffeau marchand fans efcorte , "qu'ils
» devoient avoir un bon nombre de vaif-
"feaux de guerre dans la Méditerranée , &
» les faire voir quelquefois fur la rade d'Alfous
prétexte de faire de l'eau , pour
tenir dans la crainte les ennemis , parce
» que fans cela les Algériens pourroient
facilement enfreindre les traités.
» ger ,
Dans la paix de 662 , la Régence d'Alger
ftipula deux ou trois articles pour prévenir
dans la fuite des tems toute occafion
de différens fâcheux : 1 ° . » Qu'il fe-
» roit défendu à tous les Hollandois de
tirer fur les vaiffeaux algériens qu'ils
» pourroient rencontrer. 2 °. Que les Etats
» Généraux feroient faire un fceau particulier
pour les paffeports de mer , qu'ils
l'enverroient au Conful d'Alger , qui
l'imprimeroit fur tous les pleins pouvoirs
» des Armateurs algériens , afin que ceux-
39
X
AOUST. 1755. 157
ci puffent conftater la vérité des paffe-
» ports , en confrontant le fceau des Hollandois
avec le leur. 3 ° . Que les Etats
» Généraux auroient feuls le droit d'accor-
» der les paffeports de mer.
Ceci eft d'autant plus remarquable que
l'Amiral Ruiter écrivit peu de tems après
aux Etats Généraux , que les Hambour
geois avoient des correfpondans à Amfterdam
, qui pour de l'argent faifoient ferment
que les vaiffeaux appartenoient à des
négocians de cette ville , & qu'il avoit auffi
découvert que plufieurs Confuls ne faifoient
nul fcrupule de délivrer des paſſeports
à des Capitaines de vaiffeaux étrangers
.
Quoiqu'il en foit , la paix ne
ne dura
pas
long- tems ; car dès l'année fuivante 1663 ,
les Algériens vifiterent de nouveau quelques
vaiffeaux hollandois , ils rompirent
par conféquent le traité , & enleverent
diverfes marchandifes , fous le prétexte
qu'elles appartenoient à leurs ennemis , &
que la ratification du traité des Etats Géneraux
, ainfi que le payement de la rançon
des Efclaves hollandois , avoit tardé
trop long tems .
La guerre recommença donc encore
une fois , & l'Amiral Tromp prit le 10
Janvier 1664 deux vaiffeaux algériens
+18 MERCURE DE FRANCE.
qui emmenoient deux prifes avec eux.
Cette perte fit un fi grand tort à ces Pirates
qu'ils promirent de » rendre toutes
» les marchandifes qu'ils avoient enlevées
» fur mer , d'exécuter à l'avenir religieufement
le traité , & même de rompre la
"
paix avec les Anglois , fi les Etats Gé-
» néraux étoient bien difpofés à la faire
» avec eux . Leurs Hautes Puiffances ,
bien loin de prêter l'oreille à ces propoftions
captieufes , propoferent à la France ,
à l'Efpagne & à l'Angleterre de fe joindre
à eux pour envoyer une flotte qui pourfuivroit
par- tour ces Barbares , bloqueroit
leurs ports , & empêcheroit abfolument
leurs croifieres & leurs pirateries , fans
jamais entendre à aucune propofition de
paix de leurs part , mais aucune de ces
trois Puiffances ne voulut s'y prêter ; cependant
les Hollandois envoyerent l'Amiral
Ruiter avec une flotte de douze vaiffeaux
de guerre dans la Méditerranée , &
à Alger pour hâter la conclufion du traité
avec la Régence ; mais les Algériens le
retinrent long- tems fans fujet , & l'amuferent
fous des prétextes frivoles ; deſorte
qu'il fe vit obligé de leur déclarer la guerre
par ordre de leurs Hautes Puiffances.
On donnera lafuite dans le Mercure du
mois prochain.
AOUST. 1755. 159
Difcours préliminaire d'un abregé chronologique
de l'hiftoire de la ville de Paris , à
Timitation de l'abregé chronologique de l'hiftoire
de France, de M. le Préfid, Hénault .
P
Aris que nous connoiffons aujourd'hui
comme la ville la plus confidérable &
la plus floriflante de l'Europe , n'étoit dans
fon originé qu'une très- petite bourgade
renfermée dans l'étendue connue aujour
d'hui fous le nom d'ifle du Palais , les maifons
à un feul étage , & conftruites pour
la plupart en bois & terre , étoient couvertes
de paille ou chaume , des fourneaux
de terre fervoient dans l'ufage ordinaire
pour échauffer les appartemens , & pour
préparer les chofes néceffaires à la vie . Nos
prédéceffeurs ne connoiffoient pas les cheminées
ni les fuperfluités dont nous nous
faifons une néceffité . Leur petit bourg entouré
de collines charmantes procuroit à
leur famille fous des toits ruftiques un
afyle heureux & tranquille ; fans ambition
& fans vanité leur goût étoit fatisfait
des productions de leurs terres , & le vin qui
croiffoit fur leurs petites montagnes étoit
leur boiffon ordinaire. A l'ombre d'un tilleul
ou affis au pied d'un chêne , nos ayeux
couloient des jours purs & ferreins , ces
160 MERCURE DE FRANCE.
tems font bien changés , & les fauxbourgs .
Montmartre , S. Jacques , S. Marceau , S.
Victor , & Sainte Genevieve ne produiſent
affurément pas le même effet.
Jules- Céfar vint porter le trouble dans
un féjour fi fortuné ; il fe rendit le maître
de Paris , & fes habitans virent alors pour
la premiere fois élever fur les bords de
leur fleuve des forts dont ils ne connoiffoient
pas l'ufage . Leur ville entourée de
fortes murailles par ce conquerant ne leur
parut plus qu'une prifon. Quoique leur
nouveau maître , pour adoucir l'efpece de
fervitude fous laquelle il les réduifoit
fit conftruire dans l'intérieur nombre d'édifices
confidérablés .
A Jules- Céfar fuccéderent les Empereurs
romains. Ils hériterent de ce grand homme
le goût le plus décidé pour Paris ; ils
y paffoient tous leurs quartiers d'hiver , &
firent commencer les fauxbourgs immenfes
que nous voyons de nos jours .
Les Francs chafferent les Romains , &
foumirent Paris à leur domination. Elle
devint la capitale de leurs Etats fous Clovis
I. En 508 ce Prince y fixa fon féjour ,
& l'augmenta confidérablement. Les Rois.
de la feconde race ne furent pas fes imitateurs
, ils y firent très - peu de féjour
& leur abfence enhardit les Normands à
AOUST. 1755. 161
s'approcher de Paris ; ils ravagerent fes environs
, & en firent plufieurs fois le fiége ,
que les habitans de la campagne refugiés
dans la ville , de concert avec les Parifiens,
foutinrent avec beaucoup de valeur & de
conftance .
Les Souverains de la troifiéme race
n'ont pas imité ceux de la feconde . Paris
a toujours été leur féjour ordinaire jufqu'à
Louis XIV , qui a transferé la demeure de
nos Rois au château de Verfailles. Ils ont
augmenté considérablement cette ville par
la jonction de plufieurs bourgades qui s'étoient
formées prefque fous fes murs , &t
lui ont prodigué des embelliffemens de
toutes les efpeces.
En 1184 , Philippe - Augufte fit paver
les rues & les places. En 1199 , il fit commencer
une enceinte d'un mur très - fort ;
douze années fuffirent pour terminer un
ouvrage fi confidérable , & ce Prince eut
la fatisfaction de le voir parfait avant ſa
mort,
Charles V fit conftruire une nouvelle
enceinte en 1367 ; & Charles VI fon fils &
fon fucceffeur , fit mettre la derniere main
à ce que fon pere avoit commencé .
François I , le reftaurateur des Lettres
en France , embellit confidérablement Paris
, & c.
162 MERCURE DE FRANCE.
Charles IX pofa le 11 Juillet 1566 la
premiere pierre d'une nouvelle enceinte
Henri IV , le pere de la patrie , fit conftruire
nombre d'édifices .
Louis XIII fon fils , fit commencer une
nouvelle enceinte en 1634 ; & le 15 Janvier
1638 il fit rendre en fon Confeil un
Arrêt , par lequel il fut ordonné de placer
des bornes de diſtance en diſtance dans
toute la circonférence de la ville , au-delà
defquelles il fut défendu de bâtir fans permiflion.
Louis XIV a porté Paris à ce haut dégré
de fplendeur où nous le voyons , &
nos neveux pourront à peine ajouter foi au
trait de notre hiftoire qui contient l'énu ,
mération des changemens arrivés fous fon
regne .
Louis XV furpaffera fans doute tous fes
prédéceffeurs , fi , comme il y a lieu de
l'efperer , il fait exécuter le projet de l'embelliffement
de Paris , actuellement fous
preffe , chez Duchefne , rue S. Jacques.
les
Voilà à peu-près , mais exactement ,
changemens arrivés dans la ville de Paris ,
depuis fon origine . Je me propofe d'en
donner un détail qui ne laiffera rien à de
firer , quoique renfermé en un feul volume
in 12. Je dirai même dès à préfent
que ces divers accroiffemens donnerent
-
AOUST. 1755. 163
d'abord lieu à la divifion de cette ville en
quartiers.
Philippe- Augufte la divifa en quatre
parties.
Ses fucceffeurs , jufqu'à Charles VI , en
doublerent le nombre. Ce dernier les por--
ta jufqu'à feize . Louis XIII , la derniere
année de fon regne , en joignant le fauxbourg
S. Germain à Paris , en forma le
dix- feptième. Louis XIV enfin , en 1702 ,
en fixa le nombre à vingt , par une déclaration
du 14 Janvier , confirmée par
une autre , du 12 Septembre de la même
année , registrée au Parlement les Janvier
1703.
Poncet de la Grave , Avocat
au Parlement.
MEDECINE.
EXTRAIT du rapport de M. Hofty ,
Docteur- Régent de la Faculté de Médeci
ne de Paris , pendant ſon féjour à Londres,
au fujet de l'Inoculation .
Mite de fujet de la Grande Bretagne ,
A profeffion de Médecin , ma qualité
& la connoiffance que j'ai de la langue ,
m'ont procuré l'avantage d'être appellé de164
MERCURE DE FRANCE.
puis la paix par la plupart de més compatriotes
, qui voyagent à Paris , & qui y
font tombés malades , & de m'entretenir
avec eux fur ce qui pouvoit être relatif à
la pratique de la Médecine en Angleterre ;
mais pour me mettre encore plus au fait
j'ai formé le deffein de me tranfporter à
Londres , afin d'y juger par moi- même des
variations arrivées depuis quelques années
en ce pays dans l'art de guérir.
Les fuccès conftans qu'a depuis trente
ans à Londres l'Inoculation de la petite
vérole , & les avantages que la France
pourroit retirer en l'introduifant chez elle ,
m'ont fur-tout déterminé à entreprendre
ce voyage .
J'arrivai à Londres le 12 Mars 1755 .
Mon premier foin fut d'aller voir MM .
Cox Willmod , Médecin du Roi , Hoadly ,
Garnier , Ranby , Mideleton , Hawkins ,
Gataker , Truifdal , Adair , Taylor , Heberdin
, Médecin de la Cour , Shaw , Kirk
Patrick , auteur de l'analyse de l'Inoculation
, le Docteur Maty , auteur du Journal
britannique , M. Pringle , connu par fon
excellent ouvrage fur les maladies des armées
, qui eft en commerce de lettres avec
M. Senac , les Docteurs Clephane , Jarnagagne,
Connel, MM . Bell, Pingfton , Brumfield,
Wal , Chirurgien de l'Hôpital de l'Inocu-
1
A O UST. 1755 : 165
lation , Tompkins , Chirurgien des Enfans
trouvés , M. Morton qui en eft le Médecin.
Je cite tous ces Meffieurs comme autant
de garans de la vérité de ce rapport.
Ce font les praticiens les plus employés à
Londres , & les plus connus en France.
Il n'eft pas poffible de marquer plus de
zéle pour le bien du genre humain qu'ils
en ont fait éclater à mes yeux , ni plus
d'envie de répandre dans toute l'Europe
une pratique qu'ils jugent fi falutaire.
Les facilités qu'ils m'ont procurées pour
l'exécution de mon projet en font des
preuves autentiques .
L'Evêque de Worceſter , fi recommandable
par fa charité envers les pauvres , ce
Prélat qu'on peut regarder comme le fondateur
de l'Hôpital de l'Inoculation dont
il eft actuellemeut Préfident , & qui fans
contrédit eft l'homme d'Angleterre le plus
éclairé fur tous les faits qui concernent
l'Inoculation , s'eft fait un mérite de m'inftruire
de tout ce qui y avoit rapport :
d'ailleurs , la protection dont m'a honoré
M. le Duc de Mirepoix à la recommendation
de M. Rouillé , Miniftre des affaires
étrangeres , & la connoiffance que j'avois
déja faite à Paris de plufieurs Seigneurs
anglois , ne m'ont laiffé rien à defirer fur
ce qui faifoit le principal objet de mon
voyage.
166 MERCURE DE FRANCE.
Pendant le tems que j'ai été à Londres
j'ai fuivi tant aux Hôpitaux qu'en ville
deux cens cinquante-deux perfonnes ino
culées , de différens âges & de conditions
différentes , qui m'ont fourni les obſerva
tions fuivantes . *
Le fujet qu'on veut inoculer étant préparé
, on lui fait une incifion très - légere à
un ou aux deux bras , fuivant l'idée de l'Inoculateur
; on y infére un fil impreigné de
la matiere variolique bien choifie , on
daiffe ce fil dans l'incifion l'efpace de
trente-fix heures , on l'ôte enfuite. Quelques-
uns appliquent fur la plaie une emplâtre
, mais d'autres n'y mettent rien du
tout ; elle paroît ordinairement guérie au
bout de quarante heures ; mais le troifiéme
ou quatrième jour elle s'enflamme de
nouveau , les bords en deviennent rouges,
J'en ai vû inoculer depuis l'âge de trois jufqu'à
vingt-huit , & même jufqu'à trente- fix ans.
&
Il me paroît démontré que les adultes qu'on
voit inoculer à préfent , font les enfans d'autant
de gens autrefois ennemis de cette pratique , qui
ne le font rendus qu'à l'évidence du fuccès ,
qui forment aujourd'hui des preuves éclatantes
du progrès & de la bonté de cette méthode. J'ofe
dire que dans peu d'années il ne ſe trouvera perfonne
en Angleterre , à l'âge de quinze ans , qui
n'ait eu la petite vérole naturellement , ou par
infertion.
A O UST . 1755. 167
fignes prefque certains que l'infertion a
bien pris. Le cinq ou fix on apperçoit une
ligne blanche dans le milieu , l'urine eft
de couleur de citron , indications plus fu
res que les précédentes. Le feptiéme ou le
huitième , le malade qui jufqu'alors n'a
point apperçu de changement dans fon
état , commence à fentir une douleur plus
ou moins vive , à une aiffelle , & quelquefois
aux deux . C'eſt pour l'ordinaire le
premier fymptome , enfuite un malaiſe ,
une fievre plus ou moins forte , un mal
de tête , de reins , des naufées fuivies de
vomiffemens . Le neuvième ou le dixiéme
il paroît une fueur très - abondante , ac
compagnée d'une éruption milliaire par
tout le corps. Ces deux fymptomes prééédent
communément de vingt- quatre heures
, plus ou moins , l'éruption de la petite
verole , & difparoiffent avec les autres , a
mefare que
fe fait cette éruption , qui
arrive pour l'ordinaire vers le dixiéme
jour de l'infertion ; dès qu'elle eft parfaite
le malade ne fouffre plus , il eft cenfé hors
de danger , puifqu'autant que l'expérience
me l'a fait voir , l'on n'a rien à craindre
de la fievre de fuppuration , qui eft fi dangereufe
, & fouvent fi funefte dans cette
maladie , lorfqu'on l'a naturellement . Les
inoculés paffent prefque toujours ce roms
}
16S MERCURE DE FRANCE.
fans fievre & fans accident , ce que les
Médecins regardent comme une preuve
convaincante des avantages de l'inoculation
; la fuppuration finit vers le feizième,
& la deffication vers le vingtiéme . On
purge plufieurs fois le malade , on lui donne
alors des alimens plus folides. Pendant
le cours de la maladie on ne permet que
des végétaux , ou des chofes légeres en
ufage dans le
des
que
pays , telles
des afperges , &c, mais ni viande ni poiffon.
navets
Les ulceres de l'incifion fe dilatent &
fuppurent confidérablement vers l'état de
la maladie ; cette fuppuration continue
quelquefois après le traitement , ce qui
provient principalement de la profondeur
de l'incifion , & n'arrive que très- rarement
depuis qu'on ne fait plus qu'une incifion
très-fuperficielle , ou pour mieux dire une
égratignure ; les fymptomes font quelquefois
fi légers , & le nombre des boutons fi
petit , qu'à la diete près , le malade vit à
fon ordinaire , s'occupe & s'amufe fuivant
fon âge , & n'eft pas obligé de garder
le lit. L'Envoyé de Dannemarck en Angleterre
qui s'eft fait inoculer avec la permiffion
de fa Cour & du confentement de
fa famille , à qui cette maladie a été fouvent
fatale , n'a prefque rien changé à fa
maniere
AOUST. 1755: 169
maniere de vivre accoutumée ; c'eft de
tui-même que j'ai eu le détail journalier
de fon traitement .
Le fils de l'Ambaffadeur de Sardaigne
s'eft foumis avec le même fuccès à cette
pratique.
Je paffe aux effets de cette méthode .
Les deux cens cinquante -deux perſonnes
que j'ai vûes inoculées , ont toutes
été guéries fans aucunes fuites fâcheufes ,
elles m'ont paru fe fortifier après le traitement,
& pas une d'elles n'a été marquée;
mais ce qui m'a bien furpris , c'eft que
ceux - mêmes qui avoient beaucoup de
boutons & fort gros , ne paroiffoient pref
que pas rouges après la deffication , comme
ils le font dans la petite vérole naturelle.
L'avantage de conferver la beauté
n'a pas peu contribué à accréditer cette
méthode , auffi eft-il rare de voir à Londres
quelqu'un au- deffous de vingt ans
défiguré par la petite vérole , à moins que
ce ne foit parmi le bas peuple qui n'a pas
le moyen de fe faire inoculer , où qui conferve
encore les anciens préjugés .
OBSERVATIONS PARTICULIERES.
19. Des deux cens cinquante - deux perfonnes
dont j'ai fuivi l'inoculation , deux
H
170 MERCURE DE FRANCE.
feulement m'ont paru en danger. L'un
étoit le fils du Major Jennings , homme de
condition , fort riche , âgé de trois ans ,
inoculé avec fa foeur , âgée de quatre ans ,
& fa gouvernante âgée de vingt trois. Cet
enfant a eu fix accès de convulfions dans
l'efpace de dix- huit heures , immédiatement
avant l'éruption , ce qui a donné de
vives allarmes à fes parens , mais non aux
Médecins ni aux Chirurgiens ; il a évacué
par le moyen de deux remedes , l'éruption
s'eft bien faite , & auffi- tôt tous les acci
dens ont difparu . Au refte cet enfant eft
fujet à ces accès convulfifs , il en avoit eus
antérieurement dans deux autres maladies.
2°. Il m'a paru que les enfans délicats
& les filles avoient les fymptomes moins
violens , plufieurs praticiens n'ont fait aucunes
obfervations là-deffus .
3°. Les Anglois pour fauver leurs enfans
du danger de cette maladie , m'ont
paru anticiper fur l'âge convénable en les
faifant inoculer à la mammelle & au - def
fous de quatre ans . J'ai obfervé conftamment
que l'âge depuis quatre ans jufqu'à
quinze , étoit le plus propre , & que les
perfonnes au -deffus de quinze fouffroient
moins les enfans au-deffous de quatre que
ans. Cette remarque eft conforme à celles
des gens de l'art.
;
AOUST. 1755. 171
” . J'ai vû des adultes des deux fexes ,
même forts , replets & très- robuftes guérir
fans accident , & d'une façon furprenante,
5°. Quoiqu'on choififfe pour l'inoculation
le tems qui fuit immédiatement les
régles , elles furviennent cependant prefque
toujours dans le cours de la maladie
ont plus ou moins de durée , & finiffent
fans aucun accident.
6°. J'ai vû plufieurs perfonnes n'avoir
que très-peu de boutons , quelquefois feulement
autour de l'incifion , comme la
fille du Comte de Fitz Williams . Un adulte
en eut une douzaine ; le premier lui
vint au gros doigt du pied , remarque curieufe
, & qui prouve inconteftablement
que le virus a circulé par toute la maffe du
fang , quoiqu'il n'y eut que peu de boutons.
Quelquefois la feule fuppuration des
ulceres tient lieu de tout.
7°. Les fymptomes & l'éruption paroiffent
quelquefois fort tard . La fille de Mylord
Dalkitk à qui ils n'ont paru que le
quatorziéme jour après l'infertion , & un
enfant trouvé , dont je parlerai plus bas ,
auquel ils n'ont paru que le vingt-fix en
font des exemples.
8°. Cinq perfonnes n'ont pu prendre la
petite vérole , quoiqu'on eut réitéré l'infertion
; l'un étoit en ville , & les quatre
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
autres aux Hôpitaux ; & quoiqu'ils fuffent
tous cinq expofés pendant le traitement
des autres à l'infection , ils ne la contracterent
pas.
Les deux Hôpitaux dans lefquels fe pra
tique cette méthode , font celui de la petite
verole , ainfi nommé , parce que l'on
n'y traite que cette feule maladie , foit naturelle
, foit artificielle , & celui des Enfans
trouvés. J'ai apporté tout ce qui regarde
l'établiffement & les réglemens de ces Hôpitaux
, auffi - bien que l'hiftoire de l'inoculation
, depuis le jour de leur établiſſement
jufqu'à celui de mon départ , qui m'ont été
remis par ordre du Commité : en voici
le détail . *
Depuis le 26 Septembre 1746 , jour de
l'ouverture de l'Hôpital de l'Inoculation ,
jufqu'au 14 Mai 1755 , il y a eu fix cens
quatre inoculés , y compris quatre- vingtdix-
fept de cette année. Les cinq premieres
années de fon établiſſement cette méthode
Y étant encore dans fon enfance , & l'hôpital
n'étant pas encore en état de fournir
toutes les commodités aux malades , de cent
trente une perfonnes , il en eft mort deux ;
l'une attaquée de vers , l'autre foupçonnée
d'avoir cette maladie naturellement dans
le tems de fon inoculation * . Les quatre
* L'Hôpital pour l'Inoculation eft encore bieg
A O UST. 1755 . 173
dernieres années , de quatre cens foixantetreize
, un feul eft mort ; & fuivant les regiftres
de ce même hôpital , de neuf perfonnes
qui ont la petite vérole naturelle ,
il en meurt deux .
Depuis 1741 , on a inoculé aux Enfans
trouvés deux cens quarante-fept , dont un
feul eft mort , ce que l'on croit , par un
accident étranger à l'inoculation.
à
Total des inoculés dans les deux Hôpitaux
,
Morts ,
851.
4.
La premiere fois que je vifitai l'Hôpital
de l'Inoculation , je fus témoin d'un contrafte
bien frappant. Il y avoit fur le même
quarré deux falles ; l'une deftinée à la
petite vérole naturelle , l'autre à la petite
vérole , qui s'y donne par infertion. Dans
la premiere de ces falles je vis des malades
qui excitoient non feulement la compaffion
, mais la terreur , hideux , gémiffans
, prêts à rendre l'ame ; on les auroit
cru frappés de la maladie la plus cruelle
& la plus dégoûtante. Dans l'autre falle
pauvre , ce qui oblige de mettre les inoculés avec
ceux qui font attaqués de la petite vérole naturelle
ce qui ne peut manquer d'infecter l'air , &
de rendre en cet endroit la pratique de l'inoculation
plus fujette à des accidens qu'ailleurs,
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
on n'entendoit ni cris de douleur , ni voix
mourante ; on ne voyoit ni fouffrance ni
accidens , ni même aucun malaiſe : au contraire
les malades étoient gais , & jouoient
entr'eux. Il y avoit vingt-fix filles inocu-
1ées , depuis l'âge de dix ans jufqu'à vingtquatre
, qui n'étoient point alitées , qui
couroient les unes après les autres , & fe
divertiffoient comme on a coutume de le
faire à cet âge , lorfqu'on fe porte bien .
J'eus occafion de faire aux Enfans trou
vés une obfervation très intéreffante fur le
nommé Claringdon , âgé de cinq ans , qui
fe trouva pris de la rougeole , fans que
T'on s'en fût apperçu , dans le tems qu'il fut
inoculé. Le lendemain les fymptomes de
la rougeole fe manifefterent avec affez de
violence pour faire craindre pour fa vie ,
les taches parurent au tems ordinaire ; la
maladie prenant fon cours fe termina heureufement.
Le vingt- fixième jour de l'inoculation
la petite vérole parut en affez
grande quantité , & eut fon cours fans
aucun accident remarquable . Le malade
guérit des deux maladies , ce qui prouve le
peu de danger de cette pratique , & que
l'humeur de la petite vérole eft différente
des autres humeurs , & ne fe mêle point
avec elles.
AOUST. 1755 175
FAITS ET INFORMATIONS.
1º. Je n'ai pu trouver dans tout Londres
un feul Medecin , Chirurgien ou
Apoticaire qui s'oppofât à l'inoculation ,
ils en font au contraire tellement partifans
qu'ils font tous inoculer leurs propres
enfans. Ils regardent cette pratique
comme la plus grande découverte que
l'on ait fait en médecine depuis Hyppocrate
.
J'ai vu inoculer avec fuccès les deux
filles du Docteur Ruffel , l'une âgée de 2 9
ans , l'autre de 23 .
20. M. Ranby , premier chirurgien du
Roy d'Angleterre m'a affuré avoir inoculé
plus de 1600 perfonnes fans qu'il en foit
mort une feule. M. Bell , éleve de M. Morand
, 90 , avec le même fuccès. Enfin
M. Hadow , médecin à Warvick & ami du
docteur Pringle , inocule depuis 18 ans
avec un fuccès furprenant (a) .
( a ) Le Docteur Pringle connu de M. Senac , a
écrit au docteur Hadow pendant mon féjour à
Londres , pour le prier de répondre à quelques
queftions que j'avois faites par écrit . J'ai reçu la
réponse aux trois premieres avec une lettre du
Docteur Pringle , depuis mon arrivée à Paris . J'ajoute
ici la traduction des deux lettres . Ces Mefhieurs
me promettent de répondre aux douze autres
questions.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
3°. Il ne fe trouve pas un feul exemple
qu'une perfonne qui ait eu la petite vérole
bien caractérisée par l'inoculation , l'ait eu
une feconde fois , cela eft fondé fur plu
fieurs expériences réïtérées & bien avérées.
Pour décider que le malade eft à l'abri de
cette infection , ils ne demandent qu'une
preuve non équivoque que le virus a opéré
fur la maffe du fang : quelques boutons fur
le corps , ou la fuppuration des incifions
fans éruption leur fuffifent.
4°. Il ne fe trouve pas d'exemple d'aucune
autre humeur fcorbutique , &c. qui
ait été introduite par l'inoculation , cela
eft même confirmé par quelques expériences
, hardies à la vérité ; auffi l'on ne s'inquiette
plus à cet égard d'ailleurs il eſt
facile par le choix du fujet qui fournit la
matiere d'en éviter le rifque (a).
5. Il ne fe trouve point un médecin à
Londres , autant que je l'ai pû apprendre ,
qui croye que l'on ait la petite vérole plufieurs
fois (b).
(a ) L'exemple de la complication de la rougeole
& de la petite vérole dans l'enfant trouvé
dont je viens de parler , me paroît ne laiffer aucun
doute là -deffus.
(b ) Le docteur Maty , qui avoit eu la petite.
vérole naturelle , voulant fe convaincre de ce fait,
s'eft inoculé lui-même fans pouvoir . ſe la donnen
AOUST. 1755. 177
6. Les Catholiques s'y foumettent ainſi
que les Proteftans , Mylord Dillon a fait
inoculer fon fils & fa fille aînée ; Madame
Chelldon , fa parente , craignant beaucoup
cette maladie , s'eft fait inoculer ce printemps
à l'âge de trente- fix ans , & mere de
douze enfans aufquels elle a ainfi donné
l'exemple du courage.
La fille du Duc de Beaufort , âgée de 15
ans, m'a fourni un fecond exemple de réfolution
, elle s'eft fait inoculer le 25 Avril
dernier de fon propre mouvement . On la
regarde comme la beauté de l'Angleterre ;
tout le monde s'intéreffoit à cet évenement ,
& le fuccès a répondu aux voeux que le
public formoit pour elle. J'ai retardé mon
retour de quinze jours pour affifter à fon
traitement.
Je pourrois citer plufieurs autres obfervations
curieufes & intéreffantes touchant
cette pratique que je tiens de perſonnes
très- dignes de foi , mais voyant que ce
rapport paffe les bornes convenables , &
n'ayant d'autres but que de rapporter fimplement
ce que j'ai vâ , & nullement de
décider la queſtion , je finirai en affurant
que les libéralités des perfonnes prévenues
autrefois contre cette pratique par religion
Ce détail ſe trouve dans fon Journal Britannique
des mois de Novembre & Décembre 1754
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
ou par quelque autre motif, font aujour
d'hui le principal revenu de l'hôpital de
l'inoculation , & que les regiftres font
remplis d'exemples curieux & touchans de
peres & meres qui ayant été maltraités par
la petite vérole naturelle ont eu recours
malgré leurs préjugés à l'inoculation fouvent
pour fe conferver l'unique enfant qui
leur reftoit.
Lettre à M. Hofty . Londres , ce 5 Juin 175.5.
Enfin j'ai reçu , Monfieur , la réponſe
du docteur Hadow à quelques- unes de vos
queſtions , elle me paroît judicieufe & fatisfaifante
par rapport aux trois premieres ;
lorfqu'il aura fini , je ne manquerai pas de
vous en faire part . Je vous renouvelle les
fouhaits finceres que je fais pour tous vos
fuccès , & pour celui de l'inoculation en
général.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Signé , Jean Pringle.
Lettre au docteur Pringle . Warwick ,
ce 2 Juin 1755.
Je ſuis honteux , Monfieur , de répondre
fi tard à votre lettre ; je n'étois point
chez moi , lorfque je l'ai reçue , & j'ai été
tellement occupé depuis à achever les inoculations
de cette faifon , & à quelques
A OUST. 1755. 179
autres affaires , que je n'ai pas eu le tems
de faire une réponſe convenable aux queftions
du docteur Hofty . Je ferai toujours
prêt à lui communiquer ou à tout autre de
vos amis , tout ce que je fçai , & tout ce
que j'ai obfervé dans la pratique de l'inoculation
.
M. Hofty fouhaite d'abord fçavoir ce
que j'obferve dans le choix d'un fujer pour
Finoculation par rapport au tempéramment
, à l'âge , au fexe ; il eft certain que
les jeunes gens qui fe portent bien font les
fujets les plus propres pour être inoculés.
Mais lorfque la petite vérole paroît en
quelque endroit , la terreur qu'elle occafionne
eft fi grande , & il fe trouve tant de
perfonnes qui demandent à être inoculées
que nous ne pouvons les renvoyer , d'autant
plus que ceux qui ont été refufés par
un inoculateur , ont recours à un autre. Je
n'ai jamais refufé qu'une feule perfonne ,
& depuis dix-huit ans que je me mêle de
cette opération , j'en ai inoculé depuis l'âge
de trois mois jufqu'à foixante - deux ans.
Je pense que le tems le plus für pour l'inoculation
eft depuis trois ans , ou lorsque les
premieres dents ont toutes perçées , jufqu'à
l'âge de dix ou douze ans. A cet age
on n'a aucune frayeur de cette maladie..
Les enfans dont les dents percent , ont des
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
accès convulfifs , quelquefois la premiere
nuit de la fievre , & aucuns enfuite , mais
plus fréquemment la nuit de l'éruption .
Je n'ai pas remarqué que ce fymptome fut
fatal , la faignée ou l'application des fangfues
le fait communément ceffer. A force
de voir des malades inoculés fans diftinction
, je fuis devenu beaucoup plus hardi
que je ne l'aurois jamais cru . Les ſcorbutiques
, les afthmatiques , ceux qui font
attaqués de rhumatifmes , les filles qui ont
les pâles couleurs , ne fe trouvent pas plus
mal de cette méthode que les autres . Un
fang épais & coëneux ne produit pas autant
de petite vérole qu'un fang bien vermeil
& qui a peu de férofité. Les perfonnes
blondes dont la peau eft fine & mince ,
l'ont communément moins que les noires
dont la peau eft épaiffe & dure . J'ai cependant
traité quelques- unes de ces derhieres
qui ont eu des ſymptomes très-favorables.
Les perfonnes maigres ne réuffiffent
pas mieux que celles qui font un peu graffes
& dans un embonpoint. J'ai inoculé
quelques hommes qui pefoient deux cens
cinquante- deux livres , dont l'éruption fe
fit d'une maniere très aifée . Les femmes
en général fouffrent davantage .
Å l'égard des préparations générales qui
forment la feconde queftion de M. Hofty ,
A O UST. 1755. 181
elles font les mêmes que celles de Londres.
Au commencement je faifois faigner mes
malades le jour qui précédoit l'inoculation
pour voir en quel' état étoit leur fang.
Si je n'en étois pas content , je leur faifois
continuer les remedes préparatoires
un peu plus long- tems , mais maintenant
je ne fuis pas fi fcrupuleux , je ne
faigne ni les enfans , ni les jeunes filles
pâles , ni les femmes hiftériques & foibles.
J'avois autrefois coutume de donner un
vomitifun foir ou deux avant que la fievre
parut , afin de nettoyer l'eftomac & les inteftins
. Mais j'ai plufieurs fois éprouvé que
la violence du vomitif occafionnoit la
fievre , qui ne difparoiffoit que dans le
tems de l'éruption ; à préfent lorfque je
juge qu'un vomitif eft néceffaire , je le
donne le foir qui fuit l'inoculation .
Pour fatisfaire à la troifiéme queftion
fur l'incifion , j'en fais maintenant une
ou deux , & auffi légere qu'il eft poffible.
Dans les commencemens , je faifois une incifion
à un bras & à la jambe opposée
Mais j'ai trouvé cette méthode fujette à
quelques inconvéniens parmi le beau fexe,
des inflammations , des clous , des tumeurs
paroiffent quelquefois auffitôt après l'exficcation
de l'incifion de la jambe.
J'ai vu quelquefois des fymptômes très182
MERCURE DE FRANCE.
violens , occafionnés par une incifion trop
profonde fur le milieu du mufcle biceps.
J'efpere la femaine prochaine répondre
à quelques autres queftions de M. Hofty s
que je voudrois obliger fur ce que vous.
m'en dites.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Signé , Jacques Hadow , M. D.
CHIRURGIE.
REFLEXIONS critiques adreffées à M*** ,
Médecin à Lyon , fur une Lettre annoncée
fous le nom du fieur Beranger , Oculifte , par
M. Daviel le fils , Maître- ès Arts en l'Univerfite
de Paris.
En erit unquam
Ille dies , mihi cum liceat tua dicere facta ș
Virg. Bucolica
MONSIEUR , j'avois déja vu la lettre
du fieur Beranger , lorfque vous eûtes la
bonté de me l'envoyer ; je fuis cependant
fenfible autant qu'on le pent être à cette
marque d'attention de votre part ; j'ai été
fort furpris qu'elle eut déja parcouru vos,
contrées , me perfuadant que l'on fe feroit
contenté d'en informer feulement les aubergiftes
fur la route de Bordeaux à Paris :
mais je m'apperçois que l'on n'aura fait
A OUST. 1755. 183
grace à qui que ce foit , il auroit été jufte
cependant que l'auteur fauvât les ports de
lettres à ces perfonnes qui ne m'ont informé
de cette anecdote , que par les plaintes
ameres qu'elles témoignoient contre cet
opérateur , qui fembloit les mettre à contribution
, pour leur faire tenir un ouvrage
, dont la matiere ne les intéreffoit
nullement. Permettez moi cette digreffion,
elle peut fervir à vous fatisfaire fur l'explication
que vous me demandez de quelques
articles de cette lettre , & de la bonne foi
de l'auteur.
Perfuadez - vous , Monfieur , que quelques
fuccès que j'euffe pû me promettre
en faveur de la caufe que je défends ,
je n'aurois pu me réfoudre à refuter
un tel ouvrage ; je ne trouvois rien qui
put me fatter dans une pareille difcution
; d'ailleurs , que n'avois- je pas à ménager
, un public au fervice duquel je me
fuis dévoué pour la chirurgie , auquel j'aurois
voulu préfenter un effai bien différent
de mes travaux ; un pere auquel j'aurois
craint de déplaire en époufant fa querelle
dans une telle occurrence , perfuadé que
fon nom feul capable d'impofer un filence
refpectueux à l'auteur , fiffifoit pour me
prohiber toute voye deffenfive : vu ces raifons
, je m'étois condamné au filence , &
184 MERCURE DE FRANCE:
^
je le garderois encore fi plufieurs perſonnes
ne m'avoient fait rougir de mon indifférence
, à fouffrir qu'on put impunément
en impofer au public , & attaquer mon
pere par des propos indécens qui tendoient
à entamer la réputation dont il jouit à fi
jufte titre. J'ai cru devoir céder à des raifons
auffi plaufibles ; peut- être que ce même
public , juge integre dans tous les différends
, confidérera que c'eft un fils , qui
épargne à fon pere le déplaifir d'entrer en
lice avec un adverfaire fi peu digne de lui ;
vous connoiffez fa façon de penfer , Monfieur
, puifque vous avez été un de ceux
qui ont rendu publiquement hommage à
fes talens , & je me perfuade volontiers
qu'il n'eft perfonne qui ne porte fur la lettre
du fieur Béranger , le même jugement
de Démophon dans Térence ? Ipfum geflio
dari mi in confpectum avec d'autant plus de
raifon que l'on ne peut manquer de s'appercevoir
qu'il a péché par le fentiment le
plus noble , qui eft celui de la reconnoiffance
: comment n'a- t- il pu s'appercevoir.
qu'il s'abufoit en déchirant la réputation
d'une perfonne dont il devoit tirer tout
l'éclat voulant s'annoncer fon éleve . Mais
ce n'eft pas la feule faute que j'aurai à lui
reprocher dans fa lettre , je vais vous les
faire appercevoir.
A O UST. 1755. 185
Ne nous abuſe-t-il pas d'abord , lorfqu'il
veut nous perfuader que privant la capitale
de fa préfence , il eft allé parcourir les pays
étrangers pour s'y rendre utile & s'y perfectionner
dans fon art ; mais comment l'auroit-
il pû , agité tour à tour par le tracas
d'un voyage , occupé à compofer différens
perfonnages fuivant la différence des
moeurs de chaque pays ; avec de telles vûes
comment s'avancer dans un art qui exige.
une application fi exacte , des veilles fré
quentes , des lectures utiles & multipliées ,
dans lequel on ne peut qu'à l'abri d'un
féjour tranquille , pofer fes idées , les rédi
ger , parcourir fes obfervations , en tirer
des conféquences utiles à la perfection
de cet art, & au bien des malades : croiroiton
que c'eft-là l'occupation d'une perfonne
qui court bien des villes , qui paffe de
contrées en contrées , pour y voir des malades
, les opérer , & partir.
Cependant le fieur Beranger , bien loin
de convenir de cette allégation , foutient
au contraire que c'eft dans fes courfes
qu'il a pu s'illuftrer au point de mériter
qu'on lui déférat la primauté fur tous ceux
de fon état ; il a fçu trop bien manier la
nature à fon gré , difpofer des maladies ,
& des guérifons , jufques- là ( a) que mal-
(a) Voyez la gazette d'Amfterdam du mardi
1 Octobre 1753•
186 MERCURE DE FRANCE.
gré les maladies fecrettes dont la plupart des
malades en Espagne avoient été infectés , &
un fang tout- à-fait corrompu , il n'a pas en
encore , dit- il , le déplaifir d'entreprendre la
guérison d'un malade , qu'il ne foit parvenu
à le guérir radicalement. Mais , malgré des
fuccès auffi brillans , les Efpagnols ne lui
ont point applaudi , il fe plaint amèrement
dans fa lettre de leur mauvaiſe grace à lui
faire un procès fur ce qu'il avoit fait imprimer
la lifte des malades qu'il avoit guéri ;
ils ont eu grand tort en effet , de prohiber
un écrit dont les faits vérifiés fufpects ,
légitimoient leur conduite à fon égard ,
ils font très-blamables auffi , fi bien loin
d'accueillir & favorifer cet oculifte, ils l'ont
maltraité mais comme dans ces contrées ,
nous avons plus à redouter de la calomnie &
des effets de la jalousie , voilà fans doute la
caufe de fa difgrace dans ce pays , il fçait
bientôt après prendre noblement fon parti ,
& fe confoler de fa mauvaiſe fortune , déclarant
qu'il n'eſt pas auſſi jaloux d'une réputation
dans l'étranger qu'il le feroit de celle
qu'il peut mériter dans fa patrie. La défaite
eft étrange : & c'eft en quoi il differe de
bien des gens
gens de mérite , qui fçavent prifer
l'eftime des plus petits, que la moindre confiance
flate & fatisfait.
Un Oculiste auffi rare cependant devroit
AOUST. 1755. 187
être fatisfait , ce me femble , de fon haut
mérite , fans dérober ce qui fait celui des
autres , pour ajouter à fa gloire : pourquoi
fe montrer plagiaire des découvertes d'un
autre , quel avantage auffi peut- il fe promettre
en improuvant des faits dont tout
un public eft inftruit ? Si nous en croyons
fon écrit , l'ancienne opération étoit la
feule connue en 1753 ( qui eft à peu près
le tems du retour de fes courfes , ) mais
comment nous perfuader ce qu'il avance :
croirons- nous que nullement informé de
ce qui a été annoncé la- deffus , il fe foit
trompé : non ; ne devroit - il pas fçavoir
qu'en 1752 , M. Daviel avoit dépofé dans
les faftes de l'académie de Chirurgie , un
mémoire fur cette nouvelle méthode , par
lequel il démontre avoir pratiqué deux
fois l'extraction de la cataracte avec fuccès
en 1745 , & l'avoir adoptée entierement en
1750. Tous les gens de l'art ont lu fa lettre
à M. de Joyeuſe , celle de M. de Vermale ,
la vôtre même , Monfieur : defavoue - t- on
des faits auffi folidement conftatés ? ces
ouvrages ne feront fans doute pas échappés
à la vigilance du fieur Beranger. Ce n'eft
pas tout , ne veut- il pas auflì à l'inftar de
quelques critiques deſoeuvrés , lui dérober
la gloire d'avoir inventé cette opération
Ne feroit-ce pas dit- il , pour avoir ofé met188
MERCURE DE FRANCE.
tre en doute , qu'il fut l'invenieur de l'extras"
tion ; il a pû le fçavoir par des diſcours , mais
il en fera encore mieux inftruit , quand il
verra les preuves que j'en rapporte dans un
autre ouvrage , je dirai même qu'il paroît
s'en réferver la gloire , mais les reproches
amers que lui ont fait là- deffus la plupart
de Meffieurs les Chirurgiens de Bordeaux
auroient dû le défabufer d'une prétention
auffi mal fondée , qui tend , fi je ne me
trompe, à lui faire difputer le pas avec mon
pere. Mais par quelle voye fe promet - il de
l'atteindre ? eft- ce par la légereté defa main ?
comme fi avec une main légere on ne pou
voit pas faire habilement une mauvaife
opération ; eft- ce parce qu'il a réuffi dans
des cas aufquels il ne s'attendoit point ? N'afpire-
t-il pas à devenir fon émule , en ouvrant
ici des artères angulaires , puis à
grands coups de tenaillons , brifant les
os voisins d'une partie qu'il ignore (a ) ,
il fçait perfuader adtoitement , que c'eft
pour le bien du malade qu'il a manoeu
vré ainfi Seroit- ce parce qu'il faifit délicatement
le tarfe dans les trichaifes ,
d'où il reste un éraillement de la paupiere
fupérieure jufqu'au fourcil , telle eft une
dame que j'ai vifitée moi- même ( b) , tels
(4) Voyez la lettre de M. Larieux , ci -jointe.
(b) Madame Frefciné , bourgeoiſe de la même
ville , rue des Menus.
1
AOUST. 1755. 189
prafont
auffi deux malades à l'hôpital S. André
de Bordeaux , qu'il a opérés dans le même
goût. Ce reproche eft d'autant plus juſte
que de toutes les opérations que l'on
tique fur les yeux , celle- là eft la plus fimple
, & le tarfe eft la feule partie que l'on
doive craindre de toucher ; voilà fans doute
par quel chemin le fieur Beranger prétend
effacer mon pere , que ne peut- il ſe
perfuader que l'on n'eft pas opérateur pour
avoir vû opérer , il en feroit plus fage. Que
ne fe propofoit- il pour exemple nos meilleurs
auteurs , lefquels fe regardant comme
les artifans de la nature , ont travaillé
fans ceffe à la connoître pour fçavoir l'aider
à propos lorfqu'elle fe prête , la relever
lorfqu'elle manque ? ils lui euffent appris à
éviter les écueils où il a échoué , alors il
n'eut pas eu befoin de recourir à la prédeſtination
pour définir la caufe des accidens
: il étoit dit que ce malheureux ſouffriroit
des contre-tems. Combien le public
ne devroit-il point être circonfpect fur le
choix de ces oculiftes , qui font à leur gré
des opérations pour s'exercer à
s'exercer à porter un
inftrument avec vivacité , qui comptentfur
des guérifons par la légereté de leur main ,
qui ne fçavent ce que c'eft de mefurer leurs
pas à la délicateffe & à la fphere étroite
d'une partie ; depuis long- tems les vrais
190 MERCURE DE FRANCE.
praticiens ont abandonné aux empiriques
le brillant , le vif dans les opérations , pour
pouvoir avec toute fureté toucher , réflé
chir , combiner les parties qu'ils doivent
attaquer , celles qu'il faut éviter , les maux
qu'ils ont à entreprendre, d'où ils concluent
qu'une bonne & utile opération eft affeztôt
faite , lorfqu'elle eft bien faite. Cela
pofé , je crois qu'il a mauvaiſe grace à con
foler , par la légereté de fa main , M. de la
Faye , de la critique qu'un homme véritable
ment de l'art , afaite de fon inftrument ; où
eft donc cette critique ? Quel est donc ce
motif de confolation ? Mon pere , il eft
vrai connoiffant la bonté de fa méthode
par fes heureux fuccès , n'adopte pas pour
lui l'inftrument de M. de la Faye , & comment
ne peut-on , fans tomber dans cette
jaloufie , qui ne permet pas de voir avec plaifir
les progrès d'un art s'augmenter en d'autres
mains que dans les nôtres , garder ce que
l'on croit bon par pratique , fans le quitter
pour ce qui peut l'égaler . L'une & l'autre
méthode ont leurs avantages , l'une & l'au
tre ont leurs inconvéniens ; vu cette jufte
réflexion , notre oculiſte a tort , veut- il
femer la zizanie parmi ces deux artiſtes ,
lefquels foigneufement occupés du bien
public , & non par des motifs d'une fervile
jaloufie , fçavent fe contredire fans huAOUST.
1755. 191
faimeur
, fans préfomption , fe prêter leurs
avis , & fe céder mutuellement fans contrainte
, lorfque le mieux l'exige.-
Volontiers , le fieur Beranger , pour
re valoir l'inſtrument de M. de la Faye ,
exigeroit que la nature fe dérangeât dans
fon ordre , qu'un liquide qui n'eft plus
contenu , pût fe compofer , & refter en
place. Alors , dit - il , on éviteroit les accidens
auxquels cet inftrument eft fujet ; mais s'appercevant
bientôt du ridicule de cette idée ,
il engage l'opérateur à ne pas laiffer fortir
toute l'humeur aqueufe avant que l'incifion
de la cornée ne foit achevée. Ce précepte
eft purement imaginaire , & ne fuppofe
pas une grande notion du méchanifme
de l'oeil dans celui qui le donne : car il
eft moralement impoffible d'empêcher que
l'humeur aqueule contenue dans la chambre
antérieure , ne s'échappe auffi-tôt que
l'inftrument s'eft fait jour d'un angle à
l'autre . Cependant une main auffi légere que
la fienne peut en venir à bout , & l'on voit
bien que ce n'est ni la main , ni les yeux d'un
vieillard qui peuvent franchir ces obftacles.
( Je vous dirai , Monfieur , propos
de ce
nom de viellard par lequel cet opératenr
croit défigner mon pere , que parmi tous les
fecrets qu'il poffede , je ne lui connoiffois
pas encore celui de vieillir à fon gré des
à
192 MERCURE DE FRANCE.
perfonnes qui peuvent s'oppofer à fon
ambition dangereufe. Avec un peu moins
d'animofité il nous eut donné une critique
plus vraie & plus délicate . ) Pour ces opérations
, pourfuit- il , il faut une main exercée
au travail. Mais où font donc les travaux
du fieur Beranger par lefquels il a pu acquérir
cette habileté tant vantée ? où font les
hôpitaux qui l'ont élevé , quels font les maîtres
de l'art qui l'ont enfeigné ? Ne croirat-
on pas plutôt que les yeux & les mains de
la perfonne refpectable dont je prens la
deffenfe , qui ont vu & démontré l'anatomie
, pendant vingt- cinq ans , qui fe font
exercés fur dix mille cadavres à pratiquer
des opérations quelconques , fans détailler
ici ce qu'ils ont pratiqué fur les vivans ,
ne fçauroient être attaqués par les fades
railleries de cet oculifte. Reconnoîtrezvous
là , Monfieur , un éleve qui fe dit foumis,
refpectueux , lequel aux dépens même de
fa gloire éleve fon maître au- deffus de tous les
hommes de fa profeffion . Le fieur Beranger
ne fe décourage pas , & je ne puis parcourir
aucun article de fa lettre fans y trouver
des découvertes qu'il s'approprie . Je ne regarde
point , nous dit-il , la hernie de l'uvée
comme un accident , quoiqu'en difent les auteurs
, & même je la coupe fans rien craindre.
Maiscomment a-t- il pu fe promettre d'être
tranquille
A O UST . 1755. 193
tranquille poffeffeur d'un bien qu'il n'eut
pas été en lui d'acquérir , en impofa- t- on
jamais à un public inftruit de ce qu'a dit
mon pere fur cette matiere dans les Journaux
publics , dans les mémoires de l'Académie
(a) , longtems avant que le fieur Beranger
eut penfé aux maladies des yeux. Je
foufcrirai volontiers qu'il ait eu des idées
fur cette matiere lorfqu'il a coupé l'iris
avec un inftrument qui n'étoit pas des mieux
faits , ni affez tranchant . Et pourquoi fans
déférer à mon pere la gloire de l'avoir dit
le premier , donne-t -il à penfer que c'eſt à
lui feul à qui on doit fçavoir gré d'une découverte
auffi intéressante.
coup
par
Notre oculifte cependant s'effaye quelquefois
à donner du nouveau fur des matieres
fort épineufes , annonçant, qu'il fçait
fûr déterminer l'état des cataractes
leurs couleurs : cette découverte doit
vous paroître merveilleufe , mais je veux
vous démontrer , qu'elle eft fans fondement
. A le fuivre avec réflexion dans cet
amas confus de paroles avec lefquelles il
veut nous perfuader la validité de fon fyftême
, divifant au hazard dix efpeces de
( a ) Voyez la lettre de M. Daviel à M. de
Joyeuſe , fa réponſe à M. de Rouffilles , & les mémoires
de l'Académie royale de chirurgie . pag.
3.37. du II , vol ,
I
194 MERCURE DE FRANCE.
couleurs en deux claffes , dont huit annoncent
le tiffu du cristallin , relâché , & deux
où les couches de ce même corps font intimement
unies , il eſt aifé d'appercevoir
par les effets contraires de fon expérience
même , qu'il n'a point réfléchi avant de le
produire au jour. A l'hôtel de ville de Bordeaux
, il opéra un homme il y a trois mois
dont il avoit annoncé les deux cataractes
bonnes & folides , à peine la membrane criftalloïde
fut elle ouverte que l'idatide s'écoula
& furprit infiniment cet opérateur (a) . Il
n'eft pas plus fûr de fa nouvelle découverte
dans fa lettre , quoiqu'il la publie infaillible
, fes obfervations même le démentent .
Lorfque les couches fuperficielles du criſtallin
font plus étroitement unies , la cataracte a
plus de blancheur. Voilà la couleur & l'état
de folidité déterminés par l'auteur , & voici
fa contradiction. Deuxieme obfervation ,
Jean Trigeart étoit affligé de deux cataractes
dont la couleur étoit blanchâtre qui me parurent
bonnes à être opérées avec ſuccès , je vis
bientôt avec furpriſe qu'il ne fortit point de
criftallin , mais feulement une quantité de pus,
comment veut - il donc faire valoir fon fyf-
(a) J'étois préfent à cette opération avec M. de
la Montagne médecin , & M. Forcade fils , chirurgien
, qui s'apperçurent comme moi de fon
erreur.
AOUST. 1755. 195
par
tême le deffendant fi mal . Il ajoute que
l'humeur vitrée étoit abcédée , comme le crif
tallin. Je ne vois pas que cette défaite
puiffe lui être avantageufe en aucune façon.
Car il est évident que fi les yeux
avoient été abcédés , l'abcès fe feroit manifefté
en dehors des accidens quelconques
; delà avec un peu moins de routine ,
& plus de théorie , il eut prévu indubitablement
la diffolution de l'humeur vîtrée ;
par fon nouveau fyftême l'état de la cataracte
, & par une réflexion néceffaire , il
eut épargné au malade une opération &
des douleurs infructueuſes , & à lui le déplaifir
d'être tombé dans une faute auffi
groffiere ; il eut mieux valu avouer ingénuement
qu'ayant voulu extraire la membrane
du criftallin qui eft fort épaiffe &
adhérante pour l'ordinaire en pareil cas ,
il l'avoit trop tiraillée , qu'en conféquence
les membranes internes déchirées auffi , s'étoient
abcédées , & avoient entraînées la
perte de l'oeil ; ç'eut été alors un malheur
que perfonne n'auroit été en droit de lui
reprocher.
L'adhérance des cataractes par ancienneté
, ne me paroîtra pas plus certaine que fa
differtation fur les couleurs , je dirai même
qu'elle eft contraire à l'expérience , celle
qu'il fuppofe du criftallin avec fa mem-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
par
brane n'arrive jamais , je m'explique ; feu
lement dans les cataractes pierreufes ou
offeufes ; en un mot , je pense que fon idée
fur la maturité des cataractes eft fans fon-
- dement . En effet , je dis : 1 ° . qu'une cataracte
ne peut fe rendre adhérante à la partie
poftérieure de l'uvée que par inflammation
, & par coup d'inftrumens tranchans
ou piquans ( a) , cette adhérance même eft
contractée dès le principe de la maladie ,
je dis même que le criftallin defféché
fon ancienneté , tendroit plutôt à dégager
fa membrane de l'adhérance s'il s'en
trouvoit ; cet oculifte auroit dû s'en rapporter
au fentiment de feu M. Petit qu'il
rapporte lui -même. 2°. Le criftallin , vu la
diftinction donnée , ne peut pas contracter
une adhérance avec fa membrane , il ne
peut fe faire tout au plus qu'un collement
produit par le deffechement de l'humeur
de Morgagni , j'ai vérifié moi- même ce
que j'avance dans des cristallins de vieillards,
lorfque j'en ai trouvé de defféchés je
les ai toujours féparés avec beaucoup de
ménagement , il eft vrai , de leurs membranes
, ce que je n'aurois pû faire s'il
avoit eu adhérance. 3 ° . Il eft abfurde de
croire que nous devions juger de la matu-
(a ) Voyez la réponfe de M. Daviel à M. de
Rouffilles.
y
AOUST. 1755. 197
tité des cataractes par la facilité que nous
à
pouvons nous promettre
porter un inftrument
dans l'oeil . La perte de la vûe au
jour près , que le malade doit toujours appercevoir
, eft la feule maturité à obferver
, d'où je conclus que le fieur Berranger
s'eft lourdement trompé dans les trois
differtations que je viens de réfuter .
Cependant malgré les vérités que j'expofe
, il a trouvé des deffenfeurs qui lui
ont livré des certificats à l'abri defquels
il s'eft cru affez fort contre les reproches
que l'on pourroit lui faire ; mais quelque
foi que l'on doive ajouter aux certificats
, dont quelques uns font livrés
par des perfonnes non compétentes dans
l'art , on fçait bien qu'un empirique en
produit auffi , en eft - il cru plus habile ?
Les grands hommes font bien éloignés de
fe faire valoir par de pareils témoignages ,
c'est par leurs fuccès , c'eft par les éloges
que leur défere une fociété impartiale ,
c'eft enfin par les applaudiffemens , par les
honneurs qu'ils reçoivent de la république
des fçavans , voilà des certificats que la fupercherie
la plus rafinée ne peut furprendre
, que la mauvaiſe foi ne peut défavouer
, que l'ignorance même refpecte.
D'ailleurs comment fe deffendre de croire
que les certificats du Sr Beranger ne foient
な
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
fufpects s'ils fe démentent mutuellement .
Je vais , Monfieur , vous le faire appercevoir.
Le fieur Gouteyron certifie , comme
vous fçavez , que les foixante cataractes
opérées par le fieur Beranger à Bordeaux ,
ont toutes réuffi , cependant notre oculifte
avoue contre ce certificat , que fur fept il
en a manqué quatre , il eft aisé par proportion
de conclure du refte. Pour vous expliquer
des contradictions femblables dans
quelques-autres certificats , j'aurois befoin
d'un loifir qui me manque ; je vous dirai
cependant que de tous ceux qu'il a produits ,
aucun ne m'a paru plus modefte , plus vraifemblable
, que celui du célebre M. Seris,
Toujours prudent il donne à connoître
qu'il n'a pas voulu fe répentir d'avoir trop
fuccombé à Pillufion . Quant à celui de
M. de Laliman , je ne crois pas devoir lui
oppofer quelque chofe de plus valable ,
que ce qu'on m'écrit fur fon état. Vous y
verrez auffi Monfieur , comment le fieur
Beranger a bonne grace d'annoncer la guérifon
de tous les malades à Marmande."
(a) Les malheurs qui accompagnent les pauvres
malades que le fieurBeranger a opérés ici,
font des
preuves bien contraires au certificat
(a) Extrait d'une lettre écrite par M. Larieux
chirurgien , à Marmande , dattée du 13 Juin
1755.
A O UST. 1755 . 199
qu'il produit , je vais vous en faire le détail.
M. l'Abbé Laliman mérite toute votre
attention . Cet honnête homme eft affligé depuis
quinze ans d'un ulcere chancreux fitué à la
paupiere inférieure de l'oeil droit , l'oculifte
fe contenta de faire quelques mouchetures , &
appliqua un médicamment que je ne connus
point ; quelques tems après l'opération , je
m'apperçus que le rebord de la paupiere était
toujours calleux , rouge & renversé , je me
retirai voyant unfi mauvais fuccès . Quoiqu'il
eut promis de guérir le malade en trois femaines
, huit mois fe font écoulés fans tenir fa parole
, il étoit parti pour Bordeaux & avoit
laiffé fon malade fans emplâtre , mais celui- ci
a été obligé de le reprendre pour couvrir ſon
ulcere qui a récidivé avec plus de rigueur que
jamais , & j'ai obfervé que l'oeil eft moins fail
lant , la paupiere fupérieure gonflée & d'un
rouge brun.
Je paffe à la cure d'une goute ferene imparfaite
que le fieur Beranger fe vente d'avoir
guéric. Mlle Faget reçut un coup fur la tête
par la chute d'un deffus de porte , elle en reſta
aveugle . Par les foins de M. Dupuis , medeein
, fa vue s'est bien rétablie . Que penferezvous
, Monfieur , de ces fortes de miracles ,
par modeftie , fans doute , il n'a pas rempli ſa
lettre des obfervations de fiftules lacrymales
qu'il a opérées. Je veux à fon défaut vous en
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
faire le récit fidel. Le fils de M. Reand fut
opéré par le fieur Beranger l'année paffée ;
auquel il ouvrit l'artere angulaire , brifa les
os voifinsfoit fains , foit cariés , & paſſa une
meche dans le conduit. Ce traitement dura
quatre mois inutilement , la playe n'a jamais
été bien guérie , puifqu'il en fort toujours du
pus & des larmes ; les parens fe font plaints de
ce mauvais fuccês , cet oculifte a répondu qu'il
falloit faigner , purger le malade , le mettre à
l'ufage du lait de vache , appliquer des
compreffes graduées , j'ai fait tout cela fans.
aucun fruit.
Vous voyez , Monfieur , fa défaite ; car
que peuvent fervir ces remedes en pareil
fi ce n'eft à temporifer , jufqu'à ce
qu'il puiffe s'échapper à la fin de fon tricas
,
meſtre ?
Que dirai je ( continue- t -on ) de lafemme
de M. Lançon , Perruquier , qu'il a opere
de deux fiftules. L'état de cette malade eft pitoyable
, fes yeux font toujours chaffieux , lar
moyans , douloureux , l'endroit des incifions
gonflé ,, rouge , le pus en découle fans ceffe
en un mot, tous les malades qu'il a operes ici
excepté le Sr Baquay , fe plaignent fort de fa
conduite , &font livrés à des infirmités pires
que les premieres. On m'avoit mandé pour
aller voir une femme à laquelle le Sr Beranger
avoit ouvert une tumeur enkiſtée ſur un
暈
A O UST. 1755. 201
genou , le delabrement eft fi grand , les douleurs
fi vives qu'elle ne peut fe remuer .
J'ai vérifié par moi-même tout ce que
Pon m'annonce : J'avouerai cependant ,
malgré l'avantage que de pareils fuccès
me donnent fur mon adverfaire , que la
qualité d'honnêtes gens dans ces malades
infortunés, a émouffé le plaifir que j'aurois
eu à les publier ; car je fens qu'il eft bien
dur de ne pouvoir , fans infulter à leurs
malheurs, s'applaudir d'avoir en défendant
mon droit , rappellé des faits qui leur reprochent
leur aveugle confiance. Je vous
épargnerai le détail de quelques autres
opérations qu'il a faites , je le réſerve pour
une autre occafion qui me permettra de
vous inftruire du fuccès que j'ai eu dans
des cas femblables . Je ne veux pas qu'il
ait tant à fe plaindre des injuftices qu'il dit
lui être faites par des perfonnes envieuſes
de fon haut mérite , & par un cenfeur moderne
que fon âge rend incommode à lui-même
, & que fa jeuneffe incommode encore
plus.
ن م
Mais fondons un peu les raifons qui
l'engagentà murmurer ? ne feroient - elles
pas l'effet d'une pufillanimité qui le porte
à croire que l'on penfe de lui ce qu'il
ne fçauroit fe defavouer ? A l'entendre
mon pere eft la caufe de fon difcrédit ;
Ιν
202 MERCURE DE FRANCE.
mais où trouvera-t-il des témoignages qui
puiffent conftater que l'on ait travaillé
jamais à ternir fa réputation ? au contraire
, jufqu'ici mon pere étoit affez difpofé
à oublier fon nom même , fi le bruit de
fes fautes ne l'avoit entretenu dans fa
mémoire. Cette imputation peut- elle avoir
quelque poids , étant fufcitée , parce que
mon pere lui refufe la qualité de fon éle-
've ? İl eſt vrai qu'il n'a pas pris la peine
encore de le publier , mais il n'en eft pas
moins convaincu ; & les rapports que. l'on
a fait au fieur Beranger , font très - juftes ,
en cela mon pere ne croit pas porter aucune
atteinte au nom de cet Opérateur :
d'ailleurs , on fçait qu'il n'a jamais formé
d'autres éleves que fon fils . Comment
donc ? parce que le fieur Beranger l'aura
vu operer , aura même panfé quelques malades
, ce que l'on peut abandonner fans
crainte aux mains de l'homme le plus ordinaire
, il afpirera au titre d'éleve , ce
propos eft mal fondé , & la conféquence
eft injufte d'ailleurs , mon pere auroit - il
appris au fieur Beranger à en impofer au
public par des bulletins , que le charlatanifme
a dictés , que l'ignorance publie ; jugez-
eń , Monfieur , par ces paffages , qui
annoncent , 1º . * que l'on trouvera chez
:
* C'eft un billet qu'il a fait diftribuer à Sarra
goffe , dont voici la teneur .
A O UST. 1755. 203
Hui toutes fortes d'eaux qui fortifient la vûe,
la maintiennent & guériffent diverfes maladies.
2°. Qu'il guérit la teigne , la gale
avec une pommade. ** 3 ° . Les maux de
bouche , le fcorbut , & autres , avec des
gargarifmes , fera- t- on furpris après , s'il
guérit , fuivant le certificat de M. de Laliman
, l'afthme , les fievres lentes , les
coliques , & les rhumes de poitrine. Voilà
un homme qui paroît unique , Médecin ,
Chirurgien , Oculifte & Dentiſte , rien ne
décourage fa fcience profonde ; les maladies
mêmes que l'on regarderoit comme
incurables , cédent à fes fpécifiques : reconnoîtra-
t- on là les leçons de mon pere ,
bien loin après cela d'exiger le titre de fon
éleve , il devroit travailler à mériter du
moins de l'avoir été.
Voilà des preuves affez fuffifantes pour
conftater que le fieur Beranger n'eft point
éleve de mon pere , en dépit même des
lettres qui ne font pas à beaucoup près
En fu cafa fe encuentran todo genero de agnas,
que fortifican laviſta , la mantienen y curan
differendes enfermedades.
- 2º. Advierteſe , que con una pomada que tiene
, curara el mal de tina fin dolor alguno ,
en poco tiempo , y tambien la farna.
* Con varios gargarifmos que tiene excuifitos
curara qualesquiera infermedades de laboca como
efcorbuto , y otras.
Ivj
204 MERCURE DE FRANCE!
affez fuffifantes pour lui fervir de tro
phées , il croit trop vivement avoir gain
de caufe , parce que mon pere lui recommande
de voir fes malades ; mais pour
cela étoit- il néceffaire qu'on lui connut du
mérite , en ce cas mon pere auroit craint de
confier fes malades en d'autres mains , cependant
le premier venu remplit prefque
au premier jour les occupations du fieur
Beranger ; la troifiéme lettre le prouve.
Recommandez , y eft-il dit , à ce jeune homme
d'avoirfoin de mes malades ; croiroit- on
que ce jeune homme , depuis deux jours
qu'il étoit dans la maifon de mon pere ,
pût être fort verfé dans ce genre de maladie
2 auroit- il bonne grace auffi de s'annoncer
fon éleve ? mais dans la maladie
du Sr Beranger , mon pere le traitoit d'ami,
ce font là de petites attentions que
l'humanité prodigue en pareilles occurrences.
Rien en cela ne peut faire conclure
qu'il étoit fon éleve , la fufcription vague
des lettres qu'il produit le defavoue ; concevra-
t-on qu'il étoit chirurgient
que mon pere lui en a donné le titre dans
la fufcription de fes lettres ? Cette préten
tion ne feroit point fondée.
*
, parce
En vain fon petit amour propre veut- il
** Lifez à M. Beranger , Chirurgien , ou éleve
en Chirurgie , ou à M. Beranger fimplement.
AOUST. 1755
205
lui perfuader qu'on lui refufe le titre d'éleve
, » parce qu'il a travaillé lui feul aux
maladies des yeux , parce qu'il a traité des al
bugo , des ulceres à la cornée , en diffequant
fes lames, chofe qu'il ignore avoir été pratiquée
par M. Daviel. C'est ici où il en impofe
fans ménagement, étant perfuadé lui- même
du contraire ; il ne defavouera fans doute
pas d'avoir vû des yeux préparés, où mon
pere avoit féparé jufqu'à cinq lames de la
cornée j'ajouterai aufli que depuis fix
ans que je te fuis , de deux millè opérations
pratiquées pour la cure de ces maladies
, il n'en eft pas trois cens dans lefquelles
il n'ait diffequé les lames de la cornée
pour déterger le foyer de l'ulcere , & lui
procurer une cicatrice folide. Je rougis
d'être contraint de refuter d'auffi foibles
imputations qui doivent néceffairement
retomber fur celui qui les a avancées .
Vous voyez bien, Monfieur, que ce n'eft
pas avec de pareils faits qu'il peut fe promettre
de faire tomber les armes de fes
tremblantes mains , comme il le dit avec
affez peu de ménagement; au contraire ce
feroit un nouveau motif de les raffermir ,
s'il étoit néceffaire , ayant tant de fapériorité
fur fon prétendu concurrent . Ce trait
peu modefte demafque trop bien le fieur
Beranger , il eft même fipeu conforme à
206 MERCURE DE FRANCE.
.
la décence que je me fuis impofée, que je
ferai affez fatisfait de lui répondre avec
Cicéron par ces mots.
* Rumoribus mecum
pugnas , ego autem à te rationes requiro.
Telles ont été mes réflexions fur la lettre
du fieur Beranger. Vous voyez , Monfieur
que , quamvis homo fuerit , laudatus narratum
ejus non laudatum eft . Je crois avoir
fuffifamment fatisfait à une partie de vos
queftions. Quant à celle par où je conçois
que vous doutez de l'auteur , je ne
dois pas la réfoudre : Les motifs intéreffés
qui ont pû engager une plume vénale à fe
prêter aux intentions du fieur Beranger ,
ne fouffriroient pas volontiers le jour , je
fuis d'autant plus porté à garder le filence
là -deffus , que je puis fans flater beaucoup
cet oculite , fouffrir qu'il jouiffe du plaifir
d'avoir produit un ouvrage auffi médiocre .
Sije fçai , que de tous les fâcheux les
critiques font les plus incommodes , je ne
me fçai pas moins bon gré de l'avoir paru
dans une querelle , qui , quoique defagréable
, m'eft bien précieufe , ayant eu
pour motif le bien public & la défenfe
d'un pere : Je ne pouvois l'éviter , quelque
éloigné que je fus de la prévoir. J'ai l'honneur
d'être , &c. DAVIE L.
A Paris , le 18 Juillet 1755 .
* Cic. liv. 3. de natura Deorum .
A O UST. 1755. 207
ARTICLE IV.
BEAUX ARTS.
ARTS AGRÉABLE S.
Co
DANS E.
Omme le Mercure eft fait pour être
le héraut des arts , & que notre devoir
eft furtout de marquer leurs progrès ,
à mesure qu'ils fe perfectionnent , nous
croirions y manquer , fi nous tardions plus
long tems à parler ici de la danfe. Elie eft
actuellement la premiere colonne de l'Opéra
. L'art acceffoire y eft devenu l'art principal.
Les balets de M. Lani contribuent à
lui mériter cette gloire. Qu'on juge de leur
pouvoir par leurs effets . Ils ont réchauffé
la froideur d'Ajax , & viennent d'égayer
la trifteffe du Carnaval. Il est vrai que les
talens de la foeur ont bien fecondé les travaux
du frere. Mlle Lani met dans fes pas
la précifion , l'aifance , la légereté , en un
mot le fini que Mlle Fel met dans le chant ,
c'est dire qu'elle vient de porter la haute
danfe à fon point de perfection . Mlle Camargo
avoit commencé le genre , Mlle Lani
208 MERCURE DE FRANCE
l'acheve. Mlle Puvigné de fon côté fou
tient avec fuccès la danfe terre à terre. Elle
a heureuſement remplacé Mlle Salé. Quel
éloge ! les graces nobles & détentes la diftinguent.
La gaieté vive & brillante caractérife
Mlle Lyonnois , & l'effor prompt &
facile d'un oifeau qui vole de branche en
branche peint l'agilité de Mlle Rey. On
peut dire pour le coup que la danfe eft
tombée en quenouille , les femmes en font
tout l'ornement , elles tiennent le premier
rang à l'Opéra , ainfi qu'à tous les autres
fpectacles. Rien ne manqueroit au tableau
varié qu'elles offrent aujourd'hui ſur la
fcene danfante , fi on y voyoit paroître
Mlle Veftris , cette aimable danſeuſe de la
volupté , dont l'expreffion paffionnée porte
le feu du plaifir dans les ames les plus froides.
Il feroit à fouhaiter pour l'honneur des
hommes , & pour le bien de ce théâtre ,
que M. Veftris fon frere y rentrât au plutôt
avec elle . Son abſence y fait un vuide ,
que rien ne peut remplir ; & qui laiffe la
danfe imparfaite.
A O UST. 1755 200
MUSIQUE.
SECOND ECOND livre ou recueil d'airs en duo,
choifis & ajuftés pour les flûtes , violons ,
& pardeffus de violes , dont la plûpart
peuvent le jouer fur la vielle & la mufette ,
tant naturellement , que par des clefs de
tranfpofition pofées au commencement
defdits airs , divifés en fept fuites , avec
un prélude fur chaque ton , par M. Bordet,
Maître de flûte traverfière , gravé par Labaffée.
Prix fix livres en blanc ; fe vend à
Paris , chez ledit fieur Bordet , rue du Ponceau
, près la Fontaine , la feconde porte
cochere à droite en entrant par la rue faint
Denis ; le fieur Bayard Marchand , rue S.
Honoré , à la Régle d'or ; le fieur Le Clerc
Marchand , rue du Roule , à la Croix d'or ;
Mlle Caftagnery Marchande , rue des Prou
vaires , à la Mufique royale ; & à Lyon ,
chez M. Bretonne Marchand , grande rue
Merciere .
L'on trouvera aux même adreffes le premier
livre , auffi à l'ufage de la flûte , du
violon , du pardeffus de viole , & de la
mufette , avec des obfervations fur la touche
defdits inftrumens , en tête duquel eft
un précis des principes de la Mufique , ou
210 MERCURE DE FRANCE.
vrage
fait pour la commodité des Maîtres
& l'utilité des Ecoliers. Ces deux livres
font encore fort utiles aux perfonnes qui
apprennent la Mufique vocale , parce que
la plus grande partie des airs qu'ils contiennent
, font des airs chantans & connus
, & qu'après avoir folfiés les premiers
deffus ils pourront auffi s'exercer fur les
feconds deffus , ce qui ne contribuera
peu à leur avancement & à les amufer.
pas
Le premier livre ayant été fini avec
beaucoup de précipitation , il s'y étoit
gliffé quelques fautes que l'on a corrigées
avant d'en tirer de nouveaux exemplaires.
L'on trouvera encore aux mêmes adreffes
à Paris deux grands concerto pour la
flûte , du même Auteur , en huit parties
féparées ; fçavoir , la flûte , quatre violons,
un alto viole , & deux baffes particulieres.
GRAVURE.
M. de Marcenay vient de faire paroître
l'eftampe qu'il a gravée d'après le tableau
original du cabinet de M. le Marquis
de Voyer, que nous avons annoncé dans
le Mercure du mois d'Avril dernier , en
parlant du début de cet Artifte. Il eft de
AOUST. 1755 211
Rembrandt , & repréfente Tobie recouvrant
la vûe. La fcene fe paffe dans l'intérieur
d'une maifon où le Peintre a préféré
certain defordre pittorefque à une architecture
affervie au coftume. Il paroît s'y
être furpaffé dans les effets furprenans qu'il
y a introduits : fon grouppe principal compofé
de quatre figures, Tobie , fa femme ,
fon fils , & l'Ange qui lui avoit fervi de
guide , eft placé dans le centre de la viſion ,
recevant immédiatement le jour de la fenêtre
, d'autant plus éclatant , qu'il a éteint
les extrêmités du tableau , qui d'ailleurs ne
laiffe rien à defirer fur cette partie fi difficile
à traiter , je veux dire le clair- obfcur.
La fingularité qui fouvent a déterminé
Rembrandt dans fes penfées , l'a fait écar
ter ici du texte de l'Ecriture pour transformer
le jeune tobie en oculifte , qui ,
l'aiguille à la main , leve la cataracte à fon
pere. Il eft très attentif à cette opération
délicate , & le vieillard fort fenfible à la
douleur dont il eft affecté ; fa femme femble
l'exhorter à la patience , & prendre
part à fa peine par la façon affectueufe
dont elle lui ferre la main. Plufieurs figures
grouppées dans l'ombre témoignent
leur furpriſe d'une pareille cure .
Ce grand Maître a fçu tirer parti de
tous les accidens qui ont pu le favorifer
212 MERCURE DE FRANCE.
dans la conduite d'un ouvrage auffi extraordinaire.
Il a allumé du feu dans la cheminée
afin de détacher de ce fond enfumé
l'habillement du jeune homme d'un bleu
tirant fur le noir , dont avoit également
befoin une écharpe en or à qui l'ombre auroit
ôté l'effet fans ce ftratagême. C'eft en
core par une fuite de ce folide raiſonnement
qu'il s'eft fervi de ce même vêtement
comme du fond le plus avantageux à la
poignée de fon fabre , qui pour être d'argent
, & frappée du jour principal , paroît
fortir fort réellement du tableau
violence de la pofition.
par
la
Ce détail , quoique fuccinct , pourra
néanmoins donner une idée légere des
beautés répandues dans cette production
piquante , où la touche eft auffi vraie que
fpirituelle , & le clair- obfcur porté à un
dégré de fublimité , fi j'ofe le dire par la
maniere excellente dont il y eft traité.
M. de Marcenay n'a point méconnu les
difficultés d'une pareille entreprife ; mais
les bontés du public fur fon effai l'ont excité
à les mériter de nouveau par des tra
vaux plus confidérables .
L'Eftampe fe vend à Paris chez l'Auteur,
sue des vieux Auguftins , près l'Egoût.
A O UST. 1755. 213
VERS
Pour être mis an bas de l'Eftampe defeu
M. Languet , Archevêque de Sens.
Digne de nos refpects , digne de notre amour ,
De la foi , défenſeur fidele .
Languet , du céleſte ſéjour ,
Protege le Clergé dont tu fus le modele .
Chevalier pinxit 1752. Gaillard fculpfit 1753 .
Hac Beneficiorum memor dicavit Mauroy, Cantor
regalis Ecclefia de Meloduno.
Les Villageois de l'Apennin. J. Ouvrier les
a gravés d'après le tableau original d'un
pied cinq pouces de hauteur fur un pied
dix pouces de largeur , peint par M. Pierre,
& les a dédiés à M. Cochin , dont je fupprime
ici les qualités , perfuadé que fon
nom eft fon plus beau titre, L'Auteur de
cette Eftampe a l'avantage d'être fon éleve.
On y reconnoit le goût d'un fi grand
Maître . C'eft l'éloge le plus flateur qu'on
en puiffe faire. On la trouve à Paris , chez
lui ( J. Ouvrier , ) rue des Noyers , chez
M. Bertrand, Chirurgien .
Les Pêcheurs à la ligne . Cette Eftampe
eft gravée par J. B. Derrey , d'après le tableau
de J. Afelein du cabinet de M. Aved,
& fe vend à Paris , chez Noëlle Mire, rue
S. Jacques , au Soleil d'or , vis - à - vis le
Pleffis .
214 MERCURE DE FRANCE.
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
Suite du Mercure du mois de Juin de l'année
2355
M. Diver rend compte dans un fecond
un
mémoire , d'une antiquité découverte auprès
de l'églife de Sainte Génevieve de la
Montagne. C'eſt une forte de vafe de bois,
orné de bas reliefs & figures de fculpture
de même matiere , très - délicatement travaillées.
Il a été trouvé fous des monceaux
de petites pierres , qui paroiffent être les
ruines de quelque bâtiment confidérable.
Dans la defcription qu'il fait de ce vaſe,
il fe fert d'une comparaifon un peu triviale
, que cependant nous ne pouvons nous
difpenfer de rapporter , parce qu'elle donne
une idée précife de la forme de cette
forte de vaſe inconnu jufqu'ici. Il le compare
à l'égrugeoir qui nous fert à broyer
le fel en effet c'est une forte de demi
tonneau , d'un plus grand diametre qu'aucun
de ceux qui font en ufage ; il eft terminé
en cul de lampe. Les figures qui le
décorent , & qui repréfentent des vertus
AOUST. 1755. 215
chrétiennes , donnent lieu de croire qu'il
-étoit deftiné à quelque ufage religieux.
La difficulté eft de deviner cet ufage.
Quelques auteurs qui avoient été inftruits
des premiers de cette découverte , ont
prétendu que c'étoit une chaire à prêcher.
Ils avançoient fans aucune apparence que
cette machine étoit en l'air clouée contre
un pilier , & que l'on y montoit par une
échelle ; en effet on trouve une partie de
la rondeur interrompue , qu'ils prétendent
être l'ouverture par laquelle le Prédicateur
entroit. Ils ont été jufqu'à croire que
quelques reftes fculptés en bois , auffi de
forme ronde & convexe qu'on a trouvés au
même lieu , étoient une forte de couver-
-cle qu'on mettoit deffus , qui fermoit ce
vafe , lorfque le Prédicateur n'y étoit pas ,
& qui pouvoit s'élever par des machines
pour laiffer deffous l'efpace néceffaire à
Ï'Orateur ; alors , difent -ils , il fervoit comme
d'un rabat-voix pour empêcher qu'elle
.ne fe perdit dans l'immensité de l'églife.
Ils avancent encore pour comble d'abfurdité
, qu'une groffe ftatue de bois dont
on a trouvé quelques fragmens dans ce
même lieu , & qui n'a nulle proportion
-avec les figures qui entourent le vafe ,
étoit placée fur ce couvercle, & lui fervoit
comme de bouton .
216 MERCURE DE FRANCE.
"
·
M. Diver refute toutes ces extravagantes
idées , & ne laiffe aucun lieu à la replique
, nous donnerons ici en entier ſes
preuves , parce que c'eft un objet de curiofité
très important. " Remarquez que
quand on fuppoferoit qu'on ne dût faire
» remonter l'antiquité de ce vafe qu'au
» dix feptiéme fiécle. ( il prouve plus, bas
qu'il doit être beaucoup plus ancien, ) il eft
toujours vrai que les François de ces.tems
là pouvoient voir encore affez de reftes
» de l'ancienne Rome , & particulierement
» de la fameufe tribune aux harangues
» pour n'avoir pu adopter une forme auffi
» ridicule pour y placer l'Orateur chrétien :
de plus , comment fe figurer que cette
lourde machine ait été fimplement atta-
» chée à un pilier , & du reſte toute en l'air,
» de maniere à donner à l'Auditeur l'in-
» quiétude de voir tomber la chaire & le
»Prédicateur.
و د
39
و د
» La fuppofition qu'on y foit monté
par
» une échelle , eſt tout-à - fait indécente ,
3 ils devroient du moins fuppofer qu'il y
" avoit un escalier tournoyant autour du
pilier ; il eft vrai qu'un efcalier de cette
»forme paroît affez ridicule à imaginer
» dans une églife où tout doit être de for-
»mes fimples & grandes.
"
» De quelle utilité feroit un couvercle
1
qui
AOUS T. 1755 217
qui dans cette fuppofition ne couvriroit
» le vafe que lorfqu'il n'y a rien dedans .
» De plus il eft impoffible qu'on fe foit jamais
figuré que ce couvercle pût empêcher
la voix de fe perdre ou la réfléchir.
Le cône de voix qui fort de la bouche
» du Prédicateur ne pourroit jamais frap-
» per ce couvercle , qui n'avanceroit audeffus
de lui que d'un pied au plus , fi ce
n'eft lorfqu'il leveroit la tête d'une maniere
forcée , & dans les apoftrophes &
» exclamations vers le ciel , qui font fort
» rares dans un difcours. Si l'on prétend
33
qu'il arrête les ondulations de la voix
» & augmente leur force du côté où il eft
✯ beſoin d'être entendu , je réponds qu'une
» ſurface de fix ou fept pieds au plus , eft
de nulle valeur par rapport à l'efpace
vuide , & fans obftacle prochain pour
réfléchir la voix , qui refte dans l'églife ,
devant , au - deffus & aux côtés du Prédicateur.
Il est évident qu'on n'a point
» pu lui attribuer cette utilité. La fuppofi-
» tion même qu'on fait que ce vafe ait été
attaché à un pilier qui ne préfentoit
» derriere le Prédicateur qu'une furface
» étroite , feroit contradictoire à ce qu'on
fuppofe , & prouveroit qu'on ne cherchoit
pas même alors le moyen le plus
fimple pour arrêter les ondulations 'fu
"
20
K
1
218 MERCURE DE FRANCE.
"3
?
perflues de la voix , qui eft de préfenter
derriere le Prédicateur la plus grande
» furface poffible , fans gâter la décoration
de l'églife . Les habiles Architectes
» à qui l'on a montré les deffeins faits fur
» cette fuppofition , où l'on a cru fuppléer
» aux parties qu'on n'a pu retrouver , ont
» déclaré qu'il étoit impoffible que dans
» les fiécles où le bon goût a été connu ,
» on ait fuivi une conftruction auffi bizar-
» re pour une tribune aux harangues. Ils
» remarquent que tout architecte dès
qu'il y en a eus de dignes de porter ce
» nom , a infailliblement penfé aux principales
deſtinations pour lefquelles on
» conftruit des églifes. La premiere eft ,
» poury offrir le faint facrifice de la meffe,
» ainfi il a fallu compofer d'abord un au-
» tel , & le placer dans le lieu le plus ap-
» parent. La feconde eft , pour y prêcher
» la parole de Dieu , ainfi la tribune con-
» facrée à cette fonction doit être très- ap-
» parente & très - confidérable , compofée
» avec l'églife , conftruite folidement , ainſi
que le refte , & non pas une machine de
» bois , poftiche , & qui auroit l'air d'y
» avoir été ajoutée après coup ; cet objet
« a toujours dû être lié avec la décoration
générale , de maniere à en augmenter
» la majesté.
39
"
મું
ود
A O UST. 1755 219
» que
J
D'ailleurs , l'efpace eft confidérable-
» ment trop borné pour laiffer la liberté
demandent les grands mouvemens
» de l'art oratoire . Un homme ne pourroit
» ſe remuer là - dedans, qu'il ne parût à tout
inftant prêt à fe jetter dehors ; encore
» moins pourroit-on fuppofer qu'il ait pû
» contenir deux interlocuteurs , ce qui eft
»pourtant néceffaire dans les conférences.
» İls affurent donc que les chaires ont toujours
été ce qu'elles font à préfent , c'eſt-
» à- dire une grande tribune placée au mi-
» lieu de la plus grande arcade de l'églife ,
» ornée d'une baluftrade , terminée de part
» & d'autre par deux efcaliers ; le fond en
» doit préfenter une belle décoration d'ar-
" chitecture , & le couronnement , noble-
» ment élevé à une belle hauteur au- deflus
» des Orateurs chrétiens , les couvre com-
» me d'un dais , mais peu faillant , & non
» point pour réfléchir leur voix , ce qui
» feroit une idée tout -à- fait dépourvûe de
>> raifon , puifqu'ils ne fe tournent pas en
parlant vers la partie de l'églife qui eft
» directement au- deffus de leur tête. »
Pour abréger , M. Diver prouve que c'étoit
un baptiſtère , il en fait remonter l'antiquité
jufqu'au tems où le baptême par immerfion
étoit encore en ufage. Quand on
lui conteſteroit cette date par la difficulté
»
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
il
qu'il y a qu'un ouvrage en bois fe foit
confervé entier pendant tant de fiécles, en
lui fuppofant une date plus récente ,
s'enfuivroit que la forme qui y avoit été
donnée pour leur destination primitive ,
s'eft confervée long-tems après que cet
ufage a été changé. Ce qu'il y a de certain
, c'eſt que cette fuppofition répond
pleinement à tout , & que M. Diver l'appuie
d'argumens irréffiftibles.
A O UST. 1755 : 221
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
E 28 Juin , les Comédiens françois
donnerent la feconde repréfentation
de Zélide qui fut précédée de Mithridate.
Le fieur de Raucourt y débuta par le rôle
de Mithridate . Il a joué fucceffivement
Agamemnon , dans Iphigénie , & Burrhus
dans Britannicus. Le parterre l'a reçu avec
beaucoup de bonté. Cet acteur mérite
d'autant plus d'indulgence , qu'il n'a jamais
paru fur aucun théâtre.
On a continué Zelide jufqu'au 16 Juillet
qu'on l'a jouée pour la neuvieme fois.
L'auteur l'a retirée pour la redonner l'hiver
prochain . Je ne doute pas qu'on ne la
revoye avec le même plaifir. Mlle Gauffin
y eft charmante. Elle y paroît telle qu'on
la voit dans l'Oracle & dans Zéneïde , c'eftà
- dire , avec ces graces ingénues qu'on
tâche de copier & que perfonne n'imite.
Quoique le théâtre françois ne foit pas
celui de la danfe , ce talent peut quelque-
K iij
222 MERCURE DE FRANCE.
fois y paroître dans fon aurore . Le fieur
Dauberval en eft un exemple. Ce jeune
danfeur s'y eft annoncé d'une façon diſtinguée
, furtout dans les caracteres de la
danfe , il les a exécutés avec tant de
grace ,
de nobleffe & de variété , qu'il s'eft montré
un digne éleve du fieur Veftris , & qu'il
a mérité l'approbation du plus grand maître
de l'art (a) .
Le 14 , une actrice nouvelle joua pour
la premiere fois le rôle d'Azitre . Sa figure
prévient en fa faveur . Elle eft bien au theâtre
, & nous paroît mériter l'encouragement
du public. Le Samedi 19 , elle a repréfenté
Pauline dans Poliente. Comme
elle étoit plus raffurée , fon jeu a été plus
animé , il y a plufieurs détails qu'elle a
très- bien rendus. On l'a furtout applaudie
avec juftice au quatrieme acte , dans la
fcene , où elle demande à Severe la grace
de fon mari . Elle a mis dans fa priere toute
la décence & en même tems toute la
force qu'éxige la fituation.
(a) M. Dupré,
A O UST. 1755. 223
COMEDIE ITALIENNE.
E 3 Juillet, les Comédiens Italiens ont
donné la premiere repréſentation du
Prix de la beauté , ou du Jugement de Paris,
Comédie- Ballet , en un acte , en vers. Le
public l'a reçue favorablement. M. Mailhol
en eft l'auteur. Elle eft accompagnée de la
Soirée villageoife , divertiffement de la compofition
de M. Deheffe. Tout le ballet eft
amufant & bien deffiné , mais il y a furtout
un pas de trois extrêmement piquant,
& parfaitement exécuté par Mlle Catinon
en berger , par Mile Camille en payſanne,
& par le fieur Billioni en payfan. Ce dernier
qui furprend la payfanne qu'il aime
danfant avec le berger , fait éclater fa jaloufie
, ce qui occafionne entr'eux une difpure
qui finit par un raccommodement dont le
payfan eft la dupe .
>
Je faifis cette occafion pour parler d'un
très-joli divertiffement intitulé le Bouquet ,
que Mlle Catinon , Mlle Louifon fa foeur ,
& le jeune Vifentini ont donné à M. Deheffe
chez lui à Fontarabie (a) , la veille de
la S. Jean. On peut dire que la reconnoiſſan-
(a) Fontarabie eft à l'extrêmité du Fauxbourg
Antoine.
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
ce a imaginé cette fête , & que le zele l'a
exécutée . Elle eft compofée de trois fcenes
qui amenent le baller . Vifentini paroit ſeul
dans lapremiere avec une corbeille de fleurs,
faifant un bouquet. Catinon furvient ,
& veut lui ravir la corbeille , mais quand
elle apprend que les fleurs font deftinées à
former un bouquet pour M. Deheffe , elle
compofe avec Vifentini & lui propofe de
faire ce bouquet enfemble , il y confent ;
à peine l'ont- ils fim que Louifon qui les
épie , s'en faifit fur le tabouret où ils l'ont
laiffé ; nouveau fujet de difpute . Louifon
ne veut pas céder , & leur dit que puiſqu'ils
font obligés tous trois à la même reconnoiffance
, le bouquet doit être commun
entr'eux . Dans cet embarras , ils tirent au
doigt mouillé. Le fort favorife Catinon
qui récite la fable fuivante avant que de
préfenter le bouquet.
A peine éclofe , une jeune Fauvette
D'une aîle foible effay oit le reffort .....
Pour raifonner jeuneffe n'eft pas faite.
Quand elle réuffit c'eſt l'ouvrage du fort.
Notre Fauvette donc , pour éprouver les forces
S'éleve , prend fon vol , & s'admire dans l'air ,
Premiers fuccès font des amorces.
Bientôt elle s'élance , & part comme un éclair.
Un homme près de là logeoit... homme admirable,
A O UST. 1755. 225
Qui poffédoit tous les talens ,
Sçavoit les enfeigner d'une maniere aimable ,
Et répandre fur eux des regards bienfaifans .
Dans fa chambre par la fenêtre
La Fauvette entre & ſe poſe fur lui ;
Il la prend , il la flatte , enfin lui fait connoître
Qu'elle n'a rien à craindre , & qu'il eft fon appui.
Depuis ce moment là , fes foins , fa patience
Ont pris plaifir à la former.
A fa table avec complaifance
Il la place , il la fifle ... Ah ! qu'on fe fait aimer ,
Quand aux bienfaits on joint la douceur , la conftance
,
Auffi l'oifeau plein de reconnoiffance .....
Ah ! cher,coufin , eft- il befoin qu'ici
Je poufle plus avant cette fable imparfaite ?
Tout Paris connoît l'homme à qui j'écris ceci ,
Et l'on fçait bien que je fuis la Fauvette. (a )
Catinon préfente le bouquet . On danfe . Enfuite
on chante plufieurs couplets , dont je ne
mets que les deux fuivans par le peu de place
qui me reste.
( a ) Cette fable , toute ingénieufe qu'elle eft ,
perd la moitié de fa grace fur le papier. L'aimable
Catinon en la récitant devant fon coufin y mettoit
un fentiment fi naïf & fi vrai , elle étoit fi touchée,
qu'elle arrachoit des larmes de tous les fpectateurs,
& j'avouerai que j'étois du nombre.
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
Air. De la ronde de la fête d'amour ,
Sans le plaifir d'aimer , &c.
Catinon.
C'eſt lui qui m'a fait avancer
Dans l'art de bien danfer.
Auffi c'eft à me furpaffer
Qu'en ce jour je m'apprête
Sans le plaifir d'danfer
Eft- il de bonne fête.
Vifentini.
'Ah ! mon oncle , c'eſt bien penfer ,
Quel plaifir d'danfer.
De tous nos coeurs fans balancer ,
Vous faites la conquête.
Ah ! quel plaifir d'danfer ,
Quand c'eft pour votre fête.
On finit par la contredanfe .
Il eſt doux d'être ainfi célébré par de
jeunes talens , dont on eft le protecteur , &
qu'on a adoptés pour fa famille. Peut- on
être mieux payé de fes bienfaits ? La fête
dont le coeur fait les frais & les honneurs
eft toujours la plus intéreffante. Voilà pourquoi
je m'empreffe de la publier pour le
bon exemple,
1
A O UST. 1755. 227
LE NOUVEAU DOCTEUR , Continue fon début
dans différentes pieces italiennes. Les
connoiffeurs le voient toujours avec la
même fatisfaction. C'eft dommage qu'un
docteur italien foit un perfonnage peu intéreffant
pour un public françois.
Voici l'extrait du Maître de musique que
nous avions promis .
EXTRAIT du Maître de mufique.
Les trois principaux acteurs de cette
piece , font Lambert , maître de Mufique ,
joué par M. Rochard , Laurette fon écoliere
, repréſentée par Madame Favart , &.
Tracolin entrepreneur d'Opéra , joué par
M. Chanville.
Lambert ouvre le premier acte avec Laurette
& débute en grondant , par cet air.
Ah ! quel martire !
Sans ceffe inftruire !
Cent fois redire ,
Sans rien produire ,
C'est toujours pire.
Eh , laiffe- moi ,
Va , tais-toi .
Laurette fe fâche à ſon tour , & fon
maître lui dit :
- Mademoiſelle joue au mieux l'impertinente
Et pour faire dans peu l'actrice d'importance
K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
Il ne lui manque plus , ma foi , que du talent ,
Encor fouvent on s'en difpenfe ,
En mettant à la place un ton bien infolent.
Elle lui répond :
En ce cas là , Monfieur , je fuis en bonne école ,
Je puis très-bien l'apprendre ici de vous.
Lambert fe met ici au clavecin. Laurette
crie exprès méchamment au lieu de chanter
, il l'interrompt en difant :
Chanteur qui pour mieux nous féduire
Youlez être à la fois agréable & touchant
Que l'haleine du doux zéphire ,
Qui , de fa Flore , à l'oreille foupire ,
Soit l'image de votre chant.
Eh ! crois - moi , renvoyons aux halles
Tous ces chantres bruyans , qui fçavent feulement
De leurs grands cris remplir nos falles.
Excellente leçon pour tous nos théâtres !
Laurette chante de nouveau & chante bien,
Lambert témoigne qu'il eft content , & lui
promet , fi elle continue de la rendre dans
peu une actrice parfaite. On annonce Tracolin
comme un perfonnage ridicule. Il
entre , & après avoir embraffé Lambert , il
regarde Laurette , & s'informe quel eft ce
n
A OU ST . 1755- 229
charmant objet . Lambert lui répond que
c'eft un fujet qu'il éleve pour le théâtre .
Tracolin fe récrie : quelle mine ! quel jeu !
quelle voix ! Lambert lui demande s'il l'a
entendue . Non , réplique- t - il .
Nous autres gens de l'art ,
Nous n'avons pour cela befoin que d'un regard ,
Et nous jugeons d'une voix par la vûe.
D'ailleurs , ajoûte - t - il ,
Avec un tel minois ,
A-t-on jamais manqué de voix.
Il fe répand en fleurettes, qui donnent d'au
tant plus de jaloufie à Lambert , que Laurette
y répond par cet Air toujours applaudi .
Suis - je bien pour une actrice 2
Vrai , fuis- je bien ?
Dites moi fans artifice ,
Croyez - vous qu'on applaudiffe
Ce maintien ?
Suis- je bien
Je n'ofe me flatter de rien.
Croyez - vous qu'on applaudiffe ,
Qu'en public je réuffiffe ?
Mais hélas !
N'ai- je pas
L'air trop novice , eh ?
Pour une actrice , eh ?
Pour la couliffe ,
eh ?
Je n'ofe me flatter de rien.
236 MERCURE DE FRANCE .
Tracolin paroît fi tranfporté d'entendre
Laurette , qu'il l'embraffe , & la demande à
fon maître qui la lui refuſe. On vient chercher
Lambert de la part d'une Ducheffe. II
eft obligé de fortir malgré lui , & de laiffer
Tracolin feul avec fon écoliere . Tracolin
fait fa tendre déclaration , Laurette
joue l'Agnès en diſant ,
Air. La pudeur qui me guide,
Me rend timide.
Je n'ofe lever les yeux
Si quelque curieux
Auprès de moi fe place ,
Et me regarde en face ,
Je fuis toute honteufe de cela.
Ma langue s'embarraffe ,
En lui difant , de grace ,
Souffrez , Monfieur , que je paffe ,
Je ne puis refter là
Où me voilà.
La pudeur , & c.
Si quelque téméraire
Pourfuit trop loin l'affaire ,
Moi , qui fuis bonne , & ne me fâche guere ,
J'excite ma colere
Et lui dis d'un ton fevere ,
Mais finirez-vous donc , Monfieur ,
Sçachez qu'on eft fille d'honneur ,
Scachez qu'on a de la pudeur.
A O UST . 1755. 23-1
Tracolin lui offre fa fortune avec fa
main , & fe jette à fes genoux , Lambert
revient & le furprend avec Laurette . Il fait
éclater fa jaloufie , & commence le beau
trio qui finit le premier acte. Ce morceau
eft fi triomphant , & les paroles font fi
bien coupées , que nous croyons obliger
le lecteur de les inférer ici dans leur entier.
Il eft bon d'ailleurs de les donner pour
modele.
TRIO EN DIALOGUE.
Lambert.
Le feu me monte au viſage ,
Voilà donc tout l'avantage
D'avoir formé fon bas âge,
Pour le prix de tant de foins ,
Cette volage
Avec un autre s'engage .
Quel outrage !
Et mes yeux en font témoins.
Je bravois déja l'orage ,
Quand le vent qui devient fort ,
Et qui fait rage ,
Me repouffe du rivage.
Quel dommage !
J'allois entrer dans le port.
Laurette.
Je guettais dans un bocage
232 MERCURE DE FRANCE.
Un oifeau d'un beau plumage.
Un chaffeur fonnant du cor ,
Faifant tapage ,
L'effarouche & lui fait prendre l'effor.
Quel trifte fort !
Enfemble.
Soins perdus inutile effort !
Lambert.
J'avois formé fon bas âge.
Tracolin,
J'avois fait un bon voyage ,
Laurette.
Je le guettois au paffage.
Ensemble.
Laurette.
Un chaffeur fonnant du cor ;
Faifant tapage ,
Lui fait prendre fon effor.
Tracolin .
Je touchois prefqu'au rivage
Quel dommage !
J'allois entrer dans le port.
Lambert.
En voilà tout l'avantage.
Quel outrage !
Méritois-je un pareil fort.
A O UST.
233 ·1755.
Seul. Un autre
aujourd'hui l'engage ,
La volage.
Tracolin .
Je touchois prefqu'au rivage.
Quel dommage !
Laurette.
Moi, j'allois le mettre en cage.
Tracolin.
Quel dommage !
Lambert.
La volage !
Ensemble.
Laurette.
Un chaffeur fonnant du cot,
Faifant
tapage ,
Lui fait prendre
fon effor.
Tracolin .
Quel dommage !
J'allois entrer dans le port.
Lambert.
Quel outrage !
Meritois-je un pareil fort ?
Tracolin.
J'allois entrer dans le port.
Laurette.
Moi , j'allois le mettre en cage i
bisfeul.
234 MERCURE DE FRANCE .
Il prend l'effor.
Quel trifte fort !
Ce premier acte eft très- brillant & rempli
d'airs agréables .
Lambert , qui revient avec Laurette ,
commence le ſecond acte par cet Air qui
exprime fi bien fon dépit jaloux.
Non , je fuis trop en colere ,
Me diras-tu le contraire ?
Quand moi -même j'ai vu le téméraire ,
Qui te faifoit les yeux doux !
Pourquoi faire
Etoit-il à tes genoux ?
Vaine rufe !
Mauvaiſe excufe !
Me crois-tu donc affez bufe
Pour m'en laiffer amufer ?
Mais voilà comme on s'abuſe ,
Quand on penfe m'abufer.
Laurette perfifte à fe juftifier & l'amene
par degrés au point de l'obliger à demander
grace lui- même. Cette fcene eft parfaitement
bien traitée & filée avec beaucoup
d'art. Lambert eft furpris à fon tour
par Tracolin aux genoux de Laurette , qui
dit à ce dernier qu'il furvient à propos , &
qu'elle avoit befoin de fa préfence pour
faire connoître fes fentimens. Tracolin fe
A O UST . 1755. 235
fatte alors de fe voir choifi . Lambert tremble
au contraire de ne l'être point. Laurette
les défabuſe tous deux , en donnant
la main à fon maître . Tracolin fe retire
confus , & Lambert ravi , chante avec Laurette
un Duo qui termine la piece. Elle eſt
imprimée , & fe vend chez la veuve Delormel
, rue du Foin , & chez Prault , fils ,
quai de Conti ; le prix eft de 24 fols.
OPERA COMIQUE.
?
L'Opéra comique ouvrit fon théâtre le
famedi 28 Juin , & donna le Lundi 30 , la
repréſentation de la Maifon à deux portes ,
piece en un acte , qui fut précédée de la
Rofe , & fuivie de Citbere affiegee . Le 14
Juillet , la Bohémienne , parodie de la Zingara,
intermede italien , a été jouée pour la
premiere fois avec le Cocq de village , & le
Ballet Chinois.
Les Comédiens Italiens doivent donner
inceffamment la parodie ou plutôt la traduction
du même intermede. Nous parlerons
de l'une & de l'autre dans le Mercure
du mois prochain. Nous dirons feulement
dans celui - ci que Mlle Rofaline
remplit très -bien le rôle de la Bohémienne.
Nous ajouterons que le ballet chinois
a toujours le mérité de la nouveauté ,
236 MERCURE DE FRANCE.
& qu'on le voit avec le même intérêt.
M. Ñover y a fait des changemens , qui
l'ont , pour ainfi dire , rajeuni.
On doit remettre bientôt la Fontaine de
Jouvence , en attendant un troifieme ballet
nouveau du même compofiteur.
La danfe eft aujourd'hui la premiere
reffource de tous les fpectacles de Paris.
Le théâtre françois doit feul en être excepté
, c'est un acceffoire , dont il pourroit
très -bien fe paffer. Nous croyons qu'il y
gagneroit , même en ne prenant que le
prix fimple.
A OUST. 1755. 237
ARTICLE SIXIE ME.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU LEVANT.
DE CONSTANTINOPLE , le 3 Juin.
A
LI Pacha Ekim Oglou ayant été appellé le
20 Mai au Serail , le Grand Seigneur lui
redemanda les fceaux de l'Empire , & lui ordonna
de fe retirer dans l'ifle de Chypre. Sa Hauteffe
a déclaré Grand Vifir Saïd Mehemet Pacha ,
Tefterdar. Le Kiaia du Miniftre diſgracié a été
dépofé & relegué en Morée. Il a Jegben Effendi
pour fucceffeur. La charge de Nitfcanchi Pacha
vient d'être donnée au Selictar Aga. Le 12 , le
feu prit à Ejus , fitué à quelques lieues de cette
Capitale. Deux mofquées , & plus de trois cens
maiſons ont été confumées par les flammes.
Le 19 , le feu prit fur les dix heures du foir
au quartier des Juifs dans le fauxbourg de Galata.
Près de quatre cens maiſons ont été réduites
en cendres .
: Le Chevalier de Vergennes , Envoyé extraordinaire
de Sa Majefté très-chrétienne , arriva ici
le 21. Il eut le 28 fa premiere audience du Grand
Vifir , & ce matin il doit être admis à celle de
Sa Hauteffe. Le Grand Vifir a reçu les complimeas
de tous les Miniftres étrangers ſur fa nou-
1
238 MERCURE DE FRANCE.
velle dignité. Quoiqu'il foit dans un âge avan
cé , il n'en montre pas moins d'activité dans
l'expédition des affaires . Sa charge de Tefterdar a
été donnée à Azem Oglou . Ali Pacha Ekım , le
jour qu'il fut dépofé , fut conduit à la Tour de
Leandre fur le Bofphore , d'où il partit le lende
main pour l'ifle de Chypre , lieu de fon exil
DU NOR D.
DE PETERSBOURG , le 16 Juin.
On équippe à Cronstadt quatre frégates , fur
lefquelles on fera embarquer un certain nombre
de cadets de marine , pour les exercer dans Part
de la navigation. Il eft décidé que le commeree
demeurera libre entre Conftantinople & Temernikow
, jufqu'à ce qu'il fe forme une compagnie
marchande dans ce dernier port.
Sa Majefté Impériale a gratifié d'une penfion de
cinquante mille roubles le Comte Rafoumowski
, Hetman de l'Ukraine , pour l'indemnifer de
la perte de divers droits dont il jouiffoit , & qu'on
a fupprimés.
On n'a reçu que le 4 de ce mois les lettres qu'on
devoit recevoir de Stockholm le 29 du mois dernier.
La plupart étoient ouvertes . Il en manquoit
quelques-unes de celles qu'on attendoit. Le Maître
de la derniere pofte de Suede a mandé , que la
valife avoit été trouvée fur le grand chemin dans
l'état qu'il l'envoyoit , & que l'on ignoroit ce que
le courier étoit devenu .
Selon les nouvelles d'Efthonie , la ville de
Dorpt a été prefque totalement détruite par un
incendie. On doit au Régiment de Peterſbourg la
confervation du petit nombre de maifons qui ont
AOUST . 1755. 239
été préfervées de l'embrafement. Quatre foldats
de ce Régiment ont eu le malheur de périr dans
les flammes , & plus de cinquante ont été bleffés,
Sa Majesté Impériale tint le 12 de ce mois un
Confeil d'Etat , à l'occafion de quelques dépêches
de M. Obreskoy , fon Réfident à Conftantinople.
On vient de recevoir la trifte nouvelle d'un incendie
, qui a réduit deux mille cinq cens mai
fons en cendres dans la ville de Moſcou.
DE WARSOVIE , le 16 Juin.
Le Miniftre du Grand Seigneur , en revenant
de Frauſtadt , a repaffé à Radom , & il y a été
reçu avec beaucoup de magnificence par le Comte
Malachowski , Maréchal du tribunal des revenus
de la Couronne. Le Gouvernement a affigné
feize mille écus pour les frais du voyage du Comte
de Mnifzeck , qui doit aller complimenter , au
nom du Roi & de la République , le Grand Seigneur
fur fon avenement au trône . Un tiers de
cette fomme fera payé par le Grand Duché de
Lithuanie. Le Roi a envoyé au Miniftre de Sa
Hauteffe un fervice de porcelaine , de la plus grande
beauté. Les Cofaques Haydamakis ont recommencé
depuis peu leurs courfes. Une troupe de
ces brigands ayant pénétré dans la Staroftie de
Byalacerkiew , a pillé le village de Jenifzewska ,
& maffacré le Prêtre qui deffervoit l'églife grec
que.
DE STOCKHOLM , le 18 Juin.
Des lettres écrites d'Alger , le 2 du mois dera
nier , donnent lieu d'efperer que la paix continue
ra de ſubſiſter entre la Suede & les Algériens. -
240 MERCURE DE FRANCE.
1
Le 6 , le Comte de Solms , nouvel Envoyé ex→
traordinaire du Roi de Pruffe , arriva de Berlin , &
le 10 il eut fes premieres audiences du Roi & de
la Reine.
Il paroît une Ordonnance , portant que conformément
à ce qui a été réglé dans la derniere
Diéte , aucun repréfentant d'une famille noble
n'aura féance aux Etats , s'il ne produit des pouvoirs
fignés par la famille qu'il fera chargé de
repréſenter.
M. Aurivillius , Médecin à Upfal , y a effayé
l'inoculation de la petite vérole fur un petit garçon
de huit ans. Cette expérience a eu tout lefuccès
qu'on pouvoit defirer. M. Leche , Profeffeur
à Abo , vient de faire la même épreuve ſur ſa propre
fille , & il a également réuffi .
DE COPPENHAGUE , le 21 Juin.
Sa Majesté a nommé Chevalier de l'Ordre de
l'Elephant le Comte de Frifenbourg , Lieutenantgénéral
, & Confeiller privé .
Un navire Hollandois a conduit ici un rhinoceros
, âgé de treize ans . Cet animal chaque jour
mange trente livres de pain , & quatre-vingt livres
de foin. Il pefe foixante quintaux.
Le Roi pofa le 12 de ce mois la premiere pierre
de l'Eglife Allemande , que l'on conftruit à Chriftianshaven.
Les troupes qui étoient campées , fe féparerent
le 16. Dès le 14 , elles avoient ceffé de mancuvrer.
Ce dernier jour a été marqué par un fâcheux
accident. Dans le tems qu'un Canonier ouvroit
une caiffe remplie de cartouches , & pofée ſur un
charior , un étincelle d'une méche fut portée de
ce côté par le vent , & mit le feu à la poudre.
A O UST.
1755. 241
Le chariot ayant fauté en l'air , les éclats tuerent
trois hommes , & en blefferent plufieurs autres.
ALLEMAGN E.
DE VIENNE , le 28 Juin.
Le vol du Heron a été à Laxembourg un des
principaux amufemens de l'Empereur & de l'Impératrice
Reine. Il y a environ quinze jours qu'on
a pris un de ces oifeaux qui avoit à une de fes
pattes un anneau avec les armes de Portugal .
Le 10 , le Comte de Flemming , Ministre de Sa
Majefté Polonoiſe partit pour Drefde . Il doit
aller à Hanovre exécuter une commiffion du Roi
fon maître.
L'Impératrice Reine a chargé des Commiffaires
, d'examiner les dégats caufés à Lintz par le
dernier incendie .
Le départ de l'Envoyé du Grand Seigneur eft
fixé à la fin du mois d'Août . Ce Miniftre a fait
partir le 22 un Courier pour Conftantinople .
Le Général Harfch vient d'arriver de Gorz. It
fera inceffamment fon rapport à l'Impératrice ,
au fujet de ce qui a été réglé avec les Commif
faires de la République de Venite pour les limites
des Etats des deux Puiffances .
L'Impératrice Reine a fait préfent à l'Empereur
de la terre de Schloffoff , qu'elle a achetée
du Prince de Saxe - Hildbursghaufen , & qui appartenoit
autrefois au Prince Eugene de Savoye,
DE BERLIN , le 5 Juillet.
› Le 27 Juin , le Roi revint du Duché de Cleves;
Sa Majefté , en conférant au Prince Ferdinand de
L
242 MERCURE DE FRANCE.
1
Brunfwic le Gouvernement de Magdebourg , a
nommé le Lieutenant- général Comte de Borcke ,
pour y commander en l'abfence de ce Prince.
Sa Majefte vient d'établir à Stettin une Chambre
de Commerce , compofée d'un Préfident & de
fix Affeffeurs , qui ont été choifis parmi les plus
habiles Négocians.
Le Baron de Pollnitz , Gentilhomme de la
Chambre du Prince héréditaire de Heffe-Darmſtad
, arriva ici avant - hier pour informer la Cour ,
que la Princeffe , époufe de ce Prince , étoit accouchée
la veille d'une Princeffe à Prentzlau . II
eft allé porter la même nouvelle à la Cour de
Hefle Darmstadt.
Il y eut ici le 21 un orage , qui a cauſé beaucoup
de dégât. On a reçu avis que des incendiai
res avoient mis le feu à la petite ville de Friedland
, près de Neiff, & que vingt maiſons avoient
été brûlées .
Le Roi a donné au Comte de Schmettau , Lieutenant
général , le commandement des ville &
citadelle de Paitz , qu'avoit le Prince Ferdinand
de Brunſwic. Les troupes qui avoient formé un
camp dans la Pruffe , font retournées dans leurs
quartiers. En conféquence des ordres de Sa Majefté
, on a arrêté quelques- unes des perfonnes
employées à l'hôtel des monnoies de Cleves.
L'Académie royale des Sciences & Belles- Lettres
élut avant hier pour affociés érrangers M de
Montucla , de l'Académie de Lyon , & M. Runcalli
, Préfident du Collège de Médecine à Brefcia.
-
DE HANOV RE , le 27 Juin.
La Princeffe , époufe du Prince héréditaire de
Heffe-Caffel , & les trois Princes leurs fils , arri
A OUST. 1755. 24
verent le 21 de ce mois à Herrenhaufen. On y
célébra le lendemain avec éclat l'anniverſaire de
l'avénement du Roi au trêne de la Grande Breta- ·
gne. Le 23 , Sa Majefté donna un magnifique bal
aux jeunes Princes de Heffe.
ESPAG N E.
DE LISBONNE , le 10 Juin.
Cette Cour le propofe de faire peupler par des
Portugais les pays fitués le long de la riviere de
Sena, autrement appellée la Riviere d'or. En conféquence
, elle a fait publier qu'elle accorderoit
plufieurs avantages aux familles qui voudroient
s'y établir. On y enverra tous les jeunes gens débauchés
de l'un & l'autre fexe , & les gens mariés
qui auront une mauvaiſe conduite. Plufieurs de
ces différentes fortes de perfonnes ont été déja
arrêtées , & l'on doit les embarquer fur le vaiffeau
le Glorieux , appartenant à la nouvelle Compagnie
de Commerce. Il les conduira juſqu'à Mofambique
, dont le Gouverneur eft chargé de leur
affigner des terres , & de leur fournir les maté
riaux néceffaires pour conftruire des habitations.
Deux vaiffeaux de guerre qui ont eſcorté la
Aotte deftinée pour Maranham , revinrent le premier
de ce mois à Cafcaës. Ils n'ont rencontré
aucun Corſaire. Un autre vaiſſeau du Roi fit voile
hier d'ici pour Saint Ubés , d'où il doit conduire
à Cafcaës plufieurs navires Hollandois. Ces navires
, & ceux de la même nation qui font actuel
lement dans ce dernier port , feront enfuite convoyés
par ce vaiffeau & par deux autres , jufqu'à
la hauteur du Cap de Finifterre . On équippe le
nouveau vaiſſeau de l'invention du Préfident de
la marine.
Lij
244 MERCURE DE FRANCE:
Avant-hier , le Comte de Bafchi , Ambaffadeur
de France , fe rendit avec tout fon cortège à Maravilla
, maiſon de plaifance des Patriarches de
Liſbonne. Il y eft traité aux dépens du Roi. Demain
, ce Miniftre fera fon entrée publique en
cette ville. Après qu'il fera de retour en fon hôtel
, le Marquis de Valenza ira le prendre dans
les caroffes du Roi , pour le conduire à l'audience
de Sa Majefté.
DE MADRID , le premier Juillet.
Les vaiffeaux de guerre l'Europe & la Caftille ;
le vaiffeau de regiftre le Dragon , & le paquebot
le Jupiter , font arrivés le 12 Juin à Cadix. Ces
bâtimens font partis le 6 Avril de la Havane avec
les vaiffeaux le Mercure , le Mars , l'Avis & le S.
Jacques , dont ils ont été féparés par un coup de
vent , en débouchant du canal. Don Manuel Diegue
Efcobedo , Intendant de la marine à Saint - Sebastien
, a donné avis à Sa Majeſté , que le 9 le
vaiffeau le Saint- Ignace , de la Compagnie des
Caraques , étoit entré dans le port du Paffage.
Le Roi a appris auffi par des lettres du Comte de
Perelada , for Ambaffadeur en Portugal , l'arrivée
de la frégate le Saint- Sebastien à Liſbonne. La
charge de ces deux derniers bâtimens confifte en
lingots d'argent , en cuirs , en tabac , en cacao ,
& en divers autres marchandiſes.
On célébra le 18 dans la Chapelle du Palais le
fervice annuel pour le repos de l'ame de la Reine
Louife - Elifabeth d'Orléans , épouſe du feu Roi
Louis I. L'Archevêque de Pharfale officia pontificalement
à la Meffe , qui fut chantée par la Mu
fique .
Les vaiffeaux le Mercure le Mars & le Saint
"
AQUST. 1755. 245
ra-
Jacques font auffi arrivés à Cadix. La charge de
ces bâtimens , foit en efpeces d'or & d'argent ,
foit en marchandifes , monte à cent quatre - vingtdix
huit mille quatre cens vingt - trois piaftres .
On a appris que le 10 & le 12 il étoit entré dans
la baye de Cartagene deux polaques , à bord defquelles
étoient trois cens vingt-cinq elclaves ,
chetés à Alger par les Religieux Déchauffes de
P'Ordre de la Trinité . Cent quatre - vingt- onze
de ces captifs ont été échangés contre des Turcs ,
que Sa Majefté a permis de tirer de fes galeres.
Dans le nombre des perfonnes qui doivent leur
liberté aux Peres Rédempteurs , font deux Reli
gieux Francifcains , neuf femmes & neuf enfans .
ITALI E.
DE NAPLES , le 17 Juin.
Un chabec Algérien , monté de dix - huit ca
nons , & dont l'équipage étoit de quatre - vingt
hommes , ayant été furpris le 28 du mois dernier
par la tempête , eut la hardieffe de ſe réfugier
dans le port de Trapani . Quoique le Capitaine
eût eu la précaution d'arborer pavillon Tofcan
& de mettre la plus grande partie de fon monde
à couvert , on reconnut bientôt que le bâtiment
étoit Barbarefque. Deux galeres s'en emparerent,
& il a été conduit à Palerme. Le Roi a ordonné .
fes vaiffeaux de protéger la navigation des navires
Hollandois , de les convoyer toutes les fois
qu'il feroit néceffaire , & de leur prêter les autres
fecours dont ils auroient befoin. Treize prifonniers
qui étoient détenus à Peſcara , ſe font fauvés
, après avoir affaffiné un Sergent préposé pour
leur garde. Moyennant la diligence dont on a
Liij
246 MERCURE DE FRANCE.
ufé pour courir aprês ces malheureux ; on en a
arrêté quelques- uns .
La Marquis Fogliani ceffa le 10 de ce mois
d'exercer les fonctions de Premier Miniftre. Il
part ces jours- ci pour aller prendre poffeffion de
la Viceroyauté de Sicile . Le Roi vient de créer
une troifiéme charge de Secrétaire d'Etat en fa-
Yeur du Marquis Brancaccio . Ce nouveau Miniftre
aura dans fon département les affaires Ecclé-
Laftiques. En même tems il fera chargé de ce qui
.concerne l'approvifionnement de cette Capitale.
Sa Majesté a donné au Marquis Bracolini la direction
des fpectacles.
DE ROME , le 21 Juin.
1
On repréfenta le 9 à Mondragone dans le magnifique
château qu'y poffede la Maifon Borghefe
, la tragédie de Zaïre , de M. Voltaire ,
traduite en vers Italiens . Ce fpectacle fut fuivi
d'un fouper fplendide , fervi à une table de quatre-
vingt-cinq couverts. Le Margrave de Bareith
affifta à cette fète , ainfi que l'Ambaffadeur de
France , celui de la République de Venife , & les
époufes de ces deux Miniftres .
Le Pere Antoine Bremond , Général des Domi-
-nicains , mourut le 11 à la maiſon de campagne
du Saint Pafteur , àgé de foixante- trois ans. Il
étoit né à Marseille , & il rempliffoit le Généra
-lat de fon Ordre depuis le premier Juin 1748. Son
corps a été tranfporté à Rome, &le 14 il fut inhumé
dans l'églife de Sainte Marie fur la Minerve.
Joachim Befozzi , Cardinal-Prêtre , du titre de
Sainte Croix de Jérufalem , Grand Pénitencier ,
mourut à Tivoli le 18 , âgé de foixante- quinze
ans cinq mois & vingt-fix jours. Il étoit Milanois ,
A O UST. 1755. 247
& il avoit fait profeffion dans l'Ordre de Cîteaux .
Le Pape l'avoit élevé à la pourpre en 1743. Par
la mort de ce Cardinal il vaque un dixiéme chapeau
dans le facré Collège.
DE RONCIGLIONE , le 18 Juin.
Depuis quelques années , les Peres de la Doctrine
Chrétienne ont établi une Académie de Belles
Lettres dans le Collége qu'ils ont en cette
ville. Les Arcades viennent d'aggréger cette Académie
à leur Corps fous le nom de Colonie Cifminia
, & le Pere François Armorini a été déclaré
Président de cette nouvelle Société . Elle tint le
11 de ce mois fa premiere féance publique , &
les Académiciens réciterent plufieurs ouvrages
d'éloquence & de poëfie.
¿ DE VENISE , le premier Juillet.
Il regne ici une telle féchereffe , que les habitans
font réduits à la cruelle extrêmité de manquer
d'eau douce . On a commencé le 9 Juin des
prieres publiques , pout obtenir la ceffation de
ce fléau.
Selon les nouvelles de Smirne , on y a reçu
avis de Perfe , qu'un détachement des troupes
d'Azad Kan avoit défait dix mille hommes de
l'armée de Mehemet , Chefdes Aghuans. Ce dernier
, malgré cet échec , continue de marcher vers
la capitale de ce Royaume . Azad Kan l'attend
dans les plaines voifines de cette ville avec une
armée de foixante - dix mille hommes , & le fait
harceler fans relâche par plufieurs corps de cavalerie.
Liv
248 MERCURE DE FRANCE
DE MILAN , le 17 Juin.
Une maladie épidémique caufe beaucoup de
ravage parmi les beſtiaux dans le Milanez . Elle
fe manifefte par une veffie qui s'éleve fur la langue.
Si l'on ne fe hâte pas de percer cette efpece
de puftule , l'animal meurt en peu de jours.
L'Impératrice Reine & le Duc de Modéné ont
renouvellé pour cinq ans le cartel , par lequel
ils font convenus de fe rendre réciproquement
les criminels qu'ils réclameroient.
DE GENES , le 3 Juillet.
On procéda le 16 de ce mois au ſcrutin pour
l'élection des nouveaux Sénateurs , & le fort eft
tombé fur le Marquis Spinola , Jean - Jacques
Cattaneo , Baptifte Grimaldi , & fur MM. Nicolas
& Vincent Propello.
Il eft arrivé une galere du Roi de Sardaigne ,
avec trois bâtimens , fur lefquels eft la chiourne ,
deftinée pour la galere que ce Prince à fait conftruire
ici.
GRANDE- BRETAGNE.
DE LONDRES , le 10 Juillet
Les vaiffeaux l'Effex , le Triton , l'Onflow , la
Princeffe Augufte & le Norfolk , appartenans à la
Compagnie des Indes orientales , font arrivés dans
la Tamife. Les quatre premiers de ces bâtimens
reviennent de la Chine. Le Norfolk vient de Madraff
. M. Saunderfon , Gouverneur de Madraff ,
eft revenu à bord de ce dernier vaiffeau , & a ing
C
A O UST. 1755: 249
formé les Directeurs de la Compagnie , qu'une
feconde treve de trois mois avoit été conclue entre
les François & les Anglois dans l'Inde. Il a en
même tems apporté un projet d'accommodement
que M. Godeheu , Gouverneur de Pondichery ,
concerté avec lui.
Selon ce traité , les troupes de ladite Compa
gnie , ni celles de la comapgnie Angloife , ne ſe
mêleront point de différends qui pourront furvenir
entre les naturels du pays. Suppofé que ces
derniers forment quelque entreprife contre les
établiſſemens de l'une ou l'autre compagnie , les
troupes refpectives fe joindront pour défendre
Pétabliffement attaqué. On fe fournira de part
& d'autre les provifions dont on aura befoin ; &
au défaut d'argent comptant, on prendra des marchandifes
en échange.
L'Amirauté mit encore le 25 en commiffion
dix vaiffeaux de guerre. Douze de ceux qui font
armés à Portsmouth , n'attendent que les derniers
ordres pour mettre à la voile .
Le camp que l'on s'étoit propofé de former en
Irlande , n'aura pas lieu cette année .
Le Duc de Cumberland , accompagné du Lord
Anfon , du Lord Duncannon , de l'Amiral Towns.
hend , & de M. Cléveland , Secrétaire de l'Amirauté
, partit le premier pour aller faire à Spithéad
la revue de la flotte . Le 2 , le Duc de Mire
poix , Ambaffadeur de France , ayant reçu
da Paris
un courier extraordinaire , fe rendit aufli - tôt
chez le Chevalier Robinfon , Secrétaire d'Etat
avec qui il eut une longue conférence .
On n'a point encore de nouvelles de l'arrivée
de l'Efcadre de l'Amiral Bofcawen fur la côte de
l'Amérique feptentrionale. On apprend de Gibraltar
que les Saletins ont rendu le navire An-
TheV
250 MERCURE DE FRANCE.
glois , dont un de leurs Corfaires s'étoit emparé
dernierement la hauteur d'Arzila . A l'arrivée
de ce bâtiment , le Gouverneur de Gibraltar a
donné ordre de remettre en liberté plufieurs
Maures qu'il avoit fait arrêter.
On travaille avec diligence à préparer pour la
mer quinze bâtimens , que le Gouvernement a
frétés depuis peu. Le vaiffeau le Stafford , appartenant
à la Compagnie des Indes orientales , eft
de retour de la Chine . Les navires qui ont été
employés cette année à la pêche de la baleine ,
rentrent fucceffivement dans leurs ports refpectifs.
Les Officiers des troupes fur l'établiſſement
de la Grande- Bretagne ont ordre de ne pas s'abfenter
de leurs corps.
PAYS - BAS.
DE LA HAYE , le 11 Juillet.
Ce Capitaine Joachim Oujes , Commandant le
vaiffeau le Keukenhof , a préſenté au Prince Stadhouder
, de la part de M. Moffel , Gouverneur
général des Indes hollandoiſes ,un Maure nain , âgé
de dix-huit ans , qui n'a que deux pieds & demi
de haut.
On a expédié aux Commandans de chaque Régiment
une permiffion de détacher un Sergent
& quatre foldats par compagnie , pour aller faire
des récrues dans les pays étrangers. Les Etats Généraux
viennent de rendre une Ordonnance au
fujet de la pêche du hareng.
D'AMSTERDAM , le 8 Juillet.
Selon les nouvelles qu'on a reçues par les vaiſAOUST.
1755. 251
feaux revenus depuis peu des Indes orientales , il
y eut le 18 Août de l'année derniere un affreux
tremblement de terre dans l'ifle d'Amboina , voifine
des Molucques . La terre s'entr'ouvrit en plufieurs
endroits. Les deux églifes , le fort & le
comptoir furent renverfés de fond en comble.
Un grand nombre de perfonnes ont péri fous les
ruines de leurs habitations. Depuis le 18 Août
jufqu'au 22 Septembre , on a fenti quatre- vingtcinq
autres fecouffes.
Les vaiffeaux l'Amiral de Ruyter , l'Overfchie
& le Ruyteveld , appartenans à la Compagnie des
Indes orientales , arriverent le 29 du mois dernier
au Texel. Les deux premiers viennent de la Chine
, & le dernier de Batavia .
DE BRUXELLES , le 28 Juin.
On acheva le 25 de ce mois le tirage de la
trofiéme claffe de la lotterie de cette ville .
Les troupes qui doivent former un camp près
de Malines , s'y affembleront auffi - tôt après la
moiffon.
L'Impératrice Reine a envoyé le Général Baron
d'Anger , pour vifiter les fortifications des
places des Pays - Bas.
L_vj
252 MERCURE DE FRANCE .
FRANC E.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &6.
E onzième tirage de la lotterie , pour le rem
rentes
fur la caiffe générale des amortiffemens , fe fit
le 18 du mois de Juin à l'hôtel de Ville , en préfence
des Prévôt des Marchands & Echevins . Les
rembourfemens échus par le fort de la lotterie
montent à la fomme de quatorze cens cinq mille
quatre cens foixante livres . On acquittera les coupons
& les rembourſemens à la caiffe des amortiflemens
chez M. Blondel de Gagny , Tréſorier
de cette caiffe.
On fit le 20 les tirages des lotteries pour le
rembourfement de partie des capitaux des rentes
établies fur les poftes par les Edits des mois de
Novembre 1735 & Juin 1742. Selon le fort il
fera rembourlé trois cens foixante - fept mille
vingt livres fur les capitaux des rentes créées par
le premier de ces Edits , & quatre cens foixantetrois
mille deux cens foixante- cinq fur les capitaux
des rentes créées par le fecond. Les payemens
de ces rembourfemens , ainfi que des arrerages
defdites rentes , fe feront auffi à la caiffe des
amortiffemens.
La Comteffe d'Egmont , feconde douairiere ,
fille du Duc de Villars , prononça le 20 fes derniers
voeux dans le monaftere des Religieufes du
Calvaire , fauxbourg Saint Germain . Le Nonce du
Pape officia à cette cérémonie , & la Prédication
A OUST. 253
1755.4
fut faite par le P. Chapelain , de la Compagnie de
Jefus.
Le 27 Juin , le Roi nomma les femmes defti
nées au fervice du Prince ou de la Princeffe dont
Madame la Dauphine doit accoucher.
La Comteffe de Teffé fut préfentée le 29 à
leurs Majeftés & à la Famille royale. Elle a pris
le tabouret en qualité d'époufe d'un Grand d'Ef
pagne .
On fit le 30 du même mois le fixiéme tirage
de la lotterie pour le rembourſement des capitaux
des rentes , à trois pour cent , établies fur les po
ftes par Edit du mois de Mai 1751. Les payemens
pour ces rembourſemens fe font chez M. Paris de
Montmartel , Garde du Tréfor royal.
Le premier Juillet , le Roi arriva à Compiegne ,
accompagné de Mefdames de France. Sa Majesté ,
en venant de la Meute , fit l'honneur à M. de Ma
chault , Garde des Sceaux , de s'arrêter au château
d'Arnouville .
La Reine eſt arrivée le 2 au foir. Meſdames de
France , après avoir affifté au Salut dans l'Eglife
du Monaftere des Filles de Sainte - Marie , allerent
au- devant de la Reine jufqu'à deux lieues , &
elles revinrent dans le caroffe de Sa Majesté.
Le Roi a difpofé de l'Intendance de Rouen , va
cante par la démiffion de M. de la Bourdonnaye ,
Confeiller d'Etat , en faveur de M. Feydeau de
Brou , Maître des Requêtes , fils de M. Feydeau
de Brou , Confeiller d'Etat ordinaire , & au Confeil
royal.
Le 9 , Monfeigneur le Dauphin arriva de Ver
failles à Compiegne. Ce Prince n'y demeura que
jufqu'au 15.
Les Chanoines Réguliers de l'Abbaye de Sainte
Genevieve ont eu l'honneur de préfenter à leurs
254 MERCURE DE FRANCE.
Majeftés & à la Famille royale une Ode du Pere
Bernard , de leur Congrégation , fur la réconftruction
de leur égife .
On a appris par des lettres de Londres , que le
8 du mois dernier l'Amiral Boscawen a attaqué
avec fon Efcadre fur les bancs de Terre- neuve le
vaiffeau l'Alcide,qu'il a trouvé féparé de l'Eſcadre
Françoiſe , deſtinée pour le Canada , & qu'il s'en
eft emparé après une longue réfiftance de la part
de ce vaiffeau. Ces lettres ajoutent , que cet Amiral
a attaqué le même jour un vaiffeau chargé de
troupes , qui fe trouvoit auffi féparé de l'Eſcadre
du Roi , & fous l'eſcorte de l'Alcide. Auflitôt que
le Roi a été informé de cet événement , Sa Majefté
a envoyé ordre au Duc de Mirepoix , fon Ambaffadeur
à Londres , & à M. de Buffi , fon Miniftre
à Hanovre , de partir fur le champ , fans prende
congé , & de revenir en France.
•
BENEFICES DONNÉS.
ERoi a donné l'Evêché de Dijon à l'Abbé d'Apchon
, Vicaire Général du même Diocèſe ;
l'Evêché de Glandeve à l'Abbé de Treffemannes ,
Chanoine de l'égliſe métropolitaine d'Aix ; l'Abbaye
de Fontaine- Daniel , Ordre de Câteaux , Diocèfe
du Mans , à l'Abbé de Galiffet , Vicaire Général
de l'Archevêché d'Aix , & le Prieuré de Pontarlier
, Ordre de S. Auguftin , Diocèfe de Langres
, à l'Abbé Bureau de Saint - Pierre , Confeil
ler-Clerc au Parlement de Dijon.
A O UST. 1755. 255
MARIAGES ET MORTS.
Ouis- Gabriel de Conflans , Marquis de Conflans
, Meſtre de Camp - Lieutenant du Régiment
de Cavalerie d'Orléans , fut marié le 20 Mai
à Demoiſelle Antoinette-Magdeleine-Jeanne Portail
, fille de Meffire Jean- Louis Portail , Préfident
honoraire du Parlement ,& de Dame Marthe- Antoinette
Aubery de Vaſtan. La Bénédiction Nuptiale
leur fut donnée dans la chapelle particuliere
de l'hôtel de Rothelin , par l'Archevêque de Narbonne.
Leur contrat de mariage avoit été figné le
17 par leurs Majeſtés & par la Famille royale. Le
Marquis de Conflans eft fils de Louis de Conflans,
Marquis d'Armentieres , Chevalier des Ordres du
Roi & Lieutenant Général des Armées de Sa Majefté
; & de feue Dame Adélaïde -Jeanne-Françoiſe
Boutroue d'Aubigny.
La Maifon de CONFLANS eft fans contredit une
des plus illuftres du Royaume étant une branche
cadette de celle de BRIENNE , de laquelle , outre trois
Connétables de France , & des Ducs fouverains
d'Athènes , font fortis un Roi de Sicile dans la perfonne
de Gauthier III . du nom , & un Roi de Jérufalem
& Empereur de Conftantinople , dans celle
de Jean de Brienne , dont la fille Yoland , née de
fa premiere femme Marie de Montferrat , Reine
de Jérufalem , fut mariée l'an 1223 à l'Empereur
Fré deric II.
Engilbert de Brienne , troifieme fils de Gauthier I
du nom , Comte de Brienne , qui vivoit en 1068 ;
& d'Euftache , Comteffe de Bar fur- Seine , ayant
eu en partage la feigneurie de Conflans , en prit le
nom fuivant l'ufage du tems , & le tranſmit à ſa
256 MERCURE DE FRANCE.
à
poftérité , laquelle a toujours confervé les armes
de Brienne. Engilbert qui fit en 1138 plufieurs
dons avec fa femme , en préfence de fes fils ,
l'Abbaye de Molefmes pour l'ame du Comte Gauthier
fon pere , fut le cinquieme ayeul de Jean de
Conflans ,feigneur de Vezilly en Champagne , du
chef de N ... de Bazoches , fon ayeule maternelle.
Jean de Conflans eut de fa feconde femme Pé→
ronne de Jouvengues , Dame d'Armentieres , Jean
II . qui vivoit en 1415. pere par Magdeleine de
Hornes de Baucignies de Barthelemi de Conflans ,
feigneur de Vezilly, d'Armentieres , vicomte d'Ouchy
, &c. allié à Marie de Cramailles , Dame de
Saponnay , de laquelle nâquit Jean III . de Confans
, qui époufa Marguerite de Bournonville , &
mourut en 1507. Son troifieme fils Antoine de
Conflans , qui a continué la postérité eut les feigneuries
de Vezilly , d'Armentieres , & c. & épou
fa en Décembre 1525. Barbe de Rouy , mere
d'Euftache , d'Antoine & de Robert de Conflans
qui ont fait trois branches .
La poftérité d'Euftache , dont le fils de même nom
fut en 1597. Chevalier des Ordres du Roi & Lieutenant
Géneral de fes armées , s'eft éteinte en 1690
Antoine de Conflans II . du nom , feigneur de
S. Remi , &c. époufa en 1559. Françoiſe Boulart
, Dame d'Ennancourt- le - Sec. Leur fils aîné ,
Antoine de Conflans III du nom , feigneur de
S. Remi & d'Ennancourt , s'allia en 1597. à
Magdeleine de Ravenel , Damé de Fouilleufe , de
laquelle vint entr'autres , Michel de Conflans ,
Marquis de S. Remi , Gentilhomme ordinaire de
la chambre du Roi , Colonel d'un Régiment de
Cavalerie étrangere en 1635. Celui - ci eut de fon
fecond mariage avec Louiſe de Carvoifin , Michel
de Conflans II du nom , qui devint le chef de fa
A O UST. 1755% 257
maifon en 1690. & mourut le 22 Janvier 1712. Il
avoit époufé en 1667. Marguerite d'Agueffeau ,
qui fut mere de Michel de Conflans III. du nom
Marquis d'Armentieres , Vicomte d'Ouchy-le-
Châtel , feigneur de Breci , &c. premier Gentil
homme de la Chambre du Duc d'Orléans Régent,
mort le 5 Avril 1717. Il avoit épousé le 11 Janvier
1709. Diane- Gabrielle de Juffac , Dame du
Palais de la Ducheffe de Berry . De ce mariage il a
eu Louis de Conflans , Marquis d'Armentieres ,
pere de Louis- Gabriel qui donne lieu à cet article,
& de Louis-Charles , appellé le chevalier de Conflans
, qui eft né le 5 Décembre 1737.
Les armes de la Maiſon de Conflans , font d'azur
au lion d'or , l'écu femé de billettes de même.
Meffire Joachim Dreux , Marquis de Brézé ;
Maréchal des Camps & Armées du Roy , Grand-
Maître des cérémonies de France , Gouverneur des
Villes & château de Loudun , & du Loudunnois ,
époufa le 27 du même mois Dlle Louife Jeanne-
Marie de Courtarvel de Pézé ; elle eft fille de feu
Meffire Louis - René de Courtarvel , Marquis de
· Pézé , & de Dame Louiſe - Charlotte de Thibault
de la Rochetulon , & niece de Hubert de Courtarvel
dit le Marquis de Pezé , Colonel du Régiment
du Roi infanterie , Lieutenant Général des
Armées de Sa Majeſté , mort le 28 Novembre
1734. à Guaftalla , des bleffures qu'il avoit reçues
à la bataille de ce nom , ayant été nommé le 28
Octobre précédent , Chevalier des Ordres du Roy,
lequel n'a laiffé de fon mariage avec Lidie- Nicole
de Beringhen , qu'une fille unique Louife-Magdeleine
de Courtarvel de Pezé , mariée le 24 Mai
1743. à Armand-Mathurin , Marquis de Vaſſé ,
fon coufin-germain
La Maifon de COURTARVEL eft originaire du
258 MERCURE DE FRANCE.
Maine où elle eft connue dès le quatorzieme fiecle.
Foulque, feigneur de Courtarvel, époufa en 1390.
Anne , Dame de la Lucaziere , & fut bifayeul
d'Ambroise de Courtarvel , mariée en 1480 avec
Anne de Pézé , Dame du Boucher & de Pézé. Anne
de Pézé fut mere de Foulques de Courtarvel IV.
du nom , dont l'arriere petit- fils René II de Courtarvel
, fut créé Marquis de Pézé en 1658. Il fut
pere de Charles , Marquis de Pézé qui par fa femme
Marie-Magdeleine de Vaffan eft ayeul de
Louife-Jeanne- Marie de Courtarvel de laquelle
nous annonçons le mariage.
Le Marquis de BRÉZÉ eft fecond fils de Meffire
Thomas Dreux , Marquis de Brézé , Lieutenant
général des Armées de Sa Majefté , Grand- maître
des cérémonies de France , Gouverneur des villes
& château de Loudun & du Loudunois , ainsi que
des Iles de Sainte-Marguerite & de S. Honorat
de Lerins , & de Dame Catherine-Angélique Chamillart
de Cani , & avoit pour frere ainé Michel
Dreux , Marquis de Brézé , Baron de Beric , &c.
Lieutenant-général des Armées du Roy , Infpecteur-
général d'infanterie , Grand-maître des céré-
-monies de France , Prevôt & Maître des cérémo-
-nies des Ordres du Roi , Gouverneur de Loudun
& des Illes de Saint - Marguerite & de S. Honorat ,
mort le 17 Février 1754. fans enfans de fes deux
femmes Elifabeth-Claire- Eugénie Dreux de Nancré
, morte le 22 Avril 1748 , & Louiſe - Elifabeth
de la Châtre de Nançay.
Le Marquis de Brézé , appellé du vivant de fon
frere aîné , le Chevalier de Dreux a d'abord été
¿Colonel du régiment de Guyenne , infanterie , le
16 Avril 1738. Brigadier des Armées du Roi , le
premier Mai 1745. Colonel- lieutenant du Régiment
Royal de la Marine , le 26 du même mois,
A O UST. 1755. 259
Maréchal des Camps & Armées du Roy , le 10
May 1746. Grand- maître des cérémonies de France
& Gouverneur des ville & château de Loudun ,
au mois de Février 1754.
-
-
François-Martial de Montiers , Vicomte de Merinville
, Brigadier de cavalerie , & Capitaine-
Sous lieutenant de la compagnie des Gendarmes
de la Garde du Roy , époufa le 4 Juin ,
Charlotte Elifabeth Galluci de l'Hôpital , fille
de Paul Galluci , Marquis de l'Hôpital , Chevalier
des ordres de Sa Majefté & de celui de S. Janvier ,
Lieutenant - général des Armées du Roy , Inf
pecteur Général de la cavalerie & des dragons ,
& premier Ecuyer de Madame Adelaïde , cidevant
Ambaffadeur Extraordinaire de Sa Majefté
, auprès du Roi des deux Siciles ; & de Dame
Louife- Elifabeth de Boullongne . La Bénédiction.
Nuptiale leur a été donnée à la Thuillerie , par le
Nonce du Pape dans la chapelle du fieur de Boullongue
, Confeiller d'Etat , Intendant des Finances.
Le Vicomte de Merinville eft fils de Meffire
François - Louis -Martial de Montiers , Marquis de
Merinville , Maréchal des Camps & Armées du
Roy, & de Dame Marguerite-Françoile de Jaucen,
& petit-fils de François de Montiers , Comte de
Merinville , & de Rieux en Languedoc , créé Chevalier
des Ordres du Roi , le 31 Décembre 1661 ,
& de Marguerite de la Jugie , Comteffe de Rieux.
Meffire Louis-Gaſpart Řouillé d'Orfeuil , Maître
des Requêtes , fils de feu Meffire Jean- Louis
Rouillé auffi Maître des Requêtes , & petit fils de
Jean Rouillé , feigneur de Fontaine - Guerin , Intendant
de Limoges , neveu de Meffire Antoine-
Louis Rouillé , Comte de Jouy , Miniftre d'Etat
au département des Affaires étrangeres , a épousé
le 18 Juin à S. Roch , Demoiſelle Anne-Charlotte
260 MERCURE DE FRANCE.
+
"
Bernard de Montigny , fille de Meffire Charles
de Montigny , receveur général des finances de la
province de Picardie , & de Dame Claude - Anne-
Jeanne Brochet de Pontcharoft , fille de feu Meffire
Pierre Richard Brochet de Pontcharoft , tréforier
général des Ponts & Chauffées de France.
Elle eft coufine germaine de Meffire Simon - Charles-
Sébastien Bernard de Balinvilliers , Préfident
du Grand- Cónfeil .
On a oublié dans le Mercure précédent à l'ar
ticle de M. l'Evêque de Marfeille , en parlant de
ce qui refte de la branche de cet illuftre Prêlat ,
fes deux niéces , filles du feu Marquis de Caftel-
´moron , l'aînée , Cécile- Génevieve de Belſunce®
de Caftelmoron , Abbeffe de l'Abbaye royale de
Sainte Trinité de Caen par la nomination du Roy
du 18 Février 1754. & la cadette , Sufanne-
Gabrielle de Bellunçe de Caftelmoron , mariée
en May 1740. à N ..... Comte d'Arcuffia , d'une
des plus anciennes & des plus illuftres maiſons de
Provence.
Meffire Michel-André Hennequin d'Ecquevilly,
"Abbé de l'Abbaye de Notre- Dame de Maifieres ,
Ordre de Câteaux , Diocèfe de Chalons-fur-Saone,
´eft mort à Paris le 9 Juin âgé de 72 ans .
Meffire Jean - Alexandre Dutot , Marquis de
Varneville , Maréchal des Camps & Armées du
Roy , & Enfeigne des Gardes du Corps dans la
Compagnie de Villeroi , eft mort à Paris le 15 ,
âgé de 57 ans.
Meffire Céfar-Antoine de la Luzerne , Comte
de Beuzeville , Maréchal des Camps & Armées
du Roy , & ci -devant Meftre de Camp , Lieutenant
du Régiment des Carabiniers , mourut à
Paris le 17 , âge de 64 ans,
A O UST. • 261 1755
Dame Anne - Dorothée du Hautoy , Marquife
de Béon-Luxembourg , eft morte en fon château
de Tichémont en Lorraine le 17 Juin : elle étoit
veuve du Marquis de Béon dont le pere avoit époufé
l'aînée , héritiere de la maifon de Luxembourg,
& en avoit partagé les biens avec M. le Marquis
de Montmorency qui en avoit époufé la cadette.
M. le Marquis de Béon n'a point laiffé d'enfans ,
& la moitié de fa fucceffion revient à deux petites
niéces , filles du feu Marquis de Chemault dont la
mere étoit foeur du Marquis de Béon . L'aînée eft
Hyacinthe-Louife-Augufte de Béraut de Chemault
encore fille. La feconde eft Hyacinthe- Ifa- :
belle Bétaut de Chemault , mariée depuis trois ans
à Meffire Pierre- François de Courcy , Capitaine .
au Régiment de Cavalerie- Bourgogne , fecond fils
de Meffire François - Jean - Antoine de Courcy
Lieutenant pour le Roy & de Noffeigneurs les .
Maréchaux de France à Verneuil au Perche.
Meffire Maximilien Chaluet de Rochemonteix
Comte de la Roche-Vernaffal , Lieutenant- Genéral
des Armées du Roy , Gouverneur de Rocroy ,
& Commandeur de l'Ordre royal & militaire de
$. Louis , mourut le 18 dans fa 96 ° année,
3
262 MERCURE DE FRANCE:
AVIS.
Sr Théodore Odiot , dont il a été mention
L'dans le Mercure de Mai , avertit le Public
qu'il entreprend toutes fortes d'ouvrages , tant en
équipages , bâtimens , toilettes , qu'en tapifferies
, imitant l'étoffe de foie , avec dorure & fans
dorure , & qu'il tient manufacturede couleurs ,
tant en huile qu'en détrempe & en cire , foit à la
térébenthine , ou à l'eau , pattel , & généralement
tout ce qui concerne la peinture.
Le même artiſte avertit le Public , qu'il a peint
une falle chez lui de fa nouvelle compofition en
cire. Il n'en réſulte aucune mauvaiſe odeur , n'y
ayant point d'huile ni de térébenthine, quoiqu'elle
ait la même folidité , & que les couleurs ne foient
nullement changeantes. On pourra la voir depuis
neuf heures du matin jufqu'à midi ; & l'aprèsmidi
, depuis trois heures juſqu'à fix .
Il demeure rue baffe de laporte Saint Denis , la
troifiéme grandeporte après lecul de fac S. Laurens
ERRATA pour le Mercure de Juillet.
Page 19 , ligne 24, après une longue période ,
lifez un long période .
Page 26 , lig. 1 , Eh ! qu'eſt- ce qui ne l'a pas ≥liſ.
Eh ! qui eft-ce qui ne l'a pas ?
Page 80 , lig. 17 , Elémens de Dorimaftique , lif.
Elémens de Docimaftique.
265
J'A
AP PROBATION.
•
' Ai la , par ordre de Monfeigneur le Chance
lier , le Mercure d'Août & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A
Paris , ce 30 Juillet 1755 .
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIE R.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
Portraits de cinq fameux Peintres d'Italie , page
Rofalie , Hiftoire véritable
La variété , Cantatille ,
Epître à M. de Voltaire ,
Vers de M. Dubois , à Mme de Forgeville ,
La Promenade de Province . Nouvelle ,
Le malheur d'aimer. Poëme ,
S
45
46
47
48
65
De l'eftime de foi - même , par M. de Baftide , 75
Epître de M. V ** en arrivant dans fa terre , près
du Lac de Geneve ,
Mots de l'Enigme & du Logogryphe du Mercure
de Juillet ,
Enigmes & Logogryphes ,
Vaudeville de l'ordre de la fidélité ,
}
83
83
ibid.
93
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
Difcours que M. P ** a envoyé à la Société roya
le & Littéraire de Nancy, &c.
25
264
Obfervations fur le Dictionnaire des poftes , 103
Extraits , précis , ou indications des livres nouveaux.
Séance de la Société de Nifmes ,
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
181
139
148
Algébre. Lettre de M. G *** à M. Bezout , 147
Médecine. Extrait du rapport de M. Hofty , Médecin
, au fujet de l'inoculation ,
Chirurgie. Réflexions critiques adreffées à M ***
Médecin à Lyon , fur une Lettre annoncée fous
le nom du ficur Beranger , par M. Daviel fils ,
Danfe.
ART. IV. BEAUX ARTS.
182
Musique.
Gravure,
207
209
*
210
Architecture. Suite du Mercure du mois de Juin
de l'année 2355 , 214
ART. V. SPECTACLES.
Comédie Françoiſe , 221
Comédie Italienne ,. 223
Extrait du Maître de Mufique , 235
Opéra comique.
233
ARTICLE VI
Nouvelles étrangeres , 137
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 252
Mariages & Morts , 254
Avis. 269
La Chanson notée doit regarder la page 94.
De l'Imprimerie de Ch . A. JOMBERT,
MERCURE
DE FRANCE,
DÉDIÉ AU ROI.
SEPTEMBRE 1755.
Diverfité, c'est ma devife. La Fontaine.
Chez
Cochin
Filius inve
PapillonSculp 1715.
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix .
JEAN DE NULLY , au Palais .
PISSOT , quai de Conti .
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier-Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis an
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui qu'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. de Boiffy ,
Auteur du Mercure.
Le prix eft de 36 fols , mais l'on ne payera
d'avance , en s'abonnant , que 21 livres pour
l'année , à raison de quatorze volumes . Les
volumes d'extraordinaire feront également de
30fols pour les Abonnés , & fe payeront avec
l'année qui les fuivra.
Les perfonnes de province auxquelles on
Penverra par la pofte , payeront 31 livres
10 fols d'avance en s'abonnant , & elles le
recevront franc de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront qu'à raison de 30
fols par volume , c'est - à - dire 21 livres d'avance
, en s'abonnant pour l'année , fans les
extraordinaires.
Les Libraires des provinces on des pays
A ij
L
étrangers, qui voudront faire venir le Mer
cure , écriront à l'adreſſe ci - deſſus .
On Supplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la poſte , en payant le droit , le prix
deleur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le payement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteront au rebut.
L'on trouvera toujours quelqu'un en état
de répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine , aprèsmidi.
On peut fe procurer par la voie du Merles
autres Journaux , ainfi que les Livres
, Eftampes & Mufique qu'ils annoncent.
cure ,
S
MERCURE
DE FRANCE.
SEPTEMBRE.
1755 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
STANCES
A Mademoiselle **
Les trois Graces , jeune Thémire ,
Même la fuperbe Cipris ,
Sur les attraits qu'en vous j'admire
N'auroient point remporté le prix.
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Vous feule , fans en rien rabattre ,
Vous feule avez , fans vous flater ,
Ce qu'elles avoient toutes quatre.
Qui vous connoît peut l'attefter.
Vous poffédez un art de plaire ,
Que peut-être elles n'avoient pas ;
Ce que je vous vois dire ou faire
A toujours de nouveaux appas.
On ne parle que de leurs charmes ,
Quant à l'efprit on n'en dit rien ,
Ce côté vous fournit des armes ,
Vous raviffez dans l'entretien.
串
Du plus ridicule des âges
Vous n'approuvez pas les erreurs
De loin vous fuivez fes uſages ,
Mais vous n'adoptez point les moeurs
Chez vous une aigrette nouvelle
S'arrange fans trop réfléchir ,
Le plaifir de paroître belle
N'eft point votre unique plaifir.
SEPTEMBRE. 1755. 7
Vous méritez qu'on vous adore ,
Et l'ignorez en même tems ,
Cette ignorance donne encore
Plus de prix à vos agrémens .
Toutes nos ftériles brochures
Ne fécheront point votre efprit ,
Dans des fources fécondes , pures ,
De ſon vrai fuc il ſe nourrit.
Vous avez la rare habitude
Suivant les gens de vous plier ,
De borner votre vafte étude ,
Ou , s'il le faut , de l'oublier.
Belle , fage , douce , difcrette ,
Sans humeur , fans fard , fans détour ....
Thémire , pour être parfaite ,
Prenez un peu de mon amour.
J. F. G. **
De Chartrait , près Melun.
A mij
8 MERCURE DE FRANCE
VERS
Adreffés à M. R. D. B..... par une jeune
Demoiselle , âgée de huit ans.
Faire des vers pour vous , Mirtil , je vous affure,
Eft à mon gré le plaifir le plus doux ;
Et le travail fe paie avec ufure ,
Quand on a le bonheur de s'occuper de vous.
Mlle Roffignol.
Réponse à Mlle Roffignol.
Dvos talens qui ne feroit jaloux !
Ils devancent chez vous l'heureux âge de plaire.
Pour des vers , jeune Eglé , vous n'en devez point
faire ,
Mais, en laiffer faire pour vous.
Gridi
SEPTEMBRE 1755. 9
LE MO I.
HISTOIRE TRE'S - ANCIENNE.
L
A nature & la Fortune fembloient
avoir confpiré au bonheur d'Alcibiade.
Richeffes , talens , beauté , naiffance , la
fleur de l'âge & de la fanté , que de titres
pour avoir tous les ridicules ! Alcibiade
n'en avoit qu'un : il vouloit être aimé pour
lui-même. Depuis la coqueterie jufqu'à la
fagefle il avoit tout féduit dans Athènes ;
mais en lui étoit- ce bien lui qu'on aimoit ?
Cette délicateffe lui prit un matin comme
il venoit de faire fa cour à une prude. C'eft
le moment des réflexions. Alcibiade en fit
fur ce qu'on appelle le fentiment pur , la
métaphyfique de l'amour. Je fuis bien
duppe , difoit-il , de prodiguer mes foins à
une femme qui ne m'aime peut- être que
pour elle- même ! Je le fçaurai de par tous
les dieux , & s'il en eft ainfi , elle peut chercher
parmi nos athlétes un foupirant qui
me remplace.
La belle prude , fuivant l'ufage , oppofoit
toujours quelque foible réfiftance aux
defirs d'Alcibiade . C'étoit une chofe épouvantable.
Elle ne pouvoit s'y accoutumer.
Il falloit aimer comme elle aimoit pour s'y
A v
to MERCURE DE FRANCE.
réfoudre. Elle auroit voulu pour tout au
monde qu'il fut moins jeune & moins
empreffé. Alcibiade la prit au mot. Je vois
bien , Madame , lui dit il un jour , que ces
complaifances vous coutent ; hé bien , je
veux vous donner une preuve de l'amour
le plus parfait . Oui je confens , puifque
vous le voulez , que nos ames feules foient
unies , & je vous donne ma parole de
n'exiger rien de plus.
La prude loua cette réfolution d'un air
bien capable de la faire évanouir , mais
Alcibiade tint bon . Elle en fur furpriſe , &
piquée , cependant il fallut diffimuler .
Le jour fuivant tout ce que le deshabillé
peut avoir d'agaçant fut mis en ufage . La
vivacité du defir brilloit dans les yeax de
la prude , dans fon maintien , la nonchalance
& la volupté , les voiles les plus
legers , le défordre le plus favorable , tout
en elle invitoit Alcibiade à s'oublier . Ilapperçut
le piege. Quel triomphe , lui dit- il ,
Madame , quel triomphe à remporter fur
moi- même ! Je vois bien que l'amour m'éprouve
, & je m'en applaudis : la délicateffe
de mes fentimens en éclatera davantage.
Ces voiles tranfparens & légers , ces
couffins dont la volupté femble avoir formé
fon trône , votre beauté , mes defirs ;
combien d'ennemis à vaincre. Ulyffe n'y
SEPTEMBRE. 1755. 11
échapperoit pas , Hercule y fuccomberoit.
Je ferai plus fage qu'Ulyffe & moins fragile
qu'Hercule . Oui , je vous prouverai que
le feul plaifir d'aimer peut tenir lieu de
tous les plaifirs. Vous êtes charmant , lui
dit-elle , & je puis me flatter d'avoir un
amant unique ; je ne crains qu'une chofe ,
c'eft que votre amour ne s'affoibliffe par la
rigueur . Au contraire , interrompit vivement
Alcibiade , il n'en fera que plus ardent.
Mais , mon cher enfant , vous êtes
jeune , il eft des momens où l'on n'eft pas
maître de foi , & je crois votre fidélité bien
hafardée , fi je vous livre à vos defirs.
Soyez tranquille , Madame : je vous réponds
de tout . Puifque je puis vaincre mes
defirs auprès de vous , auprès de qui n'en
ferai- je pas le maître. Vous me promettez
du moins que s'ils deviennent trop preffans
vous m'en ferez l'aveu . Je ne veux
point qu'une mauvaiſe honte vous retienne.
Ne vous piquez pas de me tenir parole,
il n'eft rien que je ne vous pardonne plutôt
qu'une infidélité. Oui , Madame , je
vous avouerai ma foibleffe de la meilleure
foi du monde , quand je ferai prêt d'y fuccomber:
mais laiffez - moi du moins éprouver
mes forces : je fens qu'elles iront encore
loin , & j'efpere que l'amour m'en
donnera de nouvelles . La prude étoit
A vi
12 MERCURE
DE FRANCE.
furieufe , mais fans fe démentir elle ne
pouvoit fe plaindre , elle fe contraignit
encore , dans l'efpoir qu'à une nouvelle
épreuve Alcibiade fuccomberoit. Il reçut
le lendemain à fon réveil un billet conçu
en ces termes : « J'ai paffé la plus cruelle
» nuit , venez me voir . Je ne puis vivre
» fans vous .
Il arrive chez la prude. Les rideaux des
fenêtres n'étoient qu'entr'ouverts un jour
tendre fe gliffoit dans l'appartement à tra
vers des ondes de pourpre. La prude étoit
encore dans un lit parfemé de rofes. Venez,
lui dit- elle d'une voix plaintive , venez
calmer mes inquiétudes . Un fonge affreux
m'a tourmentée cette nuit , j'ai cru vous
voir aux genoux d'une rivale. Ah j'en frémis
encore ? Je vous l'ai dit Alcibiade , je
ne puis vivre dans la crainte que vous ne
foyez infidelle , mon malheur feroit d'autant
plus fenfible que j'en ferois moi-même
la caufe , & je veux du moins n'avoir rien
à me reprocher. Vous avez beau me promettre
de vous vaincre ; vous êtes trop
jeune pour le pouvoir long- tems, Ne vous
connois-je pas je fens que j'ai trop exigê
de vous , je fens qu'il y a de l'imprudence
& de la cruauté à vous impoſer une loi fi
dure. Comme elle parloit ainfi de l'air du
monde le plus touchant , Alcibiade fe jetta
?
SEPTEMBRE . 1755 13
:
à fes pieds je fuis bien malheureux , lui
dit- il , Madame , fi vous ne m'estimez pas
affez pour me croire capable de m'attacher
à vous par les feuls liens du fentiment !
Après tout de quoi me fuis - je privé ? de ce
qui deshonore l'amour. Je rougis de voir
que vous comptiez ce facrifice pour quelque
chofe. Mais fut- il auffi grand que vous
vous l'imaginez , je n'en aurai que plus de
gloire. Non , mon cher Alcibiade , lui dit
la prude , en lui tendant la main , je ne
veux point d'un facrifice qui te coûte , je
fuis trop fure & trop flattée de l'amour pur
& délicat que tu m'as fibien témoigné.
Sois heureux , j'y confens . Je le fuis , Madame
, s'écria- t-il , du bonheur de vivre
pour vous , ceffez de me foupçonner & de
me plaindre , vous voyez l'amant le plus
fidele , le plus tendre , le plus refpectueux ...
& le plus fot , interrompit- elle , en tirant
brufquement fes rideaux , & elle appella
fes efclaves. Alcibiade fortit furieux de
n'avoir été aimé que comme un autre ,
bien réfolu de ne plus revoir une femme
qui ne l'avoit pris que pour fon plaifir. Ce
n'eft pas ainfi , dit- il , qu'on aime dans l'âge
de l'innocence , & fi la jeune Glicérie
éprouvoit pour
pour moi ce que fes yeux femblent
me dire , je fuis bien certain que ce
feroit-là de l'amour pur.
&
14 MERCURE DE FRANCE.
Glicérie dans fa quinzieme année , atti
roit déja les voeux de la plus brillante jeuneffe.
Qu'on imagine une rofe au moment
de s'épanouir , tels étoient la fraîcheur &
l'éclat de fa beauté.
Alcibiade fe préfenta & fes rivaux fe
diffiperent. Ce n'étoit point encore l'ufage
à Athènes de s'époufer pour fe haïr & pour
fe méprifer le lendemain , & l'on donnoit
aux jeunes gens avant l'hymen , le loifir de
fe voir & de fe parler avec une liberté décente.
Les filles ne fe repofoient pas fur
leurs gardiens du foin de leur vertu . Elles
fe donnoient la peine d'être fages ellesmêmes.
La pudeur n'a commencé à combattre
foiblement , que depuis qu'on lui a
dérobé les honneurs de la victoire. Celle
de Glicérie fit la plus belle défenfe . Alcibiade
n'oublia rien pour la furprendre out
pour la gagner. Il loua la jeune Athénienne
fur fes talens , fes graces , fa beauté , il
lui fit fentir dans tout ce qu'elle difoit
une fineffe qu'elle n'y avoit pas mife , &
une délicateffe dont elle ne fe doutoit pas.
Quel dommage qu'avec tant de charmes ,
elle n'eut pas un coeur fenfible ! je vous
adore , lui difoit- il , & je fuis heureux fi
vous m'aimez. Ne craignez pas de me le
dire , une candeur ingénue eft la vertu de
votre âge , on a beau donner le nom de
រ
SEPTEMBRE. 1755 1-8
prudence à la diffimulation , cette belle
bouche n'eft pas faite pour trahir les fentimens
de votre coeur : qu'elle foit l'organe
de l'amour , c'eft pour lui -même qu'il l'a
formée. Si vous voulez que je fois fincere,
lui répondit Glicérie , avec une modeſtie
mêlée de tendreffe , faites du moins que je
puiffe l'être fans rougir Je veux bien ne
pas trahir mon coeur , mais je veux auffi ne
pas trahir mon devoir , & je trahirois l'un
ou l'autre fi j'en difois davantage. Glicérie
vouloit avant de s'expliquer , que leur
himen fut conclu . Alcibiade vouloit qu'elle
s'expliquât avant de penfer à l'himen.
Il fera bien tems , difoit- il de m'affurer
de votre amour , quand l'himen vous en
aura fait un devoir , & que je vous aurai
réduite à la néceffité de feindre. C'eſt
aujourd'hui que vous êtes libre , qu'il feroit
flateur pour moi d'entendre de votre
bouche l'aveu défintéreffé d'un fentiment
naturel & pur. Hé bien , foyez content , &
ne me reprochez plus de n'avoir pas un
coeur fenfible : il l'eft du moins depuis que
je vous vois. Je vous estime affez pour vous
confier mon fecret , mais à préfent qu'il
m'eft échappé , j'exige de vous une complaifance
, c'eft de ne plus me parler tête à
tête , que vous ne foyez d'accord avec ceux
dont je dépends. L'aveu qu'Alcibiade ve16
MERCURE DE FRANCE.
noit d'obtenir , auroit fair le bonheur d'un
amant moins difficile , mais fa chimere
l'occupoit. Il voulut voir jufqu'au bout
s'il étoit aimé pour lui -même. Je ne vous
diffimulerai lui dit-il , que
pas ,
la démarche
que je vais faire peut avoir un mauvais.
fuccès. Vos parens me reçoivent avec une
politeffe froide que j'aurois pris pour un
congé , fi le plaifir de vous voir n'eut vaincu
ma délicateffe ; mais fi j'oblige votre
pere à s'expliquer , il ne fera plus tems de
feindre . Il eft membre de l'Aréopage , Socrate
, le plus vertueux des hommes , y eft
fufpect & odieux : je fuis l'ami & le difciple
de Socrate , & je crains bien que la
haine qu'on a pour lui , ne s'étende jufqu'à
moi . Mes craintes vont trop loin peut-être ;
mais enfin , fi votre pere nous facrifie à fa
politique , s'il me refufe votre main ; à
quoi vous déterminez - vous . A être malheureuſe
, lui répondit Glicérie , & à céder
à ma deftinée. Vous ne me verrez donc
plus ? Si l'on me deffend de vous voir , il
faudra bien que j'obéiffe . Vous obéïrez
donc auffi , fi l'on vous propofe un autre
époux ? Je ferai la victime de mon devoir.
Et par devoir vous aimerez l'époux qu'on
vous aura choifi ? Je tâcherai de ne le
point haïr ; mais quelles queftions vous
me faites ? Que penferiez - vous de moi
SEPTEMBRE. 1755. 17
j'avois d'autres fentimens ? Je penferois
que vous m'aimez. Il eft trop vrai que je
vous aime. Non , Glicérie , l'amour ne
connoît point de loi ; il eft au- deffus' de
tous les obftacles ; mais je vous rends juf
tice , ce fentiment eft trop fort pour votre
âge , il veut des ames fermes & courageufes
que les difficultés irritent & que les revers
n'étonnent pas . Un tel amour eft rare
je l'avoue . Vouloir un état , un nom , une
fortune dont on difpofe , fe jetter enfin
dans les bras d'un mari pour fe fauver de
fes parens , voilà ce qu'on appelle amour ,
& voilà ce que j'appelle defir de l'indépendance.
Vous êtes bien le maître , lui
dit-elle , les larmes aux yeux , d'ajouter
l'injure au reproche. Je ne vous ai rien dit
que de tendre & d'honnête. Ai-je balancé
un moment à vous facrifier vos rivaux ?
Ai-je hésité à vous avouer votre triomphe?
Que me demandez -vous de plus ? Je vous
demande , lui dit- il , de me jurer une conftance
à toute épreuve , de me jurer que
vous ferez à moi , quoiqu'il arrive , & que
vous ne ferez qu'à moi. En vérité , Seigneur
, c'eft ce que je ne ferai jamais . En
vérité , Madame , je devois m'attendre à
cette réponſe & je rougis de m'y être expofé.
A ces mots , il fe retira outré de colere
, & fe difant à lui -même , j'étois bien
+ MERCURE DE FRANCE.
bon d'aimer un enfant qui n'a point d'ame
& dont le coeur ne fe donne que par avis
de parens.
il y avoit dans Athenes une jeune veuve
qui paroiffoit inconfolable de la perte de
fon époux. Alcibiade lui rendit comme tout
le monde , les premiers devoirs avec le
férieux que la bienféance , impofe auprès
des perfonnes affligées. La veuve trouva
un foulagement fenfible dans les entretiens
de ce difciple de Socrate , & Alcibiade un
charme inexprimable dans les larmes de la
yeuve, Cependant leur morale s'égayoit de
jour en jour. On fit l'éloge des bonnes qualités
du défunt , & puis on convint des
mauvaiſes , c'étoit bien le plus honnête
homme du monde ; mais il n'avoit précifement
que le fens commun. Il étoit affez
bien de figure , mais fans élégance & fans
grace ; rempli d'attentions & de foins ,
mais d'une affiduité fatigante. Enfin , on
étoit au défefpoir d'avoir perdu un fi bon
mari ; mais bien réfolue à n'en pas prendre
un fecond. Eh ! quoi , dit Alcibiade , à
votre âge, renoncer à l'himen ! Je vous
avoue , répondit la veuve , qu'autant l'eſclavage
me répugne , autant la liberté m'effraye.
A mon âge , livrée àmoi- même , &
ne tenant à rien , que vais-je devenir ? Alcibiade
ne manqua pas de lui infinuer
SEPTEMBRE . 1755. 19
qu'entre l'esclavage de l'himen & l'abandon
du veuvage , il y auroit un milieu à
prendre , & qu'à l'égard des bienféances ,
rien au monde n'étoit plus facile à concilier
avec un tendre attachement. On fut
révoltée de cette propofition . On eut mieux
aimémourir. Mourir dans l'âge des amours
& des graces ! il étoit facile de faire voir
le ridicule d'un tel projet , & la veuve ne
craignoit rien tant que de fe donner des
ridicules. Il fut donc réfolu qu'elle ne
mourroit pas ; il étoit déja décidé qu'elle
ne pouvoit vivre , fans tenir à quelque
chofe , ce quelque chofe devoit être un
amant , & fans prévention elle ne connoiffoit
point d'homme plus digne qu'Alci
biade de lui plaire & de l'attacher . Il redoubla
fes affiduités , d'abord elle s'en plaignit
, bientôt elle s'y accoutuma , enfin elle
y exigea du miftere , & pour éviter les im
prudences , on s'arrangea décemment.
Alcibiade étoit au comble de fes voeux.
Ce n'étoit ni les plaiſirs de l'amour , ni les
avantages de l'hymen qu'on aimoit en lui ;
c'étoit lui - même ; du moins le croyoit-il
ainfi . Il triomphoit de la douleur , de la
fageffe , de la fierté d'une femme qui n'exigeoit
de lui que du fecret & de l'amour.
La veuve de fon côté s'applaudiffoit de
tenir fous fes loix l'objet de la jaloufie de
20 MERCURE DE FRANCE.
1
toutes les beautés de la Grece. Mais com
bien peu de perfonnes fçavent jouir fans
confidens ! Alcibiade amant fecret , n'étoit
qu'un amant comme un autre , & le plus
beau triomphe n'eft flatteur qu'autant qu'il
eft folemnel. Un auteur a dit que ce n'eft
pas tout d'être dans une belle campagne ,
fi l'on n'a quelqu'un à qui l'on puiffe dire,la
belle campagne! La veuve trouva de même
que ce n'étoit pas affez d'avoir Alcibiade
pour amant , fi elle ne pouvoit dire à quelqu'un
, j'ai pour amant Alcibiade. Elle en
fit donc la confidence à une amie intime
qui le dit à fon amant , & celui - ci à toute
la Grece. Alcibiade étonné qu'on publiât
fon aventure , crut devoir en avertir la
veuve qui l'accufa d'indifcrétion . Si j'en
étois capable , lui dit-il , je laifferois courir
des bruits que j'aurois voulu répandre ,
& je ne fouhaite rien tant que de les faire
évanouir. Obfervons- nous avec foin , évitons
en public , de nous trouver enſemble ,
& quand le hafard nous réunira . Ne vous
offenfez point de l'air diftrait & diffipé
que j'affecterai auprès de vous. La veuve
reçut tout cela d'affez mauvaife humeur.
Je fens bien , lui dit-elle , que vous en
ferez plus à votre aife : les affiduités , les
attentions vous gênent , & vous ne demandez
pas mieux que de pouvoir voltiger.
f
SEPTEMBRE . 1755 28
Mais moi , quelle contenance voulez-vous
que je tienne. Je ne fçaurois prendre fur
moi d'être coquette : ennuyée de tout en
votre abfence rêveufe & embarraſſée
,
auprès de vous , j'aurai l'air d'être jouée ,
& je le ferai peut- être en effet. Si l'on eſt
perfuadé que vous m'avez , il n'y a plus
aucun remede , le public ne revient pas.
Quel fera donc le fruit de ce prétendu
miftere. Nous aurons l'air , vous , d'un
amant détaché , moi , d'une amante délaiffée.
Cette réponſe de la veuve furprit Alcibiade
, la conduite qu'elle tint acheva de
le confondre . Chaque jour elle fe donnoit
plus d'aifance & de liberté. Au fpectacle ,
elle exigeoit qu'il fut affis derriere elle ,
qu'il lui donnât la main pour aller au Temple
, qu'il fut de fes promenades & de ſes
foupers. Elle affectoit fur- tout de fe trouver
avec fes rivales , & au milieu de ce
concours elle vouloit qu'il ne vit qu'elle.
Elle lui commandoit d'un ton abfolu , le
regardoit avec miftere , lui fourioit d'un
air d'intelligence , & lui parloit à l'oreille
avec cette familiarité qui annonce au public
qu'on eft d'accord. Il vit bien qu'elle
le menoit partout , comme un efclave enchaîné
à fon char . J'ai pris des airs pour
des fentimens , dit-il , avec un foupir , ce
n'eſt pas moi qu'elle aime , c'eſt l'éclat do
22 MERCURE DE FRANCE.
ma conquête ; elle me mépriferoit , fi elle
n'avoit point de rivales . Apprenons- lui que
la vanité n'eft pas digne de fixer l'amour.
On donnera la fuite le mais prochain.
A SA MAJESTE
LE ROI DE POLOGNE ,
Sur la ftatue du Roi de France ; qu'il a
fait ériger à Nancy.
ROME de fes héros & de fes Empereurs ,
Par le marbre ou l'airain fe retraçoit l'image :
Et celle de LOUIS , outre cet avantage ,
Eft gravée au fond de nos coeurs.
Par vos foins on la voit dans l'heureuſe contrée ,
Où vous avez du ciel fait revenir Aftrée :
Mais , Grand Roi , quel feroit notre contentement
S'ils n'étoient pas bornés à ce feul monument !
Sans craindre qu'un Monarque auffi bon que le
nôtre ,
Puiffe jamais être jaloux
Des fentimens qu'on a pour vous ;
Auprès de fa ftatue on voudroit voir la vôtre .
Par la Muſe Limonadiere , ce 28 Fuillet
1755.
SEPTEMBRE . 1755. 23
LES SOUHAITS.
UNN tourtereau ,
Perché fur un rameau ,
Attendoit le retour de fa chere compagne
Qui butinoit encor dans la campagne.
Cet amoureux oiſeau
Par fes gémiffemens exprimoit les allarmes
Dont fon coeur étoit agité .
Philis en répandit des larmes :
Tout attendrit une jeune beauté
Abſente de l'objet qu'elle aime.
Grands Dieux ! quelle félicité ,
Dit-elle , fi Tircis penfoit à moi de même !
A peine elle eut fini ces mots ,
Que le plus tendre des moineaux
A fes yeux careffa fon aimable femelle
Cent & cent fois en un moment ;
Amour , s'écria cette belle ,
En voyant leurs tranſports & leur raviffement
Ah ! fais que mon amant ,
Si tu veux que je fois à ton culte fidele ,
Imite abfent le tourtereau ,
Et qu'après fon retour il devienne moineau.
LA DOUCE VENGEANCE.
Dormons, difoit Cipris, au Dieu Mars fon amant ,
Avec un ton de voix charmant ;
24 MERCURE DE FRANCE .
Dormons : la nuit acheve fa carriere ,
J'apperçois déja la lumiere.
Vous vous trompez , non , ce n'eft pas le jour ;
L'éclat que vous voyez , dit Mars avec tendreſſe ,
Vient de vos yeux , belle Déeffe ;
C'est l'ouvrage de mon amour .
Ah ! réprit auffi - tôt la Reine de Cithere :
S'il eft bien vrai , cher amant , vengeons - nous,
En rendant cette nuit fi brillante , fi claire ,
Que l'indifcret Phébus en devienne jaloux.
Ces deux pieces font de M. de Beuvri.
VERS
A Mile C. Le jour de S. Louis fa fête , en
lui envoyant un petit panier couvert, dans
lequel il y avoit des pêches , & un bouquet
à la queue duquel étoient enchaînés fix
ferins , avec des faveurs.
CHargés des dons de Pomone & de Flore ,
Nous venons , députés de l'ifle de Paphos ,
Vous offrir , timides oiſeaux ,
Des fleurs , que les zéphirs pour vous ont fait
éclorre :
Ouvrez ! ne craignez point notre légereté ,
Nul de nous ne fera volage.
Peut-on ne pas chérir ſon eſclavage ,
Quand c'est pour vous qu'on perd la liberté ?
* Lefoleil en éclairant les plaiſirs de Mars & de
Venus , les fit furprendre par Vulcain.
SUITE
SEPTEMBRE. 1755. 25
SUITE
DE L'ESTIME DE SOI - MESME
Ou l'art d'augmenter celle des autres ,
Par M. de Baftide.
>
Es hommes naiffent avec deux foibleffes
contradictoires , la jaloufie aveugle
& l'admiration rapide . Ces foibleffes
ont donné le mouvement au monde , tel
qu'il eft aujourd'hui . On les fait aifément
naître dans le même jour ; la nuance qui
les fépare eft prefque imperceptible. Il eft
toujours heureux de finir par être l'objet
de la derniere , mais on a rifqué de n'y
pas parvenir ; & fi cela fut arrivé , on
reftoit bien loin du dégré d'eftime , de
fortune , ou d'élévation que l'on devoit
attendre de fon mérite.
Il eſt un moyen d'affurer à fon ambition :
tout le fuccès qu'elle s'eft promis , c'eſt l'art
de fe faire valoir. Cet art paroît être partout,
aujourd'hui que les vices ont pris tant de crédit.
En effet , combien de gens réuffiffent , qui
n'auroient pas même ofe former des defirs,
fi le mérite étoit la feule clef des fuccès de ›
l'ambition. Soupleffes , trahifons , fauffes
confidences , faux fervices , fauffes louanges
, tous moyens heureux mais infâmes .
B
26
MERCURE DE FRANCE.
Cet art eft un crime, & fes motifs toujours
découverts font tôt ou tard le châtiment
de l'homme coupable qui les a lâchement
employés.
L'art dont je parle , & dont je vais effayer
de donner des leçons , eft toujours
innocent , & réuffit toujours mieux ; il
affure l'eftime des hommes fans laquelle il
n'eft point de vrai bonheur ; il n'eft jamais
un fujet de reproches pour le coeur même
le plus délicat ; tous les plaifirs qu'il procure
font vrais , on y trouve la fatisfaction
inexprimable d'être l'auteur du dégré de
confidération auquel on eft parvenu , on y
trouve encore le plaifirflateur d'être agréa
ble aux hommes en leur faifant fentir une
admiration tendre qui ne va jamais fans
leur attachement , & qui ne peut jamais être
fans plaifir pour eux.
En quoi confifte cet art fi utile & fi favorable
? fuffit-il d'être né avec du mérite &
d'éviter la modeftie pour le pofféder ? Eftce
en faifant adroitement valoir les autres
que l'on parvient à fe faire valoir ? Négliger
fes intérêts , paroître ignorer ce que
l'onvaut , être doux , careffant , docile ,
donner modeftement un confeil , demander
un avis avec cet air touchant qui fait
entrer la fimpatie dans le coeur de celui
qu'on confulte 3 montrer une fermeté noble
SEPTEMBRE . 1755. 27
lans toutes les occafions de concurrence &
le difpute où la gloire eft intéreffée ; doner
à tout ce que la vanité fait dire ou enreprendre
l'air de cette gloire fi refpectale
, dans laquelle les hommes les plus
vains ont toujours trouvé tant d'excufes ;
adoucir cet air par un regret apparent de
n'avoir pas pû éviter d'agir & de ne pouvoir
plus reculer ; être honnête dans la
concurrence & modefte dans le triomphe.
Eft- ce là l'art de fe faire valoir ? Il n'eft
point dans toutes ces chofes féparées ; il ſe
forme de toutes.
La modeſtie eſt une qualité refpectable ,
mais elle eſt le terme des avantages que le
mérite a droit de fe promettre dans le monde.
Une froide eftime eft tout ce que les
hommes lui accordent. Pour réuffir , il faut
s'annoncer & attirer les regards à foi . Le
monde, en cela , eft une image des fociétés
particulieres où l'homme le plus diftingué
par le mérite n'aura bientôt aucune forte
de diftinction , fi de tems en tems il ne fe
renouvelle dans les efprits , en y renouvellant
fa réputation par quelque trait de fa
vanité. Tout le monde fçait que ce n'eft
que fur la fin de fa vie que l'immortel
Corneille eut une penfion de Louis XIV .
Ce grand Roi aimoit pourtant à récom
penfer, & il y penfoit de lui- même ; mais
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
il étoit entouré de poëtes plus courtifans ,
qui rempliffoient fes oreilles du bruit de
leur génie & le trop modefte Corneille
laiffoit parler le fien.
Il est donc abfolument néceffaire de fe
montrer aux hommes fous un jour qui les
frappe , lorfque l'on veut repréfenter fur
la icene du monde. Mais les nuances qui
doivent former cet éclat , font délicates
difficiles à réunir , plus difficiles à placer.
Les hommes accordent volontiers leur admiration
, mais le mépris , la jaloufie & la
haine font le prix du defir de l'obtenir , fi
l'on n'a pas un cetain art de la faire naître ,
même en la méritant.
Parler trop fouvent de foi , en parler
trop bien , avoir l'air de fe careffer en fe
louant , fe louer dans des chofes que le
public a vu d'un oeil prévenu , attaquer la
réputation d'un homme eftimé pour affurer
la fienne , ce feroit choquer les hommes ,
trop préfumer de leur caprice, de leur foibleffe
ou de leur injuftice , & rifquer évidemment
de fe ruiner dans leur efprit , au
lieu de s'y bien établir. Mais fuivant les
circonftances dire de foi le bien que les
autres en ont déja dit , retracer certains
traits qui ont fait généralement honneur ,
ne paroître fe louer que par l'exigence du
cas préfent , prouver ce que l'on peut faire
SEPTEMBRE . 1755. 29
par ce que l'on a fait , &n'en parler que pour
juftifier fa prétention actuelle , voilà le vrai
moyen de le faire valoir. La modeftie nous
fait oublier des hommes , la préfomption
nous en fait hair ; une certaine vanité de
fituation prévient l'inconftance , écarte la
jaloufie , & fait naître la vraie eftime.
Sçavoir faire valoir les autres , eſt un
moyen infaillible de fe faire valoir foimême.
Quelques vains que foient les hommes
, ils ne fe jugent jamais avec affez de
complaifance pour n'avoir befoin que de
leur propre eftime. La voix du coeur fait
taire la voix de l'amour propre. Sçavoir
flatter cette avidité de louanges toujours
plus infurmontable à mefure qu'elle eft
moins véritablement fatisfaite , c'eft s'affurer
du reffort général qui fait mouvoir tous
les hommes , c'eft avoir trouvé l'art de
maîtriſer l'efprit & le coeur.
Le feul defir de plaire indique mille
moyens de flatter leur vanité , mais il eft
dangereux de n'en pas fçavoir régler l'ufage
, s'ils vous voyent trop frappés de leur
mérite , ils ne le feront plus du vôtre , il
faut fçavoir s'arrêter dans la louange comme
dans la plaifanterie. Les hommes font
naturellement ingrats. Ils haïffent qui ne
les loue pas affez , ils méprifent qui les
trop. Un homme d'efprit que l'on
loue
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
connoîtra pour n'être point louangeur &
pour avoir un goût très- difficile fera für
de s'être fait autant d'amis qu'il y aura de
perfonnes dans un cercle qu'il aura diftinguées.
On fe parera complaifamment de
cette diftinction , moins parce qu'elle fera
flatteufe par elle -même , que parce qu'on
la devra à un homme qui n'eft pas dans
l'habitude de flatter , & fi l'on eft contrarié
dans l'opinion qu'on aura prife de la qualité
dont on aura été loué , on dira M. un
tel m'en a fait compliment . Ce M. un tel
pourtant , cité comme un oracle , ne fera
qu'un homme de goût comme tant d'autres
; il n'aura rien fait que de très-fimple
en louant ce qui étoit bien & fe taifant fur
qui ne méritoit pas d'être loué , mais
c'eft que ce qui eft très- fimple devient trèsméritoire
& très- confidérable , lorfqu'on
a fçu fe faire une réputation .
Négliger fes intérêts , eft encore un de
ces moyens de fe faire valoir qu'on ne doit
employer qu'avec prudence. Il réuffit alors
parfaitement. Je fuppofe un homme d'efprit
aux prifes, dans une converſation , avec
un fat déja prefque vaincu ; que cet homme
fi fupérieur par le mérite & par l'avantage
actuel , renonce à fa victoire , qu'il
paroiffe avoir épuifé fes reffources en faifant
finir la difpute par un filence qui laifSEPTEMBRE.
1755. 31
que
fe la question indécidée ; tout le monde
admirera fa modération , & elle lui fera
plus d'honneur que fon triomphe ne lui en
eut fait. Mais pour pouvoir montrer fans
danger une pareille générofité , il faut
les fpectateurs connoiffent votre fupériorité
, & vous rendent juftice , il faut encore
& non moins neceffairement, que l'objet
de la difputé ne foit pas effentiel par
lui-même , & que votre défaite ou votre
victoire n'intéreffe que votre vanité. Si au
contraire de l'une ou de l'autre dépendoit
l'intérêt de votre gloire ou de celle de votre
ami , négliger vos avantages , ce feroit
mériter que l'on doutât de votre efprit , ou
qu'on vous accufât d'ignorer ce que l'on
doit à ſon ami ou à foi même.
Cette regle s'étend à la douceur , à la
docilité , &c. qualités qui nous rendent
tous les hommes favorables , lorfque nous
fçavons les montrer avec art, & qui peuvent
au contraire nous faire un tort confidérable
dans leur efprit , fi cet art précieux
n'en regle pas l'ufage .
Un honnête homme , qui vient vous
demander un confeil , mérite que l'attention
de ne pas bleffer fon amour propre
foit votre premier foin. Il est toujours humiliant
d'être contraint à s'éclairer des lumieres
des autres ; demander un confeil
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
7
c'eft faire l'aveu d'un befoin. Donner un
confeil eft donc faire une action par laquelle
votre vanité agit en quelque forte
contre l'amour propre de celui à qui vous
le donnez ; fi vous ne lui paroiffez pas
modefte , vous lui paroîtrez impertinent ,
vous ferez l'objet de fa haine immédiatement
après avoir été l'objet de fa confiance
; mais fi au contraire vos lumieres fe
cachent fous un air de modeftie , fi en le
confeillant vous paroiffez plus flaté du fervice
que vous pouvez lui rendre que de
l'honneur qu'il vous aura fait , fa vanité ·
reconnoiffante vous tiendra compte d'un
ménagement indifpenfable comme d'un
bienfait volontaire ; vous obtiendrez fon
amitié par votre confeil , & fon eftime par
votre procédé.
Il eft auffi néceffaire de demander un
confeil avec dignité , que de le donner
avec modeftie. On prévient l'injuftice de
la vanité en confultant avec un air touchant
, toujours affez flatteur pour contenir
l'orgueil qui voudroit agir . Celui qui
confulte a un fervice à obtenir & une offenfe
à éviter ; un fervice , parce qu'un bon
confeil donné avec cet air de ménagement
qui vient de la confidération , porte naturellement
ce nom ; une offenfe , parce que
l'homme naturellement vain abufe aifé-
1
SEPTEMBRE . 1755. 33
ment des fervices qu'il rend , & les tourne
toujours en offenfe lorfque la façon de les
demander n'a pas quelque chofe d'impofant
qui lui imprime la confidération. On
eft für d'obtenir l'un & d'éviter l'autre
par
l'art de demander .On réuffira même au -delà
de fes efpérances , fi l'on fçait tirer de cet art
tout ce que l'on peut en attendre . Celui
que vous confulterez , forcé à vous ſuppofer
de la nobleffe à proportion que vous en
aurez montré , jugera de fon mérite & de
votre eftime pour lui par votre démarche
qui les mettra dans tout leur jour ; fa vanité
careffée ; portera fes idées fur la préférence
que vous lui aurez donnée , & les détournera
du fervice qu'il vous aura rendų ;
il vous chérira , vous estimera , vous refpectera
. La reconnoiffance lui dictera des
remerciemens dont vous verrez facilement
la fincérité. Si dans ce moment vous lui
demandiez les plus grandes preuves de prédilection
, il feroit capable de vous les ac-
-corder & de vous en remercier de même.
Car que ne doit on pas attendre d'un homme
lorfqu'on a fçu flatter fa vanité ?
La plupart des concurrens font ou diffi-
-mulés avec baffefle , ou fermes avec infolence
, & il n'arrive que trop fouvent qu'ils
triomphent par l'un ou l'autre de ces défauts,
mais très - fouvent auffi leur victoire
Bv
34 MERCURE DE FRANCE .
les livre à la haine & au mépris publics.
L'on fent bien que , lorfqu'on demande
une préférence fur un rival , la gloire ne
fouffre pas que l'on manque , par fa faute,
de l'obtenir ; afficher fon ambition , c'eſt
afficher la préfomption fi l'on ne réuffit pas.
Mais pour réuflir n'y a-t- il point de moyens
innocens qui ne foient dangéreux ? Oui ,
fans doute , il en eft , & les voici. C'eſt à
'celui- là feul qui en fçait faire ufage , que
font réfervés le véritable fuccès & la véritable
gloire de réuffit . Que l'on foit ouvert
avec prudence & ferme avec nobleffe , que
l'on paroiffe n'avoir de l'ambition que par
-ce que l'on fe doit à foi- même d'en avoir
lorfqu'on eft fait pour parvenir , que cette
ambition n'ait pas l'air de la prétention ,
que l'opinion que l'on ade foi ne foit point
décélée par certain air de fuffifance , que
l'efpérance feule fe laiffe voir, mais qu'il
•paroiffe que foutenue du defir de la gloire,
elle fuffira pour donner la conftance de fol.
liciter ce que l'on demande, ou de pourſuivre
ce que l'on a entrepris.
Si l'on a pour concurrent un homme
abfolument fupérieur en rang ou en mérite
, on ne fçauroit réparer par trop d'é
gards l'audace de s'être mis à côté de lui ,
mais ces égards dégénéreroient en baſſeffe
s'ils ne laiffoient plus diftinguer cet air de
SEPTEMBRE . 1755. 35
C
réfolution qui marque une ame courageufe
, & qui fçait rendre aux autres ce qui
leur eſt dû fans oublier ce qu'elle fe doit à
elle-même.
Si celui dont on fe voit le rival eft un
homme médiocre mais modefte , s'il paroît
que fon ambition ait pris fa fource dans fa
mauvaiſe fortune , fi fon fort dépend de la
réuffite de fes idées ; le traiter avec humanité,
ne fe montrer à lui qu'avec la moitié
de fes moyens , foutenir fon efpérance en
lui fauvant les preuves de fon infériorité ,
defcendre jufqu'à lui & lui conferver fon
illufion , paroître regretter d'être fon compétiteur
, fans que ce regret ait rien d'humiliant
pour lui ; c'eft avoir le procédé d'un
homme généreux , d'un homme admirable
, d'un homme que tout le monde doit
aimer.
Voilà de fûrs moyens de fe faire valoir.
On les trouvé dans fon coeur lorfque l'on
penfe bien. J'ai pris dans le mien le deffein
de les expofer aux yeux des hommes
pour les tenter s'il eft poffible. Je fuis fûr
d'avoir bien fait , mais aurai- je aſſez bien
dit pour être écouté tout dépend aujourd'hui
de l'art de l'efprit. Un fermon même
eft ennuyeux s'il n'eft agréable ; il n'y a
plus de milieu. La raifon devroit pourtant
avoir confervé quelque privilege ; elle dit
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
toujours des chofes & l'efprit en fait fouvent
fouhaiter. Je fçais que l'efprit est trèsaimable
, & que s'il joignoit à fes agrémens
l'appanage de la raifon , il vaudroit beaucoup
mieux qu'elle ; mais il n'a pas tout ,
ce n'eft prefque qu'une belle fleur ; pourquoi
s'y attacher uniquement le printems
eft bien court ; doit - on vivre fans provifions
pour les autres faifons de l'année ?
Q
VERS
A Madame P ...
Ui voit P ... voit la beauté :
C'eft à cette Divinité
Qu'il appartient de fixer fur fes traces
Les jeux , les ris , les amours & les graces :
Mais on ne peut l'apprécier
Qu'en lui rendant le plus fidele hommage
Elle feule des Dieux eft la parfaite image ;
Elle les repréfente , & les fait oublier. *
>
* Il y a dans les Danaïdes , Tragédie de Gombauld
, un vers qui paroît le modele de ce dernier.
Représente les Dieux , & les fait oublier.
SEPTEMBRE. 1755. 37
EPITRE
A Mr F *** Docteur en Médecine , &
amateur de la Littérature , fur le choix
des livres.
Toujours fondé fur votre complaifance ,
Dont jufqu'ici j'ai fait l'expérience ,
Puis-je , Docteur , par ce nouveau placet ,
Frapper encore à votre cabinet ?
Temple des arts , facré dépofitaire
De la ſcience & du goût littéraire ,
J'y viens cueillir , ( vous me l'avez permis )
Le peu de fleurs dont j'orne mes écrits :
En vain croirois-je , allant à d'autres fources ,
Me procurer de meilleures reffources .
Par-tout ailleurs que trouve un curieux ?
Tout eft obfcène , ou tout eft ennuyeux.
Pour le prouver vous faut- il des exemples ?
J'ouvre à vos yeux deux ou trois de ces temples.
Voyez Damon , ce brillant Adonis ,
Damon vanté parmi nos Erudits ,
Qui joint , dit-on , aux traits de la figure
Ceux d'un génie orné par la culture :
J'entens par tout préconifer fon nom ,
Les belles font les hérauts de Damon :
On le defire ; il va dans les ruelles ,
Toujours porteur d'égayantes nouvelles ,
38 MERCURE DE FRANCE.
Faire briller fes graces , fon efprit ;
C'eſt un oracle : Eh ! d'où vient ? » c'eſt qu'il lit ;
» Me répond-on , il faut voir les volumes ,
» Tous fruits récens des plus fçavantes plumes ,
» Dont il s'est fait un riche magazin
» Rien de plus beau , c'eft de l'exquis , du fin.
Moi qu'on verroit voler juſqu'à la Mecque
Si j'y fçavois une bibliothéque .
Sur ce rapport qui flate mon eſpoir
Je cours chez lui , je m'empreffe à le voir.
Beau maroquin & brillantes dorures ,
Beau caractere , ô les charmans augures !
Oui , le dedans doit répondre au-dehors ,
J'ouvre... que vois - je ? .... & quels font ces tréfors
?
Al.... , les lettres portugaifes ,
D ... S *** & mille autres fadaifes :
Lubrique amas des plus honteux recucils ,
De la pudeur , redoutables écueils ,
Damon , tranquille au milieu d'eux , le joue ,
Et puife là ces beaux talens qu'on loue ,
Ses complimens , fes contes , fes bons mots.
Quel répertoire ! Amathonte , Paphos ,
Etes-vous donc l'école favorite ,
Où de nos jours s'acquiert le vrai mérite ?
Un laid Satyre , un Priape laſcif ,
Dignes objets d'un regard peu craintif,
Te font , Damon , admirer leurs grimaces ,
Et tu profcris les Muſes & les Graces ,
SEPTEMBRE. 1755. 39
Comme beautés indignes de ton foin.
Moi , je les cherche ....Adieu , voyons plus loin
Si plus heureux enfin je les découvre.
Ici , Docteur , un fecond temple s'ouvre
Eraſte habite en ces paifibles lieux ;
C'eft de Thémis un Prêtre ſtudieux ;
Que des neuf foeurs on croit auffi l'éleve ,
Si le palais , par quelque courte treve ,
Sufpend par fois fes travaux journaliers ,
Des lys qu'il quitte il va fous les lauriers ,
Près d'Apollon paffer de doux quarts-d'heure .
Je pourrai donc .... quel vain eſpoir me leurre !
Rongés des vers , mille auteurs découfus ,
Sont pêle- mêle en ces lieux étendus.
Que m'offrent-ils ? d'infipides matieres ,
C'eſt du barreau les antiques lumieres ,
Un froid Bertaud , un énorme Cujas.
O ciel ! où donc ai-je adreffé mes pas ?
Je pourfuivois Minerve en ces retraites ;
Qu'y rencontrai- je ? un hydre à mille têtes.
Des ais poudreux foutiennent fes noirs flancs ,
Et la chicane occupe tous les
rangs.
Ses louches yeux fatiguent ma paupiere ,
Elle mugit , je recule en arriere ,
Et curieux de plus rares tréſors ,
Je vais ailleurs tenter d'autres efforts.
La fcene encore , Docteur , change de face:
de grace .... Entrons ici , fuivez mes pas ,
40 MERCURE DE FRANCE.
Où vous conduis - je ? .... où vais - je ... Nons
voilà.
Précipités de Carybde en Scylla ,
Philinte y loge : hériffé philoſophe ,
Fort fur l'ergo , jugez de quelle étoffe
Sont les recueils qui tombent fous mes mains.
C'eft Epicure , & ſes atômes vains ;
C'eft Ariftote avec le fillogifme ,
Je prens la fuite à l'aſpect du ſophiſme ;
Et je crains trop , éleve de Clio ,
D'être écrasé fous un in-folio.
Epris d'amour pour la littérature ,
J'en viens chercher chez vous la fource
Ainfi l'abeille aux ftériles vallons ,
Ne rencontrant que ronces & chardons ,
Pour fon goût fin toutes plantes ameres ,
Prend fon effor vers ces rians pafterres.
Beaux lieux où Flore , étalant fes appas ,
Offre à fon choix des fucs plus délicats .
Ces belles fleurs que l'abeille cajole ,
De vos trésors , ami , font le ſymbole.
L'hiftorien avec le traducteur ;
Là le poëte , & plus loin l'orateur
Compofent tous , arrangés dans leur cafe
Un helicon dont le goût eft la bafe.
Y briguez-vous une place ayez foin
Que vos effais foient marqués à ce coin.
Nouveaux auteurs , dont la race pullule.
Plus des écrits le nombre s'accumule ;
V
pure.
SEPTEMBRE. 1755 45
Et plus auffi dans ce fatras fufpect ,
L'homme lettré fur le choix circonfpect ,
Pefe , compare , examine & difcerne
L'or ancien de ce clinquant moderne ,
Qui féduit l'oeil fans éclairer l'efprit ,
Et que la mode a mis feule en crédit .
Qu'à votre goút tous les goûts foient conformes ,
Bientôt , Docteur , que d'heureufes réformes !
Que de Romans à l'oubli condamnés !
Que d'avortons , que de nains détrônés !
Nains aujourd'hui qui vont fur les toilettes ,
Dans les bureaux , jufqu'aux faintes retraites ,
Effrontément étaler leur orgueil ,
Que favoriſe un général accueil.
Mais puiſqu'en vain à ce torrent rapide
La raiſon veut oppoſer fon Egide ,
Sans déformais chercher à l'affoiblir ,
Bornons nos foins à nous en garantir.
Par M. Li. de Limoges .
42 MERCURE DE FRANCE .
M
falloit
Lettre à l'Auteur du Mercure.
ONSIEUR , j'entre dans le monde,
& je me fuis informé de ce qu'il
pour s'y avancer rapidement . Quatre
chofes , m'a-t-on répondu. Beaucoup de
talent pour voiler la vérité , prefque autant
de goût pour la galanterie , une pointe
de médifance , & par- deffus tout un petit
air de dévotion. Comme je fuis timide
, je n'ai pas ofé me produire fans effayer
à part moi fi je réuffirois . Mais comment
m'y prendre ? Je n'avois jamais fait de
vers ; j'ai imaginé d'en compofer fur les
quatre genres : Ainfi c'eſt la timidité qui
m'a créé poëte , & c'eft beaucoup ; car je
ne croyois jamais pouvoir faire quelque
chofe de cette timidité là. Ce font ces
effais que je vous envoie. Vous n'en prendrez
pour le Mercure que ce qu'il vous
lè
plaira Mais prenez- y garde , Monfieur ,
la chofe eft plus fériqufe que vous ne penfez.
C'eft du genre que vous choiſirez ,
que dépendra le caractere que j'apporterai
dans le monde.
J'ai l'honneur d'être , &c.
G ***
SEPTEMBRE. 1755. 43
STANCES A PHILIS.
Pour l'inviter à venir quelque tems à la
campagne.
ALlons , Philis , dans ces bocages ,
Contempler de nouveaux objets ,
Et fous ces ténébreux feuillages
Inventer de plus doux projets.
Allons , loin du fafte des villes ;
Loin du fiécle , loin des plaiſirs ,
A nos coeurs fimples & dociles
Permettre d'innocens defirs.
Allons ... la nature embellie ,
Par-deffus l'éclat des cités
D'une douce mélancolie ,
Remplira nos coeurs enchantés.
Du repos de ce lieu champêtre
Amour pourra s'autoriſer.
Tout y fert à le faire naître
Ainfi qu'à le favorifer.
44 MERCURE DE FRANCE.
Quand la plaintive tourterelle
Pouffera de tendres accens ,
Ton coeur peut-être apprendra d'elle
Afouffrir des maux que je fens .
Quand le cryftal d'une onde pare
Offrira tes traits dans fon fein ,
Il t'apprendra que la nature
Ne forma pas ces traits en vain.
Ces fleurs même , ces fleurs nouvelles
Nous font fouvenir des inftans :
Elles ne font pas toujours belles ,
Philis ,il n'eft qu'un feul printems.
Le tems , plus léger que l'aurore
S'envole d'un rapide cours :
Rendons-le plus rapide encore ,
En le confacrant aux Amours.
Tous deux de l'ardeur la plus vive ,
Philis , laiffons-nous enflammer :
Tu m'aimeras pour que je vive ,
Et moi je vivrai pour t'aimer.
SEPTEMBRE. 1755 .
45
Ah ! fi ton amour eft durable ,
S'il ne fuit jamais d'autres loix ,
Mon fort eft cent fois préférable
Au fort brillant des plus grands Rois.
D'une félicité plus pure
Les Dieux goûtent- ils la douceur ?
Au- deffous d'eux par ma nature ,
Au- deffus d'eux par mon bonheur.
Quand avec toi mon coeur s'explique ,
Je crois monter au rang des Dieux :
Et fous le toit le plus ruftique
Je trouve près de toi les cieux.
Tout eft divin dans ta perfonne.
M'offres-tu la rouge liqueur ?
Je crois voir Hebé qui me donne
Un nectar rempli de douceur.
M'offres-tu la pomme nouvelle
Pâris fe vit moins honoré :
La fienne étoit à la plus belle ,
La tienne eft au plus adoré .
46 MERCURE DE FRANCE.
Ces fleurs que ta main a choiſie ,
Tu leur donnes mille vertus ;
Ce font celles dont l'ambroifie
Parfument l'autel de Vénus.
'Ah ! que l'amour répand dans l'ame
De fentimens délicieux.
Philis , en brûlant de fa flamme ,
Nous nous rendrons plus chers aux Dieux.
La cour des céleftes Monarques
Nous deftine les plus beaux jours.
Les graces deviennent les parques
Des coeurs confacrés aux Amours.
L'amour , c'est le fil de la vie.
Les plaifirs tiennent le fuſeau ,
L'ivreffe dont elle eft fuivie ,
Philis , c'eft le coup du cifeau,
Veux-tu voir la métamorphofe
D'un mortel au- deffus d'un Roi
Un mot fait mon apothéoſe :
Cher Tircis , mon coeur eft à toi.
SEPTEMBRE. 1755. 47
O DE
Tirée du Pfeaume 100 .
Seigneur , de ta gloire
immortelle
Je veux fonder la profondeur ,
Je veux célébrer la grandeur
De ta clémence paternelle ;
Et ce palais augufte où je fuis adoré ,
Ne fera plus qu'un temple à ton nom confacre
J'éloignerai de ma préſence
L'homme fouillé d'impureté ,
Celui dont le fouffle empefté
Ne refpire que la licence ,
Et qui dans les difcours , infâme féducteur ;
Fait trembler l'innocence , & rougir la pudeur.
J'en bannis les langues traîtreffes.
Tous ces noirs enfans du démon ,
Qui couvrant leur fubtil poifon
De mille fleurs enchantereffes ,
Déchirent leur prochain par des traits acérés ,
Et d'autant plus mortels qu'ils font mieux pré
parés.
48 MERCURE DE FRANCE .
Je ne reconnois , ni n'avoue.
Ce courtifan fuperbe & vain ,
Dont le fafte & le front hautain
Ne cachent qu'une ame de boue ;
Qui n'ayant que fa pourpre à faire refpecter ,
Mépriſe des vertus qu'il ne peut imiter.
Je n'admettrai point à ma table
L'hypocrite ni le trompeur ,
Qui vend & fa langue & fon coeur
Par un commerce déteftable.
Celui dont l'intérêt formant l'unique loi
Sçait trahir fans remords fa parole & ſa foi.
Mais le coeur fervent , l'ame jufte ,
L'ami de l'ordre & de la paix ,
· Celui-là fera pour jamais
L'ornement de ma cour auguſte.
Eclaire-moi , grand Dieu , de ces rayons divins ,
Qui te font difcerner tous les coeurs des humains.
LA
SEPTEMBRE. 1755. 45
LA NAISSANCE DE BACCHUS.
FABL E.
Lorfque le maître du tonnerre
Quitta le céle fte féjour ,
Et vint le livrer fur la terre
Dans les bras de Sémele aux douceurs de l'amour
Il n'étoit point tel qu'à fa cour
Augufte , puiffant & terrible ;
Rien d'humain en lui ne paroiffoit aux yeux ,
que
Et tout ce qu'il porta des cieux ,
Ce fut un coeur tendre & fenfible.
Cependant , quel plus grand honneur !
Que pour une fimple mortelle
Un Dieu faffe de fa grandeur
Un beau facrifice à la belle ,
Qu'il préfere l'étrange faut
Des hommages qu'il vient lui rendre.
A ceux que l'on lui rend là -haut ?
Que pouvoit-elle encore attendre ?
Fatale curiofité !
Elle veut voir la Majeſté
Qui fait que tout l'Olympe adore
Celui qui venoit l'adorer ,
Et fa fierté demande encore
Qu'il vienne à fes yeux s'en parer.
C
Jo MERCURE DE FRANCE.
Que me demandez - vous , cruelle ,
Lui difoit le Dieu confterné ?
Obéiffez , répond Sémele ,
Mon coeur à ce prix feul vous étoit deſtiné.
L'ame de chagrin pénétrée ,
Il quitte ce funefte lieu ,
Et vole au célefte empirée
Transformer le mortel en Dieu.
Un fuperbe éclat l'environne.
Les tonnerres , les feux , les foudres , les éclairs
Qu'il lance du haut de fon trône ,
L'efcortent au loin dans les airs .
Cependant la troupe légere
Des amours , des plaifirs , des jeux ,
Suit en folâtrant , & tempére
Le feu qui brille dans fes yeux,
Que l'ambitieuſe Sémele
Dût s'applaudir de tant d'amour!
Jupiter revient à fa cour
Plus majestueux , plus fidele.
Qu'elle lui paîra de retour !
Mais , grands Dieux ! que vois-je ? qu'en◄
tens-je ? ...
Quel trouble enchaîne tous fes fens !
A ces éclairs éblouiffans
Son beau front eft couvert d'une pâleur étrange ,
Et d'un mortel effroi fon coeur fe fent faifir
Au fein du plaifir.
-
Plus prompt qu'Atalante
SEPTEMBRE 1755 .
Il court retenir
Et
Sa vie expirante.
Sur fa froide amante
Il cueille un foupir
Qu'éteint du defir
La foif dévorante.
Dieux ! par combien d'ardens tranſports ,
par quels baifers tout de flamme
Il cherche à rappeller fon ame ,
Qui déja touche aux fombres bords !
Mais hélas ! une nuit cruelle
Couvre les yeux de cette belle.
De ce funefte Hymen , Bacchus nâquit enfin ,
Charmant , mais dangereux , funefte Dieu du vin ,
De fon pere il reçut l'influence mortelle ,
Des foudres , des éclairs , l'éclat vif & divin ,
C'est ce feu pétillant dont le jus étincelle ,
Qui porte jufqu'au coeur fa douce impreffion ,
Mais le trouble affreux de Sémele ,
C'est celui de notre raison .
EPIGRAMME
CONTRE HERMOGUNE.
On dit par tout , fçavante brune ,
Que vous parlez françois , hébreu , grec & latin.
Quatre langues, grands Dieux ! fans mentir, Hermogune
,
Il faut que contre le prochain
Votre haine foit peu commune :
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
N'étoit- ce donc pas affez d'une
Pour tuer tout le genre humain ?
Nous n'ofons décider le caractere de
l'Auteur fur ces différens morceaux. Les
Stances , l'Ode & la Fable peuvent concourir
à le former. A l'égard de l'épigrammé
, nous jugeons par fa lecture qu'heu
reufement pour lui , il n'eft pas appellé à
la médifance.
Comparaison d'Homere & de Virgile , par
M. l'Abbé Trublet.
Omere eft plus poëte , Virgile eft un
H poëte plus parfait.
Le premier poffede dans un dégré plus
éminent quelques - unes des qualités que
demande la poëfie ; le fecond réunit un
plus grand nombre de ces qualités , & elles
fe trouvent toutes chez lui dans la proportion
la plus exacte .
L'un caufe un plaifir plus vif , l'autre un
plaifir plus doux.
Il est encore plus vrai de la beauté de
l'efprit que de celle du vifage , qu'une forte
d'irrégularité la rend plus piquante.
L'homme de génie eft plus frappé d'Homere
, l'homme de goût eft plus touché de
Virgile.
SEPTEMBRE. 1755. 53
On admire plus le premier , on eftime
plus le fecond.
Il y a plus d'or dans Homere ; ce qu'il y
en a dans Virgile , eft plus pur & plus poli .
Celui - ci a voulu être poëte , & il l'a
pu celui- là ne pouvoit ne le point être.
Si Virgile ne s'étoit point adonné à la
poëfie , on n'auroit peut- être point foupçonné
qu'il étoit très - capable d'y réuffir.
Si , par impoffible, Homere, méconnoiffant
fon talent pour la poëfie , eût d'abord travaillé
dans un autre genre , la voix publique
l'auroit bientôt averti de fa méprife
ou peut - être feulement de fa modeftie :
on lui eût dit qu'il étoit capable de quelque
chofe de plus.
Homere eft un des plus grands génies
qui ayent jamais été ; Virgile eft un des
plus accomplis.
L'Eneïde vaut mieux que l'Iliade , mais "
Homere valoit mieux que Virgile.
Une grande partie des défauts de l'Iliade
font ceux du fiécle d'Homere ; les défauts
de l'Eneïde font ceux de Virgile.
il y a plus de fautes dans l'Iliade & plus
de défauts dans l'Eneïde.
Ecrivant aujourd'hui , Homere ne feroit
pas les fautes qu'il a faites ; Virgile auroit
encore fes défauts .
On doit Virgile à Homere : On ignore fi
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
celui - ci a eu des modeles , mais on fent
qu'il pouvoit s'en paffer.
Il y a plus de talent & d'abondance
dans Homere , plus d'art & de choix dans
Virgile.
L'un & l'autre font peintres ; ils peignent
toute la nature , & le coloris eft
admirable dans tous les deux ; mais il eft
plus gracieux dans Virgile , & plus vif
dans Homere.
Homere s'eft plus attaché que Virgile à
peindre les hommes , les caracteres , les
moeurs ; il eft plus moral ; & c'eſt- là à
mon gré , le principal avantage du poëte
grec fur le poëte latin. La morale de Vir
gile eft peut- être meilleure ; & c'eft le mérite
de fon fiécle , l'effet des lumieres acquifes
d'âge en âge : Mais Hamere a plus
de morale , & c'eft en lui un mérite propre
& perfonnel , l'effet de fon tour d'efprit
particulier.
Virgile a farpaffé Homere dans le deffein
& dans l'ordonnance.
Il viendra plutôt un Virgile qu'un Homere.
Nous ne devons point craindre les
que
fautes d'Homere fe renouvellent , un écolier
les éviteroit. Mais qui nous rendra fes
beautés ?
Il me femble que plufieurs des traits de
SEPTEMBRE. 1755. 55
ce parallele pourroient entrer dans celui
de Corneille & de Racine.
ODE
A la Vérité.
DUfein de la voûte azurée
Quel rayon
éblouit mes yeux !
Quelle eft cette vierge facrée ,
Qui vers moi s'élance des cieux ?
A ſon éclat , à cette flamme
Qui pénétre & remplit mon ame
C'eft toi , célefte vérité ;
,
Tu viens me rendre à ta lumière ,
Tu viens brifer fur ma paupiere
Le fceau de la crédulité .
Les rives de l'Inculte Ingrie , ( a )
Tôt ou tard rompent leurs glaçons ;
Tôt ou tard les vents en furie
Laiffent flotter les Alcions.
Le jour ferain qui fuit l'orage ,
Offre enfin l'éclatante image
Du calme fûr où je me voi.
Laiffons la foibleffe au vulgaire ,
Tout change , mon ame s'éclaire ,
Un ciel nouveau s'ouvre pour moi.
(a ) Pays très-froid , conquis par les Suédois fur
les Mofcovites , arrofé par la Nieva.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Je connois enfin ces perfides
Que ma foibleffe ofoit aimer ;
Tandis que leurs coeurs parricides
Ne confpiroient qu'à m'opprimer.
Mon oeil franchit le labyrinthe ,
Où ces coeurs fermés par la crainte ,
Cachent l'enfer & fes fureurs ;
Plus d'égards , le Dieu qui m'éclaire ,
Cruels , pour indigner la terre ,
Vous livre à mes crayons vengeurs .
Parlez , Tyrans de ma foibleffe ,
Vils artifans de mes malheurs ,
N'avez-vous flaté ma tendreffe
Que pour vous nourrit de mes pleurs.
Coeurs ingrats , vous tramiez ma perte,
Lorfque pour vous mon ame ouverte ,
A vous aimer bornoit fes foins ;
Ainfi l'agneau , dès fa jeuneffe ,
Chérit la main qui le careffe
Pour l'immoler à nos beſoins.
Venge-moi , Dieu de l'innocence ,
Toi qui feul moteur des deſtins
Foule à tes pieds l'intelligence ,.
Et les vains projets des humains ,
De ces cruels Punis les crimes ...
SEPTEM BR E. 1755.
57
Que dis-je ces lâches victimes
Sont trop indignes de tes coups :
Je veux moi ſeul venger la terre ;
Grand Dieu , prête- moi ton tonnerre
Et laiffe éclater mon couroux.
Fuffent- ils dans les noirs abîmes ,
Je les pourfuivrai chez les morts.
J'irai leur reprocher leurs crimes ,
Trainer fur leurs pas
les remords.
J'écraferai leur tête altiere ,
Leurs fronts briſés fur la pouffiere
N'outrageront plus les vertus :
Mais qu'eft-il befoin de ta foudre ,
Ton fouffle peut les mettre en poudre ?
Grand Dieu , parle , & qu'ils ne foient plus.
Poinfinet le jeune.
L'Auteur dans fa noble colere , prend
ici le ton du Pfalmifte : L'agneau timide
eft tout à coup transformé en aigle , qui
porte & lance la foudre , on peut dire de
jui ,
Facit indignatio verfum.
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
LES DEUX FOURNEAUX.
FABLE .
A Mme Bourette , ci- devant Mme Curé.
De deux fourneaux , une muraille antique
E
Faifoit la féparation.
Ces fourneaux n'étant point dans la même boutique
,
Ils n'avoient pas non plus la même fonction.
L'un , d'un diftillateur , ( à ce que dit l'hiftoire :)
Servoit à diftiller les charmantes liqueurs.
Sur l'autre , un teinturier dans fon laboratoire
Faifoit bouillir fes diverfes couleurs ,
Dès que les ouvriers avoient fait leur journée ,
Le feu n'exhalant plus ni flamme ni fumée ;
Les fourneaux , à travers le vieux mur mitoyen ,
De converfer enſemble , avoient trouvé moyen :
Celui du teinturier difoit à fon confrere :
Le goût & l'odorat par vos ſoins font flatés ,
Au lieu que de mon miniſtere
L'un & l'autre fouvent le fentent rebutés .
Lors le diftillateur lui répondit : Mon frere ,
Vous avez votre utilité.
Dans moi , le feu par fon activité ,
Des fleurs , des fruits , abforbe la nature ;
SEPTEMBRE. 1755. 59
Mais par vos foins , ainfi que la peinture
Qui fe fait admirer par fon beau coloris ;
Vous faites que les yeux font charmés , éblouis.
Vous femblez donner l'être aux plus aimables
chofes ;
Et même furpaffer par vos métamorphofes ,
L'azur qui brille au ciel , & la neige des lys ,
Et le feu du corail , & le vermeil des rofes.
Lyon , les Gobelins font valoir vos talens .
Vos travaux ont rendu ces endroits opulens.
C'eſt par le ponceau fin , par la riche écarlate
Que leur magnificence éclate.
Ne vous plaignez donc plus. Quant à flater le
goût
Par mes liqueurs délicieuſes ,
A la fanté du corps fouvent pernicieuſes ;
Voilà tout mon mérite Eh ! qui peut avoir tout
On ne joint pas toujours l'utile à l'agréable .
Confolez -vous , l'utile eft toujours préférable :
Cependant , quand on peut les réunir tous deux ,
C'eſt-là ce qui s'appelle avoir un fort heureux.
Oui , dit le Teinturier : c'eſt un double avantage.
Mais vous l'avez fur moi , tel eft votre appanage.
Par le beau coloris de vos douces liqueurs
Vous charmez à la fois & les yeux & les coeurs.
Eh qui joint mieux que vous l'agréable à l'utile ș
Le goût & l'odorat ne me font point la cour ;
Mais ils fuivront toujours celui qui leur diftille
L'eau d'or & le parfait amour.
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Le fourneau d'un Poëte eft fon cerveau fans
doute.
Pour faire quelques vers je fçai ce qu'il m'en
coûte.
Bourette , mieux que moi , vous fentez cette ardeur
,
Dont le fils de Latone enflamme maint auteur.
Ne comparons donc pas nos fourneaux l'un à
l'autre ;
Le mien eft de beaucoup inférieur au vôtre.
J. L. Cappon.
Maître Teinturier , & Bedeau des Saints
Innocens à Paris.
Ces qualités doivent fervir de paffeport
aux vers que l'on vient de lire.
SEPTEMBRE. 1755 61
PENSEES DIVERSES.
LA
A vertu eft de tous les états ; mais la
médiocrité eft en quelque forte fon
élément .
Il ne faut être pas vertueux ni libéral
pour faire du bien aux miférables ; il fuffit
d'être homme.
Le vice traîne avec foi tant de maux ,
que quand la vertu ne ferviroit qu'à nous
en garentir , fon prix devroit paroître infini.
Le dégoût de la vertu ne naît que dans
les coeurs qui ne connoiffent ni la vertu ni
le vice.
C'est une vertu bien équivoque que
celle qui a befoin d'épreuves pour fe fortifier
; un homme vertueux par goût & par
principes , l'eft autant qu'on peut l'être ,
& l'eft pour toute fa vie.
Le mauvais exemple eft à la vertu ce que
la prévention eft à la vérité .
La loi la plus étroite ne gêne point
Phomme vertueux , parce que tout ce qui
eft deffendu lui devient impoffible.
On dit du guerrier : il a fait de grands
exploits ; du fçavant , il a fait de bons ouvrages
; du Légiflateur , il a fait de belles
62 MERCURE DE FRANCE.
conftitutions : l'éloge de l'homme vertueux
eft d'avoir fait le bien.
Le Philofophe définit la vertu & la néglige
; le faux dévôt l'affiche & la rend ridicule
; l'enthoufiafte la prêche & la fait haïr;
l'homme de bien la fuit & en eft le modele
.
Soyez riche , vous n'aurez pas de naiffance
; foyez brave , il vous manquera du
bonheur ; foyez puiffant , vous ne ferez
pas modéré ; foyez vertueux , vous ferez
tout ce qu'il faut être.
L'honneur eft un fouverain defpotique ;
c'eft la divinité du monde entier. Fortune,
fanté , repos , tout lui eft facrifié. Faut - il
l'honneur foit différent de la vertu !
La fageffe diftingue le bien , la vertu le
pratique.
que
Le Jurifconfulte s'applique à pénétrer
l'efprit des Loix ; le Phyficien travaille à
découvrir les fecrets de la nature ; le Théologien
tâche de percer la miftérieuſe obfcurité
des Ecritures ; le Sage cherche à ſe
connoître .
Les auftérités , les jeûnes , les macérations
, &c. ne font bons qu'à compenfer
des excès contraires. Une vie uniforme &
réglée eft la vie de l'homme vertueux.
Les plus grands Princes ne font pas
toujours les meilleurs Rois.
SEPTEMBRE 1755 . 63
Admirer la vertu & en négliger la pratique
, c'eft une contradiction bien étrange
, & néanmoins encore trop rare.
Le zele ne differe de la paffion , qu'en
ce qu'il a un objet louable . Il eſt quelquefois
dangereux , & a fait faire de grandes.
fautes.
Les efprits forts font en fait de religion
ce que font les beaux efprits en fait de
littérature .
Il n'y a qu'un pas du fcrupule à la fuperftition.
Ր
Rien n'eft pire que l'anéantiffement. Du
faîte de la félicité , paffer au comble du
malheur , ce n'eſt que changer de mode
de l'exiſtence , paffer au néant , c'eft perdre
fon effence.
Qui abandonne une Religion pour une
autre , les trahit fouvent toutes deux.
Les moeurs fe forment des impreffions
qu'on reçoit , & s'épurent par les réflexions
qui en naiffent.
Qui cherche le péril eft teméraire ; qui
Je fuit eft lâches qui l'attend & le brave ,
eft courageux.
Il y a peu d'incrédules , mais beaucoup
de gens qui s'étourdiffent ou s'endorment
fur leur croyance.
Toute affectation eft voiſine du ridicule.
Un homme a- t-il de la naiflance , du
64 MERCURE DE FRANCE.
coeur , du bien , de l'eſprit ? Voilà ce qu'on
regarde dans le monde. Mais a- t- il des
mours ? c'eft ce qu'on n'examine guères .
Il en eft des paffions comme des liqueurs
qui entrent dans la compofition de l'homme.
L'équilibre fubfifte- t-il entre ces li-
?
queurs
? le corps
fe porte
bien. Eft- il dé- truit
le corps
fouffre
. De même
tant que
les paffions
demeurent
dans une certaine
affiette
où elles
fe contrebalançent
refpectivement
, l'ame
eft en bon état . Viennent- elles à fe déranger
? l'ame
eft troublée
, &
devient
malheureufe
.
On peut définir le vrai bonheur une
paix de l'ame qui naît du calme des paffions
, & du témoignage d'une bonne confcience
.
La jaloufie eft la marque d'un amour
extrême , ou d'un extrême mépris.
Les
gens de bien
& les
fcélérats
ont
quelque
chofe
de commun
; c'eſt
de mourir
comme
ils ont
vêcu
.
La politeffe n'eft pas un vice ; mais c'eft
le voile & le mafque de prefque tous les
vices.
Qui craint l'avenir , ou regrette le paffé,
jouit mal du préfent.
La folitude eft l'écueil du fçavant , &
l'effroi de l'ignorant ; c'eft l'afile de l'homme
vertueux.
SEPTEMBRE 1755. 65
L'orgueil eft la fource du vice & de la
fauffe vertu .
La vertu qui ne fe prête pas aux ufages
du monde , paffe pour un vice d'humeur ;
le vice qui s'y accommode eft regardé comme
une vertu de fociété.
Entez l'émulation fur un bon naturel ,
fi vous ne voulez pas la voir dégénérer en
envie.
Craignez Dieu ; aimez les hommes ;
défiez-vous de vous-mêmes.
On peignoit autrefois le fentiment ; au
jourd'hui on l'anatomiſe.
La plus aigre cenfure offenfe moins
qu'une raillerie ; on veut bien être fautif ,
vicieux même , mais non pas ridicule.
Qui fe trompe eft homme , qui trompe
eft un monftre .
Les grands titres font des monumens
de la vanité des hommes plutôt que des
témoignages de leur mérite .
Ce qu'on appelle modeftie , n'eft fouvent
qu'un rafinement de l'amour propre
qui quête des louanges en affectant de s'en
deffendre .
Il n'y a de vraiment malheureux què
ceux qui envient le bonheur des autres.
Il y a des gens , mais en petit nombre ,
qui ne font indignes d'une grande fortune,
que parce qu'ils la defirent.
66 MERCURE DE FRANCE.
Les plus grandes fautes dans l'ordre de
la fociété , font celles que l'on commer
contre les devoirs de fon état.
On parle toujours trop quand on parle
mal à
propos.
Les vérités fe tiennent & forment une
efpece de chaîne qu'on ne peut rompre ;
c'eft ce qui a fait dire aux Philofophes que
la vérité eft une.
La crainte naît de l'incertitude ; un péril
affuré ne peut produire que l'heroïfme
eu le defepoir.
Le monde fourmille de fots , & cependant
c'eft l'ufage du monde qui forme les
gens d'efprit.
LE MARIE', Avocat au Parlement.
A M. Chevalier , premier Médecin de fon
Alteffe royale Marie Anne Princeffe de
Saxe , Electrice de Baviere.
EPIT RE
C'En eft donc fait , tu pars , Médecin renommé
,
Toi , que ton feul génie & l'étude ont formé.
Célébre Chevalier , une augufte Princeffe ,
A qui le ciel fit part de ſa haute ſageffe ;
Eprife des talens qu'on voit briller en toi ,
Te ravit aux François , t'appelle près de ſoi .
SEPTEMBRE. 1755. 67
Cours , vole , va fervir cette Princeffe aimable ;
Pour toi fut-il jamais un fort plus defirable ?
Toute jeune qu'elle eft , dans la fleur de ſes ans ,
C'eſt la mere & l'appui des arts & des talens.
Les graces , la beauté font un autre appanage ,
Qu'avec elle en fa cour nulle autre ne partage.
Que de preffans motifs , ô docte Chevalier ,
Pour déployer ici ton fçavoir tout entier !
Mais que dis- je le ciel jaloux de fon ouvrage ,
Sans doute empêchera que le tems ne l'outrage ;
Confervera fes traits , fa fanté , fa fraîcheur.
J'en fais des voeux aux ciel pour elle dans mon
coeur :
Alors tu ne feras que fpectateur ftérile .
Heureux d'être à ce prix ferviteur inutile !
Le pauvre , j'en conviens
, loin de toi fouffrira
,
Et peut-être en fes maux fans fecours périra :
Mais fi la charité , eette vertu féconde ,
Ne fe borne ici - bas qu'aux limites du monde ,
Qu'importe , que ce foit für le pauvre François
Que tombent tes fecours , ou fur le Bavarois.
Le ciel t'ayant donné d'abord l'un pour partage ,
Par de brillans liens avec l'autre t'engage .
Ces peuples fi divers de langage & de lieu ,
* M.Chevalier eft dans l'ufage depuis vingt ans,
de fecourir chaque jour un très - grand nombre de
pauvres dans leur mifere , & de partager fa fortune
avec eux , en leur donnant par charité les remedes
convenables à leurs maux.
68 MERCURE DE FRANCE
Appartiennent tous deux également à Dieu.
Il récompenfera d'une égale couronne
Quiconque de bon coeur à l'un ou l'autre dong
Le Prince & la Princeſſe à qui tu vas donner
Tes talens & tes jours , loin de te condamner
Louront , enflammeront par leur exemple même
Ce penchant que tu tiens de la bonté fuprême.
Vole donc , & que rien n'arrête ici tes pas ,
Mais fouviens- toi de nous en quittant nos climats
Par M. Jouin , Bourgeois de Paris.
L'Auteur m'ayant écrit que la Cour de
Baviere fouhaitoit que cette épitre parut
dans mon recueil , j'ai regardé ce defir
comme un ordre refpectable , & je l'ai
inférée fans l'examiner.
BOUQUET
Préfenté par les Chevaliers de l'Arquebufe
de Brie -Comte - Robert , à M. Paris de
Monmartel , leur Colonel depuis long- tems ,
la veille de la S. Jean 1755 .
Cett
Ette Compagnie fe rendit à Brunoy ,
& après avoir mis pied à terre , elle
alla au nombre de trente fous les armes &
en uniforme au Château. M. de Monmartel
vint au- devant d'elle tenant M. fon fils
par la main. On portoit à la tête fur un
SEPTEMBRE. 1755. 69
brancard , un bouquet en forme de furtout
de deffert , compofé de fleurs de fucre en
paftilles. Aux quatre extrêmités s'élevoient
quatre palmiers formant un cabinet , entrelaffés
de panneaux à la mofaïque. Sous
ce cabinet on voyoit les trois déeffes &
Pâris donnant la pomme à Venus entourée
d'amours voltigeans ; & au-deffus un Mercure
en attitude de la Renommée. Aux
pieds de chaque palmier étoit un génie en
habit uniforme de l'arquebufe avec des
trophées d'armes , chaque génie portoit
une emblême .
Le premier.
C'est en vain qu'aujourd'hui la gémiſſante Aurore
A fait voir les tréfors de la brillante Flore ,
L'attrait éblouiffant d'un éclat paffager
N'offriroit de nos coeurs qu'un tableau trop léger ,
Fleurs , dont l'induftrieux & folide affemblage ,
Du deftructeur de tout redoute moins l'outrage ,
Vous allez devenir aux yeux judicieux
Le fimbole parfait de nos finceres voeux .
Dites au pere , au fils , à l'époufe chérie ,
Que le dernier de nous leur donneroit fa vie
Pour prolonger leurs jours , & les rendre immor
tels ,
Et que tous les defirs de notre Compagnie
Sont d'avoir , en dépit du tems & de l'envie ,
Afa tête des MONMARTELS
70 MERCURE DE FRANCE
Le fecond. Les armes de M. de Monmart
Une pomme d'or. Ces armes font fur
drapeaux de la Compagnie .
La reine de Paphos l'obtint par fa beauté ,
Et toi par tes vertus & par ta probité.
Elle fait notre gloire & nos cheres délices ,
Et brille à tous nos exercices .
Le troisieme. Les armes de la Compagnie.
Par notre attachement , & par tous tes bienfaits ,
Nous goutons des plaifirs vifs & pleins d'inno
cence.
Et pour mieux confacrer la grandeur de fes faits ,
Nous uniffons l'amour à la reconnoiffance.
Le quatrieme. Colonel M. de Monmartel.
Que ce nom nous eft doux ! qu'il nous eft précieux!
Il embellit chez nous la plus petite fête ,
Il nous fait difputer l'honneur de la conquête
Bien plus que le prix de nos jeux.
M. Greban , Capitaine en chef , fit trèsélégamment
un fort beau compliment à
M. de Monmartel , dans lequel il lui demanda
de vouloir bien accorder aux voeux
de la Compagnie , M. fon fils pour Lieutenant-
Colonel . Il fut reçu & inſtallé ſur
le champ , & prêta ferment entre les mains
de M. le Colonel. Un enfant de onze ans ,
fils de M. Dauvergne le jeune , Capitaine. <
SEPTEMBRE. 1755 . 70
Guidon , admis depuis quelque tems dans
la Compagnie , & qui n'avoit pas encore
prêté ferment , le prêta entre les mains de
M. de Monmartel fils , Lieutenant - Colonel
, & lui débita le compliment en vers
libres , qui fuit.
Pour fe ranger , Monfieur , fous votre obéïflance ,
Les liens du ferment paroiffent fuperflus ,
Il ne faut qu'un coeur tout au plus ;
Voici quelle eft ma conféquence.
Quand à la fois on peut unir
Et fon devoir & fon plaifir ,
On goûte une douceur extrême ,
Or dês qu'on vous voit , on vous aime ,
Ainfi l'on doit donc fe tenir
Trop heureux de vous obéir.
Eh ! qui de vous aimer oferoit fe deffendre ?
L'amour en vous formant vous donna ſa beauté ,
un coeur bon , délicat & tendre ,
Ses graces & fa majeſté .
La vertu , qui toujours a guidé votre pere ,
Et qui vous eft héréditaire ,
Dans fon difficile chemin ,
Vous conduit déja par la main ,
Et vous tiendrez de votre mere
La valeur de tous fes ayeux ,
On le voit fur vos traits , on le lit dans vos yeur,
72 MERCURE DE FRANCE.
Pour moi, Monfieur , quel avantage
D'être à l'ombre de vos drapeaux.
Non , la foibleffe de mon âge ,
N'arrêtera pas mon courage
Pour furpaffer tous mes rivaux.
Je vais done confacrer tous les jours de ma vie
Au folide bonheur de vous être attaché ,
Et mon coeur en eft fi touché
Qu'il ne fent que par- là , le ferment qui me lie:
M. le Colonel fit fervir des rafraichiffemens
de toutes efpeces à la Compagnie
elle fut invitée d'affifter à la proceſſion du
feu de la S. Jean , & eut l'honneur d'y
être commandée par M. le Lieutenant-
Colonel. M. de Monmartel a eu la bonté
de marquer beaucoup de fatisfaction , &
un grand nombre de perfonnes de confidération
qui étoient chez lui , & beaucoup
d'autres des campagnes voifines que cette
fère avoit attiré à Brunoy, en ont paru fort
contentes.
L'
E mot de la premiere Enigme du Mercure
d'Août eft la voyelle e ; celui du
premier Logogriphe eft Lamproie ; celui de
la feconde Enigme , Poulets ; & celui du
fecond Logogryphe Livre , dans lequel on
trouve rive , lire , vic , Levi , ivre , ré ,
ver , ire , vil , lie , île.
ENIGME.
SEPTEMBRE. 1755 .
73
JE
ENIGM E.
E fuis un triple cabinet
·
murmure.
Avec une double ouverture
Par où paffe plus d'une ordure
Que chacun y porte en fecret.
Celui qui reçoit le paquet
Ne le reçoit pas fans
Deux patiens font la figure
De gens condamnés au gibet .
Pendant que l'un des deux raiſonne ,
Un tiers , fans confeils de perfonne
De tout point veut être éclairci .
Là , pour le repos de fon ame ,
Il ne faudroit pas qu'un mari
Se trouvât derriere fa femme.
Par M. le Baron de B***
LOGOGRYPHE.
A Mi Lecteur je vais t'apprendre
Un fait qui n'eft guerres commun.
Portéfur onze pieds je n'en ai fouvent qu'un ,
Mais pour mieux te faire comprendre
Ce Logogryphe ingénieux ,
D
74 MERCURE DE FRANCE:
Je vais décompoſer tout ce qui me compoſe ,
Et par mainte métamorphofe
Montrer à tous les curieux
Un mot bien grec , ' d'aucun uſage en France ,
Un autre un peu latin , connu dans tout pays ,
Et que je dis cinq fois en difant qui je fuis ,
Quoiqu'une feule fois il foit dans mon effence .
Un arbriffeau tendre , charmant
Une couleur très - féduifante
Lorfqu'elle eft jointe avec l'argent ,
Sur une voiture roulante
Que l'on chérit tant à préſent.
Le contraire d'un continent.
Ce que dicte Thémis ; le fils du premier homme
De dix fois cent , ce qui forme la fomme ;
Une riviere , un fleuve très-fameux ;
Ce qui n'eft point une femelle ;
Un coffre ; un fuc délicieux ;
Un fynonime de querelle ;
Ce qu'on oppofe à la fureur des eaux
Pour mettre à couvert les vaiſſeaux .
Ce qui fert à former les habits des Lévites ;
Un mauvais livre , un fouffle tout divin ,
Dans le tonneau ce qui refte du vin.
Ces hommes qui jadis vivoient en bons hermites ;
Seulement occupés des affaires du Ciel .
Une fontaine en Ifraël ,
Une ifle où Jupiter fit fabriquer la foudre
Qui réduifit tous les Titans en poudre.
SEPTEMBRE. 1755 75
Le nom d'un Duc dont je fuis ferviteur ,
(Quand je dis moi , je veux dire l'auteur )
Celui d'un Maréchal de France ,
Et même le nom de fon fils.
Trois noms qui n'ont entr'eux aucune reffem◄
blance ;
Ce dont nous fommes tous paîtris.
L'air agité qui frappe nos oreilles.
Deux grands Législateurs , l'un fit de fages loix ,
L'autre opéra bien des merveilles
Pour réduire un tyran indocile à ſa voix.
L'aftre que le Perfe révere.
Une meſure , une ville , un oifeau
Dont le ramage n'eſt pas beau.
La Nymphe que Junon punit dans fa colere ,
Et fit errer dans l'univers.
L'étoffe qui nous vient d'Anvers.
Deux animaux marchant fur terre.
Une fête célebre en des climats divers.
Enfin tu me tiens dans ce vers.
Par Saint- Remi , domeſtique , chez M. le
Duc d'Ollonne.
ENIGM E.
PUR ouvrage de la nature ,
Ou je fuis je fers d'ornement :
Mais quand quelque trifte aventure
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
M'a produit , je fuis différent :
Le vulgaire ne m'enviſage ,
Qu'avec une espece d'horreur.
Je ne fuis rien aux yeux du fage :
Le Courtifan me fait fervir à fa grandeur ,
Et quoiqu'à mes fujets , outre un dur esclavage ,
J'imprime un trait qui femble les fétrir ;
Chaque jour cependant j'aggrandis mon empire.
Tu demandes mon nom ? je n'ofe te le dire.
Je crains , lecteur , de te faire rougir.
ET
Par T. P. de Paris.
LOGOGRYPHE.
T des biens & des maux je fuis fouvent l'auteur
,
Du vulgaire ignorant je captive le coeur ,
Je forme quelquefois le plus fombre nuage ,
Et décide à mon gré du fuccès d'un ouvrage .
Je compofe dix pieds ; combine bien les mots ,
J'offre à tes yeux , lecteur , ce qui plaît aux troupeaux
,
Le plus cruel tyran qu'ait produit la nature ,
Au Rhétoricien une heureufe figure :
Ce que tous les mortels ne quittent qu'à regret ,
Qu'on aime par nature ; un précieux objet.
Ce qu'un Roi généreux , à donner trop facile ,
Voit ſouvent fe changer en un bien inutile.
SEPTEMBRE. 1755. 77.
Ce qui de nos efprits diffipe le chagrin ;
Un mot toujours préfent à notre eſprit malin.
Ce que les matelots affrontant les orages ,
Regrettent , mais en vain , au milieu des naufra
ges.
Un animal rampant ; un art Ingénieux.
De nos jardins fleuris l'ennemi dangereux.
Un Prince infortuné très-fçavant dans l'augure ;
Que Circé par dépit fit changer de nature.
Le propre nom qu'on donne à tous les fronts
voilés.
Ce qui déplaît toujours aux efprits aveuglés.
A tous les bâtimens choſe très-néceffaire
Un gouffre où s'engloutit l'aliment ordinaire.
Un oiſeau plus jaſeur qu'une None au parloir ,
Celui qui tient fur nous un fouverain pouvoir.
Expofé tous les jours fur la plaine liquide.
Je fers l'ambitieux , & fends l'onde rapide.
Adorable vertu chafte fille des cieux ,
On aime a m'ériger des autels en tous lieux.
Je fçûs forcer un jour à périr obſtinée ,
Du Prince Acrifius la fille infortunée.
Je renferme un pronom ; une trifte couleurs
Et le nom d'un Poëte , & celui d'un Rhéteur.
Fort commode aux humains , de nature fragile
J'oppofe aux Aquilons une barriere utile ;
J'offre un nom que defire un tas de vains eſprits,;
Critiques ennuyeux dans leurs fades écrits ;
Les lieux ou le foleil commence ſa carriere ;
Diij
78 MERCURE DE FRANCE
Aux ragoûts employée , une vive pouffiere.
Adverbes oppoſés : fans chercher vainement ;
Peut-être tu me fuis , Lecteur , en ce moment.
MUSETTE.
Nos hameaux font l'heureux Léjour
De l'innocence & de l'amour.
La tendreffe ,
La fageffe
Par des accords charmans
S'y trouvent réunies ;
Tout les Berges y font amans
Les Bergeres n'y font qu'amiesFlutte
.
Musette .
Noshameaux,sontlheureux séjour de l'innocence e
deL'amourLatendre la sagesse Pardes accords char
mans Sy trouvent réuni es, Cous les Bergersy =
sont Amans,Les Bergeres n'y sont qu'ami - es.
7bre 1755.
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
SEPTEMBR E. 1755. 79
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
SUITE
De la feance publique de l'Académie royale
de Nifmes.
M. le Marquis de Rochemore , Secrétaire
perpétuel , lut enfuite une piéce en
vers libres , intitulée Epitre d'Hypermnestre
à Lyncée. Cet ouvrage eft imité d'une des
Héroïdes d'Ovide ; mais l'auteur ne s'eft
point attaché à copier fon modele ; il a
pris quelques penfées du Poëte latin , il y
a joint les fiennes : nous allons citer quelques
morceaux détachés qui pourront faire
juger de tout l'ouvrage .
C'eft ainfi qu'Hypermneftre raconte à
fon époux les crimes de fes foeurs , & fes
propres combats.
Un bruit foudain glaça ton époufe craintive ,
Un bruit fombre ... plaintif ... de lugubres accens
...
Je vis briller le fer ... les foupirs des mourans
Vinrent frapper mon oreille attentive :
Div
So MERCURE DE FRANCE.
Imitons , dis-je alors , l'exemple de mesfoeurs ,
De Danaus fuivons les loix feveres ,
Uniffons Lyncée à fes freres.
Un Dieu fans doute , un Dieu fufpendit mes fureurs.
Mon bras étoit levé , ta criminelle amante.
Mefuroit éperdue , interdite & tremblante ,
Le coup qui devoit t'immoler ,
Ton fang étoit prêt à couler ...
J'avois troisfois repris l'arme inhumaine
Qu'avoient ravi trois fois à ma main incertaine
L'horreur , l'amour & la pitié.
Dérobons à mon pere une ſeule victime.
Dois-je être l'inftrument de fon inimitié ,
Et la complice de fon crime ?
Moi ! je me fouillerois d'un fang fi précieux ,
J'obéirois à des ordres împies !
Et cet Hymen détesté par les Dieux
Auroit été formé par les Furies !
Ah plutôt dans mon fein le poignard odieux ......
C'eſt en vain qu'un pere parjure
Veut me faire trahir l'amour & la nature
Leurs droits font gravés dans nos coeurs
Et la voix d'un tyran guidé par les fureurs
Ne peut étouffer leur murmure.
-Les fanglots d'Hypermneftre , fes combats
, fes tranfports , arrachent enfin Lyncée
au fommeil : fuyez , lui-dit-elle ,
SEPTEMBRE. 1755. $1
La trahiſon , la mort regnent dans ce palais ,
Cette nuit féconde en forfaits
Dans le fombre féjour a réuni vos freres ,
Et les myrthes d'Hymen aux Cyprès funéraires.
» Mon amour feul vous a fauvé , &
» m'a fait trahir les ordres cruels de Da-
» naus. » Le jeune Prince s'échappe du pa
lais à la faveur de la nuit.
Du foleil cependant la jeune avantcouriere
Sur nos Lares fanglans répandoit ſa lumiero.
Danaus ( la fierté brilloit dans fes regards )
Comptoit de nos époux les cadavres épars ;
Un feul manquoit , Lyncée en cette nuit perfide
Evita feul les coups de la parque homicide.
Hypermneftre raconte à fon époux la
fureur de Danaus quand ce Monarque barbare
s'apperçut qu'une de fes victimes lui
étoit échappée ; il jure la mort de fa fille ,
& la fait indignement traîner dans un
cachot affreux .
» Viens , cher époux , lui dit- elle enfin,
Viens finir ma captivité :
Mais n'écoutes point ta vengeance ,
Contente-toi de fauver l'innocence
Sans punir l'inhumanité.
Songe qu'Hypermaneftre eft la fille
Du meurtrier qui perdit ta familles
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
Tout barbare qu'il fût daigne épargner les jours:
D'un fang cher à mon coeur ne rougis point tes
armes :
Que ton retour enfin hâté par les amours
Ne foit point fouillé par mes larmes.
Cette fin eft abfolument différente de
celle d'Ovide ; l'Auteur n'a pas jugé à
propos non plus d'imiter dans fon épitre
le long épifode d'Io changée en vache.
Les connoiffeurs décideront s'il a bien ou
mal jugé.
M. Vincens lut enfuite une épitre à la
mort , dont voici l'extrait.
La mort peut infpirer l'effroi aux ames
vulgaires , mais elle préfente au Sage une
lumiere fûre qui écarte l'illufion des fens ,
& lui montre les objets précifément tels
qu'ils font ; c'eft une divinité favorable
qui enfeigne aux humains l'art de jouir
de tout fans abufer de rien , & qui diffipant
le preftige des paffions foutient leur
coeur dans l'heureux équilibre , qui feul
peut faire la vraie félicité. Tel eft le point
de vûe fous lequel M. V. envifage la mort.
Il peint en commençant l'épitre qu'il
adreffe à cette Divinité , la fituation où
fe trouve l'homme lorfqu'il entre fur la
fcene du monde.
SEPTEMBRE . 1755 . 83
Sur le bord d'une mer immenfe
L'homme au fortir de fon enfance ,
Par la nature eft expofé :
Là fon coeur ingénu fans guide , fans défenſe ;
Par la féduifante apparence
Eft à chaque inftant abufé :
Sur le mobile dos des ondes azurées ,
Les folâtres amours & les plaifirs légers
Déployant leurs aîles dorées ,
L'appellent par leurs jeux , & voilent les dan
gers ;
Les jours fereins de la jeuneffe ,
Le calme féducteur , les cris des Matelots ,
Tout le follicite & le preffe
De tenter la route des flots ;
Il part , fur les eaux il s'élance ,
L'impatient defir & la douce efpérance
Enflent la voile , & l'écartent du port ;
Mais à peine au loin de la plage
Voit-il difparoître le bord ,
Tout change , Pair frémit , tout annonce l'orage;
Tout découvre à fes yeux , trop tard deſabufés
Les périls où les jours demeurent exposés :
Des paffions tumultueuſes ,
Les rapides courans & les vents oppofés
Offrent à chaque inftant fur les mers orageufes ?
Les débris des vaiffeaux par les vagues brifés
A la fureur de la tempête ,
Lui-même tout-à-coup livré.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
L'orgueil , l'ambition , déchaînent fur fa tête ,
Leur fouffle impétueux contre lui conjuré ;
De la fougue des flots , malheureuſe victime ,
Quelquefois dans les cieux , quelquefois dans
l'abîme ,
Et loin de fa route égaré ;
Une mer inconnue & d'écueils hériffée ,
De toute part à fa nef fracaffée ,
Préfente un nauffrage affuré.
La mort eft la feule divinité qui puiffe
fauver l'homme de ce péril ; elle lui montre
la vanité des objets qui l'environnent ,
elle l'éclaire fur leur durée qui n'est que
d'un inftant. Inftruit par fes leçons le Poëte
n'envie point le fort des favoris de la
fortune : non , dit- il , leur état ne fçauroit
m'éblouir.
1
De troubles, de foupçons, leur ame environnée
Laiffe fuir le préfent , rédoute l'avenir ;
Et malgré leurs efforts leur vie eft moiffonnée
Avant qu'ils * ayent trouvé le moment de jouir.
L'ambition n'a pas plus de charmes pour
lui. En vain montre- t- elle fes favoris placés
fur le char de la gloire ou montés au
rang des Dieux ; l'ambitieux , dit M. V.
éblouit quelque tems l'univers :
* Ce mot , ayant , ne peut point s'élider , en con-
Sequence il ne doit jamais être employé qu'à la fim
d'un vers.
SEPTEMBRE. 1755. 8$
Aftre brillant il roule far nos têtes ,
Il excite , il appaife à fon gré les tempêtes ,
Il couvre l'Univers d'un feu qui l'éblouit :
Mais tandis qu'oubliant ſa foibleſſe premiere
Il répand à nos yeux fa plus vive lumiere ,
Par fa propre fplendeur féduit ,
Tu parles , & foudain du haut de fa carriere
L'aftre eft précipité dans l'éternelle nuit .
O mort ! continue le Poëte ,
O mort ! un ennemi cent fois plus rédoutable
Avoit fait chancéler mon coeur.
La volupté d'un charme inévitable
Verſoit déja fur lui le poiſon ſéducteur :
De fleurs fans ceffe couronnée ,
Autour de moi fa voix appelloit le plaifir ;
De délices environnée
Son regard dans mon ame allumoit le defir ;
C'en étoit fait , l'amour achevoit ma défaite ,
Ses liens pour jamais alloient me retenir;
Mais tu fouffles , & fur fa tête
J'ai vu les roſes fe flétrir.
Ces détails font terminés par cette réflexion.
Gloire , plaifir , pouvoir , richeffe ,
Atômes agités par l'aveugle Décffe ,
A la faveur d'un rayon lumineux ,
Vous voltigez quelque tems fous nos yeux :
Notre coeur ébloui s'empreffe
86 MERCURE DE FRANCE:
Pour arrêter votre cours incertain
Il vous pourfuit , il s'agite fans ceffe ,
Il croit vous pofféder enfin :
Mais le fouffle du tems vous emporte foudain,
Ce n'eft pas que M. V. ne trouve des
plaifirs dignes de fon coeur : l'amitié lui
offre des charmes aufquels il fe livre avec
tranfport , & qui le dédommagent de toutes
les traverſes de la vie humaine .
Telle une tendre fleur que le midi dévore ;
Sur fa tige panchée , & prête à fe flétrir ,
Renaît , s'épanouit , de nouveau ſe colore
Au fouffle amoureux du zéphir :
Telle au fein des foucis qu'à chaque inſtant fait
naître
Sur les
pas des humains
le deftin fans pitié
Mon ame prend un nouvel être
Aux doux accens de l'amitié.
Les Mufes viennent encore lui prodiguer
des plaifirs purs ; Erato , Uranie ,
Calliope , l'inftruifent & l'amufent tour à
tour : Cette derniere fur- tout égaie la folitude
du Poëte en formant devant lui
mille tableaux gracieux.
Tantôt elle lui peint le calme de la mer ,
Le ciel eft pur , l'air eft tranquille ,
Du foleil l'image mobile
SEPTEMBRE. 1755 .
$7
Luit & vacille au fond des eaux :
Zéphir & les Nymphes craintives
De mille rides fugitives
Sillonent mollement les flots.
Tantôt elle lui peint une agréable fête ;
Au pied d'un côteau fortuné
Venus de pampre orne fa tête ,
Bacchus de myrthe eft couronné ,
Guidés par l'aimable folie
Les amours barbouillés de lie
Folâtrent auprès des neuf foeurs :
Et les graces échevelées
Parmi les Bacchantes mêlées
Feignent d'éprouver leurs fureurs.
C'eft par de tels plaifirs , continue le
Poëte :
C'eſt par de tels plaifirs qu'égayant le voyage ,
Et variant l'emploi de mes paifibles jours ,
Du terreftre péle: inage
J'acheve doucement le cours ,
Prêt au moindre fignal de quitter fans allar
mes
Des biens dont ici -bas je jouis fans remords ....
Le fort qui nous attend après cette vie ,
ne cauſe aucun effroi à M. V. que les impies
, les injuftes & les autres criminels
foient faifis d'une jufte terreur au moment
$8 MERCURE DE FRANCE.
fatal qui les fait defcendre dans le tom
beau , pour lui il eft rempli d'une noble
confiance.
Mon coeur ( dit-il ) ne connoit point ces craintes
formidables.
Soumis envers les Dieux , jufte envers mes femblables
,
Vertueux , ou du moins zélé pour
la vertu
Sous le poids du courroux célefte
Je ne crains point d'être abattu ;
Et fi des paffions l'impreſſion funefte
Altere de mon coeur l'exacte pureté ,
Les Dieux qui l'ont formé , connoiffent qu'il
détefte
Sa fatale fragilité ;
Et fatisfaits de ma fincérité ,
Leur fouffle bienfaifant purifira le refte
De la débile humanité.
M. Perillier , Chancelier , a terminé la
féance par un Difcours fur la néceffité du
choix dans les lectures.
SEPTEMBRE. 1755. 89
MEMOIRE
OUR le fieur Pierre Eftève , de la Société
royale des Sciences de Montpellier
, contre Meffire Jofeph - Louis- Vincent
de Mauleon de Caufans , & c . & contre le
fieur Jean Digard , ancien Ingénieur du
Roi , au fujet du prix propofé par M. de
Caufans , au premier qui démontreroit un
Paralogifme dans fa démonftration de la
quadrature du cercle . A Paris , chez Ch.
Aut. Jombert, Imprimeur- Libraire du Roi,
rue Dauphine ; & chez Duchefne , Libraire
, rue S. Jacques , au Temple du Goût ,
36 pag. in-4°.
Il n'eft prefque perfonne qui ignore que
M. le Chevalier de Caufans croit avoir
trouvé la quadrature du cercle : il a du
moins annoncé plufieurs fois dans tous les
Journaux la nouvelle de cette découverte.
D'abord il avoit fixé fa récompenfe à quatre
millions qui devoient lui être donnés
en forme de foufcription ; mais lorsqu'il
y a eu feulement fix cens mille livres dépofées
, il a bien voulu publier ce qu'il
appelloit une découverte merveilleuſe.
Comme il ne pouvoit fe faire adjuger l'argent
qui étoit dépofé pour être fa récompenfe
fans fe faire juger fur fes démonſtra
go MERCURE DE FRANCE .
tions , il configna chez un Notaire la fomme
de dix mille livres qui devoit être remife
au premier qui démontreroit un paralogifme
dans fa découverte de la quadrature
du cercle. C'eft ce prix qui fait
l'objet du procès littéraire dont traite le
mémoire que nous venons d'annoncer. On
y trouvera d'abord un précis très-exact de
tout ce qu'il y a d'hiftorique dans cette affaire
, nous y renvoyons le lecteur pour ne
l'entretenir ici que de ce qui fait le fonds
du procès .
M. Eftève nous apprend qu'il eft le premier
qui ait convaincu M. le Chevalier
de Caufans d'erreur : En effet il n'y a perfonne
qui ait déposé avant lui une démonftration
du paralogifme en queftion. Il a
donc rempli tout ce qui étoit impofé par
l'affiche qui avoit annoncé le prix , & il
feroit en droit de fe faire adjuger pour
lui-même les dix mille livres ; cependant
voici quelles font fes conclufions.
» Etant le premier qui a démontré au
» Chevalier de Caufans un paralogifme
» dans fa quadrature du cercle , il deman-
» de qu'il plaife à la Cour que les dix miln
le livres lui foient remifes comme ju-
» ftement acquifes ; & pour fonder une
» chaire de Mathématiques qui fera à fa
» nomination & pour l'inftruction de ceux
SEPTEMBRE. 1755. 91
qui pourroient à l'avenir confier indifcretement
leur fortune à un paralogifine
fait fur la quadrature du cercle.
L'Auteur du mémoire paffe enfuite aux
moyens qui établiffent fon droit . Il plaide
fa cauſe comme s'il étoit devant la Grand'-
Chambre du Parlement , qui doit juger
cette affaire. Il prouve que M. de Caufans
a fait un véritable contrat avec le
public , qu'il ne fçauroit s'en faire relever
qu'en implorant la proteclion que les Magiftrats
ne refufent point aux mineurs. Il fait
obferver que ce prix a été proposé avec
les formalités les plus rigoureufes que
la juftice ait jamais prefcrites pour cimenter
irrévocablement les conventions ;
qu'on ne doit pas le regarder comme un
pari , mais plutôt comme la récompenſe
des talens & le payement d'un travail qui
n'a été entrepris que pour fatisfaire M. de
Caufans à qui il étoit utile.
Pour qu'on puiffe connoître le ton &
le ſtyle de l'ouvrage , nous allons en tranſcrire
un paragraphe.
" Mais doit on être forcé à payer chere-
» ment ceux qui par de folides raiſons nous
» prouvent no re erreur ? Oui , quand on
l'a promis il eft vrai que dans la plu
» part des hommes l'amour propre s'oppofe
à un pareil marché; mais cela n'em-
J
(92 MERCURE
DE
FRANCE
.
n
99
pêche pas que M. de Caufans ne fe foit
engagé à donner dix mille livres à qui
lui démontreroit qu'il a ignoré les véri-
»tables principes de la géométrie . Puifque
» la loi ne lui a pas interdit les moyens de
» faire ufage de ce qu'il poffede , fon en-
» gagement ne fçauroit être revoqué. Si
» M. de Caufans eût été un homme vain
» & avide d'éloges , il auroit pû propofer
» la même fomme à qui auroit prouvé
qu'il étoit un grand homme ; mais n'é-
»coutant que les fentimens philofophiques
» dont il fait profeffion , il a feulement
demandé la démonftration de fon erreur.
Il feroit à fouhaiter que cet exemple
admirable trouva des imitateurs
» en propofant des prix pour qui nous dé-
» montreroit nos erreurs , nos défauts , nos
» vices & nos ridicules , on apprendroit à
» fe connoître foi -même , & on devien-
» droit plus parfait. C'eft à M. de Caufans
" que nous fommes redevables de cette
» idée avantageufe au bien de la fociété ,
» & nous ne fçaurions nous diſpenſer de
» lui en faire ici honneur.
On trouve encore dans ce mémoire un
dérail des avantages que procureroit la
découverte de la quadrature du cercle.
Les bornes de cet extrait ne nous permertent
pas de fuivre M. Eftève dans le dé-
(
SEPTEMBRE. 1755. 93
-veloppement de tous fes moyens , nous
nous contenterons de dire qu'indépendamment
de l'intérêt qu'on doit prendre à une
caufe qui doit être plaidée folemnellement
en la Grand'Chambre du Parlement ,
ce mémoire mérite d'être lû comme ouvrage
d'efprit & de littérature.
Voici le trait qui termine ce mémoire.
M. Eftève , après avoir prouvé que M. de
Caufans doit être condamné aux dépens :
ajoute » que fi M. de Caufans en faifant
»fon dépôt & fes affiches , n'a eu d'autre
» deffein que de violer le droit des gens
» en plaifantant le public en ce cas il
doit être condamné à des dommages
" en forme de réparation , & expier par
» la perte de fon argent l'indécence de fa
» mauvaiſe plaifanterie.
Lettre de M. le Chevalier de Caufans à Milord
Macclefield , Préfident de la Société
royale de Londres.
ILORD , de bonnes raifons m'ont
M'empêché de démontrer plutôt évidemment
, & géométriquement à l'Académie
royale des Siences de Paris, la quadra
ture du cercle , que j'avois annoncée . Je
m'empreffe , Milord , à vous en préfenter
les preuves ; & comme la vérité eft l'objet
94 MERCURE DE FRANCE.
de vos lumieres , & de celles de la Société
royale à laquelle vous préfidez , je
vous prie , Milord , de la découvrir dans
cette occafion. Si je me fuis trompé , je
ne demande aucune indulgence. Je fçai
que vous excluez des fciences tout refpect
humain ainfi , Milord , je me flatte
, que fi je fuis dans l'erreur , vous vous
fervirez de la voie la plus authentique
pour m'éclairer ; & que hi votre jugement
m'eft favorable , vous le direz formellement
, ce qui inftruira de votre ſentiment
pour ou contre. Rendez , je vous fupplie
, Milord , juftice à ma confiance , de
même qu'au refpect avec lequel j'ai l'honneur
d'être , Milord , &c.
A Paris , ce 10 Juilles 1755 .
C. JULII CÆSARIS que exftant opera.
Cum A. Hirtii , five Oppii commentariis de
Bellis Gallic. Alexand. Afric. & Hifpanienfi.
Accefferunt ejufdem Cafaris fragmenta ,
nec non& nomina populorum , oppidorum ,
&fluviorum, qua apud Cafarem reperiuntur.
Parifiis , Typis Jofephi Barbou , viâ
Jacobaâ, fub Ciconiis , in- 12 . 2 tomi. C'eſtà-
dire , Euvres de Céfar , qui confiftent en
fes commentaires & en des fragmens de
SEPTEMBRE. 1755. 95
quelques-uns de fes autres écrits qui font
perdus. 2 vol. in- 12 . pag. 360 & 455.
Cette édition que Barbou , Libraire , rue
S. Jacques , vient de mettre au jour , a
tout ce qu'il faut pour lui mériter l'accueil
des perfonnes qui s'occupent de la lecture
des Auteurs Latins par état ou par goût.
La beauté du papier , la netteté des caracteres
, une planche dont elle eft ornée au
frontispice , concourent à la rendre trèsélégante
. Elle peut affurement aller de pair
avec les belles éditions de plufieurs Hiftoriens
Latins , qui ont paru depuis quelques
années dans le même format. On y
trouve des cartes particulieres de la Gaule,
de l'Italie , & de l'Eſpagne , où les lieux
qui font partie de ces trois différens pays ,
font marqués felon leur ancienne pofition .
Il y a auffi une notice alphabétique des
noms , des peuples , des villes , & des fleuves,
&c. dont il eft parlé dans Céfar. Mais
ce qui contribue fur- tout à en augmenter
le prix , eft une differtation latine , qui eft
inferée à la fuite des 8 livres de laguerre
des Gaules. Comme il n'y en a que fept qui
appartiennent véritablement à Céfar , on y
recherche quel eft précisément l'Auteur du
huitiéme , ainfi que des autres livres qui
traitent de la guerre d'Alexandrie , d'Afrique
& d'Espagne. Il fuffit de dire qu'elle
96 MERCURE DE FRANCE.
eft du célebre Henri Dodwel , pour faire
fon éloge . Il eſt aifé de le reconnoître à cẹ
grand fond d'érudition , & cette exactitude
de critique qui caractériſent prefque
toutes les productions , dont ce fçavant Anglois
a enrichi la République des Lettres.
C'eſt une raifon de plus qui la fera rechercher
des Sçavans. Nous ajouterons encore
que le même Libraire promet de donner
dans un pareil format les Auteurs fuivans ,
qui font indiqués à la fin du premier volume
, Quinte- Curce , Ovide , Pline ( du
P. Hardouin ) & Juftin. S'il apporte les
mêmes foins pour les éditions qu'il prépacelle
que nous annonçons
actuellement, il peut être perfuadé qu'elles
feront également bien reçues du public .
re , que pour
CATALOGUE des livres de feu M. R.....
dont la vente fera indiquée par affiches. Il
fe trouve chez G. Martin Libraire
S. Jacques. 1755 .
> rue
EXPÉRIENCES & RÉFLEXIONS
fur la ftructure & l'ufage des vifceres , fuivies
d'une explication Phyfico - méchanique
de la plupart des maladies ; par M.
Raimond Vieuffens , Confeiller , & Médecin
ordinaire du Roi , de l'Académie
des Sciences de Paris , & de la Société
royale
SEPTEMBRE. 1755. 97
royale de Londres. A Paris , chez Jean-
Thomas Hériffant , rue S. Jacques , à faint
Paul , & à S. Hilaire.
LEÇONS de Phyfique expérimentale ,
par M.l'Abbé Nollet , de l'Académie roya
le des Sciences , Profeffeur de Phyfique
expérimentale au College de Navarre , &c.
tome v. A Paris , chez Guerrin & De Latour
, rue S. Jacques , à S. Thomas d'Acquin
.
Ce volume , que le public attendoit depuis
long-tems , traite de la lumiere & des
couleurs , matiere intéreſſante , & qui
s'affujettit mieux qu'aucune autre partie
de la phyfique aux régles de la Géométrie
& au calcul , mais que l'auteur , obligé de
fuivre la méthode qu'il a embraffée pour
tout l'ouvrage , s'eft appliqué à rendre
fenfible par la voie de l'expérience. Cela
nous met à portée de voir jufqu'à quel
point les faits quadrent avec la théorie ;
& nous voyons que les perfonnes qui commencent
à s'appliquer à cette fcience
prendront facilement par la lecture de
ces leçons des idées claires & méthodiques
qu'elles auroient peine à acquerir autrement.
Nous en avions conçu cette opinion en
confidérant que les principes y font expo
E
98 MERCURE DE FRANCE.
fés avec clarté , que les expériences qui
leur fervent de preuves , font curieuſes
décifives , & très bien repréfentées par les
figures ; mais nous en fommes encore plus
perfuadés , en apprenant par la voie du
public , avec quel intérêt & quelle affiduité
des perfonnes de tout âge & de toute
condition , fe font affemblées pendant les
mois de Juin & de Juillet derniers au
Collége de Navarre , pour continuer d'entendre
M. l'Abbé Nollet , & lui voir exécuter
les expériences qui concernent cette
matiere ; c'est peut- être la premiere fois
qu'on ait entrepris avec fuccès de les faire
voir à soo , à 600 perfonnes en même
terns.
Le volume dont nous parlons , contient
trois leçons ; fçavoir , la quinziéme , la
feizième , & la dix-feptiéme, & voici l'ordre
dans lequel les matieres fe préfentént.
L'auteur expofe d'abord l'état de la que
ftion qu'il fe propofe de traiter , il en fait
l'hiftoire ; & après avoir annoncé des propofitions
, il les établit par des raifons ou
par des expériences dont il a foin de bien
expliquer le méchanifme : après quoi il
fait venir par forme de remarques ou d'applications
les effets naturels qui peuvent
dériver du principe établi , ou avoir quelSEPTEMBRE.
1755. 99
j
que rapport avec les expériences qui ont
fervi de preuves.
Dans la quinziéme leçon , par exemple,
où il s'agit d'abord de la nature & de la
propagation de la lumiere , M. L. N. expofe
au Lecteur les deux principales opinions
qui partagent aujourd'hui les Phyficiens
, celle de Defcartes & celle de
Newton ; il embraffe la premiere avec
quelques modifications , il rend raifon du
parti qu'il prend , il prévient les objections
qu'on pourroit lui faire ; & enfin il
en vient à des expériences par lefquelles
il prétend prouver que la lumiere eft une
matiere fubtile univerfellement répandue
au- dehors , comme au- dedans des corps ,
& toujours prête à devenir fenfible par le
mouvement qu'elle peut recevoir des corps
enflammés , ou par la clarté du jour auquel
elle fe trouve expofée . Ces expériences
donnent lieu à une hiftoire trèscurieufe
des phofphores , où l'on trouve
des nouvelles découvertes .
L'auteur examine enfuite les directions
que la lumiere fuit dans fes mouvemens ,
foit qu'elle vienne directement du corps
lumineux vers nos yeux , foit qu'elle rencontre
en fon chemin un obftacle qui l'oblige
à fe refléchir , foit enfin qu'elle paffe
d'un milieu dans un autre de différente
denfité. E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
Il s'arrête d'abord au mouvement direct
, & après quelques définitions néceffaires
pour l'intelligence de la queſtion ,
il énonce le principe de l'Optique , proprement
dite , en quatre propofitions , dont
voici les deux premieres. 1 ° . En quelque
endroit qu'on préfente un plan vis- à - vis
d'un point radieux , ce plan devient comme
la bafe d'une pyramide de lumiere.
2º. Ce plan eſt moins éclairé à meſure
qu'il s'éloigne du point radieux.
Deux expériences mettent ces faits fous
les yeux , & apprennent en même tems
dans quel rapport fe fait le décroiffement
de la lumiere , & l'accroiffement de l'ombre.
En comparant avec ces deux épreuves
ce qui fe paffe à l'égard de l'oeil qui ſe
préfente vis- à- vis d'un objet éclairé , on
conçoit d'abord & très facilement , comment
plufieurs perfonnes placées en différens
endroits apperçoivent enfemble le
même corps , fi petit qu'il foit ; pourquoi
nous ne pouvons voir qu'en ligne droite ;
par quels moyens nous jugeons de la diftance
quand elle eft petite ; quelle eſt la
caufe des ombres , ce qui régle leur grandeur
& leurs figures ; par quels moyens
la lumiere peut augmenter ou diminuer
pour le même oeil , & c.
SEPTEMBRE . 1755. 101
Les deux autres propofitions font énoncées
ainfi . 3 ° .Si le corps lumineux eft d'une
grandeur & d'une figure fenfibles , le plan
qu'on lui préfente , devient la bafe commune
d'autant de pyramides de lumiere ,
qu'il y a de points radieux tournés vers
lui. 4 ° . Si au lieu d'un plan qui arrête la
lumiere , on fait un trou dans une planche
mince , les pyramides lumineufes qui
viennent des différens points de l'objet
s'y croifent , paffant de droite à gauche
de haut en bas , &c . Deux expériences qui
mettent ces faits fous les yeux , font naître
naturellement les applications fuivan
tes.
,
>
Comment fe forment les images des
objets au fond de l'oeil ? pourquoi nous
voyons ces objets droits , quoique leurs
images foient renversées fur l'organe ;
par quels moyens nous jugeons des grandeurs
& des diftances des corps que nous
appercevons ; d'où vient que deux files de
foldats ou deux murailles paralleles feniblent
fe rapprocher l'une de l'autre , à mefure
qu'elle s'éloignent de nous ; pour
quelle raifon la furface d'un canal femble
s'élever dans l'éloignement ; pourquoi la
figure d'un grand corps apperçu de loin ,
change fuivant la direction de nos regards ?
Şur quelles régles eft fondée la perfpe-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
&tive ? Comment les mouvemens apparens
des corps qu'on regarde dans le lointain ,
différent des mouvemens réels , tant pour
la direction que pour la vîteffe Dans
quels cas leur viteffe paroit nulle , ou devient
infenfible ? Comment l'habitude , le
préjugé , les connoiffances précédemment
acquifes , nous font juger des grandeurs
& des diftances ? d'où vient que nous
voyons la voûte du ciel comme furbaiffée ,
le foleil & la lune plus grands à leur lever
qu'au zénith , & c.
La feizième leçon comprend la catoptrique
& la dioptrique , c'est - à - dire les
mouvemens de la lumiere refléchie , &
ceux de la lumiere refractée .
L'Auteur commence par une differtation
qui nous a paru curieufe , & dans laquelle
il entreprend de prouver contre
l'opinion commune que la lumiere ne ſe
refléchit point de deffus les parties propres
des corps polis , des miroirs par exemple
, mais de deffus les particules de lumiere
qui font logées & comme enchaffées
dans les pores de ces furfaces. M. L. N.
s'attend bien que cette opinion aura de
la peine à prendre dans l'efprit de fes lecteurs.
J'avoue , dit - il , qu'en embraf-
» fant cette opinion , on fe met dans la
» néceffité de renoncer aux idées les plus
SEPTEMBRE. 1755. 103
33
communes , & de fe roidir contre des
préjugés bien accrédités & bien difficiles
à vaincre. Se perfuadera - t - on , par
exemple , que les corps ne foient pas
vifibles par eux-mêmes , mais feulement
par les points de lumiere , dont les fur-
» faces font parfemées ? qu'à proprement
» parler , nous n'avons jamais rien vû de
" tout ce que nous avons touché : cepen-
» dant , quel moyen de penfer autrement ,
» fi nous ne pouvons rien voir que ce qui
» nous renvoie de la lumiere , & fi les
» rayons qui nous tracent les images des
objets ne peuvent être renvoyés vers nos
»yeux que par les globules de cette ma-
» tiere impalpable qui fe trouve dans la
» même fuperficie , avec les parties pro-
»pres des corps .
Voici une comparaifon qui vient à
l'aide .
d'a
Quand vous jettez la vûe fur un mor-
» ceau de drap teint en écarlatte , continue
" M. L. N. votre premiere penſée n'eft-
"elle pas que vous voyez un tiffu de lai-
» ne , & ne vous revolterez - vous pas
» bord contre quiconque vous foutien-
» droit que vous voyez toute autre chofe
" que cela ? cependant , fi vous y faites
» attention , vous ferez obligé de convenir
que vous n'appercevrez qu'un enduit
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
ور
de cochenille adhérent à la matiere
»propre de l'étoffe , des particules colo-
» rantes incruftées dans les pores de la
» laine ; en un mot , une fubftance étran-
» gere à l'objet que vous avez en penſée ,
» & qui ne vous laiffe voir de lui que fa
"grandeur , fa fituation , fa figure , & nul-
» lement fa matiere propre ... Voilà donc
» des cas avoués de tout le monde , où les
" corps ne font pas vifibles
leur
par
pro-
" pre matiere
, mais par une ſubſtance
» étrangere
qui s'eft logée dans leurs pores.
Il faut voir dans l'ouvrage même
les autres raifons que l'Auteur fait valoir
en faveur de cette hypothèfe , & de quelle
maniere il prévient les difficultés qu'on
pourroit alléguer contre.
On trouve enfuite la defcription d'un
inftrument nouveau & commode pour me
furer l'angle de réflection de la lumiere
dans toutes fortes de cas , & l'on voit par
une premiere expérience qui fert comme
de bafe à toutes les autres du même genre ,
qu'un rayon fimple étant refléchi par un
miroir , fait fon angle de réflection égal
à celui de fon incidence.
Les principales conféquences de ce premier
principe fe rendent fenfibles par des
expériences où l'on emploie fucceffivement
des rayons paralleles , convergens &
SEPTEMBRE. 1755. 105
divergens , d'abord avec un miroir plan ,
enfuite avec un miroir convexe , & enfin
avec un miroir concave ; cela fait neuf
combinaiſons , dont les trois premieres
font connoître , que le miroir plan en renvoyoiant
la lumiere, ne change rien à la fituation
refpective des rayons incidens , &
l'on en tire les raifons des effets fuivans .
On apprend pourquoi un feul miroir
plan ne peut fervir à raffembler les rayons
folaires dans un foyer. D'où vient que
dans un tel miroir l'image fe voit derriere
, & auffi loin que l'objet en eft éloigné
par-devant. Par quelle raifon la grandeur
& la figure apparentes font conformes à
celles de l'objet que l'on regarderoit direêtement
de la même diftance. De quelle
grandeur doit être le miroir plan , pour
qu'on puiffe s'y voir tout entier? Comment
la fituation de l'image fe régle relativement
à celle de l'objet qui eft placé devant
une glace ? Pourquoi & comment les images
fe multiplient entre deux miroirs ? De
quelle maniere on doit expliquer les effets
des miroirs prifmatiques & pyramidaux ,
& c .
Les trois combinaiſons fuivantes fè font
avec un miroir convexe , & font voir : 1º .
que tous les miroirs de cette efpece , petits
ou grands , diminuent pour le moins
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
la convergence des rayons qui tendroient
à fe réunir. 2 ° . Qu'ils rendent divergens
ceux qui ne font que paralleles . 3". Qu'ils
augmentent la divergence de ceux qui en
avoient déja avant que de refléchir. Ce
qui fert à expliquer
Pourquoi de tels miroirs rarefient la
lumiere , & par quelle raifon celle qui
nous vient de la lune & des autres planetes
eft fi foible ? Pourquoi l'image dans
ces fortes de miroirs paroît plus petite que
fon objet , plus près que lui du miroir ,
& fouvent défigurée ?
le
Enfin les trois dernieres combinaiſons.
fe font avec le miroir concave , & montrent
, 1 °. que les rayons paralleles deviennent
convergens. 2 ° . Que ceux qui
font convergens dans leur incidence
font davantage après la réflection . 3 °. Que
ceux qui font divergens , le deviennent
moins , ce qui peut aller jufqu'à les rendre
paralleles , ou même convergens .
›
Ces faits fourniffent des raifons pour
expliquer , pourquoi un charbon ardent
placé au foyer d'un miroir concave , &
excité par le vent d'un foufflet , allume de
l'amadoue au foyer d'un femblable miroir
, élevé parallelement en face du premier
, à la diſtance de trente ou quarante
pieds. Combien les rayons folaires renSEPTEMBRE.
1755. 107
voyés par ces fortes de miroirs , deviennent
capables d'embrafer ou de fondre les
corps les plus durs & les plus compactes :
d'où vient que dans certains cas les images
fe voyent entre la furface réfléchiffante
& l'oeil du fpectateur. Par quelle raifon
l'image y paroît plus grande que l'objet
& renversée , &c .
M. L. N. enfeigne ici par occafion , de
quelle maniere on fait des miroirs concaves
de verre , foit de plufieurs pieces , ſoit
d'une feule glace pliée au feu , & comment
ces derniers fe mettent au tain . Après
quoi il traite des miroirs mixtes , & explique
les effets de ceux qui font cylindriques
& côniques .
Il s'agit après cela des principes de dioptrique
, ou de la lumiere réfractée. L'auteur
déduit les loix de la réfraction , d'une
expérience dans laquelle il employe
une machine très- commode , & qu'il décrit
avec beaucoup d'exactitude : il rap-
-porte les différens fentimens des Phyficiens
fur les caufes de la réfraction , il embraffe
celui des Carthéfiens en expofant
les raifons qui le déterminent , & paffe à
l'explication de certains effets qui ont rapport
à fa premiere expérience.
Il enfeigne pourquoi un bâton en partie
plongé obliquement dans l'eau paroît
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
comme rompu ; par quelle raifon une piece
de monnoye placée au fond d'une cuvette
remplie d'eau , fe fait voir à ceux qui
ne l'appercevoient pas quand le vafe ne
contenoit que de l'air. M. L. N. remarque
comme une conféquence naturelle de
ces effets , que le poiffon qui eft dans un
étang voit au- delà des bords , des objets
qu'il ne pourroit appercevoir en droite
ligne : que nous voyons de même le foleil,
la lune , les étoiles , & c. avant que ces
aftres foient réellement fur l'horton , à
caufe des réfractions de la lumiere dans
l'atmosphere terreftre ; il fait fentir pourquoi
ce dernier effet diminue à meſure que
l'aftre s'éleve ; comment il peut arriver que
le foleil ou la pleine lune paroiffe ovale ,
dans quel cas l'on peut voir la lune éclipfée
, le foleil n'étant pas encore couché :
pourquoi la lune éclipfée paroît à nos yeux
d'un rouge obfcur. &c.
M. L. N. confidérant que les milieux
réfringens ne peuvent être terminés que
par des furfaces planes , concaves ou convexes
, examine dans ces différens cas quels
changemens il doit arriver ; 1 ° à des
rayons paralleles , enfuite à des rayons divergens
, & enfin à des rayons convergens;
ce qui fait encore neuf combinaifons que
l'auteur met en expériences.
SEPTEMBRE. 1755 . 109
Des trois premieres dans lefquelles on
employe un milieu réfringent terminé
par deux furfaces planes & paralleles entr'elles
, il réfulte 1 ° que des rayons qui
font paralleles entr'eux dans leur incidence
, reftent paralleles après la réfraction ,
foit en paffant du milieu le plus rare dans
le plus denfe , foit en paffant de celui- ci
dans l'autre , au moins dans le cas ou le
milieu réfringent n'a qu'une médiocre
épaiffeur : 2 ° que dans le premier de ces
deux cas les rayons convergens le deviennent
moins , & que dans le fecond ils reprennent
le degré de convergence qu'ils
avoient perdu : 3 ° que des rayons divergens
mis à pareille épreuve , perdent d'abord
une partie de leur divergence & la
reprennent enfuite.
On apprend dans deux corollaires qui
fuivent ces expériences , ce qu'on doit attendre
d'un milieu réfringent qui feroit
terminé par deux furfaces courbes , mais
concentriques , ou de celui dont les furfaces
oppofées feroient planes , mais inclinées
l'une vers l'autre .
Par des applications naturelles de ces
faits , on voit pourquoi tout ce que nous
appercevons en regardant dans l'eau , nous
paroît élevé vers la furface ; par quelle raifon
les baffins remplis d'eau nous paroifITO
MERCURE DE FRANCE.
fent moins profonds qu'ils ne le font en
effet , d'où vient que le fond de l'eau , s'il
eft d'une grande étendue nous ſemble courbe
quoiqu'il foit droit ; pourquoi les verres
taillés en prifmes nous changent le lieu de
l'objet , & par quelle raifon ceux qui font
à facettes , nous en multiplient l'image,
& c.
par
Les quatrieme , cinquieme & fixieme
combinaiſons ſe font avec un milieu plus
denfe que l'air , l'air , terminé des furfaces
convexes , & apprennent 1 ° que des rayons
paralleles en entrant dans un tel milieu
deviennent convergents. 2° que fi dans
leur incidence , ils convergeoient au centre
de la ſphéricité du milieu réfringent
il ne leur arrive aucun changement . 3 ° que
leur convergence diminue s'ils tendoient
à fe réunir plus près que le centre , & qu'ellé
augmente au contraire dans le cas oppofé
: 4° que les rayons divergens y perdent
au moins une partie de leur divergence ,
ce qui peut aller jufqu'à les rendre paralleles
, & même convergens.
De cette théorie rendue fenfible par l'expérience
, on tire naturellement l'explication
des faits que voici.
Pourquoi l'ufage des bocaux de verre
remplis d'eau , eft- il fi utile aux artiſtes qui
ont be foin d'une lumiere vive. D'où vient
1
SEPTEMBRE. 1755. III
que les corps plongés dans des vafes de
verre , ordinairement cylindriques , ou à
peu près , nous paroiffent difformes quand
ces vafes font pleins d'eau . Pourquoi les
corps tranfparens & fphériques , raffemblent
les rayons du foleil dans un foyer ; à
quelle diſtance on doit attendre le foyer ;
pourquoi en cherchant à former des foyers,
on a fubftitué les lentilles aux globes , fur
quelles confidérations on a réglé la largeur
des lentilles tranfparentes. Comment les
verres lenticulaires amplifient les images
des objets ; comment dans certains cas
elles nous font voir entr'elles & nous : d'où
vient qu'elles defforment quelques fois ces
images , & c .
>
Par les trois dernieres combinaifons qui
fe font avec un milieu réfringent terminé
par des furfaces concaves , on apprend
1º que par de tels milieux , les rayons paralleles
font rendus divergens ; 2° que
ceux qui font convergens y perdent une
partie de leur convergence , ce qui peut
aller jufqu'à les rendre paralleles ou même
divergens ; 3 ° que des rayons divergens
qui ont leur point de difperfion au centre
même de la concavité du milieu réfringent
, ne fouffrent aucun changement ;
mais que ceux qui viennent de plus loin
que ce centre , augmentent en divergence ,
112 MERCURE DE FRANCE.
<
& qu'il arrive tout le contraire à ceux qui
viennent de plus près.
On voit par là pourquoi les verres concaves
dont fe fervent les perfonnes qui ont
la vûe courte ; font voir les objets plus
petits qu'on ne les voit à la vûe fimple ;
pourquoi l'image eft plus près du verre par
derriere , que l'objet ne l'eſt par-devant ;
d'où vient que ces fortes de verres , diminuent
la clarté de la vifion , & c. 1
Dans la dix- feptieme leçon M. L. N.
commence par traiter des couleurs : « Nous
diftinguons , dit- il , les objets vifibles ,
» non-feulement par leur grandeur , leur
» figure, leur fituation , leur diftance , leurs
dégrés de clarté , & c. mais encore par
» une forte d'illumination qui fait que
» chacun d'eux brille à nos yeux d'une
>>
و ر
façon particuliere , & qui ne dépend
»pas de la quantité de lumiere qui l'éclaire
, c'eft ce dernier moyen de vifibilité
que la nature varie avec une magni-
» ficence fans égale , & dont elle embellit
» toutes fes productions ; c'eft , dis- je ,
» cette apparence particuliere des furfaces
» que nous nommons couleur en général ,
» & dont nous exprimons les efpeces par
les noms de blanc , de rouge , de jaune ,
» de bleu , & c.
Les couleurs peuvent être confidérées
SEPTEMBRE. 1755. 113
1° dans la lumiere à qui elles appartiennent
effentiellement ; 2 ° . dans les corps
en tant que colorés . 3 ° . & dans celui de
nos fens qu'elles affectent particulierement
, & par lequel nous les diftinguons ;
c'eft aufli l'ordre dans lequel l'auteur traite
cette partie ; il préfere le fentiment de
Newton à celui de Defcartes , ou plutôt
il les adopte tous deux , en faifant remarquer
qu'ils ne font pas incompatibles ; &
après avoir rapporté hiftoriquement ce qui
donna occafion aux découvertes du philofophe
Anglois , il remet fous les yeux l'expérience
fondamentale , qui lui fir foupçonner
les deux points capitaux de tout
fon fyftême , fçavoir 1 ° que la lumiere
naturelle eft compofée de fept efpeces de
rayons plus réfrangibles , & plus réflectibles
les uns que les autres ; 2 ° que chacun
de ces rayons a le pouvoir d'exciter conftamment
en nous l'idée d'une couleur particuliere,
D'où il fuit que le défaut de couleur
dans la lumiere naturelle , vient de
l'affemblage complet de tous les rayons
colorés , & que le noir n'eft qu'une privation
de lumiere , plus ou moins parfaite.
M. L. N. rapporte , non pas toutes les
expériences que Newton a faites pour établir
cette doctrine , mais les plus décifives
& les moins difficiles à exécuter , afin , dit114
MERCURE DE FRANCE.
il , que chacun de fes lecteurs puiffe entreprendre
de les répéter , fans craindre de les
manquer. C'eft dans cette vue fans doute ,
qu'il avertit dans des notes , des précautions
qu'il faut prendre en certains cas , du
choix qu'il faut faire des inftrumens & des
manipulations les plus propres à procurer
un heureux fuccès.
A l'occafion de ces expériences , l'auteur
fuivant toujours fa méthode , ne manque
pas de rendre raifon des effets naturels qui
peuvent s'y rapporter. Il apprend par exemple,
pourquoi les objets paroiffent teints
de diverfes couleurs quand on les regarde
au travers d'un prifme de verre , pourquoi
ces couleurs font fituées différemment
quand l'objet eft brun fur un fond clair ,
que quand il eft blanc fur un fond obfcur :
d'où vient qu'une riviere ou un canal vû à
travers un prifme , prend la forme d'un arc
de diverfes couleurs dont la convexité eft
tournée vers la terre : par quelle raiſon un
verre plein d'eau fait paroître dans certaines
occafions avec diverfes couleurs , les
rayons folaires qui le traverfent ; pourquoi
les diamans & les pierres fauffes qui font
brillantées , repréfentent les mêmes couleurs
que le prifme ; enfin comment ſe
forme l'arc-en-ciel , & quelles font les caufes
de fes diverfes apparences.
Après avoir confidéré les couleurs dans
SEPTEMBRE . 1755. 115
la lumiere , M. L. N. examine comment il
peut fe faire que parmi différens corps expofés
à la lumiere naturelle du jour , les
uns fe teignent conftamment des rayons
d'une certaine espece , tandis que d'autres
fe colorent autrement : il penfe que cela
dépend de leurs différentes porofités &
primitivement de la grandeur & de la figure
de leurs parties infenfibles ; car fi les
pores d'une furface font propres à loger
une certaine efpece de lumiere , on conçoit
que les rayons de même nature qui
tomberont deffus , feront réfléchis plus
complettement & en plus grande abondance
que les autres ; & fi c'eft un corps
tranfparent qui foit imbu de cette efpece
particuliere de lumiere , les rayons incidens
de la même efpece , pourront mieux
que d'autres tranfmettre leur action à ceux
qui font au-delà : ainfi , fuivant cette opinion
, tous les corps font pleins de lumiere ;
ceux qui la contiennent avec toutes fes
efpeces , font propres à réfléchir ou à tranf
mettre toutes celles qui fe préfentent à leur
furface , s'ils font opaques ils nous paroiffent
blancs ou brillans , s'ils font tranfparens
, nous les voyons clairs & limpides
comme le verre ou l'eau . Ceux qui n'ont
admis dans leurs pores qu'une forte de
lumiere , ne renvoyent ou ne tranfmettent
116 MERCURE DE FRANCE.
que celle- là , & nous paroiffent rouges ;
verts, bleux , jaunes , & c. Ceux enfin qui
par une contention particuliere de leurs
parties propres ou par le mauvais alignement
de leurs pores , ne peuvent ni renvoyer
ni tranfmettre l'action d'aucune
efpece de lumiere , nous leur avons donné
le nom de noirs ou d'obscurs.
Cette hippothefe eft appuyée par une
fuite d'expériences curieufes , dans lef
quelles on voit 1 ° que deux liqueurs claires
comme de l'eau , étant mêlées enfemble
, fe montrent fous une couleur qu'elles
n'avoient ni l'une ni l'autre. 2 ° . Qu'ane
liqueur fans couleur , fait paffer du
bleu au rouge , ou du verd au violet une
autre liqueur avec laquelle on la mêle .
3 °. Qu'une couleur très- limpide rend
opaque une autre liqueur qui ne l'étoit
pas plus qu'elle ; 4° . enfin , qu'une goute
ou deux d'une certaine liqueur , rend la
limpidité à un mélange qui étoit opaque
& coloré.
A l'appui de ces expériences , arrivent
les obfervations fuivantes , qui s'expliquent
comme elles d'une maniere affez
plaufible , en fuppofant qu'un changement
de porofité fuperficielle ou intime
dans les corps , eft la principale caufe de
leurs changemens de couleur.
2
SEPTEMBRE. 1755 117
On obferve que le papier bleu ou violet,
devient rouge , quand il eft touché par un
acide , que les étoffes fe tachent , par l'attouchement
des matieres qui peuvent en
altérer la texture : que l'action du feu ,
celle du foleil rougit les écreviffes , les
crabes & les autres poiffons cruftalés , que
l'impreffion continuelle de l'air fait prêndre
la couleur verte aux plantes , & qu'en
les en privant on les fait blanchir ; que
plufieurs teintures ou fucs naturels , paffent
d'une couleur à l'autre par la même caufe ;
qu'une legere fomentation fuffit fouvent
pour produire des effets ſemblables , &c .
L'auteur cherche enfuite qu'elle eft la
caufe de la tranſparence des corps : après
avoir remarqué , qu'il n'y a aucun corps .
ni abfolument tranfparent , ni abfolument
opaque , il prouve par plufieurs expériences
& obfervations , qu'un corps , toutes
chofes égales d'ailleurs , trafmet d'autant
mieux la lumiere , que fes parties font plus.
homogenes , ou d'une denfité plus uniforme.
Ces expériences apprennent à ſe défier
de la mauvaiſe foi de certaines gens qui
alterent & changent les écritures , elles
expliquent auffi pourquoi dans certains
tems , le foleil paroît d'un rouge de fang,
= & fe laiffe voir fans bleffer la vûe : par
118 MERCURE DE FRANCE.
quelle raifon la teinture noire eft plus belle
& plus durable quand cette étoffe a été
mife au bleu auparavant.
Le refte de la dix- feptieme leçon roule
fur la vifion , tant naturelle qu'artificielle ;
M. L. N. diftingue ainfi celle qui fe fait à
la vûe fimple de celle qui eft aidée par
quelque inftrument de dioptrique ou de
catoptrique .
par
*
Cette partie commence par une defcription
de l'oeil qui expoſe en détail les parties
de cet organe, leurs différentes fonctions
que l'on imite des expériences
fort curieufes , fort inftructives , & qui
donnent lieu aux explications fuivantes.
Pourquoi la prunelle de l'oeil fe retire
au grand jour , & fe dilate dans l'obfcurité
: comment varient les limites de la
vifion diſtincte ; en quoi confifte le défaut
de la vûe courte , & celui de la vûe longue
: d'où vient que les Myopes , regar- 2
dent de fort près , & les Prefbites de fort
loin : par quelles raiſons l'on croit
que la
vifion s'accomplit fur la choroïde , & non
pas fur la retine : quels moyens contribuent
à la clarté des images , qui fe peignent
au fond de l'oeil. Pourquoi les objets
vifibles qui fe meuvent rapidement ,
produifent des images qui ne leur reflemblent
pas d'ou vient qu'avec les deux
SEPTEMBRE. 1755. 119
yeux nous ne voyons ordinairement qu'une
fois le même objet , quoiqu'il fe peigne
également dans les deux. Comment l'uſage
fimultané des deux yeux nous aide à juger
des petites diſtances. Quelle eft la caufe
duftrabisme ou vûe louche. En quoi confifte
cette maladie de l'oeil appellée cararacle
, comment on y remédie ; pourquoi
dans certaines circonftances on voit tous
les objets teints de la même couleur.
A la fuite de ces obfervations , M. L. N.
explique d'où peuvent naître ces éclats de
lumiere qu'on appeçoit la nuit en ſe frottant
les yeux , ou lorfqu'on fe donne quelque
coup à la tête ; il parle auffi de ces couleurs
que l'on continue de voir , lorsqu'on
ferme les yeux après avoir regardé lé foleik
couchant , ou bien lorfqu'on applique la
vûe pendant quelque tems fur un même
corps de quelque couleur éclatante .
M. L. N. finit , par expliquer les effets
des principaux inftrumens qui fervent à
aider la vûe : « La vifion naturelle , dit-il,
lorfqu'elle eft dans fa plus grande force ,
» dans fon état le plus parfait , eft afſujet-
» tie à des conditions & renfermée dans
» des limites ; fi l'objet n'eft pas découvert
» au point que de lui à nous on puiffe tirer
une ligne droite fans obftacle , nous ne
l'appercevons pas fût-il même conve
120 MERCURE DE FRANCE.
» nablement exposé à nos regards , s'il eft
» trop loin ou trop petit , il nous échappe :
» & c'est encore pis fi l'oeil eft affoibli ou
» mal conformé ; la petiteffe & la diſtance
» le gênent encore davantage.
33
33
33
» Ces inconvéniens ont fubfifté longtems
fans remede ; mais enfin le hazard
» d'un côté , l'induſtrie de l'autre éclairée
& foutenue par l'étude , nous en ont
» affranchis en quelque façon ; par le fecours
des miroirs & des verres taillés
d'une certaine maniere , nous pouvons
» appercevoir ce qui eft caché à nos regards
» directs ; nous découvrons dans le fein de
la nature des êtres qui fembloient devoir
être à jamais imperceptibles pour nous :
» les objets trop éloignés fe rapprochent ,
»pour ainfi dire , & fe laiffent voir dif-
» tinctement : la vûe des vieillards à moitié
» éteinte ſe ranime ; celle qui eft trop
courte devient plus étendue. Enfin ,
quand nos befoins font fatisfaits , les
» mêmes moyens fourniffent encore des
amufemens très-dignes de notre curiofité
n
"
Il eft donc queftion dans cette derniere
partie des lunettes à lire , tant à deux qu'à
un feul verre ; des chambres obfcures , tant
fixes que portatives ; des polemofcopes
grands & petits ; des boëtes optiques ou perf
pectives
1
1
SEPTEMBRE 1755 12r
"
pectives avec des verres convexes , & avec
des miroirs ; des lunettes d'approche à deux
& à quatre verres ; des télescopes de réflection
; des microscopes fimples & compofés ;
du mycrofcope folaire & de la lanterne
magique , « inftrument , dit M. L. N. qu'une
trop grande célébrité a prefque ren-
» du ridicule aux yeux de bien des gens :
on la promene dans les rues , on en
divertit les enfans & le peuple ; cela
» prouve avec le nom qu'elle porte , que
» les effets font curieux & furprenans : &
» parce que les trois quarts de ceux qui les
» voyent , ne font pas en état d'en com-
» prendre les caufes , eft ce une raiſon
» pour ſe diſpenſer d'en inftruire les perfonnes
qui peuvent les entendre ? &c.
En parlant de ces inftrumens , il remon
te aux tems de leur invention , il en défigne
les auteurs , il fait connoître ceux qui
Les ont perfectionnés , & il marque par
des figures bien correctes , la marche des
rayons de la lumiere dans chacun d'eux .
Voilà à peu près les matieres contenues
dans ce cinquieme tome des leçons de phy-
Lique ; leur grande abondance pouvoit faire
craindre qu'elles ne s'y préfentaffent avec
confufion , mais l'auteur en y faiſant régner
beaucoup d'ordre & de précifion , a
fçu éviter cet inconvénient ; & nous
F
#21 MERCURE DE FRANCE.
croyons que le public recevra ce volume
aufi favorablement qu'il a reçu ceux qui
l'ont précédé.
aux
OEUVRES de M. Clermont , Commiffaire
d'Artillerie , en un volume in-4°.
contenant la Géométrie - pratique de l'Ingénieur
, ou l'art de mefurer, ouvrage éga
lement néceffaire aux Ingénieurs
Toifeurs & aux Arpenteurs , avec figures ;
& l'arithmétique militaire , ou l'Arithmétique
pratique de l'Ingénieur & de l'Officier
, divifée en trois parties. Ouvrage
également utile aux Officiers , aux ingênieurs
& aux Commerçans. Nouvelle édition
, corrigée , & de beaucoup augmentée
A Paris , chez Briaffon , rue S. Jacques
,
à la Science. 1755 .
ARCHITECTURE - PRATIQUE , qui comprend
la conftruction générale & particuliere
des bâtimens ; le détail , toiſé & dévis
de chaque partie ; fçavoir , maçonnerie
, charpenterie , couverture , ménuiferie
, ferrurerie , vitrerie , plomberie, peinture
d'impreffion , dorure , fculpture , mar
brerie , miroiterie , &c. avec une explication
des trente- fix articles de la coutume
de Paris fur le titre des fervitudes & rapports
qui concernent les bâtimens , & də
SEPTEMBRE. 1755. 123-
l'ordonnance de 1673 ; par M. Bullet
Architecte du Roi , & de l'Académie roya
le d'Architecture.
: Nouvelle édition , revûe , corrigée , &
confidérablement augmentée , fur- tout des
détails effentiels à l'ufage actuel du toiſé
des bâtimens , aux us & coutumes de Paris
, & aux réglemens des Mémoires , par
M *** Architecte , ancien Infpecteurtoifeur
de bâtiment . Ouvrage très - utile
aux Architectes & Entrepreneurs , à tous
propriétaires de maifons , & à ceux qui
veulent bâtir . A Paris , chez Hériffant &
Savoye , rue S. Jacques ; chez Didot , Nyon
& Damonneville , quai des Auguft. 1755.
Le quatriéme & le cinquiéme tomes des
traités des collations & provifions des Bénéfices
, par M. Piales , Avocat au Parlement
, paroiffent ; & fe vendent à Paris ,
chez Briaffon , rue S. Jacques , à la Science
; & à Chartres , chez Le Tellier , Imprimeur
, au bon Paſteur.
Le quatriéme volume contient les permutations
& réfignations pures & fimples ,
ou démiffions.
Le cinquième comprend les collations
& provifions fur réfignations , avec réſerve
de penfion.
LETTRE de M. Jourdan de Pelerin ,
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
Médecin , Chymifte , privilegié du Roi ,
à l'occafion d'une critique inferée dans le
Journal économique contre fa méthode
de conferver l'eau douce qu'on embarque
fur les vaiffeaux , & de la préferver de
toute corruption , à M. H ...
Cette lettre , qui contient foixante pages
, fe trouve chez Jorry , quai des Âuguftins
, près le pont Saint Michel , aux
Cycognes. 1755. L'auteur y obferve , 1 ° .
qu'on cherche dans le Journal économique
à critiquer les termes dont il s'eft fervi
, plutôt qu'à détruire le fond de fes découvertes.
2 °. Qu'on y préfere la métho
de de M. Appleby fur la maniere de deffaler
l'eau de la mer , méthode fans ſuccès ,
& même impraticable. 3 ° . Que le Jour
naliſte ne connoît ni les effets du mercure
ni la chymie.
Dans fa premiere obfervation , M. Jour
dan fe borne à dire qu'il a toujours eu pour
maxime , que quand il s'agit de fcience ,
l'expreffion recherchée doit le céder à la chofe
, & quoiqu'il foit en état de prouver
qu'il s'eft fervi de termes les plus propres &
les plus ufués , ce point lui paroît trop frivole
pour y répliquer.
La feconde obfervation eft celle , que
l'Auteur approfondit le plus , & celle
auffi fur laquelle nous nous étendrons
SEPTEMBR E. 1755. 129
davantage. M. Appleby dit dans fa métho
de , que pour deffaler l'eau de la mer , il
faut prendre fix onces de pierre à cautere
, & fix onces d'os calcinés , les jetter
fur vingt galons d'eau de la mer , & mettre
le tout enſemble dans un alambic pour
le faire diftiller . Pour nous faire mieux
fentir le danger de cette boiffon , M. Jourdan
nous apprend ce qui compofe la pierre
à cautere : Mettez , dit- il , dans une terrine
une partie de chaux vive , & deux
parties de cendre gravelée , verfez deffus
beaucoup d'eau chaude , laiffez infufer le
tout pendant cinq ou fix heures , faites- le
bouillir un peu , & enfuite filtrer avec du
papier gris , vous ferez évaporer l'eau ,
& il vous reftera un fel ; vous mettrez ce
fel dans un creufet , & vous le ferez fondre.
Lorfqu'il fera en huile , & que l'humidité
en fera évaporée , vous le verferez
dans un plat , vous le couperez pendant
qu'il eft chaud , & vous le mettrez
promptement dans une bouteille de
verre , que vous boucherez avec de la
cire & de la veffie , parce que ce fel ſe réfoud
facilement à l'air , & fe change en
liqueur ; tenez-le dans un lieu fec pour le
conferver , & foyez fûr d'avoir le plus
violent cauftique. Il produit les mêmes.
effets que ceux de la pierre infernale. La
Fuj
126 MERCURE DE FRANCE;
preuve , c'eft qu'on ne fçauroit faire filtrer
l'eau que l'on employe à fa compofition ,
fans qu'elle ne brûle le papier gris dont
on fe fert. Cette pierre corrofive fe joint
encore à une eau , qui de fa nature est fort
pefante , & chargée de beaucoup de fels ,
de foufres & de bitumes. Quelle étrange
boiffon pour ſe rafraîchir ! Avaler un cau
ftique dévorant , que les Médecins n'ofent
appliquer extérieurement qu'avec une circonfpection
fans égale ? Voilà pourtant ,
ajoute l'Auteur , la méthode qu'on a la
bonté de préférer à celle que je donne pour
préferver de toute corruption l'eau douce
qu'on embarque.
Comme fa troifiéme obfervation atta
que le Journaliſte, & devient perfonnelle ,
le filence fur cet article eft le feul parti
qui nous convient , & nous nous y renfermons.
'de
-
LETTRES au Prince Royal de Sue-
, par M. le Comte de Teffin , Miniſtre
d'Etat , & Gouverneur de ce jeune Prince ,
traduites du Suedois. Deux parties in- 12 .
A Paris , chez Jombert , rue Dauphine .
Prix s liv. relié .
Trois traductions françoifes qui viennent
de paroître en même tems de ces lettres ,
font une preuve de leur excellence ; maiş 1
SEPTEMBRE. 1755. 127
-
il s'en faut bien que ces traductions ayent
un égal mérite . Celle de Londres , en un
volume in-8° . eft très imparfaite. Celle
qu'on vient d'achever en Hollande , &
dont on trouve auffi quelques exemplaires
à Paris , eft une copie prefque fervile
de la premiere , à laquelle l'on n'a
fait qu'ajouter quelques fautes. La tradution
que nous annonçons , eft beaucoup
plus exacte , & mieux écrite.
Qu'on ne croie pas qu'un préjugé national
nous faffe donner la préférence à
ce qui s'eft fait chez nous , pour décrier
injuftement ce que les autres ont donné.
Il eft facile à tout lecteur de comparer ces
trois traductions , & de voir enfuite s'il y
a de la partialité dans le compte que nous
en rendon
Pour dire un mot fur le fond de cet
ouvrage , nous ne craignons pas d'avancer
qu'il eft un des plus utiles & des
mieux faits qui ayent paru fur cette ma
tiere. Les maximes les plus faines , les fentimens
les plus nobles , enfin le germe de
toutes les vertus s'y trouvent réunis . Heureux
le Prince qui les pofféderoit toutes
& plus heureux encore fes fujets ! leur félicité
feroit parfaite.
Les Souverains ne font cependant pas
les feuls qui puiffent profiter des lectures
Fiv
728 MERCURE DE FRANCE.
fréquentes & refléchies de cet ouvrage
il n'eft point de particulier qui ne puiffe
en retirer beaucoup de fruit pour l'éducation
de fes enfans. Les préceptes & l'inftruction
qu'il offre font à la portée de tout
le monde , & utiles à tous les états , à
quelques modifications près.
ON avertit le public que le petit livre ,
intitulé Abrégé de l'Histoire universelle pour
en faciliter l'intelligence & la mémoire aux
enfans , & qui fe vend à vil prix & en cachette
, n'eft qu'une copie , mot pour mot,
des Tables chronologiques d'époques élémentaires
principales d'Hiftoire univerfelle
, par M. Mahaux , Maître , affocié
du fieur Viard , demeurant rue de Seine ,
fauxbourg S. Victor , à l'Académie des
Enfans. Ouvrage annoncé d'une maniere
convenable à la bonne méthode qu'il offre
pour la premiere étude de l'hiftoire ,
pour en faire rappeller les dates à ceux
qui l'ont déja faite , au moyen de la difpofition
fimple & naturelle , qui comme
un plan doivent laiffer à la vue le tout
& les parties , pour qu'il foit poffible d'en
appercevoir les différences & les rapports ,
les diftances plus ou moins grandes , fans
être obligé de courir , ainfi que dans un
livre , d'une page à l'autre , & de fe fati-
&
1
1
SEPTEMBRE. 1755. 129:
guer la vûe , les mains , & la mémoire ;
ainfi c'eft cette difpofition plutôt que le
fond de l'ouvrage qui en fait tout le mérite
; & fi on la lui enleve pour n'offrir
fucceffivement qu'une compilation d'époques
, il n'y aura pas plus de méthode ni ,
de facilité de s'inftruire que dans des milliers
d'autres. C'eſt ce que n'a pas fenti le
téméraire . Editeur de cet abrégé.
Il a eu l'ignorance de tranfmettre dans
fa copie furtive jufqu'aux fautes d'impreffion
de fon original . On a déja annoncé
qu'il fe vend chez l'auteur, & chez Piſſot ,
quai de Conti ; & Lambert , rue & proche
la Comédie .
LETTRE au fujet de la place deſtinée à la
ftatue du Roi , & des agrandiffemens de
Paris.
On avertit par une note modefte que
cette Lettre eft moins l'écrit d'un Artifte
qui propoſe un plan pour modele , que
l'ouvrage & le voeu d'un citoyen dont le
zéle a donné l'effor à fon imagination .
Nous croyons pouvoir ajouter qu'elle eft
en même tems la production d'un homme,
d'efprit qui penfe fortement , & qui s'exprime
de même. On la trouve chez Hérif
fant , rue S. Jacques , à S. Paul , & à Saint
Hilaire.
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
COLLECTION ACADÉMIQUE , compofée
des mémoires , actes ou journaux des plus
célébres Académies & Sociétés littéraires
étrangeres , des extraits des meilleurs ouvrages
périodiques , des traités particuliers,
& des piéces fugitives les plus rares concernant
l'hiftoire naturelle , & la botanique
, la phyfique expérimentale & la chy
mie , la médecine & l'anatomie traduits
en françois , & mis en ordre par une Société
de gens de Lettres . 3. vol. in - 4° . A
Dijon , chez F. Defventes , à l'image de la
Vierge , rue de Condé ; à Auxerre , chez
Fournier , Imprimeur-Libraire de la ville .
›
Cette collection intéreffante eft dédiée
AS. A. S. Mgr le Prince de Condé , & fe
vend à Paris , chez Villette , rue du Plâtre ;
Ganneau , rue Saint Severin ; & Guyllin , à
l'entrée du quai des Auguftins. Nous en
donnerons inceffamment un précis.
On trouve chez les mêmes Libraires les
deux volumes de Recueils des mémoires ,
ou collection françoife , extraits des mémoires
de l'Académie des Sciences de Paris
, qui ont été annoncés & mis en vente
en 1754.
SEPTEMBRE 1755. 131
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
ALGEBRE .
SOLUTION DU SYSTEME PROPOSÉ
Par un Anonyme dans le fecond volume du
Mercure de Juin dernier ; Par M. Bezout
, Maître de Mathématiques,
M
.G... ayant propofé dans le Marcure
de Mai un problême d'Algebre,
j'ai effayé d'en donner la folution dans le
Mercure de Juin. Dans le 2d volume de ce
même mois'a paru une autre folution par
un Anonyme. Comme elle eft femblable
à celle de M. G ... je ne ferai aucune remarque
fur cette folution ; ce que j'en dirois
, ne feroit qu'une répétition de ce que
j'ai dit dans le premier Mercure de Juin
& dans celui de Juillet . Cette même folution
eft fuivie d'une invitation faite à M.
G... par l'Anonyme , pour la réfolution
du problême fuivant , fur lequel j'efpere
qu'il voudra bien me permettre de m'eſ-
Layer auffi .
Le problème propofé eft celui- ci : Une
F vj
732 MERCURE DE FRANCE.
perfonne rencontre trois pauvres , & les fai-
Sant ranger en cercle , donne à chacun des
pieces de douze fols , & des pieces de vingtquatre
fols.
Après la diftribution qui eft inégale , il fe
trouve que chaque pauvre a autant de pieces
que l'un de fes voifins a de livres , & autani
de livres que fon autre voifin a de pieces .
On demande combien chaque pauvre reçoit
de pieces de douze fols , & combien de
pieces de vingt-quatre fols.
SOLUTION.
Soient x ,y , z les nombres
de pieces
de douze
fols , x , y , z les nombres
de
pieces
de vingt- quatre
, demandez
. Il eſt
clair
la nature de la question
que x ,
par
1,2 , * , &c . doivent
être des nombres
entiers
pofitifs.
Les conditions du problême fourniſſent
fix équations ; mais de ces fix trois font les
mêmes que les trois autres , ainfi il reſte
pour la folution de la queftion les trois
equations fuivantes ....
x + 1 =
12y +247
20
C
-
12 2 + 242"
2 + 27
20
12 x 24 x*
20
De ces équations on tire , fuivant les
régles de l'Algebre , ces autres- ci .....
SEPTEMBRE. 1755. 133
-
(A ) .... 91x = 902 + 75717x
( B ) ... 917 = 90x + 752 + 17 J
( C ) ... 912' = 90 y +75 x + 17 %
Je fais maintenant dans l'équation ( C )
75x + 172 = p , & je la change en 91 z'
— 90y = p ... ( R ) dans laquelle je remarque
que p étant fuppofé un nombre
entier pofitif , quelconque , puifque les
nombres 91 & 90 coëfficiens de z' & dex
font premiers entr'eux , on pourra toujours
trouver une infinité de nombres entiers &
pofitifs pour & pour y capables de fatisfaire
à cette équation .
z'
Il ne s'agit donc plus , ayant trouvé l'expreffion
générale de toutes les valeurs de y
dans cette équation , que de déterminer
parmi ces valeurs celles qui peuvent fatisfaire
en même tems aux deux autres équations.
Or l'expreffion générale de toutes les
valeurs de y dans l'équation R , eft y = p
+91 u * ( u étant un nombre entier po-
*Cette expreffion eft facile à trouver : L'équation
91 2 ′- 90jp donne y =
+
*'- ; faifant
90 90
90 up , d'où y = p
912 -p
90
น ,
on trouve 2 =
91 ; mais lors mêpas
me que uo , ) , qui pour fors vaut p n'a >
toujours la valeur la plus fimple qu'il puiffe avoir
134 MERCURE DE FRANCE.
fitif, mais moindre que p lorfqu'il eft pris
en ) ; il faut donc fi le problême a quelque
folution, que parmi toutes les valeurs
que peut avoir p + 91 , il y en ait quel
qu'une qui fubftituée à y dans les équations
A & B , rende le fecond membre multiple
de 91 , ou puifque 91 # eft lui - même un
multiple de 91 , il faut que p fubftitué à 7
dans ces mêmes équations rende leur fecond
membre multiple de 91 ; or fi on fair
cette fubftitution en rendant à p fa valeur
75x + 172, on verra facilement que
la chofe a lieu : donc , puifque dans p nous
n'avons affigné aucune valeur particulieàx
& à z , il s'enfuit que quelques valeurs
entieres & pofitives qu'on donne à
& à z , il en résultera toujours des nombres
entiers & pofitifs pour x , y , z J.
Enfin la fubftitution dont nous venons
de parler étant faite , on trouvera ( x &
étant prifes à volonté , ainfi que , pourvû
que x & z foient entiers & pofitifs , & que
и auffi , nombre entier , lorfqu'on le prendra
en
dis-je ,
n'excéde pas 1) on trouvera ,
9.1
c'est pourquoi on peut même prendre négati
vement : or dans ce cas , pour que y foit politif,
il eft facile de voir que p doit être > 91 ½ , où a
SEPTEMBRE. 1755. 239
x = 154 + 62x ± 754
y = 15x + 42 ± 174
2' = 75x + 172 ± 90 n
J = 75x + 172 + 91μ
HISTOIR E.
Suite de l'Hiftoire abrégée des guerres des
Algériens avec les Hollandois , traduite.
de l'Allemand , par M. Radix de Sainte
Foy. 1755.
A
Peine la guerre fut- elle déclarée, que
les Algériens commencerent à croifer
fur les Hollandois , à les attaquer &
à les piller. Leur puiffance augmenta fi
fort en quelques années , que dès 1669
ils étoient déja en état , felon le témoignage
de l'Amiral Ruiter même , d'envoyer
en courfe trente- deux à trente - quatre
vaiffeaux bien armés , & bien munis
d'hommes , dont il y en avoit dix huit qui
étoient des vaiffeaux de guerre , de trente
à quarante piéces de canon , outre plufieurs
galeres cela donna tant d'inquié
tude aux Hollandois , qu'ils manderent au
fieur Beuningen leur Ambaffadeur en Angleterre
, de chercher quelques moyens
1
136 MERCURE DE FRANCE.
avec le Miniſtere de cette Cour pour réduire
ces Corfaires. Cet Ambaffadeur
écrivit à l'Amiral Ruiter , & le pria dans
fa lettre de lui mander fon fentiment fur
quelques points aufquels celui- ci réponpar
la lettre fuivante. dit
» Les vaiffeaux corfaires ont plus de
» monde , & font mieux armés qu'aucuns
» des vailleaux Chrétiens . S'il eft un tems
» où ils ont moins de monde , c'est celui
» de l'été , lorfque les Algériens ont be-
» foin de leurs foldats en campagne pour
» recueillir les tributs des Mores , pendant
que leurs grains font encore fur terre.
" Dans ce tems leurs forces maritimes
>> font fur le pied le plus foible : d'ailleurs
» ils font accoutumés à ne jamais licen-
» cier leurs foldats , & à avoir toujours le
» même nombre de troupes. Ils font obligés
de tenir toujours prêts quelques
>> vaiffeaux pour le fervice du Grand Sei-
» gneur. Ils en envoyent auffi quelques-
» uns pour commercer dans le Levant ,
» & le refte qui fait à-peu -près le tiers
» de toutes leurs forces va en courfe .
» Il eft abfolument impoffible de
pour-
» fuivre les vaiffeaux Algériens jufques
»derriere leur môle , parce que , pendant
prefque toute l'année , tous les vaif-
» feaux venant de la mer , & voulant en-
و د
SEPTEMBRE. 1755. 137
>> trer derriere le môle , lorfqu'ils en font
»à une portée de fufil , tombent dans un
» calme que la réverbération de la chaleur
de la ville caufe par fa fituation , & ref-
» tent dans une telle inaction qu'ils font
» obligés de fe faire conduire par de peti-
» tes barques , ou des chaloupes , ou de
» fe faire tirer avec des cordes ; mais cette
opération eft fi lente , qu'elle donne aux
»habitans le tems d'empêcher par des
trains , des chaînes , ou d'autres moyens
» l'entrée des vaiffeaux , quand même on
»les furprendroit tout- à -fait.
อง
و ر
» J'en ai moi - même fait l'expérience ,
» dit-il , en 16.55 , ainfi que l'Amiral Anglois
Sandvich en 1662 ; mais pour mon-
"trer le danger évident qu'il y a toute
» l'année à tenir bloquée la ville d'Alger ,
» je vous ajouterai que pendant l'hiver les
» vents du Nord , Nord- eft , Nord - ouest ,
» Eft-fud-ouest , foufflent avec tant d'impétuofité
, & agitent la mer avec une
» telle violence , qu'il eft très-dangereux
» d'en approcher ; c'eft ce que les Algériens
éprouverent eux - mêmes en Décem-
» bre 1662 , lorfqu'un vent du Nord - eft
» fit périr , même derriere leur môle , qua-
» torze barbarefques avec fept navires
» qu'ils avoient pris. Quand même on bra-
2 veroit tous ces dangers , & fuppofé que
ود
138 MERCURE DE FRANCE.
par un long blocus on les forçât à faire
la paix , fi leur marine n'en eft point
" affoiblie , ils ne tiendront le traité que
jufqu'à ce qu'ils trouvent leur avantage
à le rompre , comme cela est arrivé plufieurs
fois. Je penfe donc que le meil
leur moyen de leur nuire eft de croifer
» conftamment fur eux , parce que la croifiere
eft ce qui peut leur faire le plus de
tort , & peut feule les empêcher d'en
voyer leurs Pirates fur nos côtes. Qu'on
fe précautionne contre la viteffe de leurs
vaiffeaux , que fur le foir on étende les
➡ nôtres à une bonne diſtance les uns des
➡autres , & qu'on les laiffe dans un courant
avec la petite voile ; par cette ma
noeuvre on laffera les Algériens ; & fi
pendant la nuit ou fur le matin on découvre
un ou plufieurs barbarefques ,
❤que l'on coure auffi -tôt deffus , & qu'on
les attaques de cette maniere , dit- il , je
» les ai tellement refferrés , qu'ils ne pou
voient plus fe ranger fur deux lignes ,
» & qu'il leur falloit combattre defavantageufement
, ou fe retirer fous leur mô→
le ; mais il faut pour cela que les vaif-
» feaux qui croifent ne foient point bor
nés dans les ordres qu'ils ont des Etats
Généraux , & qu'ils puiffent agir &
changer leur croifiere felon l'occafions
ย
1
B
SEPTEMBRE. 1753. 139
L'entretien des bons réglemens qui regardent
l'armement & l'équipage des
vaiffeaux , continue - t - il , la conftruction
des Amiraux , & les ordres pour les
> bonnes eſcortes eft bien le feul & le vrai
➜ moyen de couper entierement les vivres
aux Barbares ; parce que s'ils voyoient
» enfin qu'on leur ôtât toutes leurs reffources
, ils pourroient bien faire un effort
» raffembler leurs forces , former une efcadre
, & attaquer alors les efcortes mémest
» & il n'eft pas douteux qu'avec leurs for-
» ces réunies , ils ne puiffent les enlever ,
parce que le tems du départ & du retour
des vaiffeaux chrétiens leur eft connu
ou que du moins ils peuvent toujours
en avoir avis.
»
« Les vaiffeaux de guerre qui croiferont
» ainfi , pourront aifément tenir en bride
les Corfaires , & quoique ces fortes
» d'armemens foient fort couteux , les convois
font cependant en fûreté ; les efcor-
» tes n'ont pas befoin d'être fi bien équi
» pées , & la République eft refpectée des
Barbares , comme les autres puiffances
>> maritimes. Que la Hollande & l'Angle
terre ſe joignent enfemble , que leurs
» efcadres fe tiennent éloignées l'une de
» l'autre , & que chacune ait fon parage
à nettoyer de ces écumeurs de mer , que
140 MERCURE DE FRANCE .
» même , pour prévenir tout fujet de ja
» loufie , les deux flottes changent de pa-
» rage au bout de quelques mois » .
»
« J'ai exhorté plus d'une fois , » dit encore
notre Amiral , « la Régence des Provinces-
Unies à ne jamais laiffer la Médi-
» terranée , fans y avoir des vaiſſeaux de
croifiere , parce que cela pourroit leur
» être très défavantageux dans quelques
» occafions , & qu'ils fe plaindroient lorf-
» qu'ils ne feroient plus en état d'y appor
»
» ter remede . »
La fin de fa lettre contient une espece
de prophétie fur l'avenir , où il y dit , & les
»Hollandois ont profité heureuſement de
» la fureté que les François & les Anglois
avoient établie dans la Méditerranée en
» y tenant une flotte confidérable ; mais
199 que les Anglois viennent à faire la paix
avec les Algériens , comme les François
l'ont déja faite , & que parlà la Répu-
»blique fe trouve feule en guerre avec les
» Barbares , alors elle court rifque de fouffrir
de grandes pertes. "
Les habitans des Provinces- Unies ont
éprouvé peu de tems après , pour leur malheur
, la vérité de ces paroles. Les Anglois
fous leur Vice - Amiral Allen , & les Hollan
dois fous le Vice - Amiral Van- Gent , s'unirent
en 1670, pour croifer fur les Algé,
e
SEPTEMBRE. 1755: 14T
›
riens felon le confeil de Ruiter , ils firent
échouer & brûlerent fix de leurs armateurs
après un combat de fix heures. Les François
d'un autre côté bombarderent deux
fois la ville d'Alger , & la réduifirent en
cendres ; c'eſt-à dire , une fois en 1682 .
fous Duquefne , & une autre fois en
1688. fous le Maréchal d'Eftrées. Il faut
remarquer en même tems que Duquesne
réitéra plus fort fon bombardement en
1683. Cet évenement fit que Baba- Haffan ,
Roi d'Alger , rendit tous les efclaves françois
, ce qui irrita tellement le peuple Algé
rien qu'il maffacra Baba- Haffan , & plaça
fur le trône fon Amiral Mezzomorto.
Les François en 1688. fous d'Estrées ,
jetterent dans la ville dix mille quatrevingt
bombes , & détruifirent les deux
tiers de la ville & deux vaiffeaux qui étoient
dans le port. Les Algériens pour fe venger
mirent le Conful françois tout vivant dans
un mortier , & le tirerent fur la flotte
françoiſe .
Il eft remarquable dans ce que nous ve
nons de dire , que les François malgré ces
infultes , conclurent un traité de paix dans
l'année fuivante 1689. avec les Algériens
pour fe fervir du fecours de ces Barbares
contre les Chrétiens , fçavoir , les Anglois
& les Hollandois , jufqu'à ce qu'enfin les
142 MERCURE DE FRANCE.
premiers firent auffi la paix avec eux ; ainfi
les Hollandois refterent feuls en guerre
avec les Corfaires , & les perres que fouffrirent
alors leur marine & leur commerce
, acheverent de vérifier ce que Ruiter.
avoit annoncé à la fin de fa lettre.
Enfin il fut conclu un traité de paix en
tre les Hollandois & les Algériens , ce fut
en 1712. que les Hollandois ne pouvant
voir plus long tems d'un oeil indifférent
les pirateries étonnantes de ces Barbares ,
la perte d'un nombre infini de leurs vaiffeaux
, la diminution de leur commerce &
de leur navigation , tandis que les Anglois,
les François & les autres nations , s'enri
chifloient de leurs dépouilles , ils réfolurent
de tout rifquer pour forcer les Algé
tiens à la paix.
En conféquence , ils firent les prépara
tifs néceflaires , & ils parurent devant Alger
avec une eſcadre nombreuſe de vaiffeaux
de guerre & de galiotes à bombes ,
prêts à traiter cette ville corfaire comme
les François leur en avoient déja donné
l'exemple ; les Algériens peu préparés à un
pareil évenement , fe prefferent de faire
des propofitions de paix , & dans cette
même année 1712. le traité fut conclu &
figné.
Les Articles de ce traité contenoiens
SEPTEMBRE. 1755. 143
entr'autres : « Que les deux partis ne croi-
» feroient plus l'un fur l'autre , & qu'ils
fe regarderoient à l'avenir comme amis ,
& fe fecoureroient réciproquement ; que
» les Hollandois dans la vente des mar-
» chandifes qu'ils apporteroient à Alger ,
ne payeroient pas plus de cinq pour
❤cent de douane , & que pour celles qu'ils
» en emporteroient , ils n'auroient rien à
payer ; que lorfqu'ils partiroient d'Al-
» ger ; on ne chercheroit point à les rete-
» nir & à arrêter leur départ fous des prétextes
frivoles . Que fi un navire hollan
» dois échouoit ou périffoit fur leurs côtes,
» les Algériens ne feroient aucun mal à
l'équipage , & ne les feroient pas efclaves
, comme ils le faifoient auparavant
Que tous les différends qui pourroient
s'élever , feroient à l'avenir portés devant
le conful de Hollande , réfident à
Alger , & que les Hollandois auroient
chez lui le libre exercice de leur reli-
» gion. »
99
Cependant quelques belles que furent
ces paroles , les Algériens montrerent bientôt
combien on doit faire peu de fond fur
la parole & fur les promeffes d'une nation
barbare , car dès l'année 1716. ils rompi
rent par une trahifon , un traité fi folemnellement
conclu , & ils parurent en mer
144 MERCURE DE FRANCE .
avec des efcadres nombreufes de barbaref
ques ; de forte que les affaires
fe trouverent
fur le même pied qu'elles
font à préfent.
En un mot , le Roy d'alors , ou plutôt
le Dey d'Alger & le Divan forcés par les
murmures & les mécontentemens du peuple
qui ménaçoit de maffacrer le Dey ,
furent obligés de déclarer la guerre aux
Hollandois qui n'y avoient donné nulle
occafion , car les armateurs fe plaignoient
alors comme aujourd'hui , qu'ils ne trou
voient aucune prife à faire pour fubfifter ,
parce qu'ils vivoient en paix avec trop de
Puiffances.
Lorfque les Etats Généraux apprirent
cette déclaration , ils envoyerent auffitôt
en mer quelques vaiffeaux de guerre pour
croifer fur les Algériens , felon le confeil
de Ruiter. Cet Amiral leur fit à la vérité
beaucoup de tort , fans cependant aucun
fuccès décidé , jufqu'en l'année 1721. que
leurs Hautes Puiffances fe déterminerent
à envoyer dans la Méditerranée une efcadre
confidérable pour forcer les Corfaires
à la paix,
Cette efcadre étoit au commencement
compofée de huit vaiffeaux de guerre &
deux Galiotes ; enfuite elle fut augmentée
de deux ou trois vaiffeaux de guerre fous
le
SEPTEMBRE. 1755. 145
le commandement du Vice - Amiral de
Sommelfdick , parce que les Algériens
étoient affez audacieux pour venir jufques
fur les côtes d'Angleterre pour y faire tous
les jours quelque prife fur les Hollandois.
Lorfque l'efcadre de ce Vice-Amiral parut
dans la Mediterranée , le Dey voulut faire
la paix , mais il en fut empêché par une
révolte qui s'éleva parmi les propriétaires
des vaiffeaux corfaires qui le menacerent
de le maffacrer auffitôt , s'il difoit feulement
un mot de paix avec les Hollandois
.
Dans le mois d'Août 1721. trois vaiffeaux
de guerre Efpagnols commandés par
leVice- Amiral Don Antonio Serano qui avoit
reçu ordre du Roy d'Efpagne de croifer
avec les Hollandois fur les Algériens , joignirent
l'Eſcadre Hollandoife qui étoit à
Malaga. De ce moment les Pirates firent
peu de prifes ou même aucune , & ils furent
tellement refferrés , qu'en 1722. ils
fongerent à faire un traité avec le Dey
d'Oran , le Dey de Conftantine & les plus
puiffans de leurs armateurs , par lequel
chacun d'eux devoit fournir un vaiffeau
neuf de foixante à foixante & dix pieces
de canon. Avec ces forces , ils efpéroient
braver l'efcadre chrétienne ; mais ce traité
ne fut pas exécuté , parce qu'il leur falloit
G
1
146 MERCURE DE FRANCE.
trop de tems pour la conftruction & l'armement
de ces vailleaux.
Dans le mois de May , le Capitaine Landgeveld
qui montoit le vaiffeau de guerre
Edam , prit près d'Heiſant un vaiffeau Algérien
de quatorze canons & de cent quarante
hommes d'équipage , qui avoit à
bord fix efclaves chrétiens . Il le mena à
Cadix où les Turcs & les Mores furent
vendus à l'enchere . Ce vaiffeau de guerre
étoit un de ceux du chef d'efcadre Grave ,
qui étoit forti pour ſe joindre à l'eſcadre
du Vice-Amiral efpagnol Serano , & pour
confulter avec lui les moyens de faire le
plus de tort qu'il fe pourroit aux corfaires
d'Alger & de Salé.
Le 11 Juillet 1722. les vaiſſeaux commandés
par le chef d'efcadre Grave , rencontrerent
près de la baye d'Althea l'efcadre
espagnole que montoit le Vice-Amiral
Don Antonio Serano , compofée de neuf
vaiffeaux de guerre . Le chef d'efcadre vint
au bord du Vice - Amiral pour lui dire
« qu'il avoit ordre de leurs Hautes- Puiffances
de croifer avec lui fur les corfai-
» res d'Alger & de Salé » . Le Vice - Amiral
approuva la réunion & demanda au chef
d'Èfcadre Grave fon fentiment fur les
moyens de la faire le plus avantageufement
aux deux nations. Celui- ci lui réponSEPTEMBRE.
1755. 147
و د
dit en ces termes : « Mon fentiment eft que
pour parvenir au but que nous nous fom-
» mes propofés , nous nous rendions fans
perdre de tems , avec nos deux efcadres
» aux places où les corfaires ont coutume
» de fe tenir. Là , felon les forces que nous
» leur connoîtrons , nous nous féparerons
» en trois ou quatre efcadres , & fur le
» foir nous nous tiendrons en panne , fort
❞ étendus , afin
que fi pendant la nuit ,
» ou à la pointe du jour les barbares nous
» attaquoient , nous puiffions tomber fur
» eux de tous côtés , par là nous gagne-
» rons fur eux beaucoup d'avantage , & la
plûpart de leurs prifes tomberont entre
nos mains. Les Algériens , continue- t - il ,
n'ont pas plus de feize vaiffeaux de cour-
» fe , & ils ont à peine deux mille hom-
» mes de mer , fi nous pouvons leur en
» enlever la moitié , & vendre les hommes
» comme efclaves , la force des autres fera
» bien diminuée , d'autant que les propriétaires
des vaiffeaux corfaires font pour la
dont les moyens
plûpart gens
font peu
» confidérables. Qu'on enleve donc quelques-
uns de leurs vaiffeaux , & qu'on
les empêche de faire aucune prife , alors
ils n'auront plus la force , ni l'envie d'en-
» voyer en mer ; ainfi , ce qui leur reftera
» de vaiffeaux , leur deviendra inutile , &
و د
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
33
» pourrira dans leur port . Il dit plus , files
Algériens perdent une fois leurs gens de
» mer , ils ne pourront de long- tems en
inftruire d'autres , parce qu'ils ne font
prefqu'aucun commerce. Mon avis eft
»donc , puifque le Roi d'Efpagne & les
»Etats Généraux ont décidé que nos deux
efcadres agiroient en commun , & que
leurs ordres ne nous fixent fur aucun
» parage , de croiſer quelque tems dans la
Méditerranée , par-là nous mettrons les
Algériens hors d'état , de plufieurs an-
» nées , de faire le moindre tort aux deux
» Puiffances ".
»
ور
"
Le Vice- Amiral Efpagnol lui répondit ,
« que ces réflexions lui paroiffoient juftes ,
» mais qu'il avoit ordre du Roi fon maî-
» tre fitôt que fes vaiffeaux feroient pour-
» vus d'eau , dont ils avoient grand befoin,
» parce qu'il y avoit déja quarante jours
» qu'ils étoient en mer , fans en avoir fait
» de fraiche , & fans avoir vu plus d'un
vaiffeau corfaire , de cingler vers Alger ,
,, & de mouiller devant la ville pour empêcher
la fortie des Pirates , & furtout de
» huit d'entr'eux , qui felon les avis qu'on
» lui en avoit donné , devoient aller joindre
dans le Levant quelques vaiffeaux
» Turcs ; que par cette raiſon , il l'invitoit
» à partir avec lui pour Alger le dix- huit
SEPTEMBRE . 1755. 149
» du mois , auquel jour il efpéroit avoir
» fait fes provifions d'eau » .
Le chef d'efcadre Hollandois répondit :
<< aller mouiller devant Alger , & y tenir
» enfermés les vaiffeaux prêts à en partir ,
c'eft à mon avis , leur faire bien moins
»de tort que fi nous les attaquions & les
» détruifions en pleine mer , d'ailleurs je
» crains fi vous ne fortez
que
pas
de cette
baye avant le 18 , il ne foit alors trop
» tard pour empêcher le départ des Algériens
, parce que felon le témoignage
» unanime de mes prifonniers
, les corfai-
» res ont coutume de fe mettre en mer
» trois ou quatre jours après la premiere
nouvelle lune , qui tombe après la fête
» de leur Bayram , qui finit après- demain .
" Outre cela les vents de l'Eft & de l'Oueft ,
foufflent avec tant d'impétuofité devant
Alger , qu'il eft très- dangereux de fe te-
» nir long- tems dans la rade avec une ef-
» cadre » .
>
Enfin ils convinrent enfemble que Grave
fortiroit de la Baye d'Althea , le jour ſuivant
qui étoit le 12 de Juillet , & qu'il
iroit fe joindre au capitaine Akerfloor
qui avoit eu ordre , auffitôt qu'il auroit
réparé le dommage qu'il avoit effuyé fur
mer , de croifer aux environs de Malaga ;
que l'Amiral Efpagnol cingleroit droit à
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
Alger le 18. qu'il y jetteroit l'ancre , & que
le chef d'efcadre auffitôt qu'il feroit arrivé
au cap Mole , prendroit pareillement la
route d'Alger pour y mouiller auffi .
Ils convinrent auffi que l'efcadre efpagnole
prendroit fa route par le Levant , &
les Hollandois par le Couchant , pour enlever
plus certainement les Pirates qui devroient
être déja partis ; & que lorfqu'ils
feroient arrivés à la rade d'Alger , & qu'ils
auroient vu l'état des vaiffeaux qui y feroient
, ils examineroient davantage ce que
pourroient faire leurs deux efcadres pour
faire le plus de tort aux Barbares.
Cette convention fut fignée par les deux
commandans , enfuite on donna aux capitaines
des deux eſcadres les fignaux néceffaires
pour qu'ils puffent toujours fe reconnoître
au loin , foit le jour , foit la nuit,
& les rendez- vous furent affignés pour fe
raffembler , foit que les vents de l'Eft ou de
l'Oueft les difperfaffent.
Le chef d'efcadre Grave qui avoit mis à
la voile d'Althea pour Alger le 18 , n'y
arriva que le 27, à caufe d'un grand calme
, & il trouva neuf vaiffeaux corfaires
défarmés derriere le Mole qui étoit garni
d'une batterie de vingt- quatre canons , &
les Barbares bâtiffoient encore un fort à la
pointe extérieure de la Baye du côté du
Levant.
SEPTEMBRE. 1755. 1st
L'efcadre Efpagnole ne fe fit pas voir
devant Alger avant le 31 de Juillet , les
Hollandois s'en retournoient déja lorfqu'ils
la rencontrerent , ils convinrent alors que
les Efpagnols croiferoient jufqu'au 15 Septembre
devant Alger & fur les côtes d'Efpagne
& de Barbarie , depuis le cap Martin
, jufqu'au cap de Gata , pendant que
les Hollandois croiferoient jufqu'au même
jour depuis Malaga & le détroit de Gibral
tar , jufqu'au cap S. Vincent & jufqu'aux
côtes de la Mauritanie. Après cette décifion
les deux efcadres fe féparerent . La
croifiere de l'efcadre Hollandoife qui revint
dans le Texel le 27 Novembre , fut
totalement infructueufe , car elle ne vit
prefque aucun corfaire , & n'en prit aucun,
Les Algériens de leur côté ne leur firent
de même aucune prife pendant tout l'été.
Mais en Avril 1723. Ils mirent en mer
toutes leurs forces , & ils prirent deux
vaiffeaux Hollandois , & deux ou trois
Efpagnols ; dans le mois de Juin ils prirent
quatre ou cinq flûtes Hollandoifes , &
firent encore quelques prifes.
La raifon qui avoit porté les Algériens
à mettre en mer toutes leurs forces , étoit
la grande difette de bled & autres vivres
ce qui faifoit que lorfqu'ils prenoient quelques
bâtimens qui en étoient chargés , ces
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
prifes leur étoient d'un grand fecours , parlà
ils firent aux Hollandois fur tout un
tort confidérable , parce comme le bled
manquoit à Malaga & dans tous les autres.
ports d'Espagne & de Portugal , les Hollandois
en envoyoient des vaiffeaux chargés
qui tomboient entre les mains des Corfaires.
En attendant ces prifes , la difette
de bled , d'huile & d'autres chofes néceffaires
à la vie , étoit fi grande à Alger ,
que les Hollandois qui y étoient , penfoient
que l'on réduiroit facilement la ville à
toute extrémité , fi on bloquoit le port
feulement avec fix vaiffeaux de guerre , &
qu'alors maîtres des habitans , on les forceroit
à une paix avantageufe aux Hollandois.
Malgré la quantité de barbarefques
que les Algériens avoient en mer , le mois
de Septembre fe paffa tout entier fans qu'ils
fiffent aucune prife , mais au commencement
de Novembre , un vaiffeau de guerre
Hollandois , monté par le Capitaine de
Graf, que la tempête avoit écarté de l'efcadre
du Commandant Godin , prit un
vaiffeau de guerre Algérien de vingt- quatre
pieces de canons , & de deux cens dix
hommes d'équipage , & il trouva à fon
bord fix efclaves chrétiens .
Cette efcadre continuoit toujours à croifer
fans effet. Dans le mois de Février
SEPTEMBRE. 1755. 153
1724. Elle fut augmentée de deux autres
vaiffeaux & d'une galiote chargée de munitions
de
guerre .
Le fieur Godin reçut avec ce renfort un
ordre de traiter de paix avec la Régence ;
en conféquence , il fit voile vers Alger , &
dans le mois de Mars 1724. il fit faire des
propofitions de paix au Dey qui parut trèsdifpofé
à les écouter. Les Barbares furent
fi irrités de cette prétendue foibleffe de
leur fouverain , que le 18 Mars aprèsmidi
, comme il fe promenoit fur le bord
de la mer , ils tomberent fur lui avec fureur
& le mirent en pieces , ils éleverent à
fa place un certain Ofman , qui le jour
fuivant fit fabrer dix-huit des affaflins de
fon prédéceffeur.
Alors toutes les négociations de paix
devinrent inutiles , & l'efcadre Hollandoife
fut encore augmentée de deux vaiffeaux
de guerre ; malgré ces renforts tout
le butin qu'elle fit pendant cette année
confiftoit en trois ou quatre vaiffeaux corfaires
, & dans le mois de Décembre elle
revint en Zélande après avoir effuyé une
grande tempête.
Dans le mois d'Avril 1725 , es Hollandois
envoyerent une nouvelle efcadre
fous le Vice-Amiral Sommelick , & ls firent
prier , comme ils le font aujourd hui , le
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
Grand Seigneur , par leur Ambaffadeur à
Conftantinople , de vouloir bien engager
à la paix la République d'Alger . Les Algériens
firent de belles promeffes ; la conclufion
du traité traîna néanmoins juſqu'au
8 Septembre 1726 , mais pendant ce délai,
les Hollandois leur firent tout le tort poffible.
Le traité de paix confifte en douze articles.
Les Corfaires s'y obligerent à tenir
tout ce qu'ils n'avoient pas obfervé jufqu'alors
, comme nous allons le voir.
Plus les Algériens ont juré fur les traités
que la néceffité leur a fait conclure ,
moins ils les ont tenus , & il eft étonnant
après cela que les Puiffances Chrétiennes
puiffent y avoir la moindre confiance
mais ils ne fe font joués d'aucune Puiffance
comme des Hollandois , qu'ils n'ont
refpectés , que tant que leurs vaiffeaux ont
croifé fur eux , & bloqué leur Port.
Les Articles de ce traité montrent combien
peu les Corfaires l'ont obfervé , & la
fuite n'a que trop confirmé leur mauvaiſe
foi. Nous les rapporterons pour
abrégé .
finir cet
I. Il y aura une paix conftante entre la
Régence d'Alger & les Hollandois.
II. Les Hollandois feront tenus de payer
cinq pour cent de douane pour les marchanSEPTEMBRE.
1755. 155
difes qu'ils apporteront fuivant le traité de
paix de 1712 .
III. Les munitions de guerre & les autres
marchandises de contrebande ne feront fujettes
à aucuns droits .
IV. Les Etrangers quife trouveront fur les
vaiffeaux Hollandois ne feront nullement inquietés
par les Algériens.
V. Les marchandifes & les effets des vaiffeaux
Hollandois échoués fur les côtes d'Alger,
ne feront point pillés , & les hommes ne
feront pas faits esclaves.
VI. Il ne pourra entrer aucun vaiſſeau Algérien
dans les ports de Hollande.
VII. Si un vaiffeau Hollandois mouille devant
Alger , il fera pourvu des vivres néceffaires.
VIII. Nul Marchand Hollandois ne pourra
être fait esclave dans aucune place appartenante
aux Algériens.
IX . Si un Commerçant Hollandois meurt à
Alger , on nefera point de faifie de fes biens.
X. Les differends qui s'éleveront entre les
Hollandois les Mahometans , feront jugés
on accommodés par le Conful de Hollande.
XI . Le Conful de Hollande jouira d'une
protection entiere de la République , il aura
chez lui le libre exercice de fa Religion , an
quel les efclaves de la même Religion pourront
affifter.
Ġ vj
156 MERCURE DE FRANCE .
XII. Les paffe -ports qu'on donne auxMarchands
Hollandois feront renouvellés tous les
trois ans , & toutes les hoftilités paffées feront
mifes en oubli.
ABRÉGÉ CHRONOLOGIQUE
De l'hiftoire de la ville de Paris , contenant ce
qui s'eft paffe de plus remarquable dans fon
enceinte, ou aux environs ; par M. Poncet
de la Grave , Avocat au Parlement .
SOUVERAINS .
Jules- Céfar.
'Ancienneté de la ville de Paris ne fçauroit
être mieux prouvée que par l'obfcurité
répandue fur fon origine.
Jules Céfar , (a) qui le premier en a fait
mention , l'appelle Lutetia , plufieurs Auteurs
, après lui , l'ont nommée différemment.
Elle fut affujettie aux Romains vers l'an
704 de la fondation de Rome , environ
cinquante ans avant la naiffance de Jeſus-
Chriſt. Jules - Céfar après en avoir fait la
conquête , y forma l'affemblée générale de
fes troupes , & partit enfuite pour l'Italie.
Les Parifiens profitent de fon abfence pour
fecouer le joug des Romains (b) .
(a) Comment. L. 6. (b ) Céfar , L. 7.
SEPTEMBRE. 1755. 157
Célar apprend leur révolte , rentre dans
les Gaules , fait le fiége de Gergovie , &
dépêche Labienus un de fes Lieutenans ,
contre les Parifiens . Ces derniers , inftruits
de fon retour , & de l'approche de Labićnus
, mettent le feu à leur ville , & vont
au-devant de lui fous le commandement
de Camulogene , vieillard d'une expérienconfommée
; leur armée eft défaite , &
Paris rentre pour la feconde fois fous la
domination des Romains.
Vers l'an 250 , faint Denis qui avoit été
fait prêtre à Rome , arrive à Paris , en eft
le premier Evêque , & après y avoir prêché
la Religion Chrétienne avec le prêtre
Ruftique & le Diacre Eleuthere . Il y reçoit
la couronne du martyre avec fes compagnons
fur le mont Martre , où ils eurent
tous les trois la tête tranchée. Leurs corps
furent enlevés par des perfonnes pieufes qui
les enterrerent dans un champ écarté de la
ville , fur lequel a depuis été bâtie l'égliſe
de l'Abbaye de faint Denis , actuellement
exiftante .
360-1-2 .
Julien proconful des Gaules , fait affembler
un concile à Paris ( c ) , auquel Victorin
Evêque & fucceffeur de faint Denis
(c) Premier concile de Paris,
158 MERCURE DE FRANCE.
préfida. Il y arrive lui-même , y féjourne
deux ans , & manque d'y périr par la vapeur
da charbon qu'on avoit allumé dans
fa chambre dans une urne de terre , fuivant
la coutume de ce tems - là .
Julien.
Julien eft proclamé Empereur à Paris
par les capitaines & foldats de fon armée ,
campée aux environs.
On fixe au regne de Julien la conftruction
du palais des Thermes , ou bains ,
dont on voit encore quelque refte dans
une maifon de la rue de la Harpe.
Jovien.
363 - 4 - 5 •
Jovien ayant fuccédé à Julien qui avoit
renoncé à la Religion chrétienne , caffe
toutes les loix que fon prédéceffeur avoit
faites contre les Chrétiens , & ne regne
que huit mois.
Valentinien I.
Valentinien I. arrive à Paris à la fin du
mois d'Octobre 365 , & y paffe l'hyver. ,
Nous avons de lui trois loix (d) dattées de
cette ville ; la premiere , pour la diftribution
des vivres ; la deuxieme pour l'or , l'ar-
(d) Cod. Theod. Tom. 2. chro. p, 76.
SEPTEMBRE. 1755 .
159
gent , & les autres métaux ; la troifiéme ,
pour les Officiers des monnoies.
Valens affocié à l'Empire.
366 , & c.
Valens défait en Age Procope qui s'étoit
fait proclamer Empereur ( e ) , & envoie fa
tête à Paris , à Valentinien fon frere.
Gratien.
Gratien , fils de Valentinien , fait quelque
féjour à Paris , y livre aux environs
une bataille à Maxime , qui avoit ufurpé
le titre d'Empereur ; il l'a perd , & eft
maffacré par fes ennemis.
Théodofe.
Saint Marcel , natif de Paris , occupe
le Siége Pontifical ; il meurt & fon corps
eft inhumé hors la ville dans une petite
chapelle dédiée à faint Clément .
ROIS DE FRANCE .
Pharamond. Clodion . Mérovée.
45.1--2--3 .
Les conquêtes d'Attila roi des Huns ,
& les ravages que fon armée faifoit aux
environs de Paris , allarment les Parifiens .
Sainte Genevieve effaye de calmer les ef-
( e ) Amm. Marcell . L. 27.
160 MERCURE DE FRANCE.
prits , les exhorte à mettre leur confiance
en Dieu , & leur prédit que ce Prince qui
fe faifoit appeller le fléau de Dieu , ne
paffera pas par Paris ; la chofe arriva comme
elle l'avoit dit , mais plufieurs en profirerent
pour l'accufer de fortilege. On alla
même jufqu'à délibérer de quel genre de
mort on la feroit mourir. Sur ces entrefaites
, l'Archidiacre d'Auxerre arriva à
Paris , & diffipa le complot.
454 , & c.
Les Francs fous la conduite de Mérovée ,
s'avancent vers la Seine ; traverfent la
Seine fous Childéric fon fucceffeur , &
ravagent les environs de Paris.
Childeric 1.
476 , &c.
Les François affiégent Paris , la ville
manque de vivres , & les affiégés font réduits
à la derniere extrêmité. Génevieve
(f) s'expofe feule pour le falut de la patrie ,
elle va elle -même à Arci fur Aube & à
Troyes , d'où elle revient avec plufieurs
batteaux chargés de bled . Childéric , malgré
ce fecours , fe rend maître de Paris ,
& en chaffe les Romains.
Clovis I.
Le Clergé & le Corps de Ville , à la fol-
(f) Vitafanita Genovefa. p. 146.
SEPTEMBRE. 1755. 161
licitation de fainte Génevieve , font batir
une Chapelle fur le tombeau de S. Denis.
507-8.
Clovis , premier Roi Chrétien , vient à
Paris après la fameufe bataille de Vouille
en Poitou , il y fixe le Siége principal de
fon Empire ; habite le Palais des Thermes ,
& fait bâtir l'Eglife de Saint Pierre & Saint
Paul , aujourd'hui Sainte Génevieve .
509-19.
Sainte Génevieve , déja très - avancée en
âge , meurt à Paris le trois Janvier 509. &
eft enterrée hors la ville du côté du Midi.
Les Parifiens remplis de vénération pour
cette Sainte , élevent une petite chapelle
fur fon tombeau .
511 , & c.
Rédaction de la Loi par Clovis ; ce prince
fonde l'abbaye Sainte Génevieve , meurt
& eft enterré dans l'églife qui étoit alors
fous l'invocation de S. Pierre & S. Paul.
Childebert.
Les quatre fils de Clovis , partagent le
royaume entr'eux . Thieri regne en Auftrafie
, Clodomir à Orléans , Childebert à
Paris , & Clotaire à Soiffons . Clodomir eft
tué dans une bataille contre les Bourguignons
& laiffe trois fils.
162 MERCURE DE FRANCE.
533, &c.
Clotaire inftruit de cet évenement ,
vient à Paris & délibere avec Childebert
fon frere , de priver leurs neveux du royaume
de leur pere , la réfolution prife , ils
font venir les trois princes , & Clotaire en
malfacre deux de fa propre main , le troifieme
, nommé Clodoalde fe fauve , & eft
rafé . On l'invoque fous le nom de faint
Cloud.
Childebert , Thieri & Clotaire partagent
entr'eux le royaume d'Orléans .
Clotilde fait inhumer les jeunes princes
Theobalde & Gonthier dans l'Eglife de
S. Pierre & S. Paul , & quitte enfuite
Paris pour revenir à Tours,
$43 , & c.
Mort de Clotilde , veuve de Clovis , à
Tours ; fon corps eft apporté à Paris , où
par les foins de Childebert & de Clotaire ,
elle eft enterrée à Sainte Génevieve auprès
de Clovis , & à côté de Clotilde fa fille
femme d'Amalaric , roi des Vifigoths .
Elle a été mife au nombre des Saints.
551-2-3-4 .
;
Childebert affemble un concile à Paris
(g ) les Evêques au nombre de vingt-fept , y
( g ) Deuxieme Concile de Paris.
SEPTEMBRE. 1755. 163
épofent Safaraque Evêque de cette capiale
, & le releguent dans un Monaftere.
Le feu prend à quelques maifons de
bois , & les flammes pouffées avec violence
font craindre un incendie général . Saint
Lubin Evêque de Chartres alors à Paris ,
fe met en prieres & l'embrafement ceffe .
555-6-7.
Childebert ( b ) par les confeils de
Saint Germain Evêque de Paris , fait rebâtir
la cathédrale , & lui donne de grands
biens.
Célebre ordonnance de Childebert ( i ) ,
qui ordonne le renversement de toutes les
idoles , & punition de cent coups de fouet
contre les efclaves qui profaneront le Dimanche
, & contre les perfonnes libres ,
d'une amande pécuniaire.
Troifieme concile de Paris ( k ) fous le
pontificat de Saint Germain. Ce concile
(1) auquel Probien Archevêque de Bourges
préfida , fit dix canons tendant à la
confervation des biens eccléfiaftiques & à
la liberté des élections des Evêques.
Childebert fonde l'abbaye S. Vincent ,
connue aujourd'huy fous le nom de Saint
(h) Apud Duch. tom. I. p . 464. ( i) Balut. capit.
Reg. Fr. L. I. p. 6. ( k ) Troiſieme concile de Paris.
( 1 ) Concile , tom. 5. p. 814.
164 MERCURE DE FRANCE.
Germain des Prés , & y dépofe outre l'étole
de ce premier titulaire , quantité de vafes
précieux qu'il avoit apportés de Tolede,
la dotte d'amples revenus , & lui accorde
de grands privileges. L'églife finie le 23
Décembre eft dédiée , & la regle de Saint
Benoît eft introduite dans cette Abbaye
peu de tems après.
S. Germain l'Auxerrois fondé par Childebert
, dont on voit la figure avec celle
de la reine Ultrogothe fa femme , au grand
portail de cette églife.
558.
Mort de Childebert enterré à Paris dans
l'égliſe de S. Germain des Prés , on voit
encore fon tombeau au milieu de cette
églife.
Premier exemple de la Loi fondamentale
qui n'admet que les mâles à la couronne.
Clotaire fuccede à fon frere à l'exclufion
de fes deux nieces .
Clotaire I.
559-60-61
.
Clotaire arrive à Paris , enleve tous les
tréfors de fon prédécefleur , y fait trèspeu
de féjour , retourne à Soiffons , & y
meurt laiffant quatre fils.
562-3-4-5 .
Chilpéric quoique le plus jeune , veut
<
SEPTEMBRE. 1755. 165
avoir Paris pour fon partage , fes trois
freres s'y oppofent , on tire au fort les
quatre royaumes , & il eft roi de Soiffons ,
Caribert.
Caribert a Paris en partage , & fait
gouter à fes fujets la douceur de la paix.
Interregne.
566.
Caribert meurt & eft enterré à S. Germain
des Prés , fes freres partagent fa fucceffion
, mais comme chacun vouloit avoir
la ville de Paris (m) , ils conviennent de la
pofféder tous trois par indivis fous la condition
qu'aucun des trois n'y entreroit fant
le confentement des deux autres , & que
celui qui violeroit le ferment perdroit dès
ce moment la part qu'il y auroit.
567 , &c.
Quatrième Concile de Paris ( n ) , convoqué
par Gontran , Roi d'Orléans & de
Bourgogne , dans l'églife S. Pierre & S.
Paul. Les Evêques du Royaume affemblés ,
au nombre de trente ( ) deux , propoſent
plufieurs voyes d'accommodement pour
(m ) Préfident Henault , Abrégé de l'Hiftoire de
France , page 12. (n ) Quatrieme concile de Paris.
(9) Concile , tom . V. p . 918 .
166 MERCURE DE FRANCE.
terminer les différends des deux Rois , Sigebert
& Chilperic , ce qui ne réuffic
574.
pas.
Sigebert paffe la Seine , à la tête d'une
puiffante armée, force Chilperic à demander
la paix, ravage les environs de Paris, &
fes foldats portent leursmains facriléges fur
le tombeau de S. Denis, qu'ils dépouillent
de fes ornemens.
575.
La paix eft conclue entre les deux Rois ;
mais à peine Sigebert s'eft- il retiré , que
Chilperic la viole. Sigebert indigné , s'avance
vers Paris , en ravage tous les environs
, fe rend maître de Rouen & de toute
la Neuftrie , & vient à Paris avec la Reine
Brunehaut & fes enfans.
Chilperic épouvanté de ce malheur &
de la mort de fon fils Théodebert , fe fauve
dans Tournai ; Sigebert l'y pourfuit ,
& met le fiége devant la ville . Il eſt aſſaſfiné
dans fon camp , & Chilperic revient
à Paris , où ayant trouvé la femme de fon
frere , il pille tous fes tréfors , & l'exile
à Rouen.
576.
Mort de S. Germain , Evêque de Paris ,
âgé d'environ quatre-vingt ans . Il eſt enterré
dans la chapelle de S. Symphorien ,
SEPTEMBRE . 1755. 167
au bas de l'églife S. Vincent , à préfent S.
Germain des Prés , au côté droit du veftibule.
577
Cinquiéme Concile de Paris ( p ) , tenu
dans l'églife S. Pierre & S. Paul , compofé
de quarante- cinq Evêques ( q ) affemblés
par ordre du Roi Chilperic pour juger la
caufe de Prétextat , Evêque de Rouen ,
accufé de trahifon . Ce Prélat , quoiqu'innocent
, s'avoua coupable , pour appaiſer
le Roi , qui lui avoit fait infinuer ce moyen
de le fléchir ; il fut néanmoins dépofé &
exilé dans l'ifle de Jerfai , où il demeura
jufqu'à la mort de Chilperic.
579,80 , 81 .
( r ) Le crime d'adultere alors puni de
mort à Paris. Etabliſſement de l'égliſe Saint
Julien le Pauvre , place Maubert.
582.
Il tombe à Paris une pluie de fang (S)
qui infecte tout ce qu'elle touche .
Chilperic laffé de l'infolence des Juifs
qui habitoient la rue de la Juiverie , entre
le pont Notre- Dame & le petit Pont ,
veut les forcer d'embraffer la Religion(t )
(p ) Cinquiéme Concile de Paris. ( 9 ) Greg.
Tur. liv. s . chap. 19. ( r ) Idem , liv. 5. chap. 35 .
(S ) Idem , liv. 16. c. § . ( t ) Idem , c . 17.
163 MERCURE DE FRANCE.
Chrétienne , quelques uns fe foumettent ,
les autres quittent le Royaume.
583.
La Seine & la Marne débordent confidérablement
. Plufieurs perfonnes font
noyées entre la cité & S. Laurent.
La veille de Pâques , Chilperic fort
brufquement de Paris , & y rentre à la fuite
d'une proceffion de reliques . Fait baptifer
fon fils par Ragncmode , Evêque de
Paris , qui fut fon parrein , & le nomma
Thiery. Chilperic (u) fait à cette occafion
des aumônes confidérables , & rend la
liberté aux prifonniers.
Ce Prince fort une feconde fois de Paris
, fait un traité avec les Ambaffadeurs
du Roi Childebert , contre Gontran , Roi
d'Orléans ; rentre enfuite dans la ville , en
fort de nouveau pour affembler fon armée
près de Melun , brûle & pille tout ce qui
fe trouve fur fon paffage , livre la bataille
à Gontran , la perd , demande la
paix , l'obtient , & rentre dans Paris.
$ 84.
Chilperic part pour Soiffons , d'où la
mort de fon fils Thieri le rappelle bientôt
à Paris. A peine y eft il arrivé , que la
Reine lui apprend qu'un bruit populaire
(1 ) Greg. Tur. ch. 25.
-
fait
SEPTEMBRE . 1755 169
fait foupçonner des femmes d'avoir fait
mourir le jeune Prince par des fortileges.
Le Roi les fait arrêter ; elles avouent leur
crime à la queſtion , & font punies de mort.
Monmole , Préfêt de Paris , compris
dans leur dépofition , avoue avoir reçu un
breuvage de leurs mains ; il eft chargé de
chaînes , & conduit en prifon , on lui fait
fon procès ; & lorfqu'il alloit être condamné
à perdre la tête , la Reine le fauve ,
& le fait conduire à Bordeaux , lieu de fa
naiffance , où il mourut de douleur en
arrivant .
Chilperic reçoit à Paris les Ambaſſadeurs
de l'Euvigilde , Roi des Vifigoths ,
qui lui demandent Rigonte fa fille en mariage
, pour Ricarede , fecond fils de leur
Roi.
Chilperic agrée cette alliance , fait préparer
un train magnifique pour conduire
Rigonte en Espagne. Il prend par force
des efclaves ou ferfs dans les villages voifins
pour groffir la fuite de la Princeffe.
Childebert II dépêche des An.baffadeurs
à Chilperic pour s'en plaindre.
Rigonte part , & le chariot caffe aux
portes de Paris. On prend cet accident à
mauvais augure. Effectivement la Princeffe
ne va que jufqu'à Toulouſe , parce
que Ricarede inftruit de la mort de Chil-
H
170 MERCURE DE FRANCE.
peric affaffiné à Chelles en revenant de la
chaffe , fait une autre alliance.
Prétextat , Evêque de Rouen, qui avoit
été déposé au cinquième Concile de Paris ,
& exilé dans l'ifle de Jerfai , eft rappellé
& rétabli fur fon fiége , la Reine Frédegonde
, devenue veuve , fe retire auprès
de l'Evêque de Paris , & fe foumet avec
Clotaire fon fils à Gontran , frere de Chilperic
arrivé à Paris , avec une armée formidable.
Childebert arrive quelque tems après ,
& les Parifiens lui refufent l'entrée de leur
ville .
585.
Gontran eft feul maître de Paris. Il
compoſe un Confeil pour le jeune Clotaire
, & oblige Frédegonde à quitter Paris
: elle fe retire au Vaudrueil , où elle
fouffre impatiemment de fe voir fans autorité.
Gontran tient une affemblée à Paris.
Les Amballadeurs du Roi Childebert s'y
rendent , & y font maltraités ; ils n'obtiennent
ni portion du Royaume de Paris ,
qu'ils demandent , ni la liberté de Frédegonde
, veuve du feu Roi Chilperic.
Le même Prince craignant d'être affaffiné
, fe retire à Châlons- fur-Saone , & reSEPTEMBRE.
1755. 171
vient l'année d'après à Paris , pour tenir
fur les fonts de baptême Clotaire fon
neveu. Il envoie à cet effet les Evêques
de Lyon , d'Autun & de Châlons , avec
plufieurs Officiers de fa maifon pour conduire
fon Neveu à Ruel , où il étoit alors.
Delà il part pour Nanterre , où la cérémonie
fut faite .
Childebert envoie des Ambaffadeurs
pour fe plaindre de l'infraction au dernier
traité. Gontran leur promet de nouveau
de l'exécuter.
Les corps de Clovis & de Mérouée font
trouvés & tranfportés dans l'églife de S.
Vincent , par ordre du Roi.
Un incendie confume prefque toute la
ville à l'exception des églifes.
Childebert & Gontran fe promettent
une fincere amitié dans l'affemblée d'Andelot
fur les confins du Royaume de Bourgogne
, près de Langres . Par ce traité , la
troifiéme partie de Paris & du territoire
qui avoit appartenu au Roi Sigebert
refta à Gontran , avec Châteaudun , Vendôme
, le pays d'Eftampes , & celui de
Chartres.
Gontran meurt.
On donnera la fuite le mois prochain.
* Greg. liv. 8 , chap. 33 .
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
JURISPRUDENCE.
Réflexions fur la maniere d'enfeigner &
d'étudier le Droit.
J
de
Amais fiécle n'a été plus éclairé que celui
dans lequel nous vivons. L'efprit géométrique
qui y regne , a porté la lumiere
dans les fciences & dans les arts. On ne fe
contente plus de connoiffances légeres &
fuperficielles , la Philofophie dans fes commencemens
, enveloppée des plus épaifes
ténébres , dans la fuite éclairée par
fauffes lueurs , eft aujourd'hui une ſcience
où l'on n'admet que ce qu'on comprend ,
& où l'on ne fe conduit que par des principes
connus. La Médecine long- tems fondée
fur les préjugés & fur l'expérience , eft
en état de rendre raifon de toutes fes opérations.
Les arts qui dépendent du goût &
de l'intelligence ne s'apprennent plus par
la feule pratique , mais encore par la méthode.
En tout on fe conduit d'une maniere
également prompte & fûre : on rend
raifon de tout , on démontre tout juſqu'aux
beautés de ftyle , jufqu'aux beautés de
fentiment .
Une ſcience feule femble n'avoir aucuSEPTEMBRE
1755. 173
ne part à ces progrès & à ces avantages ;
c'eft la fcience du droit , la plus belle néanmoins
par l'origine de fes maximes , la
plus intéreffante pour le bien de la fociété
, la plus fatisfaifante peut-être fi elle
étoit connue & pratiquée par des efprits
dignes de s'y appliquer. Nous avons vû
paroître de nos jours quelque compilation,
quelques éditions nouvelles augmentées
de notes , quelques abrégés d'ordinaire
fecs & décharnés , mais du refte aucun
ouvrage de génie en cette matiere ,
aucun ouvrage.
d'un caractere nouveau .
Plufieurs cauſes , il eft vrai , peuvent
produire cet inconvénient. Défauts dans
les difpofitions de ceux qui étudient cette
fcience ; défauts dans les livres qui la
renferment ; défaut dans la méthode de
l'enfeigner dans les Univerfités ; difcrédit
où elle eft dans l'efprit du public.
Les perfonnes qui étudient cette fcience
, font quelquefois celles qui l'envifagent
le moins dans fon objet & dans fes
principes. Les uns la regardent fimplement
comme l'inftrument de leur fortune , les
autres comme une occupation attachée à
leur état , & ce n'eft ni le befoin ni l'état
qui déterminent les qualités de l'efprit.
Les livres qui la renferment , font des
livres très-imparfaits. Le recueil des loix
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
compofé par Tribonien , eft un véritable
chaos plein d'obfcurités & de contradictions
vraies ou apparentes , où les vrais
principes font noyés dans la décifion des
cas particuliers répandus en des endroits
tout- à - fait différens , où ce qui eft préfenté
comme principe , n'eft fouvent
qu'une décifion d'un cas particulier , &
où le moindre défaut , quoique par luimême
très-conſidérable , eft le défaut de
méthode .
Malgré l'étendue de ce recueil , il s'en
faut bien qu'il contienne la décifion d'une
infinité de cas , c'eſt ce qui a donné lieu
à plufieurs Auteurs en différens tems de
ramaffer les décifions de ceux qui fe font
préfentés. Ces décifions n'ont pas toujours
été les mêmes fur les mêmes cas , le tems
donne des vûes & diffipe bien des erreurs.
Des réglemens d'ailleurs bons dans de cer
taines circonftances demandent d'être
changés ou modifiés dans d'autres ; mais
fi l'on continue ces fortes d'ouvrages ,
comment n'en fera-t-on pas accablé dans
les fuites ?
›
On trouve bien peu de reffources pour
réfoudre les difficultés dans certains auteurs
qui ont travaillé fur le droit , aucun
d'eux n'a guere connu la vraie méthode .
La plupart de ces interprêtes nés fans goût
SEPTEMBR E. 1755. 175
naturel , & écrivant dans un tems d'ignorance
& de ténébres ont rempli leurs écrits
des plus grandes inepties & des plus grandes
fadaifes. Ceux qui ont travaillé le plus
fenfément , ne ſe font point mis en peine
d'aider les commençans.
Il y en a qui ont travaillé d'une maniere
folide & profonde , on en convient
mais comme ils ne font point législateurs
eux-mêmes , & qu'ils n'ont fouvent que
leur opinion , quoique refpectable . Pour
les bien comprendre , & pour faire un
ufage affuré de leurs découvertes il fau
droit avoir étudié prefque autant qu'eux ,
& bien peu de perfonnes font dans le goût
& la fituation néceffaires pour cela . Au
furplus , ce peu de perfonnes ne feroient
pas , du moins de leur vivant , fort utiles
à la fociété.
Les Profeffeurs de cette fcience , foit
qu'ils n'ayent à faire qu'à une jeuneffe indocile
& ignorante , foit que leur ambition
fe trouve bornée par la place qu'ils
occupent , font fujets à enfeigner le Droit
d'une maniere peu noble & affez infructueufe.
Les fubtilités du Droit romain , &
plufieurs autres inutilités rempliffent leurs
cayers , ils acquierent par là plus de gloire,
& il y en a parmi eux qui ne font que trop
fouvent regardés que comme de vains dif-
Hiiij coureurs.
176 MERCURE DE FRANCE .
On fe contente aujourd'hui , comme on
s'eft prefque toujours contenté dans les
Univerfités , de dicter la premiere année
des études du droit des commentaires fur
les inftitutes de Juftinien , que chacun
compofe à fa fantaisie ; on y fuit communément
le même ordre qui s'y trouve , &
cet ordre n'eft point du tout méthodique.
Il n'y a point de page qui , pour être bien
comprife , n'ait beſoin de la page fuivante.
On eft réduit à expliquer ce qu'il y a
d'obfcur par des citations accablantes des
loix du Digefte , que la jeuneffe comprend
encore moins. C'eft porter un flambeau
éteint dans l'obfcurité de la nuit. On eft
fujet à y mêler une infinité de chofes inutiles
& hors d'ufage , qui font perdre de
vûe ce qu'il feroit utile de retenir.
Les autres années on explique quelques
titres du Digeſte , où il n'y a pas plus d'ordre
; on fe fatigue à concilier les contradictions
des loix par le fentiment des Interprêtes
, qui ne font pas toujours d'accord
entr'eux . On confond l'étude du
Droit romain avec l'étude du droit de fon
pays ; & comme chacun a des principes
différens , au lieu d'employer utilement
fon tems on le perd réellement , & on
n'apprend ni l'un ni l'autre .
Dans ces circonftances , l'expérience fait
1
SEPTEMRE. 1755. 177
voir , qu'il eft difficile a prendre le goût
de cette fcience ; & faute de l'avoir pris ,
le premier ufage qu'on fait de fa liberté ,
après ces études, eft d'oublier tout ce qu'on
a appris , & de fe féliciter de l'avoir oublié.
Il faut pourtant convenir , que malgré
ces difficultés , il fe trouve des perfonnes
qui s'appliquent à l'étude du droit , & qui
font en état de donner leur décifion fur
tous les différens qui fe rencontrent. Il s'en
trouve fans doute , & il s'en trouvera toujours.
Mais à la réferve d'un bien petit nombre
que l'amour de la gloire peut faire agir,
fi l'on confulte les autres , ou qu'on examine
de près leur conduite , on verra que
ce n'eft qu'un intérêt vil & méprifable en
pareil cas qui les conduit. La néceffité leur
fait furmonter les dégoûts inféparables du
commencement de cette étude , & dès
qu'ils en fçavent aſſez
décider ce qui
fe préfente , ils ne vont pas plus loin , &
n'approfondiffent pas.
pour
Il est aisé de voir combien le peu d'élévation
dans les fentimens chez des perfonnes
qui fe deſtinent à cette étude entraîne
d'inconvéniens , leurs lumieres en
deviennent fufpectes , les Juges en deviennent
incertains & irréfolus , les plaideurs
en deviennent capricieux & obſtinés.
Hv
178 MERCURE DE FRANCE
Toutes ces miferes font tomber cette
fcience dans le difcrédit , les perfonnes
éclairées , les amateurs des autres fciences
qui n'en jugent que dans ceux qui la pratiquent
, en prennent de fauffes idées . Ils
voyent que certains ne la cultivent que
par un intérêt fordide , & s'ils penfent noblement
ne la regardent que comme un
métier. Ils la voyent pratiquée par des efprits
médiocres , fans goût & fans talens ,
& la regardent par- là comme une fcience
peu fatisfaifante , peu digne des recherches
d'un homme curieux & pénétrant. Ils
font confufément inftruits des longueurs
& des fombres détours de la chicane , de
la fauffe interprétation qu'on peut faire
des loix , & regardent comme effentiel à
cette fcience un abus qui lui eft entierement
étranger. C'eft ainfi que penfent des
connoiffeurs fenfés & judicieux en toute
autre rencontre. D'autre côté , une infinité
de gens oififs qui cherchent néanmoins
à orner leur efprit & à bien conduire leurs
affaires , regardent la plus légere étude du
droit comme quelque chofe entierement
au- deffus de leur portée , héfitent dans les
moindres chofes qui y ont rapport , & ont
toujours befoin des lumieres d'autrui
dans des chofes qu'ils auroient pû , fans
beaucoup de peine , voir diftinctement
par leurs propres yeux.
SEPTEMBRE. 1755. 179
Ainfi cette, fcience ne trouve prefque
plus perfonne qui l'étudie pour elle- même
tandis que plufieurs autres fciences
moins utiles trouvent des amateurs fideles
qui s'y attachent , qui y entrent , qui les
approfondiffent. Auffi eft elle fuivie de
bien peu d'honneur & de bien peu de gloi
re , fi l'on examine celle à laquelle elle
pourroit prétendre , & qui lui a été autrefois
accordée .
Quelle gloire en effet de faire fon occupation
de ce qui fait la vraie utilité
pu
blique , fi on la fait avec les talens , les
motifs , la dignité convénables ? Quelle
gloire n'ont pas eu parmi les Grecs ceux
qui les premiers ont travaillé à écrire & à
faire pratiquer des loix ? Quelle gloire
n'acqueroient pas les Jurifconfultes parmi
les Romains ? La fcience du Droit élevoit
anx emplois les plus brillans , aux poftes
les plus diftingués , & affuroit à ceux qui
la pratiquoient une vénération publique .
Seroit- il avantageux de remédier à l'inconvénient
dont on vient de parler : &
feroit-il impoffible d'y réuffir
Il femble qu'on ne peut méconnoître
les avantages qu'il y auroit de rendre l'étude
du Droit en même tems plus fami
liere & plus recommandable. Sans parler
de l'excellence du droit naturel , qu'on ne
1
>
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
peut méconnoître , qu'en n'étant homme
qu'à demi , fans rapporter les pompeux
éloges qui en font faits , fans parler du
droit public dont , quiconque prend intérêt
au bien de fa patrie , devroit defirer
d'être inftruit , l'étude elle - même du droit
civil n'eft pas fans utilité , ne fut - ce que
pour conduire fes propres affaires , pour
abandonner à propos des prétentions injuftes
, ou incertaines . Pour y parvenir , il
ne feroit pas néceffaire d'être Jurifconfulte
par état , ou Avocat confultant ; il fuffiroit
d'apprendre quelques principes & quelques
régles , dont le détail pourroit être
rendu intéreffant , & qui n'eft pas infini ,
d'y apporter une difpofition & une attention
qu'on emploie pour plufieurs chofes
qui entrent dans une éducation au- deffus
de la commune.
Il feroit donc à fouhaiter qu'on enſeignât
le droit avec la dignité & la méthode
convénables pour en faire naître le
goût de plus en plus , & pour en affurer
le progrès. Pour cet effet il conviendroit
peur- être que ceux qui font prépofés à cet
exercice , fuffent parfaitement inftruits
du droit de la nature & des gens , & qu'ils
viffent clairement dans ce droit le fondement
de tous les autres. On fçait qu'il y
a dans des états voifins , des Univerfités
SEPTEMBRE . 1755. 181
où il y a une chaire particuliere pour le
Droit de la nature & des gens. Il feroit à
fouhaiter qu'on fe départît de l'ancienne
forme d'enſeigner le droit , & qu'on s'appliquât
à donner les vrais élémens de cette
fcience , autant qu'elle en eft fufceptible .
Qu'on divifât les matieres , qu'on fît bien
fentir en chacune ce qui eft d'un droit immuable
d'avec ce qui n'eft que d'un droit
pofitif , qu'un avantage public a néanmoins
fait introduire ; qu'on fçût faire
comprendre ce que c'eft que la rigueur du
droit , & dans quel cas il eft permis d'y
apporter du tempérament. Il feroit fans
doute infiniment plus avantageux d'inftruire
la jeuneffe de ces principes , que de
leur apprendre le détail des régles , ils les
apprendroient affez enfuite d'eux-mêmes.
Les anciens Jurifconfultes qui ont compofé
des inftitutes du Droit romain , fembloient
avoir reconnu la néceffité de fe
fervir de principes dans l'étude de cette
fcience. Ils en avoient pofé au commencement
de leur ouvrage , mais principes fi
primitifs , fi généraux , que l'application
n'en peut pas beaucoup fervir dans le
détail , & d'ailleurs on n'en voit point
dans la fuite de cet ouvrage.
Suivant cette méthode , on pourroit enfeigner
la premiere année ce qui regarde
182 MERCURE DE FRANCE.
les conventions , & les autres engagemens
qui en font les fuites . Dans la feconde , ce
qui regarde les fucceffions & les matieres
teftamentaires. Dans la troifiéme , quelques
matieres qui ont une origine particuliere
, comme les matieres des fiefs , ou
quelques matieres du droit public.
Il eft à préfumer qu'en fuivant ce plan
avec foin , peu à peu le goût de cette fcience
prendroit ; on verroit les perfonnes même
qui ne fe deftinent pas à s'y appliquer
toute leur vie aimer à fe remplir de principes
qui feroient d'ufage dans la conduite
de leurs affaires ; on verroit des perfonnes
qui fe deſtinent à l'état eccléfiaftique
fe rendre capables par ce moyen d'être
dans la fociété d'une utilité infinie.
Un des foins principaux des Profeffeurs
devroit être de difcerner parmi ceux qui
étudient fous eux , ceux qui fe trouvent
avoir le génie de la fcience qu'on leur enfeigne.
On fçait qu'on entend par génie
l'aptitude naturelle que des perfonnes ont
de faire bien au prix d'une légere étude
ce que d'autres avec une étude pénible ne
parviennent à faire qu'imparfaitement . On
ne doit pas douter qu'il ne faille un génie
particulier pour l'étude des loix , un caractere
d'efprit fingulier une heurenfe pofition
de coeur. L'inſtruction ſeule & l'apSEPTEMBRE
. 1755. 183
plication ne fuffifent pas , l'expérience ie
démontre . Où font les compagnies un peu
nombreuſes où l'on ne voie bien fouvent
des Magiftrats qui , fans étude , mais par
une droiture d'efprit qui leur eft naturelle ,
vont au but & à la vraie décifion , tandis
qu'on en voit , qui ayant forcé leurs talens
, & s'étant remplis de connoiffances
femblent ne s'en fervir que pour donner à
gauche avec plus d'obftination .
Ce difcernement mériteroit d'autant
plus d'attention , que parmi ceux qui s'appliquent
à l'étude du droit , c'eft prefque
un hazard s'il en eft quelqu'un qui ait .
pour cette étude les difpofitions naturelles
. Sur cent écoliers qui prendront une
année des dégrés dans une Univerſité de
Droit , c'eft beaucoup s'il y en a trois qui
en faffent dans la fuite leur objet. Les autres
Gradués le négligent entierement. Ce
petit nombre dont on parle , ne fe détermine
que par des circonftances particulie
res où il fe trouve , comme la néceffité
de remplir quelque érat , ou de pourvoir
aux befoins de la vie. Difpofitions infuffifantes
, & avec lefquelles on ne va pas
loin.
Ce difcernement ainfi fait , ce feroit à
des Profeffeurs habiles & zélés pour la
gloire de leur art d'encourager les jeunes
་།
184 MERCURE DE FRANCE.
éleves en qui ils verroient luire les étincelles
de ce génie. Il ne le pourroient gueres
que par leurs exhortations , & par leurs
exemples : mais quand il y auroit dans
l'état quelque diftinction & quelque récompenfe
pour les génies peu communs ,
cela ne paroît pas devoir tirer à une grande
conféquence.
De Ville-Franche , de Rouergue ,
ce 15 Juillet 1755 .
HISTOIRE NATURELLE.
Leure à l'Auteur du Mercure.
ONSIEUR , les deux articles que
M inférés fous mon nom Vous avez
dans le Mercure du mois de Mai dernier ,
ont furpris certaines perfonnes réellement
fçavantes , ou fimplement curieufes , &
les ont engagées à me demander fi les faits
dont je parle , font auffi réels qu'ils font
intéreffans , & pour quelles raifons j'en
cachois au public les preuves & les détails.
Un particulier de Paris ne s'eft pas contentéde
faire ces demandes générales , il en
a fait de particulieres , & paroît exiger que
je lui communique à lui-même les détails
de mes découvertes dans l'Artois. Je crois
SEPTEMBRE. 1755. 185
devoir répondre en deux mots à ces interrogations.
Je ferois difpenfé de le faire ,
fi on n'avoit pas fouftrait , * fans mon aven ,
dans un de mes deux derniers extraits
quelques termes qui annonçoient mes travaux
& mes projets , & qui auroient prévenu
les demandes qu'on me fait aujourd'hui.
Je travaille depuis plufieurs années
à de mémoires fur l'Hiftoire naturelle &
ancienne de la province d'Artois , que j'ef
pere donner au public , quand j'aurai un
peu plus de tems. Les preuves de détail
qu'on me demande , font des richeffes que
j'ai acquifes , & dont je n'ai point envie
de me dépouiller fi -tôt en faveur de qui
que ce foit , parce qu'elles doivent faire
une partie de mon ouvrage ; je me fuis
contenté d'en indiquer en général quelques-
unes dans un difcours fur l'Hiftoire
naturelle , lû à l'Affemblée publique de la
Société Littéraire d'Arras en 1754 ; mais
je réſerve les détails circonftanciés pour
l'ouvrage que je deftine au public. Il n'eft
pas naturel que je les communique à un
particulier avant le tems. Les faits que j'ai
annoncés ' , font réels. La chauffée romaine
a été découverte. Il en exifte encore une
partie : on ne peut fe tromper aux marques
caracteristiques qu'elle a offertes aux
* C'eſt la Société d'Arras qui a fait cette fuppreffon.
186 MERCURE DE FRANCE .
travailleurs. Les monnoies celtiques , ou
du moins que je crois telles , trouvées dans
l'Artois , ne préfentent pas toutes des caracteres
celtiques; vous fçavez , Monſieur,
qu'il y en a de différentes efpeces ; celle
qui en a de deux côtés , n'en eft pas pour
cela plus lifible. Quand je les aurai fait
graver exactement , je fupplierai Meffieurs
de l'Académie royale des Infcriptions &
Belles - Lettres , de les examiner , & de
m'aider à en donner l'explication . Je me
ferai toujours gloire de foumettre à leurs
lumieres toutes mes découvertes & mes
obfervations.
Les tombeaux trouvés à Dinville ne
peuvent autorifer que des conjectures fur
leur antiquité ; c'eft pourquoi j'ai ajouté ,
quand j'en ai parlé , que peut - être ils
avoient plus de deux mille ans. Leur matiere
& leur forme femblent confirmer ce
que j'ai avancé : au refte ils feront gravés ,
& j'expoferai dans le tems les raifons qui
me paroiffent indiquer la plus haute antiquité.
Si les vafes trouvés dans la fabliere de
Baralle ne font pas Romains , leur forme
paroît l'être , & une gravûre exacte affurera
peut- être qu'ils le font en effet.
J'ai l'honneur d'être , &c.
J.M. Lucas , de la Compagnie de Jefus.
A Arras , ce 22 Juillet 1755.
SEPTEMBRE. 1755. 187
MEDECINE.
Réflexions fur la fixiéme obfervation que le
fieur Darluc , Médecin de Callian , a
fait inférer dans le premier volume du
Mercure de Juin.
Sla
vérité
I tout écrivain eft obligé de prendre
la vérité pour guide , nul ne contracte
plus étroitement cette obligation que celui
qui écrit pour l'inftruction du public , &
pour le bien de la fociété . Plus on eft louable
par le motif que l'on fe propofe , plus
on eft blamable quand on s'écarte des bornes
de la vérité .
J'avoue qu'en lifant les obfervations
que M. Darluc , Médcin de Callian , a fait
inférer dans le Mercure du mois de Juin $
je fus fort édifié du zéle qui l'animoit , &
des fentimens qu'il y étaloit fous l'enveloppe
de la modeftie ; mais en jettant les
yeux fur la fixiéme obfervation , j'eus
beaucoup à rabattre de cette premiere idée.
Elle roule fur un fait dont j'ai été témoin ,
que M. Darluc a accommodé à fa guife
pour en faire une obfervation qui augmentât
le nombre des autres , & leur donnât
du poids.
&
L'Obfervateur devoit plus de juftice
1
188 MERCURE DE FRANCE.
à ·la vérité qu'il a fardée avec art , & à moi
qu'il a déprimé avec une habileté maligne.
L'honneur m'engage à rendre compte aú
public de ma conduite pour me juftifier à
fes yeux , & l'amour de la vérité veut que
j'expoſe ingénuement le fait , afin que ce
même public réduife l'obſervation à fa
jufte valeur.
Ce fut au mois de Septembre 1754 ,
que je fus appellé pour traiter la fille du Sr
Ferran , Aubergifte de la ville de Graffe ,
mordue par un chien au métacarpe gauche.
Cette morfure étoit fort légere , quoiqu'en
dife l'obfervateur , elle n'intéreffoit
que la peau.
Cependant , comme en pareil cas rien
n'eſt à négliger , & que tout peut tirer à
conféquence , je traitai cette maladie avec
toute la précaution poffible. Mon premier
foin fut de faire des fcarifications , & une
ligature au-deffus du poignet , & je laiſſai
faigner la partie plus de tems même que ne
demandoit l'état de la maladie. Je lavai la
main avec une eau thériacale , j'appliquai
enfuite fur la plaie , partie égale de thériaque
& d'huile de fcorpion. Quelque
tems après j'employai pendant huit à dix
jours un doux fuppuratif , qui n'empêcha
pourtant pas la playe de fe confolider. En
me fervant de ces topiques , je ne manquai
SEPTEMBRE. 1755 189
point de donner à la malade les antidotes
convénables. Les remédes ainfi adminif
trés , étoient , comme l'on voit , plus que
fuffifans pour remédier à tout inconvé
nient , fuppofé même que la maladie n'eût
pas été équivoque.
On peut fe perfuader aifément que M.
Darluc , appellé fur cette entrefaite , ne
pouvoit manquer d'avoir beau jeu . Il fut
préfenté au fieur Ferran par fon maître de
Mufique , comme un renommé guériffeur
de la rage. Le Chirurgien ne fut point
appellé , ce qui affurement n'eft pas une
preuve de la prudence du Médecin ;
auffi n'agit- il que par maniere d'acquit.
Je ne fçais comment il ofe avancer que la
cicatrice de la plaie étoit fort douloureuſe ;
puifque de l'aveu de tous les parens , la
malade n'y a jamais reffenti la moindre
douleur : convenons auffi que fes remédes
euſſent éte bien infuffifans , fi la perfonne
eût été réellement hydrophobique.
1°. La pommade mercurielle étoit en
trop petite quantité pour produire l'effet
qu'on s'en promettoit . Il eft certain que
dans quinze jours le virus devoit avoir
fait bien des progrès , & avoir impreigné
toute la maffe des humeurs , par conféquent
fuffiroit- il de faire quelques légeres
frictions fur la partie offenſée ?
190 MERCURE DE FRANCE.
2º . Les frictions furent faites par la
mere de la fille ; rare prudence de la part
du Médecin , de confier à une femme cette
opération délicate , & d'où il fait dépendre
la guérifon de la maladie !
3 °. La malade ne fut affujettie à aucune
eſpèce de régime.
Le turbith minéral , dont l'obfervateur
faifoit un fecret de l'air , n'a du tout point
été pris par la fille , fes parens ayant affez
de lumiere pour comprendre l'inutilité &
le danger de ce remède donné à un âge
fi tendre ( environ quatre ans. )
Au furplus M. Darluc auroit dû , avant
que d'employer fon prétendu fpécifique ,
prendre les informations néceffaires , il
auroit appris que le même chien , qu'il dit
vraisemblablement enragé , ne l'étoit vraifemblablement
pas ; puifqu'il en avoit
mordu bien d'autres qui ne le furent jamais
: D'ailleurs , m'étant enquis avec ſoin
de tout ce qu'avoit fait ce chien , je n'ai
pas pû tirer la moindre induction qu'il
fut attaqué de la rage.
Voilà en abrégé l'hiftoire véritable de
tout ce qui s'eft paffé au fujet de cette prétendue
maladie . J'ai crû que la justice &
la vérité exigeoient de moi cet élairciffement.
Je n'ai pas prétendu par - là nuire à
la réputation de M. Darluc , qui peut être
SEPTEMBRE. 1755. 191
d'ailleurs un homme très- eftimable . Je ne
voudrois pas même que l'on mît fes autres
obfervations en parallele avec celle - ci ,
je voudrois feulement , je ne m'en cache
point , le rendre plus exact obfervateur &
plus équitable juge.
Crefp , Doyen des Maîtres
en Chirurgie.
A Graffe , ce 5 Juillet 1755 .
SEAN CE.
de l'Académie Royale de Chirurgie.
L'Académie Royale de Chirurgie tint fa
feance publique le 10 Avril , à laquelle
M. dela Faye préfida comme Directeur.
M. Morand, Secrétaire perpétuel , ouvrit
lafeance par le Difcours fuivant.
L
E feu eft un moyen que les Grecs , les
Romains , les Arabes , employoient
avec une égale confiance pour guérir les
maladies chirurgicales ; & la lecture des
Anciens nous apprend qu'ils n'ont fait que
fe copier fur cela . Les grandes découvertes
font en général dues au hazard ; le raifonnement
n'eft venu qu'après. A remonter
à l'origine des chofes , il eft vraifemblable
que l'ufage du feu appliqué aux opé
192 MERCURE DE FRANCE.
rations de Chirurgie , a été imaginé d'après
l'effet de la brûlure faite par accident.
L'inftant en eft fort vif pour la douleur ;
les Anciens ont pû conclure que le feu devoit
être un remede dans les cas de ftupeur
où il eft néceffaire d'exciter de la fenfibilité.
Le moment douloureux de la brûlure
étant paffé , il en résulte une eſcarre au
moyen de quoi une partie plus ou moins
profondément affectée , doit être féparée
de celles avec lesquelles il y avoit commerce
de fucs nourriciers ; les Anciens en
ont pu conclure que le feu étoit un moyen
de féqueftrer le mort d'avec le vif. L'ef
carre d'une brûlure étant formée , il ſe fait
une fuppuration plus ou moins abondante,
à l'aide de laquelle les parties qui étoient
gonflées , fe détendent & fe débarraffent
d'une quantité d'humeurs proportionnée
a la grandeur de l'efcarre ; les Anciens en
ont pu conclure que le feu étoit un remede
capable d'exciter des fontes falutaires. Enfin
l'efcarre étant tombée , l'on découvre
une déperdition de fubftance , fuite de la
piece emportée , qui laiffe une breche plus
ou moins large à la partie faine ; les Anciens
en ont pu conclure que le feu étoit
un moyen de faire ouverture , en fuppléant
à l'incifion . Cette fpéculation toute nue
des effets de la brûlure , pourroit être regardée
SEPTEMBRE . 1755. 193
gardée comme la bafe de la doctrine des
Anciens fur cette matiere , & dès-lors ils
ont du employer le feu dans beaucoup de
maladies ; mais ils en ont abufé , & l'on
ne peut s'empêcher d'être furpris , quand
on voit cet abus porté au point de convertir
la Chirurgie opérante en pyrotechnie.
L'acquifition des connoiffances qu'introduit
naturellement la fucceffion des
tems , donneroit lieu de croire qu'à mefure
qu'on s'éloigne du fiecle d'Hippocrate , on
a fubftitué des moyens de guérir moins
cruels. Cependant le fameux traité de
Marc-Aurele Severin , Profeffeur à Naples,
eft de 1646. Cet Auteur met tout en feu
pour guérir les maladies du corps humain ,
il annonce fon traité dans les termes les
plus pompeux , il l'intitule la Chirurgie efficace.
Nouvel Hercule , c'eft avec le feu
qu'il combat l'hydre morbifique . Il ne tarit
point fur les éloges qu'il donne à ce remede.
Il eft vrai que l'anatomie & la chymie
ont fait depuis ce tems- là des progrès bien
plus rapides , & de-là font venues les opérations
méthodiques qui font tant d'honneur
à la Chirurgie moderne.
Les notions anatomiques ont infpiré le
courage d'ouvrir avec le fer , la poitrine
inondée de liqueurs devenues étrangeres
le foye rempli de pus , les dépôts foup-
I
194 MERCURE DE FRANCE.
çonnés dans les parties les plus effentielles
å la vie , de fendre l'anneau inguinal ou
l'ombilical , pour lever l'étranglement de
celles qui font engagées dans les hernies ,
de lier les arteres pour arrêter les grandes
hémorragies.
La Chymie perfectionnée a fourni des
topiques dont l'application moins effrayante
que celle d'un fer rougi au feu , détruit
des parties dénaturées , & certaines tumeurs
qui , en termes de Botanique , feroient
bien appellées parafites. enfin la Chirurgie
plus éclairée a reconnu l'erreur des
Anciens à l'égard du feu tombé depuis le
dix-huitieme fiecle dans le plus grand difcrédit
; & en effet , il paroît déraisonnable
de l'employer pour la phthifie , l'empyeme,
l'abcès du foye , le gonflement de la rate ,
l'hydropifie , l'extirpation des amygdales ,
les luxations , les hernies ; auffi l'ufage en
eft-il profcrit dans les cas dont il eft queftion
, quoiqu'on le voye encore foutenu
pour les luxations & les hernies par les auteurs
de quelques differtations , même trèsrécentes
, puifqu'il y en aune de 1752. A la
vérité ces Auteurs ne font pas Chirurgiens ,
& c'eft la feule réfutation qu'ils méritent .
Les arts font fujets à certaines révolutions
dont les époques femblent conftater
dans les mêmes tems les progrès de l'efprit
fur certains points , & fa décadence en
SEPTEMBRE. 1755 . 195
d'autres , l'ufage du feu comme remede de
Chirurgie , n'avoit qu'à perdre à mefure
que l'on augmentoit en connoiffances , &
la délicateffe des hommes augmentée auffi
à mesure qu'ils s'éloignoient de la fimplicité
des premiers tems , y trouvoit fon
compte. Infenfiblement l'on a oublié ce
point de l'aphorifme d'Hippocrate , qui eft
cependant très- vrai dans beaucoup de cas :
ce que le fer ne guérit point , le feu peut le
guérir. Les modernes ne l'ont confervé que
pour l'appliquer fur les os qui dénués de
leur périofte font infenfibles , & pour tout
le refte l'ayant abandonné à la Médecine
vétérinaire , iillss oonntt ffeerrmméé lleess yeux fur les
merveilles que celle - ci opere.
En même tems que les Méthodiques ont
rejetté le feu , les Empyriques ont mis les
médicamens cauftiques à tout , & c'eſt
avec peine que l'on voit cette contagion
gagner quelques Chirurgiens d'ailleurs
très - habiles. Ils n'ignorent cependant pas
le danger de l'arfenic , des différentes préparations
de fublimé , du précipité rouge ,
quoique fimplement appliqués fur des
chairs ; ou bien il faudroit ( ce que l'on ne
peut fuppofer ) qu'ils ignoraffent que les
veines , mêmes les
réforbans , peuvent
fuccer les parties corrofives de ces
remedes , les porter dans la maffe des
4
pores
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
liqueurs , & les empoifonner.
L'ACADÉMIE avoit déja propofé les cauftiques
pour fujet du prix de 1748. confidérant
en particulier le feu ou caufere actuel
, & fans ceffe occupée de la perfection
de l'art , elle a trouvé la doctrine des anciens
& celle des modernes également répréhenfibles
; les uns ayant abufé du feu ,
les autres l'ayant abfolument négligé . Elle
en a fait le fujet d'une queſtion intéreffante
qui conduifoit naturellement à cette
feconde queftion très- utile : en quels cas le
feu doit- il être préféré aux autres moyens pour
la cure des maladies chirurgicales , & quelles
font les raifons de préférence. Cette matiere
déja préfentée pour le prix de 1753 ,
n'ayant pas été affez approfondie , a été
propofée de nouveau pour cette année
1755 , avec promeffe d'un prix double ;
c'eft à- dire , que celui qui au jugement de
l'Académie , auroit fait le meilleur mémoire
auroit deux médailles d'or de la valeur
de 500 livres , ou une médaille d'or ,
& la valeur de l'autre au choix de l'Auteur.
Les efpérances de l'Académie n'ont pas
éré vaines ; elle a reçu vingt-un mémoires ,
dont trois font restés au concours . Elle adjuge
le prix double au numéro 20 , qui
porte à la premiere page une emblême de la
Salamandre avec la devife : Nimium extinguit
, defideratum renovat ; & à la derniere
SEPTEMBRE . 1755. 197
page l'emblême d'un phoenix , avec la devife
Crematus ipfe refurgit. M. de la Boffiere
, Chirurgien Major des dragons de la
Reine a fait les preuves néceffaires pour
retirer le prix . L'Académie a jugé dignes
de l'impreffion , le mémoire numéro 14
ayant pour devife : Labor eft non levis effe
brevem , & le mémoire latin , numéro 5 ;
avec cette devife : aut Davus aut Edipus.
Après ce difcours , M. Morand lut l'avis
fuivant.
Il eft dit dans le teftamment de M. de la
Peyronnie que les revenus des fonds qu'il
a laiffé à la Communauté des Maîtres en
Chirurgie de Paris , étant appliqués à l'ufage
particulier qu'il ordonne lui-même en
être fait en trois articles , le furplus fera
employé en dépenfes pour l'utilité & les
progrès de la Chirurgie & de l'Académie
royale de Chirurgie.
Il vient d'être réglé qu'outre la médaille
de cinq cens livres pour le prix dont l'Académie
donne le fujet , il y aura dorénavant
une autre médaille d'or de deux cens
livres donnée chaque année à celui des
Chirurgiens étrangers ou regnicoles , qui
l'aura mérité par un ouvrage fur quelque
matiere de Chirurgie que ce foit , au choix
de l'Auteur ; ce fecond prix fera nommé
prix d'émulation .
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Plus , cinq médailles d'or de cent livres
chacune pour cinq des Académiciens de la
claffe des libres & des Chirurgiens regnicoles
qui auront fourni pendant le cours de
l'année un mémoire ou trois obfervations
intéreffantes.
Le prix d'émulation fera adjugé publiquement
l'année prochaine avec le prix
ordinaire. Par ce nouvel établiſſement ,
l'Europe partagera avec nous les bienfaits
de M. de la Peyronie , tandis que nous
rendrons fidelement à l'Europe les fruits
de ceux dont nous lui fommes redevables
en particulier.
1
Lettre de M. de la Chapelle , Cenfeur royal , à
l'Auteur du Mercure.
L vient de paroître , Monfieur , un Examen des
dernieres obfervations de M. de Lalande, de l'Académie
royale des Sciences , par M. Jodin , Horloger
, en date du 20 Juillet 1755 , chez Lambert , &
muni de mon approbation , du 4 Août . Au manufcrit
que j'ai paraphé , on en a ſubſtitué un autre
, qui paffe de beaucoup les bornes de la modération
& d'une défenſe légitime . L'honnêteté publique
y eft peu ménagée , & l'on y manque d'égards
pour le corps refpectable de l'Académie des
Sciences. Je n'ai donc aucune part à cette brochure
. L'Auteur en convient ; & c'eft pour cela ,
Monfieur › que je vous prie de rendre cette Lettre
publique. Je fuis , &c.
Nous ajoutons que
que la brochure eft
A Paris , ce 21 Août 1755 .
l'Avertiffement eft aufli faux
mefurée.
peu
SEPTEMBRE. 1755. 199
ARTICLE I V.
BEAUX ARTS.
**་ །,
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
Explication d'un tableau peint à l'encre de la
Chine, repréfentant l'Union de Pfiché avec .
l'Amour , dédié à Madame la Comteffe
de Gifors ; par M. Gofmond de Vernon ,
Deffinateur & Penfionnaire du Roi.
E tableau, qui a pour objet le mariage
de M. le Comte de Gifors, avec Mlle
de Nivernois , eft compofé de plufieurs
grouppes de figures.
Le grouppe fupérieur repréſente Jupiter
dans la gloire , accompagné de Junon . Le
Souverain des Dieux paroît donner fon
applaudiffement à l'Union de Pfiché avec
l'Amour , qui fait le principal fujet du tableau.
Junon appuyée fur une corne d'abondance,
répand des fleurs fur les époux :
heureux préfage des douceurs & des fruits
précieux que doit produire cet Hymenée !
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Ces Divinités qui , chez les anciens , préfidoient
aux mariages illuftres , ont pour
but de défigner l'augufte approbation que
le Roi & la Reine ont fait l'honneur d'accorder
à celui- ci .
On voit au -deffous , l'autel de l'Hymen :
Pfiché eft à côté , couronnée de roſes, qui
donne modeftement fa main à l'Amour.
Ce Dieu vole à elle , & marque par fon
air empreffé , combien il eft fenfible au
bonheur , dont il va jouir. L'Union de ce
Dieu & de cette Déeffe , préfente d'une
maniere allégorique M. le Comte de Gifors
, fous la forme de l'Amour ; & fous
celle de Pfiché , les perfections de Madame
la Comteffe fon épouse .
Au bas de l'autel eft l'Hymen , qui
tient un cartouche , où les armes des époux
font réunies . Il exprime par fon foûrire ,
la joie qu'il reffent d'unir le plus aimable
& le plus chéri des Dieux à la Beauté , qui
feule a eu droit de le charmer. Le flambeau
& l'arc de l'Amour dépofés , près de lui ,
auffi bien que les palmes jointes à l'écuffon
, font des types affez clairs de la tendreffe
& de la gloire qui doivent réfulter
d'une femblable alliance .
Les grouppes qu'on obferve fur les côtés
, font allufion aux maifons refpectables
qui s'uniffent enſemble par ce mariage.
SEPTEMBRE . 1755. 201
Celui qui eft auprès de l'Amour , défigne
allégoriquement Mr le Maréchal Duc
de Belle- Ifle , fous les figures de Minerve
& d'Hercule , images de la fageffe , du
goût , de la fublimité des talens & de là
force du courage du héros qu'on a voulu
caractériſer. Hercule appuyé fur fa maffue
& fon bouclier , regarde avec fatisfaction
un Hymenée qui met le comble à tous fes
voeux , & Minerve offre une branche d'olivier
, fymbole du bonheur qui doit naître
d'une union que fa prudence a fçu ménager.
Le grouppe proche de Pfiché , eft compofé
d'Apollon & des Graces , Divinités
qui caractérisent M. le Duc & Madame la
Ducheffe de Nivernois. Les graces couronnées
de myrthes , préfentent une pareille
couronne fur la tête de Pfiché , &
paroiffent répandre fur elle par leur regards
affectionnées tous les dons aimables
dont elles peuvent gratifier les mortels .
Apollon , que la deftinée unit à ces filles
du ciel , confidere avec tranfport une liarfon
qui lui eft fi chere , puifqu'il y voit
réuni tout le prix de fes heureux talens &
de fes lumieres .
202 MERCURE DE FRANCE.
GRAVURE.
Nfentant une vue de marine peinte par
OUS annonçons une eftampe repréqu'e
le célébre M. Vernet , dédiée à M. le Marquis
de Marigny. L'accueil & les éloges
'elle a reçus , prouvent affez le mérite
de cette gravûre. Nous ne pouvons mieux
la louer que de tranfcrire ici les propres
expreffions de M. Vernet fur cet ouvrage
, tirées de la lettre qu'il a écrite à M.
Balechou , & préfentée à M. de Marigny
en même tems que l'eftampe gravée
Avignon.
·
Lettre de M. Vernet.
Monfieur , je fuis extrêmement fatisfait
de l'eftampe que vous avez gravée d'après
un de mes tableaux ; elle eft bien entendue,
& a toute la force & l'harmonie qu'on
peut defirer dans une gravûre. J'approuve
très-fort l'intention où vous êtes de la dédier
à M. le Marquis de Marigny , il y va
de ma gloire & de mon intérêt , puifque
cela pourra augmenter la bonne opinion
qu'il a de mes talens , lorfqu'il verra que
vous employez le vôtre à tranſmettre à la
SEPTEMBRE . 1755. 203
postérité mes ouvrages . M. de Marigny a
trop de goût & de difcernement pour ne
pas faire un bon accueil à votre eftampe
& vous rendre toute la juftice que vous
méritez.
J'ai l'honneur d'être , & c.
A Toulon , le 3 Mai 1755 .
Vernet.
LE ST LE ROUGE , Ingénieur , Géographe
du Roi , rue des Auguftins , près
la rue S André , vient de publier une nouvelle
carte du Canada & de la Louifiane
pour l'intelligence des affaires actuelles en
Amérique.
Un effai du cours de l'Oyo ; l'élévation
perfpective de l'école royale militaire ; le
plan de la place de Louis XV. On trouve
chez le même l'Amérique feptentrionale ,
en huit feuilles , publiée a Londres par le
Docteur Mitchel . Prix 36 liv . Plus , un
affortiment des meilleures cartes & eftampes
Angloifes ; & un catalogue général des
meilleurs livres qui ont paru depuis cinquante
ans , en diverfes capitales de l'Allemagne
, & qu'il fournira à jufte prix .
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
ARCHITECTURE.
Suite des mémoires d'une Société de
gens
Lettres publiés en l'année 2355.
Po
de
OUR fuivre l'ordre des matieres plu-
τότ que celui du livre , nous pafferons
au cinquième mémoire qui traite d'architecture.
M. Gainfay y donne ſes réflexions fur
l'ancien bâtiment qu'on nomme le Palais
Royal. C'étoit autrefois la principale demeure
des Ducs d'Orléans , avant qu'ils
euffent bâti ce fuperbe édifice qu'ils habitent
maintenant au centre de la ville , &
qui eft un des plus beaux morceaux d'architecture
qu'il y ait en Europe. L'ancien
Palais royal n'eft plus qu'une de leurs maifons
de plaifance ; comme il a toujours
été entretenu avec foin , il fe trouve vraifemblablement
à peu- près dans l'état dans
lequel il a été conftruit. L'architecture en
eft affez belle , & fon caractere prouve fon
ancienneté. Il eft plus lourd & moins recherché
que le Louvre , & les autres bâtitimens
confidérables qui nous reftent de
ces tems ; cependant , comme ce goût eft
folide & bon en foi , on ne peut pas douSEPTEMBRE
. 1755. 205
ter qu'il ne faille remonter , pour en fixer
la date avant le dix-huitiéme fiécle , dans
lequel on voit par le peu qui nous en refte ,
qu'à la réferve de quelques édifices , le
goût étoit dégénéré , meſquin , irrégulier ,
& fouvent même extravagant.
M. Gainfay fait ici une digreffion pour
prouver qu'on doit attribuer la deftruction
de la plupart des édifices du dix- huitiéme
fiécle , à ce que dans les fiécles fuivans où
le bon goût s'eft rétabli , ils furent trouvés
peu dignes de refter fur pied , & comme
tels abattus, afin de ne laiffer aucune trace
de ce tems de délire , honteux à une nation
qui a toujours été en poffeffion de
donner les exemples du goût à fes voifins ;
quoiqu'il en foit de ce fentiment , il eft
certain que M. Gainfay ne le prouve pas
fans réplique , puiſqu'on peut auffi- bien
donner pour raifon de cette deftruction le
tems qui s'eft écoulé jufqu'à nous , & que
d'ailleurs il n'eft pas vraisemblable que les
propriétaires des palais ou maifons qui
nous auroient pû fervir à connoître le
goût d'architecture de ce fiécle , fe foient
prêtés à faire de tels facrifices à la gloire
de leur nation , fans quelque intérêt particulier.
De plus fi cela s'étoit fait par une
confpiration générale , il n'en feroit rien
refté du tout , au lieu qu'avec un peu de
-4
206 MERCURE DE FRANCE.
recherches on en retrouve affez pour donner
lieu à des conjectures plus étendues.
M. Gainfay remarque très- judicieuſement
qu'on ne peut point attribuer à ce
fiécle corrompu une conftruction auffi réguliere
que les deux grandes cours du Palais
royal , que l'architecture cependant
n'en étant pas fi épurée que celle du Louvre
, il y a lieu de croire qu'elle a précédé ,
& qu'elle eft du quinziéme fiécle , avant
qu'on eût entierement trouvé le point de
perfection , mais lorsqu'on en étoit fort
proche. On voit dans la feconde cour une
chofe finguliere. Les étages d'en haut nẻ
font pas femblables dans les deux aîles.
Un côté eft décoré de croifées quarrées ,
de vafes , & un peu en arriere d'un petit
mur percé de petites croifées , & traité de
maniere qu'il forme un attique agréable
& fort élégant : l'autre côté préfente une
balustrade ornée de vafes , mais il fe trouve
enfuite un étage de bois , dont le mur
eft incliné en arriere , fans qu'on puiffe
deviner ce qui a empêché de le mettre à
plomb. A- t - on crû qu'il en pût réſulter
quelque agrément à l'oeil ? Il ne paroît pas
poffible de le penfer. L'apparence de folidité
exige que tous les murs portent per
pendiculairement les uns fur les autres .
Eft- ce quelque raifon de commodité intéSEPTEMBRE.
1755. 207
"
rieure ? On ne ſçauroit la concevoir ; il
paroît au contraire que l'intérieur en eft
gâté , & qu'il eft plus difficile de s'approcher
de ces croifées fans fe heurter par
l'inclinaifon qu'elles ont en haut ; d'ailleurs
cela donne aux appartemens un air ignoble
en les faifant paroître des greniers lambriffés.
Voilà de ces obfcurités que l'ancienneté
ne nous permet pas de pénétrer
& fur lefquelles on ne peut fonder aucunes
conjectures raifonnables. On voit par
d'anciennes eftampes qui repréfentent cet
édifice , que le toît defcendoit juſqu'au
pied de cet étage , & qu'il n'y avoit que
des croifées éloignées les unes des autres ,
qui fervoient à éclairer les greniers. Ces
croifées avançant en faillie fur un pignon
très-élevé & fort pointu , étoient défectueufes
, & laiffoient voir trop de toît ,
ainfi il a été néceffaire d'en former un
étage ; mais le côté décoré en attique a
l'avantage d'avoir confervé les anciennes
fenêtres qui font d'un goût conforme
celui de tout l'édifice , au lieu que l'autre
eft dans un goût entierement différent.
M. Gainfay entre enfuite dans un examen
fort détaillé fur l'architecture d'une
cour qui eft fur le côté de ce Palais : nous
fupprimerons cette partie de fon difcours
à caufe de fa longueur , & nous renvoye208
MERCURE DE FRANCE.
rons fur ce fujet à l'original . On y trouve
ra une critique fort judicieufe mêlée d'éloges
, également bien fondés , de ce morceau
d'architecture .
Nous pafferons à une des falles de ce
Palais , que M. Gainfay nomme la falle
des concerts. Quelques Aureurs ont prétendu
qu'autrefois cette falle a été la falle
de l'Opéra de Paris . M. Gainfay prouve
que ce fentiment eft infoutenable . Premierement
, elle est beaucoup trop petite
pour avoir pû contenir les citoyens d'une
ville telle que Paris , même dans ces temslà
. On ne peut pas y fuppofer , quelque
peu confidérable qu'elle fut alors , moins
d'un million d'habitans , quoique ce foit
bien peu en comparaifon de ce qu'elle en
renferme aujourd'hui ; toujours eft- il certain
que dans cette fuppofition , quelque
bornée qu'elle foit , il a dû y avoir cent
mille perfonnes allant habituellement à
l'Opéra. A moins qu'on ne veuille croire ,
comme font ceux qui foutiennent ce fentiment
, que la mufique de ce tems étant
fort fimple, & n'étant proprement que nos
chants d'églife , avec quelques accompa
gnemens auffi uniformes , elle n'infpiroit
pas alors ces fenfations délicieufes qu'elle
nous fait éprouver maintenant qu'elle eſt
portée à fa perfection. Ils en concluent
SEPTEMBRE. 1755. 209
qu'on n'avoit pas alors pour elle ce goût
vif qui nous détermine fi fortement , que
malgré la grandeur de nos théatres & la
quantité que nous en avons dans prefque
tous les quartiers de la ville , ils font néanmoins
toujours remplis ; conféquemment
que très - peu de perfonnes alloient au
fpectacle ; qu'à la réferve d'un très - petit
nombre qui s'étant habitués d'enfance à
goûter cette mufique , y trouvoient quelque
beauté , prefque perfonne ne s'en foucioit.
Que les étrangers même ne la pouvant
fouffrir n'y alloient point. Quoiqu'on
ne puiffe pas entierement rejetter ces faits ,
puifque la mufique de ces tems-là qui eſt
parvenue jufqu'à nous , femble en faire
la preuve néanmoins , à quelque point
qu'on diminue la quantité de gens qui aimoient
ces fpectacles , il eft certain qu'on
ne peut la réduire , jufqu'à croire que
cette falle ait pû les contenir.
M. Gainfay tire fa feconde preuve de la
forme de cette falle . Elle eft fort étroite &
fort longue , ce qui eft contradictoire à la
forme effentielle d'un théatre qui doit être
de forme circulaire ou approchante du
cercle dans toute l'étendue de la falle où
font les fpectateurs . En effet , comment
concevoir qu'un architecte ait pu bâtir un
théatre dont la principale loge eft la plus
210 MERCURE DE FRANCE.
éloignée . Peut -on fuppofer qu'il ait ignoté
qu'une falle de théatre doit ( quelque for
me qu'on y donne ) s'ouvrir en largeur ,
plutôt que s'enfoncer en profondeur. Il eſt
vrai que dans celui - ci les côtés s'élargiffent
un peu en s'étendant vers la partie qu'on
prétend être le théatre , mais c'eſt de fi
peu de chofe que cela eft inutile , & ne
fert qu'à y donner une forme défagréable ,
La loge principale a toujours du être celle du
fond , puifque c'eft vis-à- vis d'elle & pour
elle , que fe fait toujours le jeu du théatre ;
dans cette fuppofition , celle- ci feroit trop
loin , & l'on n'y pourroit pas bien entendre
, d'autant plus que le fon feroit intercepté
en chemin par l'obftacle qu'y apporteroit
le petit murmure qui s'enfuit néceffairement
de l'interpofition de plufieurs
perfonnes qu'on ne peut empêcher de fe
parler quelquefois à l'oreille : car on
prétend qu'il y avoit des fpectateurs af
fis dans cette partie qui eft au-devant
& qu'on nomme l'amphithéatre . On ne
fçait pas fi en effet l'ufage étoit alors
de mettre à tous les théatres cette partie
qu'on veut nommer ici amphithéatre.
Nos théatres ne contiennent plus rien
de femblable. De plus il n'y a que cinq
loges dans cette petite partie circulaire ,
qui ayent été placées , finon pour bien
SEPTEMBRE. 1755. 211
entendre du moins pour bien voir. Les loges
qui s'étendent fur les aîles font encore
plus malheureufes ; fi elles font plus à portée
d'entendre , elles le font bien moins
de voir. Le rang de devant ne voit qu'en
s'avançant avec effort , & celui de derriere
ne peut rien voir , ou fört difficilement ,
& en fe levant ou fe penchant au hazard
de tomber fur le rang de devant . On ne
peut s'imaginer qu'on louât des places
pour être affis , & que cependant on fe
tînt de bout. Si l'on confidere la partie
qu'ils nomment le théatre , on verra par
fon peu d'ouverture , qu'il n'eft pas poffible
qu'on y ait pû donner un fpectacle
fur- tout avec des choeurs , & l'on fçait
que les François en ont toujours joint à
leurs Opéra ; il faudroit que les perfonnages
de ces choeurs fuffent rangés de maniere
que le premier cachât en partie le
fecond , & ainfi fucceffivement des autres
; ce qui ne produiroit point de fpectacle
, donneroit un air d'arrangement
apprêté , & détruiróit l'illufion qu'ils nous
doivent faire en fe plaçant par petits groupes
inégaux & naturels . De l'ordre proceffionnal
qu'il faut néceffairement leur fuppofer
ici , il s'enfuit que les derniers qui
font au fond ne pourroient ni voir ni entendre
le claveffin. Comment pourroient-
›
1
212 MERCURE DE FRANCE.
ils donc fuivre une mefure exacte ? Quelques-
uns ont avancé ſur ce fujet une abfurdité
ridicule , ils ont prétendu qu'il y
avoit derriere les derniers de ces choeurs
des Muficiens qui les régloient en battant
la meſure avec des bâtons . Comment peuton
s'imaginer qu'on pût fouffrir un bruit
auffi indécent , tandis que les oreilles délicates
ont peine à fupporter celui que
fait le Muficien lorfqu'il touche fortement
le claveffin pour remettre quelqu'un
dans la´meſure ; ce qui eft extrêmement
rare , puifqu'on ne fouffre perfonne fur
nos théatres qui ne fçache très-bien la mufique
, du moins quant à la meſure . L'ouverture
de ce qu'ils appellent ici théatre ,
eft tellement étroite , qu'on ne peut pas
fuppofer qu'elle ait encore été divifée
en plufieurs parties , ainfi qu'il eft néceffaire
pour les à parte , dont les anciennes
piéces font remplies : Pouvons - nous
penfer qu'on ait négligé de l'illufion , &
choqué la vraiſemblance , au point de faire
dire ou chanter dans le même lieu des
paroles qu'un acteur préfent eft fuppofé
ne pas entendre , il a fallu du moins qu'il
y eut entre ces acteurs un obftacle , ou réel
ou en peinture , qui donnât lieu de croire
qu'ils pouvoient parler fans être entendus
que du fpectateur : mais où eft ici l'efpace
SEPTEM BRE. 1755. 213
néceffaire pour introduire ces obſtacles ?
Quelles fortes de décorations peut - on fuppofer
avoir été faites dans un lieu fi borné
on n'y peut imaginer qu'une fuite de
chaffis fort étroits fur lefquels on ne pourroit
rien peindre que les bords des objets
encore faudroit- il bien les mettre de fuite,
& que l'un ne débordât l'autre qu'autant
que la perfpective le permet , ce qui produiroit
néceffairement une ennuyeufe uniformité.
Point de ces fuyans fur les côtés ,
qui font des effets fi agréables fur nos
théatres. Point de ces chaffis avancés audedans
de la fcéne , & découpés de maniere
à laiffer voir par leurs ouvertures les
côtés qui continuent de fuir , & les toiles
qui fervent de .fond . Ici tout doit être
terminé par une feule toile. Une pareille
décoration ne feroit propre qu'à
repréſenter une rue étroite & fort longue ;
cependant on fçait qu'alors la peinture
brilloit en France , le plaifir qu'elle y caufoit
par fon excellence , a dû néceffairement
engager à faire de grands théatres
pour donner aux Peintres un lieu propre
à montrer l'étendue de leur génie , & pour
profiter du plaifir que caufe l'illufion
produite par les effets de ce bel art . On
fçait encore que les anciens François introduifoient
la danfe dans leurs Opéra.
214 MERCURE DE FRANCE.
Dans les piéces qui nous reftent d'eux , on
voit même qu'ils la lioient à l'action ,
quelquefois bien , le plus fouvent mal-àpropos
, quoique peut- être eût- il mieux
valu la renvoyer aux entr'actes , que de
forcer la vraisemblance , & la raiſon pour
la coudre à la piéce. Quoiqu'il en foit , il
paroît qu'ils avoient des ballets , & même
des ballets figurés, & repréſentans un fujer :
or , comment veut- on qu'on ait pû exécuter
de tels ballets dans un fi petit eſpace : Il y
auroit eû une confufion infupportable ,
ceux de devant auroient caché ceux de
derriere , tellement qu'on n'en auroit pas
pû voir nettement le deffein : D'ailleurs ,
il n'y pourroit pas tenir affez de danfeurs ,
même en fe touchant à rout inftant les
uns les autres pour former un ballet compofé
avec quelque génie. Il faudroit fuppofer
que la danfe alors ne fût que de
deux , trois , ou quatre perfonnes qui auroient
danfé enfemble , & par conféquent
très-breve : car un fi petit nombre de danfeurs
qui figureroient enſemble , ne pourroient
, s'ils danfoient long- tems , s'empêcher
de retomber dans les mêmes pas ,
& de répéter les mêmes, figures , ce qui
deviendroit ennuyeux , quelques excellens
qu'ils fuffent.
Cependant , en mefurant le tems que
SEPTEMBRE. 1755. 215
duroient leurs Opéra , qu'on fçait avoir
été , ainfi que de notre tems , d'environ
trois heures , on ne trouve pas que la mufique
en ait pû employer plus de la moitié
, encore en fuppofant qu'elle ait été
chantée d'une lenteur exceffive , le refte
doit avoir été occupé par la danſe .
Le parterre de cette falle eft d'une profondeur
dont on ne peut concevoir l'uſage
, fi la fuppofition que ce fût une falle
de théatre avoit lieu , les perfonnes affifes
aux trois où quatre premiers rangs n'auroient
rien vû que ce qui fe feroit paffé
au bord de la fcene , & auroient affez mal
entendu , quoique proche , parce que le
fon auroit paffé par- deffus leurs têtes . Suppoferoit-
on qu'ils euffent été de bout , &
peut-on croire que quelqu'un eût pû refter
dans une pofture fi fatigante durant
trois heures , expofé à la foule & au mouvement
tumultueux que caufe toujours un
nombre de perfonnes dans un lieu refferré,
pour entendre une mufique peu divertif
fante. On ne pourroit dans ce cas penfer
autre chofe , finon que ce lieu auroit été
abandonné à la livrée . M. Gainfay obſerve
encore que la décoration de cette falle
qui n'eft ornée d'aucune architecture , paroît
peu digne d'avoir été le lieu de fpectacle
d'une grande ville, Pas une colonne ,
216 MERCURE DE FRANCE.
pas même un feul pilaftre ! Trois petits
rangs de loges écrafées & foutenues par
des poteaux étroits , y font voir une économie
de terrein peu convénable dans un
édifice de cette importance . L'égalité de
ces deux rangs de loges n'annonce pas
plus de dignité dans ceux qui doivent occuper
le rang d'enbas que dans ceux qui
font au-deffus , & d'ailleurs c'eft un défaut
de goût dans un lieu qu'on auroit prétendu
décorer pour le public : car un des premiers
principes du goût eft d'éviter l'égalité
dans les principales maffes d'un édifice
, & d'y trouver toujours quelques parties
dominantes.
-
Il eft d'autant moins à croire que les
anciens François ayent conſtruit un théatre
femblable, qu'on fçait que dès ce temslà
tous les artiſtes , tant les Peintres que les
Muficiens voyageoient dans leur jeuneffe
en Italie pour fe former le goût : Or , il
eft impoffible qu'ils n'ayent pas vû le théatre
antique de Palladio qui eft vraiment
le modele d'un théatre parfait , foit pour
la commodité , foit pour la magnificence
de la décoration . C'eft de ce refpectable
monument que nous avons tité la perfection
que nous avons donnée à nos théatres
modernes ; à la vérité il n'eft pas poffible
de conftruire un théatre de telle
maniere
SEPTEMBRE . 1755. 217
maniere que tout le monde y foit également
bien placé. Néceffairement il y a
quelques loges ou autres places où l'on eft
forcé de regarder de côté , mais il n'eft
aucun plan qui remédie auffi- bien aux
inconvéniens , & qui place autant de perfonnes
avec avantage que celui de cet admirable
édifice antique ; il eft vrai que la
façade du théatre qui coupe cet ovale dans
fon plus grand diamétre , gâte la forme
totale de cet édifice , & le fait paroître à
demi - fait ; mais il eft aifé de fuppléer à ce
défaut comme nous avons fait dans nos
théatres modernes, C'eft de cet antique
que nous avons appris à décorer nos théatres
de cette belle colonnade qui y fait un
effet fi noble. M. Gainfay ne fçauroit fe
réfoudre à croire que les théatres des anciens
François ayent pû fe paffer d'un
ornement auffi magnifique qu'une colonnade
circulaire , & qui lui paroît y être
fi effentiellement néceffaire. Il faut le lire
pour concevoir avec quelle éloquence il
fait fentir la noble richeffe de cette décoration
; & en effet , il eft difficile d'imaginer
qu'on ait prétendu rendre un lieu
digne d'y recevoir le public & les étrangers
, fans l'enrichir de colonnes , ornement
le plus magnifique que l'architecture
ait jamais inventé.
K
21S MERCURE DE FRANCE.
M. Gainfay ajoute une réflexion qui paroît
évidente . Quand il feroit poffible ,
dit-il , que les François euffent rejetté cet
exemple de Palladio par le défaut de fçavoir
comment remédier au defagrément
de fon avant-fcene : du moins ils auroient
fuivis les théatres ordinaires de l'Italie ,
qui , quoique très- défectueux à bien des
égards , avoient , & plus de grandeur , &
une forme plus rélative à leur deftination ,
que celui qu'on nous propofe ici comme
ayant été le principal theatre d'une ville
telle que Paris. Les reftes de celui d'Argentina
à Rome , & de quelques autres en
Italie nous en offrent la preuve. La forme
en eft defagréable , parce que leur plan
reffemble à une raquette , ou à un oeuf
tronqué , & qu'elle produit plufieurs loges
, où il n'y a abfolument que le premier
rang qui puiffe voir & entendre. La décoration
eft de mauvais goût en ce que
toutes les loges , dont il y a fix rangs les uns
fur les autres , font égales , & femblent des
enfoncemens pratiqués dans des murs de
catacombes. La principale loge qu'on a prétendu
décorer , eſt toujours écrasée rélati-
-vement à fa largeur . L'économie d'eſpace
qui n'a permis de prendre que deux loges
pour fa hauteur , a empêché de lui donner
l'exhauffement qui lui convenoit.
SEPTEMBRE 1755, 219
Néamoins , ces théatres ont un air de
grandeur, même dans les plus petites villes ,
d'où M. Gainfay conclut , qu'on ne peut
pas fuppofer que les François ayent fuivi
un auffi mauvais plan que celui qu'on expofe
ici comme le théatre principal de Paris
, & qu'ayant fous les yeux ces modeles
, certainement ils ont donné à ces monumens
publics la dignité qui leur convient
; par conféquent on ne doit pas croire
que cette falle ait été un théatre. Il paroît
qu'on ne peut réfifter à l'évidence de fes
preuves. La derniere objection qu'il fait ,
eft abfolument décifive . On ne voit autour
de cette falle aucun portique , ce qui eft.
fi néceffaire à un théatre , qu'il feroit impoffible
qu'on en fortit , quelque petit
qu'il fût , fans courir à tout inftant rifque
de la vie. L'embarras que caufe la quantité
des équipages à la fortie des fpectacles
, a toujours rendu ces portiques d'une
néceffité indifpenfable , pour donner lieu
aux gens à pied de s'échapper par différens
chemins. Il remarque encore qu'il n'y
a qu'une feule porte d'une grandeur un
peu raifonnable , & qu'il feroit infenfé de
croire qu'on eût donné dans un pareil lieu
des fpectacles , où l'on emploie fouvent le
feu , & qui font fréquemment exposés au
hazard d'un incendie .
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
M. Gainfay paffe à l'explication de ce
qu'on doit penfer de cette falle . C'étoit ,
dit-il , la falle des concerts particuliers des
Princes de la Maiſon d'Orléans. La partie
qu'on a prétendu être un Amphitheatre ,
étoit le lieu où fe plaçoient les Muficiens.
Au commencement il n'y avoit point toutes
ces loges qui l'entourent maintenant ;
mais cette grande maifon s'étant augmentée
dans le dix-neuviéme fiécle , on fut
obligé de les conftruire pour y placer tous
les Officiers de cette maifon qui obrenoient
la faveur de pouvoir entendre des
concerts , où tout ce qu'il y avoit de plus
excellens chanteurs , tant Italiens que François
, exécutoient la plus belle mufique
connue dans ces tems- là. Dans la partie
qu'on prétend avoir été le théatre , étoit
placée une magnifique tribune , qui a été
détruite depuis ; ce lieu étant devenu inutile
lorfque ces Princes ont ceffé d'y demeurer.
On ne peut pas douter que cette
tribune n'ait été décorée de colonnes de
la plus belle architecture , les pilaftres de
fer travaillés , qu'on voit encore aux deux
côtés , en font une continuation fimple ,
& comme pour fervir de tranfition d'un
lieu magnifique aux loges deftinées pour
les Officiers de la maifon. La partie qui
eft au pied de cette tribune en enfonceSEPTEMBRE.
1755. 221
le
ment , & qu'on dit être l'orchestre des.
Muficiens de l'Opéra , eft proprement
lieu où fe plaçoient les Officiers dont les
Princes pouvoient avoir befoin le plus
fréquemment , afin d'être à portée de recevoir
immédiatement leurs ordres ; &
ce qu'on a nommé le parterre étoit le lieu
où le mettoit le plus bas domeftique , où
on avoit conftruit une rampe douce , afin
que ceux qui étoient les plus proches de
la tribune principale , ne puffent point incommoder.
Il pourroît paroître que ceux
qui étoient les derniers , étoient mal placés
pour voir , parce que ceux qui étoient
devant eux , étoient plus élevés ; mais il
faut confidérer qu'il n'eft queſtion ici que
d'entendre un concert , où les principaux
chanteurs fe mettent toujours fur le devant
de l'appui qui les fépare des auditeurs
, & que cet appui eft fort élevé audeffus
de l'auditoire ; mais ce qui confirme
& donne la derniere évidence à ce
qu'avance M. Gainfay dans ce mémoire ,
c'eft qu'il en déduit une raiſon fimple &
claire de l'evafement de cette falle en venant
vers la tribune, qui dans toute autre fuppofition
paroît fans fondement ; il confidere
l'amphithéatre , & qui eft véritablement
l'Orcheftre , comme un centre d'où partent
des rayons de fon ; fi les murs étoient pa-
1
K iij
222 MERCURE DE FRANCE.
ralleles , ces rayons les heurteroient fous
des angles qui pourroient les réfléchir , en
intercepter une partie rélativement à la
tribune principale , pour laquelle toute
cette falle eft conftruite , & par leur réflection
produire une cacophonie qui eft
l'effet naturel de toute voix réfléchie. Cette
douce inclinaiſon n'oppoſe pas un obftacle
affez direct pour brifer ces rayons ,
elle les oblige feulement à gliffer par un
angle très-obtus , & à fe réunir vers la tribune
pour y produire un plus grand effet
d'harmonie . Si elle étoit plus évafée , elle
fuivroit la direction droite du fon , & n'en
augmenteroit pas la force ; il ne faut pas
s'embarraffer des loges qui y font un
obftacle ; parce qu'elles n'y ont été miles
qu'après coup, & qu'elles ne doivent point
être reprochées à l'Architecte ingénieux ,
qui a imaginé cette forme très- propre
fon but. Il eft fâcheux que cette tribune
ait été détruite ; par elle nous aurions
juger s'il avoit autant de goût que de bon
fens .
C'eſt ainfi que M. Gainfay explique ce
qui nous refte de la falle des concerts du
Palais royal. Il eft difficile , après l'avoir
lû dans l'original , de réfiſter à la force de
fes preuves.
La fuite an Mercure fuivant.
SEPTEMBRE. 1755. 223
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
E 23 Juillet , les Comédiens François
remirent pour la premiere fois Marius
, Tragédie de M. de Caux. Cette piece
n'avoit point été jouée depuis fa nouveauté
en 1716. Elle a de grandes beautés.
J'oferois prefque dire que le rôle du vieux
Marius eft frappé au coin du grand Corneille
. Celui d'Arisbe a été rendu fupérieurement
par Mlle Clairon , qui embellit
tout ce quelle joue.
Le Dimanche 27 du même mois , la
nouvelle Actrice , Mlle Mezieres , a repréfenté
Camille dans les Horaces , avec
l'approbation générale , qui dit plus aujourd'hui
que l'applaudiffement du Parterre.
L'applaudiffement eft fouvent acheté
, au lieu que l'approbation est toujours
libre , & ne s'accorde qu'au talent par le
public connoiffeur , qui feul l'apprécie.
Ses arrêts font moins bruians, mais ils font
les feuls qui décident . Le fuccès & le mé-
Kiiij
224 MERCURE DE FRANCE.
rite théatral de Mlle Mezieres ne font donc
plus douteux. Ce troifiéme rôle a convaincu
les plus incrédules. Elle l'a joué
avec autant d'ame que d'intelligence , &
s'eft furpaffée dans l'imprécation du quatriéme
acte. C'eft dans les grands morceaux
qu'un Acteur fe développe. Quoiqu'on
en dife , ils ne fervent que le vrai
talent , ils font toujours l'écueil de la médiocrité.
L'Actrice nouvelle n'eſt point
bornée au férieux , elle n'a pas moins réuffi
dans le comique. Elle le rend avec d'autant
plus d'efprit , qu'elle ne copie perfonne
, & qu'elle exprime également bien
les caracteres oppofés. Elle a joué l'Amoureuse
dans le Florentin , avec une fineffe
qui eft à elle ; & Lucinde dans l'Oracle
, avec une naïveté fpirituelle , qui
n'eft pas montrée ; il ne lui manque que
l'ufage & le ton du théatre de Paris.
Le fieur Raucourt qui a été reçu pour
un an à l'effai , a repréſenté le vieil Horace
d'une maniere à mériter de plus en
plus l'encouragement du public.
Le 20 Août, les mêmes Comédiens ont
donné la premiere repréſentation de l'Orphelin
de la Chine , Tragédie nouvelle de
M. de Voltaire .
Toute la France y étoit , & le plus grand
nombre l'a applaudie. Ceux qui la jugent
SEPTEMBRE . 1755. 225
avec le plus de rigueur , font forcés de convenir
que les détails en font admirables.
Si la gloire de ce Poëte célébre pouvoit
croître , elle feroit comblée par ce nouveau
triomphe. Il eft vrai que Mlle Clairon doit
le partager ; on peut dire que le talent de
l'Actrice difpute de force avec le génie dé
l'Auteur. M. de Voltaire eft né ponr faire
de beaux vers , & Mlle Clairon eft faite
pour les dire. Heureufement pour la piéce
elle y joue le meilleur rôle. Je ne crois pas
que l'onpuiffe mettre au théatre un caractere
plus intéreffant que celui d'Idamé qu'elle
repréfente. Son héroïfime eft dans la nature,
Celui de fon mari fort de l'humanité.
Il eſt le modele des fujets , mais il en remplit
les devoirs aux dépens de ceux de pere
& d'époux . Il veut facrifier fon fils dans
le berceau , malgré les cris du fang , & il
exhorte fa femme à vivre pour regner avec
le tyran dont elle eft aimée. Idamé au contraire,
mere auffi tendre qu'époufe parfaite,
défend les jours de fon fils au péril des fiens ,
& propofe à fon mari un parti plus noble
& plus convénable , c'eft de mourir tous
deux d'une mort libre par le fecours d'un
poignard qu'elle lui préfente. Nous aurons
le tems de parler plus au long de cette Tragédie
, dont vraisemblablement la réuffite
ne fera point paffagere.
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
COMEDIE ITALIENNE.
LE
E 28 Juillet , les Comédiens Italiens
ont joué pour la premiere fois la Bohémienne
, Comédie en deux Actes , en
vers , traduite de la Zingara , intermede
italien. Elle a eu un plein fuccès & le mérite.
Elle eft de M. Favart , fi accoutumé à
réuffit , & cependant fi modefte , qu'il
donne le titre de traduction à un ouvrage
qu'il s'eft rendu propre par la précifion &
la variété qu'il y amifes , & par les beautés
qu'il y a ajoutées. Comme la Bohémienne
de l'Opéra - Comique a été difcontinuée
, nous ne parlerons que de celleci.
On peut dire qu'elle eft un digne pendant
de la Servante Maitreffe ; elle a même
plus de gaieté , ce qui eft un grand
mérite au théatre, ainfi que dans le monde.
Mine Favart ne contribue pas peu à lui
donner ce caractere. Elle rend la Bohémienne
de façon à tourner la tête du public
, comme celle de Calcante . Ce dernier
perfonnage eft très - bien repréſenté
par M. Rochard . On ne peut pas mieux
chanter les Arietes , qu'il les chante du
moins pour des oreilles françoifes. M.
Chanville concourt auffi à la réuffite. On
peut affurer qu'il joué l'ours avec grace ,
& qu'il fait joliment le diable.
SEPTEMBRE, 1755. 227.
La piéce a paru imprimée dès le premier
jour , comme les paroles d'Opera ,
pour l'intelligence des airs ; & fe vend
chez la veuve de Lormel & fils , rue du
Foin ; & chez Prault fils , quai de Conti.
Le prix eft de 24 fols .
Voici des vers à la louange de l'auteur.
AM. Favart fur la Bohémienne .
Air de fon nouveau Vaudeville.
Ce n'est pas en Automne qu'on moiſſonne le
plaifir.
Toujours dans la vérité ,
Tantôt tu peins la tendreffe ,
Tantôt l'allégreffe ;
Chacun s'écrie , enchanté ;
Ah ! quelle aimable Bohémienne !
Que n'eft-elle mienne !
Chantons l'oeuvre & l'oeuvrier ,
Que tant de fel affaiffonne.
C'est ainsi qu'on couronne
Qui moiffonne
Le Laurier. Guerin.
Le peu d'efpace qui nous refte , nous
oblige à remettre l'extrait de cette Comédie
au mois d'Octobre ; ainfi que celui du
prix de la Beauté , Drame de M. Mailhoi .
L
OPERA COMIQUE.
E 11 Août , l'Opera - Comique donna
pour la premiere fois les Réjouiffances
K vj
22S MERCURE DE FRANCE,
Flamandes , baler nouveau , de la compofition
de M. Novere , & qui forme un joli
tableau de Teniers. On joua le même jour
les Amours de Nanterre , de Jerôme & Fanchonnette
, & le Confident heureux , piéce
nouvelle en un acte de M. Vadé .
CONCERT SPIRITUEL.
E 15 Août , jour de l'Affomption , le
Concert fut auffi brillant que varié.
Il commença par Deus nofter refugium , motet
à grand choeur , de M. Giraud . Ce morceau
fut généralement applaudi & très bien
exécuté. Mme Veftris de Giardini chanta
un air italien qui fit un grand effet. MM.
Héricourt freres , l'un âgé de treize ans ,
& l'autre de douze , exécuterent un concerto
de flûtes , en jouant l'un & l'autre
fur les deux inftrumens à la fois . Mlle
Sixte chanta avec fuccès Quam Delecta ,
petit motet nouveau , de M. Naudet . M.
Doudou, dit le Bouteux , joua un concerto
de violon , qui réunit tous les fuffrages,
Pour combler la fatisfaction du public , Mlle
Fel chanta Exultate Deo , petit mötet , de
M. le Chevalier Durbain ; & le Concert
finit par Confitebor , motet à grand choeur ,
de M. de Lalande.
SEPTEMBRE. , 1755. 22.9.
ARTICLE SIXIEME.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU LEVANT.
DE CONSTANTINOPLE , le 6 Juillet.
A
LI Pacha Ekim Oglou étant parti pour l'ifle de
Chypre, lieu de fon exil , la galere fur laquelle
il s'eft embarqué , a été obligée de relâcher à l'ifle
de Scio. Il à demandé la permiffion d'y paffer le
tems du Ramazan ou Carême des Mahométans ,
& le Grand Seigneur la lui a accordée . Sa Hauteffe
a difpofé du Gouvernement de la Morée en
faveur de Muftapha Pacha , qui rempliffoit avant
Ali Pacha la dignité de Grand Vifir. M. de Ludolf
, chargé ici des affaires du Roi des Deux Siciles
, vient d'apprendre que Sa Majesté Sicilienne
l'a nommé fon Envoyé extraordinaire , pour
complimenter le Grand Seigneur fur fon avénement
au trône. Il est arrivé un courier du Miniftre
, qui eft allé de la part de Sa Hauteffe à Peterbourg.
Un vailleau de guerre Vénitien , qui
étoit ici depuis quelque tems , a remis à la voile
pour retourner en Italie . Conféquemment aux
ordres de l'Ambaffadeur de Venife , il a pris fous
fon convoi tous les navires Hollandois qui ont
voulu profiter de fon eſcorte .
Il s'eft élevé daus l'Eglife Grecque un grand
différend . Un Prêtre ayant foutenu que le feul
Baptême par immerfion étoit valide , une partie
du Clergé attaque cette propofition comme hé
Kétique , & l'autre partie en embraffe la défenſe.
230 MERCURE DE FRANCE.
Les fuites de cette oppofition de fentimens font
allées fi loin, qu'on a craint que la tranquillité de
cetre capitale n'en fût troublée . Pour prévenir cet
inconvénient , le Grand Seigneur a ordonné , que
tous les Evêques qui ne penfoient pas comme le
Patriarche de Conftantinople fur l'objet de la difpute
, fe retiraffent dans leurs fièges repectifs.
*
DU NORD.
DE PETERSBOURG , le 6 Juillet.
On enfeigne actuellement au Régiment de Peterfbourg
un nouvel exercice , que l'Impératrice
a refolu de preferire à toute fon infanterie . Sa Majefté
Impériale fe propofe auffi d'en établir un
nouveau pour la cavalerie .
DE STOCKHOLM , le 23 Juillet.
On procéde dans toutes les provinces à l'élection
des Députés qui doivent affifter à la Diete
générale.
DE COPPENHAGUE , le 25 Juillet.
Jufqu'à préfent , le Corps de la Marine n'avoit
été composé que de trois Brigades. Le Roi vient
d'en créer une quatrième , dont M. de Lutzow a
été déclaré Commandant.´
ALLEMAGN E.
DE VIENNE , le 12 Juillet.
Quelques- uns des païfans mutins , qu'on a relé
gués en Tranúlvanie , ont voulu de nouveau fe
révolter; mais la punition des plus coupables a
fait rentrer les autres dans le devoir.
SEPTEMBRE. 1755. 231
Il s'eft tenu la femaine derniere plufieurs confeils
à Schonbrun. En conféquence des ordres de
Sa Majefté , le corps d'artillerie formera bientôt
un camp dans ce royaume , & le Feld - Maréchal
Prince de Lichtenftein y fera exercer pendant
deux mois les canoniers & les Bombardiers.
Le
On a donné ordre que tous les Régimens fuffent
complets avant la fin de cette année.
Feld-Maréchal Comte de Neuperg ſe diſpoſe à
reprendre la route de Luxembourg.
L'Impératrice Reine a nommé le Marquis Recalari
, fenateur de Milan , à la place du Marquis
Goldoni- Vidoni , qui après quarante ans de fervice
a demandé la permiffion de fe retirer , & à
qui Sa Majesté a accordé une penfion confidérable.
On écrit de Moldavie que deux habitans d'un
village voifin de Jaifi , font morts le mois dernier
âgés l'un de cent douze ans , l'autre de cent trentetrois.
Pendant la plus grande partie de leur vie ,
ils n'ont fubfifté que du travail de leurs mains ,
& jamais ils n'ont bû que de l'eau. Ils ont confervé
leurs forces jufqu'à la fin de leurs jours. Ces
vieillards étoient parens.
DE BERLIN , le premier Août.
Afin d'encourager les fabriques de Draps , établies
en cette ville , le Roi a déclaré qu'il acheteroit
ceux dont les Fabriquans ne trouveroient pas
le débit.
Les Chanoines du Chapitre de Magdebourg ne
feront feuls décorés d'une marque d'honneur
pas
& Sa Majesté a jugé à propos que ceux de Havelberg
jouiffent de la même prérogative . Ceux- ci
porteront une croix d'or , octogone , émaillée de
pourpre , & furmontée d'une couronne. Sur cette
232 MERCURE DE FRANCE.
croix , d'un côté , la Vierge Marie eft repréfentée,
tenant l'Enfant Jefus dans fes bras. On voit au
Levers l'Aigle noir de Pruffe , dont les ferres font
armées d'un foudre. Le chiffre F. K. eft placé dans
les différens angles de la croix . Elle eſt attachée à
un ruban blanc , bordé de pourpre.
DE MUNICH , le 16 Juillet.
La célébration du mariage de la Princeffe Marie
fe fit ici le 10 de ce mois avec la plus grande
pompe. A fix heures du foir , les Dames de la Cour
fe rendirent au Palais , où les Miniftres d'Etat ,
les Chambellans & les Confeillers étoient affemblés.
On alla fur les fept heures à la chapelle . L'Impératrice
douairiere & l'Electrice conduifirent la
Princefle Marie , & l'Electeur époufa cette Princeffe
, au nom du Margrave de Bade- Baden. Le
Cardinal de Baviere donna la Bénédiction Nuptiale.
Enfuite ce Prince entonna le Te Deum ,
qui fut fuivi d'une triple falve de l'artillerie
des remparts. La Cour étant retournée dans les
appartemens , l'Electeur ouvrit le bal avec la nouvelle
Margrave. Au bal fuccéda un fouper fplendide
, qui fut fervi à une table de cent couverts.
Avant-hier , l'Electrice & la Princeffe Joſephine
accompagnerent la Margrave à l'Abbaye de Furftenfeld.
Čes Princeffes y avoient été devancées par
l'Electeur , & par l'Electeur de Cologne . Toute la
Cour dîna dans cette Abbaye. Après le repas , la
Margrave fit fes adieux à la Famille Electorale , &
prit la route de Raftadt. Elle arriva le foir à Friedberg
, où elle eut encore la fatisfaction de voir les
deux Electeurs , qui s'étoient fait un plaifir de la
furprendre. A Augsbourg , elle a trouvé les Dames
& les Officiers , que le Margrave a envoyés au
SEPTEMBRE . 1755 . 233
devant d'elle. Hier elle a couché à Harthaufen ,
& elle doit arriver le 20 à fa nouvelle réfidence.
La Comtefle de Butler & les Comteffes de Fugger
& de Schweindeck fuivent cette Princefle , la premiere
en qualité de Grande Maîtreffe de fa Maifon
, les deux autres avec titre de Dames d'Honneur.
La Princeffe épouſe du Prince Electoral de
Saxe a envoyé à la Margrave plufieurs Services de
Porcelaine de la Manufacture de Meiffen.
ESPAGNE.
DE MADRID , le 22 Juillet.
Don Manuel Quintano Bonifaz , Archevêque
Titulaire de Pharfale , ci- devant Adminiſtrateur
de l'Archevêché de Tolede , a été nommé Inquifiteur
Général d'Eſpagne , à la place de feu Don
François Perez de Prado y Cuefta , Evêque de
Teruel.
Don Etienne-Jofeph d'Abaria , Préfident du Tribunal
de la Contractation , a informé le Roi , que
le 16 de ce mois les vaiffeaux le Condé , la Vigogne ,
le Diamant , & le faint Pafchal , étoient entrés
dans la Baye de Cadix . Les trois premiers viennent
de la Vera- Cruz , & le dernier de Cartagene. Ils
ont apporté , tant en or qu'en argent monnoyé , la
valeur de trois millions de piaftres. Le Vaiffeau
l'aimable Marie , venant des Ports de Callao & de
Valparaifo , eft arrivé le 21 à la même Baye.
す
ITALI E.
DE NAPLES , le 17 Juillet .
On vient de trouver dans les ruines de l'ancienne
Herculanum un Groupe de trois Statues , qui repréfentent
des Satyres . Elles font d'un Sculpteur
Grec ; & elles égalent tout ce que l'antiquité a produit
de plus beau en ce genre.
234 MERCURE DE FRANCE.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
E 24 Juillet , le Marquis de Pont - S. - Pierre ,
Roncherolles , premier Baron de Normandie
Lieutenant - Général des armées du Roy , a été
reçu en la dignité de Confeiller d'honneur- né au
Parlement de Normandie . Ce Seigneur accompagné
de la nobleffe & du corps des Officiers de dragons
du Régiment de la Reine , a fait fon entrée
au Palais , & après avoir prêté ferment de fidélité
en préfence des Chambres affemblées , a pris fa
féance avec tout l'éclat & la diſtinction poſſible ,
Cette prérogative dont jouit feule en Normandie.
l'ancienne maifon de Roncherolles , a été confirmée
en la perfonne de l'aîné des trois branches
de cette famille par Lettres Patentes des Rois
Henry III . Louis XIII . & Louis XIV . d'heureufe
mémoire .
La nuit du 25 au 26 , le Duc de Mirepoix , cidevant
Ambaffadeur extraordinaire du Roi en Angleterre
, revint de Londres , fuivant l'ordre qu'il
en avoit reçu de Sa Majefté. Le lendemain , il fut
préfenté au Roy par le fieur Rouillé , Miniftre &
Secrétaire d'Etat , ayant le département des Affaires
Etrangeres . Il eut enfuite l'honneur de rendre
fes refpects à la Reine & à Mefdames.
Le 6 Août , le Roi vint rendre à Madame la
Dauphine une nouvelle vifite ; & Sa Majesté ,
après avoir tiré dans la plaine de Saint Denis , fit
l'honneur au Prince de Soubize de fouper & de ,
coucher dans fa maifon de Saint-Quen.
SEPTEMBRE 1755. 235
Le Samedy d'Août 1755 , la Cour étant à
Compiegne ; Monfeigneur le Dauphin & Madame
Adelaide pour marquer au fieur Levefque ,
Ecuyer , Confeiller du Roy , Préſident de l'élection
, Maire & Lieutenant-Général de Police de la
ville de Compiegne , & Subdélégué de l'Intendance
de Paris , la fatisfaction que mérite le zele
avec lequel il remplit tous les devoirs de fes différentes
charges, particulierement pendant les féjours
de la Cour , lui ont fait l'honneur de tenir fur les
fonts de Baptême , le fils dont Dame Magdeleine-
Françoife Lejeune fon époufe eft accouchée il y a
fix mois , & qui a été lors ondoyé.
Monfeigneur le Dauphin a été repréſenté par
M. le Duc de Gefvres , Pair de France , Premier
Gentilhomme de la Chambre du Roy , Chevalier
de fes ordres , Gouverneur de la ville , prevôté &
Vicomté de Paris & de la Province de l'ile de
France.
Madame Adelaïde a été repréſentée par Madame
la Ducheffe de Beauvilliers la Dame d'honneur :
l'enfant a été nommé Alexandre-Louis - Marie ; la
cérémonie a été faite par le fieur Duquesnoy ,
Curé de la Paroiffe ; le Corps de Ville y a affifté ,
& y a été conduit avec le pere , la mere & l'enfant
dans les caroffes de M. le Duc de Gefvres ,
ainfi que Madame la Ducheffe de Beauvilliers que
M. le Duc de Gefvres alla prendre au Château ; ifs
trouverent à la porte de l'Eglife , fous les armes ,
les Gardes du Gouvernement & ceux de M. le Duc
d'Aumont , Pair de France , Chevalier des ordres
du Roy , premier Gentilhomme de ſa Chambre ,
Gouverneur du Boullenois , & Gouverneur de la
ville de Compiegne ; les Trompettes des plaifirs
s'y trouverent , ainfi que les violons & inftrumens
de la ville : après la cérémonie M. le Duc de Gef236
MERCURE DE FRANCE.
vres fit préfent à la mere de l'enfant , d'une trèsbelle
boëte d'or , de la part de Monfeigneur le
Dauphin.
Le Comte de Noailles , Grand d'Espagne de la
Premiere Claffe , Lieutenant- Général des Armées
du Roi , Chevalier de la Toiſon d'or , & de l'Ordre
de Saint Louis , Bailli & Grand Croix de Malte,
vient d'être nommé par le Roi , fon Ambaſſadeur
Extraordinaire auprès du Roi de Sardaigne.
La diftribution des Prix généraux de l'Univerfité
fe fit le 4 de ce mois dans les Ecoles de Sorbonne
, en la maniere accoutumée . Le Parlement
y affifta, Cette cérémonie fut précédée d'un Difcours
Latin , que prononça le fieur Bertinot ,
Profeffeur de Rhétorique au College de Lizieux.
Le fieur Bille Rhé: oricien du même college , a
remporté le premier prix. Il le reçut des mains
du fieur de Maupeou , Premier Préfident. Les autres
prix furent diftribués par le fieur Dulaurenț
de la Barre , Recteur de l'Univerfité .
La Comteffe d'Eftrade ayant donné fa démiſſion
de la charge de Dame d'Atours de Madame Adelaide
, le Roi a difpofé de cette charge en faveur de
la Marquife de Civerac , une des Dames nommées
pour accompagner cette Princeffe.
Le 15 , fête de l'Affomption de la Sainte Vierge
, la proceffion folemnelle , qui fe fait tous les
ans à pareil jour , en exécution du voeu de Louis
XIII , fe fit avec les cérémonies ordinaires . L'abbé
de Saint- Exupery , Doyen du Chapitre de l'Eglife
Métropolitaine , y officia. Le Parlement , la Chambre
des Comptes , la Cour des Aydes , & le Corps
de Ville , y affifterent .
Le vaiffeau la Compagnie des Indes eft arrivé le
6 de ce mois à Belle- Ifle , venant de Pondichery ,
& ayant à bord le fieur Godehen .
SEPTEMBRE . 1755. 237
AVIS.
fieur Jacques Cottin & Compagnie , Mar
chand , rue Thibautaudé , donne avis au public ,
qu'il trouvera chez lui toutes fortes de toiles teintes
à froid , avec réferves . Après une longue fuite.
d'expériences on eft enfin venu à bout de fixer fur
la toile ( malgré tous les blanchiffages qu'on en
peut faire ) toute la fraîcheur & toute la variété
des couleurs. Ce fecret important & unique étoit
référvé au fieur Cabanes Anglois , qui par fes rares
talens a mérité l'approbation du Confeil. Le
débit confidérable qui le fait dans tout le Royau-`
me de ces nouvelles toiles qui imitent parfaitement
celles de la Chine & des Indes , eft une
preuve autentique de la folidité des couleurs que
procure la teinture à froid , & le public ne peut
qu'applaudir à une découverte qui lui eſt fi avantageufe.
AUTR E.
A veuve Simon Bailly continue à débiter les
Lvéritablesfavonettes légeres de pure crême de
favon , & pain de pâte graffe pour les mains , dont
elle a feule le fecret. Comme plufieurs perſonnes
fe mêlent de les contrefaire , & les marquent comme
elle , pour n'y pas être trompé , il faut s'adreſchez
elle , rue Pavée S. Sauveur , au bout de celle
du Petit-lion , à l'image S. Nicolas , une porte coshere
, prefque vis - à - vis la rue Françoife ; quartier
de la Comédie Italienne.
23S MERCURE DE FRANCE.
Errata pour le Mercure d'Août.
AGE 17 , ligne z . répodit Orphiſe , lifez répon-
PA dit.
Pag. 115 , lig. 12. on l'avoît recufé , liſ. acufé.
Pag. 17 , lig. 27. qu'on a cités , lif. qu'ils ont
cités .
• Pag. 142 lig. 24 Illiade , liſ. Iliade .
Ibid , lig. 18. Proetus , lif. Jobate.
Ibid , lig. 18. tard , lif. fort.
Pag. 143 , lig. 27. du Roi , lif. de Roi .
Pag. 144 , lig. 27. le fixiéme chapitre de l'Iliade ,
lif. le fixiéme livre de l'Iliade .
Pag. 145 , lig. 10. récompenfant , lif. récompenfent.
Pag. 146 , lig. 4. confervée , lif. confacrée.
Pag. 222 , lig. 11. le rôle d'Alztre , lif. ¿Alzire.
J'A
AP PROBATION.
" Ai lû , par ordre de Monfeigneur le Chancelier
, le Mercure de Septembre, & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A
Paris , ce 30 Août 1755.
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSes.
Tances à Mademoiſelle ***
pages
Svers adreffés à MAR. D. B. par une jeune De239
moifelle , âgée de huit ans ,
Le Moi. Hiftoire très - ancienne ,
Vers à S. M. le Roi de Pologne , fur la ftatue du
Roi de France qu'il a fait ériger à Nancy , 22
Les fouhaits , & la douce Vengeance ,
Vers à Mlle C. le jour de fa fête ,
Suite de l'eftime de foi -même , ou l'art d'augmenter
celle des autres , par M. de Baſtide ,
Vers à Madame P ...
Epitre à M. P *** fur le choix des livres ,
Lettre à l'Auteur du Mercurè ,
23
24
25
36
37
42
Comparaifon d'Homere & de Virgile , par M.
l'Abbé Trublet ,
Ode à la Vérité , par M. Poinfinet ,
Les deux Fourneaux . Fable ,
Penfées diverfes ,
52
55
58
6I
Epitre à M. Chevalier , premier Médecin de l'Electrice
de Baviere ,
Bouquet préfenté à M. de Monmartel ,
66
63
Mots des Enigmes & des Logogryphes du Mercure
d'Août ,
Enigmes & Logogryphes ,
Chanſon ,
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
72
73
78
Suite de la Séance publique de l'Ac . de Nifmes,79
Extraits , précis , ou indications des livres nouveaux
,
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Algébre. Solution du problême propofé dans le
fecond volume du Mercure de Juin dernier ;
par M. Bezout , Maître de Mathématique , 131
Hiftoire. Suite de l'hiftoire abrégée des guerres des
Algériens avec les Hollandois, 135
240
156
Abrégé chronologique de l'histoire de la ville de
Paris ,
Jurisprudence. Réflexions ſur la maniere d'enſeigner
& d'étudier le Droit , 172
Hiftoire naturelle . Lettre à l'Auteur du Mercure
fur les découvertes faites dans l'Artois , 184
Médecine. Réflexions fur la fixiéme obfervation
que M. Darluc , Médecin de Callian , a fait inférer
dans le Mercure , 187
Séance de l'Académie royale de Chirurgie , 191
ART. IV. BEAUX ARTS.
Peinture.
Gravure.
199
202
Architecture. Suite des Mémoires d'une Société
de gens de Lettres publiés eu l'année 2355 ,
ART. V. SPECTACLES.
Comédie Françoiſe ,
Comédie Italienne ,
Vers à M. Favart ,
Opéra comique ,
Concert fpirituel ,
204
223
226
227
ibid.
228
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres , 229
Nouvelles de la Cour , de Paris , & c. 235
La Chanson notée doit regarder la page 78.
De l'Imprimerie de Ch. A. JOMBERT.
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
JUILLET 1755.
Diverfité, c'eft ma devife . La Fontaine.
Cochin
Filine in
Php Sculp
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais .
PISSOT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques .
Avec Approbation : Privilege du Roi.
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
335288
ASTOR , LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1905
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft cher M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui qu'on prie d'adreſſer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre
quant à la partie littéraire , à M. de Boiffy ,
Auteur du Mercure.
Le prix eft de 36 fols , mais l'on ne payera
d'avance , en s'abonnant , que 21 livres pour
l'année , à raison de quatorze volumes . Les
volumes d'extraordinaire feront également de
30fols pour les Abonnés , & fe payeront avec
l'année qui les fuivra.
Les perfonnes de province auxquelles on
lenverra par la pofte , payeront 31 livres
10 fols d'avance en s'abonnant , & elles le
recevront franc de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront lesfrais du port fur
leur compte , ne payeront qu'à raison de 30
fals par volume , c'est-à- dire 21 livres d'a
vance , en s'abonnant pour l'année , fans les
extraordinaires .
Les Libraires des provinces ou des pays
A ij
étrangers, qui voudront faire venir le Merà
cure , écriront à l'adreffe ci - deſſus.
On Supplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la pofte , enpayant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le payement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteront au rebut.
L'on trouvera toujours quelqu'un en état
de répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de refter à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine , aprèsmidi.
On peut fe procurer par la voie du Mer
les autres Journaux , ainſi que les Livres
, Estampes & Mufique qu'ils annoncent,
cure
00000
***
S
C0000
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET. 1755 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
A M. L'ABBÉ DE ***
Par Madame de ***
Vous en répondrez devant Dies
De m'avoir trop ennorgueillie ;
Entre la Balourdife & l'efprit de faillie,
Javois pris un jufte milien :
Sans ofer me coëffer du poëtique liere ;
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
>
Contente de fçavoir , & penfer & fentir,
Abbé , je fourniffois ma modefte carriere
Et vous m'en avez fait fortir.
A de la profe mal rimée ,
Qui m'échappe à tort à travers
Je n'étois point accoutumée
A prodiguer le nom de vers :
Mais vaine de votre fuffrage •
J'ai dit: verfifions ....Il fe peut après tout ,
Que d'un talent en moi le germe fe dégage ,
J'en dois croire le Dieu du goût.
J'invoque vainement les Mufes & les graces ,
Vous feul donnez au bon le coloris du beau ;
Des Térences & des Horaces A
J'apperçois bien en vous l'affemblage nouveau ,
Mais tel modele à fuivre eft un pefant fardeau
Si vous m'appellez fur vos traces ,
Au moins de l'ignorance ôtez moi le bandeau."
Chaque habitant de la voûte azurée
Vient vous feconder à fon tour :
Moi par aucun je ne fuis infpirée.
Le Dieu qui difpenfe le jour ,
Momus , Minerve , Cithérée ,
Dans votre cabinet ont fixé leur fejour ,
Et votre plume fut tirée
D'une des aîles de l'amour.
生
JUILL E T. 1755. 7
LE PHILOSOPHE MILITAIRE.
Est-il un fort plus heureux que le mien ?
Dans ma petite folitude
Je n'ai que ce qu'il faut de bien
Pour vivre fans inquiétude.
Je me fuis fait de tout tems une loi
D'être réglé dans ma conduite ;
Cependant jamais je n'évite
Le plaifir quand il s'offre à moi .
Une douce philofophie ,
Que Dieu fait parler dans mon coeur ,
Seule eft la régle de ma vie ,
Et la caufe de mon bonheur.
**
A Corbi fous un toît ruftique ,
Au milieu des champs & des bois ,
C'eft-là que fouvent je m'applique
A regner dans mon coeur , à lui donner des loix.
C'eft-là que quand je vois fans ceffe
Mes paffions flater mes fens ,
Je crois voir des flateurs la troupe enchantereffe
M'offrir uninfipide encens.
A iv
S MERCURE DE FRANCE.
Je vois Corbi du même oeil que Verſailles
Souverain de mon coeur j'y vis en liberté :
L'innocence , la probité ,
Sont les remparts , font les murailles
Qui défendent notre cité.
Corbi n'eft qu'une foible image
De ce qu'il fut anciennement ;
Mais au moins a-t- il l'avantage,
S'il eft petii , d'être charmant.
Rien de plus gai , rien de plus agréable :
Il n'a point de Paris l'éclat tumultueux ;
Le plaifir eft moins vif, mais il eft plus durable
Mais il eſt plus délicieux.
Fait pour Paris , le fard ne peut rien fur nos ames,
Il feroit inutile en ces lieux écartés :
Autant on voit de jeunes Dames ,
Autant on compte de beautés.
Après le portrait fi fincere
Que je vous trace de ces lieux ,
Comment peut-on ne pas ſe plaire
Dans un féjour digne des Dieux.
De Sauvigny , Gendarme , à Corbi
JUILLET. 1755. 9
LET TRE
A L'AUTEUR DU MERCURE,
Sur le projet d'un nouveau Dictionnaire plus
utile que tous les autres.
M
ONSIEUR, je fuis François , mais
malheureufement j'arrive de ma
province. Je m'étois laiffe perfuader qu'avant
de me rendre à la capitale , ce centre
où tout ce qu'il y a de bon & de mauvais
vient aboutir , il m'étoit effentiel de meubler
ma tête de belles connoiffances , & de
tout ce qui peut orner l'efprit d'un jeune
homme , afin de n'être point déplacé parmi
les honnêtes gens : En conféquence
comme je ne me figurois rien de plus agréa
ble que de venir à Paris , & d'y tenir mon
coin dans les compagnies fans avoir l'air
provincial , je prenois avec une ardeur
incroyable des idées un peu plus que fuccintes
de toutes les fciences & de toutes
les parties des belles lettres : Je m'attachois
principalement à l'étude de ma langue , me
doutant bien que ce feroit à cela qu'on feroit
le plus d'attention , & que la maniere
de parler étoit l'étiquette des Provincianx.
Je m'étois même procuré le dictionnaire
Aw
10 MERCURE DE FRANCE.
néologique , afin de n'être pas plus embarrallé
qu'un autre fur les termes nouveaux
& précieux mais croiriez - vous ,
Monfieur , que malgré toutes mes précautions
& tous mes foins je n'en fuis pas plus
avancé. Je fuis précisément dans le cas
d'un répondant qui s'eft long- tems préparé
fur les principaux points de fa thefe , &
qu'on argumente fur toute autre chofe.
En quelque endroit que j'aille , on ne dit
pas un mot de ce que jai étudié , & l'on
parle de chofes qui font tout -à- fait neuves
pour moi. Modes dans les habits modes
dans les ameublemens ; modes dans les
équipages , modes dans la cuifine , modes.
de toute efpece ; voilà avec les nouvelles
du jour ce qui fait l'entretien de tous les
gens comme il faut. Je fuis h neuf fur toutes
ces matieres qu'on me prend tout - à-fait
pour un étranger , on ne me fait pas même
l'honneur de me regarder comme un pro
vincial j'ai beau m'obferver & m'étudier
à parler comme les autres , je fuis tout
auffi embarraffé que le premier jour , non
feulement pour le tour & la conftruction
des phrafes , mais même fur les termes.
Je tache de retenir quelque chofe dans un
cercle pour aller vîte briller en le débitant
dans un autre , comme font la plupart des
gens à la mode , mais je confonds les mots.
JUILLET. 1755 .
& j'ai le chagrin de m'appercevoir que je
fais rire les autres . A table , fi on me demande
d'un plat , je fers d'un autre ; ce
qui me femble être de la viande eft du
poiffon , ce qui me paroît poiffon eft légume
, & je prends de la volaille des
pour
écreviffes , tant on a porté loin l'art de
mafquer tout ce que l'on mange. Les noms
feuls des différens ragoût qui ont déja
frappé mon oreille effrayent ma mémoire.
Les coëffures des Dames & même celle des
hommes , par je ne fçais quel rapport avec
les événemens du fiécle , changent auffi
fouvent de formes & de noms qu'il futvient
de circonftances nouvelles dans les
affaires du tems , ou dans les phénomenes
naturels. Nos meubles , grace aux recherches
des heureux du fiécle & à l'art ingénieux
de nos ouvriers , ne reffemblent plus
à ceux de nos peres. Ces induftrieux Dé
dales , fous prétexte de rendre les chofes
plus commodes , multiplient les inutilités .
Habiles à faire tourner notre légereté à leur
profit & à fe faire un fonds folide de notre
goût pour les futilités , ils femblent
avoir envie d'épuifer toutes les combinaifons
des figures , & chaque nouvelle
forme reçoit un nouveau nom ; mais tout
cela n'est rien en comparaifon du nombre
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
>
immenfe d'équipages de différente efpe
ce , dont Paris voit avec empreffement fes
promenades décorées , & qui nous font
l'honneur de nous éclabouffer ou de nous
faire avaler la pouffiere. Quel plaifir au
fortir de cette belle & agréable promena→
de des Boulevards de s'entretenir dans un
cercle de gens d'efprit & du bon ton de
toutes les jolies chofes qu'on y a vûes
de faire un éloge emphatique des voitures
les plus leftes , des peintures les plus gaies ,
des vernis les plus beaux , enfin des jolis
chevaux , des harnois brillans , des robes.
de goût & afforties aux couleurs du carroffe
, & de s'entr'exciter à faire encore
mieux le Jeudi ou le Dimanche fuivant :
mais auffi quel chagrin de ne pouvoir rendre
un compte exact de tout ce qu'on a
vu , faute de fçavoir les noms de toutes
ces admirables inventions modernes , &
quelle mortification pour un jeune homme
qui veut fe faire une réputation dans
le monde d'être arrêté à chaque inftant ,
de confondre fans ceffe les termes & de
ne fçavoir pas diftinguer les cabriolets ,
les culs- de-finge , les diables , les defobli
geantes , les vis - à- vis , les folo , les foufflets
, les dormenfes , les fabots , les phaëtans ,
les ......
JUILLE T. 1755 13
Ma foi, fur tant de mots ma mémoire chancelle . *
Voilà précisément ce qui me défefpere ,
& ce qui m'oblige , Monfieur , à prendre
la liberté de vous écrire. Vous pourrez ,
en rendant ma lettre publique ,faire naître
à quelque bel efprit verfé dans toutes ces
connoiffances précieufes , & qui n'aura
rien de mieux à faire , une idée que je
m'étonne n'être encore venue à perfonne
dans le tems & dans le pays où nous vivons
:c'eſt le projet d'un dictionnaire qui
expliqueroit tous ces termes de nouvelle
fabrique , & qui nous en fixeroit la juſte
valeur & la vraie fignification . Quoi ! on
a la manie de tout mettre en dictionnaire
, jufqu'aux fciences mathématiques . On
nous donne par ordre alphabétique des
théorêmes , des fermons , des vérités métaphyfiques
, des régles mêmes pour la conduite
des moeurs , & perfonne ne s'eft encore
avifé de travailler à l'explication des
termes nouveaux de cuifine , d'ajuftemens,
d'équipages & de meubles . Voilà pourtant
, fi je ne me trompe , une vraie matiere
à dictionnaire. Le nom feul de ces
fortes d'ouvrages emporte l'idée de l'ex-
* M. Deftouches. Dans la Comed. du Glorieux
Act. S
14 MERCURE DE FRANCE.
plication des mots d'une langue , & affitrement
je ne vois pas qu'il y en ait qui
reviennent plus fouvent dans la converfation
que ceux dont il eft ici queftion . Comme
le befoin que j'ai d'un pareil livre m'en
a fait fentir toute l'importance , & que
j'ai long-tems médité & réfléchi fur ce
projet , je veux bien communiquer me's
idées & tracer le plan felon lequel je conçois
qu'on pourroit l'exécuter. L'ouvra
ge , en imprimant d'un caractere un peu
moins gros que de coutume , & en fupprimant
pour la commodité du lecteur ce
qu'on appelle les reffources de la Librairie
,fauf à le faire payer plus cher , pourra
être réduit à un vome in - 8 °. fous le titre
de Dictionnaire portatif de tous les
>> termes nouveaux & en ufage parmi un
certain monde , concernant la table , les
équipages , les ameublemens , les ajuſte-
» mens , tant d'hommes que de femmes ,
» & les modes de toute efpece , pour fer-
» vir de monument à la conftance & au
» bon goût de la nation ; ouvrage extrê-
» mement utile à tous ceux qui veulent
» fe répandre & paroître bonne compagnie ,
avec des anecdotes , & c.
-39
Vous voyez , Monfieur , que le titre de
l'ouvrage intéreffe & promet beaucoup
mais la maniere de l'exécuter peut encore
JUILLET. 1755. I'S
furpaffer l'attente du lecteur , & je la crois
fufceptible de beaucoup d'agrémens. L'aureur
pourra à chaque article , outre l'étymologie
, la définition & la critique des
termes , donner des anecdotes auffi curieufes
qu'intéreffantes. La matiere eft affez
ample , & la provifion des ridicules n'eft
pas prête à être épuifée. Pour un qui difparoît
il en renaît dix, Combien de jolies
chofes à nous apprendre , combien d'aventures
amufantes à nous raconter , combien
d'apoftilles qu'on peut placer à propos de
chaque efpece de mode différente ? L'origine
& la commodité des vis-à vis , l'hiftoire
& l'étymologie des cabriolets , la
généalogie d'un brillant équipage qu'on a
vû paffer fucceflivement d'une Actrice à
une honnête femme , & d'une honnête
femme à une Actrice ; les différentes fcenes
que nos jeunes éventés nous donnent
tous les jours fur les Boulevards ; leurs
difputes & la fage retenue de quelquesuns
d'entr'eux ; la defcription de cette délicieufe
promenade qui eft bordée d'un
côté par des derrieres de maifon & de l'autre
par les égoûts , la voirie & quelques
fauxbourgs en perfpective ; les embelliffemens
qui s'y font tous les jouts en élevant
à menus frais des cabarers à bierre mal
alignés , mauvaiſes copies d'un joli petis
16 MERCURE DE FRANCE.
caffé gardé par un Suiffe pour empêche
les laquais de boire avec leurs maîtres , &
diverfes baraques pour les géans , les nains,
les marionettes , les danfeurs de corde ,
les finges , & autres curiofités ; ces parades
fi fpirituelles qui amufent également le
petit peuple & les gens à équipages ; ces
parties fines auffi promptement exécutées
que formées , de s'en aller après -minuir
d'un air évaporé faire relever les joueurs
de marionettes pour s'ennuyer , bâiller ,
& feperfuader au fortir de là qu'on s'eft
bien amufé parce qu'on a fait quelque chofe
d'extraordinaire ; ces différentes fortes
de voitures à la file les unes des autres ,
dont les plus maflives écrafent les plus
leftes , les difputes des cochers , les cris
des Dames , le contrafte burlefque du carroffe
d'un grand Seigneur vis- à- vis de celui
d'un Sou -fermier , d'un demi - équipage de
Médecin à côté de la berline d'un conva
lefcent en bonnet fourré , de la voiture
noble & décente d'un Abbé à la faite d'un
vis-à vis lefte & brillant d'une fille à talent
, le tout entrelardé de remifes & de
fiacres poudreux ; la même confufion &
peut - être encore plus bizarre parmi ce
qu'on appelle l'infanterie ; cerse cohue mal
compofée de gens de toute efpece qui fe
condoient , qui fe preffent , & qui s'obfti
JUILLET. 1755. 17
Want à fe promener toujours dans un efpace
très-limité , s'aveuglent & s'étranglent
de pouffiere malgré les attentions du fucceffeur
de M. Jofeph Outrequin ; les beautés
de tout âge étalées fur des chaiſes , &
qui prendroient grand plaifir à voir la
foule & à en être vûes fi on ne leur marchoit
pas fur les pieds , & fi on ne leur faifoit
pas avaler la pouffiere ; les Dames qui
veulent mettre pied à terre pour mieux
refpirer , & qui font obligées de remonter
en leurs carroffes & de s'y enfermer pour
ne pas étouffer ; les bourgeoifes du Marais
en gand panier qui ont la patience de refter
affifes jufqu'à la nuit fermée , malgré
les incommodités de la promenade , pour
ne pas paroître s'en retourner à pied ; des
jeunes filles qui jouent les Agnés & qui
amufent deux hommes à la fois ; fur des
chaiffes un peu plus à l'écart certaines
beautés d'une autre efpece , moins honnêtes
à la vérité , mais peut- être moins fourbes
, qui attendent un fouper ; les honnêtes
gens confondus avec la canaille , parmi
des foldats ivres qui vous infultent ,
des pauvres qui vous demandent l'aumône
, des artiſans qui reviennent de la guinguette
, des marchands de ptifane avec
leurs maudites fontaines , dont le robinet
femble s'alonger tout exprès pour vous
is MERCURE DE FRANCE.
meurtrir les bras ; des nourrices affifes aux
pieds des arbres qui donnent à têter à leurs
enfans , & qui jurent & peftent contre les
cabriolets dont elles appréhendent les reculades
, & encore plus contre les jeunes
fous qui veulent faire le métier de leurs
cochers fans y rien entendre ; enfin tous
ces objets divers forment un tableau bien
varié , dont le détail ne peut manquer de
plaire étant amené à
,
propos.
Au refte , quelque habile que foit l'auil
ne faut pas qu'il fe repofe trop fur
fes propres lumieres , il doit tout voir
tout confulter , & n'épargner aucune démarche
pour perfectionner fes recherches.
Il faudra qu'il fe trouve affidument aux
fpectacles , aux promenades , principalement
fur les cours , qu'il fréquente les
gens de l'art , qu'il fe rende dans les cuifines
des Fermiers Généraux , & même
"des Commis , qu'il aille vifiter les boutiques
des felliers , des marchands de modes
, des bijoutiers & autres marchands de
fuperfluités pour les confulter & pour s'entretenir
avec eux : c'eſt ſouvent avec ces
gens - là qu'on puife les lumieres les plus
folides , & pour peu qu'on fçache les interroger
& les faire parler , on profite plus
avec eux qu'avec les livres : par ce moyen
il fera informé de la premiere main de
JUILLET. 1755. 19
toutes les admirables variations qui font
furvenues dans nos modes , il fera en état
d'en faire l'hiftoire , de fixer le fens de
chaque terme , d'en donner la véritable
étymologie , & d'expofer au jufte la circonftance
de l'événement , foit politique ,
foit phyfique qui y a donné lieu . Il apprendra
aux lecteurs étonnés que ce n'eft
pas toujours aux ouvriers qu'on doit les
belles découvertes dans ce genre , & que
fouvent c'eft à la fagacité & aux réflexions
fages de certaines têtes qu'on croiroit occupées
du bien public que nous fommes
redevables de la tournure d'une manche ,
ou de la forme d'un fiége de cocher : ainſi
il affurera la gloire & l'invention à celui à
qui elle eſt dûc .“
Comme il eft vraisemblable qu'il y aura
des changemens & des augmentations à
faire tous les ans , on pourra donner le
fupplément gratis à ceux qui auront foufcript
, jufqu'à ce que tous les termes qui
font aujourd'hui en ufage étant vieillis &
tout- à-fait tombés après une longue période
, * par exemple , de vingt ans on foit
* On lit dans nos Auteurs comiques qui vivoient
il y a quarante ou cinquante ans , des
termes alors en ufage pour fignifier des mots
tout-à-fait inconnus , la ftinkerque , la malice
l'innocente, lafouris.
20 MERCURE DE FRANCE.
obligé de recommencer un autre vocabu→
laire.
Voilà , Monfieur , le projet que j'ai
conçu , & que j'aurois exécuté fi je m'étois
fenti en état de le faire. Je vous prie d'en
faire part au public , afin que fi quelqu'un
fe fent affez de capacité , de mérite & de
patience , il le mette en exécution ; je puis
répondre d'un grand nombre de foufcripteurs.
J'ai l'honneur d'être , &c.
JUILLET. 1755. 27
L'OURS ET LE RAT,
OU L'OURS PHILOSOPHE
FABLE.
Ertain Ours mal léché n'ayant ri de fes
jours ,
S'avifa de vouloir devenir philofophc.
On dit que Jupiter fit de la même étoffe
Les Philofophes & les Ours.
Tout fage étant d'humeur un tant ſoit
tale ,
peu bru
Un Ours peut embraffer cette profeffion.
Celui que j'introduis choifit dans la morale
Pour premiere vertu la modération.
Au fond d'un bois obſcur un antre folitaire
Lui parut propre à fon projet.
Rien dans ce lieu caché ne le pouvoit diftraire,
Il eſt vrai ; mais auffi feul en cette forêt ,
Quel mérite avoit- il de vaincre la colere
Tout hermite eſt bâti de cette façon là :
Ils cherchent les déferts , les bois , la folitudes
Hé mes amis , ce n'eft pas là
Que l'on peut de fon coeur faire une heureuſe
étude ;
Le vice y dort, mais n'y meurt pas
22 MERCURE DE FRANCE.
Il n'eft pas étonnant qu'à l'abri de l'injure
La vengeance foit fans appas.
Loin de tout bienfaiteur , c'eft chofe auffi très
sûre
Que vous ne ferez point ingrats.
Pauvres , vous ne fçauriez abuſer des richeffes ;
Payer des flateurs , des maîtreffes ,
Intenter d'injuftes procès.
Seuls , j'imagine bien que vous êtes difcrets :
Vous ne pouvez tromper par de fauffes careffes
Que quelques images de Saints :
Mais quel exemple auffi donnez - vous aux hu
mains ?
Je reviens à notre Ours qui plein d'un zéle extrême
,
Et brûlant d'arriver à la perfection ,
Refléchiffoit fur l'art de fe vaincre foi-même.
Un Rat interrompit fa méditation :
De notre fage alors le cerveau fe dérange.
Il fe livre aux accès d'une fureur étrange;
Rugit après ce Rat comme après un lion ,
Le pourfuit , l'atteint & le venge.
Vertueux fans effort dans un lâche loifir
On cache des penchans que l'on devroit pour
fuivre ;
Ce n'eft qu'un feu couvert toujours prêt à revivre
:
JUILLET.
17558 2.3
Bientôt au moindre fouffle il fçaura nous trahir.
Le coeur pour le former a beſoin d'exercice ,
Contre les paffions ardent à fe roidir ,
Jamais par la retraite il ne faut qu'il fléchiffe :
On doit édifier le monde & non le fuïr.
EPITRE
A ÉGLÉ ,
Par Mademoiselle Loifean.
C'Eft un peu tard acquitter ma parole ;
Mais , Eglé , le tems qui s'envole
A paffé trop rapidement.
L'excufe doit te paroître frivole ;
Abrégeons donc le compliment.
• Ecoute le récit d'un fait intéreffant ;
C'eft de tes agrémens l'époque curieuſe :
Ceci n'eft point hiftoire fabuleuse ,
Charmante Eglé , l'autre jour je l'appris,
De l'aimable fils de Cipris.
Morphée avec l'Amour eut de tout tems querellé
,
L'Amour le redoutoit plus que les autres Dieux ;
Le tranquille fommeil s'emparant d'une belle ,
Voiloit le charme de ſes yeux.
C'en étoit fait de ſa puiſſance i
24 MERCURE DE FRANCE.
Il ne faut qu'an regard d'une jeune beauté
Pour furprendre la liberté
D'un coeur qui veut en vain s'armer d'indiffé
rence.
Par un coup d'oeil l'inconftant arrêté ,
Ne fent plus le poids de fa chaîne ,
Et le plaifir qui le rameine
S'offre à lui fous les traits de la variété.
L'enfant aîlé quitte Cithere ;
Guidé par fon courroux , il voudroit de la terre
Bannir Morphée & fa trifte langueur :
Mais aux mortels il eſt trop néceffaire ,
Un teint fleuri lui doit ſa plus vive couleur ;
C'est lui qui des appas conferve la fraîcheur.
Que faire ? Amour , jaloux de foutenir ſa gloire ,
Imagine un moyen d'être enfin le vainqueur.
Les pavots deformais vont hâter la victoire ,
Et ferviront à dompter plus d'un coeur.
Pour triompher des ames les plus fieres ,
A la beauté , ce Dieu donna longues paupieres .
Une belle pour lors dans les bras du fommeil
Parut avoir de nouveaux charmes .
Ses attraits pour l'Amour font de nouvelles armes,
Et rendent plus touchant le moment du réveil.
L'aftre du jour à travers un feuillage ,
Fait briller fes rayons , mais leurs feux font plus
doux:
De deux beaux yeux il nous offre l'image :
Les paupieres font cet ombrage
Qui
JUILLET. 1755. 25
Qui rend certain le fuccès de leurs coups ,
Le regard s'attendrit & bleſſe davantage.
Depuis cette victoire , Amour n'a plus d'égal .
C'est ainsi que fon art triompha de Morphée ;
Il goûte le plaifir de foumettre un rival ,
Et fes pavots lui fervent de trophée.
Si de la fiction , permife dans les vers ,
Quelqu'un croît ici que j'abufe ;
Je puis convaincre l'univers ,
Eglé juſtifiera les tranfports de ma`muſe.
En la voyant , d'un Dieu l'on reffent tous les
traits.
Oui , belle Eglé , tes féduifans attraits ,
Jufques dans le fommeil confervent leur puiffance.
De fes douceurs jouis en affurance ,
L'Amour qui s'eft fixé pour jamais fous ta loi ,
Lorfque tu dors veille pour toi.
26 MERCURE DE FRANCE.
IL EUT TORT.
Hiftoire vraisemblable.
H! qu'est- ce qui ne l'a pas ? on n'eft
dans le monde environné que de torts.
Ils font néceffaires , ce font les fondemens
de la fociété ; ils rendent l'efprit liant , ils
abaiffent l'amour- propre. Quelqu'un qui
auroit toujours raifon feroit infupportable.
On doit pardonner tous les torts ,
excepté celui d'être ennuyeux , celui là eſt
irréparable. Lorfqu'on ennuye les autres ,.
il faut refter chez foi tour feul comme
l'opéra d'Ajax . Je demande ce que l'on
deviendroit s'il alloit faire fes vifites dans
les maifons ?
Paffons à l'hiftoire de Mondor. C'étoit
un jeune homme malheureuſement né ; il
avoit l'efprit jufte , le coeur tendre & l'ame
douce voilà trois grands torts qui en
produiront bien d'autres.
En entrant dans le monde , il s'appliqua
principalement à tâcher d'avoir toujours
raifon. On va voir comme cela lui réuffit.
Il fit connoiffance avec un homme de la
cour ; la femme lui trouva l'efprit jufte ,
parce qu'il avoit une jolie figure ; le mari
JUILLET. 1755. 27
lui trouva l'efprit faux , parce qu'il n'étoit
jamais de fon avis.
La femme fit beaucoup d'avances à la
jufteffe de fon efprit ; mais comme il n'en
étoit point amoureux , il ne s'en apperçut
pas. Le mari le pria d'examiner un traité
fur la guerre qu'il avoit compofé à ce
qu'il prétendoit. Mondor après l'avoir lû
lui dit tout naturellement qu'en examinant
fon
ouvrage , il avoit jugé qu'il feroit
un fort bon négociateur pour un traité de
paix.
Dans cette circonftance , un régiment
vint à vacquer , un petit Marquis avorté
trouva l'auteur de cour un génie tranfcendant
, & traita fa femme comme fi elle
eût été jolie , il eut le régiment : le Marquis
fut Colonel . Mondor ne fut qu'un
homme vrai ; il eut tort .
Cette aventure le rebuta , il perdit toutes
vûes de fortune , vint à Paris vivre en
particulier , & forma le projet de s'y faire
des amis. Ah ! bon Dieu , comme il eut
tort ! il crut en trouver un dans la perfonne
du jeune Alcipe ; Alcipe étoit aimable
avoit le maintien décent & les propos
d'un homme effentiel.
Un jour il aborda Mondor avec un air
affligé , auffi tôt Mondor s'affligea ( car il
n'y a point de plus fottes gens que les gens
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
d'efprit qui ont le coeur bon ) ; Alcipe lui
dit qu'il avoit perdu cent louis fur fa parole
, Mondor les lui prêta fans vouloir de
billet ; il crut par là s'être acquis un ami.
Il eut tort : il ne le revit plus.
que
Il donna dans les gens de lettres ; ils le
jugerent capable d'examiner leurs piéces :
als obtinrent audience de lui plus aifément
que du public : il y en eut un en qui Mondor
crut reconnoître du talent , il lui fembla
digne de la plus grande févérité il
lût fon ouvrage avec attention : c'étoit une
Comédie il retrancha des détails fuperflus
, exigea plus de fonds , demanda à
l'auteur de mieux enchaîner fes fcènes , de
les faire naître l'une de l'autre , de mettre
toujours les acteurs en fituation , de prendre
bien plus garde à la jufteffe du dialogue
qu'au faux brillant de l'efprit , de
foutenir fes caracteres , de les nuancer
finement fans trop les contrafter ; il lui
fit remarquer que les pacquets de vers
jettent prefque toujours du froid fur l'action.
Voilà les confeils qu'il donna à l'auteur
; il corrigea fa piéce en conféquence ;
il éprouva que Mondor l'avoit mal confeillé.
Les comédiens ne trouverent pas
qu'elle fût jouable .
Cela le dégoûta de donner des avis. Le
même auteur qui auroit dû fe dégoûter de
JUILLE T. 1755. 29
faire des pièces , en compofa une autre qui
n'étoit qu'un amas de fcènes informes &
découfues. Mondor n'ofa pas lui confeiller
de ne la point donner ; il eut tort , la pièce
fut fifflée . Cela le jetta dans la perplexité ;
s'il donnoit des confeils , il avoit tort ; s'il
n'en donnoit pas , il avoit tort encore . Il
renonça au commerce des beaux efprits &
fe lia avec des fçavans ; il les trouva prefqu'auffi
triftes que des gens qui veulent
être plaifans. Ils ne vouloient parler que
lorfqu'ils avoient quelque chofe à dire ; ils
fe taifoient fouvent. Mondor s'impatienta
& ne parut qu'un étourdi . Il fit connoiffance
avec des femmes à prétentions , autre
méprife : il fe crut dans un climat plus voifin
du foleil ; c'étoit le pays des éclairs ,
où prefque toujours les fruits font brûlésavant
que d'être murs ; il remarqua que
la plupart de ces Dames n'avoient qu'une
idée qu'elles fubdivifoient en petites penfées
abftraites & luifantes ; il s'apperçut
que tout leur art n'étoit que de hâcher
l'efprit ; il connut le tort qu'il avoit eu de
rechercher leur fociété ; il voulut y briller ,
parut lourd ; il voulut y raifonner , il
parut gauche en un mot , il déplût quoiqu'il
fçût fort bien fes auteurs latins , &
fentit qu'on ne pouvoit pas dire à un jeune
il
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
homme voulez - vous réuffir auprès des
femmes , lifez Ciceron.
Mondor étoit l'homme du monde le
plus raifonnable , & ne fçavoit quel parti
prendre avoir raifon. Il éprouva pour que
dans le monde les torts viennent bien
moins de prendre un mauvais parti que
d'en prendre un bon mal adroitement.
Il avoit voulu être courtifan , il s'étoit
caffé le coû ; il avoit cherché à ſe faire des
amis , il en avoit été la dupe ; il avoit vu
de beaux efprits , il s'en étoit laffé ; des
fçavans , il s'y étoit ennuyé ; des femmes ,
il y avoit été ennuyeux : il entendit vanter
le bonheur de deux perfonnes qui s'aiment
véritablement , il crut que le parti le plus
fenfé étoit d'être amoureux ; il en forma
le projet , c'étoit précisément le moyen de
ne le pas devenir. Il examinoit toutes les
femmes ; il mettoit dans la balance les
agrémens & les talens de chacune , afin de
fe déterminer pour celle qui auroit une
perfection de plus. Il croyoit que l'amour
eft un dieu avec lequel on peut marchander.
Il eut bean faire cette revûe , il eut beau
s'efforcer d'être amoureux , cela fut inutile
; mais un jour fans y penfer , il le devint
de la perfonne la plus laide & la plus capricieufe
: il fe remercia de fon choix ; it
1
JUILLET. 1755. 31
vit cependant bien qu'elle n'étoit pas belle ;
il s'en applaudiffoit ; il fe flattoit de n'avoir
point de rivaux : il avoit tort ; il ignoroit
que les femmes les plus laides font les plus
coquettes. Il n'y a point de minauderie ,
point de regard , point de petit difcours
qui n'ait fon intention : elles fe donnent
autant de foin pour faire valoir leur figu
re , qu'on en prend ordinairement pour
faire rapporter une mauvaife terre . Cela
leur réuffit ; les avances qu'elles font flattent
l'orgueil , & la vanité d'un homme
efface prefque toujours la laideur d'une
femme.
Mondor en fit la trifte expérience ; il
fe trouva environné de concurrens ; il en
fut inquiet : il eut tort ; cela le conduifit
à un plus grand tort , ce fut de fe marier.
Il traita fa femme avec tous les égards
poffibles : il eut tort ; elle prit fa douceur
pour foibleffe de caractere & le maîtrifa
durement ; il voulut fe brouiller : il eut
tort ; cela lui menagea le tort de fe raccommoder
; dans les raccommodemens
il eut deux enfans , c'est-à-dire deux torts :
il devint veuf , il eut raifon ; mais il en fit
un tort : il fut fi affligé qu'il fe retira dans
fes terres.
Il trouva dans le pays un homme riche ,
mais qui vivoit avec hauteur , & ne voyoit
Biiij
32 MERCURE DE FRANCE.
aucun de fes voisins , il jugea qu'il avoit
tort il eut autant d'affabilité que l'autre
en avoit peu , il eut grand tort ; fa maifon
devint le réceptacle de gentillaftres qui
l'accablerent fans relâche . Il envia le fort
de fon voifin , & s'apperçut trop tard que
le malheur d'être obfedé eft bien plus fâcheux
que le tort d'être craint . On lui fit
un procès pour des droits de terres ; il aima
mieux céder une partie de ce qu'on lui
demandoit injuſtement que de plaider ; il
fe comporta en honnête homme , donna à
dîner à fa partie adverfe , & fit un accommodement
defavantageux : il eut tort. Un
fi bon procédé fe répandit dans la province
; tous fes petits voifins voulurent profiter
de fa facilité , & reclamer fans aucun titre
quelque droit chymérique ; il eut vinge
procès pour en avoir voulu éviter un , cela
le révolta ; il vendit fa terre , il eut tort :
il ne fçut que faire de fes fonds. On lui
confeilla de les placer fur le concert d'une
grande ville voifine qui étoit très - accrédité .
Le Directeur étoit un joli homme qui s'étoit
fait Avocat pour apprendre à fe connoître
en mufique. Mondor lui confia fon argent ,
il eut grand tort. Le concert fit banqueroute
au bout d'un an malgré la gentilleffe
de M. l'Avocat . Cet événement ruina Mondor
, il fentit le néant des chofes d'ici -bas ;
JUILLET. 1755. 33
il voulut devenir néant lui - même ; il fe fit
Moine , & mourut d'ennui : voilà fon dernier
tort.
ÉLOGE DU MENSONGE.
A Damon.
Vieillirons -nous dans les entraves ,
Martyrs de notre auftérité ?
Cher Damon , de la vérité
Ne verra-t-on que nous d'efclaves ?
De ce perfonnage onéreux
Abjurons la morgue importune ,
Et fans faire les rigoureux ,
Mentons , puifque tout ment , fuivons la loi
commune.
Tu ris : tu prens cette leçon
Pour un frivole badinage ;
Mais je prétens à ce foupçon
Faire fuccéder ton fuffrage.
Raifonnons. Entraîné par une vaine erreur ,
Tu crus la vérité digne de préférence ;
Mais par quel attrait féducteur
Mérite -t-elle ta conftance ?
Eft-ce par un air fec , un ton fouvent grondeur ?
Sans foupleffe , fans complaifance ,
Que fait- elle pour le bonheur ?
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
Peut- elle l'emporter fur un rival aimable ?
Le menfonge riant , ce zélé bienfaiteur
Au contraire toujours affable ,
Par de là nos defirs nous comble de faveurs .
C'eft lui dont la main fecourable
Sur un affreux deftin fçait répandre des fleurs ;
Il féduit les efprits , il enchaîne les coeurs :
Nous lui devons enfin l'utile & l'agréable.
Damon , je n'exagere point ;
Sui moi pour éclaircir ce point.
Cet eſpace inconnu d'où nous vient la lumiere ,
Où des foleils fans nombre étincellent fans fin ,
Fut jadis une mer de fubtile matiere ,
Où le noyoit l'efprit humain.
Mon impofteur par fa bonté féconde ,
Dans ce cahos vous fabriqua des cieux ;
Fit mieux encor ; il les peupla de Dieux
Qu'il enfanta pour régir ce bas-monde.
A chacun d'eux il impofa fes loix ;
Son premier-né fut armé du tonnerre ;
L'un fit aimer , l'autre alluma la guerre ;
Ainfi de tous il fixa les emplois.
Il leur bâtit des temples fur la terre ,
Sur leurs autels il fit fumer l'encens ;
Bref , il voulut que de ces Dieux naifans.
L'homme attendît les biens & la mifere.
De tel événement vulgaire
Qu'on croiroit digne de mépris ,
Souvent il fçut faire un mystere ,
JUILLE T. 1755. 35
Lui donnant à propos ce divin caractere ,
Qui du peuple étonné fubjugue les efprits .
Autrefois à fon gré les Vautours , les Corneilles
Prophétifoient dans l'air par d'utiles ébats ;
Le bourdonnement des abeilles
Préfageoit le fort des combats ,
Et cent fois il fixa le deftin des états
Par d'auffi burleſques merveilles .
Combien de conquérans & de héros fameux
Verroient retrancher de leur gloire ,
S'il laiffoit redire à l'hiſtoire
Ce que le fort a fait pour eux ;
S'il ne nous déguifoit leurs honteufes foibleffes ;
Et fi d'un voile généreux ,
Il ne couvroit leurs petiteffes.
Laiffant à part ces hauts objets ;
C'eft dans le commerce ordinaire ,
Que du menfonge néceffaire
Tu vas admirer les bienfaits .
Pour ne point offenſer notre délicateſſe ,
Il s'y montre toujours fous un titre emprunté ;
Gardant l'incognito fous ceux de politeffe ,
D'amitié, d'amour , de tendreffe ,
Souvent même de charité ,
Seul il fait tous les frais de la fociété .
Suppofons un moment que le ciel en colere
Contraignit les mortels par un arrêt févere ,
A peindre dans leurs moeurs & dans tớis lears
discours ,
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Ces fecrets fentimens dont ils gênent le cours ;
Quelle honte pour notre espece !
Paris plus effrayant que les antres des ours
Deviendroit un féjour d'horreur & de triſtelle !
Tu verrois , cher ami , les trois quarts des humains
S'accablant tour à tour de leur indifférence ;
De leur haine , de leurs dédains ,
S'annoncer par leur
arrogance
Qu'ils font prêts d'en venir aux mains.
Tu verrois des enfans , des héritiers avides ,
Sur des biens à venir trop lents
Attacher fans pudeur des regards dévorans
Et par des foupirs homicides
Compter les jours de leurs parens.
Dans les chaînes du mariage
Des captifs inquiets , victimes de P'humeur
Feroient par leur bifarre aigreur
Un enfer de leur esclavage.
Maint ami prétendu , léger , intéreſſé ,
Négligeant de voiler fon ame déteſtable ,
Ne fe montreroit empreffé
Que pour l'amuſement , la fortune & la table.
L'incorrigible protegé .
Dans les yeux du patron , ou glacés ou mauffades
,
Dans d'affligeantes rebuffades.
Liroit clairement fon congé..
Un amant brutal & volage
JUILLET. 1755 3.7 .
Sans prélude , fans petits foins ,
Offriroit à fa belle un infipide hommage
Toujours reglé fur fes befoins .
L'amante fans fard , fans fineffe ,
Soumise à fon vainqueur dès le premier inftant ,
Ne prendroit d'autre avis pour marquer la foibleffe
,
Que celui d'un groffier penchant.
Leurs defirs amortis diffipant toute ivreffe ,
Un prompt & fot dégoût finiroir le roman .
Tel feroit l'homme vrai guidé par ſa nature.
Mais détournons les yeux de ce tableau pervers ,
Et parcourons le bien que l'utile impofture
Fait en réformant l'univers .
L'intérêt , l'envie & la haine
Frémiffent vainement dans l'abîme des coeurs ;
La bienféance les enchaîne
Et dérobe au grand jour leurs perfides noirceurs.
L'homme , bien loin d'être farouche ,
D'un amour fraternel , prend les dehors ' trompeurs
;
Ses yeux font careffans , fes geftes font flateurs ,
Et le miel coule de ſa bouche.
A travers les égards , les doux empreffemens ,
Les foins refpectueux , la tendre inquiétude ;
Les yeux même les plus perçans
Pourroient - ils découvrir l'avide ingratitude
Des héritiers & des enfans ?
Şi maudire leur joug & perdre patience ,
38 MERCURE DE FRANCE.
Eft le deftin fecret d'une foule d'époux ,
Le fçavoir vivre & la décence
De la tendreffe encor confervent l'apparence ,
Et couvrent au moins les dégoûts.
D'équivoques amis le monde entier foiſonne
Mais le peu de fincérité ,
L'intérêt & la vanité
Dont à bon droit on les foupçonne
S'éclipfent fous l'amenité ,
Sous l'air fagement affecté
De n'en vouloir qu'à la perfonne.
Le moins fenfible protecteur
Sous un mafque riant déguifant fa froideur ,
D'une féduifante fumée
Sçait repaître l'ame affamée
D'un fuppliant perfécuteur .
L'amour ne feroit qu'un fonge ,
Une puérilité ;
Mais l'officieux menfonge ,
L'érige en divinité ;
Redoutable par les armes ,
Ou foumettant à fes charmes
Le coeur le plus indompté ,
Il change en idolâtrie
Notre goût pour la beauté.
L'art de la coquetterie
Fut lui feul inventé ,
par
Et fans la fupercherie
Seroit-il exécuté ?
JUILLET. 39 1755.
*
Pour obtenir douce chance ,
L'amant jure la conftance
Et projette un autre amour :
à fon tour ;
L'amante trompe
Feint une pudeur craintive ,
Et pour s'affurer d'un coeur ,
Cache Pardeur la plus vive
Sous l'air froid & la rigueur.
Friands de tendres premices
Cherchons-nous la nouveauté ?
Malgré leur habileté ,
Nos belles font les novices ;
Un ton de naïveté ,
Mille obligeans artifices
Flattent notre vanité.
Si l'ufage des délices
Eteint leur vivacité ;
Le jeu fçavant des caprices
Rameine la volupté.
C'eſt ainfi qu'une folie
Devient par la tricherie
Le plaifir le plus vanté.
C'eft ainfi que dans la vie
Mutuelle duperie ,
Fait notre, félicité.
Si tu veux ajoûter un dégré d'évidence
Aux preuves de mon fentiment ,
Suivons notre Protée exerçant fa puiffance
Sur ces arts renommés on regne l'agrément..
40 MERCURE DE FRANCE.
Sans lui que feroit l'éloquence
Un infupportable talent .
Prives la de fes fleurs ; elle eft fans véhémence ,
Elle rampe fans ornemens :
Mais ces brillantes fleurs , métaphore , hyperbole
,
Allégorie & parabole ,
Et cent noms qu'à citer je perdrois trop de tems ;
Du menfonge orateur font les noms différens .
En vain fa rare modeftie
Permet qu'on invoque Apollon ;
Je ne m'y méprens point ; il est le feul génie
Qui préfide au facré vallon .
Pere de toute illufion ,
Seul il peut fouffler la manie
De plaire par la fiction.
Vois- tu prendre aux vertus , à chaque paffion ,
Un corps , la parole & la vie ?
C'est lui qui les perfonnifie.
Il déraisonne enfin dans tout égarement
D'une bouillante fantaisie :
Qui , mentir agréablement
Fait tout l'art de la poëfie .
Que vois-je , cher Damon ? que d'objets raviffans
!
Arrêtons - nous à ce ſpectacle ,
Où tout eft chef- d'oeuvre & miracle ,
Où tout enleve l'ame en ſurprenant les fens.
Quel pouvoir divin ou magique
JUILLET. 1755. 41
Fait qu'une e pace fi borné
Paroît vafte à mes yeux , & le plus magnifique
Que jamais nature ait orné ?
Qui fçut y renfermer ces fuperbes montagnes ,
Ces rochers , ces fombres forêts ,
Ces fleuves effrayans , ces riantes campagnes ,
Ces riches temples , ces palais ?
Quel génie ou démon pour enchanter ma vûe ,
A fes ordres audacieux
Fit obéir le ciel , la terre & l'étendue ?
Sans doute , quelqu'il foit , c'eſt l'émule des
Dieux.
Une amufante fymphonie
Des chantres des forêts imite les accens !
Que dis- je ? roffignols , ah ! c'eft vous que j'entens
,
De vos tendres concerts la champêtre harmonie
Me fait goûter ici les charmes du printemps.
Des ruiffeaux , l'aimable murmure
Vient s'unir à vos fons dictés par la nature :
On ne me trompe point , tout eft vrai , je le fens .
Mais grands Dieux ! quel revers étrange !
Le plaifir fuit , la scène change ;
Eole à leur fureur abandonne les vents.
Quels effroyables fifflemens !
L'air mugit , le tonnerre gronde !
Un defordre bruyant , le choc des élémens ,
Tout femble m'annoncer le dernier jour da
monde !
42 MERCURE DE FRANCE .
Fuyons vers quelqu'antre écarté ,
Echappons , s'il fe peut , à ce cruel orage ..
Mais je rougis de ma fimplicité.
J'ai pris pour la réalité
Ce qui n'en étoit que l'image.
Ces murmures , ces bruits , ces champêtres concerts
,
Ne font dus qu'aux accords d'une adroite mufique
;
Et ces payfages divers
Sont les jeux d'un pinceau que dirigea l'optique.
Mais de ces arts ingénieux
Comment s'opperent les merveilles ?
Servandoni ment à nos yeux ,
Et Rameau ment à nos oreilles.
En un mot tout ment ici -bas ;
A cet ordre commun , il n'eft rien de rebelle .
Eh ! pourquoi l'univers ne mentiroit- il pas a
Il imite en ce point le plus parfait modele.
L'or des aftres , l'azur des cieux
Sont une éternelle impofture ;
Toute erreur invincible à nos fens curieux
Eft menfonge de la nature .
Mais tu verrois fans fin les preuves s'amaffer ,
Si j'approfondiffois un fujet fi fertile ;
Pour terminer en omets mille ,
Dans la crainte de te laffer..
Je te laiffe à pourſuivré une route facile ..
Réfléchis à loifir : & , tout bien médité ,
JUILLET. 1755 . 43
Tu diras comme moi que notre utilité
A prefque interdit tout azile
A l'impuiffante vérité.
Où fe reffugira cette illuftre bannie ?
L'abandonnerons-nous à tant d'ignominie ?
Non : retirons la par pitié.
Logeons la dans nos coeurs : que toute notre vie ,
Elle y préfide à l'amitié.
44 MERCURE DE FRANCE.
PORTRAITS
DE CINQ FAMEUX PEINTRES
J'Adn
D'ITALIE.
Jacques Baffan.
' Admire un heureux choix dans ces fujets
champêtres.
Ils mettent fous mes yeux l'efprit des livres
faints.
Quel pinceau ferme & gras ! non , non les plus
grand maîtres ,
D'un fuccès plus brillant n'ont pas eu leurs fronts
ceints.
Loin de noyer fa touche , il eft plein de franchife
,
L'expreffion s'y trouve , & l'effet en furprend.
Payfage , animaux , portraits , tout y maîtrife.
Tromper eft pour le Peintre un triomphe écla
tant.
Annibal Carrache.
La maniere , le goût qu'Annibal fe forma ,
A fes Maîtres enfin fervirent de modele.
De fon feu la Peinture avec foin l'anima ;
Et bientôt à Bologne il s'y montra fidele .
JUILLE T. 1755. 45
*
Quel ouvrage divin je vois la poësie
Applaudir au pinceau de ce fier féducteur ;
Et pleine du tranfport dont le beau l'a faifie
Elle fourit , embraffe , & reconnoît fa foeur.
Camille Proccaffini.
Qui préfente à mes yeux ces contours reffentis ?
Seroit-ce le pinceau d'un fecond Michel - Ange ?
L'ordonnance , la main , l'efprit , le coloris ,
Tout fe difpute ici le prix de la louange .
Ce corps vit , il fe meut par un pouvoir divin ,
L'expreffion ravit dans ce bel air de tête .
Si Camille à fa fougue eût toujours mis un frein ,
Nature l'eût créé fon premier interprête.
Paul Veroneze.
Que de feu , de grandeur , quelle magnificence !
Non , non , Peintre charmant , tu n'a point de
rivaux.
Plus ton pinceau s'éleve , & plus fon excellence
Immortalife tes travaux.
Tes chefs-d'oeuvres font ceux du génie & des graces
:
L'amateur éclairé les dévore des
yeux :
* On peut regarder la galerie Farnese peinte à
Pologne , comme un vrai poëme. Le Pouffin difoit
que dans cet ouvrage Annibal avoit furpallé tous
les Peintres , qui l'avoient précédé qu'il s'étoit
auſſi ſurpaſſé lui-même.
I
46 MERCURE DE FRANCE.
La nature partout y reconnoît ſes traces
Et s'étonne d'y voir le coloris des Dieux.
Carle Maratte.
>
La Peinture fourit aux graces de Maratte
C'est le reftaurateur du divin Raphaël.
Ce qui fait le grand Maître en fes tableaux éclate,
Il rend l'ame & les traits de la Reine du ciel .
A ce dernier talent * on crut qu'il ſe bornoit :
Mais peignant Conftantin qui renverſe l'idole ,
Il détruifit le faux bruit qui couroit.
En vain fa modestie aux honneurs s'oppofoit ,
Il en reçut au Capitole.
* On difoit qu'il ne fçavoit bien peindre que des
Vierges, fes confreres le nommoient par dériſion
Carluccio delle Madonne ; mais le baptiftaire de
S. Jean de Latran fit bientôt ceffer ce bruit.
JUILLET. 1755. 47
DIALOGUE
PAR M. DE BASTIDE.
La Ducheffe Mazarin , Saint- Evremond.
V
LA DUCHESSE.
Oudrez-vous toujours me paroître
extraordinaire ? Que dans l'autre
monde vous ne fentiffiez pas le ridicule de
votre paffion , à la bonne heure ; cela n'eft
pas tout - à - fait inconcevable . Quoique
vieux & prefqu'ufé , vous pouviez eſpérer
de faire naître un caprice ; j'étois vive &
légere , vous aviez de l'efprit , de la complaifance
, de la fineffe , beaucoup d'uſage
des femmes , toutes chofes qui avec du
tems & de la patience peuvent produire
les révolutions les plus fingulieres dans un
coeur de la trempe du mien. Mais à préfent
que pouvez - vous attendre de vos
beaux fentimens ? il n'y a plus de caprice
à eſpérer .
SAINT-EVREMOND.
Vous avez jugé de ma paffion par l'opinion
que les hommes vous donnoient
48 MERCURE DE FRANCE.
de l'amour permettez moi de vous dire
que vous ne l'avez pas bien connue . Il eft
un amour général que tous les hommes
fentent , auquel ils donnent les titres les
plus nobles , & fans l'empire duquel ils
auroient à un certain âge peu de vrais
plaifirs & peut être peu de vrai mérite.
Cet amour là eft l'effet naturel du feu de
l'âge on le place honnêtement dans le
coeur; mais il n'eft que dans le fang &
dans l'imagination . Celui qui le fent lui
donne une origine illuftre , & prend de
bonne-foi fes fenfations pour des fentimens.
Celui qui l'examine le réduit à ce
qu'il eft , & ne le diftingue point du defir
machinal, mais déguilé dès faveurs. Ce qui
fait qu'il aura toujours en fa faveur la prévention
publique , & qu'on ne le connoîtra
jamais pour ce qu'il eft véritablement ,
ou que fi on le connoît fon empire n'en
fera pas plus défert . Il eft un autre amour
beaucoup plus noble & beaucoup plus rare
que le premier. Il fe forme de l'impreffion
délicate de la beauté , de l'eftime fympathique
des vertus & des talens , de l'attrait
féduifant de l'efprit , du rapport des ames
& de la douceur de l'habitude . Il naît ,
s'augmente & fe foutient par le feul attrait
qui la fait naître. Le defir des faveurs ne
lui eft ni néceſſaire , ni étranger ; il deſire
avec
JUILLET. 1755. 49
avec délicateffe & jouit avec oeconomie.
Cet amour là eft l'effet de l'honnêteté de
l'ame & des réfléxions de l'efprit. Dans le
printemps de la vie , on le regarde comme
une idée de roman ; dans l'âge mur , on le
chérit comme un fentiment délicieux . Voilà
l'amour que je fentois pour vous & que je
fens encore : il eft précisément dans l'ame ,
il a trouvé la mienne telle qu'il lui en falloir
une , & il s'y eft confervé.
LA DUCHESSE.
Je ne vous concevois pas tout à l'heure ;
je vous conçois encore moins à préfent .
Si vous fentiez véritablement cet amour
fi délicat à qui les faveurs ne font pas néceffaires
, pourquoi étiez- vous fi jaloux des
préférences que je paroiffois accorder à
d'autres qu'à vous ? vous voyez bien que
cette feule contradiction entre vos idées
& vos fentimens prouve que vous venez
de peindre une chimere.
SAINT-EVREMOND.
Je vous retrouve bien dans vos jugemens
; mais votre vivacité n'a plus fur
mon efprit ce pouvoir dont elle abuſoit ;
la mort a détruit l'inégalité qui étoit entre
nos efprits , la matiere n'agir plus , je puis
wous fuivre & vous arrêter. Souffrez que
*C
fo MERCURE DE FRANCE.
je vous defabuſe . De ce que l'on gâte une
chofe , doit-on conclurre qu'elle n'exiſte
pas ? je gâtois l'amour pur dont je brûlois
pour vous , parce que j'avois connu trop
tard un amour délicat ; l'habitude des
plaiſirs avoit donné le ton à la machine ;
j'étois jaloux , parce que lorfque l'on a
trop accordé à la matiere , elle ne cede
jamais tout à l'efprit ; mais dans le fond
de mon coeur je rougiffois de ma jaloufie ,
je ne me diffimulois pas que j'étois encore
loin de mériter , de fentir la noble ardeur
dont vous me pénétriez .
LA DUCHESSE .
Cette noble ardeur & toutes vos belles,
idées n'étoient qu'une erreur de votre efprit.
Un fi parfait amour feroit mieux
connu des hommes s'il exiftoit réellement ,
on en verroit quelques traces dans le
monde , & je ne l'ai encore vû que dans
vos métaphifiques raiſonnemens .
SAINT-EVREMOND.
Je ne dirai pas qu'il foit bien commun ;
mais il n'eft pas fi rare que vous vous
l'imaginez , il y a même des coeurs à qui
feul il convient.
LA DUCHESSE.
Tant pis pour ces coeurs là. Les hommes
JUILLE T. 1755-
51
font faits pour penfer tous de même ; ceux
qui fe féparent du corps général , fût- ce
pour penfer mieux , ont moins de plaifirs
& plus de peines ; ils trouvent plus de difficulté
à s'affortir , ils font heureux fans
témoins ; s'ils en ont , leur bonheur paffe
pour un ridicule , il faut qu'ils paffent leur
vie à le juftifier , ils trouvent à peine le
moment d'en jouir.
SAINT- EVREMOND.
Ils l'augmentent en le juftifiant , ou
bien ils dédaignent d'en prendre la peine ;
ils fe contentent d'être heureux en euxmêmes
. Croyez - vous que le bonheur ne
dans l'éclat ?
foit
que
.2 11
LA DUCHESSE.
Si ce que vous foutenez étoit vrai , je
trouverois tous les hommes à plaindre. Ils
ne feroient plus heureux qu'en particulier ,
il n'y auroit plus entr'eux cette fociété que
leurs plaifirs forment. Croyez moi , il faut
aux hommes plufieurs objets de bonheur :
fi vous diminuez le cercle de leurs plaifirs ,
vous diminuerez celui de leurs intérêts &
de leurs idées . Le monde entier ne fera
plus pour chacun qu'un très - petit efpace ;
à une ligne du point de leur félicité , il n'y
aura plus rien qui mérite leurs foins : le
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
monde ainfi divifé fera bientôt détruit ; il
faut que les chofes foient comme elles
font , elles n'auroient pas tant duré fi elles
n'étoient pas bien.
La naifance de l'ennui , conte traduit de
l'Anglois , par Miss Rebecca.
Au fiècle d'or où l'on ne croit plus guères ,
Pandore n'avoit point reçu le don fatal ,
Qui recéloit notre miſere ,
Et le bonheur n'étoit mêlangé d'aucun mal.
Point de ces noms affreux d'homicide & de guerre
Qu'enfanta le tien & le mien ;
L'innocence regnoit , on s'en trouvoit fort bien :
Source des vrais plaifirs elle en peuploit la terre ,
Chaque mortel avoit le fien.
Dans ces jours fortunés Aliſbeth prit naiffance.
Son pere étoit pafteur , devot envers les Dieux ,
Autant qu'Enée étoit pieux ,
Bon , généreux ; mais que fert qu'on l'encenſe ?
Les hommes l'étoient tous , & pour le peindre
mieux
Il avoit avec eux parfaite reffemblance ,
Et rien ne le diftinguoit d'eux .
Il cheriffoit fon fils , & de fa deſtinée
Voulant pénétrer le fecret ,
Que fon ame fut étonnée
Lorfqu'on lui prononça ce funefte decret ;
JUILLET. 1755. 53 .
( » De l'ennui dévorant ton fils fera la proye. ) .
Ce monftre encor n'exiftoit pas :
Mais l'Oracle annonçoit qu'il viendroit à grands
Le
pas ,
Et qu'il feroit l'ennemi de la joie.
On fe peint aifément ce que dût reffentir
pere d'Alifbeth ; fa douleur fut amere.
Mais plus le fort menace une tête fi chere ,
Plus il cherche à la garentir.
Plaifir , ce fut à vous qu'il remit fon enfance ;
Par mille jeux nouveanx vous filiez fes loisirs ,
Et du vent de votre aîle , écartant la licence ,
Vous allumiez fes innocens defirs .
Alifbeth cependant formoit fouvent des plaintes ,
Inftruit du fort qui l'attendoit.
Toujours tremblant il fe perfuadoit
L'ennui moins cruel que fes craintes.
Quand le plaifir s'éloignoit un inftant ,
Il fentoit augmenter fon trouble.
Refléchiffons , dit- il : fi ma frayeur redouble
Quand je vois échapper ce Dieu trop inconftant ;
Fixons-le pour toujours , c'eft me rendre content ,
Et detourner les malheurs de l'Oracle.
Ce projet n'avoit pas peu de difficulté ;
Mais de tout tems fut cette vérité
Que le defir s'accroit par un obftacle.
Un jour que le plaifir dormoit ,
Ravi d'avoir trouvé ce moyen falutaire
De diffiper tout ce qui l'allarmoit ,
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
Alifbeth s'enfonça dans un bois folitaire.
Là , par quelques mots enchanteurs ,
Dont il connoiffoit l'énergie ,
Il invoqua les noires Soeurs ;
( Heureux , s'il eût toujours ignoré la magie ! )
Trop favorables à ſes voeux
Les Parques près de lui bientôt fe raffemblerent ;
On dit qu'à leur afpect hideux
Tous les fens d'effroi ſe glacerent ,
Et que du trio ténébreux
Pour la premiere fois les fronts fe dériderent.
Filles du Stix , puiffantes Déités ,
Dit Alifbeth , voyez un miférable ,
Qui pour finir fon deftin déplorable ,
N'efpere plus qu'en vos bontés .
Fiere Atropos , c'est toi que je réclame ;
Prêtes moi tes cifeaux , qu'ils m'ôtent du danger ;
Si d'un inſtant de trop ce fil va s'alonger :
Ah ! que toi ni Cloto n'en craigne point de blâme
;
Celui dont elle ourdit la trâme ,
Te bénira de ne point l'abréger.
Lachefis à ces mots fourit avec malice ,
Et les trois Soeurs qu'amufent nos revers ,
Voulurent fervir un caprice ,
Qu'elles jugeoient funefte à l'univers .
Aliſbeth en obtient le dépôt qu'il demande ,
Au Dieu qu'il veut fixer il vole promptement ;
Il fommeilloit encor , il faifit ce moment.
JUILLET. 1755 .
Les aîles du plaifir font la premiere offrande ,
Que l'ennemi qu'il appréhende
Reçoit de fon égarement :
Mais déja le plaifir qu'une flateufe image
Dans les bras du repos avoit trop arrêté ,
Pour éprouver la trifte vérité
Voit diffiper cet aimable nuage.
Il s'éveille , & cédant à fa pente volage
Veut fuir avec légereté.
Ses efforts pour la liberté
L'inftruifent de fon esclavage.
Des inutiles foins qu'il mettoit en uſage
Alifbeth fe faifoit un jeu ;
Mais que fon bonheur dura peu.
Chaque inftant fon captiflui femble moins aima
ble ;
Il lui
devient
bientôt
indifférent
,
Au bâillement qui le furprend
Succéde un dégoût véritable :
II foupire , & le Dieu justement irrité !
Lançant un regard effroyable ,
Lui montre ainfi le fruit de ſa témérité.
Malheureux ! qu'as - tu fait des chaînes éternelles
Ponr caufer tes regrets me fixent aujourd'hui ;
» Ton horoscope eft accompli ;
» Le plaifir privé de fes aîles
>> N'eft autre chose que l'ennui.
Civ
56, MERCURE DE FRANCE.
Lettre apologétique d'un Gentilhomme
Italien à M. l'Abbé Prevot.
Sur l'article du Journal étranger de Janvier
1755 , qui a pour titre Introduction à
la partie hiftorique.
Plaine morale que vous avez répandue
Lus l'Italie a fçu apprécier & goûter la
dans vos Romans , chefs - d'oeuvre d'une
imagination vive & féconde , & d'un coeur
qui fans effort a adopté la vertu & réprouvé
le vice , plus elle a dû être fenfible aux
idées defavantageufes que vous donneriez
de fes habitans à qui n'en jugeroit que
d'après vos fuffrages. Mere des fciences &
des arts elle fe voit à regret accufée par
un juge auffi intégre qu'éclairé , d'en être
devenue la marâtre , & de n'avoir pas vou
lu conferver chez elle ce goût même qui y
avoit pris naiſſance.
Affez malheureux pour être né dans un
pays qui nefe reffemble plus , je le ne fuis pas
au point de négliger entierement fa réputation
. L'amour de la patrie, peut- être le
defir d'être éclairé par vos lumieres , m'ont
fait entreprendre fa juftification. Ces deux
principes qui me guident , méritent l'inJUILLET.
1755. 57
dulgence d'un auteur vertueux : daignez
en leur faveur pardonner à un étranger
des fautes de ſtyle ou de langage.
vous ,
Tous les étrangers conviennent , dites-
Monfieur , que cette belle partie de
Europe n'est plus que la dépofitaire oifive
des travaux de fes ancêtres ; les écoles n'y
font plus des corps fubfiftans de peinture ...
L'art refte encore ; mais les ouvriers manquent
à lart .
Sans entrer dans une difcuffion , qui n'eſt
point de ma compétence , fur la derniere
de ces phrafes , qui pourroit être regardée
même par un François comme peu intellible
, permettez que j'en examine ce qui
fait mon objet : La vérité.
Pour que l'Italie fut la dépofitaire oifive
des travaux de fes ancêtres , il faudroit
néceffairement , de deux chofes l'une , ou
qu'on n'y travaillât plus du tout dans les
mêmes genres , ou qu'on trouvât ( .chez
fes voisins qui fe font élevés , tandis qu'elle
s'eft mal foutenue ) des Artiſtes fort fupérieurs.
Quant à la premiere de ces propofitions
il faudroit , Monfieur , que vous cuffiez
paffé vos jours dans le trifte tombeau de
Selima , pour ignorer avec quelle ardeur
on cultive encore en Italie la peinture , la
fculpture & l'architecture .
Cv
58 MERCURE DE FRANCE..
La feconde propofition mérite un peut
plus d'être difcutée.
Quoiqu'il foit peut- être vrai que nous
ne fuivions
pas d'affez près les grands modeles
du fiécle de Léon X , il faut voir fi
les arts de l'Italie font fi fort dégénérés
dans le nôtre , qu'on ne puiffe les comparer
à ceux de fes voifins.
Peut-être , Monfieur , avec l'étendue
de connoiffances que vous poffedez , découvrirez-
vous parmi eux des Peintres fupérieurs
à l'Espagnolet , au Tréviſan , à Sebaftien
Coucha , à Solimene , à Carle Maratte
, au Tripolo , au Piazzetta , au Panini
tous de ces derniers tems , & dont quelques-
uns jouiffent encore de leur réputation.
La France qui a fur ce point le tort
de ne pas penfer comme vous , tache en
attendant d'enrichir fes galeries des ouvrages
de ces Artiſtes médiocres , guidés uniquement
par leur instinct mêlé de goût &
de raifon , tandis que notre pauvre Italie
n'a pas encore décoré les fiennes des morceaux
rares & précieux de vos Peintres
modernes non qu'elle leur refufât le génie
& le talent , mais parce qu'elle les croiroit
un peu moins approchant des grands
modeles de Raphaël , du Titien , des Carraches
dont elle eft l'oifive dépofutaire. Les
noms fameux de leurs fucceffeurs que je
JUILLET. 1755. 59
viens de vous indiquer , vous prouveront
du moins les ouvriers ne manquent
point à l'art , au moins dans ce genre.
que
L'architecture & la fculpture s'y fou
tiennent de même avec un vif empreffement
d'atteindre à la perfection des grands
modeles . Un homme de condition qui s'eft
adonné en homme de génie * au premier
de ces arts , ne nous laifferoit point regretter
le fiécle de Vitruve , s'il ne falloit
que du talent pour exécuter de grandes
chofes. Tout ce qui nous refte de la belle
antiquité , eft devenu inimitable ; non
pas faute de goût ni de lumieres dans nos
artiftes , mais faute de moyens dans ceux
qui les emploient . Où prendroient nos
Architectes les fonds néceffaires à la conftruction
de ces thermes , ces amphithéatres
, ces cirques , ces arcs de triomphe ,
ces temples , ces palais , ornemens de l'ancienne
Rome ? Maîtreffe de l'univers elle
pouvoit fournir à ces dépenfes prodigieufes
. Des Etats dont les bornes font refferrées
, les revenus médiocres , les citoyens
peu riches , ne peuvent fans donner dans le
ridicule , envifager de fi grands objets.
Pour juger fainement du talent des Ar-
M. le Comte Alfieri , Architecte de S. M. le
Roi de Sardaigne.
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
tiſtes, il faut examiner fi dans la proportion
des moyens , leurs ouvrages ont atteint le
vrai beau. Sans remonter plus haut que le
Pontife regnant , je ne vous citerai de Rome
que la feule fontaine de Trevi : oppofez-
lui , Monfieur , la plus belle des vôtres.
Ecoutez vos Artiſtes même les plus diftingués
, vos Académiciens jufqu'au Mécene *
qui dirige , qui éclaire , qui anime leurs
travaux , tous éleves de l'Italie , ils lui doivent
trop pour ne pas prendre fa défenfe .
Ce feroit entrer dans une difcuffion dont
on eft déja fatigué , que de m'étendre ici
fur notre Mufique ; il fuffit qu'en général
on lui accorde la fupériorité.
J'aime fi fort , Monfieur , à m'en rapporter
à vos décifions , que je ne vous
difputerai point l'origine de la langue
italienne . Je crois avec vous qu'elle tire
fa fource du Grec & du Latin ; mais je ne
fçaurois vous paffer , Monfieur , cette application
que vous nous fuppofez à décliner
de notre fource : nous y puifons.
journellement , non feulement les termes ,
mais les phraſes entieres ; & nos Académiciens
della Crufca en adoptent entierement
la fyntaxe. Ce n'eft , décidez -vous , qu'à
Rome & à Florence qu'elle fe conferve dans
toute fa pureté. Mais que diriez - vous de
quelqu'un qui affureroit qu'on ne parle
JUILLET. 1755. 61.
François qu'à Blois , & Allemand qu'à
Leipfick ? Vous avez confondu avec la
langue même les différens idiômes du même
peuple que vous appellés en France
patois. Penfez-y , Monfieur , & lifez nos
écrits modernes , vous verrez que les gens
de lettres parlent ou du moins écrivent
auffi-bien à Naples qu'à Rome , à Padoue
qu'à Florence , & ainfi de toutes les langues
de l'univers.
Pardonnez , fi j'appelle auffi de l'arrêt
que vous prononcez fur le mérite de cette
langue : Vous avez la bonté de lui accorder
la moleffe & la douce harmonie, mais
vous lui refuſez la force & l'énergie :
Souffrez , Monfieur , une queftion qui ne
doit jamais offenfer un homme de lettres
lorfqu'il cherche la vérité. La connoiffezvous
affez cette langue & les morceaux de
force qu'elle a produits , pour donner un
certain dégré d'autenticité à l'oracle que
vous prononcez ? Lifez , s'il vous plaît ,
ces huit ou dix vers que je cite au hazard ,
de quelqu'un qui n'eft pas auteur de profeffion
* , ( c'eft le defefpoir d'un amant ; )
vous me direz de bonne foi fi vous connoiffez
un crayon plus noir & plus énergique.
* M. le Comte Pietro Scoți de Sarmato.
62 MERCURE DE FRANCE.
Tra balge & rupi inpenetrabile fia
Latro ritiro ; urli di lupi ogn'ora ,
Turbino i fonni , e la nafcente aurora »
Tarda ritorni a ricondurre il giorno.
Forbida luce de Digiuno fuoco .
Qual ne i fepolcri la pietá racchiude
O poco fcemi , o crefca orrore al loco,
Qui federommi al mio dolor Vicino ,
Stanco d'effer materia all ' atra incude
Del fiero amore del crudel deftino.
Je me flate , Monfieur , que vous ne
refuferez pas plus à ces vers la force &
l'énergie que le fon & l'harmonie : La
peinture y eft affreufe , mais d'une vérité
frappante ; & ne diroit- on pas que l'ima
gination qui en a broyé les couleurs , avoit
pris fes nuances dans Cleveland , ou l'Homme
de qualité ?
λ
Mais laiffons enfin les arts agréables
pour nous élever jufqu'aux fciences fublimes.
Je fuis trop preffé de vous remercier
au nom de toute ma nation de ce que
vous lui permettez d'avoir fes Hiftoriens ,
fes Philofophes & fes Poëtes , pour m'ar
rêter plus long-tems à des objets fur lef
quels je crois l'avoir fuffisamment juftifiée.
Je crois voir cependant que ce petit éloge
n'eft qu'un buiffon de fleurs deftiné à cacher
un ferpent : J'apperçois trop que vous
JUILLE T. 1755. 03
.
nous refufez la folidité néceffaire pour
les recherches profondes , la jufteffe d'efprit
fans laquelle on ne peut imaginer ,
fuivre & détailler un fyftême , la longue
& patiente méditation par laquelle on parvient
à la connoiffance des vérités philofophiques.
MM. d'Alembert & Clairault ,
Mathématiciens françois , que l'Italie fait
gloire d'honorer & de refpecter , vous diront
cependant qu'ils eftiment un Marquis
Poleni , un Zachieri , & beaucoup d'autres
dont les noms peut- être vous font inconnus
des études différentes détournoient
votre attention ) ; mais ils n'ont
point échappé aux autres Mathématiciens
de l'Europe. M. Morand , que les étrangers
n'en eftiment pas moins , parce que
la France l'admire , daigne avouer Morgagni
& Molinelli . Vous n'avez point de
Botanifte qui ne faffe le plus grand cas de
Pontedera , & la Tofcane feule fournit
plufieurs Naturaliftes dont les Buffon &
les Réaumur n'ignorent dès long-tems ni
l'existence ni le mérite . Ajoutons à ces
noms célebres deux femmes illuftres dignes
rivales de votre Emilie , Mefdames Baffi &
Agnefi que les Italiens & les étrangers admirent
également , & dans leurs profonds
écrits & dans les chaires de Profeffeurs ,
que la premiere remplit à Bologne.
64 MERCURE DE FRANCE.
Si vous aviez connu , Monfieur , tous
ces noms déja confacrés dans les faftes
du fçavoir , auriez vous foupçonné nos
Philofophes de ne pouvoir fe garantir des
préjugés de la Magie & de l'Aftrologie 2 à
ce foupçon ma réponſe eft bien fimple
Long - tems avant les procès fameux de
Gauffredi , d'Urbain Grandier , de la Maréchale
d'Ancre & d'autres affaires d'éclat
qui plus récemment ont occupé la France ,
nos Philofophes & nos fçavans ne parloient
déja plus de Magie. A l'égard de
l'Aftrologie lifez vos hiftoriens , ils vous
diront que la France commença de s'en
entêter lorfque l'Italie achevoit de s'en
defabufer ; mais avouons de bonne foi
qu'on s'en moque aujourd'hui autant d'un
côté que de l'autre.
,
J
» Il s'en faut beaucoup que l'Italie mo-
» derne ait des modeles à nous offrir , ni
» qu'elle approche de ceux qu'elle a reçus
» comme nous de l'Italie latine . Tel eft ,
Monfieur votre jugement au fujet de
l'hiftoire ; il eft vrai que nous n'avons plus
les Tites Live , les Salufte , les Tacite
& c , mais nous refuferez - vous Guicciardin
, Macchiaveli , Bembo , Davila , Frapaolo;
& de nos jours les Gianoni , les
Muratori & les Burnamici . Vous avez
affurement lû ces hiftoriens , convenez
JUILLET. 175 5 :
qu'ils auroient mérité votre approbation .
Sur l'éloquence de la chaire , vous êtes
encore en défaut ; vous nous accufez ,
Monfieur , d'un vice que nous condamnons
dans le mauvais fiécle du Seicento
où les Bifchicci , les Allegories , & mille
autres puérilités de même nature remplaçoient
fouvent la morale , l'onction & let
raifonnement . Revenus nous - mêmes de
notre erreur paffée nous déplorons les fautes
de nos ancêtres , & nous blâmons autant
les modernes qui y retombent que
ceux qui nous condamnent fans nous connoître.
Que répondriez-vous à un critique
qui jugeroit vos prédicateurs fur les fermons
de Coiffereau , ou fur les capucinades
de vos Miffionaires.
Je ne vous fuivrai point à la piſte dans
le labyrinthe des phrafes un peu entortillées
, où vous déclamez contre notre genre
dramatique : Je ne vous faifirai qu'au paffage
, où vous imaginez ne pas bleffer la
vraiſemblance en ofant avancer qu'en Italie
c'est l'imperfection de la fociété , le peu de
commerce entre les deux fexes qui a retardé
les progrès du théatre comique . Je reſpecte
trop les gens
de lettres , & vous particu-:
lierement , Monfieur , pour vous paffer
les propofitions que vous hazardez à ce
fujet.
,
66 MERCURE DE FRANCE.
A
Vous , Monfieur , qui fçavez , & qui
nous apprenez fi bien les moeurs de tant
de peuples dont on connoit à peine les
noms , comment avez - vous pu imaginer
les deux fexes auíli féparés que vous les
fuppofez en Italie ? fi moins attaché à vos
Penates vous aviez daigné employer quel
ques mois feulement à la connoiffance de
nos climats , vous auriez vû avec plaifir
que les deux fexes y font bien plus réunis
qu'à Paris. Là au lieu de fe raffembler a
T'heure d'un fouper on fe voit toute la
journée , toutes les maifons font ouvertes
à la bonne compagnie depuis le matin juſ
qu'affez avant dans la nuit , coutumé qui
rend inutile chez nous l'établiffement de
ces petites maiſons où chacun à Paris fem
ble chercher plutôt un afyle pour la liberté
& pour le plaifir qu'un théatre du fentiment
& des grandes paffions.
Je ferai , fi vous voulez , un peu plus
d'accord avec vous fur la rareté que vous
croyez voir en Italie de certains ouvrages
de pur agrément , tel que les pieces fugiti
ves , les effais , les mêlanges de littérature &
de poësie , & tant d'autres productions lé
geres dont la France abonde , & qui peuvent
recevoir le nom de liberiinage d'esprit.
Mais hélas ! Monfieur , croiriez- vous de
bonne foi que nous duffions tant vous en
JUILLET. 1753. 207
vier cette abondance , & vous fembler fi
fort à plaindre de n'écrire guères que pour
notre raiſon ?
Telles font , Monfieur , les obfervations
que j'ai crû devoir faire fur votre introduction
à la partie hiftorique. Avec moins
d'envie de mériter vos éloges , j'aurois
peut-être négligé la défenſe de ma patrie.
Je vous crois trop d'efprit , de modération
& d'impartialité pour ne pas m'en fçavoir
quelque gré. Un Journal étranger eft fait
pour plaire à toute l'Europe ; il ne faut
donc point qu'il prenne trop le goût du
terroir qui l'a produit ; & fi jamais il étoit
permis de s'écarter du vrai , du moins il
feroit plus fûr de flater que de cenfurer
trop légerement des nations entieres : celles-
ci pourroient à leur tour apprécier trop
vite l'auteur fur l'étiquete de l'ouvrage.
68 MERCURE DE FRANCE.
LeE mot de l'Enigme du fecond volume du
Mercure de Juin eft les Quilles. Celui du
Logogryphe eft Matadores , dans lequel on
trouve modes , Sem , or , atômes , dôme , Eft,
orme, amer, rame , rat , mets ; Mars , Dieu ;
armes ; Mars , planette ; Mars, mois ; mars,
ou fer ; Adam , mot , ame , dames , damas ,
mort , Mores , Arts , dot , aftre , des , Rome ,
dam , os , dés , mer , Ode , re.
Cing
ENIGM E.
Inq voyelles , une confonne
Forment mon nom ;
Et je porte fur ma perfonne
De quoi l'écrire fans crayon.
JUILLET. 1755. 69.
Q
LOGOGRYPHE.
Uatorze pieds , Lecteur , forment mon exiftence
;
Je fuis depuis long- tems fameux & d'importance.
De villes dans mon fein je renferme un Etat :
Des mortels dont la taille eft peu propre au combat
,
D'autres qui fe peignoient le corps & le vifage ;
Le Dieu qui le premier mit la flûte en ufage ;
Le champs fatal qui vit périr tant de Romains ;
Un feuve dans l'Egypte , un faint Evangéliſte ;
La femme de Jacob , un grand naturaliſte :
Le roi des animaux , l'adjoint de Marius ;
Ce qui fit expirer la femme de Brutus;
Un nom propre à la mer , une vierge voilée ;
Un arbre peu commun pour border une allée,
Ce fyftême fondé fur bien des accidens ,
Qui procure du pain quand on n'a plus de dents.
Un fort qu'on eût furpris fans le bruit que fit
l'oye
Un vin rouge excellent que d'Efpagne on envoyé
La mere d'Apollon , du Pape un Député ;
Un ami de Dion , Philoſophe vanté.
Le pere de Jafon , un fameux Aftronome ,
Et l'auftere Cenfeur qui fut l'appui de Rome,
70 MERCURE DE FRANCE ..
}
CHANSON.
Tircis voyant que fa Lifette
S'attendriffoit en l'écoutant ,
N'avoit recours qu'à ſa muſette ,
Et ne s'exprimoit qu'en chantant .
Tu m'enchantes , dit la folette ;
Mais veux-tu chanter tout le jour ?
Hé , quoi ! Tircis , le tendre amour
N'a-t-il donc pas d'autre interprête?
Vois-tu fous ce naiffant feuillage
Ces oifeaux badiner entr'eux ?
Ils interrompent leur ramage.
Pour prouver autrement leurs feux.
Tes tendres chants & ta mufette
Peuvent m'amufer à leur tour ,'
Mais , quoi ! Tircis , de tendre amour
N'a-t-il donc pas d'autre interprete ?
Sur l'Air du Majeur.
510
Amans , qui près d'une coquette
Croyez la charmer par vos fons ,
Sachez qu'ainfi que pour Lifette ,
Chanfons pour elle font chanſons.
Vos tendres chants , votre mufette ,
Peuvent l'amufer à leur tour ?
Mais pour mieux exprimer l'amour
Changez quelquefois d'interprete.
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATION
CHANSON
Nouvelle
Majeur.
ircis voyant que sa Li - sette
'attendrissoit en l'coutant
avoit recours qu'a sa
Musette
Et ne s'exprimoit qu'en chantant
Ө
Tu m'enchantes, dit la Follette
Mais vene tu chanter toutlejour?
O
He quoi? Circis, le tendre Amour
Vatil donepas d'autre interprete?
Mineur.
3 же
Vois tusous ce naissantfeuillage
Ces Oiseaux ba - di-ner entre euer.
Is interrompent leur Ramage
Courprouver autrement leurs penge
-Ө
Penseut m'amieser à leur tour
*O
Maisquoi ?Cirois, le tendre Amour,
+
Vat-il donopas d'autre in terpre-le?
La Musique est deM.Dexx et Beauvais
Fuillet 1755.
1
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
'
JUILLET. 1755. 71
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
EMOIRES du Comte de Banefton ,
Mécrits par le Chevalier de Forceville,
en deux parties in- 12 . Se trouvent chez
Duchefne , rue S. Jacques , au Temple du
Goût , 1755.
L'expofition de ce roman excite la curiofité
la plus vive . Un françois enterré
tout vivant au nord de l'Angletterfe dans
une maiſon iſolée , où il n'eft fervi que
par un payfan & une payfanne qui ne l'entendent
pas , où perfonne n'entre jamais.
Un homme enfin qui ne paroît point le
jour & qui ne fort que la nuit , annonce un
héros fingulier dont on brûle de fçavoir
Thiftoire. Le Chevalier de Forceville qui
arrive dans ce pays pour y recueillir une
fucceffion , parvient par un incident que
je fupprime à pénétrer dans ce tombeau.
Il reconnoît dans le cadavre animé qui
l'habite , le Comte de Banefton qu'il a vû
autrefois en France , & dont il étoit l'ami .
Il veut l'obliger de retourner avec lui dans
fa patrie; mais tout ce qu'il peut en obrehir
eft de lui apprendre les raifons qui
72 MERCURE DE FRANCE.
l'ont déterminé à s'enfevelir dans cette habitation
fauvage. Il lui fait un récit détaillé
de fa vie. Il lui conte d'abord les premiers
écarts de fa jeuneffe ; c'eft la partie de ce
roman la moins intéreflante : elle n'eft
qu'une foible imitation des confeffions du
Comte de .... La feconde attache beaucoup
plus par le beau caractere de Mlle de
Mareville , qui joint à la naiffance , aux
grands biens , les graces extérieures & toutes
les beautés de l'ame , une douceur furtout
qui la rend adorable & qui méritoit
un fort plus heureux. Elle préfère le Comte
de Banefton à tous fes rivaux : il eft le plus
heureux des maris ; mais l'auteur donne à
cette femme accomplie une rivale trop
odieufe. Le contrafte eft révoltant : on n'a
jamais réuni tant de noirceur ; c'eſt une
charge de Cleveland . Léonore dont le nom
elt trop doux à prononcer pour le donner
à un monftre fi noir & fi barbare , Léonore
, dis-je , furpaffe en cruauté Cléopatre
dans Rodogune , & qui plus eft Atrée.
Les crimes de la premiere ont pour objet
le trône , qui les ennoblit, & ceux de l'autre
font fondés fur la plus cruelle des injures ,
qui motive fa vangeance ; mais l'exécrable
Léonore eft méchante pour l'être. Elle ne
s'eft déterminée à fixer fa demeure près de
la terre du Comte de Banefton , & à fe lier
avec
JUILLE T. 1755. 73
avec fon aimable époufe , que dans l'affreufe
vûe de troubler de gaité de coeur
leur union vertueufe. Elle n'employe l'art
le plus raffiné pour captiver le coeur du
mari , que pour percer celui de la femme.
Comme le crime féducteur réuffit toujours
mieux que la vertu fans artifice , elle parvient
à fe faire aimer du Comte de Banefton
en dépit de lui-même , elle le rend
non feulement coupable , mais encore imbécile
au point de l'engager à quitter la
France & à fe rendre à Venife avec elle ,
exprès pour l'aider à cacher plus facilement
un accouchement adultere . Elle a même
l'impudence de mettre la Comteffe de la
partie avec fon fils unique , fans oublier
la gouvernante . Cet étrange voyage eſt
ainfi arrangé pour la commodité du roman .
La barbare Léonore avoit befoin de fe
faire accompagner de toute cette famille
infortunée pour l'immoler fucceffivement à
fa fureur. Elle fait noyer la gouvernante ,
elle précipite le fils du haut d'une terraffe ,
empoifonne la mere : le Comte lui-même
eft fur le point de fubir un pareil fort
avoir refufé d'époufer cette furie après la
mort de fa femme ; mais par une jufte
méprife Léonore perit du poifon qu'elle
avoit deſtiné à fon amant , & lui fait en
expirant l'aveu de toutes ces horreurs. Le
D
pour
74 MERCURE DE FRANCE.
Comte de Banefton déchiré de douleur
fait enbaumer les corps de fa femme & de
fon fils , & va s'enterrer avec eux au fond
de l'Angleterre , d'où rien ne peut le tirer .
Cette complication de cruautés accumulées
les unes fur les autres bleffe la vraifemblance
autant que l'humanité. De tels
monftres n'existent point dans la nature ,
ou s'il s'en trouve un par hazard , il faut
l'étouffer & non pas le peindre. L'auteur
paroît avoir du talent pour traiter le roman
dans le grand intérêt ; il a dans M. l'Abbé
Prevôt un excellent maître en ce genre :
mais on doit l'avertir de ne pas outrer fon
modele. Qu'il donne de la force à fes caracteres
plutôt que de la noirceur , & qu'il·
tâche de nous attendrir fans nous effrayer.
HISTOIRE & regne de Louis XI ,
par Mlle de Luffan , 6 vol . A Paris , chez
Piffot , quai de Conti , 1755.
On peut compter Mlle de Luffan parmi
nos bons écrivains. Le roman où elle a excellé
l'a placée à côté de l'auteur de Cleveland.
L'hiftoire où elle réuffit l'approche
du Tacite * françois.
Louis XI eft dédié à S. A. S. Mgr le
Prince de Condé . V. A. S. dit l'auteur >
y verra les manoeuvres fourdes & mena-
* M. Duckos.
JUILLET. 1755. 75
gées de ce Monarque ; en oppofition
avec la véhémence & la préfomption de
Charles dernier Duc de Bourgogne , &
par quelles routes différentes leur haine
réciproque fe manifefte. Ce contrafte ( ſi
j'ai bien traité cette hiftoire ) doit y jetter
un genre d'intérêt qui donnera matiere à
d'utiles réfléxions.
Voilà l'idée générale de l'ouvrage & fon
bût particulier expliqués en peu de mots.
Je n'en puis donner un meilleur précis , &
je m'y borne.
' HISTOIRE de Louis XII , 3 vol. A
Paris , chez Lottin , rue S. Jacques , au
Coq , 1755
mens ,
Elle est précédée d'une préface , où l'auteur
nous dit que I hiftoire eft un pédagogue
agréable , un cenfeur poli & un prédi
sateur perfuafif, tout muet qu'il eft. Il
ajoûte que l'hiftoire générale du monde
nous préfente pour l'ordinaire des événedont
la plupart nous font tout- àfait
étrangers , des perfonnages que nous
n'avons que peu ou point d'intérêt de connoître
, & des moeurs fouvent incompatibles
avec les nôtres : que l'hiftoire de notre
pays au contraire nous met fous les yeux
une fuite de faits qui nous touchent , des
perfonnages avec lesquels nous partageons
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
la gloire ou le deshonneur , & des moeurs
qui deviennent la régle des nôtres. C'eſt
une vérité fenfible qu'on ne peut conteſter ;
mais ce qu'il hazarde dans une note au
commencement de fon premier livre , me
paroît plus difficile à accorder. On ne
trouve , dit-il , dans aucun auteur le tems
» de la naiffance de Louis XII ; mais il eft
» certain qu'il eft né au mois de Mars 1462 .
Si aucun écrivain n'en a parlé , fur quoi
fonde-t- il fa certitude ?
و ر
On fera peut- être bien aife de voir le
portrait qu'il fait d'un Monarque que fa
bonté a rendu fi intéreffant. Le voici :
Les exercices du corps rendirent ce
Prince fi nerveux , qu'il n'y avoit point de
jeunes Seigneurs de fon âge qu'il ne terrafsâr
. Pour ceux qui étoient d'un âge plus
avancé & d'un tempéramment plus vigoureux
, il entroit volontiers en lice contre
eux ; & s'il n'avoit pas la gloire de remporter
la victoire , il avoit celle de n'être
vaincu & de fortir du combat à armes
pas
égales. Au jeu , il étoit charmant ; il regardoit
la perte & le gain avec la même
indifférence ... Il lui étoit ordinaire de
remettre à ceux qui jouoient contre lui la
perte qu'ils faifoient , ou de diftribuer aux
affiftans. le gain provenant du jeu. A ces
avantages , Louis réuniffoit une phifionoJUILLE
T.
1755 77
mie peu commune . Il avoit les yeux écine
cellans comme le feu , le nez un peu long
& retrouffé , les traits du vifage tels qu'u
ne femme touchée des charmes de la beau
té pourroit les fouhaiter. Il étoit de moyenne
taille , mais extrêmement fort & robuftes
Par la conftitution de fon corps , qui étoit
bonne & faine , il jouiffoit d'une fanté
parfaite , dont il étoit fans doute redevable
à fa tempérance , au travail & aux exercices
du corps.
A cette peinture de Louis XII , je vais
joindre le portrait de Louis XI , par Mile
de Luffan . Par la comparaifon , le lecteur
fera mieux en état de décider lequel des
deux auteurs a mieux faifi la reffemblance
& le vrai coloris , c'eft - à-dire cette élégante
fimplicité , & cette vérité précife que l'hif
toire demande. C'eſt à lui de prononcer
je m'en rapporte à fon jugement.
Louis XI , dit Mlle de Luffan , n'avoit
pas reçu de la nature les mêmes avantages
que Monfieur ; il étoit grand fans avoir
bon air, Il fe courboit un peu & affectoit
de ne porter que des habits fimples ; il n'en
mettoit de riches que les jours de cérémonie.
Alors on ne pouvoir difconvenir qu'il
n'eût l'air d'un Prince..
L'inégalité de fes traits fembloit marquer
les variations de fon caractere. Sa tête
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
n'étoit ni groffe , ni petite , & s'élevoit un
peu en pointe. Il avoit le front petir , les
yeux gros , à fleur de tête & vacillans , le
teint blanc & uni , les cheveux courts , les
narrines larges , les levres groffes & vermeilles
, les dents belles , le menton pointu
, le cou délié & un peu court , la poitrine
étroite , les mains & les bras longs
& menus , les cuiffes maigres ; la jambe
bienfaite , quoiqu'il marchất mal.
Le DICTIONNAIRE APOSTOLIQUE
à l'ufage de MM. les Curés des villes & de
la campagne , & de tous ceux qui fe deftinent
à la chaire , par le P. Hyacinte de
Montargon , Auguftin de Notre - Dame
des Victoires , Prédicateur du Roi , Aumônier
& Prédicateur du Roi de Pologne.
Duc de Lorraine & de Bar , tome 8 , & 2°
& dernier des myfteres , vol. in- 8 ° . 4 liv .
en blanc & s liv. relié.
Il comprend la Réfurrection & l'Afcenfion
de N. S. J. C. la defcente du S. Efprie
fur les Apôtres , le Myftete de la Trinité ,
l'Euchariftie en tant que Sacrificè & confidérée
comme Sacrement. Le neuvieme volume
eft fous preffe , & il comprendra les
fêtes de la Sainte Vierge , & paroîtra à la
Touffaints . Chez Lottin , rue S. Jacques ,
au Coq , où fe trouvent tous les livres à
Pufage du Diocèfe de Paus les livres à
JUILLET. 1735 79
La troifieme partie des TABLETTES DE
THEMIS , dont j'ai annoncé les premieres
parties dans le Mercure précédent , vient
de paroître , & fe vend chez les mêmes
Libraires. Elle contient la chronologie des
Préfidens , Chevaliers d'honneur , Avocats
& Procureurs généraux des Chambres des
Comptes de France & de Lorraine , des
Cours des Aides & de celles des Monnoies ;
les Prevôts des Marchands de Paris & de
Lyon , & la lifte des Bureaux des Finances ,
Préfidiaux , Bailliages , Sénéchauffées &
Prevôtés , avec une table alphabétique des
noms de famille.
L'auteur invite de nouveau ceux qui
poffedent des terres érigées en titre de
Marquifat , Comté , Vicomté & Baronie ,
de lui envoyer copie des lettres patentes
d'érection , ou au moins des extraits avec
des mémoires inftructifs tant fur lefdites
terres , que fur la généalogie de leur famille,
dont on marquera exactement l'état actuel
avec le blafon des armes , obfervant de
faire écrire ces mémoires très-lifiblement ,
fur-tout les noms propres , & de les adreffer
francs de port , à M. Chafot , rue des
Canettes , près S. Sulpice , à Paris .
TELLIAMED , ou entretiens d'un Philofophe
Indien avec un Miffionnaire Fran-
Diiij
80
MERCURE DE FRANCE.
çois fur la
diminution de la mer , par M.
de Maillet. Nouvelle édition , revûe , corrigée
& augmentée fur les originaux de
l'auteur , avec une vie de M. de Maillet ,
2 vol. in-12. Ce livre fingulier fe trouve
chez Duchefne , rue S. Jacques , au Temple
du Goût.
HISTOIRE de Simonide & du fiécle
où il a vêcu , avec des éclairciffemens chronologiques
, par M. de Boiffy fils , 2 vol .
in- 12 , prix 2 liv. 1o fols broché . A Paris ,
chez Duchefne , rue S. Jacques , au Temple
du Goût , 1755.
Cet ouvrage eft précédé d'une préface
raifonnée. Nous en donnerons l'extrait le
mois prochain .
ELEMENS DE
DORIMASTIQUE *,
ou de l'art des effais , divifés en deux
par
ties , la premiere théorique & la feconde
pratique , 4 vol. in- 12 . A Paris , chez
Briaffon , rue S. Jacques , à la Sciencé.
* Ce livre eft traduit du latin de M. Cramer
, & le traducteur eft du choix de M.
Par , élémens de Dorimaftique , on entend
cette partie de la chymie qui concerne l'effai
des minéraux , lequel n'eft autre choſe qu'un
examen rigoureux de ces mêmes fubftances fait
en petit.
JUILLET51 1755 83
ز ا
Rouelle. On ne peut faire un plus grand
éloge de l'un & de l'autre . M. de V. dans
fon avertiffement déclare modeftement
que c'eft à M. Rouelle qu'il doit le peu
qu'il fçait en chymie. Non content , dit - il ,
de me fournir les éclairciffemens qui m'étoient
néceſſaires , fur ce que j'avois appris
dans fes leçons particulieres , que j'ai eu
le bonheur de fuivre plufieurs années , il
a bien voulu auffi m'apprendre à en faire
ufage. Ces remarques étoient néceffaires ;
elles feront au public un garant du mérite
de l'ouvrage qu'on lui préfente & de
l'exactitude de ma traduction , & elles me
fourniffent l'occafion de témoigner, ma
teconnoiffance à mon illuftre maître & de
la rendre publique.
Un pareil aveu le loue plus que tout
-ce que nous pourrions dire en fa faveur.
20: 1
VOYAGE de Paris à la Rocheguion
en vers burlesques , divifé en fix chants ,
par M. M ***. Se, trouve à Paris , chez
Caillean quai des Auguftins , & Chardon
fils , rue S. Jacques près la fontaine S. Severin
, à la Couronne d'or , 1 liv . broché.
Ce poëme eft dédié à l'ombre de Scarron .
Je crois qu'il ne le fera pas revivre.
02 2301 :
ESSAL HISTORIQUE , critique
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
philologique , politique , moral , littéraire
& galant , fur les lanternes , leur origine ,
Feur forme , leur utilité , &c . par une fociété
de gens de Lettres .
Cette brochure en profe fe trouve
chez Ganeau , rue S. Severin , & peut
fervir de pendant au Voyage en vers cideffus
indiqué. Elle eft adreffée au Docteur
Swift ; mais je doute qu'il veuille y
mettre fon attache pour la faire paffer á la
poftérité , comme l'auteur l'en prie.
HUDIBRAS , poëme héroïcomiques,
tité de l'Anglois de M. Samuel Butler ,
avec des notes & des figures . Se vend chez
Despilly Libraire , rue S. Jacques goabla
vieille Pofte. Cap duq 9 busi ni
La guerre civile & la fecte des Puritains
tournée én ridicule , font le fuiser de
ce poëme qui eft compofé de neuf chants.
On n'en a publié que le premier avec une
préface & la vie de l'auteur. Qu'on juge
par ce début de l'élégance de la traduction.
» Le noir démon dés guerres civiles & la
pâle difcorde , fa fdent bien- aimée , avoit
» lâché parmi nous leurs plus gros ferpens ;
» l'envie aux yeux verons & fournois ,
» nous échauffoit la bile par fes mauvais
"propos ; déja nous commencions à nous
quereller fans trop fçavoir pourquoi ,
JUILLET. 1755 * 81
» femblables à des gens ivres qui balbutient
» de colere , & fe gourment pour exalter
" une fille de théâtre , nous nous battions
» déja comme des fous & des enragés pour
❤le fimulacre de la religion... Nos épaules
» devenues les tambours de l'Eglife rece-
» voient au heu de coups de baguettes ,
» une grêle de coups de poings & c. Je
m'arrête là , je ne puis aller plus loin. Sur
cet échantillon , je crois qu'on dira (com
me M. de Voltaire ) que ce poëme eft intraduifible
, ou du moins qu'il est mal
traduit. C
Le tome cinquieme des LEGONS DE
PHYSIQUE EXPERIMENTALE, par
M. l'Abbé Nollet , de l'Académie royale
des Sciences , de la Société royale de Londres
, Maître de Phyfique de Monfeigneur
le Dauphin , & Profeffeur de Phyfique expérimentale
, vient de paroître , & le vend
à Paris , chez Guérin & Delatour , rue S.
Jacqués , à Saint Thomas d'Aquin
8 liv. en feuilles , & 3 liv. 2 f. 6 den.
broché.
Il eft augmenté de 10 fols attendu qu'il
a cent pages , & quatre ou cinq planches
en taille douce plus que les tomes précédens
; mais l'auteur déclare qu'il n'a confenti
à cette augmentation que pour ce
D vj
$4 MERCURE DE FRANCE.
volume feulement. Il fe plaint dans le
même avertiffement qu'il fe répand en
France & dans les pays étrangers des exemplaires
contrefaits qui fourmillent de fautes.
Il defavoue ces éditions furtives , &
ne reconnoît pour fon ouvrage que ce qui
eft contenu dans celles qui fe font fous fes
yeux à Paris , chez les fieurs - Guerin &
Delatour.
2
Ce ' volume contient la quinzieme , la
feizieme & la dix- feptieme leçons fur la
lumiere & fur fes propriétés . Nous en
parlerons une autrefois plus au long. On
ne peut faire trop fouvent mention d'un
auffi excellent ouvrage , ni donner de
chaque partie un précis trop foigné.
TABLETTES GEOGRAPHIQUES
pour l'intelligence des hiftoriens & des
poëtes latins , 2 vol . Chez Lottin , rue S.
Jacques au Coq , 1755.
Elles font de M. Philippe de Pretot qui
a fi bien mis à profit les fages confeils de
fon illuftre pere , & qui a hérité de fon
fçavoir. Elles font imprimées fur le
même papier , & dans le même format
que les poëtes & les hiftoriens , dont il
nous a donné une édition fi juftement efti
mée , & peuvent leur fervir de notes.
JUILLET . 1755. 8 ¢
TRAITÉ du beau effentiel dans les
arts , appliqué particulierement à l'architecture
, & démontré physiquement & par
l'expérience. Avec un traité des proportions
harmoniques , où l'on fait voir que
c'eft de ces feules proportions que les
édifices généralement approuvés empruntent
leur beauté invariable . On y a joint
les deffeins de ces édifices & de plufieurs
autres , compofés par l'auteur fur les proportions
& leurs différentes divifions har
moniques tracées à côté de chaque deffein,
pour une plus facile intelligence. Les cinq
Ordres d'architecture des plus célebres Ar
chitectes , & l'on démontre qu'il font reglés
par les proportions. Plufieurs effais
de l'auteur fur chacun de ces Ordres , avec
la maniere de les exécuter fuivant fes principes
, & un abregé de l'hiſtoire de l'architecture
.
Par le S. C. E. Brifeux , Architecte ,
auteur de l'art de bâtir les maifons de
campagne , 2 vol . en un in -fol. 1752. Les
deux volumes au burin avec 98 planches ,
fervant de fuite à l'art de bâtir les maifons
de campagne. Ce traité fe trouve chez la
veuve Gandouin , Libraire , quai des Au+
guftins , à la Belle Image , la premiere
boutique du côté des Auguftins , à la def
cente du Pont-Neuf.
86 MERCURE DE FRANCE.
MANUEL DES DAMES DE CHARITÉ ,
troifieme édition , revûe , corrigée & augmentée
de plufieurs remedes choifis , extraits
des Ephémérides d'Allemagne. A Paris
, chez de Bure l'aîné , quai des Auguf
tins , à l'image S. Paul . 1755 .
*
Ce livre utile contient plufieurs formules
de médicamens faciles à préparer ,
dreffées en faveur des perfonnes charitables
, qui diftribuent des remedes aux pauvres
dans les villes & dans les campagnes ,
avec des remarques néceffaires pour faci
liter la jufte application des remedes qui
font contenus.
Y
>
Dans l'annonce que nous avons faite de
P'Oryctologie qui fe vend chez le même
Libraire , il nous eft échappé une erreur
que nous devons corriger nous avons
fait honneur de tous les frais de l'impreffion
à M. le Baron de Sparre , qui n'a contribué
que pour la dépenfe de la premiere
planche. C'eſt de Bure feul- qui a fait celle
du livre entier.
LE TRIOMPHE DE JESUS- CHRIST
dans le defert. Poëme facré , traduction libre
en vers françois du Paradis reconquis
de Milton ; Par M. Lancelin. A Paris
chez Defaint & Saillant , rue S. Jean de
Beauvais ; & chez Lambert , rue de la Comédie
françoiſe , au Parnaſſe.
JUILLET. 1755 87
Quoique M. Lancelin ait mis en vers
le Poëme le moins parfait de Milton , on
doit toujours lui fçavoir gré de fon effort.
Il s'eft peut-être ellayé par le plus foible
pour tenter un jour le plus fort. On peut
même dire à la rigueur qu'il a commencé
par le plus difficile. Le Paradis perdu réunit
tout ce qui peut élever l'efptit & lui
fervir de reffource , le fublime des idées !
la variété des images , & la chaleur de
l'action. Le Paradis reconquis eft admira
ble par fa morale , mais le fonds en eefkt
trifte & monotone; il ne peut fe foutenir
que par la beauté des détails , & par un
coloris fupérieurs qui eft peut-être la partie
dans tout original la plus malaifée à
traduire. C'eft au public , connoiffeur en
Poëfie , à décider fi M , Lancelin ya réuffr.
Pour moi je me borne au devoir de Journalifte
: j'indique fimplement fa traduction
. w insta
mennti fol ach sein.. who egokia ok ag
SPOT BOver, Tragédie en cinq
actes , avec préface. Prix 1 livre 4 folo; fe
vend chez Duchesne , rue S. Jacques.
Cette Tragédie, dont le héros eft un frorteur
& l'héroïne une foubrette , paroît une
imitation d'Arcagambis , avec cette diffe
rence qu'Arcagambis parodie le Cothar
ne dansle noble , & que Pilotboufi le tra
$ 8 MERCURE DE FRANCE.
veftit dans le plus bas. Ce drame m'a paru
très-bienfait pour amufer l'antichambre ,
mais peu digne de pénétrer jufqu'à l'appar
tement. Je ne puis me flater d'être lû de la
livrée ; cette raifon me difpenfe d'en don
ner l'extrait.
-1.
3'1 SOULS
slit baig s
REPONSE à la réfutation que M. Dibon
vient de faire de deux écrits publiés ,
il y a un an , en faveur de M. de Torrès ,
& dont nous avons parlé dans le premier
Mercure de Juin.
M. Carboneil , Docteur en Médecine , eft
l'auteur de cette réponſe. Il eſt d'abord trèsfcandalife
que M. Dibon doute de fon exifftence
, ainfi que de celle de M. Bertrand ,
Médecin comme lui . Vous affurez , lui dit- il,
que nous ne fommes que des Eires de raiſon ,
dans le tems que votre ouvrage paroît , on
nous voit tous deux , l'on apprend que M.
Bertrand eft fur le point d'obtenir une charge
de Médecin ordinaire du Roi . L'auteur
Le plaint enfuite de ce que M. Dibon traite
de chimerique la guérison de ce dernier
qui la publie & la certifie lui- même . M.
Carboneil ajoute que MM . Morand ,
Dieuxaide & Fernandès ont conftaté l'état
de ce malade , & que c'eft fous les yeux
de MM. Falconnet , Vernage , Lavirote &
Sanchez qu'il a été radicalement guério Il
T
JUILLET. 1755. 89
forme une autre plainte au ſujet de la lettre
du malade de cent cinquante lieues
que M. Dibon a rapportée feule , fans faire
mention de celle que ce malade écrivit à
fon pere avant fon départ . Pour la juftification
& la gloire de M. de Torrès , M. Carboneil
a inféré cette derniere lettre dans
fa réponſe. Elle contient l'éloge le plus
grand de fon ami , & la reconnoiffance la
plus vive du malade qui fe trouve guéri
après huit ans de fouffrances.
Nous rapportons les faits tels qu'on les
expofe de part & d'autre ; c'eft aux Maîtres
de l'art à les vérifier & à prononcer d'après
eux. Nous nous tenons àcet égard dans une
parfaite neutralité , comme nous l'avons
promis , &' comme il convient à tout Journaliſte,
90 MERCURE DE FRANCE.
SUITE d'une difcuffion fur la nature
du goût , où après avoir prouvé
que fes principes font invariables
qu'ils ne font pointfujets aux révolutions
de la mode , on examine
s'ils font foumis au pouvoir du
tems , & à la différence des climats
, & quels fontfes objets principaux.
> A révolution des tems la fucceffion
des différens âges font
fans doute plus à redouter pour le goûr ,
que l'empire momentanée de la mode.
Rien , dit -on , pour le tems n'eft facré.
La force de cet agent eft terrible , je l'avoue
, mais poufferoit- il la barbarie jufqu'à
faire fentir au bon goût les triftes
effets de fon pouvoir ? Aidé par l'enchaînement
des événemens humains , favorifé
par quelques circonftances décifives
, il peut étendre ou refferrer fa domination.
Parcourons nos annales , confultons
l'antiquité , jettons nos regards fur les
peuples qui nous environnent , & nous
JUILLET. 1755. ༡ ་
verrons qu'il eft encore de fon reffort de
transferer le trône du bon goût d'une nation
dans une autre . Pour cela détruit- il
fes principes ? non : je le dis avec confiance
; ce fier deftructeur refpecte les monumens
précieux qui conftatent les progrès
de l'efprit humain . Villes fécondes en
grands hommes ! Athenes , Rome , vous n'avez
pas été à l'abri de fes coups ! Orateurs
immortels , Démofthenes , Ciceron , vous
vivez , & le tems , loin de vous faire outrage
, a réuni fous vos loix tous les peuples
du monde lettré. C'est le tems qui ,
de tant de nations différentes en a formé
une feule & même république , & vous
en êtes les premiers citoyens.
Par quel fecret les poëtes , les peintres ,
les muficiens , les fculpteurs , tant anciens
que modernes, fe font ils fouftraits à la loi
commune ? comment ont- ils reçu une nouvelle
vie de la postérité ? c'est parce que
dans leurs ouvrages on trouve l'expreffion
fidele de la belle nature. Heureufe expreffion
! elle fait les délices de l'homme de
goût , je dis plus , de tous ceux fur qui la
raifon n'a pas perdu tous fes droits ; expreffion
enfin qui , par le choix judicieux
des ornemens , la vivacité des images ,
nous rend des traits de la nature ſous aut
tant de formes , qu'elle varie elle -même
92 MERCURE DE FRANCE.
fes mouvemens & fes opérations.
Convenons néanmoins qu'il eft des tems
critiques pour les talens . Ce n'eft point
en jettant les fondemeus d'une monarchie
qu'un fouverain peut fe flater de faire fleurir
les beaux arts. En vain effayeroit- il
de fixer le bon goût dans fes Etats , tandis
que , le fer à la main , il en difputera
les limites contre fes voifins. Il étoit refervé
à Athenes d'enfanter fes plus grands
hommes dans les plus grands périls . Periclès
, Ifocrate , Demofthenes , fe font formés
au fein de la tempête , il eft vrai ; mais
l'éloquence , chez cette nation , étoit une
qualité indifpenfable. L'Orateur & le Capitaine
prefque toujours étoient réunis dans
la même perfonne ; & chez nous ils feroient
deux grands hommes : la paix eft
donc la mere des beaux arts , le trône du
bon goût n'est jamais mieux placé que
dan's
fon temple. Le trouble , l'agitation , fuïtes
inevitables de la guerre , rendent les ef
prits prefque incapables de toute autre application
; un ébranlement violent dure encore
après que la caufe en a ceffé . L'ame
fortie de fon affiette ordinaire par les fecouffes
qu'elle a éprouvées, ne recouvre pas
fi - tôt le calme & la tranquilité néceffaires
pour reprendre le fil délié d'une étude fuivie.
JUILLET. 1755. 93
Il eft donc des tems plus favorables que
d'autres aux talens ; mais pour cela le tems
n'attaque point le bon goût dans fon principe.
La gloire dont jouiffent tant d'auteurs
célébres , celle qui a été le prix des
travaux illuftres de tous ceux qui fe font
diftingués , foit dans la pénible carriere
des hautes fciences , foit dans celle d'une
littérature fine & exquife , les honneurs
qu'ils ont reçus dans tous les fiecles , l'eftime
, l'admiration dont ils font en poflef
fion depuis tant d'années , l'application
des artiſtes de nos jours à mériter les fuffrages
de l'homme de goût , leurs fuccès enfin
ne font-ce pas là des preuves démonfratives
que le fentiment du beau , du vrai ,
eft de tous les âges , & qu'un goût épuré
pour ce beau , pour ce vrai , feul eft exempt
des variations qu'éprouvent le refte des
chofes humaines.
(b) De tout tems on eft convenu de la dif
férence de l'air qui regne dans les climats
; mais on a parlé diverſement de fes
effets. Il feroit égalememt abfurde de dire
que l'air ne peut rien fur le bon goût , ou
de prétendre qu'il peut tout. Saififfons un
jufte milieu : la différence de la température
de l'air forme celle des climats ; fon
( b ) Climats
94 MERCURE DE FRANCE .
influence n'eft point chimérique , l'air agit
fur le corps , le corps imprime fes mouvemens
à l'ame , & fes mouvemens font
fouvent proportionels à ceux que le corps
éprouve ; il fuffit de refpirer pour s'en
convaincre. Mais fi l'union du corps & de
l'ame foumet cette derniere partie à une
certaine dépendance à l'égard de la pre-
-miere , fi celle- ci eft foumife à fon tour
aux influences de l'air qui varie dans chaque
climat , peut - on en conclure que l'ame
foit fervilement fubordonnée dans toutes
fes opérations à ces deux caufes , qui d'ailleurs
lui font fi inférieures ? Un efprit fain
ne jugeroit-il pas autrement ? H verroir
fans doute , dans une fubordination mu→
tuelle , une nouvelle preuve de l'attention
du fouverain être qui veille à la confervation
de ces deux fubftances hétérogenes.
Quelque foit l'effet de l'air fur le
corps , & celui du corps fur l'ame , jamais
on ne prouvera que le concours de ces
deux puiffances , foit auffi abfolu qu'on fe
le perfuade communément. En vain m'objetera
t -on que l'air eft une caufe générale
qui foumet à fon pouvoir tous les
hommes ; fans vouloir fe fouftraire à fa
puiffance , ne peut-on pas examiner quelles
en font les limites ? un oeil éclairé en
reconnoîtra l'étendue , il eft vrai , mais il
JUILLET. 1755- 95
la verra bornée , cette étendue , par la fage
prudence de Dieu - même.
Interrogeons l'Hiftoire , appellons à notre
fecours la Phyfique fousun même point
de vûe , celle- ci nous repréfentera les habitans
de ce vafte univers caracterisés par
des attributs particuliers , cette autre , après
un mûr examen , jugera de la conftitution
de leurs climats ; & elles décideront toutes
deux que l'influence de l'air ne peut dans
aucune région , tyranifer le corps au point
d'interdire à l'ame l'exercice de fes plus
nobles fonctions . L'heureufe pofition de
l'Arabie & de l'Egypte a fait éclore , diton
, au milieu de leurs peuples les principes
des beaux arts. C'est dans le fein de
cette terre féconde , qu'on a vû germer les
élémens de toutes les fciences. Pourquoi
les habitans de ces contrées fortunées fontils
fi différens de ce qu'ils étoient autrefois
? quelle étrange métamorphofe ? la nature
du climat leur avoit été fi favorable
dabord : pourquoi n'eft- elle plus leur bienfaictrice
? qu'eft devenue cette fagacité ,
cette pénétration qui les rendoit fi profonds
dans l'étude des hautes fciences ? L'air d'un
fiecle a un autre , éprouve à la vérité des
variations aufquelles le corps eft foumis ;
mais comme les émanations de la terre
conflituent principalement les qualités de
MERCURE DE FRANCE
l'air , & comme les qualités de ces émanations
dépendent de la nature des corps qui
les forment , il s'enfuit que ces corps n'ayant
pas pû changer entierement de nature , leurs /
émanations ne font pas affez différentes
de ce qu'elles étoient autrefois , pour altérer
les qualités de l'air au point de caufer
des changemens auffi prodigieux que nous
le remarquons dans les Egyptiens : ont- ils
d'ailleurs perdu quelque chofe de cette vivacité
, de ce feu dont ils étoient doués
anciennement ? il a feulement changé d'objet.
L'amour des fciences a été remplacé
par celui des plaifirs.
S'il eft vrai que la bonne température
de l'air faffe éclore le bon goût , le génie
Efpagnol ne devroit -il pas porter l'empreinte
de l'excellence de fon terrein ? cependant
pourroit- on le définir fans tomber
dans des contradictions ? Ce peuple a droit
de réaliſer dans fa vie privée les peintures
extravagantes dont le ridicule fait le principal
mérite de fes ouvrages.
Les Grecs , autrefois fi déliés , font ils
reconnoiffables ? contens de croupir aujourd'hui
dans une molle oifiveté , ils cedent
aux nations étrangeres la gloire de
connoître le prix des ouvrages de leurs
peres ; & leur ignorance groffiere forceroit
quiconque voudroit les rapprocher de leurs
ancêtres
JUILLET. 1755 97
ancêtres , à avouer la différence du parallele.
Si la température de l'air influe tellement
fur le progrès des fciences , fi la bonté
de cet air produit le bon goût , fi fes
mauvaises qualité le détruifent entierement
, pourquoi voit- on une différence fi
prodigieufe entre les Athéniens & les habitans
de la Beotie? Dira -t- on que la fituation
des deux pays a produit cette fingularité
remarquable ? y auroit - il de la vraifemblance
ne fçait- on pas qu'ils n'étoient
féparés que par le mont Cytheron ? cette
diftance auroit- elle produit un phénomene
de cette espéce ?
N'avons- nous pas vû d'ailleurs des changemens
uniformes dans le caractere des
mêmes peuples , fans qu'il foit arrivé aucune
révolution dans leur climat ? Le Perfan
, fous Darius , eft- il le même que fous
le regne des Arfacides ? Avant les victoires
de Charles XII , eut - on foupçonné les
Mofcovites de valeur ? & avant les fuccès
du Czar , eut-on cru qu'on pouvoit les
policer ? fi la puiffance de l'air étoit telle
qu'on fe l'imagine vulgairement , l'ame
des Indiens , amollie en quelque forte par
la chaleur du climat , feroit-elle capable
des plus terribles refolutions ? confidérons
les peuples du nord , un froid glacial en-
E
98 MERCURE DE FRANCE.
gourdit leurs membres , leurs fibres compactes
s'émeuvent à peine : manquent- ils
ponr cela de raifon ? n'ont- ils pas le jugement
fain ? ne comparent-ils pas avec facilité
eft-il un peuple qui poffede à un plus
haut dégré la perception des rapports.
Avouons donc que tout climat peut être
celui des beaux arts. Par tout où il y a des
hommes , il y a de la raiſon , du fens , du
jugement , & les fciences y peuvent être cultivées
; il n'eft donc point de régions inacceffibles
au bon goût , & s'il en eft encore où
les fciences n'ayent pas pénétré , l'éducation
que reçoivent les fujets , les occupations
auxquelles l'Etat les oblige de fe livrer
, la forme du gouvernement , les qualités
& les difpofitious de ceux à qui ils
obéiffent , y contribuent , fans doute , plus
puiffamment que le climat. Ce n'eft donc
point par les dégrés de latitude qu'on mefure
l'empire du goût.
(c) Que fe propofent les artiſtes ? l'imitation
de la belle nature : quel eft le but de
l'homme de goût ? de fentir & de juger le
dégré de cette heureufe imitation . L'objet
eft commun , les opérations font différentes
: le premier produit ,, enfante ; le fecond
approuve ou condamne. Une tendre
(c ) Objets du goût.
JUILLET. 1755. 99
complaifance peut aveugler l'un ', fur les
défauts de fes plus cheres productions ;
l'autre eft un juge éclairé , équitable , févere
, quoique fenfible . L'idée archetype
હતી pour celui- ci un trait de lumiere qui le
dirige dans le cours entier de l'exécution
de fon ouvrage ; elle guide , elle éclaire
Fautre dans les décifions les plus délicates.
La nature , comme une glace fidele , tranf
met à tous deux les traits principaux de
ce divin original : c'eft de ce point qu'ils
partent , c'eft dans ce centre qu'ils ſe réuhiffent.
Confultent-ils cette copie ? l'un y
fit l'éloge ou la cenfure de fon ouvrage , il
y trouve une matiere inépuifable d'imitation
; l'autre y découvre une fource de
plaifirs épurés , de ces plaifirs refervés
au noble & rare exercice d'une faculté fenfible
& intelligente. L'objet du travail de
l'artifte eft auffi folide que le domaine de
l'homme de goût eft étendu ; je vois tous
les grands maîtres de l'univers s'envier la
gloire d'exciter le plus de mouvemens dans
fon ame.
(d) Par l'art d'un pinceau créateur , une
toile , une foible toile , vit , refpire , la fiction
prend la couleur de la vérité , l'ame
du fpectateur frappée , faifie , émue , fe
( d ) Peinture,
335288
E if
100 MERCURE DE FRANCE.
livre avec impétuofité aux délicieuſes agitations
qu'elle éprouve ; chaque trait fem
ble fe réfléchir fur elle-même , il s'y imprime
, il s'y colore ; rien n'échappe , tout
eft vivement fenti . Ici une touche gracieufe
& légere attire , flate , féduit : l'homme de
goût entre dans le myftere , il voit la nature
fourire à cet artifte bien aimé ; là un
craïon mâle ,vrai , nerveux, peint noblement
de nobles objets : it fixe , il attache , mais
il ne fatigue pas ; la vérité fut fon guide ,
le fuffrage de l'homme de goût eft fa récompenfe.
Quel eft ce pinceau fier & menaçant
crée-t-il de nouvelles paffions ▸
non : il maîtrife celles de mon ame : ce
peintre m'étonne , m'éfraye , mais il me
touche. Ici l'imitation l'emporte fur la réalité
; des objets véritables , mais auffi terribles
ne produiroient en moi que des fentimens
lugubres ou tumultueux ; font- ils
repréſentés ? ma fituation eft moins critique
, l'éloignement de l'objet réel me raffure
: je goûte le plaifir de l'émotion , je
n'en fens point le défordre ; émotion vraiment
digne d'un être penfant ; de fimples
fenfations n'en font pas le terme : des ob
jers ainfi exprimés fervent de dégrés à l'ame
, ils l'élevent jufqu'à la fource des
perfections : c'eft en elle que l'homme de
goût juftifie fes plaifirs , & l'artiſte ſes
fuccès,
JUILLET. 1755 . 1755. Idr
(e) Ici, un cifeau donne du fentiment à un
marbre froid , brute , infenfible ; une main
le guide , le héros eft reproduit. Art heureux
qui , pour tenir de plus près à la nature
, ne produit que plus difficilement
des chef- d'oeuvres : en ce genre , les artiftes
excellens font auffi rares que les beautés
parfaites , ou les héros accomplis . Pour
me toucher , j'exige des Phidias , ou des
Puget; des Praxitelle ou des Girardon . Le
fond où ces artiſtes ont puifé les traits qui
vivifient leurs ouvrages , les préferve de
l'inconftance de l'efprit humain dans fes
jugemens : en quelque fiécle que paroiffent
des morceaux auffi achevés , la copie forcera
les hommes malgré leurs préjugés à
remonter jufqu'à l'original.
(f) C'eft en le confultant que s'eft ennobli
cet art , né de la néceffité , ébauché par
l'ignorance , défiguré & perfectionné par
le luxe. L'imitation de la belle nature s'y
fait moins remarquer ; ce n'eft cependant
que de fa main qu'il reçoit fes charmes &
fes agrémens ; elle fit entendre fa voix à
Vitruve : il prit goût à fes leçons , l'idée
du fouverain modele qu'elle offrit à fes
yeux lui en développa les principes , &
parce qu'il ne s'écarta point de ce guide ,
(e ) Sculpture.
(f) Architecture.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
l'homme de goût l'a établi le légiflateur de
ceux qui lui fuccederont à jamais .
(g) Quels plaifirs ne lui procure pas cet
art dont le mérite confifte à rendre fidelement
celui des autres ? avec quelle vérité
n'expofe - t - il pas à nos yeux les majestueu ,
fes productions de l'Architecture & de la
Sculpture. Le burin eft l'imitateur du pinceau
, fans vouloir en être le rival ; il
s'immortalife en éternifant les artiftes . Sans
doute qu'en faveur des gens de goût la
nature a laiffé échapper de fon fein cet
art ingénieux : fi elle a fait le ferment de
ne produire que rarement des grands hommes
; elle l'a modifiée en quelque forte
en confiant à la Gravûre le foin de multiplier
leurs chef-d'oeuvres . Cet art mérite
d'exercer le talent de l'artifte , parce qu'il
peut ne travailler que d'après le génie des
grands maîtres. Mais fi la gloire le tou
che , que fon oeil pénétrant fe familiarife
en quelque forte avec le fublime de l'idée
archetype ; l'exacte obfervation de
cette regle univerfelle a fait le mérite de
de ceux qu'il imite , elle feule l'immortali
fera comme eux.
(b ) C'est par cette voie que fe font placés
au temple de Mémoire les créateurs de la
(g ) Gravure.
(b ) Mufique.
JUILLET . 1753. 103
mufique. Cette four aînée des beaux arts
répand l'aménité fur les travaux de l'homme
de goût la douceur de fes accords
charme fes fens , fon ame épuifée de reflexions
reprend une nouvelle activité ,
après s'être livrée aux délices d'une ivreffe
momentanée ; l'harmonie fufpend fa penfée
, comment n'en reconnoîtroit -elle pas
les droits ? ceux qu'elle exerce fur elle font
fi naturels !
Jufqu'ici l'artiste a fourni aux plaifirs
de l'homme de goût ; l'homme de lettres
n'y contribue pas moins efficacement. Ceux
qu'il lui procure ayant moins à démêler
avec la matiere , ont plus de rapport avec
la nobleffe de fon origine , les belles connoiffances
forment fon véritable élément ,
tous ceux qui cultivent les belles lettres
avec fuccès , ont droit à fon eftime , parce
qu'ils font partie de fon bonheur.
(i ) Cependant quelque fouveraine que
foit l'éloquence fur fon ame , elle la maî
trife plus fouvent qu'elle ne la remplit . O !
vous , qui fûtes l'oracle de votre fiécle ,
Boffuet , l'orateur de ma nation , vos foudres
m'annoncent votre puiffance , je la
reconnois , vous me captivez , vous m'enchaînez
; mais je découvre en portant vos
(i) L'éloquence.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
fers un autre maître que vous ; vous n'êtes
point l'orateur dont j'ai l'idée , vous me
le repréfentez feulement. Tant il eſt vrai
que les objets intermédiaires , quels qu'ils
foient , ne ralentiffent point la marche
d'une ame dégagée du preftige des fens ;
ils ne forment que le milieu à travers
lequel elle s'éleve avec rapidité , jufques à
la fource des perfections.
(k) C'est dans cette fource que le Poëte
puife le fublime dont l'homme de goût
connoît fi bien les effets. Les auteurs de
notre fiécle qui ont obtenu fon fuffrage
ont mérité fa critique . L'heureuſe alliance
d'un fentiment exquis & d'une droite raifon
, ont établi de tout tems l'homme de
goût le juge du poëte ; ce génie formé de
deux contraires le jugement & l'enthou
fiafme.
( 1 ) Quelques fatisfaifans que foient les
objets que j'ai parcourus, l'homme de goût
n'y eft pas borné : fans prétendre à l'univerfalité
des connoiffances , il fçait étendre
fa fphere , & fes propres reflexions
lui fourniffent toujours les plaifirs les plus
délicats. L'étude des langues eft digne de
fes foins ; il s'y livre , mais le défir d'aggrandir
fon efprit en eft plutôt le motifque
(k ) Poëfie. :)
(1 ) Etabliffement des Langues,
JUILLET . 1755 105
Fenvie d'orner fa mémoire ; pour lui l'établiffement
des langues n'eft point le réfultat
de l'affemblage bizarre & fortuit de
fyllabes & de mots : il voit la connexion
intime de l'art de la parole à celui de pen
fer , les efforts réunis du métaphyficien
délié , & de l'homme de goût , feuls ont
été capables de concevoir & d'executer un
projet auffi immenſe .
Avec quelle complaifance ne jette-t- il
pas fes regards dans le lointain là il découvre
les peuples de l'univers tyrranifés
par les paffions , féparés par la différence
des religions , divifés par l'intérêt , & réunis
par le goût ; fon difcernement lui fait
appercevoir , il eft vrai , que ce point dans
lequel les nations conviennent n'eft pas
indivifible ; mais la nature lui en découvre
la caufe ; le petit efpace qu'elle a laiffé
libre en donnant plus de jeu aux inclina
tions de chaque peuple , caractériſe leur
génie particulier.
J'ai montré que le beau , le vrai en tout
genre , faifoient impreffion fur l'homme de
goût. Ce n'eft point le tirer de la foule , ill
a des prérogatives ; repréfentons- nous les' ,.
nous aurons fon caractere diftinctif. Quoi--
que la faculté de fentir le vrai , le beau ,,
foit la nourriture de toute ame qui n'eft:
point dégénérée , convenons qu'il y a au
E.V
106 MERCURE DE FRANCE.
tant de dégrés dans ce fentiment exquis
que les connoiffeurs diftinguent de tons
différens dans les couleurs. Offrez un tableau
aux yeux d'un homme de bon lens
fans culture , & à ceux d'un efprit mûri &
perfectionné par l'étude ; il eft bean , s'écriront
ils tous deux : l'expreflion eft la
même , l'impreffion ne l'eft pas . Dans le
premier , ce tableau reveille une ame oifive
, qui avoit oublié d'ufer de ſes richeffes
; l'objet fenfible renouvelle heureufement
l'idée archetype , gravée dans le
fond de cet être fans qu'il le foupçonnât.
Le défaut de penfer l'empêchoit d'en faire
une féconde application ; la reffemblance
des traits fe fait jour , l'ame fe ranime , &
les perfections de l'original qu'elle ne peut
méconnoître la font juger fainement du
mérite de la copie. D'un oeil pénétrant ,
mais refpectueux , l'homme de goût leve le
voile qui interdit au refte des mortels , le
fpectacle de Dieu même repréfenté dans
fes ouvrages ; l'habitude de refléchir lui a
acquis le droit ineftimable d'être en fociété
avec la nature & fon auteur. Il faifit
avec rapidité tout ce qui a trait à cet
objet intéreffant ; quoique les objets materiels
l'affectent fenfiblement , cependant
il accorde moins au plaifir d'être émû qu'à
celui de comparer & de réfléchir ; chez
JUILLET 1755 . 107
lui le fentiment du beau eft vif , éclairé ,
foutenu , fon jugement eft fain , vrai , ir,
révocable. Une exacte perception des гар-
ports en eft le principe , une profonde connoiffance
de caufe en eft le fondement. t
Tels font les titres précieux dont la nature
décore ceux qui , par une reflexion
continue , ont appris à connoître les perfections
de leur auteur dans celles qu'elle
renferme elle - même. En vain me flatterois-
je que ces confidérations fur la nature
du goût , augmenteront le nombre des
amateurs . Réduire fous les loix d'une faine
philofophie , ce que quelques perfonnes ,
peut- être trop intéreffées , vouloient regarder
comme abandonné à la bizarrerie
des goûts , aux révolutions de la mode ,
des tems , & à la différente température
des climats , c'étoit mon deffein. J'ai fait
quelques efforts pour remonter aux fources
du beau ; puiffent -ils ne pas paroître
inutiles à celui dont j'ai foutenu les droits.
Cette fuite eft de M. Guiard , de Troyes .
La premiere partie de fon ouvrage a été
imprimée dans le Journal de Verdun ,
mois de Mai 1753 .
MÉTHODES NOUVELLES pour apprendre
à lire aifément & en peu de tems ,
même par maniere de jeu & d'amufement ,
E vj
108 MERCURE DE FRANCE
auffi inftructives pour les Maîtres que
commodes aux peres & meres , & faciles.
aux enfans.
Voilà tous les avantages qu'on peut defirer
, réunis dans le feul titre. On y joint
les moyens de remédier à plufieurs équivoques
& bizarreries de l'ortographe fran
çoife : c'eft encore un nouveau mérite qu'il
n'eſt pas aifé d'avoir.
Le nom de l'Auteur eft prefque un chif
fre. C'eft S. Ch. Ch. R. d. N. & d. P. Comme
on ne voit plus d'ouvrage fans épigraphe
, celui-ci a la fienne , qui eft tirée de
S. Jerôme , épitre à Læta. Non funt contemnenda
quafi parva , fine quibus magna conf
tare non poffunt. Il fe vend chez Lottin , rue-
S. Jacques , au Coq: 1755.
Le Libraire avertit qu'on trouvera chez
lui au premier Août prochain différens
alphabets en quinze planches pour fervir
de premieres leçons aux enfans. On y trouvera
auffi le livre que nous annonçons relié
en carton & parchemin pour leur en
faciliter l'acquifition ..
JUILLET. 1755. 109
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
ALGEBRE.
Réfléxions fur la méthode employée par M.
G.... Ecuyer , Officier de Madame la
Dauphine & de la Société littéraire de
Senlis , pour réfoudre le problême qu'il a
propofe dans le Mercure du mois de Mai
dernier. Par M. Bezout , Maître de
Mathématiques.
'Ai avancé & fuffifamment démontré
J'dans le Mercure de Juin dernier , que
les nombres 551 , 431 , 311 étoient les
feuls qui fatisfaifoient à toutes les conditions
du problême , & les raifonnemens
fur lefquels j'ai appuyé mon affertion ont
pû donner à connoître que la forme indéterminée
que donnoit M. G. à la folution
du problême , ne pouvoit venir que de ce
qu'il auroit fous-entendu ( par quelque
caufe que ce puiffe être ) l'expreffion de
quelques - unes des conditions du problême .
C'est l'opinion dans laquelle j'ai toujours
été & dans laquelle j'ai été confirmé en
110 MERCURE DE FRANCE.
donnant à u quelques valeurs dans les expreffions
de x, y , z qu'a données M. G.
& en dernier lieu par la lecture de fa méthode
.
M. G. après avoir rappellé les 6 , 7 & -
8 conditions de fon énoncé , pourfuit en
difant , l'on fera donc pour remplir les 7 &
buitieme conditions cette analogie , & c . 140 :
61 ::
x + 9
210p -1059 +7
7
-4 y
7
420 p- 3369-
28
4
; au moyen de cette analogie
, il réduit à une feule u les deux indéterminées
p & q , & transforme les valeurs
préparées de x , y , z en celles qu'il
avoit annoncées .
Mais la folution eft - elle achevée ? toutes
les conditions du problême ont-elles été
parcourues & exprimées ? Il me femble
que non ; car je ne vois aucune expreffion
du rapport de la perte faire au premier
pofte à la perte faite au troifieme.
Cependant, dira- t- on , les nombres 5 5 1,
431 , 311 trouvez par cette méthode ,
fatisfont à toutes les conditions du problême
? cela eft vrai ; mais c'eſt par hazard .
Un nombre qui fatisfait à certaines conditions
demandées a encore la propriété de
fatisfaire à beaucoup d'autres qu'on ne lui
demande pas.
D'ailleurs pour fe convaincre
que c'eſt par hazard qu'ils fatisfont à
4
4
JUILLET . 1753 111
cette derniere condition : on n'a qu'à réfoudre
le problême comme s'il étoit énoncé
fans cette même condition , & alors la
queftion qui fera effectivement indéterminée
aura pour les nombres les plus fimples
qui rempliffent les conditions , les
mêmes nombres 551 , 431 , 311 .
que Je ne crois pas non plus qu'on dife
le rapport de la perte faite au premier
pofte à la perte faire au fecond , détermine
ces deux chofes ; 1º. le rapport ddee llaa perte
faite au premier pofte à la perte faite au
troifieme ; 2 °. que la perte faite à ce troifieme
pofte foit le tiers du nombre des
troupes qu'on y avoit envoyées : le problême
dans ce cas feroit à la vérité indéterminé
, & on auroit eu raifon de fousentendre
la derniere condition , parce
qu'elle auroit été renfermée dans la précédente
; mais c'eft ce qu'on ne voit point
& qu'on ne peut voir , car les équations
que fourniffent ces deux conditions , font
très- différentes & ne peuvent être conclues
l'une de l'autre.
Il fuit de là 1 ° . qu'abſtraction faite des
nombres 551 , 431 , 311 , tous les autres
qui font annoncés dans le Mercure de
Mai , doivent manquer à la huitieme condition
, & ils y manquent en effet .
2°. Qu'abſtraction faite des mêmes
112 MERCURE DE FRANCE .
nombres $ 51 , &c. tous les autres qu'on
propofe de nouveau , comme trouvés par
la huitieme condition manquent néceffairement
à la feptieme , & ils y manquent
en effet.
Enfin de ce que des deux différentes
manieres qu'on propofe pour trouver x
y , z, la premiere en omettant ainsi qu'il
paroît ) la huitieme condition ; la feconde
en omettant la feptieme condition , il
en réfulte des valeurs différentes ; on en
doit , ce me femble , conclure que les feptieme
& huitieme conditions font trèsdifférentes
entr'elles ; qu'elles doivent par
conféquent fournir chacune une équation
& déterminer le problême , ainfi que je
l'ai avancé .
Nous donnerons le Mercure prochain
la réponſe de M. G. dans laquelle il a la
noble franchife de convenir qu'il s'ekt
trompé, & que fon problême eft en effet
déterminé comme M. Bezout le prétend.
JUILLET. 1755. 113.
HISTOIRE NATURELLE.
Lettre à l'Auteur du Mercure.
M
quelle
ONSIEUR , il eft indifférent de
quelle façon l'on enrichit la Répu
blique des Lettres , foir par des ouvrages
fuivis , foit par des morceaux détachés
foit même par des Almanachs , nous avons
toujours obligation à ceux qui cherchent
à nous inftruire ; mais dans quelqu'ouvrage
que ce foit , il faut être vrai : c'eft ce qui
manque dans la lettre de M. l'Abbé Jacquîn
fur les pétrifications d'Albert . *
L'eau du puits du fieur de Calogne eft
effectivement à trente- cinq pieds jufques
à fon niveau , mais la carriere n'en a pas
tant ; elle n'a , comme on l'a dit dans l'almanach
d'Amiens , que vingt à vingt- deux
pieds de profondeur. Il y a de la contradiction
dans ce que dit M. l'Abbé Jacquin.
L'eau du puits eft à trente - cinq pieds , & il
donne quarante- huit à cinquante pieds de
profondeur à la carriere ; or comment auroit-
on pû creufer quinze pieds au - deffous
de l'eau fans en être inondé ? cepen-
* Premier Mercure de Juin 1755 , pag. 19
114 MERCURE DE FRANCE.
dant toute la carriere eft totalement féche ,
& ce puits la traverſe dans le milieu ; c'eft
par lui que le fieur de Calogne a monté
les pierres qu'il a tirées.
Il eft à remarquer que les ponts qui ſe
fe
trouvent fur la riviere d'Albert , n'ont pas
à vûe d'oeil plus de dix pieds fous voûte ,
& que cette riviere eft pleine de fources.
Les terres font de différentes nuances→
brunes dans la carriere , ainfi que les pétrifications
, mais il eft vrai qu'elles blanchiffent
à l'air.
Il fembleroit , fuivant M. Jacquin , que
les coquillages qui fe trouvent dans cette
carriere font pétrifiés ; ils ne le font nullement
, ils font au naturel.
M. Jacquin n'a pas bien vifité les marais
; s'il l'avoit fait avec atention , il y
auroit trouvé des fougeres , fur- tout lorfqu'il
y a des arbres , & que le fol eft ſablonneux
.
Il faut fçavoir exagérer pour donner
foixante pieds à la cafcade ; quand M.
Jacquin reviendra dans fa patrie qu'il
prenne la peine de retourner fur les lieux
la toife à la main , qu'il prenne fes mefures
perpendiculaires , alors il pourra
donner des dimenſions juftes .
Comme je crois que ces réflexions peuvent
être de quelque utilité pour les cuJUILLET
. 1755. 115
rieux , je crois auffi devoir vous les envoyer
, Monfieur , pour être inférées dans
votre Mercure du mois prochain.
Je n'ai ici que l'intérêt du vrai , c'eft
pourquoi il eft inntile de me nommer.
J'ai l'honneur d'être , & c.
A Peronne , ce 15 Juin 1753.
1
MEDECINE.
Lettre de M. Dequen , Docteur en Médecine
, de la Faculté de Montpellier , à un
Médecin defes amis , fur un accident arrivé
dans le cuvage de M. le Comte de la
Queuille , Brigadier des armées du Roi ,
Colonel du Régiment de Nice , au château
de Chateangay , près de Riom en Auvergne.
A
Vez -vous entendu parler , Monfieur
, d'un accident arrivé chez M.
le Comte de la Queuille , à Chateaugay ,
le 24 du mois d'Avril dernier ? il n'eft pas ,
on peut le dire , abſolument nouveau ;
mais il me paroît accompagné de circonf
tances affez frappantes pour mériter peuts
être un peu de votre attention .
On avoit achevé de vuider te matin une
116 MERCURE DE FRANCE.
cuve où l'on avoit confervé pendant l'hiver
fix à fept cens pots de vin de notre
mefure , qui , comme vous le fçavez , à
quinze pintes le pot , font un objet de
neuf à dix mille pintes de Paris.
3
Environ trois quarts d'heure après
l'avoir découverte , le fommelier de la
maiſon , nommé Joli , eut l'imprudence
de commander à un jeune domeftique de
feize à dix-fept ans d'y entrer avec un balai
pour la nettoyer & en faire fortir la
lie. Cet enfant lui repréfenta le danger
auquel il vouloit l'expofer , & qu'il devoit
d'autant plus connoître que peu de
jours avant il étoit forti lui-même à la
hâte & à demi-mort d'une cuve pareille ,
quoique découverte depuis fept à huit
jours. Joli s'obftina , on ne fçait pas trop
pourquoi , & le petit domeftique effrayé
de fes menaces eut le malheur de lui obéir ;
mais à peine fut-il defcendu dans la cuve
qu'il tomba roide , fans connoiffance &
fans mouvement . Joli ne l'entendant
travailler ni repondre aux commandemens
réiterés qu'il lui en faifoit , vit bien alors ,
mais trop tard , les fuites de fon imprudence
; il faute dans la cuve pour le fecourir
, en criant à un marmiton qui fe trouvoit
auffi dans le cuvage , de lui faire venir
du fecours. Il fe baiffe pour relever
pas
JUILLET. 1755 117
#
l'enfant qui fe mouroit , & tombe dans lẹ
même état que lui.
Le marmiton court au château , il trouve
dans la cuifine un payfan , un des Gardes-
chaffe , le Cuifinier & un laquais ; il
feur apprend l'embarras de Joli. On vole
à fon fecours. L'allarme fe répand dans le
château : Maîtres , Domeftiques , tout le
monde s'empreffe de gagner le cuvage. Le
payfan qui étoit un jeune homme de vingtdeux
ans , fort & vigoureux , arrive , &
defcend le premier dans cette cuve funeſte ,
il veut encore fe baiffer pour relever ces
deux perfonnes qu'il voyoit fans mouvement
; & dans l'inftant , comme s'il eût
été frappé de la foudre , il tombe lui - mê-'
me inmobile , & pour ainfi dire mort . Le
Garde- chaffe qui venoit après lui fuit ſon
exemple , & fubit le même fort.
Le Cuifinier qui defcendoit le troifieme,
voyant ce trifte fpectacle , & fe fentant
tout-à- coup étouffer par les vapeurs
qui s'élevoient , remonte au plus vite au
haut de la cuve , il arrête le laquais qui
avoit déja une partie du corps dedans , &
tous deux hors d'état de fecourir les mourans
, bornerent leurs foins à empêcher de
defcendre ceux qui les fuivoient ; mais le
zéle de tous ces domeftiques pour fauver
la vie à leurs camarades étoit fi grand ,
18 MERCURE DE FRANCE.
qu'ils voyoient à peine un danger audi
effrayant. Un paltrenier fe jette dans la
cuve , & le trouve pris auffi tôt , mais
comme le haut en étoit déja bordé de
beaucoup de monde , il fat affez heureux
pout qu'on le faifit aux cheveux dans le
moment qu'il alloit tomber , & qu'on le
retira évanoui. Il en fut de même d'un
poftillon , à qui on paffa une corde fous
Fes bras dans le tems qu'il defcendoit , &
qu'on arracha à la mort par ce moyen ; ils
revinrent l'un & l'autre dès qu'ils furent
expofés à l'air extérieur .
Dansle trouble où l'on étoit , ne voyant
aucune reſſource pour retirer ces quatre
hommes de la cuve , on prit le parti de la
tompre ; mais comme les cercles en étoient
très-forts , garnis de bandes de fer , & que
les douves en étoient unies par des chevilles
, l'opération fut longue , & ces malheureux
étoient morts , lorfqu'on fut à
portée de leur donner du fecours.
Cependant on avoit envoyé chercher
un Chirurgien au bourg le plus près . Dès
qu'il fut arrivé , on effaya de les faigner ;
il ne fortit de fang qu'une ou deux gouttes
de l'ouverture qui fut faite au plus
jeune , qui le premier étoit entré dans la
cuve. Les autres n'en donnerent pas. Оп
deur jetta de l'eau au vifage ; on leur mit
JUILLET . 1755. 119
des eaux fpiritueufes dans la bouche &
dans le nez . Tous ces foins furent inutiles.
Il ne parut aucun figne de vie.
Il eft conftant , Monfieur , qu'on ne peut
attribuer la caufe de ces morts , qu'aux
vapeurs ou efprits ardens du vin qui s'étoient
ramaffés dans cette cuve , & qui
continuoient de s'exhaler de la lie qui y
reftoit. On ne peut pas en reconnoître
d'autre . Le vin étoit très- naturel & fort
bon. Il avoit été vendu en détail à des
marchands de nos montagnes , qui en
avoient débité déja la plus grande partie
dans leurs cabarets , fans que perfonne fe
fût plaint d'en avoir reçu la moindre incommodité.
J'aurois bien fouhaité avoir
été averti à tems pour voir par l'ouverture
de ces cadavres les effets que ces efprits
pénétrans avoient produits fur les différentes
parties qui en avoient fouffert l'impreffion
. M. le Comte de la Queuille qui
me fit appeller deux jours après pour voir
Madame la Comteffe fon époufe , que la
frayeur & la douleur de cet événement
avoient fort incommodée , me dit avoir
été fâché de ne me l'avoir pas mandé plu
iôt ; mais qu'il n'y avoit penfé qu'après
l'enterrement.
Je fus donc forcé de me borner à interroger
ceux qui avoient manqué à être
120 MERCURE DE FRANCE.
>
enveloppés dans ce malheur. Le palfrenier
& le poftillon ne me donnerent pas de
grands éclairciffemens . La maniere promp
te dont ils avoient été pénétrés de la vapeur
, la connoiffance qu'ils avoient perdu
à l'inftant ne leur avoient laiffé le
pas
tems de s'appercevoir de ce qui avoit produit
leur évanouiffement. Le Cuifinier qui
n'avoit reçu cette vapeur qu'à demi , & qui
s'étoit toujours reconnu , fut plus en état
de me rendre compte de ce qu'il en avoit
reffenti. Il me dit qu'elle lui étoit montée
au nez avec tant de force , qu'il en avoit
été fubitement étourdi , & qu'il avoit en
même-tems & par la même caufe , ſenti
que la refpiration lui manquoit.
Je m'informai auffi de l'état de ces malheureux
après qu'on les eût retirés de la
cuve ; ils étoient femblables en tout à
ceux qui font morts fuffoqués. Une Demoiſelle
qui avoit travaillé à leur donner
du fecours , m'en dit une feule particularité
qui l'avoit frappée : c'eft qu'en leur
ouvrant la bouche pour y introduire des
eaux fpiritueufes , elle avoit trouvé leurs
gencives , leurs dents , leur palais & leur
Langue , blancs , deffechés & comme à demi-
cuits. J'en conclus que ces vapeurs
volatiles & pénétrantes ont produit deux
principaux effets , que je regarde comme
la
JUILLE T. 1755. 121
la caufe de la mort prefque fubite de ces
quatre hommes , 1 °. qu'entraînées par l'air
avec abondance & rapidité dans la cavité
du nez & des finus qui y aboutiſſent , elles
ont fecoué & picotté vivement les petites
pointes nerveufes de la membrane pituitaire
faciles à ébranler. Cette irritation
communiquée au cerveau a produit dans
tous les nerfs une contraction fpafmodique
, une conftriction qui a intercepté
dans l'inftant l'écoulement des efprits animaux
vers les organes des fens & vers les
mufcles ; ce qui a donné lieu à la privation
fubite des fenfations & des mouvemens.
2º . Qu'entraînées pareillement au tems
de l'inſpiration dans la trachée artere &
dans les poulmons , elles les ont crepés ,
defféchés & comme cuits , ainsi qu'on l'a
obfervé aux gencives , au palais & à la
langue ; ce qui a rendu les véhicules d'autant
plus incapables d'être dilatées , & de
céder à l'impulfion de l'air , que ce fluide
toujours extrêmement chargé de ces vapeurs
, & conféquemment peu élastique ,
au lieu de vaincre cette réfiſtance ne faifoit
que l'augmenter de plus en plus par
l'irritation continuelle des efprits qu'il y
portoit fans ceffe ; de forte que la refpiration
bientôt fuffoquée a produit néceffairement
une ceffation totale de la circula-
F
122 MERCURE DE FRANCE.
tion du fang , qui dans quelques minutes
a fait périr ces malheureux.
par Ce que j'avance fe trouve confirmé
le prompt rétabliſſement du palfernier &
du poftillon , qui ont eu le bonheur d'étre
retirés de la cuve avant que les poulmons
euffent été confidérablement affectés . Affez
élaſtique pour en vaincre la réſiſtance, l'air
extérieur a rétabli la refpiration , & rendu
à la circulation fa liberté naturelle. Le
poſtillon a feulement confervé pendant
quelques jours un affoibliffement , effet
fenfible des violentes fecouffes que les
nerfs avoient fouffertes.
, Il n'eft pas nouveau comme je l'ai annoncé
, Monfieur , de voir périr des gens
dans de grandes cuves en foulant une
vendange qui fermente, Enivrés & étourdis
par les efprits que la fermentation évapore
, ils tombent dans le vin , & périffent
bientôt noyés s'ils ne font pas fecourus à
tems ; mais dans ce cas-ci il paroît fingu-
Hier de les voir périr prefque fubitement
dans une cuve vuide , où il y avoit à peine
deux ou trois lignes de lie répandue fur le
fond , dans une cuve découverte depuis
plus de trois quarts-d'heure ; de voir enfin
arriver cet accident au mois d'avril , dans
un tems où la fermentation n'eft plus fenfible.
On peut cependant rendre raiſon
de ces effets furprenans.
JUILLET. 1755. 123
1º. On fera moins étonné de la promptitude
de la mort de ces quatre hommes ,
fi l'on fait attention qu'ils fe font tous
baiffés ; le petit domeftique pour balayer
& faire fortir la lie , & les trois autres fucceffivement
pour relever ceux qui étoient
tombés avant eux ; qu'en inclinant ainfi
la face vers le fond de la cuve & en s'enfonçant
dans le plus épais de la vapeur
ils l'ont humée directement avec la plus
grande abondance , & fe font exposés à fa
plus vive impreffion ; au lieu que le Cuifinier
qui n'y eft pas entierement defcendu
& qui eft demeuré debout , n'en a reçu
qu'une petite portion , qui n'ayant agi que
foiblement lui a laiffé le tems de gagner
le haut de la cuve , & de retourner à l'air
pur.
2. On trouve dans la configuration &
dans la fituation de cette cuve la raifon du
fécond effet ; c'est-à-dire comment les vapeurs
avoient pu s'y ramaffer en une auffi
grande quantité dès qu'il n'y avoit pas de
vin , & y demeurer renfermées malgré la
communication qui depuis trois quartsd'heure
étoit ouverte avec l'air extérieur.
C'étoit une grande cuve , d'environ neuf
pieds de profondeur , dont la circonférence
ne répondoit pas à la hauteur , faite en
forme de cône coupé , qui avoit fon fond
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
à la bafe & l'ouverture au fommet , dont
l'ouverture enfin étoit peu éloignée du toît
du cuvage : A quoi on peut ajouter que le
vin n'en ayant pas été tiré tout d'un trait
mais à repriſes , les efprits qui s'exhaloient
fans ceffe de celui qui y reftoit , au lieu
de s'attacher à la couverture de la cuve ,
comme il feroit arrivé fi elle avoit continué
d'être pleine , ſe répandoient & demeuroient
fufpendus dans l'air qui prenoit
à chaque fois la place du vin tiré ; deforte
la Cuve s'eft trouvée remplie par
dégrés d'un air extrêmement chargé de
ces vapeurs , dont les plus baffes n'ont pas
pu fe diffiper , foit a caufe de la profondeur
de la cuve , foit à cauſe de fa figure
conique & de la moindre étendue de fon
ouverture , foit enfin à cauſe de la proxique
mité du toît.
3 °. Les raifons que je viens de rapporter
, font affez voir comment l'évaporation
ordinaire qui fe fait du vin , a pu , fans le
fecours de la fermentation , fournir beau-
Coup de vapeurs dans cette cuve . Il faut
obferver de plus que la chaleur printaniere
qui ranime & fait monter la féve dans les
plantes , excite dans le vin une feconde
fermentation , qui , quoique moins fenfible
que la premiere , ne laiffe pas d'être
confidérable. Les vins blancs fpiritueux ,
JUILLET . 1755. 125
tels que ceux de Champagne , mis en
bouteilles au mois de Mars & d'Avril les
caffent , font partir les bouchons , & s'élancent
en mouffe par l'ouverture. Ils font
tranquilles au contraire , & ne produifent
aucun de ces effets violens fi on les y met
dans d'autres faifons : Or c'eft précisément
fur la fin de Mars & dans le courant d'Avril
que cette cuve avoit été vuidée , c'eftà-
dire au tems de cette feconde fermentation
, & elle a dû être très- grande dans
une auffi grande quantité de vin , parce
que les chaleurs ont été très - vives pendant
tout ce tems dans cette province , &
que cette cuve étoit placée à côté d'une
porte expofée au plein midi ; il n'eft donc
pas furprenant qu'il s'y foit fait une grande
évaporation d'efprits.
Il me femble qu'on peut comparer cette
cave à une espece de méphitis . La feule
différence que j'y vois , c'eft que là ce font
des vapeurs minérales , fulphureufes ou
falines , & qu'ici ce font des foufres végétaux
, exaltés & volatifés par la fermentation.
Je trouve une certaine affinité entre
fes effets & ceux de la fameuse Mofète de
la Grotte du Chien , près du lac Agnano
dans le royaume de Naples. Les hommes
plongés dans la vapeur de la cuve , comme
les animaux plongés dans celle de la
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
grotte font tombés fubitement évanouis ,
& font morts bientôt dès qu'il n'a pas été
poffible de les en retirer affez vîte . Ceux
qui ont eu le bonheur d'être remis promp
tement à l'air extérieur , font revenus de
même fans aucune fuite fâcheufe ; & fi les
hommes font tombés fans mouvement dès
l'inftant qu'ils fe font baiffés dans la cuve ,
au lieu que les animaux dans la vapeur de
la grotte s'agitent quelque tems par des
mouvemens convulfifs , cela vient fans
doute de ce que cette vapeur plus groffiere
& moins pénétrante que les efprits ardens
du vin , ne porte pas au nez , & n'affecte
pas le genre nerveux , de maniere à y cau,
fer cette constriction fubite , qui a intercepté
le cours de ces efprits.
Dans l'impoffibilité où l'on étoit de retirer
affez vîte ces malheureux de la vapeur
, y auroit- il eu quelque moyen de
les empêcher de périr ? Je crois qu'en arrofant
le dedans de la cuve de beaucoup
d'eau , on y auroit peut- être réuffi. D'un
côté les gouttes de ce fluide en fe précipitant
, auroient précipité avec elles les efprits
répandus dans l'air , & lui auroient
rendu fa pureté & fon reffort ; & de l'autre
celles qui feroient tombées fur le corps
de ces mourans , auroient pu en rappellant
la force fiftaltique des vaiffeaux , ranimer
JUILLET. 1755 . 127
la circulation qui s'éteignoit. L'expérience
apprend que les animaux à demi- fuffoqués
dans la grotte du Chien reprennent
beaucoup plus vite leurs efprits , fi on les
plonge dans l'eau du lac Agnano ; mais
il auroit fallu employer ce moyen à tems :
ce qui auroit été difficile dans ce cas , à
caufe de l'éloignement qui fe trouve du
cuvage à la fontaine .
Enfin , Monfieur , fi cet accident eft
pour ceux qui font dans le cas de faire
vuider de pareilles cuves , un avertiffement
de ne point y expofer perfonne fans
avoir donné à la vapeur le tems de fe diffiper
, ou du moins fans l'avoir précipitée
avec de l'eau , il n'en préfente pas un moins
important pour ceux qui font un ufage immodéré
du vin & des liqueurs ardentes ;
car fi ces efprits appliqués au-dehors ont
produit des effets auffi prompts & auffi
funeftes , combien ne doivent - ils pas en
produire de fâcheux , lorfque pris intérieu
rement avec excès , & circulant dans la
maffe des humeurs ils fe portent au cerveau
, & agiffent immédiatement fur les
fibres médullaires & nerveufes ?
J'ai l'honeur d'être , &c .
A Riom en Auvergne , le 15 Mai 1755 .
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
M
Lettre à l'Auteur du Mercure.
ONSIEUR , j'ai toujours eu des doutes
obftinés , fur la poffibilité où nous
fommes , de reconnoître infailliblement
par l'ouverture des cadavres , les caufes
éloignées & immédiates des maladies du
corps humain. M. l'Abbé Raynal votre prédéceffeur
, affure néanmoins dans le Mercure
de Septembre 1751 , pages 149 & fuivantes
, » que que les avantages qui résultent
» de l'ouverture des cadavres , foumettent
alors à l'examen des fens , la cauſe même
» qui avoit produit la maladie , &c n .
C'eft à l'occafion des obfervations Anatomiques
tirées de l'ouverture d'un grand
nombre de cadavres , propres à découvrir
les caufes des maladies , & leurs remedes ,
par M. Barrere , médecin à Perpignan , & c.
que M. l'Abbé Raynal , nous donne ce
moyen prefque comme certain de nous
inftruire fur cette matiere. J'ai parcouru
avec des yeux avides , & j'ai lu enfuite
avec toute l'application poffible le Livre en
queſtion , Edition de 1753 , mais je n'y ai
point trouvé ce que l'Auteur & M. l'Abbé
Raynal promettent. Si on nous eut promis
de nous montrer par l'ouverture des cadavres
les caufes certaines de la mort , au lieu
JUILLET. 1755- 129
de celles des maladies , on y auroit infiniment
mieux réuffi . En effet , Monfieur ,
qu'apperçoit-on dans la tête d'un homme
mort d'une fievre maligne , d'une phrénéfie
, d'une apoplexie & dans les maladies
caufées par de fortes paffions de l'ame.
Comme dans les fix premieres obfervations
de l'Auteur , on trouvera les vaiffeaux de
la dure-mere & ceux du cerveau , farcis &.
gorgés d'un fang épais & noirâtre , quelque
épanchement de férofités dans l'un ou
l'autre des ventricules , des grumeaux de.
fang caillé dans les finus , qu'on prend pour
des concrétions polipeufes ; il eft aifé de
fentir que ces accidens font plûtôt l'effet de.
la maladie , que fa caufe , & que ces,
mêmes effets font évidemment celle de la
mort. Un empiéme , des dépôts particu
liers dans le poulmon , & les ulcères qu'on
trouve dans l'ouverture des cadavres de
ceux qui font morts d'une de ces maladies.
de poitrine , n'annoncent pas la caufe qui
a produit ces défordres , mais feulement,
leurs effers , en faifant fuccomber le malade
à la force de ces accidens , lorfque la capacité
de la poitrine a été remplie par un
épanchement , qui a fuffoqué le malade ,
ou que fon poulmon a été fondu en partie ,
par d'abondantes fupurations , & c. Voilà
done encore des caufes de mort , & non de
F v
130 MERCURE DE FRANCE.
maladies. Les eaux épanchées dans le ventre
d'un hydropique , font-elles la caufe de
l'hydropifie ; un abcès au foye fe produitil
de lui-même , pour caufer les accidens
qui font périr le malade , non fans doute ;
& quoiqu'on fçache en général que cet
abcès eft la fuite de quelque inflammation
locale ou générale de ce vifcère , on n'eſt
pas plus inftruit , fur ce qui a donné lieu à
cette inflammation , pour être en état de
l'attaquer dans fon principe , & de la prévenir
même afin d'éviter de bonne heure
les fuites funeftes qu'elle peut avoir.
En attendant , Monfieur , le grand ouvrage
que Monfieur Barrere doit publier ,
& dont celui qu'il a donné n'eft que l'efquiffe
, je perfifte toujoujours dans mes
doutes fur l'infuffifance de l'ouverture des
cadavres pour découvrir la caufe des maladies.
Je fouhaite ardemment qu'il réuffiſſe,
mais ce ne fera affurément pas comme il a
déja fait , en prenant les effets d'une maladie
pour fa caufe.
Je vous prie , Monfieur , d'inférer la
préfente dans un de vos Mercures , non
dans la vûe de diminuer en rien le mérite
de l'ouvrage de M. Barrere , mais feulement
pour convaincre de plus en plus le
public , qu'il eft des cauſes infenfibles de
maladies , que toute la fagacité de l'efprit
JUILLET. 1755. 1755 131
humain , ne fçauroit appercevoir , & que
dans bien des cas , l'Aphorifme d'Hippocrate
, fublatâ caufâ tollitur effectus, eft d'une
exécution impoffible.
J'ai l'honneur d'être , &c.
A Toulouſe , ce 25 Avril 1755 .
CHIRURGIE.
... Profeffeur en
Lettre écrite à M. M ....
Chirurgie , par M. Boucher , Capitaine
d'Infanterie.
C
'Eft un époux , Monfieur , qui va vous
entretenir ; c'eſt un militaire qui va
vous écrire ; c'eſt affez vous en dire pour
mériter votre indulgence . Ce préambule
vous feroit inutile fi j'étois initié dans l'art
de la Chirurgie. Ecrivant à un maître tel
que vous , je n'aurois befoin que de m'énoncer
, vous m'entendriez clairement
mais il s'agit de vous parler une langue qui
m'eft étrangere , & de vous donner à deviner
le plus aiſement que je pourrai. Ce
fera donc , Monfieur , l'amour conjugal
qui fera mon interprête ; c'eſt lui qui m'engage
aujourd'hui à vous rendre compte
d'une maladie que j'ai d'autant mieux étu-
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
diée qu'elle m'a tant effrayé pour les jours
de ma chere femme.
›
Vous ne rae remettez peut - être plus ,
Monfieur , & par conféquent il eft néceffaire
de vous dire qui je fuis. Mon nom
n'eft pas fuffifant pour vous remettre fur
la voie il faut vous dire qu'au mois de
Décembre dernier je vous invitai chez
moi , rue Poiffonniere , avec M. M ....
Chirurgien major de l'Hôtel - Dieu , pour
vous confulter für la maladie dont ma
femme étoit attaquée depuis treize ans.
Cette maladie , Monfieur , étoit la plus
terrible fiftule qu'on ait jamais eue Ma femme
eft créole , de l'ifle de Bourbon , & elle
attribue cette maladie à une chûte qu'elle
fit quelques années avant que je l'époufaffe
, d'une terraffe de vingt pieds de haut
pour le moins. Cette chûte ne lui caufa
que quelques douleurs & meurtriffures
qui fe diffiperen: en peu de tems , par les
fecours qu'on lui donna. Elle n'eût aucun.
fymptome de fiftule , mais un an après notre
mariage elle mit au monde un fils
foit effet de la groffefle ou de la couche ,
elle commença à fentir des douleurs à l'anus
, qui cefferent néanmoins lorfqu'elle
fut rélevée & rétablie de cette premiere
couche. Elle fut environ trois ans fans devenir
enceinte , pendant lequel tems elle
"
JUILLET . 1755. 133
ne fentit aucune douleur ; mais l'étant
devenue , fur le neuvieme meis de fa groffelle
il fe forma en neuf jours un dépot
ficonfidérable qu'elle fouffrit nuit & jour
Toutes les douleurs qu'un panari violent
peut occafionner . Les Chirurgiens de l'afle
peu au fait de leur métier , encore moins
de ces fortes de maladies , ne regarderent
ce dépôt que comme un abcès . Lorfque la
matiere fut bien formée la tumeur perça
d'elle- même , & vuida une quantité prodigieufe
de pûs . Cette évacuation foulagea
fubitement & totalement la malade
qui accoucha le lendemain d'une fille qui fe
porte très bien aujourd'hui. Nos Docteurs
laifferent fermer le fac de lui- même , &
fans doute le loup fut enfermé dans la bergerie
, puifqu'à une troifieme grofleffe.
l'abcès reparut. Pour lors d'autres Chirur
giens de vaiffeaux qui fe trouverent là ,
martyriferent la malade a grands coups de
biftouris , & s'efforcerent de cueillir un
fruit qui n'étoit pas mûr , & qu'ils ne connoilfoient
fans doute pas ; cependant elle
accoucha d'un garçon bien à terme , mais ,
mort par une peur qu'un incendie avoit
caufée à la mere chez elle . L'abcès diſparut
donc encore , & tant que ma femme ne
devenoit pas groffe elle ne fe fentoit de
rien. A la quatrieme groffeffe l'abcès re134
MERCURE DE FRANCE .
que cet
commença , à la cinquieme de même ; &
enfin à la fixieme qui eft arrivée l'année
derniere , il fe forma fur le dernier mois.
Mon épouſe fouffrit beaucoup , le Chirurgien
du logis qui avoit foin d'elle depuis
fon arrivée en Europe , me confia
abcès étoit fiftuleux , pour lors je lui
гар-
portai tout ce que je viens d'avoir l'honneur
de vous dire , & il la panfa en conféquence.
Elle étoit trop avancée dans fa
groffeffe pour entreprendre la guérifon
d'une pareille maladie ; mais loin de la
traiter comme on avoit fait aux Indes , au
contraire il eut grand foin de conferver
cet abcès ouvert , & de donner iffue à la
matiere qu'il fourniffoit journellement
illa panfoit deux fois par jour , & au terme
de neufmois elle accoucha d'une fille pleine
de fanté , & cela fans accident. Le
Chirurgien de la maifon continua à la
panſer exactement pendant deux mois depuis
fa couche , après lequel tems il me
confeilla lui-même de vous appeller au fecours
, me déclarant que la maladie étoit
une fiftule .
Voici , Monfieur , où la grande hiftoire
commence. Vous eûtes la bonté de vous
rendre chez moi avec M. M..... mon
Chirurgien y étoit , & on vous rendit
compte de tout ce que je viens de vous
JUILLET. 1755- 135
répéter. La malade étoit bien prévenue
qu'elle avoit une fiftule , mais elle n'étoit
point portée pour l'opération , parce que
quelques perfonnes lui avoient confeillé
les cauftiques. Vous fondâtes vous-même
le mal , & fuivant votre avis , ainfi que
celui de M. M. . . . vous jugeâtes que
c'étoit une fiftule borgne ; même , me
dites- vous alors , fans clapier & fans que
l'inteftin fût offenfé , car vous fuppofiez
encore une grande diſtance entre le vice &
l'inteftin. Eh bien , Monfieur , l'événement
a fait voir le contraire , & je m'en fuis
convaincu par ce que j'ai vû. Mais fuivez
moi , s'il vous plaît : vous jugeates donc
la fiftule borgne ordinaire , en un mot
point confidérable ; je vous demandai ce
qu'il y avoit à faire , vous me fites l'honneur
de me dire qu'il falloit faire l'opération
, que cela feroit peu de chofe , & que
ma femme n'avoit aucun rifque à courir ;
je vous dis que la malade ne s'y réfoudroit
jamais , & qu'elle préféreroit de fe faire
guérir par les cauftiques. M. Braffant
me dites - vous fur le champ , peut la
guérir ; mais je fuis furpris qu'on préfere
des fouffrances de cinq à fix mois à
une minute & demie. Cependant , continuates-
vous , je vous confeille de commencer
par lui guérir l'efprit. Elle préfere ce
>
136 MERCURE DE FRANCE.
remede , il faut le lui donner. Il détruir
par le feu ce que le nôtre détruit par le fer.
Ho! nous y voilà , Monfieur. Riez tant
qu'il vous ppllaaiirraa de mon extravagance ;
mais je ne veux point difputer avec vous .
Je prétens vous prouver que les événemens
dont je vous ai parlé , font feuls
capables de faire connoître les maladies.
De plus , je prétends vous démontrer que
la méthode des cauftiques eft préférable à
l'opération , fur- tout à de pareilles fiftulles .
Je vous vois déja me railler & me tourner
en ridicule : n'importe , je me hazarde , &
m'encourage ; c'eft que ma femme eft guérie.
Je commence.
La fiſtulle , Monfieur , me paroît à préfent
un terrier de lapin , lequel dans l'inté
rieur forme la figure de ziczac. Si je pouffe
un bâton par fon ouverture , il arrive que
je trouve bientôt une réſiſtance , mais ce
n'eſt pas le fond du terrier ; & quand j'em- -
porterois toute la furface , jufqu'à la profondeur
qui en a procuré la réfiſtance au
bâton , je n'aurois pas encore découvert le
fond de mon gîte. Or la fonde me paroît de
même dans une fiftulle à un pouce , deux
pouces , & plus , fi vous voulez ; elle peut
fentir un arrêt qui paroît être le fond , mais
Louvent ce n'eft que l'endroit où le finus
prend un détour, & qui s'étend encore à une
י
}
JUILLET. 1735 137
certaine profondeur , où il en prend encore
une autre. Comment la fonde peut- elle
nous dire tout cela ? Non , il est donc im- -
poffible de juger d'une fiftulle par la fonde
, & pour voir ce qu'il y a dans un vaſe ,
il faut le découvrir. Je fçais qu'avec l'inftrument
on emporte plus que moins , &
qu'enfuite les cifeaux fuppléent au beſoin ,
mais le fang accable & peut fort bien empêcher
de voir un malin finus qui pourſuit
fa route bien au- delà de ce qu'on s'imaginoit
; néanmoins l'opération guérit radicalement
la fiftulle , je le fçais , j'en conviens
; mais jamais elle n'eût guéri celle
de ma femme , puifque l'inftrument n'auroit
pû aller à la profondeur , & qu'encore
une fois on ne la croyoit pas confiderable .
Je fuis moralement sûr qu'elle eût été manquée
, elle n'auroit pas été la premiere ;
mais en outre quel rifque n'eut- elle point
couru ? les fouffrances des panfemens , les
douleurs de la garderobe , les rifques du
dévoiement , d'une fiévre , d'une hémoragie
, en un mot , un nombre de jours dans
un lit à fouffrir & à vivre fans manger.
Or par la méthode de M. Braffant avec fon
cauftique , il eft impoflible qu'il manque
une fiftulle , lorsqu'il la traitera lui -même,
& fon malade ne court aucun des rifques
que je viens de dire ; il eft vrai qu'on
138 MERCURE DE FRANCE.
fouffre le martyre. On dit qu'il en a guéri
& qu'il en a manqué : je foutiens qu'il n'en
a manqué aucun , à moins que ce foit des
gens aufquels les douleurs ont fait abandonner
le remede ; mais quand on voudra
les fouffrir , on eft sûr de la guérifon . Il
n'y a peut- être jamais eu perfonne que má
femme qui ait fouffert une quantité fi prodi
gieufe de cauftiques, puifqu'elle en a eu 33 ;
mais fi elle avoit abandonné au trentieme ,
sûrement elle n'eût point été guérie. J'appellai
donc M. Braffant le lendemain de votre
vifite. Je ne lui parlai point de la conful
tation qui avoit été faite la veille , je lui
dis fimplement que ma femme étoit atta
quée d'une fiftulle depuis 13 ans. Je lui fis
le détail de cette maladie tel que j'avois
eu l'honneur de vous le faire , & j'ajoûtai
que la malade ayant oui parler de fa méthode
la préféroit à l'opération . Il vit fon
mal & le confidera long- tems ; il tâta les
environs , & jugea que la fiftulle étoit con
fidérable , affurant que l'inteftin étoit of
fenfé ; mais qu'il étoit sûr de la guérifon
radicale , fi la malade vouloit avoir de la
confiance & du courage , parce que font
remede étoit violent : ma femme s'y livra
toute entiere , fur-tout efpérant de pouvoir
guérir fans opération . Elle lui demanda le
régime qu'elle avoit à fuivre ; mais quelle
JUILLET. 1755. 139
fut la joye & fa furpriſe lorfque M. Bralfant
lui dit qu'elle n'avoit qu'à vivre à ſon
ordinaire & conferver fon apétit.
Avouez , Monfieur , que voilà un régime
bien doux & bien différent de celui que
l'oppération exige. La malade avoit été
préparée , & deux mois s'étoient écoulés
depuis fa couche , ce qui fit que M. Braffant
la commença le lendemain 10 Décembre
1754. Il lui appliqua le premier cauftique
à 9 heures du matin , qui fit l'effet
qu'il en attendoit. La malade fouffrit la
douleur que ce remede lui caufa avec un
courage héroïque ; elle fouffroit , mais elle
difoit elle-même que c'étoit fupportable.
M. Braſſant vint la voir le foir , & il fut
furpris de trouver une femme fi courageufe.
Le lendemain matin il vint la panfer ,
les cauftiques avoient brûlé une quantité
de chairs qui commençoient à former un
efcard , ils avoient occafionné un gonfle→
ment confidérable dans toutes les parties
fpongieufes & vicieufes. Le troifieme jour
cet efcard tomba & occafionna une ouverture
affez confidérable , procura la facilité
à M. Braffant de voir différens finus renfermés
dans cette partie ; il les attaqua les
uns après les autres par fes cauftiques , &
plus il en détruifoit , plus l'ouverture s'agrandiffoit
& la profondeur paroiffoit.
140 MERCURE DE FRANCE.
Après que la malade cut fupporté dix a
douze cauftiques , pour lors M. Braffant vit
clairement toute l'étendue du mal ; il s'apperçut
que l'inteftin étoit percé , qu'un
finus fe pourfuivoit droit au gros boyau
il tint toujours ce finus découvert , & s'attachant
à détruire toutes les parties qui
l'environnoient & qui étoient offenfées ; it
y parvint par la fuite , & c'eft ce qui prolongea
la guérifon pour lors , il ne lui
refta plus que le finus principal , ou le fond
du fac qu'il attaqua avec tant de fuccès
que le 30 Avril il vit tout le vice détruit ,
& parvint à une guérifon radicale & certaine
. Voilà , Monfieur , tout le détail que
mon affiduité aux panfemens me permet
de vous faire ; mais vous ne pouvez vous
imaginer l'étendue de ce mal , & je crois
fermement que l'opération ne l'eût point
guéri , d'autant mieux qu'on ne jugeoit
point cette fiftulle fi confidérable. Remarquez
que par la méthode de M. Braffant ,
il n'y a point de fiévre à craindre , point
de dévoiement à appréhender , point de
régime à garder & point de douleurs en
allant à la garderobbe , en un mot point
de danger à courir pour le malade rout
cela , Monfieur , ne me feroit point balancer
à préferer cette méthode à l'opération
d'autant mieux encore qu'il eft impoffible
JUILLET. 1755- 141
qu'on laiffe la moindre chofe par cette fade
traiter une fiftulle.
çon
Il me reste encore à vous parler d'un
article auquel peu de Chirurgiens ajoûtent
foi , c'eft fur l'efpéce de cauftique dont
M. Braffant fe fert . Je crois réellement que
ce cauftique eft à lui feul & à fon fils , &
je ferois porté à croire qu'un autre que lui
qui voudroit traiter la fiftulle par ces cauftiques
y échoueroit , n'ayant ni la pratique
, ni le cauftique de M. Braffant : ne
feroit- ce pas cela qui auroit donné lieu de
croire au public que fi M. Braffant en a
guéri , il en a auffi manqué ? Cela fe
roit bien , Monfieur , & j'en ferois conyaincu
, fi quelqu'un me difoit avoir été
manqué par M. Braffant , pere ou fils.
pour-
Je fuis fâché , Monfieur , de vous avoir
diftrait & peut-être ennuyé par mon verbiage
; mais paffez- le moi en faveur de la
joye que me caufe la guérifon de ma femme
, & de la part que vous avez bien voulu
prendre à fa maladie .
J'ai l'honneur d'être , &c..
BOUCHER.
Paris , ce 2 Mai 1755 .
142 MERCURE DE FRANCE.
MECHANIQUE.
Machines nouvelles à curer les ports
& les rivieres.
E fieur Theveu , architecte , connu par pluheurs
machines propres à approfondir & à
curer le lit des rivieres , & faciliter l'entrée des navires
dans les ports , en a exécuté une qu'il a employée
avec un grand fuccès à curer le port de
Rouen , qu'il a recreufé de plus de fept pieds de
profondeur ; la machine agiffant à dix-neuf pieds
au-deffous de la furface de l'eau.
Malgré la dureté du terrein elle en enlevoit par
jour dix-huit à vingt toifes cubes. Avec le fecours
de la même machine , il a arraché & enlevé plus
de trois cens pieux de douze à quinze pieds de fiche,
élevés feulement de fix pouces au -deffus du terrein,
& enfoncés à dix-fept pieds au-deffous de lafuperficie
des eaux.
L'auteur s'eft fervi d'une autre machine , auffi
de fa compofition , examinée & approuvée par
Meffieurs de lA'cadémie des Sciences , pour enlever
du fond de la riviere des blocs de pierre de dix-fept
a dix-huit pieds cubes. а
Le fieur Theveu ſe tranſportera dans les endroits
où il fera néceffaire de faire quelques- unes des
opérations ci - deſſus indiquées , les perfonnes qui
voudront l'employer , lui feront l'honneur de lui
écrire à Paris , chez M. Lange , Sculpteur de
M. le Duc d'Orléans , rue du Vert-bois ; & à
Rouen , chez M. Duboc , à la Barbacane.
JUILLET. 1755. 143
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
R
MUSIQU E.
ECUEIL d'airs de contredanfes
menuets , & vaudevilles nouveaux
chantés fur les théâtres de l'Académie
royale de Muſique & de l'Opéra Comique
, lefquels fe jouent fur toutes fortes
d'inftrumens : 13 partie , prix 24 fols.
A Paris , chez M. Boivin , rue S. Honoré ,
à la Regle d'or ; M. le Clerc , rue du Roule ,
à la Croix d'or ; Mile Caftagnery , rue des
Prouvaires , au Luth royal ; & le fieur
Duchesne , rue S. Jacques , au Temple du
Goût.
Le Deffert des petits foupers , fixieme
feptieme , huitieme , neuvieme & dixieme
parties. A Paris , aux mêmes adreſſes .
Chaque partie 24 fols.
144 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE
DU PERE CASTEL ,
A M. Rondet , Mathématicien , furfa Réponſe
au P. L. J. au fujet du Clavecin
des couleurs.
pour
Ous vous honorez , Monfieur , en
m'honorant. J'aime fur -tout la décence
: je vous fçais gré d'avoir preffenti l'embarras
où j'allois être d'entrer en lice avec un
adverfaire dans lequel je devois beaucoup
me refpecter moi- même. Je ne vous con-
Hoiffois pas malin. Vous aimez à prolonger
votte triomphe , & vous gardez le plus beau
le dernier. Pour toute apologie vous
pouviez dire comme Scipion accufe devant
le peuple : Meffieurs , allons au Capitole
remercier les Dieux de ce qu'à pareil jour
Numance ou Carthage ont été foudroyées.
Car duofulmina Belli , Scipiadas , dit Virgile
) . Meffieurs , pouviez - vous dire , remercions
Dieu de ce que le clavecin a joué
avec l'applaudiffement de 200 perfonnes
le premier de l'an 1755 , pour les étrennes
du public . Il avoit bien joué devant cinquante
perfonnes , qui battirent des mains
àquatre reprifes , le 21 de Décembre 1754,
le
JUILLET . 1755. 145
le jour de faint Thomas , Apôtre , qui en
eft le Patron. Chaque art , chaque métier
a le fien.
J'aime les arts , vous le fçavez mon
cher Monfieur , je les aime dans le vrai ,
en géometre , en homme même , & avec
une forte de paffion ; je les chéris en citoyen
, ne connoiffant d'autre reffource
momentanée aux befoins renaiffans de
l'humanité . Par le ſentiment , j'ofe dire ,
plus que par la fenfation : Humani à me
nil alienum puto. Je fuis vivement affecté
des befoins de mon prochain , & je ne
m'en connois d'autre bien preffant que
celui d'y pourvoir en commun , felon la
mefure de mes petits talens , dont toute la
fingularité , ce me femble , n'eft que d'être.
en commun & fort gratuitement au fervice
du public , felon le devoir de mon état &
l'efprit de ma vocation.
Plein de cet amour affez pur pour les
arts , je gémis donc de les voir tomber par
une ambition de ſtyle & de bel-efprit qui
ne remplace point la noble émulation ni
le vrai goût du travail , caractériſé par ce
beau vers de Virgile que j'inculque à tous
venans :
Difce puer virtutem ex me , verumque laborem ;
C'eſt ce verus labor qui n'eft point affez
G
146 MERCURE DE FRANCE .
connu. J'en gémirois bien davantage fi je
pouvois me croire auteur de cette décadence
des arts. Peut- être les montai -je trop
haut , les mets-je à trop haut prix ? En
doublant la mufique , je n'ôte rien à la
mufique vulgaire , que j'ai même un peu
perfectionnée , peut- être il y a 30 ans ,
avant & depuis mon clavecin .
·
Point d'éloge en effet auquel j'aie été
plus fenfible , qu'à celui du brillant M. de
Voltaire , qui dit que j'aggrandis la carriere
des arts , de la nature des plaifirs,
Plaiſirs honnêtes , plaifirs même d'efprit ,
tels que la mufique , la peinture , les couleurs
, les belles nuances de toutes choſes.
En faveur de cet éloge , je lui en paffai un
autre moins brillant , où il dit du clavecin
il y a travaillé de fes mains. Il le dit en
grand poete ( vates ) par une forte d'infpiration
qui a droit d'infpirer ce travail .
Entre têtes , je ne dis rien des coeurs ,
l'enthoufiafme eft contagieux , fur- tour
lorfqu'il eft à l'uniffon de deux autres têtes,
telles qu'un Montefquieu & un Fontenelfe
, dont le premier en réponſe à bien des
chofes , m'écrivoit , il y a un an , faites le
clavecin , & tout ira ; & le dernier m'envoya
dire , il y a neuf mois , qu'il ne vouloit
pas mourir fans voir le clavecin : ce
qui auroit dû peut- être m'empêcher de le
JUILLET. 1755. 147
faire fi vîte , fi j'étois fuperftitieux avec
gens peu fufpects fur l'article , mais dont la
miféricorde divine peut couronner la vie
de bel-efprit d'une fin folidement religieufe
& chrétienne , comme on vient de
le voir dans un événement qui m'affligeroit
trop , fans la bonne part que Dieu a
bien voulu me donner dans cette vraie
confolation .
Bien des découvertes fe perdent avec
leurs auteurs , immortels en paroles &
mortels en réalité . Voici de quoi le public
doit remercier Dieu avec moi , c'est qu'il
m'ait laiffé furvivre 30 ans à la premiere
idée de mon clavecin. De fçavant fpéculatif
, il m'a régulierement fallu devenir
artifte de goût , & enfin artiſan de fait , &
comme de métier . Sutor erit fapiens ; c'eft
de moi qu'Horace l'a dit .
Quand j'annonçai cette bagatelle , point
fi bagatelle , dit- on , en 1725 ; ce n'étoit
en effet qu'une idée , & je n'avois nulle
intention de l'exécuter. J'en pris acte dans
le même Journal ( le Mercure ) au fujet
d'un foi-difant Philofophe Gafcon , anonyme
à cela près , qui me fommoit familierement
d'y mettre la main. A quoi je repli.
quai trop fierement peut- être : Monfieur ,
Monfieur , je fuis Geometre , je fuis Philofophe
, & ne fuis luthier , facteur , ou faiseur
G ij
148 MERCURE DE FRANCE:
d'orgues ni de clavecin. Dieu m'en a puni ,
j'ai fait un orgue en quatre jeux de rofeau
de mes mains depuis ce tems- là . Mais en
ce tems-là , je n'étois pas même artifte , &
l'anonyme , que j'ai bien reconnu depuis ,
n'étoit ni un Voltaire , ni un Fontenelle ,
ni un Montefquieu pour m'infpirer.
Je devins artiſte en 1735 , dans mes fix
grandes lettres à l'illuftre Préfident que je
n'ofe fi fouvent nommer ; & tout le monde
convint que l'art du clavecin étoit démontré
en douze dégrés bien tranchés de coloris
, & en douze octaves préciſes de clairebfcur
, faifant en tout 144 nuances ou
demi-teintes , depuis le grand noir jufqu'au
blanc extrême, en parallele exact aux douze
demi- tons chromatiques , & aux douze
octaves de grave aigu , faifant 144 demitons
de fon depuis le plus bas tuyau poffible
de 64 pieds qui râle , jufqu'à celui
de deux ou trois lignes qui glapit.
L'art eft chofe encore trop fine pour
ceux qui n'ont que des yeux pour en juger :
j'eus beau montrer & démontrer tout cela
en nature , fur des papiers colorés , dans
des rubans même & des étoffes faites exprès
, & que tout le monde a vûes avec
empreffement , je puis même dire admirées.
C'étoient bien là les propres cordes , les
propres touches du clavecin , aufquelles il
JUILLET. 1755 : 149
ne manquoit plus que la groffe facture des
ouvriers en titre pour le monter. Point du
tout , il s'éleva une voix qui dit que le
clavecin étoit démontré vrai en théorie , mais
qu'il étoit faux & infaifable en pratique . Et
de ce feul coup de langue le clavecin non
monté fut démonté , tout mon art réduit
à rien , & mes étoffes , rubans & couleurs
au pillage , comme s'il s'agiffoit de
l'élection d'un Roi de Pologne , où le fuffrage
d'un feul eft l'oracle de la multitude.
J'ai toujours dit , toujours éprouvé du
moins que les paroles de l'envie étoient de
foi efficaces : elles intimident , elles décou
ragent , elles tiennent en arrêt un inventeur.
Cela feul d'avoir déclaré le clavecin
infaifable , l'a rendu tel pendant 20 ans ;
car s'il ne m'a fallu que 10 ans pour devenir
artifte , il m'en a fallu deux fois 10 enfuite
pour devenir artifan , en me dégradant toujoursde
l'efprit au goût & du goût au travail
des mains , qui eft pourtant le vrai goût
de néceffité , de bon fens même , au lieu
de tout ce babil de bel - efprit , non faifeur
, mais fimplement difcoureur , qui
dégrade les arts & l'humanité , la raifon
même. Car homo natus ad laborem.
Je reconnois cependant avec plaifir , en
honnête-homme , que fi j'ai perdu à cela
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
du repos & une honnête fatisfaction d'efprit
, le public y a gagné. Par ces prétendues
dégradations , comme de moi - même
je me fuis toujours rapproché du public ,
de fes befoins , de fes plaifirs. C'est bien
lui qui me difoit toujours faites le claveein,
& foyez plutôt maçon ſi c'est votre talent.
Le public entend fur-tout fes intérêts . Le
clavecin lui auroit trop coûté dans fa primeur.
Je n'ai fait que le mûrir", le rendre
pratiquable. En 1725 , on ne l'auroit pas
fait pour 100 , 000 écus par les mains des
ouvriers & artiſtes qui s'offroient aſſez à
moi , mais avec des bouches plus qu'avec
des mains , & avec plus d'appétit que de
fçavoir faire. En 1735 , je n'eftimois plus
la facture du clavecin que 20 , coc écus :
en 45 , 10 , 000 écus ou même 1000 guinées
, difois -je aux Anglois. Il y a 3 ans,
que je le voyois faifable pour 100 louis ,
quelqu'un le mettoit à 2000 écus ; & voilà
qu'aujourd'hui je viens de le faire fans
ouvriers pour 50 écus.
On m'a prié de dire tout cela naïvement
, & je fuis bien aiſe de compter tout
au public pour n'avoir jamais à compter
avec lui. Qu'on s'en prenne à la langue fi
je fais des jeux de mots . Encore eft- il bon
de jouer, à propos de clavecin ; & deformais
on ne me défieroit pas impunément
JUILLET.
1755. ISL
de faire jouer tout ce que les hommes traitent
de plus férieux dans leurs prétendues
affaires qui ne font que jeu , difent les
plus experts même.
En tout cas , je ne furfais point mon
ouvrage , & j'aggrandis la carriere des arts
en écartant les artiftes , les ouvriers , les
mains , & tout ce qui n'eft que bouche &
appétit au fervice du public : car les bouches
mangent les arts , on ne fçauroit trop
le répéter. Plus on m'a difputé la poffibi
lité du clavecin , plus j'ai pris à tâche d'en
conftater la facilité & d'en fimplifier la
pratique. Et puifque toutes mes démonftrations
ne m'ont fervi de rien , me voilà
de démonftrateur devenu monftrateur , ou
montreur de curiofité , de rareté , de fingularité
, puifque ce mot plaît tant à la
pluralité de deux ou trois beaux efprits.
Je veux bien en convenir ; la chofe eft
finguliere , rare & curieufe , de colorer le
fon , de faire fonner la couleur , de rendre
l'aveugle juge des couleurs par l'oreille , &
le fourd juge du fon par l'oeil . Autrefois je
m'en défendois comme d'un beau meutre :
aujourd'hui je me livre à tout le paradoxe
de mon entrepriſe depuis que j'en ai fait
un jeu . Or je n'avois promis qu'un jeu .
Et en bonne- foi , mon cher ami , vous le
fçavez , vous le voyez , vous en avez vû
G iiij
152 MERCURE DE FRANCE.
isz
tous les progrès nuancés ; n'eft - ce pas un
jeu de trouver même fi difficile , fi impoffible
, en tirant un cordon , une targette ;
en baiffant une touche d'ouvrir une foupape
de lumiere , lorfqu'on ouvre une foupape
de fon , & de faire voir bleu , lorfqu'on
entend ut , rouge en entendant ſol ;
de faire voir du clair , lorfqu'on entend
de l'aigu , du fombre , en entendant du
grave ?
Du refte , il n'y a que du bien dans mon
projet , & quand je ne réuffirois pas à aggrandir
la carriere des arts , je n'ôte rien à
fa grandeur , & perfonne n'a droit de la
refferrer , de la borner plus qu'elle n'eft
jufqu'ici bornée & refferrée. Ce n'eft pas
moi qui ai le premier affirmé l'harmonie
des couleurs , de la peinture , de l'architecture
. Je n'ai fait que les démontrer &
les montrer. Avant moi Pline , les Grecs
Felibien même , en avoient beaucoup difcouru
par instinct , par fentiment , en gens
d'efprit , en experts . Mais voilà peut - être
comme on aime les chofes dans le nuage ,
dans le myftere , dans ce fameux je ne fçais
quoi dont les littérateurs font tant d'éloges.
›
On a voulu voir & revoir mes couleurs ,
& je crois que je ne les ai que trop montrées
, & que je n'y ai été que trop d'abord
JUILLET. 17550 153
·
en mal habile artifte , en mauffade ouvrier.
Elles ont ébloui , fatigué , offufqué la vûe ,
les yeux. M. de Voltaire le difoit , le prédifoit
, le préfentoit ainfi il y a 20 ans. Ne
montrons donc point tant , difcourons en
fimples littérateurs , en poëtes même . Horace
, le poëte du goût , définit l'harmonie
une unité , une fimplicité : Denique fit
quod vis fimplex dum taxat & unum. Ailleurs
il la définit l'ordre , la régularité : Ordinis
hac virtus erit & verus. Les peintres la
font confifter dans l'entente des couleurs
dans l'unité du deffein , dans le beau toutenfemble.
Tout cela ne vient il pas au fimple accord
des parties confonantes des muficiens,
vrais juges en cette matiere ? Et puis la
vraie étymologie du mot harmonie décide
de tout. Apta commiſſura , junctura , difent
les Grecs , que je traduirois même plus littéralement
, ce me femble , par apta unitas ,
comme Horace , fimplex unitas ; car il y a
du monas dans harmonie. En un mot , variété
& unité , variété de parties , unité de
tout , font l'harmonie en tout genre felon
tout le monde . Eft - ce que les couleurs
manquent de variété en elles- mêmes ? Il y
en a autant que de fons . Eft- ce que la nature
, eft-ce que l'art n'en font pas tous
les jours des grouppes , des contraftes ,
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
des affortimens , des accords charmans ?
Mais c'eft l'architecture , calomniée à
mon occafion , que je me reprocherois de
laiffer retomber dans une barbarie pis qué
gothique , en l'abandonnant à l'enharmonie
où on l'a réduit. Quoi ! un grand
fuperbe & majestueux édifice , une bafili
que telle que S. Pierre de Rome , Notre
Dame de Paris , & mille autres magnifiques
temples du Seigneur. Un palais de
Roi , le Louvre , le Luxembourg , le Vatitan
même , & des millions de palais &
d'hôtels n'ont donc point d'harmonie
d'union de parties , de régularité , d'ordre
d'accord , de beau tout- enfemble , capable
d'impofer à l'oeil , de charmer l'efprit ?
›
Je vois , j'entends , je fens dequoi il s'a
git. Nos adverfaires fe trompent en habiles
gens. Ils me battent de mes armes : ils me
prennent en géometre, lorfque je leur écha
pe en artiſte , & me dérobe à leurs yeux fçavans
en artifan. Odi profanum vulgus , me
difent- ils noblement. Il y a long-tems que
j'ai obfervé que la géométrie eft une fcience
fublime , mais fiere , guindée & abftraite
, qui n'éclaire que la plus haute
région de l'efprit , dédaignant de rayoner
fur des mains. Auffi m'en fuis-je toujours
préparé l'échapatoire , fi ce terme eft permis
à un artifan , & vous ai répété vingt fois
JUILLET. 1755 155
mon cher Monfieur , que l'efprit géométrique
valoit mieux dans les arts que la géométrie
même & en perfonne.
La géométrie , qu'il me foit permis de
le redire , eft le corps fec , le fquelete décharné
de tous les objets fenfibles , réduits
non à leurs linéamens propres , comme le
deffein , mais à leurs dimenfions vagues ,
longueur , largeur , profondeur , lignes
furfaces & points extrêmes , figures marginales
, coupes & profils. Les arts net
manient point toutes ces impalpabilités là ,
vrais fpectres , vains fantômes dans l'uſage
ordinaire de la vie.
Nommément l'harmonie , les anciens
l'ont tout-à- fait alembiquée & rendue immaniable
, en la remontant aux proportions
géométriques , compliquées avec les
proportions arithmétiques , complication
qui acheve d'en débouter les arts . Or on la
voit dans ces différences de nombres combinées
avec leurs rapports : car qui dit
différence , dit de l'arithmétique ; & qui
dit rapport , dit du géométrique. Et tout
` eft dit.
Parce qu'on n'a pû ou fçû retrouver
l'harmonie des muficiens même , & à plus
forte raifon des peintres & des architectes ,
dans cette proportion foi-difant harmonique
, on a conclu néant d'harmonie pour
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
ces derniers arts , comme fi les mefures ;
par exemple , d'une colonne , de fon renflement
, de fa bafe , de fon piédeftal , focle
, couronnement , corniche , volute , architrave
, & d'un fimple fefton même ,
n'étoient pas chofes déterminées par des
nombres précis dans les fimples devis d'un
architecte comme fi la détermination du
module ne fondoit pas tous les rapports
des parties d'un ornement , d'un bâtiment
même tout entier. Or qui dit nombre ,
rapports quelconques , modules & détermination
, dit évidemment harmonie ; harmonie
même ici pour les yeux , n'y manquant
que le jeu pour en faire un clavecin .
Le feul plaifir de l'oeil ou de tout autre
de nos fens , ne peut- être qu'un plaifir
d'harmonie : car tel qui m'avoue que le
jeu de mon clavecin fait ou fera plaifir à
voir , fe croit un habile homme à me difputer
que ce plaifir foit un plaifir d'harmonie
, comme s'il pouvoit y en avoir
d'autre. On ne chicane pas les plaifirs , &
l'on feroit mieux de fe rendre acceffible à
celui- ci , que de me forcer à le tout analyfer
. La plupart de nos plaifirs analyſés
ne font plus des plaifirs : ils font faits pour
être fentis & non pour être connus . Con◄
noître eft un plaifir d'efprit , la plûpart ne
s'en foucient gueres. Dès que nos plaifirs
JUILLET. 1755. 157
font le réfultat de plufieurs fentimens caufés
par une fucceffion , ou une diverfité
d'objets , de mouvemens & d'opérations ;
il eft hors de doute que ce réſultat doit
être un & fimple , naiffant du concert &
de l'accord de toutes les parties , objets ,
mouvemens & fentimens qui le compofent.
Pour moi , je ne conçois que l'enfer ubi
nullus ordo , fed fempiternus horror inhabitat ,
& j'aime à penfer que le paradis eſt tout
harmonie .
C'eft tout franc la bonne & belle littérature
, & le bon goût même de toutes
chofes qui me paroiffent de tous les arts
les plus tombés , par un bel efprit foidifant
de philofophie bien plus que de
géométrie. Sans géométrie même ni arithmétique
, il ne m'a fallu qu'un peu de
goût de la belle nature , pour trouver que
le bleu mene au verd par le celadon , le
verd au jaune par l'olive , le jaune au
rouge par l'aurore & l'orangé , le rouge
aux violets par les cramoifis ; les violets.
nous ramenant au bleu pour recommencer
une nouuelle octave nuancée de coloris , à
l'aide du clair- obſcur , dont voici les dégrés.
Le noir ténébreux mene à l'obfcur , l'obfcur
au fombre , le fombre au brun , le
brun au foncé , le foncé au férieux , le
158 MERCURE DE FRANCE.
férieux au majeftuenx , le majestueux au
noble , le noble au beau , le beau au gracieux
, le gracieux au joli , au gai , le gai
au clair , le clair au blanc , le blanc au
lumineux éblouiffant qui ne fe laiffe point
voir , mais par qui tout eft vû . Sont-ce là
des termes mais on en a vû les échantillons
, il y a zo ans , & tous les jours ces
termes nous fervent à caractérifer les couleurs.
Eft-ce ma faute s'il y a des efprits ,
des yeux même pour qui les termes ne
font que des termes , des mots , verba &
voces.
J'aurois pû me fervir des mots un peu
plus techniques de gris noir , gris brun ,
gris d'ardoife , gris de fouris , &c . J'ai
mieux aimé me fervir des termes qui réveillent
des fentimens . Les anciens difoient
lés couleurs , c'eft le clair-obfcur qui eft unt
mêlange d'ombre & de lumiere. Je fuis
avec beaucoup de confidération , mon cher
Monfieur , & c.
L. CASTEL.
JUILLET. 1755. 159
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
Mercure du mois de Juin de l'année 2355-
Ne fociété de Gens de Lettres , vient
de publier un nouveau volume de fes
Mémoires *.
C'eft une chofe admirable que la vertueuſe
ténacité avec laquelle cet illuftre
corps s'attache à multiplier fes découvertes
fur nos antiquités françoiſes .
J'en rendrai compte , non fuivant l'ordre
felon lequel les Mémoires font arrangés
dans le volume , mais en mettant de
* Ces mémoires fontd'autant plus rares , qu'ils
font l'ouvrage des fçavans qui font à naître , &
qu'ils ont été faits plufieurs fiecles après le nôtre.
Jufqu'ici l'érudition avoit employé fa fagacité à
débrouiller le cahos des tems paffés , mais elle
étend aujourd'hui fes lumieres jufqu'à percer les
ténébres d'un âge à venir. C'eſt donner un être à
la poffibilité , c'eft réaliſer les conjectures , & ( ce
que j'eftime le plus dans ce morceau , ) c'est trouver
une maniere auffi nouvelle qu'ingénieufe , de
louer le fiecle préfent , fans bleffer la modeftie de
perfonne. Je crois faire un vrai préſent au public
de l'inférer dans mon journal.
160 MERCURE DE FRANCE.
fuite ceux qui traittent des matieres qui ont
du rapport les unes aux autres. Ainfi , je
rapporterai d'abord ceux qui concernent
l'Architecture antique.
Le premier eft celui du célébre M. Scarcher
, déja connu par tant d'ouvrages remplis
de la plus profonde érudition , il Y
traite des reftes d'Architecture de l'ancienne
ville de Paris. Il prouve d'abord d'une
maniere irréfiftible que le quartier de la
Cour , que nous diftinguons fous le nom
de quartier de Verfailles , étoit autrefois
hors de la ville de Paris , & qu'il y avoit
même une étendue confidérable de terrein
inhabité entre l'une & l'autre , il prétend
qu'alors la ville n'avoit qu'environ une
lieue d'étendue. On eft furpris , fans doute ,
de voir que cette ville magnifique ait eû
de fifoibles commencemens. Cependant il
eft difficile de fe refufer à la force des
ves qu'il a recueillies avec un courage infatigable
dans une quantité prodigieufe
d'anciens livres qu'il lui a fallu parcourir.
Il entreprend de prouver que la ville finiffoit
où l'on voit à préfent cette admirable
ftatue du grand Roi Louis XV. qui fut
furnommé par fes fujets le Bien -aimé
comme on le voit par les infcriptions de
la ftatue qui nous refte auffi bien confervée
que fi elle fortoit de la fonte , & qui
preuJUILLET.
1755 161
durera moins encore que la mémoire d'un
fi beau titre & la gloire de ce grand Monarque.
Enfuite il fait voir par un raifonnement
très étendu & plein d'érudition , que le
pont qu'on nomme Royal a pris fon nom
de cette ſtatue, contre le fentiment de quelques-
uns qui croyent qu'il fe nommoit
ainfi avant qu'elle fut érigée, Ce qu'il dit
fur ce fujer eft fi evident qu'il ne femble
pas qu'on puiffe le contefter d'avantage.
Il paffe enfuite à des recherches trèscurieufes
fur le merveilleux bâtiment du
Louvre , il réfute furabondamment le mémoire
donné dans la même Société l'année
précédente où l'on avoit avancé que ce fuperbe
édifice avoit été achevé & porté à fon
entiere perfection fous le regne de Louis
XIV. fondé fur l'autorité des Hiftoires ,
confervées dans les anciennes bibliothetheques
; il fait voir qu'il a été long- temps
abandonné à caufe des guerres qui ont troublé
la fin du XVIIe fiécle & le commencement
du XVIII , & qui ont affuré à la
France la fupériorité fur fes voifins , la
fplendeur & le repos dont elle jouit depuis
ces deux fiécles également célébres . Il rapporte
à ce fujet un trait d'hiftoire curieux
où l'on voit que celui qui étoit alors à la
tête des Arts , fecondant avec zele & avec
162 MERCURE DE FRANCE.
un goût peu commun , les intentions & l'inclination
du Roy régnant , pour les grandes
chofes , entreprit de reftaurer & d'achever
cet édifice , dont une partie tomboit
en ruine. Il fixe la datte de cet important
événement vers le milieu du XVIIIe fiécle .
"
Il détruit enfuite entiérement l'objection
la plus impofante que fon antagoniſte
avoit alléguée contre la vérité de ce fait
qui étoit le peu de vraisemblance qu'il
trouvoit à croire qu'une perfonne en place
pût avoir abandonné la gloire de conftruire
de nouveaux édifices , & s'être contentée
de celle d'amener à leur fin les ouvrages
commencés par fes prédéceffeurs , qui
méritoient d'être confervés à la postérité.
M. Scarcher fait voir combien cette idée
eft fauffe , & qu'elle n'eft fondée que fur
la reffemblance que nous fuppofons entre
les hommes d'alors , & ceux du temps où
nous vivons. Il eſt bien vrai que de nos
jours nous voyons rarement achever les
grandes entrepriſes , parce qu'il eft du bon
air de ne point fuivre les maximes ni les
idées de fes prédéceffeurs , mais il n'en
étoit pas ainfi dans ces temps héroïques ;
chacun mettoit fa gloire à contribuer autant
qu'il étoit en lui à celle du Roy
régnant , & lorfque le moyen le plus digne
avoit été trouvé par fon devancier , on le
JUILLET. 1755. 163
fuivoit fans difficulté. D'ailleurs , on ne
peut pas dire que le Supérieur de ces tempslà
fe foit uniquement borné à fuivre ou à
finir ce que les autres avoient tracé . Il nous
refte plufieurs édifices très confidérables
& d'une grande beauté qui ont été commencés
& achevés fous ce regne.
On ne peut trop admirer la facilité & la
juftefle avec laquelle notre Sçavant éclaircit
ces temps que leur éloignement nous
rend fi obfcurs . Si d'une part il nous fait
voir avec certitude que ce fuperbe bâtiment
a été négligé pendant quelques années
, en même temps il s'éleve avec la plus
grande force contre ceux qui ont avancé
que pendant long-temps cet édifice a été
environné d'écuries , de petites maiſons ,
même d'échoppes. Il fait voir quelle abfurdité
il y a à penfer que dans un fiècle auffi
éclairé , on ait fouffert une pareille profanation
, ce qu'il dit là- deffus eft rempli
d'éloquence.
J'abrege quantité de réflexions non moins
curieufes qu'il fait fur les beautés du Lou
vre & qu'il faut lire dans l'original , pour
paffer à ce qu'il dit fur l'Eglife antique de
fainte Génevieve de la montagne. Il croit
que cet admirable édifice a été bâti par le
même architecte que le fuperbe périftile du
Louvre. La tradition reçue jufqu'à préfent
164 MERCURE DE FRANCE.
étoit que cette églife avoit été commencée
vers le milieu du dix -huitiéme fiécle : en
admettant fes preuves , il faudroit en établir
la datte environ un fiécle plûtôt , ce
qui répugne un peu à la beauté de fa confervation
, cependant les raifons qu'il apporte
ne font point à rejetter. Il s'appuie
fur le fentiment de nos plus habiles architectes
, qui en conſidérant la noble ſimplicité
du goût de cette architecture , y reconnoiffent
le même ſtile qu'au Louvre , quoique
dans une compofition différente. Ils
prétendent que le goût du dix- huitiéme
fiécle a été inférieur , à en juger par quelques
reftes de bâtimens dont la datte eft
certaine & par quelques écrits de ces
temps- là qui font remplis de plaintes contre
le mauvais goût qui régnoit alors , &
où l'on en explique les défauts de maniere
à nous en donner une idée affez diftincte.
Or , on ne voit aucun de ces défauts ni
dans cette églife , ni au Louvre ; au contraire
ces édifices font encore les regles du
vrai beau .
La feconde preuve qu'il tire du nom
de l'architecte , fait voir avec quelle fagacité
il éclaircit les antiquités les plus épineuſes.
L'hiſtoire nous a confervé le nom
de l'architecte de ce beau periftile du Louvre
qui regarde le Levant , il fe nommoit
JUILLE T. 1755. 165
Perrault. M. Scarcher prouve à travers
mille difficultés que c'eft ce même nom qui
eft tracé à fainte Genevieve , & qui eft tellement
effacé , qu'il n'y a qu'un homme
auffi verfé dans les antiquités que M. Scarcher
, qui puiffe nous en donner l'intelligence.
La premiere difficulté qui fe rencontre
eft que le nom de Perrault eft compofé
de huit lettres & qu'on n'en apperçoit
que fept dans les foibles traces qui restent
fur ce marbre ; mais nous verrons bien-tôt
comment on doit expliquer cela. Les deux
dernieres lettres de ce nom , qui fe voyent
encore affez diftin&tement , font OT, & il
ya tout lieu de croire que celle qui les
précede eft une L. M. Scarcher prouve premierement
par un grand nombre d'autorités
refpectables que les anciens François
prononçoient la diphtongue an , de même
que la lettre o , & qu'ainfi ils mettoient indifféremment
l'une pour l'autre. Cette découverte
répond en même temps d'une ma
niere évidente à la premiere difficulté des
fept premieres lettres qui fe trouvent à
fainte Génevieve au lieu de huit , que demande
fa fuppofition , car il eft clair qu'ici
la lettre o tient lieu de deux . Il reste la difficulté
de L qui fe trouve avant l'O , au
lieu que dans le nom de Perrault , elle ſe
trouve après an. 11 y fatisfait du moins
曩
166 MERCURE DE FRANCE .
d'une maniere probable , en difant qu'il eft
poffible que la modeſtie de l'architecte
l'ayant empêché d'y mettre lui-même fon
nom , il n'a été mis qu'après la mort , &
que ceux qui l'ont gravé , l'ont ainfi défiguré
, ou par corruption , ou plûtôt parce
que c'étoit en effet la véritable prononciation
de ce temps- là , comme nous voyons
encore dans le nôtre que les Allemands
prononcent Makre quoiqu'ils écrivent Maker
, ainfi on peut avoir prononcé OLT,
quoiqu'il foit écrit LOT. Nous nous fommes
un peu étendus fur cet article , quoique
nous l'ayons beaucoup abrégé , parce
que c'eft un des plus importans de ce fçavant
mémoire & celui où l'on découvre la
plus rare érudition ; s'il y a quelque choſe
qui paroiffe inadmiffible , c'eft cet excès
de modeſtie qu'il ſuppoſe dans un architecte
; mais encore une fois , nous ne deyons
pas juger des hommes de ces fiécles
vertueux par ceux du nôtre. Il reſte encore
une objection. Plufieurs fçavans ont prétendu
que la premiere lettre de ce nom eft
une S , & qu'il eft difficile avec les traces
qui en reftent d'en faire un P * . C'eſt là
* Il y en a qui vont plus loin . Ayant de meilleurs
yeux , ils ont cru entrevoir uneƒavant l , &
fuppléant à la diphtongue qui manque , ils ont
conjecturé que le véritable nom de l'architecte
JUILLET. 1755- 167
qu'il faut voir M. Scarcher employer toutes
les forces de fon éloquence pour y trouver
un P , il faut le lire dans l'original ,
mais il eft vrai qu'il eft bien difficile quand
on l'a lû de ne l'y pas trouver avec lui ,
malgré les difficultés que préfente l'infpection
du marbre.
M. Scarcher traite enfuite des reftes antiques
de l'Eglife de faint Pierre & faint
Paul , qu'une tradition fans fondement
nomme faint Sulpice. Il démontre que nous
n'avons pas cet édifice ( dont il ne refte
prefque que le portail ) tel qu'il a été bâti .
Que les arcades qui font au fecond ordre ,
y ont été conftruites depuis par quelque
raifon de folidité occafionnée par les ravages
du temps , & qu'il n'y a nulle apparènce
qu'un architecte de ce mérite eut mis ces
maffifs au fecond ordre n'en ayant pas mis
au premier , c'eft- à-dire , le fort fur le
foible. Il prouve encore que les coloffes
monftrueux qui font fur les tours , ont été
pareillement ajoûtés par quelque raifon de
dévotion populaire , qui a voulu que l'on
vit les patrons de cette églife les plus
grands qu'il étoit poffible ; que les tours
ont été terminées en ligne droite par l'architecte
premier auteur de cet édifice , &
étoit Sauflot ou Souflot. J'avoue que je ferois affez
de ce dernier ſentiment,
168 MERCURE DE FRANCE:
que le couronnement que nous y voyons
maintenant eft une augmentation faite
dans un fiecle où le goût avoit dégénéré.
Il ne paroît pas auffi bien fondé , lorfqu'il
foutient que le fronton eft dans le même
cas d'être venu après coup. Il prétend
décider le problême qui embarraffe tous
nos architectes , c'est - à - dire , l'impoffibilité
qu'il y a que l'églife dont nous jugeons
par quelques arcades demi ruinées
qui fubfiftent encore , puiffe avoir été liée
avec ce portail . En effet , on ne voit aucune
hauteur ni aucune ligne qui y ait du rapport.
Il dit qu'alors l'intérieur de l'égliſe
étoit à deux ordres l'un fur l'autre femblables
à ceux du portail avec un rang de galleries
regnant tout au tour, que cette églife
ayant été détruite ou par quelque accident
ou par la barbarie des fiecles fuivans , on a
édifié à fa place ce bâtiment irrégulier qui
s'y accorde fi peu ; ce qui donne quelque
vraisemblance à fa fuppofition , c'eft qu'indépendamment
de leur peu de rapport avec
le portail ces fragmens qui nous reftent
n'en ont pas même entr'eux . Ce fentiment
n'eft cependant pas fans difficulté , on a
peine à concevoir que dans l'efpace de
temps qui s'est écoulé depuis fa premiere
conftruction , une égliſe auffi bien bâtie
que celle qui devoit tenir à ce portail , ait
été
JUILLET. 1755. 169
été détruite , relevée une feconde fois aufli
folidement que nous le voyons par ces
reftes , & encore ruinée . On ne peut que
difficilement fuppofer qu'elle ait été abbattue
exprès , d'ailleurs nous ne connoiffons
point de fiecle de barbarie depuis ces temps
mémorables. Les arts ont toujours été floriffans
, & n'ont fait que fe perfectionner
jufqu'au point d'élévation où nous les
voyons maintenant. M. Scarcher permettra
que nous ne nous rendions pas encore
fur cet article , & que nous attendions des
preuves plus fortes que le temps & fon
profond fçavoir lui feront découvrir.
Notre favant auteur paffe enfuite à un
refte de bâtiment ancien qu'on croit avoir
été une églife fous l'invocation de faint
Roch. Ce qu'on trouve de plus fatisfaiſant
dans les réflexions de M. Scarcher fur cette
églife , ce font les raifons dont il s'appuye
pour détruire le fentiment de ceux qui foutiennent
que le double focle qui porte les
arcades de la nef a été apparent dans fa
premiere conftruction . Il fait voir que le
focle d'enbas étoit la fondation qui fe trouvoit
enfevelie dans l'intérieur du terrein
qu'il n'eft vifible que parce qu'on a baiffé
le terrein intérieur de l'églife , & combien
il eft ridicule de penfer que jamais aucun
architecte fe foit avifé de mettre deux fo-
H
170 MERCURE DE FRANCE.
cles l'un fur l'autre , & fi élévés que les
bazes des colonnes font de beaucoup audeffus
de la vue. Il établit une feconde
preuve fur ce qu'on trouve par d'anciennes
eftampes qu'on croit gravées dans ces mêmes
tems , qu'il y a eu 15 ou 16 marches
pour monter à cette églife , au lieu qu'à
préfent il ne s'en trouve que cinq. Selon
fon idée , on a détruit les marches qui
montoient jufqu'au niveau du premier
focle. Ce fentiment n'eft probable que dans
la fuppofition que les marches que l'on y
voit maintenant ne font point du tout les
anciennes , car il auroit fallu pour monter
jufqu'à la hauteur des bazes du portail
qu'elles n'euffent laiffé aucun pallier ; ce
qui , quoique poffible , laiffe quelque doute
, d'autant plus qu'en calculant la hauteur
& l'enfoncement que produifent un
nombre de marches femblables à celles qui
reftent , on n'y trouve pas un rapport jufte
avec le nombre des marches indiquées dans
l'eftampe , il eft vrai qu'il ajoute une raifon
plaufible pour remédier au défaut de
juftelle du calcul de ces marches , il fait
remarquer que naturellement le terrein
des villes fe hauffe par un abus auquel on
ne fonge point à tenir la main , parce que
l'on apporte toujours & qu'on ne remporte
jamais. Tout ceci porta un caractere de
JUILLET. 1755. 171
vraisemblance auquel on a peine à ſe
refufer.
·
Il entreprend de prouver que cette églife
précede au moins d'un fiecle le bâtiment
du Louvre , c'est- à- dire , avant que la bonne
architecture fut bien connue . Premierement
par le défaut infupportable des bazes
& des chapiteaux des colomnes qui ſe pénetrent
avec les pilaftres , défaut ridicule
qu'on n'eut jamais fouffert dans un fiecle
plus éclairé. Secondement , par les fauffes
courbes qui font l'enfoncement des efpeces
de niches où font les petites portes de
l'églife . Il prétend que ces courbes font
les effais par où l'on a commencé avant
que de trouver les formes régulieres . Cette
feconde preuve n'eſt pas de la force de la
premiere , car on trouve plufieurs édifices
dont la datte eft certaine , & qui font conftruits
plus d'un fiecle & demi après , où
l'on voit ces mêmes courbes employées &
de plus mauvaiſes encore , d'ailleurs plufieurs
fçavans prétendent quele propre de
l'efprit humain , eft de trouver d'abord
tour naturellement le fimple qui eft le vrai
beau ; & que le goût ne fe corrompt qu'à
force de vouloir aller au-delà.
Au refte , il eft fi difficile de pénétrer
dans ces tems anciens , que les conjectures
vraisemblables doivent être regardées
Hij
172 MERCURE DE FRANCE:
comme des démonftrations . Ce mémoire
renferme quantité de recherches intéreſfantes
aufquelles je renvoye le lecteur
pour ne pas être trop long.
Nouveau projet de décoration pour les
L
Théatres.
'Économie d'accord avec le bon goût
& la raiſon , a porté M *** à conftruire
un théatre dans fon château , où il
a fupprimé les couliffes & les bandes
du haut de la ſcene , qui repréſentent tantôt
le ciel , d'autres fois le plafond d'un
appartement , des berceaux d'allées , ou la
voûte d'une caverne . Toute la fcene con--
fifte en un très- beau fallon , figuré par des
peintures plates , tant en haut qu'en bas ;
& quand cela a été fait , on a trouvé
cela étoit bon.
que
Au fond du théatre il y a deux piliers
de chaque côté ; ils font fort éclairés par
derriere , & font voir un tableau qui
change felon les pieces que l'on repréſente.
Tantôt c'est une place publique que
l'on voit , tantôt un palais , une forêt , la
mer , ou des jardins.
Ainfi l'endroit de la ſcene eft dormant ;
il eft composé d'un plafond , & de deux
côtés richement ornés d'architecture , méJUILLET.
1755. 173
nuiferie fculptée , ftatues & glaces , des
chandeliers à plufieurs branches , torcheres
& bras qui éclairent fort la fcene. On
y a ménagé deux portes de chaque côté
pour l'entrée & la fortie des Acteurs , ce
qui fait le même effet que les couliffes .
Aux quatre coins de la fcene font quatre
gros piliers , deux fur le devant furmontés
d'un fronton d'où defcend la toile ,
& les deux du fond avec pareil fronton ,
ou corniche pour encadrer la ferme ,
comme j'ai dit . Une de ces fermes ou décorations
, peut être affortie avec la ſcene,
& ne former qu'un bel appartement.
Il m'a paru que cette maniere de décorer
un théatre avoit de grands avantages
fur celle des couliffes changeantes & des
bandes d'en- haut qui les accompagnent
.
Toute illufion de l'art doit être rendue la
plus vraisemblable qu'il eft poffible ; celle
des couliffes approche trop près de l'oeil
du fpectateur , pour ne pas paroître pauvre
& groffiere. La perfpective , la dégradation
de lumiere , & les proportions des
perfonnages avec le lieu de la fcene ne
peuvent jamais s'y rencontrer. L'on apperçoit
par les couliffes le jeu des machines
& le travail des Machiniſtes : l'on y
voit tous les coopérateurs étrangers au
fpectacle , & on y place même des fpecta-
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
teurs , dont la préfence & les mouvemens
choquent toujours la vérité des repréfentations.
Remarquons à ce fujet deux chofes intéreffantes
; l'une , combien les loges , balcons
, ou amphithéatre placés fur le théatre
, jettent de confufion dans les repréfentations
de l'Opéra ou de la Comédie ,
& combien les fpectateurs mêlés avec les
Acteurs y font nuifibles & indécens ; l'autre
obſervation eft que par ce même ufage
auquel on a accoutumé le public , on a
déja adopté mon fyftême , en deftinant
pour la fcene un lieu différent de celui
des décorations . Au théatre de Fontainebleau
, par exemple , la fcene fe paffe entre
deux rangs de loges , & la décoration
ne change qu'au fond du théatre ; mais
il feroit bien mieux d'adopter entierement
, ou de rejetter tout - à - fait ce ſyſtême.
Il confifte à deftiner un lieu exprès &
exclufivement pour la fcene , à l'imitation
des anciens. Ce lieu ne peut être mieux
entendu qu'en un très- beau fallon , & tout
un côté en feroit ouvert pour laiffer voir
celui que defire le fujet de la piece , on le
fuppoferoit joint aux lieux divers où fe
paffe l'action . Illufion pour illufion , le
fpectateur fe prêtera facilement à la moinJUILLET.
1755 175
dre des deux. Tout eft orné dans les repréfentations
dramatiques ; on y parle en
vers ou en chants ; les perfonnages les plus
fatigués fortans d'un naufrage , y font parés
& bien mis , les payfans y font galamment
vêtus. Ne peut-on pas fuppofer de
même qu'ils s'avancent vers le public , &
dans un lieu qui eft au public pour parler
de leurs intérêts , lorfqu'on voit par le
fond du théatre qu'ils en traitent dans
une chambre , dans une place , ou dans
une campagne ? L'on fuppofera que ce fallon
eft bâti fur le bord d'une forêt ou
d'une rue par cette illufion on ennoblit
la repréfentation , & par celle des couliffes
& de tout ce qui s'y paffe , on l'avilir.
Le jeu des machines , comme vols ,
chars , gloires , doit fe paffer au fond du
théatre & hors du lieu de la ſcene , pour
en mieux cacher les défauts.
La raifon d'économie feroit miférable
fi le ſpectacle ne s'en trouvoit pas mieux ;
en récompenfe fi l'on veut calculer les
frais , on pourra augmenter de dépense &
de magnificence fur d'autres chofes . La
fcene en fera mieux éclairée par des flambeaux
apparens que par ceux qui font à
moitié cachés derriere les couliffes ; l'on
pourra renouveller plus fouvent les décotations
& le fallon de la fcene ; l'on pro-
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
1
fitera des progrès de l'architecture moderne
& du deffein d'ornement.
La falle ( ou lieu des loges & des fpectateurs
) ne doit jamais avoir rien de commun
avec la fcene qui fe cache derriere
un rideau jufqu'au commencement de la
repréfentation : ce font , pour ainfi dire ,
deux pays différens ; l'on ne devroit orner
la falle qu'avec la plus grande fimplicité
pour contrafter & faire briller davantage
la magnificence & l'éclat du fpectacle
quand la toile fe leve .
On ne doit rien épargner pour la beauté
de la ferme du : ond du théatre. Dans
le plan que je propofe , ce devroit être
autant de tableaux exquis peints par les
meilleurs Maîtres , & toujours d'un coloris
frais ; ils ne doivent jamais être difpofés
en deux parties , ce qui y y forme au
milieu une raye noire & defagréable ; ces
tableaux feroient plus ou moins reculés &
diftans des deux colonnes de la fcene , felon
les lieux qu'ils repréſenteroient & les
machines qui devroient paroître dans cette
diſtance. On y verroit donc quelquefois
le théatre très- profond avec des morceaux
avancés ,, comme portiques , tours , arbres ,
rochers , &c. mais jamais de couliffes.
L'on pourroit effſayer ce projet au théatre
de l'Opéra qui y eft tout difpofé , l'on
JUILLE T. 1755. 177
formeroit un fallon des fix premieres couliffes
de chaque côté , & le goût du public
décideroit.
HORLOGERI E.
Lettre du fieur Caron fils , Horloger du Roi ,
à l'Auteur du Mercure.
M
ONSIEUR , je fuis un jeune artiſte
qui n'ai l'honneur d'être connu du
public que par l'invention d'un nouvel
échappement à repos pour les montres , que
l'Académie a honoré de fon approbation
& dont les Journaux ont fait mention l'année
paffée. Ce fuccès me fixe à l'état d'horloger
, & je borne toute mon ambition à
acquerir la fcience de mon art ; je n'ai jamais
porté un oeil d'envie fur les productions
de mes confreres :( cette lettre le
prouve ) mais j'ai le malheur de fouffrir
fort impatiemment qu'on veuille m'enle- ver le peu de terrein que l'étude & le travail
m'ont fait défricher ; c'eſt cette chaleur
de fang dont je crains bien que l'âge
ne me corrige pas , qui m'a fait défendre
avec tant d'ardeur les juftes prétentions
que j'avois fur l'invention de mon échappement
, lorſqu'elle me fut conteſtée il y
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
,
a environ dix-huit mois. L'Académie des
Sciences , non feulement me déclara auteur
de cet échappement , mais elle jugea
qu'il étoit dans fon état actuel le plus parfait
qu'on eut encore adapté aux montres ;
cependant elle fçavoit , & je voyois bien
qu'il étoit fufceptible de quelques perfections
mais la néceffité de conftater
promptement mon titre , à laquelle mon
adverfaire me força en publiant fes fauffes
prétentions , m'empêcha de les y ajouter.
Alors devenu poffeffeur tranquille de mon
échappement , j'ai donné tous mes foins
à le rendre encore fupérieur à lui- même ,
& c'eft l'état où il eft maintenant ; mais
en même-tems trop bon citoyen pour en
faire un myftere , je l'ai rendu public autant
qu'il m'a été poffible. Les divers écrits
que cet échappement a occafionné & le
jugement que l'Académie en a porté , attirant
fur lui l'attention des Horlogers , il
devint l'objet des réflexions & des recherches
de quelques- uns des plus habiles d'entr'eux
: deforte que pendant que j'y ajoutois
les petites perfections qui lui manquoient
, M. de Romilly s'apperçut qu'effectivement
il en étoit fufceptible ; il y travailla
de fon côté , & préfenta à l'Académie
en Décembre 1754 le changement
qu'il y avoit fait ; le ſoir même de ſa préJUILLET.
1755. 179
fentation M. Le Roy m'en ayant apporté la
nouvelle , je demandai fur le champ à
l'Académie , qu'en faveur de ma qualité
d'Auteur , elle voulut bien examiner avant
tout l'état de perfection auquel j'avois moimême
porté mon échappement . Cette perfection
étoit des repos plus près du centre
& des arcs de vibrations plus étendus ,
elle y confentit , & l'examen qu'elle fit
des piéces que nous préfentâmes , l'un &
l'autre lui montra que M. Romilly avoit
atteint le même but que moi en travaillant
fur le même fujet : ainfi l'Académie
toujours équitable dans les jugemens , ne
voulant pas accorder plus d'avantage fur
cette perfection à ma qualité d'Auteur de
l'échappement qu'à l'antériorité de préfentation
de M. de Romilly , qui n'eft
effectivement que d'un feul jour , a dévré
à chacun de nous le certificat fuivant
, que je publie d'autant plus volontiers
que M. de Romilly qui a jugé mon
échappement digne de fes recherches , eft
un très - galant homme , & que j'eftime véritablement
d'ailleurs je ferois fâché que
cette petite concurrence entre lui & mor
pût être envisagée comme une difpute femblable
à la premiere ; l'émulation qui anime
les honnêtes gens mérite un nom plus
honorable. J'ai l'honneur d'être , & c.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
Extrait des Regiftres de l'Académie royale
des Sciences , du 11 Juin 1755.
>
MM . de Mairan, de Montigni & Le Roi,
qui avoient été nommés pour examiner une
montre à fecondes , à laquelle eft adapté
l'échappement du fieur Caron fils , perfectionné
par le fieur Romilly , Horloger ,
citoyen de Genêve , & par lui préfentée
à l'Académie , avec un mémoire fur les
échappemens en général , en ayant fait
leur rapport , l'Académie a jugé que le
changement fait à cet échappement , &
qui permet d'en rendre le cylindre auffr
petit qu'on le juge à propos : de rapprocher
les points de repos du centre , & de
donner aux arcs du balancier plus de trois
cens dégrés d'étendue , étoit ingénieux &
utile , mais en même- tems elle ne peut douter
que le fieur Caron n'ait de fon côté
porté fon échappement au même dégré de
perfection ; puifque le jour même que M.
Le Roi , l'un des Commiffaires, lui en donna
connoiffance en Décembre 1754 , cet
Horloger lui fit voir un modele de fon
échappement qu'il avoit perfectionné , auquel
il travailloit alors, & dont la roue d'échappement
avoit les dents fouillées par
derriere , & étoit exactement femblable.
à la conftruction du fieur Romilly , dont
JUILLET. 1755. 181
il n'avoit cependant point eu de communication
; d'ailleurs dans la boîte de preuve
que le fieur Caron dépofa en Septembre
1753 au Secrétariat de l'Académie , &
qui eft jufques à préfent reftée entre les
mains de MM. les Commiffaires , il y a
plufieurs petits cylindres dont les repos
font très- près du centre , mais qu'il n'eut
pas alors le tems de perfectionner.
Ainfi le mérite d'avoir amené cette invention
au point de perfection dont elle
étoit fufceptible , appartient également au
fieur Romilly & au fieur Caron fon auteur
; mais le fieur Romilly en a préſenté
la premiere exécution : en foi de quoi j'ai
figné le préfent certificat . A Paris , ce 14
Juin 1715.
Grandjean de Fouchy , Secrétaire
perpétuel de l'Académie royale
des Sciences .
Je profite de cette occafion pour répondre
à quelques objections qu'on a faites fur
mon échappement dans divers écrits rendus
publics. En fe fervant de cet échappement
, a-t-on dit , on ne peut pas faire des
montres plates , ni même de petites montres.
Ce qui fuppofé vrai , rendroit le meilleur
échappement connu très-incommode , des
182 MERCURE DE FRANCE.
faits feront toute ma réponſe . Plufieurs
expériences m'ayaut démontré que mon
échappement corrigeoit par fa nature les
inégalités du grand reffort fans aucun befoin
d'un autre régulateur , j'ai fupprimé
de mes montres toutes les pièces qui exigeoient
de la hauteur au mouvement ,
comme la fufée , la chaîne , la potence ,
toute roue à couronne , fur- tout celles dont
l'axe eft parallele aux platines dans les
montres ordinaires , & toutes les piéces
que ces principales entraînoient à leur fuite.
Par ce moyen je fais des montres aufſi
plates qu'on le juge à propos , & plus plates
qu'on en ait encore faites , fans que
cette commodité diminue en rien de leur
bonté. La premiere de ces montres fimplifiées
eft entre les mains du Roi. Sa Majefté
la porte depuis un an , & en eft trèscontente.
Si des faits répondent à la premiere
objection , des faits répondent également
à la feconde . J'ai eu l'honneur de
préfenter à Mme de Pompadour ces jours
paffés une montre dans une bague, de cette
nouvelle conftruction fimplifiée , la plus
petite qui ait encore été faite ; elle n'a que
quatre lignes & demie de diametre , &
une ligne moins un tiers de hauteur entre
les platines . Pour rendre cette bague plus
commode , j'ai imaginé en place de clef
JUILLE T. 1755. 183
un cercle autour du cadran , portant un
petit crochet faillant ; en tirant ce crochet
avec l'ongle , environ les deux tiers
du tour du cadran , la bague eft remontée ,
& elle va trente heures. Avant que de la
porter à Mme de Pompadour , j'ai vû cette
bague fuivre exactement pendant cinq
jours ma pendule à fecondes , ainfi en
fe fervant de mon échappement & de ma
conftruction on peut donc faire d'excellentes
montres auffi plates:& auffi petites
qu'on le jugera à propos.
J'ai l'honneur d'être , &c.
CARON fils , Horloger du Roi.
Rue S. Denis , près celle de la Chanvererie.
A Paris , le 16 Juin 1755 .
Remarques de M. de Lalande de l'Académie
royale des Sciences fur un ouvrage d'Horlogerie.
M pu-
Onfieur J.... ci-devant Horloger à
Saint-Germain-en- laye vient de
blier ces jours paffés une addition à * fon
Traité des échappemens , dans laquelle il con-
*
Ce traité , ainfi que l'addition , fe trouve chez
Jombert , rue Dauphine.
184 MERCURE DE FRANCE.
tinue des confidérations fur le nouvel
échappement de M. Lepaute qu'il avoit
commencées en 1754. dans le fecond volume
du mercure de Juin . Depuis un an il
a eu le tems d'accroître fes prétentions ,
aufli ne fe contente- t-il plus comme auparavant
de reprocher à cet échappement en
montres des défauts qu'il n'a pas , il ofe
aujourd'hui s'en attribuer à lui-même les
perfections , & comme le feul juge du mérite
d'une nouvelle invention , il entreprend
de montrer les erreurs où il prétend que
l'Académie eft tombée .
Cependant M. J. ne fait que répéter ce
qu'il avoit déja dit fur les chûtes des chevilles
& fur l'inégalité des rayons de la
roue , j'ai fait voir dans une lettre inférée
au mercure du mois d'Août 1754 , qu'il étoit
abfolument faux que cet échappement ,
bien exécuté , eut aucune chûte , ou que
les rayons de la roue fuffent inégaux , la
difficulté ne peut donc venir que de ce que
M. J. n'a point encore conçu la véritable
difpofition de cet échappement.
Il faut mettre au même rang ce que dit
M. J. de l'impulfion de la roue fur les
plans au moment ou chaque cheville quitte
les arcs de repos ; rien n'empêche qu'on ne
donne à ces plans , tout comme aux courbes
de l'échappement à cylindre , une
JUILLET . 1755 185
courbure fuffifante pour imprimer peu de
force au balancier dans le commencement
de la pulfion . Cette courbure n'augmentera
point l'arc conftant ou la levée de l'échappement
au-delà de trente ou quarante
degrés , qui eft celle de toutes les bonnes
montres .
Il y a beaucoup de vaine gloire de la
part de M. J. à prétendre que les perfections
que j'ai fait valoir dans cet échappe
ment , étoient le fruit de ſes converſations ; la
prétention à cet égard eft auffi fauffe qu'injurieufe
; cet échappement fortit en 1753
des mains de M. Lepaute dans le même
état de perfection où il eft actuellement :
fi l'on eut eu befoin de fecours , les auroiton
demandé à M. J. qui non - feulement
n'entendoit point alors l'échappement , mais
qui prouve encore aujourd'hui par des objections
triviales que faute de s'y être exercé
lui-même , il ne l'a point entendu . M. J.
dit encore page 239 , qu'il a connoiffance
de la variété des montres où cet échappement
eft appliqué ; c'eft un fait fuppofé
dont le public d'ailleurs pourra juger fans
lui , & le jugement du public a été juſqu'à
préfent fort contraire à cette allégation
puifque le grand nombre de montres où il
a été appliqué , vont avec toute la préci-
Lon poffible.
186 MERCURE DE FRANCE.
Pour ce qui eft de la diffipation de l'huile
, l'expérience a prouvé qu'en en mettant
fur le cylindre ( qui eft un peu arrondi de
bas en haut , & qui ne touche point à la
roue ) elle s'y étendoit & s'y confervoit
fort long-temps. L'huile fait même ici
beaucoup mieux fon effet que dans l'échappement
à cylindre , où l'on voit très - fouvent
une rainure profonde faite dans le
cylindre par les pointes des dents , ce qui
ruine en peu de temps toute l'exactitude
d'une montre. Au refte , M. J. fait un raifonnement
( page 220 ) fur l'attraction ou
fur la direction des huiles qui tendroit à
prouver que l'huile ne fe conferve ja
mais dans une même place , ce qui eft
contraire à l'expérience ; il ne fuffit pas de
connoître la regle , il faut fçavoir en ménager
l'application .
Le prix des montres faites avec le nouvel
échappement , n'ôte rien , ce me femble
, à leur bonté ; il eſt bien fûr qu'elles
coûtent moins que les montres à cylindre
ne coûtoient dans les premiers tems qu'elles
parurent ; elles ne coûtent pas aujourd'hui
plus que les montres à cylindre les
plus parfaites ; au refte, cela ne dépend que
du nombre plus ou moins grand des artiſtes
qui y travaillent. Lorfque Charles V. fut
obligé d'appeller du fond de l'Allemagne
JUILLET. 1755. 187
Henri de Vic , pour faire à Paris une horloge
, elle coûta fans doute plus que
celles
qui fe font aujourd'hui beaucoup mieux
par les ouvriers de tourne- broches .
J'ai répondu dans la lettre que je viens
de citer , à toutes les autres difficultés que
M. J. avoit faites ; mais je ne fçai pourquoi
ce que j'ai dit des montres plattes lui paroît
fi éloigné des regles de la pratique ; quelque
foit fon avis là- deffus , on ne peut
s'empêcher de reconnoître avec tout le
monde dans les montres abfolument plates,
un reffort trop foible , une réſiſtance trop
grande de la part des frottemens ; des roues
trop nombrées par rapport à leurs pignons ,
qui par conféquent doivent produi.e
moins d'uniformité dans le rouage , le dófaut
des jours , la trop grande proximité
des pieces , qui caufe toujours au bout de
peu de temps des frottemens du barillet
contre la petite platine & fur la grande
roue moyenne , de la roue de longue tige
avec la platine des pilliers , une grande
variation dans l'engrénage de la roue de
champ , tout cela eft de théorie autant que
de pratique.
Ce que M. J. appelle théorie , n'eft
qu'un bon fens éclairé qu'il auroit grand
tort de rejetter , ce n'eft pas en exécutant
d'une maniere fupérieure qu'on perfection188
MERCURE DE FRANCE.
quant
nera l'horlogerie , c'eſt par la réflexion , le
raifonnement , l'examen , le calcul , la
combinaiſon des forces , des frottemens ;
à la difficulté d'exécution , c'est une
chofe affez arbitraire , qui dépend prefque
uniquement de l'habitude que plufieurs
perfonnes ont contractée , on fçait que ce
qui étoit d'abord très- difficile , peut devenir
fort aifé & fort commun ..
Après cela , j'imagine que
l'on trouvera
un peu de petiteffe & de ridicule dans le
confeil que me donne M. J. page 230 de
refter dans les bornes de la théorie jusqu'à
nouvel ordre , & de ne point raiſonner fur
les chofes de pratique ; faut-il avoir limé
pendant trente ans pour connoître la force
d'un reffort , le mauvais effet d'un frottement
, pour diftinguer un grand arc d'un
plus petit , & une forme rectiligne d'une
forme circulaire . Pour voir fi les aîles d'un
pignon font égales , faut-il en avoir travaillé
deux ou trois mille ; la juſteſſe de
l'oeil , l'ufage du compas ou des verres eftil
réſervé exclufivement aux horlogers ; je
demande enfin en quoi confiftent les principes
particuliers de l'art ( page 228 ) que
M. J. prétend me faire regarder comme
un miftère impénétrable pour moi , & fans
lequel je ne fçaurois juger du mécanifme
d'un échappement ; s'il ne me fuffit pas
JUILLET.
189
d'en avoir vû faire , d'en avoir examiné , 1755
d'en avoir fait , d'en avoir éprouvé plufieurs
, pour en connoître les
propriétés &
les défauts ;
j'attendrai avec plaifir qu'on
m'inftruife de ce j'ignore à cet égard.
J'avouerai
cependant que les
avantages
de cette grande
pratique qui forme l'entouſiaſme
de M. J. me
paroiffent bien méprifables
dans la
circonftance
préfente , en
voyant
malgré fa
fupériorité dans ce genre,
les
contradictions où il tombe toutes les
fois qu'il s'agit de
raifonner ou
d'approfondir
.
Il nous rappelle , par exemple , ( page
222 ) que dans fes premieres
confidérations
, il avoit
démontré les vices de la manivelle
qu'on
employe dans le nouvel
échappement ; il infifte encore fur la divifion
qu'elle apporte dans la grandeur des arcs,
L'espace qu'elle occupe
inutilement , le poids
dont elle charge les pivots , la prife qu'elle
donne à l'air , les défauts de
conftruction , les
difficultés
d'exécution , qui ne croiroit après
cela M. J. bien affermi dans fon préjugé
contre cette
manivelle ; on fe
tromperoit
cependant
beaucoup , puiſqu'à la page fuivante
223 , ligne 3 , il dit que l'obftacle de
la
manivelle eft plus dans
Pimagination que
dans la réalité furtout
relativement à la prife
qu'elle peut
donner à l'air.
190 MERCURE DE FRANCE.
Mais
pour
faire
voir
encore
mieux
combien
la grande
pratique
de M. J. eft aveugle
, stérile
, incertaine
& peu
propre
à le
faire
juger
fainement
d'une
nouvelle
invention
d'horlogerie
, je vais
montrer
en
comparant
deux
paffages
de fon livre
, qu'il
ne connoît
pas même
en véritable
artiſte
,
l'échappement
à cylindre
auquel
il travaille
depuis
quinze
ans .
M. J. nous dit page 103 de fon Traité
des échappemens , qu'il a enfin déterminé la
nature des courbes qui doivent être placées
à la circonférence de la roue , en leur donnant
cette propriété , qu'étant divisées en
parties égales , ces parties operent chacune des
quantités de levée égales , il employe pluheurs
pages pour apprendre à former cette
courbe , & il lui donne de grands éloges ;
on s'imagine d'abord que ces recherches
font le fruit d'une expérience confommée
& que fans aller plus loin , elles peuvent
fervir de regle à tout le monde. On doit
être fort étonné en lifant un autre chapitre
de trouver ( page 116 ) en parlant de la
même courbe , que s'étant attaché à cette
courbe , il n'en avoit pas été plus fatisfait
que d'une autre qui après une très- profonde
ſpéculation , lui avoit fait faire les plus
mauvais échappemens ; il ajoûte qu'il n'eft
d'aucune importance que chacune des par,
JUILLET. 1755. 191
ties de la courbe faffe décrire des arcs
égaux , & il démontre enfin qu'on doit rejetter
cette courbe . M. J. étoit-il moins éclairé,
lorfqu'il fit fa démonftration de la page.
103 , qu'en faifant celle de la page 116 ,
ou a-t-il mis vingt ans d'intervalle entre
ces deux chapitres ?
Il eft donc clair que pour bien faire
une piece d'horlogerie , il n'eft pas toujours
néceffaire de fçavoir ce que l'on fait , ni
pourquoi l'on opere ; le coup de main qui
eft la feule qualité effentielle dans la
tique n'apprend point à juger des effets que
doit avoir une machine , avant que de les
avoir éprouvé dans toutes les fituations &
dans toutes les circonftances .
pra-
Ainfi M. J. réduit lui-même à rien tout
ce qu'il a écrit là - deffus , & montre que
ce n'eft qu'au hazard qu'il nous a fatigué
jufqu'à préfent de fes réflexions fur ces
matieres : l'intérêt fut d'abord fon principal
motif , il ſe perfuada que venant demeurer
à Paris , & étant obligé de s'y faire
connoître, il falloit s'annoncer par un livre,
il prit pour fon fujet l'échappement à cylindre
, il apprit aux horlogers la maniere
dont il s'y prenoit pour le bien exécuter ;
il falloit s'en tenir- là ; l'adreſſe & le talent
d'une heureuſe exécution , ne pouvoient
ſe tranſmettre au public ; mais en voulant
192 MERCURE DE FRANCE .
approfondir il s'égara ; il a cru depuis être
obligé de défendre l'échappement qu'il
avoit adopté contre un nouvel échappement
qui lui eft fupérieur , & qui alloit
faire abandonner l'ufage du premier ; mais
fes idées fe font confondues en voulant
foutenir un jugement qu'il avoit d'abord
hafardé. Il l'a fait fans équité , fans connoiffances
, fans égards , & il a préfervé le
public par fes contradictions des erreurs
qu'il avoit entrepris de répandre.
A Paris , le 22 Juin 1755 .
ARTICLE
JUILLET. 1755 193
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
L
E7 Juin les Comédiens François
donnerent Britannicus . Le fieur Rofimont
, qui avoit déja débuté l'année paffée
, y joua le rôle de Burrhus. Le 14 , il
repréſenta Agamemnon dans Iphigenie , &
le 19 Dom Diegue , dans le Cid. Il a un
pathétique qui peut toucher en province
mais qui n'a pas eu le même bonheur à
Paris .
la
>
Le 23 un nouveau Roi parut fur la
ſcène : c'eſt le fieur Dumenil qui étoit de
troupe de Compiegne. Il a débuté pour
la premiere & derniere fois par le rôle de
Palamede dans Electre. Pour me renfermer
dans le bien qu'on en peut dire , il a une
très belle voix.
On annonce encore pour Samedi prochain
28 , un troifieme Acteur qui doit
jouer Mitridate. Je fouhaite pour le bien
du théâtre françois que fon regne foit plus
long.
I
194 MERCURE DE FRANCE.
Le Jeudi 26 on donna la premiere repréfentation
de Zelide , Comédie en un
acte , en vers avec un divertiſſement . Elle
fut précédée de Manlius , Tragédie de
la Foffe . M. Renout eft l'auteur de cette
petite Féérie qui a été très- bien reçue du
public , & qui annonce du talent.
COMEDIE ITALIENNE.
Es Comédiens Italiens continuent le
Maitre de Mufique . Ils l'ont joué le
21 Juin pour la dixieme fois. Il étoit précédé
de la Fête d'Amour & fuivi du Mai
ce qui formoit un fpectacle auffi varié
qu'amufant. Plus on voit ce drame , plus
on en trouve les détails agréables .
Le 28 on en donna la treizieme repréfentation.
Nous promettons l'extrait
le Mercure d'Août.
pour
dans Le 19 un nouveau docteur parut
Jes Anneaux magiques , Comédie italienne ,
& fut généralement applaudi. Une nouvelle
Actrice italienne joua dans la même
-piece un rôle d'amoureufe . Le public la
reçut avec bonté. Les débuts gagnent tous
les théâtres. Nous en parlerons plus au
long le mois prochain , fuppofé qu'ils durent.
JUILLET. 1735. 195
ARTICLE SIXIEM E.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU NORD.
DE WARSOVIE , le 31 Mai. -
HALY AGA, Ambaffadeur du Grand Seigneur ,
repaflet ici ea retournant à
nople , & l'on attend inceffamment ce Miniftre .
On a effuyé à Poſen un affreux orage , accompagné
de grêle , dont les grains étoient d'une groffeur
extraordinaire. Le feu du ciel eft tombé fur
le village de Stipulke en Lithuanie , & a brûlé
douze maiſons & quatorze granges.
On mande de Conftantinople que le nouveau
Grand Vifir vient d'obtenir pour fon fils la charge
d'Imbrahor , ou de Grand Ecuyer de Sa Hauteffe.
Les mêmes lettres ajoutent que vraisemblablement
le Kiflar Aga , ou Chef des Eunuques Noirs ,
ne demeurera pas long -tems en place , & qu'il
aura pour fucceffeur le Hafnadar Aga , ou Tréforier
de la caffette du Sultan.
DE FRAUSTADT , le 26 Mai.
Ce matin l'Ambaffadeur de Sa Hauteffe a eu
fon audience de congé du Roi ; il avoit eu fa
premiere audience le 22. Sa Majeſté a repris cet
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
après-midi le chemin de Drefde . Pendant fon fe
jour ici , elle a conféré le Palatinat de Volhinie
au Comte Potocki , & le Palatinat de Novogorod
au Prince Jablonowski . Le Comte Malachowski ,
Starofte d'Ofwieczim , a été pourvû de la charge
de Grand Ecuyer Tranchant de la Couronne , &
la place de Stolnitz de Lithuanie a été donnée aú
fecond fils du Comte de Poniatowski , Caftellan
de. Cracovie. Sa Majefté a fait choix du Comte de
Mnifzeck , Grand Chambellan de Lithuanie , pour
aller complimenter le Grand Seigneur ſur ſon avépement
au Trône.
DE
STOCKHOLM , le 30 Mai.
On a détaché douze cens hommes des Régimens
d'Uplande & de Sudermanie , pour travailler
anx fortifications en Finlande. Ils font partis depuis
quelques jours à bord de cinq galeres qui doi
vent les tranfporter à Helfingford."
-
Les Auteurs des deux ouvrages que l'Académie
royale des Belles lettres couronna l'année der
niere , ont enfin ceffé de cacher leurs noms. Le
heur Toneld , Auditeur de la Cour , a compofé la
differtation à laquelle le prix d'histoire a été adjugé.
La piece qui a remporté le prix de poësie
eft du fieur Ancherfen , Profeffeur d'Eloquence
& Bibliothécaire de l'Univerfité à Coppenhague.
Par des Lettres circulaires que le Roi vient de
faire expédier , la Diete générale du Royaume eft
convoquée pour le 13 du mois d'Octobre prochain.
Le renouvellement des traités entre la Suede
& la Porte fera l'un des principaux objets des
délibérations de cette affemblée . Le fieur Celfing,
frere du Miniftre qui réfide de la part de cette
Cour à Conftantinople , et chargé de porter la
JUILLET. 1755. 197
réponſe du Roi à la Lettre que le Sultan a écrite à
Sa Majesté.
DE COPPENHAGUE, le 1 Juin.
La femaine derniere le Roi fit près d'Elfeneur
la revue de fon Régiment d'Infanterie. Sa Majeſté
arriva ici le 24. Hier elle fe rendit avec le
Prince Royal au camp qu'elle a ordonné de former
près de cette ville ; & elle vit les troupes qui
s'y font raffemblées , faire diverſes manoeuvres
militaires.
Il a été réfolu dans une affemblée générale que
les actionnaires de la Compagnie Afiatique ont
tenue depuis peu d'augmenter de trois cens mille
écus de Banque le fond de cette Compagnie.
Un détachement de deux cens hommes doit
s'embarquer à bord des deux vaiffeaux qu'on arme
Four protéger la navigation des Danois dans la
Méditerranée. Le Roi eft retourné à Friedensbourg.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 31 Mai.
Hadgi Ali Effendi , Envoyé extraordinaire du
Grand Seigneur , rendit le 22 vifite aux fieurs
de Gundel & de Binder , Référendaires de la Cour.
Il alla le même jour à la Comédie Françoiſe. On
ne fçait pas encore quand il aura fes audiences
de congé. Ce Miniftre montre beaucoup d'empreffement
à voir tout ce qui peut être digne
de curiofité dans cette capitale & dans les envi
rons. Le Baron de Penckler eft attendu inceffamment
de retour de Conftantinople. Le Comte de
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Colloredo , qui réfide en qualité d'Envoyé extraordinaire
de leurs Majeftés Impériales auprès
du Roi de la Grande-Bretagne , eft venu ici pour
recevoir de nouvelles inftructions , avant de ſe
rendre à Hanovre.
On conftruit dans le jardin de Binder un vaſte
bâtiment , pour y placer diverfes manufactures.
Les principaux féditieux de Croatie font arrêtés
ou difperfés , & la tranquillité eft rétablie dans
Cette Province.
DE DRESDE , le 2 Juin.
Depuis le 27 du mois dernier , le Roi eft de
retour de Frauftadt. Sa Majeſté n'a employé que
dix-huit heures à revenir de cette ville . Le Comte
de Soltikow , qui va remplacer à Hambourg le
Knés Gallitzin en qualité d'Envoyé extraordinaire
de l'Impératrice de Ruffie auprès du Cercle de
la Baffe - Saxe , fut préfenté le 29 à leurs Majeftés
& à la Famille royale. Le Roi a permis au Comte
de Flemming , fon Miniftre à la Cour de Vienne
de fe rendre ici. On compte qu'avant de retourner
en Autriche , il ira complimenter de la part
du Roi Sa Majefté Britannique fur fon arrivée
dans fes Etats d'Allemagne . Sa Majefté a donné
au Prince Maximilien , fecond fils du Prince
Royal , le Régiment d'infanterie qui étoit vacant.
DE SCHWEDT , le 3 Juin.
>
'Avant-hier le Roi de Pruffe arriva du camp de
Stargard en cette ville , & la cérémonie des fiançailles
de la Princeffe , feconde fille du Margrave,
avec le Prince Ferdinand , frere de Sa Majeſté
Pruffienne , fe fit avec la plus grande pompe. Le
JUILLET . 1755 . 199
mariage de ce Prince & de cette Princeffe , fera
célébré dans le mois d'Août à Berlin.
DE BERLIN , le 7 Juin.
Le Roi revint ici le 2 de ce mois , & Sa Majefte
partit avant-hier pour Magdebourg. Elle doit y
faire la revue des troupes qui font campées près
de Pitzphul . De Magdebourg le Roi ſe rendra à
Cleves, & enfuite à Embden . Le Prince héréditaire
de Heffe - Darmstadt , & le Prince Ferdinand de
Brunſwic , accompagnent Sa Majeſté .
L'Académie royale des Sciences & Belles- lettres
tint avant-hier une féance publique à3 l'occafion
de l'anniverfaire de l'avénement du Roi au trône,
Le Prince Frederic - Henri- Charles , fecond fils
du Prince de Pruffe , honora cette affemblée de fa
préfence. Le fieur Formey , Secrétaire perpétuel
de la Compagnie, annonça que le prix de la claffe
de Philofophie fpéculative , pour cette année , avoit
été adjugé à la Piece , nº . 7 , ayant pour device :
Nihil mortalibus arduum eft. Il informa en même
tems l'affemblée que l'auteur de ce Mémoire
eft le fieur Adolphe - Frederic Reinhard , Secretaire
de Juftice du Duc de Mecklenbourg- Strelitz.
Après que le fieur de Maupertuis , Président de
P'Académie , eut lû l'éloge du feu Préfident de
Montefquieu ; le fieur Eller , Directeur , fit la defcription
d'un monftre Cyclope , né le premier Fé
vrier de cette année dans cette Capitale. L'Académie
propoſe pour le Sujet du prix , que la claſſe
de Philofophie expérimentale doit donner en 1757,
de déterminer , Si l'arfenic qui se trouve en grande
quantité dans les mines métalliques de divers genres
, eft le véritable principe des métaux , ou fi
c'est une fubftance qui en naît & qui en fort par
voie d'excrétion.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
1
DE HANOVRE , le 7 Juin.
formes Toutes les troupes commandées pour
un camp dans la plaine de Bult , s'y affemblent
aujourd'hui. On y conduifit hier un train d'artillerie
de trente pieces de canon.
Il eſt arrivé de Vienne le 28 du mois dernier
an courier avec des lettres de M. Keith , Miniftre
Plénipotentiaire de la Grande-Bretagne auprès de
leurs Majeftés Impériales. Le Comte de Holderneff
alla fur le champ rendre compte à Sa Majeſté
du contenu de ces dépêches. Cette Cour
eft convenue d'un Cartel avec celle de Mayence ,
pour l'extradition réciproque des déferteurs.
On attend ici dans quelques jours la Princeffe
épouse du Prince héréditaire de Heffe-Caffel , &
les trois Princes fes fils. Le Roi fait.trayailler à
trois épées d'or , qu'il deftine pour ces Princes.
Sa Majesté a ordonné de fortifier la ville de Staden.
On va bâtir ici un nouvel Hôtel des Monnoies. A
DE RATISBONNE, les Juin.
Sur le bruit qui s'eft répandu que les ſujets Proteftans
de l'Impératrice Reine , tranfplantés en
Hongrie & en Tranfilvanie , y éprouvoient de
mauvais traitemens , les Miniſtres de cette Princeffe
à la Diete , ont diftribué un Mémoire pour
détruire ces fauffes allégations.
DE CLEVES , le 4 Juin,
La Régence a reçu un refcrit par lequel le Roi
lui enjoint de laiffer à la Communauté de Ronsdorffle
libre exercice de la Religion Réformée.
JUILLET. 1755. 201
#
ESPAGNE.
DE LISBONNE , le 15 Mai.
Deux des vaiffeaux deſtinés à croifer fur les cotes
de ce Royaume , mirent à la voile il y a quel
ques jours. Ils ont pris fous leur convoi plufieurs
bâtimens Hollandois , qu'ils doivent escorter jufqu'au
cap de Finifterre.
DE MADRID , le 3 Juin.
On a célébré le 30 du mois dernier, avec beau
coup de magnificence , la Fête de Saint Ferdinand
dont le Roi porte le nom. Le foir , après
un divertiffement en mufique , leurs Majeftés fe
rendirent dans les jardins qui , par le goût nouveau
dans lequel ils étoient illuminés , offroient
un coup d'oeil des plus frappans. Un très -beau feu
d'artifice termina cette éclatante journée.
Le Roi a créé Grand d'Efpagne de la premiere
claffe le Marquis de. Sarria , Lieutenant- Général
de fes armées , & Colonel du Régiment des Gar
des Eſpagnoles.
ITALI E.
DE NAPLES , le 19 Mai.
L'Infante , troifiéme fille de leurs Majeſtés , eft
morte le 11 de ce mois au foir dans le château
de Portici . Cette Princeffe qui fe nommoit Marie-
Anne , étoit née le 3 de Juillet de l'année derniere.
Son corps fut apporté ici le 13 , pour être inhumé:
dans le tombeau de la Famille royale.
LV
202 MERCURE DE FRANCE.
Le Marquis Fogliani dont la fanté eft parfaitement
rétablie , fe difpofe à aller bientôt prendre
poffeffion de la Vice -royauté de Sicile. On
croit que Sa Majesté veut partager entre deux Miniftres
les départemens dont il étoit chargé , en
donnant au Marquis Tanucci celui des Affaires
étrangeres, & au Marquis Gregori ceux de la Guerre
& de la Marine ..
Une felouque a conduit à l'Ile de Nifita vingtdeux
Turcs faits efclaves fur une galiotte qu'elle
a coulée à fond près du canal de Piombino.
Les dernieres nouvelles de Sicile annoncent la
mort du Comte de Grimau , qui y exerçoit par
trim les fonctions de Viceroi .
DE ROME , le 7 Juin.
in-
Le 23 Mai , le Margrave de Bareith prit la route
Naples . La Margrave n'y fuivit ce Prince que
quelques jours après.
Sa Sainteté a accordé au Comte Paul de Canale
la furvivance de la charge de Gouverneur des armes
de l'Etat Eccléfiaftique , poffedée par le Bailli
Antinori.
L'Académie des Arcades vient d'aggréger à fon
corps le Duc Clement- François de Baviere. Elle a
mis auffi au nombre de fes membres l'Abbé de
la Baume , auteur du Poëme en Profe , qui a pour:
titre la Chriftiade , ou le Paradis reconquis.
DE FLORENCE , le 22 Mai.
Des détachemens ont été poftés en différen
endroits le long des côtes de ce Grand Duché ,
particulierement à l'embouchure de l'Arno , pour
soppofer aux defcentes que les Algériens pourroient
tenter. Selon les lettres de Liyourne ,
un
JUILLET . 1755. 203
Feloucon deftiné à protéger la pêche du corail , a
attaqué trois petits bâtimens corfaires de Tripoli.
Deux ont été coulés à fond , & le troifiéme a pris
la fuite . On mande de Viterbe qu'une nuit de la
ſemaine avant la derniere , on y a effuyé trois vio
lentes fecouffes de tremblement de terre . L'allarme
fut telle , que cette même nuit on fit une Proceffion
folemnelle , à laquelle tous les habitans
affifterent pour demander à Dieu d'être délivrés
de ce fléau.
DE LIVOURNE , les Juin.
Il paroît que la croifiere des vaiffeaux de guerre
de l'Empereur en a impofé aux barbarefques . Ces
corfaires , depuis quelque tems , ne s'approchent
plus des parages de ce Grand Duché.
Les lettres de Naples marquent qu'une polacre
d'Alger , qui troubloit la navigation entre la Sicile
& la Calabre , a été prife par le Capitaine
Peppe , commandant un des chabecs de Sa Majesté
Sicilienne. On a fait cinquante efclaves à bord
de ce bâtiment.
DE VENISE , le 18 Mai.
On a été informé par un navire arrivé du Levant
, que le Capitan Pacha croife actuellement
dans l'Archipel , & qu'il a reçu ordre du Grand
Seigneur , d'empêcher que les Algériens n'y trou
blaffent la navigation des vaiffeaux Hollandois.
Le même bâtiment a rapporté que Mehemet Kan,
chef des Aghuans , s'eft mis fur les rangs pour dif
puter la Couronne de Perfe . Ce nouveau compé
titeur eft à la tête d'une armée de cent mille hom
mes. Sa premiere expédition a été contre la ville
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
de Meched , dont la prife lui a frayé le chemin
plufieurs autres fuccès. Il marche vers la capitale
du Royaume , dans le deffein d'y affiéger Azad
Kan , fi ce rival , qui eſt le feul dont il ait à redouter
la concurrence , y demeure renfermé.
DE GENES , le 25 Mai.
Suivant les nouvelles d'Afrique , la Milice s'eft
de nouveau foulevée à Alger , & elle a exigé la
dépofition de quelques membres du Divan. Le.
Dey, craignant les fuites de cette fermentation , a
doublé la garde de fon palais. Les mêmes avis.
portent que tous les corfaires de Tunis , à l'excep¬
tion de deux , font rentrés dans leur port..
DE MILAN , le 27 Mai.
Après une longue féchereffe qui faifoit crain
'dre la perte totale de la récolte , eft enfin furvenue
une pluie abondante. Une maladie épidémique
fait beaucoup de ravages à Novare. Elle fe
manifefte par une fievre ardente , & elle emporte
en quatre ou cinq jours les perfonnes qu'elle at
taque.
GRANDE- BRETAGNE
DE LONDRES , le 12 Juin.
Tous les Officiers des vaiffeaux de guerre qui
font à Chatham & dans la riviere de Medway
ont ordre de fe rendre fur leurs bords . Il eft arrivé
à Portsmouth quatre vaiffeaux de la Compagnie
des Indes Orientales , par lefquels on a appris
qu'il y avoit cu un grand incendie à Canton , &
JUILLET. 1755. 205
que cet accident avoit caufé aux Anglois une perte
confidérable. On a reçu avis par quelques navires
revenus de Smirne , que l'Ile de Metelin avoit
beaucoup fouffert d'un tremblement de terre ; que
plus de deux mille fept cens maifons avoient été
renverfées, & que plufieurs Infulaires avoient péri
fous les ruines de leurs habitations . Le bruit fè répand
que les Saletins ont déclaré la guerre à la
Grande-Bretagne , & qu'ils ont enlevé deux bâtimens
Anglois.
1
Une fregate arrivée le 30 du mois dernier à
Cork en Irlande , a rapporté que le 18 elle avoit
rencontré l'efcadre de l'Amiral Boscawen. Deux
vaiffeaux de guerre partiront dans peu pour la
nouvelle Ecoffe. Le 6 , un bâtiment chargé de
munitions & de plufieurs foldats de recrues , fit
voile pour cette colonie. Les équipages des vaiffeaux
que les Commiffaires de l'Amirauté ons ordonné
d'armer à Spithead , font prefque complets.
On les exerce régulierement à la manoeuvre. Toutes
les nouvelles troupes de marine fe rendent
fucceffivement à Portsmouth & à Plymouth. Les
navires be Prince Edouard & le Grantham , appartenans
à la Compagnie des Indes Orientales ,
font entrés ces jours- ci dans la Tamile. Le premier
vient de Bombay ; le fecond de Bencolen.
La Compagnie attend plufieurs autres bâtimens.
On a appris par le vaiffeau l'Ilchefter, venant de la
Chine , que le 29 du mois d'Octobre dernier il y
avoit eu à Wampoa un grand incendie , dans lequel
quatre magafins , dont deux appartenoient
aux Anglois , & les deux autres aux Suédois , avoient
été réduits en cendres . Selon les nouvelles d'Amérique
, la colonie de Philadelphie ayant fourni
un fubfide de quinze mille livres ſterlings , on a
diftribué les deux tiers de cette fomme dans les au
206 MERCURE DE FRANCE.
tres colonies Angloifes, pour fubvenir à une partie
des dépenfes qu'exige la levée des troupes.
On parle de former un camp dans Hyde Parc.
Le bruit court qu'on en formera auffi un de quatre
mille huit cens hommes en Irlande.
Avant-hier , fur une lettre anonyme qu'on trouva
dans la rue du Marché au foin , & qui portoit
qu'il y avoit des armes & de la poudre cachées
dans la maifon de l'Opera , les Directeurs de ce
fpectacle furent conduits en prifon . Bientôt on a
reconnu que cette accufation étoit une calomnie
inventée par quelqu'un de leurs ennemis. Moyennant
l'acte que le Parlement , dans fa derniere
Seffion , a donné en faveur des débiteurs infolvables
, plus de douze cens perfonnes en cette ſeule
ville , recouvreront leur liberté. Le nombre de
celles qui , dans le refte de la Grande- Bretagne ,
profiteront de cet acte , monte au moins à cinq
mille.
PATS · BAS.
DE LA HAYE , le 13 Juin.
Le Chevalier de la Quadra , qui depuis la mort
du Marquis del Puerto jufqu'à l'arrivée du Marquis
de Grimaldi , a été chargé des affaires de Sa
Majefté Catholique auprès de leurs Hautes Puiffances
, partit le 31 pour Hanovre. Il y remplira
les fonctions de Miniftre de la Cour de Madrid
pendant le féjour du Roi de la Grande-Bretagne
dans fon Electorat.
Les vaiffeaux le Sloterdyk , l'Espérance , le Keukenhof,
le Cattendyk , le Bevalligheid , le Pilswaart
& le Rotterdam , appartenans à la Compagnie des
Indes Orientales , font arrivés au Texel, Ces bâJUILLET.
1755. 207
f
timens viennent de Batavia , de Bengale & de Ceylan.
Ils ont laiffé au Cap de Bonne- Efpérance le
vaiffeau le Rhoon , qui revient de la Chine . Le
premier de ce mois les vaiffeaux de guerre le Waterland
& le Maarfen firent voile du Texel pour
aller protéger la navigation des navires Hollandois
dans la Méditerranée.
"' M. de Kauderbach , Réſident du Roi de Pologne
Electeur de Saxe , remit le 9 un Mémoire
au fieur de Gefler , Préfident de l'Affemblée des
Etats Généraux. Le lendemain , le Colonel York,
Envoyé extraordinaire du Roi de la Grande Bretagne
, eut une conférence avec quelques Seigneurs
de la Régence.. M. Paravicini , ci -devant Conful
de la nation Hollandoiſe à Alger , eſt arrivé d'Afrique.
DE BRUXELLES , le 14 Juin.
Il y a ordre d'augmenter jufqu'à cent trentecinq
hommes chaque compagnie des Régimens
d'infanterie nationaux. Les deux derniers bataillons
du Régiment de Platz arriverent ici de Luxembourg
le 31 du mois dernier.
M. Molinari , Internonce du Pape en cette
Cour , a fait fçavoir à M. Van Haren , Député
des Etats Généraux des Provinces -Unies , que les
deux frégates Papales qui croifent fur les côtes de
P'Etat Eccléfiaftique , avoient ordre d'y garantir
les navires Hollandois des infultes des Algériens ,
Cette déclaration a été reçue par M. Van- Haren
avec les marques d'une fincère reconnoiffance.
Il a affuré M. Molinari qu'il en informeroit au
plutôt leurs Hautes Puiffances , dans la perfuafion .
qu'elles n'y feroient pas moins fenfibles.
208 MERCURE DE FRANCE.
D'ANVERS , le 4 Juin.
La tour de l'Eglife Paroiffiale de Saint-André
s'écroula fubitement le 30 du mois dernier à dix
heures & demie du foir. L'Eglife en a été confidérablement
endommagée , ainfi que plufieurs
maiſons voiſines. Heureufement , perfonne n'a été
tué ni bleffé. Quelques heures plutôt , cet accident
auroit coûté la vie à trois ou quatre mille
habitans qui affiftoient au Salat dans cette Eglife.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &6.
LE Roi fit le 6 juin , au Champ de Mars dans -le
parc de Marly , la revue des quatre Compagnies
des Gardes du Corps , de celles des Gendarmes &
des Chevaux- Legers de la Garde de Sa Majesté ,
des deux Compagnies des Moufquetaires , & de
celle des Grenadiers à Cheval . Sa Majefté paffa
dans les rangs , & les vit défiler . La Reine , Monfeigneur
le Dauphin , Madame la Dauphine , Monfeigneur
le Duc de Bourgogne , Madame & Mefdames
de France affifterent à cette revue. Madame
la Dauphine qui avance heureufement dans
fa groffeffe , ne s'eft point trouvée indifpofée de
cette promenade .
Nous joignons ici l'état de la revue du Roi ,
pour les deux Compagnies de fes Moufquetaires ,
tel qu'il nous a été envoyé.
JUILLET. 1755. 209
PREMIERE COMPAGNIE.
LE ROI, Capitaine
M. DE JUMILHAC , Capitaine -Lieutenant.
M. DE PERUSSY , premier Sous- Lieutenant.
M. DE CARVOISIN , fecond Sous-Lieutenant.
M. DE LA CHEZE , premier Enfeigne.
M. DE CUCÉ , fecond Enſeigne.
M. DE LA VAUPAILLERE , premier Cornette.
M. DE MONTILLET , fecond Cornette .
Maréchaux des Logis.
M. de Banne , premier Aide-major.
M. de Brunville.
M. de Chavigny.
M. de Bulftrode , fecond Aide- major.
M. du Rouret.
M. Huet.
M. de Nacquart.
M. de Beauclair.
M. de la Brulerie.
M. Dorvilliers.
M. La Foreft,
M. Roberic, Sous Aides- majors:
· Moufquetaires préfens
Surnuméraires , abfens ou malades
Total de la Compagnie
286
88
· • · 374
SECONDE COMPAGNIE.
LE ROI , Capitaine.
M. LE COMTE LE LA RIVIERE , Capitaine-Lieute
nant
210 MERCURE DE FRANCE.
M. DE MONTBOISSIER , premier Sous - Lieutenant.
M. DE CHABANNES , fecond Sous- Lieutenant .
M. DE BISSY , premier Enſeigne.
M. DE VILLEGAGNON , fecond Enfeigne.
M. DE LA GRANGE , premier Cornette.
M. LE CHEVALIER DE VATAN , fecond Cornette,
Maréchaux des Logis.
M. de Savoify.
M. de Pidoux , abfent malade.
M. de Kerravel .
M. de Ja Gohiere , abfent malade.
M. de Garriffon ; premier Aide- major.
M. de Montfort , abfent malade.
M. de Neufont.
M. de Vervan , abfent malade.
M. Dufou.
M. Ancelet , fecond Aide- major.
:
195
S
Moufquetaires en pied préfens ..
Moufquetaires en pied abfens malades ,
Moufquetaires furnuméraires préfens , 143
Total 343 1
On apprend par les lettres de Moulins, du 6 Juin ,
que la nuit du 2 au 3 le feu y a pris au château,
dans l'appartement occupé par le Marquis des
Gouttes , Capitaine des vaiffeaux du Roi. Les fecours
n'ont pû être auffi promts que l'exigeoit la
circonftance ; & le corps du château a été prefque
totalement réduit en cendres . On ne fçait pas
encore à quoi peut monter la perte caufée par cet
incendie. Il y a eu deux hommes tués , & plufieurs
bleffés , par l'écroulement des charpentes.
Le 6, au départ du courier , le feu étoit encore
JUILLET . 1755. 251
dans les bas
appartemens , mais il n'y avoit aucun
danger pour le refte du château. Si le vent qui
fouffloit avec violence dans le commencement
de
l'embrasement , eût continué , une partie de la
ville eût couru un très - grand rifque. M. de
Lherbouché , un des Aumôniers de la Gendarmerie
, dont l'Etat -Major eft en quartier à Moulins ,
a rendu en cette occafion des fervices importans.
Touché des cris de la Marquife des Gouttes , qui
demandoit qu'on fauvât fes enfans , il fe rendit
courageufement
avec un feul domestique
à leur
appartement qui étoit déja tout en feu ; & il les
retira du milieu des flammes. Il s'eft porté avec la
même intrépidité dans tous les lieux les plus périlleux
, ou fa préfence pouvoit être de quelque
utilité.
Le 7 , le Roi revint de Trianon où il étoit allé
le s .
Le Comte de Sartirane , Ambaſſadeur ordinaire
du Roi de Sardaigne , eut le 8 une audience particuliere
du Roi , à laquelle il fut conduit par le
Marquis de Verneuil , Introducteur des Ambaffadeurs.
La Marquife de la Ferté fut préſentée le même
jour à leurs Majeftés & à la Famille royale
par la Comteffe de Marfan , Gouvernante des Enfans
de France. Le même jour , la Marquife de
Lhopital préſenta la Marquife de Merinville.
Le Roi partit le 9 pour Crecy od Sa Majesté
demeura jufqu'au 14 ; elle y retourna le 16 , & en
revint le 21 .
Sa Majefté a accordé les honneurs de Grands-
Croix de l'Ordre royal & militaire de S. Louis
au Comte de la Riviere , Capitaine- Lieutenant de
la feconde Compagnie des Moufquetaires ; an
Baron de Zurlauben , Coloneldu Régiment des
212 MERCURE DE FRANCE.
Gardes-Suiffes ; & au Vicomte du Suzy , Major
des Gardes du Corps.
M. de Buffy , premier Commis des Affaires
étrangeres , a été nommé par le Roi , pour fe
rendre à Hanovre en qualité de Miniftre de Sa
Majefté auprès du Roi de la Grande-Bretagne.
M. L'Abbé , Comte de Bernis , Ambaſſadeur du
Roi auprès de la République de Veniſe , eſt arrivé
depuis quelques jours ; & il a eu l'honneur
de rendre fes refpects à Sa Majesté.
Dom Jean-François de Brezillac , Bénédictin
de la Congrégation de S. Maur , a préſenté au
Roi le fecond volume de l'hiftoire des Gaules &
des conquêtes des Gaulois.
L'Affemblée générale du Clergé a accordé par
une délibération unanime le fecours de feize millions
, demandé de la part du Roi par les Commiffaires
de Sa Majesté.
Sa Majefté a accordé au fieur de Senozan , fils
du Président de Senozan , & petit - fils de M. de
Lamoignon , Chancelier de France , l'agrément de
la charge d'Avocat général au Grand Confeil ,
qu'avoit M. Seguier, Avocat général au Parlement.
Monfeigneur le Dauphin vint le 16 de ce mois
fur les fix heures du foir , fe promener à cheval
dans le Cours .
Madame la Dauphine fut faignée le 21 par
précaution.
Le 24 , le Baron Wan Eyck , Envoyé extraor
dinaire de l'Electeur de Baviere , eut fa premiere
audience publique du Roi.
Le Marquis du Châtelet Lomont , Lieutenant
général des armées du Roi , a obtenu le Gouver
nement de Toul qui vaquoit par la mort du Comte
de Caſteja.
Sa Majefté a nommé Commandeur de l'Ordre
JUILLET. 1755. 213
royal & militaire de S. Louis le Marquis de Balin-
Court , Lieutenant général de ſes armées , & Lieutenant
des Gardes du Corps dans la Compagnie.
de Villeroi.
Le Roi a difpofé du Régiment d'Infanterie allemande
, vacant par la mort du Maréchal-Comte
de Lowendalh, en faveur du Comte de Lowendalhfon
fils , Capitaine dans le même Régiment.
En même-tems Sa Majesté a déclaré qu'elle
augmentoit de quatorze mille livres la penfion
de deux mille écus , dont jouiffoit déja la Marée
chale de Lowendalh .
+
La Brigade des Gardes du Corps , que le feu
Marquis de Varneville commandoit dans la Compagnie
de Villeroi , a été donnée au fieur de la
Ferriere , Maréchal de camp , Exempt dans cette
Compagnie , & Aide-major des Gardes du Corps.
M. de Cherifey fuccede à M. de la Ferrière
dans la place d'Aide- major.
Le marquis de Calvieres , Lieutenant - général
des armées du Roi , Commandeur de l'Ordre de S.
Louis , & Lieutenant des Gardes du Corps , ayant
demandé la permiffion de fe demettre de fa Brigade
; Sa Majefté en a difpofé en faveur du Chevalier
de Scepeaux , Mestre de camp de Cavalerie.
Le Roi a accordé au Marquis de Calvieres ,
outre la retraite ordinaire , l'expectative d'une
place de Grand-Croix dans l'Ordre de S. Louis.
Les vaiffeaux le Duc de Bourgogne & le Duc
d'Orléans , appartenans à la Compagnie des Indes
, font arrivés , l'un le 8 , l'autre le 21 , au port
de l'Orient. M. Dupleix , ci -devant Gouverneur
général des établiffemens de la Compagnie dans
Plade , eft de retour par le dernier de ces deux
vaiffeaux.
Le nommé Songeux , Maître Maçon , eft mort
214 MERCURE DE FRANCE.
à Fontainebleau , âgé de cent cinq ans.
Le 26 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix-fept cens foixante- dix-fept livres
dix fols ; les billets de la feconde lotterie royale ,
à fept cens cinquante-deux. Les billets de la pres
miere lotterie étoient à huit cinquante-deux.
BENEFICES DONNÉS.
E Roi a donné l'Abbaye de Sellieres , Ordre de
LCiteaux , Diocefede Troyes, à l'Abbé Mignot,
Confeiller-Clerc au Grand-Confeil ; l'Abbaye
Réguliere de Saint-Sulpice , Ordre de S. Benoît ,
Dioceſe de Rennes , à la Dame de la Bourdonnaye
, Religieufe de l'Ordre de Fontevrault ; le
Prieuré conventuel & électif de Boutteville , Or
dre de S. Auguſtin , Dioceſe de Saintes , à l'Abbé
de Barret , Vicaire général de l'Evêché de Bazas.
Sa Majefté a nommé à l'Evêché de Marſeille
vacant par le décès de M. de Belfance de Caf
telmoron , M. Jean-Baptifte de Belloy , Evêque
de Glandeve , à la charge de deux mille huit cens
livres de penfions :
SÇAVOIR ,
1000 livres à M. Olivier , Prêtre du Dioceſe de
Marſeille ;
1000 livres à M. Pierre de Châteauneuf de la
Saigne , Prêtre du Dioceſe de Mende;
800 livres à M. Ange-Joſeph Dalleman , Prêtre
du Dioceſe de Carpentras.
Le Roi a donné l'Abbaye de Saint Arnoul , Ordre
de S. Benoît , Diocefe & ville de Metz , vacante
par le décès de M. de Belfunce , à M. FranJUILLET.
1755 217
çois - Joachim de Pierre de Bernis , Soudiacre ,
Comte de Lyon , & Ambaffadeur du Roià Veniſe.
L'Abbaye de Chambons , Ordre de Cîteaux ,
Dioceſe de Viviers , vacante par le décès de M. de
Bellance , à M. René-Jofeph-Marie de Gouyon
de Vaurouault , à la charge de quatre mille deux
cens livres de penfions :
SCAVOIR ,
1200 livres à M. Sehier , Grand Vicaire de
Rouen ;
1200 livres à M. Laugier de Rouffet de Beaurecueil
, Grand Vicaire de Senez ;
1000 livres à M. Gaubert , Prêtre ;
800 livres à M. de Boifmilon Dorgeville , Pro
tre du Diocefe d'Évreux .
9
L'Abbaye de Maizieres , Ordre de Câteaux ,
Diocefe de Châlons-fur-Saone vacante par le
décès de M. Hennequin d'Ecquevilly , à M. de
Romilley, à la charge de 3400 livres de penſions.
SÇAVOIR,
1200 livres à M. d'Aguille , Grand Vicaire de
Condom ;
800 livres à M. Château de la Fayette;
800 livres à M. Cliquet de Fontenai , Prêtre
du Dioceſe de Paris ;
600 livres à M. Bonvallet des Broffes , Prêtre
du Diocefe de la Rochelle.
216 MERCURE DE FRANCE :
MARIAGES ET MORTS.
E 1 Février , François- Philibert de Bonvouft ;
>
Philibert de Bonvouft , Marquis de Prulay , Capitaine-
Lieutenant des Gendarmes Dauphins , &
de Dame Marie de la Grange , fut marié le premier
Février à Damoifelle Marie, Louife-Françoife
Durey de Noinville , fille de Meffire Jacques-
Bernard Durey de Noinville , Maître des Requê
tes , & Préfident honoraire au Grand- Conſeil™, &
de Dame Marie-Françoife- Pauline de Simiane.
La cérémonie fut faite dans la Chapelle de l'hôtel
de Pons , par l'Evêque de Gap.
Jean-Paul -François de Noailles, Comte d'Ayen;
Gouverneur & Capitaine des Chaffes de S. Germain-
en-Laye en furvivance , époufa le 4 Février
Damoifelle Henriette- Anne- Louiſe Dagueffeau ,
fille de Meffire Jean-Baptiste-Paulin Dagueffeau
de Frefnes , Confeiller d'Etat ordinaire , & de
feue Dame Anne- Louife-Françoife Dupré . La
Bénédiction nuptiale leur fut donnée par l'Archevêque
de Rouen , dans la Chapelle de l'hôtel de
Machault. Le Comte d'Ayen eft fils de Louis de
Noailles , Duc d'Ayen , Chevalier des Ordres du
Roi , Lieutenant général des Armées de Sa Majefté
, Capitaine de la Compagnie Ecoffoife des
Gardes du Corps , Gouverneur de la Province de
Rouillon , en furvivance , Gouverneur & Capitaine
des Chaffes de S. Germain-en- Laye , & de
Catherine - Françoife - Charlotte de Coffé de
Briffac .
Meffire Simon-Claude Graſſin , Maréchal des
Camps & Armées du Roi , Lieutenant pour Sa
Majesté
JUILLET: 1755 : 217
Majefté , & Commandant des Ville & Citadelle de
Saint-Tropez , fut marié le 6 Mars en fecondes
nôces , à Damoiselle Marguerite- Françoiſe- Genevieve
de Vion de Teffancourt de Maiſoncelle ,
fille de feu Meffire René de Vion , Seigneur de
Teffancourt - Maifoncelle , & de Dame Marie-
Marguerite de la Salle .
Meffire Jofeph- Augufte le Camus , fils de Meffire
Barthélemi le Camus , Gouverneur de Mevoillon
, & de Dame Jeanne de Cauſans , fut marié
le 18 à Damoiſelle Antoinette-Nicole le Camus
, fille de Meffire Nicolas le Camus , Commandeur
des Ordres du Roi , & ci-devant Premier
Préfident de la Cour des Aydes .
Le 8 Avril , Meffire Jean- Baptifte- Calixte de
Montmorin , Marquis de Saint - Herem , Colonel
d'un Régiment d'Infanterie de fon nom , fut
marié à Damoiſelle Amable-Emilie- Gabrielle le
Tellier de Souvré , fille de Meffire François- Louis
le Tellier , Comte de Rebenac , Marquis de Souvré
, Chevalier des Ordres du Roi , Lieutenant
général des Armées de Sa Majesté , & Lieutenant
général pour le Roi dans les Provinces de haute
& balle- Navarre & de Bearn , Maître de la Garderobe
de Sa Majefté , & de feue Dame Jeanne-
Françoife Dauver des Marefts. La Bénédiction
nuptiale leur fut donnée dans la Chapelle de la
Congrégation de S. Sulpice , par l'Evêque d'Agen.
Leur contrat de mariage avoit été figné le 6 par
Leurs Majeftés & par la Famille royale . Le Marquis
de Saint-Herem eft fils de Mellire Jean-
Baptifte-François , Marquis de Montmorin , Lieutenant
général des Armées du Roi , & Gouverneur
de Fontainebleau , & de Dame Conſtance-Lucie
de Valois de Villette.
La Maiſon de Montmorin qui tire fon nom
K
218 MERCURE DE FRANCE.
d'une terre en Auvergne , doit être comptée par
mi les premieres de cette Province & les plus anciennes
du Royaume . Elle n'eft pas moins illuftre
par fes alliances que par fon ancienneté. Calixte I ,
Seigneur de Montmorin , qui vivoit fous le regne
du Roi Lothaire , & qui eft mentionné dans une
charte du Prieuré de Saucillange , avec Hugues
fon fils , eft le 9e ayeul de Geoffroi , Seigneur de
Montmorin , qui vivoit en 1417 , & qui de fa
femme Dauphine de Thinieres , eut pour fecond
fils Jacques de Montmorin , Seigneur de Saint-
Herem , du chef de fa femme Jeanne Gouge , dite
de Charpaigne , mere de Gilbert de Montmorin
qui d'Alix de Chalancon eut Jean de Montmorin ,
Seigneur de Saint-Herem , allié en 1490 à Marie
de Chazeron. Leur fils François de Montmorin ,
Gouverneur de la haute & baffe- Auvergne , eut de
Jeanne de Joyeufe , Gafpard de Montmorin
Gouverneur d'Auvergne après fon pere , & Jean ,
qui époufa Gabrielle de Murol , Dame du Broc
de Gignac , & de Saint-Bonnet. Leur fils Gafpard
de Montmorin , Seigneur de Saint- Herem , fut
allié à Claude de Chazeron , mere de Gilbert-
Gafpard de Montmorin , décedé le 27 Février
1660 , laiffant de Catherine de Caftille , François-
Gafpard & Edouard de Montmorin , qui ont formé
les deux branches qui fubfiftent aujourd'hui.
François-Gafpard , l'aîné fut grand Louvetier de
France en 1655 , Gouverneur & Capitaine des
Chaffes de Fontainebleau. Son fils Charles-Louis
de Montmorin , qui eut la furvivance de cette
derniere Charge , eft ayeul par fa femme Marie-
Genevieve Rioult de Douilly , du Marquis de
Montmorin qui donne lieu à cet article.
Voyez l'Hiftoire des Grands Officiers de la
Couronne , t, 8. p. 813 , & les Tablettes hiftori
ques , t. 4. P. 419.
JUILLET. 1753. 219
Meffire Charles- Adrien , Comte de Ligny , Vicomte
de Damballe , Meftre de Camp de Cavalerie
, époufa le 17 Avril Demoifeile Elifabeth-
Jeanne de la Roche de Rambures , fille de Meffire
Louis-Antoine de la Roche , Marquis de Rambures
, Maréchal des Camps & Armées du Roi , &
de Dame Elifabeth-Marguerite de Saint - Georges
de Verac. La Bénédiction nuptiale leur fut donnée
par l'Evêque de Meaux , dans la Chapelle
particuliere de l'hôtel de Rothelin . Le Comte de
Ligny eft veuf de Dame Reine -Magdeleine de
Hunolfthein.
Marie-François- Henri de Francquetot , Marquis
de Coigny , Meftre de Camp général des
Dragons de France , & Gouverneur de Choify- le-
Roi , fils de feu Jean- Antoine- François de Francquetot
, Comte de Coigny & de Dame Théreſe-
Jofephe-Corentine de Nevet , & petit- fils du Maréchal
de France de ce nom , fut marié le 21 à
Dame Marie-Jeanne-Olimpe de Bonnevie , Dame
des Ville & Marquifat de Vervins , veuve de
Louis- Augufte , Vicomte de Chabot.
Voyez les Tablettes hiftoriques , 3 part. p. 60, ´ .
& 4 part. p. 310.
>
Atmand , Marquis de Bethune Meftre de
Camp général de la Cavalerie , veuf de Dame
Marie-Edmée de Boullongne, a épousé le 22 Avril
Damoiselle Louife- Thérefe Crozat de Thiers , fille
de Meffire Antoine -Louis Crozat de Thiers , Brigadier
des Armées du Roi & Lecteur du cabinet
de Sa Majefté , & de Marie- Louife Auguftine de
Laval-Montmorenci . L'Evêque de Blois leur donna
la Bénédiction nuptiale dans la Chapelle du château
de Brunoy.
Meffire Jean- Fréderic de la Tour- Dupin de
Gouvernet , Comte de Paulin , Marquis de la
Kij
220 MERCURE DE FRANCE .
Roche- Chalais , Colonel dans le Corps des Gre
nadiers de France , a été márié le 24 à Demoiſelle
Cecile- Marguerite - Séraphine Guignot de Monconfeil,
fille de Meffire Etienne Guignot , Marquis
de Monconfeil , Lieutenant général des Armées
du Roi & Inspecteur général de l'Infanterie , &
de Dame Cécile Thérele Rioult de Curfay. Leur
contrat de mariage avoit été figné le 22 par leurs
Majeftés & par la Famille royale.
Meffire François de Laftic , Comte de Laſtic ;
Capitaine de Cavalerie dans le Régiment de Saint-
Jal , fut marié le 30 à Demoiſelle Anne Charron
de Menars , fille de feu Meffire Michel-Jean-
Baptifte Charron , Marquis de Menars , Brigadier
d'Infanterie , Capitaine des Chaffes de la Capitai
nerie de Blois & Gouverneur du Château de ladite
Ville , & de Dame Anne de Caftres de la
Rivierre. La Bénédiction nuptiale leur fut donnée
dans l'Eglife de Saint Sulpice , par l'Evêque de
Comminges. Le Comte de Laftic eft fils de Meffire
François , Marquis de Laftic , Maréchal des Camps
& Armées du Roi , & Lieutenant des Gardes du
Corps , & de Dame. Magdeleine- Héleine Camus
de Pontcarré. 1
Le a Mars eft mort à Paris Louis de Rouvroi §
Duc de Saint-Simon , Pair de France , Grand d'Eſpagne
de la premiere claffe , Chevalier des Ordres
du Roi, Vidame de Chartres, Gouverneur des Ville,
Château & Citadelle de Blaye , ainſi que du Fort
de Medoc , Grand Bailli & Gouverneur de Senlis
& du Pont Saint-Maxence. Ce Seigneur étoit âgé
de 30 ans. Il avoit été du Confeil de Régence &
Ambaffadeur extraordinaire du Roi en Eſpagne.
Par cette mort fe trouve éteinte la Duché-
Pairie de Saint-Simon , & la derniere branche de
l'illuftre Maifon de Rouvroi- Saint-Simon , n
JUILLET. 1733 : 221
reftant de cette branche Ducale que Marie-Chrif
tine -Chrétienne de Saint-Simon , fille unique de
Jacques-Louis de Rouvroi S.S mon , Duc de Ruffec ,
mort en 1746 , & de Catherine- Charlotte Thérefe
de Gramont , fille d'Antoine , Duc de Gramont.
Elle eft petite-fille du Duc dont nous annonçons
la mort & a époulé le 10 Décembre 1749 ,
Charles Maurice Grimaldi , appellé Comte de
Valentinois.
Il y a encore trois autres branches de la Maifon
de Saint-Simon , aînées de la Ducale. La premiere
fubfifte dans la perfonne de Claude , Bailli de
Saint-Simon , qui a été Général des Galeres de
Malthe en 1735 & 1736 , & de Claude de Saint-
Simon , Evêque de Metz , fon frere. La feconde
a pour chef Louis- Gabriel de Saint-Simon , Marquis
de Montbleru , veuf depuis le mois de Décembre
1753 , de Catherine-Marguerite Pineau
de Lucé , de laquelle il a quatre garçons & quatre
filles. La troifieme branche fubfifte dans cinq
garçons & une fille , enfans de Louis François de
Saint-Simon , Marquis de Sandricourt , Lieute
nant général des Armées du Roi , mort en 1749 .
& de Marie-Louife -Gabrielle de Gourgues , morte
en 1753:
Marie- Thérefe-Emmanuelle Cafimire- Genevie.
ve de Béthune , épouſe de Louis- Augufte Fouquer
de Belle- Ifle , Duc de Gifors , Pair & Maréchal de
France , Prince du S. Empire Romain , Chevalier
des Ordres du Roi & de l'Ordre de la Toifon d'or,
Gouverneur des Ville & Citadelle de Metz & du
pays Meflin , Commandant en chef dans les trois
Evêchés , frontiere de Champagne & pays de Luxembourg
, & Lieutenant général des Duchés de
Lorraine & de Bar , oft morte le 3 dans la 46€
année de fon âge.
"
Kiij
222 MERCURF DE FRANCE.
Dame Françci'e - Marie - Elifabeth Couvay ,
époufe de Louis Balb - Bertons Marquis de Crillon
, Maréchal des Camps & Armées du Roi ,
mourut à Paris le 6 Mars âgée de 30.
Le Comte de Rohan , Chambellan , Grand
Ecuyer & Grand Veneur de l'Infant Duc de Parme
, eft mort à Parme le 77.Mars.
Diane- Henriette de Bafchi d'Aubaïs , épouse
de Jofeph de Montainard , Marquis de Montfrin ,
Comte de Souternon , eft morte le 18 au château
de Montfrin en Languedoc , dans fa 44° année.
Voyez Bafchi, 4. part. des Tablettes hiftoriques
, pag. 170 , 212 , 217 & 325. & Montainard ,
ibid. pag. 110 & 158 .
9
Meffire Matthieu-Henri Molé de Champlaftreux
fils de Meffire Matthieu-François Molé
fecond Préfident du Parlement , eft mort le 20 dans
La 7e année.
Catherine Charlotte - Thérefe de Gramont ,
venve de Jacques- Louis de Saint- Simon , Duc de
Ruffec , Pair de France, Vidame de Chartres, Chevalier
de la Toifon d'or , mourut en cette ville le 21
âgée de 48 ans. Elle avoit été mariée en premieres
nôces à Philippe- Alexandre , Prince de Bournonville
, mort en 1727. Elle étoit fille d'Antoine de
Gramont , Pair & Maréchal de France , Lieutenant
général de Navarre & de Bearn , Colonel du Régiment
des Gardes- Françoiſes , & de Marie- Chriftine
de Noailles.
Le fieur Jacques Molin , Médecin de la Faculté
de Montpellier , & l'un des Médecins confultans
da Roi , eft mort le 21 Mars âgé de 92 ans. Ses
lumieres , fon expérience & fes fuccès , l'ont fait
compter , avec juftice , au nombre des plus grands
Médecins de ce fiecle.
Meffire Nicolas -Alexandre de Ségur , Préfident
JUILLET. 1755. 223
honoraire du Parlement de Bordeaux , eft mort le
24 dans la cinquante-huitieme année de fon âge.
Meffire Pierre de Forges , Marquis de Châteaubrun
, eft mort le 28 en fon château de Château
vieux , âgé de 75 ans. Il laiffe deux fils & trois
filles de fon fecond mariage avec Dame Gabrielle
de la Marche , fille de Meffire François de la Marche
, Baron de Fins , & de feu Gabrielle de Montmorenci.
Augufte-Henri , Comte de Friefe , Maréchal
des Camps & Armées du Roi , Mestre de Camp
d'un Régiment de Cavalerie légere de fon nom ,
& Colonel - Lieutenant du Régiment de Madame
la Dauphine , mourut à Paris le 29 Mars âgé de 27 ans.
隔Meffire Guillaume Raffin d'Hauterive , Abbé
de l'Abbaye de Belleville , Ordre de Saint Auguftin
, Diocèfe de Lyon , eft mort le 31 dans la
78e année .
Le 2 Avril , Meffire Jofeph- Philibert d'Apchies ,
Comte de Vabres, des Deux Chiens & de la Baume,
Grand Sénéchal d'Arles , eft mort en cette ville
dans la 69 année de fon âge.
Dame Marie -Jofephe le Duc , veuve de Meffire
Jules , Marquis de Grave , eft morte le 6 Avril
âgée de 70 ans.
Dame Catherine -Félicité- Arnauld de Pompon
ne , veuve de Meffire Jean-Baptifte Colbert , Mar
quis de Torcy , Commandeur des Ordres du Roi ,
Miniftre & Secrétaire d'Etat , ayant le département
des Affaires étrangeres , & Surintendant des
Poſtes , mourut à Paris le 7 âgée de 77 ans.
Dame Marie-Magdeleine Camus de Pontcarré ,
veuve de Méffire Louis- Balthazard de Ricouart ,
Comte d'Herouville, mourut le 12 du même mois.
Meffire Jochim PEfpinette-le-Mairat , Seigneur
Kiiij
224 MERCURE DE FRANCE.
de Nogent , Préfident de la Chambre des Comp
ies , eft mort le 15 âgé de 74 ans.
Meffire Gabriel Tachereau de Baudry , Confeiller
d'Etat ordinaire & Intendant des Finances ,
mourut en cette ville le 22 âgé de 82 ans .
Meffire Jean-Baptifte de Francheville , Préfident
du Parlement de Bretagne , mourut le 29 âgé de
67 ans.
Meffire Jean Bart , Vice-Amiral , Grand- Croix
de l'Ordre royal & militaire de Saint Louis , eſt
mort à Dunkerque fur la fin d'Avril .
Le 4 Mai , Meffire Nicolas Malezieu , Major
de Carabiniers , fils de Meffire Pierre de Malezieu,
Commandeur de l'Ordre royal & militaire de
S. Louis & Lieutenant général des Armées du
Roi , & de Dame Marthe Stoppa , mourut à Paris
dans la 34 année de fon âge.
Don Manuel Gallevon , Comte de la Cerda
Commandeur de l'Ordre de Chrift , & Envoyé
extraordinaire du Roi de Portugal auprès de Sa
Majefté , mourut le 9 en cette ville âgé de ao
ans.
Meffire Charles -Louis de Biaudos , Comte de
Cafteja , Maréchal des Camps & Armées du Roi
Gouverneur de Toul & de Saint-Dizier , ci devant
'Ambaffadeur de Sa Majeſté en Suede , eft mort le
10 dans la 72 ° année de fon âge.
Dame Marie-Françoiſe - Victoire de Verthamon,
veuve de Meffire Louis de Perruffe , Comte
d'Efcars , Lieutenant général pour le Roi au Gouvernement
du haut & bas Limoufin , mourut le
12 au château d'Eſcars , dans la 72º année de fon
âge.
Jean-Marie de Bourbon , Duc de Châteauvi
Jain , fils de Louis-Jean- Marie de Bourbon , Duc
de Penthievre , & de feue Marie- Thétefe- Félicité
JUILLET. 1753. 223
'Eft , Princeffe de Modene , mourut le 19 à Paris,
âge de fix ans , fix mois & deux jours.
Mre Marc-René des Ruaux de Rouffiac , Abbé
de l'Abbaye de Notre-Dame de Sellieres , Ordre
de Citeaux , Diocèfe de Troyes & Vicaire Général
de l'Evêché de Sarlat , mourut à Versailles le
25 dans fa quarante- cinquième année.
Meffire Pierre-Emmanuel , Marquis de Roqué-
Jaure , eft mort dans le mois de Mai , dans fon
château en Auvergne , âgé de quatre - vingt - deux
ans.
Meffire Samuel de Meherenc , Comte de Varennes
, l'un des Lieutenans de Roi dans la Province
de Flandres , Lieutenant pour Sa Majesté &
Commandant au Gouvernement de Béthune , eſt
mort en Normandie dans fa foixante- dix- huitieme
année.
L'Eglife de France vient de perdre un Prélat digne
des premiers temps. Son nom manque à la
તે
lifte des Princes de l'Eglife , dont la pourpre eut
reçu un nouvel éclat , s'il en eut été décoré,
Henri-François -Xavier de Bel unce de Caftelmoron
, étoit né en Décembre 1671. Il entra dans
la Société des Jéfaites en Septembre 1691 , il en
fortit pour être grand-Vicaire de l'Evêque d'Agen ;
il fut nommé à l'évêché de Marfeille en 1709 , &
facré à Paris en1710pendant l'affemblée du Clergé
à laquelle il étoit député en qualité de fuffragant
de la province d'Arles, La pefte arrivée à Marfeille
en 1720 , & qui dura toute l'année 1721. fit éclater
fa charité , fon courage & fon zèle , & nous fit voir
un fecond Charles- Boromée. M. le Régent ne tarda
pas à récompenfer tant de vertus , en le nommant
le 16 Octobre 1723 à l'Evêché de Laon , feconde
pairie du royaume. Il en étoit d'autant plus
digne qu'il refufa ce nouvel honneur pour fe
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
conferver tout entier à fon troupeau pour lequel
'il avoit facrifié fes biens , & tant de fois expofé fa
vie. Il continua de vieillir dans les travaux apoftoliques
, parcourant fon diocèfe en fimple miffionnaire
, & verfant partout avec profuſion ſes inftructions
& fes aumônes. Clément XI . lui envoya
le pallium , & l'honora de plufieurs brefs : ce Pape
mourut au moment où il alloit le faire cardinal :
on ne doit pas omettre que ce Prélat a refufé depuis
l'archevêché de Bordeaux. Il eft mort le 4
Juin , au même jour où la ville de Marfeille renouvelle
tous les ans la confécration qu'il fit pendant
les horreurs de la pefte , de lui & de tout fon
peuple au facré coeur de Jefus. Les regrets de tous
les habitans de cette ville , & les honneurs rendus
à cet illuftre Prélat , éterniferont à jamais fa mémoire
& leur reconnoiffance .
Sa Maiſon eft trop connue pour entrer ici dans
un grand détail : originaire de Navarre , & portant
dans fes armes depuis un tems.immémorial
celles de Bearn , elle fe perd dans les tems les plus
reculés. La fuite non interrompue des ancêtres de
M. de Marſeille , remonte à un Guillaume de Bel
funce , Vicomte de Macaye qui tefta en 1209. Les
Seigneurs de Belfunce font en poffeffion du titre
de Vicomtes depuis le douzieme fiecle. Les chroniques
de Bayonne rapportent l'entrepriſe d'un
cadet de Belfunce qui combattit un monftre à trois.
têtes , & qui fut écrafé par ce monftre après l'avoir
tué. L'événement fabuleux ou véritable en eft
confervé par ce qui fe voit dans leurs armes : c'eſt
un dragon qu'ils ont ajouté à leur écu par la permiffion
du Roi de Navarre Charles III , dit le
Noble. Ils poffederent les premieres charges dans
la maifon des Rois de Navarre. Le titre de Ricombre
qui répond à celui de haut & puiſſant SeiJUILLET.
1755. 227
gneur , fut concédé à Guillaume-Arnaud de Bel-
Tunce par le Roi Charles II , dit le Mauvais , &
parmi les maifons de Navarre établies , en France
, on ne connoît que celles de Grammont de
Luxe & de Belfunce qui foient parvenues à cette
dignité. Les illuftres alliances que les feigneurs
de Belfunce ont contractées , foit par des filles,
données , foit par des filles reçues en mariage ,
répondent bien à la nobleffe de cette maifon. Elle
eft alliée aux maifons de Grammont , d'Efchau
d'Armindaris , d'Arambure , d'Urtubre de Luxe ,
de Montmorency - Luxembourg , Gontaud de
Saint -Geniès , de Foix , de Navailles , d'Elbeuf ,
Pompadour , Rothelin , de Leffe du Coudrai proche
parent de Georges Duc de Virtemberg , Caumont-
la-Force , Montalambert -Moubaux , Beaumont
des Junies , la Lane , Fumel de Monfegur
d'Albret , de Tallerant , de Montp fat , de Goth ,
maifon du Pape Clement V. de Bourdeille , Caf
telnau de Clermont - Lodeve , Pardaillant , de
Rye-Rouffy , de la Rochefoucault , Candale de
Foix , Gontaud-Biron , d'Aydie de Riberac , Théobon
, de Pons , Fumel , Beaupoil - Saint - Aulaire ,
Harcourt -Beuvron , de Chapt de Raftignac , Dur
fort de Duras , de Bearn de Braflac , &c.
"
Il ne refte de la branche de M. l'Evêque de
Marſeille que le Marquis de Belfunce de Caftelmoron
fon petit neveu , fils de feu Antonin Armand
, Comte de Belfunce , Grand Louvetier de
France , & d'Alexandrine- Charlotte Sublet d'Heudicourt
& petit-fils de Charles- Gabriel de Belfance
, Marquis de Caftelmoron , &c. Capitaine-
Lieutenant des Gendarmes Bourguignons , Lieuten
ant général des armées du Roi , Gouverneur &
Sé échal des provinces d'Agenois & Condommois ,
& de Cécile- Genevieve de Fontanicu. 3
Kvi
228 MERCURE DE FRANCE.
Le chef de la branche aînée de cette maifon , eft
'Armand , Vicomte de Belfunce , Colonel du régiment
de ce nom.
Louis-François- Alexandre Savary , Seigneur &
Marquis de Lancofme , Chevalier de l'Ordre
royal & Militaire de Saint Louis , ci - devant
capitaine de Grenadiers Grenadiers au Régiment de
Richelieu , eft décédé le 12 Juin 1755 , dans
fon Château de Lancofme en Touraine , âgé de
foixante ans , il étoit chef du nom & armes de
Savary, & avoit épousé par contrat de mariage du
9 Janvier 1725 , damoiſelle Marie- Anne de Vaillant
, fille de Meffire François de Vaillant , Chevalier,
Seigneur d'Avignon , & de Dame Margue
rite de la Bouchardiere , dont font iffus trois fils
fçavoir ,
*
Louis-Jean-Baptifte Savary , Seigneur & Marquis
de Lancofne , Capitaine dans le régiment de
Bourgogne , cavalerie, marié à Damoiſelle Louiſe-
Renée de Roncée.
Louis-Alexandre Savary-Lancofme , chevalier
'de Malthe.
Louis-François Savary-Lancofme , Prêtre , Bathelier
de la Faculté de Théologie de Paris , à la
fin de fa Licence.
Ily a une autre branche de la maifon de Savary,
connue depuis 200 ans fous le nom de Bréves , de
laquelle est aîné Paul- Louis-Jean - Baptifte-Camille
de Savary-Breves , appellé le Marquis de Jarzé ,
parce qu'il a hérité du Marquifat de Jarzé en Anjou
dans la fucceffion collatéralle de Marie- Urbain-
René du Pleffis , Marquis de Jarzé , décédé
fans enfans .
Voyez à l'article des Morts & mariages du fe-
Bond volume de Juin , il y eft parlé très au long des
deux branches de cette maison,
JUILLET . 1755. 229
ARRESTS NOTABLES.
Rrêt de la Chambre des Comptes , da 22 Février
1755 , qui ordonne que toutes les rentes
créées par le Roi fur les Aydes & Gabelles ;
fur les Tailles , fur les Poftes , ou fous telle autre
dénomination que ce foit , conferveront leur nature
d'immeubles .
Ordonnance du Roi , pour régler la diftribution
des Congés d'ancienneté , du premier Mai 1755 .
De par le Roi. Sa Majeſté voulant régler le nombre
des Cavaliers , Dragons & Soldats de fes troupes
, aufquels il devra être délivré des congés
d'ancienneté pendant l'hiver prochain , Elle a ordonné
& ordonne ce qui fuit :
ART. I. Il ſera délivré deux congés abfolus dans
chaque compagnie de fufiliers , de grenadiers &
d'ouvriers , & dans celles de cavalerie & de dragons
à cheval , & trois congés dans chaque compagnie
du régiment royal- artillerie , de mineurs'
& de dragons à pied , le tout autant qu'il fe trou
vera dans lefdites compagnies un pareil nombre
de cavaliers , dragons & foldats , dont les engagemens
feront expirés.
II. Ces congés feront délivrés le premier du
mois de Septembre prochain , dans les régimens
qui ne font point du nombre de ceux qui ont
reçu des ordres pour camper , & dans ces derniers
, à la féparation des camps où ils auront
fervi.
7
III. On renvoyera par préférence les cavaliers ,"
dragons & foldats de chaque compagnie , dont
230 MERCURE DE FRANCE.
les engagemens feront expirés les premiers ; &
s'il s'en trouve plufieurs dans une même compagnie
qui ayent fini le tems de leur fervice de la
même date , ils tireront au fort.
IV. Lorsqu'un cavalier , dragon ou foldat qui
devra avoir fon congé d'ancienneté , préférera de
renouveller fon engagement dans la même compagnie
, celui qui le fuivra ne pourra demander
d'être congédié à ſa place.
V. Celui qui étant redevable à ſon capitaine
de quelques avances , ne fera pas en état de le
rembourfer à l'échéance de fon congé , fera
obligé de continuer à fervir dans la même compagnie
, jufqu'à ce que s'étant acquitté , il puiffe
reprendre fon rang dans la diftribution des congés
; & cependant le congé qu'il auroit dû avoir
s'il n'eût pas été redevable , fera donné au plus
ancien de ceux qui feront en droit de l'obtenir
après lui.
VI. Le Capitaine payera de fon côté à ceux
qui feront congédiés , ce qu'il pourra leur devoir ;
& il aura l'option de leur laiffer leur habit , ou de
leur donner à chacun quinze livres , en les renvoyant
avec la vefte & le chapeau.
VII. Sa Majefté ayant fixé le prix des engagemens
à la fomme de trente livres , fon intention
eft qu'aucun cavalier , dragon ou foldat ne puiſſe
obtenir fon congé abfolu qu'après avoir reſtitué
àfon Capitaine ce qu'il auroit reçû d'engagement
au-delà de cette fomme , & il en fera ufé à l'égard
de ceux qui ne pourront y fatisfaire , comme il
eft porté à l'article V. Entend néanmoins Sa Majefté
que le Capitaine ne pourra rien répéter de
ce qu'il aura donné au- delà de trente livres , a
ceux qui auront fervi pendant trois années de
guerre de plus que leur premier engagement , o
(
JUILLET. 1755. 230
qui auront rempli confécutivement deux engagemens
de fix ans dans la même compagnie.
VIII. Ceux qui ont été admis aux places de
fergent , caporal , anfpeffade & grenadier dans
l'infanterie & les dragons à pied , & à celles de
brigadier dans la cavalerie & les dragons à cheval ,
ou qui le feront par la fuite , ferviront pendant trois.
années dans lefdites places au-delà du tems porté
par leurs engagemens précédens , lefquelles trois
années feront comptées pour ceux qui auront
paffé fucceffivement à plufieurs haute-payes , du
jour qu'ils auront reçû la derniere defdites hautepayes.
Si cependant dans le nombre de ceux qui
feront propres à remplir lesdites places , il s'en
trouve qui confentent de renouveller leur engagement
pour fix années , elles leur feront données
par préférence ; & les mêmes conditions s'oblerveront
à l'égard des foldats -apprentifs du régiment
Royal- artillerie , & des compagnies de mineurs &
d'ouvriers qui feront paffés ou pafferont à l'avenir
aux places de fergent & aux haute-payes de fappeurs
, bombardiers , canoniers , mineurs , ouvriers
, fous-maître ou maître- ouvriers .
IX. Quoique fuivant le réglement du 3 Janvier
1710 aucun fergent , brigadier , cavalier , dragon
ou foldat , ne puiffe être reçû à l'Hôtel royal
des Invalides , qu'il n'ait au moins vingt ans de
fervice actuel & confécutif , ou qu'il n'ait été
eftropié au fervice de Sa Majefté fon intention
eft cependant que ceux aufquels , après avoir renouvelle
deux fois des engagemens de fix ans
dans la même compagnie , il furviendra pendant
le cours de leur troifieme engagement , des infirmités
qui les mettent hors d'état de continuer
leur fervice , foient reçus audit Hôtel .
X. L'intention de Sa Majesté étant que les Ca
232 MERCURE DE FRANCE.
valiers , Dragons & Soldats fervent pendant cont
le temps pour lequel ils s'engagent , elle veut
qu'aucun d'eux ne puiffe prétendre fon congé abfolu
, qu'après avoir porté les armes & fait réellement
le fervice dans la compagnie pendant fix années
entieres ; & que ceux qui fe feront abſentés
par des congés limités , pour leurs affaires particulieres
, foient obligés de fervir à leur troupe un
temps égal à celui de leur abfence , par- delà le
terme de leur engagement. Quant à ceux qui fe
feront abfentés pour aller travailler à des recrues
ils feront réputés avoir fervi pendant tout le temps
de leur congés , où il fera fait mention pour cet
effet , des motifs pour lefquels ils auront été accordés
; & il fera tenu par le Major de chaque
´régiment , `un état exact de ces congés , duquel il
délivrera une copie au Commiffaire des guerres
qui en aura la police , pour y avoir recours en
cas de befoin.
XI . Tiendront de même lefdits Majors , un
état des engagemens limités de chaque compagnie
, dans lequel ils feront mention des fommes
qu'ils vérifieront avoir été données ou promifes
pour lefdits engagemens , afin que le Commiffaire
des guerres , auquel ils feront tenus de le communiquer
, puiffe en envoyer un extrait au mois
d'Octobre prochain , au Secrétaire d'Etat ayant
le département de la guerre , lequel extrait contiendra
le fignalement des cavaliers , dragons &
foldats qui auront été congédiés , & de ceux qui
en renouvellant leur engagement , ou en paffant
aux haute-payes , auront préféré la continuation
de leur fervice à leur congé abfolu , pour du tout
être rendu compte à Sa Majefté , laquelle veut
que la préfente Ordonnance foit exécutée , nonobftant
ce qui pourroit être contraire aux prét
JUILLET. 1755. 233
cédentes , aufquelles elle a dérogé & déroge pour
ce regard feulement.
Ordonnance du Roi fur l'exercice de l'Infanterie
, du 6 Mai 1755. A Paris , de
l'Imprimerie royale.
Voici les titres contenus dans cette Ordonnance
.
Des obligations des Officiers , & de la maniere
dont ils doivent porter les armes & en faluer.
De l'école du foldat ,
De la formation & affemblée des Bataillons ,
Du maniment des armes ,
De la marche ,
Des manoeuvres des armes
De la marche ,
>
Des manoeuvres par rang & par files ,
Des évolutions pour rompre & réformer les
Bataillons ,
De la colonne ,
De l'exercice du feu ,
Des batteries de tambours , & des fignaux relatifs
aux évolutions ,
Des revúes.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 4 Mai
1755 , qui proroge pour cinq années l'attribution
donnée aux Intendans pour connoître des contef
tations nées & à naître fur l'exécution des réglemens
des 27 Janvier 1739 & 18 Septembre 1741,
fur la fabrication du papier.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi, du 6 Mai 1755 ,
concernant les indemnités accordées aux Procugeurs
du Roi de différens fiéges , pour papier &
234 MERCURE DE FRANCE.
parchemin tymbrès , dont le fonds n'a pas été ordonné
par l'Arrêt du 7 Juin 1740 , & autres reddus
poftérieurement.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 20 Mai 1755 ,
portant réglement pour les droits & épices dûs
aux bureaux des finances par ceux qui ont à s'y
faire inftaller & recevoir , ou à y prêter ferment,
ainsi que pour les vérification & attache des provifions
d'offices , l'enregistrement des contrats
d'aliénation du Domaine de Sa Majefté , & autres
droits énoncés audit arrêt.
Ordonnance du Bureau des Finances de la Généralité
de Paris , du 6 Juin 1755 , qui ordonne
que les échoppes pofées au-devant & le long de
la grille qui ferme l'enceinte où eft fituée la figure
équeftre de Henri IV fur le Pont - neuf , feront
fupprimées , ainfi que celles fur & au bas des marches
des trottoirs : Fait défenfes d'en pofer à l'avenir
, & à toutes perfonnes de percevoir aucuns
droits pour la poſition deſdits échoppes.
A VIS
Illiard , Libraire , quai des Auguftins , à S.
Benote, donne avis qu'il a acquis , & qu'il
vend les livres fuivans."
Méditations fur des paffages choifis de l'écriture
fainte pour tous les jours de l'année ; par le
P. Segneri , traduit de l'Italien . Cinq volumes
in-12 , relié. 12 liv. 10 fols.
Réflexions fur le nouveau Teftament , avec des
notes par le P. Lallemand. 12 voh in-12. 30 liwa
JUILLET. 1755. 235
Les quatre fins de l'homme , avec des réflexions
capables de toucher les pécheurs les plus endurcis,
& de les ramener dans la voie du falut ; par M.
Rouault , Curé de Saint- Pair-fur-mer. I volume
relié , 1 liv. 16 f.
Les tables aftronòmiques dreffées par les ordres
& la magnificence de Louis XIV ; par M. de la
Hire. 1 vol . in-4°. figures , relié. 7 liv.
Supplément à la méthode pour étudier l'hiſtoire
; par M. l'Abbé Langlet du Frefnoy. 2 vol . in-
4° , grand papier , relié , 21 liv.
Le même livre en 3 vol. in- 12 , 9 liv.
AUTRE .
E Sieur Neilſon , Chirurgien écoffois , reçu à
Ls.
>
centes , traite ces maladies avec beaucoup de fuccès
, par le fecours de bandages élaſtiques qu'il a
inventés pour les hommes , femmes & enfans.
Ces bandages font fort approuvés , non feulement
à caufe qu'ils font très- legers & commodes à porter
jour & nuit , mais ils font auffi très - utiles
par rapport à leurs refforts qui compriment la
partie malade , ferment exactement l'ouverture
qui a permis la defcente , & réfiftent aux impulfions
que font les parties intérieures , ſoit à cheval
ou à pied. En envoyant la meſure priſe autour
du corps fur les aînes , marquant fur - tout l'état
de la defcente & le côté malade on eſt affuré de
les avoir juftes , auffi-bien que ceux qu'il fait pour
- le nombril.
Il donne fon avis , & felon l'âge & le tempérament
, il prépare des remedes qui lui font partiouliers
& convenables à ces maladies.
236 MERCURE DE FRANCE.
Voyant que les chaffeurs & ceux qui courent à
cheval ou en chaife , qui prêchent , chantent , danfent,
font des armes , &c. font continuellement
expofés à ces maladies ; il a auffi inventé des bandages
élastiques très -légers , commodes & néceffaires
à porter pendant ces exercices , ou d'autres
viclens , pour le garantir des maux , & prévenir
Jes incommodités qui arrivent tous les jours.
Sa demeure eft à Paris , fur le quai de la Mégifferie
ou de la Feraille , près le Pont-neuf, au Coq.
Nota. Il ne reçoit point de lettre fans que le
port en foit payé.
AUTR E.
Hallé de la Touche , expert Dentifte , reçu à
S. Côme , eft feul poffeffeur de trois remedes
pour les dents , un opiat , une effence &
un élixir.
'Opiat auquel il a donné le nom d'opiat turc ,
n'eft compofé que de fimples. Il n'a ni goût
ni odeur ; il a la vertu d'empêcher les dents
de fe gâter & de tomber ; il conferve Pémail
prévient la carie , empêche le tartre ou limon de
s'y attacher , préferve des gencives de tout accident
, de fluxions , d'abcès , de fiftule.
›
Cet opiat conferve les dents dans une parfaite
blancheur , dégonfle les gencives , les raffermit
au point qu'il n'eft pas néceffaire de recourir fouvent
aux inftrumens , qui ne fervent qu'à les détruire
on peut s'en fervir pour les enfans depuis
cinq à fix ans , par ce moyen on empêche la carie
A
"
JUILLET . 1755. 237
des dents de lait , qui bien fouvent par négligence
entraînent avec elles celles qui leur fuccedent.
L'effence s'appelle effence pruffienne , elle eft fpi
ritueufe, pénétrante, defficative , balfamique & anti-
fcorbutique ; elle a la vertu de guérir les affec
tions fcorbutiques , locales de la bouche qui s'atta
chent aux gencives , elle raffermit les dents dans
leur alvéole , quand même elle commenceroient à
s'ébranler par différentes maladies ; elle adoucit
l'àcreté des liqueurs qui arrofent la bouche & les
gencives ; elle détruit cette faumure qui ronge
les vaiffeaux capillaires des gencives , & occafion
ne quelquefois des ruptures de vaiffeaux & des hémorragies.
Ces parties fe relachant les fibres fe
defuniffent , le fang y abonde en trop grande
quantité , la férotfiey croupit ; delà ces ulceres,
ces fungofitées qui déchauffent & déracinent les
dents .
Enfin cette effence détruit tous les petits ulce
res ou aphtes qui fe multiplient dans la bouche ,
rafraîchit les lèvres , donne une odeur agréable
& détruit la puanteur , qui fouvent eft unefuite
de mauvais foin , ou des maladies ci-deſſus énoncées
que cette effence guérit.
L'Auteur s'étant appliqué férieufement & depuis
plusieurs années à la perfection de fon art ,
a découvert que ce qui étoit le plus pernicieux
aux dents & aux gencives , étoit de fe fervir fou
vent de feremens , & en conféquence il a imagi
né après fon expérience les remèdes qu'il propofe
au public.
Pour éviter le nettoyemeut , il fe fert d'un Elixir
qui a la propriété d'enlever le tartre , les taches
noires de deffus les dents , & les blanchit fur le
champ , fans leur faire aucun tort , ni aux autres
parties de la bouche , qu'il préferve & guérit de
toutes les maladies qui leur font ordinaires,
238 MERCURE DE FRANCE.
Il travaille à tout ce qui regarde l'ornement de
la bouche , rend les dents égales entr'elles , les
fépare , les redreffe , en met d'artificielles & de
naturelles , fans qu'elles expofent à la mauvaiſe
odeur ; les plombe , foit en or , argent ou plomb ;
il tire les dents , les racines caffées , fuflent- elles
couvertes par les gencives .
Il travaille gratis pour les pauvres , depuis deux
heures jufqu'à cinq : depuis & avant ces heures
il va en ville où il a l'honneur d'être appellé.
Son nom & fon cachet font fur fes boîtes &
bouteilles.
Les boîtes d'opiat font de trois livres ; les bouteilles
d'effence de trente fóls , trois livres , fix
livres , douze livres , & vingt- quatre ; & fon élixir
eft de trente fols , & de trois livres,
By
Ces remedes fe peuvent tranfporter dans les
pays étrangers , fans fe corrompre jamais.
Il donne la maniere facile de fe fervir des remedes
ci-deffus.
Sa demeure & fon enfeigne font , rue S. Honoré,
au Caffé des Beaux Arts , vis- à- vis P'Opéra , jau
coin de la rue Fromenteau , place du Palais royal.
Il n'y a que chez l'Auteur que lesdits remedes
fe difttribuent.
J'e
AP PROBATIO N.
' Ai 10 , par ordre de Monfeigneur le Chancelier
, le Mercure de Juillet , & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A
Paris , ce 30 Juin 1755 .
GUIROY.
239
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
Ers à M. l'Abbé de *** par Madame
de ***
page's
7
Le Philofophe militaire ,
Lettre à l'Auteur du Mercure , fur le projet d'un
nouveau Dictionnaire plus utile que tous les
autres ,
9
L'Ours & le Rat , ou l'Ours philofophe , fable , 21
Epitre à Eglé , par Mademoiſelle Loifeau ,
Il eut tort. Hiftoire vraisemblable ,
Eloge du menfonge à Damon ,
Portraits de cinq fameux Peintres d'Italie >
Dialogue par M. de Baftide ,
23
26
33
44
47
32
La naiffance de l'ennui , conte traduit de l'anglois
,
Lettre apologétique d'un Gentilhomme italien , à
M. l'Abbé Prevôt , 56
Mots de l'Enigme & du Logogryphe du fecond
volume du Mercure de Juin ,
Enigme & Logogryphe ,
Chanfon ,
68
69
79
ART. II . NOUVELLES LITTERAIRES.
Extraits , Précis ou Indications des Livres nouveaux
, 71
Suite d'une difcution fur la nature du goût , 90
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES,
Algébre. Réflexions fur la méthode employée par
M. G. pour réfoudre le problême qu'il a propofé
dans le Mercure du mois de Mai dernier.
Par M, Bezout , -109
113
240
Hiftoire naturelle. Lettre à l'Auteur du Mercure
au fujet de la Lettre de M. l'Abbé Jacquin fur
les pétrifications d'Albert ,
Médecine, Lettre de M. Dequen , fur un accident
arrivé dans le cuvage de M. le Comte de la
Queuille ,
Lettre à l'Auteur du Mercure fur la poffibilité de
connoître par l'ouverture des cadavres les
caufes des maladies ,
IIS
128
Chirurgie. Lettre écrite à M…….. au ſujet d'une fiſtule
confidérable , 131
Mécanique. Nouvelles machines pour curer les
ports de mer,
ART . IV. BEAUX ARTS .
Mufique. Recueil d'airs , &c.
142
143
Lettrre du P. Caftel à M. Rondet , au fujet du
clavecin des couleurs ,
Architecture. Mercure du mois de Juin de l'année
144
159
23555
Nouveau projet de décoration pour les théâtres ,
172
177
Horlogerie. Lettre du fieur Caron fils , à l'Auteur
4 du Mercure ,
Remarques de M. de Lalande , de l'Académie des
Sciences , fur un ouvrage d'Horlogerie, 183
ART. V. SPECTACLES.
Comédie Françoiſe ,
*
193
Comédie Italienne ,
194€
ARTICLE VI
Nouvelles étrangeres,
195
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
208
Bénéfices donnés , 214
Mariages & Morts ,
216
Arrêts notables , 228
Avis divers ,
234
LaChanson notée doit regarder la page 70.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
A OUST 1755.
Diverfité, c'est ma devife. La Fontaine .
Chez .
Cochin
Filius inv
Bi1o778Seulp
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais .
PISSOT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
Avec Approbation & Privilege du Roi,
୮
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
1
LUTION , Avocat , & Greffier - Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers .
C'eſt à lui qu'on prie d'adreſſer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. de Boiſſy ,
Auteur du Mercure.
Le prix eft de 36 fols , mais l'on ne payera
d'avance , en s'abonnant , que 21 livres pour
l'année , à raison de quatorze volumes . Les
volumes d'extraordinaire feront également de
30fols pour les Abonnés , & fe payeront avec
l'année qui les fuivra.
Les perfonnes de province auxquelles on
l'enverra par la pofte , payeront 31 livres
10 fols d'avance en s'abonnant , & elles le
recevrontfranc de port.
Celles qui auront des occafions pour lefaire
venir , ou qui prendront les frais du portfur
leur compte , ne payeront qu'à raison de 30
fols par volume, c'est à dire 21 livres d'avance
, en s'abonnant pour l'année , fans les
extraordinaires.
Les Libraires des provinces on des pays
A ij
étrangers, qui voudront faire venir le Mer
cure , écriront à l'adreffe ci- deffus.
On fupplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la poſte , en payant le droit , le prix
deleur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le payement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranehis ,
refteroni au rebut.
L'on trouvera toujours quelqu'un en état
de répondre chez le fieur Lutton ; & il obſervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque ſemaine , aprèsmidi.
On peut se procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainfi que les Livres
. Estampes & Mufique qu'ils annoncent.
MERCURE
DE FRANCE.
AOUST.
1755 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
PORTRAITS
DE CINQ FAMEUX PEINTRES
D'ITALIE.
Le Parmesan.
CEft fans doute des mains des graces
Que cet artiſte a reçu les pinceaux ,
A 11)
6 MERCURE DE FRANCE.
L'élégance , l'efprit , ſuivent par - tout ſes traces,
A cette riche empreinte on connoît ſes tableaux.
Le vent femble jouer avec fes draperies ,
La belle touche : Ah ! Dieux , quel contour immortel!
Peut-on trop admirer ces figures cheries? -
Tout y fent le Correge & le grand Raphaël .
Philippe Lauri.
Ce Peintre fait l'hiftoire avec goût & fineffe ,
Mais ce n'eft qu'en petit ; il dégénere en grand.
Ses fonds payfagés font frais , pleins de vagueffe ,
Leur fite eft embelli du fard qu'il y répand .
Quel aimable crayon ! que d'efprit il diftille !
A créer de l'efpace il fe montre fçavant ,
Si Lauri des Romains n'eft pas le plus habile ,
11 eft l'honneur du fecond fang.
Le Primatice.
>
Les charmes du pinceau remain
Furent chez les François tranfplantés par ce Maîtré.
L'on vit Fontainebleau décoré de fa main.
Le Roffo le craignit dès qu'il put le connoître.
Quelle gloire il parut au-deffus des bienfaits , !
Dont quatre de nos Rois à l'envi le comblerent.
On crut du Parmeſan revoir en lui les traits :
Du mauvais goût enfin fes talens triompherent.
}
AOUST. 17551 7
Polidore.
De vil manoeuvre il devint Peintre habile ,
En voyant les beautés qu'enfantoit Raphaël.
Que de correction ! que de goût dans fon ftyle !
La nature y confacre à l'antique un autel.
S'il peint de clair-obfcur des frifes ou des armes ;
L'oeil par le feul toucher peut être détrompé .
Son payfage auffi féduit par mille charmes ,
Le connoiffeur s'oublie en étant occupé.
Louis Garzi.
Dans ces grouppes d'enfans , quels ragoût de cou
leur.
Quel tendre dans leur chair ! oui , le fang y circule.
Cet ange me ravit par fa douce fplendeur ;
Mon oeil d'un jour divin croit voir le crépuscule .
Je reconnois Garzi , frais , correct , & fçavant ,
Traitant bien payſage , hiftoire , architecture.
L'âge fur fa vigueur lance un trait impuiſſant.
Frêt à payer tribut à la nature *
Un chef-d'oeuvre nouveau couronna fon talent.
* Il s'engagea à l'âge de quatre-vingt ans , par
ordre de Clement XI , à peindre la voûte de l'Eglife
desftigmates , qu'il termina beureufement. Rien n'y
fent la vieilleffe , & l'on regarde ce morceau comme
le triomphe de ce grand maître.
A inj
6 MERCURE DE FRANCE.
L'élégance , l'efprit , fuivent par -tout ſes traces.
A cette riche empreinte on connoît ſes tableaux.
Le vent femble jouer avec fes draperies ,
La belle touche : Ah ! Dieux , quel contour immortel!
Peut-on trop admirer ces figures cheries?
Tout y fent le Correge & le grand Raphaël.
Philippe Lauri.
Ce Peintre fait l'hiftoire avec goût & fineffe ,
Mais ce n'eft qu'en petit ; il dégénere en grand.
Ses fonds payfagés font frais , pleins de vagueffe ,
Leur fite eft embelli du fard qu'il y répand .
Quel aimable crayon ! que d'efprit il diftille !
A créer de l'efpace il fe montre fçavant ,
Si Lauri des Romains n'eft pas le plus habile ,
11 eft l'honneur du fecond fang.
Le Primatice.
Les charmes du pinceau remain
Furent chez les François tranfplantés par ce Maftre
.
L'on vit Fontainebleau décoré de fa main.
Le Roffo le craignit dès qu'il put le connoître.
Quelle gloire il parut au - deffus des bienfaits ,
Dont quatre
de nos Rois à l'envi le comblerent .
On crut du Parmeſan revoir en lui les traits :
Du mauvais goût enfin fes talens triompherent.
AOUST. 7 1755
Polidore.
De vil manoeuvre il devint Peintre habile ,
En voyant les beautés qu'enfantoit Raphaël .
Que de correction ! que de goût dans ſon ſtyle !
La nature Y confacre à l'antique un autel .
S'il peint de clair-obfcur des frifes ou des armes ;
L'oeil par le feul toucher peut être détrompé.
Son payſage auffi féduit par mille charmes ,
Le connoiffeur s'oublie en étant occupé.
Louis Garzi.
Dans ces grouppes d'enfans , quels ragoût de cou
leur.
Quel tendre dans leur chair ! oui , le fang y circule.
Cet ange me ravit par fa douce fplendeur ;
Mon oeil d'un jour divin croit voir le crépuscule .
Je reconnois Garzi , frais , correct , & fçavant ,
Traitant bien payſage , hiftoire , architecture.
L'age fur fa vigueur lance un trait impuiſſant.
Frêt à payer tribut à la nature *
Un chef- d'oeuvre nouveau couronna fon talent.
* Il s'engagea à l'âge de quatre-vingt ans , par
ordre de Clement XI , à peindre la voûte de l'Eglife
desftigmates , qu'il termina heureusement . Rien n'y
fent la vieilleffe , & l'on regarde ce morceau comme
le triomphe de ce grand maître.
A inj
8 MERCURE DE FRANCE.
ROSAL I E.
Hiftoire véritable , par M.Y....
L'celle d'être odieux quand il n'a point
E vice n'eft jamais eftimable , mais il
:
étouffé les qualités de l'ame. Une foiblefle
de coeur prend auffi fouvent fon origine
dans une certaine facilité d'humeur que
dans l'attrait du plaifir. Un amant fe préfente
, ou il eft enjoué , ou il eft homie à
fentiment. Le premier eft le moins dangereux
, il ne féduit jamais qu'une étourdie ,
& il ne triomphe que dans une faillie téméraire
Le fecond , plus refpectueux en
apparence , va à fon but par la délicateſſe
vante fa conftance, déclame contre les perfides,
& finit par l'être. Que devient une jeune
perfonne qui dans l'ivreffe de la gaieté
s'eft laiffée furprendre , ou qui eft tonbée
dans le piége d'une paffion décorée extérieurement
par le fentiment ? ce que font prefque
toutes celles qui ont débuté par une
fragilité ; elles fe familiarifent avec le vice ,
elles s'y précipitent ; l'amour du luxe & de
l'oifeveté les y entretient ; elles ont des
modeles , elles veulent y atteindre ; incapables
d'un attachement fincere elles en
AOUS T 1755. 9.
affectent l'expreffion , elles ont été la dupe
d'un homme , & elles fe vengent fur
toute l'efpece. Heureufes celles dont le
le coeur n'eft point affez dépravé pour fe
refufer aux inftances de la vertu qui cherche
à y rentrer .
Telle étoit Rofalie , elle étoit galante
avec une forte de décence . Ses moeurs
étoient déréglées , mais elle fçavoit louer
& admirer la vertu . Ses yeux pleins de
douceur & de vérité annonçoient fa franchife.
On entrevoyoit bien dans fa démarche
, dans fes manieres le manege de
la coquetterie , mais fon langage étoit modefte
, & elle ne s'abandonna jamais à ces
intempérances de langue , qui caractériſent
fi baffement fes femblables. Fidele à fes
engagemens , elle les envifagea toujours
comme des liens qu'elle ne pouvoit rompre
fans ingratitude , & les conventions
faites , l'offre la plus éblouiffante n'auroit
pû la déterminer à une perfidie.
Elle ne fut jamais parjure la premiere.
Son coeur plus fenfible à la reconnoiffance
qu'à l'amour , étoit incapable de fe laiffer
féduire à l'appas de l'intérêt & aux charmes
de l'inconftance . Solitaire , laborieuſe ,
fobre , elle eût fait les délices d'un mari ,
fi une premiere foibleffe ne l'eût en quelque
façon fixée à un état dont elle ne
A v
To MERCURE DE FRANCE.
pouvoit parler fans rougir. Affable , compatiffante
, généreufe , elle ne voyoit ja→
mais un malheureux fans lui tendre une
main fecourable ; & quand on parloit de
fes bienfaits , on difoit que le vice étoit
devenu tributaire de la vertu . Des lectures
fenfées avoient ranimé dans fon coeur les .
germes d'un beau naturel . Elle y fentoit
renaître le defir d'une conduite raifonnable
, elle vouloit fe dégager , & elle méditoit
même depuis long-tems une retraite
qui la fauvât de la honte d'avoir mal vécu ,
& du ridicule de mieux vivre , mais elle
avoit été arrêtée par un obftacle , elle avoit
voulu fe faire une fortune qui put la mettre
à l'abri des tentations qu'elle infpiroit , &
des offres des féducteurs : enfin elle vouloit
être vertueufe à fon aife ; elle ambitionnoit
deux cens mille francs , & par
dégrés elle étoit parvenue à les avoir. Contente
de ce que la fortune & l'amour lui
avoient procuré , elle avoit congédié fon
dernier amant , elle fe préparoit à fuir loin
de Paris les occafions d'une rechûte.
Ce fut alors qu'un jeune Gentilhomme
nommé Terlieu , vint loger dans une petite
chambre qui étoit de plain pied à l'appartement
qu'elle occupoit. Il fortoit tous
les jours à fept heures du matin , il rentroit
à midi pour fe renfermer , & il borA
O UST. 1955. 11
noit à une révérence muette fon cérémonial
avec fa voifine. La fingularité de la
vie de ce jeune homme irrita la curiofité
de Rofalie. Un jour qu'il venoit de rentrer
, elle s'approche de la porte de fa
chambre , prête l'oreille , porte un regard
fur le trou de la ferrure , & voit l'infortuné
Terlieu qui dînoit avec du pain
fec , chaque morceau étoit accompagné
d'un gémiffement , & fes larmes en fai
foient l'affaifonnement. Quel fpectacle
pour une ame fenfible ! celle de Rofalie
en fut pénétrée de douleur . Dans ce mo
ment une autre avec les vûes les plus pures ,
eût été peut-être indiferette , elle fe für
écriée , & généreufement inhumaine elle
eût décelé la mifere de Terlieu ; mais Rofalie
qui fçavoit combien il eft douloureux
d'être furpris dans les befoins de l'indigen
ce, rentra promptement chez elle pour y attendre
l'occafion d'être fecourable avec le
refpect qu'on doit aux infortunés. Elle épia
le lendemain l'inftant où Terlieu étoit dans
l'habitude de fe retirer , & pour que fon
deffein parut être amené par le hazard
elle fit tranfporter fon métier de tapifferie
dans fon anti- chambre , dont elle eur
foin de tenir la porte ouverte.
Terlieu accablé de fatigue & de trifteffe
parur à fon heure ordinaire , fit fa révé-
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
rence , & alloit fe jetter dans l'obfcurité
de fa petite chambre , lorfque Rofalie ,
avec ce ton de voix aifé & poli , qui eſt
naturel au beau fexe , lui dit : En vérité ,
Monfieur , j'ai en vous un étrange voifin ;
j'avois penfé qu'une femme , quelle qu'elle
fût, pouvoit mériter quelque chofe par-delà
une révérence. Ou vous êtes bien farouche
, ou je vous parois bien méprifable . Si
vous me connoiffez , j'ai tort de me, plaindre
, & votre dedain m'annonce un homme
de la vertu la plus fcrupuleuſe , & dèslors
j'en réclame les confeils & les fecours.
Seroit-ce auffi que cette févérité que je lis
fur votre front prendroit fa caufe de quelque
chagrin qui vous accable ? Souffrez
que je m'y intereffe. Entrez , Monfieur , je
Vous fupplie : que fçavons- nous fi le fort
ne nous raffemble point pour nous être
mutuellement utiles ? je fuis feule , mon
dîner eft prêt , faites moi , je vous conjure
, l'honneur de le partager avec moi :
j'ai quelquefois un peu de gaieté dans
l'efprit , je pourrai peut-être vous diffiper.
Mademoiſelle , répondit Terlieu , vous
méritez fans doute d'être connue , & l'accueil
dont vous m'honorez ,, annonce en
vous un beau caractere. Qui que vous
foyez , il m'eft bien doux de trouver quel
1
1
A O UST . 1755. 13
qu'un qui ait la générofité de s'appercevoir
que je fuis malheureux . Depuis quinze
jours que je fuis à Paris , je ne ceffe
d'importuner tous ceux fur la fenfibilité
defquels j'ai des droits , & vous êtes la
premiere perfonne qui m'ait favorisé de
quelques paroles de bienveillance . N'imputez
point de grace , Mademoiſelle , ni
à orgueil ni à mépris ma négligence à votre
égard : fi vous avez connu l'infortune ,
vous devez fçavoir qu'elle eft timide . On
fe préfente de mauvaife grace , quand le
coeur eft dans la peine. L'affliction appéfantit
l'efprit , elle défigure les traits , elle
dégrade le maintien , & elle verſe une
efpece de ridicule fur tout l'extérieur de
la perfonne qui fouffre . Vous êtes aimable
, vous êtes fpirituelle , vous me paroiffez
dans l'abondance ; me convenoit- il
de venir empoifonner les douceurs de votre
vie ? Si vous êtes généreufe , comme
j'ai lieu de le croire , vous auriez pris part
à mes maux je vous aurois attriftée .
Monfieur , répliqua Rofalie , je ne fuis
point affez vaine pour me flater du bonheur
de vous rendre fervice , mais je puis
me vanter que je ferois bien glorieufe fi
je pouvois contribuer à vous confoler , à
vous encourager. J'ai de grands défauts ,
mes moeurs ne font rien moins que régu14
MERCURE DE FRANCE.
lieres , mais mon coeur eft fenfible au fort
des malheureux ; il ne me refte que cette
vertu ; elle feule me foutient , me ranime ,
& me fait efperer le retour de celles que
j'ai négligées. Daignez , Monfieur , par
un peu de confiance , favorifer ce préfage.
Que rifquez- vous ? vos aveux ne feront
fûrement pas auffi humilians que les miens,
& cependant je vous ai donné l'exemple
d'une fincérité peu commune. Je ne puis
croire que ce foit votre mauvaiſe fortune
qui vous afflige. Avec de l'efprit , de la
jeuneffe , un extérieur auffi noble , on
manque rarement de reffources . Vous foupirez
? c'est donc l'honneur , c'est donc la
crainte d'y manquer , ou de le perdre qui
caufe la confternation où je vous vois.
Oui , cette peine eft la feule qui puiffe
ébranler celui qui en fait profeflion.
Voilà , s'écria Terlieu avec une forte
d'emportement , voilà l'unique motif de
mon défeſpoir , voilà ce qui déchire
mon coeur , voilà ce qui me rend la vic
infupportable . Vous defirez fçavoir mon
fecret , je ne réfifte point à la douceur
de vous le confier ; apprenez donc que
je n'ai rien , apprenez que je ne puis
fubfifter qu'en immolant aux befoins de
la vie cethonneur qui m'eft fi cher. Je fuis
Gentilhomme , j'ai fervi , je viens d'être
réformé je follicite , j'importune .... &
A O UST. 1755. 15
qui ! des gens qui portent mon nom , des
gens qui font dans l'abondance , dans les
honneurs , dans les dignités . Qu'en ai - je
obtenu ? des refus , des défaites , des dédains
, des hauteurs , le croirez - vous , Mademoiſelle
, le plus humain d'entr'eux ,
fans refpect pour lui- même , vient d'avoir
l'infolence de me propofer un emploi dans
les plus baffes fonctions de la Finance ! le
malheureux fembloit s'applaudir de l'indigne
faveur qu'il avoir obtenue pour moi .
Je l'avouerai , je n'ai pû être maître de
mon reffentiment. Confus , outré , j'ai déchiré
& jetté au vifage de mon lache bienfaiteur
le brevet humiliant qu'il a ofé me
préſenter. Heureux au moins d'avoir appris
à connoître les hommes , plus heureux
encore fi je puis parvenir à fuir , à
oublier , à détefter des parens qui veulent
que je deshonore le nom qu'ils portent. Je
fçais bien que ce n'eft point là le ton de
l'indigence ; que plus humble , plus modefte
, elle doit fe plier aux circonftances ;
que la nobleffe eft un malheur de plus
quand on eft pauvre , qu'enfin la fierté
eft déplacée quand les reffources de la vie
manquent. J'ai peut- être eu tort de rejetter
celles qui m'ont été offertes . J'avouerai
même que mon orgueil eut fléchi fi j'euffe
pû envifager dans l'exercice d'un pofté de
16 MERCURE DE FRANCE.
quoi fubfifter un peu honnêtement ; mais
s'avilir pour tourmenter laborieufement
les autres ; ah ! Mademoiſelle , c'eſt à quoi
je n'ai pû me réfoudre .
Monfieur , reprit Rofalie , je ne fçais fi
je dois applaudir à cette délicateffe , mais
je fens que je ne puis vous blâmer. Votre
fituation ne peut être plus fâcheufe .
Voici quelqu'un qui monte , remettezvous
, je vous prie , & tachez de vous
rendre aux graces de votre naturel ; il n'eft
pas convenable qu'on life dans vos yeux
l'abattement de votre coeur : fouffrez que
je me réſerve ſeule le trifte plaifir de vous
entendre , & de vous confoler . Ah ! c'eſt
Orphife , continua Rofalie fur le ton de la
gaieté , approche mon amie & félicitemoi
.... & de quoi , répliqua Orphife en
l'interrompant , eft- ce fur le parti fingulier
que tu prens d'abandonner Paris à la fleur
de ton âge , & d'aller te confiner en prude
prématurée dans la noble chaumiere dont
tu médites l'acquifition ? mais vraiment
tu vas embraffer un genre de vie fort attrayant.
Fort bien , répondit Rofalie , raille
, diverti- toi mais tes plaifanteries ne
me détourneront point du deffein que j'ai
pris. Je venois cependant te prier d'un
fouper.... Je ne foupe plus que chez moi ,
répliqua Rofalie. Mais toi - même tu me
?
}
AOUS T. 1755. 17
paroiffois déterminée à fuivre mon exemple.
C'étoit , répodit Orphiſe dans un accès
d'humeur , j'extravaguois. Une nouvelle
conquête m'a ramenée au fens commun.
Tant pis .... Ah ! point de morale.
Dînons. On fervit.
Pendant qu'elles furent à table , Orphiſe
parla feule , badina Rofalie , prit Terlicu
pour un fot , en conféquence le perfifa.
Pour lui il mangea peu : éroit- ce faute
d'appétit non , peut être ; mais il n'ofa
en avoir. Le caffé pris , Orphife fit fes
adieux , & fe recommanda ironiquement
aux prieres de la belle pénitente .
Rofalie débarraffée d'une visite auffi
choquante qu'importune , fit paffer Terlieu
dans fon fallon de compagnie. Après
un filence de quelques inftans , pendant
lequel Terlieu , les yeux baiffés , lui ménageoit
le plaifir de pouvoir le fixer avec
cette noble compaffion dont fe laiffent
toucher les belles ames à l'afpect des infor
tunés ; elle prit la parole , & lui dit ,
Monfieur , que je vous ai d'obligation ! la
confiance dont vous m'avez honorée , eft
de tous les événemens de ma vie celui qui
m'a le plus flatée , & l'impreffion qu'elle
fait fur mon coeur me caufe une joie ....
Pardonnez -moi ce mot, celle que je reffens
ne doit point vous affliger , elle ne peut
18 MERCURE DE FRANCE.
vous être injurieufe , je ne la tiens que
du bonheur de partager vos peines. Oui ,
Monfieur , ma fenfibilité pour votre fituation
me perfuade que j'étois née pour
la vertu ; mais que dis-je ? A quoi vous
peut être bon fon retour chez moi , fi
vous ne me croyez digne de vous en donner
des preuves. Vous rougiffez : hélas ,
je vois bien que je ne mérite point cette
gloire , foyez , je vous prie , plus génćreux
, ou du moins faites- moi la grace de
penfer qu'en me refufant vous m'humiliez
d'une façon bien cruelle.
• Vous êtes maîtreffe de mon fecret , répondit
Terlieu , ne me mettez point dans
Je cas de me repentir de vous l'avoir confié
: je ne m'en défends point , j'ai trouvé
quelques charmes à vous le révéler ; j'avouerai
même que mon coeur avoit un befoin
extrême de cette confolation : il me
femble que je refpire avec plus de facilité .
Je vous dois donc , Mademoiſelle , ce
commencement de foulagement ; c'est beaucoup
de fouffrir moins , quand on a beaucoup
fouffert. Permettez que je borne à
cette obligation toutes celles que je pourrois
efperer de votre générofité. Ne mefufez
point , je vous prie de la connoiffance
que vous avez de mon fort ; il ne
peut être plus cruel , mais je fçaurai le
-
AOUST. 1755. 19
fupporter fans en être accablé . C'en eft fair,
je reprens courage ; j'ai trouvé quelqu'un
qui me plaint. Au refte , Mademoiſelle ,
je manquerois à la reconnoiffance fi je
renonçois entierement à vos bontés ; &
puifque vous me permettez de vous voir ,
je viendrai vous inftruire tous les jours de
ce que mes démarches & mes follicitations
auront opéré je recevrai vos confeils
avec docilité , mais auflì c'est tout ce
qu'il vous fera permis de m'offrir , autrement
je cefferois .... N'achevez pas , répliqua
Rofalie en l'interrompant , je n'aime
point les menaces. Dites - moi , Monfieur
, eft-ce que l'infortune rend les hommes
intraitables ? eft - ce qu'elle répand
fur les moeurs , fur les manieres , une inquiétude
fauvage : eft- ce qu'elle prête au
langage de la féchereffe , de la dureté ?
s'il eft ainfi , elle eft bien à redouter. N'eftpas
vrai que vous n'étiez point tel dans
la prospérité ? vous n'euffiez point alors
rejetté une offre de fervice .
il
J'en conviens , répondit Terlieu , j'euſſeaccepté
parce que je pouvois efperer de rendre
, mais à préfent je ne le puis en confcience.
Quant à cette dureté que vous
me reprochez , j'avouerai que je la crois
honorable , néceſſaire même à celui qui eft
dans la peine. Elle annonce de la fermeté ,
20 MERCURE DE FRANCE.
elle repouffe l'orgueil de ceux qui font
dans l'opulence , elle fait refpecter le miférable.
L'humilité du maintien , la modeftie
, la timidité du langage donneroient
trop d'avantage à ceux qui ne font que
riches ; car enfin celui qui rampe , court
les rifques d'être écrasé.
Et vous êtes , reprit Rofalie , dans l'appréhenfion
que je ne me prévale des aveux
que vous m'avez fait : oui , dans mon dépit
vous me faites imaginer des fouhaits
extravagants je l'efpere au moins , votre
mauvaife fortune me vengera , vos parens
font de monftres ... que je ferois contente
s'ils vous rebutoient au point que vous
fuffiez forcé d'avoir recours à cette Rofalie
que vous dédaignez , puifque vous ne
la croyez point capable de vous obliger
dans le fecret de fa confcience.
Sur le point de quitter Paris je voulois
en fortir en faifant une action qui pût.
tranquilifer mes remors , & m'ouvrir la
route des vértus que je me propofe ; le hazard
, ou pour mieux dire , le ciel permet
que je falfe votre connoiffance ; je
crois que vous m'êtes adreffé pour vous ,
être fecourable , & je ne trouve en vous
que la fierté la plus inflexible . Hé bien ,
n'y fongeons plus . Cependant puis- je vous
demander fi vous envifagez quelques refA
OU ST. 1755. 21
fources plus fateufes que celles que vous
pourriez efperer de votre famille ?
Aucune , répondit Terlieu , j'ai bien
quelques amis ; mais comme je ne les
tiens que du plaifir , je n'y compte point.
Quoi ! reprit Rofalie , le néceffaire eft
prêt de vous manquer ,
& vous vous
amufez à folliciter des parens : c'est bien
mal à propos que l'on prétend que la néceffité
eft ingénieufe ! N'auriez - vous de
l'efprit que pour refléchir fur vos peines ?
que pour en méditer l'amertume ? Allez
Monfieur , allez faire un tour de promenade
: rêvez , imaginez , faites même ce
qu'on appelle des châteaux en Eſpagne ; il
eft quelquefois des illufions que la fortune
fe plaît à réalifer : il eft vrai qu'elles fe
réduifent prefque toujours à des chimeres ,
mais elles exercent l'efprit , elles amufent
l'imagination , elles bercent les chagrins ,
& c'eft autant de gagné fur les réflexions
affligeantes. Je vais de mon côté me donner
la torture : heureufe fi je fuis affez ingénieufe
pour trouver quelque expédient
qui puiffe adoucir vos peines , & contenter
l'envie extrême que j'ai de contribuer
à votre bonheur !
Terlieu fe leva pour fortir , & Roſalie
en le reconduifant le pria de venir manger
le foir un poulet avec elle , afin de
22 MERCURE DE FRANCE.
raifonner , & de concerter enfemble ce
que leur auroit fuggeré leur imagination ;
mais pour être plus fûre de l'exactitude de
Terlicu au rendez - vous , elle lui gliffa
adroitement une bourfe dans fa poche.
Terlieu alla s'enfoncer dans l'allée la plus
folitaire du Luxembourg , il y rêva beaucoup
& très infructueufement.
Tous les hommes ne font point féconds
en reffources ; les plus fpirituels font ordinairement
ceux qui en trouvent le moins.
Les idées , à force de fe multiplier , fe confondent
; d'ailleurs on voit trouble dans
l'infortune .
Il n'eft que deux fortes d'induſtrie ; l'une
légitime , c'eft celle des bras , du travail ,
& le préjugé y a attaché une honte : Terlieu
étoit Gentilhomme , il n'a donc pû en
être exemt.
L'autre induftrie , nommée par dégradation
l'induſtrie par excellence , eft celle
qui s'affigne des revenus fur la fottife , la
facilité , les foibleffes & les paffions d'autrui
; mais comme elle eft incompatible
avec la probité , Terlieu en étoit incapable.
Il y avoit deux heures que cet infortuné
Gentilhomme tourmenté par fon inquiétude,
marchoit à grands pas en croyant
fe promener , lorfque fouillant fans deffein
dans fa poche , il y fentit une bourſe.
AOUST. 1755. 23
Cette découverte décida promptement fon
retour ; le moindre délai pouvoit , felon
lui , faire fuppofer de l'incertitude dans
fon procédé ; il craignoit qu'on ne le foup.
çonnâc même d'avoir combattu contre la
tentation.
Il arrive effoufflé , franchit rapidement
l'efcalier de Rofalie , il entre ; celle - ci qui
le voit hors d'haleine , ne lui donne pas le
tems de s'expliquer , & débute par une
queftion vague ; lui fans parler , jette la
bourfe fur une table ; Rofalie affecte une
furpriſe de fatisfaction , & lui fait compli
ment fur le bonheur qu'il a eu de trouver
un ami généreux . Terlieu protefte très -férieufement
qu'il n'a parlé à qui que ce
fort ; celle- ci infifte fur l'heureuſe rencontre
qu'il a faite , Terlieu fe fâche , il eft ,
dit-il , outragé , il jure qu'il ne reverra de
fa vie Rofalie , fi elle ne reprend un argent
qui lui appartient : Elle s'en défend ,
elle en nie la proprieté , elle ofe foutenir
qu'elle ne fçait ce qu'on veut lui dire ;
quelle rare effronterie ! elle eut peut - être
pouffé plus loin l'opiniâtreté , fi elle ne fe
fut avifée de rougir . Rofalie rougir . Quoi!
une fille qui a vécu dans le defordre fe
laiffe démentir par le coloris involontaire
de la franchife? Hé pourquoi non ! quand
le motif en eft fi beau . On rougit bien des
24 MERCURE DE FRANCE.
mage
premieres paroles d'obfcénité qu'on entend
, parce que le coeur eft neuf ; celui
de Rofalie reprend fa premiere pureté ,
elle a donc pu rougir d'un menfonge généreux
, & rendre en même tems cet homà
la vérité. La conviction étoit trop
claire pour que fon obftination put durer
plus long - temps ; elle reprit fa bourſe
avec un dépit fi brufque qu'elle lui échappa
des mains , & qu'elle alla frapper conire
une commode où elle s'ouvrit en répandant
fur le parquet une cinquantaine
de louis. Comme Terlieu fe mit en devoir
de les ramaffer , Rofalie lui dit d'un ton
ironique & piqué : Monfieur , ne prenez
point cette peine , je fuis bien aiſe de ſçavoir
fi le compte y eft : vous m'avez pouffée
à bout par votre peu de confiance en
moi , il eft jufte qu'à mon tour j'en manque
à votre égard .
Je fais trop de cas de cette colere
pour
m'en offenfer , reprit Terlieu , le fond
m'en paroît trop refpectacle
. Puis- je , con- tinua - t-il , fans vous irriter , vous avertir
que j'apperçois
dans ce coin quelques
louis qui ont échappé
à vos recherches
? Puis- je , répliqua
Rofalie fur le même
ton , fans vous irriter , vous annoncer
que
vous êtes des mortels le plus bizarre & le
plus haïffable
? Refferrerai
-je , continua-telle
A O UST. 1755. 25
elle d'une voix modefte & attendrie l'ar-:
gent de cet ami du Luxembourg. Oui ,
Mademoiselle , répondit Terlieu d'un ton
ferme , je vous prie de le lui rendre , & de
le remercier de ma part.
la
Ils alloient continuer ces débats de générofité
mutuelle , lorqu'on vint avertir
que le fouper étoit fervi ; au moins , Monfieur
, dit Rofalie , vous me ferez peut -être
grace de me tenir campagnie très-volontiers
, répondit Terlieu , il y a trop à
gagner pour moi , & voilà le feul cas où
il peut m'être permis de vous montrer que
j'entends mes intérêts ; bien entendu cependant
que vous aurez moins d'humeur.
Je m'y engage , reprit- elle , pourvû que je
puiffe vous gronder , fi vous ne penfez pas
à ma fantaifie. Allons promptement manger
un morceau , je fuis fort impatiente
d'apprendre à quoi auront abouti les rêveries
de votre promenade . Vous parlerez
le premier , après quoi je vous ferai part
de mes idées , & nous verrons qui de nous
deux aura faifi le meilleur expédient.
Pendant le tems qu'ils furent à table ;
Rofalie déploya toutes les graces de fon
efprit pour égayer Terlicu , mais avec la
délicateffe dont on doit uſer avec un coeur
fermé à la joie , & avec cette circonfpection
qui met en défaut la malignité atten-
B
26- MERCURE DE FRANCE.
tive des domeftiques. Le deffert fervi elle
les renvoya en leur ordonnant de ne point
entrer qu'elle n'eut fonné. Ils eurent beau
raifonner entr'eux ; l'extérieur de Terlieu ,
l'accablement où ils le voyoient , & plus
que cela encore , la médiocrité très - négligée
de fon ajuftement dérouterent leurs.
conjectures.
Monfieur , dit alors Rofalie en reprenant
la parole , nota voilà feuls , perfonne
ne peut nous entendre ; faites- moi.
part , je vous prie , de ce que vous avez,
imaginé. Je ſerai bien charmée ſi vous me
mettez dans le cas de vous applaudir , plus
encore fi je puis ajouter quelques réflexions
utiles à vos projets .... parlez donc.
grace.q
de
Hé ! que puis- je vous dire , répondit-il ,
finon que dans l'état où je fuis il ne m'eft
pas poffible de penfer. J'ai eu beau creufer
ma tête , il n'en eft rien forti qui ne fut dé
raifonnable , extravagant , au-deffous du
fens commun. Jugez , Mademoiſelle , de
la mifere d'un efprit retréci par
l'infortu
ne ; il n'a pu me procurer que la reffource
de m'expatrier en entrant au fervice de la
Compagnie des Indes : qu'en penfez- vous ?>
ce parti vous paroît- il fi ridicule ?
Non , Monfieur , reprit- elle , je yous y
exhorterai même , dès que vous m'aurez
L
A OUST. 1755. 27
promis de mettre eu ufage l'expédient que
je vais vous donner : écoutez -moi attentivement
, ne m'interrompez pas , & furtout
point de faillie d'orgueil. Votre famille
, je le fçais , jouit de toutes les diftinctions
que donne l'opulence , & qu'on
accorde à celles qui ont bien mérité du
Prince & de la patrie. Je conçois qu'elle
pourra vous refufer de nouveau les fecours
que vous êtes en droit d'en exiger , mais
je ne puis penfer qu'elle fouffrit que vous
vous deshonorafliez . C'eft fur cette délicateffe
que j'établis l'efpoir dont je me flate
pour vous , & j'ofe croire que vous arracherez
de la vanité de vos parens ce que
vos inftances ne pourroient obtenir de
leur bienveillance . Dès demain , Monfieur ,
retournez les voir ; qu'ils lifent fur votre
front ce que la douleur a de plus attendriffant
: priez , preffez , humiliez - vous
même , & ne rougiffez point d'employer
les expreffions les plus foumifes. Si vous
ne les touchez point , s'ils font impitoyables
, ofez leur dire , avec la fureur dans
les yeux , que vous allez prendre un parti
fi indigne du nom qu'ils portent , que l'opprobre
en rejaillira fur eux . Oui, Monfieur,
menacez-les....Non , je crois vous connoître
, vous n'en aurez jamais la force . Par
grace , M. de Terlieu , prenez fur vous
Bij
28. MERCURE DE FRANCE.
de proférer des paroles feules capables
d'effrayer vos parens , & d'intéreffer en
votre faveur , je ne dis pas leur fenfibilité ,
mais au moins leur orgueil.
Qu'allez -vous me propofer , répliqua
Terlieu avec agitation ? vous me faites
frémir.
Ne craignez rien , répondit Rofalie , ce
n'eft qu'une menace dont le but eſt d'allarmer
des gens qui n'auroient point encore
renoncé à l'honneur , qui conféquemment
peut faire un grand effet , mais dont
je ferai toujours bien loin de vous confeiller
, ni même d'en fouffrir l'exécution. Baiffez
les yeux , ne me regardez point de grace;
je ne pourrois mettre au jour mon idée
fi vous me fixiez . Dès que vous aurez épuifé
tout ce que l'éloquence du befoin a de plus
pathétique ; dès que vous aurez déſeſpéré
d'émouvoir vos indignes parens , ofez leur
dire que leur barbarie vous détermine à
profiter de la fenfibilité d'une fille qui a
vécu dans le défordre , que Rofalie plus
généreuse qu'eux , ne peut fouffrir qu'an
homme comme vous paffe fes jours dans
la mifere , que Rofalie , .. hélas ! elle n'eft
que trop connue , que Rofalie vous offre
de partager fa fortune , & que vous êtes
prêt de contracter avec elle un mariage......
Je n'acheve point ; ce fera à vous , MonAOUST.
1755. 29
fieur , à finir le tableau , & à y mettre une
expreffion , & des couleurs dignes du fujet.
Terlieu alors leva les yeux , & Rofalie y
vit un trouble , & quelques larmes qu'elle
ne fit as femblant d'appercevoir. Qu'avez-
vous ? continua-t- elle , vos regards
m'inqui tent , & je crains fort que l'expédient
que je viens de vous propofer ne
vous révolte ; mais enfin , s'il réuffiffoit
m'en fçauriez-vous mauvais gré ? que rifquez-
vous d'en hafarder l'épreuve ?
Un malheur nouveau qui acheveroit de
m'accabler , s'écria Terlieu , mes cruels
parens ne manqueroient point d'attenter à
votre liberté , & je ferois la caufe & le prétexte
d'une barbarie.
Hé ! Monfieur , reprit elle , courons - en
les rifques , fi cette violence peut rendre
votre fort plus heureux. La perte de la
liberté n'eft point un fi grand mal pour quiconque
eft déterminé à renoncer au monde.
D'ailleurs il fuffira à ma juftification ,
& à la vôtre que l'on fçache que ce n'étoit
qu'une rufe imaginée pour amener vos
parens à la néceffité de vous rendre fervice ;
& comme il fera de l'intérêt de votre honneur
de défavouer un bruit auffi ridicule ,
l'amour qu'on vous connoît pour la vérité ,
ne laiffera aucun doute & nous nous
trouverons juſtifiés tous les deux .
,
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
Ah Rofalie , Rofalie ! répliqua Terlieu ,
en foupirant , terminons un entretien dont
les fuites deviendroient trop à craindre
pour moi. Je vous quitte pénétré d'admiration
, & peut-être d'un fentiment encore
plus intéreffant. Oui , je ferai ufage de vos
confeils ; je verrai demain ma famille .....
Mais hélas ! je ne fçai fi vous ne me faites
point defirer d'être rebuté de nouveau . Je
ne puis dire ce que mon coeur reffent , mais
il vous refpecte déja , & vraisemblablement
il ne fe refufera pas long-temps à ce
que la tendreffe a de plus féduifant.
Monfieur , reprit Rofalie , allez vous
repofer , vous avez befoin de rafraîchir
votre fang ; vous venez de me prouver
qu'il eft un peu échauffé. Je préfume que
le fommeil vous rendra votre raison , &
qu'à votre reveil , où vous rirez , où vous
rougirez du petit délire de la veille.
Fort bien , répliqua Terlieu en fouriant,
voilà un agrément de plus dans votre ef
prit , & vous entendez fupérieurement la
raillerie . Oui , Rofalie , je vais me retirer ,
mais avec la certitude de ne point dormir ,
& comptez que fi le fommeil me furprend,
mon imagination , ou pour mieux dice ,
mon coeur ne fera occupé que de vous.
Terlieu tint parole , il ne ferma point
l'oeil de la nuit , & cependant il ne la trouA
O UST. 1755: 31
va pas longue. Le jour venu , il fut incertain
s'il iroit de nouveau importuner fa
famille , ou s'il fuivroit le penchant d'une
paffion que le mérite de Rofalie avoit fait
naître en fon coeur , & que les réflexions
ou peut-être les illufions de la nuit avoient
fortifiée. Après avoir combattu quelque
tems entre ces deux partis , le foin de fa
réputation l'emporta fur un amour que fa
raifon plus tranquille lui repréfentoit malgré
lui fous un point de vûe un peu déshonorant
. Quelle fituation ? l'amour , la pauvreté
, defirer d'être aimé , d'être heureux ,
& n'ofer fe livrer à des penchans fi naturels
! Partez Terlieu , vous avez promis ,
& votre honneur exige que vous faffiez du
moins encore une démarche avant de fonger
au coeur de Rofalie.
La fortune ne le fervit jamais mieux
qu'en lui faiſant effuyer des dédains nouveaux
de la part de fa famille. Les prieres ,
les inftances , les fupplications qu'il eut le
courage d'employer , ne lui attirerent que
des rebuts , que des outrages. Ses parens imputerent
à fa baffefle les larmes qu'il verfa.
Outré , défefpéré , il mit en oeuvre fa derniere
reffource ; il leur peignit avec les
couleurs les plus effrayantes l'alliance dont
il les menaça de fouiller leur nom ; ce tableau
ne fit qu'ajouter au mépris dont ils
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
l'accablerent , & l'un d'eux en parlant au
nom de tous , & fans en être défavoué
par
un feul , eut la lâcheté de lui dire : hé >
Monfieur , concluez ; que nous importe la
femme que vous prendrez , pourvu qu'elle
nous débarraffe de votre vûe , & de vos
importunités. Au refte , nous vous défavouons
dès ce jour pour parent , & fi vous
avez le front d'ofer dire que vous nous appartenez
, nous fçaurons réprimer votre
infolence.
Et moi , Meffieurs , répliqua fierement
Terlieu , je le publierai partout , non pas
que je tienne à honneur d'être votre plus
proche parent , mais afin que perfonne n'ignore
que vous êtes plus indignes que moimême
du fang qui coule dans nos veines ,
& que fi je fuis réduit à le deshonorer , ce
font vos duretés qui m'y ont forcé. Adieu ,
Meffieurs , & pour toujours.
Terlieu courut promtement répandre
dans le fein de la généreufe Rofalie les
horreurs qu'il venoit d'entendre. C'en eft
fait , s'écria-t-il en entrant , je n'ai que
vous au monde , vous me tenez lieu d'amis
, de parens , de famille. Oui , Roſalie,
continua-t-il , en tombant à fes genoux ,
c'eft à vous feule que je veux appartenir ,
de vous feule je veux dépendre , & votre
coeur eft le feul bien que j'ambitionne.
AOUST. 1755. 33
Soyez , je vous conjure , magnanime au
point de croire que ce n'eſt pas l'extrémité
où je me trouve , qui me fait deficer le
bonheur de vous plaire : comptez qu'un motifauffi
bas eft trop au deffous de ce que vous
m'infpirez , & d'un coeur comme le mien.
Eh , vous ne méritez point que je vous
écoute , lui répondit , Rofalie , fi vous me
croyez capable d'un tel foupçon. Levezvous
, Monfieur , on pourroit vous furprendre
dans une attitude qu'il ne me convient
plus de fouffrir , on croiroit que je
la tolere , & elle feroit douter de la fincérité
du parti que j'ai pris de renoncer à mes
égaremens ..... Je voudrois , repliqua Terlieu
en l'interrompant , avoir mille témoins
de l'hommage que je vous rends , & je fuis
fûr qu'il n'en feroit pas un qui n'y applaudit
, fi je l'inſtruifois de la force des raifons
qui me l'arrachent , & des vertus que
j'honore en vous.
J'avois efpéré , reprit elle , que le fommeil
auroit diffipé le vertige qui vous trou
bloit hier au foir. Je fuis fâchée , & prefque
irritée que ce mal vous tourmente encore.
Par grace , daignez en guérir . Il feroit
honteux que vous n'en euffiez point le
courage. Oui , Monfieur , j'afpire à votre
eftime , & non pas à votre coeur , & je ne
pourrois me difpenfer de renoncer à l'une
Bv
34 MERCURE DE FRANCE .
fi vous vous obſtiniez à m'offrir l'autre.
Et moi , répondit tendrement Terlieu ,
je veux les acquérir toutes deux. Ne féparons
point deux fentimens qui ne peuvent
fubfifter l'un fans l'autre : leur réunion fera
votre bonheur & le mien. Ah , Roſalie
nous fommes dignes de le goûter long - tems,
fi nous fommes capables de les concilier.
Belles fpéculations , repliqua t- elle , qui
prouvent bien que vous m'aimez , mais qui
ne me raffurent point fur la crainte de l'avenir
! Je le dis fans rougir , j'ai entendu
tant de fois de ces propos , tant de femmes
en ont été les victimes qu'il eft téméraire
d'y ajouter foi . Dans l'emportement de la
paffion , les promeffes ne coutent rien , on
ne croit pas même pouvoir y manquer ; &
puifque les mépris , les dégouts fe font !
fentir dans les mariages affortis par l'égalité
des conditions , & par la pureté reciproque
des moeurs , que ne dois-je point
redouter de l'union que vous me propofez?
vous en rougiriez bientôt vous -même , la
haine fuccéderoit au repentir , & je tarde-
Bois peu à fuccomber fous le poids de l'honneur
que vous m'auriez fait . Croyez- moi ,
Monfieur , ne nous expofons point à des
peines inévitables . Qu'il nous fuffife que
l'on fçache que Terlieu pénétré de reconnoiffance
pour Rofalie lui a offert une
AOUST. 1755 35
main qu'elle a eu le refpect de ne point accepter.
Un trait de cette nature nous fera
bien plus glorieux qu'une témérité qui
peut
faire mon malheur en vous couvrant
de honte. Que mon refus , je vous prie ;
ne vous afflige point. Laiffez- moi jouir
d'une fenfibilité plus noble mille fois que
le retour que vous pourriez efpérer de la
foibleffe de mon coeur. Souffrez que je
m'en tienne au bonheur de vous obliger ,
& comptez qu'il me fera bien plus doux
de le faire par fentiment que par devoir.
Non , Rofalie , reprit Terlieu , votre
refus entraîne néceffairement le mien. Le
titre d'époux peut feul me faire accepter
vos bontés. Vos craintes fur l'avenir m'ou '
tragent ! Ah ! bien loin de m'aimer , vous
ne m'eftimez pas , la pitié eſt le feul fentiment
qui vous parle en ma faveur. Adieu ,
je vous quitte plus malheureux encore que
lorfque j'ai commencé à vous connoître ;
j'avois un défefpoir de moins dans le coeur.
Terlieu fe leva en fixant tendrement
Rofalie , fit un foupir en couvrant fon viſage
avec fes mains , & alla fe jetter dans fa
petite chambre. Il n'y fut pas long tems
Rofalie le coeur ferré de la douleur la plus
vive , fonna pour avoir du fecours. Elle
en avoit un befoin réel. Sa femme de
chambre la trouva dans un étouffement
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
affreux & fans connoiffance. Elle donna
un peu de jour à fa refpiration , elle la traîna
de fon mieux fur une ducheffe , & après
l'avoir queftionnée à plufieurs repriſes ,
elle n'en put tirer que ces paroles : ah Terlieu
, Terlieu ! cette exclamation , quoique
inconcevable pour elle , la détermina à
l'aller prier de venir voir Rofalie . Ilentre ,
la trouve pâle , les yeux éteints , & preſque
auffi foible qu'elle , il tombe à fes genoux ,
il prend une de ſes mains qu'il baigne de
fes larmes : elle entr'ouvre un oeil languiffant
, & d'une voix qui expiroit fur fes lévres
, voilà , dit- elle , l'état où me réduifent
la dureté de vos refus , & les aveux
d'une paffion qu'il eft honteux pour vous
de reffentir. Monfieur , continua t- elle ,
ne me voyez plus , & fi vous prenez quelque
intérêt à mon repos , à ma fanté , ne
ne vous obftinez plus à me refufer la fatisfaction
fecrette que j'exige de vous. Dans
huit jours je ne ferai plus à Paris , & puifqu'il
eft indifpenfable que nous nous féparions
, laiffez - moi acquérir le droit de m'informer
de l'état de vos affaires , laiffez- moi
enfin acheter l'honneur d'être dans votre
fouvenir.
Si l'état où je vous vois , repliqua Terlieu
, m'accabloit moins , je vous le dis ,
Rofalie , je ne pourrois peut- être me conAOUST
. 1755 37
tenir. Quoi , vous avez la cruauté de m'annoncer
qu'il faut que je renonce au ſeul
bien qui me refte ? dans huit jours je ne
vous verrai plus ! non , il n'eft pas poffible
que je ceffe de vous voir : quelque retraite
que vous choififfiez , je fçaurai vous y découvrir
; je fçaurai y porter un amour que
vous vous lafferez peutêtre de rebuter. La
voilà , dirai-je , cette Rofalie , cet affemblage
refpectable , de grandeur , de foibleffe
! Hélas , elle ne m'a pas jugé digne
de l'accompagner , & de la guider dans le
fentier de la vertu , elle ne m'a pas jugé
digne de vivre heureuſement & vertueufement
avec elle . Me fera-t-il permis au
moins , continua- t- il , d'un ton paffionné ,
& en reprenant une main qu'on n'eut pas
la force de retirer , de jouir pendant le peu
de temps que vous refterez à Paris , du
bonheur de vous voir ce fera , n'en doutez
point , les feuls beaux jours de ma vie.
Il ne tiendroit qu'à vous d'en prolonger le
cours & la félicité ; mais vous l'avez déci
dé , & vous voulez que je vive éternellement
malheureux .
Retirez- vous , dir Rofalie à fa femme
de chambre , je me fens mieux , & foyez
difcrette , je vous prie. Comment , Monfieur
, continua- t - elle , vous voulez tout
obtenir , & vous n'accordez rien ? oui ,
vous ferez le maître de me voir , & vous
8 MERCURE DE FRANCE.
fçaurez le nom du lieu où je vais fixer mom
féjour , mais c'eſt à une condition ; & s'il
eft vrai que vous m'aimiez , je veux me
prévaloir de l'afcendant qu'une maitreſſe
eft en droit de prendre fur fon amant . Vous
allez me traiter de bizarre , d'opiniâtre :
hé , dites- moi , Monfieur , qui de nous
deux l'eft d'avantage ? je fuis laffe de prier,
il est temps que je commande. Ceton ,
vous paroît fingulier ; je conviens qu'il
tient un peu du dépit je l'avoue , ceci
commence à me fatiguer , à me tourmenter.
Finiffons par un mot fans replique. Voilà.
ma bourfe ; ce qu'il vous plaira d'y prendre
déterminera en proportion la confiance
que vous voulez que j'aye en vous , l'eftime
que je dois faire de votre perfonne ,
& le dégré de votre amour pour moi.
Hé , je la prens toute entiere , s'écria
Terlieu en la faififfant des deux mains .
Et moi , reprit Rofalie , je vous embraffe.
Oui , mon cher Terlieu , vous m'aimez
, j'ai triomphé de votre orgueil. Ne
prenez point cette faillie pour un emportement
de tendreffe , elle eft née dans la:
joie involontaire de mon ame , & non pas
dans les tranfports d'une paffion infenfée .
Terlieu fe retira , le coeur trafporté de
joie , & de la plus flatteufe efpérance , &
Rofalie charmée d'être parvenue à contenter
fon inclination bienfaifante , s'occupa
A OUST . 1755.
39
une partie de la nuit du deffein de fa re
traite , & des mefures néceffaires à fon
départ. Le lendemain elle fortit fur les
neuf heures du matin pour aller conclure
l'acquifition d'une terre . Elle dîna , & ſoupa
avec Terlieu , elle affecta pendant toute
la journée une fatisfaction & une gaieté qui
ne laifferent à fon amant aucun foupçon
du deffein qu'elle avoit pris de partir à la
pointe du jour. Quelle accablante nouvelle
pour Terlieu , lorfqu'il apprit le départ de
Rofalie ! Il faut avoir aimé pour bien fentir
l'état d'un coeur qui eft privé de l'objet
qu'il adore. Tous les maux raffemblés ne
font rien en comparaifon. C'eft la fecouffe
la plus violente que l'ame puiffe recevoir
& c'eft la dernière épreuve de la fermeté
humaine. Terlieu abbattu & prefque ftupide
, alloit fuccomber fous le poids de fa
douleur , lorfqu'il lui fut remis un billet
de la part de Rofalie. Hélas , il ne fit qu'ajouter
à fes tourmens . Il l'ouvre en frémiffant
, & lit , .....
*
Monfieur , renfermons- nous , je vous
prie , dans les bornes d'une pure amitié.
»J'ai dû fuir , & c'eft l'eftime que je vous
dois qui a précipité mon départ . Vous
» me ferez toujours cher , vous recevrez
» de mes nouvelles ; je ne fuis point faite
»pour oublier un homme de votre mérite ..
» Encore une fois tenons- nous- en aux en40
MERCURE DE FRANCE.
" gagemens de la plus inviolable amitié
" c'eft le feul fentiment qui puiffe nous
» convenir , & c'eft celui qui me fait pren-
» dre la qualité de votre meilleure amie.
Rofalie .
Ah cruelle , s'écria Terlieu ! vous fuyez,
vous m'abandonnez ! & vous ne me laiffez
pour reffource que les offres d'une froide
& triſte amitié ! non , Rofalie , elle ne
peut fuffire à mon coeur. Mais que dis je
hélas ! vous ne m'aimez point . Cette tranquillité
, cette joie dont vous jouiffiez hier
à mes yeux , ne me prouvent que trop que
je vous fuis indifférent. Que j'étois crédule!
que j'étois aveugle de les interpréter en ma
faveur ! Amant trop préfomptueux , je les
ai prifes pour des marques de la fatisfaction
que vous reffentiez d'être fûre de mon
coeur. Quel étrange compofé que votre caractere
! vous avez l'ame généreufe , noble;
des vertus réelles me forcent à vous admirer
, je ne puis réfifter à l'impreffion qu'elles
font fur moi , elles y font naître la paffion
la plus tendre , la plus refpectable , je
crois recevoir des mains de votre amour
les bienfaits dont vous me comblez , &
vous partez ! j'ignore où vous êtes ! Dieu !
fe peut - il qu'un coeur qui. m'a paru auffi
franc , auffi fincere , ait pu être capable
d'une diffimulation auſſi réfléchie , auffi
A OUST . 1755. 41
perfide. Vous partez ! ..... & vous ne me
laiſſez que le repentir , & la honte d'avoir
fuccombé aux inftances de votre indigne
générofité. Oui , je fçaurai vous découvrir,
je fçaurai répandre à vos pieds ce que contient
cette bourfe infultante , .... je fçaurai
mourir à vos yeux.
Il s'habille à la hâte , il alloit fortir lorf
qu'on vint frapper à fa porte. Il ouvre , il
voit un homme qui lui demande s'il n'a
pas l'honneur de parler à M. de Terlieu .
C'est moi -même , répondit- il fechement
mais pardon , Monfieur , je n'ai pas le
temps de vous entendre. Monfieur , repliqua
l'inconnu , je ne vous importunerai
pas longtems , je n'ai befoin que de votre
fignature , vous avez acquis une terre , en
voici le contrat de vente , & il eft néceffaire
que votre nom figné devant moi , en conftate
la validité. Que voulez - vous dire ,
reprit Terlieu ? ou vous êtes fou , ou je
rêve. Monfieur , dit l'inconnu , je fuis
Notaire ; il n'y a guerres de fous dans ma
profeffion. Je vous protefte que vous êtes
trés-éveillé , & qu'un acte de ma façon n'a
point du tout l'air d'un rêve. Ah , Rofalie,
s'écria Terlieu ! C'eft elle-même , reprit le
Notaire. Voici une plume , fignez . Non ,
Monfieur , répondit Terlieu , je ne puis
m'y réfoudre , remportez votre acte , &
dites-moi feulement où eft fituée cette terre.
42 MERCURE DE FRANCE.
C'eft préciſement , répliqua le Notaire , ce
qui m'eft défendu , & vous ne pourrez en
être inftruit qu'après avoir figné. Allons
donc , reprit Terlieu en verfant un torrent
de larmes , donnez cette plume . Voilà qui
eft à merveille , dit le Notaire , & voici
une expédition de l'acte. Vous pouvez
aller prendre poffeffion quand vous le
jugerez à propos. Adieu , Monfieur , je
vous fouhaite un bon voyage ; faites , je
vous prie , mes complimens à l'inimitable
Rofalie. Ah , Monfieur , reprit Terlieu en
le reconduifant , elle ne tardera gueres à
les recevoir.
Son premier foin fut de chercher dans
l'acte qui venoit de lui être remis le nom
de la province , & du lieu dont Rofalie
avoit pris le chemin ; il alla tour de fuite
prendre des chevaux de pofte. Qu'ils alloient
lentement felon lui ! après avoir
couru , fans prendre aucun repos pendant
trente- fix heures , il arriva prefqu'en même
temps que Rofalie. Quoi , c'est vous ? lui
dit-elle en fouriant , que venez -vous faire
ici ? vous rendre hommage de ma terre ,
répondit- il , en lui baifant la main , en
prendre poffeffion , & époufer mon amie.
Je ne vous attendois pas fitôt , reprit- elle ,
& j'efpérois que vous me laifferiez le temps
de rendre ce féjour plus digne de vous recevoir.
Hé , que lui manque-t-il pour me
A OUST. 43 1755 .
plaire , pour m'y fixer , repliqua- t- il , vous
y êtes , je n'y vois , & je n'y verrai jamais
que ma chere Rofalie . J'ai de l'inclination
à vous croire , lui dit-elle , en le regardant
tendrement , & mon coeur , je le fens , auroit
de la peine à fe refufer à ce que vous
lui infpirez ; il eft prêt à fe rendre à vos
defirs . Mais encore une fois , mon cher
Terlieu , interrogez le vôtre , ou pour
mieux dire , écoutez les confeils de votre
raifon. Nepouvons- nous vivre fous les loix
de l'amitié? & ne craignez- vous point que
celles de l'hymen n'en troublent la pureté ,
n'en appéfantiffent le joug ? Et cette terre ,
repliqua- t-il , peut- elle m'appartenir , fi je
n'acquiers votre main ? D'ailleurs , y fongez-
vous , Rofalie ? je vivrois avec vous ,
& je n'aurois d'autre titre pour jouir de ce
bonheur que celui de l'amitié ? Penſezvous
que la médifance nous épargnât en
vain nous vivrions dans l'innocence , la
calomnie , cette ennemie irréconciliable
des moeurs les plus chaftes , ne tarderoit
pas à fouiller la pureté de notre amitié
& elle y fuppoferoit des liens qui nous
deshonoreroient. Mais enfin , reprit Rofalie
, à quels propos , à quelles indignes
conjectures ne vous expofez- vous point ?
on dira que Terlieu n'ayant pû foutenir le
poids de fon infortune , a mieux aimé re
44 MERCURE DE FRANCE .
chercher la main de Rofalie que de lan
guir dans une honorable pauvreté. Vains
difcours , s'écria Terlieu , qui ne peuvent
m'allarmer ! venez , répondrai - je , à la malignité
, à l'orgueil ; venez , fi vous êtes
capables d'une légitime admiration , reconnoître
en Rofalie un coeur plus noble , une
ame plus pure que les vôtres . Vous n'avez
que l'écorce des vertus , ou vous ne les pratiquez
que par oftentation , & Rofalie en
avouant fes égaremens a la force d'y renoncer
, & les épure par le repentir , par
la bienfaifance. Apprenez vils efclaves de
la vanité que la plus fage des bienséances
eft de s'unir avec un coeur qu'on eſt fûr
d'eftimer , & que le lien d'une reconnoiffance
mutuelle eft le feul qui puiffe éternifer
l'amour. Je ne réfifte plus , reprit Rofalie
, je me rends à la jufteffe de vos raifons
, & plus encore à la confiance que la
bonté , que la nobleffe de votre coeur ne
ceffent de répandre dans le mien : le don
que je vous ferai de ma main n'approchera
jamais du retour que j'en efpere .
Terlieu & Rofalie allerent fe jurer une
fidélité inviolable aux pieds des autels , où
au défaut de parens , tous les pauvres des
environs leur fervirent de témoins , de famille
, & en quelque façon de convives ,
puifqu'ils partagerent la joie des deux
A OUST. 1755 45
époux à une table abondante qui leur fut
fervie. Terlieu & Rofalie goûtent depuis
long- temps les délices d'une flâme fincere.
Leur maison eft le féjour des vertus . Ils en
font les modeles. On les cite avec éloge ,
on les montre avec admiration , on fe fait
honneur de les voir , on les écoute avec
reſpect , & , comme partout ailleurs , pref
que perfonne n'a le courage de les imiter.
LA VARIÉTÉ. (a)
CANTA TILL E.
De fes airs brillans , l'Italie
Fit envain retentir ces lieux !
Que peut la feule mélodie
Sans flatter le coeur ni les yeux.
Nos Amphions trouvent mieux l'art de plaire
Par un mêlange féducteur.
D'une liqueur qui paroiffoit amere ,
Ils font un breuvage enchanteur ;
Ainfi que l'abeille volage ,
Le François leger & badin
En folâtrant rend fon hommage
A la nouvelle fleur qu'il dédaigne foudain ;
Mais bientôt devenu plus fage ,
Il en fçait tirer avantage ,
Et fe pare de fon larcin.
(a) Du les parodies des Boufons.
46 MERCURE DE FRANCE.
Fuyons toute ombre d'esclavage
Dans nos goûts & dans nos amours ;
Que le plaifir feul nous engage ;
On gagne à voltiger toujours.
Le papillon brille dans fa carriere
Tant qu'il vôle de fleur en fleur ,
Le cercle étroit d'une vive lumiere ,
En le fixant , fait fon malheur.
JE
Epitre à M. de Voltaire.
E viens offrir au Temple de mémoire ,
Le doux parfum d'un pur encens ;
C'eſt dans les coeurs reconnoiffans ,
Voltaire , qu'à jamais on lira ton hiftoire ,
Pour moi , je dis ce que je fens .
Je dois à tes écrits le beau feu qui m’anime ;
Dans l'élégance de tes vers
J'adore le dieu de la rime
L'Apollon de cet univers.
•
Ta voix chanta les dieux , les héros & les belles ;
Le théâtre françois te doit fes plus beaux jours ,
Jamais les doctes foeurs ne te furent cruelles ,
Tes mains ont décoré le palais des amours.
Que de lauriers ont couronné ta tête !
Que de talens te font chérir !
Je vois déja dans l'avenir
Le jour marqué pour célébrer ta fête.
AOUST. 1755. 47
Pies d'Homere & Pindare au haut de l'Helicon ,
A côté de Virgile , & d'Ovide , & d'Horace ,
Le dieu du Goût retient ta place
Entre le grand Corneille & le divin Newton.
Pourfuis longtems , pourfuîs tes hautes deſtinées ;'
Les dieux te conduiront à l'âge de Neftor :
Ils te doivent autant d'années
Qu'il parut de beaux jours dans l'heureux fiecle
d'or.
Par M. Dalais de Valogne.
VERS
De M. Dubois , Médecin de fene Madame
la Princeffe de Conty , à Madame de
Forgeville.
.
Mon tendre hommage à celle
Qui tous les jours à Fontenelle
Confacre fa voix & fes yeux.
Pour prix d'un fain fi précieux ,
Puiffe l'amie être immortelle :
Puiffe l'ami , rival des Dieux ,
Toujours charmant , toujours fidele ,
Oublier fan rang dans les cieux
Pour vivre ici- bas avec elle.
48 MERCURE DE FRANCE.
La Promenade de province.
NOUVELLE.
UN
Philofophe N Philofophe cabaliſte étoit en commerce
depuis fort long- tems avec une
aimable Silphide qu'il avoit immortaliſée ,
& goûtoit dans cette fociété mille charmes
inconnus au refte des mortels. Une maifon
de campagne , à trois lieues de R ... ville
affez confidérable , étoit le lieu qu'il avoit
choifi pour fe retirer du monde. Cette maifon
fituée fur le penchant d'une coline ,
dominoit une vallée fertile , qui préſentoit
à la vûe la plus agréable variété.
Les appartemens étoient rians , & meublés
avec une fimplicité philofophique.
Une bibliothéque peu nombreufe , mais
curieufe , des caracteres de la cabale , des
eſtampes qui repréfentoient l'empire fouverain
que les Salamandres , les Silphes ,
les Ondins , les Gnomes exercent fur tous
les élémens , les tapiffoient agréablement.
Le jardin qui accompagnoit cette maiſon ,
étoit cultivé par un Gnome intelligent ;
auffi rien de tout ce qui pouvoit flater les
fens n'y manquoit.
Tel étoit le féjour que notre philofophe
avoit choisi pour méditer les plus fublimes
vérités. C'étoit là qu'il paffoit les plus
délicieux
A O UST. 1755i 49
délicieux inftans , tantôt en s'entretenant
avec fa charmante Silphide , tantôt en li-.
fant quelques ouvrages compofés par les
plus éclairés des Salamandres , quelquefois
en admirant la beauté de fes fleurs , en
favourant l'excellence de fes fruits , ou
bien en refpirant le frais dans des allées
fombres au bord d'une fource naiffante.
Tout s'offroit à fes defirs dans ces lieux
enchantés. Vouloit - il fe défaltérer ? un
ruiffeau de lait paroiffoit auffi -tôt . Mille
Gnomes toujours attentifs à lui plaire agitoient
les arbres , & formoient pour le
rafraîchir de gracieux zéphirs. Les uns
s'occupoient àparfumer l'air qu'il refpiroit
des plus délicieufes odeurs : ceux- ci prenoient
le foin d'affembler les oifeaux dans
le boccage qu'il honoroit de fa préfence
pour l'égayer par leur ramage ; & d'autres
enfin baifoient les branches chargées de
fruits pour lui donner la facilité de les
prendre.
Un jour qu'Oromafis , ( c'eft le nom que
notre philofophe avoit pris pour plaire à
fa belle Silphide. ) Un jour , dis-je , qu'il
l'attendoit pour lui communiquer quelques
remarques qu'il avoit faites en décompofant
un rayon de foleil , elle arriva
en riant un peu plus tard qu'à l'ordinaire.
Surpris de ce mouvement de gaieté , le
C
to MERCURE DE FRANCE.
philofophe ne put s'empêcher de lui ent
demander le fujet . J'arrive de Mercure ,
lui dit-elle , cette petite planette proche le
foleil , appellée autrement le féjour de
l'imagination ; j'en ai vû aujourd'hui de
fi ridicules que je ne puis m'empêcher d'en
rire encore : Ce que vous me dites là , eſt
une énigme que vous m'expliquerez quand
il vous plaira , répondit à l'inftant Oromafis
; je vais le faire tout-à- l'heure , reprit-
elle auffi tôt : écoutez. Le foleil eft ,
vous le fçavez , l'habitation ordinaire des
Salamandres , ce font eux qui entretiennent
ce feu continuel , fi néceffaire à la
confervation & à l'accroiffement de toutes
les créatures. Mercure en eft une dépendance
; c'eft dans cette planette qu'ils viennent
fe rafraîchir tour-à-tour , & c'eft là
que viennent fe peindre tous les defirs &
toutes les imaginations des hommes , ces
agréables fonges que l'on fait en veillant ,
ces projets , ces châteaux que l'on bâtit en
Efpagne. Quoi ! dit le philofophe , j'imagine
, par exemple , pour m'amufer , que
je fuis monarque , je donne audience à des
Ambaffadeurs , ou je fuis à la tête de mont
armée , tout cela fera repréfenté foudain
dans Mercure ? Oui , répondit la Silphide ,
votre perfonne telle que la voilà , c'eft- àdire
vivante , marchant , & parlant , ira
A O UST. 1755. St
fe peindre au milieu d'une cour brillante ,
ou bien à la tête d'une armée nombreuſe ,
enfin dans la même pofition que vous imaginerez.
Bien plus , fi vous faites en vousmême
un difcours à vos troupes pour les,
encourager , vous le reciterez dans Mercure
d'une voix intelligible . Si vous imaginez
enfuite être dans un magnifique jardin ,
l'armée s'évanouira , & un jardin prendra
la place. Ceffez - vous d'imaginer , tout
s'efface auffi - tôt , & la place qui vous eft
affignée dans Mercure ( car chacun y a la
fienne ) refte vuide , jufqu'à ce qu'il vous:
plaife de defirer , ou de faire des projets.
Ah ! voilà ce que je voulois fçavoir , dit
alors Oromafis ; fi les defirs fe peignent de
la même façon que lleess pprroojjeettss ou les imaginations
? Sans contrédit , répondit la
Silphide , avec la différence cependant
que vous n'y paroiffez point quand il n'y
a qu'un fimple defir. Par exemple , vous
defirez une maifon de campagne , elle paroît
à l'inftant : Si je l'avois , continuezvous
, j'irois dès le matin m'y promener
avec un livre à la main ; vous paroiffez
vous-même en lifant dans les allées du
jardin qui accompagne cette maifon . Mercure
, tel que vous me le dépeignez , doit
être un féjour fort amufant , reprit Oromafis
; mais fi toutes les imaginations y "
Cij
5 MERCURE DE FRANCE.
font
reçues , il doit y en avoir
de bien
impertinentes
, ajouta
- t-il. Celles
qui choquent
l'honnêteté
n'y font point
admifes
,
répondit
la Silphide
. Tout
eft pur dans un
féjour
que fréquentent
les Salamandres
;
mais il me reste encore
une chose à vous
apprendre
, continua
- t- elle , Mercure
n'eſt
pas feulement
fait pour
recevoir
les diverfes
imaginations
des hommes
, il a encore
une autre
deftination
. Ce pays charmant
eft le paradis
, ou les Champs
élifées
des Poëtes
, des Muficiens
, des Peintres
, des Philofophes
à fyftêmes
, des faifeurs
d'hiftoriettes
& de romans
, des conquerans
, & enfin
des Alchymiftes
. C'eſtlà
que viennent
fe rendre
leurs
ames
après
leur mort . Ce féjour
eft d'autant
plus fateur
pour
elles
qu'il n'eft pas impoffible
d'en fortir
quand
on s'y ennuie
.
Il fe tient
tous les dix ans une affemblée
générale
de Silphes
& de Salamandres
;
toutes
les ames qui regretent
la vie , peuvent
demander
à revenir
dans ce monde
que vous habitez
. Pour
y parvenir
, elles
font
obligées
d'expofer
fidelement
quelles
ont été leurs
inclinations
, leur caractere
, leurs
occupations
, & on leur permet
de revivre
à de certaines
conditions
qu'elles
peuvent
rejetter
ou accepter
. Rien
n'eft
plus curieux
que cette affemblée
, ajouta-
"
AOUS T. 1755 33
*
r-elle , c'eſt un ſpectacle que je veux vous
donner. Très- volontiers , répondit Oromafis
, je fuis toujours prêt à vous fuivre :
mais fe tiendra- t- elle bientôt ? Dans quatre
mois treize jours dix- huit heures cinquante-
fix minutes quarante- quatre fecondes ,
répondit- elle ; mais en attendant cet amufement
je puis vous en procurer d'autres ,
ajouta- t-elle d'un air complaifant. Je viens
de paffer par R ... la beauté de la faiſon
& la fraîcheur du foir a fait fortir tout le
monde pour goûter le plaifir de la promenade
; j'en ai remarqué une fort brillante
fi vous y confentez , nous nous y tranfporterons
tout-à-l'heure. Je vous ferai remarquer
les perfonnages les plus finguliers ,
je vous inftruirai du fujet de leur converfation
, je vous apprendrai même ce qu'ils
penfent , & quel elt leur caractere .
A peine Oromafis eut - il accepté cette
agréable propofition , qu'ils fe trouverent
fur une des plus belles promenades de R ...
On étoit pour lors à la fin du mois de Mai,
il faifoit un temps calme & frais , capable
d'adoucir les efprits les plus faronches
, & de les porter à la gaieté. Le folcil
prêt à quitter l'horifon , s'étoit difcrétement
enveloppé d'un nuage , qu'il fe plaifoit
à varier des plus éclatantes couleurs.
L'or , l'argent , le pourpre , l'azur , l'incar-
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
nat , l'amaranthe , étoient prodigués : mais
le fpectacle qu'offroit la promenade , n'étoit
pas moins raviffant. Les étoffes les plus
brillantes recevoient un nouveau luftre
des beautés qui avoient voulu s'en parer ;
enfin il fembloit que le ciel & la terre fe
fuffent fait un défi, & les fpectateurs charmés
n'ofoient décider lequel des deux
l'emportoit.
Arrêtons- nous ici , dit la Silphide , vous
fçavez que je fuis invifible pour tout autre
que pour vous. Commençons nos obfervations
par cet homme cet homme que voilà feul ; c'eft
un fçavant , un efprit profond qui n'eſt
que pour quelques jours dans cette ville où
il a pris naiffance . Ses parens lui avoient
laiffè un bien fuffifant pour mener une
vie tranquille ; mais le démon de la gloire
qui s'eft emparé de lui , l'a conduit à Paris
, l'a livré entre les mains d'un Libraire,
qui lui a fait changer la moitié de fon bien
en une nombreufe bibliothéque. Il a paffé
fix ans à étudier pour fe mettre en état de
faire un livre qui lui a couté en frais d'impreffion
, qu'il n'a pas retirés , la moitié de
ce qui lui reftoit. Il travaille actuellement
à un autre ouvrage qui va le conduire à
l'hôpital. Je ne puis m'empêcher de le
plaindre , dit Oromafis , fa manie eft celle
d'une infinité d'honnêtes gens, Il eſt d'au
A OUST. 1755 55
tant plus malheureux , interrompit la Silphide
, que fes ouvrages font très - bons
dans le fond ; il ne pêche que par le ftyle.
Pour vouloir être concis il eft obfcur ;
voilà fon feul défaut . Ses amis l'en avertiffeut
en vain , il ne lui eft pas poffible de
s'en corriger. En voulez - vous fçavoir la
raifon ? c'eſt que dans une premiere vie il
a habité le corps d'un Avocat qui s'eſt
enrichi à force d'être diffus .
Le jeune homme qui vient de l'aborder ,
eft dans la joie la plus vive ; il fort de fon
cabinet , où il vient de finir par cinq ou
fix épigrammes la feconde fcene du quatriéme
acte d'une tragédie qu'il a entreprife
uniquement pour le produit ; car il
ne fe croit pas encore affez habile pour
amaffer des lauriers : mais il a befoin d'argent
pour aller à Paris apprendre le bon
ton dans les caffés , & devenir homme de
belles Lettres dans toutes les régles . Il s'informe
à ce fçavant comment un jeune auteur
qui veut faire jouer une piece de fa
façon doit s'y prendre avec les Comédiens .
Voyez - vous plus loin ces trois politiques
, occupés fort férieufement à réformer
l'état. L'ún eft un marchand que le
jeu & le luxe de fa femme va bientôt réduite
à la néceffité de faire banqueroute.
L'autre eft un Magiftrat qui vient de ven-
Cij
56 MERCURE DE FRANCE.
dre une fort belle terre pour faire bâtir
une maiſon de campagne : Le troifiéme eſt
pere d'un libertin qui mange d'avance
fa fucceffion .
le
Cet homme brodé qui marche après
eft un riche financier , & l'Eccléfiaftique
avec qui il eft en converſation , eft le Curé
'd'une Paroiffe dont il eft Seigneur. Ce
premier médite depuis dix ans de fe retirer
à la campagne pour penfer à fon falut .
Il y en a plus. de quinze que le Curé fe
promet de jour en jour de fe retirer à la
ville pour fe repofer. Le Seigneur vante
à fon Curé les agrémens de la vie champêtre
, & le Curé exagere les charmes de la
ville.
Voici un peu plus loin deux hommes
bien embarraffés , & qui ne difent pas ce
qu'ils penfent. Le premier de notre côté
eft un jeune homme qui a fait certaines
dépenfes qu'il ne trouve pas à propos que
fa femme fçache ; il voudroit bien trouver
mille écus à emprunter . L'autre eft un vieil
avaricieux qui voudroit placer la même
fomme à l'infçu de fes parens , à qui il
fait entendre qu'il eft dans l'indigence .
Celui- ci a peur de mal placer fon argent ,
& l'autre de n'en pas trouver.
Quel eft celui qui les fuit interrompit
Oromafis , c'eft encore un jeune mari , re
A OUS T. 1755. $7
partit la Silphide. Sa deftinée eft finguliere.
Il vient d'époufer une vieille dévote
qui lui a fait ſa fortune. Les uns l'ont loué
d'avoir pris ce parti , d'autres l'ont blâmé :
mais ces derniers ne fçavent pas qu'il n'eſt
revenu dans ce monde qu'à cette condition
, parce que dans une premiere vie il
a mangé fon bien en époufant une jeune
& aimable Comédienne.
Regardez , je vous prie , ce- Confeiller
qui veut apprendre à ce Marchand de chevaux
à connoître leurs défauts , parce qu'il
a lu ce matin le parfait maréchal .
Voulez - vous voir quatre jeunes gens
dégoûtés du monde ? jettez la vûe là- bas
fous ces arbres : Vous y voilà Le premier
eft un Poëte mécontent du public , qui refufe
abfolument de l'admirer. Le fecond
eft un Auteur qui revient de Paris fans
avoir pu trouver un Imprimeur affez complaifant
, pour fe charger de faire voir le
jour à une petite hiftoriette fort plate de
La compofition.
Le troifiéme eft le fils d'un avare , le
quatriéme un indolent à qui fes parens
veulent faire prendre une profeffion . Ils
projettent de fe retirer à la campagne , &
de donner un ouvrage périodique qui aura
pour titre , Loifir des quatre Philofophes
folitaires. L'Auteur doit fronder l'infolen-
Cv
38 MERCURE DE FRANCE.
ce & l'avarice des Imprimeurs. Le Poëte
veut écrire contre le mauvais goût du fiécle.
Le fils de l'avare fur l'abus du pouvoir
paternel , & l'indolent veut faire l'éloge
de la pareffe .
Voici tout proche d'eux la femme d'un
Médecin très - médifante. Ceux qui marchent
après font dans l'embarras de décider
lequel ils aimeroient mieux de tomber
entre les mains du mari ou de la femme
?
Cet homme habillé de drap de Siléfie
eft un étranger qui cherche en lui - même
les moyens de tromper un marchand de
cette ville afin d'avoir fa fille ; & voilà
plus loin ce marchand qui médite une banqueroute
, afin de pouvoir donner à fa fille
vingt mille écus qu'il a promis verbalement
à ceux qui lui ont parlé de cet étranger
comme d'un parti fort avantageux..
Etes -vous curieux de voir un Alchymifte
qui croit avoir bientôt trouvé la pierre
philofophale Regardez ce grand homme
fec & blême.
› Ce Cavalier qui falue ces deux Dames
en paffant , fait fort bien fa cour à cette
grande brune que voilà à côté de lui . Il
lui fait accroire qu'un Chymifte de fes
amis a trouvé un élixir qui blanchit merveilleufement
la peau.
AOUS T. 1755. 39
Dans la même compagnie eft le fils d'un
riche Commerçant qui vient d'acheter une
charge de Secrétaire du Roi . Il demandoit
hier avant que de louer une piece de vers ,
qu'on venoit de lire , fi l'Auteur étoit Gentilhomme.
Apprenez- moi , je vous prie , demanda
Oromafis , quel eft ce jeune homme que
cette Dame paroît regarder avec complai- ,
fance ? C'eft un Médecin , répondit la Silphide
, qui doit faire une fortune confidérable
dans cette profeffion, parce que dans
une premiere vie il a été Capitaine de Cavalerie
, & s'eſt ruiné à la guerre . A caufe
de quelques vers affez jolis qu'il a faits
dans fes momens de loifir , il a été reçu
dans la planette de Mercure . A l'affemblée
générale il s'eft plaint amerement de
l'injuftice du fort . J'ai défait ma patrie
d'un nombre infini d'ennemis , a - t- il dit
entr'autres chofes , & pour toute récompenfe
je n'ai trouvé à mon retour que la
plus trifte indigence. Le Salamandre qui
préfidoit , voulant rendre le contrafte parfait
, a ordonné qu'il naîtroit pour être
Médecin , & en même tems ,a commis un
Silphe pour travailler à lui faire une haute
réputation. Je ferois affez curieux de fçavoir
, dit alors Oromafis , quels moyens
il employera pour en venir à bout . Bon
Cvj
Go MERCURE DE FRANCE:
"
répondit la Silphide , rien de plus aifé , ce
jeune Médecin eft , comme vous le voyez ,
d'une figure aimable . Une Dame de confidération
qui ne fera gueres malade & qui
croira l'être beancoup, doit bientôt le faire
appeller , il la guérira ; l'obligation qu'elle
croira lui avoir l'intéreffera en fa faveur ,
la bonne mine du jeune Efculape donnera
de la vivacité au zéle de fa malade . De
retour à Paris où elle fait fon féjour ordinaire
, elle le vantera à toutes fes connoiffances
, on le fera venir , il fera goûté . Sa
fortune deviendra pour lors fon affaire ,
le Silphe doit l'abandonner à lui-même.
Ce Salamandre étoit plaifant , continua
la Silphide je ne finirois point fi je
vous rapportois tous les jugemens finguliers,
& fi l'on ofe parler ainň, épigrammatiques
qu'il a portés . Lucullus , ce voluptueux
Romain , ayant entendu vanter la
délicateffe & le raffinement de la cuifine
françoife ,demanda à revenir pour en juger
lui - même. Devinez où il l'envoya ?
fans doute , répondit Oromafis , dans le
corps pefant & matériel de quelque gros
Bénéficier , ou de quelque homme de la
vieille finance; point du tout , reprit- elle ,
mais dans le corps d'un Maître d'Hôtel.
Ménélas dans la même affemblée demanda
à revivre , il le lui permit à condition
AOUST. 1755: 61
qu'il deviendroit amoureux d'une fille
d'Opéra jufques à l'époufer pour le punir
de fa folie d'avoir couru après fa femme
à la tête de toute la Gréce. Hélene qui
avoit été par fa coqueterie la caufe de
tant de maux , fut condamnée à revenir
pour être la fixiéme fille d'un Gentilhomme
, campagnard , qui auroit des fils à
foutenir à la guerre.
Confiderez , continua fur le champ la
Silphide , fans laiffer au Philofophe le
tems de répondre : confiderez cette Demoifelle
, déja furannée , qui regarde les
paffans avec tant d'attention , elle paffe
les nuits à rêver , & le jour à deviner ce
que fes rêves fignifient . Pour fçavoir comment
elle paffera la journée , il faut lui
demander , quels fonges avez - vous fait
cette nuit ? ils décident de fon humeur.
Elle en a fair un , il y a environ huit
jours , qui fignifie , fuivant fon interprétation
, qu'elle fe mariera dans peu , mais
elle ne fçait point à qui , & c'est ce qui
l'embarraſſe.
Ces deux hommes que vous voyez enfemble
après cette rêveuſe , font bien mal
affortis. C'eft un Antiquaire & un Fleurifte
. Celui - ci s'eft emparé du premier
lui détailler les beautés miraculeufes
de fes tulipes & de fes renoncules . L'Anpour
62 MERCURE DE FRANCE.
tiquaire qui a la tête remplie de l'explica
tion d'une médaille du tems de Caracalla ,
pefte contre l'importun , & traite de fadaife
tout ce qu'il lui compte à la gloire
de fes fleurs .
Voici fur ce banc vis- à- vis de nous une
femme qui s'ennuie beaucoup. La converfation
eft pourtant affez animée , répondit
Oromafis , fi l'on en juge par les geftes
que ce petit homme fait en parlant . Il eft
vrai , répartit la Silphide ; mais cette Dame
n'y prend aucune part . C'eft une differtation
fur le plaifir, & felon elle il vaut
bien mieux le fentir que de perdre le tems
à le définir.
Cette jeune perfonne qui rit de fi bon
coeur , eft menacée de vivre & mourir fille.
Pourquoi cela , demanda le Philofophe ,
c'eft , répondit la Silphide , qu'elle ne veut
fe marier qu'à un homme fans fatuité .
Ce grand homme au milieu de ces deux
petits , eft un Avocat qui compte tous les
procès qu'il a fait gagner ; & voilà plus
loin , fon confrere qui compte tous ceux
qu'il a fait perdre.
Confiderez ce garçon habillé de brun ,
qui vient vers nous , c'eft un domeſtique.
Il ne fe doute nullement qu'il eft bon
Gentilhomme. Il a été changé en nourrice
, & paffe pour le fils d'un payfan . Cette
A O UST. 1755. 63
pénitence lui a été impofée , parce que
dans une premiere vie il fe croyoit le fils
d'un homme de confidération , & s'eft
rendu infupportable à tout le monde par
fa fierté , fon arrogance & fes hauteurs.
Il a été bien furpris quand après la mort
on lui a fait connoître qu'il n'étoit que
le fils du valet de chambre de fa mere.
Voilà deux jeunes gens fur le point de
s'époufer , qui ont des idées bien différentes.
Le jeune homme eft abfolu & intéreffé
, il ne fe marie que pour groffir fon
revenu , & compte exercer dans fon ménage
un pouvoir defpotique. La Demoifelle
eft fort haute , elle aime le plaifir &
la dépenfe , & ne fonge en fe mariant qu'à
fe fouftraire à l'autorité d'un pere & d'une
mere économes .
Celui qui vient d'arrêter ces Dames ,
eft un perfonnage fingulier , il fait des dépenfes
confidérables pour fe donner la réputation
de fin connoiffeur , & n'a réuffi
qu'à fe donner un ridicule. Il arrive hier
à une vente , on crioit un tableau à cinq
livres : qu'eft- ce qu'on vend là , s'écria - til
d'un ton de fupériorité infolente ? C'eſt
un tableau , je crois : mais voyons- le donc.
On le lui montre : allons , dit-il en hauffant
les épaules , & fans prefque le regarder
, à dix écus , à dix écus. Perfonne
64 MERCURE DE FRANCE.
comme bien vous penfez , ne s'eft avifé
de mettre fur fon enchere. Je gagne au
moins dix piftoles de ce qu'il n'y a point
ici de connoiffeur , a- t- il ajouté en le recevant.
Va-t- il à quelques ventes de livres ?
ne croyez pas qu'il s'amufe à regarder des
volumes bien reliés ; mais s'il voit quelque
bouquin à moitié mangé des rats ou
des vers , c'eft à celui - là qu'il court .
Je ne vous ai montré jufqu'ici que des
gens affez ridicules , continua la Silphide ,
mais je veux vous en faire voir de raifonnables
. Regardez à droite ces trois perfonnes
qui fe repofent ; le premier eft un Philofophe
très- aimable ; il eft avec fa femme
& un jeune Anglois qui eft fon ami particulier.
Un Silphe de ma connoiffance me
comptoit , il y a quelques jours , leur hiftoire
; elle eft affez intéreffante . Oromafis
ayant fait paroître quelque envie de l'entendre
, la Silphide qui ne demandoit pas
mieux que de lui en faire le récit , commença
par ces mots.
Nous la donnerons le mois prochain.
O
A OUST .
1755 65
LE MALHEUR D'AIMER.
POEME ,
Par M. Gaillard , Avocat.
N On , je ne veux plus rien aimer ;
Un jufte orgueil m'enflamme , un jour heureux
m'éclaire ,
J'arrache en frémiffant ce coeur tendre & fincere
Aux perfides attraits qui l'avoient fçu charmer..
Combien l'illufion leur prêta de puiffance !
Et combien je rougis de ma folle conſtance !
Quoi ! c'eft-là cet objet adorable & facré ,
Chef- d'oeuvre de l'amour , par lui-même admiré ,
Sur qui la main des Dieux ( foit faveur ou colere)
Epuifa tous fes dons , & fur- tout l'art de plaire ! ...
Quel démon m'aveugloit : quel charme impérieux
Enchaînoit ma raiſon & faſcinoit mes yeux ?
J'aimois . J'embelliffois ma fatale chimere
Des traits les plus touchans d'une vertu fincere ;
Que ne peut-on toujours couvrir la vérité
Du voile de l'amour & de la volupté !
Hélas ! de mon erreur j'aime encor la mémoire ;
Je regrette mes fers , & pleure ma victoire 30
Que dis-je , malheureux ? Ah ! je devois pleurer,
66 MERCURE DE FRANCE.
Lorfque prompt à me nuire , ardent à m'égarer ;
Je fubis les rigueurs d'un indigné efclavage ;
Les Dieux de ces périls m'avoient tracé l'image.
Un fonge ( & j'aurois dû plutôt m'en ſouvenir )
A mon coeur imprudent annonçoit l'avenir.
J'errois fur les bords de la feine
Dans des bofquêts charmans confacrés au plaifir }
Avec Thémire , avec Climene ,
Par des jeux innocens j'amufois mon loifir.
Un enfant inconnu deſcend fur le rivage ,
Il mêle un goût plus vif à notre badinage ,
Il pare la nature , il embellit le jour ,
L'univers animé parut fentir l'amour.
Ses aîles , fon carquois m'infpiroient quelque
crainte ,
Mais dans les yeux touchans l'innocence étoit
peinte.
Il me tendit les bras . Son ingénuité
Intéreffa mon coeur qu'entraînoit fa beauté ;
Careffé par Thémire , & loué par Climéne
A leurs plus doux tranfports il fe prêtoit à peine ,
J'attirois tous fes foins , & j'étois feul flaté .
Il aimoit , diſoit-il , à me voir , à m'entendre ,
Il fembloit à mon fort prendre un intérêt tendre ,
Avec un air charmant il plaçoit de ſa main
Des lauriers fur mon front , des roſes dans mon
fein ; . -
Qui ne l'auroit aimé ? pardonnez , ô fageffe
AOUST.
1755 67
Je fçais trop à préfent qu'il faut n'aimer que
vous ;
Mais de ce traître enfant que les piéges font doux !
Que les traits ont de force & nos coeurs de foibleffe
! )
Il me montra de loin le palais des plaiſirs ,
J'y volai plein d'eſpoir , fur l'aîle des defirs .
Là , tout eft volupté ! tranfport , erreur , ivreffe ,
Là , tout peint , tout infpire , & tout fent la tendreffe
;
Dans mille objets trompeurs l'art fçait vous préfenter
Celui qui vous enchante , ou va vous enchanter.
J'apperçus deux portraits : l'un fut celui d'Or
phife ,
Mon oeil en fut frappé , mon ame en fut ſurpriſes
Vieille , elle avoit d'Hébé l'éclat & les attraits
Sa beauté m'éblouit fans m'attacher jamais .
Mais l'amour m'attendoit au portrait de Sylvie
Il alloit décider du bonheur de ma vie.
Sans éclat , fans beauté , fa naïve douceur
Fixa mon oeil avide , & pénétra mon coeur.
Dans fes yeux languiffans , ou l'art ou la nature
Avoient peint les vertus d'une ame noble & pure
Tous mes fens enivrés d'une rapide ardeur
Friffonnoient de plaifir , & nommoient mon vain
queur ...
Cependant fous mes pas s'ouvre un profond abî
me 2
68 MERCURE DE FRANCE.
J'y tombe , & je m'écrie : O trahiſon , ô crime !
De quels fleuves de fang me vois-je environné ?
Dans ces fombres cachots des malheureux gémiffent
,
De leurs cris effrayans ces voûtes retentiſſent :
Fuyons .... Des fers cruels me tiennent enchaîné ;
Mille dards ont percé mon coeur infortuné ,
O changement affreux ! quel art t'a pû produire ?
Une voix me répond : Pallas , va-t'en inftruire ?
L'amour fuit démafquant fon viſage odieux .
La rage d'Erinnys étincelle en fes yeux ,
Des ferpens couronnoient fa tête frémiffante ;
Le reſpect enchaînoit fon audace impuiffante ;
Il fecouoit pourtant d'un bras féditieux
Un flambeau dont Pallas éteignoit tous les feuxJ
Je la vis , & je crus l'avoir toujours aimée ,
Ses vertus s'imprimoient dans mon ame enflam
mée ,
J'admirois ces traits fiers , cette noble pudeur ,
Où du maître des Dieux éclatoit la fplendeur.
» Tombez , a- t-elle dit , chaînes trop rigoureu-
>> fes !
» Fermez-vous pour jamais, cicatrices honteufes !
>> Mortel ! je n'ai changé, ni l'amour , ni ces lieux ,
» Mais j'ai rompu le charme & deffillé tes yeux.
» La volupté verfoit l'éclat fur l'infamie ,
» D'un mafque de douceur couvroit la perfidie ;
La vertu feule eft belle , & n'a qu'un même
aſpect ,
A OUST . 1755. 69
» L'amour vrai qu'elle infpire eft enfant du ref-
» pect.
» Mais ſui – moi , viens apprendre à détefter ce
>> maître
>> Que les humains féduits fervent fans le connoî-
» tre ,
» Qui t'entraînoit toi -même , & t'alloit écraser
» Sous le poids de ces fers que j'ai daigné brifer.
>> Ce monftre en traits de fang , ſous ces voûtes
» horribles ,
» Grava de fes fureurs les monumens terribles.
ô Que vis-je ? .... ô paffions & fource des for
faits !
Quels tourmens vous caufez , quels maux vous
avez faits !
Térée au fond des bois outrage Philomele ?
Progné, foeur trop fenfible & mere trop cruelle ;
A cet époux inceftueux ,
De fon fils déchiré , fert les membres affreux.
Soleil ! tu reculas pour le feftin d'Atrée !
As-tu
pu
fans horreur voir celui de Térée ?
Mais quels font ces héros enflammés de fureur ;
Qui partagent les Dieux jaloux de leur valeur ? ....
Dieux votre fang rougit les ondes du Scamandre
;
Patrocle , Hector , Achille , ont confondu leur
cendre
70 MERCURE DE FRANCE.
Sous fon palais brûlant Priam eft écrasé ,
Le fceptre de l'Afie en fes mains eft brifé ,
Tout combat , tout périt : Pour qui ? pour une
femme ,
De mille amans trompés vil rebut , refte infame.
Le fier Agamemnon , ce chef de tant de Rois ,
Dont l'indocile Achille avoit fubi les loix ,
Revient après vingt ans de gloire & de mifere
Expirer fous les coups d'une épouse adultere .
Aux autels de les Dieux Pyrrhus eft égorgé ;
Hermione eft rendue à ſon époux vengé.
Pour laver ton affront , ô Phédre ! l'impofture
Charge de tes forfaits la vertu la plus pure ;
Sur un fils trop aimable un pere furieux
Appelle en frémiffant la vengeance des Dieux .
Le courroux de Neptune exauçant fa priere
Seme d'ennuis mortels fa fatale carriere.
Biblis , & vous , Myrrha , d'une exécrable ar
deur
Par des pleurs éternels vous expiez l'horreur.
O Robbe de Neffus ! & trompeufe efperance !
O d'un monftre infolent effroyable vengeance !
Sur le bucher fatal Hercule eft confumé ;
Héros plus grand qu'un Dieu , s'il n'avoit point
aimé !
Tu fuis , ingrat Jaſon , ta criminelle épouſe :
A O UST. 1755 71 .
Mais ... connois -tu Médée & fa rage jalouſe ?
Elle immola fon frere , & fe perdit pour toi ,
Tu ne peux ni la voir , ni la fuir fans effroi ! ....^
Mais la voici , grands Dieux ! furieufe , tremblan
I
te ......
Un fer étincélant arme fa main fanglante ,
Elle embraffe fes fils , & frémit de terreur
Ah ! d'un crime effrayant tout annonce l'horreur...
Arrête , Amour barbare , & toi , mere égarée ,
De quel fang fouilles-tu ta main deſeſpérée ?
La nature en frémit , l'enfer doute en ce jour
Qui l'emporte en fureur , ou Médée ou l'Amour.
Le jour vint m'arracher à ce fpectacle horrible,
Pour éclairer mon coeur la vérité terrible
Avoit emprunté par pitié
Les traits d'un utile menfonge. , .
Tout fuit , tout n'étoit qu'un vain fonge ,
Et mon coeur a tout oublié.
Deux Amours,, deux erreurs ont partagé ma
vie ,
Fadorai la vertu dans le coeur de Sylvie ,
Par des vices brillans Orphiſe m'enchanta ,
La vertu s'obscurcit , & le vice éclata ,
Orphife étoit perfide autant qu'elle étoit belle ,
Sylvie .... elle étoit femme , elle fut infidelle..
Sur quel fable mouvant fondois-je un vain eſpoir &
La candeur, la conftance eft-elle en leur pou
voir ?
72 MERCURE DE FRANCE.
(
Je te connois enfin , ſexe aimable & parjure ,
Ornement & fléau de la trifte nature !
Tu veux vaincre & regner , fur- tout tu veux tra
hir.
Notre opprobre eft ta gloire , & nos maux ton
t
plaifir.
Du généreux excès d'un amour héroïque
La vertueufe Alçefte étoit l'exemple unique.
Adorable en fa vie , admirable en ſa mort ,
Elle étonna les Dieux , & confondit le fort.
En fubiffant fa loi cruelle.
Otoi , qui poffedas cette épouſe fidele ,
Tu ne méritois pas , Admete , un fort fi beau ;
Si l'Amour ne t'entraîne avec elle au tombeau !
Elle eſt mere , & du fang t'immole la foibleffe !
Elle eft Reine , & connoit la conftante amitié !
Infenfible à fa perte , elle plaint ta tendreſſe ,
Dans les yeux prefque éteints brille encor la
pitié ;
Elle entre en t'embraffant dans la nuit éternelle ,
C'est pour toi qu'elle meurt , peux- tu vivre fans
elle ?
Hélas ! le coeur humain doit-il former des voeux ?
De toutes les vertus Alcefte eft le modele ,
Mais s'il étoit fuivi , ferions -nous plus heureux ?
Amour ! contre tes traits où prendroit - on des
armes ?
Ofemmes qui pourroit fe fouftraire à vos charmes
si
A O UST. 1755 . 75
Si vos coeurs fecondoient le pouvoir de vos yeux ?
La nature s'émeut à l'aspect d'une belle :
Le coeur dit : La voilà , mon bonheur dépend d'elle.
Que l'épreuve dément un préfage fi doux !
Hélás les vrais plaifirs ne font pas faits pour
nous.
Nous jouiffons bien peu de la douceur fuprême
De plaire à nos tyrans , ou d'aimer qui nous aimed
Dans l'empire amoureux tout coeur eſt égaré ,
Et loin des biens offerts cherche un bien defiré.
Ariane brûloit pour l'inconftant Théfée :
Mais il venge àfon tour cette amante abufée ;
Il aime , & dans fon fils on lui donne un rival ;
Phédre adore Hyppolite , & Phédre eft mépriféer
Phyllis eft fufpendue à l'amandier fatal ;
Démophoon fidele eût vû Phyllis volage ,
Tel eft de Cupidon le cruel badinage ;
Il fe nourrit de fang , il s'abbreuve de pleurs ,
Il enchaîne , & jamais il n'affortit les coeurs.
Vous , dont un vent propice enfle aujourd'hui
les voiles ,
Qui lifez , pleins d'efpoir , fur le front des étoiles
L'approche du bonheur & la route du port.
Ah ! tremblez ! mille écueils vous préfentent la
mort.
J'entens mugir les flots & gronder les tempêtes.
L'abime eft fous vos pieds , la foudre eft fur vos
têtes ;
D
74 MERCURE DE FRANCE.
D'une fauffe amitié les perfides douceurs
De l'infidélité préparent les noirceurs ;
Bientôt on oubliera juſqu'à ces faveurs même ,
Dont on flate avec art votre tendreffe extrême ;
On verra vos tourmens d'un oeil fec & ferein .
Vainement pour voler à des ardeurs nouvelles
Le dépit & l'orgueil vous prêteront leurs aîles.
Vous ferez retenus par cent chaînes d'airain.
Les caprices fougueux , les fombres jaloufies ,
Et la haine allumée au flambeau des Furies ,
Etoufferont fans ceffe & produiront l'amour ,
De vos coeurs déchirés , indomptable vautour.
Sauvez de ces revers vos flammes généreuſes ;
Sortez , s'il en eft tems , de ces mers orageuſes ,
Regagnez le rivage , & cherchez le bonheur
Dans le calme des fens & dans la paix du coeur.
Des fieres paffions brifez le joug infâme ,
Fuyez la volupté , ce doux poifon de l'ame ,
La gloire & la vertu combleront tous vos voeux ,
Sous leur aimable empire on vit toujours heureux
.
Ainfi parloit Sylvandre , & fa douleur amere
Méconnoiffoit l'Amour maſqué par la colere ,
Quand d'un fouris flateur , fait pour charmer les
Dieux ,
A fes yeux éperdus Sylvie ouvrit les cieux ;
Quel moment ! quel combat pour fon ame attendrie
!
AOUST. 1755:
75
Elle approche , il pålit , il fe trouble ....... il
s'écrie ,
Frémiffant de couroux , de tendreffe & d'effroi ;
Tu l'emportes , cruelle , & mon coeur est à toi.
Unfeul de tes regards affure ta victoire ,
T'aimer eft ma vertu , t'enflammer eft ma gloire.
DE L'ESTIME DE SOI - MESME ,
Par M. de Baftide.
J'Entreprends de donner aux hommes
des leçons d'amour propre. Ce projet
paroîtra le fonge d'un jeune homme à qui
le coeur humain n'eft pas encore connu.
L'art de l'amour propre n'eft-il pas épuifé ?
J'aurois fait , à vingt ans , cette queſtion
qui ne peut être pardonnable qu'à cet âge ,
& qui , à trente , prouveroit une ame &
un efprit médiocres . L'amour propre eft un
être immenfe. Il a toute forte d'intérêts , de
prétentions , toute forte de droits ; il реце
donc avoir toute forte de formes . Il eft vifiblement
partout , car ilfe fait fentir dans tout
les hommes ont fait. C'eſt un acteur
public à qui chacun fait jouer un rôle différent
dont le but est le même. Semblable
à l'immortel Baron qui jouoit pour Pradon
& pour Racine ; mais avec cette différence
que Baron repréfentoit toujours fupérieuce
que
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
rement pour le Poëte admirable , comme
pour le verfificateur ridicule , & que l'art
de l'amour propre acteur dépend précifement
de l'efprit de celui qui lui donne un
rôle à jouer.
Rien n'eft fi néceffaire que de fentir
l'amour propre. Je le diftingue de l'orgueil
qui eft un vice de l'ame d'après lequel on
peut juger d'un homme & le méprifer. Je
parle de ce défir actif& délicat d'être cité ,
loué , récompenfé que l'on fent lorſqu'on
a mérité de l'etre . Ce défir a été la fource
de tout ce qu'il y a de bien dans le monde.
On fait bien à proportion qu'on le regarde
comme un premier moyen de bien faire.
Pour le fentir , il faut s'eftimer ce que l'on
vaut. Si l'on doute de fon mérite , on doutera
de fes reffources , on ne s'élevera jamais
que foiblement au- deffus du médiocre
; on travaillera , parce que l'efprit eft
un feu qu'il faut nourrir & qui fçait nous
y contraindre , mais ce fera avec beaucoup
moins de talent & beaucoup plus de peine,
& l'on ignorera qu'on peut très -bien faire
même après avoir très - bien fait .
L'avantage de fçavoir s'apprécier ne fe
borne pas au bien perfonnel ; il s'étend à
l'infini , il eft une fource d'avantages pour
la fociété, L'homme qui fçait ce qu'il vaut ,
devient extrêmement utile aux autres.
A OUST. 1755: 77
S'agit- il , par exemple , de donner un confeil
dans une occafion où l'on a pris de faufſes
meſures & à un efprit orgueilleux qui
ne veut pas fouffrir qu'on le défabuſe ? il
parle avec une fierté active qui déconcerte
l'orgueil aveugle ; il fe cite , parle de fes
lumieres , de fes fuccès , de fa réputation.
Il réuffit , il perfuade , mais c'eft furtout ,
au ton qu'il a pris qu'il doit fon fuccès . Ses
raifons toutes folides qu'elles étoient n'auroient
pas fuffi .
Cette façon de fe citer , de parler avantageufement
de foi , n'eft pas feulement
légitime ; les circonftances la rendent néceffaire.
Henri IV , alors fimplement roi
de Navarre , ayant à combattre une armée
puiffante , fort fupérieure en nombre à la
fienne , trouva , dans le bonheur d'avoir
fçu fe rendre juſtice , le moyen d'illuſtrer
à jamais fa petite troupe . Au moment de
l'action il fe tourna vers les princes de
Condé & de Soiffons , & , parlant d'un ton
affuré , je ne vous dirai rien autre chofe , leur
dit- il , finon que vous êtes de la maison de
Bourbon , & vive Dicu , je vous montrerai
que je fuis votre aîné. Son armée qui devoit
être taillée en pieces , fit des prodiges , &
fut victorieufe. Il eft aifé de fentir qu'elle
dut fa victoire à celui à qui elle devoit fon
grand courage.
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
Les hommes aiment à fentir l'admira
tion. Le mérite modefte ne l'infpira prefque
jamais. Cette admiration mene à tout
ceux qui la fentent & celui qui l'infpire ; il
faut donc y prétendre lorfqu'on doit efpérer
de la faire naître ; c'eſt un ſervice que
l'on rend aux hommes dont la gloire éclatante
pique l'émulation ; c'eft de plus une
juftice que l'on doit à foi - même , à fes
amis & à fes defcendans. Trop de modeftie
nuiroit à cette fage ambition . Pour la
faire naître en foi , ou du moins pour s'exciter
à en écouter les confeils & les infpirations
, il faut s'entretenir complaifamment
avec foi-même de ce que l'on vaut. Dès
qu'une fois l'on a fenti ce que l'on mérite ,
on fouhäitte bientôt de mériter encore d'avantage
, & ce fouhait conduit infenfiblement
aux grandes chofes dont on ne feroit
pas devenu capable fi l'on ne s'étoit rendu
compte de ce que l'on valoit.
L'orgueil tout méprifable qu'il eft , peut
rendre les mêmes fervices que l'amour propre
le plus refpectable. La plupart des hommes
célébres dans tous les genres , ont dû
à fon impulfion cette fureur de gloire qui
les a conduit à ce qu'on appelle vulgairement
l'immortalité. Mais fe regardera- t- on
comme grand tant que l'on ne pourra fe
flatter d'être l'exemple du fage , & jouira
A O UST. 1755 . 79
t-on bien paisiblement d'une gloire ufurpée
qu'on ne pourra s'empêcher de fentir qui
n'eft que l'effet de l'erreur des hommes ?
L'orgueilleux porte dans fon coeur fon juge
& fon châtiment. Il eft jaloux du vrai mérire
, il dévore la gloire des autres , il ne
jouit pas de la fienne , il fent qu'il n'en a
point. L'orgueil eft une ivreffe qu'une
cruelle agitation fuit toujours ; il nous
aveugle & nous cache la vraie valeur de
toutes chofes , il nous montre les autres
plus grands qu'ils ne font & nous montre
à nous- mêmes plus petits que nous ne
fommes , il nous réduit prefque à rien malgré
l'apparence , malgré l'éclat qui nous
environne dès qu'une fois il a ceffé de nous
empêcher de nous connoître.
L'orgueil eft l'abus de l'amour propre .
En s'y livrant , on peut faire une certaine
illufion & goûter un certain plaifir , mais
on vit intérieurement malheureux & l'on
eft toujours méprifable . Un fort bien différent
eft réſervé à celui qui en s'eftimant
n'abuſe point de l'opinion de fon mérite &
ne s'accorde que ce qui lui eft du. L'action
de fa vanité fe tourne en fentiment ; il
s'eftime avec fécurité parce que les louanges
fecretes qu'il fe donne , n'empruntent
rien d'un certain mépris pour les autres ,
ne le rendent ni vain ni jaloux , & font la
Div
82 MERCURE DE FRANCE.
le rifque d'eftimer les autres plus qu'ils ne
valent , ce qui eft d'une très - grande importance
dans le monde où il n'y a aucune
forte de vertu dont on ne cherche à abufer.
Quel avantage n'a pas fur vous l'homme
le plus médiocre s'il vous voit embarraffél
devant lui , foir dans une concurrence ,
foit dans un démêlé , foit dans une converfation
? C'eft prendre fon role & lui
céder le vôtre , vous pouviez être le facrificateur
, vous devenez la victime ; il abuſe
de votre modeftie qui l'aveugle après l'avoir
étonné ; la caufe de fon triomphe dif
paroît à fes yeux , fa fatuité fe fait honneur
des armes que vous lui avez fournies ;
il devient préfomptueux & infolent de
modefte qu'il eut peut-être été , & vous
devenez en quelque façon comptable de
tout le mal que fon orgueil va faire.
Il eft donc abfolument néceffaire de
s'apprécier ce que l'on vaut ; mais cela ne
fuffic pas ; il faut joindre à l'eftime de foimême
l'art d'augmenter celle des autres.
C'eft une fuite que nous donnerons le
mois prochain.
L'Epitre à Eglé par Mademoiſelle Loiſeau,
que nous avons inférée dans le Mercure de
Juillet , nous a été envoyée à l'infçu de l'auteur ;
c'est malgré fa modestie que cette piece a vu le
jour.
AOUST. 1735. 83
EPITRE
DE M. DE V ***.
En arrivant dans fa Terre près du Lac de
Geneve , en Mars 1755 .
O
Maifon d'Ariftippe ! ô jardins d'Epicure !
Vous qui me préſentez dans vos enclos divers ,
Ce qui fouvent manque à mes vers ,
Le mérite de l'art foumis à la nature.
Empire de Pomone & de Flore fâ foeur ,
Recevez votre poffeffeur ?
Qu'il foit ainfi que vous folitaire & tranquille.
Je ne me vante point d'avoir en cet azile
*
Rencontré le parfait bonheur ;
Il n'eſt point retiré dans le fonds d'un bocage ;
Il eft encor moins chez les Rois ;
Il n'eft pas même chez le fage :
De cette courte vie il n'eft point le partage ;
Il faut y renoncer : mais on peut quelquefois
Embraffer au moins fon image.
Que tout plaît en ces lieux à mes fens étonnés !
D'un tranquile Océan ( a) l'eau pure & transparente
Baigne les bords fleuris de ces champs fortunés ;
D'innombrables côtaux ces champs font couronnés
;
(a) Le lac de Geneve.
D vi
84 MERCURE DE FRANCE.
Bacchus les embellit : leur infenfible pente
Vous conduit par dégrez à ces monts fourcilleux (6)
Qui preffent les Enfers , & qui fendent les Cieux.
Le voilà ce Théâtre & de neige & de gloire ,
Eternel boulevard qui n'a point garenti
Des Lombards le beau territoire .
Voilà ces monts affreux célébrés dans l'hiſtoire ,
Ces monts qu'ont traversé par un vol fi hardi
Les Charles , les Ottons , Catinat & Conti
Sur les aîles de la victoire.
Au bord de cette mer où s'égarent mes yeux ,
Kipaille je te vois ; O ! bizarre Amedée ! (c )
De quel caprice ambitieux
Ton ame eft elle poffédée ?
Duc ,hermite , & voluptueux ,.
Ah ! pourquoi t'échapper de la douce carriere
Comment as- tu quitté ces bords délicieux ,
Ta cellule & ton vin , ta maîtreffe & tes jeux
Four aller difputer la barque de Saint Pierre ?
Dieux facrés du repos je n'en ferois pas tant ,
Et malgré les deux clefs dont la vertu nous frappe,
Si j'étois ainfi pénitent
Je ne voudrois point être Pape.
Que le chantre flatteur du Tiran des Romains
L'auteur harmonieux des douces géorgiques ,
(b) Les Alpes.
3
(c ) Le premier Duc de Savoye , Amédée , Pape
on Anti-Papeſous le nom de Felix
A O UST . 85 1755
Ne vante plus ces Lacs & leurs bords magnifiques ,
Ces Lacs que la Nature a creufés de fes mains
Dans les Campagnes italiques.
Mon Lac eft le premier. C'eft fur fes bords heu
reux
Qu'habite des humains la Déeffe éternelle ,
L'ame des grands travaux , l'objet des nobles voeux ,
Que tout mortel embraffe , ou defire , ou rappelle ,
Qui vit dans tous les coeurs , & dont le nom facré
Dans les cours des Tirans eft tout bas adoré ,
La Liberté. J'ai vu cette Déeffe altiere ,
Avec égalité répandant tous les biens ,
Defcendre de Morat en habit de guerriere ,
Les mains teintes du fang des fiers Autrichiens ,
Et de Charles le téméraire.
Devant elle on portoit ces piques & ces dards ,
On traînoit ces canons ces échelles fatales
Qu'elle - même brifa , quand fes mains triomphales.
De Genêve en danger deffendoient les remparts.
Un Peuple entier la fuit . Sa naïve allégreffe
Fait à tout l'Apennin répéter fes clameurs ;
Leurs fronts font couronnés de ces fleurs que la
Grece:
Aux champs de Marathon prodiguoit aux vainqueurs,
C'eſt-là leur Diadême ; ils en font plus de compte.
Que d'un cercle à fleurons de Marquis & de Comte,
Et de larges Mortiers à grands bords abattus ,
$ 6 MERCURE DE FRANCE.
Et de ces Mitres d'or aux deux fommets pointus.
On ne voit point ici la grandeur infultante
Portant de l'épaule au côté
Un ruban que la vanité
A tiffu de fa main brillante :
Ni la fortune infolente
Repouffant avec fierté
La priere humble & tremblante
De la trifte pauvreté.
On ne mépriſe point les travaux néceffaires :
Les états font égaux , & les hommes font freres
Liberté liberté ! ton trône eft dans ces lieux.
Rome depuis Brutus ne t'a jamais revûe .
Chez vingt peuples polis à peine es- tu connue.
Le Sarmate à cheval t'embraffe avec fureur ;
Mais le bourgeois à pied rampant dans l'eſclavage,
Te regarde , foupire & meurt dans la douleur.
L'Anglois pour te garder fignala fon courage ;
Mais on prétend qu'à Londre on te vend quelquefois.
Non , je ne le crois point ; ce peuple fier & fage
Te paya de fon fang , & foutiendra tes droits.
Aux marais du Batave on dit que tu chanceles ;
Tu peux te raffurer : la race des Naffaux ,
Qui dreffa fept autels ( d) à tes loix immortelles ,
Maintiendra de fes mains fideles ,
Et tes honneurs & tes faifceaux.
(d) L'union des fept Provinces.
AOUST. 1755. 87
Venife te conferve , & Genes t'a repriſe.
Tout à côté du trône à Stockholm on t’a miſe ;
Un fibeau voisinage eft fouvent dangereux.
Préfide à tout état où la Loi t'autorife ,
Et reftes-y fi tu le peux.
Ne va plus fous le nom & de Ligue & de Fronde ,
Protectrice funefte , en nouveautés féconde ,
Troubler les jours brillans d'un Peuple de vainqueurs
Gouverné par les loix , plus encore par les moeurs :
Il chérit la grandeur fuprême .
Qu'a-t-il befoin de tes faveurs
Quand fon joug eft fi doux qu'on le prend pour
toi-même ?
Dans le vafte Orient ton fort n'eft pas fi beau.
Aux murs de Conftantin tremblante conſternée ,
Sous les pieds d'un Vifir tu languis enchaînée
Entre le fabre & le cordeau.
Chez tous les Lévantins tu perdis ton chapeau .
Que celui du grand Tell ( e) orne en ces lieux ta
tête.
Defcends dans mes foyers en tes beaux jours de fête;
Viens m'y faire un deftin nouveau.
Embellis ma retraite où l'amitié t'appelle :
Sur de fimples gazons viens t'affeoir avec elle :
Elle fuit comme toi les vanités des Cours ,
Les cabales du monde & fon regne frivole.
O mes Divinités vous êtes mon recours ,
(e) L'Auteur de la liberté Helvétique .
88 MERCURE DE FRANCE.
L'une éleve mon ame & l'autre la confole ,
Préfidez à mes derniers jours !
LEE mot de l'Enigme du Mercure de Juillet
eft Oifean . Celui du Logogryphe eſt
Conftantinople , dans lequel on trouve Nanres,
Naples , Nole , Pife , nains , Pictes , Pan,
canon , cannes , Nil , S. Jean , Lia , Pline ,
lion , Cinna , tifon , océan , none , plane, ton-
`tine , capitole ; Tinto , Latone , Nonce , Platon
, Efon , Conon , Caton.
J
ENIGM E.
E dois & mon être & mon prix.
Au caprice éclairé de quelques beaux efprits
Dont la fçavante politique
Me donna tout d'abord un pouvoir chimérique¿
Auquel tout homme s'eft foumis .
J'ai bien des foeurs encor de la même fabrique ,
Mais très-peu d'entre nous font entendre leurs
voix.
·
Les autres de moindre importance
N'empruntent que de nous leur valeur & leur
5 poids ,
Et fans nous reſteroient dans un profond filence,
A O UST. 89 1755 .
Je fuis pourtant muette en France ;
Mais enfin on ne peut , ni s'y paffer de moi ,
Ni fans moi finir nulle affaire.
Pour le peuple je fuis doublernent néceflaire ,
Mais je ne fuis aux grands d'aucune utilité ;
Je termine la vie ainfi qu'un fimple ſonge ,
Et malheureuſement je me prête au menfonge
Auffi- bien qu'à la vérité :
Au refte , quoique l'on en dife ,
Je m'établis dans Rome & préfide à l'Eglife :
Mais aux yeux
de celui qui me connoît à fonds
Je n'ai point d'autre rang dans le chriftianiſme
Que dans le paganiſme ,
Et tous mes droits ne font que des conventions.
Lecteur , fi cette Enigme à tes yeux eft obfcure,
Pour finir l'embarras où je puis t'avoir mis ,
Tu trouveras le mot à la fin du Mercure ,
Si l'Imprimeur n'a rien omis.
LOGOGRYPHE.
E porte moire ,
Je porte poire ,
Je porte mal ,
Je porte pal ,
Je porte lie ,
Je porte Pie ,
Je porte ma >
90 MERCURE DE FRANCE.
Je porte la ,
Je porte pire ,
Je porte lire ,
Je porte Roi ,
Je porte loi ,
Je porte pore ,
Je porte more ,
Je porte pair
Je porte mer ,
>
1
Je porte rame ,
Je porte l'ame ,
Je porte ré ,
Je porte pré ,
Je porte rimė ,
Je porte lime ,
Par M. Troy , Bénéficier de la
Cathédrale de Sarlat.
Q
ENIGM E.
Ui fçait fi morts ou vifs nous fortons de nos
Avant que
meres.
d'être nés nous fommes au berceau ;
Mais plutôt en naiffant nous entrons au tombeau
,
Où l'on fçait par un art animer nos arteres.
Souvent l'homme fait naître , & fait mourir nos
freres.
*
A OUST. 1755. 91
Par nos propres arrêts nous montons au poteau;
Cependant on nous fait périr par le couteau ;
Ainfi les mêmes font nos meurtriers , nos peres.
Nous fommes dans la nuit de fort juftes quadrans.
Souvent nous nous trouvons à la table des grands
Et nous nous dépouillons fouvent au lit des Dames
.
Quand nous naiffons on chante , & quand nous
femmes morts
On fait un feu de joie , & là parmi les flammes
Tout à la fois on noie & l'on brûle nos corps .
D. L. V. d'Allanche, petite ville de la
haute Auvergne , près le Cantal.
LOGOGRYPHE.
PLus folide cent fois que le marbre & l'airain ;
Que la rigueur du tems vient à bout de détruire ,
Sur moi fes coups font faux , & fon pouvoir eft
vain ,
Je ris de ſes efforts , & brave fon empire.
Je fuis connu de tous , & j'habite en tous lieux :
A l'efprit des humains je dois mon origine ,
Mais elle eft fouvent fi divine,
Que l'on me croit forti des Dieux.
Je trace du fçavoir la route la plus fûre :
De rayons éclatans je remplis la nature.
92 MERCURE DE FRANCE,
Je réforme les moeurs , & j'affermis les loix,
J'unis en paroiffant fous différentes formes
De grandes vérités & des erreurs énormes.
Je fers à différens emplois.
Autrefois je coutois des travaux & des peines ;
Maintenant chaque jour me produit par centai
nes.
Je n'ai pas , il eft vrai , toujours même fuccès.
Et fouvent en naiffant on me fait mon procès.
A des traits fi frappans peut - on me méconnoître
Hé ! Lecteur , tu me tiens peut- être.
Cinq pieds forment mon tout , & je t'offre d'a
bord
Un lieu voifin de l'eau , fynonime de bord.
Cet inftrument vanté , dont la douce harmonię
Sçut attendrir Pluton , & du fein des enfers
Arracher Euridice , & lui rendre la vie ,
En brifant fes horribles fers.
Ce qu'à fe conferver chacun ici s'applique s
La tribu confacrée au fervice divin ;
L'effet que cauſe en nous l'affreux excès du vin;
Plus une note de mufique ;
'A plus d'un Carpillon ce qui donne la mort.
De l'ame dérangée un criminel tranſport.
Du peuple le plus bas l'Epithete ordinaire ;
Après le vin ce qui refte au tonneau ;
Un lieu tout environné d'eau ;
Mais j'apperçois , Lecteur , qu'il eft tems de me
taire,
Par T. P. de Paris.
ཝི
VAUDEVILLE
Parmy nous la simple na :
m
ture Donne des loix etnous u =
nitL'on y meconnoit l'impos
= ture Et toutperfide en estpros
M
critFuyez Amants dont le lan
gage Nexprimepoint laverite
refrain
Les coeursque chez nous on en
gage Sontfaitspourla fidelite
Aoust 1755.
A O UST. 1755 . 91
VAUDEVILLE
De l'ordre de la Fidélité.
Parmi nous la fimple nature
Donne des loix , & nous unit.
On y méconnoit l'impofture ,
Et tout perfide en eft profcrit.
Fuyez , amants , dont le langage
N'exprime point la vérité,
Les coeurs , que chez nous on engage,
Sont faits pour la fidélité.
餾
Etre tendre , difcret , fincere ,
Toujours s'obliger , fe chérir ,
S'entredonner le nom de frere ,
Se voir fouvent avec plaifir ;
Chez nous , ces vertus admirables
S'uniffent à la volupté :
Et près de nos foeurs adorables ,
Nous goûtons la fidélité.
Tout frere fe fait un fyftême
D'aller toujours droit en amour ♦
Il faut , près de l'objet qu'il aime ,
Qu'il foit attentif nuit & jour.
Il ne faut jamais qu'il ſe vante
= Quand il veut en êtré écouté ,
Il eft un cas où ſon amante
Juge de fa fidélité.
94 MERCURE DE FRANCE.
Quand on entend la tourterelle
Gémir triftement dans les bois :
C'eft fon tourtereau qu'elle appelle ,
Et qui s'attendrit à ſa voix.
Près de fa plaintive maîtreffe
Il vole avec rapidité :
Mille preuves de fa tendreffe
Affurent fa fidélité .
Près du berger le chien timide.
Dans les dangers peut tout prévoir ;
L'inſtinct qui l'éclaire & le guide
Le rend efclave du devoir,
Sur fon exacte vigilance ,
Berger , dormez en fûreté .
On doit bannir la méfiance
Où veille la fidélité.
#
Vous qui faites couler nos larmes
En nous traitant avec rigueur ,
Belles , que vous fervent vos charmes,
S'ils ne caufent que la douleur.
Quand on plaît il faut être tendre ;
Et c'eft un bien que la beâuté.
Ah ! que ne pouvez-vous comprendre
Combien vaut la fidélité ?
La Mufique eft de M. Daveſne.
Les paroles de M. Demontrofy.
AOUST. 1755. 95
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
Difcours que M. P *** a envoyé à la Société
royale & littéraire de Nancy , lorsque Sa
Majefté le roi Stanislas lui a fait l'honneur
de le nommer pour y remplir une place d'affocié
étranger.
Cdeux
Omme ce difcours m'a paru réunir
deux objets intéreffans , l'agréable &
l'utile ; les belles- lettres & les financès : j'ai
engagé l'auteur , qui cultive les unes par
goût , en travaillant pour les autres par état,
à me permettre de l'inférer ici.
MESSIEURS
-Le premier fentiment que l'on éprouve
lorfqu'on reçoit une grace que l'on defiroit
ardemment , fans ofer y prétendre , c'eſt
un fentiment de furpriſe & de joye , de
vanité même , qui ne permet guerres de
réfléchir fur les nouveaux devoirs que cette
grace impofe : plus on eft occupé , rempli,
pénétré du bienfait , moins on apperçoit la
difficulté de le reconnoître & de le méri96
MERCURE DE FRANCE .
ter ; mais la réflexion ne tarde pas à nous
découvrir toute l'étendue de nos engagemens
; l'illufion de ce que l'on croyoit
valoir , fait place à la véritable connoiſſance
de ce que l'on vaut ; l'enchantement
difparoît , & l'on ne voit plus qu'une dette
dont on défefpere pouvoir jamais s'acquitter.
Tel étoit , Meffieurs , mon raviffement ,
lorfque vous m'avez fait l'honneur de
m'affocier à vos travaux , tel eft aujourd'hui
mon embarras , pour juftifier votre
choix : mon unique reffource , eft la même
indulgence qui m'a valu vos bontés : elle
voudra bien , fans doute , en me rendant
juftice fur le fentiment , me faire grace fur
l'expreffion , & ne point juger de la vivacité
de ma reconnoiffance , par la foibleffe
de mon remerciement.
Il eft , Meffieurs , des talens que l'on n'a
plus qu'à récompenfer ; il en eft qu'il faut
aider , animer , encourager ; les uns , font
des fruits qui ont acquis leur maturité ,
vous n'avez qu'à les cueillir ; les autres
font des fleurs , qui peuvent un jour devenir
des fruits ; mais enfin , ce font encore
des fleurs, & qui par cette raifon , méritent
toutes fortes de ménagemens.
Ce que vous avez fait , Meffieurs , pour
couronner le mérite décidé des hommes
illuftres
A O UST. 1755. 97
黎
illuftres que vous avez fucceffivement affociés
à votre gloire , vous avez cru devoir
le faire pour m'exciter à marcher fur leurs
pas ; ces intentions , quoique différentes ,
concourent au même objet , c'eft à moi de
ne les pas confondre , & de chercher à
mériter par mes efforts , ce que d'autres
avoient fi légitimement acquis par leurs
fuccès.
Que pourrois-je faire de mieux pour les
imiter , que de travailler à réunir dans mes
occupations l'aimable & l'utile , comme on
voit chez vous , Meffieurs , les agrémens
affociés à la folidité ? Le goût des belleslettres
que j'ai cultivées dès mon enfance ,
ne m'a point empêché de me livrer férieufement
aux études particulieres à mon état;
& ces études , à leur tour , n'ont point al-.
téré le goût des connoiffances propres à la
littérature j'ofe au contraire efpérer , que
le concours de tous les deux , ne fera qu'accélérer
& perfectionner l'exécution du plan
que j'ai formé d'un Dictionnaire général
des finances qui manque à la nation.
Les idées philofophiques , dont les fiecles
futurs auront obligation à celui- ci , font
enfin parvenues à faire envifager comme
un objet intéreffant pour la faine politique
, & pour la véritable philofophie , ce
que la cupidité feule enviſageoit aupara-
E
98 MERCURE DE FRANCE.
vant comme un objet d'intérêt ( ce mot
pris dans le fens le moins noble , le moins
eftimable , & le plus borné pour l'ufage &
pour le citoyen. )
le
Et quelle matiere méritoit mieux d'être
affujettie à des principes fûrs , à des regles
conftantes , à des loix judicieufes que
commerce & lesfinances qui tiennent à tout ,
qui font tout fubfifter , &
& que l'on peut
confidérer à la fois , comme la bafe & le
comble de ce grand & fuperbe édifice que
l'on nomme gouvernement? Cet inftant de
lumiere , eft donc à tous égards , le moment
fait pour rendre à mon état toute
l'équité , toute la clarté , toute la dignité ,
dont je le crois fufceptible.
pa- Si je vous entretiens, Meffieurs , d'un
reil projet, fi dans le fanctuaire des Mufes ,
j'ofe vous parler de la finance , & de ce qui
l'intéreffe , c'eft que je ne crois rien d'étranger
à ceux qui penfent ; c'eft que je
fuis infiniment perfuadé que le goût des
arts agréables , n'eft point incompatible
avec les plus grandes vûes ; & je vous avouerai
, Meffieurs , que j'ai befoin de cette
idée , pour me foutenir dans la carriere oùje
fuis entré ; mais quel intervalle immenfe
à parcourir , depuis cette idée , jufqu'aux
chofes qui peuvent la réaliſer en moi ,
comme elle exiſte au milieu de vous !
AOUST. 1755 . 99
Cette réflexion qui n'eft que trop bien
fondée , m'empêchera - t- elle de vous faire
part de quelques obfervations , que vos
écrits , Meffieurs , démontrent encore
mieux que mes raiſonnemens ?
J'ofe donc avancer d'après vous - même ,
( pourrois-je choifir une preuve plus chere
& plus convainquante ? ) j'ofe avancer que
le goût , que la poffeffion , que la culture
des talens agréables , n'excluent point les
talens utiles , qu'ils font faits pour fe réunir
& pour opérer de concert , la gloire &
le bonheur de l'humanité ; fi l'on affecte
fouvent de les divifer , fi les efprits faux
ou bornés s'attachent à féparer ces deux
idées faites aller enfemble , ce ne peut
être que l'effet de la jaloufie des uns , &
de la foibleffe des autres ; de la foibleſſe de ;
ceux qui écrivent , & de la jaloufie de ceux
qui jugent : les uns ne fçauroient confentir
á réunir fur la tête d'un feul homme"
tant de couronnes à la fois , les autres ne'
travaillent point affez pour les raffembler .
pour
Permettez- moi , Meffieurs , que je réclame
contre ces deux abus , la juſteſſe &
la juftice qui devroient toujours préfider
fur les écrivains , & fur ceux qui les jugent.
Jufteffe , de la part de ceux qui décident,
pour ne point fe méprendre fur les chofes
qui font différentes fans être contraires ;
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
l'homme de lettres , par exemple , & l'homme
d'état font différens , mais ils ne font
pas oppofés.
De la part des écrivains , pour ne pasconfondre
l'acceffoire & le principal , pour
ne pas s'appefantir dans un ouvrage d'agrémens
fur des idées rebutantes , par leur
gravité , & pour ne point avilir un écrit
férieux par des agrémens trop légers , trop
frivoles , & trop recherchés.
Juftice de la part de ceux qui jugent ,
pour ne point refufer leur fuffrage aux
graces, qui décorent un homme d'état ,
parce que la gravité doit être , & fait effentiellement
, le fonds de fes ouvrages ;
pour ne point enlever à l'homme agréable
la faculté de penfer , de réfléchir & de raifonner
, parce qu'il eft fur- tout de fon effence
de chercher à plaire & d'y réuffir .
&
De la part des écrivains , juftice égale ,
pour n'efpérer & n'éxiger , felon les différens
genres dans lefquels ils s'exercent particulierement
, que la couronne qui leur
eft fingulierement dûe , pour ne point trouver
injufte & déplacé que le laurier domine
dans celles deftinées aux ouvrages
férieux , & les fleurs dans celles que l'on
accorde aux écrits agréables .
Mais le dirai - je ? il femble que le public
ait réglé le partage de l'eftime & de la
A O UST. 1755. IOI
confidération , de maniere à ne pas fouffrir
que le même écrivain acquierre plus
d'une forte de gloire ; & de leur côté les
écrivains fe font négligés fur les moyens
de ramener au vrai ceux qui les jugent.
On voit , en effet , trop fouvent que les
auteurs qu'un génie riant & leger , rend
facilement créateurs des plus féduifantes
bagatelles , n'ont point le courage de s'élever
jufqu'aux chofes qui pourroient rendre
leurs agrémens même profitables à la
fociété ; tandis que les citoyens nés pour
des objets férieux , croiroient defcendre
, & s'avilir , s'ils ornoient des fonds
intéreffans mais graves de cette forme
enchantereffe qui peut affurer le progrès
des plus fublimes vérités.
Qu'ils le rapprochent , qu'ils fe raffemblent,
& fe concilient , ils entraîneront tous
les fuffrages , parce qu'ils réuniront toutes
les fortes de perfections ; ils deviendront
chaque jour une nouvelle preuve que le
goût des arts agréables , n'eft point incompatible
avec les plus grandes vûes.
Cette vérité fi confolante pour les talens
& fi defefperante pour l'envie , eft portée
jufqu'à la démonftration par une foule
d'exemples qui ne laiffent que l'embarras
du choix.
Si je remontois jufqu'à ceux que fournit
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
la plus célébre antiquité , je ne les rappellerois
, Meffieurs , que pour les comparer
à ceux dont vous avez le bonheur d'être
ici les témoins .
Je ne vous peindrois Alexandre écoutant
les leçons d'Ariftote , s'amufant avec
Appelle , rendant au Prince des Poëtes un
culte prefque religieux , que pour vous
rappeller tout ce qu'a fait en faveur des
talens & de ceux qui les cultivent , votre
augufte fondateur , mille fois plus grand
par la modération que le fils de Philippe
le fut par fes conquêtes .
Je ne vous parlerois de Céfar , écrivant
lui - même fon hiftoire , avec autant de
feu , de nobleffe & de vérité qu'il en avoit
mis dans fes operations , mais avec autant
de modeftie que s'il n'en étoit pas le héros
, que pour vous parler de celui qui
vous a raffemblés & qui joint a l'avantage
fi peu commun d'être à la fois l'ami , le
protecteur & le favori des Mufes , cette
gloire encore plus grande de vouloir en
même tems qu'il nous éclaire , nous cacher
le flambeau qui nous conduit .
Je ne vous ferois voir Augufte accueillant
Homere & Virgile ; Scipion donnant à
Térence des confeils qu'il auroit pû luimême
exécuter ; Marc Aurele écrivant
pour l'humanité des maximes qu'il accréA
O UST. 1755. 103
ditoit par fa vertu , que pour vous retracer
l'image du Prince philofophe , du
Roi citoyen , du Monarque éclairé , qui
ne dédaigne pas d'exciter , d'animer , d`encourager
par fes leçons , par fes exemples
& par fes bienfaits les talens & les arts
même agréables au milieu de ces utiles , &
magnifiques établiffemens dans lefquels
fe peignent d'une maniere fi frappante ,
la bonté de fon coeur , l'élévation de fon
ame , & les reffources de fon efprit , établiffemens
qui lui garantiffent l'amour de
fes fujets , & qui lui donnent les droits
les mieux établis fur l'admiration & la
reconnoiffance de leur poftérité .
Un modele auffi grand , auffi cher , auſſi
frappant ne pouvoit qu'enfanter tout ce
qu'il a produit ; c'eft un aftre dont les
heureufes influences fertilifent tout ce qui
l'environne. Vous devrez , Meffieurs , à
ce Mécene couronné les ouvrages que vous
infpirera le defir de lui plaire , & de juftifier
votre adoption ; comme il vous doit
la douceur & l'avantage d'avoir trouvé les
fujets les plus fufceptibles de fes impreffions
, les plus dignes de fes bienfaits , &
les plus capables de répondre à fes vûes.
Eft-il une de fes vertus qui ne fe retrace
dans ceux qu'il a choifis pour former
cette Académie , & dont yous ne faffiez
E iiij
104 MERCURE DE FRANCE .
jouir à chaque inftant la bonté royale &
paternelle qui vous a raffemblés ?
Sa piété fincere éclairée fans oftentation
& fans fafte , également éloignée de la
fuperftition & de la témérité , ne fe retrace-
t- elle pas dans ces Prélats refpectables ,
qui ne dédaignent pas de venir prendre
chez les talens & les arts tout ce qui peut
orner la raifon & la vertu . Dans ces Miniftres
de la religion qui viennent puifer
dans vos affemblées cette éloquence douce
& perfuafive , qui pour corriger l'homme
fe prête aux foibleffes de l'humanité , femblables
à ces héros de l'Hiftoire fainte ,
qui ne rougiffoient point de faire fervir
les vafes profanes enlevés des temples des
faux Dieux pour en faire des vafes facrés
dans le temple de l'Eternel .
Le courage de ce Monarque qui doit
vous paroître encore plus grand , plus refpectable
par les conquêtes qu'il a dédaignées
, que par celles qu'il avoit déja faites
, & qu'il auroit pu faire encore , ne l'a
point éloigné des fciences & des arts dont
les grands Rois font les protecteurs nés ,
& le plus ferme appui ; il a même ofé cultiver
de fes propres mains la terre qu'il defiroit
enrichir & fertilifer ; il n'a pas cru
qu'il fut indigne des héros d'étudier les
talens qui font faits pour les célébrer ; &
A OUS T. 1755. 105
>
c'est à fon exemple que vous devez , Melfieurs
, parmi vous , ces guerriers moins
illuftres encore par un grand nom que par
des lumieres fupérieures & diftinguées
qui joignent aux lauriers de Bellone &
de Mars ceux de Minerve & d'Apollon .
Pardonnez - moi , Meffieurs , ces expreffions
, celles de la poëfie font excufables ,
même en profe , lorfque l'on a beſoin de
tout pour bien peindre ce que l'on fent.
Si des vertus militaires nous paffons
aux vertus civiles & pacifiques , l'efprit
de juftice & d'équité qui conduit votre
illuftre fondateur dans tout ce qu'il dit ,
dans tout ce qu'il fait pour les chofes mêmes
dans lefquelles les régles de la Jurif
prudence font place à d'autres loix , fe retrace
dans les Magiftrats intégres , éclairés
, qui jugent parmi vous les ouvrages
d'efprit avec autant de connoiffance &
d'impartialité , qu'ils décident dans les
tribunaux les conteftations des particuliers.
Chacun de vous en un mot , juftifie les
motifs & l'objet de fon adoption , & tous
enfemble font l'éloge d'un établiſſement
qui multiplie & perpétue les modeles des
belles lettres & des bonnes moeurs , du
bon efprit & du bon goût. Le tribut que
je leur paye en parlant de vous , me ra-
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
mene à mon infuffifance , & me fait d'autant
plus vivement fentir mon infériorité ;
mais le plaifir de vous rendre hommage
efface , ou du moins diminue le regret de
ne pouvoir pas vous égaler.
I
OBSERVATIONS
Sur le Dictionnaire des Poftes.
Ly a long-tems que l'on fe récrie fur
le nombre des Dictionnaires ; mais celui
des Poftes que M. Guyot vient de donner
au Public , manquoit réellement à un
royaume auffi floriffant que celui de France.
Les perfonnes qui font par état dans
des correfpondances étendues , formoient
depuis long-tems des voeux pour un pareil
ouvrage ; il ne pouvoit être entrepris par
un Ecrivain plus compétent que M. Guyot;
fes talens , & l'emploi qu'il occupe , l'ont
mis dans le cas de porter bien loin fes
connoiffances à cet égard ; & fi le public
ne fe trouve pas entierement fatisfait dans
cette premiere édition par le grand nom
bre de Paroiffes obmifes ou mal indiquées,
il n'en rend pas moins de très - humbles
graces à l'Auteur , puifque perfonne ne
pouvoit être plus exact que lui en prenant
la voie qu'il a prife ; & c'eſt par la conA
O UST. 3755. 107
fiance où nous fommes qu'il voudra bien
continuer fon zéle pour la perfection d'un
ouvrage auffi utile , que nous nous fommes
déterminés à faire quelques obſervatoins
pour une petite partie du bas Armagnac
, où nous avons trouvé les Paroiffes
fuivantes obmifes.
Brimont par Agen.
Bequin par le port Sainte-Marie.
Bonrencontre par Agen.
Belbeze par Baumont de Loumagne.
Cafteraroux ,
Caftera-Lectoure ,
par Lectoure
.
Caumont par Caftelfarafin.
Fails ,
Goulens , par Agen.
Glatens par Baumont de Loumagne.
Leyrac ,
Lamonjoye
, } par Agen.
?
Lafite par Baumont de Loumagne .
Montefquieu par Agen .
Marfac par Saint-Clar .
Marignac par Baumont de Loumagne.
Pachas par Agen ,
Poupas par Saint-Clar.
Pergan par Agen ,
Saint-Nicolas-de- la-Balerme par Lafpeyres.
Sérignac par Baumont de Loumagne .
E vj
108 MERCURE DE FRANCE .
Sainte - Radegonde par Loumagne.
Saint-Jean du Bouzet par Valence.
Saint -Martin de la Saoumetes par Saint-
Clar.
Ce n'eft que dans l'étendue de quatre à
cinq lieues que nous nous fommes fixés
feulement dans cette partie du bas Armagnac
, car nous euffions pû fournir un
très- grand nombre d'autres Paroiffes obmis
en nous éloignant davantage ; mais
notre but n'eft que de faire voir combien
ce dictionnaire feroit fufceptible d'augmentation
, fi M. Guyot pouvoit recueillir
des mémoires exacts. La chofe nous
paroît facile dans l'emploi qu'il occupe ,
vû la façon généreufe avec laquelle MM .
les Adminiſtrateurs des Poftes fe font prêtés
pour le débit de cet ouvrage d'ailleurs
pour accélérer la perfection de ce dictionnaire
, nous penfons que l'Auteur devroit
s'écarter du plan qu'il s'eft formé d'indiquer
le bureau de Pofte le plus prochain
du lieu de l'adreffe des lettres ; car il s'enfuivroit
toujours des erreurs confidérables
, puifque c'eft fouvent le commerce
& la beauté des chemins qu'il y a d'un
lieu à l'autre qui détermine les petites villes
, Paroiffes , & c. d'envoyer leurs porteurs
au bureau de Pofte plutôt qu'à un
autre quelquefois moins éloigné ; & lorf
AOUS T. 1755. 109
que
les lettres d'une Paroiffe ne font pas
indiquées pour le bureau où va fon porteur
ou meſſager , elles retardent confidérablement
, & s'égarent même très -fouvent
comme l'expérience de chaque jour le juſtifie.
Il paroît donc effentiel que pour parvenir
au but que s'eft propofé M. Guyot dans
cet ouvrage , qu'il fuivit une autre route ,
fans quoi il reftera toujours une bonne
partie des inconvéniens qu'il voudroit
éviter ; ce qui nous le prouve , c'eſt le
grand nombre de Paroiffes mal indiquées
dans ce dictionnaire , & qui monteroit à
plus de quatre cens fi nous voulions mettre
ici ce que nous fçavons par nous- mêmes
de différentes Provinces ; mais bornons
- nous toujours à notre petite partie
du bas Armagnac de quatre ou cinq lieues
de contour.
Baumont,
Auvillar eft mis par Auch,
La
Chapelle par
Manfonville par Lectoure ,
S. Anthoine par Baumont ,
Bardiques par idem ,
Flamarens par Lectoure ,
S. Michel par Mirande ,
Amans par Condom ,
Cuq par Saint-Clar ,
Mettez Valence
d'Agenois
, qui eft
le bureau de
poſte par où
ces Paroiffes
reçoivent
leurs lettres.
Mettez Agen
110 MERCURE DE FRANCE .
S. Médard par Mirande ,
Rouillac par Lectoure ,
Moirax par Baumont ,
Aubiac
Eftillac
par
idem .
Montaignac par Nerac ,
S. Avit
て
Ste Mere
Mettez Agen.
par Baumont , Mettez Lec-
Miradoux par Saint-Clair ,
toure .
Montgaillard
Mettez Saint-
Avezan
par Auch
'S Clar.
Lamothe Cumont par Mettez Baumont
Grenade ,
S de Loumagne.
Brive-Caftel
Maumuffon
Cumont }
par Auch ,
›}p
par idem.
Dans le nombre des Paroiffes ci- deffus
il y en a de fi malin diquées , que nous ne
pouvons comprendre comment on a pu n'en
être point frappé ; par exemple, Auvilar eft
à fix lieues d'Auch , & n'eft qu'à un quart
de lieue de Valence ; Saint- Avit eft à cinq
lieues de Baumont , & n'eft qu'à un quart
de Lectoure ; Aubiac , Eftillac font à fept
lieues de Baumont , & d'Agen il n'y a
que demi-lieue , ainfi de nombre d'autres
Paroiffes & comme M. Guyot annonce
qu'il indique le bureau le plus prochain
:
A O UST. 1755. III
pour la remife des lettres , on feroit avec
confiance induit à erreur , fi on fuivoit ces
articles de fon dictionnaire .
Il nous a encore paru que l'on déplaçoit
le nom de certaines Paroiffes en partageant
leurs fyllables ; par exemples Laplume
, Lafpeyres , font mifes à la lettre P ,
Lamagiftere à la lettre M , ainfi que beaucoup
d'autres ; nous avons toujours penfé
que les fyllables des noms propres ne fe
partageoient point , & que dans ceux- ci
la fyllable La fait partie des noms de Laplume
, Lafpeyres , &c. ainſi qu'ils devoient
être mis à la lettre L , & nous doutons
que fur mille perfonnes il s'en trouvât dix
qui cherchant le mot Lafpeyres , fuffent à
la lettre P. Ce qu'il y a d'étonnant , c'eſt
que cette diftinction ne fe trouve pas généralement
dans ce dictionnaire ; car Lachauffade
, Lachaux , Lacollencelle , Leclufeau
, &c. font tous mis à la lettre L' , où
la fyllable la fe trouve la même qu'à Laplume.
Nous finirons ces obfervations en indiquant
un moyen qui nous a paru aifé pour
parvenir tout d'un coup à la perfection
de ce dictionnaire , c'eft de prier MM. les
Evêques de vouloir bien donner le nom
des Paroiffes , Abbayes , &c. de leur Diocefe
, & le bureau de Pofte par lequel
111 MERCURE DE FRANCE .
elles reçoivent leurs lettres ; & comme ils
font pleins de zéle pour le bien public ,
on fe flate qu'ils fe prêteront avec complaifance
aux defirs de M. Guyot , ils
pourront avec une facilité étonnante remplir
cet objet , en donnant leurs ordres à
leurs Archiprêtres , ceux - ci aux Curés de
leur diftrict , & par ce moyen on fçauroit
des Curés des Paroiffes de chaque Dioceſe
le bureau de pofte par où ils reçoivent
leurs lettres ; ces mémoires recueillis formeroient
un ouvrage parfait à la premicre
édition.
Cette voie nous a paru préférable à tous
les moyens que l'on pourroit mettre en
ufage , même à celle de MM . les Intendans
, parce que leur Généralité trop étendue
pour un pareil détail occafionneroit
des confufions entre les Subdélégués . Nous
efperons que M. Guyot ne prendra pas en
mauvaife part ces petites obfervations ;
comme bons patriotes , nous défirerions
qu'elles puffent être de quelque utilité ,
car nous regardons ce Dictionnaire des
Poftes comme un ouvrage précieux pour
tous les états , & fur-tout pour le commerce
qui eft la principale fource de la
richeffe du Royaume.
A Rouillac , ce 29 Juin 1755..
"
AOUST. 1755. 113
REFLEXIONS CRITIQUES fur la
méthode publiée par M. l'Abbé de Villefroy
pour l'explication de l'Ecriture fainte,
adreffées aux auteurs des principes difcutés
, pour faciliter l'intelligence des livres
prophétiques : Ouvrage utile pour l'étude
des livres facrés. A Cologne , & fe trouve
à Paris , chez Guillyn , Libraire , quai des
Auguftins , du côté du pont S. Michel . In-
12 , de 172 pag.
Les principes que M. l'Abbé Villefroy
a prétendu établir pour l'explication des
livres prophétiques , étoient par leur fingularité
de nature à lui fufciter des adverfaires
qui ne fe borneroient point à en
contefter la folidité , mais iroient jufqu'à
les taxer de témérité dans l'application
qu'il en a faite : C'eft ce qui n'a pas manqué
d'arriver . M. Dupuy , auteur de ces
Réflexions critiques , à été un de ceux qui
fe font mis fur les rangs , pour combattre
la nouvelle méthode expofée par M. de
Villefroy dans des Lettres à fes Eleves qu'il
publia en 1751. Notre auteur fit imprimer
à ce fujet une lettre qui parut dans
le Journal de Verdun , Août & Septembre.
Après y avoir examiné attentivement le
fyfteme , que cette méthode avoit enfanté
, il penfa être en droit de qualifier
d'arbitraires , d'inutiles , & même de dan
14 MERCURE DE FRANCE.
gereux les moyens dont on s'étoit fervi
pour l'appuyer. Il difcuta les raiſons fur
lefquelles il fondoit fa critique , cependant
il eut foin de diftinguer les conféquences
fâcheufes que ce fyftême entraînoit néceffairement
après lui des motifs qui l'avoient
fait naître. Il rendit toute la juftice dûe à
la piété & à la droiture des intentions de
M. de Villefroy , qui n'avoient fans doute
point de part aux écarts de fon imagination
: néanmoins cette critique touchoit
trop au fond de fa méthode favorite pour
ne pas mériter une réponſe de lui- même ,
ou de quelques - uns de fes éleves. C'eſt
ce que les PP . Capucins qui fe font honneur
de porter ce nom , ont exécuté dans
un ouvrage que nous avons annoncé au
mois de Janvier , où ils foutiennent avec
chaleur les principes de leur Maître , &
emploient toutes les forces de leur érudi
tion à les préfenter fous l'afpect le plus
favorable . Il feroit feulement à defirer
qu'ils fe fuffent appliqués à réfuter la lettre
de M. Dupuy , fans fortir des bornes
de la modération , à laquelle l'équité naturelle
nous engage . Notre auteur a cru
en conféquence qu'il ne pouvoit fe difpenfer
de repliquer , de peur que
fon filence
ne leur fournit le fujet d'un triom
phe imaginaire . C'eft pour le tirer de cette
A O UST. 1755. TIS
penfée qu'il leur adreffe à eux- mêmes ces
Réflexions critiques , écrites en forme de
lettres qui font au nombre de huit. Il agit
avec d'autant plus de confiance dans la
caufe qu'il défend , que c'est moins la
fienne propre qu'il plaide que la caufe de
tous les interprêtes de l'Ecriture fainte généralement
eftimés , qui ont tenu une
route totalement oppofée à celle que M.
de Villefroy & fes éleves fuivent dans
l'objet de leur travail . Comme on l'avoit
recufé de n'être pas exempt des fautes qu'il
réprochoit aux autres , il commence par fe
juftifier de cette accufation , & ruine tout
ce qui peut avoir donné lieu à de fauffes
imputations. Après s'être tenu fur la défenfive
, il attaque à fon tour , & pourfuit
les auteurs de la Nouvelle Harmonie
prophétique à travers l'obfcurité des Termes
énigmatiques dans lefquels ils ont jugé à
propos de fe retrancher. Il faut convenir
qu'ils ont en tête un rude adverfaire qui
les pouffe vigoureufement , & les redrelle
dans prefque tous les pas où ils peuvent
avoir bronché. Les détours qu'ils ont pris
pour éluder la force de fes objections
n'échappent point à fa pénétration : Tout
ce qu'ils ont pu dire de plus fpécieux pour
la juftification de leur méthode n'a point
été capable de lui faire changer de fenti116
MERCURE DE FRANCE.
ment à fon égard . Il ne fe contente pas en
s'expliquant fur fon compte de réitérer les
mêmes qualifications , il en ajoute encore
de nouvelles , & n'avance rien qu'il ne tache
de prouver. Il entre dans l'analy fe du
plan fur lequel ils l'ont exécutée , & faifit
avec habileté les contradictions qui en réfultent
; il fait de plus remarquer qu'elle
introduit des interprétations bizarres &
abfurdes, qui rendent à bouleverfer l'Ecriture
, & a ouvrir la porte aux fectes les
plus folles , & qui peuvent devenir par- là
nuifibles à la religion . Il prend auffi à tache
de montrer combien elle choque la
raifon qu'elle fait dépendre des caprices
de l'imagination , outre qu'elle eft directement
contraire aux régles conftamment
reconnues dans la maniere d'interprêter
avec fuccès le fens des prophéties . Il étend
fes vues à mesure qu'il développe la fauffeté
des principes fur lefquels elle poſe :
Enfin pour ôter le moindre prétexte à la
récrimination , il laiffe à part les queftions
incidentes , & s'attache au corps du fyftême
dont il ne fe propofe rien moins que
de faper les fondemens. Si l'on veut une
pleine conviction des chofes que nous indiquons
, il n'y a qu'à la chercher dans
l'ouvrage dont nous confeillons la lecture
à tous ceux qui font une étude de l'EcriA
O UST. 1755 117
ture fainte ; ils ne pourront refufer à l'auteur
l'éloge de bien pofféder le fujet qu'il
traite. Ses raifonnemens frappent pour
ordinaire au but , & ont outre cela le
mérite de la clarté & de la préciſion . Si
pourtant il nous eft permis de dire ce que
nous penfons du travail de l'auteur , nous
avouons qu'il étoit fufceptible d'une plus
grande perfection . Il y a certains détails
que M. Dupuy n'a pas approfondis autant
qu'il auroit pu le faire. Nous trouvons
encore qu'il a trop négligé la voie de fait ,
abfolument effentielle à l'état de cette controverfe.
Nous entendons par- là le témoignage
des Peres de l'Eglife qui ont travaillé
fur l'Ecriture fainte , les éleves de
M. de Villefroy ont trop bien fenti l'importance
dont il étoit pour n'en pas faire
ufage dans leur méthode, à laquelle il peut
fervir d'appui .... On fçait que c'eſt le
moyen le plus propre à en impofer aux
lecteurs qui n'y regardent pas de fi près ,
& qui fe payent plus volontiers d'autorités
que de raifons. Comme les PP. Capucins
ont employé tous leurs efforts à mettre
dans leur parti un grand nombre des
Peres qu'on a cités , il auroit fallu s'affurer
de l'exactitude de leurs citations dans
les paffages qu'ils ont produits , en les
comparant avec le texte d'où ils les ont
118 MERCURE DE FRANCE
tirés. Un examen réfléchi auroit conduit à
fçavoir s'ils ne leur ont pas fait dire plus
que ceux- ci ne difent en effet. On a fi peu
de fcrupule fur cet article , qu'il arrive
affez fouvent de furprendre en défaut
ceux qui affectent d'accumuler autorités
fur autorités pour accréditer de nouvelles
opinions . Nous n'ignorons pas que cette
voie eft longue & pénible par les recherches
qu'elle demande ; mais nous n'avons
pas moins lieu d'être étonnés que l'Auteur
n'ait point rempli ce qu'on étoit en droit
d'attendre de lui fur ce fujet. Nous fouhaiterion's
auffi qu'il eût été plus réservé
dans le choix de fes preuves , qui ne font
pas toutes concluantes. L'emploi trop fréquent
qu'il fait des paroles empruntées des
Poëtes François , fatigue d'autant plus
qu'il eft abfolument déplacé dans un ouvrage
qui roule fur une matiere auffi grave
que l'eft celle dont il s'agit . Il eft à
craindre qu'il ne juftifie par là le reproche
qu'il s'eft attiré de la part des éleves de
M. de Villefroy , qui l'ont accufé de s'être
livré à un badinage indécent. Nous ajouterons
que fon ftyle vife quelquefois à la
déclamation , & qu'il faut le dépouiller de
ce qu'il a de trop vif contre les auteurs ,
de qui il combat les principes , pour lire
avec fruit fes réflexions . Il eſt fâcheux que
A O UST. 1755. 119
dans les écrits polémiques , on ne foit pas
toujours affez maître de fes expreffions
pour les ménager autant qu'on le devroit.
M. Dupuy ufe à la vérité du droit de repré
failles ; puifqu'il fe plaint qu'on a manqué
pour lui des égards réciproques que les
gens de lettres fe doivent en écrivant les
uns contre les autres . Nous finirons par
avertir qu'il a eu la précaution de rendre
fes objections fenfibles pour tout le monde,
en les dégageant des difcuffions relatives à
la langue Hébraïque ; quoiqu'elles foient
effentiellement du reffort de cette matiere .
Comme il peut y avoir des perfonnes qu'el
le intéreffe , & qui cependant n'ont aucu→
ne teinture des langues fçavantes , l'auteur
les a pour cet effet écarté de cette controverfe
, afin de mettre tous fes lecteurs à
portée de juger avec connoiffance de caufe ,
& d'apprécier le nouveau fyftême.
M. GAUTIER , de l'Académie des fciences
& belles- lettres de Dijon , & penfionnaire
de fa Majefté , de qui nous avons annoncé,
dans le fecond volume de Juin , le , quatrieme
tome de fes Obfervations fur l'histoire
naturelle avec des planches en couleurs , a
publié depuis le commencement de cette
année une feconde édition de fes planches
anatomiques en couleur naturelle. Comme
20 MERCURE DE FRANCE.
ce projet intéreffe les amateurs de cette
fcience ; il eft bon de mettre le public au
fait de cette nouvelle édition , qui fera une
fuite de quarante- fix grandes planches avec
l'explication des figures.
La premiere édition étoit auffi compofée
de quarante-fix planches avec leurs tables
explicatives.
L'auteur a tant d'obligations aux foufcripteurs
de cette premiere édition , que
par reconnoiffance pour eux , il a rangé
fon nouveau plan de façon que leurs planches
quadreront avec les augmentations de
la nouvelle édition , qui feront féparées.
Les nouveaux foufcripteurs également fatisfaits
, auront l'oeuvre complette où rien ne
manquera du détail de toutes les parties
que l'on a déja données .
莹
Plan de la feconde édition.
On donnera les quarante- fix planches
en deux diftributions . La premiere diftribution
qui fe fera inceffamment , contiendra
le fupplément de la premiere édition
, & l'augmentation faite fur tout l'ouvrage.
Elle fera de vingt grandes planches
qui repréſenteront dix figures entieres en
couleur naturelle fur pied , avec des pieces
détachées pour démontrer entierement les
coupes & la fituation de tous les vifceres ,
l'angéologie
AOUST. 1755. 121
l'angéologie & la névrologie du corps humain.
On fouferit féparément pour cette
premiere diftribution , à caufe des foufcripteurs
de la premiere édition . Ils donnent
actuellement quatre-vingt- quatre liv.
pour lesquelles ils auront les vingt planches
du fupplément , qui compofent cette
premiere partie ; & après la diftribution ,
ces vingt planches , qui feront beaucoup
chargées d'ouvrage , fe vendront à part
cent vingt- fix livres.
La feconde & derniere diftribution fera
de vingt- fix grandes planches , où feront
repréfentées , à demi-nature & en couleur
naturelle , toutes les figures qui ont été
données dans la premiere édition.
Les nouveaux fonfcripteurs font en deux
claffes ; ceux de la premiere claffe foufcrivent
actuellement , & donnent cent foixante-
huit livres pour le prix de tout l'ouvrage
avant la premiere diftribution ; &
ceux de la feconde claffe payeront deux
cens deux livres , en recevant la premiere
diftribution. Toutes les planches fe vendront
après la derniere diſtribution deux
cens cinquante-deux livres. On fouſcrit
chez l'auteur , rue de la Harpe , proche la
rue Poupée.
PROJET D'UN ORDRE FRANÇOIS EN
F
122 MERCURE DE FRANCE .
TACTIQUE , ou la phalange coupée & doublée
& foutenue par le mêlange des armes.
On la propofe comme fiftême général ,
on prouve fa fupériorité , comparant toujours
à la méthode aujourd'hui d'ufage ,
celle- ci qui n'eſt à la bien définir , que le
fiftême du chevalier de Folard plus étendu ,
& mieux développé. On y a joint les idées
des plus grands maîtres , particulierement
du maréchal de Saxe. L'auteur à ce sujet ,
a pris pour épigraphe.
Craint- on de s'égarer fur les traces d'Hercule.
Racine.
Ce livre dont nous avons annoncé l'édition
prochaine dans le Mercure de Mai , fe
vend actuellement à Paris , chez Boudet ,
chez Jombert , & chez la veuve Gandouin.
La préface de l'auteur eft un modele
pour la précifion . Comme elle ne contient
que cinq lignes , nous allons ici la tranfcrire
fans en rien retrancher.
« Cet ouvrage rare dans fon efpece eft
très-mauvais ou très- bon . Fort inutile ou
» de la plus grande importance.Pour fçavoir
» lequel des deux , il faut lelire ; pour ne
pas s'y méprendre, le lire fans prévention ;
» & comme c'eft un tout , le lire tout entier.
Cette raifon nous oblige à renvoyer le
lecteur au livre même , & nous difpenfe
d'en donner un extrait en forme. Nous
"
A O UST. 1755. 12.3
bornons à un précis très- court qui offrira
en racourci tous les avantages de la colonne
fur le bataillon . Nous l'avons tiré
du dernier chapitre de l'ouvrage. Voici
les termes de l'auteur , dans lefquels nous
nous renfermons. On pourra juger par eux
de fon ftyle. S'il n'eft pas toujours correct
& précis , il eft du moins vif , rapide &
plein d'une franchife militaire qui convient
au genre . Selon le Maréchal de Puyfegur
dit-il , toutes les parties qui peuvent contribuer
à la victoire , fe réduifent 1 ° , à profiter
de la fituation des lieux . 2º , A avoir
plus de troupes que fon ennemi , ou du
moins à en faire combattre davantage.
3 °, A infpirer plus de courage aux troupes.
4° , A employer plus d'art à combattre.
Quand toutes ces parties fe trouvent réunies
, dit le favant auteur , on peut être
affuré de la victoire . Elles fe trouvent raffemblées
dans mon fyftême. C'est par conféquent
fur la parole du maréchal , que je
lui promets autant de victoires que de
combats .
La raifon & l'expérience prouvent que
la profondeur fait la force de l'infanterie.
Rien n'eft donc fi fort que la pléfion ou la
colonne : rien n'eft fi foible que le bataillon
. Il ne pourra jamais la renverfer ou la
repouffer , ni même tenir un inftant contre
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
la violence de fon choc. La petiteffe de fon
front augmente cette force de beaucoup.
Car le bonheur naît de l'union & du bon
ordre. Un petit front est toujours plus uni &
mieux en ordre. De- là vient encore la légéreté.
Sans le flottement & la crainte du défordre
, une troupe iroit auffi vite qu'un
homme feul. La pléfion qui ne fe dérange
point , peut courir en bataille. Cette grande
légereté accroît encore confidérablement
fa force. C'eft la vîreffe jointe à la
maffe :elle previent d'ailleurs les mouvemens
de l'ennemi , épargne les hommes ,
ne tenant la troupe expofée à la moufqueterie
qu'un inftant , encourage le foldar ,
impofe au parti contraire. Auffi cette vivacité
a-t elle fouvent tenu lieu de l'ordre.
On a vu des bataillons charger en courant,
par conféquent , arriver à l'ennemi tout
en défordre , & cependant le renverfer ;
d'où l'on peut prévoir quel fera l'effet d'une
charge unie & ferrée , faite avec la même
violence.
ou
LA MUSE LIMONADIERE
Recueil d'ouvrages en vers & en profe ,
par Madame Bourette , ci - devant Madame
Curé , avec les différentes pieces qui lui
ont été adreffées . Deux parties . A Paris ,
chez Jorry , quai des Auguſtins , aux Cigognes
, 175s .
AOUST. 1755. 125
Le talent de Madame Bourette eft fi célebre
dans cette capitale , qu'il fuffit de la
nommer pour exciter la curiofité du lecteur,
& pour l'engager à acheter fon livre. Ce
n'eft qu'en faveur de la province , où fon
mérite eft peat-être moins connu , que
je vais extraire ou plutôt tranfcrire quelques-
unes des pieces qui compofent fon
recueil.
Invitation circulaire envoyée à différens
Auteurs.
Comine on voit des hommes difcrets
Qui chez autrui ne vont jamais
Ou dîner ou fouper , fi l'on ne les invite.
De même l'on en pourroit voir
Qui ne préfument pas affez de leur mérite
Pour aller faire une viſite ,
S'ils ne font affurés qu'on veut la recevoir.
Un homme tel que vous peut rifquer l'un & l'autre,
Sur-tout avec ardeur on deſire la vôtre.
Reproche à M. le Bret , auteur de la double
extravagance , fur ce qu'il n'eft pas venu
dès ma premiere invitation.
Vous êtes un auteur fçavant ,
Mais vous n'êtes gueres galant :
A mon premier fouhait vous faites réſiſtance.
De votre part c'eſt cruauté`,
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
Pour la deuxieme fois vous êtes invité ,
N'eft- ce pas de ma part la double
extravagance,
Vers de M. Rouffeau de Toulouse , qui
1.
s'excufe de n'être pas venu me voir.
Vous , dont les graces naturelles.
Effacent l'art des enfans d'Apollon ,
O! vous , qui du facré vallon ,
Sçavez fi bien franchir les routes éternelles ,
Pour regner au milieu de cent mufes nouvelles
Et leur fervir d'exemple & de leçon .
Auffitôt que des mains tremblantes & cruelles ,
Souvent dans l'ignorance , & toujours criminelles ,
Auront mû les refforts de ma foible fanté ,
J'irai vous rendre hommage ; oui , mon coeur enchanté
Du Dieu de Cythérée empruntera les ailes
Mais en reviendra-t-il avec la liberté ?
Réponse à M. Rouffeau .
Sur votre liberté peut - on rien entreprendre ?
A quoi bon fur ce point vouloir diffimuler ?
Et puifque votre coeur a réfolu de prendre
Les aîles de l'amour , c'eft qu'il veut s'envoler.
» Vous voyez , Monfieur , que je vous
» regarde comme un homme de précau-
» tion , qui fe munit de tout ce qu'il faut
» pour fe tirer du danger , s'il y en avoit.
A O UST . 1755. 127
» La feule remarque que j'ai faite fur vos
» admirables vers , c'eſt que vous avez mis
» le Dieu de Cytherée fans faire attention
» que Cytherée eft Venus , fans doute que
» vous avez voulu dire le fils de Cytherée ,
» Pardon , Monfieur , fi je releve de pareil-
» les inadvertances , mais je n'aime pas à
» voir des taches dans le foleil .
Fers à M. l'Abbé de l'Autaignan .
Souvent la moindre chanfonnette
Qui part de votre goût exquis ,
Et dont mon coeur fent tout le prix
Y répand une joie , une douceur fecrette .
Chacun ne connoît pas celui d'une chanſon ;
Mais les vôtres fur- tout font dignes de louange ,
On y voit l'efprit de Coulange ,
Et les
Je crois
graces d'Anacréon.
que c'eft affez de ces morceaux
fugitifs , pour faire connoître le caractère ,
l'efprit & le talent de Madame Bourette à
ceux qui n'ont jamais eu le bonheur de la
voir & de la lire.
QUESTIONS fur le commerce des François
au Levant , brochure in- 12 de 153
pages on la trouve chez Guerin & Delatour
, rue S. Jacques , à S. Thomas d'Aquin.
L'auteur prétend que ce commerce
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
doit être libre. Il femble que fon fentiment
eft d'autant plus défintéreffé , qu'il eſt
négociant lui-même , & qu'il paroit préférer
le bien général de l'Etat à l'avantage
particulier du commerçant.
L'ARITHMETIQUE CHOISIE , OU
Pratique des Négocians , contenant les inftructions
néceffaires pour mettre en ufage
toutes les regles utiles aux négocians banquiers
& financiers , avec un Traité des
changes étrangers tant fimples que doubles ,
par le fieur S. B. Rouquette , teneur de
livres & arithméticien Juré de Bordeaux, &
A Bordeaux , chez P. Brun , Imprimeur-
Libraire , rue S. James , à l'Imitation de
Jefus.
Cet ouvrage paroît d'une grande utilité,
il feroit à fouhaiter que l'auteur en envoyât
des exemplaires aux Libraires de
Paris , pour en faciliter le débit.
Dans l'annonce que nous avons faite (a) de
la premiere partie des tablettes deThemys,
nous avons oublié d'indiquer la feconde
qui eft contenue dans le même volume.
Pour fuppléer à cette omiffion , nous l'inférons
ici. Cette partie comprend la fucceffion
chronologique des préfidens , che
(a) Deuxieme volume de Juin.
AOUST. 1755. 129
valiers d'honneur , avocats & procureurs
généraux des Parlemens & des Confeils
fupérieurs , & la lifte des lieutenans civils
au Châtelet de Paris . Ce qui donne du
prix à cet ouvrage , c'est qu'il renferme
des extraits fideles des regiftres des Cours
fouveraines . L'auteur y a ajoûté une table
alphabétique des noms de famille , pour les
rendre plus utiles aux lecteurs il défireroit
qu'il s'en trouvât quelques- uns qui
voluffent bien lui faire part des fautes &
des omiffions qu'ils pourront remarquer
dans fon livre , auffi bien que des changemens
qui pourront occafionner des additions
, il recevra avec reconnoiffance les
l'on voudra bien lui donner.
avis
que
IDÉE DE L'HOMME PHYSIQUE ET MORAL ,
pour fervit d'introduction à un Traité de
Médecine, st
Ne ……….. intellecta priufquam fint contempta
relinquas.
Lucret. Lib. I.
A Paris , chez Guérin & Delatour , rue
S. Jacques à S. Thomas d'Aquin , 1755.
L'auteur fe propofe de faire voir par la
fimple expofition du méchanifme qur fert
aux fonctions de l'economie animale , que
les principes établis dans ( a ) le plan qu'il a
(a) C'est un plan de médecine qui a paru en
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
fuivi s'accordent exactement avectoutes les
obfervations , qu'on peut faire fur le corps
vivant , foit dans l'état de fanté , foit dans
l'état de maladie .
Il eft glorieux pour lui d'avoir fait d'un
ouvrage de médecine , un excellent livre
de morale , en nous montrant combien les
moeurs influent fur la fanté , il nous porte
à vivre fagement par amour pour, nousmêmes.
Le meilleur moyen de perfuader
aux hommes une conduire réglée , eft de
leur prouver que non - feulement leur confervation
, mais encore leur bien être , leurs
vrais plaifirs & leur durée en dépendent .
C'eft de toutes les manieres de prêcher
la plus propre à faire des converfions .
Le Tome III de la collection de Jurif
prudence , par M J. B. Denifart , Procureur
au Châtelet de Paris , paroît , & fe
vend chez Savoye , rue S. Jacques , à l'Eſpérance,
& Leclerc , Grand'Salle du Palais,
au fecond pillier.
On peut regarder ce Livre comme une
efpece de dictionnaire qui contient les
principes les plus néceffaires , & le plus
fouvens agités fur les matieres de droit
civil & canonique , & fur la pratique tant
1751 fous le titre de Specimen novi medicina con-
Spectus , & que étendu.
l'auteur a beaucou
conA
O UST. 1755 . 131
civile que criminelle. Quoique le principal
objet de cet ouvrage foit d'inftruire les
commençans , il peut auffi être utile aux
jurifconfultes même les plus éclairés , en
ce qu'il contient un grand nombre de nouvelles
décifions très- importantes , & qui
n'ont pas encore été recueillies par aucun
jurifconfulte .
LA QUADRATURE DU CERCLE
démontrée à l'Académie royale des fciences
le 14 Mai 175-5 , par M. le chevalier
de Caufans , ci-devant colonel du Régiment
d'infanterie de Conty.
1
La folution de ce fameux problême ( c'eft
l'auteur qui parle ) feroit d'un très-grand
avantage par la connoiffance des rapports
des lignes courbes aux lignes droites . Il
prétend que fa méthode eft fimple , & fe
flate d'avoir rectifié le cercle au moyen
d'un parallelogramme , & d'avoir prouvé
que le rapport de 7 à 21 fept huitiemes du
diametre d'un cercle à fa circonférence
eſt le véritable , étant plus approché que
celui d'Archimede d'un cent foixante &
feizieme: M.le chevalier de Caufans ajou
te que les fçavans peuvent préfentement
vérifier cette propofition avec facilité .
MEMOIRE pour le fieur P. Eftève , de la
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
Société Royale des Sciences de Montpellier
, contre Meflire J. E. V. de Mauléon
de Caufans , chevalier non profès de l'Ordre
de S. Jean de Jérufalem , ancien colonel
du régiment de Conti , infanterie ; &
contre le fieur J. Digard , ancien Ingénieur
du Roi , profeffeur de mathématique , au
fujet du prix propofé par M. de Caufans ,
au premier qui démontreroit un paralogifme
dans fa démonftration de la quadrature
du cercle , à Paris , chez Jombert , rue
Dauphine , & Duchesne , rue S. Jacques.
DICTIONNAIRE ABREGE DE LA BIBLE;
pour la connoiffance des tableaux hiftoriques ,
tiré de la Bible même, & de Flavius Jofephe
, petit vol. in 12 de 480 pages. A
Paris , chez Defaint & Saillant , rue S. Jean
de Beauvais. !
Il y a plus de vingt ans que cet ouvrage
eft ébauché fur le plan d'un autre de même
forme dont le public eft fatisfait
pour l'intelligence
des poëtes & la connoiffance des
tableaux du paganifme . Celui- ci , tout autrement
intéreffant , demandoit plus de
travail . Il falloit refferrer une matiere pro
pre à fournir plufieurs volumes. Um récit ,
quelqu'abrégé qu'il foit , un mot même ,
& quelques fois un moindre figne , fuffifent
pour tirer d'embarras dans une lecture
AOUST. 1755. 133
ou à la vûe d'une peinture , dont le fujet
ne fe préfente pas d'abord à la mémoire.
C'eft ce qu'on fe propofe dans cet effai .
L'ufage de l'iconologie facrée eft expliqué
dans le court avertiffement qui eft à la
tête du livre. Les jeunes gens de l'un & de
l'autre fexe s'en accommoderont vraifemblablement
avec fruit.
METHODE on maniere d'enſeigner à lire
par le moyen des cartes imprimées. C'est une
deuxieme édition quoique la brochure ne
le porte pas.
Ce que nous annonçons paroît mériter
l'attention des perfonnes qui s'intéreſſent
aux premiers élémens des enfans. La méthode
dont il s'agit , connue déja depuis
long- tems , & très - mal à propos combattue
par ceux qui ne l'entendent pas ou qui ne
l'examinent pas fincerement , produit des
effets furprenans dans les mains de ceux
qui l'entendent. En rendant juftice à feu
M. Dumas , auteur de cette méthode , on
a toujours fouhaité d'en voir diminuer
l'attirail fans s'écarter de ce qu'il a enfei
gné. Un des partifans de ce fyftême a heureufement
réduit avec netteté & précision
le bureau pour la lecture feulement , en
une boëte de la groffeur & de la forme d'un
volume infolio , où font renfermés , par
134 MERCURE DE FRANCE.
ordre alphabétique , tous les caracteres
imprimés fur des cartes . Par ce moyen , un
enfant exécute tout ce qu'on lui demande ,
auffitôt qu'il connoît & qu'il fçait la dénomination
des lettres & des fons ; de forte
qu'il apprend agréablement à lire fans
ennui & en très - peu de tems. Il n'y a rien
de plus aifé & de plus commode. Les peres
& meres , faute de maîtres qui s'y appliquent
, y réuffiffent à fouhait. On n'a rien
changé au fond de la doctrine de M. Dumas
que l'e muet qu'on met à la place de l'é
fermé , pour prononcer les confonnes ;
mais l'inventeur eft toujours refpecté , &
c'eft ainfi qu'on devroit s'appliquer à perfectionner
ce qui eft bon , & non à le détruire.
Il ne s'agit pas ici par conféquent
d'une méthode nouvelle . C'en est une excellente
très - connue qu'on rend plus pratiquable
, ,
que les méthodes nouvelles annoncées
dans le Mercure de Juillet ; fur
quoi l'on peut obferver que , quelques inconvéniens
qu'il y ait dans notre langue ,
( & l'auteur des méthodes nouvelles en a
remarqué judicieufement un très - grand
nombre dans fon livre. ) on peut , dis-je ,
remarquer que les étrangers ne fe rebutent
pas de l'apprendre telle qu'elle eft . Les
cédilles , les points capitaux , &c. que le
réformateur voudroit qu'on introduifit ,
A O UST. 1755 T39
霉
ne l'embelliroient pas aux yeux accoutu →
més à lire tant d'excellens ouvrages que
nous avons. Les moindres abus n'échappent
pas à M. le Curé de .... l'auteur des
nouvelles méthodes : mais s'il s'appuie de
quelques autorités refpectables , if cite des
écrivains plus propres à décréditer fes réformes
qu'à les établir. A force de regles
on multiplie les difficultés. Il faut avoir
bien du courage pour mettre en pratique
fes fyllabaires. C'eft aux connoiffeurs à
juger s'il enfeigne le chemin le plus court.
Les partifans de M. Dumas n'y font pas
tant de façon . Il est démontré dans l'expofition
de la méthode par les cartes imprimées
, que les principes de toute lecture
confiftent en une quarantaine de leçons
fur quarante cartes & non en deux cens
cinquante d'une part , cent fix d'une autre,
& cinquante encore d'une autre , comme
l'ont avancé des écrivains qui n'entendent
pas le fiftême de M. Dumas , approuvé juridiquement
depuis plus de trente ans
Lorfqu'on a voulu compofer un chapitre
de l'expofition de la méthode qui accompagne
le petit bureau , on auroit dû prendre
la nouvelle édition beaucoup plus mé
thodique que la premiere , & ne pas prêter
à l'un des inventions , qui appartiennent à
d'autres , comme la lame de cuivre gravée
136 MERCURE DE FRANCE.
à jour pour enfeigner à écrire. Au reste ;
toutes ces nouvelles méthodes qu'on public
chaque jour , font des démembremens ,
pour la plupart falfifiés , du ſyſtême de
M. Dumas. En approuvant cette admirable
invention , on fe fait plus d'honneur
qu'en la blâmant . Il faut avouer que
les
cartes imprimées du petit bureau , tiennent
lieu par leur mobilité de tous les fyllabaires
immobiles : & le premier jeu élémentaire
des quarante cartes qui le précede ,
renferme les principes de toute lecture poffible
fans embarras & à la portée de tout le
monde.
L'avantage de ce petit bureau , eft de
pouvoir le tranfporter fur une table , fur
un fauteuil , à la portée des enfans , felon
leur âge , & où l'on veut. Cette efpece
d'imprimerie , accompagnée de deux jeux
élémentaires avant que d'ouvrir le bureau ,
& la petite brochure qui donne lieu à cet
article pour guider ceux qui veulent en
faire ufage , fe vendent vingt - quatre livres,
avec privilege & approbation . Il faut s'adreffer
à M. Chompré fils , rue des Carmes ,
à Paris. On y en trouve de plus ornés les
uns que les autres felon la dépense qu'on
veut faire.
A O UST. 1755. 137
Petit cours d'études latines.
Nous ajoutons , comme une fuite de ce
que nous annonçons , que , lorfqu'un enfant
fait lire & écrire on peut le mener
très-loin avec l'Introduction à la langue latine
par la voie de la traduction , dont l'Avertiffement
mérite d'être lu , principalement
par les gens du métier , & avec la collection
des extraits des auteurs connus fous le
titre de felecta latini fermonis exemplaria ,
en fix petites parties latines , dont on a
déja fait plufieurs éditions chez Guérin &
Delatour , à Paris , rue S. Jacques , à S. Tho
mas d'Aquin. La traduction fe vend à part.
Il réſulte , de tout ce qui vient de la même
main , un plan formé avec difcernement
pour commencer agréablement les premieres
études des lettres humaines , fans
s'éloigner de ce qu'on pratique ordinairement
jufqu'aux humanités . On a dans ces
recueils des échantillons non- feulement des
auteurs d'ufage , mais encore des auteurs
prefque totalement abandonnés . On fçait
cependant que ceux- ci , quoique peu lus ,
contiennent la plus grande partie des tréfors
de la plus précieufe latinité , comme
un Plaute , un Columelle , un Vitruve , & c.
qu'on lit ici avec plaifir & fans rifque pour
les bonnes moeurs
138 MERCURE DE FRANCE.
/
Vocabulaire univerfel latin -françois , &C.
Le vocabulaire univerſel , latin - françóis,
achevé d'être imprimé l'année derniere , &
qu'on trouve chez les mêmes libraires ,
procure un fecours qu'on ne peut avoir
d'ailleurs qu'à grands frais.Les amateurs des
belles -lettres latines ont , dans cette espece
de Veni mecum , la fignification des mots
de l'ancienne & de la baffe latinité par le
moyen de la clef qu'en donne l'avertiffement.
Ce travail a du coûter des recherches
de longue difcuffion , & il faudroit être
de mauvaiſe humeur pour ne pas fçavoir
gré , de leurs travaux , aux hommes qui fe
confacrent ainfi à l'utilité publique.
ÉLÉMENS DE LA PHILOSOPHIE NEWTONIENNE
, par M. Pemberton , traduit de
l'anglois , 1 vol. in- 8° avec figures , 1755,
6 liv . relié . A Paris , chez Jombert , rue
Dauphine , à l'image Notre-Dame.
Le même Libraire vient de recevoir
quelques exemplaires de la magnifique
HISTOIRE MILITAIRE du Prince Eugene de
Savoye , du Duc de Malborough , & du
Prince d'Orange & de Naffau- Frife ; enrichie
des cartes & plans néceffaires , en trois
volumes , grand in-folio. Prix 150 livres
reliés.
A O UST. 1755. 139
}
SEANCE PUBLIQUE
de l'Académie royale de Nifmes .
L'Académie s'étant affemblée le 15 May
1755 , M. de Maffip , avocat du Roi an
préfidial de Nifmes , & directeur , ouvrit
la feance par un Difcoursfur les avantages
que procurent les Lettres à ceux qui les
cultivent.
A plupart des hommes , dit- il , cherchent
leur avantage dans des bien's
fragiles & périffables qui leur font étrangers
, & ne fçauroient jamais les faire par.
venir au folide bonheur & à la véritable
gloire. L'on eft affuré de trouver l'un &
l'autre en s'attachant à l'étude des belleslettres
, en faifant fervir les divers talens
que la Providence nous a départis à
la perfection des fciences & des beaux.
arts , c'eft la maniere la plus noble dont
nous puiffions payer cette obligation naturelle
, le fervice perfonnel que tout citoyen
doit à la patrie , c'eft la voye la plus
fure pour parvenir à la véritable gloire ,
gloire d'autant plus flatteufe qu'on ne la
partage avec perfonne comme celle qui
140 MERCURE DE FRANCE.
vient des faccès militaires , & qu'on la tire
toure entiere de fon propre fonds ; à ces
premiers avantages fe joignent ceux d'être
exempts de ces paffions cruelles & tumultueufes
auxquelles les hommes vulgaires
font livrés , qui tirannifent leur coeur fans
pouvoirjamais le fatisfaire , l'homme de lettres
au contraire trouve dans le commerce
des mufes & la douceur de fa folitude une
tranquillité inaltérable. Content de fes
études & de foi-même , il cherche à augmenter
fes connoiffances à perfectionner
fes talens. Il jouit dans l'une & l'autre fortune
d'une égalité d'ame qui eft autant le
fruit de fa vertu que de fes lumieres . Elle
regle tous les mouvemens de fon coeur , en
fixe tous les defirs , enforte qu'elle paroît
comme affranchie des liens du corps , &
habiter déja cette région fupérieure du ciel
dont les vents & les tempêtes ne troublent
jamais le calme & la férénité. C'eſt à la faveur
de ce fecours qu'il eft inébranlable &
comme impaffible dans ces fameux revers
aufquels l'humanité eft fujette & qu'il
fupporte avec un courage invincible les
difgraces , les perfécutions , l'exil , la mort
même , foutenu par l'efpérance qu'il ne
meurt pas tout entier , & que fa réputa
tion échappera aux ténebres de l'oubli tant
que l'empire des lettres fubfiftera .
AOUST. 1755. 141
Divers exemples des grands hommes de
Lantiquité.
Quelques travaux , quelques veilles qu'il
en coute , les grands exemples de ces ames
fupérieures , de ces génies fublimes qui
ent rendu la carriere fi brillante , font bien
propres à enflammer nos coeurs d'une géné
reufe émulation . Nous en avons contracté
une obligation plus étroite en prenant
féance dans cette compagnie recommandable
par les grands hommes qu'elle a donnés
à la république des lettres , & qui en for
merent le premier établiſſement , leurs talens
diftingués n'ont pas moins fait d'honneur
à l'académie qu'à la patrie ; quel engagement
pour conferver ce précieux héritage
, ce dépôt de gloire qu'ils nous ont laif
fé & le tranfmettre à nos fucceffeurs.
M. le Beau de Schofne , affocié , lut enfuite
un poëme en deux chants fur l'harmonie.
M. Meynier lut un mémoire fur l'hofpitalité
ancienne. Il ne doute pas que cette
pratique fondée fur le befoin mutuel des
hommes ne foit auffi ancienne que le monde.
Du moins les Patriarches qui vêcurent
d'abord après le déluge exercerent l'hofpitalité
, Abraham & Lot accueillirent les
142 MERCURE DE FRANCE .
anges qui alloient à Sodome & qu'ils prenoient
pour des voyageurs. Il diftingua
trois fortes d'hofpitalités. La premiere ,
celle que la piété faifoit exercer envers les
étrangers , voyageurs , inconnus , telle que
celle d'Abraham envers les anges , & celle
d'Alcinous envers Ulyffe. La feconde étoit
une fuite de la précédente ; ceux qui avoient
logé chez une perfonne étoient dès - lors
liés avec elle par les liens de l'hofpitalité,
ils étoient obligés de fe loger & de ſe ſecourir
mutuellement , & ce droit paffoit à
leur poftérité ; telle eft l'hofpitalité exercée
par Raguel envers le jeune Tobie , & celle
de Neftor & de Menelas enversTélémaque .
On contractoit la troisieme forte d'hofpitalité
fans avoir vu les hôtes , on envoyoit
un préfent à une perfonne & on lui demandoit
de fe lier par le droit d'hofpitalité,
fi elle renvoyoit un autre préfent , & qu'elle
acceptat les offres , dès -lors les droits
étoient également facrés , telle eft l'hofpi
talité que Cyniras , roi de Chypre , contracte
avec Agamemnon dans l'Illiade. On
pourroit encore conter une quatrieme
forte de droit également facré , c'eſt le
droit du fuppliant . Le même principe de
religion obligeoit les payens à refpecter
& regarder comme un dépôt inviolable
dont on devoit rendre compte à la divi
1
A O UST. 1755. 143
nité , un homme réduit par fes malheurs à
prendre leur maifon pour refuge , fut- il
d'ailleurs leur plus grand ennemi . Le malheureux
s'affeyoit fur la cendre du foyer ,
& imploroit les dieux protecteurs de l'hofpitalité
, tel parut Themiftocle chez Admere
, roi des Moloffes , & tel encore le
fier Coriolan fe confia à Tullus , général
des Volfques fon ennemi capital . La maniere
d'exercer l'hospitalité étoit peu différente
dans les fiecles héroïques entre les
Hébreux & les Grecs ; M. M*** cite deux
exemples de ces deux nations & en fait
voir les rapports , une coutume commune
entre les nations étoit de ne point demander
le nom de fes hôtes avant la fin du repas.
On trouve même un exemple plus
tard , c'eft celui de Bellérophon à la cour
de Proetus , à qui on ne le demande que le
dixieme jour après fon arrivée.
On lavoit les pieds des voyageurs , cette
coutume ne fe pratiquoit gueres que pour
ceux qui voyageoient à pied , une femme
de la maifon s'acquittoit de cet emploi ;
dans la Grèce les voyageurs plus diftingués
étoient mis dans le bain par les filles
de l'hôte , les filles du roi même s'acquittoient
de cet emploi ; la plus jeune des filles
de Neftor , la belle Polycafte , met Télémaque
aux bains & le parfume d'effences:
144 MERCURE DE FRANCE.
tel étoit l'ufage de ces bons temps héroïques
, & tout fe paffoit avec fagelle . L'on
a remarqué avec raifon que nos moeurs
gagnent du côté de la délicareffe ce qu'elles
perdent du côté de la pureté.
Les préfens d'hofpitalité venoient enfuite
, ils fervoient de témoignage perpétuel
du lien qui uniffoit les familles , la
générofité des fiecles héroïques finit avec
les fiecles mêmes ; au lieu de ces préfens
on fe contenta de rompre en deux une
piece de monnoye dont chacun des deux
hôtes gardoit une portion , ou plus communement
de ſcier en deux un bâton d'yvoire
qu'ou nommoit teffera hofpitalis , on
en trouve encore dans les cabinets des
curieux .
Des villes entieres accordoient l'hofpitalité
, les Romains agirent ainfi envers
Timafithée chef des corfaires de Lipari.
Le droit d'hofpitalité étoit imprefcriptible
, & à moins d'y avoir renoncé ea
bonne forme par un acte devant les Magiftrats
, rien ne pouvoit y porter atteinte ,
dans la guerre même , les combattans
étoient obligés de fe refpecter. Le brave
Diomede dans le fixieme chapitre de l'Illiade
, n'ofe point porter une main facrilege
fur Glaucus fon hôte , tandis qu'Hector
& Teucer unis par les liens de la plus
proche
AOUST. 1755. 145
proche parenté combattent avec chaleur.
Les Dieux de l'hofpitalité étoient Jupiter,
ir , Venus , Minerve , Caftor &
Pollux , un Apollon furnommé bécğeri☺ ,
& fur-tout les Dieux Lares , les fables les
plus anciennes & les plus facrées contribuoient
à faire reſpecter le caractere d'hôte
comme facré. Jupiter & Mercure voya
geant parmi les hommes , puniffent Lycaon
pour avoir violé ce droit , récompenfant
Philemon & Baucis . Les Grecs ont pu avoir
quelque connoiffance indirecte par les
Egyptiens du voyage des Anges fur la terre
, du moins Homere fait dire fouvent à
fes perfonnages , que peut- être la perfonne
de l'étranger cache un des Dieux immortels.
M. Meynier finit par examiner
pourquoi l'hofpitalité n'eſt plus pratiquée
parmi nous ? il en tire la raifon de l'excellent
ouvrage de ce Sage , dont nous
déplorons encore la perte , l'illuftre Montefquieu.
La perte de cette vértu vient
de l'efprit de commerce qui s'eft établi
parmi nous , il produit , dit- il , un certain
fentiment de juftice exacte , oppofé d'un
côté au brigandage , & de l'autre à ces
vertus morales qui font qu'on ne diſcute
pas toujours fes intérêts avec rigueur , &
qu'on les néglige pour ceux des autres.
Les Grecs & les Romains , dès que leuc
G
146 MERCURE DE FRANCE.
empire fut étendu , n'exercerent plus l'hof
pitalité de la maniere généreufe que nous
admirons dans les fiécles héroïques ; ils
n'oferent renoncer à une coutume confervée
par leur religion & par leurs ancêtres
; mais ils reftreignirent l'hofpitalité
au logement & à l'uftenfile. L'étranger
fourniffoit la nourriture de fes chevaux ,
& fouvent même achetoit la fienne. La
charité du Chriftianifme a fuppléé au befoin
que les pauvres pourroient en avoir.
Nos voyageurs ont peu à defirer des
moeurs anciennes fur l'hofpitalité.
On donnera la fuite de cette féance dans
le Mercure du mois prochain.
1
A O UST. 1755. 147
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
ALGEBRE.
Lettre de M.G .... Ecuyer , Officier de la
Chambre de Madame la Dauphine , à M.
Bezout , Maître de Mathématiques à Paris
.
M
par
ONSIEUR , vous avez dû voir
la méthode de folution du problême
d'Algébre inféré dans le Mercure dernier
, que mon plan avoit été de le rendre
indéterminé , que j'avois même fixé le
rapport des pertes des foldats d'après la
détermination arbitraire des trois nombres
551 , 431,311 , fur lefquels nous fommes
parfaitement d'accord ; nous ne différons
donc dans le vrai que par rapport &
la forme : il m'eft arrivé la même difgrace
qu'aux faifeurs de Logogryphes . A force
de parler j'en ai trop dit vous avez agi
en critique fenfé & judicieux ; en fait de
fciences de précifion il convient d'écarter
jufqu'aux moindres foupçons de l'erreur ;
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
& quelque légere que fut la mienne , vous
avez eû raifon de venger le public que je
n'avois pas affez refpecté par une précipitation
dont je fais aujourd'hui ma confeffion.
J'ai l'honneur d'être , &c.
De Verfailles , ce 10 Juin 1755.
HISTOIRE.
Hiftoire abrégée des guerres des Algériens avec
les Hollandois , traduite de l'Allemand ,
par M. Radix de Sainte- Foy . 1755 .
Elon toute apparence , Alger, ainfi que
toute la côte de Barbarie , fut peuplée
d'abord par les Egyptiens . Les Pheniciens
y établirent enfuite des colonies , & y bâtirent
Utique & Carthage. Depuis, tous les
petits Princes de la côte furent fubjugués
par les Carthaginois , ou devinrent leurs
tributaires : mais ces Princes , las enfin de
la domination Garthaginoife , s'offrirent
aux Romains pour leur aider à foumettre
Carthage. Ceux- ci refterent maîtres de la
côte jufqu'au cinquiéme fiécle , que les
Vandales s'en emparerent. Les Barbares
furent obligés dans la fuite de rendre leur
AOUST. 1755. 149
conquête aux Empereurs Romains , ou
pour mieux dire , aux Empereurs Grecs ,
qui poffederent cette côte , jufqu'à ce que
les Califes Sarrazins , fucceffeurs de Mahomet
envahirent dans le feptiéme fiécle
toute la partie feptentrionale de l'Afrique,
auquel tems l'Alger que nous connoiffons
devint la ville capitale de la Mauritanie .
Alger dépendit enfuite , premierement de
la ville de Conftantine , & fucceffivement
de Bugie , d'Hyppone , & enfin de Tremecen
, ou Telencin , jufqu'à l'incurfion
des Barbares Mahométans , qui diviferent
la côte de Barbarie en plufieurs royaumes ,
entre lefquels étoient Alger , Tunis & Tripoli
. Quelques fiécles après , la ville d'Alger
devint tributaire du Roi de Tunis ,
qui promit de lui laiffer , comme à une
République , la jouiffance de fes privileges.
L'an 1510 , Alger fe foumit par crainte
du Roi d'Espagne à un riche More ,
nommé Sélim Eutimi ; cependant quelques
années après , Ferdinand , Roi d'Efpagne ,
la prit , bâtit une forte citadelle fur la place
où eft à préfent le port , & y mit une
nombreuſe garnifon. Après la mort de
Ferdinand , les Algériens chercherent à fecouer
le joug des Efpagnols , & vers l'an
1516 ils appellerent à leur fecours le fameux
Pirate Barberouffe qui vint , maffa-
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
cra Eutimi , s'érigea lui - même en Roid'Alger
, & regna jufqu'en l'année 1517 ,
qu'il fut tué dans un combat. Les Algériens
élurent pour leur Roi Héreddin Barberouffe
fon frere ; mais comme il n'étoit
pas en état de faire tête à fes ennemis , &
fur tout aux Efpagnols , il eut recours à
la Porte , & rendit tributaire du Grand
Seigneur Alger , & une grande partie de
la côte de Barbarie .
Les Algériens enflés d'une telle protection
, en devinrent plus audacieux à pillerles
vaiffeaux Chrétiens ; l'on vit de jour
en jour accroître leur infolence. L'Empereur
Charlequint irrité de leurs pirateries,
vint affiéger Alger l'an 1 541 , avec cent
gros vaiffeaux , & dix- huit grandes galeres
qui portoient en tout vingt- deux mille
hommes : mais une tempête violente & un
ouragan terrible qui s'éleverent le 20 Octobre
, firent couler à fond tous les vaiffeaux
& quinze galeres , pendant que les
troupes de débarquement furent pourfuivies
dans leur retraite précipitée . La plus
grande partie fut paffée au fil de l'épée , &
l'Empereur lui -même eût bien de la peine
à regagner la Sicile avec une feule galere.
De ce moment , Alger devint une retraite
formidable de Pirates , & un nid de voleurs
. Sa marine augmenta , & les courfes
A O UST. 1755 15 !
de fes Barbares habitans , firent un grand
tort aux Chrétiens , principalement aux
habitans des Pays-Bas , fur- tout depuis
l'année 1590 que ceux - ci commencerent
à étendre leur commerce par le Détroit de
Gibraltar en Italie , & même jufqu'au Levant.
Enfin au commencement du dix-feptiéme
fiécle le mal devint fi grand que les
Etats Généraux fe déterminerent en 1612
à envoyer à Conftantinople , en qualité
d'Ambaſſadeur , le fieur Cornelius Hage
pour obtenir par un traité , à l'exemple des
autres nations , un commerce libre dans
toutes les provinces dépendantes de la Porte.
Cette Ambaffade eut un fuccès fi heureux
, que les Turcs dans le vingt & unié-.
me article du traité défendirent aux Algé
riens de jamais faire le moindre tort aux
vaiffeaux hollandois , fous quelque prétexte
que ce put être : Mais ceux - ci fe
conformerent mal à cette défenſe , foit
que l'autorité des Turcs fut affez peu refpectée
dans la Barbarie , foit que la Porte
ne pût donner affez de fecours à ceux
d'Alger & de Tunis contre les infultes des
Efpagnols établis à Oran : d'ailleurs , les
premiers repréfenterent que fi on les em →
pêchoit d'aller en courfe , il leur étoit abe
folument impoffible d'entretenir le nombre
G
iiij
152 MERCURE DE FRANCE .
néceſſaire de Janiffaires. La Porte fut donc
obligée de fermer les yeux fur leurs procé
dés , & ils continuerent d'attaquer indifféremment
amis & ennemis.
Cependant en 1617 , à la follicitation
de Cornelius Hage , la Porte renouvella la
défenfe faite aux Algériens , de prendre
les bâtimens hollandois ; mais ils continuerent
à les arrêter , & à s'emparer de
toutes les marchandiſes appartenantes aux
Efpagnols & aux Italiens ; & fur les plaintes
réitérées , en 1619 ils écrivirent aux
Etats Genéraux une lettre , dans laquelle
ils leurs faifoient connoître » qu'ils ne
pouvoient nullement ceffer de vifiter
leurs navires , & d'en enlever toutes les
" marchandiſes des Efpagnols & des Ita
» liens , mais qu'afin qu'ils n'en fouffrif
fent aucun tort , ils leurs promettoient
de leur en payer exactement le fret .
و و
-
Les Etats Généraux leur objecterent
que cette propofition étoit formellement
oppofée au traité fait en 1612 , avec le
Grand Seigneur , & ils les menacerent ,
s'ils refufoient plus long- tems de s'y conformer
, de les traiter en ennemis . En effet
en l'année 1619 leurs Hautes Puiffances
commencerent contre ces Corfaires des
hoftilités ouvertes.
Les Algériens , dans l'efpace de treize
A O UST. 1755. 153
mois,prirent aux Hollandois cent quarantetrois
vaiſſeaux , ceux-ci leur en prirent auffi
plufieurs ; & leur animofité étoit fi forte
contre ces Pirates , que tous ceux qu'ils
prenoient étoient incontinent jettés à la
mer ; mais les Hollandois virent bientôt
que la guerre ne conduifoit pas à leur objet
; ils firent de nouvelles propofitions
aufquelles les Algériens répondirent » que
» leurs Hautes Puiffances pouvoient en-
» voyer quelqu'un avec des vaiffeaux de
»guerre pour emmener les efclaves , &
qu'ils verroient alors que » leur paix
feroit une véritable paix , leur parole une
parole inviolable , & leurs affurances des
furetés. Cependant la fauffeté de cette promeffe
s'eft foutenue jufqu'à préfent.
39
Dans le mois de Juin 1622 , les Etats
Généraux envoyerent le fieur Pinacker
Profeffeur dans l'Univerfité de Groningue,
à Alger , où il arriva le 3 Septembre ; il
fit tant par fes négociations qu'il obtint
que la vifite des vaiffeaux hollandois cefferoit
, & que les prifonniers feroient mis
en liberté & afin d'ôter tout prétexte aux
Pirates , leurs Hautes Puiffances ordonnerent
que tous leurs vaiffeaux deftinés pour
le Détroit de Gibraltar ou pour le Levant ,
feroient munis d'un paffeport , qui déclareroit
que les Capitaines étoient vé-
,
:
»
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
و ر
ritablement Hollandois , & qu'ils avoient
» fait ferment que leurs vaiffeaux , auffi-
» bien que leur chargement , n'apparte-
» noient ni en entier ni en partie aux en-
» nemis du Grand Seigneur.
Leurs Hautes Puiffances publierent dans
la même année une défenfe aux vaiffeaux
marchands de ne plus fortir fans eſcorte.
Malgré ces précautions la paix fut encore
rompue par les Algériens , dont la puiffance
augmenta tellement , qu'en l'année
1659 ils mirent en mer , en différentes
efcadres , feize vaiffeaux de guerre de
vingt quatre à trente- fix piéces de canon ,
de quatre à cinq cens hommes d'équipage
, & deux galeres de vingt- deux à vingthuit
paires de rames , ayant à bord un pareil
nombre d'hommes ; alors les vaiffeaux
de guerre hollandois coururent eux - mêmes
rifque d'être enlevés avec les marchands
auxquels ils fervoient d'efcorte .
On avoit déja employé plufieurs moyens
pour détruire cette ville corfaire , & le fameux
Amiral Ruiter fut envoyé en 1655
pour brûler ces Barbarefques dans leur
port ; cependant ce projet échoua à cauſe
d'un trop grand calme , & c'eft alors que
ce grand Amiral dit , que celui qui voudroit
attaquer la ville ou le port d'Alger , devroit
avoir pour lui le foleil & la lune , le jour &
A O UST. 1755. 155
la nuit , le vent & le tems ; le vent favoiable
pour s'approcher de la ville & pour
s'en éloigner , le tems clair & ferein pour
découvrir l'entrée de la rade , ou au moins
un Pilote habile à qui la fituation des lieux
fut entierement connue fans compter
qu'il faudroit que les habitans de la ville
ignoraflent abfolument ce deffein , parce
que pour peu qu'ils fuffent fur leurs gardes
, il leur feroit facile d'empêcher l'entrée
des vaiffeaux dans leur port.
›
Cependant perfonne n'a attaqué ces
Corfaires avec plus d'avantage , perfonne
ne leur a fait plus de tort que le méme
Amiral Ruiter , & n'a fçu mieux les combattre.
Il les ferra de fi près , & jetta fi
fort l'allarme parmi eux ; que leurs foldats
refufoient de s'embarquer : deforte
qu'en l'année 1662 ils furent obligés de
demander le rétabliffement de la paix aux
mêmes conditions qu'ils venoient de la renouveller
avec les Anglois, c'est- à- dire que
»leurs armateurs, lorfqu'ils rencontreroient
» un vaiffeau Hollandois , feroient obligés
d'envoyer à fon bord deux hommes de leur
Ȏquipage pour demander amiablement s'il
» n'avoit pas des hommes ou des marchan-
» difes qui appartiendroient à leurs ennemis.
Cette ftipulation fut rejettée , &
ils furent fort heureux d'obtenir des Hol
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
landois la paix le 16 Novembre 1662 fous
cette condition : Vaiffeau libre , marchandifes
libres , nulle vifite .
"
La ville d'Alger & fes châteaux étoient
alors garnis de fept cens quatre - vingtcinq
pieces de canon , dont toutes les bouches
étoient tournées vers la mer , & les
rénégats difoient fecrettement à l'Amiral
Ruiter , que fi les Etats Généraux vou-
» loient que la paix fut bien obſervée , ils
» ne devoient jamais laiffer fortir aucun
vaiffeau marchand fans efcorte , "qu'ils
» devoient avoir un bon nombre de vaif-
"feaux de guerre dans la Méditerranée , &
» les faire voir quelquefois fur la rade d'Alfous
prétexte de faire de l'eau , pour
tenir dans la crainte les ennemis , parce
» que fans cela les Algériens pourroient
facilement enfreindre les traités.
» ger ,
Dans la paix de 662 , la Régence d'Alger
ftipula deux ou trois articles pour prévenir
dans la fuite des tems toute occafion
de différens fâcheux : 1 ° . » Qu'il fe-
» roit défendu à tous les Hollandois de
tirer fur les vaiffeaux algériens qu'ils
» pourroient rencontrer. 2 °. Que les Etats
» Généraux feroient faire un fceau particulier
pour les paffeports de mer , qu'ils
l'enverroient au Conful d'Alger , qui
l'imprimeroit fur tous les pleins pouvoirs
» des Armateurs algériens , afin que ceux-
39
X
AOUST. 1755. 157
ci puffent conftater la vérité des paffe-
» ports , en confrontant le fceau des Hollandois
avec le leur. 3 ° . Que les Etats
» Généraux auroient feuls le droit d'accor-
» der les paffeports de mer.
Ceci eft d'autant plus remarquable que
l'Amiral Ruiter écrivit peu de tems après
aux Etats Généraux , que les Hambour
geois avoient des correfpondans à Amfterdam
, qui pour de l'argent faifoient ferment
que les vaiffeaux appartenoient à des
négocians de cette ville , & qu'il avoit auffi
découvert que plufieurs Confuls ne faifoient
nul fcrupule de délivrer des paſſeports
à des Capitaines de vaiffeaux étrangers
.
Quoiqu'il en foit , la paix ne
ne dura
pas
long- tems ; car dès l'année fuivante 1663 ,
les Algériens vifiterent de nouveau quelques
vaiffeaux hollandois , ils rompirent
par conféquent le traité , & enleverent
diverfes marchandifes , fous le prétexte
qu'elles appartenoient à leurs ennemis , &
que la ratification du traité des Etats Géneraux
, ainfi que le payement de la rançon
des Efclaves hollandois , avoit tardé
trop long tems .
La guerre recommença donc encore
une fois , & l'Amiral Tromp prit le 10
Janvier 1664 deux vaiffeaux algériens
+18 MERCURE DE FRANCE.
qui emmenoient deux prifes avec eux.
Cette perte fit un fi grand tort à ces Pirates
qu'ils promirent de » rendre toutes
» les marchandifes qu'ils avoient enlevées
» fur mer , d'exécuter à l'avenir religieufement
le traité , & même de rompre la
"
paix avec les Anglois , fi les Etats Gé-
» néraux étoient bien difpofés à la faire
» avec eux . Leurs Hautes Puiffances ,
bien loin de prêter l'oreille à ces propoftions
captieufes , propoferent à la France ,
à l'Efpagne & à l'Angleterre de fe joindre
à eux pour envoyer une flotte qui pourfuivroit
par- tour ces Barbares , bloqueroit
leurs ports , & empêcheroit abfolument
leurs croifieres & leurs pirateries , fans
jamais entendre à aucune propofition de
paix de leurs part , mais aucune de ces
trois Puiffances ne voulut s'y prêter ; cependant
les Hollandois envoyerent l'Amiral
Ruiter avec une flotte de douze vaiffeaux
de guerre dans la Méditerranée , &
à Alger pour hâter la conclufion du traité
avec la Régence ; mais les Algériens le
retinrent long- tems fans fujet , & l'amuferent
fous des prétextes frivoles ; deſorte
qu'il fe vit obligé de leur déclarer la guerre
par ordre de leurs Hautes Puiffances.
On donnera lafuite dans le Mercure du
mois prochain.
AOUST. 1755. 159
Difcours préliminaire d'un abregé chronologique
de l'hiftoire de la ville de Paris , à
Timitation de l'abregé chronologique de l'hiftoire
de France, de M. le Préfid, Hénault .
P
Aris que nous connoiffons aujourd'hui
comme la ville la plus confidérable &
la plus floriflante de l'Europe , n'étoit dans
fon originé qu'une très- petite bourgade
renfermée dans l'étendue connue aujour
d'hui fous le nom d'ifle du Palais , les maifons
à un feul étage , & conftruites pour
la plupart en bois & terre , étoient couvertes
de paille ou chaume , des fourneaux
de terre fervoient dans l'ufage ordinaire
pour échauffer les appartemens , & pour
préparer les chofes néceffaires à la vie . Nos
prédéceffeurs ne connoiffoient pas les cheminées
ni les fuperfluités dont nous nous
faifons une néceffité . Leur petit bourg entouré
de collines charmantes procuroit à
leur famille fous des toits ruftiques un
afyle heureux & tranquille ; fans ambition
& fans vanité leur goût étoit fatisfait
des productions de leurs terres , & le vin qui
croiffoit fur leurs petites montagnes étoit
leur boiffon ordinaire. A l'ombre d'un tilleul
ou affis au pied d'un chêne , nos ayeux
couloient des jours purs & ferreins , ces
160 MERCURE DE FRANCE.
tems font bien changés , & les fauxbourgs .
Montmartre , S. Jacques , S. Marceau , S.
Victor , & Sainte Genevieve ne produiſent
affurément pas le même effet.
Jules- Céfar vint porter le trouble dans
un féjour fi fortuné ; il fe rendit le maître
de Paris , & fes habitans virent alors pour
la premiere fois élever fur les bords de
leur fleuve des forts dont ils ne connoiffoient
pas l'ufage . Leur ville entourée de
fortes murailles par ce conquerant ne leur
parut plus qu'une prifon. Quoique leur
nouveau maître , pour adoucir l'efpece de
fervitude fous laquelle il les réduifoit
fit conftruire dans l'intérieur nombre d'édifices
confidérablés .
A Jules- Céfar fuccéderent les Empereurs
romains. Ils hériterent de ce grand homme
le goût le plus décidé pour Paris ; ils
y paffoient tous leurs quartiers d'hiver , &
firent commencer les fauxbourgs immenfes
que nous voyons de nos jours .
Les Francs chafferent les Romains , &
foumirent Paris à leur domination. Elle
devint la capitale de leurs Etats fous Clovis
I. En 508 ce Prince y fixa fon féjour ,
& l'augmenta confidérablement. Les Rois.
de la feconde race ne furent pas fes imitateurs
, ils y firent très - peu de féjour
& leur abfence enhardit les Normands à
AOUST. 1755. 161
s'approcher de Paris ; ils ravagerent fes environs
, & en firent plufieurs fois le fiége ,
que les habitans de la campagne refugiés
dans la ville , de concert avec les Parifiens,
foutinrent avec beaucoup de valeur & de
conftance .
Les Souverains de la troifiéme race
n'ont pas imité ceux de la feconde . Paris
a toujours été leur féjour ordinaire jufqu'à
Louis XIV , qui a transferé la demeure de
nos Rois au château de Verfailles. Ils ont
augmenté considérablement cette ville par
la jonction de plufieurs bourgades qui s'étoient
formées prefque fous fes murs , &t
lui ont prodigué des embelliffemens de
toutes les efpeces.
En 1184 , Philippe - Augufte fit paver
les rues & les places. En 1199 , il fit commencer
une enceinte d'un mur très - fort ;
douze années fuffirent pour terminer un
ouvrage fi confidérable , & ce Prince eut
la fatisfaction de le voir parfait avant ſa
mort,
Charles V fit conftruire une nouvelle
enceinte en 1367 ; & Charles VI fon fils &
fon fucceffeur , fit mettre la derniere main
à ce que fon pere avoit commencé .
François I , le reftaurateur des Lettres
en France , embellit confidérablement Paris
, & c.
162 MERCURE DE FRANCE.
Charles IX pofa le 11 Juillet 1566 la
premiere pierre d'une nouvelle enceinte
Henri IV , le pere de la patrie , fit conftruire
nombre d'édifices .
Louis XIII fon fils , fit commencer une
nouvelle enceinte en 1634 ; & le 15 Janvier
1638 il fit rendre en fon Confeil un
Arrêt , par lequel il fut ordonné de placer
des bornes de diſtance en diſtance dans
toute la circonférence de la ville , au-delà
defquelles il fut défendu de bâtir fans permiflion.
Louis XIV a porté Paris à ce haut dégré
de fplendeur où nous le voyons , &
nos neveux pourront à peine ajouter foi au
trait de notre hiftoire qui contient l'énu ,
mération des changemens arrivés fous fon
regne .
Louis XV furpaffera fans doute tous fes
prédéceffeurs , fi , comme il y a lieu de
l'efperer , il fait exécuter le projet de l'embelliffement
de Paris , actuellement fous
preffe , chez Duchefne , rue S. Jacques.
les
Voilà à peu-près , mais exactement ,
changemens arrivés dans la ville de Paris ,
depuis fon origine . Je me propofe d'en
donner un détail qui ne laiffera rien à de
firer , quoique renfermé en un feul volume
in 12. Je dirai même dès à préfent
que ces divers accroiffemens donnerent
-
AOUST. 1755. 163
d'abord lieu à la divifion de cette ville en
quartiers.
Philippe- Augufte la divifa en quatre
parties.
Ses fucceffeurs , jufqu'à Charles VI , en
doublerent le nombre. Ce dernier les por--
ta jufqu'à feize . Louis XIII , la derniere
année de fon regne , en joignant le fauxbourg
S. Germain à Paris , en forma le
dix- feptième. Louis XIV enfin , en 1702 ,
en fixa le nombre à vingt , par une déclaration
du 14 Janvier , confirmée par
une autre , du 12 Septembre de la même
année , registrée au Parlement les Janvier
1703.
Poncet de la Grave , Avocat
au Parlement.
MEDECINE.
EXTRAIT du rapport de M. Hofty ,
Docteur- Régent de la Faculté de Médeci
ne de Paris , pendant ſon féjour à Londres,
au fujet de l'Inoculation .
Mite de fujet de la Grande Bretagne ,
A profeffion de Médecin , ma qualité
& la connoiffance que j'ai de la langue ,
m'ont procuré l'avantage d'être appellé de164
MERCURE DE FRANCE.
puis la paix par la plupart de més compatriotes
, qui voyagent à Paris , & qui y
font tombés malades , & de m'entretenir
avec eux fur ce qui pouvoit être relatif à
la pratique de la Médecine en Angleterre ;
mais pour me mettre encore plus au fait
j'ai formé le deffein de me tranfporter à
Londres , afin d'y juger par moi- même des
variations arrivées depuis quelques années
en ce pays dans l'art de guérir.
Les fuccès conftans qu'a depuis trente
ans à Londres l'Inoculation de la petite
vérole , & les avantages que la France
pourroit retirer en l'introduifant chez elle ,
m'ont fur-tout déterminé à entreprendre
ce voyage .
J'arrivai à Londres le 12 Mars 1755 .
Mon premier foin fut d'aller voir MM .
Cox Willmod , Médecin du Roi , Hoadly ,
Garnier , Ranby , Mideleton , Hawkins ,
Gataker , Truifdal , Adair , Taylor , Heberdin
, Médecin de la Cour , Shaw , Kirk
Patrick , auteur de l'analyse de l'Inoculation
, le Docteur Maty , auteur du Journal
britannique , M. Pringle , connu par fon
excellent ouvrage fur les maladies des armées
, qui eft en commerce de lettres avec
M. Senac , les Docteurs Clephane , Jarnagagne,
Connel, MM . Bell, Pingfton , Brumfield,
Wal , Chirurgien de l'Hôpital de l'Inocu-
1
A O UST. 1755 : 165
lation , Tompkins , Chirurgien des Enfans
trouvés , M. Morton qui en eft le Médecin.
Je cite tous ces Meffieurs comme autant
de garans de la vérité de ce rapport.
Ce font les praticiens les plus employés à
Londres , & les plus connus en France.
Il n'eft pas poffible de marquer plus de
zéle pour le bien du genre humain qu'ils
en ont fait éclater à mes yeux , ni plus
d'envie de répandre dans toute l'Europe
une pratique qu'ils jugent fi falutaire.
Les facilités qu'ils m'ont procurées pour
l'exécution de mon projet en font des
preuves autentiques .
L'Evêque de Worceſter , fi recommandable
par fa charité envers les pauvres , ce
Prélat qu'on peut regarder comme le fondateur
de l'Hôpital de l'Inoculation dont
il eft actuellemeut Préfident , & qui fans
contrédit eft l'homme d'Angleterre le plus
éclairé fur tous les faits qui concernent
l'Inoculation , s'eft fait un mérite de m'inftruire
de tout ce qui y avoit rapport :
d'ailleurs , la protection dont m'a honoré
M. le Duc de Mirepoix à la recommendation
de M. Rouillé , Miniftre des affaires
étrangeres , & la connoiffance que j'avois
déja faite à Paris de plufieurs Seigneurs
anglois , ne m'ont laiffé rien à defirer fur
ce qui faifoit le principal objet de mon
voyage.
166 MERCURE DE FRANCE.
Pendant le tems que j'ai été à Londres
j'ai fuivi tant aux Hôpitaux qu'en ville
deux cens cinquante-deux perfonnes ino
culées , de différens âges & de conditions
différentes , qui m'ont fourni les obſerva
tions fuivantes . *
Le fujet qu'on veut inoculer étant préparé
, on lui fait une incifion très - légere à
un ou aux deux bras , fuivant l'idée de l'Inoculateur
; on y infére un fil impreigné de
la matiere variolique bien choifie , on
daiffe ce fil dans l'incifion l'efpace de
trente-fix heures , on l'ôte enfuite. Quelques-
uns appliquent fur la plaie une emplâtre
, mais d'autres n'y mettent rien du
tout ; elle paroît ordinairement guérie au
bout de quarante heures ; mais le troifiéme
ou quatrième jour elle s'enflamme de
nouveau , les bords en deviennent rouges,
J'en ai vû inoculer depuis l'âge de trois jufqu'à
vingt-huit , & même jufqu'à trente- fix ans.
&
Il me paroît démontré que les adultes qu'on
voit inoculer à préfent , font les enfans d'autant
de gens autrefois ennemis de cette pratique , qui
ne le font rendus qu'à l'évidence du fuccès ,
qui forment aujourd'hui des preuves éclatantes
du progrès & de la bonté de cette méthode. J'ofe
dire que dans peu d'années il ne ſe trouvera perfonne
en Angleterre , à l'âge de quinze ans , qui
n'ait eu la petite vérole naturellement , ou par
infertion.
A O UST . 1755. 167
fignes prefque certains que l'infertion a
bien pris. Le cinq ou fix on apperçoit une
ligne blanche dans le milieu , l'urine eft
de couleur de citron , indications plus fu
res que les précédentes. Le feptiéme ou le
huitième , le malade qui jufqu'alors n'a
point apperçu de changement dans fon
état , commence à fentir une douleur plus
ou moins vive , à une aiffelle , & quelquefois
aux deux . C'eſt pour l'ordinaire le
premier fymptome , enfuite un malaiſe ,
une fievre plus ou moins forte , un mal
de tête , de reins , des naufées fuivies de
vomiffemens . Le neuvième ou le dixiéme
il paroît une fueur très - abondante , ac
compagnée d'une éruption milliaire par
tout le corps. Ces deux fymptomes prééédent
communément de vingt- quatre heures
, plus ou moins , l'éruption de la petite
verole , & difparoiffent avec les autres , a
mefare que
fe fait cette éruption , qui
arrive pour l'ordinaire vers le dixiéme
jour de l'infertion ; dès qu'elle eft parfaite
le malade ne fouffre plus , il eft cenfé hors
de danger , puifqu'autant que l'expérience
me l'a fait voir , l'on n'a rien à craindre
de la fievre de fuppuration , qui eft fi dangereufe
, & fouvent fi funefte dans cette
maladie , lorfqu'on l'a naturellement . Les
inoculés paffent prefque toujours ce roms
}
16S MERCURE DE FRANCE.
fans fievre & fans accident , ce que les
Médecins regardent comme une preuve
convaincante des avantages de l'inoculation
; la fuppuration finit vers le feizième,
& la deffication vers le vingtiéme . On
purge plufieurs fois le malade , on lui donne
alors des alimens plus folides. Pendant
le cours de la maladie on ne permet que
des végétaux , ou des chofes légeres en
ufage dans le
des
que
pays , telles
des afperges , &c, mais ni viande ni poiffon.
navets
Les ulceres de l'incifion fe dilatent &
fuppurent confidérablement vers l'état de
la maladie ; cette fuppuration continue
quelquefois après le traitement , ce qui
provient principalement de la profondeur
de l'incifion , & n'arrive que très- rarement
depuis qu'on ne fait plus qu'une incifion
très-fuperficielle , ou pour mieux dire une
égratignure ; les fymptomes font quelquefois
fi légers , & le nombre des boutons fi
petit , qu'à la diete près , le malade vit à
fon ordinaire , s'occupe & s'amufe fuivant
fon âge , & n'eft pas obligé de garder
le lit. L'Envoyé de Dannemarck en Angleterre
qui s'eft fait inoculer avec la permiffion
de fa Cour & du confentement de
fa famille , à qui cette maladie a été fouvent
fatale , n'a prefque rien changé à fa
maniere
AOUST. 1755: 169
maniere de vivre accoutumée ; c'eft de
tui-même que j'ai eu le détail journalier
de fon traitement .
Le fils de l'Ambaffadeur de Sardaigne
s'eft foumis avec le même fuccès à cette
pratique.
Je paffe aux effets de cette méthode .
Les deux cens cinquante -deux perſonnes
que j'ai vûes inoculées , ont toutes
été guéries fans aucunes fuites fâcheufes ,
elles m'ont paru fe fortifier après le traitement,
& pas une d'elles n'a été marquée;
mais ce qui m'a bien furpris , c'eft que
ceux - mêmes qui avoient beaucoup de
boutons & fort gros , ne paroiffoient pref
que pas rouges après la deffication , comme
ils le font dans la petite vérole naturelle.
L'avantage de conferver la beauté
n'a pas peu contribué à accréditer cette
méthode , auffi eft-il rare de voir à Londres
quelqu'un au- deffous de vingt ans
défiguré par la petite vérole , à moins que
ce ne foit parmi le bas peuple qui n'a pas
le moyen de fe faire inoculer , où qui conferve
encore les anciens préjugés .
OBSERVATIONS PARTICULIERES.
19. Des deux cens cinquante - deux perfonnes
dont j'ai fuivi l'inoculation , deux
H
170 MERCURE DE FRANCE.
feulement m'ont paru en danger. L'un
étoit le fils du Major Jennings , homme de
condition , fort riche , âgé de trois ans ,
inoculé avec fa foeur , âgée de quatre ans ,
& fa gouvernante âgée de vingt trois. Cet
enfant a eu fix accès de convulfions dans
l'efpace de dix- huit heures , immédiatement
avant l'éruption , ce qui a donné de
vives allarmes à fes parens , mais non aux
Médecins ni aux Chirurgiens ; il a évacué
par le moyen de deux remedes , l'éruption
s'eft bien faite , & auffi- tôt tous les acci
dens ont difparu . Au refte cet enfant eft
fujet à ces accès convulfifs , il en avoit eus
antérieurement dans deux autres maladies.
2°. Il m'a paru que les enfans délicats
& les filles avoient les fymptomes moins
violens , plufieurs praticiens n'ont fait aucunes
obfervations là-deffus .
3°. Les Anglois pour fauver leurs enfans
du danger de cette maladie , m'ont
paru anticiper fur l'âge convénable en les
faifant inoculer à la mammelle & au - def
fous de quatre ans . J'ai obfervé conftamment
que l'âge depuis quatre ans jufqu'à
quinze , étoit le plus propre , & que les
perfonnes au -deffus de quinze fouffroient
moins les enfans au-deffous de quatre que
ans. Cette remarque eft conforme à celles
des gens de l'art.
;
AOUST. 1755. 171
” . J'ai vû des adultes des deux fexes ,
même forts , replets & très- robuftes guérir
fans accident , & d'une façon furprenante,
5°. Quoiqu'on choififfe pour l'inoculation
le tems qui fuit immédiatement les
régles , elles furviennent cependant prefque
toujours dans le cours de la maladie
ont plus ou moins de durée , & finiffent
fans aucun accident.
6°. J'ai vû plufieurs perfonnes n'avoir
que très-peu de boutons , quelquefois feulement
autour de l'incifion , comme la
fille du Comte de Fitz Williams . Un adulte
en eut une douzaine ; le premier lui
vint au gros doigt du pied , remarque curieufe
, & qui prouve inconteftablement
que le virus a circulé par toute la maffe du
fang , quoiqu'il n'y eut que peu de boutons.
Quelquefois la feule fuppuration des
ulceres tient lieu de tout.
7°. Les fymptomes & l'éruption paroiffent
quelquefois fort tard . La fille de Mylord
Dalkitk à qui ils n'ont paru que le
quatorziéme jour après l'infertion , & un
enfant trouvé , dont je parlerai plus bas ,
auquel ils n'ont paru que le vingt-fix en
font des exemples.
8°. Cinq perfonnes n'ont pu prendre la
petite vérole , quoiqu'on eut réitéré l'infertion
; l'un étoit en ville , & les quatre
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
autres aux Hôpitaux ; & quoiqu'ils fuffent
tous cinq expofés pendant le traitement
des autres à l'infection , ils ne la contracterent
pas.
Les deux Hôpitaux dans lefquels fe pra
tique cette méthode , font celui de la petite
verole , ainfi nommé , parce que l'on
n'y traite que cette feule maladie , foit naturelle
, foit artificielle , & celui des Enfans
trouvés. J'ai apporté tout ce qui regarde
l'établiffement & les réglemens de ces Hôpitaux
, auffi - bien que l'hiftoire de l'inoculation
, depuis le jour de leur établiſſement
jufqu'à celui de mon départ , qui m'ont été
remis par ordre du Commité : en voici
le détail . *
Depuis le 26 Septembre 1746 , jour de
l'ouverture de l'Hôpital de l'Inoculation ,
jufqu'au 14 Mai 1755 , il y a eu fix cens
quatre inoculés , y compris quatre- vingtdix-
fept de cette année. Les cinq premieres
années de fon établiſſement cette méthode
Y étant encore dans fon enfance , & l'hôpital
n'étant pas encore en état de fournir
toutes les commodités aux malades , de cent
trente une perfonnes , il en eft mort deux ;
l'une attaquée de vers , l'autre foupçonnée
d'avoir cette maladie naturellement dans
le tems de fon inoculation * . Les quatre
* L'Hôpital pour l'Inoculation eft encore bieg
A O UST. 1755 . 173
dernieres années , de quatre cens foixantetreize
, un feul eft mort ; & fuivant les regiftres
de ce même hôpital , de neuf perfonnes
qui ont la petite vérole naturelle ,
il en meurt deux .
Depuis 1741 , on a inoculé aux Enfans
trouvés deux cens quarante-fept , dont un
feul eft mort , ce que l'on croit , par un
accident étranger à l'inoculation.
à
Total des inoculés dans les deux Hôpitaux
,
Morts ,
851.
4.
La premiere fois que je vifitai l'Hôpital
de l'Inoculation , je fus témoin d'un contrafte
bien frappant. Il y avoit fur le même
quarré deux falles ; l'une deftinée à la
petite vérole naturelle , l'autre à la petite
vérole , qui s'y donne par infertion. Dans
la premiere de ces falles je vis des malades
qui excitoient non feulement la compaffion
, mais la terreur , hideux , gémiffans
, prêts à rendre l'ame ; on les auroit
cru frappés de la maladie la plus cruelle
& la plus dégoûtante. Dans l'autre falle
pauvre , ce qui oblige de mettre les inoculés avec
ceux qui font attaqués de la petite vérole naturelle
ce qui ne peut manquer d'infecter l'air , &
de rendre en cet endroit la pratique de l'inoculation
plus fujette à des accidens qu'ailleurs,
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
on n'entendoit ni cris de douleur , ni voix
mourante ; on ne voyoit ni fouffrance ni
accidens , ni même aucun malaiſe : au contraire
les malades étoient gais , & jouoient
entr'eux. Il y avoit vingt-fix filles inocu-
1ées , depuis l'âge de dix ans jufqu'à vingtquatre
, qui n'étoient point alitées , qui
couroient les unes après les autres , & fe
divertiffoient comme on a coutume de le
faire à cet âge , lorfqu'on fe porte bien .
J'eus occafion de faire aux Enfans trou
vés une obfervation très intéreffante fur le
nommé Claringdon , âgé de cinq ans , qui
fe trouva pris de la rougeole , fans que
T'on s'en fût apperçu , dans le tems qu'il fut
inoculé. Le lendemain les fymptomes de
la rougeole fe manifefterent avec affez de
violence pour faire craindre pour fa vie ,
les taches parurent au tems ordinaire ; la
maladie prenant fon cours fe termina heureufement.
Le vingt- fixième jour de l'inoculation
la petite vérole parut en affez
grande quantité , & eut fon cours fans
aucun accident remarquable . Le malade
guérit des deux maladies , ce qui prouve le
peu de danger de cette pratique , & que
l'humeur de la petite vérole eft différente
des autres humeurs , & ne fe mêle point
avec elles.
AOUST. 1755 175
FAITS ET INFORMATIONS.
1º. Je n'ai pu trouver dans tout Londres
un feul Medecin , Chirurgien ou
Apoticaire qui s'oppofât à l'inoculation ,
ils en font au contraire tellement partifans
qu'ils font tous inoculer leurs propres
enfans. Ils regardent cette pratique
comme la plus grande découverte que
l'on ait fait en médecine depuis Hyppocrate
.
J'ai vu inoculer avec fuccès les deux
filles du Docteur Ruffel , l'une âgée de 2 9
ans , l'autre de 23 .
20. M. Ranby , premier chirurgien du
Roy d'Angleterre m'a affuré avoir inoculé
plus de 1600 perfonnes fans qu'il en foit
mort une feule. M. Bell , éleve de M. Morand
, 90 , avec le même fuccès. Enfin
M. Hadow , médecin à Warvick & ami du
docteur Pringle , inocule depuis 18 ans
avec un fuccès furprenant (a) .
( a ) Le Docteur Pringle connu de M. Senac , a
écrit au docteur Hadow pendant mon féjour à
Londres , pour le prier de répondre à quelques
queftions que j'avois faites par écrit . J'ai reçu la
réponse aux trois premieres avec une lettre du
Docteur Pringle , depuis mon arrivée à Paris . J'ajoute
ici la traduction des deux lettres . Ces Mefhieurs
me promettent de répondre aux douze autres
questions.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
3°. Il ne fe trouve pas un feul exemple
qu'une perfonne qui ait eu la petite vérole
bien caractérisée par l'inoculation , l'ait eu
une feconde fois , cela eft fondé fur plu
fieurs expériences réïtérées & bien avérées.
Pour décider que le malade eft à l'abri de
cette infection , ils ne demandent qu'une
preuve non équivoque que le virus a opéré
fur la maffe du fang : quelques boutons fur
le corps , ou la fuppuration des incifions
fans éruption leur fuffifent.
4°. Il ne fe trouve pas d'exemple d'aucune
autre humeur fcorbutique , &c. qui
ait été introduite par l'inoculation , cela
eft même confirmé par quelques expériences
, hardies à la vérité ; auffi l'on ne s'inquiette
plus à cet égard d'ailleurs il eſt
facile par le choix du fujet qui fournit la
matiere d'en éviter le rifque (a).
5. Il ne fe trouve point un médecin à
Londres , autant que je l'ai pû apprendre ,
qui croye que l'on ait la petite vérole plufieurs
fois (b).
(a ) L'exemple de la complication de la rougeole
& de la petite vérole dans l'enfant trouvé
dont je viens de parler , me paroît ne laiffer aucun
doute là -deffus.
(b ) Le docteur Maty , qui avoit eu la petite.
vérole naturelle , voulant fe convaincre de ce fait,
s'eft inoculé lui-même fans pouvoir . ſe la donnen
AOUST. 1755. 177
6. Les Catholiques s'y foumettent ainſi
que les Proteftans , Mylord Dillon a fait
inoculer fon fils & fa fille aînée ; Madame
Chelldon , fa parente , craignant beaucoup
cette maladie , s'eft fait inoculer ce printemps
à l'âge de trente- fix ans , & mere de
douze enfans aufquels elle a ainfi donné
l'exemple du courage.
La fille du Duc de Beaufort , âgée de 15
ans, m'a fourni un fecond exemple de réfolution
, elle s'eft fait inoculer le 25 Avril
dernier de fon propre mouvement . On la
regarde comme la beauté de l'Angleterre ;
tout le monde s'intéreffoit à cet évenement ,
& le fuccès a répondu aux voeux que le
public formoit pour elle. J'ai retardé mon
retour de quinze jours pour affifter à fon
traitement.
Je pourrois citer plufieurs autres obfervations
curieufes & intéreffantes touchant
cette pratique que je tiens de perſonnes
très- dignes de foi , mais voyant que ce
rapport paffe les bornes convenables , &
n'ayant d'autres but que de rapporter fimplement
ce que j'ai vâ , & nullement de
décider la queſtion , je finirai en affurant
que les libéralités des perfonnes prévenues
autrefois contre cette pratique par religion
Ce détail ſe trouve dans fon Journal Britannique
des mois de Novembre & Décembre 1754
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
ou par quelque autre motif, font aujour
d'hui le principal revenu de l'hôpital de
l'inoculation , & que les regiftres font
remplis d'exemples curieux & touchans de
peres & meres qui ayant été maltraités par
la petite vérole naturelle ont eu recours
malgré leurs préjugés à l'inoculation fouvent
pour fe conferver l'unique enfant qui
leur reftoit.
Lettre à M. Hofty . Londres , ce 5 Juin 175.5.
Enfin j'ai reçu , Monfieur , la réponſe
du docteur Hadow à quelques- unes de vos
queſtions , elle me paroît judicieufe & fatisfaifante
par rapport aux trois premieres ;
lorfqu'il aura fini , je ne manquerai pas de
vous en faire part . Je vous renouvelle les
fouhaits finceres que je fais pour tous vos
fuccès , & pour celui de l'inoculation en
général.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Signé , Jean Pringle.
Lettre au docteur Pringle . Warwick ,
ce 2 Juin 1755.
Je ſuis honteux , Monfieur , de répondre
fi tard à votre lettre ; je n'étois point
chez moi , lorfque je l'ai reçue , & j'ai été
tellement occupé depuis à achever les inoculations
de cette faifon , & à quelques
A OUST. 1755. 179
autres affaires , que je n'ai pas eu le tems
de faire une réponſe convenable aux queftions
du docteur Hofty . Je ferai toujours
prêt à lui communiquer ou à tout autre de
vos amis , tout ce que je fçai , & tout ce
que j'ai obfervé dans la pratique de l'inoculation
.
M. Hofty fouhaite d'abord fçavoir ce
que j'obferve dans le choix d'un fujer pour
Finoculation par rapport au tempéramment
, à l'âge , au fexe ; il eft certain que
les jeunes gens qui fe portent bien font les
fujets les plus propres pour être inoculés.
Mais lorfque la petite vérole paroît en
quelque endroit , la terreur qu'elle occafionne
eft fi grande , & il fe trouve tant de
perfonnes qui demandent à être inoculées
que nous ne pouvons les renvoyer , d'autant
plus que ceux qui ont été refufés par
un inoculateur , ont recours à un autre. Je
n'ai jamais refufé qu'une feule perfonne ,
& depuis dix-huit ans que je me mêle de
cette opération , j'en ai inoculé depuis l'âge
de trois mois jufqu'à foixante - deux ans.
Je pense que le tems le plus für pour l'inoculation
eft depuis trois ans , ou lorsque les
premieres dents ont toutes perçées , jufqu'à
l'âge de dix ou douze ans. A cet age
on n'a aucune frayeur de cette maladie..
Les enfans dont les dents percent , ont des
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
accès convulfifs , quelquefois la premiere
nuit de la fievre , & aucuns enfuite , mais
plus fréquemment la nuit de l'éruption .
Je n'ai pas remarqué que ce fymptome fut
fatal , la faignée ou l'application des fangfues
le fait communément ceffer. A force
de voir des malades inoculés fans diftinction
, je fuis devenu beaucoup plus hardi
que je ne l'aurois jamais cru . Les ſcorbutiques
, les afthmatiques , ceux qui font
attaqués de rhumatifmes , les filles qui ont
les pâles couleurs , ne fe trouvent pas plus
mal de cette méthode que les autres . Un
fang épais & coëneux ne produit pas autant
de petite vérole qu'un fang bien vermeil
& qui a peu de férofité. Les perfonnes
blondes dont la peau eft fine & mince ,
l'ont communément moins que les noires
dont la peau eft épaiffe & dure . J'ai cependant
traité quelques- unes de ces derhieres
qui ont eu des ſymptomes très-favorables.
Les perfonnes maigres ne réuffiffent
pas mieux que celles qui font un peu graffes
& dans un embonpoint. J'ai inoculé
quelques hommes qui pefoient deux cens
cinquante- deux livres , dont l'éruption fe
fit d'une maniere très aifée . Les femmes
en général fouffrent davantage .
Å l'égard des préparations générales qui
forment la feconde queftion de M. Hofty ,
A O UST. 1755. 181
elles font les mêmes que celles de Londres.
Au commencement je faifois faigner mes
malades le jour qui précédoit l'inoculation
pour voir en quel' état étoit leur fang.
Si je n'en étois pas content , je leur faifois
continuer les remedes préparatoires
un peu plus long- tems , mais maintenant
je ne fuis pas fi fcrupuleux , je ne
faigne ni les enfans , ni les jeunes filles
pâles , ni les femmes hiftériques & foibles.
J'avois autrefois coutume de donner un
vomitifun foir ou deux avant que la fievre
parut , afin de nettoyer l'eftomac & les inteftins
. Mais j'ai plufieurs fois éprouvé que
la violence du vomitif occafionnoit la
fievre , qui ne difparoiffoit que dans le
tems de l'éruption ; à préfent lorfque je
juge qu'un vomitif eft néceffaire , je le
donne le foir qui fuit l'inoculation .
Pour fatisfaire à la troifiéme queftion
fur l'incifion , j'en fais maintenant une
ou deux , & auffi légere qu'il eft poffible.
Dans les commencemens , je faifois une incifion
à un bras & à la jambe opposée
Mais j'ai trouvé cette méthode fujette à
quelques inconvéniens parmi le beau fexe,
des inflammations , des clous , des tumeurs
paroiffent quelquefois auffitôt après l'exficcation
de l'incifion de la jambe.
J'ai vu quelquefois des fymptômes très182
MERCURE DE FRANCE.
violens , occafionnés par une incifion trop
profonde fur le milieu du mufcle biceps.
J'efpere la femaine prochaine répondre
à quelques autres queftions de M. Hofty s
que je voudrois obliger fur ce que vous.
m'en dites.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Signé , Jacques Hadow , M. D.
CHIRURGIE.
REFLEXIONS critiques adreffées à M*** ,
Médecin à Lyon , fur une Lettre annoncée
fous le nom du fieur Beranger , Oculifte , par
M. Daviel le fils , Maître- ès Arts en l'Univerfite
de Paris.
En erit unquam
Ille dies , mihi cum liceat tua dicere facta ș
Virg. Bucolica
MONSIEUR , j'avois déja vu la lettre
du fieur Beranger , lorfque vous eûtes la
bonté de me l'envoyer ; je fuis cependant
fenfible autant qu'on le pent être à cette
marque d'attention de votre part ; j'ai été
fort furpris qu'elle eut déja parcouru vos,
contrées , me perfuadant que l'on fe feroit
contenté d'en informer feulement les aubergiftes
fur la route de Bordeaux à Paris :
mais je m'apperçois que l'on n'aura fait
A OUST. 1755. 183
grace à qui que ce foit , il auroit été jufte
cependant que l'auteur fauvât les ports de
lettres à ces perfonnes qui ne m'ont informé
de cette anecdote , que par les plaintes
ameres qu'elles témoignoient contre cet
opérateur , qui fembloit les mettre à contribution
, pour leur faire tenir un ouvrage
, dont la matiere ne les intéreffoit
nullement. Permettez moi cette digreffion,
elle peut fervir à vous fatisfaire fur l'explication
que vous me demandez de quelques
articles de cette lettre , & de la bonne foi
de l'auteur.
Perfuadez - vous , Monfieur , que quelques
fuccès que j'euffe pû me promettre
en faveur de la caufe que je défends ,
je n'aurois pu me réfoudre à refuter
un tel ouvrage ; je ne trouvois rien qui
put me fatter dans une pareille difcution
; d'ailleurs , que n'avois- je pas à ménager
, un public au fervice duquel je me
fuis dévoué pour la chirurgie , auquel j'aurois
voulu préfenter un effai bien différent
de mes travaux ; un pere auquel j'aurois
craint de déplaire en époufant fa querelle
dans une telle occurrence , perfuadé que
fon nom feul capable d'impofer un filence
refpectueux à l'auteur , fiffifoit pour me
prohiber toute voye deffenfive : vu ces raifons
, je m'étois condamné au filence , &
184 MERCURE DE FRANCE:
^
je le garderois encore fi plufieurs perſonnes
ne m'avoient fait rougir de mon indifférence
, à fouffrir qu'on put impunément
en impofer au public , & attaquer mon
pere par des propos indécens qui tendoient
à entamer la réputation dont il jouit à fi
jufte titre. J'ai cru devoir céder à des raifons
auffi plaufibles ; peut- être que ce même
public , juge integre dans tous les différends
, confidérera que c'eft un fils , qui
épargne à fon pere le déplaifir d'entrer en
lice avec un adverfaire fi peu digne de lui ;
vous connoiffez fa façon de penfer , Monfieur
, puifque vous avez été un de ceux
qui ont rendu publiquement hommage à
fes talens , & je me perfuade volontiers
qu'il n'eft perfonne qui ne porte fur la lettre
du fieur Béranger , le même jugement
de Démophon dans Térence ? Ipfum geflio
dari mi in confpectum avec d'autant plus de
raifon que l'on ne peut manquer de s'appercevoir
qu'il a péché par le fentiment le
plus noble , qui eft celui de la reconnoiffance
: comment n'a- t- il pu s'appercevoir.
qu'il s'abufoit en déchirant la réputation
d'une perfonne dont il devoit tirer tout
l'éclat voulant s'annoncer fon éleve . Mais
ce n'eft pas la feule faute que j'aurai à lui
reprocher dans fa lettre , je vais vous les
faire appercevoir.
A O UST. 1755. 185
Ne nous abuſe-t-il pas d'abord , lorfqu'il
veut nous perfuader que privant la capitale
de fa préfence , il eft allé parcourir les pays
étrangers pour s'y rendre utile & s'y perfectionner
dans fon art ; mais comment l'auroit-
il pû , agité tour à tour par le tracas
d'un voyage , occupé à compofer différens
perfonnages fuivant la différence des
moeurs de chaque pays ; avec de telles vûes
comment s'avancer dans un art qui exige.
une application fi exacte , des veilles fré
quentes , des lectures utiles & multipliées ,
dans lequel on ne peut qu'à l'abri d'un
féjour tranquille , pofer fes idées , les rédi
ger , parcourir fes obfervations , en tirer
des conféquences utiles à la perfection
de cet art, & au bien des malades : croiroiton
que c'eft-là l'occupation d'une perfonne
qui court bien des villes , qui paffe de
contrées en contrées , pour y voir des malades
, les opérer , & partir.
Cependant le fieur Beranger , bien loin
de convenir de cette allégation , foutient
au contraire que c'eft dans fes courfes
qu'il a pu s'illuftrer au point de mériter
qu'on lui déférat la primauté fur tous ceux
de fon état ; il a fçu trop bien manier la
nature à fon gré , difpofer des maladies ,
& des guérifons , jufques- là ( a) que mal-
(a) Voyez la gazette d'Amfterdam du mardi
1 Octobre 1753•
186 MERCURE DE FRANCE.
gré les maladies fecrettes dont la plupart des
malades en Espagne avoient été infectés , &
un fang tout- à-fait corrompu , il n'a pas en
encore , dit- il , le déplaifir d'entreprendre la
guérison d'un malade , qu'il ne foit parvenu
à le guérir radicalement. Mais , malgré des
fuccès auffi brillans , les Efpagnols ne lui
ont point applaudi , il fe plaint amèrement
dans fa lettre de leur mauvaiſe grace à lui
faire un procès fur ce qu'il avoit fait imprimer
la lifte des malades qu'il avoit guéri ;
ils ont eu grand tort en effet , de prohiber
un écrit dont les faits vérifiés fufpects ,
légitimoient leur conduite à fon égard ,
ils font très-blamables auffi , fi bien loin
d'accueillir & favorifer cet oculifte, ils l'ont
maltraité mais comme dans ces contrées ,
nous avons plus à redouter de la calomnie &
des effets de la jalousie , voilà fans doute la
caufe de fa difgrace dans ce pays , il fçait
bientôt après prendre noblement fon parti ,
& fe confoler de fa mauvaiſe fortune , déclarant
qu'il n'eſt pas auſſi jaloux d'une réputation
dans l'étranger qu'il le feroit de celle
qu'il peut mériter dans fa patrie. La défaite
eft étrange : & c'eft en quoi il differe de
bien des gens
gens de mérite , qui fçavent prifer
l'eftime des plus petits, que la moindre confiance
flate & fatisfait.
Un Oculiste auffi rare cependant devroit
AOUST. 1755. 187
être fatisfait , ce me femble , de fon haut
mérite , fans dérober ce qui fait celui des
autres , pour ajouter à fa gloire : pourquoi
fe montrer plagiaire des découvertes d'un
autre , quel avantage auffi peut- il fe promettre
en improuvant des faits dont tout
un public eft inftruit ? Si nous en croyons
fon écrit , l'ancienne opération étoit la
feule connue en 1753 ( qui eft à peu près
le tems du retour de fes courfes , ) mais
comment nous perfuader ce qu'il avance :
croirons- nous que nullement informé de
ce qui a été annoncé la- deffus , il fe foit
trompé : non ; ne devroit - il pas fçavoir
qu'en 1752 , M. Daviel avoit dépofé dans
les faftes de l'académie de Chirurgie , un
mémoire fur cette nouvelle méthode , par
lequel il démontre avoir pratiqué deux
fois l'extraction de la cataracte avec fuccès
en 1745 , & l'avoir adoptée entierement en
1750. Tous les gens de l'art ont lu fa lettre
à M. de Joyeuſe , celle de M. de Vermale ,
la vôtre même , Monfieur : defavoue - t- on
des faits auffi folidement conftatés ? ces
ouvrages ne feront fans doute pas échappés
à la vigilance du fieur Beranger. Ce n'eft
pas tout , ne veut- il pas auflì à l'inftar de
quelques critiques deſoeuvrés , lui dérober
la gloire d'avoir inventé cette opération
Ne feroit-ce pas dit- il , pour avoir ofé met188
MERCURE DE FRANCE.
tre en doute , qu'il fut l'invenieur de l'extras"
tion ; il a pû le fçavoir par des diſcours , mais
il en fera encore mieux inftruit , quand il
verra les preuves que j'en rapporte dans un
autre ouvrage , je dirai même qu'il paroît
s'en réferver la gloire , mais les reproches
amers que lui ont fait là- deffus la plupart
de Meffieurs les Chirurgiens de Bordeaux
auroient dû le défabufer d'une prétention
auffi mal fondée , qui tend , fi je ne me
trompe, à lui faire difputer le pas avec mon
pere. Mais par quelle voye fe promet - il de
l'atteindre ? eft- ce par la légereté defa main ?
comme fi avec une main légere on ne pou
voit pas faire habilement une mauvaife
opération ; eft- ce parce qu'il a réuffi dans
des cas aufquels il ne s'attendoit point ? N'afpire-
t-il pas à devenir fon émule , en ouvrant
ici des artères angulaires , puis à
grands coups de tenaillons , brifant les
os voisins d'une partie qu'il ignore (a ) ,
il fçait perfuader adtoitement , que c'eft
pour le bien du malade qu'il a manoeu
vré ainfi Seroit- ce parce qu'il faifit délicatement
le tarfe dans les trichaifes ,
d'où il reste un éraillement de la paupiere
fupérieure jufqu'au fourcil , telle eft une
dame que j'ai vifitée moi- même ( b) , tels
(4) Voyez la lettre de M. Larieux , ci -jointe.
(b) Madame Frefciné , bourgeoiſe de la même
ville , rue des Menus.
1
AOUST. 1755. 189
prafont
auffi deux malades à l'hôpital S. André
de Bordeaux , qu'il a opérés dans le même
goût. Ce reproche eft d'autant plus juſte
que de toutes les opérations que l'on
tique fur les yeux , celle- là eft la plus fimple
, & le tarfe eft la feule partie que l'on
doive craindre de toucher ; voilà fans doute
par quel chemin le fieur Beranger prétend
effacer mon pere , que ne peut- il ſe
perfuader que l'on n'eft pas opérateur pour
avoir vû opérer , il en feroit plus fage. Que
ne fe propofoit- il pour exemple nos meilleurs
auteurs , lefquels fe regardant comme
les artifans de la nature , ont travaillé
fans ceffe à la connoître pour fçavoir l'aider
à propos lorfqu'elle fe prête , la relever
lorfqu'elle manque ? ils lui euffent appris à
éviter les écueils où il a échoué , alors il
n'eut pas eu befoin de recourir à la prédeſtination
pour définir la caufe des accidens
: il étoit dit que ce malheureux ſouffriroit
des contre-tems. Combien le public
ne devroit-il point être circonfpect fur le
choix de ces oculiftes , qui font à leur gré
des opérations pour s'exercer à
s'exercer à porter un
inftrument avec vivacité , qui comptentfur
des guérifons par la légereté de leur main ,
qui ne fçavent ce que c'eft de mefurer leurs
pas à la délicateffe & à la fphere étroite
d'une partie ; depuis long- tems les vrais
190 MERCURE DE FRANCE.
praticiens ont abandonné aux empiriques
le brillant , le vif dans les opérations , pour
pouvoir avec toute fureté toucher , réflé
chir , combiner les parties qu'ils doivent
attaquer , celles qu'il faut éviter , les maux
qu'ils ont à entreprendre, d'où ils concluent
qu'une bonne & utile opération eft affeztôt
faite , lorfqu'elle eft bien faite. Cela
pofé , je crois qu'il a mauvaiſe grace à con
foler , par la légereté de fa main , M. de la
Faye , de la critique qu'un homme véritable
ment de l'art , afaite de fon inftrument ; où
eft donc cette critique ? Quel est donc ce
motif de confolation ? Mon pere , il eft
vrai connoiffant la bonté de fa méthode
par fes heureux fuccès , n'adopte pas pour
lui l'inftrument de M. de la Faye , & comment
ne peut-on , fans tomber dans cette
jaloufie , qui ne permet pas de voir avec plaifir
les progrès d'un art s'augmenter en d'autres
mains que dans les nôtres , garder ce que
l'on croit bon par pratique , fans le quitter
pour ce qui peut l'égaler . L'une & l'autre
méthode ont leurs avantages , l'une & l'au
tre ont leurs inconvéniens ; vu cette jufte
réflexion , notre oculiſte a tort , veut- il
femer la zizanie parmi ces deux artiſtes ,
lefquels foigneufement occupés du bien
public , & non par des motifs d'une fervile
jaloufie , fçavent fe contredire fans huAOUST.
1755. 191
faimeur
, fans préfomption , fe prêter leurs
avis , & fe céder mutuellement fans contrainte
, lorfque le mieux l'exige.-
Volontiers , le fieur Beranger , pour
re valoir l'inſtrument de M. de la Faye ,
exigeroit que la nature fe dérangeât dans
fon ordre , qu'un liquide qui n'eft plus
contenu , pût fe compofer , & refter en
place. Alors , dit - il , on éviteroit les accidens
auxquels cet inftrument eft fujet ; mais s'appercevant
bientôt du ridicule de cette idée ,
il engage l'opérateur à ne pas laiffer fortir
toute l'humeur aqueufe avant que l'incifion
de la cornée ne foit achevée. Ce précepte
eft purement imaginaire , & ne fuppofe
pas une grande notion du méchanifme
de l'oeil dans celui qui le donne : car il
eft moralement impoffible d'empêcher que
l'humeur aqueule contenue dans la chambre
antérieure , ne s'échappe auffi-tôt que
l'inftrument s'eft fait jour d'un angle à
l'autre . Cependant une main auffi légere que
la fienne peut en venir à bout , & l'on voit
bien que ce n'est ni la main , ni les yeux d'un
vieillard qui peuvent franchir ces obftacles.
( Je vous dirai , Monfieur , propos
de ce
nom de viellard par lequel cet opératenr
croit défigner mon pere , que parmi tous les
fecrets qu'il poffede , je ne lui connoiffois
pas encore celui de vieillir à fon gré des
à
192 MERCURE DE FRANCE.
perfonnes qui peuvent s'oppofer à fon
ambition dangereufe. Avec un peu moins
d'animofité il nous eut donné une critique
plus vraie & plus délicate . ) Pour ces opérations
, pourfuit- il , il faut une main exercée
au travail. Mais où font donc les travaux
du fieur Beranger par lefquels il a pu acquérir
cette habileté tant vantée ? où font les
hôpitaux qui l'ont élevé , quels font les maîtres
de l'art qui l'ont enfeigné ? Ne croirat-
on pas plutôt que les yeux & les mains de
la perfonne refpectable dont je prens la
deffenfe , qui ont vu & démontré l'anatomie
, pendant vingt- cinq ans , qui fe font
exercés fur dix mille cadavres à pratiquer
des opérations quelconques , fans détailler
ici ce qu'ils ont pratiqué fur les vivans ,
ne fçauroient être attaqués par les fades
railleries de cet oculifte. Reconnoîtrezvous
là , Monfieur , un éleve qui fe dit foumis,
refpectueux , lequel aux dépens même de
fa gloire éleve fon maître au- deffus de tous les
hommes de fa profeffion . Le fieur Beranger
ne fe décourage pas , & je ne puis parcourir
aucun article de fa lettre fans y trouver
des découvertes qu'il s'approprie . Je ne regarde
point , nous dit-il , la hernie de l'uvée
comme un accident , quoiqu'en difent les auteurs
, & même je la coupe fans rien craindre.
Maiscomment a-t- il pu fe promettre d'être
tranquille
A O UST . 1755. 193
tranquille poffeffeur d'un bien qu'il n'eut
pas été en lui d'acquérir , en impofa- t- on
jamais à un public inftruit de ce qu'a dit
mon pere fur cette matiere dans les Journaux
publics , dans les mémoires de l'Académie
(a) , longtems avant que le fieur Beranger
eut penfé aux maladies des yeux. Je
foufcrirai volontiers qu'il ait eu des idées
fur cette matiere lorfqu'il a coupé l'iris
avec un inftrument qui n'étoit pas des mieux
faits , ni affez tranchant . Et pourquoi fans
déférer à mon pere la gloire de l'avoir dit
le premier , donne-t -il à penfer que c'eſt à
lui feul à qui on doit fçavoir gré d'une découverte
auffi intéressante.
coup
par
Notre oculifte cependant s'effaye quelquefois
à donner du nouveau fur des matieres
fort épineufes , annonçant, qu'il fçait
fûr déterminer l'état des cataractes
leurs couleurs : cette découverte doit
vous paroître merveilleufe , mais je veux
vous démontrer , qu'elle eft fans fondement
. A le fuivre avec réflexion dans cet
amas confus de paroles avec lefquelles il
veut nous perfuader la validité de fon fyftême
, divifant au hazard dix efpeces de
( a ) Voyez la lettre de M. Daviel à M. de
Joyeuſe , fa réponſe à M. de Rouffilles , & les mémoires
de l'Académie royale de chirurgie . pag.
3.37. du II , vol ,
I
194 MERCURE DE FRANCE.
couleurs en deux claffes , dont huit annoncent
le tiffu du cristallin , relâché , & deux
où les couches de ce même corps font intimement
unies , il eſt aifé d'appercevoir
par les effets contraires de fon expérience
même , qu'il n'a point réfléchi avant de le
produire au jour. A l'hôtel de ville de Bordeaux
, il opéra un homme il y a trois mois
dont il avoit annoncé les deux cataractes
bonnes & folides , à peine la membrane criftalloïde
fut elle ouverte que l'idatide s'écoula
& furprit infiniment cet opérateur (a) . Il
n'eft pas plus fûr de fa nouvelle découverte
dans fa lettre , quoiqu'il la publie infaillible
, fes obfervations même le démentent .
Lorfque les couches fuperficielles du criſtallin
font plus étroitement unies , la cataracte a
plus de blancheur. Voilà la couleur & l'état
de folidité déterminés par l'auteur , & voici
fa contradiction. Deuxieme obfervation ,
Jean Trigeart étoit affligé de deux cataractes
dont la couleur étoit blanchâtre qui me parurent
bonnes à être opérées avec ſuccès , je vis
bientôt avec furpriſe qu'il ne fortit point de
criftallin , mais feulement une quantité de pus,
comment veut - il donc faire valoir fon fyf-
(a) J'étois préfent à cette opération avec M. de
la Montagne médecin , & M. Forcade fils , chirurgien
, qui s'apperçurent comme moi de fon
erreur.
AOUST. 1755. 195
par
tême le deffendant fi mal . Il ajoute que
l'humeur vitrée étoit abcédée , comme le crif
tallin. Je ne vois pas que cette défaite
puiffe lui être avantageufe en aucune façon.
Car il est évident que fi les yeux
avoient été abcédés , l'abcès fe feroit manifefté
en dehors des accidens quelconques
; delà avec un peu moins de routine ,
& plus de théorie , il eut prévu indubitablement
la diffolution de l'humeur vîtrée ;
par fon nouveau fyftême l'état de la cataracte
, & par une réflexion néceffaire , il
eut épargné au malade une opération &
des douleurs infructueuſes , & à lui le déplaifir
d'être tombé dans une faute auffi
groffiere ; il eut mieux valu avouer ingénuement
qu'ayant voulu extraire la membrane
du criftallin qui eft fort épaiffe &
adhérante pour l'ordinaire en pareil cas ,
il l'avoit trop tiraillée , qu'en conféquence
les membranes internes déchirées auffi , s'étoient
abcédées , & avoient entraînées la
perte de l'oeil ; ç'eut été alors un malheur
que perfonne n'auroit été en droit de lui
reprocher.
L'adhérance des cataractes par ancienneté
, ne me paroîtra pas plus certaine que fa
differtation fur les couleurs , je dirai même
qu'elle eft contraire à l'expérience , celle
qu'il fuppofe du criftallin avec fa mem-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
par
brane n'arrive jamais , je m'explique ; feu
lement dans les cataractes pierreufes ou
offeufes ; en un mot , je pense que fon idée
fur la maturité des cataractes eft fans fon-
- dement . En effet , je dis : 1 ° . qu'une cataracte
ne peut fe rendre adhérante à la partie
poftérieure de l'uvée que par inflammation
, & par coup d'inftrumens tranchans
ou piquans ( a) , cette adhérance même eft
contractée dès le principe de la maladie ,
je dis même que le criftallin defféché
fon ancienneté , tendroit plutôt à dégager
fa membrane de l'adhérance s'il s'en
trouvoit ; cet oculifte auroit dû s'en rapporter
au fentiment de feu M. Petit qu'il
rapporte lui -même. 2°. Le criftallin , vu la
diftinction donnée , ne peut pas contracter
une adhérance avec fa membrane , il ne
peut fe faire tout au plus qu'un collement
produit par le deffechement de l'humeur
de Morgagni , j'ai vérifié moi- même ce
que j'avance dans des cristallins de vieillards,
lorfque j'en ai trouvé de defféchés je
les ai toujours féparés avec beaucoup de
ménagement , il eft vrai , de leurs membranes
, ce que je n'aurois pû faire s'il
avoit eu adhérance. 3 ° . Il eft abfurde de
croire que nous devions juger de la matu-
(a ) Voyez la réponfe de M. Daviel à M. de
Rouffilles.
y
AOUST. 1755. 197
tité des cataractes par la facilité que nous
à
pouvons nous promettre
porter un inftrument
dans l'oeil . La perte de la vûe au
jour près , que le malade doit toujours appercevoir
, eft la feule maturité à obferver
, d'où je conclus que le fieur Berranger
s'eft lourdement trompé dans les trois
differtations que je viens de réfuter .
Cependant malgré les vérités que j'expofe
, il a trouvé des deffenfeurs qui lui
ont livré des certificats à l'abri defquels
il s'eft cru affez fort contre les reproches
que l'on pourroit lui faire ; mais quelque
foi que l'on doive ajouter aux certificats
, dont quelques uns font livrés
par des perfonnes non compétentes dans
l'art , on fçait bien qu'un empirique en
produit auffi , en eft - il cru plus habile ?
Les grands hommes font bien éloignés de
fe faire valoir par de pareils témoignages ,
c'est par leurs fuccès , c'eft par les éloges
que leur défere une fociété impartiale ,
c'eft enfin par les applaudiffemens , par les
honneurs qu'ils reçoivent de la république
des fçavans , voilà des certificats que la fupercherie
la plus rafinée ne peut furprendre
, que la mauvaiſe foi ne peut défavouer
, que l'ignorance même refpecte.
D'ailleurs comment fe deffendre de croire
que les certificats du Sr Beranger ne foient
な
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
fufpects s'ils fe démentent mutuellement .
Je vais , Monfieur , vous le faire appercevoir.
Le fieur Gouteyron certifie , comme
vous fçavez , que les foixante cataractes
opérées par le fieur Beranger à Bordeaux ,
ont toutes réuffi , cependant notre oculifte
avoue contre ce certificat , que fur fept il
en a manqué quatre , il eft aisé par proportion
de conclure du refte. Pour vous expliquer
des contradictions femblables dans
quelques-autres certificats , j'aurois befoin
d'un loifir qui me manque ; je vous dirai
cependant que de tous ceux qu'il a produits ,
aucun ne m'a paru plus modefte , plus vraifemblable
, que celui du célebre M. Seris,
Toujours prudent il donne à connoître
qu'il n'a pas voulu fe répentir d'avoir trop
fuccombé à Pillufion . Quant à celui de
M. de Laliman , je ne crois pas devoir lui
oppofer quelque chofe de plus valable ,
que ce qu'on m'écrit fur fon état. Vous y
verrez auffi Monfieur , comment le fieur
Beranger a bonne grace d'annoncer la guérifon
de tous les malades à Marmande."
(a) Les malheurs qui accompagnent les pauvres
malades que le fieurBeranger a opérés ici,
font des
preuves bien contraires au certificat
(a) Extrait d'une lettre écrite par M. Larieux
chirurgien , à Marmande , dattée du 13 Juin
1755.
A O UST. 1755 . 199
qu'il produit , je vais vous en faire le détail.
M. l'Abbé Laliman mérite toute votre
attention . Cet honnête homme eft affligé depuis
quinze ans d'un ulcere chancreux fitué à la
paupiere inférieure de l'oeil droit , l'oculifte
fe contenta de faire quelques mouchetures , &
appliqua un médicamment que je ne connus
point ; quelques tems après l'opération , je
m'apperçus que le rebord de la paupiere était
toujours calleux , rouge & renversé , je me
retirai voyant unfi mauvais fuccès . Quoiqu'il
eut promis de guérir le malade en trois femaines
, huit mois fe font écoulés fans tenir fa parole
, il étoit parti pour Bordeaux & avoit
laiffé fon malade fans emplâtre , mais celui- ci
a été obligé de le reprendre pour couvrir ſon
ulcere qui a récidivé avec plus de rigueur que
jamais , & j'ai obfervé que l'oeil eft moins fail
lant , la paupiere fupérieure gonflée & d'un
rouge brun.
Je paffe à la cure d'une goute ferene imparfaite
que le fieur Beranger fe vente d'avoir
guéric. Mlle Faget reçut un coup fur la tête
par la chute d'un deffus de porte , elle en reſta
aveugle . Par les foins de M. Dupuis , medeein
, fa vue s'est bien rétablie . Que penferezvous
, Monfieur , de ces fortes de miracles ,
par modeftie , fans doute , il n'a pas rempli ſa
lettre des obfervations de fiftules lacrymales
qu'il a opérées. Je veux à fon défaut vous en
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
faire le récit fidel. Le fils de M. Reand fut
opéré par le fieur Beranger l'année paffée ;
auquel il ouvrit l'artere angulaire , brifa les
os voifinsfoit fains , foit cariés , & paſſa une
meche dans le conduit. Ce traitement dura
quatre mois inutilement , la playe n'a jamais
été bien guérie , puifqu'il en fort toujours du
pus & des larmes ; les parens fe font plaints de
ce mauvais fuccês , cet oculifte a répondu qu'il
falloit faigner , purger le malade , le mettre à
l'ufage du lait de vache , appliquer des
compreffes graduées , j'ai fait tout cela fans.
aucun fruit.
Vous voyez , Monfieur , fa défaite ; car
que peuvent fervir ces remedes en pareil
fi ce n'eft à temporifer , jufqu'à ce
qu'il puiffe s'échapper à la fin de fon tricas
,
meſtre ?
Que dirai je ( continue- t -on ) de lafemme
de M. Lançon , Perruquier , qu'il a opere
de deux fiftules. L'état de cette malade eft pitoyable
, fes yeux font toujours chaffieux , lar
moyans , douloureux , l'endroit des incifions
gonflé ,, rouge , le pus en découle fans ceffe
en un mot, tous les malades qu'il a operes ici
excepté le Sr Baquay , fe plaignent fort de fa
conduite , &font livrés à des infirmités pires
que les premieres. On m'avoit mandé pour
aller voir une femme à laquelle le Sr Beranger
avoit ouvert une tumeur enkiſtée ſur un
暈
A O UST. 1755. 201
genou , le delabrement eft fi grand , les douleurs
fi vives qu'elle ne peut fe remuer .
J'ai vérifié par moi-même tout ce que
Pon m'annonce : J'avouerai cependant ,
malgré l'avantage que de pareils fuccès
me donnent fur mon adverfaire , que la
qualité d'honnêtes gens dans ces malades
infortunés, a émouffé le plaifir que j'aurois
eu à les publier ; car je fens qu'il eft bien
dur de ne pouvoir , fans infulter à leurs
malheurs, s'applaudir d'avoir en défendant
mon droit , rappellé des faits qui leur reprochent
leur aveugle confiance. Je vous
épargnerai le détail de quelques autres
opérations qu'il a faites , je le réſerve pour
une autre occafion qui me permettra de
vous inftruire du fuccès que j'ai eu dans
des cas femblables . Je ne veux pas qu'il
ait tant à fe plaindre des injuftices qu'il dit
lui être faites par des perfonnes envieuſes
de fon haut mérite , & par un cenfeur moderne
que fon âge rend incommode à lui-même
, & que fa jeuneffe incommode encore
plus.
ن م
Mais fondons un peu les raifons qui
l'engagentà murmurer ? ne feroient - elles
pas l'effet d'une pufillanimité qui le porte
à croire que l'on penfe de lui ce qu'il
ne fçauroit fe defavouer ? A l'entendre
mon pere eft la caufe de fon difcrédit ;
Ιν
202 MERCURE DE FRANCE.
mais où trouvera-t-il des témoignages qui
puiffent conftater que l'on ait travaillé
jamais à ternir fa réputation ? au contraire
, jufqu'ici mon pere étoit affez difpofé
à oublier fon nom même , fi le bruit de
fes fautes ne l'avoit entretenu dans fa
mémoire. Cette imputation peut- elle avoir
quelque poids , étant fufcitée , parce que
mon pere lui refufe la qualité de fon éle-
've ? İl eſt vrai qu'il n'a pas pris la peine
encore de le publier , mais il n'en eft pas
moins convaincu ; & les rapports que. l'on
a fait au fieur Beranger , font très - juftes ,
en cela mon pere ne croit pas porter aucune
atteinte au nom de cet Opérateur :
d'ailleurs , on fçait qu'il n'a jamais formé
d'autres éleves que fon fils . Comment
donc ? parce que le fieur Beranger l'aura
vu operer , aura même panfé quelques malades
, ce que l'on peut abandonner fans
crainte aux mains de l'homme le plus ordinaire
, il afpirera au titre d'éleve , ce
propos eft mal fondé , & la conféquence
eft injufte d'ailleurs , mon pere auroit - il
appris au fieur Beranger à en impofer au
public par des bulletins , que le charlatanifme
a dictés , que l'ignorance publie ; jugez-
eń , Monfieur , par ces paffages , qui
annoncent , 1º . * que l'on trouvera chez
:
* C'eft un billet qu'il a fait diftribuer à Sarra
goffe , dont voici la teneur .
A O UST. 1755. 203
Hui toutes fortes d'eaux qui fortifient la vûe,
la maintiennent & guériffent diverfes maladies.
2°. Qu'il guérit la teigne , la gale
avec une pommade. ** 3 ° . Les maux de
bouche , le fcorbut , & autres , avec des
gargarifmes , fera- t- on furpris après , s'il
guérit , fuivant le certificat de M. de Laliman
, l'afthme , les fievres lentes , les
coliques , & les rhumes de poitrine. Voilà
un homme qui paroît unique , Médecin ,
Chirurgien , Oculifte & Dentiſte , rien ne
décourage fa fcience profonde ; les maladies
mêmes que l'on regarderoit comme
incurables , cédent à fes fpécifiques : reconnoîtra-
t- on là les leçons de mon pere ,
bien loin après cela d'exiger le titre de fon
éleve , il devroit travailler à mériter du
moins de l'avoir été.
Voilà des preuves affez fuffifantes pour
conftater que le fieur Beranger n'eft point
éleve de mon pere , en dépit même des
lettres qui ne font pas à beaucoup près
En fu cafa fe encuentran todo genero de agnas,
que fortifican laviſta , la mantienen y curan
differendes enfermedades.
- 2º. Advierteſe , que con una pomada que tiene
, curara el mal de tina fin dolor alguno ,
en poco tiempo , y tambien la farna.
* Con varios gargarifmos que tiene excuifitos
curara qualesquiera infermedades de laboca como
efcorbuto , y otras.
Ivj
204 MERCURE DE FRANCE!
affez fuffifantes pour lui fervir de tro
phées , il croit trop vivement avoir gain
de caufe , parce que mon pere lui recommande
de voir fes malades ; mais pour
cela étoit- il néceffaire qu'on lui connut du
mérite , en ce cas mon pere auroit craint de
confier fes malades en d'autres mains , cependant
le premier venu remplit prefque
au premier jour les occupations du fieur
Beranger ; la troifiéme lettre le prouve.
Recommandez , y eft-il dit , à ce jeune homme
d'avoirfoin de mes malades ; croiroit- on
que ce jeune homme , depuis deux jours
qu'il étoit dans la maifon de mon pere ,
pût être fort verfé dans ce genre de maladie
2 auroit- il bonne grace auffi de s'annoncer
fon éleve ? mais dans la maladie
du Sr Beranger , mon pere le traitoit d'ami,
ce font là de petites attentions que
l'humanité prodigue en pareilles occurrences.
Rien en cela ne peut faire conclure
qu'il étoit fon éleve , la fufcription vague
des lettres qu'il produit le defavoue ; concevra-
t-on qu'il étoit chirurgient
que mon pere lui en a donné le titre dans
la fufcription de fes lettres ? Cette préten
tion ne feroit point fondée.
*
, parce
En vain fon petit amour propre veut- il
** Lifez à M. Beranger , Chirurgien , ou éleve
en Chirurgie , ou à M. Beranger fimplement.
AOUST. 1755
205
lui perfuader qu'on lui refufe le titre d'éleve
, » parce qu'il a travaillé lui feul aux
maladies des yeux , parce qu'il a traité des al
bugo , des ulceres à la cornée , en diffequant
fes lames, chofe qu'il ignore avoir été pratiquée
par M. Daviel. C'est ici où il en impofe
fans ménagement, étant perfuadé lui- même
du contraire ; il ne defavouera fans doute
pas d'avoir vû des yeux préparés, où mon
pere avoit féparé jufqu'à cinq lames de la
cornée j'ajouterai aufli que depuis fix
ans que je te fuis , de deux millè opérations
pratiquées pour la cure de ces maladies
, il n'en eft pas trois cens dans lefquelles
il n'ait diffequé les lames de la cornée
pour déterger le foyer de l'ulcere , & lui
procurer une cicatrice folide. Je rougis
d'être contraint de refuter d'auffi foibles
imputations qui doivent néceffairement
retomber fur celui qui les a avancées .
Vous voyez bien, Monfieur, que ce n'eft
pas avec de pareils faits qu'il peut fe promettre
de faire tomber les armes de fes
tremblantes mains , comme il le dit avec
affez peu de ménagement; au contraire ce
feroit un nouveau motif de les raffermir ,
s'il étoit néceffaire , ayant tant de fapériorité
fur fon prétendu concurrent . Ce trait
peu modefte demafque trop bien le fieur
Beranger , il eft même fipeu conforme à
206 MERCURE DE FRANCE.
.
la décence que je me fuis impofée, que je
ferai affez fatisfait de lui répondre avec
Cicéron par ces mots.
* Rumoribus mecum
pugnas , ego autem à te rationes requiro.
Telles ont été mes réflexions fur la lettre
du fieur Beranger. Vous voyez , Monfieur
que , quamvis homo fuerit , laudatus narratum
ejus non laudatum eft . Je crois avoir
fuffifamment fatisfait à une partie de vos
queftions. Quant à celle par où je conçois
que vous doutez de l'auteur , je ne
dois pas la réfoudre : Les motifs intéreffés
qui ont pû engager une plume vénale à fe
prêter aux intentions du fieur Beranger ,
ne fouffriroient pas volontiers le jour , je
fuis d'autant plus porté à garder le filence
là -deffus , que je puis fans flater beaucoup
cet oculite , fouffrir qu'il jouiffe du plaifir
d'avoir produit un ouvrage auffi médiocre .
Sije fçai , que de tous les fâcheux les
critiques font les plus incommodes , je ne
me fçai pas moins bon gré de l'avoir paru
dans une querelle , qui , quoique defagréable
, m'eft bien précieufe , ayant eu
pour motif le bien public & la défenfe
d'un pere : Je ne pouvois l'éviter , quelque
éloigné que je fus de la prévoir. J'ai l'honneur
d'être , &c. DAVIE L.
A Paris , le 18 Juillet 1755 .
* Cic. liv. 3. de natura Deorum .
A O UST. 1755. 207
ARTICLE IV.
BEAUX ARTS.
ARTS AGRÉABLE S.
Co
DANS E.
Omme le Mercure eft fait pour être
le héraut des arts , & que notre devoir
eft furtout de marquer leurs progrès ,
à mesure qu'ils fe perfectionnent , nous
croirions y manquer , fi nous tardions plus
long tems à parler ici de la danfe. Elie eft
actuellement la premiere colonne de l'Opéra
. L'art acceffoire y eft devenu l'art principal.
Les balets de M. Lani contribuent à
lui mériter cette gloire. Qu'on juge de leur
pouvoir par leurs effets . Ils ont réchauffé
la froideur d'Ajax , & viennent d'égayer
la trifteffe du Carnaval. Il est vrai que les
talens de la foeur ont bien fecondé les travaux
du frere. Mlle Lani met dans fes pas
la précifion , l'aifance , la légereté , en un
mot le fini que Mlle Fel met dans le chant ,
c'est dire qu'elle vient de porter la haute
danfe à fon point de perfection . Mlle Camargo
avoit commencé le genre , Mlle Lani
208 MERCURE DE FRANCE
l'acheve. Mlle Puvigné de fon côté fou
tient avec fuccès la danfe terre à terre. Elle
a heureuſement remplacé Mlle Salé. Quel
éloge ! les graces nobles & détentes la diftinguent.
La gaieté vive & brillante caractérife
Mlle Lyonnois , & l'effor prompt &
facile d'un oifeau qui vole de branche en
branche peint l'agilité de Mlle Rey. On
peut dire pour le coup que la danfe eft
tombée en quenouille , les femmes en font
tout l'ornement , elles tiennent le premier
rang à l'Opéra , ainfi qu'à tous les autres
fpectacles. Rien ne manqueroit au tableau
varié qu'elles offrent aujourd'hui ſur la
fcene danfante , fi on y voyoit paroître
Mlle Veftris , cette aimable danſeuſe de la
volupté , dont l'expreffion paffionnée porte
le feu du plaifir dans les ames les plus froides.
Il feroit à fouhaiter pour l'honneur des
hommes , & pour le bien de ce théâtre ,
que M. Veftris fon frere y rentrât au plutôt
avec elle . Son abſence y fait un vuide ,
que rien ne peut remplir ; & qui laiffe la
danfe imparfaite.
A O UST. 1755 200
MUSIQUE.
SECOND ECOND livre ou recueil d'airs en duo,
choifis & ajuftés pour les flûtes , violons ,
& pardeffus de violes , dont la plûpart
peuvent le jouer fur la vielle & la mufette ,
tant naturellement , que par des clefs de
tranfpofition pofées au commencement
defdits airs , divifés en fept fuites , avec
un prélude fur chaque ton , par M. Bordet,
Maître de flûte traverfière , gravé par Labaffée.
Prix fix livres en blanc ; fe vend à
Paris , chez ledit fieur Bordet , rue du Ponceau
, près la Fontaine , la feconde porte
cochere à droite en entrant par la rue faint
Denis ; le fieur Bayard Marchand , rue S.
Honoré , à la Régle d'or ; le fieur Le Clerc
Marchand , rue du Roule , à la Croix d'or ;
Mlle Caftagnery Marchande , rue des Prou
vaires , à la Mufique royale ; & à Lyon ,
chez M. Bretonne Marchand , grande rue
Merciere .
L'on trouvera aux même adreffes le premier
livre , auffi à l'ufage de la flûte , du
violon , du pardeffus de viole , & de la
mufette , avec des obfervations fur la touche
defdits inftrumens , en tête duquel eft
un précis des principes de la Mufique , ou
210 MERCURE DE FRANCE.
vrage
fait pour la commodité des Maîtres
& l'utilité des Ecoliers. Ces deux livres
font encore fort utiles aux perfonnes qui
apprennent la Mufique vocale , parce que
la plus grande partie des airs qu'ils contiennent
, font des airs chantans & connus
, & qu'après avoir folfiés les premiers
deffus ils pourront auffi s'exercer fur les
feconds deffus , ce qui ne contribuera
peu à leur avancement & à les amufer.
pas
Le premier livre ayant été fini avec
beaucoup de précipitation , il s'y étoit
gliffé quelques fautes que l'on a corrigées
avant d'en tirer de nouveaux exemplaires.
L'on trouvera encore aux mêmes adreffes
à Paris deux grands concerto pour la
flûte , du même Auteur , en huit parties
féparées ; fçavoir , la flûte , quatre violons,
un alto viole , & deux baffes particulieres.
GRAVURE.
M. de Marcenay vient de faire paroître
l'eftampe qu'il a gravée d'après le tableau
original du cabinet de M. le Marquis
de Voyer, que nous avons annoncé dans
le Mercure du mois d'Avril dernier , en
parlant du début de cet Artifte. Il eft de
AOUST. 1755 211
Rembrandt , & repréfente Tobie recouvrant
la vûe. La fcene fe paffe dans l'intérieur
d'une maifon où le Peintre a préféré
certain defordre pittorefque à une architecture
affervie au coftume. Il paroît s'y
être furpaffé dans les effets furprenans qu'il
y a introduits : fon grouppe principal compofé
de quatre figures, Tobie , fa femme ,
fon fils , & l'Ange qui lui avoit fervi de
guide , eft placé dans le centre de la viſion ,
recevant immédiatement le jour de la fenêtre
, d'autant plus éclatant , qu'il a éteint
les extrêmités du tableau , qui d'ailleurs ne
laiffe rien à defirer fur cette partie fi difficile
à traiter , je veux dire le clair- obfcur.
La fingularité qui fouvent a déterminé
Rembrandt dans fes penfées , l'a fait écar
ter ici du texte de l'Ecriture pour transformer
le jeune tobie en oculifte , qui ,
l'aiguille à la main , leve la cataracte à fon
pere. Il eft très attentif à cette opération
délicate , & le vieillard fort fenfible à la
douleur dont il eft affecté ; fa femme femble
l'exhorter à la patience , & prendre
part à fa peine par la façon affectueufe
dont elle lui ferre la main. Plufieurs figures
grouppées dans l'ombre témoignent
leur furpriſe d'une pareille cure .
Ce grand Maître a fçu tirer parti de
tous les accidens qui ont pu le favorifer
212 MERCURE DE FRANCE.
dans la conduite d'un ouvrage auffi extraordinaire.
Il a allumé du feu dans la cheminée
afin de détacher de ce fond enfumé
l'habillement du jeune homme d'un bleu
tirant fur le noir , dont avoit également
befoin une écharpe en or à qui l'ombre auroit
ôté l'effet fans ce ftratagême. C'eft en
core par une fuite de ce folide raiſonnement
qu'il s'eft fervi de ce même vêtement
comme du fond le plus avantageux à la
poignée de fon fabre , qui pour être d'argent
, & frappée du jour principal , paroît
fortir fort réellement du tableau
violence de la pofition.
par
la
Ce détail , quoique fuccinct , pourra
néanmoins donner une idée légere des
beautés répandues dans cette production
piquante , où la touche eft auffi vraie que
fpirituelle , & le clair- obfcur porté à un
dégré de fublimité , fi j'ofe le dire par la
maniere excellente dont il y eft traité.
M. de Marcenay n'a point méconnu les
difficultés d'une pareille entreprife ; mais
les bontés du public fur fon effai l'ont excité
à les mériter de nouveau par des tra
vaux plus confidérables .
L'Eftampe fe vend à Paris chez l'Auteur,
sue des vieux Auguftins , près l'Egoût.
A O UST. 1755. 213
VERS
Pour être mis an bas de l'Eftampe defeu
M. Languet , Archevêque de Sens.
Digne de nos refpects , digne de notre amour ,
De la foi , défenſeur fidele .
Languet , du céleſte ſéjour ,
Protege le Clergé dont tu fus le modele .
Chevalier pinxit 1752. Gaillard fculpfit 1753 .
Hac Beneficiorum memor dicavit Mauroy, Cantor
regalis Ecclefia de Meloduno.
Les Villageois de l'Apennin. J. Ouvrier les
a gravés d'après le tableau original d'un
pied cinq pouces de hauteur fur un pied
dix pouces de largeur , peint par M. Pierre,
& les a dédiés à M. Cochin , dont je fupprime
ici les qualités , perfuadé que fon
nom eft fon plus beau titre, L'Auteur de
cette Eftampe a l'avantage d'être fon éleve.
On y reconnoit le goût d'un fi grand
Maître . C'eft l'éloge le plus flateur qu'on
en puiffe faire. On la trouve à Paris , chez
lui ( J. Ouvrier , ) rue des Noyers , chez
M. Bertrand, Chirurgien .
Les Pêcheurs à la ligne . Cette Eftampe
eft gravée par J. B. Derrey , d'après le tableau
de J. Afelein du cabinet de M. Aved,
& fe vend à Paris , chez Noëlle Mire, rue
S. Jacques , au Soleil d'or , vis - à - vis le
Pleffis .
214 MERCURE DE FRANCE.
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
Suite du Mercure du mois de Juin de l'année
2355
M. Diver rend compte dans un fecond
un
mémoire , d'une antiquité découverte auprès
de l'églife de Sainte Génevieve de la
Montagne. C'eſt une forte de vafe de bois,
orné de bas reliefs & figures de fculpture
de même matiere , très - délicatement travaillées.
Il a été trouvé fous des monceaux
de petites pierres , qui paroiffent être les
ruines de quelque bâtiment confidérable.
Dans la defcription qu'il fait de ce vaſe,
il fe fert d'une comparaifon un peu triviale
, que cependant nous ne pouvons nous
difpenfer de rapporter , parce qu'elle donne
une idée précife de la forme de cette
forte de vaſe inconnu jufqu'ici. Il le compare
à l'égrugeoir qui nous fert à broyer
le fel en effet c'est une forte de demi
tonneau , d'un plus grand diametre qu'aucun
de ceux qui font en ufage ; il eft terminé
en cul de lampe. Les figures qui le
décorent , & qui repréfentent des vertus
AOUST. 1755. 215
chrétiennes , donnent lieu de croire qu'il
-étoit deftiné à quelque ufage religieux.
La difficulté eft de deviner cet ufage.
Quelques auteurs qui avoient été inftruits
des premiers de cette découverte , ont
prétendu que c'étoit une chaire à prêcher.
Ils avançoient fans aucune apparence que
cette machine étoit en l'air clouée contre
un pilier , & que l'on y montoit par une
échelle ; en effet on trouve une partie de
la rondeur interrompue , qu'ils prétendent
être l'ouverture par laquelle le Prédicateur
entroit. Ils ont été jufqu'à croire que
quelques reftes fculptés en bois , auffi de
forme ronde & convexe qu'on a trouvés au
même lieu , étoient une forte de couver-
-cle qu'on mettoit deffus , qui fermoit ce
vafe , lorfque le Prédicateur n'y étoit pas ,
& qui pouvoit s'élever par des machines
pour laiffer deffous l'efpace néceffaire à
Ï'Orateur ; alors , difent -ils , il fervoit comme
d'un rabat-voix pour empêcher qu'elle
.ne fe perdit dans l'immensité de l'églife.
Ils avancent encore pour comble d'abfurdité
, qu'une groffe ftatue de bois dont
on a trouvé quelques fragmens dans ce
même lieu , & qui n'a nulle proportion
-avec les figures qui entourent le vafe ,
étoit placée fur ce couvercle, & lui fervoit
comme de bouton .
216 MERCURE DE FRANCE.
"
·
M. Diver refute toutes ces extravagantes
idées , & ne laiffe aucun lieu à la replique
, nous donnerons ici en entier ſes
preuves , parce que c'eft un objet de curiofité
très important. " Remarquez que
quand on fuppoferoit qu'on ne dût faire
» remonter l'antiquité de ce vafe qu'au
» dix feptiéme fiécle. ( il prouve plus, bas
qu'il doit être beaucoup plus ancien, ) il eft
toujours vrai que les François de ces.tems
là pouvoient voir encore affez de reftes
» de l'ancienne Rome , & particulierement
» de la fameufe tribune aux harangues
» pour n'avoir pu adopter une forme auffi
» ridicule pour y placer l'Orateur chrétien :
de plus , comment fe figurer que cette
lourde machine ait été fimplement atta-
» chée à un pilier , & du reſte toute en l'air,
» de maniere à donner à l'Auditeur l'in-
» quiétude de voir tomber la chaire & le
»Prédicateur.
و د
39
و د
» La fuppofition qu'on y foit monté
par
» une échelle , eſt tout-à - fait indécente ,
3 ils devroient du moins fuppofer qu'il y
" avoit un escalier tournoyant autour du
pilier ; il eft vrai qu'un efcalier de cette
»forme paroît affez ridicule à imaginer
» dans une églife où tout doit être de for-
»mes fimples & grandes.
"
» De quelle utilité feroit un couvercle
1
qui
AOUS T. 1755 217
qui dans cette fuppofition ne couvriroit
» le vafe que lorfqu'il n'y a rien dedans .
» De plus il eft impoffible qu'on fe foit jamais
figuré que ce couvercle pût empêcher
la voix de fe perdre ou la réfléchir.
Le cône de voix qui fort de la bouche
» du Prédicateur ne pourroit jamais frap-
» per ce couvercle , qui n'avanceroit audeffus
de lui que d'un pied au plus , fi ce
n'eft lorfqu'il leveroit la tête d'une maniere
forcée , & dans les apoftrophes &
» exclamations vers le ciel , qui font fort
» rares dans un difcours. Si l'on prétend
33
qu'il arrête les ondulations de la voix
» & augmente leur force du côté où il eft
✯ beſoin d'être entendu , je réponds qu'une
» ſurface de fix ou fept pieds au plus , eft
de nulle valeur par rapport à l'efpace
vuide , & fans obftacle prochain pour
réfléchir la voix , qui refte dans l'églife ,
devant , au - deffus & aux côtés du Prédicateur.
Il est évident qu'on n'a point
» pu lui attribuer cette utilité. La fuppofi-
» tion même qu'on fait que ce vafe ait été
attaché à un pilier qui ne préfentoit
» derriere le Prédicateur qu'une furface
» étroite , feroit contradictoire à ce qu'on
fuppofe , & prouveroit qu'on ne cherchoit
pas même alors le moyen le plus
fimple pour arrêter les ondulations 'fu
"
20
K
1
218 MERCURE DE FRANCE.
"3
?
perflues de la voix , qui eft de préfenter
derriere le Prédicateur la plus grande
» furface poffible , fans gâter la décoration
de l'églife . Les habiles Architectes
» à qui l'on a montré les deffeins faits fur
» cette fuppofition , où l'on a cru fuppléer
» aux parties qu'on n'a pu retrouver , ont
» déclaré qu'il étoit impoffible que dans
» les fiécles où le bon goût a été connu ,
» on ait fuivi une conftruction auffi bizar-
» re pour une tribune aux harangues. Ils
» remarquent que tout architecte dès
qu'il y en a eus de dignes de porter ce
» nom , a infailliblement penfé aux principales
deſtinations pour lefquelles on
» conftruit des églifes. La premiere eft ,
» poury offrir le faint facrifice de la meffe,
» ainfi il a fallu compofer d'abord un au-
» tel , & le placer dans le lieu le plus ap-
» parent. La feconde eft , pour y prêcher
» la parole de Dieu , ainfi la tribune con-
» facrée à cette fonction doit être très- ap-
» parente & très - confidérable , compofée
» avec l'églife , conftruite folidement , ainſi
que le refte , & non pas une machine de
» bois , poftiche , & qui auroit l'air d'y
» avoir été ajoutée après coup ; cet objet
« a toujours dû être lié avec la décoration
générale , de maniere à en augmenter
» la majesté.
39
"
મું
ود
A O UST. 1755 219
» que
J
D'ailleurs , l'efpace eft confidérable-
» ment trop borné pour laiffer la liberté
demandent les grands mouvemens
» de l'art oratoire . Un homme ne pourroit
» ſe remuer là - dedans, qu'il ne parût à tout
inftant prêt à fe jetter dehors ; encore
» moins pourroit-on fuppofer qu'il ait pû
» contenir deux interlocuteurs , ce qui eft
»pourtant néceffaire dans les conférences.
» İls affurent donc que les chaires ont toujours
été ce qu'elles font à préfent , c'eſt-
» à- dire une grande tribune placée au mi-
» lieu de la plus grande arcade de l'églife ,
» ornée d'une baluftrade , terminée de part
» & d'autre par deux efcaliers ; le fond en
» doit préfenter une belle décoration d'ar-
" chitecture , & le couronnement , noble-
» ment élevé à une belle hauteur au- deflus
» des Orateurs chrétiens , les couvre com-
» me d'un dais , mais peu faillant , & non
» point pour réfléchir leur voix , ce qui
» feroit une idée tout -à- fait dépourvûe de
>> raifon , puifqu'ils ne fe tournent pas en
parlant vers la partie de l'églife qui eft
» directement au- deffus de leur tête. »
Pour abréger , M. Diver prouve que c'étoit
un baptiſtère , il en fait remonter l'antiquité
jufqu'au tems où le baptême par immerfion
étoit encore en ufage. Quand on
lui conteſteroit cette date par la difficulté
»
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
il
qu'il y a qu'un ouvrage en bois fe foit
confervé entier pendant tant de fiécles, en
lui fuppofant une date plus récente ,
s'enfuivroit que la forme qui y avoit été
donnée pour leur destination primitive ,
s'eft confervée long-tems après que cet
ufage a été changé. Ce qu'il y a de certain
, c'eſt que cette fuppofition répond
pleinement à tout , & que M. Diver l'appuie
d'argumens irréffiftibles.
A O UST. 1755 : 221
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
E 28 Juin , les Comédiens françois
donnerent la feconde repréfentation
de Zélide qui fut précédée de Mithridate.
Le fieur de Raucourt y débuta par le rôle
de Mithridate . Il a joué fucceffivement
Agamemnon , dans Iphigénie , & Burrhus
dans Britannicus. Le parterre l'a reçu avec
beaucoup de bonté. Cet acteur mérite
d'autant plus d'indulgence , qu'il n'a jamais
paru fur aucun théâtre.
On a continué Zelide jufqu'au 16 Juillet
qu'on l'a jouée pour la neuvieme fois.
L'auteur l'a retirée pour la redonner l'hiver
prochain . Je ne doute pas qu'on ne la
revoye avec le même plaifir. Mlle Gauffin
y eft charmante. Elle y paroît telle qu'on
la voit dans l'Oracle & dans Zéneïde , c'eftà
- dire , avec ces graces ingénues qu'on
tâche de copier & que perfonne n'imite.
Quoique le théâtre françois ne foit pas
celui de la danfe , ce talent peut quelque-
K iij
222 MERCURE DE FRANCE.
fois y paroître dans fon aurore . Le fieur
Dauberval en eft un exemple. Ce jeune
danfeur s'y eft annoncé d'une façon diſtinguée
, furtout dans les caracteres de la
danfe , il les a exécutés avec tant de
grace ,
de nobleffe & de variété , qu'il s'eft montré
un digne éleve du fieur Veftris , & qu'il
a mérité l'approbation du plus grand maître
de l'art (a) .
Le 14 , une actrice nouvelle joua pour
la premiere fois le rôle d'Azitre . Sa figure
prévient en fa faveur . Elle eft bien au theâtre
, & nous paroît mériter l'encouragement
du public. Le Samedi 19 , elle a repréfenté
Pauline dans Poliente. Comme
elle étoit plus raffurée , fon jeu a été plus
animé , il y a plufieurs détails qu'elle a
très- bien rendus. On l'a furtout applaudie
avec juftice au quatrieme acte , dans la
fcene , où elle demande à Severe la grace
de fon mari . Elle a mis dans fa priere toute
la décence & en même tems toute la
force qu'éxige la fituation.
(a) M. Dupré,
A O UST. 1755. 223
COMEDIE ITALIENNE.
E 3 Juillet, les Comédiens Italiens ont
donné la premiere repréſentation du
Prix de la beauté , ou du Jugement de Paris,
Comédie- Ballet , en un acte , en vers. Le
public l'a reçue favorablement. M. Mailhol
en eft l'auteur. Elle eft accompagnée de la
Soirée villageoife , divertiffement de la compofition
de M. Deheffe. Tout le ballet eft
amufant & bien deffiné , mais il y a furtout
un pas de trois extrêmement piquant,
& parfaitement exécuté par Mlle Catinon
en berger , par Mile Camille en payſanne,
& par le fieur Billioni en payfan. Ce dernier
qui furprend la payfanne qu'il aime
danfant avec le berger , fait éclater fa jaloufie
, ce qui occafionne entr'eux une difpure
qui finit par un raccommodement dont le
payfan eft la dupe .
>
Je faifis cette occafion pour parler d'un
très-joli divertiffement intitulé le Bouquet ,
que Mlle Catinon , Mlle Louifon fa foeur ,
& le jeune Vifentini ont donné à M. Deheffe
chez lui à Fontarabie (a) , la veille de
la S. Jean. On peut dire que la reconnoiſſan-
(a) Fontarabie eft à l'extrêmité du Fauxbourg
Antoine.
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
ce a imaginé cette fête , & que le zele l'a
exécutée . Elle eft compofée de trois fcenes
qui amenent le baller . Vifentini paroit ſeul
dans lapremiere avec une corbeille de fleurs,
faifant un bouquet. Catinon furvient ,
& veut lui ravir la corbeille , mais quand
elle apprend que les fleurs font deftinées à
former un bouquet pour M. Deheffe , elle
compofe avec Vifentini & lui propofe de
faire ce bouquet enfemble , il y confent ;
à peine l'ont- ils fim que Louifon qui les
épie , s'en faifit fur le tabouret où ils l'ont
laiffé ; nouveau fujet de difpute . Louifon
ne veut pas céder , & leur dit que puiſqu'ils
font obligés tous trois à la même reconnoiffance
, le bouquet doit être commun
entr'eux . Dans cet embarras , ils tirent au
doigt mouillé. Le fort favorife Catinon
qui récite la fable fuivante avant que de
préfenter le bouquet.
A peine éclofe , une jeune Fauvette
D'une aîle foible effay oit le reffort .....
Pour raifonner jeuneffe n'eft pas faite.
Quand elle réuffit c'eſt l'ouvrage du fort.
Notre Fauvette donc , pour éprouver les forces
S'éleve , prend fon vol , & s'admire dans l'air ,
Premiers fuccès font des amorces.
Bientôt elle s'élance , & part comme un éclair.
Un homme près de là logeoit... homme admirable,
A O UST. 1755. 225
Qui poffédoit tous les talens ,
Sçavoit les enfeigner d'une maniere aimable ,
Et répandre fur eux des regards bienfaifans .
Dans fa chambre par la fenêtre
La Fauvette entre & ſe poſe fur lui ;
Il la prend , il la flatte , enfin lui fait connoître
Qu'elle n'a rien à craindre , & qu'il eft fon appui.
Depuis ce moment là , fes foins , fa patience
Ont pris plaifir à la former.
A fa table avec complaifance
Il la place , il la fifle ... Ah ! qu'on fe fait aimer ,
Quand aux bienfaits on joint la douceur , la conftance
,
Auffi l'oifeau plein de reconnoiffance .....
Ah ! cher,coufin , eft- il befoin qu'ici
Je poufle plus avant cette fable imparfaite ?
Tout Paris connoît l'homme à qui j'écris ceci ,
Et l'on fçait bien que je fuis la Fauvette. (a )
Catinon préfente le bouquet . On danfe . Enfuite
on chante plufieurs couplets , dont je ne
mets que les deux fuivans par le peu de place
qui me reste.
( a ) Cette fable , toute ingénieufe qu'elle eft ,
perd la moitié de fa grace fur le papier. L'aimable
Catinon en la récitant devant fon coufin y mettoit
un fentiment fi naïf & fi vrai , elle étoit fi touchée,
qu'elle arrachoit des larmes de tous les fpectateurs,
& j'avouerai que j'étois du nombre.
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
Air. De la ronde de la fête d'amour ,
Sans le plaifir d'aimer , &c.
Catinon.
C'eſt lui qui m'a fait avancer
Dans l'art de bien danfer.
Auffi c'eft à me furpaffer
Qu'en ce jour je m'apprête
Sans le plaifir d'danfer
Eft- il de bonne fête.
Vifentini.
'Ah ! mon oncle , c'eſt bien penfer ,
Quel plaifir d'danfer.
De tous nos coeurs fans balancer ,
Vous faites la conquête.
Ah ! quel plaifir d'danfer ,
Quand c'eft pour votre fête.
On finit par la contredanfe .
Il eſt doux d'être ainfi célébré par de
jeunes talens , dont on eft le protecteur , &
qu'on a adoptés pour fa famille. Peut- on
être mieux payé de fes bienfaits ? La fête
dont le coeur fait les frais & les honneurs
eft toujours la plus intéreffante. Voilà pourquoi
je m'empreffe de la publier pour le
bon exemple,
1
A O UST. 1755. 227
LE NOUVEAU DOCTEUR , Continue fon début
dans différentes pieces italiennes. Les
connoiffeurs le voient toujours avec la
même fatisfaction. C'eft dommage qu'un
docteur italien foit un perfonnage peu intéreffant
pour un public françois.
Voici l'extrait du Maître de musique que
nous avions promis .
EXTRAIT du Maître de mufique.
Les trois principaux acteurs de cette
piece , font Lambert , maître de Mufique ,
joué par M. Rochard , Laurette fon écoliere
, repréſentée par Madame Favart , &.
Tracolin entrepreneur d'Opéra , joué par
M. Chanville.
Lambert ouvre le premier acte avec Laurette
& débute en grondant , par cet air.
Ah ! quel martire !
Sans ceffe inftruire !
Cent fois redire ,
Sans rien produire ,
C'est toujours pire.
Eh , laiffe- moi ,
Va , tais-toi .
Laurette fe fâche à ſon tour , & fon
maître lui dit :
- Mademoiſelle joue au mieux l'impertinente
Et pour faire dans peu l'actrice d'importance
K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
Il ne lui manque plus , ma foi , que du talent ,
Encor fouvent on s'en difpenfe ,
En mettant à la place un ton bien infolent.
Elle lui répond :
En ce cas là , Monfieur , je fuis en bonne école ,
Je puis très-bien l'apprendre ici de vous.
Lambert fe met ici au clavecin. Laurette
crie exprès méchamment au lieu de chanter
, il l'interrompt en difant :
Chanteur qui pour mieux nous féduire
Youlez être à la fois agréable & touchant
Que l'haleine du doux zéphire ,
Qui , de fa Flore , à l'oreille foupire ,
Soit l'image de votre chant.
Eh ! crois - moi , renvoyons aux halles
Tous ces chantres bruyans , qui fçavent feulement
De leurs grands cris remplir nos falles.
Excellente leçon pour tous nos théâtres !
Laurette chante de nouveau & chante bien,
Lambert témoigne qu'il eft content , & lui
promet , fi elle continue de la rendre dans
peu une actrice parfaite. On annonce Tracolin
comme un perfonnage ridicule. Il
entre , & après avoir embraffé Lambert , il
regarde Laurette , & s'informe quel eft ce
n
A OU ST . 1755- 229
charmant objet . Lambert lui répond que
c'eft un fujet qu'il éleve pour le théâtre .
Tracolin fe récrie : quelle mine ! quel jeu !
quelle voix ! Lambert lui demande s'il l'a
entendue . Non , réplique- t - il .
Nous autres gens de l'art ,
Nous n'avons pour cela befoin que d'un regard ,
Et nous jugeons d'une voix par la vûe.
D'ailleurs , ajoûte - t - il ,
Avec un tel minois ,
A-t-on jamais manqué de voix.
Il fe répand en fleurettes, qui donnent d'au
tant plus de jaloufie à Lambert , que Laurette
y répond par cet Air toujours applaudi .
Suis - je bien pour une actrice 2
Vrai , fuis- je bien ?
Dites moi fans artifice ,
Croyez - vous qu'on applaudiffe
Ce maintien ?
Suis- je bien
Je n'ofe me flatter de rien.
Croyez - vous qu'on applaudiffe ,
Qu'en public je réuffiffe ?
Mais hélas !
N'ai- je pas
L'air trop novice , eh ?
Pour une actrice , eh ?
Pour la couliffe ,
eh ?
Je n'ofe me flatter de rien.
236 MERCURE DE FRANCE .
Tracolin paroît fi tranfporté d'entendre
Laurette , qu'il l'embraffe , & la demande à
fon maître qui la lui refuſe. On vient chercher
Lambert de la part d'une Ducheffe. II
eft obligé de fortir malgré lui , & de laiffer
Tracolin feul avec fon écoliere . Tracolin
fait fa tendre déclaration , Laurette
joue l'Agnès en diſant ,
Air. La pudeur qui me guide,
Me rend timide.
Je n'ofe lever les yeux
Si quelque curieux
Auprès de moi fe place ,
Et me regarde en face ,
Je fuis toute honteufe de cela.
Ma langue s'embarraffe ,
En lui difant , de grace ,
Souffrez , Monfieur , que je paffe ,
Je ne puis refter là
Où me voilà.
La pudeur , & c.
Si quelque téméraire
Pourfuit trop loin l'affaire ,
Moi , qui fuis bonne , & ne me fâche guere ,
J'excite ma colere
Et lui dis d'un ton fevere ,
Mais finirez-vous donc , Monfieur ,
Sçachez qu'on eft fille d'honneur ,
Scachez qu'on a de la pudeur.
A O UST . 1755. 23-1
Tracolin lui offre fa fortune avec fa
main , & fe jette à fes genoux , Lambert
revient & le furprend avec Laurette . Il fait
éclater fa jaloufie , & commence le beau
trio qui finit le premier acte. Ce morceau
eft fi triomphant , & les paroles font fi
bien coupées , que nous croyons obliger
le lecteur de les inférer ici dans leur entier.
Il eft bon d'ailleurs de les donner pour
modele.
TRIO EN DIALOGUE.
Lambert.
Le feu me monte au viſage ,
Voilà donc tout l'avantage
D'avoir formé fon bas âge,
Pour le prix de tant de foins ,
Cette volage
Avec un autre s'engage .
Quel outrage !
Et mes yeux en font témoins.
Je bravois déja l'orage ,
Quand le vent qui devient fort ,
Et qui fait rage ,
Me repouffe du rivage.
Quel dommage !
J'allois entrer dans le port.
Laurette.
Je guettais dans un bocage
232 MERCURE DE FRANCE.
Un oifeau d'un beau plumage.
Un chaffeur fonnant du cor ,
Faifant tapage ,
L'effarouche & lui fait prendre l'effor.
Quel trifte fort !
Enfemble.
Soins perdus inutile effort !
Lambert.
J'avois formé fon bas âge.
Tracolin,
J'avois fait un bon voyage ,
Laurette.
Je le guettois au paffage.
Ensemble.
Laurette.
Un chaffeur fonnant du cor ;
Faifant tapage ,
Lui fait prendre fon effor.
Tracolin .
Je touchois prefqu'au rivage
Quel dommage !
J'allois entrer dans le port.
Lambert.
En voilà tout l'avantage.
Quel outrage !
Méritois-je un pareil fort.
A O UST.
233 ·1755.
Seul. Un autre
aujourd'hui l'engage ,
La volage.
Tracolin .
Je touchois prefqu'au rivage.
Quel dommage !
Laurette.
Moi, j'allois le mettre en cage.
Tracolin.
Quel dommage !
Lambert.
La volage !
Ensemble.
Laurette.
Un chaffeur fonnant du cot,
Faifant
tapage ,
Lui fait prendre
fon effor.
Tracolin .
Quel dommage !
J'allois entrer dans le port.
Lambert.
Quel outrage !
Meritois-je un pareil fort ?
Tracolin.
J'allois entrer dans le port.
Laurette.
Moi , j'allois le mettre en cage i
bisfeul.
234 MERCURE DE FRANCE .
Il prend l'effor.
Quel trifte fort !
Ce premier acte eft très- brillant & rempli
d'airs agréables .
Lambert , qui revient avec Laurette ,
commence le ſecond acte par cet Air qui
exprime fi bien fon dépit jaloux.
Non , je fuis trop en colere ,
Me diras-tu le contraire ?
Quand moi -même j'ai vu le téméraire ,
Qui te faifoit les yeux doux !
Pourquoi faire
Etoit-il à tes genoux ?
Vaine rufe !
Mauvaiſe excufe !
Me crois-tu donc affez bufe
Pour m'en laiffer amufer ?
Mais voilà comme on s'abuſe ,
Quand on penfe m'abufer.
Laurette perfifte à fe juftifier & l'amene
par degrés au point de l'obliger à demander
grace lui- même. Cette fcene eft parfaitement
bien traitée & filée avec beaucoup
d'art. Lambert eft furpris à fon tour
par Tracolin aux genoux de Laurette , qui
dit à ce dernier qu'il furvient à propos , &
qu'elle avoit befoin de fa préfence pour
faire connoître fes fentimens. Tracolin fe
A O UST . 1755. 235
fatte alors de fe voir choifi . Lambert tremble
au contraire de ne l'être point. Laurette
les défabuſe tous deux , en donnant
la main à fon maître . Tracolin fe retire
confus , & Lambert ravi , chante avec Laurette
un Duo qui termine la piece. Elle eſt
imprimée , & fe vend chez la veuve Delormel
, rue du Foin , & chez Prault , fils ,
quai de Conti ; le prix eft de 24 fols.
OPERA COMIQUE.
?
L'Opéra comique ouvrit fon théâtre le
famedi 28 Juin , & donna le Lundi 30 , la
repréſentation de la Maifon à deux portes ,
piece en un acte , qui fut précédée de la
Rofe , & fuivie de Citbere affiegee . Le 14
Juillet , la Bohémienne , parodie de la Zingara,
intermede italien , a été jouée pour la
premiere fois avec le Cocq de village , & le
Ballet Chinois.
Les Comédiens Italiens doivent donner
inceffamment la parodie ou plutôt la traduction
du même intermede. Nous parlerons
de l'une & de l'autre dans le Mercure
du mois prochain. Nous dirons feulement
dans celui - ci que Mlle Rofaline
remplit très -bien le rôle de la Bohémienne.
Nous ajouterons que le ballet chinois
a toujours le mérité de la nouveauté ,
236 MERCURE DE FRANCE.
& qu'on le voit avec le même intérêt.
M. Ñover y a fait des changemens , qui
l'ont , pour ainfi dire , rajeuni.
On doit remettre bientôt la Fontaine de
Jouvence , en attendant un troifieme ballet
nouveau du même compofiteur.
La danfe eft aujourd'hui la premiere
reffource de tous les fpectacles de Paris.
Le théâtre françois doit feul en être excepté
, c'est un acceffoire , dont il pourroit
très -bien fe paffer. Nous croyons qu'il y
gagneroit , même en ne prenant que le
prix fimple.
A OUST. 1755. 237
ARTICLE SIXIE ME.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU LEVANT.
DE CONSTANTINOPLE , le 3 Juin.
A
LI Pacha Ekim Oglou ayant été appellé le
20 Mai au Serail , le Grand Seigneur lui
redemanda les fceaux de l'Empire , & lui ordonna
de fe retirer dans l'ifle de Chypre. Sa Hauteffe
a déclaré Grand Vifir Saïd Mehemet Pacha ,
Tefterdar. Le Kiaia du Miniftre diſgracié a été
dépofé & relegué en Morée. Il a Jegben Effendi
pour fucceffeur. La charge de Nitfcanchi Pacha
vient d'être donnée au Selictar Aga. Le 12 , le
feu prit à Ejus , fitué à quelques lieues de cette
Capitale. Deux mofquées , & plus de trois cens
maiſons ont été confumées par les flammes.
Le 19 , le feu prit fur les dix heures du foir
au quartier des Juifs dans le fauxbourg de Galata.
Près de quatre cens maiſons ont été réduites
en cendres .
: Le Chevalier de Vergennes , Envoyé extraordinaire
de Sa Majefté très-chrétienne , arriva ici
le 21. Il eut le 28 fa premiere audience du Grand
Vifir , & ce matin il doit être admis à celle de
Sa Hauteffe. Le Grand Vifir a reçu les complimeas
de tous les Miniftres étrangers ſur fa nou-
1
238 MERCURE DE FRANCE.
velle dignité. Quoiqu'il foit dans un âge avan
cé , il n'en montre pas moins d'activité dans
l'expédition des affaires . Sa charge de Tefterdar a
été donnée à Azem Oglou . Ali Pacha Ekım , le
jour qu'il fut dépofé , fut conduit à la Tour de
Leandre fur le Bofphore , d'où il partit le lende
main pour l'ifle de Chypre , lieu de fon exil
DU NOR D.
DE PETERSBOURG , le 16 Juin.
On équippe à Cronstadt quatre frégates , fur
lefquelles on fera embarquer un certain nombre
de cadets de marine , pour les exercer dans Part
de la navigation. Il eft décidé que le commeree
demeurera libre entre Conftantinople & Temernikow
, jufqu'à ce qu'il fe forme une compagnie
marchande dans ce dernier port.
Sa Majefté Impériale a gratifié d'une penfion de
cinquante mille roubles le Comte Rafoumowski
, Hetman de l'Ukraine , pour l'indemnifer de
la perte de divers droits dont il jouiffoit , & qu'on
a fupprimés.
On n'a reçu que le 4 de ce mois les lettres qu'on
devoit recevoir de Stockholm le 29 du mois dernier.
La plupart étoient ouvertes . Il en manquoit
quelques-unes de celles qu'on attendoit. Le Maître
de la derniere pofte de Suede a mandé , que la
valife avoit été trouvée fur le grand chemin dans
l'état qu'il l'envoyoit , & que l'on ignoroit ce que
le courier étoit devenu .
Selon les nouvelles d'Efthonie , la ville de
Dorpt a été prefque totalement détruite par un
incendie. On doit au Régiment de Peterſbourg la
confervation du petit nombre de maifons qui ont
AOUST . 1755. 239
été préfervées de l'embrafement. Quatre foldats
de ce Régiment ont eu le malheur de périr dans
les flammes , & plus de cinquante ont été bleffés,
Sa Majesté Impériale tint le 12 de ce mois un
Confeil d'Etat , à l'occafion de quelques dépêches
de M. Obreskoy , fon Réfident à Conftantinople.
On vient de recevoir la trifte nouvelle d'un incendie
, qui a réduit deux mille cinq cens mai
fons en cendres dans la ville de Moſcou.
DE WARSOVIE , le 16 Juin.
Le Miniftre du Grand Seigneur , en revenant
de Frauſtadt , a repaffé à Radom , & il y a été
reçu avec beaucoup de magnificence par le Comte
Malachowski , Maréchal du tribunal des revenus
de la Couronne. Le Gouvernement a affigné
feize mille écus pour les frais du voyage du Comte
de Mnifzeck , qui doit aller complimenter , au
nom du Roi & de la République , le Grand Seigneur
fur fon avenement au trône . Un tiers de
cette fomme fera payé par le Grand Duché de
Lithuanie. Le Roi a envoyé au Miniftre de Sa
Hauteffe un fervice de porcelaine , de la plus grande
beauté. Les Cofaques Haydamakis ont recommencé
depuis peu leurs courfes. Une troupe de
ces brigands ayant pénétré dans la Staroftie de
Byalacerkiew , a pillé le village de Jenifzewska ,
& maffacré le Prêtre qui deffervoit l'églife grec
que.
DE STOCKHOLM , le 18 Juin.
Des lettres écrites d'Alger , le 2 du mois dera
nier , donnent lieu d'efperer que la paix continue
ra de ſubſiſter entre la Suede & les Algériens. -
240 MERCURE DE FRANCE.
1
Le 6 , le Comte de Solms , nouvel Envoyé ex→
traordinaire du Roi de Pruffe , arriva de Berlin , &
le 10 il eut fes premieres audiences du Roi & de
la Reine.
Il paroît une Ordonnance , portant que conformément
à ce qui a été réglé dans la derniere
Diéte , aucun repréfentant d'une famille noble
n'aura féance aux Etats , s'il ne produit des pouvoirs
fignés par la famille qu'il fera chargé de
repréſenter.
M. Aurivillius , Médecin à Upfal , y a effayé
l'inoculation de la petite vérole fur un petit garçon
de huit ans. Cette expérience a eu tout lefuccès
qu'on pouvoit defirer. M. Leche , Profeffeur
à Abo , vient de faire la même épreuve ſur ſa propre
fille , & il a également réuffi .
DE COPPENHAGUE , le 21 Juin.
Sa Majesté a nommé Chevalier de l'Ordre de
l'Elephant le Comte de Frifenbourg , Lieutenantgénéral
, & Confeiller privé .
Un navire Hollandois a conduit ici un rhinoceros
, âgé de treize ans . Cet animal chaque jour
mange trente livres de pain , & quatre-vingt livres
de foin. Il pefe foixante quintaux.
Le Roi pofa le 12 de ce mois la premiere pierre
de l'Eglife Allemande , que l'on conftruit à Chriftianshaven.
Les troupes qui étoient campées , fe féparerent
le 16. Dès le 14 , elles avoient ceffé de mancuvrer.
Ce dernier jour a été marqué par un fâcheux
accident. Dans le tems qu'un Canonier ouvroit
une caiffe remplie de cartouches , & pofée ſur un
charior , un étincelle d'une méche fut portée de
ce côté par le vent , & mit le feu à la poudre.
A O UST.
1755. 241
Le chariot ayant fauté en l'air , les éclats tuerent
trois hommes , & en blefferent plufieurs autres.
ALLEMAGN E.
DE VIENNE , le 28 Juin.
Le vol du Heron a été à Laxembourg un des
principaux amufemens de l'Empereur & de l'Impératrice
Reine. Il y a environ quinze jours qu'on
a pris un de ces oifeaux qui avoit à une de fes
pattes un anneau avec les armes de Portugal .
Le 10 , le Comte de Flemming , Ministre de Sa
Majefté Polonoiſe partit pour Drefde . Il doit
aller à Hanovre exécuter une commiffion du Roi
fon maître.
L'Impératrice Reine a chargé des Commiffaires
, d'examiner les dégats caufés à Lintz par le
dernier incendie .
Le départ de l'Envoyé du Grand Seigneur eft
fixé à la fin du mois d'Août . Ce Miniftre a fait
partir le 22 un Courier pour Conftantinople .
Le Général Harfch vient d'arriver de Gorz. It
fera inceffamment fon rapport à l'Impératrice ,
au fujet de ce qui a été réglé avec les Commif
faires de la République de Venite pour les limites
des Etats des deux Puiffances .
L'Impératrice Reine a fait préfent à l'Empereur
de la terre de Schloffoff , qu'elle a achetée
du Prince de Saxe - Hildbursghaufen , & qui appartenoit
autrefois au Prince Eugene de Savoye,
DE BERLIN , le 5 Juillet.
› Le 27 Juin , le Roi revint du Duché de Cleves;
Sa Majefté , en conférant au Prince Ferdinand de
L
242 MERCURE DE FRANCE.
1
Brunfwic le Gouvernement de Magdebourg , a
nommé le Lieutenant- général Comte de Borcke ,
pour y commander en l'abfence de ce Prince.
Sa Majefte vient d'établir à Stettin une Chambre
de Commerce , compofée d'un Préfident & de
fix Affeffeurs , qui ont été choifis parmi les plus
habiles Négocians.
Le Baron de Pollnitz , Gentilhomme de la
Chambre du Prince héréditaire de Heffe-Darmſtad
, arriva ici avant - hier pour informer la Cour ,
que la Princeffe , époufe de ce Prince , étoit accouchée
la veille d'une Princeffe à Prentzlau . II
eft allé porter la même nouvelle à la Cour de
Hefle Darmstadt.
Il y eut ici le 21 un orage , qui a cauſé beaucoup
de dégât. On a reçu avis que des incendiai
res avoient mis le feu à la petite ville de Friedland
, près de Neiff, & que vingt maiſons avoient
été brûlées .
Le Roi a donné au Comte de Schmettau , Lieutenant
général , le commandement des ville &
citadelle de Paitz , qu'avoit le Prince Ferdinand
de Brunſwic. Les troupes qui avoient formé un
camp dans la Pruffe , font retournées dans leurs
quartiers. En conféquence des ordres de Sa Majefté
, on a arrêté quelques- unes des perfonnes
employées à l'hôtel des monnoies de Cleves.
L'Académie royale des Sciences & Belles- Lettres
élut avant hier pour affociés érrangers M de
Montucla , de l'Académie de Lyon , & M. Runcalli
, Préfident du Collège de Médecine à Brefcia.
-
DE HANOV RE , le 27 Juin.
La Princeffe , époufe du Prince héréditaire de
Heffe-Caffel , & les trois Princes leurs fils , arri
A OUST. 1755. 24
verent le 21 de ce mois à Herrenhaufen. On y
célébra le lendemain avec éclat l'anniverſaire de
l'avénement du Roi au trêne de la Grande Breta- ·
gne. Le 23 , Sa Majefté donna un magnifique bal
aux jeunes Princes de Heffe.
ESPAG N E.
DE LISBONNE , le 10 Juin.
Cette Cour le propofe de faire peupler par des
Portugais les pays fitués le long de la riviere de
Sena, autrement appellée la Riviere d'or. En conféquence
, elle a fait publier qu'elle accorderoit
plufieurs avantages aux familles qui voudroient
s'y établir. On y enverra tous les jeunes gens débauchés
de l'un & l'autre fexe , & les gens mariés
qui auront une mauvaiſe conduite. Plufieurs de
ces différentes fortes de perfonnes ont été déja
arrêtées , & l'on doit les embarquer fur le vaiffeau
le Glorieux , appartenant à la nouvelle Compagnie
de Commerce. Il les conduira juſqu'à Mofambique
, dont le Gouverneur eft chargé de leur
affigner des terres , & de leur fournir les maté
riaux néceffaires pour conftruire des habitations.
Deux vaiffeaux de guerre qui ont eſcorté la
Aotte deftinée pour Maranham , revinrent le premier
de ce mois à Cafcaës. Ils n'ont rencontré
aucun Corſaire. Un autre vaiſſeau du Roi fit voile
hier d'ici pour Saint Ubés , d'où il doit conduire
à Cafcaës plufieurs navires Hollandois. Ces navires
, & ceux de la même nation qui font actuel
lement dans ce dernier port , feront enfuite convoyés
par ce vaiffeau & par deux autres , jufqu'à
la hauteur du Cap de Finifterre . On équippe le
nouveau vaiſſeau de l'invention du Préfident de
la marine.
Lij
244 MERCURE DE FRANCE:
Avant-hier , le Comte de Bafchi , Ambaffadeur
de France , fe rendit avec tout fon cortège à Maravilla
, maiſon de plaifance des Patriarches de
Liſbonne. Il y eft traité aux dépens du Roi. Demain
, ce Miniftre fera fon entrée publique en
cette ville. Après qu'il fera de retour en fon hôtel
, le Marquis de Valenza ira le prendre dans
les caroffes du Roi , pour le conduire à l'audience
de Sa Majefté.
DE MADRID , le premier Juillet.
Les vaiffeaux de guerre l'Europe & la Caftille ;
le vaiffeau de regiftre le Dragon , & le paquebot
le Jupiter , font arrivés le 12 Juin à Cadix. Ces
bâtimens font partis le 6 Avril de la Havane avec
les vaiffeaux le Mercure , le Mars , l'Avis & le S.
Jacques , dont ils ont été féparés par un coup de
vent , en débouchant du canal. Don Manuel Diegue
Efcobedo , Intendant de la marine à Saint - Sebastien
, a donné avis à Sa Majeſté , que le 9 le
vaiffeau le Saint- Ignace , de la Compagnie des
Caraques , étoit entré dans le port du Paffage.
Le Roi a appris auffi par des lettres du Comte de
Perelada , for Ambaffadeur en Portugal , l'arrivée
de la frégate le Saint- Sebastien à Liſbonne. La
charge de ces deux derniers bâtimens confifte en
lingots d'argent , en cuirs , en tabac , en cacao ,
& en divers autres marchandiſes.
On célébra le 18 dans la Chapelle du Palais le
fervice annuel pour le repos de l'ame de la Reine
Louife - Elifabeth d'Orléans , épouſe du feu Roi
Louis I. L'Archevêque de Pharfale officia pontificalement
à la Meffe , qui fut chantée par la Mu
fique .
Les vaiffeaux le Mercure le Mars & le Saint
"
AQUST. 1755. 245
ra-
Jacques font auffi arrivés à Cadix. La charge de
ces bâtimens , foit en efpeces d'or & d'argent ,
foit en marchandifes , monte à cent quatre - vingtdix
huit mille quatre cens vingt - trois piaftres .
On a appris que le 10 & le 12 il étoit entré dans
la baye de Cartagene deux polaques , à bord defquelles
étoient trois cens vingt-cinq elclaves ,
chetés à Alger par les Religieux Déchauffes de
P'Ordre de la Trinité . Cent quatre - vingt- onze
de ces captifs ont été échangés contre des Turcs ,
que Sa Majefté a permis de tirer de fes galeres.
Dans le nombre des perfonnes qui doivent leur
liberté aux Peres Rédempteurs , font deux Reli
gieux Francifcains , neuf femmes & neuf enfans .
ITALI E.
DE NAPLES , le 17 Juin.
Un chabec Algérien , monté de dix - huit ca
nons , & dont l'équipage étoit de quatre - vingt
hommes , ayant été furpris le 28 du mois dernier
par la tempête , eut la hardieffe de ſe réfugier
dans le port de Trapani . Quoique le Capitaine
eût eu la précaution d'arborer pavillon Tofcan
& de mettre la plus grande partie de fon monde
à couvert , on reconnut bientôt que le bâtiment
étoit Barbarefque. Deux galeres s'en emparerent,
& il a été conduit à Palerme. Le Roi a ordonné .
fes vaiffeaux de protéger la navigation des navires
Hollandois , de les convoyer toutes les fois
qu'il feroit néceffaire , & de leur prêter les autres
fecours dont ils auroient befoin. Treize prifonniers
qui étoient détenus à Peſcara , ſe font fauvés
, après avoir affaffiné un Sergent préposé pour
leur garde. Moyennant la diligence dont on a
Liij
246 MERCURE DE FRANCE.
ufé pour courir aprês ces malheureux ; on en a
arrêté quelques- uns .
La Marquis Fogliani ceffa le 10 de ce mois
d'exercer les fonctions de Premier Miniftre. Il
part ces jours- ci pour aller prendre poffeffion de
la Viceroyauté de Sicile . Le Roi vient de créer
une troifiéme charge de Secrétaire d'Etat en fa-
Yeur du Marquis Brancaccio . Ce nouveau Miniftre
aura dans fon département les affaires Ecclé-
Laftiques. En même tems il fera chargé de ce qui
.concerne l'approvifionnement de cette Capitale.
Sa Majesté a donné au Marquis Bracolini la direction
des fpectacles.
DE ROME , le 21 Juin.
1
On repréfenta le 9 à Mondragone dans le magnifique
château qu'y poffede la Maifon Borghefe
, la tragédie de Zaïre , de M. Voltaire ,
traduite en vers Italiens . Ce fpectacle fut fuivi
d'un fouper fplendide , fervi à une table de quatre-
vingt-cinq couverts. Le Margrave de Bareith
affifta à cette fète , ainfi que l'Ambaffadeur de
France , celui de la République de Venife , & les
époufes de ces deux Miniftres .
Le Pere Antoine Bremond , Général des Domi-
-nicains , mourut le 11 à la maiſon de campagne
du Saint Pafteur , àgé de foixante- trois ans. Il
étoit né à Marseille , & il rempliffoit le Généra
-lat de fon Ordre depuis le premier Juin 1748. Son
corps a été tranfporté à Rome, &le 14 il fut inhumé
dans l'églife de Sainte Marie fur la Minerve.
Joachim Befozzi , Cardinal-Prêtre , du titre de
Sainte Croix de Jérufalem , Grand Pénitencier ,
mourut à Tivoli le 18 , âgé de foixante- quinze
ans cinq mois & vingt-fix jours. Il étoit Milanois ,
A O UST. 1755. 247
& il avoit fait profeffion dans l'Ordre de Cîteaux .
Le Pape l'avoit élevé à la pourpre en 1743. Par
la mort de ce Cardinal il vaque un dixiéme chapeau
dans le facré Collège.
DE RONCIGLIONE , le 18 Juin.
Depuis quelques années , les Peres de la Doctrine
Chrétienne ont établi une Académie de Belles
Lettres dans le Collége qu'ils ont en cette
ville. Les Arcades viennent d'aggréger cette Académie
à leur Corps fous le nom de Colonie Cifminia
, & le Pere François Armorini a été déclaré
Président de cette nouvelle Société . Elle tint le
11 de ce mois fa premiere féance publique , &
les Académiciens réciterent plufieurs ouvrages
d'éloquence & de poëfie.
¿ DE VENISE , le premier Juillet.
Il regne ici une telle féchereffe , que les habitans
font réduits à la cruelle extrêmité de manquer
d'eau douce . On a commencé le 9 Juin des
prieres publiques , pout obtenir la ceffation de
ce fléau.
Selon les nouvelles de Smirne , on y a reçu
avis de Perfe , qu'un détachement des troupes
d'Azad Kan avoit défait dix mille hommes de
l'armée de Mehemet , Chefdes Aghuans. Ce dernier
, malgré cet échec , continue de marcher vers
la capitale de ce Royaume . Azad Kan l'attend
dans les plaines voifines de cette ville avec une
armée de foixante - dix mille hommes , & le fait
harceler fans relâche par plufieurs corps de cavalerie.
Liv
248 MERCURE DE FRANCE
DE MILAN , le 17 Juin.
Une maladie épidémique caufe beaucoup de
ravage parmi les beſtiaux dans le Milanez . Elle
fe manifefte par une veffie qui s'éleve fur la langue.
Si l'on ne fe hâte pas de percer cette efpece
de puftule , l'animal meurt en peu de jours.
L'Impératrice Reine & le Duc de Modéné ont
renouvellé pour cinq ans le cartel , par lequel
ils font convenus de fe rendre réciproquement
les criminels qu'ils réclameroient.
DE GENES , le 3 Juillet.
On procéda le 16 de ce mois au ſcrutin pour
l'élection des nouveaux Sénateurs , & le fort eft
tombé fur le Marquis Spinola , Jean - Jacques
Cattaneo , Baptifte Grimaldi , & fur MM. Nicolas
& Vincent Propello.
Il eft arrivé une galere du Roi de Sardaigne ,
avec trois bâtimens , fur lefquels eft la chiourne ,
deftinée pour la galere que ce Prince à fait conftruire
ici.
GRANDE- BRETAGNE.
DE LONDRES , le 10 Juillet
Les vaiffeaux l'Effex , le Triton , l'Onflow , la
Princeffe Augufte & le Norfolk , appartenans à la
Compagnie des Indes orientales , font arrivés dans
la Tamife. Les quatre premiers de ces bâtimens
reviennent de la Chine. Le Norfolk vient de Madraff
. M. Saunderfon , Gouverneur de Madraff ,
eft revenu à bord de ce dernier vaiffeau , & a ing
C
A O UST. 1755: 249
formé les Directeurs de la Compagnie , qu'une
feconde treve de trois mois avoit été conclue entre
les François & les Anglois dans l'Inde. Il a en
même tems apporté un projet d'accommodement
que M. Godeheu , Gouverneur de Pondichery ,
concerté avec lui.
Selon ce traité , les troupes de ladite Compa
gnie , ni celles de la comapgnie Angloife , ne ſe
mêleront point de différends qui pourront furvenir
entre les naturels du pays. Suppofé que ces
derniers forment quelque entreprife contre les
établiſſemens de l'une ou l'autre compagnie , les
troupes refpectives fe joindront pour défendre
Pétabliffement attaqué. On fe fournira de part
& d'autre les provifions dont on aura befoin ; &
au défaut d'argent comptant, on prendra des marchandifes
en échange.
L'Amirauté mit encore le 25 en commiffion
dix vaiffeaux de guerre. Douze de ceux qui font
armés à Portsmouth , n'attendent que les derniers
ordres pour mettre à la voile .
Le camp que l'on s'étoit propofé de former en
Irlande , n'aura pas lieu cette année .
Le Duc de Cumberland , accompagné du Lord
Anfon , du Lord Duncannon , de l'Amiral Towns.
hend , & de M. Cléveland , Secrétaire de l'Amirauté
, partit le premier pour aller faire à Spithéad
la revue de la flotte . Le 2 , le Duc de Mire
poix , Ambaffadeur de France , ayant reçu
da Paris
un courier extraordinaire , fe rendit aufli - tôt
chez le Chevalier Robinfon , Secrétaire d'Etat
avec qui il eut une longue conférence .
On n'a point encore de nouvelles de l'arrivée
de l'Efcadre de l'Amiral Bofcawen fur la côte de
l'Amérique feptentrionale. On apprend de Gibraltar
que les Saletins ont rendu le navire An-
TheV
250 MERCURE DE FRANCE.
glois , dont un de leurs Corfaires s'étoit emparé
dernierement la hauteur d'Arzila . A l'arrivée
de ce bâtiment , le Gouverneur de Gibraltar a
donné ordre de remettre en liberté plufieurs
Maures qu'il avoit fait arrêter.
On travaille avec diligence à préparer pour la
mer quinze bâtimens , que le Gouvernement a
frétés depuis peu. Le vaiffeau le Stafford , appartenant
à la Compagnie des Indes orientales , eft
de retour de la Chine . Les navires qui ont été
employés cette année à la pêche de la baleine ,
rentrent fucceffivement dans leurs ports refpectifs.
Les Officiers des troupes fur l'établiſſement
de la Grande- Bretagne ont ordre de ne pas s'abfenter
de leurs corps.
PAYS - BAS.
DE LA HAYE , le 11 Juillet.
Ce Capitaine Joachim Oujes , Commandant le
vaiffeau le Keukenhof , a préſenté au Prince Stadhouder
, de la part de M. Moffel , Gouverneur
général des Indes hollandoiſes ,un Maure nain , âgé
de dix-huit ans , qui n'a que deux pieds & demi
de haut.
On a expédié aux Commandans de chaque Régiment
une permiffion de détacher un Sergent
& quatre foldats par compagnie , pour aller faire
des récrues dans les pays étrangers. Les Etats Généraux
viennent de rendre une Ordonnance au
fujet de la pêche du hareng.
D'AMSTERDAM , le 8 Juillet.
Selon les nouvelles qu'on a reçues par les vaiſAOUST.
1755. 251
feaux revenus depuis peu des Indes orientales , il
y eut le 18 Août de l'année derniere un affreux
tremblement de terre dans l'ifle d'Amboina , voifine
des Molucques . La terre s'entr'ouvrit en plufieurs
endroits. Les deux églifes , le fort & le
comptoir furent renverfés de fond en comble.
Un grand nombre de perfonnes ont péri fous les
ruines de leurs habitations. Depuis le 18 Août
jufqu'au 22 Septembre , on a fenti quatre- vingtcinq
autres fecouffes.
Les vaiffeaux l'Amiral de Ruyter , l'Overfchie
& le Ruyteveld , appartenans à la Compagnie des
Indes orientales , arriverent le 29 du mois dernier
au Texel. Les deux premiers viennent de la Chine
, & le dernier de Batavia .
DE BRUXELLES , le 28 Juin.
On acheva le 25 de ce mois le tirage de la
trofiéme claffe de la lotterie de cette ville .
Les troupes qui doivent former un camp près
de Malines , s'y affembleront auffi - tôt après la
moiffon.
L'Impératrice Reine a envoyé le Général Baron
d'Anger , pour vifiter les fortifications des
places des Pays - Bas.
L_vj
252 MERCURE DE FRANCE .
FRANC E.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &6.
E onzième tirage de la lotterie , pour le rem
rentes
fur la caiffe générale des amortiffemens , fe fit
le 18 du mois de Juin à l'hôtel de Ville , en préfence
des Prévôt des Marchands & Echevins . Les
rembourfemens échus par le fort de la lotterie
montent à la fomme de quatorze cens cinq mille
quatre cens foixante livres . On acquittera les coupons
& les rembourſemens à la caiffe des amortiflemens
chez M. Blondel de Gagny , Tréſorier
de cette caiffe.
On fit le 20 les tirages des lotteries pour le
rembourfement de partie des capitaux des rentes
établies fur les poftes par les Edits des mois de
Novembre 1735 & Juin 1742. Selon le fort il
fera rembourlé trois cens foixante - fept mille
vingt livres fur les capitaux des rentes créées par
le premier de ces Edits , & quatre cens foixantetrois
mille deux cens foixante- cinq fur les capitaux
des rentes créées par le fecond. Les payemens
de ces rembourfemens , ainfi que des arrerages
defdites rentes , fe feront auffi à la caiffe des
amortiffemens.
La Comteffe d'Egmont , feconde douairiere ,
fille du Duc de Villars , prononça le 20 fes derniers
voeux dans le monaftere des Religieufes du
Calvaire , fauxbourg Saint Germain . Le Nonce du
Pape officia à cette cérémonie , & la Prédication
A OUST. 253
1755.4
fut faite par le P. Chapelain , de la Compagnie de
Jefus.
Le 27 Juin , le Roi nomma les femmes defti
nées au fervice du Prince ou de la Princeffe dont
Madame la Dauphine doit accoucher.
La Comteffe de Teffé fut préfentée le 29 à
leurs Majeftés & à la Famille royale. Elle a pris
le tabouret en qualité d'époufe d'un Grand d'Ef
pagne .
On fit le 30 du même mois le fixiéme tirage
de la lotterie pour le rembourſement des capitaux
des rentes , à trois pour cent , établies fur les po
ftes par Edit du mois de Mai 1751. Les payemens
pour ces rembourſemens fe font chez M. Paris de
Montmartel , Garde du Tréfor royal.
Le premier Juillet , le Roi arriva à Compiegne ,
accompagné de Mefdames de France. Sa Majesté ,
en venant de la Meute , fit l'honneur à M. de Ma
chault , Garde des Sceaux , de s'arrêter au château
d'Arnouville .
La Reine eſt arrivée le 2 au foir. Meſdames de
France , après avoir affifté au Salut dans l'Eglife
du Monaftere des Filles de Sainte - Marie , allerent
au- devant de la Reine jufqu'à deux lieues , &
elles revinrent dans le caroffe de Sa Majesté.
Le Roi a difpofé de l'Intendance de Rouen , va
cante par la démiffion de M. de la Bourdonnaye ,
Confeiller d'Etat , en faveur de M. Feydeau de
Brou , Maître des Requêtes , fils de M. Feydeau
de Brou , Confeiller d'Etat ordinaire , & au Confeil
royal.
Le 9 , Monfeigneur le Dauphin arriva de Ver
failles à Compiegne. Ce Prince n'y demeura que
jufqu'au 15.
Les Chanoines Réguliers de l'Abbaye de Sainte
Genevieve ont eu l'honneur de préfenter à leurs
254 MERCURE DE FRANCE.
Majeftés & à la Famille royale une Ode du Pere
Bernard , de leur Congrégation , fur la réconftruction
de leur égife .
On a appris par des lettres de Londres , que le
8 du mois dernier l'Amiral Boscawen a attaqué
avec fon Efcadre fur les bancs de Terre- neuve le
vaiffeau l'Alcide,qu'il a trouvé féparé de l'Eſcadre
Françoiſe , deſtinée pour le Canada , & qu'il s'en
eft emparé après une longue réfiftance de la part
de ce vaiffeau. Ces lettres ajoutent , que cet Amiral
a attaqué le même jour un vaiffeau chargé de
troupes , qui fe trouvoit auffi féparé de l'Eſcadre
du Roi , & fous l'eſcorte de l'Alcide. Auflitôt que
le Roi a été informé de cet événement , Sa Majefté
a envoyé ordre au Duc de Mirepoix , fon Ambaffadeur
à Londres , & à M. de Buffi , fon Miniftre
à Hanovre , de partir fur le champ , fans prende
congé , & de revenir en France.
•
BENEFICES DONNÉS.
ERoi a donné l'Evêché de Dijon à l'Abbé d'Apchon
, Vicaire Général du même Diocèſe ;
l'Evêché de Glandeve à l'Abbé de Treffemannes ,
Chanoine de l'égliſe métropolitaine d'Aix ; l'Abbaye
de Fontaine- Daniel , Ordre de Câteaux , Diocèfe
du Mans , à l'Abbé de Galiffet , Vicaire Général
de l'Archevêché d'Aix , & le Prieuré de Pontarlier
, Ordre de S. Auguftin , Diocèfe de Langres
, à l'Abbé Bureau de Saint - Pierre , Confeil
ler-Clerc au Parlement de Dijon.
A O UST. 1755. 255
MARIAGES ET MORTS.
Ouis- Gabriel de Conflans , Marquis de Conflans
, Meſtre de Camp - Lieutenant du Régiment
de Cavalerie d'Orléans , fut marié le 20 Mai
à Demoiſelle Antoinette-Magdeleine-Jeanne Portail
, fille de Meffire Jean- Louis Portail , Préfident
honoraire du Parlement ,& de Dame Marthe- Antoinette
Aubery de Vaſtan. La Bénédiction Nuptiale
leur fut donnée dans la chapelle particuliere
de l'hôtel de Rothelin , par l'Archevêque de Narbonne.
Leur contrat de mariage avoit été figné le
17 par leurs Majeſtés & par la Famille royale. Le
Marquis de Conflans eft fils de Louis de Conflans,
Marquis d'Armentieres , Chevalier des Ordres du
Roi & Lieutenant Général des Armées de Sa Majefté
; & de feue Dame Adélaïde -Jeanne-Françoiſe
Boutroue d'Aubigny.
La Maifon de CONFLANS eft fans contredit une
des plus illuftres du Royaume étant une branche
cadette de celle de BRIENNE , de laquelle , outre trois
Connétables de France , & des Ducs fouverains
d'Athènes , font fortis un Roi de Sicile dans la perfonne
de Gauthier III . du nom , & un Roi de Jérufalem
& Empereur de Conftantinople , dans celle
de Jean de Brienne , dont la fille Yoland , née de
fa premiere femme Marie de Montferrat , Reine
de Jérufalem , fut mariée l'an 1223 à l'Empereur
Fré deric II.
Engilbert de Brienne , troifieme fils de Gauthier I
du nom , Comte de Brienne , qui vivoit en 1068 ;
& d'Euftache , Comteffe de Bar fur- Seine , ayant
eu en partage la feigneurie de Conflans , en prit le
nom fuivant l'ufage du tems , & le tranſmit à ſa
256 MERCURE DE FRANCE.
à
poftérité , laquelle a toujours confervé les armes
de Brienne. Engilbert qui fit en 1138 plufieurs
dons avec fa femme , en préfence de fes fils ,
l'Abbaye de Molefmes pour l'ame du Comte Gauthier
fon pere , fut le cinquieme ayeul de Jean de
Conflans ,feigneur de Vezilly en Champagne , du
chef de N ... de Bazoches , fon ayeule maternelle.
Jean de Conflans eut de fa feconde femme Pé→
ronne de Jouvengues , Dame d'Armentieres , Jean
II . qui vivoit en 1415. pere par Magdeleine de
Hornes de Baucignies de Barthelemi de Conflans ,
feigneur de Vezilly, d'Armentieres , vicomte d'Ouchy
, &c. allié à Marie de Cramailles , Dame de
Saponnay , de laquelle nâquit Jean III . de Confans
, qui époufa Marguerite de Bournonville , &
mourut en 1507. Son troifieme fils Antoine de
Conflans , qui a continué la postérité eut les feigneuries
de Vezilly , d'Armentieres , & c. & épou
fa en Décembre 1525. Barbe de Rouy , mere
d'Euftache , d'Antoine & de Robert de Conflans
qui ont fait trois branches .
La poftérité d'Euftache , dont le fils de même nom
fut en 1597. Chevalier des Ordres du Roi & Lieutenant
Géneral de fes armées , s'eft éteinte en 1690
Antoine de Conflans II . du nom , feigneur de
S. Remi , &c. époufa en 1559. Françoiſe Boulart
, Dame d'Ennancourt- le - Sec. Leur fils aîné ,
Antoine de Conflans III du nom , feigneur de
S. Remi & d'Ennancourt , s'allia en 1597. à
Magdeleine de Ravenel , Damé de Fouilleufe , de
laquelle vint entr'autres , Michel de Conflans ,
Marquis de S. Remi , Gentilhomme ordinaire de
la chambre du Roi , Colonel d'un Régiment de
Cavalerie étrangere en 1635. Celui - ci eut de fon
fecond mariage avec Louiſe de Carvoifin , Michel
de Conflans II du nom , qui devint le chef de fa
A O UST. 1755% 257
maifon en 1690. & mourut le 22 Janvier 1712. Il
avoit époufé en 1667. Marguerite d'Agueffeau ,
qui fut mere de Michel de Conflans III. du nom
Marquis d'Armentieres , Vicomte d'Ouchy-le-
Châtel , feigneur de Breci , &c. premier Gentil
homme de la Chambre du Duc d'Orléans Régent,
mort le 5 Avril 1717. Il avoit épousé le 11 Janvier
1709. Diane- Gabrielle de Juffac , Dame du
Palais de la Ducheffe de Berry . De ce mariage il a
eu Louis de Conflans , Marquis d'Armentieres ,
pere de Louis- Gabriel qui donne lieu à cet article,
& de Louis-Charles , appellé le chevalier de Conflans
, qui eft né le 5 Décembre 1737.
Les armes de la Maiſon de Conflans , font d'azur
au lion d'or , l'écu femé de billettes de même.
Meffire Joachim Dreux , Marquis de Brézé ;
Maréchal des Camps & Armées du Roy , Grand-
Maître des cérémonies de France , Gouverneur des
Villes & château de Loudun , & du Loudunnois ,
époufa le 27 du même mois Dlle Louife Jeanne-
Marie de Courtarvel de Pézé ; elle eft fille de feu
Meffire Louis - René de Courtarvel , Marquis de
· Pézé , & de Dame Louiſe - Charlotte de Thibault
de la Rochetulon , & niece de Hubert de Courtarvel
dit le Marquis de Pezé , Colonel du Régiment
du Roi infanterie , Lieutenant Général des
Armées de Sa Majeſté , mort le 28 Novembre
1734. à Guaftalla , des bleffures qu'il avoit reçues
à la bataille de ce nom , ayant été nommé le 28
Octobre précédent , Chevalier des Ordres du Roy,
lequel n'a laiffé de fon mariage avec Lidie- Nicole
de Beringhen , qu'une fille unique Louife-Magdeleine
de Courtarvel de Pezé , mariée le 24 Mai
1743. à Armand-Mathurin , Marquis de Vaſſé ,
fon coufin-germain
La Maifon de COURTARVEL eft originaire du
258 MERCURE DE FRANCE.
Maine où elle eft connue dès le quatorzieme fiecle.
Foulque, feigneur de Courtarvel, époufa en 1390.
Anne , Dame de la Lucaziere , & fut bifayeul
d'Ambroise de Courtarvel , mariée en 1480 avec
Anne de Pézé , Dame du Boucher & de Pézé. Anne
de Pézé fut mere de Foulques de Courtarvel IV.
du nom , dont l'arriere petit- fils René II de Courtarvel
, fut créé Marquis de Pézé en 1658. Il fut
pere de Charles , Marquis de Pézé qui par fa femme
Marie-Magdeleine de Vaffan eft ayeul de
Louife-Jeanne- Marie de Courtarvel de laquelle
nous annonçons le mariage.
Le Marquis de BRÉZÉ eft fecond fils de Meffire
Thomas Dreux , Marquis de Brézé , Lieutenant
général des Armées de Sa Majefté , Grand- maître
des cérémonies de France , Gouverneur des villes
& château de Loudun & du Loudunois , ainsi que
des Iles de Sainte-Marguerite & de S. Honorat
de Lerins , & de Dame Catherine-Angélique Chamillart
de Cani , & avoit pour frere ainé Michel
Dreux , Marquis de Brézé , Baron de Beric , &c.
Lieutenant-général des Armées du Roy , Infpecteur-
général d'infanterie , Grand-maître des céré-
-monies de France , Prevôt & Maître des cérémo-
-nies des Ordres du Roi , Gouverneur de Loudun
& des Illes de Saint - Marguerite & de S. Honorat ,
mort le 17 Février 1754. fans enfans de fes deux
femmes Elifabeth-Claire- Eugénie Dreux de Nancré
, morte le 22 Avril 1748 , & Louiſe - Elifabeth
de la Châtre de Nançay.
Le Marquis de Brézé , appellé du vivant de fon
frere aîné , le Chevalier de Dreux a d'abord été
¿Colonel du régiment de Guyenne , infanterie , le
16 Avril 1738. Brigadier des Armées du Roi , le
premier Mai 1745. Colonel- lieutenant du Régiment
Royal de la Marine , le 26 du même mois,
A O UST. 1755. 259
Maréchal des Camps & Armées du Roy , le 10
May 1746. Grand- maître des cérémonies de France
& Gouverneur des ville & château de Loudun ,
au mois de Février 1754.
-
-
François-Martial de Montiers , Vicomte de Merinville
, Brigadier de cavalerie , & Capitaine-
Sous lieutenant de la compagnie des Gendarmes
de la Garde du Roy , époufa le 4 Juin ,
Charlotte Elifabeth Galluci de l'Hôpital , fille
de Paul Galluci , Marquis de l'Hôpital , Chevalier
des ordres de Sa Majefté & de celui de S. Janvier ,
Lieutenant - général des Armées du Roy , Inf
pecteur Général de la cavalerie & des dragons ,
& premier Ecuyer de Madame Adelaïde , cidevant
Ambaffadeur Extraordinaire de Sa Majefté
, auprès du Roi des deux Siciles ; & de Dame
Louife- Elifabeth de Boullongne . La Bénédiction.
Nuptiale leur a été donnée à la Thuillerie , par le
Nonce du Pape dans la chapelle du fieur de Boullongue
, Confeiller d'Etat , Intendant des Finances.
Le Vicomte de Merinville eft fils de Meffire
François - Louis -Martial de Montiers , Marquis de
Merinville , Maréchal des Camps & Armées du
Roy, & de Dame Marguerite-Françoile de Jaucen,
& petit-fils de François de Montiers , Comte de
Merinville , & de Rieux en Languedoc , créé Chevalier
des Ordres du Roi , le 31 Décembre 1661 ,
& de Marguerite de la Jugie , Comteffe de Rieux.
Meffire Louis-Gaſpart Řouillé d'Orfeuil , Maître
des Requêtes , fils de feu Meffire Jean- Louis
Rouillé auffi Maître des Requêtes , & petit fils de
Jean Rouillé , feigneur de Fontaine - Guerin , Intendant
de Limoges , neveu de Meffire Antoine-
Louis Rouillé , Comte de Jouy , Miniftre d'Etat
au département des Affaires étrangeres , a épousé
le 18 Juin à S. Roch , Demoiſelle Anne-Charlotte
260 MERCURE DE FRANCE.
+
"
Bernard de Montigny , fille de Meffire Charles
de Montigny , receveur général des finances de la
province de Picardie , & de Dame Claude - Anne-
Jeanne Brochet de Pontcharoft , fille de feu Meffire
Pierre Richard Brochet de Pontcharoft , tréforier
général des Ponts & Chauffées de France.
Elle eft coufine germaine de Meffire Simon - Charles-
Sébastien Bernard de Balinvilliers , Préfident
du Grand- Cónfeil .
On a oublié dans le Mercure précédent à l'ar
ticle de M. l'Evêque de Marfeille , en parlant de
ce qui refte de la branche de cet illuftre Prêlat ,
fes deux niéces , filles du feu Marquis de Caftel-
´moron , l'aînée , Cécile- Génevieve de Belſunce®
de Caftelmoron , Abbeffe de l'Abbaye royale de
Sainte Trinité de Caen par la nomination du Roy
du 18 Février 1754. & la cadette , Sufanne-
Gabrielle de Bellunçe de Caftelmoron , mariée
en May 1740. à N ..... Comte d'Arcuffia , d'une
des plus anciennes & des plus illuftres maiſons de
Provence.
Meffire Michel-André Hennequin d'Ecquevilly,
"Abbé de l'Abbaye de Notre- Dame de Maifieres ,
Ordre de Câteaux , Diocèfe de Chalons-fur-Saone,
´eft mort à Paris le 9 Juin âgé de 72 ans .
Meffire Jean - Alexandre Dutot , Marquis de
Varneville , Maréchal des Camps & Armées du
Roy , & Enfeigne des Gardes du Corps dans la
Compagnie de Villeroi , eft mort à Paris le 15 ,
âgé de 57 ans.
Meffire Céfar-Antoine de la Luzerne , Comte
de Beuzeville , Maréchal des Camps & Armées
du Roy , & ci -devant Meftre de Camp , Lieutenant
du Régiment des Carabiniers , mourut à
Paris le 17 , âge de 64 ans,
A O UST. • 261 1755
Dame Anne - Dorothée du Hautoy , Marquife
de Béon-Luxembourg , eft morte en fon château
de Tichémont en Lorraine le 17 Juin : elle étoit
veuve du Marquis de Béon dont le pere avoit époufé
l'aînée , héritiere de la maifon de Luxembourg,
& en avoit partagé les biens avec M. le Marquis
de Montmorency qui en avoit époufé la cadette.
M. le Marquis de Béon n'a point laiffé d'enfans ,
& la moitié de fa fucceffion revient à deux petites
niéces , filles du feu Marquis de Chemault dont la
mere étoit foeur du Marquis de Béon . L'aînée eft
Hyacinthe-Louife-Augufte de Béraut de Chemault
encore fille. La feconde eft Hyacinthe- Ifa- :
belle Bétaut de Chemault , mariée depuis trois ans
à Meffire Pierre- François de Courcy , Capitaine .
au Régiment de Cavalerie- Bourgogne , fecond fils
de Meffire François - Jean - Antoine de Courcy
Lieutenant pour le Roy & de Noffeigneurs les .
Maréchaux de France à Verneuil au Perche.
Meffire Maximilien Chaluet de Rochemonteix
Comte de la Roche-Vernaffal , Lieutenant- Genéral
des Armées du Roy , Gouverneur de Rocroy ,
& Commandeur de l'Ordre royal & militaire de
$. Louis , mourut le 18 dans fa 96 ° année,
3
262 MERCURE DE FRANCE:
AVIS.
Sr Théodore Odiot , dont il a été mention
L'dans le Mercure de Mai , avertit le Public
qu'il entreprend toutes fortes d'ouvrages , tant en
équipages , bâtimens , toilettes , qu'en tapifferies
, imitant l'étoffe de foie , avec dorure & fans
dorure , & qu'il tient manufacturede couleurs ,
tant en huile qu'en détrempe & en cire , foit à la
térébenthine , ou à l'eau , pattel , & généralement
tout ce qui concerne la peinture.
Le même artiſte avertit le Public , qu'il a peint
une falle chez lui de fa nouvelle compofition en
cire. Il n'en réſulte aucune mauvaiſe odeur , n'y
ayant point d'huile ni de térébenthine, quoiqu'elle
ait la même folidité , & que les couleurs ne foient
nullement changeantes. On pourra la voir depuis
neuf heures du matin jufqu'à midi ; & l'aprèsmidi
, depuis trois heures juſqu'à fix .
Il demeure rue baffe de laporte Saint Denis , la
troifiéme grandeporte après lecul de fac S. Laurens
ERRATA pour le Mercure de Juillet.
Page 19 , ligne 24, après une longue période ,
lifez un long période .
Page 26 , lig. 1 , Eh ! qu'eſt- ce qui ne l'a pas ≥liſ.
Eh ! qui eft-ce qui ne l'a pas ?
Page 80 , lig. 17 , Elémens de Dorimaftique , lif.
Elémens de Docimaftique.
265
J'A
AP PROBATION.
•
' Ai la , par ordre de Monfeigneur le Chance
lier , le Mercure d'Août & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A
Paris , ce 30 Juillet 1755 .
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIE R.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
Portraits de cinq fameux Peintres d'Italie , page
Rofalie , Hiftoire véritable
La variété , Cantatille ,
Epître à M. de Voltaire ,
Vers de M. Dubois , à Mme de Forgeville ,
La Promenade de Province . Nouvelle ,
Le malheur d'aimer. Poëme ,
S
45
46
47
48
65
De l'eftime de foi - même , par M. de Baftide , 75
Epître de M. V ** en arrivant dans fa terre , près
du Lac de Geneve ,
Mots de l'Enigme & du Logogryphe du Mercure
de Juillet ,
Enigmes & Logogryphes ,
Vaudeville de l'ordre de la fidélité ,
}
83
83
ibid.
93
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
Difcours que M. P ** a envoyé à la Société roya
le & Littéraire de Nancy, &c.
25
264
Obfervations fur le Dictionnaire des poftes , 103
Extraits , précis , ou indications des livres nouveaux.
Séance de la Société de Nifmes ,
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
181
139
148
Algébre. Lettre de M. G *** à M. Bezout , 147
Médecine. Extrait du rapport de M. Hofty , Médecin
, au fujet de l'inoculation ,
Chirurgie. Réflexions critiques adreffées à M ***
Médecin à Lyon , fur une Lettre annoncée fous
le nom du ficur Beranger , par M. Daviel fils ,
Danfe.
ART. IV. BEAUX ARTS.
182
Musique.
Gravure,
207
209
*
210
Architecture. Suite du Mercure du mois de Juin
de l'année 2355 , 214
ART. V. SPECTACLES.
Comédie Françoiſe , 221
Comédie Italienne ,. 223
Extrait du Maître de Mufique , 235
Opéra comique.
233
ARTICLE VI
Nouvelles étrangeres , 137
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 252
Mariages & Morts , 254
Avis. 269
La Chanson notée doit regarder la page 94.
De l'Imprimerie de Ch . A. JOMBERT,
MERCURE
DE FRANCE,
DÉDIÉ AU ROI.
SEPTEMBRE 1755.
Diverfité, c'est ma devife. La Fontaine.
Chez
Cochin
Filius inve
PapillonSculp 1715.
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix .
JEAN DE NULLY , au Palais .
PISSOT , quai de Conti .
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier-Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis an
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui qu'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. de Boiffy ,
Auteur du Mercure.
Le prix eft de 36 fols , mais l'on ne payera
d'avance , en s'abonnant , que 21 livres pour
l'année , à raison de quatorze volumes . Les
volumes d'extraordinaire feront également de
30fols pour les Abonnés , & fe payeront avec
l'année qui les fuivra.
Les perfonnes de province auxquelles on
Penverra par la pofte , payeront 31 livres
10 fols d'avance en s'abonnant , & elles le
recevront franc de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront qu'à raison de 30
fols par volume , c'est - à - dire 21 livres d'avance
, en s'abonnant pour l'année , fans les
extraordinaires.
Les Libraires des provinces on des pays
A ij
L
étrangers, qui voudront faire venir le Mer
cure , écriront à l'adreſſe ci - deſſus .
On Supplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la poſte , en payant le droit , le prix
deleur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le payement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteront au rebut.
L'on trouvera toujours quelqu'un en état
de répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine , aprèsmidi.
On peut fe procurer par la voie du Merles
autres Journaux , ainfi que les Livres
, Eftampes & Mufique qu'ils annoncent.
cure ,
S
MERCURE
DE FRANCE.
SEPTEMBRE.
1755 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
STANCES
A Mademoiselle **
Les trois Graces , jeune Thémire ,
Même la fuperbe Cipris ,
Sur les attraits qu'en vous j'admire
N'auroient point remporté le prix.
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Vous feule , fans en rien rabattre ,
Vous feule avez , fans vous flater ,
Ce qu'elles avoient toutes quatre.
Qui vous connoît peut l'attefter.
Vous poffédez un art de plaire ,
Que peut-être elles n'avoient pas ;
Ce que je vous vois dire ou faire
A toujours de nouveaux appas.
On ne parle que de leurs charmes ,
Quant à l'efprit on n'en dit rien ,
Ce côté vous fournit des armes ,
Vous raviffez dans l'entretien.
串
Du plus ridicule des âges
Vous n'approuvez pas les erreurs
De loin vous fuivez fes uſages ,
Mais vous n'adoptez point les moeurs
Chez vous une aigrette nouvelle
S'arrange fans trop réfléchir ,
Le plaifir de paroître belle
N'eft point votre unique plaifir.
SEPTEMBRE. 1755. 7
Vous méritez qu'on vous adore ,
Et l'ignorez en même tems ,
Cette ignorance donne encore
Plus de prix à vos agrémens .
Toutes nos ftériles brochures
Ne fécheront point votre efprit ,
Dans des fources fécondes , pures ,
De ſon vrai fuc il ſe nourrit.
Vous avez la rare habitude
Suivant les gens de vous plier ,
De borner votre vafte étude ,
Ou , s'il le faut , de l'oublier.
Belle , fage , douce , difcrette ,
Sans humeur , fans fard , fans détour ....
Thémire , pour être parfaite ,
Prenez un peu de mon amour.
J. F. G. **
De Chartrait , près Melun.
A mij
8 MERCURE DE FRANCE
VERS
Adreffés à M. R. D. B..... par une jeune
Demoiselle , âgée de huit ans.
Faire des vers pour vous , Mirtil , je vous affure,
Eft à mon gré le plaifir le plus doux ;
Et le travail fe paie avec ufure ,
Quand on a le bonheur de s'occuper de vous.
Mlle Roffignol.
Réponse à Mlle Roffignol.
Dvos talens qui ne feroit jaloux !
Ils devancent chez vous l'heureux âge de plaire.
Pour des vers , jeune Eglé , vous n'en devez point
faire ,
Mais, en laiffer faire pour vous.
Gridi
SEPTEMBRE 1755. 9
LE MO I.
HISTOIRE TRE'S - ANCIENNE.
L
A nature & la Fortune fembloient
avoir confpiré au bonheur d'Alcibiade.
Richeffes , talens , beauté , naiffance , la
fleur de l'âge & de la fanté , que de titres
pour avoir tous les ridicules ! Alcibiade
n'en avoit qu'un : il vouloit être aimé pour
lui-même. Depuis la coqueterie jufqu'à la
fagefle il avoit tout féduit dans Athènes ;
mais en lui étoit- ce bien lui qu'on aimoit ?
Cette délicateffe lui prit un matin comme
il venoit de faire fa cour à une prude. C'eft
le moment des réflexions. Alcibiade en fit
fur ce qu'on appelle le fentiment pur , la
métaphyfique de l'amour. Je fuis bien
duppe , difoit-il , de prodiguer mes foins à
une femme qui ne m'aime peut- être que
pour elle- même ! Je le fçaurai de par tous
les dieux , & s'il en eft ainfi , elle peut chercher
parmi nos athlétes un foupirant qui
me remplace.
La belle prude , fuivant l'ufage , oppofoit
toujours quelque foible réfiftance aux
defirs d'Alcibiade . C'étoit une chofe épouvantable.
Elle ne pouvoit s'y accoutumer.
Il falloit aimer comme elle aimoit pour s'y
A v
to MERCURE DE FRANCE.
réfoudre. Elle auroit voulu pour tout au
monde qu'il fut moins jeune & moins
empreffé. Alcibiade la prit au mot. Je vois
bien , Madame , lui dit il un jour , que ces
complaifances vous coutent ; hé bien , je
veux vous donner une preuve de l'amour
le plus parfait . Oui je confens , puifque
vous le voulez , que nos ames feules foient
unies , & je vous donne ma parole de
n'exiger rien de plus.
La prude loua cette réfolution d'un air
bien capable de la faire évanouir , mais
Alcibiade tint bon . Elle en fur furpriſe , &
piquée , cependant il fallut diffimuler .
Le jour fuivant tout ce que le deshabillé
peut avoir d'agaçant fut mis en ufage . La
vivacité du defir brilloit dans les yeax de
la prude , dans fon maintien , la nonchalance
& la volupté , les voiles les plus
legers , le défordre le plus favorable , tout
en elle invitoit Alcibiade à s'oublier . Ilapperçut
le piege. Quel triomphe , lui dit- il ,
Madame , quel triomphe à remporter fur
moi- même ! Je vois bien que l'amour m'éprouve
, & je m'en applaudis : la délicateffe
de mes fentimens en éclatera davantage.
Ces voiles tranfparens & légers , ces
couffins dont la volupté femble avoir formé
fon trône , votre beauté , mes defirs ;
combien d'ennemis à vaincre. Ulyffe n'y
SEPTEMBRE. 1755. 11
échapperoit pas , Hercule y fuccomberoit.
Je ferai plus fage qu'Ulyffe & moins fragile
qu'Hercule . Oui , je vous prouverai que
le feul plaifir d'aimer peut tenir lieu de
tous les plaifirs. Vous êtes charmant , lui
dit-elle , & je puis me flatter d'avoir un
amant unique ; je ne crains qu'une chofe ,
c'eft que votre amour ne s'affoibliffe par la
rigueur . Au contraire , interrompit vivement
Alcibiade , il n'en fera que plus ardent.
Mais , mon cher enfant , vous êtes
jeune , il eft des momens où l'on n'eft pas
maître de foi , & je crois votre fidélité bien
hafardée , fi je vous livre à vos defirs.
Soyez tranquille , Madame : je vous réponds
de tout . Puifque je puis vaincre mes
defirs auprès de vous , auprès de qui n'en
ferai- je pas le maître. Vous me promettez
du moins que s'ils deviennent trop preffans
vous m'en ferez l'aveu . Je ne veux
point qu'une mauvaiſe honte vous retienne.
Ne vous piquez pas de me tenir parole,
il n'eft rien que je ne vous pardonne plutôt
qu'une infidélité. Oui , Madame , je
vous avouerai ma foibleffe de la meilleure
foi du monde , quand je ferai prêt d'y fuccomber:
mais laiffez - moi du moins éprouver
mes forces : je fens qu'elles iront encore
loin , & j'efpere que l'amour m'en
donnera de nouvelles . La prude étoit
A vi
12 MERCURE
DE FRANCE.
furieufe , mais fans fe démentir elle ne
pouvoit fe plaindre , elle fe contraignit
encore , dans l'efpoir qu'à une nouvelle
épreuve Alcibiade fuccomberoit. Il reçut
le lendemain à fon réveil un billet conçu
en ces termes : « J'ai paffé la plus cruelle
» nuit , venez me voir . Je ne puis vivre
» fans vous .
Il arrive chez la prude. Les rideaux des
fenêtres n'étoient qu'entr'ouverts un jour
tendre fe gliffoit dans l'appartement à tra
vers des ondes de pourpre. La prude étoit
encore dans un lit parfemé de rofes. Venez,
lui dit- elle d'une voix plaintive , venez
calmer mes inquiétudes . Un fonge affreux
m'a tourmentée cette nuit , j'ai cru vous
voir aux genoux d'une rivale. Ah j'en frémis
encore ? Je vous l'ai dit Alcibiade , je
ne puis vivre dans la crainte que vous ne
foyez infidelle , mon malheur feroit d'autant
plus fenfible que j'en ferois moi-même
la caufe , & je veux du moins n'avoir rien
à me reprocher. Vous avez beau me promettre
de vous vaincre ; vous êtes trop
jeune pour le pouvoir long- tems, Ne vous
connois-je pas je fens que j'ai trop exigê
de vous , je fens qu'il y a de l'imprudence
& de la cruauté à vous impoſer une loi fi
dure. Comme elle parloit ainfi de l'air du
monde le plus touchant , Alcibiade fe jetta
?
SEPTEMBRE . 1755 13
:
à fes pieds je fuis bien malheureux , lui
dit- il , Madame , fi vous ne m'estimez pas
affez pour me croire capable de m'attacher
à vous par les feuls liens du fentiment !
Après tout de quoi me fuis - je privé ? de ce
qui deshonore l'amour. Je rougis de voir
que vous comptiez ce facrifice pour quelque
chofe. Mais fut- il auffi grand que vous
vous l'imaginez , je n'en aurai que plus de
gloire. Non , mon cher Alcibiade , lui dit
la prude , en lui tendant la main , je ne
veux point d'un facrifice qui te coûte , je
fuis trop fure & trop flattée de l'amour pur
& délicat que tu m'as fibien témoigné.
Sois heureux , j'y confens . Je le fuis , Madame
, s'écria- t-il , du bonheur de vivre
pour vous , ceffez de me foupçonner & de
me plaindre , vous voyez l'amant le plus
fidele , le plus tendre , le plus refpectueux ...
& le plus fot , interrompit- elle , en tirant
brufquement fes rideaux , & elle appella
fes efclaves. Alcibiade fortit furieux de
n'avoir été aimé que comme un autre ,
bien réfolu de ne plus revoir une femme
qui ne l'avoit pris que pour fon plaifir. Ce
n'eft pas ainfi , dit- il , qu'on aime dans l'âge
de l'innocence , & fi la jeune Glicérie
éprouvoit pour
pour moi ce que fes yeux femblent
me dire , je fuis bien certain que ce
feroit-là de l'amour pur.
&
14 MERCURE DE FRANCE.
Glicérie dans fa quinzieme année , atti
roit déja les voeux de la plus brillante jeuneffe.
Qu'on imagine une rofe au moment
de s'épanouir , tels étoient la fraîcheur &
l'éclat de fa beauté.
Alcibiade fe préfenta & fes rivaux fe
diffiperent. Ce n'étoit point encore l'ufage
à Athènes de s'époufer pour fe haïr & pour
fe méprifer le lendemain , & l'on donnoit
aux jeunes gens avant l'hymen , le loifir de
fe voir & de fe parler avec une liberté décente.
Les filles ne fe repofoient pas fur
leurs gardiens du foin de leur vertu . Elles
fe donnoient la peine d'être fages ellesmêmes.
La pudeur n'a commencé à combattre
foiblement , que depuis qu'on lui a
dérobé les honneurs de la victoire. Celle
de Glicérie fit la plus belle défenfe . Alcibiade
n'oublia rien pour la furprendre out
pour la gagner. Il loua la jeune Athénienne
fur fes talens , fes graces , fa beauté , il
lui fit fentir dans tout ce qu'elle difoit
une fineffe qu'elle n'y avoit pas mife , &
une délicateffe dont elle ne fe doutoit pas.
Quel dommage qu'avec tant de charmes ,
elle n'eut pas un coeur fenfible ! je vous
adore , lui difoit- il , & je fuis heureux fi
vous m'aimez. Ne craignez pas de me le
dire , une candeur ingénue eft la vertu de
votre âge , on a beau donner le nom de
រ
SEPTEMBRE. 1755 1-8
prudence à la diffimulation , cette belle
bouche n'eft pas faite pour trahir les fentimens
de votre coeur : qu'elle foit l'organe
de l'amour , c'eft pour lui -même qu'il l'a
formée. Si vous voulez que je fois fincere,
lui répondit Glicérie , avec une modeſtie
mêlée de tendreffe , faites du moins que je
puiffe l'être fans rougir Je veux bien ne
pas trahir mon coeur , mais je veux auffi ne
pas trahir mon devoir , & je trahirois l'un
ou l'autre fi j'en difois davantage. Glicérie
vouloit avant de s'expliquer , que leur
himen fut conclu . Alcibiade vouloit qu'elle
s'expliquât avant de penfer à l'himen.
Il fera bien tems , difoit- il de m'affurer
de votre amour , quand l'himen vous en
aura fait un devoir , & que je vous aurai
réduite à la néceffité de feindre. C'eſt
aujourd'hui que vous êtes libre , qu'il feroit
flateur pour moi d'entendre de votre
bouche l'aveu défintéreffé d'un fentiment
naturel & pur. Hé bien , foyez content , &
ne me reprochez plus de n'avoir pas un
coeur fenfible : il l'eft du moins depuis que
je vous vois. Je vous estime affez pour vous
confier mon fecret , mais à préfent qu'il
m'eft échappé , j'exige de vous une complaifance
, c'eft de ne plus me parler tête à
tête , que vous ne foyez d'accord avec ceux
dont je dépends. L'aveu qu'Alcibiade ve16
MERCURE DE FRANCE.
noit d'obtenir , auroit fair le bonheur d'un
amant moins difficile , mais fa chimere
l'occupoit. Il voulut voir jufqu'au bout
s'il étoit aimé pour lui -même. Je ne vous
diffimulerai lui dit-il , que
pas ,
la démarche
que je vais faire peut avoir un mauvais.
fuccès. Vos parens me reçoivent avec une
politeffe froide que j'aurois pris pour un
congé , fi le plaifir de vous voir n'eut vaincu
ma délicateffe ; mais fi j'oblige votre
pere à s'expliquer , il ne fera plus tems de
feindre . Il eft membre de l'Aréopage , Socrate
, le plus vertueux des hommes , y eft
fufpect & odieux : je fuis l'ami & le difciple
de Socrate , & je crains bien que la
haine qu'on a pour lui , ne s'étende jufqu'à
moi . Mes craintes vont trop loin peut-être ;
mais enfin , fi votre pere nous facrifie à fa
politique , s'il me refufe votre main ; à
quoi vous déterminez - vous . A être malheureuſe
, lui répondit Glicérie , & à céder
à ma deftinée. Vous ne me verrez donc
plus ? Si l'on me deffend de vous voir , il
faudra bien que j'obéiffe . Vous obéïrez
donc auffi , fi l'on vous propofe un autre
époux ? Je ferai la victime de mon devoir.
Et par devoir vous aimerez l'époux qu'on
vous aura choifi ? Je tâcherai de ne le
point haïr ; mais quelles queftions vous
me faites ? Que penferiez - vous de moi
SEPTEMBRE. 1755. 17
j'avois d'autres fentimens ? Je penferois
que vous m'aimez. Il eft trop vrai que je
vous aime. Non , Glicérie , l'amour ne
connoît point de loi ; il eft au- deffus' de
tous les obftacles ; mais je vous rends juf
tice , ce fentiment eft trop fort pour votre
âge , il veut des ames fermes & courageufes
que les difficultés irritent & que les revers
n'étonnent pas . Un tel amour eft rare
je l'avoue . Vouloir un état , un nom , une
fortune dont on difpofe , fe jetter enfin
dans les bras d'un mari pour fe fauver de
fes parens , voilà ce qu'on appelle amour ,
& voilà ce que j'appelle defir de l'indépendance.
Vous êtes bien le maître , lui
dit-elle , les larmes aux yeux , d'ajouter
l'injure au reproche. Je ne vous ai rien dit
que de tendre & d'honnête. Ai-je balancé
un moment à vous facrifier vos rivaux ?
Ai-je hésité à vous avouer votre triomphe?
Que me demandez -vous de plus ? Je vous
demande , lui dit- il , de me jurer une conftance
à toute épreuve , de me jurer que
vous ferez à moi , quoiqu'il arrive , & que
vous ne ferez qu'à moi. En vérité , Seigneur
, c'eft ce que je ne ferai jamais . En
vérité , Madame , je devois m'attendre à
cette réponſe & je rougis de m'y être expofé.
A ces mots , il fe retira outré de colere
, & fe difant à lui -même , j'étois bien
+ MERCURE DE FRANCE.
bon d'aimer un enfant qui n'a point d'ame
& dont le coeur ne fe donne que par avis
de parens.
il y avoit dans Athenes une jeune veuve
qui paroiffoit inconfolable de la perte de
fon époux. Alcibiade lui rendit comme tout
le monde , les premiers devoirs avec le
férieux que la bienféance , impofe auprès
des perfonnes affligées. La veuve trouva
un foulagement fenfible dans les entretiens
de ce difciple de Socrate , & Alcibiade un
charme inexprimable dans les larmes de la
yeuve, Cependant leur morale s'égayoit de
jour en jour. On fit l'éloge des bonnes qualités
du défunt , & puis on convint des
mauvaiſes , c'étoit bien le plus honnête
homme du monde ; mais il n'avoit précifement
que le fens commun. Il étoit affez
bien de figure , mais fans élégance & fans
grace ; rempli d'attentions & de foins ,
mais d'une affiduité fatigante. Enfin , on
étoit au défefpoir d'avoir perdu un fi bon
mari ; mais bien réfolue à n'en pas prendre
un fecond. Eh ! quoi , dit Alcibiade , à
votre âge, renoncer à l'himen ! Je vous
avoue , répondit la veuve , qu'autant l'eſclavage
me répugne , autant la liberté m'effraye.
A mon âge , livrée àmoi- même , &
ne tenant à rien , que vais-je devenir ? Alcibiade
ne manqua pas de lui infinuer
SEPTEMBRE . 1755. 19
qu'entre l'esclavage de l'himen & l'abandon
du veuvage , il y auroit un milieu à
prendre , & qu'à l'égard des bienféances ,
rien au monde n'étoit plus facile à concilier
avec un tendre attachement. On fut
révoltée de cette propofition . On eut mieux
aimémourir. Mourir dans l'âge des amours
& des graces ! il étoit facile de faire voir
le ridicule d'un tel projet , & la veuve ne
craignoit rien tant que de fe donner des
ridicules. Il fut donc réfolu qu'elle ne
mourroit pas ; il étoit déja décidé qu'elle
ne pouvoit vivre , fans tenir à quelque
chofe , ce quelque chofe devoit être un
amant , & fans prévention elle ne connoiffoit
point d'homme plus digne qu'Alci
biade de lui plaire & de l'attacher . Il redoubla
fes affiduités , d'abord elle s'en plaignit
, bientôt elle s'y accoutuma , enfin elle
y exigea du miftere , & pour éviter les im
prudences , on s'arrangea décemment.
Alcibiade étoit au comble de fes voeux.
Ce n'étoit ni les plaiſirs de l'amour , ni les
avantages de l'hymen qu'on aimoit en lui ;
c'étoit lui - même ; du moins le croyoit-il
ainfi . Il triomphoit de la douleur , de la
fageffe , de la fierté d'une femme qui n'exigeoit
de lui que du fecret & de l'amour.
La veuve de fon côté s'applaudiffoit de
tenir fous fes loix l'objet de la jaloufie de
20 MERCURE DE FRANCE.
1
toutes les beautés de la Grece. Mais com
bien peu de perfonnes fçavent jouir fans
confidens ! Alcibiade amant fecret , n'étoit
qu'un amant comme un autre , & le plus
beau triomphe n'eft flatteur qu'autant qu'il
eft folemnel. Un auteur a dit que ce n'eft
pas tout d'être dans une belle campagne ,
fi l'on n'a quelqu'un à qui l'on puiffe dire,la
belle campagne! La veuve trouva de même
que ce n'étoit pas affez d'avoir Alcibiade
pour amant , fi elle ne pouvoit dire à quelqu'un
, j'ai pour amant Alcibiade. Elle en
fit donc la confidence à une amie intime
qui le dit à fon amant , & celui - ci à toute
la Grece. Alcibiade étonné qu'on publiât
fon aventure , crut devoir en avertir la
veuve qui l'accufa d'indifcrétion . Si j'en
étois capable , lui dit-il , je laifferois courir
des bruits que j'aurois voulu répandre ,
& je ne fouhaite rien tant que de les faire
évanouir. Obfervons- nous avec foin , évitons
en public , de nous trouver enſemble ,
& quand le hafard nous réunira . Ne vous
offenfez point de l'air diftrait & diffipé
que j'affecterai auprès de vous. La veuve
reçut tout cela d'affez mauvaife humeur.
Je fens bien , lui dit-elle , que vous en
ferez plus à votre aife : les affiduités , les
attentions vous gênent , & vous ne demandez
pas mieux que de pouvoir voltiger.
f
SEPTEMBRE . 1755 28
Mais moi , quelle contenance voulez-vous
que je tienne. Je ne fçaurois prendre fur
moi d'être coquette : ennuyée de tout en
votre abfence rêveufe & embarraſſée
,
auprès de vous , j'aurai l'air d'être jouée ,
& je le ferai peut- être en effet. Si l'on eſt
perfuadé que vous m'avez , il n'y a plus
aucun remede , le public ne revient pas.
Quel fera donc le fruit de ce prétendu
miftere. Nous aurons l'air , vous , d'un
amant détaché , moi , d'une amante délaiffée.
Cette réponſe de la veuve furprit Alcibiade
, la conduite qu'elle tint acheva de
le confondre . Chaque jour elle fe donnoit
plus d'aifance & de liberté. Au fpectacle ,
elle exigeoit qu'il fut affis derriere elle ,
qu'il lui donnât la main pour aller au Temple
, qu'il fut de fes promenades & de ſes
foupers. Elle affectoit fur- tout de fe trouver
avec fes rivales , & au milieu de ce
concours elle vouloit qu'il ne vit qu'elle.
Elle lui commandoit d'un ton abfolu , le
regardoit avec miftere , lui fourioit d'un
air d'intelligence , & lui parloit à l'oreille
avec cette familiarité qui annonce au public
qu'on eft d'accord. Il vit bien qu'elle
le menoit partout , comme un efclave enchaîné
à fon char . J'ai pris des airs pour
des fentimens , dit-il , avec un foupir , ce
n'eſt pas moi qu'elle aime , c'eſt l'éclat do
22 MERCURE DE FRANCE.
ma conquête ; elle me mépriferoit , fi elle
n'avoit point de rivales . Apprenons- lui que
la vanité n'eft pas digne de fixer l'amour.
On donnera la fuite le mais prochain.
A SA MAJESTE
LE ROI DE POLOGNE ,
Sur la ftatue du Roi de France ; qu'il a
fait ériger à Nancy.
ROME de fes héros & de fes Empereurs ,
Par le marbre ou l'airain fe retraçoit l'image :
Et celle de LOUIS , outre cet avantage ,
Eft gravée au fond de nos coeurs.
Par vos foins on la voit dans l'heureuſe contrée ,
Où vous avez du ciel fait revenir Aftrée :
Mais , Grand Roi , quel feroit notre contentement
S'ils n'étoient pas bornés à ce feul monument !
Sans craindre qu'un Monarque auffi bon que le
nôtre ,
Puiffe jamais être jaloux
Des fentimens qu'on a pour vous ;
Auprès de fa ftatue on voudroit voir la vôtre .
Par la Muſe Limonadiere , ce 28 Fuillet
1755.
SEPTEMBRE . 1755. 23
LES SOUHAITS.
UNN tourtereau ,
Perché fur un rameau ,
Attendoit le retour de fa chere compagne
Qui butinoit encor dans la campagne.
Cet amoureux oiſeau
Par fes gémiffemens exprimoit les allarmes
Dont fon coeur étoit agité .
Philis en répandit des larmes :
Tout attendrit une jeune beauté
Abſente de l'objet qu'elle aime.
Grands Dieux ! quelle félicité ,
Dit-elle , fi Tircis penfoit à moi de même !
A peine elle eut fini ces mots ,
Que le plus tendre des moineaux
A fes yeux careffa fon aimable femelle
Cent & cent fois en un moment ;
Amour , s'écria cette belle ,
En voyant leurs tranſports & leur raviffement
Ah ! fais que mon amant ,
Si tu veux que je fois à ton culte fidele ,
Imite abfent le tourtereau ,
Et qu'après fon retour il devienne moineau.
LA DOUCE VENGEANCE.
Dormons, difoit Cipris, au Dieu Mars fon amant ,
Avec un ton de voix charmant ;
24 MERCURE DE FRANCE .
Dormons : la nuit acheve fa carriere ,
J'apperçois déja la lumiere.
Vous vous trompez , non , ce n'eft pas le jour ;
L'éclat que vous voyez , dit Mars avec tendreſſe ,
Vient de vos yeux , belle Déeffe ;
C'est l'ouvrage de mon amour .
Ah ! réprit auffi - tôt la Reine de Cithere :
S'il eft bien vrai , cher amant , vengeons - nous,
En rendant cette nuit fi brillante , fi claire ,
Que l'indifcret Phébus en devienne jaloux.
Ces deux pieces font de M. de Beuvri.
VERS
A Mile C. Le jour de S. Louis fa fête , en
lui envoyant un petit panier couvert, dans
lequel il y avoit des pêches , & un bouquet
à la queue duquel étoient enchaînés fix
ferins , avec des faveurs.
CHargés des dons de Pomone & de Flore ,
Nous venons , députés de l'ifle de Paphos ,
Vous offrir , timides oiſeaux ,
Des fleurs , que les zéphirs pour vous ont fait
éclorre :
Ouvrez ! ne craignez point notre légereté ,
Nul de nous ne fera volage.
Peut-on ne pas chérir ſon eſclavage ,
Quand c'est pour vous qu'on perd la liberté ?
* Lefoleil en éclairant les plaiſirs de Mars & de
Venus , les fit furprendre par Vulcain.
SUITE
SEPTEMBRE. 1755. 25
SUITE
DE L'ESTIME DE SOI - MESME
Ou l'art d'augmenter celle des autres ,
Par M. de Baftide.
>
Es hommes naiffent avec deux foibleffes
contradictoires , la jaloufie aveugle
& l'admiration rapide . Ces foibleffes
ont donné le mouvement au monde , tel
qu'il eft aujourd'hui . On les fait aifément
naître dans le même jour ; la nuance qui
les fépare eft prefque imperceptible. Il eft
toujours heureux de finir par être l'objet
de la derniere , mais on a rifqué de n'y
pas parvenir ; & fi cela fut arrivé , on
reftoit bien loin du dégré d'eftime , de
fortune , ou d'élévation que l'on devoit
attendre de fon mérite.
Il eſt un moyen d'affurer à fon ambition :
tout le fuccès qu'elle s'eft promis , c'eſt l'art
de fe faire valoir. Cet art paroît être partout,
aujourd'hui que les vices ont pris tant de crédit.
En effet , combien de gens réuffiffent , qui
n'auroient pas même ofe former des defirs,
fi le mérite étoit la feule clef des fuccès de ›
l'ambition. Soupleffes , trahifons , fauffes
confidences , faux fervices , fauffes louanges
, tous moyens heureux mais infâmes .
B
26
MERCURE DE FRANCE.
Cet art eft un crime, & fes motifs toujours
découverts font tôt ou tard le châtiment
de l'homme coupable qui les a lâchement
employés.
L'art dont je parle , & dont je vais effayer
de donner des leçons , eft toujours
innocent , & réuffit toujours mieux ; il
affure l'eftime des hommes fans laquelle il
n'eft point de vrai bonheur ; il n'eft jamais
un fujet de reproches pour le coeur même
le plus délicat ; tous les plaifirs qu'il procure
font vrais , on y trouve la fatisfaction
inexprimable d'être l'auteur du dégré de
confidération auquel on eft parvenu , on y
trouve encore le plaifirflateur d'être agréa
ble aux hommes en leur faifant fentir une
admiration tendre qui ne va jamais fans
leur attachement , & qui ne peut jamais être
fans plaifir pour eux.
En quoi confifte cet art fi utile & fi favorable
? fuffit-il d'être né avec du mérite &
d'éviter la modeftie pour le pofféder ? Eftce
en faifant adroitement valoir les autres
que l'on parvient à fe faire valoir ? Négliger
fes intérêts , paroître ignorer ce que
l'onvaut , être doux , careffant , docile ,
donner modeftement un confeil , demander
un avis avec cet air touchant qui fait
entrer la fimpatie dans le coeur de celui
qu'on confulte 3 montrer une fermeté noble
SEPTEMBRE . 1755. 27
lans toutes les occafions de concurrence &
le difpute où la gloire eft intéreffée ; doner
à tout ce que la vanité fait dire ou enreprendre
l'air de cette gloire fi refpectale
, dans laquelle les hommes les plus
vains ont toujours trouvé tant d'excufes ;
adoucir cet air par un regret apparent de
n'avoir pas pû éviter d'agir & de ne pouvoir
plus reculer ; être honnête dans la
concurrence & modefte dans le triomphe.
Eft- ce là l'art de fe faire valoir ? Il n'eft
point dans toutes ces chofes féparées ; il ſe
forme de toutes.
La modeſtie eſt une qualité refpectable ,
mais elle eſt le terme des avantages que le
mérite a droit de fe promettre dans le monde.
Une froide eftime eft tout ce que les
hommes lui accordent. Pour réuffir , il faut
s'annoncer & attirer les regards à foi . Le
monde, en cela , eft une image des fociétés
particulieres où l'homme le plus diftingué
par le mérite n'aura bientôt aucune forte
de diftinction , fi de tems en tems il ne fe
renouvelle dans les efprits , en y renouvellant
fa réputation par quelque trait de fa
vanité. Tout le monde fçait que ce n'eft
que fur la fin de fa vie que l'immortel
Corneille eut une penfion de Louis XIV .
Ce grand Roi aimoit pourtant à récom
penfer, & il y penfoit de lui- même ; mais
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
il étoit entouré de poëtes plus courtifans ,
qui rempliffoient fes oreilles du bruit de
leur génie & le trop modefte Corneille
laiffoit parler le fien.
Il est donc abfolument néceffaire de fe
montrer aux hommes fous un jour qui les
frappe , lorfque l'on veut repréfenter fur
la icene du monde. Mais les nuances qui
doivent former cet éclat , font délicates
difficiles à réunir , plus difficiles à placer.
Les hommes accordent volontiers leur admiration
, mais le mépris , la jaloufie & la
haine font le prix du defir de l'obtenir , fi
l'on n'a pas un cetain art de la faire naître ,
même en la méritant.
Parler trop fouvent de foi , en parler
trop bien , avoir l'air de fe careffer en fe
louant , fe louer dans des chofes que le
public a vu d'un oeil prévenu , attaquer la
réputation d'un homme eftimé pour affurer
la fienne , ce feroit choquer les hommes ,
trop préfumer de leur caprice, de leur foibleffe
ou de leur injuftice , & rifquer évidemment
de fe ruiner dans leur efprit , au
lieu de s'y bien établir. Mais fuivant les
circonftances dire de foi le bien que les
autres en ont déja dit , retracer certains
traits qui ont fait généralement honneur ,
ne paroître fe louer que par l'exigence du
cas préfent , prouver ce que l'on peut faire
SEPTEMBRE . 1755. 29
par ce que l'on a fait , &n'en parler que pour
juftifier fa prétention actuelle , voilà le vrai
moyen de le faire valoir. La modeftie nous
fait oublier des hommes , la préfomption
nous en fait hair ; une certaine vanité de
fituation prévient l'inconftance , écarte la
jaloufie , & fait naître la vraie eftime.
Sçavoir faire valoir les autres , eſt un
moyen infaillible de fe faire valoir foimême.
Quelques vains que foient les hommes
, ils ne fe jugent jamais avec affez de
complaifance pour n'avoir befoin que de
leur propre eftime. La voix du coeur fait
taire la voix de l'amour propre. Sçavoir
flatter cette avidité de louanges toujours
plus infurmontable à mefure qu'elle eft
moins véritablement fatisfaite , c'eft s'affurer
du reffort général qui fait mouvoir tous
les hommes , c'eft avoir trouvé l'art de
maîtriſer l'efprit & le coeur.
Le feul defir de plaire indique mille
moyens de flatter leur vanité , mais il eft
dangereux de n'en pas fçavoir régler l'ufage
, s'ils vous voyent trop frappés de leur
mérite , ils ne le feront plus du vôtre , il
faut fçavoir s'arrêter dans la louange comme
dans la plaifanterie. Les hommes font
naturellement ingrats. Ils haïffent qui ne
les loue pas affez , ils méprifent qui les
trop. Un homme d'efprit que l'on
loue
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
connoîtra pour n'être point louangeur &
pour avoir un goût très- difficile fera für
de s'être fait autant d'amis qu'il y aura de
perfonnes dans un cercle qu'il aura diftinguées.
On fe parera complaifamment de
cette diftinction , moins parce qu'elle fera
flatteufe par elle -même , que parce qu'on
la devra à un homme qui n'eft pas dans
l'habitude de flatter , & fi l'on eft contrarié
dans l'opinion qu'on aura prife de la qualité
dont on aura été loué , on dira M. un
tel m'en a fait compliment . Ce M. un tel
pourtant , cité comme un oracle , ne fera
qu'un homme de goût comme tant d'autres
; il n'aura rien fait que de très-fimple
en louant ce qui étoit bien & fe taifant fur
qui ne méritoit pas d'être loué , mais
c'eft que ce qui eft très- fimple devient trèsméritoire
& très- confidérable , lorfqu'on
a fçu fe faire une réputation .
Négliger fes intérêts , eft encore un de
ces moyens de fe faire valoir qu'on ne doit
employer qu'avec prudence. Il réuffit alors
parfaitement. Je fuppofe un homme d'efprit
aux prifes, dans une converſation , avec
un fat déja prefque vaincu ; que cet homme
fi fupérieur par le mérite & par l'avantage
actuel , renonce à fa victoire , qu'il
paroiffe avoir épuifé fes reffources en faifant
finir la difpute par un filence qui laifSEPTEMBRE.
1755. 31
que
fe la question indécidée ; tout le monde
admirera fa modération , & elle lui fera
plus d'honneur que fon triomphe ne lui en
eut fait. Mais pour pouvoir montrer fans
danger une pareille générofité , il faut
les fpectateurs connoiffent votre fupériorité
, & vous rendent juftice , il faut encore
& non moins neceffairement, que l'objet
de la difputé ne foit pas effentiel par
lui-même , & que votre défaite ou votre
victoire n'intéreffe que votre vanité. Si au
contraire de l'une ou de l'autre dépendoit
l'intérêt de votre gloire ou de celle de votre
ami , négliger vos avantages , ce feroit
mériter que l'on doutât de votre efprit , ou
qu'on vous accufât d'ignorer ce que l'on
doit à ſon ami ou à foi même.
Cette regle s'étend à la douceur , à la
docilité , &c. qualités qui nous rendent
tous les hommes favorables , lorfque nous
fçavons les montrer avec art, & qui peuvent
au contraire nous faire un tort confidérable
dans leur efprit , fi cet art précieux
n'en regle pas l'ufage .
Un honnête homme , qui vient vous
demander un confeil , mérite que l'attention
de ne pas bleffer fon amour propre
foit votre premier foin. Il est toujours humiliant
d'être contraint à s'éclairer des lumieres
des autres ; demander un confeil
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
7
c'eft faire l'aveu d'un befoin. Donner un
confeil eft donc faire une action par laquelle
votre vanité agit en quelque forte
contre l'amour propre de celui à qui vous
le donnez ; fi vous ne lui paroiffez pas
modefte , vous lui paroîtrez impertinent ,
vous ferez l'objet de fa haine immédiatement
après avoir été l'objet de fa confiance
; mais fi au contraire vos lumieres fe
cachent fous un air de modeftie , fi en le
confeillant vous paroiffez plus flaté du fervice
que vous pouvez lui rendre que de
l'honneur qu'il vous aura fait , fa vanité ·
reconnoiffante vous tiendra compte d'un
ménagement indifpenfable comme d'un
bienfait volontaire ; vous obtiendrez fon
amitié par votre confeil , & fon eftime par
votre procédé.
Il eft auffi néceffaire de demander un
confeil avec dignité , que de le donner
avec modeftie. On prévient l'injuftice de
la vanité en confultant avec un air touchant
, toujours affez flatteur pour contenir
l'orgueil qui voudroit agir . Celui qui
confulte a un fervice à obtenir & une offenfe
à éviter ; un fervice , parce qu'un bon
confeil donné avec cet air de ménagement
qui vient de la confidération , porte naturellement
ce nom ; une offenfe , parce que
l'homme naturellement vain abufe aifé-
1
SEPTEMBRE . 1755. 33
ment des fervices qu'il rend , & les tourne
toujours en offenfe lorfque la façon de les
demander n'a pas quelque chofe d'impofant
qui lui imprime la confidération. On
eft für d'obtenir l'un & d'éviter l'autre
par
l'art de demander .On réuffira même au -delà
de fes efpérances , fi l'on fçait tirer de cet art
tout ce que l'on peut en attendre . Celui
que vous confulterez , forcé à vous ſuppofer
de la nobleffe à proportion que vous en
aurez montré , jugera de fon mérite & de
votre eftime pour lui par votre démarche
qui les mettra dans tout leur jour ; fa vanité
careffée ; portera fes idées fur la préférence
que vous lui aurez donnée , & les détournera
du fervice qu'il vous aura rendų ;
il vous chérira , vous estimera , vous refpectera
. La reconnoiffance lui dictera des
remerciemens dont vous verrez facilement
la fincérité. Si dans ce moment vous lui
demandiez les plus grandes preuves de prédilection
, il feroit capable de vous les ac-
-corder & de vous en remercier de même.
Car que ne doit on pas attendre d'un homme
lorfqu'on a fçu flatter fa vanité ?
La plupart des concurrens font ou diffi-
-mulés avec baffefle , ou fermes avec infolence
, & il n'arrive que trop fouvent qu'ils
triomphent par l'un ou l'autre de ces défauts,
mais très - fouvent auffi leur victoire
Bv
34 MERCURE DE FRANCE .
les livre à la haine & au mépris publics.
L'on fent bien que , lorfqu'on demande
une préférence fur un rival , la gloire ne
fouffre pas que l'on manque , par fa faute,
de l'obtenir ; afficher fon ambition , c'eſt
afficher la préfomption fi l'on ne réuffit pas.
Mais pour réuflir n'y a-t- il point de moyens
innocens qui ne foient dangéreux ? Oui ,
fans doute , il en eft , & les voici. C'eſt à
'celui- là feul qui en fçait faire ufage , que
font réfervés le véritable fuccès & la véritable
gloire de réuffit . Que l'on foit ouvert
avec prudence & ferme avec nobleffe , que
l'on paroiffe n'avoir de l'ambition que par
-ce que l'on fe doit à foi- même d'en avoir
lorfqu'on eft fait pour parvenir , que cette
ambition n'ait pas l'air de la prétention ,
que l'opinion que l'on ade foi ne foit point
décélée par certain air de fuffifance , que
l'efpérance feule fe laiffe voir, mais qu'il
•paroiffe que foutenue du defir de la gloire,
elle fuffira pour donner la conftance de fol.
liciter ce que l'on demande, ou de pourſuivre
ce que l'on a entrepris.
Si l'on a pour concurrent un homme
abfolument fupérieur en rang ou en mérite
, on ne fçauroit réparer par trop d'é
gards l'audace de s'être mis à côté de lui ,
mais ces égards dégénéreroient en baſſeffe
s'ils ne laiffoient plus diftinguer cet air de
SEPTEMBRE . 1755. 35
C
réfolution qui marque une ame courageufe
, & qui fçait rendre aux autres ce qui
leur eſt dû fans oublier ce qu'elle fe doit à
elle-même.
Si celui dont on fe voit le rival eft un
homme médiocre mais modefte , s'il paroît
que fon ambition ait pris fa fource dans fa
mauvaiſe fortune , fi fon fort dépend de la
réuffite de fes idées ; le traiter avec humanité,
ne fe montrer à lui qu'avec la moitié
de fes moyens , foutenir fon efpérance en
lui fauvant les preuves de fon infériorité ,
defcendre jufqu'à lui & lui conferver fon
illufion , paroître regretter d'être fon compétiteur
, fans que ce regret ait rien d'humiliant
pour lui ; c'eft avoir le procédé d'un
homme généreux , d'un homme admirable
, d'un homme que tout le monde doit
aimer.
Voilà de fûrs moyens de fe faire valoir.
On les trouvé dans fon coeur lorfque l'on
penfe bien. J'ai pris dans le mien le deffein
de les expofer aux yeux des hommes
pour les tenter s'il eft poffible. Je fuis fûr
d'avoir bien fait , mais aurai- je aſſez bien
dit pour être écouté tout dépend aujourd'hui
de l'art de l'efprit. Un fermon même
eft ennuyeux s'il n'eft agréable ; il n'y a
plus de milieu. La raifon devroit pourtant
avoir confervé quelque privilege ; elle dit
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
toujours des chofes & l'efprit en fait fouvent
fouhaiter. Je fçais que l'efprit est trèsaimable
, & que s'il joignoit à fes agrémens
l'appanage de la raifon , il vaudroit beaucoup
mieux qu'elle ; mais il n'a pas tout ,
ce n'eft prefque qu'une belle fleur ; pourquoi
s'y attacher uniquement le printems
eft bien court ; doit - on vivre fans provifions
pour les autres faifons de l'année ?
Q
VERS
A Madame P ...
Ui voit P ... voit la beauté :
C'eft à cette Divinité
Qu'il appartient de fixer fur fes traces
Les jeux , les ris , les amours & les graces :
Mais on ne peut l'apprécier
Qu'en lui rendant le plus fidele hommage
Elle feule des Dieux eft la parfaite image ;
Elle les repréfente , & les fait oublier. *
>
* Il y a dans les Danaïdes , Tragédie de Gombauld
, un vers qui paroît le modele de ce dernier.
Représente les Dieux , & les fait oublier.
SEPTEMBRE. 1755. 37
EPITRE
A Mr F *** Docteur en Médecine , &
amateur de la Littérature , fur le choix
des livres.
Toujours fondé fur votre complaifance ,
Dont jufqu'ici j'ai fait l'expérience ,
Puis-je , Docteur , par ce nouveau placet ,
Frapper encore à votre cabinet ?
Temple des arts , facré dépofitaire
De la ſcience & du goût littéraire ,
J'y viens cueillir , ( vous me l'avez permis )
Le peu de fleurs dont j'orne mes écrits :
En vain croirois-je , allant à d'autres fources ,
Me procurer de meilleures reffources .
Par-tout ailleurs que trouve un curieux ?
Tout eft obfcène , ou tout eft ennuyeux.
Pour le prouver vous faut- il des exemples ?
J'ouvre à vos yeux deux ou trois de ces temples.
Voyez Damon , ce brillant Adonis ,
Damon vanté parmi nos Erudits ,
Qui joint , dit-on , aux traits de la figure
Ceux d'un génie orné par la culture :
J'entens par tout préconifer fon nom ,
Les belles font les hérauts de Damon :
On le defire ; il va dans les ruelles ,
Toujours porteur d'égayantes nouvelles ,
38 MERCURE DE FRANCE.
Faire briller fes graces , fon efprit ;
C'eſt un oracle : Eh ! d'où vient ? » c'eſt qu'il lit ;
» Me répond-on , il faut voir les volumes ,
» Tous fruits récens des plus fçavantes plumes ,
» Dont il s'est fait un riche magazin
» Rien de plus beau , c'eft de l'exquis , du fin.
Moi qu'on verroit voler juſqu'à la Mecque
Si j'y fçavois une bibliothéque .
Sur ce rapport qui flate mon eſpoir
Je cours chez lui , je m'empreffe à le voir.
Beau maroquin & brillantes dorures ,
Beau caractere , ô les charmans augures !
Oui , le dedans doit répondre au-dehors ,
J'ouvre... que vois - je ? .... & quels font ces tréfors
?
Al.... , les lettres portugaifes ,
D ... S *** & mille autres fadaifes :
Lubrique amas des plus honteux recucils ,
De la pudeur , redoutables écueils ,
Damon , tranquille au milieu d'eux , le joue ,
Et puife là ces beaux talens qu'on loue ,
Ses complimens , fes contes , fes bons mots.
Quel répertoire ! Amathonte , Paphos ,
Etes-vous donc l'école favorite ,
Où de nos jours s'acquiert le vrai mérite ?
Un laid Satyre , un Priape laſcif ,
Dignes objets d'un regard peu craintif,
Te font , Damon , admirer leurs grimaces ,
Et tu profcris les Muſes & les Graces ,
SEPTEMBRE. 1755. 39
Comme beautés indignes de ton foin.
Moi , je les cherche ....Adieu , voyons plus loin
Si plus heureux enfin je les découvre.
Ici , Docteur , un fecond temple s'ouvre
Eraſte habite en ces paifibles lieux ;
C'eft de Thémis un Prêtre ſtudieux ;
Que des neuf foeurs on croit auffi l'éleve ,
Si le palais , par quelque courte treve ,
Sufpend par fois fes travaux journaliers ,
Des lys qu'il quitte il va fous les lauriers ,
Près d'Apollon paffer de doux quarts-d'heure .
Je pourrai donc .... quel vain eſpoir me leurre !
Rongés des vers , mille auteurs découfus ,
Sont pêle- mêle en ces lieux étendus.
Que m'offrent-ils ? d'infipides matieres ,
C'eſt du barreau les antiques lumieres ,
Un froid Bertaud , un énorme Cujas.
O ciel ! où donc ai-je adreffé mes pas ?
Je pourfuivois Minerve en ces retraites ;
Qu'y rencontrai- je ? un hydre à mille têtes.
Des ais poudreux foutiennent fes noirs flancs ,
Et la chicane occupe tous les
rangs.
Ses louches yeux fatiguent ma paupiere ,
Elle mugit , je recule en arriere ,
Et curieux de plus rares tréſors ,
Je vais ailleurs tenter d'autres efforts.
La fcene encore , Docteur , change de face:
de grace .... Entrons ici , fuivez mes pas ,
40 MERCURE DE FRANCE.
Où vous conduis - je ? .... où vais - je ... Nons
voilà.
Précipités de Carybde en Scylla ,
Philinte y loge : hériffé philoſophe ,
Fort fur l'ergo , jugez de quelle étoffe
Sont les recueils qui tombent fous mes mains.
C'eft Epicure , & ſes atômes vains ;
C'eft Ariftote avec le fillogifme ,
Je prens la fuite à l'aſpect du ſophiſme ;
Et je crains trop , éleve de Clio ,
D'être écrasé fous un in-folio.
Epris d'amour pour la littérature ,
J'en viens chercher chez vous la fource
Ainfi l'abeille aux ftériles vallons ,
Ne rencontrant que ronces & chardons ,
Pour fon goût fin toutes plantes ameres ,
Prend fon effor vers ces rians pafterres.
Beaux lieux où Flore , étalant fes appas ,
Offre à fon choix des fucs plus délicats .
Ces belles fleurs que l'abeille cajole ,
De vos trésors , ami , font le ſymbole.
L'hiftorien avec le traducteur ;
Là le poëte , & plus loin l'orateur
Compofent tous , arrangés dans leur cafe
Un helicon dont le goût eft la bafe.
Y briguez-vous une place ayez foin
Que vos effais foient marqués à ce coin.
Nouveaux auteurs , dont la race pullule.
Plus des écrits le nombre s'accumule ;
V
pure.
SEPTEMBRE. 1755 45
Et plus auffi dans ce fatras fufpect ,
L'homme lettré fur le choix circonfpect ,
Pefe , compare , examine & difcerne
L'or ancien de ce clinquant moderne ,
Qui féduit l'oeil fans éclairer l'efprit ,
Et que la mode a mis feule en crédit .
Qu'à votre goút tous les goûts foient conformes ,
Bientôt , Docteur , que d'heureufes réformes !
Que de Romans à l'oubli condamnés !
Que d'avortons , que de nains détrônés !
Nains aujourd'hui qui vont fur les toilettes ,
Dans les bureaux , jufqu'aux faintes retraites ,
Effrontément étaler leur orgueil ,
Que favoriſe un général accueil.
Mais puiſqu'en vain à ce torrent rapide
La raiſon veut oppoſer fon Egide ,
Sans déformais chercher à l'affoiblir ,
Bornons nos foins à nous en garantir.
Par M. Li. de Limoges .
42 MERCURE DE FRANCE .
M
falloit
Lettre à l'Auteur du Mercure.
ONSIEUR , j'entre dans le monde,
& je me fuis informé de ce qu'il
pour s'y avancer rapidement . Quatre
chofes , m'a-t-on répondu. Beaucoup de
talent pour voiler la vérité , prefque autant
de goût pour la galanterie , une pointe
de médifance , & par- deffus tout un petit
air de dévotion. Comme je fuis timide
, je n'ai pas ofé me produire fans effayer
à part moi fi je réuffirois . Mais comment
m'y prendre ? Je n'avois jamais fait de
vers ; j'ai imaginé d'en compofer fur les
quatre genres : Ainfi c'eſt la timidité qui
m'a créé poëte , & c'eft beaucoup ; car je
ne croyois jamais pouvoir faire quelque
chofe de cette timidité là. Ce font ces
effais que je vous envoie. Vous n'en prendrez
pour le Mercure que ce qu'il vous
lè
plaira Mais prenez- y garde , Monfieur ,
la chofe eft plus fériqufe que vous ne penfez.
C'eft du genre que vous choiſirez ,
que dépendra le caractere que j'apporterai
dans le monde.
J'ai l'honneur d'être , &c.
G ***
SEPTEMBRE. 1755. 43
STANCES A PHILIS.
Pour l'inviter à venir quelque tems à la
campagne.
ALlons , Philis , dans ces bocages ,
Contempler de nouveaux objets ,
Et fous ces ténébreux feuillages
Inventer de plus doux projets.
Allons , loin du fafte des villes ;
Loin du fiécle , loin des plaiſirs ,
A nos coeurs fimples & dociles
Permettre d'innocens defirs.
Allons ... la nature embellie ,
Par-deffus l'éclat des cités
D'une douce mélancolie ,
Remplira nos coeurs enchantés.
Du repos de ce lieu champêtre
Amour pourra s'autoriſer.
Tout y fert à le faire naître
Ainfi qu'à le favorifer.
44 MERCURE DE FRANCE.
Quand la plaintive tourterelle
Pouffera de tendres accens ,
Ton coeur peut-être apprendra d'elle
Afouffrir des maux que je fens .
Quand le cryftal d'une onde pare
Offrira tes traits dans fon fein ,
Il t'apprendra que la nature
Ne forma pas ces traits en vain.
Ces fleurs même , ces fleurs nouvelles
Nous font fouvenir des inftans :
Elles ne font pas toujours belles ,
Philis ,il n'eft qu'un feul printems.
Le tems , plus léger que l'aurore
S'envole d'un rapide cours :
Rendons-le plus rapide encore ,
En le confacrant aux Amours.
Tous deux de l'ardeur la plus vive ,
Philis , laiffons-nous enflammer :
Tu m'aimeras pour que je vive ,
Et moi je vivrai pour t'aimer.
SEPTEMBRE. 1755 .
45
Ah ! fi ton amour eft durable ,
S'il ne fuit jamais d'autres loix ,
Mon fort eft cent fois préférable
Au fort brillant des plus grands Rois.
D'une félicité plus pure
Les Dieux goûtent- ils la douceur ?
Au- deffous d'eux par ma nature ,
Au- deffus d'eux par mon bonheur.
Quand avec toi mon coeur s'explique ,
Je crois monter au rang des Dieux :
Et fous le toit le plus ruftique
Je trouve près de toi les cieux.
Tout eft divin dans ta perfonne.
M'offres-tu la rouge liqueur ?
Je crois voir Hebé qui me donne
Un nectar rempli de douceur.
M'offres-tu la pomme nouvelle
Pâris fe vit moins honoré :
La fienne étoit à la plus belle ,
La tienne eft au plus adoré .
46 MERCURE DE FRANCE.
Ces fleurs que ta main a choiſie ,
Tu leur donnes mille vertus ;
Ce font celles dont l'ambroifie
Parfument l'autel de Vénus.
'Ah ! que l'amour répand dans l'ame
De fentimens délicieux.
Philis , en brûlant de fa flamme ,
Nous nous rendrons plus chers aux Dieux.
La cour des céleftes Monarques
Nous deftine les plus beaux jours.
Les graces deviennent les parques
Des coeurs confacrés aux Amours.
L'amour , c'est le fil de la vie.
Les plaifirs tiennent le fuſeau ,
L'ivreffe dont elle eft fuivie ,
Philis , c'eft le coup du cifeau,
Veux-tu voir la métamorphofe
D'un mortel au- deffus d'un Roi
Un mot fait mon apothéoſe :
Cher Tircis , mon coeur eft à toi.
SEPTEMBRE. 1755. 47
O DE
Tirée du Pfeaume 100 .
Seigneur , de ta gloire
immortelle
Je veux fonder la profondeur ,
Je veux célébrer la grandeur
De ta clémence paternelle ;
Et ce palais augufte où je fuis adoré ,
Ne fera plus qu'un temple à ton nom confacre
J'éloignerai de ma préſence
L'homme fouillé d'impureté ,
Celui dont le fouffle empefté
Ne refpire que la licence ,
Et qui dans les difcours , infâme féducteur ;
Fait trembler l'innocence , & rougir la pudeur.
J'en bannis les langues traîtreffes.
Tous ces noirs enfans du démon ,
Qui couvrant leur fubtil poifon
De mille fleurs enchantereffes ,
Déchirent leur prochain par des traits acérés ,
Et d'autant plus mortels qu'ils font mieux pré
parés.
48 MERCURE DE FRANCE .
Je ne reconnois , ni n'avoue.
Ce courtifan fuperbe & vain ,
Dont le fafte & le front hautain
Ne cachent qu'une ame de boue ;
Qui n'ayant que fa pourpre à faire refpecter ,
Mépriſe des vertus qu'il ne peut imiter.
Je n'admettrai point à ma table
L'hypocrite ni le trompeur ,
Qui vend & fa langue & fon coeur
Par un commerce déteftable.
Celui dont l'intérêt formant l'unique loi
Sçait trahir fans remords fa parole & ſa foi.
Mais le coeur fervent , l'ame jufte ,
L'ami de l'ordre & de la paix ,
· Celui-là fera pour jamais
L'ornement de ma cour auguſte.
Eclaire-moi , grand Dieu , de ces rayons divins ,
Qui te font difcerner tous les coeurs des humains.
LA
SEPTEMBRE. 1755. 45
LA NAISSANCE DE BACCHUS.
FABL E.
Lorfque le maître du tonnerre
Quitta le céle fte féjour ,
Et vint le livrer fur la terre
Dans les bras de Sémele aux douceurs de l'amour
Il n'étoit point tel qu'à fa cour
Augufte , puiffant & terrible ;
Rien d'humain en lui ne paroiffoit aux yeux ,
que
Et tout ce qu'il porta des cieux ,
Ce fut un coeur tendre & fenfible.
Cependant , quel plus grand honneur !
Que pour une fimple mortelle
Un Dieu faffe de fa grandeur
Un beau facrifice à la belle ,
Qu'il préfere l'étrange faut
Des hommages qu'il vient lui rendre.
A ceux que l'on lui rend là -haut ?
Que pouvoit-elle encore attendre ?
Fatale curiofité !
Elle veut voir la Majeſté
Qui fait que tout l'Olympe adore
Celui qui venoit l'adorer ,
Et fa fierté demande encore
Qu'il vienne à fes yeux s'en parer.
C
Jo MERCURE DE FRANCE.
Que me demandez - vous , cruelle ,
Lui difoit le Dieu confterné ?
Obéiffez , répond Sémele ,
Mon coeur à ce prix feul vous étoit deſtiné.
L'ame de chagrin pénétrée ,
Il quitte ce funefte lieu ,
Et vole au célefte empirée
Transformer le mortel en Dieu.
Un fuperbe éclat l'environne.
Les tonnerres , les feux , les foudres , les éclairs
Qu'il lance du haut de fon trône ,
L'efcortent au loin dans les airs .
Cependant la troupe légere
Des amours , des plaifirs , des jeux ,
Suit en folâtrant , & tempére
Le feu qui brille dans fes yeux,
Que l'ambitieuſe Sémele
Dût s'applaudir de tant d'amour!
Jupiter revient à fa cour
Plus majestueux , plus fidele.
Qu'elle lui paîra de retour !
Mais , grands Dieux ! que vois-je ? qu'en◄
tens-je ? ...
Quel trouble enchaîne tous fes fens !
A ces éclairs éblouiffans
Son beau front eft couvert d'une pâleur étrange ,
Et d'un mortel effroi fon coeur fe fent faifir
Au fein du plaifir.
-
Plus prompt qu'Atalante
SEPTEMBRE 1755 .
Il court retenir
Et
Sa vie expirante.
Sur fa froide amante
Il cueille un foupir
Qu'éteint du defir
La foif dévorante.
Dieux ! par combien d'ardens tranſports ,
par quels baifers tout de flamme
Il cherche à rappeller fon ame ,
Qui déja touche aux fombres bords !
Mais hélas ! une nuit cruelle
Couvre les yeux de cette belle.
De ce funefte Hymen , Bacchus nâquit enfin ,
Charmant , mais dangereux , funefte Dieu du vin ,
De fon pere il reçut l'influence mortelle ,
Des foudres , des éclairs , l'éclat vif & divin ,
C'est ce feu pétillant dont le jus étincelle ,
Qui porte jufqu'au coeur fa douce impreffion ,
Mais le trouble affreux de Sémele ,
C'est celui de notre raison .
EPIGRAMME
CONTRE HERMOGUNE.
On dit par tout , fçavante brune ,
Que vous parlez françois , hébreu , grec & latin.
Quatre langues, grands Dieux ! fans mentir, Hermogune
,
Il faut que contre le prochain
Votre haine foit peu commune :
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
N'étoit- ce donc pas affez d'une
Pour tuer tout le genre humain ?
Nous n'ofons décider le caractere de
l'Auteur fur ces différens morceaux. Les
Stances , l'Ode & la Fable peuvent concourir
à le former. A l'égard de l'épigrammé
, nous jugeons par fa lecture qu'heu
reufement pour lui , il n'eft pas appellé à
la médifance.
Comparaison d'Homere & de Virgile , par
M. l'Abbé Trublet.
Omere eft plus poëte , Virgile eft un
H poëte plus parfait.
Le premier poffede dans un dégré plus
éminent quelques - unes des qualités que
demande la poëfie ; le fecond réunit un
plus grand nombre de ces qualités , & elles
fe trouvent toutes chez lui dans la proportion
la plus exacte .
L'un caufe un plaifir plus vif , l'autre un
plaifir plus doux.
Il est encore plus vrai de la beauté de
l'efprit que de celle du vifage , qu'une forte
d'irrégularité la rend plus piquante.
L'homme de génie eft plus frappé d'Homere
, l'homme de goût eft plus touché de
Virgile.
SEPTEMBRE. 1755. 53
On admire plus le premier , on eftime
plus le fecond.
Il y a plus d'or dans Homere ; ce qu'il y
en a dans Virgile , eft plus pur & plus poli .
Celui - ci a voulu être poëte , & il l'a
pu celui- là ne pouvoit ne le point être.
Si Virgile ne s'étoit point adonné à la
poëfie , on n'auroit peut- être point foupçonné
qu'il étoit très - capable d'y réuffir.
Si , par impoffible, Homere, méconnoiffant
fon talent pour la poëfie , eût d'abord travaillé
dans un autre genre , la voix publique
l'auroit bientôt averti de fa méprife
ou peut - être feulement de fa modeftie :
on lui eût dit qu'il étoit capable de quelque
chofe de plus.
Homere eft un des plus grands génies
qui ayent jamais été ; Virgile eft un des
plus accomplis.
L'Eneïde vaut mieux que l'Iliade , mais "
Homere valoit mieux que Virgile.
Une grande partie des défauts de l'Iliade
font ceux du fiécle d'Homere ; les défauts
de l'Eneïde font ceux de Virgile.
il y a plus de fautes dans l'Iliade & plus
de défauts dans l'Eneïde.
Ecrivant aujourd'hui , Homere ne feroit
pas les fautes qu'il a faites ; Virgile auroit
encore fes défauts .
On doit Virgile à Homere : On ignore fi
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
celui - ci a eu des modeles , mais on fent
qu'il pouvoit s'en paffer.
Il y a plus de talent & d'abondance
dans Homere , plus d'art & de choix dans
Virgile.
L'un & l'autre font peintres ; ils peignent
toute la nature , & le coloris eft
admirable dans tous les deux ; mais il eft
plus gracieux dans Virgile , & plus vif
dans Homere.
Homere s'eft plus attaché que Virgile à
peindre les hommes , les caracteres , les
moeurs ; il eft plus moral ; & c'eſt- là à
mon gré , le principal avantage du poëte
grec fur le poëte latin. La morale de Vir
gile eft peut- être meilleure ; & c'eft le mérite
de fon fiécle , l'effet des lumieres acquifes
d'âge en âge : Mais Hamere a plus
de morale , & c'eft en lui un mérite propre
& perfonnel , l'effet de fon tour d'efprit
particulier.
Virgile a farpaffé Homere dans le deffein
& dans l'ordonnance.
Il viendra plutôt un Virgile qu'un Homere.
Nous ne devons point craindre les
que
fautes d'Homere fe renouvellent , un écolier
les éviteroit. Mais qui nous rendra fes
beautés ?
Il me femble que plufieurs des traits de
SEPTEMBRE. 1755. 55
ce parallele pourroient entrer dans celui
de Corneille & de Racine.
ODE
A la Vérité.
DUfein de la voûte azurée
Quel rayon
éblouit mes yeux !
Quelle eft cette vierge facrée ,
Qui vers moi s'élance des cieux ?
A ſon éclat , à cette flamme
Qui pénétre & remplit mon ame
C'eft toi , célefte vérité ;
,
Tu viens me rendre à ta lumière ,
Tu viens brifer fur ma paupiere
Le fceau de la crédulité .
Les rives de l'Inculte Ingrie , ( a )
Tôt ou tard rompent leurs glaçons ;
Tôt ou tard les vents en furie
Laiffent flotter les Alcions.
Le jour ferain qui fuit l'orage ,
Offre enfin l'éclatante image
Du calme fûr où je me voi.
Laiffons la foibleffe au vulgaire ,
Tout change , mon ame s'éclaire ,
Un ciel nouveau s'ouvre pour moi.
(a ) Pays très-froid , conquis par les Suédois fur
les Mofcovites , arrofé par la Nieva.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Je connois enfin ces perfides
Que ma foibleffe ofoit aimer ;
Tandis que leurs coeurs parricides
Ne confpiroient qu'à m'opprimer.
Mon oeil franchit le labyrinthe ,
Où ces coeurs fermés par la crainte ,
Cachent l'enfer & fes fureurs ;
Plus d'égards , le Dieu qui m'éclaire ,
Cruels , pour indigner la terre ,
Vous livre à mes crayons vengeurs .
Parlez , Tyrans de ma foibleffe ,
Vils artifans de mes malheurs ,
N'avez-vous flaté ma tendreffe
Que pour vous nourrit de mes pleurs.
Coeurs ingrats , vous tramiez ma perte,
Lorfque pour vous mon ame ouverte ,
A vous aimer bornoit fes foins ;
Ainfi l'agneau , dès fa jeuneffe ,
Chérit la main qui le careffe
Pour l'immoler à nos beſoins.
Venge-moi , Dieu de l'innocence ,
Toi qui feul moteur des deſtins
Foule à tes pieds l'intelligence ,.
Et les vains projets des humains ,
De ces cruels Punis les crimes ...
SEPTEM BR E. 1755.
57
Que dis-je ces lâches victimes
Sont trop indignes de tes coups :
Je veux moi ſeul venger la terre ;
Grand Dieu , prête- moi ton tonnerre
Et laiffe éclater mon couroux.
Fuffent- ils dans les noirs abîmes ,
Je les pourfuivrai chez les morts.
J'irai leur reprocher leurs crimes ,
Trainer fur leurs pas
les remords.
J'écraferai leur tête altiere ,
Leurs fronts briſés fur la pouffiere
N'outrageront plus les vertus :
Mais qu'eft-il befoin de ta foudre ,
Ton fouffle peut les mettre en poudre ?
Grand Dieu , parle , & qu'ils ne foient plus.
Poinfinet le jeune.
L'Auteur dans fa noble colere , prend
ici le ton du Pfalmifte : L'agneau timide
eft tout à coup transformé en aigle , qui
porte & lance la foudre , on peut dire de
jui ,
Facit indignatio verfum.
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
LES DEUX FOURNEAUX.
FABLE .
A Mme Bourette , ci- devant Mme Curé.
De deux fourneaux , une muraille antique
E
Faifoit la féparation.
Ces fourneaux n'étant point dans la même boutique
,
Ils n'avoient pas non plus la même fonction.
L'un , d'un diftillateur , ( à ce que dit l'hiftoire :)
Servoit à diftiller les charmantes liqueurs.
Sur l'autre , un teinturier dans fon laboratoire
Faifoit bouillir fes diverfes couleurs ,
Dès que les ouvriers avoient fait leur journée ,
Le feu n'exhalant plus ni flamme ni fumée ;
Les fourneaux , à travers le vieux mur mitoyen ,
De converfer enſemble , avoient trouvé moyen :
Celui du teinturier difoit à fon confrere :
Le goût & l'odorat par vos ſoins font flatés ,
Au lieu que de mon miniſtere
L'un & l'autre fouvent le fentent rebutés .
Lors le diftillateur lui répondit : Mon frere ,
Vous avez votre utilité.
Dans moi , le feu par fon activité ,
Des fleurs , des fruits , abforbe la nature ;
SEPTEMBRE. 1755. 59
Mais par vos foins , ainfi que la peinture
Qui fe fait admirer par fon beau coloris ;
Vous faites que les yeux font charmés , éblouis.
Vous femblez donner l'être aux plus aimables
chofes ;
Et même furpaffer par vos métamorphofes ,
L'azur qui brille au ciel , & la neige des lys ,
Et le feu du corail , & le vermeil des rofes.
Lyon , les Gobelins font valoir vos talens .
Vos travaux ont rendu ces endroits opulens.
C'eſt par le ponceau fin , par la riche écarlate
Que leur magnificence éclate.
Ne vous plaignez donc plus. Quant à flater le
goût
Par mes liqueurs délicieuſes ,
A la fanté du corps fouvent pernicieuſes ;
Voilà tout mon mérite Eh ! qui peut avoir tout
On ne joint pas toujours l'utile à l'agréable .
Confolez -vous , l'utile eft toujours préférable :
Cependant , quand on peut les réunir tous deux ,
C'eſt-là ce qui s'appelle avoir un fort heureux.
Oui , dit le Teinturier : c'eſt un double avantage.
Mais vous l'avez fur moi , tel eft votre appanage.
Par le beau coloris de vos douces liqueurs
Vous charmez à la fois & les yeux & les coeurs.
Eh qui joint mieux que vous l'agréable à l'utile ș
Le goût & l'odorat ne me font point la cour ;
Mais ils fuivront toujours celui qui leur diftille
L'eau d'or & le parfait amour.
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Le fourneau d'un Poëte eft fon cerveau fans
doute.
Pour faire quelques vers je fçai ce qu'il m'en
coûte.
Bourette , mieux que moi , vous fentez cette ardeur
,
Dont le fils de Latone enflamme maint auteur.
Ne comparons donc pas nos fourneaux l'un à
l'autre ;
Le mien eft de beaucoup inférieur au vôtre.
J. L. Cappon.
Maître Teinturier , & Bedeau des Saints
Innocens à Paris.
Ces qualités doivent fervir de paffeport
aux vers que l'on vient de lire.
SEPTEMBRE. 1755 61
PENSEES DIVERSES.
LA
A vertu eft de tous les états ; mais la
médiocrité eft en quelque forte fon
élément .
Il ne faut être pas vertueux ni libéral
pour faire du bien aux miférables ; il fuffit
d'être homme.
Le vice traîne avec foi tant de maux ,
que quand la vertu ne ferviroit qu'à nous
en garentir , fon prix devroit paroître infini.
Le dégoût de la vertu ne naît que dans
les coeurs qui ne connoiffent ni la vertu ni
le vice.
C'est une vertu bien équivoque que
celle qui a befoin d'épreuves pour fe fortifier
; un homme vertueux par goût & par
principes , l'eft autant qu'on peut l'être ,
& l'eft pour toute fa vie.
Le mauvais exemple eft à la vertu ce que
la prévention eft à la vérité .
La loi la plus étroite ne gêne point
Phomme vertueux , parce que tout ce qui
eft deffendu lui devient impoffible.
On dit du guerrier : il a fait de grands
exploits ; du fçavant , il a fait de bons ouvrages
; du Légiflateur , il a fait de belles
62 MERCURE DE FRANCE.
conftitutions : l'éloge de l'homme vertueux
eft d'avoir fait le bien.
Le Philofophe définit la vertu & la néglige
; le faux dévôt l'affiche & la rend ridicule
; l'enthoufiafte la prêche & la fait haïr;
l'homme de bien la fuit & en eft le modele
.
Soyez riche , vous n'aurez pas de naiffance
; foyez brave , il vous manquera du
bonheur ; foyez puiffant , vous ne ferez
pas modéré ; foyez vertueux , vous ferez
tout ce qu'il faut être.
L'honneur eft un fouverain defpotique ;
c'eft la divinité du monde entier. Fortune,
fanté , repos , tout lui eft facrifié. Faut - il
l'honneur foit différent de la vertu !
La fageffe diftingue le bien , la vertu le
pratique.
que
Le Jurifconfulte s'applique à pénétrer
l'efprit des Loix ; le Phyficien travaille à
découvrir les fecrets de la nature ; le Théologien
tâche de percer la miftérieuſe obfcurité
des Ecritures ; le Sage cherche à ſe
connoître .
Les auftérités , les jeûnes , les macérations
, &c. ne font bons qu'à compenfer
des excès contraires. Une vie uniforme &
réglée eft la vie de l'homme vertueux.
Les plus grands Princes ne font pas
toujours les meilleurs Rois.
SEPTEMBRE 1755 . 63
Admirer la vertu & en négliger la pratique
, c'eft une contradiction bien étrange
, & néanmoins encore trop rare.
Le zele ne differe de la paffion , qu'en
ce qu'il a un objet louable . Il eſt quelquefois
dangereux , & a fait faire de grandes.
fautes.
Les efprits forts font en fait de religion
ce que font les beaux efprits en fait de
littérature .
Il n'y a qu'un pas du fcrupule à la fuperftition.
Ր
Rien n'eft pire que l'anéantiffement. Du
faîte de la félicité , paffer au comble du
malheur , ce n'eſt que changer de mode
de l'exiſtence , paffer au néant , c'eft perdre
fon effence.
Qui abandonne une Religion pour une
autre , les trahit fouvent toutes deux.
Les moeurs fe forment des impreffions
qu'on reçoit , & s'épurent par les réflexions
qui en naiffent.
Qui cherche le péril eft teméraire ; qui
Je fuit eft lâches qui l'attend & le brave ,
eft courageux.
Il y a peu d'incrédules , mais beaucoup
de gens qui s'étourdiffent ou s'endorment
fur leur croyance.
Toute affectation eft voiſine du ridicule.
Un homme a- t-il de la naiflance , du
64 MERCURE DE FRANCE.
coeur , du bien , de l'eſprit ? Voilà ce qu'on
regarde dans le monde. Mais a- t- il des
mours ? c'eft ce qu'on n'examine guères .
Il en eft des paffions comme des liqueurs
qui entrent dans la compofition de l'homme.
L'équilibre fubfifte- t-il entre ces li-
?
queurs
? le corps
fe porte
bien. Eft- il dé- truit
le corps
fouffre
. De même
tant que
les paffions
demeurent
dans une certaine
affiette
où elles
fe contrebalançent
refpectivement
, l'ame
eft en bon état . Viennent- elles à fe déranger
? l'ame
eft troublée
, &
devient
malheureufe
.
On peut définir le vrai bonheur une
paix de l'ame qui naît du calme des paffions
, & du témoignage d'une bonne confcience
.
La jaloufie eft la marque d'un amour
extrême , ou d'un extrême mépris.
Les
gens de bien
& les
fcélérats
ont
quelque
chofe
de commun
; c'eſt
de mourir
comme
ils ont
vêcu
.
La politeffe n'eft pas un vice ; mais c'eft
le voile & le mafque de prefque tous les
vices.
Qui craint l'avenir , ou regrette le paffé,
jouit mal du préfent.
La folitude eft l'écueil du fçavant , &
l'effroi de l'ignorant ; c'eft l'afile de l'homme
vertueux.
SEPTEMBRE 1755. 65
L'orgueil eft la fource du vice & de la
fauffe vertu .
La vertu qui ne fe prête pas aux ufages
du monde , paffe pour un vice d'humeur ;
le vice qui s'y accommode eft regardé comme
une vertu de fociété.
Entez l'émulation fur un bon naturel ,
fi vous ne voulez pas la voir dégénérer en
envie.
Craignez Dieu ; aimez les hommes ;
défiez-vous de vous-mêmes.
On peignoit autrefois le fentiment ; au
jourd'hui on l'anatomiſe.
La plus aigre cenfure offenfe moins
qu'une raillerie ; on veut bien être fautif ,
vicieux même , mais non pas ridicule.
Qui fe trompe eft homme , qui trompe
eft un monftre .
Les grands titres font des monumens
de la vanité des hommes plutôt que des
témoignages de leur mérite .
Ce qu'on appelle modeftie , n'eft fouvent
qu'un rafinement de l'amour propre
qui quête des louanges en affectant de s'en
deffendre .
Il n'y a de vraiment malheureux què
ceux qui envient le bonheur des autres.
Il y a des gens , mais en petit nombre ,
qui ne font indignes d'une grande fortune,
que parce qu'ils la defirent.
66 MERCURE DE FRANCE.
Les plus grandes fautes dans l'ordre de
la fociété , font celles que l'on commer
contre les devoirs de fon état.
On parle toujours trop quand on parle
mal à
propos.
Les vérités fe tiennent & forment une
efpece de chaîne qu'on ne peut rompre ;
c'eft ce qui a fait dire aux Philofophes que
la vérité eft une.
La crainte naît de l'incertitude ; un péril
affuré ne peut produire que l'heroïfme
eu le defepoir.
Le monde fourmille de fots , & cependant
c'eft l'ufage du monde qui forme les
gens d'efprit.
LE MARIE', Avocat au Parlement.
A M. Chevalier , premier Médecin de fon
Alteffe royale Marie Anne Princeffe de
Saxe , Electrice de Baviere.
EPIT RE
C'En eft donc fait , tu pars , Médecin renommé
,
Toi , que ton feul génie & l'étude ont formé.
Célébre Chevalier , une augufte Princeffe ,
A qui le ciel fit part de ſa haute ſageffe ;
Eprife des talens qu'on voit briller en toi ,
Te ravit aux François , t'appelle près de ſoi .
SEPTEMBRE. 1755. 67
Cours , vole , va fervir cette Princeffe aimable ;
Pour toi fut-il jamais un fort plus defirable ?
Toute jeune qu'elle eft , dans la fleur de ſes ans ,
C'eſt la mere & l'appui des arts & des talens.
Les graces , la beauté font un autre appanage ,
Qu'avec elle en fa cour nulle autre ne partage.
Que de preffans motifs , ô docte Chevalier ,
Pour déployer ici ton fçavoir tout entier !
Mais que dis- je le ciel jaloux de fon ouvrage ,
Sans doute empêchera que le tems ne l'outrage ;
Confervera fes traits , fa fanté , fa fraîcheur.
J'en fais des voeux aux ciel pour elle dans mon
coeur :
Alors tu ne feras que fpectateur ftérile .
Heureux d'être à ce prix ferviteur inutile !
Le pauvre , j'en conviens
, loin de toi fouffrira
,
Et peut-être en fes maux fans fecours périra :
Mais fi la charité , eette vertu féconde ,
Ne fe borne ici - bas qu'aux limites du monde ,
Qu'importe , que ce foit für le pauvre François
Que tombent tes fecours , ou fur le Bavarois.
Le ciel t'ayant donné d'abord l'un pour partage ,
Par de brillans liens avec l'autre t'engage .
Ces peuples fi divers de langage & de lieu ,
* M.Chevalier eft dans l'ufage depuis vingt ans,
de fecourir chaque jour un très - grand nombre de
pauvres dans leur mifere , & de partager fa fortune
avec eux , en leur donnant par charité les remedes
convenables à leurs maux.
68 MERCURE DE FRANCE
Appartiennent tous deux également à Dieu.
Il récompenfera d'une égale couronne
Quiconque de bon coeur à l'un ou l'autre dong
Le Prince & la Princeſſe à qui tu vas donner
Tes talens & tes jours , loin de te condamner
Louront , enflammeront par leur exemple même
Ce penchant que tu tiens de la bonté fuprême.
Vole donc , & que rien n'arrête ici tes pas ,
Mais fouviens- toi de nous en quittant nos climats
Par M. Jouin , Bourgeois de Paris.
L'Auteur m'ayant écrit que la Cour de
Baviere fouhaitoit que cette épitre parut
dans mon recueil , j'ai regardé ce defir
comme un ordre refpectable , & je l'ai
inférée fans l'examiner.
BOUQUET
Préfenté par les Chevaliers de l'Arquebufe
de Brie -Comte - Robert , à M. Paris de
Monmartel , leur Colonel depuis long- tems ,
la veille de la S. Jean 1755 .
Cett
Ette Compagnie fe rendit à Brunoy ,
& après avoir mis pied à terre , elle
alla au nombre de trente fous les armes &
en uniforme au Château. M. de Monmartel
vint au- devant d'elle tenant M. fon fils
par la main. On portoit à la tête fur un
SEPTEMBRE. 1755. 69
brancard , un bouquet en forme de furtout
de deffert , compofé de fleurs de fucre en
paftilles. Aux quatre extrêmités s'élevoient
quatre palmiers formant un cabinet , entrelaffés
de panneaux à la mofaïque. Sous
ce cabinet on voyoit les trois déeffes &
Pâris donnant la pomme à Venus entourée
d'amours voltigeans ; & au-deffus un Mercure
en attitude de la Renommée. Aux
pieds de chaque palmier étoit un génie en
habit uniforme de l'arquebufe avec des
trophées d'armes , chaque génie portoit
une emblême .
Le premier.
C'est en vain qu'aujourd'hui la gémiſſante Aurore
A fait voir les tréfors de la brillante Flore ,
L'attrait éblouiffant d'un éclat paffager
N'offriroit de nos coeurs qu'un tableau trop léger ,
Fleurs , dont l'induftrieux & folide affemblage ,
Du deftructeur de tout redoute moins l'outrage ,
Vous allez devenir aux yeux judicieux
Le fimbole parfait de nos finceres voeux .
Dites au pere , au fils , à l'époufe chérie ,
Que le dernier de nous leur donneroit fa vie
Pour prolonger leurs jours , & les rendre immor
tels ,
Et que tous les defirs de notre Compagnie
Sont d'avoir , en dépit du tems & de l'envie ,
Afa tête des MONMARTELS
70 MERCURE DE FRANCE
Le fecond. Les armes de M. de Monmart
Une pomme d'or. Ces armes font fur
drapeaux de la Compagnie .
La reine de Paphos l'obtint par fa beauté ,
Et toi par tes vertus & par ta probité.
Elle fait notre gloire & nos cheres délices ,
Et brille à tous nos exercices .
Le troisieme. Les armes de la Compagnie.
Par notre attachement , & par tous tes bienfaits ,
Nous goutons des plaifirs vifs & pleins d'inno
cence.
Et pour mieux confacrer la grandeur de fes faits ,
Nous uniffons l'amour à la reconnoiffance.
Le quatrieme. Colonel M. de Monmartel.
Que ce nom nous eft doux ! qu'il nous eft précieux!
Il embellit chez nous la plus petite fête ,
Il nous fait difputer l'honneur de la conquête
Bien plus que le prix de nos jeux.
M. Greban , Capitaine en chef , fit trèsélégamment
un fort beau compliment à
M. de Monmartel , dans lequel il lui demanda
de vouloir bien accorder aux voeux
de la Compagnie , M. fon fils pour Lieutenant-
Colonel . Il fut reçu & inſtallé ſur
le champ , & prêta ferment entre les mains
de M. le Colonel. Un enfant de onze ans ,
fils de M. Dauvergne le jeune , Capitaine. <
SEPTEMBRE. 1755 . 70
Guidon , admis depuis quelque tems dans
la Compagnie , & qui n'avoit pas encore
prêté ferment , le prêta entre les mains de
M. de Monmartel fils , Lieutenant - Colonel
, & lui débita le compliment en vers
libres , qui fuit.
Pour fe ranger , Monfieur , fous votre obéïflance ,
Les liens du ferment paroiffent fuperflus ,
Il ne faut qu'un coeur tout au plus ;
Voici quelle eft ma conféquence.
Quand à la fois on peut unir
Et fon devoir & fon plaifir ,
On goûte une douceur extrême ,
Or dês qu'on vous voit , on vous aime ,
Ainfi l'on doit donc fe tenir
Trop heureux de vous obéir.
Eh ! qui de vous aimer oferoit fe deffendre ?
L'amour en vous formant vous donna ſa beauté ,
un coeur bon , délicat & tendre ,
Ses graces & fa majeſté .
La vertu , qui toujours a guidé votre pere ,
Et qui vous eft héréditaire ,
Dans fon difficile chemin ,
Vous conduit déja par la main ,
Et vous tiendrez de votre mere
La valeur de tous fes ayeux ,
On le voit fur vos traits , on le lit dans vos yeur,
72 MERCURE DE FRANCE.
Pour moi, Monfieur , quel avantage
D'être à l'ombre de vos drapeaux.
Non , la foibleffe de mon âge ,
N'arrêtera pas mon courage
Pour furpaffer tous mes rivaux.
Je vais done confacrer tous les jours de ma vie
Au folide bonheur de vous être attaché ,
Et mon coeur en eft fi touché
Qu'il ne fent que par- là , le ferment qui me lie:
M. le Colonel fit fervir des rafraichiffemens
de toutes efpeces à la Compagnie
elle fut invitée d'affifter à la proceſſion du
feu de la S. Jean , & eut l'honneur d'y
être commandée par M. le Lieutenant-
Colonel. M. de Monmartel a eu la bonté
de marquer beaucoup de fatisfaction , &
un grand nombre de perfonnes de confidération
qui étoient chez lui , & beaucoup
d'autres des campagnes voifines que cette
fère avoit attiré à Brunoy, en ont paru fort
contentes.
L'
E mot de la premiere Enigme du Mercure
d'Août eft la voyelle e ; celui du
premier Logogriphe eft Lamproie ; celui de
la feconde Enigme , Poulets ; & celui du
fecond Logogryphe Livre , dans lequel on
trouve rive , lire , vic , Levi , ivre , ré ,
ver , ire , vil , lie , île.
ENIGME.
SEPTEMBRE. 1755 .
73
JE
ENIGM E.
E fuis un triple cabinet
·
murmure.
Avec une double ouverture
Par où paffe plus d'une ordure
Que chacun y porte en fecret.
Celui qui reçoit le paquet
Ne le reçoit pas fans
Deux patiens font la figure
De gens condamnés au gibet .
Pendant que l'un des deux raiſonne ,
Un tiers , fans confeils de perfonne
De tout point veut être éclairci .
Là , pour le repos de fon ame ,
Il ne faudroit pas qu'un mari
Se trouvât derriere fa femme.
Par M. le Baron de B***
LOGOGRYPHE.
A Mi Lecteur je vais t'apprendre
Un fait qui n'eft guerres commun.
Portéfur onze pieds je n'en ai fouvent qu'un ,
Mais pour mieux te faire comprendre
Ce Logogryphe ingénieux ,
D
74 MERCURE DE FRANCE:
Je vais décompoſer tout ce qui me compoſe ,
Et par mainte métamorphofe
Montrer à tous les curieux
Un mot bien grec , ' d'aucun uſage en France ,
Un autre un peu latin , connu dans tout pays ,
Et que je dis cinq fois en difant qui je fuis ,
Quoiqu'une feule fois il foit dans mon effence .
Un arbriffeau tendre , charmant
Une couleur très - féduifante
Lorfqu'elle eft jointe avec l'argent ,
Sur une voiture roulante
Que l'on chérit tant à préſent.
Le contraire d'un continent.
Ce que dicte Thémis ; le fils du premier homme
De dix fois cent , ce qui forme la fomme ;
Une riviere , un fleuve très-fameux ;
Ce qui n'eft point une femelle ;
Un coffre ; un fuc délicieux ;
Un fynonime de querelle ;
Ce qu'on oppofe à la fureur des eaux
Pour mettre à couvert les vaiſſeaux .
Ce qui fert à former les habits des Lévites ;
Un mauvais livre , un fouffle tout divin ,
Dans le tonneau ce qui refte du vin.
Ces hommes qui jadis vivoient en bons hermites ;
Seulement occupés des affaires du Ciel .
Une fontaine en Ifraël ,
Une ifle où Jupiter fit fabriquer la foudre
Qui réduifit tous les Titans en poudre.
SEPTEMBRE. 1755 75
Le nom d'un Duc dont je fuis ferviteur ,
(Quand je dis moi , je veux dire l'auteur )
Celui d'un Maréchal de France ,
Et même le nom de fon fils.
Trois noms qui n'ont entr'eux aucune reffem◄
blance ;
Ce dont nous fommes tous paîtris.
L'air agité qui frappe nos oreilles.
Deux grands Législateurs , l'un fit de fages loix ,
L'autre opéra bien des merveilles
Pour réduire un tyran indocile à ſa voix.
L'aftre que le Perfe révere.
Une meſure , une ville , un oifeau
Dont le ramage n'eſt pas beau.
La Nymphe que Junon punit dans fa colere ,
Et fit errer dans l'univers.
L'étoffe qui nous vient d'Anvers.
Deux animaux marchant fur terre.
Une fête célebre en des climats divers.
Enfin tu me tiens dans ce vers.
Par Saint- Remi , domeſtique , chez M. le
Duc d'Ollonne.
ENIGM E.
PUR ouvrage de la nature ,
Ou je fuis je fers d'ornement :
Mais quand quelque trifte aventure
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
M'a produit , je fuis différent :
Le vulgaire ne m'enviſage ,
Qu'avec une espece d'horreur.
Je ne fuis rien aux yeux du fage :
Le Courtifan me fait fervir à fa grandeur ,
Et quoiqu'à mes fujets , outre un dur esclavage ,
J'imprime un trait qui femble les fétrir ;
Chaque jour cependant j'aggrandis mon empire.
Tu demandes mon nom ? je n'ofe te le dire.
Je crains , lecteur , de te faire rougir.
ET
Par T. P. de Paris.
LOGOGRYPHE.
T des biens & des maux je fuis fouvent l'auteur
,
Du vulgaire ignorant je captive le coeur ,
Je forme quelquefois le plus fombre nuage ,
Et décide à mon gré du fuccès d'un ouvrage .
Je compofe dix pieds ; combine bien les mots ,
J'offre à tes yeux , lecteur , ce qui plaît aux troupeaux
,
Le plus cruel tyran qu'ait produit la nature ,
Au Rhétoricien une heureufe figure :
Ce que tous les mortels ne quittent qu'à regret ,
Qu'on aime par nature ; un précieux objet.
Ce qu'un Roi généreux , à donner trop facile ,
Voit ſouvent fe changer en un bien inutile.
SEPTEMBRE. 1755. 77.
Ce qui de nos efprits diffipe le chagrin ;
Un mot toujours préfent à notre eſprit malin.
Ce que les matelots affrontant les orages ,
Regrettent , mais en vain , au milieu des naufra
ges.
Un animal rampant ; un art Ingénieux.
De nos jardins fleuris l'ennemi dangereux.
Un Prince infortuné très-fçavant dans l'augure ;
Que Circé par dépit fit changer de nature.
Le propre nom qu'on donne à tous les fronts
voilés.
Ce qui déplaît toujours aux efprits aveuglés.
A tous les bâtimens choſe très-néceffaire
Un gouffre où s'engloutit l'aliment ordinaire.
Un oiſeau plus jaſeur qu'une None au parloir ,
Celui qui tient fur nous un fouverain pouvoir.
Expofé tous les jours fur la plaine liquide.
Je fers l'ambitieux , & fends l'onde rapide.
Adorable vertu chafte fille des cieux ,
On aime a m'ériger des autels en tous lieux.
Je fçûs forcer un jour à périr obſtinée ,
Du Prince Acrifius la fille infortunée.
Je renferme un pronom ; une trifte couleurs
Et le nom d'un Poëte , & celui d'un Rhéteur.
Fort commode aux humains , de nature fragile
J'oppofe aux Aquilons une barriere utile ;
J'offre un nom que defire un tas de vains eſprits,;
Critiques ennuyeux dans leurs fades écrits ;
Les lieux ou le foleil commence ſa carriere ;
Diij
78 MERCURE DE FRANCE
Aux ragoûts employée , une vive pouffiere.
Adverbes oppoſés : fans chercher vainement ;
Peut-être tu me fuis , Lecteur , en ce moment.
MUSETTE.
Nos hameaux font l'heureux Léjour
De l'innocence & de l'amour.
La tendreffe ,
La fageffe
Par des accords charmans
S'y trouvent réunies ;
Tout les Berges y font amans
Les Bergeres n'y font qu'amiesFlutte
.
Musette .
Noshameaux,sontlheureux séjour de l'innocence e
deL'amourLatendre la sagesse Pardes accords char
mans Sy trouvent réuni es, Cous les Bergersy =
sont Amans,Les Bergeres n'y sont qu'ami - es.
7bre 1755.
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
SEPTEMBR E. 1755. 79
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
SUITE
De la feance publique de l'Académie royale
de Nifmes.
M. le Marquis de Rochemore , Secrétaire
perpétuel , lut enfuite une piéce en
vers libres , intitulée Epitre d'Hypermnestre
à Lyncée. Cet ouvrage eft imité d'une des
Héroïdes d'Ovide ; mais l'auteur ne s'eft
point attaché à copier fon modele ; il a
pris quelques penfées du Poëte latin , il y
a joint les fiennes : nous allons citer quelques
morceaux détachés qui pourront faire
juger de tout l'ouvrage .
C'eft ainfi qu'Hypermneftre raconte à
fon époux les crimes de fes foeurs , & fes
propres combats.
Un bruit foudain glaça ton époufe craintive ,
Un bruit fombre ... plaintif ... de lugubres accens
...
Je vis briller le fer ... les foupirs des mourans
Vinrent frapper mon oreille attentive :
Div
So MERCURE DE FRANCE.
Imitons , dis-je alors , l'exemple de mesfoeurs ,
De Danaus fuivons les loix feveres ,
Uniffons Lyncée à fes freres.
Un Dieu fans doute , un Dieu fufpendit mes fureurs.
Mon bras étoit levé , ta criminelle amante.
Mefuroit éperdue , interdite & tremblante ,
Le coup qui devoit t'immoler ,
Ton fang étoit prêt à couler ...
J'avois troisfois repris l'arme inhumaine
Qu'avoient ravi trois fois à ma main incertaine
L'horreur , l'amour & la pitié.
Dérobons à mon pere une ſeule victime.
Dois-je être l'inftrument de fon inimitié ,
Et la complice de fon crime ?
Moi ! je me fouillerois d'un fang fi précieux ,
J'obéirois à des ordres împies !
Et cet Hymen détesté par les Dieux
Auroit été formé par les Furies !
Ah plutôt dans mon fein le poignard odieux ......
C'eſt en vain qu'un pere parjure
Veut me faire trahir l'amour & la nature
Leurs droits font gravés dans nos coeurs
Et la voix d'un tyran guidé par les fureurs
Ne peut étouffer leur murmure.
-Les fanglots d'Hypermneftre , fes combats
, fes tranfports , arrachent enfin Lyncée
au fommeil : fuyez , lui-dit-elle ,
SEPTEMBRE. 1755. $1
La trahiſon , la mort regnent dans ce palais ,
Cette nuit féconde en forfaits
Dans le fombre féjour a réuni vos freres ,
Et les myrthes d'Hymen aux Cyprès funéraires.
» Mon amour feul vous a fauvé , &
» m'a fait trahir les ordres cruels de Da-
» naus. » Le jeune Prince s'échappe du pa
lais à la faveur de la nuit.
Du foleil cependant la jeune avantcouriere
Sur nos Lares fanglans répandoit ſa lumiero.
Danaus ( la fierté brilloit dans fes regards )
Comptoit de nos époux les cadavres épars ;
Un feul manquoit , Lyncée en cette nuit perfide
Evita feul les coups de la parque homicide.
Hypermneftre raconte à fon époux la
fureur de Danaus quand ce Monarque barbare
s'apperçut qu'une de fes victimes lui
étoit échappée ; il jure la mort de fa fille ,
& la fait indignement traîner dans un
cachot affreux .
» Viens , cher époux , lui dit- elle enfin,
Viens finir ma captivité :
Mais n'écoutes point ta vengeance ,
Contente-toi de fauver l'innocence
Sans punir l'inhumanité.
Songe qu'Hypermaneftre eft la fille
Du meurtrier qui perdit ta familles
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
Tout barbare qu'il fût daigne épargner les jours:
D'un fang cher à mon coeur ne rougis point tes
armes :
Que ton retour enfin hâté par les amours
Ne foit point fouillé par mes larmes.
Cette fin eft abfolument différente de
celle d'Ovide ; l'Auteur n'a pas jugé à
propos non plus d'imiter dans fon épitre
le long épifode d'Io changée en vache.
Les connoiffeurs décideront s'il a bien ou
mal jugé.
M. Vincens lut enfuite une épitre à la
mort , dont voici l'extrait.
La mort peut infpirer l'effroi aux ames
vulgaires , mais elle préfente au Sage une
lumiere fûre qui écarte l'illufion des fens ,
& lui montre les objets précifément tels
qu'ils font ; c'eft une divinité favorable
qui enfeigne aux humains l'art de jouir
de tout fans abufer de rien , & qui diffipant
le preftige des paffions foutient leur
coeur dans l'heureux équilibre , qui feul
peut faire la vraie félicité. Tel eft le point
de vûe fous lequel M. V. envifage la mort.
Il peint en commençant l'épitre qu'il
adreffe à cette Divinité , la fituation où
fe trouve l'homme lorfqu'il entre fur la
fcene du monde.
SEPTEMBRE . 1755 . 83
Sur le bord d'une mer immenfe
L'homme au fortir de fon enfance ,
Par la nature eft expofé :
Là fon coeur ingénu fans guide , fans défenſe ;
Par la féduifante apparence
Eft à chaque inftant abufé :
Sur le mobile dos des ondes azurées ,
Les folâtres amours & les plaifirs légers
Déployant leurs aîles dorées ,
L'appellent par leurs jeux , & voilent les dan
gers ;
Les jours fereins de la jeuneffe ,
Le calme féducteur , les cris des Matelots ,
Tout le follicite & le preffe
De tenter la route des flots ;
Il part , fur les eaux il s'élance ,
L'impatient defir & la douce efpérance
Enflent la voile , & l'écartent du port ;
Mais à peine au loin de la plage
Voit-il difparoître le bord ,
Tout change , Pair frémit , tout annonce l'orage;
Tout découvre à fes yeux , trop tard deſabufés
Les périls où les jours demeurent exposés :
Des paffions tumultueuſes ,
Les rapides courans & les vents oppofés
Offrent à chaque inftant fur les mers orageufes ?
Les débris des vaiffeaux par les vagues brifés
A la fureur de la tempête ,
Lui-même tout-à-coup livré.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
L'orgueil , l'ambition , déchaînent fur fa tête ,
Leur fouffle impétueux contre lui conjuré ;
De la fougue des flots , malheureuſe victime ,
Quelquefois dans les cieux , quelquefois dans
l'abîme ,
Et loin de fa route égaré ;
Une mer inconnue & d'écueils hériffée ,
De toute part à fa nef fracaffée ,
Préfente un nauffrage affuré.
La mort eft la feule divinité qui puiffe
fauver l'homme de ce péril ; elle lui montre
la vanité des objets qui l'environnent ,
elle l'éclaire fur leur durée qui n'est que
d'un inftant. Inftruit par fes leçons le Poëte
n'envie point le fort des favoris de la
fortune : non , dit- il , leur état ne fçauroit
m'éblouir.
1
De troubles, de foupçons, leur ame environnée
Laiffe fuir le préfent , rédoute l'avenir ;
Et malgré leurs efforts leur vie eft moiffonnée
Avant qu'ils * ayent trouvé le moment de jouir.
L'ambition n'a pas plus de charmes pour
lui. En vain montre- t- elle fes favoris placés
fur le char de la gloire ou montés au
rang des Dieux ; l'ambitieux , dit M. V.
éblouit quelque tems l'univers :
* Ce mot , ayant , ne peut point s'élider , en con-
Sequence il ne doit jamais être employé qu'à la fim
d'un vers.
SEPTEMBRE. 1755. 8$
Aftre brillant il roule far nos têtes ,
Il excite , il appaife à fon gré les tempêtes ,
Il couvre l'Univers d'un feu qui l'éblouit :
Mais tandis qu'oubliant ſa foibleſſe premiere
Il répand à nos yeux fa plus vive lumiere ,
Par fa propre fplendeur féduit ,
Tu parles , & foudain du haut de fa carriere
L'aftre eft précipité dans l'éternelle nuit .
O mort ! continue le Poëte ,
O mort ! un ennemi cent fois plus rédoutable
Avoit fait chancéler mon coeur.
La volupté d'un charme inévitable
Verſoit déja fur lui le poiſon ſéducteur :
De fleurs fans ceffe couronnée ,
Autour de moi fa voix appelloit le plaifir ;
De délices environnée
Son regard dans mon ame allumoit le defir ;
C'en étoit fait , l'amour achevoit ma défaite ,
Ses liens pour jamais alloient me retenir;
Mais tu fouffles , & fur fa tête
J'ai vu les roſes fe flétrir.
Ces détails font terminés par cette réflexion.
Gloire , plaifir , pouvoir , richeffe ,
Atômes agités par l'aveugle Décffe ,
A la faveur d'un rayon lumineux ,
Vous voltigez quelque tems fous nos yeux :
Notre coeur ébloui s'empreffe
86 MERCURE DE FRANCE:
Pour arrêter votre cours incertain
Il vous pourfuit , il s'agite fans ceffe ,
Il croit vous pofféder enfin :
Mais le fouffle du tems vous emporte foudain,
Ce n'eft pas que M. V. ne trouve des
plaifirs dignes de fon coeur : l'amitié lui
offre des charmes aufquels il fe livre avec
tranfport , & qui le dédommagent de toutes
les traverſes de la vie humaine .
Telle une tendre fleur que le midi dévore ;
Sur fa tige panchée , & prête à fe flétrir ,
Renaît , s'épanouit , de nouveau ſe colore
Au fouffle amoureux du zéphir :
Telle au fein des foucis qu'à chaque inſtant fait
naître
Sur les
pas des humains
le deftin fans pitié
Mon ame prend un nouvel être
Aux doux accens de l'amitié.
Les Mufes viennent encore lui prodiguer
des plaifirs purs ; Erato , Uranie ,
Calliope , l'inftruifent & l'amufent tour à
tour : Cette derniere fur- tout égaie la folitude
du Poëte en formant devant lui
mille tableaux gracieux.
Tantôt elle lui peint le calme de la mer ,
Le ciel eft pur , l'air eft tranquille ,
Du foleil l'image mobile
SEPTEMBRE. 1755 .
$7
Luit & vacille au fond des eaux :
Zéphir & les Nymphes craintives
De mille rides fugitives
Sillonent mollement les flots.
Tantôt elle lui peint une agréable fête ;
Au pied d'un côteau fortuné
Venus de pampre orne fa tête ,
Bacchus de myrthe eft couronné ,
Guidés par l'aimable folie
Les amours barbouillés de lie
Folâtrent auprès des neuf foeurs :
Et les graces échevelées
Parmi les Bacchantes mêlées
Feignent d'éprouver leurs fureurs.
C'eft par de tels plaifirs , continue le
Poëte :
C'eſt par de tels plaifirs qu'égayant le voyage ,
Et variant l'emploi de mes paifibles jours ,
Du terreftre péle: inage
J'acheve doucement le cours ,
Prêt au moindre fignal de quitter fans allar
mes
Des biens dont ici -bas je jouis fans remords ....
Le fort qui nous attend après cette vie ,
ne cauſe aucun effroi à M. V. que les impies
, les injuftes & les autres criminels
foient faifis d'une jufte terreur au moment
$8 MERCURE DE FRANCE.
fatal qui les fait defcendre dans le tom
beau , pour lui il eft rempli d'une noble
confiance.
Mon coeur ( dit-il ) ne connoit point ces craintes
formidables.
Soumis envers les Dieux , jufte envers mes femblables
,
Vertueux , ou du moins zélé pour
la vertu
Sous le poids du courroux célefte
Je ne crains point d'être abattu ;
Et fi des paffions l'impreſſion funefte
Altere de mon coeur l'exacte pureté ,
Les Dieux qui l'ont formé , connoiffent qu'il
détefte
Sa fatale fragilité ;
Et fatisfaits de ma fincérité ,
Leur fouffle bienfaifant purifira le refte
De la débile humanité.
M. Perillier , Chancelier , a terminé la
féance par un Difcours fur la néceffité du
choix dans les lectures.
SEPTEMBRE. 1755. 89
MEMOIRE
OUR le fieur Pierre Eftève , de la Société
royale des Sciences de Montpellier
, contre Meffire Jofeph - Louis- Vincent
de Mauleon de Caufans , & c . & contre le
fieur Jean Digard , ancien Ingénieur du
Roi , au fujet du prix propofé par M. de
Caufans , au premier qui démontreroit un
Paralogifme dans fa démonftration de la
quadrature du cercle . A Paris , chez Ch.
Aut. Jombert, Imprimeur- Libraire du Roi,
rue Dauphine ; & chez Duchefne , Libraire
, rue S. Jacques , au Temple du Goût ,
36 pag. in-4°.
Il n'eft prefque perfonne qui ignore que
M. le Chevalier de Caufans croit avoir
trouvé la quadrature du cercle : il a du
moins annoncé plufieurs fois dans tous les
Journaux la nouvelle de cette découverte.
D'abord il avoit fixé fa récompenfe à quatre
millions qui devoient lui être donnés
en forme de foufcription ; mais lorsqu'il
y a eu feulement fix cens mille livres dépofées
, il a bien voulu publier ce qu'il
appelloit une découverte merveilleuſe.
Comme il ne pouvoit fe faire adjuger l'argent
qui étoit dépofé pour être fa récompenfe
fans fe faire juger fur fes démonſtra
go MERCURE DE FRANCE .
tions , il configna chez un Notaire la fomme
de dix mille livres qui devoit être remife
au premier qui démontreroit un paralogifme
dans fa découverte de la quadrature
du cercle. C'eft ce prix qui fait
l'objet du procès littéraire dont traite le
mémoire que nous venons d'annoncer. On
y trouvera d'abord un précis très-exact de
tout ce qu'il y a d'hiftorique dans cette affaire
, nous y renvoyons le lecteur pour ne
l'entretenir ici que de ce qui fait le fonds
du procès .
M. Eftève nous apprend qu'il eft le premier
qui ait convaincu M. le Chevalier
de Caufans d'erreur : En effet il n'y a perfonne
qui ait déposé avant lui une démonftration
du paralogifme en queftion. Il a
donc rempli tout ce qui étoit impofé par
l'affiche qui avoit annoncé le prix , & il
feroit en droit de fe faire adjuger pour
lui-même les dix mille livres ; cependant
voici quelles font fes conclufions.
» Etant le premier qui a démontré au
» Chevalier de Caufans un paralogifme
» dans fa quadrature du cercle , il deman-
» de qu'il plaife à la Cour que les dix miln
le livres lui foient remifes comme ju-
» ftement acquifes ; & pour fonder une
» chaire de Mathématiques qui fera à fa
» nomination & pour l'inftruction de ceux
SEPTEMBRE. 1755. 91
qui pourroient à l'avenir confier indifcretement
leur fortune à un paralogifine
fait fur la quadrature du cercle.
L'Auteur du mémoire paffe enfuite aux
moyens qui établiffent fon droit . Il plaide
fa cauſe comme s'il étoit devant la Grand'-
Chambre du Parlement , qui doit juger
cette affaire. Il prouve que M. de Caufans
a fait un véritable contrat avec le
public , qu'il ne fçauroit s'en faire relever
qu'en implorant la proteclion que les Magiftrats
ne refufent point aux mineurs. Il fait
obferver que ce prix a été proposé avec
les formalités les plus rigoureufes que
la juftice ait jamais prefcrites pour cimenter
irrévocablement les conventions ;
qu'on ne doit pas le regarder comme un
pari , mais plutôt comme la récompenſe
des talens & le payement d'un travail qui
n'a été entrepris que pour fatisfaire M. de
Caufans à qui il étoit utile.
Pour qu'on puiffe connoître le ton &
le ſtyle de l'ouvrage , nous allons en tranſcrire
un paragraphe.
" Mais doit on être forcé à payer chere-
» ment ceux qui par de folides raiſons nous
» prouvent no re erreur ? Oui , quand on
l'a promis il eft vrai que dans la plu
» part des hommes l'amour propre s'oppofe
à un pareil marché; mais cela n'em-
J
(92 MERCURE
DE
FRANCE
.
n
99
pêche pas que M. de Caufans ne fe foit
engagé à donner dix mille livres à qui
lui démontreroit qu'il a ignoré les véri-
»tables principes de la géométrie . Puifque
» la loi ne lui a pas interdit les moyens de
» faire ufage de ce qu'il poffede , fon en-
» gagement ne fçauroit être revoqué. Si
» M. de Caufans eût été un homme vain
» & avide d'éloges , il auroit pû propofer
» la même fomme à qui auroit prouvé
qu'il étoit un grand homme ; mais n'é-
»coutant que les fentimens philofophiques
» dont il fait profeffion , il a feulement
demandé la démonftration de fon erreur.
Il feroit à fouhaiter que cet exemple
admirable trouva des imitateurs
» en propofant des prix pour qui nous dé-
» montreroit nos erreurs , nos défauts , nos
» vices & nos ridicules , on apprendroit à
» fe connoître foi -même , & on devien-
» droit plus parfait. C'eft à M. de Caufans
" que nous fommes redevables de cette
» idée avantageufe au bien de la fociété ,
» & nous ne fçaurions nous diſpenſer de
» lui en faire ici honneur.
On trouve encore dans ce mémoire un
dérail des avantages que procureroit la
découverte de la quadrature du cercle.
Les bornes de cet extrait ne nous permertent
pas de fuivre M. Eftève dans le dé-
(
SEPTEMBRE. 1755. 93
-veloppement de tous fes moyens , nous
nous contenterons de dire qu'indépendamment
de l'intérêt qu'on doit prendre à une
caufe qui doit être plaidée folemnellement
en la Grand'Chambre du Parlement ,
ce mémoire mérite d'être lû comme ouvrage
d'efprit & de littérature.
Voici le trait qui termine ce mémoire.
M. Eftève , après avoir prouvé que M. de
Caufans doit être condamné aux dépens :
ajoute » que fi M. de Caufans en faifant
»fon dépôt & fes affiches , n'a eu d'autre
» deffein que de violer le droit des gens
» en plaifantant le public en ce cas il
doit être condamné à des dommages
" en forme de réparation , & expier par
» la perte de fon argent l'indécence de fa
» mauvaiſe plaifanterie.
Lettre de M. le Chevalier de Caufans à Milord
Macclefield , Préfident de la Société
royale de Londres.
ILORD , de bonnes raifons m'ont
M'empêché de démontrer plutôt évidemment
, & géométriquement à l'Académie
royale des Siences de Paris, la quadra
ture du cercle , que j'avois annoncée . Je
m'empreffe , Milord , à vous en préfenter
les preuves ; & comme la vérité eft l'objet
94 MERCURE DE FRANCE.
de vos lumieres , & de celles de la Société
royale à laquelle vous préfidez , je
vous prie , Milord , de la découvrir dans
cette occafion. Si je me fuis trompé , je
ne demande aucune indulgence. Je fçai
que vous excluez des fciences tout refpect
humain ainfi , Milord , je me flatte
, que fi je fuis dans l'erreur , vous vous
fervirez de la voie la plus authentique
pour m'éclairer ; & que hi votre jugement
m'eft favorable , vous le direz formellement
, ce qui inftruira de votre ſentiment
pour ou contre. Rendez , je vous fupplie
, Milord , juftice à ma confiance , de
même qu'au refpect avec lequel j'ai l'honneur
d'être , Milord , &c.
A Paris , ce 10 Juilles 1755 .
C. JULII CÆSARIS que exftant opera.
Cum A. Hirtii , five Oppii commentariis de
Bellis Gallic. Alexand. Afric. & Hifpanienfi.
Accefferunt ejufdem Cafaris fragmenta ,
nec non& nomina populorum , oppidorum ,
&fluviorum, qua apud Cafarem reperiuntur.
Parifiis , Typis Jofephi Barbou , viâ
Jacobaâ, fub Ciconiis , in- 12 . 2 tomi. C'eſtà-
dire , Euvres de Céfar , qui confiftent en
fes commentaires & en des fragmens de
SEPTEMBRE. 1755. 95
quelques-uns de fes autres écrits qui font
perdus. 2 vol. in- 12 . pag. 360 & 455.
Cette édition que Barbou , Libraire , rue
S. Jacques , vient de mettre au jour , a
tout ce qu'il faut pour lui mériter l'accueil
des perfonnes qui s'occupent de la lecture
des Auteurs Latins par état ou par goût.
La beauté du papier , la netteté des caracteres
, une planche dont elle eft ornée au
frontispice , concourent à la rendre trèsélégante
. Elle peut affurement aller de pair
avec les belles éditions de plufieurs Hiftoriens
Latins , qui ont paru depuis quelques
années dans le même format. On y
trouve des cartes particulieres de la Gaule,
de l'Italie , & de l'Eſpagne , où les lieux
qui font partie de ces trois différens pays ,
font marqués felon leur ancienne pofition .
Il y a auffi une notice alphabétique des
noms , des peuples , des villes , & des fleuves,
&c. dont il eft parlé dans Céfar. Mais
ce qui contribue fur- tout à en augmenter
le prix , eft une differtation latine , qui eft
inferée à la fuite des 8 livres de laguerre
des Gaules. Comme il n'y en a que fept qui
appartiennent véritablement à Céfar , on y
recherche quel eft précisément l'Auteur du
huitiéme , ainfi que des autres livres qui
traitent de la guerre d'Alexandrie , d'Afrique
& d'Espagne. Il fuffit de dire qu'elle
96 MERCURE DE FRANCE.
eft du célebre Henri Dodwel , pour faire
fon éloge . Il eſt aifé de le reconnoître à cẹ
grand fond d'érudition , & cette exactitude
de critique qui caractériſent prefque
toutes les productions , dont ce fçavant Anglois
a enrichi la République des Lettres.
C'eſt une raifon de plus qui la fera rechercher
des Sçavans. Nous ajouterons encore
que le même Libraire promet de donner
dans un pareil format les Auteurs fuivans ,
qui font indiqués à la fin du premier volume
, Quinte- Curce , Ovide , Pline ( du
P. Hardouin ) & Juftin. S'il apporte les
mêmes foins pour les éditions qu'il prépacelle
que nous annonçons
actuellement, il peut être perfuadé qu'elles
feront également bien reçues du public .
re , que pour
CATALOGUE des livres de feu M. R.....
dont la vente fera indiquée par affiches. Il
fe trouve chez G. Martin Libraire
S. Jacques. 1755 .
> rue
EXPÉRIENCES & RÉFLEXIONS
fur la ftructure & l'ufage des vifceres , fuivies
d'une explication Phyfico - méchanique
de la plupart des maladies ; par M.
Raimond Vieuffens , Confeiller , & Médecin
ordinaire du Roi , de l'Académie
des Sciences de Paris , & de la Société
royale
SEPTEMBRE. 1755. 97
royale de Londres. A Paris , chez Jean-
Thomas Hériffant , rue S. Jacques , à faint
Paul , & à S. Hilaire.
LEÇONS de Phyfique expérimentale ,
par M.l'Abbé Nollet , de l'Académie roya
le des Sciences , Profeffeur de Phyfique
expérimentale au College de Navarre , &c.
tome v. A Paris , chez Guerrin & De Latour
, rue S. Jacques , à S. Thomas d'Acquin
.
Ce volume , que le public attendoit depuis
long-tems , traite de la lumiere & des
couleurs , matiere intéreſſante , & qui
s'affujettit mieux qu'aucune autre partie
de la phyfique aux régles de la Géométrie
& au calcul , mais que l'auteur , obligé de
fuivre la méthode qu'il a embraffée pour
tout l'ouvrage , s'eft appliqué à rendre
fenfible par la voie de l'expérience. Cela
nous met à portée de voir jufqu'à quel
point les faits quadrent avec la théorie ;
& nous voyons que les perfonnes qui commencent
à s'appliquer à cette fcience
prendront facilement par la lecture de
ces leçons des idées claires & méthodiques
qu'elles auroient peine à acquerir autrement.
Nous en avions conçu cette opinion en
confidérant que les principes y font expo
E
98 MERCURE DE FRANCE.
fés avec clarté , que les expériences qui
leur fervent de preuves , font curieuſes
décifives , & très bien repréfentées par les
figures ; mais nous en fommes encore plus
perfuadés , en apprenant par la voie du
public , avec quel intérêt & quelle affiduité
des perfonnes de tout âge & de toute
condition , fe font affemblées pendant les
mois de Juin & de Juillet derniers au
Collége de Navarre , pour continuer d'entendre
M. l'Abbé Nollet , & lui voir exécuter
les expériences qui concernent cette
matiere ; c'est peut- être la premiere fois
qu'on ait entrepris avec fuccès de les faire
voir à soo , à 600 perfonnes en même
terns.
Le volume dont nous parlons , contient
trois leçons ; fçavoir , la quinziéme , la
feizième , & la dix-feptiéme, & voici l'ordre
dans lequel les matieres fe préfentént.
L'auteur expofe d'abord l'état de la que
ftion qu'il fe propofe de traiter , il en fait
l'hiftoire ; & après avoir annoncé des propofitions
, il les établit par des raifons ou
par des expériences dont il a foin de bien
expliquer le méchanifme : après quoi il
fait venir par forme de remarques ou d'applications
les effets naturels qui peuvent
dériver du principe établi , ou avoir quelSEPTEMBRE.
1755. 99
j
que rapport avec les expériences qui ont
fervi de preuves.
Dans la quinziéme leçon , par exemple,
où il s'agit d'abord de la nature & de la
propagation de la lumiere , M. L. N. expofe
au Lecteur les deux principales opinions
qui partagent aujourd'hui les Phyficiens
, celle de Defcartes & celle de
Newton ; il embraffe la premiere avec
quelques modifications , il rend raifon du
parti qu'il prend , il prévient les objections
qu'on pourroit lui faire ; & enfin il
en vient à des expériences par lefquelles
il prétend prouver que la lumiere eft une
matiere fubtile univerfellement répandue
au- dehors , comme au- dedans des corps ,
& toujours prête à devenir fenfible par le
mouvement qu'elle peut recevoir des corps
enflammés , ou par la clarté du jour auquel
elle fe trouve expofée . Ces expériences
donnent lieu à une hiftoire trèscurieufe
des phofphores , où l'on trouve
des nouvelles découvertes .
L'auteur examine enfuite les directions
que la lumiere fuit dans fes mouvemens ,
foit qu'elle vienne directement du corps
lumineux vers nos yeux , foit qu'elle rencontre
en fon chemin un obftacle qui l'oblige
à fe refléchir , foit enfin qu'elle paffe
d'un milieu dans un autre de différente
denfité. E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
Il s'arrête d'abord au mouvement direct
, & après quelques définitions néceffaires
pour l'intelligence de la queſtion ,
il énonce le principe de l'Optique , proprement
dite , en quatre propofitions , dont
voici les deux premieres. 1 ° . En quelque
endroit qu'on préfente un plan vis- à - vis
d'un point radieux , ce plan devient comme
la bafe d'une pyramide de lumiere.
2º. Ce plan eſt moins éclairé à meſure
qu'il s'éloigne du point radieux.
Deux expériences mettent ces faits fous
les yeux , & apprennent en même tems
dans quel rapport fe fait le décroiffement
de la lumiere , & l'accroiffement de l'ombre.
En comparant avec ces deux épreuves
ce qui fe paffe à l'égard de l'oeil qui ſe
préfente vis- à- vis d'un objet éclairé , on
conçoit d'abord & très facilement , comment
plufieurs perfonnes placées en différens
endroits apperçoivent enfemble le
même corps , fi petit qu'il foit ; pourquoi
nous ne pouvons voir qu'en ligne droite ;
par quels moyens nous jugeons de la diftance
quand elle eft petite ; quelle eſt la
caufe des ombres , ce qui régle leur grandeur
& leurs figures ; par quels moyens
la lumiere peut augmenter ou diminuer
pour le même oeil , & c.
SEPTEMBRE . 1755. 101
Les deux autres propofitions font énoncées
ainfi . 3 ° .Si le corps lumineux eft d'une
grandeur & d'une figure fenfibles , le plan
qu'on lui préfente , devient la bafe commune
d'autant de pyramides de lumiere ,
qu'il y a de points radieux tournés vers
lui. 4 ° . Si au lieu d'un plan qui arrête la
lumiere , on fait un trou dans une planche
mince , les pyramides lumineufes qui
viennent des différens points de l'objet
s'y croifent , paffant de droite à gauche
de haut en bas , &c . Deux expériences qui
mettent ces faits fous les yeux , font naître
naturellement les applications fuivan
tes.
,
>
Comment fe forment les images des
objets au fond de l'oeil ? pourquoi nous
voyons ces objets droits , quoique leurs
images foient renversées fur l'organe ;
par quels moyens nous jugeons des grandeurs
& des diftances des corps que nous
appercevons ; d'où vient que deux files de
foldats ou deux murailles paralleles feniblent
fe rapprocher l'une de l'autre , à mefure
qu'elle s'éloignent de nous ; pour
quelle raifon la furface d'un canal femble
s'élever dans l'éloignement ; pourquoi la
figure d'un grand corps apperçu de loin ,
change fuivant la direction de nos regards ?
Şur quelles régles eft fondée la perfpe-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
&tive ? Comment les mouvemens apparens
des corps qu'on regarde dans le lointain ,
différent des mouvemens réels , tant pour
la direction que pour la vîteffe Dans
quels cas leur viteffe paroit nulle , ou devient
infenfible ? Comment l'habitude , le
préjugé , les connoiffances précédemment
acquifes , nous font juger des grandeurs
& des diftances ? d'où vient que nous
voyons la voûte du ciel comme furbaiffée ,
le foleil & la lune plus grands à leur lever
qu'au zénith , & c.
La feizième leçon comprend la catoptrique
& la dioptrique , c'est - à - dire les
mouvemens de la lumiere refléchie , &
ceux de la lumiere refractée .
L'Auteur commence par une differtation
qui nous a paru curieufe , & dans laquelle
il entreprend de prouver contre
l'opinion commune que la lumiere ne ſe
refléchit point de deffus les parties propres
des corps polis , des miroirs par exemple
, mais de deffus les particules de lumiere
qui font logées & comme enchaffées
dans les pores de ces furfaces. M. L. N.
s'attend bien que cette opinion aura de
la peine à prendre dans l'efprit de fes lecteurs.
J'avoue , dit - il , qu'en embraf-
» fant cette opinion , on fe met dans la
» néceffité de renoncer aux idées les plus
SEPTEMBRE. 1755. 103
33
communes , & de fe roidir contre des
préjugés bien accrédités & bien difficiles
à vaincre. Se perfuadera - t - on , par
exemple , que les corps ne foient pas
vifibles par eux-mêmes , mais feulement
par les points de lumiere , dont les fur-
» faces font parfemées ? qu'à proprement
» parler , nous n'avons jamais rien vû de
" tout ce que nous avons touché : cepen-
» dant , quel moyen de penfer autrement ,
» fi nous ne pouvons rien voir que ce qui
» nous renvoie de la lumiere , & fi les
» rayons qui nous tracent les images des
objets ne peuvent être renvoyés vers nos
»yeux que par les globules de cette ma-
» tiere impalpable qui fe trouve dans la
» même fuperficie , avec les parties pro-
»pres des corps .
Voici une comparaifon qui vient à
l'aide .
d'a
Quand vous jettez la vûe fur un mor-
» ceau de drap teint en écarlatte , continue
" M. L. N. votre premiere penſée n'eft-
"elle pas que vous voyez un tiffu de lai-
» ne , & ne vous revolterez - vous pas
» bord contre quiconque vous foutien-
» droit que vous voyez toute autre chofe
" que cela ? cependant , fi vous y faites
» attention , vous ferez obligé de convenir
que vous n'appercevrez qu'un enduit
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
ور
de cochenille adhérent à la matiere
»propre de l'étoffe , des particules colo-
» rantes incruftées dans les pores de la
» laine ; en un mot , une fubftance étran-
» gere à l'objet que vous avez en penſée ,
» & qui ne vous laiffe voir de lui que fa
"grandeur , fa fituation , fa figure , & nul-
» lement fa matiere propre ... Voilà donc
» des cas avoués de tout le monde , où les
" corps ne font pas vifibles
leur
par
pro-
" pre matiere
, mais par une ſubſtance
» étrangere
qui s'eft logée dans leurs pores.
Il faut voir dans l'ouvrage même
les autres raifons que l'Auteur fait valoir
en faveur de cette hypothèfe , & de quelle
maniere il prévient les difficultés qu'on
pourroit alléguer contre.
On trouve enfuite la defcription d'un
inftrument nouveau & commode pour me
furer l'angle de réflection de la lumiere
dans toutes fortes de cas , & l'on voit par
une premiere expérience qui fert comme
de bafe à toutes les autres du même genre ,
qu'un rayon fimple étant refléchi par un
miroir , fait fon angle de réflection égal
à celui de fon incidence.
Les principales conféquences de ce premier
principe fe rendent fenfibles par des
expériences où l'on emploie fucceffivement
des rayons paralleles , convergens &
SEPTEMBRE. 1755. 105
divergens , d'abord avec un miroir plan ,
enfuite avec un miroir convexe , & enfin
avec un miroir concave ; cela fait neuf
combinaiſons , dont les trois premieres
font connoître , que le miroir plan en renvoyoiant
la lumiere, ne change rien à la fituation
refpective des rayons incidens , &
l'on en tire les raifons des effets fuivans .
On apprend pourquoi un feul miroir
plan ne peut fervir à raffembler les rayons
folaires dans un foyer. D'où vient que
dans un tel miroir l'image fe voit derriere
, & auffi loin que l'objet en eft éloigné
par-devant. Par quelle raifon la grandeur
& la figure apparentes font conformes à
celles de l'objet que l'on regarderoit direêtement
de la même diftance. De quelle
grandeur doit être le miroir plan , pour
qu'on puiffe s'y voir tout entier? Comment
la fituation de l'image fe régle relativement
à celle de l'objet qui eft placé devant
une glace ? Pourquoi & comment les images
fe multiplient entre deux miroirs ? De
quelle maniere on doit expliquer les effets
des miroirs prifmatiques & pyramidaux ,
& c .
Les trois combinaiſons fuivantes fè font
avec un miroir convexe , & font voir : 1º .
que tous les miroirs de cette efpece , petits
ou grands , diminuent pour le moins
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
la convergence des rayons qui tendroient
à fe réunir. 2 ° . Qu'ils rendent divergens
ceux qui ne font que paralleles . 3". Qu'ils
augmentent la divergence de ceux qui en
avoient déja avant que de refléchir. Ce
qui fert à expliquer
Pourquoi de tels miroirs rarefient la
lumiere , & par quelle raifon celle qui
nous vient de la lune & des autres planetes
eft fi foible ? Pourquoi l'image dans
ces fortes de miroirs paroît plus petite que
fon objet , plus près que lui du miroir ,
& fouvent défigurée ?
le
Enfin les trois dernieres combinaiſons.
fe font avec le miroir concave , & montrent
, 1 °. que les rayons paralleles deviennent
convergens. 2 ° . Que ceux qui
font convergens dans leur incidence
font davantage après la réflection . 3 °. Que
ceux qui font divergens , le deviennent
moins , ce qui peut aller jufqu'à les rendre
paralleles , ou même convergens .
›
Ces faits fourniffent des raifons pour
expliquer , pourquoi un charbon ardent
placé au foyer d'un miroir concave , &
excité par le vent d'un foufflet , allume de
l'amadoue au foyer d'un femblable miroir
, élevé parallelement en face du premier
, à la diſtance de trente ou quarante
pieds. Combien les rayons folaires renSEPTEMBRE.
1755. 107
voyés par ces fortes de miroirs , deviennent
capables d'embrafer ou de fondre les
corps les plus durs & les plus compactes :
d'où vient que dans certains cas les images
fe voyent entre la furface réfléchiffante
& l'oeil du fpectateur. Par quelle raifon
l'image y paroît plus grande que l'objet
& renversée , &c .
M. L. N. enfeigne ici par occafion , de
quelle maniere on fait des miroirs concaves
de verre , foit de plufieurs pieces , ſoit
d'une feule glace pliée au feu , & comment
ces derniers fe mettent au tain . Après
quoi il traite des miroirs mixtes , & explique
les effets de ceux qui font cylindriques
& côniques .
Il s'agit après cela des principes de dioptrique
, ou de la lumiere réfractée. L'auteur
déduit les loix de la réfraction , d'une
expérience dans laquelle il employe
une machine très- commode , & qu'il décrit
avec beaucoup d'exactitude : il rap-
-porte les différens fentimens des Phyficiens
fur les caufes de la réfraction , il embraffe
celui des Carthéfiens en expofant
les raifons qui le déterminent , & paffe à
l'explication de certains effets qui ont rapport
à fa premiere expérience.
Il enfeigne pourquoi un bâton en partie
plongé obliquement dans l'eau paroît
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
comme rompu ; par quelle raifon une piece
de monnoye placée au fond d'une cuvette
remplie d'eau , fe fait voir à ceux qui
ne l'appercevoient pas quand le vafe ne
contenoit que de l'air. M. L. N. remarque
comme une conféquence naturelle de
ces effets , que le poiffon qui eft dans un
étang voit au- delà des bords , des objets
qu'il ne pourroit appercevoir en droite
ligne : que nous voyons de même le foleil,
la lune , les étoiles , & c. avant que ces
aftres foient réellement fur l'horton , à
caufe des réfractions de la lumiere dans
l'atmosphere terreftre ; il fait fentir pourquoi
ce dernier effet diminue à meſure que
l'aftre s'éleve ; comment il peut arriver que
le foleil ou la pleine lune paroiffe ovale ,
dans quel cas l'on peut voir la lune éclipfée
, le foleil n'étant pas encore couché :
pourquoi la lune éclipfée paroît à nos yeux
d'un rouge obfcur. &c.
M. L. N. confidérant que les milieux
réfringens ne peuvent être terminés que
par des furfaces planes , concaves ou convexes
, examine dans ces différens cas quels
changemens il doit arriver ; 1 ° à des
rayons paralleles , enfuite à des rayons divergens
, & enfin à des rayons convergens;
ce qui fait encore neuf combinaifons que
l'auteur met en expériences.
SEPTEMBRE. 1755 . 109
Des trois premieres dans lefquelles on
employe un milieu réfringent terminé
par deux furfaces planes & paralleles entr'elles
, il réfulte 1 ° que des rayons qui
font paralleles entr'eux dans leur incidence
, reftent paralleles après la réfraction ,
foit en paffant du milieu le plus rare dans
le plus denfe , foit en paffant de celui- ci
dans l'autre , au moins dans le cas ou le
milieu réfringent n'a qu'une médiocre
épaiffeur : 2 ° que dans le premier de ces
deux cas les rayons convergens le deviennent
moins , & que dans le fecond ils reprennent
le degré de convergence qu'ils
avoient perdu : 3 ° que des rayons divergens
mis à pareille épreuve , perdent d'abord
une partie de leur divergence & la
reprennent enfuite.
On apprend dans deux corollaires qui
fuivent ces expériences , ce qu'on doit attendre
d'un milieu réfringent qui feroit
terminé par deux furfaces courbes , mais
concentriques , ou de celui dont les furfaces
oppofées feroient planes , mais inclinées
l'une vers l'autre .
Par des applications naturelles de ces
faits , on voit pourquoi tout ce que nous
appercevons en regardant dans l'eau , nous
paroît élevé vers la furface ; par quelle raifon
les baffins remplis d'eau nous paroifITO
MERCURE DE FRANCE.
fent moins profonds qu'ils ne le font en
effet , d'où vient que le fond de l'eau , s'il
eft d'une grande étendue nous ſemble courbe
quoiqu'il foit droit ; pourquoi les verres
taillés en prifmes nous changent le lieu de
l'objet , & par quelle raifon ceux qui font
à facettes , nous en multiplient l'image,
& c.
par
Les quatrieme , cinquieme & fixieme
combinaiſons ſe font avec un milieu plus
denfe que l'air , l'air , terminé des furfaces
convexes , & apprennent 1 ° que des rayons
paralleles en entrant dans un tel milieu
deviennent convergents. 2° que fi dans
leur incidence , ils convergeoient au centre
de la ſphéricité du milieu réfringent
il ne leur arrive aucun changement . 3 ° que
leur convergence diminue s'ils tendoient
à fe réunir plus près que le centre , & qu'ellé
augmente au contraire dans le cas oppofé
: 4° que les rayons divergens y perdent
au moins une partie de leur divergence ,
ce qui peut aller jufqu'à les rendre paralleles
, & même convergens.
De cette théorie rendue fenfible par l'expérience
, on tire naturellement l'explication
des faits que voici.
Pourquoi l'ufage des bocaux de verre
remplis d'eau , eft- il fi utile aux artiſtes qui
ont be foin d'une lumiere vive. D'où vient
1
SEPTEMBRE. 1755. III
que les corps plongés dans des vafes de
verre , ordinairement cylindriques , ou à
peu près , nous paroiffent difformes quand
ces vafes font pleins d'eau . Pourquoi les
corps tranfparens & fphériques , raffemblent
les rayons du foleil dans un foyer ; à
quelle diſtance on doit attendre le foyer ;
pourquoi en cherchant à former des foyers,
on a fubftitué les lentilles aux globes , fur
quelles confidérations on a réglé la largeur
des lentilles tranfparentes. Comment les
verres lenticulaires amplifient les images
des objets ; comment dans certains cas
elles nous font voir entr'elles & nous : d'où
vient qu'elles defforment quelques fois ces
images , & c .
>
Par les trois dernieres combinaifons qui
fe font avec un milieu réfringent terminé
par des furfaces concaves , on apprend
1º que par de tels milieux , les rayons paralleles
font rendus divergens ; 2° que
ceux qui font convergens y perdent une
partie de leur convergence , ce qui peut
aller jufqu'à les rendre paralleles ou même
divergens ; 3 ° que des rayons divergens
qui ont leur point de difperfion au centre
même de la concavité du milieu réfringent
, ne fouffrent aucun changement ;
mais que ceux qui viennent de plus loin
que ce centre , augmentent en divergence ,
112 MERCURE DE FRANCE.
<
& qu'il arrive tout le contraire à ceux qui
viennent de plus près.
On voit par là pourquoi les verres concaves
dont fe fervent les perfonnes qui ont
la vûe courte ; font voir les objets plus
petits qu'on ne les voit à la vûe fimple ;
pourquoi l'image eft plus près du verre par
derriere , que l'objet ne l'eſt par-devant ;
d'où vient que ces fortes de verres , diminuent
la clarté de la vifion , & c. 1
Dans la dix- feptieme leçon M. L. N.
commence par traiter des couleurs : « Nous
diftinguons , dit- il , les objets vifibles ,
» non-feulement par leur grandeur , leur
» figure, leur fituation , leur diftance , leurs
dégrés de clarté , & c. mais encore par
» une forte d'illumination qui fait que
» chacun d'eux brille à nos yeux d'une
>>
و ر
façon particuliere , & qui ne dépend
»pas de la quantité de lumiere qui l'éclaire
, c'eft ce dernier moyen de vifibilité
que la nature varie avec une magni-
» ficence fans égale , & dont elle embellit
» toutes fes productions ; c'eft , dis- je ,
» cette apparence particuliere des furfaces
» que nous nommons couleur en général ,
» & dont nous exprimons les efpeces par
les noms de blanc , de rouge , de jaune ,
» de bleu , & c.
Les couleurs peuvent être confidérées
SEPTEMBRE. 1755. 113
1° dans la lumiere à qui elles appartiennent
effentiellement ; 2 ° . dans les corps
en tant que colorés . 3 ° . & dans celui de
nos fens qu'elles affectent particulierement
, & par lequel nous les diftinguons ;
c'eft aufli l'ordre dans lequel l'auteur traite
cette partie ; il préfere le fentiment de
Newton à celui de Defcartes , ou plutôt
il les adopte tous deux , en faifant remarquer
qu'ils ne font pas incompatibles ; &
après avoir rapporté hiftoriquement ce qui
donna occafion aux découvertes du philofophe
Anglois , il remet fous les yeux l'expérience
fondamentale , qui lui fir foupçonner
les deux points capitaux de tout
fon fyftême , fçavoir 1 ° que la lumiere
naturelle eft compofée de fept efpeces de
rayons plus réfrangibles , & plus réflectibles
les uns que les autres ; 2 ° que chacun
de ces rayons a le pouvoir d'exciter conftamment
en nous l'idée d'une couleur particuliere,
D'où il fuit que le défaut de couleur
dans la lumiere naturelle , vient de
l'affemblage complet de tous les rayons
colorés , & que le noir n'eft qu'une privation
de lumiere , plus ou moins parfaite.
M. L. N. rapporte , non pas toutes les
expériences que Newton a faites pour établir
cette doctrine , mais les plus décifives
& les moins difficiles à exécuter , afin , dit114
MERCURE DE FRANCE.
il , que chacun de fes lecteurs puiffe entreprendre
de les répéter , fans craindre de les
manquer. C'eft dans cette vue fans doute ,
qu'il avertit dans des notes , des précautions
qu'il faut prendre en certains cas , du
choix qu'il faut faire des inftrumens & des
manipulations les plus propres à procurer
un heureux fuccès.
A l'occafion de ces expériences , l'auteur
fuivant toujours fa méthode , ne manque
pas de rendre raifon des effets naturels qui
peuvent s'y rapporter. Il apprend par exemple,
pourquoi les objets paroiffent teints
de diverfes couleurs quand on les regarde
au travers d'un prifme de verre , pourquoi
ces couleurs font fituées différemment
quand l'objet eft brun fur un fond clair ,
que quand il eft blanc fur un fond obfcur :
d'où vient qu'une riviere ou un canal vû à
travers un prifme , prend la forme d'un arc
de diverfes couleurs dont la convexité eft
tournée vers la terre : par quelle raiſon un
verre plein d'eau fait paroître dans certaines
occafions avec diverfes couleurs , les
rayons folaires qui le traverfent ; pourquoi
les diamans & les pierres fauffes qui font
brillantées , repréfentent les mêmes couleurs
que le prifme ; enfin comment ſe
forme l'arc-en-ciel , & quelles font les caufes
de fes diverfes apparences.
Après avoir confidéré les couleurs dans
SEPTEMBRE . 1755. 115
la lumiere , M. L. N. examine comment il
peut fe faire que parmi différens corps expofés
à la lumiere naturelle du jour , les
uns fe teignent conftamment des rayons
d'une certaine espece , tandis que d'autres
fe colorent autrement : il penfe que cela
dépend de leurs différentes porofités &
primitivement de la grandeur & de la figure
de leurs parties infenfibles ; car fi les
pores d'une furface font propres à loger
une certaine efpece de lumiere , on conçoit
que les rayons de même nature qui
tomberont deffus , feront réfléchis plus
complettement & en plus grande abondance
que les autres ; & fi c'eft un corps
tranfparent qui foit imbu de cette efpece
particuliere de lumiere , les rayons incidens
de la même efpece , pourront mieux
que d'autres tranfmettre leur action à ceux
qui font au-delà : ainfi , fuivant cette opinion
, tous les corps font pleins de lumiere ;
ceux qui la contiennent avec toutes fes
efpeces , font propres à réfléchir ou à tranf
mettre toutes celles qui fe préfentent à leur
furface , s'ils font opaques ils nous paroiffent
blancs ou brillans , s'ils font tranfparens
, nous les voyons clairs & limpides
comme le verre ou l'eau . Ceux qui n'ont
admis dans leurs pores qu'une forte de
lumiere , ne renvoyent ou ne tranfmettent
116 MERCURE DE FRANCE.
que celle- là , & nous paroiffent rouges ;
verts, bleux , jaunes , & c. Ceux enfin qui
par une contention particuliere de leurs
parties propres ou par le mauvais alignement
de leurs pores , ne peuvent ni renvoyer
ni tranfmettre l'action d'aucune
efpece de lumiere , nous leur avons donné
le nom de noirs ou d'obscurs.
Cette hippothefe eft appuyée par une
fuite d'expériences curieufes , dans lef
quelles on voit 1 ° que deux liqueurs claires
comme de l'eau , étant mêlées enfemble
, fe montrent fous une couleur qu'elles
n'avoient ni l'une ni l'autre. 2 ° . Qu'ane
liqueur fans couleur , fait paffer du
bleu au rouge , ou du verd au violet une
autre liqueur avec laquelle on la mêle .
3 °. Qu'une couleur très- limpide rend
opaque une autre liqueur qui ne l'étoit
pas plus qu'elle ; 4° . enfin , qu'une goute
ou deux d'une certaine liqueur , rend la
limpidité à un mélange qui étoit opaque
& coloré.
A l'appui de ces expériences , arrivent
les obfervations fuivantes , qui s'expliquent
comme elles d'une maniere affez
plaufible , en fuppofant qu'un changement
de porofité fuperficielle ou intime
dans les corps , eft la principale caufe de
leurs changemens de couleur.
2
SEPTEMBRE. 1755 117
On obferve que le papier bleu ou violet,
devient rouge , quand il eft touché par un
acide , que les étoffes fe tachent , par l'attouchement
des matieres qui peuvent en
altérer la texture : que l'action du feu ,
celle du foleil rougit les écreviffes , les
crabes & les autres poiffons cruftalés , que
l'impreffion continuelle de l'air fait prêndre
la couleur verte aux plantes , & qu'en
les en privant on les fait blanchir ; que
plufieurs teintures ou fucs naturels , paffent
d'une couleur à l'autre par la même caufe ;
qu'une legere fomentation fuffit fouvent
pour produire des effets ſemblables , &c .
L'auteur cherche enfuite qu'elle eft la
caufe de la tranſparence des corps : après
avoir remarqué , qu'il n'y a aucun corps .
ni abfolument tranfparent , ni abfolument
opaque , il prouve par plufieurs expériences
& obfervations , qu'un corps , toutes
chofes égales d'ailleurs , trafmet d'autant
mieux la lumiere , que fes parties font plus.
homogenes , ou d'une denfité plus uniforme.
Ces expériences apprennent à ſe défier
de la mauvaiſe foi de certaines gens qui
alterent & changent les écritures , elles
expliquent auffi pourquoi dans certains
tems , le foleil paroît d'un rouge de fang,
= & fe laiffe voir fans bleffer la vûe : par
118 MERCURE DE FRANCE.
quelle raifon la teinture noire eft plus belle
& plus durable quand cette étoffe a été
mife au bleu auparavant.
Le refte de la dix- feptieme leçon roule
fur la vifion , tant naturelle qu'artificielle ;
M. L. N. diftingue ainfi celle qui fe fait à
la vûe fimple de celle qui eft aidée par
quelque inftrument de dioptrique ou de
catoptrique .
par
*
Cette partie commence par une defcription
de l'oeil qui expoſe en détail les parties
de cet organe, leurs différentes fonctions
que l'on imite des expériences
fort curieufes , fort inftructives , & qui
donnent lieu aux explications fuivantes.
Pourquoi la prunelle de l'oeil fe retire
au grand jour , & fe dilate dans l'obfcurité
: comment varient les limites de la
vifion diſtincte ; en quoi confifte le défaut
de la vûe courte , & celui de la vûe longue
: d'où vient que les Myopes , regar- 2
dent de fort près , & les Prefbites de fort
loin : par quelles raiſons l'on croit
que la
vifion s'accomplit fur la choroïde , & non
pas fur la retine : quels moyens contribuent
à la clarté des images , qui fe peignent
au fond de l'oeil. Pourquoi les objets
vifibles qui fe meuvent rapidement ,
produifent des images qui ne leur reflemblent
pas d'ou vient qu'avec les deux
SEPTEMBRE. 1755. 119
yeux nous ne voyons ordinairement qu'une
fois le même objet , quoiqu'il fe peigne
également dans les deux. Comment l'uſage
fimultané des deux yeux nous aide à juger
des petites diſtances. Quelle eft la caufe
duftrabisme ou vûe louche. En quoi confifte
cette maladie de l'oeil appellée cararacle
, comment on y remédie ; pourquoi
dans certaines circonftances on voit tous
les objets teints de la même couleur.
A la fuite de ces obfervations , M. L. N.
explique d'où peuvent naître ces éclats de
lumiere qu'on appeçoit la nuit en ſe frottant
les yeux , ou lorfqu'on fe donne quelque
coup à la tête ; il parle auffi de ces couleurs
que l'on continue de voir , lorsqu'on
ferme les yeux après avoir regardé lé foleik
couchant , ou bien lorfqu'on applique la
vûe pendant quelque tems fur un même
corps de quelque couleur éclatante .
M. L. N. finit , par expliquer les effets
des principaux inftrumens qui fervent à
aider la vûe : « La vifion naturelle , dit-il,
lorfqu'elle eft dans fa plus grande force ,
» dans fon état le plus parfait , eft afſujet-
» tie à des conditions & renfermée dans
» des limites ; fi l'objet n'eft pas découvert
» au point que de lui à nous on puiffe tirer
une ligne droite fans obftacle , nous ne
l'appercevons pas fût-il même conve
120 MERCURE DE FRANCE.
» nablement exposé à nos regards , s'il eft
» trop loin ou trop petit , il nous échappe :
» & c'est encore pis fi l'oeil eft affoibli ou
» mal conformé ; la petiteffe & la diſtance
» le gênent encore davantage.
33
33
33
» Ces inconvéniens ont fubfifté longtems
fans remede ; mais enfin le hazard
» d'un côté , l'induſtrie de l'autre éclairée
& foutenue par l'étude , nous en ont
» affranchis en quelque façon ; par le fecours
des miroirs & des verres taillés
d'une certaine maniere , nous pouvons
» appercevoir ce qui eft caché à nos regards
» directs ; nous découvrons dans le fein de
la nature des êtres qui fembloient devoir
être à jamais imperceptibles pour nous :
» les objets trop éloignés fe rapprochent ,
»pour ainfi dire , & fe laiffent voir dif-
» tinctement : la vûe des vieillards à moitié
» éteinte ſe ranime ; celle qui eft trop
courte devient plus étendue. Enfin ,
quand nos befoins font fatisfaits , les
» mêmes moyens fourniffent encore des
amufemens très-dignes de notre curiofité
n
"
Il eft donc queftion dans cette derniere
partie des lunettes à lire , tant à deux qu'à
un feul verre ; des chambres obfcures , tant
fixes que portatives ; des polemofcopes
grands & petits ; des boëtes optiques ou perf
pectives
1
1
SEPTEMBRE 1755 12r
"
pectives avec des verres convexes , & avec
des miroirs ; des lunettes d'approche à deux
& à quatre verres ; des télescopes de réflection
; des microscopes fimples & compofés ;
du mycrofcope folaire & de la lanterne
magique , « inftrument , dit M. L. N. qu'une
trop grande célébrité a prefque ren-
» du ridicule aux yeux de bien des gens :
on la promene dans les rues , on en
divertit les enfans & le peuple ; cela
» prouve avec le nom qu'elle porte , que
» les effets font curieux & furprenans : &
» parce que les trois quarts de ceux qui les
» voyent , ne font pas en état d'en com-
» prendre les caufes , eft ce une raiſon
» pour ſe diſpenſer d'en inftruire les perfonnes
qui peuvent les entendre ? &c.
En parlant de ces inftrumens , il remon
te aux tems de leur invention , il en défigne
les auteurs , il fait connoître ceux qui
Les ont perfectionnés , & il marque par
des figures bien correctes , la marche des
rayons de la lumiere dans chacun d'eux .
Voilà à peu près les matieres contenues
dans ce cinquieme tome des leçons de phy-
Lique ; leur grande abondance pouvoit faire
craindre qu'elles ne s'y préfentaffent avec
confufion , mais l'auteur en y faiſant régner
beaucoup d'ordre & de précifion , a
fçu éviter cet inconvénient ; & nous
F
#21 MERCURE DE FRANCE.
croyons que le public recevra ce volume
aufi favorablement qu'il a reçu ceux qui
l'ont précédé.
aux
OEUVRES de M. Clermont , Commiffaire
d'Artillerie , en un volume in-4°.
contenant la Géométrie - pratique de l'Ingénieur
, ou l'art de mefurer, ouvrage éga
lement néceffaire aux Ingénieurs
Toifeurs & aux Arpenteurs , avec figures ;
& l'arithmétique militaire , ou l'Arithmétique
pratique de l'Ingénieur & de l'Officier
, divifée en trois parties. Ouvrage
également utile aux Officiers , aux ingênieurs
& aux Commerçans. Nouvelle édition
, corrigée , & de beaucoup augmentée
A Paris , chez Briaffon , rue S. Jacques
,
à la Science. 1755 .
ARCHITECTURE - PRATIQUE , qui comprend
la conftruction générale & particuliere
des bâtimens ; le détail , toiſé & dévis
de chaque partie ; fçavoir , maçonnerie
, charpenterie , couverture , ménuiferie
, ferrurerie , vitrerie , plomberie, peinture
d'impreffion , dorure , fculpture , mar
brerie , miroiterie , &c. avec une explication
des trente- fix articles de la coutume
de Paris fur le titre des fervitudes & rapports
qui concernent les bâtimens , & də
SEPTEMBRE. 1755. 123-
l'ordonnance de 1673 ; par M. Bullet
Architecte du Roi , & de l'Académie roya
le d'Architecture.
: Nouvelle édition , revûe , corrigée , &
confidérablement augmentée , fur- tout des
détails effentiels à l'ufage actuel du toiſé
des bâtimens , aux us & coutumes de Paris
, & aux réglemens des Mémoires , par
M *** Architecte , ancien Infpecteurtoifeur
de bâtiment . Ouvrage très - utile
aux Architectes & Entrepreneurs , à tous
propriétaires de maifons , & à ceux qui
veulent bâtir . A Paris , chez Hériffant &
Savoye , rue S. Jacques ; chez Didot , Nyon
& Damonneville , quai des Auguft. 1755.
Le quatriéme & le cinquiéme tomes des
traités des collations & provifions des Bénéfices
, par M. Piales , Avocat au Parlement
, paroiffent ; & fe vendent à Paris ,
chez Briaffon , rue S. Jacques , à la Science
; & à Chartres , chez Le Tellier , Imprimeur
, au bon Paſteur.
Le quatriéme volume contient les permutations
& réfignations pures & fimples ,
ou démiffions.
Le cinquième comprend les collations
& provifions fur réfignations , avec réſerve
de penfion.
LETTRE de M. Jourdan de Pelerin ,
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
Médecin , Chymifte , privilegié du Roi ,
à l'occafion d'une critique inferée dans le
Journal économique contre fa méthode
de conferver l'eau douce qu'on embarque
fur les vaiffeaux , & de la préferver de
toute corruption , à M. H ...
Cette lettre , qui contient foixante pages
, fe trouve chez Jorry , quai des Âuguftins
, près le pont Saint Michel , aux
Cycognes. 1755. L'auteur y obferve , 1 ° .
qu'on cherche dans le Journal économique
à critiquer les termes dont il s'eft fervi
, plutôt qu'à détruire le fond de fes découvertes.
2 °. Qu'on y préfere la métho
de de M. Appleby fur la maniere de deffaler
l'eau de la mer , méthode fans ſuccès ,
& même impraticable. 3 ° . Que le Jour
naliſte ne connoît ni les effets du mercure
ni la chymie.
Dans fa premiere obfervation , M. Jour
dan fe borne à dire qu'il a toujours eu pour
maxime , que quand il s'agit de fcience ,
l'expreffion recherchée doit le céder à la chofe
, & quoiqu'il foit en état de prouver
qu'il s'eft fervi de termes les plus propres &
les plus ufués , ce point lui paroît trop frivole
pour y répliquer.
La feconde obfervation eft celle , que
l'Auteur approfondit le plus , & celle
auffi fur laquelle nous nous étendrons
SEPTEMBR E. 1755. 129
davantage. M. Appleby dit dans fa métho
de , que pour deffaler l'eau de la mer , il
faut prendre fix onces de pierre à cautere
, & fix onces d'os calcinés , les jetter
fur vingt galons d'eau de la mer , & mettre
le tout enſemble dans un alambic pour
le faire diftiller . Pour nous faire mieux
fentir le danger de cette boiffon , M. Jourdan
nous apprend ce qui compofe la pierre
à cautere : Mettez , dit- il , dans une terrine
une partie de chaux vive , & deux
parties de cendre gravelée , verfez deffus
beaucoup d'eau chaude , laiffez infufer le
tout pendant cinq ou fix heures , faites- le
bouillir un peu , & enfuite filtrer avec du
papier gris , vous ferez évaporer l'eau ,
& il vous reftera un fel ; vous mettrez ce
fel dans un creufet , & vous le ferez fondre.
Lorfqu'il fera en huile , & que l'humidité
en fera évaporée , vous le verferez
dans un plat , vous le couperez pendant
qu'il eft chaud , & vous le mettrez
promptement dans une bouteille de
verre , que vous boucherez avec de la
cire & de la veffie , parce que ce fel ſe réfoud
facilement à l'air , & fe change en
liqueur ; tenez-le dans un lieu fec pour le
conferver , & foyez fûr d'avoir le plus
violent cauftique. Il produit les mêmes.
effets que ceux de la pierre infernale. La
Fuj
126 MERCURE DE FRANCE;
preuve , c'eft qu'on ne fçauroit faire filtrer
l'eau que l'on employe à fa compofition ,
fans qu'elle ne brûle le papier gris dont
on fe fert. Cette pierre corrofive fe joint
encore à une eau , qui de fa nature est fort
pefante , & chargée de beaucoup de fels ,
de foufres & de bitumes. Quelle étrange
boiffon pour ſe rafraîchir ! Avaler un cau
ftique dévorant , que les Médecins n'ofent
appliquer extérieurement qu'avec une circonfpection
fans égale ? Voilà pourtant ,
ajoute l'Auteur , la méthode qu'on a la
bonté de préférer à celle que je donne pour
préferver de toute corruption l'eau douce
qu'on embarque.
Comme fa troifiéme obfervation atta
que le Journaliſte, & devient perfonnelle ,
le filence fur cet article eft le feul parti
qui nous convient , & nous nous y renfermons.
'de
-
LETTRES au Prince Royal de Sue-
, par M. le Comte de Teffin , Miniſtre
d'Etat , & Gouverneur de ce jeune Prince ,
traduites du Suedois. Deux parties in- 12 .
A Paris , chez Jombert , rue Dauphine .
Prix s liv. relié .
Trois traductions françoifes qui viennent
de paroître en même tems de ces lettres ,
font une preuve de leur excellence ; maiş 1
SEPTEMBRE. 1755. 127
-
il s'en faut bien que ces traductions ayent
un égal mérite . Celle de Londres , en un
volume in-8° . eft très imparfaite. Celle
qu'on vient d'achever en Hollande , &
dont on trouve auffi quelques exemplaires
à Paris , eft une copie prefque fervile
de la premiere , à laquelle l'on n'a
fait qu'ajouter quelques fautes. La tradution
que nous annonçons , eft beaucoup
plus exacte , & mieux écrite.
Qu'on ne croie pas qu'un préjugé national
nous faffe donner la préférence à
ce qui s'eft fait chez nous , pour décrier
injuftement ce que les autres ont donné.
Il eft facile à tout lecteur de comparer ces
trois traductions , & de voir enfuite s'il y
a de la partialité dans le compte que nous
en rendon
Pour dire un mot fur le fond de cet
ouvrage , nous ne craignons pas d'avancer
qu'il eft un des plus utiles & des
mieux faits qui ayent paru fur cette ma
tiere. Les maximes les plus faines , les fentimens
les plus nobles , enfin le germe de
toutes les vertus s'y trouvent réunis . Heureux
le Prince qui les pofféderoit toutes
& plus heureux encore fes fujets ! leur félicité
feroit parfaite.
Les Souverains ne font cependant pas
les feuls qui puiffent profiter des lectures
Fiv
728 MERCURE DE FRANCE.
fréquentes & refléchies de cet ouvrage
il n'eft point de particulier qui ne puiffe
en retirer beaucoup de fruit pour l'éducation
de fes enfans. Les préceptes & l'inftruction
qu'il offre font à la portée de tout
le monde , & utiles à tous les états , à
quelques modifications près.
ON avertit le public que le petit livre ,
intitulé Abrégé de l'Histoire universelle pour
en faciliter l'intelligence & la mémoire aux
enfans , & qui fe vend à vil prix & en cachette
, n'eft qu'une copie , mot pour mot,
des Tables chronologiques d'époques élémentaires
principales d'Hiftoire univerfelle
, par M. Mahaux , Maître , affocié
du fieur Viard , demeurant rue de Seine ,
fauxbourg S. Victor , à l'Académie des
Enfans. Ouvrage annoncé d'une maniere
convenable à la bonne méthode qu'il offre
pour la premiere étude de l'hiftoire ,
pour en faire rappeller les dates à ceux
qui l'ont déja faite , au moyen de la difpofition
fimple & naturelle , qui comme
un plan doivent laiffer à la vue le tout
& les parties , pour qu'il foit poffible d'en
appercevoir les différences & les rapports ,
les diftances plus ou moins grandes , fans
être obligé de courir , ainfi que dans un
livre , d'une page à l'autre , & de fe fati-
&
1
1
SEPTEMBRE. 1755. 129:
guer la vûe , les mains , & la mémoire ;
ainfi c'eft cette difpofition plutôt que le
fond de l'ouvrage qui en fait tout le mérite
; & fi on la lui enleve pour n'offrir
fucceffivement qu'une compilation d'époques
, il n'y aura pas plus de méthode ni ,
de facilité de s'inftruire que dans des milliers
d'autres. C'eſt ce que n'a pas fenti le
téméraire . Editeur de cet abrégé.
Il a eu l'ignorance de tranfmettre dans
fa copie furtive jufqu'aux fautes d'impreffion
de fon original . On a déja annoncé
qu'il fe vend chez l'auteur, & chez Piſſot ,
quai de Conti ; & Lambert , rue & proche
la Comédie .
LETTRE au fujet de la place deſtinée à la
ftatue du Roi , & des agrandiffemens de
Paris.
On avertit par une note modefte que
cette Lettre eft moins l'écrit d'un Artifte
qui propoſe un plan pour modele , que
l'ouvrage & le voeu d'un citoyen dont le
zéle a donné l'effor à fon imagination .
Nous croyons pouvoir ajouter qu'elle eft
en même tems la production d'un homme,
d'efprit qui penfe fortement , & qui s'exprime
de même. On la trouve chez Hérif
fant , rue S. Jacques , à S. Paul , & à Saint
Hilaire.
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
COLLECTION ACADÉMIQUE , compofée
des mémoires , actes ou journaux des plus
célébres Académies & Sociétés littéraires
étrangeres , des extraits des meilleurs ouvrages
périodiques , des traités particuliers,
& des piéces fugitives les plus rares concernant
l'hiftoire naturelle , & la botanique
, la phyfique expérimentale & la chy
mie , la médecine & l'anatomie traduits
en françois , & mis en ordre par une Société
de gens de Lettres . 3. vol. in - 4° . A
Dijon , chez F. Defventes , à l'image de la
Vierge , rue de Condé ; à Auxerre , chez
Fournier , Imprimeur-Libraire de la ville .
›
Cette collection intéreffante eft dédiée
AS. A. S. Mgr le Prince de Condé , & fe
vend à Paris , chez Villette , rue du Plâtre ;
Ganneau , rue Saint Severin ; & Guyllin , à
l'entrée du quai des Auguftins. Nous en
donnerons inceffamment un précis.
On trouve chez les mêmes Libraires les
deux volumes de Recueils des mémoires ,
ou collection françoife , extraits des mémoires
de l'Académie des Sciences de Paris
, qui ont été annoncés & mis en vente
en 1754.
SEPTEMBRE 1755. 131
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
ALGEBRE .
SOLUTION DU SYSTEME PROPOSÉ
Par un Anonyme dans le fecond volume du
Mercure de Juin dernier ; Par M. Bezout
, Maître de Mathématiques,
M
.G... ayant propofé dans le Marcure
de Mai un problême d'Algebre,
j'ai effayé d'en donner la folution dans le
Mercure de Juin. Dans le 2d volume de ce
même mois'a paru une autre folution par
un Anonyme. Comme elle eft femblable
à celle de M. G ... je ne ferai aucune remarque
fur cette folution ; ce que j'en dirois
, ne feroit qu'une répétition de ce que
j'ai dit dans le premier Mercure de Juin
& dans celui de Juillet . Cette même folution
eft fuivie d'une invitation faite à M.
G... par l'Anonyme , pour la réfolution
du problême fuivant , fur lequel j'efpere
qu'il voudra bien me permettre de m'eſ-
Layer auffi .
Le problème propofé eft celui- ci : Une
F vj
732 MERCURE DE FRANCE.
perfonne rencontre trois pauvres , & les fai-
Sant ranger en cercle , donne à chacun des
pieces de douze fols , & des pieces de vingtquatre
fols.
Après la diftribution qui eft inégale , il fe
trouve que chaque pauvre a autant de pieces
que l'un de fes voifins a de livres , & autani
de livres que fon autre voifin a de pieces .
On demande combien chaque pauvre reçoit
de pieces de douze fols , & combien de
pieces de vingt-quatre fols.
SOLUTION.
Soient x ,y , z les nombres
de pieces
de douze
fols , x , y , z les nombres
de
pieces
de vingt- quatre
, demandez
. Il eſt
clair
la nature de la question
que x ,
par
1,2 , * , &c . doivent
être des nombres
entiers
pofitifs.
Les conditions du problême fourniſſent
fix équations ; mais de ces fix trois font les
mêmes que les trois autres , ainfi il reſte
pour la folution de la queftion les trois
equations fuivantes ....
x + 1 =
12y +247
20
C
-
12 2 + 242"
2 + 27
20
12 x 24 x*
20
De ces équations on tire , fuivant les
régles de l'Algebre , ces autres- ci .....
SEPTEMBRE. 1755. 133
-
(A ) .... 91x = 902 + 75717x
( B ) ... 917 = 90x + 752 + 17 J
( C ) ... 912' = 90 y +75 x + 17 %
Je fais maintenant dans l'équation ( C )
75x + 172 = p , & je la change en 91 z'
— 90y = p ... ( R ) dans laquelle je remarque
que p étant fuppofé un nombre
entier pofitif , quelconque , puifque les
nombres 91 & 90 coëfficiens de z' & dex
font premiers entr'eux , on pourra toujours
trouver une infinité de nombres entiers &
pofitifs pour & pour y capables de fatisfaire
à cette équation .
z'
Il ne s'agit donc plus , ayant trouvé l'expreffion
générale de toutes les valeurs de y
dans cette équation , que de déterminer
parmi ces valeurs celles qui peuvent fatisfaire
en même tems aux deux autres équations.
Or l'expreffion générale de toutes les
valeurs de y dans l'équation R , eft y = p
+91 u * ( u étant un nombre entier po-
*Cette expreffion eft facile à trouver : L'équation
91 2 ′- 90jp donne y =
+
*'- ; faifant
90 90
90 up , d'où y = p
912 -p
90
น ,
on trouve 2 =
91 ; mais lors mêpas
me que uo , ) , qui pour fors vaut p n'a >
toujours la valeur la plus fimple qu'il puiffe avoir
134 MERCURE DE FRANCE.
fitif, mais moindre que p lorfqu'il eft pris
en ) ; il faut donc fi le problême a quelque
folution, que parmi toutes les valeurs
que peut avoir p + 91 , il y en ait quel
qu'une qui fubftituée à y dans les équations
A & B , rende le fecond membre multiple
de 91 , ou puifque 91 # eft lui - même un
multiple de 91 , il faut que p fubftitué à 7
dans ces mêmes équations rende leur fecond
membre multiple de 91 ; or fi on fair
cette fubftitution en rendant à p fa valeur
75x + 172, on verra facilement que
la chofe a lieu : donc , puifque dans p nous
n'avons affigné aucune valeur particulieàx
& à z , il s'enfuit que quelques valeurs
entieres & pofitives qu'on donne à
& à z , il en résultera toujours des nombres
entiers & pofitifs pour x , y , z J.
Enfin la fubftitution dont nous venons
de parler étant faite , on trouvera ( x &
étant prifes à volonté , ainfi que , pourvû
que x & z foient entiers & pofitifs , & que
и auffi , nombre entier , lorfqu'on le prendra
en
dis-je ,
n'excéde pas 1) on trouvera ,
9.1
c'est pourquoi on peut même prendre négati
vement : or dans ce cas , pour que y foit politif,
il eft facile de voir que p doit être > 91 ½ , où a
SEPTEMBRE. 1755. 239
x = 154 + 62x ± 754
y = 15x + 42 ± 174
2' = 75x + 172 ± 90 n
J = 75x + 172 + 91μ
HISTOIR E.
Suite de l'Hiftoire abrégée des guerres des
Algériens avec les Hollandois , traduite.
de l'Allemand , par M. Radix de Sainte
Foy. 1755.
A
Peine la guerre fut- elle déclarée, que
les Algériens commencerent à croifer
fur les Hollandois , à les attaquer &
à les piller. Leur puiffance augmenta fi
fort en quelques années , que dès 1669
ils étoient déja en état , felon le témoignage
de l'Amiral Ruiter même , d'envoyer
en courfe trente- deux à trente - quatre
vaiffeaux bien armés , & bien munis
d'hommes , dont il y en avoit dix huit qui
étoient des vaiffeaux de guerre , de trente
à quarante piéces de canon , outre plufieurs
galeres cela donna tant d'inquié
tude aux Hollandois , qu'ils manderent au
fieur Beuningen leur Ambaffadeur en Angleterre
, de chercher quelques moyens
1
136 MERCURE DE FRANCE.
avec le Miniſtere de cette Cour pour réduire
ces Corfaires. Cet Ambaffadeur
écrivit à l'Amiral Ruiter , & le pria dans
fa lettre de lui mander fon fentiment fur
quelques points aufquels celui- ci réponpar
la lettre fuivante. dit
» Les vaiffeaux corfaires ont plus de
» monde , & font mieux armés qu'aucuns
» des vailleaux Chrétiens . S'il eft un tems
» où ils ont moins de monde , c'est celui
» de l'été , lorfque les Algériens ont be-
» foin de leurs foldats en campagne pour
» recueillir les tributs des Mores , pendant
que leurs grains font encore fur terre.
" Dans ce tems leurs forces maritimes
>> font fur le pied le plus foible : d'ailleurs
» ils font accoutumés à ne jamais licen-
» cier leurs foldats , & à avoir toujours le
» même nombre de troupes. Ils font obligés
de tenir toujours prêts quelques
>> vaiffeaux pour le fervice du Grand Sei-
» gneur. Ils en envoyent auffi quelques-
» uns pour commercer dans le Levant ,
» & le refte qui fait à-peu -près le tiers
» de toutes leurs forces va en courfe .
» Il eft abfolument impoffible de
pour-
» fuivre les vaiffeaux Algériens jufques
»derriere leur môle , parce que , pendant
prefque toute l'année , tous les vaif-
» feaux venant de la mer , & voulant en-
و د
SEPTEMBRE. 1755. 137
>> trer derriere le môle , lorfqu'ils en font
»à une portée de fufil , tombent dans un
» calme que la réverbération de la chaleur
de la ville caufe par fa fituation , & ref-
» tent dans une telle inaction qu'ils font
» obligés de fe faire conduire par de peti-
» tes barques , ou des chaloupes , ou de
» fe faire tirer avec des cordes ; mais cette
opération eft fi lente , qu'elle donne aux
»habitans le tems d'empêcher par des
trains , des chaînes , ou d'autres moyens
» l'entrée des vaiffeaux , quand même on
»les furprendroit tout- à -fait.
อง
و ر
» J'en ai moi - même fait l'expérience ,
» dit-il , en 16.55 , ainfi que l'Amiral Anglois
Sandvich en 1662 ; mais pour mon-
"trer le danger évident qu'il y a toute
» l'année à tenir bloquée la ville d'Alger ,
» je vous ajouterai que pendant l'hiver les
» vents du Nord , Nord- eft , Nord - ouest ,
» Eft-fud-ouest , foufflent avec tant d'impétuofité
, & agitent la mer avec une
» telle violence , qu'il eft très-dangereux
» d'en approcher ; c'eft ce que les Algériens
éprouverent eux - mêmes en Décem-
» bre 1662 , lorfqu'un vent du Nord - eft
» fit périr , même derriere leur môle , qua-
» torze barbarefques avec fept navires
» qu'ils avoient pris. Quand même on bra-
2 veroit tous ces dangers , & fuppofé que
ود
138 MERCURE DE FRANCE.
par un long blocus on les forçât à faire
la paix , fi leur marine n'en eft point
" affoiblie , ils ne tiendront le traité que
jufqu'à ce qu'ils trouvent leur avantage
à le rompre , comme cela est arrivé plufieurs
fois. Je penfe donc que le meil
leur moyen de leur nuire eft de croifer
» conftamment fur eux , parce que la croifiere
eft ce qui peut leur faire le plus de
tort , & peut feule les empêcher d'en
voyer leurs Pirates fur nos côtes. Qu'on
fe précautionne contre la viteffe de leurs
vaiffeaux , que fur le foir on étende les
➡ nôtres à une bonne diſtance les uns des
➡autres , & qu'on les laiffe dans un courant
avec la petite voile ; par cette ma
noeuvre on laffera les Algériens ; & fi
pendant la nuit ou fur le matin on découvre
un ou plufieurs barbarefques ,
❤que l'on coure auffi -tôt deffus , & qu'on
les attaques de cette maniere , dit- il , je
» les ai tellement refferrés , qu'ils ne pou
voient plus fe ranger fur deux lignes ,
» & qu'il leur falloit combattre defavantageufement
, ou fe retirer fous leur mô→
le ; mais il faut pour cela que les vaif-
» feaux qui croifent ne foient point bor
nés dans les ordres qu'ils ont des Etats
Généraux , & qu'ils puiffent agir &
changer leur croifiere felon l'occafions
ย
1
B
SEPTEMBRE. 1753. 139
L'entretien des bons réglemens qui regardent
l'armement & l'équipage des
vaiffeaux , continue - t - il , la conftruction
des Amiraux , & les ordres pour les
> bonnes eſcortes eft bien le feul & le vrai
➜ moyen de couper entierement les vivres
aux Barbares ; parce que s'ils voyoient
» enfin qu'on leur ôtât toutes leurs reffources
, ils pourroient bien faire un effort
» raffembler leurs forces , former une efcadre
, & attaquer alors les efcortes mémest
» & il n'eft pas douteux qu'avec leurs for-
» ces réunies , ils ne puiffent les enlever ,
parce que le tems du départ & du retour
des vaiffeaux chrétiens leur eft connu
ou que du moins ils peuvent toujours
en avoir avis.
»
« Les vaiffeaux de guerre qui croiferont
» ainfi , pourront aifément tenir en bride
les Corfaires , & quoique ces fortes
» d'armemens foient fort couteux , les convois
font cependant en fûreté ; les efcor-
» tes n'ont pas befoin d'être fi bien équi
» pées , & la République eft refpectée des
Barbares , comme les autres puiffances
>> maritimes. Que la Hollande & l'Angle
terre ſe joignent enfemble , que leurs
» efcadres fe tiennent éloignées l'une de
» l'autre , & que chacune ait fon parage
à nettoyer de ces écumeurs de mer , que
140 MERCURE DE FRANCE .
» même , pour prévenir tout fujet de ja
» loufie , les deux flottes changent de pa-
» rage au bout de quelques mois » .
»
« J'ai exhorté plus d'une fois , » dit encore
notre Amiral , « la Régence des Provinces-
Unies à ne jamais laiffer la Médi-
» terranée , fans y avoir des vaiſſeaux de
croifiere , parce que cela pourroit leur
» être très défavantageux dans quelques
» occafions , & qu'ils fe plaindroient lorf-
» qu'ils ne feroient plus en état d'y appor
»
» ter remede . »
La fin de fa lettre contient une espece
de prophétie fur l'avenir , où il y dit , & les
»Hollandois ont profité heureuſement de
» la fureté que les François & les Anglois
avoient établie dans la Méditerranée en
» y tenant une flotte confidérable ; mais
199 que les Anglois viennent à faire la paix
avec les Algériens , comme les François
l'ont déja faite , & que parlà la Répu-
»blique fe trouve feule en guerre avec les
» Barbares , alors elle court rifque de fouffrir
de grandes pertes. "
Les habitans des Provinces- Unies ont
éprouvé peu de tems après , pour leur malheur
, la vérité de ces paroles. Les Anglois
fous leur Vice - Amiral Allen , & les Hollan
dois fous le Vice - Amiral Van- Gent , s'unirent
en 1670, pour croifer fur les Algé,
e
SEPTEMBRE. 1755: 14T
›
riens felon le confeil de Ruiter , ils firent
échouer & brûlerent fix de leurs armateurs
après un combat de fix heures. Les François
d'un autre côté bombarderent deux
fois la ville d'Alger , & la réduifirent en
cendres ; c'eſt-à dire , une fois en 1682 .
fous Duquefne , & une autre fois en
1688. fous le Maréchal d'Eftrées. Il faut
remarquer en même tems que Duquesne
réitéra plus fort fon bombardement en
1683. Cet évenement fit que Baba- Haffan ,
Roi d'Alger , rendit tous les efclaves françois
, ce qui irrita tellement le peuple Algé
rien qu'il maffacra Baba- Haffan , & plaça
fur le trône fon Amiral Mezzomorto.
Les François en 1688. fous d'Estrées ,
jetterent dans la ville dix mille quatrevingt
bombes , & détruifirent les deux
tiers de la ville & deux vaiffeaux qui étoient
dans le port. Les Algériens pour fe venger
mirent le Conful françois tout vivant dans
un mortier , & le tirerent fur la flotte
françoiſe .
Il eft remarquable dans ce que nous ve
nons de dire , que les François malgré ces
infultes , conclurent un traité de paix dans
l'année fuivante 1689. avec les Algériens
pour fe fervir du fecours de ces Barbares
contre les Chrétiens , fçavoir , les Anglois
& les Hollandois , jufqu'à ce qu'enfin les
142 MERCURE DE FRANCE.
premiers firent auffi la paix avec eux ; ainfi
les Hollandois refterent feuls en guerre
avec les Corfaires , & les perres que fouffrirent
alors leur marine & leur commerce
, acheverent de vérifier ce que Ruiter.
avoit annoncé à la fin de fa lettre.
Enfin il fut conclu un traité de paix en
tre les Hollandois & les Algériens , ce fut
en 1712. que les Hollandois ne pouvant
voir plus long tems d'un oeil indifférent
les pirateries étonnantes de ces Barbares ,
la perte d'un nombre infini de leurs vaiffeaux
, la diminution de leur commerce &
de leur navigation , tandis que les Anglois,
les François & les autres nations , s'enri
chifloient de leurs dépouilles , ils réfolurent
de tout rifquer pour forcer les Algé
tiens à la paix.
En conféquence , ils firent les prépara
tifs néceflaires , & ils parurent devant Alger
avec une eſcadre nombreuſe de vaiffeaux
de guerre & de galiotes à bombes ,
prêts à traiter cette ville corfaire comme
les François leur en avoient déja donné
l'exemple ; les Algériens peu préparés à un
pareil évenement , fe prefferent de faire
des propofitions de paix , & dans cette
même année 1712. le traité fut conclu &
figné.
Les Articles de ce traité contenoiens
SEPTEMBRE. 1755. 143
entr'autres : « Que les deux partis ne croi-
» feroient plus l'un fur l'autre , & qu'ils
fe regarderoient à l'avenir comme amis ,
& fe fecoureroient réciproquement ; que
» les Hollandois dans la vente des mar-
» chandifes qu'ils apporteroient à Alger ,
ne payeroient pas plus de cinq pour
❤cent de douane , & que pour celles qu'ils
» en emporteroient , ils n'auroient rien à
payer ; que lorfqu'ils partiroient d'Al-
» ger ; on ne chercheroit point à les rete-
» nir & à arrêter leur départ fous des prétextes
frivoles . Que fi un navire hollan
» dois échouoit ou périffoit fur leurs côtes,
» les Algériens ne feroient aucun mal à
l'équipage , & ne les feroient pas efclaves
, comme ils le faifoient auparavant
Que tous les différends qui pourroient
s'élever , feroient à l'avenir portés devant
le conful de Hollande , réfident à
Alger , & que les Hollandois auroient
chez lui le libre exercice de leur reli-
» gion. »
99
Cependant quelques belles que furent
ces paroles , les Algériens montrerent bientôt
combien on doit faire peu de fond fur
la parole & fur les promeffes d'une nation
barbare , car dès l'année 1716. ils rompi
rent par une trahifon , un traité fi folemnellement
conclu , & ils parurent en mer
144 MERCURE DE FRANCE .
avec des efcadres nombreufes de barbaref
ques ; de forte que les affaires
fe trouverent
fur le même pied qu'elles
font à préfent.
En un mot , le Roy d'alors , ou plutôt
le Dey d'Alger & le Divan forcés par les
murmures & les mécontentemens du peuple
qui ménaçoit de maffacrer le Dey ,
furent obligés de déclarer la guerre aux
Hollandois qui n'y avoient donné nulle
occafion , car les armateurs fe plaignoient
alors comme aujourd'hui , qu'ils ne trou
voient aucune prife à faire pour fubfifter ,
parce qu'ils vivoient en paix avec trop de
Puiffances.
Lorfque les Etats Généraux apprirent
cette déclaration , ils envoyerent auffitôt
en mer quelques vaiffeaux de guerre pour
croifer fur les Algériens , felon le confeil
de Ruiter. Cet Amiral leur fit à la vérité
beaucoup de tort , fans cependant aucun
fuccès décidé , jufqu'en l'année 1721. que
leurs Hautes Puiffances fe déterminerent
à envoyer dans la Méditerranée une efcadre
confidérable pour forcer les Corfaires
à la paix,
Cette efcadre étoit au commencement
compofée de huit vaiffeaux de guerre &
deux Galiotes ; enfuite elle fut augmentée
de deux ou trois vaiffeaux de guerre fous
le
SEPTEMBRE. 1755. 145
le commandement du Vice - Amiral de
Sommelfdick , parce que les Algériens
étoient affez audacieux pour venir jufques
fur les côtes d'Angleterre pour y faire tous
les jours quelque prife fur les Hollandois.
Lorfque l'efcadre de ce Vice-Amiral parut
dans la Mediterranée , le Dey voulut faire
la paix , mais il en fut empêché par une
révolte qui s'éleva parmi les propriétaires
des vaiffeaux corfaires qui le menacerent
de le maffacrer auffitôt , s'il difoit feulement
un mot de paix avec les Hollandois
.
Dans le mois d'Août 1721. trois vaiffeaux
de guerre Efpagnols commandés par
leVice- Amiral Don Antonio Serano qui avoit
reçu ordre du Roy d'Efpagne de croifer
avec les Hollandois fur les Algériens , joignirent
l'Eſcadre Hollandoife qui étoit à
Malaga. De ce moment les Pirates firent
peu de prifes ou même aucune , & ils furent
tellement refferrés , qu'en 1722. ils
fongerent à faire un traité avec le Dey
d'Oran , le Dey de Conftantine & les plus
puiffans de leurs armateurs , par lequel
chacun d'eux devoit fournir un vaiffeau
neuf de foixante à foixante & dix pieces
de canon. Avec ces forces , ils efpéroient
braver l'efcadre chrétienne ; mais ce traité
ne fut pas exécuté , parce qu'il leur falloit
G
1
146 MERCURE DE FRANCE.
trop de tems pour la conftruction & l'armement
de ces vailleaux.
Dans le mois de May , le Capitaine Landgeveld
qui montoit le vaiffeau de guerre
Edam , prit près d'Heiſant un vaiffeau Algérien
de quatorze canons & de cent quarante
hommes d'équipage , qui avoit à
bord fix efclaves chrétiens . Il le mena à
Cadix où les Turcs & les Mores furent
vendus à l'enchere . Ce vaiffeau de guerre
étoit un de ceux du chef d'efcadre Grave ,
qui étoit forti pour ſe joindre à l'eſcadre
du Vice-Amiral efpagnol Serano , & pour
confulter avec lui les moyens de faire le
plus de tort qu'il fe pourroit aux corfaires
d'Alger & de Salé.
Le 11 Juillet 1722. les vaiſſeaux commandés
par le chef d'efcadre Grave , rencontrerent
près de la baye d'Althea l'efcadre
espagnole que montoit le Vice-Amiral
Don Antonio Serano , compofée de neuf
vaiffeaux de guerre . Le chef d'efcadre vint
au bord du Vice - Amiral pour lui dire
« qu'il avoit ordre de leurs Hautes- Puiffances
de croifer avec lui fur les corfai-
» res d'Alger & de Salé » . Le Vice - Amiral
approuva la réunion & demanda au chef
d'Èfcadre Grave fon fentiment fur les
moyens de la faire le plus avantageufement
aux deux nations. Celui- ci lui réponSEPTEMBRE.
1755. 147
و د
dit en ces termes : « Mon fentiment eft que
pour parvenir au but que nous nous fom-
» mes propofés , nous nous rendions fans
perdre de tems , avec nos deux efcadres
» aux places où les corfaires ont coutume
» de fe tenir. Là , felon les forces que nous
» leur connoîtrons , nous nous féparerons
» en trois ou quatre efcadres , & fur le
» foir nous nous tiendrons en panne , fort
❞ étendus , afin
que fi pendant la nuit ,
» ou à la pointe du jour les barbares nous
» attaquoient , nous puiffions tomber fur
» eux de tous côtés , par là nous gagne-
» rons fur eux beaucoup d'avantage , & la
plûpart de leurs prifes tomberont entre
nos mains. Les Algériens , continue- t - il ,
n'ont pas plus de feize vaiffeaux de cour-
» fe , & ils ont à peine deux mille hom-
» mes de mer , fi nous pouvons leur en
» enlever la moitié , & vendre les hommes
» comme efclaves , la force des autres fera
» bien diminuée , d'autant que les propriétaires
des vaiffeaux corfaires font pour la
dont les moyens
plûpart gens
font peu
» confidérables. Qu'on enleve donc quelques-
uns de leurs vaiffeaux , & qu'on
les empêche de faire aucune prife , alors
ils n'auront plus la force , ni l'envie d'en-
» voyer en mer ; ainfi , ce qui leur reftera
» de vaiffeaux , leur deviendra inutile , &
و د
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
33
» pourrira dans leur port . Il dit plus , files
Algériens perdent une fois leurs gens de
» mer , ils ne pourront de long- tems en
inftruire d'autres , parce qu'ils ne font
prefqu'aucun commerce. Mon avis eft
»donc , puifque le Roi d'Efpagne & les
»Etats Généraux ont décidé que nos deux
efcadres agiroient en commun , & que
leurs ordres ne nous fixent fur aucun
» parage , de croiſer quelque tems dans la
Méditerranée , par-là nous mettrons les
Algériens hors d'état , de plufieurs an-
» nées , de faire le moindre tort aux deux
» Puiffances ".
»
ور
"
Le Vice- Amiral Efpagnol lui répondit ,
« que ces réflexions lui paroiffoient juftes ,
» mais qu'il avoit ordre du Roi fon maî-
» tre fitôt que fes vaiffeaux feroient pour-
» vus d'eau , dont ils avoient grand befoin,
» parce qu'il y avoit déja quarante jours
» qu'ils étoient en mer , fans en avoir fait
» de fraiche , & fans avoir vu plus d'un
vaiffeau corfaire , de cingler vers Alger ,
,, & de mouiller devant la ville pour empêcher
la fortie des Pirates , & furtout de
» huit d'entr'eux , qui felon les avis qu'on
» lui en avoit donné , devoient aller joindre
dans le Levant quelques vaiffeaux
» Turcs ; que par cette raiſon , il l'invitoit
» à partir avec lui pour Alger le dix- huit
SEPTEMBRE . 1755. 149
» du mois , auquel jour il efpéroit avoir
» fait fes provifions d'eau » .
Le chef d'efcadre Hollandois répondit :
<< aller mouiller devant Alger , & y tenir
» enfermés les vaiffeaux prêts à en partir ,
c'eft à mon avis , leur faire bien moins
»de tort que fi nous les attaquions & les
» détruifions en pleine mer , d'ailleurs je
» crains fi vous ne fortez
que
pas
de cette
baye avant le 18 , il ne foit alors trop
» tard pour empêcher le départ des Algériens
, parce que felon le témoignage
» unanime de mes prifonniers
, les corfai-
» res ont coutume de fe mettre en mer
» trois ou quatre jours après la premiere
nouvelle lune , qui tombe après la fête
» de leur Bayram , qui finit après- demain .
" Outre cela les vents de l'Eft & de l'Oueft ,
foufflent avec tant d'impétuofité devant
Alger , qu'il eft très- dangereux de fe te-
» nir long- tems dans la rade avec une ef-
» cadre » .
>
Enfin ils convinrent enfemble que Grave
fortiroit de la Baye d'Althea , le jour ſuivant
qui étoit le 12 de Juillet , & qu'il
iroit fe joindre au capitaine Akerfloor
qui avoit eu ordre , auffitôt qu'il auroit
réparé le dommage qu'il avoit effuyé fur
mer , de croifer aux environs de Malaga ;
que l'Amiral Efpagnol cingleroit droit à
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
Alger le 18. qu'il y jetteroit l'ancre , & que
le chef d'efcadre auffitôt qu'il feroit arrivé
au cap Mole , prendroit pareillement la
route d'Alger pour y mouiller auffi .
Ils convinrent auffi que l'efcadre efpagnole
prendroit fa route par le Levant , &
les Hollandois par le Couchant , pour enlever
plus certainement les Pirates qui devroient
être déja partis ; & que lorfqu'ils
feroient arrivés à la rade d'Alger , & qu'ils
auroient vu l'état des vaiffeaux qui y feroient
, ils examineroient davantage ce que
pourroient faire leurs deux efcadres pour
faire le plus de tort aux Barbares.
Cette convention fut fignée par les deux
commandans , enfuite on donna aux capitaines
des deux eſcadres les fignaux néceffaires
pour qu'ils puffent toujours fe reconnoître
au loin , foit le jour , foit la nuit,
& les rendez- vous furent affignés pour fe
raffembler , foit que les vents de l'Eft ou de
l'Oueft les difperfaffent.
Le chef d'efcadre Grave qui avoit mis à
la voile d'Althea pour Alger le 18 , n'y
arriva que le 27, à caufe d'un grand calme
, & il trouva neuf vaiffeaux corfaires
défarmés derriere le Mole qui étoit garni
d'une batterie de vingt- quatre canons , &
les Barbares bâtiffoient encore un fort à la
pointe extérieure de la Baye du côté du
Levant.
SEPTEMBRE. 1755. 1st
L'efcadre Efpagnole ne fe fit pas voir
devant Alger avant le 31 de Juillet , les
Hollandois s'en retournoient déja lorfqu'ils
la rencontrerent , ils convinrent alors que
les Efpagnols croiferoient jufqu'au 15 Septembre
devant Alger & fur les côtes d'Efpagne
& de Barbarie , depuis le cap Martin
, jufqu'au cap de Gata , pendant que
les Hollandois croiferoient jufqu'au même
jour depuis Malaga & le détroit de Gibral
tar , jufqu'au cap S. Vincent & jufqu'aux
côtes de la Mauritanie. Après cette décifion
les deux efcadres fe féparerent . La
croifiere de l'efcadre Hollandoife qui revint
dans le Texel le 27 Novembre , fut
totalement infructueufe , car elle ne vit
prefque aucun corfaire , & n'en prit aucun,
Les Algériens de leur côté ne leur firent
de même aucune prife pendant tout l'été.
Mais en Avril 1723. Ils mirent en mer
toutes leurs forces , & ils prirent deux
vaiffeaux Hollandois , & deux ou trois
Efpagnols ; dans le mois de Juin ils prirent
quatre ou cinq flûtes Hollandoifes , &
firent encore quelques prifes.
La raifon qui avoit porté les Algériens
à mettre en mer toutes leurs forces , étoit
la grande difette de bled & autres vivres
ce qui faifoit que lorfqu'ils prenoient quelques
bâtimens qui en étoient chargés , ces
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
prifes leur étoient d'un grand fecours , parlà
ils firent aux Hollandois fur tout un
tort confidérable , parce comme le bled
manquoit à Malaga & dans tous les autres.
ports d'Espagne & de Portugal , les Hollandois
en envoyoient des vaiffeaux chargés
qui tomboient entre les mains des Corfaires.
En attendant ces prifes , la difette
de bled , d'huile & d'autres chofes néceffaires
à la vie , étoit fi grande à Alger ,
que les Hollandois qui y étoient , penfoient
que l'on réduiroit facilement la ville à
toute extrémité , fi on bloquoit le port
feulement avec fix vaiffeaux de guerre , &
qu'alors maîtres des habitans , on les forceroit
à une paix avantageufe aux Hollandois.
Malgré la quantité de barbarefques
que les Algériens avoient en mer , le mois
de Septembre fe paffa tout entier fans qu'ils
fiffent aucune prife , mais au commencement
de Novembre , un vaiffeau de guerre
Hollandois , monté par le Capitaine de
Graf, que la tempête avoit écarté de l'efcadre
du Commandant Godin , prit un
vaiffeau de guerre Algérien de vingt- quatre
pieces de canons , & de deux cens dix
hommes d'équipage , & il trouva à fon
bord fix efclaves chrétiens .
Cette efcadre continuoit toujours à croifer
fans effet. Dans le mois de Février
SEPTEMBRE. 1755. 153
1724. Elle fut augmentée de deux autres
vaiffeaux & d'une galiote chargée de munitions
de
guerre .
Le fieur Godin reçut avec ce renfort un
ordre de traiter de paix avec la Régence ;
en conféquence , il fit voile vers Alger , &
dans le mois de Mars 1724. il fit faire des
propofitions de paix au Dey qui parut trèsdifpofé
à les écouter. Les Barbares furent
fi irrités de cette prétendue foibleffe de
leur fouverain , que le 18 Mars aprèsmidi
, comme il fe promenoit fur le bord
de la mer , ils tomberent fur lui avec fureur
& le mirent en pieces , ils éleverent à
fa place un certain Ofman , qui le jour
fuivant fit fabrer dix-huit des affaflins de
fon prédéceffeur.
Alors toutes les négociations de paix
devinrent inutiles , & l'efcadre Hollandoife
fut encore augmentée de deux vaiffeaux
de guerre ; malgré ces renforts tout
le butin qu'elle fit pendant cette année
confiftoit en trois ou quatre vaiffeaux corfaires
, & dans le mois de Décembre elle
revint en Zélande après avoir effuyé une
grande tempête.
Dans le mois d'Avril 1725 , es Hollandois
envoyerent une nouvelle efcadre
fous le Vice-Amiral Sommelick , & ls firent
prier , comme ils le font aujourd hui , le
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
Grand Seigneur , par leur Ambaffadeur à
Conftantinople , de vouloir bien engager
à la paix la République d'Alger . Les Algériens
firent de belles promeffes ; la conclufion
du traité traîna néanmoins juſqu'au
8 Septembre 1726 , mais pendant ce délai,
les Hollandois leur firent tout le tort poffible.
Le traité de paix confifte en douze articles.
Les Corfaires s'y obligerent à tenir
tout ce qu'ils n'avoient pas obfervé jufqu'alors
, comme nous allons le voir.
Plus les Algériens ont juré fur les traités
que la néceffité leur a fait conclure ,
moins ils les ont tenus , & il eft étonnant
après cela que les Puiffances Chrétiennes
puiffent y avoir la moindre confiance
mais ils ne fe font joués d'aucune Puiffance
comme des Hollandois , qu'ils n'ont
refpectés , que tant que leurs vaiffeaux ont
croifé fur eux , & bloqué leur Port.
Les Articles de ce traité montrent combien
peu les Corfaires l'ont obfervé , & la
fuite n'a que trop confirmé leur mauvaiſe
foi. Nous les rapporterons pour
abrégé .
finir cet
I. Il y aura une paix conftante entre la
Régence d'Alger & les Hollandois.
II. Les Hollandois feront tenus de payer
cinq pour cent de douane pour les marchanSEPTEMBRE.
1755. 155
difes qu'ils apporteront fuivant le traité de
paix de 1712 .
III. Les munitions de guerre & les autres
marchandises de contrebande ne feront fujettes
à aucuns droits .
IV. Les Etrangers quife trouveront fur les
vaiffeaux Hollandois ne feront nullement inquietés
par les Algériens.
V. Les marchandifes & les effets des vaiffeaux
Hollandois échoués fur les côtes d'Alger,
ne feront point pillés , & les hommes ne
feront pas faits esclaves.
VI. Il ne pourra entrer aucun vaiſſeau Algérien
dans les ports de Hollande.
VII. Si un vaiffeau Hollandois mouille devant
Alger , il fera pourvu des vivres néceffaires.
VIII. Nul Marchand Hollandois ne pourra
être fait esclave dans aucune place appartenante
aux Algériens.
IX . Si un Commerçant Hollandois meurt à
Alger , on nefera point de faifie de fes biens.
X. Les differends qui s'éleveront entre les
Hollandois les Mahometans , feront jugés
on accommodés par le Conful de Hollande.
XI . Le Conful de Hollande jouira d'une
protection entiere de la République , il aura
chez lui le libre exercice de fa Religion , an
quel les efclaves de la même Religion pourront
affifter.
Ġ vj
156 MERCURE DE FRANCE .
XII. Les paffe -ports qu'on donne auxMarchands
Hollandois feront renouvellés tous les
trois ans , & toutes les hoftilités paffées feront
mifes en oubli.
ABRÉGÉ CHRONOLOGIQUE
De l'hiftoire de la ville de Paris , contenant ce
qui s'eft paffe de plus remarquable dans fon
enceinte, ou aux environs ; par M. Poncet
de la Grave , Avocat au Parlement .
SOUVERAINS .
Jules- Céfar.
'Ancienneté de la ville de Paris ne fçauroit
être mieux prouvée que par l'obfcurité
répandue fur fon origine.
Jules Céfar , (a) qui le premier en a fait
mention , l'appelle Lutetia , plufieurs Auteurs
, après lui , l'ont nommée différemment.
Elle fut affujettie aux Romains vers l'an
704 de la fondation de Rome , environ
cinquante ans avant la naiffance de Jeſus-
Chriſt. Jules - Céfar après en avoir fait la
conquête , y forma l'affemblée générale de
fes troupes , & partit enfuite pour l'Italie.
Les Parifiens profitent de fon abfence pour
fecouer le joug des Romains (b) .
(a) Comment. L. 6. (b ) Céfar , L. 7.
SEPTEMBRE. 1755. 157
Célar apprend leur révolte , rentre dans
les Gaules , fait le fiége de Gergovie , &
dépêche Labienus un de fes Lieutenans ,
contre les Parifiens . Ces derniers , inftruits
de fon retour , & de l'approche de Labićnus
, mettent le feu à leur ville , & vont
au-devant de lui fous le commandement
de Camulogene , vieillard d'une expérienconfommée
; leur armée eft défaite , &
Paris rentre pour la feconde fois fous la
domination des Romains.
Vers l'an 250 , faint Denis qui avoit été
fait prêtre à Rome , arrive à Paris , en eft
le premier Evêque , & après y avoir prêché
la Religion Chrétienne avec le prêtre
Ruftique & le Diacre Eleuthere . Il y reçoit
la couronne du martyre avec fes compagnons
fur le mont Martre , où ils eurent
tous les trois la tête tranchée. Leurs corps
furent enlevés par des perfonnes pieufes qui
les enterrerent dans un champ écarté de la
ville , fur lequel a depuis été bâtie l'égliſe
de l'Abbaye de faint Denis , actuellement
exiftante .
360-1-2 .
Julien proconful des Gaules , fait affembler
un concile à Paris ( c ) , auquel Victorin
Evêque & fucceffeur de faint Denis
(c) Premier concile de Paris,
158 MERCURE DE FRANCE.
préfida. Il y arrive lui-même , y féjourne
deux ans , & manque d'y périr par la vapeur
da charbon qu'on avoit allumé dans
fa chambre dans une urne de terre , fuivant
la coutume de ce tems - là .
Julien.
Julien eft proclamé Empereur à Paris
par les capitaines & foldats de fon armée ,
campée aux environs.
On fixe au regne de Julien la conftruction
du palais des Thermes , ou bains ,
dont on voit encore quelque refte dans
une maifon de la rue de la Harpe.
Jovien.
363 - 4 - 5 •
Jovien ayant fuccédé à Julien qui avoit
renoncé à la Religion chrétienne , caffe
toutes les loix que fon prédéceffeur avoit
faites contre les Chrétiens , & ne regne
que huit mois.
Valentinien I.
Valentinien I. arrive à Paris à la fin du
mois d'Octobre 365 , & y paffe l'hyver. ,
Nous avons de lui trois loix (d) dattées de
cette ville ; la premiere , pour la diftribution
des vivres ; la deuxieme pour l'or , l'ar-
(d) Cod. Theod. Tom. 2. chro. p, 76.
SEPTEMBRE. 1755 .
159
gent , & les autres métaux ; la troifiéme ,
pour les Officiers des monnoies.
Valens affocié à l'Empire.
366 , & c.
Valens défait en Age Procope qui s'étoit
fait proclamer Empereur ( e ) , & envoie fa
tête à Paris , à Valentinien fon frere.
Gratien.
Gratien , fils de Valentinien , fait quelque
féjour à Paris , y livre aux environs
une bataille à Maxime , qui avoit ufurpé
le titre d'Empereur ; il l'a perd , & eft
maffacré par fes ennemis.
Théodofe.
Saint Marcel , natif de Paris , occupe
le Siége Pontifical ; il meurt & fon corps
eft inhumé hors la ville dans une petite
chapelle dédiée à faint Clément .
ROIS DE FRANCE .
Pharamond. Clodion . Mérovée.
45.1--2--3 .
Les conquêtes d'Attila roi des Huns ,
& les ravages que fon armée faifoit aux
environs de Paris , allarment les Parifiens .
Sainte Genevieve effaye de calmer les ef-
( e ) Amm. Marcell . L. 27.
160 MERCURE DE FRANCE.
prits , les exhorte à mettre leur confiance
en Dieu , & leur prédit que ce Prince qui
fe faifoit appeller le fléau de Dieu , ne
paffera pas par Paris ; la chofe arriva comme
elle l'avoit dit , mais plufieurs en profirerent
pour l'accufer de fortilege. On alla
même jufqu'à délibérer de quel genre de
mort on la feroit mourir. Sur ces entrefaites
, l'Archidiacre d'Auxerre arriva à
Paris , & diffipa le complot.
454 , & c.
Les Francs fous la conduite de Mérovée ,
s'avancent vers la Seine ; traverfent la
Seine fous Childéric fon fucceffeur , &
ravagent les environs de Paris.
Childeric 1.
476 , &c.
Les François affiégent Paris , la ville
manque de vivres , & les affiégés font réduits
à la derniere extrêmité. Génevieve
(f) s'expofe feule pour le falut de la patrie ,
elle va elle -même à Arci fur Aube & à
Troyes , d'où elle revient avec plufieurs
batteaux chargés de bled . Childéric , malgré
ce fecours , fe rend maître de Paris ,
& en chaffe les Romains.
Clovis I.
Le Clergé & le Corps de Ville , à la fol-
(f) Vitafanita Genovefa. p. 146.
SEPTEMBRE. 1755. 161
licitation de fainte Génevieve , font batir
une Chapelle fur le tombeau de S. Denis.
507-8.
Clovis , premier Roi Chrétien , vient à
Paris après la fameufe bataille de Vouille
en Poitou , il y fixe le Siége principal de
fon Empire ; habite le Palais des Thermes ,
& fait bâtir l'Eglife de Saint Pierre & Saint
Paul , aujourd'hui Sainte Génevieve .
509-19.
Sainte Génevieve , déja très - avancée en
âge , meurt à Paris le trois Janvier 509. &
eft enterrée hors la ville du côté du Midi.
Les Parifiens remplis de vénération pour
cette Sainte , élevent une petite chapelle
fur fon tombeau .
511 , & c.
Rédaction de la Loi par Clovis ; ce prince
fonde l'abbaye Sainte Génevieve , meurt
& eft enterré dans l'églife qui étoit alors
fous l'invocation de S. Pierre & S. Paul.
Childebert.
Les quatre fils de Clovis , partagent le
royaume entr'eux . Thieri regne en Auftrafie
, Clodomir à Orléans , Childebert à
Paris , & Clotaire à Soiffons . Clodomir eft
tué dans une bataille contre les Bourguignons
& laiffe trois fils.
162 MERCURE DE FRANCE.
533, &c.
Clotaire inftruit de cet évenement ,
vient à Paris & délibere avec Childebert
fon frere , de priver leurs neveux du royaume
de leur pere , la réfolution prife , ils
font venir les trois princes , & Clotaire en
malfacre deux de fa propre main , le troifieme
, nommé Clodoalde fe fauve , & eft
rafé . On l'invoque fous le nom de faint
Cloud.
Childebert , Thieri & Clotaire partagent
entr'eux le royaume d'Orléans .
Clotilde fait inhumer les jeunes princes
Theobalde & Gonthier dans l'Eglife de
S. Pierre & S. Paul , & quitte enfuite
Paris pour revenir à Tours,
$43 , & c.
Mort de Clotilde , veuve de Clovis , à
Tours ; fon corps eft apporté à Paris , où
par les foins de Childebert & de Clotaire ,
elle eft enterrée à Sainte Génevieve auprès
de Clovis , & à côté de Clotilde fa fille
femme d'Amalaric , roi des Vifigoths .
Elle a été mife au nombre des Saints.
551-2-3-4 .
;
Childebert affemble un concile à Paris
(g ) les Evêques au nombre de vingt-fept , y
( g ) Deuxieme Concile de Paris.
SEPTEMBRE. 1755. 163
épofent Safaraque Evêque de cette capiale
, & le releguent dans un Monaftere.
Le feu prend à quelques maifons de
bois , & les flammes pouffées avec violence
font craindre un incendie général . Saint
Lubin Evêque de Chartres alors à Paris ,
fe met en prieres & l'embrafement ceffe .
555-6-7.
Childebert ( b ) par les confeils de
Saint Germain Evêque de Paris , fait rebâtir
la cathédrale , & lui donne de grands
biens.
Célebre ordonnance de Childebert ( i ) ,
qui ordonne le renversement de toutes les
idoles , & punition de cent coups de fouet
contre les efclaves qui profaneront le Dimanche
, & contre les perfonnes libres ,
d'une amande pécuniaire.
Troifieme concile de Paris ( k ) fous le
pontificat de Saint Germain. Ce concile
(1) auquel Probien Archevêque de Bourges
préfida , fit dix canons tendant à la
confervation des biens eccléfiaftiques & à
la liberté des élections des Evêques.
Childebert fonde l'abbaye S. Vincent ,
connue aujourd'huy fous le nom de Saint
(h) Apud Duch. tom. I. p . 464. ( i) Balut. capit.
Reg. Fr. L. I. p. 6. ( k ) Troiſieme concile de Paris.
( 1 ) Concile , tom. 5. p. 814.
164 MERCURE DE FRANCE.
Germain des Prés , & y dépofe outre l'étole
de ce premier titulaire , quantité de vafes
précieux qu'il avoit apportés de Tolede,
la dotte d'amples revenus , & lui accorde
de grands privileges. L'églife finie le 23
Décembre eft dédiée , & la regle de Saint
Benoît eft introduite dans cette Abbaye
peu de tems après.
S. Germain l'Auxerrois fondé par Childebert
, dont on voit la figure avec celle
de la reine Ultrogothe fa femme , au grand
portail de cette églife.
558.
Mort de Childebert enterré à Paris dans
l'égliſe de S. Germain des Prés , on voit
encore fon tombeau au milieu de cette
églife.
Premier exemple de la Loi fondamentale
qui n'admet que les mâles à la couronne.
Clotaire fuccede à fon frere à l'exclufion
de fes deux nieces .
Clotaire I.
559-60-61
.
Clotaire arrive à Paris , enleve tous les
tréfors de fon prédécefleur , y fait trèspeu
de féjour , retourne à Soiffons , & y
meurt laiffant quatre fils.
562-3-4-5 .
Chilpéric quoique le plus jeune , veut
<
SEPTEMBRE. 1755. 165
avoir Paris pour fon partage , fes trois
freres s'y oppofent , on tire au fort les
quatre royaumes , & il eft roi de Soiffons ,
Caribert.
Caribert a Paris en partage , & fait
gouter à fes fujets la douceur de la paix.
Interregne.
566.
Caribert meurt & eft enterré à S. Germain
des Prés , fes freres partagent fa fucceffion
, mais comme chacun vouloit avoir
la ville de Paris (m) , ils conviennent de la
pofféder tous trois par indivis fous la condition
qu'aucun des trois n'y entreroit fant
le confentement des deux autres , & que
celui qui violeroit le ferment perdroit dès
ce moment la part qu'il y auroit.
567 , &c.
Quatrième Concile de Paris ( n ) , convoqué
par Gontran , Roi d'Orléans & de
Bourgogne , dans l'églife S. Pierre & S.
Paul. Les Evêques du Royaume affemblés ,
au nombre de trente ( ) deux , propoſent
plufieurs voyes d'accommodement pour
(m ) Préfident Henault , Abrégé de l'Hiftoire de
France , page 12. (n ) Quatrieme concile de Paris.
(9) Concile , tom . V. p . 918 .
166 MERCURE DE FRANCE.
terminer les différends des deux Rois , Sigebert
& Chilperic , ce qui ne réuffic
574.
pas.
Sigebert paffe la Seine , à la tête d'une
puiffante armée, force Chilperic à demander
la paix, ravage les environs de Paris, &
fes foldats portent leursmains facriléges fur
le tombeau de S. Denis, qu'ils dépouillent
de fes ornemens.
575.
La paix eft conclue entre les deux Rois ;
mais à peine Sigebert s'eft- il retiré , que
Chilperic la viole. Sigebert indigné , s'avance
vers Paris , en ravage tous les environs
, fe rend maître de Rouen & de toute
la Neuftrie , & vient à Paris avec la Reine
Brunehaut & fes enfans.
Chilperic épouvanté de ce malheur &
de la mort de fon fils Théodebert , fe fauve
dans Tournai ; Sigebert l'y pourfuit ,
& met le fiége devant la ville . Il eſt aſſaſfiné
dans fon camp , & Chilperic revient
à Paris , où ayant trouvé la femme de fon
frere , il pille tous fes tréfors , & l'exile
à Rouen.
576.
Mort de S. Germain , Evêque de Paris ,
âgé d'environ quatre-vingt ans . Il eſt enterré
dans la chapelle de S. Symphorien ,
SEPTEMBRE . 1755. 167
au bas de l'églife S. Vincent , à préfent S.
Germain des Prés , au côté droit du veftibule.
577
Cinquiéme Concile de Paris ( p ) , tenu
dans l'églife S. Pierre & S. Paul , compofé
de quarante- cinq Evêques ( q ) affemblés
par ordre du Roi Chilperic pour juger la
caufe de Prétextat , Evêque de Rouen ,
accufé de trahifon . Ce Prélat , quoiqu'innocent
, s'avoua coupable , pour appaiſer
le Roi , qui lui avoit fait infinuer ce moyen
de le fléchir ; il fut néanmoins dépofé &
exilé dans l'ifle de Jerfai , où il demeura
jufqu'à la mort de Chilperic.
579,80 , 81 .
( r ) Le crime d'adultere alors puni de
mort à Paris. Etabliſſement de l'égliſe Saint
Julien le Pauvre , place Maubert.
582.
Il tombe à Paris une pluie de fang (S)
qui infecte tout ce qu'elle touche .
Chilperic laffé de l'infolence des Juifs
qui habitoient la rue de la Juiverie , entre
le pont Notre- Dame & le petit Pont ,
veut les forcer d'embraffer la Religion(t )
(p ) Cinquiéme Concile de Paris. ( 9 ) Greg.
Tur. liv. s . chap. 19. ( r ) Idem , liv. 5. chap. 35 .
(S ) Idem , liv. 16. c. § . ( t ) Idem , c . 17.
163 MERCURE DE FRANCE.
Chrétienne , quelques uns fe foumettent ,
les autres quittent le Royaume.
583.
La Seine & la Marne débordent confidérablement
. Plufieurs perfonnes font
noyées entre la cité & S. Laurent.
La veille de Pâques , Chilperic fort
brufquement de Paris , & y rentre à la fuite
d'une proceffion de reliques . Fait baptifer
fon fils par Ragncmode , Evêque de
Paris , qui fut fon parrein , & le nomma
Thiery. Chilperic (u) fait à cette occafion
des aumônes confidérables , & rend la
liberté aux prifonniers.
Ce Prince fort une feconde fois de Paris
, fait un traité avec les Ambaffadeurs
du Roi Childebert , contre Gontran , Roi
d'Orléans ; rentre enfuite dans la ville , en
fort de nouveau pour affembler fon armée
près de Melun , brûle & pille tout ce qui
fe trouve fur fon paffage , livre la bataille
à Gontran , la perd , demande la
paix , l'obtient , & rentre dans Paris.
$ 84.
Chilperic part pour Soiffons , d'où la
mort de fon fils Thieri le rappelle bientôt
à Paris. A peine y eft il arrivé , que la
Reine lui apprend qu'un bruit populaire
(1 ) Greg. Tur. ch. 25.
-
fait
SEPTEMBRE . 1755 169
fait foupçonner des femmes d'avoir fait
mourir le jeune Prince par des fortileges.
Le Roi les fait arrêter ; elles avouent leur
crime à la queſtion , & font punies de mort.
Monmole , Préfêt de Paris , compris
dans leur dépofition , avoue avoir reçu un
breuvage de leurs mains ; il eft chargé de
chaînes , & conduit en prifon , on lui fait
fon procès ; & lorfqu'il alloit être condamné
à perdre la tête , la Reine le fauve ,
& le fait conduire à Bordeaux , lieu de fa
naiffance , où il mourut de douleur en
arrivant .
Chilperic reçoit à Paris les Ambaſſadeurs
de l'Euvigilde , Roi des Vifigoths ,
qui lui demandent Rigonte fa fille en mariage
, pour Ricarede , fecond fils de leur
Roi.
Chilperic agrée cette alliance , fait préparer
un train magnifique pour conduire
Rigonte en Espagne. Il prend par force
des efclaves ou ferfs dans les villages voifins
pour groffir la fuite de la Princeffe.
Childebert II dépêche des An.baffadeurs
à Chilperic pour s'en plaindre.
Rigonte part , & le chariot caffe aux
portes de Paris. On prend cet accident à
mauvais augure. Effectivement la Princeffe
ne va que jufqu'à Toulouſe , parce
que Ricarede inftruit de la mort de Chil-
H
170 MERCURE DE FRANCE.
peric affaffiné à Chelles en revenant de la
chaffe , fait une autre alliance.
Prétextat , Evêque de Rouen, qui avoit
été déposé au cinquième Concile de Paris ,
& exilé dans l'ifle de Jerfai , eft rappellé
& rétabli fur fon fiége , la Reine Frédegonde
, devenue veuve , fe retire auprès
de l'Evêque de Paris , & fe foumet avec
Clotaire fon fils à Gontran , frere de Chilperic
arrivé à Paris , avec une armée formidable.
Childebert arrive quelque tems après ,
& les Parifiens lui refufent l'entrée de leur
ville .
585.
Gontran eft feul maître de Paris. Il
compoſe un Confeil pour le jeune Clotaire
, & oblige Frédegonde à quitter Paris
: elle fe retire au Vaudrueil , où elle
fouffre impatiemment de fe voir fans autorité.
Gontran tient une affemblée à Paris.
Les Amballadeurs du Roi Childebert s'y
rendent , & y font maltraités ; ils n'obtiennent
ni portion du Royaume de Paris ,
qu'ils demandent , ni la liberté de Frédegonde
, veuve du feu Roi Chilperic.
Le même Prince craignant d'être affaffiné
, fe retire à Châlons- fur-Saone , & reSEPTEMBRE.
1755. 171
vient l'année d'après à Paris , pour tenir
fur les fonts de baptême Clotaire fon
neveu. Il envoie à cet effet les Evêques
de Lyon , d'Autun & de Châlons , avec
plufieurs Officiers de fa maifon pour conduire
fon Neveu à Ruel , où il étoit alors.
Delà il part pour Nanterre , où la cérémonie
fut faite .
Childebert envoie des Ambaffadeurs
pour fe plaindre de l'infraction au dernier
traité. Gontran leur promet de nouveau
de l'exécuter.
Les corps de Clovis & de Mérouée font
trouvés & tranfportés dans l'églife de S.
Vincent , par ordre du Roi.
Un incendie confume prefque toute la
ville à l'exception des églifes.
Childebert & Gontran fe promettent
une fincere amitié dans l'affemblée d'Andelot
fur les confins du Royaume de Bourgogne
, près de Langres . Par ce traité , la
troifiéme partie de Paris & du territoire
qui avoit appartenu au Roi Sigebert
refta à Gontran , avec Châteaudun , Vendôme
, le pays d'Eftampes , & celui de
Chartres.
Gontran meurt.
On donnera la fuite le mois prochain.
* Greg. liv. 8 , chap. 33 .
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
JURISPRUDENCE.
Réflexions fur la maniere d'enfeigner &
d'étudier le Droit.
J
de
Amais fiécle n'a été plus éclairé que celui
dans lequel nous vivons. L'efprit géométrique
qui y regne , a porté la lumiere
dans les fciences & dans les arts. On ne fe
contente plus de connoiffances légeres &
fuperficielles , la Philofophie dans fes commencemens
, enveloppée des plus épaifes
ténébres , dans la fuite éclairée par
fauffes lueurs , eft aujourd'hui une ſcience
où l'on n'admet que ce qu'on comprend ,
& où l'on ne fe conduit que par des principes
connus. La Médecine long- tems fondée
fur les préjugés & fur l'expérience , eft
en état de rendre raifon de toutes fes opérations.
Les arts qui dépendent du goût &
de l'intelligence ne s'apprennent plus par
la feule pratique , mais encore par la méthode.
En tout on fe conduit d'une maniere
également prompte & fûre : on rend
raifon de tout , on démontre tout juſqu'aux
beautés de ftyle , jufqu'aux beautés de
fentiment .
Une ſcience feule femble n'avoir aucuSEPTEMBRE
1755. 173
ne part à ces progrès & à ces avantages ;
c'eft la fcience du droit , la plus belle néanmoins
par l'origine de fes maximes , la
plus intéreffante pour le bien de la fociété
, la plus fatisfaifante peut-être fi elle
étoit connue & pratiquée par des efprits
dignes de s'y appliquer. Nous avons vû
paroître de nos jours quelque compilation,
quelques éditions nouvelles augmentées
de notes , quelques abrégés d'ordinaire
fecs & décharnés , mais du refte aucun
ouvrage de génie en cette matiere ,
aucun ouvrage.
d'un caractere nouveau .
Plufieurs cauſes , il eft vrai , peuvent
produire cet inconvénient. Défauts dans
les difpofitions de ceux qui étudient cette
fcience ; défauts dans les livres qui la
renferment ; défaut dans la méthode de
l'enfeigner dans les Univerfités ; difcrédit
où elle eft dans l'efprit du public.
Les perfonnes qui étudient cette fcience
, font quelquefois celles qui l'envifagent
le moins dans fon objet & dans fes
principes. Les uns la regardent fimplement
comme l'inftrument de leur fortune , les
autres comme une occupation attachée à
leur état , & ce n'eft ni le befoin ni l'état
qui déterminent les qualités de l'efprit.
Les livres qui la renferment , font des
livres très-imparfaits. Le recueil des loix
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
compofé par Tribonien , eft un véritable
chaos plein d'obfcurités & de contradictions
vraies ou apparentes , où les vrais
principes font noyés dans la décifion des
cas particuliers répandus en des endroits
tout- à - fait différens , où ce qui eft préfenté
comme principe , n'eft fouvent
qu'une décifion d'un cas particulier , &
où le moindre défaut , quoique par luimême
très-conſidérable , eft le défaut de
méthode .
Malgré l'étendue de ce recueil , il s'en
faut bien qu'il contienne la décifion d'une
infinité de cas , c'eſt ce qui a donné lieu
à plufieurs Auteurs en différens tems de
ramaffer les décifions de ceux qui fe font
préfentés. Ces décifions n'ont pas toujours
été les mêmes fur les mêmes cas , le tems
donne des vûes & diffipe bien des erreurs.
Des réglemens d'ailleurs bons dans de cer
taines circonftances demandent d'être
changés ou modifiés dans d'autres ; mais
fi l'on continue ces fortes d'ouvrages ,
comment n'en fera-t-on pas accablé dans
les fuites ?
›
On trouve bien peu de reffources pour
réfoudre les difficultés dans certains auteurs
qui ont travaillé fur le droit , aucun
d'eux n'a guere connu la vraie méthode .
La plupart de ces interprêtes nés fans goût
SEPTEMBR E. 1755. 175
naturel , & écrivant dans un tems d'ignorance
& de ténébres ont rempli leurs écrits
des plus grandes inepties & des plus grandes
fadaifes. Ceux qui ont travaillé le plus
fenfément , ne ſe font point mis en peine
d'aider les commençans.
Il y en a qui ont travaillé d'une maniere
folide & profonde , on en convient
mais comme ils ne font point législateurs
eux-mêmes , & qu'ils n'ont fouvent que
leur opinion , quoique refpectable . Pour
les bien comprendre , & pour faire un
ufage affuré de leurs découvertes il fau
droit avoir étudié prefque autant qu'eux ,
& bien peu de perfonnes font dans le goût
& la fituation néceffaires pour cela . Au
furplus , ce peu de perfonnes ne feroient
pas , du moins de leur vivant , fort utiles
à la fociété.
Les Profeffeurs de cette fcience , foit
qu'ils n'ayent à faire qu'à une jeuneffe indocile
& ignorante , foit que leur ambition
fe trouve bornée par la place qu'ils
occupent , font fujets à enfeigner le Droit
d'une maniere peu noble & affez infructueufe.
Les fubtilités du Droit romain , &
plufieurs autres inutilités rempliffent leurs
cayers , ils acquierent par là plus de gloire,
& il y en a parmi eux qui ne font que trop
fouvent regardés que comme de vains dif-
Hiiij coureurs.
176 MERCURE DE FRANCE .
On fe contente aujourd'hui , comme on
s'eft prefque toujours contenté dans les
Univerfités , de dicter la premiere année
des études du droit des commentaires fur
les inftitutes de Juftinien , que chacun
compofe à fa fantaisie ; on y fuit communément
le même ordre qui s'y trouve , &
cet ordre n'eft point du tout méthodique.
Il n'y a point de page qui , pour être bien
comprife , n'ait beſoin de la page fuivante.
On eft réduit à expliquer ce qu'il y a
d'obfcur par des citations accablantes des
loix du Digefte , que la jeuneffe comprend
encore moins. C'eft porter un flambeau
éteint dans l'obfcurité de la nuit. On eft
fujet à y mêler une infinité de chofes inutiles
& hors d'ufage , qui font perdre de
vûe ce qu'il feroit utile de retenir.
Les autres années on explique quelques
titres du Digeſte , où il n'y a pas plus d'ordre
; on fe fatigue à concilier les contradictions
des loix par le fentiment des Interprêtes
, qui ne font pas toujours d'accord
entr'eux . On confond l'étude du
Droit romain avec l'étude du droit de fon
pays ; & comme chacun a des principes
différens , au lieu d'employer utilement
fon tems on le perd réellement , & on
n'apprend ni l'un ni l'autre .
Dans ces circonftances , l'expérience fait
1
SEPTEMRE. 1755. 177
voir , qu'il eft difficile a prendre le goût
de cette fcience ; & faute de l'avoir pris ,
le premier ufage qu'on fait de fa liberté ,
après ces études, eft d'oublier tout ce qu'on
a appris , & de fe féliciter de l'avoir oublié.
Il faut pourtant convenir , que malgré
ces difficultés , il fe trouve des perfonnes
qui s'appliquent à l'étude du droit , & qui
font en état de donner leur décifion fur
tous les différens qui fe rencontrent. Il s'en
trouve fans doute , & il s'en trouvera toujours.
Mais à la réferve d'un bien petit nombre
que l'amour de la gloire peut faire agir,
fi l'on confulte les autres , ou qu'on examine
de près leur conduite , on verra que
ce n'eft qu'un intérêt vil & méprifable en
pareil cas qui les conduit. La néceffité leur
fait furmonter les dégoûts inféparables du
commencement de cette étude , & dès
qu'ils en fçavent aſſez
décider ce qui
fe préfente , ils ne vont pas plus loin , &
n'approfondiffent pas.
pour
Il est aisé de voir combien le peu d'élévation
dans les fentimens chez des perfonnes
qui fe deſtinent à cette étude entraîne
d'inconvéniens , leurs lumieres en
deviennent fufpectes , les Juges en deviennent
incertains & irréfolus , les plaideurs
en deviennent capricieux & obſtinés.
Hv
178 MERCURE DE FRANCE
Toutes ces miferes font tomber cette
fcience dans le difcrédit , les perfonnes
éclairées , les amateurs des autres fciences
qui n'en jugent que dans ceux qui la pratiquent
, en prennent de fauffes idées . Ils
voyent que certains ne la cultivent que
par un intérêt fordide , & s'ils penfent noblement
ne la regardent que comme un
métier. Ils la voyent pratiquée par des efprits
médiocres , fans goût & fans talens ,
& la regardent par- là comme une fcience
peu fatisfaifante , peu digne des recherches
d'un homme curieux & pénétrant. Ils
font confufément inftruits des longueurs
& des fombres détours de la chicane , de
la fauffe interprétation qu'on peut faire
des loix , & regardent comme effentiel à
cette fcience un abus qui lui eft entierement
étranger. C'eft ainfi que penfent des
connoiffeurs fenfés & judicieux en toute
autre rencontre. D'autre côté , une infinité
de gens oififs qui cherchent néanmoins
à orner leur efprit & à bien conduire leurs
affaires , regardent la plus légere étude du
droit comme quelque chofe entierement
au- deffus de leur portée , héfitent dans les
moindres chofes qui y ont rapport , & ont
toujours befoin des lumieres d'autrui
dans des chofes qu'ils auroient pû , fans
beaucoup de peine , voir diftinctement
par leurs propres yeux.
SEPTEMBRE. 1755. 179
Ainfi cette, fcience ne trouve prefque
plus perfonne qui l'étudie pour elle- même
tandis que plufieurs autres fciences
moins utiles trouvent des amateurs fideles
qui s'y attachent , qui y entrent , qui les
approfondiffent. Auffi eft elle fuivie de
bien peu d'honneur & de bien peu de gloi
re , fi l'on examine celle à laquelle elle
pourroit prétendre , & qui lui a été autrefois
accordée .
Quelle gloire en effet de faire fon occupation
de ce qui fait la vraie utilité
pu
blique , fi on la fait avec les talens , les
motifs , la dignité convénables ? Quelle
gloire n'ont pas eu parmi les Grecs ceux
qui les premiers ont travaillé à écrire & à
faire pratiquer des loix ? Quelle gloire
n'acqueroient pas les Jurifconfultes parmi
les Romains ? La fcience du Droit élevoit
anx emplois les plus brillans , aux poftes
les plus diftingués , & affuroit à ceux qui
la pratiquoient une vénération publique .
Seroit- il avantageux de remédier à l'inconvénient
dont on vient de parler : &
feroit-il impoffible d'y réuffir
Il femble qu'on ne peut méconnoître
les avantages qu'il y auroit de rendre l'étude
du Droit en même tems plus fami
liere & plus recommandable. Sans parler
de l'excellence du droit naturel , qu'on ne
1
>
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
peut méconnoître , qu'en n'étant homme
qu'à demi , fans rapporter les pompeux
éloges qui en font faits , fans parler du
droit public dont , quiconque prend intérêt
au bien de fa patrie , devroit defirer
d'être inftruit , l'étude elle - même du droit
civil n'eft pas fans utilité , ne fut - ce que
pour conduire fes propres affaires , pour
abandonner à propos des prétentions injuftes
, ou incertaines . Pour y parvenir , il
ne feroit pas néceffaire d'être Jurifconfulte
par état , ou Avocat confultant ; il fuffiroit
d'apprendre quelques principes & quelques
régles , dont le détail pourroit être
rendu intéreffant , & qui n'eft pas infini ,
d'y apporter une difpofition & une attention
qu'on emploie pour plufieurs chofes
qui entrent dans une éducation au- deffus
de la commune.
Il feroit donc à fouhaiter qu'on enſeignât
le droit avec la dignité & la méthode
convénables pour en faire naître le
goût de plus en plus , & pour en affurer
le progrès. Pour cet effet il conviendroit
peur- être que ceux qui font prépofés à cet
exercice , fuffent parfaitement inftruits
du droit de la nature & des gens , & qu'ils
viffent clairement dans ce droit le fondement
de tous les autres. On fçait qu'il y
a dans des états voifins , des Univerfités
SEPTEMBRE . 1755. 181
où il y a une chaire particuliere pour le
Droit de la nature & des gens. Il feroit à
fouhaiter qu'on fe départît de l'ancienne
forme d'enſeigner le droit , & qu'on s'appliquât
à donner les vrais élémens de cette
fcience , autant qu'elle en eft fufceptible .
Qu'on divifât les matieres , qu'on fît bien
fentir en chacune ce qui eft d'un droit immuable
d'avec ce qui n'eft que d'un droit
pofitif , qu'un avantage public a néanmoins
fait introduire ; qu'on fçût faire
comprendre ce que c'eft que la rigueur du
droit , & dans quel cas il eft permis d'y
apporter du tempérament. Il feroit fans
doute infiniment plus avantageux d'inftruire
la jeuneffe de ces principes , que de
leur apprendre le détail des régles , ils les
apprendroient affez enfuite d'eux-mêmes.
Les anciens Jurifconfultes qui ont compofé
des inftitutes du Droit romain , fembloient
avoir reconnu la néceffité de fe
fervir de principes dans l'étude de cette
fcience. Ils en avoient pofé au commencement
de leur ouvrage , mais principes fi
primitifs , fi généraux , que l'application
n'en peut pas beaucoup fervir dans le
détail , & d'ailleurs on n'en voit point
dans la fuite de cet ouvrage.
Suivant cette méthode , on pourroit enfeigner
la premiere année ce qui regarde
182 MERCURE DE FRANCE.
les conventions , & les autres engagemens
qui en font les fuites . Dans la feconde , ce
qui regarde les fucceffions & les matieres
teftamentaires. Dans la troifiéme , quelques
matieres qui ont une origine particuliere
, comme les matieres des fiefs , ou
quelques matieres du droit public.
Il eft à préfumer qu'en fuivant ce plan
avec foin , peu à peu le goût de cette fcience
prendroit ; on verroit les perfonnes même
qui ne fe deftinent pas à s'y appliquer
toute leur vie aimer à fe remplir de principes
qui feroient d'ufage dans la conduite
de leurs affaires ; on verroit des perfonnes
qui fe deſtinent à l'état eccléfiaftique
fe rendre capables par ce moyen d'être
dans la fociété d'une utilité infinie.
Un des foins principaux des Profeffeurs
devroit être de difcerner parmi ceux qui
étudient fous eux , ceux qui fe trouvent
avoir le génie de la fcience qu'on leur enfeigne.
On fçait qu'on entend par génie
l'aptitude naturelle que des perfonnes ont
de faire bien au prix d'une légere étude
ce que d'autres avec une étude pénible ne
parviennent à faire qu'imparfaitement . On
ne doit pas douter qu'il ne faille un génie
particulier pour l'étude des loix , un caractere
d'efprit fingulier une heurenfe pofition
de coeur. L'inſtruction ſeule & l'apSEPTEMBRE
. 1755. 183
plication ne fuffifent pas , l'expérience ie
démontre . Où font les compagnies un peu
nombreuſes où l'on ne voie bien fouvent
des Magiftrats qui , fans étude , mais par
une droiture d'efprit qui leur eft naturelle ,
vont au but & à la vraie décifion , tandis
qu'on en voit , qui ayant forcé leurs talens
, & s'étant remplis de connoiffances
femblent ne s'en fervir que pour donner à
gauche avec plus d'obftination .
Ce difcernement mériteroit d'autant
plus d'attention , que parmi ceux qui s'appliquent
à l'étude du droit , c'eft prefque
un hazard s'il en eft quelqu'un qui ait .
pour cette étude les difpofitions naturelles
. Sur cent écoliers qui prendront une
année des dégrés dans une Univerſité de
Droit , c'eft beaucoup s'il y en a trois qui
en faffent dans la fuite leur objet. Les autres
Gradués le négligent entierement. Ce
petit nombre dont on parle , ne fe détermine
que par des circonftances particulie
res où il fe trouve , comme la néceffité
de remplir quelque érat , ou de pourvoir
aux befoins de la vie. Difpofitions infuffifantes
, & avec lefquelles on ne va pas
loin.
Ce difcernement ainfi fait , ce feroit à
des Profeffeurs habiles & zélés pour la
gloire de leur art d'encourager les jeunes
་།
184 MERCURE DE FRANCE.
éleves en qui ils verroient luire les étincelles
de ce génie. Il ne le pourroient gueres
que par leurs exhortations , & par leurs
exemples : mais quand il y auroit dans
l'état quelque diftinction & quelque récompenfe
pour les génies peu communs ,
cela ne paroît pas devoir tirer à une grande
conféquence.
De Ville-Franche , de Rouergue ,
ce 15 Juillet 1755 .
HISTOIRE NATURELLE.
Leure à l'Auteur du Mercure.
ONSIEUR , les deux articles que
M inférés fous mon nom Vous avez
dans le Mercure du mois de Mai dernier ,
ont furpris certaines perfonnes réellement
fçavantes , ou fimplement curieufes , &
les ont engagées à me demander fi les faits
dont je parle , font auffi réels qu'ils font
intéreffans , & pour quelles raifons j'en
cachois au public les preuves & les détails.
Un particulier de Paris ne s'eft pas contentéde
faire ces demandes générales , il en
a fait de particulieres , & paroît exiger que
je lui communique à lui-même les détails
de mes découvertes dans l'Artois. Je crois
SEPTEMBRE. 1755. 185
devoir répondre en deux mots à ces interrogations.
Je ferois difpenfé de le faire ,
fi on n'avoit pas fouftrait , * fans mon aven ,
dans un de mes deux derniers extraits
quelques termes qui annonçoient mes travaux
& mes projets , & qui auroient prévenu
les demandes qu'on me fait aujourd'hui.
Je travaille depuis plufieurs années
à de mémoires fur l'Hiftoire naturelle &
ancienne de la province d'Artois , que j'ef
pere donner au public , quand j'aurai un
peu plus de tems. Les preuves de détail
qu'on me demande , font des richeffes que
j'ai acquifes , & dont je n'ai point envie
de me dépouiller fi -tôt en faveur de qui
que ce foit , parce qu'elles doivent faire
une partie de mon ouvrage ; je me fuis
contenté d'en indiquer en général quelques-
unes dans un difcours fur l'Hiftoire
naturelle , lû à l'Affemblée publique de la
Société Littéraire d'Arras en 1754 ; mais
je réſerve les détails circonftanciés pour
l'ouvrage que je deftine au public. Il n'eft
pas naturel que je les communique à un
particulier avant le tems. Les faits que j'ai
annoncés ' , font réels. La chauffée romaine
a été découverte. Il en exifte encore une
partie : on ne peut fe tromper aux marques
caracteristiques qu'elle a offertes aux
* C'eſt la Société d'Arras qui a fait cette fuppreffon.
186 MERCURE DE FRANCE .
travailleurs. Les monnoies celtiques , ou
du moins que je crois telles , trouvées dans
l'Artois , ne préfentent pas toutes des caracteres
celtiques; vous fçavez , Monſieur,
qu'il y en a de différentes efpeces ; celle
qui en a de deux côtés , n'en eft pas pour
cela plus lifible. Quand je les aurai fait
graver exactement , je fupplierai Meffieurs
de l'Académie royale des Infcriptions &
Belles - Lettres , de les examiner , & de
m'aider à en donner l'explication . Je me
ferai toujours gloire de foumettre à leurs
lumieres toutes mes découvertes & mes
obfervations.
Les tombeaux trouvés à Dinville ne
peuvent autorifer que des conjectures fur
leur antiquité ; c'eft pourquoi j'ai ajouté ,
quand j'en ai parlé , que peut - être ils
avoient plus de deux mille ans. Leur matiere
& leur forme femblent confirmer ce
que j'ai avancé : au refte ils feront gravés ,
& j'expoferai dans le tems les raifons qui
me paroiffent indiquer la plus haute antiquité.
Si les vafes trouvés dans la fabliere de
Baralle ne font pas Romains , leur forme
paroît l'être , & une gravûre exacte affurera
peut- être qu'ils le font en effet.
J'ai l'honneur d'être , &c.
J.M. Lucas , de la Compagnie de Jefus.
A Arras , ce 22 Juillet 1755.
SEPTEMBRE. 1755. 187
MEDECINE.
Réflexions fur la fixiéme obfervation que le
fieur Darluc , Médecin de Callian , a
fait inférer dans le premier volume du
Mercure de Juin.
Sla
vérité
I tout écrivain eft obligé de prendre
la vérité pour guide , nul ne contracte
plus étroitement cette obligation que celui
qui écrit pour l'inftruction du public , &
pour le bien de la fociété . Plus on eft louable
par le motif que l'on fe propofe , plus
on eft blamable quand on s'écarte des bornes
de la vérité .
J'avoue qu'en lifant les obfervations
que M. Darluc , Médcin de Callian , a fait
inférer dans le Mercure du mois de Juin $
je fus fort édifié du zéle qui l'animoit , &
des fentimens qu'il y étaloit fous l'enveloppe
de la modeftie ; mais en jettant les
yeux fur la fixiéme obfervation , j'eus
beaucoup à rabattre de cette premiere idée.
Elle roule fur un fait dont j'ai été témoin ,
que M. Darluc a accommodé à fa guife
pour en faire une obfervation qui augmentât
le nombre des autres , & leur donnât
du poids.
&
L'Obfervateur devoit plus de juftice
1
188 MERCURE DE FRANCE.
à ·la vérité qu'il a fardée avec art , & à moi
qu'il a déprimé avec une habileté maligne.
L'honneur m'engage à rendre compte aú
public de ma conduite pour me juftifier à
fes yeux , & l'amour de la vérité veut que
j'expoſe ingénuement le fait , afin que ce
même public réduife l'obſervation à fa
jufte valeur.
Ce fut au mois de Septembre 1754 ,
que je fus appellé pour traiter la fille du Sr
Ferran , Aubergifte de la ville de Graffe ,
mordue par un chien au métacarpe gauche.
Cette morfure étoit fort légere , quoiqu'en
dife l'obfervateur , elle n'intéreffoit
que la peau.
Cependant , comme en pareil cas rien
n'eſt à négliger , & que tout peut tirer à
conféquence , je traitai cette maladie avec
toute la précaution poffible. Mon premier
foin fut de faire des fcarifications , & une
ligature au-deffus du poignet , & je laiſſai
faigner la partie plus de tems même que ne
demandoit l'état de la maladie. Je lavai la
main avec une eau thériacale , j'appliquai
enfuite fur la plaie , partie égale de thériaque
& d'huile de fcorpion. Quelque
tems après j'employai pendant huit à dix
jours un doux fuppuratif , qui n'empêcha
pourtant pas la playe de fe confolider. En
me fervant de ces topiques , je ne manquai
SEPTEMBRE. 1755 189
point de donner à la malade les antidotes
convénables. Les remédes ainfi adminif
trés , étoient , comme l'on voit , plus que
fuffifans pour remédier à tout inconvé
nient , fuppofé même que la maladie n'eût
pas été équivoque.
On peut fe perfuader aifément que M.
Darluc , appellé fur cette entrefaite , ne
pouvoit manquer d'avoir beau jeu . Il fut
préfenté au fieur Ferran par fon maître de
Mufique , comme un renommé guériffeur
de la rage. Le Chirurgien ne fut point
appellé , ce qui affurement n'eft pas une
preuve de la prudence du Médecin ;
auffi n'agit- il que par maniere d'acquit.
Je ne fçais comment il ofe avancer que la
cicatrice de la plaie étoit fort douloureuſe ;
puifque de l'aveu de tous les parens , la
malade n'y a jamais reffenti la moindre
douleur : convenons auffi que fes remédes
euſſent éte bien infuffifans , fi la perfonne
eût été réellement hydrophobique.
1°. La pommade mercurielle étoit en
trop petite quantité pour produire l'effet
qu'on s'en promettoit . Il eft certain que
dans quinze jours le virus devoit avoir
fait bien des progrès , & avoir impreigné
toute la maffe des humeurs , par conféquent
fuffiroit- il de faire quelques légeres
frictions fur la partie offenſée ?
190 MERCURE DE FRANCE.
2º . Les frictions furent faites par la
mere de la fille ; rare prudence de la part
du Médecin , de confier à une femme cette
opération délicate , & d'où il fait dépendre
la guérifon de la maladie !
3 °. La malade ne fut affujettie à aucune
eſpèce de régime.
Le turbith minéral , dont l'obfervateur
faifoit un fecret de l'air , n'a du tout point
été pris par la fille , fes parens ayant affez
de lumiere pour comprendre l'inutilité &
le danger de ce remède donné à un âge
fi tendre ( environ quatre ans. )
Au furplus M. Darluc auroit dû , avant
que d'employer fon prétendu fpécifique ,
prendre les informations néceffaires , il
auroit appris que le même chien , qu'il dit
vraisemblablement enragé , ne l'étoit vraifemblablement
pas ; puifqu'il en avoit
mordu bien d'autres qui ne le furent jamais
: D'ailleurs , m'étant enquis avec ſoin
de tout ce qu'avoit fait ce chien , je n'ai
pas pû tirer la moindre induction qu'il
fut attaqué de la rage.
Voilà en abrégé l'hiftoire véritable de
tout ce qui s'eft paffé au fujet de cette prétendue
maladie . J'ai crû que la justice &
la vérité exigeoient de moi cet élairciffement.
Je n'ai pas prétendu par - là nuire à
la réputation de M. Darluc , qui peut être
SEPTEMBRE. 1755. 191
d'ailleurs un homme très- eftimable . Je ne
voudrois pas même que l'on mît fes autres
obfervations en parallele avec celle - ci ,
je voudrois feulement , je ne m'en cache
point , le rendre plus exact obfervateur &
plus équitable juge.
Crefp , Doyen des Maîtres
en Chirurgie.
A Graffe , ce 5 Juillet 1755 .
SEAN CE.
de l'Académie Royale de Chirurgie.
L'Académie Royale de Chirurgie tint fa
feance publique le 10 Avril , à laquelle
M. dela Faye préfida comme Directeur.
M. Morand, Secrétaire perpétuel , ouvrit
lafeance par le Difcours fuivant.
L
E feu eft un moyen que les Grecs , les
Romains , les Arabes , employoient
avec une égale confiance pour guérir les
maladies chirurgicales ; & la lecture des
Anciens nous apprend qu'ils n'ont fait que
fe copier fur cela . Les grandes découvertes
font en général dues au hazard ; le raifonnement
n'eft venu qu'après. A remonter
à l'origine des chofes , il eft vraifemblable
que l'ufage du feu appliqué aux opé
192 MERCURE DE FRANCE.
rations de Chirurgie , a été imaginé d'après
l'effet de la brûlure faite par accident.
L'inftant en eft fort vif pour la douleur ;
les Anciens ont pû conclure que le feu devoit
être un remede dans les cas de ftupeur
où il eft néceffaire d'exciter de la fenfibilité.
Le moment douloureux de la brûlure
étant paffé , il en résulte une eſcarre au
moyen de quoi une partie plus ou moins
profondément affectée , doit être féparée
de celles avec lesquelles il y avoit commerce
de fucs nourriciers ; les Anciens en
ont pu conclure que le feu étoit un moyen
de féqueftrer le mort d'avec le vif. L'ef
carre d'une brûlure étant formée , il ſe fait
une fuppuration plus ou moins abondante,
à l'aide de laquelle les parties qui étoient
gonflées , fe détendent & fe débarraffent
d'une quantité d'humeurs proportionnée
a la grandeur de l'efcarre ; les Anciens en
ont pu conclure que le feu étoit un remede
capable d'exciter des fontes falutaires. Enfin
l'efcarre étant tombée , l'on découvre
une déperdition de fubftance , fuite de la
piece emportée , qui laiffe une breche plus
ou moins large à la partie faine ; les Anciens
en ont pu conclure que le feu étoit
un moyen de faire ouverture , en fuppléant
à l'incifion . Cette fpéculation toute nue
des effets de la brûlure , pourroit être regardée
SEPTEMBRE . 1755. 193
gardée comme la bafe de la doctrine des
Anciens fur cette matiere , & dès-lors ils
ont du employer le feu dans beaucoup de
maladies ; mais ils en ont abufé , & l'on
ne peut s'empêcher d'être furpris , quand
on voit cet abus porté au point de convertir
la Chirurgie opérante en pyrotechnie.
L'acquifition des connoiffances qu'introduit
naturellement la fucceffion des
tems , donneroit lieu de croire qu'à mefure
qu'on s'éloigne du fiecle d'Hippocrate , on
a fubftitué des moyens de guérir moins
cruels. Cependant le fameux traité de
Marc-Aurele Severin , Profeffeur à Naples,
eft de 1646. Cet Auteur met tout en feu
pour guérir les maladies du corps humain ,
il annonce fon traité dans les termes les
plus pompeux , il l'intitule la Chirurgie efficace.
Nouvel Hercule , c'eft avec le feu
qu'il combat l'hydre morbifique . Il ne tarit
point fur les éloges qu'il donne à ce remede.
Il eft vrai que l'anatomie & la chymie
ont fait depuis ce tems- là des progrès bien
plus rapides , & de-là font venues les opérations
méthodiques qui font tant d'honneur
à la Chirurgie moderne.
Les notions anatomiques ont infpiré le
courage d'ouvrir avec le fer , la poitrine
inondée de liqueurs devenues étrangeres
le foye rempli de pus , les dépôts foup-
I
194 MERCURE DE FRANCE.
çonnés dans les parties les plus effentielles
å la vie , de fendre l'anneau inguinal ou
l'ombilical , pour lever l'étranglement de
celles qui font engagées dans les hernies ,
de lier les arteres pour arrêter les grandes
hémorragies.
La Chymie perfectionnée a fourni des
topiques dont l'application moins effrayante
que celle d'un fer rougi au feu , détruit
des parties dénaturées , & certaines tumeurs
qui , en termes de Botanique , feroient
bien appellées parafites. enfin la Chirurgie
plus éclairée a reconnu l'erreur des
Anciens à l'égard du feu tombé depuis le
dix-huitieme fiecle dans le plus grand difcrédit
; & en effet , il paroît déraisonnable
de l'employer pour la phthifie , l'empyeme,
l'abcès du foye , le gonflement de la rate ,
l'hydropifie , l'extirpation des amygdales ,
les luxations , les hernies ; auffi l'ufage en
eft-il profcrit dans les cas dont il eft queftion
, quoiqu'on le voye encore foutenu
pour les luxations & les hernies par les auteurs
de quelques differtations , même trèsrécentes
, puifqu'il y en aune de 1752. A la
vérité ces Auteurs ne font pas Chirurgiens ,
& c'eft la feule réfutation qu'ils méritent .
Les arts font fujets à certaines révolutions
dont les époques femblent conftater
dans les mêmes tems les progrès de l'efprit
fur certains points , & fa décadence en
SEPTEMBRE. 1755 . 195
d'autres , l'ufage du feu comme remede de
Chirurgie , n'avoit qu'à perdre à mefure
que l'on augmentoit en connoiffances , &
la délicateffe des hommes augmentée auffi
à mesure qu'ils s'éloignoient de la fimplicité
des premiers tems , y trouvoit fon
compte. Infenfiblement l'on a oublié ce
point de l'aphorifme d'Hippocrate , qui eft
cependant très- vrai dans beaucoup de cas :
ce que le fer ne guérit point , le feu peut le
guérir. Les modernes ne l'ont confervé que
pour l'appliquer fur les os qui dénués de
leur périofte font infenfibles , & pour tout
le refte l'ayant abandonné à la Médecine
vétérinaire , iillss oonntt ffeerrmméé lleess yeux fur les
merveilles que celle - ci opere.
En même tems que les Méthodiques ont
rejetté le feu , les Empyriques ont mis les
médicamens cauftiques à tout , & c'eſt
avec peine que l'on voit cette contagion
gagner quelques Chirurgiens d'ailleurs
très - habiles. Ils n'ignorent cependant pas
le danger de l'arfenic , des différentes préparations
de fublimé , du précipité rouge ,
quoique fimplement appliqués fur des
chairs ; ou bien il faudroit ( ce que l'on ne
peut fuppofer ) qu'ils ignoraffent que les
veines , mêmes les
réforbans , peuvent
fuccer les parties corrofives de ces
remedes , les porter dans la maffe des
4
pores
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
liqueurs , & les empoifonner.
L'ACADÉMIE avoit déja propofé les cauftiques
pour fujet du prix de 1748. confidérant
en particulier le feu ou caufere actuel
, & fans ceffe occupée de la perfection
de l'art , elle a trouvé la doctrine des anciens
& celle des modernes également répréhenfibles
; les uns ayant abufé du feu ,
les autres l'ayant abfolument négligé . Elle
en a fait le fujet d'une queſtion intéreffante
qui conduifoit naturellement à cette
feconde queftion très- utile : en quels cas le
feu doit- il être préféré aux autres moyens pour
la cure des maladies chirurgicales , & quelles
font les raifons de préférence. Cette matiere
déja préfentée pour le prix de 1753 ,
n'ayant pas été affez approfondie , a été
propofée de nouveau pour cette année
1755 , avec promeffe d'un prix double ;
c'eft à- dire , que celui qui au jugement de
l'Académie , auroit fait le meilleur mémoire
auroit deux médailles d'or de la valeur
de 500 livres , ou une médaille d'or ,
& la valeur de l'autre au choix de l'Auteur.
Les efpérances de l'Académie n'ont pas
éré vaines ; elle a reçu vingt-un mémoires ,
dont trois font restés au concours . Elle adjuge
le prix double au numéro 20 , qui
porte à la premiere page une emblême de la
Salamandre avec la devife : Nimium extinguit
, defideratum renovat ; & à la derniere
SEPTEMBRE . 1755. 197
page l'emblême d'un phoenix , avec la devife
Crematus ipfe refurgit. M. de la Boffiere
, Chirurgien Major des dragons de la
Reine a fait les preuves néceffaires pour
retirer le prix . L'Académie a jugé dignes
de l'impreffion , le mémoire numéro 14
ayant pour devife : Labor eft non levis effe
brevem , & le mémoire latin , numéro 5 ;
avec cette devife : aut Davus aut Edipus.
Après ce difcours , M. Morand lut l'avis
fuivant.
Il eft dit dans le teftamment de M. de la
Peyronnie que les revenus des fonds qu'il
a laiffé à la Communauté des Maîtres en
Chirurgie de Paris , étant appliqués à l'ufage
particulier qu'il ordonne lui-même en
être fait en trois articles , le furplus fera
employé en dépenfes pour l'utilité & les
progrès de la Chirurgie & de l'Académie
royale de Chirurgie.
Il vient d'être réglé qu'outre la médaille
de cinq cens livres pour le prix dont l'Académie
donne le fujet , il y aura dorénavant
une autre médaille d'or de deux cens
livres donnée chaque année à celui des
Chirurgiens étrangers ou regnicoles , qui
l'aura mérité par un ouvrage fur quelque
matiere de Chirurgie que ce foit , au choix
de l'Auteur ; ce fecond prix fera nommé
prix d'émulation .
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Plus , cinq médailles d'or de cent livres
chacune pour cinq des Académiciens de la
claffe des libres & des Chirurgiens regnicoles
qui auront fourni pendant le cours de
l'année un mémoire ou trois obfervations
intéreffantes.
Le prix d'émulation fera adjugé publiquement
l'année prochaine avec le prix
ordinaire. Par ce nouvel établiſſement ,
l'Europe partagera avec nous les bienfaits
de M. de la Peyronie , tandis que nous
rendrons fidelement à l'Europe les fruits
de ceux dont nous lui fommes redevables
en particulier.
1
Lettre de M. de la Chapelle , Cenfeur royal , à
l'Auteur du Mercure.
L vient de paroître , Monfieur , un Examen des
dernieres obfervations de M. de Lalande, de l'Académie
royale des Sciences , par M. Jodin , Horloger
, en date du 20 Juillet 1755 , chez Lambert , &
muni de mon approbation , du 4 Août . Au manufcrit
que j'ai paraphé , on en a ſubſtitué un autre
, qui paffe de beaucoup les bornes de la modération
& d'une défenſe légitime . L'honnêteté publique
y eft peu ménagée , & l'on y manque d'égards
pour le corps refpectable de l'Académie des
Sciences. Je n'ai donc aucune part à cette brochure
. L'Auteur en convient ; & c'eft pour cela ,
Monfieur › que je vous prie de rendre cette Lettre
publique. Je fuis , &c.
Nous ajoutons que
que la brochure eft
A Paris , ce 21 Août 1755 .
l'Avertiffement eft aufli faux
mefurée.
peu
SEPTEMBRE. 1755. 199
ARTICLE I V.
BEAUX ARTS.
**་ །,
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
Explication d'un tableau peint à l'encre de la
Chine, repréfentant l'Union de Pfiché avec .
l'Amour , dédié à Madame la Comteffe
de Gifors ; par M. Gofmond de Vernon ,
Deffinateur & Penfionnaire du Roi.
E tableau, qui a pour objet le mariage
de M. le Comte de Gifors, avec Mlle
de Nivernois , eft compofé de plufieurs
grouppes de figures.
Le grouppe fupérieur repréſente Jupiter
dans la gloire , accompagné de Junon . Le
Souverain des Dieux paroît donner fon
applaudiffement à l'Union de Pfiché avec
l'Amour , qui fait le principal fujet du tableau.
Junon appuyée fur une corne d'abondance,
répand des fleurs fur les époux :
heureux préfage des douceurs & des fruits
précieux que doit produire cet Hymenée !
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Ces Divinités qui , chez les anciens , préfidoient
aux mariages illuftres , ont pour
but de défigner l'augufte approbation que
le Roi & la Reine ont fait l'honneur d'accorder
à celui- ci .
On voit au -deffous , l'autel de l'Hymen :
Pfiché eft à côté , couronnée de roſes, qui
donne modeftement fa main à l'Amour.
Ce Dieu vole à elle , & marque par fon
air empreffé , combien il eft fenfible au
bonheur , dont il va jouir. L'Union de ce
Dieu & de cette Déeffe , préfente d'une
maniere allégorique M. le Comte de Gifors
, fous la forme de l'Amour ; & fous
celle de Pfiché , les perfections de Madame
la Comteffe fon épouse .
Au bas de l'autel eft l'Hymen , qui
tient un cartouche , où les armes des époux
font réunies . Il exprime par fon foûrire ,
la joie qu'il reffent d'unir le plus aimable
& le plus chéri des Dieux à la Beauté , qui
feule a eu droit de le charmer. Le flambeau
& l'arc de l'Amour dépofés , près de lui ,
auffi bien que les palmes jointes à l'écuffon
, font des types affez clairs de la tendreffe
& de la gloire qui doivent réfulter
d'une femblable alliance .
Les grouppes qu'on obferve fur les côtés
, font allufion aux maifons refpectables
qui s'uniffent enſemble par ce mariage.
SEPTEMBRE . 1755. 201
Celui qui eft auprès de l'Amour , défigne
allégoriquement Mr le Maréchal Duc
de Belle- Ifle , fous les figures de Minerve
& d'Hercule , images de la fageffe , du
goût , de la fublimité des talens & de là
force du courage du héros qu'on a voulu
caractériſer. Hercule appuyé fur fa maffue
& fon bouclier , regarde avec fatisfaction
un Hymenée qui met le comble à tous fes
voeux , & Minerve offre une branche d'olivier
, fymbole du bonheur qui doit naître
d'une union que fa prudence a fçu ménager.
Le grouppe proche de Pfiché , eft compofé
d'Apollon & des Graces , Divinités
qui caractérisent M. le Duc & Madame la
Ducheffe de Nivernois. Les graces couronnées
de myrthes , préfentent une pareille
couronne fur la tête de Pfiché , &
paroiffent répandre fur elle par leur regards
affectionnées tous les dons aimables
dont elles peuvent gratifier les mortels .
Apollon , que la deftinée unit à ces filles
du ciel , confidere avec tranfport une liarfon
qui lui eft fi chere , puifqu'il y voit
réuni tout le prix de fes heureux talens &
de fes lumieres .
202 MERCURE DE FRANCE.
GRAVURE.
Nfentant une vue de marine peinte par
OUS annonçons une eftampe repréqu'e
le célébre M. Vernet , dédiée à M. le Marquis
de Marigny. L'accueil & les éloges
'elle a reçus , prouvent affez le mérite
de cette gravûre. Nous ne pouvons mieux
la louer que de tranfcrire ici les propres
expreffions de M. Vernet fur cet ouvrage
, tirées de la lettre qu'il a écrite à M.
Balechou , & préfentée à M. de Marigny
en même tems que l'eftampe gravée
Avignon.
·
Lettre de M. Vernet.
Monfieur , je fuis extrêmement fatisfait
de l'eftampe que vous avez gravée d'après
un de mes tableaux ; elle eft bien entendue,
& a toute la force & l'harmonie qu'on
peut defirer dans une gravûre. J'approuve
très-fort l'intention où vous êtes de la dédier
à M. le Marquis de Marigny , il y va
de ma gloire & de mon intérêt , puifque
cela pourra augmenter la bonne opinion
qu'il a de mes talens , lorfqu'il verra que
vous employez le vôtre à tranſmettre à la
SEPTEMBRE . 1755. 203
postérité mes ouvrages . M. de Marigny a
trop de goût & de difcernement pour ne
pas faire un bon accueil à votre eftampe
& vous rendre toute la juftice que vous
méritez.
J'ai l'honneur d'être , & c.
A Toulon , le 3 Mai 1755 .
Vernet.
LE ST LE ROUGE , Ingénieur , Géographe
du Roi , rue des Auguftins , près
la rue S André , vient de publier une nouvelle
carte du Canada & de la Louifiane
pour l'intelligence des affaires actuelles en
Amérique.
Un effai du cours de l'Oyo ; l'élévation
perfpective de l'école royale militaire ; le
plan de la place de Louis XV. On trouve
chez le même l'Amérique feptentrionale ,
en huit feuilles , publiée a Londres par le
Docteur Mitchel . Prix 36 liv . Plus , un
affortiment des meilleures cartes & eftampes
Angloifes ; & un catalogue général des
meilleurs livres qui ont paru depuis cinquante
ans , en diverfes capitales de l'Allemagne
, & qu'il fournira à jufte prix .
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
ARCHITECTURE.
Suite des mémoires d'une Société de
gens
Lettres publiés en l'année 2355.
Po
de
OUR fuivre l'ordre des matieres plu-
τότ que celui du livre , nous pafferons
au cinquième mémoire qui traite d'architecture.
M. Gainfay y donne ſes réflexions fur
l'ancien bâtiment qu'on nomme le Palais
Royal. C'étoit autrefois la principale demeure
des Ducs d'Orléans , avant qu'ils
euffent bâti ce fuperbe édifice qu'ils habitent
maintenant au centre de la ville , &
qui eft un des plus beaux morceaux d'architecture
qu'il y ait en Europe. L'ancien
Palais royal n'eft plus qu'une de leurs maifons
de plaifance ; comme il a toujours
été entretenu avec foin , il fe trouve vraifemblablement
à peu- près dans l'état dans
lequel il a été conftruit. L'architecture en
eft affez belle , & fon caractere prouve fon
ancienneté. Il eft plus lourd & moins recherché
que le Louvre , & les autres bâtitimens
confidérables qui nous reftent de
ces tems ; cependant , comme ce goût eft
folide & bon en foi , on ne peut pas douSEPTEMBRE
. 1755. 205
ter qu'il ne faille remonter , pour en fixer
la date avant le dix-huitiéme fiécle , dans
lequel on voit par le peu qui nous en refte ,
qu'à la réferve de quelques édifices , le
goût étoit dégénéré , meſquin , irrégulier ,
& fouvent même extravagant.
M. Gainfay fait ici une digreffion pour
prouver qu'on doit attribuer la deftruction
de la plupart des édifices du dix- huitiéme
fiécle , à ce que dans les fiécles fuivans où
le bon goût s'eft rétabli , ils furent trouvés
peu dignes de refter fur pied , & comme
tels abattus, afin de ne laiffer aucune trace
de ce tems de délire , honteux à une nation
qui a toujours été en poffeffion de
donner les exemples du goût à fes voifins ;
quoiqu'il en foit de ce fentiment , il eft
certain que M. Gainfay ne le prouve pas
fans réplique , puiſqu'on peut auffi- bien
donner pour raifon de cette deftruction le
tems qui s'eft écoulé jufqu'à nous , & que
d'ailleurs il n'eft pas vraisemblable que les
propriétaires des palais ou maifons qui
nous auroient pû fervir à connoître le
goût d'architecture de ce fiécle , fe foient
prêtés à faire de tels facrifices à la gloire
de leur nation , fans quelque intérêt particulier.
De plus fi cela s'étoit fait par une
confpiration générale , il n'en feroit rien
refté du tout , au lieu qu'avec un peu de
-4
206 MERCURE DE FRANCE.
recherches on en retrouve affez pour donner
lieu à des conjectures plus étendues.
M. Gainfay remarque très- judicieuſement
qu'on ne peut point attribuer à ce
fiécle corrompu une conftruction auffi réguliere
que les deux grandes cours du Palais
royal , que l'architecture cependant
n'en étant pas fi épurée que celle du Louvre
, il y a lieu de croire qu'elle a précédé ,
& qu'elle eft du quinziéme fiécle , avant
qu'on eût entierement trouvé le point de
perfection , mais lorsqu'on en étoit fort
proche. On voit dans la feconde cour une
chofe finguliere. Les étages d'en haut nẻ
font pas femblables dans les deux aîles.
Un côté eft décoré de croifées quarrées ,
de vafes , & un peu en arriere d'un petit
mur percé de petites croifées , & traité de
maniere qu'il forme un attique agréable
& fort élégant : l'autre côté préfente une
balustrade ornée de vafes , mais il fe trouve
enfuite un étage de bois , dont le mur
eft incliné en arriere , fans qu'on puiffe
deviner ce qui a empêché de le mettre à
plomb. A- t - on crû qu'il en pût réſulter
quelque agrément à l'oeil ? Il ne paroît pas
poffible de le penfer. L'apparence de folidité
exige que tous les murs portent per
pendiculairement les uns fur les autres .
Eft- ce quelque raifon de commodité intéSEPTEMBRE.
1755. 207
"
rieure ? On ne ſçauroit la concevoir ; il
paroît au contraire que l'intérieur en eft
gâté , & qu'il eft plus difficile de s'approcher
de ces croifées fans fe heurter par
l'inclinaifon qu'elles ont en haut ; d'ailleurs
cela donne aux appartemens un air ignoble
en les faifant paroître des greniers lambriffés.
Voilà de ces obfcurités que l'ancienneté
ne nous permet pas de pénétrer
& fur lefquelles on ne peut fonder aucunes
conjectures raifonnables. On voit par
d'anciennes eftampes qui repréfentent cet
édifice , que le toît defcendoit juſqu'au
pied de cet étage , & qu'il n'y avoit que
des croifées éloignées les unes des autres ,
qui fervoient à éclairer les greniers. Ces
croifées avançant en faillie fur un pignon
très-élevé & fort pointu , étoient défectueufes
, & laiffoient voir trop de toît ,
ainfi il a été néceffaire d'en former un
étage ; mais le côté décoré en attique a
l'avantage d'avoir confervé les anciennes
fenêtres qui font d'un goût conforme
celui de tout l'édifice , au lieu que l'autre
eft dans un goût entierement différent.
M. Gainfay entre enfuite dans un examen
fort détaillé fur l'architecture d'une
cour qui eft fur le côté de ce Palais : nous
fupprimerons cette partie de fon difcours
à caufe de fa longueur , & nous renvoye208
MERCURE DE FRANCE.
rons fur ce fujet à l'original . On y trouve
ra une critique fort judicieufe mêlée d'éloges
, également bien fondés , de ce morceau
d'architecture .
Nous pafferons à une des falles de ce
Palais , que M. Gainfay nomme la falle
des concerts. Quelques Aureurs ont prétendu
qu'autrefois cette falle a été la falle
de l'Opéra de Paris . M. Gainfay prouve
que ce fentiment eft infoutenable . Premierement
, elle est beaucoup trop petite
pour avoir pû contenir les citoyens d'une
ville telle que Paris , même dans ces temslà
. On ne peut pas y fuppofer , quelque
peu confidérable qu'elle fut alors , moins
d'un million d'habitans , quoique ce foit
bien peu en comparaifon de ce qu'elle en
renferme aujourd'hui ; toujours eft- il certain
que dans cette fuppofition , quelque
bornée qu'elle foit , il a dû y avoir cent
mille perfonnes allant habituellement à
l'Opéra. A moins qu'on ne veuille croire ,
comme font ceux qui foutiennent ce fentiment
, que la mufique de ce tems étant
fort fimple, & n'étant proprement que nos
chants d'églife , avec quelques accompa
gnemens auffi uniformes , elle n'infpiroit
pas alors ces fenfations délicieufes qu'elle
nous fait éprouver maintenant qu'elle eſt
portée à fa perfection. Ils en concluent
SEPTEMBRE. 1755. 209
qu'on n'avoit pas alors pour elle ce goût
vif qui nous détermine fi fortement , que
malgré la grandeur de nos théatres & la
quantité que nous en avons dans prefque
tous les quartiers de la ville , ils font néanmoins
toujours remplis ; conféquemment
que très - peu de perfonnes alloient au
fpectacle ; qu'à la réferve d'un très - petit
nombre qui s'étant habitués d'enfance à
goûter cette mufique , y trouvoient quelque
beauté , prefque perfonne ne s'en foucioit.
Que les étrangers même ne la pouvant
fouffrir n'y alloient point. Quoiqu'on
ne puiffe pas entierement rejetter ces faits ,
puifque la mufique de ces tems-là qui eſt
parvenue jufqu'à nous , femble en faire
la preuve néanmoins , à quelque point
qu'on diminue la quantité de gens qui aimoient
ces fpectacles , il eft certain qu'on
ne peut la réduire , jufqu'à croire que
cette falle ait pû les contenir.
M. Gainfay tire fa feconde preuve de la
forme de cette falle . Elle eft fort étroite &
fort longue , ce qui eft contradictoire à la
forme effentielle d'un théatre qui doit être
de forme circulaire ou approchante du
cercle dans toute l'étendue de la falle où
font les fpectateurs . En effet , comment
concevoir qu'un architecte ait pu bâtir un
théatre dont la principale loge eft la plus
210 MERCURE DE FRANCE.
éloignée . Peut -on fuppofer qu'il ait ignoté
qu'une falle de théatre doit ( quelque for
me qu'on y donne ) s'ouvrir en largeur ,
plutôt que s'enfoncer en profondeur. Il eſt
vrai que dans celui - ci les côtés s'élargiffent
un peu en s'étendant vers la partie qu'on
prétend être le théatre , mais c'eſt de fi
peu de chofe que cela eft inutile , & ne
fert qu'à y donner une forme défagréable ,
La loge principale a toujours du être celle du
fond , puifque c'eft vis-à- vis d'elle & pour
elle , que fe fait toujours le jeu du théatre ;
dans cette fuppofition , celle- ci feroit trop
loin , & l'on n'y pourroit pas bien entendre
, d'autant plus que le fon feroit intercepté
en chemin par l'obftacle qu'y apporteroit
le petit murmure qui s'enfuit néceffairement
de l'interpofition de plufieurs
perfonnes qu'on ne peut empêcher de fe
parler quelquefois à l'oreille : car on
prétend qu'il y avoit des fpectateurs af
fis dans cette partie qui eft au-devant
& qu'on nomme l'amphithéatre . On ne
fçait pas fi en effet l'ufage étoit alors
de mettre à tous les théatres cette partie
qu'on veut nommer ici amphithéatre.
Nos théatres ne contiennent plus rien
de femblable. De plus il n'y a que cinq
loges dans cette petite partie circulaire ,
qui ayent été placées , finon pour bien
SEPTEMBRE. 1755. 211
entendre du moins pour bien voir. Les loges
qui s'étendent fur les aîles font encore
plus malheureufes ; fi elles font plus à portée
d'entendre , elles le font bien moins
de voir. Le rang de devant ne voit qu'en
s'avançant avec effort , & celui de derriere
ne peut rien voir , ou fört difficilement ,
& en fe levant ou fe penchant au hazard
de tomber fur le rang de devant . On ne
peut s'imaginer qu'on louât des places
pour être affis , & que cependant on fe
tînt de bout. Si l'on confidere la partie
qu'ils nomment le théatre , on verra par
fon peu d'ouverture , qu'il n'eft pas poffible
qu'on y ait pû donner un fpectacle
fur- tout avec des choeurs , & l'on fçait
que les François en ont toujours joint à
leurs Opéra ; il faudroit que les perfonnages
de ces choeurs fuffent rangés de maniere
que le premier cachât en partie le
fecond , & ainfi fucceffivement des autres
; ce qui ne produiroit point de fpectacle
, donneroit un air d'arrangement
apprêté , & détruiróit l'illufion qu'ils nous
doivent faire en fe plaçant par petits groupes
inégaux & naturels . De l'ordre proceffionnal
qu'il faut néceffairement leur fuppofer
ici , il s'enfuit que les derniers qui
font au fond ne pourroient ni voir ni entendre
le claveffin. Comment pourroient-
›
1
212 MERCURE DE FRANCE.
ils donc fuivre une mefure exacte ? Quelques-
uns ont avancé ſur ce fujet une abfurdité
ridicule , ils ont prétendu qu'il y
avoit derriere les derniers de ces choeurs
des Muficiens qui les régloient en battant
la meſure avec des bâtons . Comment peuton
s'imaginer qu'on pût fouffrir un bruit
auffi indécent , tandis que les oreilles délicates
ont peine à fupporter celui que
fait le Muficien lorfqu'il touche fortement
le claveffin pour remettre quelqu'un
dans la´meſure ; ce qui eft extrêmement
rare , puifqu'on ne fouffre perfonne fur
nos théatres qui ne fçache très-bien la mufique
, du moins quant à la meſure . L'ouverture
de ce qu'ils appellent ici théatre ,
eft tellement étroite , qu'on ne peut pas
fuppofer qu'elle ait encore été divifée
en plufieurs parties , ainfi qu'il eft néceffaire
pour les à parte , dont les anciennes
piéces font remplies : Pouvons - nous
penfer qu'on ait négligé de l'illufion , &
choqué la vraiſemblance , au point de faire
dire ou chanter dans le même lieu des
paroles qu'un acteur préfent eft fuppofé
ne pas entendre , il a fallu du moins qu'il
y eut entre ces acteurs un obftacle , ou réel
ou en peinture , qui donnât lieu de croire
qu'ils pouvoient parler fans être entendus
que du fpectateur : mais où eft ici l'efpace
SEPTEM BRE. 1755. 213
néceffaire pour introduire ces obſtacles ?
Quelles fortes de décorations peut - on fuppofer
avoir été faites dans un lieu fi borné
on n'y peut imaginer qu'une fuite de
chaffis fort étroits fur lefquels on ne pourroit
rien peindre que les bords des objets
encore faudroit- il bien les mettre de fuite,
& que l'un ne débordât l'autre qu'autant
que la perfpective le permet , ce qui produiroit
néceffairement une ennuyeufe uniformité.
Point de ces fuyans fur les côtés ,
qui font des effets fi agréables fur nos
théatres. Point de ces chaffis avancés audedans
de la fcéne , & découpés de maniere
à laiffer voir par leurs ouvertures les
côtés qui continuent de fuir , & les toiles
qui fervent de .fond . Ici tout doit être
terminé par une feule toile. Une pareille
décoration ne feroit propre qu'à
repréſenter une rue étroite & fort longue ;
cependant on fçait qu'alors la peinture
brilloit en France , le plaifir qu'elle y caufoit
par fon excellence , a dû néceffairement
engager à faire de grands théatres
pour donner aux Peintres un lieu propre
à montrer l'étendue de leur génie , & pour
profiter du plaifir que caufe l'illufion
produite par les effets de ce bel art . On
fçait encore que les anciens François introduifoient
la danfe dans leurs Opéra.
214 MERCURE DE FRANCE.
Dans les piéces qui nous reftent d'eux , on
voit même qu'ils la lioient à l'action ,
quelquefois bien , le plus fouvent mal-àpropos
, quoique peut- être eût- il mieux
valu la renvoyer aux entr'actes , que de
forcer la vraisemblance , & la raiſon pour
la coudre à la piéce. Quoiqu'il en foit , il
paroît qu'ils avoient des ballets , & même
des ballets figurés, & repréſentans un fujer :
or , comment veut- on qu'on ait pû exécuter
de tels ballets dans un fi petit eſpace : Il y
auroit eû une confufion infupportable ,
ceux de devant auroient caché ceux de
derriere , tellement qu'on n'en auroit pas
pû voir nettement le deffein : D'ailleurs ,
il n'y pourroit pas tenir affez de danfeurs ,
même en fe touchant à rout inftant les
uns les autres pour former un ballet compofé
avec quelque génie. Il faudroit fuppofer
que la danfe alors ne fût que de
deux , trois , ou quatre perfonnes qui auroient
danfé enfemble , & par conféquent
très-breve : car un fi petit nombre de danfeurs
qui figureroient enſemble , ne pourroient
, s'ils danfoient long- tems , s'empêcher
de retomber dans les mêmes pas ,
& de répéter les mêmes, figures , ce qui
deviendroit ennuyeux , quelques excellens
qu'ils fuffent.
Cependant , en mefurant le tems que
SEPTEMBRE. 1755. 215
duroient leurs Opéra , qu'on fçait avoir
été , ainfi que de notre tems , d'environ
trois heures , on ne trouve pas que la mufique
en ait pû employer plus de la moitié
, encore en fuppofant qu'elle ait été
chantée d'une lenteur exceffive , le refte
doit avoir été occupé par la danſe .
Le parterre de cette falle eft d'une profondeur
dont on ne peut concevoir l'uſage
, fi la fuppofition que ce fût une falle
de théatre avoit lieu , les perfonnes affifes
aux trois où quatre premiers rangs n'auroient
rien vû que ce qui fe feroit paffé
au bord de la fcene , & auroient affez mal
entendu , quoique proche , parce que le
fon auroit paffé par- deffus leurs têtes . Suppoferoit-
on qu'ils euffent été de bout , &
peut-on croire que quelqu'un eût pû refter
dans une pofture fi fatigante durant
trois heures , expofé à la foule & au mouvement
tumultueux que caufe toujours un
nombre de perfonnes dans un lieu refferré,
pour entendre une mufique peu divertif
fante. On ne pourroit dans ce cas penfer
autre chofe , finon que ce lieu auroit été
abandonné à la livrée . M. Gainfay obſerve
encore que la décoration de cette falle
qui n'eft ornée d'aucune architecture , paroît
peu digne d'avoir été le lieu de fpectacle
d'une grande ville, Pas une colonne ,
216 MERCURE DE FRANCE.
pas même un feul pilaftre ! Trois petits
rangs de loges écrafées & foutenues par
des poteaux étroits , y font voir une économie
de terrein peu convénable dans un
édifice de cette importance . L'égalité de
ces deux rangs de loges n'annonce pas
plus de dignité dans ceux qui doivent occuper
le rang d'enbas que dans ceux qui
font au-deffus , & d'ailleurs c'eft un défaut
de goût dans un lieu qu'on auroit prétendu
décorer pour le public : car un des premiers
principes du goût eft d'éviter l'égalité
dans les principales maffes d'un édifice
, & d'y trouver toujours quelques parties
dominantes.
-
Il eft d'autant moins à croire que les
anciens François ayent conſtruit un théatre
femblable, qu'on fçait que dès ce temslà
tous les artiſtes , tant les Peintres que les
Muficiens voyageoient dans leur jeuneffe
en Italie pour fe former le goût : Or , il
eft impoffible qu'ils n'ayent pas vû le théatre
antique de Palladio qui eft vraiment
le modele d'un théatre parfait , foit pour
la commodité , foit pour la magnificence
de la décoration . C'eft de ce refpectable
monument que nous avons tité la perfection
que nous avons donnée à nos théatres
modernes ; à la vérité il n'eft pas poffible
de conftruire un théatre de telle
maniere
SEPTEMBRE . 1755. 217
maniere que tout le monde y foit également
bien placé. Néceffairement il y a
quelques loges ou autres places où l'on eft
forcé de regarder de côté , mais il n'eft
aucun plan qui remédie auffi- bien aux
inconvéniens , & qui place autant de perfonnes
avec avantage que celui de cet admirable
édifice antique ; il eft vrai que la
façade du théatre qui coupe cet ovale dans
fon plus grand diamétre , gâte la forme
totale de cet édifice , & le fait paroître à
demi - fait ; mais il eft aifé de fuppléer à ce
défaut comme nous avons fait dans nos
théatres modernes, C'eft de cet antique
que nous avons appris à décorer nos théatres
de cette belle colonnade qui y fait un
effet fi noble. M. Gainfay ne fçauroit fe
réfoudre à croire que les théatres des anciens
François ayent pû fe paffer d'un
ornement auffi magnifique qu'une colonnade
circulaire , & qui lui paroît y être
fi effentiellement néceffaire. Il faut le lire
pour concevoir avec quelle éloquence il
fait fentir la noble richeffe de cette décoration
; & en effet , il eft difficile d'imaginer
qu'on ait prétendu rendre un lieu
digne d'y recevoir le public & les étrangers
, fans l'enrichir de colonnes , ornement
le plus magnifique que l'architecture
ait jamais inventé.
K
21S MERCURE DE FRANCE.
M. Gainfay ajoute une réflexion qui paroît
évidente . Quand il feroit poffible ,
dit-il , que les François euffent rejetté cet
exemple de Palladio par le défaut de fçavoir
comment remédier au defagrément
de fon avant-fcene : du moins ils auroient
fuivis les théatres ordinaires de l'Italie ,
qui , quoique très- défectueux à bien des
égards , avoient , & plus de grandeur , &
une forme plus rélative à leur deftination ,
que celui qu'on nous propofe ici comme
ayant été le principal theatre d'une ville
telle que Paris. Les reftes de celui d'Argentina
à Rome , & de quelques autres en
Italie nous en offrent la preuve. La forme
en eft defagréable , parce que leur plan
reffemble à une raquette , ou à un oeuf
tronqué , & qu'elle produit plufieurs loges
, où il n'y a abfolument que le premier
rang qui puiffe voir & entendre. La décoration
eft de mauvais goût en ce que
toutes les loges , dont il y a fix rangs les uns
fur les autres , font égales , & femblent des
enfoncemens pratiqués dans des murs de
catacombes. La principale loge qu'on a prétendu
décorer , eſt toujours écrasée rélati-
-vement à fa largeur . L'économie d'eſpace
qui n'a permis de prendre que deux loges
pour fa hauteur , a empêché de lui donner
l'exhauffement qui lui convenoit.
SEPTEMBRE 1755, 219
Néamoins , ces théatres ont un air de
grandeur, même dans les plus petites villes ,
d'où M. Gainfay conclut , qu'on ne peut
pas fuppofer que les François ayent fuivi
un auffi mauvais plan que celui qu'on expofe
ici comme le théatre principal de Paris
, & qu'ayant fous les yeux ces modeles
, certainement ils ont donné à ces monumens
publics la dignité qui leur convient
; par conféquent on ne doit pas croire
que cette falle ait été un théatre. Il paroît
qu'on ne peut réfifter à l'évidence de fes
preuves. La derniere objection qu'il fait ,
eft abfolument décifive . On ne voit autour
de cette falle aucun portique , ce qui eft.
fi néceffaire à un théatre , qu'il feroit impoffible
qu'on en fortit , quelque petit
qu'il fût , fans courir à tout inftant rifque
de la vie. L'embarras que caufe la quantité
des équipages à la fortie des fpectacles
, a toujours rendu ces portiques d'une
néceffité indifpenfable , pour donner lieu
aux gens à pied de s'échapper par différens
chemins. Il remarque encore qu'il n'y
a qu'une feule porte d'une grandeur un
peu raifonnable , & qu'il feroit infenfé de
croire qu'on eût donné dans un pareil lieu
des fpectacles , où l'on emploie fouvent le
feu , & qui font fréquemment exposés au
hazard d'un incendie .
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
M. Gainfay paffe à l'explication de ce
qu'on doit penfer de cette falle . C'étoit ,
dit-il , la falle des concerts particuliers des
Princes de la Maiſon d'Orléans. La partie
qu'on a prétendu être un Amphitheatre ,
étoit le lieu où fe plaçoient les Muficiens.
Au commencement il n'y avoit point toutes
ces loges qui l'entourent maintenant ;
mais cette grande maifon s'étant augmentée
dans le dix-neuviéme fiécle , on fut
obligé de les conftruire pour y placer tous
les Officiers de cette maifon qui obrenoient
la faveur de pouvoir entendre des
concerts , où tout ce qu'il y avoit de plus
excellens chanteurs , tant Italiens que François
, exécutoient la plus belle mufique
connue dans ces tems- là. Dans la partie
qu'on prétend avoir été le théatre , étoit
placée une magnifique tribune , qui a été
détruite depuis ; ce lieu étant devenu inutile
lorfque ces Princes ont ceffé d'y demeurer.
On ne peut pas douter que cette
tribune n'ait été décorée de colonnes de
la plus belle architecture , les pilaftres de
fer travaillés , qu'on voit encore aux deux
côtés , en font une continuation fimple ,
& comme pour fervir de tranfition d'un
lieu magnifique aux loges deftinées pour
les Officiers de la maifon. La partie qui
eft au pied de cette tribune en enfonceSEPTEMBRE.
1755. 221
le
ment , & qu'on dit être l'orchestre des.
Muficiens de l'Opéra , eft proprement
lieu où fe plaçoient les Officiers dont les
Princes pouvoient avoir befoin le plus
fréquemment , afin d'être à portée de recevoir
immédiatement leurs ordres ; &
ce qu'on a nommé le parterre étoit le lieu
où le mettoit le plus bas domeftique , où
on avoit conftruit une rampe douce , afin
que ceux qui étoient les plus proches de
la tribune principale , ne puffent point incommoder.
Il pourroît paroître que ceux
qui étoient les derniers , étoient mal placés
pour voir , parce que ceux qui étoient
devant eux , étoient plus élevés ; mais il
faut confidérer qu'il n'eft queſtion ici que
d'entendre un concert , où les principaux
chanteurs fe mettent toujours fur le devant
de l'appui qui les fépare des auditeurs
, & que cet appui eft fort élevé audeffus
de l'auditoire ; mais ce qui confirme
& donne la derniere évidence à ce
qu'avance M. Gainfay dans ce mémoire ,
c'eft qu'il en déduit une raiſon fimple &
claire de l'evafement de cette falle en venant
vers la tribune, qui dans toute autre fuppofition
paroît fans fondement ; il confidere
l'amphithéatre , & qui eft véritablement
l'Orcheftre , comme un centre d'où partent
des rayons de fon ; fi les murs étoient pa-
1
K iij
222 MERCURE DE FRANCE.
ralleles , ces rayons les heurteroient fous
des angles qui pourroient les réfléchir , en
intercepter une partie rélativement à la
tribune principale , pour laquelle toute
cette falle eft conftruite , & par leur réflection
produire une cacophonie qui eft
l'effet naturel de toute voix réfléchie. Cette
douce inclinaiſon n'oppoſe pas un obftacle
affez direct pour brifer ces rayons ,
elle les oblige feulement à gliffer par un
angle très-obtus , & à fe réunir vers la tribune
pour y produire un plus grand effet
d'harmonie . Si elle étoit plus évafée , elle
fuivroit la direction droite du fon , & n'en
augmenteroit pas la force ; il ne faut pas
s'embarraffer des loges qui y font un
obftacle ; parce qu'elles n'y ont été miles
qu'après coup, & qu'elles ne doivent point
être reprochées à l'Architecte ingénieux ,
qui a imaginé cette forme très- propre
fon but. Il eft fâcheux que cette tribune
ait été détruite ; par elle nous aurions
juger s'il avoit autant de goût que de bon
fens .
C'eſt ainfi que M. Gainfay explique ce
qui nous refte de la falle des concerts du
Palais royal. Il eft difficile , après l'avoir
lû dans l'original , de réfiſter à la force de
fes preuves.
La fuite an Mercure fuivant.
SEPTEMBRE. 1755. 223
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
E 23 Juillet , les Comédiens François
remirent pour la premiere fois Marius
, Tragédie de M. de Caux. Cette piece
n'avoit point été jouée depuis fa nouveauté
en 1716. Elle a de grandes beautés.
J'oferois prefque dire que le rôle du vieux
Marius eft frappé au coin du grand Corneille
. Celui d'Arisbe a été rendu fupérieurement
par Mlle Clairon , qui embellit
tout ce quelle joue.
Le Dimanche 27 du même mois , la
nouvelle Actrice , Mlle Mezieres , a repréfenté
Camille dans les Horaces , avec
l'approbation générale , qui dit plus aujourd'hui
que l'applaudiffement du Parterre.
L'applaudiffement eft fouvent acheté
, au lieu que l'approbation est toujours
libre , & ne s'accorde qu'au talent par le
public connoiffeur , qui feul l'apprécie.
Ses arrêts font moins bruians, mais ils font
les feuls qui décident . Le fuccès & le mé-
Kiiij
224 MERCURE DE FRANCE.
rite théatral de Mlle Mezieres ne font donc
plus douteux. Ce troifiéme rôle a convaincu
les plus incrédules. Elle l'a joué
avec autant d'ame que d'intelligence , &
s'eft furpaffée dans l'imprécation du quatriéme
acte. C'eft dans les grands morceaux
qu'un Acteur fe développe. Quoiqu'on
en dife , ils ne fervent que le vrai
talent , ils font toujours l'écueil de la médiocrité.
L'Actrice nouvelle n'eſt point
bornée au férieux , elle n'a pas moins réuffi
dans le comique. Elle le rend avec d'autant
plus d'efprit , qu'elle ne copie perfonne
, & qu'elle exprime également bien
les caracteres oppofés. Elle a joué l'Amoureuse
dans le Florentin , avec une fineffe
qui eft à elle ; & Lucinde dans l'Oracle
, avec une naïveté fpirituelle , qui
n'eft pas montrée ; il ne lui manque que
l'ufage & le ton du théatre de Paris.
Le fieur Raucourt qui a été reçu pour
un an à l'effai , a repréſenté le vieil Horace
d'une maniere à mériter de plus en
plus l'encouragement du public.
Le 20 Août, les mêmes Comédiens ont
donné la premiere repréſentation de l'Orphelin
de la Chine , Tragédie nouvelle de
M. de Voltaire .
Toute la France y étoit , & le plus grand
nombre l'a applaudie. Ceux qui la jugent
SEPTEMBRE . 1755. 225
avec le plus de rigueur , font forcés de convenir
que les détails en font admirables.
Si la gloire de ce Poëte célébre pouvoit
croître , elle feroit comblée par ce nouveau
triomphe. Il eft vrai que Mlle Clairon doit
le partager ; on peut dire que le talent de
l'Actrice difpute de force avec le génie dé
l'Auteur. M. de Voltaire eft né ponr faire
de beaux vers , & Mlle Clairon eft faite
pour les dire. Heureufement pour la piéce
elle y joue le meilleur rôle. Je ne crois pas
que l'onpuiffe mettre au théatre un caractere
plus intéreffant que celui d'Idamé qu'elle
repréfente. Son héroïfime eft dans la nature,
Celui de fon mari fort de l'humanité.
Il eſt le modele des fujets , mais il en remplit
les devoirs aux dépens de ceux de pere
& d'époux . Il veut facrifier fon fils dans
le berceau , malgré les cris du fang , & il
exhorte fa femme à vivre pour regner avec
le tyran dont elle eft aimée. Idamé au contraire,
mere auffi tendre qu'époufe parfaite,
défend les jours de fon fils au péril des fiens ,
& propofe à fon mari un parti plus noble
& plus convénable , c'eft de mourir tous
deux d'une mort libre par le fecours d'un
poignard qu'elle lui préfente. Nous aurons
le tems de parler plus au long de cette Tragédie
, dont vraisemblablement la réuffite
ne fera point paffagere.
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
COMEDIE ITALIENNE.
LE
E 28 Juillet , les Comédiens Italiens
ont joué pour la premiere fois la Bohémienne
, Comédie en deux Actes , en
vers , traduite de la Zingara , intermede
italien. Elle a eu un plein fuccès & le mérite.
Elle eft de M. Favart , fi accoutumé à
réuffit , & cependant fi modefte , qu'il
donne le titre de traduction à un ouvrage
qu'il s'eft rendu propre par la précifion &
la variété qu'il y amifes , & par les beautés
qu'il y a ajoutées. Comme la Bohémienne
de l'Opéra - Comique a été difcontinuée
, nous ne parlerons que de celleci.
On peut dire qu'elle eft un digne pendant
de la Servante Maitreffe ; elle a même
plus de gaieté , ce qui eft un grand
mérite au théatre, ainfi que dans le monde.
Mine Favart ne contribue pas peu à lui
donner ce caractere. Elle rend la Bohémienne
de façon à tourner la tête du public
, comme celle de Calcante . Ce dernier
perfonnage eft très - bien repréſenté
par M. Rochard . On ne peut pas mieux
chanter les Arietes , qu'il les chante du
moins pour des oreilles françoifes. M.
Chanville concourt auffi à la réuffite. On
peut affurer qu'il joué l'ours avec grace ,
& qu'il fait joliment le diable.
SEPTEMBRE, 1755. 227.
La piéce a paru imprimée dès le premier
jour , comme les paroles d'Opera ,
pour l'intelligence des airs ; & fe vend
chez la veuve de Lormel & fils , rue du
Foin ; & chez Prault fils , quai de Conti.
Le prix eft de 24 fols .
Voici des vers à la louange de l'auteur.
AM. Favart fur la Bohémienne .
Air de fon nouveau Vaudeville.
Ce n'est pas en Automne qu'on moiſſonne le
plaifir.
Toujours dans la vérité ,
Tantôt tu peins la tendreffe ,
Tantôt l'allégreffe ;
Chacun s'écrie , enchanté ;
Ah ! quelle aimable Bohémienne !
Que n'eft-elle mienne !
Chantons l'oeuvre & l'oeuvrier ,
Que tant de fel affaiffonne.
C'est ainsi qu'on couronne
Qui moiffonne
Le Laurier. Guerin.
Le peu d'efpace qui nous refte , nous
oblige à remettre l'extrait de cette Comédie
au mois d'Octobre ; ainfi que celui du
prix de la Beauté , Drame de M. Mailhoi .
L
OPERA COMIQUE.
E 11 Août , l'Opera - Comique donna
pour la premiere fois les Réjouiffances
K vj
22S MERCURE DE FRANCE,
Flamandes , baler nouveau , de la compofition
de M. Novere , & qui forme un joli
tableau de Teniers. On joua le même jour
les Amours de Nanterre , de Jerôme & Fanchonnette
, & le Confident heureux , piéce
nouvelle en un acte de M. Vadé .
CONCERT SPIRITUEL.
E 15 Août , jour de l'Affomption , le
Concert fut auffi brillant que varié.
Il commença par Deus nofter refugium , motet
à grand choeur , de M. Giraud . Ce morceau
fut généralement applaudi & très bien
exécuté. Mme Veftris de Giardini chanta
un air italien qui fit un grand effet. MM.
Héricourt freres , l'un âgé de treize ans ,
& l'autre de douze , exécuterent un concerto
de flûtes , en jouant l'un & l'autre
fur les deux inftrumens à la fois . Mlle
Sixte chanta avec fuccès Quam Delecta ,
petit motet nouveau , de M. Naudet . M.
Doudou, dit le Bouteux , joua un concerto
de violon , qui réunit tous les fuffrages,
Pour combler la fatisfaction du public , Mlle
Fel chanta Exultate Deo , petit mötet , de
M. le Chevalier Durbain ; & le Concert
finit par Confitebor , motet à grand choeur ,
de M. de Lalande.
SEPTEMBRE. , 1755. 22.9.
ARTICLE SIXIEME.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU LEVANT.
DE CONSTANTINOPLE , le 6 Juillet.
A
LI Pacha Ekim Oglou étant parti pour l'ifle de
Chypre, lieu de fon exil , la galere fur laquelle
il s'eft embarqué , a été obligée de relâcher à l'ifle
de Scio. Il à demandé la permiffion d'y paffer le
tems du Ramazan ou Carême des Mahométans ,
& le Grand Seigneur la lui a accordée . Sa Hauteffe
a difpofé du Gouvernement de la Morée en
faveur de Muftapha Pacha , qui rempliffoit avant
Ali Pacha la dignité de Grand Vifir. M. de Ludolf
, chargé ici des affaires du Roi des Deux Siciles
, vient d'apprendre que Sa Majesté Sicilienne
l'a nommé fon Envoyé extraordinaire , pour
complimenter le Grand Seigneur fur fon avénement
au trône. Il est arrivé un courier du Miniftre
, qui eft allé de la part de Sa Hauteffe à Peterbourg.
Un vailleau de guerre Vénitien , qui
étoit ici depuis quelque tems , a remis à la voile
pour retourner en Italie . Conféquemment aux
ordres de l'Ambaffadeur de Venife , il a pris fous
fon convoi tous les navires Hollandois qui ont
voulu profiter de fon eſcorte .
Il s'eft élevé daus l'Eglife Grecque un grand
différend . Un Prêtre ayant foutenu que le feul
Baptême par immerfion étoit valide , une partie
du Clergé attaque cette propofition comme hé
Kétique , & l'autre partie en embraffe la défenſe.
230 MERCURE DE FRANCE.
Les fuites de cette oppofition de fentimens font
allées fi loin, qu'on a craint que la tranquillité de
cetre capitale n'en fût troublée . Pour prévenir cet
inconvénient , le Grand Seigneur a ordonné , que
tous les Evêques qui ne penfoient pas comme le
Patriarche de Conftantinople fur l'objet de la difpute
, fe retiraffent dans leurs fièges repectifs.
*
DU NORD.
DE PETERSBOURG , le 6 Juillet.
On enfeigne actuellement au Régiment de Peterfbourg
un nouvel exercice , que l'Impératrice
a refolu de preferire à toute fon infanterie . Sa Majefté
Impériale fe propofe auffi d'en établir un
nouveau pour la cavalerie .
DE STOCKHOLM , le 23 Juillet.
On procéde dans toutes les provinces à l'élection
des Députés qui doivent affifter à la Diete
générale.
DE COPPENHAGUE , le 25 Juillet.
Jufqu'à préfent , le Corps de la Marine n'avoit
été composé que de trois Brigades. Le Roi vient
d'en créer une quatrième , dont M. de Lutzow a
été déclaré Commandant.´
ALLEMAGN E.
DE VIENNE , le 12 Juillet.
Quelques- uns des païfans mutins , qu'on a relé
gués en Tranúlvanie , ont voulu de nouveau fe
révolter; mais la punition des plus coupables a
fait rentrer les autres dans le devoir.
SEPTEMBRE. 1755. 231
Il s'eft tenu la femaine derniere plufieurs confeils
à Schonbrun. En conféquence des ordres de
Sa Majefté , le corps d'artillerie formera bientôt
un camp dans ce royaume , & le Feld - Maréchal
Prince de Lichtenftein y fera exercer pendant
deux mois les canoniers & les Bombardiers.
Le
On a donné ordre que tous les Régimens fuffent
complets avant la fin de cette année.
Feld-Maréchal Comte de Neuperg ſe diſpoſe à
reprendre la route de Luxembourg.
L'Impératrice Reine a nommé le Marquis Recalari
, fenateur de Milan , à la place du Marquis
Goldoni- Vidoni , qui après quarante ans de fervice
a demandé la permiffion de fe retirer , & à
qui Sa Majesté a accordé une penfion confidérable.
On écrit de Moldavie que deux habitans d'un
village voifin de Jaifi , font morts le mois dernier
âgés l'un de cent douze ans , l'autre de cent trentetrois.
Pendant la plus grande partie de leur vie ,
ils n'ont fubfifté que du travail de leurs mains ,
& jamais ils n'ont bû que de l'eau. Ils ont confervé
leurs forces jufqu'à la fin de leurs jours. Ces
vieillards étoient parens.
DE BERLIN , le premier Août.
Afin d'encourager les fabriques de Draps , établies
en cette ville , le Roi a déclaré qu'il acheteroit
ceux dont les Fabriquans ne trouveroient pas
le débit.
Les Chanoines du Chapitre de Magdebourg ne
feront feuls décorés d'une marque d'honneur
pas
& Sa Majesté a jugé à propos que ceux de Havelberg
jouiffent de la même prérogative . Ceux- ci
porteront une croix d'or , octogone , émaillée de
pourpre , & furmontée d'une couronne. Sur cette
232 MERCURE DE FRANCE.
croix , d'un côté , la Vierge Marie eft repréfentée,
tenant l'Enfant Jefus dans fes bras. On voit au
Levers l'Aigle noir de Pruffe , dont les ferres font
armées d'un foudre. Le chiffre F. K. eft placé dans
les différens angles de la croix . Elle eſt attachée à
un ruban blanc , bordé de pourpre.
DE MUNICH , le 16 Juillet.
La célébration du mariage de la Princeffe Marie
fe fit ici le 10 de ce mois avec la plus grande
pompe. A fix heures du foir , les Dames de la Cour
fe rendirent au Palais , où les Miniftres d'Etat ,
les Chambellans & les Confeillers étoient affemblés.
On alla fur les fept heures à la chapelle . L'Impératrice
douairiere & l'Electrice conduifirent la
Princefle Marie , & l'Electeur époufa cette Princeffe
, au nom du Margrave de Bade- Baden. Le
Cardinal de Baviere donna la Bénédiction Nuptiale.
Enfuite ce Prince entonna le Te Deum ,
qui fut fuivi d'une triple falve de l'artillerie
des remparts. La Cour étant retournée dans les
appartemens , l'Electeur ouvrit le bal avec la nouvelle
Margrave. Au bal fuccéda un fouper fplendide
, qui fut fervi à une table de cent couverts.
Avant-hier , l'Electrice & la Princeffe Joſephine
accompagnerent la Margrave à l'Abbaye de Furftenfeld.
Čes Princeffes y avoient été devancées par
l'Electeur , & par l'Electeur de Cologne . Toute la
Cour dîna dans cette Abbaye. Après le repas , la
Margrave fit fes adieux à la Famille Electorale , &
prit la route de Raftadt. Elle arriva le foir à Friedberg
, où elle eut encore la fatisfaction de voir les
deux Electeurs , qui s'étoient fait un plaifir de la
furprendre. A Augsbourg , elle a trouvé les Dames
& les Officiers , que le Margrave a envoyés au
SEPTEMBRE . 1755 . 233
devant d'elle. Hier elle a couché à Harthaufen ,
& elle doit arriver le 20 à fa nouvelle réfidence.
La Comtefle de Butler & les Comteffes de Fugger
& de Schweindeck fuivent cette Princefle , la premiere
en qualité de Grande Maîtreffe de fa Maifon
, les deux autres avec titre de Dames d'Honneur.
La Princeffe épouſe du Prince Electoral de
Saxe a envoyé à la Margrave plufieurs Services de
Porcelaine de la Manufacture de Meiffen.
ESPAGNE.
DE MADRID , le 22 Juillet.
Don Manuel Quintano Bonifaz , Archevêque
Titulaire de Pharfale , ci- devant Adminiſtrateur
de l'Archevêché de Tolede , a été nommé Inquifiteur
Général d'Eſpagne , à la place de feu Don
François Perez de Prado y Cuefta , Evêque de
Teruel.
Don Etienne-Jofeph d'Abaria , Préfident du Tribunal
de la Contractation , a informé le Roi , que
le 16 de ce mois les vaiffeaux le Condé , la Vigogne ,
le Diamant , & le faint Pafchal , étoient entrés
dans la Baye de Cadix . Les trois premiers viennent
de la Vera- Cruz , & le dernier de Cartagene. Ils
ont apporté , tant en or qu'en argent monnoyé , la
valeur de trois millions de piaftres. Le Vaiffeau
l'aimable Marie , venant des Ports de Callao & de
Valparaifo , eft arrivé le 21 à la même Baye.
す
ITALI E.
DE NAPLES , le 17 Juillet .
On vient de trouver dans les ruines de l'ancienne
Herculanum un Groupe de trois Statues , qui repréfentent
des Satyres . Elles font d'un Sculpteur
Grec ; & elles égalent tout ce que l'antiquité a produit
de plus beau en ce genre.
234 MERCURE DE FRANCE.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
E 24 Juillet , le Marquis de Pont - S. - Pierre ,
Roncherolles , premier Baron de Normandie
Lieutenant - Général des armées du Roy , a été
reçu en la dignité de Confeiller d'honneur- né au
Parlement de Normandie . Ce Seigneur accompagné
de la nobleffe & du corps des Officiers de dragons
du Régiment de la Reine , a fait fon entrée
au Palais , & après avoir prêté ferment de fidélité
en préfence des Chambres affemblées , a pris fa
féance avec tout l'éclat & la diſtinction poſſible ,
Cette prérogative dont jouit feule en Normandie.
l'ancienne maifon de Roncherolles , a été confirmée
en la perfonne de l'aîné des trois branches
de cette famille par Lettres Patentes des Rois
Henry III . Louis XIII . & Louis XIV . d'heureufe
mémoire .
La nuit du 25 au 26 , le Duc de Mirepoix , cidevant
Ambaffadeur extraordinaire du Roi en Angleterre
, revint de Londres , fuivant l'ordre qu'il
en avoit reçu de Sa Majefté. Le lendemain , il fut
préfenté au Roy par le fieur Rouillé , Miniftre &
Secrétaire d'Etat , ayant le département des Affaires
Etrangeres . Il eut enfuite l'honneur de rendre
fes refpects à la Reine & à Mefdames.
Le 6 Août , le Roi vint rendre à Madame la
Dauphine une nouvelle vifite ; & Sa Majesté ,
après avoir tiré dans la plaine de Saint Denis , fit
l'honneur au Prince de Soubize de fouper & de ,
coucher dans fa maifon de Saint-Quen.
SEPTEMBRE 1755. 235
Le Samedy d'Août 1755 , la Cour étant à
Compiegne ; Monfeigneur le Dauphin & Madame
Adelaide pour marquer au fieur Levefque ,
Ecuyer , Confeiller du Roy , Préſident de l'élection
, Maire & Lieutenant-Général de Police de la
ville de Compiegne , & Subdélégué de l'Intendance
de Paris , la fatisfaction que mérite le zele
avec lequel il remplit tous les devoirs de fes différentes
charges, particulierement pendant les féjours
de la Cour , lui ont fait l'honneur de tenir fur les
fonts de Baptême , le fils dont Dame Magdeleine-
Françoife Lejeune fon époufe eft accouchée il y a
fix mois , & qui a été lors ondoyé.
Monfeigneur le Dauphin a été repréſenté par
M. le Duc de Gefvres , Pair de France , Premier
Gentilhomme de la Chambre du Roy , Chevalier
de fes ordres , Gouverneur de la ville , prevôté &
Vicomté de Paris & de la Province de l'ile de
France.
Madame Adelaïde a été repréſentée par Madame
la Ducheffe de Beauvilliers la Dame d'honneur :
l'enfant a été nommé Alexandre-Louis - Marie ; la
cérémonie a été faite par le fieur Duquesnoy ,
Curé de la Paroiffe ; le Corps de Ville y a affifté ,
& y a été conduit avec le pere , la mere & l'enfant
dans les caroffes de M. le Duc de Gefvres ,
ainfi que Madame la Ducheffe de Beauvilliers que
M. le Duc de Gefvres alla prendre au Château ; ifs
trouverent à la porte de l'Eglife , fous les armes ,
les Gardes du Gouvernement & ceux de M. le Duc
d'Aumont , Pair de France , Chevalier des ordres
du Roy , premier Gentilhomme de ſa Chambre ,
Gouverneur du Boullenois , & Gouverneur de la
ville de Compiegne ; les Trompettes des plaifirs
s'y trouverent , ainfi que les violons & inftrumens
de la ville : après la cérémonie M. le Duc de Gef236
MERCURE DE FRANCE.
vres fit préfent à la mere de l'enfant , d'une trèsbelle
boëte d'or , de la part de Monfeigneur le
Dauphin.
Le Comte de Noailles , Grand d'Espagne de la
Premiere Claffe , Lieutenant- Général des Armées
du Roi , Chevalier de la Toiſon d'or , & de l'Ordre
de Saint Louis , Bailli & Grand Croix de Malte,
vient d'être nommé par le Roi , fon Ambaſſadeur
Extraordinaire auprès du Roi de Sardaigne.
La diftribution des Prix généraux de l'Univerfité
fe fit le 4 de ce mois dans les Ecoles de Sorbonne
, en la maniere accoutumée . Le Parlement
y affifta, Cette cérémonie fut précédée d'un Difcours
Latin , que prononça le fieur Bertinot ,
Profeffeur de Rhétorique au College de Lizieux.
Le fieur Bille Rhé: oricien du même college , a
remporté le premier prix. Il le reçut des mains
du fieur de Maupeou , Premier Préfident. Les autres
prix furent diftribués par le fieur Dulaurenț
de la Barre , Recteur de l'Univerfité .
La Comteffe d'Eftrade ayant donné fa démiſſion
de la charge de Dame d'Atours de Madame Adelaide
, le Roi a difpofé de cette charge en faveur de
la Marquife de Civerac , une des Dames nommées
pour accompagner cette Princeffe.
Le 15 , fête de l'Affomption de la Sainte Vierge
, la proceffion folemnelle , qui fe fait tous les
ans à pareil jour , en exécution du voeu de Louis
XIII , fe fit avec les cérémonies ordinaires . L'abbé
de Saint- Exupery , Doyen du Chapitre de l'Eglife
Métropolitaine , y officia. Le Parlement , la Chambre
des Comptes , la Cour des Aydes , & le Corps
de Ville , y affifterent .
Le vaiffeau la Compagnie des Indes eft arrivé le
6 de ce mois à Belle- Ifle , venant de Pondichery ,
& ayant à bord le fieur Godehen .
SEPTEMBRE . 1755. 237
AVIS.
fieur Jacques Cottin & Compagnie , Mar
chand , rue Thibautaudé , donne avis au public ,
qu'il trouvera chez lui toutes fortes de toiles teintes
à froid , avec réferves . Après une longue fuite.
d'expériences on eft enfin venu à bout de fixer fur
la toile ( malgré tous les blanchiffages qu'on en
peut faire ) toute la fraîcheur & toute la variété
des couleurs. Ce fecret important & unique étoit
référvé au fieur Cabanes Anglois , qui par fes rares
talens a mérité l'approbation du Confeil. Le
débit confidérable qui le fait dans tout le Royau-`
me de ces nouvelles toiles qui imitent parfaitement
celles de la Chine & des Indes , eft une
preuve autentique de la folidité des couleurs que
procure la teinture à froid , & le public ne peut
qu'applaudir à une découverte qui lui eſt fi avantageufe.
AUTR E.
A veuve Simon Bailly continue à débiter les
Lvéritablesfavonettes légeres de pure crême de
favon , & pain de pâte graffe pour les mains , dont
elle a feule le fecret. Comme plufieurs perſonnes
fe mêlent de les contrefaire , & les marquent comme
elle , pour n'y pas être trompé , il faut s'adreſchez
elle , rue Pavée S. Sauveur , au bout de celle
du Petit-lion , à l'image S. Nicolas , une porte coshere
, prefque vis - à - vis la rue Françoife ; quartier
de la Comédie Italienne.
23S MERCURE DE FRANCE.
Errata pour le Mercure d'Août.
AGE 17 , ligne z . répodit Orphiſe , lifez répon-
PA dit.
Pag. 115 , lig. 12. on l'avoît recufé , liſ. acufé.
Pag. 17 , lig. 27. qu'on a cités , lif. qu'ils ont
cités .
• Pag. 142 lig. 24 Illiade , liſ. Iliade .
Ibid , lig. 18. Proetus , lif. Jobate.
Ibid , lig. 18. tard , lif. fort.
Pag. 143 , lig. 27. du Roi , lif. de Roi .
Pag. 144 , lig. 27. le fixiéme chapitre de l'Iliade ,
lif. le fixiéme livre de l'Iliade .
Pag. 145 , lig. 10. récompenfant , lif. récompenfent.
Pag. 146 , lig. 4. confervée , lif. confacrée.
Pag. 222 , lig. 11. le rôle d'Alztre , lif. ¿Alzire.
J'A
AP PROBATION.
" Ai lû , par ordre de Monfeigneur le Chancelier
, le Mercure de Septembre, & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A
Paris , ce 30 Août 1755.
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSes.
Tances à Mademoiſelle ***
pages
Svers adreffés à MAR. D. B. par une jeune De239
moifelle , âgée de huit ans ,
Le Moi. Hiftoire très - ancienne ,
Vers à S. M. le Roi de Pologne , fur la ftatue du
Roi de France qu'il a fait ériger à Nancy , 22
Les fouhaits , & la douce Vengeance ,
Vers à Mlle C. le jour de fa fête ,
Suite de l'eftime de foi -même , ou l'art d'augmenter
celle des autres , par M. de Baſtide ,
Vers à Madame P ...
Epitre à M. P *** fur le choix des livres ,
Lettre à l'Auteur du Mercurè ,
23
24
25
36
37
42
Comparaifon d'Homere & de Virgile , par M.
l'Abbé Trublet ,
Ode à la Vérité , par M. Poinfinet ,
Les deux Fourneaux . Fable ,
Penfées diverfes ,
52
55
58
6I
Epitre à M. Chevalier , premier Médecin de l'Electrice
de Baviere ,
Bouquet préfenté à M. de Monmartel ,
66
63
Mots des Enigmes & des Logogryphes du Mercure
d'Août ,
Enigmes & Logogryphes ,
Chanſon ,
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
72
73
78
Suite de la Séance publique de l'Ac . de Nifmes,79
Extraits , précis , ou indications des livres nouveaux
,
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Algébre. Solution du problême propofé dans le
fecond volume du Mercure de Juin dernier ;
par M. Bezout , Maître de Mathématique , 131
Hiftoire. Suite de l'hiftoire abrégée des guerres des
Algériens avec les Hollandois, 135
240
156
Abrégé chronologique de l'histoire de la ville de
Paris ,
Jurisprudence. Réflexions ſur la maniere d'enſeigner
& d'étudier le Droit , 172
Hiftoire naturelle . Lettre à l'Auteur du Mercure
fur les découvertes faites dans l'Artois , 184
Médecine. Réflexions fur la fixiéme obfervation
que M. Darluc , Médecin de Callian , a fait inférer
dans le Mercure , 187
Séance de l'Académie royale de Chirurgie , 191
ART. IV. BEAUX ARTS.
Peinture.
Gravure.
199
202
Architecture. Suite des Mémoires d'une Société
de gens de Lettres publiés eu l'année 2355 ,
ART. V. SPECTACLES.
Comédie Françoiſe ,
Comédie Italienne ,
Vers à M. Favart ,
Opéra comique ,
Concert fpirituel ,
204
223
226
227
ibid.
228
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres , 229
Nouvelles de la Cour , de Paris , & c. 235
La Chanson notée doit regarder la page 78.
De l'Imprimerie de Ch. A. JOMBERT.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères