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MERCURE
DE FRANCE,
DÉ DIÉ AU ROI.
JANVIER , 1755.
Diverfité, c'est ma devife. La Fontaine .
Chez
Cochin
Filius inv
PapillonSculp
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais .
PISSOT , Quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques .
Avec Approbation & Privilege du Roi.
V YORK
PUBLICLIBRARY
335286
ASTOR , LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1905
A AC
iij
AVANT- PROPOS.
E tous les ouvrages périodiques
, le Mercure de France eft
le plus difficile ; on lui impoſe les
loix les plus rigoureuſes. Il embraffe
tout , mais il ne peut rien traiter , ni
rien approfondir . On lui fait un crime
de penfer ; à peine lui permeton
de donner un précis des écrits
qui paroiffent. S'il approuve , il n'eft
qu'un louangeur fade & banal ; s'il
ofe critiquer , il bleffe l'amour propre
délicat des Auteurs. Le Public
lui- même le trouve mauvais , & dit
que le Mercure fort de fa fphere ;
qu'il doit fe borner à marquer fimplement
le jour qu'une piece dramatique
a été jouée pour la premiere
fois , avec le nombre de fes repréfentations
; ou s'il paroît un livre nouveau
, qu'il doit fe contenter d'annoncer
modeftement fon titre & le
nom du Libraire qui le vend. On le
A ij
iv AVANT-PROPOS.
condamne non feulement à ne
qu'un froid Journaliſte , mais on veut
le reftreindre encore à la féchereffe
d'un faifeur d'affiches. Ses privileges
néanmoins font les mieux fondés
& doivent être les plus étendus. Le
Journal des Sçavans eft le feul qui
puiffe lui difputer le droit d'ancienneté
tous les autres lui font poftérieurs
cependant tout leur devient
permis . Ils font toujours les premiers
à fe faifir des matieres qui font de
fon reffort , & à crier en même tems
que c'eft lui qui entreprend fur les
autres , & qu'il paffe les limites qu'on
lui a prefcrites. Cette plainte eft d'autant
plus injufte , que ces Journaux ,
fous différens titres , fe multiplient
tous les jours à fes dépens , & que fon
droit exclufif eft de n'avoir point de
bornes . Les Belles-Lettres , les Sciences
& les Arts , tous les genres font
de fon domaine : il doit en prendre la
fleur ; elle conftitue fon effence , &
la diverfité forme fon caractere . Voilà
pourquoi je choisis l'une pour
AVANT-PROPOS.
régle , & l'autre pour deviſe.
Comme il n'eft qu'une collection
ou qu'un ouvrage de découpures, il ŋe
peut être riche que du bien des autres.
Son plus grand mérite dépend
du choix : mais pour le bien faire ,
il faut avoir de quoi choifir . Mal→
heureuſement pour moi , mes prédéceffeurs
ont épuifé les premieres
fources: je fuis dans l'obligation d'inviter
tous les gens de lettres à m'ouvrir
de nouveaux tréfors . Je prie furtout
ceux qui font les plus intéreſſés
à rendre mon livre meilleur , à les enrichir
de morceaux qui puiffent le
faire lire de mon côté , je leur
promets
d'appliquer tous mes foins à les
mettre en bonne compagnie. Je fçai
que plufieurs ont de la répugnance
à fe voir imprimés dans un ouvrage
dégradé par la Bruyere , auteur des
caracteres ; mais depuis que les Voltaire
& les Fontenelle n'ont pas dédaigné
d'y tenir un rang , aucun de
leurs confreres ne doit plus rougir
d'y paroître. La pudeur d'un Ecrivain
A iij
vj AVANTPROPOS.
doit confifter à ne pas donner de mauvaifes
productions : qu'elles foient
marquées au bon coin , la place n'y
fait rien ; elles lui feront toujours honneur
, dans quelque endroit qu'elles
foient mifes. J'ai fouvent remarqué
que les nouveaux nobles craignent
plus de fe compromettre que les
vrais Gentilshommes. Fondé fur ce
principe , j'efpere que les meilleurs
Auteurs feront les plus hardis à décorer
mon recueil , fans avoir peur de
déroger. Je me ferai d'ailleurs une loi
très rigide de ne pas les nommer
quand ils voudront être anonymes.
-
A l'égard de ceux qui n'ont compofé
que des piéces fugitives , c'eft
une obligation pour eux de vuider
leur porte-feuille en ma faveur. Tous
les écrits détachés , qui n'ont pas
affez d'étendue pour faire un Cuvre
en forme , & devenir un livre ,
appartiennent de droit au Mercure
c'eft un bien qu'on lui retient ; ils
doivent y être dépofés comme dans
les archives de la littérature ; s'il
AVANT-PROPOS.
vij
ne leur affure pas une gloire immortelle
, il les tire du moins de l'obfcurité
, & leur donne une célébrité paffagere
. Il eſt même du devoir d'un
bon citoyen de rendre publics fes
amuſemens , quand ils peuvent tourner
au profit ou au plaifir de la fociété.
De Vifé avoit fait du Mercure
un ouvrage purement agréable. Ses
fucceffeurs , par degrés , font parvenus
au point d'en faire un livre éga
lement utile. M. de la Bruere y a le
plus contribué.
Qu'on me permette ici de quitter
un inftant mon fujet pour rendre
juftice à fon mérite , c'eft le moins
que je dois à la mémoire d'un Auteur
eſtimable , à qui je fuccéde ; je
puis dire fans bleffer la vérité , qu'il
étoit fait pour perfectionner tout ce
qu'il dirigeoit . La folidité de fon efprit
, & la jufteffe de fon goût égaloient
la douceur de fon caractere.
Il réuniffoit même les talens oppofés
, & n'a pas moins réuffi dans l'art
A iiig
viij
AVANT-PROPOS.
de négocier que dans l'art d'écrire.
En France , il a fait honneur aux
Belles Lettres par les différens écrits
qu'il a mis au jour. A Rome , il s'eft
diftingué dans les affaires dont il a
été chargé , par la maniere fage dont
il les a conduites. La confidération
qu'il s'étoit juſtement acquife dans
une Cour auffi difficile , eft le plus
beau trait de louange que je puiffe lui
donner. La confiance pleine d'eftime
M. le Duc de Nivernois a touque
jours eue pour lui pendant fa vie , &
les regrets finceres dont il l'honore
après la mort mettent le comble à
fon éloge.
Pour revenir à l'ouvrage qu'il a
augmenté par fes foins , ou par le travail
de ceux qui l'ont conduit en fon
abfence , je ne me fuis point écarté
de la forme qu'ils lui ont donnée.
J'ai fait feulement quelques additions
particulieres , pour mettre plus
d'ordre dans les matieres qui le compofent.
Je le divife en fix articles . !
201
1
AVANT-PROPOS. ix
Le premier contient les Piéces fugitives
en vers & en profe . Je n'y fais
entrer que les morceaux d'imagination
& de pur agrément : Poëĥies ,
Contes , Fables , Romans , Hiftorietes
, Chanſons , Enigmes & Logogryphes
.
Le fecond renferme les Nouvelles
Littéraires, où je place les féances publiques
des Académies de Paris & de ,
Province. J'annonce dans ce même ·
article tous les livres nouveaux , dont
je donne un précis , c'eſt-à- dire un
précis des ouvrages fçavans ; car je
donnerai un extrait en forme des
Romans qui auront quelque célébrité
; l'amuſant & le frivole étant à
moi fans reſtriction .
Le troifieme concerne les Sciences
& Belles- Lettres. On y mettra alternativement
différens morceaux*fur
* Je dois avertir ici le public que c'est moins un
ngagement que je prens avec lui , qu'une invita
A v
AVANT PROPOS.
la Phyfique , la Géométrie , la Jurif
prudence , la Politique , la Guerre ,
le Commerce , la Finance , la Médecine
, fur la Chronologie , l'Hiftoire
& les Medailles. Je porterai fouvent
à la fin de cet article les Séances publiques
des Académies des Sciences
& des Belles - Lettres , ainfi que de
celle de Chirurgie , avec un extrait
des mémoires qu'on y aura lûs , quand
l'article des Nouvelles littéraires fera
trop abondant.
Le quatrieme eft réſervé pour les
Beaux Arts , que je partage en Arts
agréables , tels que la Peinture , la
Sculpture , la Gravure , la Mufique ,
laDanfe ; & en Arts utiles , tels que
tion que je fais aux Sçavans de me faire part de
leurs productions de tout genre. Je les prie en même
tems de réduire les morceaux qu'ils m'enverront à
une extrême préciſion ; elle est un devoir pour moi ,
il faut que je m'y foumette , d'autant plus que la
multiplicité des matieres laiffe à chacune trop pess
de place pour les pouvoir mettre dans toute leur
étendue.
AVANT-PROPOS.
xj
l'Architecture , les Manufactures
l'Horlogerie , &c.
Le cinquieme article regarde les
Spectacles , où feront les extraits des
piéces de théatre , & tout ce qui
concerne les deux Comédies, les deux
Opéra , le Concert fpirituel , & les
Drames de Collége, Je ferai également
fobre fur la louange & fur la
cenfure. Je tâcherai fur-tout de ne
mettre jamais mon fentiment particulier
à la place de celui du public , &
de ne rien dire qui puiffe humilier ou
décourager les Auteurs . Des critiques
qu'on m'enverra fur les nouveautés
qui réuffiront , je n'admettrai que
celles qui feront juftes & ménagées ,
où il n'entrera rien de perfonnel. Les
traits de la critique doivent toujours
porter fur l'ouvrage , & ne bleffer
jamais l'Ecrivain.
Le fixieme & dernier article raffemble
à l'ordinaire les Nouvelles
Etrangeres & celles de France , les
A vj
xij AAVVAANNTTPPRROOPPOOSS..
Naiffances , les Morts , les Edits ,
les Déclarations , & Arrêts , avec les
Avis . Par cet arrangement , auquel
je ferai toujours fidele , chacun trou
vera d'abord la partie qu'il préfe
re, ou le morceau qui l'intéreffe .
?
AVERTISSEMENT.
LE
E Bureau du Mercure eft chez M. Lutton , Avocat
, Greffier-Commis au Greffe Civil du
Parlement , Commis au Recouvrement du Mercure ,
rue Sainte Anne , butte S. Roch , entre deux Selliers.
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer , franes de port,
les paquets & lettres , pour les remettre , quant à la
partie littéraire , à M. de Boiffy , Auteur du Mercure.
Le prix eft de 30 fols , & l'on payera d'avance ,
en s'abonnant , ou 10 liv . 10 folspour unfemeftre ,
on 21 livres pour l'année , à raison de 14 volumes ,
ainfi qu'il eft d'ufage pour les autres Journaux . Les
volumes d'extraordinaire feront également de 30
fols , fe payeront avec le femeftre , ou l'année qui
les fuivront.
L'abonnement pour les perfonnes de province ,
fera de 31 livres 10 fols par année , ou de la moitié
par femefire , à caufe des frais de lapofte , & autres
extraordinaires.
On les fupplie d'envoyer par la pofte , en payant
le droit , le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement en foit fait d'a
vance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis , refteront
au rebut.
L'on trouvera toujours quelqu'un en état de répondre
chez le Sr Lutton ; il obfervera de refter
à fon Bureau , les Mardi , Mercredi & Jeudi de
chaque Semaine après-midi.
A VIS .
On trouve le Mercure aux adreſſes ci-après.
Abbeville , chez
Levoyez.
Amiens , chez François , & Godard.
Angers , chez Jahier.
Arras , chez Nicolas , & Laureau.
Auxerre , chez Fournier .
Beauvais , chez Defaint.
Befançon , chez Brifaut.
Blois , chez Maffon.
Bordeaux , chez Jacques Labottiere , place du
Palais ; & chez Chappuis l'aîné , à la nouvelle
Bourſe , Place royale.
Caen , chez Manoury.
Charleville , chez Thefin.
Dijon , à la pofte , & chez Mailly.
Lyon à la pofte , & chez J. Deville.
Marſeille , chez Sibier.
Moulins , chez Faure.
Nancy , chez Nicolas .
Nantes , chez Joſeph Vatar.
Poitiers , chez Faulcon .
Rennes , chez Vatar pere , Vatar fils , Julien Va
tar , & Garnier & Compagnie.
Rouen , chez Hérault , & Fougue.
St Germain-en-Laye , chez la veuve Chavepeyse.
Soiffons , chez Courtois.
Toulouſe , chez Robert.
Tours , chez Lambert & Billault.
Troyes , chez Bouillerot.
Verſailles , chez Fournier.
Vitry-le-François , chez Seneuze.
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY.
ASTOR, LENOX AND
TILDEN
FOUNDATIONS.
ROMANCE
L'Amourma fait la Peinture
De Daphné de ses malheurs
J'en ais tracer l'aventure,
Puisse la race future
Ventendre et verser despleurs
KIJI
10
www
MERCURE
DE FRANCE.
JANVIER. 1755 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE
L'A
DAPHN É.
ROMANCE.
' Amour m'a fait la peinture
De Daphné , de fes malheurs.
J'en vais tracer l'aventure :
Puiffe la race future
L'entendre & verfer des pleurs.
16 MERCURE DE FRANCE.
Daphné fut fenfible & belle ,
Apollon fenfible & beau ;
Sur eux l'Amour , d'un coup d'aîle ,
Fi: voler une étincelle
De fon dangereux flambeau ..
Daphné d'abord interdite ,
Rougit , voyant Apollon ;
Il approche , elle l'évite :
Mais fuyoit- elle bien vîte ?
L'Amour affure que non.
Le Dieu qui vole à ſa ſuite ,
De fa lenteur s'applaudit ;
Elle balance , elle héſite ;
La pudeur hâte fa fuite ,
Le defir la ralentit.
Il la pourfuit à latrace ,
It eft prêt à la faifir ;
Elle va demander grace.
Une Nymphe et bientôt laffe
Lo rfqu'elle fuit le plaifir.
Et
Elle defire , elle n'oſe ;
Son pere voit fes combats ,
par fa métamorphofe ,
A fa défaite il s'oppofe :
Daphné ne l'en prioit pas.
JANVIER.
17 1755 .
C'eft Apollon qu'elle implore ,
Sa vûe adoucit fes maux ,
Et vers l'amant qu'elle adore
Ses bras s'étendent encore ,
En fe changeant en rameaux.
Quel objet pour la tendreffe
De ce malheureux vainqueur !
C'eft un arbre qu'il careffe ;
Mais fous l'écorce qu'il preffe
Il fent palpiter un coeur..
Ce coeur ne fut point févere ,
Et fon dernier mouvement
Fut , fi l'amour eft fincere ,
Un reproche pour fon pere ,
Un regret pour fon amant.
On trouvera la mufique de cette Romance
à la fin du Livre.
18 MERCURE DE FRANCE.
LES REPUTATIONS
miſes au creuset.
LE fi
E monde eſt ſi plein de réputations
injuftement acquifes en mal comme
en bien , qu'il me prend envie de les mettre
dans le creufet de la vérité , pour les
réduire à leur jufte valeur. Si j'allois faire
de toutes une exacte analyfe , qu'on verroit
d'étranges métamorphofes ! pour établir
les unes il faudroit détruire les autres.
Par cette opération , je rendrois les
coquins honnêtes gens , & les honnêtes
gens coquins ; je rendrois nombre d'honnêtes
femmes ...... je n'ofe achever ; l'univers
en feroit bouleverfé . Pour éviter ce
defordre , & laiffer le fiécle tel qu'il eft ,
je me borne dans mon fyftême à blanchir
les plus célébres réputations de l'antiquité
qu'un préjugé calomnieux a noircies , & à
démafquer par contre- coup plufieurs de celles
qu'un faux éclat a déguifées, & que l'obfcurité
des tems a rendues refpectables . Je
voudrois pouvoir réhabiliter toutes les modernes
qui en ont befoin , mais j'aurois trop
à faire , & la tâche eft trop difficile. Je laiffe
cet honneur aux écrivains qui voudront
JANVIER. 1755 . 19
l'entreprendre après moi ; je me contente
de leur frayer le chemin. Cet effai fuffira
pour faire voir combien on doit être lent
à croire , encore plus timide à décider fur
les réputations , & pour prouver que fouvent
elles font plutôt l'ouvrage du hazard
malin , ou de l'opinion aveugle , que celui
de la raifon éclairée ou de la vérité bien
approfondie : c'eſt où le pyrrhonifme eſt
d'obligation.
Le danger de fréquenter plus grand quefoi .
:
TANTAL E.
Tantale étoit Roi de Phrygie . Jamais
Prince n'a été plus fauffement noirci . Fils
de Jupiter , il étoit digne de fa naiſſance ;
il réuniffoit toutes les qualités du coeur &
de l'efprit aimable , bienfaiſant , & fi
agréable convive , que les Dieux l'admirent
à leur table ; il fut de toutes leurs parties
, & devint leur ami familier . Comme
il avoit le don de plaire & d'amufer , plufieurs
Déeffes lui voulurent du bien ; en
conféquence plufieurs Dieux lui voulurent
du mal. Son trop de mérite le brouilla
avec eux , & lui caufa de fi cruelles tracafferies
qu'il fut obligé de quitter l'Qlympe
, pour ne plus vivre que fur la terre.
20 MERCURE DE FRANCE.
*
Il y devint amoureux de Taigéte , fille
d'Atlas. L'hymen les unit , il l'en aima
davantage , & retrouva les Cieux avec
elle. Il jouir d'un bonheur d'autant plus
pur , qu'il ne fut plus occupé que du plaifir
de faire du bien aux hommes : il polit
leurs moeurs , & leur apprit doublement à
vivre , en leur enfeignant à mettre du goût
dans leurs amufemens & de la délicateffe
dans leurs feftins. A l'affaifonnement des
bons mots , il joignit celui des mets exquis
, & fut par un excès de bonté le premier
maître d'hôtel du genre humain . Les
Dieux en furent jaloux , & lui en firent
un crime ; ils l'accuferent d'avoir trahi
leurs fecrets , & d'avoir dérobé le nectar &
l'ambroifie , pour en faire part aux mortels.
C'étoit peu d'avoir châtié injuftement
Promethée , pour avoir donné la vie
à l'homme , en l'animant de leur efprit ,
ils voulurent encore punir avec moins de
raifon Tantale , de lui avoir appris l'art
d'en jouir. Je parle d'après Pindare. Ils le
précipiterent dans les enfers , pour une action
qui méritoit les Champs Elifées. Le
genre de fupplice eft d'ailleurs peu convenable.
Il eft condamné à manquer de tout
au milieu de l'abondance : la générofité fit
tout fon forfait , & fon châtiment eft la
Paufanias.
JANVIER. 21
1755 .
*
peine des avares. Les uns lui font fouffrir
cette tortute pour un chien perdu ; les
autres , pour juftifier la rigueur des Dieux ,
le chargent contre toute vraisemblance de
leur avoir fervi de gaieté de coeur les membres
de fon fils Pelops . Voici l'événement
qui a donné lieu à cette noire calomnie.
Les Dieux ennuyés de ne plus voir Tantale
, allerent un jour le vifiter. Le premier
objet qui frappa leur vûe fut le petit
Pelops , qui étoit encore enfant. Jupiter
dit à Tantale , foit pour mettre fon zéle
à l'épreuve , foit par mauvaiſe plaifanterie
, dont les Dieux font quelquefois trèscapables
; Prince , votre fils eft d'un embonpoint
charmant , vous nous obligerez
tous de nous le faire fervir à fouper. Tantale
prit la propofition pour une raillerie
& lui répondit , en courtifan adroit , qu'il
faifoit trop d'honneur à fon fils , & qu'il
n'avoit rien qui ne fût au fervice de leur
divinité. Pour mieux jouer l'obéiffance ,
il donna ordre qu'on faifit Pelops ; mais
les Déeffes s'y opoferent . Venus le prit
dans fes bras , & toutes à l'envi s'emprefferent
à le careffer , en difant que ce feroit
dommage de le rôtir , qu'il étoit le
plus bel enfant du monde , & qu'il pour-
* C'étoit un chien que Jupiter lui avoit confié
pour la garde de fon temple dans l'ifle de Crete,
22 MERCURE DE FRANCE.
roit un jour les fervir plus utilement . Cerès
le trouva fi potelé qu'elle lui fit un fuçon
à l'épaule , qui étoit blanche comme
l'yvoire.
Momus , le Dieu de la médiſance , empoifonna
cette avanture , peut-être pour
faire fa cour à Jupiter , car fouvent les plus
noirs fatyriques font les plus lâches adulareurs
; ils ne déchirent méchamment les
uns que pour flater plus baffement les autres.
Momus fuivant donc ce caractere ,
donna un tour affreux à la chofe ; il publia
que Tantale leur avoit offert fon fils à
manger pour éprouver leur puiffance ; mais
qu'ayant reconnu fon horrible perfidie , ils
s'étoient tous abftenus d'y toucher ; que
la feule Cérès , aveuglée par un appétit
defordonné , avoit dévoré l'épaule droite
de l'enfant , & que Jupiter lui en avoit
fubftitué une d'yvoire , en rajuftant tous
fes membres , & leur donnant une nouvelle
vie.
Cette fable prit généralement , tant il eft
vrai que le faux merveilleux , quelqu'abfurde
qu'il foit , trouve toujours plus de foi
parmi les hommes que la fimple vérité.
La fuperftition alla plus loin. Après la mort
de Pelops , elle divulgua que fon épaule
Pindare , Ode I.
JANVIER. 1755. 23
miraculeufe guériffoit plufieurs maux différens.
Un grand nombre de malades lui
rendirent un dévôt hommage , & peutêtre
que le hazard , ou le bonheur de quelques
guérifons fortuites fervit à établir.
cette croyance , qu'il parut juftifier.
Ce que j'ai appris d'un Mythologiſte
auffi profond que fenfé , c'eft que Tantale ,
depuis ce fatal repas , avoit encouru la
difgrace du maître du ciel , fon pere , par
une raiſon fecrete que j'ai trouvée trèsvraisemblable.
Jupiter toujours prompt à s'enflammer
pour les nouveaux objets qui s'offroient à
fes yeux , ne put voir Taigete , la femme
de Tantale , fans être touché de fes charmes
; c'étoit une taille célefte , une beauté
digne des Dieux. L'enjouement & la mo
deftie formoient en elle un mêlange enchanteur
qui la rendoit adorable. Elle faifoit
les honneurs du fouper que fon époux
donnoit à la troupe immortelle. En prenant
le nectar de fa main , le Roi de l'Olympe
s'enyvra d'un amour dont il eut d'autant
plus de peine à guérir qu'il ne pût parvenir
à le rendre heureux . L'aimable Reine
de Phrygie reçut le lendemain de fa part
un billet , qui exprimoit la paffion la plus
vive ; mais à peine eut-elle jetté les yeux
fur les premieres lignes , qu'elle le rendit
24 MERCURE DE FRANCE .
fon
à Mercure qui en étoit le porteur . Il eut
beau la preffer d'y répondre , elle lui dit
en riant qu'elle ne fçavoit pas écrire , &
qu'elle prenoit toujours fon mari pour
fecrétaire. Jupiter inftruit du mauvais fuccès
de fa lettre , eut recours aux métamorphofes
qui lui avoient fouvent réuffi , &
pour lefquelles il avoit un goût particulier.
Taigete avoit trois bêtes qu'elle aimoit
fingulierement ; un perroquet , un épagneul
, & un fapajou. Le fouverain des
Cieux prit d'abord la figure du premier , &
courut béqueter la Reine . Tantale qui revenoit
de la chaffe , entra dans ce moment ;
il écarta le perroquer pour embraffer fa
femme , qui lui rendit careffe pour careffe.
L'oifeau jaloux mordit fi fort l'oreille
du mari , qu'il lui en refta un morceau
dans fon bec. Tantale fit un cri , & Taigete
effrayée de voir couler le fang du Roi,
faifit le perroquet avec indignation : elle
alloit le livrer aux griffes d'un gros matou ,
qui brûloit de l'étrangler , quand l'oifeau
s'échappa , & prit l'effor par la fenêtre.
Trois jours après , Jupiter informé que
Tantale avoit quitté fa femme pour une
affaire importante qui demandoit fa préfence
ailleurs , revint auprès d'elle fous la
forme de l'épagneul . Il comptoit que fon
époux
JANVIER. 1755. 25
Epoux feroit obligé de découcher au moins
une nuit , car dans ce tems là les maris ,
même de Cour , ne faifoient jamais lit à
part. Taigete defefperoit elle -même du
retour du Roi : elle étoit prête à fe coucher
, & l'Epagneul impatient avoit déja
pris au lit la place de Tantale , quand ce
Prince arriva fort à propos. Le chien furieux
, fort de la couche royale , & abboye
contre lui de toutes fes forces . Le Roi ennuyé
de fes cris , lui donna un fi grand
coup de pied , que l'Epagneul oubliant
fon rolle de chien , jura en Dieu , qui parle
en maître. Tantale furpris de cette nouveauté
, ordonna qu'on le faisît pour éclaircir
ce prodige ; mais le chien prit la fuite
& difparut. Le Monarque du ciel jouant
de fon refte , s'établit pour la troifieme
fois chez la Reine en qualité de Sapajou .
Il l'amufa d'abord par cent jolis tours ;
mais s'émancipant par degrés , il fauta fur
l'épaule de fa maîtreffe , & l'ofa careffer
jufqu'à fortir des bornes de la décence . La
Reine fcandalifée , appella le Roi , & le
pria de punir fon finge comme il le méritoit.
Tantale s'armant d'un cordon de foie
fe mit en devoir de le châtier ; mais le
malin Sapajou le prévint , & le prit au
colet , de façon qu'il l'eût étouffé fi fa
.femme ne fût venue au fecours , & n'eût
B
26 MERCURE DE FRANCE .
ferré fortement le col de l'animal avec
le ruban qui lui fervoit d'attache , & qui
formoit un noeud coulant. Le Dieu finge
fe fentant étrangler à fon tour , lâcha prife
; mais tout fon amour pour la Reine
s'éteignit alors , il fe transforma en haine
contre le mari . Le Sapajou s'éclipfa , &
Jupiter parut dans tout l'appareil de fa colere
. Va , dit - il au malheureux Tantale ,
va fubir aux enfers le fupplice que je viens
d'éprouver à ta Cour. Sois toujours prêt
à poffeder , fans pouvoir jamais jouir ;
meurs éternellement de foif au fein des
caux , & de faim au milieu des fruits . A
ces mots , Jupiter remonte aux cieux ;
Tantale tombe dans le Tartare , & Taigete
expire de douleur. C'eft ainfi que ce Monarque
, auffi vertueux qu'infortuné , fut
châtié de la fidélité de fa femme & de la
liaifon intime qu'il eut avec les Dieux.
Cet exemple nous prouve combien il eft
dangereux de fréquenter plus grand que
foi. Pour agir prudemment , nous ne devons
jamais voir ni au - deffus ni au- deffous
de nous. Nos inférieurs nous puniffent
de notre familiarité , & nos fupérieurs
de nos fervices : notre réputation leur eft
foumife comme notre vie ; elle reçoit la
couleur qu'ils veulent lui donner dans le
monde , & dépend moins de notre vertu
JANVIER. 1755. 27
que de leur fantaifie , ou de leur paffion .
De là je conclus que nos égaux font la
feule compagnie qui convienne à notre fûtreté
; c'eſt parmi eux qu'il faut choisir nos
amis , ou du moins nos connoiffances , par
la rareté dont fe trouvent les premiers.
Les mots font plus de tort
chofes.
PASIPHA É.
que les
PASIPHAÉ , fille du Soleil , épouſa
Minos , Roi de Crete . Ce Prince fut un
grand homme de guerre , un bon Légiflateur
, mais un mauvais mari : il ne fe
montra pas tel d'abord. Comme fa femme
joignoit l'efprit à la beauté , & qu'il
en étoit amoureux , il vêcut affez bien avec
elle les premieres années de fon mariage ;
mais ce bonheur fut troublé par la mort tragique
d'Androgée * , fon fils aîné , qu'il
aimoit tendrement ; il l'avoit eu d'une premiere
femme. Ce jeune Prince en voyageant
dans l'Attique , y fut cruellement
affaffiné. La perte d'un fils adoré fit une
fi forte révolution dans fon ame , qu'elle
Plutarque , vie de Théfée.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
aigrit fon humeur , & changea fon caraçtere
: la nature en avoit fait un Roi jufte
la douleur en fit un tyran inflexible . Les
charmes de la Reine , loin d'adoucir fon
coeur , le rendirent plus farouche ; fon
amour dégénéra en jaloufie , & fa juſtice
en cruauté. Pour venger le meurtre d'Androgée
, il jura de porter la guerre dans
Athenes , & de punir une nation entiere
du crime de deux ou trois particuliers :
mais avant de remplir fon ferment , il inftitua
en l'honneur de fon fils , des jeux
funébres , qu'il fit enfuite célébrer tous les
ans. Les premiers prix furent remportés
par un Officier des plus diftingués de fa
Cour & de fon armée ; on l'appelloit Taurus
, ou Taureau , pour francifer fon nom.
C'étoit l'homme le plus fort de la Crere :
il étoit également adroit. Comme il s'étoit
fignalé dans les combats auffi bien que
dans les fêtes , le Roi en faifoit un cas
particulier. La Reine qui fut préfente à
ces jeux , ne conçut pas moins d'eftime
pour lui ; elle l'honora même d'un éloge
flateur , quand il s'approcha d'elle pour
recevoir de fa main le prix de la lutte &
de la courfe. La force , l'adreffe & la valeur
font trois qualités recommendables
auprès du beau fexe. Il eft vrai qu'elles
étoient un peu ternies en lui par une huJAN
VIE R. 1755 . 29
meur fiere & dure , pour ne pas dire
brutale ; mais c'eft l'ordinaire défaut des
gens robuftes : leur fang qui coule avec
impétuofité , ne leur permet guere d'être
polis. Un efprit doux & liant eft le partage
des complexions délicates , qui n'ont
pas la force de manquer d'égards , & qui
donnent le beau nom de fentiment à leur
foibleffe. Taurus étoit donc brufque , mais
effentiel. La Reine conféquemment n'avoit
pas tort d'être prévenue en fa faveur ;
elle y étoit autorifée par la confiance que
Minos avoit en lui . Ce Prince en donna
une preuve bien décifive en partant pour
aller lui- même faire en perfonne la guerre
aux Athéniens ; il l'établit Gouverneur de
Gnoffe , Capitale de fon Royaume , & remit
à fa garde ce qu'il avoit de plus cher ,
fon état & fa femme. Il lui recommenda
fur- tout de veiller fur la conduite de la
Reine , de doubler le nombre de fes Ar-.
gus , fous le prétexte d'augmenter fa Cour ,
& de ne lui laiffer qu'un efclavage honorable
.
Pafiphaé qui fe vit décemment prifonniere
, fe confola d'avoir pour furveillant
celui de fes Sujets qu'elle eftimoit le plus.
Elle employa tout fon art à le captiver luimême
: elle y réuffit. La rudeffe du plus
féroce s'adoucit à l'afpect de deux beaux .
:
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
yeux : ceux de la Reine étoient de ce nombre.
Le Taureau s'apprivoifa , & lui tine
compagnie. Un feul homme de la trempe
du Cretois fuffit pour amufer le loifir d'une
femme modefte , condamnée à la folitude.
Une conformité de goût fervit encore
à les unir d'une chaîne plus intime :
ils avoient tous deux une eftime particuliere
pour Dédale , & un amour de préfé
rence pour l'art qu'il profeffoit. Cet ingénieux
Méchanicien fat le Vaucanfon de
fon fiécle : il s'étoit déja rendu fameux à la
Cour de Crete par la conftruction du labyrinthe.
Ce furprenant édifice venoit d'être
fini par l'ordre de Minos. La Reine &
Taurus furent curieux d'en parcourir les
détours ; mais ils s'y perdirent de compagnie
, & fans le fecours de Dédale , ils
n'auroient jamais pû trouver le moyen d'en
fortir. Depuis ce moment , ils prirent tant
de goût pour les ouvrages de ce célébre
Artifte , qu'ils alloient tous les jours le voir
travailler à fon attelier. Supérieur dans fon
art , Dédale ne copioit que la Nature , &
'imitoit que les Dieux : il créoit à leur
exemple . Tantôt il animoit le marbre , tantôt
il faifoit parler le bronze , ou foupirer
le bois.
: Parmi différens chef- d'oeuvres , il conf
truifit un Taureau qui frappoit du pied la
JANVIER . 1755 . 31
terre , & refpiroit le feu : il lui donna pour
compagne une Geniffe fi parfaitement imitée
, que l'oeil s'y trompoit à la voir , elle
marchoit , elle broutoit , elle mugifloit
avec tant de vérité , qu'on la prenoit pour
une geniffe réelle. Le taureau s'enflamoit
à fa vûe , & beugloit à l'uniffon avec elle .
Pafiphaé étonnée de ce prodige , voulat
connoître le méchanifme qui l'opéroit.
Taurus eut la même curiofité . Dédale la
fatisfit ; il expofa à leurs regards l'intérieur
des deux machines , & pour leur en faire
mieux comprendre tout le jeu , il fit entrer
la Reine dans le corps de la geniffe ,
& fon Ecuyer dans le ventre du taureau .
Tous deux eurent à peine touché à un certain
fil , que la geniffe beugla , & que le
taureau lui répondit . Cette comédie les
amufa fi fort , qu'ils alloient chez Dédale
la jouer régulierement quatre fois par femaine.
Cette piéce finguliere dura fix mois,
qui fut tout le tems de l'abfence de Minos.
Ce Monarque revint triomphant des Athéniens.
Après les avoir vaincus , il les obligea
de lui envoyer en tribut fept jeunes
garçons & fept jeunes filles des plus no-
Bles familles d'Athenes , pour être enfermés
dans le labyrinthe.
La Reine accoucha trois mois après ; plu-
B iiij
32 MERCURE DE FRANCE.
*
fieurs difent de deux jumeaux , dont l'un
reffembloit au Roi de Crete , & l'autre au
Gouverneur de Gnoffe ; mais un Auteur
digne de foi , affure qu'elle ne mit au jour
qu'un feul Prince , qui avoit le fourcil noir
de Minos , & les cheveux roux de Taurus .
J'ai fuivi cette opinion comme la plus vraifemblable.
Les perfifleurs de la Cour exercerent
leurs mauvaiſes plaifanteries fur
cette double reffemblance , & donnerent
au fils de la Reine le fobriquet de Minotaure
, qui lui eft toujours refté. Le Roi
le prit en averfion , & conçut contre fa
femme un foupçon qui la perdit fans retour
; fa fureur jaloufe en redoubla. Les
ennemis que Taurus s'étoit attiré par fa
brufquerie infolente , chargerent fon hif
toire des plus noires couleurs : ils la répandirent
dans le public , elle parvint jufqu'à
Minos. Il apprit , en frémiffant , les
vifites fréquentes de fon favori & de fa
femme chez Dédale ; la promenade du labyrinthe
, où ils s'étoient égarés , & l'aventure
merveilleufe du taureau & de la
geniffe. Minos outragé , ou qui crut l'ê
tre , fignala bientôt fa vengeance. Dédale
eut pour prifon le labyrinthe , dont il étoit
l'inventeur. Le Prince Minotaure fut en-
* Servius dans fon Commentaire fur Virgile,
JANVIER.. 1755 . 33
fermé dans le même cachot ; il y fut nourri
comme une bête féroce : Taurus partagea
fon fupplice . La Reine fut enfevelie dans
un autre fouterrein . Par un raffinement de
cruauté , elle fut condamnée à ne plus voic
le jour , fans perdre la vie . Dédale eut recours
à fon art , & trouva feul le moyen
de s'échapper. Le Prince crut en force : il
devint bientôt monftrueux par fa taille gigantefque
, & fa férocité répondit à fon
éducation . Il combattoit les malheureux
Athéniens qu'on envoyoit en Crete ; on
les livroit à fa rage ; ils périffoient fous fes
coups , ou mouroient de la main de Taurus
, qui fecondoit fa fureur . Les jeunes
Grecques languiffoient dans l'efclavage.
Heureufement pour elles , Théfée , que le
fort mit du nombre des captifs , vint rompre
leurs fers. Il attaqua le redoutable Minotaure
, tua Taurus avec lui , & délivra
par cette victoire fa patrie d'un tribut auſſi
deshonorant pour l'humanité que pour
elle ; mais il ternit cette belle action par
le rapt d'Ariane , qui lui avoit enfeigné le
le_rapt
fecret de fortir du labyrinthe , en l'armant
d'un fil qui lui fervit de guide. En reconnoiffance
d'un fi grand bienfait , il l'arracha
des bras paternels , pour l'abandonner
dans une ifle déferte . Voilà de nos
brillans héros qui font le bien par nécef-
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
fité , & le gâtent bientôt après par le mal
qu'ils font volontairement . Minos , ce Roi
cité pour fa fagelle , s'en écarta dans cette
occafion , & flétrit fa gloire par la vengeance
éclatante qu'il tira d'une aventure
qu'il devoit plûtôt étouffer dans un profond
filence. La renommée qui groffit , &
qui déguife tout , broda fur ce fond la
plus horrible fable . Elle publia que Pafiphaé
éprife d'amour pour un taureau ,
avoit eu recours à Dédale pour fatisfaire
fon effroyable paffion , & que cet Artiſte
complaifant avoit fabriqué le corps d'une
geniffe , où il avoit introduit la Reine ,
pour lui faciliter un affreux commerce.
Les plus grands Poëtes ont confacré cette
horreur. Minos en a été puni le premier ,
puifqu'il en a partagé la honte. Sa malheureufe
époufe a été la victime d'une
équivoque. Tant il eft vrai , que les femmes
, quand elles font choix d'un amant
ne fçauroient avoir trop d'égard au nom
qu'il porte ; cette attention eft pour elles
de conféquence. Il ne faut qu'un nom ri
dicule pour donner lieu à un conte extravagant
, ou à un vaudeville malin qui
les perd de réputation : l'exemple de Pafiphaé
doit les effrayer. Si le Cretois qu'elle
eftimoit , fe fût nommé autrement que
Taureau , fon aventure n'eût été qu'une
JAN VIE R. 1755. 35
galanterie d'ufage , ou qu'une foibleffe excufable
; on n'en eût point parlé. Ce qui
fait voir que les mots font plus de tort que
les chofes. Pour moi je trouve Minos le
plus coupable , & j'ai cru devoir cette
apologie à l'honneur de Pafiphaé. Elle n'étoit
pas d'une vertu tout-à fait fans reproche
, mais elle étoit du moins fage comme
la plupart des femmes le font , ou peuvent
l'être jelle étoit d'ailleurs eftimable
par plufieurs
belles qualités ,fur-tout elle aimoit les
arts & protegeoit les talens . Suppofé qu'elle
ait eu du goût pour un autre que fon mari ,
pourquoi tant fe récrier ? la chofe n'eft pas
fans exemple , & fa paffion , après tout ,
n'eft pas fortie de l'ordre commun. La fable
a outré fur fon fujet , elle en a fait un
monftre affreux : je ramene fon hiftoire à
la vraisemblance ; j'en fais une fenime ordinaire
.
On donnera la fuite dans le mois prochain,
fi cet effai eft du goût du public. On tourne
aujourd'hui la vérité en fable ; l'Auteur
mieux intentionné tâche de tourner la fable
en vérité.
B vj
36 MERCURE DE FRANCE .
PANDORE ,
OU L'ORIGINE DES PASSIONS .
ET DES CRIME S.
V
PAR M. YO N.
Avant Vant que le fils de Japet
Eut dérobé le feu célefte ,
Et que par un zéle indiſcret
Son audace à l'homme funefte ,
Eût fait éclore fa raiſon ,
En prenant chez les Dieux un dangereux rayon
De leur fuprême intelligence ,
L'homme innocent , dans un heureux filence
Se livroit au penchant du naïf ſentiment ;
Et ne diftinguant point les vertus ni les vices
Sans crainte & fans remords , il fuivoit les ca→
prices
Que le Ciel imprima fur fon tempérament.
On s'entendoit pourtant ; & dans ce premier âge
Le coeur dictoit aux yeux un ingénu langage .
* Cette allégorie excéde un peu les bornes que je
me fuis preferites pour les piéces en vers ; mais j'ai
cru que les beautés dont elle m'a paru remplie , méritoient
une diftinction . J'efpere que ceux qui la liront
, me fauront gré d'avoir franchi la régle en
fa faveur.
JANVIE R. 1755 . 37
On y lifoit fes befoins , fes defirs ,
Et la belle pouvoit ſe fier aux ſoupirs
Qu'elle voyoit fortir du coeur
De l'Amant qu'elle avoit choisi pour fon vain
queur.
Mais l'attentat de Promethée
Alluma bientôt contre nous
Le feu du céleſte couroux ,
Et fa vengeance concertée
Commit le foin aux Cyclopes brulans ,
De rebattre fur leur enclume ,
De la foudre la noire écume ,
Et d'en forger , pour éblouir nos fens ,
Un monftre orné des dons les plus brillans.
L'Olympe entier prit plaifir à répandre
Sur fon vifage féminin
Ces charmes féduifans , cet air piquant & fin
Qui fecondés d'un oeil fubtil & tendre ,
Fournit à ce fexe malin ,
En fe jouant , l'art de tout entreprendre,
Et comme au ciel tout concourut ,
Pour mieux déguifer l'impofture ,
Chaque Divinité tira de ſa nature
Le plus éclatant attribut.
Phébus lui montra fur fon luth ,
Des beaux chants & des vers le flateur affemblage .
Junon lui fouffla fur le front
L'art de rougir pour paroître plus fage ,
Qui , joint au don des pleurs , fait un effet fi
prompt
35 MERCURE DE FRANCE.
Dans les refforts d'un beau vifage ,
Qu'il n'eft point de couroux que ne puiffe fléchir
L'artifice trompeur de ce double avantage.
Pour achaver de l'embellir ,
Hébé compofa fa coëlfure ,
Et la Mere d'amour lui prêta fa ceinture .
Enfin le traître Amour ſe logea dans les yeux ,
Pour la guider dans ces terreftres lieux.
Tel éclata ce brillant météore
Aux regards des mortels , fous le nom de Pandore.
Jufque là le pouvoir du ciel
Avoit décoré ce fantôme ;
Mais il falloit que l'infernal Royaume
Contribuât par un préfent cruel
Qu'Alcalaphe apporta de la part des furies ,
Chef-d'oeuvre de leurs mains impics ,
Ouvrage éblouiffant , compofé d'un métal
Que depuis l'avarice arracha de la terre ,
D'où fortit le germe fatal
De la difcorde & de la guerre.
Peux-tu , miferable univers ,
Réfifter aux efforts des cieux & des enfers ?
Ils ont remis aux mains d'une beauté divine
Le foin de leurs deffeins vengeurs :
La foif de l'or va caufer ta iuine ;
Son éclat & celui de deux yeux enchanteurs
Vont pour jamais caufer tous tes malheurs.
Enfin , Pandore arrive , & fa bouche vermeille
Fit d'abord éclater fur nos fens étonnés ,
JANVIER. 1755 39
De fa touchante voix la fonore merveille .
Soudain les hommes profternés ,
A ce charme prêtent l'oreille.
Les femmes , de la voix admirant les talens ,
Déja cherchent des fons dans leurs bouches béantes
,
Et leurs levres impatientes
Précipitant leurs mouvemens ,
S'efforcent de faifir le don de la parole.
Pendant que tous enchantés & furpris ,
Soupirent aux pieds de l'idole ;
Elle pour s'acquitter de fon perfide rolle ,
Fit briller aux regards des hommes éblouis
Ce métal dangereux , cette boîte infernale ,
Qui frappant leurs efprits de curiofité ,
Se fit des yeux aux coeurs une route fatale
Pour y développer la cauſe initiale
De l'humaine cupidité.
L'effet fut prompt , & l'ardeur de connoître
Soudain bouillonne en leurs coeurs embrafés
Leurs regards pétillans , leurs geftes empreffés
Exigent fans retard que l'on faffe paroître
Ce que contient ce vaſe en fes brillans contours.
Je comprens vos defirs ; écoutez , dit Pandore ,
Jupiter ne veut plus que l'univers ignore
Ce qui doit augmenter le bonheur de vos jours.
Il vous enjoint de déchirer la terre ,
De percer , s'il fe peut , juſqu'aux bords d'Acheron
,
40 MERCURE DE FRANCE .
C'eft par de tels fentiers que votre ambition
Doit découvrir cetterare matiere :
Or eft fon nom ; fouillez , creufez pour en avoir;
Rien n'eft égal à fon pouvoir :
Celui qui plus avide en aura davantage ,
Sur les pareils régnera deformais .
Ce n'est point tout , pour comble de bienfaits
Ouvrez la bouche , & recevez l'ufage
De l'inftrument artifte de la voix.
Cet infatigable mobile ,
De vos plaifirs panégyrifte habile ,
Souinis aux paffions , en défendra les droits :
Et quand d'un fier cenfeur la morale ennemie
D'une vertu bizarre alléguera les loix ,
Qu'un grand nombre de mots étouffe fous leurs
poids
Les noirs accès de fa miſantropie ,
En criant plus que lui vous mettrez aux abois
Sa raifon étourdie .
Enfin , pour exciter les mortels généreux ,
J'ordonne que ce vaſe , objet de votre envie ,
Soit le prix du plus fort ou du plus courageux.
Ainfi parla Pandore à la muette troupe ;
Et de langues foudain un effain bourdonnant ,
En prenant l'air , s'échappe de la coupe.
Chacune au hazard ſe lançant ,
Dans les gofiers ouverts fe greffe & s'enracine,
D'abord les animaux par des cris menaçans ,
JANVIER . 1755.
De leurs foibles tyrans confpirent la ruine ;
Ils ne prétendent plas que l'homme les domine ;
Ils dédaignent déja ſes ordres impuiffans.
Le taureau révolté , briſe fon joug , rumines
Le lion indigné de fon abaiffement ,
Etincelle , rugit , bat fes flancs & s'anime ;
Et pour fignal de fon foulevement ,
Fait de fon maître la victime.
Le ferpent s'applaudit par un fier fifflement ;
Des poiſons dont fa langue s'envenime ;
Et l'homme s'énonçant pour la premiere fois ,
Sur le tien & le mien , fait l'effai de ſa voix.
L'air retentit de cris , écho rompt le filence ;
Mais le fexe fur- tout eft le plus éloquent :
On dit même qu'en débutant
Il inventa la médiſance ,
Et fut prompt à faifir le tour infinuant
D'une mordante & badine élégance ,
Pour décrier plus finement
La plus frivole impertinence ;
Même il trouva dans fon tempérament
Cette cauftique nonchalance ,
Qui prête un faux air d'innocence
Au trait le plus piquant.
Bientôt fon altiere éloquence ,
Organe impérieux de fon reffentiment ,
A l'aveugle bravoure enjoignit la vengeance
D'un mot fur les appas lâché trop hardiment.
Courez , mortels , prenez les armes ,
42 MERCURE DE FRANCE.
Faites - vous égorger pour l'honneur de fes char
mes ;
Ces mêmes auraits outragés ,
Vont devenir le prix de votre frénéfie ,
Et la pudeur fe facrifie
Au plaifir de les voir vengés.
Lorfque Pandore vit que l'humaine lignée ,
Par le double préfent des langues & de l'or ,
Ne pouvoit éviter de vivre infortunée ,
En fouriant , elle prit fon effor
Vers les céleftes lieux , & fes perfides mains ,
Pour confommer fes noirs deffeins ,
Laifferent échapper ce pernicieux vafe
De nos malheurs l'origine & la bafe.
11 eft à moi , dit l'un , car je fuis le plus fort :
Soumettez- vous aux loix de la Déeffe ;
Qui de le difputer aura la hardieffe ,
De ce bras recevra la mort .
Ce titre feul vous rend tous mes efclaves.
Crois-tu , s'écrie un autre , infpirer de l'effroit
Ta force n'y fait rien , & ce font les plus braves
Qui , maîtres de cet or doivent donner la loi.
Ainfi l'on vit & la force & l'audace
Dans leurs premiers accens exhaler la menace :
L'or en fut le motif , & pour peupler l'enfer
Dès cet inftant l'or éguifa le fer.
Dès lors auffi l'égalité bannie ,
Fit place aux plus noirs attentats ,
JANVIER. 1755. 43.
Et la farouche tyrannie
Se faifant précéder du démon des combats ,
Un poignard à la main , fe traça des Etats. ,
Mais pour faire aux humains refpecter fa furie ,
Elle s'appropria le beau nom de patrie.
Ce nom facré fubjuguant les efprits ,
Cimenta fur l'honneur fon altier defpotifme.
De leurs droits confondus , l'homme de coeur épris,
Par des routes de fang courut à l'héroïſme ,
Et plein d'amour il fut , en barbare appareil ,
A fa chere patrie immoler fon pareil .
Avec moins de fracas , & plus d'adreffe encore
Pour l'ufage commun , les langues font éclore
Du fond des coeurs des vices inconnus.
En politique adroit , l'amour propre à leur tête ,
Les entremêle avec quelques vertus.
L'efprit lui-même eft bientôt fa conquête,
Et vil adulateur , il prête fes talens
2
A la tendreffe opiniâtre
Dont cet orgueilleux idolâtre
Ses plus monftrueux fentimens.
En vain la vérité plaintive & gémiffante ,
S'éleve dans l'intérieur ,
L'indomptable tyran étouffe la lueur
De far emontrance impuiffante.
Déja le menteur effronté
Traite l'homme vrai d'imbécile ,
Et , felon lui , la verité
7
44 MERCURE DE FRANCE.
N'eft qu'une vertu puerile ,
Dont cependant le fourbe habile
Contrefait l'ingénuité ,
Pour fe gliffer en dangereux reptile ,
Dans le fein ouvert & facile
De la naïve probité.
Déja la noire calomnie ,
Pour déployer fes jalouſes fureurs ,
Broye en fecret les affreuſes couleurs
Dont elle va fouiller la plus illuftre vie.
Tel eft le fort d'un mérite éclatant ,
Que fa profpérité la choque & l'importune ,
Et fon inventive rancune
Ne fe taira qu'en le précipitant .
Dans la plus obfcure infortune .
Et vous , qui dans vos traits n'offrez rien de plus
beau
Que le modefte & fincere tableau
D'une ame généreufe & fage ,
Vous , de l'honneur , la plus aimable image ,
Chaftes beautés , tremblez à l'afpect du couteau
Que tient fur vous l'impofteur en fa rage ;
D'un coup il va percer le précieux bandeau
Dont la pudeur vous couvre le viſage.
Hélas ! la playe eft faite ; armez -vous de courage :
Ce ne fera peut- être qu'au tombeau
Que l'humaine équité vous rendra témoignage ;
Mais le crime ici - bas vous devoit eet outrage,
JANVIER . 1755 . 45
Et c'eft en vous plaçant à fon niveau ;
Qu'il vous punit d'ofer dans le bel âge
Porter , de la vertu , l'honorable fardeau.
A voir la langue en fa naiffance
Obfcurcir les vertus , & fervir les forfaits ,
Qui ne croiroit que fa licence
Ne peut pouffer plus loin fes rapides effais !
A peine cependant l'eſprit lui tend l'amorcę .
De l'orgueilleufe impiété ,
Que dès l'iftant elle s'efforce
D'en outrer la témérité ;
Et franchiffant la fphere trop obfcure
Qui la retient dans l'univers ,
Ses facrileges fons exhalent dans les airs ,
Et le blafphême & le parjure .
Ne croyez pas , Dieux immortels ,
Que fon audace épargne vos autels :
Ces monumens facrés , où la reconnoiffance
Brûle un refpectueux encens ,
D'un coeur féditieux choquent la dépendance ,
Et pour les renverfer attaquant votre eflence ,
La langue lui fournit ces rebelles accens.
L'ordre des cieux , le ciron , la lumiere ,
N'émanent point d'un Créateur ;
Un concours fortuit eft l'unique moteur
D'une éternelle & féconde matiere.
Ne craignez point des Dieux , leur culte n'eft
qu'un frein ;
46 MERCURE DE FRANCE.
Némefis , & ce noir Tartare
N'eft qu'une invention bizare
Pour contenir le genre humain
Dans la néceffité des devoirs fociables ;
Et les Législateurs armés d'un vain pouvoir ,
De ces fantômes redoutables ,
'Arrêtent par la crainte , & flatent par l'espoir
Ceux que l'oppreffion rend ici miférables .
Des fens voluptueux écoutez les tranfports ;
Qu'héfitez- vous ? laiffez à des efprits vulgaires
Le foin de fe forger des terreurs , des remords ;
Nos defirs font nos Dieux , & pour des efprits
forts
Le vice & la vertu font des mots arbitraires.
Le corps enfin eft notre unique bien ;
Et cette effence fantaſtique
Indéfiniffable & myſtique ,
Qu'on appelle ame , eft moins que rien.
C'est ainsi que l'impie enyvré d'un fyftême
Dont il voudroit étourdir fes frayeurs ,
D'un avenir affreux écartant les horreurs ,
Avec les Dieux , s'anéantit lui-même.
JANVIER. 1755. 47
LE PIGEON ET LE COQ.
O
FABLE.
LE COQ ,
Ses-tu comparer à ma bonne fortune
Une fauffe profpérité ?
LE PIGEON.
Mais la mienne n'en eft point une ,
Puifque je fuis content de ma félicité.
LE COQ.
Il faut plus de réalité .
LE PIGEON. ނ
Je ménage ma belle .
LE COQ
Et moi je l'importune.
L'amour eft favorable à la témérité.
Quel tourment que l'incertitude !
LE PIGEON.
De quelqu'efpoir je fuis flatté ....
LE COQ..
L'eſpoir tient à l'inquiétude ,
Et le coeur inquiet eſt toujours maltraité.
48 MERCURE DE FRANCE.
=
LE PIGEON.
J'efpere avoir touché la belle qui m'enchante .
LE CO2
Moi , j'en fuis fûr , on me l'a dit ;
Quand j'arrive , ma Poule chante.
LE PIGEON.
Ma Colombe a l'air interdit .
LE CO 2,
Elle veut donc qu'on la devine ,
Ta maîtreffe toute divine !
LE PIGEON.
Il est vrai que fa voix ne m'a point révelé
Le fecret enchanteur auquel j'oſe prétendre :
Mais l'Amour ne perd rien à paroître voilé.
Pour les coeurs délicats qu'il eft doux de s'entendre
Avant même d'avoir parlé.
REPROCHES
JANVIER. 1755. 49
A DELAÏDE ,
OU LA FEMME MORTE D'AMOUR.
Hiftoirefinguliere , mais qui n'eft pas moins
C
vraie.
Ette aventure eſt arrivée en 1678 , &
paroîtra peut-être incroyable en 1755 .
Soixante- dix -fept ans ont fait de fi grands
changemens dans nos moeurs , que l'amour
conjugal , qui étoit alors refpecté ,
eft devenu aujourd'hui un ridicule ; il
paffe même pour une chimere , on n'y
croit plus. Cependant l'hiftoire d'Adelaïde
eft accompagnée de circonftances fi naturelles
, elle porte un caractere de vérité fi
frappant & fi naïf , qu'elle doit perfuader
l'efprit du plus incrédule , toute furprenante
qu'elle eft. Le lecteur en jugera : la
voici.
La Marquife de Ferval s'étant dégoûtée
du monde , fe retira en province dans une
de fes terrres , & ne s'y occupa que du
foin d'élever fa famille. Elle étoit veuve
d'un homme de qualité , qui n'avoit foutenu
fon rang que par les grands biens
qu'il tenoit d'elle. Il lui avoit laiffé une
fille de feize ans ; elle l'aimoit tendre-
C
so MERCURE DE FRANCE.
ment ; & comme elle vivoit ifolée , elle
fit deffein de mettre auprès d'elle une jeune
perfonne du même âge , pour lui tenir
compagnie. Elle n'eut pas beaucoup
de peine à faire ce choix le caractere
d'Adelaïde lui avoit plû. Cette aimable
fille voyoit fort fouvent la fienne , & la
Marquife de Ferval ne lui eut pas plutôr
témoigné l'envie qu'elle avoit de la retenir
, qu'elle eut tout lieu d'être fatisfaite
de fa complaifance. L'occafion étoit favorable
pour Adelaïde ; elle étoit orpheline :
comme elle ne tenoit de la fortune que
le titre de Demoifelle , elle trouvoit un
grand avantage à être reçue en qualité
d'amie , dans une maifon auffi diftinguée
que l'étoit celle de la Marquife. Elle y
étoit déja fort aimée , & fes manieres
honnêtes pour tous ceux avec qui elle avoit
à vivre , eurent bientôt achevé de lui
gagner
tous les coeurs. Ce qui lui avoit par
ticulierement acquis l'eftime de la Marquife,
c'étoit un fond de modeftie & de
vertu qu'on ne pouvoit affez admirer dans
une fi grande jeuneffe , & avec une beau-"
té dont toute autre auroit été vaine. Madame
de Ferval ne pouvoit mieux choifir
ni donner à fa fille un exemple plus digne
d'être fuivi. Mais en plaçant Adelaïde
auprès d'elle , elle n'avoit pas
fait at
JANVIER. 1755. SI
tention qu'elle avoit un fils , que ce
fils n'étoit pas d'un âge à demeurer infenfible
, & que l'expofer à voir à toute heute
une perfonne fi aimable , c'étoit en quelque
façon le livrer aux charmes les plus
dangereux qu'on pût avoir à craindre pour
lui. En effet , fi le jeune Marquis n'eût
d'abord que de la politeffe pour Adelaïde
il ne fut pas long- tems le maître de n'avoir
rien de plus fort.Quoiqu'il fut fouvent avec
fa foeur, il auroit voulu en être inféparable .
Adelaïde ne difoit rien qui ne lui femblât
dit de la meilleure grace du monde ; Adedaïde
ne faifoit rien qu'il n'approuvât ,.
& parmi les louanges qu'il lui donnoit , il
lui échappoit toujours quelque chofe qui
avoit affez de l'air d'une déclaration d'amour
. Adelaïde , de ſon côté , n'étoit pas
aveugle fur le mérite du jeune Ferval : il
lui paroiffoit digne de toute l'estime qu'elle
avoit pour lui ; & quand elle s'examinoit
un peu rigoureufement , elle fe trouvoit
des difpofitions fi favorables à faire plus
que l'eftimer , qu'elle n'étoit pas peu embarraffée
dans fes fentimens : mais fi elle
avoit de la peine à les régler , elle s'en
rendoit fi bien la maîtreffe , qu'il étoit impoffible
de les découvrir. Elle connoiffoit
la Marquife pour une femme impérieuſe ,
qui ayant apporté tout le bien qui étoit
Cij
52 MERCURE
DE FRANCE,
dans cette maifon , formoit de grands projets
pour l'établiffement de fon fils , & lui
deftinoit un parti fort confidérable. Ainfi
quoiqu'elle fût d'une naiffance à ne pas
lui faire de deshonneur s'il l'aimoit affez
pour l'époufer , elle voyoit tant d'obſta
cles à ce deffein , qu'elle ne trouvoit point
de meilleur parti à prendre que celui de
ne point engager fon coeur. Cependant
elle tâcha inutilement de le défendre ; fon
penchant l'emporta fur fa raifon , & fi elle
oppofa quelque fierté aux premiers aveus
que le Marquis lui fit de fa tendreffe , ce
fut une fierté fi engageante , qu'elle ne l'éloigna
point de la réfolution qu'il avoit
prife de l'aimer éternellement . Elle évita
quelque tems toutes fortes de converfations
particulieres avec lui , mais elle ne put
empêcher que fes regards ne parlaffent : ils
lui expliquoient fi fortement fon amour ,
qu'il lui étoit impoffible de n'en être pas
perfuadée . Enfin le hazard voulut qu'il la
rencontrât feule un jour fous le berceau
d'un jardin , où elle s'abandonnoit quelquefois
à fes rêveries : elle interrompit les
premieres affurances qu'il lui réitéra de fa
paffion ; mais il la conjura fi férieufement
de l'écouter , qu'elle crut lui devoir cette
complaifance. Ce fut là qu'il lui peignit
tout ce qu'il fentoit pour elle , & qu'il
JANVIÉ R. 1755 . 53
l'affura de la maniere la plus touchante
que fi elle vouloit agréer fes foins , il feroit
fon unique félicité de la poffeffion de
fon coeur. Adelaiïde rougit , & s'étant remife
d'un premier trouble , qui donnoit
un nouvel éclat à fa beauté , elle lui dit
avec une modeftie charmante , que fi elle
étoit d'une fortune égale à la fienne , il
auroit tout lieu d'être fatisfait de fa ré
ponfe ; mais que dans l'état où fe trou
voient les chofes , elle ne voyoit pas qu'if
pût lui être permis de s'expliquer ; qu'elle
avoit trop
bonne opinion de lui , pour croi
re qu'il eût conçu des efpérances dont elle
dût avoir fujet de fe plaindre , & qu'elle ·
enviſageoit tant de malheurs pour lui dans
une paffion légitime , qu'elle croiroit ne
pas mériter les fentimens qu'il avoit pour
elle fi elle ne lui confeilloit de les étouf
fer ; qu'elle lui prêteroit tout le fecours
dont il pourroit avoir befoin pour le faire ,
& qu'elle éviteroit fa vûe avec tant de
foin , qu'il connoîtroit fi fon
que
peu de
fortune ne lui permettoit pas de prétendre
à fon amour , elle étoit digne au moins
qu'il lui confervât toute fon eftime.
Tant de vertu fut pour le Marquis un
nouveau fujet d'engagement. Il parla de
mariage , pria Adelaïde de lui laiſſer ménager
l'efprit de fa mere , & fe fépara
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
d'elle fr charmé , qu'il n'y eut jamais unë
paffion plus violente. Il fit ce qu'il lui avoit
promis , & rendit des devoirs fi refpectueux
& fi complaifans à la Marquife , qu'il
ne defefpéra pas d'obtenir fon confentement.
Adelaïde ne fut pas moins ponctuelle
à tenir la parole ; elle prit foin d'éviter
le Marquis , & tâcha de lui faire quit,
terun deffein dont elle voyoit le fuccès horsd'apparence
. Mais leur destinée étoit de s'aimer
; & comme un fort amour ne peut être
long- tems fecret , la Marquife , qui s'en
apperçut , fit quelques railleries à fon fils.
II
prit la chofe au férieux ; mais dès qu'il
eut commencé à exagérer le mérite d'Adelaïde
, elle prévint la déclaration qu'il fe
préparoit à lui faire , par des défenfes fi
abfolues d'avoir jamais aucune penſée pour
elle , qu'il vit bien qu'il n'étoit pas encore
tems de s'expliquer . Elle fit plus. La campagne
alloit s'ouvrir ; le Marquis étoit dans
les Moufquetaires , elle ne lui donna qu'un
jour pour partir : il fallut céder.
Son pere n'avoit pas laiffé de quoi Latiffaire
fes créanciers , & il ne pouvoit efperer
de bien que par elle : il partit après
avoir conjuré Adelaïde de l'aimer toujours
, & l'avoir affurée d'une fidélité inviolable
.
Pendant fon abfence , un Gentilhom
JAN VIÉR. 1755 55
me voifin devient amoureux d'Adelaïde ;
il fe déclare à la Marquife qui , pour
mettre fon fils hors de peril , promet un
préfent de nôce confidérable , & conclut
l'affaire. Le jeune Ferval en eft averti. On
entroit en quartier d'hyver. Il prend la
pofte , & arrive dans le tems qu'on preffoit
fa maîtreffe de prendre jour. Il fe
jette aux pieds de fa mere , la conjure de
ne pas le mettre au defeſpoir , & ne lus
cache plus le deffein qu'il a d'époufer Adelaïde.
La Marquife éclate contre lui. La
foumiffion de fon fils ne peut la fléchir ,
& cette brouillerie fait tant d'éclat , que le
Gentilhomme qui apprend l'amour réciproque
du Marquis & d'Adelaide , retire
fa parole , & rompt le mariage arrêté. Cetre
rupture acheve d'irriter la Marquife. Elle
défend fa maifon à Adelaïde , & toutes
les prieres du Marquis ne peuvent rien
obtenir. Il eft caufe de la difgrace de ce
qu'il aime , & il ſe réfout à la réparer. Il
l'épouſe , malgré toutes les menaces de fa
mere. Elle l'apprend , le deshérite , & jure
de ne lui pardonner jamais . Un enfant naît
de ce mariage ; on le porte à la Marquife.
Point de pitié ; elle demeure inexorable ,
& pour comble de malheur ils perdent ce
précieux gage de leur amour. Ils paffent
trois ou quatre années prefqu'abandonnés
C iiij
56 MERCURE DE FRANCE.
de tout le monde , & ne fubfiftant qu'avec
peine ; ils font réduits enfin à la néceffité
de fe féparer. Le Marquis en fait la
propofition à fa femme . Elle n'a pas moins
de courage que de fageffe , & confent à
s'enfermer dans un Cloître , comme il ſe
détermine à entrer dans un Couvent. I
vend quelques bijoux qui lui reftent , &
en donne l'argent à fa chere Adelaïde. Elle
va trouver une Abbeffe , auffi recommendable
par fa vertu que par fa naiffance .
Elle eft reçue , on lui donne le voile , &
cette cérémonie n'eft pas plutôt faite , que
le Marquis fe rend à Paris , & renonçant
pour jamais au monde , prend l'habit dans
un Ordre très- auftere .
La fortune n'étoit pas encore laffe de
perfécuter Adelaide. Quelques filles du
Monaftere qu'elle avoit choifi , apprennent
fon hiftoire ; & foit envie ou malignité ,
elles cabalent avec tant d'adreffe , qu'elles
trouvent des raifons plaufibles pour
lui faire donner l'exclufion : elle a beau verfer
des larmes , elle eft obligée de fortir .
Une Religieufe de ce Couvent touchée
de fon état , lui donne des legres de recommendation
pour fon pere , qui étoit
Officier d'une Princeffe . Elle part , vient à
Paris ; & pendant que cet Officier lui fait
chercher un lieu de retraite pour toute
JANVIER. 1755. 57
fa vie , elle envoye avertir le Marquis de
fon arrivée , & lui fait demander une heure
pour lui parler. La nouvelle difgrace d'Adelaïde
eft un coup fenfible pour lui . Ik
F'aime toujours , il craint l'entretien qu'elle
fouhaite , & la fait prier de lui vouloir
épargner une vûe qui ne peut qu'être pré-;
judiciable au repos de l'un & de l'autre.
Adelaïde , quoique détachée du monde ,
ne l'eft point affez d'un mari qu'elle a tant
aimé , pour n'être point touchée de ce refis
; il ne fert qu'à augmenter l'envie
qu'elle a de le voir.
Elle va au Couvent , entre d'abord dans
P'Eglife , & le premier objet qui la frappe, eſt
le Marquis fon époux , occupé à un exercice
pieux avec toute fa Communauté . Cet
habit de pénitence la touche ; elle fe montre
, il la voit , il baiffe les yeux , & quelque
effort qu'elle faffé pour attirer les regards
, il n'en tourne plus aucun fur elle
Quoiqu'elle pénétre le motif de la violence
qu'il fe fait , elle y trouve quelquechofe
de fi cruel , qu'elle en eft faifie de la
plus vive douleur. Elle tombe évanouie ;
on l'emporte , elle ne revient à elle que
pour demander fon cher Ferval. On court
l'avertir que fa femme eft mourante . Son
Supérieur lui ordonne de la venir confo--
ler ; & elle expire par la force de fon fai-
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
fiffement , avant qu'il fe foit rendu auprès
d'elle .
Toute la vertu du Marquis ne fuffic
point pour retenir les larmes que fa tendreffe
l'oblige de donner à cette mort. Ce
premier mouvement eft fuivi d'une rêve
rie profonde , qui le rend quelque tems
immobile. Il revient enfin à lui -même , &
après avoir remercié ceux qui ont pris foin
de fa chere Adelaïde , il fe retire dans fon:
Couvent , où à force d'auftérités , il tâche
de reparer ce que fa paffion quoique
légitime , peut avoir eu de trop violent
"
*
JANVIER. 1755. $9
VERS A PAULINE ,
En lui envojant pour étrennes une plume
& un porte- crayon d'or , montés fur un
bois des Indes.
D'Eveloppez ce petit inftrument ,
Un crayon , une plume en font tout l'ornement ;
Moralifons fur l'affemblage.
L'un étourdi , frivole , & fait pour l'enjouement ,
Ne doit fervir qu'au badinage.
Préfervatif contre l'ennui ,
On lui permet fur les travers d'autrui ,
De blafoner une légere trace ,
Parce qu'en peu de tems fon empreinte s'efface.
Pauline , c'eſt encore lui
Qui peut enregiſtrer les dédains , les caprices
Dont nous affligent les mortels.
Que fes traitsfuperficiels
Vous rappellent leurs injuftices :
Mais pour votre repos , preffez -vous d'effacer
Ce qu'un dépit trop prompt vous permit de tracers
Du crayon pétulant , voilà , je crois , l'ufage.
De la plume à préfent , examinons l'emploi.
Lejugement doit être & fon guide & fa loi ;
Organe du fang froid , mystérieuse & fage ,
Dans des tours refléchis, qu'elle enchaffe les traits55
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
Et diffimulant les injures ,
Loin d'ofer confier à fes coups indifcrets ,
De la bile , & du fiel - les durables peintures ,
Son art prudent n'éternife jamais:
Que le fouvenir des bienfaits..
E PITRE
A UNE VEU V E.
Par M. le Chevalier de Laurèsă-
Pourquoi , Philis , dans fes ténébres
Cacher tant de traits enchanteurs ?
Pourquoi ces images funebres ,
Ces foupirs , ces plaintes , ces pleurs ,,
Dont vous nourriffez vos douleurs ? .
Si l'objet de votre tendreffe
A fermé les yeux pour jamais ,
Faut-il que
la nature ceffe
De s'embellir de vos attraits -
Les Dieux juftes dans leurs bienfaits ,
Pour tous les regards font éclore ,
Et l'émail parfumé de Flore ,.
Et la verdure des forêts.
La fleur de rubis éclatante ,
Qui d'un feul ruiffeau qui l'enchante:
Reçoit la vie & la couleur ,,
JANVIER. 1755 GB
Voit bientôt fa beauté flétrie..
Si du ruiffeau l'onde eft tarie ,
Et fi , conftante en fon ardeur
Pour tout autre dans la prairie
Elle conferve fa rigueur..
Mais , fi d'une fource nouvelle
Son fein eft enfin abreuvé ,
Dieux ! quel jour pur brille fur elle. ??
Le bonheur qu'elle a retrouvé
La rend encor cent fois plus belle..
Fille des Graces , cette fleur
Offre un confeil à votre coeur ;
Vous n'avez reçu tant de charmes ,
Que pour plaire & que pour aimer ::
L'Amour a cauſé vos allarmes ,
C'eft à l'Amour de les calmer..
6 MERCURE DE FRANCE
NOUVEAU DIALOGUE
DES MORT S.
SOCRATE , ALEXANDRE LE GRAND:
ALEXANDRE.
UI, je fens toujours , Socrate , un
nouveau plaifir à m'entretenir avec
vous ; mais que je ne vous contraigne
pas , je vous prie : vous étiez avec une
Ombre qui paroiffoit mériter toute votre
attention..
SOCRATE
C'eft , fans contredit , un Mort des plus:
diftingués ; mais je fçais le refpect que
je dois au fils du Roi de Macédoine : l'om
bre du Poëte tragique que je viens de
quitter , peut- elle entrer en comparaifon
avec celle d'un héros ? S'ils font les pieces
, n'eft- ce pas vous , Meffieurs , qui en
fourniffez les fujets ? Cet article feul décide
la préférence ; le modele doit paffer
avant le Peintre.
ALEXANDRE.
Socrate aime quelquefois à s'égayer
JANVIER. 1755.
mais je n'aurois pas imaginé que ce dût
être en faveur d'un Poëte qu'il fit rire à
mes dépens.
SOCRATE.
Pourquoi non , s'il vous plaît pouvons-
nous trop accueillir ces génies privilégiés
que le ciel accorde à la terre pour
lui procurer les plus nobles amuſemens ?
ALEXANDRE.
Vous avez donc un goût bien décidé
pour les Spectacles ?
SOCRAT B.
Je préfère encore ( vous le voyez ) ceuxqui
les donnent.
ALEXANDRE.
Un Philofophe du premier ordre , un
Sage dont la réputation s'eft étendue dans
tous les tems , & chez toutes les nations ,
s'amufe des jeux frivoles de la fcène , &
des vaines repréſentations des foibleffes ,
& des excès de l'humanité.
SOCRATE..
Voilà précisément ce qui fait que le
théâtre étoit mon école , & que j'affiftois
aux pieces de Sophocle & d'Euripide , mê64
MERCURE DE FRANCE.
me à celles d'Ariftophane , pour apprendre
à commencer par moi le cours de mes leçons.
C'est au théâtre que l'on puife la
théorie du coeur & de l'efprit humain ; le
commerce du monde n'en donne que la
pratique . Vous ne fçauriez imaginer , par
exemple , jufques à quel point je trouve
à profiter avec le célebre Shakespear , que
j'ai quitté pour vous fuivre , & combien ik
exerce & cultive le goût que j'ai pour la
Philofophie.
ALEXANDR E..
Je vous pardonnerois ces éloges pour les
Corneille , les Racine , les Crebillon , les Voltaire
, & leurs imitateurs ;; mais
kespear..
·S.O⋅CRATE..
pour Sha-
Quand vous feriez François , vous ne
parleriez pas autrement ; mais ils donnent
eux-mêmes de grands éloges au premier:
Tragique de l'Angleterre .
ALEXANDRE.
C'eft une fuite d'un certain goût que las
mode &.les faux airs ont , dit-on , accrédité
depuis quelque tems , & que j'ai oui
nommer l'Anglomanie..
JANVIER. 1795 .
SOCRATE.
La manie conſiſte à tout adopter , à tout
préférer , pourvû que ce foit de l'Anglois ;
mais non pas à combler de louanges ce
qui le mérite. La baffe jaloufie ne feroit
pas moins blâmable qu'une folle prévention
les grands talens appartiennent à
tous les pays , & les grands hommes fot
les citoyens du monde .
ALEXANDRE.
Vous louez exceffivement un Poëte plus
étonnant qu'admirable , plus fingulier que
fublime , & qui , par le bizarre affemblage
qu'il a fait des Rois & des foffoyeurs ,
des buveurs de bierre & des héros , a préfenté
des tableaux qu'il faut plûtôt confidérer
comme d'affreux grotefques , que
comme la peinture de la nature & de la
vérité.
SOCRAT E.
Il fe peut en effet qu'il ait vû dans ces
occafions la nature de trop près , & qu'il
l'ait peinte un peu trop fortement : mais
n'est- ce pas
la nature , après tout ?
ALEXANDRE,
Ce n'eft pas du moins celle qu'il faut
peindre.
66 MERCURE DE FRANCE.
SOCRATE.
Cela n'eft pas fans doute dans les régles
du théâtre ; mais celles de la véritable
grandeur font - elles mieux obfervécs
par les Héros que les Poëtes repréfentent ?
Et fi Shakespear a bleffé les principes d'Ariftote
, n'avez-vous jamais été contre les
maximes de Pythagore & de Platon.
ALEXANDRE.
Quel parallele nous faites- vous là
SOCRATE.
Il eſt plus raiſonnable que vous ne le
penfez . Vous autres grands Conquérans ,
vous ne voulez rien pardonner aux grands
Poëtes ; mais en relevant fi bien les irrégu
larités qui fe gliffent dans leurs ouvrages ,
n'avez-vous jamais apperçu celles qui fe
trouvent dans vos actions ? n'avez-vous
jamais fait d'écarts , pour exiger qu'ils en
foient exempts ? Et pour ne vous pas perdre
de vûe , Seigneur Alexandre , croyezvous
que la manie de paffer pour le fils
de Jupiter , le meurtre de Clytus , l'hiftoire
de Bucephale , & les excès du vin , figurent
mieux à côté du paffage du Granique , de
la conquête de l'Afie , & de vos nobles
procédés pour la famille de Darius , que,
JANVIER. 1755. 67
dans une Tragédie les forciers , les foffoyeurs
, & les mauvais propos de gens qui
fe font enyvrés
ALEXANDRE.
Les Peintres & les Poëtes font faits pour
peindre la nature , mais c'eft de la belle
qu'ils doivent faire choix , & non pas l'envifager
du côté méprifable & rebutant.
SOCRATE.
Eh ! ne devons- nous pas fuivre les mêmes
principes dans le choix des goûts :
des moeurs , des paffions même , puifqu'il
en faut nous ne craignons point d'errer
à nos propres yeux , parce qu'ils font indulgens
; nous redoutons ceux d'autrui ,,
parce qu'ils ne nous font point de grace.
ALEXANDRE.
Nous fommes en cela moins coupables
que malheureux , & par conféquent plus
plaindre qu'à blâmer .
SOCRATE.
Cela feroit vrai , fi nous ne tournions
pas contre les autres nos propres défauts,
On raconte qu'un homme extrêmement
laid , voulut un jour fe faire peindre par
Appelles Ce Peintre célebre vit le danger
68. MERCURE DE FRANCE.
de l'ouvrage , & s'en défendit long- teins.
L'homme infiftoit ; le Peintre fe rendit.
Celui qu'il avoit trop bien peint ne put
fe réfoudre à fe reconnoître ; il porta
mê- me l'injuftice
jufqu'à
parler
mal du talent
de l'artifte
. Regardez
- vous
, dit Ap- pelles
, en lui préfentant
un miroir
, & voyez fi j'ai pû vous peindre
en beau
: ce n'eſt
pas le pinceau
, ce font
vos traits
qu'il
faut changer
.
ALEXANDRE.
Un apologue n'eſt
pas une démonftra
tion.
SOCRATE.
C'eſt du moins une raifon de conclure
que vous devez excufer Shakespear d'a
voir mêlé le grotefque au fublime , & les
éclats de rire aux pleurs ; on voit fi fouvent
dans le monde la petiteffe à côté de
la grandeur , & les impertinences de l'hom
me auprès des volontés da Dieu.
ALEXANDRE.
Peindre en grand l'humanité , c'eft l'honorer
, c'est l'embellir encore ; la repréſenrer
defavantageufement , c'est l'avilir fans
la réformer.
JANVIER. 1755 . 6.9.
SOCRATE .
Je vous entends , Seigneur Alexandre ;
Vous voulez bien avoir des défauts , mais
vous trouvez mauvais que l'on en parle.
Vous ne reffemblez pas mal à ces Comédiens
enorgueillis des rôles fublimes qu'ils
repréfentent : ils font tout honteux qu'on
les rencontre en habit Bourgeois .
REMERCIMENT A MR. D'AMMON ,
ENVOYÉ DU ROI DE PRUSSE.
U
Par Madame CURE.
N étui deftiné pour en faire un cachet ,
Qui fert à celer un fecret ,
N'étoit pas de ma compétence ;
Car mon coeur eft fi fatisfait
D'un préfent de cette importance ,
Qu'il ne fçauroit être muet ,
Ni cacher les tranfports de fa reconnoiffance
70 MERCURE DE FRANCE.
REPROCHES A MENITTE.
VERS.
IL eft , mais heureufement
Il n'en eft qu'une en la terre ,
Toute autre eft au Firmament.
vraiment
Une eft encor trop ,
Pour livrer durable guerre
A tel qui n'alloit aimant
Que d'amour prompte & légere ,
Sçachant affez dextrement
Chanter , flater la bergere
Qui réfifte foiblement.
Or voyez quel changement !
Amant & bien plus qu'amant
Car c'eft fans efpoir de plaire
Qu'il bénit l'enyvrement
Qui remplit fon ame entiere:
Mais comment faire autrement ?
A qui peut voir conftamment
Ménitte l'enchantereffe ,
Venus diroit vainement ,
» Ça , venez qu'on vous careffe ,
» Quittez Ménitte un moment :
Il répondroit froidement ,
Grand-merci , belle Déeffe.
JAN VIER. 1755 . 71
Sle
LE MIROIR.
Par M. DE MARIVAU X.
vous aimez , Monfieur , les aventures
un peu fingulieres , en voici une
qui a dequoi vous contenter : je ne vous
prefferai point de la croire ; vous pouvez
la regarder comme un pur jeu d'efprit ,
elle a l'air de cela ; cependant c'eſt à moi
qu'elle est arrivée.
Je ne vous dirai point au refte dans quel
endroit de la terre j'ai vû ce que je vais
vous dire. C'eft un pays dont les Géographes
n'ont jamais fait mention , non qu'il
ne foit très- fréquenté ; tout le monde y va ,
vous y avez fouvent voyagé vous- même ,
& c'est l'envie de m'y amufer qui m'y a
infenfiblement conduit. Commençons.
Il y avoit trois ou quatre jours que j'étois
à ma campagne , quand je m'avifai
un matin de me promener dans une allée
de mon parc ; retenez bien cette allée ,
car c'eft de la d'où je fuis parti pour le
voyage dont j'ai à vous entretenir.
Dans cette allée je lifois un livre dont
la lecture me jetta dans de profondes réflexions
fur les hommes,
Et de réflexions en réflexions , tou72
MERCURE DE FRANCE.
jours marchant , toujours allant , je mar
chai tant , j'allai tant , je réfléchis tant , &
fi diverſement , que fans prendre garde à
ce que je devenois , fans obferver par où
je paffois , je me trouvai infenfiblement
dans le pays dont je parlois tout à l'heure ,
où j'achevai de m'oublier , pour me livrer
tout entier au plaifir d'examiner ce qui
s'offroit à mes regards , & en effet le ſpectacle
étoit curieux. Il me fembla donc ;
mais je dis mal , il ne me fembla point :
je vis fûrement une infinité de fourneaux
plus ou moins ardens , mais dont le feune
m'incommodait point , quoique j'en
approchaffe de fort près.
Je ne vous dirai pas à préſent à quoi
ils fervoient ; il n'eft pas encore tems .
Ce n'eft pas là tout ; j'ai bien d'autres
chofes à vous raconter. Au milieu de tous
les fourneaux étoit une perfonne , ou , fi
vous voulez , une Divinité , dont il me feroit
inutile d'entreprendre le portrait , auſſi
n'y tâcherai-je point.
Qu'il vous fuffife de fçavoir que cette
perfonne ou cette Divinité , qui en gros
me parut avoir l'air jeune , & cependant
antique , étoit dans un mouvement perpétuel
, & en même tems fi rapide , qu'il
me fut impoffible de la confiderer en face.
Ce qui eft de certain , c'eft que dans le
mouvement
JANVIER. 1755 . 73
mouvement qui l'agitoit , je la vis fous
tant d'afpects , que je crus voir fucceffivement
paffer toutes les phifionomies du
monde , fans pouvoir faifir la fienne , qui
apparemment les contenoit toutes.
Ce que je démêlai le mieux , & ce que
je ne perdis jamais de vue , malgré fon
agitation continuelle , ce fut une efpece
de bandeau , ou de diadême , qui lui ceignoit
le front, & fur lequel on voyoit écrit
LA NATURE.
Ce bandeau étoit large , élevé , & comme
partagé en deux Miroirs éclatans ,
dans l'un defquels on voyoit une repréfentation
inexplicable de l'étendue en gé
néral , & de tous les myfteres ; je veux
dire des vertus occultes de la matiere , de
l'efpace qu'elle occupe , du reffort qui la
meut , de fa divifibilité à l'infini ; en un
mot de tous les attributs dont nous ne
connoiffons qu'une partie.
L'autre miroir qui n'étoit féparé du
premier que d'une ligne extrêmement déliée
, repréſentoit un être encore plus indéfiniffable.
C'étoit comme une image de l'ame , ou
de la penſée en général ; car j'y vis toutes
les façons poffibles de penfer & de fentir
des hommes , avec la fubdivifion de tous
les degrés d'efprit & de fentiment , de vices
D
74 MERCURE DE FRANCE.
& de vertus , de courage & de foibleffe ,
de malice & de bonté , de vanité & de
fimplicité que nous pouvons avoir.
Enfin tout ce que les hommes font ,
tout ce qu'ils peuvent être , & tout ce
qu'ils ont été , fe trouvoit dans cet exemplaire
des grandeurs & des miferes de l'ane
humaine.
J'y vis , je ne fçai comment , tout ce
qu'en fait d'ouvrages , l'efprit de l'homme
avoit jufqu'ici produit ou rêvé , c'eſt-àdire
j'y vis depuis le plus mauvais conte
de Fée , jufqu'aux fyftêmes anciens & modernes
les plus ingénieufement imaginés
; depuis le plus plat écrivain jufqu'à
l'auteur des Mondes : c'étoit y trouver les
deux extrêmités. J'y remarquai l'obſcure
Philofophie d'Ariftote ; & malgré fon obfcurité
, j'en admirai l'auteur , dont l'efprit
n'a point eu d'autres bornes que celles que
l'efprit humain avoit de fon tems ; il me
fembla même qu'il les avoit paffées .
J'y obfervai l'incompréhenfible & merveilleux
tour d'imagination de ceux qui
durant tant de fiécles ont cru non feulement
qu'Ariftote avoit tout connu , tout
expliqué , tout entendu , mais qui ont encore
cru tout comprendre eux - mêmes ,
& pouvoir rendre raifon de tout d'après
lui.
JANVIER. 1755. 75
J'y trouvai cette idée du Pere Mallebranche
, ou , fi vous voulez , cette viſion
auffi raifonnée que fubtile & finguliere ,
& qui n'a pu s'arranger qu'avec tant d'efprit
, qui eft que nous voyons tout en
Dieu .
Le fyftême du fameux Defcartes , cet
homme unique , à qui tous les hommes
des fiécles à venir auront l'éternelle obligation
de fçavoir penfer , & de penfer
mieux que lui ; cet homme qui a éclairé
la terre , qui a détruit cette ancienne idole
de notre ignorance ; je veux dire le tiſſu
de fuppofitions , refpecté depuis fi longtems
, qu'on appelloit Philofophie , & qui
n'en étoit pas moins l'ouvrage des meil,
leurs génies de l'antiquité ; cet homme
enfin qui , même en s'écartant quelquefois
de la vérité , ne s'en écarte plus en
enfant comme on faifoit avant lui , mais
en homme , mais en Philofophe , qui nous
a appris à remarquer quand il s'en écarte
qui nous a laiffé le fecret de nous redreffer
nous mêmes ; qui , d'enfans que nous
étions , nous a changés en hommes à notre
tour, & qui, n'eût- il fait qu'un excellent Roman
, comme quelques- uns le difent , nous
a du moins mis en état de n'en plus faire .
Le fyftême du célebre , du grand
Newton , & par la fagacité de fes dé-
D ij
75 MERCURE DE FRANCE.
couvertes , peut-être plus grand que Defcartes
même , s'il n'avoit pas été bien plus
aifé d'être Newton après Defcartes , que
d'être Defcartes fans le fecours de perfonne
, & fi ce n'étoit pas avec les forces
que ce dernier a données à l'efprit humain
, qu'on peut aujourd'hui furpaffer
Defcartes même. Auffi voyois- je qu'il y a
des génies admirables , pourvû qu'ils viennent
après d'autres , & qu'il y en a de faits
pour venir les premiers. Les uns changent
l'état de l'efprit humain , ils caufent une
révolution dans les idées. Les autres , pour
être à leur place , ont befoin de trouver
cette révolution toute arrivée , ils en corrigent
les Auteurs , & cependant ils ne l'auroient
pas faite .
J'obfervai tous les Poëmes qu'on appelle
épiques , celui de l'Iliade dont je ne
juge point , parce que je n'en fuis pas digne
, attendu que je ne l'ai lû qu'en françois
, & que ce n'eft pas la le connoître
mais qu'on met le premier de tous , &
qui auroit bien de la peine à ne pas l'être ,
parce qu'il eft Grec , & le plus ancien, Celui
de l'Enéide qui a tort de n'être venu
que le fecond , & dont j'admirai l'éléganla
fageffe & la majefté ; mais qui eft
ce ,
un peu long.
Celui du Taffe qui eft fi intéressant ,
JANVIER. 1755 77
qui eft un ouvrage fi bien fait , qu'on lit
encore avec tant de plaifir dans la derniere
traduction françoife qu'un habile
Académicien en a faite ; qui y a conſervé
tant de graces; qui ne vous enleve pas ,
mais qui vous mene avec douceur , par un
attrait moins apperçu que fenti ; enfin qui
vous gagne , & que vous aimez à fuivre ,
en françois comme en italien , malgré
quelques petits conchettis qu'on lui reproche
, & qui ne font pas fréquens.
Celui de Milton , qui eft peut - être le
plus fuivi , le plus contagieux , le plus fublime
écart de l'imagination qu'on ait ja
mais vû jufques ici
J'y vis le Paradis terreftre , imité de Mil
ron , par Madame Du .. Bo ... ouvrage
dont Milton même eut infailliblement
adopté la fageffe & les corrections , &
qui prouve que les forces de l'efprit humain
n'ont point de fexe . Ouvrage enfin
fait par un auteur qui par-tout y a laiffé
l'empreinte d'un efprit à fon tour créateur
de ce qu'il imite , & qui tient en lui , quand
il voudra , de quoi mériter l'honneur d'être
imité lui-même.
Celui de la Henriade , ce Poëme fi agréa
blement irrégulier , & qui à force de
beautés vives , jeunes , brillantes & continues
, nous a prouvé qu'il y a une magie
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
d'efprit , au moyen de laquelle un ouvrage
peut avoir des défauts fans conféquence.
J'oubliois celui de Lucain qui mérite
attention, & où je trouvai une fierté tantôt
Romaine & tantôt Gafconne , qui m'amufa
beaucoup.
Je n'aurois jamais fait fi je voulois parler
de tous les Poëmes que je vis ; mais
j'avoue que je confiderai quelque tems
celui de Chapelain , cette Pucelle fi fameufe
& fi admirée avant qu'elle parut ,
& fi ridicule dès qu'elle fe montra .
L'efprit que Chapelain avoit en de fon
vivant , étoit là auffi bien que fon Poëme ,
& il me fembla que le Poëme étoit bien
au deffous de l'efprit.
J'examinai en même tems d'où cela ve
noit , & je compris , à n'en pouvoir douter
, que fi Chapelain n'avoit fçu que la
moitié de la bonne opinion qu'on avoit
de lui , fon Poëme auroit été meilleur , ou
moins mauvais.
·
Mais cet auteur , fur la foi de fa réputation
, conçut une fi grande & fi férieuſe
vénération pour lui-même , fe crut obligé
d'être fi merveilleux , qu'en cet état il n'y
eut point de vers fur lequel il ne s'appefantit
gravement pour le mieux faire ,
point de raffinement difficile & bizarre
dont il ne s'avisất ; & qu'enfin il ne fir
JANVIER, 1755. 79
plus que des efforts de miférable pédant ,
qui prend les contorfions de fon efprit
pour de l'art , fon froid orgueil pour de la
capacité , & fes recherches hétéroclites
pour du fublime.
Et je voyois que tout cela ne lui feroit
point arrivé , s'il avoit ignoré l'admiration
qu'on avoit eue d'avance pour fa Pucelle .
Je voyois que Chapelain moins eftimé
en feroit devenu plus eftimable ; car dans
le fond il avoit beaucoup d'efprit , mais il
n'en avoit pas affez pour voir clair à travers
tout l'amour propre qu'on lui donna ;
& ce fut un malheur pour lui d'avoir été
mis à une fi forte épreuve que bien d'autres
que lui n'ont pas foutenue.
Il n'y a gueres que les hommes abfolument
fupérieurs qui la foutiennent, & qui
en profitent , parce qu'ils ne prennent jamais
de ce fentiment d'amour propre que
ce qu'il leur en faut pour encourager leur
efprit .
Auffi le public peut-il préfumer de ceuxlà
tant qu'il voudra , il n'y fera point
trompé , & ils n'en feront que mieux . Ce
n'eft qu'en les admirant un peu d'avance ,
qu'il les met en état de devenir admirables
; ils n'oferoient pas l'être fans cela ,
on peut- être ignoreroient- ils combien ils
peuvent l'être.
Div
So MERCURE DE FRANCE.
Voici encore des hommes d'une autre
efpece à cet égard là , & que je vis auffi
dans la glace . L'eftime du public perdit
Chapelain , elle fut caufe qu'il s'excéda
pour s'élever au deffus de la haute idée
qu'on avoit de lui , & il y périt : ceux- ci
au contraire fe relâchent en pareil cas ;
dès que le public eft prévenu d'une cer
taine maniere en leur faveur , ils ofent en
conclure qu'il le fera toujours , & qu'ils
ont tant d'efprit , que même en le laiffant
aller cavalierement à ce qui leur en viendra
, fans tant fe fatiguer, ils ne fçauroient
manquer d'en avoir affez & de reite , pour
continuer de plaire à ce public déja fr
prévenu.
Là- deffus ils fe négligent , & ils tombent.
Ce n'eft pas là tout. Veulent - ils fe
corriger de cet excès de confiance qui leur
a nui ? je compris qu'ils s'en corrigent
tant , qu'après cela ils ne fçavent plus où
ils en font. Je vis que dans la peur qui
les prend de mal faire , ils ne peuvent plus
fe remettre à cet heureux point de hardieffe
& de retenue , où ils étoient avant
leur chûte , & qui a fait le fuccès de leurs
premiers ouvrages.
C'est comme un équilibre qu'ils ne re
trouvent plus , & quand ils le retrouve
roient , le public ne s'en apperçoit pas d'a
JANVIER. 1755.
8'r
bord : il renonce difficilement à fe mocquer
d'eux ; il aime à prendre fa revanche de
l'eftime qu'il leur a accordée ; leur chûte
eft une bonne fortune pour lui.
Il faut pourtant faire une obfervation :
c'est que parmi ceux dont je parle , il y en
a quelques- uns que leur difgrace fcandalife
plus qu'elle ne les abbat , & qui ramaffant
fierement leurs forces , lancent ,
pour ainfi dire , un ouvrage qui fait taire
les rieurs , & qui rétablit l'ordre.
En voilà affez là - deffus : je me fuis:
peut-être un peu trop arrêté fur cette matere
; mais on fait volontiers de trop longues,
relations des chofes qu'on a confidérées
avec attention .
Venons à d'autres objets : j'en remar
quai quatre ou cinq qui me frapperent ,
& quí , chacun dans leur genre , étoient
d'une beauté fublime :
C'étoit l'inimitable élégance de Racine ,
le puiffant génie de Corneille , la fagacité
de l'efprit de la Motte , l'emportement admirable
du fentiment de l'auteur de Rhadamifte
, & le charme des graces de l'auteur
de Zaïre .
Je m'attendriffois avec Racine , je me
trouvois grand avec Corneille ; j'aimois
mes foibleffes avec l'un , elles m'auroient:
deshonoré avec l'autre,
D vi
82 MERCURE DE FRANCE.
L'auteur de Zaïre ennobliffoit mes idées
celui de Rhadamifte m'infpiroit des paffions
terribles ; il fondoit les profondeurs
de mon ame , & je penfois avec la Motte.
Permettez-moi de m'arrêter un peu
fur ce
dernier.
C'étoit un excellent homme , quoiqu'il
ait eu tant de contradicteurs : on l'a mis
au deffous de gens qui étoient bien audeffous
de lui , & le miroir m'a appris d'où
cela venoit en partie .
C'eft qu'il étoit bon à tout , ce qui eft un
grand défaut il vaut mieux , avec les hommes
, n'être bon qu'à quelque chofe , & la
Motte avoit ce tort.
Qu'est- ce que c'eft qu'un homme qui ne
fe contente pas d'être un des meilleurs
efprits du monde en profe , & qui veut
encore faire des opera , des tragédies , des
odes pindariques , anacréontiques , des
comédies même , & qui réuffit en tout
ce que je dis là , qui plus eft cela eſt ri—·
dicule.
Il faut prendre un état dans la République
des Lettres , & ce n'eft pas en avoir
un que d'y faire le métier de tout le
monde ; auffi fes critiques ont- ils habilement
découvert que la Motte avec toute fa.
capacité prétendue , n'étoit qu'un Philofophe
adroit qui fçavoit fe déguifer en ce qu'il
JANVIER. 1755 .
83
vouloit être , au point que fans fon excellent
efprit, qui le trahiffoit quelquefois ,
on l'auroit pris pour un très -bel efprit ;
c'étoit comme un fage qui auroit très - bien
contrefait le petit maître .
On dit que la premiere tragédie dont
on ignoroit qu'il fut l'auteur , paſſa d'abord
pour être un ouvrage pofthume de
Racine.
Dans fes fables même qu'on a tant décriées
, il y en a quelques- unes où il abufe
tant de fa foupleffe , que des gens d'ef
prit qui les avoient lûes fans plaifit dans
le recueil , mais qui ne s'en reffouvenoient
plus , & à qui un mauvais plaifant , quel
que tems après , les récitoit comme de la
Fontaine , les trouverent admirables , &
crurent en effet. que c'étoit la Fontaine qui
les avoit faites. Voilà le plus fouvent comme
on juge, & cependant on croit juger,
Car pourquoi leur avoient- elles paru mauvaifes
la premiere fois qu'ils les avoient
lues : c'eft que la mode étoit que l'auteur
ne réuffit pas; c'eft qu'ils fçavoient alors
que la Motte en étoit l'auteur ; c'eft qu'à la
tête du livre ils avoient vû le nom d'un
homme qui vouloit avoir trop de fortes
de mérite à la fois , qui effectivement les
auroit eus , fi on n'avoit pas empêché le
public de s'y méprendre , & qui même n'a
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
pas laiffé de les avoir à travers les contra--
dictions qu'il a éprouvées ; car on l'a plus
perfécuté que détruit , malgré l'efpece d'oftracifme
qu'on a exercé contre lui , & qu'il'
méritoit bien.
Il faut pourtant convenir qu'on lui fait
un reproche affez juſte , c'eſt qu'il remuoit
moins qu'il n'éclairoit ; qu'il parloit
plus à l'homme intelligent qu'à l'hom
me fenfible ; ce qui eft un defavantage:
avec nous , qu'un auteur ne peut affectionner
ni rendre attentifs à l'efprit qu'il nous.
préfente , qu'en donnant , pour ainfi dire ,
des chairs à fes idées ; ne nous donner
que des lumieres , ce n'eft encore embraffer
que la moitié de ce que nous fommes ,
& même la moitié qui nous eft la plus indifférente
: nous nous fouçions bien moins
de connoître que de jouir , & en pareit
cas l'ame jouit quand elle fent.
Mais je fais une reflexion ; je vous ai
parlé de la Motte , de Corneille , de Racine
, des Poëmes d'Homere , de Virgile ,
du Taffe , de Milton , de Chapelain , des
fyftèmes des Philofophes paffés , & il n'y
a pas de mal à cela.
pas
Beaucoup de gens , je penfe , ne feront
de l'avis du Miroir , & je m'y attends ,
par hazard vous montrez mes relations
comme je vous permets de le faire.
fi
JANVIER. 1755. 85
Mais en ce cas , fupprimez- en , je vous
prie , tout ce qui regardera les auteurs vivans.
Je connois ces Meffieurs là , ils ne
feroient pas même contens des éloges que
j'ai trouvés pour eux.
Je veux pourtant bien qu'ils fçachent
que je les épargne , & qu'il ne tiendroit
qu'à moi de rapporter leurs défauts qui fe
trouvoient auffi ; qu'à la vérité , j'ai vu
moins diftinctement que leurs beautés ,
parce que je n'ai pas voulu m'y arrêter ,
& que je n'ai fait que les appercevoir.
Mais c'eft affez que d'appercevoir des
défauts pour les avoir bien vûs , on a malgré
foi de fi bons yeux là - deffus. Il n'y a
que le mérite des gens qui a befoin d'être
extrêmement confidéré pour être connu ; on
croit toujours s'être trompé quand on n'a
fait que le voir. Quoiqu'il en foit , j'ai remarqué
les défauts de nos auteurs , & je
m'abſtiens de les dire . Il me femble même
les avoir oubliés : mais ce font encore là
de ces chofes qu'on oublie toujours affez
mal , & je me les rappellerois bien s'il
le falloit ; qu'on ne me fache pas ..
A propos d'Auteurs ou de Poëtes , j'apperçus
un Poëme intitulé le Bonheur , qui
n'a point encore paru , & qui vient d'un
génie qui ne s'eft point encore montré an
public , qui s'eft formé dans le filence ,
86 MERCURE DE FRANCE.
& qui menaceroit nos plus grands Poëtes
de l'apparition la plus brillante : il iroit
de pair avec eux , ou , pour me fervir de
l'expreffion de Racine , il marcheroit du
moins leur égal , fi le plaifir de penfer philofophiquement
en profe ne le débauche
pas , comme j'en ai peur.
Il étoit fur la ligne des meilleurs efprits ;
il y occupoit même une place à part , &
étoit là comme en réferve fous une trèsaimable
figure , mais en même tems fi
modefte qu'il ne tint pas à lui que je ne
le viffe point.
Mais venons à d'autres objets ; je parle
des génies du tems paffé ou de ceux d'au
jourd'hui , fuivant que leur article fe préfente
à ma mémoire ; ne m'en demandez
pas davantage. Il y en aura beaucoup d'autres
, tant auteurs tragiques que comiques
, dont je ferai mention dans la fuite
de ma relation .
Entre tous ceux de l'antiquité qu'on
admire encore > & par l'excellence de
leurs talens , & par une ancienne tradition
d'eftime qui s'eft confervée pour eux ; enfin
par une fage précaution contre le mérite
des modernes , car il entre de tout
cela dans cette perpétuité d'admiration qui
fe foutient en leur faveur.
Entre tant de beaux génies , dis -je , Eus
JANVIE R. 1755 . 87
ripide & Sophocle furent de ceux que je
diftinguai les plus dans le miroir.
Je les confiderai donc fort attentivement
& avec grand plaifir , fans les trouver
, je l'avoue , auffi inimitables qu'ils le
font dans l'opinion des partifans des anciens.
L'idée qui me les a montrés n'eft
d'aucun parti , elle leur fait auffi beaucoup
plus d'honneur que ne leur en font les
partifans des modernes.
Il eft vrai que le fentiment de ceux- ci
ne fera jamais le plus généralement applaudi
; car ils difent qu'on peut valoir les anciens
, ce qui eft déja bien hardi ; ils difent
qu'on peut valoir mieux , ce qui eſt encore
pis.
Ils foutiennent que des gens de notre
nation , que nous avons vûs ou que nous
aurions pû voir ; en un mot , que des modernes
qui vivoient il n'y a gueres plus
d'un demi-fiécle , les ont furpaffés ; voilà
qui eft bien mal entendu .
Car cette poffibilité de les valoir , &
même de valoir mieux , une fois bien établie
, & tirée d'après des modernes qui
vivoient il n'y a pas long- tems , pourquoi
nos illuftres modernes d'aujourd'hui ne
pourroient- ils pas à leur tour leur être
égaux , & même leur être fupérieurs ? il
ne feroit pas ridicule de le penfer ; il ne
SS MERCURE DE FRANCE.
fe feroit pas même de regarder la chofe
comme arrivée ; mais ce qui eft ridicule
& même infenfé , à ce que marque la glace
, c'eft d'efperer que cette poffibilité &
fes conféquences puiffent jamais paffer.
Quoi , nous aurons parmi nous des
hommes qu'il feroit raifonnable d'honorer"
autant & plus que d'anciens Grecs ou d'anciens
Romains !
Eh mais , que feroit- on d'eux dans la fociété
: & quel fcandale ne feroit -ce point là ?
Comment ! des hommes à qui on ne'
pourroit plus faire que de très- humbles
repréſentations fur leurs ouvrages , & non
pas des critiques de pair à pair comme en
font tant de gens du monde , qui pour'
n'être point auteurs , ne prétendent pas
en avoir moins d'efprit que ceux qui le
font , & qui ont peut- être raifon ?
Des hommes vis- à vis de qui tant de
fçavans auteurs & traducteurs des anciens
ne feroient plus rien , & perdroient leus
état ? car ils en ont un très- diftingué , &
qu'ils meritent , à l'excès près des privileges
qu'ils fe donnent. Un fçavant eft
exempt d'admirer les plus grands génies
de fon tems ; il tient leur mérite en échec ,
il leur fait face ; il en a bien vû d'autres.
Des hommes enfin qui romproient tout
équilibre dans la république des Lettres 2:
JAN VIE K. 1755.
qui laifferoient une diſtance trop décidée
entr'eux & leurs confreres ? diftance qui a
toujours plus l'air d'une opinion que d'un
fait.
Non , Monfieur , jamais il n'y eut de
pareils modernes , & il n'y en aura jamais .
La nature elle-même eft trop fage pour
avoir permis que les grands hommes de
chaque fiécle affiftaffent en perfonne à la
plénitude des éloges qu'ils méritent , &
qu'on pourra leur donner quelque jour
il feroit indécent pour eux & injurieux
pour les autres qu'ils en fuffent témoins .
Auffi dans tous les âges ont- ils affaire
à un public fait exprès pour les tenir en
refpect , & dont je vais en deux mots vous
définir le caractere.
Je commence par vous dire que c'eft le
public de leur tems ; voilà déja fa définition
bien avancée .
Ce public , tout à la fois juge & partie
de ces grands hommes qu'il aime & qu'il
humilie ; ce public , tout avide qu'il eft
des plaifirs qu'ils s'efforcent de lui donner
, & qu'en effet ils lui donnent , eft ce--
pendant aflez curieux de les voir manquer
leur coup , & l'on diroit qu'il manque
le fien , quand il eft content d'eux.
Au furplus la glace m'a convaincu d'une
shofe ; c'eft que la poftérité , fi nos grands
90 MERCURE DE FRANCE.
}
hommes parviennent juſqu'à elle , ne ſçaura
ni fi bien , nifi exactement ce qu'ils valent
que nous pouvons le fçavoir aujourd'hui .
Cette poftérité , faite comme toutes les poftérités
du monde , aura infailliblement le
défaut de les louer trop , elle voudra qu'ils
foient incomparables ; elle s'imaginera fentir
qu'ils le font , fans fe douter que ce
ne fera là qu'une malice de fa part pour
mortifier fes illuftres modernes , & pour
fe difpenfer de leur rendre juftice. Or je
vous le demande , dans de pareilles difpofitions
pourra-t- elle apprécier nos modernes
qui feront fes anciens le mérite
imaginaire qu'elle voudra leur trouver , ne
l'empêchera-t- il pas de difcerner le mérite
réel qu'ils auront ? Qui eft-ce qui pourra
démêler alors à quel dégré d'eftime on
s'arrêteroit pour eux , fi on n'avoit pas
envie de les eftimer tant au lieu qu'au
jourd'hui je fçais à peu près au jufte la
véritable opinion qu'on a d'eux , & je fuis
fûr que je le fçais bien , car il me l'a dit ,
à moins qu'elle ne lui échappe.
Je pourrois m'y tromper fi je n'en croyois
que la diverfité des difcours qu'il tient
mais il fe hâte d'acheter & de lire leurs
ouvrages , mais il court aux parodies qu'on
en fait , mais il eft avide de toutes les critiques
bien ou mal tournées qu'on répand
1
JANVIER. 1755. 91
contr'eux ; & qu'est- ce que tout cela fignifie
finon beaucoup d'eftime qu'on
ne veut pas déclarer franchement.
Eh ! ne fommes nous pas toujours de cette
humeur là ? n'aimons nous pas mieux vanter
un étranger qu'un compatriote ? un homme
abfent qu'un homme préfent ? Prenez-y.
garde , avons-nous deux citoyens également
illuftres celui dont on eft le plus
voifin eft celui qu'on loue le plus fobrement.
Si Euripide & Sophocle , fi Virgile &
le divin Homere lui-même revenoient au
monde , je ne dis pas avec l'efprit de leur
tems , car il ne fuffiroit peut-être pas aujourd'hui
pour nous ; mais avec la même
capacité d'efprit qu'ils avoient, précisément
avec le même cerveau , qui fe rempliroit
des idées de notre âge ; fi fans nous avertir
de ce qu'ils ont été , ils devenoient nos
contemporains , dans l'efpérance de nous
ravir & de nous enchanter encore , en s'adonnant
au même genre d'ouvrage auquel
ils s'adonnerent autrefois , ils feroient
bien étourdis de voir qu'il faudroit qu'ils
s'humiliaffent devant ce qu'ils furent; qu'ils
ne pourroient plus entrer en comparaiſon
avec eux-mêmes , à quelque fublimité d'efprit
qu'ils s'élevaffent ; bien étourdis de fe
trouver de fumples modernes apparemment
2 MERCURE DE FRANCE.
bons ou excellens , mais cependant des
Poëtes médiocres auprès de l'Euripide ,
du Sophocle , du Virgile , & de l'Homere
d'autrefois , qui leur paroîtroient , fuivant
toute apparence, bien inférieurs à ce qu'ils
feroient alors. Car comment , diroient-ils ,
ne ferions-nous pas à préfent plus habiles
que nous ne l'étions ? Ce n'eft pas la capa
cité qui nous manque' ; on n'a rien changé
à la tête excellente que nous avions , &
qui fait dire à nos partifans qu'il n'y en a
plus de pareilles. L'efprit humain dont nous.
avons aujourd'hui notre part , auroit- il
baiffé ? au contraire il doit être plus avancé
que jamais ; il y a fi long- tems qu'il féjourne
fur la terre , & qu'il y voyage , &
qu'il s'y inftruit ; il y a vu tant de chofes
, & il s'y eft fortifié de tant d'expériences
, diroient- ils .... Vous riez , Monfieur
; voilà pourtant ce qui leur arrive
roit , & ce qu'ils diroient . Je vous parle
d'après la glace , d'où je recueille tout ce
que je vous dis-là,
Il ne faut pas croire que les plus grands'
hommes de l'antiquité ayent joui dans'
leur tems de cette admiration que nous
avons pour eux , & qui eft devenue avec
juftice , comme un dogme de religion litréraire.
Il ne faut pas croire que Demof
thene & que Ciceron ( & c'eft ce que nous
JANVIER. 1755. 93
avons de plus grand ) n'ayent pas fçu à
leur tour ce que c'étoit que d'être modernes,
& n'ayent pas effuyé les contradictions
attachées à cette condition- là ? Figurezvous
, Monfieur , qu'il n'y a pas un homine
illuftre à qui fon fiécle ait pardonné l'eftime
& la réputation qu'il y a acquifes , &
qu'enfin jamais le mérite n'a été impuné
ment contemporain .
Quelques vertus , quelques qualités
qu'on ait , par quelque talent qu'on ſe diftingue
, c'est toujours en pareil cas un
grand défaut que de vivre.
Je ne fçache que les Rois , qui de leur
tems même & pendant qu'ils regnent, ayent
le privilege d'être d'avance un peu anciens;
encore l'hommage que nous leur rendons
alors , eft-il bien inférieur à celui qu'on
leur rend cent ans après eux. On ne fçauroit
croire jufqu'où va là deffus la force ,
le bénéfice & le preftige des diftances .
Leur effet s'étend fi loin , qu'il n'y a point
aujourd'hui de femme qu'on n'honorât,
qu'on ne patût flater en la comparant à
Helene ; & je vous garantis , fur la foi
de la glace , qu'Helene , dans fon-tems , fut
extrêmement critiquée , & qu'on vantoit
alors quelque ancienne beauté qu'on mettoit
bien au- deffus d'elle , parce qu'on ne
la voyoit plus , & qu'on voyoit Helene ,
94 MERCURE DE FRANCE.
Je vous affure que nous avons actuellement
d'auffi belles femmes que les plus
belles de l'antiquité ; mais fuffent - elles
des Anges dans leur fexe ( & je ris moimême
de ce que je vais dire ) ce font des
Anges qui ont le tort d'être vifibles , &
qui dans notre opinion jalouſe ne ſçauroient
approcher des beautés anciennes que
nous ne faifons qu'imaginer , & que nous
avons la malice ou la duperie de nous repréfenter
comme des prodiges fans retour.
Revenons à Sophocle & à Euripide dont
j'ai déja parlé ; & achevons d'en rapporter
ce que le miroir m'en a appris.
C'eft qu'ils ont été , pour le moins , les
Corneille , les Racine , les Crébillon &
les Voltaire de leur tems , & qu'ils auroient
été tout cela du nôtre ; de même
que nos modernes , à ce que je voyois auffi
, auroient été à peu près les SSoophocle
& les Euripide du tems paffé.
Je dis à peu près , car je ne veux blafphêmer
dans l'efprit d'aucun amateur des
anciens : il eſt vrai que ce n'eft pas là mé
nager les modernes , mais je ne fais pas
tant de façon avec eux qu'avec les partifans
des anciens , qui n'entendent pas raillerie
fur cet article - ci ; au lieu que les
autres , en leur qualité de modernes & de
gens moins favorifés , font plus accommoJANVIER.
1755. 95
dans , & le prennent fur un ton moins fier .
J'avouerai pourtant que la glace n'eft pas
de l'avis des premiers fur le prétendu affoibliffement
des efprits d'aujourd'hui .
Non, Monfieur, la nature n'eft pas fur fon
déclin, du moins ne reffemblons - nous guere
à des vieillards , & la force de nos paſſions ,
de nos folies , & la médiocrité de nos connoiffances
, malgré les progrès qu'elles ont
faites , devroient nous faire foupçonner que
cette nature est encore bien jeune en nous.
Quoiqu'il en foit , nous ne fçavons pas
l'âge qu'elle a , peut - être n'en a- t -elle point,
& le miroir ne m'a rien appris là - deſſus.
Mais ce que j'y ai remarqué , c'eft que
depuis les tems fi renommés de Rome &
d'Athenes , il n'y a pas eu de fiécle où il n'y
ait eu d'auffi grands efprits qu'il en fut
jamais , où il n'y ait eu d'auffi bonnes têtes
que l'étoient celles de Ciceron , de Démofthene
, de Virgile , de Sophocle , d'Euripide
, d'Homere même , de cet homme
divin , que je fuis comme effrayé de ne pas
voir excepté dans la glace , mais enfin qui
ne l'eft point.
Voilà qui eft bien fort, m'allez-vous dire
comment donc votre glace l'entend- elle ?
Où font ces grands efprits , comparables
à ceux de l'antiquité & depuis les Grecs
& les Romains , où prendrez- vous ces Ci96
MERCURE DE FRANCE.
1
ceron , ces Démofthene , &c. dont vous
parlez ?
Sera -ce dans notre nation , chez qui ,
pendant je ne fçais combien de fiécles &
jufqu'à celui de Louis XIV , il n'a paru en
fait de Belles- Lettres , que de mauvais ouvrages
, que des ouvrages ridicules ?
Oui , Monfieur , vous avez raifon , trèsridicules
, le miroir lui- même en convient,
& n'en fait pas plus de cas que vous ; &
cependant il affure qu'il y eut alors des génies
fupérieurs , des hommes de la plus
grande capacité..
Que firent- ils donc ? de mauvais - ouvrages
auffi , tant en vers qu'en profe ; mais
des infiniment moins mauvais ,
ouvrages
( pefez ce que je vous dis là ) infiniment
moins ridicules que ceux de leurs contemporains.
Et la capacité qu'il fallut avoir alors
pour n'y laiffer que le degré de ridicule
dont je parle , auroit fuffi dans d'autres
tems pour les rendre admirables .
N'imputez point à leurs Auteurs ce
qu'il y refta de vicieux , prenez - vous en
aux fiécles barbares où ces grands efprits
arriverent , & à la déteſtable éducation
qu'ils y recurent en fait d'ouvrages d'efprit .
Ils auroient été les premiers efprits d'un
autre fiécle , comme ils furent les premiers
efprits
JANVIER. 1755 . 97
efprits du left ; il ne falloit pas pour cela
qu'ils fuffent plus forts , il falloit feulement
qu'ils fuffent mieux placés .
Ciceron auffi mal élevé , auffi peu encouragé
qu'eux , né comme eux dans un fiécle
groffier , où il n'auroit trouvé ni cette
tribune aux harangues , ni ce Sénat , ni ces
affemblées du peuple devant qui il s'agiffoit
des plus grands intérêts du monde , ni
enfin toute cette forme de gouvernement
qui foumettoit la fortune des nations &
des Rois au pouvoir & à l'autorité de l'éloquence
, & qui déféroit les honneurs &
les dignités à l'orateur qui fçavoit le mieux
parler.
Ciceron privé des reffources que je viens
de dire , ne s'en feroit pas mieux tiré que
ceux dont il eft queftion ; & quoiqu'infailliblement
il eut été l'homme de fon tems
le plus éloquent , l'homme le plus éloquent
de ce tems là ne feroit pas aujourd'hui
l'objet de notre admiration ; il nous paroîtroit
bien étrange que la glace en fit un
homme fupérieur , & ce feroit pourtant
Ciceron , c'est -à- dire un des plus grands
hommes du monde, que nous n'eftimerions
pas plus que ceux dont nous parlons , & à
qui , comme je l'ai dit , il n'a manqué que
d'avoir été mieux placés.
Quand je dis mieux placés , je n'entends
E
93 MERCURE DE FRANCE.
pas que l'efprit manquât dans les fiécles que
j'appelle barbares. Jamais encore il n'y en
avoit eu tant de répandu ni d'amaffé parmi
les hommes , comme j'ai remarqué que
l'auroient dit Euripide & Sophocle que
j'ai fait parler plus bas.
Jamais l'efprit humain n'avoit encore
été le produit de tant d'efprits , c'est une
vérité que la glace m'a rendu fenfible .
J'y ai vû que l'accroiffement de l'efprit
eft une fuite infaillible de la durée du
monde , & qu'il en auroit toujours été
nné fuite , à la vérité plus lente , quand
Fécriture d'abord , enfuite l'imprimerie
n'auroient jamais été inventées.
Il feroit en effet impoffible , Monfieur ,
que tant de générations d'hommes euffent
paffé fur la terre fans y verfer de nouvelles
idées , & fans y en verfer beaucoup plus
que les révolutions , ou d'autres accidens ,
n'ont pû en anéantir ou en diffiper.
Ajoûtez que les idées qui fe diffipent ou
qui s'éteignent , ne font pas comme fi elles
n'avoient jamais été ; elles ne difparoiffent
pas en pure perte ; l'impreffion en refte
dans l'humanité , qui en vaut mieux feulement
de les avoir eues , & qui leur doit
une infinité d'idées qu'elle n'auroit pas
fans elles.
eue
Le plus ftupide ou le plus borné de tous
JANVIER. 1755 . ୭୭
les peuples d'aujourd'hui , l'eft beaucoup
moins que ne l'étoit le plus borné de tous
les peuples d'autrefois .
La difette d'efprit dans le monde connu ,
n'eft nulle part à préfent auffi grande qu'elle
l'a été , ce n'eft plus la même difette.
La glace va plus loin. Par- tout où il y a
des hommes bien ou mal affemblés , ditelle
, quelqu'inconnus qu'ils foient au reſte
de la terre , ils fe fuffifent à eux - mêmes
pour acquerir des idées ; ils en ont aujourd'hui
plus qu'ils n'en avoient il y a deux
mille ans , l'efprit n'a pû demeurer chez
eux dans le même état .
Comparez , fi vous voulez , cet efprit
à un infiniment petit , qui par un accroiffement
infiniment lent , perd toujours quelque
chofe de fa petiteffe.
Enfin , je le repéte encore , l'humanité
en général reçoit toujours plus d'idées
qu'il ne lui en échappe , & fes malheurs
même lui en donnent fouvent plus qu'ils
ne lui en enlevent.
La quantité d'idées qui étoit dans le
monde avant que les Romains l'euffent
foumis , & par conféquent tant agité , étoit
bien au-deffous de la quantité d'idées qui
y entra par l'infolente profpérité des vainqueurs
, & par le trouble & l'abaiffement
du monde vaincu..
E ij
335236
100 MERCURE DE FRANCE.
Chacun de ces états enfanta un nouvel
efprit , & fut une expérience de plus pour.
la terre.
Et de même qu'on n'a pas encore trouvé
toutes les formes dont la matiere eſt
fufceptible , l'ame humaine n'a pas encore
montré tout ce qu'elle peut être ; toutes
fes façons poffibles de penfer & de fentir
ne font pas épuifées .
Et de ce que les hommes ont toujours
les mêmes pailions , les mêmes vices & les
mêmes vertus , il ne faut pas en conclure
qu'ils ne font plus que fe repérer.
Il en eft de cela comme des vifages ; il
n'y en a pas un qui n'ait un nez , une bouche
& des yeux ; mais auffi pas un qui n'ait
tout ce que je dis là avec des différences
& des fingularités qui l'empêchent de reffembler
exactement à tout autre vifage.
Mais revenons à ces efprits fupérieurs
de notre nation , qui firent de mauvais
ouvrages dans les fiécles paflés.
J'ai dit qu'ils y trouverent plus d'idées
qu'il n'y en avoit dans les précédens , mais
malheureufement ils n'y trouverent point
de goût ; de forte qu'ils n'en eurent que
plus d'efpace pour s'égarer.
La quantité d'idées en pareil cas , Monfieur
, eft un inconvénient , & non pas
un fecours ; elle empêche d'être fimple ,
JANVIER. 1755 . TOI'
& fournit abondamment les moyens d'être
tidicule.
Mettez beaucoup de ticheffes entre les
mains d'un homme qui ne fçait pas s'en
fervir , toutes les dépenfes ne feront que
des folies.
Et les anciens n'avoient pas de quoi être
auffi fous , auffi ridicules qu'il ne tierdroit
qu'à nous de l'être.
En revanche jamais ils n'ont été fimples.
avec autant de magnificence que nous ; il
en faut convenir. C'eft du moins le fentiment
de la glace , qui en louant la fimplicité
des anciens, dit qu'elle eft plus litterale
que la nôtre , & que la nôtre eft plus riche
; c'eft fimplicité de grand Seigneur .
Attendez , me direz - vous encore , vous
parlez de fiécles où il n'y avoit point de
goût , quoiqu'il y eût plus d'efprit & plus
d'idées que jamais ; cela n'implique-t- il pas
quelque contradiction ?
Non , Monfieur , fi j'en crois la glace ;
une grande quantité d'idées & une grande
difette de goût dans les ouvrages d'efprit ,
peuvent fort bien fe rencontrer enfemble ,
& ne font point du tout incompatibles.
L'augmentation des idées eft une fuite infaillible
de la durée du monde : la fource
de cette augmentation ne tarit point tant
qu'ily a des hommes qui fe fuccédent , &
E iij
101 MERCURE DE FRANCE.
des aventures qui leur arrivent.
:
Mais l'art d'employer les idées pour des
ouvrages d'efprit , pent fe perdre les lettres
tombent , la critique & le goût difpa-
.roiffent ; les Auteurs deviennent ridicules
ou groffiers , pendant que le fond de l'efprit
humain va toujours croiffant parmi les
hommes.
LE mot de l'Enigme du fecond volume
du Mercure de Decembre eft le Rubar.
Celui du premier Logogryphe eft Mouſque
taire , dans lequel on trouve Rome , Remus
, Troye , Marius , tins , Tours , trois ,
quatre , rofe , monſquet. Celui du fecond eſt
Leffive , où l'on trouve effieu , veffie , fie.
JE
ENIGM E.
E fuis de matiere pefante,
Et j'ai de la légereté ;
Il est très-rare qu'on me vante
Malgré ma grande 'utilité.
Je fers & la brune & la blonde ,
Mais il faut deviner en quoi ,
Perfonne ne s'attache à moi ,
Et je m'attache à tout le monde.
} Par M.Varé à Granville.
JANVIER, 1755. 106
LOGOGRYPHE.
Certain Ertain vieux radoteur , auffi fou qu'incon
mode ,
Me fit naître autrefois de fon fougueux cerveau ;
Et par un fyftême nouveau ,
En dépit du bon fens il me mit à la mode.
J'y reftai peu le peuple dégagé
Des abfurdes liens d'un fade préjugé ,
Se délivra bientôt de la fotte manie
Dont je voulois par- tout établir l'harmonie :
Et malgré les excès d'un injufte renom
Je n'ai de mon éclat confervé que le nom .
Pour mieux une deviner , fuis la meilleure route ?
Examine , Lecteur , mes attributs divers ; >
Prens-moi de biais ou de travers ,
Alors je fuis connu , tu le peux ; mais j'en doute.
Afin d'occuper ton loifir ,
4 Et refter plus long- tems à l'ombre ,
A tes yeux , de mes pieds je cacherai le nombre :
De la difficulté vient fouvent le plaifir.
Au pays
Entrons promptement en matiere.
des Germains je t'offre une riviere
Un fleuve renommé dans le même canton ;
Un autre qu'Annibal , aux yeux de Scipion
Traverfa pour aller fubjuguer l'Italie ;
Ce que la femme laide ainfi que la jolie
E iiij
104 MERCURE DE FRANCE.
Confulte avec plaifir , fouvent avec dépit ;
Un pauvre amant qui fe pendit ;
Le titre vain où peut prétendre
Achille auffi- bien qu'Alexandre ;
La ville qu'autrefois Conftantin délaiffa ;
Le défenfeur de l'Idumée ;
Le nom d'une vaine fumée ;
( Bien fou qui s'en contentera. )
Un petit oifeau dont la plume
Et le ramage font charmans ;
Un remede contre le rhume ;
Une fleur de l'été qu'on voit naître au printems.
Cher Lecteur , c'eſt aſſez ; je me laffe d'écrire :
Je ne finirois pas fi je voulois tout dire.
Ami , pour dernier trait , que nepuis-je à tes yeux
Cacher certain mortel , auffi fourbe qu'habile ,
Qui par un détour odieux
Fit brûler une grande ville.
A Corbeil , Novembre 1754.
L. C. D. V.
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
ASTOR, LENOX AND
TILBEN
FOUNDATIONS.
ETRENNES
Gaiment.
Nous voici donc aujour de
An,Parent,Ami, Maitreße,A
mant,Va faire quelque Emplet
te : On achête , l'on donne, on
prend, Et l'on se presente un pre
sent, Moije vous en souhaite.
La Musique est de M.Papavoine.
JANVIER 1755 105
Nou
CHANSON.
E TRENNE S.
Ous voici donc au jour de l'an ,
Parent , ami , maîtreffe , amant ,
Va faire quelqu'emplette.
On achete , l'on donne , on prend ,
Et l'on fe préfente un préfent ;
Moi ,je vous en fouhaite.
Defirez-vous perles , bijoux ,
Meubles , diamans & joujoux
D'argent pleine caffette :
Poffedez-en abondamment ;
Vous n'en aurez jamais autant
3.
79.7
250v -za.2
Que je vous en fouhaites
Voudriez -vous un jeune amant
Riche , foumis , difcret , conftant,
De figure parfaite ?
Qui réunit le fentiment
L'efprit , la grace & l'agrément ;
Ah ! je vous en fouhaite.
अं.
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
Aimeriez-vous mieux un époux
Qui jamais coquet ni jaloux ,
En maît reffevous trait e
Qui prévenant tous vos defirs ,
Vous cherche de nouveaux plaifirs ;
Ah !je vous en fouhaite.
Je vous dirois bien un fecret ,
Ce que pour mon bonheur parfait
Yous pourriez en cachette ....
Mais je crains trop en bonne foi
Que vous ne difiez comme moi ;>
Ah ! je vous en fouhaite.
Accepterez-vous ces couplets ?
Du préfent que je vous en fais
Serez-vous fatisfaite ?
On peut en faire de meilleurs :
Voyez , fourniffez -vous ailleurs;
Moi,je vous en fouhaite.
JANVIER 1755. 107
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
SSAI SUR L'ART DE LA GUERRE , 2
ESSA
vol. in-4° .ornés de plans , de vignettes
& de culs- de- lampe. A Paris , chez Prault ,
Libraire , quai de Conti ; & chez Jombert ,
Imprimeur, rue Dauphine . Par M. le Comte
Turpin de Criffé , Brigadier des armées
du Roi , Meſtre de camp d'un Régiment
de Huffards , de l'Académie royale de Berlin
, & c.
EXTRAIT. '
Le fiécle dernier a été l'épaque la plus
brillante des beaux Arts , mais il étoit
réfervé à celui- ci de perfectionner certaines
fciences ; telle eft la fcience militaire .
Montecuculli , le Duc de Rohan & quelques
autres n'ayant donné que des principes
fans en faire d'application , n'ont pût
être que d'un foible fecours pour les Feuquiere
, les Folard , les Puyfegur & plufieurs
autres les meilleures traductions de
Strabon , de Végece , d'Alien , de l'Empereur
Léon, & de prefque tous les anciens qui
ont écrit fur cette matiere , ont été faites
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
fous nos yeux. Tout ce qu'on avoit fur
la guerre de fiége fe réduifoit au livre de
Vauban , ouvrage admirable , mais où tout
n'eſt pas encore développé. Parmi ceux qui
de nos jours ont parlé de la guerre de campagne
, il n'en eft point qui ayent embraffé
toutes les manoeuvres & toutes les opérations
; c'eft ce que M. le Comte Turpin a
entrepris dans fon effai ; il n'excepte que
les fiéges qui ne font point de fon fujet.
Il a fçu rendre fon ouvrage utile , non
feulement aux jeunes militaires, qui y trou
veront tous les principes d'un art également
profond & fublime , mais encore à
ceux à qui une longue expérience a appris
que ces principes varient dans la pratique.
fuivant les circonftances. De tous les
moyens qu'il donne pour prévenir les événemens
, le plus certain pour un Général
eft la connoiffance du pays ; c'eft auffi celui
dont il fait émaner tous les préceptes que
renferme fon ouvrage.
Il traite dans le premier livre de tout ce
qui peut avoir quelque rapport à la guerre
défenfive , & des moyens d'exécuter dans
différens pays , foit de plaine , de montagnes
, de bois , fur les rivieres , & c . toutes
fortes d'opérations , avec une armée ou
avec des détachemens : il les fuit dans leur
marche , dans leur retraite , dans l'efcorte
JANVIER. 1755. 109
des convois , dans les fourrages au verd &
au fec , de quelque arme qu'ils foient compofés
; dans leurs camps , foit qu'ils y entrent
, foit qu'ils en fortent. L'auteur commence
par la défenſe , parce que , dit- il ,
c'eft la plus naturelle à l'homme . » En
» effet , ajoûte - t - il , à fuivre toutes les
» opérations d'une campagne , on voit que
» c'eft feulement la crainte d'ètre attaqué
qui a fait imaginer des précautions pour
»l'attaque même.
Elle fait le fujet du fecond livre . Les
principaux moyens qu'elle employe , font
les furprifes , les efpions , les embuscades ,
la force ouverte , & enfin les batailles :
chacun de ces moyens eft traité avec beancoup
d'érudition ; mais le chapitre des batailles
renferme un détail qui fuppofe des
connoiffances infinies. Après y avoir parlé
des occafions où il faut éviter ou donner
une bataille , après avoir établi les principes
que nos plus grands Généranx paroif
fent avoir fuivis dans ces circonftances ,
d'où dépendent le falut ou la perte , la
gloire ou la honte d'un Etat , M. L. C. T.
fuppofe quatre différentes difpofitions
d'armée , & démontre autant qu'il eft
poffible quel doit être le fuccès en fuivant
tels ou tels principes. M. le Maréchal
de Puyfegur a reçu tous les préceptes dans
110 MERCURE DE FRANCE.
la fuppofition qu'il fait d'une bataille aux
environs de Paris ; mais il étoit difficile de
trouver dans un eſpace auffi peu étendu
tous les terreins poflibles dont la connoiffance
étoit néceffaire au militaire . L'Auteur
de l'effai a fenti cette difficulté ; il a
fait les difpofitions relativement aux pays
qui fe rencontrent le plus communément ,
& il y a bien peu de cas qu'il n'ait prévûs.
Dans le troifieme livre , l'Auteur parle
des quartiers & des cantonnemens relatievement
à la défenfe ; il fait confifter leur
fûreté dans la vigilance de chaque Commandant
dans la place d'armes particuliere
& générale des quartiers , dans les ve-
-dettes & gardes à cheval difpofées avec
-précaution; dans les détachemens en avant,
dans les manoeuvres qu'il faut oppofer
l'ennemi contre les fauffes alarmes , dans
les précautions qu'il faut prendre en éta-
-bliflant fes quartiers ; précautions que l'Auteur
fait varier à mefure que la nature du
pays change ; la circonfpection qu'on doit
avoir en entrant dans les quartiers , ou
lorfqu'on veut en défendre l'entrée à l'en-
<nemi.
L'Auteur continue dans le quatrieme livre
à détailler les manoeuvres relatives aux
quartiers , foit pour ll''aattttaaqquuee en général
foit pour la retraite , tant des détachemens
>
JANVIER. 1755 .
que d'une armée qui n'a pu forcer les
quartiers d'une autre armée.
Ce quatrieme livre eft fuivi d'une méthode
raiſonnée , qui rend les opérations
d'une campagne plus fûres & le fuccès
moins douteux , en établiſſant dans le pays
aqu'on veut conquérir , des parelleles d'un
endroit à l'autre , & en obfervant à peuprès
en grand la même méthode qu'on obferve
en petit dans les fiéges pour parvemir
au corps de la place . M. L. C. T. a la
bonne foi d'avouer que cette idée lui a été
.communiquée par un militaire d'une expérience
confommée ; mais elle lui devient
-propre , par la maniere précife & claire
dont elle eft rendue.
Le cinquieme livre eft destiné à parler
de la petite guerre , de la néceffité des
-Huffards, ( troupes dont le fervice mési-
-te une attention particuliere ) de l'ufage
-qu'on doit en faire , foit en détachement ,
-foit le jour d'une bataille ; des troupes légeres
; de leur fervice à pied pendant la
-campagne , & de leur place le jour d'une
action générale. M. L. C. T. parle des Huffards
avec connoiffance de caufe ; c'eſt avec
´› cette arme qu'il s'eft acquis la réputation
- dont il jouit.
*
Les bornes d'un extrait ne permettent
point d'entrer dans un plus long détail.
112 MERCURE DE FRANCE.
Cet ouvrage eft rempli d'érudition , foit
pour les principes , fruit d'une étude pénible
& d'une longue expérience , foit
dans les exemples aufquels ces principes
font appliqués , d'une grande connoiffan
ce de l'art qui y eft traité , d'une critique
jufte , où , fans compromettre la gloire des
nations dont l'Auteur eft obligé de parler
ni celle des militaires dont il difcute les
actions , les fautes qu'ils ont faites & les
fuccès qu'ils ont eus , font ramenés aux
principes & jugés fans partialité. Leftyle
eft par- tout adapté à la matière , élegant ,
noble , précis fans obfcurité , clair fans
diffufion , fimple dans le détail des principes
, élevé dans l'expofition des faits &
des actions que l'Auteur cite , & ferré
dans les difcuffions .. En un mot , M. L. C.
T, a trouvé l'art de rendre agréable à ceuxmêmes
qui ne font pas du métier , une matiere
qui par elle - même eft aride , & de répandre
des fleurs fur un écrit purement didactique
, en fondant les principes dans
les exemples , fans trop les multiplier , défaut
prefque inévitable dans ce genre d'ou-
-vrages.
"
Si on avoit à reprocher quelque chofe
à l'Auteur , ce feroit le titre ; qui ne paroît
point fait pour un livre de cette étendue
& de cette profondeur , qui traite de toute
JANVIER. 1755. 113
la
guerre en général : on pourroit fubftituer
au mot effai un titre plus décidé ; mais
M. L. C. T. a fans doure cru que cette
modeſtie convenoit à fon âge , & qu'il valoit
mieux laiffer à fes compatriotes le foin
d'apprécier fon ouvrage.
Le difcours préliminaire a été regardé
par les vrais connoiffeurs comme un trèsbeau
morceau d'éloquence . M. L. C. T. y
parle des qualités du Général , en homme
qui les poffede , & réduit les principales au
génie , au coup d'oeil , au fang- froid & à
la connoiffance exacte du pays.
Pour donner une idée du ftyle de cet
ouvrage , on fe contentera de rapporter ce
qu'il dit de ces qualités.
» Comme elles émanent du génie , dit-
» il , que celui qui fe deftine au métier
» des armes ne s'y engage point fans l'a-
» voir confulté & fans connoître fon ta-
» lent & fes forces. La capacité , foit dans
»le Général, foit dans l'Officier, eft le fruit
» du génie excité par un goût naturel
»fon métier : fans ce goût, fans cette efpece
pour
de vocation qui nous entraîne comme
» malgré nous- mêmes , & qui eft la mar-
» que la plus fùre d'un talent décidé , on
» étudie fans fruit , & l'on pratique fans
» difcernement .
Le génie ne s'acquiert point , il naît
114 MERCURE DE FRANCE.
»
» avec nous ; il eft , dit -on , plus aifé à la
» nature de produire un monftre qu'ua
» homme fans talent : mais tout le monde
» ne naît point avec du génie ; c'eft la plus
» belle qualité de l'ame. Avec du talent
on peut être un bon militaire ; avec du
» génie un bon militaire devient un grand
Général : c'eft quelquefois l'affemblage
» des talens , c'est toujours la perfection
de celui que la nature nous a donné ,
» qui décele le génie. On étudie , on cher-
» che fon talent , fouvent on le manque ;
» le génie fe développe de lui -même : le
» talent peut être enfoui , parce qu'il n'a
pas toujours des occafions pour éclater ;
» le génie perce malgré tous les obftacles ,
» c'eft lui feul qui produit , le talent ne fait
» que mettre en oeuvre , & c.
و ر
Le coup d'oeil eft naturel à certaines
perfonnes , & dans ceux-là il eft l'effet
du génie ; d'autres l'acquierent par l'é-
» tude & par l'expérience . Celui qui a affez
de courage pour conferver le fang- froid
dans les occafions les plus preffantes ,
»
a le coup d'oeil plus prompt & plus jufte :
"un homme vif & bouillant , quoique
» brave , ne voit rien ; ou s'il voir quelque
chofe , c'est toujours confufément ,
» & trop tard.
»
» Le coup d'oeil n'eft autre chofe que
JANVIER. 1755 . 15
;
»
» ce génie pénétrant à qui rien n'échappe ;
» il voit dans les coeurs jufques aux plus
légeres impreffions qui peuvent les agi-
» ter. Le Général qui fçait allier le fang-
» froid à cette qualité , ne manque jamais
» de reffources , & c.
Il faut voir dans le difcours même ce
qu'il penfe de la bravoure & du courage ,
les diftinctions délicates & ingénieufes
qu'il en fait , ce qu'il dit de la nobleffe
d'origine , de la difcipline , des dangers
attachés à l'honneur de commander. » Ce
grade ambitionné , dit - il , touche les
» deux extrêmités , ou la gloire ou la
» honte.
"
"
C'est ainsi que finit ce difcours. » J'ai
» moins cherché à plaire à l'oreille qu'à
perfuader le coeur . Si le zele pour fon
Roi , fi l'amour pour fa patrie , enfin fi
l'honneur & la vertu avoient un style
particulier , ce feroit celui que j'aurois
» choifi ; mais un militaire eft affez éloquent
lorfqu'il rend fes idées avec net-
» teté ; mes voeux font remplis fi je fuis
entendu du foldat , fans qu'il ait befoin
» de m'étudier.
"
Je ne rapporterai que le trait fuivant ,
pour faire voir quelle eft la maniere de
critiquer de M. L. C. T. liv. 2. chap. 3 .
On doit garder la promeffe & fa foi ,
116 MERCURE DE FRANCE.
D» dit Onozander , aux traîtres même : on
» peut en effet leur tenir parole fans rien
craindre , pourvû qu'on fçache s'en mé-
» fier ; mais il y a bien loin de la rufe à
» la trahiſon on peut fe mettre à cou-
» vert de l'une , au lieu que toute la pru-
» dence humaine ne peut fe o
de
» l'autre. Lorfque dans Virgile , par l'ar-
» tifice de Sinon , les Troyens introdui-
» fent eux - mêmes l'ennemi dans leurs
» murs , on ne peut blâmer que leur im-
» prudente crédulité ; mais lorfque dans
» l'Iliade on voit Minerve , au mépris
» d'une alliance jurée , perfuader à Pan-
» darus de décocher une fléche contre Mé-
» nelas , on est étonné qu'Homere ait ofé
» faire de Minerve la Déeffe de la fageffe .
M. L. C. T. finit fon ouvrage en fai- ·
fant enviſager au militaire l'humanité
comme le premier principe de toutes fes
actions ; il prouve la néceflité de ce devoir
, fi fouvent négligé par des citations
heureufes , ce qui le conduit naturellement
à parler de la Religion , la bafe de toute
fubordination ; il en parle en Philofophe
chrétien ; & fans beaucoup s'étendre fur
cette matière , il en dit affez pour la faire
refpecter. !
Enfin tout refpire la vertu dans cet ouvrage.
L'amour de fon métier , le defir d'êJANVIER.
1755. 117
tre utile à fes concitoyens , la gloire de
fon Maître & la grandeur de l'Etat , y prennent
par-tout le ton du fentiment & de
l'humanité. L'auteur femble donner à regret
les préceptes d'un art qu'il profeffe
en citoyen , & dont il parle en Philofophe
ami des hommes. Il ne perd jamais de vûe
le but qu'il fe propofe dès le commencement
, & fur- tout dans le chapitre des
batailles , de ne regarder la guerre que
comme l'inftrument de la paix.
Les curieux n'ont rien à defirer pour
ce qui regarde la beauté de l'édition , qui
ne peut que faire honneur aux foins de
P. G. Simon , Imprimeur, rue de la Harpe ;
à la délicateffe & à la légereté de burin
du fieur d'Heulland , Graveur du Roi , de
qui font les vingt- cinq plans qu'on trouve
à la fin du fecond volume ; à la fineſſe &
à l'élégance des deffeins du fieur Chedel ,
qui a gravé les vignettes & les culs-delampe
.
Cet ouvrage a été préfenté au Roi , qui
en a accepté la dédicace avec bonté.
ANALYSE RAISONNÉE DE BAYLE , Ou
Abrégé méthodique de fes principaux ouvrages
, particulierement de fon Dictionnaire
hiftorique & critique , dont les remarques
ont été fondues dans le texte ,
118 MERCURE DE FRANCE.
6
pour former un corps agréable de lectures
fuivres. A Londres , 1755 .
1. L'auteur s'eft propofé de rédiger
méthodiquement , c'eft- à- dire par la voye
d'une analyfe exacte & précife , ce qu'il y
à de plus curieux & de plus inftructif
dans le Dictionnaire de Bayle. Parmi
un fi grand nombre d'articles , plus ou
moins importans , on n'a choifi que ceux
qui peuvent intéreffer véritablement les
gens de goût ; & les articles même qu'on'
a choifis , ont été réduits à un degré de
précifion , qui manque à Bayle , comme à
tous les autres compilateurs.
2°. Dans la diftribution des matieres
on n'a point fuivi l'ordre alphabétique ;
mauvaife méthode , qui brouille les tems ,
les lieux , les événemens , & qui confond
tous les objets. L'auteur s'eft attaché à
donner un peu plus de liaifon aux penfées
de Bayle , en les rangeant dans différentes
claffes , fous des titres diftinctifs & analogues
aux matieres.
30. Pour épargner aux lecteurs le foin
embarraffant de confulter un commentaire
féparé du texte , c'est- à- dire de lire
un livre ajouté à un livre , on a pris le
parti plus fimple de fondre la plupart des
remarques dans le corps même des arti
cles , en fuppléant les liaifons & les tran
JANVIER. 1755. 119
firions néceffaires. C'eft dans le choix &
dans l'affortiment de ces tranfitions que
confifte le principal travail de l'auteur.
4°. Quoique le Dictionnaire hiftorique
& critique foit l'objet capital de cette analyfe
, elle ne laiffera pas de s'étendre auffi
fur les Euvres diverfes de Bayle , fi l'on
voit jour à pouvoir s'en fervir fans multiplier
extraordinairement les volumes ; cè
qu'on ne cherche nullement. On tâchera
de les borner au nombre de douze ; les
quatre premiers paroiffent depuis le commencement
de cette année . On en annonce
la publication avec la confiance que
doivent infpirer l'objet utile & intéreſfant
de cette analyfe , le foin qu'on a pris
pour la rendre digne de l'approbation des
lecteurs , & fur- tout l'autorité du grand
nom qu'elle porte.
5°. La forme d'in - 12 . qu'on a donné
aux volumes qui compoferont cette petite
collection , achevera d'applanir à tout le
monde la lecture de Bayle. C'eſt ainfi
que l'ouvrage le plus fçavant , le plus
agréable , & fans contredit le plus célébre
de notre fiécle , que la groffeur de fes volumes
faifoit reléguer dans les bibliotheques
, va devenir un livre commode &
portatif, dont l'ufage fera de tous les tems
& de tous les lieux ,
44.3
120 MERCURE DE FRANCE.
AH ! QUEL CONTE ! Conte politique &
aftronomique , qui a pour épigraphe : 0
quantum eft in rebus inane ! Perfe. A Bruxelles
, chez les freres l'affe , Libraires. On
le trouve à Paris , chez Lambert.
EXTRAIT OU PRÉCIS.
Il paroît que ce conte eft une fuite
du Sopha ; on y voit un Sultan toujours
bête , interrompre fon Vifir toujours fpirituel.
Ce Miniftre , pour fervir fon Maître
felon fon goût , ou fuivant fa portée , lui
raconte des faits très- abfurdes ; mais pour
plaire au public François , il les accompagne
de réflexions très- ingénieufes , dont
ils ne font que le prétexte : s'il en étoit
fouvent un peu plus fobre , avec moins
d'efprit il amuferoir peut- être davantage .
Schezaddin Telaïfe , Souverain d'Ifma ,
eft le héros du conte dont je vais donner
l'extrait. Ce Prince , quoique fort jeune
& fort aimable ( ce font les expreffions
de l'auteur) , s'obftinoit à vivre dans le célibat
malgré les voeux de fes fujets , &
dans l'indifférence malgré les defirs de fes
fujettes. Soit qu'il eût l'efprit gâté par la
lecture des romans , ou qu'il fût né romanefque
, il croyoit qu'une véritable paffion
eft toujours prédite à notre coeur par
des événemens finguliers ; il étoit perfuadé
qu'on
JANVIER. 1755. 125
qu'on n'aime point , lorfque dès la premiere
vûe on ne fe fent point entraîné par
un penchant irrésistible , & que toutes les
fois qu'on s'engage hors de ce cas , on fe
donne un ridicule d'autant moins pardonnable
, que l'on n'en eft pas dédommagé
par les plaifirs. Une Fée , auffi jolie que
coquette , voulut avoir la gloire de le détromper.
Pour y réuffir plus fûrement , elle
eut recours au miniftere des fonges : ellemême
fe plaça la nuit à côté du Prince
endormi , afin de les mieux diriger , &
d'être mieux à portée de s'affurer & de
jouir de fon triomphe.
Un premier rêve offrit à Schezaddin les
traits d'une nimphe piquante , qui lui fit
des agaceries fi vives que fon ame en fut
échauffée , & que le plaifir la difpofa par
degrés à recevoir l'impreffion de l'amour.
Tout ou rien , ( c'eſt le nom de la Fée )
dans un nouveau fonge , fe préfenta ellemême
dans toute fa beauté à Schezaddin ;
fes charmes le toucherent fi fort qu'il fe
réveilla vraiment amoureux d'elle fans la
connoître. Il découvre fon état à Taciturne
fon confident , homme froid &
cauftique , plus bleffé des travers des femmes
, qu'il n'étoit fenfible à leurs agrémens.
Ce favori combla fon amour , &
l'ofe traiter de vifionnaire ; mais la chi-
F
122 MERCURE DE FRANCE,
mere eft bientôt réalifée. La Fée fait annoncer
fon retour au Roi d'Ifma. Comme
elle avoit un palais voifin des Etats de
ce Prince , il s'y rendit avec une cour
nombreuſe : l'agréable furprife ! il reconnoît
dans la Fée la feconde beauté qu'il
a vûe en fonge , & dont il chérit l'image.
Il prend cette rencontre pour un coup du
deftin , qui le force d'aimer ; fon ardeur en
redouble ; le Roi paffe de l'indifférence à
la paffion la plus violente , & la Fée , du
fein de la coquetterie , à l'amour le plus
vrai. Leur bonheur eft parfait ; mais il eſt
bientôt troublé par l'imprudence de Tour
ou rien. Dans un de ces momens où les
amans fe difent tout , même ce qu'ils ont
le plus d'intérêt à fe cacher , l'indifcrette
Fée avoua à Schezaddin que l'amour qu'il
avoit elle étoit moins l'ouvrage de la
pour
deftinée que celui de fon adreffe , & lui
raconta les moyens qu'elle avoit employés
pour le féduire.
L'amour propre du Prince fut bleffe
de la fupercherie , il la regarda moins
comme l'effet d'une tendreffe ingénieufe
que comme une mauvaiſe plaifanterie
& comme un ridicule qu'elle vouloit lui
donner, Le feu de fon amour s'éteignit
par degrés. Comme il redoutoit le pouvoir
de la Fée , il n'ofa pas la quitter brufJANVIER.
1755. 123
quement ; il prit le parti détourné de l'obliger
elle-même à le congédier à force de
froideurs , de caprices extravagans , & de
jaloufies ridicules il y réuffit à la fin.
Tout ou rien excédée , rompit avec lui
& lui dit en le quittant , d'un ton ironique
, que puifqu'il ne pouvoit aimer fans
ce coup de foudre qui arrive fi rarement ,
elle tâcheroit d'obtenir du deftin qu'il le
lai procurât , & que le choix qu'il lui feroit
faire le couvrît d'autant de gloire
qu'il devoit le combler de plaifir. Schezaddin
alarmé du perfiflage de Tout ou
rien , voulut lui répondre ; mais il fe fentit
enlever du palais de la Fée , & fe
tetrouva en peu d'inftans dans le fien .
Quelques jours après la nuit le furprit
dans une forêt avec Taciturne ; comme ils
étoient embarraffés du chemin qu'ils tiendroient
, ils virent tout à coup fortir du
fein de la terre une prodigieufe quantité
de flambeaux allumés. Malgré leur étonnement
ils fuivirent la route que ces flambeaux
leur traçoient , & qui les conduifit
à une grande falle de verdure ; elle étoit
éclairée par plus de fix mille luftres de
diamant ,, qui pendoient aux branches des
arbres . Une fymphonie raviffante s'y faifoit
entendre ; ils y virent ce qu'ailleurs
ón n'a jamais vû , des grues en habit de
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
bal , des oifeaux qui battoient la meſure ,
& qui chantoient entre leurs dents , une
autruche mâle en perruque quarrée , une
autruche femelle en chauve - fouris , qui
avoit le vifage couvert de mouches & de
rouge ; une jeune oye en domino couleur
de rofe , dont le premier regard fubjugua
le Roi ; un dindon mufqué , frifé ,
qui lui donnoit la main , & qui danfa
un menuet avec elle. Mais le plus furprenant
eft le récit des exploits d'une tête à
perruque , qui conduifoit une armée , dont
elle étoit le Général , & devant qui rien
ne réſiſtoit : étonné de ces merveilles , je
m'arrête là.
On promet la fuite qui eft fous preſſe.
Ce n'eft ici qu'un léger extrait des quatre
premieres parties . Je crois qu'il doit fuffire
pour faire voir que l'auteur de ce
conte en a parfaitement rempli le titre &
l'épigraphe.
TRAITÉ DES SENSATIONS , à Madame
la Comteffe de Vaffé , par M. l'Abbé de
Condillac , de l'Académie royale de Berlin.
A Paris, chez Debure l'aîné , quai des Auguftins
, à S. Paul. 1754. 2. vol. in 12 .
Le deffein du Traité que l'on publie eft
proprement parler , une décompofition
de l'homme, dont on confidere féparément
JANVIER. 1755. 125
les fens , afin de diftinguer avec précifion
les idées qu'il doit à chacun d'eux ,
& d'obferver avec quel progrès ils s'inftruifent
, & comment ils fe prêtent des
fecours mutuels. Pour remplir cet objet ,
l'auteur de l'ouvrage que nous annonçons
imagine une ftatue organifée intérieurement
comme nous , & animée d'un efprit
privé de toute efpece d'idées. Il fuppofe
encore que l'extérieur tout de marbre ne
lui permet l'ufage d'autun de fes fens ,
& fe réfervé la liberté de les ouvrir , à fon
choix , aux différentes impreffions dont ils
font fufceptibles. C'eft pourquoi il a foin
d'avertir le lecteur de fe mettre à la place
de la ftatue qu'il fe propofe d'examiner.
Il veut qu'on ne commence d'exifter qu'avec
elle , qu'on n'ait qu'un feul fens quand
elle n'en a qu'un. Il ne faut acquerir que
les idées qu'elle acquiert , ne contracter
que les habitudes qu'elle contracte ; en
un mot il faut n'être que ce qu'elle eft.
Elle ne jugera des chofes comme nous ,
que quand elle aura tous nos fens & notre
expérience ; & nous ne jugerons comme
elle , que quand nous nous fuppoferons
privés de tout ce qui lui manque.
Ce font les expreffions de M. de Condillac,
à qui il a paru néceffaire de débuter par
cet avis , qui indique les moyens propres
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
à nous procurer l'intelligence de fon ou
vrage , autrement il avoue qu'on pourra
lui oppofer des difficultés fans nombre ::
en cas qu'elles ayent lieu , l'auteur nous
femble être en état d'en donner la folution
qu'on exigera de lui . Il a cru devoir commencer
par l'odorat , parce que c'eft de
tous les fens celui qui paroît contribuer le
moins aux connoiffances de l'efprit humain.
Les autres ont été fucceffivement
& comme par gradation , l'objet de fes recherches
, & après les avoir confidérées .
féparément , & enfemble , il a vû la ftatue
devenir un animal capable de veiller
à fa confervation.
?:
Le principe qui détermine le dévelop
pement de fes. facultés ,, eft Gmple. Les.
fenfations même le renferment ; car toutes
étant néceſſairement agréables ou defa
gréables , la ftatue eft intéreffée à jouir
des unes , & à fe fouftraire aux autres. Or
on fe convaincra que cet intérêt ſuffic
pour donner lieu aux opérations de l'entendement
& de la volonté. Le jugement
la réflexion , les defirs , les paffions , &c,
ne font que la fenfation même , qui fe
transforme différemment . Si l'on objecte
à M. de Condillac , que les bêtes ont des
fenfations , & que cependant leur ame n'eft
pas capable des mêmes facultés que celle
JANVIER. 1755. 127
de l'homme il répond que cela eft vrai ,
parce que l'organe du tact eft en elles moins
parfait, & par conféquent il ne sçauroit
être pour elles la caufe occafionnelle de
toutes les opérations qui fe remarquent en
nous . On dit la caufe occafionnelle , parce
que les fenfations font les modifications
propres de l'ame , & que les organes n'en
peuvent être que l'occafion. De là le Phi
lofophe doit conclure , conformément à ce
qui nous eft enfeigné par la foi , que l'a
me des bêtes eft d'un ordre effentiellement
différent de celle de l'homme . Car
ce feroit donner atteinte à la fageffe de
Dieu , que de croire qu'un efprit capable
de s'élever à des connoiffances de toute
efpece , de découvrir fes devoirs , de
mériter & de démériter , fût affujetti à
un corps qui n'occafionneroit en lui que
les facultés néceffaires à la confervation de
l'animal. L'auteur a donc jugé inutile de
fuppofer que l'ame tient immédiatement
de la nature toutes les facultés dont elle
eft douée. Les organes que nous recevons
de la nature fervent par le plaifir ou par
la douleur qu'ils communiquent , à nous
avertir de ce que nous devons rechercher ,
ou de ce que nous devons fuir. Mais elle
s'arrête là ; elle laiffe à l'expérience le foin
de nous faire contracter des habitudes , &
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
d'achever l'ouvrage qu'elle a commencé.
M. de Condillac fe flatte que cet objet eft
neuf, & penfe qu'il montre toute la fimplicité
des voyes de l'Auteur de la nature.
C'est une chofe digne , felon lui , d'admiration
, quand on réfléchir qu'il n'a fallu
que rendre l'homme fenfible au plaifir
& à la douleur , pour faire naître en lui
des idées , des defirs , des habitudes &
des talens de toute efpece. Il eft aifé de
fe repréfenter , par l'expofé de ce fyftême ,
les difficultés qu'il y a à furmonter pour
le développer dans toutes fes parties ; elles
n'ont pourtant point détourné l'auteur
d'en former l'entreprife . Comme nous ne
prétendons point fubftituer notre jugement
à celui du public , nous aimons mieux
nous repofer fur lui du foin de décider
fi M. de Condillac a parfaitement réuffi
dans l'exécution. Au refte il nous apprend
que ce Traité eft le réfultat des converfations
qu'il a eues avec feue Mlle . Ferrand ,
qui l'a éclairé de fes confeils fur les principes
, fur le plan , & fur les moindres détails
qui le compofent. Auffi l'auteur ne
borne-t- il pas fa reconnoiffance à prodi
guer fimplement les éloges dûs au mérite
de cette Demoifelle , que les qualités du
coeur & de l'efprit rendoient également eftimable
; il ſe fait encore un vrai plaifir de
JANVIER. 1755. 129
partager avec elle l'honneur de fon travail.
M. de Condillac , pour procéder avec
ordre dans l'examen métaphyfique des
fenfations divife le traité qui le concerne
en quatre parties. Il y fait voir
que le plaifir & la douleur qui en émanent,
font l'unique principe du développement
des facultés de l'ame , & de la variété
des opérations qui en dépendent , en l'appliquant
à chaque fens en particulier, dont
il analyfe les propriétés. Selon cette divifion
relative aux quatre points de vûe différens
, fous lefquels l'auteur confidere les
effets que ce développement produit , il
montre quels font les fens qui par euxmêmes
ne jugent pas des objets extérieurs ;
2 °. que le toucher eft le feul qui foit capable
d'en juger par lui -même ; 3 ° . comment le
toucher apprend aux autres fens à juger des
objets extérieurs. 4° . Il vient à l'obfervation
des befoins , de l'induſtrie , & des idées d'un
homme feul qui jouit de tous fes fens . Le but
général de cet ouvrage eft de ramener l'origine
des connoiffances humaines aux impreffions
primitives que les fens reçoivent
de la contemplation des objets extérieurs.
Il réfulté de là , qu'à l'égard de la génération
des idées , M. de Condillac ne penfe
pas autrement que M. Locke , qui a com-
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
battu avec tant de fuccès celles que les
Philofophes défignent fous le nom d'idées
innées. En effet , il eft bien difficile de ne
fe pas rendre aux raifons fenfibles que ce
célébre métaphyficien Anglois a apportées:
pour nous convaincre de l'impoffibilité où
ces idées font d'exifter originairement dans :
l'ame ce font des preuves qui égalent ,
pour ainfi dire , l'évidence des démonftrations
mathématiques . Au refte , s'il y a
quelque chofe qu'on puiffe defirer pour la
perfection de ce Traité des fenfations , ce ſeroit
quelquefois une plus grande précifion
dans des détails , fur lefquels il paroît que
Fauteur arrête trop long- tems fes lecteurs ;
mais après tout , cela ne doit pas être re
gardé comme un défaut dans une matiere:
fort abftraite par elle-même . M. de Condillac
a fenti de quelle importance il étoit
de fe faire bien entendre , afin qu'on entrâ
dans fes vûes en développant la connexion
de fes idées avec toute la clarté
dont les fujets métaphyfiques peuvent être
fufceptibles. Il mérite même un éloge , en
ce qu'il ne prend pas pour propofer fes
fentimens , ce ton de confiance & d'autorité
qui peut impofer d'abord , mais qui
ne fçauroit jamais perfuader quand il
n'eft pas foutenu de raifons convaincan¬
tes il y auroit de l'injustice à le placer
JANVIER. 1755. 131
dans la claffe de ces auteurs qui , prévenus
en faveur de leurs opinions , veulent
les faire recevoir à toute force , comme
des regles fixes & certaines , qui font feules
capables de nous diriger dans le chemin
de la vérité : il fçait trop que les raiſonne
mens métaphyfiques n'emportent pas toujours
avec eux tous les dégrés poffibles de
certitude ; conféquemment la prudence
exige de les ranger , pour la plupart , dans
l'ordre des conjectures & des probabilités.
C'eft auffi le parti qu'a pris M. deCondillac .
Pour mettre à portée de juger fûrement
de la folidité de fon fyftême , il faudroit
le fuivre dans toutes les conféquences qui
Fétabliffent , expofer l'enchaînement des
parties qui le lient , & en combiner les
différens rapports : ce qui demanderoit un
extrait dont l'étendue fort des bornes que
preferit un fimple précis ; c'eft pourquoi
nous fommes dans l'obligation de renvoyer
à la lecture de l'ouvrage même. Les perfonnes
qui aiment à refléchir fur leur inaniere
d'être , y pourront trouver de quoi
s'inftruire. M. de Condillac a cru devoir
joindre au traité dont nous venons de parler
, une differtation fur la liberté ,, comme
étant une fuite de la matiere qu'il a
difcutée . En effet , il ne pouvoit confidérer
les actions de la ftatue en queſtion :
Evj
132 MERCURE DE FRANCE..
fans remonter à leur principe , qui conduit
néceffairement à fçavoir comment elle
délibere & fe détermine dans le choix de
fes defirs. Il réfulte de là un examen ; 1 °. du
pouvoir qui conftitue la liberté , 2º . des
connoiffances que fuppofe l'exercice de ce
pouvoir , 3 ° . de celles qui font faire le
meilleur ufage de la liberté , enfin de la
dépendance qui ne lui eft pas contraire , &
par conféquent il s'agit de définir en quoi
cette liberté confifte ; ce font autant de
points qui fixent les recherches de M. de
Condillac. Il termine fon livre par une réponfe
où il fe juftifie d'un reproche qu'on
lui a fait fur ce que le projet exécuté dans
le Traité des fenfations , n'a pas le mérite
de la nouveauté , puifqu'il a déja été propofé
dans la lettre fur les fourds & les
muets , imprimée en 1751. Il convient que
l'Auteur de cette lettre propofe de décompofer
un homme ; mais il nous apprend
que cette idée lui avoit été communiquée
long- tems auparavant par Mile Ferrand . Il
ajoûte que plufieurs perfonnes fçavoient
même que c'étoit là l'objet d'un traité auquel
il travailloit ; & il infinue que l'Auteur
de la lettre fur les fourds & les muets
ne l'ignoroit pas. Cependant il avoue que
eet Auteur a pu regarder comme à lui cette
idée , à laquelle fes propres réflexions
JANVIER. 1755. 133
fuffifoient pour le conduire. Il paroît beaucoup
moins difficile à M. de Condillac
d'expliquer cette rencontre , que de dire
pourquoi ce fujet n'a pas été traité plutôt ;
il femble que la décompofition de l'homme
auroit dû s'offrir naturellement à l'efprit
de tous les Métaphyficiens. Quoiqu'il
en foit , on reconnoît que l'auteur de cette
lettre eft trop riche de fes propres idées ,
pour être foupçonné d'avoir befoin de celles
des autres ; on donne à cette occafion
des louanges à la beauté de fon génie . Enfin
M. de Condillac confent à fe déclarer
plagiaire , fi c'eſt l'être que de s'approprier
des idées dont on lui a abandonné l'ufage.
Au refte il fait remarquer que s'il a eu
à peu-près pour le fonds de fon travail le
même objet que l'Ecrivain célebre dont il
parle , il ne s'eft pas rencontré avec lui dans
la façon de le traiter & dans les obfervations
qui y tiennent. C'eft pour faciliter au
Lecteur les voies de la comparaifon , qu'il
a cru à propos de tranfcrire tout ce que
dit à ce fujet l'Auteur de la Lettre fur les
fourds & les muets.
PRINCIPES DISCUTÉS pour faciliter
l'intelligence des livres prophétiques ,
& fpécialement des pfeaumes , relativement
à la langue originale ; fuivis de plu134
MERCURE DE FRANCE.
feurs differtations fur les Lettres II , III ,
IV & V de M. l'Abbé de Villefroi , dans
lefquelles il eft traité de la conduite à
l'égard de fon Eglife depuis le commencement
du monde. A Paris , chez Simon ,
Imprimeur du Parlement , rue de la Har
pe , à l'Hercule ; & Cl . Hériffant , Librai
re-Imprimeur , rue neuve Notre Dame ;
1755 , quatre gros volumes in- 12 .
On trouvera dans le cours de cet ouvrage
, où l'on a déployé une érudition con
venable au fujet , des vûes nouvelles , dont
quelques- unes pourront paroître fingulie
res pour l'explication des livres prophéti
ques , & particulierement des pleaumes .
Si l'on ne demeure pas toujours d'accord
de la folidité des principes qu'on effaye
d'établir pour en développer le véritable
fens , on avouera du moins qu'il y a quel
ques interprétations qu'on a fçu préfenter
fous un afpect favorable .
DICTIONNAIRE DES POSTES , contenant
le nom de toutes les villes , bourgs , par
roiffes , abbayes , & principaux châteaux
du Royaume de France & du Duché de-
Lorraine , les provinces où ils font fitués ,
& le nom du plus prochain bureau des
poftes où les lettres doivent être adreffées
pour chacun defdits endroits , les villes de
JANVIER. 1755. T3S
FEurope , les Etats où elles font fituées ,
& la diſtinction de celles pour lesquelles
il est néceffaire d'affranchir , différentes
obfervations utiles à tous ceux qui font en
commerce de lettres. Livre utile & nécef,
faire à toutes perfonnes , pour adreffer avec
fûreté leurs lettres , & éviter la perte ou le
retard ,, que le défaut de bonne adreffe
peut leur occafionner , 1. vol . in -4° . Par
M. Guyot , Employé au bureau des Poſtes
à Paris. A Paris , chez la veuve Delatour ,.
Imprimeur des Poftes.
La compagnie des Poftes a toujours vu
avec peine que le public n'eft que trop
dans l'ufage de rejetter für elle ou fur fes
Directeurs le défaut de remife des lettres à
leur deftination , quoique ce défaut vienne
prefque toujours du vice de l'adreffe qui
eft fauffe ; la quantité immenfe de rebuts
qu'on renvoyoit à Paris de tout le royaume
en étoit une preuve. >
La maniere dont la partie des rebuts
avoit été gérée jufqu'en 1748 , avoit été
en partie la caufe de ces deux inconvé
niens ; en effet , une lettre mal adreffée ,
après avoir féjourné pendant quatre mois
dans un bureau , étoit renvoyée à Paris ,
d'où l'on tentoit ordinairement de la faire:
paffer en d'autres bureaux , elle en revenoit
fans fuccès ; & après avoir fait inuti136
MERCURE DE FRANCE .
lement un circuit immenfe , on la gardoir
à Paris , fans que le public eût connoiſſance
des foins qu'on s'étoit donné pour faire
enforte de la faire parvenir à fa vraie deftination
, & fans qu'il fe doutât que c'étoit
prefque toujours à lui feul qu'il devoit
attribuer le défaut de remife de fa lettre
parce que l'adreffe en étoit vicieuſe.
D'un autre côté , lorfqu'il reclamoit un
paquet perdu , on ne pouvoit en faire la
recherche que dans les rebuts du bureau
où il auroit dû être adreffé , & c'étoit précifément
là où il ne fe trouvoit pas dès que
l'adreffe n'en étoit pas jufte ; & comme il
n'étoit pas poffible de fouiller fans une perte
de tems confidérable & fans un grand
nombre de Commis , dans la prodigieufe
quantité de rebuts , on étoit forcé d'en
abandonner la recherche.
Pour y remédier , on ordonna aux Directeurs
des poftes de tout le royaume de
Tenvoyer à Paris tous les mois les lettres
qu'ils n'auroient pu diftribuer. Il fut établi
un nouveau bureau pour faire un triage
général de ces lettres , & les renvoyer
dans les lieux d'où elles étoient parties.
MM. les Adminiftrateurs Généraux des
poftes ont vû avec fatisfaction que les auteurs
des lettres , à portée par ce moyen de
réclamer celles qu'ils avoient intérêt de
JANVIER. 1755. 137
retirer , en ont repété une quantité aflez
confidérable ; & que lorfqu'ils avoient négligé
pendant un tems de le faire , on étoit
en état à Paris d'en faire aifément la recherche
, parce qu'on les avoit rangées fous
le nom des bureaux d'où elles étoient par
ties & timbrées.
Cet arrangement a remédié à la vérité à
la perte des lettres ; mais il reftoit encore
un vice à déraciner ( s'il étoit poffible d'y
parvenir ) , c'eft le retardement de l'arrivée
d'une lettre à fa deftination , lorfque
par
le défaut d'indication de la route , ou
pour mieux dire du bureau de poftes par
lequel elle doit être envoyée , les Commis
des poftes ne fçavent dans quel paquet ils
la doivent mettre , fur- tout lorfqu'il y a
plufieurs lieux du même nom dans le
royaume , ce qui par malheur n'eft que
trop ordinaire ; en effet , ce défaut d'indication
les force à fe déterminer au hazard ;
& comment peuvent- ils fçavoir , par exemple
, fi une lettre adreffée fimplement à
Aire , eft pour Aire en Artois , ou pour Aire
en Gascogne , qui reçoit ces lettres par le
Mont de Marfan ?
Un Dictionnaire général , non feulement
de la France , mais encore des villes
de l'étranger , à chaque article duquel on
défignât la province , & le bureau de pof38
MERCURE DE FRANCE.
tes par où les lettres doivent être adreffées ,
a paru à l'Auteur le feul moyen propre à
mettre le public en état d'éviter ces retards ,
& même de prévenir la perte de ces lettres
; la partie des rebuts dont il eft chargé
, l'a mis à portée de connoître cet inconvénient
, & fon zele lui a infpiré le
projet de former le Dictionnaire qu'il préfente
au public.
Il indique même dans ce Dictionnaire
les villes pour lesquelles on doit néceffairement
affranchir , parce que par le défaut
d'affranchiffement les lettres destinées pour
ces villes ne partent point pour leur deſtination.
Le prix de ce Dictionnaire broché eſt
de 8 livres , & relié 10 livres. Dans les
provinces on remettra le montant des exemplaires
à MM. les Directeurs des poftes ,
qui voudront bien le faire paffer à l'auteur,
qui en enverra auffi - tôt lefdits exemplaires
francs de port ; MM . les Adminiftrateurs.
généraux des poftes ayant bien voulu , accorder
cette fatisfaction au public , en confidération
de ce que cet ouvrage leur a
paru très propre à remplir l'objet que l'au
teur s'eft propofé .
JOSEPH BAR BOU , Libraire - Imprimeur
à Paris , rue S. Jacques , aux Cico
JANVIER 1755. 139
gnes , annonce que le premier tome du Recueil
périodique de Médecine , de Chirur
gie & de Pharmacie , qui a commencé au
mois de Juillet dernier , fe trouve complet
par le recueil du mois de Décembre , qu'il
vient de mettre en vente ; il continuera à
en donner un nouveau tous les mois : il
invite les perfonnes qui ont des pieces fur
ces matieres , de vouloir bien les lui communiquer.
ALMANACH JEUNE , ou Calendrier
pour l'année 1755 ; fe vend chez le même
Libraire.
ge
ETRENNES HISTORIQUES à l'ufade
la Breffe , dans lesquelles on trouve
les événemens remarquables de l'hiſtoire
de cette province , fes ufages , fes productions
, fon gouvernement , fon étendue , &
une table du lever & du coucher du foleil ,
calculée pour la latitude de Bourg , 46 deg.
12 min. 31 fec. pour Pannée 1755, chez
Jombert.
ALMANACH HISTORIQUE DE TOURAINE
pour l'année 1755 , imprimé pour
cette province. A Tours , chez François
Lambert , Imprimeur du Roi , grande rue ,
près le College..
On mettra bientôt toutes les Sciences &
140 MERCURE DE FRANCE .
tous les Arts en Almanachs ou en Dictionnaires
pour la commodité du plus grand
nombre , qui veut avoir l'air inftruit à peu
de frais , promptement & fans étude ; par
ce moyen , chacun en lifant deux ou trois
articles le matin , aura fa provifion d'eſprit
ou d'érudition pour la journée.
LA FOLIE ET L'AMOUR , Comẻ-
die en un acte & en vers , repréſentée pour
la premiere fois par les Comédiens François
ordinaires du Roi , le 2 Octobre 1754-
Le prix eft de 24 fols . A Paris , chez Duchefne
, Libraire , rue S. Jacques , au Temple
du Goût.
L'honneur que M. Yon m'a fait de me
dédier cet ouvrage , m'ôte la liberté d'en
donner un extrait . Les éloges que ie crois
qu'il mérite , malgré fon peu de fuccès ,
paroîtroient fufpects de ma part. Je me
borne à mettre ici la fin de fa préface , qui
fervira de précis .
Tout le monde connoît la fable ingénieufe
de La Fontaine , qui a fourni le fujet
de cette petite piece. L'Auteur a imaginé
qu'étant mife en action elle pourroit préfenter
une image affez riante ; mais il falloit
fauver aux yeux du Spectateur l'aveuglement
réel de l'amour caufé par un emportement
de la folie ; c'eft ce qui a été
JANVIER. 1755. 141
exécuté le plus adroitement qu'il a été poffible
à l'Auteur. La fuppofition d'une conjuration
tramée par la Folie , & concertée
entre l'Amour , Momus & Jupiter même ,
contre les moeurs aufteres de l'Olympe ,
eft le moyen qui amene l'aveuglement
feint de l'Amour ; & l'Oracle qui ordonne
que la Folie lui fervira de guide , & fera
fon époufe , eft l'époque qui met fin à
l'âge d'or. Voilà en peu de mots le programme
de cette petite Comédie. Que
l'homme d'efprit daigne la lire , & qu'il
prononce.
Je vais joindre à ce précis l'approbation
de M. de Crebillon , mon confrere. Son
fuffrage eft le plus grand éloge qu'on
puiffe faire de la piece , & la meilleure
apologie que je puiffe donner de mon fentiment.
39
J'ai lu , par l'ordre de Mgr le Chance-
» lier , une Comédie , qui a pour titre la
» Folie & l'Amour. Cette piece , que plu-
»fieurs connoiffeurs avoient jugée digne
du fort le plus brillant , regagnera fans
» doute à la lecture les fuffrages qu'elle
» auroit dû trouver au théatre , & je crois
» que l'on peut en permettre l'impreffion.
» Če 19 Octobre , 1754. Crebillon.
Ce
و ر
Le peu de place qui refte à ce volume ,
142 MERCURE DE FRANCE.
m'oblige à remettre en Février Pextrait des
Mémoires de Benavidès , annoncés en Décembre
avec éloge par M. l'Abbé Raynal.
fera le premier de ceux que je fuis dans
la néceffité de retarder.
SEANCE PUBLIQUE
DE L'ACADÉmie françoise.
R. Dalembert
été élû par l'AMcadémie
Françoife à la place M. l'Evêque
de Vence , y prit féance le 19 Décembre.
L'applaudiffement unanime d'une
affemblée nombreufe , confirma le choix
de cette Compagnie , & le Difcours que
M. Dalembert prononça auroit fuffi pour
le juftifier. Il eft plein de cette éloquence
des chofes qui caractériſe le vrai Philofophe
, ou l'homme qui penfe , & qui fait
feul le grand écrivain . Ceux qui ne connoiffent
pas ce Difcours , pourront juger
de fa beauté par les endroits que j'en vais
citer. C'eft ainfi qu'il parle de l'éloquence
& du génie , dont il eft lui-même inſpiré.
» L'éloquence eft le talent de faire paffer
rapidement , & d'imprimer avec for-
» ce dans l'ame des autres , le fentiment"
profond dont on eft pénétré ; ce talent
précieux a fon germe dans une fenfibiJANVIER
1755. 143
>>
3
99
lité rare pour le grand , l'honnête & le
vrai ; la même agitation de l'ame , capable
d'exciter en nous une émotion vi-
» ve , fuffit pour en faire fortir l'image au
dehors. Il n'y a donc point d'art pour
l'éloquence ; il n'y en a point pour fentir.
Ce n'eft point à produire des beautés
, c'eft à faire éviter les fautes , que
les grands maîtres ont deftiné les régles.
La nature forme les hommes de
génie , comme elle forme au fein de la
» terre les métaux précieux , brutes , informes
, pleins d'alliage & de matieres
étrangeres . L'art ne fait pour le génie
que ce qu'il fait pour ces métaux ; il
n'ajoute rien à la fubftance , il les dé-
" gage de ce qu'ils ont d'étranger , & dé-
» couvre l'ouvrage de la nature .
"
""
n
» Suivant ces principes , qui font les vôtres
, Meffieurs , il n'y a de vraiment
éloquent que ce qui conferve ce ca-
» ractère en paffant d'une langue dans
» une autre ; le fublime fe traduit tou-
» jours , prefque jamais le ftyle. Pourquoi
les Ciceron & les Démofthene intéreſ-
» fent- ils celui même qui les lit dans une
autre langue que la leur , quoique trop
» fouvent dénaturés & travestis ? Le génie
» de ces grands hommes y refpire encore ;
» & , fi l'on peut parler ainfi , l'empreinte
de leur ame y refte attachée.
144 MERCURE DE FRANCE.
L'exemple prouve cette vérité . Cor .
neille perd moins à être traduit que Racine.
M. Dalembert donne à M. l'Evêque de
Vence un beau trait de louange , qui réjaillit
fur toute la littérature. » IÎ fur ,
22
و د
ود
"
dit-il , fur-tout bien éloigné de ce zéle
» aveugle & barbare , qui cherche l'impiété
où elle n'eft pas , & qui moins ami
» de la Religion qu'ennemi des Sciences
» & des Lettres , outrage & noircit des
» hommes irréprochables dans leur con-
» duite & dans leurs écrits. Où pourrai-
» je , Meffieurs , réclamer avec plus de
»force & de fuccès contre cette injuftice
cruelle , qu'au milieu d'une Compagnie
» qui renferme ce que la Religion a de
plus refpectable , l'Etat de plus grand ,
» les Lettres de plus célébre ? La Reli-
» gion doit aux Lettres & à la Philofophie
l'affermiffement de fes principes ,
» les Souverains l'affermiffement de leurs
droits , combattus & violés dans des fié-
» cles d'ignorance ; les peuples cette lumiere
générale qui rend l'autorité plus
» douce , & l'obéiffance plus fidéle.
""
M. Greffet , Directeur de l'Académie ,
dans fa réponſe , met le comble à l'éloge
de ce vertueux Prélat , en s'exprimant ainfi.
» La gloire, qu'il ne cherchoit pas , vint
» le
JANVIER. 1755 . 145
">
le trouver dans fa folitude , & l'illuftrer
fans changer fes moeurs . Arrivé à
l'Epifcopat fans brigues , fans baffeffes
»& fans hypocrifie , il y vécut fans fafte ,
» fans hauteur & fans négligence.... Dé-
» voué tout entier à l'inftruction des peuples
confiés à fon zéle , il leur confacra
» tous fes talens , tous fes foins , tous fes
» jours. Paſteur d'autant plus cher à fon
troupeau , que ne le quittant pas il en
» étoit plus connu . Louange rarement
» donnée , & bien digne d'être remarquée
» dans vingt ans d'Epifcopat..
Enfin plein d'années , de vertus & de
gloire , il eft mort pleuré des fiens , com-
» me un pere tendre , honoré & chéri ,
expire au milieu des gémiffemens d'une
» famille éplorée , dont il emporte l'eftime
, la reconnoiffance & les regrets.
»
Les Académies de province m'excuseront
fi je ne mets ce mois- ci aucun de leurs extraits
; ils m'ont été remis trop tard. Mon volume
étoit rempli , je n'en puis faire uſage que
pour le mois prochain .
G
146 MERCURE DE FRANCE.
TRAITÉ DE L'ART DU CHANT , par M.
Berard , premier ouvrage qu'on ait fait
dans ce genre , & que l'auteur promet de
donner dans le courant de ce mois.
OBSERVATIONS SUR L'HISTOIRE NATURELLE
, fur la Phyfique , & fur la Peinture,
avec des planches imprimées en couleur,
Cet ouvrage renferme les fecrets des Arts,
les nouvelles découvertes & les difputes
des Philofophes & des Artiftes modernes.
A Paris , chez De Laguette , rue S. Jaques,
à l'Olivier , par M. Gautier , Penfionnaire
du Roi. Les planches colorées dont il eft
orné fe diftribuent féparément chez l'Au
teur , rue de la Harpe, Il propofe une foufcription
pour la feconde édition des quarante-
fix planches anatomiques, & de leurs
tables explicatives.
ॐ
JANVIER. 1755. -147
ARTICLE TROISIEME.
SCIENCES ET BELLES LETTRES.
HISTOIRE.
Obfervations du P. LAUGIER , Jefuite , fur
la nouvelle Hiftoire de la conquête de la
Chine.
N lifant la nouvelle Hiftoire de la
EN conquête de la Chine , j'ai été furpris
d'y trouver fi peu de conformité avec ce
que nous en lifons dans les faftes de la
monarchie chinoife , par le P. Duhalde.
Ce dernier auteur , fort exact dans fes recherches
, paroît n'avoir rien omis de ce
qui peut garantir la certitude de fes récits.
Quoiqu'il ne nous donne qu'une hiftoire
abrégée , les principaux événemens y
font très nettement expofés , & enchaînés
d'une maniere très naturelle. L'idée qu'il
nous donne de la derniere révolution qui
a foumis la Chine à un Prince Tartare ,
eft fenfiblement dénaturée dans le tableau
que nous en trace la nouvelle Hiftoire.
En confrontant les deux ouvrages , j'ai reconnu
des différences effentielles , qui me
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
font craindre que le manufcrit des Jéfuites
de Lyon ne foit pas auffi précieux
qu'on nous l'annonce ; différences dont il
importe que le public foit averti , & fur
lefquelles l'éditeur de la nouvelle Hiftoire
auroit dû nous donner des éclairciffemens
capables de prévenir l'impreffion que ce
contrafte doit faire fur les lecteurs attentifs.
Selon le P. de Mailla , auteur du manufcrit
de Lyon , les Tartares Mancheoux ,
au commencement du dernier fiécle , étoient
vaffaux de l'Empire Chinois. On les regardoit
comme une nation paifible , pen
difpofée à fe réunit fous un chef peu redoutable
à ceux qui voudroient l'opprimer.
Ils avoient obtenu depuis peu , par
grace fpéciale de la Cour de Pekin , d'étendre
leurs habitations dans le Leaotong,
province la plus feptentrionale de la Chine,
au- delà de la grande muraille. Quelques
Mandarins , ennemis des Mancheoux ,
voulurent reprendre le terrein qui leur
avoit été cédé ; & comme ils trouverent
de la réfiftance , ils réfolurent d'en venir
à la force ouverte. Les Tartares murmurerent
hautement de cette injuftice . Pour
prévenir les fuites de leur mécontentement
, les Mandarins prirent le parti extrême
de détruire violemment toutes les
JANVIER. 1755 149
habitations des Mancheoux dans le Leaotong,
& d'en tranfporter ailleurs toutes
les familles. Ceux - ci trop foibles pour foutenir
leur droit , cederent triftement à
l'orage , attendant qu'un tems plus calme
leur fournît les moyens de demander ou
de fe faire juftice. Dès qu'ils apperçurent
qu'on n'avoit plus la même vigilance pour
les écarter , ils effayerent de rentrer furtivement
dans le Leaotong ; ils y formerent
de nouvelles habitations. Mais lorsqu'ils
s'y croyoient à l'abri de toute infulte , les
Mandarins firent marcher contre eux des
troupes , & les chafferent avec encore plus
d'inhumanité que la premiere fois. Alors
les Mancheoux , defefpérés d'un traitement
fi dur , conçurent le hardi deffein de s'affranchir
de la tyrannie des Chinois. Ils
élurent un Roi ; ils prirent les armes , &
commencerent une guerre qui en moins
de trente ans les rendit maîtres de toute la
Chine.
Telle eft , felon le P. de Mailla , la foible
étincelle qui a allumé ce grand incendie.
Un effet fi extraordinaire , attribué
à une fi légere caufe , augmente le merveilleux
de la narration ; mais la vraifemblance
exige des couleurs plus naturelles.
Quel que foit l'empire du defefpoir , pour
porter des efclaves à brifer leurs chaînes ,
G iij
150 MERCURE DE FRANCE .
eft-il à préfumer que ce principe feul ait
donné aux Mancheoux , dans leur extrême
foibleffe , une activité affez prompte &
affez dominante pour abforber en fi peu
de tems toutes les forces d'un Etat tel que
celui de la Chine ? Les hiftoires anciennes
& modernes ne nous apprennent rien qui
puiffe accréditer la réalité d'un pareil foulevement
opéré par des agens fi communs
, dans un degré de fermentation fi
ordinaire .
Je conviens cependant que la choſe
n'eft pas phyñquement impoffible , & que
fi l'on s'en tenoit toujours féverement à
la vraisemblance , on feroit en danger de
rejetter plus d'une vérité.. Mais dès que
je vois la chofe racontée très différemment
par un autre auteur , je ne fçaurois
foufcrire aveuglément à un témoignage
qui , quoique poftérieur , n'a certainement
rien qui doive lui faire adjuger la préférence
.
-
Or voici ce qui réſulte des Faſtes du P.
Duhalde. Les Tartares , qui occupent un
vafte pays au nord de la Chine , ont été
divifés de toute ancienneté en Tartares
orientaux, qui habitent entre la Chine & la
Corée , & en Tartares occidentaux , qui
habitent entre la Chine & le Thiber. Ces
peuples , continuellement en guerre avec
JANVIER . 1755. 151
les Chinois , ont été de tous leurs voifins
les plus incommodes. Des moeurs fauvages
, une vie errante dans les forêts , un
penchant décidé vers la rapine , une force
de corps capable de réfifter aux fatigues
les plus infupportables , de l'ardeur pour
tenter la fortune des combats , firent toujours
le caractère de cette nation barbare.
il ne lui a jamais manqué que les avantages
de l'union & de la difcipline , pour
jouer en Afie le même rôle qu'ont joué
dans l'Europe les peuples du Nord. Dès
les premiers tems de la monarchie chinoife
, nous voyons ces Tartares infeſter
de leurs ravages les provinces de l'Empire.
Tout fe réduifoit alors de leur part à faire
des courfes rapides & paffageres , à piller
tout ce qui pouvoit intéreffer leur cupidité
, & à retourner dans leur pays char
gés de butin. Soumis à différens chefs ,
cette defunion les empêchoit de donner
aux Chinois d'autre inquiétude que celle
que donnent à une armée les partis ennemis
qui la harcelent fans pouvoir l'entamer.
- Leurs excurfions pourtant devinrent fi
incommodes , que dans le deffein d'oppofer
une digue à ces torrens tumultueux ,
l'Empereut Hin Chi , plus de deux cens ans
avant l'ere chrétienne , fit conftruite cette
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
fameufe muraille continuée de l'eſt à
l'oueft le long des trois grandes provinces
, fortifiée par un grand nombre de places
militaires , dont la difpendieufe conftruction
& la confervation prodigieuſe
caractérisent une puiffance qui n'eut jamais
d'égale dans l'univers , & prouvent
en même tems que contre la valeur il n'eft
point de barriere. Cette muraille rendit
moins fréquentes & plus difficiles les courfes
des Tartares ; elle n'y mit pas fin entierement.
Les Orientaux fur-tout , plus
alertes , ne manquerent jamais de profiter
des momens où l'éloignement des troupes
leur affuroit une forte d'impunité , pour
courir fur les terres des Chinois ; il fallut
donc fe réfoudre contre eux aux voyes
de terreur. On prit le parti de leur faire
payer cherement les incommodités que l'on
fouffroit de leur voifinage . Leurs pirateries
furent vengées plus d'une fois par le faccagement
de leur pays , où les armées chinoifes
vinrent à bout de pénétrer , & dont
elles fubjuguerent enfin une grande partie.
La haine de la fervitude , le malheur
d'être affujettis , firent comprendre aux
Tartares orientaux la néceffité de ſe réunir,
& d'oppofer des efforts unanimes à la force
fupérieure qui les opprimoit. Vers le milieu
du huitiéme fiécle ils entrerent préJANVIER.
1755. 153
cipitamment au nombre de deux cens mille
hommes fur les terres de l'Empire : tout
plia devant eux ; l'Empereur fut contraint
à prendre la fuite. Iis fe rendirent maîtres
de la capitale ; & contens d'emporter
avec eux un butin immenfe , ils fe retirerent
dans leur pays . Il eût fallu ne pas
mettre les Tartares dans le cas de faire ce
dangereux effai de leurs forces , ou da
moins il falloit deformais s'y prendre de
maniere à leur ôter l'envie d'y revenir .
Soit que la crainte rendit les Chinois circonfpects
vis- à- vis d'une nation qui devenoit
de jour en jour plus redoutable ; foit
que les troubles qui déchiroient l'intérieur
de l'Empire leur ôtaffent la liberté de don
ner certains foins aux affaires du dehors ,
ils n'oferent ou ils ne purent ufer des remedes
néceffaires à un fi grand mal .
Les Tartares profiterent de l'inaction
des Chinois pour reprendre fur eux toutes
les terres qu'ils leur avoient conquifes.
Le fuccès leur enfla le courage , & leur
infpira l'efprit de conquête qu'ils n'avoient
jamais connu Au commencement du dixiéme
fiécle , ils étoient déja fur le pied de
tenir la balance entre les divers concurrens
qui fe difputoient la couronne impériale,
Bientôt ils eurent la gloire de contraindre
un Empereur à leur céder plu-
G V
154 MERCURE DE FRANCE.
* fieurs villes , & à leur payer tribut . Ils
en prirent un autre prifonnier , & le retinrent
dans les fers. Ils poufferent leurs
courfes militaires jufques dans les provinces
du midi où ils n'avoient jamais pénétré.
Tous ces exploits ne leur avoient
procuré jufques-là que des avantages médiocres.
Cent ans après les Tartares , dans
une nouvelle expédition , après s'être rendus
maîtres de plufieurs provinces , furprirent
l'Empereur dans fa capitale , &
l'emmenerent prifonnier avec fes femmes.
Dès lors une partie de la Chine fut forcée
à fe foumettre à leur obéiffance : il fallut
leur demander la paix , & l'acheter par
le
partage de l'Empire , dont une moitié leur
fut cedée en toute propriété.
Ce triomphe ne fit que donner lieu de
leur part à de nouvelles prétentions : plus
on leur cédoit , plus ils devenoient entreprenans
; & la paix qu'on leur faifoit jurer,
n'étoit qu'un piége qu'ils deftinoient à endormir
la vigilance des Chinois, pour faire
à
coup
für de nouvelles irruptions fur leurs
terres .
Les Empereurs laffés des perfidies continuelles
des Tartares orientaux , eurent recours
à un expédient que le defefpoir confeille
quélquefois , & qui rarement a des
fuites avantageufes. Ils appellerent à leur
JANVIER . 1755. 155
fecours les Tartares occidentaux , efpérant
recouvrer par leur moyen la fupériorité
qu'ils avoient perdue. Ceux- ci ravis
de trouver une fi belle occafion de fe mettre
en mouvement , & d'avoir leur part
à une proye que jufques - là ils n'avoient
fait qu'envier , accepterent de grand coeur
les propofitions du Confeil impérial . Ils
armerent & poufferent la guerre fi vivement
, qu'en peu d'années la domination
des Tartares orientaux fut entierement
abolie à la Chine . Les affaires des Chinois
n'en devinrent pas
meilleures pour
cela : ces auxiliaires à qui ils étoient redevables
de la victoire , voulurent en recueillir
le fruit. Il fallut fe réfoudre à leur
ceder les mêmes provinces d'où ils avoient
chaffé les Tartares orientaux . Fiers d'un
fi grand avantage , ils ne purent s'en contenter
; ils entreprirent de conquérir la
Chine entiere , & ils en vinrent à bout.
Après l'avoir poffédée près d'un fiécle ,
ils la perdirent avec la même facilité qu'ils
l'avoient conquife . Forcés d'abandonner
toutes les terres de l'Empire , ils retournerent
dans leur pays , d'où ils faifoient de
tems en tems des efforts pour fe rétablir dans
leur conquête : mais ils furent toujours repouffés
avec des pertes fi confidérables
qu'ils en perdirent pour jamais l'efpérance
& le deffein . G vj
156 MERCURE DE FRANCE
A leur défaut , les Tartares orientau
qui n'étoient rien moins qu'affujettis , recommencerent
leurs courfes & leurs attaques.
Ils livrerent divers combats , & par
une fucceffion de victoires ils en font venus
jufqu'à fubjuguer toute la Chine , & à
y établir une dinaftie qui regne encore
aujourd'hui .
Ainfi , felon le P. Duhalde , la derniere
révolution qui a placé les Tartares fur le
thrône de la Chine , bien loin d'être l'effet
fortuit du foulevement précipité d'un
peuple obfcur & jufques - là inconnu , eſt
un événement préparé par l'ancienne inimitié
d'une nation voifine & turbulente
qui plus d'une fois avoit ébranlé la monarchie
chinoife , & qui pour l'envahir enfin
n'a eu befoin que du fort ordinaire des
armes. Ces Mancheoux que le P. de Mailla
veut nous rendre fi méprifables , font
en effet ces Tartares orientaux , qui depuis
tant de fiécles ennemis nés des Chinois
avoient été le fatal écueil de leur puiffance
, & qui après les avoir forcés de figner
avec eux divers traités humilians , menaçoient
inceffamment de devenir leurs maîtres
. Dans deux expofés fi contradictoires ,
la vraisemblance eft du moins pour le Pere
Duhalde. Nous difcuterons plus bas les
raifons qui rendent fon témoignage préférable
à tous égards.
JANVIER . 1755 157
:
par
les
Les principales circonftances de la révolution
ne font pas racontées moins différemment
par les deux auteurs. Le P. de Mailla
prétend que le premier chef élu
Mancheoux fe nommoit Taytfou , & voici
en peu de mots toute la fuite de fon hiftoire.
Tayfou ne voulut d'abord que procurer
la liberté à fon peuple , gémiffant
fous la tyrannie des Mandarins Chinois.Ses
fuccès inefperés lui firent concevoir des
projets plus vaftes . Il conquit plufieurs provinces
de la Chine. Sa mort interrompit
le cours de fes conquêtes . Son fils Taytfong
qui lui faccéda , fur plus heureux que
lui ; il vint à bout de fe faire proclamer
Empereur de la Chine. Il fe difpofoit à en
affiéger la capitale , lorfqu'il mourut_fans
laiffer de poftérité. Aucun de fes freres
n'ayant eu l'ambition de marcher fur fes
l'Empire des Mancheoux fe changea
en une espece de République , & ces
peuples ne fongerent qu'à jouir en paix de
leur indépendance .
traces ,
A peine avoient- ils ceffé d'inquiéter la
Cour de Pekin , qu'un rebelle nommé Lyſt-
Ching , trouve le moyen d'affembler un
million de foldats , force la ville impériale
, réduit l'Empereur à s'étrangler de defefpoir.
Le brave Oufan kouci qui commandoit
les troupes chinoifes fur la frontiere ,
158 MERCURE DE FRANCE.
J
apprenant le defordre arrivé à Pekin
appelle à fon fecours les Mancheoux
court à la pourfuite de l'ufurpateur , remporte
fur lui plufieurs victoires , l'oblige
à fuir lui quatrieme , dans un endroit inacceffible
, d'où la faim l'ayant fait fortir ,
il tomba entre les mains de quelques payfans
, qui le reconnurent , & lui trancherent
la tête.
Oufankouci voulut alors congédier les
Mancheoux , mais il n'en fut plus le maître.
Nechingonang , fils de Tayifou & frere
du feu Empereur Taytfong , entra victorieux
dans Pekin , & content de fe faire
déclarer Régent de l'Empire , il fit paffer la
couronne fur la tête d'un de fes neveux ,
âgé de fept ans , qui prit le nom de Tchangti.
Les Chinois lui oppoferent fucceffivement
une multitude de compétiteurs , dont
il eut le bonheur de triompher. Il mourut
à l'âge de vingt -quatre ans , laiffant la Chine
entiere foumife au fecond de fes fils , fi
connu depuis fous le nom de Chamg hi.
Voici l'ordre des chofes , felon le Pere
Duhalde. Dès la fin du feizieme fiècle , les
Tartares orientaux , partagés précédemment
en fept ordres où dinafties différentes
, étoient réunis fous l'obeiffance d'un
feul Prince , avec le titre de Roi . L'an
1616 , ils commencerent à s'établir fur les
JAN VIER. 1755, 119
terres de l'Empire , en s'emparant des villes
qui pouvoient être à leur bienséance.
Leur Roi nommé Tien ming , outre le motif
ordinaire d'ambition , avoit une injure
perfonnelle à venger. Les Mandarins Chinois
s'étoient faifis par trahifon du Roi fon
pere , & lui avoient fait trancher la tête. Il
commença par porter fes plaintes à l'Empereur
, demandant hautement fatisfaction
d'un attentat fi énorme . La Cour de Pekin
méprifa fon chagrin & fes menaces. Tien
ming furieux , jura qu'il immoleroit deux
cens mille Chinois aux manes de fon pere.
Il entra dans le Pet Cheli , à la tête de
cinquante mille hommes , & voulut affiéger
Pekin ; mais ayant été répouflé par
les troupes chinoifes , il fe retira dans le
Leaotong, & prit fans héfiter la qualité
d'Empereur de la Chine. Deux ans après
il gagna une grande bataille contre les
Chinois. L'année fuivante , les ayant en
core vaincus , il fe rapprocha de la capitale
, dont il ne put fe rendre maître. Une
diverfion l'ayant obligé de conduire fon
armée en Tartarie , on profita de fon éloignement
pour raffembler grand nombre
de troupes nationales & auxiliaires ; on fit
venir de Macao des Portugais propres à
fervir artillerie dont les Chinois avoient
peu d'ufage. On marcha en force dans le
•
160 MMEERRCCUURE DE FRANCE.
Leaotong, d'où l'on chaffa les Tartares. Tien
ming qui venoit de terminer heureufement
fon expédition en Tartarie , courut auffitôt
dans le Leaotong , & en chaffa les Chinois
à fon tour. Il ne pouffa pas plus loin
fes conquêtes. Il mourut l'an 1628 , &
laiffa pour fucceffeur fon fils Tient -fong.
Ce Prince continua la guerre contre les
Chinois . Il mena , comme fon pere , une
armée aux portes de Pekin , & fut obligé ,
comme lui , d'en lever le fiége . Son regne
ne fut pas long ; il mourut l'an 1636 ,
laiffant pour fucceffeur fon fils Tongte.
Cependant l'Empire de la Chine étoit
agité par la révolte de divers féditieux
qui après avoir formé jufqu'à huit corps
d'armée , fe réunirent fous deux chefs
principaux , dont l'un fe nommoit Li &
l'autre Tchang. Ces deux rebelles s'étant
partagés les provinces qu'ils avoient deffein
de conquérir , fe féparerent , & commirent
chacun les plus grands defordres.
Li devint fi puiffant qu'il prit le nom d'Empereur
; il s'avança vers Pekin , il y entra
victorieux à la tête de trois cens mille
hommes. L'Empereur abandonné dans fon
Palais , fe pendit de defefpoir. Tout plioit
fous la puiffance de l'ufurpateur , lorfque
Oufanguoi , commandant les troupes Chinoifes
dans le Leaotong , ménagea la paix
}
JANVIER. 1755. 161
avec les Tartares orientaux ou Mancheoux ,
& les engagea à s'unir à lui pour courir à
la pourfuite des rebelles. Tfongté lui amena
quatre-vingt mille hommes. L'ufurpateur
ne les attendit pas ; il prit la fuite , &
courut fe cacher dans la province de Chenfi.
Thongté mourut en entrant dans la Chine.
Avant d'expirer il déclara Empereur ſon
fils Chunt-chi , qui n'avoit que fix ans , &
confia à fon frere Amaran le foin du Prince
& de l'Empire. Le jeune Empereur fut
reçu à Pekin avec acclamations du peuple ,
qui le regardoit comme le libérateur de la
patrie . On ne fçait point ce que devint
l'ufurpateur que les Tartares pourfuivirent
inutilement. Chunt chi , maître des provinces
feptentrionales , eut à lutter contre
divers compétiteurs qui lui difputoient le
terrein dans les provinces méridionales ;
mais il en triompha fucceffivement , &
finit par être maître de toute la Chine. Il
en laiffa la paifible poffeffion à fon fils
Canghi qui lui fuccéda .
Voilà de grands rapports & des différences
très - remarquables . On voit bien que
c'eft le même fond auquel on a adapté diverfes
circonftances ; il eft fenfible aux
traits de reflemblance qui éclatent dans
leur oppofition , qu'un des deux écrivains
a mal entendu & confondu les choſes. Il
162 MERCURE DE FRANCE.
eft queſtion de décider auquel des deux il
eft plus naturel de faire ce reproche.
Le P. de Mailla a pour lui le long ſéjour
qu'il a fait à Pekin , le foin qu'il a
pris , dit- on , de recueillir d'un grand
nombre de livres Chinois & Tartares ce
qui lui a paru de moins fufpect touchant
les deux dernieres dinafties , dont les annales
n'ont point encore été publiées autentiquement
. Il eft conftant que généra
lement parlant , on doit avoir beaucoup
d'égard pour le témoignage d'un auteur
qui s'eft trouvé à portée de connoître la
vérité par lui- même , qui a pû interroger
fur les lieux plufieurs de ceux qui ont vêcu
prefque da tems de la révolution ; cependant
cet avantage , tout confidérable qu'il
eft , n'a rien de décifif de la part d'un au
teur qui manque de difcernement & dé
critique. Le P. de Mailla fut un fervent
& zélé Miffionnaire . Eut- il toutes les qualités
réquifes pour extraire purement la
vérité d'un tas d'anecdotes hazardées fur
des bruits populaires ou dictées par la partialité
? Le peu de méthode & de précifion
qui regne dans fon manufcrit ne nous
invite gueres à le croire ; le jugement qu'il
eft naturel d'en porter le met au rang
ces efprits indulgens , qui par un excès de
bonne foi ne fçauroient avoir ai certains
de
JANVIER. 1755. 163
fcrupules fur la certitude de leurs garants ,
ni de grandes attentions dans les recherches
, ni beaucoup de délicateffe fur les
preuves.
Le P. Duhalde n'a point été à la Chine ;
mais il a été durant longues années le
correfpondant univerfel des Miffionnaires
Chinois , qui travailloient à l'envi à lui
envoyer des mémoires relatifs au deffein
qu'il avoit de faire connoître la Chine à
l'Europe. Ces mémoires recueillis avectou
tes fortes de foins par les plus accrédités
& les plus capables d'entr'eux , trouvoient
en lui un reviſeur appliqué qui fe donnoit
le tems d'en approfondir la matiere , un
critique judicieux qui ne vouloit rien établir
fur les frêles appuis de l'opinion & de
la conjecture. Il nous rend compte dans
fa préface de toutes les peines qu'il s'eft
donné pour fe procurer des inftructions
& des éclairciffemens propres à diriger fon
travail. Il a été vingt ans à douter , à difcuter
, à queftionner , à combiner , à apprécier
les réponſes avec l'attention d'un
homme dans qui l'amour du vrai eſt ſecondé
par un
par un efprit capable de le connoître.
En un mot , il y a tant de difproportion
entre le mérite de ces deux écrivains ,
qu'en leur fuppofant le même zéle & les
mêmes fecours , il feroit impoffible de leur
164 MERCURE DE FRANCE.
accorder la même confiance , & que le
P. Duhalde , en concurrence avec le P. de
Mailla , doit néceffairement être préféré.
De toutes ces obfervations il réfulte
du moins un doute bien fondé contre l'exactitude
de l'hiftoire manufcrite qu'on
vient d'imprimer à Lyon . Je la foupçonne
de renfermer bien des anecdotes fauffes
& d'avoir été faite avec plus de droiture
que de capacité . Nous ne fçaurons bien
furement ce qu'il en faut croire que lorfqu'on
publiera les annales de l'Empire
dans lesquelles il eft impoffible que les
principaux événemens fe trouvent altérés .
Nous n'en avons au refte pas moins d'cbligation
à l'éditeur d'un ouvrage qui , tout
défectueux qu'il eft , peut avoir fon utilité
ne fut- ce qu'en nous jettant dans une incertitude
qui nous excitera à approfondir
un point d'hiftoire fi confidérable , qui n'avoit
été touché jufqu'ici que fuperficiellement.
JANVIE R. 1755. 165
GRAMMAIRE.
REMARQUES de M....... de la
Société littéraire d'Arras , fur quelques
points de prononciation & d'ortographe.
Left furprenant que lorfqu'on a publié
de nouveau dans les Opufcules fur la
langue Françoife , les Effais de grammaire
de feu M. l'Abbé de Dangeau , on air
obmis de rectifier , par quelques notes ,
plufieurs endroits de cet ouvrage eſtimable
, dans lesquels on ne trouve pas toute
l'exactitude poffible . Je vais tâcher d'y fuppléer
, du moins par rapport aux articles
qui regardent la prononciation .
L'Abbé de Dangeau enfeigne ( pages 10
& 12 des Opufcules ) qu'outre le fon qui
répond à la lettre o , nous avons un fon
plus fourd repréfenté par la fauffe diphtongue
au. Suivant la maniere dont cette diftinction
eft annoncée , il femble que le fon
• , quand il eft clair , foit toujours exprimé
paro ; & que ce ſon , lorsqu'il est fourd ,
foit toujours rendu par an. Quoique cela
arrive ordinairement , il y a bien des exemples
du contraire : au eft clair & bref dans
chapeau , autorité , &c. & a eft fourd &
long dans globe , foffe , tome , &c,
166 MERCURE DE FRANCE.
Page 13. Selon l'Abbé de D. les mots
berger & leger font une rime normande .
Il est vrai que de fon tems on prononçoit
la feconde fyllabe de léger avec un e ouvert
; mais à préfent la plupart font cet e
fermé , & léger rime très -bien avec berger.
Pages 13 , 38 & autres , l'Auteur , en
difant que le fon de la voyelle finale eft .
une ouvert dans exprès & amer , dans j'irois
& il alloit , ne fait point affez connoître
la différence qu'il y a entre l'e fimplement
ouvert & l'e très - ouvert .
Page 15. Notre e muet , dit l'Abbé de
D. ne fe trouve ni dans le Latin , ni
dans l'Efpagnol , ni dans l'Italien « . Le
fon dont il s'agit n'eft pas exprimé dans
l'ortographe de ces langues : il n'y eft marqué
par aucun caractere ; mais il n'y exiſte
pas moins dans la prononciation , car on
ne fçauroit prononcer une confonne finale
fans faire entendre à fa fuite un fon obfeur
& fourd , qui eft celui de l'e muet ou
féminin : tel & telle fe prononcent à peu
près de même .
Page 17. En traitant de nos voyelles
nazales an , en , in , on , un , l'auteur avance
qu'on pourroit les appeller esclavones , pare
ce que les peuples qui parlent cette langue
ont des caracteres particuliers pour les exprimer.
M. l'Abbé Antonini convient ,
JANVIER. 1755. 167
dans fa Grammaire Françoife , que ces peu,
ples mettent quelquefois une efpéce de
cédille au-deffous de l'e , pour marquer la
fuppreffion de l'n fuivante ; mais il penfe
que cette cédille ne fert pas plus à defigner
un fon nazal que le tiret dont nous fai
fions autrefois ufage pour indiquer auffi le
retranchement de l'n ou de l'm . Le moyen
d'éclaircir la question eft de voir fi la cédille
de la langue esclavone s'employe ou
ne s'employe pas quand l'n dont elle tient
lieu fait fa fonction de confonne , comme
dans les mots françois venez , finiffez , où
cette lettre ne marque point la nazalité du
fon qui la précéde. >
Page 21. L'Abbé de D. dit que pour
éviter le bâillement qui fe trouye entre les
deux derniers mots de ce vers de Quinault
,
Ah! j'attendrai long- tems ; la nuit eft loin encore.
les Muficiens ont recours à différens expédiens
dont l'un eft de mettre un petit g
après loin , & de prononcer la nuit eft loing
encore. Je ne fçai fi cette prononciation
pouvoit être fupportable il y a cinquante
ans , mais elle feroit aujourd'hui bien ridicule
,
Page 35. L'Auteur prétend qu'il y a dans
le mot entier une diphtongue compofée
168 MERCURE DE FRANCE.
de l'i & de l'e ouvert. On y met préfentement
un e fermé auffi bien que dans les
autres adjectifs en ier , excepté fier & altier
; & on ne prononce pas ordinairement
I'r de tous ces adjectifs , qui fe prononçoit
au commencement de ce fiécle , s'il
faut en croire l'Abbé Regnier Deſmarais ,
dont la Grammaire parut en 1706.
Page 48. Après avoir expofé ce qui diftingue
les confonnes foibles , qui font b ,
v , d , g , z , j , d'avec les fortes , qui font
P , f, t , k , s , ch , l'Abbé de D. s'exprime
il Y
ainfi .
ور
b
Que fi dans quelque mot propre
a pour finale un ou un d , comme dans
» Aminadab , ou David , on prononcera
» naturellement Davit , Aminadap ; & fi
» l'on veut s'efforcer à prononcer le d & le
» b , on prononcera
néceffairement
un petit
» e feminin , pour donner lieu à la pleine
prononciation du b & du d , qui , comme
j'ai dit , ne peuvent être finales.
»
Il me femble qu'on prononce naturellement
& aifément Aminadab & David comme
ils font écrits. Si nos organes , en faifant
fonner le bou le dà la fin de ces mots ,
y ajoutent néceffairement un e feminin , ils
l'ajoutent certainement auffi après le p & le
t, & toute autre confonne finale , ainfi que
je l'ai déja remarqué,
Page
JANVIER. 1753 . 189
Page 85. Suivant ce que dit l'Auteur ,
la lettre double ch fe prononce comme un
k dans Acheron. L'ufage me paroît maintenant
partagé fur ce point : j'ai entendu
prononcer Akéron à l'Opéra , & Acheron
à la Comédie Françoiſe.
Page 96. L'Abbé de D. blâme ceux qui
au lieu de prononcer a - yant , a-yez , prononcent
eyant , eyez , comme fi l'y tenoit
dans ces mots la place de deux i. La prononciation
de l'a s'eft confervée dans aïant ;
mais je crois qu'on prononce affez généralement
erez , & non aïez.
g Page 101. Sur la prononciation du
» dur & du c dur ou du k , il faut remar-
» quer qu'en François devant les e fermés ,
» lese ouverts & la voyelle eu , on pro-
» nonce ces deux confonnes un peu mouil-
» lées , & comme s'il y avoit un petit i . On
» prononce guérir , comme s'il y avoitguié-
» rtr ; rigueur , comme s'il avoit riguieur ;
queftion , comme s'il y avoit quicftion
» vainqueur , comme s'il y avoit vainquieur.
J'ignore fi la prononciation a varié fur
cet article depuis que l'Abbé de D. compofa
ces Effais ; mais mon oreille n'a jamais
fenti l'addition du fon de l'i dans les
mots qui font l'objet de fa réflexion.
"
Cet Abbé eft d'avis qu'il faut prononcer
par uni nazal & non par ain , les mots
H
170 MERCURE DE FRANCE.
qui commencent par la négative in , comme
ingrat , infidéle . C'eft auffi le fentiment
du P. Buffier & de l'Abbé Girard ; mais
M. Reftaut affûre le contraire , ainſi que
M. Duclos , dans fes Remarques fur la
Grammaire générale & raisonnée , dont il a
donné depuis peu une nouvelle édition ;
& il ſe rencontre une oppofition finguliere
dans les termes dont le P. Buffier & M.
Duclos fe fervent à ce fujer.
Prononcez infini , imprudent , dit le premier
, & non pas ènfini , èmprudent , comme
fait le peuple de Paris. Il répete la
même décifion dans un autre endroit , en
joignant quelques beaux efprits de province
à ces bourgeois de Paris , qui , felon
lui , alterent la bonne prononciation .
D'un autre côté , M. Duclos penfe que
l'i nazal eſt un fon provincial qui n'eſt
d'ufage ni à la Cour , ni à la Ville. » Ileft
» vrai , ajoute- t-il , que l'i nazal s'eft in-
» troduit au théâtre ; mais il n'en eft pas
» moins vicieux , puifqu'il n'eft pas autorifé
par le bon u fage , auquel le théâtre
eft obligé de fe conformer , comme la
chaire & le barreau .
L'opinion de M. Duclos me paroît juſtifiée
par l'ufage actuel , fi ce n'eft à l'égard
du chant , où l'on employe communément
le fon de l'i nazal , dans le cas dont
il s'agit ici .
JANVIER . 1755. 171
M. Duclos, dans fon édition de la Grammaire
générale & raisonnée , a laiffé l'ortographe
commune dans le texte du livre ,
parce qu'il ne s'eft pas cru en droit d'y rien
changer ; mais agiffant avec plus de liberté
dans les Remarques , qui étoient fon propre
ouvrage , il y a donné le précepte &
l'exemple d'une ortographe plus analogue
à la prononciation.
Un de nos Journaliſtes , en rendant
compte de cette production de M. Duclos,
fi précieufe à beaucoup d'égards , a apporté
de fort bonnes raifons pour maintenir
l'ortographe ordinaire ; mais parmi ces
raifons il lui en eft échappé une qui ne
me paroît pas fans replique : » Si l'on
établit , dit ce Journaliſte , qu'il faut
» écrire comme l'on parle , toutes les pro-
» vinces du Royaume écriront autrement
qu'on n'écrira à Paris , puifqu'elles par-
» lent autrement. » Ne pourroit - on pas
dire au contraire , que s'il y avoit un motif
affez fort pour exciter à réformer l'ortographe
, ce feroit cette diverfité même
de prononciation dans les différentes provinces
? Car le but des amateurs de la
réforme ne fçauroit être d'autorifer chaque
particulier à écrire comme il parle : ils
veulent fans doute qu'une nouvelle ortographe
, adoptée par l'Académie Françoiſe,
39
Hij
172 MERCURE
DE FRANCE
.
& par les bons auteurs qui vivent à Paris
ou à la Cour , fixe la vraie prononciation
,
& l'enſeigne aux habitans des provinces
'qui ont une prononciation
défectueufe.
Sans toucher au fond de l'ortographe , il
feroit peut-être affez à propos d'y introduire
encore quelques changemens peu
effentiels , & de la nature de ceux que l'Académie
a légitimés dans la nouvelle édition
de fon Dictionnaire , tels que le chanla
gement de l'y en i à la fin des mots ,
fuppreffion de plufieurs confonnes muettes
, &c. Mais on doit bien fe garder d'écrire
éxélent , éxeption , au lieu d'excellent ,
exception ; car l'x n'a dans ces mots que
la valeur d'un kou d'un c dur , & il y occafionneroit
une équivoque , s'il n'étoit
fuivi d'un c . Une telle nouveauté , outre
l'atteinte qu'elle porteroit à l'étymologie ,
induiroit à prononcer éxéllent , éxeption ,
par gz, comme on prononce éxamen , éxem-
-ple , exorde , & tous les autres mots qui
commencent par ex , fuivis immédiatement
d'une voyelle,
1
JANVIER. 1755 173
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie des infcriptions & Belles
Lettres.
' Académie royale des Infcriptions &
Belles Lettres rentra publiquement
le 12 Novembre 1754. M. de Bougainville
fon Secrétaire perpétuel , annonça
qu'elle propofoit pour le fujet du prix *
qui doit être diftribué en 1756 , d'examiner
quel fut l'état des villes & des répu
bliques fituées dans le continent de la
Grece Européenne , depuis la mort d'Ale
xandre jufqu'au tems qu'elle a été réduite
en province par les Romains. Après
cette annonce , il dit : » En rendant com-
» pre dans notre derniere affemblée publique
de la nouvelle fondation faite
par
»M. le Comte de Caylus , nous avons informé
les fçavans qu'elle avoit pour objet
» les antiquités proprement dites , & que
» le prix feroit une médaille d'or de la va-
"
leur de cinq cens livres. Nous ajoûtons
» aujourd'hui que le but de cette fondation
littéraire étant de ranimer l'étude
» des anciens monumens , l'Académie a
* Ce prix a été fondé par le Préfident Durey
de Noinville.
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
>> cru ne pouvoir mieux entrer dans les
» vûes du fondateur , qu'en faifant de la
» médaille même qu'elle adjugera , un mo-
» nument glorieux aux Auteurs , & capa-
» ble d'exciter leur émulation . C'eſt dans
» cet efprit qu'en compofant cette mé-
» daille , elle ne s'eft pas bornée à marquer
l'époque & l'objet de l'établiffement :
elle a voulu qu'un des côtés fût orné
» d'un type honorable pour le fçavant
» qu'elle couronneroit , & que fon nom
gravé tous les ans dans l'exergue , pût
s'y tranfmettre à la poftérité. Par là on
rappellera en quelque forte ces infcrip-
» tions que la Grece confacroit à la gloi-
» re des athletes couronnés dans fes jeux.
Voici quelle fera la médaille du nou-
» veau prix , laquelle a été deffinée par M.
Bouchardon. Elle repréfentera d'un côté
» une couronne de lauriers , dans laquelle
> on lira cette infcription : Aufpiciis L-
» dovici XV , pramium folemne in regia Infcript.
& human . Litter. Academia conf-
» titutum , anno MDCCLIV. Autour de la
→ couronne feront pour légende ces mots :
» Promovendo veterum monumentorum ftudio
. Sur le revers une mufe couronnée
» de lauriers , tenant d'une main une pal-
» me , & s'appuyant de l'autre fur un type ,
avec cette légende : Certamen ecumenicum.
33
JANVIER. 1755. 175
» On laiffera pour l'exergue un efpace qui
» puiffe contenir deux ou trois lignes d'é-
» criture , & où l'on gravera tous les ans
» au burin le nom de l'auteur couronné ,
» avec la date de fa piece . L'Académie in-
» vite en conféquence ceux qui voudront
» concourir , à donner exactement dans le
» papier cacheté , leurs noms de famille &
» de baptême.
M. de Bougainville fit enfuite la lecture
de l'éloge hiftorique de M. Secouffe , penfionnaire
de l'Académie , mort le Is Mars
1754. On peut juger du mérite particulier
de cet Académicien & de l'élégance de fon
Panégyrifte par le morceau fuivant .
29
» Le feul art que connut M. Secouffe ,
& qu'il ait voulu pratiquer en traitant
» l'Hiſtoire , étoit celui d'analyfer les cir-
≫conftances d'un événement , de combiner
» les textes , & de les apprécier avec une
fcrupuleufe fidélité : c'eft la maniere de
» Tillemont ; il l'avoit prife pour modele ,
» par des motifs dont il a rendu compte
» dans un difcours qui fert d'introduction
» à fes mémoires. Le mérite de cette mé→
> thode eft de n'égarer jamais l'efprit ; il
eft vrai qu'elle le fatigue , en le menant
» par des chemins rudes & tortueux , dans
lefquels il eft obligé de difcuter le terrein
pas à pas. Mais rien ne rebutoit la
Hiiij
176 MERCURE DE FRANCE .
conftance de M. Secouffe , ou plutôt it
» n'avoit pas befoin de conftance , parce
» que tout intéreffe dans l'objet aimé , &
» qu'il aimoit paffionnément l'hiſtoire de
fa nation. Par une fuite de fon enthoufiafine
, il fuppofoit à fes lecteurs les
» fentimens dont il étoit animé , du moins
» les croyoit- il affez équitables pour l'ap
» prouver par réflexion , & nous remarque-
» rons comme un trait qui le caracteriſe ,
»que moins attaché à fes opinions qu'à fes
goûts , il fouffroit volontiers la difpute
lorfqu'elle pouvoit conduire à la fo-
» lution d'une difficulté hiftorique , mais
» qu'il auroit fouffert impatiemment qu'un
»François n'eût pas fait prefque autant de
» cas que lui-même de toutes les fortes de
» recherches qui peuvent jetter quelques
»lumieres fur les plus petites branches de
> l'Hiftoire de France.
DD
90
Après cet éloge , M. de Bougainville
parla du tableau préfenté par M. le Comte
de Caylus. M. l'Abbé Raynal a traité fi bien
cet article dans le premier volume de Décembre
, qu'il ne m'a rien laiffé à dire .
M. Danville lut une differtation fur la
nation des Geres , & fur le Pontife qui
étoit adoré chez ce peuple.
M. l'Abbé Belley termina la féance par
F'explication d'une pierre gravée du cabi-
•
h
JAN VIER. 1755. 177
net de M. le Duc d'Orleans. Cette pierre
eft une agathe blanche , gravée en creux :
elle repréfente la tête d'un Empereur Romain
, pofée en regard de celles d'une Impératrice
& d'un jeune Prince. Au milieu
eft une urne , d'où fortent deux palmes.
M. l'Abbé Belley prouva que cette pierre
avoit été gravée àl'occafion des jeux chryfantins
, que la ville de Sarde, en Lydie , fit
célébrer en l'honneur de l'Empereur Pertinax
, de l'Impératrice Titiana fa femme ,
& du jeune Pertinax leur fils .
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie royale des Sciences.
L
Ei 3 du même mois , l'Académie royale
des Sciences tint fa féance publique
d'après la S. Martin. M. de Fouchy l'ouvrit
par l'éloge * de M. d'Ons- en- Bray , Acadé
micien honoraire.
Après cet éloge , M. l'Abbé de la Caille
lut la relation de fon voyage au Cap de
Bonne Efperance , dont voici le précis .
Le principal objet de ce voyage étoit de
compléter le catalogue des principales
étoiles du ciel , dont M. l'Abbé de la Caille
a entrepris depuis long- tems de déterminer
* Je réſerve l'extrait de cet éloge pour le Mercu
re prochain , ayant trop peu d'efpace dans celui- ci..
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
les pofitions le plus exactement qu'il eſt
poffible. Plufieurs des étoiles dont on fait
le plus d'ufage dans l'Aftronomie , mon
tent fi peu & fi obliquement fur l'hori
zon de Paris , qu'il eft impoffible de les
obferver avec précifion , & ces mêmes étoi
les paffent aux environs du zénith du Cap
de Bonne Efperance , circonftance la plus
favorable pour y appliquer les meilleures
méthodes de l'Aftronomie. Par occafion
M. L. D. L. C. devoit faire différentes obfervations
fort intéreffantes , telles que celles
des parallaxes de la lune & du foleil ;
celle de la longueur du pendule fimple à
fecondes dans l'hémifphere auftral de la
terre ; celle de la longitude du Cap de Bonne
Efperance , fur laquelle les plus habiles
Géographes différoientde trois degrés , &c.
Il s'embarqua à l'Orient , fur un vaiffeau
de la Compagnie des Indes , commandé
par M. Daprès , Correfpondant de l'Aca
démie , & fort connu par un excellent recueil
de cartes marines & un routier pour
naviguer dans les mers des Indes. Le vaiffeau
fut mis à la voile le 21 Novembre
1750 , & dès le 13 Décembre une éclipfe.
de lune qu'ils obferverent , leur fit reconnoître
une erreur de plus de quatre degrés
dans leur longitude , quoiqu'ils euffent
fuivi très fcrupuleufement tous les moyens
JANVIER. 1755. 179
J
ufités en mer pour faire une eftime jufte .
Cette erreur leur ayant fait manquer
l'ifle de S. Yago , où ils s'étoient propofés
de relâcher , ils furent obligés d'aller chercher
un port fur la côte du Brefil , & ils
entrerent dans celui de Rio Janeïro le 25
Janvier 1751 .
Ils y trouverent M. Godin , l'un des
trois Académiciens envoyés au Pérou en
1735. Le vaiſſeau qui le reconduifoit de
Buenos- Aires en Europe , étoit auffi de relache
à Rio Janeïro. Après avoir fait enfemble
quelques obfervations , ils fe féparerent
le 25 Février , & M. Daprès vint
mouiller à la rade du Cap de Bonne Efperance
le 19 Avril.
M. l'Abbé D. L. C. muni de bonnes lettres
de recommendation , fut très -bien reçu
. Le Gouverneur de la Colonie lui fit
bâtir fur le champ un obſervatoire fort
commode , dans la cour d'un des principaux
bourgeois de la ville , nommé M.
Beftbier , qui de fon côté n'épargna rien
pour procurer à M. L. D. L. C. toutes les
facilités & tous les agrémens poffibles .
Selon le projet fait en France , le féjour
de M. L. D. L. C. au Cap devoit être d'une
année entiere. La relache à Rio Janeiro &
d'autres incidens qui avoient prolongé la
durée de la traverfée , furent caufe que
H vj
So MERCURE DE FRANCE.
cette année ne pouvoit commencer que
dans le tems où la rade du Cap étoit déja
devenue impratiquable pour plufieurs
mois , & par conféquent après l'année revolue
, il étoit néceffaire d'attendre encore
long-tems le retour de la belle faifon : de
forte qu'au lieu d'un an , M. L. D. L. C.
ne pouvoit plus refter moins de dix - huit
ou vingt mois..
Pour mettre à profit cette prolongation
forcée , M. L. D. L. C. ajoûta à fon projet
celui de conftruire un catalogue très - détaillé
de toutes les étoiles compriſes entre
le pole auftral du ciel & le tropique du
eapricorne : ce qui l'y engagea principale
ment fut la clarté extraordinaire du ciel ,
qui fe trouvant très- rarement couvert , lui
promettoit plus d'occafions qu'il n'étoit néceffaire
pour remplir le projet fait en France.
D'ailleurs ce ciel fi clair eft caufé ordinairement
par un vent de fud- eft le plus
violent qu'il y ait au monde ; lorfque ce
vent fouffle , quelque abri qu'on fe procure
, il eft abfolument impoffible de fe fervir
des grands inftrumens pour obferver
les aftres ils paroiffent tous très- confufément
terminés , & dans une agitation d'autant
plus vive , que la lunette dont on
fe fert , groffit davantage les objets. Mais
comme il fuffifoit , pour faire le catalogue
:
JANVIER. 1755. 189
dont on vient de parler , de fe fervir d'une
lunette qui rendit feulement les objets plus
diftincts , M. L. D. L. C. en fit appliquer
une à fon quart de cercle , qui groffiffois
très-peu & dont le champ étoit de près de
trois degrés. Il y plaça différens réticules
conftruits avec beaucoup de foin par un
ouvrier qu'il avoit amené de Paris . Arrêtant
enfuite fon quart de cercle dans le
plan du méridien & à une certaine hauteur
, il obfervoit toutes les étoiles à mefure
que par le mouvement du premier
mobile elles venoient traverfer le champ
de fa lunette , pendant le tems d'une nuit
entiere. La nuit fuivante il pointoit fon
quart de cercle à une autre hauteur , qui
différoit de la précédente d'environ trois
degrés , puis il obfervoit toutes les étoiles
qui paffoient de même dans fa lunette.
Changeant ainfi fucceffivement de hauteur
depuis le pole jufqu'au tropique , & recommençant
à diverfes repriſes , felon les
faifons de l'année , il parvint à déterminer
plus de . 9800 étoiles en dedans du tropique
du capricorne ; mais parmi ce grand
nombre d'étoiles , dont la plûpart font extrêmement
petites , & n'ont été obfervées.
que pour éviter l'ennui dans les intervalles
de tems entre les paffages des étoiles,
plus brillantes , il en a choiſi 1930 pour
182 MERCURE DE FRANCE.
compoſer le catalogue qu'il avoit entrepris.
Telle fut fon occupation pendant les
tems où le vent de fud- eft ne lui permettoit
pas de faire autre chofe . Pendant les jours
de calme il eut le loifir , non feulement de
remplir tout le projet formé en France ,
mais encore de faire , felon les occafions ,
différentes obfervations qui n'entroient pas
dans ce projet. Tout ce travail fut terminé
vers le commencement du mois d'Août
1752 .
Le tems du départ des vaiffeaux pour
l'Europe étoit encore éloigné de plus de
quatre mois. M. L. D. L. C. n'ayant plus
rien à faire pour les étoiles auftrales , fongea
à mefurer un dégré , pour voir fi l'hémifphere
auftral étoit d'une figure femblable
à celle de l'hémifphere boréal . Le
pays étoit très-propre pour cette recherche
en deux triangles on pouvoit mefufer
un arc du méridien terreftre de 70000
toifes , & vers le milieu de cet arc il y
avoit une plaine de fable propre à mefurer
une longue bafe . M. L. D. L. C. profita
de fon loifir & de ces circonftances fi favorables
: aidé des charriots & des efclaves
de M. Beſtbier fon hôte , qui lui fervit luimême
de guide & d'interprete , il fit à fon
aife toutes les opérations néceffaires , & il
en conclut que la longueur d'un dégré du
JANVIER. 1755 . 183
méridien terreftre , qui paffe par 33 dégrés
18 minutes de latitude auftrale , étoit de
$7037 toifes plus grande qu'il ne s'atten
doit de le trouver , par comparaiſon aux
mefures faites en France .
Après cette expédition M. L. D. L. C.
fe difpofa à partir du Cap : il employa le
refte de fon tems à dreffer un planiſphere
auftral , & à vérifier les divifions de fes
inftrumens ; mais lorſqu'il s'attendoit de
retourner en France , il reçut un ordre de
paffer aux ifles de France & de Bourbon ,
pour en déterminer la longitude & la latitude
.
Avant que de parler de fon départ du
Cap , M. L. D. L. C. s'excufa de ce qu'il
n'avoit rien à dire fur cette fameufe Co
lonie , ni fur les Hottentots , habitans naturels
du pays. Il déclara feulement que la
defcription du Cap de Bonne Efpérance
faite fur les mémoires de Kolbe , en trois
volumes in- 12 , laquelle eft fort connue
& entre le mains de tout le monde , ne
méritoit prefque aucune croyance , par le
nombre de fautes dont elle eft remplie :
l'Auteur qui a féjourné fept ans au Cap
a négligé de voir les chofes par lui-même,
& de ramaffer des mémoires fûrs. Il a abufé
du privilege des voyageurs , & il en a impofé
par une fimplicité apparente * . Il eſt
* M. L. D. L. C. n'étant pas en état de donner
184 MERCURE DE FRANCE.
à préfent très- difficile de faire une hiſtoire
véritable des Hottentots , parce que la
Colonie Hollandoife s'étant étendue fort
avant dans les terres , a écarté ces peuples ,
dont les troupeaux font l'objet de la cupidité
des Européens.
M. L. D. L. C. s'embarqua le 8 Mars
1753 pour aller à l'Ile de France . Pendant
la traversée , qui eft ordinairement de
cinq à fix femaines , il fit de nouveaux
effais fur la maniere d'obferver les longitudes
en mer , par le moyen d'une diftance
de la Lune à quelque étoile zodiacale ; il
trouva enfin qu'à l'aide de certains calculs
préliminaires , qu'on peut faire plufieurs
années d'avance , on peut réduire
tout le calcul de cette méthode à trois ou
quatre opérations à la portée du commun
des marins . Les Officiers de fon vaiffeau
en firent l'expérience ; ils en fentirent mê
me l'extrême utilité , lorfqu'ils virent par
les obfervations qu'ils firent conjointement
avec M. L. D. L. C. , que leur eftime les
portant à l'eft de 140 lieues au - delà de ce
qu'ils avoient jugé néceflaire , ils avoient
une hiftoire complete du Cap , promet de donner
dans ces mémoires des notes critiques pour
relever les principales bévûes de Kolbe , dont ili
seft affuré par lui - même.
2
JANVIER 1755. 185
fait près de 300 lieues de plus qu'ils ne fe
L'étoient propofés.
M. L. D. L. C. arriva à l'Ile de France .
le 18 Avril ; il y féjourna neuf mois en
attendant le retour des vaiffeaux en France.
Il y fut fort peu occupé , tant parce
qu'il avoit fait au Cap tout ce qu'on pouvoit
defirer fur les étoiles , que parce qu'il
n'y trouva pas le ciel à beaucoup près auffi
beau. D'ailleurs M. Daprès avoit fait à
cette Ifle & à l'ifle de Bourbon des obfervations
très- exactes , & plus que fuffifantes
pour établir leur longitude & leur latitude.
M. L. D. L. C. ne négligea pas de
faire celles qui pouvoient fervir à les confirmer
: il fit quelques autres obfervations
aftronomiques , entr'autres fur l'obliquité
de l'écliptique , qu'il trouva de 23 dégrés
28 min. 16 fec. plus,petite qu'on ne l'employe
ordinairement. Il fit encore un chaffis
de la carte de cette ifle , & en partit
le 16 Janvier 1754. Il arriva le lendemain
à Saint Denis de l'Ile de Bourbon ; &
après un féjour de près de fix femaines
employé aux obfervations relatives à la
longitude & à la latitude de cette Iſle , it
s'embarqua enfin le 27 Février , pour retourner
en France. Il relâcha à l'ifle de
l'Afcenfion , dont il détermina la longitude
& la latitude , & arriva à l'Orient
186 MERCURE DE FRANCE.
le 4 Juin , après avoir fait une des plus
heureuſes traverfées qu'on puiffe fouhaiter.
A cette relation fuccéda un mémoire dé
M. Hériffant , contenant plufieurs recherches
fur la formation de l'émail des dents
& fur celle des gencives.
Le dernier ouvrage fut lû par M. Buache;
c'étoit une differtation fur les différentes
idées qu'on a eues de la traversée
de la mer glaciale arctique , & fur les
communications ou jonctions qu'on a fuppofées
entre diverſes rivieres.
JANVIER. 1755. 187
ARTICLE QUATRIEME,
BEAUX - ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
A M. le Comte de Caylus , fur un tableau
repréſentant Minerve , qu'il afait peindre
à la cire aufeu , après avoir découvert
le fecret perdu de cet ancien genre de peinture
, appellée Encaustique.
AFFULGET vultus , rediviva nuncius artis ,
Dignum Pauliacæ dexteritatis opus.
Fallor , & eft hominum præftantior arte tabella ,
Admovitque fuas fors fibi diva manus.
Sin tu fpirantes ceras fic reddis ab igne ,
Furta Promethei te renovaffe probas.
GRAVURE.
Le Médecin empirique , gravé d'après
le tableau original de David Teniers , du
cabinet de M. le Comte de Vence , par
J. Tardieu , Graveur du Roi , rue des
Noyers , vis-à- vis celle des Anglois. -
188 MERCURE DE FRANCE.
MOYREAU , Graveur du Roi , en for
Académie royale de Peinture & Sculpture,
vient de mettre au jour une nouvelle
Eftampe qu'il a gravée d'après P. Wouvermens
, qui repréfente le Départ des Cavaliers.
Le tableau original eft au cabinet
de M. L. B. D. H. C'eſt le n° . 78 de la
fuite. Sa demeure eft rue des Mathurins ,
la quatrième porte cochere à gauche , en
entrant par la rue de la Harpe.
*
MUSIQUE
Le Triomphe des plaifirs , cantatille à
voix feule , avec accompagnement de violon
& baffe continue , compofée par Me
Papavoine , gravée par Me Le Clair , prix
I liv. 4 fols. A Paris chez l'Auteur , rae
Sainte-Anne , butte Saint-Roch ; chez le
fieur Vernadé , rue du Roule , à la Croix
d'or ; le fieur Bayard , rue S. Honoré , à la
Régle d'or ; & chez Mlle Caftagnery , rue
des Prouvaires , à la Muſique royale .
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
Leese,anvier &,Mr
E15 Janvier 175 § , M. Blondel , Archide
l'Eco-
LE DES ARTS , rue de la Harpe , près de la
JANVIER. 1755. 189
Sorbonne , fera l'ouverture de fon fecond
cours public élémentaire d'Architecture ,
par un difcours hiftorique qui fervira d'in
troduction à l'Architecture & aux autres
arts qui ont relation avec elle . Il fera
compofé de quarante leçons , qui feront
données régulierement tous les jeudis &
famedis de chaque femaine , depuis trois
heures jufqu'à cinq. L'objet de ce cours
élémentaire eft la connoiffance de l'Architecture
, qui eft indiſpenſablement néceffaire
aux hommes en place. Pour cela on
difcutera en général les opinions des Anciens
& des Modernes , & l'on y traitera
en particulier des principes de la décoration
, de la diftribution & de la conftruction
des bâtimens , de la convenance
de la proportion , de la fymmétrie & de
tous les arts de goût , fans lefquels il eſt
impoffible de parvenir à difcerner le bon ,
le médiocre & le défectueux .
HORLOGERIE .
Il feroit fort à fouhaiter , Monfieur ,
que ceux que leur zele fait écrire pour le
public , fuffent plus inftruits des matieres
qu'ils entreprennent de traiter , & que les
motifs dont ils cherchent à colorer ce zele ,
fût plus exempt de fufpicion , du moins de
vroient- ils mieux le voiler. C'eft dequoi
190 MERCURE DE FRANCE .
l'auteur anonyme des lettres inférées dans
les Mercures de Juin , premier volume ,
page 149. & de Novembre page 143. ne
s'eft pas mis beaucoup en peine . Il indique
au public une nouvelle méthode pour régler
les montres & les pendules , qui préfente
une infinité d'inconvéniens , fans
laiffer appercevoir la plus légere utilité . En
effet , la ligne du tems moyen , tracée au
Palais royal , fuivant l'idée de l'anonyme ,
peut-elle entrer en comparaifon avec les
tables d'équation , fi connues du public ,
& que chacun peut fe procurer à fi peu de
frais ? En fuivant ces tables on eft affuré
d'avoir toujours une maniere infaillible de
connoître le tems moyen par le fecours du
tems vrai. Il y avoit encore une autre reffource
qui ne s'eft pas préfentée à l'imagination
de notre Sçavant ; c'étoit de fouhaiter
que l'on fît marquer aux horloges
publiques le tems vrai & le tems moyen ;
mais la prévention de l'anonyme ne lui a
laiffé que la faculté de décrier les groffes
horloges fans diftinction. Il feint d'ignorer
qu'on y ait employé des mouvemens
à fecondes , fuivant les idées de M.Julien
Le Roi. C'est ici où la paffion fe démafque
, puifqu'il remet fous les yeux du public
des difputes affoupies depuis peu : il
4 dû voir dans les mémoires d'un des conJANVIER.
1755. 191
rendans , copie du certificat donné par ce
même M. Le Roi , dont il fe plaint que les
confeils n'ont pas été fuivis ; & ce certificat
porte néanmoins que la piéce dont il
parle , faite par M. Le Paute , eft la plus
parfaite qui ait encore paru en ce genre ,
c'est- à- dire de l'efpece de celles que femble
defirer l'anonyme . Il y en a une trèsbelle
à Sainte Genevieve , exécutée par M.
Galonde ; une aux Miffions Etrangeres
par M. Julien Le Roi. Celle de la Meute
que ce même M. Le Roi affûre , eſt ſupérieure
aux précédentes , une au Luxembourg
, une autre au pavillon de Bellevûe ,
une au château des Thermes , qui marque
les fecondes très-diftinctement , & celle de
l'Hôtel des Fermes : toutes ces horloges
font parfaites , fi l'on en doit croire le témoignage
public. Quant à moi qui les
ai toutes vifitées en place , & qui les fuis
depuis long- tems , je ne crois pas qu'elles
laiffaffent rien à defirer , fi M. Le Paute
avoit eu la précaution de leur faire marquer
le tems vrai & le tems moyen . C'eſt
le reproche que je lui ai fait à l'occafion
d'une ingénieufe pendule à fecondes qu'il
vient de placer fous les yeux du public , en
face de la petite porte du Luxembourg qui
conduit à fon logement. Ces dernieres
horloges décrivent de très-petits arcs , avec
192 MERCURE DE FRANCE.
de fort groffes lentilles , & marchent avec
environ deux livres de poids coulant. Ce
font là de ces faits qui ne peuvent être
ignorés de l'anonyme , & qui auroient dû
dui faire parler avec plus de circonfpection
des groffes horloges.
Après avoir tâché de décrier indirectement
ces fortes de piéces , il attaque de
nouveau les échappemens à repos. Il demande
quelle propriété particuliere caractérife
& diftingue ce nouvel échappement . Je
doute que L'auteur laiffe échapper une fi
belle occafion de lui apprendre ce qu'il affecte
encore d'ignorer ; en tout cas , il
pourra confulter là - deffus les mémoires
imprimés pendant le cours de la difpute ;
de rapport de l'Académie des Sciences , &
enfin une lettre de M. de la Lande , Membre
de l'Académie , inférée dans le Mercure
d'Août , où il a difcuté ces avantages.
J'ai l'honneur d'être , & c.
ARTICLE
JANVIER. 1755. 193
ARTICLE CINQUIEME.
SPECTACLES.
OPERA .
'Académie royale de mufique a donné
le 3 Décembre la premiere repréfentation
de Thefee , qu'elle avoit executé à
Fontainebleau le 18 & le 21 Octobre. Comme
il a paru ici avec moins de magnificence
qu'à la Cour , on lui a fait un accueil trèsinférieur
à fon mérite ; cependant il attire
de nombreuſes affemblées , les Vendredis
fur- tout font très- beaux . Les Dimanches
font moins brillans : on ne le joue que ces
deux jours de la femaine. On a repris
les Elémens le Mardi & le Jeudi , pour
ne pas fatiguer le grand Opéra. Les de ce
mois on doit donner à fa place Daphnis &
Alcimadure , Paftorale Languedocienne
en trois actes , précédée d'un Prologue . Je
n'entrerai dans aucun détail de ces Opera ,
le dernier volume de Décembre a tout dit
fur ce fujer dans l'article des Spectacles de
Fontainebleau .
I
194 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE FRANÇOISE.
Le Décembre les Comédiens François
ont remis Nicomede , Tragédie du
grand Corneille , & très digne d'en être :
elle n'avoit point été reprife depuis la mort
du célébre Baron , arrivée en 1729 le 22
Décembre . Parmi la foule des beautés fu--
périeures dont cette piece étincelle , il fe
trouve beaucoup de chofes , ou plutôt d'expreffions
familieres , qu'on doit moins attribuer
à l'Auteur qu'au tems où il a vêcu .
Les deux premieres fois le public paroiffoit
indécis & comme partagé entre les éclats
de rire & les applaudiffemens , mais à la
troifiéme repréſentation ces familiarités ne
T'ont plus frappé , il n'a été fenfible qu'au
mérite fingulier de l'ouvrage , où la politique
joue le premier rôle , & qu'on peut
appeller une Tragédie de caractere. Nitomede
y paroît un digne éleve d'Annibal .
L'ironie eft fa figure favorite , il l'employe
fur-tout dans toute fa force vis- à vis de
Flaminius. Ce ton railleur paroît un peu
bleffer la dignité du cothurne ; le fpectateur
furpris n'a fçu d'abord s'il devoit applaudir
Nicomede comme un homme d'efprit
, ou l'admirer comme un grand homme.
Quelques-uns même l'ont qualifié de
JANVIER. 1755. 195
héros perfifleur , mais on a fenti par réflexion
que ce langage ironique partoit
d'une ame fiere , & qu'il convenoit à un
Prince jaloux de fes droits , & juftement
indigné de voir qu'un Romain vint impofer
la loi à Prufias fon pere , dans les propres
Etats. Il femble que Corneille ait voulu
dans cette piece , venger les Rois de la
fupériorité qu'il avoit donnée fur eux aux
Romains dans fes autres Tragédies. L'Ambaffadeur
de Rome y eft auffi petit devant
Nicomede que le Roi d'Egypte l'eft deyant
Cefar dans la mort de Pompée. M.
Grandval eft irès-bien dans le rôle de Nicomede
, & Mlle Clairon parfaitement
dans celui de Laodice . Le Samedi 15 , on
a joué cette Tragédie avec Nanine , Comédie
remife en trois actes , de M. de Voltaire.
Le Samedi 21 , on a redonné les
deux mêmes pieces. La chambrée étoit complette
pour parler le langage des Comédiens.
Le Lundi 23 , ils ont repréfenté pour la
premiere fois le Triumvirat , de M. de
Crébillon . Toute la France y étoit : il fut
écouté & reçu avec tous les égards , &
j'ofe dire , le reſpect qu'on doit au Sopho-
* Les Comédiens ont été les premiers à s'y méprendre
; ils ont affiché la piéce fous le titre nouveau
de Tragédie héroï- comique.
Iij
196 MERCURE DE FRANCE.
:
de
cle de nos jours. Il eft beau à 81 ans de
paroître encore dans la carriere : c'eſt un
fpectacle non-feulement digne de la curiofité
publique , mais encore de l'acclamation
univerfelle . On eft forcé d'avouer que
le quatriéme acte & une partie du cinquiéme
ont paru d'abord inférieurs aux trois
premiers , qui ont reçu de grands applau
diffemens. C'est peut-être la faute des Comédiens
, dont le feu s'eft rallenti : le froid
des Acteurs eft fouvent mis fur le compte
la piéce ; quand ils manquent de concert &
de chaleur , elle paroît manquer d'enfemble
& d'intérêt. Tullie eft le perfonnage qui
a le plus frappé faut- il s'en étonner ? c'eft
Mlle Clairon qui le joue. L'éloquence de
fon jeu y a peut-être autant contribué que
la fupériorité du rôle ; ce qui a fait dire
que la fille de Ciceron étoit plus diferte
que fon pere. Sextus eft encore un beau
caractere il fe montre un digne fils de
Pompée. Les connoiffeurs les plus rigides ,
mais qui jugent fans partialité , conviennent
tous qu'il y a dans cette tragédie des
béautés du premier ordre , & des traits
marqués au coin du grand maître. On y
reconnoît l'auteur d'Electre & de Rhadamifte
: c'est un beau foleil couchant , il
darde encore des rayons qui ont toute la
force de fon midi ; ils doivent échauffer le
public en fa faveur.
:
JANVIER. 1755. 197
Ils l'ont fait à la deuxième repréfentation.
La piece a été mieux jouée , en conféquence
mieux fentie . La cataſtrophe furtout
a fait la plus grande impreffion.
L'inftant où Fullie découvre le voile qui
cache la tête de fon pere fur la tribune
aux harangues , & la précifion admirable
avec laquelle l'actrice rend toute la
force de cette pofition terrible , former t
un coup de théatre qui arrache les lar-.
mes & qui déchire l'ame de tous les
fpectateurs. J'en parlerai plus au long le
mois prochain dans l'extrait que j'en donnerai.
On a oublié dans les deux derniers volumes
de Décembre de parler de la repriſe
des Tuteurs , qui ont été joués avec les
Troyennes. Sans entrer dans aucun détail , `
je vais fuppléer à ce filence. Cette Comédie
en deux actes , ou plutôt le talent qu'elle
annonce , mérite qu'on en faffe mention .
Les trois premieres fcenes montrent que
le jeune auteur de cette petite piéce eft appellé
au Comique , fon vers eft facile , &
fon dialogue naturel ; mais le difcours
qu'il adreffe à Madame la Comteffe de la
Marck prouve encore mieux fa vocation
pour ce genre. Quand on penfe à fon âge
auffi jufte fur l'art que l'on embraffe ,
& qu'on a comme lui le talent d'écrite ,
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
on eft für d'y faire un progrès rapide.
Le genre moyen de la Comédie , où les
moeurs purement bourgeoifes qu'il fe propofe
de traiter , me femblent comme à lui
les plus théatrales . Il faut fur la fcene des
ridicules de perfpective , fi j'ofe m'exprimer
ainfi ; il faut que leurs traits foient
gros pour exciter un vrai rire , ou un rire
machinal ; c'eft celui de la nature : ne rire
que de l'efprit , c'eft à peine fourire. J'aime
mieux pour mon amufement , rire avec
la bonne foi d'un bourgeois ingenu , ou la
groffe franchife d'un bon payfan , qu'avec
la circonfpection d'un homme du monde
qui craint d'éclater , & qui regle tous fes
mouvemens fur les loix exactes de la froide
décènce . Ce rire compaffé , qui en naiffant
expire fur les levres , ne part jamais
de l'ame , il n'eft qu'un raffinement de
l'art , ou plutôt qu'un ennui déguisé.
COMEDIE ITALIENNE.
Les Comédiens Italiens ont donné le
Décembre , la premiere repréſentation
de la Fête d'Amour , petite piéce en un
acte , & en vers , avec un divertiſſement.
Elle eft de Madame Favart * . On peut dire
qu'elle en fait les honneurs , & que c'eft
fa propre fête , non - feulement par la fa-
Et de M. Chevalier qui l'a rimée.
*
1755. 199
JANVIER.
çon dont elle y joue , mais encore par l'amour
que le public a pour elle. Jamais
actrice n'en fut plus aimée , ni plus digne
de l'être . Comme Mme Favart a autant de
docilité que de connoiffance du théatre ,
elle a fait plufieurs corrections ou retranchemens
à fa Comédie dès la feconde repréfentation
; depuis ce jour la Fête d'Amour
a été auffi fuivie qu'applaudie , le
talent de l'actrice y fert bien l'efprit de
l'auteur ; on voit que , l'un & l'autre partent
du même fujet . M. Favart , fous le
titre de parodies , ou fous le nom d'opera
comiques , nous a donné d'agréables Bergeries
, & l'aimable Baftienne fa femme ,
pat une émulation louable , nous donne
de jolies payfanneries.
La Fête d'Amour eft conftamment accompagnée
de la Servanie Maitreffe , qui
fert fi bien les autres & qui ne s'ufe point.
Cette piece finguliere femble former un
nouveau genre , Comme le fonds eſt un vrai
fujet de Comédie , & que l'ariette ou le
chant y font mêlés au dialogue fimplement
déclamé , je trouve qu'elle mérite mieux
que le titre d'Opera comique , & qu'on
doit plutôt l'appeller Comédie Opera. On
la joue avec la Fête d'amour le Lundi , le
*
* Nous donnerons l'extrait de cette piece en
Fevrier.
Iiiij
200 MERCURE DE FRANCE.
Mercredi & le Samedi . On repréſente le
Jeudi & le Dimanche Coraline Magicienne
, Comédie Italienne remiſe , avec des
divertiffemens.
Ces divertiffemens font de M. Deheffe ;
ils font auffi agréables que diverfifiés . Le
dernier eft un Ballet Polonois parfaitement
caracterifé. Cet habile compofiteur eft non
feulement le Teniers , mais encore le Vateau
de la danfe. Dans tous fes tableaux , it
prend pour modele la nature , il eſt toujours
nouveau & varié comme elle .
SPECTACLES DE LA COUR.
E 27 Novembre , les Comédiens Italiens
donnerent en préſence du Roi &
de toute la Famille royale , Arlequin veleur
, Prévôt & Juge.
:
Le 4 Décembre , le Retour d'Arlequin &
la Servante Maîtreffe. A la fin de la premiere
piece on donna un divertiffement
exécuté par Mlle Catinon & M. Balletti
cadet en pas de deux à la fin de la Servante
Maitreffe on ajouta le Colin maillard
, danfé par Mlle Camille & M. Billioni
, en pas de deux ; Mlle Marine feule
; Mlle Maffon & M. Berquelor en pas
de deux .
JANVIER. 1755. 201
Corps de Ballet.
MESSIEURS.
Rouſſeau ,
Martin ,
MESDEMOISELLES .
Gotton ,
Rouffelet ,
Foulquier , Granger
Giguet ,
Defmartins.
Rouffe ,
Verfian.
Le 11 , Monfeigneur le Dauphin fir
donner la repréſentation d'Arlequin perſecuté
par la Dame invisible . Hauteroche en
a tiré l'Esprit follet , que les Comédiens
François avoient donné huit jours auparavant.
Le 18 , on repréſenta les Déguisemens
amoureuxx Comédie Italienne en trois
actes.
CONCERT SPIRITUEL.
១
E Concert fpirituel qui fut exécuté le 9 Décembre
, jour de la Conception de la Vierge
, commença par une fymphonie à cor- dechaffe
; elle fut fuivie d'Exaltabo te , PL. 144.
motet à grand choeur de la Lande . Mlle Cohender
y chanta le récit Miferator. M. l'Abbé Renaud
baffe- taille de Notre-Dame , chanta Diligam te ,,
petit motet de la compofition de M. Goulet ,
Maître de mufique de Notre-Dame. M. Canavas
joua un concerto de violon . Mme Tedeſchini chan-
"'
202 MERCURE DE FRANCE.
ta un air Italien , enſuite un duo Italien avec M.
Ranieri . Le concert finit par Deus venerunt gentes
, motet à grand - choeur de M. Fanton . Mile Fel
chanta les récits Ne memineris , Nos autem , &
l'ariette In generationem , avec le dernier choeur.
Le Concert du 24 Décembre , veille de Noël ,.
commença par une fymphonie de M. Caraffe le
jeune , ordinaire de la mufique de la Chambre du
Roi. Enfuite Judica , Domine , nocentes me , moter
nouveau à grand choeur de M. Fanton . Mlle Duperey
chanta le Venite exultemus , petit motet de
M. Mouret. M. Soret le fils joua un concerto de la
compofition de M. Guignon . Mme Tedeſchini
chanta des airs Italiens . MM . Salantin& Bureau
Labbé le fils & Perrier , exécuterent une fuite d'airs
arrangés par M. Labbé le fils , à deux hautbois
une viole d'amour & une quinte. Le Concert finit
par Fugit nox , motet à grand choeur mêlé de
Noëls , de M. Boimortier , dans lequel M. Daquin
, Organiſte du Roi , joua ſeul . Mile Fel
chanta l'ariette Surgite Paftores & le récit Vocabitur
nomen ejus.
Le Concert du jour de Noël commença par
une fymphonie de M. Labbé le fils , ordinaire de
l'Académie royale de mufique. Enfuite Fugit nox ,
motet à grand choeur , mêlé de Noëls de M. Boimortier
, dans lequel M. Daquin , Organiſte du
Roi , joua feul . Mlle Fel chanta l'ariette Surgite
Paftores , & le récit Vocabitur nomen ejus. MM.
Salantin & Bureau , Labbé le fils & Perrier executerent
une fuite d'airs arrangés par M. Labbé
le fils . Mlle Fel chanta Laudate pueri Dominum ,
petit motet de M. Fioco. Mr Canavas joua un
concerto de violon. Le Concert finit par Deus
venerunt gentes , motet à grand choeur de M.
Fanton. Mlle Fel chanta le récit Ne memineris , le
récit Nos autem , & l'ariette In generationem
avec le dernier 'cho ur.
JANVIER. 1755. 203
ARTICLE SIXIE ME.
· NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU NOR D.
DE PETERSBOURG , le 17 Novembre.
Pour donner un plus grand luftre à la ville de
Mofcou , l'Impératrice fe propofe d'y établir
une Univerfité. On prétend que toutes les per--
fonnes d'une condition au- deffus du commun ,
feront obligées d'y envoyer leurs enfans. Sa Majefté
Impériale a ordonné que le nombre des Ecoles
publiques für augmenté , & que le peuple ne
manquât nulle part des fecours néceffaires pour
fon inftruction.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 3 Novembre.
La diftribution des prix fondés par l'Impératrice
pour exciter Pémulation des Eleves de l'Académie
de Peintute & de Sculpture , fe fit le 25. Le
Comte de Lofy , Directeur de l'Académie , remis
de la part de Sa Majefté les quatre Médailles aux
jeunes Artiftes couronnés . Il fe trouva un grand
concours de perſonnes de diftinction à cette céémonie.
DE HANOVRE , le 12 Novembre.
Le feur Hermann , Colonel d'Artillerie, a trou-
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
vé le moyen de fondre , fans noyau de forme , des
canons de trois livres de balle , & même d'un plus
grand calibre. Un Fondeur , nommé Meyer , a inventé
en même tems une machine , qui les perce
avec une telle égalité , qu'il ne refte pas plus d'épaiffeur
dans une partie que dans l'autre.
ITALI E.
DE ROME , le 9 Novembre.
Le Comte de Stainville , Ambaffadeur Extraor
dinaire du Roi Très-Chrétien , arriva le 4 avec la
Comteffe fon époufe. Ils occupent le même palais
dans lequel demeuroit le Duc de Nivernois..
DE FLORENCE , le 19 Novembre.
Plufieurs expériences ayant prouvé qu'il eft dan
gereux de faire ufage des vêtemens dont fe font
fervies les perfonnes mortes d'étifie , le Gouver
nement a défendu de vendre à l'avenir le linge
& les habits qui leur ont appartenu. En même
tems il eft enjoint aux Médecins de ne point
manquer , auffi-tôt qu'ils feront appellés par quelqu'un
attaqué de cette maladie , d'en avertir le
Tribunal de Santé , afin qu'on puiffe veiller à faire
exécuter le réglement.
DE GENES , le 12 Novembre.
Le Comte de Neuilly, Envoyé Extraordinaire
& Ministre Plénipotentiaire du Roi de France
auprès de cette République , arriva ici le 2. Ce
Miniftre ayant donné part de fon arrivée au Goμ-
vernement, on a député quatre Nobles pour alJANVIE
K. 1755. 205
ler le complimenter de la part du Sénat. Le Marquis
Ferdinand Spinola étoit à la tête de la députation.
Le 9 , le Comte de Neuilly eut audience
du Doge. Il a reçu enfuite les vifites de toute la
Nobleffe & des Miniftres étrangers. Le Marquis
Jerôme Grimaldi s'eft embarqué le 6 au matin fur
une Felouque , pour paffer à Marſeille . Il fe rendra
de là par terre à la Haye , où il va réfider
avec le caractère d'Ambaffadeur du Roi d'Eſpagne
auprès des Etats Généraux des Provinces - Unies.
GRANDE- BRETAGNE.
DE LONDRES , le 14 Novembre.
Aujourd'hui le Roi s'eft rendu à la Chambre
des Pairs avec les cérémonies accoutumées , & Sa
Majesté ayant mandé la Chambre des Communes ,.
a fait l'ouverture du Parlement par un fort beau
Difcours.
Le fieur Henriques vient de publier un nouveau
projet pour acquitter les dettes de la nation
, par le moyen d'une Lotterie qui durera dix
ans. Il en a remis aujourd'hui des copies à tous
les Membres de la Chambre des Communes.
Le 15 Novembre les Seigneurs préſenterent
au Roi leur adreffe , à laquelle Sa Majefté répondit
: » MYLORDS , je vous remercie des marques
>> que vous me donnez de votre affection & de vo-
» tre fidelité . Le zele que vous montrez pour ma
» perfonne & pour mon gouvernement , ne peut
» manquer de produire les meilleurs effets , tant
» au dedans qu'au dehors. Je n'uferai jamais de
>> votre confiance que pour le véritable intérêt de
» mon peuple.
206 MERCURE DE FRANCE.
FRANC E.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
Es Etats de la province de Bretagne ordonne-
Rennes un monument en mémoire de la convaleſcence
& des victoires du Roi , & ils chargerent
de l'exécution M. le Moine , Sculpteur de Sa
Majefté , & Profeffeur de l'Académie royale de
Peinture & de Sculpture. Ils ont la fatisfaction
de voir que l'ouvrage répond à la grandeur de
l'objet , à la dignité de la province , & à la répu
tation de l'Artiste. Ce monument eft compofe de
trois figures qui concourent à former une action .
Sur un piédeftal de quatorze pieds de haut , orné
de trophées & de drapeaux , eft la ftatue du Roi.
Il eft repréfenté , le bâton de commandement à
la main, & prêt à marcher à de nouvelles conquêtes.
La Déeffe de la Santé eft au côté droit
du piédeftal , tenant d'une main un ferpent qui
mange dans une patere qu'elle lui préfente de
l'autre main. On voit auprès de la Déeſſe un autel
entouré de fruits ,fymbole des voeux des peuples.
De l'autre côté du piédeftal eft la Bretagne ,
avec les attributs de la guerre & du commerce.
La joie qui fuccede à fes allarmes , éclate fur
fon vifage. La ftatue du Roi a onze pieds trois
pouces de haut , les deux autres font de dix pieds.
Toutes les trois font de bronze , ainfi que les
ornemens. On lit fur le piédeftal l'infcription fuivante
: Ludovico XV. Regi Chriftianiffimo , redi¬
JANVIER. 1755. 207
vivo & triumphanti , hoc amoris pignus &falutis
publica Monumentum Comitia Armorica poſuere.
Anno M. DCC. XLIV. Les Etats ont voulu folemnifer
par une fête éclatante la dédicace d'un
Monument qui leur eft fi précieux . Pour annoncer
qu'ils accompliffoient au ſein de la paix un
voeu formé pendant la guerre , ils avoient fait placer
en face du Monument cette autre infcription
, Victori voverunt , Pacificatori pofuere , la
quelle a été compofée , ainfi que la précédente ,
par M. Duclos , Hiftoriographe de France , &
l'un des quarante de l'Académie Françoiſe . Le
9 de ce mois , M. Le Moine , conduit par le Héraut
des Etats , fe préfenta à leur affemblée , &
leur annonça que tout étoit prêt pour la cérémonie.
Auffi-tôt ils arrêterent de la faire le jour fuivant
, & d'y affifter en corps. Ils envoyerent en
conféquence une députation prier les Commiffaires
du Roi & la Ducheffe d'Aiguillon de s'y
trouver. Le 10 , les Etats partirent en corps , pour
ſe rendre à la Place royale. Lorfqu'ils furent placés
, les Commiffaires du Roi , ayant le Duc d'Aiguillon
à leur tête , arriverent à Paffemblée , fuivant
le cérémonial qui avoit été réglé. La Ducheffe
d'Aiguillon & les Dames invitées étoient
aux fenêtres de l'Hôtel de Ville , & la principale
Bourgeoisie occupoit la maifon du Préfidial , qui
eft de l'autre côté. Le Héraut , revêtu de fa cotte
d'armes , monté fur un cheval caparaçonné , &
précedé de timbales & de trompettes , parut au milieu
de la place , & fit cette proclamation . DE LA
PART DES ETATS, Meffeigneurs & Meffieurs. » C'ef
» aujourd'hui que les Etats font la dédicace du
» Monument qu'ils ont fait ériger comme un gage
» de leur amour pour le Roi . Vive le Roi. » Tout
le monde répondit au cri du Héraut par la mê208
MERCURE DE FRANCE.
me acclamation. A l'inftant M. Le Moine fit
découvrir le Monument qui juſqu'alors avoit été
couvert d'un voile. Les Commiffaires du Roi s'étant
avancés devant le Monument , firent le falut
d'ufage. Après qu'ils fe furent retirés avec le même
cérémonial qui s'étoit obſervé à leur arrivée
les trois Ordres des Etats marchant chacun dans
fon firent le même falut. Ils retournerent
rang ,
enfuite au lieu ordinaire de leur aſſemblée , &
l'Evêque de Rennes leur déclara que le Roi , pour
donner à la Bretagne des marques de fa fatisfaction
, accordoit deux Abbayes dans l'Ordre du
Clergé , deux Compagnies de cavalerie , & quatre
places de Garde- Marine dans l'Ordre de la Nobleſſe
, & des Lettres de Noblefle à deux membres
du Tiers Etat. Les Etats répondirent par un cri
unanime de Vive le Roi. Ils envoyerent une députation
faire des remercimens au Duc d'Aiguillon
;ils ordonnerent une gratification de cinquante
mille livres à M. Le Moine , qui fut embraffé ſur
la place où fe faifoit la cérémonie , par M. le Com
mandant , les Commiffaires du Roi , & les Préfidens
des Ordres.
La fituation de la ville d'Avignon , baignée du
côté du couchant par les eaux du Rhône , qui , à
un quart de lieue de là , reçoit la Durance , la
rend fujette à de fréquentes inondations . On y en
effuya le 12 une auffi fubite que confidérable . Le
Rhône qui la veille , fur les quatre heures du foir,
n'avoit pas en divers endroits plus de quatre pieds
d'eau , augmenta de plus de trente dans les vingtquatre
heures , quoiqu'il fe fût étendu à plus de
demi- lieue au large. La Durance s'étoit de même
tellement enflée le 11 , qu'elle avoit crevé les
chauffées. Une partie de la ville d'Avignon s'eft
trouvée inondée , & fans les précautions qu'on a
JANVIER. 1755. 209
prifes , elle auroit extrêmement fouffert. On n'avoit
point vu le Rhône porter ſes eaux ni fi haut ,
ni fi loin , depuis l'année 1745 , pendant laquelle
il y eut trois autres inondations à peu près pareilles
dans ce même mois de Novembre.
Le Prince de Conty , Grand- Prieur de France ,
a chargé le Chevalier de Rupierre , Commandeur
de la Commanderie de Louvies , de faire la vifite
générale des Commanderies du Grand Prieuré.
Selon les nouvelles de Montpellier , on y a
effuyé une des plus horribles pluyes dont on fe
fouvienne. Elle commença le 11 à neuf heures du
matin , & ne finit que le lendemain matin à ſept .
Un violent ouragan qui s'y joignit , emporta
tout le gravier du chemin , depuis Montpellier
jufqu'à la Baraque de Coudognan , fituée à cinq
lieues de cette ville. Tous les parapets des ponts
furent abbatus. La chauffée du pont de Lunel fut
rompue en quinze endroits , & les bréches , ont été
fi profondes qu'on avoit de l'eau prefque jufqu'à
la ceinture. Les levées du Vidourle , riviere qui
paffe fous le pont de Lunel , ont été rompues auffi
en plufieurs endroits . Par ces divers accidens , la
plaine de Lunel & plufieurs cantons voisins ont
été entierement inondés. Le ruiffeau de Tave a
emporté le pont du grand chemin qui va de Ba
gnols à Avignon , & le chemin a été abfolument
impraticable pendant quatre jours . Le débordement
du Ceze a fort endommagé le pont qui eft à
Bagnols fur cette riviere.
A l'occafion de la rentrée du Parlement , M. de
Maupeou , Premier Préſident , a prononcé deux
harangues , l'une le 25 , l'autre le 27 du mois dernier.
Le fujet de la premiere harangue fut l'Amour
des Devoirs . Dans la feconde , M. de Maupeou
montra que la véritable grandeur du Magif
210 MERCURE DE FRANCE.
trat confifte à être un vraiCitoyen. M. d'Ormeffon.;
Avocat Général , prononça auffi le 25 du même
mois un Difcours dans lequel il fit le portrait de
L'Avocat.
Le 28 du mois dernier , le Marquis de Montmirel
prêta ferment de fidélité entre les mains da
Roi , pour la charge de Capitaine - Colonel des
Cent Suiffes de la Garde ordinaire de Sa Majefté .
Le même jour , les Etats de la province de Languedoc
ont fait à Montpellier P'ouverture de leur
affemblée.
Le fils du Comte de Sartiranne , Ambaffadeur
ordinaire du Roi de Sardaigne , fut tenu le premier
Décembre fur les Fonts de Baptême par le
Roi & la Reine , qui le nommerent Louis - Jofeph.
Le 3 , Don Jaime Maffones de Lima , Ambaffa.
deur extraordinaire du Roi d'Efpagne , eut une
audience particuliere du Roi , dans laquelle il préfenta
à Sa Majefté le Marquis Grimaldi , Ambaſſadeur
ordinaire du Roi fon Maître auprès des Etats
Généraux des Provinces Unies.
Une députation du Grand- Confeil vint le premier
Décembre remercier le Roi de la grace que
Sa Majesté a faite à cette Compagnie , de l'établir
au Louvre.
Le Roi ayant ordonné que toute l'Infanterie
Françoife battroit la même ordonnance , il a été
ordonné en conféquence à tous les Tambours Ma
jors des Régimens de fe rendre aux Invalides, pour
y être inftruits par le Tambour Major du Régiment
des Gardes Françoifes ; ce qui a été exécuté.
Le premier , tous ces Tambours fe rendirent à
Verfailles ; & dans la cour du Château , en préfence
de Sa Majefté , qui étoit à ſon balcon , toute
la nouvelle ordonnance fur battue avec une précifion
parfaite , foit en marchant , foit de pied
JANVIER. 1755. 211
ferme. Le Tambour Major du Régiment des Gardes
Françoifes ordonnoit les différentes batteries ,
& il y avoit dans les rangs quatre autres Tambours
dudit Régiment . Le Chevalier de Vaudreuil,
Lieutenant Général des Armées du Roi , & Major
du Régiment des Gardes Françoifes , accompagné
de deux Officiers Majors de ce Régiment , étoit
fous le balcon de Sa Majefté pour en recevoir les
ordres , & pour les donner au Tambour Major.
On a reçu avis que la nuit du 9 au 10 de Novembre
, un ouragan avoit caufé des dommages
très-confidérables dans la ville de Limoges & dans
les environs. Le vent a emporté les toits de la
plupart des maifons , & déraciné un grand nombre
d'arbres de toute efpece. Cet ouragan a été
accompagné de tonnerre & d'éclairs .
Le ro , le Bailly de Froullay , Ambaffadeur ordinaire
de la Religion de Malte , eut une audience
particuliere du Roi , dans laquelle il préfenta à Sa
Majefté une Lettre de félicitation du Grand Maître
fur l'heureux accouchement de Madame la
Dauphine , & fur la naiffance de Monfeigneur le
Duc de Berry. Le Bailly de Froullay fut conduit
à cette audience par M. Dufort , Introducteur des
Ambaffadeurs
f
Le Comte d'Eu a préfenté à Leurs Majeftés le
Comte de Roquefeuille , Lieutenant de vaiffeau ,
qui a été nommé Gouverneur du Prince de Lamballe
& du Duc de Châteauvilain , fils du Duc de
Penthievre.
Le Roi a accordé au Comte d'Herouville de
Claye , Lieutenant-Général de fes armées , & Infpecteur-
Général de l'Infanterie , le Commandement
de la province de Guyenne.
Sa Majefté a nommé fon Miniftre auprès du Roi
& de la République de Pologne M. Durand ,
212 MERCURE DE FRANCE .
Confeiller au Parlement de Metz , ci- devant chargé
des affaires de France en Angleterre & en Hollande.
23
Le 19 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix- huit cens quarante- fept livres , dix
fols. Les billets de la premiere Lotterie royale ,
& ceux de la feconde Lotterie n'avoient point de
prix fixe.
1
NAISSANCE , MARIAGES
& Morts.
E 11 Septembre , Françoife -Parfaite -Thaïs de
de S. Mauris , Marquis de Montbarey , Colonel
des Grenadiers de France , eft accouchée d'un fils
qui a été tenu fur les fonts le 28 du même mois ,
au nom du Roi de Pologne , Duc de Lorraine &
de Bar , & de Madame Adelaide , & nommé Ade-
Laide-Staniflas- Marie.
Meffire François-Jofeph , Marquis le Danois
fils de feu Meffire Louis-Hubert le Danois , Marquis
de Joffreville , Mettre de camp de Cavalerie ,
& de feue Dame Anne - Elifabeth le Begue , époufa
le 15 Octobre au Château de Roifme , près de
Valenciennes , Demoiſelle Marie- Françoiſe- Colette
le Danois de Cernai , fille de Meffire François
le Danois , Marquis de Cernai , Lieutenant
Général des armées du Roi , & Commandeur de
l'Ordre royal & militaire de S. Louis ; & de Dame
Jeanne - Françoife - Henriette - Colette de la
Pierre. Leur contrat de mariage avoit été figné
par leurs Majeftés . La bénédiction nuptiale leur a
JANVIER. 1755. 213
été donnée dans l'Eglife de la Paroiffe , par M.
P'Abbé de Ste Aldegonde , Aumônier du Roi-
Le 26 du mois de Novembre , fat célébré
dans l'Eglife de S. André des Arcs à Paris , le ma
riage de Meffire Jean - François del Puech de Comeiras
, Chevalier de l'Ordre royal & militaire
de S. Louis , Capitaine au Régiment de Cavalerie
de Saluces , fils mineur de Meffire François del
Puech de Comeiras , Chevalier de l'Ordre royal
& militaire de S. Louis , Brigadier des armées du
Roi ; & de Dame Anne de Bédos , avec Demoifelle
Anne - Madeleine - Françoife Lallemant de
Montlangault , fille mineure unique de Meire
André Lallemant , fieur de Montlangault , & de
Dame Anne-Nicolle Sauré.
La nobleffe de la famille del Puech , en latin de
Podio , étoit très - ancienne en Languedoc avant
le XIV fiécle . On trouve dans l'hiftoire générale
de cette province plufieurs Gentilshommes , du
nom de Podio , qui y tenoient un rang diftingué
dans les XI , XII & XIII fiécles.
Jean del Puech , Seigneur de Comeiras , ayeul
de M. de Comeiras, qui a donné lieu à cet article.
Louis del Puech , Seigneur de la Loubiere , Major
du Régiment d'infanterie de Montalet , Ifaac
del Puech , Lieutenant au Régiment de Dragons
de Languedoc , Rhodier & Jean del Puech freres,
ayant été affignés devant les Commiffaires géné
raux du Confeil pour l'exécution des ordres du
Roi dans la recherche de la Noblefle , prouverent
unefiliation fuivie depuis Pierre del Puech , Chevalier
, leur dixieme ayeul , qui vivoit l'an 1321 ,
dont les Domaines & Seigneuries s'étendoient
-dans les Cevennes , pays du bas Languedoc , & en
conféquence obtinrent le 2 Juillet 1717 un arrêt ,
au rapportde M. de Machault , Maître des Requê
214 MERCURE DE FRANCE.
tes , fur les conclufions du Procureur général du
Roi en la commiffion , par lequel ils furent déchargés
de toute affignation , & maintenus &
gardés dans leur ancienne nobleffe d'extraction.
Cet arrêt a été enregistré à la Chambre des Comptes
, Aides & Finances de Montpellier fur les conclufions
du Procureur genéral du Roi , le 10 Décembre
1721. , & au bureau des Finances de la
Généralité de Montpellier , fur les conclufions du
Procureur du Roi , le 18 Mai 1725.
Les armes de la famille del Puech font de
gueules , à un château d'argent , donjonné de trois
Tours de même , maçonné de fable.
LE 26 Août dernier eft décédée Dame Genevieve
- Bafile - Suſanne d'Aine , épouse de Meffire
Paul Tiry de Holbach , Baron de Heeffe.
Le 4 Septembre eft mort Meffire Jean- Baptiste-
Félicien de la Sône , fils de N .... Marquis de la
Sône , Maréchal de camp.
Louife- Magdeleine de Fay de la Tour - Maubourg,
époufe de Charles - François- Chriftian de
Montmorenci-Luxembourg , premier Baron Chrétien
de France , Prince de Tingri , Souverain de
Luxe , Comte de Beaumont , Marquis de Bréval ,
Lieutenant général des armées du Roi , Lieute
nant général pour ſa Majesté dans la province de
Flandre , Gouverneur & grand Bailli de Mantes
& de Meulans , & du pays Mantois , mourut à Paris
le 15 , dans la vingtieme année de ſon âge.
Le même jour est décédée Dame N ..... d'Ermenonville
, époufe de Meffire Gedeon-François
Lombard , Vicomte d'Ermenonville.
Dame Marie-Flore-Aglaé de Freſnoy , Vicomteffe
de Berck , épouse de Meffire Ferdinand ,
Comte de Grammont , Brigadier de Cavalerie , &`
JANVIER. 1755. 215
eft Me ftre de camp d'un Régiment de fon nom
morte le 17 aux eaux de Mont - d'or , en Auvergne
, âgée de vingt - huit ans .
Le Sr Charles- Antoine le Clerc de la Bruere ,
Secrétaire d'Ambaffade de France , & chargé des
affaires du Roi Très- Chrétien à Rome , depuis le
départ du Duc de Nivernois , eft mort à Rome le
18 , agé d'environ trente-huit ans. Son corps a
été inhumé dans l'Eglife de S. Louis de la nation
françoife- Il étoit de l'Académie della Crufca , &
de celle degli Arcadi.
Meffire Gabriel- Louis- Henri de Caulincourt ,
Aumônier du Roi , Doyen du Chapitre des Andelys
, & Abbé de l'Abbaye de S. Juft , Ordre de Prémontré
, Diocèſe de Beauvais , eft mort aux Andelys
le 18 dans fa trente - huitieme année.
Le 20 eft décédée Dame Erneftine- Marguerite
Comteffe de Welderin.
Le 26 eft décédée au Château de S. Germain ,
dans la Marche , Anne- Bonne Doublet de Perlan ,
veuve depuis le 9 Mars 1752 , d'Armand - Louis-
François Foucaud , Marquis de S. Germain- Beaupré
, Brigadier de Cavalerie , Gouverneur de la
haute & baffe Marche .
:
Dame Henriette - Marguerite de Beffet , Dame
de la Chapelle- Milon , épouse de Mefire Denis-
Louis d'Hozier , Confeiller du Roi en fes Confeils
, Préfident en la Cour des Comptes , Aides
& Finances de Normandie , eft morte à Paris le
30 Octobre 1754 , âgée d'environ dix- neuf ans.
Voyez ce qui a été dit fur ces deux familles dans
le Mercure de Juin 1752 , feconde partie , & dans
celui d'Août de cette année.
216
AP
PROBATION.
J'ier, le Mercure de Janvier , & je n'y ai rien
' Ai lû , par ordre de Monſeigneur le Chancetrouvé
qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris
, ce 2 Janvier 1755 . GUIROY.
TABLE.
AVant-propos,
Daphné , Romance ,
Les réputations mifes au creufet ,
page iij
IS
18
Pandore , ou l'origine des paffions, par M.Yon , 36
Le Pigeon & le Coq , Fable ,
-Adelaïde , ou la Femme morte d'amour ,
Vers à Pauline ,
Epître à une veuve ,
Nouveau Dialogue des Morts ,
Remerciment à M. d'Ammon ,
Reproches à Menitte ,
47
49
19
60
62
69
70
Le Miroir , par M. de Marivaux , 71-
Mots de l'Enigme & des Logogriphes du fecond
volume de Décembre ,
Chanfon , Etrennes ,
Enigme & Logogryphe ,
Nouvelles Littéraires
Séance publique de l'Académie Françoiſe ,
-Sciences & Belles- Lettres ,
102
ibid.
105
107
142
147
Séance publique de PAcadémie des Infcriptions &
Belles- Lettres , 173
Séance publique de l'Académie des Sciences , 177
Beaux-Arts ,
Spectacles ,
Nouvelles Etrangeres ,
187
193
203
France. Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 206
Naiffance , Mariages & Morts ,
La Chanfon notée doit regarder la page 105.
De l'Imprimerie de Ch . A. JOMBER T.
212
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
FEVRIER , 1755.
Diverfité, c'est ma devife. La Fontaine.
Chez
Cochin
Filius inv
PapillonSculp
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais .
PISSOT , Quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques,
Avec Approbation & Privilege du Roi.
AVERTISSEMENT.
E Bureau du Mercure eft chez M.
LLUTION, Avocat, & Greffier - Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis an
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers .
C'eft à lui qu'on prie d'adreſſer , francs
de port? les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. de Boilly ,
Auteur du Mercure.
Le prix eft de 30 fols , & l'on payera
d'avance , en s'abonnant , ou 10 liv . 10 fols
pour un femeftre , on 21 livres par année , à
raifon de quatorze volumes , ainſi qu'il eſt
d'ufage pour les autres Journaux . Les voiumes
d'extraordinaire feront également de 30
fols, fe payeront avec le femeftre ou l'année
qui les fuivront.
>
L'abonnement pour les perfonnes de province
fera de 3 livres 10 fols par année
ou de la moitié par femeftre , à caufe des frais
de la pofte, & autres extraordinaires.
On les fupplie d'envoyer par la pofte , en
payant le droit , le prix de leur abonnement ,
on de donner leurs ordres , afin que le payement
enfoit fait d'avance au Bureau.
A ij
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
resteront au rebut.
L'on trouvera toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi , Mercredi
& Jeudi de chaque femaine , aprèsmidi.
MERCURE
DE FRANCE.
FEVRIER . 1755 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
EPITRE
A Mme LACOMTESSE DE J **.
V
SUR SON MARIAGE.
PAR M. DE M ***.
Ous l'avez dit , belle Sophie ,
Ce mot décififpour la vie ,
Dont jamais on ne fe dédit,
A iij
6. MERCURE DE FRANCE.
Tout haut l'Hymen s'en glorifie ;
Tout bas l'Amour s'en applaudit.
Votre ame à ces Dieux facrifie !
En vous voyant qui l'eût prédit ,
Modefte & timide Sophie ,
Qu'enfin .... qu'enfin vous l'auriez dit
Trompé par la candeur naïve
De vos regards & de vos traits ,
?
» Non , difois-je , elle eft trop craintive ,
» Elle ne l'ofera jamais.
Amour , ton heure décifive
N'attend ni les fi , ni les mais
Et tout eft dit lorfqu'elle arrive.
Peut-être au moment que j'écris,
Le plus fortuné des maris . ...
Ah ! qui n'envîroit fon partage !
C'eſt lettre clofe ; mais je gage
Qu'il en connoît trop bien le prix
Pour n'en pas tirer avantage .
Avouez que le mariage
Eft plaiſamment imaginé ;
Auriez-vous jamais deviné
Tous les myſteres du ménage ?
La veille tout eft défendu :
On eft avec fon prétendu
D'un maintien plus froid qu'une image.
Le jour arrive , on vous bénic ;
FEVRIER.
17550 7
L'amour s'en mêle & vous unit :
Autre maintien , nouveau langage.
Sans rougir on entend les voeux
De l'amant dont on eft charmée :
La pudeur , loin d'être allarmée ,
Sourit aux plaifirs amoureux :
La nouvelle Eve eft animée ,
Le nouvel Adam eft heureux.
Tout change , & fous de doux aufpices ,
Du fameux jardin des délices
La porte s'ouvre encor pour eux.
Là cette aimable ſympathie
De goûts , d'humeurs & de defirs ;
Là , cette tendre modeftie ,
Voile & parure des plaifirs ;
Là , cette confiance intime ,
Fille & compagne de l'eftime ,
Viennent charmer d'heureux loifirs.
Deux coeurs , d'une paix fortunée ,
Refferrent les noeuds tour à tour ;
Et la volupté dans fa cour
Reçoit la vertu couronnée
Des fleurs que fait naître l'Amour ,
Et que moiffonne l'Hymenée.
Tel eft ce riant paradis
Où vous venez d'être introduite :
Mieux que moi vous êtes inftruite
De tout ce que je vous en dis.
&
A iiij
8 MERCURE DE FRANCE.
Sur la foi d'autrui j'imagine
Le bonheur que vous refientez ,
Et cette demeure divine ,
Je la décris , vous l'habitez ,
Des plaifirs & de la fortune ,
Les Poëtes parlent fouvent ;
Nous y voyageons en rêvant
Comme Cyrano dans la Lune.
Vous , pour qui ces liens ne
font
pas ,
Comme pour nous , un vain menſonge ,
Goûtez long-tems tous les appas
D'un féjour que je vois en fonge.
Un fruit de cet arbre fatal
Qui l'inftruifit trop bien du mal ,
En a chaffé la premiere Eve.
Hélas ! elle y feroit encor ;
Et pour elle cet âge d'or
N'eût point difparu comme un rêve ,
Si , comme vous , elle avoit eu
Pour guide l'auftere vertu * *
Dont vous êtes la digne éleve.
** Madame H **.
FEVRIER. 1755. 9
IL EUT RAISON.
C
CONTE MORA L.
' Etoit un homme fenfé qu'Azema . Il
ne vouloit point fe marier, parce qu'il
fçavoit qu'on trompe tous les maris , & il
fe maria. On lui propofa deux partis ; l'un
étoit une jeune beauté qu'il aimoit , & qui
lui eût été fidele : l'autre étoit une veuve ,
qui lui étoit indifférente , & qui ne l'étoit
pas pour tout le monde. C'eft ce qu'on lui
fit connoître clairement. Cette derniere
fut l'objet de fon choix , & il eut raiſon .
Ceci a l'air d'un paradoxe , cela va devenir
une démonftration . Irene , mere d'Azema
, fe fentant près de fa derniere heure,
fit venir fon Génie de confiance , & lui tint
ce difcours fenfé : prenez foin , je vous prie ,
de l'éducation d'Azema , appliquez vous
à lui rendre l'efprit jufte , qu'il voye les
chofes comme elles font ; rien n'eft plus
difficile , il eft jeune. Qu'il ait les erreurs de
fon âge , pour en fentir le faux ; qu'il fréquente
les femmes , qu'il ne foit pas méchant
; on doit fe former l'efprit avec leurs
agrémens , excufer leurs défauts , & profiter
de leurs foibleffes.
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Lorfqu'il aura vû le monde , & qu'il en
fera dégoûté , qu'il finiffe par fe marier ,
afin d'avoir une maifon qui foit l'afyle
d'une compagnie choifie . Le bonheur d'un
jeune homime, c'eft d'être toujours avec les
autres ; le bonheur d'un homme raiſonnable
, c'eft d'être fouvent avec foi-même.
Il est bien plus doux de recevoir fes amis ,
d'aller voir fes connoiffances . L'amitié
eft la volupté de l'âge mur.
que
Irene expira après avoir dit tant de belles
chofes. Elle n'avoit rien de mieux à
faire. Il y auroit une grande mortalité , fi
l'on ceffoit de vivre lorfqu'on n'a rien de
bon à dire.
Le Génie attendit qu'Azema eut quinze
ans , & lui parla ainſi : on m'a recommandé
de vous rendre prudent.Pour le devenir,
il faut faire des fottifes ; vous ne croiricz
peut- être pas que pour cela on a quelquefois
befoin de confeils ; je préfume cependant
que vous pourrez vous en paffer ; je vous
laiffe jufqu'à ce que vous ne fçachiez plus
quel parti prendre ; je ne vous abandonne
pas pour long-tems. Azema fe confondit
en remercimens fort plats , fort mal tournés.
Je ne vous ai pas recommandé , interrompit
le Génie , de dire des fottifes ,
mais d'en faire. Agiffez toujours , & toutes
les fois que vous voudrez parler , ayez
l'attention de vous taire.
FEVRIER. 1755 I[ .
par
Après ces mots il difparut. Azema , livré
à lui- même , voulut fe donner l'air de
refléchir aux fautes qu'il commettroit
préférence ; on ne peut les choifir qu'en
les connoiffant , & ce font de ces connoiffances
qui ne s'acquierent qu'en chemin
faifant. D'ailleurs un jeune homme
avantageux ne fait des fottifes qu'en cherchant
à s'en garantir . Il avoit une préfomption
qui promettoit beaucoup ; un
air capable eft prefque toujours l'étiquette
du contraire . Son début fut brillant ; il
étoit d'une ancienne nobleffe , fans pouvoir
cependant dire un homme de ma maifon.
Il ne diftingua pas cette nuance , il
dédaigna les vertus fimples & obfcures d'un
bon Gentilhomme , & préféra les vices
éclatans d'un grand Seigneur. Il eut un
équipage de chiens courans , grand nombre
de chevaux , plufieurs carroffes , des
coureurs , trois cuifiniers , beaucoup de
maîtreffes , & point d'amis. Il paffoit fa
vie à tâcher de s'amufer ; mais fes occupations
n'étoient que le réfultat de fon defoeuvrement.
Le fonds de fon bien s'évanouit en peu
de tems ; il éprouva qu'un homme de
condition né riche ne fait jamais qu'un
homme de qualité fort pauvre. Il fe trouva
ruinéfans avoir feulement effleuré le plai-
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
fir , & vit trop tard que le bonheur s'obtient
& ne s'achete point.
Preffé par fes créanciers , trompé par fes
maîtreffes , délaiffé par fes parafites , il
s'écria , au deſeſpoir ! je ne fçais plus que
faire. Il entendit une voix aërienne , qui
prononça ces mots : Gagne bien des fontanges.
Voilà une jolie reffource , dit Azema ,
je n'aurois pas cru que pour rétablir mes
affaires , il fallût m'adreffer à Mlle Duchapt
. L'abfurdité de ce confeil le plongea
dans la rêverie . Il marcha long-tems fans
s'en appercevoir ; la nuit le furprit. Il fe
trouva dans un bois . Il fuivit une route ;
cette route le conduifit à un palais . Il fe préfenta
à la grille. Elle étoit gardée par un
Suiffe qui avoit un baudrier tout garni de
pompons ; & quoique Suiffe il portoit fous
ce baudrier une crevée de fontanges . Cet
ajuſtement en impofa à Azema . Monfieur ,
lui dit- il , j'ai fans doute l'honneur de parler
au Génie du fiécle . Mon ami , lui répartit
le Suiffe , vous ne vous connoiffez
pas en Génies ; j'appartiens à la Fée aux
Fontanges . Ah ! voilà ma femme , reprit
vivement Azema. Il s'agit de fçavoir fi
vous ferez fon homme , répondit froide-,
ment le Suiffe : je vais vous remettre entre
les mains de fon Ecuyer. L'Ecuyer le re-.
garda fans dire un mot , l'examina trèsFEVRIER
. 1755. 13
férieufement , & ne proféra que ces paroles
, il faut voir , prenons l'aune de Madame.
Il alla chercher une grande canne ,
mefura Azema , & dit d'un ton de protection
cela fe peut . Alors il le quitta , revint
un inſtant après , introduifit Azema
dans un appartement fuperbe , & l'y laiſſa ,
en lui repétant : Gagnez bien des fontanges .
Il fut un bon quart d'heure fans croire
qu'il fût avec quelqu'un . Il entendit enfuite
une voix grêle , qui crioit du fond d'un
grand lit ,Roufcha , Roufcha . Cette Roufcha
parut en difant , que plaît- il à Madame ?
Cet étranger , répondit la Fée. Tirez mes
rideaux ; eh mais vraiment , pourfuivit- elle,
ce jeune homme eft affez bien . Retirezvous
, Roufcha , j'ai des confeils à lui demander.
Roufcha fe retira en difant à Azema :
Gagnez bien desfontanges . Azemia , en voyant
la Fée fur fon féant , fut pénétré de refpect
, & demeura immobile. Jeune homme,
approchez -vous donc , dit la Fée : le jeune
homme recula. Qu'eſt - ce que c'eſt donc
continue la Fée , que ce petit garçon là qui
eft timide , & qui ne fait point de cas duruban
? En achevant cette phrafe , elle étala
aux yeux d'Azema un couvre-pied brodé
de fontanges , qui étoient faites de diamans.
Ah , Madame , s'écria-t- il , le beau
14 MERCURE DE FRANCE.
couvre-pied ! Eft- il de votre goût , dit la
Fée ? penfez - vous qu'il vous tiendroit
chaud Je ne demande pas mieux que de
vous le céder ; mais vous ne pouvez l'avoir
qu'en détail . J'en détacherai une fontange
à chaque trait d'efprit de votre part. Comment
, reprit vivement Azema , il ne faut
que de cela ? je vais vous enlever toutes
vos fontanges : je puis vous affurer , répartit
la Fée , que je ne les regretterai pas.
Il eft vrai , pourfuivit - elle , que je fais
difficile .
que
On fervit le fouper à côté du lit de la
Fée. Azema fe roua pour avoir de l'efprit.
Epigrammes , jeux de mots , méchancetés ,
chofes libres , anecdotes, rien ne fut oublié,
& rien ne prit ; il avança même que Nicomede
étoit une tragédie héroï- comique , fans
la Fée fe mît en devoir de lui donner
la plus petite fontange. Elle mangeoit
beaucoup , & ne difoit pas un mot . Elle fit
deffervir , & dit à Azema , mon cher enfant
, eft ce là ce qu'on appelle de l'efprit
dans le monde ? Oui , Madame , répondit
Azema : eh bien , reprit la Fée , mes fontanges
ne feront pas pour vous . Azema lui
propofa de les jouer au trictrac ; la Fée y
confentit. Il joua d'un fi grand bonheur ,
qu'il en gagna beaucoup rapidement , tant
il est vrai qu'on fait plutôt fortune
par le
FEVRIER . 1755. 15
jeu que par l'efprit : mais tout à coup la
chance tourna , il alloit tout reperdre. La
Fée en eut pitié , & lui dit , demeurons- en
là ; j'attens ce foir quelqu'un dont le bonheur
eft moins rapide , mais plus foutenu .
Croyez-moi , quittez ce Palais ; tirez parti
de vos fontanges , & ne les perdez pas
fur-tout comme vous les avez gagnées.
Azema profita de l'avis , vendit fes pierreries
, retira fes terres , reparut dans le
monde , & fe mit en bonne compagnie .
On a beau la tourner en ridicule , ce n'eft
que là qu'on apprend à penfer . Il eut même
le bonheur d'y devenir amoureux d'une
femme raifonnable. Dès cet inftant il
abjura tous fes faux airs ; il tâcha de mettre
à leur place des perfections . Il vit que
pour triompher d'elle , il falloit l'attendrir
& non pas la réduire ; l'un eft plus difficile
que l'autre. Une femme fenfée eft toujours
en garde contre la féduction , il n'y a que
l'eftime dont elle ne fe défie pas : elle s'abandonne
au charme de fon impreffion ,
fans en prévoir les conféquences , & fouvent
fe livre à l'amour en croyant ne fuivre
que la raifon.
Voilà ce qui fait les vraies paffions. La
volupté naît du principe qui les a fait naî
tre , & le plaifir de voir qu'on ne s'eft
trompé , garantit toujours leur durée.
pas
16 MERCURE DE FRANCE.
propo-
Azema , dans fon yvreffe , defiroit que
l'Hymen l'unît à un objet fi eftimable ;
mais il eut affez de fentiment pour n'en
rien faire . On ne doit point fonger au mariage
par refpect pour l'amour ; l'autorité
de l'un découvre trop les myfteres de l'autre
Sa maîtreffe en étoit fi perfuadée ,
qu'elle fut la premiere un jour à lui
fer plufieurs partis. Elle lui fit envifager
qu'à un certain âge il eft de la décence
de fe marier , pourvû que l'on ne foit
point amoureux de fa femme. Il étoit fenfé
, mais il étoit peureux . Effrayé de l'ennui
qui affiége un vieux garçon & des
dangers que court un vieux mari , il s'écria
, ô mon Génie tutélaire , m'abandonnerez-
vous ! Le Génie parur , & lui dit :
que me veux - tu ? Me marierai - je , reprit
Azema ? Sans doute , répondit le
Génie. Oui ; mais , pourfuivit l'autre en
tremblant , ferai - je ? ..... Suis moi , interrompit
le Génie , je vais voir fitu fçais
prendre ton parti . Dans l'inftant il le tranfporta
dans un palais rempli des plus jolies
femmes.
La vivacité de leur efprit augmentoit
encore celle de leur beauté : elles ne parloient
point d'amour en foupirant , elles
ne prononçoient fon nom qu'en riant. La
Gaieté étoit toujours occupée à recevoir
FEVRIER. 1755. 17
des fleurs de leurs mains pour en former
les chaînes de leurs amans. Quoique mariées
, elles avoient l'air content ; mais les
maris n'avoient pas le même uniforme ; ils
faifoient aller la maifon , & n'y paroiffoient
point : on prioit en leur nom , mais on n'y
juroit pas ; & lorfque par hazard ils vouloient
fe mettre de quelque fouper , ils y
faifoient la figure la plus trifte ; ils étoient
environnés des ris , & paroiffoient avoir
toujours envie de pleurer. Ils reffembloient
à ces efclaves Chinois , qui portent des
tymbales fur leurs épaules , & fur leſquelles
on bat la marche du plaifir , fans les y
faire participer. Azema trouva ce lieu fort
amufant. Il y eut même une Coquette qui
l'auroit époufé , pour en faire un repréfentant.
Il demanda du tems , & confulta le
Génie . Je vois ce que vous craignez , lui
dit fon protecteur , & je dois vous raffurer
en vous apprenant que c'eft ici le féjour
de la fidélité. Les amans y font en titre
, & n'y font jamais en charge ; les femmes
y font fages , avec l'apparence du dérangement
, & les maris n'y ont que l'air
de la fottife. C'eft donc le pays des dupes ,
reprit Azema c'eft fon vrai nom , répartit
le Génie : vifitons en un autre. Il le conduifit
dans une ville voifine , & le préfenta
dans une maifon où il fe raffembloit
18 MERCURE DE FRANCE.
des gens aimables , qui prévenoient ceux
qu'ils ne connoiffoient pas , & qui n'aimoient
que ceux qu'ils eftimoient. Un efprit
liant , des moeurs douces , une ame fimple
& fenfible caracterifoient la maîtreffe
de cette maifon. Elle étoit amoureuſe fans
ceffer un feul inftant d'être décente & honnête.
Polie avec fes connoiffances , gaie
avec fa fociété , pleine de confiance , d'égards
& d'attentions pour fon mari , elle
le confultoit moins par befoin quepar refpect
pour elle même ; elle avoit foin de
n'inviter que gens qui lui convinffent autant
qu'à elle ; elle vouloit qu'il fut fûr
quand il lui prenoit envie de rentrer chez
lui , d'y être fêté comme un ami aimable ,
qui arrive fans qu'on s'en foit flaté.
Elle étoit perfuadée avec raifon , que le
peu de cas qu'on fait d'un mari n'eft ja
mais qu'aux dépens de fa femme , & qu'on
ne doit fa confidération qu'à celui de qui
l'on tient fon état.
Azema fut enchanté du ton qui regnoit
dans cette maifon ; il y fit connoiffance
avec une veuve qu'il eftima , fans aucun
fentiment plus tendre.
Le Génie le mena dans plufieurs autres
fociétés , dont la premiere étoit l'image. Je
fuis bien fûr , lui dit Azema , que de toutes
ces femmes là il n'y en a pas une qui ne
FEVRIER. 1755. 19
foit fidele à fon mari. Vous vous trompez
, répliqua le Génie , il n'y en a pas une
feule qui n'ait fon affaire arrangée . Il eſt
aifé de rendre un amant heureux fans que
cela prenne fur le bonheur d'un époux ;
il ne s'agit que de refpecter l'opinion . Une
femme étourdie fait plus de tort à fon mari
qu'une femme fenfée & tendre .
Azema tomba dans la méditation , s'en
tira comme d'un profond fommeil , & parla
ainfi Et vous dites , Monfieur , qu'il
faut abfolument me marier. Oui , fans
doute , répondit le Génie , le garçon le plus
aimable , quand il eft vieux , doit fonger
à s'amufer & à fe garantir d'être incommode.
En prenant une femme , il remplit ces
deux objets ; à un certain âge on ne peut
plus joindre le plaifir , mais il y a toujours
des moyens fürs de l'attirer chez foi :
l'homme qui a été le plus recherché dans
fa jeuneffe ne vit qu'un certain tems fur
fa réputation on le fupporte , mais il attrifte
, la gaieté des autres fe trouve enveloppée
dans fes infirmités. Si au contraire
il rient une bonne maiſon , on ſe fait un
devoir d'aller lui rendre des refpects ; & fa
femme , lorfqu'elle eft aimable , devient
un voile couleur de rofe qui couvre ſa
caducité.
Me voilà déterminé , s'écria Azema , je
20 MERCURE DE FRANCE.
veux me marier , & je vais peut - être vous
étonner. Si j'époufe cette Coquette que
j'ai trouvée dans le palais des dupes , elle
me fera fidele , mais on n'en croira rien ,
& pour lors on m'accablera de brocards.
Souvent un mari paffe pour une bête ,
moins parce qu'il manque d'efprit que
parce qu'il joue le rolle d'un fot .
Si je m'unis à cette veuve que j'aiconnue
ici , elle aura un amant , je l'avoue ; mais
cet amant fera un galant homme , qui fera
digne d'être mon ami . Il aura des égards
pour moi , & j'en tirerai peut- être un meilleur
parti que ma femme même.
Tel fut le raifonnement d'Azema . En
conféquence il fe propofa à la veuve , fut
accepté , & l'époufa . Il eut raison.
FEVRIER. 1755. 21
LA MEMOIRE ET L'OUBLI ,
O
FABLE.
N lit que la Divinité
Qui préside à notre Mémoire ,
Voyageoit un jour à côté
Du fleuve qu'on nomme Léthé,
Et qui dans l'Oubli nous fait boire.
L'une devoit aller loger chez la Bonté ,
C'étoit la Mémoire obligeante ;
Et l'autre fe fixer chez la Malignité ,
Pour le bien de l'humanité.
Nos voyageurs fe féparerent
Dans certain endroit limité ;
Mais par malheur ils s'égarerent .
Quelque démon , fans doute , en chemin apofté ,
Caufa cette fatalité.
Quoiqu'il en foit , près du Parjure ,
De la Malice & de l'Injure ,
La Mémoire eut bientôt domicile établi ;
Mais par une trifte aventure
Ce furent les Bienfaits qui logerent l'Oubli.
Puiffe un jour la reconnoiffance
Réparer ici-bas ce fatal quiproquo ;
Au fond de tous les coeurs ce defir prend naiffance
Ma Mufe n'en eft que l'écho .
22 MERCURE DE FRANCE.
Les Modernes font - ils en effet plus éclairés on
plus avancés que les Anciens dans le chemin
de la vérité ? *
la Ly a long- tems qu'on a dit
I premiere fois quel'erreur étoit le partage
de l'homme ; mais il eft étonnant que
dans les fiécles les plus éclairés on n'ait
pas moins occafion de le dire que dans
ceuxque nous appellons faftueufement fiécles
d'ignorance. On a l'obligation au hazard
de quantité de découvertes avec lefquelles
on eft parvenu à détruire de vielles
erreurs ; mais les a- t- on remplacées par
des vérités neuves ? les hommes ont - ils
fait effectivement quelques pas depuis
qu'ils fe vantent de n'être plus dans les ténébres
? fçavent - ils être plus heureux ,
meilleurs , ou font - ils du moins plus
exempts de préjugés , ce qui feroit en effet
une fuite des progrès qu'ils auroient faits
dans la recherche de la vérité ? A la honte
de l'efpece on n'apperçoit aucun de ces
* Quoique ce morceau ait l'air d'être traité férieufement
, j'ai cru devoir plutôt le ranger dans
cet article que dans celui des fciences , par la raifon
qu'il en fait moins l'éloge que la critique , &
qu'il paroît être le réfultat des doutes d'un homme
d'efprit plutôt que des difcuffions d'un fçavant.
FEVRIER . 1755. 23
fruits ; l'humanité paye toujours le même
tribut à l'erreur , aux vices , aux miferes
de fa condition : c'est donc à tort qu'elle
fe vanteroit d'être plus éclairée , & que
notre âge prétendroit la moindre préférence
fur ceux qui l'ont devancé.
On ne croit plus , avec S. Auguftin , que
les antipodes ayent la tête en bas ; avec
Prolomée , que le ſoleil tourne , ni qu'il y
ait des cieux de cryſtal ; avec Ariftote , que
la nature ait horreur du vuide , ni que de
petits atomes crochus ayent formé par hazard
le monde que nous admirons , comme
le penfoit Epicure. On a découvert
malgré la Bulle d'un Pape qui prefcrivoit
de n'en rien croire , qu'à l'extrêmité de no
tre globe il fe trouvoit des êtres penfans à
peu- près comme nous , chez qui , fur l'opinion
que nous pouvions exifter auffi
bien qu'eux , on n'avoit jamais inquiété
perfonne , c'est-à- dire qu'à l'afpect d'un bâtiment
fort élevé , nous avons entrevû
long- tems que les derniers appartemens
pouvoient être occupés comme les
miers , & qu'après avoir parcouru pendant
bien des fiécles notre petite planete , fans
nous douter qu'elle en fut une , nous avons
fait enfin l'importante découverte que
nous ne l'habitions pas feuls. Les Efpagnols
orgueilleux de cet effort de leur ima
pre24
MERCURE DE FRANCE .
gination , exterminerent fans pitié des nations
entieres , parce qu'elles avoient beaucoup
d'or & point d'artillerie , & qu'elles
s'avifoient de vouloir fe gouverner par les
loix de leur pays. Ainfi la moitié du monde
eut à gémir de la curiofité de l'autre .
A l'aide d'une longue lunette , dont la
premiere idée appartient à des enfans , qui
n'eurent d'autre maître que le hazard ou
l'envie de jouer , on a fait quelque pas
dans l'Aftronomie ; le mouvement de ro-.
tation du foleil a paru démontré , on a
cru voir les Satellites de quelques planetes
; on a déterminé le nombre des étoiles 3:
on a fort ingénieufement remarqué que:
les aftres feroient néceffairement immo->
biles dans des cieux de cryftal ou de toute
autre matiere folide , & peu s'en fautqu'on
ne trouve Ptolomée ridicule , parce
que de fon tems des enfans ne s'étoient.
pas encore imaginés de faire un télescope.
Cependant on n'a pas mieux défini que lui
de quelle matiere étoit le ciel. Les mouvemens
des aftres mieux obfervés depuis l'invention
des lunettes , ont feulement perfuadé
qu'elle devoit être fluide ; mais que
dans cet efpace où les aftres font leurs
révolutions , il n'y ait que du vuide , comme
il paroît que Newton l'a penfé , ou
qu'il n'y foit femé que par intervalles , fe-
-
(*
lon
FEVRIER. 1755. 25
lon le fentiment de Gaffendi , ou qu'il foit
impoffible , comme l'imaginoit Descartes ,
c'est un problême que l'imagination peut
s'égayer à réfoudre , qui fera produire encore
une infinité de fyftêmes qu'on ne
prouvera point , car l'ufage eft de fuppofer
, mais qui rendront exactement raifon
de tous les phénomenes de la nature ; ce
feront de nouvelles rêveries fubftituées
aux anciennes . Heureufement que ce problême
n'eft pas infiniment utile au bonheur
de l'Etat ou de la fociété.
Qu'on ait affujetti les éclipfes au calcul
invention qui peut - être ne fait pas tant
honneur à l'efprit humain qu'on pourroit
l'imaginer , puifqu'un peuple qui n'eft pas
autrement fçavant , quoiqu'on ait bien
voulu le faire paffer pour tel , en fait ufage
depuis un tems immémorial ; qu'à la
faveur de l'expérience de Pafcal , on ait
foupçonné la pefanteur & le reffort de l'air,
qu'on ait fait enfin de fi grands progrès
la Phyfique expérimentale ; c'eft qu'il
eft tout naturel que les derniers venus
foient mieux inftruits de ce qui fe paffe
dans une ville , que ceux qui en font partis
les premiers. Nous avons profité des
petits journaux que nos peres nous ont
laiffés , & nous en faifons de petits à notre
tour que nous laiffons à nos neveux , qui
B
26 MERCURE DE FRANCE.
en feront encore après nous ; mais ils feroient
auffi ridicules de s'enorgueillir
beaucoup de leurs nouvelles découvertes ,
& de nous traiter de barbares pour ne leur
avoir pas tout appris , que nous le fommes
fans doute en faifant de pareils reproches
à nos ancêtres. La nature n'a pu être examinée
qu'en détail ; la vie de l'homme
trop bornée ne permet d'acquerir qu'un
très- petit nombre de connoiffances mêlées
de beaucoup d'erreurs ; la curiofité , fource
des unes: & des autres , à peine encouragée
par quelques fuccès , s'anéantit avec
nous. La génération qui nous fuit , profite
de nos erreurs pour les éviter , de nos connoiffances
pour lleess découvrir découvrir , nous devance
un peu , tombe à fon tour , & laiffe
à celle qui la fuivra de nouvelles lumieres
& de nouvelles fautes. Je ne vois dans ces
prétendus progrès dont nous tirons tant de
vanité , qu'une chaîne immenſe , dont quelques-
uns ont indiqué le métal , d'autres ,
fans deffein peut-être , en ont formé les
anneaux ; les plus adroits ont imaginé de
les affembler , la gloire en eft pour eux ;
mais les premiers ont tout le mérite , ou
devroient l'avoir fi nous étions juftes .
Sont - elles bien à nous d'ailleurs ces
découvertes dont nous nous glorifions ?
Qui me répondra que depuis que les géFEVRIER.
1755. 27
nérations fe renouvellent fur la furface de
la terre , perfonne ne fes eut faites avant
nous ? Combien de nations enfeveliés fous
leurs ruines , dont il ne nous refte que des
idées imparfaites combien d'arts abfolument
perdus ? combien de monumens livrés
aux flammes ? It eft tel ouvrage qui lui
feul pourroit nous éclairer fur mille menfonges
, & nous découvrir autant de vérités
; n'en a- t- il point péri de cette efpece ,
ou par les ravages du tems , ou par les
incendies ? Quels peuples de l'antiquité le
retour des Lettres nous a- t- il fait connoître
? Les Grecs & les Romains , ignorans
fur leur origine, prévenus contre tout ce qui'
n'étoit pas de leur nation' , traitant de barbares
leurs voifins ou leurs ennemis , avec
autant d'injuftice peut-être que les Efpagnols
nommoient les Péruviens fauvages ,
dédaignant d'approfondir leurs moeurs ,
leurs caracteres , leurs traditions , leurs
ufages , ou les diffimulant par jalousie ,
& par conféquent incapables de nous en
inftruire. Comment les connoiffons- nous
encore ces Grecs & ces Romains ? à peuprès
comme par des relations imparfaites
nous connoiffons les peuples de l'Afrique
ou de l'Afie . Combien de peuples d'ailleurs
ces conquerans d'une partie du monde
n'ont- ils pas ignorés ? n'eft- il plus de cli-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
mats inconnus & penfons-nous qu'ils
n'auroient rien à nous apprendre ? N'a -ton
pas trouvé chez les Chinois , peuple
d'une vanité trop ridicule pour avoir un
mérite réel , l'ufage de l'Imprimerie & de
la poudre ? qui leur a donné l'idée de ces
arts fi nouveaux dans l'Europe , l'Imprimerie
fur-tout , qui mériteroit fi juftement
d'être admirée s'il étoit poffible qu'elle ne
perpétuât que des chofes dignes de l'être ?
Nous avons fait des progrès admirables
dans les méchaniques , nous avons fimplifié
des machines connues , nous en avons
créé d'autres ; mais qu'avons- nous exécuté
avec elles dont on ne trouve quelque
idée chez les anciens ? Ces hardis monumens
de l'antiquité la plus reculée , &
qui touche prefque aux premiers jours du
monde : les murs de Babylone , ces jardins
foutenus dans les airs , ces canaux vainqueurs
de l'Euphrate , ces pyramides de
l'Egypte , dont quelques - unes fubfiftent.
encore , ces fuperbes édifices élevés avec
la rapidité que l'hiftoire nous attefte ne
nous forcent- ils pas de convenir , ou que
les anciens avoient des reffources égales
aux nôtres , ou même qu'ils en avoient de
bien fupérieures ? On ne trouve pas feulement
chez eux les traces des arts utiles
on connoît le luxe des premiers Affyriens
་ ་
›
FEVRIER . 1755 29
& le luxe ne s'introduit dans un Empire
qu'à la fuite des arts d'agrémens.
Qu'il foit permis de faire une compa
raifon entre ces prétendus enfans de notre
induſtrie & ceux de notre imagination
les ſyſtêmes de la Phyfique , fur les principaux
phénomenes de la nature ; il n'en eft
aucun qui n'ait été renouvellé de quelques
anciennes écoles . Le mouvement de la terre
, la matiere fubtile , le plein , le vuide ,
la gravitation , le pur méchanifme des animaux
, opinion dangereufe , parce qu'elle
pourroit trop prouver l'existence des
tourbillons ; ces ingénieufes fictions attribuées
à nos Philofophes modernes , exiftoient
long- tems avant eux , nous en avons
les originaux dans cette foule de Philofophes
Grecs ; & qui fçait fi ces originaux
n'étoient pas encore des copies ? Il en eft
de même des hypothèfes métaphyfiques.
L'immortalité de l'ame , avant que la religion
nous en eût fait un dogme , l'unité
de Dieu , la diftinction des deux fubftances
, le ſyſtême du matérialiſme adopté
quant à la nature de l'ame , par quelques
Peres des premiers fiécles , qui ne la
croyoient pas moins immortelle , mais qui
confervoient encore des principes puifés
dans les écoles payennes je veux parler
de Tertullien , d'Arnobe , de Lactance . Le
B iij
MERCURE DE FRANCE.
libre arbitre , la fatalité , furent des queftions
qui trouverent autrefois , comme de
nos jours , des partifans ou des adverfaires.
L'Athéifme de Spinofa , fi bien attaqué
par Bayle , eft développé dans le fixieme
livre de l'Eneide . Les Dieux oififs d'Epicure
ont fervi de modele à celui des Déiftes.
Si donc l'efprit humain fe repéte luimême
depuis fi long tems dans les fciences
fpéculatives , rien ne me porte à le
croire plus varié , plus inventeur dans ce
qui tient aux arts.
Mais je veux que nos modernes ayent
réellement imaginé les opinions qu'on leur
attribue , nous n'aurions encore changé
que de fictions & d'abfurdités. Les idées
innées de Deſcartes , les Monades de Leibnitz
ne valent gueres mieux que les prétendues
rêveries des anciens . Nous nous
fommes comportés à leur égard , comme
'certains Anglois nous ont fait l'honneur
de nous traiter dans leurs ouvrages ; ils
copient nos auteurs , en nous difant des
injures. Sur quoi peut donc être fondé
l'orgueil des hommes ? Je veux bien fuppofer
que nous connoiffions un peu mieux
que nos ancêtres les contours du globe que
nous habitons ,enrichis de leurs remarques
& des nôtres , nous fommes un peu moins
étrangers dans notre patrie. Nous avons
FEVRIER. 1755. 31
multiplié nos plaifirs en nous affujettiffant
à de nouveaux befoins ; mais n'avons- nous
pas auffi doublé nos infortunes : Nous
voulons , à la faveur de l'expérience , avoir
jetté quelques lumieres fur le méchanifme
de la nature , mais les cauſes nous en fontelles
moins obfcures ? Nous lifons dans les
cieux , mais fommes nous plus éclairés fur
l'artifice de nos organes , fur l'union du
corps & de l'ame , ou fur leur mutuelle
dépendance ? Avons - nous quelque idée
plus diftincte des termes qui nous font les
plus familiers , de la matiere , de l'eſprit ,
du lieu , du tems , de l'infini , termes que
le peuple prononce tous les jours , fans
imaginer qu'il ne les entend pas ? étrange
foibleffe de l'efprit humain , qui ne femble
ignorer que ce qu'il auroit intérêt de
connoître ! Parfaitement inftruit de quelques
vérités indifférentes , mais les feules
qui lui foient démontrées , j'ofe le dire
même , qui femblent l'humilier par leur
petit nombre & par l'excès de leur éviden.
ce , elles ne fervent qu'à lui faire mieux
fentir qu'il eft né pour le doute.
Je ne fçais par quelle étonnante contradiction
quelques perfonnes plus zélées
qu'inftruites , ont affecté de confondre le
Pirrhoniſme & l'incrédulité. Cette réflexion
où m'a conduit mon fajet, mériteroit-
B iiij
MERCURE DE FRANCE.
*
elle - feule une differtation approfondie ?
Mais comme il est toujours précieux d'établir
une vérité , que
, que celle- ci d'ailleurs paroîtra
nouvelle , je l'appuyerai du moins
d'un fimple raifonnement auquel il eft , je
crois , difficile de fe refufer. Le Pirrhonifme
feul apprend à la raifon à s'humilier ,
en lui démontrant l'incertitude de fes connoiffances
; la religion exige de notre orgueil
la même foumiffion , les mêmes facrifices
: le Pirrhonifme eft donc de toutes
les fectes des Philofophes celle qui eft la
plus conforme à l'efprit de la religion , &
qui nous difpofe le plus naturellement à
l'embraffer. Mais on pourroit en abuſer ,
me dira- t- on : eh ! de quoi ne pourroit - on
pas abufer ? Tel étoit du moins le fentiment
de ce fameux Evêque d'Avranches ,
l'auteur de la Démonftration évangélique' ,
Prélat illuftre que l'Eglife regarde , ainfi
que M. Boffuet , comme une de fes lumieres
.
Quoi de plus capable de convaincre
l'homme de fa foibleffe que le tableau
malheureuſement trop fidele que je viens
de vous en préſenter ? Ses prétendus progrès
appréciés , dénués de la pompe dont
une vaine éloquence a coutume de les ennoblir
, nous paroiffent dans leur véritable
jour. Il n'eft ni plus vertueux , ni plus
FEVRIER. 1755. 33
tapproché du bonheur , ni moins efclave,
des illufions : il n'a donc rien fait pour
lui ; mais fon orgueil eft toujours le même
, c'eft qu'il eft homme .
VERS.
PLus n'eft le tems où les bords d'Hypocrene
Etoient peuplés d'Auteurs laborieux ;
Ce qui leur coutoit tant de peine ,
Ne coute rien à leurs neveux .
Merveille n'eft , aucun plan ne les gêne "
Leurs vers font grouppés au hazard ,
C'eft la rime qui les amene ;
Cela ne couté qu'un écart.
Auffi fans méthode & fans art
Nos beaux efprits les font- ils par centaine.
Qu'en advient- il leurs écrits brillantés
Sont des maffifs de karats mal montés ,
Qui ne durent qu'une femaine .
Bv.
34 MERCURE DE FRANCE.
EPITRE
A M. LE CHEVALIER D'ALIEZ ,
Secrétaire perpétuel de l'Académie des Jeux
Floraux de Fouloufe , fur ce qu'il m'en a
envoyé un recueil , & fur ce qu'il y a inferé
unepiece de ma façon , &c.
Pour ce commerce épiftolaire ,
Dont vous flatez l'ambition
De ma Mufe trop téméraire ,
Que l'amour propre doit vous faire
De remercimens en mon nom !
Vous , dont, l'empire littéraire
Vante l'efprit & le renom ;
Vous qui , fans nulle voix contraire ,
Sur le Pinde au facré vallon ,
Fûtes nommés dépofitaires
Des faftes d'Apollon,
Combien ce que vous m'écrivites ;
Sur mon goût naiſſant , eft flateur !
Cependant l'aimable candeur
Paroît dire ce que vous dites .
La politeffe , la douceur ,
Les graces , la naïve humeur ,
Seules qualités favorites
D'un bon naturel , d'un grand coeur ,
FEVRIER. 1755. 35
Semblent chez vous vertus preſcrites
Par goût & par
honneur.
Vous , que le nom diftingue encore ;
Vous , que j'eftime & que j'honore ,
Sçavant , gracieux Chevalier ,
Qui par vos leçons , le premier
Sçutes fi près de mon aurore ,
Développer & faire éclore
Ce précoce & brillant laurier
Dont mon front fe décore.
Dans ce livre enfin fi vanté ,
Qui des Muſes fait les délices ,
Et qui par vous m'eft préfenté
Pour prix de mes heureux caprices ;
Je vois donc mes foibles prémices ,
( Non fans un peu de vanité ) .
Voler , fous vos doctes aufpices ,
A l'immortalité ?
Mais , hélas ! de votre beau zéle ,
De vos rares bontés
pour
elle ,
Si ma Mufe reçut d'abord ,
Avec orgueil , avec tranſport ,
Une marque
fi belle ;
Bientôt elle eut l'humble dépit
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
De voir par fon infuffifance ,
A faire ce que lui preſcrit
La plus vive reconnoiffance ,
Combien fa verve & fon efprit
Auroient peu de force & d'aifance
Pour dire ce qu'elle en ſentit ,
Avec cette même éloquence
Dont mon coeur vous le dit ?
A Arc en Barrois.
Par Mlle Thomaffin.
FEVRIER. 1755. 37
LA DORMEUSE INDISCRETE.
NOUVELLE.
Doris & Celiante étoient unies d'une
amitié fincere , & l'on peut dire qu'elles
s'aimoient comme deux honnêtes gens ;
Auffi avoient- elles un excellent caractere .
Doris , pour être vertueufe , n'étoit pas
moins liante ; fi elle étoit fevere pour ellemême
, elle étoit indulgente pour les autres
; & ce qui donnoit un nouveau prix à
tant de fageffe , elle avoit tout ce qui peut
attirer des féducteurs .
" Celiante étoit d'un naturel aimable
mais plus afforti aux moeurs du fiécle. Si
elle n'avoit point toutes les qualités qui
font une femme de bien , elle poffédoit
celles qui forment un parfaitement honnête
homine. Elle avoit l'efprit bienfait , l'efprit
droit & les manieres charmantes : en
un mot , fon plus grand défaut ( fi c'en eft
un aujourd'hui ) étoit d'avoir plus de fenfibilité
que de conftance.
Je ne m'amuferai point ici à détailler
leurs charmes particuliers ; on a dépeint
tant de beautés différentes , que je ne fçaurois
plus faire que des portraits ufés. Je me
contenterai de dire qu'elles étoient toutes
38 MERCURE DE FRANCE.
deux d'une grande beauté , fans être d'une
extrême jeuneffe ; & ce qui eft préférable ,
elles avoient les graces en partage . Celiante
avoit plus d'enjouement & de vivacité.
Doris avoit plus de douceur , & fa modeftie
impofoit aux plus hardis . Elles étoient mariées
l'une & l'autre. La premiere avoit
pour époux un vieux goutteux qu'elle haiffoit
parfaitement , moins parce qu'il étoit
fon mari , qu'à caufe qu'il étoit infiniment
haïffable. Celui de Doris étoit plus jeune ;
elle l'avoit pris fans inclination , mais fans
répugnance . Comme il avoit un amour
tendre pour elle , elle y répondoit par
beaucoup de bonnes manieres , & le regardoit
comme fon meilleur ami . Le mari qui
connoiffoit fon infenfibilité naturelle &
qui étoit fûr de n'avoir point de rival , fe
contentoit d'une fi froide amitié . L'une vivoit
dans l'indifférence que lui prefcrivoit
fa vertu ; & l'autre , fuivant le doux
penchant qui la conduiſoit , étoit à fa troiheme
paffion.
Doris ne put voir l'inconftance de fon
amie fans lui en faire doucement la guerre.
Celiante fe défendit avec fa gaieté ordinaire
, & lui dit qu'elle prît garde à elle ,
que
fon heure d'aimer viendroit , qu'elle
n'étoit peut-être pas loin . Je ne crains rien ,
repartit Doris , j'ai paffé l'âge dangereux
FEVRIER. 1755. 39
des paffions , & j'ai vû d'un oeil indifférent
tout ce que la ville a de plus aimable. Puifque
vous m'en défiez , pourfuivit Celiante
, je vous attends à la campagne ; c'eſt là
que l'amour attaque la vertu avec plus
d'avantage , & c'eft là qu'il vous punira de
votre vanité ; l'âge ni la raiſon ne vous garantiront
pas. Tremblez , ajoûta-t -elle en
badinant , c'eft lui-même qui m'infpire &
qui vous parle par ma bouche. Doris ne fit
que rire de la prédiction . Celiante mit de
la confidence Clarimont , qu'elle aimoit
depuis fix mois , & lui demanda s'il ne
connoîtroit pas quelqu'un qui pût adoucir
l'auftere vertu de fon amie.
Clarimont lai dit qu'elle ne pouvoit
mieux s'adreffer qu'à lui ; que Lifidor avec
qui il étoit lié , étoit fait exprès pour plaire
à Doris ; qu'il étoit beau , bienfait , infenfible
comme elle. Le printems , ajoûtat-
il , favoriſe notre deſſein , & votre maifon
de campagne eft le lieu le plus propre
à filer une paffion . Amenez- y Doris , &
j'engagerai Lifidor à vous y aller voir avec
moi. Je veux être haï de vous , s'ils ne font
tous deux le plus joli Roman qu'on ait encore
vû , & dans peu on n'aura rien à vous
reprocher.
Celiante propofa la partie à Doris , qui
Faccepta. Elles partirent , & deux jours
40 MERCURE DE FRANCE.
la
après Clarimont les fuivit , accompagne
de Lifidor. Elles fe promenoient dans un
jardin , que l'art & la nature avoient rendu
le plus charmant du monde , & Doris
ne pouvoit fe laffer d'y admirer l'un &
Pautre , quand ils arriverent. Sa beauté
frappa Lifidor , & fa modeftie acheva de
le charmer. La Dame , de fon côté , trouva
le Cavalier à fon gré , & fon air de fageffe
lui donna de l'eftime pour lui. Plus ils fe
connurent , plus ils fe goûterent , & tout
fembla confpirer à enflammer des amans
de ce caractère , la liberté de fe voir tous
les jours & de fe parler à toute heure ,
folitude & la tranquillité de la campagne , le
printems qui étoit dans fa force , & la beauté
du lieu où ils étoient ; ils eurent beau réfifter
, l'amour fe rendit le maître , & fe déclara
fi fort dans huit jours , qu'ils avoient
de la peine à le cacher. Des foupirs leur
échappoient malgré eux , & ils ne pouvoient
fe regarder fans rougir. Clarimont & Celiante
qui les obfervoient , s'en apperçurent
un foir qu'ils étoient à la promenade , &
fe dirent à l'oreille : ils font pris au piége ;
les voilà qui rougiffent . Pour s'éclaircir
de leur doute , ils s'éloignerent adroitement
, & les laifferent feuls , fans pourtant
les perdre de vûe.
Doris friffonna de fe voir tête à tête avec
FEVRIER. 1755 . 41
un homme qu'elle craignoit d'aimer , & le
timide Lifidor parut lui - même embarraſſé ;
mais à la fin il rompit le filence , & jettant
fur Doris un regard tendre & refpectueux
, lui parla dans ces termes . J'ai toujours
fait gloire de mon indifférence , &
j'ai , pour ainsi dire , infulté au beau fexe ;
mais pardonnez à mon orgueil , Madame ,
je ne vous avois point vûe , vous m'en
puniffez trop bien.
A ce difcours elle fe fentit plus émue ;
& craignant l'effet de fon émotion , elle
prit le parti de la fuite. Voilà un tour que
Celiante m'a joué , répondit - elle , en le
quittant , je vais lui en faire des reproches.
Lifidor fut fi étourdi de cette réponſe , qu'il
demeura immobile . Doris rejoignit Celiante
, & la tirant à part , lui dit : c'eft
ainfi que vous apoftez des gens contre
moi. Dequoi vous plaignez-vous , répliqua
Celiante ? vous m'en avez défiée ; je
ne fuis pas noire , je vous en avertis . Pendant
ce tems- là Lifidor étoit refté dans la
même poſture où Doris l'avoit laiffé , & je
crois qu'il y feroit encore fi Clarimont
n'avoit été le defenchanter , en le tirant
par la main.
Nos amans furent raillés à fouper. Doris
en fut fi déconcertée , qu'elle feignit
un grand mal de tête , & fortit de table
42 MERCURE DE FRANCE.
.
pour s'aller mettre au lit. Quand Celiante
qui couchoit avec elle , entra dans fa chambre
, elle la trouva endormie , & l'entendit
qui fe plaignoit tout haut , & qui nommoit
Lifidor. L'amour qui ne veut rien
perdre , & qui avoit fouffert de la violence
qu'on lui avoit faite pendant le jour ,
profita de la nuit pour éclater , & le fommeil
, de concert avec lui , trahit la vertu
de Doris.
Dès qu'elle fut réveillée , fon amie lui
dit ce qu'elle venoit d'entendre. Il eft vrai ,
répondit- elle en pleurant , j'aime malgré
moi , & vous êtes vengée ; mais je mourrai
plutôt que de céder à ma paffion. Celiante
qui avoit le coeur fenfible , en fut attendrie
, & l'affura que fi elle avoit cru
que la chofe dût devenir auffi férieufe ,
elle n'auroit eu garde d'y fonger,
Le lendemain Lifidor redoubla d'empreffement
auprès de Doris , & fe jettant à
fes pieds , la pria de ne pas defefperer un
amant qui n'étoit pas tout -à-fait indigne
d'elle. Je vous offre , dit- il , un coeur tout
neuf, qui n'a jamais rien aimé que vous ,
& dont les fentimens font auffi purs que
votre vertu même ; ne le refufez pas , je
vous en conjure. Elle l'obligea de fe relever
, & lui répondit que des noeuds facrés
la lioient à un autre , qu'il ne pouvoit
FEVRIER. 1755. 43
brûler pour elle d'un feu légitime ; & que
s'il lui parloit une feconde fois de fon
amour , elle lui quitteroit la place , & réprendroit
le chemin de la ville .
Notre amant fut épouvanté d'une menace
ſi terrible ; il n'ofoit plus l'entretenir ,
à peine avoit-il le courage de la regarder ?
La trifteffe s'empara de fon ame , & bientôt
il ne fut plus reconnoiffable ; le plus
pareffeux des hommes devint le plus matinal
, lui qui paffoit auparavant les trois
quarts de la vie au lit , devançoit tous les
jours l'aurore . Clarimont l'en railla , &
lui dit ces vers de Quinault :
Vous vous éveillez fi matin ,
Que vous ferez croire à la fin
Que c'eft l'amour qui vous éveille.
Un matin qu'il le trouva dans un bois
écarté , un livre à la main , il lui demanda
ce qu'il lifoit. C'eſt Abailard , répondit- il ,
j'admire fes amours , & j'envie fon bonheur.
Je vous confeille d'en excepter la
cataſtrophe , répliqua Clarimont en riant ;
mais à parler férieufement , vous n'êtes pas
fort éloigné de fon bonheur ; vous aimez
& s'il faut en juger par les apparences ,
vous n'êtes point hai. Eh ! s'il étoit vrai ,
interrompit Lifidor , m'auroit-on impofé
>
44 MERCURE DE FRANCE.
filence , & m'auroit- on défendu d'efperer ?
Croyez-moi , reprit fon ami , ne vous découragez
point , & vous verrez que la fé
vere Doris ne vous a fermé la bouche que
parce qu'elle craint de vous entendre & de
vous aimer. Je fçai même de Celiante
qu'elle fouffre la nuit des efforts qu'elle fe
fait le jour. Si elle refufe de vous parler
éveillée , elle vous entretient en dormant ,
elle foupire , & vous nomme tout haut .
Elle eft indifpofée depuis hier au foir , &
je fuis für que fon mal ne vient que d'un
filence forcé , ou d'une réticence d'amour.
Allez la voir , fon indifpofition vous fervira
d'excufe & de prétexte.
Lifidor fe laiffa perfuader , & tourna fes
pas vers la chambre de fon amante ; if entra
, & ouvrit les rideaux d'une main tremblante
: elle dormoit dans ce moment ; &
pleine d'un fonge qui la féduifoit , elle lui
fit entendre ces douces paroles.
Oui , Lifidor , je vous aime , le mot eft
prononcé , il faut que je vous quitte , mon
devoir me l'ordonne , & ma vertu rifqueroit
trop contre votre mérite. Dans cet embraffement
recevez mon dernier adieu .
En même tems elle lui tend deux bras
charmans , qu'il mouroit d'envie de baifer,
& fe jette à fon col. Lifidor , comme
on peut penfer , n'eut garde de reculer.
FEVRIER . 1755. 45
Quelle agréable furprife pour un amant
qui fe croyoit difgracié ! O bienheureux
fommeil difoit - il en lui-même dans ces
momens délicieux , endors fì bien ma Doris
, qu'elle ne s'éveille de long- tems : mais
par malheur Celiante qui furvint , fit du
bruit , & la réveilla comme elle le tenoit
encore embraffé . Elle fut fi honteufe de
fe voir entre les bras d'un homme furtout
en préfence de fon amie , que repouffant
Lifidor d'un air effrayé , elle s'enfonça
dans fon lit , & s'enveloppa la tête
de la couverture , en s'écriant qu'elle
étoit indigne de voir le jour. Lifidor confus
, foupira d'un fi cruel réveil ; d'un excès
de plaifir il retomba dans la crainte &
dans l'abattement , & fortit comme il étoit
entré.
Ċeliante eût ri volontiers d'une fi plaifante
aventure ; mais Doris étoit fi defolée
qu'elle en eut pitié , & qu'elle tâcha de la
confoler , en lui repréfentant qu'on n'étoit
point refponfable des folies qu'on pouvoir
faire en dormant , & que de pareils écarts
étoient involontaires.
Non , interrompit Doris en pleurs , je
ne dormirai plus qu'en tremblant , & le
repos va me devenir odieux. Que l'amour
eft cruel il ne m'a épargnée juſqu'ici que
pour mieux montrer fon pouvoir , & que
46 MERCURE DE FRANCE.
pour rendre ma défaite plus honteufe . J'ai
toujours vécu fage à la ville , & je deviens
folle à la campagne ; il faut l'abandonner ,
l'air y eft contagieux pour moi . Ma chere ,
répartit Celiante , que vous êtes rigoureufe
à vous- même ! Après tout eft- ce un fi grand
mal que d'aimer ? Oui , pour moi qui fuis
liée , pourfuivit Doris , la fuite eft ma
feule reffource , & je pars aujourd'hui.
Aujourd'hui s'écria Celiante furpriſe
voilà un départ bien précipité. Aujour
d'hui même , reprit - elle , ou demain au
plûtard .
Celiante jugea qu'elle n'en feroit rien ,
puifqu'elle remettoit au lendemain , &
Celiante jugea bien . Lifidor à qui on dit
cette nouvelle , prit fon tems fi à propos ,
& s'excufa fi pathétiquement , qu'elle n'eut
pas le courage de partir. Depuis ce moment
il redoubla fes foins , & couvrit toujours
fon amour da voile du refpect. Le
tigre s'apprivoifa. Doris confentit d'écouter
fon amour, pourvu qu'il lui donnât le nom
d'eftime.
Enfin il n'étoit plus queftion que du
mot , quand le mari s'ennuya de l'abſence
de fa femme , & la vint voir . Il n'étoit pas
attendu , & encore moins fouhaité . Elle le
reçut d'un air fi froid & fi contraint , qu'il
fe fût bien apperçu qu'il étoit de trop s'il
FEVRIER. 1755. 47
avoit pû la foupçonner d'une foibleffe.
Lifidor fut confterné du contre- tems , & ne
put s'empêcher de le témoigner à Doris , &
de lui dire tout bas :
Quelle arrivée ! Madame , & quelle
nuit s'apprête pour moi ! Que je fuis jaloux
du fort de votre mari , & que mon
amour eft à plaindre !
Elle n'étoit pas dans un état plus tranquille.
La raifon lui reprochoit fon égarement
, & lui faifoit fentir des remords qui
la déchiroient. Elle ne pouvoit regarder
fon mari fans rougir , & elle voyoit finir
le jour à regret ; elle craignoit que le fommeil
ne lui revélât les fottifes de fon coeur .
Plufieurs n'ont pas cette peur , elles s'arrangent
de façon pendant la journée qu'elles
n'ont rien à craindre des aveux de la nuit .
Quand on a tout dit avant de fe coucher ,
on eft für de fe taire en dormant ; il n'y
a que les paffions contraintes qui parlent
dans le repos . Doris l'éprouva .
A peine fut-elle endormie , qu'un fonge
malin la trahit à fon ordinaire , & offrit
Lifidor à fon imagination égarée. Dans les
douces vapeurs d'un rêve fi agréable , elle
rencontra la main de fon mari , qu'elle
prit pour celle de fon amant , & la preffant
avec tendreffe , elle dit en foupirant :
Ah ! mon cher Lifidor , à quel excès d'a48
MERCURE DE FRANCE.
mour vous m'avez amenée , & qu'ai - je
fait de toute ma fageffe : Vous avez beau
me faire valoir la pureté de vos feux , je
n'en fuis pas moins coupable ; c'eft toujours
un crime que de les fouffrir , & c'eſt
y répondre que de les écouter. Que diroit
mon mari s'il venoit à lire dans mon
coeur l'amour que vous y avez fait naître ?
Cette feule penfée me tue , & je crois entendre
fes juftes reproches.
Qui fut étonné ce fut ce mari qui ne
dormoit pas. Quel difcours pour un homme
qui adoroit fa femme , & qui avoit
jufqu'alors admiré fa vertu ! Elle avoit
parlé avec tant d'action qu'elle s'éveilla ,
& il étoit fi troublé qu'il garda long-tems
le filence enfuite il le rompit avec ces
mots :
Je ne fçais , Madame , ce que vous avez
dans l'efprit , mais il travaille furieuſement
quand vous dormez. Il n'y a qu'un moment
que vous parliez tout haut , vous
avez même prononcé le nom de Lifidor ;
& s'il en faut croire votre fonge , il eft
fortement dans votre fouvenir. Une Coquette
auroit badiné là- deſſus , & raillé
fon mari de s'allarmer d'un fonge lorfque
tant d'autres s'inquiettent fi peu de la réalité
; mais Doris étoit trop vertueuse pour
fe jouer ainfi de la vérité qui la preifoit.
Elle
FEVRIER. 1755. 49
Elle ne répondit que par un torrent de larmes
, & voulut fe lever , en difant qu'elle
n'étoit plus digne de l'amitié de fon mari.
Il fut touché de fes pleurs , & la retint.
Après quelques reproches il fe laiffa perfuader
qu'il n'y avoit que fon coeur qui
fût coupable , & lui pardonna ; mais il exigea
d'elle qu'elle quitteroit la campagne
fur le champ , & ne verroit plus Lifidor.
Elle jura de lui obéir , & fit honneur à fon
ferment. Dès qu'il fut jour , elle prit congé
de fon amie , & la chargea d'un billet pour
Lifidor , qu'elle ne voulut point voir. Enfuite
elle partit avec fon époux.
Lifidor n'eut pas reçu le billet de Doris
qu'il l'ouvrit avec précipitation , & y luc
ces mots : Ma raifon & mon devoir font
à la fin les plus forts. Je pars & vous ne me
verrez plus. Il penfa mourir de douleur.
Non , s'écria -t- il , je ne vous croirai point,
trop fevere Doris , & je vous reverrai ,
quand ce ne feroit que pour expirer à votre
vûe. Auffi-tôt fe livrant au tranfport
qui l'entraînoit , il fuivit les pas de Doris
, & laiffa Celiante avec Clarimont goûter
la douceur d'un amour plus tranquille
& moins traverfé . Mais toutes fes démarches
furent inutiles. Doris fut inflexible
& ne voulut plus le voir ni l'écouter . Voici
des vers qu'on a faits fur cette aventure.
C
so MERCURE DE FRANCE.
LE DANGER DE LA CAMPAGNE ,
Aux beautés qui fe piquent de vertu.
yous ! dont le nombre eft fi rare
Beautés que la vertu conduit ,
Quels que foient les attraits dont la ville ſe pare ,
Son faux éclat rarement vous féduit.
Elle aime le tumulte , & vous fuyez le bruit ;
Elle n'offre à vos yeux que des amours volages ;
Que fuivent de folâtres ris :
Leurs regards effrontés , & leurs difcours peu fages
,
Au lieu de vos faveurs attirent vos mépris.
Pour vous plaire la ville a des moeurs trop coquettes.
Mais gardez vous aux champs de vous trouver
feuletes ;
Jardins fleuris , tendres oiſeaux ,
Bois fombres , clairs ruiffeaux ,
Lieux tant chantés , qu'on n'ofe plus décrire ;
Et le repos qu'on y refpire ,
Tout porte doucement aux plaiſirs amoureux.
Sous un dehors refpectueux
Le tendre amour fçait s'y produire ,
Et dans un efprit vertueux
Il trouve l'art de s'introduire .
Pour les coeurs innocens les bois font dangereux s
L'hiſtoire de Doris doit aſſez vous inftruire.
FEVRIER. 1755. ST
VERS
DE M. LE PRESIDENT
DE RUFFEY ,
A Meffieurs de la Société Royale &
Littéraire de Nancy.
Sur le traité des dangers de l'efprit , compo-
Se par le Roi de Pologne , & infere dans le
tome V de l'Année littéraire , page 262.
QUel aftre , par, des traits d'une vive lumiere ,
Eclaire de l'efprit l'incertaine carriere ,
Vient montrer aux humains un fentier peu battu ,
Et du ſein de l'erreur les guide à la vertu !
J'apperçois fa fplendeur diffiper les ténebres ,
Découvrir des écueils en naufrages célébres ,
Régler les mouvemens d'un feu féditieux ,
Rendre utile aux mortels le plus beau don des
cieux .
Qu'heureux font les climats foumis à la puiffance
!
Cet aftre y fait fentir fa benigne influence ;
Il fçait les garantir des rigueurs des faiſons ,
Il fait naître leurs fruits , féconde leurs moiffons,
Cij
52 MERCURE
DE FRANCE
-Un jour pur & ferein conftamment les éclaire :
Quand cet aftre paroît leur fort devient profpere ,
On voit naître avec lui l'abondance & la paix ;
Son éclat l'annoncer bien moins que fes bienfaits.
Vous , Sçavans affemblés , honneur de l'Auftrafie
,
Que dirigent fes loix , qu'infpire fon génie ,
Aux traits de mon pinceau ne connoiffez -vous pas
Votre foutien , votre ame , en un mot , Staniſlas ?
Votre gloire eft la fienne , il en fait fes délices ,
De fon augufte amour vous goûtez les prémices ;
Il anime au combat de paiſibles guerriers ,
*
Il aime , avec les fiens , voir croître vos lauriers.
Quel plaifir pour vos coeurs , de l'entendre fans
ceffe
Dicter à l'univers des leçons de fageffe ;
De voir , par les écrits , le vice combattu ,
Et fon thrône fervir d'autel à la vertu !
Philofophe profond , fa divine morale
Sonde du coeur humain le tortueux dédale ;
De l'efprit , d'un oeil jufte , il faifit les défauts ,
Diftingue habilement le vrai d'avec le faux.
Accordant l'avantage à l'Etat monarchique ,
En maître , Staniſlas parle de politique ;
11 juge fes refforts peu dignes des grands Rois ,
Du bonheur des ſujets fait leurs fuprêmes loix ;
De leurs communs devoirs fçavamment il décide ;
* Prix fondéspar le Roi , que donne annuellement
P'Académie.
FEVRIER. 1755 . 53
Rien n'échappe aux clartés de fon cfprit folide.
Mais bientôt , le crayon & l'équerre à la main ,
De fuperbes palais il trace le deffein ;
Grand , hardi , créateur , il franchit les obftacles ,
Son génie & fon goût enfantent des iniracles ;
Et l'Artifte , en fon art deformais tout nouveau ,
S'étonne à fon aſpect de ſe voir au berceau .
De tous lieux l'étranger vient , le voit & l'admire
,
Son affable bonté dans fon palais l'attire ;
Par un heureux talent , par un charme vainqueur ,
Un feul mot lui fuffit pour conquérir un coeur.
Maisvous feule avez droit , illuftre Académie ,
De chanter dignement le héros d'Auſtraſie ,
Sa gloire , fes bienfaits , fa magnanimité ,
Sa conftance , fa foi , fa haute piété .
Appelles pouvoit feul autrefois entreprendre
De tracer le portrait du fameux Alexandre ;
Nul ne doit avec vous prendre le noble foin
De louer des vertus dont votre ceil eft témoin.
Mais daignez excufer ma Muſe téméraire ;
Admis par votre aveu dans votre fanctuaire ,
J'y puifai tout le feu qui m'anime aujourd'hui ;
A ma timide voix vous fervites d'appui :
J'y bégayai des fons fur la même matiere *
Que traite Staniſlas avec tant de lumiere .
* M. le Président de Ruffey étant à Nanci , lut
dans l'Affemblée de l'Académie du 4 Juillez 1744 ,
unepiece en vers fur l'Eſprit .
Cij
54 MERCURE DE FRANCE.
Vous parutes goûter mon zéle & mes travaux ,
Et pour Fencourager , le portrait du héros ,
Dont la postérité fait l'efpoir de la France ,
Fut , de mes foibles chants , la noble récompenfe.
Mon coeur , en confervant ce gage précieux ,
Garde le fouvenir d'un jour fi glorieux.
CONSIDERATIONS
Sur la reconnoiffance & fur l'ingratitude.
N n'entend parler que d'ingrats , &
ONl'on rencontre peu de bienfaicteurs ; il
femble que les uns devroient être auffi com- ,
muns que les autres. Il faut donc de néceffité
, ou que le petit nombre de bienfaicteurs
qui fe trouvent , multiplient prodigieufement
leurs bienfaits , ou que la plupart des
accufations d'ingratitude foient mal fondées...
Pour éclaircir cette queftion , il fuffira de
fixer les idées qu'on doit attacher aux termes
de bienfaicteur & d'ingrat.
Bienfaicteur eft un de ces mots compo-"
fés qui portent avec eux leur définition .
Le bienfaicteur eft celui qui fait du bien ,
& les actes qu'il produit peuvent fe confidérer
fous trois afpects ; les bienfaits ,
les graces , & les fervices.
Le bienfait eſt un acte libre de la part
FEVRIER . 1755. 55
de fon auteur , quoique celui qui en eft
l'objet puiffe en être digne.
Une grace eſt un bien auquel celui qui
le reçoit , n'avoit aucun droit , ou la rémiffion
qu'on lui fait d'une peine méritée,
Un fervice eft un fecours par lequel on´
contribue à faire obtenir quelque bien.
Les principes qui font agir le bienfaicteur
font , où la bonté , ou l'orgueil , ou
même l'intérêt.
Le vrai bienfaicteur céde à fon penchant
naturel qui le porte à obliger , & il trouve
dans le bien qu'il fait une fatisfaction, qui
eft à la fois , & le premier mérite & la premiere
récompenfe de fon action ; mais tous
les bienfaits ne partent pas de la bienfaifance.
Le bienfaiteur eft quelquefois auffi
éloigné de la bienfaifance que le prodigue
l'eft de la générofité ; la prodigalité n'eft
que trop fouvent unie avec l'avarice , &
un bienfait peut n'avoir d'autre principe.
que l'orgueil. Le bienfaicteur faftueux cherche
à prouver aux autres & à lui- même
fa fupériorité fur celui qu'il oblige . Infenfible
à l'état des malheureux , incapable
de vertu , on ne doit attribuer les apparences
qu'il en montre qu'aux témoins.
qu'il en peut avoir . Il y a une troiſieme
efpece de bienfait , qui fans avoir la vertu
ni l'orgueil pour principes , ne partent que
C iiij
$6 MERCURE DE FRANCE,
"
d'un efpoir intéreffé. On cherche à cap
tiver d'avance ceux dont on prévoit qu'on
aura befoin . Rien n'eft plus commun que
ces échanges intéreffés , rien de plus rare
que les fervices.
Sans affecter ici de divifions paralleles
& fymmétriques , on peut envifager les
ingrats , comme les bienfaicteurs, fous trois,
afpects différens.
L'ingratitude confifte à oublier , à méconnoître
, ou à reconnoître mal les bienfaits
, & elle a fa fource dans l'infenfibilité
, dans l'orgueil ou dans l'intérêt.
La premiere efpece d'ingratitude eft celle
de ces ames foibles , légeres , fans confiftance.
Affligées par le befoin préfent , fans.
vûe fur l'avenir , elles ne gardent aucune
idée du paffé ; elles demandent fans peine
, reçoivent fans pudeur , & oublient
fans remords. Dignes de mépris , ou tout
au plus de compaffion , on peut les obliger
par pitié , & l'on ne doit . pas les eftimer
affez pour les hair.
Mais rien ne peut fauver de l'indignation
celui qui ne pouvant fe diffimuler les
bienfaits qu'il a reçus , cherche cependant
à méconnoître fon bienfaicteur . Souvent
après avoir réclamé les fecours avec baffeffe
, fon orgueil fe révolte contre tous
les actes de reconnoiffance qui peuvent lui
FEVRIER. 1755
57
rappeller une fituation humiliante ; il rougit
du malheur & jamais du vice. Par une
fuite du même caractere , s'il parvient à la
profpérité , il eft capable d'offrir par oftentation
ce qu'il refuſe à la juſtice ; il tâche
d'ufurper la gloire de la vertu , & manque
aux devoirs les plus facrés.
A l'égard de ces hommes moins haïffables
que ceux que l'orgueil rend injuftes
& plus méprifables encore que les ames
légeres & fans principes , dont j'ai parlé
d'abord , ils font de la reconnoiffance un
commerce intéreffé ; ils croyent pouvoir
Loumettre à un calcul arithmétique les fervices
qu'ils ont reçus. Ils ignorent , parce
que pour le fçavoir il faudroit fentir , ils
ignorent , dis- je , qu'il n'y a point d'équation
pour les fentimens ; que l'avantage du
bienfaicteur,fur celui qu'il a prévenu par
Les fervices eft inappréciable ; qu'il faudroit
pour rétablir l'égalité , fans détruire l'obligation
, que le public fût frappé par des
actes de reconnoiffance fi éclatans , qu'il
regardât comme un bonheur pour le bienfaicteur
les fervices qu'il auroit rendus ;
fans cela fes droits feront toujours inprefcriptibles
, il ne peut les perdre que par
l'abus qu'il en feroit lui -même .
En confidérant les différens caracteres
de l'ingratitude , on voit en quoi confifte
CY
3S MERCURE DE FRANCE.
celui de la reconnoiffance. C'eft un fentiment
qui attache au bienfaicteur avec le defir
de lui prouver ce fentiment par des -
effets , ou du moins par un aveu du bienfait
qu'on publie avec plaifir dans les occafions
qu'on fait naître avec candeur , &
qu'on faifit avec foin. Je ne confonds point
avec ce fentiment noble une oftentation
vive & fans chaleur , une adulation fervile,
qui paroît & qui eft en effet une nouvelle
demande plutôt qu'un remerciment.
J'ai vu de ces adulateurs vils , toujours
avides & jamais honteux de recevoir , exagérant
les fervices , prodiguant les éloges
pour exciter , encourager les bienfaicteurs,
& non pour les récompenfer. lls feignent
de fe paffionner , & ne fentent rien ; mais
is louent. Il n'y a point d'homme en place
qui ne puiffe voir autour de lui quelquesuns
de ces froids enthouſiaſtes , dont il eft
importané & flaté.
Je fçais qu'on doit cacher les fervices &
non pás la reconnoiffance ; elle admet , elle
exige quelquefois une forte d'éclat noble ,
libre & flateur ; mais les tranfports outrés ,
les élans déplacés font toujours fufpects
de faufferé ou de fottife , à moins qu'ils ne
partent du premier mouvement d'un coeur
chaud , d'une imagination vive , ou qu'ils
ne s'adreffent à un bienfaiteur donton n'a
plus rien à prétendre.
FEVRI E R. 1755. 59
Je dirai plus , & je le dirai librement : je
veuxque la reconnoiffance coûte à un coeur,
c'est-à- dire qu'il fe l'impofe avec peine ,
quoiqu'il la reffente avec plaifir quand
il s'en eft une fois chargé . Il n'y a point
d'hommes plus reconnoiffans que ceux qui
ne fe laiffent pas obliger par tout le monde
; ils fçavent les engagemens qu'ils prennent
, & ne veulent s'y foumettre qu'à l'égard
de ceux qu'ils eftiment. On n'eft jamais
plus empreffé à payer une dette que
lorfqu'on l'a contractée avec répugnance ,
& celui qui n'emprunte que par néceffité
gémiroit d'être infolvable.
J'ajoûterai qu'il n'eft pas néceffaire d'éprouver
un fentiment vif de reconnoiffance
, pour en avoir les procédés les plus
exacts & les plus éclatans. On peut par un
certain caractere de hauteur , fort différent
de l'orgueil , chercher à force de fervices
à faire perdre à fon bienfaicteur , ou da
moins à diminuer la fupériorité qu'il s'eft
acquife.
En vain objecteroit- on que les actions
fans les fentimens , ne fuffifent pas pour la
vertu. Je répondrai que les hommes doivent
fonger d'abord à rendre leurs actions
honnêtes , leurs fentimens y feront bientôt
conformes ; il leur eft plus ordinaire de
penferd'après leurs actions , que d'agir d'a-
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
près leurs principes . D'ailleurs cet amour
propre , bien entendu , eft la fource des
vertus morales & le premier lien de la
fociété.
Mais puifque les principes des bienfaits.
font fi différens , la reconnoiffance doitelle
toujours être de la même nature ? Quels
fentimens dois - je à celui qui par un
mouvement d'une pitié paffagere aura accordé
une parcelle de fon fuperflu à un
befoin preffant ; à celui qui par oftentation
ou foibleffe exerce fa prodigalité , fans
acception de perfonne , fans diftinction de
mérite ou de befoin ; à celui qui par inquiétude
, par un befoin machinal d'agir ,
d'intriguer , de s'entremettre , offre à tout
le monde indifféremment fes démarches ,
fes foins , fes follicitations ?
Je confens à faire des diſtinctions entre
ceux que je viens de repréfenter ; mais
enfin leur devrai - je les mêmes fentimens
qu'à un bienfaicteur éclairé , compatiffant ,
réglant même fa compaffion fur l'eftime
le befoin & les effets qu'il prévoit que fes
fervices pourront avoir ; qui prend fur
lui-même , qui reftreint de plus en plus
fon néceffaire pour fournir à une néceffité
plus urgente , quoiqu'étrangere pour lui a
On doit plus eftimer les vertus par leurs
principes que par leurs effets. Les fervices
FEVRIER . 1755. 61
doivent donc fe juger moins par l'avantage
qu'en retire celui qui eft obligé , que
par le facrifice que fait celui qui oblige .
On fe tromperoit fort de penfer qu'on
favorife les ingrats en laiflant la liberté
d'examiner les vrais motifs des bienfaits.
Un tel examen ne peut jamais être favorable
à l'ingratitude , & ajoûte quelquefois
du mérite à la reconnoiffance . En effet
quelque jugement qu'on foit en droit de
porter d'un fervice , à quelque prix qu'on
puifle le mettre du côté des motifs , on
n'en eft pas moins obligé aux mêmes devoirs
pratiques du côté de la reconnoiffance
, & il en coûte moins pour les remfentiment
que par l'honneur feul .
plir par
Il n'eft pas difficile de connoître quels
font ces devoirs , les occafions les indiquent
, on ne s'y trompe gueres , & l'on
n'eft jamais mieux jugé que par foi- même ;
mais il y a des circonftances délicates où l'on
doit être d'autant plus attentif , qu'on,
pourroit manquer à l'honneur en croyant
fatisfaire à la juftice. C'eft lorfqu'un bien- ,
faicteur abufant des fervices qu'il a rendus,
s'érige en tyran , & par l'orgueil & l'injuftice
de fes procédés , va jufqu'à perdre
Les droits . Quels font alors les devoirs de
l'obligé les mêmes.
J'avoue que ce jugement eft dur , mais
62 MERCURE DE FRANCE.
je n'en fuis pas moins perfuadé que le
bienfaiteur peut perdre fes droits , fans,
que l'obligé foit affranchi de fes devoirs ,
quoiqu'il foit libre de fes fentimens . Je
comprens qu'il n'aura plus d'attachement
de coeur , qu'il paffera peut-être juſqu'à la
haine , mais il n'en fera pas moins afſujetti
aux obligations qu'il a contractées . Un
homme humilié par fon bienfaicteur eft
bien plus à plaindre qu'un bienfaicteur
qui ne trouve que des ingrats.
L'ingratitude afflige plus les coeurs généreux
qu'elle ne les ulcere ; ils reffentent
plus de compaffion que de haine , le
fentiment de leur fupériorité les confole .
Mais il n'en eft pas ainfi dans l'état d'humiliation
où l'on eft réduit par un bienfaicteur
orgueilleux ; comme il faut alors
fouffrir fans fe plaindre , méprifer & honorer
fon tyran , une ame haute eft inté
rieurement déchirée , & devient d'autant
plus fufceptible de haine , qu'elle ne trouve
point de confolation dans l'amour propre
; elle fera donc plus capable de hair
que ne le feroit un coeur bas & fait pour
l'aviliffement. Je ne parle ici qué du caractere
général de l'homme , & non fuivant
les principes d'une morale purifiée
par la religion.
On refte donc toujours à l'égard d'un
FEVRIER. 1755 . 63
bienfaiteur , dans une dépendance dont
on ne peut être affranchi que par le public.
Il y a ,
dira-t-on ,
, peu
d'hommes
qui
foient
une objet
d'intérêt
ou même
d'at◄
tention
pour
le public
. Mais
il n'y a perfonne
qui n'ait fon public
, c'eſt-à- dire une
portion
de la fociété
commune
, dont
on
fait foi- même
partie
. Voilà
le public
dont
on doit
attendre
le jugement
fans le prévenir
, ni même
le folliciter
.
Les réclamations ont été imaginées par
les ames foibles ; les ames fortes y renoncent,
& la prudence doit faire craindre
de les entreprendre. L'apologie en fait de
procédés qui n'eft pas forcée , n'eft dans
l'efprit du public que la précaution d'un
coupable ; elle fert quelquefois de conviction
, il en réfulte tout au plus une excuſe
, rarement une juftification.
Tel homme qui par une prudence hon
nête fe tait fur fes fujets de plaintes , fe
trouveroit heureux d'être forcé de fe juftifier
; fouvent d'accufé il deviendroit accufateur
, & confondroit fon tyran . Le fi
lence ne feroit plus alors qu'un infenfi .
bilité méprifable. Une défenfe ferme &
décente contre un reproche injufte d'ingratitude
, eft un devoir auffi facré que la
reconnoiffance pour un bienfait.
64 MERCURE DE FRANCE.
Il faut cependant avouer qu'il eft toujours
malheureux de fe trouver dans de
telles circonftances ; la plus cruelle fituation
eft d'avoir à fe plaindre de ceux à qui
l'on doit.
Mais on n'eft pas obligé à la même referve
à l'égard des faux bienfaicteurs : j'entens
de ces prétendus protecteurs qui pour
en ufurper le titre , fe prévalent de leur rang.
Sans bienfaifance , peut-être fans crédit ,
fans avoir rendu de fervices , ils cherchent à
force d'oftentation , à fe faire des cliens qui
leur font quelquefois utiles , & ne leur font
jamais à charge. Un orgueil naïf leur fait
croire qu'une liaiſon avec eux eft un bienfait
de leur part. Si l'on eft obligé par honneur
& par raifon de renoncer à leur commerce
, ils crient à l'ingratitude , pour en
éviter le reproche . Il eft vrai qu'il y a des
fervices de plus d'une efpéce ; une fimple
parole , un mot dit à propos avec intelligence
ou avec courage , eft quelquefois
un fervice fignalé , qui exige plus de reconnoiffance
que beaucoup de bienfaits
matériels , comme un aveu public de l'obligation
eft quelquefois auffi l'acte de la
reconnoiffance la plus noble.
On diftingue aifément le bienfaiteur
réel du protecteur imaginaire : une forte
de décence peut empêcher de contredire
FEVRIER. 1755.
65
ouvertement l'oftentation de ce dernier ;
il y a même des occafions où l'on doit une
reconnoiffance de politeffe aux démonftrations
d'un zele qui n'eft qu'extérieur . Mais
fi l'on ne peut remplir ces devoirs d'ufage
qu'en ne rendant pas pleinement la juftice ,
c'est-à dire l'aveu qu'on doit au vrai bienfaicteur
, cette reconnoiffance fauffement
appliquée ou partagée , eft une véritable ingratitude
, qui n'eft pas rare , & qui a fa
fource dans la lâcheté , l'intérêt ou la fottife.
C'est une lâcheté que de ne pas défendre
les droits de fon vrai bienfaiteur. Ce
ne peut être que par un vil intérêt qu'on
foufcrit à une obligation ufurpée ; on fe
fatte par là d'engager un homme vain à
la réalifer un jour : enfin c'eft une étrange.
fottife que de fe mettre gratuitement dans.
la dépe dance.
En effet ces prétendus protecteurs , après
avoir fait illufion au public , fe la font enfuite
à eux- mêmes, & en prennent avantage.
pour exercer leur empire fur de timides.
complaifans ; la fupériorité du rang favorife
l'erreur à cet égard , & l'exercice
de la tyrannie la confirme . On ne doit pas
s'attendre que leur amitié foit le retour
d'un dévouement fervile. Il n'eft pas rare.
qu'un fupérieur fe laiffe fubjuguer & avilir
par fon inférieur ; mais il l'eft beau66
MERCURE DE FRANCE.
coup plus qu'il le prête à l'égalité , même
privée ; je dis l'égalité privée , car je fuis
très-éloigné de chercher à profcrire par
une humeur cynique les égards que la fubordination
exige. C'eft une loi néceffaire
de la fociété, qui ne révolte que l'orgueil ,
& qui ne gêne point les ames faites pour
Fordre . Je voudrois feulement que la différence
des rangs ne fût pas la regle de
l'eftime comme elle doit l'être des refpects
, & que la reconnoiffance fût un lien
précieux , qui unît , & non pas une chaîne
humiliante qui ne fit fentir que fon poids.
Tous les hommes ont leurs devoirs refpectifs
; mais tous n'ont pas la même difpofition
à les remplir : il y en a de plusreconnoiffans
les uns que les autres , &
j'ai plufieurs fois entendu avancer à ce fujet
une opinion qui ne me paroît ni jufte
ni décente. Le caractere vindicatif part ,
dit-on , du même principe que le caractere
reconnoiffant , parce qu'il eft également
naturel de fe reffouvenir des bons & des
mauvais fervices.
Si le fimple fouvenir du bien & du mal
qu'on a éprouvé étoit la régle du reffentiment
qu'on en garde , on auroit raifon
mais il n'y a rien de fi différent , & même
de fi peu dépendant l'un de l'autre . L'efprit
vindicatif part de l'orgueil fouventFEVRIER
. 1755 : 67.
úni au fentiment de fa propre foibleffe ;
on s'eftime trop , & l'on craint beaucoup..
La reconnoiffance marque d'abord un ef
prit de juftice , mais elle fuppofe encore:
une ame difpofée à aimer , pour qui la
haine feroit un tourment , & qui s'en af-.
franchit plus encore par fentiment que par
réflexion. Il y a certainement des caracteres
plus aimans que d'autres , & ceux- là
font reconnoiffans par le principe même
qui les empêche d'être vindicatifs . Les
coeurs nobles pardonnent à leurs inférieurs
par pitié , à leurs égaux par générofité .
C'eft contre leurs fupérieurs , c'est-à- dire
contre les hommes plus puiffans qu'eux ,
qu'ils peuvent quelquefois garder leur reffentiment
, & chercher à le fatisfaire ; le
péril qu'il y a dans la vengeance leur fait
illufion , ils croyent y voir de la gloire.
Mais ce qui prouve qu'il n'y a point de
haine dans leur coeur , c'eft que la moindre
fatisfaction les defarme , les touche &
les attendrit.
Pour réfumer en peu de mots les principes
que j'ai voulu établir. Les bienfaicteurs
doivent des égards à ceux qu'ils ont
obligés ; & ceux- ci contractent des devoirs
indifpenfables . On ne devroit donc
placer les bienfaits qu'avec difcernement ;
mais du moins on court peu de rifque à
3
68 MERCURE DE FRANCE.
les répandre fans choix : au lieu que ceux
qui les reçoivent prennent des engagemens
fi facrés , qu'ils ne fçauroient être trop attentifs
à ne les contracter qu'à l'égard de
ceux qu'ils pourront eftimer toujours . Si
cela étoit , les obligations feroient plus rares
qu'elles ne le font ; mais toutes feroient
remplies.
M. Duclos eft l'auteur de ces Confidérations.
LE TABLEAU ET L'EPONGE.
D
FABLE.
Ans le cabinet curieux
D'un connoiffeur tel que Julienne ,
( Cette Fable , en paffant vaut , bien qu'on la retienne
)
Un vieux Tableau tenoit un rang fort glorieux :
Mais enfin il étoit bien vieux ,
Et du tems , les cruelles traces
Laiffent toujours quelques difgraces
Sur l'objet le plus précieux .
Un jour l'Eponge dit : il faut que je m'attache
A redonner à ce Tableau
Un luftre renaiffant , un éclat tout nouveau ;
FEVRIER. 69
1755 .
J'en puis ôter juſqu'à la moindre tache ,
Il n'en paroîtra que plus beau ;
C'eft , à ce que l'on dit , un excellent morceau ;
Mais tout le monde enfin ne fçait pas s'y connoître
,
Et l'excellence du pinceau
N'eft faite que pour l'oeil du maître :
Les taches frappent l'ignorant ;
Voilà le nombre le plus grand.
Vraiment , je te trouve plaifante ,
( S'écria le Tableau , d'un tel foin irrité )
Quel peut être l'objet de ta témérité ?
Pour guérir un prétendu vice ,
De ton zele aveugle & novice
Les foins feroient trop achetés ,
Tu ne me rendrois pas ſervice ,
Et tu profanerois mes auguftes beautés.
Ainfi les orgueilleux ignorent
Le prix d'un bon ami qui veut les diriger.
Eft- ce offenfer les gens que de les corriger
Des défauts qui les deshonorent ?
70 MERCURE DE FRANCE .
EPITRE AUX BELLES.
JEund Eunes beautés , que la nature
Fit naître pour troubler le repos des mortels ,
De l'univers vous êtes la parure ,
Et vos appas méritent des autels.
L'homme fimple éclairé par les feules lumieres ,
Cherchant dans le cahos l'obfcure vérité ,
N'eût pas fubi le joug de tant d'erreurs groffieres ,
S'il eût fçu vous choiſir pour fa divinité.
Vous charmez tout ; que fert de vous le dire
L'ignorez -vous : hélas ! de vos attraits
Vous ne croyez jamais
Pouvoir fixer l'empire .
Non non,fans doute , il n'eft rien fous les cieux
Qui puiffe réfifter au pouvoir de vos yeux ;
Mais bien fouvent vos tyranniques charmes
Pour défendre nos coeurs
Nous fourniffent des armes.
Voilez avec des fleurs
Les fers de l'esclavage
Si vous voulez long- tems conferver notre hommage
:
L'esclave révolté
Juge mieux du poids de fa chaîne
Par le prix de la liberté.
Votre fierté l'éloigne , un autre efpoir l'entraîne
FEVRIER. 1755 71
Je gémis quelquefois
Quand je vois un minois
Formé par le pinceau des Graces ,
Dont un regard , un fouris dédaigneux ,
Un air impérieux
Viennent défigurer les traces.
L'art féduit fans charmer.
Ne croyez point embellir la natu re :
De la fimplicité la route eft la plus fûre ,
Par d'innocens appas on fe laiffe enflammer.
Si la coquette infpire une ardeur paffagere ,
C'eft un jeu de l'amour ;
C'eft une flamme fi légere
Qu'on la voit naître & mourir en un jour,
Un gefte étudié n'offre rien qui nous flate ,
D'une belle harmonie , il trouble les accords :
Le coeur n'eft point fenfible à l'effet des refforts
Du plus bel automate.
Ah ! qu'un fateur eſt dangereux !
Vous verroit-on courir à de vains artifices ;
Si tant d'adorateurs aveuglés par leurs feux
N'encenfoient pas juſques à vos caprices ?
Je fens que la beauté
Mérite notre hommage ,
C'eſt un des attributs de la divinité ,
*
" Elle en eft la vivante image.
Mais à chérir les dieux nos coeurs font animés
Par cet attrait vainqueur que leur bonté fait naî
tre ;
72 MERCURE DE FRANCE.
Si le tonnerre feul nous les faifoit connoître ,
Ils feroient craints fans être aimés.
Un heureux caractere
N'a point l'éclat brillant des appas féducteurs ;
Par un effet moins prompt il trouve l'art de plaire,
Sa douceur enchaîne les coeurs.
Quel feroit votre empire
Si vous réuniffiez tant de dons à la fois ?
L'inconftance & le tems ne pourroient le détruire,
Et vos defirs feroient des loix.
Mais du génie encor la puiffance plus grande
De votre fort rendroit les dieux jaloux ,
Ils verroient leurs autels fans culte & fans offrande,
Et l'univers à vos genoux.
Non , ils ont prévenu leur honte & votre gloire ;
Et pour mieux triompher , fouvent ils vous font
croire
Que le talent entraîne une frivolité
Qui deshonore la beauté :
Ou plutôt à vos yeux , d'un miroir infidele ,
Ils préfentent l'art impofteur.
Vous y lifez que quand on eft fi belle ,
On a les agrémens de l'efprit & du coeur .
Qu'il eft aifé de croire
Tout ce qui flate notre gloire !
La louange eft l'écueil des coeurs ambitieux.
D'un piége dangereux
Pénétrez l'artifice ;
Redoutez l'art d'un difcours trop flateur ,
Dont
FEVRIER.
1755 . 73
Dont le poifon agréable & trompeur
Plus aisément ſe gliffe.
L'éclat d'un trop grand jour affoiblit les couleurs,
Et n'éclaire que trop l'oeil de la jaloufie ;
Plus vos attraits vous font d'admirateurs ,
Plus vous devez craindre l'envie..
Le beau ſexe , dit- on , contre moi s'armera :
Quelle erreur ! je me ris d'une folle menace ;
Aucune ici ne fe reconnoîtra
Au portrait que je trace .
Par M. ***
D
74 MERCURE DE FRANCE.
ODE
A M. LE DUC D'AIGUILLON ,
Sur la dédicace de la Statue érigée à Louis
XV, dans une des places de Rennes.
Q
Uel Dieu , de mon réduit , troublant Pheureux
filence ,
Au paifible fommeil d'une chere indolence ,
Par un magique effort, vient arracher mes fens! ...
N'en doutons point , du Dieu ( de la docte manie }
C'eſt le rédoutable génie :
Puis-je le méconnoître aux tranſports que je fens
Mais loin des bords pompeux de la Seine orgueilleuſe
,
Dans quelles régions fon aîle perilleuſe ,
Entraîne malgré moi mon efprit allarmé ? ...
Que vois-je ? ... ô tendre erreur ! dans ma douce
patrie ,
Au gré de mon ame attendrie ,
Soudain je me revois , moins furpris que charmé.
O théatre chéri des jeux de mon enfance !
Quel Dieu femble fur toi déployer fa puiſſance ?
O fpectacle enchanteur dont tu frappes mes yeux !
FEVRIER.
75 1755.
Quels feux ! quels doux feftins ! quels concerts
d'allégreffe t
Bacchus , la joie & la tendreffe
Te rempliffent au loin d'un trouble précieux .
Arrête , ô peuple heureux ! que la gaité tranfporte
,
Et dont la foule aimable & m'entraîne & m'emporte
;
Apprens-moi ton bonheur , dont mon coeur fait le
fien.
Mais quel beau monument s'éleve en ton enceinte
?
J'y reconnois l'image empreinte
D'un heros pacifique & d'un Roi citoyen.
C'eft donc ce monument & d'amour & de zele ,
Que confacre à ton Roi ta franchiſe fidele ,
Qui fait naitre en ton fein l'ivreffe & les tranfports
:
Si ce bronze muet , où manque fa grandeame ,
D'une fi vive ardeur t'enflamme ,
Que feroit la préſence embelliffant tes bords
Vous , à qui les talens , la vertu généreuſe ,
Plutôt que la faveur volage & dangereuſe
Ont mis entre les mains la pleine autorité ,
Et qui ne l'exercez au fein de ma province
Que pour y faire aimer un Prince
Dij
76 MERCURE DE FRANCE ,
Dont elle adore en vous l'héroïque bonté :
Apprenez , d'Aiguillon , à ce Monarque fage
Quels furent , à l'afpect de fon augufte image ,
De nos coeurs enflaminés & l'ivreffe & les voeux.
O! que d'un tel amour la peinture fidele ,
Dans une ame fenfible & belle ,
Doit enfanter foudain de tranfports généreux
Mais cette aimable fête eft à peine paſſée ,
Et déja fecondant votre ardeur empreſſée ,
Louis verfe fur nous fes dons multipliés ,
Alors même qu'il fçait que d'utiles fervices
Et d'honorables facrifices
D'un feul de fes regards feroient affez payés .
Quand , fur fon char de fang , Bellone échevelée ,
Parcourant en fureur l'Europe defolée ,
De fon fouffle homicide , eut embrafé les coeurs ;;
Partageant d'un heros les dangers & les peines ,
On vous a vû dérober Genes
Au barbare pouvoir de fes tyrans vainqueurs.
A préfent qu'un ciel pur rayonne fur nos têtes ,
Un foin pour nous plus cher que d'illuftres conquêtes
,
Remplit votre loifir fécond & glorieux ;
La guerre offroit en vous un heros formidable ,
La paix offre un heros aimable
Qui nous affujettit en nous rendant heureux,
FEVRIER. 1755 . 77
Non , ne nous croyez pas tels que nous peirt
l'envie ,
Qu'elle s'efforce en vain de noircir notre vie ; . . .
Conftamment , du devoir , nous écoutons la voix :
Chacun de nous en fait fa plus chere fcience ,
Et nous n'apprenons dans l'enfance
Qu'à refpecter les Dieux , & qu'à chérir nos Ro
Nos coeurs , quoiqu'un peu fiers , ne font pas inflexibles
,
La gloire & la vertu les trouverent ſenſibles ,
Et jamais on n'en vit plus jaloux de l'honneur.
Mais oùregne une vile & baffe flatterie ,
On doit traiter de barbarie
Une franchiſe mâle , une noble candeur.
D'une épouse , par vous juftement adorée ,
La modefte vertu par les Graces parées ,
Les talens , la douceur , le caractere heureux ,
Prouvent que parmi nous la nature difpenfe
Ses faveurs avec abondance ,
Et qu'il y naît des coeurs nobles & généreux.
Dij
78 MERCURE DE FRANCE..
LE mot de l'Enigme du Mercure de Janvier
eft Epingle. Celui du Logogryphe.
eft Pirrhonifme , dans lequel fe trouvent
Mein , Rhin , Rhône , miroir , Iphis , héros ,
Rome , Simon , renom ,, ferin , firop , rofe .
finon.
ENIGM E.
DANs mes filets je tiens prefque toutes les
belles;
Mais à ton grand étonnement ,
Lecteur , j'ai beau les traiter durement ,
Je n'en fuis pas plus haï d'elles.
Quand je montre moins de rudeffe ,
On me quitte dans le moment ;
Point de quartier , fur-tout à la jeuneffe.
Et fipour de beaux yeux j'euffe eude la foibleffe ,
Combien de gens dans l'univers ,
Qui vont droit , iroient de travers ,
Mlle A. M..
FEVRIER. 1755. 79
LOGOGRYPHE.
Uoique je fois fort & méchant , Joique
On m'aime ; je ne fçais comment.
Je fuis petit de ma nature ,
Je porte avec moi la brûlure ;
Je mets le feu dans les palais ,
Et malgré mes vilains forfaits ,
(Ce qui doit paroître incroyable )
Oh me demande à chaque table.
On craint de toucher un ragoût
Sans avoir confulté mon goût.
Lecteur , je dois mon exiſtence
A fix lettres de conféquence.
Compofes , décompoſes-moi ,
Bientôt tu trouveras de quoi
Soulager l'humaine mifere ;
C'est ce métal fi précieux ;
Ah ! j'en dis plus que je ne veux.
Un fruit dont le goût flate l'homme ,
Qui va de pair avec la pomme
Ce qu'on regrette de quitter.
Ce qui nous fert pour tranfpirer.
J'offre un oifeau , dont le plumage
Fait l'ornement & l'avantage.
Un des fept pechés capitaux ,
D iiij
So MERCURE DE FRANCE.
Ce qu'il faut craindre dans fes maux.“
Enfin ce mortel , dont l'image
Paroît peu néceffaire au fage ;
Qui content de fon petit train
Refuſe l'or . Un fac à vin ;
Une note de conféquence.
Une... Je fais ma révérence.
L'Abbé Ren *
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
A ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONĄ
.
VAUDEVILLE
Paftoral .
Fur un Chrône de fougêre,
www
Chez nous régne le plaisir, Et de
fleurs sa main légère y couronne
le désir, Lepouvoir, etle biensu
prême, Sontpourun coeurbien enfla
-mé On estRoy, quand on Aime,
On estDieu,quand on estAime; Le
FEVRIER. 1755 .
81
VAUDEVILLE PASTORAL.
U R un throne de fougere , UR
Chez nous regne le plaifir ,
Et de fleurs , fa main légere
Y couronne le defir..
Le pouvoir & le bien fuprême
Sont pour un coeur enflammé :
On eft Roi , quand on aime
On eft Dieu , quand on eft aimé.
J'égale , en aimant Colette
Les Rois & les immortels ;
Un gazon , une houlette ,
Sont mon fceptre & mes autels.
Le pouvoir , & c.
Je lui plais , elle m'enflamme ;
Quel fort eft plus glorieux !
Mes tréfors font dans fon ame ,
Et ma gloire eft dans fes
Le pouvoir , & c .
yeux .
;
Dv
82 MERCURE DE FRANCE .
Eft-il un plus doux empire
Que celui d'un tendre coeur !
On regne , quand on reſpire
Pour un aimable vainqueur.
Le pouvoir , & c.
D'une fi douce victoire ,
Que l'amour ait tout l'honneur :
Le chanter , c'eft une gloire ;
Le fentir , c'eft un bonheur.
Le pouvoir & le bien ſuprême
Sont pour un coeur enflammé :
On eft Roi , quand on aime ;
On eft Dieu , quand on eft aimé.
Avis de l'Auteur du Mercure.
JE réitere ici la priere que j'ai déja faite
à tous nos bons écrivains , de vouloir bien
enrichir mon recueil de quelques unes de
leurs productions. M M. de Montefquien
de Marivaux & Duclos viennent fucceffivement
de leur montrer l'exemple , que
MM . de Fontenelle & de Voltaire avoient
donné les premiers. Ils font tous faits pour
être fuivis.
FEVRIER. 1755 .
8.3
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
JOU
OURNAL ÉTRANGER , ouvrage périodique
, Janvier 1755 , qui a pour épigraphe
, Externo robore crefcit , Claud . &
qui fe vend à Paris , au Bureau du Journal
Étranger , rue Saint Louis au Marais ,
vis-à - vis le Bureau de la Régie des cartes ;
chez Piffot , quai de Conti ; Sangrain le
fils , & Duchefne , rue Saint Jacques.
M. l'Abbé Prévôt eft à préſent à la tête
de ce Journal , qui ne peut être rédigé
par une plume plus élégante ; elle embellit
tout ce qu'elle traite . Son Avertiffement
eft une pièce d'éloquence , les promeffes
qu'il y fait au public font magnifiques , &
perfonne n'eft plus en état de les remplir
que lui. Cet éloge de ma part eft d'autant,
moins fufpect , que je le loue à mon préjudice.
C'eft un nouveau Journal qui s'éleve
, pour ainfi dire , à mes frais & dépens
; il prend la même forme , il embraffe
, comme moi , tous les genres : il ne
fe borne pas à la littérature fçavante , il
étend fes courfes fur toute la partie agréable
, & même fur celle des fpectacles , qui
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
font mon domaine particulier. Comme il
ufurpe ainfi tous mes droits , il ne doit
pas trouver mauvais que je m'enrichie
quelquefois de fon butin , & que je falſe
ufage des extraits qu'il donnera des piéces
de Théatre , ou des Romans étrangers
pour les oppofer aux nôtres. Mon but eft
de mettre par là le lecteur françois à portée
de connoître l'efprit des autres nations ,
& de comparer leur goût avec le fien pour
en mieux fentir la différence ; c'eſt le plus
fûr moyen
de guérir les préventions trop
fortes pour ou contre les étrangers . Les
uns trouvent les feuls ouvrages anglois
admirables , ils font le fruit du génie :
les autres n'approuvent que les écrits françois
; ils font le modele du goût. Je crois
que ce goût pur & vrai reffemble à la
vertu , qu'il fuit les extrêmités , qu'il
n'eft ni en-deça ni au- delà , & qu'il refide
, comme elle , dans un milieu raifonnable.
N'en ayons jamais d'exclufif ; eftimons
les étrangers par où ils font eftimables
; fans nous déprimer , louons encore
moins notre efprit aux dépens du
leur ; ne les étudions que pour nous perfectionner
enrichiffons notre littérature
de leurs tréfors , & profitons de leurs beautés
fans imiter leurs défauts. Je com -
mence par le précis ou le programme de
FEVRIER. 1755. 85
Philoclée , tragédie angloife , dont M.
l'Abbé Prévôt a fait un extrait détaillé :
mais je le porte à l'article des Spectacles ,
il fera là mieux à fa place. Les piéces de
comparaifon y feront plus voifines ; j'y
renvoye le lecteur , il y trouvera Philoclée
après le Triumvirat .
EXTRAIT DES MÉMOIRES DU MARQUIS
DE BENAVIDÈS , en fept parties ; dédiés à
S. A. S. Madame la Ducheffe d'Orléans .
Par M. le Chevalier de Mouhy , de l'Académie
des Belles- Lettres de Dijon.
J'ofe établir pour maxime qu'un Roman
ne fçauroit trop l'être. Il faut que les
incidens , pour frapper , fortent de l'ordre
commun ; que les fentimens , pour fe faire
admirer , paffent les bornes de la nature
ordinaire , & que les premiers perſonnages
, pour intéreffer , ayent un corps & une
ame d'une trempe fupérieure à celle des
autres hommes. Les Mémoires de Benavidès
ont ces trois qualités effentielles . Afin
de le prouver en regle , je vais les envifager
fous trois afpects différens qui en
feront l'extrait raifonné . La fingularité des
événemens dont ce Roman eft rempli , offrira
le premier point de vue . La grandeur
des fentimens qui les ont fait naître , préfentera
le fecond ; & l'excellence des di86
MERCURE DE FRANCE.
vers caracteres de fes héros , qu'ils doivent
à celle de leur complexion , mettra le troi--
fiéme dans tout fon jour.
Singularité des événemens.
Cette fingularité commence par la naiffance
du Marquis de Benavidès. Don Ro--
drigue , premier Miniftre d'Alfonfe , poignarde
Ifabelle fa femme , par un coup fingulier
, du defefpoir où il eft de la voir fteri
le ; elle eft fecourue , la bleffure n'eft pas
mortelle , elle en revient , & court fe cacher
dans une retraite , pour ſe fouftraire
aux fureurs de fon mari. Don Rodrigue ,
pénétré de remords & de tendreffe , la
cherche par- tout , & découvre enfin le
Couvent où elle s'eft retirée . Il enleve
fon épouſe , il obtient fon pardon , &
tous deux renouent avec l'ardeur de deux
amans qui s'adorent. De cette réunion furprenante
, naît Benavidès ; il court à la
gloire à pas de géant ; à feize ans il eft
fait Général : les héros ont une difpenfe
d'âge pour remplir les premiers poftes. Il
furprend l'Empereur de Maroc fur une
éminence , le fait prifonnier avec toute
fa maifon , & l'envoye captif à la Cour
d'Efpagne. De là il court affiéger Maroc ,
il y entre par furpriſe ; mais il eſt arrêté
par le nombre fupérieur des Africains.
FEVRIER. 1755. 877
11 - fe refugie avec les troupes dans une
Mofquée , dont il fait fermer les portes ;
tandis que les Maures les enfoncent , il
fait fortir habilement fes foldats par une
porte de derriere qu'il a pratiquée , & la
rebouche après. Les Maroquins fe jettent
dans la Mofquée par la grande porte.
Quand ils y font tous entrés , le Général
Eſpagnol la fait barrer avec de groffes poutres
; un gros des fiens empêche en mêmetems
, à coups de fabre , la fortie des en--
par la porte dérobée. Ils fe trou--
vent pris , comme d'un coup de filet , au
nombre de huit mille dans ce teinple ,
qu'il faut fuppofer très- vafte , & ils font
tous obligés de mettre bas les armes , & de
fortir l'un après l'autre , de peur d'être
brûlés tous enſemble.
nemis
La nouvelle de ce rare fait d'armes rem →
plit la Cour d'Eſpagne d'admiration ; il faut
avouer qu'il le mérite par fa nouveauté.
La fille d'Alfonfe y prit un intérêt plus
fenfible qu'elle n'auroit voulu : elle avoit
eu jufques- là un éloignement marqué pour
tous les hommes ; ce brillant exploit l'en
corrigea. Le héros étoit aimable , & fa
gloire lui devint chere. Les ennemis de
Benavidès voulurent la ternir , & foulever
le peuple , en répandant le bruit que Benavidès
, bien loin d'avoir fervi l'Etat , venoit
88 MERCURE DE FRANCE.
de le trahir , & qu'il devoit époufer la fille
du Calife ; mais la fageffe du Roi calma
cet orage , & la fauffeté de l'accufation
fut dévoilée . Don Sanche , Prince du Sang,
& Velafquès , fecond Miniftre , qui en
étoient les auteurs fecrets , employent deux
affaffins , l'un pour fe défaire de Benavidès
par le fer , & l'autre pour faire périr
le Roi par le poifon ; ce qui occafionne un
incident des plus neufs , il vaut la peine
d'être raconté : le voici.
Le bruit fe répand tout-à-coup que le
Roi eft malade ; perfonne ne pénetre dans
fon appartement que Don Sanche & fes
créatures ; l'Infante de Caftille n'en eft
pas exceptée. D. Rodrigue eft empoifonné.
Tout ce que peut faire Blanche , dans cette
cruelle pofition , c'eſt de ſe ſervir du miniftere
d'Hordès , auffi bon médecin que grand
politique ; il avoit à peu près l'âge & la
taille de fon vieil Ecuyer ( on a toujours
befoin de ces reffemblances , pour aider le
Roman ) . Elle lui fait prendre l'habit de
cet homme , & lui donne la main , va chez
le Roi , & trouve le moyen d'y entrer avec
fon faux Ecuyer , ferme les verroux , ouvre
les rideaux du lit de fon pere , le voit
pâle & les yeux fermés. Hordès lui tâte le
pouls , & dit à l'Infante que le Roi eft dans
un danger manifefte , mais qu'il pourroit
FEVRIER. 1755. 85
à
le fauver s'il étoit à portée de lui donnes
un fecours auffi prompt que néceffaire. Il
a heureuſement fur lui un élixir propre
rendre à un corps abbattu , pour quelques
momens , toutes fes forces . Il en donne à
Don Alfonfe , qui reprend connoiffance .
Comme Blanche reffemble parfaitement à
fon pere ( je parle d'après l'Auteur ) , elle
prend fes habillemens de nuit , lui donne
les fiens , le coëffe de maniere qu'à peine
entrevoit- on fon vifage , & fe met dans
fon lit. Hordès , qui le foutient , parvient
heureuſement à le faire fortir du Palais
fans rencontre fâcheufe , il le conduit en
chaife dans une maifon ifolée. A peine
le Roi est - il parti que l'Infante fe décou
vre à un garçon de la chambre nommé
Hyago , dont elle connoît la fidélité , fait
avertir par fon moyen fon Capitaine des
Gardes de fe mettre promptement en état
de la feconder dans fes projets ; & dès
qu'elle eft fûre de ce fecours , elle fair
dire à Don Sanche & à Velafquès que le
Roi vient d'expirer. Elle fe leve en même
tems , prend la robe de chambre de fon
pere , s'arme d'un poignard , & fe met dans
l'embrafure d'une croifée voisine de la
porte par où les traîtres doivent paſſer.
Velafquès qui entre avec D. Sanche, fe jette
aux pieds de ce Prince , pour être le pre90
MERCURE DE FRANCE .
du
mier à lui rendre hommage. D. Sanche
pour ne point laiffer un témoin de fes crime
, tire fon épée , la lui paffe au travers
corps . L'Infante au même inftant perce
D. Sanche ; il tombe , Hyago l'acheve.
Le Capitaine des Gardes de la Princeffe
arrive à point nommé avec fa troupe ,
fait main- baffe fur les conjurés. La fanté
du Roi fe rétablit , & tout rentre dans l'ordre.
D'autres incidens non moins tragiques
fe fuccedent rapidement .
&
Dans le même tems le Marquis de
Benavidès eft affaffiné en Afrique , par un
fcélérat , qui le frappe au moment qu'il eft
feul occupé à faire fes dépêches . I bleffe
fon meurtrier , qui a la force deffe fauver
par la fenêtre , & tombe noyé dans fon
fang il échappe à la mort , & revient à
la Cour. Zulime , fille du Calife , qu'il at
refufé d'époufer , prend l'occafion d'un bal
pour venger cette offenfe fur le Général
Efpagnol ; mais dans fa fureur elle prend
le Roi pour lui , & lui porte un coup de
poignard. Benavidès qui accompagne Alfonfe
, fe jette fur Zulime , lui arrache le
fer , & le plonge dans fon fein. Le Roi
guérit de fes bleffures , ainfi que Zulime ,
dont il eft amoureux , déclare la guerre aux
Anglois , qui avoient favorifé la révolte
d'un Prince de fon fang contre lui . BenaFEVRIER.
1755 . 91
vidès paffe en Angleterre , & fe rend maî--
tre des trois quarts de cette Iffe ; mais par
un revers de fortune il eft fait prifonnier.
D. Alfonfe traverfe lui-même les mers ,
rompt les fers de fon favori , foumet Londres
, convoque les Etats , & fait élire Benavidès
Roi d'Angleterre. Il retourne enfuite
en Eſpagne ; il accorde l'Infante fa
fille aux Ambaffadeurs du nouveau Monarque
de Londres , qui brûle pour elle
d'un amour mutuel ; & dans le tems que
celui qui eft chargé de l'époufer en fon
nom s'approche pour recevoir la main de
Blanche de Caftille , Benavidès qu'on croità
Londres , paroît tout à coup , & reçoit
lui-même cette main fi defirée.
Ce font là de ces coups inattendus qui
furprennent dans un Roman , & qui le
mettent au-deffus de l'hiftoire . Dans celle--
ci l'Ambaffadeur Anglois eût tout fimple
ment , à l'ordinaire , époufé la Princeffe
pour fon maître : on auroit même trouvé
mauvais que Benavides eût quitté fes Etats.
nouvellement conquis , & rifqué de les
perdre , pour fe fignaler par un trait de
galanterie déplacée, Mais ce qui feroit un
défaut dans des mémoires purement hifto
riques , devient une beauté dans des aventures
vraiment romanefques. C'eft là qu'il
eft beau, d'être fingulier , & de hazarder:
2 MERCURE DE FRANCE.
la perte d'un royaume , pour fuivre le
tranfport d'un amour empreffé.
Grandeur des fentimens.
Ces nobles écarts partent d'un coeur audeffus
du vulgaire , & de pareils inciden's
font éclater la grandeur des fentimens qui
les produifent. Cette grandeur héroïque
brille par-tout dans ce Roman ; elle caracterife
fes principaux perfonnages . Benavidès
, parmi plufieurs traits d'héroïfme , fe
diftingue par un des plus rares. Edouard ,
furieux de voir fon Royaume prêt d'être
entierement conquis par le Général Efpagnol
, lui envoye un cartel , que ce dernier
refufe. Benavides aime mieux facrifier
l'honneur de mefurer fon épée avec
celle d'un Roi , à la gloire plus folide de
ne pas compromettre les intérêts de fon
Prince. Il trouve plus noble de laiffer foupçonner
fa bravoure , que de mettre en rifque
la conquête d'un Etat qu'il eft für
d'affurer à D. Alfonfe avec le fecours de
fes troupes ; cela paffe le heros , voilà le
grand homme. Le Roi encherit de fon
côté fur ce procédé magnanime , en pla
çant Benavides fon fujet fur le trône d'Angleterre
, dont fa valeur l'a rendu maître.
Ce trait eft au-deffus d'un Monarque , il
eft digne d'un Dieu , qui mefure fes bienFEVRIER.
1755. 9 *
faits à fa grandeur , & au mérite de celui
qu'il récompenfe. Blanche de Caftille fe
ignale par un effort de tendreffe & de
courage , qui n'eft pas moins admirable.
Digne fille d'Alfonfe , pour arracher au
tombeau fon pere empoifonné , elle prend
fes habits , & fe met à fa place , comme je
viens de le dire. Elle fait plus , elle perce
de fa propre main le premier auteur d'un
crime fi noir , & brave la mort pour la
lui donner. Cet exploit furprenant illuftre
la Princeffe autant que la fille ; il en fait
une héroïne que je préfere à Jeanne d'Arc.
Excellence des caracteres,
Tout eft merveilleux , tout eft afſorti
dans les mémoires dont je parle . Si les
fentimens en font grands , par une fuite
naturelle les caracteres en font beaux &
foutenus. Ses héros en doivent l'excellen
ce à celle de leur complexion . Nos vertus ,
ainfi que nos vices , dépendent de la qualité
& de la circulation du fang. Pour nous
porter au bien , il faut qu'il coule pur &
fans obftacles dans nos veines. La régula
rité de fon cours influe le plus fouvent fur
celle de notre conduite ; quand il circule
mal , nous agiffons de même. Le mal -aife .
du corps donne de l'humeur à l'ame ; l'hu
meur rompt l'équilibre néceffaire ; elle al94
MERCURE DE FRANCE.
tere cette égalité d'efprit , mere des vertus.
Un Poëte célebre a dit ,
Bonne ou nrauvaiſe fanté
Fait notre philofophie.
Elle fait auffi notre héroïfme , ces deux
mots bien analyfés font fynonimes . Un
Grand infirme ou cacochyme fait fouffrir
fes inférieurs des maux qu'il fouffre luimême.
Il voit tous les objets dans un mauvais
jour: ils prennent à fes yeux la couleur
de l'humeur noire où le jettent fes fouffrances.
Quelques talens qu'il ait , ils font
ternis par cette humeur qui le rend injuſte,
bizarre & fouvent cruel , il n'a de l'efprit
que pour nuire : c'eſt le héros de Machiavel
, prêt d'immoler tout à fa fombre politique.
Le véritable héros eft tout différent.
Il ne confulte , il ne fuit que la générofité
; il la fait fouvent éclater aux dépens
de fa fortune & même de fa raiſon.
Tel eft Benavides , grace à l'heureux naturel
qu'il tient de la bonté de fon tempérament.
Je vais avancer à ce propos un fentiment
qui aura d'abord l'air d'une plaifanterie
, mais auquel je tiens très -férieuſement
, & qui bien examiné de près eft
d'une vérité inconteſtablę. Je maintiens
FEVRIER. 1755. 95
qu'un Romancier ne fçauroit être trop attentifà
donner une fanté robufte aux perfonnages
qu'il met en action. Dans les différens
combats qu'ils font obligés de livrer
, dans les coups qu'ils reçoivent , dans
les tourmens qu'ils éprouvent , ils ont befoin
d'un corps à toute épreuve. C'eſt un
point effentiel que M. le Chevalier de
Mouhy n'a point oublié ; tous fes héros font
bien conftitués . D. Alfonfe eft doué d'une
vigueur qui résiste au fer & au poifon . Be
navidès n'a pas moins de force : on a beau
le poignarder , il triomphe du couteau de
l'affaflin , & reparoît brillant de ſanté ,
quand on le croit au rang des morts. Zulime
, la fille du Calife , ne leur céde
point en bonté de complexion ; elle guérit
de fes bleffures auffi promptement qu'Alfonfe
, qui l'époufe , & qui la couronne.
•
Le ftyle ou le coloris répond au deffein de
l'ouvrage , ce qu'on doit eftimer dans l'auteur
; il va toujours à l'intérêt. S'il eft prodigue
, ce n'eft qu'en incidens. Il eft fobre
en réflexions , & préfere toujours un fait
fingulier à une penſée neuve. Par ce moyen
fa morale n'ennuie jamais , elle eſt toujours
en action. On doit lui en fçavoir
d'autant plus de gré , qu'aujourd'hui nos
Ecrivains ont la fureur de l'efprit , ou plu
tôt la prétention , fans en avoir fouvent
les titres.
46 MERCURE DE FRANCE.
Je confeille à tous les jeunes gens qui
prennent le parti des armes , d'acheter ces
mémoires ; leur lecture est une Ecole militaire.
Les premiers Officiers y font non
feulement briller toutes les vertus de leur
état , mais les guerriers fubalternes y donnent
encore des leçons de courage & de
magnanimité . Je crois ne pouvoir mieux
finir cet extrait que par l'action d'un foldat
, qui m'a paru trop belle pour la paffer
fous filence. Les Espagnols avoient affiégé
Northombrie. Ils avoient remarqué fous
le pont-levis de la place une bréche par
où l'on pouvoit y entrer . Plufieurs defcendent
dans le foffé . Deux heures après le
point du jour , les Anglois ayant baiffé le
pont , les Espagnols plantent auffi-tôt leurs
échelles , fautent deffus , & tombent fur
l'ennemi . Le Commandant de la Garde
ordonne aux fiens de lever le pont , quoiqu'il
puiffe en coûter. Les Efpagnols ont
beau combattre , le nombre les accable ,
une partie eft déja culbutée dans le foffé ,
l'autre eft investie , & preffée par une foule
d'ennemis qui vont enlever & baiffer le
pont . Un foldat qui s'en apperçoit , ramaffe
une cheville de fer qui fert à l'arrê
ter , & veut la paffer dans l'anneau : un
coup de fabre lui coupe le poignet , & la
lui
FEVRIER. 1755.
97
lui fait quitter * : ô valeur fans pareille !
L'intrépide Efpagnol releve la cheville de
F'autre main , & la place. Ce coup hardi
décide du fuccès de l'entrepriſe.
tôt
>
L'action , toute prodigieufe qu'elle eft ,
trouve fon modele dans l'hiftoire . Cynegire
, frere du fameux Efchile , Poëte tragique
, à la journée de Marathon , arrête
d'une main un vaiffeau des Perfes qui
avoient pris la fuite : ayant eu cette main
coupée , il le faifit alors de l'autre bras
qu'il perd encore dans ce combat , & pluque
de lâcher prife , il mord le vaiſſeau
pour le retenir. Il n'eft point encore vaincu
par la perte de fes deux mains , pour
me fervir des expreffions de Juftin , il
combat avec le tronc de fon corps & avec
fes dents même , comme un lion féroce
qui triomphe en expirant . L'Hiftorien ici
va plus loin que le Romancier , & la copie
eft beaucoup moins chargée que l'original.
Ce qui fait voir que M. de M. fçait
affujettir même le merveilleux aux loix de
la vraiſemblance ; s'il a fuivi Juſtin , c'eſt
pour le corriger , peut-être même s'eſt- il
rencontré avec lui fans avoir l'imitation
en vûe. Il eft affez fécond & affez riche
* Cette exclamation eft de l'Auteur ; je n'y
ajoûte rien.
E
98 MERCURE DE FRANCE.
par lui- même pour n'avoir pas befoin d'emprunter
rien des autres.
Le catalogue de fes nouvelles oeuvres ,
que je vais joindre à cet extrait , eft un
garant de fon heureuſe abondance. Il eft
précédé d'un avertiffement que je mets ici
tel que l'Auteur l'a fait imprimer , & tel
qu'il me l'a envoyé .
AVERTISSEMENT.
Le catalogue des OEuvres de M. le Chevalier
de Mouhy , demeurant à l'entrée de
la rue des Cordeliers , près de la Comédie
Françoife , placé dans l'Almanach des
Beaux Arts , & à la fuite des derniers ouvrages
de cet Auteur , ayant perfuadé qu'on
les trouveroit chez lui , y ont fait envoyer
fi fouvent qu'il eft obligé d'annoncer ici ,
que les éditions de la plus grande partie de
fes anciennes productions font confommées
, & que celles qui ne le font pas encore
fe vendent chez les Libraires défignés
à la fuite des titres . Mais voulant éviter
la peine à l'avenir à une infinité de perfonnes
de venir inutilement chez lui , il
met ici les noms des nouveaux ouvrages
qu'il a fait imprimer depuis deux ans chez
Jorry , quai des Auguftins , que l'on vend
aufli chez Duchefne , rue S. Jacques ; &
FEVRIER. 1755. ୨୭
chez lui , rue des Cordeliers , afin qu'ils
fçachent où les trouver.
Nouveaux ouvrages de M. le Chevalier de
Mouby , de l'Académie des Belles- Lettres
de Dijon.
Les Tablettes dramatiques , contenant
le Dictionnaire du Théatre François , avec
l'abrégé de l'hiftoire de ce Théatre ; les vies
des Auteurs & des Acteurs , &c , in - 8 ° ,
avec les fupplémens qui fe donnent gratis
chaque année , broché 6 livres , relié 6 1 ,
12 f.
Les Délices du fentiment , 6 vol . in- 12 .
broché 10 l . 16 f. relié 15 liv .
Les Mémoires du Marquis de Benavidès
, Roman moral , 7 vol. in - 12 . broché.
huit livres huit fols , relié dix livres douze,
fols.
Les Lettres du Commandeur , avec les
réponſes , fe vendront à l'avenir 6liv. brochées
les trois vol. & 8 liv . s L. reliées ,
parce qu'il n'y en a plus que fort peu qu'on
a fait revenir de Hollande , qui ont coûté
18 liv. de
port.
Le Répertoire des pieces reftées au théatre
françois , ou le petit Dictionnaire du
théatre françois , broché 15 f. relié 1 liv.
4. f.
Les Supplémens aux tablettes dramati-
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
ques pour les années 1752 , 1753 , 1754
& 1755 , diftribués gratis à ceux qui ont
acheté l'ouvrage , fe vendent 12 f. chacun ,
lorfqu'on le prend à part , c'eſt- à -dire fans
les Tablettes .
Le Financier , fous preffe , en quatre volumes.
HISTOIRE UNIVERSELLE SACRÉE ET
PROFANE , compofée par ordre de Mefdames
de France. A Paris , chez Guillaume
Defprez , Imprimeur ordinaire du Roi &
de Mefdames de France , rue Saint Jacques
, à S. Profper & aux trois Vertus ,
1754 , cinq vol . in- 12 .
Ón ne donne aujourd'hui que la
premiere
partie de cet ouvrage . M. Hardion
de l'Académie Françoiſe , en eft l'auteur.
Il nous apprend dans une courte Préface ,
que le plan lui en a été tracé par Madame
Adélaïde , & que le zéle qui l'anime pour
le ſervice de Mefdames , l'a dirigé dans
cette entrepriſe. Voici comme il s'exprime
à ce fujet. Leur intention a été de fe rap-
» peller leurs lectures , fuivant l'ordre des
» tems , dans une hiftoire univerfelle , qui
» n'eût ni la féchereffe ordinaire des abrégés
, ni l'étendue des hiftoires particu-
» lieres ; il falloit raffembler en un corps
»ce que l'hiftoire offre de plus mémoraFEVRIER.
1755. 101
13
» ble , de plus utile , & de plus intéref-
» fant ; faire connoître les caracteres des
perfonnages qui ont joué fur les diffé-
" rens théatres les rôles principaux ; met-
» tre les lecteurs en état de fe faire à eux-
» mêmes des leçons de morale & de politique
d'après les tableaux qu'ils auroient
» fous leurs yeux ; enfin compofer un tout
dont les parties fuffent liées entr'elles ,
»fans embarras & fans confufion . Tel
» eft l'objet du travail qui m'a été im-
33
pofé , & je fuis bien éloigné de penſer
» que je l'aye rempli auffi parfaitement que
» je l'aurois fouhaité. « C'eſt ainfi que M.
Hardion a pris foin de nous expofer les
vûes qu'il s'eft propofées dans le plan de
l'ouvrage qu'il publie. Il ne s'agit à préfent
que de dire un mot de la méthode que
l'auteur a employée dans l'exécution . Pour
mettre l'ordre & la clarté qu'exige la diverfité
des faits qui entrent dans fa narration
, il s'eft attaché à la divifion commune
qui établit les fept principales époques
que fournit l'hiftoire fainte ; conféquemment
il a cru devoir placer fous chacupe
de ces époques , les événemens qui
s'y rapportent. Cependant comme il a obfervé
de donner féparément l'hiftoire de
chaque nation , il avoue que cela l'a quelquefois
obligé de répéter les mêmes faits
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
avec plus ou moins d'étendue , felon qu'its
appartiennent plus ou moins directement
à l'hiftoire de chaque Empire & de chaque
République : il n'a pourtant point ba
lancé à vaincre le fcrupule que pouvoit lui
faire naître le défaut apparent qui femble
réfulter de cette répétition , fur- tout lorfqu'il
l'a comparé aux inconvéniens réels
qu'entraîneroit après foi tout autre arrangement
fujet à embrouiller l'ordre des événemens.
Afin de mettre le lecteur à portée
de connoître la marche que M. Hardion
fuit dans le cours de cette hiftoire ,
nous allons expofer fous fes yeux les fept
différentes époques qui concourent à former
la diftribution des parties de cet ouvrage.
Premiere époque.
1
Depuis la création du monde jufqu'au
déluge univerfel , 2348 ans avant J. C.
elle comprend 1656 ans..
Seconde époque.
Depuis le déluge univerfel jufqu'à la
vocation d'Abraham ; elle renferme 427
ans. On y voit la difperfion des peuples ,
& l'origine des premiers empires .
FEVRIER. 1755. 103
Troifiéme époque.
Depuis la vocation d'Abraham jufqu'à
la délivrance des Ifraëlites de la fervitude
des Egyptiens , fous la conduite de Moyfe :
elle comprend 430 ans , & embraffe , outre
T'hiftoire des Affyriens & des Egyptiens ,
les premiers états qui fe formerent dans la
Grece , & ce qu'on appelle dans l'hiſtoire
Grecque les tems inconnus.
Quatrième époque.
Depuis la délivrance des Ifraëlites jufqu'à
la conftruction du Temple de Jerufalem
, dans la quatrième année du regne
de Salomon . Cette époque comprend environ
476 ans , & on y voit ce que dans
l'hiſtoire Grecque on appelle les tems héroïques
ou fabuleux , c'est- à-dire , où la
fable eft mêlée avec l'hiftoire .
Cinquième époque.
Depuis la conftruction du Temple de
Jerufalem , jufqu'à la premiere année de
l'empire de Cyrus : elle comprend 480 ans.
Sixième époque.
Depuis la premiere année de l'empire
de Cyrus , jufqu'à l'ere des Seleucides
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE .
ou autrement des Grecs , quelques années
après la mort d'Alexandre le Grand : elle
comprend 224 ans .
Septième époque.
Depuis l'ere des Grecs jufqu'à la premiere
année de l'ere vulgaire de J. C. elle
comprend 312 ans.
M. Hardion fe flatte avec raiſon , qu'un
travail entrepris en faveur de Meſdames ,
& deftiné à leur ufage , méritera l'attention
du public. Il a eu principalement en
vûe d'écrire pour les perfonnes du monde ,
qui fans avoir le loifir ni la volonté de ſe
livrer à des études épineufes , aiment à
trouver leur inftruction dans leur amufement.
En conféquence , il a fagement écarté
les moindres difcuffions , qui engagent toujours
dans un étalage d'érudition , dont
l'effet eft d'effrayer le commun des lecteurs
, plutôt que d'exciter en eux le defir
de s'inftruire. Son hiftoire a la qualité la
plus effentielle pour fe faire lire ; elle eſt
parfaitement bien écrite ; fon ftyle eft fimple
, clair , noble , élégant & précis. L'Aureur
s'eft préfervé de la contagion , & la
maniere dont il a traité cette premiere
partie de fon ouvrage , doit en faire defi
rer la fuite.
FEVRIER. 1755 . 105
NOUVEAUX SUJETS DE PEINTURE ET DE
SCULPTURE , avec cette épigraphe : Dives
& ampla, manet piores atque poëtas materies
. De Pict. Car. Dufrefn. A Paris , chez
Duchefne , Libraire , rue Saint Jacques , au
Temple du goût.
Cette brochure eft dédiée à Mrs de l'Académie
de Peinture & de Sculpture de
Paris. Elle paroît être l'ouvrage d'un amateur
éclairé les graces du ftyle répondent
à la nouveauté des recherches. L'Auteur
écrit avec tant de précifion , d'élégance &
d'agrément , qu'en le lifant on devient
Peintre , ou plutôt qu'on voudroit l'être ,
pour rendre fur la toile les fujets qu'il
expoſe fi heureuſement fur le papier. Deux
exemples que je vais citer perfuaderont
mieux que tout ce que j'en pourrois dire
» Si l'on veut des images fimplement
» riantes , les tableaux des filles de l'Ifle
» facrée & des filles de Sparte , fourniront
des grouppes auffi délicieux qu'inté
» reffans ; l'habillement fimple des filles
» Grecques , la nobleffe de leurs attitudes ,
» l'élégance de leurs tailles , la beauté de
» leurs traits , tout cela joint aux recher-
» ches néceffaires du coftume , fera va-
» loir infiniment l'efprit & le méritë du
>> Peintre dans l'un & l'autre fujet . Les
» filles de l'Ile faciée confacroient leur
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
:
ceinture à Minerve ; cette fête fe célé
»broit dans l'intérieur du temple .
Quant aux filles de Sparte , elles formoient
tous les ans des danfes religieu-
» fes autour d'une ftatue de Diane placée
» dans la campagne. Quel payfage le Peintre
a-t-il occafion de repréfenter ? Le plus
» riche de l'univers , & celui dont la feule
» idée doit le plus fatisfaire un artifte.
C'eft une campagne ornée de temples ,
» couverte de trophées & de monumens
» élevés en l'honneur de la Vertu , embellie
de ftatues de Dieux champêtres , remplie
enfin des plus grandes richeffes de
» l'art. Cette compofition , qu'on peut terminer
à fon gré par l'horizon de la mer
ou des montagnes , eft d'une beauté où
l'imagination , livrée à tout fon effor ,
» n'atteindroit peut-être pas par elle-même.
33
» Paufanias , en décrivant la fituation
» de deux Athletes vainqueurs , réunit par-
» faitement le brillant d'une image , & la
douceur d'une action . Les deux Athle-
» tes étoient freres , ils fortoient du combat
dont ils avoient remporté tout
» l'honneur : ils apperçoivent leur pere ,
» volent au- devant de lui , l'embraffent
L»l'enlevent fur leurs épaules. Le peuple
redouble fes applaudiffemens , jette des
» fleurs fur leur paffage , bénit la tendreffe
FEVRIER. 1755. 107
»
"
filiale , forme le fpectacle le plus touchant
, & ajoute à la gloire du triomphe.
» La récompenfe de la vertu , & le fuc-
» cès des talens font les fources de la joie
»
la plus pure. Il faut fe repréfenter tout
» l'honneur que les Grecs attachoient à la
» victoire remportée dans leurs jeux ; nos
» moeurs ne nous permettent pas d'en avoir
» une idée parfaite . Mais fuppofons deux
hontmes, tels que deux Athletes de la Gre-
» ce , c'est-à-dire les plus beaux à definer
» qu'il foit poffible de concevoir ; peignons-
» les remplis & pénétrés de cette joie que le
» fentiment de la vertu , & fur-tout de la
vertu récompenfée , eft feul capable d'inf
pirer. La premiere perfonne qui s'offre
aux yeux des Athletes couronés , c'eſt leur
» pere , c'eſt l'auteur de leurs jours & de
» leur gloire. Le vieillard fortuné témoi-
» gne fes tranfports avec les différences
dépendantes de fon âge & de fa fitua-
» tion . Le peuple , dont l'artifte ne pren-
>> dra que le nombre néceffaire pour expri-
» mér la variété des applaudiffemens , les
» accompagne , & feme leur paffage de
fleurs , que le peintre difpofera à fa volonté.
Que de grandeurs ! que de magni-
» ficence ! quel intérêt ! quelles expreffions
dans le tableau ! il eft difficile de
"
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
>> concevoir rien de plus flatteur.
Qu'on juge du coloris & du ton du refte
de l'ouvrage par ces deux morceaux . L'auteur
offre un nouveau champ au pinceau
des artistes. Depuis long- tems , comme il
l'infinue lui- même , leurs compofitions font
trop répétées. C'eft enrichir leurs talens
que de leur préfenter dans un fi beau jour
plufieurs fujets heureux qu'on n'a pas encore
traités . La fable a dans cet écrivain
inftruit , un zélé partiſan , qui doit lui em
faire un plus grand nombre.
LE peu d'efpace que nous laiffe l'abondance
des matieres , nous met dans la néceffité
de renvoyer au mois fuivant l'indication
des autres livres nouvellement
-imprimés
FEVRIER. 1755. 109
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie des Sciences & Belles- Lettres
de Dijon.
E 18 du mois d'Août 1754 , l'Académie
tint à l'ordinaire fon affemblée LE
publique pour la diftribution du prix.
>
La féance fut ouverte par M. Lantin
de Damerci , Académicien honoraire .
qui fit l'éloge de M. Hector - Bernard Pouffier
, Doyen du Parlement de Bourgogne
& fondateur de l'Académie. Ce difcours
fait autant d'honneur au coeur qu'à l'efprit
de M. de Damerci , qui s'y montre partout
auffi bon citoyen qu'Académicien zélé.
En louant fon héros de ce qu'il a fait
pour la patrie , par deux établiſſemens auffi
nobles qu'ils font avantageux ( la donation
faite au Doyenné du Parlement , & la
fondation de l'Académie ) , il rend un tribut
légitime de louanges aux Bourguignons
célebres qui ont tenu un rang diftingué
dans la république des Lettres , & aux citoyens
illuftres , qui plus encore par leurs
vertus que par les places éminentes qu'ils
occupent, font l'honneur & la gloire de leur
pays . Parmi ces noms refpectables on voit
110 MERCURE DE FRANCE.
avec plaifir ceux de M. de Berbifey , ancien
premier Préſident du Parlement , qui
après avoir été trente ans à la tête de cette
compagnie , plein de jours & comblé de
gloire , réfolut de paffer fes jours dans une
heureufe tranquillité , en défignant pour
le remplacer , le grand Magiftrat qui eft
aujourd'hui le chef du Parlement ; de M.
Vitte , Doyen du Parlement , & premier
Directeur de l'Académie , & de M. Joly
de Fleury , Intendant de Bourgogne , dont
les ancêtres ont rempli avec éclat les places
les plus diftinguées du Parlement de
Dijon. L'Orateur le loue avec autant de
difcernement que de délicateffe , & le peint
d'un feul trait en lui appliquant ce vers de:
Boileau ...
Soutient tout par lui-même , & voit tout par fes
yeux.
Ce difcours imprimé à Dijon in-4° . chez
J. Cofte , Imprimeur de l'Académie , eft
digne de la curiofité des Lettres & des
Arts. Outre l'érudition diftinguée qui y
regne , on y trouve plufieurs anecdotes
intéreffantes , & des réflexions fages fur les
établiffemens publics.
M. Gelot , Procureur du Roi du Domaine
, Académicien penfionnaire de la claſſe
de morale , chargé de la diftribution du
FEVRIER. 1755 111
prix , lut enfuite un difcours fur le fujer
propofé ; fçavoir quelle eft la fource de
Pinégalité parmi les hommes , & fi elle eft approuvée
par la loi naturelle.
Il y fait la critique de la méthode qu'ont
fuivie le grand nombre d'Auteurs qui ont
concouru , & dont les piéces ont été rejettées.
7
» Les Auteurs , dit M. G. qui ont traité
» de l'inégalité des conditions , plus ingé-
» nieux qu'exacts , ont orné leurs fujets ,
» mais ils ont manqué la reffemblance.
» Leurs écrits forment , fi l'on veut , une
» fuite d'idées brillantes ; mais on ne peut
» fe diffimuler que l'expérience de tous les
» fiécles & l'hiftoire de toutes les nations
» les démentent : .... La liberté qu'ils ac-
» cordent à l'homme , dégénere en licence
» effrénée ; il n'eft aucune fubordination
qu'ils ne traitent d'efclavage intoléra-
»ble... Aucun d'eux n'a daigné recourir
à l'Hiftoire : quel guide plus éclairé pouvoit
mieux leur indiquer la route qu'ils
» devoient fuivre pour parvenir à la vérité ?
Ainfi la cenfure de M. G. tombe fur
tous les difcours qui ont concouru ș fans
cependant avoir pour objet celui qui a été
couronné , & celui qui l'a approché de
plus près , dont il fera parlé plus bas .
Il dit enfuite qu'il a exifté & qu'il
"
112 MERCURE DE FRANCE.
exifte encore des fociétés où la nature fe
montre fans nuages , que fes reffources &
fes foibleffes s'y laiffent aifément faifir par
l'obfervateur impartial. Les Scythes & les
Germains , dans des fiécles plus reculés ; de
nos jours , les peuples de l'Amérique of
frent une multitude de preuves , de faits ,
de circonstances , qui apprennent à connoître
l'état primitif de la fociété ja les
défauts vifibles & groffiers où le manque
de fubordination précipita autrefois , & retient
encore les nations barbares citées en
exemple , forment autant de principes ,
defquels il eſt naturel de conclure avec
M. G. » que dans toute fociété perfection-
» née , je veux dire celle où les loix , les
" fciences & les arts fleutiffent , l'inégali-
» té des conditions eft néceffaire , qu'elle
» eft liée à la conftitution de cette fociété ,
» qu'elle en eft la bafe & le foutien ; &
par une feconde conféquence de ce prin-
» cipe fondée fur l'expérience de toutes
» les nations , que cette inégalité de condition
eft conforme à la loi naturelle.
Il va plus loin ; il expofe les dangers
continuels de cet état de barbarie , où l'on
ne peut efperer ni fûreté ni agrémens ,
d'où les talens & les arts fort bannis , &
où l'efprit & l'intelligence, qui font la meil
leure portion de notre exiſtence , éprouveFEVRIER.
1755. II}
و د
roient bientôt le même fort. » Ceux donc
qui ont regardé l'inégalité des conditions
comme contraire à la loi naturel-
» le , ne font tombés dans cette erreur que
» faute d'avoir connu la loi naturelle , &
» de lui avoir donné toute l'étendue qu'elle
>> doit avoir.
» L'homme eft né pour la fociété ; la
négative de cette propofition feroit une
» abfurdité ... S'il eft un cas où un hom-
"
"
me exifte fans faire partie d'aucune fo
» ciété , il eft fingulier , & ne peut être ici
» d'aucune confidération ... Mais donnez
» à cet homme un compagnon de folitude ,
≫ vous verrez bientôt les préceptes & les
obligations de la loi naturelle s'accroître
» à leurs égards. Multipliez ce nombre
» d'hommes , cette même loi naturelle reçoit
de nouvelles explications , prefcrit
» de nouveaux devoirs , qui fe combinent
» & fe multiplient conformément à tous
» les cas & à toutes les fituations où les
» membres de la fociété peuvent fe trou
» ver ... De là fe forment les rangs & les
» diſtinctions , en un mot l'inégalité des
» conditions .
و ر
"
·
» La fociété n'eft peut-être pas auffi par
» faite qu'elle pourroit l'être ; mais il feroit
injufte de la juger fur les abus qu'elle
» tolere , plutôt que fur les biens qu'elle
*
114 MERCURE DE FRANCE.
procure... Ce font des hommes qui la
»compofent & qui la régiffent ; ils ne peu-
» vent toujours le dépouiller de leurs paf-
» fions , de leurs foibleffes & de leurs erreurs
; les loix de cette fociété font leurs
» ouvrages , quelquefois ils portent le ſceau
» de l'humanité.
La différence des caracteres eft une des
preuves naturelles dont M. G. fe fert pour
établir l'inégalité des conditions ; il fait
fentir aux Philofophes orgueilleux , qui
ont déclamé contre ce principe fondamental
de toute fociété , combien eux-mêmes
ils feroient à plaindre fi leurs fophifmes
acqueroient affez de crédit pour changer
l'état des chofes. Il termine fon difcours
par cette fage conclufion : » Que chaque
membre de la fociété jouiffe avec modé-
» ration des avantages qu'elle lui procure ,
qu'il évite avec prudence l'effet de quel-
» ques abus qu'elle eft forcée de tolérer ,
» mais que dans tous les cas il refpecte
l'ordre établi.
Le problème intéreffant de l'inégalité
des conditions l'eft devenu davantage , par
la maniere ingénieufe & fage avec laquelle
M. Talbert , Chanoine de l'Eglife de Befançon,
& membre de l'Académie de la même
ville , l'a développé dans le difcours
que l'Académie couronne aujourd'hui. Son
FEVRIER. 1755. IIS
ftyle , fes preuves & fes réflexions annoncent
par-tout un philofophe éclairé , un auteur
chrétien , & un orateur élégant.
Sa religion a aidé fa raifon dans fes
»recherches , & leurs lumieres réunies lui
» ont fait trouver dans le coeur de l'hom-
» me même la folution du problême.
Pour ne rien ôter aux beautés de ce difcours
, il faudroit le rapporter en entier;
mais comme M. Talbert eft difpofé à le
faire imprimer , le public jugera par luimême
des talens de l'auteur & des motifs
qui ont déterminé l'Académie à le cou-
Fonner:
M. Etaffe , étudiant en Droit à Rennes ,
eft le feul concurrent que l'Académie ait
jugé digne d'entrer en lice avec M. Talbert.
Son difcours a pour devife , Urget
amor patria laudumque immenfa cupido.Pour
faire fon éloge , il fuffit d'annoncer qu'iba
fuivi le même plan , & faifi les mêmes
idées que fon rival ; mais il a été moins
heureux dans l'expofition , & n'a pas feu
répandre fur fon fujet autant de beautés
réelles que M. l'Abbé Talbert.
1
116 MERCURE DE FRANCE .
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie des Belles - Lettres de
Marſeille , 1754.
'Académie des Belles-Lettres de Marfeille
tint fon affemblée publique , felon
l'ufage , le 25 Août , fête de S. Louis ,
dans la falle que le Roi lui a accordée dans
l'Arfenal. { :
M. le Marquis de Pennes , Chancelier
faifant fonction de Directeur en abſence ,
ouvrit la féance par un difcours relatif au
fujet de l'affemblée, or ind
a
M. de Sinety lut un chant dun Poeme
de M. le Marquis de Mirabeau , affocié de
P'Académie , abfent , intitulé L'Art de la
Guerre. M. Guys lur une differtation fur
les danfes des Grecs nfodernes , comparées
à celles des anciens , qui fait partie d'un
plus long ouvrage. M. Guteu lut un ouvrage
en vers , intitulé : La guérison obtenue
par l'amour & Remerciment à la famé.
M. Guys lut un ouvrage en vers , intitulé
: Le Philofophe irréfolu
L'Académie ayant cette année réſervé
le prix , en aura deux à diftribuer l'anmée
prochaine. Elle avertit donc le public
FEVRIER. 1755. 117
>
que le 25 Août , jour & fête de S. Louis
de l'année prochaine 1755 , elle adjugera
un de ces prix à un poëme à rimes plates ,
de cent cinquante vers au plus , & de cent
au moins , à l'exclufion de toute Ode , dont
le fujet fera , la réunion de la Provence à
la Couronne ; & l'autre de ces prix à un difcours
d'un quart-d'heure , ou tout au plus
d'une demi -heure de lecture , dont le fujet
fera , l'homme eft plus grand par l'usage des
talens que par les talens même .
Le prix qu'elle décerne eft une médaille
d'or , de la valeur de trois cens livres , portant
d'un côté le bufte de M. le Maréchal
Duc de Villars , fondateur & premier protecteur
de l'Académie ; & fur le revers ces
mots , Premium Academia Maffilienfis , entourés
d'une couronne de laurier.
On adreffera les ouvrages à M. de Chalamont
de la Vifcleve , Secrétaire perpétuel
de l'Académie des Belles - Lettres, de
Marſeille , rue de l'Evêché. On affranchira
les paquets à la pofte , fans quoi ils ne feront
point retirés. Ils ne feront reçus que
jufqu'au premier Mai inclufivement.
118 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE DE M. DE CHEVRIER
à l'Auteur du Mercure.
E viens de parcourir , Monfieur , un
ouvrage périodique , imprimé en Hollande
, dans lequel on lit ces mots : Les
Anti-feuilles publiées depuis trois ſemaines à
Paris , font de M. de Chevrier.
J'ignore qui a pu donner lieu à cette
apoftille ; mais je puis vous protefter que
je n'ai aucune part à cette production . Je
n'ai que trop de mes propres écrits , fans
qu'on m'en attribue que je ne connois
point.
J'ofe vous prier de rendre ma lettre publique
dans votre premier Mercure.
J'ai l'honneur d'être , &c.
A Paris , ce 16 Janvier 1755 .
FEVRIER. 1755. 11.9
ARTICLE TROISIEME.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
Ih
HISTOIRE.
Left furprenant , Monfieur , qu'on ait
hazardé une conjecture fi peu mefurée
que celle contenue dans la lettre inférée
au Mercure du mois d'Août , page 142 ,
où l'Auteur délibere fur l'évidence des
preuves , & veut du moins établir des doutes
bien fondés , qu'un Hermite qui parut
dans la capitale des Sevennes en 1682 , &
y mourut en 1718 , pouvoit être M. Foucquet
, Surintendant des Finances ; ce qui
fert d'appui au fentiment de MM. de Gourville
& de Voltaire , qui veulent que M.
Foucquet foit forti de fa prifon quelques
tems avant fa mort , quoiqu'on fçache
communément qu'il mourut à Pignerol le
23 Mars 1680 .
Cet Auteur n'eft pas excufable , ou d'a- '
voir ignoré que Nicolas Foucquet , Marquis
de Bellifle , nâquit en 1615 , ou que
l'Hermite , connu fous le nom de Frere
Jean Baptifte , mort à Alais en 1718 ,
n'étoit âgé que de quatre-vingt ans ,
de
120 MERCURE DE FRANCE.
l'aveu de quatre cens perfonnes vivantes
encore , dont plufieurs ont été en grande
liaifon avec lui , & qui toutes s'accordent
aujourd'hui à ne lui donner , lors de fa mort,
que cet âge là tout au plus , & non celui
de cent trois ans que devoit avoir l'Hermite
pour établir la vraisemblance de la
conjecture.
Ainfi , ce que M. d'Auvergne , dans fa
lettre inférée au Mercure d'octobre , regarde
comme une erreur de date , par rapport
à l'expreffion de MM. de Gourville &
de Voltaire , eft exactement une erreur de
fait , qui rend l'anecdote évidemment
fauffe.
Il feroit aifé de s'en convaincre par la
comparaifon de la taille & des traits de
M. Foucquet , avec ceux de Frere Jean-
Baptifte , qui étoit ( dit- on ) au - deſſus de
cinq pieds fept pouces , de groffeur proportionnée
, blond & de grand embonpoint ;
& encore par celle de fon écriture , qu'on
voit ici dans fa difpofition derniere d'une
fomme affez confidérable , qu'il légua à
l'Hôpital d'Alais , où il mourut de la pierre.
Rien d'ailleurs ne répugne aux conjectures
que cet Hermite étoit homme de
naiffance & perfonnage de diftinction ; fon
air , fes manieres & fon efprit orné , ne
permettoient pas d'en douter. C'étoit un
homme
FEVRIER. 1755 121
homme fort circonfpect , & très en garde
contre les queſtions qui tendoient à le pénétrer
; tout ce qu'on a pu conjecturer ,
c'eft qu'il étoit de Normandie.
J'ai l'honneur d'être , &c...
Leiris , ancien Officier d'Infanterie.
A Alais , ce premier Novembre 1754.
Un Médecin diftingué , à qui cette lettre
eft adreffée pour la faite inférer dans
le Mercure , ajoûte , en me l'envoyant , de
nouvelles preuves à celles de M. de Leiris.
M. Foucquet , dit- il , eft mort à Pignerol
en 1680 , entre les bras de Mme Foucquet
fa femme , & au milieu de tous fes gens.
qu'il y avoit fait venir depuis deux ans
qu'il étoit libre. Cette pieufe époufe qui
avoit remarqué dans fon mari beaucoup
d'attachement pour la maifon de la Vifita
tion oùil avoit trois foeurs , fit tranfporter
fon corps * à Paris , & le fit inhumer dans
l'Eglife de ce Monaftere , & dans la chapelle
de S. François de Sales , le 28 Mars
1681. Les incrédules , pour s'en convaincre
, peuvent y lire fon épitaphe , ainfi que
celle de fa mere , qui fut enterrée dans la
même chapelle , le 21 Avril de la même
* Il coûta 50000 liv. pour ce tranfport.
F
122 MERCURE DE FRANCE.
année . Son époufe qui n'eft morte qu'en
1718 , y eft auffi inhumée.
L'A
CHIRURG I E.
'Art de la Chirurgie eft porté de nos
jours à un dégré de perfection , inconnu
aux fiécles précédens. Les Chirurgiens
de Paris y ont depuis long- tems le
plus contribué. L'établiſſement de l'Académie
royale de Chirurgie , dont ils font
redevables au plus fage des Rois , ne peut
manquer de hâter, encore les progrès de
cet art falutaire. Le public voit avec fatisfaction
les travaux de cette Compagnie.
Ils ne fe bornent point à rechercher les
plus fûrs , pour guérir les hommes par fes
opérations , quand elles font indifpenfables
; ils s'étendent encore à tout ce qui
peut foulager l'humanité dans les occafions
où fes befoins l'exigent. M. Recolin , un
de fes membres , diftingué par fes talens ,
vient de donner à cette Compagnie un
mémoire qu'elle a entendu avec plaifir , &
qu'elle lui a permis de rendre public par
la voie de ce Journal. Ce mémoire eft auffi
curieux qu'il a été utile , pour mettre l'Académie
à portée d'apprécier au jufte le
mérite d'une nouvelle découverte qui a
FEVRIER. 1755. 123
fait beaucoup de bruit , pour nourrir les
hommes avec une poudre.
Remarques fur la nourriture des hommes
avec les differentes farines , lûes à la feance
de l'Académie royale de Chirurgie , le
Jeudis Décembre 1754. Par M. Recolin
, Maire en Chirurgie , &c.
On vient de faire des effais d'une poudre
farineuſe , avec laquelle on peut nour
rir des hommes pendant quelque tems ,
moyennant fix onces par jour à chacun ,
délayées dans fuffifante quantité d'eau
bouillante . Cette poudre coûte ou revient
à un fol l'once , puifque l'auteur dit , que
la ration journaliere d'un homme revient
à fix fols ; que ceux qui en feront nourris
pourront vaquer aux travaux les plus pénibles
, fans que leurs forces & leurs fantés
foient expofées à aucune diminution .
C'eft M. Bouébe , Chirurgien major du
régiment Grifon de Salis , qui en eft l'auteur.
Il y a environ trois mois qu'on en a
fait des épreuves en Flandre , par ordre
de M. le Marquis de Paulmi , fous les yeux
de M. le Prince de Soubife & de M. de Sechelles
; M. Bagieu en fit part à l'Académie.
On vient d'en faire de nouvelles expérien
www
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
ces à l'Hôtel royal des Invalides , par ordre
du même Miniftre : M. Morand en a
lu le procès verbal . Ceux qui ont été nourris
avec cette poudre ou farine , s'en font
bien trouvés .
Cette découverte eft fans doute intéreflante
, & peut être d'une grande utilité
dans certaines conjonctures. L'on doit fçavoir
bon gré à M. Bouébe , d'avoir travaillé
à trov er ce moyen de plus , pour foulager
l'humanité dans les occafions où fes befoins
l'exigent : cependant on ne doit pas
regarder cette découverte avec l'enthoufiafme
de la nouveauté , puifque de tous
les tems les farines tirées principalement
des grains , ont fait le fond de la nourriture
de certains peuples , comme je le dirai
plus bas ; mais que même ceux qui n'y
font point habitués , y ont encore tous les
jours recours , quand ils font privés d'autres
alimens plus conformes à leur goût &
à leurs ufages ; & ils fe foutiennent en
fanté , avec cette nourriture fimple , plus
ou moins de tems , felon la néceffité : enfuite
on en revient à la nourriture ordinaire
, quand le tems de la difette ceffe ,
ce qui n'a guere duré , felon les exemples
du paffé , qu'environ fix femaines. On a
vû la preuve de ce que j'avance ici , il y
a quelques années , dans la province de
Guyenne.
FEVRIER. 1755. 125
En 1747 plufieurs provinces de ce
royaume fe trouverent affligées d'une
difette de grains confidérable ; celle de
Guyenne fut une des plus expofées aux
calamités & aux horreurs d'une famine ;
quelque attention que le miniftere appor
tât pour la foulager , même avant qu'elle
fe fût apperçue du danger , elle ne laiffa
pas d'en éprouver les effets .
Bordeaux , fa capitale , ne reçoit de fecours
que par la mer. Les Anglois inftruits
de tous les chargemens qui fe faifoient
'ailleurs pour la province de Guyenne ,
bloquerent l'entrée de la riviere , & par
ce moyen tout fecours fut intercepté. Le
Commiffaire du Roi dans cette province ,
homme d'un génie fupérieur & d'une grande
expérience , occupé par état des malheurs
qui menaçoient les peuples , eut
recours aux moyens dont les nations étrangeres
fe fervent pour fe préferver de la
famine fléau auquel les peuples d'Afie
font affez fouvent expofés..
Ce Magiftrat fit publier une quantité
confidérable de feuilles imprimées , portant
la maniere de faire une espece de
bouillie avec la farine de froment , ainfi
que la façon de préparer le ris pour nourrir
beaucoup de monde à très-bon marché ;
puifque , calcul fait , au prix même où font
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
les choſes à Paris , la farine cinq fols la
livre , le ris huit fols , la graiffe ou ſaindoux
quatorze fols , le beurre à ſeize ſols ,
le fel a onze fols , la nourriture de chaque
homme reviendroit à un fol fept ou huit
deniers tout au plus . Celui de la foupe du
ris au gras , felon la méthode qu'on va
voir , à quelque chofe de plus ; le ris à
l'eau & au lait à beaucoup moins , ce qui
peut encore fouffrir une diminution confidérable
, relativement au prix où font ces
denrées dans les différentes provinces.
Je vais faire la lecture de deux exemplaires
de ces méthodes qui me parvinrent
dans le tems ; l'une pour la préparation de
la farine de froment , l'autre pour celle du
ris.
COPIE DES DEUX EXEMPLAIRES IMPRIMÉS .
Méthode pourfaire la foupe dauphinoife
dite Touble , en plufieurs endroits de Turquie
, avec laquelle on peut nourrir à trèspeu
de frais ungrand nombre de perfonnes.
Prenez une livre de farine de pur froment
, paîtriffez-la avec de l'eau un peu falée.
Quand la pâte eft faite & paîtrie un
* Ainfi nommée , parce qu'un homme de la province
du Dauphiné donna jādis la formule de cette
foupe en Turquie.
FEVRIER. 1755 . 127
peu molle , partagez -la en morceaux , de
la groffeur d'un ceuf ou environ ; étendezles
avec un rouleau , de maniere que la
pâte de chacun foit fort mince , & rangez
le tout fur une table.
Ayez fur le feu une marmite ou chaudron
, ou un pot de terre , avec deux pots
d'eau. Quand cette eau fera chaude , falezla
, & mettez- y un quarteron de beurre
ou de graiffe .
Lorfqu'elle bout à gros bouillons , jettez-
y la pâte qui a été étendue , &
que
vous
aurez
coupée
en très - petits
morceaux
:
plus
ils
font
minces
&
petits
, plus
ils
foifonnent
. Obfervez
de les
jetter
dans
l'endroit
où l'eau
bout
le plus
fort
.
Il ne faut plus enfuite qu'un petit feu
pour faire bouillir doucement pendant cinq
quarts-d'heure ou une heure & demie cette
foupe , qu'il eft néceffaire de remuer de
tems en tems jufqu'au fond de la marmite
avec une cuiller , afin d'empêcher qu'elle
ne s'attache.
Si l'on s'apperçoit qu'elle épaiffit trop ,
on y mettra de l'eau chaude , ou bien de la
farine fi elle eſt trop liquide. Cette foupe
eft agréable au goût , raffafiante & nourriffante.
La quantité ci - deffus fuffit à fix
perfonnes , qui en prendront la moitié pour
dîner , & le refte pour fouper.
Fiiij
128 MERCURE DE FRANCE.
Comme ce refte s'épaiffit beaucoup en fe
refroidiffant , on le délayera avec de l'eau
chaude quand on voudra le manger , &
on le fera rechauffer à petit feu .
On ne doit point laiffer long-tems cette
foupe dans une marmite ou chaudron , de
peur qu'elle ne prenne un goût de cuivre
ou de fer.
Dix livres de farine mifes en pâte , en
rendent treize livres un quart , lefquelles
apprêtées comme ci- deffus , nourriffent
abondamment foixante perfonnes toute
une journée .
Pour dix livres de farine , faifant treize
livres & plus de pâte , il faut vingt pots.
d'eau , deux livres & demie de beurre ou
de graiffe , & trois quarterons de fel .
Plus la farine de froment eft bonne
fans être toutefois bien fine , plus elle foifonne.
La fleur de farine rendroit moins
en pâte , & fe diffoudroit trop aifément en
bouillant. Une farine trop groffiere ne ſe
lieroit pas affez , & ne s'étendroit pas bien
il faut donc choifir la farine dont on fait
le pain bourgeois dans un ménage,
:
Inftructionfur la façon de préparer le ris pour
en nourrir beaucoup de monde à bon marché.
Le ris eft connu pour être une des meilFEVRIER.
1755. 129
leures nourritures qu'il y ait ; des provinces
, des royaumes entiers s'en nourriffent ,
& d'autres en font plus d'ufage pour leur
fubfiftance que de froment ou de feigle.
Il y a plufieurs façons de le manger ; à
l'eau , au gras & au lait . Quelle que foit
celle de ces façons dont on veuille faire
ufage , il faut commencer par bien laver
& nettoyer dans trois eaux tiédes différentes
, la quantité qu'on en doit employer.
Pour le faire à l'eau , & nourrir pendant
unjour trente perſonnes .
Il faut en mettre cinq livres , poids de
marc , dans une marmite ou chaudiere ,
avec dix pots d'eau , & du fel à proportion,
le faire bouillir à petit feu l'efpace de trois
heures , en le remuant de tems en tems ,
afin d'empêcher qu'il ne s'attache , & verfer
à mesure qu'il paroît s'épaiffir , jufques
à concurrence' de dix autres pots d'eau
chaude ; ces cinq livres rendront foixante
portions , ni trop épaiffes ni trop claires
dont deux fuffifent à la nourriture d'une
perfonne , & par conféquent les cinq livies
font fuffifantes pour nourrir trente
perfonnes.
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
Pour le faire au gras , & nourrir le même
nombre de perfonnes.
Il faut , fur le pied de huit onces de
viande par livre de ris & pour quatre pots
d'eau , mettre une livre de viande de quarante
onces dans les dix premiers pots
d'eau , les faire bouillir & écumer , après
quoi y jetter , avec du fel , les cinq livres
de ris , & fuivre ce qui a été dit ci - deſſus.
A la place des quarante onces de viande
, on peut fe fervir de vingt onces de
graiffe , fur le pied d'un quarteron par
livre , & le ris eſt auſſi bon .
Pour le faire au lait , & nourrir le même
nombre de perfonnes.
Il faut obferver la même chofe qu'à celui
à l'eau , en diminuant de deux pots &
demi la quantité d'eau , & les rempliffant
de même quantité de lait , bouilli féparément
& écrêmé , lequel ne fera jetté dans
la marmite qu'au dernier quart d'heure
de cuiffon.
que
·
On entend felon le nombre de perfonnes
qu'on a intention de nourrir , il
n'y a qu'à augmenter ou diminuer à proportion
les dofes de ris , d'eau , de viande,
de graiffe ou de lait.
FEVRIER . 1755. 131
Le ris à l'eau & au gras peut être préparé
pour deux ou trois jours ; mais il y auroit
du danger que celui au lait ne s'aigrît d'un
jour à l'autre.
Voilà la copie littérale des deux imprimés.
Par ces deux méthodes , ce fage Commiffaire
du Roi préferva les habitans de la
Province de Guyenne de la famine dont
ils étoient menacés , & il donna le moyen
de fubfifter , à très- bon marché , à trois ou
quatre cens mille habitans de tout âge & de
tout fexe , qui s'en nourrirent fix femaines
confécutives ; & enfuite à mefure qu'ils
eurent les fecours ordinaires , ils entremêlerent
cette nourriture avec d'autres ,
dont ils ne difpoferent abondamment qu'après
en avoir été privés totalement , ou en
partie , pendant environ quatre mois.
Je n'ignorai pas que dans cette même,
année de calamité il mourut moins de
monde dans cette province que les années
précédentes , à l'époque de dix ans ; c'eſt
ce qui fut vérifié fur les lieux au moyen
des regiftres , ainfi que le bon fuccès de
cette nourriture , avec laquelle les gens qui
en vêcurent , travaillerent comme à leur
ordinaire. Ils s'y font même fi bien accoutumés
, que l'ufage en eft encore fréquent
parmi eux , dans le tems même d'abondance.
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
Un voyage que j'ai fait au Canada em
1739 , m'a mis à portée de voir par moimême
que les Sauvages qui habitent ce
vafte pays , fe nourriffent . fréquemment
avec la farine feute de maïs , bled' d'Inde
ou bled de Turquie. Il ne fe paffe prefque
point d'hivers qu'ils ne foient obligés d'y
avoir recours ; ce pays étant neuf mois de
l'année couvert d'une prodigieufe quantité
de neige & de glace , il n'eft pas furprenant
que le gibier & le poiffon leur
manque fouvent. Les François Canadiens
vont faire des hivernemens avec les Sauvages
, dans les forêts des montagnes , loin
des villes & des habitations , pour faire la
chaffe aux animaux propres à leur commerce
de pelleteries . Ils ne fçauroient porter
beaucoup de provifions dans les canots
d'écorce de bouleau , avec lefquels ils font
obligés de voyager pour paffer les rivieres
& les lacs qui fe rencontrent fréquemment
dans leur chemin ; ils font dans la néceffité
de porter ces mêmes canots par terre ,
ainfi que leur petit bagage néceffaire pour
la chaffe. Arrivés aux lieux de leur deſtination
, qui ne font jamais permanens , ils
fubiflent le fort des Sauvages , vivent comme
eux de gibier & de poiffon , & fouvent
auffi avec la farine de bled d'Inde , délayée
tout fimplement dans l'eau chaude , & le
FEVRIER. 1755. 133
و ت
plus fouvent froide. Beaucoup m'ont dit
qu'ils fe font toujours très- bien foutenus
avec cette feule nourriture , des femaines &
des mois entiers: Tous les habitans de ce
pays-là en font témoins , ainfi que les voyageurs
, & on ne peut le révoquer en doute.
Les Sauvages font cuire à des efpeces de
fours qu'ils pratiquent dans la terre , les
épis de bled d'Inde ; ils féparent enfuite
la farine du fon , & la mettent dans de
petits facs pour s'en fervir au befoin , &
fur - tout quand ils veulent entreprendre'
de longs voyages , comme j'ai dit ci- def
fus , ou pour aller faire la guerre à d'autres
nations ennemies qui en font féparées
ordinairement par des efpaces immenſes.
L'année où j'étois dans ce pays-là , quelques
nations voifines de Quebec étoient
en guerre avec les Chicachas ; ces deux armées
avoient environ fix cens lieues à faire
pour fe trouver au champ de bataille.
Une remarque encore digne d'attention.
Feu M. Sarrazin , Médecin célébre
qui a vécu long- tems au Canada , fit part
à l'Académie royale des Sciences , il y a
environ vingt ans , du bon fuccès de la
nourriture avec la farine de bled d'Inde
dont les guerriers Canadiens & Sauvages
s'étoient nourris pendant une campagne ,
& que ceux qui en avoient vécu depuis
134 MERCURE DE FRANCE.
trois à quatre mois , guériffoient de leurs
bleffures avec une facilité furprenante .
Outre cet ufage particulier & effentiel
de la farine de bled d'Inde , les Sauvages.
en font la fagamité , qu'ils nomment fimple
quand elle ne confifte qu'en une efpéce
de bouillie faite avec cette farine , le
fucre d'érable & l'eau. Mais ils en font
ordinairement une plus compofée , pour
leurs repas de cérémonie. Ils ajoutent dans
la chaudiere même avec la farine , de la
graiffe des différens animaux , du gibier ,
du poiffon , & quelquefois du fruit. Ils
nomment alors ce mêlange , une fagamité
complette : quelques nations prononcent
fagoüité.
Les troupes Ruffiennes fe nourriffent
dans les plus longues marches , avec de la
farine préparée , pour être délayée, avec
de l'eau , fouvent fans autres provifions ,
comme il leur eft arrivé pendant les campagnes
de 1737 , 38 & 39 , dans les deferts
de la petite Tartarie . Chaque foldat porte.
fur lui , dans un petit fac, la quantité néceffaire
de farine pour fubfifter des mois entiers
, comme font les Sauvages du Canada .
Cela fuffit pour démontrer que la dofe de
chaque ration doit être fort petite.
Les peuples Maures , & ceux qui habitent
le Sénégal , vivent d'ordinaire & prinFEVRIER.
1755. 135
cipalement , avec la farine de deux eſpéces
de millet ; l'un grand , què les Botaniftes
nomment Sargo ; l'autre petit , nommé
Pani à épi en maffe : Panicum fpica tiphina.
Ils font avec cette farine une espéce
de bouillie ; & quand ils veulent la rendre
plus agréable par la faveur & le goût ,
ils y ajoutent quelques feuilles des plantes
mucilagineufes , tirées des émollientes ou
des aromatiques : ils nomment cette addition
Lalo.
Ils fe nourriffent quelquefois auffi avec
une farine tirée de la moëlle d'une eſpéce
de palmier on nomme celle- ci le Sagou
des Indes .
Ils font encore ufage de la gomme arabique
, dont ils choififfent la plus blanche
& la plus friable , la mettent en poudre
& en ufent comme de la farine . Tout le
monde fçait combien ces hommes font d'une
bonne fanté , forts & vigoureux , quoiqu'ils
ne vivent d'ordinaire qu'avec des
alimens fimples.
La farine de maïs fert univerfellement
à la nourriture des naturels du Pérou & du
Méxique ; ils en font du pain , de la bouillie
, & une préparation particuliere , mais
toujours fimple , qu'ils nomment Tortilles.
C'eft une espéce de pâte cuite qu'ils mangent
journellement , & qui leur fert de
136 MERCURE DE FRANCE.
nourriture dans les plus longs voyages ,
fans autres alimens : ils la portent fur eux
dans un petit fac , comme font les Canadiens
& les Ruffes.
Les Polonois font le Kacha , préparation
farineuſe , dont l'ufage eft général . Ils employent
tantôt celle d'orge , d'avoine , de
millet , ou du bled farrazin de Cracovie ;
celles- là fervent pour la nourriture des foldats
& des gens pauvres. Ils ont auffi une
autre efpéce de petite graine , dont la préparation
eft plus légere & délicate ; les
riches la font cueillir pour eux dans les
prairies , avant le lever & après le coucher
du foleil on nomme celle-ci la manne. :
Les Lapons ufent beaucoup auffi de farine
de millet & autres grains farineux
pour bafe de leur nourriture . Les monta
gnards d'Irlande & d'Ecoffe employent
celle d'avoine & de feigle. En Italie on
fait la Polenta avec celle de bled de Turquie
, qui eft d'un grand ufage , & beaucoup
d'autres préparations farineufes. Le
bled farrazin fournit la nourriture de beaucoup
de peuplés différens. Les Savoyards
outre les bouillies , en font du pain pour
toute leur année , & en vivent la moitié
du tems. Les payfans du Limoufin , de la
baffe Bretagne , en ufent beaucoup auffi .
Dans le pays des Bafques , la farine de maïs
"
FEVRIE R. 1755. 137
eft d'un fecours journalier , ils en font la
maïture.
C'est un fait que dans prefque tous les
pays éloignés des grandes villes , & furtout
dans les pays de montagnes ,
les peuples
fe nourriffent ordinairement avec différentes
préparations farinenſes ; que dans
les villes les plus floriffantes la difette a
obligé quelquefois à y avoir recours ; &
que le ris , diftribué en médiocre quantité
a fourni lui feul la fubfiftance principale
des peuples , en attendant un tems plus favorable
.
*
3
Le réſultat de ces différens faits remplit
mon objet principal ; c'eft de démontrer à
l'Académie le rapport qu'il y a de la nourriture
des Sauvages de l'Amérique feptentrionale
, des Ruffes , des habitans de la
Turquie , de ceux du Sénégal , du Pérou
du Méxique , & de plufieurs autres nations
, avec celle que M. Bouébe propoſe
dans les occafions embarraffantes : que fa
découverte n'eſt rien moins que nouvelle
& merveilleufe ; que le prix de fa poudre
eft exceffif , en le comparant à celui auxquels
reviennent & la foupe Dauphinoife
& la préparation des ris ; qu'une grande
multitude s'eft nourrie dans la province
de Guyenne , avec ces différentes foupes
fur- tout avec la Dauphinoiſe , auffi bien
138 MERCURE DE FRANCE.
& auffi facilement , moyennant les formules
ci-deffus , que le petit nombre auxquels
M. Bouébe a donné fa poudre . Un point
effentiel encore de cette obfervation eft ,
que la quantité néceffaire de farine & de
ris , eft beaucoup moindre dans ces deux
méthodes que dans celle de cet auteur ; on
fent de quelle conféquence eft cet avantage
, fur-tout dans le cas du tranfport , joint
celui des trois quarts moins de la dépenfe
, en portant les chofes au prix le
plus haut , qui eft celui de Paris , comme
j'ai déja dit. Le calcul le plus fimple fuffic
pour prouver cette vérité.
Pour faire la foupe dauphinoife pour 60
perfonnes , pendant une journée , il faut :
Dix livres de farine de froment à cinq
fols ,
Deux liv. de beurre à 16
fols ,
Trois quarterons de fel à
11 fols ,
2 l. 10 f.
8 3 d.
Total
4 l. 18 f. 3 d.
Pour faire la foupe de ris à l'eau pour 30
perfonnes , pendant une journée , il faut :
Cinq livres de ris à 8 f. 2 1.
Six onces de fel à 11 f. I
4f. 1 d.
Total 2 1.4 f. 1 d . 1.
FEVRIER. 1755. 139
Voilà ce dont j'ai cru devoir faire
à la Compagnie.
part
M. LAPIE , Maître en Chirurgie à Saint-
Sevrin-fur- l'Ifle , près Coutras en Guyenne
, a communiqué à l'Académie royale de
Chirurgie une obfervation , de laquelle il
réfulte qu'il vient au monde des enfans qui ,
fans avoir le filet ni la langue trop courte ,
ne peuvent point téter , & font en danger
de périr faute de nouriture : qu'il faut
alors examiner s'ils n'ont point la langue
trop fortement appliquée , & comme collée
au palais ; qu'en ce cas il faut la détacher
, & la baiffer avec une fpatule , ou
le manche d'une cuiller , ou chofes femblables
; & que par ce moyen M. Lapie a
donné la vie à deux enfans qui jufqu'à
ce moment n'avoient pû prendre le teton ,
fans qu'il eût été poffible de reconnoître
la caufe de cet empêchement : & comme
cette remarque , toute fimple qu'elle paroiffe
, peut cependant échapper aux fagesfemmes
, & même aux maîtres de l'art ,
l'Académie l'a jugée affez intéreſſante
mériter d'être rendue publique.
MORAND ;
Secrétaire perpétuel.
Ce 28 Décembre 1754.
pour
140 MERCURE DE FRANCE.
•
E
ASTROÑO MIE.
TAT DU CIEL , pour l'an de grace
1755 , calculé fur les principes de
Newton , & rapporté à l'ufage de la mari .
ne ; par A. G. Pingré , Chanoine Régulier
de Ste Geneviève , correfpondant de l'Académie
royale des Sciences , Affocié de
celle de Rouen. A Paris , chez Durand ,
rue Saint Jacques , au Griffon ; & Piffot ,
quai de Conti , à la Sageffe .
pu-
L'accueil que le public éclairé a fait à
l'Etat du Ciel de 1754 , n'a point été le
fruit de la faveur ou de la prévention . On
defiroit depuis long- tems en France un
ouvrage de cette efpéce ; mais la longueur
& la difficulté des calculs ralentiffoient le
zéle de ceux qui pouvoient l'entrepren
dre. Le defir de contribuer à l'utilité
blique l'a enfin emporté fur la féchereſſe
pénible d'une multitude de calculs embarraffans.
On a vû en France un Etat du ciel ,
où les mouvemens céleftes étoient déterminés
fur les principes les plus certains ,
fur les tables les plus parfaites. On paroiffoit
fatisfait. M. Pingré , auteur de l'ouvrage
, ne l'a point été ; il a fenti que fon
travail étoit fufceptible d'une perfection
FEVRIER. 1755. 14!
plus grande : il n'a point voulu qu'on pût
lui reprocher qu'il ne fervoit le public
qu'à demi . On peut dire que l'Etat du ciel
de 1755 eft beaucoup plus fupérieur à celui
de l'année précédente que celui- ci ne
l'étoit à l'égard de tous les ouvrages de
cette efpéce qui avoient paru jufqu'alors .
M. P. avertiffoit l'année derniere , dans
fa préface , que pour diminuer l'ennui &
la prolixité des calculs , il s'étoit fouvent
fervi de méthodes d'approximation qu'il
s'étoit faites pour lui-même. Il a maintenant
abandonné toutes ces méthodes ; tout
eft calculé en rigueur , & aucune addition
, aucune fouftraction , aucune autre
regle d'arithmétique n'a été employée ;
dont la preuve n'ait été faite .
Les mouvemens de la lune font ici les
plus effentiels , puifque c'eft d'eux principalement
que dépend la connoiffance des
longitudes fur mer ; ils n'étoient calculés -
en 1754 qu'en dégrés & minutes ; en
1755 la précifion va jufqu'aux fecondes.
Il ne peut y avoir d'autre erreur , dit l'auteur
, que celles qui auront été occafionnées
par des fractions de fecondes , négligées
dans les différentes équations. Ces
erreurs montent donc quelquefois à deux
ou trois fecondes au plus. Nous n'étions
pas encore accoutumés à des calculs d'une
142 MERCURE DE FRANCE.
telle précifion . Puiffent les navigateurs en
recueillir les fruits que l'Auteur , en déterminant
avec toute la précifion poffible les
principales limites de la terre & de la mer ,
fe propofe de leur procurer ! Pour ce qui
regarde le paffage de la lune au méridien ,
foit fur l'horizon , foit au - deffous , il n'y a
nulle part une feconde d'erreur .
Les éclipfes font annoncées ici avec toute
l'exactitude dont ces fortes de prédictions
font fufceptibles . Avant que de les
calculer , M. P. a corrigé l'erreur des tables
, tant en longitude qu'en latitude , fur
des obfervations correfpondantes.
Pour que les navigateurs puiffent retirer
de cet ouvrage toute l'utilité poffible
, la déclinaifon de la lune eft içi calculée
de douze en douze heures ; à l'afcenfion
droite du même aftre , on a fubftitué
fon angle horaire , calculé pareillement
pour les heures de midi & de minuit
, méridien de Paris ; cet angle eft celui
que fait le cercle de déclinaifon de la
lune avec le méridien. Enfin à côté de
tous les élémens de la lune on a ajouté les
mouvemens horaires correfpondans. C'étoit
, fans contredit , la meilleure méthode
que l'Auteur pût employer pour remplir
parfaitement fon objet , c'eft- à -dire
pour rendre fon ouvrage d'un uſage abſólument
général .
FEVRIER. 1755. 143
Dans les explications que donne M. P.
pour l'ufage de fes calculs & de fes tables ,
on trouve une méthode pour conclure fur
mer la longitude du vaiffeau , d'une feule
obfervation de la hauteur de la lune fur
l'horizon * .
On fçait que la bonté des méthodes
qu'on propofe aux navigateurs , dépend , &
du petit nombre d'obfervations qu'il faut
faire , & de la facilité des calculs qu'il
faut employer. Ajoutons encore à cela ,
qu'une méthode eft d'autant meilleure
que les opérations qu'on y propofe fe peuvent
réitérer plus fréquemment . Or il ne
paroît pas douteux que par rapport à la
réunion de ces trois conditions , la méthode
de M. Pingré ne foit préférable à
toutes celles qui ont paru jufqu'à préfent ;
elle n'exige qu'une feule obfervation . Les
calculs qui doivent fuivre l'obfervation , paroiffent
à la portée de tout le monde . Enfin
l'obfervation requife peut fe faire tous les
jours & à toute heure , pourvu que la lune
Les latitudes ne peuvent être conclues que
de l'obfervation des hauteurs. Il eft donc naturel
d'y rapporter auffi les longitudes , d'autant plus
que ces obfervations peuvent fe faire aujourd'hui
avec un inftrument d'un ufage très- facile
indépendant du mouvement du vaiffeau. Voyez le
Voyage au nord , par M. l'Abbé Outkier.
> &
144 MERCURE DE FRANCE.
foit fur l'horizon , & qu'elle ne foit pas
trop voifine du foleil ou du méridien .
Nous n'entrerons pas plus avant dans
les détails curieux & inftructifs que renferme
cet ouvrage ; c'eſt au Public , &
principalement à M M. de la Marine &
aux Aftronomes , à juger de fon utilité : il
eft d'ailleurs fort bien exécuté.
MECHANIQUE.
LETTRE de M. Thillaye , Privilégié du Roi
pour les pompes à incendies , demeurant à
Rouen , à l'Auteur du Mercure.
MONSIEUR,
E pourrois vous détailler les différens
pays étrangers & les différentes villes du
royaume à qui j'ai fourni de mes pompes ;
mais comme ce détail pourroit devenir ennuyeux
, je me bornerai à vous citer un
feul exemple de mon fuccès , qui eſt décifif.
M. de Beaumont , Intendant de Flan
dres , a envifagé , lorfqu'il étoit en Intendance
en Franche- Comté , qu'un de ſes
prémiers foins devoit être de garantir fa
Généralité des incendies. Ce Magiftrat ,
Occupé
FEVRIER. 1755.
1755 145
occupé de l'amour du bien public , voulant
faire emplette de pompes , & en établir
dans les villes de fon département , a
jetté les yeux fur moi , & ce n'a été qu'après
avoir examiné lui - même mon ouvrage
qu'il m'a donné la préférence ; je lui ai
fourni vingt pompes , dont je puis dire
qu'il a été fatisfait.
J'ai crû , Monfieur , devoir vous rendre
compte de mon fuccès , auquel vous avez
contribué par vos annonces favorables ; je
vous prie de rendre ma lettre publique par
la voie de votre Journal , & d'inferer à la
fuite le certificat de M. de Beaumont , afin
que ceux qui ne connoîtroient pas tout l'avantage
qu'on peut tirer de mes pompes ,
ne puiffent plus en douter.
J'en délivre gratuitement les figures &
la defcription . Je prie ceux qui me feront
l'honneur de m'écrire, d'affranchir leurs lettres.
Les perfonnes qui defireront avoir de
ces pompes , à Paris , pourront s'adreffer
chez les RR. PP. Feuillans de la rue Saint
Honoré , où j'en ai en magafin de toutes
grandeurs.
J'ai l'honneur d'être , &c.
CERTIFICAT.
Jean -Louis Moreau , Chevalier , Sei
G
146. MERCURE DE FRANCE.
1
gneur de Beaumont , Confeiller du Roi en
fes Confeils , Maître des Requêtes ordinaire
de fon Hôtel , Intendant du Comté.
de Bourgogne.
Certifions que le fieur Thillaye , Maître
Pompier à Rouen , a fourni par nos ordres
, pendant l'année derniere & la préfente
, à plufieurs villes de Bourgogne
vingt pompes de différentes grandeurs def
tinées à éteindre le feu en cas d'incendie
defquelles nous avons fait faire l'épreuve,
avec fuccès en notre préfence ; elles nous,
ont paru , par leur forme & par leurs effets ,
être extrêmement utiles dans des incen
dies.
Fait au camp de Gray le 4 Septembre
1754.
Signé DE BEAUMONT,
FEVRIER. 1755 : 147
ARTICLE QUATRIEME
•
L
BEAUX - ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
E RETOUR DE FLORE , & LES CHARMES
DU SOMMEIL , Cantates nouvelles à
voix feule & grande fymphonie , avec les
ariettes dans le goût Italien ; dédiées &
préfentées à Madame la Dauphine , par M.
d'Herbain , Chevalier de l'Ordre de Saint
Louis , & Capitaine au Régiment de Tournaifiş.
SIX SONATES EN TRIO , pour deux vio-
Jons & baffe ; par le même Auteur : dédiées
à Madame la Marquife de Pompadour ."
Ces différentes piéces , gravées par Mlle
Vendôme , fe vendent à Paris , aux adref
fes ordinaires.
GRAVURE.
LE CAFFÉ HOLLANDOIS , gravé d'après
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
le tableau original d'Adrien Oftade , qui
eft au cabinet de M. le Comte de Vence ;
par J. Beauvarlet. Ce jeune Graveur a trèsbien
réuffi dans le goût & dans le coloris
du peintre ; il a fuivi en cela le fameux
Wicher. Il demeure rue Saint Jacques , an
Temple du Goût.
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
LETTRE A M. L'ABBE' R ***
fur une très - mauvaise plaifanterie qu'il a
laiffe imprimer dans le Mercure du mois
de Décembre 17 54 › par une société d'Architectes
, qui pourroient bien auffi prétendre
être du premier mérite & de la premiere
réputation , quoiqu'ils ne foient pas
de l'Académie.
N
Ousfommes furpris, Monfieur, qu'un
homme d'efprit & un auffi bon citoyen
que vous , ait autorifé un écrit fatyrique
, dont le but eft fi évidemment de
renverser l'Architecture moderne , & de
détruire la confiance que l'on accorde aux
Architectes , en mettant le public à portée
de juger par lui-même du bien ou du mal
des ouvrages que nous faifons pour lui
FEVRIER. 1755. 149
Pouvons-nous croire que vous n'ayez pas
apperçu cette conféquence ? ou que l'ayant
vue vous n'ayez pas eu quelque fcrupule
de vous prêter à décrier des inventions
qui depuis tant de tems font les délices de
Paris , & qu'enfin les étrangers commencent
à goûter avec une avidité finguliere
Il eft aifé de deviner d'où partent ces
plaintes , & nous ne croirons pas auffi
facilement que vous que ce foient fimplement
les idées d'un feul artiſte. C'eſt
un complot formé par plufieurs qui , à la
vérité , ont da mérite dans leur genre ,
mais qui feroient mieux de s'y attacher
que de fe mêler d'un art qui eft fi fort
au- deffus de la fphere de leurs conoiffances.
Nous foupçonnons avec raifon quelques
Peintres célebres de tremper dans
cette conjuration ; malheur à eux fi nous
le découvrons. Ils ont déja pû remarquer
que pour nous avoir fâché , nous avons
fupprimé de tous les édifices modernes
la grande peinture d'hiftoire. Nous leur
avions laiffé par grace quelque deffus de
porte; mais nous les forcerons dans ce dernier
retranchement , & nous les réduirons
à ne plus faire que dé petits tableaux de
modes , & encore en camaïeux . Qu'ils faffent
attention que nous avons l'invention
des vernis : le public a beau fe plaindre de
G iij
So MERCURE DE FRANCE!
leur peu de durée , il fera verni & rever
ni. Cependant nous voulons bien ne pas
attribuer ces critiques à mauvaife volonté,
mais plutôt au malheur qu'ils ont de s'être
formé le goût en Italie. Ils y ont vû ces
reftes d'architecture antique , que tout le
monde eft convenu d'admirer , fans que
nous puiffions deviner pourquoi. C'eft ,
dit-on , un air de grandeur & de fimpli
cité qui en fait le caractere. On y trouve
une régularité fymmétrique , des richeffes
répandues avec économie & entremêlées
de grandes parties qui y donnent du repos
. Ils s'en laiffent éblouir , & reviennent
ici remplis de prétendus , principes , qui ne
font dans le fond que des préjugés , &
qui , grace à la mode agréable que nous
avons amenée , ne peuvent leur être d'aucun
ufage. Nous nous fommes bien gardés
de faire pareille folie ; & tandis que nos
camarades font allés perdre leur tems à
admirer & à étudier avec bien des fatigues
cette trifte architecture , nous nous fommes
appliqués à faire ici des connoiffan
ces & à répandre de toutes parts nos gentilles
productions.
4
On nous a des obligations infinies :
nous avons affaire à une nation gaie qu'il
faut amufer ; nous avons répandu l'agré
ment & la gaieté par tout . Au bon vieux
FEVRIER. 1755 151
4
"
tems on croyoit que les Eglifes devoient
préfenter uunn aaffppeecctt ggrraavvee & même fevere ;
les perfonnes les plus diffipées pouvoient
à peine y entrer, fans s'y trouver pénétrées
d'idées férieufes. Nous avons bien changé
tout cela ; il n'y a pas maintenant de
cabinet de toilette plus joli que les chapelles
que nous y décorons. Si l'on y met
encore quelques tombeaux , nous les contournons
gentiment , nous les dorons par
tout , enfin nous leur ôtons tout ce qu'ils
pourroient avoir de lugubre : il n'y a pas
jufquà nos confeffionaux qui ont un air
de galanterie.
Si l'on a égard à l'avancement de l'art ,
quelle extenfion ne lui avons - nous pas
procuré nous avons multiplié le nombre
des Architectes excellens à tel point que
la quantité en eft prefque innombrable.
Ce talent qui , dans le fyftême de l'architecture
antique , eft hériffé de difficultés ,
devient dans le nôtre la chofe du monde
la plus aifée ; & l'expérience fait voir que
le maître Maçon le plus borné du côté du
deffein & du goût , dès qu'il a travaillé
quelque tems fous nos ordres , fe trouve
en état de fe déclarer architecte , & à bien
peu de chofe près auffi bon que nous .
Nous ajoûterons à la gloire de la France
& à fon avantage , que les étrangers com-
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
mencent à adopter notre goût , & qu'il y
a apparence qu'ils viendront en foule l'apprendre
chez nous. Les Anglois même , fi
jaloux de notre fupériorité dans tous les
arts , en font devenus fi foux qu'ils en
ont abandonné leur Inigo Jones , & leur
habitude de copier exactement les ouvrages
de Palladio. Ce qui pourra peut- être
nuire à cet avantage , c'eft l'imprudence
qu'on a eu de laiffer graver quelques- unes
de nos décorations de portes & de cheminées
, qui d'abord ont apprêté à rire aux
autres nations , parce qu'ils n'en fentoient
pas toute la beauté ; mais qu'enfuite ils
n'ont pu fe refufer d'imiter. Malheureuſement
ces eftampes dévoilent notre fecret ,
qui d'ailleurs n'eft pas difficile à appren
dre , & l'on peut trouver en tout pays un
grand nombre de génies propres à faifir
ces graces légeres. Au refte , fi cela arrive ,
nous nous en confolerons en citoyens de
l'univers , & nous nous féliciterons d'avoir
rendu tous les hommes architectes à
peu
de frais. Ces grands avantages nous
ont coûté quelques peines ; on ne détruit
pas facilement les idées du beau , reçues
dans une nation éclairée & dans un fiécle
qu'on fe figuroit devoir fervir de modele à
tous ceux qui le fuivroient . Il étoit appuyé
fur les plus grands noms ; il falloit
FEVRIER . 1755 153
trouver auffi quelques noms célebres qui
puffent nous fervir d'appui. On avoit découvert
prefque tout ce qui pouvoit fe
faire de beau dans ce genre , & les génies
ordinaires ne pouvoient prétendre qu'à être
imitateurs ; deux ou trois perfonnes auroient
paru avec éclat , & les autres feroient
demeurées dans l'oubli Il falloit
donc trouver un nouveau genre d'architecture
où chacun pût fe diftinguer , &
faire goûter au public des moyens d'être
habile homme qui fuffent à la portée de
tout le monde : cependant il ne falloit pas
'choquer groffierement les préjugés reçus ,
en mettant tout d'un coup au jour des nouveautés
trop éloignées du goût 1egnant ,
& rifquer de fe faire fifler fans retour.
Le fameux Oppenor nous fervit dans ces
commencemens avec beaucoup de zéle ;
il s'étoit fait une grande réputation par fes
deffeins ; la touche hardie qu'il y donnoit ,
féduifit prefque tout le monde , & on fut
long - tems à s'appercevoir qu'ils ne faifoient
pas le même effet en exécution . Il
fe fervit abondamment de nos ornemens
favoris , & les mit en crédit. Il nous eft
même encore d'une grande utilité , & nous
pouvons compter au nombre des nôtres
ceux qui le prennent pour modele . Cependant
ce n'étoit pas encore l'homme
Gv
154 MERCURE DE FRANCE:
qu'il nous falloit ; il ne pouvoit s'empê
cher de retomber fouvent dans l'architecture
ancienne , qu'il avoit étudiée dans fa
jeuneffe. Nous trouvâmes un appui plus .
folide dans les talens du grand Meiffonnier.
Il avoit à la vérité étudié en
Italie ,
& par conféquent n'étoit pas entierement
des nôtres ; mais comme il y avoit fagement
préféré le goût de Borromini au goût
ennuyeux de l'antique , il s'étoit par là
rapproché de nous ; car le Borromini a rendu
à l'Italie le même fervice que nous
avons rendu à la France , en y introduifant
une architecture gaie & indépendante
de toutes les régles de ce que l'on appelloit
anciennement le bon goût . Les Italiens ont
depuis bien perfectionné cette premiere
tentative , & du côté de l'architecture plai
fante ils ne nous le cédent en rien . Leur
goût n'eft pas le nôtre dans ce nouveau
genre , il est beaucoup plus lourd ; mais
nous avons cela de commun , que nous
avons également abandonné toutes les
vieilles modes pour lefquelles on avoit un
refpect fuperftitieux . Meiffonnier commen-
са à détruire toutes les lignes droites qui
étoient du vieil ufage ; il tourna & fit
bomber les corniches de toutes façons , il
les ceintra en haut & en bas , en devant ,
en arriere , donna des formes à tout , mêFEVRIER.
1755 155
me aux moulures qui en paroiffoient les
moins fufceptibles ; il inventa les contraftes
, c'est-à- dire qu'il bannit la fymmétrie
& qu'il ne fit plus les deux côtés des panneaux
femblables l'un à l'autre ; au contraire
, ces côtés fembloient fe défier à qui
s'éloigneroit le plus , & de la maniere la
plus finguliere , de la ligne droite à laquelle
ils avoient jufqu'alors été affervis .
Rien n'eſt fi admirable que de voir de
-quelle maniere il engageoit les corniches
des marbres les plus durs à fe prêter avec
complaifance aux bizarreries ingénieufes
des formes de cartels ou autres chofes qui
-devoient porter deffus. Les balcons ou les
-rampes d'efcalier n'eurent plus la permiffion
de paffer droit leur chemin ; il leur
fallut ferpenter à fa volonté , & les matieres
les plus roides devinrent fouples fous
fa main triomphante. Ce fut lui qui mic
-en vogue ces charmans contours en S , que
votre auteur croit rendre ridicules , en difant
que leur origine vient des maîtres
Ecrivains ; comme fi les arts ne devoient
pas le prêter des fecours mutuels il les
employa par tout , & à proprement parler
fes deffeins , même pour des plans de bâtimens
, ne furent qu'une combinaifon de
cette forme dans tous les fens poffibles . Il
nous apprit à terminer nos moulures en
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
rouleau , lorfque nous ne fçaurions com
ment les lier les unes aux autres , & mille
autres chofes non moins admirables qu'il
feroit trop long de vous citer : enfin l'on
peut dire que nous n'avons rien produit
depuis dont on ne trouve les femences
dans fes ouvrages. Quels fervices n'a-t- il
pas rendus à l'orfevrerie ? il rejetta bien
loin toutes les formes quarrées , rondes ou
ovales , & toutes ces moulures dont les
ornemens repérés avec exactitude donnent
tant de fujétion ; avec fes chers contours
en S , il remplaça tout. Ce qu'il y a
de particulier , c'eft qu'en moins de rien
l'orfevrerie & les bijoux devinrent trèsaifés
à traiter avec génie. En vain le célebré
Germain voulut s'opposer au torrent
& foutenir le vieux goût dont il avoit été
bercé dans fon enfance , fa réputation même
en fut quelque peu éclipfée , & il fe
vit fouvent préférer Meiffonnier , par l'appui
que nous lui donnions fous main ; cependant
, le croiriez-vous ! ce grand Meiffonnier
n'étoit pas encore notre homme ,
il tenoit trop à ce qu'ils appellent grande.
maniere. De plus il eut l'imprudence de
laiffer graver plufieurs ouvrages de lui , &
mit par là le public à portée de voir que
ce génie immenfe qu'on lui croyoit , n'étoit
qu'une répétition ennuyeufe des mê
FEVRIER. 1755 157
mes formes. Il fe décrédita , & nous l'abandonnâmes
d'autant plus facilement ,
que malgré les fecours que nous lui avions
prêtés pour l'établiſſement de fa réputation
, il ne vouloit point faire corps avec
& nous traitoit hautement d'igno- nous ,
rans : quelle ingratitude !
Nous fimes enfin la découverte du héros
dont nous avions befoin. Ce fut un
Sculpteur , qui n'avoit point pû fe gâter à
Rome , car il n'y avoit point été , bien
qu'il eût vû beaucoup de pays. Il s'étoit
formé avec nous , & avoit fi bien goûté
notre maniere , & fi peu ces prétendues
régles anciennes , que rien ne pouvoit reftreindre
l'abondance de fon génie . Il fçavoit
affez d'architecture ancienne pour ne
pas contrecarrer directement ceux qui y
tenoient avec trop d'obftination ; mais il
la déguifoit avec tant d'adreffe qu'il avoit
le mérite de l'invention , & qu'on ne la
reconnoiffoit qu'à peine. Il allégea toutes
ces moulures & tous ces profils où Oppenor
& Meiffonnier avoient voulu conferver
un caractere qu'ils appelloient mâle ; il
les traita d'une délicateffe qui les fait prefque
échapper à la vûe ; il trouva dans les
mêmes efpaces le moyen d'en mettre fix
fois davantage ; il s'affranchit tout d'un
coup de la loi qu'ils s'étoient follement
18 MERCURE DE FRANCE.
impofée de lier toujours leurs ornemens les
uns aux autres ; il les divifa , les coupa
en mille pieces , toujours terminées par ce
-rouleau qui eft notre principale reffource ;
& afin que ceux qui aimoient la liaiſon
ne s'apperçuffent pas trop de ces interruptions
, il fit paroître des liaiſons apparen
tes , par le fecours d'une fleur , qui ellemême
ne tenoit à rien , ou par quelque légereté
également ingénieufe ; il renonça
pour jamais à la régle & au compas : on
avoit déja banni la fymmetrie , il rencherit
encore là-deffus . S'il lui échappa quelquefois
de faire des panneaux femblables
l'un à l'autre , il mit ces objets fymmétriques
fi loin l'un de l'autre , qu'il auroit
fallu une attention bien fuivie pour s'appercevoir
de leur reffemblance. Aux agra
fes du ceintre des croifées qui ci-devant
ne repréfentoient que la clef de l'arc décorée
, il fubftitua de petits cartels enrichis
de mille gentilleffes & pofés de travers
, dont le pendant fe trouvoit à l'au
tre extrêmité du bâtiment . C'eſt à lui qu'on
doit l'emploi abondant des palmiers , qui
à la vérité avoient été trouvés avant lui ,
& que votre auteur blâme fi ridiculement.
Il établit folidement l'ufage de fupprimer
tous les plafonds , en faifant faire à des
Sculpteurs , à bon marché , de jolies petites
FEVRIER.
1755 159
dentelles en bas- relief , qui réuffirent fi
bien , qu'on prit le fage parti de fupprimer
les corniches des appartemens pour les enrichir
de ces charmantes dentelles . C'eft
notre triomphe que cette profcription des
corniches ; rien ne nous donnoit plus de
fujétion que ces miferes antiques dont on
les ornoit , & aufquelles votre écrivain
paroît fi attaché. Il y falloit une exactitude
& une jufteffe , qui pour peu qu'on y
manquât , fe déceloit d'abord à des yeux
un peu feveres. Nous regrettons encore
ce grand homme , quoique fes merveilleux
talens ayent été remplacés fur le champ
par quantité de Sculpteurs , non moins
abondans que lui dans cette forte de génie.
C'eft à lui que nous avons l'obligation
de cette fupériorité que nous avons acqui
fe , & que nous fçaurons conferver ; & on
peut dire à fa gloire que tout ce qui s'éloigne
du goût antique lui doit fon inven
tion , ou fa perfection.
}
En fuivant fes principes , nous avons
abfolument rejetté tous ces anciens plafonds
chargés de fculptures & de dorures ,
qui à la vérité avoient de la magnificence ,
& contre lefquels nous n'avons rien à dire
, fi ce n'eft qu'ils ne font plus de mode.
En dépit des cris de toute l'Académie de
Peinture , nous avons fçu perfuader à tous
160
MERCURE DE
FRANCE.
tes les
perſonnes chez qui nous avons
quelque crédit , que les plafonds peints
obfcurciffent les
appartemens & les rendent
triftes.
Inutilement veut- on nous repréfenter
que nous avons
juſtement dans
notre fiécle des Peintres , dont la couleur
eft très-agréable , & qui aiment à rendre
leurs tableaux
lumineux ; qu'en traitant
les plafonds d'une couleur claire ils n'auroient
point le
defagrément qu'on reproche
aux anciens , & qu'ils auroient de plus
le mérite de
repréfenter quelque chofe
d'amufant par le fujet , &
d'agréable par
la variété des couleurs. Les Peintres n'y
gagneront rien , ils nous ont irrité en méprifant
nos premieres
productions ; & nous
voulons d'autant plus les perdre que nous
n'efperons pas de pouvoir les gagner ; ils
ne fe rendroient qu'avec des
reftrictions
qui ne font pas de notre goût. Les Sculp
seurs de figures feront auffi compris dans
cette
profcription ; ils feroient encore plus
à portée de nous faire de mauvaiſes chicanes.
Notre
Sculpteur favori nous a don
né mille moyens de nous paffer d'eux : aù
lieu de tout cela il a imaginé une rofette
charmante , qu'à peine on
apperçoit , &
qu'il met au milieu du plancher , à l'endroit
où
s'attache le luftre : voilà ce qu'on
préfère avec raiſon aux plus belles produce
FEVRIER. 1755
161
tions de leur art. Il y a encore un petit
nombre de criards qui répandent par-tour
que le bon goût eft perdu , & qu'il y a
très- peu d'Architectes qui entendent la
décoration ; que c'eft le grand goût de la
décoration qui fait le caractere effentiel
de l'Architecte . Nous détruifons tous ces
argumens , en foutenant hautement que
ce qui diftingue l'Architecte , eft l'art de
la diftribution. Ils ont beau dire qu'elle
n'eft pas auffi difficile que nous voulons
le faire croire , & qu'il eft évident qu'avec
un peu d'intelligence chaque particulier
peut arranger fa maifon d'une maniere
qui lui foit commode , relativement aux
befoins de fon état ; que la difficulté que
le particulier ne fçauroit lever , ni nous
non plus , & qui demande toutes les lumieres
d'un grand architecte , eft d'ajuſter
cette diftribution commode avec une décoration
exacte , fymmétrique , & dans ce
qu'ils appellent le bon goût , foit dans les
dehors , foit dans les dedans voilà juſtement
ce qui nous rendra toujours victorieux.
Comme notre architecture n'a aucunes
régles qui l'aftreignent , qu'elle eſt
commode , & qu'en quelque façon elle
prête , nous nous fommes faits un grand
nombre de partifans qui fatisfaits de notre
facilité à remplir toutes leurs fantaisies ,
162 MERCURE DE FRANCE.
›
nous foutiendront toujours. Nous voudrions
bien voir ces Meffieurs de l'antique
entreprendre de décorer l'extérieur d'un
bâtiment avec toutes les fujétions que
nous leur avons impofées. Comme les plus
grands cris avoient d'abord été contre nos
décorations extérieures , parce qu'elles
étoient expofées à la vûe de tout le monde ;
que d'ailleurs le vuide ne coûte rien à décorer
, & ne donne point de prife à la critique
, nous avons amené la multitude des
fenêtres, qui a parfaitement bien réuffi ; car
il eft infiniment agréable d'avoir trois fenê
tres dans une chambre , qui jadis en auroit
eu à peine deux. Cela donne à la vérité
plus de froid dans l'hiver & plus de chaleur
dans l'été mais que nous importe ? il n'en
-eſt
: pas moins fûr qu'à préſent chacun veut
que fa maifon foit toute percée , & que
-nos Meffieurs du goût ancien , qui ne fçavent
décorer que du plein , n'y trouvent
plus de place. Qu'ils y mettent , s'ils le peutvent
, de leurs fenêtres décorées , qu'ils
tâchent d'y placer leurs frontons à l'antique
, qui , difent - ils , décorent la fenêtre
, & mettent à couvert ceux qui y
font nous y avons remédié en élevant
les fenêtres jufques au haut du plancher.
Rien n'eft fi amufant que de voir un
pauvre architecte revenant d'Italie , à qui
:
FEVRIER. 1755 163
(
"
Ton donne une pareille cage à décorer , ſe
tordre l'imagination pour y appliquer ces
chers principes , qu'il s'eft donné tant de
peine à apprendre ; & s'il lui arrive d'y
réuffir , ce qu'il ne peut fans diminuer les
croifées , c'eſt alors que nous faifons voir
clairement combien fa production eft trifte
& mauffade . Vous ne verrez pas clair chez
vous , leur difons- nous , vous n'aurez pas
d'air pour refpirer , à peine verrez- vous le
foleil dans les beaux jours : ces nouveaux artiftes
fe retirent confus,& font enfin obligés
de fe joindre à nous , pour trouver jour à
percer dans le monde. Nous n'avons pas encore
entierement abandonné les frontons
dont les anciens fe fervoient pour terminer
le haut de leurs bâtimens , & qui repréfentoient
le toît , quoique nous aimions bien
mieux employer certaines terminaiſons en
façon d'orfevrerie , qui font de notre crû.
A l'égard des frontons , nous avons du
moins trouvé le moyen de les placer ou
on ne s'attendoit pas à les voir ; nous les
mettons au premier étage , & plus heureufement
encore au fecond ; & nous ne manquons
gueres d'élever un étage au -deffus
, afin qu'ils ayent le moins de rapport
qu'il eft poffible avec ceux des anciens.
Nous avons ou peu s'en faut , banni les
colonnes , uniquement parce que c'eft un
164 MERCURE DE FRANCE
→
des plus beaux ornemens de ce trifte goût
ancien , & nous ne les rétablirons que
lorfque nous aurons trouvé le moyen de
les rendre fi nouvelles qu'elles n'ayent plus
aucune reffemblance avec toutes ces antiquailles.
D'ailleurs elles ne fçauroient s'accommoder
avec nos gentilleffes légeres ,
elles font paroître mefquin tout ce qui
les accompagne. Beaucoup de gens tenoient
encore à cette forte d'ornement , qui leur
paroiffoit avoir une grande beauté mais
nous avons fçu perfuader aux uns , que
cela coûtoit beaucoup plus que toutes les
chofes que nous leur faifions , quoique
peut-être en économifant bien , cela pût
ne revenir qu'à la même dépenſe ; aux
autres , que cette décoration ne convenoit
point à leur état , & qu'elle étoit reſervée
pour les temples de Dieu & les palais des
Rois ; que quelques énormes dépenfes que
nous leur fiffions faire chez eux , perfonne
n'en fçauroit rien , quoiqu'ils le fiffent
voir à tout le monde ; au lieu qu'une petite
colonnade , qui ne coûteroit peut-être
gueres , feroit un bruit épouventable dans
Paris. Nous avons accepté les pilaftres jufqu'à
un certain point , c'eft- à- dire forfque
nous avons pû les dépayfer par des
chapiteaux divertiffans. Les piédeftaux font
auffi reçus chez nous , mais nous avons
FEVRIER. 1755. 165
·
trouvé l'art de les contourner , en élargiffant
par le bas , comme s'ils crevoient fous
le fardeau , ou plus gaiement encore , en
les faifant enfler du haut , & toujours en
S, comme s'ils réuniffoient leur force en
cę lieu
ce pour mieux porter. Mais où notre
génie triomphe , c'eſt dans les bordures
des deffus de porte , que nous pouvons
nous vanter d'avoir varié prefque à l'infini.
Les Peintres nous en maudiffent , parce
qu'ils ne fçavent comment compofer leurs
fujets avec les incurfions que nos ornemens
font fur leur toile ; mais tant pis
pour eux : lorfque nous faifons une fi grande
dépenfe de génie , ils peuvent bien auffi
s'évertuer ; ce font des efpéces de bouts
rimés que nous leur donnons à remplir.
Il auroit pû refter quelque reffource à la
vieille architecture pour fe produire à Paris
; mais nous avons coupé l'arbre dans fa
racine , en annonçant la mode des petits
appartemens , & nous avons fappé l'ancien
préjugé , qui vouloit que les perfonnes
diftinguées par leur état caffent un appar !
tement de répréfentation grand & magnifique.
Nous efperons que dorénavant la
regle fera que plus la perfonne fera élevée
en dignité , plus fon appartement fera
patit : vous voyez qu'alors il fera difficile
de nous faire defemparer, Ceux qui poure
GG MERCURE DE FRANCE.
ront faire de la dépenfe , ne la feront qu'en
petit , & s'adrefferont à nous. Il ne reſtera
pour occuper ces Meffieurs , que ceux qui
n'ont pas le moyen de rien faire.
Voyez , je vous prie , l'impertinence de
votre auteur critique ; il s'ennuye , dit- il ,
de voir par-tout des croifées ceintrées ,
mais il n'ofe pas difconvenir que cette forte
de croifée ne foit bonne . Peut-on avoir
trop d'une bonne chofe ? & pourquoi veutil
qu'on aille fe fatiguer l'imagination pour
trouver des variétés , lorfqu'une chofe eft
de mode , & qu'on eft fûr du fuccès ? Ne
voit-il pas que toutes nos portes , nos cheminées
, nos fenêtres , avec leur plat-bandeau
, font à peu près la même choſe :
puifqu'on en eft content , pourquoi fe tuer
à en chercher d'autres ? Il blâme nos portes
oùles moulures fe tournent circulairement ;
invention heureuſe que nous appliquons à
tout avec le plus grand fuccès. Il faut :
qu'il foit bien étranger lui-même dans
Paris , pour ne pas fçavoir de qui nous
la - tenons. C'est d'un Architecte à qui les
amateurs de l'antique donnent le nom de
grand. Le célébre François Manſard la
employée dans fon portail des Filles de :
Sainte Marie , rue Saint Antoine ; voilà
une autorité qu'il ne peut recufer.Pour vous
faire voir combien cette forte de fronton
FEVRIER. 1755 . 1671
7
réuffit quand elle eft traitée à notre façon ,
& combien elle l'emporte fur l'architecture
ancienne ; comparez le portail des Capucines
de la place de Louis le Grand ,
morceau fi admirable qu'on vient de le
reftaurer , de peur que la poſtérité n'en fût
privée ; comparez- le avec le portail à colonnes
de l'Affomption , qui n'en eft pas
loin , & vous toucherez au doigt la différence
qui eft entre nous & les Architectes:
du fiécle paffé.
Mais laiffons là ce critique ; ce feroitperdre
le tems que de s'amufer à lui démontrer
en détail l'abfurdité de fes jugemens.
Nous ne vous diffimulerons pas que
nous fommes actuellement dans une pofi-:
tion un peu critique , & qu'une révolu-.
tion dans le goût de l'architecture nous
paroîtroit prochaine fi nous la croyions
poffible. Il fe rencontre actuellement plufeurs
obftacles à nos progrès ; maudite
foit cette architecture antique , fa féduction
, dont on a bien de la peine à revenir
lorfqu'une fois on s'y eft laiffé prendre
nous a enlevé un protecteur qui auroit
peut- être été pour nous l'appui le plus fo
lide , fi nous avions été chargés du foin
de l'endocriner. Pourquoi aller chercher
bien loin ce qu'on peut trouver chez foi
nous amufons en inftruifant ; ne peut-on
168 MERCURE DE FRANCE.
pas ſe former le goût en voyant nos deffeins
de boudoirs , de garde-robes , de
pavillons à la Turque , de cabinets à la
Chinoife ? Est- ce quelque chofe de fort
agréable que cette Eglife demefurée de S.
Pierre , ou que cette rotonde antique , dont
le portail n'a qu'un ordre dans une hauteur
où nous , qui avons du génie , aurions
trouvé de la place pour en mettre au moins
trois il n'eft pas concevable qu'on puiffe
balancer. Cependant cette perte eft irrépa
rable : cela eft defolant ; car tous les projets
que nous préfentons paroiffent comiques
à des yeux ainfi prévenus . Nous avons
même tenté de mêler quelque chofe d'antique
dans nos deffeins , voyez quel facrifice
! pour faire paffer avec notre marchandife
, tout cela fans fuccès : on nous
devine d'abord.
Autre obſtacle qui eft une fuite du premier.
Les bâtimens du Roi nous ont donné
une exclufion totale ; tout ce qui s'y
fait fent la vieille architecture , & ce même
public , que nous comptions avoir ſubjugué
, s'écrie : voilà qui eft beau. Il y a
une fatalité attachée à cette vieille mode ,.
par-tout où elle fe montre elle nous dépare
; l'Académie même a peine à fe défendre
de cette contagion , il femble qu'elle
ne veuille plus donner de prix qu'à ceux
qui
FEVRIER. 1755. 169'
I
qui s'approchent le plus du goût de l'antique.
Cela nous expofe à des avanies , de
la part même de ces jeunes étourdis , qui fe
donnent les airs de rire de notre goût moderne.
Cette confpiration eft bien foutenue
; car , à ne vous rien céler , il y a encore
plufieurs Architectes de réputation
& même qui n'ont pas vû l'Italie , mais
qui par choix en ont adopté le goût , que
nous n'avons jamais pû attirer dans notre
parti . Il y a plus ; quelques - uns que nous
avons crû long tems des nôtres , à la
miere occafion qu'ils ont eu de faire quelque
chofe de remarquable , nous ont laiffés
là , & fe font jettés dans l'ancien
goût.
pre-
Vous êtes , fans doute , pénétré de compaffion
à la vûe du danger où nous nous
trouvons , & nous vous faifons pitié ; mais
confolez- vous , nous avons dés reffources
; nous fçaurons bien arrêter ces nouveaux
débarqués d'Italie . Nous leur oppoferons
tant d'obftacles que nous les empêcherons
de rien faire , & peut- être les'
forcerons-nous d'aller chez l'étranger exercer
des talens qui nous déplaifent. Ils aiment
à employer des colonnades avec des
architraves en plate - bande ; nous en déclarerons
la bâtiffe impoffible. Ils auront
beau citer la colonnade du Louvre , la
H
170 MERCURE DE FRANCE.
chapelle de Verſailles , & autres bâtimens
dont on ne peut contefter la folidité ; qui
eft - ce qui les en croira ? leur voix fera- telle
d'un plus grand poids que celle de
gens qui ont bâti des petites maifons par
milliers dans Paris ? mais voici l'argument
invincible que nous leur gardons pour le
dernier. Nous leur demanderons ce qu'ils
ont bâti : il faudra bien qu'ils conviennent
qu'ils n'en ont point encore eu l'occafion .
C'est là où nous les attendons : comment ,
dirons- nous , quelle imprudence ! confier
un bâtiment à un jeune homme fans expérience
? Cette objection eft fans réplique.
On ne s'avifera pas de faire réflexion
qu'un jeune homme de mérite , & d'un
caractere docile , peut facilement s'affocier
un homme qui , fans prétendre à la décoration
, ait une longue pratique du bâtiment
, & lui donneroit les confeils néceffaires
, en cas qu'il hazardât quelque chofe
de trop hardi ; que d'ailleurs il Y auroit
dans Paris bien des maifons en ruines , fi
le premier bâtiment de chaque Architecte
manquoit de folidité.
Au refte , ne croyez point que ce foit
dans le deffein de nuire à ces jeunes gens
que nous leur ferons ces difficultés : c'eft
uniquement pour leur bien , & pour leur
donner le tems , pendant quelques années ,
FEVRIER.
1755.171.
d'apprendre le bon goût que nous avons
établi , & de quitter leurs préjugés ultramontains
nous avons l'expérience que
cela a rarement manqué de nous réuffic .
: Si donc vous connoiffez cette fociété .
d'Artiſtes qui prend la liberté de nous blâmer
, avertiffez-les d'être plus retenus à
l'avenir ; leurs critiques font fuperflues.
Le public nous aime , nous l'avons accoutumé
à nous d'ailleurs chacun de ceux
qui font bâtir , même des édifices publics
, eft perfuadé que quiconque a les
fonds pour bâtir , a de droit les connoiffances
néceffaires pour le bien faire. Peuton
manquer de goût quand on a de l'argent
? Nous fommes déja fûrs des Procureurs
de la plupart des Communautés ,
des Marguilliers de prefque toutes les
Paroiffes , & de tant d'autres qui font
à la tête des entrepriſes. Enfin foyez certains
que nous & nos amis nous ferons
toujours le plus grand nombre. Nous fommes
, &c.
On voit que le faux bel efprit gagne les
beaux arts , ainfi que les belles- lettres . On
force la nature dans tous les genres , on
contourne les figures , on met tout en S :
qu'il y a de Meiffonniers en poëfie & en
éloquence , comme en architecture !
レン
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
ARC DE TRIOMPHE à la gloire du Roi ,
qui a été élevé, fur les deffeins du Chevalier
Servandoni , le jour que M. le Duc de Gefvres
a pofé , au nom de Sa Majefté , la premiere
pierre de la place commencée devant
l'Eglife de S. Sulpice le 2 Octobre 1754 :
dédié à M. Dulau d'Allemans , Curé de S.
Sulpice , gravé par P. Patte , & fe vend
chez lui rue des Noyers , la fixieme porte .
cochere à droite en entrant par la rue Saint·
Jacques , grandeur de la feuille du nom de
Jefus. Prix 1 liv. 10 fols. I
L'eftampe que nous annonçons eft gravée
à l'aide d'une feule taille , ou ligne , à
peu près dans la maniere dont le célébre
Piranefi s'eft fervi pour rendre fes compofitions
d'architecture , dont les connoiffeurs
font tant de cas. Il feroit peut- être à fouhaiter
que cette manoeuvre de gravûre fut
ufitée en France ; elle pourroit donner à
nos eftampes d'architecture une perfection
qu'elles n'ont point eu jufqu'à préfent. En
effet , la pratique d'exprimer les ombres
dans les gravûres ordinaires de nos édifices
par deux tailles , c'eft-à- dire par deux ;
lignes qui s'entrecoupent quarrément ou
ea lofange , rend à la vérité ce genre de
gravûre aifé & expéditif ; mais elle lui ,
donne un air froid , commun , & une dureté
qui femble faire une efpéce d'injure
FEVRIER. 1755. 173
aux yeux ; c'eſt le jugement qu'ont tou-
-jours porté nos artiftes fur ces fortes d'ef
tampes. Auffi peut-on remarquer qu'on
n'a pas crû. devoir accorder à leurs Graveurs
aucune place dans nos Académies ,
foit de peinture , foit d'architecture ; ce
que l'on eût fait affurément , fi leurs talens
euffent paru aux connoiffeurs devoir
mériter quelque diftinction . On a effayé ,
dans la planche que nous propofons , de
mettre ce genre de gravûre dans quelque
eftime , par une nouvelle manoeuvre qui
fente l'art , & qui remédie aux défauts de
l'ancienne. Chaque ombre y eft énoncée
par une feule ligne , plus ou moins groffe
ou ferrée , dont la direction exprime continuellement
la perſpective du corps d'architecture
fur lequel elle eft portée. Afin d'ôter
toute dureté , on a affecté de ne point terminer
les extrêmités de chaque ombre par
aucune ligne , mais feulement par la fin de
toutes les lignes , qui forme l'ombre , ce qui
femble affez bien imiter les arrêtes de la pierre,
lefquelles confervent toujours une efpéce
de rondeur. Toutes les teintes générales ,
quelles qu'elles foient , y font exprimées
à la pointe féche , ce qui eft propre à donner
à cette gravûre un ton fuave , qui
femble participer de cette couleur aërienne
répandue fur la furface de nos bâtimens ;
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
ton auquel on ne peut atteindre avec le
fecours de l'eau forte , comme on le pratique
ordinairement. Au refte , c'eft à la
-vue de cette planche à parler en faveur des
avantages de fa nouvelle manoeuvre , & on
fe flatte qu'elle convaincra fans peine que
cette maniere de faire eft bien plus favora
ble que l'autre pour les effets de la perf
pective ; qu'elle eft analogue à la maniere
dont on deffine l'architecture à la plume ,
:& que la parfaite égalité qu'elle demande
doit fatisfaire agréablement la vue des fçavans
comme des ignorans ; quelques lignes
plus ou moins ferrées dans les ombres
étant capables d'y faire une difcordance
de ton irrémédiable , & qui faute aux yeux
de chacun . Cette maniere de traiter l'architecture
eft ; il eft vrai , très-laborieufe
& difficile à bien exécuter ; mais elle
pour-
.roit donner un prix à nos eftampes d'architecture
, & les élever à décorer avec diftinction
les cabinets des curieux.
F
C'eft aux artistes à apprécier ces réflexions,
par la comparaifon de l'eftampe qu'on leur
offre , avec celles que nous avons dans le
genre oppofé. Le feul but que l'on fe propofe
en les faifant , eft de contribuer à la
perfection d'un genre de gravure que l'on
n'a peut- être pas affez cherché jufqu'ici à
rendre recommendable, bu
FEVRIER . 1755. 175
ARTICLE CINQUIEME.
SPECTACLE S.
OPERA.
,
L'Académie royale de Mufique a donné
le 19 Janvier la premiere repréfentation
de Daphnis & Alcimadure
Paftorale languedocienne , en trois actes ,
précédée d'un prologue , intitulé les Jeux
Floraux. Les paroles & la Mufique font de
M. de Mondonville , qui réunit les deux
talens. Cer Opéra n'a pas moins de fuccèsà
la ville qu'il en a eu à la Cour : je parle
d'après la voix publique. On le joue trois
fois la femaine ; le Vendredi , le Dimanche
& le Mardi . On continue les Elémens le
Jeudi. Comme le fecond Mercure de Décembre
a fait un extrait détaillé d'Alcimadure
, j'y renvoie ceux qui feront curieux
de le lire.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
},
COMEDIE FRANÇOISE.
Lis
Es Comédiens François ont donné le
13 de ce mois la dixiéme repréfentation
du Triumvirat. On peut dire qu'il a
eu ce fuccès d'estime que l'ouvrage &
l'auteur ont fi bien mérité , & qu'on refuſe
fouvent à des pieces plus heureufes , qui
comptent plus de repréfentations que de
fuffrages. Cette Tragédie eft imprimée
fous ce double titre : Le Triumvirat , ou la
mort de Ciceron , avec une épitre dédicatoire
à Mme Bignon , & une préface . Elle
fe vend chez Hochereau , quai de Conti , au
Phénix ; le prix eft de 30 f. en voici l'extrait .
EXTRAIT DU TRIUMVIRÁT.
Tullie , fille de Ciceron , ouvre feule
la fcene qui eft au Capitole , par un début
digne d'elle & du fujet. Elle s'écrie ,
Effroyable féjour des horreurs de la guerre ,
Lieux inondés du fang des maîtres de la terre ,
Lieux , dont le feul afpect fit trembler tant de
Rois ,
Palais où Ciceron triompha tant de fois ;
Deformais trop heureux de cacher ce grand homme
,
Sauvez le feul Romain qui foit encor dans Rome.
FEVRIER. 1755. 177
A
Elle ajoûte avec effroi , en jettant les
yeux fur le tableau des profcrits :
Que vois-je , à la lueur de ce cruel flambeau !
Ah ! que de noms facrés profcrits fur ce tableau !
Rome , il ne manque plus , pour combler ta mifere
,
Que d'y tracer le nom de mon malheureux pere.
Enfuite elle apoftrophe ainfi la ftatue de
Céfar.
Toi , qui fis en naiffant honneur à la nature ,
Sans avoir , des vertus , que l'heureufe impofture ,
Trop aimable tyran , illuftre ambitieux ,
Qui triomphas du fort , de Caton & des Dieux...
Sous un joug ennobli par l'éclat de tes armes ,
Nous refpirions du moins fans honte & fans allármes
:
Loin de rougir des fers qu'illuftroit ta valeur ,
On fe croyoit paré des lauriers du vainqueur.
Mais fous le joug honteux & d'Antoine & d'Octave
>
Rome , arbitre des Rois , va gémir en eſclave.
Se tournant après vers la ftatue de Pompée
, elle lui adreffe ces triftes paroles .
Ah ! Pompée , eft -ce là ce qui refte de toi
Miférables débris de la grandeur . humaine ,
Hy
178 MERCURE DE FRANCE.
Douloureux monument de vengeance & de haine !
6
Pour nous venger d'Octave ,, accours , vaillant
Sextus ,,
A ce nouveau Céfar , fois un nouveau. Brutus.
Ce monologue me paroît admirable ; il
égale , à mon gré , celui d'Electre , s'il ne
le furpaffe pas , & forme la plus belle expofition
. Il eft terminé par l'arrivée de
Sextus , qui fe cache même aux yeux de
Tullie qu'il aime , fous le nom de Clodomir
, chef des Gaulois . Il lui fait un récit
affreux des horreurs du Triumvirat dont il
vient d'être le témoin , & finit un fi noir
tableau par ces beaux vers , qu'on croiroit
d'un auteur de trente ans , à la force du
coloris.
Un fils , prefque à mes yeux , vient de livrer fon
Le
pere ;
J'ai vu ce même fils égorgé par fa mere :
On ne voit que des corps mutilés & fanglans ,
Des efclaves traîner leurs maîtres expirans ;
affouvi réchauffe le carnage ;
carnage
J'ai vu des furieux dont la haine & la rage
Se difputoient des cours encor tout palpitans:
On diroit à les voir l'un l'autre s'excitans ,
Déployer à l'envi leur fureur meurtrière ,
Que c'est le derniér jour de la nature entiere. {
FEVRIER. , 1755. 179
que
Dans ce péril preffant il offre à Tullie une
retraite dans Oftie pour fon pere & pour
elle . Elle la refufe ; il frémit du danger
Ciceron va courir , fi près de Fulvie
qui a juré fa perte. Il exprime en même
tems la douleur qu'il a de la perdre & de
la voir près d'être unie aux jours d'Octave
qui l'aime , ajoutant que fon fang fcellera
cet hymen. Tullie le raffure fur cette crain--
te , en lui difant :
Un tyran à
Ne craignez rien d'Octave' :
mes yeux ne vaut pas un esclave.
Un rival plus heureux va caufer vos allarmes ...
Le fils du grand Pompée . Hélas ! que n'est- ce vous !!
Que j'euffe avec plaifir accepté mon époux !
Ces deux amans font interrompus par
Lepide qui entre : Clodomir fe retire . Le
Triumvir fait entendre à Tullie , que ne
pouvant chaffer de Rome fes collegues impies
, il prend le parti de s'en exiler luimême
, & qu'il va chercher un afyle en
Efpagne pour y fauver fa vertu. Tullie l'interrompt
par cette noble réponſe , qui a
toujours été fi juftement applaudie :
Ah ! la vertu quifuit ne vaut pas le courage
Du crime audacieux qui fçait braver l'orage .
Que peut craindre un Romain des,caprices.du fort,
Tant qu'il lui refte un bras pour fe donner la mort
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
Avez-vous oublié que Rome eft votre mere
Demeurez , imitez l'exemple de mon pere ,
Et de votre vertu në nous vantez l'éclat
Qu'après une victoire , ou du moins un combat.
On n'encenfa jamais la vertu fugitive ,
Et celle d'un Romain doit être plus active.
On ne le reconnoît qu'à fon dernier foupir ;
Son honneur eft de vaincre , & vaincu de mourir.
ger
Elle fort.
Ciceron arrive. Lapide tâche de l'engaà
le fuivre pour fe dérober à la fureur
d'Antoine & de Fulvie , qui veulent le profcrire.
Ciceron rejette cette offre. Lepide le
quitte , en lui déclarant qu'il vient de rencontrer
Sextus , & qu'il l'a reconnu . Ce
Triumvir l'avertit d'en craindre la fuite ,
& de prendre garde à lui. Ciceron reſté
feul , dit qu'il eft tems qu'il apprenne
ce fecret à fa fille , que Clodomir devenu
le fils du grand Pompée , ne pourra l'en
blâmer , qu'il veut les unir & donner à Céfar
un rival , dont le nom feul pourra lui
devenir funefte.
Octave commence avec Mecene le fecond
acte. Après avoir d'abord tâché d'excufer
fes cruautés , il lui marque fon
amour pour Tullie , & fon eftime pour fon
pere , ajoûtant qu'il veut le fauver & fe
l'attacher. Mecene l'affermit dans ce defFEVRIER.
1755. 181
fein , & le laiffe avec Ciceron qui paroît ,
& qui lui témoigne ainfi fa furpriſe :
Céſar , en quel état vous offrez-vous à moi ?
Ah ! ce n'eft ni fon fils , ni Céfar que je vois.
O! Céfar , ce n'eft pas ton fang qui l'a fait naître :
Brutus qui l'a verfé , méritoit mieux d'en être.
Le meurtre des vaincus ne fouilloit point tes pas ;
Ta valeur fubjuguoit , mais ne profcrivoit pas.
Octave, pour fe juftifier , répond qu'il
pourfuit les meurtriers du grand Céfar , &
que fa vengeance eft légitime. Ciceron l'interrompt
pour lui reprocher l'abus affreux
qu'il fait de ce prétexte , & lui dit :
Rendre le glaive feul l'interprête des loix ,
Employer pour venger le meurtre de fon pere
Des flammes & du fer l'odieux miniftere ;
Donner à fes profcrits pour juges fes foldats ,
Du neveu de Céfar voilà les magiftrats.
Octave lui réplique que c'eft une néceffité
, que l'univers demande une forme
nouvelle , qu'il lui faut un Empereur , que
Ciceron doit le choifir , qu'ils doivent s'allier
pour mieux détruire Antoine ; il le
conjure enfin de l'aimer , & de devenir
fon
pere.
Abdique, je t'adopte , & ma fille eft à toi,
382 MERCURE DE FRANCE.
repart Ciceron. Des oreilles trop délicates
ont trouvé ce vers dur ; pour moi je ne le
trouve que fort ;je crois qu'un Romain ne
peut pas mieux répondre ni en moins de
mots . Tullie paroît , & fon pere fort eix
difant à Octave , qu'il la confulte ; & que
s'il l'aime , il la prenne pour modele .
Tullie traite Octave encore avec plus.
de fierté que n'a fait fon pere. Céfar , luis
dit-elle :
Regnez , fi vous l'ofez; mais croyez que Tullie
Sçaura bien ſe ſoustraire à votre tyrannie :
Si du fort des tyrans vous bravez les hazards
Il naîtra des Brutus autant que des Céfars.
Sur ce qu'il infifte , elle lui déclare fierement
qu'elle ne l'aime point , qu'elle eft
cependant prête à l'époufer , pourvû qu'il
renonce à l'Empire ; mais que s'il veut ufurper
l'autorité fuprême , il peut teindre le
diadême de fon fang. Cette hauteur romaine
oblige Octave de la quitter & de la
menacer de livrer fon pere à Fulvie. Sextus
, qu'elle reconnoît alors pour le fils de
Pompée , entre fur la fcéne , & demande à
Tullie le fujer de fa douleur. Elle l'inftruit
du danger preffant où font les jours de
fon pere , qui veut les unir avant fa mort.
Sextus finit le fecond acte , en la preffant
d'engager Ciceron à fuir fur fes vaiffeaux
FEVRIER. 1755. 183
-il eft honteux pour lui , ajoute-t- il , de fe
laiffer profcrire.
S'il veut m'accompagner je répons de fa vie,
El'amour couronné répondra de Tullie..
Il faut convenir que cet acte eft un peu
vuide d'action .
Ciceron , Tullie & Sextus ouvrent le troifieme.
Ciceron veut unir le fils de Pompée:
à fa fille ; mais elle s'y oppofe dans ce cruel
moment & le conjure de la fuivre en
Sicile avec Sextus il s'écrie ::
>-
Pour braver mes tyrans je veux mourir dáns Ro
me ;
En implorant les Dieux , c'eft moi fenl qu'elles
nomme:
Sextus lui parle alors en vrai fils de Pompée
, & lui dit :
Rome n'eft plus qu'un ſpectre , une ombre en Ita
lie ,
Dont le corps tout entier eft paffé dans l'Afie :
C'est là que noure honneur nous appelle aujour
d'hui ,
Rendons- nous à ſa voix , & marchons avec lui.
Ce n'eft pas le climat qui lui donna la vie;
C'eſt le coeur du Romain qui forme fa patrie.
184 MERCURE DE FRANCE.
2
Il vaut mieux fe flater d'un eſpoir téméraire
Que de céder au fort dès qu'il nous eft contraire.
Il faut du moins mourir les armes à la main ,
Le feul gente de mort digne d'un vrai Romain,
Mais mourir pour mourir n'eft qu'une folle
yvreffe ,
Trifte enfant de l'orgueil , que nourrit la pareffe.
où
Ciceron fort en leur difant qu'il ne
peut fe réfoudre à quitter l'Italie , mais
qu'il confent de fe rendre à Tufculum ,
il ira les joindre pour les unir enfemble ,
& qu'avant tout il veut revoir Mecene. A
peine eft- il parti qu'Octave entre ; & jaloux
de Sextus qu'il prend pour un chef
des Gaulois , il adreffe ainfi la parole à
Tullie .
Qu'il retourne en fon camp ,
C'eft parmi fes foldats qu'il trouvera fon rang,
Le faux Clodomir lui répond , avec une
fierté plus que Gauloife ,
Le fort de mes pareils ne dépend point de toi
Je ne releve ici que des Dieux & de moi.
Aux loix du grand Céfar nous rendîmes hommage
,
Mais ce ne fut jamais à titre d'efclavage.
Comme de la valeur il connoiffoit le prix ,
Il cftimoit en nous ce qui manque à ſon fils.
FEVRIER. 1755. 185
Octave à ces mots appelle les Licteurs ,
& il faut avouer que fon emportement
paroît fondé.
Tullie s'oppofe à fa rigueur , & prend
vivement la défenſe de Sextus . Le courroux
d'Octave en redouble ; il . lui répond
que ce Gaulois brave l'autorité des Triumvirs
, qu'il a fauvé plufieurs profcrits , &
qu'il mérite d'être puni comme un traître .
Sextus lui réplique :
Toi-même , applaudifſant à mes foins magnanimes
,
Tu devrois me louer de t'épargner des crimes ,
Et rougir , quand tu crois être au- deffus de moi ,
Qu'un Gaulois à tes yeux foit plus Romain que
toi,
Tullie lui demande fa vie. Octave forcé
par fon amour de la lui accorder , fe retire
en déguifant fon dépit. Sextus raffure Tullie
fur la crainte qu'elle a que fon rival
ne l'immole , & lui fait entendre qu'Octave
eft un tyran encore mal affermi, qu'il
le croit Gaulois , & qu'ayant beſoin du ſecours
de cette nation , il eft trop bon politique
pour ne la pas ménager. La frayeur
de Tullie s'accroît à l'afpect de Philippe ,
qu'elle prend pour un miniftre des vengeances
d'Octave. Philippe reconnoît Sex186
MERCURE DE FRANCE.
tus qu'il a élevé , & marque autant de
douleur que de furprife. Le fils de Pompée
reconnoît Philippe à fon tour , & lui
reproche d'avoir dégénéré de fa premiere
vertu. Cet affranchi fe jette à fes genoux ,
& lui dit qu'il ne les quittera pas qu'il n'ait
obtenu de lui la grace d'être écouté . Sextuş
le force de fe lever. Philippe lui raconte
qu'Octave inftruit de fa fidélité l'a pris
à fon fervice , mais qu'il n'a jamais trempé
dans fes forfaits. Il ajoute que ce Triumvir
ne croit plus que Sextus foit un Gaulois
, mais un ami de Brutus , & qu'il l'a
chargé du cruel emploi de l'affaffiner dans
la nuit . Il vient , continue- t-il , de paffer
chez Fulvie : je crains qu'il n'en coute la
vie à Ciceron .
Les momens nous font chers , & c'eſt fait de vos
jours ,
Și de ceux du tyran , je n'abrege le cours,
Choififfez du trépas de Célar , ou du vôtre ;-
Rien n'eft facré pour moi quand il s'agit de vous..
Sextus lui répond
L'affafinat , Philippe , eft indigne de nous
Avant que d'éclater il falloit l'entreprendre
Mais inftruit du projet je dois te le défendre .
Ce trait eft hiſtorique , & M. de Cré
FEVRIER. 1755. 187
billon s'en est heureufement fervi . Tullie
approuve Sextus , & termine l'acte en difant
:
Allons trouver mon pere , & remettons aux Dieux
Le foin de nous fauver de ces funeftes lieux.
Le quatrieme acte s'ouvre par un monologue
de Ciceron , qui jette les yeux fur
le tableau des profcriptions , & qui dit
avec tranſport , lorfqu'il y voir fon nom
Enfin je fuis profcrit , que mon ame eft ravie !
Je renais au moment qu'on m'arrache ma vie.
Mecene furvient , & le preffe de s'allier
à Céfar. Ciceron lui demande s'il lui fait
efperer que l'inftant de leur alliance fera la
fin de la profeription . Mecene lui répond
qu'Octave l'a fufpendue pour lui . Ciceron
pour réplique , lui montre fon nom écrit
fur le tableau.
Mecene fe récrie : ...
Dieux quelle trahison
S'il eft vrai que Céfar ait voulu vous proferire ,
Sur ce même tableau je vais me faire inferire.
Adieu : fi je ne puis vous fauver de fes coups ,
Vous me verrez combattre & mourir avec vous.
Octave paroît. Ciceron veut lui faire
189 MERCURE DE FRANCE.
de nouveaux reproches ; mais Octave lui
répond qu'il n'eft pas venu pour fe faire
juger , & qu'il lui demande Tullie pour
la derniere fois. Ciceron lui réplique que
c'eft moins fon amour que fa politique qui
lui fait fouhaiter la main de fa fille , &
qu'il veut par ce noeud les affocier à fes
fureurs. Octave offenfé , lui repart :
Ingrat , fi tu jouis de la clarté du jour ,
Apprens que tu ne dois ce bien qu'à mon amour .
Vois ton nom.
Ciceron lui dit avec un phlegme vraiment
Romain :
Je l'ai vû . Céfar , je t'en rends graces.
Octave alors fe dévoile tout entier , &
lui reproche qu'il protége Clodomir , &
qu'il veut l'unir à Tullie. Ciceron ne s'en
défend pas , & Céfar tranfporté de colere ,
fort en lui déclarant qu'il l'abandonne à
fon inimitié. Ciceron refté feul , dit qu'il
la préfere à une pitié qui deshonore celui
qu'elle épargne , & celui qui l'invoque. Il
eft inquiet fur le fort de fa fille & fur celui
de Sextus , mais il eft raffuré par leur
préfence ; il leur apprend qu'il eft profcrit.
Tous deux le conjurent de partir &
de profiter du moment qu'Octave lui laiſſe ;
FEVRIER. 1755.. 159
mais il s'obſtine à mourir . Philippe vient
avertir Sextus que fes amis font déja loin
des portes , & preffe Tullie de fuivre les
pas du fils de Pompée , en l'affurant qu'elle
n'a rien à craindre pour Ciceron , qu'il eft
chargé de veiller für fes jours , & qu'il va
le conduire à Tufculum. Ciceron quitte
Sextus & Tullie , en leur difant :
i
Adieu , triftes témoins de més voeux fuperflus.
Palais infortuné , je ne vous verrai plus.
Octave qui vient d'apprendre que le faux
Clodomir eft Sextus , fait éclater toute fa
colere , & jure d'immoler le fils de Pompée
, & Tullie même. Mecene entre tout
éploré. Octave effrayé , lui demande quel
eft le fujet de fa douleur. Mecene lui répond
, les yeux baignés de larmes :
Ingrat ! qu'avez-vous fait ?
Hélas ! hier encore il exiſtoit un homme
Qui fit par fes vertus les délices de Rome ;
Mémorable à jamais par fes talens divers ,
Dont le génie heureux éclairoit l'univers.
Il n'eft plus .... fon falut vous eût couvert de
gloire ,
Et de vos cruautés , effacé la mémoire.
Qu'ai -je beſoin encor de vous dire fon nom ?
Ahlaillez-moi vous fuir , & pleurer Ciceron.
190 MERCURE DE FRANCE.
Octave témoigne fa furprife , & rejette
ce crime fur Antoine. Mecene continue
ainfi :
L'intrepide Orateur a vu fans s'ébranler ,
Lever fur lui lebras qui l'alloit immoler :
C'eſt toi , Lena , dit-il ; que rien ne te retienne ;
J'ai défendu ta vie , atrache-moi la mienne.
Je ne me repens point d'avoir ſauvé tes jours ,
Puifque des miens , c'est toi qui dois trancher le
cours.
que
A ces mots , Ciceron lui préfente la tête ,
En s'écriant , Lena , frappe , la voilà prête.
Lena , tandis Pair retentiffoit de cris ,
L'abbat , court chez Fulvie en demander le prix.
Un objet fi touchant , loin d'attendrir ſon ame ,
N'a fait que redoubler le courroux qui l'enflam
me :
Les yeux étincelans de rage & de fureur ,
Elle embraffe Lena fans honte & fans pudeur ,
Saifit avec tranſport cette tête divine ,
Qui femble avec les Dieux difputer d'origine ,
En arrache . ... Epargnez à ma vive douleur
La fuite d'un récit qui vous feroit horreur.
Nous ne l'entendrons plus , du feu de fon génie ,
Répandre dans nos coeurs le charme & l'harmonie
:
Fulvie a déchiré de fes indignes mains
Cet objet précieux , l'oracle des humains.
Ce récit m'a paru trop beau pour en rien
FEVRIER. 1755. 191
retrancher. L'acteur * qui a joué le rolle de
Mecene , en a fenti tout le pathétique , &
l'a très-bien rendu. Tullie qui n'eft pas encore
inftruite de la mort de fon pere , vient
implorer pour lui la puiffance d'Octave ;
elle paroît un peu defcendre de fon caractere
, elle s'humilie même au point d'offrir ſa
main à Céfar, pourvû qu'elle foit le prix des
jours de Ciceron . Comme Octave ne peut
cacher fon embarras , & qu'il veut fortir ,
Tullie l'arrête ; & tournant fes regards
vers la tribune , elle s'écrie avec terreur :
Plus je l'ofe obferver , plus ma frayeur augmente.
Mecene ! la Tribune ... elle eſt toute fanglante.
Ce voile encor fumant cache quelque forfait.
N'importe , je veux voir. Dieux ! quel affreux
objet !
La tête de mon pere ! .. Ah! monftre impitoyable ,
A quels yeux offres- tu ce fpectacle effroyable ?
Elle fe tue , & tombe en expirant auprès
d'une tête fi chere.
Je n'ai point vû au théatre de dénoument
plus frappant ; je ne me laffe point
de le répéter . Ce tableau rendu par l'action
admirable de Mlle Clairon , infpire la terreur
la plus forte , & la pitié la plus tendre
. Ces deux fentimens réunis enfemble .
font la perfection du genre. La beauté du
M. de Bellecour
192 MERCURE DE FRANCE.
cinquiéme acte répond à celle du premier
& la catastrophe remplit tout ce que l'expofition
a promis ; elle a toute la force
Angloife , fans en avoir la licence. Pour
en convaincre le lecteur , je veux lui comparer
le dénouement de Philoclée , dont je
vais donner le programme , d'après l'extrait
inferé dans le Journal Etranger du
mois de Janvier.
PROGRAMME DE PHILOCLÉE ,
Tragédie Angloife .
Lie ,Roi d'Arcadie , fenonçant aux af-
E théatre repréſente une forêt. Bazifaires
, s'eft retiré dans cette retraite avec
Ginecie fa feconde femme , & fes deux
filles , Philoclée & Pamela , qu'il a eues
d'un premier mariage. Il eſt défendu d'y
pénétrer fous peine de la vie , hors à des
bergers employés à leurs fervices . Il a déclaré
en même tems que ces deux Princeffes
ne feroient jamais mariées de fon
vivant , fans dévoiler le motif d'une rigueur
fi bizarre. Mais Mufidore , Prince
de Theffalie , a pénétré ce myftere . Le
Grand Prêtre de Delphes , gagné par fes
préfens , lui a révélé qu'on avoit prédit à
Bazile qu'il mourroit le jour même que
fes filles feroient mariées . Cet oracle eft
un
FEVRIER . 1755. 193
un vol qu'on a fait aux Danaïdes . Mufidore
, amoureux de Pamela , fe déguiſe en
berger pour s'introduire auprès d'elle ; &
Pyroclès fon ami , Prince de Macédoine ,
épris des charmes de Philoclée , vient d'arborer
auffi la houlette. Ils ont tous deux
formé le projet de déclarer leur amour à
ces Princeffes , & s'ils font écoutés , d'obtenir
leur aveu pour les enlever.
Pyroclès trouve le premier l'occafion favorable
: il voit dans un jardin Philoclée
endormie ; il exprime ainfi fon tranſport :
mes yeux ne me trompent point , c'eſt
» elle , couchée fur un lit de fleurs ... elle
» dort .... Son haleine eft plus douce que
» l'odeur qu'elles exhalent .... heureuſes
fleurs qui fervez d'oreiller à fes joues
» charmantes ! ah ! j'en vois une qui s'éleve
jufqu'à fa bouche vermeille ; elle
» s'efforce de la baifer. Embaumée de få
> refpiration , elle en reçoit plus de parfums
que Flore n'en a verfé fur toutes
» fes compagnes . Ah !
que ma main ja-
» louſe l'arrache de fa tige ! que je fuce
>> comme l'abeille cette précieufe rofée « .
Langage trop figuré pour une tragédie !
vers d'Idylle , & fituation d'opéra. Ce fommeil
paroît même copié d'après celui d'Iffé.
» Qui m'arrête ? ajoute- t-il , amant trop
timide , ne puis - je moi -même dérober
و ر
و د
...
I
194 MERCURE DE FRANCE.
"
» un baifer ? & ce tendre larcin diminuera-
t-il un tréfor où s'accumulent tant de
» charmes « réflexion fenfée qui le déter
mine à prendre un baifer. Cette liberté feroit
excufable dans une comédie ; mais le
tragique eft plus févere fur les bienséances.
Il permet , ou plutôt il adopte les plus
grands crimes , & ne pardonne pas les plus
petites familiarités. On peut empoifonner ,
& même poignarder aujourd'hui fur notre
théatre avec décence ; mais un baiſer
feroit fcandaleux , ou tout au moins ridi
cule dans une tragédie françoife. Le réveil
de Philoclée engage l'aveu que Pyroclès
lui fait de fa paffion & de fon rang ;
il est très-bien . reçu . Mufidore a le même
fuccès près de Pamela , à la faveur d'un
portrait & d'une médaille qui le repréfentent
, & qui occafionnent une déclara
tion . Petit moyen, accompagné d'autres incidens
, qui chargent la piece fans avancer
Faction. Je les fupprime pour arriver plu
tôt au point de comparaifon , c'eft-à -dire à
la fituation qui reffemble à la cataſtrophe
du Triumvirat. En conféquence , je paffe
à l'événement du troifiéme acte , qui doit
l'amener : c'eft où commence proprement
la tragédie comme l'a judicieuſement
remarqué M. l'Abbé P.
On apprend au Roi qu'Amphiale fon
FEVRIER. 1755. 195
neveu , qu'il n'a pas voulu accepter pour
gendre, vient d'enlever les deux Princefles ;
que Pyroclès a tué plufieurs des raviffeurs ,
mais qu'accablé fous le nombre , il a été
fait prifonnier. Le Roi fort de fa retraite
& court affiéger Amphiale dans un château
où il s'eft retiré avec fa proye. Ce Prince
foutient le fiége. Cecropie , fa mere , veut
qu'il époufe fur le champ , de force ou de
gré , l'une des deux Princeffes , ou qu'il les
faffe mourir. Comme toutes les deux refufent
fon fils , cette cruelle femme va trouver
Philoclée dans fon appartement , & lui
dit de choisir de cet hymen ou d'un prompt
fupplice. La Princeffe répond qu'elle préfere
la mort : eh bien , lui réplique Cecropie
, jette les yeux dans la cour , l'échafaud
eft dreffé ; vois dans le fort de ta foeur
celui qui t'attend. Elle donne le fignal , &
l'on fait voler une tête. A cette affreuſe
vûe , Philoclée s'évanouit. Un pareil fpectacle
me femble plus propre à repaître
les regards d'une populace cruelle , qu'à
étonner l'efprit , ou qu'à remuer le coeur
d'un public délicat .
Dans le cinquiéme acte un Officier vient
annoncer à Pyroclès , dans fa prifon , la
mort de Philoclée , & pour ne lui laiſſer
aucun doute , il lui dit de le fuivre . Le.
théatre change ; on voit au milieu d'une
I ij
196 MERCURE DE FRANCE .
fale tendue de noir , un corps expofé fut
un lit de parade : Pyroclès leve le drap qui
le couvre , & s'écrie : Dieux ! un tronc
fanglant ! quoi ! Philoclée ! ... Ah ! barbares
affaffins ! Il tombe faifi de douleur ,
& les fanglots lui coupent la parole . Cette
pofition et prefque la même que celle qui
termine le Triumvirat ; mais l'auteur Anglois
n'en demeure pas là . Dans le tems
que Pyroclès déplore la perte de la Princeffe
, elle paroît vêtue de blanc ; il la
prend pour fon ombre : elle le defabuſe ,
& lui apprend que ce corps mort eſt celui
d'une malheureufe confidente immolée à
la place , & fous les habits de Pamela ;
ftratagême imaginé par Cecropie , pour réfoudre
Philoclée à époufer fon fils , & plus
digne de figurer dans un tome de Caffandre
, d'où il a été pris , que d'être employé
dans une piéce dramatique. Pendant cet
éclairciffement on entend le bruit d'un
combat ; c'eft Mufidore qui vient de furprendre
le château , & de tuer Amphiale .
Les quatre amans fe trouvent réunis : on
leur apprend la mort de Cecropie , qui
s'eft précipitée du haut des murs , & celle
de Bazile , percé d'une fleche lancée au has
żard , au moment qu'il entroit dans la
place. C'eft ainfi que s'accomplit l'oracle ,
que finit la piece. Pour la Reine , on &
FEVRIER . 1755. 197
ne fçait , dit le Journaliſte , ce qu'elle eft
devenue. Les deux couples * fortunées ne
s'en embarraffent gueres , ni moi non plus ,
qui ai furprimé fon rôle.
Que l'on compare à préfent les deux cataftrophes
; l'une eft amenée à force d'incidens
romanefques , & compliquée audelà
de la vraisemblance ; l'autre eft prife
dans la nature , affortie à la vérite hiftorique
, & renfermée dans fa précifion : qu'on
juge en même tems les deux ouvrages.
On ne peut difconvenir qu'il n'y ait des
beautés fingulieres & des coups de force
dans le drame Anglois ; mais ils font frappés
fans deffein , & paroiffent ifolés ; c'eft
un pur roman , encore eſt-il mal tiffu , &
trop chargé. La piece françoife a des traits
qui n'ont pas moins d'audace , & qui fortent
mieux du fujet . C'eſt une vraie tragédie
; fi elle eft un peu foible d'action **,
elle eft forte de penſées , brillante par les
détails , & foutenue par les caracteres .
Pour tout dire , en un mot , Philoclée eft
* Je crois que ce mot couple eft maſculin dans
cette acception, & qu'on doit dire les deux couples
fortunés ; peut- être eft- ce une faute d'impreffion ?
** Le plus grand défaut du Triumvirat eft dans
le fujet, qui eft trop fimple ; la fuite de Ciceron en
fait tout le fond : partira-t-il ? ne partira-t-il
point ? voilà fur quoi roule toute l'action juſqu'au
dénouement.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
l'ouvrage du talent aux dépens de toutes
les regles ; le Triumvirat eft celui du génie
éclairé par l'art , & foumis aux bienféances.
M. l'Abbé P. nous apprend que cette
tragédie angloife eft le coup d'effai de M.
Machamara Morgan , jeune étudiant en
Droit ; il ajoute qu'on peut tout attendre
de lui , & qu'il s'empreffe d'en publier
l'augure ce préfage feroit plus flateur
pour nous , s'il nous annonçoit un digne
fucceffeur de M. de Crébillon & de M. de
Voltaire .
Le 19 , les Comédiens François ont remis
Efope à la Cour , comédie en cinq actes
& en vers , de Bourfault. Cette piece
eftimable
a reçu du public l'accueil favorable
qu'elle mérite. M. de Lanoue eft fupérieur
dans le rôle d'Efope ; on ne peut
pas le rendre avec plus d'efprit & de vérité.
Cette comédie eft intéreffante autant
que peut l'être une piéce épifodique. La
fcene de Rodope avec fa mere eft une des
plus touchantes qui foient au théatre , &
des mieux jouées par Mlle Gauffin & Mlle
Dumefnil. Après l'Andrienne voilà le premier
& le vrai modele du comique larmoyant
; il eft puifé dans la nature. Le
dénouement eft encore d'une grande beauré
, il laiffe pour l'auteur une forte imFEVRIER.
1755.. 199
preffion d'eftime. Je voudrois que Bourfault
n'eût pas bleffé le coftume en parlant
de Procureurs & de Greffiers , qui n'avoient
pas lieu heureuſement pour ce temslà.
Mes yeux font encore plus choqués que
les acteurs ne refpectent pas mieux ce même
coſtume , en habillant des Lydiens à la
Françoife : ils l'ont toujours fait ; mais un
abus de foixante dix ans n'eft pas moins
un abus ; ils ne font pas moins dans l'obligation
de s'en corriger.
COMEDIE ITALIENNE.
L
Es Comédiens Italiens ont donné le
25 , la dix-huitiéme repréſentation de
la Fête de l'Amour , toujours fuivie de la
Servante Maîtreſſe , & précédée fucceffivement
des Incas , & des Amans inquiers ,
parodies repriſes . Voici des vers adreffés
à Mme Favard , en attendant l'extrait de
fa piece , que le peu d'efpace qui me reſte
m'oblige encore à remettre au mois de
Mars.
A Mme FA VAR D.
AImable Auteur , te falloit- il encore
Ce titre , pour charmer & la Ville & la Cour
Iiv
200 MERCURE DE FRANCE .
On trouve en toi Thalie & Terpfico re ,
Sous un maintien deffiné par l'Amour.
De ton art , la douce impoſture
Offre à mon efprit abuſe
Des images d'après nature ,
De maint caractere oppofé.
Mon coeur fe livre à chaque perſonnage
Qu'à mes yeux tu fais admirer ,
Et tu fçais le rendre volage ,
Sans qu'il cefle de t'adorer .
>
Cette penſée n'eft pas abfolument nouvelle
, mais elle eftrajeunie par l'expreffion.
On avoit donné autrefois la même
louange à une célébre actrice de l'Opera ;
mais je doute qu'elle l'eut mieux mérités
que Mme Favard.
FEVRIER. 1755 . 201
ARTICLE SIXIE ME.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU NOR D.
DE CONSTANTINOPLE , le 1 Décembre.
L
E Comte Defalleurs , Ambaffadeur de France
, mourut ici le 23 Novembre , après une
maladie d'environ ſept femaines. Il avoit été cidevant
Envoyé extraordinaire & Miniftre Plénipotentiaire
auprès du Roi & de la République de
Pologne. Le pere du Comte Defalleurs avoit été
auffi Ambaffadeur à la Porte.
Mahomet V. du nom , mourut le 13 Decembre
en cette ville , âgé de cinquante- huit ans deux
mois & vingt-cinq jours. Depuis quelque tems ,
ce Prince étoit fort incommodé d'un rhume. Le
2 de ce mois il fut attaqué de la fievre & d'une
toux féche & violente , qui firent craindre une
fluxion de poitrine . A ces accidens fe joignit un
flux de fang : cependant Sa Hauteffe en peu de
jours, moyennant les remedes qu'on employa pour
fa guérifon , fe trouva confidérablement
foulagée.
Defirant de calmer les inquiétudes du peuple &
des Janiffaires , elle alla le 13 Décembre à cheval
à la grande Mofquée ; mais à fon retour au Sérail
elle fe fentit fuffoquée , & en un inftant elle expira.
Auffi- tôt qu'elle eut rendu le dernier ſoupir ,
fon frere Ofman troifieme du nom , fut procla
mé Empereur. Le nouveau Sultan eft âgé de cin-
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
quante- fix ans. Celui qu'on vient de perdre , eft
univerfellement regretté . Les Janiffaires l'avoient
mis fur le throne le 20 Octobre 1730 , à la place
d'Achmet III fon oncle , qui avoit été élevé en
1703 à l'Empire , après la dépofition de Muſtapha
II , pere de Mahomet V & d'Oſman III , açtuellement
regnant.
DE PETERSBOURG , le 3 Décembre.
Selon les lettres de Mofcou , l'on y a célébré
d'une façon éclatante la naiffance du grand Prince
de Ruffic. Illuminations , feux d'artifice , fpectacles
, bals publics , rien n'a été épargné. Le Clergé
, les principaux Seigneurs , les Tribunaux , &
chaque corps de la bourgeoifie , le font empreffés
à l'envi de fignaler leur zele par des fêtes fomptueufes.
La charité s'eft jointe à la magnificence ,
pour que les indigens partageaffent plus vivement
l'allégreffe commune , & l'on a répandu dans leur
fein d'abondantes aumônes .
DE STOCKHOLM , le 12 Décembre.
On a découvert l'auteur des faux billets de banque
répandus dans ce Royaume. C'eſt un Orfévre
de Salhberg , ville de la Weftmanie. Il a été
arrêté , & l'on inftruit fan procès.
DE COPPENHAGUE , le 14 Décembre.
Quelques douleurs que la Reine fentit ces jours.
derniers , firent croire que cette Princeffe touchoit
au terme de fa groffeffe , mais elles n'ont
point eu de fuite ; & Sa Majefté continue de tenix
appartement une fois la ſemaine.
FEVRIER. 1755. 203
ALLEMAGNE. T #
DE VIENNE ,
le
14 Décembre.
On célebra le 8 de ce mois l'anniverſaire de la
naiffance de l'Empereur , qui eft entré dans la
quarante- feptieme année de fon âge.
On chanta le 31 de Decembre le Te Deum
dans la Chapelle du Palais , pour remercier Dieu
des faveurs qu'il lui a plû de répandre pendant
Pannée 1754 fur les Etats de l'Impératrice Reine.
DE DRESDE , leis Décembre.
Il paroît un nouvel Edit pour abréger les for
malités judiciaires , & diminuer les frais des pro
cédures.
DE CASSEL , le 9 Janvier.
Le Prince héréditaire , en déclarant qu'il a em
braffé la Religion Catholique , a donné au Landgrave
& aux Etats du Landgraviat un acte en 19
articles , dans lefquels il explique fes fentimens,
ITALIEN
DEROME, le 11 Décembre.
Sur la nouvelle qu'on avoit ceffé de perfécuter
les Chrétiens, dans l'Empire de la Chine , la Con
grégation de Propaganda Fide a réfolu d'y envoyer
quatre, éleves du College Chinois établi à
Naples , qui fe trouvent en état d'être employés
utilement dans les Miffions.
Dans un Confiftoire extraordinaire que le Pape
Ivi
204 MERCURE DE FRANCE.
*
tint le 18 , le Cardinal Portocarrero remit à Sa
Sainteté le Chapeau de Cardinal de l'Infant Don
Louis. Cette cérémonie fe fit avec beaucoup d'éclat.
DE GENES , le 8 Janvier.
On a tiré ces jours- ci les noms des cinq nouveaux
Sénateurs , & le fort eft tombé fur les
Marquis Auguftin Grimaldi , François - Marie
d'Afte , Rodolphe & François-Marie Brignolé , &
fur le fieur Jofeph Franchi. Le Marquis Grimaldi
& le Marquis d'Afte s'étant excufés , à caufe de
leur grand âge & de leurs infirmités , de remplir
les fonctions de cette dignité , ils ont été remplacés
par le Marquis Jacques Lomellini , & par le
Marquis François Doria, ci- devant Envoyé extraordinaire
de la République auprès de Sa Majefté
Trés-Chrétienne , & Miniftre Plénipotentiaire au
Congrès d'Aix-la - Chapelle. Le Marquis Dominique
Lomellini , le Sr Nicolas Franchi , le Marquis
Auguftin - Mari & le Comte Michel Durazzo ,
ont été élûs Procurateurs de la banque de Saint
Georges.
GRANDE-BRETAGNE.
DE LONDRES , le 26 Décembre.
Tous les vaiffeaux de la Compagnie des Indes
Orientales font partis des Dunes pourleurs deftinations
refpectives.
Il arriva le même jour un Courier, par lequel
on a appris la mort du Comte d'Albemarle , Ambaffadeur
Extraordinaire & Plénipotentiaire du
Roi à la Cour de France . Le Lord Bury fon fils
FEVRIER. 1755. 208
aîné , qui eft Colonel d'un Régiment d'Infanterie,
Gentilhomine de la Chambre du Duc de Cumberland
, & Membre du Parlement pour Chichefter
, partit le même jour pour Paris.
Le Duc de Mirepoix , Ambaſſadeur Extraordinaire
du Roi Très - Chrétien , revint le 8 Janvier
de Paris , & le 9 ce Seigneur a eu une conférence
avec le Chevalier Robinfon.
• Le 15 Janvier ,le Sr Duvelaer , Commiffaire de
la Compagnie Françoife des Indes , partit pour
aller paffer quelque tems à Paris. La Compagnie
des Indes orientales a pris à fon fervice le vaiffeau
le Pelham.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
LE de
E premier de Janvier , les Princes & Princefeurent
l'honneur de complimenter le Roi fur la
nouvelle année .
Le Corps de Ville a rendu à cette occafion fes
refpects à leurs Majeftés & à la Famille royale.
Les Chevaliers , Commandeurs & Officiers de
l'Ordre du Saint Eſprit , s'étant affemblés vers les
onze heures du matin dans le cabinet du Roi
Sa Majesté fortit de fon appartement pour aller à
la Chapelle. Le Roi , devant qui les deux Huifhiers
de la chambre portoient leurs mafles , étoit
en manteau , le collier de l'Ordre par deffus , ainfi
que celui de l'Ordre de la Toifon d'or . Sa Majefté
étoit précédée du Duc d'Orléans , du Prince
de Condé , du Comte de Charolois , dų Prince
106 MERCURE DE FRANCE.
de Conti , du Comte de la Marche , du Prince de
Dombes , du Comte d'Eu , & des Chevaliers
Commandeurs & Officiers de l'Ordre. Après la
grande Meffe , qui fut célébrée par le Prince Conftantin
, premier Aumônier du Roi , & Prélat
Commandeur de l'Ordre , le Roi fut reconduit à
fon appartement en la maniere accoutumée.
Monfeigneur le Dauphin n'affifta point à la
grande Meffe , à caufe d'une légere indifpofition .
Le Duc d'Ayen étant devenu titulaire du Gouvernement
de Saint - Germain- en- Laye par la démiffion
du Maréchal Duc de Noailles , le Roi a
accordé la furvivance de ce Gouvernement au
Comte d'Ayen , Meftre de Camp du Régiment de
Noailles Cavalerie.
M. l'Abbé de Gouyon , Vicaire Général & Archidiacre
de l'Evêché de Saint Pol de Léon , a été
nommé Aumonier de Madame Adélaïde.
Les Capitaux échus par le fort de la Lotterie
tirée le 19 du mois de Décembre dernier , pour le
remboursement annuel des rentes fur la caiffé générale
des amortiffemens , montent à la fomme
de treize cens foixante - neuf mille neuf cens foixante
livres.
"
Le Roi a difpofé de la place de Grand Croix ,
vacante dans l'Ordre royal & militaire de Saint
Louis , par la mort du Comte de Chabannes
en faveur du Marquis de Créqui , Lieutenant-Gé
néral des armées de Sa Majefté ; & Commandeur
de cet Ordre. Le Chevalier de Créqui avoit déja
les honneurs de Grand Croix.
Le Comte de Coetlogon , auffi Lieutenant- Gé
néral , a eu la place de Commandeur du Marquis
de Créqui .
Sa Majefté a donné la Compagnie des Gendar
mes Anglois , qui vaquoit par la démiffion du Vi
FEVRIER. 1758. 207
Comte de Courtomer , au Comte de Lannoy , Brigadier
de Cavalerie , & Capitaine- Lieutenant de
la Compagnie des Chevaux -Legers d'Orléans ; &
la Compagnie des Chevaux - Legers d'Orléans au
Marquis de Tracy , Sous-Lieutenant des Chevaux
Legers de Monfeigneur le Dauphin.
Sa Majesté fit le r' . Janvier , dans fa chambre , la
cérémonie de recevoir Chevaliers de l'Ordre royal
& militaire de Saint Louis , le Marquis de Bezons ,
Brigadier de Cavalerie , Meſtre de Camp du régiment
de fon nom ; le Comte de Lillebonne , Brigadier
de Dragons , Mestre de Camp du régiment
d'Harcourt ; le Marquis de la Châtre , Brigadier
d'Infanterie , Colonel du régiment de Cambrefis
; le Comte de Valentinois , Sous- Lieutenant
des Gendarmes de Monfeigneur le Duc de Bourgogne
le Chevalier de Villefort , Lieutenant de
Roi des Iles de Sainte Marguerite ; M. de Monfort
, Capitaine au régiment d'Infanterie de Provence
, & M. de Valcourt , Capitaine au régiment
de Cavalerie de la Rochefoucauld.
Le Roi a difpofé du Gouvernement de Verdun
& du Verdunois , vacant par la mort du Comte do
Chabannes , en faveur du Marquis de Chazeron ,
Lieutenant- Général de fes armées , & Lieutenant
des Gardes du Corps dans la Compagnie de Bethune.
Le Marquis de Chazeron remet fon Gou
vernement de Breft & fa Brigade dans les Gardes
du Corps. Outre le nouveau Gouvernement dont
il vient d'être pourvu , il a obtenu une penfion de
fix mille livres.
La Brigade qui vaque par la retraite , paffe au
Marquis de Sefmaifons.
Sa Majesté a accordé le Gouvernement de Ville.
franche, en Rouffillon , qu'avoit le feu Vicomte
du Chayla, au Chevalier de Muy , Lieutenant-
Général .
208 MERCURE DE FRANCE.
Le Marquis de Wignacourt , premier Cornette
de la Compagnie des Chevaux - Legers de Monfeigneur
le Dauphin , monte à la Sous- Lieutenance
de cette Compagnie , & fa Cornette a été
donnée au Comte de Vaudremont , Guidon des
Gendarmes Anglois.
L'Abbaye de Ville-Chaffon , Ordre de Saint
Benoît , Dioceſe de Sens , a été réunie , avec
tranſlation du titre , au Prieuré de Moret , du même
Ordre & du même Dioceſe , en faveur de la
Dame de Soulange , Abbeffe de Royal -Lieu , que
le Roi y a nommée
Le 7 Janvier & les jours fuivans , on a fait le
feptiéme tirage de la feconde Lotterie royale. Le
principal lot eft échu au numero 1588 ; le fecond
lot , au numero 25033 , & la premiere prime ,
numero 11651 .
au
Le 13 , pendant la Meffe du Roi , l'Evêque
d'Auxerre prêta ferment de fidélité entre les mains
de Sa Majesté.
Le 15 , le Duc & le Comte de Lauraguais remercierent
le Roi de la grace que Sa Majesté a
fait au Comte , en lui accordant un Brevet d'honneurs.
Sa Majefté a nommé Miniftre d'Etát M. Moreau
de Seychelles , Confeiller d'Etat ordinaire , & an
Confeil royal , Contrôleur Général des Finances.
Le Marquis de Langeron , Lieutenant - Général
des armées du Roi , a obtenu de Sa Majefté le
Gouvernement de Breft , vacant par la démiffion
du Marquis de Chazeron .
Pendant le cours de l'année derniere , il s'eſt
fait dans cette capitale 18909 Baptêmes , 4143
Mariages , & 21724 enterremens . Le nombre des
enfans trouvés a été de 4231 .
Le 12 de ce mois , l'Evêque de Saint Omer fut
FEVRIER. 1755. 209
facré dans l'Eglife des Religieufes de Conflans par
l'Archevêque de Paris , affifté des Evêques de Cahors
& de Senlis .
Le 18 , pendant la Meffe du Roi , l'Evêque de
Saint Omer prêta ferment de fidelité entre les
mains de Sa Majesté.
La Reine alla le 20 entendre la Meffe dans l'Eglife
de la Maifon de Saint Cyr. Sa Majesté y donna
le voile aux Dlles de Durfort & de Dormenan .
La Meffe fut célébrée par l'Evêque de Chartres ,
& ce Prélat fit la cérémonie.
Monfeigneur le Dauphin , qu'une légere indifpofition
obligeoit depuis quelque tems de gar
der fon appartement , jouit maintenant d'une parfaite
fanté.
Madame Victoire ayant été attaquée d'une fievre
violente & d'un grand mal de tête , fut fai
gnée le 16 deux fois du pied ; la premiere à fix
heures du foir , la feconde à minuit . La derniere
faignée fit tomber la fievre , & procura le fommeil.
Actuellement Madame Victoire eft auffi - bien
qu'on puifle le deſirer.
M. de Vergennes , Miniftre du Roi auprès de
PElecteur de Tréves , a été nommé par Sa Majef
té pour aller réfider en qualité d'Envoyé extraor
dinaire à la Porte Ottomane.
L'Evêque de Cahors , affifté des Evêques de Die
& de Graffe , facra le 19 l'Evêque de Bethleem
dans la hapelle du Seminaire de S. Sulpice,
Le 23 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix - huit cens dix livres . Les billets de la
premiere lotterie royale étoient à huit cens trente.
Ceux de la feconde lotterie n'avoient point de prix
fixe.
210 MERCURE DE FRANCE.
MORT S.
E 29 Août mourut en Forès dans la quatre-
Ling >
la Queille , Comte de Ronchevol- Pramenou , Seigneur
de la Mure , Fougeres , Ornal , la Gardette ,
le Poyet , &c. Il étoit fils puîné de Claude de la
Queille , Marquis de Châteaugai , Baron de Vendat
, Seigneur de Sabazat , Florac , &c ; & d'Anne
de Ronchevol , Dame de Pramenou , héritiere de
fa Maiſon , l'une des plus anciennes du pays de
Forès , d'où elle paffa en Beaujolais vers l'an
1310. Le Comte de Ronchevol-Pramenou avoit
éré appellé à la fubftitution de tous les biens de
fa mere , à la charge d'en porter le nom & les
armes. De fon mariage fait en 1707 avec Anne-
Jofephe de Chabannes , fille de Gilbert de Chabannes
, Comte de Pionzac , & d'Anne-Françoife
de Lutzelbourg , il laifle pour-fille unique Gilberte
de la Queille , dite de Ronchevol -Pramenou ,
mariée en 1733 à Gilbert - Allire , Comte de Lan.
gheac , Brigadier des armées du Roi , Meftre de
camp du Regiment de Conti , Cavalerie , dont
trois garçons. Voyez la page 317 , cinquiéme partie
des Tablettes historiques.
La Maiſon de la Queille , la Queuille , ou la
Cueille , a toujours tenu rang parmi les plus
grandes de la province d'Auvergne , par fon ancienneté
, fes grands biens & fes alliances . Elle
tire fon origine de celle de Rochefort au Montd'or
, dont elle a ceffé de joindre le nom à celui
de la Queille vers l'an 1350. La terre de Rochefort
a paflé depuis aux Comtes d'Auvergne & à la
FEVRIER. 1755
2FF
maifon de Bourbon , & eft actuellement poffédée
par M. le Marquis de Chabannes- Curton .
Aymon, Seigneur de Rochefort & de la Queille,
vivoit en 1220. On lui donne pour femme Marie
de la Tour , fille de Bertrand , Seigneur de la Tour.
Il fut pere de Bertrand de Rochefort , Seigneur
de la Queille , marié en 1250 à Alix de Plaignes
Dame de Ronchely & de Monceaux . Leur fils Ber
nard , qui vivoit encore en 1299, fut pere de Jean
de Rochefort , Seigneur de la Queille, qui époufa
une Dame nommée Jeanne , que l'on croit de
la maiſon de Comborn. De ce mariage nâquit Antoine
de Rochefort , Seigneur de la Queille , allié
en 1310 avec Anne de Pierre- Buffiere - Châteauneuf.
Elle fut mere de Girard , Seigneur de la
Queille , Gouverneur du Dauphiné d'Auvergne ,
& Chambellan de Pierre I du nom , Duc de Bour
bon. Girard de la Queille fut allié avec Jeanne de
Murol , fille de Jean de Murol & d'Alix de la Rochebriant.
De cette alliance fortit Guillaume ,
gneur de la Queille, Capitaine de Gendarmes , mari
de Jeanne-Habeau d'Apchon , & pere de Bertrand
Seigneur de la Queille , Capitaine de Gendarmes, &
Chambellan du Duc de Berry, Celui- ci époufa Alix
Drap , fille de Guillaume Drap , Seigneur de Châ
teauneuf. Elle fe remaria à Girard de Rochefort
Seigneur de Saint-Marc , & vivoit en 1377, ayant
eu de fon premier mari , Pierre , Seigneur de la
Queille & de Châteauneuf , allié avec Marguerite
de Montmorin , décédée le & Octobre 1415. Elle:
étoit fille de Geofroi de Montmorin & de Daufine
de Thenieres. Leur fils Jacques , Seigneur de.
Ja Quelle & de Châteauneuf, Capitaine de Gendarmes
, Chambellan du Duc de Bourbon , épouſa
Louife de Giac , fille de Pierre de Giac & de Jeanac
de Naillac , & arriere- petite-fille de Pierre de
Sei212
MERCURE DE FRANCE.
Giac , Chancelier de France. Elle apporta à fon
mari les terres de Giac & de Châteaugai , & fur
mere de Charles , Seigneur de la Queille , de Chateauneuf
, de Châteaugai , de Giac , & c. qui n'eut
point d'enfans de fa feconde femme Marie de Levi
, & en laiffa deux de fa premiere , Anne de Bellenave
; fçavoir , François & Guillaume de la
Queille : l'aîné eut en partage la terre de la Queille
& les deux tiers des biens de fa maiſon . Il fut marié
deux fois : 1 ° . avec Marguerite de Castelnau
de Bretenoux . 2 °. Avec Anne de Rohan , fille de
Henri de Rohan , Seigneur d'Efpinai en Bretagne.
Il n'eut de ces deux mariages que trois filles ; deux
du premier , & une du fecond ; fçavoir , 1º . Jacqueline
de la Queille , Dame de Châteaubrun ;
alliée à Robert Stuart , Comte de Lenox , Seigneur
d'Aubigni , Maréchal de France . 2º Françoife
de la Queille , mariée à Jacques Ricard de
Genouillac , dit Galiot , Seigneur d'Acier , grand
Ecuyer & grand Maître de l'Artillerie de France.
3°. Catherine de la Queille , Dame de la Queille
& de Châteauneuf , époufa le 3 Decembre 1535
Marc de Beaufort - Montboiffier , Comte d'Alais
Marquis de Canillac.
Guillaume de la Queille eut en partage Florac
des biens paternels , & Giac & Châteaugai avec
les autres terres portées par fa grande mere Louiſe
de Giac. Il continua la pofterité maſculine de ſa
maifon par fon alliance avec Marie de Damas ,
fille de Jean de Damas , Seigneur de Marcilly , &
d'Anne de Digoine. Il fut pere de Jean de la
Queille I du nom Baron de Florac & de Châ →
teaugai , &c. Celui- ci époufa Ifabelle de Bourbon-
Buffet , de laquelle nâquit Jean de la Queille II
du nom , Baron de Florac , de Châteaugai , &c ,
Capitaine de cinquante hommes d'armes , Gou
>
ปี
FEVRIER . 1755. 213
verneur & Lieutenant général pour le Roi & la
Reine Marguerite , des Comtés d'Auvergne & de
Clermont , & Séné, hal d'Auvergne . Il époufa en
1553 Anne d'Efcars - Lavauguyon , fecorde fille
de François d'Efcirs , Seigneur de Lavauguyon , &
d'Iſabeau de Bourbon - Carenci . Elle fut mere de
Jean de la Queille III du nom , Baron de Florac ,
de Chateaugai , & c , qui étant devenu veuf fans
enfans de Claude de la Tour- Murat , fe remaria le
24 Nov. 1608 à Simone de Saix , fille de Claude de
Saix , Seigneur de Rivoire , & de Diane de Seneret.
De ce mariage nâquirent un fils & deux filles ; fçavoir
, Helene & Jeanne . La premiere fut mar ée en
Août 1639 à Jean - Louis ,Comte de Bourbon - Buffet;
l'autre époula Antoine- Claude d'Eberard de Saint-
Sulpice. Leur frere Guillaume de la Queille , Seigneur
de Florac , de Châteaugai , de Vendat , &c. ,
Capitaine de Chevaux - Legers , époufa Anne de
Gadagne , fille de Claude de Gadagne , Maréchal
de camp
& d'Eleonore de Coligni. Il en eut
Claude de la Queille , Seigneur de Florac , de Châteaugai
, &c , allié avec Marie de Ronchevol , héritiere
de Pramenou , fille aînée de François de Ron ..
chevol , Seigneur de Pramenou , & de Benigne de
Damas - la - Biftie . De ce mariage nâquirent deux
garçons , dont le dernier a donné lieu à cet article
.
L'aîné Anne-Gilbert de la Queille , Marquis
de Châteaugai , Lieutenant général au Duché de
Bourgogne , Gouverneur de Bourbon - Lanci ,
épouſa Marie - Jofephe , Dame d'Amanzé , fille
aînée de Louis , Vicomte d'Amanzé , & de Marie-
Louife Falconis , Le Marquis de Châteaugai eft
par ce mariage fſubſtitué au nom & armes d'Amanzé.
Son fils Louis - Gilbert - Gafpard de la
Queille de Châteaugai , Comte d'Amanzé , Bri214
MERCURE DE FRANCE.
gadier des armées du Roi , Colonel du Régiment
de Nice , a époufé en Août 1741 Louife- Jacqueline
de Laftic- Saint- Jal , fille de Jean -Claude de
Laftic- Saint -Jal , & de Marie - Marguerite Bazin
de Bezons. Il en a deux enfans.
Il a pour foeurs ,
1. N.
de la Queille
de Châteaugai
, mariée à Jacques - Philippe - Sebaftien
le Prêtre , Comte de Vauban , Maréchal
de camp , Lieutenant général en Franche-Comté.
2º. Anne- Louiſe de la Queille , mariée le 15
Avril 1741 , à Jofeph-Louis-Dominique de Cambis
, Marquis de Velleron.
Les armes de la Queille font de fable à la croix
d'or engrêlée , que le Comte d'Amanzé écartelle
avec celles d'Amanzé. Le Comte de Pramenou
chargeoit la croix en coeur d'un aigle éployé de
gueules , membré & becqué d'azur.
Demoiſelle Henriette - Mechtilde Van-Holt ,
née à s'Heerenberg dans les Pays-Bas le 28 Août
1664 , mourut à Paris le 28 Septembre 1754 , âgée
de quatre-vingt-dix ans. Elle étoit tante de Barthelemi
de Vanolles , ci -devant Intendant d'Alface
, & aujourd'hui Confeiller d'Etat , dont le pere
Jacques- Hartger Van-Holt , Grand - Audiencier
de France , & Tréforier Général ancien de la
Marine , obtint au mois d'Octobre 1696 des lettres
de mutation de fon nom de Van- Holt en celui
de Vanolles ; & au mois d'Août 1704 des lettres
de naturalité. Guillaume Van-Holt ( pere de
ce Jacques Hartger , & d'Henriette-Mechtilde qui
donne lieu à cet article ) Gentilhomme originaire
de-Dotekum fur les confins de la Gueldre Hollandoife
, Seigneur de Bleck & de Biltien , Co-feigneur
de Liefferinck , étoit d'une famille patricienne
, connue dès l'an 1448 en la perfonne de
FEVRIER. 1755. 215
Jean Van-Holt , Maître d'Hôtel , ou Majordome
d'Arnoul , Duc de Gueldre , qui le fit le 10 Novembre
de cette année là , grand Tréforier de fon
Duché de Gueldre , du Comté de Zutphen & de la
Seigneurie de Cuyck. L'article de cette famille
dreffé fur les titres originaux & d'après les Hiſtoriens
de Gueldre les plus eftimés , eft traité avec
étendue dans le quatrieme registre de la Nobleſſe
de France , où l'on renvoye le Lecteur. Ses armes
font d'argent , à fept annelets defable , pofés trois ,
trois un.
AVERTISSEMENT.
CEuxqui voudront voir leurs ouvrages
inférés dans le Mercure du mois où ils les
enverront , font priés de les adreffer à M.
Lutton avant le 10 ; paffé ce jour , je ferai
obligé de les remettre au mois fuivant ,
quelque envie que j'aie de répondre à leur
impatience. Le premier article fera alors
rempli , & le nouvel ordre que je me fuis
impofé ne me permet pas de placer ces
écrits ailleurs .
APPROBATION.
J'fier , le Mercure de Fevrier , & je n'y ai rien
' Ai lû , par ordre de Monfeigneur le Chance
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion . A Paris
, ce 31 Janvier 1755. GUIROY,
216
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
IECES Fugitives en Vers & en Profe.
PIECES
Epitre à Mme la Comtefle de J **.
I ut raifon . Conte moral ,
La Mémoire & l'Oubli. Fable ,
page s
9
21
Les Modernes font- ils en effet plus éclairés ou plus
avancés que les Anciens dans le chemin de la
vérité ?.
Vers ,
Epitre à M. le Chevalier d'Aliez ,
La Dormeufe indifcrete. Nouvelle ,
Vers de M. le Préſident de Ruffey ,
22
33
34
37
Confidérations fur la reconnoiffance & fur l'ingratituce
,
Le Tableau & l'Eponge . Fable ,
Epitre aux Belles ,
Ode à M. le Duc d'Aiguillon ,
54
68
70
74
Mots des Enigme & Logogriphe du Mercure de
Janvier ,
Enigme & Logogryphe ,
78
ibid.
Avis de l'Auteur du Mercure , 80
Vaudeville Paſtoral ,
81
ARTICLE II. Nouvelles Littéraires , 83
Séance publique de l'Académie de Dijon , 109
Séance de l'Académie de Marfeille , 116
ART. III. Sciences & Belles - Lettres. 119
ART. IV . Beaux- Arts , 147
175
201
ART. V. Spectacles ,
France: Nouvelles de la Cour , de Paris , & c. 205
ART. VI, Nouvelles Etrangeres ,
Avertiffement ,
Morts ,
La Chanfon notée doit regarder la page 81 .
De Pimprimerie de Ch. A. JOM BERT.
210
211
MERCURE
DE FRANCE,
DÉDIÉ AU ROI.
MARS. 1755.
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine.
Chez
Cochin
Filiusinv
Rapillon Seulp 1715
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
PISSOT , quai de Conti .
LAMBERT , rue de la Comédie.
DUCHESNE , rue Saint Jacques ,
Avec Approbation & Privilege du Roi.
"
AVERTISSEMENT.
1
E Bureau du Mercure eft chez M.
LLUTION, Avoeat , & Greffier -Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers ,
C'est à lui qu'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. de Boiffy ,
Auteur du Mercure.
Le prix eft de 30 fols , & l'on payera
d'avance , en en s'abonnant , 21 livres pour
l'année , à raifon de quatorze volumes . Les
volumes d'extraordinaire feront également de
30 fols , fe payeront avec l'année qui les
Suivront.
Les perfonnes de province auxquelles on
l'envoyera par la poſte , payeront 31 livres
10 fols d'avance en s'abonnant , & elles le
recevront franc de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront que 30 fols par
volume , & 21 livres d'avance , en s'abonnant
pour l'année , fans les extraordinaires.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le Mer-
A ij
cure , écriront à l'adreſſe ci - deſſus.
On Supplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la pofte , en payant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le payement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteront au rebut.
L'on trouvera toujours quelqu'un en état
de répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi& Jeudi de chaquefemaine , aprèsmidi.
0000 00000000000
00000
MERCURE
DE FRANCE.
MARS.
1755.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
Pour mettre au deffous du portrait de M. de
Seychelles , Contrôleur Général , Sécrétaire
& Miniftre d'Etat.
T EL eft ce Miniftre fidelé ;
Placé par la vertu dans le confeil des Rois :
Son zéle , de Louis , juftifiera le choix :
C'eft Colbert qui revit fous les traits de Seychelle,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE .
A MADAME LA M. DE S ....
J E crains l'Amour ,
Je fuirai fon empire ,
Me difoit l'autre jour
La charmante Thémire.
Eh! pourquoi donc le redouter ainfi ?
Ses avantages font fans nombre ;
Raffurez-vous , ce n'eft pas un efprit ,
Vous vous effrayez de votre ombre.
Par M. de C. D.
AⓇ
MADRIGAL.
U tems heureux où regnoit l'innocence ,
On goûtoit en aimant mille & mille douceurs ;
Et les amours ne faifoient de dépenſe
Qu'en foins & qu'en tendres ardeurs.
Mais aujourd'hui , fans l'opulence
Il faut renoncer aux plaifirs ;
Un amant qui ne peut dépenfer qu'en foupirs
N'eft plus payé qu'en eſpérance.
MARS. 1755.
L'ORIGINE
DES EVENTAILS
A MADEMOISELLE ....
•
J'ai cru long moiſelle , qu-teemlses, aévveenctaviolussn,'éMtaodieen-t
autre chofe que l'invention de quelque artifan
affez habile pour avoir fçu (paffez- moi
la métamorphofe ) renfermer des zéphirs
dans un morceau de papier ou de taffetas.
Je n'y vois point d'autre avantage
Pour les Dames , que l'agrément
D'avoir à leur commandement
Le fouffle que zéphir avoit feul en partage
Avant que l'on eut l'art de captiver le vent.
Vous penfiez la même chofe , Mademoifelle
, mais nous ne connoiffions gueres
, ni l'un ni l'autre , la véritable origine
& les magnifiques propriétés des éventails .
J'ai été tiré d'erreur par l'aventure dont je
vous ai promis la narration ; elle vous paroîtra
merveilleufe , mais fongez que la
vérité même a fes merveilles , & que cette
hiftoire peut être vraie , quoiqu'elle ne
paroiffe pas tout-à-fait vraisemblable .
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
J'aime mieux , après tout , une plaifante fable ,
Qui peut mener l'efprit à quelque vérité ,
Que quelque hiftoire véritable ,
Sans but & fans moralité.
y aura un an l'été prochain , qu'après
m'être promené feul dans le Luxembourg
pendant un affez long tems , je fus me repofer
dans un bofquet de cet agréable jardin
, l'un des ornemens de Paris , quoique
la nature feule en faffe les frais , & que
l'art ne fe mette point en peine de le cultiver.
Il étoit près de huit heures du foir ; je
ne m'apperçus point en entrant dans le
bofquet que je marchois fur quelque chofe
; une efpéce de cri me fit regarder à
terre : un éventail fort joli étoit à mes
pieds ; je le ramaffai ; je ne fçais quel mouvement
fecret me fit defirer alors de connoître
la perfonne à qui cet éventail appartenoit.
Peut-être alors mon coeur étoit- il entraîné
Par ce doux inſtinct qui nous guide ,
Quand , par le moindre objet , l'homme eft déter
miné
A voler d'une aîle rapide
Wers le fexe enchanteur pour lequel il eft né.
Quoiqu'il en foit , je m'écriai fur le
MARS.
champ , & fans y penfer : à qui l'éventail ?
perfonne ne m'ayant répondu , j'allois le
mettre dans ma poche , lorfqu'une voix
me cria ; ami , que ne daignes-tu me demander
à moi -même à qui j'appartiens ?
Vous jugez bien , Mademoifelle , que
cette voix me furprit étrangement. Je regardai
de tous côtés , je ne découvris perfonne
l'épouvante commença à fuccéder
à l'étonnement : étoit- ce un démon ? étoitce
un génie ? les uns & les autres habitent
les bofquets. Cette voix n'avoit point un
corps , ou ce corps étoit invifible : dans
cette étrange conjoncture , je me rappellai
le fens du difcours , & mon étonnement
redoubla ; il paroiffoit même que l'éventail
m'avoit apoftrophé : nouveau fujet d'inquiétude
.
» Je vois ta ſurpriſe ( continua la voix ) ;
» c'eſt une preuve de ton ignorance.
Ami , tulanguis , je le voi ,
Dans les préjugés du vulgaire ;
Ton efprit ne recherche & ne découvre en moi
Qu'un inftrument fort ordinaire.
Je fçais qu'un éventail , pour un eſprit borné ,
N'eft qu'un morceau d'ivoire , un taffetas orné
D'une peinture inanimée :
Tandis qu'aux Dames deſtiné
Ce bijou , d'un zéphif , tient l'ame renfermée.
A v
10 MERCURE DE FRANCE .
Ainfi donc , ô mortels ! à l'écorce attachés ,
Vous voyez tout le refte avec indifférence ;
Etfous nombre d'objets fimples en apparence
Vous ne pénétrez pas quels tréfors font cachés .
La voix pourfuivit , affis -toi fur ce ga
zon , approches l'éventail de ton oreille
& redoubles d'attention .
L'éventail que tu tiens n'eft autre chofe
qu'un malheureux zéphir , à qui fon inconftance
a couté cher.
J'aimois Flore , & j'en étois aimé , lorfque
ma légereté naturelle me fit voler vers
Pomone ; je trouvai fon coeur occupé ,
Vertumne étoit heureux .
Après avoir parcouru les états de quelques
autres divinités , je revins à Flore ;
elle m'aimoit toujours , & elle me pardonna
ma petite infidélité.
En amour la défertion
Nous infpire fouvent une ferveur nouvelle
Pour le premier objet de notre paffion.
Ne craignons point l'impreffion
Qu'une infidelité fera fur une belle ,
Pourvû que le bon goût & la réflexion,
Sçache nous ramener à propos auprès d'elle :
De ne faire jamais qu'un choix ,
Belles, fi vos amans fe faifoient une affaire ;
MARS. II 1755.
Votre gloire y perdroit , c'eft une choſe claire ;
De quatre amans , foumis tour à tour à vos loix ,
Il faudroit en retrancher trois.
Il faut bien , pour vous fatisfaire ,
Que notre coeur ait quelquefois
Des facrifices à vous faire.
Suivant cette maxime , mon retour vers
La Déeffe ne me guérit point de l'inconftance
; on eût dit que j'étois né François .
Lorfque je revins à la cour de Flore , j'y
trouvai une jeune nymphe fort aimable ,
& que je n'avois pas encore vûe ; on la
nommoit Aglaé : la voir & l'aimer fut mon
premier mouvement ; le fecond fut de
chercher à lui plaire. Aglaé avoit un coeur
neuf : conquête flatteufe ! je n'épargnai
rien pour me la procurer ; mais ce n'étoit
pas fans précautions : mon humeur volage
avoit rendu Flore clairvoyante.
Ce n'étoit pas une merveille.
Un amour trop certain de fa félicité ,
S'affoupit dans les bras de la fécurité ;
Mais il s'agite & ſe réveille ,
Dès qu'il entend la voix de l'infidelité .
J'étois obfervé de fi près que je fus
bien huit jours entiers à brûler conftamment
fans pouvoir le déclarer à l'aimable
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Aglaé ; cependant au bout de ce long ter
me , Flore ayant été appellée au confeil
des Dieux , pour l'ornement d'une fête que
Jupiter vouloit donner , fon abſence me
laiffa la liberté d'entretenir mon adorable
nymphe : je ne fçais fi elle avoit deviné
que j'aurois à lui parler ; elle fe difpenfa ,
fur quelque prétexte , de fuivre la Déeffe.
Quant à moi je trouvai le fecret de m'échapper
de la falle du confeil olympique ,
& je volai vers Aglaé .
Elle fe promenoit dans les jardins del
Flore : eh quoi ! me dit- elle d'un air tout
charmant , vous n'êtes donc pas refté avec
la Déeffe ? croyez- vous , lui dis- je , ô mon
aimable Aglaé , qu'il y ait des fêtes pour
moi où vous n'êtes pas ? alors je me jettai
à fes genoux , & je lui déclarai avec tranfport
l'amour qu'elle m'avoit infpirée.
Que faites-vous ? s'écria-t elle , que deviendrois-
je fi Flore nous furprenoit enfemble
? Ne craignez rien , chere Aglaé ,
Flore eft retenue dans les cieux ; n'ayez
d'attention que pour un amant qui ne voit
que vous.
Ah ! par une crainte frivole
Pourquoi troublerons -nous ces momens fortunés ?
Déja cet heureux tems s'envole ,
Cruelle , & vous l'empoifonnez.
MARS. 1755 : 13
Hélas ! me répondit Aglaé , avec une
fimplicité trifte & naïve , je vous écoutois
il y a quelques jours parler à Flore , vous
fui juriez un amour éternel , & vous m'aimez
, dites-vous ? Oui , répliquai -je auffitôt
en prenant une de fes belles mains :
oui , belle Aglaé , je vous adore , & je
n'adore que vous feule ; êtes - vous déterminée
à m'ôter tout eſpoir , à moi , l'amant
le plus tendre & le plus fidele qui fut
jamais ?
Sur ces fermens , continua l'Eventail ,
en s'interrompant lui - même , vous me
croyez peut- être le plus traître de tous
les zéphirs , vous m'accufez de perfidie . t.
Mais ce feroit me faire injure ;
L'inconftance eft l'effet d'une invincible loi :
Et l'amant volage eſt parjure
Sans être de mauvaiſe foi.
Cependant le ceeur rempli de ma nouvelle
paffion , j'attendois aux pieds d'Aglaé
qu'elle daignât prononcer mon arrêt : Levez
-vous , me dit - elle , je tremble que
Flore ne furvienne . Eh ! quoi , lui répliquai-
je , toujours des craintes , & pas
le
moindre efpoir ! Que voulez- vous que je
vous dife , me répondit Aglaé , en tourmant
vers moi les plus beaux yeux du monde
? .... Ah ! Zephir , vous avez aimé
12 MERCURE DE FRANCE.
Aglaé ; cependant au bout de ce long ter
me , Flore ayant été appellée au confeil
des Dieux , pour l'ornement d'une fête que
Jupiter vouloit donner , fon abfence me
laiffa la liberté d'entretenir mon adorable
nymphe : je ne fçais fi elle avoit deviné
que j'aurois à lui parler ; elle fe difpenfa ,
fur quelque prétexte , de fuivre la Déeſſe.
Quant à moi je trouvai le fecret de m'échapper
de la falle du confeil olympique ,
& je volai vers Aglaé.
Élle ſe promenoit dans les jardins de
Flore : eh quoi ! me dit- elle d'un air tout
charmant , vous n'êtes donc pas refté avec
la Déeffe ? croyez- vous , lui dis- je , ô mon
aimable Aglaé , qu'il y ait des fêtes pour
moi où vous n'êtes pas ? alors je me jettai
à fes genoux , & je lui déclarai avec tranfport
l'amour qu'elle m'avoit infpirée.
Que faites-vous ? s'écria-t elle , que deviendrois-
je fi Flore nous furprenoit enfemble
? Ne craignez rien , chere Aglaé ,
Flore eft retenue dans les cieux ; n'ayez
d'attention que pour un amant qui ne voit
que vous.
Ah ! par une crainte frivole
Pourquoi troublerons-nous ces momens fortunés ?
Déja cet heureux tems s'envole ,
Cruelle , & vous l'empoifonnez.
MARS . 1755: 13
Hélas ! me répondit Aglaé , avec une
fimplicité trifte & naïve , je vous écoutois
il y a quelques jours parler à Flore , vous
fui
juriez un amour éternel , & vous m'aimez
, dites-vous ? Oui , répliquai-je auffitôt
en prenant une de fes belles mains
oui , belle Aglaé , je vous adore , & je
n'adore que vous feule ; êtes- vous déterminée
à m'ôter tout eſpoir , à moi , l'amant
le plus tendre & le plus fidele qui fut
jamais ?
Sur ces fermens , continua l'Eventail ,
en s'interrompant lui - même , vous me
croyez peut-être le plus traître de tous
les zéphirs , vous m'accufez de perfidie.
Mais ce feroit me faire injure ;
L'inconftance eft l'effet d'une invincible loi :
Et l'amant volage eft parjure
Sans être de mauvaiſe foi.
Cependant le ceeur rempli de ma nouvelle
paffion , j'attendois aux pieds d'Aglaé
qu'elle daignât prononcer mon arrêt : Levez
- vous , me dit - elle , je tremble que
Flore ne furvienne . Eh ! quoi , lui répliquai-
je , toujours des craintes , & pas
moindre efpoir ! Que voulez- vous que je
vous dife , me répondit Aglaé , en tourmant
vers moi les plus beaux yeux du monde
? .... Ah ! Zephir , vous avez aimé
le
14 MERCURE DE FRANCE.
1
Flore ..... que je ferois à plaindre fi vous
changiez une feconde fois ! A ces mots
elle difparut.
Depuis ce moment elle m'évitoit , elle
s'obfervoit elle - même , elle fembloit fe repentir
d'une indifcrétion ; enforte que je
fus quelques jours fans pouvoir m'affurer
plus pofitivement de fes difpofitions à mon
égard : peut-être , me répondrez - vous ,
qu'elle m'en avoit affez dit à
Mais quel eft l'aveu favorable
Qui foit , je ne dis pas égal , mais comparable
A ce je vous aime charmant
Que l'on trouve fi defirable ?
Ces trois mots échappés d'une bouche adorable ,
Peuvent feuls contenter la maîtreffe & l'amant .
L'attente d'un aveu fi cher m'avoit rendu
rêveur contre mon ordinaire . Ma rêverie
me conduifit un jour dans une allée
fombre où le promenoit Aglaé. Dès qu'elle
me vit , elle entra , pour m'éviter , dans un
cabinet de rofiers , voifin d'un bofquet de
myrtes , où Flore alloit quelquefois fe repofer.
La jeune Nymphe ne foupçonnoit
pas que je l'euffe apperçue : j'étois à fes
genoux avant qu'elle eût fongé à m'ordonner
de me retirer . Elle voulut fortir ; je
Parrêtai : Ne craignez rien , lui dis-je , belle
Aglaé !
MARS . 1755.
Que mon empreffement ne vous foit point fufpect
:
Ma tendreffe pour vous eft pure & légitime ;
Le véritable amour est fondé fur l'eftime ,
Et l'eftime eft fuivie en tout tems du reſpect.
- Elle parut fe raffurer : une défiance affectée
eft fouvent plus dangereufe dans ces
occafions qu'une noble confiance mêlée
d'une fierté qui en impoſe à l'amant le plus
empreffé.
Je me défierois d'une prude
Qui me quitteroit brufquement ,
Ou me chafferoit d'un air rude ;
La vertu bien fincere agit tout fimplement.
4
Nous nous mîmes à caufer tranquillement.
Aglaé continua de cueillir des rofes
pour s'en faire un bouquet. J'en avois apperçu
une , la plus belle du monde , dans
un coin du cabinet : j'allois la cueillir
lorfqu'une épine me piqua fi vivement
qu'il m'échappa une plainte que la tendre
Aglaé accompagna d'un cri,: tous deux
nous trahirent .
Hélas ! les rofes les plus belles ,
Et qui par leur éclat charment le plus nos yeux ,
Cachent aux regards curieux
Les épines les plus cruelles.
16 MERCURE DE FRANCE.
Le plus fage feroit de n'en point approcher.
Mais , quoi ! de tant d'attraits le ciel les a pour
vûes ,
Que du moment qu'on les a vûes
On rifque tout pour les toucher .
Flore dormoit dans le bofquet demyrte ;
le cri d'Aglaé la réveilla ; elle accourut dans
le cabinet des rofiers : Dieux ! quel fut fon
étonnement ! Aglaé étoit affife fur un banc
de gazon , j'étois à genoux devant elle ,
tandis qu'avec un mouchoir de mouffeline
, l'aimable Nymphe fe hâtoit d'étancher
le fang qui fortoit de la piquûre que
je m'étois faire : la bleffure en elle-même
étoit peu de chofe ; mais eft - il de légers
accidens en amour ? Aglaé découvroit dans
fon action cet empreffement mêlé de crainte
que l'on a dans ces fortes d'occafions
pour les perfonnes que l'on aime.
En amour , le péril eft la pierre de touche :
Alors , quoiqu'une belle ait formé le projet
De tenir en filence & fes yeux & fa bouche ;
Dans le moindre accident qui frappe un cher ob
jet ,
L'ame fe réunit à celle qui la touche , :
Et la beauté la plus farouche
De fes craintes bientôt découvre le fujet.
Cette entrevûe auffi fatale pour nous
MARS. 1755. 17
que pour la Déeffe , ne fit que juftifier des
foupçons qu'elle avoit déja conçus : elle
diffimula cependant , & parut même plus
tranquille fur mon compte ; mais elle méditoit
une vengeance qui devoir m'ôter
pour toujours le defir , ou , fi vous voulez
, le plaifir de changer .
Quelques jours après cet incident , Flore
fit avertir Aglaé de venir lui parler en
particulier la pauvre Nymphe obéit en
tremblant. Raffurez- vous , lui dit -elle , je
ne veux point vous faire de mal ; je fuis
charmée , puifque Zéphir m'abandonne
que ce foit du moins pour une perfonne
qui le mérite. Mais , Aglaé , quand vous
lui avez permis quelque efpérance , avez .
vous bien refléchi fur le caractere de votre
amant ? les fermens qu'il vous a faits fans
doute , ne me les avoit- il pas faits à moi
même ? que dis-je ? ne me les avoit- il pas
mille fois réitérés ? avez - vous plus d'em
pire fur lui que je crois en avoir ? & s'il
change encore quelle fera votre deftinée
?
>
Au commencement de ce difcours
Aglaé n'avoit reffenti que de la confufion :
ces derniers mots lui firent répandre des
larmes ; elles furent fa réponſe.
Je vous plains d'autant plus , continua
la Déeffe , que vous aimez de bonne foi
18 MERCURE DE FRANCE.
le plus volage de tous les amans ; il eft cependant
pour vous un moyen de prévenir
fon infidélité. On vient de me faire préfent
d'une petite baguette d'ivoire qui a
la vertu de fixer les inconftans : je vous
la donne , j'en aurois fait ufage pour moimême
, fi Zéphir ne m'eût point quittée
pour vous : il n'eft plus tems , & peut-être
même que demain il feroit trop tard pour
vous.
Incapable de trahisons ;
La fincere vertu l'eft auffi de foupçons.
Aglaé ne vit dans cette offre de Flore
qu'une marque de protection . Elle fortit
après avoir baifé la main de la Déeffe
avec le témoignage de la plus vive reconnoiſſance
. Hélas ! elle ne prévoyoit pas
combien ce préfent alloit nous être fatal
à tous les deux .
Elle accourut d'un air gai me faire part de
la prétendue clémence de Flore ; mais elle
ne me dit rien de la fatale baguette, dans la
crainte apparemment d'en empêcher l'effet .
Je ne me défiois de rien : la gaité d'Aglaé
me charmoit ; je me mis à folâtrer avec
elle : j'apperçus la petite baguette d'ivoire ,
je la trouvai jolie : je voulus la dérober ' ;
Aglaé la retint , elle m'en donna en badiMARS.
1755 . 19
nant de petits coups fur les ailes : funefte
badinage !
A peine cus-je été frappé du fatal préfent
de Flore , qu'il fe fit en moi une métamorphofe
auffi prompte que prodigieufe.
La baguette enchantée fe fendit en plu
fieurs petites languettes minces qui forment
les bâtons que vous tenez : mes aîles
s'étant réunies auffi - tôt , fe colerent fur
l'ivoire , & formerent ce que l'on appelle
vulgairement un éventail fuis toujours
Zéphir , quoique j'aie perdu mon ancienne
forme.
En fuis-je donc moins eftimable
N'ai- je pas confervé l'heureufe faculté
De répandre dans l'air cette fraîcheur aimable
Qui défend la beauté
Contre les chaleurs de l'été ?
En vain l'aftre du jour veut lui faire la guerre ,
J'ai l'art de l'en débarraffer.
Ce font toujours les fleurs que j'aime à careffer ;
Non celles qu'autrefois j'aimois dans un parterre ,
Mais celles que les Dieux ont pris foin de verfer
Sur le teint éclatant des Reines de la terre.
Mon changement en éventail fut pour
Aglaé le coup le plus terrible . J'ai fçu depuis
qu'elle n'avoit pû furvivre à mon
malheur , & j'ofe ajouter au fien . Pou
20 MERCURE DE FRANCE.
voit elle defirer de me fixer à ce prix ?
J'ai paffé en différentes mains depuis ma
métamorphofe ; les Dieux m'ont laiffé l'ufage
de la parole pour inftruire l'univers
de mon origine & de mes différentes propriétés.
Comment ( dis- je au Zéphir métamor
phofé ) , vous fervez donc à plus d'une
chofe ?
Que tu es novice , me répondit-il , Â
tu ignores en combien de manieres je puiš
être utile au beau fexe !
Vas , crois- moi , ce feroit trop peu pour
les Dames de n'avoir en moi qu'un zéphir
à leurs ordres , il eft des occafions où je
leur fuis d'une toute autre utilité.
Croirois-tu , par exemple , que j'ai bonne
part à certaines converfations ? Il y a
quelque tems que j'appartenois à une jeune
veuve , qui dans ces fortes de cas
fe fervoit de moi merveilleufement bien.
Comme elle a de la beauté , mais peu
d'efprit ,
S'entend-elle agacer par quelque compliment
Elle répond fuccintement ;
Mais elle fçait en récompenſe
Badiner fort éloquemment
Avec fon éventail , dont le jeu la difpenfe
De s'énoncer plus clairement :
MARS. 1755. 21
O! l'agréable truchement !
Sans faire plus grande dépenſe
Et d'efprit & de jugement ,
Dans un cercle , Cloris fe donne adroitement
L'air d'une perfonne qui penſe ;
Et l'évantail alors fert admirablement.
Elle le tient appuyé fur fes levres , à peu
près dans l'attitude du Dieu du filence repréfenté
tenant un cachet ou fon doigt fur
fa bouche. C'eft ainfi qu'une fotte rêverie
paffe pour une fpirituelle méditation .
Que de Dames fort eftimables d'ailleurs , à
qui il n'en a jamais coûté qu'une femblable
attitude , pour fe donner dans le monde
la réputation d'êtres penfans !
yeut-on de l'éventail faire quelqu'autre ufage ?
Que l'on me tienne déployé ,
Et qu'alors je fois employé
A cacher , de côté , la moitié du viſage :
Voilà dans un monde poli-,
Et le voile le plus modeſte ,
Et le mafque le plus joli
Pour en faire accroire de refte ,
Aux oncles , aux tuteurs , aux papas , aux ma
mans ,
Aux maris , & même aux amans, -
C'eft ainfi qu'à fa confidente ,
Ou bien à fon héros , une fille prudente
22 MERCURE DE FRANCE.
Parle à l'abri de l'éventail ;
Car on n'affiche plus l'amour à fon de trompe ,
Et ce n'eft plus en gros , meres , que l'on vous
trompe :
On aime à petit bruit , & l'on dupe en détail.
Cette façon de mafque eft encore à l'ufage
des Dames , qui fe difent à l'oreille
de jolis riens ; elles leur donnent par là
un air d'importance & de myftere. Autre
avantage que l'on retire de l'éventail,
Sur l'objet de fa paſſion ,
L'éloquence d'un homme aimable
Fait-elle quelque impreffion ?
On cache une rougeur ou fauffe ou véritable
Avec un éventail , dont on fçait ſe couvrir ;
Et quelquefois auffi c'eft un tour plein d'adrefle
Pour faire deviner des fignes de tendreffe
Que la bouche balance encore à découvrir.
Un jeune Cavalier , moins fage qu'amoureux ¿
Qu'un tendre aveu rend téméraire ,
Ofe-t-il hazarder quelque gefte contraire
A ce que la décence exige de fes feux
Mieux que par une réprimande ,
Par un coup d'éventail , le tendron irrité
En impofe au galant , qui s'étoit écarté
la raifon commande .
De ce que
Mais j'entends que l'on me demande
Si le coup d'éventail eft donné des plus lourds ;
MARS.
23 1755 .
Je réponds : des amans faifons la différence ,
On bat ceux que l'on voit avec indifférence
Mais on fait patte de velours
Sur le galant de préférence ,
Au furplus , cette partie de mon exer
cice eft celle qui demande le plus de précifion
l'amour eft un enfant bien malin ;
fouvent on l'agace en croyant le rebuter ;
c'eſt aux Dames à ne pas s'y méprendre .
:
Que vous dirai-je encore ? je connois
une vieille Marquife , dont la foibleſſe eſt
de vouloir être regardée : elle y réuffic
quelquefois par la fingularité de fon ajuſtement.
Il y a quelque tems qu'elle fe faufila
dans une compagnie de jeunes perfonnes
de l'un & de l'autre fexe ; elle quête
des regards , à peine y fait- on attention :
la pauvre
Marquife
étoit
ifolée
au milieu
de douze
perfonnes
. Pour
derniere
reffource
, elle laiſſe
tomber
fon éventail
;
un jeune
homme
le ramaffe
, le rend poliment
à la Marquife
, & fe tourne
de l'autre
côté. La formalité
remplie
, il ne fut
pas feulement
queſtion
d'un clin d'oeil
, il
fallut
fortir
fans avoir
eu le bonheur
de fe
faire
regarder.
Une jeune Agnès fe fert plus heureuſement
du même ſtratagême ; fon amant lui
écrit , elle fait une réponse ; l'embarras eft
24 MERCURE DE FRANCE.
de la donner fans que l'on s'en apperçoive
; on attend l'occafion que l'on foit à
côté l'un de l'autre : l'Agnès laiffe adroitement
tomber l'éventail , le jeune Cavalier
le ramaffe , le préfente à fa maîtreffe , qui
faifit l'inftant pour lui gliffer dans la main
le billet qu'elle tehoit tout prêt dans la
fienne .
Eh ! que d'autres beautés en uferoient
ainfi !
Quelquefois
il arrive auffi
Qu'avec un air diftrait & fimple en apparence ,
Mais au fond , avec un air fin ,
En fe mettant au jeu , l'on donne à ſon voiſin
L'éventail à garder : aimable préférence !
Enfuite on feint de l'oublier
Lorfqu'à s'expliquer on héfite ,
Et cet heureux oubli fournit au cavalier
Un pretexte innocent de premiere vifite..
En un mot , je n'aurois jamais fait fi je
voulois vous développer dans toutes fes
parties le fublime exercice de l'éventail :
il répond à ceux du chapeau , de la canne ,
& de la tabatiere ; c'eft tout dire.
Et je ne vous parle que de ce que je
fçais , fans compter les méthodes que je
puis ignorer , mes confreres les ayant imaginées
fans moi . Car il eft bon de vous
dire que plufieurs zéphirs ont été tentés ,
fur
MARS . 1755. 25
fur mon exemple d'être métamorphofés en
éventails ; quelques uns par malice , d'autres
pour réparer de bonne foi la réputation
de légereté qui les avoient perdus
auprès des Dames , par les fervices continuels
qu'ils leur rendent ; & les Dames ,
à leur tour , par un motif de reconnoiffance
ou d'intérêt , ne nous abandonnent
pas même dans la faifon où les zéphyrs
font de trop preuve remarquable de toutes
nos autres propriétés,
Que d'éventails grands & petits ,
Pourroient vous raconter la choſe ;
Si tous les inconftans étoient affujettis
A la même métamorphofe ?
On affure même , continua le zéphyr ,
que les Cavaliers François , & fur-tout les
petits-maîtres , ont imaginé depuis peu
de porter en été des éventails de poche .
Après avoir partagé avec les Dames les .
mouches , le rouge , & les ponpons , je ne
crois pas que ces Meffieurs rifquent de
paroître plus ridicules en partageant auffi
l'exercice de l'éventail.
A peine mon zéphyr hiftorien eut - il
achevé ces mots , que je fus abordé par
un grand jeune homme , qu'il me dit être
de robe : il me demanda fi dans ce même
endroit je n'avois pas trouvé par hazard
B
26 MERCURE DE FRANCE .
l'éventail qu'une Dame avoit égaré. Pendant
qu'il me faifoit une longue defcription
de l'éventail , le zéphyr me dit
à l'oreille : voilà le favori de ma maîtreffe ;
c'est une actrice fort aimable : ce jeune
Confeiller l'avoit accompagnée dans ce
bofquet ; mais dès qu'ils ont apperçu certain
plumet , concurrent redoutable pour
un homme de robe , ils fe font levés avec
tant de précipitation que l'éventail eft reſté
fur la place. Cela m'arrive fouvent dans les
tête-à-têtes. Adieu .
Je rendis au Confeiller l'éventail de fa
Déefle , & je me retirai plein de réflexions
qu'une matiere auffi intéreffante ne doit
pas manquer d'infpirer .
Voilà , Mademoiſelle , l'Origine des éventails.
Et voilà , foit dit entre nous •
Ce que je n'aurois point griffonné pour toute autre.
A propos d'éventail , fi l'Amour d'un air doux
Venoit fe mettre à vos genoux ,
Croyez-moi , fervez - vous du vôtre
Pour le repouffer loin de vous ;
Je le connois , le bon apôtre ,
Le plus fage fait bien des fous.
MARS. 1755. 27
A MADEMOISELLE D. L. R.
LE tendte Dieu qu'on adore à Cythere ,
Des foins du trône un jour ſe trouva las :
Car fur le trône , en dépit du vulgaire ,
Le vrai bonheur ne fe rencontre pas.
L'Amour voyoit de fon heureux empire ,
De jour en jour les bornes s'élargir :
Le pauvre Dieu n'y pouvoit plus fuffire ,
Et ne fçavoit fur quel pied fe tenir.
On dit qu'enfin il fut trouver la mere ,
Qui repofoit , non pas entre deux draps ,
Mais fur un lit de naiffante fougere ;
En larmoyant il lui conte le cas .
Dans les beaux yeux la trifteffe étoit peinte ,
Il ne pouvoit en fupporter le poids.
Il termina fa touchante complainte
En dépofant & fleches & carquois.
Il eſpéroit , dans un rang plus modefte ,
Trouver enfin la fource du bonheur.
Vénus fourit , & fon fouris céleſte
De Cupidon allégea la douleur.
Allez , mon fils , retournez à Cythere ,
Dit la Déeffe , & dans peu mes bienfaits_
Vous apprendront que je fuis votre mere.
En d'autres mains je remettrai vos traits ;
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Ces traits vainqueurs , dont la trifte puiffance
A de foucis empoisonné vos jours .
2
2
Le Dieu content applaudit en filence ;
Puis embraffant la Reine des amours
Les yeux baiffés , s'envole à tire d'aîle ,
Rempli d'efpoir & de férénité ,
Se repofant fur bonté maternelle,
Vénus alors , avec tranquillité ,
Fit l'examen de l'affaire nouvelle ;
Et tôt après convoqua fon confeil..
Les ris , lesjeux , fon cortege fidele ,
Vinrent en foule en fuperbe appareil .
Enfuite on vit les trois Graces paroître ;
Sur leurs appas on les complimenta :
De la fleurette on eût paflé peut - être
A d'autres faits , quand Vénus arrêta
Les complimens . On fait un grand filence ;
Et la Déeffe expofe en abrégé
Le cas fufdit à toute l'affiftance .
Le fentiment ſe trouve partagé.
1
Nul n'eft d'accord ; on raifonne , on opine ;
Et le defordre alloit toujours croiffant :
Quand tout-à- coup , la fçavante Euphrofine
deux mots ceffer le différend .
Fit
par
Tel on nous peint le Mentor pacifique ,
Qui defarma la rage des foldats ,
Et fit enfin , par un trait politique ,
Naître la paix au milieu des combats.
Donnez , dit- elle , à la jeune Thémire ,
MARS . 29 1755.
De Cup idon les redoutables traits .
De fes beaux yeux , de fon tendre fourire ,
Ja plus d'un coeur a fenti les effets ;
Mais quand ces traits feront en ſa puiſſance ,
L'Amour fera de foins débarraffé .
Sur ce fujet ( foit dit fans conféquence )
C'eſt le parti , je crois , le plus fenfé.
Ainfi finit fon difcours laconique ,
Et de bon coeur tout le monde applaudit ;
Car en ce tems la jaloufe critique
Chez les Amours n'avoit aucun crédit.
On donna donc à l'aimable Thémire
Les traits d'Amour , & bientôt les mortels ,
Soumis aux loix de fon nouvel empire ,
Vinrent en foule encenfer fes autels.
B
E NVO I.
Eauté pour qui ces vers font faits ;
Et que mon coeur connoît pour fouveraine ;
Marquez vos jours par vos bienfaits ,
N'affectez point d'être inhumaine.
Couronnez un fincere amant ,
Qui dès long- tems pour vous foupire ,
Et que de votre aimable empire ,
La bonté foit le fondement.
De Rouen , ce 26 Juin 1754.
L ....
B iij
30 MERCURE DE FRANCE .
PORTRAITS
DES QUATRE PREMIERS PEINTRES
D'ITALIE.
Raphaël d'Urbin.
U vol qu'au ciel fit Promethée ,
Voici le receleur ; c'eft le grand Raphaël.
Des objets qu'il nous peint la vûe eſt enchantée ,
Ils femblent animés par un fouffle immortel.
La nature qui les admire ,
De fes graces y voit le tableau raviffant :
Elle rêve ; auffi- tôt la jaloufe foupire
De trouver un rival dans fon fidele amant.
Michel- Ange des Batailles.
La couleur vigoureuſe , une touche légere ;
Animent ces marchés , ces foires , ces troupeaux
Par tout je fens , du goût , l'empreinte finguliere ;
Le jovial auffi perce dans ces tableaux .
En ce champ la valeur de lauriers fe couronne :
Quel carnage ! quel feu ! je vois le fang couler !
Mars applaudit Michel ; il femble l'appeller
Du nom que l'amateur lui donne.
L'Albane.
Les amours par effains naiffent fous tes pinceaux:
MAR S. 1755. 31
Les Nymphes , Cypris même ont par toi plus de
charmes :
Je préfere à Paphos l'aſpect de tes tableaux ,
Mon coeur vaincu par eux eélebre enfin ces armes .
La nudité s'y montre avec un air décent ,
Et rend plus délicat le plaifir qu'elle inſpire .
L'Albane , je te dois mon unique élement ;
Tes travaux font que je refpire .
Le Correge.
Sur les aîles de ton génie ,
Tu t'élevas à l'immortalité :
La figure , par ta magie ,
Plane au fein de l'air agité."
Un fouffle femble'avoir fait ce miracle ;
Les maîtres même en font furpris ;
Raphaël * n'ofa point hazarder ce ſpectacle ,
Lui feul pouvoit te difputer le prix.
* Raphaël , pour éviter le raccourci des figures
qu'il n'entendoit point parfaitement , feignit de
peindrefes fujets fur des tapifferies attachées au mur.
C'est ainsi que font exécutés les deux morceaux de
Pfiché qui font au petit Farnese , la bataille de
Conftantin , les trois autres traits de la vie de cet
Empereur , enfin les quatre fujets du plafond de la
premiere chambre de la fignature au Vatican. Le
Correge fut plus hardi , fon fuccès mérite les plus
grands éloges : c'est ce qu'en général on ignore en
France, où ce maître n'eft gueres connu que par fes
belles métamorphofes , & par de féduifans tableaux
de chevalet.
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
DOUTES SUR L'EXISTENCE
Y
D'UN PUBLIC.
>
a-t-il un public n'y en a- t- il point ?
C'eft un problême qui devient chaque
jour plus difficile à réfoudre. Peut - être il
y a vingt ans qu'il en exiftoit un , & qu'on
pouvoit y croire. On le trouvoit aux fpectacles
; fa vóix alors s'y faifoit entendre
avec ce ton de liberté que donne l'indépendance.
Il prononçoit debout , mais fouverainement
fur les piéces de théatre
dont il faifoit lui feul la deftinée . Il donnoit
même le ton aux fpectateurs affis , &
la Chambre haute n'étoit que l'écho de celle
des Communes. On le trouvoit encore
dans le monde parmi la multitude des
lecteurs , qui décidoit d'un ouvrage d'agré
ment , fans efprit de cabale , d'après le
plaifir ou l'ennui que lui avoit caufé fa
lecture quand il paroiffoit un livre de
fcience , on reconnoiffoit auffi ce public
dans le grand nombre des vrais fcavans
qui feuls jugeoient de fon mérite fans en-
& faifoient fon fuccès avec connoiffance
de caufe. Juge né des arts , des
talens & des emplois , comme il appré-
و
MAR S. 1755. 33
cioit les premiers fans prévention , qu'il
protégeoit les feconds avec difcernement ,
& qu'il nommoit aux derniers fans partialité
, il étoit confulté pour être fuivi ;
tout reffortiffoit à fon tribunal . Mais infenfiblement
il s'eft élevé des jurifdictions
particulieres qui ont ufurpé fes
droits. Chaque fociété a prétendu être le
vrai public comme la bonne compagnie.
Paris s'eft partagé en différens partis. Par
cette divifion le bon goût eft devenu problématique
, la véritable croyance douteufe
, & l'autorité d'un public légitime a
ceffé d'être une . Elle fe trouve aujourd'hui
abforbée par la multiplicité des prétentions
fans titres , au point que les parti
culiers font tout , & que le public n'eft
rien . Chacun s'érige un tribunal qui méconnoît
tous les autres , ou s'il admet un
public , il le borne dans le cercle de fes
amis ou de fes connoiffances . Les fentimens
varient & fe croifent dans chaque
quartier de là vient , fur tout ce qui paroît
, cette diverfité d'opinions , & cette
incertitude de jugemens . Tous ces petits
publics , ou foi - difans tels , fe fuccédent
pour fe contredire . L'un exalte une piéce
ou un livre le matin , l'autre le profcrit
l'après - midi , un troifiéme le rétablit le
foir : ainfi le fuccès des ouvrages demeure
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
indécis , & les divers jugemens qu'on en
porte font nuls. Un arrêt caffe l'autre.
On en doit faire d'autant moins de cas
qu'ils font dictés par la mauvaiſe foi ou
par le mauvais goût , & fouvent par tous
les deux enfemble. Faut - il s'en étonner ?
Chaque juge tient à une fociété rivale
d'une autre ; c'eft dire qu'il eft partial . Le
grand nombre eft auteur par mode , conféquemment
pointilleux , faux bel efprit
& jaloux par état. On craignoit autrefois
d'afficher ce nom , on veut le porter aujourd'hui
en dépit de la nature. On s'eft
corrigé d'une fottife , on donne dans un
travers. L'efprit eft le fanatifme de la nation
: c'eſt un mal épidémique qui a gagné
la capitale , & qui de là s'eft répandu dans
la province ; il fe communique même aux
plus fots. Un homme qui pendant trente
ans aura paffé pour tel fans injuſtice , rentre
chez lui , s'endort fur une tragédie ; il
rêve qu'il eft poëte : ce fonge fe grave fi
profondément dans fon ame , qu'il le
croit en s'éveillant. Il s'étoit couché bête
la veille , il ſe leve bel efprit le lendemain .
Pour réalifer fon rêve , il écrit , il rime
une piéce ; il la fait jouer , qui pis eft , imprimer.
Il est vrai qu'on lui rend juſtice ,
on la fiffle , c'eft - à-dire qu'il fe trouve plus
fot qu'auparavant : il l'étoit obfcurément
MARS . 1755. 35
fans être affiché ; il l'eft alors en titre &
folemnellement. Tel rit de cet homme là ,
qui fait peut-être fon fecond tome.
Une autre caufe de la révolution ou du
renverſement qui s'eft fait dans la littérature
, & qui a donné une nouvelle atteinte
à l'autorité du public , c'eſt * la multitude
de brochures journalieres & des écrits périodiques.
Comme tout le monde lit &
que perfonne n'étudie , qu'on aime à voler
fur toutes les furfaces fans s'attacher à aucune
, & à raifonner de tout fans rien ap
profondir , on parcourt ces feuilles légerement
pour décider de même. On a la fureur
de juger , on eft le Perrin Dandin des
plaideurs on s'affolipit comme lui fur
l'inſtruction , on prononce à demi - endormi
, & on condamne un chien aux galeres .
>
C'eft ainfi que la fievre d'écrire & la
rage de décider partagent les efprits &
forment deux ordres différens dans l'empi
re des Lettres & des Arts : la claffe des
auteurs & des hommes à talens ; celle des
connoiffeurs qui les jugent , & des ama-
L'abus n'eft que dans le grand nombre. If
feroit à fouhaiter qu'on réduifft toutes ces feuiltes
à l'Année Littéraire . Le bon goût y regne avec
Félégance du ftyle ; elles pourroient alors fervir
d'école aux jeunes auteurs , & fouvent d'inftruc
tion aux perſonnes du monde.
B vj
36 MERCURE DE FRANCE .
teurs qui les protegent . Ces derniers ont la
prééminence ; ils occupent , pour ainfi dire ,
le thrône de l'efprit ; ils en deviennent
quelquefois les tyrans .
Le beau fexe leur difpute le fceptre des
arts ; il étend même fa domination fur tou
te la littérature. S'il fe bornoit à la partie
agréable , on feroit charmé de l'avoir pour
maître & pour modele , même on lui par
donneroit de donner plufieurs heures de fon
loifir à la Phyfique expérimentale. Le plus
bel ornement de la nature eft fait pour en
apprendre tous les fecrets ; mais il veut
aflujettir les graces qui l'accompagnent au
compas de la géométrie , le fentiment qui
l'anime à l'analyſe trop fubtile de la Métaphyfique
, & les talens qu'il embellit au
calcul trop exact de l'Algebre : c'est dénaturer
les dons qu'il tient du ciel ; ils lui
fuffisent pour fubjuguer l'efprit comme le
coeur . Qu'il faffe regner le fentiment , tout
lui fera plus fûrement & plus généralement
affervi. Il eft dangereux de raifonner où il
faut fentir , & l'efprit philofophique propre
à nous éclairer fur tout le refte , doit
arrêter là fa lumiere , ou ne l'employer dans
ce point que pour mieux fuivre un inſtinct
plus fûr qu'elle. S'il veut pénétrer dans le
méchanifme du fentiment, que ce foit dans
un ouvrage à part , qui le décompofe fans
MARS. 1755. 37
le détruire . Tous les arts qui dépendent
de ce fentiment , ne brillent bien que par
les femmes, Ils gagneroient fans doute à
n'être jugés qu'aux tribunaux où elles préfident
, fi la féduction des hommes ne
prévenoient leurs jugemens : ils font prefque
toujours les auteurs fecrets de leurs
erreurs ou de leurs injuftices. C'eft pour les
croire & pour les favorifer qu'elles protégent
une médiocre piéce , ou qu'elles prônent
un mauvais livre , qu'elles en facilitent
le débit , & font coupables du fuccès.
La réuffite n'eft plus l'ouvrage du public
, elle est le fruit du manége des particuliers
. Ils la décident avant l'impreffion
ou la repréfentation : c'eft comme un arrangement
de famille.
Rien n'eft plus refpectable que les vrais
protecteurs. J'entends ceux qui le font
par leur place ou par leurs lumieres ; leurs
bienfaits encouragent les arts , & leurs
confeils les perfectionnent . Mais je ne puis
voir, fans prendre de l'humeur ou fans rire ,
(je choisis ce dernier parti comme le plus
fage ) je ne puis donc voir fans rire fortir
de deffous terre cette foule de petits protecteurs
, qui n'en ont ni l'étoffe ni le rang ,
& qui veulent donner des loix dans une
République où ils n'ont pas même acquis
le droit de bourgeoifie. Il refte encore une
38 MERCURE DE FRANCE.
diftinction à faire parmi les amateurs. Il
en eft plufieurs qui aident en citoyens
éclairés les talens naiffans qui ont besoin
d'appui ; ils leur donnent des maîtres pour
les former , fans autre vûe que celle d'enrichir
le théatre qui manque de fujets , &
je les honore. Il y en a même tels qui
brilleroient dans la claffe des auteurs , fi
les dangers attachés à ce titre n'arrê
toient leur plume , & ne nous privoient
de leurs productions. Mais comme les
meilleurs modeles font tous les jours de
mauvaiſes copies qui fe multiplient , il eft
arrivé qu'en imitation , ou plutôt en contradiction
de cette fage école , il s'en eft
élevé plufieurs autres qui tendent à rui
ner le goût & à décourager les vrais talens.
Elles ont moins le bien général pour objet
que des fantaifies particulieres elles
dégénerent en parodies , elles deviennent
des charges , & ne femblent protéger que
pour rendre l'établiffement ridicule. La
plaifanterie va fi loin qu'il fe forme actuellement
des compagnies qui affurent un
talent comme on affure une maifon ; elles
font les fuccès & les réputations à leur gré.
Il est vrai que malgré leur garantie ces réputations
font ephemeres ; fouvent elles
expirent au bout d'un mois. Une cabale
contraire les détruit pour en établir de nouMARS.
1755 : 39
velles à leurs dépens . Celles- ci font défaites
à leur tour par un troifieme parti , qui
en éleve d'autres fur leurs débris . Quelque
peu que dure le regne de ces talens factices ,
les fuites n'en font pas moins pernicieuſes.
C'est ce qui brouille & renverfe tout ,
c'est ce qui porte enfin le dernier coup à
la puiffance du public . La vénalité des fuffrages
& la tyrannie des particuliers qui
les achetent , l'anéantiffent , en détruifant
fa liberté. Je parcours tous les théatres , où
il a toujours regné d'une façon plus fenfible
; je l'y cherche , & je ne l'y trouve
plus le parterre indépendant qui le compofoit
, n'y donne plus la loi . D'un côté je
n'y vois à fa place qu'une multitude efclave
& vendue à qui veut la foudoyer , & de
l'autre des fpectateurs d'habitude , qui ont
la fureur du fpectacle fans en avoir le goût ,
qui n'y vont avec affiduité que pour en faper
plus vite les fondemens par les faux
jugemens qu'ils y prononcent , par les divifions
qu'ils y font naître & par les
cabales qu'ils y fomentent. Je ne reconnois
plus un public à ces traits , & mes doutes
fur fon existence ne font que trop bien
fondés.
:
Mais les fpectacles , me dira- t- on , n'ont
jamais été plus fréquentés : j'en conviens ,
& ce qu'il y a de merveilleux , ils le font
40 MERCURE DE FRANCE.
fans auteurs qui les foutiennent , fans piéces
qui réuffiffent , fouvent fans acteurs qui
les jouent , & fans public qui les juge. Je
crains qu'ils ne brillent pour s'éteindre.
Quand le public devient nul , le théatre
eft dans un grand danger. Chacun veut
être le maître , fe néglige ou fe déplace .
Le déplacement amene l'anarchie , & l'anarchie
, la deftruction.
J'aurois inféré après ces doutes des réflexions
fur le goût , qui font d'un autre
auteur > & que j'ai reçues plus tard ;
mais comme elles roulent fur la même
matiere , j'ai crû devoir les éloigner &
garder ce dernier morceau pour le Mercure
prochain. Il me paroît venir de bonne
main , & je prie l'auteur de n'être point
fâché du retard : j'y fuis forcé par la variété
qu'exige mon recueil , & dont je me
fuis fait une loi inviolable .
MARS. 1755. 41
LA NOBLESSE
DE L'ÉCOLE MILITAIRE.
A M. DU VERNEY. 1755 .
Quel pouvoir créateur nous donne un nouvel
être ,
Et nous fait un berceau de l'école de Mars ?
Sous les traits de Louis , un pere , un Dieu peutêtre
,
Daigne y fixer fur nous les plus tendres regards.
Ses travaux , fes exploits , tracés par la victoire ,
L'éclat des lys & des lauriers ,
Tout développe ici le germe des guerriers ,
Et tout nous annonce fa gloire.
D'un fang pur, toujours prêt à couler pour les Rois,
I ranime l'ardeur & lui fert de modele :
Comblés de fes bienfaits , brûlant du plus beau
zéle ,
Puifions-nous le verfer pour défendre ſes droits !
Couverts d'une noble pouffiere ,
Exercés dans l'art des combats ,
Quand volerons- nous fur les pas
Dans cette brillante carriere ,
Où l'immortalité , qui nous eft déja chere
Fait revivre après le trépas ?
42 MERCURE DE FRANCE.
Applaudis aux tranſports d'une jeune nobleſſe
O paix délices des mortels ,
Louis nous les infpire , & ce trait de fageffe
T'affure de nouveaux autels .
Tu fçais que fon grand coeur , pour te rendre à la
terre
Eût formé d'inutiles voeux ,
Si fon bras , cet appui que t'ont donné les Dieux ;
N'eût jamais lancé le tonnerre.
Eft- ce à nous de chanter la paix ou les combats ?
Sans.crainte à quel écueil s'expofe notre enfance !
Mais eft- il des écueils que ne franchiffent pas
L'amour & la reconnoiffance ?
Tu le fçais , du Verney , toi du meilleur des Rois ;
Sujet le plus rempli de zéle ,
Le plus digne , le plus fidele ,
Dont fa faveur pût faire choix.
Ces champs , en lauriers fi fertiles ;
Ou Louis confondit les projets inutiles
Que forma tant de fois la difcorde en fureur ;
Par tes foins , par ta vigilance ,
Virent toujours une heureufe abondance
Sous les drapeaux de ce vainqueur .
Citoyen , tu n'as pour bouffole
Que les befoins du peuple & le bien de l'Etat ;
Tes travaux dans leur fein font couler en Pactole
Les thréfors de chaque climat ,
Non loin de cet afyle où des héros fans nombre ;
MARS. 1755. 43
Dans le fein des vertus , de gloire environnés ,
Au déclin de leurs jours , fe repofent à l'ombre ,
Des lauriers qu'ils ont moiſſonnés .
Louis , à la Valeur , notre unique déeffe ,
Confacre un nouveau temple , augufte monument
Et chef- d'oeuvre de ſa ſageſſe ;
Sa grandeur , fes bontés en font le fondement.
Il est devenu ton ouvrage ;
Il fuffit pour t'éternifer.
De ton zéle il fera l'image ;
D'un Miniftre que tout doit immortaliſer ,
Et d'un Roi que nos coeurs voudroient divinifer ,
Ce zéle a mérité le glorieux fuffrage .
LE mot de l'Enigme du Mercure de Février
eft le Corps de baleine . Le mot du Logogryphe
eft Poivre , dans lequel on trouve
or , poire , vie , pores , oie , ire , le pire ,
Roi , ivre , re.
44 MERCURE DE FRANCE .
JE
ENIGM E.
E goûtois en fecret les charmes du repos ,
Révéré des mortels , adoré des héros ;
Un aſyle facré m'offroit en apparence
D'un bonheur éternel la flateufe efpérance.
Mais bravant le couroux du fouverain des Rois ,
Un mortel me foumit à de nouvelles loix.
Par une facrilege offenſe ,
Le nom du Tout- puiffant , arraché des autels
Doit-il fe voir aftreint au compas des mortels ?
Mais c'étoit encor peu dégrader ma nobleſſe
Du Géometre à peine une indigne careffe
Eut en vain effayé d'adoucir mon malheur ,
Qu'un affreux cuifinier combla mon deshonneur ,
Sans daigner me toucher me prit dans ſa pincette ;
Sur les fourneaux étincelans
11 m'établit une retraite .
Mais à des traits fi reffemblans ,
Lecteur , peux-tu me méconnoître ?
Je ne t'en dis pas plus , cherche qui je puis être.
Par M.D. L. G.
MARS.
1755. 45
LOGOGRYPHE.
SoOuuss les pieds délicats d'une jeune bergere
J'ai fouvent opprimé l'innocente fougere ;
Je dois ma naiffance aux Dieux ;
Et mes peintures légeres
Ont fait briller à tes yeux
Mille beautés menfongeres .
Laiffant aujourd'hui l'erreur ;
Vérité , c'est ma devife .
Je vais faire l'analyſe
Des fix pieds d'un tout menteur,
Après un Pape , un Prophéte ,
S'offre un corps tout contrefait ,
Muni d'un efprit bienfait
Dont on ne fait point la fête ,
Ce qui d'un infecte adroit
Fait le domicile étroit.
Un oiſeau dont le plumago
Eft utile aux Ecrivains ,
Et celui dont le ramage
Etourdit tous les humains.
Jeunes mortels , dont le délire
Afpire à l'immortalité ,
Brûlez fur les autels dreffés dans mon empire
Un encens agréable à ma divinité,
46 MERCURE DE FRANCE.
ENIGM E.
Nous fommes deux freres jumeaux ;
Souvent plus utiles que beaux ;
Pour voyager ou pour combattre ,
De nous l'uſage eſt très-commun :
Nous ne portons qu'un pied chacun ;
Nous fomines cependant toujours portés fur quatre
.
LOGOGRYPHE.
Sans être un animal , j'ai des cornes , Lecteur;
Et mes cornes fouvent guériffent de la peur.
Ce début fingulier fera rire peut- être ,
Et fera fuffifant pour me faire connoître.
Quoiqu'il en foit , je veux te dire encor ,
Qu'au lieu d'être à ma tête elles font à mon
corps.
Cela ne fuffit point : je fuis encore obſcure ,
N'eft- ce pas ? Eh bien , vois , dérange ma ftructure
,
En moi tu trouveras ce que font douze mois ,
L'animal qui jadis porta le Roi des Rois ,
Des bêtes aujourd'hui la demeure ordinaire ,
Mais où s'eft retiré plus d'un faint folitaire .
Ce qu'ici-bas un chacun aime bien ,
3
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND
.
TILDEN
FOUNDATIONS
Vaudeville de Table .
Auxe Dieux les plus charmans, A=
M
-mis rendons homage notre Bon-
-heurest leur ouvrage, Chantons
les dans ces doux instans
Etpourmieux célébrer leur Gloire,
"Augré de nos plus Chers de- sirs,
Alongs traits goutons les plaisirs,
+
Debien aimer, et de bien Boire
MARS. 1755. 47
Ce
Et qui pour un chrétien doit être moins que rien ;
que nous tenons tous de la bonté fuprême ,
Comme un figne certain de fa puiffance extrême.
L'endroit de la maiſon qui me plaît en hyver
La montagne ou Vulcain fait fabriquer le fer ;
Ce qui de tous les tems fit briller la nature ,
Celle à qui Dieu donna la fille la plus puré .
Plus le nom d'une ville , & celui d'un Prélat
Que la ville d'Angers révere avec éclat.
VAUDEVILLE DE TABLE.
AUx Dieux les plus charmans ,
Amis , rendons hommage ;
Notre bonheur eft leur ouyrage :
Chantons- les dans ces doux inftans.
Et pour mieux celébrer leur gloire
Au gré de nos plus chers dehrs ;
A longs traits goûtons les plaifirs
De bien aimer & de bien boire.
A Bacchus , à l'Amour
Vrais charmes de la vie ,
Que notre ame foit affervie ;
Qu'ils regnent fur nous tour à tour.
De les fuivre , c'eft être fage ;
48 MERCURE DE FRANCE.
Ex le prétendu fage eft fou ,
Qui d'une Iris & du glou glou
Méconnoît le prix & l'ufage,
粥
Nectar , cours en nos coeurs
Te joindre à la tendreffe ,
Tous deux dans une aimable ivreffe
Comblez - nous de mille douceurs.
Des cieux , c'eft là le bien fuprême ,
Et pour en jouir , chacun doit
Sçavoir aimer autant qu'il boit ,
Et fçavoir boire autant qu'il aime.
La musique eft de M. Charriere.
Les parolesfont de M. M....
ARTICLE
MARS. 1755. 49
ARTICLE IL
NOUVELLES LITTERAIRES.
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie de Montauban.
'Académie des Belles- Lettres de Mon-
L'auban a célébré à fon ordinaire , le
25 Août , la fête de S. Louis ; elle aſſiſta
le matin à une Meffe qui fut fuivie de
l'Exaudiat , pour le Roi , & du panégyrique
du Saint , prononcé par M. Court ,
Curé de Montricoux , Diocèſe de Cahors.
Elle tint l'après-midi une affemblée publique
dans la grande falle de l'Hôtel de
ville ; & M. Saint-Hubert de Gaujac , ancien
Capitaine de Cavalerie , Chevalier de
l'Ordre militaire de S. Louis , Directeur de
quartier , ouvrit la féance par un difcours
, où il ſe propoſa d'examiner fi
c'eft à leur coeur ou à leur efprit que
les femmes doivent la fupériorité qu'elles
ont fur les hommes dans plufieurs genres
d'écrire , & principalement dans le ſtyle
léger & épikolaire. Il prouva d'abord cette
C
60 MERCURE DE FRANCE.
fupériorité par des exemples décisifs , &
par des autorités refpectables. Il effaya
enfuite de l'expliquer , en obfervant qu'on
ne fçauroit difputer aux femmes qui ſe
font mêlées d'écrire , l'heureux choix des
expreffions , la délicateffe des fentimens ,
l'élégance , la précifion , &c. » Qui dou-
» te , ajouta-t- il , que l'imagination n'ouvre
une fource inépuifable d'agrémens
» & de beautés raviffantes , & que la vi-
» vacité , la variété & la fineffe de fon
ود
pinceau ne donnent au fujet qu'elle trai-
» te , l'air le plus noble , & les graces
les plus touchantes ? Or les femmes ont
» porté en naiffant un don fi précieux :
» auffi tout devient- il fous leurs mains ,
» fertile , gracieux & riant . .. .. . Si nous
»
ne les trouvons pas toujours propres à
» faire de grands tableaux & des ftatues
» coloffales , nous devons au moins convenir
que pour les ouvrages de petit
» point & de miniature , elles furpaſſent
» les Raphaël & les Phidias .... J'avoue
» qu'elles ont quelquefois un ftyle dé-
» coufu , plein de négligence & de faillies ,
» je dirois prefque un ftyle intermittent ;
mais c'eft ce qui en fait le charme , &
l'on feroit fâché d'y trouver plus d'or-
» dre & de méthode « . Quoique M. Saint-
Hubert fe fut plaint au commencement de
MARS. 1755.
S4
33
fon ouvrage , de manquer
des fecours
que
la lecture fournit aux auteurs de profeffion
, n'ayant pour lui difoit-il ., que
» le Code militaire , un peu d'imagina-
» tion , & malheureufement
beaucoup
trop
d'ufage du monde , « il ne laiffa pas de
répandre
dans fon difcours
plufieurs
traits
intéreffans
, qui montroient
que ce qu'il
avoit eu le tems ou l'occafion
de lire , il
l'avoit lû avec goût & avec réflexion
. C'eſt
par là qu'il tira un parti ingénieux
de quelques
lettres de Madame
de Sévigné
: mais
venant à rechercher
la caufe de cette fupériorité
qu'il reconnoiffoit
dans les femmes
il tenta de recourir , pour en indiquer la
fource , au méchaniſme
de la nature. » Les
»femmes , difoit- il , ont un corps plus dé-
» licatement
organifé ; c'eſt par là que la
» beauté , que les graces extérieures
leur
appartiennent
de droit. Ne feroit-ce point
auffi par là que leur imagination
eft plus
vive , & plus facile à remuer ? « Mais il
revint bientôt fur fes pas , en faifant réflexion
que dans les femmes , leur coeur
& leur efprit doivent
fe reffentir
égaledu
partage que la nature leur a fait
en ce genre. Il fe tourna alors du côté
de l'éducation
, & il demanda
fi la mariere
différente
dont on éleve les jeunes
perfonnes
de l'un & de l'autre fexe , n'of
ment
}
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
friroit pas la véritable caufe des différen
ces qui les diftinguent. Il caractériſa l'éducation
que les femmes reçoivent communément
, & il conjectura affez vraiſemblablement
, foit de la bienféance , de la
réferve & de la modeftie qu'on leur infpire
, foit du préjugé qui leur interdit les
études fortes & férieufes , qu'il eft naturel
d'une part qu'elles foient plus faites
& plus habiles que les hommes à trouver
ces tours ingénieux , où le fentiment ne paroît
fe cacher que pour être mieux apperçu ;
d'un autre côté , que leur imagination fe
trouvant débarraffée de la féchereffe d'un
travail long , affujettiffant & pénible , elle
conferve tout fon feu pour les objets agréables
& legers . Il abandonna cependant encore
cette explication , parce que l'éducation
, ajouta- t-il , influe également fur l'efprit
fur le coeur. Il fe borna donc à balancer
ici les raifons contradictoires qui forment
la difficulté de la queftion qu'il s'étoit
propofée ; & après avoir infinué que les
premieres apparences le portoient à penfer
que les femmes doivent à leur efprit
leur fupériorité fur les hommes dans les
ouvrages qui fortent de leur plume , parce
que c'eft leur efprit qui enfante ces ou
vrages ; que c'eft la maniere dont l'efprit
enviſage les objets qui décide de la maMARS.
1755.
53
niere dont on les peint ; & que les femmes
n'excellent dans le ftyle epiftolaire
que parce qu'elles ont fingulierement l'ef
prit de la converfation : il conclut enfin
» qu'en elles c'eſt le coeur qui donne le ton
» à l'efprit. En effet
En effet , continua- t- il , les
» ouvrages des femmes portent tous l'em-
»preinte du fentiment , qui eft chez elles
" fi vif & fi délicat. Les hommes raiſon-
» nent , mais les femmes fentent : voilà
» pourquoi les écrits de ceux -là font.com-
» munément plus fecs , plus arides , &c ...
» Le coeur eft la partie qui a plus d'action
dans les femmes ; il vivifie en quel-
» que forte tout ce qu'elles font , tout ce
qu'elles difent , tout ce qu'elles écri-
» vent .... D'où vient que les écrits des
femmes nous affectent d'une maniere
» particuliere ? ... c'eft qu'il n'y a que le
coeur qui ait droit de parler au coeur :
le coeur eft froid , il eft fourd , pour
» ainfi dire , au langage de l'efprit ....
Quand eft-ce que la lyre a rendu des
fons plus animés & plus tendres , fi ce
n'eft quand elle a été entre les mains
des femmes ? C'eft la nature elle -même
qui parie dans les poëfies des Sapho ,
des La Suze , des Deshoulieres , &c.
»On ne trouve nulle part des fentimens
fi vifs , fi variés , fi foutenus , fi déli-
"
"
"
»
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE .
» cats , fi touchans. Les hommes qui ont
voulu elfayer ce genre , fe font prefque
tous attirés le reproche d'avoir mis dans
leurs ouvrages un art capable de déceler
la violence qu'ils faifoient à leur
efprit , pour lui faire parler le langage
» du coeur , & c.
M. Bernoy lut enfuite deux odes , l'une
firée du Pfeaume CI . & l'autre du Pfeaume
CXLII. Il faudroit les tranfcrire ici en
entier , pour faire connoître avec quelle
fidélité l'auteur a fçu rendre les profonds
gémiffemens & la vive douleur du faint
Roi pénitent .
M. l'Abbé de Verthamon ; dans un
difcours contre l'envie , Sattacha à montrer
avec quel acharnement cette paffion
pourfuit ordinairement les grands hommes.
Après avoir fait un tableau de fes
fureurs , il entra dans le détail des funef
res effets qu'elle produit communément
parmi les gens de lettres. Il fit voir enfin
que dans tous les lieux & dans tous les
fiécles , les plus grands Poëtes & les plus
grands Orateurs ont été expofés aux traits
empoifonnés de l'envie .
M. de Claris , Préfident de la Chambre
des Comptes , Cour des Aides &
Finances de Montpellier Académicien
affocié , avoit envoyé à l'Académie des
,
MARS. 1755 .
vers qu'il avoit faits fur le mariage de M.
de **fous ce titre : le Triomphe de l'hymen
, & M. de Cathala en fit la lecture.
Depuis quelques années , nul genre
d'ouvrage ne s'eft autant multiplié que
les Dictionnaires ; & c'eft ce qui donna
lieu à M. l'Abbé Bellet d'examiner s'ilsfe
multiplient aujourd'hui pour le progrès ou
pour la ruine des lettres . Jamais , felon cer
Académicien , il ne fut plus vrai de dire
qu'on pourroit faire un Dictionnaire des
noms de tous les Dictionnaires qui exiftent.
Après avoir obfervé que chaque fcience ,
chaque art a le fien , il fe propofa de déterminer
le dégré de gloire qu'ils font ent
état de procurer à leurs auteurs , & les
avantages que les lecteurs peuvent en retirer……………
. Un dictionnaire n'eft point une
production du génie ..... c'eſt communé
ment un recueil , un registre , un magafir
d'actions ou de pensées étrangeres ... On
peut dire abfolument de la compofition
de ces fortes d'ouvrages , ce que La Bruyere
n'a dit de la critique qu'avec reftriction :
que c'est un métier où il faut plus de fanté
que d'efprit , plus de travail que de capacité
, plus d'habitude que de génie..... Le
choix des penfées eft une forte d'inven
tion , difoit encore l'auteur des Caracteres.
» Mais dans un dictionnaire on fe déter-
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
» mine plutôt à rapporter beaucoup de cho-
» fes que d'excellentes chofes ...... On
» diroit que l'auteur d'un dictionnaire
ود
craint de n'avoir pas le tems d'être diffus ,
» comme un bon auteur craint de n'avoir
→ pas le loifir d'être court ..... c'eſt le
chef- d'oeuvre de l'art de fçavoir cacher
»fon art. Mais il femble que l'auteur d'un
» dictionnaire faffe profeffion de bannir
toute forte d'art de fa compofition & de
fon ouvrage. Toujours uniforme dans fes
»tours & dans fes expreffions , il ſe borne à
» une forte de monotonie qui forme ſon ca-
» ractere .... il lui fuffit de coudre , pour
»ainfi dire , bout-à-bout ce qu'il a remar-
» qué dans le cours de, fes lectures.... En
» un mot , il n'a point l'honneur de l'in-
» vention dans ce qu'il dit , & il ne fonge
gueres à mettre les graces du ftyle dans
» la maniere dont il le dit. . ... M. l'Abbé
Bellet ne laiffa pas de rendre juftice au
genre de mérite qu'on ne peut s'empêcher
de reconnoître dans les auteurs de quelques
utiles compilations que nous avons ,
mais il crut devoir relever en même tems
les défauts effentiels qui dégradent plufieurs
dictionnaires ; il les caractériſa chacun
en particulier , il ajouta qu'un bon
vocabulaire eft la feule efpéce de dictionnaire
dont la compofition paroît exiger
>
My
MAR S. 1755. 57
un mérite plus réel & plus rare , & il en
donna plufieurs raifons .... » C'eſt ainsi ,
» continua-t- il , que l'auteur d'un Poë-
"me , prefque digne de Virgile * > avoit
» commencé un Dictionnaire latin deſtiné
» à effacer tous les autres. Nous lui avons
entendu dire qu'il ne fe propofoit pas
» moins que de faire fentir , fous chaque
mot françois , la fignification préciſe
& l'ufage particulier de ce grand nom-,
» bre de mots latins que le commun des
lecteurs regarde comme de parfaits fy
» nonimes. Un tel deffein fuppofoit en lui
autant de fineffe de goût que de lecture.
» Pour continuer fon ouvrage , en entrant
» dans fes vûes , on avoit befoin de l'hom-
» me ** d'efprit qui s'en eft chargé , &
» dont les talens font atteftés par une foule
de lauriers académiques ... " . Pallant
enfuite au fruit que l'on peut tirer de la
lecture des Dictionnaires , M. L. B. diſtingua
deux fortes de lecteurs ; des lecteurs
fuperficiels , & des lecteurs qui approfondiffent
tout : il en conclut que les dictionnaires
font un écueil pour l'ignorance
& pour la pareffe , & qu'ils ne font de
quelque fecours que pour ceux qui aiment
véritablement le travail. Il prouva
Le P. Vaniere.
** Le P. Lombard,
fucceffi-
Cv
$8 MERCURE DE FRANCE .
vement ces deux vérités , en montrant que
tous les dictionnaires font plus ou moins
fautifs ; qu'aux erreurs qu'on eft en droit
de leur reprocher , ils joignent , ainfi que
Bayle le difoit du fien , une infinité de péchés
d'omiffion , & que ce qu'ils rapportent
fe trouvant détaché de ce qui précéde &
de ce qui fait dans les auteurs qui l'ont
fourni , ou ils donnent de fauffes vûes ,
ou ils n'en donnent aucune qui foit bien
nette & bien précife ..... Si les dictionnairės
nuifent à celui dont ils bornent le
travail & les vues , ils font utiles à ceux
qui s'en fervent pour aller plus loin. ...
Dans le cours de fes études , un litté-
» rateur a ſouvent befoin , tantôt de préci-
» piter fa marche , tantôt de revenir en
quelque forte fur fes pas , pour recou-
» vrer ce que le tems enleve quelquefois à
» ſa mémoire . On ménage fon loifit , fon
» application , fes forces , en lui indiquant
, à mefure qu'il le fouhaite , la
route qu'il peut fuivre , en le remettant
fur la voie , & c. ... On peut comparer
un dictionnaire à la table d'un livre ;
elle eft utile à un écrivain laborieux
qui , pour ne point perdre de tems , veut
is quelquefois qu'on lui indique au plus
"vite la page précife où il eft queftion
» de l'objet dont il eſt actuellement occuMARS.
17556 59
pé ; mais cette table feroit évidemment
» un obftacle à la connoiffance de la vé-
» rité , pour quiconque fe contenteroit
و د
"3
de cette indication fuperficielle , &c……….
» Les dictionnaires peuvent donc être fu-
» neftes aux lecteurs indolens & fuperfi-
» ciels , parce qu'ils les arrêtent , pour
» ainfi dire , au milieu de leur courfe ;
» qu'ils les retiennent mal à propos endeça
des bornes qu'ils devroient fran-
» chir ; qu'ils leur perfuadent que de plus
amples recherches font inutiles ; qu'ils
»les accoutument à s'en rapporter à la pa-
» role d'un auteur unique , dont les inf
» tructions font communément imparfai-
»tes , &c. Mais après tout , la fortune des
» lettres dépend t -elle du commun des lecteurs
, qui ont moins recours aux livres
par le defir fincere d'augmenter leurs con
noiffances , que par le befoin preffant
» d'étourdir leur ennemi , & d'amufer leur
oifiveté ? L'avancement des ſciences &
des arts eft l'ouvrage de ceux qui les
cultivent. Les lettres font redevables de
leurs progrès & de leur gloire aux
productions des génies fupérieurs. Or
» ceux- ci ne feront jamais tentés de s'en
» tenir à des dictionnaires : on peut donc ,
» vis - à- vis d'eux , les varier , les multiplier
impunément ..... On ne dira donc
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
t
» pas précisément qu'on multiplie les dictionnaires
, ni pour la ruine ni pour le
»progrès des lettres : on craindroit d'un
» côté de leur faire trop de tort , & de
•
l'autre de leur faire trop d'honneur.
>> On ne les croit pas capables de caufer
»jamais , ni en bien , ni en mal , une ré-
» volution générale dans l'empire des let-
» tres , &c.
M. de la Mothe lut un dialogue en vers
intitulé : l'Hymen & l'Amour ; & M. P : adal
, Procureur Général à la Cour des Aides
, fit la lecture d'une Idylle qu'il adreffa
à M. de la Mothe , en lui donnant le titre
flateur d'Anacreon du Querci.
M. de Cathala , qui s'eft chargé du ſoin
de faire connoître les grands hommes que
cette province a produits , lut un effai fur
la langue gafconne , & fur quelques auteurs
* Gafcons. » Selon cet Académicien ,
» l'idiome qui eft en ufage dans les pro-
» vinces méridionales , & fur- tout à Touloufe
& à Montpellier , femble réunir
tous les caracteres des langues mortes &
» vivantes les plus eftimées. A l'abondance
de la grecque , il joint la cadence &
* M. de Mondonville vient d'en augmenter le
nombre , & va mettre cette langue à la mode
par fon Opéra Languedocien , que Paris applaudit.
MARS. 1755 61 . .
n
» oeuvre.
33
le
prefque la tournure de la latine ; à la
précifion & à la fageffe de la françoiſe ,
» il allie fans peine la légereté , la douceur
» & la molleffe de l'italienne . Propre à
tout , il offre fans effort des tours & des
» expreffions différentes , felon les diffé-
» rens befoins de ceux qui le mettent en
Pendant que la langue fran-
» çoiſe étoit plongée dans la barbarie ,
langage moundi brilloit dans les arts ,
» dans la chaire & au barreau ..... On a
» des fragmens d'une hiftoire manufcrite
» de la guerre des Albigeois , écrite en
» cette langue par un auteur contempo-
» rain ; il feroit à fouhaiter que les hifto-
» riens de la nation l'euffent connue ....
» Mais la langue gaſconne , ajouta M. de
» Cathala , eft encore plus propre à la
poësie qu'à tout autre genre. C'eft dans
» les vers qu'elle étale tous fes avantages ;
» fa poëfie eft bien antérieure à la françoife
long- tems avant les Meuns & les
» Lorris , une foule de Troubadours ou
» poëtes Provençaux , que quelques auteurs
ont dit être les inventeurs de la
» rime , brilloient dans les Cours des Souverains
.... « M. de Cathala donna enfuite
une notice de plufieurs Poëtes Gaf
cons , natifs du Querci ou du Rouergue ,
comme Raimond Jourdan , Hugues Bru-
و د
62 MERCURE DE FRANCE.
net , Albuzon , Pierre Vidal , Maître Mathieu
, & c. Il n'eut garde d'oublier la célébre
Clémence Ifaure , reftauratrice des
Jeux Floraux. Il fit une mention honorable
de Goudouli , nâtif de Toulouſe ; mais il
s'étendit davantage fur Valès , né en 1593
à Montech , petite ville du Languedoc ,
dans le Diocèfe de Montauban , & mort
Curé de cette Paroiffe , après avoir fait
en langage moundi deux traductions de
l'Eneïde , l'une en vers héroïques , & l'autre
en vers burlefques , toutes les deux
d'un mérite fingulier . Il avoit encore traduit
dans le même idiome les fept Pleaumes
de la Pénitence , & compofé une infinité
de pieces fugitives adreffées aux amis
qu'il avoit à Touloufe & à Montauban .
L'effai dont on rend compte eft deſtiné à
fervir de préface à ces divers ouvrages
quand on les donnera au public .
M. Saint-Hubert de Gaujac , Direc
teur , lut enfin des vers adreffés à l'affemblée
, aufquels tout le monde applaudit.
ON inférera le mois prochain la ſéance
de la Société royale des Sciences & Bel
les- Lettres de Nanci , & celle de la Société
littéraire d'Arras ; ainfi des autres fucceffivement
, par ordre de date .
MARS. 1755. 63
LETTRES DE M. L'ABBÉ DE *** A SES
ÊLEVES . A Paris , chez Claude Hériſſant ,
rue neuve Notre-Dante , à la Croix d'or &
aux trois Vertus , fecond volume. in- 1 z.
•
On a rendu compte dans le Mercure
de .... 1752 , du premier volume de ces
lettres imprimées à Paris en 1751 ; chez
la veuve Colombat.
L'auteur avoit promis feize lettres . Le
premier volume en contient dix , & le fe
cond préfente les fix dernieres , dont l'ob
jet eft de prouver l'existence des termes
énigmatiques & généraux dans les ouvra
ges prophétiques , & de faire fentir qué
leur intelligence eft néceffaire pour entendre
parfaitement le fens littéral hiſtorique
des Prophetes , des Pfeaumes , de Job , des
Cantiques , & de quelques autres prophé
ties répandues dans l'Ecriture Sainte .
Ainfi la premiere lettre de ce fecond
volume , qui eft la X I dans l'ordre des
feize , eft employée à parler du ftyle prophétique
& des raifons de fon obfcurité ;
& depuis la page so jufqu'à la page 70 ,
où finit la lettre XI , l'auteur commence
à faire un effai fur une partie des termes
énigmatiques qu'il doit traiter dans la lettre
fuivante.
La XII lettre entre tout-à -fait en
matiere ; on y voit quantité de paffages
64 MERCURE DE FRANCE.
с
des livres prophétiques , développés relativement
au fens littéral exigé par l'hiſtoire ;
mais l'auteur ne fe contente pas de morceaux
détachés , qui pourroient ne pas
fatisfaire , faute de liaifon avec ce qui précede
& ce qui fuit. Il prend donc une
prophétie entiere , l'une des plus difficiles
qu'il ait pu choifir. C'eft le chapitre 14
d'Ifaïe , depuis le premier jufqu'au 22
verfet inclufivement. Cette lettre étoit
trop longue pour ne la pas divifer en deux
parties. La premiere contient deux avertif
femens ; l'un traite des quatre termes énigmatiques
, dont l'intelligence eft abfolument
effentielle à la lettre hiftorique de
cette prophétie d'lfaïe. Le fecond avertif
fement contient fept remarques grammaticales
, fuivies d'une obfervation fur l'u
fage de la profopopée dans les faints Livres.
Après les deux avertiffemens on trouve le
précis de la prophétie : elle regarde , dans
le premier fens littéral , la chute de l'empire
de Babylone ; on paffe enfuite à une
double verfion latine , dont la premiere
conferve fes termes énigmatiques , & la
feconde les développe : une verfion françoiſe
dans le même goût fuccede à la latine.
L'Auteur termine cette premiere parrie
par quelques remarques fur le peu d'ordre
avec lequel on a traité jufqu'ici ces
MAR S. 1755. 65
vingt-deux premiers verfets du chap. XIV
d'Ifaïe.
La feconde partie de la XII lettre comprend
les notes indifpenfables à l'intelligence
d'une pièce auffi difficile , quant au
fens littéral de l'ancien Ifraël ; mais afin
qu'on ne croye pas que cette explication
puiffe nuire au fens de l'Eglife chrétienne
attaché néceffairement à ce texte d'Ifaïe ,
l'auteur préfente d'autres notes relatives
au nouvel Ifraël ; elles font fuivies d'une
double verſion françoiſe , mife au - deſſous
de la verfion littérale relative à l'ancien
Ifraël. Cette lettre finit par une courte
réflexion fur la ſurpriſe que pourra cauſer
à quelques perfonnes l'établiffement d'un
double fens littéral , dont cependant les
preuves font dans les Peres , les Théologiens
, & les plus habiles commentateurs.
La XIII lettre roule fur les termes gé
néraux ou indéterminés , qu'il faut reftreindre
aux fignifications particulieres
exigées par les vues du Prophéte . On donne
en preuve les deux petits Cantiques
contenus dans le XII chapitre d'Ifaïe . Deux
fimples notes de l'auteur développent en
très- peu de mots le double fens de cette
prophétie , quant à l'ancien & quant au
nouvel Ifraël . On trouve enfuite l'examen
de plufieurs termes généraux du Pleaume
66 MERCURE DE FRANCE.
XXXVI . Heb. XXXVII , Noli amulari , &
d'un affez grand nombre d'autres , & furtout
des mots mifericorde & vérité qui ,
reftreints à leur vraie & exacte fignifica
tion , jettent un grand jour fur les paſſages
où ils fe rencontrent.
La lettre XIV eft une fuite du traité des
termes généraux .L'auteur apporte en preuve
le Pf. 1. Beatus vir , &c. qu'il regarde comme
un tiffu de termes indéterminés qui
reftreints au fens exigé par le Prophéte
s'entendent d'abord des Apoftats du tems
de la captivité de Babylone , & enfuite
de ceux de l'Eglife chrétienne ; des notes
étendues fuivent le texte , & nous paroiffent
comme démonftratives.
La X Ve lettre eft uniquement occupée
à prouver que les termes énigmatiques &
généraux qui font en ufage dans les li
vres prophétiques , entrent auffi dans la
compofition des Cantiques du N. T. On
en donne pour exemple le cantique Bene
dictus Dominus , Deus Ifraël.
La XVI ne contient point le Pf. LXVII .
Heb. LXVIII . Exurgat , Deus , promis dans
le volume I. Ce chef-d'oeuvre de la poëfie
des Hébreux , accompagné de notes , eût
donné trop d'étendue à ce fecond volume.
L'auteur à donc prié quelques - uns des
éleves qu'il a formés , de fe charger de
MARS. 1755. 67
"
l'édition de ce Pfeaame . Mais pour mieux
entendre tout ce que ceci veut dire , il eſt
néceffaire de fçavoir que depuis plus de
dix ans , il fe forme parmi les RR. PP.
Capucins de la rue faint Honoré , un petit
nombre de gens de lettres qui fe font
confacrés à l'étude du double fens litteral
de l'Ecriture Sainte . L'auteur de ces lettres
a tellement goûté leur maniere de travailler
, qu'il leur confie non-feulement fon
Exurgat , mais auffi Pexécution entiere de
fon plan , dont on lit l'efquiffe aux pages
454 & 455 de ce volume. On voit dans
cette X V I lettre , les avis qu'un pere ,
non-feulement tendre , mais éclairé , donne
à des enfans pleins d'un amour inaltérable
pour l'Ecriture Sainte , d'un courage à
toute épreuve & d'un travail infatigable.
Ils vont feconder dans peu les vûes de
leur maître , puifqu'ils donnent inceffamment
quatre volumes in- 12. pour commencer
l'exécution du travail qu'il leur
remet entre les mains .
Tel eft l'extrait du fecond volume des
lettres de M. l'Abbé de *** à fes éleves.
Quoique le mérite de cet ouvrage ne puiffe
être apprécié dans toute fa valeur que par
ceux qui ont fuivi & qui fuivent encore
fes leçons publiques ou particulieres , toujours
gratuites , il eft cependant aifé de
68 MERCURE DE FRANCE .
fentir que fon plan eft établi fur les folides
principes qu'il a puifés dans les premieres
fources pendant près de cinquante
ans d'étude.
ODES D'HORACE traduites par feu M.
l'Abbé Desfontaines , in - 12 . petit format ,
1754. A Paris , chez Chaubert , quai des
Auguftins ; avec approbation & privilege
du Roi. Nous avons vû des exemplaires de
cet ouvrage , qui au lieu de Paris portent
le nom de Berlin ; mais ils font f
femblables la forme & les caracteres ,
pour
que nous ne doutons point qu'ils ne fortent
de la même preffe ; la feule différence
que nous y avons remarquée eft que
dans les exemplaires de Paris on a retranché
les odes qui ne fe lifent point dans les
Colléges , & qu'elles fe trouvent dans ceux
de Berlin , au frontifpice defquels on lit
une épigraphe qui fait honneur aux fentimens
du Libraire qui diftribue les uns &
les autres , & à laquelle nous foufcrivons
volontiers.
Quis defideriofit pudor aut modus ,
Tam cari capitis. Hor. Od. XXIV. 1. I.
BIBLIOTHEQUE HISTORIQUE ET CRITI
QUE DU POITOU , contenant les vies des
MARS.
1755. 69
fçavans de cette province depuis le troifiéme
fiécle jufqu'à prefent ; une notice
de leurs ouvrages , avec des obfervations
pour en juger , &c . A Paris , chez Ganneau
, Libraire , rue Saint Severin , à S.
Louis & aux armes de Dombes. 1754 .
Cinq gros vol. in- 12 .
:
Il y a déja du tems que cet ouvrage a
paru cependant comme les Mercures précédens
n'en ont point parlé , nous nous
faifons un devoir de l'annoncer aujour
d'hui. Il feroit inutile d'entrer dans aucun
détail fur la forme que l'auteur a jugé
à propos de lui donner , ni fur la façon
dont il s'y eft pris pour le traiter. Le
compte exact qu'on en a rendu dans la
plupart des Journaux doit fuppléer fuffifamment
à notre filence. Nous obferverons
feulement que fi dans le nombre des
fçavans qui trouvent leur place dans cette
bibliotheque , il y en a qui fe font fait un
nom fameux dans la république des lettres ,
il s'en rencontre beaucoup auffi dont la
réputation ne paffe point les limites du
Poitou .
LA VIE DES PEINTRES FLAMANDS , ALLEMANDS
ET HOLLANDOIS , avec des portraits
gravés en taille-douce , une indication
de leurs ouvrages , & des réflexions
70 MERCURE DE FRANCE.
fur leurs différentes manieres. Par M. J. B.
Defcamps , Peintre , membre de l'Académie
royale des Sciences , Belles- Lettres &
Arts de Rouen , & Profeffeur de l'Ecole
du deffein de la même ville . A Paris ,
chez Defaint & Saillant , rue Saint Jean de
Beauvais ; Piffot , quai de Conti ; Durand
, rue du Foin , en entrant par la rue
Saint Jacques , la premiere porte cochere.
1754. Tome fecond , gros in-8 ° . Il y a
lieu d'efpérer que le public ne fera pas
un accueil moins favorable à ce volume
qu'à celui qui l'a précédé.
LE CALENDRIER DES LABOUREURS ET
DES FERMIERS , contenant les inftructions
néceffaires la conduite & pour le
pour
maniement d'une ferme dans tous les mois
de l'année ouvrage néceffaire aux per
fonnes qui vivent à la campagne , & à celles
qui font valoir leur bien. Traduit de
l'Anglois , fur la fixième édition de M.
R. Bradeley de la Société royale de
Londres , & Profeffeur de Botanique dans
l'Univerfité de Cambridge . A Paris , chez
Briaffon , Libraire , rue Saint Jacques , à
la Science. 1755 , vol. in- 12.-
ANALYSE DES DISSERTATIONS SUR PLUSIEURS
MATIÈRES MEDICO - PHYSIQUES . Par
MARS. 1755. 71
M. Olivier de Villeneuve , Docteur de la
Faculté de Médecine de Montpellier ,
Doyen des Médecins de la ville de Boulogne-
fur-mer. A Utrecht , 1754 , petit in-
12. 100 pages.
. DEMONSTRATION DE LA QUADRATURE
DU CERCLE ; par M. le Chevalier de Caufans
, ci - devant Colonel du Régiment
d'Infanterie de Conti . A Paris , chez Delaguette
, rue Saint Jacques , à l'Olivier ;
·in-4°. 22. pages.
On a toujours été jufqu'ici perfuadé
& non fans raifon , de l'inutilité des efforts
que l'on voudroit employer pour parvenir
à la découverte de la Quadrature du
cercle . On s'eft réuni à en regarder la démonftration
, non feulement comme impoffible
, mais comme impliquant les contradictions
les plus évidentes en géométrie .
Il n'eft donc pas aifé de détruire un préjugé
qui paroît fi bien fondé. Cependant
M. le Chevalier de Caufans, fans s'effrayér
des difficultés qu'on peut lui oppofer , n'a
pas laiffé de tenter la chofe en queftion .
Un grand nombre de perfonnes qui ont de
la peine à s'imaginer qu'elle foit traitée
férieufement, n'auroient pas manqué d'imputer
les tentatives de M. le Chevalier à
un pur jeu d'efprit.; il a pris la fage pré72
MERCURE DE FRANCE.
caution de leur ôter cette penfée , en propofant
la foufcription de la fomme de dix
mille livres à quiconque prouvera géométriquement
un paralogifme dans fa prétendue
quadrature du cercle qu'il s'efforce
de démontrer dans le petit ouvrage que
nous annonçons. Le prix confidérable attaché
à fa réfutation devoit néceffairement
attirer fur les bras de M. de Caufans
de puiffans adverfaires , qui fe difputaffent
à l'envi le mérite ( fi toutefois c'en eſt un )
de ruiner les conféquences fur lefquelles
il l'a bâtie ; mais il ne s'étoit peut- être pas
attendu à voir dans la foule des concur
rens entrer en lice une perfonne d'un ſexe ,
qui femble moins faite pour fe livrer à des
études épineufes & abftraites que pour
s'occuper des matieres d'agrément. Mlle
Le Mire , choquée de l'injufte prévention
où l'on eft contre les femmes , a été ja
loufe de l'honneur de les juftifier , en montrant
que leur efprit eft capable d'atteindre
aux vérités géométriques , fur lefquelles
il leur arrive de raifonner plus conféquemment
que bien des hommes. Elle a
donc jugé à propos de fe mettre fur les
rangs ; & pour cet effet elle a cru devoir
rendre public le fruit de fon travail , qui
paroît fous ce titre Le Quadricide , ou Paralogismes
prouvés géométriquement dans la
Quadrature
MARS. 1755 .
73
Quadrature de M. de Caufans. Par Mile
L.A. Le Mire , veuve J ... in- 4° . 28 pag.
chez Delaguette , & c.
Le long féjour que M. Galland a fait
dans les Etats du Grand Seigneur en qualité
d'Interpréte du Roi pour les Langues
orientales , l'a mis à portée de travailler
pour l'inftruction du public , en lui apprenant
ce qu'il a eu occafion d'y voir de plus
curieux. Comme il s'en eft rendu les langues
familieres , il n'a pas cru inutile de
commencer par la traduction de trois petites
pieces écrites par divers auteurs Mu
fulmans , dont les deux premieres tendent
à donner une idée des rits & c'es cérémonies
qui fe pratiquent au pélerinage de la
Mecque , des points fondamentaux de la
religion mahométane , & des obfervances
qu'elle impofe. On fe propofe dans la troifieme
de faire connoître la maniere dont
les Turcs cultivent les fciences. Cet ou
vrage de M. Galland eft compofé de cinq
morceaux différens , qui forment un recueil
qu'il difpofe en cet ordre. 1 ° . Rits & cérémonies
du pélerinage de la Mecque , fuivant
lafelle de l'Imam on Docteur Chafei ;
traduit de l'Arabe du Cheitch el Imam el
Aalim , & c . 2° . Catéchisme Muſulman , traduit
de l'Arabe du Cheitch on Docteur Aly
D
74 MERCURE DE FRANCE.
fils d'Iaakoub. 3. Traduction d'une differtation
de Zebny Effendi fur les fciences des
Turcs , & fur l'ordre qu'ils gardent dans le
cours de leurs études . 4° . Relation de l'ifle
de Chio , faite fur le lieu par l'auteur. 5º.
Autre relation de la Marche de la Sultane
Efma , fille de Sultan Ahmed , lorfqu'on la
conduifit à fon époux Iaakoub Pacha , grand
Maréchal de la Cour de Sultan Mahmoud ,
le 27 Février 1743. Cette relation termine
ce livre , qui fe vend à Paris , chez
Defaint & Saillant. 1754 , in- 12 . 214
pages.
COLLECTION DE DÉCISIONS NOUVELLES
& de notions relatives à la Jurifprudence
préfente ; par M. Denifart , Procureur
au Châtelet de Paris . A Paris , chez Savoye
, rue S. Jacques , à l'Eſpérance , audeffus
de la Fontaine de S. Severin ; & Le
Clerc , grande Salle du Palais , au fecond
pilier , 1754.
L'Auteur nous apprend dans la préface ,
que cet ouvrage fera compofé de cinq ou fix
volumes , dont il vient de mettre les deux
premiers au jour. Nous lui fouhaitons tout
le fuccès que l'importance de fon travail
paroît mériter. Nous ne pouvons même
nous empêcher de dire que M. Denifart
eft digne d'éloge , en ce qu'il a pris foin
MARS. 1755. 75
de développer aux yeux du public cette ingénuité
de caractere qui fied aux auteurs
libres de préjugés. On doit lui fçavoir
quelque gré de ne pas témoigner les effets
de la prévention outrée qu'on a d'ordinaire
en faveur de l'état qu'on exerce.
Il avoue que les maximes renfermées dans
le recueil qu'il publie , n'étant annoncées
que par un fimple Procureur du Châtelet
perdent beaucoup par là de la confiance qu'el
les méritent. Ce font les propres paroles de
M. Denifart , aufquelles il ne nous appartient
pas de répliquer , puifque c'eft une
perfonne de la profeffion qui fait cet aveu .
Nous ajoûterons feulement que fon exemple
eft une preuve qu'il fe trouve des Procureurs
qui ont fincerement en vûe le bien
-public.
ORAISONS CHOISIES DE CICERON ,
traduction nouvelle , avec le latin à côté ,
fur l'édition latine de Grævius , & des notes.
A Paris , chez Jofeph Barbou , rue S.
Jacques , près la fontaine S. Benoît , aux
Cigognes. 1754 , avec privilege du Roi.
2 vol . in- 12.
A juger en général de cette nouvelle
traduction , elle paroît avoir le mérite de
la fidélité. C'eft le côté par où il faut apprécier
le travail de l'auteur , puifque c'eſt
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
particulierement le but qu'il a cru devoir
fe propofer dans l'exécution ; il a pris la
précaution de nous avertir qu'il n'a eu
d'autre deffein que de travailler pour de
jeunes écoliers de troifieme , d'humanité ,
ou tout au plus de rhétorique.
C'eft pourquoi il s'eft attaché à rendre
mot pour mot le fens de l'Orateur latin.
On peut dire que le traducteur qui avoue
s'être borné à cet unique foin , a rempli
fon objet . Il a joint à fa verfion françoile
quelques notes dans les endroits où elles
lui ont paru néceffaires.
TRAITÉ DE LA POESIE FRANÇOISE ,
par le Pere Mourgues , Jéfuite. Nouvelle
édition , revûe , corrigée & augmentée ,
avec plufieurs obfervations fur chaque efpece
de poëfie. A Paris , chez Jofeph Barbou
, rue S. Jacques , près la fontaine faint
Benoît , aux Cigognes . 1755 , avec approbation
& privilege du Roi . in- 12 .
Livres que le fieur Barbon , Libraire &
Imprimeur , rue S. Jacques , aux Cigognes,
vient de recevoir de Hollande.
Aufonius , cum notis interpretatione
J. B. Souchay , ad ufum Delphini , in- 4°.
Homeri Ilias & Odiffea Grac . 18. 2 vol.
Recentiores Poëta Latini & Graci feletti
MARS 1785. 77
quinque , curis Jofephi Oliveti collecti ac
editi ; editio auctior & emendatior , in- 8 ° .
Pervigilium Veneris , cum notis Jufti Lipfii
, & Aufonii cupido cruci adfixus . in- 8 ° .
Théologie des Infectes , traduit de l'Al-
· lemand de M. Leffer , avec des remarques
de M. P. Lyonnet , 2 vol. in- 8 °.
Les Euvres de Machiavel , nouvelle
édition , augmentée de l'Anti- Machiavel ,
in- 12 . 6 vol.
L'Efpion Turc dans les Cours des Princes
chrétiens , in- 12 . 7 vol.
Les OEuvres de Rabelais , in - 12 . 6 Volumes.
Sermons de Caillart , in- 1 2. 2 vol .
Rob. Stephani Thefaurus lingua latine ;
in-fol. 4 vol.
Nouvelles difficultés propofées par un
Péripateticien à l'auteur du Voyage du
monde de Descartes , in- 12 .
ESSAIS HISTORIQUES SUR PARIS , de M.
de Saint-Foix. Seconde partie. 1755 .
. Ce fecond volume ne dément point le
premier , il a & mérite la même réuffite ,
& fait attendre le troifiéme avec impatience.
On ne fe laffe point de voyager
dans Paris avec un auffi aimable guide. M.
de Saint-Foix nous inftruit toujours en
nous amufant ; les Graces conduifent fa .
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
plume dans tout ce qu'il écrit. Elles ne
font pas ingrates ; perfonne ne les a mieux
peintes , & perfonne n'en eft mieux fervi.
Son morceau fur les Templiers eſt ſi
bien traité qu'il doit faire defirer que l'aureur
veuille bien nous donner une hiftoire
en forme. Qui peut mieux l'écrire ! Il réu
nit toutes les qualités d'un bon hiftorien ;
l'amour de la vérité , le courage , & le
talent de la dire , le choix des recherches ,
l'art de les employer & de les fondre heureufement
enfemble. Il voit en philofophe
, il parle en citoyen , & il écrit en
homme du monde ; fon ftyle en confé
quence eft toujours élégant , noble , clair
& précis fes réflexions font courtes , fortent
du fujet fans effort , & fouvent font
renfermées dans un feul trait plein de
force ou d'un fel agréable. Deux exemples
tirés de la deuxième partie de fes effais en
feront la
preuve.
:
» Le Cardinal de Lorraine étant à la tête
» du Confeil ſous le regne de François
» II , fe trouva importuné du grand nom-
» bre d'Officiers eftropiés & de veuves
» d'Officiers tués , qui follicitoient à la
Cour quelques petites penfions pour vi
» vre : il fit publier à fon de trompe , pour
* Dans la Comédie des Graces.
MARS. 1755. 79
fe délivrer , difoit- il , de ces mendians ,
» que tous ceux qui étoient venus à Fon-
» tainebleau pour demander quelque cho-
» fe , euffent à fe retirer dans vingt- quatre
» heures , fous peine d'être pendus à un
gibet , qu'il fit dreffer devant le châ-
» teau. Il mourut dans fon lit.
ود
و ر
» Sous le regne de François I. le total
» des loyers de toutes les maifons de Pa-
» ris ne montoit qu'à la fomme de trois
» cens douze mille livres . Aujourd'hui
»les Carmes Déchauffés , indépendam-
»ment du vafte terrein qu'occupent leurs
jardins & leur Couvent , jouiffent de
» près de cent mille livres de rente en
loyers de maifons qu'ils ont fait bâtir
» dans cette rue & dans les rues adja-
» centes. Ils n'ont commencé à prendre
racine en France qu'en 1611 , par une
très-petite maifon que leur donna un
» bourgeois , nommé Nicolas Vivian. Il
faut leur rendre juftice ; les richeſſes ne
» les enorgueilliffent pas , ils continuent
toujours d'envoyer des Freres quêter dans
» les maifons .
??
33
Je citerai un troifiéme exemple qui
prouve la précifion de l'Auteur. Il peint
ainfi par un feul fait , en quatre lignes
la révolution arrivée dans les moeurs
pendant le cours de deux fiécles .
D iv
80 MERCURE DE FRANCE .
爨
» Près de la fontaine étoit la maifon
» de Henri de Marle , Chancelier de France
, maffacré en 1418 ; un Procureur
» au Châtelet qui acheta cette maiſon en
1663 , s'y trouvoit , dit Sauval , mal
» logé & trop à l'étroit .
Une qualité effentielle à l'hiftorien , &
que j'avois oubliée , c'eft l'exactitude : M.
de Saint- Foix la profeffe jufqu'au fcrupule.
Il cite toujours les fources où il puife ,
foit dans le corps de fon ouvrage , ou foit
à la marge , & ne s'approprie jamais ce
qu'un autre a dit : bonne foi rare aujourd'hui
dans un écrivain , & qui mérite d'èare
fuivie.
Ce volume eft terminé par des differtations
dont on devroit imiter auffi l'heureufe
briéveté ; on ennuiroit moins , &
l'on diroit plus en moins de mots : elles
ont pour objet les Gaulois & les Francs ,
le grand & petit Châtelet , l'Hôtel de ville
, & les palais de nos Rois . Je ne puis
mieux finir ce précis que par deux traits
remarquables que j'ai extrait de ces differtations
; le premier regarde Catherine de
Médicis , & l'autre intéreffe les Médecins.
Catherine , quatre jours avant le maffacre
de la Saint Barthelemi , donna aux
*De la rue Sale au Comte.
MAR S.. 1755 . 8i
Tuileries une fête qui en étoit l'avantcoureur
& comme le prélude. M. de
Saint- Foix , après l'avoir détaillée , ſe récrie
là deffus : Peut - on fans frémir
» d'horreur , penfer à une femme , qui
" imagine , compofe & prépare une fête
un ballet fur le maffacre qu'elle doit
» faire quatre jours après d'une partie de
» la nation où elle regne ! qui fourit à fes
» victimes , qui joue avec le carnage , qui
fait danfer l'amour & les nymphes fur
» les bords d'un fleuve de fang , & qui
» mêle les charmes de la mufique aux
gémiffemens de cent mille malheureux
qu'elle égorge ! » Quel tableau ! & quelle
و د
و ر
و د
force de coloris !
で» La belle Auftrigide obtint en mou-
» rant du Roi Gontrand fon mari , qu'il
» feroit tuer & enterrer avec elle les deux
» Médecins qui l'avoient foignée pendant
fa maladie. Ce font , je crois , les feuls
» qu'on ait inhumés dans les tombeaux des
33
Rois ; mais je ne doute pas que plufieurs
» autres n'ayent mérité le même honneur «.
On croyoit la plaifanterie ufée fur les Médecins
, mais M. de Saint- Foix nous fait
voir que Moliere n'a pas encore tout dit à
leur fujet.
FABLES DE LA FONTAINE , nouvelle édi-
D v
S2 MERCURE DE FRANCE.
dition , en quatre volumes in folio , ornée
de fleurons , de culs-de- lampe , accompa
gnée de 276 planches , & dédiée au Roi ,
propofée par foufcription . A Paris , chez
Defaint & Saillant , rue Saint Jean de Beau.
vais , & chez Durand , rue du Foin.
Le goût des arts & l'amour des lettres
ont produit cette magnifique édition ; elle
eft le fruit des veilles des plus fameux artif
tes , & l'ouvrage de l'attention & des recherches
, non feulement des gens de la
profeffion , mais encore de quelques amateurs
les plus diftingués par leurs connoiffances.
Pour en faire fentir le mérite , il fuffit de
dire que les eftampes font toutes d'après les
deffeins de M. Oudri , & qu'elles font gravées
par MM.. CCoocchhiinn , ou fous fes yeux ,
par les plus habiles artiſtes.
Le premier volume paroîtra au commencement
du mois de Mars 1755. Le
fecond au mois d'Août fuivant , le troi
féme au mois de Mars 1756 , & le quatriéme
& dernier volume dans le mois
d'Octobre de la même année .
On ne tirera qu'un petit nombre d'exemplaires
, & les foufcriptions ne feront
ouvertes que depuis le jour où le premier
volume fera délivré , jufqu'au dernier jour
de Juin 1755 , paffé lequel tems on ne ſera
plus reçu à fouferite.
MARS . 83
1755 .
Prix des foufcriptions en feuilles.
Enrecevant la fouf- ordinaire. raifin . papier. Papier
Grand Très-grand
cription & le 1. vol . 72 liv. 84 liv.
e 96
liv.
En recevant le 2 ° vol . 48 бо
72 .
En recevant le 3 vol . 48
54
60.
En recevant le 4 vol . 48
54
60.
PRIX TOTAL. 216 . 252 .
288.
Prix en feuilles après la foufcription fermée,
Chaque volume à 75 liv. 87 liv. 100
liv.
Prix total de chaque volume fur les trois differens
papiers.
300
liv.
348
liv.
400
liv .
AMALAZONTE , Tragédie repréfen
tée pour la premiere fois par les Comé
diens François le 30 Mai 1754 , & à
Fontainebleau le 12 Novembre de la même
année. A Paris , chez Jorry , Imprimeur-
Libraire , quai des Auguftins , aux
Cicognes. 1555.
Je ne ferai point l'extrait de cette tragédie
; on a dû le donner dans le tems
de fa nouveauté. Je me contenterai de
dire , à la louange de l'auteur , que fa préface
annonce un homme inftruit , & fa
piéce un verfificateur : talent plus rare au
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
jourd'hui qu'on ne penfe. Quelqu'un m'objecte
a peut être qu'on n'a jamais tant rimé
: je répondrai qu'il eft vrai qu'on n'a
jamais tant coufu de rimes enfemble , mais
qu'on n'a jamais fait moins de vers ; car,
felon moi , il n'y a que les vers bienfaits
'à qui l'on doive donner ce nom , & l'on
en voit éclorre peu de ceux- là.
ALMANACH. DES FINANCES pour
l'année 1755 , contenant fommairement la
nature & les principales particularités des
affaires de finance , les noms & demeures
des intéreffés , les bureaux , jours d'affemblée
, tribunaux où fe portent les conteftations
, & autres éclairciffemens à ce fujet
utiles & néceffaires à toutes fortes de
perfonnes. A Paris , chez Laurent Prault ,
Cour du Palais , à la fource des Sciences.
3755.
HISTOIRE DES LOIX & des Tribunaux
de Juftice de la Monarchie Françoife.
Par le P. Barre , Chanoine Régulier ,
Chancelier de l'Abbaye de Ste Geneviève
& de l'Univerfité de Paris. A Paris , de
l'Imprimerie de C. F. Simon , Imprimeur
de la Reine , rue des Mathurins. 1755.
Cette indication n'eſt que l'annonce d'un
Profpectus que l'auteur à donné de cet ou
a
MARS. 1755. 85
vrage. Après avoir dit que c'eft une hiftoire
générale de la Juſtice de France depuis
Clovis jufqu'à Louis XIV , il avertit
modeftement le public qu'elle eft encore
loin de fa perfection , quoiqu'elle foit déja
avancée . Il prie en même tems les Sçavans
de bonne volonté de l'aider de leurs lumieres
, pour achever heureufement fon
entreprife. Par les détails de fon projet , on
fent combien une pareille hiftoire fera utile;
& par le fuccès qu'ont eu * fes premiers
ouvrages , on doit bien augurer de
celui- ci .
PROSPECTUS DE L'EUROPE ILLUSTRE ,
ouvrage contenant les vies abrégées des
Souverains , des Princes , des Miniftres
des Généraux , des Magiftrats , des Prélats ,
des Sçavans , des Dames , & des Artiftes
qui fe font diftingués en Europe depuis le
quinzieme fiécle jufqu'à préfent ; huit volumes
. Par M. Dreux du Radier , Avocat
au Parlement , enrichi de portraits gravés
les foins du fieur Odieuvre , Marchand
d'Estampes.
par
Cette collection eft la plus étendue qu'on
ait encore vûe. Tous les hommes les plus
célebres s'y trouvent réunis ; les héros du
* L'hiftoire générale d'Allemagne , & la vie du
Maréchal Faber.
86 MERCURE DE FRANCE.
"
crime y tiennent auffi leur rang . L'hiſtoire
a fes Eroftrates , comme fes Titus , dit éloquemment
M. du Radier , & dans le Panthéon
on y voyoit la fiévre & la peſte
même avec Jupiter Olympien ; on n'a rien
à répondre à cette raifon .
Les huit cens portraits dont cette collection
eft actuellement compofée , font
dûs aux foins du fieur Odieuvre , ainsi que
le titre l'annonce . Il n'a rien oublié pour
fe procurer des originaux qui puffent le
guider dans fon travail ; il ne s'eft point
borné aux tableaux , aux médailles , aux
buftes , aux ftatues , il a eu recours aux
anciens tombeaux , & quelquefois même
aux anciens vitrages , rien ne l'a rebuté.
L'exemplaire complet fera compofé de
huit volumes , chaque volume de cent portraits
, avec autant d'éloges .
Les deux premiers volumes pourront
paroître à la fin de Novembre prochain ,
le troifieme & le quatrieme fix mois après,
& ainfi la fuite , enforte qu'on aura la collection
complette en 1757. On la trouvera
chez le fieur Odieuvre , rue des Poftes.
OBSERVATIONS SUR LES MALADIES
DES ARMÉES dans les camps & dans les garnifons
, avec un traité fur les fubftances
feptiques & anti-feptiques , lû à la Société
MARS 1755. 87
royale par M. Pringle , Docteur en Médecine
, Membre de la Société royale , & Médecin
général des armées du Roi pendant la
derniere guerre . Ouvrage traduit de l'Anglois
fur la feconde édition . A Paris , chez
Ganeau , Libraire , rue S. Severin , aux armes
de Dombes & à S. Louis . 1755. 2 vol.
in- 12.
Cet ouvrage réunit deux grands avantages
qui doivent le faire rechercher : la nouveauté
& l'utilité . L'auteur enrichit la Médecine
d'un livre qui lui manquoit , & dont
les Militaires doivent lui fçavoir gré . Il a
travaillé pour eux , & l'accueil qu'on lui
a fait à Londres lui promet les fuffrages de
Paris.
PETIT THRESOR DE LA BELLE LATINITÉ
, puiſé dans les meilleurs auteurs ;
ou Recueil de diverfes façons de parler de
la Langue Françoife , fuivies du tour latin
qui leur répond ; le tout par ordre alphabétique
,, pour aider les jeunes gens dans
les compofitions de François en Latin. Il
fe vend à Paris , chez Paul - Denis Brocas ,
rue S. Jacques . 1755. 1 vol. in- 12 .
L'approbation que plufieurs Profeffeurs
de l'Univerfité ont donnée à cet ouvrage ,
eft le témoignage le plus avantageux qui
doive répondre de fon utilité.
88 MERCURE DE FRANCE.
PHARMACO PEA MILITARIS in
Bavaria Nofocomiis ufitata ; per J. A. de
Woltter. S. R. J. Eq. S. E. B. Conf. & Proto-
Medicum. Parifiis , apud Briaffon , viâ
Jacobaâ , fub figno Scientia. 1754. I. vel.
in- 12 . exigua molis.
Je remers les extraits ou les indications
des autres livres nouveaux au Mercure
d'Avril , cet article fe trouvant rempli .
L'On n'exige dans aucune des Académies
de province des difcours d'apparat
& fur-tout de la part des afföciés étangers ,
qui ne pourroient jouir de l'avantage d'être
applaudis : ceux qui y font nommés
fe contentent , conformément à l'ufage , de
faire un remerciment épiſtolaire , qui annonce
plus fouvent la protection que le
talent. Il n'en eft pas de même d'une lettre
dont le hazard m'a procuré la copie ,
& qui paroît avoir été écrite par un des
premiers Commis de la Cour , affocié nouvellement
à l'Académie d'Angers.
Comme il n'eft point de ceux qui s'attribuent
une gloire dont ils font redevables
à leurs fupérieurs , & que fon remerciment
eft dicté par la modeftie , je l'infere
ici pour fervir d'exemple.
MARS. 1755. 89
LETTRE de remerciment au Secrétaire de
l'Académie d'Angers , par M. ***
MONSIEUR ,
Lorfque j'eus l'honneur de vous fupplier
ici de vouloir bien me faire part des
opérations de l'Académie d'Angers , je demandois
uniquement d'être éclairé , & je
n'ofois afpirer à la gloire d'y être affocié.
Celle que j'ai d'être des Académies de
Rouen , de Montauban & d'Amiens , ne
devoit pas déterminer Meffieurs les Académiciens
d'Angers en ma faveur , puifque
dans ces trois Académies je ne fuis
connu que comme amateur des Belles - Lettres
, des Sciences & des Beaux- Arts . Ce
n'eft donc , Monfieur , que l'éloge que vous
avez bien voulu faire de moi qui m'a valu
l'avantage de cette affociation . Je devrois
en ce cas prendre le ton & le langage de
la reconnoiffance ; mais je vous prie d'obferver
que les faveurs les plus diftinguées
font prefque toujours les plus grands ingrats.
J'ofe donc vous reprocher d'avoir
dit trop de bien de moi , & de m'avoir humilié
en voulant trop m'élever ; car je me
rends juftice , je fens que je n'ai pas tout
le mérite néceffaire pour être admis dans
une Académie auffi fçavante que celle
go MERCURE DE FRANCE .
d'Angers. Les Académies qui ont bien
voulu m'adopter , ont eu des raifons qui
m'honorent beaucoup , mais qui ne flattent
pas affez mon amour propre . Il est fort
trifte d'occuper des places auffi honorables
, & de n'avoir pas le tems de montrer
à fes illuftres confreres que que l'on peut mériter
par quelque endroit l'honneur d'être
affis , ou d'être en relation avec eux. Je
vous fupplie de remercier de ma part
tous ces Meffieurs , dont j'ambitionne l'eftime
& l'amitié. Je ferois bien glorieux fi
je pouvois acquerir ces fentimens de leur
part , & je ne puis cependant y parvenir
qu'en prouvant par quelque ouvrage que
je n'en fuis pas tout- à- fait indigne ; mais les
opérations de nos bureaux font fi fréquentes
& fi rapides , que nous ne pouvons
connoître d'autre Académie que celle qui
fe tient dans le cabinet de notre Miniftre ,
qui juge , qui apprécie nos ouvrages , &
qu'il n'approuve qu'autant qu'ils font conformes
aux volontés du Roi , dont il ſçait
clairement nous annoncer les oracles , &
qu'il dicte très -fouvent lui -même. Nous ne
brillons que par les lumieres de nos fupérieurs
; mais je ferois bien flatté d'être à
portée de profiter de celles de l'Académie
où je pourrois être éclairé dans les Arts ,
dans les Sciences & dans les Belles Lettres .
Σ
MARS. 1755. or
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES LETTRES.
(
HISTOIRE.
REPONSE du fieur Vojeu de Brunem
aux obfervations du P. Laugier , fur la
nouvelle Hiftoire de la conquête de la
Chine.
NE fage critique ne peut qu'être
tions , & mérite à ce prix un accueil gracieux
de la part des gens de Lettres. Les
obfervations du P. Laugier , inférées dans
le Mercure de France (a ) , font- elles bien
marquées à ce coin de fageffe , qui rend
précieufe la cenfure des vrais fçavans , &
dont un homme de fon état ne s'écarta jamais
fans nuire à coup fûr à la réputation ?
c'eft au public d'en juger : je me préfente
avec confiance à fon tribunal , & j'attends
en paix fa décifion .
Dans la nouvelle hiftoire de la conquête
( a ) Janvier, pag. 147.
92 MERCURE DE FRANCE .
de la Chine , il eft dit que la nation des
Tartares Mancheoux étoit peu connue à la
fin du feizieme fiécle ; que le Prince Taitfong
, le premier des Rois Mancheoux qui
ait pris le titre d'Empereur des Chinois ,
mourut fans laiffer aucun fils qui lui fuccedât
; que la conquête enfin de ce vaſte
empire n'eut proprement lieu que huit ans
après la mort de ce Monarque , à l'occafion
des fuccès du rebelle Lyftching. Or
le P. Laugier emploie environ une vingtaine
de pages d'écriture à combattre vivement
ces trois points . Le défaut de vraifemblance
dans le récit de ce grand événement
eft la premiere raifon qu'il fait valoir
, & cette raifon devient péremptoire ,
felon lui , appuyée de l'autorité du P. Duhalde.
Direz- vous à l'obfervateur que le P. Dahalde
n'a pas été à portée de puifer dans
les fources ? qu'il n'a point lû les auteurs
originaux , Chinois & Tartares ? que fa
magnifique defcription de la Chine , excellente
à bien des égards , n'eft au fond
qu'une compilation des divers mémoires
qui lui étoient envoyés à Paris par fes
confreres de Pekin , où , fans miracle , il
peut s'être gliffé plus d'une erreur ? que la
partie hiftorique fur-tout de ce bel ouvrage
y eft traitée affez légerement , vû la
MARS. 1755.
93
prodigieufe étendue des annales chinoifes?
prierez-vous ce nouveau défenfeur de l'infaillibilité
du P. Duhalde , d'accorder au
moins quelque audience au P. de Mailla ,
célebre Miffionnaire de la Société , qui a
vécu plus de quarante- cinq ans à la Chine
dans l'enceinte du Palais impérial , ou dans
des voyages entrepris par ordre de l'Empereur
exhorterez-vous enfin ce redoutable
juge d'un manufcrit qu'il n'a jamais
lu , à vouloir au moins le parcourir une
fois fans paffion & fans préjugé ? Sa réponfe
eft toute prête & finguliere s'il en fut
jamais la voici. ( b ) Le peu de méthode qui
regne dans fon manufcrit ne nous invitegueres
à le croire. Et d'où fçait-il qu'il manque
de méthode ? on avoue que le ftyle
en eft fort négligé , & l'élocution peu correcte
; mais la méthode y eft à peu - près
telle qu'on a droit de l'attendre .
:
Le P. Obfervateur continue ainfi l'avis
qu'il nous donne fur l'auteur du manuf
crit : ( c ) Le jugement qu'il eft naturel d'en
-porter ( fans avoir lû fon ouvrage , capable
de former plufieurs volumes in - folio )
·le met au rang de ces efprits indulgens , qui
par un excès de bonne foi ne sçauroient avoir
ni certains fcrupules fur la certitude de leurs
(b ) Obferv. pag. 162 .
(c ) Obferv. ibid. & p. 163 , &c .
94 MERCURE DE FRANCE.
garans , ni de grandes attentions dans leurs
recherches , ni beaucoup de délicateffe fur les
preuves d'où notre critique conclut ( d )
qu'il réfulte au moins un doute bien fonde
contre l'exactitude de l'hiftoire manufcrite
qu'on vient d'imprimer à Lyon.
Je laiffe à qui le voudra le foin d'examiner
à loifir fi le P. Laugier mérite ou
non d'être mis au rang des efprits indulgens
, & s'il peche ici par un excès de bonne
foi. Mon deffein eft uniquement de
faire fentir au lecteur combien ce critique
eft lui-même peu fcrupuleux fur fes garans
, peu attentif dans fes recherches , peu
délicat fur fes preuves ; d'où réfulte néceffairement
une forte d'évidence de la frivolité
de fes remarques , tant fur la nouvelle
hiftoire imprimée à Lyon , que fur le
manufcrit dont cette hiftoire eft extraite
comme une centieme partie de fon tout.
Venons au fait.
Une des plus confidérables obfervations
du P. Laugier a pour objet la foibleffe &
l'obfcurité qu'on attribue au peuple Mancheoux
fur la fin du feizieme fiècle . Comment
croire ici le P. de Mailla , s'il réfulte
des faftes du P. Duhalde que les Tartares
ont toujours été plufieurs fiécles , même
( d ) Obfery, pag. 164 .
MARS. $755.
95
avant Jefus-Chrift , autant d'ennemis irréconciliables
des Chinois ? que les Mancheoux
ne font réellement que les Tartares
orientaux , & que ces orientaux , au
commencement du dixieme fiécle ( e ) enrent
la gloire de contraindre un Empereur
à leur céder plufieurs villes & à leur payer
tribut ?
L'objection , j'en conviens , paroîtra
forte à ceux qui n'ont jamais lu , ou qui
n'ont fait que parcourir légerement les faftes
du P. Duhalde , & l'Obſervateur eft
apparemment de ce nombre : mais une
lecture férieufe de ces faftes àuroit appris
au P. Laugier à mieux diftinguer les différentes
nations Tartares , & à ne pas confondre
les nouveaux Mancheoux avec les
anciens , appellés Kins , dont l'empire en
effet fut très- étendu . Il auroit vû de plus
que fur la fin du treizieme fiécle , non feulement
la domination de ces Kins fut ,
comme il le dit (f) , entierement abolie à la
Chine , mais qu'ils furent eux-mêmes prefque
tous exterminés ( par les Mongoux ) : ce
font les termes du P. Duhalde . (g ) Or , en
fuppofantmême comme certain que les nouveaux
Mancheoux defcendoient des Kins ,
( e ) Obferv. pag. 153 .
(f) Obferv. pag. 155 .
(g ) Duhalde , t . 1. pag. 491 ; t . 3. p. 62.5
96 MERCURE DE FRANCE.
ce qui paroît au moins douteux au P. de
Mailla , n'eft- il pas évident qu'une nation
presque toute exterminée vers la fin du treizieme
fiécle , ne pouvoit être un peuple
confidérable au feizieme ? Voilà donc le
P. de Mailla juftifié en ce point par le P.
Duhalde , & , fi je ne me trompe , le critique
confondu par fon oracle même .
Autre preuve fenfible des recherches du
P. Laugier , & de fes connoiffances en fait
d'hiftoire. Il ne peut fe perfuader qu'un
peuple , encore foible & méprifé des Chinois
au feizieme fiécle , ait pu ſe révolter
avec fuccès & faire des conquêtes au fiécle
fuivant. Non , dit le fçavant Obſervateur ,
les hiftoires anciennes & modernes ne nous
apprennent rien qui puiffe accréditer la réalité
d'un pareil foulevement. ( h ) Eft- ce bien en
France ou chez les Hurons qu'on ofe avancer
une auffi étrange propofition ? Que
l'hiftoire ancienne & moderne n'ait rien
appris de pareil au P. Laugier , je veux l'en
croire : mais nos jeunes gens , à peine fortis
du Collége , ignorent - ils le fond du
charmant récit que fait Hérodote du fou-
- levement & des rapides progrès des Perfes
? Cette nation peu connue avant Cyrus ,
ne vint-elle pas à bout , fous la conduite
( b ) Obferv. pag. 150,
de
MARS. 1755. 97
de ce héros , de vaincre les Médes , & de
conquérir leur vaîte Empire ? Les moins
verſés dans l'hiſtoire n'ont- ils pas quelque
idée de l'expédition des Cymbres , qui for
tirent tout-à- coup du Jutland , inonderent
la Germanie & les Gaules , & firent trembler
l'Italie ? Ils n'étoient pas feuls , direz
-vous , ils fe liguerent avec les Teutons.
Mais les Mancheoux firent de même
; ils s'affocierent les Mongoux , anciens
conquérans de la Chine. J'avoue que les
Cymbres furent arrêtés dans leur courfe.
Pourquoi ? parce qu'ils eurent en tête des
Romains , & que les Mancheoux à la Chine
ne furent aux prifes qu'avec des Chinois.
Le P. Laugier lui-même peut- il ne
pas fçavoir ce qu'entreprit Mahomet au
feptiéme fiécle , avec une poignée d'Arabes
, & jufqu'où les premiers Califes , fes
fucceffeurs , étendirent leur domination.
A-t-il oublié ce qui de nos jours eft arrivé
en Perfe , la conquête de cet Empire par
la nation des Aghvans ?
»
Cependant , pourfuit l'élégant Obfer-
» vateur ( i ) , je conviens que la chofe
» n'eft pas phyfiquement impoffible , &
» que fi l'on s'en tenoit toujours à la vraifemblance
, on feroit en danger de re
(i ) Obferv, pag. 150.
E
S MERCURE DE FRANCE.
jetter plus d'une vérité. Mais dès que je
vois la chofe racontée très- différemment
» par un autre auteur , je ne fçaurois fouf
» crire aveuglément à un témoignage qui ,
quoique poftérieur, n'a certainement rien
qui doive lui faire adjuger la préférence.
"
23
Les exemples qu'on vient d'indiquer &
bien d'autres auffi remarquables dans l'hiftoire
ancienne & moderne , prouvent évidemment
que le moral de la chofe va ici
de pair avec le phyfique , c'eſt-à- dire qu'il
n'eft point moralement impoffible qu'une
nation traitée avec mépris par le peuple
dominant , fe fouleve tout-à-coup , & fubjugue
à la fin fes anciens maîtres . Refte à
prononcer fur le fait particulier dont il s'agit
, après avoir pefé dans la balance d'une
critique exemte de paffion les deux autorités
du P. de Mailla & du P. Duhalde. Or , foit
dit encore une fois , il paroît que celle du
premier l'emporte fur l'autre : celui - là
ayant compofé fon hiſtoire chinoiſe fur les
lieux , ayant mis plus de vingt ans à per
fectionner fon ouvrage, ayant lû , analyfé,
confronté les auteurs originaux dans lear
propre langue , fans parler de la facilité
qu'il avoit de fe redreffer en cas de méprife
, par l'examen refléchi qu'il a fait des
quatre volumes du P. Duhalde , fur lefquels
il dit fon fentiment.
M AR S. 1755 99 .
La préfomption deviendra encore plus
forte en faveur du P. de Mailla , fi on veut
bien faire attention à ce qu'il écrit aux fupérieurs
de la province de Lyon & à fes
amis. J'ai ces lettres actuellement fous mes
yeux , & j'y vois qu'un des grands motifs
de ce laborieux Jéfuite dans la compofi
tion de fon hiftoire , fut de communiquer
aux nouveaux Miffionnaires de fa Compa
gnie une vraie érudition chinoife , rien
n'étant plus propre , felon lui , à furprendre
agréablement les Mandarins que de
paroître au fait des différentes révolutions
de l'Empire , & de montrer à propos qu'on
connoît les grands hommes des deux nations
chinoife & tartare. Il eft donc bien
à préfumer que le P. de Mailla mit tous
fes foins à ne rien inférer dans fon ouvrage
qui pût être raisonnablement contefté.
Jugeons- en par l'impreffion que feroit
fur nos François une érudition foible
ou mal digérée fur les antiquités de notre
Monarchie , fur nos Rois & nos héros.
Réuniffons ces circonftances : n'en ré
fulte-t-il pas que l'autorité du P. de Mailla
doit être naturellement préférée à celle du
P. Duhalde , par-tout où l'on voit quelque
différence dans la narration de ces
deux auteurs ? Le P. Laugier néanmoins
interdit à qui que ce foit cette préférence
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
& il l'interdit en maître. Franchement
peut il fe promettre qu'on lui obéira fans
murmurer ?
Murmure injufte , dira- t -on , fi malgré
le long féjour de votre Pere de Mailla å la
Chine , malgré fon application conftante
& toute la bonne volonté que vous lui
fuppofez , ce Miffionnaire fut tel à peuprès
que nous l'a dépeint le Pere Obfervateur
, c'est-à-dire un écrivain indulgent
à l'excès , & ce qu'on appelle en France
un bon homme. C'eft très - bien dit : mais fi
ce portrait eft de pure imagination , que
doit- on penfer du peintre ou du deffinateur
qui l'a croqué ?
Je m'adreffe ici au public , en prenant
la liberté de lui demander s'il eft avantageux
au progrès des connoiffances humaines
, conforme aux loix de l'humanité
& de l'honneur , de deshonorer à fon gré
un auteur illuſtre , également diftingué
par fa naiffance & par les travaux , par fon
caractere & par fes vertus ? de décrier fon
ouvrage fans l'avoir lû , ouvrage intéref
fant pour toute l'Europe , & unique dans
nos climats de jetter une affez forte couche
de ridicule fur les poffeffeurs de fon
manufcrit , gens de lettres par état , & , ffi
on ofe le dire , un peu connoiffeurs , qui
depuis bien des années ne ceffent de mon
?
MARS. :* 1755. 701
trer aux fçavans cette production chinoife ,
comme un des précieux ornemens de leur
magnifique bibliothèque ?
Car enfin , pour revenir à la critique du
P. Laugier , fur quoi eft fondé , je vous
prie , ce terrible arrêt de profcription dont
on appelle ? Qu'on parcoure exactement
les dix-fept pages inférées dans le Mercure
de Janvier , on n'y trouvera aucun grief
folidement établi ; on y entaffe périodes
fur périodes : on y prône le P. Duhalde ,
on y cenfure le P. de Mailla , on y déclame,
& puis c'est tout.
Mais fuis - je moi-même bien en garde
contre l'air de déclamation que je reproche
à l'Obfervateur ? Si fa critique eft des
plus frivoles , ma réponſe l'eft-elle moins ?
Le Lecteur eft ici mon juge , je le fupplie
de m'honorer encore un moment de fon
attention .
Pour déprimer le P. de Mailla , mis en
parallele avec le P. Duhalde , notre critique
affure que ce dernier forma fa defcription
de la Chine fur des mémoires recueillis
avec toutes fortes de foins par les plus
accrédités & les plus capables des Miffionnaires
Chinois. ( k ) Le fait eft certain ; mais
file P. Obfervateur avoit feulement ouvert
( k ) Obferv. p. 163.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
le premier volume du P. Duhalde , il auroit
vû le nom du P. de Mailla dans la lifte
de ces Miffionnaires les plus accrédités ¿
les plus capables . Ce n'étoit donc pas un
homme fans conféquence , au jugement
du P. Duhalde , cru infaillible par le Pere
Laugier.
J'ajoûterai que le même P. Duhalde ,
fçavant & modefte , & par là vrai fçavant ,
étoit auffi éloigné de s'attribuer quelque
forte d'infaillibilité que de manquer de
confidération à l'égard du P. de Mailla.
Ecoutons - le dans l'extrait que voici d'une
de fes lettres aux PP . Regis & de Mailla ,
datée de Paris le 7 Octobre 1736. » Quoi-
» que j'aie pris toutes les précautions ima
ginables pour ne rien avancer que d'exac-
» tement vrai , fi par la lecture de l'ouvrage,
vous trouvez que je fois tombé
dans quelques méprifes , vous m'obli-
» gerez de me le faire connoître , & je me
» ferai un plaifir d'en inftruire le public ,
» en fuivant vos , corrections , ce qui de-
و ر
viendra une nouvelle preuve de mon
» exactitude. Depuis quinze mois que cette
hiftoire paroît , on me demande déja s'il
» ne m'eft pas venu affez de mémoires
» pour faire un fupplément. Si vous & nos
»autres RR. Peres avez des écrits fur les
» matieres que j'ai traitées , ou fur d'autres
MARS. 1755. 103
» concernant la Chine & la Tartarie , qui
donnent de nouvelles connoiffances , &
» que vous vouliez bien m'en faire part ,
» je ferai ce fupplément . J'y pourrai mettre
la nouvelle carte de la Tartarie , fi
vous jugez à propos de la faire , & j'y
joindrai les raifons qu'on a eues de la
» donner de nouveau , que je tirerai des
» obfervations du P. de Mailla & de celles
>>
que vous m'enverrez. Je fuis avec bien
» du refpect , &c. Duhalde , Jéfuite. Je
laiffe à l'Obfervateur le foin de commenter
intérieurement la fin de cette lettre , &
je paffe à un autre garant bien für du génie
& de la fagacité du P. de Mailla : c'eft
le grand Kang- hi .
Lorfqu'en 1711 ce Monarque ( le Louis
le Grand des Chinois ) eut formé le deffein
de faire lever une carte exacte de fes
Etats , quatre des plus belles & des plus
riches provinces de l'Empire , avec la fameufe
ifle de Formofe , furent affignées aux
Peres Regis , de Mailla & Hinderer ; ils
s'acquitterent en habiles gens de cette importante
commiffion ( 1 ) , & l'Empereur
fut pleinement fatisfait. Ce Prince étoit
donc bien éloigné des fentimens du Pere
Laugier au fujet du P. de Mailla.
(1)Lettres édifiantes , vol . 14.
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE.
"
Au fuffrage de l'immortel Kang-hi joignons
celui d'un des Miffionnaires que je
viens de nommer , le fçavant P. Regis,
qui a eu tant de part à la collection du P.
Duhalde. J'ouvre le premier porte-feuille
du manufcrit odieux à l'Obfervateur , &
j'y lis l'atteftation fuivante , écrite & fignée
de la propre main du P. Regis. J'ai lu
» avec foin le manufcrit intitulé : Hiftoire
» générale de la Chine. Cet ouvrage tra
duit du texte chinois des annales , con-
» fronté avec les verfions tartares , faites
» par ordre du dernier Empereur , contient
» non feulement les révolutions arrivées
» au- dedans de l'Empire , & les guerres
» qu'il a eues à foutenir avec les Royaumes
» voiſins , mais encore les maximes de politique
qui ont toujours été les principes
du gouvernement de cette Monarchie.
Il renferme de plus l'ancien livre
» Chou-king , dont on fouhaitoit la tra-
» duction , & le Tchun - tfiou , écrit par
» Confucius , pour l'inftruction des Prin-
» ces : de forte qu'on a dans ce feul ou
vrage prefque tout ce qu'on pouvoit fouhaiter
de fçavoir fur ce vafte Empire :
ainfi je le juge digne de l'attention du
public. Fait à Peking , ce 2 Juin 1727 .
J. Bapt . Regis , de la Compagnie de Je-
» fus.
MARS. 1755. 105
Feu M. Freret , Secrétaire perpétuel de
l'Académie royale des Belles- Lettres , fut
de l'aveu de fes illuftres confreres , & , ce
qui revient au même , de l'aveu de tous
les fçavans , un de ces critiques confommés
qui font honneur à leur fiécle. Jufte appréciateur
des ouvrages qui lui tomboient
fous la main , il en découvroit bientôt le
fort & le foible ; j'ofe même dire que fon
caractere franc & loyal ne lui permit jamais
de diffimuler fes fentimens , quand
l'intérêt des lettres ou quelqu'autre pareil
devoir exigeoit de lui qu'il les fit connoître.
Sa politeffe , à la vérité , étoit extrême
: c'est l'efprit dominant de fa compagnie
; mais un beau génie , un coeur
droit , un fçavant du premier ordre fçut
toujours allier l'amour du vrai avec les
regles de la politeffe la plus exacte.
Or deux lettres de ce célébre Académieien
, que je fuis en état de produire ent
original , font foi des démarches qu'il fai
foit actuellement , par lui - même ou par fes
amis , auprès de M. le Duc d'Antin , pour
procurer l'honneur de l'impreffion royale
à l'hiftoire du P. de Mailla. Voici fes propres
termes dans la lettre du 29 Août
1735 , adreffée au P. Morand , Prefet des
hautes études du Collège de Lyon. » Je
me préparois à yous renvoyer le manuf
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
» crit du P. de Mailla , après en avoir tiré
» un extrait ( de la préface ) . J'y ai trouvé
», une notice excellente des différentes hif-
» toires générales de la Chine . Quoique
» j'euſſe déja connoiffance d'une partie de
» ces chofes , j'y ai trouvé un détail qui
» m'a fait un très-grand plaifir. Je vois
par la lettre de M. le Prévôt des Marchands
( Camille Perrichon , Confeiller
» d'Etat , nom à jamais immortel dans le
» coeur des Lyonnois ) , que le fieur de
» Tournes paroît avoir deffein de fe char-
» ger de l'impreffion de cet ouvrage. Ce
fera un grand avantage que la chofe fe
» faffe fous vos yeux ; mais à l'égard des
» cartes & des figures , je crois qu'il fau
droit les faire graver ici , & je me chargerois
de conduire l'ouvrage , & de choi
» fir les Graveurs ... . La publication de
» cette hiftoire autentique devroit cepen-
" dant être revêtue ici d'une autorité
» femblable à celle avec laquelle elle a
paru à la Chine par les ordres de Kang-
» hi ..... C'eft une difficulté qui n'eſt pas
»infurmontable , fi l'on pouvoit infpirer
cette envie à la Cour , au Cardinal de
» Fleuri , au Garde des Sceaux , & c. «
En parlant du Profpectus qu'il vouloit faire
lui-même , il dit ; je crois , fauf meilleur
» avis , qu'il feroit à propos de le mettre
»
"
MAR S. 1755. 107
» dans le Mercure de France : cet ouvrage
» va par-tout , & tout le monde le lit ; ce
» n'eft plus le Mercure galant d'autrefois .
La 2 lettre du 23 Novembre témoigne
le même empreffement pour faire honneur
au P. de Mailla . On y voit auſſi un
trait remarquable de la critique exacte &
févere de M. Freret. » J'ai écrit au R. P.
» de Mailla pour le remercier la diffi-
» culté que je propofois au fujet de la maniere
dont il parle de la chronologie ,
» ne tombe pas fur le fond même de cette
chronologie ; mais la certitude parfaite
qu'il femble lui attribuer , fans parler
» des controverfes qui font parmi les fça-
» vans Chinois , au fujet des tems anté-
» rieurs au huitiéme fiècle avant J. C.
"
Quoique le tribunal ait pris un parti ,
» qui eft celui que fuit le texte traduit par
» le R. P. de Mailla , il y a de grandes va-
» riétés là- deflus , & je voudrois que le
» R. P. de Mailla l'eût fait fentir.
Ne pourrois je pas ajouter ici un affez
bon nombre d'autres fuffrages favorables à
l'hiftoire du P. de Mailla ? 1 °. Les termes
dont fe fervit , il y a environ dix ans , un
grand Miniftre qui paffoit à Lyon , & à
qui j'eus l'honneur de préfenter le manuf
crit en queftion : Je connois cet ouvrage ,
me dit- il avec bonté , ilfaut penfer férieuseÉ
vj
108 MERCURE DE FRANCE.
ment à le donner au public : mais prenez -J
garde , l'écriture paroit s'effacer en quelques
endroits ; ayez foin d'enfaire tirer une copie.
2 °. L'eitime finguliere qu'en faifoit ,
après l'avoir lu en partie , un de nos anciens
Prévôts des Marchands *, fils & pere
de Prévôt des Marchands , d'un vafte fçavoir
& d'un goût exquis , auffi habile Académicien
que Magiftrat refpectable à tous
égards , qui n'a ceflé de cultiver les lettres
& de nous édifier par fes vertus
qu'en ceffant de vivre.
de Paris
3 ° . Les lettres que j'ai reçues
depuis la publication des deux petits volumes
de la conquête de la Chine , qui
toutes m'exhortent vivement à travailler
fur le manufcrit du P. de Mailla , ainfi
que fur l'accord de chronologie du P. Regis.
Parmi ces lettres il en eft une fur- tout
d'un fçavant Académicien à qui j'étois abfolument
inconnu . Il m'affure prendre
beaucoup d'intérêt à la grande hiftoire de
Ja Chine déposée au Collège de Lyon , &
veut bien m'encourager à en pourfuivre l'édition
, finon en gros , du moins en détail .
Les traits obligeans dont il m'honore font
moins flateurs mei pour que les offres qu'il
me fait de fon fecours. Tout le contenu
Feu M. le Préfident Dugas.
MAR S. 1755. 109
de fa lettre eft une expreffion vive de la
bonté de fon coeur , & de ce zéle ardent
pour le progrès des lettres qui l'anime ,
lui & fes illuftres collégues ; auffi ne doutai
-je pas qu'en profitant des lumieres de
ces Meffieurs , je ne puffe rendre mes extraits
du P. de Mailla propres à mériter
l'attention du public.
Au reste , les lettres qu'on a rapportées
ou indiquées dans cette réponſe , peuvent
fe voir aisément dans la bibliotheque du
grand College de Lyon.
LETTRE DE M. LE P. H.
A M. L'A B BE' V.
LE
E nom que vous vous faites dans les Lettres
, Monfieur , plus encore que le re
merciment que je vous dois de l'extrême politeffe
que vous me marquez dans votre ouvrage
, mérite bien que je me défende fur un article
où nous penfons tous deux differemment ,
c'est la Régale *. Si ma nouvelle édition n'étoit
pas trop avancée , j'y aurois inferé cente
réponse ; pour y fuppléer , je vous l'adreſſe à
vous-même,, & je me fais l'honneur d'en
prendre le public pour témoin : j'efpere que
* Je prie ceux qui liront cette réponſe, de jetter
les yeuxfur ce que j'ai écrit à l'année 511 .
110 MERCURE DE FRANCE.
cela me vaudra quelque nouvelle obfervation
de votre part , & ce genre de combat littéraire
, quand les armes font en des mains
auffi polies que les vôtres , fert merveillenfement
à éclaircir la vérité . Nous femmes d'ailleurs
tropfouvent d'accord fur des faits auſſi
curieux qu'importans , pour que l'on doive
êtrefurpris fi nous différons quelquefois.
M. l'Abbé Velly prétend que l'on ne
doit chercher l'origine de la Régale que
dans le droit féodal ; & moi , je crois qu'elle
eft antérieure aux fiefs : les fiefs , fuivant
moi , tels que nous les connoiffons aujourd'hui
, n'ont commencé qu'avec l'ufurpation
des fujers , vers le regne de Charles
le Simple . La Régale , auffi ancienne que la
couronne , eft donc plus ancienne que les
fiefs , dont elle ne vient pas . Pinfon , dans
fon traité de la Régale , la compare au Nil ,
dont la fource eft inconnue. Celle des fiefs
l'eft-elle ? Les Gens du Roi , dans un difcours
du 24 Juillet 1633 , difent que la
Régale eft auffi ancienne que la Couronne :
peut-on en dire autant des fiefs ? les Francs
les ont- ils apportés , ou les ont-ils trouvés
dans les Gaules ? Les feuls Rois de Francè
ont le droit de Régale , & les fiefs font de
tous les pays : les fiefs n'ont donc pas produit
la Régale ? Les fiefs , dit M. l'Abbé
Velly,fe nommoient Regalia , dont ils ont,
MARS 1755 : III
moi je
felon lui , donné ce nom à la Régale ; &
dis que les fiefs ont pris en France
le nom de Regalia , qui n'appartenoit alors
qu'à la Régale , parce que la Régale eſt le
plus noble droit de la Couronne . C'étoit
bien ainfi que s'exprimoit Philippe de Valois
en 1334. La collation des prében-
» des en régale nous appartient , à cauſe
» de la nobleffe de la Couronne de Fran-
» ce « . Enfin , & c'eſt là la grande objection
, j'ai dit que les vrais principes de la
Régale fe trouvoient dans le concile d'Orléans
( canon VII . ) , car je n'ai pas dit
que le canon d'Orléans foit le titre qui ait
conféré la Régale à nos Rois , à Dieu ne
plaife : c'eût été faire dépendre ce droit
d'une autorité dont il ne dépend pas . Mais
je dis qu'à la maniere dont les Evêques
reconnoiffent dans ce Concile que l'Eglife
poffède les biens temporels , qui n'eft
qu'un fimple ufufruit , iis caractériſent la
nature de ces biens , qui ne font que viagers
, de même qu'ils reconnoiffent le droit
de celui qui les confere , & qui par la
force de la dureté les réunit à chaque vacance
, ce qui n'eft autre chofe que la Ré
gale : auffi les Juges laïcs en font ils feuls
les juges. Baronius avoit bien fenti la force
de ce canon , puifqu'il ne trouve d'autre
moyen de l'éluder qu'en le changeant , &
112 MERCURE DE FRANCE.
ود
qu'au lieu de lire quicquid in fructibus , il a
écrit quicquid in faventibus : ce qui donne
une nouvelle force au véritable texte . Mais
enfin , dit M. l'Abbé Velly , il y avoit des
Eglifes qui ne vaquoient point en Régale :
quelle en peut être la raiſon , finon que
ces Eglifes ne tenoient aucun fief du Roi ?
Voici la réponſe par où je termine cet article.
Les Gens du Roi , dans leur avis au
Parlement , figné Mollé , en 1633 , que j'ai
déja cité , difent » qu'il doit être tenu
» pour conftant que la Régale eft univer-
» felle , & a lieu dans toutes les Eglifes
du royaume , comme étant un droit non
feulement inhérent à la perfonne facrée
de nos Rois , mais aufli uni & incorporé
à la Couronne , né & établi avec
» elle «. C'eſt ce qu'on trouve encore dans
le fameux plaidoyer, de Jerôme Bignon ,
de 1638. Aucun cas d'exemption n'eſt donc
prévu , aucune Eglife n'en eft exceptée.
Celles qui prétendent cette exception ne la
peuvent donc jamais prétendre par la nature
des biens qu'elles poffèdent , mais feulement
par des conceffions particulieres ,
qui n'étant que des exceptions , confirment
la regle. Pour achever de fe convaincre ,
il n'y a qu'à lire la troifiéme partie du livre
III. du Traité de l'origine de la Régale , par
M. Audoul. Cet ouvrage parut en 1708
MARS. 1755. 113
fous les yeux de M. Dagueffeau , auquel
ce célebre Avocat étoit attaché ; & voici
l'extrait de l'approbation donnée par M.-
Ifali , cet oracle du barreau. » M. Audoul
» a fait voir que ce droit éminent de la
» Régale tire fa fource du canon VII . du
» concile I. d'Orléans , ce qu'il a prouvé
"par des faits fi certains , & par de fi bons
» principes , qu'il n'eft pas poffible d'y ré-
» fifter . Voilà d'après qui j'ai écrit .
Il refulte de ce qui vient d'être dit , que
nous différons , M. l'Abbé Velly & moi ,
non feulement fur la Régale , mais même
fur l'origine des fiefs , puifque les fiefs
fuivant moi , tels qu'ils font ajourd'hui ,
ne remontent pas plus haut que le tems
de Charles le Simple , & que la Régale étant
auffi ancienne que la monarchie , j'ai eu
raifon de conclure que la Régale ne pouvoit
pas venir des fiefs . Mais cette preuve ,
qui eft fans replique fuivant mes principes
, ne fatisfera point M. l'Abbé V. puifqu'il
fait commencer les fiefs avec la monarchie
; auffi n'eft- ce qu'une des preuves
que j'ai alléguées : refte donc la queftion
de l'ancienneté des fiefs , & on fent dans
quelle difcuffion cela nous entraîneroit ,
Une des preuves qu'en rapporte M. l'Abbé
V. qui eft l'inveftiture de la Seigneurie de
Melun , pourroit être contredite , & l'auto114
MERCURE DE FRANCE.
auparavant.
torité d'Aimoin , écrivain du onzième fiécle
, ne feroit pas d'un grand poids , quand
il dépofe d'un fait arrivé au fixiéme . D'ail
leurs il faut avoir de bons yeux pour reconnoître
les fiefs dans les bénéfices mili
taires . On trouve , à la vérité , dès la premiere
race , des exemples de bénéfices accordés
fous de certaines redevances , dont
la principale devoit être le fervice militaire
; mais font-ce bien là des fiefs ? ces béné
fices étoient viagers , & ont continué de
l'être jufqu'au tems de l'ufurpation , &
alors , en effet , ils peuvent être devenus
des fiefs , fans qu'ils le fuffent
On pourroit ajouter que les bénéfices ont
été inftitués d'après les terres faliques ,
fans courir le rifque que l'on en tirât des
conféquences pour les fiefs. Le Seigneur
de fief avoit un fuzerain , le bénéficier
n'avoit qu'un fouverain . Le feigneur de
fief avoit des vaffaux , dont il étoit à fon
tour le fuzerain ; mot , dit Loifeau , qui
eft auffi étranger que cette efpéce de Seigneurie
eft abfurde ( ce qui prouve en
paffant qu'il ne regardoit le fief que comme
une innovation ) . Quelle fimilitude ,
en effet , peut-on trouver entre ces deux
qualités de bénéficier & de fuzerain ? Mais
abandonnons cette queftion qui a fait le
tourment de tant d'écrivains. Le fentiment
MARS. 1755.
de M. l'Abbé V. peut fort bien fe foutenir
fans que, felon moi , il influe fur la queftion
de la Régale , où j'aurois plus de peine
à me rendre.
Voilà , Monfieur , ce que je me fuis fait un
devoir de vous expofer , pour répondre à l'ef
time que vous avez bien voulu me témoigner ,
& en même tems pour faire connoître les fentimens
avec lesquelsj'ai l'honneur d'être , &c.
GENEALOGI E.
MEMOIRE CRITIQUE. ·
Es éloges que vous avez donnés , Monfieur
, à l'Armorial général de France
, & la confiance que j'ai en vos lumieres
, m'ont donné la curiofité la plus vive
pour cet ouvrage , en convenant avec vous
des talens de M. de Serigny , & de l'eſtime
qui leur eftdûe : je ne croirois pas la pouffer
affez loin , fi je ne foupçonnois qu'il
vit avec peine quelques obfervations que
j'ai faites à la lecture de l'article d'Alès
de Corber , & que diverſes circonftances
m'ont empêché de vous communiquer plutôt.
Quand il n'auroit pas indiqué cet article
comme un des plus curieux & des
mieux travaillés , il fe feroit attiré mon
attention par lui - même , non feulement
116 MERCURE DE FRANCE.
mais
comme faifant la tête du volume ,
par fa prodigieufe longueur , le nombre de
citations , d'extraits , de monumens &
d'anciennes chartres , le travail & l'art
qui paroiffent dans les differtations. Il
femble l'avoir préféré à tous les autres ,
en le choififfant pour donner au public ,
dans tous les ouvrages périodiques , un
effai de fes recherches. J'efpere , Monfieur,
qu'ayant bien voulu en faire ufage dans
le vôtre , vous ne me refuferez pas d'y inférer
mes objections.
L'article d'Alès eft précédé d'un autre
intitulé d'Alluye . C'eſt d'abord un recueil
de différentes pieces , dans l'arrangement
defquelles on a principalement confulté
l'ordre des tems. Il contient enfuite des
differtations fur l'application qu'on en doit
faire.
Le premier deffein de l'auteur étoit
de n'en faire aucune , & de laiffer ainfi au
public la liberté de prononcer fur le nom
qu'ont dû porter les anciens Seigneurs à
qui ces chartres font relatives. Mais ayant
depuis médité plus profondément fur ce
fujet , & fes recherches l'ayant conduit
jufqu'au point de s'affurer pleinement de
leur véritable nom , c'eft - à- dire de celui
* Armor. gén. p. 35 .
MARS. 1755. 117
qu'ils portoient de leur vivant , il s'eft enfin
déterminé , ( comme il en a le droit )
à leur donner celui d'Alluye.
Si le Juge d'Armes s'étoit contenté de
propofer l'interprétation qu'il donne de
tous les noms latins employés dans fes chartres
pour les Seigneurs de Saint- Chriftophe
& de Châteaux , comme une fimple
conjecture , comme une opinion ; fi en rejettant
toutes les autorités qui combattent
fon nouveau fentiment , il ne l'eût préfenté
que comme plus vraisemblable , par les
divers raifonnemens dont il l'appuye ; fi
par ce projet il eût continué de laiffer le
public juge de cette question , peut- être
n'eût- on pas pris la peine de l'examiner
après lui , & eût - on regardé comme infoluble
un problème généalogique qu'il
n'eût pas réfolu . Mais il décide pleinement,
il décide ex cathedra , en vertu du droit
de fa charge , non feulement de la traduction
françoife qu'il faut faire maintenant
des noms dont il s'agit , mais encore du
nom même que ces Seigneurs portoient
effectivement de leur vivant. Il n'eft plus
permis aux Grammairiens de traduire autrement
ces noms , quelque analogie qu'ils
trouvaflent avec d'autres de même genre :
On ne doit plus faire d'attention , ni à l'autorité
, ni aux recherches de dix ou douy
118 MERCURE DE FRANCE.
ze écrivains précédens ; on doit croire
qu'ils fe font copiés fervilement , & que
les méditations du Juge d'Armes font bien
plus certaines en effet dans la littérature
les fuffrages ne fe comptent pas , ils ſe peſent.
Le public même n'a plus la liberté de penfer
autrement : nul appel de ce nouveau tribunal
fouverain , il n'eſt pas poſſible de leur
donner d'autres noms , pag. 1 2.
Le doute même eft interdit , il n'eft pas
permis de douter un feul moment.
J'avoue , Monfieur , que ce doute qui
m'eft interdit , ne dépend pas de moi. S'il
eft criminel , puis-je mieux faire que de
m'adreffer par votre canal à celui qui peut
d'un coup de lumieres diffiper mes téné
bres ... J'entre en matiere , & voici le
plan de mes obfervations. Je commencerai
par examiner les raifons du jeune auteur ,
& faire voir que les conféquences qu'il en
tire ,font bien plus précifes que fes principes
: enfuite j'en propoferai d'autres, que
je foumettrai à votre jugement , au fien &
à celui du public : enfin je hazarderai mes
propres conjectures , aufquelles je pourrois
peut-être donner un autre nom , fi
mon autorité étoit d'un plus grand poids
dans la littérature , ou que j'euffe l'hon
neur d'être revêtu d'une charge qui confé
rât l'infaillibilité , même pour les faits.
MARS. 1755. 119
Le Juge d'Armes * fait l'hiftoire des anciens
Seigneurs de Châteaux & de Saint-
Chriftophe , ( les deux premieres Baronnies
d'Anjou & de Touraine ) depuis le
dixieme fiécle jufques vers la fin du treizie
me. Il appuie tout ce qu'il raconte , de
chartres autentiques , ou d'extraits d'anciens
auteurs , la plupart Latins. Il penfe
avec raifon que les huit noms latins fous
lefquels ils paroiffent , ne font en effet
que le même , différemment orthographié,
fuivant les tems , les lieux , le plus ou
moins de fçavoir ou de goût des Ecrivains ;
ou , ce qui revient au même , que tous ces
mots latins ne font que l'expreffion & la
traduction du nom unique qu'ils portoient
en françois , encore qu'il ait pu lui-même
effuyer quelque variation , comme tant
d'autres , ne fût - ce que par l'ignorance
des Notaires ou Ecrivains , ou par la faute
des copiſtes ; il s'agit donc de fixer ou de
deviner quel eft ce nom françois que portoient
ces Seigneurs. M. de Serigny com-.
mence par établir que celui d'Alés ou d'Alais
, qu'on auroit été plus tenté de leur
donner , & qui leur a effectivement été
donné par la plupart des auteurs qui en
ont parlé , comme il leur eft confervé par
Premiere partie . Examen des raifons.
120 MERCURE DE FRANCE.
la tradition de leur pays , n'est point le
leur , & ne leur convient pas enfuite il
entreprend , ( & y réuffit , felon lui , aſſez
bien d'en fubftituer un autre qui eft ce-
)
lui d'Alluye .
Dans la premiere partie de cette differtation
il n'emploie que des preuves négatives
. Il paffe en revûe la plupart des auteurs
qui l'ont précédé , & qui ont interprété
, de Aleia , de Aloya , de Alluya , de
Alogia , de Alea , par Dalés. 1 ° . Le Chevalier
de l'Hermite Souliers , Gentilhomme
de Touraine , qui donna en 1665 la
généalogie de la maifon d'Alés . Il étoit ,
felon lui , peu exact , & manquoit de
critique ; heureufement il n'ajoute pas
qu'il fût de mauvaife foi , ni capable
par intérêt & par adulation , de faire
des fuppofitions & d'inventer une tradition
: fa naiffance même le met. audeffus
de ce reproche , & on obfervera
que , felon le Juge d'Armes lui - même ,
Mrs d'Alés de Corbet n'habitant plus fa
province , & ne paroiffant entr'eux de
liaifon , ni de fang , ni d'amitié , on n'a
pas de raifons de le foupçonner plus à leur
égard que pour d'autres maifons.
Au demeurant , quoiqu'il ait fans doute
bien fait des fautes , fon fçavoir ne
paſſe pas pour fi mépriſable. Il n'a pu faire
fon
MAR S. 1755. 121
fon livre fans faire d'affez grandes recherches
en Touraine , & dans les provin
ces circonvoifines. Il lui étoit aifé de tirer
des fumieres de l'Abbé de Marolles , Abbé
de Villeloing , qui en avoit beaucoup dans
ces matieres , & qui indépendamment des
ouvrages imprimés , qui font apparemment
dans le cabinet du Juge d'Armes , en avoit
compofé quatre volumes in-fol. qu'il ne
paroît pas connoître. L'Hermite cite en ,
core quelques autres fources où il a puifé ,
qui ne font pas plus familieres au jeune
auteur , entr'autres les Mémoires généalo
giques d'Anjou , de la Ménardiere , auteur
affez ancien.
Il paffe à la Roque qui parle du nom
d'Alés dans fon Traité du ban : il en parle
auffi dans fon Traité de la nobleffe , & l'or
tographie de même ; mais il eft queſtion
ici du premier , imprimé en 1667. Joannes
de Aleia , d'Alés * , au nombre des Chevaliers
Bannerets de Touraine , convoqués
en 1214. Le Juge d'Armes a raifon de le
reconnoître pour le même Jean ,pere d'Hugues
enterré avec fon fils , felon l'Hermite
& Mrs de Sainte Marthe , à l'Abbaye
* M. de Serigny nous donne lui - même un
exemple d'un acte latin du treizieme fiécle , où
il fe trouve du françois ... Alloye dans le fecond
aveu de la Reine de Jéruſalem.
F
122 MERCURE DE FRANCE.
de la Clarté , où l'on voit encore leurs
maufolées , ainfi que celui d'un autre de
leur famille , qui avoit fait les principales
fondations de cette Abbaye.
Cette traduction du de Aleia , par d'Alés
, n'eft pas du goût du Juge d'Armes ;
il convient pourtant plus bas qu'elle eft
affez naturelle ; & en effet , comment traduit-
il lui-même Ufetia , fi ce n'eſt par
d'Ufés, & Saya fi ce n'eft par Sées ou Sais ?
Mais il fe contente de dire que c'eſt là
une fourrure de la façon de la Roque. Il en
donne des raifons affez plaufibles , quoique
la proteftation qu'avoit faite cet auteur
, de donner ces regiftres fans y rien
ajouter ou retrancher , méritât peut - être
que le Juge d'Armes , avant de l'accufer
de cette infraction à fa promeffe , la vérifiât
au moins par l'examen des registres
même , comme il a pris la peine de le
faire pour quatre extraits du cabinet de M.
de Clerambault , qui regardoient des gens
du néant , qui avoient peut - être pris le
nom de leur village , comme il arrivoit
fouvent autrefois . ) Quoiqu'il en foit , il rejette
la traduction de la Roque , ſans lui
donner le moindre éloge qu'il devoit à
fon érudition , & à la critique qu'il a des
premiers introduit dans ce travail. Il vient
à Carreau , Ecrivain Tourangeau , qui a
M AR S. 1753. 123
compofé le fiècle dernier une hiftoire de
Touraine , dont le manufcrit fe conferve à
l'Abbaye de Marmoutiers , & dans laquelle
on trouve * , dit - il , une généalogie affez
fautive des Seigneurs de Saint- Christophe
( quoique le P. le Long lui rende le témoignage
que cette hiftoire ait été travaillée
avec beaucoup de foin). Carreau avoit vû
beaucoup de pieces inférées dans l'Armorial
, & appelle par-tout ces Seigneurs
d'Alais. C'eft fans preuve , dit le Juge
d'Armes , & il n'a point eu d'autre guide
que l'Hermite. Quoique l'ortographe différente
de l'un & de l'autre , dût , ce femble
, faire fuppofer que s'ils n'ont point
vû de titres différens , ce qui n'eſt rien
moins que certain , au moins ils ne fe font
pas copiés.
On donnera la fuite le Mercure prochain.
CHIRURGIE.
Progrès du Lithotome caché pour la taille.
I la lettre fuivante au Frere Jean de
Saint-Come
Saint-Côme eft une preuve favorable
pour fon inftrument , elle ne l'eft pas moins
pour celui qui s'en eft fervi.
* Page 37*
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
A Lille , ce 30 Janvier 1755-
Mon cher Frere , voici l'hiftoire d'une
taille que je viens de faire avec votre inftrument
, & fuivant votre méthode. Le
nommé Augufte , âgé de fept ans & demi ,
fils de Henri Cantinier , au quartier de la
Magdeleine à Lille , fut attaqué des douleurs
de la pierre dès l'âge de deux ans ,
& à quatre ans & demi il fe joignit à ces
douleurs une incontinence d'urine , qu'il
a confervée jufqu'au moment de l'opération
. Les douleurs devenant plus fortes de
jour en jour , les parens me firent appeller
dans le mois de Juillet dernier ; je leur annonçai
l'exiſtence d'une pierre dans la veffie
, & leur propofai l'opération : mais inquiers
fur la réuffice , ils ne voulurent pas
s'y prêter. Enfin je fus de nouveau prié de
revoir ce malade dans le mois de Décem
bre , je le trouvai dans un état déplorable ;
il y avoit plufieufs jours qu'il ne dormoit
plus ; la pierre faifoit une irritation fi confidérable
dans la veffie , que toutes les parties
du ventre étoient dans une contraction
violente , & prefque continuelle ; l'inteſtin
rectum étoit pouffé avec force , & bien loin
au-delà de l'anus : il y eut même une hémorrhagie
affez forte des vaiffeaux de cet
inteftin. Ce dernier accident me déserM.
A RS. $ 755. 125
•
mina à propofer une feconde fois l'opération
, & engagea les parens à l'accepter,
Je la fis le 21 Décembre dernier , malgré
les tems durs & fâcheux. Je tirai une
pierre d'une demi - once , & groffe.comme
un petit ceuf de pigeon ; la couche
extérieure de cette pierre étoit molle , &
fe détacha dans le tems de l'extraction :
j'en tirai le noyau avec la tenette , & la
curette me fervit à tirer le refte . Cette
opération ne fut néanmoins ni longue ni
difficile , quoique je n'eus porté mon inftrument
qu'au feptiéme dégré de dilatation
, qui me fuffit de refte à tirer la
pierre fans efforts & fans difficulté . Auffi
les fpectateurs qui étoient nombreux , furent-
ils fatisfaits . , & rendirent justice à
la méthode. Dès le lendemain les urines
commencerent à paffer par les voies ordinaires
; mais une indigeftion que le malade
fe donna le troifiéme jour , penfa le
faire périr. Il lui furvint de l'altération ,
des felles , & la fiévre ; la plaie deyint
pâle & feche , & les urines prirent cette
route. J'avois formé le deffein de ne faire
aucun panfement à mon malade ; mais. appercevant
le changement furvenu à ſa plaic ,
j'abandonnai ce projet , & le penſai régudierement
deux fois par jour avec un plumaceau
chargé de beaume d'arcoeüs , &
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
une languette de linge garni par fes deux
extrêmités d'emplâtre d'André de la Croix ;
cette languette me fervoit tout à la fois
à contenir mon plumaceau & à rapprocher
les deux levres de la plaie. Les autres
accidens furent combattus fi efficacement ,
que le malade fut parfaitement guéri , &
fa plaie cicatrifée le dix-neuviéme jour ;
fon incontinence d'urine n'eut plus lieu ,
& fut guérie en même tems que le refte.
Voilà , mon cher Frere , un fuccès d'autant
plus complet , que je l'ai obtenu dans
la plus mauvaiſe faifon de l'année , ce qui
prouve tout-à - fair pour votre inftrument.
J'en fuis d'autant plus enchanté que c'eft
ma premiere épreuve ; & je vous avouerai
franchement que fans votre méthode , que
je trouve d'une facile exécution , je n'euffe
peut- être jamais penfé à enrichir ma pratique
d'une opération , qui en me faifant
honneur , me met plus à portée de foulager
l'humanité.1
J'oubliois de vous dire que j'ai taillé ce
malade dans la fituation horizontale , &
des fpectateurs étoient Meffieurs Payerne ,
Chirurgien- major du régiment d'Eu infanterie
; Marchant , que vous connoiſſez ;
Baftide , Chirurgien -major de Royal-dra-
-gons , Prevôt-maître en Chirurgie à Lille ;
Defombrages , Médecin de cette ville , &
MARS. 1755. 727
Planeque , Chirurgien-major des Hôpitaux
militaires. Ce dernier , ainfi que M. Mar
chant , m'ont prié de vous faire mille
complimens.
J'efpere dans peu joindre d'autres fuccès
à celui- ci , pour feconder vos intentions &
celles de tous vos partifans .
Je fuis , & c.
L. CHASTANET ,
Maître en Chirurgie , & Chi
rurgien Aide- major des Hôpitaux
militaires.
SEANCES PARTICULIERES
De la Société Linéraire de Châlons.
St
1. quelques critiques chagrins fe font
érigés de nos jours en cenfeurs des
Académies , il s'eft auffi trouvé des défenfeurs
de ces fortes d'établiffemens : leur
utilité a été démontrée dans des écrits. publics
: il a été prouvé d'une maniere victorieufe
que leur multiplicité étoit néceffaire
au progrès des fciences , & que loin
de nuire au corps politique de l'Etat, elle
ne pouvoit lui être qu'avantageufe.
C'eft fous ce point de vue que M. Du-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
pré d'Aulnay , ancien Commiffaire des
Guerres , l'a confidéré. Retiré depuis plufieurs
années dans la ville de Châlons-fur-
Marne , fon amour pour l'étude l'y a fuivi
, & les liaifons qu'il a formées avec des
concitoyens animés du même amour , lui
ont fait concevoir le deffein de les unir
par les noeuds d'une fociété littéraire .
Il en a demandé. l'agrément à M. le
Comte de Saint - Florentin . Ce Miniftre
qui chérit les Lettres , autant qu'il eft cher
aux Sçavans , l'a honoré d'une réponſe
favorable , & a promis une autorifation
plus précife , lorfque les affociés auroient
donné des preuves de leurs talens .
Son A. S. M. le Comte de Clermont ,
Gouverneur des provinces de Champagne
& de Brie , a bien voulu concourit de fon
côté à cet établiffement : illuftre par fon
fang & par la faveur finguliere qu'il a fait
aux Mufes d'entrer dans leur fanctuaire ,
il a donné de nouvelles marques de fon
attachement pour elles , en fe déclarant le
protecteur de cette fociété naiffante.
Les membres d'une fociété qui commence
fous de fi heureux aufpices , ont dé
ja produits quelques fruits de leurs veilles
dans les affemblées particulieres qu'ils ont
tenues pendant le cours de cette année.
M. Culoteau de Velye , Avocat du Roi
MARS. 1755. 129
•
au Préfidial de Châlons en Champagne ,
& l'un des membres de cette fociété , a lû
une differtation fur la confécration des
Empereurs romains , & particulierement
fur celle de Pertinax , juftifiée par une médaille.
Il obferve que la confécration en uſage
chez les Romains étoit différente de l'apothéofe
admife chez les autres peuples ;
que cette derniere cérémonie étoit connue
dès le tems de Belus , premier Roi des
Affyriens , & qu'elle a été continuée depuis
en faveur des Princes , des Rois recommendables
par leur fageffe , & même
de fimples particuliers qui s'étoient fignalés
par leurs vertus & des actions éclatantes
. Il fixe au regne des Céfars l'origine de
la confécration qui , lorfque Romulus fut
admis au rang des Dieux , n'étoit point
encore établie de la maniere dont elle l'a
été dans la fuite.
›. Il fait voir que dans tel tems de la République
, le Sénat n'accorda cet honneur
qu'à la feule Acea Laurentia , comme un
tribut de fa reconnoiffance pour les biens
qu'il en avoit reça que s'il décerna par la
fuite les mêmes honneurs à un grand nom
-bre d'Empereurs , il les refufa néanmoins à
ceux qui s'étoient rendus odieux par leurs
vices.
Fy
130 MERCURE DE FRANCE .
Il rapporte pour exemple la joie générale
qu'excita la mort de Tibere , le decret
qui déclara Neron ennemi de la patrie,
les outrages exercés fur les corps de Vitellius
& d'Héliogabale qui , après avoir
été traînés avec ignominie par les rues de
Rome , furent jertés dans le Tibre ; le long
refus du Sénat d'élever Adrien au rang des
Dieux , la fermeté avec laquelle il йétric
la mémoire de Domitien déifié par les armées
, en faifant brifer fes ftatues , fes portraits
& les infcriptions faites en fon honneur.
Il prouve que la cérémonie de la confé
cration des Empereurs a fubfifté jufqu'an
tems du parfait établiſſement de notre religion
; Jovien ayant encore été mis au
rang des Dieux par les foins de fon fuc
ceffeur Valentinien , vers l'an 364 de l'ere
chrétienne .
A l'égard de l'Empereur Pertinax , dont
-M. de la Baftie prétend dans fon ouvrage
fur le P. Joubert , que l'on n'a point encore
trouvé de médailles , M. de Velye en
produit une , qui femble ne laiffer aucun
doute que l'on a déféré à cet Empereur
-les honneurs de la confécration ." col
< Cette médaille , qui eft de moyen broneze
, préfente d'un côté la tête de Pertinax ,
avec la légende Divus Helvius Pertinax , &
MAR S.: 1755. 131
a pour tipe en fon revers un aigle avec les
aîles déployées , fur lefquelles eft la figure
de l'Empereur à demi- couché , avec la légende
Confecratio. Cette médaille paroît
caracterifer d'une façon particuliere la confécration
de Pertinax , & l'on a lieu de
croire qu'elle eft une de celles qui ont été
re nouvellées par Gallien .
M. de Velye penfe que l'on peut porter
le même jugement d'une médaille de Fauftine
, qui du côté de la tête a pour légende
Diva Fauftina ; & au revers une figure
humaine que l'on peut prendre pour un
Prêtre , faifant une libation fur un autel ,
fur lequel il y a du feu , avec la légende
Confecratio : cependant il ne propofe fon
fentiment à cet égard que comme conjecture
, s'en rapportant aux connoiffances des
fçavans en ce genre.
M. de Velye a fait encore lecture d'une
autre differtation, dont l'objet eft de déterminer
quels étoient les principes de la religion
des anciens Romains , & s'ils étoient
différens de ceux qui conftituoient le culte
religieux des Grecs .
Voici fommairement les preuves qu'il
apporte pour établir cette différence .
Les premiers Romains , preſque tous occupés
à nourrir des troupeaux , en tiroient
les fecours néceffaires pour -fubfifter. Pan
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
étoit leur principale Divinité ; ils cétébroient
en fon honneur des fêtes par des
facrifices , & par des jeux appellés Lupeztaux
; ils honoroient auffi comme des
Dieux , Janus , Saturne , Picus , Hercule ,
&c. Mais indépendamment de ces Dieux
de la patrie ils reconnoifloient encore ceux
des grandes nations ; ils admettoient auffi
les augures , les pénates , les génies , &c.
Romulus effaya de détruire les préjugés
de ceux qui compofoient fa colonie , d'établir
une religion fondée fur des principes
raisonnables , & de fixer un culte conforme
à l'idée qu'il avoit conçue de la Divinité
, qu'il reconnoiſſoit comme un être
parfait & immortel .
Numa qui lui fuccéda , approchoit aſſez
des fentimens de fon prédéceffeur au ſujet
de la religion ; il penfoit qu'on ne pouvoit
donner aucune forme fenfible à la caufe
premiere de tous les êtres créés ; en conféquence
l'on ne vit à Rome pendant près
de deux fiécles aucun monument élevé pour
repréfenter la Divinité .
La religion établie par Romulus fubfiſta
long-tems , comme le fondement inébranlable
de la confervation de la chofe publique
; tout fon fyftême confiftoit à propo
fer pour objet du culte religieux un être
pur , efprit fouverainement parfait , imMARS.
1755. 133
mortel , auteur de tout , & de l'honorer
par un culte digne de fon unité & de fa
grandeur.
Les Grecs , au contraire , s'imaginant
qu'il étoit poffible d'appercevoir , par l'organe
des fens , la divinité telle quelle eft
en elle-même , la fixerent d'abord, dans le
foleil ; ils déïferent les élémens , l'univers
entier , & les différentes parties qui le com →
pofent. Orphée , Mufée , Eumolpe , que
S. Auguftin appelle les théologiens des
Grecs , bien loin d'amener leurs compatriotes
à la connoiffance de la vérité , les
en éloignerent , & les plongerent dans des
erreurs injurieufes à l'être fuprême ; ils
propoferent des Dieux fous des fymboles
& des hieroglyphes , dont ils avoient apris
à faire ufage en Egypte. La trop grande
élévation d'efprit de ces philofophes fit
tomber dans l'égarementceux qu'ils fe pro
pofoient d'éclairer , & qui n'étoient point
capables de comprendre le fens des fables
abfurdes qu'ils employoient pour établir les
vérités les plus importantes.
Ce fut des prétendus fages de l'Egypte
qu'ils avoient appris à diftinguer l'âge , le
fexe , la forme & le nombre des Dieux ;
ils apprirent auffi d'eux à les honorer par
des fêtes & par des jeux folemnels ; mais
il n'arrivoit que trop fouvent que l'on
.
134 MERCURE DE FRANCE.
portoit l'impiété en triomphe dans ces cérémonies
, & qu'elles devenoient un affemblage
monftrueux de defordres & de crimes.
La connoiffance de la nature & l'étude
de la phyfique devint la fource de l'erreur ;
on donnoit à chacune des caufes un des
attributs de la divinité , & les attributs diftingués
, fembloient introduire & préfenter
une multiplicité de Dieux. Plufieurs
fages , comme Diagoras & Socrate , furent
les victimes de leur attachement à la vérité
, telle que l'homme peut la découvrir par
l'étude & la force du raifonnement .
Les Romains , dans leur origine , étoient
des hommes durs , groffiers , fauvages ;
mais ils furent amenés à la connoiffance
de l'être fuprême , autant qu'on peut en
approcher par les lumieres de la raifon ;
ils fe diftinguerent par leur inviolable attachement
à une religion plus fainte que
celle des autres nations..
Les Grecs , au contraire , inconftans &
legers , fe livrerent au torrent d'une aveugle
fuperftition ; leur culte avoit fouvent
l'homme pour objet ; leurs fêtes , & les
jeux qu'ils célébroient , n'étoient inſtitués
que pour exciter ceux qui y étoient admis
à fe furpaffer mutuellement par la force ,
l'adreffe & la légereté : on n'y comptoit
MARS 1755 ”ན
135
prefque pour rien le coeur , les moeurs &
la vertu .
la
De cet expofé , on peut conclure que
religion des anciens Romains étoit plus
parfaite que celle des Grecs , & qu'elle
étoit établie fur des principes différens.
- M. Dupré d'Aulnai a lû auffi une differtation
qui a pour objet l'écoulement magne
tique , Pélectricité , l'afcenfion de la feve
dans les végétaux , & le flux de la mer. Il
croit que la même caufe produit ces différens
effets , que le foleil en eft le premier
& le feul mobile , & que cet aftre eft dans
l'univers ce qu'eft le coeur dans l'animal ,
auquel il donne le mouvement , la chaleur
& la vie.
af-
M. Navier , Docteur en Médecine ,
focié correfpondant de l'Académie royale
des Sciences de Paris , & l'un des mem
bres de la Société , a lu dans différentes
féances des differtations fur plufieurs maladies
populaires qui ont regné dans la
vince de Champagne & ailleurs.
་
pro-
La Faculté de Médecine de Paris , & M.
de Vernage , ayant jugé cet ouvrage fondé
-fur une bonne théorie , conforme à la faine
·pratique , & appuyé de l'autorité des grands
maîtres , l'auteur a cru ne devoir point fe
refufer au bien du public , & s'eft en conféquence
déterminé à le faire imprimer. Il
136 MERCURE DE FRANCE.
fe trouve à Paris , chez Cavelier
Saint Jacques , au Lys d'or.
·
rue
Après de pareils témoignages , il eft
inutile d'infilter fur la nature de ce travail
; le lecteur jugera par lui-même que
l'auteur a fait nombre de recherches utiles
& intéreffantes pour le traitement de différentes
maladies.
M. Navier a auffi lû des obfervations
théoriques & pratiques fur l'amolliffement
des os en général , & en particulier fur
celui qui a caractériſé la maladie extraor
dinaire de la Dame Supior , dont tout le
royaume a été informé.
Il penfe que cette maladie tenoit du rachitis
& du fcorbut. Pour démontrer le caractere
& la véritable caufe de cette maladie
, l'auteur fuit fon objet par la voie
des expériences & des démonftrations , &
conclut que les levains qui occafionnent
l'amolliffement des os , eft de nature acide.
Pour bien conftater cette vérité , il a fait
des recherches infinies , qui toutes ont concouru
à le convaincre que cette maladie ne
pouvoit reconnoître d'autre caufe . La nature
& le caractere de cette fâcheufe maladie
étant bien connue , l'auteur fait voir
qu'il faut néceffairement la combattre par
les moyens qu'il propofe. Cet ouvrage a
été examiné & approuvé par l'Académie
f
MARS. 1755. 137
royale des Sciences de Paris : il va être mis
fous preffe.
Le même a fait encore lecture d'un
autre ouvrage qui a pour titre : Obfervations
médico-phyfiques fur les dangers auxquels
on s'expofe en mangeant des fruits qui
n'ont point encore atteint leur dégré de maturité
, & fur les avantages au contraire qui
résultent de leur ufage lorfqu'ils ont acquis
toute leur perfection.
L'abus trop commun de manger les
fruits avant qu'ils foient murs , & le zéle
de l'auteur pour le bien public , l'ont engagé
à traiter cette matiere .
Après un court expofé des loix générales
de la végétation , il examine la nature des
fruits qui naiffent dans les pays chauds &
dans les pays froids & tempérés ; il fait
voir que la providence a fait naître dans
chaque contrée de la terre des fruits doués
de toutes les propriétés néceffaires pour
garantir les habitans des maladies auxquel
les les expoferoient l'intempérie de l'air
des régions qu'ils habitent. Il reconnoît
d'une part que les fruits aigrelets & acidules
qui naiffent abondamment dans les pays
chauds , contiennent des fucs merveilleux
pour réprimer les effervefcences fougueufes
, & une infinité d'autres accidens que
la chaleur exceffive occafionne dans le fang
13 8 MERCURE DE FRANCE .
de leurs habitans. D'un autre côté , il re
garde les fruits que produifent les pays
froids & tempérés , comme des matieres
favoneufes & délayantes, extrêmement propres
à diffoudre les concrétions & les
épaiffiffemens des liqueurs de ceux qui ha
bitent ces climats. Il entre à cet égard
dans un certain détail fur la nature des
matieres favoneufes , factices & naturelles :
il reconnoît que les favons naturels font
beaucoup plus parfaits que les factices ,
qu'ils font formés d'une union intime de
parties onctueufes extrêmement fines , pénétrées
par un acide végétal , au lieu que les
favons factices ordinaires font les produits
de parties graffes , fort groffieres , unies affez
imparfaitement avec un fel lixiviel , & c.
On voit que l'auteur reconnoît par- tout
un ordre & une fageffe fuprême dans la
formation & la confervation de tous les
êtres. C'eft effectivement en ne perdant
point de vue cet important objet , que les
fçavans fe rapprocheront toujours de la vérité
; au lieu qu'en fe livrant à des fyſtêmes
erronés & dictés par l'efprit d'illufion
, ils ne feront jamais d'accord ni avec
la nature , ni avec eux-mêmes.
M. Navier a auffi fait part d'un travail
qu'il a commencé en 1738 , pour trouver
un lithontriptique , ou diffolvant des pier,
MARS. 1755. 139
1
res humaines ; ouvrage dont il avoit informé
en différens tems MM. de l'Acadé-.
mie royale des Sciences de Paris ; il paroît
avoir conduit fes recherches déja fort loin
il a même fait voir plufieurs de ces pierres
extraordinairement dures, réduites en bouil
lie en fort peu de tems , par le moyen
d'une liqueur fi douce , qu'elle peut être
bûe fans faire aucune impreffion fâcheufe
fur l'eftomac. Il a déja par devers lui des
expériences du bon effet de ce remede ;
mais ,comme il n'a jamais prétendu réuffic
que par la voie des injections , il n'a pû
encore parvenir à autre chofe , finon qu'à
fe rendre certain que ce remede peut être
porté dans la veffie par les injections , fans
y caufer ni douleur ni altération . Si par
un bonheur ineftimable pour l'humanité
on pouvoit parvenir par cette voie à fondre
la pierre dans la veffie , il réfteroit en
core beaucoup à travailler , tant pour fe
perfectionner dans la maniere d'y introduire
la fonde , que dans la matiere & la
forme de cet inftrument ; car il feroit de
la derniere importance de pouvoir l'intro
duire promptement , fûrement & fans dou
leur. M.Navier defireroit que l'on s'exerçât
à fonder avec des alkalis qui n'euffent
prefque point de courbure ; il penfe que
Cette forme feroit plus commode pour ins
140 MERCURE DE FRANCE.
jecter , pour pouvoir tourner la fonde en
rous fens dans la veffie , & pour y pou
voir féjourner long- tems fans bleffer ce
vifcere , & c.
C'est particulierement du génie de nos
grands Chirurgiens que l'on doit efpérer
la perfection dans la forme de cet inftrument
, & dans la maniere de l'infinuer
dans la veffie , ou même de trouver le
moyen de dilater fon fphincter , & d'y
porter un liquide fans avoir recours au
catheter.
On a annoncé cette année deux ouvra
ges imprimés à Edimbourg , dans lesquels
on prétend que l'eau de chaux eft un excellent
diffolvant des pierres humaines pris
intérieurement , ou porté dans la veffic
par les injections .
M. Navier a fait depuis dix-fept à dixhuit
ans un fi grand nombre d'expériences
& de recherches fur les différens lithontriptiques
, qu'il auroit été furprenant que
celui de la chaux lui eût échappé : il a donc
travaillé fur ce diffolvant , comme fur une
infinité d'autres , & il craint qu'il ne réuffiffe
pas autant qu'on le fait efperer ; car
il a reconnu que ce remede avoit peu ou
point d'action fur un très - grand nombre
de pierres humaines . Si M. Whitt a éprouvé
le contraire , cela ne peut venir , ſelon
MA- R S.
1755 141
M. Navier , que de la différence des pierres
qui fe forment chez les Anglois , dont la
boiffon ordinaire eft la bierre , & de celles
qui prennent naiffance chez les François
qui font ufage du vin.
M. Navier n'a eu occafion de travailler
que fur ces dernieres ; peut-être eft- ce cette
différence de boiffon qui a fait que le diffolvant
de Mlle Stephens a été employé
avec fuccès en Angleterre , & qu'il a fi peu
réuffi en France.
M. Navier croit encore être bien fondé
à fe défier de l'eau de chaux : 1 °. parce que
contenant une grande quantité de parties
de feu , ce reméde pris . intérieurement &
à grandes dofes , comme il feroit néceffaire
pour fondre les calculs humains pourroit
intéreffer la fanté des perfonnes délicates.
2 °. Cette eau étant chargée de beaucoup
de parties pierreufes qu'elle tient en
diffolution , ne pourroit - il pas arriver
qu'elles fe dépoferoient dans différens endroits
du corps , peut-être même dans les
reins & dans la veffie ? M. Navier eſt d'aųtant
mieux fondé dans cette opinion , qu'il
a reconnu par l'expérience , qu'un peu d'urine
chaude verfée far de l'eau de chaux ,
la rend laiteufe , & en fait précipiter de
fa fubftance pierreufe. Si donc la même
chofe arrivoit dans les reins ou dans la
142 MERCURE DE FRANCE.
veffie de ceux qui prendroient beaucoup
de ce lithontriptique , comme il y a tout
lieu de le croire , fur- tout chez les pierreux
, qui ont une urine dont l'alkali volatil
eft fort développé , & par conféquent
plus propre à précipiter la partie pierreufe
de l'eau de chaux , ne doit- on pas préfumer
que ce remede pourroit dépofer dans
ces vifceres autant & peut être plus de
fubftance pierreufe qu'ils n'en éleveroient
de calculs qui s'y rencontreroient ? M. Navier
a connoiffance d'un fait qui paroît
bien confirmer cette théorie .
Une perfonne qui avoit une pierre bien
conftatée dans la veffie , s'étoit déterminée
à prendre du lithontriptique de Mlle Stephens
, qui contient , comme l'on fçait
beaucoup de matieres calcaires réduites en
chaux. Après un certain tems de l'uſage
de ce remede , on apperçut dans les urines
du malade beaucoup de parties terreufesblanches
, que l'on croyoit être infailliblement
des débris de la pierre ; mais la
perfonne étant morte , on reconnut avec
furprife , par l'ouverture de la veffie , que
la pierre n'avoit été en aucune façon endommagée.
Donc les portions blanchâtres
& terreufes que l'urine avoit charriées,
venoient des parties de chaux qui entroient
dans le remede anglois. Cela prou오
Y
MARS. 1755. 143
ve qu'on ne peut avoir trop de circonfpection
, même de défiance , dans la vérification
des faits , car ils font fouvent voilés
par des
apparences trompeufes & féduifantes.
M. Whitt a avancé que tout fel lixiviel
eft abfolument incapable de diffoudre la pierre
humaine . M. Navier a remarqué tout le
contraire , ayant conftamment obfervé
dans le nombre des lithontriptiques qu'il a
découvert , que ces fels avoient tous cette
propriété.
Cette différence entre les obfervations
de nos deux auteurs pourroit bien venir
de celle des pierres fur lefquelles ils ont
travaillé , par la raifon rapportée ci -deffus
. En effet M. Navier , d'après qui nous
parlons toujours , a reconnu que ces fels
agiffoient fort différemment , felon la nature
de la pierre ; & il eft perfuadé que
c'eſt cette différence dans les calculs humains
qui mettra toujours le plus d'obftacles
à la découverte d'un lithontriptique
univerfel , c'est-à - dire qui agiffe également
& d'une maniere douce fur toutes les pierres
humaines.
Nous venons de rapporter une partie
des obfervations de M. Navier , que fon
defintéreffement & fon amour pour le
bien public a déterminé à nous communiquer.
#44 MERCURE DE FRANCE.
Quelle louable émulation ! qu'il eft digne
de notre reconnoiffance de voir dans
deux Royaumes auffi floriffans que la France
& l'Angleterre , la Médecine toujours
occupée d'un objet qui tend à délivrer l'hu
manité du plus cruel de tous les maux !
Les affociés fe font féparés le 28 du
mois d'Août , moins pour fe délaffer de
leurs fatigues que pour préparer les mémoires
dont ils rendront compte l'année
prochaine dans leurs féances ; ils font tous
également difpofés à fe rendre dignes de
la protection qu'un grand Prince leur accorde
, à fe mettre en état d'obtenir la
confirmation de leur établiſſement , & à
mériter l'eftime du public.
}
ARTICLE
MARS. 1755 145
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
y a des furpriſes dans les productions
des arts comme dans les ouvrages de
littérature ; il eſt également important de
garantir le public des unes & des autres ,
tant pour la perfection de fes connoiffances
que pour l'honneur des arts & la réputation
légitime de chaque artiſte . On
ne peut donc fe difpenfer d'informer tous
les amateurs de la peinture , qu'une fuitë
d'eſtampes nouvellement mife au jour par
le fieur Duflos , comme étant d'après les
tableaux du fieur Boucher , Peintre du Roi ,
n'a été gravée que fur des deffeins informes
, furtivement tirés par les éleves de
ce Peintre , les moins capables & les moins
avancés , livrés enfuite , à fon infçu , au
Graveur , lequel à fon tour a terminé &
mis en vente ces eftampes fans la participation
de l'auteur des tableaux , qui ne peut
G
146 MERCURE DE FRANCE:
ni les reconnoître , ni encore moins les
avouer dans des copies auffi infideles.
LE
LETTRE
@
A M. **
Sur la Peinture encaustique .
E goût que vous avez pour les arts
m'étoit garant de la fatisfaction que
devoit vous procurer la découverte qu'on
vient de faire , & j'étois perfuadé d'avance
que vous feriez infiniment flaté d'apprendre
qu'on pouvoit avoir retrouvé une façon
de peindre perdue depuis un fi grand
nombre de fiécles. Mais je fuis fâché d'être
hors d'état de fatisfaire votre curiofité, qui
eft bien naturelle à un amateur tel que vous.
Tous les papiers publics , dites-vous , vous
ont parlé de la peinture encauftique , mais
aucun ne vous à dévoilé le myftere de cette
maniere de peindre . Comment vous en auroient-
ils inftruit , puifque malgré toutes
mes démarches , je ne puis vous en parler
moi-même qu'en général ? Vous avez raiſon
d'obferver qu'il y a un très-grand avan
tage à préfenter aux Peintres une augmen
tation de moyens pour le charme de nos
yeux .
L'impatience de nos Artiftes , qui n'eft
dans eux qu'une noble émulation , en a
MARS. 1755. 147
déja engagé plufieurs à peindre avec de
la cire. Ils font même parvenus à faire des
chofes très belles & très - agréables ; mais
leur préparation avantageufe en elle - même,
ne me paroît point être celle du tableau
que M. Vien a expofé à la derniere
affemblée publique de l'Académie des Belles-
Lettres. J'ai eu occafion d'examiner de
près ce beau buite de Minerve , j'ai confideré
avec toute l'attention dont je fuis
capable , les tableaux des autres Artiſtes
dont je viens de vous parler , & je vous
avoue que par cette comparaifon j'ai cru
reconnoître de grandes différences dans
leur pratique ; & foit que le feu ait moins
de part à l'opération de ces derniers ; je
fuis perfuadé que peindre à la cine n'eft
pas la maniere encauftique dont on eſt
occupé,
Pour éclaircir mes doutes & les vôtres ,
j'ai été voir M. le Comte de Caylus ; &
fur les queftions que je lui ai faites , il
m'a répondu avec cette franchiſe que vous
Jui connoiffez , qu'il ne pouvoit m'inftrui.
re. J'ai témoigné avoir envie de confulter
auffi M. Majault , Médecin de la Faculté ,
qui l'a aidé de fes lumieres dans la recherche
de la peinture en queftion ; mais il m'a
très fort affuré que je ne ferois pas plus
heureux auprès de ce Docteur , & qu'il
-
?
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
uferoit de la même difcrétion . Au reſte
M. le C. de Caylus ne m'a point laiffé
ignorer le motif de fon filence : il eft dans
le deffein de rendre cette pratique publique
, & il ne veut point découvrir fon fecret
avant ce tems- là. Il m'a affuré n'avoir
point d'autre objet que l'explication de
quelques paffages de Pline , mais il eſt retenu
par une idée de bon citoyen. Il voudroit
que la pratique en queſtion ne fût
connue , au moins pendant quelques mois ,
que par les Peintres de l'école françoiſe ;
mais l'exécution de ce projet eft d'autant
plus difficile , qu'une Académie entiere n'a
jamais gardé de fecret : ainfi j'efpere que
nous ferons bientôt éclaircis du véritable
moyen qui vraiſemblablement doit êtrè
le plus approchant de celui des anciens.
Nous aurons à la fois toutes les préparations
néceffaires pour employer l'encauftique
fur le bois , la toile , le plâtre & la
pierre on me l'a ainfi perfuadé. Mais
avant que nous foyons inftruits des détails
de cette découverte , permettez que je
vous communique quelques réflexions gé
nérales , qui pourront fervir de réponſe à
plufieurs de vos questions.
Il ne doit jamais y avoir d'exclufion
dans les Arts. Un moyen de plus eft un
avantage pour l'art & pour l'Artifte ; cat
MAR S. 1755 149
enfin une pratique peut convenir à un objet
plutôt qu'une autre. La peinture encauftique
, par exemple , a plus d'attrait
pour l'oeil , & peut être préférée pour une
place au plus grand jour , à un jour de face ,
car elle n'a point de luifant & fe voit également
de tous les points de vûe : d'ailleurs
, comme vous l'avez très -bien obfervé
, elle ne change rien au génie , non plus
qu'au faire d'un Artifte , & le maniment
de l'outil ne cauſe aucune différence ; il eſt
abfolument le même , & ne craignez pas
que l'encauftique porte aucun préjudice à
la peinture à l'huile. La premiere n'eft qu'un
moyen de plus , une variété dans l'exécution
: je prévois qu'elle pourra produire
un grand avantage , celui de conduire les
Artiſtes à fe donner plus de foin pour le
choix & pour la préparation des couleurs.
Vous fçavez , Monfieur , que la peinture
n'eft qu'une oppofition de la lumiere aux
ombres ; vous n'ignorez pas que l'huile
jaunit toutes les couleurs , les plus claires
ne font pas à l'abri de cet inconvénient ,
qui fe fait fentir , pour ainfi dire , même
fur la palette . Par une conféquence
néceffaire les ombres font toujours plus
fortes ; c'eft ce qui a fait contracter l'habitude
du noir. Cette habitude eft d'autant
plus dangereufe que le public regarde les
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
tableaux dans lefquels les ombres font
noircies au point de ne rien diftinguer ,
comme des tableaux vigoureux : cette vigueur
eft vraie quelquefois , mais elle n'a
point fon principe dans une couleur outrée
, mais feulement dans la maniere de
penfer de l'artiſte & dans fa façon de voir
la nature. Quoiqu'il en foit , les tableaux
des plus grands Maîtres ont tellement noirci
, qu'il n'y a plus d'harmonie , & que
nous ne jugeons aujourd'hui dans le plus
grand nombre de leurs ouvrages , que du
trait & de la beauté du pinceau dans les
clairs , fans qu'il foit poffible d'avoir une
idée jufte de l'harmonie ; on eft presque
toujours dans la néceffité de la fuppofer.
Au contraire une peinture toujours claire ,
dont les lumieres font rendues avec plus
de vérité , dont les ombres font vraies fans
être chargées , & dans lefquelles l'oeil fe
promene , accoutumera ceux qui pratiquent
l'une & l'autre maniere , à éviter le
noir fi funefte au Peintre & à la peinture.
L'encauftique fera plus encore , elle por
tera ceux qui travailleront à l'huile , &
qui verront dans les cabinets , dans les
Eglifes , &c. des tableaux plus lumineux ,
à fe tenir eux - mêmes plus hauts & plus
clairs enfin l'harmonie , cette fille du
ciel, fe confervera plus long-tems dans leurs
:
M. AR S. 1755. 151
ouvrages , telle qu'ils l'auront produite..
Un grand bien qui pourroit encore en réfulter
, c'eft d'engager les artiftes à fe donner
pour les couleurs qu'ils employent en
travaillant à l'huile , les attentions , les foins
& la propreté dont nous admirons le fuccès
& le fruit dans les ouvrages des plus
anciens Peintres modernes , c'eft - à - dire
ceux qui ont travaillé dans les commencemens
de la découverte de la peinture à
F'huile. Les artistes de ce tems faifoient
préparer leurs couleurs fous leurs yeux &
dans leur attelier , ainfi que les Médecins
des premiers fiécles compofoient eux-mê
mes leurs remedes ; mais depuis long- tems
ils fe confient entierement , ceux-ci aux
pharmaciens , les autres aux marchands de
couleurs , & la peinture en fouffre confidérablement.
Mais en voilà affez fur cette
matiere : je me fuis jetté dans des réflexions
générales , parce que je ne pouvois vous
inftruire de ce qui fait l'objet de votre
lettre. Vous me pardonnerez les longueurs
de celle - ci , à cauſe du motif qui m'anime.
Je fuis , & c.
P. S, J'ouvre ma lettre pour vous dire
qu'ayant été de nouveau chez M. Vien
j'y ai vû une tête d'Anacréon peinte en
encauftique fur un des plus gros coutils
& qui produit un effet furprenant.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
GRAV U R E.
' Accueil favorable que le public a fait
que le fieur Surugue , Graveur du Roi , a
faite d'après le précieux tableau de Rimbrant
, qui eft dans le cabinet de M. leComte
de Vence , & la bienveillance de cet
illuftre amateur pour les Artiftes , ont engagé
l'auteur à entreprendre de graver le
fecond tableau du même Maître qu'il poffede
auffi , & qui fait le regard du premier.
Il repréfente un autre Philofophe
affis devant une table tout proche d'une
fenêtre , d'où vient la lumiere qui éclaire
le fujet ; l'attitude attentive de la tête &
des mains jointes pofées fur fes genoux ,
font voir qu'il eft abforbé , pour ainfi dire,
par la contemplation de quelque idée abſtraite
. Sur le devant à droite de celui qui
regarde l'eftampe , eft une cuifiniere qui
en tirant à elle d'une main une marmite ,
de l'autre attife le feu ; dans le fond eft
un efcalier fingulier , fur lequel , & dans
l'ombre, eft une Dame qui ouvre une porte
& tient d'une main une theïere.
Rimbrant paroît avoir voulu repréſenter
dans ces deux tableaux les effets de deux
MAR S. 1755. 153
:
lumieres différentes pour éclairer un même
lieu dans le premier c'eft un coup de foleil
, qui entrant par une fenêtre produit
une lumiere vive , mais fixée en un endroit.
Le tableau que l'on donne aujour
d'hui eft de même éclairé par une fenêtre
ouverte , mais feulement par un jour naturel
, fans foleil , qui répand une lumiere
plus douce fur les objets qu'elle rencontre
; cette différence extrêmement difficile
à exprimer en peinture & encore plus en
gravûre , fe trouve auffi vraie dans les
eftampes qu'elles le font dans les tableaux.
Ces eftampes fe débitent chez l'auteur
rue des Noyers , attenant un magafin de
papier , vis -à- vis S. Yves , à Paris.
Nous donnons avis auffi , & nous croyons
obliger le public , que l'on trouve chez ledit
fieur Surugue , Graveur du Roi , Phif
toire de Don Quichote , en vingt- cinq eftampes
, peintes par Ch. Coypel , premier
Peintre du Roi.
Le Roman comique de Scarron , en feize
eftampes , peintes par Pater , dont les tableaux
deviennent très-rares.
C
La galerie de l'Hôtel de Bretonvilliers ,
peinte en quatorze tableaux , par Sebaftien
Bourdon , dont le grand mérite eft connu
elles font gravées par lui -même.
La galerie du Palais royal , repréſentant
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
l'Énéïde de Virgile , en quinze eftampes ,
gravées par les plus habiles Graveurs de
Paris , fur les tableaux d'Ant. Coypel .
Et auffi toutes fortes d'eftampes , dont
il diftribue gratis le catalogue.
MUSIQUE.
Nouvelles pieces de clavecin , avec un accompagnement de violon & de
baffe , fait en concert & gravé féparément.
Ces piéces font de la compofition du fieur
Clément , connu par plufieurs autres ouvrages
pour le clavecin , que le public a vûs
avec plaifir. On peut jouer les pieces de
clavecin feules , fans accompagnement
, &
fans que cela nuife à leur harmonie. Elles
fe vendent chez l'auteur , rue & cloître
S. Thomas du Louvre , & aux adreffes ordinaires
de Mufique. Le prix en blanc
avec les parties féparées , douze liv.
METHODE
plus courte & plus facile
que l'ancienne , pour l'accompagnement
du
clavecin ; dédiée aux Dames , par M.
Dubugrarre , Organiste de S. Sauveur
Maître de clavecin.
CE
Ette Méthode , qui fuppofe la connoiffance
de l'accord parfait fur tous
les tons , tant majeurs que mineurs , fuffic
MARS.
1755. 735
pour l'accompagnement du clavecin , comme
l'experience qu'en font journellement
les Ecoliers de l'auteur , en eſt une preuve
incontestable. En faveur des perfonnes qui
defirent joindre à la facilité de l'exécution
une connoiffance étendue & diftincte de
tous les principes qui forment la théorie parfaite
de l'accompagnement , l'auteur , dans
un fupplément ou addition par demandes &
par réponſes , a détaillé ces mêmes principes
de la maniere la plus exacte & la plus
précife. Les peres & meres procureront à
leurs enfans le moyen de faire des progrès
rapides dans l'étude du clavecin , en leur
faifant apprendre par coeur ces principes.
L'Ecolier qui par la méthode & le fupplé
ment, eft fuppofé connoître de quoi fe préparent
& fe fauvent les accords , & fur
quels dégrés fixes ils fe forment , verra auffi
les régles invariables de la baffe fondamentale
; ce qui lui donnera des lumieres
pour la compofition . A la fin du fupplé
ment il trouvera une méthode de chiffrer
les accords , plus abrégée & plus facile
que celle dont on fe fert aujourd'hui ; cependant
on n'a pas négligé de donner dans
la méthode toutes les variations dans la
maniere de chiffrer les accords , afin que
P'Ecolier puiffe exécuter les pieces des différens
auteurs , quelle que foit leur coutume
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
de chiffrer ces mêmes accords.
L'auteur diftribuera gratis le fupplément,
chez lui & non ailleurs , aux perfonnes qui
auront déja acheté fa méthode . Celles qui
feront l'acquifition de fa méthode & de
fon fupplément , payeront le tout 6 livres.
La vente s'en fait aux adreffes ordinaires ,
& chez l'auteur , fauxbourg S. Denis.
On y trouve de plus , Borée & Orithie ,
Cantatille nouvelle , à voix feule , avec
accompagnement de flûte & de violon.
ARTS UTILES.
HORLOGERIE .
Ldesouvrages de la nature ; les grands
A fimplicité eft le caractere diftin & if
artiftes qui s'efforcent de l'imiter , ont d'ail
leurs trop de raifon de fimplifier leurs ouvrages
pour n'y pas employer toutes les
reffources de leur art & celles de leur génie
: auffi l'Horlogerie fe perfectionne tous
les jours à cet égard par les foins de ceux
qui , conduits par l'efprit plus que par
leur routine , & plus jaloux de leur gloire
que de leur intérêt , s'occupent de tout ce
qui peut contribuer à l'avancement & au
progrès de l'art .
Une nouvelle production de ce zéle induſtrieux
vient d'attirer l'attention des cuMARS.
1755. 157.
rieux , quoique fimple en elle -même , c'eft
par fa fimplicité qu'elle doit mériter des
éloges .
Les cadrans , cette partie néceffaire des
piéces d'Horlogerie , ont fait jufqu'ici un
objet de dépenfe confidérable ; s'ils ont
fubi dans les différens tems divers changemens
, ces changemens , loin d'en rendre
la conftruction plus facile & le prix
plus modique , n'ont fait qu'en augmenrer
les difficultés & la dépenfe , en les rendant
plus défectueux par rapport au méchaniſme
même : une fimple obfervation en
convaincra . Tout cadran émaillé de dix
pouces de diametre , emporte néceffairement
environ un pouce de convexité , par
l'impoffibilité où font les Emailleurs d'en
faire de plats : cette convexité en exige une
dans le cryſtal de la lunette , qui doit être
encore plus confidérable , pour laiffer libre
le mouvement des éguilles , ce qui enchérit
tout à la fois & le cadran & le cryſtal.
Mais il en résulte un autre inconvénient
nuifible au méchaniſme , comme on vient
de le dire ; c'eft que le canon & les chauffées
doivent être allongées confidérablement
, à caufe de la convexité du cadran ,
ainfi que la tige du rochet dans les pendules
à fecondes : cette tige devient par
cet allongement d'une exécution beaucoup
158 MERCURE DE FRANCE.
plus difficile ; elle en devient auffi plus
flexible , & par conféquent fujette à des
frémiffemens continuels , qui à chaque
vibration doivent altérer la juſteſſe de la
pendule. On fent par là combien les cadrans
plats doivent être plus avantageux.
par cet endroit même. Il faut dire enfin à
la louange de MM. Le Paute , auteurs de
ceux dont on rend compte ici , que cet,
objet de dépenfe , qui étoit quelquefois
de cent cinquante livres en émail , fans
compter plus de foixante livres pour le
prix du cryftal , fe trouve réduit , par les
foins de ces ingénieux artiftes , à vingtquatre
livres tout au plus. Ils ont d'ailleurs
tout le brillant & toute la blancheur
de l'émail , au point que les gens de l'art
même y font trompés. Chacun a la liberté
de s'affurer par foi-même de l'avantage de
ces nouveaux cadrans. Le laboratoire de
M. Le Paute eft ouvert à tous les honnêtesgens
, à qui il ne fait aucun myftere de
fon fecret.
MARS. 1755. 159
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
'Académie royale de mufique continue
& les Dimanches ; elle donne les Fragmens
les Mardis & les Jeudis , en attendant
la repriſe de Thefée , que l'indifpofition
de plufieurs acteurs a retardé .
COMEDIE FRANÇOISE.
L
Es Comédiens François ont donné le
de ce mois le Tartuffe & les Folies
amoureufes. Mme Novere , femme de M.
Novere , fi connu par le Ballet Chinois &
par celui de la Fontaine de Jouvence , a
débuté dans ces deux pièces , où elle joue
le rôle de la Soubrette. Le public lui a
fait un accueil favorable. Elle a repréſenté
fucceffivement Cléantis dans Démocrite ,
& Finettte dans le Philoſophe marié.
Le 8 , les mêmes Comédiens ont remis.
avec fuccès, Venceslas , tragédie de Rotrou..
160 MERCURE DE FRANCE.
Elle eft poftérieure au Cid , qui a été joué
en 1636. Venceflas n'a paru qu'en 1648 .
On voit par là que Rotrou , loin d'avoir
fervi de modele à Corneille , s'eft perfectionné
d'après lui . Cette piéce a de grandes
beautés. Le premier acte , le quatriéme
& le cinquiéme ne feroient pas indignes de
l'auteur de Cinna. Ladiflas eft un caractere
vraiment théatral ; il a ce mêlange de
vertus & de vices qui intéreffe fur la
fcene. Si ce Prince commet des crimes , le
feu de l'âge , & l'impétuofité d'une paffion
contredite , l'y forcent malgré lui ; le péril
même où ils le jettent , excitent en fa faveur
d'autant plus la pitié , qu'il ne tue fon
frere que par une méprife. Dans l'obfcurité
, il l'a pris pour Fédéric qu'il croyoit
fon rival. Venceflas qui lui pardonne
après l'avoir condamné , eft tout à la fois le
modele des peres & des monarques. Obligé
par fa juftice à punir Ladiflas , comme Roi
il prend l'héroïque parti de lui céder la
couronne , & de l'abfoudre alors comme
pere. Ce noble procédé forme un dénoument
d'autant plus heureux qu'il eft inattendu
, & qu'il eft en même tems dans la
nature. François de Roxas , auteur Efpagnol
, avoit traité , avant Rotrou , le même
fujet fous un titre moral qui l'annonce :
On ne peut être ✔ Roi.
pere
MARS. 1755. 161
COMÉDIE ITALIENNE.
L
Es Comédiens Italiens ont donné le
&
12 , pour la premiere fois , le Caprice
amoureux , ou Ninette à la Cour , comédie
en trois actes en vers , mêlée d'ariettes ,
parodiée de Bertholde à la Cour . C'eſt une
foeur de la Servante maîtreffe , mais qui
n'eft pas du même pere : M. Favard en eft
l'auteur ; on y reconnoît fa maniere & fon
coloris. Le public l'a très-bien reçue ; elle
attire de fortes chambrées ; ce qui confirme
le fuccès , & le juftifie mieux , fur- tout
aux yeux des Comédiens , que les applaudiffemens
, qui ne font pas toujours fuivis
de l'affluence. Cette nouveauté eft termi- .
née par un bal , qui eft fans contredit le
meilleur de l'année . Cet agréable divertiffement
eft de M. Deheffe , qui poffede
l'art de Médée. Il rajeunit les fujets les
plus vieux , & place fi bien fes différens
danfeurs , qu'ils brillent tous fans fe nuire ,
& varient toujours le tableau fans le charger.
J'applaudis d'abord la précifion brillante
de Mlle Catinon dans fon pas avec
les deux Negres ; j'admire enfuite la force
du fieur Saudi en Scaramouche. La gaité
légere du jeune Baletti me tranfporte à fon
162 MERCURE DE FRANCE.
tour , & je fuis en même tems enchanté
des graces vives de Mlle Camille , qui dif
pute avec lui d'enjoument.
OPERA COMI QU E.
L'Opéra comique a fait l'ouverture de
fon théatre le 1. de Février , par la
premiere repréſentation des Troyennes de
Champagne.Il l'a continuée alternativement
avec la Nouvelle Baftienne , la Servante
juftifiée , Bertholde à la ville , &c. jufqu'au
18 , qu'il a donné Jerôme & Fanchonete ,
paftorale de la Grenouillere , parodiée de
l'opéra Languedocien , & précédée de la
Chercheufe d'efprit & du Suffifant . Ce ba
dinage a été univerfellement applaudi , &
mérite de l'être ; il a ramené fur ce théatre
la gaité folle qui lui convient. Il fait rire
aux éclats ; il eft vrai qu'il eft très- bien
rendu par les acteurs , & fur-tout par
Mlle Rofaline , qui a faifi parfaitement
toutes les graces du genre. Il y avoit longtems
que nous n'avions ri de bonne foi
à aucun fpectacle. C'eſt un plaifir fi doux ,
& qu'on goûte aujourd'hui fi rarement
dans la capitale , qu'on doit franchement
s'y livrer , fans examiner s'il eft dans les
ségles de la décence , & remercier plutôt
MARS. 1755 163
Factrice & l'auteur qui nous le procurent.
M. Monet ne doit pas être oublié ; c'eſt à
fon zéle actif que ce fpectacle doit tout
fon éclat & fes fuccès. Je ne doute pas que
Jerôme & Fanchonette n'y attirent la foule
jufqu'à la clôture . Le baler des Matelots
dont cette parodie eft fuivic , eft de M.
Novere , & finit par une contredanſe qui
renvoye tous les fpectateurs contens.
Je reçois dans ce moment un exemplaire
de la pièce , qui fe vend chez Duchefne ,
Libraire , rue S. Jacques , au - deffous de la
fontaine S. Benoît , au Temple du goût : le
prix eft de 24 f. avec la Mufique : nous en
donnerons l'extrait le mois prochain. Elle
eſt de M. Vadé ; nous lui avons l'obligation
de nous avoir donné une Paftorale qui
n'eſt point une moutonnade. On ne lui reprochera
point la fadeur , ni la vanité de
vouloir être un émule férieux du grand
Opéra. Il a pris le ton convenable au théâ
tre pour lequel il travaille ; une charge
plaifante y eft toujours préférable à une
prévention ridicule , fans être rifible.
164 MERCURE DE FRANCE .
CONCERT SPIRITUEL.
E Dimanche 2 Février , jour de la Purification
, le Concert commença par
une fymphonie nouvelle ; enfuite Landa
Jerufalem , Pf. 147. de M. Philidor , motet
à grand choeur , qui a été exécuté à la
Chapelle du Roi. M. Richer , Page de la
mufique du Roi , chanta un petit moter.
M. Matthieu , ordinaire de la Chapelle &
de la Chambre du Roi , joua un concerto
de fa compofition. M. Albaneze chanta un
air Italien. Le Concert finit par Dominus
regnavit, motet à grand choeur de M. Mondonville
, Maître de mufique de la Chapelle
du Roi.
MARS.
1755 165
ARTICLE SIXIE ME.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU LEVANT.
DE CONSTANTINOPLE , le 4 Janvier.
L
E 22 Décembre , jour fixé pour l'inauguration
d'Ofman III , ce Prince , accompagné
de toute fa Cour , fe rendit à la Mofquée d'Ejoub.
Après que le Grand Seigneur eut fait fa priere ,
le Mufti s'avança vers la Hauteffe , & lui dit :
Puiffant Empereur , glorieux monarque , Dieu l'a
établi Sultan pour regnerfur les véritables croyans ;
fois fidele à la loi , & ton regne fera heureux. Il
ajouta enfuite en fe tournant vers le peuple
voilà celui que Dieu , dans l'éternité de fes decrets ,
a destinépour vous gouverner ; il obfervera la loi ;
foyez lui foumis. Puis il ceignit le cimeterre de
Mahomet au Sultan , qu'il exhorta de ne le tirer
que pour la défense de la religion & de la justice.
Lorfque cette cérémonie fut finie , la mufique
des Janiffaires fe fit entendre , & l'air retentit
d'acclamations . Le Grand Seigneur étant retourné
àu Sérail , on diftribua quinze cens bourſes aux
troupes. Au milieu des réjouiflances , quelques
Leventi , ou gens de mer , infulterent un Janiffaire
. Celui -ci n'en eut pas plutot informé les foldats
de fa compagnie , qu'ils fe répandirent dans
les rues voifines du port , & fondirent le fabre à la
main fur les Leventi. Heureufement l'Aga des
1
166 MERCURE DE FRANCE.
•
Janiffaires & le Capitan Pacha impoferent par leur
préfence aux uns & aux autres , & en peu de tems
le defordre fut appaifé . On empala fur le champ
fans autre forme de procès , les Leventi qui y
avoient donné lieu.
1
Sa Hauteffe étant inftruite que la plupart des
Mufulmans regardent la défenfe de boire du via
comme un réglement fait pour le fimple vulgaire ,
a ftatué de rigoureufes peines contre ceux qui ,
fans refpect pour l'Alcoran , feront ufage de cette
liqueur,
DUNOR D.
DE PETERSBOURG , le 4 Janvier.
L'anniverfaire de la naiffance de l'Impératrice
qui eft entrée dans la quarante-cinquième année
de fon âge , fut célébré le 29 du mois dernier avec
beaucoup de magnificence. Toute la Cour s'étant
affemblée le matin dans l'appartement du Grand
Duc , l'accompagna chez Sa Majesté Impériale,
A midi , l'Impératrice dîna en public avec ce Prin
ce ; on fervit une autre table pour la nobleffe de
la premiere & de la feconde claffe . Il y eut le foir
un bal dans la Galerie. Le Grand Duc ſoupa à
une table de deux cens couverts : on tira un feu
d'artifice , & toutes les rues furent illuminées.
Vis-à-vis la principale porte du Palais étoit une
décoration repréfentant le Cirque de Rome , &
éclairée par un grand nombre de pots à feu.
Une toux dont le Prince Paul Petrowitz a été
incommodé , a donné quelque inquiétude ; mais
les allarmes font diffipées , & ce Prince eft parfaitement
rétabli . Il ne fe paffe point de jour que
Impératrice ne lui rende vifite. La Grande DuMARS.
1755. 167
cheffe , après avoir gardé le lit pendant quelque
tems , commence à jouir d'une meilleure fanté.
Le bruit qui avoit couru que cette Princefle étoit
de nouveau enceinte , ne fe confirme pas.
DE STOCKHOLM , le 14 Janvier.
L'Hôpital établi en faveur des malades néceſſiteux
, a tout le fuccès qu'on peut defirer. Les
foins & les libéralités de la fociété qui a fondé la
maiſon des enfans trouvés , l'ont déja miſe en état
d'entretenir cinquante de ces malheureuſes victimes
de la mifere ou de l'infenfibilité de leurs parens.
Le zele du bien public animant également
ici tous les états , les Médecins travaillent de
concert à fixer la meilleure méthode d'inoculer la
petite vérole.
Malgré la rigueur dont l'hyer eft cette année
dans les pays même les plus méridionaux de l'Europe
, la faifon eft ici tellement temperée que
les côtes , & même les rivieres de ce royaume ,
n'ont pas ceffé d'être navigables , tandis que les
ports de la mer Baltique , du côté de la Pomeranie
& de la Pruffe , font totalement fermés par les
glaces .
DE COPPENHAGUE , le 24 Janvier.
Depuis que l'Hôtel des Invalides eft rebâti ;
en fait filer de la laine aux foldats qu'on y entretient
, & ce travail contribue à leur procurer divers
avantages que ne leur fournit pas la fondation.
Le premier des deux prix propofés par l'Académie
de Peinture , de Sculpture & d'Architecture
, a été adjugé au fieur Slod . Le fieur Schultz
xemporté le fecond. Le Baron de Pleffen , Cham
168 MERCURE DE FRANCE.
bellan , & le fieur Gram , Confeiller des Conférences
, ont été élus Académiciens honoraires de
cette Académie .
ALLEMAGN E.
DE VIENNE , le 18 Janvier.
. Le Comte de Bouquois , Maréchal de Bohême
& le Comte de Noſtitz , Préſident du Tribunal
des Appellations dans le même royaume , ont
été mandés de Prague par l'impératrice Reine.
Cette Princeffe a fait diftribuer deux mille cordes
de bois aux pauvres , pour les aider à ſupporter la
rigueur de l'hyver , qui eit telle qu'on a trouvé
deux fentinelles morts de froid à leurs poftes .
Le 26 du même mois , le Baron de Sievers eut
fes audiences de congé de l'Empereur & de l'Impératrice
Reine . Il fut conduit le lendemain à
celles des Archiducs & des Archiducheffes. Leurs
Majeftés Impériales lui ont fait préfent de leurs
portraits enrichis de diamans , & d'une bague de
très-grand prix. Le même jour , le Comte de
Keyferling , Ambaffadeur de la Cour de Ruffie ,
donna- la fête qu'il avoit fait préparer pour célébrer
la naiffance du Prince Paul Petrowitz.
DE DRESDE , le 23 Janvier.
Une infinité d'étrangers fe font rendus ici pour
prendre part aux divertiffemens du Carnaval . Quelqu'accoutumé
qu'on foit à y voir les opéra repréfentés
avec la plus grande magnificence , celui
qu'on joue actuellement a caufé une furprife générale.
Dans le Triomphe d'Ezio , le héros de
la piéce , il paroît cinq cens perfonnes , & plus
de
MARS. 1755 169
de cent cinquante chevaux , fans les dromadaires ,
& divers animaux inconnus dans ces climats.
Le fieur Durand , nouveau Miniftre de Sa Majefté
Très-Chrétienne auprès du Roi & de la République
de Pologne , arriva de Paris le 30 Janvier.
Les Février , il fut préſenté à leurs Majeftés
par le Comte de Broglie , Ambaſſadeur de
France.
Pour donner une idée de la magnificence avec
laquelle l'opéra d'Aëtius ( en Italien Ezio ) eft repréfenté
, nous tracerons ici le tableau du triomphe
du héros de la piéce. Une avant-garde de foldats
Romains , armés à la légere , & précédés d'un
Porte-enfeigne . Plufieurs trompettes & fonneurs
de cor couronnés de lauriers ; troupe de piquiers ;
prifonniers faits fur les Huns ; Cavaliers Romains ,
ayant trois Officiers à leur tête ; les principaux
Huns qui ont été pris ; foldats Romains ; huit mulets
& huit dromadaires chargés de butin , & conduits
chacun par un efclave : quatre chariots fur lefquels
font les machines de guerre enlevées à l'ennemi
; deux foldats marchent à côté de chaque
chariot ; divers portes- enfeignes , à la tête defquels
eft un tribun. Les dépouilles les plus précieuſes
des vaincus , portées fur des brancards ou
à la main , par des foldats ; fix autres foldats tenant
des trophées ; le Dieu de la Marne , que
quatre Romains portent fur leurs épaules , & qui
eft appuyé fur une urne renverfée. L'Ichnographie
, ou le plan géométral de la ville de Châlonsfur-
Marne , près de laquelle Aëtius a remporté
la victoire ; un étendard fur lequel on lit : Deviczori
Hunnorum , gentis barbara triumphus decretus
;cohorte prétorienne , chevaux de main d'Aëtius
, conduits chacun par deux palfreniers. Cheyaliers
Romains avec de grands boucliers , & avec
H
170 MERCURE DE FRANCE.
des panaches fur leurs cafques ; cinq enfeignes , fur
chacune defquelles eft peint le bufte de l'Empereur
Valentinien ; l'aigle Romaine ; huit Licteurs, leurs
faifceaux à la main ; Sénateurs Romains , marchant
trois à trois , & portant des branches de
laurier ; trois thurificateurs , trompettes , & autres
inftrumens militaires. Aetius dans un char
de triomphe , traîné par quatre chevaux de front ,
que conduit le génie tutelaire de Rome ; trois
thurificateurs ; les parens & amis du triomphateur;
troupe de cavalerie ; les efclaves d'Aëtius,
& des perfonnes de fa fuite . La marche eft fermée
par un détachement de fantaffins diverſement
armés.
DE BERLIN , le 28 Janvier.
On célébra le 24 l'anniverfaire de la naiffance
du Roi , qui eft entré dans la quarante-quatrième
année de fon âge. Sa Majesté reçut à cette occafion
les complimens des Miniftres étrangers , &
elle dîna enfuite chez la Reine Douairiere avec
toute la Famille royale.
On a reçu avis que le Cardinal Querini avoit
légué la quatrième partie de fes biens pour achever
la conftruction & les embelliffemens de la
nouvelle Eglife Catholique de cette ville. Hier
* on célébra dans l'ancienne Chapelle des habitans
-de cette communion , un ſervice folemnel pour
repos de l'ame de ce vertueux & fçavant Cardinal.
Fle
L'Académie royale des Sciences & Belles-Lettres
a élu , en qualité d'Affociés étrangers , Don
Joffe-Joachim Suares de Barros , célébre Aftronome
de Lisbonne ; le Docteur Mary , Médecin ,
de la Société royale de Londres ; le fieur de BerMARS.
1755. 171
ghen , Profeffeur en Médecine dans l'Univerfité de
Francfort fur l'Oder ; & le fieur André Mayer
Profeffeur de Mathématiques & de Phyfique , dans
celle de Grypfwalde en Pomeranie. Le fieur Eller ,
premier Médecin du Roi , lut le 23 à cette Académie
une differtation , dans laquelle il entreprend
de prouver que l'ufage des vales de cuivre
n'eft pas auffi nuifible à la fanté que beaucoup
de gens fe le perfuadent.
f
3
ITALI E.
DE NAPLES , le 18 Janvier.
Depuis le 4 de ce mois le froid eft extraordi
naire ; toutes les montagnes des environs , & le
Véfuve même , malgré les flammes & le torrent
de matiere bitumineufe qu'il continue de jetter ,
font couvertes de neige . Le Duc de Penthievre
arriva ici le 13 à trois heures après - midi. On attendoit
ce Prince dès le jour précédent , mais les
glaces l'ont retardé ſur la route. Il a été obligé de
monter à pied une partie de la montagne de Ve
letri , parce que les chevaux ne pouvoient traîner
les voitures. Le Marquis d'Offun , Ambaſſadeur
de France , eft allé avec plufieurs Seigneurs Napolitains
au-devant de Son Alteffe Séréniffime
jufqu'au Bourg de Capo di Chino . Lorsqu'elle
defcendit à l'hôtel du Marquis d'Offun , où elle
a pris fon logement , tous les vaiffeaux françois
qui étoient dans le port firent une falve de leur
artillerie. Le 15 , le Duc de Penthievre alla voir
la Maiſon royale de Portici , & ſe rendit de là fur
le Véfuve , pour examiner les effets de l'éruption
de ce Volcan. Ce Prince partit le 16 pour Caferte
, où font leurs Majeftés. Il fe propofe de
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
fa re un voyage à Pozzuolo & à Baïa,
DE ROME , le 27 Janvier.
Le Duc de Penthiévre eft arrivé ce foir de
Naples,, & il compte de partir les du mois prochain
pour Florence.
DE VENISE , le 31 Janvier.
Selon les avis reçus d'Alger , une confpiration
y éclata le 11 du mois dernier. Comme on devoit
ce jour- là payer le prêt à la milice , les conjurés
fe rendirent avec les autres foldats au palais , fous
prétexte d'aller recevoir leur folde. Dans le tems
qu'on étoit occupé à leur diftribuer l'argent qui
leur étoit dû , le Chef du complot s'approcha du
Dey , & lui déchargea un coup de fabre au défaut
de l'épaule. Le Dey , quoiqu'âgé & griévement
bleflé , fe mit en défenſe ; mais l'affaffin le tua
d'un coup de piftolet. Quelques autres des principaux
membres de la Régence furent en même
tems poignardés , & les conjurés décernerent le
titre de Dey à leur Chef. Il n'a pas joui long tems
de fa nouvelle dignité. L'énormité de fon attentat
ayant infpiré une jufte horreur à la plupart
des habitans & des foldats , ils ont pris les armes
contre lui , & il a été maſſacré , ainfi que fes
complices. La milice & le peuple , d'un concert
unanime , ont proclamé Dey Ali Effendi Aga ,
Général de la Cavalerie Maure. C'eft un homme
courageux , mais fage ; & l'on prefume qu'il fuivra
les maximes du gouvernement de fon prédé¬
effeur.
DE GENES , le 18 Janvier.
Les lettres de Modene marquent que le Duc de
MARS. 1755. 173
Modene y eft arrivé le 8 de Milan. L'équipage
d'un bâtiment qui revient d'Afrique , a rapporté
que Sidy Soliman , troifiéme fils du Bey de Tunis
étoit mort le 7 , & que fon caractere doux &
bienfaifant le faifoit regretter également des Tunifiens
& des étrangers.
DE TURIN , le 3 Février.
La fignature de tous les procès - verbaux , concernant
le réglement des limites entre le Roi &
la République de Genève , fut faite le 1 de ce
mois à Cornieres , fur la paroiffe de Villelagranda
Le Baron Foncet de Montalleur , Commiffaire
de Sa Majefté , donna à cette occafion un magnifique
repas aux Commiffaires de la République.
Les lettres de Parme , du 24 du mois dernier ,
marquoient que l'Abbé Comte de Bernis , Am
baffadeur du Roi Très - Chrétien auprès de la République
de Venife , étoit depuis le 8 à la Cour
de l'Infant Duc.
GRANDE - BRETAGNE.
DE LONDRES , le 13 Février .
Le Roi vient de nommer le Lord Harford ,
pour remplacer , en qualité de fon Ambaffadeur
extraordinaire auprès du Roi de France , le feu
Comte d'Albemarle.
•
Hij
174 MERCURE DE FRANCE.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
AUXERRE.
"L'Evêque d'Auxerre attendu dans cette
mois de Janvier. Sa politeffe & fa douceur lui af
furent déja le coeur de fes Diocétains , qui ont été
charmés de leur Prélat . 2
Le 2 du mois paffé , il fut inftallé par le grand
Archidiacre de Sens , fuivi de deux Chanoines.
Ce Prélat fit enfuite un difcours rempli d'affec
tion , de nobleffe & de religión . Le peuple accou
rut de toutes párts à cette cérémonie.
* M. l'Evêque d'Auxerre voit fouvent les Chanoines
de fa Cathédrale , & ils prennent grand
plaifir à le connoître , en cela imités par les principaux
habitans de cette ville. MM . fes Grands
Vicaires ont la même façon de penfer que le Prélat
, on la reconnoît chaque jour en la perfonne
de M. l'Abbé de Lifle . Tout cela annonce combien
ce Prélat eft digne du choix que le Roi à fait
de lui. Il avoit fçu gagner le coeur de fes Diocé+
fains en Dauphiné , il leur avoit procuré la paix
dans plus d'une occafion , il la cultivera ici avec
foin ; on doit l'attendre d'un mérite reconnu , réuni
à une naiffance diftinguée , M. l'Evêque d'Auxerre
étant d'une des plus anciennes maiſons de
la Principauté d'Orange.
Fouquet de Caritat étoit Grand Prieur de Touloufe
, lors du fiége de Rhodes . N. de Caritat étoit
MARS. 1755: 175
Evêque d'Orange en 1447. Dans les actes de la
maifon de Caritat de Condorcet ils prennent les
qualités de nobles & puiffans en 1320 , vis - à- vis
le Dauphin & les Barons de Mevouillon, qui étoient
fouverains.
Dans le territoire d'Orange il y a le fief de
Caritat. Cette Maifon a encore deux branches ;
l'aînée eft repréfentée par le Comte de Condorcet,
qui a des enfans mâles ; il eft le neveu de M. l'Evêque
d'Auxerre. La branche cadette eft établie
en Picardie ; elle a pareillement des mâles qui la
repréfentent . Les alliances de la maifon de Caritat
font celles de la Roche Montauban , d'Artaud,
d'Agouet , de Montmaur , de Montpezat , & au¬
tres.
Le Sr Dulaurent de la Barre , Recteur de l'U
niverfité , accompagné des Doyens des Facultés &
des Procureurs des Nations , fe rendit le premier
Février à Trianon , & il eut l'honneur , fuivant
P'uſage , de préfenter un cierge au Roi. Il alla en
fuite à Verfailles , où il remplit le même cérémo
nial à l'égard de la Reine & de Monfeigneur le
Dauphin.
Le mêmejour , le P. Gobain , Commandeur du
Couvent de la Merci , accompagné de trois Religieux
de cette Maiſon , eut l'honneur de préſenter
un cierge à la Reine , pour fatisfaire à l'une des
conditions de leur établiſſement fait à Paris en
1615 , par la Reine Marie de Medicis.
Le 2 , Fête de la Purification de la Sainte Vierge
, les Chevaliers , Commandeurs & Officiers de
POrdre du Saint-Esprit , s'étant aflemblés vers les
onze heures du matin dans le cabinet du Roi , Sa
Majeſté fortit de fon appartement pour aller à fa
Chapelle. Le Roi , devant qui les deux Huiffiers
de la Chambre portoient leurs maffes , étoit en
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
manteau , le collier de l'Ordre par- deſſus , ainf
que celui de l'Ordre de la Toifon d'or. Sa Majefté
étoit précédée du Duc d'Orléans , du Prince de
Condé , du Comte de Charolois , du Prince de
Conti , du Comte de la Marche , du Prince de
Dombes , du Comte d'Eu , & des Chevaliers ,
Commandeurs & Officiers de l'Ordre . Après avoir
affifté à la bénédiction des cierges & à la proceffion
, le Roi entendit la grande Meffe , à laquelle
l'Evêque Duc de Langres , Prélat , Commandeur
de l'Ordre , officia pontificalement. Lorsque la
Meffe fut finie , Sa Majeſté fut reconduite à fon
appartement en la maniere accoutumée.
Le 4 au foir , la Cour quitta le deuil qu'elle
avoit pris le 28 du mois dernier pour la mort de
Ja Margrave de Bade-Baden.
Le Marquis de Valory , Lieutenant général des
armées de Sa Majefté , Commandeur de l'Ordre
royal & militaire de S. Louis , & ci - devant Miniftre
plénipotentiaire auprès du Roi de Pruffe , a
obtenu le Gouvernement de la Citadelle de Lille. ”
Leurs Majeftés & la Famille royale fignerent le
4 le contrat de mariage de Mr le Peletier de Saint-
Fargeau , & de Dlle de Beaupré de Morfontaine.
Le 6 , le Duc de Cruffol prit féance au Parlement
, en qualité de Pair de France.
Le Préſident de Segur , Préfident du Parlement
de Bourdeaux , ayant obtenu du Roi l'agrément
de la charge de Prevôt de la ville , Prevôté & Vicomté
de Paris , vacante par la démiffion du Préfident
de Montplaifant , Préfident du Parlement
de Dijon , fur reçu hier au Parlement en cette
charge . Il fut enfuite inſtallé au Châtelet par les
Commiffaires de cette Compagnie dans les différens
fiéges de la Jurifdiction.
L'Académie royale de Peinture & de Sculpture
MARS. 1755. 177
•
a élú pour fon Secrétaire & Hiftoriographe , à la
place du feu fieur Lépicié , le Sr Cochin , Graveur
du Roi , Garde des deffeins du cabinet de Sa Majefté
, & l'un des membres de cette Académie les
plus diftingués .
2
Les Religieux de l'Abbaye royale de S. Denis
conformément à la fondation faite par le Roi ,
célébrerent le 7 Février , dans leur églife , un fervice
folennel pour le repos de l'ame de Madame
Henriette.
>
Les Commiffaires du Parlement qui ont inf
tallé le Préſident de Segur au Châtelet dans la
charge de Prevôt de Paris font le Préfident
Molé , & les fieurs de Fieuber , Langlois , Pinon
& Lamblin. Le Préfident de Segur fuccede au
feu Comte d'Efclimont dans cette charge , le
Préſident de Montplaifant , qui en avoit obtenu
Pagrément , ne s'y étant pas fait recevoir.
Le fervice fondé par Monfeigneur le Dauphin
pour Madame Henriette , fut célébré le 8 dans
l'églife de la paroiffe du château. La Reine y a
affifté , accompagnée de ce Prince & de Melda,
mes de France.
Meffire Charles de Secondat , Baron de Montefquieu
, ancien Préfident du Parlement de
Guyenne , & l'un des quarante de l'Académie
Françoife , dont il étoit un des principaux orne
mens , mourut le 10 en cette ville , âgé de foixante-
cinq ans Il étoit de la Société Royale de Lon
dres , & de l'Académie de Berlin .
Le 12 , mercredi des Cendres , le Roi reçut les
cendres des mains du Cardinal de Soubife , grands
Aumônier de France , la Reine les reçut des mains
de l'Archevêque de Rouen , grand Aumônier de:
Sa Majefté ; Monfeigneur le Dauphin , de celles
de l'Abbé du Châtel , Aumônier du Roi ; Ma
Hy
'
178 MERCURE DE FRANCE.
dame la Dauphine , de celles de l'Archevêque de
Sens , fon premier Aumônier ; Monfeigneur le
Duc de Bourgogne , Monfeigneur le Duc de
Berry , & Madame , de celles de l'Abbé Barc
Chapelain du Roi ; Madame Adelaïde , de celles
de l'Evêque de Meaux , premier Aumônier de
cette Princeffe ; Mefdames Victoire , Sophie &
Louife , de celles de l'Abbé Châtelain , Chapelaindu
Roi.
Leurs Majeftés ont entendu le 13 une Meffede
Requiem , pendant laquelle la mufique a chanté
Je De profundis pour l'anniverfaire de Madame la
Dauphine , mere du Roi.
Leurs Majeftés entendirent le 14 une Meffe de
Requiem , pendant laquelle la mufique chanta le
De profundis , pour l'anniverfaire de Madame
Henriette.
Le rs , jour anniverfaire de la naiffance du
Roi, le Comte de Noailles , Gouverneur de Verfailles
, accompagné des Officiers du Bailliage de
cette ville , fe rendit à l'égliſe de Notre-Dame ,
paroiffe du château , & il y affifta au Te Deum ;
il alluma enfuite le feu qui avoit été préparé vís➡
à-vis du portail de l'églife.
·
Le même jour Sa Majefté a envoyé par Mr, le
Marquis de Champcenetz , fon premier Valet de
chambre , à Monfieur le Duc de Bourgogne
pour fon amuſement & fon inftruction , le fyfte
me de Copernic , ouvrage de Mr. l'Abbé du But ,
Curé de Viroflay , près Verfailles , qui avoit eu
l'honneur de le préfenter au Roi le 3 du mois de
Janvier dernier. Sa Majefté l'avoit gardé jufqu'à
ce jour dans fon cabinet.
Cette machine confifte en un grand palais de
glaces , dont les colonnes cannelées font de
cryftal , les bafes & les chapiteaux d'or , le tont
MARS.
1755. 179
entrecoupé de nuages peints au naturel , & décorés
d'un grand nombre de guirlandes feintes de
pierreries : le foleil immobile , & tournant fimplement
fur fon axe , paroît au milieu de ce palais
; il eft repréſenté par des feuilles d'argent
colorées , qui répandent un éclat extraordinaire ;
les planetes de Mercure, Vénus & Mars, défignées
par leurs divinités en émail, affifes fur des globes,
tournent autour de cet aftre ; la terre perfonifiée
par Cybele , pofée fur une fphere , parcourt les
douze fignes du zodiaque , & s'arrête aux quatre
principaux points ; fçavoir , les folftices d'été & .
d'hyver , les équinoxes de printems & d'automne ;
Flore , Cérès , Bacchus & une des Parques , dé
fignent chacune un de ces points ; la terre emporte
dans fon tourbillon la lune qui la ſuit dans
un char d'argent & d'ébene ; far le devant Jupiter
& Saturne font leurs révolutions : ces planetes
font accompagnées de petits amours qui mar
quent & égalent le nombre de leurs fatellites. On
a auffi répandu dans ce palais nombre de figures:
d'émail , représentant les mois , les femaines , les
jours & les nuits , qui , fe mouvant & fe réfléchiffant
dans les glaces , font un effet furprenant.
Aux deux côtés de l'efcalier du palais s'élevent
deux rochers , où font placés les quatre vents
caractérisés par leurs différens attributs ; deux
grands cartouches hors du palais contiennent les
tems des révolutions de chaque planete für leurs
axes , & celui qu'elles emploient à parcourir leurs
orbes , leur éloignement par rapport à la terre.
Toute cette machine eft enfermée dans une
boîte composée de fix volumes de très -grands in
folio , qui portent pour intitulé le Monde.
Ce même jour Mr. le Marquis de Champcenetz
a préfenté à Madame , de la part du Roi le pa
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
lais du foleil , du même goût , & du même traẻ
vail que le précédent.
La Comteffe de Lauraguais fut préfentée le 16
à Leurs Majeftés & à la Famille Royale ; elle prit
le tabouret , en vertu du brevet d'honneurs accordé
par le Roi au Comte de Lauraguais.
Le 16 de ce mois , fur les onze heures du matin
, la Princeffe de Condé commença de fentir
quelques douleurs. L'après-midi , entre quatre
& cinq heures , elle accoucha d'une Princeffe
qui fut ondoyée le même jour , & qui fe nommera
Mademoiſelle de Bourbon . La Princeffe
de Condé & la jeune Princeffe fe portent auffi
bien qu'on puiffe le defirer.
On chanta le 18 ke De profundis , pendant la
meffe de Leurs Majeftés , pour l'anniverſaire de
Monfeigneur le Dauphin , pere du Roi . .
Le même jour Leurs Majeftés fignerent le
contrat de mariage du Comte de Thomond , Chevalier
des ordres du Roi , Lieutenant- Général des
armées de Sa Majefté , & Infpecteur de l'infanterie ,.
avec Demoifelle de Chiffreville.
Le Roi a accordé à M. Bochart de Sarron ,
Avocat général au Parlement , l'agrément de la
charge de Préfident , vacante par la mort du Préfident
Gilbert de Voifins.
M. Seguier , Avocat général au grand Con--
feil , a obtenu l'agrément de la charge d'Avocat
général au Parlement , de laquelle M.
d'Ormeflon de Noifeau le demer , pour paffer à
celle de Préfident . Celle d'Avocat général , de
M. Bochart de Sarron , eft donnée à M. Peletier
de Saint -Fargeau , Avocat du Roi au Châteler.
Sa Majesté a gratifié d'une penfion de fix mille
livres M. Joly de Fleury, qui depuis que M..
MARS. 1755. 181
d'Ormeflon de Noiſeau a quitté le parquet , ef
devenu premier Avocat général .
Le 20 les actions de la Compagnie des Indes
n'avoient point de prix fixe. Les billets de la premiere
lotterie royale étoient à huit cens treize
livres , & ceux de la feconde lotterie , à fept cens
quatorze.
REMARQUES fur la Lotterie de
Bruxelles.
E fonds de cette lotterie eft compofé de cent
quante florins chacun ; il doit y avoit cent foixante-
dix mille lots , dont un très- grand nombre ,
comme on peut croire , font au deffous de la mife.
Il y aura cinq tirages , & dans chacun des quatre
premiers cinq mille lots. Les numeros fortis aux
premiers tirages rentreront à chaque fois dans la
roue pour
les tirages fuivans , on voit qu'il refte ,
pour le dernier tirage autant de lots qu'il y a de
numeros , dont un très-grand nombre ne font
que de quarante florins ; & comme on retiendra
dix pour cent après le tirage , ceux qui n'auront
eu qu'un lot de quarante florins ne retireront
que trente-fix florins , &.par conféquent quatorze
de perte. Mais , dira-t - on , ceux qui auront été ,
affez heureux pour avoir quelque lot aux quatre
premiers tirages , gagneront. Oui , ceux qui auront
eu un ou plufieurs lots , faifant plus de quin
ze florins , entre lefquels beaucoup fe trouveront
avoir deux ou trois florins de bénéfice , d'autres
cinq , fix , huit , douze , & c . plus ou moins ,
& quelques-uns un bénéfice paffable , car la lot182
MERCURE DE FRANCE.
terie ne peut pas honnêtement garder le tout.
Mais tous ceux qui n'auront eu dans les quatre
premiers tirages qu'un lot de quinze florins ou
au-deffous , & ils feront en grand nombre , auront
encore de la perte s'ils n'ont qu'un lot de quarante
florins au cinquieme tirage : car un lot de
quinze florins & un de quarante font cinquantecinq
florins , dont ôtant cinq florins & demi , à
caufe des dix pour cent , reite quarante florins
pour une mife de cinquante florins.
Mais le plus qu'on puiffe perdre eft quatorze
florins , auffi peut- on remarquer au dernier alinea
du plan , que la lotterie fera crédit de trente- fix
forins à ceux qui voudront fournir quatorze
florins en prenant les billets ; & ils ont raiſon ,
ils ne courent aucun rifque à faire ce crédit , puifque
c'eft ce qui doit rentrer à ceux qui auront le
fort le plus défavorable , qui feront ceux qui
n'ayant pas eu des lots aux quatre premiers tirages
, n'auront qu'un lot de quarante florins au'
cinquieme tirage , & de ceux-ci il y en aura plus
de cent trente mille.
Il s'enfuit de ce qui précéde qu'on ne doit regarder
la mife réelle que de quatorze florins , &-
que ceux qui n'auront que des lots de quarante
forins font ceux qui n'auront point de lots ; car
donner cinquante florins pour n'en retirer que
trente-fix , ou donner quatorze florins & n'avoir
aucun lot , c'eſt bien la même chofe ; le refte
n'eft qu'une illufion pour mieux duper les joueurs.
On doit voir d'après tout ce qu'on vient de dire ,
que le fonds de la lotterie ne doit être réputé que
de cent cinquante mille fois quatorze florins , en
retranchant trente-fix forins de chacun des cent
cinquante mille lots du cinquieme tirage ; & en
effet la lotterie fe contente de quatorze florins par C
MAR S. 1755. *
183
billet , pourvu qu'on les donne d'abord , ce qui
fait un fonds de deux millions cent mille florins.
Quel avantage y a -t-il donc à annoncer une
mife de cinquante florins par billet : Le voici ; il
n'eft pas mal grand. On préleve par cet artifice
dix pour cent fur un fonds de cent cinquante mille
fois cinquante florins, ou de fept millions cinq cens
mille florins , lefquels dix pour cent rapportent
fept cent cinquante mille florins , au lieu que fi
on ne prélevoit les dix pour cent que fur le fonds
réel de cent cinquante mille fois quatorze florins ,
on n'auroit que deux cens dix mille florins de bénéfice.
Or on eft bien aiſe d'avoir davantage ; &
pour en avoir le prétexte , on dit qu'on fait crédit
d'un fonds dont on n'avoit befoin que pour
faire montre , & la preuve qu'on n'en avoit pas
befoin , c'eft qu'on en fait crédit , & que les trente-
fix florins ne font par là qu'en idée dans les
lots pour en faire paroître davantage , & tous plus
forts.
On fait fupporter à la mife réelle les dix pour
cent du fonds imaginaire des cinq millions quatre.
cens mille florins de crédit , qu'il leur étoit affez
indifférent à l'intérêt près ) de toucher ou de ne
pas toucher , pourvû qu'ils en ayent les dix pour
cent. C'eft proprement dire aux joueurs , je veux
bien ne prendre que dix pour cent de l'argent que
je vous fais jouer , à condition que j'y prendrai
auffi dix pour cent de l'argent que vous ne jouez
pas.
Qu'on y faffe bien attention : qu'est - ce que c'eft
que des lots moindres que la mife ? n'en réſultet-
il pas toujours une perte pour les joueurs ? Et
pourquoi demander à chaque joueur plus qu'il ne
doit , ou ne peut perdre ? pouquoi leur demander
un argent qu'on fçait devoir néceffairement leur
184 MERCURE DE FRANCE
rentrer un jour , fi ce n'eft pour faire , on faire
paroître une grande recette pour avoir occafion
d'y prendre un bénéfice à proportion , qui ne peut
être qu'aux dépens de la mife réelle ? auffi fur deux
millions cent mille florins qu'il y a ici de fonds
réel , préleve-t- on fept cens cinquante mille florins,
ce qui eft prefque trente-fix pour cent. L'auteur
du plan ofe cependant dire que cette lotterie eft
infiniment plus favorable que toutes les autres qui
ont paru jufqu'ici . Il eft vrai qu'elle eſt favorable :
refte à dire pour qui ; ou bien ignore- t - il qu'on
n'a pris jufqu'à préfent que quinze pour cent aux
trois lotteries de Paris , ce qui n'eft pas les trois
feptiemes de ce qu'on prend par la fienne , & encore
n'a -t- on autant pris que parce que ce revenu
a toujours été deſtiné à des oeuvres pieuſes , car
dans toute autre occafion on a toujours moins
pris.
On doit voir par ces remarques que cette lotterie
n'eft qu'une attrape , dans laquelle un nombre
prodigieux de perfonnes ont déja donné , fans s'en
appercevoir. Fait -on en France des lotteries avantageufes
pour le public les François les laiffent
remplir par les Etrangers. Les Etrangers en fontils
de très -defavantageufes , les François y donnent
à plein collier ?
MARS. 1755. 185
NAISSANCE ,
MARIAGES ET MORTS.
E31 Janvier , Dame Marie - Jeanne Moreau
- -
Puech , Seigneur de Laloubiere , eſt accouchée
d'un fils qui a été baptifé le même jour en l'Eglife
de S. Euſtache de Paris , & nommé Marie - André-
Louis.
Voyez fur la famille del Puech le Mercure de
Janvier au fujet du mariage du fils aîné de François
del Puech de Comeiras , Brigadier des armées
du Roi , coufin germain paternel de Jean- Pierre-
Louis del Puech de Laloubiere,, pere de Marie-
André - Louis del Puech , qui a donné lieu à cet
article .
1
Meffire Marie-Henri de Salvert , fils de Meffire
Gilbert- François , Comte de Salvert , a époufé le s
Novembre dernier à Sceaux Dlle Charlotte -Henriette
de Sabrevois , fille de Meffire- Henri de Sabrevois
, Maréchal des camps & armées du Roi ,
Lieutenant général de l'artillerie , & Commandant
en chef le département d'Alface.
Meffire François de Boyffeulh , Capitaine de
Cavalerie au Régiment de Lufignan , fils de Meſſire
Charles , Comte de Boyffeulh , Lieutenant- Colonel
du Régiment de Marcieux ; & de Dame Mar.
the d'Abzac , époufa le 27 Novembre Dlle Marie-
Marguerite-Catherine Damblard de Lafmaftres ,
fille de Meffire Jean- Marie Damblard de Lafmaftres
, Commandant de la Venerie du Roi ; & de Da
186 MERCURE DE FRANCE.
me Catherine de Bauny. La bénédiction nuptiale
leur fut donnée par l'Evêque d'Arras dans l'Eglife
de la Paroiffe du Château à Verſailles , & la Comteffe
de Toulouſe affifta à cette cérémonie. Leur
contrat de mariage avoit été figné le 24 par leurs
Majeftés , & par la Famille royale.
Le 28 de Novembre fut faite dans la Chapelle
de l'Hôtel de Soubife la célébration du mariage de
Louis , Comte de Prie , Gouverneur de Bourbon-
Lancy , Moufquetaire de la Garde ordinaire du
Roi dans la premiere Compagnie , fils de François-
Leonor de Prie , Chevalier , Marquis-de Pla
nes & Courbepine , Seigneur haut jufticier de
Chauffée en Normandie , & de Thefmillon en
Bourgogne , Seigneur & Patron des Paroiffes de
Coquainvilliers , du Chefne , de Leffart en Normandie
, &c. Commandeur des Ordres réunis de
Notre Dame de Mont- Carmel & de S. Lazare ,
& ancien Capitaine de Cavalerie au Régiment
qui portoit le nom de fon frere aîné Louis II de
Prie , Marquis de Planes , dit le Marquis de Pries
& de Marie-Magdeleine- Genevieve Loquet , Dame
de Tolleville en Normandie , &c. avec Loui
fc - Camille -Victoire de Villette , fille de Pierres
Charles de Villette , Ecuyer , Seigneur du Pleffis-
Longueau, de Baficourt , d'Houdancourt , de Saron,
du Portail , &c . Confeiller du Roi en fes Con
feils , Commandeur , Tréforier de l'Ordre royal
& militaire de S. Louis , Tréforier général de
l'extraordinaire des guerres ; & de Thérèſe- Charlotte
Cordier de Launay , fille de Jacques Cordier
de Launay , Ecuyer , Seigneur de Valery , de
Dinant , de la Verriere , &c , ancien Thréforier
général de l'extraordinaire des guerres. Leur contrat
de mariage avoit été honoré le 24 de la fignature
du Roi , de la Reine , & de la Famille royale.
MARS 1755 . 187
Tous les avantages qui conftituent la grandeur
des Maifons , nobleffe dont l'origine fe perd dans
l'obfcurité des fiécles , poffeffion de grandes terres
, alliances illuftres , fervices importans rene
dus à l'Etat , dignités & honneurs qui en font la
jufte récompenfe , tous fe trouvent réunis dans la
Maifon de Prie , de laquelle il eft forti un Cardinal
, un Grand Pannetier , deux Grands- Queux, un
Grand Maître des Arbalêtriers de France , un
Chevalier des Ordres du Roi , des Capitaines de
Compagnies d'Ordonnance , & autres Officiers
de diftinction . Elle tire fon nom de la terre de
Prie en Nivernois , où elle a poffedé plufieurs
autres terres confidérables , auffi bien que dans le
Berry , entr'autres celle de Bufançois.
*
Elle eft connue depuis Geoffroi , Sire de Prie
qui fut préfent en 1178 à la donation faite par la
Comteffe de Nevers aux Religieux de Notre- Da
me de la Ferté -fur -l'Ifeure.
Un de fes defcendans , Philippe de Prie , Sei
gneur de Moulins en Berry , qualifié Chevalier
Banneret , étoit en 1338 Sénéchal de Beaucaire
& de Nîmes , dignité qui n'étoit alors donnée
qu'aux perfonnes de la plus haute naiffance. Ce
Seigneur qui fervit le Roi Philippe de Valois dans
différentes expéditions , laiffa de fa femme Ifabeau
de Sainte-Maure , Philippe de Prie , dit le Borgne,
Seigneur de Moulins. Celui - ci étoit en 1342 Maître
d'Hôtel du Duc de Normandie, qui fut depuis le Roi
Jean , & qui en récompenfe de fes fervices le fit
Capitaine fouverain & général au Bailliage de
Les poffeffeurs modernes de cette terre induits
apparemment en erreur par quelques Topographes
mal inftruits , en écrivent le nom Prix, il eſt écriz
Prie dans tous les anciens titres.
188 MERCURE DE FRANCE.
Bourges , & de cinquante hommes d'armes de fa
Compagnie.
Son fils Jean VII du nom , qualifié Sire de Prie
& de Bufançois, Seigneur de Châteauclos , de Gargilefle
& de Thefmillon , Chevalier Banneret , fur
appellé , fuivant des mémoires manuferits , Paon
de Prie , à caufe de fa magnificence. Il fe diftingua
principalement par fa fidélité envers le Roi
Jean , fait prifonnier à la bataille de Poitiers , &
le Dauphin Régent du Royaume , depuis Roi
Charles V. Il fut un des principaux Barons du
Berry , qui prirent les armes pour défendre cette
province contre l'invafion des troupes du Prince
de Galles . Il eut entr'autres enfans de fa femme ,
Philippe Courault.
Jean VIII , Chevalier , Sire de Prie & de Bufançois
, Confeiller & Chambellan du Roi , allié
avec llabeau de Chanac , de laquelle il laiffa Jean
& Antoine de Prie. L'aîné mérita par fes fervices
d'être élevé à la dignité de Grand Pannetier de
France , & s'attira par fa fidélité la haine du Roi
d'Angleterre , qui confifqua la terre de Prie , que
Charles VII rendit depuis à fes héritiers légitimes.
Il fut tué en 1427 d'un coup de vireton , en défendant
contre les Anglois la groffe tour de Bourges
, dont il étoit Capitaine.
Antoine , frere puîné de Jean VIII , qui l'avoit
forcé dans fa jeuneffe à fe faire Religieux dans
l'Abbaye de Déols , avoit paffé depuis dans l'Ordre
de Saint Jean de Jerufalem . Après la mort
fans enfans de ce frere aîné , il obtint difpenfe
de fes voeux ; il s'allia avec Magdeleine d'Amboife
, & continua la lignée , étant devenu Sire de
Prie & de Bufançois , Seigneur de Montpoupon
de Moulins & de Thefinillon. Il fut Chevalier,
MARS. 1755. 189
Confeiller & Chambellan du Roi Charles VII
& du Dauphin , & en 1431 Grand Queux de
France. Il prenoit la qualité de premier Baron de
Touraine ; il affifta, au lit de Juftice à Vendome
pour la décifion du procès du Duc d'Alençon , &
yfut affis à droite fur la même ligne que le haut
banc des Ducs & Comtes- Pairs de France . Il vendit
la Seigneurie de Prie à Imbert de la Plattiere ,
Seigneur de Bourdillon , Gentilhomme Nivernois,
qui devenu Maréchal de France, fut appellé le Maréchal
de Bourdillon . Par fon teftament il ordonna
que douze pucelles , vêtues de robes blanches de
fin lin , porteroient chacune à fon enterrement
un flambeau de cire blanche , du poids de deux
livres. Il laiffa , entr'autres enfans , trois fils , qui
furent élevés aux premieres dignités.
Louis I de Prie ( fils aîné d'Antoine ) , Chevalier
, Baron de Bufançois , Seigneur de Montpoupon
& de Thefmillon , Confeiller & Chambellan
du Roi , fut auffi Grand Queux de France. Cette
charge fut fupprimée après la mort , & l'exercice
en fut uni à celle de Grand Maître de l'Hôtel du
Roi. Il voulut que fes funerailles fe fiffent comme
celles de fon pere , en doublant le nombre des
pucelles. Il portoit, ainfi que fon pere, l'écu écartelé
au premier & au quatre de gueules, à trois tiercesfeuilles
d'or , qui eft Prie ; au fecond & au troisieme
d'or , à une aigle à deux têtes de fable , couronnée
de gueules , qui eft Bufançois * . Louis , Sire de
Prie , avoit été allié à Jeanne de Salazart , fille
de Jean de Salazart , Seigneur de Saint-Juſt & de
Marcilly , & de Marie de la Tremouille , Dame
de Saint - Fargeau. Leurs petits- fils Gabriel &
* La terre de Bufançois , l'une des plus confidé
rables du Berry , appartient aujourd'hui au Duc de
Saint-Aignan
190 MERCURE DE FRANCE.
René de Prie , moururent fans pofterité .
René de Prie , fils puîné d'Antoine , & coufingermain
, par la mere , du Cardinal d'Amboiſe
fut grand Archidiacre de Bourges , Proto-Notaire
apoftolique , Doyen de S. Hilaire de Poitiers ,
Abbé Commendataire de Sainte - Marie de Levroux,
de
de Notre Dame du Landais , du Bourg-Dieu ,
la Prée-fur-Arnon , & de Lire ; Evêque fucceffivement
de Leitoure , de Limoges & de Bayeux ;
enfin Cardinal en Janvier 1506 , & nommé le
Cardinal de Bayeux . Il fut un des membres du facré
Collége , qui tinrent le Concile de Piſe contre
le Pape Jules If. Il mourut le 9 de Septembre 1516 ,
& fut enterré dans fon Abbaye de la Prée.
Aimard I de Prie , ( troiſieme fils d'Antoine ) ;
Chevalier, Seigneur de Montpoupon , de la Motte ,
de Lezillé, de Thefmillon , & c. Confeiller & Chambellan
du Roi , Capitaine de cinquante Lances de
fes ordonnances , & Gouverneur du Pont Saint-
Efprit, fut Grand Maître des Arbalêtriers de France
, charge qui fut fupprimée après la mort arrivée
avant 1527. C'eſt la postérité qui fubfifte .
Il avoit été marié deux fois . De fa premiere
femme Claude de Choiſeul de Traves , il n'eut
que deux filles. La feconde , Claude de la Baume-
Chevalier , Montrevel , le fit pere d'Efme de Prie ,
Seigneur de Montpoupon , de Lezillé , de Toucy ,
de Thefmillon , de la Grange- Foffegiler , & c. Celui-
ci fut Capitaine de cinquante hommes d'armes
des ordonnances du Roi , Gouverneur & Lieutenant
pour le Roi en la ville d'Auxerre & pays
Auxerrois , Lieutenant général au Gouvernement
de Touraine , Blaifois & Vendomois , & Chevalier
de l'Ordre du Roi . De fon mariage avec Charlotte
de Rochefort de Pleuvaut , nâquit entr'autres eRfans
MAR S. 1755. 191
René de Prie , Chevalier , Baron de Toucy ,
Seigneur de Montpoupon , de Lezillé , de Thefmillon
, & c. Ecuyer d'Ecurie du Roi Charles IX ,
Gouverneur de Touraine . Celui - ci qui fut auffi
Chevalier de l'Ordre du Roi , époufa , par contrat
du 19 Novembre 1559 , Joffine de Selles, fille unique
d'Antoine de Selles , Seigneur de Beuzeville
& de Magdeleine de Ravenel . Leur fils aîné
Aimard II de Prie , Chevalier , Marquis de Tou
cy , Baron de Montpoupon , Seigneur de Thef--
millon , &c. Capitaine de cent hommes d'armes
des ordonnances du Roi , & Chevalier de fon Ordre
, fut député par la nobleffe du Bailliage d'Auxerre
aux Etats Généraux de 1614 : c'eft en conféquence
de fon mariage avec Louiſe , fille & hériere
pour moitié de Guillaume de Hautemer ,
Chevalier , Comte de Grancey , Seigneur de Fervaques
, de Planes , &c , Maréchal de France , &
Chevalier des Ordres du Roi , dit le Maréchal de
Fervaques , que la maifon de Prie fe trouve tranfplantée
en Normandie.
François de Prie , troifieme fils d'Aimard II , &
le feul qui ait continué la lignée , eut , du chef
de fa mere , la baronie de Planes en Normandie
& fut pere d'Aimard-Antoine de Prie , Chevalier ,
Baron de Planes , Seigneur de Coquainvilliers ,
du Chêne , de Marigny , &c . & Maréchal de bataille
des camps & armées du Roi. Celui - ci eut
pour fils Louis II & François- Leonor de Prię ,
pere de celui qui donne lieu à cet article .
Louis II de Prie , Baron , puis Marquis de Planes
, dit le Marquis de Prie , fut Colonel d'un Régiment
de Cavalerie de fon nom , Brigadier
des
armées du Roi , Chevalier de fes Ordres ; fon Ambaffadeur
auprès du Roi de Sardaigne , l'un des
Seigneurs attachés à l'éducation de Sa Majefté ,
192 MERCURE DE FRANCE:
Gouverneur de Bourbon -Lancy , & Lieutenant
général au Gouvernement du Bas- Languedoc ;
c'eft en fa faveur que les terres réunies de Planes
& de Courbepine furent érigées en Marquifat ,
fous le nom commun de Planes, par lettres du mois
de Février 1724. Il avoit eu conjointement avec
la Ducheffe de la Ferté fa coufine , l'honneur de
tenir fur les fonts de bapteme le Roi Louis XV.
glorieufement regnant.
La Maiſon de Prie tient par des alliances , la
plupart réiterées , aux anciennes Maifons de Bertrand-
Briquebec , de Chauvigny , de Sully , de
Craon , de Parthenay- l'Archevêque , de Boulogne,
de Châlon , d'Amboise - Chaumont , de Grailly-
Feix, d'Albret-Navarre; aux Maiſons exiftantes de
la Tour-d'Auvergne , de Rohan - Guemené , de Røhan-
Soubife , de Montmorenci-Laval , de Montmorenci-
Luxembourg , de la Tremouille , d'Uzès , de
Beauvilliers , d'Aumont , de Gévres , de Mailly ,
de Chabannes , de Bethune , de Rochefort - d'Aloigny
, de Choiseul , de Beauvau , ď’Alegre , de
Sennectere , de Sainte- Maure , de la Baune-Montrevel
, de Rouxel-Medavy , & à plufieurs autres des
premieres Maifons du Royaunie.
La Maiſon de Prie porte pour armes , de gueules
, à trois tierces-feuilles d'or , deux & une. Son
ancien cri de guerre eft cant d'oiſeaux ; & fa déwife
, non degener ortu.
Voyez l'Hiftoire généalogique des grands Officiers
de la Couronne ; l'Hiftoire de Berry, par la
Thaumafiere ; l'Hiftoire généalogique de la Maifon
de Chateigner , par André Duchêne. Les mémoires
de Michel de Maroles , Abbé de Villeloing,
&c. Voyez les Tablettes hiftoriques , tom. iv. p.
214.
Meffire Jofeph - François de Paule de Preaulx ,
de
MARS. 1755. 193
fils de Meffire Jofeph de Preaulx , Marquis de
Preaulx , a époufé le 2 Novembre dans la ville de
Château -Gontier en Anjou , Dlle Renée-Catheri
ne - Jeanne du Tertre de Sancé.
Meffire Jean-Baptifte-François- Gabriel - Louis
de Coutaud , Marquis de Coulanges , Capitaine de
Cavalerie au Régiment de Bourbon-Buffet , fils de
feu Meffire Jean de Coutaud , Baron de Coulanges
, & de Dame Marguerite de Polaftron , fut
marié le 7 Janvier à Dile Marie- Louife - Jofeph
de Calonne de Courtebonne , fille de feu Meffire
Louis-Jacques de Calonne , Marquis de Courtebonne
, Maréchal des camps & armées de Sa Majefté
, Lieutenant de Roi de la province d'Artois
& de Dame Ifabelle - Claire -Jofeph Guillain de la
Tour- Saint- Quentin.
Meffire Jean- Baptifte du Sauzay , Marquis du
Sauzay, Rebé , Amplepuis, Saint -Jean la Buxiere ,
Rono , Jarnoffe , & autres dépendances , Colonel
d'Infanterie , Lieutenant aux Gardes Françoiſes ,
fils de Meffire Dominique du Sauzay , Chevalier
Seigneur de Jarnoffe , & autres lieux , époufa le 8
de Janvier Dile Marguerite de Blotefiere - de Vauchelle
, fille de Meffire Nicolas de Blotefiere , Marquis
de Vauchelle , Lieutenant de Roi dans la
Province de Picardie , Meftre de camp de Cavalerie.
La bénédiction nuptiale leur a été donnée dans
la Chapelle de la Bibliothèque du Roi.
Le 10 Février Meffire Jean- Baptifte du Champ
d'Affant , Chevalier , Seigneur de la Motte , &
d'autres lieux , ancien Capitaine d'Infanterie
reftant feul de fa famille , une des plus anciennes
de nom & d'armes & des mieux alliées du Comté
de Bourgogne , fut marié dans la Chapelle du
Château de Montramé en Brie , avec Dlle Rofafie-
Louife du Tillet , fille de Meffire Charles- Clau
194 MERCURE DE FRANCE.
de du Tillet , Chevalier , Seigneur du Boui-Montramé
, Chalmaiſon , Chalantre la petite , Vicomte
de la Malmaiſon , Brigadier des armées du Roi ,
ancien Aide - Major & Enfeigne des Gardes du
Corps ; & de Dame Marie- Marguerite de Cueuret
de Nefle fes pere & mere. Ces deux Familles
font connues par leur ancienneté , leurs charges
& leurs alliances.
Dame Anne - Elizabeth - Marie - Rofe Briffart ,
épouse de Meffire Henri-Charles de Thiard de
Billy , Comte de Thiard , Brigadier de cavalerie ,
& Capitaine - Lieutenant de la compagnie des
Chevau-légers Dauphins , mourut à Paris , le 4
Octobre , âgée de vingt ans.
Marie- Louife- Charlotte , légitimée de Bourbon
, épouse de Meffire Nicolas de Chaugy .
Comte de Rouffillon , Maréchal des camps & armées
du Roi , eft morte les , en la même ville
dans la cinquante- cinquième année de fon âge.
>
Le même jour eft décedée au vieux Louvre ,
Dame Marie - Roſe Teffier , épouſe de Meffire
Jean-Louis Quentin de Richebourg , Marquis
de Champcenetz.
Honoré le. Tellier , Comte de Souvré , fils de
François- Louis le Tellier , Comte de Rebenac ,
Marquis del Souvré , eft mort le 7.
Le fieur Pierre Dedelay de la Garde , l'un des
quarante Fermiers généraux de Sa Majeſté , eſt
mort le 10.
Charles-Pierre de la Chaftre , fils de Meffire
Charles-Louis de la Chaftre , Comte de Nançai ,
Brigadier des armées du Roi , eft mort le 16.
Meffire Charles- Antoine-Armand- Odet d'Aydie
, Comte de Riberac , ancien Colonel d'un
régiment d'infanterie , eft mort le 1 Novembre
MARS. 1755. 195
à fa terre de la Ville-aux-Clercs , dans la foixante
& dixième année de fon âge.
Frere Jean-François Fraguier , Chevalier de
l'Ordre de Saint Jean de Jerufalem , Comman
deur de la Commenderie de Beauvais en Gâtinois
& Titulaire du Membre de Dieu- Lamant , dépendant
du grand Prieuré de France , mourut à
Paris le 2 , âgé de foixante & treize ans.
Dame Gabrielle de Murviel , épouse de Meffire
Henri de Carion , Marquis de Nizas , Lieutenant
général des armées de Sa Majeſté , eft morte le
Novembre dans fes terres en Languedoc , âgée
de foixante & dix ans .
Meffire Michel Larcher, Maître des Requêtes,
eft mort le 10.
Meffire Jofeph Darbaud , Brigadier de cavale
rie , mourut à Paris le 14 , âgé de cinquanteneuf
ans.
Dame Marie-Anne d'Azemar, veuve de Meffire
Jerôme du Faur , Comte de Pibrac , eft morte le
14 à Toulouſe , dans fa foixante & quinziéme
année.
Meffire Henri de Carion , Marquis de Nizas ,
Lieutenant général des armées du Roi , eft mort
le is dans fes terres en Languedoc , âgé de
quatre-vingt-quatorze ans.
Jacques de Lomagne-Tarride , Vicomte titu
laire de Tarride , Seigneur de Baringue , Vicomte
d'Efcures , Baron du Mont & de Couhain , mou◄
rut dans fa quatre- vingtiéme année , le 16 Novembre
1754 , dans fon château de Simacourbe
en Bearn. Il étoit l'aîné de la Maifon des derniers
Vicomtes de Lomagne , iflus, des Comtes d'Armagnac
. Il a laiffé de Marguerite de Foix-Candale
, fa veuve , deux garçons , dont l'un eft
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Capitaine au régiment du Roi, & l'autre eft au Séminaire
de faint Sulpice,
Melfire Pierre- Gabriel-Louis le Neuf de Sourdeval
, Brigadier d'infanterie , eft mort le même
jour , dans fa cinquante -quatriéme année .
Dame Anne-Marie Rouillé , veuve de Meffire
Louis de Bernage , Confeiller d'Etat ordinaire
mourut à Paris le 21 , âgée de près de quatrevingt
& onze ans.
Rolland Puchot- Defalleurs , Comte Defalleurs,
Ambaffadeur de France à la Porte , eft mort à
Conftantinople le 23 Novembre dernier.
Meffire N ....... du Chambon , Lieutenant
général des armées du Roi , & ci-devant Major de
la compagnie des Gendarmes de la garde ordinaire
de Sa Majesté , eft mort le 1 Décembre en
fon château de Pierrefitte , près de Moulins , âgé
de quatre-vingt- quatre ans.
Meffire Jofeph Brunet de Raney , Brigadier
d'infanterie , ci-devant Commandant d'un bataillon
du régiment des Gardes- Françoifes , eft
mort le 3 , dans la foixante - huitième année de
fon âge,
Conftance - Françoife Duffon de Bonnac ,
époufe de Charles - Antoine - François - Marie ,
Marquis de Wignacourt , mourut à Paris le 7 ,
âgée de trente ans. Elle étoit petite fille de
Charles-Armand de Gontaut , Duc de Biron , Pair
& Doyen des Maréchaux de France , & foeur du
Marquis de Bonnac , Ambafladeur en Hollande .
Elle avoit été mariée le 9 Mai 1749 , dans la
chapelle de l'Evêché de Pamiers, par Henri Gaſton
de Levis , Evêque de cette ville , au Marquis de
Vignacourt , fils de Robert - Antoine , Comte
de Wignacourt , chef de toutes les branches de
Fancienne Maifon de Wignacourt , établies en
MARS. 1755. 197
Picardie , Champagne , &c. De cette Maiſon font
fortis Alof & Adrien de Wignacourt , élus Grands-
Maîtres de Malthe en 1601 & 1690. La Marquife
de Wignacourt laifle de fon mariage une fille
unique , Charlotte- Antoinette-Conftance- Louife-
Françoife de Wignacourt , née le 30 Octobre
1750.
M. Antoine Ralet de Chalet , ancien Secrétaire
du Roi , près le Parlement de Bretagne , eft mort
le 9 à Paris , âgé de cent & trois ans.
Meffire Louis le Maire , Maréchal des camps
& armées du Roi , Directeur des fortifications
d'une partie des places de Flandre & du Hainault ,
eft mort à Abbeville le 10 , âgé de quatre - vingtdix
ans. Il étoit le plus ancien Ingénieur du
royaume , & il avoit commencé à fervir en
1680 .
Dame Marie-Therefe de Mizon , épouse du
Comte de Muy , Confeiller d'Etat d'épée , Directeur
général des Oeconomats & ci-devant
fous- Gouverneur de Monfeigneur le Dauphin ,
mourut le 13 à Verſailles , dans fa foixante &
treizième année .
༈
Meffire Charles Foucault , Brigadier de cavalerie
, eftmort le 14 , âgé de foixante & dix-sept ans.
Nicolas-Jofeph- Balthazar de Langlade , Vicomte
du Chayla , Chevalier des Ordres du Roi ,
Lieutenant général des armées de Sa Majeſté ,
Directeur général de la cavalerie , Gouverneur de.
Villefranche en Rouffillon , Gouverneur , Sénéchal
& Grand Bailli du Duché de Mercoeur' , mourut
à Paris le 16 , âgé d'environ ſoixante & douze
ans.
Meffire Pierre-Maximilien Pajot de Villeperrot ,
Maréchal des camps & armées de Sa Majefté , eft
mort le 19 , en ſa ſoixante & onzième année.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Guillaume-Anne , Comte d'Albemarle , Vicomte
Bury, Baron d'Ashford , Pair de la Grande-
Bretagne , Chevalier de l'Ordre de la Jarretiere ,
premier Gentilhomme de la chambre de Sa Majefté
Britannique , & fon Ambaffadeur extraordimaire
& plénipotentiaire auprès du Roi , mourut
à Paris le 22 , âgé de cinquante-deux ans. Il
étoit Lieutenant général des armées de la Grande-
Bretagne , Colonel du ſecond régiment des Gardes
Angloifes , Gouverneur & Capitaine général
de la Virginie.
Antoine François , Comte de Chabannes , Lieutenant
général des armées du Roi , Grand- Croix
de l'Ordre royal & militaire de Saint Louis ,
Gouverneur de Verdun & du Verdunois , ci-devant
Lieutenant-Colonel du régiment des Gardes-
Françoifes , eft mort en cette Ville le 23 , dans fa
foixante-huitième année.
Dame Marie-Julie de la Jaille , épouſe d'André-
Antoine , Vicomte de Sabran , des Comtes de
Forcalquier , Mestre de camp de cavalerie , Aide-
Major de la Gendarmerie , mourut à Paris le
même jour , dans fa quarante- cinquiéme année.
Meffire Aymard- Charles de Nicolaï , fils de
Meffire Aymard-Jean de Nicolaï , premier Pré
fident de la Chambre des Comptes , & de Magdeleine-
Charlotte -Guillelmine- Léontine de Vintimille
du Luc , eft mort à Paris le 29 , âgé de
vingt ans.
René-François , Marquis du Châtelet , & de
Grandfeille , Baron de Cirey , Lieutenant général
des troupes de l'Empereur , & ci-devant Commandant
en chef dans le grand Duché de Tof.
cane , eft mort le 2 Janvier , à Blamont en Lorraine
, âgé de foixante - fept ans.
Dame Marie-Thereſe de Meſmes , veuve de
M.AR S. 1755. 199
Meffire François de la Roche , Marquis de Fontenilles
mourut à Paris le 6 Janvier âgée de
quatre-vingt-fept ans.
Dame Marie-Jeanne Frefeau de la Frefeliere
épouse de Mefire Nicolas Doublet de Perfan
Maître des Requêtes , & Intendant du commerce,
eft morte à Paris le 16 , dans fa quarante-neuviéme
année.
I.e 19 eft décedé Meffire Alexandre de Bauffan,
Maître des Requêtes , dans la vingt- huitiéme année
de fon âge.
Huguette- Gabrielle de Lufignan de Lezay ;
épouse de M. Lancelot , Comte de Turpin de Crif
fe , Brigadier de cavalerie , mourut le 25 , âgée
de vingt-cinq ans.
Thomas Caraccioli , Napolitain , le plus ancien
Lieutenant général des armées du Roi , eft
mort le 26 , dans fa cent & troifiéme année. Le
Marquis de Caraccioli étoit de l'illuftre Maifon
de ce nom. Il avoit été Gouverneur de Briançon ,
& Commandant des villes de Mezieres , de Charleville
, & de Sedan
Anne le Roux veuve en fecondes nôces de
Jean Druart , eft morte le 16 Octobre , à Paris ,
fur la paroiffe de faint Severin , âgée de près de
cent-vingt ans. Elle étoit née à Dormont , dans
le Diocèle d'Evreux , & elle avoit douze ans lorfqu'en
1646 ce hameau fut confumé par un incendie.
La nommée Marie Blanchard , veuve de ' Jean
Manfeau , eft morte le 30 Octobre dernier , au
château de Champs - Cremainville , paroiffe de
Melleray , Diocèfè de Chartres , âgée de [centtrois
ans neuf mois , n'ayant aucune des infirmités
de la vieilleffe ; elle voyoit & entendoit trèsbien
, & elle marchoit fans bâton. Dans le mois
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
d'Octobre de l'année derniere elle alla à une
petite ville du Perche , diftante de trois lieues de
Champs , & elle en revint le même jour fur une
charrette chargée de meubles , où elle étoit d'autant
moins à fon aife , que le tems étoit très-froid
& très- pluvieux.
CAZ
MARS. 1755 201
AVIS IMPORTANT.
ENTREPRISE DE TERRIERS ,
Par une méthode fûre , claire , & intelligible,
même pour l'arrangement des titres ;
ouvrage important à faire executer par
tous les Seigneurs.
A perfonne fera indiquée par M. Le Jay le
>
de la rue Thevenot , à Paris.
AUTRE.
E fieur Baradelle , Ingénieur du Roi pour les
?
Public que depuis la découverte des aimans factices
il s'eft appliqué à leur conftruction , & qu'a
près plufieurs effais faits fous les yeux de trèshabiles
Phyficiens , il eft enfin parvenu à la porter
à un haut dégré de perfection.
Tout le monde fçait que les aimans factices
font préférables aux aimans naturels , qu'ils font
beaucoup plus forts , à groffeur égale ; qu'on augmente
cette force tant qu'on veut , & que les aiguilles
de bouffole touchées avec ces aimans ,
confervent plus long- tems leur vertu directrice .
Un autre avantage bien précieux , c'eft la commodité
d'avoir toujours un aiman parfait , au lieu
que c'eft un phénomene très-rare qu'un aiman
naturel fans défaut. En effet , pour qu'il foit tel ,
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
il faut que dans la taille on ait fuivi avec une
attention fcrupuleufe , la direction naturelle de
fes poles : ce qui ne peut fe faire que par des
expériences réitérées. Outre cela , on n'eſt point
maître de conferver la groffeur d'un aiman naturel
, à caufe des parties terreftres ou métalliques
qui s'y rencontrent quelquefois , & qui font la
fource de mille dégats dans la pierre lorſqu'on
la taille ; auffi les meilleurs aimans naturels ne
portent gueres que 25 ou 30 livres .
La force des aimans factices eft bien autrement
confidérable. Un de ces aimans , vendu à feu M.
d'Ons-en- Bray , n'ayant que fix pouces de longueur
, levoit dix-huit livres . Un fecond , deſtiné
pour le Grand Chambellan du Roi de Suede , de
trois pouces fix lignes de longueur , levoit cependant
douze livres neufonces.
On juge par ces deux exemples qu'on conftruit
des aimans factices de la groffeur que l'on veut.
Le fieur Baradelle en conftruit qui levent depuis
une livre jufqu'à cent livres . Son adreffe eft quai
de l'Horloge du Palais , à l'enſeigne de l'Obfervasoire.
N. B. Il avertit auffi qu'il a conftruit des Oc
tans de M. Saverien , de differens prix.
AUTRE:
E fieur Chervain , Marchand Négociant &
Lfabriquant à Paris ,donne avis au public
"
qu'il y a quelques années , qu'ayant voulu fe faire
connoître , il répandit une nouvelle façon de tabatieres
rondes à la Portugaife , qui furpafloit par
fon odeur & fa beauté , celles de bergamotte ;
mais depuis , ayant fait de nouvelles recherches
& par des expériences chymiques & prouvées , il
MARS 1755- 203
J
a trouvé le fecret de faire des tabatieres quarrées à
charniere , d'une odeur très-agréable qui ne fe
perd jamais ; elles font des plus jolies , elles portent
chacune fur leur couvercle , des fleurs , figures
& deviſes : on en trouve chez lui fans odeur. Il
continue de vendre des tabatieres à la Portugaife.
Il a chez lui toutes fortes de petits paftillages
de plus de trente façons , des mieux compofés ,
ou petites dragées , pour remplir les boîtes qu'il
vend. Il demeure rue Montmartre , au coin de la .
rue duJour , entre le Mercier le Perruquier ;fon
tableau eft au-deffus de la porte cochere.
AUTR E.
E fieur Houdemart , Apoticaire-Droguifte or
dinaire du Roi , demeurant à Paris , rue Bourgl'Abbé,
en face de l'Hôtel royal , dans une grande
maison neuve , donne avis au public qu'il continue
de diftribuer l'Esprit Catelemit , qui a la vertu de
préferver de toutes maladies contagieufes , comme
le charbon , le fcorbut , la petite vérole , fiévres
malignes Pufage en eft très-facile & agréable ;
il donne des imprimés inftructifs à ce fujer.
:
Il guérit les maladies fecrettes fans garder la
chambre , par une méthode approuvée de M M.
les Médecins ; de même les dartres vives , farineufes
, toutes maladies affujetties à la peau , fans
crainte de faire repercurfer les humeurs dans la
maffe du fang.
Ledit Sieur continue toujours fon balfamique
fi connu pour les maladies de poitrine , comme
toux invétérées , crachement de fang , inflammation
, l'afthme naiffant , de même que le lait
répandu chez les femmes; & l'on trouve chez
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
l'auteur des mémoires raifonnés de ce qu'il an
ponce , de même que tout ce qu'il y a de plus.
tare dans la pratique de fon état.
AUTRE.
E public eft averti que le fieur Angot , reçu
rurgiens Jurés de la ville de Verſailles , expert
pour la fabrique de toutes fortes de bandages pour
la guérifon d'efforts & de defcentes , en fait à
refforts & fans liens de fer , qui rempliffent exactement
l'objet qu'on fe propofe , de retenir dans.
leurs lieux naturels les parties qui font forties , ou
qui tendent à fe déplacer ; ce qui eft prouvé par
les certificats & approbations de M. de La Martiniere
, premier Chirurgien du Roi ; de M. Defport
, premier Chirurgien de la Reine , & de
tous Meffieurs les Chirurgiens de ladite ville.
Il fait des refforts pour les perfonnes âgées
qui ne peuvent retenir leurs urines , & des bottines
à écrou pour les enfans qui ont de la difpo
fition à porter leurs jambes dans une mauvaiſe
attitude.
Il fait des fufpenfoirs à l'ufage des perfonnes
qui montent à cheval ou qui font des armes , pour
prévenir les accidens ordinaires dans ces occa-
Lions.
Ses bandages ne manquent jamais , & fe porfent
en tout tems fans être incommodes , &
fans fe déranger par les plus violens exercices.
Il fait des bandages pour les fiftules lachryma
les ; il continue auffi l'application. des bandages ...
de fer dans le cas où ils conviennent & des
bandages élastiques pour ceux qui y font attachés.
MARS. 1755. 205
Comme les bandages en général demandent à
être autant diverfifiés que les defcentes le font
elles-mêmes , les perfonnes qui lui feront l'honneur
de lui écrire , auront foin de lui marquer la
nature & la fituation de la defcente , & de quel
côté et la plus groffe , s'il y en a deux , fans oublier
le détail de la feconde , & lui enverront- desmeſures
juftes.
Son adreffe eft à M. Angor , Bandagiſte , rue de
FOrangerie , près la porte des Coches , dans la mai-
Jon de Mme Spérat.
Il prie les perfonnes qui lui écriront de province
, d'affranchir leurs lettres.
AUTRE.
E fieur Cuenotte , Chirurgien- major d'Artild'un
baume fpécifique pour toutes les douleurs
de rhumatifme & de goutte fciatique . Il arrive
très-fouvent qu'au bout de trois heures dès la
premiere application , qui agit par tranfpiration
fur la partie douloureufe , on eft foulagé de plus
de la moitié , & qu'à la feconde on ne reffent
plus de douleurs. Les anciens rhumatifmes exigent
quelquefois plus de deux applications , & l'on
s'y déterminera aifément par le foulagement qu'on
aura déja éprouvé. Le fieur Cuenotte peut encore
affurer qu'il a appliqué avec fuccès ledit baume
fur des dépôts goutteux ; que par ce remede les
de goutte font moins douloureuſes , &
qu'elles ne durent pas fi long-tems ; il a même
obfervé que les perfonnes qui s'en font fervies
ont eu des attaques plus rares & moins aiguës,
attaques
206 MERCURE DE FRANCE.
On peut confulter M. de Gervafi , Médecin , Infpecteur
général des Hôpitaux militaires d'Alface ,
qui ne refufera pas de certifier ledit expoſé ; mais
il faut avoir foin d'affranchir les lettres qu'on lui
écrira à ce sujet.
•
AUTR E.
MP'utilité dupublic une pommade de fa com
pofition , qui foulage dans l'inftant & guérit radicalement
les hémorroïdes , de quelque nature ,
qu'elles puiffent être , les internes comme les externes
, & même les plus invétérées , les ulceres
& les fiftuleuſes ; elle ne craint point de trop avancer.
Cette pommade eft fi connue , qu'elle n'a pas
befoin de recommendation , l'épreuve en a été
faite à l'Hôtel royal des Invalides par ordre de
feu M. de Breteuil , Miniſtre d'Etat . M. Morand ,
Chirurgien , lui a expédié fon certificat ; & M.
Peyrard , Maître Chirurgien & Accoucheur de la
Reine , lui a délivré un pareil certificat , de mê
me que M. le Suire & autres perfonnes de diftinction
, après en avoir fait l'épreuve eux – mêmes.
Cette pommade ne peut produire aucun mauvais
effet. Ceux qui craignent , par un préjugé mal fon.
dé , de fe faire guérir radicalement , pourront en
ufer feulement pour fe foulager dans leurs fouf
frances. Après de telles preuves nous ne devons
point craindre d'affurer le public qu'il n'eft point
de remede plus für & plus efficace pour en opérer
la guérifon. Elle avertit le public qu'il n'y a qu'elle
feule qui débite fa pommade ; fon nom & la
valeur de chaque pot font écrits deffus, de ſa main.
Ademoiſelle Collet continue de vendre pour
MAR S. 1755. 207
Cette pommade fe garde autant de tems que
l'on veut , & fe peut tranfporter par- tout , pourvu
qu'on ait foin de la garantir de la chaleur &
du feu.
Les moindres pots font de 3 , 6 , 12 , 18 & 20
livres , & de tous les prix que l'on fouhaitera : on
donnera la façon de s'en fervir. Les perfonnes
étrangeres qui voudront en faire ufage , auront la
bonté d'affranchir les lettres.
Mlle Collet demeure à préfent rue de la Croix
des petits Champs , vis- à-vis la petite porte S. Honoré,
dans la maifon de M. Jolivet, Marchand P
petier , à l'enfeigne de l'Espérance.
LE
AUTRE.
E fieur Boudin , Ferblantier , rue de la Tailles
rie , à Beauvais , donne avis au public qu'il
excelle dans la façon des cierges & flambeaux à
reffort , qu'il fabrique depuis plufieurs années. Il
en peut donner des preuves par les envois qu'il à
faits dans toutes les Eglifes du Beauvoifis , Picardie
, Normandie , Ifle de France , Champagne
Lorraine , & autres lieux. Il décore les cierges
pafchals , tels qu'on les lui demande ; il les couvre
d'une belle peinture , femblable à la cire , &
qui ne s'écaille jamais. Il les envoie prêts à s'en
fervir , fournis de bougies parfaites , avec des filieres
de cuivre pour l'ufage defdits cierges ; il
les garantit en tout , & les vend à jufte prix . Il a
trouvé une nouvelle façon de faire cuire , fans
charbon , fans bois & fans eau , un poulet & autres
viandes dans la poche , à cheval , ou en voi
208 MERCURE DE FRANCE.
*
ture , très-commode pour les Officiers de guerre
chaffeurs & voyageurs . Il a eu l'honneur de préfenter
la premiere à M. le Duc de Gêvres au mois
de Janvier de l'année 1753. Il a encore inventé
une nouvelle façon de lanternes à reffort
pour les Cavaliers & Voituriers qui marchent la
nuit. On les place fur le devant de la felle en forme
de pistolet , ou contre les attelles du collier
d'un cheval de voiture ; une autre montée fur
une cuirafle , un cavalier la portant derriere lui ,
éclaire ceux qui le ſuivent on trouvera le tout
à jufte prix. Ceux qui fouhaiteront de lui faire
P'honneur de lui commander de l'ouvrage , n'au
ront qu'à lui écrire ; il eft très-accommodant .
La
AUTR E.
A veuve du fieur Bunon , Dentiſte des Enfans
de France, donne avis qu'elle débite journelle.
ment chez elle , rue de faint Avoye , au coin de
la rue de Braque , chez Mr. Georget fon frere ,
Chirurgien , les remedes de feu fon mari , dont
elle a feule la compofition , & qu'elle a toujours
préparés elle-même. Scavoir ,
1º. Un élixir anti-fcorbutique , qui affermit
les dents , diffipe le gonflement & l'inflammation
des gencives , les fortifie , les fait recroître ,
diffipe & prévient toutes les afflictions fcorbuti
ques , & appaife la douleur de dents.
י
2. Une eau appellée fouveraine , qui affermit
auffi les dents , rétablit les gencives , en diffipe
toutes tumeurs , chancres & boutons qui vienment
auffi à la langue , à l'intérieur des lévres &
des joues , en fe rinçant la bouche de quelques
MARS. 1755 209
gouttes dans de l'eau tous les jours , & elle la
rend fraîche & fans odeurs , & en éloigne les
corruptions ; elle calme la douleur des dents .
3º. Un opiate pour affermir & blanchir les
dents , diffiper le fang épais & groffier des gencives
, qui les rend tendres & molaffes , & caufe
de l'odeur à la bouche.
"
4°. Une poudre de corail pour blanchir les
dents , & les entretenir ; elle empêche que le
limon fe forme en tartre & qu'il ne corrompe
les gencives , & elle les conferve fermes & bonnes
, de forte qu'elle peut fuffire pour les perfonnes
qui ont foin de leurs dents , fans qu'il
foit néceffaire de les faire nettoyer. Les plus
petites bouteilles d'élixir font d'une livre dis
fols.
Les plus petites bouteilles d'eau fouveraine
font d'une livre quatre fols , mais plus grandes
que celles de l'élixir.
Les pots d'opiate , les petits , font d'une livre
dix fols.
Les boetes de poudre de corail font d'une livre
quatre fols.
AUTRE.
Ous croyons devoir annoncer comme un
le public ,que Ma
dame Thomin eft continuée dans l'exercice du privilege
dont jouiffoit fon mari , d'Ingénieur en
optique de la Reine. Elle foutient le commerce
de lunettes , conferves , biloupes , télescopes
microſcopes , & de tout ce qui dépend de l'optique.
Elle travaille comme elle faifoit fous la di
210 MERCURE DE FRANCE.
rection de M. Thomin , à tous les ouvrages de
cet art , dont on peut voir le détail dans le
Traité d'optique méchanique , imprimé à Paris en
1749 , chez Jean-Baptifte Coignard & Antoine
Boudet , rue S. Jacques , à la Bible d'or. On trou
ve chez elle une espece de biloupe , qui a un double
verre , dont l'ufage eft extrêmement utile pour
déchiffrer aisément les vieilles écritures , & qui
fert beaucoup à la Botanique , en ce qu'elle groffit
& diftingue les objets. Cette biloupe eft de l'invention
de M. Thomin , qui en a laiffé le ſecret
à fa veuve. Il a pefectionné une forte de microfcope
à la main , qui eft porté fur une tige particuliere
& facile à tenir. Au haut de la tige eft
une bourfette dans laquelle eft renfermé un miroir
d'argent qui fait la réflexion du microſcope
univerfel , par le moyen de deux ou trois lentilles
de rechange , dont le propre eft de groffir plus
ou moins , felon le foyer qu'on leur donne , les
plus petits objets. A un des bouts de cette tige eft
une pointe d'acier recourbée , qui fert à recevoir
les quatre petites dames blanches ou noires , fur
lefquelles on met les objets qui ne font point
tranfparens , comme le fable , la poudre , l'étoffe,
&c. L'on déville cette pointe d'acier , & l'on vifle
en fa place un porte-liqueur , qui d'un côté eft
garni d'une glacé pour contenir les liqueurs fuides
, & de l'autre d'une petite plaque de cuivre
pour contenir les plus épaifles que l'on veut
confiderer le tout renfermé dans une petite boîte
faite exprès. Mme Thomin travaille elle - même
tous les ouvrages , avec un habile artiſte & trèsadroit
, que M. Thomin lui-même a inftruit fur
routes fes connoiffances pendant plufieurs années,
MARS 1755. 211
ERRATA.
ARTICLE premier , page premiere , ligne
premiere : Vers pour mettre au- deffous du
portrait de M. de Seychelles , Contrôleur
Général , &c. lifez , Vers pour être mis au
bas du portrait de M. de Seychelles , Contrôleur
Général , Miniftre & Secrétaire
d'Etat.
Page 7 , lig. 5 , métamorphofe ; lif. mẻ-
taphore.
Page 12 , lig. 20 , l'amour qu'elle m'avoit
infpirée ; lif. infpiré.
Page 50 , lig. 16 & 17 , fous leurs
mains , fertile. lif, fous leurs mains fertiles.
Page 125 , lig. 12 , quoique je n'eus ;
lif. quoique je n'euffe .
Pag. 163 , lig. 24 , prévention ; lif. prétention.
Addition à cet Errata.
Page 35 , à la note où l'Année Littéraire
eft exceptée de la multitude des feuilles
qui corrompent le goût ; ajoutez , Par ce
mot , feuilles , je dois encore avertir que
je n'entens point les Annonces & les affiches
qui paroiffent deux fois la femaine ;
elles n'ont rien a démêler avec le faux bel
112 MERCURE DE FRANCE.
efprit , & je fuis trop bon citoyen pour
les confondre avec toutes ces petites brochures
du jour , qui font le poiſon de la
littérature. Comme celles - ci ne donnent
que de fauffes lumieres ou des demi- notions
, elles ne peuvent fervir qu'à augmenter
le nombre des faux connoiffeurs ,
& qu'à groffir la lifte des mauvais écrivains
; au lieu que les autres annoncent
aux particuliers la vente des terres , des
maifons , des meubles qui font à leur ufage
, leur indiquent les appartemens qui
font à louer , les inftruifent des effets perdus
ou retrouvés , & deviennent par là
très-utiles au Public. Cette diftinction formelle
ôte toute équivoque , & ne doit
laiffer aucun foupçon de critique aux yeux
des perfonnes intéreffées : je les eftime trop
pour rien inférer qui puiffe leur nuire ou les
defobliger. J'écris ceci fur les plaintes qui
me font revenues de leur part , & je les prie
d'en croire mon aveu préférablement aux
faux rapports qu'on peut leur faire.
213
APPROBATION.
" Ai lû , par ordre de Monfeigneur le Chancetrouvé
qui puiffe en empêcher l'impreffion . A Paris
ce premier Mars 1755.
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIE R.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
VErs pour être mis au bas du portrait de M.
de Seychelles , Contrôleur Général , Miniftre
& Secrétaire d'Etat
A Madame la M. de S....
Madrigal ,
L'origine des Eventails , à Mlle....
A Mademoiſelle D. L. R.
page s
ibid.
7
27
30
Portraits des quatre premiers Peintres d'Italie
Doutes fur l'exiſtence d'un Public ,
32 La Nobleffe de l'Ecole Militaire , à M. du Verney
,
Mots de l'Enigme & du Logogryphe du Mercure
de Février ,
Eeigmes & Logogryphes ,
Vaudeville de table ,
41
43
44
47
214
ARTICLE SECOND
NOUVELLES LITTERAIRES.
'Séance publique de l'Académie de Montauban ,
Extraits , Précis ou Indications des Livres nou
veaux , 63
ARTICLE TROISIEME.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES. \
Hiftoire.
Réponſe du fieur Vojeu de Brunem aux obferva
tions du P. Laugier , fur la nouvelle Hiſtoire
de la conquête de la Chine ,
*Lettre de M. le P. H. à M. l'Abbé V.
91
109
Généalogie.
Mémoire critique ,
Chirurgie.
115
Progrès du Lithotome caché pour la taille , 123
Séances particulieres de la Société Littéraire de
Châlons , 127
ARTICLE QUATRIE ME,
BEAUX- ARTS.
Peinture.
Avis de M. Boucher , Peintre du Roi , 145
Lettre à M. *** fur la Peinture encauſtique , 145
215
Gravure.
Avis de M. Surrugue ,
Muſique.
852
Méthode plus facile que l'ancienne pour l'ac
compagnement du clavecin , par M. Dubugrarre
, Organiſte de S. Sauveur ,
Horlogerie.
154
Nouveaux cadrans de pendules , imitant l'émail
156
ARTICLE CINQUIEM E.
SPECTACLES.
Opéra , 159
Comédie Françoife ,
ibid.
Comédie Italienne , 161
Opéra Comique ,
162
Concert Spirituel , 164
ARTICLE SIXIEM E.
NOUVELLES
ÉTRANGERES.
De Conftantinople , &c. 165
Journal de France.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c .
Remarques fur la Lotterie de Bruxelles ;
Naiflance , Mariages & Morts ,
Avis divers ,
Errata ,
La Chanfon notée doit regarder la page 47.
De l'Imprimerie de Ch . A. JOMBERT.
DE FRANCE,
DÉ DIÉ AU ROI.
JANVIER , 1755.
Diverfité, c'est ma devife. La Fontaine .
Chez
Cochin
Filius inv
PapillonSculp
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais .
PISSOT , Quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques .
Avec Approbation & Privilege du Roi.
V YORK
PUBLICLIBRARY
335286
ASTOR , LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1905
A AC
iij
AVANT- PROPOS.
E tous les ouvrages périodiques
, le Mercure de France eft
le plus difficile ; on lui impoſe les
loix les plus rigoureuſes. Il embraffe
tout , mais il ne peut rien traiter , ni
rien approfondir . On lui fait un crime
de penfer ; à peine lui permeton
de donner un précis des écrits
qui paroiffent. S'il approuve , il n'eft
qu'un louangeur fade & banal ; s'il
ofe critiquer , il bleffe l'amour propre
délicat des Auteurs. Le Public
lui- même le trouve mauvais , & dit
que le Mercure fort de fa fphere ;
qu'il doit fe borner à marquer fimplement
le jour qu'une piece dramatique
a été jouée pour la premiere
fois , avec le nombre de fes repréfentations
; ou s'il paroît un livre nouveau
, qu'il doit fe contenter d'annoncer
modeftement fon titre & le
nom du Libraire qui le vend. On le
A ij
iv AVANT-PROPOS.
condamne non feulement à ne
qu'un froid Journaliſte , mais on veut
le reftreindre encore à la féchereffe
d'un faifeur d'affiches. Ses privileges
néanmoins font les mieux fondés
& doivent être les plus étendus. Le
Journal des Sçavans eft le feul qui
puiffe lui difputer le droit d'ancienneté
tous les autres lui font poftérieurs
cependant tout leur devient
permis . Ils font toujours les premiers
à fe faifir des matieres qui font de
fon reffort , & à crier en même tems
que c'eft lui qui entreprend fur les
autres , & qu'il paffe les limites qu'on
lui a prefcrites. Cette plainte eft d'autant
plus injufte , que ces Journaux ,
fous différens titres , fe multiplient
tous les jours à fes dépens , & que fon
droit exclufif eft de n'avoir point de
bornes . Les Belles-Lettres , les Sciences
& les Arts , tous les genres font
de fon domaine : il doit en prendre la
fleur ; elle conftitue fon effence , &
la diverfité forme fon caractere . Voilà
pourquoi je choisis l'une pour
AVANT-PROPOS.
régle , & l'autre pour deviſe.
Comme il n'eft qu'une collection
ou qu'un ouvrage de découpures, il ŋe
peut être riche que du bien des autres.
Son plus grand mérite dépend
du choix : mais pour le bien faire ,
il faut avoir de quoi choifir . Mal→
heureuſement pour moi , mes prédéceffeurs
ont épuifé les premieres
fources: je fuis dans l'obligation d'inviter
tous les gens de lettres à m'ouvrir
de nouveaux tréfors . Je prie furtout
ceux qui font les plus intéreſſés
à rendre mon livre meilleur , à les enrichir
de morceaux qui puiffent le
faire lire de mon côté , je leur
promets
d'appliquer tous mes foins à les
mettre en bonne compagnie. Je fçai
que plufieurs ont de la répugnance
à fe voir imprimés dans un ouvrage
dégradé par la Bruyere , auteur des
caracteres ; mais depuis que les Voltaire
& les Fontenelle n'ont pas dédaigné
d'y tenir un rang , aucun de
leurs confreres ne doit plus rougir
d'y paroître. La pudeur d'un Ecrivain
A iij
vj AVANTPROPOS.
doit confifter à ne pas donner de mauvaifes
productions : qu'elles foient
marquées au bon coin , la place n'y
fait rien ; elles lui feront toujours honneur
, dans quelque endroit qu'elles
foient mifes. J'ai fouvent remarqué
que les nouveaux nobles craignent
plus de fe compromettre que les
vrais Gentilshommes. Fondé fur ce
principe , j'efpere que les meilleurs
Auteurs feront les plus hardis à décorer
mon recueil , fans avoir peur de
déroger. Je me ferai d'ailleurs une loi
très rigide de ne pas les nommer
quand ils voudront être anonymes.
-
A l'égard de ceux qui n'ont compofé
que des piéces fugitives , c'eft
une obligation pour eux de vuider
leur porte-feuille en ma faveur. Tous
les écrits détachés , qui n'ont pas
affez d'étendue pour faire un Cuvre
en forme , & devenir un livre ,
appartiennent de droit au Mercure
c'eft un bien qu'on lui retient ; ils
doivent y être dépofés comme dans
les archives de la littérature ; s'il
AVANT-PROPOS.
vij
ne leur affure pas une gloire immortelle
, il les tire du moins de l'obfcurité
, & leur donne une célébrité paffagere
. Il eſt même du devoir d'un
bon citoyen de rendre publics fes
amuſemens , quand ils peuvent tourner
au profit ou au plaifir de la fociété.
De Vifé avoit fait du Mercure
un ouvrage purement agréable. Ses
fucceffeurs , par degrés , font parvenus
au point d'en faire un livre éga
lement utile. M. de la Bruere y a le
plus contribué.
Qu'on me permette ici de quitter
un inftant mon fujet pour rendre
juftice à fon mérite , c'eft le moins
que je dois à la mémoire d'un Auteur
eſtimable , à qui je fuccéde ; je
puis dire fans bleffer la vérité , qu'il
étoit fait pour perfectionner tout ce
qu'il dirigeoit . La folidité de fon efprit
, & la jufteffe de fon goût égaloient
la douceur de fon caractere.
Il réuniffoit même les talens oppofés
, & n'a pas moins réuffi dans l'art
A iiig
viij
AVANT-PROPOS.
de négocier que dans l'art d'écrire.
En France , il a fait honneur aux
Belles Lettres par les différens écrits
qu'il a mis au jour. A Rome , il s'eft
diftingué dans les affaires dont il a
été chargé , par la maniere fage dont
il les a conduites. La confidération
qu'il s'étoit juſtement acquife dans
une Cour auffi difficile , eft le plus
beau trait de louange que je puiffe lui
donner. La confiance pleine d'eftime
M. le Duc de Nivernois a touque
jours eue pour lui pendant fa vie , &
les regrets finceres dont il l'honore
après la mort mettent le comble à
fon éloge.
Pour revenir à l'ouvrage qu'il a
augmenté par fes foins , ou par le travail
de ceux qui l'ont conduit en fon
abfence , je ne me fuis point écarté
de la forme qu'ils lui ont donnée.
J'ai fait feulement quelques additions
particulieres , pour mettre plus
d'ordre dans les matieres qui le compofent.
Je le divife en fix articles . !
201
1
AVANT-PROPOS. ix
Le premier contient les Piéces fugitives
en vers & en profe . Je n'y fais
entrer que les morceaux d'imagination
& de pur agrément : Poëĥies ,
Contes , Fables , Romans , Hiftorietes
, Chanſons , Enigmes & Logogryphes
.
Le fecond renferme les Nouvelles
Littéraires, où je place les féances publiques
des Académies de Paris & de ,
Province. J'annonce dans ce même ·
article tous les livres nouveaux , dont
je donne un précis , c'eſt-à- dire un
précis des ouvrages fçavans ; car je
donnerai un extrait en forme des
Romans qui auront quelque célébrité
; l'amuſant & le frivole étant à
moi fans reſtriction .
Le troifieme concerne les Sciences
& Belles- Lettres. On y mettra alternativement
différens morceaux*fur
* Je dois avertir ici le public que c'est moins un
ngagement que je prens avec lui , qu'une invita
A v
AVANT PROPOS.
la Phyfique , la Géométrie , la Jurif
prudence , la Politique , la Guerre ,
le Commerce , la Finance , la Médecine
, fur la Chronologie , l'Hiftoire
& les Medailles. Je porterai fouvent
à la fin de cet article les Séances publiques
des Académies des Sciences
& des Belles - Lettres , ainfi que de
celle de Chirurgie , avec un extrait
des mémoires qu'on y aura lûs , quand
l'article des Nouvelles littéraires fera
trop abondant.
Le quatrieme eft réſervé pour les
Beaux Arts , que je partage en Arts
agréables , tels que la Peinture , la
Sculpture , la Gravure , la Mufique ,
laDanfe ; & en Arts utiles , tels que
tion que je fais aux Sçavans de me faire part de
leurs productions de tout genre. Je les prie en même
tems de réduire les morceaux qu'ils m'enverront à
une extrême préciſion ; elle est un devoir pour moi ,
il faut que je m'y foumette , d'autant plus que la
multiplicité des matieres laiffe à chacune trop pess
de place pour les pouvoir mettre dans toute leur
étendue.
AVANT-PROPOS.
xj
l'Architecture , les Manufactures
l'Horlogerie , &c.
Le cinquieme article regarde les
Spectacles , où feront les extraits des
piéces de théatre , & tout ce qui
concerne les deux Comédies, les deux
Opéra , le Concert fpirituel , & les
Drames de Collége, Je ferai également
fobre fur la louange & fur la
cenfure. Je tâcherai fur-tout de ne
mettre jamais mon fentiment particulier
à la place de celui du public , &
de ne rien dire qui puiffe humilier ou
décourager les Auteurs . Des critiques
qu'on m'enverra fur les nouveautés
qui réuffiront , je n'admettrai que
celles qui feront juftes & ménagées ,
où il n'entrera rien de perfonnel. Les
traits de la critique doivent toujours
porter fur l'ouvrage , & ne bleffer
jamais l'Ecrivain.
Le fixieme & dernier article raffemble
à l'ordinaire les Nouvelles
Etrangeres & celles de France , les
A vj
xij AAVVAANNTTPPRROOPPOOSS..
Naiffances , les Morts , les Edits ,
les Déclarations , & Arrêts , avec les
Avis . Par cet arrangement , auquel
je ferai toujours fidele , chacun trou
vera d'abord la partie qu'il préfe
re, ou le morceau qui l'intéreffe .
?
AVERTISSEMENT.
LE
E Bureau du Mercure eft chez M. Lutton , Avocat
, Greffier-Commis au Greffe Civil du
Parlement , Commis au Recouvrement du Mercure ,
rue Sainte Anne , butte S. Roch , entre deux Selliers.
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer , franes de port,
les paquets & lettres , pour les remettre , quant à la
partie littéraire , à M. de Boiffy , Auteur du Mercure.
Le prix eft de 30 fols , & l'on payera d'avance ,
en s'abonnant , ou 10 liv . 10 folspour unfemeftre ,
on 21 livres pour l'année , à raison de 14 volumes ,
ainfi qu'il eft d'ufage pour les autres Journaux . Les
volumes d'extraordinaire feront également de 30
fols , fe payeront avec le femeftre , ou l'année qui
les fuivront.
L'abonnement pour les perfonnes de province ,
fera de 31 livres 10 fols par année , ou de la moitié
par femefire , à caufe des frais de lapofte , & autres
extraordinaires.
On les fupplie d'envoyer par la pofte , en payant
le droit , le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement en foit fait d'a
vance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis , refteront
au rebut.
L'on trouvera toujours quelqu'un en état de répondre
chez le Sr Lutton ; il obfervera de refter
à fon Bureau , les Mardi , Mercredi & Jeudi de
chaque Semaine après-midi.
A VIS .
On trouve le Mercure aux adreſſes ci-après.
Abbeville , chez
Levoyez.
Amiens , chez François , & Godard.
Angers , chez Jahier.
Arras , chez Nicolas , & Laureau.
Auxerre , chez Fournier .
Beauvais , chez Defaint.
Befançon , chez Brifaut.
Blois , chez Maffon.
Bordeaux , chez Jacques Labottiere , place du
Palais ; & chez Chappuis l'aîné , à la nouvelle
Bourſe , Place royale.
Caen , chez Manoury.
Charleville , chez Thefin.
Dijon , à la pofte , & chez Mailly.
Lyon à la pofte , & chez J. Deville.
Marſeille , chez Sibier.
Moulins , chez Faure.
Nancy , chez Nicolas .
Nantes , chez Joſeph Vatar.
Poitiers , chez Faulcon .
Rennes , chez Vatar pere , Vatar fils , Julien Va
tar , & Garnier & Compagnie.
Rouen , chez Hérault , & Fougue.
St Germain-en-Laye , chez la veuve Chavepeyse.
Soiffons , chez Courtois.
Toulouſe , chez Robert.
Tours , chez Lambert & Billault.
Troyes , chez Bouillerot.
Verſailles , chez Fournier.
Vitry-le-François , chez Seneuze.
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY.
ASTOR, LENOX AND
TILDEN
FOUNDATIONS.
ROMANCE
L'Amourma fait la Peinture
De Daphné de ses malheurs
J'en ais tracer l'aventure,
Puisse la race future
Ventendre et verser despleurs
KIJI
10
www
MERCURE
DE FRANCE.
JANVIER. 1755 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE
L'A
DAPHN É.
ROMANCE.
' Amour m'a fait la peinture
De Daphné , de fes malheurs.
J'en vais tracer l'aventure :
Puiffe la race future
L'entendre & verfer des pleurs.
16 MERCURE DE FRANCE.
Daphné fut fenfible & belle ,
Apollon fenfible & beau ;
Sur eux l'Amour , d'un coup d'aîle ,
Fi: voler une étincelle
De fon dangereux flambeau ..
Daphné d'abord interdite ,
Rougit , voyant Apollon ;
Il approche , elle l'évite :
Mais fuyoit- elle bien vîte ?
L'Amour affure que non.
Le Dieu qui vole à ſa ſuite ,
De fa lenteur s'applaudit ;
Elle balance , elle héſite ;
La pudeur hâte fa fuite ,
Le defir la ralentit.
Il la pourfuit à latrace ,
It eft prêt à la faifir ;
Elle va demander grace.
Une Nymphe et bientôt laffe
Lo rfqu'elle fuit le plaifir.
Et
Elle defire , elle n'oſe ;
Son pere voit fes combats ,
par fa métamorphofe ,
A fa défaite il s'oppofe :
Daphné ne l'en prioit pas.
JANVIER.
17 1755 .
C'eft Apollon qu'elle implore ,
Sa vûe adoucit fes maux ,
Et vers l'amant qu'elle adore
Ses bras s'étendent encore ,
En fe changeant en rameaux.
Quel objet pour la tendreffe
De ce malheureux vainqueur !
C'eft un arbre qu'il careffe ;
Mais fous l'écorce qu'il preffe
Il fent palpiter un coeur..
Ce coeur ne fut point févere ,
Et fon dernier mouvement
Fut , fi l'amour eft fincere ,
Un reproche pour fon pere ,
Un regret pour fon amant.
On trouvera la mufique de cette Romance
à la fin du Livre.
18 MERCURE DE FRANCE.
LES REPUTATIONS
miſes au creuset.
LE fi
E monde eſt ſi plein de réputations
injuftement acquifes en mal comme
en bien , qu'il me prend envie de les mettre
dans le creufet de la vérité , pour les
réduire à leur jufte valeur. Si j'allois faire
de toutes une exacte analyfe , qu'on verroit
d'étranges métamorphofes ! pour établir
les unes il faudroit détruire les autres.
Par cette opération , je rendrois les
coquins honnêtes gens , & les honnêtes
gens coquins ; je rendrois nombre d'honnêtes
femmes ...... je n'ofe achever ; l'univers
en feroit bouleverfé . Pour éviter ce
defordre , & laiffer le fiécle tel qu'il eft ,
je me borne dans mon fyftême à blanchir
les plus célébres réputations de l'antiquité
qu'un préjugé calomnieux a noircies , & à
démafquer par contre- coup plufieurs de celles
qu'un faux éclat a déguifées, & que l'obfcurité
des tems a rendues refpectables . Je
voudrois pouvoir réhabiliter toutes les modernes
qui en ont befoin , mais j'aurois trop
à faire , & la tâche eft trop difficile. Je laiffe
cet honneur aux écrivains qui voudront
JANVIER. 1755 . 19
l'entreprendre après moi ; je me contente
de leur frayer le chemin. Cet effai fuffira
pour faire voir combien on doit être lent
à croire , encore plus timide à décider fur
les réputations , & pour prouver que fouvent
elles font plutôt l'ouvrage du hazard
malin , ou de l'opinion aveugle , que celui
de la raifon éclairée ou de la vérité bien
approfondie : c'eſt où le pyrrhonifme eſt
d'obligation.
Le danger de fréquenter plus grand quefoi .
:
TANTAL E.
Tantale étoit Roi de Phrygie . Jamais
Prince n'a été plus fauffement noirci . Fils
de Jupiter , il étoit digne de fa naiſſance ;
il réuniffoit toutes les qualités du coeur &
de l'efprit aimable , bienfaiſant , & fi
agréable convive , que les Dieux l'admirent
à leur table ; il fut de toutes leurs parties
, & devint leur ami familier . Comme
il avoit le don de plaire & d'amufer , plufieurs
Déeffes lui voulurent du bien ; en
conféquence plufieurs Dieux lui voulurent
du mal. Son trop de mérite le brouilla
avec eux , & lui caufa de fi cruelles tracafferies
qu'il fut obligé de quitter l'Qlympe
, pour ne plus vivre que fur la terre.
20 MERCURE DE FRANCE.
*
Il y devint amoureux de Taigéte , fille
d'Atlas. L'hymen les unit , il l'en aima
davantage , & retrouva les Cieux avec
elle. Il jouir d'un bonheur d'autant plus
pur , qu'il ne fut plus occupé que du plaifir
de faire du bien aux hommes : il polit
leurs moeurs , & leur apprit doublement à
vivre , en leur enfeignant à mettre du goût
dans leurs amufemens & de la délicateffe
dans leurs feftins. A l'affaifonnement des
bons mots , il joignit celui des mets exquis
, & fut par un excès de bonté le premier
maître d'hôtel du genre humain . Les
Dieux en furent jaloux , & lui en firent
un crime ; ils l'accuferent d'avoir trahi
leurs fecrets , & d'avoir dérobé le nectar &
l'ambroifie , pour en faire part aux mortels.
C'étoit peu d'avoir châtié injuftement
Promethée , pour avoir donné la vie
à l'homme , en l'animant de leur efprit ,
ils voulurent encore punir avec moins de
raifon Tantale , de lui avoir appris l'art
d'en jouir. Je parle d'après Pindare. Ils le
précipiterent dans les enfers , pour une action
qui méritoit les Champs Elifées. Le
genre de fupplice eft d'ailleurs peu convenable.
Il eft condamné à manquer de tout
au milieu de l'abondance : la générofité fit
tout fon forfait , & fon châtiment eft la
Paufanias.
JANVIER. 21
1755 .
*
peine des avares. Les uns lui font fouffrir
cette tortute pour un chien perdu ; les
autres , pour juftifier la rigueur des Dieux ,
le chargent contre toute vraisemblance de
leur avoir fervi de gaieté de coeur les membres
de fon fils Pelops . Voici l'événement
qui a donné lieu à cette noire calomnie.
Les Dieux ennuyés de ne plus voir Tantale
, allerent un jour le vifiter. Le premier
objet qui frappa leur vûe fut le petit
Pelops , qui étoit encore enfant. Jupiter
dit à Tantale , foit pour mettre fon zéle
à l'épreuve , foit par mauvaiſe plaifanterie
, dont les Dieux font quelquefois trèscapables
; Prince , votre fils eft d'un embonpoint
charmant , vous nous obligerez
tous de nous le faire fervir à fouper. Tantale
prit la propofition pour une raillerie
& lui répondit , en courtifan adroit , qu'il
faifoit trop d'honneur à fon fils , & qu'il
n'avoit rien qui ne fût au fervice de leur
divinité. Pour mieux jouer l'obéiffance ,
il donna ordre qu'on faifit Pelops ; mais
les Déeffes s'y opoferent . Venus le prit
dans fes bras , & toutes à l'envi s'emprefferent
à le careffer , en difant que ce feroit
dommage de le rôtir , qu'il étoit le
plus bel enfant du monde , & qu'il pour-
* C'étoit un chien que Jupiter lui avoit confié
pour la garde de fon temple dans l'ifle de Crete,
22 MERCURE DE FRANCE.
roit un jour les fervir plus utilement . Cerès
le trouva fi potelé qu'elle lui fit un fuçon
à l'épaule , qui étoit blanche comme
l'yvoire.
Momus , le Dieu de la médiſance , empoifonna
cette avanture , peut-être pour
faire fa cour à Jupiter , car fouvent les plus
noirs fatyriques font les plus lâches adulareurs
; ils ne déchirent méchamment les
uns que pour flater plus baffement les autres.
Momus fuivant donc ce caractere ,
donna un tour affreux à la chofe ; il publia
que Tantale leur avoit offert fon fils à
manger pour éprouver leur puiffance ; mais
qu'ayant reconnu fon horrible perfidie , ils
s'étoient tous abftenus d'y toucher ; que
la feule Cérès , aveuglée par un appétit
defordonné , avoit dévoré l'épaule droite
de l'enfant , & que Jupiter lui en avoit
fubftitué une d'yvoire , en rajuftant tous
fes membres , & leur donnant une nouvelle
vie.
Cette fable prit généralement , tant il eft
vrai que le faux merveilleux , quelqu'abfurde
qu'il foit , trouve toujours plus de foi
parmi les hommes que la fimple vérité.
La fuperftition alla plus loin. Après la mort
de Pelops , elle divulgua que fon épaule
Pindare , Ode I.
JANVIER. 1755. 23
miraculeufe guériffoit plufieurs maux différens.
Un grand nombre de malades lui
rendirent un dévôt hommage , & peutêtre
que le hazard , ou le bonheur de quelques
guérifons fortuites fervit à établir.
cette croyance , qu'il parut juftifier.
Ce que j'ai appris d'un Mythologiſte
auffi profond que fenfé , c'eft que Tantale ,
depuis ce fatal repas , avoit encouru la
difgrace du maître du ciel , fon pere , par
une raiſon fecrete que j'ai trouvée trèsvraisemblable.
Jupiter toujours prompt à s'enflammer
pour les nouveaux objets qui s'offroient à
fes yeux , ne put voir Taigete , la femme
de Tantale , fans être touché de fes charmes
; c'étoit une taille célefte , une beauté
digne des Dieux. L'enjouement & la mo
deftie formoient en elle un mêlange enchanteur
qui la rendoit adorable. Elle faifoit
les honneurs du fouper que fon époux
donnoit à la troupe immortelle. En prenant
le nectar de fa main , le Roi de l'Olympe
s'enyvra d'un amour dont il eut d'autant
plus de peine à guérir qu'il ne pût parvenir
à le rendre heureux . L'aimable Reine
de Phrygie reçut le lendemain de fa part
un billet , qui exprimoit la paffion la plus
vive ; mais à peine eut-elle jetté les yeux
fur les premieres lignes , qu'elle le rendit
24 MERCURE DE FRANCE .
fon
à Mercure qui en étoit le porteur . Il eut
beau la preffer d'y répondre , elle lui dit
en riant qu'elle ne fçavoit pas écrire , &
qu'elle prenoit toujours fon mari pour
fecrétaire. Jupiter inftruit du mauvais fuccès
de fa lettre , eut recours aux métamorphofes
qui lui avoient fouvent réuffi , &
pour lefquelles il avoit un goût particulier.
Taigete avoit trois bêtes qu'elle aimoit
fingulierement ; un perroquet , un épagneul
, & un fapajou. Le fouverain des
Cieux prit d'abord la figure du premier , &
courut béqueter la Reine . Tantale qui revenoit
de la chaffe , entra dans ce moment ;
il écarta le perroquer pour embraffer fa
femme , qui lui rendit careffe pour careffe.
L'oifeau jaloux mordit fi fort l'oreille
du mari , qu'il lui en refta un morceau
dans fon bec. Tantale fit un cri , & Taigete
effrayée de voir couler le fang du Roi,
faifit le perroquet avec indignation : elle
alloit le livrer aux griffes d'un gros matou ,
qui brûloit de l'étrangler , quand l'oifeau
s'échappa , & prit l'effor par la fenêtre.
Trois jours après , Jupiter informé que
Tantale avoit quitté fa femme pour une
affaire importante qui demandoit fa préfence
ailleurs , revint auprès d'elle fous la
forme de l'épagneul . Il comptoit que fon
époux
JANVIER. 1755. 25
Epoux feroit obligé de découcher au moins
une nuit , car dans ce tems là les maris ,
même de Cour , ne faifoient jamais lit à
part. Taigete defefperoit elle -même du
retour du Roi : elle étoit prête à fe coucher
, & l'Epagneul impatient avoit déja
pris au lit la place de Tantale , quand ce
Prince arriva fort à propos. Le chien furieux
, fort de la couche royale , & abboye
contre lui de toutes fes forces . Le Roi ennuyé
de fes cris , lui donna un fi grand
coup de pied , que l'Epagneul oubliant
fon rolle de chien , jura en Dieu , qui parle
en maître. Tantale furpris de cette nouveauté
, ordonna qu'on le faisît pour éclaircir
ce prodige ; mais le chien prit la fuite
& difparut. Le Monarque du ciel jouant
de fon refte , s'établit pour la troifieme
fois chez la Reine en qualité de Sapajou .
Il l'amufa d'abord par cent jolis tours ;
mais s'émancipant par degrés , il fauta fur
l'épaule de fa maîtreffe , & l'ofa careffer
jufqu'à fortir des bornes de la décence . La
Reine fcandalifée , appella le Roi , & le
pria de punir fon finge comme il le méritoit.
Tantale s'armant d'un cordon de foie
fe mit en devoir de le châtier ; mais le
malin Sapajou le prévint , & le prit au
colet , de façon qu'il l'eût étouffé fi fa
.femme ne fût venue au fecours , & n'eût
B
26 MERCURE DE FRANCE .
ferré fortement le col de l'animal avec
le ruban qui lui fervoit d'attache , & qui
formoit un noeud coulant. Le Dieu finge
fe fentant étrangler à fon tour , lâcha prife
; mais tout fon amour pour la Reine
s'éteignit alors , il fe transforma en haine
contre le mari . Le Sapajou s'éclipfa , &
Jupiter parut dans tout l'appareil de fa colere
. Va , dit - il au malheureux Tantale ,
va fubir aux enfers le fupplice que je viens
d'éprouver à ta Cour. Sois toujours prêt
à poffeder , fans pouvoir jamais jouir ;
meurs éternellement de foif au fein des
caux , & de faim au milieu des fruits . A
ces mots , Jupiter remonte aux cieux ;
Tantale tombe dans le Tartare , & Taigete
expire de douleur. C'eft ainfi que ce Monarque
, auffi vertueux qu'infortuné , fut
châtié de la fidélité de fa femme & de la
liaifon intime qu'il eut avec les Dieux.
Cet exemple nous prouve combien il eft
dangereux de fréquenter plus grand que
foi. Pour agir prudemment , nous ne devons
jamais voir ni au - deffus ni au- deffous
de nous. Nos inférieurs nous puniffent
de notre familiarité , & nos fupérieurs
de nos fervices : notre réputation leur eft
foumife comme notre vie ; elle reçoit la
couleur qu'ils veulent lui donner dans le
monde , & dépend moins de notre vertu
JANVIER. 1755. 27
que de leur fantaifie , ou de leur paffion .
De là je conclus que nos égaux font la
feule compagnie qui convienne à notre fûtreté
; c'eſt parmi eux qu'il faut choisir nos
amis , ou du moins nos connoiffances , par
la rareté dont fe trouvent les premiers.
Les mots font plus de tort
chofes.
PASIPHA É.
que les
PASIPHAÉ , fille du Soleil , épouſa
Minos , Roi de Crete . Ce Prince fut un
grand homme de guerre , un bon Légiflateur
, mais un mauvais mari : il ne fe
montra pas tel d'abord. Comme fa femme
joignoit l'efprit à la beauté , & qu'il
en étoit amoureux , il vêcut affez bien avec
elle les premieres années de fon mariage ;
mais ce bonheur fut troublé par la mort tragique
d'Androgée * , fon fils aîné , qu'il
aimoit tendrement ; il l'avoit eu d'une premiere
femme. Ce jeune Prince en voyageant
dans l'Attique , y fut cruellement
affaffiné. La perte d'un fils adoré fit une
fi forte révolution dans fon ame , qu'elle
Plutarque , vie de Théfée.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
aigrit fon humeur , & changea fon caraçtere
: la nature en avoit fait un Roi jufte
la douleur en fit un tyran inflexible . Les
charmes de la Reine , loin d'adoucir fon
coeur , le rendirent plus farouche ; fon
amour dégénéra en jaloufie , & fa juſtice
en cruauté. Pour venger le meurtre d'Androgée
, il jura de porter la guerre dans
Athenes , & de punir une nation entiere
du crime de deux ou trois particuliers :
mais avant de remplir fon ferment , il inftitua
en l'honneur de fon fils , des jeux
funébres , qu'il fit enfuite célébrer tous les
ans. Les premiers prix furent remportés
par un Officier des plus diftingués de fa
Cour & de fon armée ; on l'appelloit Taurus
, ou Taureau , pour francifer fon nom.
C'étoit l'homme le plus fort de la Crere :
il étoit également adroit. Comme il s'étoit
fignalé dans les combats auffi bien que
dans les fêtes , le Roi en faifoit un cas
particulier. La Reine qui fut préfente à
ces jeux , ne conçut pas moins d'eftime
pour lui ; elle l'honora même d'un éloge
flateur , quand il s'approcha d'elle pour
recevoir de fa main le prix de la lutte &
de la courfe. La force , l'adreffe & la valeur
font trois qualités recommendables
auprès du beau fexe. Il eft vrai qu'elles
étoient un peu ternies en lui par une huJAN
VIE R. 1755 . 29
meur fiere & dure , pour ne pas dire
brutale ; mais c'eft l'ordinaire défaut des
gens robuftes : leur fang qui coule avec
impétuofité , ne leur permet guere d'être
polis. Un efprit doux & liant eft le partage
des complexions délicates , qui n'ont
pas la force de manquer d'égards , & qui
donnent le beau nom de fentiment à leur
foibleffe. Taurus étoit donc brufque , mais
effentiel. La Reine conféquemment n'avoit
pas tort d'être prévenue en fa faveur ;
elle y étoit autorifée par la confiance que
Minos avoit en lui . Ce Prince en donna
une preuve bien décifive en partant pour
aller lui- même faire en perfonne la guerre
aux Athéniens ; il l'établit Gouverneur de
Gnoffe , Capitale de fon Royaume , & remit
à fa garde ce qu'il avoit de plus cher ,
fon état & fa femme. Il lui recommenda
fur- tout de veiller fur la conduite de la
Reine , de doubler le nombre de fes Ar-.
gus , fous le prétexte d'augmenter fa Cour ,
& de ne lui laiffer qu'un efclavage honorable
.
Pafiphaé qui fe vit décemment prifonniere
, fe confola d'avoir pour furveillant
celui de fes Sujets qu'elle eftimoit le plus.
Elle employa tout fon art à le captiver luimême
: elle y réuffit. La rudeffe du plus
féroce s'adoucit à l'afpect de deux beaux .
:
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
yeux : ceux de la Reine étoient de ce nombre.
Le Taureau s'apprivoifa , & lui tine
compagnie. Un feul homme de la trempe
du Cretois fuffit pour amufer le loifir d'une
femme modefte , condamnée à la folitude.
Une conformité de goût fervit encore
à les unir d'une chaîne plus intime :
ils avoient tous deux une eftime particuliere
pour Dédale , & un amour de préfé
rence pour l'art qu'il profeffoit. Cet ingénieux
Méchanicien fat le Vaucanfon de
fon fiécle : il s'étoit déja rendu fameux à la
Cour de Crete par la conftruction du labyrinthe.
Ce furprenant édifice venoit d'être
fini par l'ordre de Minos. La Reine &
Taurus furent curieux d'en parcourir les
détours ; mais ils s'y perdirent de compagnie
, & fans le fecours de Dédale , ils
n'auroient jamais pû trouver le moyen d'en
fortir. Depuis ce moment , ils prirent tant
de goût pour les ouvrages de ce célébre
Artifte , qu'ils alloient tous les jours le voir
travailler à fon attelier. Supérieur dans fon
art , Dédale ne copioit que la Nature , &
'imitoit que les Dieux : il créoit à leur
exemple . Tantôt il animoit le marbre , tantôt
il faifoit parler le bronze , ou foupirer
le bois.
: Parmi différens chef- d'oeuvres , il conf
truifit un Taureau qui frappoit du pied la
JANVIER . 1755 . 31
terre , & refpiroit le feu : il lui donna pour
compagne une Geniffe fi parfaitement imitée
, que l'oeil s'y trompoit à la voir , elle
marchoit , elle broutoit , elle mugifloit
avec tant de vérité , qu'on la prenoit pour
une geniffe réelle. Le taureau s'enflamoit
à fa vûe , & beugloit à l'uniffon avec elle .
Pafiphaé étonnée de ce prodige , voulat
connoître le méchanifme qui l'opéroit.
Taurus eut la même curiofité . Dédale la
fatisfit ; il expofa à leurs regards l'intérieur
des deux machines , & pour leur en faire
mieux comprendre tout le jeu , il fit entrer
la Reine dans le corps de la geniffe ,
& fon Ecuyer dans le ventre du taureau .
Tous deux eurent à peine touché à un certain
fil , que la geniffe beugla , & que le
taureau lui répondit . Cette comédie les
amufa fi fort , qu'ils alloient chez Dédale
la jouer régulierement quatre fois par femaine.
Cette piéce finguliere dura fix mois,
qui fut tout le tems de l'abfence de Minos.
Ce Monarque revint triomphant des Athéniens.
Après les avoir vaincus , il les obligea
de lui envoyer en tribut fept jeunes
garçons & fept jeunes filles des plus no-
Bles familles d'Athenes , pour être enfermés
dans le labyrinthe.
La Reine accoucha trois mois après ; plu-
B iiij
32 MERCURE DE FRANCE.
*
fieurs difent de deux jumeaux , dont l'un
reffembloit au Roi de Crete , & l'autre au
Gouverneur de Gnoffe ; mais un Auteur
digne de foi , affure qu'elle ne mit au jour
qu'un feul Prince , qui avoit le fourcil noir
de Minos , & les cheveux roux de Taurus .
J'ai fuivi cette opinion comme la plus vraifemblable.
Les perfifleurs de la Cour exercerent
leurs mauvaiſes plaifanteries fur
cette double reffemblance , & donnerent
au fils de la Reine le fobriquet de Minotaure
, qui lui eft toujours refté. Le Roi
le prit en averfion , & conçut contre fa
femme un foupçon qui la perdit fans retour
; fa fureur jaloufe en redoubla. Les
ennemis que Taurus s'étoit attiré par fa
brufquerie infolente , chargerent fon hif
toire des plus noires couleurs : ils la répandirent
dans le public , elle parvint jufqu'à
Minos. Il apprit , en frémiffant , les
vifites fréquentes de fon favori & de fa
femme chez Dédale ; la promenade du labyrinthe
, où ils s'étoient égarés , & l'aventure
merveilleufe du taureau & de la
geniffe. Minos outragé , ou qui crut l'ê
tre , fignala bientôt fa vengeance. Dédale
eut pour prifon le labyrinthe , dont il étoit
l'inventeur. Le Prince Minotaure fut en-
* Servius dans fon Commentaire fur Virgile,
JANVIER.. 1755 . 33
fermé dans le même cachot ; il y fut nourri
comme une bête féroce : Taurus partagea
fon fupplice . La Reine fut enfevelie dans
un autre fouterrein . Par un raffinement de
cruauté , elle fut condamnée à ne plus voic
le jour , fans perdre la vie . Dédale eut recours
à fon art , & trouva feul le moyen
de s'échapper. Le Prince crut en force : il
devint bientôt monftrueux par fa taille gigantefque
, & fa férocité répondit à fon
éducation . Il combattoit les malheureux
Athéniens qu'on envoyoit en Crete ; on
les livroit à fa rage ; ils périffoient fous fes
coups , ou mouroient de la main de Taurus
, qui fecondoit fa fureur . Les jeunes
Grecques languiffoient dans l'efclavage.
Heureufement pour elles , Théfée , que le
fort mit du nombre des captifs , vint rompre
leurs fers. Il attaqua le redoutable Minotaure
, tua Taurus avec lui , & délivra
par cette victoire fa patrie d'un tribut auſſi
deshonorant pour l'humanité que pour
elle ; mais il ternit cette belle action par
le rapt d'Ariane , qui lui avoit enfeigné le
le_rapt
fecret de fortir du labyrinthe , en l'armant
d'un fil qui lui fervit de guide. En reconnoiffance
d'un fi grand bienfait , il l'arracha
des bras paternels , pour l'abandonner
dans une ifle déferte . Voilà de nos
brillans héros qui font le bien par nécef-
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
fité , & le gâtent bientôt après par le mal
qu'ils font volontairement . Minos , ce Roi
cité pour fa fagelle , s'en écarta dans cette
occafion , & flétrit fa gloire par la vengeance
éclatante qu'il tira d'une aventure
qu'il devoit plûtôt étouffer dans un profond
filence. La renommée qui groffit , &
qui déguife tout , broda fur ce fond la
plus horrible fable . Elle publia que Pafiphaé
éprife d'amour pour un taureau ,
avoit eu recours à Dédale pour fatisfaire
fon effroyable paffion , & que cet Artiſte
complaifant avoit fabriqué le corps d'une
geniffe , où il avoit introduit la Reine ,
pour lui faciliter un affreux commerce.
Les plus grands Poëtes ont confacré cette
horreur. Minos en a été puni le premier ,
puifqu'il en a partagé la honte. Sa malheureufe
époufe a été la victime d'une
équivoque. Tant il eft vrai , que les femmes
, quand elles font choix d'un amant
ne fçauroient avoir trop d'égard au nom
qu'il porte ; cette attention eft pour elles
de conféquence. Il ne faut qu'un nom ri
dicule pour donner lieu à un conte extravagant
, ou à un vaudeville malin qui
les perd de réputation : l'exemple de Pafiphaé
doit les effrayer. Si le Cretois qu'elle
eftimoit , fe fût nommé autrement que
Taureau , fon aventure n'eût été qu'une
JAN VIE R. 1755. 35
galanterie d'ufage , ou qu'une foibleffe excufable
; on n'en eût point parlé. Ce qui
fait voir que les mots font plus de tort que
les chofes. Pour moi je trouve Minos le
plus coupable , & j'ai cru devoir cette
apologie à l'honneur de Pafiphaé. Elle n'étoit
pas d'une vertu tout-à fait fans reproche
, mais elle étoit du moins fage comme
la plupart des femmes le font , ou peuvent
l'être jelle étoit d'ailleurs eftimable
par plufieurs
belles qualités ,fur-tout elle aimoit les
arts & protegeoit les talens . Suppofé qu'elle
ait eu du goût pour un autre que fon mari ,
pourquoi tant fe récrier ? la chofe n'eft pas
fans exemple , & fa paffion , après tout ,
n'eft pas fortie de l'ordre commun. La fable
a outré fur fon fujet , elle en a fait un
monftre affreux : je ramene fon hiftoire à
la vraisemblance ; j'en fais une fenime ordinaire
.
On donnera la fuite dans le mois prochain,
fi cet effai eft du goût du public. On tourne
aujourd'hui la vérité en fable ; l'Auteur
mieux intentionné tâche de tourner la fable
en vérité.
B vj
36 MERCURE DE FRANCE .
PANDORE ,
OU L'ORIGINE DES PASSIONS .
ET DES CRIME S.
V
PAR M. YO N.
Avant Vant que le fils de Japet
Eut dérobé le feu célefte ,
Et que par un zéle indiſcret
Son audace à l'homme funefte ,
Eût fait éclore fa raiſon ,
En prenant chez les Dieux un dangereux rayon
De leur fuprême intelligence ,
L'homme innocent , dans un heureux filence
Se livroit au penchant du naïf ſentiment ;
Et ne diftinguant point les vertus ni les vices
Sans crainte & fans remords , il fuivoit les ca→
prices
Que le Ciel imprima fur fon tempérament.
On s'entendoit pourtant ; & dans ce premier âge
Le coeur dictoit aux yeux un ingénu langage .
* Cette allégorie excéde un peu les bornes que je
me fuis preferites pour les piéces en vers ; mais j'ai
cru que les beautés dont elle m'a paru remplie , méritoient
une diftinction . J'efpere que ceux qui la liront
, me fauront gré d'avoir franchi la régle en
fa faveur.
JANVIE R. 1755 . 37
On y lifoit fes befoins , fes defirs ,
Et la belle pouvoit ſe fier aux ſoupirs
Qu'elle voyoit fortir du coeur
De l'Amant qu'elle avoit choisi pour fon vain
queur.
Mais l'attentat de Promethée
Alluma bientôt contre nous
Le feu du céleſte couroux ,
Et fa vengeance concertée
Commit le foin aux Cyclopes brulans ,
De rebattre fur leur enclume ,
De la foudre la noire écume ,
Et d'en forger , pour éblouir nos fens ,
Un monftre orné des dons les plus brillans.
L'Olympe entier prit plaifir à répandre
Sur fon vifage féminin
Ces charmes féduifans , cet air piquant & fin
Qui fecondés d'un oeil fubtil & tendre ,
Fournit à ce fexe malin ,
En fe jouant , l'art de tout entreprendre,
Et comme au ciel tout concourut ,
Pour mieux déguifer l'impofture ,
Chaque Divinité tira de ſa nature
Le plus éclatant attribut.
Phébus lui montra fur fon luth ,
Des beaux chants & des vers le flateur affemblage .
Junon lui fouffla fur le front
L'art de rougir pour paroître plus fage ,
Qui , joint au don des pleurs , fait un effet fi
prompt
35 MERCURE DE FRANCE.
Dans les refforts d'un beau vifage ,
Qu'il n'eft point de couroux que ne puiffe fléchir
L'artifice trompeur de ce double avantage.
Pour achaver de l'embellir ,
Hébé compofa fa coëlfure ,
Et la Mere d'amour lui prêta fa ceinture .
Enfin le traître Amour ſe logea dans les yeux ,
Pour la guider dans ces terreftres lieux.
Tel éclata ce brillant météore
Aux regards des mortels , fous le nom de Pandore.
Jufque là le pouvoir du ciel
Avoit décoré ce fantôme ;
Mais il falloit que l'infernal Royaume
Contribuât par un préfent cruel
Qu'Alcalaphe apporta de la part des furies ,
Chef-d'oeuvre de leurs mains impics ,
Ouvrage éblouiffant , compofé d'un métal
Que depuis l'avarice arracha de la terre ,
D'où fortit le germe fatal
De la difcorde & de la guerre.
Peux-tu , miferable univers ,
Réfifter aux efforts des cieux & des enfers ?
Ils ont remis aux mains d'une beauté divine
Le foin de leurs deffeins vengeurs :
La foif de l'or va caufer ta iuine ;
Son éclat & celui de deux yeux enchanteurs
Vont pour jamais caufer tous tes malheurs.
Enfin , Pandore arrive , & fa bouche vermeille
Fit d'abord éclater fur nos fens étonnés ,
JANVIER. 1755 39
De fa touchante voix la fonore merveille .
Soudain les hommes profternés ,
A ce charme prêtent l'oreille.
Les femmes , de la voix admirant les talens ,
Déja cherchent des fons dans leurs bouches béantes
,
Et leurs levres impatientes
Précipitant leurs mouvemens ,
S'efforcent de faifir le don de la parole.
Pendant que tous enchantés & furpris ,
Soupirent aux pieds de l'idole ;
Elle pour s'acquitter de fon perfide rolle ,
Fit briller aux regards des hommes éblouis
Ce métal dangereux , cette boîte infernale ,
Qui frappant leurs efprits de curiofité ,
Se fit des yeux aux coeurs une route fatale
Pour y développer la cauſe initiale
De l'humaine cupidité.
L'effet fut prompt , & l'ardeur de connoître
Soudain bouillonne en leurs coeurs embrafés
Leurs regards pétillans , leurs geftes empreffés
Exigent fans retard que l'on faffe paroître
Ce que contient ce vaſe en fes brillans contours.
Je comprens vos defirs ; écoutez , dit Pandore ,
Jupiter ne veut plus que l'univers ignore
Ce qui doit augmenter le bonheur de vos jours.
Il vous enjoint de déchirer la terre ,
De percer , s'il fe peut , juſqu'aux bords d'Acheron
,
40 MERCURE DE FRANCE .
C'eft par de tels fentiers que votre ambition
Doit découvrir cetterare matiere :
Or eft fon nom ; fouillez , creufez pour en avoir;
Rien n'eft égal à fon pouvoir :
Celui qui plus avide en aura davantage ,
Sur les pareils régnera deformais .
Ce n'est point tout , pour comble de bienfaits
Ouvrez la bouche , & recevez l'ufage
De l'inftrument artifte de la voix.
Cet infatigable mobile ,
De vos plaifirs panégyrifte habile ,
Souinis aux paffions , en défendra les droits :
Et quand d'un fier cenfeur la morale ennemie
D'une vertu bizarre alléguera les loix ,
Qu'un grand nombre de mots étouffe fous leurs
poids
Les noirs accès de fa miſantropie ,
En criant plus que lui vous mettrez aux abois
Sa raifon étourdie .
Enfin , pour exciter les mortels généreux ,
J'ordonne que ce vaſe , objet de votre envie ,
Soit le prix du plus fort ou du plus courageux.
Ainfi parla Pandore à la muette troupe ;
Et de langues foudain un effain bourdonnant ,
En prenant l'air , s'échappe de la coupe.
Chacune au hazard ſe lançant ,
Dans les gofiers ouverts fe greffe & s'enracine,
D'abord les animaux par des cris menaçans ,
JANVIER . 1755.
De leurs foibles tyrans confpirent la ruine ;
Ils ne prétendent plas que l'homme les domine ;
Ils dédaignent déja ſes ordres impuiffans.
Le taureau révolté , briſe fon joug , rumines
Le lion indigné de fon abaiffement ,
Etincelle , rugit , bat fes flancs & s'anime ;
Et pour fignal de fon foulevement ,
Fait de fon maître la victime.
Le ferpent s'applaudit par un fier fifflement ;
Des poiſons dont fa langue s'envenime ;
Et l'homme s'énonçant pour la premiere fois ,
Sur le tien & le mien , fait l'effai de ſa voix.
L'air retentit de cris , écho rompt le filence ;
Mais le fexe fur- tout eft le plus éloquent :
On dit même qu'en débutant
Il inventa la médiſance ,
Et fut prompt à faifir le tour infinuant
D'une mordante & badine élégance ,
Pour décrier plus finement
La plus frivole impertinence ;
Même il trouva dans fon tempérament
Cette cauftique nonchalance ,
Qui prête un faux air d'innocence
Au trait le plus piquant.
Bientôt fon altiere éloquence ,
Organe impérieux de fon reffentiment ,
A l'aveugle bravoure enjoignit la vengeance
D'un mot fur les appas lâché trop hardiment.
Courez , mortels , prenez les armes ,
42 MERCURE DE FRANCE.
Faites - vous égorger pour l'honneur de fes char
mes ;
Ces mêmes auraits outragés ,
Vont devenir le prix de votre frénéfie ,
Et la pudeur fe facrifie
Au plaifir de les voir vengés.
Lorfque Pandore vit que l'humaine lignée ,
Par le double préfent des langues & de l'or ,
Ne pouvoit éviter de vivre infortunée ,
En fouriant , elle prit fon effor
Vers les céleftes lieux , & fes perfides mains ,
Pour confommer fes noirs deffeins ,
Laifferent échapper ce pernicieux vafe
De nos malheurs l'origine & la bafe.
11 eft à moi , dit l'un , car je fuis le plus fort :
Soumettez- vous aux loix de la Déeffe ;
Qui de le difputer aura la hardieffe ,
De ce bras recevra la mort .
Ce titre feul vous rend tous mes efclaves.
Crois-tu , s'écrie un autre , infpirer de l'effroit
Ta force n'y fait rien , & ce font les plus braves
Qui , maîtres de cet or doivent donner la loi.
Ainfi l'on vit & la force & l'audace
Dans leurs premiers accens exhaler la menace :
L'or en fut le motif , & pour peupler l'enfer
Dès cet inftant l'or éguifa le fer.
Dès lors auffi l'égalité bannie ,
Fit place aux plus noirs attentats ,
JANVIER. 1755. 43.
Et la farouche tyrannie
Se faifant précéder du démon des combats ,
Un poignard à la main , fe traça des Etats. ,
Mais pour faire aux humains refpecter fa furie ,
Elle s'appropria le beau nom de patrie.
Ce nom facré fubjuguant les efprits ,
Cimenta fur l'honneur fon altier defpotifme.
De leurs droits confondus , l'homme de coeur épris,
Par des routes de fang courut à l'héroïſme ,
Et plein d'amour il fut , en barbare appareil ,
A fa chere patrie immoler fon pareil .
Avec moins de fracas , & plus d'adreffe encore
Pour l'ufage commun , les langues font éclore
Du fond des coeurs des vices inconnus.
En politique adroit , l'amour propre à leur tête ,
Les entremêle avec quelques vertus.
L'efprit lui-même eft bientôt fa conquête,
Et vil adulateur , il prête fes talens
2
A la tendreffe opiniâtre
Dont cet orgueilleux idolâtre
Ses plus monftrueux fentimens.
En vain la vérité plaintive & gémiffante ,
S'éleve dans l'intérieur ,
L'indomptable tyran étouffe la lueur
De far emontrance impuiffante.
Déja le menteur effronté
Traite l'homme vrai d'imbécile ,
Et , felon lui , la verité
7
44 MERCURE DE FRANCE.
N'eft qu'une vertu puerile ,
Dont cependant le fourbe habile
Contrefait l'ingénuité ,
Pour fe gliffer en dangereux reptile ,
Dans le fein ouvert & facile
De la naïve probité.
Déja la noire calomnie ,
Pour déployer fes jalouſes fureurs ,
Broye en fecret les affreuſes couleurs
Dont elle va fouiller la plus illuftre vie.
Tel eft le fort d'un mérite éclatant ,
Que fa profpérité la choque & l'importune ,
Et fon inventive rancune
Ne fe taira qu'en le précipitant .
Dans la plus obfcure infortune .
Et vous , qui dans vos traits n'offrez rien de plus
beau
Que le modefte & fincere tableau
D'une ame généreufe & fage ,
Vous , de l'honneur , la plus aimable image ,
Chaftes beautés , tremblez à l'afpect du couteau
Que tient fur vous l'impofteur en fa rage ;
D'un coup il va percer le précieux bandeau
Dont la pudeur vous couvre le viſage.
Hélas ! la playe eft faite ; armez -vous de courage :
Ce ne fera peut- être qu'au tombeau
Que l'humaine équité vous rendra témoignage ;
Mais le crime ici - bas vous devoit eet outrage,
JANVIER . 1755 . 45
Et c'eft en vous plaçant à fon niveau ;
Qu'il vous punit d'ofer dans le bel âge
Porter , de la vertu , l'honorable fardeau.
A voir la langue en fa naiffance
Obfcurcir les vertus , & fervir les forfaits ,
Qui ne croiroit que fa licence
Ne peut pouffer plus loin fes rapides effais !
A peine cependant l'eſprit lui tend l'amorcę .
De l'orgueilleufe impiété ,
Que dès l'iftant elle s'efforce
D'en outrer la témérité ;
Et franchiffant la fphere trop obfcure
Qui la retient dans l'univers ,
Ses facrileges fons exhalent dans les airs ,
Et le blafphême & le parjure .
Ne croyez pas , Dieux immortels ,
Que fon audace épargne vos autels :
Ces monumens facrés , où la reconnoiffance
Brûle un refpectueux encens ,
D'un coeur féditieux choquent la dépendance ,
Et pour les renverfer attaquant votre eflence ,
La langue lui fournit ces rebelles accens.
L'ordre des cieux , le ciron , la lumiere ,
N'émanent point d'un Créateur ;
Un concours fortuit eft l'unique moteur
D'une éternelle & féconde matiere.
Ne craignez point des Dieux , leur culte n'eft
qu'un frein ;
46 MERCURE DE FRANCE.
Némefis , & ce noir Tartare
N'eft qu'une invention bizare
Pour contenir le genre humain
Dans la néceffité des devoirs fociables ;
Et les Législateurs armés d'un vain pouvoir ,
De ces fantômes redoutables ,
'Arrêtent par la crainte , & flatent par l'espoir
Ceux que l'oppreffion rend ici miférables .
Des fens voluptueux écoutez les tranfports ;
Qu'héfitez- vous ? laiffez à des efprits vulgaires
Le foin de fe forger des terreurs , des remords ;
Nos defirs font nos Dieux , & pour des efprits
forts
Le vice & la vertu font des mots arbitraires.
Le corps enfin eft notre unique bien ;
Et cette effence fantaſtique
Indéfiniffable & myſtique ,
Qu'on appelle ame , eft moins que rien.
C'est ainsi que l'impie enyvré d'un fyftême
Dont il voudroit étourdir fes frayeurs ,
D'un avenir affreux écartant les horreurs ,
Avec les Dieux , s'anéantit lui-même.
JANVIER. 1755. 47
LE PIGEON ET LE COQ.
O
FABLE.
LE COQ ,
Ses-tu comparer à ma bonne fortune
Une fauffe profpérité ?
LE PIGEON.
Mais la mienne n'en eft point une ,
Puifque je fuis content de ma félicité.
LE COQ.
Il faut plus de réalité .
LE PIGEON. ނ
Je ménage ma belle .
LE COQ
Et moi je l'importune.
L'amour eft favorable à la témérité.
Quel tourment que l'incertitude !
LE PIGEON.
De quelqu'efpoir je fuis flatté ....
LE COQ..
L'eſpoir tient à l'inquiétude ,
Et le coeur inquiet eſt toujours maltraité.
48 MERCURE DE FRANCE.
=
LE PIGEON.
J'efpere avoir touché la belle qui m'enchante .
LE CO2
Moi , j'en fuis fûr , on me l'a dit ;
Quand j'arrive , ma Poule chante.
LE PIGEON.
Ma Colombe a l'air interdit .
LE CO 2,
Elle veut donc qu'on la devine ,
Ta maîtreffe toute divine !
LE PIGEON.
Il est vrai que fa voix ne m'a point révelé
Le fecret enchanteur auquel j'oſe prétendre :
Mais l'Amour ne perd rien à paroître voilé.
Pour les coeurs délicats qu'il eft doux de s'entendre
Avant même d'avoir parlé.
REPROCHES
JANVIER. 1755. 49
A DELAÏDE ,
OU LA FEMME MORTE D'AMOUR.
Hiftoirefinguliere , mais qui n'eft pas moins
C
vraie.
Ette aventure eſt arrivée en 1678 , &
paroîtra peut-être incroyable en 1755 .
Soixante- dix -fept ans ont fait de fi grands
changemens dans nos moeurs , que l'amour
conjugal , qui étoit alors refpecté ,
eft devenu aujourd'hui un ridicule ; il
paffe même pour une chimere , on n'y
croit plus. Cependant l'hiftoire d'Adelaïde
eft accompagnée de circonftances fi naturelles
, elle porte un caractere de vérité fi
frappant & fi naïf , qu'elle doit perfuader
l'efprit du plus incrédule , toute furprenante
qu'elle eft. Le lecteur en jugera : la
voici.
La Marquife de Ferval s'étant dégoûtée
du monde , fe retira en province dans une
de fes terrres , & ne s'y occupa que du
foin d'élever fa famille. Elle étoit veuve
d'un homme de qualité , qui n'avoit foutenu
fon rang que par les grands biens
qu'il tenoit d'elle. Il lui avoit laiffé une
fille de feize ans ; elle l'aimoit tendre-
C
so MERCURE DE FRANCE.
ment ; & comme elle vivoit ifolée , elle
fit deffein de mettre auprès d'elle une jeune
perfonne du même âge , pour lui tenir
compagnie. Elle n'eut pas beaucoup
de peine à faire ce choix le caractere
d'Adelaïde lui avoit plû. Cette aimable
fille voyoit fort fouvent la fienne , & la
Marquife de Ferval ne lui eut pas plutôr
témoigné l'envie qu'elle avoit de la retenir
, qu'elle eut tout lieu d'être fatisfaite
de fa complaifance. L'occafion étoit favorable
pour Adelaïde ; elle étoit orpheline :
comme elle ne tenoit de la fortune que
le titre de Demoifelle , elle trouvoit un
grand avantage à être reçue en qualité
d'amie , dans une maifon auffi diftinguée
que l'étoit celle de la Marquife. Elle y
étoit déja fort aimée , & fes manieres
honnêtes pour tous ceux avec qui elle avoit
à vivre , eurent bientôt achevé de lui
gagner
tous les coeurs. Ce qui lui avoit par
ticulierement acquis l'eftime de la Marquife,
c'étoit un fond de modeftie & de
vertu qu'on ne pouvoit affez admirer dans
une fi grande jeuneffe , & avec une beau-"
té dont toute autre auroit été vaine. Madame
de Ferval ne pouvoit mieux choifir
ni donner à fa fille un exemple plus digne
d'être fuivi. Mais en plaçant Adelaïde
auprès d'elle , elle n'avoit pas
fait at
JANVIER. 1755. SI
tention qu'elle avoit un fils , que ce
fils n'étoit pas d'un âge à demeurer infenfible
, & que l'expofer à voir à toute heute
une perfonne fi aimable , c'étoit en quelque
façon le livrer aux charmes les plus
dangereux qu'on pût avoir à craindre pour
lui. En effet , fi le jeune Marquis n'eût
d'abord que de la politeffe pour Adelaïde
il ne fut pas long- tems le maître de n'avoir
rien de plus fort.Quoiqu'il fut fouvent avec
fa foeur, il auroit voulu en être inféparable .
Adelaïde ne difoit rien qui ne lui femblât
dit de la meilleure grace du monde ; Adedaïde
ne faifoit rien qu'il n'approuvât ,.
& parmi les louanges qu'il lui donnoit , il
lui échappoit toujours quelque chofe qui
avoit affez de l'air d'une déclaration d'amour
. Adelaïde , de ſon côté , n'étoit pas
aveugle fur le mérite du jeune Ferval : il
lui paroiffoit digne de toute l'estime qu'elle
avoit pour lui ; & quand elle s'examinoit
un peu rigoureufement , elle fe trouvoit
des difpofitions fi favorables à faire plus
que l'eftimer , qu'elle n'étoit pas peu embarraffée
dans fes fentimens : mais fi elle
avoit de la peine à les régler , elle s'en
rendoit fi bien la maîtreffe , qu'il étoit impoffible
de les découvrir. Elle connoiffoit
la Marquife pour une femme impérieuſe ,
qui ayant apporté tout le bien qui étoit
Cij
52 MERCURE
DE FRANCE,
dans cette maifon , formoit de grands projets
pour l'établiffement de fon fils , & lui
deftinoit un parti fort confidérable. Ainfi
quoiqu'elle fût d'une naiffance à ne pas
lui faire de deshonneur s'il l'aimoit affez
pour l'époufer , elle voyoit tant d'obſta
cles à ce deffein , qu'elle ne trouvoit point
de meilleur parti à prendre que celui de
ne point engager fon coeur. Cependant
elle tâcha inutilement de le défendre ; fon
penchant l'emporta fur fa raifon , & fi elle
oppofa quelque fierté aux premiers aveus
que le Marquis lui fit de fa tendreffe , ce
fut une fierté fi engageante , qu'elle ne l'éloigna
point de la réfolution qu'il avoit
prife de l'aimer éternellement . Elle évita
quelque tems toutes fortes de converfations
particulieres avec lui , mais elle ne put
empêcher que fes regards ne parlaffent : ils
lui expliquoient fi fortement fon amour ,
qu'il lui étoit impoffible de n'en être pas
perfuadée . Enfin le hazard voulut qu'il la
rencontrât feule un jour fous le berceau
d'un jardin , où elle s'abandonnoit quelquefois
à fes rêveries : elle interrompit les
premieres affurances qu'il lui réitéra de fa
paffion ; mais il la conjura fi férieufement
de l'écouter , qu'elle crut lui devoir cette
complaifance. Ce fut là qu'il lui peignit
tout ce qu'il fentoit pour elle , & qu'il
JANVIÉ R. 1755 . 53
l'affura de la maniere la plus touchante
que fi elle vouloit agréer fes foins , il feroit
fon unique félicité de la poffeffion de
fon coeur. Adelaiïde rougit , & s'étant remife
d'un premier trouble , qui donnoit
un nouvel éclat à fa beauté , elle lui dit
avec une modeftie charmante , que fi elle
étoit d'une fortune égale à la fienne , il
auroit tout lieu d'être fatisfait de fa ré
ponfe ; mais que dans l'état où fe trou
voient les chofes , elle ne voyoit pas qu'if
pût lui être permis de s'expliquer ; qu'elle
avoit trop
bonne opinion de lui , pour croi
re qu'il eût conçu des efpérances dont elle
dût avoir fujet de fe plaindre , & qu'elle ·
enviſageoit tant de malheurs pour lui dans
une paffion légitime , qu'elle croiroit ne
pas mériter les fentimens qu'il avoit pour
elle fi elle ne lui confeilloit de les étouf
fer ; qu'elle lui prêteroit tout le fecours
dont il pourroit avoir befoin pour le faire ,
& qu'elle éviteroit fa vûe avec tant de
foin , qu'il connoîtroit fi fon
que
peu de
fortune ne lui permettoit pas de prétendre
à fon amour , elle étoit digne au moins
qu'il lui confervât toute fon eftime.
Tant de vertu fut pour le Marquis un
nouveau fujet d'engagement. Il parla de
mariage , pria Adelaïde de lui laiſſer ménager
l'efprit de fa mere , & fe fépara
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
d'elle fr charmé , qu'il n'y eut jamais unë
paffion plus violente. Il fit ce qu'il lui avoit
promis , & rendit des devoirs fi refpectueux
& fi complaifans à la Marquife , qu'il
ne defefpéra pas d'obtenir fon confentement.
Adelaïde ne fut pas moins ponctuelle
à tenir la parole ; elle prit foin d'éviter
le Marquis , & tâcha de lui faire quit,
terun deffein dont elle voyoit le fuccès horsd'apparence
. Mais leur destinée étoit de s'aimer
; & comme un fort amour ne peut être
long- tems fecret , la Marquife , qui s'en
apperçut , fit quelques railleries à fon fils.
II
prit la chofe au férieux ; mais dès qu'il
eut commencé à exagérer le mérite d'Adelaïde
, elle prévint la déclaration qu'il fe
préparoit à lui faire , par des défenfes fi
abfolues d'avoir jamais aucune penſée pour
elle , qu'il vit bien qu'il n'étoit pas encore
tems de s'expliquer . Elle fit plus. La campagne
alloit s'ouvrir ; le Marquis étoit dans
les Moufquetaires , elle ne lui donna qu'un
jour pour partir : il fallut céder.
Son pere n'avoit pas laiffé de quoi Latiffaire
fes créanciers , & il ne pouvoit efperer
de bien que par elle : il partit après
avoir conjuré Adelaïde de l'aimer toujours
, & l'avoir affurée d'une fidélité inviolable
.
Pendant fon abfence , un Gentilhom
JAN VIÉR. 1755 55
me voifin devient amoureux d'Adelaïde ;
il fe déclare à la Marquife qui , pour
mettre fon fils hors de peril , promet un
préfent de nôce confidérable , & conclut
l'affaire. Le jeune Ferval en eft averti. On
entroit en quartier d'hyver. Il prend la
pofte , & arrive dans le tems qu'on preffoit
fa maîtreffe de prendre jour. Il fe
jette aux pieds de fa mere , la conjure de
ne pas le mettre au defeſpoir , & ne lus
cache plus le deffein qu'il a d'époufer Adelaïde.
La Marquife éclate contre lui. La
foumiffion de fon fils ne peut la fléchir ,
& cette brouillerie fait tant d'éclat , que le
Gentilhomme qui apprend l'amour réciproque
du Marquis & d'Adelaide , retire
fa parole , & rompt le mariage arrêté. Cetre
rupture acheve d'irriter la Marquife. Elle
défend fa maifon à Adelaïde , & toutes
les prieres du Marquis ne peuvent rien
obtenir. Il eft caufe de la difgrace de ce
qu'il aime , & il ſe réfout à la réparer. Il
l'épouſe , malgré toutes les menaces de fa
mere. Elle l'apprend , le deshérite , & jure
de ne lui pardonner jamais . Un enfant naît
de ce mariage ; on le porte à la Marquife.
Point de pitié ; elle demeure inexorable ,
& pour comble de malheur ils perdent ce
précieux gage de leur amour. Ils paffent
trois ou quatre années prefqu'abandonnés
C iiij
56 MERCURE DE FRANCE.
de tout le monde , & ne fubfiftant qu'avec
peine ; ils font réduits enfin à la néceffité
de fe féparer. Le Marquis en fait la
propofition à fa femme . Elle n'a pas moins
de courage que de fageffe , & confent à
s'enfermer dans un Cloître , comme il ſe
détermine à entrer dans un Couvent. I
vend quelques bijoux qui lui reftent , &
en donne l'argent à fa chere Adelaïde. Elle
va trouver une Abbeffe , auffi recommendable
par fa vertu que par fa naiffance .
Elle eft reçue , on lui donne le voile , &
cette cérémonie n'eft pas plutôt faite , que
le Marquis fe rend à Paris , & renonçant
pour jamais au monde , prend l'habit dans
un Ordre très- auftere .
La fortune n'étoit pas encore laffe de
perfécuter Adelaide. Quelques filles du
Monaftere qu'elle avoit choifi , apprennent
fon hiftoire ; & foit envie ou malignité ,
elles cabalent avec tant d'adreffe , qu'elles
trouvent des raifons plaufibles pour
lui faire donner l'exclufion : elle a beau verfer
des larmes , elle eft obligée de fortir .
Une Religieufe de ce Couvent touchée
de fon état , lui donne des legres de recommendation
pour fon pere , qui étoit
Officier d'une Princeffe . Elle part , vient à
Paris ; & pendant que cet Officier lui fait
chercher un lieu de retraite pour toute
JANVIER. 1755. 57
fa vie , elle envoye avertir le Marquis de
fon arrivée , & lui fait demander une heure
pour lui parler. La nouvelle difgrace d'Adelaïde
eft un coup fenfible pour lui . Ik
F'aime toujours , il craint l'entretien qu'elle
fouhaite , & la fait prier de lui vouloir
épargner une vûe qui ne peut qu'être pré-;
judiciable au repos de l'un & de l'autre.
Adelaïde , quoique détachée du monde ,
ne l'eft point affez d'un mari qu'elle a tant
aimé , pour n'être point touchée de ce refis
; il ne fert qu'à augmenter l'envie
qu'elle a de le voir.
Elle va au Couvent , entre d'abord dans
P'Eglife , & le premier objet qui la frappe, eſt
le Marquis fon époux , occupé à un exercice
pieux avec toute fa Communauté . Cet
habit de pénitence la touche ; elle fe montre
, il la voit , il baiffe les yeux , & quelque
effort qu'elle faffé pour attirer les regards
, il n'en tourne plus aucun fur elle
Quoiqu'elle pénétre le motif de la violence
qu'il fe fait , elle y trouve quelquechofe
de fi cruel , qu'elle en eft faifie de la
plus vive douleur. Elle tombe évanouie ;
on l'emporte , elle ne revient à elle que
pour demander fon cher Ferval. On court
l'avertir que fa femme eft mourante . Son
Supérieur lui ordonne de la venir confo--
ler ; & elle expire par la force de fon fai-
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
fiffement , avant qu'il fe foit rendu auprès
d'elle .
Toute la vertu du Marquis ne fuffic
point pour retenir les larmes que fa tendreffe
l'oblige de donner à cette mort. Ce
premier mouvement eft fuivi d'une rêve
rie profonde , qui le rend quelque tems
immobile. Il revient enfin à lui -même , &
après avoir remercié ceux qui ont pris foin
de fa chere Adelaïde , il fe retire dans fon:
Couvent , où à force d'auftérités , il tâche
de reparer ce que fa paffion quoique
légitime , peut avoir eu de trop violent
"
*
JANVIER. 1755. $9
VERS A PAULINE ,
En lui envojant pour étrennes une plume
& un porte- crayon d'or , montés fur un
bois des Indes.
D'Eveloppez ce petit inftrument ,
Un crayon , une plume en font tout l'ornement ;
Moralifons fur l'affemblage.
L'un étourdi , frivole , & fait pour l'enjouement ,
Ne doit fervir qu'au badinage.
Préfervatif contre l'ennui ,
On lui permet fur les travers d'autrui ,
De blafoner une légere trace ,
Parce qu'en peu de tems fon empreinte s'efface.
Pauline , c'eſt encore lui
Qui peut enregiſtrer les dédains , les caprices
Dont nous affligent les mortels.
Que fes traitsfuperficiels
Vous rappellent leurs injuftices :
Mais pour votre repos , preffez -vous d'effacer
Ce qu'un dépit trop prompt vous permit de tracers
Du crayon pétulant , voilà , je crois , l'ufage.
De la plume à préfent , examinons l'emploi.
Lejugement doit être & fon guide & fa loi ;
Organe du fang froid , mystérieuse & fage ,
Dans des tours refléchis, qu'elle enchaffe les traits55
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
Et diffimulant les injures ,
Loin d'ofer confier à fes coups indifcrets ,
De la bile , & du fiel - les durables peintures ,
Son art prudent n'éternife jamais:
Que le fouvenir des bienfaits..
E PITRE
A UNE VEU V E.
Par M. le Chevalier de Laurèsă-
Pourquoi , Philis , dans fes ténébres
Cacher tant de traits enchanteurs ?
Pourquoi ces images funebres ,
Ces foupirs , ces plaintes , ces pleurs ,,
Dont vous nourriffez vos douleurs ? .
Si l'objet de votre tendreffe
A fermé les yeux pour jamais ,
Faut-il que
la nature ceffe
De s'embellir de vos attraits -
Les Dieux juftes dans leurs bienfaits ,
Pour tous les regards font éclore ,
Et l'émail parfumé de Flore ,.
Et la verdure des forêts.
La fleur de rubis éclatante ,
Qui d'un feul ruiffeau qui l'enchante:
Reçoit la vie & la couleur ,,
JANVIER. 1755 GB
Voit bientôt fa beauté flétrie..
Si du ruiffeau l'onde eft tarie ,
Et fi , conftante en fon ardeur
Pour tout autre dans la prairie
Elle conferve fa rigueur..
Mais , fi d'une fource nouvelle
Son fein eft enfin abreuvé ,
Dieux ! quel jour pur brille fur elle. ??
Le bonheur qu'elle a retrouvé
La rend encor cent fois plus belle..
Fille des Graces , cette fleur
Offre un confeil à votre coeur ;
Vous n'avez reçu tant de charmes ,
Que pour plaire & que pour aimer ::
L'Amour a cauſé vos allarmes ,
C'eft à l'Amour de les calmer..
6 MERCURE DE FRANCE
NOUVEAU DIALOGUE
DES MORT S.
SOCRATE , ALEXANDRE LE GRAND:
ALEXANDRE.
UI, je fens toujours , Socrate , un
nouveau plaifir à m'entretenir avec
vous ; mais que je ne vous contraigne
pas , je vous prie : vous étiez avec une
Ombre qui paroiffoit mériter toute votre
attention..
SOCRATE
C'eft , fans contredit , un Mort des plus:
diftingués ; mais je fçais le refpect que
je dois au fils du Roi de Macédoine : l'om
bre du Poëte tragique que je viens de
quitter , peut- elle entrer en comparaifon
avec celle d'un héros ? S'ils font les pieces
, n'eft- ce pas vous , Meffieurs , qui en
fourniffez les fujets ? Cet article feul décide
la préférence ; le modele doit paffer
avant le Peintre.
ALEXANDRE.
Socrate aime quelquefois à s'égayer
JANVIER. 1755.
mais je n'aurois pas imaginé que ce dût
être en faveur d'un Poëte qu'il fit rire à
mes dépens.
SOCRATE.
Pourquoi non , s'il vous plaît pouvons-
nous trop accueillir ces génies privilégiés
que le ciel accorde à la terre pour
lui procurer les plus nobles amuſemens ?
ALEXANDRE.
Vous avez donc un goût bien décidé
pour les Spectacles ?
SOCRAT B.
Je préfère encore ( vous le voyez ) ceuxqui
les donnent.
ALEXANDRE.
Un Philofophe du premier ordre , un
Sage dont la réputation s'eft étendue dans
tous les tems , & chez toutes les nations ,
s'amufe des jeux frivoles de la fcène , &
des vaines repréſentations des foibleffes ,
& des excès de l'humanité.
SOCRATE..
Voilà précisément ce qui fait que le
théâtre étoit mon école , & que j'affiftois
aux pieces de Sophocle & d'Euripide , mê64
MERCURE DE FRANCE.
me à celles d'Ariftophane , pour apprendre
à commencer par moi le cours de mes leçons.
C'est au théâtre que l'on puife la
théorie du coeur & de l'efprit humain ; le
commerce du monde n'en donne que la
pratique . Vous ne fçauriez imaginer , par
exemple , jufques à quel point je trouve
à profiter avec le célebre Shakespear , que
j'ai quitté pour vous fuivre , & combien ik
exerce & cultive le goût que j'ai pour la
Philofophie.
ALEXANDR E..
Je vous pardonnerois ces éloges pour les
Corneille , les Racine , les Crebillon , les Voltaire
, & leurs imitateurs ;; mais
kespear..
·S.O⋅CRATE..
pour Sha-
Quand vous feriez François , vous ne
parleriez pas autrement ; mais ils donnent
eux-mêmes de grands éloges au premier:
Tragique de l'Angleterre .
ALEXANDRE.
C'eft une fuite d'un certain goût que las
mode &.les faux airs ont , dit-on , accrédité
depuis quelque tems , & que j'ai oui
nommer l'Anglomanie..
JANVIER. 1795 .
SOCRATE.
La manie conſiſte à tout adopter , à tout
préférer , pourvû que ce foit de l'Anglois ;
mais non pas à combler de louanges ce
qui le mérite. La baffe jaloufie ne feroit
pas moins blâmable qu'une folle prévention
les grands talens appartiennent à
tous les pays , & les grands hommes fot
les citoyens du monde .
ALEXANDRE.
Vous louez exceffivement un Poëte plus
étonnant qu'admirable , plus fingulier que
fublime , & qui , par le bizarre affemblage
qu'il a fait des Rois & des foffoyeurs ,
des buveurs de bierre & des héros , a préfenté
des tableaux qu'il faut plûtôt confidérer
comme d'affreux grotefques , que
comme la peinture de la nature & de la
vérité.
SOCRAT E.
Il fe peut en effet qu'il ait vû dans ces
occafions la nature de trop près , & qu'il
l'ait peinte un peu trop fortement : mais
n'est- ce pas
la nature , après tout ?
ALEXANDRE,
Ce n'eft pas du moins celle qu'il faut
peindre.
66 MERCURE DE FRANCE.
SOCRATE.
Cela n'eft pas fans doute dans les régles
du théâtre ; mais celles de la véritable
grandeur font - elles mieux obfervécs
par les Héros que les Poëtes repréfentent ?
Et fi Shakespear a bleffé les principes d'Ariftote
, n'avez-vous jamais été contre les
maximes de Pythagore & de Platon.
ALEXANDRE.
Quel parallele nous faites- vous là
SOCRATE.
Il eſt plus raiſonnable que vous ne le
penfez . Vous autres grands Conquérans ,
vous ne voulez rien pardonner aux grands
Poëtes ; mais en relevant fi bien les irrégu
larités qui fe gliffent dans leurs ouvrages ,
n'avez-vous jamais apperçu celles qui fe
trouvent dans vos actions ? n'avez-vous
jamais fait d'écarts , pour exiger qu'ils en
foient exempts ? Et pour ne vous pas perdre
de vûe , Seigneur Alexandre , croyezvous
que la manie de paffer pour le fils
de Jupiter , le meurtre de Clytus , l'hiftoire
de Bucephale , & les excès du vin , figurent
mieux à côté du paffage du Granique , de
la conquête de l'Afie , & de vos nobles
procédés pour la famille de Darius , que,
JANVIER. 1755. 67
dans une Tragédie les forciers , les foffoyeurs
, & les mauvais propos de gens qui
fe font enyvrés
ALEXANDRE.
Les Peintres & les Poëtes font faits pour
peindre la nature , mais c'eft de la belle
qu'ils doivent faire choix , & non pas l'envifager
du côté méprifable & rebutant.
SOCRATE.
Eh ! ne devons- nous pas fuivre les mêmes
principes dans le choix des goûts :
des moeurs , des paffions même , puifqu'il
en faut nous ne craignons point d'errer
à nos propres yeux , parce qu'ils font indulgens
; nous redoutons ceux d'autrui ,,
parce qu'ils ne nous font point de grace.
ALEXANDRE.
Nous fommes en cela moins coupables
que malheureux , & par conféquent plus
plaindre qu'à blâmer .
SOCRATE.
Cela feroit vrai , fi nous ne tournions
pas contre les autres nos propres défauts,
On raconte qu'un homme extrêmement
laid , voulut un jour fe faire peindre par
Appelles Ce Peintre célebre vit le danger
68. MERCURE DE FRANCE.
de l'ouvrage , & s'en défendit long- teins.
L'homme infiftoit ; le Peintre fe rendit.
Celui qu'il avoit trop bien peint ne put
fe réfoudre à fe reconnoître ; il porta
mê- me l'injuftice
jufqu'à
parler
mal du talent
de l'artifte
. Regardez
- vous
, dit Ap- pelles
, en lui préfentant
un miroir
, & voyez fi j'ai pû vous peindre
en beau
: ce n'eſt
pas le pinceau
, ce font
vos traits
qu'il
faut changer
.
ALEXANDRE.
Un apologue n'eſt
pas une démonftra
tion.
SOCRATE.
C'eſt du moins une raifon de conclure
que vous devez excufer Shakespear d'a
voir mêlé le grotefque au fublime , & les
éclats de rire aux pleurs ; on voit fi fouvent
dans le monde la petiteffe à côté de
la grandeur , & les impertinences de l'hom
me auprès des volontés da Dieu.
ALEXANDRE.
Peindre en grand l'humanité , c'eft l'honorer
, c'est l'embellir encore ; la repréſenrer
defavantageufement , c'est l'avilir fans
la réformer.
JANVIER. 1755 . 6.9.
SOCRATE .
Je vous entends , Seigneur Alexandre ;
Vous voulez bien avoir des défauts , mais
vous trouvez mauvais que l'on en parle.
Vous ne reffemblez pas mal à ces Comédiens
enorgueillis des rôles fublimes qu'ils
repréfentent : ils font tout honteux qu'on
les rencontre en habit Bourgeois .
REMERCIMENT A MR. D'AMMON ,
ENVOYÉ DU ROI DE PRUSSE.
U
Par Madame CURE.
N étui deftiné pour en faire un cachet ,
Qui fert à celer un fecret ,
N'étoit pas de ma compétence ;
Car mon coeur eft fi fatisfait
D'un préfent de cette importance ,
Qu'il ne fçauroit être muet ,
Ni cacher les tranfports de fa reconnoiffance
70 MERCURE DE FRANCE.
REPROCHES A MENITTE.
VERS.
IL eft , mais heureufement
Il n'en eft qu'une en la terre ,
Toute autre eft au Firmament.
vraiment
Une eft encor trop ,
Pour livrer durable guerre
A tel qui n'alloit aimant
Que d'amour prompte & légere ,
Sçachant affez dextrement
Chanter , flater la bergere
Qui réfifte foiblement.
Or voyez quel changement !
Amant & bien plus qu'amant
Car c'eft fans efpoir de plaire
Qu'il bénit l'enyvrement
Qui remplit fon ame entiere:
Mais comment faire autrement ?
A qui peut voir conftamment
Ménitte l'enchantereffe ,
Venus diroit vainement ,
» Ça , venez qu'on vous careffe ,
» Quittez Ménitte un moment :
Il répondroit froidement ,
Grand-merci , belle Déeffe.
JAN VIER. 1755 . 71
Sle
LE MIROIR.
Par M. DE MARIVAU X.
vous aimez , Monfieur , les aventures
un peu fingulieres , en voici une
qui a dequoi vous contenter : je ne vous
prefferai point de la croire ; vous pouvez
la regarder comme un pur jeu d'efprit ,
elle a l'air de cela ; cependant c'eſt à moi
qu'elle est arrivée.
Je ne vous dirai point au refte dans quel
endroit de la terre j'ai vû ce que je vais
vous dire. C'eft un pays dont les Géographes
n'ont jamais fait mention , non qu'il
ne foit très- fréquenté ; tout le monde y va ,
vous y avez fouvent voyagé vous- même ,
& c'est l'envie de m'y amufer qui m'y a
infenfiblement conduit. Commençons.
Il y avoit trois ou quatre jours que j'étois
à ma campagne , quand je m'avifai
un matin de me promener dans une allée
de mon parc ; retenez bien cette allée ,
car c'eft de la d'où je fuis parti pour le
voyage dont j'ai à vous entretenir.
Dans cette allée je lifois un livre dont
la lecture me jetta dans de profondes réflexions
fur les hommes,
Et de réflexions en réflexions , tou72
MERCURE DE FRANCE.
jours marchant , toujours allant , je mar
chai tant , j'allai tant , je réfléchis tant , &
fi diverſement , que fans prendre garde à
ce que je devenois , fans obferver par où
je paffois , je me trouvai infenfiblement
dans le pays dont je parlois tout à l'heure ,
où j'achevai de m'oublier , pour me livrer
tout entier au plaifir d'examiner ce qui
s'offroit à mes regards , & en effet le ſpectacle
étoit curieux. Il me fembla donc ;
mais je dis mal , il ne me fembla point :
je vis fûrement une infinité de fourneaux
plus ou moins ardens , mais dont le feune
m'incommodait point , quoique j'en
approchaffe de fort près.
Je ne vous dirai pas à préſent à quoi
ils fervoient ; il n'eft pas encore tems .
Ce n'eft pas là tout ; j'ai bien d'autres
chofes à vous raconter. Au milieu de tous
les fourneaux étoit une perfonne , ou , fi
vous voulez , une Divinité , dont il me feroit
inutile d'entreprendre le portrait , auſſi
n'y tâcherai-je point.
Qu'il vous fuffife de fçavoir que cette
perfonne ou cette Divinité , qui en gros
me parut avoir l'air jeune , & cependant
antique , étoit dans un mouvement perpétuel
, & en même tems fi rapide , qu'il
me fut impoffible de la confiderer en face.
Ce qui eft de certain , c'eft que dans le
mouvement
JANVIER. 1755 . 73
mouvement qui l'agitoit , je la vis fous
tant d'afpects , que je crus voir fucceffivement
paffer toutes les phifionomies du
monde , fans pouvoir faifir la fienne , qui
apparemment les contenoit toutes.
Ce que je démêlai le mieux , & ce que
je ne perdis jamais de vue , malgré fon
agitation continuelle , ce fut une efpece
de bandeau , ou de diadême , qui lui ceignoit
le front, & fur lequel on voyoit écrit
LA NATURE.
Ce bandeau étoit large , élevé , & comme
partagé en deux Miroirs éclatans ,
dans l'un defquels on voyoit une repréfentation
inexplicable de l'étendue en gé
néral , & de tous les myfteres ; je veux
dire des vertus occultes de la matiere , de
l'efpace qu'elle occupe , du reffort qui la
meut , de fa divifibilité à l'infini ; en un
mot de tous les attributs dont nous ne
connoiffons qu'une partie.
L'autre miroir qui n'étoit féparé du
premier que d'une ligne extrêmement déliée
, repréſentoit un être encore plus indéfiniffable.
C'étoit comme une image de l'ame , ou
de la penſée en général ; car j'y vis toutes
les façons poffibles de penfer & de fentir
des hommes , avec la fubdivifion de tous
les degrés d'efprit & de fentiment , de vices
D
74 MERCURE DE FRANCE.
& de vertus , de courage & de foibleffe ,
de malice & de bonté , de vanité & de
fimplicité que nous pouvons avoir.
Enfin tout ce que les hommes font ,
tout ce qu'ils peuvent être , & tout ce
qu'ils ont été , fe trouvoit dans cet exemplaire
des grandeurs & des miferes de l'ane
humaine.
J'y vis , je ne fçai comment , tout ce
qu'en fait d'ouvrages , l'efprit de l'homme
avoit jufqu'ici produit ou rêvé , c'eſt-àdire
j'y vis depuis le plus mauvais conte
de Fée , jufqu'aux fyftêmes anciens & modernes
les plus ingénieufement imaginés
; depuis le plus plat écrivain jufqu'à
l'auteur des Mondes : c'étoit y trouver les
deux extrêmités. J'y remarquai l'obſcure
Philofophie d'Ariftote ; & malgré fon obfcurité
, j'en admirai l'auteur , dont l'efprit
n'a point eu d'autres bornes que celles que
l'efprit humain avoit de fon tems ; il me
fembla même qu'il les avoit paffées .
J'y obfervai l'incompréhenfible & merveilleux
tour d'imagination de ceux qui
durant tant de fiécles ont cru non feulement
qu'Ariftote avoit tout connu , tout
expliqué , tout entendu , mais qui ont encore
cru tout comprendre eux - mêmes ,
& pouvoir rendre raifon de tout d'après
lui.
JANVIER. 1755. 75
J'y trouvai cette idée du Pere Mallebranche
, ou , fi vous voulez , cette viſion
auffi raifonnée que fubtile & finguliere ,
& qui n'a pu s'arranger qu'avec tant d'efprit
, qui eft que nous voyons tout en
Dieu .
Le fyftême du fameux Defcartes , cet
homme unique , à qui tous les hommes
des fiécles à venir auront l'éternelle obligation
de fçavoir penfer , & de penfer
mieux que lui ; cet homme qui a éclairé
la terre , qui a détruit cette ancienne idole
de notre ignorance ; je veux dire le tiſſu
de fuppofitions , refpecté depuis fi longtems
, qu'on appelloit Philofophie , & qui
n'en étoit pas moins l'ouvrage des meil,
leurs génies de l'antiquité ; cet homme
enfin qui , même en s'écartant quelquefois
de la vérité , ne s'en écarte plus en
enfant comme on faifoit avant lui , mais
en homme , mais en Philofophe , qui nous
a appris à remarquer quand il s'en écarte
qui nous a laiffé le fecret de nous redreffer
nous mêmes ; qui , d'enfans que nous
étions , nous a changés en hommes à notre
tour, & qui, n'eût- il fait qu'un excellent Roman
, comme quelques- uns le difent , nous
a du moins mis en état de n'en plus faire .
Le fyftême du célebre , du grand
Newton , & par la fagacité de fes dé-
D ij
75 MERCURE DE FRANCE.
couvertes , peut-être plus grand que Defcartes
même , s'il n'avoit pas été bien plus
aifé d'être Newton après Defcartes , que
d'être Defcartes fans le fecours de perfonne
, & fi ce n'étoit pas avec les forces
que ce dernier a données à l'efprit humain
, qu'on peut aujourd'hui furpaffer
Defcartes même. Auffi voyois- je qu'il y a
des génies admirables , pourvû qu'ils viennent
après d'autres , & qu'il y en a de faits
pour venir les premiers. Les uns changent
l'état de l'efprit humain , ils caufent une
révolution dans les idées. Les autres , pour
être à leur place , ont befoin de trouver
cette révolution toute arrivée , ils en corrigent
les Auteurs , & cependant ils ne l'auroient
pas faite .
J'obfervai tous les Poëmes qu'on appelle
épiques , celui de l'Iliade dont je ne
juge point , parce que je n'en fuis pas digne
, attendu que je ne l'ai lû qu'en françois
, & que ce n'eft pas la le connoître
mais qu'on met le premier de tous , &
qui auroit bien de la peine à ne pas l'être ,
parce qu'il eft Grec , & le plus ancien, Celui
de l'Enéide qui a tort de n'être venu
que le fecond , & dont j'admirai l'éléganla
fageffe & la majefté ; mais qui eft
ce ,
un peu long.
Celui du Taffe qui eft fi intéressant ,
JANVIER. 1755 77
qui eft un ouvrage fi bien fait , qu'on lit
encore avec tant de plaifir dans la derniere
traduction françoife qu'un habile
Académicien en a faite ; qui y a conſervé
tant de graces; qui ne vous enleve pas ,
mais qui vous mene avec douceur , par un
attrait moins apperçu que fenti ; enfin qui
vous gagne , & que vous aimez à fuivre ,
en françois comme en italien , malgré
quelques petits conchettis qu'on lui reproche
, & qui ne font pas fréquens.
Celui de Milton , qui eft peut - être le
plus fuivi , le plus contagieux , le plus fublime
écart de l'imagination qu'on ait ja
mais vû jufques ici
J'y vis le Paradis terreftre , imité de Mil
ron , par Madame Du .. Bo ... ouvrage
dont Milton même eut infailliblement
adopté la fageffe & les corrections , &
qui prouve que les forces de l'efprit humain
n'ont point de fexe . Ouvrage enfin
fait par un auteur qui par-tout y a laiffé
l'empreinte d'un efprit à fon tour créateur
de ce qu'il imite , & qui tient en lui , quand
il voudra , de quoi mériter l'honneur d'être
imité lui-même.
Celui de la Henriade , ce Poëme fi agréa
blement irrégulier , & qui à force de
beautés vives , jeunes , brillantes & continues
, nous a prouvé qu'il y a une magie
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
d'efprit , au moyen de laquelle un ouvrage
peut avoir des défauts fans conféquence.
J'oubliois celui de Lucain qui mérite
attention, & où je trouvai une fierté tantôt
Romaine & tantôt Gafconne , qui m'amufa
beaucoup.
Je n'aurois jamais fait fi je voulois parler
de tous les Poëmes que je vis ; mais
j'avoue que je confiderai quelque tems
celui de Chapelain , cette Pucelle fi fameufe
& fi admirée avant qu'elle parut ,
& fi ridicule dès qu'elle fe montra .
L'efprit que Chapelain avoit en de fon
vivant , étoit là auffi bien que fon Poëme ,
& il me fembla que le Poëme étoit bien
au deffous de l'efprit.
J'examinai en même tems d'où cela ve
noit , & je compris , à n'en pouvoir douter
, que fi Chapelain n'avoit fçu que la
moitié de la bonne opinion qu'on avoit
de lui , fon Poëme auroit été meilleur , ou
moins mauvais.
·
Mais cet auteur , fur la foi de fa réputation
, conçut une fi grande & fi férieuſe
vénération pour lui-même , fe crut obligé
d'être fi merveilleux , qu'en cet état il n'y
eut point de vers fur lequel il ne s'appefantit
gravement pour le mieux faire ,
point de raffinement difficile & bizarre
dont il ne s'avisất ; & qu'enfin il ne fir
JANVIER, 1755. 79
plus que des efforts de miférable pédant ,
qui prend les contorfions de fon efprit
pour de l'art , fon froid orgueil pour de la
capacité , & fes recherches hétéroclites
pour du fublime.
Et je voyois que tout cela ne lui feroit
point arrivé , s'il avoit ignoré l'admiration
qu'on avoit eue d'avance pour fa Pucelle .
Je voyois que Chapelain moins eftimé
en feroit devenu plus eftimable ; car dans
le fond il avoit beaucoup d'efprit , mais il
n'en avoit pas affez pour voir clair à travers
tout l'amour propre qu'on lui donna ;
& ce fut un malheur pour lui d'avoir été
mis à une fi forte épreuve que bien d'autres
que lui n'ont pas foutenue.
Il n'y a gueres que les hommes abfolument
fupérieurs qui la foutiennent, & qui
en profitent , parce qu'ils ne prennent jamais
de ce fentiment d'amour propre que
ce qu'il leur en faut pour encourager leur
efprit .
Auffi le public peut-il préfumer de ceuxlà
tant qu'il voudra , il n'y fera point
trompé , & ils n'en feront que mieux . Ce
n'eft qu'en les admirant un peu d'avance ,
qu'il les met en état de devenir admirables
; ils n'oferoient pas l'être fans cela ,
on peut- être ignoreroient- ils combien ils
peuvent l'être.
Div
So MERCURE DE FRANCE.
Voici encore des hommes d'une autre
efpece à cet égard là , & que je vis auffi
dans la glace . L'eftime du public perdit
Chapelain , elle fut caufe qu'il s'excéda
pour s'élever au deffus de la haute idée
qu'on avoit de lui , & il y périt : ceux- ci
au contraire fe relâchent en pareil cas ;
dès que le public eft prévenu d'une cer
taine maniere en leur faveur , ils ofent en
conclure qu'il le fera toujours , & qu'ils
ont tant d'efprit , que même en le laiffant
aller cavalierement à ce qui leur en viendra
, fans tant fe fatiguer, ils ne fçauroient
manquer d'en avoir affez & de reite , pour
continuer de plaire à ce public déja fr
prévenu.
Là- deffus ils fe négligent , & ils tombent.
Ce n'eft pas là tout. Veulent - ils fe
corriger de cet excès de confiance qui leur
a nui ? je compris qu'ils s'en corrigent
tant , qu'après cela ils ne fçavent plus où
ils en font. Je vis que dans la peur qui
les prend de mal faire , ils ne peuvent plus
fe remettre à cet heureux point de hardieffe
& de retenue , où ils étoient avant
leur chûte , & qui a fait le fuccès de leurs
premiers ouvrages.
C'est comme un équilibre qu'ils ne re
trouvent plus , & quand ils le retrouve
roient , le public ne s'en apperçoit pas d'a
JANVIER. 1755.
8'r
bord : il renonce difficilement à fe mocquer
d'eux ; il aime à prendre fa revanche de
l'eftime qu'il leur a accordée ; leur chûte
eft une bonne fortune pour lui.
Il faut pourtant faire une obfervation :
c'est que parmi ceux dont je parle , il y en
a quelques- uns que leur difgrace fcandalife
plus qu'elle ne les abbat , & qui ramaffant
fierement leurs forces , lancent ,
pour ainfi dire , un ouvrage qui fait taire
les rieurs , & qui rétablit l'ordre.
En voilà affez là - deffus : je me fuis:
peut-être un peu trop arrêté fur cette matere
; mais on fait volontiers de trop longues,
relations des chofes qu'on a confidérées
avec attention .
Venons à d'autres objets : j'en remar
quai quatre ou cinq qui me frapperent ,
& quí , chacun dans leur genre , étoient
d'une beauté fublime :
C'étoit l'inimitable élégance de Racine ,
le puiffant génie de Corneille , la fagacité
de l'efprit de la Motte , l'emportement admirable
du fentiment de l'auteur de Rhadamifte
, & le charme des graces de l'auteur
de Zaïre .
Je m'attendriffois avec Racine , je me
trouvois grand avec Corneille ; j'aimois
mes foibleffes avec l'un , elles m'auroient:
deshonoré avec l'autre,
D vi
82 MERCURE DE FRANCE.
L'auteur de Zaïre ennobliffoit mes idées
celui de Rhadamifte m'infpiroit des paffions
terribles ; il fondoit les profondeurs
de mon ame , & je penfois avec la Motte.
Permettez-moi de m'arrêter un peu
fur ce
dernier.
C'étoit un excellent homme , quoiqu'il
ait eu tant de contradicteurs : on l'a mis
au deffous de gens qui étoient bien audeffous
de lui , & le miroir m'a appris d'où
cela venoit en partie .
C'eft qu'il étoit bon à tout , ce qui eft un
grand défaut il vaut mieux , avec les hommes
, n'être bon qu'à quelque chofe , & la
Motte avoit ce tort.
Qu'est- ce que c'eft qu'un homme qui ne
fe contente pas d'être un des meilleurs
efprits du monde en profe , & qui veut
encore faire des opera , des tragédies , des
odes pindariques , anacréontiques , des
comédies même , & qui réuffit en tout
ce que je dis là , qui plus eft cela eſt ri—·
dicule.
Il faut prendre un état dans la République
des Lettres , & ce n'eft pas en avoir
un que d'y faire le métier de tout le
monde ; auffi fes critiques ont- ils habilement
découvert que la Motte avec toute fa.
capacité prétendue , n'étoit qu'un Philofophe
adroit qui fçavoit fe déguifer en ce qu'il
JANVIER. 1755 .
83
vouloit être , au point que fans fon excellent
efprit, qui le trahiffoit quelquefois ,
on l'auroit pris pour un très -bel efprit ;
c'étoit comme un fage qui auroit très - bien
contrefait le petit maître .
On dit que la premiere tragédie dont
on ignoroit qu'il fut l'auteur , paſſa d'abord
pour être un ouvrage pofthume de
Racine.
Dans fes fables même qu'on a tant décriées
, il y en a quelques- unes où il abufe
tant de fa foupleffe , que des gens d'ef
prit qui les avoient lûes fans plaifit dans
le recueil , mais qui ne s'en reffouvenoient
plus , & à qui un mauvais plaifant , quel
que tems après , les récitoit comme de la
Fontaine , les trouverent admirables , &
crurent en effet. que c'étoit la Fontaine qui
les avoit faites. Voilà le plus fouvent comme
on juge, & cependant on croit juger,
Car pourquoi leur avoient- elles paru mauvaifes
la premiere fois qu'ils les avoient
lues : c'eft que la mode étoit que l'auteur
ne réuffit pas; c'eft qu'ils fçavoient alors
que la Motte en étoit l'auteur ; c'eft qu'à la
tête du livre ils avoient vû le nom d'un
homme qui vouloit avoir trop de fortes
de mérite à la fois , qui effectivement les
auroit eus , fi on n'avoit pas empêché le
public de s'y méprendre , & qui même n'a
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
pas laiffé de les avoir à travers les contra--
dictions qu'il a éprouvées ; car on l'a plus
perfécuté que détruit , malgré l'efpece d'oftracifme
qu'on a exercé contre lui , & qu'il'
méritoit bien.
Il faut pourtant convenir qu'on lui fait
un reproche affez juſte , c'eſt qu'il remuoit
moins qu'il n'éclairoit ; qu'il parloit
plus à l'homme intelligent qu'à l'hom
me fenfible ; ce qui eft un defavantage:
avec nous , qu'un auteur ne peut affectionner
ni rendre attentifs à l'efprit qu'il nous.
préfente , qu'en donnant , pour ainfi dire ,
des chairs à fes idées ; ne nous donner
que des lumieres , ce n'eft encore embraffer
que la moitié de ce que nous fommes ,
& même la moitié qui nous eft la plus indifférente
: nous nous fouçions bien moins
de connoître que de jouir , & en pareit
cas l'ame jouit quand elle fent.
Mais je fais une reflexion ; je vous ai
parlé de la Motte , de Corneille , de Racine
, des Poëmes d'Homere , de Virgile ,
du Taffe , de Milton , de Chapelain , des
fyftèmes des Philofophes paffés , & il n'y
a pas de mal à cela.
pas
Beaucoup de gens , je penfe , ne feront
de l'avis du Miroir , & je m'y attends ,
par hazard vous montrez mes relations
comme je vous permets de le faire.
fi
JANVIER. 1755. 85
Mais en ce cas , fupprimez- en , je vous
prie , tout ce qui regardera les auteurs vivans.
Je connois ces Meffieurs là , ils ne
feroient pas même contens des éloges que
j'ai trouvés pour eux.
Je veux pourtant bien qu'ils fçachent
que je les épargne , & qu'il ne tiendroit
qu'à moi de rapporter leurs défauts qui fe
trouvoient auffi ; qu'à la vérité , j'ai vu
moins diftinctement que leurs beautés ,
parce que je n'ai pas voulu m'y arrêter ,
& que je n'ai fait que les appercevoir.
Mais c'eft affez que d'appercevoir des
défauts pour les avoir bien vûs , on a malgré
foi de fi bons yeux là - deffus. Il n'y a
que le mérite des gens qui a befoin d'être
extrêmement confidéré pour être connu ; on
croit toujours s'être trompé quand on n'a
fait que le voir. Quoiqu'il en foit , j'ai remarqué
les défauts de nos auteurs , & je
m'abſtiens de les dire . Il me femble même
les avoir oubliés : mais ce font encore là
de ces chofes qu'on oublie toujours affez
mal , & je me les rappellerois bien s'il
le falloit ; qu'on ne me fache pas ..
A propos d'Auteurs ou de Poëtes , j'apperçus
un Poëme intitulé le Bonheur , qui
n'a point encore paru , & qui vient d'un
génie qui ne s'eft point encore montré an
public , qui s'eft formé dans le filence ,
86 MERCURE DE FRANCE.
& qui menaceroit nos plus grands Poëtes
de l'apparition la plus brillante : il iroit
de pair avec eux , ou , pour me fervir de
l'expreffion de Racine , il marcheroit du
moins leur égal , fi le plaifir de penfer philofophiquement
en profe ne le débauche
pas , comme j'en ai peur.
Il étoit fur la ligne des meilleurs efprits ;
il y occupoit même une place à part , &
étoit là comme en réferve fous une trèsaimable
figure , mais en même tems fi
modefte qu'il ne tint pas à lui que je ne
le viffe point.
Mais venons à d'autres objets ; je parle
des génies du tems paffé ou de ceux d'au
jourd'hui , fuivant que leur article fe préfente
à ma mémoire ; ne m'en demandez
pas davantage. Il y en aura beaucoup d'autres
, tant auteurs tragiques que comiques
, dont je ferai mention dans la fuite
de ma relation .
Entre tous ceux de l'antiquité qu'on
admire encore > & par l'excellence de
leurs talens , & par une ancienne tradition
d'eftime qui s'eft confervée pour eux ; enfin
par une fage précaution contre le mérite
des modernes , car il entre de tout
cela dans cette perpétuité d'admiration qui
fe foutient en leur faveur.
Entre tant de beaux génies , dis -je , Eus
JANVIE R. 1755 . 87
ripide & Sophocle furent de ceux que je
diftinguai les plus dans le miroir.
Je les confiderai donc fort attentivement
& avec grand plaifir , fans les trouver
, je l'avoue , auffi inimitables qu'ils le
font dans l'opinion des partifans des anciens.
L'idée qui me les a montrés n'eft
d'aucun parti , elle leur fait auffi beaucoup
plus d'honneur que ne leur en font les
partifans des modernes.
Il eft vrai que le fentiment de ceux- ci
ne fera jamais le plus généralement applaudi
; car ils difent qu'on peut valoir les anciens
, ce qui eft déja bien hardi ; ils difent
qu'on peut valoir mieux , ce qui eſt encore
pis.
Ils foutiennent que des gens de notre
nation , que nous avons vûs ou que nous
aurions pû voir ; en un mot , que des modernes
qui vivoient il n'y a gueres plus
d'un demi-fiécle , les ont furpaffés ; voilà
qui eft bien mal entendu .
Car cette poffibilité de les valoir , &
même de valoir mieux , une fois bien établie
, & tirée d'après des modernes qui
vivoient il n'y a pas long- tems , pourquoi
nos illuftres modernes d'aujourd'hui ne
pourroient- ils pas à leur tour leur être
égaux , & même leur être fupérieurs ? il
ne feroit pas ridicule de le penfer ; il ne
SS MERCURE DE FRANCE.
fe feroit pas même de regarder la chofe
comme arrivée ; mais ce qui eft ridicule
& même infenfé , à ce que marque la glace
, c'eft d'efperer que cette poffibilité &
fes conféquences puiffent jamais paffer.
Quoi , nous aurons parmi nous des
hommes qu'il feroit raifonnable d'honorer"
autant & plus que d'anciens Grecs ou d'anciens
Romains !
Eh mais , que feroit- on d'eux dans la fociété
: & quel fcandale ne feroit -ce point là ?
Comment ! des hommes à qui on ne'
pourroit plus faire que de très- humbles
repréſentations fur leurs ouvrages , & non
pas des critiques de pair à pair comme en
font tant de gens du monde , qui pour'
n'être point auteurs , ne prétendent pas
en avoir moins d'efprit que ceux qui le
font , & qui ont peut- être raifon ?
Des hommes vis- à vis de qui tant de
fçavans auteurs & traducteurs des anciens
ne feroient plus rien , & perdroient leus
état ? car ils en ont un très- diftingué , &
qu'ils meritent , à l'excès près des privileges
qu'ils fe donnent. Un fçavant eft
exempt d'admirer les plus grands génies
de fon tems ; il tient leur mérite en échec ,
il leur fait face ; il en a bien vû d'autres.
Des hommes enfin qui romproient tout
équilibre dans la république des Lettres 2:
JAN VIE K. 1755.
qui laifferoient une diſtance trop décidée
entr'eux & leurs confreres ? diftance qui a
toujours plus l'air d'une opinion que d'un
fait.
Non , Monfieur , jamais il n'y eut de
pareils modernes , & il n'y en aura jamais .
La nature elle-même eft trop fage pour
avoir permis que les grands hommes de
chaque fiécle affiftaffent en perfonne à la
plénitude des éloges qu'ils méritent , &
qu'on pourra leur donner quelque jour
il feroit indécent pour eux & injurieux
pour les autres qu'ils en fuffent témoins .
Auffi dans tous les âges ont- ils affaire
à un public fait exprès pour les tenir en
refpect , & dont je vais en deux mots vous
définir le caractere.
Je commence par vous dire que c'eft le
public de leur tems ; voilà déja fa définition
bien avancée .
Ce public , tout à la fois juge & partie
de ces grands hommes qu'il aime & qu'il
humilie ; ce public , tout avide qu'il eft
des plaifirs qu'ils s'efforcent de lui donner
, & qu'en effet ils lui donnent , eft ce--
pendant aflez curieux de les voir manquer
leur coup , & l'on diroit qu'il manque
le fien , quand il eft content d'eux.
Au furplus la glace m'a convaincu d'une
shofe ; c'eft que la poftérité , fi nos grands
90 MERCURE DE FRANCE.
}
hommes parviennent juſqu'à elle , ne ſçaura
ni fi bien , nifi exactement ce qu'ils valent
que nous pouvons le fçavoir aujourd'hui .
Cette poftérité , faite comme toutes les poftérités
du monde , aura infailliblement le
défaut de les louer trop , elle voudra qu'ils
foient incomparables ; elle s'imaginera fentir
qu'ils le font , fans fe douter que ce
ne fera là qu'une malice de fa part pour
mortifier fes illuftres modernes , & pour
fe difpenfer de leur rendre juftice. Or je
vous le demande , dans de pareilles difpofitions
pourra-t- elle apprécier nos modernes
qui feront fes anciens le mérite
imaginaire qu'elle voudra leur trouver , ne
l'empêchera-t- il pas de difcerner le mérite
réel qu'ils auront ? Qui eft-ce qui pourra
démêler alors à quel dégré d'eftime on
s'arrêteroit pour eux , fi on n'avoit pas
envie de les eftimer tant au lieu qu'au
jourd'hui je fçais à peu près au jufte la
véritable opinion qu'on a d'eux , & je fuis
fûr que je le fçais bien , car il me l'a dit ,
à moins qu'elle ne lui échappe.
Je pourrois m'y tromper fi je n'en croyois
que la diverfité des difcours qu'il tient
mais il fe hâte d'acheter & de lire leurs
ouvrages , mais il court aux parodies qu'on
en fait , mais il eft avide de toutes les critiques
bien ou mal tournées qu'on répand
1
JANVIER. 1755. 91
contr'eux ; & qu'est- ce que tout cela fignifie
finon beaucoup d'eftime qu'on
ne veut pas déclarer franchement.
Eh ! ne fommes nous pas toujours de cette
humeur là ? n'aimons nous pas mieux vanter
un étranger qu'un compatriote ? un homme
abfent qu'un homme préfent ? Prenez-y.
garde , avons-nous deux citoyens également
illuftres celui dont on eft le plus
voifin eft celui qu'on loue le plus fobrement.
Si Euripide & Sophocle , fi Virgile &
le divin Homere lui-même revenoient au
monde , je ne dis pas avec l'efprit de leur
tems , car il ne fuffiroit peut-être pas aujourd'hui
pour nous ; mais avec la même
capacité d'efprit qu'ils avoient, précisément
avec le même cerveau , qui fe rempliroit
des idées de notre âge ; fi fans nous avertir
de ce qu'ils ont été , ils devenoient nos
contemporains , dans l'efpérance de nous
ravir & de nous enchanter encore , en s'adonnant
au même genre d'ouvrage auquel
ils s'adonnerent autrefois , ils feroient
bien étourdis de voir qu'il faudroit qu'ils
s'humiliaffent devant ce qu'ils furent; qu'ils
ne pourroient plus entrer en comparaiſon
avec eux-mêmes , à quelque fublimité d'efprit
qu'ils s'élevaffent ; bien étourdis de fe
trouver de fumples modernes apparemment
2 MERCURE DE FRANCE.
bons ou excellens , mais cependant des
Poëtes médiocres auprès de l'Euripide ,
du Sophocle , du Virgile , & de l'Homere
d'autrefois , qui leur paroîtroient , fuivant
toute apparence, bien inférieurs à ce qu'ils
feroient alors. Car comment , diroient-ils ,
ne ferions-nous pas à préfent plus habiles
que nous ne l'étions ? Ce n'eft pas la capa
cité qui nous manque' ; on n'a rien changé
à la tête excellente que nous avions , &
qui fait dire à nos partifans qu'il n'y en a
plus de pareilles. L'efprit humain dont nous.
avons aujourd'hui notre part , auroit- il
baiffé ? au contraire il doit être plus avancé
que jamais ; il y a fi long- tems qu'il féjourne
fur la terre , & qu'il y voyage , &
qu'il s'y inftruit ; il y a vu tant de chofes
, & il s'y eft fortifié de tant d'expériences
, diroient- ils .... Vous riez , Monfieur
; voilà pourtant ce qui leur arrive
roit , & ce qu'ils diroient . Je vous parle
d'après la glace , d'où je recueille tout ce
que je vous dis-là,
Il ne faut pas croire que les plus grands'
hommes de l'antiquité ayent joui dans'
leur tems de cette admiration que nous
avons pour eux , & qui eft devenue avec
juftice , comme un dogme de religion litréraire.
Il ne faut pas croire que Demof
thene & que Ciceron ( & c'eft ce que nous
JANVIER. 1755. 93
avons de plus grand ) n'ayent pas fçu à
leur tour ce que c'étoit que d'être modernes,
& n'ayent pas effuyé les contradictions
attachées à cette condition- là ? Figurezvous
, Monfieur , qu'il n'y a pas un homine
illuftre à qui fon fiécle ait pardonné l'eftime
& la réputation qu'il y a acquifes , &
qu'enfin jamais le mérite n'a été impuné
ment contemporain .
Quelques vertus , quelques qualités
qu'on ait , par quelque talent qu'on ſe diftingue
, c'est toujours en pareil cas un
grand défaut que de vivre.
Je ne fçache que les Rois , qui de leur
tems même & pendant qu'ils regnent, ayent
le privilege d'être d'avance un peu anciens;
encore l'hommage que nous leur rendons
alors , eft-il bien inférieur à celui qu'on
leur rend cent ans après eux. On ne fçauroit
croire jufqu'où va là deffus la force ,
le bénéfice & le preftige des diftances .
Leur effet s'étend fi loin , qu'il n'y a point
aujourd'hui de femme qu'on n'honorât,
qu'on ne patût flater en la comparant à
Helene ; & je vous garantis , fur la foi
de la glace , qu'Helene , dans fon-tems , fut
extrêmement critiquée , & qu'on vantoit
alors quelque ancienne beauté qu'on mettoit
bien au- deffus d'elle , parce qu'on ne
la voyoit plus , & qu'on voyoit Helene ,
94 MERCURE DE FRANCE.
Je vous affure que nous avons actuellement
d'auffi belles femmes que les plus
belles de l'antiquité ; mais fuffent - elles
des Anges dans leur fexe ( & je ris moimême
de ce que je vais dire ) ce font des
Anges qui ont le tort d'être vifibles , &
qui dans notre opinion jalouſe ne ſçauroient
approcher des beautés anciennes que
nous ne faifons qu'imaginer , & que nous
avons la malice ou la duperie de nous repréfenter
comme des prodiges fans retour.
Revenons à Sophocle & à Euripide dont
j'ai déja parlé ; & achevons d'en rapporter
ce que le miroir m'en a appris.
C'eft qu'ils ont été , pour le moins , les
Corneille , les Racine , les Crébillon &
les Voltaire de leur tems , & qu'ils auroient
été tout cela du nôtre ; de même
que nos modernes , à ce que je voyois auffi
, auroient été à peu près les SSoophocle
& les Euripide du tems paffé.
Je dis à peu près , car je ne veux blafphêmer
dans l'efprit d'aucun amateur des
anciens : il eſt vrai que ce n'eft pas là mé
nager les modernes , mais je ne fais pas
tant de façon avec eux qu'avec les partifans
des anciens , qui n'entendent pas raillerie
fur cet article - ci ; au lieu que les
autres , en leur qualité de modernes & de
gens moins favorifés , font plus accommoJANVIER.
1755. 95
dans , & le prennent fur un ton moins fier .
J'avouerai pourtant que la glace n'eft pas
de l'avis des premiers fur le prétendu affoibliffement
des efprits d'aujourd'hui .
Non, Monfieur, la nature n'eft pas fur fon
déclin, du moins ne reffemblons - nous guere
à des vieillards , & la force de nos paſſions ,
de nos folies , & la médiocrité de nos connoiffances
, malgré les progrès qu'elles ont
faites , devroient nous faire foupçonner que
cette nature est encore bien jeune en nous.
Quoiqu'il en foit , nous ne fçavons pas
l'âge qu'elle a , peut - être n'en a- t -elle point,
& le miroir ne m'a rien appris là - deſſus.
Mais ce que j'y ai remarqué , c'eft que
depuis les tems fi renommés de Rome &
d'Athenes , il n'y a pas eu de fiécle où il n'y
ait eu d'auffi grands efprits qu'il en fut
jamais , où il n'y ait eu d'auffi bonnes têtes
que l'étoient celles de Ciceron , de Démofthene
, de Virgile , de Sophocle , d'Euripide
, d'Homere même , de cet homme
divin , que je fuis comme effrayé de ne pas
voir excepté dans la glace , mais enfin qui
ne l'eft point.
Voilà qui eft bien fort, m'allez-vous dire
comment donc votre glace l'entend- elle ?
Où font ces grands efprits , comparables
à ceux de l'antiquité & depuis les Grecs
& les Romains , où prendrez- vous ces Ci96
MERCURE DE FRANCE.
1
ceron , ces Démofthene , &c. dont vous
parlez ?
Sera -ce dans notre nation , chez qui ,
pendant je ne fçais combien de fiécles &
jufqu'à celui de Louis XIV , il n'a paru en
fait de Belles- Lettres , que de mauvais ouvrages
, que des ouvrages ridicules ?
Oui , Monfieur , vous avez raifon , trèsridicules
, le miroir lui- même en convient,
& n'en fait pas plus de cas que vous ; &
cependant il affure qu'il y eut alors des génies
fupérieurs , des hommes de la plus
grande capacité..
Que firent- ils donc ? de mauvais - ouvrages
auffi , tant en vers qu'en profe ; mais
des infiniment moins mauvais ,
ouvrages
( pefez ce que je vous dis là ) infiniment
moins ridicules que ceux de leurs contemporains.
Et la capacité qu'il fallut avoir alors
pour n'y laiffer que le degré de ridicule
dont je parle , auroit fuffi dans d'autres
tems pour les rendre admirables .
N'imputez point à leurs Auteurs ce
qu'il y refta de vicieux , prenez - vous en
aux fiécles barbares où ces grands efprits
arriverent , & à la déteſtable éducation
qu'ils y recurent en fait d'ouvrages d'efprit .
Ils auroient été les premiers efprits d'un
autre fiécle , comme ils furent les premiers
efprits
JANVIER. 1755 . 97
efprits du left ; il ne falloit pas pour cela
qu'ils fuffent plus forts , il falloit feulement
qu'ils fuffent mieux placés .
Ciceron auffi mal élevé , auffi peu encouragé
qu'eux , né comme eux dans un fiécle
groffier , où il n'auroit trouvé ni cette
tribune aux harangues , ni ce Sénat , ni ces
affemblées du peuple devant qui il s'agiffoit
des plus grands intérêts du monde , ni
enfin toute cette forme de gouvernement
qui foumettoit la fortune des nations &
des Rois au pouvoir & à l'autorité de l'éloquence
, & qui déféroit les honneurs &
les dignités à l'orateur qui fçavoit le mieux
parler.
Ciceron privé des reffources que je viens
de dire , ne s'en feroit pas mieux tiré que
ceux dont il eft queftion ; & quoiqu'infailliblement
il eut été l'homme de fon tems
le plus éloquent , l'homme le plus éloquent
de ce tems là ne feroit pas aujourd'hui
l'objet de notre admiration ; il nous paroîtroit
bien étrange que la glace en fit un
homme fupérieur , & ce feroit pourtant
Ciceron , c'est -à- dire un des plus grands
hommes du monde, que nous n'eftimerions
pas plus que ceux dont nous parlons , & à
qui , comme je l'ai dit , il n'a manqué que
d'avoir été mieux placés.
Quand je dis mieux placés , je n'entends
E
93 MERCURE DE FRANCE.
pas que l'efprit manquât dans les fiécles que
j'appelle barbares. Jamais encore il n'y en
avoit eu tant de répandu ni d'amaffé parmi
les hommes , comme j'ai remarqué que
l'auroient dit Euripide & Sophocle que
j'ai fait parler plus bas.
Jamais l'efprit humain n'avoit encore
été le produit de tant d'efprits , c'est une
vérité que la glace m'a rendu fenfible .
J'y ai vû que l'accroiffement de l'efprit
eft une fuite infaillible de la durée du
monde , & qu'il en auroit toujours été
nné fuite , à la vérité plus lente , quand
Fécriture d'abord , enfuite l'imprimerie
n'auroient jamais été inventées.
Il feroit en effet impoffible , Monfieur ,
que tant de générations d'hommes euffent
paffé fur la terre fans y verfer de nouvelles
idées , & fans y en verfer beaucoup plus
que les révolutions , ou d'autres accidens ,
n'ont pû en anéantir ou en diffiper.
Ajoûtez que les idées qui fe diffipent ou
qui s'éteignent , ne font pas comme fi elles
n'avoient jamais été ; elles ne difparoiffent
pas en pure perte ; l'impreffion en refte
dans l'humanité , qui en vaut mieux feulement
de les avoir eues , & qui leur doit
une infinité d'idées qu'elle n'auroit pas
fans elles.
eue
Le plus ftupide ou le plus borné de tous
JANVIER. 1755 . ୭୭
les peuples d'aujourd'hui , l'eft beaucoup
moins que ne l'étoit le plus borné de tous
les peuples d'autrefois .
La difette d'efprit dans le monde connu ,
n'eft nulle part à préfent auffi grande qu'elle
l'a été , ce n'eft plus la même difette.
La glace va plus loin. Par- tout où il y a
des hommes bien ou mal affemblés , ditelle
, quelqu'inconnus qu'ils foient au reſte
de la terre , ils fe fuffifent à eux - mêmes
pour acquerir des idées ; ils en ont aujourd'hui
plus qu'ils n'en avoient il y a deux
mille ans , l'efprit n'a pû demeurer chez
eux dans le même état .
Comparez , fi vous voulez , cet efprit
à un infiniment petit , qui par un accroiffement
infiniment lent , perd toujours quelque
chofe de fa petiteffe.
Enfin , je le repéte encore , l'humanité
en général reçoit toujours plus d'idées
qu'il ne lui en échappe , & fes malheurs
même lui en donnent fouvent plus qu'ils
ne lui en enlevent.
La quantité d'idées qui étoit dans le
monde avant que les Romains l'euffent
foumis , & par conféquent tant agité , étoit
bien au-deffous de la quantité d'idées qui
y entra par l'infolente profpérité des vainqueurs
, & par le trouble & l'abaiffement
du monde vaincu..
E ij
335236
100 MERCURE DE FRANCE.
Chacun de ces états enfanta un nouvel
efprit , & fut une expérience de plus pour.
la terre.
Et de même qu'on n'a pas encore trouvé
toutes les formes dont la matiere eſt
fufceptible , l'ame humaine n'a pas encore
montré tout ce qu'elle peut être ; toutes
fes façons poffibles de penfer & de fentir
ne font pas épuifées .
Et de ce que les hommes ont toujours
les mêmes pailions , les mêmes vices & les
mêmes vertus , il ne faut pas en conclure
qu'ils ne font plus que fe repérer.
Il en eft de cela comme des vifages ; il
n'y en a pas un qui n'ait un nez , une bouche
& des yeux ; mais auffi pas un qui n'ait
tout ce que je dis là avec des différences
& des fingularités qui l'empêchent de reffembler
exactement à tout autre vifage.
Mais revenons à ces efprits fupérieurs
de notre nation , qui firent de mauvais
ouvrages dans les fiécles paflés.
J'ai dit qu'ils y trouverent plus d'idées
qu'il n'y en avoit dans les précédens , mais
malheureufement ils n'y trouverent point
de goût ; de forte qu'ils n'en eurent que
plus d'efpace pour s'égarer.
La quantité d'idées en pareil cas , Monfieur
, eft un inconvénient , & non pas
un fecours ; elle empêche d'être fimple ,
JANVIER. 1755 . TOI'
& fournit abondamment les moyens d'être
tidicule.
Mettez beaucoup de ticheffes entre les
mains d'un homme qui ne fçait pas s'en
fervir , toutes les dépenfes ne feront que
des folies.
Et les anciens n'avoient pas de quoi être
auffi fous , auffi ridicules qu'il ne tierdroit
qu'à nous de l'être.
En revanche jamais ils n'ont été fimples.
avec autant de magnificence que nous ; il
en faut convenir. C'eft du moins le fentiment
de la glace , qui en louant la fimplicité
des anciens, dit qu'elle eft plus litterale
que la nôtre , & que la nôtre eft plus riche
; c'eft fimplicité de grand Seigneur .
Attendez , me direz - vous encore , vous
parlez de fiécles où il n'y avoit point de
goût , quoiqu'il y eût plus d'efprit & plus
d'idées que jamais ; cela n'implique-t- il pas
quelque contradiction ?
Non , Monfieur , fi j'en crois la glace ;
une grande quantité d'idées & une grande
difette de goût dans les ouvrages d'efprit ,
peuvent fort bien fe rencontrer enfemble ,
& ne font point du tout incompatibles.
L'augmentation des idées eft une fuite infaillible
de la durée du monde : la fource
de cette augmentation ne tarit point tant
qu'ily a des hommes qui fe fuccédent , &
E iij
101 MERCURE DE FRANCE.
des aventures qui leur arrivent.
:
Mais l'art d'employer les idées pour des
ouvrages d'efprit , pent fe perdre les lettres
tombent , la critique & le goût difpa-
.roiffent ; les Auteurs deviennent ridicules
ou groffiers , pendant que le fond de l'efprit
humain va toujours croiffant parmi les
hommes.
LE mot de l'Enigme du fecond volume
du Mercure de Decembre eft le Rubar.
Celui du premier Logogryphe eft Mouſque
taire , dans lequel on trouve Rome , Remus
, Troye , Marius , tins , Tours , trois ,
quatre , rofe , monſquet. Celui du fecond eſt
Leffive , où l'on trouve effieu , veffie , fie.
JE
ENIGM E.
E fuis de matiere pefante,
Et j'ai de la légereté ;
Il est très-rare qu'on me vante
Malgré ma grande 'utilité.
Je fers & la brune & la blonde ,
Mais il faut deviner en quoi ,
Perfonne ne s'attache à moi ,
Et je m'attache à tout le monde.
} Par M.Varé à Granville.
JANVIER, 1755. 106
LOGOGRYPHE.
Certain Ertain vieux radoteur , auffi fou qu'incon
mode ,
Me fit naître autrefois de fon fougueux cerveau ;
Et par un fyftême nouveau ,
En dépit du bon fens il me mit à la mode.
J'y reftai peu le peuple dégagé
Des abfurdes liens d'un fade préjugé ,
Se délivra bientôt de la fotte manie
Dont je voulois par- tout établir l'harmonie :
Et malgré les excès d'un injufte renom
Je n'ai de mon éclat confervé que le nom .
Pour mieux une deviner , fuis la meilleure route ?
Examine , Lecteur , mes attributs divers ; >
Prens-moi de biais ou de travers ,
Alors je fuis connu , tu le peux ; mais j'en doute.
Afin d'occuper ton loifir ,
4 Et refter plus long- tems à l'ombre ,
A tes yeux , de mes pieds je cacherai le nombre :
De la difficulté vient fouvent le plaifir.
Au pays
Entrons promptement en matiere.
des Germains je t'offre une riviere
Un fleuve renommé dans le même canton ;
Un autre qu'Annibal , aux yeux de Scipion
Traverfa pour aller fubjuguer l'Italie ;
Ce que la femme laide ainfi que la jolie
E iiij
104 MERCURE DE FRANCE.
Confulte avec plaifir , fouvent avec dépit ;
Un pauvre amant qui fe pendit ;
Le titre vain où peut prétendre
Achille auffi- bien qu'Alexandre ;
La ville qu'autrefois Conftantin délaiffa ;
Le défenfeur de l'Idumée ;
Le nom d'une vaine fumée ;
( Bien fou qui s'en contentera. )
Un petit oifeau dont la plume
Et le ramage font charmans ;
Un remede contre le rhume ;
Une fleur de l'été qu'on voit naître au printems.
Cher Lecteur , c'eſt aſſez ; je me laffe d'écrire :
Je ne finirois pas fi je voulois tout dire.
Ami , pour dernier trait , que nepuis-je à tes yeux
Cacher certain mortel , auffi fourbe qu'habile ,
Qui par un détour odieux
Fit brûler une grande ville.
A Corbeil , Novembre 1754.
L. C. D. V.
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
ASTOR, LENOX AND
TILBEN
FOUNDATIONS.
ETRENNES
Gaiment.
Nous voici donc aujour de
An,Parent,Ami, Maitreße,A
mant,Va faire quelque Emplet
te : On achête , l'on donne, on
prend, Et l'on se presente un pre
sent, Moije vous en souhaite.
La Musique est de M.Papavoine.
JANVIER 1755 105
Nou
CHANSON.
E TRENNE S.
Ous voici donc au jour de l'an ,
Parent , ami , maîtreffe , amant ,
Va faire quelqu'emplette.
On achete , l'on donne , on prend ,
Et l'on fe préfente un préfent ;
Moi ,je vous en fouhaite.
Defirez-vous perles , bijoux ,
Meubles , diamans & joujoux
D'argent pleine caffette :
Poffedez-en abondamment ;
Vous n'en aurez jamais autant
3.
79.7
250v -za.2
Que je vous en fouhaites
Voudriez -vous un jeune amant
Riche , foumis , difcret , conftant,
De figure parfaite ?
Qui réunit le fentiment
L'efprit , la grace & l'agrément ;
Ah ! je vous en fouhaite.
अं.
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
Aimeriez-vous mieux un époux
Qui jamais coquet ni jaloux ,
En maît reffevous trait e
Qui prévenant tous vos defirs ,
Vous cherche de nouveaux plaifirs ;
Ah !je vous en fouhaite.
Je vous dirois bien un fecret ,
Ce que pour mon bonheur parfait
Yous pourriez en cachette ....
Mais je crains trop en bonne foi
Que vous ne difiez comme moi ;>
Ah ! je vous en fouhaite.
Accepterez-vous ces couplets ?
Du préfent que je vous en fais
Serez-vous fatisfaite ?
On peut en faire de meilleurs :
Voyez , fourniffez -vous ailleurs;
Moi,je vous en fouhaite.
JANVIER 1755. 107
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
SSAI SUR L'ART DE LA GUERRE , 2
ESSA
vol. in-4° .ornés de plans , de vignettes
& de culs- de- lampe. A Paris , chez Prault ,
Libraire , quai de Conti ; & chez Jombert ,
Imprimeur, rue Dauphine . Par M. le Comte
Turpin de Criffé , Brigadier des armées
du Roi , Meſtre de camp d'un Régiment
de Huffards , de l'Académie royale de Berlin
, & c.
EXTRAIT. '
Le fiécle dernier a été l'épaque la plus
brillante des beaux Arts , mais il étoit
réfervé à celui- ci de perfectionner certaines
fciences ; telle eft la fcience militaire .
Montecuculli , le Duc de Rohan & quelques
autres n'ayant donné que des principes
fans en faire d'application , n'ont pût
être que d'un foible fecours pour les Feuquiere
, les Folard , les Puyfegur & plufieurs
autres les meilleures traductions de
Strabon , de Végece , d'Alien , de l'Empereur
Léon, & de prefque tous les anciens qui
ont écrit fur cette matiere , ont été faites
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
fous nos yeux. Tout ce qu'on avoit fur
la guerre de fiége fe réduifoit au livre de
Vauban , ouvrage admirable , mais où tout
n'eſt pas encore développé. Parmi ceux qui
de nos jours ont parlé de la guerre de campagne
, il n'en eft point qui ayent embraffé
toutes les manoeuvres & toutes les opérations
; c'eft ce que M. le Comte Turpin a
entrepris dans fon effai ; il n'excepte que
les fiéges qui ne font point de fon fujet.
Il a fçu rendre fon ouvrage utile , non
feulement aux jeunes militaires, qui y trou
veront tous les principes d'un art également
profond & fublime , mais encore à
ceux à qui une longue expérience a appris
que ces principes varient dans la pratique.
fuivant les circonftances. De tous les
moyens qu'il donne pour prévenir les événemens
, le plus certain pour un Général
eft la connoiffance du pays ; c'eft auffi celui
dont il fait émaner tous les préceptes que
renferme fon ouvrage.
Il traite dans le premier livre de tout ce
qui peut avoir quelque rapport à la guerre
défenfive , & des moyens d'exécuter dans
différens pays , foit de plaine , de montagnes
, de bois , fur les rivieres , & c . toutes
fortes d'opérations , avec une armée ou
avec des détachemens : il les fuit dans leur
marche , dans leur retraite , dans l'efcorte
JANVIER. 1755. 109
des convois , dans les fourrages au verd &
au fec , de quelque arme qu'ils foient compofés
; dans leurs camps , foit qu'ils y entrent
, foit qu'ils en fortent. L'auteur commence
par la défenſe , parce que , dit- il ,
c'eft la plus naturelle à l'homme . » En
» effet , ajoûte - t - il , à fuivre toutes les
» opérations d'une campagne , on voit que
» c'eft feulement la crainte d'ètre attaqué
qui a fait imaginer des précautions pour
»l'attaque même.
Elle fait le fujet du fecond livre . Les
principaux moyens qu'elle employe , font
les furprifes , les efpions , les embuscades ,
la force ouverte , & enfin les batailles :
chacun de ces moyens eft traité avec beancoup
d'érudition ; mais le chapitre des batailles
renferme un détail qui fuppofe des
connoiffances infinies. Après y avoir parlé
des occafions où il faut éviter ou donner
une bataille , après avoir établi les principes
que nos plus grands Généranx paroif
fent avoir fuivis dans ces circonftances ,
d'où dépendent le falut ou la perte , la
gloire ou la honte d'un Etat , M. L. C. T.
fuppofe quatre différentes difpofitions
d'armée , & démontre autant qu'il eft
poffible quel doit être le fuccès en fuivant
tels ou tels principes. M. le Maréchal
de Puyfegur a reçu tous les préceptes dans
110 MERCURE DE FRANCE.
la fuppofition qu'il fait d'une bataille aux
environs de Paris ; mais il étoit difficile de
trouver dans un eſpace auffi peu étendu
tous les terreins poflibles dont la connoiffance
étoit néceffaire au militaire . L'Auteur
de l'effai a fenti cette difficulté ; il a
fait les difpofitions relativement aux pays
qui fe rencontrent le plus communément ,
& il y a bien peu de cas qu'il n'ait prévûs.
Dans le troifieme livre , l'Auteur parle
des quartiers & des cantonnemens relatievement
à la défenfe ; il fait confifter leur
fûreté dans la vigilance de chaque Commandant
dans la place d'armes particuliere
& générale des quartiers , dans les ve-
-dettes & gardes à cheval difpofées avec
-précaution; dans les détachemens en avant,
dans les manoeuvres qu'il faut oppofer
l'ennemi contre les fauffes alarmes , dans
les précautions qu'il faut prendre en éta-
-bliflant fes quartiers ; précautions que l'Auteur
fait varier à mefure que la nature du
pays change ; la circonfpection qu'on doit
avoir en entrant dans les quartiers , ou
lorfqu'on veut en défendre l'entrée à l'en-
<nemi.
L'Auteur continue dans le quatrieme livre
à détailler les manoeuvres relatives aux
quartiers , foit pour ll''aattttaaqquuee en général
foit pour la retraite , tant des détachemens
>
JANVIER. 1755 .
que d'une armée qui n'a pu forcer les
quartiers d'une autre armée.
Ce quatrieme livre eft fuivi d'une méthode
raiſonnée , qui rend les opérations
d'une campagne plus fûres & le fuccès
moins douteux , en établiſſant dans le pays
aqu'on veut conquérir , des parelleles d'un
endroit à l'autre , & en obfervant à peuprès
en grand la même méthode qu'on obferve
en petit dans les fiéges pour parvemir
au corps de la place . M. L. C. T. a la
bonne foi d'avouer que cette idée lui a été
.communiquée par un militaire d'une expérience
confommée ; mais elle lui devient
-propre , par la maniere précife & claire
dont elle eft rendue.
Le cinquieme livre eft destiné à parler
de la petite guerre , de la néceffité des
-Huffards, ( troupes dont le fervice mési-
-te une attention particuliere ) de l'ufage
-qu'on doit en faire , foit en détachement ,
-foit le jour d'une bataille ; des troupes légeres
; de leur fervice à pied pendant la
-campagne , & de leur place le jour d'une
action générale. M. L. C. T. parle des Huffards
avec connoiffance de caufe ; c'eſt avec
´› cette arme qu'il s'eft acquis la réputation
- dont il jouit.
*
Les bornes d'un extrait ne permettent
point d'entrer dans un plus long détail.
112 MERCURE DE FRANCE.
Cet ouvrage eft rempli d'érudition , foit
pour les principes , fruit d'une étude pénible
& d'une longue expérience , foit
dans les exemples aufquels ces principes
font appliqués , d'une grande connoiffan
ce de l'art qui y eft traité , d'une critique
jufte , où , fans compromettre la gloire des
nations dont l'Auteur eft obligé de parler
ni celle des militaires dont il difcute les
actions , les fautes qu'ils ont faites & les
fuccès qu'ils ont eus , font ramenés aux
principes & jugés fans partialité. Leftyle
eft par- tout adapté à la matière , élegant ,
noble , précis fans obfcurité , clair fans
diffufion , fimple dans le détail des principes
, élevé dans l'expofition des faits &
des actions que l'Auteur cite , & ferré
dans les difcuffions .. En un mot , M. L. C.
T, a trouvé l'art de rendre agréable à ceuxmêmes
qui ne font pas du métier , une matiere
qui par elle - même eft aride , & de répandre
des fleurs fur un écrit purement didactique
, en fondant les principes dans
les exemples , fans trop les multiplier , défaut
prefque inévitable dans ce genre d'ou-
-vrages.
"
Si on avoit à reprocher quelque chofe
à l'Auteur , ce feroit le titre ; qui ne paroît
point fait pour un livre de cette étendue
& de cette profondeur , qui traite de toute
JANVIER. 1755. 113
la
guerre en général : on pourroit fubftituer
au mot effai un titre plus décidé ; mais
M. L. C. T. a fans doure cru que cette
modeſtie convenoit à fon âge , & qu'il valoit
mieux laiffer à fes compatriotes le foin
d'apprécier fon ouvrage.
Le difcours préliminaire a été regardé
par les vrais connoiffeurs comme un trèsbeau
morceau d'éloquence . M. L. C. T. y
parle des qualités du Général , en homme
qui les poffede , & réduit les principales au
génie , au coup d'oeil , au fang- froid & à
la connoiffance exacte du pays.
Pour donner une idée du ftyle de cet
ouvrage , on fe contentera de rapporter ce
qu'il dit de ces qualités.
» Comme elles émanent du génie , dit-
» il , que celui qui fe deftine au métier
» des armes ne s'y engage point fans l'a-
» voir confulté & fans connoître fon ta-
» lent & fes forces. La capacité , foit dans
»le Général, foit dans l'Officier, eft le fruit
» du génie excité par un goût naturel
»fon métier : fans ce goût, fans cette efpece
pour
de vocation qui nous entraîne comme
» malgré nous- mêmes , & qui eft la mar-
» que la plus fùre d'un talent décidé , on
» étudie fans fruit , & l'on pratique fans
» difcernement .
Le génie ne s'acquiert point , il naît
114 MERCURE DE FRANCE.
»
» avec nous ; il eft , dit -on , plus aifé à la
» nature de produire un monftre qu'ua
» homme fans talent : mais tout le monde
» ne naît point avec du génie ; c'eft la plus
» belle qualité de l'ame. Avec du talent
on peut être un bon militaire ; avec du
» génie un bon militaire devient un grand
Général : c'eft quelquefois l'affemblage
» des talens , c'est toujours la perfection
de celui que la nature nous a donné ,
» qui décele le génie. On étudie , on cher-
» che fon talent , fouvent on le manque ;
» le génie fe développe de lui -même : le
» talent peut être enfoui , parce qu'il n'a
pas toujours des occafions pour éclater ;
» le génie perce malgré tous les obftacles ,
» c'eft lui feul qui produit , le talent ne fait
» que mettre en oeuvre , & c.
و ر
Le coup d'oeil eft naturel à certaines
perfonnes , & dans ceux-là il eft l'effet
du génie ; d'autres l'acquierent par l'é-
» tude & par l'expérience . Celui qui a affez
de courage pour conferver le fang- froid
dans les occafions les plus preffantes ,
»
a le coup d'oeil plus prompt & plus jufte :
"un homme vif & bouillant , quoique
» brave , ne voit rien ; ou s'il voir quelque
chofe , c'est toujours confufément ,
» & trop tard.
»
» Le coup d'oeil n'eft autre chofe que
JANVIER. 1755 . 15
;
»
» ce génie pénétrant à qui rien n'échappe ;
» il voit dans les coeurs jufques aux plus
légeres impreffions qui peuvent les agi-
» ter. Le Général qui fçait allier le fang-
» froid à cette qualité , ne manque jamais
» de reffources , & c.
Il faut voir dans le difcours même ce
qu'il penfe de la bravoure & du courage ,
les diftinctions délicates & ingénieufes
qu'il en fait , ce qu'il dit de la nobleffe
d'origine , de la difcipline , des dangers
attachés à l'honneur de commander. » Ce
grade ambitionné , dit - il , touche les
» deux extrêmités , ou la gloire ou la
» honte.
"
"
C'est ainsi que finit ce difcours. » J'ai
» moins cherché à plaire à l'oreille qu'à
perfuader le coeur . Si le zele pour fon
Roi , fi l'amour pour fa patrie , enfin fi
l'honneur & la vertu avoient un style
particulier , ce feroit celui que j'aurois
» choifi ; mais un militaire eft affez éloquent
lorfqu'il rend fes idées avec net-
» teté ; mes voeux font remplis fi je fuis
entendu du foldat , fans qu'il ait befoin
» de m'étudier.
"
Je ne rapporterai que le trait fuivant ,
pour faire voir quelle eft la maniere de
critiquer de M. L. C. T. liv. 2. chap. 3 .
On doit garder la promeffe & fa foi ,
116 MERCURE DE FRANCE.
D» dit Onozander , aux traîtres même : on
» peut en effet leur tenir parole fans rien
craindre , pourvû qu'on fçache s'en mé-
» fier ; mais il y a bien loin de la rufe à
» la trahiſon on peut fe mettre à cou-
» vert de l'une , au lieu que toute la pru-
» dence humaine ne peut fe o
de
» l'autre. Lorfque dans Virgile , par l'ar-
» tifice de Sinon , les Troyens introdui-
» fent eux - mêmes l'ennemi dans leurs
» murs , on ne peut blâmer que leur im-
» prudente crédulité ; mais lorfque dans
» l'Iliade on voit Minerve , au mépris
» d'une alliance jurée , perfuader à Pan-
» darus de décocher une fléche contre Mé-
» nelas , on est étonné qu'Homere ait ofé
» faire de Minerve la Déeffe de la fageffe .
M. L. C. T. finit fon ouvrage en fai- ·
fant enviſager au militaire l'humanité
comme le premier principe de toutes fes
actions ; il prouve la néceflité de ce devoir
, fi fouvent négligé par des citations
heureufes , ce qui le conduit naturellement
à parler de la Religion , la bafe de toute
fubordination ; il en parle en Philofophe
chrétien ; & fans beaucoup s'étendre fur
cette matière , il en dit affez pour la faire
refpecter. !
Enfin tout refpire la vertu dans cet ouvrage.
L'amour de fon métier , le defir d'êJANVIER.
1755. 117
tre utile à fes concitoyens , la gloire de
fon Maître & la grandeur de l'Etat , y prennent
par-tout le ton du fentiment & de
l'humanité. L'auteur femble donner à regret
les préceptes d'un art qu'il profeffe
en citoyen , & dont il parle en Philofophe
ami des hommes. Il ne perd jamais de vûe
le but qu'il fe propofe dès le commencement
, & fur- tout dans le chapitre des
batailles , de ne regarder la guerre que
comme l'inftrument de la paix.
Les curieux n'ont rien à defirer pour
ce qui regarde la beauté de l'édition , qui
ne peut que faire honneur aux foins de
P. G. Simon , Imprimeur, rue de la Harpe ;
à la délicateffe & à la légereté de burin
du fieur d'Heulland , Graveur du Roi , de
qui font les vingt- cinq plans qu'on trouve
à la fin du fecond volume ; à la fineſſe &
à l'élégance des deffeins du fieur Chedel ,
qui a gravé les vignettes & les culs-delampe
.
Cet ouvrage a été préfenté au Roi , qui
en a accepté la dédicace avec bonté.
ANALYSE RAISONNÉE DE BAYLE , Ou
Abrégé méthodique de fes principaux ouvrages
, particulierement de fon Dictionnaire
hiftorique & critique , dont les remarques
ont été fondues dans le texte ,
118 MERCURE DE FRANCE.
6
pour former un corps agréable de lectures
fuivres. A Londres , 1755 .
1. L'auteur s'eft propofé de rédiger
méthodiquement , c'eft- à- dire par la voye
d'une analyfe exacte & précife , ce qu'il y
à de plus curieux & de plus inftructif
dans le Dictionnaire de Bayle. Parmi
un fi grand nombre d'articles , plus ou
moins importans , on n'a choifi que ceux
qui peuvent intéreffer véritablement les
gens de goût ; & les articles même qu'on'
a choifis , ont été réduits à un degré de
précifion , qui manque à Bayle , comme à
tous les autres compilateurs.
2°. Dans la diftribution des matieres
on n'a point fuivi l'ordre alphabétique ;
mauvaife méthode , qui brouille les tems ,
les lieux , les événemens , & qui confond
tous les objets. L'auteur s'eft attaché à
donner un peu plus de liaifon aux penfées
de Bayle , en les rangeant dans différentes
claffes , fous des titres diftinctifs & analogues
aux matieres.
30. Pour épargner aux lecteurs le foin
embarraffant de confulter un commentaire
féparé du texte , c'est- à- dire de lire
un livre ajouté à un livre , on a pris le
parti plus fimple de fondre la plupart des
remarques dans le corps même des arti
cles , en fuppléant les liaifons & les tran
JANVIER. 1755. 119
firions néceffaires. C'eft dans le choix &
dans l'affortiment de ces tranfitions que
confifte le principal travail de l'auteur.
4°. Quoique le Dictionnaire hiftorique
& critique foit l'objet capital de cette analyfe
, elle ne laiffera pas de s'étendre auffi
fur les Euvres diverfes de Bayle , fi l'on
voit jour à pouvoir s'en fervir fans multiplier
extraordinairement les volumes ; cè
qu'on ne cherche nullement. On tâchera
de les borner au nombre de douze ; les
quatre premiers paroiffent depuis le commencement
de cette année . On en annonce
la publication avec la confiance que
doivent infpirer l'objet utile & intéreſfant
de cette analyfe , le foin qu'on a pris
pour la rendre digne de l'approbation des
lecteurs , & fur- tout l'autorité du grand
nom qu'elle porte.
5°. La forme d'in - 12 . qu'on a donné
aux volumes qui compoferont cette petite
collection , achevera d'applanir à tout le
monde la lecture de Bayle. C'eſt ainfi
que l'ouvrage le plus fçavant , le plus
agréable , & fans contredit le plus célébre
de notre fiécle , que la groffeur de fes volumes
faifoit reléguer dans les bibliotheques
, va devenir un livre commode &
portatif, dont l'ufage fera de tous les tems
& de tous les lieux ,
44.3
120 MERCURE DE FRANCE.
AH ! QUEL CONTE ! Conte politique &
aftronomique , qui a pour épigraphe : 0
quantum eft in rebus inane ! Perfe. A Bruxelles
, chez les freres l'affe , Libraires. On
le trouve à Paris , chez Lambert.
EXTRAIT OU PRÉCIS.
Il paroît que ce conte eft une fuite
du Sopha ; on y voit un Sultan toujours
bête , interrompre fon Vifir toujours fpirituel.
Ce Miniftre , pour fervir fon Maître
felon fon goût , ou fuivant fa portée , lui
raconte des faits très- abfurdes ; mais pour
plaire au public François , il les accompagne
de réflexions très- ingénieufes , dont
ils ne font que le prétexte : s'il en étoit
fouvent un peu plus fobre , avec moins
d'efprit il amuferoir peut- être davantage .
Schezaddin Telaïfe , Souverain d'Ifma ,
eft le héros du conte dont je vais donner
l'extrait. Ce Prince , quoique fort jeune
& fort aimable ( ce font les expreffions
de l'auteur) , s'obftinoit à vivre dans le célibat
malgré les voeux de fes fujets , &
dans l'indifférence malgré les defirs de fes
fujettes. Soit qu'il eût l'efprit gâté par la
lecture des romans , ou qu'il fût né romanefque
, il croyoit qu'une véritable paffion
eft toujours prédite à notre coeur par
des événemens finguliers ; il étoit perfuadé
qu'on
JANVIER. 1755. 125
qu'on n'aime point , lorfque dès la premiere
vûe on ne fe fent point entraîné par
un penchant irrésistible , & que toutes les
fois qu'on s'engage hors de ce cas , on fe
donne un ridicule d'autant moins pardonnable
, que l'on n'en eft pas dédommagé
par les plaifirs. Une Fée , auffi jolie que
coquette , voulut avoir la gloire de le détromper.
Pour y réuffir plus fûrement , elle
eut recours au miniftere des fonges : ellemême
fe plaça la nuit à côté du Prince
endormi , afin de les mieux diriger , &
d'être mieux à portée de s'affurer & de
jouir de fon triomphe.
Un premier rêve offrit à Schezaddin les
traits d'une nimphe piquante , qui lui fit
des agaceries fi vives que fon ame en fut
échauffée , & que le plaifir la difpofa par
degrés à recevoir l'impreffion de l'amour.
Tout ou rien , ( c'eſt le nom de la Fée )
dans un nouveau fonge , fe préfenta ellemême
dans toute fa beauté à Schezaddin ;
fes charmes le toucherent fi fort qu'il fe
réveilla vraiment amoureux d'elle fans la
connoître. Il découvre fon état à Taciturne
fon confident , homme froid &
cauftique , plus bleffé des travers des femmes
, qu'il n'étoit fenfible à leurs agrémens.
Ce favori combla fon amour , &
l'ofe traiter de vifionnaire ; mais la chi-
F
122 MERCURE DE FRANCE,
mere eft bientôt réalifée. La Fée fait annoncer
fon retour au Roi d'Ifma. Comme
elle avoit un palais voifin des Etats de
ce Prince , il s'y rendit avec une cour
nombreuſe : l'agréable furprife ! il reconnoît
dans la Fée la feconde beauté qu'il
a vûe en fonge , & dont il chérit l'image.
Il prend cette rencontre pour un coup du
deftin , qui le force d'aimer ; fon ardeur en
redouble ; le Roi paffe de l'indifférence à
la paffion la plus violente , & la Fée , du
fein de la coquetterie , à l'amour le plus
vrai. Leur bonheur eft parfait ; mais il eſt
bientôt troublé par l'imprudence de Tour
ou rien. Dans un de ces momens où les
amans fe difent tout , même ce qu'ils ont
le plus d'intérêt à fe cacher , l'indifcrette
Fée avoua à Schezaddin que l'amour qu'il
avoit elle étoit moins l'ouvrage de la
pour
deftinée que celui de fon adreffe , & lui
raconta les moyens qu'elle avoit employés
pour le féduire.
L'amour propre du Prince fut bleffe
de la fupercherie , il la regarda moins
comme l'effet d'une tendreffe ingénieufe
que comme une mauvaiſe plaifanterie
& comme un ridicule qu'elle vouloit lui
donner, Le feu de fon amour s'éteignit
par degrés. Comme il redoutoit le pouvoir
de la Fée , il n'ofa pas la quitter brufJANVIER.
1755. 123
quement ; il prit le parti détourné de l'obliger
elle-même à le congédier à force de
froideurs , de caprices extravagans , & de
jaloufies ridicules il y réuffit à la fin.
Tout ou rien excédée , rompit avec lui
& lui dit en le quittant , d'un ton ironique
, que puifqu'il ne pouvoit aimer fans
ce coup de foudre qui arrive fi rarement ,
elle tâcheroit d'obtenir du deftin qu'il le
lai procurât , & que le choix qu'il lui feroit
faire le couvrît d'autant de gloire
qu'il devoit le combler de plaifir. Schezaddin
alarmé du perfiflage de Tout ou
rien , voulut lui répondre ; mais il fe fentit
enlever du palais de la Fée , & fe
tetrouva en peu d'inftans dans le fien .
Quelques jours après la nuit le furprit
dans une forêt avec Taciturne ; comme ils
étoient embarraffés du chemin qu'ils tiendroient
, ils virent tout à coup fortir du
fein de la terre une prodigieufe quantité
de flambeaux allumés. Malgré leur étonnement
ils fuivirent la route que ces flambeaux
leur traçoient , & qui les conduifit
à une grande falle de verdure ; elle étoit
éclairée par plus de fix mille luftres de
diamant ,, qui pendoient aux branches des
arbres . Une fymphonie raviffante s'y faifoit
entendre ; ils y virent ce qu'ailleurs
ón n'a jamais vû , des grues en habit de
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
bal , des oifeaux qui battoient la meſure ,
& qui chantoient entre leurs dents , une
autruche mâle en perruque quarrée , une
autruche femelle en chauve - fouris , qui
avoit le vifage couvert de mouches & de
rouge ; une jeune oye en domino couleur
de rofe , dont le premier regard fubjugua
le Roi ; un dindon mufqué , frifé ,
qui lui donnoit la main , & qui danfa
un menuet avec elle. Mais le plus furprenant
eft le récit des exploits d'une tête à
perruque , qui conduifoit une armée , dont
elle étoit le Général , & devant qui rien
ne réſiſtoit : étonné de ces merveilles , je
m'arrête là.
On promet la fuite qui eft fous preſſe.
Ce n'eft ici qu'un léger extrait des quatre
premieres parties . Je crois qu'il doit fuffire
pour faire voir que l'auteur de ce
conte en a parfaitement rempli le titre &
l'épigraphe.
TRAITÉ DES SENSATIONS , à Madame
la Comteffe de Vaffé , par M. l'Abbé de
Condillac , de l'Académie royale de Berlin.
A Paris, chez Debure l'aîné , quai des Auguftins
, à S. Paul. 1754. 2. vol. in 12 .
Le deffein du Traité que l'on publie eft
proprement parler , une décompofition
de l'homme, dont on confidere féparément
JANVIER. 1755. 125
les fens , afin de diftinguer avec précifion
les idées qu'il doit à chacun d'eux ,
& d'obferver avec quel progrès ils s'inftruifent
, & comment ils fe prêtent des
fecours mutuels. Pour remplir cet objet ,
l'auteur de l'ouvrage que nous annonçons
imagine une ftatue organifée intérieurement
comme nous , & animée d'un efprit
privé de toute efpece d'idées. Il fuppofe
encore que l'extérieur tout de marbre ne
lui permet l'ufage d'autun de fes fens ,
& fe réfervé la liberté de les ouvrir , à fon
choix , aux différentes impreffions dont ils
font fufceptibles. C'eft pourquoi il a foin
d'avertir le lecteur de fe mettre à la place
de la ftatue qu'il fe propofe d'examiner.
Il veut qu'on ne commence d'exifter qu'avec
elle , qu'on n'ait qu'un feul fens quand
elle n'en a qu'un. Il ne faut acquerir que
les idées qu'elle acquiert , ne contracter
que les habitudes qu'elle contracte ; en
un mot il faut n'être que ce qu'elle eft.
Elle ne jugera des chofes comme nous ,
que quand elle aura tous nos fens & notre
expérience ; & nous ne jugerons comme
elle , que quand nous nous fuppoferons
privés de tout ce qui lui manque.
Ce font les expreffions de M. de Condillac,
à qui il a paru néceffaire de débuter par
cet avis , qui indique les moyens propres
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
à nous procurer l'intelligence de fon ou
vrage , autrement il avoue qu'on pourra
lui oppofer des difficultés fans nombre ::
en cas qu'elles ayent lieu , l'auteur nous
femble être en état d'en donner la folution
qu'on exigera de lui . Il a cru devoir commencer
par l'odorat , parce que c'eft de
tous les fens celui qui paroît contribuer le
moins aux connoiffances de l'efprit humain.
Les autres ont été fucceffivement
& comme par gradation , l'objet de fes recherches
, & après les avoir confidérées .
féparément , & enfemble , il a vû la ftatue
devenir un animal capable de veiller
à fa confervation.
?:
Le principe qui détermine le dévelop
pement de fes. facultés ,, eft Gmple. Les.
fenfations même le renferment ; car toutes
étant néceſſairement agréables ou defa
gréables , la ftatue eft intéreffée à jouir
des unes , & à fe fouftraire aux autres. Or
on fe convaincra que cet intérêt ſuffic
pour donner lieu aux opérations de l'entendement
& de la volonté. Le jugement
la réflexion , les defirs , les paffions , &c,
ne font que la fenfation même , qui fe
transforme différemment . Si l'on objecte
à M. de Condillac , que les bêtes ont des
fenfations , & que cependant leur ame n'eft
pas capable des mêmes facultés que celle
JANVIER. 1755. 127
de l'homme il répond que cela eft vrai ,
parce que l'organe du tact eft en elles moins
parfait, & par conféquent il ne sçauroit
être pour elles la caufe occafionnelle de
toutes les opérations qui fe remarquent en
nous . On dit la caufe occafionnelle , parce
que les fenfations font les modifications
propres de l'ame , & que les organes n'en
peuvent être que l'occafion. De là le Phi
lofophe doit conclure , conformément à ce
qui nous eft enfeigné par la foi , que l'a
me des bêtes eft d'un ordre effentiellement
différent de celle de l'homme . Car
ce feroit donner atteinte à la fageffe de
Dieu , que de croire qu'un efprit capable
de s'élever à des connoiffances de toute
efpece , de découvrir fes devoirs , de
mériter & de démériter , fût affujetti à
un corps qui n'occafionneroit en lui que
les facultés néceffaires à la confervation de
l'animal. L'auteur a donc jugé inutile de
fuppofer que l'ame tient immédiatement
de la nature toutes les facultés dont elle
eft douée. Les organes que nous recevons
de la nature fervent par le plaifir ou par
la douleur qu'ils communiquent , à nous
avertir de ce que nous devons rechercher ,
ou de ce que nous devons fuir. Mais elle
s'arrête là ; elle laiffe à l'expérience le foin
de nous faire contracter des habitudes , &
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
d'achever l'ouvrage qu'elle a commencé.
M. de Condillac fe flatte que cet objet eft
neuf, & penfe qu'il montre toute la fimplicité
des voyes de l'Auteur de la nature.
C'est une chofe digne , felon lui , d'admiration
, quand on réfléchir qu'il n'a fallu
que rendre l'homme fenfible au plaifir
& à la douleur , pour faire naître en lui
des idées , des defirs , des habitudes &
des talens de toute efpece. Il eft aifé de
fe repréfenter , par l'expofé de ce fyftême ,
les difficultés qu'il y a à furmonter pour
le développer dans toutes fes parties ; elles
n'ont pourtant point détourné l'auteur
d'en former l'entreprife . Comme nous ne
prétendons point fubftituer notre jugement
à celui du public , nous aimons mieux
nous repofer fur lui du foin de décider
fi M. de Condillac a parfaitement réuffi
dans l'exécution. Au refte il nous apprend
que ce Traité eft le réfultat des converfations
qu'il a eues avec feue Mlle . Ferrand ,
qui l'a éclairé de fes confeils fur les principes
, fur le plan , & fur les moindres détails
qui le compofent. Auffi l'auteur ne
borne-t- il pas fa reconnoiffance à prodi
guer fimplement les éloges dûs au mérite
de cette Demoifelle , que les qualités du
coeur & de l'efprit rendoient également eftimable
; il ſe fait encore un vrai plaifir de
JANVIER. 1755. 129
partager avec elle l'honneur de fon travail.
M. de Condillac , pour procéder avec
ordre dans l'examen métaphyfique des
fenfations divife le traité qui le concerne
en quatre parties. Il y fait voir
que le plaifir & la douleur qui en émanent,
font l'unique principe du développement
des facultés de l'ame , & de la variété
des opérations qui en dépendent , en l'appliquant
à chaque fens en particulier, dont
il analyfe les propriétés. Selon cette divifion
relative aux quatre points de vûe différens
, fous lefquels l'auteur confidere les
effets que ce développement produit , il
montre quels font les fens qui par euxmêmes
ne jugent pas des objets extérieurs ;
2 °. que le toucher eft le feul qui foit capable
d'en juger par lui -même ; 3 ° . comment le
toucher apprend aux autres fens à juger des
objets extérieurs. 4° . Il vient à l'obfervation
des befoins , de l'induſtrie , & des idées d'un
homme feul qui jouit de tous fes fens . Le but
général de cet ouvrage eft de ramener l'origine
des connoiffances humaines aux impreffions
primitives que les fens reçoivent
de la contemplation des objets extérieurs.
Il réfulté de là , qu'à l'égard de la génération
des idées , M. de Condillac ne penfe
pas autrement que M. Locke , qui a com-
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
battu avec tant de fuccès celles que les
Philofophes défignent fous le nom d'idées
innées. En effet , il eft bien difficile de ne
fe pas rendre aux raifons fenfibles que ce
célébre métaphyficien Anglois a apportées:
pour nous convaincre de l'impoffibilité où
ces idées font d'exifter originairement dans :
l'ame ce font des preuves qui égalent ,
pour ainfi dire , l'évidence des démonftrations
mathématiques . Au refte , s'il y a
quelque chofe qu'on puiffe defirer pour la
perfection de ce Traité des fenfations , ce ſeroit
quelquefois une plus grande précifion
dans des détails , fur lefquels il paroît que
Fauteur arrête trop long- tems fes lecteurs ;
mais après tout , cela ne doit pas être re
gardé comme un défaut dans une matiere:
fort abftraite par elle-même . M. de Condillac
a fenti de quelle importance il étoit
de fe faire bien entendre , afin qu'on entrâ
dans fes vûes en développant la connexion
de fes idées avec toute la clarté
dont les fujets métaphyfiques peuvent être
fufceptibles. Il mérite même un éloge , en
ce qu'il ne prend pas pour propofer fes
fentimens , ce ton de confiance & d'autorité
qui peut impofer d'abord , mais qui
ne fçauroit jamais perfuader quand il
n'eft pas foutenu de raifons convaincan¬
tes il y auroit de l'injustice à le placer
JANVIER. 1755. 131
dans la claffe de ces auteurs qui , prévenus
en faveur de leurs opinions , veulent
les faire recevoir à toute force , comme
des regles fixes & certaines , qui font feules
capables de nous diriger dans le chemin
de la vérité : il fçait trop que les raiſonne
mens métaphyfiques n'emportent pas toujours
avec eux tous les dégrés poffibles de
certitude ; conféquemment la prudence
exige de les ranger , pour la plupart , dans
l'ordre des conjectures & des probabilités.
C'eft auffi le parti qu'a pris M. deCondillac .
Pour mettre à portée de juger fûrement
de la folidité de fon fyftême , il faudroit
le fuivre dans toutes les conféquences qui
Fétabliffent , expofer l'enchaînement des
parties qui le lient , & en combiner les
différens rapports : ce qui demanderoit un
extrait dont l'étendue fort des bornes que
preferit un fimple précis ; c'eft pourquoi
nous fommes dans l'obligation de renvoyer
à la lecture de l'ouvrage même. Les perfonnes
qui aiment à refléchir fur leur inaniere
d'être , y pourront trouver de quoi
s'inftruire. M. de Condillac a cru devoir
joindre au traité dont nous venons de parler
, une differtation fur la liberté ,, comme
étant une fuite de la matiere qu'il a
difcutée . En effet , il ne pouvoit confidérer
les actions de la ftatue en queſtion :
Evj
132 MERCURE DE FRANCE..
fans remonter à leur principe , qui conduit
néceffairement à fçavoir comment elle
délibere & fe détermine dans le choix de
fes defirs. Il réfulte de là un examen ; 1 °. du
pouvoir qui conftitue la liberté , 2º . des
connoiffances que fuppofe l'exercice de ce
pouvoir , 3 ° . de celles qui font faire le
meilleur ufage de la liberté , enfin de la
dépendance qui ne lui eft pas contraire , &
par conféquent il s'agit de définir en quoi
cette liberté confifte ; ce font autant de
points qui fixent les recherches de M. de
Condillac. Il termine fon livre par une réponfe
où il fe juftifie d'un reproche qu'on
lui a fait fur ce que le projet exécuté dans
le Traité des fenfations , n'a pas le mérite
de la nouveauté , puifqu'il a déja été propofé
dans la lettre fur les fourds & les
muets , imprimée en 1751. Il convient que
l'Auteur de cette lettre propofe de décompofer
un homme ; mais il nous apprend
que cette idée lui avoit été communiquée
long- tems auparavant par Mile Ferrand . Il
ajoûte que plufieurs perfonnes fçavoient
même que c'étoit là l'objet d'un traité auquel
il travailloit ; & il infinue que l'Auteur
de la lettre fur les fourds & les muets
ne l'ignoroit pas. Cependant il avoue que
eet Auteur a pu regarder comme à lui cette
idée , à laquelle fes propres réflexions
JANVIER. 1755. 133
fuffifoient pour le conduire. Il paroît beaucoup
moins difficile à M. de Condillac
d'expliquer cette rencontre , que de dire
pourquoi ce fujet n'a pas été traité plutôt ;
il femble que la décompofition de l'homme
auroit dû s'offrir naturellement à l'efprit
de tous les Métaphyficiens. Quoiqu'il
en foit , on reconnoît que l'auteur de cette
lettre eft trop riche de fes propres idées ,
pour être foupçonné d'avoir befoin de celles
des autres ; on donne à cette occafion
des louanges à la beauté de fon génie . Enfin
M. de Condillac confent à fe déclarer
plagiaire , fi c'eſt l'être que de s'approprier
des idées dont on lui a abandonné l'ufage.
Au refte il fait remarquer que s'il a eu
à peu-près pour le fonds de fon travail le
même objet que l'Ecrivain célebre dont il
parle , il ne s'eft pas rencontré avec lui dans
la façon de le traiter & dans les obfervations
qui y tiennent. C'eft pour faciliter au
Lecteur les voies de la comparaifon , qu'il
a cru à propos de tranfcrire tout ce que
dit à ce fujet l'Auteur de la Lettre fur les
fourds & les muets.
PRINCIPES DISCUTÉS pour faciliter
l'intelligence des livres prophétiques ,
& fpécialement des pfeaumes , relativement
à la langue originale ; fuivis de plu134
MERCURE DE FRANCE.
feurs differtations fur les Lettres II , III ,
IV & V de M. l'Abbé de Villefroi , dans
lefquelles il eft traité de la conduite à
l'égard de fon Eglife depuis le commencement
du monde. A Paris , chez Simon ,
Imprimeur du Parlement , rue de la Har
pe , à l'Hercule ; & Cl . Hériffant , Librai
re-Imprimeur , rue neuve Notre Dame ;
1755 , quatre gros volumes in- 12 .
On trouvera dans le cours de cet ouvrage
, où l'on a déployé une érudition con
venable au fujet , des vûes nouvelles , dont
quelques- unes pourront paroître fingulie
res pour l'explication des livres prophéti
ques , & particulierement des pleaumes .
Si l'on ne demeure pas toujours d'accord
de la folidité des principes qu'on effaye
d'établir pour en développer le véritable
fens , on avouera du moins qu'il y a quel
ques interprétations qu'on a fçu préfenter
fous un afpect favorable .
DICTIONNAIRE DES POSTES , contenant
le nom de toutes les villes , bourgs , par
roiffes , abbayes , & principaux châteaux
du Royaume de France & du Duché de-
Lorraine , les provinces où ils font fitués ,
& le nom du plus prochain bureau des
poftes où les lettres doivent être adreffées
pour chacun defdits endroits , les villes de
JANVIER. 1755. T3S
FEurope , les Etats où elles font fituées ,
& la diſtinction de celles pour lesquelles
il est néceffaire d'affranchir , différentes
obfervations utiles à tous ceux qui font en
commerce de lettres. Livre utile & nécef,
faire à toutes perfonnes , pour adreffer avec
fûreté leurs lettres , & éviter la perte ou le
retard ,, que le défaut de bonne adreffe
peut leur occafionner , 1. vol . in -4° . Par
M. Guyot , Employé au bureau des Poſtes
à Paris. A Paris , chez la veuve Delatour ,.
Imprimeur des Poftes.
La compagnie des Poftes a toujours vu
avec peine que le public n'eft que trop
dans l'ufage de rejetter für elle ou fur fes
Directeurs le défaut de remife des lettres à
leur deftination , quoique ce défaut vienne
prefque toujours du vice de l'adreffe qui
eft fauffe ; la quantité immenfe de rebuts
qu'on renvoyoit à Paris de tout le royaume
en étoit une preuve. >
La maniere dont la partie des rebuts
avoit été gérée jufqu'en 1748 , avoit été
en partie la caufe de ces deux inconvé
niens ; en effet , une lettre mal adreffée ,
après avoir féjourné pendant quatre mois
dans un bureau , étoit renvoyée à Paris ,
d'où l'on tentoit ordinairement de la faire:
paffer en d'autres bureaux , elle en revenoit
fans fuccès ; & après avoir fait inuti136
MERCURE DE FRANCE .
lement un circuit immenfe , on la gardoir
à Paris , fans que le public eût connoiſſance
des foins qu'on s'étoit donné pour faire
enforte de la faire parvenir à fa vraie deftination
, & fans qu'il fe doutât que c'étoit
prefque toujours à lui feul qu'il devoit
attribuer le défaut de remife de fa lettre
parce que l'adreffe en étoit vicieuſe.
D'un autre côté , lorfqu'il reclamoit un
paquet perdu , on ne pouvoit en faire la
recherche que dans les rebuts du bureau
où il auroit dû être adreffé , & c'étoit précifément
là où il ne fe trouvoit pas dès que
l'adreffe n'en étoit pas jufte ; & comme il
n'étoit pas poffible de fouiller fans une perte
de tems confidérable & fans un grand
nombre de Commis , dans la prodigieufe
quantité de rebuts , on étoit forcé d'en
abandonner la recherche.
Pour y remédier , on ordonna aux Directeurs
des poftes de tout le royaume de
Tenvoyer à Paris tous les mois les lettres
qu'ils n'auroient pu diftribuer. Il fut établi
un nouveau bureau pour faire un triage
général de ces lettres , & les renvoyer
dans les lieux d'où elles étoient parties.
MM. les Adminiftrateurs Généraux des
poftes ont vû avec fatisfaction que les auteurs
des lettres , à portée par ce moyen de
réclamer celles qu'ils avoient intérêt de
JANVIER. 1755. 137
retirer , en ont repété une quantité aflez
confidérable ; & que lorfqu'ils avoient négligé
pendant un tems de le faire , on étoit
en état à Paris d'en faire aifément la recherche
, parce qu'on les avoit rangées fous
le nom des bureaux d'où elles étoient par
ties & timbrées.
Cet arrangement a remédié à la vérité à
la perte des lettres ; mais il reftoit encore
un vice à déraciner ( s'il étoit poffible d'y
parvenir ) , c'eft le retardement de l'arrivée
d'une lettre à fa deftination , lorfque
par
le défaut d'indication de la route , ou
pour mieux dire du bureau de poftes par
lequel elle doit être envoyée , les Commis
des poftes ne fçavent dans quel paquet ils
la doivent mettre , fur- tout lorfqu'il y a
plufieurs lieux du même nom dans le
royaume , ce qui par malheur n'eft que
trop ordinaire ; en effet , ce défaut d'indication
les force à fe déterminer au hazard ;
& comment peuvent- ils fçavoir , par exemple
, fi une lettre adreffée fimplement à
Aire , eft pour Aire en Artois , ou pour Aire
en Gascogne , qui reçoit ces lettres par le
Mont de Marfan ?
Un Dictionnaire général , non feulement
de la France , mais encore des villes
de l'étranger , à chaque article duquel on
défignât la province , & le bureau de pof38
MERCURE DE FRANCE.
tes par où les lettres doivent être adreffées ,
a paru à l'Auteur le feul moyen propre à
mettre le public en état d'éviter ces retards ,
& même de prévenir la perte de ces lettres
; la partie des rebuts dont il eft chargé
, l'a mis à portée de connoître cet inconvénient
, & fon zele lui a infpiré le
projet de former le Dictionnaire qu'il préfente
au public.
Il indique même dans ce Dictionnaire
les villes pour lesquelles on doit néceffairement
affranchir , parce que par le défaut
d'affranchiffement les lettres destinées pour
ces villes ne partent point pour leur deſtination.
Le prix de ce Dictionnaire broché eſt
de 8 livres , & relié 10 livres. Dans les
provinces on remettra le montant des exemplaires
à MM. les Directeurs des poftes ,
qui voudront bien le faire paffer à l'auteur,
qui en enverra auffi - tôt lefdits exemplaires
francs de port ; MM . les Adminiftrateurs.
généraux des poftes ayant bien voulu , accorder
cette fatisfaction au public , en confidération
de ce que cet ouvrage leur a
paru très propre à remplir l'objet que l'au
teur s'eft propofé .
JOSEPH BAR BOU , Libraire - Imprimeur
à Paris , rue S. Jacques , aux Cico
JANVIER 1755. 139
gnes , annonce que le premier tome du Recueil
périodique de Médecine , de Chirur
gie & de Pharmacie , qui a commencé au
mois de Juillet dernier , fe trouve complet
par le recueil du mois de Décembre , qu'il
vient de mettre en vente ; il continuera à
en donner un nouveau tous les mois : il
invite les perfonnes qui ont des pieces fur
ces matieres , de vouloir bien les lui communiquer.
ALMANACH JEUNE , ou Calendrier
pour l'année 1755 ; fe vend chez le même
Libraire.
ge
ETRENNES HISTORIQUES à l'ufade
la Breffe , dans lesquelles on trouve
les événemens remarquables de l'hiſtoire
de cette province , fes ufages , fes productions
, fon gouvernement , fon étendue , &
une table du lever & du coucher du foleil ,
calculée pour la latitude de Bourg , 46 deg.
12 min. 31 fec. pour Pannée 1755, chez
Jombert.
ALMANACH HISTORIQUE DE TOURAINE
pour l'année 1755 , imprimé pour
cette province. A Tours , chez François
Lambert , Imprimeur du Roi , grande rue ,
près le College..
On mettra bientôt toutes les Sciences &
140 MERCURE DE FRANCE .
tous les Arts en Almanachs ou en Dictionnaires
pour la commodité du plus grand
nombre , qui veut avoir l'air inftruit à peu
de frais , promptement & fans étude ; par
ce moyen , chacun en lifant deux ou trois
articles le matin , aura fa provifion d'eſprit
ou d'érudition pour la journée.
LA FOLIE ET L'AMOUR , Comẻ-
die en un acte & en vers , repréſentée pour
la premiere fois par les Comédiens François
ordinaires du Roi , le 2 Octobre 1754-
Le prix eft de 24 fols . A Paris , chez Duchefne
, Libraire , rue S. Jacques , au Temple
du Goût.
L'honneur que M. Yon m'a fait de me
dédier cet ouvrage , m'ôte la liberté d'en
donner un extrait . Les éloges que ie crois
qu'il mérite , malgré fon peu de fuccès ,
paroîtroient fufpects de ma part. Je me
borne à mettre ici la fin de fa préface , qui
fervira de précis .
Tout le monde connoît la fable ingénieufe
de La Fontaine , qui a fourni le fujet
de cette petite piece. L'Auteur a imaginé
qu'étant mife en action elle pourroit préfenter
une image affez riante ; mais il falloit
fauver aux yeux du Spectateur l'aveuglement
réel de l'amour caufé par un emportement
de la folie ; c'eft ce qui a été
JANVIER. 1755. 141
exécuté le plus adroitement qu'il a été poffible
à l'Auteur. La fuppofition d'une conjuration
tramée par la Folie , & concertée
entre l'Amour , Momus & Jupiter même ,
contre les moeurs aufteres de l'Olympe ,
eft le moyen qui amene l'aveuglement
feint de l'Amour ; & l'Oracle qui ordonne
que la Folie lui fervira de guide , & fera
fon époufe , eft l'époque qui met fin à
l'âge d'or. Voilà en peu de mots le programme
de cette petite Comédie. Que
l'homme d'efprit daigne la lire , & qu'il
prononce.
Je vais joindre à ce précis l'approbation
de M. de Crebillon , mon confrere. Son
fuffrage eft le plus grand éloge qu'on
puiffe faire de la piece , & la meilleure
apologie que je puiffe donner de mon fentiment.
39
J'ai lu , par l'ordre de Mgr le Chance-
» lier , une Comédie , qui a pour titre la
» Folie & l'Amour. Cette piece , que plu-
»fieurs connoiffeurs avoient jugée digne
du fort le plus brillant , regagnera fans
» doute à la lecture les fuffrages qu'elle
» auroit dû trouver au théatre , & je crois
» que l'on peut en permettre l'impreffion.
» Če 19 Octobre , 1754. Crebillon.
Ce
و ر
Le peu de place qui refte à ce volume ,
142 MERCURE DE FRANCE.
m'oblige à remettre en Février Pextrait des
Mémoires de Benavidès , annoncés en Décembre
avec éloge par M. l'Abbé Raynal.
fera le premier de ceux que je fuis dans
la néceffité de retarder.
SEANCE PUBLIQUE
DE L'ACADÉmie françoise.
R. Dalembert
été élû par l'AMcadémie
Françoife à la place M. l'Evêque
de Vence , y prit féance le 19 Décembre.
L'applaudiffement unanime d'une
affemblée nombreufe , confirma le choix
de cette Compagnie , & le Difcours que
M. Dalembert prononça auroit fuffi pour
le juftifier. Il eft plein de cette éloquence
des chofes qui caractériſe le vrai Philofophe
, ou l'homme qui penfe , & qui fait
feul le grand écrivain . Ceux qui ne connoiffent
pas ce Difcours , pourront juger
de fa beauté par les endroits que j'en vais
citer. C'eft ainfi qu'il parle de l'éloquence
& du génie , dont il eft lui-même inſpiré.
» L'éloquence eft le talent de faire paffer
rapidement , & d'imprimer avec for-
» ce dans l'ame des autres , le fentiment"
profond dont on eft pénétré ; ce talent
précieux a fon germe dans une fenfibiJANVIER
1755. 143
>>
3
99
lité rare pour le grand , l'honnête & le
vrai ; la même agitation de l'ame , capable
d'exciter en nous une émotion vi-
» ve , fuffit pour en faire fortir l'image au
dehors. Il n'y a donc point d'art pour
l'éloquence ; il n'y en a point pour fentir.
Ce n'eft point à produire des beautés
, c'eft à faire éviter les fautes , que
les grands maîtres ont deftiné les régles.
La nature forme les hommes de
génie , comme elle forme au fein de la
» terre les métaux précieux , brutes , informes
, pleins d'alliage & de matieres
étrangeres . L'art ne fait pour le génie
que ce qu'il fait pour ces métaux ; il
n'ajoute rien à la fubftance , il les dé-
" gage de ce qu'ils ont d'étranger , & dé-
» couvre l'ouvrage de la nature .
"
""
n
» Suivant ces principes , qui font les vôtres
, Meffieurs , il n'y a de vraiment
éloquent que ce qui conferve ce ca-
» ractère en paffant d'une langue dans
» une autre ; le fublime fe traduit tou-
» jours , prefque jamais le ftyle. Pourquoi
les Ciceron & les Démofthene intéreſ-
» fent- ils celui même qui les lit dans une
autre langue que la leur , quoique trop
» fouvent dénaturés & travestis ? Le génie
» de ces grands hommes y refpire encore ;
» & , fi l'on peut parler ainfi , l'empreinte
de leur ame y refte attachée.
144 MERCURE DE FRANCE.
L'exemple prouve cette vérité . Cor .
neille perd moins à être traduit que Racine.
M. Dalembert donne à M. l'Evêque de
Vence un beau trait de louange , qui réjaillit
fur toute la littérature. » IÎ fur ,
22
و د
ود
"
dit-il , fur-tout bien éloigné de ce zéle
» aveugle & barbare , qui cherche l'impiété
où elle n'eft pas , & qui moins ami
» de la Religion qu'ennemi des Sciences
» & des Lettres , outrage & noircit des
» hommes irréprochables dans leur con-
» duite & dans leurs écrits. Où pourrai-
» je , Meffieurs , réclamer avec plus de
»force & de fuccès contre cette injuftice
cruelle , qu'au milieu d'une Compagnie
» qui renferme ce que la Religion a de
plus refpectable , l'Etat de plus grand ,
» les Lettres de plus célébre ? La Reli-
» gion doit aux Lettres & à la Philofophie
l'affermiffement de fes principes ,
» les Souverains l'affermiffement de leurs
droits , combattus & violés dans des fié-
» cles d'ignorance ; les peuples cette lumiere
générale qui rend l'autorité plus
» douce , & l'obéiffance plus fidéle.
""
M. Greffet , Directeur de l'Académie ,
dans fa réponſe , met le comble à l'éloge
de ce vertueux Prélat , en s'exprimant ainfi.
» La gloire, qu'il ne cherchoit pas , vint
» le
JANVIER. 1755 . 145
">
le trouver dans fa folitude , & l'illuftrer
fans changer fes moeurs . Arrivé à
l'Epifcopat fans brigues , fans baffeffes
»& fans hypocrifie , il y vécut fans fafte ,
» fans hauteur & fans négligence.... Dé-
» voué tout entier à l'inftruction des peuples
confiés à fon zéle , il leur confacra
» tous fes talens , tous fes foins , tous fes
» jours. Paſteur d'autant plus cher à fon
troupeau , que ne le quittant pas il en
» étoit plus connu . Louange rarement
» donnée , & bien digne d'être remarquée
» dans vingt ans d'Epifcopat..
Enfin plein d'années , de vertus & de
gloire , il eft mort pleuré des fiens , com-
» me un pere tendre , honoré & chéri ,
expire au milieu des gémiffemens d'une
» famille éplorée , dont il emporte l'eftime
, la reconnoiffance & les regrets.
»
Les Académies de province m'excuseront
fi je ne mets ce mois- ci aucun de leurs extraits
; ils m'ont été remis trop tard. Mon volume
étoit rempli , je n'en puis faire uſage que
pour le mois prochain .
G
146 MERCURE DE FRANCE.
TRAITÉ DE L'ART DU CHANT , par M.
Berard , premier ouvrage qu'on ait fait
dans ce genre , & que l'auteur promet de
donner dans le courant de ce mois.
OBSERVATIONS SUR L'HISTOIRE NATURELLE
, fur la Phyfique , & fur la Peinture,
avec des planches imprimées en couleur,
Cet ouvrage renferme les fecrets des Arts,
les nouvelles découvertes & les difputes
des Philofophes & des Artiftes modernes.
A Paris , chez De Laguette , rue S. Jaques,
à l'Olivier , par M. Gautier , Penfionnaire
du Roi. Les planches colorées dont il eft
orné fe diftribuent féparément chez l'Au
teur , rue de la Harpe, Il propofe une foufcription
pour la feconde édition des quarante-
fix planches anatomiques, & de leurs
tables explicatives.
ॐ
JANVIER. 1755. -147
ARTICLE TROISIEME.
SCIENCES ET BELLES LETTRES.
HISTOIRE.
Obfervations du P. LAUGIER , Jefuite , fur
la nouvelle Hiftoire de la conquête de la
Chine.
N lifant la nouvelle Hiftoire de la
EN conquête de la Chine , j'ai été furpris
d'y trouver fi peu de conformité avec ce
que nous en lifons dans les faftes de la
monarchie chinoife , par le P. Duhalde.
Ce dernier auteur , fort exact dans fes recherches
, paroît n'avoir rien omis de ce
qui peut garantir la certitude de fes récits.
Quoiqu'il ne nous donne qu'une hiftoire
abrégée , les principaux événemens y
font très nettement expofés , & enchaînés
d'une maniere très naturelle. L'idée qu'il
nous donne de la derniere révolution qui
a foumis la Chine à un Prince Tartare ,
eft fenfiblement dénaturée dans le tableau
que nous en trace la nouvelle Hiftoire.
En confrontant les deux ouvrages , j'ai reconnu
des différences effentielles , qui me
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
font craindre que le manufcrit des Jéfuites
de Lyon ne foit pas auffi précieux
qu'on nous l'annonce ; différences dont il
importe que le public foit averti , & fur
lefquelles l'éditeur de la nouvelle Hiftoire
auroit dû nous donner des éclairciffemens
capables de prévenir l'impreffion que ce
contrafte doit faire fur les lecteurs attentifs.
Selon le P. de Mailla , auteur du manufcrit
de Lyon , les Tartares Mancheoux ,
au commencement du dernier fiécle , étoient
vaffaux de l'Empire Chinois. On les regardoit
comme une nation paifible , pen
difpofée à fe réunit fous un chef peu redoutable
à ceux qui voudroient l'opprimer.
Ils avoient obtenu depuis peu , par
grace fpéciale de la Cour de Pekin , d'étendre
leurs habitations dans le Leaotong,
province la plus feptentrionale de la Chine,
au- delà de la grande muraille. Quelques
Mandarins , ennemis des Mancheoux ,
voulurent reprendre le terrein qui leur
avoit été cédé ; & comme ils trouverent
de la réfiftance , ils réfolurent d'en venir
à la force ouverte. Les Tartares murmurerent
hautement de cette injuftice . Pour
prévenir les fuites de leur mécontentement
, les Mandarins prirent le parti extrême
de détruire violemment toutes les
JANVIER. 1755 149
habitations des Mancheoux dans le Leaotong,
& d'en tranfporter ailleurs toutes
les familles. Ceux - ci trop foibles pour foutenir
leur droit , cederent triftement à
l'orage , attendant qu'un tems plus calme
leur fournît les moyens de demander ou
de fe faire juftice. Dès qu'ils apperçurent
qu'on n'avoit plus la même vigilance pour
les écarter , ils effayerent de rentrer furtivement
dans le Leaotong ; ils y formerent
de nouvelles habitations. Mais lorsqu'ils
s'y croyoient à l'abri de toute infulte , les
Mandarins firent marcher contre eux des
troupes , & les chafferent avec encore plus
d'inhumanité que la premiere fois. Alors
les Mancheoux , defefpérés d'un traitement
fi dur , conçurent le hardi deffein de s'affranchir
de la tyrannie des Chinois. Ils
élurent un Roi ; ils prirent les armes , &
commencerent une guerre qui en moins
de trente ans les rendit maîtres de toute la
Chine.
Telle eft , felon le P. de Mailla , la foible
étincelle qui a allumé ce grand incendie.
Un effet fi extraordinaire , attribué
à une fi légere caufe , augmente le merveilleux
de la narration ; mais la vraifemblance
exige des couleurs plus naturelles.
Quel que foit l'empire du defefpoir , pour
porter des efclaves à brifer leurs chaînes ,
G iij
150 MERCURE DE FRANCE .
eft-il à préfumer que ce principe feul ait
donné aux Mancheoux , dans leur extrême
foibleffe , une activité affez prompte &
affez dominante pour abforber en fi peu
de tems toutes les forces d'un Etat tel que
celui de la Chine ? Les hiftoires anciennes
& modernes ne nous apprennent rien qui
puiffe accréditer la réalité d'un pareil foulevement
opéré par des agens fi communs
, dans un degré de fermentation fi
ordinaire .
Je conviens cependant que la choſe
n'eft pas phyñquement impoffible , & que
fi l'on s'en tenoit toujours féverement à
la vraisemblance , on feroit en danger de
rejetter plus d'une vérité.. Mais dès que
je vois la chofe racontée très différemment
par un autre auteur , je ne fçaurois
foufcrire aveuglément à un témoignage
qui , quoique poftérieur , n'a certainement
rien qui doive lui faire adjuger la préférence
.
-
Or voici ce qui réſulte des Faſtes du P.
Duhalde. Les Tartares , qui occupent un
vafte pays au nord de la Chine , ont été
divifés de toute ancienneté en Tartares
orientaux, qui habitent entre la Chine & la
Corée , & en Tartares occidentaux , qui
habitent entre la Chine & le Thiber. Ces
peuples , continuellement en guerre avec
JANVIER . 1755. 151
les Chinois , ont été de tous leurs voifins
les plus incommodes. Des moeurs fauvages
, une vie errante dans les forêts , un
penchant décidé vers la rapine , une force
de corps capable de réfifter aux fatigues
les plus infupportables , de l'ardeur pour
tenter la fortune des combats , firent toujours
le caractère de cette nation barbare.
il ne lui a jamais manqué que les avantages
de l'union & de la difcipline , pour
jouer en Afie le même rôle qu'ont joué
dans l'Europe les peuples du Nord. Dès
les premiers tems de la monarchie chinoife
, nous voyons ces Tartares infeſter
de leurs ravages les provinces de l'Empire.
Tout fe réduifoit alors de leur part à faire
des courfes rapides & paffageres , à piller
tout ce qui pouvoit intéreffer leur cupidité
, & à retourner dans leur pays char
gés de butin. Soumis à différens chefs ,
cette defunion les empêchoit de donner
aux Chinois d'autre inquiétude que celle
que donnent à une armée les partis ennemis
qui la harcelent fans pouvoir l'entamer.
- Leurs excurfions pourtant devinrent fi
incommodes , que dans le deffein d'oppofer
une digue à ces torrens tumultueux ,
l'Empereut Hin Chi , plus de deux cens ans
avant l'ere chrétienne , fit conftruite cette
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
fameufe muraille continuée de l'eſt à
l'oueft le long des trois grandes provinces
, fortifiée par un grand nombre de places
militaires , dont la difpendieufe conftruction
& la confervation prodigieuſe
caractérisent une puiffance qui n'eut jamais
d'égale dans l'univers , & prouvent
en même tems que contre la valeur il n'eft
point de barriere. Cette muraille rendit
moins fréquentes & plus difficiles les courfes
des Tartares ; elle n'y mit pas fin entierement.
Les Orientaux fur-tout , plus
alertes , ne manquerent jamais de profiter
des momens où l'éloignement des troupes
leur affuroit une forte d'impunité , pour
courir fur les terres des Chinois ; il fallut
donc fe réfoudre contre eux aux voyes
de terreur. On prit le parti de leur faire
payer cherement les incommodités que l'on
fouffroit de leur voifinage . Leurs pirateries
furent vengées plus d'une fois par le faccagement
de leur pays , où les armées chinoifes
vinrent à bout de pénétrer , & dont
elles fubjuguerent enfin une grande partie.
La haine de la fervitude , le malheur
d'être affujettis , firent comprendre aux
Tartares orientaux la néceffité de ſe réunir,
& d'oppofer des efforts unanimes à la force
fupérieure qui les opprimoit. Vers le milieu
du huitiéme fiécle ils entrerent préJANVIER.
1755. 153
cipitamment au nombre de deux cens mille
hommes fur les terres de l'Empire : tout
plia devant eux ; l'Empereur fut contraint
à prendre la fuite. Iis fe rendirent maîtres
de la capitale ; & contens d'emporter
avec eux un butin immenfe , ils fe retirerent
dans leur pays . Il eût fallu ne pas
mettre les Tartares dans le cas de faire ce
dangereux effai de leurs forces , ou da
moins il falloit deformais s'y prendre de
maniere à leur ôter l'envie d'y revenir .
Soit que la crainte rendit les Chinois circonfpects
vis- à- vis d'une nation qui devenoit
de jour en jour plus redoutable ; foit
que les troubles qui déchiroient l'intérieur
de l'Empire leur ôtaffent la liberté de don
ner certains foins aux affaires du dehors ,
ils n'oferent ou ils ne purent ufer des remedes
néceffaires à un fi grand mal .
Les Tartares profiterent de l'inaction
des Chinois pour reprendre fur eux toutes
les terres qu'ils leur avoient conquifes.
Le fuccès leur enfla le courage , & leur
infpira l'efprit de conquête qu'ils n'avoient
jamais connu Au commencement du dixiéme
fiécle , ils étoient déja fur le pied de
tenir la balance entre les divers concurrens
qui fe difputoient la couronne impériale,
Bientôt ils eurent la gloire de contraindre
un Empereur à leur céder plu-
G V
154 MERCURE DE FRANCE.
* fieurs villes , & à leur payer tribut . Ils
en prirent un autre prifonnier , & le retinrent
dans les fers. Ils poufferent leurs
courfes militaires jufques dans les provinces
du midi où ils n'avoient jamais pénétré.
Tous ces exploits ne leur avoient
procuré jufques-là que des avantages médiocres.
Cent ans après les Tartares , dans
une nouvelle expédition , après s'être rendus
maîtres de plufieurs provinces , furprirent
l'Empereur dans fa capitale , &
l'emmenerent prifonnier avec fes femmes.
Dès lors une partie de la Chine fut forcée
à fe foumettre à leur obéiffance : il fallut
leur demander la paix , & l'acheter par
le
partage de l'Empire , dont une moitié leur
fut cedée en toute propriété.
Ce triomphe ne fit que donner lieu de
leur part à de nouvelles prétentions : plus
on leur cédoit , plus ils devenoient entreprenans
; & la paix qu'on leur faifoit jurer,
n'étoit qu'un piége qu'ils deftinoient à endormir
la vigilance des Chinois, pour faire
à
coup
für de nouvelles irruptions fur leurs
terres .
Les Empereurs laffés des perfidies continuelles
des Tartares orientaux , eurent recours
à un expédient que le defefpoir confeille
quélquefois , & qui rarement a des
fuites avantageufes. Ils appellerent à leur
JANVIER . 1755. 155
fecours les Tartares occidentaux , efpérant
recouvrer par leur moyen la fupériorité
qu'ils avoient perdue. Ceux- ci ravis
de trouver une fi belle occafion de fe mettre
en mouvement , & d'avoir leur part
à une proye que jufques - là ils n'avoient
fait qu'envier , accepterent de grand coeur
les propofitions du Confeil impérial . Ils
armerent & poufferent la guerre fi vivement
, qu'en peu d'années la domination
des Tartares orientaux fut entierement
abolie à la Chine . Les affaires des Chinois
n'en devinrent pas
meilleures pour
cela : ces auxiliaires à qui ils étoient redevables
de la victoire , voulurent en recueillir
le fruit. Il fallut fe réfoudre à leur
ceder les mêmes provinces d'où ils avoient
chaffé les Tartares orientaux . Fiers d'un
fi grand avantage , ils ne purent s'en contenter
; ils entreprirent de conquérir la
Chine entiere , & ils en vinrent à bout.
Après l'avoir poffédée près d'un fiécle ,
ils la perdirent avec la même facilité qu'ils
l'avoient conquife . Forcés d'abandonner
toutes les terres de l'Empire , ils retournerent
dans leur pays , d'où ils faifoient de
tems en tems des efforts pour fe rétablir dans
leur conquête : mais ils furent toujours repouffés
avec des pertes fi confidérables
qu'ils en perdirent pour jamais l'efpérance
& le deffein . G vj
156 MERCURE DE FRANCE
A leur défaut , les Tartares orientau
qui n'étoient rien moins qu'affujettis , recommencerent
leurs courfes & leurs attaques.
Ils livrerent divers combats , & par
une fucceffion de victoires ils en font venus
jufqu'à fubjuguer toute la Chine , & à
y établir une dinaftie qui regne encore
aujourd'hui .
Ainfi , felon le P. Duhalde , la derniere
révolution qui a placé les Tartares fur le
thrône de la Chine , bien loin d'être l'effet
fortuit du foulevement précipité d'un
peuple obfcur & jufques - là inconnu , eſt
un événement préparé par l'ancienne inimitié
d'une nation voifine & turbulente
qui plus d'une fois avoit ébranlé la monarchie
chinoife , & qui pour l'envahir enfin
n'a eu befoin que du fort ordinaire des
armes. Ces Mancheoux que le P. de Mailla
veut nous rendre fi méprifables , font
en effet ces Tartares orientaux , qui depuis
tant de fiécles ennemis nés des Chinois
avoient été le fatal écueil de leur puiffance
, & qui après les avoir forcés de figner
avec eux divers traités humilians , menaçoient
inceffamment de devenir leurs maîtres
. Dans deux expofés fi contradictoires ,
la vraisemblance eft du moins pour le Pere
Duhalde. Nous difcuterons plus bas les
raifons qui rendent fon témoignage préférable
à tous égards.
JANVIER . 1755 157
:
par
les
Les principales circonftances de la révolution
ne font pas racontées moins différemment
par les deux auteurs. Le P. de Mailla
prétend que le premier chef élu
Mancheoux fe nommoit Taytfou , & voici
en peu de mots toute la fuite de fon hiftoire.
Tayfou ne voulut d'abord que procurer
la liberté à fon peuple , gémiffant
fous la tyrannie des Mandarins Chinois.Ses
fuccès inefperés lui firent concevoir des
projets plus vaftes . Il conquit plufieurs provinces
de la Chine. Sa mort interrompit
le cours de fes conquêtes . Son fils Taytfong
qui lui faccéda , fur plus heureux que
lui ; il vint à bout de fe faire proclamer
Empereur de la Chine. Il fe difpofoit à en
affiéger la capitale , lorfqu'il mourut_fans
laiffer de poftérité. Aucun de fes freres
n'ayant eu l'ambition de marcher fur fes
l'Empire des Mancheoux fe changea
en une espece de République , & ces
peuples ne fongerent qu'à jouir en paix de
leur indépendance .
traces ,
A peine avoient- ils ceffé d'inquiéter la
Cour de Pekin , qu'un rebelle nommé Lyſt-
Ching , trouve le moyen d'affembler un
million de foldats , force la ville impériale
, réduit l'Empereur à s'étrangler de defefpoir.
Le brave Oufan kouci qui commandoit
les troupes chinoifes fur la frontiere ,
158 MERCURE DE FRANCE.
J
apprenant le defordre arrivé à Pekin
appelle à fon fecours les Mancheoux
court à la pourfuite de l'ufurpateur , remporte
fur lui plufieurs victoires , l'oblige
à fuir lui quatrieme , dans un endroit inacceffible
, d'où la faim l'ayant fait fortir ,
il tomba entre les mains de quelques payfans
, qui le reconnurent , & lui trancherent
la tête.
Oufankouci voulut alors congédier les
Mancheoux , mais il n'en fut plus le maître.
Nechingonang , fils de Tayifou & frere
du feu Empereur Taytfong , entra victorieux
dans Pekin , & content de fe faire
déclarer Régent de l'Empire , il fit paffer la
couronne fur la tête d'un de fes neveux ,
âgé de fept ans , qui prit le nom de Tchangti.
Les Chinois lui oppoferent fucceffivement
une multitude de compétiteurs , dont
il eut le bonheur de triompher. Il mourut
à l'âge de vingt -quatre ans , laiffant la Chine
entiere foumife au fecond de fes fils , fi
connu depuis fous le nom de Chamg hi.
Voici l'ordre des chofes , felon le Pere
Duhalde. Dès la fin du feizieme fiècle , les
Tartares orientaux , partagés précédemment
en fept ordres où dinafties différentes
, étoient réunis fous l'obeiffance d'un
feul Prince , avec le titre de Roi . L'an
1616 , ils commencerent à s'établir fur les
JAN VIER. 1755, 119
terres de l'Empire , en s'emparant des villes
qui pouvoient être à leur bienséance.
Leur Roi nommé Tien ming , outre le motif
ordinaire d'ambition , avoit une injure
perfonnelle à venger. Les Mandarins Chinois
s'étoient faifis par trahifon du Roi fon
pere , & lui avoient fait trancher la tête. Il
commença par porter fes plaintes à l'Empereur
, demandant hautement fatisfaction
d'un attentat fi énorme . La Cour de Pekin
méprifa fon chagrin & fes menaces. Tien
ming furieux , jura qu'il immoleroit deux
cens mille Chinois aux manes de fon pere.
Il entra dans le Pet Cheli , à la tête de
cinquante mille hommes , & voulut affiéger
Pekin ; mais ayant été répouflé par
les troupes chinoifes , il fe retira dans le
Leaotong, & prit fans héfiter la qualité
d'Empereur de la Chine. Deux ans après
il gagna une grande bataille contre les
Chinois. L'année fuivante , les ayant en
core vaincus , il fe rapprocha de la capitale
, dont il ne put fe rendre maître. Une
diverfion l'ayant obligé de conduire fon
armée en Tartarie , on profita de fon éloignement
pour raffembler grand nombre
de troupes nationales & auxiliaires ; on fit
venir de Macao des Portugais propres à
fervir artillerie dont les Chinois avoient
peu d'ufage. On marcha en force dans le
•
160 MMEERRCCUURE DE FRANCE.
Leaotong, d'où l'on chaffa les Tartares. Tien
ming qui venoit de terminer heureufement
fon expédition en Tartarie , courut auffitôt
dans le Leaotong , & en chaffa les Chinois
à fon tour. Il ne pouffa pas plus loin
fes conquêtes. Il mourut l'an 1628 , &
laiffa pour fucceffeur fon fils Tient -fong.
Ce Prince continua la guerre contre les
Chinois . Il mena , comme fon pere , une
armée aux portes de Pekin , & fut obligé ,
comme lui , d'en lever le fiége . Son regne
ne fut pas long ; il mourut l'an 1636 ,
laiffant pour fucceffeur fon fils Tongte.
Cependant l'Empire de la Chine étoit
agité par la révolte de divers féditieux
qui après avoir formé jufqu'à huit corps
d'armée , fe réunirent fous deux chefs
principaux , dont l'un fe nommoit Li &
l'autre Tchang. Ces deux rebelles s'étant
partagés les provinces qu'ils avoient deffein
de conquérir , fe féparerent , & commirent
chacun les plus grands defordres.
Li devint fi puiffant qu'il prit le nom d'Empereur
; il s'avança vers Pekin , il y entra
victorieux à la tête de trois cens mille
hommes. L'Empereur abandonné dans fon
Palais , fe pendit de defefpoir. Tout plioit
fous la puiffance de l'ufurpateur , lorfque
Oufanguoi , commandant les troupes Chinoifes
dans le Leaotong , ménagea la paix
}
JANVIER. 1755. 161
avec les Tartares orientaux ou Mancheoux ,
& les engagea à s'unir à lui pour courir à
la pourfuite des rebelles. Tfongté lui amena
quatre-vingt mille hommes. L'ufurpateur
ne les attendit pas ; il prit la fuite , &
courut fe cacher dans la province de Chenfi.
Thongté mourut en entrant dans la Chine.
Avant d'expirer il déclara Empereur ſon
fils Chunt-chi , qui n'avoit que fix ans , &
confia à fon frere Amaran le foin du Prince
& de l'Empire. Le jeune Empereur fut
reçu à Pekin avec acclamations du peuple ,
qui le regardoit comme le libérateur de la
patrie . On ne fçait point ce que devint
l'ufurpateur que les Tartares pourfuivirent
inutilement. Chunt chi , maître des provinces
feptentrionales , eut à lutter contre
divers compétiteurs qui lui difputoient le
terrein dans les provinces méridionales ;
mais il en triompha fucceffivement , &
finit par être maître de toute la Chine. Il
en laiffa la paifible poffeffion à fon fils
Canghi qui lui fuccéda .
Voilà de grands rapports & des différences
très - remarquables . On voit bien que
c'eft le même fond auquel on a adapté diverfes
circonftances ; il eft fenfible aux
traits de reflemblance qui éclatent dans
leur oppofition , qu'un des deux écrivains
a mal entendu & confondu les choſes. Il
162 MERCURE DE FRANCE.
eft queſtion de décider auquel des deux il
eft plus naturel de faire ce reproche.
Le P. de Mailla a pour lui le long ſéjour
qu'il a fait à Pekin , le foin qu'il a
pris , dit- on , de recueillir d'un grand
nombre de livres Chinois & Tartares ce
qui lui a paru de moins fufpect touchant
les deux dernieres dinafties , dont les annales
n'ont point encore été publiées autentiquement
. Il eft conftant que généra
lement parlant , on doit avoir beaucoup
d'égard pour le témoignage d'un auteur
qui s'eft trouvé à portée de connoître la
vérité par lui- même , qui a pû interroger
fur les lieux plufieurs de ceux qui ont vêcu
prefque da tems de la révolution ; cependant
cet avantage , tout confidérable qu'il
eft , n'a rien de décifif de la part d'un au
teur qui manque de difcernement & dé
critique. Le P. de Mailla fut un fervent
& zélé Miffionnaire . Eut- il toutes les qualités
réquifes pour extraire purement la
vérité d'un tas d'anecdotes hazardées fur
des bruits populaires ou dictées par la partialité
? Le peu de méthode & de précifion
qui regne dans fon manufcrit ne nous
invite gueres à le croire ; le jugement qu'il
eft naturel d'en porter le met au rang
ces efprits indulgens , qui par un excès de
bonne foi ne fçauroient avoir ai certains
de
JANVIER. 1755. 163
fcrupules fur la certitude de leurs garants ,
ni de grandes attentions dans les recherches
, ni beaucoup de délicateffe fur les
preuves.
Le P. Duhalde n'a point été à la Chine ;
mais il a été durant longues années le
correfpondant univerfel des Miffionnaires
Chinois , qui travailloient à l'envi à lui
envoyer des mémoires relatifs au deffein
qu'il avoit de faire connoître la Chine à
l'Europe. Ces mémoires recueillis avectou
tes fortes de foins par les plus accrédités
& les plus capables d'entr'eux , trouvoient
en lui un reviſeur appliqué qui fe donnoit
le tems d'en approfondir la matiere , un
critique judicieux qui ne vouloit rien établir
fur les frêles appuis de l'opinion & de
la conjecture. Il nous rend compte dans
fa préface de toutes les peines qu'il s'eft
donné pour fe procurer des inftructions
& des éclairciffemens propres à diriger fon
travail. Il a été vingt ans à douter , à difcuter
, à queftionner , à combiner , à apprécier
les réponſes avec l'attention d'un
homme dans qui l'amour du vrai eſt ſecondé
par un
par un efprit capable de le connoître.
En un mot , il y a tant de difproportion
entre le mérite de ces deux écrivains ,
qu'en leur fuppofant le même zéle & les
mêmes fecours , il feroit impoffible de leur
164 MERCURE DE FRANCE.
accorder la même confiance , & que le
P. Duhalde , en concurrence avec le P. de
Mailla , doit néceffairement être préféré.
De toutes ces obfervations il réfulte
du moins un doute bien fondé contre l'exactitude
de l'hiftoire manufcrite qu'on
vient d'imprimer à Lyon . Je la foupçonne
de renfermer bien des anecdotes fauffes
& d'avoir été faite avec plus de droiture
que de capacité . Nous ne fçaurons bien
furement ce qu'il en faut croire que lorfqu'on
publiera les annales de l'Empire
dans lesquelles il eft impoffible que les
principaux événemens fe trouvent altérés .
Nous n'en avons au refte pas moins d'cbligation
à l'éditeur d'un ouvrage qui , tout
défectueux qu'il eft , peut avoir fon utilité
ne fut- ce qu'en nous jettant dans une incertitude
qui nous excitera à approfondir
un point d'hiftoire fi confidérable , qui n'avoit
été touché jufqu'ici que fuperficiellement.
JANVIE R. 1755. 165
GRAMMAIRE.
REMARQUES de M....... de la
Société littéraire d'Arras , fur quelques
points de prononciation & d'ortographe.
Left furprenant que lorfqu'on a publié
de nouveau dans les Opufcules fur la
langue Françoife , les Effais de grammaire
de feu M. l'Abbé de Dangeau , on air
obmis de rectifier , par quelques notes ,
plufieurs endroits de cet ouvrage eſtimable
, dans lesquels on ne trouve pas toute
l'exactitude poffible . Je vais tâcher d'y fuppléer
, du moins par rapport aux articles
qui regardent la prononciation .
L'Abbé de Dangeau enfeigne ( pages 10
& 12 des Opufcules ) qu'outre le fon qui
répond à la lettre o , nous avons un fon
plus fourd repréfenté par la fauffe diphtongue
au. Suivant la maniere dont cette diftinction
eft annoncée , il femble que le fon
• , quand il eft clair , foit toujours exprimé
paro ; & que ce ſon , lorsqu'il est fourd ,
foit toujours rendu par an. Quoique cela
arrive ordinairement , il y a bien des exemples
du contraire : au eft clair & bref dans
chapeau , autorité , &c. & a eft fourd &
long dans globe , foffe , tome , &c,
166 MERCURE DE FRANCE.
Page 13. Selon l'Abbé de D. les mots
berger & leger font une rime normande .
Il est vrai que de fon tems on prononçoit
la feconde fyllabe de léger avec un e ouvert
; mais à préfent la plupart font cet e
fermé , & léger rime très -bien avec berger.
Pages 13 , 38 & autres , l'Auteur , en
difant que le fon de la voyelle finale eft .
une ouvert dans exprès & amer , dans j'irois
& il alloit , ne fait point affez connoître
la différence qu'il y a entre l'e fimplement
ouvert & l'e très - ouvert .
Page 15. Notre e muet , dit l'Abbé de
D. ne fe trouve ni dans le Latin , ni
dans l'Efpagnol , ni dans l'Italien « . Le
fon dont il s'agit n'eft pas exprimé dans
l'ortographe de ces langues : il n'y eft marqué
par aucun caractere ; mais il n'y exiſte
pas moins dans la prononciation , car on
ne fçauroit prononcer une confonne finale
fans faire entendre à fa fuite un fon obfeur
& fourd , qui eft celui de l'e muet ou
féminin : tel & telle fe prononcent à peu
près de même .
Page 17. En traitant de nos voyelles
nazales an , en , in , on , un , l'auteur avance
qu'on pourroit les appeller esclavones , pare
ce que les peuples qui parlent cette langue
ont des caracteres particuliers pour les exprimer.
M. l'Abbé Antonini convient ,
JANVIER. 1755. 167
dans fa Grammaire Françoife , que ces peu,
ples mettent quelquefois une efpéce de
cédille au-deffous de l'e , pour marquer la
fuppreffion de l'n fuivante ; mais il penfe
que cette cédille ne fert pas plus à defigner
un fon nazal que le tiret dont nous fai
fions autrefois ufage pour indiquer auffi le
retranchement de l'n ou de l'm . Le moyen
d'éclaircir la question eft de voir fi la cédille
de la langue esclavone s'employe ou
ne s'employe pas quand l'n dont elle tient
lieu fait fa fonction de confonne , comme
dans les mots françois venez , finiffez , où
cette lettre ne marque point la nazalité du
fon qui la précéde. >
Page 21. L'Abbé de D. dit que pour
éviter le bâillement qui fe trouye entre les
deux derniers mots de ce vers de Quinault
,
Ah! j'attendrai long- tems ; la nuit eft loin encore.
les Muficiens ont recours à différens expédiens
dont l'un eft de mettre un petit g
après loin , & de prononcer la nuit eft loing
encore. Je ne fçai fi cette prononciation
pouvoit être fupportable il y a cinquante
ans , mais elle feroit aujourd'hui bien ridicule
,
Page 35. L'Auteur prétend qu'il y a dans
le mot entier une diphtongue compofée
168 MERCURE DE FRANCE.
de l'i & de l'e ouvert. On y met préfentement
un e fermé auffi bien que dans les
autres adjectifs en ier , excepté fier & altier
; & on ne prononce pas ordinairement
I'r de tous ces adjectifs , qui fe prononçoit
au commencement de ce fiécle , s'il
faut en croire l'Abbé Regnier Deſmarais ,
dont la Grammaire parut en 1706.
Page 48. Après avoir expofé ce qui diftingue
les confonnes foibles , qui font b ,
v , d , g , z , j , d'avec les fortes , qui font
P , f, t , k , s , ch , l'Abbé de D. s'exprime
il Y
ainfi .
ور
b
Que fi dans quelque mot propre
a pour finale un ou un d , comme dans
» Aminadab , ou David , on prononcera
» naturellement Davit , Aminadap ; & fi
» l'on veut s'efforcer à prononcer le d & le
» b , on prononcera
néceffairement
un petit
» e feminin , pour donner lieu à la pleine
prononciation du b & du d , qui , comme
j'ai dit , ne peuvent être finales.
»
Il me femble qu'on prononce naturellement
& aifément Aminadab & David comme
ils font écrits. Si nos organes , en faifant
fonner le bou le dà la fin de ces mots ,
y ajoutent néceffairement un e feminin , ils
l'ajoutent certainement auffi après le p & le
t, & toute autre confonne finale , ainfi que
je l'ai déja remarqué,
Page
JANVIER. 1753 . 189
Page 85. Suivant ce que dit l'Auteur ,
la lettre double ch fe prononce comme un
k dans Acheron. L'ufage me paroît maintenant
partagé fur ce point : j'ai entendu
prononcer Akéron à l'Opéra , & Acheron
à la Comédie Françoiſe.
Page 96. L'Abbé de D. blâme ceux qui
au lieu de prononcer a - yant , a-yez , prononcent
eyant , eyez , comme fi l'y tenoit
dans ces mots la place de deux i. La prononciation
de l'a s'eft confervée dans aïant ;
mais je crois qu'on prononce affez généralement
erez , & non aïez.
g Page 101. Sur la prononciation du
» dur & du c dur ou du k , il faut remar-
» quer qu'en François devant les e fermés ,
» lese ouverts & la voyelle eu , on pro-
» nonce ces deux confonnes un peu mouil-
» lées , & comme s'il y avoit un petit i . On
» prononce guérir , comme s'il y avoitguié-
» rtr ; rigueur , comme s'il avoit riguieur ;
queftion , comme s'il y avoit quicftion
» vainqueur , comme s'il y avoit vainquieur.
J'ignore fi la prononciation a varié fur
cet article depuis que l'Abbé de D. compofa
ces Effais ; mais mon oreille n'a jamais
fenti l'addition du fon de l'i dans les
mots qui font l'objet de fa réflexion.
"
Cet Abbé eft d'avis qu'il faut prononcer
par uni nazal & non par ain , les mots
H
170 MERCURE DE FRANCE.
qui commencent par la négative in , comme
ingrat , infidéle . C'eft auffi le fentiment
du P. Buffier & de l'Abbé Girard ; mais
M. Reftaut affûre le contraire , ainſi que
M. Duclos , dans fes Remarques fur la
Grammaire générale & raisonnée , dont il a
donné depuis peu une nouvelle édition ;
& il ſe rencontre une oppofition finguliere
dans les termes dont le P. Buffier & M.
Duclos fe fervent à ce fujer.
Prononcez infini , imprudent , dit le premier
, & non pas ènfini , èmprudent , comme
fait le peuple de Paris. Il répete la
même décifion dans un autre endroit , en
joignant quelques beaux efprits de province
à ces bourgeois de Paris , qui , felon
lui , alterent la bonne prononciation .
D'un autre côté , M. Duclos penfe que
l'i nazal eſt un fon provincial qui n'eſt
d'ufage ni à la Cour , ni à la Ville. » Ileft
» vrai , ajoute- t-il , que l'i nazal s'eft in-
» troduit au théâtre ; mais il n'en eft pas
» moins vicieux , puifqu'il n'eft pas autorifé
par le bon u fage , auquel le théâtre
eft obligé de fe conformer , comme la
chaire & le barreau .
L'opinion de M. Duclos me paroît juſtifiée
par l'ufage actuel , fi ce n'eft à l'égard
du chant , où l'on employe communément
le fon de l'i nazal , dans le cas dont
il s'agit ici .
JANVIER . 1755. 171
M. Duclos, dans fon édition de la Grammaire
générale & raisonnée , a laiffé l'ortographe
commune dans le texte du livre ,
parce qu'il ne s'eft pas cru en droit d'y rien
changer ; mais agiffant avec plus de liberté
dans les Remarques , qui étoient fon propre
ouvrage , il y a donné le précepte &
l'exemple d'une ortographe plus analogue
à la prononciation.
Un de nos Journaliſtes , en rendant
compte de cette production de M. Duclos,
fi précieufe à beaucoup d'égards , a apporté
de fort bonnes raifons pour maintenir
l'ortographe ordinaire ; mais parmi ces
raifons il lui en eft échappé une qui ne
me paroît pas fans replique : » Si l'on
établit , dit ce Journaliſte , qu'il faut
» écrire comme l'on parle , toutes les pro-
» vinces du Royaume écriront autrement
qu'on n'écrira à Paris , puifqu'elles par-
» lent autrement. » Ne pourroit - on pas
dire au contraire , que s'il y avoit un motif
affez fort pour exciter à réformer l'ortographe
, ce feroit cette diverfité même
de prononciation dans les différentes provinces
? Car le but des amateurs de la
réforme ne fçauroit être d'autorifer chaque
particulier à écrire comme il parle : ils
veulent fans doute qu'une nouvelle ortographe
, adoptée par l'Académie Françoiſe,
39
Hij
172 MERCURE
DE FRANCE
.
& par les bons auteurs qui vivent à Paris
ou à la Cour , fixe la vraie prononciation
,
& l'enſeigne aux habitans des provinces
'qui ont une prononciation
défectueufe.
Sans toucher au fond de l'ortographe , il
feroit peut-être affez à propos d'y introduire
encore quelques changemens peu
effentiels , & de la nature de ceux que l'Académie
a légitimés dans la nouvelle édition
de fon Dictionnaire , tels que le chanla
gement de l'y en i à la fin des mots ,
fuppreffion de plufieurs confonnes muettes
, &c. Mais on doit bien fe garder d'écrire
éxélent , éxeption , au lieu d'excellent ,
exception ; car l'x n'a dans ces mots que
la valeur d'un kou d'un c dur , & il y occafionneroit
une équivoque , s'il n'étoit
fuivi d'un c . Une telle nouveauté , outre
l'atteinte qu'elle porteroit à l'étymologie ,
induiroit à prononcer éxéllent , éxeption ,
par gz, comme on prononce éxamen , éxem-
-ple , exorde , & tous les autres mots qui
commencent par ex , fuivis immédiatement
d'une voyelle,
1
JANVIER. 1755 173
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie des infcriptions & Belles
Lettres.
' Académie royale des Infcriptions &
Belles Lettres rentra publiquement
le 12 Novembre 1754. M. de Bougainville
fon Secrétaire perpétuel , annonça
qu'elle propofoit pour le fujet du prix *
qui doit être diftribué en 1756 , d'examiner
quel fut l'état des villes & des répu
bliques fituées dans le continent de la
Grece Européenne , depuis la mort d'Ale
xandre jufqu'au tems qu'elle a été réduite
en province par les Romains. Après
cette annonce , il dit : » En rendant com-
» pre dans notre derniere affemblée publique
de la nouvelle fondation faite
par
»M. le Comte de Caylus , nous avons informé
les fçavans qu'elle avoit pour objet
» les antiquités proprement dites , & que
» le prix feroit une médaille d'or de la va-
"
leur de cinq cens livres. Nous ajoûtons
» aujourd'hui que le but de cette fondation
littéraire étant de ranimer l'étude
» des anciens monumens , l'Académie a
* Ce prix a été fondé par le Préfident Durey
de Noinville.
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
>> cru ne pouvoir mieux entrer dans les
» vûes du fondateur , qu'en faifant de la
» médaille même qu'elle adjugera , un mo-
» nument glorieux aux Auteurs , & capa-
» ble d'exciter leur émulation . C'eſt dans
» cet efprit qu'en compofant cette mé-
» daille , elle ne s'eft pas bornée à marquer
l'époque & l'objet de l'établiffement :
elle a voulu qu'un des côtés fût orné
» d'un type honorable pour le fçavant
» qu'elle couronneroit , & que fon nom
gravé tous les ans dans l'exergue , pût
s'y tranfmettre à la poftérité. Par là on
rappellera en quelque forte ces infcrip-
» tions que la Grece confacroit à la gloi-
» re des athletes couronnés dans fes jeux.
Voici quelle fera la médaille du nou-
» veau prix , laquelle a été deffinée par M.
Bouchardon. Elle repréfentera d'un côté
» une couronne de lauriers , dans laquelle
> on lira cette infcription : Aufpiciis L-
» dovici XV , pramium folemne in regia Infcript.
& human . Litter. Academia conf-
» titutum , anno MDCCLIV. Autour de la
→ couronne feront pour légende ces mots :
» Promovendo veterum monumentorum ftudio
. Sur le revers une mufe couronnée
» de lauriers , tenant d'une main une pal-
» me , & s'appuyant de l'autre fur un type ,
avec cette légende : Certamen ecumenicum.
33
JANVIER. 1755. 175
» On laiffera pour l'exergue un efpace qui
» puiffe contenir deux ou trois lignes d'é-
» criture , & où l'on gravera tous les ans
» au burin le nom de l'auteur couronné ,
» avec la date de fa piece . L'Académie in-
» vite en conféquence ceux qui voudront
» concourir , à donner exactement dans le
» papier cacheté , leurs noms de famille &
» de baptême.
M. de Bougainville fit enfuite la lecture
de l'éloge hiftorique de M. Secouffe , penfionnaire
de l'Académie , mort le Is Mars
1754. On peut juger du mérite particulier
de cet Académicien & de l'élégance de fon
Panégyrifte par le morceau fuivant .
29
» Le feul art que connut M. Secouffe ,
& qu'il ait voulu pratiquer en traitant
» l'Hiſtoire , étoit celui d'analyfer les cir-
≫conftances d'un événement , de combiner
» les textes , & de les apprécier avec une
fcrupuleufe fidélité : c'eft la maniere de
» Tillemont ; il l'avoit prife pour modele ,
» par des motifs dont il a rendu compte
» dans un difcours qui fert d'introduction
» à fes mémoires. Le mérite de cette mé→
> thode eft de n'égarer jamais l'efprit ; il
eft vrai qu'elle le fatigue , en le menant
» par des chemins rudes & tortueux , dans
lefquels il eft obligé de difcuter le terrein
pas à pas. Mais rien ne rebutoit la
Hiiij
176 MERCURE DE FRANCE .
conftance de M. Secouffe , ou plutôt it
» n'avoit pas befoin de conftance , parce
» que tout intéreffe dans l'objet aimé , &
» qu'il aimoit paffionnément l'hiſtoire de
fa nation. Par une fuite de fon enthoufiafine
, il fuppofoit à fes lecteurs les
» fentimens dont il étoit animé , du moins
» les croyoit- il affez équitables pour l'ap
» prouver par réflexion , & nous remarque-
» rons comme un trait qui le caracteriſe ,
»que moins attaché à fes opinions qu'à fes
goûts , il fouffroit volontiers la difpute
lorfqu'elle pouvoit conduire à la fo-
» lution d'une difficulté hiftorique , mais
» qu'il auroit fouffert impatiemment qu'un
»François n'eût pas fait prefque autant de
» cas que lui-même de toutes les fortes de
» recherches qui peuvent jetter quelques
»lumieres fur les plus petites branches de
> l'Hiftoire de France.
DD
90
Après cet éloge , M. de Bougainville
parla du tableau préfenté par M. le Comte
de Caylus. M. l'Abbé Raynal a traité fi bien
cet article dans le premier volume de Décembre
, qu'il ne m'a rien laiffé à dire .
M. Danville lut une differtation fur la
nation des Geres , & fur le Pontife qui
étoit adoré chez ce peuple.
M. l'Abbé Belley termina la féance par
F'explication d'une pierre gravée du cabi-
•
h
JAN VIER. 1755. 177
net de M. le Duc d'Orleans. Cette pierre
eft une agathe blanche , gravée en creux :
elle repréfente la tête d'un Empereur Romain
, pofée en regard de celles d'une Impératrice
& d'un jeune Prince. Au milieu
eft une urne , d'où fortent deux palmes.
M. l'Abbé Belley prouva que cette pierre
avoit été gravée àl'occafion des jeux chryfantins
, que la ville de Sarde, en Lydie , fit
célébrer en l'honneur de l'Empereur Pertinax
, de l'Impératrice Titiana fa femme ,
& du jeune Pertinax leur fils .
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie royale des Sciences.
L
Ei 3 du même mois , l'Académie royale
des Sciences tint fa féance publique
d'après la S. Martin. M. de Fouchy l'ouvrit
par l'éloge * de M. d'Ons- en- Bray , Acadé
micien honoraire.
Après cet éloge , M. l'Abbé de la Caille
lut la relation de fon voyage au Cap de
Bonne Efperance , dont voici le précis .
Le principal objet de ce voyage étoit de
compléter le catalogue des principales
étoiles du ciel , dont M. l'Abbé de la Caille
a entrepris depuis long- tems de déterminer
* Je réſerve l'extrait de cet éloge pour le Mercu
re prochain , ayant trop peu d'efpace dans celui- ci..
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
les pofitions le plus exactement qu'il eſt
poffible. Plufieurs des étoiles dont on fait
le plus d'ufage dans l'Aftronomie , mon
tent fi peu & fi obliquement fur l'hori
zon de Paris , qu'il eft impoffible de les
obferver avec précifion , & ces mêmes étoi
les paffent aux environs du zénith du Cap
de Bonne Efperance , circonftance la plus
favorable pour y appliquer les meilleures
méthodes de l'Aftronomie. Par occafion
M. L. D. L. C. devoit faire différentes obfervations
fort intéreffantes , telles que celles
des parallaxes de la lune & du foleil ;
celle de la longueur du pendule fimple à
fecondes dans l'hémifphere auftral de la
terre ; celle de la longitude du Cap de Bonne
Efperance , fur laquelle les plus habiles
Géographes différoientde trois degrés , &c.
Il s'embarqua à l'Orient , fur un vaiffeau
de la Compagnie des Indes , commandé
par M. Daprès , Correfpondant de l'Aca
démie , & fort connu par un excellent recueil
de cartes marines & un routier pour
naviguer dans les mers des Indes. Le vaiffeau
fut mis à la voile le 21 Novembre
1750 , & dès le 13 Décembre une éclipfe.
de lune qu'ils obferverent , leur fit reconnoître
une erreur de plus de quatre degrés
dans leur longitude , quoiqu'ils euffent
fuivi très fcrupuleufement tous les moyens
JANVIER. 1755. 179
J
ufités en mer pour faire une eftime jufte .
Cette erreur leur ayant fait manquer
l'ifle de S. Yago , où ils s'étoient propofés
de relâcher , ils furent obligés d'aller chercher
un port fur la côte du Brefil , & ils
entrerent dans celui de Rio Janeïro le 25
Janvier 1751 .
Ils y trouverent M. Godin , l'un des
trois Académiciens envoyés au Pérou en
1735. Le vaiſſeau qui le reconduifoit de
Buenos- Aires en Europe , étoit auffi de relache
à Rio Janeïro. Après avoir fait enfemble
quelques obfervations , ils fe féparerent
le 25 Février , & M. Daprès vint
mouiller à la rade du Cap de Bonne Efperance
le 19 Avril.
M. l'Abbé D. L. C. muni de bonnes lettres
de recommendation , fut très -bien reçu
. Le Gouverneur de la Colonie lui fit
bâtir fur le champ un obſervatoire fort
commode , dans la cour d'un des principaux
bourgeois de la ville , nommé M.
Beftbier , qui de fon côté n'épargna rien
pour procurer à M. L. D. L. C. toutes les
facilités & tous les agrémens poffibles .
Selon le projet fait en France , le féjour
de M. L. D. L. C. au Cap devoit être d'une
année entiere. La relache à Rio Janeiro &
d'autres incidens qui avoient prolongé la
durée de la traverfée , furent caufe que
H vj
So MERCURE DE FRANCE.
cette année ne pouvoit commencer que
dans le tems où la rade du Cap étoit déja
devenue impratiquable pour plufieurs
mois , & par conféquent après l'année revolue
, il étoit néceffaire d'attendre encore
long-tems le retour de la belle faifon : de
forte qu'au lieu d'un an , M. L. D. L. C.
ne pouvoit plus refter moins de dix - huit
ou vingt mois..
Pour mettre à profit cette prolongation
forcée , M. L. D. L. C. ajoûta à fon projet
celui de conftruire un catalogue très - détaillé
de toutes les étoiles compriſes entre
le pole auftral du ciel & le tropique du
eapricorne : ce qui l'y engagea principale
ment fut la clarté extraordinaire du ciel ,
qui fe trouvant très- rarement couvert , lui
promettoit plus d'occafions qu'il n'étoit néceffaire
pour remplir le projet fait en France.
D'ailleurs ce ciel fi clair eft caufé ordinairement
par un vent de fud- eft le plus
violent qu'il y ait au monde ; lorfque ce
vent fouffle , quelque abri qu'on fe procure
, il eft abfolument impoffible de fe fervir
des grands inftrumens pour obferver
les aftres ils paroiffent tous très- confufément
terminés , & dans une agitation d'autant
plus vive , que la lunette dont on
fe fert , groffit davantage les objets. Mais
comme il fuffifoit , pour faire le catalogue
:
JANVIER. 1755. 189
dont on vient de parler , de fe fervir d'une
lunette qui rendit feulement les objets plus
diftincts , M. L. D. L. C. en fit appliquer
une à fon quart de cercle , qui groffiffois
très-peu & dont le champ étoit de près de
trois degrés. Il y plaça différens réticules
conftruits avec beaucoup de foin par un
ouvrier qu'il avoit amené de Paris . Arrêtant
enfuite fon quart de cercle dans le
plan du méridien & à une certaine hauteur
, il obfervoit toutes les étoiles à mefure
que par le mouvement du premier
mobile elles venoient traverfer le champ
de fa lunette , pendant le tems d'une nuit
entiere. La nuit fuivante il pointoit fon
quart de cercle à une autre hauteur , qui
différoit de la précédente d'environ trois
degrés , puis il obfervoit toutes les étoiles
qui paffoient de même dans fa lunette.
Changeant ainfi fucceffivement de hauteur
depuis le pole jufqu'au tropique , & recommençant
à diverfes repriſes , felon les
faifons de l'année , il parvint à déterminer
plus de . 9800 étoiles en dedans du tropique
du capricorne ; mais parmi ce grand
nombre d'étoiles , dont la plûpart font extrêmement
petites , & n'ont été obfervées.
que pour éviter l'ennui dans les intervalles
de tems entre les paffages des étoiles,
plus brillantes , il en a choiſi 1930 pour
182 MERCURE DE FRANCE.
compoſer le catalogue qu'il avoit entrepris.
Telle fut fon occupation pendant les
tems où le vent de fud- eft ne lui permettoit
pas de faire autre chofe . Pendant les jours
de calme il eut le loifir , non feulement de
remplir tout le projet formé en France ,
mais encore de faire , felon les occafions ,
différentes obfervations qui n'entroient pas
dans ce projet. Tout ce travail fut terminé
vers le commencement du mois d'Août
1752 .
Le tems du départ des vaiffeaux pour
l'Europe étoit encore éloigné de plus de
quatre mois. M. L. D. L. C. n'ayant plus
rien à faire pour les étoiles auftrales , fongea
à mefurer un dégré , pour voir fi l'hémifphere
auftral étoit d'une figure femblable
à celle de l'hémifphere boréal . Le
pays étoit très-propre pour cette recherche
en deux triangles on pouvoit mefufer
un arc du méridien terreftre de 70000
toifes , & vers le milieu de cet arc il y
avoit une plaine de fable propre à mefurer
une longue bafe . M. L. D. L. C. profita
de fon loifir & de ces circonftances fi favorables
: aidé des charriots & des efclaves
de M. Beſtbier fon hôte , qui lui fervit luimême
de guide & d'interprete , il fit à fon
aife toutes les opérations néceffaires , & il
en conclut que la longueur d'un dégré du
JANVIER. 1755 . 183
méridien terreftre , qui paffe par 33 dégrés
18 minutes de latitude auftrale , étoit de
$7037 toifes plus grande qu'il ne s'atten
doit de le trouver , par comparaiſon aux
mefures faites en France .
Après cette expédition M. L. D. L. C.
fe difpofa à partir du Cap : il employa le
refte de fon tems à dreffer un planiſphere
auftral , & à vérifier les divifions de fes
inftrumens ; mais lorſqu'il s'attendoit de
retourner en France , il reçut un ordre de
paffer aux ifles de France & de Bourbon ,
pour en déterminer la longitude & la latitude
.
Avant que de parler de fon départ du
Cap , M. L. D. L. C. s'excufa de ce qu'il
n'avoit rien à dire fur cette fameufe Co
lonie , ni fur les Hottentots , habitans naturels
du pays. Il déclara feulement que la
defcription du Cap de Bonne Efpérance
faite fur les mémoires de Kolbe , en trois
volumes in- 12 , laquelle eft fort connue
& entre le mains de tout le monde , ne
méritoit prefque aucune croyance , par le
nombre de fautes dont elle eft remplie :
l'Auteur qui a féjourné fept ans au Cap
a négligé de voir les chofes par lui-même,
& de ramaffer des mémoires fûrs. Il a abufé
du privilege des voyageurs , & il en a impofé
par une fimplicité apparente * . Il eſt
* M. L. D. L. C. n'étant pas en état de donner
184 MERCURE DE FRANCE.
à préfent très- difficile de faire une hiſtoire
véritable des Hottentots , parce que la
Colonie Hollandoife s'étant étendue fort
avant dans les terres , a écarté ces peuples ,
dont les troupeaux font l'objet de la cupidité
des Européens.
M. L. D. L. C. s'embarqua le 8 Mars
1753 pour aller à l'Ile de France . Pendant
la traversée , qui eft ordinairement de
cinq à fix femaines , il fit de nouveaux
effais fur la maniere d'obferver les longitudes
en mer , par le moyen d'une diftance
de la Lune à quelque étoile zodiacale ; il
trouva enfin qu'à l'aide de certains calculs
préliminaires , qu'on peut faire plufieurs
années d'avance , on peut réduire
tout le calcul de cette méthode à trois ou
quatre opérations à la portée du commun
des marins . Les Officiers de fon vaiffeau
en firent l'expérience ; ils en fentirent mê
me l'extrême utilité , lorfqu'ils virent par
les obfervations qu'ils firent conjointement
avec M. L. D. L. C. , que leur eftime les
portant à l'eft de 140 lieues au - delà de ce
qu'ils avoient jugé néceflaire , ils avoient
une hiftoire complete du Cap , promet de donner
dans ces mémoires des notes critiques pour
relever les principales bévûes de Kolbe , dont ili
seft affuré par lui - même.
2
JANVIER 1755. 185
fait près de 300 lieues de plus qu'ils ne fe
L'étoient propofés.
M. L. D. L. C. arriva à l'Ile de France .
le 18 Avril ; il y féjourna neuf mois en
attendant le retour des vaiffeaux en France.
Il y fut fort peu occupé , tant parce
qu'il avoit fait au Cap tout ce qu'on pouvoit
defirer fur les étoiles , que parce qu'il
n'y trouva pas le ciel à beaucoup près auffi
beau. D'ailleurs M. Daprès avoit fait à
cette Ifle & à l'ifle de Bourbon des obfervations
très- exactes , & plus que fuffifantes
pour établir leur longitude & leur latitude.
M. L. D. L. C. ne négligea pas de
faire celles qui pouvoient fervir à les confirmer
: il fit quelques autres obfervations
aftronomiques , entr'autres fur l'obliquité
de l'écliptique , qu'il trouva de 23 dégrés
28 min. 16 fec. plus,petite qu'on ne l'employe
ordinairement. Il fit encore un chaffis
de la carte de cette ifle , & en partit
le 16 Janvier 1754. Il arriva le lendemain
à Saint Denis de l'Ile de Bourbon ; &
après un féjour de près de fix femaines
employé aux obfervations relatives à la
longitude & à la latitude de cette Iſle , it
s'embarqua enfin le 27 Février , pour retourner
en France. Il relâcha à l'ifle de
l'Afcenfion , dont il détermina la longitude
& la latitude , & arriva à l'Orient
186 MERCURE DE FRANCE.
le 4 Juin , après avoir fait une des plus
heureuſes traverfées qu'on puiffe fouhaiter.
A cette relation fuccéda un mémoire dé
M. Hériffant , contenant plufieurs recherches
fur la formation de l'émail des dents
& fur celle des gencives.
Le dernier ouvrage fut lû par M. Buache;
c'étoit une differtation fur les différentes
idées qu'on a eues de la traversée
de la mer glaciale arctique , & fur les
communications ou jonctions qu'on a fuppofées
entre diverſes rivieres.
JANVIER. 1755. 187
ARTICLE QUATRIEME,
BEAUX - ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
A M. le Comte de Caylus , fur un tableau
repréſentant Minerve , qu'il afait peindre
à la cire aufeu , après avoir découvert
le fecret perdu de cet ancien genre de peinture
, appellée Encaustique.
AFFULGET vultus , rediviva nuncius artis ,
Dignum Pauliacæ dexteritatis opus.
Fallor , & eft hominum præftantior arte tabella ,
Admovitque fuas fors fibi diva manus.
Sin tu fpirantes ceras fic reddis ab igne ,
Furta Promethei te renovaffe probas.
GRAVURE.
Le Médecin empirique , gravé d'après
le tableau original de David Teniers , du
cabinet de M. le Comte de Vence , par
J. Tardieu , Graveur du Roi , rue des
Noyers , vis-à- vis celle des Anglois. -
188 MERCURE DE FRANCE.
MOYREAU , Graveur du Roi , en for
Académie royale de Peinture & Sculpture,
vient de mettre au jour une nouvelle
Eftampe qu'il a gravée d'après P. Wouvermens
, qui repréfente le Départ des Cavaliers.
Le tableau original eft au cabinet
de M. L. B. D. H. C'eſt le n° . 78 de la
fuite. Sa demeure eft rue des Mathurins ,
la quatrième porte cochere à gauche , en
entrant par la rue de la Harpe.
*
MUSIQUE
Le Triomphe des plaifirs , cantatille à
voix feule , avec accompagnement de violon
& baffe continue , compofée par Me
Papavoine , gravée par Me Le Clair , prix
I liv. 4 fols. A Paris chez l'Auteur , rae
Sainte-Anne , butte Saint-Roch ; chez le
fieur Vernadé , rue du Roule , à la Croix
d'or ; le fieur Bayard , rue S. Honoré , à la
Régle d'or ; & chez Mlle Caftagnery , rue
des Prouvaires , à la Muſique royale .
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
Leese,anvier &,Mr
E15 Janvier 175 § , M. Blondel , Archide
l'Eco-
LE DES ARTS , rue de la Harpe , près de la
JANVIER. 1755. 189
Sorbonne , fera l'ouverture de fon fecond
cours public élémentaire d'Architecture ,
par un difcours hiftorique qui fervira d'in
troduction à l'Architecture & aux autres
arts qui ont relation avec elle . Il fera
compofé de quarante leçons , qui feront
données régulierement tous les jeudis &
famedis de chaque femaine , depuis trois
heures jufqu'à cinq. L'objet de ce cours
élémentaire eft la connoiffance de l'Architecture
, qui eft indiſpenſablement néceffaire
aux hommes en place. Pour cela on
difcutera en général les opinions des Anciens
& des Modernes , & l'on y traitera
en particulier des principes de la décoration
, de la diftribution & de la conftruction
des bâtimens , de la convenance
de la proportion , de la fymmétrie & de
tous les arts de goût , fans lefquels il eſt
impoffible de parvenir à difcerner le bon ,
le médiocre & le défectueux .
HORLOGERIE .
Il feroit fort à fouhaiter , Monfieur ,
que ceux que leur zele fait écrire pour le
public , fuffent plus inftruits des matieres
qu'ils entreprennent de traiter , & que les
motifs dont ils cherchent à colorer ce zele ,
fût plus exempt de fufpicion , du moins de
vroient- ils mieux le voiler. C'eft dequoi
190 MERCURE DE FRANCE .
l'auteur anonyme des lettres inférées dans
les Mercures de Juin , premier volume ,
page 149. & de Novembre page 143. ne
s'eft pas mis beaucoup en peine . Il indique
au public une nouvelle méthode pour régler
les montres & les pendules , qui préfente
une infinité d'inconvéniens , fans
laiffer appercevoir la plus légere utilité . En
effet , la ligne du tems moyen , tracée au
Palais royal , fuivant l'idée de l'anonyme ,
peut-elle entrer en comparaifon avec les
tables d'équation , fi connues du public ,
& que chacun peut fe procurer à fi peu de
frais ? En fuivant ces tables on eft affuré
d'avoir toujours une maniere infaillible de
connoître le tems moyen par le fecours du
tems vrai. Il y avoit encore une autre reffource
qui ne s'eft pas préfentée à l'imagination
de notre Sçavant ; c'étoit de fouhaiter
que l'on fît marquer aux horloges
publiques le tems vrai & le tems moyen ;
mais la prévention de l'anonyme ne lui a
laiffé que la faculté de décrier les groffes
horloges fans diftinction. Il feint d'ignorer
qu'on y ait employé des mouvemens
à fecondes , fuivant les idées de M.Julien
Le Roi. C'est ici où la paffion fe démafque
, puifqu'il remet fous les yeux du public
des difputes affoupies depuis peu : il
4 dû voir dans les mémoires d'un des conJANVIER.
1755. 191
rendans , copie du certificat donné par ce
même M. Le Roi , dont il fe plaint que les
confeils n'ont pas été fuivis ; & ce certificat
porte néanmoins que la piéce dont il
parle , faite par M. Le Paute , eft la plus
parfaite qui ait encore paru en ce genre ,
c'est- à- dire de l'efpece de celles que femble
defirer l'anonyme . Il y en a une trèsbelle
à Sainte Genevieve , exécutée par M.
Galonde ; une aux Miffions Etrangeres
par M. Julien Le Roi. Celle de la Meute
que ce même M. Le Roi affûre , eſt ſupérieure
aux précédentes , une au Luxembourg
, une autre au pavillon de Bellevûe ,
une au château des Thermes , qui marque
les fecondes très-diftinctement , & celle de
l'Hôtel des Fermes : toutes ces horloges
font parfaites , fi l'on en doit croire le témoignage
public. Quant à moi qui les
ai toutes vifitées en place , & qui les fuis
depuis long- tems , je ne crois pas qu'elles
laiffaffent rien à defirer , fi M. Le Paute
avoit eu la précaution de leur faire marquer
le tems vrai & le tems moyen . C'eſt
le reproche que je lui ai fait à l'occafion
d'une ingénieufe pendule à fecondes qu'il
vient de placer fous les yeux du public , en
face de la petite porte du Luxembourg qui
conduit à fon logement. Ces dernieres
horloges décrivent de très-petits arcs , avec
192 MERCURE DE FRANCE.
de fort groffes lentilles , & marchent avec
environ deux livres de poids coulant. Ce
font là de ces faits qui ne peuvent être
ignorés de l'anonyme , & qui auroient dû
dui faire parler avec plus de circonfpection
des groffes horloges.
Après avoir tâché de décrier indirectement
ces fortes de piéces , il attaque de
nouveau les échappemens à repos. Il demande
quelle propriété particuliere caractérife
& diftingue ce nouvel échappement . Je
doute que L'auteur laiffe échapper une fi
belle occafion de lui apprendre ce qu'il affecte
encore d'ignorer ; en tout cas , il
pourra confulter là - deffus les mémoires
imprimés pendant le cours de la difpute ;
de rapport de l'Académie des Sciences , &
enfin une lettre de M. de la Lande , Membre
de l'Académie , inférée dans le Mercure
d'Août , où il a difcuté ces avantages.
J'ai l'honneur d'être , & c.
ARTICLE
JANVIER. 1755. 193
ARTICLE CINQUIEME.
SPECTACLES.
OPERA .
'Académie royale de mufique a donné
le 3 Décembre la premiere repréfentation
de Thefee , qu'elle avoit executé à
Fontainebleau le 18 & le 21 Octobre. Comme
il a paru ici avec moins de magnificence
qu'à la Cour , on lui a fait un accueil trèsinférieur
à fon mérite ; cependant il attire
de nombreuſes affemblées , les Vendredis
fur- tout font très- beaux . Les Dimanches
font moins brillans : on ne le joue que ces
deux jours de la femaine. On a repris
les Elémens le Mardi & le Jeudi , pour
ne pas fatiguer le grand Opéra. Les de ce
mois on doit donner à fa place Daphnis &
Alcimadure , Paftorale Languedocienne
en trois actes , précédée d'un Prologue . Je
n'entrerai dans aucun détail de ces Opera ,
le dernier volume de Décembre a tout dit
fur ce fujer dans l'article des Spectacles de
Fontainebleau .
I
194 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE FRANÇOISE.
Le Décembre les Comédiens François
ont remis Nicomede , Tragédie du
grand Corneille , & très digne d'en être :
elle n'avoit point été reprife depuis la mort
du célébre Baron , arrivée en 1729 le 22
Décembre . Parmi la foule des beautés fu--
périeures dont cette piece étincelle , il fe
trouve beaucoup de chofes , ou plutôt d'expreffions
familieres , qu'on doit moins attribuer
à l'Auteur qu'au tems où il a vêcu .
Les deux premieres fois le public paroiffoit
indécis & comme partagé entre les éclats
de rire & les applaudiffemens , mais à la
troifiéme repréſentation ces familiarités ne
T'ont plus frappé , il n'a été fenfible qu'au
mérite fingulier de l'ouvrage , où la politique
joue le premier rôle , & qu'on peut
appeller une Tragédie de caractere. Nitomede
y paroît un digne éleve d'Annibal .
L'ironie eft fa figure favorite , il l'employe
fur-tout dans toute fa force vis- à vis de
Flaminius. Ce ton railleur paroît un peu
bleffer la dignité du cothurne ; le fpectateur
furpris n'a fçu d'abord s'il devoit applaudir
Nicomede comme un homme d'efprit
, ou l'admirer comme un grand homme.
Quelques-uns même l'ont qualifié de
JANVIER. 1755. 195
héros perfifleur , mais on a fenti par réflexion
que ce langage ironique partoit
d'une ame fiere , & qu'il convenoit à un
Prince jaloux de fes droits , & juftement
indigné de voir qu'un Romain vint impofer
la loi à Prufias fon pere , dans les propres
Etats. Il femble que Corneille ait voulu
dans cette piece , venger les Rois de la
fupériorité qu'il avoit donnée fur eux aux
Romains dans fes autres Tragédies. L'Ambaffadeur
de Rome y eft auffi petit devant
Nicomede que le Roi d'Egypte l'eft deyant
Cefar dans la mort de Pompée. M.
Grandval eft irès-bien dans le rôle de Nicomede
, & Mlle Clairon parfaitement
dans celui de Laodice . Le Samedi 15 , on
a joué cette Tragédie avec Nanine , Comédie
remife en trois actes , de M. de Voltaire.
Le Samedi 21 , on a redonné les
deux mêmes pieces. La chambrée étoit complette
pour parler le langage des Comédiens.
Le Lundi 23 , ils ont repréfenté pour la
premiere fois le Triumvirat , de M. de
Crébillon . Toute la France y étoit : il fut
écouté & reçu avec tous les égards , &
j'ofe dire , le reſpect qu'on doit au Sopho-
* Les Comédiens ont été les premiers à s'y méprendre
; ils ont affiché la piéce fous le titre nouveau
de Tragédie héroï- comique.
Iij
196 MERCURE DE FRANCE.
:
de
cle de nos jours. Il eft beau à 81 ans de
paroître encore dans la carriere : c'eſt un
fpectacle non-feulement digne de la curiofité
publique , mais encore de l'acclamation
univerfelle . On eft forcé d'avouer que
le quatriéme acte & une partie du cinquiéme
ont paru d'abord inférieurs aux trois
premiers , qui ont reçu de grands applau
diffemens. C'est peut-être la faute des Comédiens
, dont le feu s'eft rallenti : le froid
des Acteurs eft fouvent mis fur le compte
la piéce ; quand ils manquent de concert &
de chaleur , elle paroît manquer d'enfemble
& d'intérêt. Tullie eft le perfonnage qui
a le plus frappé faut- il s'en étonner ? c'eft
Mlle Clairon qui le joue. L'éloquence de
fon jeu y a peut-être autant contribué que
la fupériorité du rôle ; ce qui a fait dire
que la fille de Ciceron étoit plus diferte
que fon pere. Sextus eft encore un beau
caractere il fe montre un digne fils de
Pompée. Les connoiffeurs les plus rigides ,
mais qui jugent fans partialité , conviennent
tous qu'il y a dans cette tragédie des
béautés du premier ordre , & des traits
marqués au coin du grand maître. On y
reconnoît l'auteur d'Electre & de Rhadamifte
: c'est un beau foleil couchant , il
darde encore des rayons qui ont toute la
force de fon midi ; ils doivent échauffer le
public en fa faveur.
:
JANVIER. 1755. 197
Ils l'ont fait à la deuxième repréfentation.
La piece a été mieux jouée , en conféquence
mieux fentie . La cataſtrophe furtout
a fait la plus grande impreffion.
L'inftant où Fullie découvre le voile qui
cache la tête de fon pere fur la tribune
aux harangues , & la précifion admirable
avec laquelle l'actrice rend toute la
force de cette pofition terrible , former t
un coup de théatre qui arrache les lar-.
mes & qui déchire l'ame de tous les
fpectateurs. J'en parlerai plus au long le
mois prochain dans l'extrait que j'en donnerai.
On a oublié dans les deux derniers volumes
de Décembre de parler de la repriſe
des Tuteurs , qui ont été joués avec les
Troyennes. Sans entrer dans aucun détail , `
je vais fuppléer à ce filence. Cette Comédie
en deux actes , ou plutôt le talent qu'elle
annonce , mérite qu'on en faffe mention .
Les trois premieres fcenes montrent que
le jeune auteur de cette petite piéce eft appellé
au Comique , fon vers eft facile , &
fon dialogue naturel ; mais le difcours
qu'il adreffe à Madame la Comteffe de la
Marck prouve encore mieux fa vocation
pour ce genre. Quand on penfe à fon âge
auffi jufte fur l'art que l'on embraffe ,
& qu'on a comme lui le talent d'écrite ,
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
on eft für d'y faire un progrès rapide.
Le genre moyen de la Comédie , où les
moeurs purement bourgeoifes qu'il fe propofe
de traiter , me femblent comme à lui
les plus théatrales . Il faut fur la fcene des
ridicules de perfpective , fi j'ofe m'exprimer
ainfi ; il faut que leurs traits foient
gros pour exciter un vrai rire , ou un rire
machinal ; c'eft celui de la nature : ne rire
que de l'efprit , c'eft à peine fourire. J'aime
mieux pour mon amufement , rire avec
la bonne foi d'un bourgeois ingenu , ou la
groffe franchife d'un bon payfan , qu'avec
la circonfpection d'un homme du monde
qui craint d'éclater , & qui regle tous fes
mouvemens fur les loix exactes de la froide
décènce . Ce rire compaffé , qui en naiffant
expire fur les levres , ne part jamais
de l'ame , il n'eft qu'un raffinement de
l'art , ou plutôt qu'un ennui déguisé.
COMEDIE ITALIENNE.
Les Comédiens Italiens ont donné le
Décembre , la premiere repréſentation
de la Fête d'Amour , petite piéce en un
acte , & en vers , avec un divertiſſement.
Elle eft de Madame Favart * . On peut dire
qu'elle en fait les honneurs , & que c'eft
fa propre fête , non - feulement par la fa-
Et de M. Chevalier qui l'a rimée.
*
1755. 199
JANVIER.
çon dont elle y joue , mais encore par l'amour
que le public a pour elle. Jamais
actrice n'en fut plus aimée , ni plus digne
de l'être . Comme Mme Favart a autant de
docilité que de connoiffance du théatre ,
elle a fait plufieurs corrections ou retranchemens
à fa Comédie dès la feconde repréfentation
; depuis ce jour la Fête d'Amour
a été auffi fuivie qu'applaudie , le
talent de l'actrice y fert bien l'efprit de
l'auteur ; on voit que , l'un & l'autre partent
du même fujet . M. Favart , fous le
titre de parodies , ou fous le nom d'opera
comiques , nous a donné d'agréables Bergeries
, & l'aimable Baftienne fa femme ,
pat une émulation louable , nous donne
de jolies payfanneries.
La Fête d'Amour eft conftamment accompagnée
de la Servanie Maitreffe , qui
fert fi bien les autres & qui ne s'ufe point.
Cette piece finguliere femble former un
nouveau genre , Comme le fonds eſt un vrai
fujet de Comédie , & que l'ariette ou le
chant y font mêlés au dialogue fimplement
déclamé , je trouve qu'elle mérite mieux
que le titre d'Opera comique , & qu'on
doit plutôt l'appeller Comédie Opera. On
la joue avec la Fête d'amour le Lundi , le
*
* Nous donnerons l'extrait de cette piece en
Fevrier.
Iiiij
200 MERCURE DE FRANCE.
Mercredi & le Samedi . On repréſente le
Jeudi & le Dimanche Coraline Magicienne
, Comédie Italienne remiſe , avec des
divertiffemens.
Ces divertiffemens font de M. Deheffe ;
ils font auffi agréables que diverfifiés . Le
dernier eft un Ballet Polonois parfaitement
caracterifé. Cet habile compofiteur eft non
feulement le Teniers , mais encore le Vateau
de la danfe. Dans tous fes tableaux , it
prend pour modele la nature , il eſt toujours
nouveau & varié comme elle .
SPECTACLES DE LA COUR.
E 27 Novembre , les Comédiens Italiens
donnerent en préſence du Roi &
de toute la Famille royale , Arlequin veleur
, Prévôt & Juge.
:
Le 4 Décembre , le Retour d'Arlequin &
la Servante Maîtreffe. A la fin de la premiere
piece on donna un divertiffement
exécuté par Mlle Catinon & M. Balletti
cadet en pas de deux à la fin de la Servante
Maitreffe on ajouta le Colin maillard
, danfé par Mlle Camille & M. Billioni
, en pas de deux ; Mlle Marine feule
; Mlle Maffon & M. Berquelor en pas
de deux .
JANVIER. 1755. 201
Corps de Ballet.
MESSIEURS.
Rouſſeau ,
Martin ,
MESDEMOISELLES .
Gotton ,
Rouffelet ,
Foulquier , Granger
Giguet ,
Defmartins.
Rouffe ,
Verfian.
Le 11 , Monfeigneur le Dauphin fir
donner la repréſentation d'Arlequin perſecuté
par la Dame invisible . Hauteroche en
a tiré l'Esprit follet , que les Comédiens
François avoient donné huit jours auparavant.
Le 18 , on repréſenta les Déguisemens
amoureuxx Comédie Italienne en trois
actes.
CONCERT SPIRITUEL.
១
E Concert fpirituel qui fut exécuté le 9 Décembre
, jour de la Conception de la Vierge
, commença par une fymphonie à cor- dechaffe
; elle fut fuivie d'Exaltabo te , PL. 144.
motet à grand choeur de la Lande . Mlle Cohender
y chanta le récit Miferator. M. l'Abbé Renaud
baffe- taille de Notre-Dame , chanta Diligam te ,,
petit motet de la compofition de M. Goulet ,
Maître de mufique de Notre-Dame. M. Canavas
joua un concerto de violon . Mme Tedeſchini chan-
"'
202 MERCURE DE FRANCE.
ta un air Italien , enſuite un duo Italien avec M.
Ranieri . Le concert finit par Deus venerunt gentes
, motet à grand - choeur de M. Fanton . Mile Fel
chanta les récits Ne memineris , Nos autem , &
l'ariette In generationem , avec le dernier choeur.
Le Concert du 24 Décembre , veille de Noël ,.
commença par une fymphonie de M. Caraffe le
jeune , ordinaire de la mufique de la Chambre du
Roi. Enfuite Judica , Domine , nocentes me , moter
nouveau à grand choeur de M. Fanton . Mlle Duperey
chanta le Venite exultemus , petit motet de
M. Mouret. M. Soret le fils joua un concerto de la
compofition de M. Guignon . Mme Tedeſchini
chanta des airs Italiens . MM . Salantin& Bureau
Labbé le fils & Perrier , exécuterent une fuite d'airs
arrangés par M. Labbé le fils , à deux hautbois
une viole d'amour & une quinte. Le Concert finit
par Fugit nox , motet à grand choeur mêlé de
Noëls , de M. Boimortier , dans lequel M. Daquin
, Organiſte du Roi , joua ſeul . Mile Fel
chanta l'ariette Surgite Paftores & le récit Vocabitur
nomen ejus.
Le Concert du jour de Noël commença par
une fymphonie de M. Labbé le fils , ordinaire de
l'Académie royale de mufique. Enfuite Fugit nox ,
motet à grand choeur , mêlé de Noëls de M. Boimortier
, dans lequel M. Daquin , Organiſte du
Roi , joua feul . Mlle Fel chanta l'ariette Surgite
Paftores , & le récit Vocabitur nomen ejus. MM.
Salantin & Bureau , Labbé le fils & Perrier executerent
une fuite d'airs arrangés par M. Labbé
le fils . Mlle Fel chanta Laudate pueri Dominum ,
petit motet de M. Fioco. Mr Canavas joua un
concerto de violon. Le Concert finit par Deus
venerunt gentes , motet à grand choeur de M.
Fanton. Mlle Fel chanta le récit Ne memineris , le
récit Nos autem , & l'ariette In generationem
avec le dernier 'cho ur.
JANVIER. 1755. 203
ARTICLE SIXIE ME.
· NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU NOR D.
DE PETERSBOURG , le 17 Novembre.
Pour donner un plus grand luftre à la ville de
Mofcou , l'Impératrice fe propofe d'y établir
une Univerfité. On prétend que toutes les per--
fonnes d'une condition au- deffus du commun ,
feront obligées d'y envoyer leurs enfans. Sa Majefté
Impériale a ordonné que le nombre des Ecoles
publiques für augmenté , & que le peuple ne
manquât nulle part des fecours néceffaires pour
fon inftruction.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 3 Novembre.
La diftribution des prix fondés par l'Impératrice
pour exciter Pémulation des Eleves de l'Académie
de Peintute & de Sculpture , fe fit le 25. Le
Comte de Lofy , Directeur de l'Académie , remis
de la part de Sa Majefté les quatre Médailles aux
jeunes Artiftes couronnés . Il fe trouva un grand
concours de perſonnes de diftinction à cette céémonie.
DE HANOVRE , le 12 Novembre.
Le feur Hermann , Colonel d'Artillerie, a trou-
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
vé le moyen de fondre , fans noyau de forme , des
canons de trois livres de balle , & même d'un plus
grand calibre. Un Fondeur , nommé Meyer , a inventé
en même tems une machine , qui les perce
avec une telle égalité , qu'il ne refte pas plus d'épaiffeur
dans une partie que dans l'autre.
ITALI E.
DE ROME , le 9 Novembre.
Le Comte de Stainville , Ambaffadeur Extraor
dinaire du Roi Très-Chrétien , arriva le 4 avec la
Comteffe fon époufe. Ils occupent le même palais
dans lequel demeuroit le Duc de Nivernois..
DE FLORENCE , le 19 Novembre.
Plufieurs expériences ayant prouvé qu'il eft dan
gereux de faire ufage des vêtemens dont fe font
fervies les perfonnes mortes d'étifie , le Gouver
nement a défendu de vendre à l'avenir le linge
& les habits qui leur ont appartenu. En même
tems il eft enjoint aux Médecins de ne point
manquer , auffi-tôt qu'ils feront appellés par quelqu'un
attaqué de cette maladie , d'en avertir le
Tribunal de Santé , afin qu'on puiffe veiller à faire
exécuter le réglement.
DE GENES , le 12 Novembre.
Le Comte de Neuilly, Envoyé Extraordinaire
& Ministre Plénipotentiaire du Roi de France
auprès de cette République , arriva ici le 2. Ce
Miniftre ayant donné part de fon arrivée au Goμ-
vernement, on a député quatre Nobles pour alJANVIE
K. 1755. 205
ler le complimenter de la part du Sénat. Le Marquis
Ferdinand Spinola étoit à la tête de la députation.
Le 9 , le Comte de Neuilly eut audience
du Doge. Il a reçu enfuite les vifites de toute la
Nobleffe & des Miniftres étrangers. Le Marquis
Jerôme Grimaldi s'eft embarqué le 6 au matin fur
une Felouque , pour paffer à Marſeille . Il fe rendra
de là par terre à la Haye , où il va réfider
avec le caractère d'Ambaffadeur du Roi d'Eſpagne
auprès des Etats Généraux des Provinces - Unies.
GRANDE- BRETAGNE.
DE LONDRES , le 14 Novembre.
Aujourd'hui le Roi s'eft rendu à la Chambre
des Pairs avec les cérémonies accoutumées , & Sa
Majesté ayant mandé la Chambre des Communes ,.
a fait l'ouverture du Parlement par un fort beau
Difcours.
Le fieur Henriques vient de publier un nouveau
projet pour acquitter les dettes de la nation
, par le moyen d'une Lotterie qui durera dix
ans. Il en a remis aujourd'hui des copies à tous
les Membres de la Chambre des Communes.
Le 15 Novembre les Seigneurs préſenterent
au Roi leur adreffe , à laquelle Sa Majefté répondit
: » MYLORDS , je vous remercie des marques
>> que vous me donnez de votre affection & de vo-
» tre fidelité . Le zele que vous montrez pour ma
» perfonne & pour mon gouvernement , ne peut
» manquer de produire les meilleurs effets , tant
» au dedans qu'au dehors. Je n'uferai jamais de
>> votre confiance que pour le véritable intérêt de
» mon peuple.
206 MERCURE DE FRANCE.
FRANC E.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
Es Etats de la province de Bretagne ordonne-
Rennes un monument en mémoire de la convaleſcence
& des victoires du Roi , & ils chargerent
de l'exécution M. le Moine , Sculpteur de Sa
Majefté , & Profeffeur de l'Académie royale de
Peinture & de Sculpture. Ils ont la fatisfaction
de voir que l'ouvrage répond à la grandeur de
l'objet , à la dignité de la province , & à la répu
tation de l'Artiste. Ce monument eft compofe de
trois figures qui concourent à former une action .
Sur un piédeftal de quatorze pieds de haut , orné
de trophées & de drapeaux , eft la ftatue du Roi.
Il eft repréfenté , le bâton de commandement à
la main, & prêt à marcher à de nouvelles conquêtes.
La Déeffe de la Santé eft au côté droit
du piédeftal , tenant d'une main un ferpent qui
mange dans une patere qu'elle lui préfente de
l'autre main. On voit auprès de la Déeſſe un autel
entouré de fruits ,fymbole des voeux des peuples.
De l'autre côté du piédeftal eft la Bretagne ,
avec les attributs de la guerre & du commerce.
La joie qui fuccede à fes allarmes , éclate fur
fon vifage. La ftatue du Roi a onze pieds trois
pouces de haut , les deux autres font de dix pieds.
Toutes les trois font de bronze , ainfi que les
ornemens. On lit fur le piédeftal l'infcription fuivante
: Ludovico XV. Regi Chriftianiffimo , redi¬
JANVIER. 1755. 207
vivo & triumphanti , hoc amoris pignus &falutis
publica Monumentum Comitia Armorica poſuere.
Anno M. DCC. XLIV. Les Etats ont voulu folemnifer
par une fête éclatante la dédicace d'un
Monument qui leur eft fi précieux . Pour annoncer
qu'ils accompliffoient au ſein de la paix un
voeu formé pendant la guerre , ils avoient fait placer
en face du Monument cette autre infcription
, Victori voverunt , Pacificatori pofuere , la
quelle a été compofée , ainfi que la précédente ,
par M. Duclos , Hiftoriographe de France , &
l'un des quarante de l'Académie Françoiſe . Le
9 de ce mois , M. Le Moine , conduit par le Héraut
des Etats , fe préfenta à leur affemblée , &
leur annonça que tout étoit prêt pour la cérémonie.
Auffi-tôt ils arrêterent de la faire le jour fuivant
, & d'y affifter en corps. Ils envoyerent en
conféquence une députation prier les Commiffaires
du Roi & la Ducheffe d'Aiguillon de s'y
trouver. Le 10 , les Etats partirent en corps , pour
ſe rendre à la Place royale. Lorfqu'ils furent placés
, les Commiffaires du Roi , ayant le Duc d'Aiguillon
à leur tête , arriverent à Paffemblée , fuivant
le cérémonial qui avoit été réglé. La Ducheffe
d'Aiguillon & les Dames invitées étoient
aux fenêtres de l'Hôtel de Ville , & la principale
Bourgeoisie occupoit la maifon du Préfidial , qui
eft de l'autre côté. Le Héraut , revêtu de fa cotte
d'armes , monté fur un cheval caparaçonné , &
précedé de timbales & de trompettes , parut au milieu
de la place , & fit cette proclamation . DE LA
PART DES ETATS, Meffeigneurs & Meffieurs. » C'ef
» aujourd'hui que les Etats font la dédicace du
» Monument qu'ils ont fait ériger comme un gage
» de leur amour pour le Roi . Vive le Roi. » Tout
le monde répondit au cri du Héraut par la mê208
MERCURE DE FRANCE.
me acclamation. A l'inftant M. Le Moine fit
découvrir le Monument qui juſqu'alors avoit été
couvert d'un voile. Les Commiffaires du Roi s'étant
avancés devant le Monument , firent le falut
d'ufage. Après qu'ils fe furent retirés avec le même
cérémonial qui s'étoit obſervé à leur arrivée
les trois Ordres des Etats marchant chacun dans
fon firent le même falut. Ils retournerent
rang ,
enfuite au lieu ordinaire de leur aſſemblée , &
l'Evêque de Rennes leur déclara que le Roi , pour
donner à la Bretagne des marques de fa fatisfaction
, accordoit deux Abbayes dans l'Ordre du
Clergé , deux Compagnies de cavalerie , & quatre
places de Garde- Marine dans l'Ordre de la Nobleſſe
, & des Lettres de Noblefle à deux membres
du Tiers Etat. Les Etats répondirent par un cri
unanime de Vive le Roi. Ils envoyerent une députation
faire des remercimens au Duc d'Aiguillon
;ils ordonnerent une gratification de cinquante
mille livres à M. Le Moine , qui fut embraffé ſur
la place où fe faifoit la cérémonie , par M. le Com
mandant , les Commiffaires du Roi , & les Préfidens
des Ordres.
La fituation de la ville d'Avignon , baignée du
côté du couchant par les eaux du Rhône , qui , à
un quart de lieue de là , reçoit la Durance , la
rend fujette à de fréquentes inondations . On y en
effuya le 12 une auffi fubite que confidérable . Le
Rhône qui la veille , fur les quatre heures du foir,
n'avoit pas en divers endroits plus de quatre pieds
d'eau , augmenta de plus de trente dans les vingtquatre
heures , quoiqu'il fe fût étendu à plus de
demi- lieue au large. La Durance s'étoit de même
tellement enflée le 11 , qu'elle avoit crevé les
chauffées. Une partie de la ville d'Avignon s'eft
trouvée inondée , & fans les précautions qu'on a
JANVIER. 1755. 209
prifes , elle auroit extrêmement fouffert. On n'avoit
point vu le Rhône porter ſes eaux ni fi haut ,
ni fi loin , depuis l'année 1745 , pendant laquelle
il y eut trois autres inondations à peu près pareilles
dans ce même mois de Novembre.
Le Prince de Conty , Grand- Prieur de France ,
a chargé le Chevalier de Rupierre , Commandeur
de la Commanderie de Louvies , de faire la vifite
générale des Commanderies du Grand Prieuré.
Selon les nouvelles de Montpellier , on y a
effuyé une des plus horribles pluyes dont on fe
fouvienne. Elle commença le 11 à neuf heures du
matin , & ne finit que le lendemain matin à ſept .
Un violent ouragan qui s'y joignit , emporta
tout le gravier du chemin , depuis Montpellier
jufqu'à la Baraque de Coudognan , fituée à cinq
lieues de cette ville. Tous les parapets des ponts
furent abbatus. La chauffée du pont de Lunel fut
rompue en quinze endroits , & les bréches , ont été
fi profondes qu'on avoit de l'eau prefque jufqu'à
la ceinture. Les levées du Vidourle , riviere qui
paffe fous le pont de Lunel , ont été rompues auffi
en plufieurs endroits . Par ces divers accidens , la
plaine de Lunel & plufieurs cantons voisins ont
été entierement inondés. Le ruiffeau de Tave a
emporté le pont du grand chemin qui va de Ba
gnols à Avignon , & le chemin a été abfolument
impraticable pendant quatre jours . Le débordement
du Ceze a fort endommagé le pont qui eft à
Bagnols fur cette riviere.
A l'occafion de la rentrée du Parlement , M. de
Maupeou , Premier Préſident , a prononcé deux
harangues , l'une le 25 , l'autre le 27 du mois dernier.
Le fujet de la premiere harangue fut l'Amour
des Devoirs . Dans la feconde , M. de Maupeou
montra que la véritable grandeur du Magif
210 MERCURE DE FRANCE.
trat confifte à être un vraiCitoyen. M. d'Ormeffon.;
Avocat Général , prononça auffi le 25 du même
mois un Difcours dans lequel il fit le portrait de
L'Avocat.
Le 28 du mois dernier , le Marquis de Montmirel
prêta ferment de fidélité entre les mains da
Roi , pour la charge de Capitaine - Colonel des
Cent Suiffes de la Garde ordinaire de Sa Majefté .
Le même jour , les Etats de la province de Languedoc
ont fait à Montpellier P'ouverture de leur
affemblée.
Le fils du Comte de Sartiranne , Ambaffadeur
ordinaire du Roi de Sardaigne , fut tenu le premier
Décembre fur les Fonts de Baptême par le
Roi & la Reine , qui le nommerent Louis - Jofeph.
Le 3 , Don Jaime Maffones de Lima , Ambaffa.
deur extraordinaire du Roi d'Efpagne , eut une
audience particuliere du Roi , dans laquelle il préfenta
à Sa Majefté le Marquis Grimaldi , Ambaſſadeur
ordinaire du Roi fon Maître auprès des Etats
Généraux des Provinces Unies.
Une députation du Grand- Confeil vint le premier
Décembre remercier le Roi de la grace que
Sa Majesté a faite à cette Compagnie , de l'établir
au Louvre.
Le Roi ayant ordonné que toute l'Infanterie
Françoife battroit la même ordonnance , il a été
ordonné en conféquence à tous les Tambours Ma
jors des Régimens de fe rendre aux Invalides, pour
y être inftruits par le Tambour Major du Régiment
des Gardes Françoifes ; ce qui a été exécuté.
Le premier , tous ces Tambours fe rendirent à
Verfailles ; & dans la cour du Château , en préfence
de Sa Majefté , qui étoit à ſon balcon , toute
la nouvelle ordonnance fur battue avec une précifion
parfaite , foit en marchant , foit de pied
JANVIER. 1755. 211
ferme. Le Tambour Major du Régiment des Gardes
Françoifes ordonnoit les différentes batteries ,
& il y avoit dans les rangs quatre autres Tambours
dudit Régiment . Le Chevalier de Vaudreuil,
Lieutenant Général des Armées du Roi , & Major
du Régiment des Gardes Françoifes , accompagné
de deux Officiers Majors de ce Régiment , étoit
fous le balcon de Sa Majefté pour en recevoir les
ordres , & pour les donner au Tambour Major.
On a reçu avis que la nuit du 9 au 10 de Novembre
, un ouragan avoit caufé des dommages
très-confidérables dans la ville de Limoges & dans
les environs. Le vent a emporté les toits de la
plupart des maifons , & déraciné un grand nombre
d'arbres de toute efpece. Cet ouragan a été
accompagné de tonnerre & d'éclairs .
Le ro , le Bailly de Froullay , Ambaffadeur ordinaire
de la Religion de Malte , eut une audience
particuliere du Roi , dans laquelle il préfenta à Sa
Majefté une Lettre de félicitation du Grand Maître
fur l'heureux accouchement de Madame la
Dauphine , & fur la naiffance de Monfeigneur le
Duc de Berry. Le Bailly de Froullay fut conduit
à cette audience par M. Dufort , Introducteur des
Ambaffadeurs
f
Le Comte d'Eu a préfenté à Leurs Majeftés le
Comte de Roquefeuille , Lieutenant de vaiffeau ,
qui a été nommé Gouverneur du Prince de Lamballe
& du Duc de Châteauvilain , fils du Duc de
Penthievre.
Le Roi a accordé au Comte d'Herouville de
Claye , Lieutenant-Général de fes armées , & Infpecteur-
Général de l'Infanterie , le Commandement
de la province de Guyenne.
Sa Majefté a nommé fon Miniftre auprès du Roi
& de la République de Pologne M. Durand ,
212 MERCURE DE FRANCE .
Confeiller au Parlement de Metz , ci- devant chargé
des affaires de France en Angleterre & en Hollande.
23
Le 19 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix- huit cens quarante- fept livres , dix
fols. Les billets de la premiere Lotterie royale ,
& ceux de la feconde Lotterie n'avoient point de
prix fixe.
1
NAISSANCE , MARIAGES
& Morts.
E 11 Septembre , Françoife -Parfaite -Thaïs de
de S. Mauris , Marquis de Montbarey , Colonel
des Grenadiers de France , eft accouchée d'un fils
qui a été tenu fur les fonts le 28 du même mois ,
au nom du Roi de Pologne , Duc de Lorraine &
de Bar , & de Madame Adelaide , & nommé Ade-
Laide-Staniflas- Marie.
Meffire François-Jofeph , Marquis le Danois
fils de feu Meffire Louis-Hubert le Danois , Marquis
de Joffreville , Mettre de camp de Cavalerie ,
& de feue Dame Anne - Elifabeth le Begue , époufa
le 15 Octobre au Château de Roifme , près de
Valenciennes , Demoiſelle Marie- Françoiſe- Colette
le Danois de Cernai , fille de Meffire François
le Danois , Marquis de Cernai , Lieutenant
Général des armées du Roi , & Commandeur de
l'Ordre royal & militaire de S. Louis ; & de Dame
Jeanne - Françoife - Henriette - Colette de la
Pierre. Leur contrat de mariage avoit été figné
par leurs Majeftés . La bénédiction nuptiale leur a
JANVIER. 1755. 213
été donnée dans l'Eglife de la Paroiffe , par M.
P'Abbé de Ste Aldegonde , Aumônier du Roi-
Le 26 du mois de Novembre , fat célébré
dans l'Eglife de S. André des Arcs à Paris , le ma
riage de Meffire Jean - François del Puech de Comeiras
, Chevalier de l'Ordre royal & militaire
de S. Louis , Capitaine au Régiment de Cavalerie
de Saluces , fils mineur de Meffire François del
Puech de Comeiras , Chevalier de l'Ordre royal
& militaire de S. Louis , Brigadier des armées du
Roi ; & de Dame Anne de Bédos , avec Demoifelle
Anne - Madeleine - Françoife Lallemant de
Montlangault , fille mineure unique de Meire
André Lallemant , fieur de Montlangault , & de
Dame Anne-Nicolle Sauré.
La nobleffe de la famille del Puech , en latin de
Podio , étoit très - ancienne en Languedoc avant
le XIV fiécle . On trouve dans l'hiftoire générale
de cette province plufieurs Gentilshommes , du
nom de Podio , qui y tenoient un rang diftingué
dans les XI , XII & XIII fiécles.
Jean del Puech , Seigneur de Comeiras , ayeul
de M. de Comeiras, qui a donné lieu à cet article.
Louis del Puech , Seigneur de la Loubiere , Major
du Régiment d'infanterie de Montalet , Ifaac
del Puech , Lieutenant au Régiment de Dragons
de Languedoc , Rhodier & Jean del Puech freres,
ayant été affignés devant les Commiffaires géné
raux du Confeil pour l'exécution des ordres du
Roi dans la recherche de la Noblefle , prouverent
unefiliation fuivie depuis Pierre del Puech , Chevalier
, leur dixieme ayeul , qui vivoit l'an 1321 ,
dont les Domaines & Seigneuries s'étendoient
-dans les Cevennes , pays du bas Languedoc , & en
conféquence obtinrent le 2 Juillet 1717 un arrêt ,
au rapportde M. de Machault , Maître des Requê
214 MERCURE DE FRANCE.
tes , fur les conclufions du Procureur général du
Roi en la commiffion , par lequel ils furent déchargés
de toute affignation , & maintenus &
gardés dans leur ancienne nobleffe d'extraction.
Cet arrêt a été enregistré à la Chambre des Comptes
, Aides & Finances de Montpellier fur les conclufions
du Procureur genéral du Roi , le 10 Décembre
1721. , & au bureau des Finances de la
Généralité de Montpellier , fur les conclufions du
Procureur du Roi , le 18 Mai 1725.
Les armes de la famille del Puech font de
gueules , à un château d'argent , donjonné de trois
Tours de même , maçonné de fable.
LE 26 Août dernier eft décédée Dame Genevieve
- Bafile - Suſanne d'Aine , épouse de Meffire
Paul Tiry de Holbach , Baron de Heeffe.
Le 4 Septembre eft mort Meffire Jean- Baptiste-
Félicien de la Sône , fils de N .... Marquis de la
Sône , Maréchal de camp.
Louife- Magdeleine de Fay de la Tour - Maubourg,
époufe de Charles - François- Chriftian de
Montmorenci-Luxembourg , premier Baron Chrétien
de France , Prince de Tingri , Souverain de
Luxe , Comte de Beaumont , Marquis de Bréval ,
Lieutenant général des armées du Roi , Lieute
nant général pour ſa Majesté dans la province de
Flandre , Gouverneur & grand Bailli de Mantes
& de Meulans , & du pays Mantois , mourut à Paris
le 15 , dans la vingtieme année de ſon âge.
Le même jour est décédée Dame N ..... d'Ermenonville
, époufe de Meffire Gedeon-François
Lombard , Vicomte d'Ermenonville.
Dame Marie-Flore-Aglaé de Freſnoy , Vicomteffe
de Berck , épouse de Meffire Ferdinand ,
Comte de Grammont , Brigadier de Cavalerie , &`
JANVIER. 1755. 215
eft Me ftre de camp d'un Régiment de fon nom
morte le 17 aux eaux de Mont - d'or , en Auvergne
, âgée de vingt - huit ans .
Le Sr Charles- Antoine le Clerc de la Bruere ,
Secrétaire d'Ambaffade de France , & chargé des
affaires du Roi Très- Chrétien à Rome , depuis le
départ du Duc de Nivernois , eft mort à Rome le
18 , agé d'environ trente-huit ans. Son corps a
été inhumé dans l'Eglife de S. Louis de la nation
françoife- Il étoit de l'Académie della Crufca , &
de celle degli Arcadi.
Meffire Gabriel- Louis- Henri de Caulincourt ,
Aumônier du Roi , Doyen du Chapitre des Andelys
, & Abbé de l'Abbaye de S. Juft , Ordre de Prémontré
, Diocèſe de Beauvais , eft mort aux Andelys
le 18 dans fa trente - huitieme année.
Le 20 eft décédée Dame Erneftine- Marguerite
Comteffe de Welderin.
Le 26 eft décédée au Château de S. Germain ,
dans la Marche , Anne- Bonne Doublet de Perlan ,
veuve depuis le 9 Mars 1752 , d'Armand - Louis-
François Foucaud , Marquis de S. Germain- Beaupré
, Brigadier de Cavalerie , Gouverneur de la
haute & baffe Marche .
:
Dame Henriette - Marguerite de Beffet , Dame
de la Chapelle- Milon , épouse de Mefire Denis-
Louis d'Hozier , Confeiller du Roi en fes Confeils
, Préfident en la Cour des Comptes , Aides
& Finances de Normandie , eft morte à Paris le
30 Octobre 1754 , âgée d'environ dix- neuf ans.
Voyez ce qui a été dit fur ces deux familles dans
le Mercure de Juin 1752 , feconde partie , & dans
celui d'Août de cette année.
216
AP
PROBATION.
J'ier, le Mercure de Janvier , & je n'y ai rien
' Ai lû , par ordre de Monſeigneur le Chancetrouvé
qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris
, ce 2 Janvier 1755 . GUIROY.
TABLE.
AVant-propos,
Daphné , Romance ,
Les réputations mifes au creufet ,
page iij
IS
18
Pandore , ou l'origine des paffions, par M.Yon , 36
Le Pigeon & le Coq , Fable ,
-Adelaïde , ou la Femme morte d'amour ,
Vers à Pauline ,
Epître à une veuve ,
Nouveau Dialogue des Morts ,
Remerciment à M. d'Ammon ,
Reproches à Menitte ,
47
49
19
60
62
69
70
Le Miroir , par M. de Marivaux , 71-
Mots de l'Enigme & des Logogriphes du fecond
volume de Décembre ,
Chanfon , Etrennes ,
Enigme & Logogryphe ,
Nouvelles Littéraires
Séance publique de l'Académie Françoiſe ,
-Sciences & Belles- Lettres ,
102
ibid.
105
107
142
147
Séance publique de PAcadémie des Infcriptions &
Belles- Lettres , 173
Séance publique de l'Académie des Sciences , 177
Beaux-Arts ,
Spectacles ,
Nouvelles Etrangeres ,
187
193
203
France. Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 206
Naiffance , Mariages & Morts ,
La Chanfon notée doit regarder la page 105.
De l'Imprimerie de Ch . A. JOMBER T.
212
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
FEVRIER , 1755.
Diverfité, c'est ma devife. La Fontaine.
Chez
Cochin
Filius inv
PapillonSculp
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais .
PISSOT , Quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques,
Avec Approbation & Privilege du Roi.
AVERTISSEMENT.
E Bureau du Mercure eft chez M.
LLUTION, Avocat, & Greffier - Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis an
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers .
C'eft à lui qu'on prie d'adreſſer , francs
de port? les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. de Boilly ,
Auteur du Mercure.
Le prix eft de 30 fols , & l'on payera
d'avance , en s'abonnant , ou 10 liv . 10 fols
pour un femeftre , on 21 livres par année , à
raifon de quatorze volumes , ainſi qu'il eſt
d'ufage pour les autres Journaux . Les voiumes
d'extraordinaire feront également de 30
fols, fe payeront avec le femeftre ou l'année
qui les fuivront.
>
L'abonnement pour les perfonnes de province
fera de 3 livres 10 fols par année
ou de la moitié par femeftre , à caufe des frais
de la pofte, & autres extraordinaires.
On les fupplie d'envoyer par la pofte , en
payant le droit , le prix de leur abonnement ,
on de donner leurs ordres , afin que le payement
enfoit fait d'avance au Bureau.
A ij
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
resteront au rebut.
L'on trouvera toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi , Mercredi
& Jeudi de chaque femaine , aprèsmidi.
MERCURE
DE FRANCE.
FEVRIER . 1755 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
EPITRE
A Mme LACOMTESSE DE J **.
V
SUR SON MARIAGE.
PAR M. DE M ***.
Ous l'avez dit , belle Sophie ,
Ce mot décififpour la vie ,
Dont jamais on ne fe dédit,
A iij
6. MERCURE DE FRANCE.
Tout haut l'Hymen s'en glorifie ;
Tout bas l'Amour s'en applaudit.
Votre ame à ces Dieux facrifie !
En vous voyant qui l'eût prédit ,
Modefte & timide Sophie ,
Qu'enfin .... qu'enfin vous l'auriez dit
Trompé par la candeur naïve
De vos regards & de vos traits ,
?
» Non , difois-je , elle eft trop craintive ,
» Elle ne l'ofera jamais.
Amour , ton heure décifive
N'attend ni les fi , ni les mais
Et tout eft dit lorfqu'elle arrive.
Peut-être au moment que j'écris,
Le plus fortuné des maris . ...
Ah ! qui n'envîroit fon partage !
C'eſt lettre clofe ; mais je gage
Qu'il en connoît trop bien le prix
Pour n'en pas tirer avantage .
Avouez que le mariage
Eft plaiſamment imaginé ;
Auriez-vous jamais deviné
Tous les myſteres du ménage ?
La veille tout eft défendu :
On eft avec fon prétendu
D'un maintien plus froid qu'une image.
Le jour arrive , on vous bénic ;
FEVRIER.
17550 7
L'amour s'en mêle & vous unit :
Autre maintien , nouveau langage.
Sans rougir on entend les voeux
De l'amant dont on eft charmée :
La pudeur , loin d'être allarmée ,
Sourit aux plaifirs amoureux :
La nouvelle Eve eft animée ,
Le nouvel Adam eft heureux.
Tout change , & fous de doux aufpices ,
Du fameux jardin des délices
La porte s'ouvre encor pour eux.
Là cette aimable ſympathie
De goûts , d'humeurs & de defirs ;
Là , cette tendre modeftie ,
Voile & parure des plaifirs ;
Là , cette confiance intime ,
Fille & compagne de l'eftime ,
Viennent charmer d'heureux loifirs.
Deux coeurs , d'une paix fortunée ,
Refferrent les noeuds tour à tour ;
Et la volupté dans fa cour
Reçoit la vertu couronnée
Des fleurs que fait naître l'Amour ,
Et que moiffonne l'Hymenée.
Tel eft ce riant paradis
Où vous venez d'être introduite :
Mieux que moi vous êtes inftruite
De tout ce que je vous en dis.
&
A iiij
8 MERCURE DE FRANCE.
Sur la foi d'autrui j'imagine
Le bonheur que vous refientez ,
Et cette demeure divine ,
Je la décris , vous l'habitez ,
Des plaifirs & de la fortune ,
Les Poëtes parlent fouvent ;
Nous y voyageons en rêvant
Comme Cyrano dans la Lune.
Vous , pour qui ces liens ne
font
pas ,
Comme pour nous , un vain menſonge ,
Goûtez long-tems tous les appas
D'un féjour que je vois en fonge.
Un fruit de cet arbre fatal
Qui l'inftruifit trop bien du mal ,
En a chaffé la premiere Eve.
Hélas ! elle y feroit encor ;
Et pour elle cet âge d'or
N'eût point difparu comme un rêve ,
Si , comme vous , elle avoit eu
Pour guide l'auftere vertu * *
Dont vous êtes la digne éleve.
** Madame H **.
FEVRIER. 1755. 9
IL EUT RAISON.
C
CONTE MORA L.
' Etoit un homme fenfé qu'Azema . Il
ne vouloit point fe marier, parce qu'il
fçavoit qu'on trompe tous les maris , & il
fe maria. On lui propofa deux partis ; l'un
étoit une jeune beauté qu'il aimoit , & qui
lui eût été fidele : l'autre étoit une veuve ,
qui lui étoit indifférente , & qui ne l'étoit
pas pour tout le monde. C'eft ce qu'on lui
fit connoître clairement. Cette derniere
fut l'objet de fon choix , & il eut raiſon .
Ceci a l'air d'un paradoxe , cela va devenir
une démonftration . Irene , mere d'Azema
, fe fentant près de fa derniere heure,
fit venir fon Génie de confiance , & lui tint
ce difcours fenfé : prenez foin , je vous prie ,
de l'éducation d'Azema , appliquez vous
à lui rendre l'efprit jufte , qu'il voye les
chofes comme elles font ; rien n'eft plus
difficile , il eft jeune. Qu'il ait les erreurs de
fon âge , pour en fentir le faux ; qu'il fréquente
les femmes , qu'il ne foit pas méchant
; on doit fe former l'efprit avec leurs
agrémens , excufer leurs défauts , & profiter
de leurs foibleffes.
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Lorfqu'il aura vû le monde , & qu'il en
fera dégoûté , qu'il finiffe par fe marier ,
afin d'avoir une maifon qui foit l'afyle
d'une compagnie choifie . Le bonheur d'un
jeune homime, c'eft d'être toujours avec les
autres ; le bonheur d'un homme raiſonnable
, c'eft d'être fouvent avec foi-même.
Il est bien plus doux de recevoir fes amis ,
d'aller voir fes connoiffances . L'amitié
eft la volupté de l'âge mur.
que
Irene expira après avoir dit tant de belles
chofes. Elle n'avoit rien de mieux à
faire. Il y auroit une grande mortalité , fi
l'on ceffoit de vivre lorfqu'on n'a rien de
bon à dire.
Le Génie attendit qu'Azema eut quinze
ans , & lui parla ainſi : on m'a recommandé
de vous rendre prudent.Pour le devenir,
il faut faire des fottifes ; vous ne croiricz
peut- être pas que pour cela on a quelquefois
befoin de confeils ; je préfume cependant
que vous pourrez vous en paffer ; je vous
laiffe jufqu'à ce que vous ne fçachiez plus
quel parti prendre ; je ne vous abandonne
pas pour long-tems. Azema fe confondit
en remercimens fort plats , fort mal tournés.
Je ne vous ai pas recommandé , interrompit
le Génie , de dire des fottifes ,
mais d'en faire. Agiffez toujours , & toutes
les fois que vous voudrez parler , ayez
l'attention de vous taire.
FEVRIER. 1755 I[ .
par
Après ces mots il difparut. Azema , livré
à lui- même , voulut fe donner l'air de
refléchir aux fautes qu'il commettroit
préférence ; on ne peut les choifir qu'en
les connoiffant , & ce font de ces connoiffances
qui ne s'acquierent qu'en chemin
faifant. D'ailleurs un jeune homme
avantageux ne fait des fottifes qu'en cherchant
à s'en garantir . Il avoit une préfomption
qui promettoit beaucoup ; un
air capable eft prefque toujours l'étiquette
du contraire . Son début fut brillant ; il
étoit d'une ancienne nobleffe , fans pouvoir
cependant dire un homme de ma maifon.
Il ne diftingua pas cette nuance , il
dédaigna les vertus fimples & obfcures d'un
bon Gentilhomme , & préféra les vices
éclatans d'un grand Seigneur. Il eut un
équipage de chiens courans , grand nombre
de chevaux , plufieurs carroffes , des
coureurs , trois cuifiniers , beaucoup de
maîtreffes , & point d'amis. Il paffoit fa
vie à tâcher de s'amufer ; mais fes occupations
n'étoient que le réfultat de fon defoeuvrement.
Le fonds de fon bien s'évanouit en peu
de tems ; il éprouva qu'un homme de
condition né riche ne fait jamais qu'un
homme de qualité fort pauvre. Il fe trouva
ruinéfans avoir feulement effleuré le plai-
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
fir , & vit trop tard que le bonheur s'obtient
& ne s'achete point.
Preffé par fes créanciers , trompé par fes
maîtreffes , délaiffé par fes parafites , il
s'écria , au deſeſpoir ! je ne fçais plus que
faire. Il entendit une voix aërienne , qui
prononça ces mots : Gagne bien des fontanges.
Voilà une jolie reffource , dit Azema ,
je n'aurois pas cru que pour rétablir mes
affaires , il fallût m'adreffer à Mlle Duchapt
. L'abfurdité de ce confeil le plongea
dans la rêverie . Il marcha long-tems fans
s'en appercevoir ; la nuit le furprit. Il fe
trouva dans un bois . Il fuivit une route ;
cette route le conduifit à un palais . Il fe préfenta
à la grille. Elle étoit gardée par un
Suiffe qui avoit un baudrier tout garni de
pompons ; & quoique Suiffe il portoit fous
ce baudrier une crevée de fontanges . Cet
ajuſtement en impofa à Azema . Monfieur ,
lui dit- il , j'ai fans doute l'honneur de parler
au Génie du fiécle . Mon ami , lui répartit
le Suiffe , vous ne vous connoiffez
pas en Génies ; j'appartiens à la Fée aux
Fontanges . Ah ! voilà ma femme , reprit
vivement Azema. Il s'agit de fçavoir fi
vous ferez fon homme , répondit froide-,
ment le Suiffe : je vais vous remettre entre
les mains de fon Ecuyer. L'Ecuyer le re-.
garda fans dire un mot , l'examina trèsFEVRIER
. 1755. 13
férieufement , & ne proféra que ces paroles
, il faut voir , prenons l'aune de Madame.
Il alla chercher une grande canne ,
mefura Azema , & dit d'un ton de protection
cela fe peut . Alors il le quitta , revint
un inſtant après , introduifit Azema
dans un appartement fuperbe , & l'y laiſſa ,
en lui repétant : Gagnez bien des fontanges .
Il fut un bon quart d'heure fans croire
qu'il fût avec quelqu'un . Il entendit enfuite
une voix grêle , qui crioit du fond d'un
grand lit ,Roufcha , Roufcha . Cette Roufcha
parut en difant , que plaît- il à Madame ?
Cet étranger , répondit la Fée. Tirez mes
rideaux ; eh mais vraiment , pourfuivit- elle,
ce jeune homme eft affez bien . Retirezvous
, Roufcha , j'ai des confeils à lui demander.
Roufcha fe retira en difant à Azema :
Gagnez bien desfontanges . Azemia , en voyant
la Fée fur fon féant , fut pénétré de refpect
, & demeura immobile. Jeune homme,
approchez -vous donc , dit la Fée : le jeune
homme recula. Qu'eſt - ce que c'eſt donc
continue la Fée , que ce petit garçon là qui
eft timide , & qui ne fait point de cas duruban
? En achevant cette phrafe , elle étala
aux yeux d'Azema un couvre-pied brodé
de fontanges , qui étoient faites de diamans.
Ah , Madame , s'écria-t- il , le beau
14 MERCURE DE FRANCE.
couvre-pied ! Eft- il de votre goût , dit la
Fée ? penfez - vous qu'il vous tiendroit
chaud Je ne demande pas mieux que de
vous le céder ; mais vous ne pouvez l'avoir
qu'en détail . J'en détacherai une fontange
à chaque trait d'efprit de votre part. Comment
, reprit vivement Azema , il ne faut
que de cela ? je vais vous enlever toutes
vos fontanges : je puis vous affurer , répartit
la Fée , que je ne les regretterai pas.
Il eft vrai , pourfuivit - elle , que je fais
difficile .
que
On fervit le fouper à côté du lit de la
Fée. Azema fe roua pour avoir de l'efprit.
Epigrammes , jeux de mots , méchancetés ,
chofes libres , anecdotes, rien ne fut oublié,
& rien ne prit ; il avança même que Nicomede
étoit une tragédie héroï- comique , fans
la Fée fe mît en devoir de lui donner
la plus petite fontange. Elle mangeoit
beaucoup , & ne difoit pas un mot . Elle fit
deffervir , & dit à Azema , mon cher enfant
, eft ce là ce qu'on appelle de l'efprit
dans le monde ? Oui , Madame , répondit
Azema : eh bien , reprit la Fée , mes fontanges
ne feront pas pour vous . Azema lui
propofa de les jouer au trictrac ; la Fée y
confentit. Il joua d'un fi grand bonheur ,
qu'il en gagna beaucoup rapidement , tant
il est vrai qu'on fait plutôt fortune
par le
FEVRIER . 1755. 15
jeu que par l'efprit : mais tout à coup la
chance tourna , il alloit tout reperdre. La
Fée en eut pitié , & lui dit , demeurons- en
là ; j'attens ce foir quelqu'un dont le bonheur
eft moins rapide , mais plus foutenu .
Croyez-moi , quittez ce Palais ; tirez parti
de vos fontanges , & ne les perdez pas
fur-tout comme vous les avez gagnées.
Azema profita de l'avis , vendit fes pierreries
, retira fes terres , reparut dans le
monde , & fe mit en bonne compagnie .
On a beau la tourner en ridicule , ce n'eft
que là qu'on apprend à penfer . Il eut même
le bonheur d'y devenir amoureux d'une
femme raifonnable. Dès cet inftant il
abjura tous fes faux airs ; il tâcha de mettre
à leur place des perfections . Il vit que
pour triompher d'elle , il falloit l'attendrir
& non pas la réduire ; l'un eft plus difficile
que l'autre. Une femme fenfée eft toujours
en garde contre la féduction , il n'y a que
l'eftime dont elle ne fe défie pas : elle s'abandonne
au charme de fon impreffion ,
fans en prévoir les conféquences , & fouvent
fe livre à l'amour en croyant ne fuivre
que la raifon.
Voilà ce qui fait les vraies paffions. La
volupté naît du principe qui les a fait naî
tre , & le plaifir de voir qu'on ne s'eft
trompé , garantit toujours leur durée.
pas
16 MERCURE DE FRANCE.
propo-
Azema , dans fon yvreffe , defiroit que
l'Hymen l'unît à un objet fi eftimable ;
mais il eut affez de fentiment pour n'en
rien faire . On ne doit point fonger au mariage
par refpect pour l'amour ; l'autorité
de l'un découvre trop les myfteres de l'autre
Sa maîtreffe en étoit fi perfuadée ,
qu'elle fut la premiere un jour à lui
fer plufieurs partis. Elle lui fit envifager
qu'à un certain âge il eft de la décence
de fe marier , pourvû que l'on ne foit
point amoureux de fa femme. Il étoit fenfé
, mais il étoit peureux . Effrayé de l'ennui
qui affiége un vieux garçon & des
dangers que court un vieux mari , il s'écria
, ô mon Génie tutélaire , m'abandonnerez-
vous ! Le Génie parur , & lui dit :
que me veux - tu ? Me marierai - je , reprit
Azema ? Sans doute , répondit le
Génie. Oui ; mais , pourfuivit l'autre en
tremblant , ferai - je ? ..... Suis moi , interrompit
le Génie , je vais voir fitu fçais
prendre ton parti . Dans l'inftant il le tranfporta
dans un palais rempli des plus jolies
femmes.
La vivacité de leur efprit augmentoit
encore celle de leur beauté : elles ne parloient
point d'amour en foupirant , elles
ne prononçoient fon nom qu'en riant. La
Gaieté étoit toujours occupée à recevoir
FEVRIER. 1755. 17
des fleurs de leurs mains pour en former
les chaînes de leurs amans. Quoique mariées
, elles avoient l'air content ; mais les
maris n'avoient pas le même uniforme ; ils
faifoient aller la maifon , & n'y paroiffoient
point : on prioit en leur nom , mais on n'y
juroit pas ; & lorfque par hazard ils vouloient
fe mettre de quelque fouper , ils y
faifoient la figure la plus trifte ; ils étoient
environnés des ris , & paroiffoient avoir
toujours envie de pleurer. Ils reffembloient
à ces efclaves Chinois , qui portent des
tymbales fur leurs épaules , & fur leſquelles
on bat la marche du plaifir , fans les y
faire participer. Azema trouva ce lieu fort
amufant. Il y eut même une Coquette qui
l'auroit époufé , pour en faire un repréfentant.
Il demanda du tems , & confulta le
Génie . Je vois ce que vous craignez , lui
dit fon protecteur , & je dois vous raffurer
en vous apprenant que c'eft ici le féjour
de la fidélité. Les amans y font en titre
, & n'y font jamais en charge ; les femmes
y font fages , avec l'apparence du dérangement
, & les maris n'y ont que l'air
de la fottife. C'eft donc le pays des dupes ,
reprit Azema c'eft fon vrai nom , répartit
le Génie : vifitons en un autre. Il le conduifit
dans une ville voifine , & le préfenta
dans une maifon où il fe raffembloit
18 MERCURE DE FRANCE.
des gens aimables , qui prévenoient ceux
qu'ils ne connoiffoient pas , & qui n'aimoient
que ceux qu'ils eftimoient. Un efprit
liant , des moeurs douces , une ame fimple
& fenfible caracterifoient la maîtreffe
de cette maifon. Elle étoit amoureuſe fans
ceffer un feul inftant d'être décente & honnête.
Polie avec fes connoiffances , gaie
avec fa fociété , pleine de confiance , d'égards
& d'attentions pour fon mari , elle
le confultoit moins par befoin quepar refpect
pour elle même ; elle avoit foin de
n'inviter que gens qui lui convinffent autant
qu'à elle ; elle vouloit qu'il fut fûr
quand il lui prenoit envie de rentrer chez
lui , d'y être fêté comme un ami aimable ,
qui arrive fans qu'on s'en foit flaté.
Elle étoit perfuadée avec raifon , que le
peu de cas qu'on fait d'un mari n'eft ja
mais qu'aux dépens de fa femme , & qu'on
ne doit fa confidération qu'à celui de qui
l'on tient fon état.
Azema fut enchanté du ton qui regnoit
dans cette maifon ; il y fit connoiffance
avec une veuve qu'il eftima , fans aucun
fentiment plus tendre.
Le Génie le mena dans plufieurs autres
fociétés , dont la premiere étoit l'image. Je
fuis bien fûr , lui dit Azema , que de toutes
ces femmes là il n'y en a pas une qui ne
FEVRIER. 1755. 19
foit fidele à fon mari. Vous vous trompez
, répliqua le Génie , il n'y en a pas une
feule qui n'ait fon affaire arrangée . Il eſt
aifé de rendre un amant heureux fans que
cela prenne fur le bonheur d'un époux ;
il ne s'agit que de refpecter l'opinion . Une
femme étourdie fait plus de tort à fon mari
qu'une femme fenfée & tendre .
Azema tomba dans la méditation , s'en
tira comme d'un profond fommeil , & parla
ainfi Et vous dites , Monfieur , qu'il
faut abfolument me marier. Oui , fans
doute , répondit le Génie , le garçon le plus
aimable , quand il eft vieux , doit fonger
à s'amufer & à fe garantir d'être incommode.
En prenant une femme , il remplit ces
deux objets ; à un certain âge on ne peut
plus joindre le plaifir , mais il y a toujours
des moyens fürs de l'attirer chez foi :
l'homme qui a été le plus recherché dans
fa jeuneffe ne vit qu'un certain tems fur
fa réputation on le fupporte , mais il attrifte
, la gaieté des autres fe trouve enveloppée
dans fes infirmités. Si au contraire
il rient une bonne maiſon , on ſe fait un
devoir d'aller lui rendre des refpects ; & fa
femme , lorfqu'elle eft aimable , devient
un voile couleur de rofe qui couvre ſa
caducité.
Me voilà déterminé , s'écria Azema , je
20 MERCURE DE FRANCE.
veux me marier , & je vais peut - être vous
étonner. Si j'époufe cette Coquette que
j'ai trouvée dans le palais des dupes , elle
me fera fidele , mais on n'en croira rien ,
& pour lors on m'accablera de brocards.
Souvent un mari paffe pour une bête ,
moins parce qu'il manque d'efprit que
parce qu'il joue le rolle d'un fot .
Si je m'unis à cette veuve que j'aiconnue
ici , elle aura un amant , je l'avoue ; mais
cet amant fera un galant homme , qui fera
digne d'être mon ami . Il aura des égards
pour moi , & j'en tirerai peut- être un meilleur
parti que ma femme même.
Tel fut le raifonnement d'Azema . En
conféquence il fe propofa à la veuve , fut
accepté , & l'époufa . Il eut raison.
FEVRIER. 1755. 21
LA MEMOIRE ET L'OUBLI ,
O
FABLE.
N lit que la Divinité
Qui préside à notre Mémoire ,
Voyageoit un jour à côté
Du fleuve qu'on nomme Léthé,
Et qui dans l'Oubli nous fait boire.
L'une devoit aller loger chez la Bonté ,
C'étoit la Mémoire obligeante ;
Et l'autre fe fixer chez la Malignité ,
Pour le bien de l'humanité.
Nos voyageurs fe féparerent
Dans certain endroit limité ;
Mais par malheur ils s'égarerent .
Quelque démon , fans doute , en chemin apofté ,
Caufa cette fatalité.
Quoiqu'il en foit , près du Parjure ,
De la Malice & de l'Injure ,
La Mémoire eut bientôt domicile établi ;
Mais par une trifte aventure
Ce furent les Bienfaits qui logerent l'Oubli.
Puiffe un jour la reconnoiffance
Réparer ici-bas ce fatal quiproquo ;
Au fond de tous les coeurs ce defir prend naiffance
Ma Mufe n'en eft que l'écho .
22 MERCURE DE FRANCE.
Les Modernes font - ils en effet plus éclairés on
plus avancés que les Anciens dans le chemin
de la vérité ? *
la Ly a long- tems qu'on a dit
I premiere fois quel'erreur étoit le partage
de l'homme ; mais il eft étonnant que
dans les fiécles les plus éclairés on n'ait
pas moins occafion de le dire que dans
ceuxque nous appellons faftueufement fiécles
d'ignorance. On a l'obligation au hazard
de quantité de découvertes avec lefquelles
on eft parvenu à détruire de vielles
erreurs ; mais les a- t- on remplacées par
des vérités neuves ? les hommes ont - ils
fait effectivement quelques pas depuis
qu'ils fe vantent de n'être plus dans les ténébres
? fçavent - ils être plus heureux ,
meilleurs , ou font - ils du moins plus
exempts de préjugés , ce qui feroit en effet
une fuite des progrès qu'ils auroient faits
dans la recherche de la vérité ? A la honte
de l'efpece on n'apperçoit aucun de ces
* Quoique ce morceau ait l'air d'être traité férieufement
, j'ai cru devoir plutôt le ranger dans
cet article que dans celui des fciences , par la raifon
qu'il en fait moins l'éloge que la critique , &
qu'il paroît être le réfultat des doutes d'un homme
d'efprit plutôt que des difcuffions d'un fçavant.
FEVRIER . 1755. 23
fruits ; l'humanité paye toujours le même
tribut à l'erreur , aux vices , aux miferes
de fa condition : c'est donc à tort qu'elle
fe vanteroit d'être plus éclairée , & que
notre âge prétendroit la moindre préférence
fur ceux qui l'ont devancé.
On ne croit plus , avec S. Auguftin , que
les antipodes ayent la tête en bas ; avec
Prolomée , que le ſoleil tourne , ni qu'il y
ait des cieux de cryſtal ; avec Ariftote , que
la nature ait horreur du vuide , ni que de
petits atomes crochus ayent formé par hazard
le monde que nous admirons , comme
le penfoit Epicure. On a découvert
malgré la Bulle d'un Pape qui prefcrivoit
de n'en rien croire , qu'à l'extrêmité de no
tre globe il fe trouvoit des êtres penfans à
peu- près comme nous , chez qui , fur l'opinion
que nous pouvions exifter auffi
bien qu'eux , on n'avoit jamais inquiété
perfonne , c'est-à- dire qu'à l'afpect d'un bâtiment
fort élevé , nous avons entrevû
long- tems que les derniers appartemens
pouvoient être occupés comme les
miers , & qu'après avoir parcouru pendant
bien des fiécles notre petite planete , fans
nous douter qu'elle en fut une , nous avons
fait enfin l'importante découverte que
nous ne l'habitions pas feuls. Les Efpagnols
orgueilleux de cet effort de leur ima
pre24
MERCURE DE FRANCE .
gination , exterminerent fans pitié des nations
entieres , parce qu'elles avoient beaucoup
d'or & point d'artillerie , & qu'elles
s'avifoient de vouloir fe gouverner par les
loix de leur pays. Ainfi la moitié du monde
eut à gémir de la curiofité de l'autre .
A l'aide d'une longue lunette , dont la
premiere idée appartient à des enfans , qui
n'eurent d'autre maître que le hazard ou
l'envie de jouer , on a fait quelque pas
dans l'Aftronomie ; le mouvement de ro-.
tation du foleil a paru démontré , on a
cru voir les Satellites de quelques planetes
; on a déterminé le nombre des étoiles 3:
on a fort ingénieufement remarqué que:
les aftres feroient néceffairement immo->
biles dans des cieux de cryftal ou de toute
autre matiere folide , & peu s'en fautqu'on
ne trouve Ptolomée ridicule , parce
que de fon tems des enfans ne s'étoient.
pas encore imaginés de faire un télescope.
Cependant on n'a pas mieux défini que lui
de quelle matiere étoit le ciel. Les mouvemens
des aftres mieux obfervés depuis l'invention
des lunettes , ont feulement perfuadé
qu'elle devoit être fluide ; mais que
dans cet efpace où les aftres font leurs
révolutions , il n'y ait que du vuide , comme
il paroît que Newton l'a penfé , ou
qu'il n'y foit femé que par intervalles , fe-
-
(*
lon
FEVRIER. 1755. 25
lon le fentiment de Gaffendi , ou qu'il foit
impoffible , comme l'imaginoit Descartes ,
c'est un problême que l'imagination peut
s'égayer à réfoudre , qui fera produire encore
une infinité de fyftêmes qu'on ne
prouvera point , car l'ufage eft de fuppofer
, mais qui rendront exactement raifon
de tous les phénomenes de la nature ; ce
feront de nouvelles rêveries fubftituées
aux anciennes . Heureufement que ce problême
n'eft pas infiniment utile au bonheur
de l'Etat ou de la fociété.
Qu'on ait affujetti les éclipfes au calcul
invention qui peut - être ne fait pas tant
honneur à l'efprit humain qu'on pourroit
l'imaginer , puifqu'un peuple qui n'eft pas
autrement fçavant , quoiqu'on ait bien
voulu le faire paffer pour tel , en fait ufage
depuis un tems immémorial ; qu'à la
faveur de l'expérience de Pafcal , on ait
foupçonné la pefanteur & le reffort de l'air,
qu'on ait fait enfin de fi grands progrès
la Phyfique expérimentale ; c'eft qu'il
eft tout naturel que les derniers venus
foient mieux inftruits de ce qui fe paffe
dans une ville , que ceux qui en font partis
les premiers. Nous avons profité des
petits journaux que nos peres nous ont
laiffés , & nous en faifons de petits à notre
tour que nous laiffons à nos neveux , qui
B
26 MERCURE DE FRANCE.
en feront encore après nous ; mais ils feroient
auffi ridicules de s'enorgueillir
beaucoup de leurs nouvelles découvertes ,
& de nous traiter de barbares pour ne leur
avoir pas tout appris , que nous le fommes
fans doute en faifant de pareils reproches
à nos ancêtres. La nature n'a pu être examinée
qu'en détail ; la vie de l'homme
trop bornée ne permet d'acquerir qu'un
très- petit nombre de connoiffances mêlées
de beaucoup d'erreurs ; la curiofité , fource
des unes: & des autres , à peine encouragée
par quelques fuccès , s'anéantit avec
nous. La génération qui nous fuit , profite
de nos erreurs pour les éviter , de nos connoiffances
pour lleess découvrir découvrir , nous devance
un peu , tombe à fon tour , & laiffe
à celle qui la fuivra de nouvelles lumieres
& de nouvelles fautes. Je ne vois dans ces
prétendus progrès dont nous tirons tant de
vanité , qu'une chaîne immenſe , dont quelques-
uns ont indiqué le métal , d'autres ,
fans deffein peut-être , en ont formé les
anneaux ; les plus adroits ont imaginé de
les affembler , la gloire en eft pour eux ;
mais les premiers ont tout le mérite , ou
devroient l'avoir fi nous étions juftes .
Sont - elles bien à nous d'ailleurs ces
découvertes dont nous nous glorifions ?
Qui me répondra que depuis que les géFEVRIER.
1755. 27
nérations fe renouvellent fur la furface de
la terre , perfonne ne fes eut faites avant
nous ? Combien de nations enfeveliés fous
leurs ruines , dont il ne nous refte que des
idées imparfaites combien d'arts abfolument
perdus ? combien de monumens livrés
aux flammes ? It eft tel ouvrage qui lui
feul pourroit nous éclairer fur mille menfonges
, & nous découvrir autant de vérités
; n'en a- t- il point péri de cette efpece ,
ou par les ravages du tems , ou par les
incendies ? Quels peuples de l'antiquité le
retour des Lettres nous a- t- il fait connoître
? Les Grecs & les Romains , ignorans
fur leur origine, prévenus contre tout ce qui'
n'étoit pas de leur nation' , traitant de barbares
leurs voifins ou leurs ennemis , avec
autant d'injuftice peut-être que les Efpagnols
nommoient les Péruviens fauvages ,
dédaignant d'approfondir leurs moeurs ,
leurs caracteres , leurs traditions , leurs
ufages , ou les diffimulant par jalousie ,
& par conféquent incapables de nous en
inftruire. Comment les connoiffons- nous
encore ces Grecs & ces Romains ? à peuprès
comme par des relations imparfaites
nous connoiffons les peuples de l'Afrique
ou de l'Afie . Combien de peuples d'ailleurs
ces conquerans d'une partie du monde
n'ont- ils pas ignorés ? n'eft- il plus de cli-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
mats inconnus & penfons-nous qu'ils
n'auroient rien à nous apprendre ? N'a -ton
pas trouvé chez les Chinois , peuple
d'une vanité trop ridicule pour avoir un
mérite réel , l'ufage de l'Imprimerie & de
la poudre ? qui leur a donné l'idée de ces
arts fi nouveaux dans l'Europe , l'Imprimerie
fur-tout , qui mériteroit fi juftement
d'être admirée s'il étoit poffible qu'elle ne
perpétuât que des chofes dignes de l'être ?
Nous avons fait des progrès admirables
dans les méchaniques , nous avons fimplifié
des machines connues , nous en avons
créé d'autres ; mais qu'avons- nous exécuté
avec elles dont on ne trouve quelque
idée chez les anciens ? Ces hardis monumens
de l'antiquité la plus reculée , &
qui touche prefque aux premiers jours du
monde : les murs de Babylone , ces jardins
foutenus dans les airs , ces canaux vainqueurs
de l'Euphrate , ces pyramides de
l'Egypte , dont quelques - unes fubfiftent.
encore , ces fuperbes édifices élevés avec
la rapidité que l'hiftoire nous attefte ne
nous forcent- ils pas de convenir , ou que
les anciens avoient des reffources égales
aux nôtres , ou même qu'ils en avoient de
bien fupérieures ? On ne trouve pas feulement
chez eux les traces des arts utiles
on connoît le luxe des premiers Affyriens
་ ་
›
FEVRIER . 1755 29
& le luxe ne s'introduit dans un Empire
qu'à la fuite des arts d'agrémens.
Qu'il foit permis de faire une compa
raifon entre ces prétendus enfans de notre
induſtrie & ceux de notre imagination
les ſyſtêmes de la Phyfique , fur les principaux
phénomenes de la nature ; il n'en eft
aucun qui n'ait été renouvellé de quelques
anciennes écoles . Le mouvement de la terre
, la matiere fubtile , le plein , le vuide ,
la gravitation , le pur méchanifme des animaux
, opinion dangereufe , parce qu'elle
pourroit trop prouver l'existence des
tourbillons ; ces ingénieufes fictions attribuées
à nos Philofophes modernes , exiftoient
long- tems avant eux , nous en avons
les originaux dans cette foule de Philofophes
Grecs ; & qui fçait fi ces originaux
n'étoient pas encore des copies ? Il en eft
de même des hypothèfes métaphyfiques.
L'immortalité de l'ame , avant que la religion
nous en eût fait un dogme , l'unité
de Dieu , la diftinction des deux fubftances
, le ſyſtême du matérialiſme adopté
quant à la nature de l'ame , par quelques
Peres des premiers fiécles , qui ne la
croyoient pas moins immortelle , mais qui
confervoient encore des principes puifés
dans les écoles payennes je veux parler
de Tertullien , d'Arnobe , de Lactance . Le
B iij
MERCURE DE FRANCE.
libre arbitre , la fatalité , furent des queftions
qui trouverent autrefois , comme de
nos jours , des partifans ou des adverfaires.
L'Athéifme de Spinofa , fi bien attaqué
par Bayle , eft développé dans le fixieme
livre de l'Eneide . Les Dieux oififs d'Epicure
ont fervi de modele à celui des Déiftes.
Si donc l'efprit humain fe repéte luimême
depuis fi long tems dans les fciences
fpéculatives , rien ne me porte à le
croire plus varié , plus inventeur dans ce
qui tient aux arts.
Mais je veux que nos modernes ayent
réellement imaginé les opinions qu'on leur
attribue , nous n'aurions encore changé
que de fictions & d'abfurdités. Les idées
innées de Deſcartes , les Monades de Leibnitz
ne valent gueres mieux que les prétendues
rêveries des anciens . Nous nous
fommes comportés à leur égard , comme
'certains Anglois nous ont fait l'honneur
de nous traiter dans leurs ouvrages ; ils
copient nos auteurs , en nous difant des
injures. Sur quoi peut donc être fondé
l'orgueil des hommes ? Je veux bien fuppofer
que nous connoiffions un peu mieux
que nos ancêtres les contours du globe que
nous habitons ,enrichis de leurs remarques
& des nôtres , nous fommes un peu moins
étrangers dans notre patrie. Nous avons
FEVRIER. 1755. 31
multiplié nos plaifirs en nous affujettiffant
à de nouveaux befoins ; mais n'avons- nous
pas auffi doublé nos infortunes : Nous
voulons , à la faveur de l'expérience , avoir
jetté quelques lumieres fur le méchanifme
de la nature , mais les cauſes nous en fontelles
moins obfcures ? Nous lifons dans les
cieux , mais fommes nous plus éclairés fur
l'artifice de nos organes , fur l'union du
corps & de l'ame , ou fur leur mutuelle
dépendance ? Avons - nous quelque idée
plus diftincte des termes qui nous font les
plus familiers , de la matiere , de l'eſprit ,
du lieu , du tems , de l'infini , termes que
le peuple prononce tous les jours , fans
imaginer qu'il ne les entend pas ? étrange
foibleffe de l'efprit humain , qui ne femble
ignorer que ce qu'il auroit intérêt de
connoître ! Parfaitement inftruit de quelques
vérités indifférentes , mais les feules
qui lui foient démontrées , j'ofe le dire
même , qui femblent l'humilier par leur
petit nombre & par l'excès de leur éviden.
ce , elles ne fervent qu'à lui faire mieux
fentir qu'il eft né pour le doute.
Je ne fçais par quelle étonnante contradiction
quelques perfonnes plus zélées
qu'inftruites , ont affecté de confondre le
Pirrhoniſme & l'incrédulité. Cette réflexion
où m'a conduit mon fajet, mériteroit-
B iiij
MERCURE DE FRANCE.
*
elle - feule une differtation approfondie ?
Mais comme il est toujours précieux d'établir
une vérité , que
, que celle- ci d'ailleurs paroîtra
nouvelle , je l'appuyerai du moins
d'un fimple raifonnement auquel il eft , je
crois , difficile de fe refufer. Le Pirrhonifme
feul apprend à la raifon à s'humilier ,
en lui démontrant l'incertitude de fes connoiffances
; la religion exige de notre orgueil
la même foumiffion , les mêmes facrifices
: le Pirrhonifme eft donc de toutes
les fectes des Philofophes celle qui eft la
plus conforme à l'efprit de la religion , &
qui nous difpofe le plus naturellement à
l'embraffer. Mais on pourroit en abuſer ,
me dira- t- on : eh ! de quoi ne pourroit - on
pas abufer ? Tel étoit du moins le fentiment
de ce fameux Evêque d'Avranches ,
l'auteur de la Démonftration évangélique' ,
Prélat illuftre que l'Eglife regarde , ainfi
que M. Boffuet , comme une de fes lumieres
.
Quoi de plus capable de convaincre
l'homme de fa foibleffe que le tableau
malheureuſement trop fidele que je viens
de vous en préſenter ? Ses prétendus progrès
appréciés , dénués de la pompe dont
une vaine éloquence a coutume de les ennoblir
, nous paroiffent dans leur véritable
jour. Il n'eft ni plus vertueux , ni plus
FEVRIER. 1755. 33
tapproché du bonheur , ni moins efclave,
des illufions : il n'a donc rien fait pour
lui ; mais fon orgueil eft toujours le même
, c'eft qu'il eft homme .
VERS.
PLus n'eft le tems où les bords d'Hypocrene
Etoient peuplés d'Auteurs laborieux ;
Ce qui leur coutoit tant de peine ,
Ne coute rien à leurs neveux .
Merveille n'eft , aucun plan ne les gêne "
Leurs vers font grouppés au hazard ,
C'eft la rime qui les amene ;
Cela ne couté qu'un écart.
Auffi fans méthode & fans art
Nos beaux efprits les font- ils par centaine.
Qu'en advient- il leurs écrits brillantés
Sont des maffifs de karats mal montés ,
Qui ne durent qu'une femaine .
Bv.
34 MERCURE DE FRANCE.
EPITRE
A M. LE CHEVALIER D'ALIEZ ,
Secrétaire perpétuel de l'Académie des Jeux
Floraux de Fouloufe , fur ce qu'il m'en a
envoyé un recueil , & fur ce qu'il y a inferé
unepiece de ma façon , &c.
Pour ce commerce épiftolaire ,
Dont vous flatez l'ambition
De ma Mufe trop téméraire ,
Que l'amour propre doit vous faire
De remercimens en mon nom !
Vous , dont, l'empire littéraire
Vante l'efprit & le renom ;
Vous qui , fans nulle voix contraire ,
Sur le Pinde au facré vallon ,
Fûtes nommés dépofitaires
Des faftes d'Apollon,
Combien ce que vous m'écrivites ;
Sur mon goût naiſſant , eft flateur !
Cependant l'aimable candeur
Paroît dire ce que vous dites .
La politeffe , la douceur ,
Les graces , la naïve humeur ,
Seules qualités favorites
D'un bon naturel , d'un grand coeur ,
FEVRIER. 1755. 35
Semblent chez vous vertus preſcrites
Par goût & par
honneur.
Vous , que le nom diftingue encore ;
Vous , que j'eftime & que j'honore ,
Sçavant , gracieux Chevalier ,
Qui par vos leçons , le premier
Sçutes fi près de mon aurore ,
Développer & faire éclore
Ce précoce & brillant laurier
Dont mon front fe décore.
Dans ce livre enfin fi vanté ,
Qui des Muſes fait les délices ,
Et qui par vous m'eft préfenté
Pour prix de mes heureux caprices ;
Je vois donc mes foibles prémices ,
( Non fans un peu de vanité ) .
Voler , fous vos doctes aufpices ,
A l'immortalité ?
Mais , hélas ! de votre beau zéle ,
De vos rares bontés
pour
elle ,
Si ma Mufe reçut d'abord ,
Avec orgueil , avec tranſport ,
Une marque
fi belle ;
Bientôt elle eut l'humble dépit
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
De voir par fon infuffifance ,
A faire ce que lui preſcrit
La plus vive reconnoiffance ,
Combien fa verve & fon efprit
Auroient peu de force & d'aifance
Pour dire ce qu'elle en ſentit ,
Avec cette même éloquence
Dont mon coeur vous le dit ?
A Arc en Barrois.
Par Mlle Thomaffin.
FEVRIER. 1755. 37
LA DORMEUSE INDISCRETE.
NOUVELLE.
Doris & Celiante étoient unies d'une
amitié fincere , & l'on peut dire qu'elles
s'aimoient comme deux honnêtes gens ;
Auffi avoient- elles un excellent caractere .
Doris , pour être vertueufe , n'étoit pas
moins liante ; fi elle étoit fevere pour ellemême
, elle étoit indulgente pour les autres
; & ce qui donnoit un nouveau prix à
tant de fageffe , elle avoit tout ce qui peut
attirer des féducteurs .
" Celiante étoit d'un naturel aimable
mais plus afforti aux moeurs du fiécle. Si
elle n'avoit point toutes les qualités qui
font une femme de bien , elle poffédoit
celles qui forment un parfaitement honnête
homine. Elle avoit l'efprit bienfait , l'efprit
droit & les manieres charmantes : en
un mot , fon plus grand défaut ( fi c'en eft
un aujourd'hui ) étoit d'avoir plus de fenfibilité
que de conftance.
Je ne m'amuferai point ici à détailler
leurs charmes particuliers ; on a dépeint
tant de beautés différentes , que je ne fçaurois
plus faire que des portraits ufés. Je me
contenterai de dire qu'elles étoient toutes
38 MERCURE DE FRANCE.
deux d'une grande beauté , fans être d'une
extrême jeuneffe ; & ce qui eft préférable ,
elles avoient les graces en partage . Celiante
avoit plus d'enjouement & de vivacité.
Doris avoit plus de douceur , & fa modeftie
impofoit aux plus hardis . Elles étoient mariées
l'une & l'autre. La premiere avoit
pour époux un vieux goutteux qu'elle haiffoit
parfaitement , moins parce qu'il étoit
fon mari , qu'à caufe qu'il étoit infiniment
haïffable. Celui de Doris étoit plus jeune ;
elle l'avoit pris fans inclination , mais fans
répugnance . Comme il avoit un amour
tendre pour elle , elle y répondoit par
beaucoup de bonnes manieres , & le regardoit
comme fon meilleur ami . Le mari qui
connoiffoit fon infenfibilité naturelle &
qui étoit fûr de n'avoir point de rival , fe
contentoit d'une fi froide amitié . L'une vivoit
dans l'indifférence que lui prefcrivoit
fa vertu ; & l'autre , fuivant le doux
penchant qui la conduiſoit , étoit à fa troiheme
paffion.
Doris ne put voir l'inconftance de fon
amie fans lui en faire doucement la guerre.
Celiante fe défendit avec fa gaieté ordinaire
, & lui dit qu'elle prît garde à elle ,
que
fon heure d'aimer viendroit , qu'elle
n'étoit peut-être pas loin . Je ne crains rien ,
repartit Doris , j'ai paffé l'âge dangereux
FEVRIER. 1755. 39
des paffions , & j'ai vû d'un oeil indifférent
tout ce que la ville a de plus aimable. Puifque
vous m'en défiez , pourfuivit Celiante
, je vous attends à la campagne ; c'eſt là
que l'amour attaque la vertu avec plus
d'avantage , & c'eft là qu'il vous punira de
votre vanité ; l'âge ni la raiſon ne vous garantiront
pas. Tremblez , ajoûta-t -elle en
badinant , c'eft lui-même qui m'infpire &
qui vous parle par ma bouche. Doris ne fit
que rire de la prédiction . Celiante mit de
la confidence Clarimont , qu'elle aimoit
depuis fix mois , & lui demanda s'il ne
connoîtroit pas quelqu'un qui pût adoucir
l'auftere vertu de fon amie.
Clarimont lai dit qu'elle ne pouvoit
mieux s'adreffer qu'à lui ; que Lifidor avec
qui il étoit lié , étoit fait exprès pour plaire
à Doris ; qu'il étoit beau , bienfait , infenfible
comme elle. Le printems , ajoûtat-
il , favoriſe notre deſſein , & votre maifon
de campagne eft le lieu le plus propre
à filer une paffion . Amenez- y Doris , &
j'engagerai Lifidor à vous y aller voir avec
moi. Je veux être haï de vous , s'ils ne font
tous deux le plus joli Roman qu'on ait encore
vû , & dans peu on n'aura rien à vous
reprocher.
Celiante propofa la partie à Doris , qui
Faccepta. Elles partirent , & deux jours
40 MERCURE DE FRANCE.
la
après Clarimont les fuivit , accompagne
de Lifidor. Elles fe promenoient dans un
jardin , que l'art & la nature avoient rendu
le plus charmant du monde , & Doris
ne pouvoit fe laffer d'y admirer l'un &
Pautre , quand ils arriverent. Sa beauté
frappa Lifidor , & fa modeftie acheva de
le charmer. La Dame , de fon côté , trouva
le Cavalier à fon gré , & fon air de fageffe
lui donna de l'eftime pour lui. Plus ils fe
connurent , plus ils fe goûterent , & tout
fembla confpirer à enflammer des amans
de ce caractère , la liberté de fe voir tous
les jours & de fe parler à toute heure ,
folitude & la tranquillité de la campagne , le
printems qui étoit dans fa force , & la beauté
du lieu où ils étoient ; ils eurent beau réfifter
, l'amour fe rendit le maître , & fe déclara
fi fort dans huit jours , qu'ils avoient
de la peine à le cacher. Des foupirs leur
échappoient malgré eux , & ils ne pouvoient
fe regarder fans rougir. Clarimont & Celiante
qui les obfervoient , s'en apperçurent
un foir qu'ils étoient à la promenade , &
fe dirent à l'oreille : ils font pris au piége ;
les voilà qui rougiffent . Pour s'éclaircir
de leur doute , ils s'éloignerent adroitement
, & les laifferent feuls , fans pourtant
les perdre de vûe.
Doris friffonna de fe voir tête à tête avec
FEVRIER. 1755 . 41
un homme qu'elle craignoit d'aimer , & le
timide Lifidor parut lui - même embarraſſé ;
mais à la fin il rompit le filence , & jettant
fur Doris un regard tendre & refpectueux
, lui parla dans ces termes . J'ai toujours
fait gloire de mon indifférence , &
j'ai , pour ainsi dire , infulté au beau fexe ;
mais pardonnez à mon orgueil , Madame ,
je ne vous avois point vûe , vous m'en
puniffez trop bien.
A ce difcours elle fe fentit plus émue ;
& craignant l'effet de fon émotion , elle
prit le parti de la fuite. Voilà un tour que
Celiante m'a joué , répondit - elle , en le
quittant , je vais lui en faire des reproches.
Lifidor fut fi étourdi de cette réponſe , qu'il
demeura immobile . Doris rejoignit Celiante
, & la tirant à part , lui dit : c'eft
ainfi que vous apoftez des gens contre
moi. Dequoi vous plaignez-vous , répliqua
Celiante ? vous m'en avez défiée ; je
ne fuis pas noire , je vous en avertis . Pendant
ce tems- là Lifidor étoit refté dans la
même poſture où Doris l'avoit laiffé , & je
crois qu'il y feroit encore fi Clarimont
n'avoit été le defenchanter , en le tirant
par la main.
Nos amans furent raillés à fouper. Doris
en fut fi déconcertée , qu'elle feignit
un grand mal de tête , & fortit de table
42 MERCURE DE FRANCE.
.
pour s'aller mettre au lit. Quand Celiante
qui couchoit avec elle , entra dans fa chambre
, elle la trouva endormie , & l'entendit
qui fe plaignoit tout haut , & qui nommoit
Lifidor. L'amour qui ne veut rien
perdre , & qui avoit fouffert de la violence
qu'on lui avoit faite pendant le jour ,
profita de la nuit pour éclater , & le fommeil
, de concert avec lui , trahit la vertu
de Doris.
Dès qu'elle fut réveillée , fon amie lui
dit ce qu'elle venoit d'entendre. Il eft vrai ,
répondit- elle en pleurant , j'aime malgré
moi , & vous êtes vengée ; mais je mourrai
plutôt que de céder à ma paffion. Celiante
qui avoit le coeur fenfible , en fut attendrie
, & l'affura que fi elle avoit cru
que la chofe dût devenir auffi férieufe ,
elle n'auroit eu garde d'y fonger,
Le lendemain Lifidor redoubla d'empreffement
auprès de Doris , & fe jettant à
fes pieds , la pria de ne pas defefperer un
amant qui n'étoit pas tout -à-fait indigne
d'elle. Je vous offre , dit- il , un coeur tout
neuf, qui n'a jamais rien aimé que vous ,
& dont les fentimens font auffi purs que
votre vertu même ; ne le refufez pas , je
vous en conjure. Elle l'obligea de fe relever
, & lui répondit que des noeuds facrés
la lioient à un autre , qu'il ne pouvoit
FEVRIER. 1755. 43
brûler pour elle d'un feu légitime ; & que
s'il lui parloit une feconde fois de fon
amour , elle lui quitteroit la place , & réprendroit
le chemin de la ville .
Notre amant fut épouvanté d'une menace
ſi terrible ; il n'ofoit plus l'entretenir ,
à peine avoit-il le courage de la regarder ?
La trifteffe s'empara de fon ame , & bientôt
il ne fut plus reconnoiffable ; le plus
pareffeux des hommes devint le plus matinal
, lui qui paffoit auparavant les trois
quarts de la vie au lit , devançoit tous les
jours l'aurore . Clarimont l'en railla , &
lui dit ces vers de Quinault :
Vous vous éveillez fi matin ,
Que vous ferez croire à la fin
Que c'eft l'amour qui vous éveille.
Un matin qu'il le trouva dans un bois
écarté , un livre à la main , il lui demanda
ce qu'il lifoit. C'eſt Abailard , répondit- il ,
j'admire fes amours , & j'envie fon bonheur.
Je vous confeille d'en excepter la
cataſtrophe , répliqua Clarimont en riant ;
mais à parler férieufement , vous n'êtes pas
fort éloigné de fon bonheur ; vous aimez
& s'il faut en juger par les apparences ,
vous n'êtes point hai. Eh ! s'il étoit vrai ,
interrompit Lifidor , m'auroit-on impofé
>
44 MERCURE DE FRANCE.
filence , & m'auroit- on défendu d'efperer ?
Croyez-moi , reprit fon ami , ne vous découragez
point , & vous verrez que la fé
vere Doris ne vous a fermé la bouche que
parce qu'elle craint de vous entendre & de
vous aimer. Je fçai même de Celiante
qu'elle fouffre la nuit des efforts qu'elle fe
fait le jour. Si elle refufe de vous parler
éveillée , elle vous entretient en dormant ,
elle foupire , & vous nomme tout haut .
Elle eft indifpofée depuis hier au foir , &
je fuis für que fon mal ne vient que d'un
filence forcé , ou d'une réticence d'amour.
Allez la voir , fon indifpofition vous fervira
d'excufe & de prétexte.
Lifidor fe laiffa perfuader , & tourna fes
pas vers la chambre de fon amante ; if entra
, & ouvrit les rideaux d'une main tremblante
: elle dormoit dans ce moment ; &
pleine d'un fonge qui la féduifoit , elle lui
fit entendre ces douces paroles.
Oui , Lifidor , je vous aime , le mot eft
prononcé , il faut que je vous quitte , mon
devoir me l'ordonne , & ma vertu rifqueroit
trop contre votre mérite. Dans cet embraffement
recevez mon dernier adieu .
En même tems elle lui tend deux bras
charmans , qu'il mouroit d'envie de baifer,
& fe jette à fon col. Lifidor , comme
on peut penfer , n'eut garde de reculer.
FEVRIER . 1755. 45
Quelle agréable furprife pour un amant
qui fe croyoit difgracié ! O bienheureux
fommeil difoit - il en lui-même dans ces
momens délicieux , endors fì bien ma Doris
, qu'elle ne s'éveille de long- tems : mais
par malheur Celiante qui furvint , fit du
bruit , & la réveilla comme elle le tenoit
encore embraffé . Elle fut fi honteufe de
fe voir entre les bras d'un homme furtout
en préfence de fon amie , que repouffant
Lifidor d'un air effrayé , elle s'enfonça
dans fon lit , & s'enveloppa la tête
de la couverture , en s'écriant qu'elle
étoit indigne de voir le jour. Lifidor confus
, foupira d'un fi cruel réveil ; d'un excès
de plaifir il retomba dans la crainte &
dans l'abattement , & fortit comme il étoit
entré.
Ċeliante eût ri volontiers d'une fi plaifante
aventure ; mais Doris étoit fi defolée
qu'elle en eut pitié , & qu'elle tâcha de la
confoler , en lui repréfentant qu'on n'étoit
point refponfable des folies qu'on pouvoir
faire en dormant , & que de pareils écarts
étoient involontaires.
Non , interrompit Doris en pleurs , je
ne dormirai plus qu'en tremblant , & le
repos va me devenir odieux. Que l'amour
eft cruel il ne m'a épargnée juſqu'ici que
pour mieux montrer fon pouvoir , & que
46 MERCURE DE FRANCE.
pour rendre ma défaite plus honteufe . J'ai
toujours vécu fage à la ville , & je deviens
folle à la campagne ; il faut l'abandonner ,
l'air y eft contagieux pour moi . Ma chere ,
répartit Celiante , que vous êtes rigoureufe
à vous- même ! Après tout eft- ce un fi grand
mal que d'aimer ? Oui , pour moi qui fuis
liée , pourfuivit Doris , la fuite eft ma
feule reffource , & je pars aujourd'hui.
Aujourd'hui s'écria Celiante furpriſe
voilà un départ bien précipité. Aujour
d'hui même , reprit - elle , ou demain au
plûtard .
Celiante jugea qu'elle n'en feroit rien ,
puifqu'elle remettoit au lendemain , &
Celiante jugea bien . Lifidor à qui on dit
cette nouvelle , prit fon tems fi à propos ,
& s'excufa fi pathétiquement , qu'elle n'eut
pas le courage de partir. Depuis ce moment
il redoubla fes foins , & couvrit toujours
fon amour da voile du refpect. Le
tigre s'apprivoifa. Doris confentit d'écouter
fon amour, pourvu qu'il lui donnât le nom
d'eftime.
Enfin il n'étoit plus queftion que du
mot , quand le mari s'ennuya de l'abſence
de fa femme , & la vint voir . Il n'étoit pas
attendu , & encore moins fouhaité . Elle le
reçut d'un air fi froid & fi contraint , qu'il
fe fût bien apperçu qu'il étoit de trop s'il
FEVRIER. 1755. 47
avoit pû la foupçonner d'une foibleffe.
Lifidor fut confterné du contre- tems , & ne
put s'empêcher de le témoigner à Doris , &
de lui dire tout bas :
Quelle arrivée ! Madame , & quelle
nuit s'apprête pour moi ! Que je fuis jaloux
du fort de votre mari , & que mon
amour eft à plaindre !
Elle n'étoit pas dans un état plus tranquille.
La raifon lui reprochoit fon égarement
, & lui faifoit fentir des remords qui
la déchiroient. Elle ne pouvoit regarder
fon mari fans rougir , & elle voyoit finir
le jour à regret ; elle craignoit que le fommeil
ne lui revélât les fottifes de fon coeur .
Plufieurs n'ont pas cette peur , elles s'arrangent
de façon pendant la journée qu'elles
n'ont rien à craindre des aveux de la nuit .
Quand on a tout dit avant de fe coucher ,
on eft für de fe taire en dormant ; il n'y
a que les paffions contraintes qui parlent
dans le repos . Doris l'éprouva .
A peine fut-elle endormie , qu'un fonge
malin la trahit à fon ordinaire , & offrit
Lifidor à fon imagination égarée. Dans les
douces vapeurs d'un rêve fi agréable , elle
rencontra la main de fon mari , qu'elle
prit pour celle de fon amant , & la preffant
avec tendreffe , elle dit en foupirant :
Ah ! mon cher Lifidor , à quel excès d'a48
MERCURE DE FRANCE.
mour vous m'avez amenée , & qu'ai - je
fait de toute ma fageffe : Vous avez beau
me faire valoir la pureté de vos feux , je
n'en fuis pas moins coupable ; c'eft toujours
un crime que de les fouffrir , & c'eſt
y répondre que de les écouter. Que diroit
mon mari s'il venoit à lire dans mon
coeur l'amour que vous y avez fait naître ?
Cette feule penfée me tue , & je crois entendre
fes juftes reproches.
Qui fut étonné ce fut ce mari qui ne
dormoit pas. Quel difcours pour un homme
qui adoroit fa femme , & qui avoit
jufqu'alors admiré fa vertu ! Elle avoit
parlé avec tant d'action qu'elle s'éveilla ,
& il étoit fi troublé qu'il garda long-tems
le filence enfuite il le rompit avec ces
mots :
Je ne fçais , Madame , ce que vous avez
dans l'efprit , mais il travaille furieuſement
quand vous dormez. Il n'y a qu'un moment
que vous parliez tout haut , vous
avez même prononcé le nom de Lifidor ;
& s'il en faut croire votre fonge , il eft
fortement dans votre fouvenir. Une Coquette
auroit badiné là- deſſus , & raillé
fon mari de s'allarmer d'un fonge lorfque
tant d'autres s'inquiettent fi peu de la réalité
; mais Doris étoit trop vertueuse pour
fe jouer ainfi de la vérité qui la preifoit.
Elle
FEVRIER. 1755. 49
Elle ne répondit que par un torrent de larmes
, & voulut fe lever , en difant qu'elle
n'étoit plus digne de l'amitié de fon mari.
Il fut touché de fes pleurs , & la retint.
Après quelques reproches il fe laiffa perfuader
qu'il n'y avoit que fon coeur qui
fût coupable , & lui pardonna ; mais il exigea
d'elle qu'elle quitteroit la campagne
fur le champ , & ne verroit plus Lifidor.
Elle jura de lui obéir , & fit honneur à fon
ferment. Dès qu'il fut jour , elle prit congé
de fon amie , & la chargea d'un billet pour
Lifidor , qu'elle ne voulut point voir. Enfuite
elle partit avec fon époux.
Lifidor n'eut pas reçu le billet de Doris
qu'il l'ouvrit avec précipitation , & y luc
ces mots : Ma raifon & mon devoir font
à la fin les plus forts. Je pars & vous ne me
verrez plus. Il penfa mourir de douleur.
Non , s'écria -t- il , je ne vous croirai point,
trop fevere Doris , & je vous reverrai ,
quand ce ne feroit que pour expirer à votre
vûe. Auffi-tôt fe livrant au tranfport
qui l'entraînoit , il fuivit les pas de Doris
, & laiffa Celiante avec Clarimont goûter
la douceur d'un amour plus tranquille
& moins traverfé . Mais toutes fes démarches
furent inutiles. Doris fut inflexible
& ne voulut plus le voir ni l'écouter . Voici
des vers qu'on a faits fur cette aventure.
C
so MERCURE DE FRANCE.
LE DANGER DE LA CAMPAGNE ,
Aux beautés qui fe piquent de vertu.
yous ! dont le nombre eft fi rare
Beautés que la vertu conduit ,
Quels que foient les attraits dont la ville ſe pare ,
Son faux éclat rarement vous féduit.
Elle aime le tumulte , & vous fuyez le bruit ;
Elle n'offre à vos yeux que des amours volages ;
Que fuivent de folâtres ris :
Leurs regards effrontés , & leurs difcours peu fages
,
Au lieu de vos faveurs attirent vos mépris.
Pour vous plaire la ville a des moeurs trop coquettes.
Mais gardez vous aux champs de vous trouver
feuletes ;
Jardins fleuris , tendres oiſeaux ,
Bois fombres , clairs ruiffeaux ,
Lieux tant chantés , qu'on n'ofe plus décrire ;
Et le repos qu'on y refpire ,
Tout porte doucement aux plaiſirs amoureux.
Sous un dehors refpectueux
Le tendre amour fçait s'y produire ,
Et dans un efprit vertueux
Il trouve l'art de s'introduire .
Pour les coeurs innocens les bois font dangereux s
L'hiſtoire de Doris doit aſſez vous inftruire.
FEVRIER. 1755. ST
VERS
DE M. LE PRESIDENT
DE RUFFEY ,
A Meffieurs de la Société Royale &
Littéraire de Nancy.
Sur le traité des dangers de l'efprit , compo-
Se par le Roi de Pologne , & infere dans le
tome V de l'Année littéraire , page 262.
QUel aftre , par, des traits d'une vive lumiere ,
Eclaire de l'efprit l'incertaine carriere ,
Vient montrer aux humains un fentier peu battu ,
Et du ſein de l'erreur les guide à la vertu !
J'apperçois fa fplendeur diffiper les ténebres ,
Découvrir des écueils en naufrages célébres ,
Régler les mouvemens d'un feu féditieux ,
Rendre utile aux mortels le plus beau don des
cieux .
Qu'heureux font les climats foumis à la puiffance
!
Cet aftre y fait fentir fa benigne influence ;
Il fçait les garantir des rigueurs des faiſons ,
Il fait naître leurs fruits , féconde leurs moiffons,
Cij
52 MERCURE
DE FRANCE
-Un jour pur & ferein conftamment les éclaire :
Quand cet aftre paroît leur fort devient profpere ,
On voit naître avec lui l'abondance & la paix ;
Son éclat l'annoncer bien moins que fes bienfaits.
Vous , Sçavans affemblés , honneur de l'Auftrafie
,
Que dirigent fes loix , qu'infpire fon génie ,
Aux traits de mon pinceau ne connoiffez -vous pas
Votre foutien , votre ame , en un mot , Staniſlas ?
Votre gloire eft la fienne , il en fait fes délices ,
De fon augufte amour vous goûtez les prémices ;
Il anime au combat de paiſibles guerriers ,
*
Il aime , avec les fiens , voir croître vos lauriers.
Quel plaifir pour vos coeurs , de l'entendre fans
ceffe
Dicter à l'univers des leçons de fageffe ;
De voir , par les écrits , le vice combattu ,
Et fon thrône fervir d'autel à la vertu !
Philofophe profond , fa divine morale
Sonde du coeur humain le tortueux dédale ;
De l'efprit , d'un oeil jufte , il faifit les défauts ,
Diftingue habilement le vrai d'avec le faux.
Accordant l'avantage à l'Etat monarchique ,
En maître , Staniſlas parle de politique ;
11 juge fes refforts peu dignes des grands Rois ,
Du bonheur des ſujets fait leurs fuprêmes loix ;
De leurs communs devoirs fçavamment il décide ;
* Prix fondéspar le Roi , que donne annuellement
P'Académie.
FEVRIER. 1755 . 53
Rien n'échappe aux clartés de fon cfprit folide.
Mais bientôt , le crayon & l'équerre à la main ,
De fuperbes palais il trace le deffein ;
Grand , hardi , créateur , il franchit les obftacles ,
Son génie & fon goût enfantent des iniracles ;
Et l'Artifte , en fon art deformais tout nouveau ,
S'étonne à fon aſpect de ſe voir au berceau .
De tous lieux l'étranger vient , le voit & l'admire
,
Son affable bonté dans fon palais l'attire ;
Par un heureux talent , par un charme vainqueur ,
Un feul mot lui fuffit pour conquérir un coeur.
Maisvous feule avez droit , illuftre Académie ,
De chanter dignement le héros d'Auſtraſie ,
Sa gloire , fes bienfaits , fa magnanimité ,
Sa conftance , fa foi , fa haute piété .
Appelles pouvoit feul autrefois entreprendre
De tracer le portrait du fameux Alexandre ;
Nul ne doit avec vous prendre le noble foin
De louer des vertus dont votre ceil eft témoin.
Mais daignez excufer ma Muſe téméraire ;
Admis par votre aveu dans votre fanctuaire ,
J'y puifai tout le feu qui m'anime aujourd'hui ;
A ma timide voix vous fervites d'appui :
J'y bégayai des fons fur la même matiere *
Que traite Staniſlas avec tant de lumiere .
* M. le Président de Ruffey étant à Nanci , lut
dans l'Affemblée de l'Académie du 4 Juillez 1744 ,
unepiece en vers fur l'Eſprit .
Cij
54 MERCURE DE FRANCE.
Vous parutes goûter mon zéle & mes travaux ,
Et pour Fencourager , le portrait du héros ,
Dont la postérité fait l'efpoir de la France ,
Fut , de mes foibles chants , la noble récompenfe.
Mon coeur , en confervant ce gage précieux ,
Garde le fouvenir d'un jour fi glorieux.
CONSIDERATIONS
Sur la reconnoiffance & fur l'ingratitude.
N n'entend parler que d'ingrats , &
ONl'on rencontre peu de bienfaicteurs ; il
femble que les uns devroient être auffi com- ,
muns que les autres. Il faut donc de néceffité
, ou que le petit nombre de bienfaicteurs
qui fe trouvent , multiplient prodigieufement
leurs bienfaits , ou que la plupart des
accufations d'ingratitude foient mal fondées...
Pour éclaircir cette queftion , il fuffira de
fixer les idées qu'on doit attacher aux termes
de bienfaicteur & d'ingrat.
Bienfaicteur eft un de ces mots compo-"
fés qui portent avec eux leur définition .
Le bienfaicteur eft celui qui fait du bien ,
& les actes qu'il produit peuvent fe confidérer
fous trois afpects ; les bienfaits ,
les graces , & les fervices.
Le bienfait eſt un acte libre de la part
FEVRIER . 1755. 55
de fon auteur , quoique celui qui en eft
l'objet puiffe en être digne.
Une grace eſt un bien auquel celui qui
le reçoit , n'avoit aucun droit , ou la rémiffion
qu'on lui fait d'une peine méritée,
Un fervice eft un fecours par lequel on´
contribue à faire obtenir quelque bien.
Les principes qui font agir le bienfaicteur
font , où la bonté , ou l'orgueil , ou
même l'intérêt.
Le vrai bienfaicteur céde à fon penchant
naturel qui le porte à obliger , & il trouve
dans le bien qu'il fait une fatisfaction, qui
eft à la fois , & le premier mérite & la premiere
récompenfe de fon action ; mais tous
les bienfaits ne partent pas de la bienfaifance.
Le bienfaiteur eft quelquefois auffi
éloigné de la bienfaifance que le prodigue
l'eft de la générofité ; la prodigalité n'eft
que trop fouvent unie avec l'avarice , &
un bienfait peut n'avoir d'autre principe.
que l'orgueil. Le bienfaicteur faftueux cherche
à prouver aux autres & à lui- même
fa fupériorité fur celui qu'il oblige . Infenfible
à l'état des malheureux , incapable
de vertu , on ne doit attribuer les apparences
qu'il en montre qu'aux témoins.
qu'il en peut avoir . Il y a une troiſieme
efpece de bienfait , qui fans avoir la vertu
ni l'orgueil pour principes , ne partent que
C iiij
$6 MERCURE DE FRANCE,
"
d'un efpoir intéreffé. On cherche à cap
tiver d'avance ceux dont on prévoit qu'on
aura befoin . Rien n'eft plus commun que
ces échanges intéreffés , rien de plus rare
que les fervices.
Sans affecter ici de divifions paralleles
& fymmétriques , on peut envifager les
ingrats , comme les bienfaicteurs, fous trois,
afpects différens.
L'ingratitude confifte à oublier , à méconnoître
, ou à reconnoître mal les bienfaits
, & elle a fa fource dans l'infenfibilité
, dans l'orgueil ou dans l'intérêt.
La premiere efpece d'ingratitude eft celle
de ces ames foibles , légeres , fans confiftance.
Affligées par le befoin préfent , fans.
vûe fur l'avenir , elles ne gardent aucune
idée du paffé ; elles demandent fans peine
, reçoivent fans pudeur , & oublient
fans remords. Dignes de mépris , ou tout
au plus de compaffion , on peut les obliger
par pitié , & l'on ne doit . pas les eftimer
affez pour les hair.
Mais rien ne peut fauver de l'indignation
celui qui ne pouvant fe diffimuler les
bienfaits qu'il a reçus , cherche cependant
à méconnoître fon bienfaicteur . Souvent
après avoir réclamé les fecours avec baffeffe
, fon orgueil fe révolte contre tous
les actes de reconnoiffance qui peuvent lui
FEVRIER. 1755
57
rappeller une fituation humiliante ; il rougit
du malheur & jamais du vice. Par une
fuite du même caractere , s'il parvient à la
profpérité , il eft capable d'offrir par oftentation
ce qu'il refuſe à la juſtice ; il tâche
d'ufurper la gloire de la vertu , & manque
aux devoirs les plus facrés.
A l'égard de ces hommes moins haïffables
que ceux que l'orgueil rend injuftes
& plus méprifables encore que les ames
légeres & fans principes , dont j'ai parlé
d'abord , ils font de la reconnoiffance un
commerce intéreffé ; ils croyent pouvoir
Loumettre à un calcul arithmétique les fervices
qu'ils ont reçus. Ils ignorent , parce
que pour le fçavoir il faudroit fentir , ils
ignorent , dis- je , qu'il n'y a point d'équation
pour les fentimens ; que l'avantage du
bienfaicteur,fur celui qu'il a prévenu par
Les fervices eft inappréciable ; qu'il faudroit
pour rétablir l'égalité , fans détruire l'obligation
, que le public fût frappé par des
actes de reconnoiffance fi éclatans , qu'il
regardât comme un bonheur pour le bienfaicteur
les fervices qu'il auroit rendus ;
fans cela fes droits feront toujours inprefcriptibles
, il ne peut les perdre que par
l'abus qu'il en feroit lui -même .
En confidérant les différens caracteres
de l'ingratitude , on voit en quoi confifte
CY
3S MERCURE DE FRANCE.
celui de la reconnoiffance. C'eft un fentiment
qui attache au bienfaicteur avec le defir
de lui prouver ce fentiment par des -
effets , ou du moins par un aveu du bienfait
qu'on publie avec plaifir dans les occafions
qu'on fait naître avec candeur , &
qu'on faifit avec foin. Je ne confonds point
avec ce fentiment noble une oftentation
vive & fans chaleur , une adulation fervile,
qui paroît & qui eft en effet une nouvelle
demande plutôt qu'un remerciment.
J'ai vu de ces adulateurs vils , toujours
avides & jamais honteux de recevoir , exagérant
les fervices , prodiguant les éloges
pour exciter , encourager les bienfaicteurs,
& non pour les récompenfer. lls feignent
de fe paffionner , & ne fentent rien ; mais
is louent. Il n'y a point d'homme en place
qui ne puiffe voir autour de lui quelquesuns
de ces froids enthouſiaſtes , dont il eft
importané & flaté.
Je fçais qu'on doit cacher les fervices &
non pás la reconnoiffance ; elle admet , elle
exige quelquefois une forte d'éclat noble ,
libre & flateur ; mais les tranfports outrés ,
les élans déplacés font toujours fufpects
de faufferé ou de fottife , à moins qu'ils ne
partent du premier mouvement d'un coeur
chaud , d'une imagination vive , ou qu'ils
ne s'adreffent à un bienfaiteur donton n'a
plus rien à prétendre.
FEVRI E R. 1755. 59
Je dirai plus , & je le dirai librement : je
veuxque la reconnoiffance coûte à un coeur,
c'est-à- dire qu'il fe l'impofe avec peine ,
quoiqu'il la reffente avec plaifir quand
il s'en eft une fois chargé . Il n'y a point
d'hommes plus reconnoiffans que ceux qui
ne fe laiffent pas obliger par tout le monde
; ils fçavent les engagemens qu'ils prennent
, & ne veulent s'y foumettre qu'à l'égard
de ceux qu'ils eftiment. On n'eft jamais
plus empreffé à payer une dette que
lorfqu'on l'a contractée avec répugnance ,
& celui qui n'emprunte que par néceffité
gémiroit d'être infolvable.
J'ajoûterai qu'il n'eft pas néceffaire d'éprouver
un fentiment vif de reconnoiffance
, pour en avoir les procédés les plus
exacts & les plus éclatans. On peut par un
certain caractere de hauteur , fort différent
de l'orgueil , chercher à force de fervices
à faire perdre à fon bienfaicteur , ou da
moins à diminuer la fupériorité qu'il s'eft
acquife.
En vain objecteroit- on que les actions
fans les fentimens , ne fuffifent pas pour la
vertu. Je répondrai que les hommes doivent
fonger d'abord à rendre leurs actions
honnêtes , leurs fentimens y feront bientôt
conformes ; il leur eft plus ordinaire de
penferd'après leurs actions , que d'agir d'a-
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
près leurs principes . D'ailleurs cet amour
propre , bien entendu , eft la fource des
vertus morales & le premier lien de la
fociété.
Mais puifque les principes des bienfaits.
font fi différens , la reconnoiffance doitelle
toujours être de la même nature ? Quels
fentimens dois - je à celui qui par un
mouvement d'une pitié paffagere aura accordé
une parcelle de fon fuperflu à un
befoin preffant ; à celui qui par oftentation
ou foibleffe exerce fa prodigalité , fans
acception de perfonne , fans diftinction de
mérite ou de befoin ; à celui qui par inquiétude
, par un befoin machinal d'agir ,
d'intriguer , de s'entremettre , offre à tout
le monde indifféremment fes démarches ,
fes foins , fes follicitations ?
Je confens à faire des diſtinctions entre
ceux que je viens de repréfenter ; mais
enfin leur devrai - je les mêmes fentimens
qu'à un bienfaicteur éclairé , compatiffant ,
réglant même fa compaffion fur l'eftime
le befoin & les effets qu'il prévoit que fes
fervices pourront avoir ; qui prend fur
lui-même , qui reftreint de plus en plus
fon néceffaire pour fournir à une néceffité
plus urgente , quoiqu'étrangere pour lui a
On doit plus eftimer les vertus par leurs
principes que par leurs effets. Les fervices
FEVRIER . 1755. 61
doivent donc fe juger moins par l'avantage
qu'en retire celui qui eft obligé , que
par le facrifice que fait celui qui oblige .
On fe tromperoit fort de penfer qu'on
favorife les ingrats en laiflant la liberté
d'examiner les vrais motifs des bienfaits.
Un tel examen ne peut jamais être favorable
à l'ingratitude , & ajoûte quelquefois
du mérite à la reconnoiffance . En effet
quelque jugement qu'on foit en droit de
porter d'un fervice , à quelque prix qu'on
puifle le mettre du côté des motifs , on
n'en eft pas moins obligé aux mêmes devoirs
pratiques du côté de la reconnoiffance
, & il en coûte moins pour les remfentiment
que par l'honneur feul .
plir par
Il n'eft pas difficile de connoître quels
font ces devoirs , les occafions les indiquent
, on ne s'y trompe gueres , & l'on
n'eft jamais mieux jugé que par foi- même ;
mais il y a des circonftances délicates où l'on
doit être d'autant plus attentif , qu'on,
pourroit manquer à l'honneur en croyant
fatisfaire à la juftice. C'eft lorfqu'un bien- ,
faicteur abufant des fervices qu'il a rendus,
s'érige en tyran , & par l'orgueil & l'injuftice
de fes procédés , va jufqu'à perdre
Les droits . Quels font alors les devoirs de
l'obligé les mêmes.
J'avoue que ce jugement eft dur , mais
62 MERCURE DE FRANCE.
je n'en fuis pas moins perfuadé que le
bienfaiteur peut perdre fes droits , fans,
que l'obligé foit affranchi de fes devoirs ,
quoiqu'il foit libre de fes fentimens . Je
comprens qu'il n'aura plus d'attachement
de coeur , qu'il paffera peut-être juſqu'à la
haine , mais il n'en fera pas moins afſujetti
aux obligations qu'il a contractées . Un
homme humilié par fon bienfaicteur eft
bien plus à plaindre qu'un bienfaicteur
qui ne trouve que des ingrats.
L'ingratitude afflige plus les coeurs généreux
qu'elle ne les ulcere ; ils reffentent
plus de compaffion que de haine , le
fentiment de leur fupériorité les confole .
Mais il n'en eft pas ainfi dans l'état d'humiliation
où l'on eft réduit par un bienfaicteur
orgueilleux ; comme il faut alors
fouffrir fans fe plaindre , méprifer & honorer
fon tyran , une ame haute eft inté
rieurement déchirée , & devient d'autant
plus fufceptible de haine , qu'elle ne trouve
point de confolation dans l'amour propre
; elle fera donc plus capable de hair
que ne le feroit un coeur bas & fait pour
l'aviliffement. Je ne parle ici qué du caractere
général de l'homme , & non fuivant
les principes d'une morale purifiée
par la religion.
On refte donc toujours à l'égard d'un
FEVRIER. 1755 . 63
bienfaiteur , dans une dépendance dont
on ne peut être affranchi que par le public.
Il y a ,
dira-t-on ,
, peu
d'hommes
qui
foient
une objet
d'intérêt
ou même
d'at◄
tention
pour
le public
. Mais
il n'y a perfonne
qui n'ait fon public
, c'eſt-à- dire une
portion
de la fociété
commune
, dont
on
fait foi- même
partie
. Voilà
le public
dont
on doit
attendre
le jugement
fans le prévenir
, ni même
le folliciter
.
Les réclamations ont été imaginées par
les ames foibles ; les ames fortes y renoncent,
& la prudence doit faire craindre
de les entreprendre. L'apologie en fait de
procédés qui n'eft pas forcée , n'eft dans
l'efprit du public que la précaution d'un
coupable ; elle fert quelquefois de conviction
, il en réfulte tout au plus une excuſe
, rarement une juftification.
Tel homme qui par une prudence hon
nête fe tait fur fes fujets de plaintes , fe
trouveroit heureux d'être forcé de fe juftifier
; fouvent d'accufé il deviendroit accufateur
, & confondroit fon tyran . Le fi
lence ne feroit plus alors qu'un infenfi .
bilité méprifable. Une défenfe ferme &
décente contre un reproche injufte d'ingratitude
, eft un devoir auffi facré que la
reconnoiffance pour un bienfait.
64 MERCURE DE FRANCE.
Il faut cependant avouer qu'il eft toujours
malheureux de fe trouver dans de
telles circonftances ; la plus cruelle fituation
eft d'avoir à fe plaindre de ceux à qui
l'on doit.
Mais on n'eft pas obligé à la même referve
à l'égard des faux bienfaicteurs : j'entens
de ces prétendus protecteurs qui pour
en ufurper le titre , fe prévalent de leur rang.
Sans bienfaifance , peut-être fans crédit ,
fans avoir rendu de fervices , ils cherchent à
force d'oftentation , à fe faire des cliens qui
leur font quelquefois utiles , & ne leur font
jamais à charge. Un orgueil naïf leur fait
croire qu'une liaiſon avec eux eft un bienfait
de leur part. Si l'on eft obligé par honneur
& par raifon de renoncer à leur commerce
, ils crient à l'ingratitude , pour en
éviter le reproche . Il eft vrai qu'il y a des
fervices de plus d'une efpéce ; une fimple
parole , un mot dit à propos avec intelligence
ou avec courage , eft quelquefois
un fervice fignalé , qui exige plus de reconnoiffance
que beaucoup de bienfaits
matériels , comme un aveu public de l'obligation
eft quelquefois auffi l'acte de la
reconnoiffance la plus noble.
On diftingue aifément le bienfaiteur
réel du protecteur imaginaire : une forte
de décence peut empêcher de contredire
FEVRIER. 1755.
65
ouvertement l'oftentation de ce dernier ;
il y a même des occafions où l'on doit une
reconnoiffance de politeffe aux démonftrations
d'un zele qui n'eft qu'extérieur . Mais
fi l'on ne peut remplir ces devoirs d'ufage
qu'en ne rendant pas pleinement la juftice ,
c'est-à dire l'aveu qu'on doit au vrai bienfaicteur
, cette reconnoiffance fauffement
appliquée ou partagée , eft une véritable ingratitude
, qui n'eft pas rare , & qui a fa
fource dans la lâcheté , l'intérêt ou la fottife.
C'est une lâcheté que de ne pas défendre
les droits de fon vrai bienfaiteur. Ce
ne peut être que par un vil intérêt qu'on
foufcrit à une obligation ufurpée ; on fe
fatte par là d'engager un homme vain à
la réalifer un jour : enfin c'eft une étrange.
fottife que de fe mettre gratuitement dans.
la dépe dance.
En effet ces prétendus protecteurs , après
avoir fait illufion au public , fe la font enfuite
à eux- mêmes, & en prennent avantage.
pour exercer leur empire fur de timides.
complaifans ; la fupériorité du rang favorife
l'erreur à cet égard , & l'exercice
de la tyrannie la confirme . On ne doit pas
s'attendre que leur amitié foit le retour
d'un dévouement fervile. Il n'eft pas rare.
qu'un fupérieur fe laiffe fubjuguer & avilir
par fon inférieur ; mais il l'eft beau66
MERCURE DE FRANCE.
coup plus qu'il le prête à l'égalité , même
privée ; je dis l'égalité privée , car je fuis
très-éloigné de chercher à profcrire par
une humeur cynique les égards que la fubordination
exige. C'eft une loi néceffaire
de la fociété, qui ne révolte que l'orgueil ,
& qui ne gêne point les ames faites pour
Fordre . Je voudrois feulement que la différence
des rangs ne fût pas la regle de
l'eftime comme elle doit l'être des refpects
, & que la reconnoiffance fût un lien
précieux , qui unît , & non pas une chaîne
humiliante qui ne fit fentir que fon poids.
Tous les hommes ont leurs devoirs refpectifs
; mais tous n'ont pas la même difpofition
à les remplir : il y en a de plusreconnoiffans
les uns que les autres , &
j'ai plufieurs fois entendu avancer à ce fujet
une opinion qui ne me paroît ni jufte
ni décente. Le caractere vindicatif part ,
dit-on , du même principe que le caractere
reconnoiffant , parce qu'il eft également
naturel de fe reffouvenir des bons & des
mauvais fervices.
Si le fimple fouvenir du bien & du mal
qu'on a éprouvé étoit la régle du reffentiment
qu'on en garde , on auroit raifon
mais il n'y a rien de fi différent , & même
de fi peu dépendant l'un de l'autre . L'efprit
vindicatif part de l'orgueil fouventFEVRIER
. 1755 : 67.
úni au fentiment de fa propre foibleffe ;
on s'eftime trop , & l'on craint beaucoup..
La reconnoiffance marque d'abord un ef
prit de juftice , mais elle fuppofe encore:
une ame difpofée à aimer , pour qui la
haine feroit un tourment , & qui s'en af-.
franchit plus encore par fentiment que par
réflexion. Il y a certainement des caracteres
plus aimans que d'autres , & ceux- là
font reconnoiffans par le principe même
qui les empêche d'être vindicatifs . Les
coeurs nobles pardonnent à leurs inférieurs
par pitié , à leurs égaux par générofité .
C'eft contre leurs fupérieurs , c'est-à- dire
contre les hommes plus puiffans qu'eux ,
qu'ils peuvent quelquefois garder leur reffentiment
, & chercher à le fatisfaire ; le
péril qu'il y a dans la vengeance leur fait
illufion , ils croyent y voir de la gloire.
Mais ce qui prouve qu'il n'y a point de
haine dans leur coeur , c'eft que la moindre
fatisfaction les defarme , les touche &
les attendrit.
Pour réfumer en peu de mots les principes
que j'ai voulu établir. Les bienfaicteurs
doivent des égards à ceux qu'ils ont
obligés ; & ceux- ci contractent des devoirs
indifpenfables . On ne devroit donc
placer les bienfaits qu'avec difcernement ;
mais du moins on court peu de rifque à
3
68 MERCURE DE FRANCE.
les répandre fans choix : au lieu que ceux
qui les reçoivent prennent des engagemens
fi facrés , qu'ils ne fçauroient être trop attentifs
à ne les contracter qu'à l'égard de
ceux qu'ils pourront eftimer toujours . Si
cela étoit , les obligations feroient plus rares
qu'elles ne le font ; mais toutes feroient
remplies.
M. Duclos eft l'auteur de ces Confidérations.
LE TABLEAU ET L'EPONGE.
D
FABLE.
Ans le cabinet curieux
D'un connoiffeur tel que Julienne ,
( Cette Fable , en paffant vaut , bien qu'on la retienne
)
Un vieux Tableau tenoit un rang fort glorieux :
Mais enfin il étoit bien vieux ,
Et du tems , les cruelles traces
Laiffent toujours quelques difgraces
Sur l'objet le plus précieux .
Un jour l'Eponge dit : il faut que je m'attache
A redonner à ce Tableau
Un luftre renaiffant , un éclat tout nouveau ;
FEVRIER. 69
1755 .
J'en puis ôter juſqu'à la moindre tache ,
Il n'en paroîtra que plus beau ;
C'eft , à ce que l'on dit , un excellent morceau ;
Mais tout le monde enfin ne fçait pas s'y connoître
,
Et l'excellence du pinceau
N'eft faite que pour l'oeil du maître :
Les taches frappent l'ignorant ;
Voilà le nombre le plus grand.
Vraiment , je te trouve plaifante ,
( S'écria le Tableau , d'un tel foin irrité )
Quel peut être l'objet de ta témérité ?
Pour guérir un prétendu vice ,
De ton zele aveugle & novice
Les foins feroient trop achetés ,
Tu ne me rendrois pas ſervice ,
Et tu profanerois mes auguftes beautés.
Ainfi les orgueilleux ignorent
Le prix d'un bon ami qui veut les diriger.
Eft- ce offenfer les gens que de les corriger
Des défauts qui les deshonorent ?
70 MERCURE DE FRANCE .
EPITRE AUX BELLES.
JEund Eunes beautés , que la nature
Fit naître pour troubler le repos des mortels ,
De l'univers vous êtes la parure ,
Et vos appas méritent des autels.
L'homme fimple éclairé par les feules lumieres ,
Cherchant dans le cahos l'obfcure vérité ,
N'eût pas fubi le joug de tant d'erreurs groffieres ,
S'il eût fçu vous choiſir pour fa divinité.
Vous charmez tout ; que fert de vous le dire
L'ignorez -vous : hélas ! de vos attraits
Vous ne croyez jamais
Pouvoir fixer l'empire .
Non non,fans doute , il n'eft rien fous les cieux
Qui puiffe réfifter au pouvoir de vos yeux ;
Mais bien fouvent vos tyranniques charmes
Pour défendre nos coeurs
Nous fourniffent des armes.
Voilez avec des fleurs
Les fers de l'esclavage
Si vous voulez long- tems conferver notre hommage
:
L'esclave révolté
Juge mieux du poids de fa chaîne
Par le prix de la liberté.
Votre fierté l'éloigne , un autre efpoir l'entraîne
FEVRIER. 1755 71
Je gémis quelquefois
Quand je vois un minois
Formé par le pinceau des Graces ,
Dont un regard , un fouris dédaigneux ,
Un air impérieux
Viennent défigurer les traces.
L'art féduit fans charmer.
Ne croyez point embellir la natu re :
De la fimplicité la route eft la plus fûre ,
Par d'innocens appas on fe laiffe enflammer.
Si la coquette infpire une ardeur paffagere ,
C'eft un jeu de l'amour ;
C'eft une flamme fi légere
Qu'on la voit naître & mourir en un jour,
Un gefte étudié n'offre rien qui nous flate ,
D'une belle harmonie , il trouble les accords :
Le coeur n'eft point fenfible à l'effet des refforts
Du plus bel automate.
Ah ! qu'un fateur eſt dangereux !
Vous verroit-on courir à de vains artifices ;
Si tant d'adorateurs aveuglés par leurs feux
N'encenfoient pas juſques à vos caprices ?
Je fens que la beauté
Mérite notre hommage ,
C'eſt un des attributs de la divinité ,
*
" Elle en eft la vivante image.
Mais à chérir les dieux nos coeurs font animés
Par cet attrait vainqueur que leur bonté fait naî
tre ;
72 MERCURE DE FRANCE.
Si le tonnerre feul nous les faifoit connoître ,
Ils feroient craints fans être aimés.
Un heureux caractere
N'a point l'éclat brillant des appas féducteurs ;
Par un effet moins prompt il trouve l'art de plaire,
Sa douceur enchaîne les coeurs.
Quel feroit votre empire
Si vous réuniffiez tant de dons à la fois ?
L'inconftance & le tems ne pourroient le détruire,
Et vos defirs feroient des loix.
Mais du génie encor la puiffance plus grande
De votre fort rendroit les dieux jaloux ,
Ils verroient leurs autels fans culte & fans offrande,
Et l'univers à vos genoux.
Non , ils ont prévenu leur honte & votre gloire ;
Et pour mieux triompher , fouvent ils vous font
croire
Que le talent entraîne une frivolité
Qui deshonore la beauté :
Ou plutôt à vos yeux , d'un miroir infidele ,
Ils préfentent l'art impofteur.
Vous y lifez que quand on eft fi belle ,
On a les agrémens de l'efprit & du coeur .
Qu'il eft aifé de croire
Tout ce qui flate notre gloire !
La louange eft l'écueil des coeurs ambitieux.
D'un piége dangereux
Pénétrez l'artifice ;
Redoutez l'art d'un difcours trop flateur ,
Dont
FEVRIER.
1755 . 73
Dont le poifon agréable & trompeur
Plus aisément ſe gliffe.
L'éclat d'un trop grand jour affoiblit les couleurs,
Et n'éclaire que trop l'oeil de la jaloufie ;
Plus vos attraits vous font d'admirateurs ,
Plus vous devez craindre l'envie..
Le beau ſexe , dit- on , contre moi s'armera :
Quelle erreur ! je me ris d'une folle menace ;
Aucune ici ne fe reconnoîtra
Au portrait que je trace .
Par M. ***
D
74 MERCURE DE FRANCE.
ODE
A M. LE DUC D'AIGUILLON ,
Sur la dédicace de la Statue érigée à Louis
XV, dans une des places de Rennes.
Q
Uel Dieu , de mon réduit , troublant Pheureux
filence ,
Au paifible fommeil d'une chere indolence ,
Par un magique effort, vient arracher mes fens! ...
N'en doutons point , du Dieu ( de la docte manie }
C'eſt le rédoutable génie :
Puis-je le méconnoître aux tranſports que je fens
Mais loin des bords pompeux de la Seine orgueilleuſe
,
Dans quelles régions fon aîle perilleuſe ,
Entraîne malgré moi mon efprit allarmé ? ...
Que vois-je ? ... ô tendre erreur ! dans ma douce
patrie ,
Au gré de mon ame attendrie ,
Soudain je me revois , moins furpris que charmé.
O théatre chéri des jeux de mon enfance !
Quel Dieu femble fur toi déployer fa puiſſance ?
O fpectacle enchanteur dont tu frappes mes yeux !
FEVRIER.
75 1755.
Quels feux ! quels doux feftins ! quels concerts
d'allégreffe t
Bacchus , la joie & la tendreffe
Te rempliffent au loin d'un trouble précieux .
Arrête , ô peuple heureux ! que la gaité tranfporte
,
Et dont la foule aimable & m'entraîne & m'emporte
;
Apprens-moi ton bonheur , dont mon coeur fait le
fien.
Mais quel beau monument s'éleve en ton enceinte
?
J'y reconnois l'image empreinte
D'un heros pacifique & d'un Roi citoyen.
C'eft donc ce monument & d'amour & de zele ,
Que confacre à ton Roi ta franchiſe fidele ,
Qui fait naitre en ton fein l'ivreffe & les tranfports
:
Si ce bronze muet , où manque fa grandeame ,
D'une fi vive ardeur t'enflamme ,
Que feroit la préſence embelliffant tes bords
Vous , à qui les talens , la vertu généreuſe ,
Plutôt que la faveur volage & dangereuſe
Ont mis entre les mains la pleine autorité ,
Et qui ne l'exercez au fein de ma province
Que pour y faire aimer un Prince
Dij
76 MERCURE DE FRANCE ,
Dont elle adore en vous l'héroïque bonté :
Apprenez , d'Aiguillon , à ce Monarque fage
Quels furent , à l'afpect de fon augufte image ,
De nos coeurs enflaminés & l'ivreffe & les voeux.
O! que d'un tel amour la peinture fidele ,
Dans une ame fenfible & belle ,
Doit enfanter foudain de tranfports généreux
Mais cette aimable fête eft à peine paſſée ,
Et déja fecondant votre ardeur empreſſée ,
Louis verfe fur nous fes dons multipliés ,
Alors même qu'il fçait que d'utiles fervices
Et d'honorables facrifices
D'un feul de fes regards feroient affez payés .
Quand , fur fon char de fang , Bellone échevelée ,
Parcourant en fureur l'Europe defolée ,
De fon fouffle homicide , eut embrafé les coeurs ;;
Partageant d'un heros les dangers & les peines ,
On vous a vû dérober Genes
Au barbare pouvoir de fes tyrans vainqueurs.
A préfent qu'un ciel pur rayonne fur nos têtes ,
Un foin pour nous plus cher que d'illuftres conquêtes
,
Remplit votre loifir fécond & glorieux ;
La guerre offroit en vous un heros formidable ,
La paix offre un heros aimable
Qui nous affujettit en nous rendant heureux,
FEVRIER. 1755 . 77
Non , ne nous croyez pas tels que nous peirt
l'envie ,
Qu'elle s'efforce en vain de noircir notre vie ; . . .
Conftamment , du devoir , nous écoutons la voix :
Chacun de nous en fait fa plus chere fcience ,
Et nous n'apprenons dans l'enfance
Qu'à refpecter les Dieux , & qu'à chérir nos Ro
Nos coeurs , quoiqu'un peu fiers , ne font pas inflexibles
,
La gloire & la vertu les trouverent ſenſibles ,
Et jamais on n'en vit plus jaloux de l'honneur.
Mais oùregne une vile & baffe flatterie ,
On doit traiter de barbarie
Une franchiſe mâle , une noble candeur.
D'une épouse , par vous juftement adorée ,
La modefte vertu par les Graces parées ,
Les talens , la douceur , le caractere heureux ,
Prouvent que parmi nous la nature difpenfe
Ses faveurs avec abondance ,
Et qu'il y naît des coeurs nobles & généreux.
Dij
78 MERCURE DE FRANCE..
LE mot de l'Enigme du Mercure de Janvier
eft Epingle. Celui du Logogryphe.
eft Pirrhonifme , dans lequel fe trouvent
Mein , Rhin , Rhône , miroir , Iphis , héros ,
Rome , Simon , renom ,, ferin , firop , rofe .
finon.
ENIGM E.
DANs mes filets je tiens prefque toutes les
belles;
Mais à ton grand étonnement ,
Lecteur , j'ai beau les traiter durement ,
Je n'en fuis pas plus haï d'elles.
Quand je montre moins de rudeffe ,
On me quitte dans le moment ;
Point de quartier , fur-tout à la jeuneffe.
Et fipour de beaux yeux j'euffe eude la foibleffe ,
Combien de gens dans l'univers ,
Qui vont droit , iroient de travers ,
Mlle A. M..
FEVRIER. 1755. 79
LOGOGRYPHE.
Uoique je fois fort & méchant , Joique
On m'aime ; je ne fçais comment.
Je fuis petit de ma nature ,
Je porte avec moi la brûlure ;
Je mets le feu dans les palais ,
Et malgré mes vilains forfaits ,
(Ce qui doit paroître incroyable )
Oh me demande à chaque table.
On craint de toucher un ragoût
Sans avoir confulté mon goût.
Lecteur , je dois mon exiſtence
A fix lettres de conféquence.
Compofes , décompoſes-moi ,
Bientôt tu trouveras de quoi
Soulager l'humaine mifere ;
C'est ce métal fi précieux ;
Ah ! j'en dis plus que je ne veux.
Un fruit dont le goût flate l'homme ,
Qui va de pair avec la pomme
Ce qu'on regrette de quitter.
Ce qui nous fert pour tranfpirer.
J'offre un oifeau , dont le plumage
Fait l'ornement & l'avantage.
Un des fept pechés capitaux ,
D iiij
So MERCURE DE FRANCE.
Ce qu'il faut craindre dans fes maux.“
Enfin ce mortel , dont l'image
Paroît peu néceffaire au fage ;
Qui content de fon petit train
Refuſe l'or . Un fac à vin ;
Une note de conféquence.
Une... Je fais ma révérence.
L'Abbé Ren *
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
A ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONĄ
.
VAUDEVILLE
Paftoral .
Fur un Chrône de fougêre,
www
Chez nous régne le plaisir, Et de
fleurs sa main légère y couronne
le désir, Lepouvoir, etle biensu
prême, Sontpourun coeurbien enfla
-mé On estRoy, quand on Aime,
On estDieu,quand on estAime; Le
FEVRIER. 1755 .
81
VAUDEVILLE PASTORAL.
U R un throne de fougere , UR
Chez nous regne le plaifir ,
Et de fleurs , fa main légere
Y couronne le defir..
Le pouvoir & le bien fuprême
Sont pour un coeur enflammé :
On eft Roi , quand on aime
On eft Dieu , quand on eft aimé.
J'égale , en aimant Colette
Les Rois & les immortels ;
Un gazon , une houlette ,
Sont mon fceptre & mes autels.
Le pouvoir , & c.
Je lui plais , elle m'enflamme ;
Quel fort eft plus glorieux !
Mes tréfors font dans fon ame ,
Et ma gloire eft dans fes
Le pouvoir , & c .
yeux .
;
Dv
82 MERCURE DE FRANCE .
Eft-il un plus doux empire
Que celui d'un tendre coeur !
On regne , quand on reſpire
Pour un aimable vainqueur.
Le pouvoir , & c.
D'une fi douce victoire ,
Que l'amour ait tout l'honneur :
Le chanter , c'eft une gloire ;
Le fentir , c'eft un bonheur.
Le pouvoir & le bien ſuprême
Sont pour un coeur enflammé :
On eft Roi , quand on aime ;
On eft Dieu , quand on eft aimé.
Avis de l'Auteur du Mercure.
JE réitere ici la priere que j'ai déja faite
à tous nos bons écrivains , de vouloir bien
enrichir mon recueil de quelques unes de
leurs productions. M M. de Montefquien
de Marivaux & Duclos viennent fucceffivement
de leur montrer l'exemple , que
MM . de Fontenelle & de Voltaire avoient
donné les premiers. Ils font tous faits pour
être fuivis.
FEVRIER. 1755 .
8.3
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
JOU
OURNAL ÉTRANGER , ouvrage périodique
, Janvier 1755 , qui a pour épigraphe
, Externo robore crefcit , Claud . &
qui fe vend à Paris , au Bureau du Journal
Étranger , rue Saint Louis au Marais ,
vis-à - vis le Bureau de la Régie des cartes ;
chez Piffot , quai de Conti ; Sangrain le
fils , & Duchefne , rue Saint Jacques.
M. l'Abbé Prévôt eft à préſent à la tête
de ce Journal , qui ne peut être rédigé
par une plume plus élégante ; elle embellit
tout ce qu'elle traite . Son Avertiffement
eft une pièce d'éloquence , les promeffes
qu'il y fait au public font magnifiques , &
perfonne n'eft plus en état de les remplir
que lui. Cet éloge de ma part eft d'autant,
moins fufpect , que je le loue à mon préjudice.
C'eft un nouveau Journal qui s'éleve
, pour ainfi dire , à mes frais & dépens
; il prend la même forme , il embraffe
, comme moi , tous les genres : il ne
fe borne pas à la littérature fçavante , il
étend fes courfes fur toute la partie agréable
, & même fur celle des fpectacles , qui
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
font mon domaine particulier. Comme il
ufurpe ainfi tous mes droits , il ne doit
pas trouver mauvais que je m'enrichie
quelquefois de fon butin , & que je falſe
ufage des extraits qu'il donnera des piéces
de Théatre , ou des Romans étrangers
pour les oppofer aux nôtres. Mon but eft
de mettre par là le lecteur françois à portée
de connoître l'efprit des autres nations ,
& de comparer leur goût avec le fien pour
en mieux fentir la différence ; c'eſt le plus
fûr moyen
de guérir les préventions trop
fortes pour ou contre les étrangers . Les
uns trouvent les feuls ouvrages anglois
admirables , ils font le fruit du génie :
les autres n'approuvent que les écrits françois
; ils font le modele du goût. Je crois
que ce goût pur & vrai reffemble à la
vertu , qu'il fuit les extrêmités , qu'il
n'eft ni en-deça ni au- delà , & qu'il refide
, comme elle , dans un milieu raifonnable.
N'en ayons jamais d'exclufif ; eftimons
les étrangers par où ils font eftimables
; fans nous déprimer , louons encore
moins notre efprit aux dépens du
leur ; ne les étudions que pour nous perfectionner
enrichiffons notre littérature
de leurs tréfors , & profitons de leurs beautés
fans imiter leurs défauts. Je com -
mence par le précis ou le programme de
FEVRIER. 1755. 85
Philoclée , tragédie angloife , dont M.
l'Abbé Prévôt a fait un extrait détaillé :
mais je le porte à l'article des Spectacles ,
il fera là mieux à fa place. Les piéces de
comparaifon y feront plus voifines ; j'y
renvoye le lecteur , il y trouvera Philoclée
après le Triumvirat .
EXTRAIT DES MÉMOIRES DU MARQUIS
DE BENAVIDÈS , en fept parties ; dédiés à
S. A. S. Madame la Ducheffe d'Orléans .
Par M. le Chevalier de Mouhy , de l'Académie
des Belles- Lettres de Dijon.
J'ofe établir pour maxime qu'un Roman
ne fçauroit trop l'être. Il faut que les
incidens , pour frapper , fortent de l'ordre
commun ; que les fentimens , pour fe faire
admirer , paffent les bornes de la nature
ordinaire , & que les premiers perſonnages
, pour intéreffer , ayent un corps & une
ame d'une trempe fupérieure à celle des
autres hommes. Les Mémoires de Benavidès
ont ces trois qualités effentielles . Afin
de le prouver en regle , je vais les envifager
fous trois afpects différens qui en
feront l'extrait raifonné . La fingularité des
événemens dont ce Roman eft rempli , offrira
le premier point de vue . La grandeur
des fentimens qui les ont fait naître , préfentera
le fecond ; & l'excellence des di86
MERCURE DE FRANCE.
vers caracteres de fes héros , qu'ils doivent
à celle de leur complexion , mettra le troi--
fiéme dans tout fon jour.
Singularité des événemens.
Cette fingularité commence par la naiffance
du Marquis de Benavidès. Don Ro--
drigue , premier Miniftre d'Alfonfe , poignarde
Ifabelle fa femme , par un coup fingulier
, du defefpoir où il eft de la voir fteri
le ; elle eft fecourue , la bleffure n'eft pas
mortelle , elle en revient , & court fe cacher
dans une retraite , pour ſe fouftraire
aux fureurs de fon mari. Don Rodrigue ,
pénétré de remords & de tendreffe , la
cherche par- tout , & découvre enfin le
Couvent où elle s'eft retirée . Il enleve
fon épouſe , il obtient fon pardon , &
tous deux renouent avec l'ardeur de deux
amans qui s'adorent. De cette réunion furprenante
, naît Benavidès ; il court à la
gloire à pas de géant ; à feize ans il eft
fait Général : les héros ont une difpenfe
d'âge pour remplir les premiers poftes. Il
furprend l'Empereur de Maroc fur une
éminence , le fait prifonnier avec toute
fa maifon , & l'envoye captif à la Cour
d'Efpagne. De là il court affiéger Maroc ,
il y entre par furpriſe ; mais il eſt arrêté
par le nombre fupérieur des Africains.
FEVRIER. 1755. 877
11 - fe refugie avec les troupes dans une
Mofquée , dont il fait fermer les portes ;
tandis que les Maures les enfoncent , il
fait fortir habilement fes foldats par une
porte de derriere qu'il a pratiquée , & la
rebouche après. Les Maroquins fe jettent
dans la Mofquée par la grande porte.
Quand ils y font tous entrés , le Général
Eſpagnol la fait barrer avec de groffes poutres
; un gros des fiens empêche en mêmetems
, à coups de fabre , la fortie des en--
par la porte dérobée. Ils fe trou--
vent pris , comme d'un coup de filet , au
nombre de huit mille dans ce teinple ,
qu'il faut fuppofer très- vafte , & ils font
tous obligés de mettre bas les armes , & de
fortir l'un après l'autre , de peur d'être
brûlés tous enſemble.
nemis
La nouvelle de ce rare fait d'armes rem →
plit la Cour d'Eſpagne d'admiration ; il faut
avouer qu'il le mérite par fa nouveauté.
La fille d'Alfonfe y prit un intérêt plus
fenfible qu'elle n'auroit voulu : elle avoit
eu jufques- là un éloignement marqué pour
tous les hommes ; ce brillant exploit l'en
corrigea. Le héros étoit aimable , & fa
gloire lui devint chere. Les ennemis de
Benavidès voulurent la ternir , & foulever
le peuple , en répandant le bruit que Benavidès
, bien loin d'avoir fervi l'Etat , venoit
88 MERCURE DE FRANCE.
de le trahir , & qu'il devoit époufer la fille
du Calife ; mais la fageffe du Roi calma
cet orage , & la fauffeté de l'accufation
fut dévoilée . Don Sanche , Prince du Sang,
& Velafquès , fecond Miniftre , qui en
étoient les auteurs fecrets , employent deux
affaffins , l'un pour fe défaire de Benavidès
par le fer , & l'autre pour faire périr
le Roi par le poifon ; ce qui occafionne un
incident des plus neufs , il vaut la peine
d'être raconté : le voici.
Le bruit fe répand tout-à-coup que le
Roi eft malade ; perfonne ne pénetre dans
fon appartement que Don Sanche & fes
créatures ; l'Infante de Caftille n'en eft
pas exceptée. D. Rodrigue eft empoifonné.
Tout ce que peut faire Blanche , dans cette
cruelle pofition , c'eſt de ſe ſervir du miniftere
d'Hordès , auffi bon médecin que grand
politique ; il avoit à peu près l'âge & la
taille de fon vieil Ecuyer ( on a toujours
befoin de ces reffemblances , pour aider le
Roman ) . Elle lui fait prendre l'habit de
cet homme , & lui donne la main , va chez
le Roi , & trouve le moyen d'y entrer avec
fon faux Ecuyer , ferme les verroux , ouvre
les rideaux du lit de fon pere , le voit
pâle & les yeux fermés. Hordès lui tâte le
pouls , & dit à l'Infante que le Roi eft dans
un danger manifefte , mais qu'il pourroit
FEVRIER. 1755. 85
à
le fauver s'il étoit à portée de lui donnes
un fecours auffi prompt que néceffaire. Il
a heureuſement fur lui un élixir propre
rendre à un corps abbattu , pour quelques
momens , toutes fes forces . Il en donne à
Don Alfonfe , qui reprend connoiffance .
Comme Blanche reffemble parfaitement à
fon pere ( je parle d'après l'Auteur ) , elle
prend fes habillemens de nuit , lui donne
les fiens , le coëffe de maniere qu'à peine
entrevoit- on fon vifage , & fe met dans
fon lit. Hordès , qui le foutient , parvient
heureuſement à le faire fortir du Palais
fans rencontre fâcheufe , il le conduit en
chaife dans une maifon ifolée. A peine
le Roi est - il parti que l'Infante fe décou
vre à un garçon de la chambre nommé
Hyago , dont elle connoît la fidélité , fait
avertir par fon moyen fon Capitaine des
Gardes de fe mettre promptement en état
de la feconder dans fes projets ; & dès
qu'elle eft fûre de ce fecours , elle fair
dire à Don Sanche & à Velafquès que le
Roi vient d'expirer. Elle fe leve en même
tems , prend la robe de chambre de fon
pere , s'arme d'un poignard , & fe met dans
l'embrafure d'une croifée voisine de la
porte par où les traîtres doivent paſſer.
Velafquès qui entre avec D. Sanche, fe jette
aux pieds de ce Prince , pour être le pre90
MERCURE DE FRANCE .
du
mier à lui rendre hommage. D. Sanche
pour ne point laiffer un témoin de fes crime
, tire fon épée , la lui paffe au travers
corps . L'Infante au même inftant perce
D. Sanche ; il tombe , Hyago l'acheve.
Le Capitaine des Gardes de la Princeffe
arrive à point nommé avec fa troupe ,
fait main- baffe fur les conjurés. La fanté
du Roi fe rétablit , & tout rentre dans l'ordre.
D'autres incidens non moins tragiques
fe fuccedent rapidement .
&
Dans le même tems le Marquis de
Benavidès eft affaffiné en Afrique , par un
fcélérat , qui le frappe au moment qu'il eft
feul occupé à faire fes dépêches . I bleffe
fon meurtrier , qui a la force deffe fauver
par la fenêtre , & tombe noyé dans fon
fang il échappe à la mort , & revient à
la Cour. Zulime , fille du Calife , qu'il at
refufé d'époufer , prend l'occafion d'un bal
pour venger cette offenfe fur le Général
Efpagnol ; mais dans fa fureur elle prend
le Roi pour lui , & lui porte un coup de
poignard. Benavidès qui accompagne Alfonfe
, fe jette fur Zulime , lui arrache le
fer , & le plonge dans fon fein. Le Roi
guérit de fes bleffures , ainfi que Zulime ,
dont il eft amoureux , déclare la guerre aux
Anglois , qui avoient favorifé la révolte
d'un Prince de fon fang contre lui . BenaFEVRIER.
1755 . 91
vidès paffe en Angleterre , & fe rend maî--
tre des trois quarts de cette Iffe ; mais par
un revers de fortune il eft fait prifonnier.
D. Alfonfe traverfe lui-même les mers ,
rompt les fers de fon favori , foumet Londres
, convoque les Etats , & fait élire Benavidès
Roi d'Angleterre. Il retourne enfuite
en Eſpagne ; il accorde l'Infante fa
fille aux Ambaffadeurs du nouveau Monarque
de Londres , qui brûle pour elle
d'un amour mutuel ; & dans le tems que
celui qui eft chargé de l'époufer en fon
nom s'approche pour recevoir la main de
Blanche de Caftille , Benavidès qu'on croità
Londres , paroît tout à coup , & reçoit
lui-même cette main fi defirée.
Ce font là de ces coups inattendus qui
furprennent dans un Roman , & qui le
mettent au-deffus de l'hiftoire . Dans celle--
ci l'Ambaffadeur Anglois eût tout fimple
ment , à l'ordinaire , époufé la Princeffe
pour fon maître : on auroit même trouvé
mauvais que Benavides eût quitté fes Etats.
nouvellement conquis , & rifqué de les
perdre , pour fe fignaler par un trait de
galanterie déplacée, Mais ce qui feroit un
défaut dans des mémoires purement hifto
riques , devient une beauté dans des aventures
vraiment romanefques. C'eft là qu'il
eft beau, d'être fingulier , & de hazarder:
2 MERCURE DE FRANCE.
la perte d'un royaume , pour fuivre le
tranfport d'un amour empreffé.
Grandeur des fentimens.
Ces nobles écarts partent d'un coeur audeffus
du vulgaire , & de pareils inciden's
font éclater la grandeur des fentimens qui
les produifent. Cette grandeur héroïque
brille par-tout dans ce Roman ; elle caracterife
fes principaux perfonnages . Benavidès
, parmi plufieurs traits d'héroïfme , fe
diftingue par un des plus rares. Edouard ,
furieux de voir fon Royaume prêt d'être
entierement conquis par le Général Efpagnol
, lui envoye un cartel , que ce dernier
refufe. Benavides aime mieux facrifier
l'honneur de mefurer fon épée avec
celle d'un Roi , à la gloire plus folide de
ne pas compromettre les intérêts de fon
Prince. Il trouve plus noble de laiffer foupçonner
fa bravoure , que de mettre en rifque
la conquête d'un Etat qu'il eft für
d'affurer à D. Alfonfe avec le fecours de
fes troupes ; cela paffe le heros , voilà le
grand homme. Le Roi encherit de fon
côté fur ce procédé magnanime , en pla
çant Benavides fon fujet fur le trône d'Angleterre
, dont fa valeur l'a rendu maître.
Ce trait eft au-deffus d'un Monarque , il
eft digne d'un Dieu , qui mefure fes bienFEVRIER.
1755. 9 *
faits à fa grandeur , & au mérite de celui
qu'il récompenfe. Blanche de Caftille fe
ignale par un effort de tendreffe & de
courage , qui n'eft pas moins admirable.
Digne fille d'Alfonfe , pour arracher au
tombeau fon pere empoifonné , elle prend
fes habits , & fe met à fa place , comme je
viens de le dire. Elle fait plus , elle perce
de fa propre main le premier auteur d'un
crime fi noir , & brave la mort pour la
lui donner. Cet exploit furprenant illuftre
la Princeffe autant que la fille ; il en fait
une héroïne que je préfere à Jeanne d'Arc.
Excellence des caracteres,
Tout eft merveilleux , tout eft afſorti
dans les mémoires dont je parle . Si les
fentimens en font grands , par une fuite
naturelle les caracteres en font beaux &
foutenus. Ses héros en doivent l'excellen
ce à celle de leur complexion . Nos vertus ,
ainfi que nos vices , dépendent de la qualité
& de la circulation du fang. Pour nous
porter au bien , il faut qu'il coule pur &
fans obftacles dans nos veines. La régula
rité de fon cours influe le plus fouvent fur
celle de notre conduite ; quand il circule
mal , nous agiffons de même. Le mal -aife .
du corps donne de l'humeur à l'ame ; l'hu
meur rompt l'équilibre néceffaire ; elle al94
MERCURE DE FRANCE.
tere cette égalité d'efprit , mere des vertus.
Un Poëte célebre a dit ,
Bonne ou nrauvaiſe fanté
Fait notre philofophie.
Elle fait auffi notre héroïfme , ces deux
mots bien analyfés font fynonimes . Un
Grand infirme ou cacochyme fait fouffrir
fes inférieurs des maux qu'il fouffre luimême.
Il voit tous les objets dans un mauvais
jour: ils prennent à fes yeux la couleur
de l'humeur noire où le jettent fes fouffrances.
Quelques talens qu'il ait , ils font
ternis par cette humeur qui le rend injuſte,
bizarre & fouvent cruel , il n'a de l'efprit
que pour nuire : c'eſt le héros de Machiavel
, prêt d'immoler tout à fa fombre politique.
Le véritable héros eft tout différent.
Il ne confulte , il ne fuit que la générofité
; il la fait fouvent éclater aux dépens
de fa fortune & même de fa raiſon.
Tel eft Benavides , grace à l'heureux naturel
qu'il tient de la bonté de fon tempérament.
Je vais avancer à ce propos un fentiment
qui aura d'abord l'air d'une plaifanterie
, mais auquel je tiens très -férieuſement
, & qui bien examiné de près eft
d'une vérité inconteſtablę. Je maintiens
FEVRIER. 1755. 95
qu'un Romancier ne fçauroit être trop attentifà
donner une fanté robufte aux perfonnages
qu'il met en action. Dans les différens
combats qu'ils font obligés de livrer
, dans les coups qu'ils reçoivent , dans
les tourmens qu'ils éprouvent , ils ont befoin
d'un corps à toute épreuve. C'eſt un
point effentiel que M. le Chevalier de
Mouhy n'a point oublié ; tous fes héros font
bien conftitués . D. Alfonfe eft doué d'une
vigueur qui résiste au fer & au poifon . Be
navidès n'a pas moins de force : on a beau
le poignarder , il triomphe du couteau de
l'affaflin , & reparoît brillant de ſanté ,
quand on le croit au rang des morts. Zulime
, la fille du Calife , ne leur céde
point en bonté de complexion ; elle guérit
de fes bleffures auffi promptement qu'Alfonfe
, qui l'époufe , & qui la couronne.
•
Le ftyle ou le coloris répond au deffein de
l'ouvrage , ce qu'on doit eftimer dans l'auteur
; il va toujours à l'intérêt. S'il eft prodigue
, ce n'eft qu'en incidens. Il eft fobre
en réflexions , & préfere toujours un fait
fingulier à une penſée neuve. Par ce moyen
fa morale n'ennuie jamais , elle eſt toujours
en action. On doit lui en fçavoir
d'autant plus de gré , qu'aujourd'hui nos
Ecrivains ont la fureur de l'efprit , ou plu
tôt la prétention , fans en avoir fouvent
les titres.
46 MERCURE DE FRANCE.
Je confeille à tous les jeunes gens qui
prennent le parti des armes , d'acheter ces
mémoires ; leur lecture est une Ecole militaire.
Les premiers Officiers y font non
feulement briller toutes les vertus de leur
état , mais les guerriers fubalternes y donnent
encore des leçons de courage & de
magnanimité . Je crois ne pouvoir mieux
finir cet extrait que par l'action d'un foldat
, qui m'a paru trop belle pour la paffer
fous filence. Les Espagnols avoient affiégé
Northombrie. Ils avoient remarqué fous
le pont-levis de la place une bréche par
où l'on pouvoit y entrer . Plufieurs defcendent
dans le foffé . Deux heures après le
point du jour , les Anglois ayant baiffé le
pont , les Espagnols plantent auffi-tôt leurs
échelles , fautent deffus , & tombent fur
l'ennemi . Le Commandant de la Garde
ordonne aux fiens de lever le pont , quoiqu'il
puiffe en coûter. Les Efpagnols ont
beau combattre , le nombre les accable ,
une partie eft déja culbutée dans le foffé ,
l'autre eft investie , & preffée par une foule
d'ennemis qui vont enlever & baiffer le
pont . Un foldat qui s'en apperçoit , ramaffe
une cheville de fer qui fert à l'arrê
ter , & veut la paffer dans l'anneau : un
coup de fabre lui coupe le poignet , & la
lui
FEVRIER. 1755.
97
lui fait quitter * : ô valeur fans pareille !
L'intrépide Efpagnol releve la cheville de
F'autre main , & la place. Ce coup hardi
décide du fuccès de l'entrepriſe.
tôt
>
L'action , toute prodigieufe qu'elle eft ,
trouve fon modele dans l'hiftoire . Cynegire
, frere du fameux Efchile , Poëte tragique
, à la journée de Marathon , arrête
d'une main un vaiffeau des Perfes qui
avoient pris la fuite : ayant eu cette main
coupée , il le faifit alors de l'autre bras
qu'il perd encore dans ce combat , & pluque
de lâcher prife , il mord le vaiſſeau
pour le retenir. Il n'eft point encore vaincu
par la perte de fes deux mains , pour
me fervir des expreffions de Juftin , il
combat avec le tronc de fon corps & avec
fes dents même , comme un lion féroce
qui triomphe en expirant . L'Hiftorien ici
va plus loin que le Romancier , & la copie
eft beaucoup moins chargée que l'original.
Ce qui fait voir que M. de M. fçait
affujettir même le merveilleux aux loix de
la vraiſemblance ; s'il a fuivi Juſtin , c'eſt
pour le corriger , peut-être même s'eſt- il
rencontré avec lui fans avoir l'imitation
en vûe. Il eft affez fécond & affez riche
* Cette exclamation eft de l'Auteur ; je n'y
ajoûte rien.
E
98 MERCURE DE FRANCE.
par lui- même pour n'avoir pas befoin d'emprunter
rien des autres.
Le catalogue de fes nouvelles oeuvres ,
que je vais joindre à cet extrait , eft un
garant de fon heureuſe abondance. Il eft
précédé d'un avertiffement que je mets ici
tel que l'Auteur l'a fait imprimer , & tel
qu'il me l'a envoyé .
AVERTISSEMENT.
Le catalogue des OEuvres de M. le Chevalier
de Mouhy , demeurant à l'entrée de
la rue des Cordeliers , près de la Comédie
Françoife , placé dans l'Almanach des
Beaux Arts , & à la fuite des derniers ouvrages
de cet Auteur , ayant perfuadé qu'on
les trouveroit chez lui , y ont fait envoyer
fi fouvent qu'il eft obligé d'annoncer ici ,
que les éditions de la plus grande partie de
fes anciennes productions font confommées
, & que celles qui ne le font pas encore
fe vendent chez les Libraires défignés
à la fuite des titres . Mais voulant éviter
la peine à l'avenir à une infinité de perfonnes
de venir inutilement chez lui , il
met ici les noms des nouveaux ouvrages
qu'il a fait imprimer depuis deux ans chez
Jorry , quai des Auguftins , que l'on vend
aufli chez Duchefne , rue S. Jacques ; &
FEVRIER. 1755. ୨୭
chez lui , rue des Cordeliers , afin qu'ils
fçachent où les trouver.
Nouveaux ouvrages de M. le Chevalier de
Mouby , de l'Académie des Belles- Lettres
de Dijon.
Les Tablettes dramatiques , contenant
le Dictionnaire du Théatre François , avec
l'abrégé de l'hiftoire de ce Théatre ; les vies
des Auteurs & des Acteurs , &c , in - 8 ° ,
avec les fupplémens qui fe donnent gratis
chaque année , broché 6 livres , relié 6 1 ,
12 f.
Les Délices du fentiment , 6 vol . in- 12 .
broché 10 l . 16 f. relié 15 liv .
Les Mémoires du Marquis de Benavidès
, Roman moral , 7 vol. in - 12 . broché.
huit livres huit fols , relié dix livres douze,
fols.
Les Lettres du Commandeur , avec les
réponſes , fe vendront à l'avenir 6liv. brochées
les trois vol. & 8 liv . s L. reliées ,
parce qu'il n'y en a plus que fort peu qu'on
a fait revenir de Hollande , qui ont coûté
18 liv. de
port.
Le Répertoire des pieces reftées au théatre
françois , ou le petit Dictionnaire du
théatre françois , broché 15 f. relié 1 liv.
4. f.
Les Supplémens aux tablettes dramati-
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
ques pour les années 1752 , 1753 , 1754
& 1755 , diftribués gratis à ceux qui ont
acheté l'ouvrage , fe vendent 12 f. chacun ,
lorfqu'on le prend à part , c'eſt- à -dire fans
les Tablettes .
Le Financier , fous preffe , en quatre volumes.
HISTOIRE UNIVERSELLE SACRÉE ET
PROFANE , compofée par ordre de Mefdames
de France. A Paris , chez Guillaume
Defprez , Imprimeur ordinaire du Roi &
de Mefdames de France , rue Saint Jacques
, à S. Profper & aux trois Vertus ,
1754 , cinq vol . in- 12 .
Ón ne donne aujourd'hui que la
premiere
partie de cet ouvrage . M. Hardion
de l'Académie Françoiſe , en eft l'auteur.
Il nous apprend dans une courte Préface ,
que le plan lui en a été tracé par Madame
Adélaïde , & que le zéle qui l'anime pour
le ſervice de Mefdames , l'a dirigé dans
cette entrepriſe. Voici comme il s'exprime
à ce fujet. Leur intention a été de fe rap-
» peller leurs lectures , fuivant l'ordre des
» tems , dans une hiftoire univerfelle , qui
» n'eût ni la féchereffe ordinaire des abrégés
, ni l'étendue des hiftoires particu-
» lieres ; il falloit raffembler en un corps
»ce que l'hiftoire offre de plus mémoraFEVRIER.
1755. 101
13
» ble , de plus utile , & de plus intéref-
» fant ; faire connoître les caracteres des
perfonnages qui ont joué fur les diffé-
" rens théatres les rôles principaux ; met-
» tre les lecteurs en état de fe faire à eux-
» mêmes des leçons de morale & de politique
d'après les tableaux qu'ils auroient
» fous leurs yeux ; enfin compofer un tout
dont les parties fuffent liées entr'elles ,
»fans embarras & fans confufion . Tel
» eft l'objet du travail qui m'a été im-
33
pofé , & je fuis bien éloigné de penſer
» que je l'aye rempli auffi parfaitement que
» je l'aurois fouhaité. « C'eſt ainfi que M.
Hardion a pris foin de nous expofer les
vûes qu'il s'eft propofées dans le plan de
l'ouvrage qu'il publie. Il ne s'agit à préfent
que de dire un mot de la méthode que
l'auteur a employée dans l'exécution . Pour
mettre l'ordre & la clarté qu'exige la diverfité
des faits qui entrent dans fa narration
, il s'eft attaché à la divifion commune
qui établit les fept principales époques
que fournit l'hiftoire fainte ; conféquemment
il a cru devoir placer fous chacupe
de ces époques , les événemens qui
s'y rapportent. Cependant comme il a obfervé
de donner féparément l'hiftoire de
chaque nation , il avoue que cela l'a quelquefois
obligé de répéter les mêmes faits
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
avec plus ou moins d'étendue , felon qu'its
appartiennent plus ou moins directement
à l'hiftoire de chaque Empire & de chaque
République : il n'a pourtant point ba
lancé à vaincre le fcrupule que pouvoit lui
faire naître le défaut apparent qui femble
réfulter de cette répétition , fur- tout lorfqu'il
l'a comparé aux inconvéniens réels
qu'entraîneroit après foi tout autre arrangement
fujet à embrouiller l'ordre des événemens.
Afin de mettre le lecteur à portée
de connoître la marche que M. Hardion
fuit dans le cours de cette hiftoire ,
nous allons expofer fous fes yeux les fept
différentes époques qui concourent à former
la diftribution des parties de cet ouvrage.
Premiere époque.
1
Depuis la création du monde jufqu'au
déluge univerfel , 2348 ans avant J. C.
elle comprend 1656 ans..
Seconde époque.
Depuis le déluge univerfel jufqu'à la
vocation d'Abraham ; elle renferme 427
ans. On y voit la difperfion des peuples ,
& l'origine des premiers empires .
FEVRIER. 1755. 103
Troifiéme époque.
Depuis la vocation d'Abraham jufqu'à
la délivrance des Ifraëlites de la fervitude
des Egyptiens , fous la conduite de Moyfe :
elle comprend 430 ans , & embraffe , outre
T'hiftoire des Affyriens & des Egyptiens ,
les premiers états qui fe formerent dans la
Grece , & ce qu'on appelle dans l'hiſtoire
Grecque les tems inconnus.
Quatrième époque.
Depuis la délivrance des Ifraëlites jufqu'à
la conftruction du Temple de Jerufalem
, dans la quatrième année du regne
de Salomon . Cette époque comprend environ
476 ans , & on y voit ce que dans
l'hiſtoire Grecque on appelle les tems héroïques
ou fabuleux , c'est- à-dire , où la
fable eft mêlée avec l'hiftoire .
Cinquième époque.
Depuis la conftruction du Temple de
Jerufalem , jufqu'à la premiere année de
l'empire de Cyrus : elle comprend 480 ans.
Sixième époque.
Depuis la premiere année de l'empire
de Cyrus , jufqu'à l'ere des Seleucides
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE .
ou autrement des Grecs , quelques années
après la mort d'Alexandre le Grand : elle
comprend 224 ans .
Septième époque.
Depuis l'ere des Grecs jufqu'à la premiere
année de l'ere vulgaire de J. C. elle
comprend 312 ans.
M. Hardion fe flatte avec raiſon , qu'un
travail entrepris en faveur de Meſdames ,
& deftiné à leur ufage , méritera l'attention
du public. Il a eu principalement en
vûe d'écrire pour les perfonnes du monde ,
qui fans avoir le loifir ni la volonté de ſe
livrer à des études épineufes , aiment à
trouver leur inftruction dans leur amufement.
En conféquence , il a fagement écarté
les moindres difcuffions , qui engagent toujours
dans un étalage d'érudition , dont
l'effet eft d'effrayer le commun des lecteurs
, plutôt que d'exciter en eux le defir
de s'inftruire. Son hiftoire a la qualité la
plus effentielle pour fe faire lire ; elle eſt
parfaitement bien écrite ; fon ftyle eft fimple
, clair , noble , élégant & précis. L'Aureur
s'eft préfervé de la contagion , & la
maniere dont il a traité cette premiere
partie de fon ouvrage , doit en faire defi
rer la fuite.
FEVRIER. 1755 . 105
NOUVEAUX SUJETS DE PEINTURE ET DE
SCULPTURE , avec cette épigraphe : Dives
& ampla, manet piores atque poëtas materies
. De Pict. Car. Dufrefn. A Paris , chez
Duchefne , Libraire , rue Saint Jacques , au
Temple du goût.
Cette brochure eft dédiée à Mrs de l'Académie
de Peinture & de Sculpture de
Paris. Elle paroît être l'ouvrage d'un amateur
éclairé les graces du ftyle répondent
à la nouveauté des recherches. L'Auteur
écrit avec tant de précifion , d'élégance &
d'agrément , qu'en le lifant on devient
Peintre , ou plutôt qu'on voudroit l'être ,
pour rendre fur la toile les fujets qu'il
expoſe fi heureuſement fur le papier. Deux
exemples que je vais citer perfuaderont
mieux que tout ce que j'en pourrois dire
» Si l'on veut des images fimplement
» riantes , les tableaux des filles de l'Ifle
» facrée & des filles de Sparte , fourniront
des grouppes auffi délicieux qu'inté
» reffans ; l'habillement fimple des filles
» Grecques , la nobleffe de leurs attitudes ,
» l'élégance de leurs tailles , la beauté de
» leurs traits , tout cela joint aux recher-
» ches néceffaires du coftume , fera va-
» loir infiniment l'efprit & le méritë du
>> Peintre dans l'un & l'autre fujet . Les
» filles de l'Ile faciée confacroient leur
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
:
ceinture à Minerve ; cette fête fe célé
»broit dans l'intérieur du temple .
Quant aux filles de Sparte , elles formoient
tous les ans des danfes religieu-
» fes autour d'une ftatue de Diane placée
» dans la campagne. Quel payfage le Peintre
a-t-il occafion de repréfenter ? Le plus
» riche de l'univers , & celui dont la feule
» idée doit le plus fatisfaire un artifte.
C'eft une campagne ornée de temples ,
» couverte de trophées & de monumens
» élevés en l'honneur de la Vertu , embellie
de ftatues de Dieux champêtres , remplie
enfin des plus grandes richeffes de
» l'art. Cette compofition , qu'on peut terminer
à fon gré par l'horizon de la mer
ou des montagnes , eft d'une beauté où
l'imagination , livrée à tout fon effor ,
» n'atteindroit peut-être pas par elle-même.
33
» Paufanias , en décrivant la fituation
» de deux Athletes vainqueurs , réunit par-
» faitement le brillant d'une image , & la
douceur d'une action . Les deux Athle-
» tes étoient freres , ils fortoient du combat
dont ils avoient remporté tout
» l'honneur : ils apperçoivent leur pere ,
» volent au- devant de lui , l'embraffent
L»l'enlevent fur leurs épaules. Le peuple
redouble fes applaudiffemens , jette des
» fleurs fur leur paffage , bénit la tendreffe
FEVRIER. 1755. 107
»
"
filiale , forme le fpectacle le plus touchant
, & ajoute à la gloire du triomphe.
» La récompenfe de la vertu , & le fuc-
» cès des talens font les fources de la joie
»
la plus pure. Il faut fe repréfenter tout
» l'honneur que les Grecs attachoient à la
» victoire remportée dans leurs jeux ; nos
» moeurs ne nous permettent pas d'en avoir
» une idée parfaite . Mais fuppofons deux
hontmes, tels que deux Athletes de la Gre-
» ce , c'est-à-dire les plus beaux à definer
» qu'il foit poffible de concevoir ; peignons-
» les remplis & pénétrés de cette joie que le
» fentiment de la vertu , & fur-tout de la
vertu récompenfée , eft feul capable d'inf
pirer. La premiere perfonne qui s'offre
aux yeux des Athletes couronés , c'eſt leur
» pere , c'eſt l'auteur de leurs jours & de
» leur gloire. Le vieillard fortuné témoi-
» gne fes tranfports avec les différences
dépendantes de fon âge & de fa fitua-
» tion . Le peuple , dont l'artifte ne pren-
>> dra que le nombre néceffaire pour expri-
» mér la variété des applaudiffemens , les
» accompagne , & feme leur paffage de
fleurs , que le peintre difpofera à fa volonté.
Que de grandeurs ! que de magni-
» ficence ! quel intérêt ! quelles expreffions
dans le tableau ! il eft difficile de
"
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
>> concevoir rien de plus flatteur.
Qu'on juge du coloris & du ton du refte
de l'ouvrage par ces deux morceaux . L'auteur
offre un nouveau champ au pinceau
des artistes. Depuis long- tems , comme il
l'infinue lui- même , leurs compofitions font
trop répétées. C'eft enrichir leurs talens
que de leur préfenter dans un fi beau jour
plufieurs fujets heureux qu'on n'a pas encore
traités . La fable a dans cet écrivain
inftruit , un zélé partiſan , qui doit lui em
faire un plus grand nombre.
LE peu d'efpace que nous laiffe l'abondance
des matieres , nous met dans la néceffité
de renvoyer au mois fuivant l'indication
des autres livres nouvellement
-imprimés
FEVRIER. 1755. 109
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie des Sciences & Belles- Lettres
de Dijon.
E 18 du mois d'Août 1754 , l'Académie
tint à l'ordinaire fon affemblée LE
publique pour la diftribution du prix.
>
La féance fut ouverte par M. Lantin
de Damerci , Académicien honoraire .
qui fit l'éloge de M. Hector - Bernard Pouffier
, Doyen du Parlement de Bourgogne
& fondateur de l'Académie. Ce difcours
fait autant d'honneur au coeur qu'à l'efprit
de M. de Damerci , qui s'y montre partout
auffi bon citoyen qu'Académicien zélé.
En louant fon héros de ce qu'il a fait
pour la patrie , par deux établiſſemens auffi
nobles qu'ils font avantageux ( la donation
faite au Doyenné du Parlement , & la
fondation de l'Académie ) , il rend un tribut
légitime de louanges aux Bourguignons
célebres qui ont tenu un rang diftingué
dans la république des Lettres , & aux citoyens
illuftres , qui plus encore par leurs
vertus que par les places éminentes qu'ils
occupent, font l'honneur & la gloire de leur
pays . Parmi ces noms refpectables on voit
110 MERCURE DE FRANCE.
avec plaifir ceux de M. de Berbifey , ancien
premier Préſident du Parlement , qui
après avoir été trente ans à la tête de cette
compagnie , plein de jours & comblé de
gloire , réfolut de paffer fes jours dans une
heureufe tranquillité , en défignant pour
le remplacer , le grand Magiftrat qui eft
aujourd'hui le chef du Parlement ; de M.
Vitte , Doyen du Parlement , & premier
Directeur de l'Académie , & de M. Joly
de Fleury , Intendant de Bourgogne , dont
les ancêtres ont rempli avec éclat les places
les plus diftinguées du Parlement de
Dijon. L'Orateur le loue avec autant de
difcernement que de délicateffe , & le peint
d'un feul trait en lui appliquant ce vers de:
Boileau ...
Soutient tout par lui-même , & voit tout par fes
yeux.
Ce difcours imprimé à Dijon in-4° . chez
J. Cofte , Imprimeur de l'Académie , eft
digne de la curiofité des Lettres & des
Arts. Outre l'érudition diftinguée qui y
regne , on y trouve plufieurs anecdotes
intéreffantes , & des réflexions fages fur les
établiffemens publics.
M. Gelot , Procureur du Roi du Domaine
, Académicien penfionnaire de la claſſe
de morale , chargé de la diftribution du
FEVRIER. 1755 111
prix , lut enfuite un difcours fur le fujer
propofé ; fçavoir quelle eft la fource de
Pinégalité parmi les hommes , & fi elle eft approuvée
par la loi naturelle.
Il y fait la critique de la méthode qu'ont
fuivie le grand nombre d'Auteurs qui ont
concouru , & dont les piéces ont été rejettées.
7
» Les Auteurs , dit M. G. qui ont traité
» de l'inégalité des conditions , plus ingé-
» nieux qu'exacts , ont orné leurs fujets ,
» mais ils ont manqué la reffemblance.
» Leurs écrits forment , fi l'on veut , une
» fuite d'idées brillantes ; mais on ne peut
» fe diffimuler que l'expérience de tous les
» fiécles & l'hiftoire de toutes les nations
» les démentent : .... La liberté qu'ils ac-
» cordent à l'homme , dégénere en licence
» effrénée ; il n'eft aucune fubordination
qu'ils ne traitent d'efclavage intoléra-
»ble... Aucun d'eux n'a daigné recourir
à l'Hiftoire : quel guide plus éclairé pouvoit
mieux leur indiquer la route qu'ils
» devoient fuivre pour parvenir à la vérité ?
Ainfi la cenfure de M. G. tombe fur
tous les difcours qui ont concouru ș fans
cependant avoir pour objet celui qui a été
couronné , & celui qui l'a approché de
plus près , dont il fera parlé plus bas .
Il dit enfuite qu'il a exifté & qu'il
"
112 MERCURE DE FRANCE.
exifte encore des fociétés où la nature fe
montre fans nuages , que fes reffources &
fes foibleffes s'y laiffent aifément faifir par
l'obfervateur impartial. Les Scythes & les
Germains , dans des fiécles plus reculés ; de
nos jours , les peuples de l'Amérique of
frent une multitude de preuves , de faits ,
de circonstances , qui apprennent à connoître
l'état primitif de la fociété ja les
défauts vifibles & groffiers où le manque
de fubordination précipita autrefois , & retient
encore les nations barbares citées en
exemple , forment autant de principes ,
defquels il eſt naturel de conclure avec
M. G. » que dans toute fociété perfection-
» née , je veux dire celle où les loix , les
" fciences & les arts fleutiffent , l'inégali-
» té des conditions eft néceffaire , qu'elle
» eft liée à la conftitution de cette fociété ,
» qu'elle en eft la bafe & le foutien ; &
par une feconde conféquence de ce prin-
» cipe fondée fur l'expérience de toutes
» les nations , que cette inégalité de condition
eft conforme à la loi naturelle.
Il va plus loin ; il expofe les dangers
continuels de cet état de barbarie , où l'on
ne peut efperer ni fûreté ni agrémens ,
d'où les talens & les arts fort bannis , &
où l'efprit & l'intelligence, qui font la meil
leure portion de notre exiſtence , éprouveFEVRIER.
1755. II}
و د
roient bientôt le même fort. » Ceux donc
qui ont regardé l'inégalité des conditions
comme contraire à la loi naturel-
» le , ne font tombés dans cette erreur que
» faute d'avoir connu la loi naturelle , &
» de lui avoir donné toute l'étendue qu'elle
>> doit avoir.
» L'homme eft né pour la fociété ; la
négative de cette propofition feroit une
» abfurdité ... S'il eft un cas où un hom-
"
"
me exifte fans faire partie d'aucune fo
» ciété , il eft fingulier , & ne peut être ici
» d'aucune confidération ... Mais donnez
» à cet homme un compagnon de folitude ,
≫ vous verrez bientôt les préceptes & les
obligations de la loi naturelle s'accroître
» à leurs égards. Multipliez ce nombre
» d'hommes , cette même loi naturelle reçoit
de nouvelles explications , prefcrit
» de nouveaux devoirs , qui fe combinent
» & fe multiplient conformément à tous
» les cas & à toutes les fituations où les
» membres de la fociété peuvent fe trou
» ver ... De là fe forment les rangs & les
» diſtinctions , en un mot l'inégalité des
» conditions .
و ر
"
·
» La fociété n'eft peut-être pas auffi par
» faite qu'elle pourroit l'être ; mais il feroit
injufte de la juger fur les abus qu'elle
» tolere , plutôt que fur les biens qu'elle
*
114 MERCURE DE FRANCE.
procure... Ce font des hommes qui la
»compofent & qui la régiffent ; ils ne peu-
» vent toujours le dépouiller de leurs paf-
» fions , de leurs foibleffes & de leurs erreurs
; les loix de cette fociété font leurs
» ouvrages , quelquefois ils portent le ſceau
» de l'humanité.
La différence des caracteres eft une des
preuves naturelles dont M. G. fe fert pour
établir l'inégalité des conditions ; il fait
fentir aux Philofophes orgueilleux , qui
ont déclamé contre ce principe fondamental
de toute fociété , combien eux-mêmes
ils feroient à plaindre fi leurs fophifmes
acqueroient affez de crédit pour changer
l'état des chofes. Il termine fon difcours
par cette fage conclufion : » Que chaque
membre de la fociété jouiffe avec modé-
» ration des avantages qu'elle lui procure ,
qu'il évite avec prudence l'effet de quel-
» ques abus qu'elle eft forcée de tolérer ,
» mais que dans tous les cas il refpecte
l'ordre établi.
Le problème intéreffant de l'inégalité
des conditions l'eft devenu davantage , par
la maniere ingénieufe & fage avec laquelle
M. Talbert , Chanoine de l'Eglife de Befançon,
& membre de l'Académie de la même
ville , l'a développé dans le difcours
que l'Académie couronne aujourd'hui. Son
FEVRIER. 1755. IIS
ftyle , fes preuves & fes réflexions annoncent
par-tout un philofophe éclairé , un auteur
chrétien , & un orateur élégant.
Sa religion a aidé fa raifon dans fes
»recherches , & leurs lumieres réunies lui
» ont fait trouver dans le coeur de l'hom-
» me même la folution du problême.
Pour ne rien ôter aux beautés de ce difcours
, il faudroit le rapporter en entier;
mais comme M. Talbert eft difpofé à le
faire imprimer , le public jugera par luimême
des talens de l'auteur & des motifs
qui ont déterminé l'Académie à le cou-
Fonner:
M. Etaffe , étudiant en Droit à Rennes ,
eft le feul concurrent que l'Académie ait
jugé digne d'entrer en lice avec M. Talbert.
Son difcours a pour devife , Urget
amor patria laudumque immenfa cupido.Pour
faire fon éloge , il fuffit d'annoncer qu'iba
fuivi le même plan , & faifi les mêmes
idées que fon rival ; mais il a été moins
heureux dans l'expofition , & n'a pas feu
répandre fur fon fujet autant de beautés
réelles que M. l'Abbé Talbert.
1
116 MERCURE DE FRANCE .
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie des Belles - Lettres de
Marſeille , 1754.
'Académie des Belles-Lettres de Marfeille
tint fon affemblée publique , felon
l'ufage , le 25 Août , fête de S. Louis ,
dans la falle que le Roi lui a accordée dans
l'Arfenal. { :
M. le Marquis de Pennes , Chancelier
faifant fonction de Directeur en abſence ,
ouvrit la féance par un difcours relatif au
fujet de l'affemblée, or ind
a
M. de Sinety lut un chant dun Poeme
de M. le Marquis de Mirabeau , affocié de
P'Académie , abfent , intitulé L'Art de la
Guerre. M. Guys lur une differtation fur
les danfes des Grecs nfodernes , comparées
à celles des anciens , qui fait partie d'un
plus long ouvrage. M. Guteu lut un ouvrage
en vers , intitulé : La guérison obtenue
par l'amour & Remerciment à la famé.
M. Guys lut un ouvrage en vers , intitulé
: Le Philofophe irréfolu
L'Académie ayant cette année réſervé
le prix , en aura deux à diftribuer l'anmée
prochaine. Elle avertit donc le public
FEVRIER. 1755. 117
>
que le 25 Août , jour & fête de S. Louis
de l'année prochaine 1755 , elle adjugera
un de ces prix à un poëme à rimes plates ,
de cent cinquante vers au plus , & de cent
au moins , à l'exclufion de toute Ode , dont
le fujet fera , la réunion de la Provence à
la Couronne ; & l'autre de ces prix à un difcours
d'un quart-d'heure , ou tout au plus
d'une demi -heure de lecture , dont le fujet
fera , l'homme eft plus grand par l'usage des
talens que par les talens même .
Le prix qu'elle décerne eft une médaille
d'or , de la valeur de trois cens livres , portant
d'un côté le bufte de M. le Maréchal
Duc de Villars , fondateur & premier protecteur
de l'Académie ; & fur le revers ces
mots , Premium Academia Maffilienfis , entourés
d'une couronne de laurier.
On adreffera les ouvrages à M. de Chalamont
de la Vifcleve , Secrétaire perpétuel
de l'Académie des Belles - Lettres, de
Marſeille , rue de l'Evêché. On affranchira
les paquets à la pofte , fans quoi ils ne feront
point retirés. Ils ne feront reçus que
jufqu'au premier Mai inclufivement.
118 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE DE M. DE CHEVRIER
à l'Auteur du Mercure.
E viens de parcourir , Monfieur , un
ouvrage périodique , imprimé en Hollande
, dans lequel on lit ces mots : Les
Anti-feuilles publiées depuis trois ſemaines à
Paris , font de M. de Chevrier.
J'ignore qui a pu donner lieu à cette
apoftille ; mais je puis vous protefter que
je n'ai aucune part à cette production . Je
n'ai que trop de mes propres écrits , fans
qu'on m'en attribue que je ne connois
point.
J'ofe vous prier de rendre ma lettre publique
dans votre premier Mercure.
J'ai l'honneur d'être , &c.
A Paris , ce 16 Janvier 1755 .
FEVRIER. 1755. 11.9
ARTICLE TROISIEME.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
Ih
HISTOIRE.
Left furprenant , Monfieur , qu'on ait
hazardé une conjecture fi peu mefurée
que celle contenue dans la lettre inférée
au Mercure du mois d'Août , page 142 ,
où l'Auteur délibere fur l'évidence des
preuves , & veut du moins établir des doutes
bien fondés , qu'un Hermite qui parut
dans la capitale des Sevennes en 1682 , &
y mourut en 1718 , pouvoit être M. Foucquet
, Surintendant des Finances ; ce qui
fert d'appui au fentiment de MM. de Gourville
& de Voltaire , qui veulent que M.
Foucquet foit forti de fa prifon quelques
tems avant fa mort , quoiqu'on fçache
communément qu'il mourut à Pignerol le
23 Mars 1680 .
Cet Auteur n'eft pas excufable , ou d'a- '
voir ignoré que Nicolas Foucquet , Marquis
de Bellifle , nâquit en 1615 , ou que
l'Hermite , connu fous le nom de Frere
Jean Baptifte , mort à Alais en 1718 ,
n'étoit âgé que de quatre-vingt ans ,
de
120 MERCURE DE FRANCE.
l'aveu de quatre cens perfonnes vivantes
encore , dont plufieurs ont été en grande
liaifon avec lui , & qui toutes s'accordent
aujourd'hui à ne lui donner , lors de fa mort,
que cet âge là tout au plus , & non celui
de cent trois ans que devoit avoir l'Hermite
pour établir la vraisemblance de la
conjecture.
Ainfi , ce que M. d'Auvergne , dans fa
lettre inférée au Mercure d'octobre , regarde
comme une erreur de date , par rapport
à l'expreffion de MM. de Gourville &
de Voltaire , eft exactement une erreur de
fait , qui rend l'anecdote évidemment
fauffe.
Il feroit aifé de s'en convaincre par la
comparaifon de la taille & des traits de
M. Foucquet , avec ceux de Frere Jean-
Baptifte , qui étoit ( dit- on ) au - deſſus de
cinq pieds fept pouces , de groffeur proportionnée
, blond & de grand embonpoint ;
& encore par celle de fon écriture , qu'on
voit ici dans fa difpofition derniere d'une
fomme affez confidérable , qu'il légua à
l'Hôpital d'Alais , où il mourut de la pierre.
Rien d'ailleurs ne répugne aux conjectures
que cet Hermite étoit homme de
naiffance & perfonnage de diftinction ; fon
air , fes manieres & fon efprit orné , ne
permettoient pas d'en douter. C'étoit un
homme
FEVRIER. 1755 121
homme fort circonfpect , & très en garde
contre les queſtions qui tendoient à le pénétrer
; tout ce qu'on a pu conjecturer ,
c'eft qu'il étoit de Normandie.
J'ai l'honneur d'être , &c...
Leiris , ancien Officier d'Infanterie.
A Alais , ce premier Novembre 1754.
Un Médecin diftingué , à qui cette lettre
eft adreffée pour la faite inférer dans
le Mercure , ajoûte , en me l'envoyant , de
nouvelles preuves à celles de M. de Leiris.
M. Foucquet , dit- il , eft mort à Pignerol
en 1680 , entre les bras de Mme Foucquet
fa femme , & au milieu de tous fes gens.
qu'il y avoit fait venir depuis deux ans
qu'il étoit libre. Cette pieufe époufe qui
avoit remarqué dans fon mari beaucoup
d'attachement pour la maifon de la Vifita
tion oùil avoit trois foeurs , fit tranfporter
fon corps * à Paris , & le fit inhumer dans
l'Eglife de ce Monaftere , & dans la chapelle
de S. François de Sales , le 28 Mars
1681. Les incrédules , pour s'en convaincre
, peuvent y lire fon épitaphe , ainfi que
celle de fa mere , qui fut enterrée dans la
même chapelle , le 21 Avril de la même
* Il coûta 50000 liv. pour ce tranfport.
F
122 MERCURE DE FRANCE.
année . Son époufe qui n'eft morte qu'en
1718 , y eft auffi inhumée.
L'A
CHIRURG I E.
'Art de la Chirurgie eft porté de nos
jours à un dégré de perfection , inconnu
aux fiécles précédens. Les Chirurgiens
de Paris y ont depuis long- tems le
plus contribué. L'établiſſement de l'Académie
royale de Chirurgie , dont ils font
redevables au plus fage des Rois , ne peut
manquer de hâter, encore les progrès de
cet art falutaire. Le public voit avec fatisfaction
les travaux de cette Compagnie.
Ils ne fe bornent point à rechercher les
plus fûrs , pour guérir les hommes par fes
opérations , quand elles font indifpenfables
; ils s'étendent encore à tout ce qui
peut foulager l'humanité dans les occafions
où fes befoins l'exigent. M. Recolin , un
de fes membres , diftingué par fes talens ,
vient de donner à cette Compagnie un
mémoire qu'elle a entendu avec plaifir , &
qu'elle lui a permis de rendre public par
la voie de ce Journal. Ce mémoire eft auffi
curieux qu'il a été utile , pour mettre l'Académie
à portée d'apprécier au jufte le
mérite d'une nouvelle découverte qui a
FEVRIER. 1755. 123
fait beaucoup de bruit , pour nourrir les
hommes avec une poudre.
Remarques fur la nourriture des hommes
avec les differentes farines , lûes à la feance
de l'Académie royale de Chirurgie , le
Jeudis Décembre 1754. Par M. Recolin
, Maire en Chirurgie , &c.
On vient de faire des effais d'une poudre
farineuſe , avec laquelle on peut nour
rir des hommes pendant quelque tems ,
moyennant fix onces par jour à chacun ,
délayées dans fuffifante quantité d'eau
bouillante . Cette poudre coûte ou revient
à un fol l'once , puifque l'auteur dit , que
la ration journaliere d'un homme revient
à fix fols ; que ceux qui en feront nourris
pourront vaquer aux travaux les plus pénibles
, fans que leurs forces & leurs fantés
foient expofées à aucune diminution .
C'eft M. Bouébe , Chirurgien major du
régiment Grifon de Salis , qui en eft l'auteur.
Il y a environ trois mois qu'on en a
fait des épreuves en Flandre , par ordre
de M. le Marquis de Paulmi , fous les yeux
de M. le Prince de Soubife & de M. de Sechelles
; M. Bagieu en fit part à l'Académie.
On vient d'en faire de nouvelles expérien
www
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
ces à l'Hôtel royal des Invalides , par ordre
du même Miniftre : M. Morand en a
lu le procès verbal . Ceux qui ont été nourris
avec cette poudre ou farine , s'en font
bien trouvés .
Cette découverte eft fans doute intéreflante
, & peut être d'une grande utilité
dans certaines conjonctures. L'on doit fçavoir
bon gré à M. Bouébe , d'avoir travaillé
à trov er ce moyen de plus , pour foulager
l'humanité dans les occafions où fes befoins
l'exigent : cependant on ne doit pas
regarder cette découverte avec l'enthoufiafme
de la nouveauté , puifque de tous
les tems les farines tirées principalement
des grains , ont fait le fond de la nourriture
de certains peuples , comme je le dirai
plus bas ; mais que même ceux qui n'y
font point habitués , y ont encore tous les
jours recours , quand ils font privés d'autres
alimens plus conformes à leur goût &
à leurs ufages ; & ils fe foutiennent en
fanté , avec cette nourriture fimple , plus
ou moins de tems , felon la néceffité : enfuite
on en revient à la nourriture ordinaire
, quand le tems de la difette ceffe ,
ce qui n'a guere duré , felon les exemples
du paffé , qu'environ fix femaines. On a
vû la preuve de ce que j'avance ici , il y
a quelques années , dans la province de
Guyenne.
FEVRIER. 1755. 125
En 1747 plufieurs provinces de ce
royaume fe trouverent affligées d'une
difette de grains confidérable ; celle de
Guyenne fut une des plus expofées aux
calamités & aux horreurs d'une famine ;
quelque attention que le miniftere appor
tât pour la foulager , même avant qu'elle
fe fût apperçue du danger , elle ne laiffa
pas d'en éprouver les effets .
Bordeaux , fa capitale , ne reçoit de fecours
que par la mer. Les Anglois inftruits
de tous les chargemens qui fe faifoient
'ailleurs pour la province de Guyenne ,
bloquerent l'entrée de la riviere , & par
ce moyen tout fecours fut intercepté. Le
Commiffaire du Roi dans cette province ,
homme d'un génie fupérieur & d'une grande
expérience , occupé par état des malheurs
qui menaçoient les peuples , eut
recours aux moyens dont les nations étrangeres
fe fervent pour fe préferver de la
famine fléau auquel les peuples d'Afie
font affez fouvent expofés..
Ce Magiftrat fit publier une quantité
confidérable de feuilles imprimées , portant
la maniere de faire une espece de
bouillie avec la farine de froment , ainfi
que la façon de préparer le ris pour nourrir
beaucoup de monde à très-bon marché ;
puifque , calcul fait , au prix même où font
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
les choſes à Paris , la farine cinq fols la
livre , le ris huit fols , la graiffe ou ſaindoux
quatorze fols , le beurre à ſeize ſols ,
le fel a onze fols , la nourriture de chaque
homme reviendroit à un fol fept ou huit
deniers tout au plus . Celui de la foupe du
ris au gras , felon la méthode qu'on va
voir , à quelque chofe de plus ; le ris à
l'eau & au lait à beaucoup moins , ce qui
peut encore fouffrir une diminution confidérable
, relativement au prix où font ces
denrées dans les différentes provinces.
Je vais faire la lecture de deux exemplaires
de ces méthodes qui me parvinrent
dans le tems ; l'une pour la préparation de
la farine de froment , l'autre pour celle du
ris.
COPIE DES DEUX EXEMPLAIRES IMPRIMÉS .
Méthode pourfaire la foupe dauphinoife
dite Touble , en plufieurs endroits de Turquie
, avec laquelle on peut nourrir à trèspeu
de frais ungrand nombre de perfonnes.
Prenez une livre de farine de pur froment
, paîtriffez-la avec de l'eau un peu falée.
Quand la pâte eft faite & paîtrie un
* Ainfi nommée , parce qu'un homme de la province
du Dauphiné donna jādis la formule de cette
foupe en Turquie.
FEVRIER. 1755 . 127
peu molle , partagez -la en morceaux , de
la groffeur d'un ceuf ou environ ; étendezles
avec un rouleau , de maniere que la
pâte de chacun foit fort mince , & rangez
le tout fur une table.
Ayez fur le feu une marmite ou chaudron
, ou un pot de terre , avec deux pots
d'eau. Quand cette eau fera chaude , falezla
, & mettez- y un quarteron de beurre
ou de graiffe .
Lorfqu'elle bout à gros bouillons , jettez-
y la pâte qui a été étendue , &
que
vous
aurez
coupée
en très - petits
morceaux
:
plus
ils
font
minces
&
petits
, plus
ils
foifonnent
. Obfervez
de les
jetter
dans
l'endroit
où l'eau
bout
le plus
fort
.
Il ne faut plus enfuite qu'un petit feu
pour faire bouillir doucement pendant cinq
quarts-d'heure ou une heure & demie cette
foupe , qu'il eft néceffaire de remuer de
tems en tems jufqu'au fond de la marmite
avec une cuiller , afin d'empêcher qu'elle
ne s'attache.
Si l'on s'apperçoit qu'elle épaiffit trop ,
on y mettra de l'eau chaude , ou bien de la
farine fi elle eſt trop liquide. Cette foupe
eft agréable au goût , raffafiante & nourriffante.
La quantité ci - deffus fuffit à fix
perfonnes , qui en prendront la moitié pour
dîner , & le refte pour fouper.
Fiiij
128 MERCURE DE FRANCE.
Comme ce refte s'épaiffit beaucoup en fe
refroidiffant , on le délayera avec de l'eau
chaude quand on voudra le manger , &
on le fera rechauffer à petit feu .
On ne doit point laiffer long-tems cette
foupe dans une marmite ou chaudron , de
peur qu'elle ne prenne un goût de cuivre
ou de fer.
Dix livres de farine mifes en pâte , en
rendent treize livres un quart , lefquelles
apprêtées comme ci- deffus , nourriffent
abondamment foixante perfonnes toute
une journée .
Pour dix livres de farine , faifant treize
livres & plus de pâte , il faut vingt pots.
d'eau , deux livres & demie de beurre ou
de graiffe , & trois quarterons de fel .
Plus la farine de froment eft bonne
fans être toutefois bien fine , plus elle foifonne.
La fleur de farine rendroit moins
en pâte , & fe diffoudroit trop aifément en
bouillant. Une farine trop groffiere ne ſe
lieroit pas affez , & ne s'étendroit pas bien
il faut donc choifir la farine dont on fait
le pain bourgeois dans un ménage,
:
Inftructionfur la façon de préparer le ris pour
en nourrir beaucoup de monde à bon marché.
Le ris eft connu pour être une des meilFEVRIER.
1755. 129
leures nourritures qu'il y ait ; des provinces
, des royaumes entiers s'en nourriffent ,
& d'autres en font plus d'ufage pour leur
fubfiftance que de froment ou de feigle.
Il y a plufieurs façons de le manger ; à
l'eau , au gras & au lait . Quelle que foit
celle de ces façons dont on veuille faire
ufage , il faut commencer par bien laver
& nettoyer dans trois eaux tiédes différentes
, la quantité qu'on en doit employer.
Pour le faire à l'eau , & nourrir pendant
unjour trente perſonnes .
Il faut en mettre cinq livres , poids de
marc , dans une marmite ou chaudiere ,
avec dix pots d'eau , & du fel à proportion,
le faire bouillir à petit feu l'efpace de trois
heures , en le remuant de tems en tems ,
afin d'empêcher qu'il ne s'attache , & verfer
à mesure qu'il paroît s'épaiffir , jufques
à concurrence' de dix autres pots d'eau
chaude ; ces cinq livres rendront foixante
portions , ni trop épaiffes ni trop claires
dont deux fuffifent à la nourriture d'une
perfonne , & par conféquent les cinq livies
font fuffifantes pour nourrir trente
perfonnes.
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
Pour le faire au gras , & nourrir le même
nombre de perfonnes.
Il faut , fur le pied de huit onces de
viande par livre de ris & pour quatre pots
d'eau , mettre une livre de viande de quarante
onces dans les dix premiers pots
d'eau , les faire bouillir & écumer , après
quoi y jetter , avec du fel , les cinq livres
de ris , & fuivre ce qui a été dit ci - deſſus.
A la place des quarante onces de viande
, on peut fe fervir de vingt onces de
graiffe , fur le pied d'un quarteron par
livre , & le ris eſt auſſi bon .
Pour le faire au lait , & nourrir le même
nombre de perfonnes.
Il faut obferver la même chofe qu'à celui
à l'eau , en diminuant de deux pots &
demi la quantité d'eau , & les rempliffant
de même quantité de lait , bouilli féparément
& écrêmé , lequel ne fera jetté dans
la marmite qu'au dernier quart d'heure
de cuiffon.
que
·
On entend felon le nombre de perfonnes
qu'on a intention de nourrir , il
n'y a qu'à augmenter ou diminuer à proportion
les dofes de ris , d'eau , de viande,
de graiffe ou de lait.
FEVRIER . 1755. 131
Le ris à l'eau & au gras peut être préparé
pour deux ou trois jours ; mais il y auroit
du danger que celui au lait ne s'aigrît d'un
jour à l'autre.
Voilà la copie littérale des deux imprimés.
Par ces deux méthodes , ce fage Commiffaire
du Roi préferva les habitans de la
Province de Guyenne de la famine dont
ils étoient menacés , & il donna le moyen
de fubfifter , à très- bon marché , à trois ou
quatre cens mille habitans de tout âge & de
tout fexe , qui s'en nourrirent fix femaines
confécutives ; & enfuite à mefure qu'ils
eurent les fecours ordinaires , ils entremêlerent
cette nourriture avec d'autres ,
dont ils ne difpoferent abondamment qu'après
en avoir été privés totalement , ou en
partie , pendant environ quatre mois.
Je n'ignorai pas que dans cette même,
année de calamité il mourut moins de
monde dans cette province que les années
précédentes , à l'époque de dix ans ; c'eſt
ce qui fut vérifié fur les lieux au moyen
des regiftres , ainfi que le bon fuccès de
cette nourriture , avec laquelle les gens qui
en vêcurent , travaillerent comme à leur
ordinaire. Ils s'y font même fi bien accoutumés
, que l'ufage en eft encore fréquent
parmi eux , dans le tems même d'abondance.
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
Un voyage que j'ai fait au Canada em
1739 , m'a mis à portée de voir par moimême
que les Sauvages qui habitent ce
vafte pays , fe nourriffent . fréquemment
avec la farine feute de maïs , bled' d'Inde
ou bled de Turquie. Il ne fe paffe prefque
point d'hivers qu'ils ne foient obligés d'y
avoir recours ; ce pays étant neuf mois de
l'année couvert d'une prodigieufe quantité
de neige & de glace , il n'eft pas furprenant
que le gibier & le poiffon leur
manque fouvent. Les François Canadiens
vont faire des hivernemens avec les Sauvages
, dans les forêts des montagnes , loin
des villes & des habitations , pour faire la
chaffe aux animaux propres à leur commerce
de pelleteries . Ils ne fçauroient porter
beaucoup de provifions dans les canots
d'écorce de bouleau , avec lefquels ils font
obligés de voyager pour paffer les rivieres
& les lacs qui fe rencontrent fréquemment
dans leur chemin ; ils font dans la néceffité
de porter ces mêmes canots par terre ,
ainfi que leur petit bagage néceffaire pour
la chaffe. Arrivés aux lieux de leur deſtination
, qui ne font jamais permanens , ils
fubiflent le fort des Sauvages , vivent comme
eux de gibier & de poiffon , & fouvent
auffi avec la farine de bled d'Inde , délayée
tout fimplement dans l'eau chaude , & le
FEVRIER. 1755. 133
و ت
plus fouvent froide. Beaucoup m'ont dit
qu'ils fe font toujours très- bien foutenus
avec cette feule nourriture , des femaines &
des mois entiers: Tous les habitans de ce
pays-là en font témoins , ainfi que les voyageurs
, & on ne peut le révoquer en doute.
Les Sauvages font cuire à des efpeces de
fours qu'ils pratiquent dans la terre , les
épis de bled d'Inde ; ils féparent enfuite
la farine du fon , & la mettent dans de
petits facs pour s'en fervir au befoin , &
fur - tout quand ils veulent entreprendre'
de longs voyages , comme j'ai dit ci- def
fus , ou pour aller faire la guerre à d'autres
nations ennemies qui en font féparées
ordinairement par des efpaces immenſes.
L'année où j'étois dans ce pays-là , quelques
nations voifines de Quebec étoient
en guerre avec les Chicachas ; ces deux armées
avoient environ fix cens lieues à faire
pour fe trouver au champ de bataille.
Une remarque encore digne d'attention.
Feu M. Sarrazin , Médecin célébre
qui a vécu long- tems au Canada , fit part
à l'Académie royale des Sciences , il y a
environ vingt ans , du bon fuccès de la
nourriture avec la farine de bled d'Inde
dont les guerriers Canadiens & Sauvages
s'étoient nourris pendant une campagne ,
& que ceux qui en avoient vécu depuis
134 MERCURE DE FRANCE.
trois à quatre mois , guériffoient de leurs
bleffures avec une facilité furprenante .
Outre cet ufage particulier & effentiel
de la farine de bled d'Inde , les Sauvages.
en font la fagamité , qu'ils nomment fimple
quand elle ne confifte qu'en une efpéce
de bouillie faite avec cette farine , le
fucre d'érable & l'eau. Mais ils en font
ordinairement une plus compofée , pour
leurs repas de cérémonie. Ils ajoutent dans
la chaudiere même avec la farine , de la
graiffe des différens animaux , du gibier ,
du poiffon , & quelquefois du fruit. Ils
nomment alors ce mêlange , une fagamité
complette : quelques nations prononcent
fagoüité.
Les troupes Ruffiennes fe nourriffent
dans les plus longues marches , avec de la
farine préparée , pour être délayée, avec
de l'eau , fouvent fans autres provifions ,
comme il leur eft arrivé pendant les campagnes
de 1737 , 38 & 39 , dans les deferts
de la petite Tartarie . Chaque foldat porte.
fur lui , dans un petit fac, la quantité néceffaire
de farine pour fubfifter des mois entiers
, comme font les Sauvages du Canada .
Cela fuffit pour démontrer que la dofe de
chaque ration doit être fort petite.
Les peuples Maures , & ceux qui habitent
le Sénégal , vivent d'ordinaire & prinFEVRIER.
1755. 135
cipalement , avec la farine de deux eſpéces
de millet ; l'un grand , què les Botaniftes
nomment Sargo ; l'autre petit , nommé
Pani à épi en maffe : Panicum fpica tiphina.
Ils font avec cette farine une espéce
de bouillie ; & quand ils veulent la rendre
plus agréable par la faveur & le goût ,
ils y ajoutent quelques feuilles des plantes
mucilagineufes , tirées des émollientes ou
des aromatiques : ils nomment cette addition
Lalo.
Ils fe nourriffent quelquefois auffi avec
une farine tirée de la moëlle d'une eſpéce
de palmier on nomme celle- ci le Sagou
des Indes .
Ils font encore ufage de la gomme arabique
, dont ils choififfent la plus blanche
& la plus friable , la mettent en poudre
& en ufent comme de la farine . Tout le
monde fçait combien ces hommes font d'une
bonne fanté , forts & vigoureux , quoiqu'ils
ne vivent d'ordinaire qu'avec des
alimens fimples.
La farine de maïs fert univerfellement
à la nourriture des naturels du Pérou & du
Méxique ; ils en font du pain , de la bouillie
, & une préparation particuliere , mais
toujours fimple , qu'ils nomment Tortilles.
C'eft une espéce de pâte cuite qu'ils mangent
journellement , & qui leur fert de
136 MERCURE DE FRANCE.
nourriture dans les plus longs voyages ,
fans autres alimens : ils la portent fur eux
dans un petit fac , comme font les Canadiens
& les Ruffes.
Les Polonois font le Kacha , préparation
farineuſe , dont l'ufage eft général . Ils employent
tantôt celle d'orge , d'avoine , de
millet , ou du bled farrazin de Cracovie ;
celles- là fervent pour la nourriture des foldats
& des gens pauvres. Ils ont auffi une
autre efpéce de petite graine , dont la préparation
eft plus légere & délicate ; les
riches la font cueillir pour eux dans les
prairies , avant le lever & après le coucher
du foleil on nomme celle-ci la manne. :
Les Lapons ufent beaucoup auffi de farine
de millet & autres grains farineux
pour bafe de leur nourriture . Les monta
gnards d'Irlande & d'Ecoffe employent
celle d'avoine & de feigle. En Italie on
fait la Polenta avec celle de bled de Turquie
, qui eft d'un grand ufage , & beaucoup
d'autres préparations farineufes. Le
bled farrazin fournit la nourriture de beaucoup
de peuplés différens. Les Savoyards
outre les bouillies , en font du pain pour
toute leur année , & en vivent la moitié
du tems. Les payfans du Limoufin , de la
baffe Bretagne , en ufent beaucoup auffi .
Dans le pays des Bafques , la farine de maïs
"
FEVRIE R. 1755. 137
eft d'un fecours journalier , ils en font la
maïture.
C'est un fait que dans prefque tous les
pays éloignés des grandes villes , & furtout
dans les pays de montagnes ,
les peuples
fe nourriffent ordinairement avec différentes
préparations farinenſes ; que dans
les villes les plus floriffantes la difette a
obligé quelquefois à y avoir recours ; &
que le ris , diftribué en médiocre quantité
a fourni lui feul la fubfiftance principale
des peuples , en attendant un tems plus favorable
.
*
3
Le réſultat de ces différens faits remplit
mon objet principal ; c'eft de démontrer à
l'Académie le rapport qu'il y a de la nourriture
des Sauvages de l'Amérique feptentrionale
, des Ruffes , des habitans de la
Turquie , de ceux du Sénégal , du Pérou
du Méxique , & de plufieurs autres nations
, avec celle que M. Bouébe propoſe
dans les occafions embarraffantes : que fa
découverte n'eſt rien moins que nouvelle
& merveilleufe ; que le prix de fa poudre
eft exceffif , en le comparant à celui auxquels
reviennent & la foupe Dauphinoife
& la préparation des ris ; qu'une grande
multitude s'eft nourrie dans la province
de Guyenne , avec ces différentes foupes
fur- tout avec la Dauphinoiſe , auffi bien
138 MERCURE DE FRANCE.
& auffi facilement , moyennant les formules
ci-deffus , que le petit nombre auxquels
M. Bouébe a donné fa poudre . Un point
effentiel encore de cette obfervation eft ,
que la quantité néceffaire de farine & de
ris , eft beaucoup moindre dans ces deux
méthodes que dans celle de cet auteur ; on
fent de quelle conféquence eft cet avantage
, fur-tout dans le cas du tranfport , joint
celui des trois quarts moins de la dépenfe
, en portant les chofes au prix le
plus haut , qui eft celui de Paris , comme
j'ai déja dit. Le calcul le plus fimple fuffic
pour prouver cette vérité.
Pour faire la foupe dauphinoife pour 60
perfonnes , pendant une journée , il faut :
Dix livres de farine de froment à cinq
fols ,
Deux liv. de beurre à 16
fols ,
Trois quarterons de fel à
11 fols ,
2 l. 10 f.
8 3 d.
Total
4 l. 18 f. 3 d.
Pour faire la foupe de ris à l'eau pour 30
perfonnes , pendant une journée , il faut :
Cinq livres de ris à 8 f. 2 1.
Six onces de fel à 11 f. I
4f. 1 d.
Total 2 1.4 f. 1 d . 1.
FEVRIER. 1755. 139
Voilà ce dont j'ai cru devoir faire
à la Compagnie.
part
M. LAPIE , Maître en Chirurgie à Saint-
Sevrin-fur- l'Ifle , près Coutras en Guyenne
, a communiqué à l'Académie royale de
Chirurgie une obfervation , de laquelle il
réfulte qu'il vient au monde des enfans qui ,
fans avoir le filet ni la langue trop courte ,
ne peuvent point téter , & font en danger
de périr faute de nouriture : qu'il faut
alors examiner s'ils n'ont point la langue
trop fortement appliquée , & comme collée
au palais ; qu'en ce cas il faut la détacher
, & la baiffer avec une fpatule , ou
le manche d'une cuiller , ou chofes femblables
; & que par ce moyen M. Lapie a
donné la vie à deux enfans qui jufqu'à
ce moment n'avoient pû prendre le teton ,
fans qu'il eût été poffible de reconnoître
la caufe de cet empêchement : & comme
cette remarque , toute fimple qu'elle paroiffe
, peut cependant échapper aux fagesfemmes
, & même aux maîtres de l'art ,
l'Académie l'a jugée affez intéreſſante
mériter d'être rendue publique.
MORAND ;
Secrétaire perpétuel.
Ce 28 Décembre 1754.
pour
140 MERCURE DE FRANCE.
•
E
ASTROÑO MIE.
TAT DU CIEL , pour l'an de grace
1755 , calculé fur les principes de
Newton , & rapporté à l'ufage de la mari .
ne ; par A. G. Pingré , Chanoine Régulier
de Ste Geneviève , correfpondant de l'Académie
royale des Sciences , Affocié de
celle de Rouen. A Paris , chez Durand ,
rue Saint Jacques , au Griffon ; & Piffot ,
quai de Conti , à la Sageffe .
pu-
L'accueil que le public éclairé a fait à
l'Etat du Ciel de 1754 , n'a point été le
fruit de la faveur ou de la prévention . On
defiroit depuis long- tems en France un
ouvrage de cette efpéce ; mais la longueur
& la difficulté des calculs ralentiffoient le
zéle de ceux qui pouvoient l'entrepren
dre. Le defir de contribuer à l'utilité
blique l'a enfin emporté fur la féchereſſe
pénible d'une multitude de calculs embarraffans.
On a vû en France un Etat du ciel ,
où les mouvemens céleftes étoient déterminés
fur les principes les plus certains ,
fur les tables les plus parfaites. On paroiffoit
fatisfait. M. Pingré , auteur de l'ouvrage
, ne l'a point été ; il a fenti que fon
travail étoit fufceptible d'une perfection
FEVRIER. 1755. 14!
plus grande : il n'a point voulu qu'on pût
lui reprocher qu'il ne fervoit le public
qu'à demi . On peut dire que l'Etat du ciel
de 1755 eft beaucoup plus fupérieur à celui
de l'année précédente que celui- ci ne
l'étoit à l'égard de tous les ouvrages de
cette efpéce qui avoient paru jufqu'alors .
M. P. avertiffoit l'année derniere , dans
fa préface , que pour diminuer l'ennui &
la prolixité des calculs , il s'étoit fouvent
fervi de méthodes d'approximation qu'il
s'étoit faites pour lui-même. Il a maintenant
abandonné toutes ces méthodes ; tout
eft calculé en rigueur , & aucune addition
, aucune fouftraction , aucune autre
regle d'arithmétique n'a été employée ;
dont la preuve n'ait été faite .
Les mouvemens de la lune font ici les
plus effentiels , puifque c'eft d'eux principalement
que dépend la connoiffance des
longitudes fur mer ; ils n'étoient calculés -
en 1754 qu'en dégrés & minutes ; en
1755 la précifion va jufqu'aux fecondes.
Il ne peut y avoir d'autre erreur , dit l'auteur
, que celles qui auront été occafionnées
par des fractions de fecondes , négligées
dans les différentes équations. Ces
erreurs montent donc quelquefois à deux
ou trois fecondes au plus. Nous n'étions
pas encore accoutumés à des calculs d'une
142 MERCURE DE FRANCE.
telle précifion . Puiffent les navigateurs en
recueillir les fruits que l'Auteur , en déterminant
avec toute la précifion poffible les
principales limites de la terre & de la mer ,
fe propofe de leur procurer ! Pour ce qui
regarde le paffage de la lune au méridien ,
foit fur l'horizon , foit au - deffous , il n'y a
nulle part une feconde d'erreur .
Les éclipfes font annoncées ici avec toute
l'exactitude dont ces fortes de prédictions
font fufceptibles . Avant que de les
calculer , M. P. a corrigé l'erreur des tables
, tant en longitude qu'en latitude , fur
des obfervations correfpondantes.
Pour que les navigateurs puiffent retirer
de cet ouvrage toute l'utilité poffible
, la déclinaifon de la lune eft içi calculée
de douze en douze heures ; à l'afcenfion
droite du même aftre , on a fubftitué
fon angle horaire , calculé pareillement
pour les heures de midi & de minuit
, méridien de Paris ; cet angle eft celui
que fait le cercle de déclinaifon de la
lune avec le méridien. Enfin à côté de
tous les élémens de la lune on a ajouté les
mouvemens horaires correfpondans. C'étoit
, fans contredit , la meilleure méthode
que l'Auteur pût employer pour remplir
parfaitement fon objet , c'eft- à -dire
pour rendre fon ouvrage d'un uſage abſólument
général .
FEVRIER. 1755. 143
Dans les explications que donne M. P.
pour l'ufage de fes calculs & de fes tables ,
on trouve une méthode pour conclure fur
mer la longitude du vaiffeau , d'une feule
obfervation de la hauteur de la lune fur
l'horizon * .
On fçait que la bonté des méthodes
qu'on propofe aux navigateurs , dépend , &
du petit nombre d'obfervations qu'il faut
faire , & de la facilité des calculs qu'il
faut employer. Ajoutons encore à cela ,
qu'une méthode eft d'autant meilleure
que les opérations qu'on y propofe fe peuvent
réitérer plus fréquemment . Or il ne
paroît pas douteux que par rapport à la
réunion de ces trois conditions , la méthode
de M. Pingré ne foit préférable à
toutes celles qui ont paru jufqu'à préfent ;
elle n'exige qu'une feule obfervation . Les
calculs qui doivent fuivre l'obfervation , paroiffent
à la portée de tout le monde . Enfin
l'obfervation requife peut fe faire tous les
jours & à toute heure , pourvu que la lune
Les latitudes ne peuvent être conclues que
de l'obfervation des hauteurs. Il eft donc naturel
d'y rapporter auffi les longitudes , d'autant plus
que ces obfervations peuvent fe faire aujourd'hui
avec un inftrument d'un ufage très- facile
indépendant du mouvement du vaiffeau. Voyez le
Voyage au nord , par M. l'Abbé Outkier.
> &
144 MERCURE DE FRANCE.
foit fur l'horizon , & qu'elle ne foit pas
trop voifine du foleil ou du méridien .
Nous n'entrerons pas plus avant dans
les détails curieux & inftructifs que renferme
cet ouvrage ; c'eſt au Public , &
principalement à M M. de la Marine &
aux Aftronomes , à juger de fon utilité : il
eft d'ailleurs fort bien exécuté.
MECHANIQUE.
LETTRE de M. Thillaye , Privilégié du Roi
pour les pompes à incendies , demeurant à
Rouen , à l'Auteur du Mercure.
MONSIEUR,
E pourrois vous détailler les différens
pays étrangers & les différentes villes du
royaume à qui j'ai fourni de mes pompes ;
mais comme ce détail pourroit devenir ennuyeux
, je me bornerai à vous citer un
feul exemple de mon fuccès , qui eſt décifif.
M. de Beaumont , Intendant de Flan
dres , a envifagé , lorfqu'il étoit en Intendance
en Franche- Comté , qu'un de ſes
prémiers foins devoit être de garantir fa
Généralité des incendies. Ce Magiftrat ,
Occupé
FEVRIER. 1755.
1755 145
occupé de l'amour du bien public , voulant
faire emplette de pompes , & en établir
dans les villes de fon département , a
jetté les yeux fur moi , & ce n'a été qu'après
avoir examiné lui - même mon ouvrage
qu'il m'a donné la préférence ; je lui ai
fourni vingt pompes , dont je puis dire
qu'il a été fatisfait.
J'ai crû , Monfieur , devoir vous rendre
compte de mon fuccès , auquel vous avez
contribué par vos annonces favorables ; je
vous prie de rendre ma lettre publique par
la voie de votre Journal , & d'inferer à la
fuite le certificat de M. de Beaumont , afin
que ceux qui ne connoîtroient pas tout l'avantage
qu'on peut tirer de mes pompes ,
ne puiffent plus en douter.
J'en délivre gratuitement les figures &
la defcription . Je prie ceux qui me feront
l'honneur de m'écrire, d'affranchir leurs lettres.
Les perfonnes qui defireront avoir de
ces pompes , à Paris , pourront s'adreffer
chez les RR. PP. Feuillans de la rue Saint
Honoré , où j'en ai en magafin de toutes
grandeurs.
J'ai l'honneur d'être , &c.
CERTIFICAT.
Jean -Louis Moreau , Chevalier , Sei
G
146. MERCURE DE FRANCE.
1
gneur de Beaumont , Confeiller du Roi en
fes Confeils , Maître des Requêtes ordinaire
de fon Hôtel , Intendant du Comté.
de Bourgogne.
Certifions que le fieur Thillaye , Maître
Pompier à Rouen , a fourni par nos ordres
, pendant l'année derniere & la préfente
, à plufieurs villes de Bourgogne
vingt pompes de différentes grandeurs def
tinées à éteindre le feu en cas d'incendie
defquelles nous avons fait faire l'épreuve,
avec fuccès en notre préfence ; elles nous,
ont paru , par leur forme & par leurs effets ,
être extrêmement utiles dans des incen
dies.
Fait au camp de Gray le 4 Septembre
1754.
Signé DE BEAUMONT,
FEVRIER. 1755 : 147
ARTICLE QUATRIEME
•
L
BEAUX - ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
E RETOUR DE FLORE , & LES CHARMES
DU SOMMEIL , Cantates nouvelles à
voix feule & grande fymphonie , avec les
ariettes dans le goût Italien ; dédiées &
préfentées à Madame la Dauphine , par M.
d'Herbain , Chevalier de l'Ordre de Saint
Louis , & Capitaine au Régiment de Tournaifiş.
SIX SONATES EN TRIO , pour deux vio-
Jons & baffe ; par le même Auteur : dédiées
à Madame la Marquife de Pompadour ."
Ces différentes piéces , gravées par Mlle
Vendôme , fe vendent à Paris , aux adref
fes ordinaires.
GRAVURE.
LE CAFFÉ HOLLANDOIS , gravé d'après
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
le tableau original d'Adrien Oftade , qui
eft au cabinet de M. le Comte de Vence ;
par J. Beauvarlet. Ce jeune Graveur a trèsbien
réuffi dans le goût & dans le coloris
du peintre ; il a fuivi en cela le fameux
Wicher. Il demeure rue Saint Jacques , an
Temple du Goût.
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
LETTRE A M. L'ABBE' R ***
fur une très - mauvaise plaifanterie qu'il a
laiffe imprimer dans le Mercure du mois
de Décembre 17 54 › par une société d'Architectes
, qui pourroient bien auffi prétendre
être du premier mérite & de la premiere
réputation , quoiqu'ils ne foient pas
de l'Académie.
N
Ousfommes furpris, Monfieur, qu'un
homme d'efprit & un auffi bon citoyen
que vous , ait autorifé un écrit fatyrique
, dont le but eft fi évidemment de
renverser l'Architecture moderne , & de
détruire la confiance que l'on accorde aux
Architectes , en mettant le public à portée
de juger par lui-même du bien ou du mal
des ouvrages que nous faifons pour lui
FEVRIER. 1755. 149
Pouvons-nous croire que vous n'ayez pas
apperçu cette conféquence ? ou que l'ayant
vue vous n'ayez pas eu quelque fcrupule
de vous prêter à décrier des inventions
qui depuis tant de tems font les délices de
Paris , & qu'enfin les étrangers commencent
à goûter avec une avidité finguliere
Il eft aifé de deviner d'où partent ces
plaintes , & nous ne croirons pas auffi
facilement que vous que ce foient fimplement
les idées d'un feul artiſte. C'eſt
un complot formé par plufieurs qui , à la
vérité , ont da mérite dans leur genre ,
mais qui feroient mieux de s'y attacher
que de fe mêler d'un art qui eft fi fort
au- deffus de la fphere de leurs conoiffances.
Nous foupçonnons avec raifon quelques
Peintres célebres de tremper dans
cette conjuration ; malheur à eux fi nous
le découvrons. Ils ont déja pû remarquer
que pour nous avoir fâché , nous avons
fupprimé de tous les édifices modernes
la grande peinture d'hiftoire. Nous leur
avions laiffé par grace quelque deffus de
porte; mais nous les forcerons dans ce dernier
retranchement , & nous les réduirons
à ne plus faire que dé petits tableaux de
modes , & encore en camaïeux . Qu'ils faffent
attention que nous avons l'invention
des vernis : le public a beau fe plaindre de
G iij
So MERCURE DE FRANCE!
leur peu de durée , il fera verni & rever
ni. Cependant nous voulons bien ne pas
attribuer ces critiques à mauvaife volonté,
mais plutôt au malheur qu'ils ont de s'être
formé le goût en Italie. Ils y ont vû ces
reftes d'architecture antique , que tout le
monde eft convenu d'admirer , fans que
nous puiffions deviner pourquoi. C'eft ,
dit-on , un air de grandeur & de fimpli
cité qui en fait le caractere. On y trouve
une régularité fymmétrique , des richeffes
répandues avec économie & entremêlées
de grandes parties qui y donnent du repos
. Ils s'en laiffent éblouir , & reviennent
ici remplis de prétendus , principes , qui ne
font dans le fond que des préjugés , &
qui , grace à la mode agréable que nous
avons amenée , ne peuvent leur être d'aucun
ufage. Nous nous fommes bien gardés
de faire pareille folie ; & tandis que nos
camarades font allés perdre leur tems à
admirer & à étudier avec bien des fatigues
cette trifte architecture , nous nous fommes
appliqués à faire ici des connoiffan
ces & à répandre de toutes parts nos gentilles
productions.
4
On nous a des obligations infinies :
nous avons affaire à une nation gaie qu'il
faut amufer ; nous avons répandu l'agré
ment & la gaieté par tout . Au bon vieux
FEVRIER. 1755 151
4
"
tems on croyoit que les Eglifes devoient
préfenter uunn aaffppeecctt ggrraavvee & même fevere ;
les perfonnes les plus diffipées pouvoient
à peine y entrer, fans s'y trouver pénétrées
d'idées férieufes. Nous avons bien changé
tout cela ; il n'y a pas maintenant de
cabinet de toilette plus joli que les chapelles
que nous y décorons. Si l'on y met
encore quelques tombeaux , nous les contournons
gentiment , nous les dorons par
tout , enfin nous leur ôtons tout ce qu'ils
pourroient avoir de lugubre : il n'y a pas
jufquà nos confeffionaux qui ont un air
de galanterie.
Si l'on a égard à l'avancement de l'art ,
quelle extenfion ne lui avons - nous pas
procuré nous avons multiplié le nombre
des Architectes excellens à tel point que
la quantité en eft prefque innombrable.
Ce talent qui , dans le fyftême de l'architecture
antique , eft hériffé de difficultés ,
devient dans le nôtre la chofe du monde
la plus aifée ; & l'expérience fait voir que
le maître Maçon le plus borné du côté du
deffein & du goût , dès qu'il a travaillé
quelque tems fous nos ordres , fe trouve
en état de fe déclarer architecte , & à bien
peu de chofe près auffi bon que nous .
Nous ajoûterons à la gloire de la France
& à fon avantage , que les étrangers com-
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
mencent à adopter notre goût , & qu'il y
a apparence qu'ils viendront en foule l'apprendre
chez nous. Les Anglois même , fi
jaloux de notre fupériorité dans tous les
arts , en font devenus fi foux qu'ils en
ont abandonné leur Inigo Jones , & leur
habitude de copier exactement les ouvrages
de Palladio. Ce qui pourra peut- être
nuire à cet avantage , c'eft l'imprudence
qu'on a eu de laiffer graver quelques- unes
de nos décorations de portes & de cheminées
, qui d'abord ont apprêté à rire aux
autres nations , parce qu'ils n'en fentoient
pas toute la beauté ; mais qu'enfuite ils
n'ont pu fe refufer d'imiter. Malheureuſement
ces eftampes dévoilent notre fecret ,
qui d'ailleurs n'eft pas difficile à appren
dre , & l'on peut trouver en tout pays un
grand nombre de génies propres à faifir
ces graces légeres. Au refte , fi cela arrive ,
nous nous en confolerons en citoyens de
l'univers , & nous nous féliciterons d'avoir
rendu tous les hommes architectes à
peu
de frais. Ces grands avantages nous
ont coûté quelques peines ; on ne détruit
pas facilement les idées du beau , reçues
dans une nation éclairée & dans un fiécle
qu'on fe figuroit devoir fervir de modele à
tous ceux qui le fuivroient . Il étoit appuyé
fur les plus grands noms ; il falloit
FEVRIER . 1755 153
trouver auffi quelques noms célebres qui
puffent nous fervir d'appui. On avoit découvert
prefque tout ce qui pouvoit fe
faire de beau dans ce genre , & les génies
ordinaires ne pouvoient prétendre qu'à être
imitateurs ; deux ou trois perfonnes auroient
paru avec éclat , & les autres feroient
demeurées dans l'oubli Il falloit
donc trouver un nouveau genre d'architecture
où chacun pût fe diftinguer , &
faire goûter au public des moyens d'être
habile homme qui fuffent à la portée de
tout le monde : cependant il ne falloit pas
'choquer groffierement les préjugés reçus ,
en mettant tout d'un coup au jour des nouveautés
trop éloignées du goût 1egnant ,
& rifquer de fe faire fifler fans retour.
Le fameux Oppenor nous fervit dans ces
commencemens avec beaucoup de zéle ;
il s'étoit fait une grande réputation par fes
deffeins ; la touche hardie qu'il y donnoit ,
féduifit prefque tout le monde , & on fut
long - tems à s'appercevoir qu'ils ne faifoient
pas le même effet en exécution . Il
fe fervit abondamment de nos ornemens
favoris , & les mit en crédit. Il nous eft
même encore d'une grande utilité , & nous
pouvons compter au nombre des nôtres
ceux qui le prennent pour modele . Cependant
ce n'étoit pas encore l'homme
Gv
154 MERCURE DE FRANCE:
qu'il nous falloit ; il ne pouvoit s'empê
cher de retomber fouvent dans l'architecture
ancienne , qu'il avoit étudiée dans fa
jeuneffe. Nous trouvâmes un appui plus .
folide dans les talens du grand Meiffonnier.
Il avoit à la vérité étudié en
Italie ,
& par conféquent n'étoit pas entierement
des nôtres ; mais comme il y avoit fagement
préféré le goût de Borromini au goût
ennuyeux de l'antique , il s'étoit par là
rapproché de nous ; car le Borromini a rendu
à l'Italie le même fervice que nous
avons rendu à la France , en y introduifant
une architecture gaie & indépendante
de toutes les régles de ce que l'on appelloit
anciennement le bon goût . Les Italiens ont
depuis bien perfectionné cette premiere
tentative , & du côté de l'architecture plai
fante ils ne nous le cédent en rien . Leur
goût n'eft pas le nôtre dans ce nouveau
genre , il est beaucoup plus lourd ; mais
nous avons cela de commun , que nous
avons également abandonné toutes les
vieilles modes pour lefquelles on avoit un
refpect fuperftitieux . Meiffonnier commen-
са à détruire toutes les lignes droites qui
étoient du vieil ufage ; il tourna & fit
bomber les corniches de toutes façons , il
les ceintra en haut & en bas , en devant ,
en arriere , donna des formes à tout , mêFEVRIER.
1755 155
me aux moulures qui en paroiffoient les
moins fufceptibles ; il inventa les contraftes
, c'est-à- dire qu'il bannit la fymmétrie
& qu'il ne fit plus les deux côtés des panneaux
femblables l'un à l'autre ; au contraire
, ces côtés fembloient fe défier à qui
s'éloigneroit le plus , & de la maniere la
plus finguliere , de la ligne droite à laquelle
ils avoient jufqu'alors été affervis .
Rien n'eſt fi admirable que de voir de
-quelle maniere il engageoit les corniches
des marbres les plus durs à fe prêter avec
complaifance aux bizarreries ingénieufes
des formes de cartels ou autres chofes qui
-devoient porter deffus. Les balcons ou les
-rampes d'efcalier n'eurent plus la permiffion
de paffer droit leur chemin ; il leur
fallut ferpenter à fa volonté , & les matieres
les plus roides devinrent fouples fous
fa main triomphante. Ce fut lui qui mic
-en vogue ces charmans contours en S , que
votre auteur croit rendre ridicules , en difant
que leur origine vient des maîtres
Ecrivains ; comme fi les arts ne devoient
pas le prêter des fecours mutuels il les
employa par tout , & à proprement parler
fes deffeins , même pour des plans de bâtimens
, ne furent qu'une combinaifon de
cette forme dans tous les fens poffibles . Il
nous apprit à terminer nos moulures en
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
rouleau , lorfque nous ne fçaurions com
ment les lier les unes aux autres , & mille
autres chofes non moins admirables qu'il
feroit trop long de vous citer : enfin l'on
peut dire que nous n'avons rien produit
depuis dont on ne trouve les femences
dans fes ouvrages. Quels fervices n'a-t- il
pas rendus à l'orfevrerie ? il rejetta bien
loin toutes les formes quarrées , rondes ou
ovales , & toutes ces moulures dont les
ornemens repérés avec exactitude donnent
tant de fujétion ; avec fes chers contours
en S , il remplaça tout. Ce qu'il y a
de particulier , c'eft qu'en moins de rien
l'orfevrerie & les bijoux devinrent trèsaifés
à traiter avec génie. En vain le célebré
Germain voulut s'opposer au torrent
& foutenir le vieux goût dont il avoit été
bercé dans fon enfance , fa réputation même
en fut quelque peu éclipfée , & il fe
vit fouvent préférer Meiffonnier , par l'appui
que nous lui donnions fous main ; cependant
, le croiriez-vous ! ce grand Meiffonnier
n'étoit pas encore notre homme ,
il tenoit trop à ce qu'ils appellent grande.
maniere. De plus il eut l'imprudence de
laiffer graver plufieurs ouvrages de lui , &
mit par là le public à portée de voir que
ce génie immenfe qu'on lui croyoit , n'étoit
qu'une répétition ennuyeufe des mê
FEVRIER. 1755 157
mes formes. Il fe décrédita , & nous l'abandonnâmes
d'autant plus facilement ,
que malgré les fecours que nous lui avions
prêtés pour l'établiſſement de fa réputation
, il ne vouloit point faire corps avec
& nous traitoit hautement d'igno- nous ,
rans : quelle ingratitude !
Nous fimes enfin la découverte du héros
dont nous avions befoin. Ce fut un
Sculpteur , qui n'avoit point pû fe gâter à
Rome , car il n'y avoit point été , bien
qu'il eût vû beaucoup de pays. Il s'étoit
formé avec nous , & avoit fi bien goûté
notre maniere , & fi peu ces prétendues
régles anciennes , que rien ne pouvoit reftreindre
l'abondance de fon génie . Il fçavoit
affez d'architecture ancienne pour ne
pas contrecarrer directement ceux qui y
tenoient avec trop d'obftination ; mais il
la déguifoit avec tant d'adreffe qu'il avoit
le mérite de l'invention , & qu'on ne la
reconnoiffoit qu'à peine. Il allégea toutes
ces moulures & tous ces profils où Oppenor
& Meiffonnier avoient voulu conferver
un caractere qu'ils appelloient mâle ; il
les traita d'une délicateffe qui les fait prefque
échapper à la vûe ; il trouva dans les
mêmes efpaces le moyen d'en mettre fix
fois davantage ; il s'affranchit tout d'un
coup de la loi qu'ils s'étoient follement
18 MERCURE DE FRANCE.
impofée de lier toujours leurs ornemens les
uns aux autres ; il les divifa , les coupa
en mille pieces , toujours terminées par ce
-rouleau qui eft notre principale reffource ;
& afin que ceux qui aimoient la liaiſon
ne s'apperçuffent pas trop de ces interruptions
, il fit paroître des liaiſons apparen
tes , par le fecours d'une fleur , qui ellemême
ne tenoit à rien , ou par quelque légereté
également ingénieufe ; il renonça
pour jamais à la régle & au compas : on
avoit déja banni la fymmetrie , il rencherit
encore là-deffus . S'il lui échappa quelquefois
de faire des panneaux femblables
l'un à l'autre , il mit ces objets fymmétriques
fi loin l'un de l'autre , qu'il auroit
fallu une attention bien fuivie pour s'appercevoir
de leur reffemblance. Aux agra
fes du ceintre des croifées qui ci-devant
ne repréfentoient que la clef de l'arc décorée
, il fubftitua de petits cartels enrichis
de mille gentilleffes & pofés de travers
, dont le pendant fe trouvoit à l'au
tre extrêmité du bâtiment . C'eſt à lui qu'on
doit l'emploi abondant des palmiers , qui
à la vérité avoient été trouvés avant lui ,
& que votre auteur blâme fi ridiculement.
Il établit folidement l'ufage de fupprimer
tous les plafonds , en faifant faire à des
Sculpteurs , à bon marché , de jolies petites
FEVRIER.
1755 159
dentelles en bas- relief , qui réuffirent fi
bien , qu'on prit le fage parti de fupprimer
les corniches des appartemens pour les enrichir
de ces charmantes dentelles . C'eft
notre triomphe que cette profcription des
corniches ; rien ne nous donnoit plus de
fujétion que ces miferes antiques dont on
les ornoit , & aufquelles votre écrivain
paroît fi attaché. Il y falloit une exactitude
& une jufteffe , qui pour peu qu'on y
manquât , fe déceloit d'abord à des yeux
un peu feveres. Nous regrettons encore
ce grand homme , quoique fes merveilleux
talens ayent été remplacés fur le champ
par quantité de Sculpteurs , non moins
abondans que lui dans cette forte de génie.
C'eft à lui que nous avons l'obligation
de cette fupériorité que nous avons acqui
fe , & que nous fçaurons conferver ; & on
peut dire à fa gloire que tout ce qui s'éloigne
du goût antique lui doit fon inven
tion , ou fa perfection.
}
En fuivant fes principes , nous avons
abfolument rejetté tous ces anciens plafonds
chargés de fculptures & de dorures ,
qui à la vérité avoient de la magnificence ,
& contre lefquels nous n'avons rien à dire
, fi ce n'eft qu'ils ne font plus de mode.
En dépit des cris de toute l'Académie de
Peinture , nous avons fçu perfuader à tous
160
MERCURE DE
FRANCE.
tes les
perſonnes chez qui nous avons
quelque crédit , que les plafonds peints
obfcurciffent les
appartemens & les rendent
triftes.
Inutilement veut- on nous repréfenter
que nous avons
juſtement dans
notre fiécle des Peintres , dont la couleur
eft très-agréable , & qui aiment à rendre
leurs tableaux
lumineux ; qu'en traitant
les plafonds d'une couleur claire ils n'auroient
point le
defagrément qu'on reproche
aux anciens , & qu'ils auroient de plus
le mérite de
repréfenter quelque chofe
d'amufant par le fujet , &
d'agréable par
la variété des couleurs. Les Peintres n'y
gagneront rien , ils nous ont irrité en méprifant
nos premieres
productions ; & nous
voulons d'autant plus les perdre que nous
n'efperons pas de pouvoir les gagner ; ils
ne fe rendroient qu'avec des
reftrictions
qui ne font pas de notre goût. Les Sculp
seurs de figures feront auffi compris dans
cette
profcription ; ils feroient encore plus
à portée de nous faire de mauvaiſes chicanes.
Notre
Sculpteur favori nous a don
né mille moyens de nous paffer d'eux : aù
lieu de tout cela il a imaginé une rofette
charmante , qu'à peine on
apperçoit , &
qu'il met au milieu du plancher , à l'endroit
où
s'attache le luftre : voilà ce qu'on
préfère avec raiſon aux plus belles produce
FEVRIER. 1755
161
tions de leur art. Il y a encore un petit
nombre de criards qui répandent par-tour
que le bon goût eft perdu , & qu'il y a
très- peu d'Architectes qui entendent la
décoration ; que c'eft le grand goût de la
décoration qui fait le caractere effentiel
de l'Architecte . Nous détruifons tous ces
argumens , en foutenant hautement que
ce qui diftingue l'Architecte , eft l'art de
la diftribution. Ils ont beau dire qu'elle
n'eft pas auffi difficile que nous voulons
le faire croire , & qu'il eft évident qu'avec
un peu d'intelligence chaque particulier
peut arranger fa maifon d'une maniere
qui lui foit commode , relativement aux
befoins de fon état ; que la difficulté que
le particulier ne fçauroit lever , ni nous
non plus , & qui demande toutes les lumieres
d'un grand architecte , eft d'ajuſter
cette diftribution commode avec une décoration
exacte , fymmétrique , & dans ce
qu'ils appellent le bon goût , foit dans les
dehors , foit dans les dedans voilà juſtement
ce qui nous rendra toujours victorieux.
Comme notre architecture n'a aucunes
régles qui l'aftreignent , qu'elle eſt
commode , & qu'en quelque façon elle
prête , nous nous fommes faits un grand
nombre de partifans qui fatisfaits de notre
facilité à remplir toutes leurs fantaisies ,
162 MERCURE DE FRANCE.
›
nous foutiendront toujours. Nous voudrions
bien voir ces Meffieurs de l'antique
entreprendre de décorer l'extérieur d'un
bâtiment avec toutes les fujétions que
nous leur avons impofées. Comme les plus
grands cris avoient d'abord été contre nos
décorations extérieures , parce qu'elles
étoient expofées à la vûe de tout le monde ;
que d'ailleurs le vuide ne coûte rien à décorer
, & ne donne point de prife à la critique
, nous avons amené la multitude des
fenêtres, qui a parfaitement bien réuffi ; car
il eft infiniment agréable d'avoir trois fenê
tres dans une chambre , qui jadis en auroit
eu à peine deux. Cela donne à la vérité
plus de froid dans l'hiver & plus de chaleur
dans l'été mais que nous importe ? il n'en
-eſt
: pas moins fûr qu'à préſent chacun veut
que fa maifon foit toute percée , & que
-nos Meffieurs du goût ancien , qui ne fçavent
décorer que du plein , n'y trouvent
plus de place. Qu'ils y mettent , s'ils le peutvent
, de leurs fenêtres décorées , qu'ils
tâchent d'y placer leurs frontons à l'antique
, qui , difent - ils , décorent la fenêtre
, & mettent à couvert ceux qui y
font nous y avons remédié en élevant
les fenêtres jufques au haut du plancher.
Rien n'eft fi amufant que de voir un
pauvre architecte revenant d'Italie , à qui
:
FEVRIER. 1755 163
(
"
Ton donne une pareille cage à décorer , ſe
tordre l'imagination pour y appliquer ces
chers principes , qu'il s'eft donné tant de
peine à apprendre ; & s'il lui arrive d'y
réuffir , ce qu'il ne peut fans diminuer les
croifées , c'eſt alors que nous faifons voir
clairement combien fa production eft trifte
& mauffade . Vous ne verrez pas clair chez
vous , leur difons- nous , vous n'aurez pas
d'air pour refpirer , à peine verrez- vous le
foleil dans les beaux jours : ces nouveaux artiftes
fe retirent confus,& font enfin obligés
de fe joindre à nous , pour trouver jour à
percer dans le monde. Nous n'avons pas encore
entierement abandonné les frontons
dont les anciens fe fervoient pour terminer
le haut de leurs bâtimens , & qui repréfentoient
le toît , quoique nous aimions bien
mieux employer certaines terminaiſons en
façon d'orfevrerie , qui font de notre crû.
A l'égard des frontons , nous avons du
moins trouvé le moyen de les placer ou
on ne s'attendoit pas à les voir ; nous les
mettons au premier étage , & plus heureufement
encore au fecond ; & nous ne manquons
gueres d'élever un étage au -deffus
, afin qu'ils ayent le moins de rapport
qu'il eft poffible avec ceux des anciens.
Nous avons ou peu s'en faut , banni les
colonnes , uniquement parce que c'eft un
164 MERCURE DE FRANCE
→
des plus beaux ornemens de ce trifte goût
ancien , & nous ne les rétablirons que
lorfque nous aurons trouvé le moyen de
les rendre fi nouvelles qu'elles n'ayent plus
aucune reffemblance avec toutes ces antiquailles.
D'ailleurs elles ne fçauroient s'accommoder
avec nos gentilleffes légeres ,
elles font paroître mefquin tout ce qui
les accompagne. Beaucoup de gens tenoient
encore à cette forte d'ornement , qui leur
paroiffoit avoir une grande beauté mais
nous avons fçu perfuader aux uns , que
cela coûtoit beaucoup plus que toutes les
chofes que nous leur faifions , quoique
peut-être en économifant bien , cela pût
ne revenir qu'à la même dépenſe ; aux
autres , que cette décoration ne convenoit
point à leur état , & qu'elle étoit reſervée
pour les temples de Dieu & les palais des
Rois ; que quelques énormes dépenfes que
nous leur fiffions faire chez eux , perfonne
n'en fçauroit rien , quoiqu'ils le fiffent
voir à tout le monde ; au lieu qu'une petite
colonnade , qui ne coûteroit peut-être
gueres , feroit un bruit épouventable dans
Paris. Nous avons accepté les pilaftres jufqu'à
un certain point , c'eft- à- dire forfque
nous avons pû les dépayfer par des
chapiteaux divertiffans. Les piédeftaux font
auffi reçus chez nous , mais nous avons
FEVRIER. 1755. 165
·
trouvé l'art de les contourner , en élargiffant
par le bas , comme s'ils crevoient fous
le fardeau , ou plus gaiement encore , en
les faifant enfler du haut , & toujours en
S, comme s'ils réuniffoient leur force en
cę lieu
ce pour mieux porter. Mais où notre
génie triomphe , c'eſt dans les bordures
des deffus de porte , que nous pouvons
nous vanter d'avoir varié prefque à l'infini.
Les Peintres nous en maudiffent , parce
qu'ils ne fçavent comment compofer leurs
fujets avec les incurfions que nos ornemens
font fur leur toile ; mais tant pis
pour eux : lorfque nous faifons une fi grande
dépenfe de génie , ils peuvent bien auffi
s'évertuer ; ce font des efpéces de bouts
rimés que nous leur donnons à remplir.
Il auroit pû refter quelque reffource à la
vieille architecture pour fe produire à Paris
; mais nous avons coupé l'arbre dans fa
racine , en annonçant la mode des petits
appartemens , & nous avons fappé l'ancien
préjugé , qui vouloit que les perfonnes
diftinguées par leur état caffent un appar !
tement de répréfentation grand & magnifique.
Nous efperons que dorénavant la
regle fera que plus la perfonne fera élevée
en dignité , plus fon appartement fera
patit : vous voyez qu'alors il fera difficile
de nous faire defemparer, Ceux qui poure
GG MERCURE DE FRANCE.
ront faire de la dépenfe , ne la feront qu'en
petit , & s'adrefferont à nous. Il ne reſtera
pour occuper ces Meffieurs , que ceux qui
n'ont pas le moyen de rien faire.
Voyez , je vous prie , l'impertinence de
votre auteur critique ; il s'ennuye , dit- il ,
de voir par-tout des croifées ceintrées ,
mais il n'ofe pas difconvenir que cette forte
de croifée ne foit bonne . Peut-on avoir
trop d'une bonne chofe ? & pourquoi veutil
qu'on aille fe fatiguer l'imagination pour
trouver des variétés , lorfqu'une chofe eft
de mode , & qu'on eft fûr du fuccès ? Ne
voit-il pas que toutes nos portes , nos cheminées
, nos fenêtres , avec leur plat-bandeau
, font à peu près la même choſe :
puifqu'on en eft content , pourquoi fe tuer
à en chercher d'autres ? Il blâme nos portes
oùles moulures fe tournent circulairement ;
invention heureuſe que nous appliquons à
tout avec le plus grand fuccès. Il faut :
qu'il foit bien étranger lui-même dans
Paris , pour ne pas fçavoir de qui nous
la - tenons. C'est d'un Architecte à qui les
amateurs de l'antique donnent le nom de
grand. Le célébre François Manſard la
employée dans fon portail des Filles de :
Sainte Marie , rue Saint Antoine ; voilà
une autorité qu'il ne peut recufer.Pour vous
faire voir combien cette forte de fronton
FEVRIER. 1755 . 1671
7
réuffit quand elle eft traitée à notre façon ,
& combien elle l'emporte fur l'architecture
ancienne ; comparez le portail des Capucines
de la place de Louis le Grand ,
morceau fi admirable qu'on vient de le
reftaurer , de peur que la poſtérité n'en fût
privée ; comparez- le avec le portail à colonnes
de l'Affomption , qui n'en eft pas
loin , & vous toucherez au doigt la différence
qui eft entre nous & les Architectes:
du fiécle paffé.
Mais laiffons là ce critique ; ce feroitperdre
le tems que de s'amufer à lui démontrer
en détail l'abfurdité de fes jugemens.
Nous ne vous diffimulerons pas que
nous fommes actuellement dans une pofi-:
tion un peu critique , & qu'une révolu-.
tion dans le goût de l'architecture nous
paroîtroit prochaine fi nous la croyions
poffible. Il fe rencontre actuellement plufeurs
obftacles à nos progrès ; maudite
foit cette architecture antique , fa féduction
, dont on a bien de la peine à revenir
lorfqu'une fois on s'y eft laiffé prendre
nous a enlevé un protecteur qui auroit
peut- être été pour nous l'appui le plus fo
lide , fi nous avions été chargés du foin
de l'endocriner. Pourquoi aller chercher
bien loin ce qu'on peut trouver chez foi
nous amufons en inftruifant ; ne peut-on
168 MERCURE DE FRANCE.
pas ſe former le goût en voyant nos deffeins
de boudoirs , de garde-robes , de
pavillons à la Turque , de cabinets à la
Chinoife ? Est- ce quelque chofe de fort
agréable que cette Eglife demefurée de S.
Pierre , ou que cette rotonde antique , dont
le portail n'a qu'un ordre dans une hauteur
où nous , qui avons du génie , aurions
trouvé de la place pour en mettre au moins
trois il n'eft pas concevable qu'on puiffe
balancer. Cependant cette perte eft irrépa
rable : cela eft defolant ; car tous les projets
que nous préfentons paroiffent comiques
à des yeux ainfi prévenus . Nous avons
même tenté de mêler quelque chofe d'antique
dans nos deffeins , voyez quel facrifice
! pour faire paffer avec notre marchandife
, tout cela fans fuccès : on nous
devine d'abord.
Autre obſtacle qui eft une fuite du premier.
Les bâtimens du Roi nous ont donné
une exclufion totale ; tout ce qui s'y
fait fent la vieille architecture , & ce même
public , que nous comptions avoir ſubjugué
, s'écrie : voilà qui eft beau. Il y a
une fatalité attachée à cette vieille mode ,.
par-tout où elle fe montre elle nous dépare
; l'Académie même a peine à fe défendre
de cette contagion , il femble qu'elle
ne veuille plus donner de prix qu'à ceux
qui
FEVRIER. 1755. 169'
I
qui s'approchent le plus du goût de l'antique.
Cela nous expofe à des avanies , de
la part même de ces jeunes étourdis , qui fe
donnent les airs de rire de notre goût moderne.
Cette confpiration eft bien foutenue
; car , à ne vous rien céler , il y a encore
plufieurs Architectes de réputation
& même qui n'ont pas vû l'Italie , mais
qui par choix en ont adopté le goût , que
nous n'avons jamais pû attirer dans notre
parti . Il y a plus ; quelques - uns que nous
avons crû long tems des nôtres , à la
miere occafion qu'ils ont eu de faire quelque
chofe de remarquable , nous ont laiffés
là , & fe font jettés dans l'ancien
goût.
pre-
Vous êtes , fans doute , pénétré de compaffion
à la vûe du danger où nous nous
trouvons , & nous vous faifons pitié ; mais
confolez- vous , nous avons dés reffources
; nous fçaurons bien arrêter ces nouveaux
débarqués d'Italie . Nous leur oppoferons
tant d'obftacles que nous les empêcherons
de rien faire , & peut- être les'
forcerons-nous d'aller chez l'étranger exercer
des talens qui nous déplaifent. Ils aiment
à employer des colonnades avec des
architraves en plate - bande ; nous en déclarerons
la bâtiffe impoffible. Ils auront
beau citer la colonnade du Louvre , la
H
170 MERCURE DE FRANCE.
chapelle de Verſailles , & autres bâtimens
dont on ne peut contefter la folidité ; qui
eft - ce qui les en croira ? leur voix fera- telle
d'un plus grand poids que celle de
gens qui ont bâti des petites maifons par
milliers dans Paris ? mais voici l'argument
invincible que nous leur gardons pour le
dernier. Nous leur demanderons ce qu'ils
ont bâti : il faudra bien qu'ils conviennent
qu'ils n'en ont point encore eu l'occafion .
C'est là où nous les attendons : comment ,
dirons- nous , quelle imprudence ! confier
un bâtiment à un jeune homme fans expérience
? Cette objection eft fans réplique.
On ne s'avifera pas de faire réflexion
qu'un jeune homme de mérite , & d'un
caractere docile , peut facilement s'affocier
un homme qui , fans prétendre à la décoration
, ait une longue pratique du bâtiment
, & lui donneroit les confeils néceffaires
, en cas qu'il hazardât quelque chofe
de trop hardi ; que d'ailleurs il Y auroit
dans Paris bien des maifons en ruines , fi
le premier bâtiment de chaque Architecte
manquoit de folidité.
Au refte , ne croyez point que ce foit
dans le deffein de nuire à ces jeunes gens
que nous leur ferons ces difficultés : c'eft
uniquement pour leur bien , & pour leur
donner le tems , pendant quelques années ,
FEVRIER.
1755.171.
d'apprendre le bon goût que nous avons
établi , & de quitter leurs préjugés ultramontains
nous avons l'expérience que
cela a rarement manqué de nous réuffic .
: Si donc vous connoiffez cette fociété .
d'Artiſtes qui prend la liberté de nous blâmer
, avertiffez-les d'être plus retenus à
l'avenir ; leurs critiques font fuperflues.
Le public nous aime , nous l'avons accoutumé
à nous d'ailleurs chacun de ceux
qui font bâtir , même des édifices publics
, eft perfuadé que quiconque a les
fonds pour bâtir , a de droit les connoiffances
néceffaires pour le bien faire. Peuton
manquer de goût quand on a de l'argent
? Nous fommes déja fûrs des Procureurs
de la plupart des Communautés ,
des Marguilliers de prefque toutes les
Paroiffes , & de tant d'autres qui font
à la tête des entrepriſes. Enfin foyez certains
que nous & nos amis nous ferons
toujours le plus grand nombre. Nous fommes
, &c.
On voit que le faux bel efprit gagne les
beaux arts , ainfi que les belles- lettres . On
force la nature dans tous les genres , on
contourne les figures , on met tout en S :
qu'il y a de Meiffonniers en poëfie & en
éloquence , comme en architecture !
レン
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
ARC DE TRIOMPHE à la gloire du Roi ,
qui a été élevé, fur les deffeins du Chevalier
Servandoni , le jour que M. le Duc de Gefvres
a pofé , au nom de Sa Majefté , la premiere
pierre de la place commencée devant
l'Eglife de S. Sulpice le 2 Octobre 1754 :
dédié à M. Dulau d'Allemans , Curé de S.
Sulpice , gravé par P. Patte , & fe vend
chez lui rue des Noyers , la fixieme porte .
cochere à droite en entrant par la rue Saint·
Jacques , grandeur de la feuille du nom de
Jefus. Prix 1 liv. 10 fols. I
L'eftampe que nous annonçons eft gravée
à l'aide d'une feule taille , ou ligne , à
peu près dans la maniere dont le célébre
Piranefi s'eft fervi pour rendre fes compofitions
d'architecture , dont les connoiffeurs
font tant de cas. Il feroit peut- être à fouhaiter
que cette manoeuvre de gravûre fut
ufitée en France ; elle pourroit donner à
nos eftampes d'architecture une perfection
qu'elles n'ont point eu jufqu'à préfent. En
effet , la pratique d'exprimer les ombres
dans les gravûres ordinaires de nos édifices
par deux tailles , c'eft-à- dire par deux ;
lignes qui s'entrecoupent quarrément ou
ea lofange , rend à la vérité ce genre de
gravûre aifé & expéditif ; mais elle lui ,
donne un air froid , commun , & une dureté
qui femble faire une efpéce d'injure
FEVRIER. 1755. 173
aux yeux ; c'eſt le jugement qu'ont tou-
-jours porté nos artiftes fur ces fortes d'ef
tampes. Auffi peut-on remarquer qu'on
n'a pas crû. devoir accorder à leurs Graveurs
aucune place dans nos Académies ,
foit de peinture , foit d'architecture ; ce
que l'on eût fait affurément , fi leurs talens
euffent paru aux connoiffeurs devoir
mériter quelque diftinction . On a effayé ,
dans la planche que nous propofons , de
mettre ce genre de gravûre dans quelque
eftime , par une nouvelle manoeuvre qui
fente l'art , & qui remédie aux défauts de
l'ancienne. Chaque ombre y eft énoncée
par une feule ligne , plus ou moins groffe
ou ferrée , dont la direction exprime continuellement
la perſpective du corps d'architecture
fur lequel elle eft portée. Afin d'ôter
toute dureté , on a affecté de ne point terminer
les extrêmités de chaque ombre par
aucune ligne , mais feulement par la fin de
toutes les lignes , qui forme l'ombre , ce qui
femble affez bien imiter les arrêtes de la pierre,
lefquelles confervent toujours une efpéce
de rondeur. Toutes les teintes générales ,
quelles qu'elles foient , y font exprimées
à la pointe féche , ce qui eft propre à donner
à cette gravûre un ton fuave , qui
femble participer de cette couleur aërienne
répandue fur la furface de nos bâtimens ;
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
ton auquel on ne peut atteindre avec le
fecours de l'eau forte , comme on le pratique
ordinairement. Au refte , c'eft à la
-vue de cette planche à parler en faveur des
avantages de fa nouvelle manoeuvre , & on
fe flatte qu'elle convaincra fans peine que
cette maniere de faire eft bien plus favora
ble que l'autre pour les effets de la perf
pective ; qu'elle eft analogue à la maniere
dont on deffine l'architecture à la plume ,
:& que la parfaite égalité qu'elle demande
doit fatisfaire agréablement la vue des fçavans
comme des ignorans ; quelques lignes
plus ou moins ferrées dans les ombres
étant capables d'y faire une difcordance
de ton irrémédiable , & qui faute aux yeux
de chacun . Cette maniere de traiter l'architecture
eft ; il eft vrai , très-laborieufe
& difficile à bien exécuter ; mais elle
pour-
.roit donner un prix à nos eftampes d'architecture
, & les élever à décorer avec diftinction
les cabinets des curieux.
F
C'eft aux artistes à apprécier ces réflexions,
par la comparaifon de l'eftampe qu'on leur
offre , avec celles que nous avons dans le
genre oppofé. Le feul but que l'on fe propofe
en les faifant , eft de contribuer à la
perfection d'un genre de gravure que l'on
n'a peut- être pas affez cherché jufqu'ici à
rendre recommendable, bu
FEVRIER . 1755. 175
ARTICLE CINQUIEME.
SPECTACLE S.
OPERA.
,
L'Académie royale de Mufique a donné
le 19 Janvier la premiere repréfentation
de Daphnis & Alcimadure
Paftorale languedocienne , en trois actes ,
précédée d'un prologue , intitulé les Jeux
Floraux. Les paroles & la Mufique font de
M. de Mondonville , qui réunit les deux
talens. Cer Opéra n'a pas moins de fuccèsà
la ville qu'il en a eu à la Cour : je parle
d'après la voix publique. On le joue trois
fois la femaine ; le Vendredi , le Dimanche
& le Mardi . On continue les Elémens le
Jeudi. Comme le fecond Mercure de Décembre
a fait un extrait détaillé d'Alcimadure
, j'y renvoie ceux qui feront curieux
de le lire.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
},
COMEDIE FRANÇOISE.
Lis
Es Comédiens François ont donné le
13 de ce mois la dixiéme repréfentation
du Triumvirat. On peut dire qu'il a
eu ce fuccès d'estime que l'ouvrage &
l'auteur ont fi bien mérité , & qu'on refuſe
fouvent à des pieces plus heureufes , qui
comptent plus de repréfentations que de
fuffrages. Cette Tragédie eft imprimée
fous ce double titre : Le Triumvirat , ou la
mort de Ciceron , avec une épitre dédicatoire
à Mme Bignon , & une préface . Elle
fe vend chez Hochereau , quai de Conti , au
Phénix ; le prix eft de 30 f. en voici l'extrait .
EXTRAIT DU TRIUMVIRÁT.
Tullie , fille de Ciceron , ouvre feule
la fcene qui eft au Capitole , par un début
digne d'elle & du fujet. Elle s'écrie ,
Effroyable féjour des horreurs de la guerre ,
Lieux inondés du fang des maîtres de la terre ,
Lieux , dont le feul afpect fit trembler tant de
Rois ,
Palais où Ciceron triompha tant de fois ;
Deformais trop heureux de cacher ce grand homme
,
Sauvez le feul Romain qui foit encor dans Rome.
FEVRIER. 1755. 177
A
Elle ajoûte avec effroi , en jettant les
yeux fur le tableau des profcrits :
Que vois-je , à la lueur de ce cruel flambeau !
Ah ! que de noms facrés profcrits fur ce tableau !
Rome , il ne manque plus , pour combler ta mifere
,
Que d'y tracer le nom de mon malheureux pere.
Enfuite elle apoftrophe ainfi la ftatue de
Céfar.
Toi , qui fis en naiffant honneur à la nature ,
Sans avoir , des vertus , que l'heureufe impofture ,
Trop aimable tyran , illuftre ambitieux ,
Qui triomphas du fort , de Caton & des Dieux...
Sous un joug ennobli par l'éclat de tes armes ,
Nous refpirions du moins fans honte & fans allármes
:
Loin de rougir des fers qu'illuftroit ta valeur ,
On fe croyoit paré des lauriers du vainqueur.
Mais fous le joug honteux & d'Antoine & d'Octave
>
Rome , arbitre des Rois , va gémir en eſclave.
Se tournant après vers la ftatue de Pompée
, elle lui adreffe ces triftes paroles .
Ah ! Pompée , eft -ce là ce qui refte de toi
Miférables débris de la grandeur . humaine ,
Hy
178 MERCURE DE FRANCE.
Douloureux monument de vengeance & de haine !
6
Pour nous venger d'Octave ,, accours , vaillant
Sextus ,,
A ce nouveau Céfar , fois un nouveau. Brutus.
Ce monologue me paroît admirable ; il
égale , à mon gré , celui d'Electre , s'il ne
le furpaffe pas , & forme la plus belle expofition
. Il eft terminé par l'arrivée de
Sextus , qui fe cache même aux yeux de
Tullie qu'il aime , fous le nom de Clodomir
, chef des Gaulois . Il lui fait un récit
affreux des horreurs du Triumvirat dont il
vient d'être le témoin , & finit un fi noir
tableau par ces beaux vers , qu'on croiroit
d'un auteur de trente ans , à la force du
coloris.
Un fils , prefque à mes yeux , vient de livrer fon
Le
pere ;
J'ai vu ce même fils égorgé par fa mere :
On ne voit que des corps mutilés & fanglans ,
Des efclaves traîner leurs maîtres expirans ;
affouvi réchauffe le carnage ;
carnage
J'ai vu des furieux dont la haine & la rage
Se difputoient des cours encor tout palpitans:
On diroit à les voir l'un l'autre s'excitans ,
Déployer à l'envi leur fureur meurtrière ,
Que c'est le derniér jour de la nature entiere. {
FEVRIER. , 1755. 179
que
Dans ce péril preffant il offre à Tullie une
retraite dans Oftie pour fon pere & pour
elle . Elle la refufe ; il frémit du danger
Ciceron va courir , fi près de Fulvie
qui a juré fa perte. Il exprime en même
tems la douleur qu'il a de la perdre & de
la voir près d'être unie aux jours d'Octave
qui l'aime , ajoutant que fon fang fcellera
cet hymen. Tullie le raffure fur cette crain--
te , en lui difant :
Un tyran à
Ne craignez rien d'Octave' :
mes yeux ne vaut pas un esclave.
Un rival plus heureux va caufer vos allarmes ...
Le fils du grand Pompée . Hélas ! que n'est- ce vous !!
Que j'euffe avec plaifir accepté mon époux !
Ces deux amans font interrompus par
Lepide qui entre : Clodomir fe retire . Le
Triumvir fait entendre à Tullie , que ne
pouvant chaffer de Rome fes collegues impies
, il prend le parti de s'en exiler luimême
, & qu'il va chercher un afyle en
Efpagne pour y fauver fa vertu. Tullie l'interrompt
par cette noble réponſe , qui a
toujours été fi juftement applaudie :
Ah ! la vertu quifuit ne vaut pas le courage
Du crime audacieux qui fçait braver l'orage .
Que peut craindre un Romain des,caprices.du fort,
Tant qu'il lui refte un bras pour fe donner la mort
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
Avez-vous oublié que Rome eft votre mere
Demeurez , imitez l'exemple de mon pere ,
Et de votre vertu në nous vantez l'éclat
Qu'après une victoire , ou du moins un combat.
On n'encenfa jamais la vertu fugitive ,
Et celle d'un Romain doit être plus active.
On ne le reconnoît qu'à fon dernier foupir ;
Son honneur eft de vaincre , & vaincu de mourir.
ger
Elle fort.
Ciceron arrive. Lapide tâche de l'engaà
le fuivre pour fe dérober à la fureur
d'Antoine & de Fulvie , qui veulent le profcrire.
Ciceron rejette cette offre. Lepide le
quitte , en lui déclarant qu'il vient de rencontrer
Sextus , & qu'il l'a reconnu . Ce
Triumvir l'avertit d'en craindre la fuite ,
& de prendre garde à lui. Ciceron reſté
feul , dit qu'il eft tems qu'il apprenne
ce fecret à fa fille , que Clodomir devenu
le fils du grand Pompée , ne pourra l'en
blâmer , qu'il veut les unir & donner à Céfar
un rival , dont le nom feul pourra lui
devenir funefte.
Octave commence avec Mecene le fecond
acte. Après avoir d'abord tâché d'excufer
fes cruautés , il lui marque fon
amour pour Tullie , & fon eftime pour fon
pere , ajoûtant qu'il veut le fauver & fe
l'attacher. Mecene l'affermit dans ce defFEVRIER.
1755. 181
fein , & le laiffe avec Ciceron qui paroît ,
& qui lui témoigne ainfi fa furpriſe :
Céſar , en quel état vous offrez-vous à moi ?
Ah ! ce n'eft ni fon fils , ni Céfar que je vois.
O! Céfar , ce n'eft pas ton fang qui l'a fait naître :
Brutus qui l'a verfé , méritoit mieux d'en être.
Le meurtre des vaincus ne fouilloit point tes pas ;
Ta valeur fubjuguoit , mais ne profcrivoit pas.
Octave, pour fe juftifier , répond qu'il
pourfuit les meurtriers du grand Céfar , &
que fa vengeance eft légitime. Ciceron l'interrompt
pour lui reprocher l'abus affreux
qu'il fait de ce prétexte , & lui dit :
Rendre le glaive feul l'interprête des loix ,
Employer pour venger le meurtre de fon pere
Des flammes & du fer l'odieux miniftere ;
Donner à fes profcrits pour juges fes foldats ,
Du neveu de Céfar voilà les magiftrats.
Octave lui réplique que c'eft une néceffité
, que l'univers demande une forme
nouvelle , qu'il lui faut un Empereur , que
Ciceron doit le choifir , qu'ils doivent s'allier
pour mieux détruire Antoine ; il le
conjure enfin de l'aimer , & de devenir
fon
pere.
Abdique, je t'adopte , & ma fille eft à toi,
382 MERCURE DE FRANCE.
repart Ciceron. Des oreilles trop délicates
ont trouvé ce vers dur ; pour moi je ne le
trouve que fort ;je crois qu'un Romain ne
peut pas mieux répondre ni en moins de
mots . Tullie paroît , & fon pere fort eix
difant à Octave , qu'il la confulte ; & que
s'il l'aime , il la prenne pour modele .
Tullie traite Octave encore avec plus.
de fierté que n'a fait fon pere. Céfar , luis
dit-elle :
Regnez , fi vous l'ofez; mais croyez que Tullie
Sçaura bien ſe ſoustraire à votre tyrannie :
Si du fort des tyrans vous bravez les hazards
Il naîtra des Brutus autant que des Céfars.
Sur ce qu'il infifte , elle lui déclare fierement
qu'elle ne l'aime point , qu'elle eft
cependant prête à l'époufer , pourvû qu'il
renonce à l'Empire ; mais que s'il veut ufurper
l'autorité fuprême , il peut teindre le
diadême de fon fang. Cette hauteur romaine
oblige Octave de la quitter & de la
menacer de livrer fon pere à Fulvie. Sextus
, qu'elle reconnoît alors pour le fils de
Pompée , entre fur la fcéne , & demande à
Tullie le fujer de fa douleur. Elle l'inftruit
du danger preffant où font les jours de
fon pere , qui veut les unir avant fa mort.
Sextus finit le fecond acte , en la preffant
d'engager Ciceron à fuir fur fes vaiffeaux
FEVRIER. 1755. 183
-il eft honteux pour lui , ajoute-t- il , de fe
laiffer profcrire.
S'il veut m'accompagner je répons de fa vie,
El'amour couronné répondra de Tullie..
Il faut convenir que cet acte eft un peu
vuide d'action .
Ciceron , Tullie & Sextus ouvrent le troifieme.
Ciceron veut unir le fils de Pompée:
à fa fille ; mais elle s'y oppofe dans ce cruel
moment & le conjure de la fuivre en
Sicile avec Sextus il s'écrie ::
>-
Pour braver mes tyrans je veux mourir dáns Ro
me ;
En implorant les Dieux , c'eft moi fenl qu'elles
nomme:
Sextus lui parle alors en vrai fils de Pompée
, & lui dit :
Rome n'eft plus qu'un ſpectre , une ombre en Ita
lie ,
Dont le corps tout entier eft paffé dans l'Afie :
C'est là que noure honneur nous appelle aujour
d'hui ,
Rendons- nous à ſa voix , & marchons avec lui.
Ce n'eft pas le climat qui lui donna la vie;
C'eſt le coeur du Romain qui forme fa patrie.
184 MERCURE DE FRANCE.
2
Il vaut mieux fe flater d'un eſpoir téméraire
Que de céder au fort dès qu'il nous eft contraire.
Il faut du moins mourir les armes à la main ,
Le feul gente de mort digne d'un vrai Romain,
Mais mourir pour mourir n'eft qu'une folle
yvreffe ,
Trifte enfant de l'orgueil , que nourrit la pareffe.
où
Ciceron fort en leur difant qu'il ne
peut fe réfoudre à quitter l'Italie , mais
qu'il confent de fe rendre à Tufculum ,
il ira les joindre pour les unir enfemble ,
& qu'avant tout il veut revoir Mecene. A
peine eft- il parti qu'Octave entre ; & jaloux
de Sextus qu'il prend pour un chef
des Gaulois , il adreffe ainfi la parole à
Tullie .
Qu'il retourne en fon camp ,
C'eft parmi fes foldats qu'il trouvera fon rang,
Le faux Clodomir lui répond , avec une
fierté plus que Gauloife ,
Le fort de mes pareils ne dépend point de toi
Je ne releve ici que des Dieux & de moi.
Aux loix du grand Céfar nous rendîmes hommage
,
Mais ce ne fut jamais à titre d'efclavage.
Comme de la valeur il connoiffoit le prix ,
Il cftimoit en nous ce qui manque à ſon fils.
FEVRIER. 1755. 185
Octave à ces mots appelle les Licteurs ,
& il faut avouer que fon emportement
paroît fondé.
Tullie s'oppofe à fa rigueur , & prend
vivement la défenſe de Sextus . Le courroux
d'Octave en redouble ; il . lui répond
que ce Gaulois brave l'autorité des Triumvirs
, qu'il a fauvé plufieurs profcrits , &
qu'il mérite d'être puni comme un traître .
Sextus lui réplique :
Toi-même , applaudifſant à mes foins magnanimes
,
Tu devrois me louer de t'épargner des crimes ,
Et rougir , quand tu crois être au- deffus de moi ,
Qu'un Gaulois à tes yeux foit plus Romain que
toi,
Tullie lui demande fa vie. Octave forcé
par fon amour de la lui accorder , fe retire
en déguifant fon dépit. Sextus raffure Tullie
fur la crainte qu'elle a que fon rival
ne l'immole , & lui fait entendre qu'Octave
eft un tyran encore mal affermi, qu'il
le croit Gaulois , & qu'ayant beſoin du ſecours
de cette nation , il eft trop bon politique
pour ne la pas ménager. La frayeur
de Tullie s'accroît à l'afpect de Philippe ,
qu'elle prend pour un miniftre des vengeances
d'Octave. Philippe reconnoît Sex186
MERCURE DE FRANCE.
tus qu'il a élevé , & marque autant de
douleur que de furprife. Le fils de Pompée
reconnoît Philippe à fon tour , & lui
reproche d'avoir dégénéré de fa premiere
vertu. Cet affranchi fe jette à fes genoux ,
& lui dit qu'il ne les quittera pas qu'il n'ait
obtenu de lui la grace d'être écouté . Sextuş
le force de fe lever. Philippe lui raconte
qu'Octave inftruit de fa fidélité l'a pris
à fon fervice , mais qu'il n'a jamais trempé
dans fes forfaits. Il ajoute que ce Triumvir
ne croit plus que Sextus foit un Gaulois
, mais un ami de Brutus , & qu'il l'a
chargé du cruel emploi de l'affaffiner dans
la nuit . Il vient , continue- t-il , de paffer
chez Fulvie : je crains qu'il n'en coute la
vie à Ciceron .
Les momens nous font chers , & c'eſt fait de vos
jours ,
Și de ceux du tyran , je n'abrege le cours,
Choififfez du trépas de Célar , ou du vôtre ;-
Rien n'eft facré pour moi quand il s'agit de vous..
Sextus lui répond
L'affafinat , Philippe , eft indigne de nous
Avant que d'éclater il falloit l'entreprendre
Mais inftruit du projet je dois te le défendre .
Ce trait eft hiſtorique , & M. de Cré
FEVRIER. 1755. 187
billon s'en est heureufement fervi . Tullie
approuve Sextus , & termine l'acte en difant
:
Allons trouver mon pere , & remettons aux Dieux
Le foin de nous fauver de ces funeftes lieux.
Le quatrieme acte s'ouvre par un monologue
de Ciceron , qui jette les yeux fur
le tableau des profcriptions , & qui dit
avec tranſport , lorfqu'il y voir fon nom
Enfin je fuis profcrit , que mon ame eft ravie !
Je renais au moment qu'on m'arrache ma vie.
Mecene furvient , & le preffe de s'allier
à Céfar. Ciceron lui demande s'il lui fait
efperer que l'inftant de leur alliance fera la
fin de la profeription . Mecene lui répond
qu'Octave l'a fufpendue pour lui . Ciceron
pour réplique , lui montre fon nom écrit
fur le tableau.
Mecene fe récrie : ...
Dieux quelle trahison
S'il eft vrai que Céfar ait voulu vous proferire ,
Sur ce même tableau je vais me faire inferire.
Adieu : fi je ne puis vous fauver de fes coups ,
Vous me verrez combattre & mourir avec vous.
Octave paroît. Ciceron veut lui faire
189 MERCURE DE FRANCE.
de nouveaux reproches ; mais Octave lui
répond qu'il n'eft pas venu pour fe faire
juger , & qu'il lui demande Tullie pour
la derniere fois. Ciceron lui réplique que
c'eft moins fon amour que fa politique qui
lui fait fouhaiter la main de fa fille , &
qu'il veut par ce noeud les affocier à fes
fureurs. Octave offenfé , lui repart :
Ingrat , fi tu jouis de la clarté du jour ,
Apprens que tu ne dois ce bien qu'à mon amour .
Vois ton nom.
Ciceron lui dit avec un phlegme vraiment
Romain :
Je l'ai vû . Céfar , je t'en rends graces.
Octave alors fe dévoile tout entier , &
lui reproche qu'il protége Clodomir , &
qu'il veut l'unir à Tullie. Ciceron ne s'en
défend pas , & Céfar tranfporté de colere ,
fort en lui déclarant qu'il l'abandonne à
fon inimitié. Ciceron refté feul , dit qu'il
la préfere à une pitié qui deshonore celui
qu'elle épargne , & celui qui l'invoque. Il
eft inquiet fur le fort de fa fille & fur celui
de Sextus , mais il eft raffuré par leur
préfence ; il leur apprend qu'il eft profcrit.
Tous deux le conjurent de partir &
de profiter du moment qu'Octave lui laiſſe ;
FEVRIER. 1755.. 159
mais il s'obſtine à mourir . Philippe vient
avertir Sextus que fes amis font déja loin
des portes , & preffe Tullie de fuivre les
pas du fils de Pompée , en l'affurant qu'elle
n'a rien à craindre pour Ciceron , qu'il eft
chargé de veiller für fes jours , & qu'il va
le conduire à Tufculum. Ciceron quitte
Sextus & Tullie , en leur difant :
i
Adieu , triftes témoins de més voeux fuperflus.
Palais infortuné , je ne vous verrai plus.
Octave qui vient d'apprendre que le faux
Clodomir eft Sextus , fait éclater toute fa
colere , & jure d'immoler le fils de Pompée
, & Tullie même. Mecene entre tout
éploré. Octave effrayé , lui demande quel
eft le fujet de fa douleur. Mecene lui répond
, les yeux baignés de larmes :
Ingrat ! qu'avez-vous fait ?
Hélas ! hier encore il exiſtoit un homme
Qui fit par fes vertus les délices de Rome ;
Mémorable à jamais par fes talens divers ,
Dont le génie heureux éclairoit l'univers.
Il n'eft plus .... fon falut vous eût couvert de
gloire ,
Et de vos cruautés , effacé la mémoire.
Qu'ai -je beſoin encor de vous dire fon nom ?
Ahlaillez-moi vous fuir , & pleurer Ciceron.
190 MERCURE DE FRANCE.
Octave témoigne fa furprife , & rejette
ce crime fur Antoine. Mecene continue
ainfi :
L'intrepide Orateur a vu fans s'ébranler ,
Lever fur lui lebras qui l'alloit immoler :
C'eſt toi , Lena , dit-il ; que rien ne te retienne ;
J'ai défendu ta vie , atrache-moi la mienne.
Je ne me repens point d'avoir ſauvé tes jours ,
Puifque des miens , c'est toi qui dois trancher le
cours.
que
A ces mots , Ciceron lui préfente la tête ,
En s'écriant , Lena , frappe , la voilà prête.
Lena , tandis Pair retentiffoit de cris ,
L'abbat , court chez Fulvie en demander le prix.
Un objet fi touchant , loin d'attendrir ſon ame ,
N'a fait que redoubler le courroux qui l'enflam
me :
Les yeux étincelans de rage & de fureur ,
Elle embraffe Lena fans honte & fans pudeur ,
Saifit avec tranſport cette tête divine ,
Qui femble avec les Dieux difputer d'origine ,
En arrache . ... Epargnez à ma vive douleur
La fuite d'un récit qui vous feroit horreur.
Nous ne l'entendrons plus , du feu de fon génie ,
Répandre dans nos coeurs le charme & l'harmonie
:
Fulvie a déchiré de fes indignes mains
Cet objet précieux , l'oracle des humains.
Ce récit m'a paru trop beau pour en rien
FEVRIER. 1755. 191
retrancher. L'acteur * qui a joué le rolle de
Mecene , en a fenti tout le pathétique , &
l'a très-bien rendu. Tullie qui n'eft pas encore
inftruite de la mort de fon pere , vient
implorer pour lui la puiffance d'Octave ;
elle paroît un peu defcendre de fon caractere
, elle s'humilie même au point d'offrir ſa
main à Céfar, pourvû qu'elle foit le prix des
jours de Ciceron . Comme Octave ne peut
cacher fon embarras , & qu'il veut fortir ,
Tullie l'arrête ; & tournant fes regards
vers la tribune , elle s'écrie avec terreur :
Plus je l'ofe obferver , plus ma frayeur augmente.
Mecene ! la Tribune ... elle eſt toute fanglante.
Ce voile encor fumant cache quelque forfait.
N'importe , je veux voir. Dieux ! quel affreux
objet !
La tête de mon pere ! .. Ah! monftre impitoyable ,
A quels yeux offres- tu ce fpectacle effroyable ?
Elle fe tue , & tombe en expirant auprès
d'une tête fi chere.
Je n'ai point vû au théatre de dénoument
plus frappant ; je ne me laffe point
de le répéter . Ce tableau rendu par l'action
admirable de Mlle Clairon , infpire la terreur
la plus forte , & la pitié la plus tendre
. Ces deux fentimens réunis enfemble .
font la perfection du genre. La beauté du
M. de Bellecour
192 MERCURE DE FRANCE.
cinquiéme acte répond à celle du premier
& la catastrophe remplit tout ce que l'expofition
a promis ; elle a toute la force
Angloife , fans en avoir la licence. Pour
en convaincre le lecteur , je veux lui comparer
le dénouement de Philoclée , dont je
vais donner le programme , d'après l'extrait
inferé dans le Journal Etranger du
mois de Janvier.
PROGRAMME DE PHILOCLÉE ,
Tragédie Angloife .
Lie ,Roi d'Arcadie , fenonçant aux af-
E théatre repréſente une forêt. Bazifaires
, s'eft retiré dans cette retraite avec
Ginecie fa feconde femme , & fes deux
filles , Philoclée & Pamela , qu'il a eues
d'un premier mariage. Il eſt défendu d'y
pénétrer fous peine de la vie , hors à des
bergers employés à leurs fervices . Il a déclaré
en même tems que ces deux Princeffes
ne feroient jamais mariées de fon
vivant , fans dévoiler le motif d'une rigueur
fi bizarre. Mais Mufidore , Prince
de Theffalie , a pénétré ce myftere . Le
Grand Prêtre de Delphes , gagné par fes
préfens , lui a révélé qu'on avoit prédit à
Bazile qu'il mourroit le jour même que
fes filles feroient mariées . Cet oracle eft
un
FEVRIER . 1755. 193
un vol qu'on a fait aux Danaïdes . Mufidore
, amoureux de Pamela , fe déguiſe en
berger pour s'introduire auprès d'elle ; &
Pyroclès fon ami , Prince de Macédoine ,
épris des charmes de Philoclée , vient d'arborer
auffi la houlette. Ils ont tous deux
formé le projet de déclarer leur amour à
ces Princeffes , & s'ils font écoutés , d'obtenir
leur aveu pour les enlever.
Pyroclès trouve le premier l'occafion favorable
: il voit dans un jardin Philoclée
endormie ; il exprime ainfi fon tranſport :
mes yeux ne me trompent point , c'eſt
» elle , couchée fur un lit de fleurs ... elle
» dort .... Son haleine eft plus douce que
» l'odeur qu'elles exhalent .... heureuſes
fleurs qui fervez d'oreiller à fes joues
» charmantes ! ah ! j'en vois une qui s'éleve
jufqu'à fa bouche vermeille ; elle
» s'efforce de la baifer. Embaumée de få
> refpiration , elle en reçoit plus de parfums
que Flore n'en a verfé fur toutes
» fes compagnes . Ah !
que ma main ja-
» louſe l'arrache de fa tige ! que je fuce
>> comme l'abeille cette précieufe rofée « .
Langage trop figuré pour une tragédie !
vers d'Idylle , & fituation d'opéra. Ce fommeil
paroît même copié d'après celui d'Iffé.
» Qui m'arrête ? ajoute- t-il , amant trop
timide , ne puis - je moi -même dérober
و ر
و د
...
I
194 MERCURE DE FRANCE.
"
» un baifer ? & ce tendre larcin diminuera-
t-il un tréfor où s'accumulent tant de
» charmes « réflexion fenfée qui le déter
mine à prendre un baifer. Cette liberté feroit
excufable dans une comédie ; mais le
tragique eft plus févere fur les bienséances.
Il permet , ou plutôt il adopte les plus
grands crimes , & ne pardonne pas les plus
petites familiarités. On peut empoifonner ,
& même poignarder aujourd'hui fur notre
théatre avec décence ; mais un baiſer
feroit fcandaleux , ou tout au moins ridi
cule dans une tragédie françoife. Le réveil
de Philoclée engage l'aveu que Pyroclès
lui fait de fa paffion & de fon rang ;
il est très-bien . reçu . Mufidore a le même
fuccès près de Pamela , à la faveur d'un
portrait & d'une médaille qui le repréfentent
, & qui occafionnent une déclara
tion . Petit moyen, accompagné d'autres incidens
, qui chargent la piece fans avancer
Faction. Je les fupprime pour arriver plu
tôt au point de comparaifon , c'eft-à -dire à
la fituation qui reffemble à la cataſtrophe
du Triumvirat. En conféquence , je paffe
à l'événement du troifiéme acte , qui doit
l'amener : c'eft où commence proprement
la tragédie comme l'a judicieuſement
remarqué M. l'Abbé P.
On apprend au Roi qu'Amphiale fon
FEVRIER. 1755. 195
neveu , qu'il n'a pas voulu accepter pour
gendre, vient d'enlever les deux Princefles ;
que Pyroclès a tué plufieurs des raviffeurs ,
mais qu'accablé fous le nombre , il a été
fait prifonnier. Le Roi fort de fa retraite
& court affiéger Amphiale dans un château
où il s'eft retiré avec fa proye. Ce Prince
foutient le fiége. Cecropie , fa mere , veut
qu'il époufe fur le champ , de force ou de
gré , l'une des deux Princeffes , ou qu'il les
faffe mourir. Comme toutes les deux refufent
fon fils , cette cruelle femme va trouver
Philoclée dans fon appartement , & lui
dit de choisir de cet hymen ou d'un prompt
fupplice. La Princeffe répond qu'elle préfere
la mort : eh bien , lui réplique Cecropie
, jette les yeux dans la cour , l'échafaud
eft dreffé ; vois dans le fort de ta foeur
celui qui t'attend. Elle donne le fignal , &
l'on fait voler une tête. A cette affreuſe
vûe , Philoclée s'évanouit. Un pareil fpectacle
me femble plus propre à repaître
les regards d'une populace cruelle , qu'à
étonner l'efprit , ou qu'à remuer le coeur
d'un public délicat .
Dans le cinquiéme acte un Officier vient
annoncer à Pyroclès , dans fa prifon , la
mort de Philoclée , & pour ne lui laiſſer
aucun doute , il lui dit de le fuivre . Le.
théatre change ; on voit au milieu d'une
I ij
196 MERCURE DE FRANCE .
fale tendue de noir , un corps expofé fut
un lit de parade : Pyroclès leve le drap qui
le couvre , & s'écrie : Dieux ! un tronc
fanglant ! quoi ! Philoclée ! ... Ah ! barbares
affaffins ! Il tombe faifi de douleur ,
& les fanglots lui coupent la parole . Cette
pofition et prefque la même que celle qui
termine le Triumvirat ; mais l'auteur Anglois
n'en demeure pas là . Dans le tems
que Pyroclès déplore la perte de la Princeffe
, elle paroît vêtue de blanc ; il la
prend pour fon ombre : elle le defabuſe ,
& lui apprend que ce corps mort eſt celui
d'une malheureufe confidente immolée à
la place , & fous les habits de Pamela ;
ftratagême imaginé par Cecropie , pour réfoudre
Philoclée à époufer fon fils , & plus
digne de figurer dans un tome de Caffandre
, d'où il a été pris , que d'être employé
dans une piéce dramatique. Pendant cet
éclairciffement on entend le bruit d'un
combat ; c'eft Mufidore qui vient de furprendre
le château , & de tuer Amphiale .
Les quatre amans fe trouvent réunis : on
leur apprend la mort de Cecropie , qui
s'eft précipitée du haut des murs , & celle
de Bazile , percé d'une fleche lancée au has
żard , au moment qu'il entroit dans la
place. C'eft ainfi que s'accomplit l'oracle ,
que finit la piece. Pour la Reine , on &
FEVRIER . 1755. 197
ne fçait , dit le Journaliſte , ce qu'elle eft
devenue. Les deux couples * fortunées ne
s'en embarraffent gueres , ni moi non plus ,
qui ai furprimé fon rôle.
Que l'on compare à préfent les deux cataftrophes
; l'une eft amenée à force d'incidens
romanefques , & compliquée audelà
de la vraisemblance ; l'autre eft prife
dans la nature , affortie à la vérite hiftorique
, & renfermée dans fa précifion : qu'on
juge en même tems les deux ouvrages.
On ne peut difconvenir qu'il n'y ait des
beautés fingulieres & des coups de force
dans le drame Anglois ; mais ils font frappés
fans deffein , & paroiffent ifolés ; c'eft
un pur roman , encore eſt-il mal tiffu , &
trop chargé. La piece françoife a des traits
qui n'ont pas moins d'audace , & qui fortent
mieux du fujet . C'eſt une vraie tragédie
; fi elle eft un peu foible d'action **,
elle eft forte de penſées , brillante par les
détails , & foutenue par les caracteres .
Pour tout dire , en un mot , Philoclée eft
* Je crois que ce mot couple eft maſculin dans
cette acception, & qu'on doit dire les deux couples
fortunés ; peut- être eft- ce une faute d'impreffion ?
** Le plus grand défaut du Triumvirat eft dans
le fujet, qui eft trop fimple ; la fuite de Ciceron en
fait tout le fond : partira-t-il ? ne partira-t-il
point ? voilà fur quoi roule toute l'action juſqu'au
dénouement.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
l'ouvrage du talent aux dépens de toutes
les regles ; le Triumvirat eft celui du génie
éclairé par l'art , & foumis aux bienféances.
M. l'Abbé P. nous apprend que cette
tragédie angloife eft le coup d'effai de M.
Machamara Morgan , jeune étudiant en
Droit ; il ajoute qu'on peut tout attendre
de lui , & qu'il s'empreffe d'en publier
l'augure ce préfage feroit plus flateur
pour nous , s'il nous annonçoit un digne
fucceffeur de M. de Crébillon & de M. de
Voltaire .
Le 19 , les Comédiens François ont remis
Efope à la Cour , comédie en cinq actes
& en vers , de Bourfault. Cette piece
eftimable
a reçu du public l'accueil favorable
qu'elle mérite. M. de Lanoue eft fupérieur
dans le rôle d'Efope ; on ne peut
pas le rendre avec plus d'efprit & de vérité.
Cette comédie eft intéreffante autant
que peut l'être une piéce épifodique. La
fcene de Rodope avec fa mere eft une des
plus touchantes qui foient au théatre , &
des mieux jouées par Mlle Gauffin & Mlle
Dumefnil. Après l'Andrienne voilà le premier
& le vrai modele du comique larmoyant
; il eft puifé dans la nature. Le
dénouement eft encore d'une grande beauré
, il laiffe pour l'auteur une forte imFEVRIER.
1755.. 199
preffion d'eftime. Je voudrois que Bourfault
n'eût pas bleffé le coftume en parlant
de Procureurs & de Greffiers , qui n'avoient
pas lieu heureuſement pour ce temslà.
Mes yeux font encore plus choqués que
les acteurs ne refpectent pas mieux ce même
coſtume , en habillant des Lydiens à la
Françoife : ils l'ont toujours fait ; mais un
abus de foixante dix ans n'eft pas moins
un abus ; ils ne font pas moins dans l'obligation
de s'en corriger.
COMEDIE ITALIENNE.
L
Es Comédiens Italiens ont donné le
25 , la dix-huitiéme repréſentation de
la Fête de l'Amour , toujours fuivie de la
Servante Maîtreſſe , & précédée fucceffivement
des Incas , & des Amans inquiers ,
parodies repriſes . Voici des vers adreffés
à Mme Favard , en attendant l'extrait de
fa piece , que le peu d'efpace qui me reſte
m'oblige encore à remettre au mois de
Mars.
A Mme FA VAR D.
AImable Auteur , te falloit- il encore
Ce titre , pour charmer & la Ville & la Cour
Iiv
200 MERCURE DE FRANCE .
On trouve en toi Thalie & Terpfico re ,
Sous un maintien deffiné par l'Amour.
De ton art , la douce impoſture
Offre à mon efprit abuſe
Des images d'après nature ,
De maint caractere oppofé.
Mon coeur fe livre à chaque perſonnage
Qu'à mes yeux tu fais admirer ,
Et tu fçais le rendre volage ,
Sans qu'il cefle de t'adorer .
>
Cette penſée n'eft pas abfolument nouvelle
, mais elle eftrajeunie par l'expreffion.
On avoit donné autrefois la même
louange à une célébre actrice de l'Opera ;
mais je doute qu'elle l'eut mieux mérités
que Mme Favard.
FEVRIER. 1755 . 201
ARTICLE SIXIE ME.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU NOR D.
DE CONSTANTINOPLE , le 1 Décembre.
L
E Comte Defalleurs , Ambaffadeur de France
, mourut ici le 23 Novembre , après une
maladie d'environ ſept femaines. Il avoit été cidevant
Envoyé extraordinaire & Miniftre Plénipotentiaire
auprès du Roi & de la République de
Pologne. Le pere du Comte Defalleurs avoit été
auffi Ambaffadeur à la Porte.
Mahomet V. du nom , mourut le 13 Decembre
en cette ville , âgé de cinquante- huit ans deux
mois & vingt-cinq jours. Depuis quelque tems ,
ce Prince étoit fort incommodé d'un rhume. Le
2 de ce mois il fut attaqué de la fievre & d'une
toux féche & violente , qui firent craindre une
fluxion de poitrine . A ces accidens fe joignit un
flux de fang : cependant Sa Hauteffe en peu de
jours, moyennant les remedes qu'on employa pour
fa guérifon , fe trouva confidérablement
foulagée.
Defirant de calmer les inquiétudes du peuple &
des Janiffaires , elle alla le 13 Décembre à cheval
à la grande Mofquée ; mais à fon retour au Sérail
elle fe fentit fuffoquée , & en un inftant elle expira.
Auffi- tôt qu'elle eut rendu le dernier ſoupir ,
fon frere Ofman troifieme du nom , fut procla
mé Empereur. Le nouveau Sultan eft âgé de cin-
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
quante- fix ans. Celui qu'on vient de perdre , eft
univerfellement regretté . Les Janiffaires l'avoient
mis fur le throne le 20 Octobre 1730 , à la place
d'Achmet III fon oncle , qui avoit été élevé en
1703 à l'Empire , après la dépofition de Muſtapha
II , pere de Mahomet V & d'Oſman III , açtuellement
regnant.
DE PETERSBOURG , le 3 Décembre.
Selon les lettres de Mofcou , l'on y a célébré
d'une façon éclatante la naiffance du grand Prince
de Ruffic. Illuminations , feux d'artifice , fpectacles
, bals publics , rien n'a été épargné. Le Clergé
, les principaux Seigneurs , les Tribunaux , &
chaque corps de la bourgeoifie , le font empreffés
à l'envi de fignaler leur zele par des fêtes fomptueufes.
La charité s'eft jointe à la magnificence ,
pour que les indigens partageaffent plus vivement
l'allégreffe commune , & l'on a répandu dans leur
fein d'abondantes aumônes .
DE STOCKHOLM , le 12 Décembre.
On a découvert l'auteur des faux billets de banque
répandus dans ce Royaume. C'eſt un Orfévre
de Salhberg , ville de la Weftmanie. Il a été
arrêté , & l'on inftruit fan procès.
DE COPPENHAGUE , le 14 Décembre.
Quelques douleurs que la Reine fentit ces jours.
derniers , firent croire que cette Princeffe touchoit
au terme de fa groffeffe , mais elles n'ont
point eu de fuite ; & Sa Majefté continue de tenix
appartement une fois la ſemaine.
FEVRIER. 1755. 203
ALLEMAGNE. T #
DE VIENNE ,
le
14 Décembre.
On célebra le 8 de ce mois l'anniverſaire de la
naiffance de l'Empereur , qui eft entré dans la
quarante- feptieme année de fon âge.
On chanta le 31 de Decembre le Te Deum
dans la Chapelle du Palais , pour remercier Dieu
des faveurs qu'il lui a plû de répandre pendant
Pannée 1754 fur les Etats de l'Impératrice Reine.
DE DRESDE , leis Décembre.
Il paroît un nouvel Edit pour abréger les for
malités judiciaires , & diminuer les frais des pro
cédures.
DE CASSEL , le 9 Janvier.
Le Prince héréditaire , en déclarant qu'il a em
braffé la Religion Catholique , a donné au Landgrave
& aux Etats du Landgraviat un acte en 19
articles , dans lefquels il explique fes fentimens,
ITALIEN
DEROME, le 11 Décembre.
Sur la nouvelle qu'on avoit ceffé de perfécuter
les Chrétiens, dans l'Empire de la Chine , la Con
grégation de Propaganda Fide a réfolu d'y envoyer
quatre, éleves du College Chinois établi à
Naples , qui fe trouvent en état d'être employés
utilement dans les Miffions.
Dans un Confiftoire extraordinaire que le Pape
Ivi
204 MERCURE DE FRANCE.
*
tint le 18 , le Cardinal Portocarrero remit à Sa
Sainteté le Chapeau de Cardinal de l'Infant Don
Louis. Cette cérémonie fe fit avec beaucoup d'éclat.
DE GENES , le 8 Janvier.
On a tiré ces jours- ci les noms des cinq nouveaux
Sénateurs , & le fort eft tombé fur les
Marquis Auguftin Grimaldi , François - Marie
d'Afte , Rodolphe & François-Marie Brignolé , &
fur le fieur Jofeph Franchi. Le Marquis Grimaldi
& le Marquis d'Afte s'étant excufés , à caufe de
leur grand âge & de leurs infirmités , de remplir
les fonctions de cette dignité , ils ont été remplacés
par le Marquis Jacques Lomellini , & par le
Marquis François Doria, ci- devant Envoyé extraordinaire
de la République auprès de Sa Majefté
Trés-Chrétienne , & Miniftre Plénipotentiaire au
Congrès d'Aix-la - Chapelle. Le Marquis Dominique
Lomellini , le Sr Nicolas Franchi , le Marquis
Auguftin - Mari & le Comte Michel Durazzo ,
ont été élûs Procurateurs de la banque de Saint
Georges.
GRANDE-BRETAGNE.
DE LONDRES , le 26 Décembre.
Tous les vaiffeaux de la Compagnie des Indes
Orientales font partis des Dunes pourleurs deftinations
refpectives.
Il arriva le même jour un Courier, par lequel
on a appris la mort du Comte d'Albemarle , Ambaffadeur
Extraordinaire & Plénipotentiaire du
Roi à la Cour de France . Le Lord Bury fon fils
FEVRIER. 1755. 208
aîné , qui eft Colonel d'un Régiment d'Infanterie,
Gentilhomine de la Chambre du Duc de Cumberland
, & Membre du Parlement pour Chichefter
, partit le même jour pour Paris.
Le Duc de Mirepoix , Ambaſſadeur Extraordinaire
du Roi Très - Chrétien , revint le 8 Janvier
de Paris , & le 9 ce Seigneur a eu une conférence
avec le Chevalier Robinfon.
• Le 15 Janvier ,le Sr Duvelaer , Commiffaire de
la Compagnie Françoife des Indes , partit pour
aller paffer quelque tems à Paris. La Compagnie
des Indes orientales a pris à fon fervice le vaiffeau
le Pelham.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
LE de
E premier de Janvier , les Princes & Princefeurent
l'honneur de complimenter le Roi fur la
nouvelle année .
Le Corps de Ville a rendu à cette occafion fes
refpects à leurs Majeftés & à la Famille royale.
Les Chevaliers , Commandeurs & Officiers de
l'Ordre du Saint Eſprit , s'étant affemblés vers les
onze heures du matin dans le cabinet du Roi
Sa Majesté fortit de fon appartement pour aller à
la Chapelle. Le Roi , devant qui les deux Huifhiers
de la chambre portoient leurs mafles , étoit
en manteau , le collier de l'Ordre par deffus , ainfi
que celui de l'Ordre de la Toifon d'or . Sa Majefté
étoit précédée du Duc d'Orléans , du Prince
de Condé , du Comte de Charolois , dų Prince
106 MERCURE DE FRANCE.
de Conti , du Comte de la Marche , du Prince de
Dombes , du Comte d'Eu , & des Chevaliers
Commandeurs & Officiers de l'Ordre. Après la
grande Meffe , qui fut célébrée par le Prince Conftantin
, premier Aumônier du Roi , & Prélat
Commandeur de l'Ordre , le Roi fut reconduit à
fon appartement en la maniere accoutumée.
Monfeigneur le Dauphin n'affifta point à la
grande Meffe , à caufe d'une légere indifpofition .
Le Duc d'Ayen étant devenu titulaire du Gouvernement
de Saint - Germain- en- Laye par la démiffion
du Maréchal Duc de Noailles , le Roi a
accordé la furvivance de ce Gouvernement au
Comte d'Ayen , Meftre de Camp du Régiment de
Noailles Cavalerie.
M. l'Abbé de Gouyon , Vicaire Général & Archidiacre
de l'Evêché de Saint Pol de Léon , a été
nommé Aumonier de Madame Adélaïde.
Les Capitaux échus par le fort de la Lotterie
tirée le 19 du mois de Décembre dernier , pour le
remboursement annuel des rentes fur la caiffé générale
des amortiffemens , montent à la fomme
de treize cens foixante - neuf mille neuf cens foixante
livres.
"
Le Roi a difpofé de la place de Grand Croix ,
vacante dans l'Ordre royal & militaire de Saint
Louis , par la mort du Comte de Chabannes
en faveur du Marquis de Créqui , Lieutenant-Gé
néral des armées de Sa Majefté ; & Commandeur
de cet Ordre. Le Chevalier de Créqui avoit déja
les honneurs de Grand Croix.
Le Comte de Coetlogon , auffi Lieutenant- Gé
néral , a eu la place de Commandeur du Marquis
de Créqui .
Sa Majefté a donné la Compagnie des Gendar
mes Anglois , qui vaquoit par la démiffion du Vi
FEVRIER. 1758. 207
Comte de Courtomer , au Comte de Lannoy , Brigadier
de Cavalerie , & Capitaine- Lieutenant de
la Compagnie des Chevaux -Legers d'Orléans ; &
la Compagnie des Chevaux - Legers d'Orléans au
Marquis de Tracy , Sous-Lieutenant des Chevaux
Legers de Monfeigneur le Dauphin.
Sa Majesté fit le r' . Janvier , dans fa chambre , la
cérémonie de recevoir Chevaliers de l'Ordre royal
& militaire de Saint Louis , le Marquis de Bezons ,
Brigadier de Cavalerie , Meſtre de Camp du régiment
de fon nom ; le Comte de Lillebonne , Brigadier
de Dragons , Mestre de Camp du régiment
d'Harcourt ; le Marquis de la Châtre , Brigadier
d'Infanterie , Colonel du régiment de Cambrefis
; le Comte de Valentinois , Sous- Lieutenant
des Gendarmes de Monfeigneur le Duc de Bourgogne
le Chevalier de Villefort , Lieutenant de
Roi des Iles de Sainte Marguerite ; M. de Monfort
, Capitaine au régiment d'Infanterie de Provence
, & M. de Valcourt , Capitaine au régiment
de Cavalerie de la Rochefoucauld.
Le Roi a difpofé du Gouvernement de Verdun
& du Verdunois , vacant par la mort du Comte do
Chabannes , en faveur du Marquis de Chazeron ,
Lieutenant- Général de fes armées , & Lieutenant
des Gardes du Corps dans la Compagnie de Bethune.
Le Marquis de Chazeron remet fon Gou
vernement de Breft & fa Brigade dans les Gardes
du Corps. Outre le nouveau Gouvernement dont
il vient d'être pourvu , il a obtenu une penfion de
fix mille livres.
La Brigade qui vaque par la retraite , paffe au
Marquis de Sefmaifons.
Sa Majesté a accordé le Gouvernement de Ville.
franche, en Rouffillon , qu'avoit le feu Vicomte
du Chayla, au Chevalier de Muy , Lieutenant-
Général .
208 MERCURE DE FRANCE.
Le Marquis de Wignacourt , premier Cornette
de la Compagnie des Chevaux - Legers de Monfeigneur
le Dauphin , monte à la Sous- Lieutenance
de cette Compagnie , & fa Cornette a été
donnée au Comte de Vaudremont , Guidon des
Gendarmes Anglois.
L'Abbaye de Ville-Chaffon , Ordre de Saint
Benoît , Dioceſe de Sens , a été réunie , avec
tranſlation du titre , au Prieuré de Moret , du même
Ordre & du même Dioceſe , en faveur de la
Dame de Soulange , Abbeffe de Royal -Lieu , que
le Roi y a nommée
Le 7 Janvier & les jours fuivans , on a fait le
feptiéme tirage de la feconde Lotterie royale. Le
principal lot eft échu au numero 1588 ; le fecond
lot , au numero 25033 , & la premiere prime ,
numero 11651 .
au
Le 13 , pendant la Meffe du Roi , l'Evêque
d'Auxerre prêta ferment de fidélité entre les mains
de Sa Majesté.
Le 15 , le Duc & le Comte de Lauraguais remercierent
le Roi de la grace que Sa Majesté a
fait au Comte , en lui accordant un Brevet d'honneurs.
Sa Majefté a nommé Miniftre d'Etát M. Moreau
de Seychelles , Confeiller d'Etat ordinaire , & an
Confeil royal , Contrôleur Général des Finances.
Le Marquis de Langeron , Lieutenant - Général
des armées du Roi , a obtenu de Sa Majefté le
Gouvernement de Breft , vacant par la démiffion
du Marquis de Chazeron .
Pendant le cours de l'année derniere , il s'eſt
fait dans cette capitale 18909 Baptêmes , 4143
Mariages , & 21724 enterremens . Le nombre des
enfans trouvés a été de 4231 .
Le 12 de ce mois , l'Evêque de Saint Omer fut
FEVRIER. 1755. 209
facré dans l'Eglife des Religieufes de Conflans par
l'Archevêque de Paris , affifté des Evêques de Cahors
& de Senlis .
Le 18 , pendant la Meffe du Roi , l'Evêque de
Saint Omer prêta ferment de fidelité entre les
mains de Sa Majesté.
La Reine alla le 20 entendre la Meffe dans l'Eglife
de la Maifon de Saint Cyr. Sa Majesté y donna
le voile aux Dlles de Durfort & de Dormenan .
La Meffe fut célébrée par l'Evêque de Chartres ,
& ce Prélat fit la cérémonie.
Monfeigneur le Dauphin , qu'une légere indifpofition
obligeoit depuis quelque tems de gar
der fon appartement , jouit maintenant d'une parfaite
fanté.
Madame Victoire ayant été attaquée d'une fievre
violente & d'un grand mal de tête , fut fai
gnée le 16 deux fois du pied ; la premiere à fix
heures du foir , la feconde à minuit . La derniere
faignée fit tomber la fievre , & procura le fommeil.
Actuellement Madame Victoire eft auffi - bien
qu'on puifle le deſirer.
M. de Vergennes , Miniftre du Roi auprès de
PElecteur de Tréves , a été nommé par Sa Majef
té pour aller réfider en qualité d'Envoyé extraor
dinaire à la Porte Ottomane.
L'Evêque de Cahors , affifté des Evêques de Die
& de Graffe , facra le 19 l'Evêque de Bethleem
dans la hapelle du Seminaire de S. Sulpice,
Le 23 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix - huit cens dix livres . Les billets de la
premiere lotterie royale étoient à huit cens trente.
Ceux de la feconde lotterie n'avoient point de prix
fixe.
210 MERCURE DE FRANCE.
MORT S.
E 29 Août mourut en Forès dans la quatre-
Ling >
la Queille , Comte de Ronchevol- Pramenou , Seigneur
de la Mure , Fougeres , Ornal , la Gardette ,
le Poyet , &c. Il étoit fils puîné de Claude de la
Queille , Marquis de Châteaugai , Baron de Vendat
, Seigneur de Sabazat , Florac , &c ; & d'Anne
de Ronchevol , Dame de Pramenou , héritiere de
fa Maiſon , l'une des plus anciennes du pays de
Forès , d'où elle paffa en Beaujolais vers l'an
1310. Le Comte de Ronchevol-Pramenou avoit
éré appellé à la fubftitution de tous les biens de
fa mere , à la charge d'en porter le nom & les
armes. De fon mariage fait en 1707 avec Anne-
Jofephe de Chabannes , fille de Gilbert de Chabannes
, Comte de Pionzac , & d'Anne-Françoife
de Lutzelbourg , il laifle pour-fille unique Gilberte
de la Queille , dite de Ronchevol -Pramenou ,
mariée en 1733 à Gilbert - Allire , Comte de Lan.
gheac , Brigadier des armées du Roi , Meftre de
camp du Regiment de Conti , Cavalerie , dont
trois garçons. Voyez la page 317 , cinquiéme partie
des Tablettes historiques.
La Maiſon de la Queille , la Queuille , ou la
Cueille , a toujours tenu rang parmi les plus
grandes de la province d'Auvergne , par fon ancienneté
, fes grands biens & fes alliances . Elle
tire fon origine de celle de Rochefort au Montd'or
, dont elle a ceffé de joindre le nom à celui
de la Queille vers l'an 1350. La terre de Rochefort
a paflé depuis aux Comtes d'Auvergne & à la
FEVRIER. 1755
2FF
maifon de Bourbon , & eft actuellement poffédée
par M. le Marquis de Chabannes- Curton .
Aymon, Seigneur de Rochefort & de la Queille,
vivoit en 1220. On lui donne pour femme Marie
de la Tour , fille de Bertrand , Seigneur de la Tour.
Il fut pere de Bertrand de Rochefort , Seigneur
de la Queille , marié en 1250 à Alix de Plaignes
Dame de Ronchely & de Monceaux . Leur fils Ber
nard , qui vivoit encore en 1299, fut pere de Jean
de Rochefort , Seigneur de la Queille, qui époufa
une Dame nommée Jeanne , que l'on croit de
la maiſon de Comborn. De ce mariage nâquit Antoine
de Rochefort , Seigneur de la Queille , allié
en 1310 avec Anne de Pierre- Buffiere - Châteauneuf.
Elle fut mere de Girard , Seigneur de la
Queille , Gouverneur du Dauphiné d'Auvergne ,
& Chambellan de Pierre I du nom , Duc de Bour
bon. Girard de la Queille fut allié avec Jeanne de
Murol , fille de Jean de Murol & d'Alix de la Rochebriant.
De cette alliance fortit Guillaume ,
gneur de la Queille, Capitaine de Gendarmes , mari
de Jeanne-Habeau d'Apchon , & pere de Bertrand
Seigneur de la Queille , Capitaine de Gendarmes, &
Chambellan du Duc de Berry, Celui- ci époufa Alix
Drap , fille de Guillaume Drap , Seigneur de Châ
teauneuf. Elle fe remaria à Girard de Rochefort
Seigneur de Saint-Marc , & vivoit en 1377, ayant
eu de fon premier mari , Pierre , Seigneur de la
Queille & de Châteauneuf , allié avec Marguerite
de Montmorin , décédée le & Octobre 1415. Elle:
étoit fille de Geofroi de Montmorin & de Daufine
de Thenieres. Leur fils Jacques , Seigneur de.
Ja Quelle & de Châteauneuf, Capitaine de Gendarmes
, Chambellan du Duc de Bourbon , épouſa
Louife de Giac , fille de Pierre de Giac & de Jeanac
de Naillac , & arriere- petite-fille de Pierre de
Sei212
MERCURE DE FRANCE.
Giac , Chancelier de France. Elle apporta à fon
mari les terres de Giac & de Châteaugai , & fur
mere de Charles , Seigneur de la Queille , de Chateauneuf
, de Châteaugai , de Giac , & c. qui n'eut
point d'enfans de fa feconde femme Marie de Levi
, & en laiffa deux de fa premiere , Anne de Bellenave
; fçavoir , François & Guillaume de la
Queille : l'aîné eut en partage la terre de la Queille
& les deux tiers des biens de fa maiſon . Il fut marié
deux fois : 1 ° . avec Marguerite de Castelnau
de Bretenoux . 2 °. Avec Anne de Rohan , fille de
Henri de Rohan , Seigneur d'Efpinai en Bretagne.
Il n'eut de ces deux mariages que trois filles ; deux
du premier , & une du fecond ; fçavoir , 1º . Jacqueline
de la Queille , Dame de Châteaubrun ;
alliée à Robert Stuart , Comte de Lenox , Seigneur
d'Aubigni , Maréchal de France . 2º Françoife
de la Queille , mariée à Jacques Ricard de
Genouillac , dit Galiot , Seigneur d'Acier , grand
Ecuyer & grand Maître de l'Artillerie de France.
3°. Catherine de la Queille , Dame de la Queille
& de Châteauneuf , époufa le 3 Decembre 1535
Marc de Beaufort - Montboiffier , Comte d'Alais
Marquis de Canillac.
Guillaume de la Queille eut en partage Florac
des biens paternels , & Giac & Châteaugai avec
les autres terres portées par fa grande mere Louiſe
de Giac. Il continua la pofterité maſculine de ſa
maifon par fon alliance avec Marie de Damas ,
fille de Jean de Damas , Seigneur de Marcilly , &
d'Anne de Digoine. Il fut pere de Jean de la
Queille I du nom Baron de Florac & de Châ →
teaugai , &c. Celui- ci époufa Ifabelle de Bourbon-
Buffet , de laquelle nâquit Jean de la Queille II
du nom , Baron de Florac , de Châteaugai , &c ,
Capitaine de cinquante hommes d'armes , Gou
>
ปี
FEVRIER . 1755. 213
verneur & Lieutenant général pour le Roi & la
Reine Marguerite , des Comtés d'Auvergne & de
Clermont , & Séné, hal d'Auvergne . Il époufa en
1553 Anne d'Efcars - Lavauguyon , fecorde fille
de François d'Efcirs , Seigneur de Lavauguyon , &
d'Iſabeau de Bourbon - Carenci . Elle fut mere de
Jean de la Queille III du nom , Baron de Florac ,
de Chateaugai , & c , qui étant devenu veuf fans
enfans de Claude de la Tour- Murat , fe remaria le
24 Nov. 1608 à Simone de Saix , fille de Claude de
Saix , Seigneur de Rivoire , & de Diane de Seneret.
De ce mariage nâquirent un fils & deux filles ; fçavoir
, Helene & Jeanne . La premiere fut mar ée en
Août 1639 à Jean - Louis ,Comte de Bourbon - Buffet;
l'autre époula Antoine- Claude d'Eberard de Saint-
Sulpice. Leur frere Guillaume de la Queille , Seigneur
de Florac , de Châteaugai , de Vendat , &c. ,
Capitaine de Chevaux - Legers , époufa Anne de
Gadagne , fille de Claude de Gadagne , Maréchal
de camp
& d'Eleonore de Coligni. Il en eut
Claude de la Queille , Seigneur de Florac , de Châteaugai
, &c , allié avec Marie de Ronchevol , héritiere
de Pramenou , fille aînée de François de Ron ..
chevol , Seigneur de Pramenou , & de Benigne de
Damas - la - Biftie . De ce mariage nâquirent deux
garçons , dont le dernier a donné lieu à cet article
.
L'aîné Anne-Gilbert de la Queille , Marquis
de Châteaugai , Lieutenant général au Duché de
Bourgogne , Gouverneur de Bourbon - Lanci ,
épouſa Marie - Jofephe , Dame d'Amanzé , fille
aînée de Louis , Vicomte d'Amanzé , & de Marie-
Louife Falconis , Le Marquis de Châteaugai eft
par ce mariage fſubſtitué au nom & armes d'Amanzé.
Son fils Louis - Gilbert - Gafpard de la
Queille de Châteaugai , Comte d'Amanzé , Bri214
MERCURE DE FRANCE.
gadier des armées du Roi , Colonel du Régiment
de Nice , a époufé en Août 1741 Louife- Jacqueline
de Laftic- Saint- Jal , fille de Jean -Claude de
Laftic- Saint -Jal , & de Marie - Marguerite Bazin
de Bezons. Il en a deux enfans.
Il a pour foeurs ,
1. N.
de la Queille
de Châteaugai
, mariée à Jacques - Philippe - Sebaftien
le Prêtre , Comte de Vauban , Maréchal
de camp , Lieutenant général en Franche-Comté.
2º. Anne- Louiſe de la Queille , mariée le 15
Avril 1741 , à Jofeph-Louis-Dominique de Cambis
, Marquis de Velleron.
Les armes de la Queille font de fable à la croix
d'or engrêlée , que le Comte d'Amanzé écartelle
avec celles d'Amanzé. Le Comte de Pramenou
chargeoit la croix en coeur d'un aigle éployé de
gueules , membré & becqué d'azur.
Demoiſelle Henriette - Mechtilde Van-Holt ,
née à s'Heerenberg dans les Pays-Bas le 28 Août
1664 , mourut à Paris le 28 Septembre 1754 , âgée
de quatre-vingt-dix ans. Elle étoit tante de Barthelemi
de Vanolles , ci -devant Intendant d'Alface
, & aujourd'hui Confeiller d'Etat , dont le pere
Jacques- Hartger Van-Holt , Grand - Audiencier
de France , & Tréforier Général ancien de la
Marine , obtint au mois d'Octobre 1696 des lettres
de mutation de fon nom de Van- Holt en celui
de Vanolles ; & au mois d'Août 1704 des lettres
de naturalité. Guillaume Van-Holt ( pere de
ce Jacques Hartger , & d'Henriette-Mechtilde qui
donne lieu à cet article ) Gentilhomme originaire
de-Dotekum fur les confins de la Gueldre Hollandoife
, Seigneur de Bleck & de Biltien , Co-feigneur
de Liefferinck , étoit d'une famille patricienne
, connue dès l'an 1448 en la perfonne de
FEVRIER. 1755. 215
Jean Van-Holt , Maître d'Hôtel , ou Majordome
d'Arnoul , Duc de Gueldre , qui le fit le 10 Novembre
de cette année là , grand Tréforier de fon
Duché de Gueldre , du Comté de Zutphen & de la
Seigneurie de Cuyck. L'article de cette famille
dreffé fur les titres originaux & d'après les Hiſtoriens
de Gueldre les plus eftimés , eft traité avec
étendue dans le quatrieme registre de la Nobleſſe
de France , où l'on renvoye le Lecteur. Ses armes
font d'argent , à fept annelets defable , pofés trois ,
trois un.
AVERTISSEMENT.
CEuxqui voudront voir leurs ouvrages
inférés dans le Mercure du mois où ils les
enverront , font priés de les adreffer à M.
Lutton avant le 10 ; paffé ce jour , je ferai
obligé de les remettre au mois fuivant ,
quelque envie que j'aie de répondre à leur
impatience. Le premier article fera alors
rempli , & le nouvel ordre que je me fuis
impofé ne me permet pas de placer ces
écrits ailleurs .
APPROBATION.
J'fier , le Mercure de Fevrier , & je n'y ai rien
' Ai lû , par ordre de Monfeigneur le Chance
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion . A Paris
, ce 31 Janvier 1755. GUIROY,
216
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
IECES Fugitives en Vers & en Profe.
PIECES
Epitre à Mme la Comtefle de J **.
I ut raifon . Conte moral ,
La Mémoire & l'Oubli. Fable ,
page s
9
21
Les Modernes font- ils en effet plus éclairés ou plus
avancés que les Anciens dans le chemin de la
vérité ?.
Vers ,
Epitre à M. le Chevalier d'Aliez ,
La Dormeufe indifcrete. Nouvelle ,
Vers de M. le Préſident de Ruffey ,
22
33
34
37
Confidérations fur la reconnoiffance & fur l'ingratituce
,
Le Tableau & l'Eponge . Fable ,
Epitre aux Belles ,
Ode à M. le Duc d'Aiguillon ,
54
68
70
74
Mots des Enigme & Logogriphe du Mercure de
Janvier ,
Enigme & Logogryphe ,
78
ibid.
Avis de l'Auteur du Mercure , 80
Vaudeville Paſtoral ,
81
ARTICLE II. Nouvelles Littéraires , 83
Séance publique de l'Académie de Dijon , 109
Séance de l'Académie de Marfeille , 116
ART. III. Sciences & Belles - Lettres. 119
ART. IV . Beaux- Arts , 147
175
201
ART. V. Spectacles ,
France: Nouvelles de la Cour , de Paris , & c. 205
ART. VI, Nouvelles Etrangeres ,
Avertiffement ,
Morts ,
La Chanfon notée doit regarder la page 81 .
De Pimprimerie de Ch. A. JOM BERT.
210
211
MERCURE
DE FRANCE,
DÉDIÉ AU ROI.
MARS. 1755.
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine.
Chez
Cochin
Filiusinv
Rapillon Seulp 1715
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
PISSOT , quai de Conti .
LAMBERT , rue de la Comédie.
DUCHESNE , rue Saint Jacques ,
Avec Approbation & Privilege du Roi.
"
AVERTISSEMENT.
1
E Bureau du Mercure eft chez M.
LLUTION, Avoeat , & Greffier -Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers ,
C'est à lui qu'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. de Boiffy ,
Auteur du Mercure.
Le prix eft de 30 fols , & l'on payera
d'avance , en en s'abonnant , 21 livres pour
l'année , à raifon de quatorze volumes . Les
volumes d'extraordinaire feront également de
30 fols , fe payeront avec l'année qui les
Suivront.
Les perfonnes de province auxquelles on
l'envoyera par la poſte , payeront 31 livres
10 fols d'avance en s'abonnant , & elles le
recevront franc de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront que 30 fols par
volume , & 21 livres d'avance , en s'abonnant
pour l'année , fans les extraordinaires.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le Mer-
A ij
cure , écriront à l'adreſſe ci - deſſus.
On Supplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la pofte , en payant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le payement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteront au rebut.
L'on trouvera toujours quelqu'un en état
de répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi& Jeudi de chaquefemaine , aprèsmidi.
0000 00000000000
00000
MERCURE
DE FRANCE.
MARS.
1755.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
Pour mettre au deffous du portrait de M. de
Seychelles , Contrôleur Général , Sécrétaire
& Miniftre d'Etat.
T EL eft ce Miniftre fidelé ;
Placé par la vertu dans le confeil des Rois :
Son zéle , de Louis , juftifiera le choix :
C'eft Colbert qui revit fous les traits de Seychelle,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE .
A MADAME LA M. DE S ....
J E crains l'Amour ,
Je fuirai fon empire ,
Me difoit l'autre jour
La charmante Thémire.
Eh! pourquoi donc le redouter ainfi ?
Ses avantages font fans nombre ;
Raffurez-vous , ce n'eft pas un efprit ,
Vous vous effrayez de votre ombre.
Par M. de C. D.
AⓇ
MADRIGAL.
U tems heureux où regnoit l'innocence ,
On goûtoit en aimant mille & mille douceurs ;
Et les amours ne faifoient de dépenſe
Qu'en foins & qu'en tendres ardeurs.
Mais aujourd'hui , fans l'opulence
Il faut renoncer aux plaifirs ;
Un amant qui ne peut dépenfer qu'en foupirs
N'eft plus payé qu'en eſpérance.
MARS. 1755.
L'ORIGINE
DES EVENTAILS
A MADEMOISELLE ....
•
J'ai cru long moiſelle , qu-teemlses, aévveenctaviolussn,'éMtaodieen-t
autre chofe que l'invention de quelque artifan
affez habile pour avoir fçu (paffez- moi
la métamorphofe ) renfermer des zéphirs
dans un morceau de papier ou de taffetas.
Je n'y vois point d'autre avantage
Pour les Dames , que l'agrément
D'avoir à leur commandement
Le fouffle que zéphir avoit feul en partage
Avant que l'on eut l'art de captiver le vent.
Vous penfiez la même chofe , Mademoifelle
, mais nous ne connoiffions gueres
, ni l'un ni l'autre , la véritable origine
& les magnifiques propriétés des éventails .
J'ai été tiré d'erreur par l'aventure dont je
vous ai promis la narration ; elle vous paroîtra
merveilleufe , mais fongez que la
vérité même a fes merveilles , & que cette
hiftoire peut être vraie , quoiqu'elle ne
paroiffe pas tout-à-fait vraisemblable .
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
J'aime mieux , après tout , une plaifante fable ,
Qui peut mener l'efprit à quelque vérité ,
Que quelque hiftoire véritable ,
Sans but & fans moralité.
y aura un an l'été prochain , qu'après
m'être promené feul dans le Luxembourg
pendant un affez long tems , je fus me repofer
dans un bofquet de cet agréable jardin
, l'un des ornemens de Paris , quoique
la nature feule en faffe les frais , & que
l'art ne fe mette point en peine de le cultiver.
Il étoit près de huit heures du foir ; je
ne m'apperçus point en entrant dans le
bofquet que je marchois fur quelque chofe
; une efpéce de cri me fit regarder à
terre : un éventail fort joli étoit à mes
pieds ; je le ramaffai ; je ne fçais quel mouvement
fecret me fit defirer alors de connoître
la perfonne à qui cet éventail appartenoit.
Peut-être alors mon coeur étoit- il entraîné
Par ce doux inſtinct qui nous guide ,
Quand , par le moindre objet , l'homme eft déter
miné
A voler d'une aîle rapide
Wers le fexe enchanteur pour lequel il eft né.
Quoiqu'il en foit , je m'écriai fur le
MARS.
champ , & fans y penfer : à qui l'éventail ?
perfonne ne m'ayant répondu , j'allois le
mettre dans ma poche , lorfqu'une voix
me cria ; ami , que ne daignes-tu me demander
à moi -même à qui j'appartiens ?
Vous jugez bien , Mademoifelle , que
cette voix me furprit étrangement. Je regardai
de tous côtés , je ne découvris perfonne
l'épouvante commença à fuccéder
à l'étonnement : étoit- ce un démon ? étoitce
un génie ? les uns & les autres habitent
les bofquets. Cette voix n'avoit point un
corps , ou ce corps étoit invifible : dans
cette étrange conjoncture , je me rappellai
le fens du difcours , & mon étonnement
redoubla ; il paroiffoit même que l'éventail
m'avoit apoftrophé : nouveau fujet d'inquiétude
.
» Je vois ta ſurpriſe ( continua la voix ) ;
» c'eſt une preuve de ton ignorance.
Ami , tulanguis , je le voi ,
Dans les préjugés du vulgaire ;
Ton efprit ne recherche & ne découvre en moi
Qu'un inftrument fort ordinaire.
Je fçais qu'un éventail , pour un eſprit borné ,
N'eft qu'un morceau d'ivoire , un taffetas orné
D'une peinture inanimée :
Tandis qu'aux Dames deſtiné
Ce bijou , d'un zéphif , tient l'ame renfermée.
A v
10 MERCURE DE FRANCE .
Ainfi donc , ô mortels ! à l'écorce attachés ,
Vous voyez tout le refte avec indifférence ;
Etfous nombre d'objets fimples en apparence
Vous ne pénétrez pas quels tréfors font cachés .
La voix pourfuivit , affis -toi fur ce ga
zon , approches l'éventail de ton oreille
& redoubles d'attention .
L'éventail que tu tiens n'eft autre chofe
qu'un malheureux zéphir , à qui fon inconftance
a couté cher.
J'aimois Flore , & j'en étois aimé , lorfque
ma légereté naturelle me fit voler vers
Pomone ; je trouvai fon coeur occupé ,
Vertumne étoit heureux .
Après avoir parcouru les états de quelques
autres divinités , je revins à Flore ;
elle m'aimoit toujours , & elle me pardonna
ma petite infidélité.
En amour la défertion
Nous infpire fouvent une ferveur nouvelle
Pour le premier objet de notre paffion.
Ne craignons point l'impreffion
Qu'une infidelité fera fur une belle ,
Pourvû que le bon goût & la réflexion,
Sçache nous ramener à propos auprès d'elle :
De ne faire jamais qu'un choix ,
Belles, fi vos amans fe faifoient une affaire ;
MARS. II 1755.
Votre gloire y perdroit , c'eft une choſe claire ;
De quatre amans , foumis tour à tour à vos loix ,
Il faudroit en retrancher trois.
Il faut bien , pour vous fatisfaire ,
Que notre coeur ait quelquefois
Des facrifices à vous faire.
Suivant cette maxime , mon retour vers
La Déeffe ne me guérit point de l'inconftance
; on eût dit que j'étois né François .
Lorfque je revins à la cour de Flore , j'y
trouvai une jeune nymphe fort aimable ,
& que je n'avois pas encore vûe ; on la
nommoit Aglaé : la voir & l'aimer fut mon
premier mouvement ; le fecond fut de
chercher à lui plaire. Aglaé avoit un coeur
neuf : conquête flatteufe ! je n'épargnai
rien pour me la procurer ; mais ce n'étoit
pas fans précautions : mon humeur volage
avoit rendu Flore clairvoyante.
Ce n'étoit pas une merveille.
Un amour trop certain de fa félicité ,
S'affoupit dans les bras de la fécurité ;
Mais il s'agite & ſe réveille ,
Dès qu'il entend la voix de l'infidelité .
J'étois obfervé de fi près que je fus
bien huit jours entiers à brûler conftamment
fans pouvoir le déclarer à l'aimable
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Aglaé ; cependant au bout de ce long ter
me , Flore ayant été appellée au confeil
des Dieux , pour l'ornement d'une fête que
Jupiter vouloit donner , fon abſence me
laiffa la liberté d'entretenir mon adorable
nymphe : je ne fçais fi elle avoit deviné
que j'aurois à lui parler ; elle fe difpenfa ,
fur quelque prétexte , de fuivre la Déeffe.
Quant à moi je trouvai le fecret de m'échapper
de la falle du confeil olympique ,
& je volai vers Aglaé .
Elle fe promenoit dans les jardins del
Flore : eh quoi ! me dit- elle d'un air tout
charmant , vous n'êtes donc pas refté avec
la Déeffe ? croyez- vous , lui dis- je , ô mon
aimable Aglaé , qu'il y ait des fêtes pour
moi où vous n'êtes pas ? alors je me jettai
à fes genoux , & je lui déclarai avec tranfport
l'amour qu'elle m'avoit infpirée.
Que faites-vous ? s'écria-t elle , que deviendrois-
je fi Flore nous furprenoit enfemble
? Ne craignez rien , chere Aglaé ,
Flore eft retenue dans les cieux ; n'ayez
d'attention que pour un amant qui ne voit
que vous.
Ah ! par une crainte frivole
Pourquoi troublerons -nous ces momens fortunés ?
Déja cet heureux tems s'envole ,
Cruelle , & vous l'empoifonnez.
MARS. 1755 : 13
Hélas ! me répondit Aglaé , avec une
fimplicité trifte & naïve , je vous écoutois
il y a quelques jours parler à Flore , vous
fui juriez un amour éternel , & vous m'aimez
, dites-vous ? Oui , répliquai -je auffitôt
en prenant une de fes belles mains :
oui , belle Aglaé , je vous adore , & je
n'adore que vous feule ; êtes - vous déterminée
à m'ôter tout eſpoir , à moi , l'amant
le plus tendre & le plus fidele qui fut
jamais ?
Sur ces fermens , continua l'Eventail ,
en s'interrompant lui - même , vous me
croyez peut- être le plus traître de tous
les zéphirs , vous m'accufez de perfidie . t.
Mais ce feroit me faire injure ;
L'inconftance eft l'effet d'une invincible loi :
Et l'amant volage eſt parjure
Sans être de mauvaiſe foi.
Cependant le ceeur rempli de ma nouvelle
paffion , j'attendois aux pieds d'Aglaé
qu'elle daignât prononcer mon arrêt : Levez
-vous , me dit - elle , je tremble que
Flore ne furvienne . Eh ! quoi , lui répliquai-
je , toujours des craintes , & pas
le
moindre efpoir ! Que voulez- vous que je
vous dife , me répondit Aglaé , en tourmant
vers moi les plus beaux yeux du monde
? .... Ah ! Zephir , vous avez aimé
12 MERCURE DE FRANCE.
Aglaé ; cependant au bout de ce long ter
me , Flore ayant été appellée au confeil
des Dieux , pour l'ornement d'une fête que
Jupiter vouloit donner , fon abfence me
laiffa la liberté d'entretenir mon adorable
nymphe : je ne fçais fi elle avoit deviné
que j'aurois à lui parler ; elle fe difpenfa ,
fur quelque prétexte , de fuivre la Déeſſe.
Quant à moi je trouvai le fecret de m'échapper
de la falle du confeil olympique ,
& je volai vers Aglaé.
Élle ſe promenoit dans les jardins de
Flore : eh quoi ! me dit- elle d'un air tout
charmant , vous n'êtes donc pas refté avec
la Déeffe ? croyez- vous , lui dis- je , ô mon
aimable Aglaé , qu'il y ait des fêtes pour
moi où vous n'êtes pas ? alors je me jettai
à fes genoux , & je lui déclarai avec tranfport
l'amour qu'elle m'avoit infpirée.
Que faites-vous ? s'écria-t elle , que deviendrois-
je fi Flore nous furprenoit enfemble
? Ne craignez rien , chere Aglaé ,
Flore eft retenue dans les cieux ; n'ayez
d'attention que pour un amant qui ne voit
que vous.
Ah ! par une crainte frivole
Pourquoi troublerons-nous ces momens fortunés ?
Déja cet heureux tems s'envole ,
Cruelle , & vous l'empoifonnez.
MARS . 1755: 13
Hélas ! me répondit Aglaé , avec une
fimplicité trifte & naïve , je vous écoutois
il y a quelques jours parler à Flore , vous
fui
juriez un amour éternel , & vous m'aimez
, dites-vous ? Oui , répliquai-je auffitôt
en prenant une de fes belles mains
oui , belle Aglaé , je vous adore , & je
n'adore que vous feule ; êtes- vous déterminée
à m'ôter tout eſpoir , à moi , l'amant
le plus tendre & le plus fidele qui fut
jamais ?
Sur ces fermens , continua l'Eventail ,
en s'interrompant lui - même , vous me
croyez peut-être le plus traître de tous
les zéphirs , vous m'accufez de perfidie.
Mais ce feroit me faire injure ;
L'inconftance eft l'effet d'une invincible loi :
Et l'amant volage eft parjure
Sans être de mauvaiſe foi.
Cependant le ceeur rempli de ma nouvelle
paffion , j'attendois aux pieds d'Aglaé
qu'elle daignât prononcer mon arrêt : Levez
- vous , me dit - elle , je tremble que
Flore ne furvienne . Eh ! quoi , lui répliquai-
je , toujours des craintes , & pas
moindre efpoir ! Que voulez- vous que je
vous dife , me répondit Aglaé , en tourmant
vers moi les plus beaux yeux du monde
? .... Ah ! Zephir , vous avez aimé
le
14 MERCURE DE FRANCE.
1
Flore ..... que je ferois à plaindre fi vous
changiez une feconde fois ! A ces mots
elle difparut.
Depuis ce moment elle m'évitoit , elle
s'obfervoit elle - même , elle fembloit fe repentir
d'une indifcrétion ; enforte que je
fus quelques jours fans pouvoir m'affurer
plus pofitivement de fes difpofitions à mon
égard : peut-être , me répondrez - vous ,
qu'elle m'en avoit affez dit à
Mais quel eft l'aveu favorable
Qui foit , je ne dis pas égal , mais comparable
A ce je vous aime charmant
Que l'on trouve fi defirable ?
Ces trois mots échappés d'une bouche adorable ,
Peuvent feuls contenter la maîtreffe & l'amant .
L'attente d'un aveu fi cher m'avoit rendu
rêveur contre mon ordinaire . Ma rêverie
me conduifit un jour dans une allée
fombre où le promenoit Aglaé. Dès qu'elle
me vit , elle entra , pour m'éviter , dans un
cabinet de rofiers , voifin d'un bofquet de
myrtes , où Flore alloit quelquefois fe repofer.
La jeune Nymphe ne foupçonnoit
pas que je l'euffe apperçue : j'étois à fes
genoux avant qu'elle eût fongé à m'ordonner
de me retirer . Elle voulut fortir ; je
Parrêtai : Ne craignez rien , lui dis-je , belle
Aglaé !
MARS . 1755.
Que mon empreffement ne vous foit point fufpect
:
Ma tendreffe pour vous eft pure & légitime ;
Le véritable amour est fondé fur l'eftime ,
Et l'eftime eft fuivie en tout tems du reſpect.
- Elle parut fe raffurer : une défiance affectée
eft fouvent plus dangereufe dans ces
occafions qu'une noble confiance mêlée
d'une fierté qui en impoſe à l'amant le plus
empreffé.
Je me défierois d'une prude
Qui me quitteroit brufquement ,
Ou me chafferoit d'un air rude ;
La vertu bien fincere agit tout fimplement.
4
Nous nous mîmes à caufer tranquillement.
Aglaé continua de cueillir des rofes
pour s'en faire un bouquet. J'en avois apperçu
une , la plus belle du monde , dans
un coin du cabinet : j'allois la cueillir
lorfqu'une épine me piqua fi vivement
qu'il m'échappa une plainte que la tendre
Aglaé accompagna d'un cri,: tous deux
nous trahirent .
Hélas ! les rofes les plus belles ,
Et qui par leur éclat charment le plus nos yeux ,
Cachent aux regards curieux
Les épines les plus cruelles.
16 MERCURE DE FRANCE.
Le plus fage feroit de n'en point approcher.
Mais , quoi ! de tant d'attraits le ciel les a pour
vûes ,
Que du moment qu'on les a vûes
On rifque tout pour les toucher .
Flore dormoit dans le bofquet demyrte ;
le cri d'Aglaé la réveilla ; elle accourut dans
le cabinet des rofiers : Dieux ! quel fut fon
étonnement ! Aglaé étoit affife fur un banc
de gazon , j'étois à genoux devant elle ,
tandis qu'avec un mouchoir de mouffeline
, l'aimable Nymphe fe hâtoit d'étancher
le fang qui fortoit de la piquûre que
je m'étois faire : la bleffure en elle-même
étoit peu de chofe ; mais eft - il de légers
accidens en amour ? Aglaé découvroit dans
fon action cet empreffement mêlé de crainte
que l'on a dans ces fortes d'occafions
pour les perfonnes que l'on aime.
En amour , le péril eft la pierre de touche :
Alors , quoiqu'une belle ait formé le projet
De tenir en filence & fes yeux & fa bouche ;
Dans le moindre accident qui frappe un cher ob
jet ,
L'ame fe réunit à celle qui la touche , :
Et la beauté la plus farouche
De fes craintes bientôt découvre le fujet.
Cette entrevûe auffi fatale pour nous
MARS. 1755. 17
que pour la Déeffe , ne fit que juftifier des
foupçons qu'elle avoit déja conçus : elle
diffimula cependant , & parut même plus
tranquille fur mon compte ; mais elle méditoit
une vengeance qui devoir m'ôter
pour toujours le defir , ou , fi vous voulez
, le plaifir de changer .
Quelques jours après cet incident , Flore
fit avertir Aglaé de venir lui parler en
particulier la pauvre Nymphe obéit en
tremblant. Raffurez- vous , lui dit -elle , je
ne veux point vous faire de mal ; je fuis
charmée , puifque Zéphir m'abandonne
que ce foit du moins pour une perfonne
qui le mérite. Mais , Aglaé , quand vous
lui avez permis quelque efpérance , avez .
vous bien refléchi fur le caractere de votre
amant ? les fermens qu'il vous a faits fans
doute , ne me les avoit- il pas faits à moi
même ? que dis-je ? ne me les avoit- il pas
mille fois réitérés ? avez - vous plus d'em
pire fur lui que je crois en avoir ? & s'il
change encore quelle fera votre deftinée
?
>
Au commencement de ce difcours
Aglaé n'avoit reffenti que de la confufion :
ces derniers mots lui firent répandre des
larmes ; elles furent fa réponſe.
Je vous plains d'autant plus , continua
la Déeffe , que vous aimez de bonne foi
18 MERCURE DE FRANCE.
le plus volage de tous les amans ; il eft cependant
pour vous un moyen de prévenir
fon infidélité. On vient de me faire préfent
d'une petite baguette d'ivoire qui a
la vertu de fixer les inconftans : je vous
la donne , j'en aurois fait ufage pour moimême
, fi Zéphir ne m'eût point quittée
pour vous : il n'eft plus tems , & peut-être
même que demain il feroit trop tard pour
vous.
Incapable de trahisons ;
La fincere vertu l'eft auffi de foupçons.
Aglaé ne vit dans cette offre de Flore
qu'une marque de protection . Elle fortit
après avoir baifé la main de la Déeffe
avec le témoignage de la plus vive reconnoiſſance
. Hélas ! elle ne prévoyoit pas
combien ce préfent alloit nous être fatal
à tous les deux .
Elle accourut d'un air gai me faire part de
la prétendue clémence de Flore ; mais elle
ne me dit rien de la fatale baguette, dans la
crainte apparemment d'en empêcher l'effet .
Je ne me défiois de rien : la gaité d'Aglaé
me charmoit ; je me mis à folâtrer avec
elle : j'apperçus la petite baguette d'ivoire ,
je la trouvai jolie : je voulus la dérober ' ;
Aglaé la retint , elle m'en donna en badiMARS.
1755 . 19
nant de petits coups fur les ailes : funefte
badinage !
A peine cus-je été frappé du fatal préfent
de Flore , qu'il fe fit en moi une métamorphofe
auffi prompte que prodigieufe.
La baguette enchantée fe fendit en plu
fieurs petites languettes minces qui forment
les bâtons que vous tenez : mes aîles
s'étant réunies auffi - tôt , fe colerent fur
l'ivoire , & formerent ce que l'on appelle
vulgairement un éventail fuis toujours
Zéphir , quoique j'aie perdu mon ancienne
forme.
En fuis-je donc moins eftimable
N'ai- je pas confervé l'heureufe faculté
De répandre dans l'air cette fraîcheur aimable
Qui défend la beauté
Contre les chaleurs de l'été ?
En vain l'aftre du jour veut lui faire la guerre ,
J'ai l'art de l'en débarraffer.
Ce font toujours les fleurs que j'aime à careffer ;
Non celles qu'autrefois j'aimois dans un parterre ,
Mais celles que les Dieux ont pris foin de verfer
Sur le teint éclatant des Reines de la terre.
Mon changement en éventail fut pour
Aglaé le coup le plus terrible . J'ai fçu depuis
qu'elle n'avoit pû furvivre à mon
malheur , & j'ofe ajouter au fien . Pou
20 MERCURE DE FRANCE.
voit elle defirer de me fixer à ce prix ?
J'ai paffé en différentes mains depuis ma
métamorphofe ; les Dieux m'ont laiffé l'ufage
de la parole pour inftruire l'univers
de mon origine & de mes différentes propriétés.
Comment ( dis- je au Zéphir métamor
phofé ) , vous fervez donc à plus d'une
chofe ?
Que tu es novice , me répondit-il , Â
tu ignores en combien de manieres je puiš
être utile au beau fexe !
Vas , crois- moi , ce feroit trop peu pour
les Dames de n'avoir en moi qu'un zéphir
à leurs ordres , il eft des occafions où je
leur fuis d'une toute autre utilité.
Croirois-tu , par exemple , que j'ai bonne
part à certaines converfations ? Il y a
quelque tems que j'appartenois à une jeune
veuve , qui dans ces fortes de cas
fe fervoit de moi merveilleufement bien.
Comme elle a de la beauté , mais peu
d'efprit ,
S'entend-elle agacer par quelque compliment
Elle répond fuccintement ;
Mais elle fçait en récompenſe
Badiner fort éloquemment
Avec fon éventail , dont le jeu la difpenfe
De s'énoncer plus clairement :
MARS. 1755. 21
O! l'agréable truchement !
Sans faire plus grande dépenſe
Et d'efprit & de jugement ,
Dans un cercle , Cloris fe donne adroitement
L'air d'une perfonne qui penſe ;
Et l'évantail alors fert admirablement.
Elle le tient appuyé fur fes levres , à peu
près dans l'attitude du Dieu du filence repréfenté
tenant un cachet ou fon doigt fur
fa bouche. C'eft ainfi qu'une fotte rêverie
paffe pour une fpirituelle méditation .
Que de Dames fort eftimables d'ailleurs , à
qui il n'en a jamais coûté qu'une femblable
attitude , pour fe donner dans le monde
la réputation d'êtres penfans !
yeut-on de l'éventail faire quelqu'autre ufage ?
Que l'on me tienne déployé ,
Et qu'alors je fois employé
A cacher , de côté , la moitié du viſage :
Voilà dans un monde poli-,
Et le voile le plus modeſte ,
Et le mafque le plus joli
Pour en faire accroire de refte ,
Aux oncles , aux tuteurs , aux papas , aux ma
mans ,
Aux maris , & même aux amans, -
C'eft ainfi qu'à fa confidente ,
Ou bien à fon héros , une fille prudente
22 MERCURE DE FRANCE.
Parle à l'abri de l'éventail ;
Car on n'affiche plus l'amour à fon de trompe ,
Et ce n'eft plus en gros , meres , que l'on vous
trompe :
On aime à petit bruit , & l'on dupe en détail.
Cette façon de mafque eft encore à l'ufage
des Dames , qui fe difent à l'oreille
de jolis riens ; elles leur donnent par là
un air d'importance & de myftere. Autre
avantage que l'on retire de l'éventail,
Sur l'objet de fa paſſion ,
L'éloquence d'un homme aimable
Fait-elle quelque impreffion ?
On cache une rougeur ou fauffe ou véritable
Avec un éventail , dont on fçait ſe couvrir ;
Et quelquefois auffi c'eft un tour plein d'adrefle
Pour faire deviner des fignes de tendreffe
Que la bouche balance encore à découvrir.
Un jeune Cavalier , moins fage qu'amoureux ¿
Qu'un tendre aveu rend téméraire ,
Ofe-t-il hazarder quelque gefte contraire
A ce que la décence exige de fes feux
Mieux que par une réprimande ,
Par un coup d'éventail , le tendron irrité
En impofe au galant , qui s'étoit écarté
la raifon commande .
De ce que
Mais j'entends que l'on me demande
Si le coup d'éventail eft donné des plus lourds ;
MARS.
23 1755 .
Je réponds : des amans faifons la différence ,
On bat ceux que l'on voit avec indifférence
Mais on fait patte de velours
Sur le galant de préférence ,
Au furplus , cette partie de mon exer
cice eft celle qui demande le plus de précifion
l'amour eft un enfant bien malin ;
fouvent on l'agace en croyant le rebuter ;
c'eſt aux Dames à ne pas s'y méprendre .
:
Que vous dirai-je encore ? je connois
une vieille Marquife , dont la foibleſſe eſt
de vouloir être regardée : elle y réuffic
quelquefois par la fingularité de fon ajuſtement.
Il y a quelque tems qu'elle fe faufila
dans une compagnie de jeunes perfonnes
de l'un & de l'autre fexe ; elle quête
des regards , à peine y fait- on attention :
la pauvre
Marquife
étoit
ifolée
au milieu
de douze
perfonnes
. Pour
derniere
reffource
, elle laiſſe
tomber
fon éventail
;
un jeune
homme
le ramaffe
, le rend poliment
à la Marquife
, & fe tourne
de l'autre
côté. La formalité
remplie
, il ne fut
pas feulement
queſtion
d'un clin d'oeil
, il
fallut
fortir
fans avoir
eu le bonheur
de fe
faire
regarder.
Une jeune Agnès fe fert plus heureuſement
du même ſtratagême ; fon amant lui
écrit , elle fait une réponse ; l'embarras eft
24 MERCURE DE FRANCE.
de la donner fans que l'on s'en apperçoive
; on attend l'occafion que l'on foit à
côté l'un de l'autre : l'Agnès laiffe adroitement
tomber l'éventail , le jeune Cavalier
le ramaffe , le préfente à fa maîtreffe , qui
faifit l'inftant pour lui gliffer dans la main
le billet qu'elle tehoit tout prêt dans la
fienne .
Eh ! que d'autres beautés en uferoient
ainfi !
Quelquefois
il arrive auffi
Qu'avec un air diftrait & fimple en apparence ,
Mais au fond , avec un air fin ,
En fe mettant au jeu , l'on donne à ſon voiſin
L'éventail à garder : aimable préférence !
Enfuite on feint de l'oublier
Lorfqu'à s'expliquer on héfite ,
Et cet heureux oubli fournit au cavalier
Un pretexte innocent de premiere vifite..
En un mot , je n'aurois jamais fait fi je
voulois vous développer dans toutes fes
parties le fublime exercice de l'éventail :
il répond à ceux du chapeau , de la canne ,
& de la tabatiere ; c'eft tout dire.
Et je ne vous parle que de ce que je
fçais , fans compter les méthodes que je
puis ignorer , mes confreres les ayant imaginées
fans moi . Car il eft bon de vous
dire que plufieurs zéphirs ont été tentés ,
fur
MARS . 1755. 25
fur mon exemple d'être métamorphofés en
éventails ; quelques uns par malice , d'autres
pour réparer de bonne foi la réputation
de légereté qui les avoient perdus
auprès des Dames , par les fervices continuels
qu'ils leur rendent ; & les Dames ,
à leur tour , par un motif de reconnoiffance
ou d'intérêt , ne nous abandonnent
pas même dans la faifon où les zéphyrs
font de trop preuve remarquable de toutes
nos autres propriétés,
Que d'éventails grands & petits ,
Pourroient vous raconter la choſe ;
Si tous les inconftans étoient affujettis
A la même métamorphofe ?
On affure même , continua le zéphyr ,
que les Cavaliers François , & fur-tout les
petits-maîtres , ont imaginé depuis peu
de porter en été des éventails de poche .
Après avoir partagé avec les Dames les .
mouches , le rouge , & les ponpons , je ne
crois pas que ces Meffieurs rifquent de
paroître plus ridicules en partageant auffi
l'exercice de l'éventail.
A peine mon zéphyr hiftorien eut - il
achevé ces mots , que je fus abordé par
un grand jeune homme , qu'il me dit être
de robe : il me demanda fi dans ce même
endroit je n'avois pas trouvé par hazard
B
26 MERCURE DE FRANCE .
l'éventail qu'une Dame avoit égaré. Pendant
qu'il me faifoit une longue defcription
de l'éventail , le zéphyr me dit
à l'oreille : voilà le favori de ma maîtreffe ;
c'est une actrice fort aimable : ce jeune
Confeiller l'avoit accompagnée dans ce
bofquet ; mais dès qu'ils ont apperçu certain
plumet , concurrent redoutable pour
un homme de robe , ils fe font levés avec
tant de précipitation que l'éventail eft reſté
fur la place. Cela m'arrive fouvent dans les
tête-à-têtes. Adieu .
Je rendis au Confeiller l'éventail de fa
Déefle , & je me retirai plein de réflexions
qu'une matiere auffi intéreffante ne doit
pas manquer d'infpirer .
Voilà , Mademoiſelle , l'Origine des éventails.
Et voilà , foit dit entre nous •
Ce que je n'aurois point griffonné pour toute autre.
A propos d'éventail , fi l'Amour d'un air doux
Venoit fe mettre à vos genoux ,
Croyez-moi , fervez - vous du vôtre
Pour le repouffer loin de vous ;
Je le connois , le bon apôtre ,
Le plus fage fait bien des fous.
MARS. 1755. 27
A MADEMOISELLE D. L. R.
LE tendte Dieu qu'on adore à Cythere ,
Des foins du trône un jour ſe trouva las :
Car fur le trône , en dépit du vulgaire ,
Le vrai bonheur ne fe rencontre pas.
L'Amour voyoit de fon heureux empire ,
De jour en jour les bornes s'élargir :
Le pauvre Dieu n'y pouvoit plus fuffire ,
Et ne fçavoit fur quel pied fe tenir.
On dit qu'enfin il fut trouver la mere ,
Qui repofoit , non pas entre deux draps ,
Mais fur un lit de naiffante fougere ;
En larmoyant il lui conte le cas .
Dans les beaux yeux la trifteffe étoit peinte ,
Il ne pouvoit en fupporter le poids.
Il termina fa touchante complainte
En dépofant & fleches & carquois.
Il eſpéroit , dans un rang plus modefte ,
Trouver enfin la fource du bonheur.
Vénus fourit , & fon fouris céleſte
De Cupidon allégea la douleur.
Allez , mon fils , retournez à Cythere ,
Dit la Déeffe , & dans peu mes bienfaits_
Vous apprendront que je fuis votre mere.
En d'autres mains je remettrai vos traits ;
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Ces traits vainqueurs , dont la trifte puiffance
A de foucis empoisonné vos jours .
2
2
Le Dieu content applaudit en filence ;
Puis embraffant la Reine des amours
Les yeux baiffés , s'envole à tire d'aîle ,
Rempli d'efpoir & de férénité ,
Se repofant fur bonté maternelle,
Vénus alors , avec tranquillité ,
Fit l'examen de l'affaire nouvelle ;
Et tôt après convoqua fon confeil..
Les ris , lesjeux , fon cortege fidele ,
Vinrent en foule en fuperbe appareil .
Enfuite on vit les trois Graces paroître ;
Sur leurs appas on les complimenta :
De la fleurette on eût paflé peut - être
A d'autres faits , quand Vénus arrêta
Les complimens . On fait un grand filence ;
Et la Déeffe expofe en abrégé
Le cas fufdit à toute l'affiftance .
Le fentiment ſe trouve partagé.
1
Nul n'eft d'accord ; on raifonne , on opine ;
Et le defordre alloit toujours croiffant :
Quand tout-à- coup , la fçavante Euphrofine
deux mots ceffer le différend .
Fit
par
Tel on nous peint le Mentor pacifique ,
Qui defarma la rage des foldats ,
Et fit enfin , par un trait politique ,
Naître la paix au milieu des combats.
Donnez , dit- elle , à la jeune Thémire ,
MARS . 29 1755.
De Cup idon les redoutables traits .
De fes beaux yeux , de fon tendre fourire ,
Ja plus d'un coeur a fenti les effets ;
Mais quand ces traits feront en ſa puiſſance ,
L'Amour fera de foins débarraffé .
Sur ce fujet ( foit dit fans conféquence )
C'eſt le parti , je crois , le plus fenfé.
Ainfi finit fon difcours laconique ,
Et de bon coeur tout le monde applaudit ;
Car en ce tems la jaloufe critique
Chez les Amours n'avoit aucun crédit.
On donna donc à l'aimable Thémire
Les traits d'Amour , & bientôt les mortels ,
Soumis aux loix de fon nouvel empire ,
Vinrent en foule encenfer fes autels.
B
E NVO I.
Eauté pour qui ces vers font faits ;
Et que mon coeur connoît pour fouveraine ;
Marquez vos jours par vos bienfaits ,
N'affectez point d'être inhumaine.
Couronnez un fincere amant ,
Qui dès long- tems pour vous foupire ,
Et que de votre aimable empire ,
La bonté foit le fondement.
De Rouen , ce 26 Juin 1754.
L ....
B iij
30 MERCURE DE FRANCE .
PORTRAITS
DES QUATRE PREMIERS PEINTRES
D'ITALIE.
Raphaël d'Urbin.
U vol qu'au ciel fit Promethée ,
Voici le receleur ; c'eft le grand Raphaël.
Des objets qu'il nous peint la vûe eſt enchantée ,
Ils femblent animés par un fouffle immortel.
La nature qui les admire ,
De fes graces y voit le tableau raviffant :
Elle rêve ; auffi- tôt la jaloufe foupire
De trouver un rival dans fon fidele amant.
Michel- Ange des Batailles.
La couleur vigoureuſe , une touche légere ;
Animent ces marchés , ces foires , ces troupeaux
Par tout je fens , du goût , l'empreinte finguliere ;
Le jovial auffi perce dans ces tableaux .
En ce champ la valeur de lauriers fe couronne :
Quel carnage ! quel feu ! je vois le fang couler !
Mars applaudit Michel ; il femble l'appeller
Du nom que l'amateur lui donne.
L'Albane.
Les amours par effains naiffent fous tes pinceaux:
MAR S. 1755. 31
Les Nymphes , Cypris même ont par toi plus de
charmes :
Je préfere à Paphos l'aſpect de tes tableaux ,
Mon coeur vaincu par eux eélebre enfin ces armes .
La nudité s'y montre avec un air décent ,
Et rend plus délicat le plaifir qu'elle inſpire .
L'Albane , je te dois mon unique élement ;
Tes travaux font que je refpire .
Le Correge.
Sur les aîles de ton génie ,
Tu t'élevas à l'immortalité :
La figure , par ta magie ,
Plane au fein de l'air agité."
Un fouffle femble'avoir fait ce miracle ;
Les maîtres même en font furpris ;
Raphaël * n'ofa point hazarder ce ſpectacle ,
Lui feul pouvoit te difputer le prix.
* Raphaël , pour éviter le raccourci des figures
qu'il n'entendoit point parfaitement , feignit de
peindrefes fujets fur des tapifferies attachées au mur.
C'est ainsi que font exécutés les deux morceaux de
Pfiché qui font au petit Farnese , la bataille de
Conftantin , les trois autres traits de la vie de cet
Empereur , enfin les quatre fujets du plafond de la
premiere chambre de la fignature au Vatican. Le
Correge fut plus hardi , fon fuccès mérite les plus
grands éloges : c'est ce qu'en général on ignore en
France, où ce maître n'eft gueres connu que par fes
belles métamorphofes , & par de féduifans tableaux
de chevalet.
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
DOUTES SUR L'EXISTENCE
Y
D'UN PUBLIC.
>
a-t-il un public n'y en a- t- il point ?
C'eft un problême qui devient chaque
jour plus difficile à réfoudre. Peut - être il
y a vingt ans qu'il en exiftoit un , & qu'on
pouvoit y croire. On le trouvoit aux fpectacles
; fa vóix alors s'y faifoit entendre
avec ce ton de liberté que donne l'indépendance.
Il prononçoit debout , mais fouverainement
fur les piéces de théatre
dont il faifoit lui feul la deftinée . Il donnoit
même le ton aux fpectateurs affis , &
la Chambre haute n'étoit que l'écho de celle
des Communes. On le trouvoit encore
dans le monde parmi la multitude des
lecteurs , qui décidoit d'un ouvrage d'agré
ment , fans efprit de cabale , d'après le
plaifir ou l'ennui que lui avoit caufé fa
lecture quand il paroiffoit un livre de
fcience , on reconnoiffoit auffi ce public
dans le grand nombre des vrais fcavans
qui feuls jugeoient de fon mérite fans en-
& faifoient fon fuccès avec connoiffance
de caufe. Juge né des arts , des
talens & des emplois , comme il appré-
و
MAR S. 1755. 33
cioit les premiers fans prévention , qu'il
protégeoit les feconds avec difcernement ,
& qu'il nommoit aux derniers fans partialité
, il étoit confulté pour être fuivi ;
tout reffortiffoit à fon tribunal . Mais infenfiblement
il s'eft élevé des jurifdictions
particulieres qui ont ufurpé fes
droits. Chaque fociété a prétendu être le
vrai public comme la bonne compagnie.
Paris s'eft partagé en différens partis. Par
cette divifion le bon goût eft devenu problématique
, la véritable croyance douteufe
, & l'autorité d'un public légitime a
ceffé d'être une . Elle fe trouve aujourd'hui
abforbée par la multiplicité des prétentions
fans titres , au point que les parti
culiers font tout , & que le public n'eft
rien . Chacun s'érige un tribunal qui méconnoît
tous les autres , ou s'il admet un
public , il le borne dans le cercle de fes
amis ou de fes connoiffances . Les fentimens
varient & fe croifent dans chaque
quartier de là vient , fur tout ce qui paroît
, cette diverfité d'opinions , & cette
incertitude de jugemens . Tous ces petits
publics , ou foi - difans tels , fe fuccédent
pour fe contredire . L'un exalte une piéce
ou un livre le matin , l'autre le profcrit
l'après - midi , un troifiéme le rétablit le
foir : ainfi le fuccès des ouvrages demeure
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
indécis , & les divers jugemens qu'on en
porte font nuls. Un arrêt caffe l'autre.
On en doit faire d'autant moins de cas
qu'ils font dictés par la mauvaiſe foi ou
par le mauvais goût , & fouvent par tous
les deux enfemble. Faut - il s'en étonner ?
Chaque juge tient à une fociété rivale
d'une autre ; c'eft dire qu'il eft partial . Le
grand nombre eft auteur par mode , conféquemment
pointilleux , faux bel efprit
& jaloux par état. On craignoit autrefois
d'afficher ce nom , on veut le porter aujourd'hui
en dépit de la nature. On s'eft
corrigé d'une fottife , on donne dans un
travers. L'efprit eft le fanatifme de la nation
: c'eſt un mal épidémique qui a gagné
la capitale , & qui de là s'eft répandu dans
la province ; il fe communique même aux
plus fots. Un homme qui pendant trente
ans aura paffé pour tel fans injuſtice , rentre
chez lui , s'endort fur une tragédie ; il
rêve qu'il eft poëte : ce fonge fe grave fi
profondément dans fon ame , qu'il le
croit en s'éveillant. Il s'étoit couché bête
la veille , il ſe leve bel efprit le lendemain .
Pour réalifer fon rêve , il écrit , il rime
une piéce ; il la fait jouer , qui pis eft , imprimer.
Il est vrai qu'on lui rend juſtice ,
on la fiffle , c'eft - à-dire qu'il fe trouve plus
fot qu'auparavant : il l'étoit obfcurément
MARS . 1755. 35
fans être affiché ; il l'eft alors en titre &
folemnellement. Tel rit de cet homme là ,
qui fait peut-être fon fecond tome.
Une autre caufe de la révolution ou du
renverſement qui s'eft fait dans la littérature
, & qui a donné une nouvelle atteinte
à l'autorité du public , c'eſt * la multitude
de brochures journalieres & des écrits périodiques.
Comme tout le monde lit &
que perfonne n'étudie , qu'on aime à voler
fur toutes les furfaces fans s'attacher à aucune
, & à raifonner de tout fans rien ap
profondir , on parcourt ces feuilles légerement
pour décider de même. On a la fureur
de juger , on eft le Perrin Dandin des
plaideurs on s'affolipit comme lui fur
l'inſtruction , on prononce à demi - endormi
, & on condamne un chien aux galeres .
>
C'eft ainfi que la fievre d'écrire & la
rage de décider partagent les efprits &
forment deux ordres différens dans l'empi
re des Lettres & des Arts : la claffe des
auteurs & des hommes à talens ; celle des
connoiffeurs qui les jugent , & des ama-
L'abus n'eft que dans le grand nombre. If
feroit à fouhaiter qu'on réduifft toutes ces feuiltes
à l'Année Littéraire . Le bon goût y regne avec
Félégance du ftyle ; elles pourroient alors fervir
d'école aux jeunes auteurs , & fouvent d'inftruc
tion aux perſonnes du monde.
B vj
36 MERCURE DE FRANCE .
teurs qui les protegent . Ces derniers ont la
prééminence ; ils occupent , pour ainfi dire ,
le thrône de l'efprit ; ils en deviennent
quelquefois les tyrans .
Le beau fexe leur difpute le fceptre des
arts ; il étend même fa domination fur tou
te la littérature. S'il fe bornoit à la partie
agréable , on feroit charmé de l'avoir pour
maître & pour modele , même on lui par
donneroit de donner plufieurs heures de fon
loifir à la Phyfique expérimentale. Le plus
bel ornement de la nature eft fait pour en
apprendre tous les fecrets ; mais il veut
aflujettir les graces qui l'accompagnent au
compas de la géométrie , le fentiment qui
l'anime à l'analyſe trop fubtile de la Métaphyfique
, & les talens qu'il embellit au
calcul trop exact de l'Algebre : c'est dénaturer
les dons qu'il tient du ciel ; ils lui
fuffisent pour fubjuguer l'efprit comme le
coeur . Qu'il faffe regner le fentiment , tout
lui fera plus fûrement & plus généralement
affervi. Il eft dangereux de raifonner où il
faut fentir , & l'efprit philofophique propre
à nous éclairer fur tout le refte , doit
arrêter là fa lumiere , ou ne l'employer dans
ce point que pour mieux fuivre un inſtinct
plus fûr qu'elle. S'il veut pénétrer dans le
méchanifme du fentiment, que ce foit dans
un ouvrage à part , qui le décompofe fans
MARS. 1755. 37
le détruire . Tous les arts qui dépendent
de ce fentiment , ne brillent bien que par
les femmes, Ils gagneroient fans doute à
n'être jugés qu'aux tribunaux où elles préfident
, fi la féduction des hommes ne
prévenoient leurs jugemens : ils font prefque
toujours les auteurs fecrets de leurs
erreurs ou de leurs injuftices. C'eft pour les
croire & pour les favorifer qu'elles protégent
une médiocre piéce , ou qu'elles prônent
un mauvais livre , qu'elles en facilitent
le débit , & font coupables du fuccès.
La réuffite n'eft plus l'ouvrage du public
, elle est le fruit du manége des particuliers
. Ils la décident avant l'impreffion
ou la repréfentation : c'eft comme un arrangement
de famille.
Rien n'eft plus refpectable que les vrais
protecteurs. J'entends ceux qui le font
par leur place ou par leurs lumieres ; leurs
bienfaits encouragent les arts , & leurs
confeils les perfectionnent . Mais je ne puis
voir, fans prendre de l'humeur ou fans rire ,
(je choisis ce dernier parti comme le plus
fage ) je ne puis donc voir fans rire fortir
de deffous terre cette foule de petits protecteurs
, qui n'en ont ni l'étoffe ni le rang ,
& qui veulent donner des loix dans une
République où ils n'ont pas même acquis
le droit de bourgeoifie. Il refte encore une
38 MERCURE DE FRANCE.
diftinction à faire parmi les amateurs. Il
en eft plufieurs qui aident en citoyens
éclairés les talens naiffans qui ont besoin
d'appui ; ils leur donnent des maîtres pour
les former , fans autre vûe que celle d'enrichir
le théatre qui manque de fujets , &
je les honore. Il y en a même tels qui
brilleroient dans la claffe des auteurs , fi
les dangers attachés à ce titre n'arrê
toient leur plume , & ne nous privoient
de leurs productions. Mais comme les
meilleurs modeles font tous les jours de
mauvaiſes copies qui fe multiplient , il eft
arrivé qu'en imitation , ou plutôt en contradiction
de cette fage école , il s'en eft
élevé plufieurs autres qui tendent à rui
ner le goût & à décourager les vrais talens.
Elles ont moins le bien général pour objet
que des fantaifies particulieres elles
dégénerent en parodies , elles deviennent
des charges , & ne femblent protéger que
pour rendre l'établiffement ridicule. La
plaifanterie va fi loin qu'il fe forme actuellement
des compagnies qui affurent un
talent comme on affure une maifon ; elles
font les fuccès & les réputations à leur gré.
Il est vrai que malgré leur garantie ces réputations
font ephemeres ; fouvent elles
expirent au bout d'un mois. Une cabale
contraire les détruit pour en établir de nouMARS.
1755 : 39
velles à leurs dépens . Celles- ci font défaites
à leur tour par un troifieme parti , qui
en éleve d'autres fur leurs débris . Quelque
peu que dure le regne de ces talens factices ,
les fuites n'en font pas moins pernicieuſes.
C'est ce qui brouille & renverfe tout ,
c'est ce qui porte enfin le dernier coup à
la puiffance du public . La vénalité des fuffrages
& la tyrannie des particuliers qui
les achetent , l'anéantiffent , en détruifant
fa liberté. Je parcours tous les théatres , où
il a toujours regné d'une façon plus fenfible
; je l'y cherche , & je ne l'y trouve
plus le parterre indépendant qui le compofoit
, n'y donne plus la loi . D'un côté je
n'y vois à fa place qu'une multitude efclave
& vendue à qui veut la foudoyer , & de
l'autre des fpectateurs d'habitude , qui ont
la fureur du fpectacle fans en avoir le goût ,
qui n'y vont avec affiduité que pour en faper
plus vite les fondemens par les faux
jugemens qu'ils y prononcent , par les divifions
qu'ils y font naître & par les
cabales qu'ils y fomentent. Je ne reconnois
plus un public à ces traits , & mes doutes
fur fon existence ne font que trop bien
fondés.
:
Mais les fpectacles , me dira- t- on , n'ont
jamais été plus fréquentés : j'en conviens ,
& ce qu'il y a de merveilleux , ils le font
40 MERCURE DE FRANCE.
fans auteurs qui les foutiennent , fans piéces
qui réuffiffent , fouvent fans acteurs qui
les jouent , & fans public qui les juge. Je
crains qu'ils ne brillent pour s'éteindre.
Quand le public devient nul , le théatre
eft dans un grand danger. Chacun veut
être le maître , fe néglige ou fe déplace .
Le déplacement amene l'anarchie , & l'anarchie
, la deftruction.
J'aurois inféré après ces doutes des réflexions
fur le goût , qui font d'un autre
auteur > & que j'ai reçues plus tard ;
mais comme elles roulent fur la même
matiere , j'ai crû devoir les éloigner &
garder ce dernier morceau pour le Mercure
prochain. Il me paroît venir de bonne
main , & je prie l'auteur de n'être point
fâché du retard : j'y fuis forcé par la variété
qu'exige mon recueil , & dont je me
fuis fait une loi inviolable .
MARS. 1755. 41
LA NOBLESSE
DE L'ÉCOLE MILITAIRE.
A M. DU VERNEY. 1755 .
Quel pouvoir créateur nous donne un nouvel
être ,
Et nous fait un berceau de l'école de Mars ?
Sous les traits de Louis , un pere , un Dieu peutêtre
,
Daigne y fixer fur nous les plus tendres regards.
Ses travaux , fes exploits , tracés par la victoire ,
L'éclat des lys & des lauriers ,
Tout développe ici le germe des guerriers ,
Et tout nous annonce fa gloire.
D'un fang pur, toujours prêt à couler pour les Rois,
I ranime l'ardeur & lui fert de modele :
Comblés de fes bienfaits , brûlant du plus beau
zéle ,
Puifions-nous le verfer pour défendre ſes droits !
Couverts d'une noble pouffiere ,
Exercés dans l'art des combats ,
Quand volerons- nous fur les pas
Dans cette brillante carriere ,
Où l'immortalité , qui nous eft déja chere
Fait revivre après le trépas ?
42 MERCURE DE FRANCE.
Applaudis aux tranſports d'une jeune nobleſſe
O paix délices des mortels ,
Louis nous les infpire , & ce trait de fageffe
T'affure de nouveaux autels .
Tu fçais que fon grand coeur , pour te rendre à la
terre
Eût formé d'inutiles voeux ,
Si fon bras , cet appui que t'ont donné les Dieux ;
N'eût jamais lancé le tonnerre.
Eft- ce à nous de chanter la paix ou les combats ?
Sans.crainte à quel écueil s'expofe notre enfance !
Mais eft- il des écueils que ne franchiffent pas
L'amour & la reconnoiffance ?
Tu le fçais , du Verney , toi du meilleur des Rois ;
Sujet le plus rempli de zéle ,
Le plus digne , le plus fidele ,
Dont fa faveur pût faire choix.
Ces champs , en lauriers fi fertiles ;
Ou Louis confondit les projets inutiles
Que forma tant de fois la difcorde en fureur ;
Par tes foins , par ta vigilance ,
Virent toujours une heureufe abondance
Sous les drapeaux de ce vainqueur .
Citoyen , tu n'as pour bouffole
Que les befoins du peuple & le bien de l'Etat ;
Tes travaux dans leur fein font couler en Pactole
Les thréfors de chaque climat ,
Non loin de cet afyle où des héros fans nombre ;
MARS. 1755. 43
Dans le fein des vertus , de gloire environnés ,
Au déclin de leurs jours , fe repofent à l'ombre ,
Des lauriers qu'ils ont moiſſonnés .
Louis , à la Valeur , notre unique déeffe ,
Confacre un nouveau temple , augufte monument
Et chef- d'oeuvre de ſa ſageſſe ;
Sa grandeur , fes bontés en font le fondement.
Il est devenu ton ouvrage ;
Il fuffit pour t'éternifer.
De ton zéle il fera l'image ;
D'un Miniftre que tout doit immortaliſer ,
Et d'un Roi que nos coeurs voudroient divinifer ,
Ce zéle a mérité le glorieux fuffrage .
LE mot de l'Enigme du Mercure de Février
eft le Corps de baleine . Le mot du Logogryphe
eft Poivre , dans lequel on trouve
or , poire , vie , pores , oie , ire , le pire ,
Roi , ivre , re.
44 MERCURE DE FRANCE .
JE
ENIGM E.
E goûtois en fecret les charmes du repos ,
Révéré des mortels , adoré des héros ;
Un aſyle facré m'offroit en apparence
D'un bonheur éternel la flateufe efpérance.
Mais bravant le couroux du fouverain des Rois ,
Un mortel me foumit à de nouvelles loix.
Par une facrilege offenſe ,
Le nom du Tout- puiffant , arraché des autels
Doit-il fe voir aftreint au compas des mortels ?
Mais c'étoit encor peu dégrader ma nobleſſe
Du Géometre à peine une indigne careffe
Eut en vain effayé d'adoucir mon malheur ,
Qu'un affreux cuifinier combla mon deshonneur ,
Sans daigner me toucher me prit dans ſa pincette ;
Sur les fourneaux étincelans
11 m'établit une retraite .
Mais à des traits fi reffemblans ,
Lecteur , peux-tu me méconnoître ?
Je ne t'en dis pas plus , cherche qui je puis être.
Par M.D. L. G.
MARS.
1755. 45
LOGOGRYPHE.
SoOuuss les pieds délicats d'une jeune bergere
J'ai fouvent opprimé l'innocente fougere ;
Je dois ma naiffance aux Dieux ;
Et mes peintures légeres
Ont fait briller à tes yeux
Mille beautés menfongeres .
Laiffant aujourd'hui l'erreur ;
Vérité , c'est ma devife .
Je vais faire l'analyſe
Des fix pieds d'un tout menteur,
Après un Pape , un Prophéte ,
S'offre un corps tout contrefait ,
Muni d'un efprit bienfait
Dont on ne fait point la fête ,
Ce qui d'un infecte adroit
Fait le domicile étroit.
Un oiſeau dont le plumago
Eft utile aux Ecrivains ,
Et celui dont le ramage
Etourdit tous les humains.
Jeunes mortels , dont le délire
Afpire à l'immortalité ,
Brûlez fur les autels dreffés dans mon empire
Un encens agréable à ma divinité,
46 MERCURE DE FRANCE.
ENIGM E.
Nous fommes deux freres jumeaux ;
Souvent plus utiles que beaux ;
Pour voyager ou pour combattre ,
De nous l'uſage eſt très-commun :
Nous ne portons qu'un pied chacun ;
Nous fomines cependant toujours portés fur quatre
.
LOGOGRYPHE.
Sans être un animal , j'ai des cornes , Lecteur;
Et mes cornes fouvent guériffent de la peur.
Ce début fingulier fera rire peut- être ,
Et fera fuffifant pour me faire connoître.
Quoiqu'il en foit , je veux te dire encor ,
Qu'au lieu d'être à ma tête elles font à mon
corps.
Cela ne fuffit point : je fuis encore obſcure ,
N'eft- ce pas ? Eh bien , vois , dérange ma ftructure
,
En moi tu trouveras ce que font douze mois ,
L'animal qui jadis porta le Roi des Rois ,
Des bêtes aujourd'hui la demeure ordinaire ,
Mais où s'eft retiré plus d'un faint folitaire .
Ce qu'ici-bas un chacun aime bien ,
3
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND
.
TILDEN
FOUNDATIONS
Vaudeville de Table .
Auxe Dieux les plus charmans, A=
M
-mis rendons homage notre Bon-
-heurest leur ouvrage, Chantons
les dans ces doux instans
Etpourmieux célébrer leur Gloire,
"Augré de nos plus Chers de- sirs,
Alongs traits goutons les plaisirs,
+
Debien aimer, et de bien Boire
MARS. 1755. 47
Ce
Et qui pour un chrétien doit être moins que rien ;
que nous tenons tous de la bonté fuprême ,
Comme un figne certain de fa puiffance extrême.
L'endroit de la maiſon qui me plaît en hyver
La montagne ou Vulcain fait fabriquer le fer ;
Ce qui de tous les tems fit briller la nature ,
Celle à qui Dieu donna la fille la plus puré .
Plus le nom d'une ville , & celui d'un Prélat
Que la ville d'Angers révere avec éclat.
VAUDEVILLE DE TABLE.
AUx Dieux les plus charmans ,
Amis , rendons hommage ;
Notre bonheur eft leur ouyrage :
Chantons- les dans ces doux inftans.
Et pour mieux celébrer leur gloire
Au gré de nos plus chers dehrs ;
A longs traits goûtons les plaifirs
De bien aimer & de bien boire.
A Bacchus , à l'Amour
Vrais charmes de la vie ,
Que notre ame foit affervie ;
Qu'ils regnent fur nous tour à tour.
De les fuivre , c'eft être fage ;
48 MERCURE DE FRANCE.
Ex le prétendu fage eft fou ,
Qui d'une Iris & du glou glou
Méconnoît le prix & l'ufage,
粥
Nectar , cours en nos coeurs
Te joindre à la tendreffe ,
Tous deux dans une aimable ivreffe
Comblez - nous de mille douceurs.
Des cieux , c'eft là le bien fuprême ,
Et pour en jouir , chacun doit
Sçavoir aimer autant qu'il boit ,
Et fçavoir boire autant qu'il aime.
La musique eft de M. Charriere.
Les parolesfont de M. M....
ARTICLE
MARS. 1755. 49
ARTICLE IL
NOUVELLES LITTERAIRES.
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie de Montauban.
'Académie des Belles- Lettres de Mon-
L'auban a célébré à fon ordinaire , le
25 Août , la fête de S. Louis ; elle aſſiſta
le matin à une Meffe qui fut fuivie de
l'Exaudiat , pour le Roi , & du panégyrique
du Saint , prononcé par M. Court ,
Curé de Montricoux , Diocèſe de Cahors.
Elle tint l'après-midi une affemblée publique
dans la grande falle de l'Hôtel de
ville ; & M. Saint-Hubert de Gaujac , ancien
Capitaine de Cavalerie , Chevalier de
l'Ordre militaire de S. Louis , Directeur de
quartier , ouvrit la féance par un difcours
, où il ſe propoſa d'examiner fi
c'eft à leur coeur ou à leur efprit que
les femmes doivent la fupériorité qu'elles
ont fur les hommes dans plufieurs genres
d'écrire , & principalement dans le ſtyle
léger & épikolaire. Il prouva d'abord cette
C
60 MERCURE DE FRANCE.
fupériorité par des exemples décisifs , &
par des autorités refpectables. Il effaya
enfuite de l'expliquer , en obfervant qu'on
ne fçauroit difputer aux femmes qui ſe
font mêlées d'écrire , l'heureux choix des
expreffions , la délicateffe des fentimens ,
l'élégance , la précifion , &c. » Qui dou-
» te , ajouta-t- il , que l'imagination n'ouvre
une fource inépuifable d'agrémens
» & de beautés raviffantes , & que la vi-
» vacité , la variété & la fineffe de fon
ود
pinceau ne donnent au fujet qu'elle trai-
» te , l'air le plus noble , & les graces
les plus touchantes ? Or les femmes ont
» porté en naiffant un don fi précieux :
» auffi tout devient- il fous leurs mains ,
» fertile , gracieux & riant . .. .. . Si nous
»
ne les trouvons pas toujours propres à
» faire de grands tableaux & des ftatues
» coloffales , nous devons au moins convenir
que pour les ouvrages de petit
» point & de miniature , elles furpaſſent
» les Raphaël & les Phidias .... J'avoue
» qu'elles ont quelquefois un ftyle dé-
» coufu , plein de négligence & de faillies ,
» je dirois prefque un ftyle intermittent ;
mais c'eft ce qui en fait le charme , &
l'on feroit fâché d'y trouver plus d'or-
» dre & de méthode « . Quoique M. Saint-
Hubert fe fut plaint au commencement de
MARS. 1755.
S4
33
fon ouvrage , de manquer
des fecours
que
la lecture fournit aux auteurs de profeffion
, n'ayant pour lui difoit-il ., que
» le Code militaire , un peu d'imagina-
» tion , & malheureufement
beaucoup
trop
d'ufage du monde , « il ne laiffa pas de
répandre
dans fon difcours
plufieurs
traits
intéreffans
, qui montroient
que ce qu'il
avoit eu le tems ou l'occafion
de lire , il
l'avoit lû avec goût & avec réflexion
. C'eſt
par là qu'il tira un parti ingénieux
de quelques
lettres de Madame
de Sévigné
: mais
venant à rechercher
la caufe de cette fupériorité
qu'il reconnoiffoit
dans les femmes
il tenta de recourir , pour en indiquer la
fource , au méchaniſme
de la nature. » Les
»femmes , difoit- il , ont un corps plus dé-
» licatement
organifé ; c'eſt par là que la
» beauté , que les graces extérieures
leur
appartiennent
de droit. Ne feroit-ce point
auffi par là que leur imagination
eft plus
vive , & plus facile à remuer ? « Mais il
revint bientôt fur fes pas , en faifant réflexion
que dans les femmes , leur coeur
& leur efprit doivent
fe reffentir
égaledu
partage que la nature leur a fait
en ce genre. Il fe tourna alors du côté
de l'éducation
, & il demanda
fi la mariere
différente
dont on éleve les jeunes
perfonnes
de l'un & de l'autre fexe , n'of
ment
}
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
friroit pas la véritable caufe des différen
ces qui les diftinguent. Il caractériſa l'éducation
que les femmes reçoivent communément
, & il conjectura affez vraiſemblablement
, foit de la bienféance , de la
réferve & de la modeftie qu'on leur infpire
, foit du préjugé qui leur interdit les
études fortes & férieufes , qu'il eft naturel
d'une part qu'elles foient plus faites
& plus habiles que les hommes à trouver
ces tours ingénieux , où le fentiment ne paroît
fe cacher que pour être mieux apperçu ;
d'un autre côté , que leur imagination fe
trouvant débarraffée de la féchereffe d'un
travail long , affujettiffant & pénible , elle
conferve tout fon feu pour les objets agréables
& legers . Il abandonna cependant encore
cette explication , parce que l'éducation
, ajouta- t-il , influe également fur l'efprit
fur le coeur. Il fe borna donc à balancer
ici les raifons contradictoires qui forment
la difficulté de la queftion qu'il s'étoit
propofée ; & après avoir infinué que les
premieres apparences le portoient à penfer
que les femmes doivent à leur efprit
leur fupériorité fur les hommes dans les
ouvrages qui fortent de leur plume , parce
que c'eft leur efprit qui enfante ces ou
vrages ; que c'eft la maniere dont l'efprit
enviſage les objets qui décide de la maMARS.
1755.
53
niere dont on les peint ; & que les femmes
n'excellent dans le ftyle epiftolaire
que parce qu'elles ont fingulierement l'ef
prit de la converfation : il conclut enfin
» qu'en elles c'eſt le coeur qui donne le ton
» à l'efprit. En effet
En effet , continua- t- il , les
» ouvrages des femmes portent tous l'em-
»preinte du fentiment , qui eft chez elles
" fi vif & fi délicat. Les hommes raiſon-
» nent , mais les femmes fentent : voilà
» pourquoi les écrits de ceux -là font.com-
» munément plus fecs , plus arides , &c ...
» Le coeur eft la partie qui a plus d'action
dans les femmes ; il vivifie en quel-
» que forte tout ce qu'elles font , tout ce
qu'elles difent , tout ce qu'elles écri-
» vent .... D'où vient que les écrits des
femmes nous affectent d'une maniere
» particuliere ? ... c'eft qu'il n'y a que le
coeur qui ait droit de parler au coeur :
le coeur eft froid , il eft fourd , pour
» ainfi dire , au langage de l'efprit ....
Quand eft-ce que la lyre a rendu des
fons plus animés & plus tendres , fi ce
n'eft quand elle a été entre les mains
des femmes ? C'eft la nature elle -même
qui parie dans les poëfies des Sapho ,
des La Suze , des Deshoulieres , &c.
»On ne trouve nulle part des fentimens
fi vifs , fi variés , fi foutenus , fi déli-
"
"
"
»
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE .
» cats , fi touchans. Les hommes qui ont
voulu elfayer ce genre , fe font prefque
tous attirés le reproche d'avoir mis dans
leurs ouvrages un art capable de déceler
la violence qu'ils faifoient à leur
efprit , pour lui faire parler le langage
» du coeur , & c.
M. Bernoy lut enfuite deux odes , l'une
firée du Pfeaume CI . & l'autre du Pfeaume
CXLII. Il faudroit les tranfcrire ici en
entier , pour faire connoître avec quelle
fidélité l'auteur a fçu rendre les profonds
gémiffemens & la vive douleur du faint
Roi pénitent .
M. l'Abbé de Verthamon ; dans un
difcours contre l'envie , Sattacha à montrer
avec quel acharnement cette paffion
pourfuit ordinairement les grands hommes.
Après avoir fait un tableau de fes
fureurs , il entra dans le détail des funef
res effets qu'elle produit communément
parmi les gens de lettres. Il fit voir enfin
que dans tous les lieux & dans tous les
fiécles , les plus grands Poëtes & les plus
grands Orateurs ont été expofés aux traits
empoifonnés de l'envie .
M. de Claris , Préfident de la Chambre
des Comptes , Cour des Aides &
Finances de Montpellier Académicien
affocié , avoit envoyé à l'Académie des
,
MARS. 1755 .
vers qu'il avoit faits fur le mariage de M.
de **fous ce titre : le Triomphe de l'hymen
, & M. de Cathala en fit la lecture.
Depuis quelques années , nul genre
d'ouvrage ne s'eft autant multiplié que
les Dictionnaires ; & c'eft ce qui donna
lieu à M. l'Abbé Bellet d'examiner s'ilsfe
multiplient aujourd'hui pour le progrès ou
pour la ruine des lettres . Jamais , felon cer
Académicien , il ne fut plus vrai de dire
qu'on pourroit faire un Dictionnaire des
noms de tous les Dictionnaires qui exiftent.
Après avoir obfervé que chaque fcience ,
chaque art a le fien , il fe propofa de déterminer
le dégré de gloire qu'ils font ent
état de procurer à leurs auteurs , & les
avantages que les lecteurs peuvent en retirer……………
. Un dictionnaire n'eft point une
production du génie ..... c'eſt communé
ment un recueil , un registre , un magafir
d'actions ou de pensées étrangeres ... On
peut dire abfolument de la compofition
de ces fortes d'ouvrages , ce que La Bruyere
n'a dit de la critique qu'avec reftriction :
que c'est un métier où il faut plus de fanté
que d'efprit , plus de travail que de capacité
, plus d'habitude que de génie..... Le
choix des penfées eft une forte d'inven
tion , difoit encore l'auteur des Caracteres.
» Mais dans un dictionnaire on fe déter-
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
» mine plutôt à rapporter beaucoup de cho-
» fes que d'excellentes chofes ...... On
» diroit que l'auteur d'un dictionnaire
ود
craint de n'avoir pas le tems d'être diffus ,
» comme un bon auteur craint de n'avoir
→ pas le loifir d'être court ..... c'eſt le
chef- d'oeuvre de l'art de fçavoir cacher
»fon art. Mais il femble que l'auteur d'un
» dictionnaire faffe profeffion de bannir
toute forte d'art de fa compofition & de
fon ouvrage. Toujours uniforme dans fes
»tours & dans fes expreffions , il ſe borne à
» une forte de monotonie qui forme ſon ca-
» ractere .... il lui fuffit de coudre , pour
»ainfi dire , bout-à-bout ce qu'il a remar-
» qué dans le cours de, fes lectures.... En
» un mot , il n'a point l'honneur de l'in-
» vention dans ce qu'il dit , & il ne fonge
gueres à mettre les graces du ftyle dans
» la maniere dont il le dit. . ... M. l'Abbé
Bellet ne laiffa pas de rendre juftice au
genre de mérite qu'on ne peut s'empêcher
de reconnoître dans les auteurs de quelques
utiles compilations que nous avons ,
mais il crut devoir relever en même tems
les défauts effentiels qui dégradent plufieurs
dictionnaires ; il les caractériſa chacun
en particulier , il ajouta qu'un bon
vocabulaire eft la feule efpéce de dictionnaire
dont la compofition paroît exiger
>
My
MAR S. 1755. 57
un mérite plus réel & plus rare , & il en
donna plufieurs raifons .... » C'eſt ainsi ,
» continua-t- il , que l'auteur d'un Poë-
"me , prefque digne de Virgile * > avoit
» commencé un Dictionnaire latin deſtiné
» à effacer tous les autres. Nous lui avons
entendu dire qu'il ne fe propofoit pas
» moins que de faire fentir , fous chaque
mot françois , la fignification préciſe
& l'ufage particulier de ce grand nom-,
» bre de mots latins que le commun des
lecteurs regarde comme de parfaits fy
» nonimes. Un tel deffein fuppofoit en lui
autant de fineffe de goût que de lecture.
» Pour continuer fon ouvrage , en entrant
» dans fes vûes , on avoit befoin de l'hom-
» me ** d'efprit qui s'en eft chargé , &
» dont les talens font atteftés par une foule
de lauriers académiques ... " . Pallant
enfuite au fruit que l'on peut tirer de la
lecture des Dictionnaires , M. L. B. diſtingua
deux fortes de lecteurs ; des lecteurs
fuperficiels , & des lecteurs qui approfondiffent
tout : il en conclut que les dictionnaires
font un écueil pour l'ignorance
& pour la pareffe , & qu'ils ne font de
quelque fecours que pour ceux qui aiment
véritablement le travail. Il prouva
Le P. Vaniere.
** Le P. Lombard,
fucceffi-
Cv
$8 MERCURE DE FRANCE .
vement ces deux vérités , en montrant que
tous les dictionnaires font plus ou moins
fautifs ; qu'aux erreurs qu'on eft en droit
de leur reprocher , ils joignent , ainfi que
Bayle le difoit du fien , une infinité de péchés
d'omiffion , & que ce qu'ils rapportent
fe trouvant détaché de ce qui précéde &
de ce qui fait dans les auteurs qui l'ont
fourni , ou ils donnent de fauffes vûes ,
ou ils n'en donnent aucune qui foit bien
nette & bien précife ..... Si les dictionnairės
nuifent à celui dont ils bornent le
travail & les vues , ils font utiles à ceux
qui s'en fervent pour aller plus loin. ...
Dans le cours de fes études , un litté-
» rateur a ſouvent befoin , tantôt de préci-
» piter fa marche , tantôt de revenir en
quelque forte fur fes pas , pour recou-
» vrer ce que le tems enleve quelquefois à
» ſa mémoire . On ménage fon loifit , fon
» application , fes forces , en lui indiquant
, à mefure qu'il le fouhaite , la
route qu'il peut fuivre , en le remettant
fur la voie , & c. ... On peut comparer
un dictionnaire à la table d'un livre ;
elle eft utile à un écrivain laborieux
qui , pour ne point perdre de tems , veut
is quelquefois qu'on lui indique au plus
"vite la page précife où il eft queftion
» de l'objet dont il eſt actuellement occuMARS.
17556 59
pé ; mais cette table feroit évidemment
» un obftacle à la connoiffance de la vé-
» rité , pour quiconque fe contenteroit
و د
"3
de cette indication fuperficielle , &c……….
» Les dictionnaires peuvent donc être fu-
» neftes aux lecteurs indolens & fuperfi-
» ciels , parce qu'ils les arrêtent , pour
» ainfi dire , au milieu de leur courfe ;
» qu'ils les retiennent mal à propos endeça
des bornes qu'ils devroient fran-
» chir ; qu'ils leur perfuadent que de plus
amples recherches font inutiles ; qu'ils
»les accoutument à s'en rapporter à la pa-
» role d'un auteur unique , dont les inf
» tructions font communément imparfai-
»tes , &c. Mais après tout , la fortune des
» lettres dépend t -elle du commun des lecteurs
, qui ont moins recours aux livres
par le defir fincere d'augmenter leurs con
noiffances , que par le befoin preffant
» d'étourdir leur ennemi , & d'amufer leur
oifiveté ? L'avancement des ſciences &
des arts eft l'ouvrage de ceux qui les
cultivent. Les lettres font redevables de
leurs progrès & de leur gloire aux
productions des génies fupérieurs. Or
» ceux- ci ne feront jamais tentés de s'en
» tenir à des dictionnaires : on peut donc ,
» vis - à- vis d'eux , les varier , les multiplier
impunément ..... On ne dira donc
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
t
» pas précisément qu'on multiplie les dictionnaires
, ni pour la ruine ni pour le
»progrès des lettres : on craindroit d'un
» côté de leur faire trop de tort , & de
•
l'autre de leur faire trop d'honneur.
>> On ne les croit pas capables de caufer
»jamais , ni en bien , ni en mal , une ré-
» volution générale dans l'empire des let-
» tres , &c.
M. de la Mothe lut un dialogue en vers
intitulé : l'Hymen & l'Amour ; & M. P : adal
, Procureur Général à la Cour des Aides
, fit la lecture d'une Idylle qu'il adreffa
à M. de la Mothe , en lui donnant le titre
flateur d'Anacreon du Querci.
M. de Cathala , qui s'eft chargé du ſoin
de faire connoître les grands hommes que
cette province a produits , lut un effai fur
la langue gafconne , & fur quelques auteurs
* Gafcons. » Selon cet Académicien ,
» l'idiome qui eft en ufage dans les pro-
» vinces méridionales , & fur- tout à Touloufe
& à Montpellier , femble réunir
tous les caracteres des langues mortes &
» vivantes les plus eftimées. A l'abondance
de la grecque , il joint la cadence &
* M. de Mondonville vient d'en augmenter le
nombre , & va mettre cette langue à la mode
par fon Opéra Languedocien , que Paris applaudit.
MARS. 1755 61 . .
n
» oeuvre.
33
le
prefque la tournure de la latine ; à la
précifion & à la fageffe de la françoiſe ,
» il allie fans peine la légereté , la douceur
» & la molleffe de l'italienne . Propre à
tout , il offre fans effort des tours & des
» expreffions différentes , felon les diffé-
» rens befoins de ceux qui le mettent en
Pendant que la langue fran-
» çoiſe étoit plongée dans la barbarie ,
langage moundi brilloit dans les arts ,
» dans la chaire & au barreau ..... On a
» des fragmens d'une hiftoire manufcrite
» de la guerre des Albigeois , écrite en
» cette langue par un auteur contempo-
» rain ; il feroit à fouhaiter que les hifto-
» riens de la nation l'euffent connue ....
» Mais la langue gaſconne , ajouta M. de
» Cathala , eft encore plus propre à la
poësie qu'à tout autre genre. C'eft dans
» les vers qu'elle étale tous fes avantages ;
» fa poëfie eft bien antérieure à la françoife
long- tems avant les Meuns & les
» Lorris , une foule de Troubadours ou
» poëtes Provençaux , que quelques auteurs
ont dit être les inventeurs de la
» rime , brilloient dans les Cours des Souverains
.... « M. de Cathala donna enfuite
une notice de plufieurs Poëtes Gaf
cons , natifs du Querci ou du Rouergue ,
comme Raimond Jourdan , Hugues Bru-
و د
62 MERCURE DE FRANCE.
net , Albuzon , Pierre Vidal , Maître Mathieu
, & c. Il n'eut garde d'oublier la célébre
Clémence Ifaure , reftauratrice des
Jeux Floraux. Il fit une mention honorable
de Goudouli , nâtif de Toulouſe ; mais il
s'étendit davantage fur Valès , né en 1593
à Montech , petite ville du Languedoc ,
dans le Diocèfe de Montauban , & mort
Curé de cette Paroiffe , après avoir fait
en langage moundi deux traductions de
l'Eneïde , l'une en vers héroïques , & l'autre
en vers burlefques , toutes les deux
d'un mérite fingulier . Il avoit encore traduit
dans le même idiome les fept Pleaumes
de la Pénitence , & compofé une infinité
de pieces fugitives adreffées aux amis
qu'il avoit à Touloufe & à Montauban .
L'effai dont on rend compte eft deſtiné à
fervir de préface à ces divers ouvrages
quand on les donnera au public .
M. Saint-Hubert de Gaujac , Direc
teur , lut enfin des vers adreffés à l'affemblée
, aufquels tout le monde applaudit.
ON inférera le mois prochain la ſéance
de la Société royale des Sciences & Bel
les- Lettres de Nanci , & celle de la Société
littéraire d'Arras ; ainfi des autres fucceffivement
, par ordre de date .
MARS. 1755. 63
LETTRES DE M. L'ABBÉ DE *** A SES
ÊLEVES . A Paris , chez Claude Hériſſant ,
rue neuve Notre-Dante , à la Croix d'or &
aux trois Vertus , fecond volume. in- 1 z.
•
On a rendu compte dans le Mercure
de .... 1752 , du premier volume de ces
lettres imprimées à Paris en 1751 ; chez
la veuve Colombat.
L'auteur avoit promis feize lettres . Le
premier volume en contient dix , & le fe
cond préfente les fix dernieres , dont l'ob
jet eft de prouver l'existence des termes
énigmatiques & généraux dans les ouvra
ges prophétiques , & de faire fentir qué
leur intelligence eft néceffaire pour entendre
parfaitement le fens littéral hiſtorique
des Prophetes , des Pfeaumes , de Job , des
Cantiques , & de quelques autres prophé
ties répandues dans l'Ecriture Sainte .
Ainfi la premiere lettre de ce fecond
volume , qui eft la X I dans l'ordre des
feize , eft employée à parler du ftyle prophétique
& des raifons de fon obfcurité ;
& depuis la page so jufqu'à la page 70 ,
où finit la lettre XI , l'auteur commence
à faire un effai fur une partie des termes
énigmatiques qu'il doit traiter dans la lettre
fuivante.
La XII lettre entre tout-à -fait en
matiere ; on y voit quantité de paffages
64 MERCURE DE FRANCE.
с
des livres prophétiques , développés relativement
au fens littéral exigé par l'hiſtoire ;
mais l'auteur ne fe contente pas de morceaux
détachés , qui pourroient ne pas
fatisfaire , faute de liaifon avec ce qui précede
& ce qui fuit. Il prend donc une
prophétie entiere , l'une des plus difficiles
qu'il ait pu choifir. C'eft le chapitre 14
d'Ifaïe , depuis le premier jufqu'au 22
verfet inclufivement. Cette lettre étoit
trop longue pour ne la pas divifer en deux
parties. La premiere contient deux avertif
femens ; l'un traite des quatre termes énigmatiques
, dont l'intelligence eft abfolument
effentielle à la lettre hiftorique de
cette prophétie d'lfaïe. Le fecond avertif
fement contient fept remarques grammaticales
, fuivies d'une obfervation fur l'u
fage de la profopopée dans les faints Livres.
Après les deux avertiffemens on trouve le
précis de la prophétie : elle regarde , dans
le premier fens littéral , la chute de l'empire
de Babylone ; on paffe enfuite à une
double verfion latine , dont la premiere
conferve fes termes énigmatiques , & la
feconde les développe : une verfion françoiſe
dans le même goût fuccede à la latine.
L'Auteur termine cette premiere parrie
par quelques remarques fur le peu d'ordre
avec lequel on a traité jufqu'ici ces
MAR S. 1755. 65
vingt-deux premiers verfets du chap. XIV
d'Ifaïe.
La feconde partie de la XII lettre comprend
les notes indifpenfables à l'intelligence
d'une pièce auffi difficile , quant au
fens littéral de l'ancien Ifraël ; mais afin
qu'on ne croye pas que cette explication
puiffe nuire au fens de l'Eglife chrétienne
attaché néceffairement à ce texte d'Ifaïe ,
l'auteur préfente d'autres notes relatives
au nouvel Ifraël ; elles font fuivies d'une
double verſion françoiſe , mife au - deſſous
de la verfion littérale relative à l'ancien
Ifraël. Cette lettre finit par une courte
réflexion fur la ſurpriſe que pourra cauſer
à quelques perfonnes l'établiffement d'un
double fens littéral , dont cependant les
preuves font dans les Peres , les Théologiens
, & les plus habiles commentateurs.
La XIII lettre roule fur les termes gé
néraux ou indéterminés , qu'il faut reftreindre
aux fignifications particulieres
exigées par les vues du Prophéte . On donne
en preuve les deux petits Cantiques
contenus dans le XII chapitre d'Ifaïe . Deux
fimples notes de l'auteur développent en
très- peu de mots le double fens de cette
prophétie , quant à l'ancien & quant au
nouvel Ifraël . On trouve enfuite l'examen
de plufieurs termes généraux du Pleaume
66 MERCURE DE FRANCE.
XXXVI . Heb. XXXVII , Noli amulari , &
d'un affez grand nombre d'autres , & furtout
des mots mifericorde & vérité qui ,
reftreints à leur vraie & exacte fignifica
tion , jettent un grand jour fur les paſſages
où ils fe rencontrent.
La lettre XIV eft une fuite du traité des
termes généraux .L'auteur apporte en preuve
le Pf. 1. Beatus vir , &c. qu'il regarde comme
un tiffu de termes indéterminés qui
reftreints au fens exigé par le Prophéte
s'entendent d'abord des Apoftats du tems
de la captivité de Babylone , & enfuite
de ceux de l'Eglife chrétienne ; des notes
étendues fuivent le texte , & nous paroiffent
comme démonftratives.
La X Ve lettre eft uniquement occupée
à prouver que les termes énigmatiques &
généraux qui font en ufage dans les li
vres prophétiques , entrent auffi dans la
compofition des Cantiques du N. T. On
en donne pour exemple le cantique Bene
dictus Dominus , Deus Ifraël.
La XVI ne contient point le Pf. LXVII .
Heb. LXVIII . Exurgat , Deus , promis dans
le volume I. Ce chef-d'oeuvre de la poëfie
des Hébreux , accompagné de notes , eût
donné trop d'étendue à ce fecond volume.
L'auteur à donc prié quelques - uns des
éleves qu'il a formés , de fe charger de
MARS. 1755. 67
"
l'édition de ce Pfeaame . Mais pour mieux
entendre tout ce que ceci veut dire , il eſt
néceffaire de fçavoir que depuis plus de
dix ans , il fe forme parmi les RR. PP.
Capucins de la rue faint Honoré , un petit
nombre de gens de lettres qui fe font
confacrés à l'étude du double fens litteral
de l'Ecriture Sainte . L'auteur de ces lettres
a tellement goûté leur maniere de travailler
, qu'il leur confie non-feulement fon
Exurgat , mais auffi Pexécution entiere de
fon plan , dont on lit l'efquiffe aux pages
454 & 455 de ce volume. On voit dans
cette X V I lettre , les avis qu'un pere ,
non-feulement tendre , mais éclairé , donne
à des enfans pleins d'un amour inaltérable
pour l'Ecriture Sainte , d'un courage à
toute épreuve & d'un travail infatigable.
Ils vont feconder dans peu les vûes de
leur maître , puifqu'ils donnent inceffamment
quatre volumes in- 12. pour commencer
l'exécution du travail qu'il leur
remet entre les mains .
Tel eft l'extrait du fecond volume des
lettres de M. l'Abbé de *** à fes éleves.
Quoique le mérite de cet ouvrage ne puiffe
être apprécié dans toute fa valeur que par
ceux qui ont fuivi & qui fuivent encore
fes leçons publiques ou particulieres , toujours
gratuites , il eft cependant aifé de
68 MERCURE DE FRANCE .
fentir que fon plan eft établi fur les folides
principes qu'il a puifés dans les premieres
fources pendant près de cinquante
ans d'étude.
ODES D'HORACE traduites par feu M.
l'Abbé Desfontaines , in - 12 . petit format ,
1754. A Paris , chez Chaubert , quai des
Auguftins ; avec approbation & privilege
du Roi. Nous avons vû des exemplaires de
cet ouvrage , qui au lieu de Paris portent
le nom de Berlin ; mais ils font f
femblables la forme & les caracteres ,
pour
que nous ne doutons point qu'ils ne fortent
de la même preffe ; la feule différence
que nous y avons remarquée eft que
dans les exemplaires de Paris on a retranché
les odes qui ne fe lifent point dans les
Colléges , & qu'elles fe trouvent dans ceux
de Berlin , au frontifpice defquels on lit
une épigraphe qui fait honneur aux fentimens
du Libraire qui diftribue les uns &
les autres , & à laquelle nous foufcrivons
volontiers.
Quis defideriofit pudor aut modus ,
Tam cari capitis. Hor. Od. XXIV. 1. I.
BIBLIOTHEQUE HISTORIQUE ET CRITI
QUE DU POITOU , contenant les vies des
MARS.
1755. 69
fçavans de cette province depuis le troifiéme
fiécle jufqu'à prefent ; une notice
de leurs ouvrages , avec des obfervations
pour en juger , &c . A Paris , chez Ganneau
, Libraire , rue Saint Severin , à S.
Louis & aux armes de Dombes. 1754 .
Cinq gros vol. in- 12 .
:
Il y a déja du tems que cet ouvrage a
paru cependant comme les Mercures précédens
n'en ont point parlé , nous nous
faifons un devoir de l'annoncer aujour
d'hui. Il feroit inutile d'entrer dans aucun
détail fur la forme que l'auteur a jugé
à propos de lui donner , ni fur la façon
dont il s'y eft pris pour le traiter. Le
compte exact qu'on en a rendu dans la
plupart des Journaux doit fuppléer fuffifamment
à notre filence. Nous obferverons
feulement que fi dans le nombre des
fçavans qui trouvent leur place dans cette
bibliotheque , il y en a qui fe font fait un
nom fameux dans la république des lettres ,
il s'en rencontre beaucoup auffi dont la
réputation ne paffe point les limites du
Poitou .
LA VIE DES PEINTRES FLAMANDS , ALLEMANDS
ET HOLLANDOIS , avec des portraits
gravés en taille-douce , une indication
de leurs ouvrages , & des réflexions
70 MERCURE DE FRANCE.
fur leurs différentes manieres. Par M. J. B.
Defcamps , Peintre , membre de l'Académie
royale des Sciences , Belles- Lettres &
Arts de Rouen , & Profeffeur de l'Ecole
du deffein de la même ville . A Paris ,
chez Defaint & Saillant , rue Saint Jean de
Beauvais ; Piffot , quai de Conti ; Durand
, rue du Foin , en entrant par la rue
Saint Jacques , la premiere porte cochere.
1754. Tome fecond , gros in-8 ° . Il y a
lieu d'efpérer que le public ne fera pas
un accueil moins favorable à ce volume
qu'à celui qui l'a précédé.
LE CALENDRIER DES LABOUREURS ET
DES FERMIERS , contenant les inftructions
néceffaires la conduite & pour le
pour
maniement d'une ferme dans tous les mois
de l'année ouvrage néceffaire aux per
fonnes qui vivent à la campagne , & à celles
qui font valoir leur bien. Traduit de
l'Anglois , fur la fixième édition de M.
R. Bradeley de la Société royale de
Londres , & Profeffeur de Botanique dans
l'Univerfité de Cambridge . A Paris , chez
Briaffon , Libraire , rue Saint Jacques , à
la Science. 1755 , vol. in- 12.-
ANALYSE DES DISSERTATIONS SUR PLUSIEURS
MATIÈRES MEDICO - PHYSIQUES . Par
MARS. 1755. 71
M. Olivier de Villeneuve , Docteur de la
Faculté de Médecine de Montpellier ,
Doyen des Médecins de la ville de Boulogne-
fur-mer. A Utrecht , 1754 , petit in-
12. 100 pages.
. DEMONSTRATION DE LA QUADRATURE
DU CERCLE ; par M. le Chevalier de Caufans
, ci - devant Colonel du Régiment
d'Infanterie de Conti . A Paris , chez Delaguette
, rue Saint Jacques , à l'Olivier ;
·in-4°. 22. pages.
On a toujours été jufqu'ici perfuadé
& non fans raifon , de l'inutilité des efforts
que l'on voudroit employer pour parvenir
à la découverte de la Quadrature du
cercle . On s'eft réuni à en regarder la démonftration
, non feulement comme impoffible
, mais comme impliquant les contradictions
les plus évidentes en géométrie .
Il n'eft donc pas aifé de détruire un préjugé
qui paroît fi bien fondé. Cependant
M. le Chevalier de Caufans, fans s'effrayér
des difficultés qu'on peut lui oppofer , n'a
pas laiffé de tenter la chofe en queftion .
Un grand nombre de perfonnes qui ont de
la peine à s'imaginer qu'elle foit traitée
férieufement, n'auroient pas manqué d'imputer
les tentatives de M. le Chevalier à
un pur jeu d'efprit.; il a pris la fage pré72
MERCURE DE FRANCE.
caution de leur ôter cette penfée , en propofant
la foufcription de la fomme de dix
mille livres à quiconque prouvera géométriquement
un paralogifme dans fa prétendue
quadrature du cercle qu'il s'efforce
de démontrer dans le petit ouvrage que
nous annonçons. Le prix confidérable attaché
à fa réfutation devoit néceffairement
attirer fur les bras de M. de Caufans
de puiffans adverfaires , qui fe difputaffent
à l'envi le mérite ( fi toutefois c'en eſt un )
de ruiner les conféquences fur lefquelles
il l'a bâtie ; mais il ne s'étoit peut- être pas
attendu à voir dans la foule des concur
rens entrer en lice une perfonne d'un ſexe ,
qui femble moins faite pour fe livrer à des
études épineufes & abftraites que pour
s'occuper des matieres d'agrément. Mlle
Le Mire , choquée de l'injufte prévention
où l'on eft contre les femmes , a été ja
loufe de l'honneur de les juftifier , en montrant
que leur efprit eft capable d'atteindre
aux vérités géométriques , fur lefquelles
il leur arrive de raifonner plus conféquemment
que bien des hommes. Elle a
donc jugé à propos de fe mettre fur les
rangs ; & pour cet effet elle a cru devoir
rendre public le fruit de fon travail , qui
paroît fous ce titre Le Quadricide , ou Paralogismes
prouvés géométriquement dans la
Quadrature
MARS. 1755 .
73
Quadrature de M. de Caufans. Par Mile
L.A. Le Mire , veuve J ... in- 4° . 28 pag.
chez Delaguette , & c.
Le long féjour que M. Galland a fait
dans les Etats du Grand Seigneur en qualité
d'Interpréte du Roi pour les Langues
orientales , l'a mis à portée de travailler
pour l'inftruction du public , en lui apprenant
ce qu'il a eu occafion d'y voir de plus
curieux. Comme il s'en eft rendu les langues
familieres , il n'a pas cru inutile de
commencer par la traduction de trois petites
pieces écrites par divers auteurs Mu
fulmans , dont les deux premieres tendent
à donner une idée des rits & c'es cérémonies
qui fe pratiquent au pélerinage de la
Mecque , des points fondamentaux de la
religion mahométane , & des obfervances
qu'elle impofe. On fe propofe dans la troifieme
de faire connoître la maniere dont
les Turcs cultivent les fciences. Cet ou
vrage de M. Galland eft compofé de cinq
morceaux différens , qui forment un recueil
qu'il difpofe en cet ordre. 1 ° . Rits & cérémonies
du pélerinage de la Mecque , fuivant
lafelle de l'Imam on Docteur Chafei ;
traduit de l'Arabe du Cheitch el Imam el
Aalim , & c . 2° . Catéchisme Muſulman , traduit
de l'Arabe du Cheitch on Docteur Aly
D
74 MERCURE DE FRANCE.
fils d'Iaakoub. 3. Traduction d'une differtation
de Zebny Effendi fur les fciences des
Turcs , & fur l'ordre qu'ils gardent dans le
cours de leurs études . 4° . Relation de l'ifle
de Chio , faite fur le lieu par l'auteur. 5º.
Autre relation de la Marche de la Sultane
Efma , fille de Sultan Ahmed , lorfqu'on la
conduifit à fon époux Iaakoub Pacha , grand
Maréchal de la Cour de Sultan Mahmoud ,
le 27 Février 1743. Cette relation termine
ce livre , qui fe vend à Paris , chez
Defaint & Saillant. 1754 , in- 12 . 214
pages.
COLLECTION DE DÉCISIONS NOUVELLES
& de notions relatives à la Jurifprudence
préfente ; par M. Denifart , Procureur
au Châtelet de Paris . A Paris , chez Savoye
, rue S. Jacques , à l'Eſpérance , audeffus
de la Fontaine de S. Severin ; & Le
Clerc , grande Salle du Palais , au fecond
pilier , 1754.
L'Auteur nous apprend dans la préface ,
que cet ouvrage fera compofé de cinq ou fix
volumes , dont il vient de mettre les deux
premiers au jour. Nous lui fouhaitons tout
le fuccès que l'importance de fon travail
paroît mériter. Nous ne pouvons même
nous empêcher de dire que M. Denifart
eft digne d'éloge , en ce qu'il a pris foin
MARS. 1755. 75
de développer aux yeux du public cette ingénuité
de caractere qui fied aux auteurs
libres de préjugés. On doit lui fçavoir
quelque gré de ne pas témoigner les effets
de la prévention outrée qu'on a d'ordinaire
en faveur de l'état qu'on exerce.
Il avoue que les maximes renfermées dans
le recueil qu'il publie , n'étant annoncées
que par un fimple Procureur du Châtelet
perdent beaucoup par là de la confiance qu'el
les méritent. Ce font les propres paroles de
M. Denifart , aufquelles il ne nous appartient
pas de répliquer , puifque c'eft une
perfonne de la profeffion qui fait cet aveu .
Nous ajoûterons feulement que fon exemple
eft une preuve qu'il fe trouve des Procureurs
qui ont fincerement en vûe le bien
-public.
ORAISONS CHOISIES DE CICERON ,
traduction nouvelle , avec le latin à côté ,
fur l'édition latine de Grævius , & des notes.
A Paris , chez Jofeph Barbou , rue S.
Jacques , près la fontaine S. Benoît , aux
Cigognes. 1754 , avec privilege du Roi.
2 vol . in- 12.
A juger en général de cette nouvelle
traduction , elle paroît avoir le mérite de
la fidélité. C'eft le côté par où il faut apprécier
le travail de l'auteur , puifque c'eſt
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
particulierement le but qu'il a cru devoir
fe propofer dans l'exécution ; il a pris la
précaution de nous avertir qu'il n'a eu
d'autre deffein que de travailler pour de
jeunes écoliers de troifieme , d'humanité ,
ou tout au plus de rhétorique.
C'eft pourquoi il s'eft attaché à rendre
mot pour mot le fens de l'Orateur latin.
On peut dire que le traducteur qui avoue
s'être borné à cet unique foin , a rempli
fon objet . Il a joint à fa verfion françoile
quelques notes dans les endroits où elles
lui ont paru néceffaires.
TRAITÉ DE LA POESIE FRANÇOISE ,
par le Pere Mourgues , Jéfuite. Nouvelle
édition , revûe , corrigée & augmentée ,
avec plufieurs obfervations fur chaque efpece
de poëfie. A Paris , chez Jofeph Barbou
, rue S. Jacques , près la fontaine faint
Benoît , aux Cigognes . 1755 , avec approbation
& privilege du Roi . in- 12 .
Livres que le fieur Barbon , Libraire &
Imprimeur , rue S. Jacques , aux Cigognes,
vient de recevoir de Hollande.
Aufonius , cum notis interpretatione
J. B. Souchay , ad ufum Delphini , in- 4°.
Homeri Ilias & Odiffea Grac . 18. 2 vol.
Recentiores Poëta Latini & Graci feletti
MARS 1785. 77
quinque , curis Jofephi Oliveti collecti ac
editi ; editio auctior & emendatior , in- 8 ° .
Pervigilium Veneris , cum notis Jufti Lipfii
, & Aufonii cupido cruci adfixus . in- 8 ° .
Théologie des Infectes , traduit de l'Al-
· lemand de M. Leffer , avec des remarques
de M. P. Lyonnet , 2 vol. in- 8 °.
Les Euvres de Machiavel , nouvelle
édition , augmentée de l'Anti- Machiavel ,
in- 12 . 6 vol.
L'Efpion Turc dans les Cours des Princes
chrétiens , in- 12 . 7 vol.
Les OEuvres de Rabelais , in - 12 . 6 Volumes.
Sermons de Caillart , in- 1 2. 2 vol .
Rob. Stephani Thefaurus lingua latine ;
in-fol. 4 vol.
Nouvelles difficultés propofées par un
Péripateticien à l'auteur du Voyage du
monde de Descartes , in- 12 .
ESSAIS HISTORIQUES SUR PARIS , de M.
de Saint-Foix. Seconde partie. 1755 .
. Ce fecond volume ne dément point le
premier , il a & mérite la même réuffite ,
& fait attendre le troifiéme avec impatience.
On ne fe laffe point de voyager
dans Paris avec un auffi aimable guide. M.
de Saint-Foix nous inftruit toujours en
nous amufant ; les Graces conduifent fa .
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
plume dans tout ce qu'il écrit. Elles ne
font pas ingrates ; perfonne ne les a mieux
peintes , & perfonne n'en eft mieux fervi.
Son morceau fur les Templiers eſt ſi
bien traité qu'il doit faire defirer que l'aureur
veuille bien nous donner une hiftoire
en forme. Qui peut mieux l'écrire ! Il réu
nit toutes les qualités d'un bon hiftorien ;
l'amour de la vérité , le courage , & le
talent de la dire , le choix des recherches ,
l'art de les employer & de les fondre heureufement
enfemble. Il voit en philofophe
, il parle en citoyen , & il écrit en
homme du monde ; fon ftyle en confé
quence eft toujours élégant , noble , clair
& précis fes réflexions font courtes , fortent
du fujet fans effort , & fouvent font
renfermées dans un feul trait plein de
force ou d'un fel agréable. Deux exemples
tirés de la deuxième partie de fes effais en
feront la
preuve.
:
» Le Cardinal de Lorraine étant à la tête
» du Confeil ſous le regne de François
» II , fe trouva importuné du grand nom-
» bre d'Officiers eftropiés & de veuves
» d'Officiers tués , qui follicitoient à la
Cour quelques petites penfions pour vi
» vre : il fit publier à fon de trompe , pour
* Dans la Comédie des Graces.
MARS. 1755. 79
fe délivrer , difoit- il , de ces mendians ,
» que tous ceux qui étoient venus à Fon-
» tainebleau pour demander quelque cho-
» fe , euffent à fe retirer dans vingt- quatre
» heures , fous peine d'être pendus à un
gibet , qu'il fit dreffer devant le châ-
» teau. Il mourut dans fon lit.
ود
و ر
» Sous le regne de François I. le total
» des loyers de toutes les maifons de Pa-
» ris ne montoit qu'à la fomme de trois
» cens douze mille livres . Aujourd'hui
»les Carmes Déchauffés , indépendam-
»ment du vafte terrein qu'occupent leurs
jardins & leur Couvent , jouiffent de
» près de cent mille livres de rente en
loyers de maifons qu'ils ont fait bâtir
» dans cette rue & dans les rues adja-
» centes. Ils n'ont commencé à prendre
racine en France qu'en 1611 , par une
très-petite maifon que leur donna un
» bourgeois , nommé Nicolas Vivian. Il
faut leur rendre juftice ; les richeſſes ne
» les enorgueilliffent pas , ils continuent
toujours d'envoyer des Freres quêter dans
» les maifons .
??
33
Je citerai un troifiéme exemple qui
prouve la précifion de l'Auteur. Il peint
ainfi par un feul fait , en quatre lignes
la révolution arrivée dans les moeurs
pendant le cours de deux fiécles .
D iv
80 MERCURE DE FRANCE .
爨
» Près de la fontaine étoit la maifon
» de Henri de Marle , Chancelier de France
, maffacré en 1418 ; un Procureur
» au Châtelet qui acheta cette maiſon en
1663 , s'y trouvoit , dit Sauval , mal
» logé & trop à l'étroit .
Une qualité effentielle à l'hiftorien , &
que j'avois oubliée , c'eft l'exactitude : M.
de Saint- Foix la profeffe jufqu'au fcrupule.
Il cite toujours les fources où il puife ,
foit dans le corps de fon ouvrage , ou foit
à la marge , & ne s'approprie jamais ce
qu'un autre a dit : bonne foi rare aujourd'hui
dans un écrivain , & qui mérite d'èare
fuivie.
Ce volume eft terminé par des differtations
dont on devroit imiter auffi l'heureufe
briéveté ; on ennuiroit moins , &
l'on diroit plus en moins de mots : elles
ont pour objet les Gaulois & les Francs ,
le grand & petit Châtelet , l'Hôtel de ville
, & les palais de nos Rois . Je ne puis
mieux finir ce précis que par deux traits
remarquables que j'ai extrait de ces differtations
; le premier regarde Catherine de
Médicis , & l'autre intéreffe les Médecins.
Catherine , quatre jours avant le maffacre
de la Saint Barthelemi , donna aux
*De la rue Sale au Comte.
MAR S.. 1755 . 8i
Tuileries une fête qui en étoit l'avantcoureur
& comme le prélude. M. de
Saint- Foix , après l'avoir détaillée , ſe récrie
là deffus : Peut - on fans frémir
» d'horreur , penfer à une femme , qui
" imagine , compofe & prépare une fête
un ballet fur le maffacre qu'elle doit
» faire quatre jours après d'une partie de
» la nation où elle regne ! qui fourit à fes
» victimes , qui joue avec le carnage , qui
fait danfer l'amour & les nymphes fur
» les bords d'un fleuve de fang , & qui
» mêle les charmes de la mufique aux
gémiffemens de cent mille malheureux
qu'elle égorge ! » Quel tableau ! & quelle
و د
و ر
و د
force de coloris !
で» La belle Auftrigide obtint en mou-
» rant du Roi Gontrand fon mari , qu'il
» feroit tuer & enterrer avec elle les deux
» Médecins qui l'avoient foignée pendant
fa maladie. Ce font , je crois , les feuls
» qu'on ait inhumés dans les tombeaux des
33
Rois ; mais je ne doute pas que plufieurs
» autres n'ayent mérité le même honneur «.
On croyoit la plaifanterie ufée fur les Médecins
, mais M. de Saint- Foix nous fait
voir que Moliere n'a pas encore tout dit à
leur fujet.
FABLES DE LA FONTAINE , nouvelle édi-
D v
S2 MERCURE DE FRANCE.
dition , en quatre volumes in folio , ornée
de fleurons , de culs-de- lampe , accompa
gnée de 276 planches , & dédiée au Roi ,
propofée par foufcription . A Paris , chez
Defaint & Saillant , rue Saint Jean de Beau.
vais , & chez Durand , rue du Foin.
Le goût des arts & l'amour des lettres
ont produit cette magnifique édition ; elle
eft le fruit des veilles des plus fameux artif
tes , & l'ouvrage de l'attention & des recherches
, non feulement des gens de la
profeffion , mais encore de quelques amateurs
les plus diftingués par leurs connoiffances.
Pour en faire fentir le mérite , il fuffit de
dire que les eftampes font toutes d'après les
deffeins de M. Oudri , & qu'elles font gravées
par MM.. CCoocchhiinn , ou fous fes yeux ,
par les plus habiles artiſtes.
Le premier volume paroîtra au commencement
du mois de Mars 1755. Le
fecond au mois d'Août fuivant , le troi
féme au mois de Mars 1756 , & le quatriéme
& dernier volume dans le mois
d'Octobre de la même année .
On ne tirera qu'un petit nombre d'exemplaires
, & les foufcriptions ne feront
ouvertes que depuis le jour où le premier
volume fera délivré , jufqu'au dernier jour
de Juin 1755 , paffé lequel tems on ne ſera
plus reçu à fouferite.
MARS . 83
1755 .
Prix des foufcriptions en feuilles.
Enrecevant la fouf- ordinaire. raifin . papier. Papier
Grand Très-grand
cription & le 1. vol . 72 liv. 84 liv.
e 96
liv.
En recevant le 2 ° vol . 48 бо
72 .
En recevant le 3 vol . 48
54
60.
En recevant le 4 vol . 48
54
60.
PRIX TOTAL. 216 . 252 .
288.
Prix en feuilles après la foufcription fermée,
Chaque volume à 75 liv. 87 liv. 100
liv.
Prix total de chaque volume fur les trois differens
papiers.
300
liv.
348
liv.
400
liv .
AMALAZONTE , Tragédie repréfen
tée pour la premiere fois par les Comé
diens François le 30 Mai 1754 , & à
Fontainebleau le 12 Novembre de la même
année. A Paris , chez Jorry , Imprimeur-
Libraire , quai des Auguftins , aux
Cicognes. 1555.
Je ne ferai point l'extrait de cette tragédie
; on a dû le donner dans le tems
de fa nouveauté. Je me contenterai de
dire , à la louange de l'auteur , que fa préface
annonce un homme inftruit , & fa
piéce un verfificateur : talent plus rare au
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
jourd'hui qu'on ne penfe. Quelqu'un m'objecte
a peut être qu'on n'a jamais tant rimé
: je répondrai qu'il eft vrai qu'on n'a
jamais tant coufu de rimes enfemble , mais
qu'on n'a jamais fait moins de vers ; car,
felon moi , il n'y a que les vers bienfaits
'à qui l'on doive donner ce nom , & l'on
en voit éclorre peu de ceux- là.
ALMANACH. DES FINANCES pour
l'année 1755 , contenant fommairement la
nature & les principales particularités des
affaires de finance , les noms & demeures
des intéreffés , les bureaux , jours d'affemblée
, tribunaux où fe portent les conteftations
, & autres éclairciffemens à ce fujet
utiles & néceffaires à toutes fortes de
perfonnes. A Paris , chez Laurent Prault ,
Cour du Palais , à la fource des Sciences.
3755.
HISTOIRE DES LOIX & des Tribunaux
de Juftice de la Monarchie Françoife.
Par le P. Barre , Chanoine Régulier ,
Chancelier de l'Abbaye de Ste Geneviève
& de l'Univerfité de Paris. A Paris , de
l'Imprimerie de C. F. Simon , Imprimeur
de la Reine , rue des Mathurins. 1755.
Cette indication n'eſt que l'annonce d'un
Profpectus que l'auteur à donné de cet ou
a
MARS. 1755. 85
vrage. Après avoir dit que c'eft une hiftoire
générale de la Juſtice de France depuis
Clovis jufqu'à Louis XIV , il avertit
modeftement le public qu'elle eft encore
loin de fa perfection , quoiqu'elle foit déja
avancée . Il prie en même tems les Sçavans
de bonne volonté de l'aider de leurs lumieres
, pour achever heureufement fon
entreprife. Par les détails de fon projet , on
fent combien une pareille hiftoire fera utile;
& par le fuccès qu'ont eu * fes premiers
ouvrages , on doit bien augurer de
celui- ci .
PROSPECTUS DE L'EUROPE ILLUSTRE ,
ouvrage contenant les vies abrégées des
Souverains , des Princes , des Miniftres
des Généraux , des Magiftrats , des Prélats ,
des Sçavans , des Dames , & des Artiftes
qui fe font diftingués en Europe depuis le
quinzieme fiécle jufqu'à préfent ; huit volumes
. Par M. Dreux du Radier , Avocat
au Parlement , enrichi de portraits gravés
les foins du fieur Odieuvre , Marchand
d'Estampes.
par
Cette collection eft la plus étendue qu'on
ait encore vûe. Tous les hommes les plus
célebres s'y trouvent réunis ; les héros du
* L'hiftoire générale d'Allemagne , & la vie du
Maréchal Faber.
86 MERCURE DE FRANCE.
"
crime y tiennent auffi leur rang . L'hiſtoire
a fes Eroftrates , comme fes Titus , dit éloquemment
M. du Radier , & dans le Panthéon
on y voyoit la fiévre & la peſte
même avec Jupiter Olympien ; on n'a rien
à répondre à cette raifon .
Les huit cens portraits dont cette collection
eft actuellement compofée , font
dûs aux foins du fieur Odieuvre , ainsi que
le titre l'annonce . Il n'a rien oublié pour
fe procurer des originaux qui puffent le
guider dans fon travail ; il ne s'eft point
borné aux tableaux , aux médailles , aux
buftes , aux ftatues , il a eu recours aux
anciens tombeaux , & quelquefois même
aux anciens vitrages , rien ne l'a rebuté.
L'exemplaire complet fera compofé de
huit volumes , chaque volume de cent portraits
, avec autant d'éloges .
Les deux premiers volumes pourront
paroître à la fin de Novembre prochain ,
le troifieme & le quatrieme fix mois après,
& ainfi la fuite , enforte qu'on aura la collection
complette en 1757. On la trouvera
chez le fieur Odieuvre , rue des Poftes.
OBSERVATIONS SUR LES MALADIES
DES ARMÉES dans les camps & dans les garnifons
, avec un traité fur les fubftances
feptiques & anti-feptiques , lû à la Société
MARS 1755. 87
royale par M. Pringle , Docteur en Médecine
, Membre de la Société royale , & Médecin
général des armées du Roi pendant la
derniere guerre . Ouvrage traduit de l'Anglois
fur la feconde édition . A Paris , chez
Ganeau , Libraire , rue S. Severin , aux armes
de Dombes & à S. Louis . 1755. 2 vol.
in- 12.
Cet ouvrage réunit deux grands avantages
qui doivent le faire rechercher : la nouveauté
& l'utilité . L'auteur enrichit la Médecine
d'un livre qui lui manquoit , & dont
les Militaires doivent lui fçavoir gré . Il a
travaillé pour eux , & l'accueil qu'on lui
a fait à Londres lui promet les fuffrages de
Paris.
PETIT THRESOR DE LA BELLE LATINITÉ
, puiſé dans les meilleurs auteurs ;
ou Recueil de diverfes façons de parler de
la Langue Françoife , fuivies du tour latin
qui leur répond ; le tout par ordre alphabétique
,, pour aider les jeunes gens dans
les compofitions de François en Latin. Il
fe vend à Paris , chez Paul - Denis Brocas ,
rue S. Jacques . 1755. 1 vol. in- 12 .
L'approbation que plufieurs Profeffeurs
de l'Univerfité ont donnée à cet ouvrage ,
eft le témoignage le plus avantageux qui
doive répondre de fon utilité.
88 MERCURE DE FRANCE.
PHARMACO PEA MILITARIS in
Bavaria Nofocomiis ufitata ; per J. A. de
Woltter. S. R. J. Eq. S. E. B. Conf. & Proto-
Medicum. Parifiis , apud Briaffon , viâ
Jacobaâ , fub figno Scientia. 1754. I. vel.
in- 12 . exigua molis.
Je remers les extraits ou les indications
des autres livres nouveaux au Mercure
d'Avril , cet article fe trouvant rempli .
L'On n'exige dans aucune des Académies
de province des difcours d'apparat
& fur-tout de la part des afföciés étangers ,
qui ne pourroient jouir de l'avantage d'être
applaudis : ceux qui y font nommés
fe contentent , conformément à l'ufage , de
faire un remerciment épiſtolaire , qui annonce
plus fouvent la protection que le
talent. Il n'en eft pas de même d'une lettre
dont le hazard m'a procuré la copie ,
& qui paroît avoir été écrite par un des
premiers Commis de la Cour , affocié nouvellement
à l'Académie d'Angers.
Comme il n'eft point de ceux qui s'attribuent
une gloire dont ils font redevables
à leurs fupérieurs , & que fon remerciment
eft dicté par la modeftie , je l'infere
ici pour fervir d'exemple.
MARS. 1755. 89
LETTRE de remerciment au Secrétaire de
l'Académie d'Angers , par M. ***
MONSIEUR ,
Lorfque j'eus l'honneur de vous fupplier
ici de vouloir bien me faire part des
opérations de l'Académie d'Angers , je demandois
uniquement d'être éclairé , & je
n'ofois afpirer à la gloire d'y être affocié.
Celle que j'ai d'être des Académies de
Rouen , de Montauban & d'Amiens , ne
devoit pas déterminer Meffieurs les Académiciens
d'Angers en ma faveur , puifque
dans ces trois Académies je ne fuis
connu que comme amateur des Belles - Lettres
, des Sciences & des Beaux- Arts . Ce
n'eft donc , Monfieur , que l'éloge que vous
avez bien voulu faire de moi qui m'a valu
l'avantage de cette affociation . Je devrois
en ce cas prendre le ton & le langage de
la reconnoiffance ; mais je vous prie d'obferver
que les faveurs les plus diftinguées
font prefque toujours les plus grands ingrats.
J'ofe donc vous reprocher d'avoir
dit trop de bien de moi , & de m'avoir humilié
en voulant trop m'élever ; car je me
rends juftice , je fens que je n'ai pas tout
le mérite néceffaire pour être admis dans
une Académie auffi fçavante que celle
go MERCURE DE FRANCE .
d'Angers. Les Académies qui ont bien
voulu m'adopter , ont eu des raifons qui
m'honorent beaucoup , mais qui ne flattent
pas affez mon amour propre . Il est fort
trifte d'occuper des places auffi honorables
, & de n'avoir pas le tems de montrer
à fes illuftres confreres que que l'on peut mériter
par quelque endroit l'honneur d'être
affis , ou d'être en relation avec eux. Je
vous fupplie de remercier de ma part
tous ces Meffieurs , dont j'ambitionne l'eftime
& l'amitié. Je ferois bien glorieux fi
je pouvois acquerir ces fentimens de leur
part , & je ne puis cependant y parvenir
qu'en prouvant par quelque ouvrage que
je n'en fuis pas tout- à- fait indigne ; mais les
opérations de nos bureaux font fi fréquentes
& fi rapides , que nous ne pouvons
connoître d'autre Académie que celle qui
fe tient dans le cabinet de notre Miniftre ,
qui juge , qui apprécie nos ouvrages , &
qu'il n'approuve qu'autant qu'ils font conformes
aux volontés du Roi , dont il ſçait
clairement nous annoncer les oracles , &
qu'il dicte très -fouvent lui -même. Nous ne
brillons que par les lumieres de nos fupérieurs
; mais je ferois bien flatté d'être à
portée de profiter de celles de l'Académie
où je pourrois être éclairé dans les Arts ,
dans les Sciences & dans les Belles Lettres .
Σ
MARS. 1755. or
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES LETTRES.
(
HISTOIRE.
REPONSE du fieur Vojeu de Brunem
aux obfervations du P. Laugier , fur la
nouvelle Hiftoire de la conquête de la
Chine.
NE fage critique ne peut qu'être
tions , & mérite à ce prix un accueil gracieux
de la part des gens de Lettres. Les
obfervations du P. Laugier , inférées dans
le Mercure de France (a ) , font- elles bien
marquées à ce coin de fageffe , qui rend
précieufe la cenfure des vrais fçavans , &
dont un homme de fon état ne s'écarta jamais
fans nuire à coup fûr à la réputation ?
c'eft au public d'en juger : je me préfente
avec confiance à fon tribunal , & j'attends
en paix fa décifion .
Dans la nouvelle hiftoire de la conquête
( a ) Janvier, pag. 147.
92 MERCURE DE FRANCE .
de la Chine , il eft dit que la nation des
Tartares Mancheoux étoit peu connue à la
fin du feizieme fiécle ; que le Prince Taitfong
, le premier des Rois Mancheoux qui
ait pris le titre d'Empereur des Chinois ,
mourut fans laiffer aucun fils qui lui fuccedât
; que la conquête enfin de ce vaſte
empire n'eut proprement lieu que huit ans
après la mort de ce Monarque , à l'occafion
des fuccès du rebelle Lyftching. Or
le P. Laugier emploie environ une vingtaine
de pages d'écriture à combattre vivement
ces trois points . Le défaut de vraifemblance
dans le récit de ce grand événement
eft la premiere raifon qu'il fait valoir
, & cette raifon devient péremptoire ,
felon lui , appuyée de l'autorité du P. Duhalde.
Direz- vous à l'obfervateur que le P. Dahalde
n'a pas été à portée de puifer dans
les fources ? qu'il n'a point lû les auteurs
originaux , Chinois & Tartares ? que fa
magnifique defcription de la Chine , excellente
à bien des égards , n'eft au fond
qu'une compilation des divers mémoires
qui lui étoient envoyés à Paris par fes
confreres de Pekin , où , fans miracle , il
peut s'être gliffé plus d'une erreur ? que la
partie hiftorique fur-tout de ce bel ouvrage
y eft traitée affez légerement , vû la
MARS. 1755.
93
prodigieufe étendue des annales chinoifes?
prierez-vous ce nouveau défenfeur de l'infaillibilité
du P. Duhalde , d'accorder au
moins quelque audience au P. de Mailla ,
célebre Miffionnaire de la Société , qui a
vécu plus de quarante- cinq ans à la Chine
dans l'enceinte du Palais impérial , ou dans
des voyages entrepris par ordre de l'Empereur
exhorterez-vous enfin ce redoutable
juge d'un manufcrit qu'il n'a jamais
lu , à vouloir au moins le parcourir une
fois fans paffion & fans préjugé ? Sa réponfe
eft toute prête & finguliere s'il en fut
jamais la voici. ( b ) Le peu de méthode qui
regne dans fon manufcrit ne nous invitegueres
à le croire. Et d'où fçait-il qu'il manque
de méthode ? on avoue que le ftyle
en eft fort négligé , & l'élocution peu correcte
; mais la méthode y eft à peu - près
telle qu'on a droit de l'attendre .
:
Le P. Obfervateur continue ainfi l'avis
qu'il nous donne fur l'auteur du manuf
crit : ( c ) Le jugement qu'il eft naturel d'en
-porter ( fans avoir lû fon ouvrage , capable
de former plufieurs volumes in - folio )
·le met au rang de ces efprits indulgens , qui
par un excès de bonne foi ne sçauroient avoir
ni certains fcrupules fur la certitude de leurs
(b ) Obferv. pag. 162 .
(c ) Obferv. ibid. & p. 163 , &c .
94 MERCURE DE FRANCE.
garans , ni de grandes attentions dans leurs
recherches , ni beaucoup de délicateffe fur les
preuves d'où notre critique conclut ( d )
qu'il réfulte au moins un doute bien fonde
contre l'exactitude de l'hiftoire manufcrite
qu'on vient d'imprimer à Lyon.
Je laiffe à qui le voudra le foin d'examiner
à loifir fi le P. Laugier mérite ou
non d'être mis au rang des efprits indulgens
, & s'il peche ici par un excès de bonne
foi. Mon deffein eft uniquement de
faire fentir au lecteur combien ce critique
eft lui-même peu fcrupuleux fur fes garans
, peu attentif dans fes recherches , peu
délicat fur fes preuves ; d'où réfulte néceffairement
une forte d'évidence de la frivolité
de fes remarques , tant fur la nouvelle
hiftoire imprimée à Lyon , que fur le
manufcrit dont cette hiftoire eft extraite
comme une centieme partie de fon tout.
Venons au fait.
Une des plus confidérables obfervations
du P. Laugier a pour objet la foibleffe &
l'obfcurité qu'on attribue au peuple Mancheoux
fur la fin du feizieme fiècle . Comment
croire ici le P. de Mailla , s'il réfulte
des faftes du P. Duhalde que les Tartares
ont toujours été plufieurs fiécles , même
( d ) Obfery, pag. 164 .
MARS. $755.
95
avant Jefus-Chrift , autant d'ennemis irréconciliables
des Chinois ? que les Mancheoux
ne font réellement que les Tartares
orientaux , & que ces orientaux , au
commencement du dixieme fiécle ( e ) enrent
la gloire de contraindre un Empereur
à leur céder plufieurs villes & à leur payer
tribut ?
L'objection , j'en conviens , paroîtra
forte à ceux qui n'ont jamais lu , ou qui
n'ont fait que parcourir légerement les faftes
du P. Duhalde , & l'Obſervateur eft
apparemment de ce nombre : mais une
lecture férieufe de ces faftes àuroit appris
au P. Laugier à mieux diftinguer les différentes
nations Tartares , & à ne pas confondre
les nouveaux Mancheoux avec les
anciens , appellés Kins , dont l'empire en
effet fut très- étendu . Il auroit vû de plus
que fur la fin du treizieme fiécle , non feulement
la domination de ces Kins fut ,
comme il le dit (f) , entierement abolie à la
Chine , mais qu'ils furent eux-mêmes prefque
tous exterminés ( par les Mongoux ) : ce
font les termes du P. Duhalde . (g ) Or , en
fuppofantmême comme certain que les nouveaux
Mancheoux defcendoient des Kins ,
( e ) Obferv. pag. 153 .
(f) Obferv. pag. 155 .
(g ) Duhalde , t . 1. pag. 491 ; t . 3. p. 62.5
96 MERCURE DE FRANCE.
ce qui paroît au moins douteux au P. de
Mailla , n'eft- il pas évident qu'une nation
presque toute exterminée vers la fin du treizieme
fiécle , ne pouvoit être un peuple
confidérable au feizieme ? Voilà donc le
P. de Mailla juftifié en ce point par le P.
Duhalde , & , fi je ne me trompe , le critique
confondu par fon oracle même .
Autre preuve fenfible des recherches du
P. Laugier , & de fes connoiffances en fait
d'hiftoire. Il ne peut fe perfuader qu'un
peuple , encore foible & méprifé des Chinois
au feizieme fiécle , ait pu ſe révolter
avec fuccès & faire des conquêtes au fiécle
fuivant. Non , dit le fçavant Obſervateur ,
les hiftoires anciennes & modernes ne nous
apprennent rien qui puiffe accréditer la réalité
d'un pareil foulevement. ( h ) Eft- ce bien en
France ou chez les Hurons qu'on ofe avancer
une auffi étrange propofition ? Que
l'hiftoire ancienne & moderne n'ait rien
appris de pareil au P. Laugier , je veux l'en
croire : mais nos jeunes gens , à peine fortis
du Collége , ignorent - ils le fond du
charmant récit que fait Hérodote du fou-
- levement & des rapides progrès des Perfes
? Cette nation peu connue avant Cyrus ,
ne vint-elle pas à bout , fous la conduite
( b ) Obferv. pag. 150,
de
MARS. 1755. 97
de ce héros , de vaincre les Médes , & de
conquérir leur vaîte Empire ? Les moins
verſés dans l'hiſtoire n'ont- ils pas quelque
idée de l'expédition des Cymbres , qui for
tirent tout-à- coup du Jutland , inonderent
la Germanie & les Gaules , & firent trembler
l'Italie ? Ils n'étoient pas feuls , direz
-vous , ils fe liguerent avec les Teutons.
Mais les Mancheoux firent de même
; ils s'affocierent les Mongoux , anciens
conquérans de la Chine. J'avoue que les
Cymbres furent arrêtés dans leur courfe.
Pourquoi ? parce qu'ils eurent en tête des
Romains , & que les Mancheoux à la Chine
ne furent aux prifes qu'avec des Chinois.
Le P. Laugier lui-même peut- il ne
pas fçavoir ce qu'entreprit Mahomet au
feptiéme fiécle , avec une poignée d'Arabes
, & jufqu'où les premiers Califes , fes
fucceffeurs , étendirent leur domination.
A-t-il oublié ce qui de nos jours eft arrivé
en Perfe , la conquête de cet Empire par
la nation des Aghvans ?
»
Cependant , pourfuit l'élégant Obfer-
» vateur ( i ) , je conviens que la chofe
» n'eft pas phyfiquement impoffible , &
» que fi l'on s'en tenoit toujours à la vraifemblance
, on feroit en danger de re
(i ) Obferv, pag. 150.
E
S MERCURE DE FRANCE.
jetter plus d'une vérité. Mais dès que je
vois la chofe racontée très- différemment
» par un autre auteur , je ne fçaurois fouf
» crire aveuglément à un témoignage qui ,
quoique poftérieur, n'a certainement rien
qui doive lui faire adjuger la préférence.
"
23
Les exemples qu'on vient d'indiquer &
bien d'autres auffi remarquables dans l'hiftoire
ancienne & moderne , prouvent évidemment
que le moral de la chofe va ici
de pair avec le phyfique , c'eſt-à- dire qu'il
n'eft point moralement impoffible qu'une
nation traitée avec mépris par le peuple
dominant , fe fouleve tout-à-coup , & fubjugue
à la fin fes anciens maîtres . Refte à
prononcer fur le fait particulier dont il s'agit
, après avoir pefé dans la balance d'une
critique exemte de paffion les deux autorités
du P. de Mailla & du P. Duhalde. Or , foit
dit encore une fois , il paroît que celle du
premier l'emporte fur l'autre : celui - là
ayant compofé fon hiſtoire chinoiſe fur les
lieux , ayant mis plus de vingt ans à per
fectionner fon ouvrage, ayant lû , analyfé,
confronté les auteurs originaux dans lear
propre langue , fans parler de la facilité
qu'il avoit de fe redreffer en cas de méprife
, par l'examen refléchi qu'il a fait des
quatre volumes du P. Duhalde , fur lefquels
il dit fon fentiment.
M AR S. 1755 99 .
La préfomption deviendra encore plus
forte en faveur du P. de Mailla , fi on veut
bien faire attention à ce qu'il écrit aux fupérieurs
de la province de Lyon & à fes
amis. J'ai ces lettres actuellement fous mes
yeux , & j'y vois qu'un des grands motifs
de ce laborieux Jéfuite dans la compofi
tion de fon hiftoire , fut de communiquer
aux nouveaux Miffionnaires de fa Compa
gnie une vraie érudition chinoife , rien
n'étant plus propre , felon lui , à furprendre
agréablement les Mandarins que de
paroître au fait des différentes révolutions
de l'Empire , & de montrer à propos qu'on
connoît les grands hommes des deux nations
chinoife & tartare. Il eft donc bien
à préfumer que le P. de Mailla mit tous
fes foins à ne rien inférer dans fon ouvrage
qui pût être raisonnablement contefté.
Jugeons- en par l'impreffion que feroit
fur nos François une érudition foible
ou mal digérée fur les antiquités de notre
Monarchie , fur nos Rois & nos héros.
Réuniffons ces circonftances : n'en ré
fulte-t-il pas que l'autorité du P. de Mailla
doit être naturellement préférée à celle du
P. Duhalde , par-tout où l'on voit quelque
différence dans la narration de ces
deux auteurs ? Le P. Laugier néanmoins
interdit à qui que ce foit cette préférence
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
& il l'interdit en maître. Franchement
peut il fe promettre qu'on lui obéira fans
murmurer ?
Murmure injufte , dira- t -on , fi malgré
le long féjour de votre Pere de Mailla å la
Chine , malgré fon application conftante
& toute la bonne volonté que vous lui
fuppofez , ce Miffionnaire fut tel à peuprès
que nous l'a dépeint le Pere Obfervateur
, c'est-à-dire un écrivain indulgent
à l'excès , & ce qu'on appelle en France
un bon homme. C'eft très - bien dit : mais fi
ce portrait eft de pure imagination , que
doit- on penfer du peintre ou du deffinateur
qui l'a croqué ?
Je m'adreffe ici au public , en prenant
la liberté de lui demander s'il eft avantageux
au progrès des connoiffances humaines
, conforme aux loix de l'humanité
& de l'honneur , de deshonorer à fon gré
un auteur illuſtre , également diftingué
par fa naiffance & par les travaux , par fon
caractere & par fes vertus ? de décrier fon
ouvrage fans l'avoir lû , ouvrage intéref
fant pour toute l'Europe , & unique dans
nos climats de jetter une affez forte couche
de ridicule fur les poffeffeurs de fon
manufcrit , gens de lettres par état , & , ffi
on ofe le dire , un peu connoiffeurs , qui
depuis bien des années ne ceffent de mon
?
MARS. :* 1755. 701
trer aux fçavans cette production chinoife ,
comme un des précieux ornemens de leur
magnifique bibliothèque ?
Car enfin , pour revenir à la critique du
P. Laugier , fur quoi eft fondé , je vous
prie , ce terrible arrêt de profcription dont
on appelle ? Qu'on parcoure exactement
les dix-fept pages inférées dans le Mercure
de Janvier , on n'y trouvera aucun grief
folidement établi ; on y entaffe périodes
fur périodes : on y prône le P. Duhalde ,
on y cenfure le P. de Mailla , on y déclame,
& puis c'est tout.
Mais fuis - je moi-même bien en garde
contre l'air de déclamation que je reproche
à l'Obfervateur ? Si fa critique eft des
plus frivoles , ma réponſe l'eft-elle moins ?
Le Lecteur eft ici mon juge , je le fupplie
de m'honorer encore un moment de fon
attention .
Pour déprimer le P. de Mailla , mis en
parallele avec le P. Duhalde , notre critique
affure que ce dernier forma fa defcription
de la Chine fur des mémoires recueillis
avec toutes fortes de foins par les plus
accrédités & les plus capables des Miffionnaires
Chinois. ( k ) Le fait eft certain ; mais
file P. Obfervateur avoit feulement ouvert
( k ) Obferv. p. 163.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
le premier volume du P. Duhalde , il auroit
vû le nom du P. de Mailla dans la lifte
de ces Miffionnaires les plus accrédités ¿
les plus capables . Ce n'étoit donc pas un
homme fans conféquence , au jugement
du P. Duhalde , cru infaillible par le Pere
Laugier.
J'ajoûterai que le même P. Duhalde ,
fçavant & modefte , & par là vrai fçavant ,
étoit auffi éloigné de s'attribuer quelque
forte d'infaillibilité que de manquer de
confidération à l'égard du P. de Mailla.
Ecoutons - le dans l'extrait que voici d'une
de fes lettres aux PP . Regis & de Mailla ,
datée de Paris le 7 Octobre 1736. » Quoi-
» que j'aie pris toutes les précautions ima
ginables pour ne rien avancer que d'exac-
» tement vrai , fi par la lecture de l'ouvrage,
vous trouvez que je fois tombé
dans quelques méprifes , vous m'obli-
» gerez de me le faire connoître , & je me
» ferai un plaifir d'en inftruire le public ,
» en fuivant vos , corrections , ce qui de-
و ر
viendra une nouvelle preuve de mon
» exactitude. Depuis quinze mois que cette
hiftoire paroît , on me demande déja s'il
» ne m'eft pas venu affez de mémoires
» pour faire un fupplément. Si vous & nos
»autres RR. Peres avez des écrits fur les
» matieres que j'ai traitées , ou fur d'autres
MARS. 1755. 103
» concernant la Chine & la Tartarie , qui
donnent de nouvelles connoiffances , &
» que vous vouliez bien m'en faire part ,
» je ferai ce fupplément . J'y pourrai mettre
la nouvelle carte de la Tartarie , fi
vous jugez à propos de la faire , & j'y
joindrai les raifons qu'on a eues de la
» donner de nouveau , que je tirerai des
» obfervations du P. de Mailla & de celles
>>
que vous m'enverrez. Je fuis avec bien
» du refpect , &c. Duhalde , Jéfuite. Je
laiffe à l'Obfervateur le foin de commenter
intérieurement la fin de cette lettre , &
je paffe à un autre garant bien für du génie
& de la fagacité du P. de Mailla : c'eft
le grand Kang- hi .
Lorfqu'en 1711 ce Monarque ( le Louis
le Grand des Chinois ) eut formé le deffein
de faire lever une carte exacte de fes
Etats , quatre des plus belles & des plus
riches provinces de l'Empire , avec la fameufe
ifle de Formofe , furent affignées aux
Peres Regis , de Mailla & Hinderer ; ils
s'acquitterent en habiles gens de cette importante
commiffion ( 1 ) , & l'Empereur
fut pleinement fatisfait. Ce Prince étoit
donc bien éloigné des fentimens du Pere
Laugier au fujet du P. de Mailla.
(1)Lettres édifiantes , vol . 14.
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE.
"
Au fuffrage de l'immortel Kang-hi joignons
celui d'un des Miffionnaires que je
viens de nommer , le fçavant P. Regis,
qui a eu tant de part à la collection du P.
Duhalde. J'ouvre le premier porte-feuille
du manufcrit odieux à l'Obfervateur , &
j'y lis l'atteftation fuivante , écrite & fignée
de la propre main du P. Regis. J'ai lu
» avec foin le manufcrit intitulé : Hiftoire
» générale de la Chine. Cet ouvrage tra
duit du texte chinois des annales , con-
» fronté avec les verfions tartares , faites
» par ordre du dernier Empereur , contient
» non feulement les révolutions arrivées
» au- dedans de l'Empire , & les guerres
» qu'il a eues à foutenir avec les Royaumes
» voiſins , mais encore les maximes de politique
qui ont toujours été les principes
du gouvernement de cette Monarchie.
Il renferme de plus l'ancien livre
» Chou-king , dont on fouhaitoit la tra-
» duction , & le Tchun - tfiou , écrit par
» Confucius , pour l'inftruction des Prin-
» ces : de forte qu'on a dans ce feul ou
vrage prefque tout ce qu'on pouvoit fouhaiter
de fçavoir fur ce vafte Empire :
ainfi je le juge digne de l'attention du
public. Fait à Peking , ce 2 Juin 1727 .
J. Bapt . Regis , de la Compagnie de Je-
» fus.
MARS. 1755. 105
Feu M. Freret , Secrétaire perpétuel de
l'Académie royale des Belles- Lettres , fut
de l'aveu de fes illuftres confreres , & , ce
qui revient au même , de l'aveu de tous
les fçavans , un de ces critiques confommés
qui font honneur à leur fiécle. Jufte appréciateur
des ouvrages qui lui tomboient
fous la main , il en découvroit bientôt le
fort & le foible ; j'ofe même dire que fon
caractere franc & loyal ne lui permit jamais
de diffimuler fes fentimens , quand
l'intérêt des lettres ou quelqu'autre pareil
devoir exigeoit de lui qu'il les fit connoître.
Sa politeffe , à la vérité , étoit extrême
: c'est l'efprit dominant de fa compagnie
; mais un beau génie , un coeur
droit , un fçavant du premier ordre fçut
toujours allier l'amour du vrai avec les
regles de la politeffe la plus exacte.
Or deux lettres de ce célébre Académieien
, que je fuis en état de produire ent
original , font foi des démarches qu'il fai
foit actuellement , par lui - même ou par fes
amis , auprès de M. le Duc d'Antin , pour
procurer l'honneur de l'impreffion royale
à l'hiftoire du P. de Mailla. Voici fes propres
termes dans la lettre du 29 Août
1735 , adreffée au P. Morand , Prefet des
hautes études du Collège de Lyon. » Je
me préparois à yous renvoyer le manuf
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
» crit du P. de Mailla , après en avoir tiré
» un extrait ( de la préface ) . J'y ai trouvé
», une notice excellente des différentes hif-
» toires générales de la Chine . Quoique
» j'euſſe déja connoiffance d'une partie de
» ces chofes , j'y ai trouvé un détail qui
» m'a fait un très-grand plaifir. Je vois
par la lettre de M. le Prévôt des Marchands
( Camille Perrichon , Confeiller
» d'Etat , nom à jamais immortel dans le
» coeur des Lyonnois ) , que le fieur de
» Tournes paroît avoir deffein de fe char-
» ger de l'impreffion de cet ouvrage. Ce
fera un grand avantage que la chofe fe
» faffe fous vos yeux ; mais à l'égard des
» cartes & des figures , je crois qu'il fau
droit les faire graver ici , & je me chargerois
de conduire l'ouvrage , & de choi
» fir les Graveurs ... . La publication de
» cette hiftoire autentique devroit cepen-
" dant être revêtue ici d'une autorité
» femblable à celle avec laquelle elle a
paru à la Chine par les ordres de Kang-
» hi ..... C'eft une difficulté qui n'eſt pas
»infurmontable , fi l'on pouvoit infpirer
cette envie à la Cour , au Cardinal de
» Fleuri , au Garde des Sceaux , & c. «
En parlant du Profpectus qu'il vouloit faire
lui-même , il dit ; je crois , fauf meilleur
» avis , qu'il feroit à propos de le mettre
»
"
MAR S. 1755. 107
» dans le Mercure de France : cet ouvrage
» va par-tout , & tout le monde le lit ; ce
» n'eft plus le Mercure galant d'autrefois .
La 2 lettre du 23 Novembre témoigne
le même empreffement pour faire honneur
au P. de Mailla . On y voit auſſi un
trait remarquable de la critique exacte &
févere de M. Freret. » J'ai écrit au R. P.
» de Mailla pour le remercier la diffi-
» culté que je propofois au fujet de la maniere
dont il parle de la chronologie ,
» ne tombe pas fur le fond même de cette
chronologie ; mais la certitude parfaite
qu'il femble lui attribuer , fans parler
» des controverfes qui font parmi les fça-
» vans Chinois , au fujet des tems anté-
» rieurs au huitiéme fiècle avant J. C.
"
Quoique le tribunal ait pris un parti ,
» qui eft celui que fuit le texte traduit par
» le R. P. de Mailla , il y a de grandes va-
» riétés là- deflus , & je voudrois que le
» R. P. de Mailla l'eût fait fentir.
Ne pourrois je pas ajouter ici un affez
bon nombre d'autres fuffrages favorables à
l'hiftoire du P. de Mailla ? 1 °. Les termes
dont fe fervit , il y a environ dix ans , un
grand Miniftre qui paffoit à Lyon , & à
qui j'eus l'honneur de préfenter le manuf
crit en queftion : Je connois cet ouvrage ,
me dit- il avec bonté , ilfaut penfer férieuseÉ
vj
108 MERCURE DE FRANCE.
ment à le donner au public : mais prenez -J
garde , l'écriture paroit s'effacer en quelques
endroits ; ayez foin d'enfaire tirer une copie.
2 °. L'eitime finguliere qu'en faifoit ,
après l'avoir lu en partie , un de nos anciens
Prévôts des Marchands *, fils & pere
de Prévôt des Marchands , d'un vafte fçavoir
& d'un goût exquis , auffi habile Académicien
que Magiftrat refpectable à tous
égards , qui n'a ceflé de cultiver les lettres
& de nous édifier par fes vertus
qu'en ceffant de vivre.
de Paris
3 ° . Les lettres que j'ai reçues
depuis la publication des deux petits volumes
de la conquête de la Chine , qui
toutes m'exhortent vivement à travailler
fur le manufcrit du P. de Mailla , ainfi
que fur l'accord de chronologie du P. Regis.
Parmi ces lettres il en eft une fur- tout
d'un fçavant Académicien à qui j'étois abfolument
inconnu . Il m'affure prendre
beaucoup d'intérêt à la grande hiftoire de
Ja Chine déposée au Collège de Lyon , &
veut bien m'encourager à en pourfuivre l'édition
, finon en gros , du moins en détail .
Les traits obligeans dont il m'honore font
moins flateurs mei pour que les offres qu'il
me fait de fon fecours. Tout le contenu
Feu M. le Préfident Dugas.
MAR S. 1755. 109
de fa lettre eft une expreffion vive de la
bonté de fon coeur , & de ce zéle ardent
pour le progrès des lettres qui l'anime ,
lui & fes illuftres collégues ; auffi ne doutai
-je pas qu'en profitant des lumieres de
ces Meffieurs , je ne puffe rendre mes extraits
du P. de Mailla propres à mériter
l'attention du public.
Au reste , les lettres qu'on a rapportées
ou indiquées dans cette réponſe , peuvent
fe voir aisément dans la bibliotheque du
grand College de Lyon.
LETTRE DE M. LE P. H.
A M. L'A B BE' V.
LE
E nom que vous vous faites dans les Lettres
, Monfieur , plus encore que le re
merciment que je vous dois de l'extrême politeffe
que vous me marquez dans votre ouvrage
, mérite bien que je me défende fur un article
où nous penfons tous deux differemment ,
c'est la Régale *. Si ma nouvelle édition n'étoit
pas trop avancée , j'y aurois inferé cente
réponse ; pour y fuppléer , je vous l'adreſſe à
vous-même,, & je me fais l'honneur d'en
prendre le public pour témoin : j'efpere que
* Je prie ceux qui liront cette réponſe, de jetter
les yeuxfur ce que j'ai écrit à l'année 511 .
110 MERCURE DE FRANCE.
cela me vaudra quelque nouvelle obfervation
de votre part , & ce genre de combat littéraire
, quand les armes font en des mains
auffi polies que les vôtres , fert merveillenfement
à éclaircir la vérité . Nous femmes d'ailleurs
tropfouvent d'accord fur des faits auſſi
curieux qu'importans , pour que l'on doive
êtrefurpris fi nous différons quelquefois.
M. l'Abbé Velly prétend que l'on ne
doit chercher l'origine de la Régale que
dans le droit féodal ; & moi , je crois qu'elle
eft antérieure aux fiefs : les fiefs , fuivant
moi , tels que nous les connoiffons aujourd'hui
, n'ont commencé qu'avec l'ufurpation
des fujers , vers le regne de Charles
le Simple . La Régale , auffi ancienne que la
couronne , eft donc plus ancienne que les
fiefs , dont elle ne vient pas . Pinfon , dans
fon traité de la Régale , la compare au Nil ,
dont la fource eft inconnue. Celle des fiefs
l'eft-elle ? Les Gens du Roi , dans un difcours
du 24 Juillet 1633 , difent que la
Régale eft auffi ancienne que la Couronne :
peut-on en dire autant des fiefs ? les Francs
les ont- ils apportés , ou les ont-ils trouvés
dans les Gaules ? Les feuls Rois de Francè
ont le droit de Régale , & les fiefs font de
tous les pays : les fiefs n'ont donc pas produit
la Régale ? Les fiefs , dit M. l'Abbé
Velly,fe nommoient Regalia , dont ils ont,
MARS 1755 : III
moi je
felon lui , donné ce nom à la Régale ; &
dis que les fiefs ont pris en France
le nom de Regalia , qui n'appartenoit alors
qu'à la Régale , parce que la Régale eſt le
plus noble droit de la Couronne . C'étoit
bien ainfi que s'exprimoit Philippe de Valois
en 1334. La collation des prében-
» des en régale nous appartient , à cauſe
» de la nobleffe de la Couronne de Fran-
» ce « . Enfin , & c'eſt là la grande objection
, j'ai dit que les vrais principes de la
Régale fe trouvoient dans le concile d'Orléans
( canon VII . ) , car je n'ai pas dit
que le canon d'Orléans foit le titre qui ait
conféré la Régale à nos Rois , à Dieu ne
plaife : c'eût été faire dépendre ce droit
d'une autorité dont il ne dépend pas . Mais
je dis qu'à la maniere dont les Evêques
reconnoiffent dans ce Concile que l'Eglife
poffède les biens temporels , qui n'eft
qu'un fimple ufufruit , iis caractériſent la
nature de ces biens , qui ne font que viagers
, de même qu'ils reconnoiffent le droit
de celui qui les confere , & qui par la
force de la dureté les réunit à chaque vacance
, ce qui n'eft autre chofe que la Ré
gale : auffi les Juges laïcs en font ils feuls
les juges. Baronius avoit bien fenti la force
de ce canon , puifqu'il ne trouve d'autre
moyen de l'éluder qu'en le changeant , &
112 MERCURE DE FRANCE.
ود
qu'au lieu de lire quicquid in fructibus , il a
écrit quicquid in faventibus : ce qui donne
une nouvelle force au véritable texte . Mais
enfin , dit M. l'Abbé Velly , il y avoit des
Eglifes qui ne vaquoient point en Régale :
quelle en peut être la raiſon , finon que
ces Eglifes ne tenoient aucun fief du Roi ?
Voici la réponſe par où je termine cet article.
Les Gens du Roi , dans leur avis au
Parlement , figné Mollé , en 1633 , que j'ai
déja cité , difent » qu'il doit être tenu
» pour conftant que la Régale eft univer-
» felle , & a lieu dans toutes les Eglifes
du royaume , comme étant un droit non
feulement inhérent à la perfonne facrée
de nos Rois , mais aufli uni & incorporé
à la Couronne , né & établi avec
» elle «. C'eſt ce qu'on trouve encore dans
le fameux plaidoyer, de Jerôme Bignon ,
de 1638. Aucun cas d'exemption n'eſt donc
prévu , aucune Eglife n'en eft exceptée.
Celles qui prétendent cette exception ne la
peuvent donc jamais prétendre par la nature
des biens qu'elles poffèdent , mais feulement
par des conceffions particulieres ,
qui n'étant que des exceptions , confirment
la regle. Pour achever de fe convaincre ,
il n'y a qu'à lire la troifiéme partie du livre
III. du Traité de l'origine de la Régale , par
M. Audoul. Cet ouvrage parut en 1708
MARS. 1755. 113
fous les yeux de M. Dagueffeau , auquel
ce célebre Avocat étoit attaché ; & voici
l'extrait de l'approbation donnée par M.-
Ifali , cet oracle du barreau. » M. Audoul
» a fait voir que ce droit éminent de la
» Régale tire fa fource du canon VII . du
» concile I. d'Orléans , ce qu'il a prouvé
"par des faits fi certains , & par de fi bons
» principes , qu'il n'eft pas poffible d'y ré-
» fifter . Voilà d'après qui j'ai écrit .
Il refulte de ce qui vient d'être dit , que
nous différons , M. l'Abbé Velly & moi ,
non feulement fur la Régale , mais même
fur l'origine des fiefs , puifque les fiefs
fuivant moi , tels qu'ils font ajourd'hui ,
ne remontent pas plus haut que le tems
de Charles le Simple , & que la Régale étant
auffi ancienne que la monarchie , j'ai eu
raifon de conclure que la Régale ne pouvoit
pas venir des fiefs . Mais cette preuve ,
qui eft fans replique fuivant mes principes
, ne fatisfera point M. l'Abbé V. puifqu'il
fait commencer les fiefs avec la monarchie
; auffi n'eft- ce qu'une des preuves
que j'ai alléguées : refte donc la queftion
de l'ancienneté des fiefs , & on fent dans
quelle difcuffion cela nous entraîneroit ,
Une des preuves qu'en rapporte M. l'Abbé
V. qui eft l'inveftiture de la Seigneurie de
Melun , pourroit être contredite , & l'auto114
MERCURE DE FRANCE.
auparavant.
torité d'Aimoin , écrivain du onzième fiécle
, ne feroit pas d'un grand poids , quand
il dépofe d'un fait arrivé au fixiéme . D'ail
leurs il faut avoir de bons yeux pour reconnoître
les fiefs dans les bénéfices mili
taires . On trouve , à la vérité , dès la premiere
race , des exemples de bénéfices accordés
fous de certaines redevances , dont
la principale devoit être le fervice militaire
; mais font-ce bien là des fiefs ? ces béné
fices étoient viagers , & ont continué de
l'être jufqu'au tems de l'ufurpation , &
alors , en effet , ils peuvent être devenus
des fiefs , fans qu'ils le fuffent
On pourroit ajouter que les bénéfices ont
été inftitués d'après les terres faliques ,
fans courir le rifque que l'on en tirât des
conféquences pour les fiefs. Le Seigneur
de fief avoit un fuzerain , le bénéficier
n'avoit qu'un fouverain . Le feigneur de
fief avoit des vaffaux , dont il étoit à fon
tour le fuzerain ; mot , dit Loifeau , qui
eft auffi étranger que cette efpéce de Seigneurie
eft abfurde ( ce qui prouve en
paffant qu'il ne regardoit le fief que comme
une innovation ) . Quelle fimilitude ,
en effet , peut-on trouver entre ces deux
qualités de bénéficier & de fuzerain ? Mais
abandonnons cette queftion qui a fait le
tourment de tant d'écrivains. Le fentiment
MARS. 1755.
de M. l'Abbé V. peut fort bien fe foutenir
fans que, felon moi , il influe fur la queftion
de la Régale , où j'aurois plus de peine
à me rendre.
Voilà , Monfieur , ce que je me fuis fait un
devoir de vous expofer , pour répondre à l'ef
time que vous avez bien voulu me témoigner ,
& en même tems pour faire connoître les fentimens
avec lesquelsj'ai l'honneur d'être , &c.
GENEALOGI E.
MEMOIRE CRITIQUE. ·
Es éloges que vous avez donnés , Monfieur
, à l'Armorial général de France
, & la confiance que j'ai en vos lumieres
, m'ont donné la curiofité la plus vive
pour cet ouvrage , en convenant avec vous
des talens de M. de Serigny , & de l'eſtime
qui leur eftdûe : je ne croirois pas la pouffer
affez loin , fi je ne foupçonnois qu'il
vit avec peine quelques obfervations que
j'ai faites à la lecture de l'article d'Alès
de Corber , & que diverſes circonftances
m'ont empêché de vous communiquer plutôt.
Quand il n'auroit pas indiqué cet article
comme un des plus curieux & des
mieux travaillés , il fe feroit attiré mon
attention par lui - même , non feulement
116 MERCURE DE FRANCE.
mais
comme faifant la tête du volume ,
par fa prodigieufe longueur , le nombre de
citations , d'extraits , de monumens &
d'anciennes chartres , le travail & l'art
qui paroiffent dans les differtations. Il
femble l'avoir préféré à tous les autres ,
en le choififfant pour donner au public ,
dans tous les ouvrages périodiques , un
effai de fes recherches. J'efpere , Monfieur,
qu'ayant bien voulu en faire ufage dans
le vôtre , vous ne me refuferez pas d'y inférer
mes objections.
L'article d'Alès eft précédé d'un autre
intitulé d'Alluye . C'eſt d'abord un recueil
de différentes pieces , dans l'arrangement
defquelles on a principalement confulté
l'ordre des tems. Il contient enfuite des
differtations fur l'application qu'on en doit
faire.
Le premier deffein de l'auteur étoit
de n'en faire aucune , & de laiffer ainfi au
public la liberté de prononcer fur le nom
qu'ont dû porter les anciens Seigneurs à
qui ces chartres font relatives. Mais ayant
depuis médité plus profondément fur ce
fujet , & fes recherches l'ayant conduit
jufqu'au point de s'affurer pleinement de
leur véritable nom , c'eft - à- dire de celui
* Armor. gén. p. 35 .
MARS. 1755. 117
qu'ils portoient de leur vivant , il s'eft enfin
déterminé , ( comme il en a le droit )
à leur donner celui d'Alluye.
Si le Juge d'Armes s'étoit contenté de
propofer l'interprétation qu'il donne de
tous les noms latins employés dans fes chartres
pour les Seigneurs de Saint- Chriftophe
& de Châteaux , comme une fimple
conjecture , comme une opinion ; fi en rejettant
toutes les autorités qui combattent
fon nouveau fentiment , il ne l'eût préfenté
que comme plus vraisemblable , par les
divers raifonnemens dont il l'appuye ; fi
par ce projet il eût continué de laiffer le
public juge de cette question , peut- être
n'eût- on pas pris la peine de l'examiner
après lui , & eût - on regardé comme infoluble
un problème généalogique qu'il
n'eût pas réfolu . Mais il décide pleinement,
il décide ex cathedra , en vertu du droit
de fa charge , non feulement de la traduction
françoife qu'il faut faire maintenant
des noms dont il s'agit , mais encore du
nom même que ces Seigneurs portoient
effectivement de leur vivant. Il n'eft plus
permis aux Grammairiens de traduire autrement
ces noms , quelque analogie qu'ils
trouvaflent avec d'autres de même genre :
On ne doit plus faire d'attention , ni à l'autorité
, ni aux recherches de dix ou douy
118 MERCURE DE FRANCE.
ze écrivains précédens ; on doit croire
qu'ils fe font copiés fervilement , & que
les méditations du Juge d'Armes font bien
plus certaines en effet dans la littérature
les fuffrages ne fe comptent pas , ils ſe peſent.
Le public même n'a plus la liberté de penfer
autrement : nul appel de ce nouveau tribunal
fouverain , il n'eſt pas poſſible de leur
donner d'autres noms , pag. 1 2.
Le doute même eft interdit , il n'eft pas
permis de douter un feul moment.
J'avoue , Monfieur , que ce doute qui
m'eft interdit , ne dépend pas de moi. S'il
eft criminel , puis-je mieux faire que de
m'adreffer par votre canal à celui qui peut
d'un coup de lumieres diffiper mes téné
bres ... J'entre en matiere , & voici le
plan de mes obfervations. Je commencerai
par examiner les raifons du jeune auteur ,
& faire voir que les conféquences qu'il en
tire ,font bien plus précifes que fes principes
: enfuite j'en propoferai d'autres, que
je foumettrai à votre jugement , au fien &
à celui du public : enfin je hazarderai mes
propres conjectures , aufquelles je pourrois
peut-être donner un autre nom , fi
mon autorité étoit d'un plus grand poids
dans la littérature , ou que j'euffe l'hon
neur d'être revêtu d'une charge qui confé
rât l'infaillibilité , même pour les faits.
MARS. 1755. 119
Le Juge d'Armes * fait l'hiftoire des anciens
Seigneurs de Châteaux & de Saint-
Chriftophe , ( les deux premieres Baronnies
d'Anjou & de Touraine ) depuis le
dixieme fiécle jufques vers la fin du treizie
me. Il appuie tout ce qu'il raconte , de
chartres autentiques , ou d'extraits d'anciens
auteurs , la plupart Latins. Il penfe
avec raifon que les huit noms latins fous
lefquels ils paroiffent , ne font en effet
que le même , différemment orthographié,
fuivant les tems , les lieux , le plus ou
moins de fçavoir ou de goût des Ecrivains ;
ou , ce qui revient au même , que tous ces
mots latins ne font que l'expreffion & la
traduction du nom unique qu'ils portoient
en françois , encore qu'il ait pu lui-même
effuyer quelque variation , comme tant
d'autres , ne fût - ce que par l'ignorance
des Notaires ou Ecrivains , ou par la faute
des copiſtes ; il s'agit donc de fixer ou de
deviner quel eft ce nom françois que portoient
ces Seigneurs. M. de Serigny com-.
mence par établir que celui d'Alés ou d'Alais
, qu'on auroit été plus tenté de leur
donner , & qui leur a effectivement été
donné par la plupart des auteurs qui en
ont parlé , comme il leur eft confervé par
Premiere partie . Examen des raifons.
120 MERCURE DE FRANCE.
la tradition de leur pays , n'est point le
leur , & ne leur convient pas enfuite il
entreprend , ( & y réuffit , felon lui , aſſez
bien d'en fubftituer un autre qui eft ce-
)
lui d'Alluye .
Dans la premiere partie de cette differtation
il n'emploie que des preuves négatives
. Il paffe en revûe la plupart des auteurs
qui l'ont précédé , & qui ont interprété
, de Aleia , de Aloya , de Alluya , de
Alogia , de Alea , par Dalés. 1 ° . Le Chevalier
de l'Hermite Souliers , Gentilhomme
de Touraine , qui donna en 1665 la
généalogie de la maifon d'Alés . Il étoit ,
felon lui , peu exact , & manquoit de
critique ; heureufement il n'ajoute pas
qu'il fût de mauvaife foi , ni capable
par intérêt & par adulation , de faire
des fuppofitions & d'inventer une tradition
: fa naiffance même le met. audeffus
de ce reproche , & on obfervera
que , felon le Juge d'Armes lui - même ,
Mrs d'Alés de Corbet n'habitant plus fa
province , & ne paroiffant entr'eux de
liaifon , ni de fang , ni d'amitié , on n'a
pas de raifons de le foupçonner plus à leur
égard que pour d'autres maifons.
Au demeurant , quoiqu'il ait fans doute
bien fait des fautes , fon fçavoir ne
paſſe pas pour fi mépriſable. Il n'a pu faire
fon
MAR S. 1755. 121
fon livre fans faire d'affez grandes recherches
en Touraine , & dans les provin
ces circonvoifines. Il lui étoit aifé de tirer
des fumieres de l'Abbé de Marolles , Abbé
de Villeloing , qui en avoit beaucoup dans
ces matieres , & qui indépendamment des
ouvrages imprimés , qui font apparemment
dans le cabinet du Juge d'Armes , en avoit
compofé quatre volumes in-fol. qu'il ne
paroît pas connoître. L'Hermite cite en ,
core quelques autres fources où il a puifé ,
qui ne font pas plus familieres au jeune
auteur , entr'autres les Mémoires généalo
giques d'Anjou , de la Ménardiere , auteur
affez ancien.
Il paffe à la Roque qui parle du nom
d'Alés dans fon Traité du ban : il en parle
auffi dans fon Traité de la nobleffe , & l'or
tographie de même ; mais il eft queſtion
ici du premier , imprimé en 1667. Joannes
de Aleia , d'Alés * , au nombre des Chevaliers
Bannerets de Touraine , convoqués
en 1214. Le Juge d'Armes a raifon de le
reconnoître pour le même Jean ,pere d'Hugues
enterré avec fon fils , felon l'Hermite
& Mrs de Sainte Marthe , à l'Abbaye
* M. de Serigny nous donne lui - même un
exemple d'un acte latin du treizieme fiécle , où
il fe trouve du françois ... Alloye dans le fecond
aveu de la Reine de Jéruſalem.
F
122 MERCURE DE FRANCE.
de la Clarté , où l'on voit encore leurs
maufolées , ainfi que celui d'un autre de
leur famille , qui avoit fait les principales
fondations de cette Abbaye.
Cette traduction du de Aleia , par d'Alés
, n'eft pas du goût du Juge d'Armes ;
il convient pourtant plus bas qu'elle eft
affez naturelle ; & en effet , comment traduit-
il lui-même Ufetia , fi ce n'eſt par
d'Ufés, & Saya fi ce n'eft par Sées ou Sais ?
Mais il fe contente de dire que c'eſt là
une fourrure de la façon de la Roque. Il en
donne des raifons affez plaufibles , quoique
la proteftation qu'avoit faite cet auteur
, de donner ces regiftres fans y rien
ajouter ou retrancher , méritât peut - être
que le Juge d'Armes , avant de l'accufer
de cette infraction à fa promeffe , la vérifiât
au moins par l'examen des registres
même , comme il a pris la peine de le
faire pour quatre extraits du cabinet de M.
de Clerambault , qui regardoient des gens
du néant , qui avoient peut - être pris le
nom de leur village , comme il arrivoit
fouvent autrefois . ) Quoiqu'il en foit , il rejette
la traduction de la Roque , ſans lui
donner le moindre éloge qu'il devoit à
fon érudition , & à la critique qu'il a des
premiers introduit dans ce travail. Il vient
à Carreau , Ecrivain Tourangeau , qui a
M AR S. 1753. 123
compofé le fiècle dernier une hiftoire de
Touraine , dont le manufcrit fe conferve à
l'Abbaye de Marmoutiers , & dans laquelle
on trouve * , dit - il , une généalogie affez
fautive des Seigneurs de Saint- Christophe
( quoique le P. le Long lui rende le témoignage
que cette hiftoire ait été travaillée
avec beaucoup de foin). Carreau avoit vû
beaucoup de pieces inférées dans l'Armorial
, & appelle par-tout ces Seigneurs
d'Alais. C'eft fans preuve , dit le Juge
d'Armes , & il n'a point eu d'autre guide
que l'Hermite. Quoique l'ortographe différente
de l'un & de l'autre , dût , ce femble
, faire fuppofer que s'ils n'ont point
vû de titres différens , ce qui n'eſt rien
moins que certain , au moins ils ne fe font
pas copiés.
On donnera la fuite le Mercure prochain.
CHIRURGIE.
Progrès du Lithotome caché pour la taille.
I la lettre fuivante au Frere Jean de
Saint-Come
Saint-Côme eft une preuve favorable
pour fon inftrument , elle ne l'eft pas moins
pour celui qui s'en eft fervi.
* Page 37*
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
A Lille , ce 30 Janvier 1755-
Mon cher Frere , voici l'hiftoire d'une
taille que je viens de faire avec votre inftrument
, & fuivant votre méthode. Le
nommé Augufte , âgé de fept ans & demi ,
fils de Henri Cantinier , au quartier de la
Magdeleine à Lille , fut attaqué des douleurs
de la pierre dès l'âge de deux ans ,
& à quatre ans & demi il fe joignit à ces
douleurs une incontinence d'urine , qu'il
a confervée jufqu'au moment de l'opération
. Les douleurs devenant plus fortes de
jour en jour , les parens me firent appeller
dans le mois de Juillet dernier ; je leur annonçai
l'exiſtence d'une pierre dans la veffie
, & leur propofai l'opération : mais inquiers
fur la réuffice , ils ne voulurent pas
s'y prêter. Enfin je fus de nouveau prié de
revoir ce malade dans le mois de Décem
bre , je le trouvai dans un état déplorable ;
il y avoit plufieufs jours qu'il ne dormoit
plus ; la pierre faifoit une irritation fi confidérable
dans la veffie , que toutes les parties
du ventre étoient dans une contraction
violente , & prefque continuelle ; l'inteſtin
rectum étoit pouffé avec force , & bien loin
au-delà de l'anus : il y eut même une hémorrhagie
affez forte des vaiffeaux de cet
inteftin. Ce dernier accident me déserM.
A RS. $ 755. 125
•
mina à propofer une feconde fois l'opération
, & engagea les parens à l'accepter,
Je la fis le 21 Décembre dernier , malgré
les tems durs & fâcheux. Je tirai une
pierre d'une demi - once , & groffe.comme
un petit ceuf de pigeon ; la couche
extérieure de cette pierre étoit molle , &
fe détacha dans le tems de l'extraction :
j'en tirai le noyau avec la tenette , & la
curette me fervit à tirer le refte . Cette
opération ne fut néanmoins ni longue ni
difficile , quoique je n'eus porté mon inftrument
qu'au feptiéme dégré de dilatation
, qui me fuffit de refte à tirer la
pierre fans efforts & fans difficulté . Auffi
les fpectateurs qui étoient nombreux , furent-
ils fatisfaits . , & rendirent justice à
la méthode. Dès le lendemain les urines
commencerent à paffer par les voies ordinaires
; mais une indigeftion que le malade
fe donna le troifiéme jour , penfa le
faire périr. Il lui furvint de l'altération ,
des felles , & la fiévre ; la plaie deyint
pâle & feche , & les urines prirent cette
route. J'avois formé le deffein de ne faire
aucun panfement à mon malade ; mais. appercevant
le changement furvenu à ſa plaic ,
j'abandonnai ce projet , & le penſai régudierement
deux fois par jour avec un plumaceau
chargé de beaume d'arcoeüs , &
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
une languette de linge garni par fes deux
extrêmités d'emplâtre d'André de la Croix ;
cette languette me fervoit tout à la fois
à contenir mon plumaceau & à rapprocher
les deux levres de la plaie. Les autres
accidens furent combattus fi efficacement ,
que le malade fut parfaitement guéri , &
fa plaie cicatrifée le dix-neuviéme jour ;
fon incontinence d'urine n'eut plus lieu ,
& fut guérie en même tems que le refte.
Voilà , mon cher Frere , un fuccès d'autant
plus complet , que je l'ai obtenu dans
la plus mauvaiſe faifon de l'année , ce qui
prouve tout-à - fair pour votre inftrument.
J'en fuis d'autant plus enchanté que c'eft
ma premiere épreuve ; & je vous avouerai
franchement que fans votre méthode , que
je trouve d'une facile exécution , je n'euffe
peut- être jamais penfé à enrichir ma pratique
d'une opération , qui en me faifant
honneur , me met plus à portée de foulager
l'humanité.1
J'oubliois de vous dire que j'ai taillé ce
malade dans la fituation horizontale , &
des fpectateurs étoient Meffieurs Payerne ,
Chirurgien- major du régiment d'Eu infanterie
; Marchant , que vous connoiſſez ;
Baftide , Chirurgien -major de Royal-dra-
-gons , Prevôt-maître en Chirurgie à Lille ;
Defombrages , Médecin de cette ville , &
MARS. 1755. 727
Planeque , Chirurgien-major des Hôpitaux
militaires. Ce dernier , ainfi que M. Mar
chant , m'ont prié de vous faire mille
complimens.
J'efpere dans peu joindre d'autres fuccès
à celui- ci , pour feconder vos intentions &
celles de tous vos partifans .
Je fuis , & c.
L. CHASTANET ,
Maître en Chirurgie , & Chi
rurgien Aide- major des Hôpitaux
militaires.
SEANCES PARTICULIERES
De la Société Linéraire de Châlons.
St
1. quelques critiques chagrins fe font
érigés de nos jours en cenfeurs des
Académies , il s'eft auffi trouvé des défenfeurs
de ces fortes d'établiffemens : leur
utilité a été démontrée dans des écrits. publics
: il a été prouvé d'une maniere victorieufe
que leur multiplicité étoit néceffaire
au progrès des fciences , & que loin
de nuire au corps politique de l'Etat, elle
ne pouvoit lui être qu'avantageufe.
C'eft fous ce point de vue que M. Du-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
pré d'Aulnay , ancien Commiffaire des
Guerres , l'a confidéré. Retiré depuis plufieurs
années dans la ville de Châlons-fur-
Marne , fon amour pour l'étude l'y a fuivi
, & les liaifons qu'il a formées avec des
concitoyens animés du même amour , lui
ont fait concevoir le deffein de les unir
par les noeuds d'une fociété littéraire .
Il en a demandé. l'agrément à M. le
Comte de Saint - Florentin . Ce Miniftre
qui chérit les Lettres , autant qu'il eft cher
aux Sçavans , l'a honoré d'une réponſe
favorable , & a promis une autorifation
plus précife , lorfque les affociés auroient
donné des preuves de leurs talens .
Son A. S. M. le Comte de Clermont ,
Gouverneur des provinces de Champagne
& de Brie , a bien voulu concourit de fon
côté à cet établiffement : illuftre par fon
fang & par la faveur finguliere qu'il a fait
aux Mufes d'entrer dans leur fanctuaire ,
il a donné de nouvelles marques de fon
attachement pour elles , en fe déclarant le
protecteur de cette fociété naiffante.
Les membres d'une fociété qui commence
fous de fi heureux aufpices , ont dé
ja produits quelques fruits de leurs veilles
dans les affemblées particulieres qu'ils ont
tenues pendant le cours de cette année.
M. Culoteau de Velye , Avocat du Roi
MARS. 1755. 129
•
au Préfidial de Châlons en Champagne ,
& l'un des membres de cette fociété , a lû
une differtation fur la confécration des
Empereurs romains , & particulierement
fur celle de Pertinax , juftifiée par une médaille.
Il obferve que la confécration en uſage
chez les Romains étoit différente de l'apothéofe
admife chez les autres peuples ;
que cette derniere cérémonie étoit connue
dès le tems de Belus , premier Roi des
Affyriens , & qu'elle a été continuée depuis
en faveur des Princes , des Rois recommendables
par leur fageffe , & même
de fimples particuliers qui s'étoient fignalés
par leurs vertus & des actions éclatantes
. Il fixe au regne des Céfars l'origine de
la confécration qui , lorfque Romulus fut
admis au rang des Dieux , n'étoit point
encore établie de la maniere dont elle l'a
été dans la fuite.
›. Il fait voir que dans tel tems de la République
, le Sénat n'accorda cet honneur
qu'à la feule Acea Laurentia , comme un
tribut de fa reconnoiffance pour les biens
qu'il en avoit reça que s'il décerna par la
fuite les mêmes honneurs à un grand nom
-bre d'Empereurs , il les refufa néanmoins à
ceux qui s'étoient rendus odieux par leurs
vices.
Fy
130 MERCURE DE FRANCE .
Il rapporte pour exemple la joie générale
qu'excita la mort de Tibere , le decret
qui déclara Neron ennemi de la patrie,
les outrages exercés fur les corps de Vitellius
& d'Héliogabale qui , après avoir
été traînés avec ignominie par les rues de
Rome , furent jertés dans le Tibre ; le long
refus du Sénat d'élever Adrien au rang des
Dieux , la fermeté avec laquelle il йétric
la mémoire de Domitien déifié par les armées
, en faifant brifer fes ftatues , fes portraits
& les infcriptions faites en fon honneur.
Il prouve que la cérémonie de la confé
cration des Empereurs a fubfifté jufqu'an
tems du parfait établiſſement de notre religion
; Jovien ayant encore été mis au
rang des Dieux par les foins de fon fuc
ceffeur Valentinien , vers l'an 364 de l'ere
chrétienne .
A l'égard de l'Empereur Pertinax , dont
-M. de la Baftie prétend dans fon ouvrage
fur le P. Joubert , que l'on n'a point encore
trouvé de médailles , M. de Velye en
produit une , qui femble ne laiffer aucun
doute que l'on a déféré à cet Empereur
-les honneurs de la confécration ." col
< Cette médaille , qui eft de moyen broneze
, préfente d'un côté la tête de Pertinax ,
avec la légende Divus Helvius Pertinax , &
MAR S.: 1755. 131
a pour tipe en fon revers un aigle avec les
aîles déployées , fur lefquelles eft la figure
de l'Empereur à demi- couché , avec la légende
Confecratio. Cette médaille paroît
caracterifer d'une façon particuliere la confécration
de Pertinax , & l'on a lieu de
croire qu'elle eft une de celles qui ont été
re nouvellées par Gallien .
M. de Velye penfe que l'on peut porter
le même jugement d'une médaille de Fauftine
, qui du côté de la tête a pour légende
Diva Fauftina ; & au revers une figure
humaine que l'on peut prendre pour un
Prêtre , faifant une libation fur un autel ,
fur lequel il y a du feu , avec la légende
Confecratio : cependant il ne propofe fon
fentiment à cet égard que comme conjecture
, s'en rapportant aux connoiffances des
fçavans en ce genre.
M. de Velye a fait encore lecture d'une
autre differtation, dont l'objet eft de déterminer
quels étoient les principes de la religion
des anciens Romains , & s'ils étoient
différens de ceux qui conftituoient le culte
religieux des Grecs .
Voici fommairement les preuves qu'il
apporte pour établir cette différence .
Les premiers Romains , preſque tous occupés
à nourrir des troupeaux , en tiroient
les fecours néceffaires pour -fubfifter. Pan
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
étoit leur principale Divinité ; ils cétébroient
en fon honneur des fêtes par des
facrifices , & par des jeux appellés Lupeztaux
; ils honoroient auffi comme des
Dieux , Janus , Saturne , Picus , Hercule ,
&c. Mais indépendamment de ces Dieux
de la patrie ils reconnoifloient encore ceux
des grandes nations ; ils admettoient auffi
les augures , les pénates , les génies , &c.
Romulus effaya de détruire les préjugés
de ceux qui compofoient fa colonie , d'établir
une religion fondée fur des principes
raisonnables , & de fixer un culte conforme
à l'idée qu'il avoit conçue de la Divinité
, qu'il reconnoiſſoit comme un être
parfait & immortel .
Numa qui lui fuccéda , approchoit aſſez
des fentimens de fon prédéceffeur au ſujet
de la religion ; il penfoit qu'on ne pouvoit
donner aucune forme fenfible à la caufe
premiere de tous les êtres créés ; en conféquence
l'on ne vit à Rome pendant près
de deux fiécles aucun monument élevé pour
repréfenter la Divinité .
La religion établie par Romulus fubfiſta
long-tems , comme le fondement inébranlable
de la confervation de la chofe publique
; tout fon fyftême confiftoit à propo
fer pour objet du culte religieux un être
pur , efprit fouverainement parfait , imMARS.
1755. 133
mortel , auteur de tout , & de l'honorer
par un culte digne de fon unité & de fa
grandeur.
Les Grecs , au contraire , s'imaginant
qu'il étoit poffible d'appercevoir , par l'organe
des fens , la divinité telle quelle eft
en elle-même , la fixerent d'abord, dans le
foleil ; ils déïferent les élémens , l'univers
entier , & les différentes parties qui le com →
pofent. Orphée , Mufée , Eumolpe , que
S. Auguftin appelle les théologiens des
Grecs , bien loin d'amener leurs compatriotes
à la connoiffance de la vérité , les
en éloignerent , & les plongerent dans des
erreurs injurieufes à l'être fuprême ; ils
propoferent des Dieux fous des fymboles
& des hieroglyphes , dont ils avoient apris
à faire ufage en Egypte. La trop grande
élévation d'efprit de ces philofophes fit
tomber dans l'égarementceux qu'ils fe pro
pofoient d'éclairer , & qui n'étoient point
capables de comprendre le fens des fables
abfurdes qu'ils employoient pour établir les
vérités les plus importantes.
Ce fut des prétendus fages de l'Egypte
qu'ils avoient appris à diftinguer l'âge , le
fexe , la forme & le nombre des Dieux ;
ils apprirent auffi d'eux à les honorer par
des fêtes & par des jeux folemnels ; mais
il n'arrivoit que trop fouvent que l'on
.
134 MERCURE DE FRANCE.
portoit l'impiété en triomphe dans ces cérémonies
, & qu'elles devenoient un affemblage
monftrueux de defordres & de crimes.
La connoiffance de la nature & l'étude
de la phyfique devint la fource de l'erreur ;
on donnoit à chacune des caufes un des
attributs de la divinité , & les attributs diftingués
, fembloient introduire & préfenter
une multiplicité de Dieux. Plufieurs
fages , comme Diagoras & Socrate , furent
les victimes de leur attachement à la vérité
, telle que l'homme peut la découvrir par
l'étude & la force du raifonnement .
Les Romains , dans leur origine , étoient
des hommes durs , groffiers , fauvages ;
mais ils furent amenés à la connoiffance
de l'être fuprême , autant qu'on peut en
approcher par les lumieres de la raifon ;
ils fe diftinguerent par leur inviolable attachement
à une religion plus fainte que
celle des autres nations..
Les Grecs , au contraire , inconftans &
legers , fe livrerent au torrent d'une aveugle
fuperftition ; leur culte avoit fouvent
l'homme pour objet ; leurs fêtes , & les
jeux qu'ils célébroient , n'étoient inſtitués
que pour exciter ceux qui y étoient admis
à fe furpaffer mutuellement par la force ,
l'adreffe & la légereté : on n'y comptoit
MARS 1755 ”ན
135
prefque pour rien le coeur , les moeurs &
la vertu .
la
De cet expofé , on peut conclure que
religion des anciens Romains étoit plus
parfaite que celle des Grecs , & qu'elle
étoit établie fur des principes différens.
- M. Dupré d'Aulnai a lû auffi une differtation
qui a pour objet l'écoulement magne
tique , Pélectricité , l'afcenfion de la feve
dans les végétaux , & le flux de la mer. Il
croit que la même caufe produit ces différens
effets , que le foleil en eft le premier
& le feul mobile , & que cet aftre eft dans
l'univers ce qu'eft le coeur dans l'animal ,
auquel il donne le mouvement , la chaleur
& la vie.
af-
M. Navier , Docteur en Médecine ,
focié correfpondant de l'Académie royale
des Sciences de Paris , & l'un des mem
bres de la Société , a lu dans différentes
féances des differtations fur plufieurs maladies
populaires qui ont regné dans la
vince de Champagne & ailleurs.
་
pro-
La Faculté de Médecine de Paris , & M.
de Vernage , ayant jugé cet ouvrage fondé
-fur une bonne théorie , conforme à la faine
·pratique , & appuyé de l'autorité des grands
maîtres , l'auteur a cru ne devoir point fe
refufer au bien du public , & s'eft en conféquence
déterminé à le faire imprimer. Il
136 MERCURE DE FRANCE.
fe trouve à Paris , chez Cavelier
Saint Jacques , au Lys d'or.
·
rue
Après de pareils témoignages , il eft
inutile d'infilter fur la nature de ce travail
; le lecteur jugera par lui-même que
l'auteur a fait nombre de recherches utiles
& intéreffantes pour le traitement de différentes
maladies.
M. Navier a auffi lû des obfervations
théoriques & pratiques fur l'amolliffement
des os en général , & en particulier fur
celui qui a caractériſé la maladie extraor
dinaire de la Dame Supior , dont tout le
royaume a été informé.
Il penfe que cette maladie tenoit du rachitis
& du fcorbut. Pour démontrer le caractere
& la véritable caufe de cette maladie
, l'auteur fuit fon objet par la voie
des expériences & des démonftrations , &
conclut que les levains qui occafionnent
l'amolliffement des os , eft de nature acide.
Pour bien conftater cette vérité , il a fait
des recherches infinies , qui toutes ont concouru
à le convaincre que cette maladie ne
pouvoit reconnoître d'autre caufe . La nature
& le caractere de cette fâcheufe maladie
étant bien connue , l'auteur fait voir
qu'il faut néceffairement la combattre par
les moyens qu'il propofe. Cet ouvrage a
été examiné & approuvé par l'Académie
f
MARS. 1755. 137
royale des Sciences de Paris : il va être mis
fous preffe.
Le même a fait encore lecture d'un
autre ouvrage qui a pour titre : Obfervations
médico-phyfiques fur les dangers auxquels
on s'expofe en mangeant des fruits qui
n'ont point encore atteint leur dégré de maturité
, & fur les avantages au contraire qui
résultent de leur ufage lorfqu'ils ont acquis
toute leur perfection.
L'abus trop commun de manger les
fruits avant qu'ils foient murs , & le zéle
de l'auteur pour le bien public , l'ont engagé
à traiter cette matiere .
Après un court expofé des loix générales
de la végétation , il examine la nature des
fruits qui naiffent dans les pays chauds &
dans les pays froids & tempérés ; il fait
voir que la providence a fait naître dans
chaque contrée de la terre des fruits doués
de toutes les propriétés néceffaires pour
garantir les habitans des maladies auxquel
les les expoferoient l'intempérie de l'air
des régions qu'ils habitent. Il reconnoît
d'une part que les fruits aigrelets & acidules
qui naiffent abondamment dans les pays
chauds , contiennent des fucs merveilleux
pour réprimer les effervefcences fougueufes
, & une infinité d'autres accidens que
la chaleur exceffive occafionne dans le fang
13 8 MERCURE DE FRANCE .
de leurs habitans. D'un autre côté , il re
garde les fruits que produifent les pays
froids & tempérés , comme des matieres
favoneufes & délayantes, extrêmement propres
à diffoudre les concrétions & les
épaiffiffemens des liqueurs de ceux qui ha
bitent ces climats. Il entre à cet égard
dans un certain détail fur la nature des
matieres favoneufes , factices & naturelles :
il reconnoît que les favons naturels font
beaucoup plus parfaits que les factices ,
qu'ils font formés d'une union intime de
parties onctueufes extrêmement fines , pénétrées
par un acide végétal , au lieu que les
favons factices ordinaires font les produits
de parties graffes , fort groffieres , unies affez
imparfaitement avec un fel lixiviel , & c.
On voit que l'auteur reconnoît par- tout
un ordre & une fageffe fuprême dans la
formation & la confervation de tous les
êtres. C'eft effectivement en ne perdant
point de vue cet important objet , que les
fçavans fe rapprocheront toujours de la vérité
; au lieu qu'en fe livrant à des fyſtêmes
erronés & dictés par l'efprit d'illufion
, ils ne feront jamais d'accord ni avec
la nature , ni avec eux-mêmes.
M. Navier a auffi fait part d'un travail
qu'il a commencé en 1738 , pour trouver
un lithontriptique , ou diffolvant des pier,
MARS. 1755. 139
1
res humaines ; ouvrage dont il avoit informé
en différens tems MM. de l'Acadé-.
mie royale des Sciences de Paris ; il paroît
avoir conduit fes recherches déja fort loin
il a même fait voir plufieurs de ces pierres
extraordinairement dures, réduites en bouil
lie en fort peu de tems , par le moyen
d'une liqueur fi douce , qu'elle peut être
bûe fans faire aucune impreffion fâcheufe
fur l'eftomac. Il a déja par devers lui des
expériences du bon effet de ce remede ;
mais ,comme il n'a jamais prétendu réuffic
que par la voie des injections , il n'a pû
encore parvenir à autre chofe , finon qu'à
fe rendre certain que ce remede peut être
porté dans la veffie par les injections , fans
y caufer ni douleur ni altération . Si par
un bonheur ineftimable pour l'humanité
on pouvoit parvenir par cette voie à fondre
la pierre dans la veffie , il réfteroit en
core beaucoup à travailler , tant pour fe
perfectionner dans la maniere d'y introduire
la fonde , que dans la matiere & la
forme de cet inftrument ; car il feroit de
la derniere importance de pouvoir l'intro
duire promptement , fûrement & fans dou
leur. M.Navier defireroit que l'on s'exerçât
à fonder avec des alkalis qui n'euffent
prefque point de courbure ; il penfe que
Cette forme feroit plus commode pour ins
140 MERCURE DE FRANCE.
jecter , pour pouvoir tourner la fonde en
rous fens dans la veffie , & pour y pou
voir féjourner long- tems fans bleffer ce
vifcere , & c.
C'est particulierement du génie de nos
grands Chirurgiens que l'on doit efpérer
la perfection dans la forme de cet inftrument
, & dans la maniere de l'infinuer
dans la veffie , ou même de trouver le
moyen de dilater fon fphincter , & d'y
porter un liquide fans avoir recours au
catheter.
On a annoncé cette année deux ouvra
ges imprimés à Edimbourg , dans lesquels
on prétend que l'eau de chaux eft un excellent
diffolvant des pierres humaines pris
intérieurement , ou porté dans la veffic
par les injections .
M. Navier a fait depuis dix-fept à dixhuit
ans un fi grand nombre d'expériences
& de recherches fur les différens lithontriptiques
, qu'il auroit été furprenant que
celui de la chaux lui eût échappé : il a donc
travaillé fur ce diffolvant , comme fur une
infinité d'autres , & il craint qu'il ne réuffiffe
pas autant qu'on le fait efperer ; car
il a reconnu que ce remede avoit peu ou
point d'action fur un très - grand nombre
de pierres humaines . Si M. Whitt a éprouvé
le contraire , cela ne peut venir , ſelon
MA- R S.
1755 141
M. Navier , que de la différence des pierres
qui fe forment chez les Anglois , dont la
boiffon ordinaire eft la bierre , & de celles
qui prennent naiffance chez les François
qui font ufage du vin.
M. Navier n'a eu occafion de travailler
que fur ces dernieres ; peut-être eft- ce cette
différence de boiffon qui a fait que le diffolvant
de Mlle Stephens a été employé
avec fuccès en Angleterre , & qu'il a fi peu
réuffi en France.
M. Navier croit encore être bien fondé
à fe défier de l'eau de chaux : 1 °. parce que
contenant une grande quantité de parties
de feu , ce reméde pris . intérieurement &
à grandes dofes , comme il feroit néceffaire
pour fondre les calculs humains pourroit
intéreffer la fanté des perfonnes délicates.
2 °. Cette eau étant chargée de beaucoup
de parties pierreufes qu'elle tient en
diffolution , ne pourroit - il pas arriver
qu'elles fe dépoferoient dans différens endroits
du corps , peut-être même dans les
reins & dans la veffie ? M. Navier eſt d'aųtant
mieux fondé dans cette opinion , qu'il
a reconnu par l'expérience , qu'un peu d'urine
chaude verfée far de l'eau de chaux ,
la rend laiteufe , & en fait précipiter de
fa fubftance pierreufe. Si donc la même
chofe arrivoit dans les reins ou dans la
142 MERCURE DE FRANCE.
veffie de ceux qui prendroient beaucoup
de ce lithontriptique , comme il y a tout
lieu de le croire , fur- tout chez les pierreux
, qui ont une urine dont l'alkali volatil
eft fort développé , & par conféquent
plus propre à précipiter la partie pierreufe
de l'eau de chaux , ne doit- on pas préfumer
que ce remede pourroit dépofer dans
ces vifceres autant & peut être plus de
fubftance pierreufe qu'ils n'en éleveroient
de calculs qui s'y rencontreroient ? M. Navier
a connoiffance d'un fait qui paroît
bien confirmer cette théorie .
Une perfonne qui avoit une pierre bien
conftatée dans la veffie , s'étoit déterminée
à prendre du lithontriptique de Mlle Stephens
, qui contient , comme l'on fçait
beaucoup de matieres calcaires réduites en
chaux. Après un certain tems de l'uſage
de ce remede , on apperçut dans les urines
du malade beaucoup de parties terreufesblanches
, que l'on croyoit être infailliblement
des débris de la pierre ; mais la
perfonne étant morte , on reconnut avec
furprife , par l'ouverture de la veffie , que
la pierre n'avoit été en aucune façon endommagée.
Donc les portions blanchâtres
& terreufes que l'urine avoit charriées,
venoient des parties de chaux qui entroient
dans le remede anglois. Cela prou오
Y
MARS. 1755. 143
ve qu'on ne peut avoir trop de circonfpection
, même de défiance , dans la vérification
des faits , car ils font fouvent voilés
par des
apparences trompeufes & féduifantes.
M. Whitt a avancé que tout fel lixiviel
eft abfolument incapable de diffoudre la pierre
humaine . M. Navier a remarqué tout le
contraire , ayant conftamment obfervé
dans le nombre des lithontriptiques qu'il a
découvert , que ces fels avoient tous cette
propriété.
Cette différence entre les obfervations
de nos deux auteurs pourroit bien venir
de celle des pierres fur lefquelles ils ont
travaillé , par la raifon rapportée ci -deffus
. En effet M. Navier , d'après qui nous
parlons toujours , a reconnu que ces fels
agiffoient fort différemment , felon la nature
de la pierre ; & il eft perfuadé que
c'eſt cette différence dans les calculs humains
qui mettra toujours le plus d'obftacles
à la découverte d'un lithontriptique
univerfel , c'est-à - dire qui agiffe également
& d'une maniere douce fur toutes les pierres
humaines.
Nous venons de rapporter une partie
des obfervations de M. Navier , que fon
defintéreffement & fon amour pour le
bien public a déterminé à nous communiquer.
#44 MERCURE DE FRANCE.
Quelle louable émulation ! qu'il eft digne
de notre reconnoiffance de voir dans
deux Royaumes auffi floriffans que la France
& l'Angleterre , la Médecine toujours
occupée d'un objet qui tend à délivrer l'hu
manité du plus cruel de tous les maux !
Les affociés fe font féparés le 28 du
mois d'Août , moins pour fe délaffer de
leurs fatigues que pour préparer les mémoires
dont ils rendront compte l'année
prochaine dans leurs féances ; ils font tous
également difpofés à fe rendre dignes de
la protection qu'un grand Prince leur accorde
, à fe mettre en état d'obtenir la
confirmation de leur établiſſement , & à
mériter l'eftime du public.
}
ARTICLE
MARS. 1755 145
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
y a des furpriſes dans les productions
des arts comme dans les ouvrages de
littérature ; il eſt également important de
garantir le public des unes & des autres ,
tant pour la perfection de fes connoiffances
que pour l'honneur des arts & la réputation
légitime de chaque artiſte . On
ne peut donc fe difpenfer d'informer tous
les amateurs de la peinture , qu'une fuitë
d'eſtampes nouvellement mife au jour par
le fieur Duflos , comme étant d'après les
tableaux du fieur Boucher , Peintre du Roi ,
n'a été gravée que fur des deffeins informes
, furtivement tirés par les éleves de
ce Peintre , les moins capables & les moins
avancés , livrés enfuite , à fon infçu , au
Graveur , lequel à fon tour a terminé &
mis en vente ces eftampes fans la participation
de l'auteur des tableaux , qui ne peut
G
146 MERCURE DE FRANCE:
ni les reconnoître , ni encore moins les
avouer dans des copies auffi infideles.
LE
LETTRE
@
A M. **
Sur la Peinture encaustique .
E goût que vous avez pour les arts
m'étoit garant de la fatisfaction que
devoit vous procurer la découverte qu'on
vient de faire , & j'étois perfuadé d'avance
que vous feriez infiniment flaté d'apprendre
qu'on pouvoit avoir retrouvé une façon
de peindre perdue depuis un fi grand
nombre de fiécles. Mais je fuis fâché d'être
hors d'état de fatisfaire votre curiofité, qui
eft bien naturelle à un amateur tel que vous.
Tous les papiers publics , dites-vous , vous
ont parlé de la peinture encauftique , mais
aucun ne vous à dévoilé le myftere de cette
maniere de peindre . Comment vous en auroient-
ils inftruit , puifque malgré toutes
mes démarches , je ne puis vous en parler
moi-même qu'en général ? Vous avez raiſon
d'obferver qu'il y a un très-grand avan
tage à préfenter aux Peintres une augmen
tation de moyens pour le charme de nos
yeux .
L'impatience de nos Artiftes , qui n'eft
dans eux qu'une noble émulation , en a
MARS. 1755. 147
déja engagé plufieurs à peindre avec de
la cire. Ils font même parvenus à faire des
chofes très belles & très - agréables ; mais
leur préparation avantageufe en elle - même,
ne me paroît point être celle du tableau
que M. Vien a expofé à la derniere
affemblée publique de l'Académie des Belles-
Lettres. J'ai eu occafion d'examiner de
près ce beau buite de Minerve , j'ai confideré
avec toute l'attention dont je fuis
capable , les tableaux des autres Artiſtes
dont je viens de vous parler , & je vous
avoue que par cette comparaifon j'ai cru
reconnoître de grandes différences dans
leur pratique ; & foit que le feu ait moins
de part à l'opération de ces derniers ; je
fuis perfuadé que peindre à la cine n'eft
pas la maniere encauftique dont on eſt
occupé,
Pour éclaircir mes doutes & les vôtres ,
j'ai été voir M. le Comte de Caylus ; &
fur les queftions que je lui ai faites , il
m'a répondu avec cette franchiſe que vous
Jui connoiffez , qu'il ne pouvoit m'inftrui.
re. J'ai témoigné avoir envie de confulter
auffi M. Majault , Médecin de la Faculté ,
qui l'a aidé de fes lumieres dans la recherche
de la peinture en queftion ; mais il m'a
très fort affuré que je ne ferois pas plus
heureux auprès de ce Docteur , & qu'il
-
?
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
uferoit de la même difcrétion . Au reſte
M. le C. de Caylus ne m'a point laiffé
ignorer le motif de fon filence : il eft dans
le deffein de rendre cette pratique publique
, & il ne veut point découvrir fon fecret
avant ce tems- là. Il m'a affuré n'avoir
point d'autre objet que l'explication de
quelques paffages de Pline , mais il eſt retenu
par une idée de bon citoyen. Il voudroit
que la pratique en queſtion ne fût
connue , au moins pendant quelques mois ,
que par les Peintres de l'école françoiſe ;
mais l'exécution de ce projet eft d'autant
plus difficile , qu'une Académie entiere n'a
jamais gardé de fecret : ainfi j'efpere que
nous ferons bientôt éclaircis du véritable
moyen qui vraiſemblablement doit êtrè
le plus approchant de celui des anciens.
Nous aurons à la fois toutes les préparations
néceffaires pour employer l'encauftique
fur le bois , la toile , le plâtre & la
pierre on me l'a ainfi perfuadé. Mais
avant que nous foyons inftruits des détails
de cette découverte , permettez que je
vous communique quelques réflexions gé
nérales , qui pourront fervir de réponſe à
plufieurs de vos questions.
Il ne doit jamais y avoir d'exclufion
dans les Arts. Un moyen de plus eft un
avantage pour l'art & pour l'Artifte ; cat
MAR S. 1755 149
enfin une pratique peut convenir à un objet
plutôt qu'une autre. La peinture encauftique
, par exemple , a plus d'attrait
pour l'oeil , & peut être préférée pour une
place au plus grand jour , à un jour de face ,
car elle n'a point de luifant & fe voit également
de tous les points de vûe : d'ailleurs
, comme vous l'avez très -bien obfervé
, elle ne change rien au génie , non plus
qu'au faire d'un Artifte , & le maniment
de l'outil ne cauſe aucune différence ; il eſt
abfolument le même , & ne craignez pas
que l'encauftique porte aucun préjudice à
la peinture à l'huile. La premiere n'eft qu'un
moyen de plus , une variété dans l'exécution
: je prévois qu'elle pourra produire
un grand avantage , celui de conduire les
Artiſtes à fe donner plus de foin pour le
choix & pour la préparation des couleurs.
Vous fçavez , Monfieur , que la peinture
n'eft qu'une oppofition de la lumiere aux
ombres ; vous n'ignorez pas que l'huile
jaunit toutes les couleurs , les plus claires
ne font pas à l'abri de cet inconvénient ,
qui fe fait fentir , pour ainfi dire , même
fur la palette . Par une conféquence
néceffaire les ombres font toujours plus
fortes ; c'eft ce qui a fait contracter l'habitude
du noir. Cette habitude eft d'autant
plus dangereufe que le public regarde les
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
tableaux dans lefquels les ombres font
noircies au point de ne rien diftinguer ,
comme des tableaux vigoureux : cette vigueur
eft vraie quelquefois , mais elle n'a
point fon principe dans une couleur outrée
, mais feulement dans la maniere de
penfer de l'artiſte & dans fa façon de voir
la nature. Quoiqu'il en foit , les tableaux
des plus grands Maîtres ont tellement noirci
, qu'il n'y a plus d'harmonie , & que
nous ne jugeons aujourd'hui dans le plus
grand nombre de leurs ouvrages , que du
trait & de la beauté du pinceau dans les
clairs , fans qu'il foit poffible d'avoir une
idée jufte de l'harmonie ; on eft presque
toujours dans la néceffité de la fuppofer.
Au contraire une peinture toujours claire ,
dont les lumieres font rendues avec plus
de vérité , dont les ombres font vraies fans
être chargées , & dans lefquelles l'oeil fe
promene , accoutumera ceux qui pratiquent
l'une & l'autre maniere , à éviter le
noir fi funefte au Peintre & à la peinture.
L'encauftique fera plus encore , elle por
tera ceux qui travailleront à l'huile , &
qui verront dans les cabinets , dans les
Eglifes , &c. des tableaux plus lumineux ,
à fe tenir eux - mêmes plus hauts & plus
clairs enfin l'harmonie , cette fille du
ciel, fe confervera plus long-tems dans leurs
:
M. AR S. 1755. 151
ouvrages , telle qu'ils l'auront produite..
Un grand bien qui pourroit encore en réfulter
, c'eft d'engager les artiftes à fe donner
pour les couleurs qu'ils employent en
travaillant à l'huile , les attentions , les foins
& la propreté dont nous admirons le fuccès
& le fruit dans les ouvrages des plus
anciens Peintres modernes , c'eft - à - dire
ceux qui ont travaillé dans les commencemens
de la découverte de la peinture à
F'huile. Les artistes de ce tems faifoient
préparer leurs couleurs fous leurs yeux &
dans leur attelier , ainfi que les Médecins
des premiers fiécles compofoient eux-mê
mes leurs remedes ; mais depuis long- tems
ils fe confient entierement , ceux-ci aux
pharmaciens , les autres aux marchands de
couleurs , & la peinture en fouffre confidérablement.
Mais en voilà affez fur cette
matiere : je me fuis jetté dans des réflexions
générales , parce que je ne pouvois vous
inftruire de ce qui fait l'objet de votre
lettre. Vous me pardonnerez les longueurs
de celle - ci , à cauſe du motif qui m'anime.
Je fuis , & c.
P. S, J'ouvre ma lettre pour vous dire
qu'ayant été de nouveau chez M. Vien
j'y ai vû une tête d'Anacréon peinte en
encauftique fur un des plus gros coutils
& qui produit un effet furprenant.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
GRAV U R E.
' Accueil favorable que le public a fait
que le fieur Surugue , Graveur du Roi , a
faite d'après le précieux tableau de Rimbrant
, qui eft dans le cabinet de M. leComte
de Vence , & la bienveillance de cet
illuftre amateur pour les Artiftes , ont engagé
l'auteur à entreprendre de graver le
fecond tableau du même Maître qu'il poffede
auffi , & qui fait le regard du premier.
Il repréfente un autre Philofophe
affis devant une table tout proche d'une
fenêtre , d'où vient la lumiere qui éclaire
le fujet ; l'attitude attentive de la tête &
des mains jointes pofées fur fes genoux ,
font voir qu'il eft abforbé , pour ainfi dire,
par la contemplation de quelque idée abſtraite
. Sur le devant à droite de celui qui
regarde l'eftampe , eft une cuifiniere qui
en tirant à elle d'une main une marmite ,
de l'autre attife le feu ; dans le fond eft
un efcalier fingulier , fur lequel , & dans
l'ombre, eft une Dame qui ouvre une porte
& tient d'une main une theïere.
Rimbrant paroît avoir voulu repréſenter
dans ces deux tableaux les effets de deux
MAR S. 1755. 153
:
lumieres différentes pour éclairer un même
lieu dans le premier c'eft un coup de foleil
, qui entrant par une fenêtre produit
une lumiere vive , mais fixée en un endroit.
Le tableau que l'on donne aujour
d'hui eft de même éclairé par une fenêtre
ouverte , mais feulement par un jour naturel
, fans foleil , qui répand une lumiere
plus douce fur les objets qu'elle rencontre
; cette différence extrêmement difficile
à exprimer en peinture & encore plus en
gravûre , fe trouve auffi vraie dans les
eftampes qu'elles le font dans les tableaux.
Ces eftampes fe débitent chez l'auteur
rue des Noyers , attenant un magafin de
papier , vis -à- vis S. Yves , à Paris.
Nous donnons avis auffi , & nous croyons
obliger le public , que l'on trouve chez ledit
fieur Surugue , Graveur du Roi , Phif
toire de Don Quichote , en vingt- cinq eftampes
, peintes par Ch. Coypel , premier
Peintre du Roi.
Le Roman comique de Scarron , en feize
eftampes , peintes par Pater , dont les tableaux
deviennent très-rares.
C
La galerie de l'Hôtel de Bretonvilliers ,
peinte en quatorze tableaux , par Sebaftien
Bourdon , dont le grand mérite eft connu
elles font gravées par lui -même.
La galerie du Palais royal , repréſentant
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
l'Énéïde de Virgile , en quinze eftampes ,
gravées par les plus habiles Graveurs de
Paris , fur les tableaux d'Ant. Coypel .
Et auffi toutes fortes d'eftampes , dont
il diftribue gratis le catalogue.
MUSIQUE.
Nouvelles pieces de clavecin , avec un accompagnement de violon & de
baffe , fait en concert & gravé féparément.
Ces piéces font de la compofition du fieur
Clément , connu par plufieurs autres ouvrages
pour le clavecin , que le public a vûs
avec plaifir. On peut jouer les pieces de
clavecin feules , fans accompagnement
, &
fans que cela nuife à leur harmonie. Elles
fe vendent chez l'auteur , rue & cloître
S. Thomas du Louvre , & aux adreffes ordinaires
de Mufique. Le prix en blanc
avec les parties féparées , douze liv.
METHODE
plus courte & plus facile
que l'ancienne , pour l'accompagnement
du
clavecin ; dédiée aux Dames , par M.
Dubugrarre , Organiste de S. Sauveur
Maître de clavecin.
CE
Ette Méthode , qui fuppofe la connoiffance
de l'accord parfait fur tous
les tons , tant majeurs que mineurs , fuffic
MARS.
1755. 735
pour l'accompagnement du clavecin , comme
l'experience qu'en font journellement
les Ecoliers de l'auteur , en eſt une preuve
incontestable. En faveur des perfonnes qui
defirent joindre à la facilité de l'exécution
une connoiffance étendue & diftincte de
tous les principes qui forment la théorie parfaite
de l'accompagnement , l'auteur , dans
un fupplément ou addition par demandes &
par réponſes , a détaillé ces mêmes principes
de la maniere la plus exacte & la plus
précife. Les peres & meres procureront à
leurs enfans le moyen de faire des progrès
rapides dans l'étude du clavecin , en leur
faifant apprendre par coeur ces principes.
L'Ecolier qui par la méthode & le fupplé
ment, eft fuppofé connoître de quoi fe préparent
& fe fauvent les accords , & fur
quels dégrés fixes ils fe forment , verra auffi
les régles invariables de la baffe fondamentale
; ce qui lui donnera des lumieres
pour la compofition . A la fin du fupplé
ment il trouvera une méthode de chiffrer
les accords , plus abrégée & plus facile
que celle dont on fe fert aujourd'hui ; cependant
on n'a pas négligé de donner dans
la méthode toutes les variations dans la
maniere de chiffrer les accords , afin que
P'Ecolier puiffe exécuter les pieces des différens
auteurs , quelle que foit leur coutume
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
de chiffrer ces mêmes accords.
L'auteur diftribuera gratis le fupplément,
chez lui & non ailleurs , aux perfonnes qui
auront déja acheté fa méthode . Celles qui
feront l'acquifition de fa méthode & de
fon fupplément , payeront le tout 6 livres.
La vente s'en fait aux adreffes ordinaires ,
& chez l'auteur , fauxbourg S. Denis.
On y trouve de plus , Borée & Orithie ,
Cantatille nouvelle , à voix feule , avec
accompagnement de flûte & de violon.
ARTS UTILES.
HORLOGERIE .
Ldesouvrages de la nature ; les grands
A fimplicité eft le caractere diftin & if
artiftes qui s'efforcent de l'imiter , ont d'ail
leurs trop de raifon de fimplifier leurs ouvrages
pour n'y pas employer toutes les
reffources de leur art & celles de leur génie
: auffi l'Horlogerie fe perfectionne tous
les jours à cet égard par les foins de ceux
qui , conduits par l'efprit plus que par
leur routine , & plus jaloux de leur gloire
que de leur intérêt , s'occupent de tout ce
qui peut contribuer à l'avancement & au
progrès de l'art .
Une nouvelle production de ce zéle induſtrieux
vient d'attirer l'attention des cuMARS.
1755. 157.
rieux , quoique fimple en elle -même , c'eft
par fa fimplicité qu'elle doit mériter des
éloges .
Les cadrans , cette partie néceffaire des
piéces d'Horlogerie , ont fait jufqu'ici un
objet de dépenfe confidérable ; s'ils ont
fubi dans les différens tems divers changemens
, ces changemens , loin d'en rendre
la conftruction plus facile & le prix
plus modique , n'ont fait qu'en augmenrer
les difficultés & la dépenfe , en les rendant
plus défectueux par rapport au méchaniſme
même : une fimple obfervation en
convaincra . Tout cadran émaillé de dix
pouces de diametre , emporte néceffairement
environ un pouce de convexité , par
l'impoffibilité où font les Emailleurs d'en
faire de plats : cette convexité en exige une
dans le cryſtal de la lunette , qui doit être
encore plus confidérable , pour laiffer libre
le mouvement des éguilles , ce qui enchérit
tout à la fois & le cadran & le cryſtal.
Mais il en résulte un autre inconvénient
nuifible au méchaniſme , comme on vient
de le dire ; c'eft que le canon & les chauffées
doivent être allongées confidérablement
, à caufe de la convexité du cadran ,
ainfi que la tige du rochet dans les pendules
à fecondes : cette tige devient par
cet allongement d'une exécution beaucoup
158 MERCURE DE FRANCE.
plus difficile ; elle en devient auffi plus
flexible , & par conféquent fujette à des
frémiffemens continuels , qui à chaque
vibration doivent altérer la juſteſſe de la
pendule. On fent par là combien les cadrans
plats doivent être plus avantageux.
par cet endroit même. Il faut dire enfin à
la louange de MM. Le Paute , auteurs de
ceux dont on rend compte ici , que cet,
objet de dépenfe , qui étoit quelquefois
de cent cinquante livres en émail , fans
compter plus de foixante livres pour le
prix du cryftal , fe trouve réduit , par les
foins de ces ingénieux artiftes , à vingtquatre
livres tout au plus. Ils ont d'ailleurs
tout le brillant & toute la blancheur
de l'émail , au point que les gens de l'art
même y font trompés. Chacun a la liberté
de s'affurer par foi-même de l'avantage de
ces nouveaux cadrans. Le laboratoire de
M. Le Paute eft ouvert à tous les honnêtesgens
, à qui il ne fait aucun myftere de
fon fecret.
MARS. 1755. 159
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
'Académie royale de mufique continue
& les Dimanches ; elle donne les Fragmens
les Mardis & les Jeudis , en attendant
la repriſe de Thefée , que l'indifpofition
de plufieurs acteurs a retardé .
COMEDIE FRANÇOISE.
L
Es Comédiens François ont donné le
de ce mois le Tartuffe & les Folies
amoureufes. Mme Novere , femme de M.
Novere , fi connu par le Ballet Chinois &
par celui de la Fontaine de Jouvence , a
débuté dans ces deux pièces , où elle joue
le rôle de la Soubrette. Le public lui a
fait un accueil favorable. Elle a repréſenté
fucceffivement Cléantis dans Démocrite ,
& Finettte dans le Philoſophe marié.
Le 8 , les mêmes Comédiens ont remis.
avec fuccès, Venceslas , tragédie de Rotrou..
160 MERCURE DE FRANCE.
Elle eft poftérieure au Cid , qui a été joué
en 1636. Venceflas n'a paru qu'en 1648 .
On voit par là que Rotrou , loin d'avoir
fervi de modele à Corneille , s'eft perfectionné
d'après lui . Cette piéce a de grandes
beautés. Le premier acte , le quatriéme
& le cinquiéme ne feroient pas indignes de
l'auteur de Cinna. Ladiflas eft un caractere
vraiment théatral ; il a ce mêlange de
vertus & de vices qui intéreffe fur la
fcene. Si ce Prince commet des crimes , le
feu de l'âge , & l'impétuofité d'une paffion
contredite , l'y forcent malgré lui ; le péril
même où ils le jettent , excitent en fa faveur
d'autant plus la pitié , qu'il ne tue fon
frere que par une méprife. Dans l'obfcurité
, il l'a pris pour Fédéric qu'il croyoit
fon rival. Venceflas qui lui pardonne
après l'avoir condamné , eft tout à la fois le
modele des peres & des monarques. Obligé
par fa juftice à punir Ladiflas , comme Roi
il prend l'héroïque parti de lui céder la
couronne , & de l'abfoudre alors comme
pere. Ce noble procédé forme un dénoument
d'autant plus heureux qu'il eft inattendu
, & qu'il eft en même tems dans la
nature. François de Roxas , auteur Efpagnol
, avoit traité , avant Rotrou , le même
fujet fous un titre moral qui l'annonce :
On ne peut être ✔ Roi.
pere
MARS. 1755. 161
COMÉDIE ITALIENNE.
L
Es Comédiens Italiens ont donné le
&
12 , pour la premiere fois , le Caprice
amoureux , ou Ninette à la Cour , comédie
en trois actes en vers , mêlée d'ariettes ,
parodiée de Bertholde à la Cour . C'eſt une
foeur de la Servante maîtreffe , mais qui
n'eft pas du même pere : M. Favard en eft
l'auteur ; on y reconnoît fa maniere & fon
coloris. Le public l'a très-bien reçue ; elle
attire de fortes chambrées ; ce qui confirme
le fuccès , & le juftifie mieux , fur- tout
aux yeux des Comédiens , que les applaudiffemens
, qui ne font pas toujours fuivis
de l'affluence. Cette nouveauté eft termi- .
née par un bal , qui eft fans contredit le
meilleur de l'année . Cet agréable divertiffement
eft de M. Deheffe , qui poffede
l'art de Médée. Il rajeunit les fujets les
plus vieux , & place fi bien fes différens
danfeurs , qu'ils brillent tous fans fe nuire ,
& varient toujours le tableau fans le charger.
J'applaudis d'abord la précifion brillante
de Mlle Catinon dans fon pas avec
les deux Negres ; j'admire enfuite la force
du fieur Saudi en Scaramouche. La gaité
légere du jeune Baletti me tranfporte à fon
162 MERCURE DE FRANCE.
tour , & je fuis en même tems enchanté
des graces vives de Mlle Camille , qui dif
pute avec lui d'enjoument.
OPERA COMI QU E.
L'Opéra comique a fait l'ouverture de
fon théatre le 1. de Février , par la
premiere repréſentation des Troyennes de
Champagne.Il l'a continuée alternativement
avec la Nouvelle Baftienne , la Servante
juftifiée , Bertholde à la ville , &c. jufqu'au
18 , qu'il a donné Jerôme & Fanchonete ,
paftorale de la Grenouillere , parodiée de
l'opéra Languedocien , & précédée de la
Chercheufe d'efprit & du Suffifant . Ce ba
dinage a été univerfellement applaudi , &
mérite de l'être ; il a ramené fur ce théatre
la gaité folle qui lui convient. Il fait rire
aux éclats ; il eft vrai qu'il eft très- bien
rendu par les acteurs , & fur-tout par
Mlle Rofaline , qui a faifi parfaitement
toutes les graces du genre. Il y avoit longtems
que nous n'avions ri de bonne foi
à aucun fpectacle. C'eſt un plaifir fi doux ,
& qu'on goûte aujourd'hui fi rarement
dans la capitale , qu'on doit franchement
s'y livrer , fans examiner s'il eft dans les
ségles de la décence , & remercier plutôt
MARS. 1755 163
Factrice & l'auteur qui nous le procurent.
M. Monet ne doit pas être oublié ; c'eſt à
fon zéle actif que ce fpectacle doit tout
fon éclat & fes fuccès. Je ne doute pas que
Jerôme & Fanchonette n'y attirent la foule
jufqu'à la clôture . Le baler des Matelots
dont cette parodie eft fuivic , eft de M.
Novere , & finit par une contredanſe qui
renvoye tous les fpectateurs contens.
Je reçois dans ce moment un exemplaire
de la pièce , qui fe vend chez Duchefne ,
Libraire , rue S. Jacques , au - deffous de la
fontaine S. Benoît , au Temple du goût : le
prix eft de 24 f. avec la Mufique : nous en
donnerons l'extrait le mois prochain. Elle
eſt de M. Vadé ; nous lui avons l'obligation
de nous avoir donné une Paftorale qui
n'eſt point une moutonnade. On ne lui reprochera
point la fadeur , ni la vanité de
vouloir être un émule férieux du grand
Opéra. Il a pris le ton convenable au théâ
tre pour lequel il travaille ; une charge
plaifante y eft toujours préférable à une
prévention ridicule , fans être rifible.
164 MERCURE DE FRANCE .
CONCERT SPIRITUEL.
E Dimanche 2 Février , jour de la Purification
, le Concert commença par
une fymphonie nouvelle ; enfuite Landa
Jerufalem , Pf. 147. de M. Philidor , motet
à grand choeur , qui a été exécuté à la
Chapelle du Roi. M. Richer , Page de la
mufique du Roi , chanta un petit moter.
M. Matthieu , ordinaire de la Chapelle &
de la Chambre du Roi , joua un concerto
de fa compofition. M. Albaneze chanta un
air Italien. Le Concert finit par Dominus
regnavit, motet à grand choeur de M. Mondonville
, Maître de mufique de la Chapelle
du Roi.
MARS.
1755 165
ARTICLE SIXIE ME.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU LEVANT.
DE CONSTANTINOPLE , le 4 Janvier.
L
E 22 Décembre , jour fixé pour l'inauguration
d'Ofman III , ce Prince , accompagné
de toute fa Cour , fe rendit à la Mofquée d'Ejoub.
Après que le Grand Seigneur eut fait fa priere ,
le Mufti s'avança vers la Hauteffe , & lui dit :
Puiffant Empereur , glorieux monarque , Dieu l'a
établi Sultan pour regnerfur les véritables croyans ;
fois fidele à la loi , & ton regne fera heureux. Il
ajouta enfuite en fe tournant vers le peuple
voilà celui que Dieu , dans l'éternité de fes decrets ,
a destinépour vous gouverner ; il obfervera la loi ;
foyez lui foumis. Puis il ceignit le cimeterre de
Mahomet au Sultan , qu'il exhorta de ne le tirer
que pour la défense de la religion & de la justice.
Lorfque cette cérémonie fut finie , la mufique
des Janiffaires fe fit entendre , & l'air retentit
d'acclamations . Le Grand Seigneur étant retourné
àu Sérail , on diftribua quinze cens bourſes aux
troupes. Au milieu des réjouiflances , quelques
Leventi , ou gens de mer , infulterent un Janiffaire
. Celui -ci n'en eut pas plutot informé les foldats
de fa compagnie , qu'ils fe répandirent dans
les rues voifines du port , & fondirent le fabre à la
main fur les Leventi. Heureufement l'Aga des
1
166 MERCURE DE FRANCE.
•
Janiffaires & le Capitan Pacha impoferent par leur
préfence aux uns & aux autres , & en peu de tems
le defordre fut appaifé . On empala fur le champ
fans autre forme de procès , les Leventi qui y
avoient donné lieu.
1
Sa Hauteffe étant inftruite que la plupart des
Mufulmans regardent la défenfe de boire du via
comme un réglement fait pour le fimple vulgaire ,
a ftatué de rigoureufes peines contre ceux qui ,
fans refpect pour l'Alcoran , feront ufage de cette
liqueur,
DUNOR D.
DE PETERSBOURG , le 4 Janvier.
L'anniverfaire de la naiffance de l'Impératrice
qui eft entrée dans la quarante-cinquième année
de fon âge , fut célébré le 29 du mois dernier avec
beaucoup de magnificence. Toute la Cour s'étant
affemblée le matin dans l'appartement du Grand
Duc , l'accompagna chez Sa Majesté Impériale,
A midi , l'Impératrice dîna en public avec ce Prin
ce ; on fervit une autre table pour la nobleffe de
la premiere & de la feconde claffe . Il y eut le foir
un bal dans la Galerie. Le Grand Duc ſoupa à
une table de deux cens couverts : on tira un feu
d'artifice , & toutes les rues furent illuminées.
Vis-à-vis la principale porte du Palais étoit une
décoration repréfentant le Cirque de Rome , &
éclairée par un grand nombre de pots à feu.
Une toux dont le Prince Paul Petrowitz a été
incommodé , a donné quelque inquiétude ; mais
les allarmes font diffipées , & ce Prince eft parfaitement
rétabli . Il ne fe paffe point de jour que
Impératrice ne lui rende vifite. La Grande DuMARS.
1755. 167
cheffe , après avoir gardé le lit pendant quelque
tems , commence à jouir d'une meilleure fanté.
Le bruit qui avoit couru que cette Princefle étoit
de nouveau enceinte , ne fe confirme pas.
DE STOCKHOLM , le 14 Janvier.
L'Hôpital établi en faveur des malades néceſſiteux
, a tout le fuccès qu'on peut defirer. Les
foins & les libéralités de la fociété qui a fondé la
maiſon des enfans trouvés , l'ont déja miſe en état
d'entretenir cinquante de ces malheureuſes victimes
de la mifere ou de l'infenfibilité de leurs parens.
Le zele du bien public animant également
ici tous les états , les Médecins travaillent de
concert à fixer la meilleure méthode d'inoculer la
petite vérole.
Malgré la rigueur dont l'hyer eft cette année
dans les pays même les plus méridionaux de l'Europe
, la faifon eft ici tellement temperée que
les côtes , & même les rivieres de ce royaume ,
n'ont pas ceffé d'être navigables , tandis que les
ports de la mer Baltique , du côté de la Pomeranie
& de la Pruffe , font totalement fermés par les
glaces .
DE COPPENHAGUE , le 24 Janvier.
Depuis que l'Hôtel des Invalides eft rebâti ;
en fait filer de la laine aux foldats qu'on y entretient
, & ce travail contribue à leur procurer divers
avantages que ne leur fournit pas la fondation.
Le premier des deux prix propofés par l'Académie
de Peinture , de Sculpture & d'Architecture
, a été adjugé au fieur Slod . Le fieur Schultz
xemporté le fecond. Le Baron de Pleffen , Cham
168 MERCURE DE FRANCE.
bellan , & le fieur Gram , Confeiller des Conférences
, ont été élus Académiciens honoraires de
cette Académie .
ALLEMAGN E.
DE VIENNE , le 18 Janvier.
. Le Comte de Bouquois , Maréchal de Bohême
& le Comte de Noſtitz , Préſident du Tribunal
des Appellations dans le même royaume , ont
été mandés de Prague par l'impératrice Reine.
Cette Princeffe a fait diftribuer deux mille cordes
de bois aux pauvres , pour les aider à ſupporter la
rigueur de l'hyver , qui eit telle qu'on a trouvé
deux fentinelles morts de froid à leurs poftes .
Le 26 du même mois , le Baron de Sievers eut
fes audiences de congé de l'Empereur & de l'Impératrice
Reine . Il fut conduit le lendemain à
celles des Archiducs & des Archiducheffes. Leurs
Majeftés Impériales lui ont fait préfent de leurs
portraits enrichis de diamans , & d'une bague de
très-grand prix. Le même jour , le Comte de
Keyferling , Ambaffadeur de la Cour de Ruffie ,
donna- la fête qu'il avoit fait préparer pour célébrer
la naiffance du Prince Paul Petrowitz.
DE DRESDE , le 23 Janvier.
Une infinité d'étrangers fe font rendus ici pour
prendre part aux divertiffemens du Carnaval . Quelqu'accoutumé
qu'on foit à y voir les opéra repréfentés
avec la plus grande magnificence , celui
qu'on joue actuellement a caufé une furprife générale.
Dans le Triomphe d'Ezio , le héros de
la piéce , il paroît cinq cens perfonnes , & plus
de
MARS. 1755 169
de cent cinquante chevaux , fans les dromadaires ,
& divers animaux inconnus dans ces climats.
Le fieur Durand , nouveau Miniftre de Sa Majefté
Très-Chrétienne auprès du Roi & de la République
de Pologne , arriva de Paris le 30 Janvier.
Les Février , il fut préſenté à leurs Majeftés
par le Comte de Broglie , Ambaſſadeur de
France.
Pour donner une idée de la magnificence avec
laquelle l'opéra d'Aëtius ( en Italien Ezio ) eft repréfenté
, nous tracerons ici le tableau du triomphe
du héros de la piéce. Une avant-garde de foldats
Romains , armés à la légere , & précédés d'un
Porte-enfeigne . Plufieurs trompettes & fonneurs
de cor couronnés de lauriers ; troupe de piquiers ;
prifonniers faits fur les Huns ; Cavaliers Romains ,
ayant trois Officiers à leur tête ; les principaux
Huns qui ont été pris ; foldats Romains ; huit mulets
& huit dromadaires chargés de butin , & conduits
chacun par un efclave : quatre chariots fur lefquels
font les machines de guerre enlevées à l'ennemi
; deux foldats marchent à côté de chaque
chariot ; divers portes- enfeignes , à la tête defquels
eft un tribun. Les dépouilles les plus précieuſes
des vaincus , portées fur des brancards ou
à la main , par des foldats ; fix autres foldats tenant
des trophées ; le Dieu de la Marne , que
quatre Romains portent fur leurs épaules , & qui
eft appuyé fur une urne renverfée. L'Ichnographie
, ou le plan géométral de la ville de Châlonsfur-
Marne , près de laquelle Aëtius a remporté
la victoire ; un étendard fur lequel on lit : Deviczori
Hunnorum , gentis barbara triumphus decretus
;cohorte prétorienne , chevaux de main d'Aëtius
, conduits chacun par deux palfreniers. Cheyaliers
Romains avec de grands boucliers , & avec
H
170 MERCURE DE FRANCE.
des panaches fur leurs cafques ; cinq enfeignes , fur
chacune defquelles eft peint le bufte de l'Empereur
Valentinien ; l'aigle Romaine ; huit Licteurs, leurs
faifceaux à la main ; Sénateurs Romains , marchant
trois à trois , & portant des branches de
laurier ; trois thurificateurs , trompettes , & autres
inftrumens militaires. Aetius dans un char
de triomphe , traîné par quatre chevaux de front ,
que conduit le génie tutelaire de Rome ; trois
thurificateurs ; les parens & amis du triomphateur;
troupe de cavalerie ; les efclaves d'Aëtius,
& des perfonnes de fa fuite . La marche eft fermée
par un détachement de fantaffins diverſement
armés.
DE BERLIN , le 28 Janvier.
On célébra le 24 l'anniverfaire de la naiffance
du Roi , qui eft entré dans la quarante-quatrième
année de fon âge. Sa Majesté reçut à cette occafion
les complimens des Miniftres étrangers , &
elle dîna enfuite chez la Reine Douairiere avec
toute la Famille royale.
On a reçu avis que le Cardinal Querini avoit
légué la quatrième partie de fes biens pour achever
la conftruction & les embelliffemens de la
nouvelle Eglife Catholique de cette ville. Hier
* on célébra dans l'ancienne Chapelle des habitans
-de cette communion , un ſervice folemnel pour
repos de l'ame de ce vertueux & fçavant Cardinal.
Fle
L'Académie royale des Sciences & Belles-Lettres
a élu , en qualité d'Affociés étrangers , Don
Joffe-Joachim Suares de Barros , célébre Aftronome
de Lisbonne ; le Docteur Mary , Médecin ,
de la Société royale de Londres ; le fieur de BerMARS.
1755. 171
ghen , Profeffeur en Médecine dans l'Univerfité de
Francfort fur l'Oder ; & le fieur André Mayer
Profeffeur de Mathématiques & de Phyfique , dans
celle de Grypfwalde en Pomeranie. Le fieur Eller ,
premier Médecin du Roi , lut le 23 à cette Académie
une differtation , dans laquelle il entreprend
de prouver que l'ufage des vales de cuivre
n'eft pas auffi nuifible à la fanté que beaucoup
de gens fe le perfuadent.
f
3
ITALI E.
DE NAPLES , le 18 Janvier.
Depuis le 4 de ce mois le froid eft extraordi
naire ; toutes les montagnes des environs , & le
Véfuve même , malgré les flammes & le torrent
de matiere bitumineufe qu'il continue de jetter ,
font couvertes de neige . Le Duc de Penthievre
arriva ici le 13 à trois heures après - midi. On attendoit
ce Prince dès le jour précédent , mais les
glaces l'ont retardé ſur la route. Il a été obligé de
monter à pied une partie de la montagne de Ve
letri , parce que les chevaux ne pouvoient traîner
les voitures. Le Marquis d'Offun , Ambaſſadeur
de France , eft allé avec plufieurs Seigneurs Napolitains
au-devant de Son Alteffe Séréniffime
jufqu'au Bourg de Capo di Chino . Lorsqu'elle
defcendit à l'hôtel du Marquis d'Offun , où elle
a pris fon logement , tous les vaiffeaux françois
qui étoient dans le port firent une falve de leur
artillerie. Le 15 , le Duc de Penthievre alla voir
la Maiſon royale de Portici , & ſe rendit de là fur
le Véfuve , pour examiner les effets de l'éruption
de ce Volcan. Ce Prince partit le 16 pour Caferte
, où font leurs Majeftés. Il fe propofe de
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
fa re un voyage à Pozzuolo & à Baïa,
DE ROME , le 27 Janvier.
Le Duc de Penthiévre eft arrivé ce foir de
Naples,, & il compte de partir les du mois prochain
pour Florence.
DE VENISE , le 31 Janvier.
Selon les avis reçus d'Alger , une confpiration
y éclata le 11 du mois dernier. Comme on devoit
ce jour- là payer le prêt à la milice , les conjurés
fe rendirent avec les autres foldats au palais , fous
prétexte d'aller recevoir leur folde. Dans le tems
qu'on étoit occupé à leur diftribuer l'argent qui
leur étoit dû , le Chef du complot s'approcha du
Dey , & lui déchargea un coup de fabre au défaut
de l'épaule. Le Dey , quoiqu'âgé & griévement
bleflé , fe mit en défenſe ; mais l'affaffin le tua
d'un coup de piftolet. Quelques autres des principaux
membres de la Régence furent en même
tems poignardés , & les conjurés décernerent le
titre de Dey à leur Chef. Il n'a pas joui long tems
de fa nouvelle dignité. L'énormité de fon attentat
ayant infpiré une jufte horreur à la plupart
des habitans & des foldats , ils ont pris les armes
contre lui , & il a été maſſacré , ainfi que fes
complices. La milice & le peuple , d'un concert
unanime , ont proclamé Dey Ali Effendi Aga ,
Général de la Cavalerie Maure. C'eft un homme
courageux , mais fage ; & l'on prefume qu'il fuivra
les maximes du gouvernement de fon prédé¬
effeur.
DE GENES , le 18 Janvier.
Les lettres de Modene marquent que le Duc de
MARS. 1755. 173
Modene y eft arrivé le 8 de Milan. L'équipage
d'un bâtiment qui revient d'Afrique , a rapporté
que Sidy Soliman , troifiéme fils du Bey de Tunis
étoit mort le 7 , & que fon caractere doux &
bienfaifant le faifoit regretter également des Tunifiens
& des étrangers.
DE TURIN , le 3 Février.
La fignature de tous les procès - verbaux , concernant
le réglement des limites entre le Roi &
la République de Genève , fut faite le 1 de ce
mois à Cornieres , fur la paroiffe de Villelagranda
Le Baron Foncet de Montalleur , Commiffaire
de Sa Majefté , donna à cette occafion un magnifique
repas aux Commiffaires de la République.
Les lettres de Parme , du 24 du mois dernier ,
marquoient que l'Abbé Comte de Bernis , Am
baffadeur du Roi Très - Chrétien auprès de la République
de Venife , étoit depuis le 8 à la Cour
de l'Infant Duc.
GRANDE - BRETAGNE.
DE LONDRES , le 13 Février .
Le Roi vient de nommer le Lord Harford ,
pour remplacer , en qualité de fon Ambaffadeur
extraordinaire auprès du Roi de France , le feu
Comte d'Albemarle.
•
Hij
174 MERCURE DE FRANCE.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
AUXERRE.
"L'Evêque d'Auxerre attendu dans cette
mois de Janvier. Sa politeffe & fa douceur lui af
furent déja le coeur de fes Diocétains , qui ont été
charmés de leur Prélat . 2
Le 2 du mois paffé , il fut inftallé par le grand
Archidiacre de Sens , fuivi de deux Chanoines.
Ce Prélat fit enfuite un difcours rempli d'affec
tion , de nobleffe & de religión . Le peuple accou
rut de toutes párts à cette cérémonie.
* M. l'Evêque d'Auxerre voit fouvent les Chanoines
de fa Cathédrale , & ils prennent grand
plaifir à le connoître , en cela imités par les principaux
habitans de cette ville. MM . fes Grands
Vicaires ont la même façon de penfer que le Prélat
, on la reconnoît chaque jour en la perfonne
de M. l'Abbé de Lifle . Tout cela annonce combien
ce Prélat eft digne du choix que le Roi à fait
de lui. Il avoit fçu gagner le coeur de fes Diocé+
fains en Dauphiné , il leur avoit procuré la paix
dans plus d'une occafion , il la cultivera ici avec
foin ; on doit l'attendre d'un mérite reconnu , réuni
à une naiffance diftinguée , M. l'Evêque d'Auxerre
étant d'une des plus anciennes maiſons de
la Principauté d'Orange.
Fouquet de Caritat étoit Grand Prieur de Touloufe
, lors du fiége de Rhodes . N. de Caritat étoit
MARS. 1755: 175
Evêque d'Orange en 1447. Dans les actes de la
maifon de Caritat de Condorcet ils prennent les
qualités de nobles & puiffans en 1320 , vis - à- vis
le Dauphin & les Barons de Mevouillon, qui étoient
fouverains.
Dans le territoire d'Orange il y a le fief de
Caritat. Cette Maifon a encore deux branches ;
l'aînée eft repréfentée par le Comte de Condorcet,
qui a des enfans mâles ; il eft le neveu de M. l'Evêque
d'Auxerre. La branche cadette eft établie
en Picardie ; elle a pareillement des mâles qui la
repréfentent . Les alliances de la maifon de Caritat
font celles de la Roche Montauban , d'Artaud,
d'Agouet , de Montmaur , de Montpezat , & au¬
tres.
Le Sr Dulaurent de la Barre , Recteur de l'U
niverfité , accompagné des Doyens des Facultés &
des Procureurs des Nations , fe rendit le premier
Février à Trianon , & il eut l'honneur , fuivant
P'uſage , de préfenter un cierge au Roi. Il alla en
fuite à Verfailles , où il remplit le même cérémo
nial à l'égard de la Reine & de Monfeigneur le
Dauphin.
Le mêmejour , le P. Gobain , Commandeur du
Couvent de la Merci , accompagné de trois Religieux
de cette Maiſon , eut l'honneur de préſenter
un cierge à la Reine , pour fatisfaire à l'une des
conditions de leur établiſſement fait à Paris en
1615 , par la Reine Marie de Medicis.
Le 2 , Fête de la Purification de la Sainte Vierge
, les Chevaliers , Commandeurs & Officiers de
POrdre du Saint-Esprit , s'étant aflemblés vers les
onze heures du matin dans le cabinet du Roi , Sa
Majeſté fortit de fon appartement pour aller à fa
Chapelle. Le Roi , devant qui les deux Huiffiers
de la Chambre portoient leurs maffes , étoit en
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
manteau , le collier de l'Ordre par- deſſus , ainf
que celui de l'Ordre de la Toifon d'or. Sa Majefté
étoit précédée du Duc d'Orléans , du Prince de
Condé , du Comte de Charolois , du Prince de
Conti , du Comte de la Marche , du Prince de
Dombes , du Comte d'Eu , & des Chevaliers ,
Commandeurs & Officiers de l'Ordre . Après avoir
affifté à la bénédiction des cierges & à la proceffion
, le Roi entendit la grande Meffe , à laquelle
l'Evêque Duc de Langres , Prélat , Commandeur
de l'Ordre , officia pontificalement. Lorsque la
Meffe fut finie , Sa Majeſté fut reconduite à fon
appartement en la maniere accoutumée.
Le 4 au foir , la Cour quitta le deuil qu'elle
avoit pris le 28 du mois dernier pour la mort de
Ja Margrave de Bade-Baden.
Le Marquis de Valory , Lieutenant général des
armées de Sa Majefté , Commandeur de l'Ordre
royal & militaire de S. Louis , & ci - devant Miniftre
plénipotentiaire auprès du Roi de Pruffe , a
obtenu le Gouvernement de la Citadelle de Lille. ”
Leurs Majeftés & la Famille royale fignerent le
4 le contrat de mariage de Mr le Peletier de Saint-
Fargeau , & de Dlle de Beaupré de Morfontaine.
Le 6 , le Duc de Cruffol prit féance au Parlement
, en qualité de Pair de France.
Le Préſident de Segur , Préfident du Parlement
de Bourdeaux , ayant obtenu du Roi l'agrément
de la charge de Prevôt de la ville , Prevôté & Vicomté
de Paris , vacante par la démiffion du Préfident
de Montplaifant , Préfident du Parlement
de Dijon , fur reçu hier au Parlement en cette
charge . Il fut enfuite inſtallé au Châtelet par les
Commiffaires de cette Compagnie dans les différens
fiéges de la Jurifdiction.
L'Académie royale de Peinture & de Sculpture
MARS. 1755. 177
•
a élú pour fon Secrétaire & Hiftoriographe , à la
place du feu fieur Lépicié , le Sr Cochin , Graveur
du Roi , Garde des deffeins du cabinet de Sa Majefté
, & l'un des membres de cette Académie les
plus diftingués .
2
Les Religieux de l'Abbaye royale de S. Denis
conformément à la fondation faite par le Roi ,
célébrerent le 7 Février , dans leur églife , un fervice
folennel pour le repos de l'ame de Madame
Henriette.
>
Les Commiffaires du Parlement qui ont inf
tallé le Préſident de Segur au Châtelet dans la
charge de Prevôt de Paris font le Préfident
Molé , & les fieurs de Fieuber , Langlois , Pinon
& Lamblin. Le Préfident de Segur fuccede au
feu Comte d'Efclimont dans cette charge , le
Préſident de Montplaifant , qui en avoit obtenu
Pagrément , ne s'y étant pas fait recevoir.
Le fervice fondé par Monfeigneur le Dauphin
pour Madame Henriette , fut célébré le 8 dans
l'églife de la paroiffe du château. La Reine y a
affifté , accompagnée de ce Prince & de Melda,
mes de France.
Meffire Charles de Secondat , Baron de Montefquieu
, ancien Préfident du Parlement de
Guyenne , & l'un des quarante de l'Académie
Françoife , dont il étoit un des principaux orne
mens , mourut le 10 en cette ville , âgé de foixante-
cinq ans Il étoit de la Société Royale de Lon
dres , & de l'Académie de Berlin .
Le 12 , mercredi des Cendres , le Roi reçut les
cendres des mains du Cardinal de Soubife , grands
Aumônier de France , la Reine les reçut des mains
de l'Archevêque de Rouen , grand Aumônier de:
Sa Majefté ; Monfeigneur le Dauphin , de celles
de l'Abbé du Châtel , Aumônier du Roi ; Ma
Hy
'
178 MERCURE DE FRANCE.
dame la Dauphine , de celles de l'Archevêque de
Sens , fon premier Aumônier ; Monfeigneur le
Duc de Bourgogne , Monfeigneur le Duc de
Berry , & Madame , de celles de l'Abbé Barc
Chapelain du Roi ; Madame Adelaïde , de celles
de l'Evêque de Meaux , premier Aumônier de
cette Princeffe ; Mefdames Victoire , Sophie &
Louife , de celles de l'Abbé Châtelain , Chapelaindu
Roi.
Leurs Majeftés ont entendu le 13 une Meffede
Requiem , pendant laquelle la mufique a chanté
Je De profundis pour l'anniverfaire de Madame la
Dauphine , mere du Roi.
Leurs Majeftés entendirent le 14 une Meffe de
Requiem , pendant laquelle la mufique chanta le
De profundis , pour l'anniverfaire de Madame
Henriette.
Le rs , jour anniverfaire de la naiffance du
Roi, le Comte de Noailles , Gouverneur de Verfailles
, accompagné des Officiers du Bailliage de
cette ville , fe rendit à l'égliſe de Notre-Dame ,
paroiffe du château , & il y affifta au Te Deum ;
il alluma enfuite le feu qui avoit été préparé vís➡
à-vis du portail de l'églife.
·
Le même jour Sa Majefté a envoyé par Mr, le
Marquis de Champcenetz , fon premier Valet de
chambre , à Monfieur le Duc de Bourgogne
pour fon amuſement & fon inftruction , le fyfte
me de Copernic , ouvrage de Mr. l'Abbé du But ,
Curé de Viroflay , près Verfailles , qui avoit eu
l'honneur de le préfenter au Roi le 3 du mois de
Janvier dernier. Sa Majefté l'avoit gardé jufqu'à
ce jour dans fon cabinet.
Cette machine confifte en un grand palais de
glaces , dont les colonnes cannelées font de
cryftal , les bafes & les chapiteaux d'or , le tont
MARS.
1755. 179
entrecoupé de nuages peints au naturel , & décorés
d'un grand nombre de guirlandes feintes de
pierreries : le foleil immobile , & tournant fimplement
fur fon axe , paroît au milieu de ce palais
; il eft repréſenté par des feuilles d'argent
colorées , qui répandent un éclat extraordinaire ;
les planetes de Mercure, Vénus & Mars, défignées
par leurs divinités en émail, affifes fur des globes,
tournent autour de cet aftre ; la terre perfonifiée
par Cybele , pofée fur une fphere , parcourt les
douze fignes du zodiaque , & s'arrête aux quatre
principaux points ; fçavoir , les folftices d'été & .
d'hyver , les équinoxes de printems & d'automne ;
Flore , Cérès , Bacchus & une des Parques , dé
fignent chacune un de ces points ; la terre emporte
dans fon tourbillon la lune qui la ſuit dans
un char d'argent & d'ébene ; far le devant Jupiter
& Saturne font leurs révolutions : ces planetes
font accompagnées de petits amours qui mar
quent & égalent le nombre de leurs fatellites. On
a auffi répandu dans ce palais nombre de figures:
d'émail , représentant les mois , les femaines , les
jours & les nuits , qui , fe mouvant & fe réfléchiffant
dans les glaces , font un effet furprenant.
Aux deux côtés de l'efcalier du palais s'élevent
deux rochers , où font placés les quatre vents
caractérisés par leurs différens attributs ; deux
grands cartouches hors du palais contiennent les
tems des révolutions de chaque planete für leurs
axes , & celui qu'elles emploient à parcourir leurs
orbes , leur éloignement par rapport à la terre.
Toute cette machine eft enfermée dans une
boîte composée de fix volumes de très -grands in
folio , qui portent pour intitulé le Monde.
Ce même jour Mr. le Marquis de Champcenetz
a préfenté à Madame , de la part du Roi le pa
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
lais du foleil , du même goût , & du même traẻ
vail que le précédent.
La Comteffe de Lauraguais fut préfentée le 16
à Leurs Majeftés & à la Famille Royale ; elle prit
le tabouret , en vertu du brevet d'honneurs accordé
par le Roi au Comte de Lauraguais.
Le 16 de ce mois , fur les onze heures du matin
, la Princeffe de Condé commença de fentir
quelques douleurs. L'après-midi , entre quatre
& cinq heures , elle accoucha d'une Princeffe
qui fut ondoyée le même jour , & qui fe nommera
Mademoiſelle de Bourbon . La Princeffe
de Condé & la jeune Princeffe fe portent auffi
bien qu'on puiffe le defirer.
On chanta le 18 ke De profundis , pendant la
meffe de Leurs Majeftés , pour l'anniverſaire de
Monfeigneur le Dauphin , pere du Roi . .
Le même jour Leurs Majeftés fignerent le
contrat de mariage du Comte de Thomond , Chevalier
des ordres du Roi , Lieutenant- Général des
armées de Sa Majefté , & Infpecteur de l'infanterie ,.
avec Demoifelle de Chiffreville.
Le Roi a accordé à M. Bochart de Sarron ,
Avocat général au Parlement , l'agrément de la
charge de Préfident , vacante par la mort du Préfident
Gilbert de Voifins.
M. Seguier , Avocat général au grand Con--
feil , a obtenu l'agrément de la charge d'Avocat
général au Parlement , de laquelle M.
d'Ormeflon de Noifeau le demer , pour paffer à
celle de Préfident . Celle d'Avocat général , de
M. Bochart de Sarron , eft donnée à M. Peletier
de Saint -Fargeau , Avocat du Roi au Châteler.
Sa Majesté a gratifié d'une penfion de fix mille
livres M. Joly de Fleury, qui depuis que M..
MARS. 1755. 181
d'Ormeflon de Noiſeau a quitté le parquet , ef
devenu premier Avocat général .
Le 20 les actions de la Compagnie des Indes
n'avoient point de prix fixe. Les billets de la premiere
lotterie royale étoient à huit cens treize
livres , & ceux de la feconde lotterie , à fept cens
quatorze.
REMARQUES fur la Lotterie de
Bruxelles.
E fonds de cette lotterie eft compofé de cent
quante florins chacun ; il doit y avoit cent foixante-
dix mille lots , dont un très- grand nombre ,
comme on peut croire , font au deffous de la mife.
Il y aura cinq tirages , & dans chacun des quatre
premiers cinq mille lots. Les numeros fortis aux
premiers tirages rentreront à chaque fois dans la
roue pour
les tirages fuivans , on voit qu'il refte ,
pour le dernier tirage autant de lots qu'il y a de
numeros , dont un très-grand nombre ne font
que de quarante florins ; & comme on retiendra
dix pour cent après le tirage , ceux qui n'auront
eu qu'un lot de quarante florins ne retireront
que trente-fix florins , &.par conféquent quatorze
de perte. Mais , dira-t - on , ceux qui auront été ,
affez heureux pour avoir quelque lot aux quatre
premiers tirages , gagneront. Oui , ceux qui auront
eu un ou plufieurs lots , faifant plus de quin
ze florins , entre lefquels beaucoup fe trouveront
avoir deux ou trois florins de bénéfice , d'autres
cinq , fix , huit , douze , & c . plus ou moins ,
& quelques-uns un bénéfice paffable , car la lot182
MERCURE DE FRANCE.
terie ne peut pas honnêtement garder le tout.
Mais tous ceux qui n'auront eu dans les quatre
premiers tirages qu'un lot de quinze florins ou
au-deffous , & ils feront en grand nombre , auront
encore de la perte s'ils n'ont qu'un lot de quarante
florins au cinquieme tirage : car un lot de
quinze florins & un de quarante font cinquantecinq
florins , dont ôtant cinq florins & demi , à
caufe des dix pour cent , reite quarante florins
pour une mife de cinquante florins.
Mais le plus qu'on puiffe perdre eft quatorze
florins , auffi peut- on remarquer au dernier alinea
du plan , que la lotterie fera crédit de trente- fix
forins à ceux qui voudront fournir quatorze
florins en prenant les billets ; & ils ont raiſon ,
ils ne courent aucun rifque à faire ce crédit , puifque
c'eft ce qui doit rentrer à ceux qui auront le
fort le plus défavorable , qui feront ceux qui
n'ayant pas eu des lots aux quatre premiers tirages
, n'auront qu'un lot de quarante florins au'
cinquieme tirage , & de ceux-ci il y en aura plus
de cent trente mille.
Il s'enfuit de ce qui précéde qu'on ne doit regarder
la mife réelle que de quatorze florins , &-
que ceux qui n'auront que des lots de quarante
forins font ceux qui n'auront point de lots ; car
donner cinquante florins pour n'en retirer que
trente-fix , ou donner quatorze florins & n'avoir
aucun lot , c'eſt bien la même chofe ; le refte
n'eft qu'une illufion pour mieux duper les joueurs.
On doit voir d'après tout ce qu'on vient de dire ,
que le fonds de la lotterie ne doit être réputé que
de cent cinquante mille fois quatorze florins , en
retranchant trente-fix forins de chacun des cent
cinquante mille lots du cinquieme tirage ; & en
effet la lotterie fe contente de quatorze florins par C
MAR S. 1755. *
183
billet , pourvu qu'on les donne d'abord , ce qui
fait un fonds de deux millions cent mille florins.
Quel avantage y a -t-il donc à annoncer une
mife de cinquante florins par billet : Le voici ; il
n'eft pas mal grand. On préleve par cet artifice
dix pour cent fur un fonds de cent cinquante mille
fois cinquante florins, ou de fept millions cinq cens
mille florins , lefquels dix pour cent rapportent
fept cent cinquante mille florins , au lieu que fi
on ne prélevoit les dix pour cent que fur le fonds
réel de cent cinquante mille fois quatorze florins ,
on n'auroit que deux cens dix mille florins de bénéfice.
Or on eft bien aiſe d'avoir davantage ; &
pour en avoir le prétexte , on dit qu'on fait crédit
d'un fonds dont on n'avoit befoin que pour
faire montre , & la preuve qu'on n'en avoit pas
befoin , c'eft qu'on en fait crédit , & que les trente-
fix florins ne font par là qu'en idée dans les
lots pour en faire paroître davantage , & tous plus
forts.
On fait fupporter à la mife réelle les dix pour
cent du fonds imaginaire des cinq millions quatre.
cens mille florins de crédit , qu'il leur étoit affez
indifférent à l'intérêt près ) de toucher ou de ne
pas toucher , pourvû qu'ils en ayent les dix pour
cent. C'eft proprement dire aux joueurs , je veux
bien ne prendre que dix pour cent de l'argent que
je vous fais jouer , à condition que j'y prendrai
auffi dix pour cent de l'argent que vous ne jouez
pas.
Qu'on y faffe bien attention : qu'est - ce que c'eft
que des lots moindres que la mife ? n'en réſultet-
il pas toujours une perte pour les joueurs ? Et
pourquoi demander à chaque joueur plus qu'il ne
doit , ou ne peut perdre ? pouquoi leur demander
un argent qu'on fçait devoir néceffairement leur
184 MERCURE DE FRANCE
rentrer un jour , fi ce n'eft pour faire , on faire
paroître une grande recette pour avoir occafion
d'y prendre un bénéfice à proportion , qui ne peut
être qu'aux dépens de la mife réelle ? auffi fur deux
millions cent mille florins qu'il y a ici de fonds
réel , préleve-t- on fept cens cinquante mille florins,
ce qui eft prefque trente-fix pour cent. L'auteur
du plan ofe cependant dire que cette lotterie eft
infiniment plus favorable que toutes les autres qui
ont paru jufqu'ici . Il eft vrai qu'elle eſt favorable :
refte à dire pour qui ; ou bien ignore- t - il qu'on
n'a pris jufqu'à préfent que quinze pour cent aux
trois lotteries de Paris , ce qui n'eft pas les trois
feptiemes de ce qu'on prend par la fienne , & encore
n'a -t- on autant pris que parce que ce revenu
a toujours été deſtiné à des oeuvres pieuſes , car
dans toute autre occafion on a toujours moins
pris.
On doit voir par ces remarques que cette lotterie
n'eft qu'une attrape , dans laquelle un nombre
prodigieux de perfonnes ont déja donné , fans s'en
appercevoir. Fait -on en France des lotteries avantageufes
pour le public les François les laiffent
remplir par les Etrangers. Les Etrangers en fontils
de très -defavantageufes , les François y donnent
à plein collier ?
MARS. 1755. 185
NAISSANCE ,
MARIAGES ET MORTS.
E31 Janvier , Dame Marie - Jeanne Moreau
- -
Puech , Seigneur de Laloubiere , eſt accouchée
d'un fils qui a été baptifé le même jour en l'Eglife
de S. Euſtache de Paris , & nommé Marie - André-
Louis.
Voyez fur la famille del Puech le Mercure de
Janvier au fujet du mariage du fils aîné de François
del Puech de Comeiras , Brigadier des armées
du Roi , coufin germain paternel de Jean- Pierre-
Louis del Puech de Laloubiere,, pere de Marie-
André - Louis del Puech , qui a donné lieu à cet
article .
1
Meffire Marie-Henri de Salvert , fils de Meffire
Gilbert- François , Comte de Salvert , a époufé le s
Novembre dernier à Sceaux Dlle Charlotte -Henriette
de Sabrevois , fille de Meffire- Henri de Sabrevois
, Maréchal des camps & armées du Roi ,
Lieutenant général de l'artillerie , & Commandant
en chef le département d'Alface.
Meffire François de Boyffeulh , Capitaine de
Cavalerie au Régiment de Lufignan , fils de Meſſire
Charles , Comte de Boyffeulh , Lieutenant- Colonel
du Régiment de Marcieux ; & de Dame Mar.
the d'Abzac , époufa le 27 Novembre Dlle Marie-
Marguerite-Catherine Damblard de Lafmaftres ,
fille de Meffire Jean- Marie Damblard de Lafmaftres
, Commandant de la Venerie du Roi ; & de Da
186 MERCURE DE FRANCE.
me Catherine de Bauny. La bénédiction nuptiale
leur fut donnée par l'Evêque d'Arras dans l'Eglife
de la Paroiffe du Château à Verſailles , & la Comteffe
de Toulouſe affifta à cette cérémonie. Leur
contrat de mariage avoit été figné le 24 par leurs
Majeftés , & par la Famille royale.
Le 28 de Novembre fut faite dans la Chapelle
de l'Hôtel de Soubife la célébration du mariage de
Louis , Comte de Prie , Gouverneur de Bourbon-
Lancy , Moufquetaire de la Garde ordinaire du
Roi dans la premiere Compagnie , fils de François-
Leonor de Prie , Chevalier , Marquis-de Pla
nes & Courbepine , Seigneur haut jufticier de
Chauffée en Normandie , & de Thefmillon en
Bourgogne , Seigneur & Patron des Paroiffes de
Coquainvilliers , du Chefne , de Leffart en Normandie
, &c. Commandeur des Ordres réunis de
Notre Dame de Mont- Carmel & de S. Lazare ,
& ancien Capitaine de Cavalerie au Régiment
qui portoit le nom de fon frere aîné Louis II de
Prie , Marquis de Planes , dit le Marquis de Pries
& de Marie-Magdeleine- Genevieve Loquet , Dame
de Tolleville en Normandie , &c. avec Loui
fc - Camille -Victoire de Villette , fille de Pierres
Charles de Villette , Ecuyer , Seigneur du Pleffis-
Longueau, de Baficourt , d'Houdancourt , de Saron,
du Portail , &c . Confeiller du Roi en fes Con
feils , Commandeur , Tréforier de l'Ordre royal
& militaire de S. Louis , Tréforier général de
l'extraordinaire des guerres ; & de Thérèſe- Charlotte
Cordier de Launay , fille de Jacques Cordier
de Launay , Ecuyer , Seigneur de Valery , de
Dinant , de la Verriere , &c , ancien Thréforier
général de l'extraordinaire des guerres. Leur contrat
de mariage avoit été honoré le 24 de la fignature
du Roi , de la Reine , & de la Famille royale.
MARS 1755 . 187
Tous les avantages qui conftituent la grandeur
des Maifons , nobleffe dont l'origine fe perd dans
l'obfcurité des fiécles , poffeffion de grandes terres
, alliances illuftres , fervices importans rene
dus à l'Etat , dignités & honneurs qui en font la
jufte récompenfe , tous fe trouvent réunis dans la
Maifon de Prie , de laquelle il eft forti un Cardinal
, un Grand Pannetier , deux Grands- Queux, un
Grand Maître des Arbalêtriers de France , un
Chevalier des Ordres du Roi , des Capitaines de
Compagnies d'Ordonnance , & autres Officiers
de diftinction . Elle tire fon nom de la terre de
Prie en Nivernois , où elle a poffedé plufieurs
autres terres confidérables , auffi bien que dans le
Berry , entr'autres celle de Bufançois.
*
Elle eft connue depuis Geoffroi , Sire de Prie
qui fut préfent en 1178 à la donation faite par la
Comteffe de Nevers aux Religieux de Notre- Da
me de la Ferté -fur -l'Ifeure.
Un de fes defcendans , Philippe de Prie , Sei
gneur de Moulins en Berry , qualifié Chevalier
Banneret , étoit en 1338 Sénéchal de Beaucaire
& de Nîmes , dignité qui n'étoit alors donnée
qu'aux perfonnes de la plus haute naiffance. Ce
Seigneur qui fervit le Roi Philippe de Valois dans
différentes expéditions , laiffa de fa femme Ifabeau
de Sainte-Maure , Philippe de Prie , dit le Borgne,
Seigneur de Moulins. Celui - ci étoit en 1342 Maître
d'Hôtel du Duc de Normandie, qui fut depuis le Roi
Jean , & qui en récompenfe de fes fervices le fit
Capitaine fouverain & général au Bailliage de
Les poffeffeurs modernes de cette terre induits
apparemment en erreur par quelques Topographes
mal inftruits , en écrivent le nom Prix, il eſt écriz
Prie dans tous les anciens titres.
188 MERCURE DE FRANCE.
Bourges , & de cinquante hommes d'armes de fa
Compagnie.
Son fils Jean VII du nom , qualifié Sire de Prie
& de Bufançois, Seigneur de Châteauclos , de Gargilefle
& de Thefmillon , Chevalier Banneret , fur
appellé , fuivant des mémoires manuferits , Paon
de Prie , à caufe de fa magnificence. Il fe diftingua
principalement par fa fidélité envers le Roi
Jean , fait prifonnier à la bataille de Poitiers , &
le Dauphin Régent du Royaume , depuis Roi
Charles V. Il fut un des principaux Barons du
Berry , qui prirent les armes pour défendre cette
province contre l'invafion des troupes du Prince
de Galles . Il eut entr'autres enfans de fa femme ,
Philippe Courault.
Jean VIII , Chevalier , Sire de Prie & de Bufançois
, Confeiller & Chambellan du Roi , allié
avec llabeau de Chanac , de laquelle il laiffa Jean
& Antoine de Prie. L'aîné mérita par fes fervices
d'être élevé à la dignité de Grand Pannetier de
France , & s'attira par fa fidélité la haine du Roi
d'Angleterre , qui confifqua la terre de Prie , que
Charles VII rendit depuis à fes héritiers légitimes.
Il fut tué en 1427 d'un coup de vireton , en défendant
contre les Anglois la groffe tour de Bourges
, dont il étoit Capitaine.
Antoine , frere puîné de Jean VIII , qui l'avoit
forcé dans fa jeuneffe à fe faire Religieux dans
l'Abbaye de Déols , avoit paffé depuis dans l'Ordre
de Saint Jean de Jerufalem . Après la mort
fans enfans de ce frere aîné , il obtint difpenfe
de fes voeux ; il s'allia avec Magdeleine d'Amboife
, & continua la lignée , étant devenu Sire de
Prie & de Bufançois , Seigneur de Montpoupon
de Moulins & de Thefinillon. Il fut Chevalier,
MARS. 1755. 189
Confeiller & Chambellan du Roi Charles VII
& du Dauphin , & en 1431 Grand Queux de
France. Il prenoit la qualité de premier Baron de
Touraine ; il affifta, au lit de Juftice à Vendome
pour la décifion du procès du Duc d'Alençon , &
yfut affis à droite fur la même ligne que le haut
banc des Ducs & Comtes- Pairs de France . Il vendit
la Seigneurie de Prie à Imbert de la Plattiere ,
Seigneur de Bourdillon , Gentilhomme Nivernois,
qui devenu Maréchal de France, fut appellé le Maréchal
de Bourdillon . Par fon teftament il ordonna
que douze pucelles , vêtues de robes blanches de
fin lin , porteroient chacune à fon enterrement
un flambeau de cire blanche , du poids de deux
livres. Il laiffa , entr'autres enfans , trois fils , qui
furent élevés aux premieres dignités.
Louis I de Prie ( fils aîné d'Antoine ) , Chevalier
, Baron de Bufançois , Seigneur de Montpoupon
& de Thefmillon , Confeiller & Chambellan
du Roi , fut auffi Grand Queux de France. Cette
charge fut fupprimée après la mort , & l'exercice
en fut uni à celle de Grand Maître de l'Hôtel du
Roi. Il voulut que fes funerailles fe fiffent comme
celles de fon pere , en doublant le nombre des
pucelles. Il portoit, ainfi que fon pere, l'écu écartelé
au premier & au quatre de gueules, à trois tiercesfeuilles
d'or , qui eft Prie ; au fecond & au troisieme
d'or , à une aigle à deux têtes de fable , couronnée
de gueules , qui eft Bufançois * . Louis , Sire de
Prie , avoit été allié à Jeanne de Salazart , fille
de Jean de Salazart , Seigneur de Saint-Juſt & de
Marcilly , & de Marie de la Tremouille , Dame
de Saint - Fargeau. Leurs petits- fils Gabriel &
* La terre de Bufançois , l'une des plus confidé
rables du Berry , appartient aujourd'hui au Duc de
Saint-Aignan
190 MERCURE DE FRANCE.
René de Prie , moururent fans pofterité .
René de Prie , fils puîné d'Antoine , & coufingermain
, par la mere , du Cardinal d'Amboiſe
fut grand Archidiacre de Bourges , Proto-Notaire
apoftolique , Doyen de S. Hilaire de Poitiers ,
Abbé Commendataire de Sainte - Marie de Levroux,
de
de Notre Dame du Landais , du Bourg-Dieu ,
la Prée-fur-Arnon , & de Lire ; Evêque fucceffivement
de Leitoure , de Limoges & de Bayeux ;
enfin Cardinal en Janvier 1506 , & nommé le
Cardinal de Bayeux . Il fut un des membres du facré
Collége , qui tinrent le Concile de Piſe contre
le Pape Jules If. Il mourut le 9 de Septembre 1516 ,
& fut enterré dans fon Abbaye de la Prée.
Aimard I de Prie , ( troiſieme fils d'Antoine ) ;
Chevalier, Seigneur de Montpoupon , de la Motte ,
de Lezillé, de Thefmillon , & c. Confeiller & Chambellan
du Roi , Capitaine de cinquante Lances de
fes ordonnances , & Gouverneur du Pont Saint-
Efprit, fut Grand Maître des Arbalêtriers de France
, charge qui fut fupprimée après la mort arrivée
avant 1527. C'eſt la postérité qui fubfifte .
Il avoit été marié deux fois . De fa premiere
femme Claude de Choiſeul de Traves , il n'eut
que deux filles. La feconde , Claude de la Baume-
Chevalier , Montrevel , le fit pere d'Efme de Prie ,
Seigneur de Montpoupon , de Lezillé , de Toucy ,
de Thefmillon , de la Grange- Foffegiler , & c. Celui-
ci fut Capitaine de cinquante hommes d'armes
des ordonnances du Roi , Gouverneur & Lieutenant
pour le Roi en la ville d'Auxerre & pays
Auxerrois , Lieutenant général au Gouvernement
de Touraine , Blaifois & Vendomois , & Chevalier
de l'Ordre du Roi . De fon mariage avec Charlotte
de Rochefort de Pleuvaut , nâquit entr'autres eRfans
MAR S. 1755. 191
René de Prie , Chevalier , Baron de Toucy ,
Seigneur de Montpoupon , de Lezillé , de Thefmillon
, & c. Ecuyer d'Ecurie du Roi Charles IX ,
Gouverneur de Touraine . Celui - ci qui fut auffi
Chevalier de l'Ordre du Roi , époufa , par contrat
du 19 Novembre 1559 , Joffine de Selles, fille unique
d'Antoine de Selles , Seigneur de Beuzeville
& de Magdeleine de Ravenel . Leur fils aîné
Aimard II de Prie , Chevalier , Marquis de Tou
cy , Baron de Montpoupon , Seigneur de Thef--
millon , &c. Capitaine de cent hommes d'armes
des ordonnances du Roi , & Chevalier de fon Ordre
, fut député par la nobleffe du Bailliage d'Auxerre
aux Etats Généraux de 1614 : c'eft en conféquence
de fon mariage avec Louiſe , fille & hériere
pour moitié de Guillaume de Hautemer ,
Chevalier , Comte de Grancey , Seigneur de Fervaques
, de Planes , &c , Maréchal de France , &
Chevalier des Ordres du Roi , dit le Maréchal de
Fervaques , que la maifon de Prie fe trouve tranfplantée
en Normandie.
François de Prie , troifieme fils d'Aimard II , &
le feul qui ait continué la lignée , eut , du chef
de fa mere , la baronie de Planes en Normandie
& fut pere d'Aimard-Antoine de Prie , Chevalier ,
Baron de Planes , Seigneur de Coquainvilliers ,
du Chêne , de Marigny , &c . & Maréchal de bataille
des camps & armées du Roi. Celui - ci eut
pour fils Louis II & François- Leonor de Prię ,
pere de celui qui donne lieu à cet article .
Louis II de Prie , Baron , puis Marquis de Planes
, dit le Marquis de Prie , fut Colonel d'un Régiment
de Cavalerie de fon nom , Brigadier
des
armées du Roi , Chevalier de fes Ordres ; fon Ambaffadeur
auprès du Roi de Sardaigne , l'un des
Seigneurs attachés à l'éducation de Sa Majefté ,
192 MERCURE DE FRANCE:
Gouverneur de Bourbon -Lancy , & Lieutenant
général au Gouvernement du Bas- Languedoc ;
c'eft en fa faveur que les terres réunies de Planes
& de Courbepine furent érigées en Marquifat ,
fous le nom commun de Planes, par lettres du mois
de Février 1724. Il avoit eu conjointement avec
la Ducheffe de la Ferté fa coufine , l'honneur de
tenir fur les fonts de bapteme le Roi Louis XV.
glorieufement regnant.
La Maiſon de Prie tient par des alliances , la
plupart réiterées , aux anciennes Maifons de Bertrand-
Briquebec , de Chauvigny , de Sully , de
Craon , de Parthenay- l'Archevêque , de Boulogne,
de Châlon , d'Amboise - Chaumont , de Grailly-
Feix, d'Albret-Navarre; aux Maiſons exiftantes de
la Tour-d'Auvergne , de Rohan - Guemené , de Røhan-
Soubife , de Montmorenci-Laval , de Montmorenci-
Luxembourg , de la Tremouille , d'Uzès , de
Beauvilliers , d'Aumont , de Gévres , de Mailly ,
de Chabannes , de Bethune , de Rochefort - d'Aloigny
, de Choiseul , de Beauvau , ď’Alegre , de
Sennectere , de Sainte- Maure , de la Baune-Montrevel
, de Rouxel-Medavy , & à plufieurs autres des
premieres Maifons du Royaunie.
La Maiſon de Prie porte pour armes , de gueules
, à trois tierces-feuilles d'or , deux & une. Son
ancien cri de guerre eft cant d'oiſeaux ; & fa déwife
, non degener ortu.
Voyez l'Hiftoire généalogique des grands Officiers
de la Couronne ; l'Hiftoire de Berry, par la
Thaumafiere ; l'Hiftoire généalogique de la Maifon
de Chateigner , par André Duchêne. Les mémoires
de Michel de Maroles , Abbé de Villeloing,
&c. Voyez les Tablettes hiftoriques , tom. iv. p.
214.
Meffire Jofeph - François de Paule de Preaulx ,
de
MARS. 1755. 193
fils de Meffire Jofeph de Preaulx , Marquis de
Preaulx , a époufé le 2 Novembre dans la ville de
Château -Gontier en Anjou , Dlle Renée-Catheri
ne - Jeanne du Tertre de Sancé.
Meffire Jean-Baptifte-François- Gabriel - Louis
de Coutaud , Marquis de Coulanges , Capitaine de
Cavalerie au Régiment de Bourbon-Buffet , fils de
feu Meffire Jean de Coutaud , Baron de Coulanges
, & de Dame Marguerite de Polaftron , fut
marié le 7 Janvier à Dile Marie- Louife - Jofeph
de Calonne de Courtebonne , fille de feu Meffire
Louis-Jacques de Calonne , Marquis de Courtebonne
, Maréchal des camps & armées de Sa Majefté
, Lieutenant de Roi de la province d'Artois
& de Dame Ifabelle - Claire -Jofeph Guillain de la
Tour- Saint- Quentin.
Meffire Jean- Baptifte du Sauzay , Marquis du
Sauzay, Rebé , Amplepuis, Saint -Jean la Buxiere ,
Rono , Jarnoffe , & autres dépendances , Colonel
d'Infanterie , Lieutenant aux Gardes Françoiſes ,
fils de Meffire Dominique du Sauzay , Chevalier
Seigneur de Jarnoffe , & autres lieux , époufa le 8
de Janvier Dile Marguerite de Blotefiere - de Vauchelle
, fille de Meffire Nicolas de Blotefiere , Marquis
de Vauchelle , Lieutenant de Roi dans la
Province de Picardie , Meftre de camp de Cavalerie.
La bénédiction nuptiale leur a été donnée dans
la Chapelle de la Bibliothèque du Roi.
Le 10 Février Meffire Jean- Baptifte du Champ
d'Affant , Chevalier , Seigneur de la Motte , &
d'autres lieux , ancien Capitaine d'Infanterie
reftant feul de fa famille , une des plus anciennes
de nom & d'armes & des mieux alliées du Comté
de Bourgogne , fut marié dans la Chapelle du
Château de Montramé en Brie , avec Dlle Rofafie-
Louife du Tillet , fille de Meffire Charles- Clau
194 MERCURE DE FRANCE.
de du Tillet , Chevalier , Seigneur du Boui-Montramé
, Chalmaiſon , Chalantre la petite , Vicomte
de la Malmaiſon , Brigadier des armées du Roi ,
ancien Aide - Major & Enfeigne des Gardes du
Corps ; & de Dame Marie- Marguerite de Cueuret
de Nefle fes pere & mere. Ces deux Familles
font connues par leur ancienneté , leurs charges
& leurs alliances.
Dame Anne - Elizabeth - Marie - Rofe Briffart ,
épouse de Meffire Henri-Charles de Thiard de
Billy , Comte de Thiard , Brigadier de cavalerie ,
& Capitaine - Lieutenant de la compagnie des
Chevau-légers Dauphins , mourut à Paris , le 4
Octobre , âgée de vingt ans.
Marie- Louife- Charlotte , légitimée de Bourbon
, épouse de Meffire Nicolas de Chaugy .
Comte de Rouffillon , Maréchal des camps & armées
du Roi , eft morte les , en la même ville
dans la cinquante- cinquième année de fon âge.
>
Le même jour eft décedée au vieux Louvre ,
Dame Marie - Roſe Teffier , épouſe de Meffire
Jean-Louis Quentin de Richebourg , Marquis
de Champcenetz.
Honoré le. Tellier , Comte de Souvré , fils de
François- Louis le Tellier , Comte de Rebenac ,
Marquis del Souvré , eft mort le 7.
Le fieur Pierre Dedelay de la Garde , l'un des
quarante Fermiers généraux de Sa Majeſté , eſt
mort le 10.
Charles-Pierre de la Chaftre , fils de Meffire
Charles-Louis de la Chaftre , Comte de Nançai ,
Brigadier des armées du Roi , eft mort le 16.
Meffire Charles- Antoine-Armand- Odet d'Aydie
, Comte de Riberac , ancien Colonel d'un
régiment d'infanterie , eft mort le 1 Novembre
MARS. 1755. 195
à fa terre de la Ville-aux-Clercs , dans la foixante
& dixième année de fon âge.
Frere Jean-François Fraguier , Chevalier de
l'Ordre de Saint Jean de Jerufalem , Comman
deur de la Commenderie de Beauvais en Gâtinois
& Titulaire du Membre de Dieu- Lamant , dépendant
du grand Prieuré de France , mourut à
Paris le 2 , âgé de foixante & treize ans.
Dame Gabrielle de Murviel , épouse de Meffire
Henri de Carion , Marquis de Nizas , Lieutenant
général des armées de Sa Majeſté , eft morte le
Novembre dans fes terres en Languedoc , âgée
de foixante & dix ans .
Meffire Michel Larcher, Maître des Requêtes,
eft mort le 10.
Meffire Jofeph Darbaud , Brigadier de cavale
rie , mourut à Paris le 14 , âgé de cinquanteneuf
ans.
Dame Marie-Anne d'Azemar, veuve de Meffire
Jerôme du Faur , Comte de Pibrac , eft morte le
14 à Toulouſe , dans fa foixante & quinziéme
année.
Meffire Henri de Carion , Marquis de Nizas ,
Lieutenant général des armées du Roi , eft mort
le is dans fes terres en Languedoc , âgé de
quatre-vingt-quatorze ans.
Jacques de Lomagne-Tarride , Vicomte titu
laire de Tarride , Seigneur de Baringue , Vicomte
d'Efcures , Baron du Mont & de Couhain , mou◄
rut dans fa quatre- vingtiéme année , le 16 Novembre
1754 , dans fon château de Simacourbe
en Bearn. Il étoit l'aîné de la Maifon des derniers
Vicomtes de Lomagne , iflus, des Comtes d'Armagnac
. Il a laiffé de Marguerite de Foix-Candale
, fa veuve , deux garçons , dont l'un eft
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Capitaine au régiment du Roi, & l'autre eft au Séminaire
de faint Sulpice,
Melfire Pierre- Gabriel-Louis le Neuf de Sourdeval
, Brigadier d'infanterie , eft mort le même
jour , dans fa cinquante -quatriéme année .
Dame Anne-Marie Rouillé , veuve de Meffire
Louis de Bernage , Confeiller d'Etat ordinaire
mourut à Paris le 21 , âgée de près de quatrevingt
& onze ans.
Rolland Puchot- Defalleurs , Comte Defalleurs,
Ambaffadeur de France à la Porte , eft mort à
Conftantinople le 23 Novembre dernier.
Meffire N ....... du Chambon , Lieutenant
général des armées du Roi , & ci-devant Major de
la compagnie des Gendarmes de la garde ordinaire
de Sa Majesté , eft mort le 1 Décembre en
fon château de Pierrefitte , près de Moulins , âgé
de quatre-vingt- quatre ans.
Meffire Jofeph Brunet de Raney , Brigadier
d'infanterie , ci-devant Commandant d'un bataillon
du régiment des Gardes- Françoifes , eft
mort le 3 , dans la foixante - huitième année de
fon âge,
Conftance - Françoife Duffon de Bonnac ,
époufe de Charles - Antoine - François - Marie ,
Marquis de Wignacourt , mourut à Paris le 7 ,
âgée de trente ans. Elle étoit petite fille de
Charles-Armand de Gontaut , Duc de Biron , Pair
& Doyen des Maréchaux de France , & foeur du
Marquis de Bonnac , Ambafladeur en Hollande .
Elle avoit été mariée le 9 Mai 1749 , dans la
chapelle de l'Evêché de Pamiers, par Henri Gaſton
de Levis , Evêque de cette ville , au Marquis de
Vignacourt , fils de Robert - Antoine , Comte
de Wignacourt , chef de toutes les branches de
Fancienne Maifon de Wignacourt , établies en
MARS. 1755. 197
Picardie , Champagne , &c. De cette Maiſon font
fortis Alof & Adrien de Wignacourt , élus Grands-
Maîtres de Malthe en 1601 & 1690. La Marquife
de Wignacourt laifle de fon mariage une fille
unique , Charlotte- Antoinette-Conftance- Louife-
Françoife de Wignacourt , née le 30 Octobre
1750.
M. Antoine Ralet de Chalet , ancien Secrétaire
du Roi , près le Parlement de Bretagne , eft mort
le 9 à Paris , âgé de cent & trois ans.
Meffire Louis le Maire , Maréchal des camps
& armées du Roi , Directeur des fortifications
d'une partie des places de Flandre & du Hainault ,
eft mort à Abbeville le 10 , âgé de quatre - vingtdix
ans. Il étoit le plus ancien Ingénieur du
royaume , & il avoit commencé à fervir en
1680 .
Dame Marie-Therefe de Mizon , épouse du
Comte de Muy , Confeiller d'Etat d'épée , Directeur
général des Oeconomats & ci-devant
fous- Gouverneur de Monfeigneur le Dauphin ,
mourut le 13 à Verſailles , dans fa foixante &
treizième année .
༈
Meffire Charles Foucault , Brigadier de cavalerie
, eftmort le 14 , âgé de foixante & dix-sept ans.
Nicolas-Jofeph- Balthazar de Langlade , Vicomte
du Chayla , Chevalier des Ordres du Roi ,
Lieutenant général des armées de Sa Majeſté ,
Directeur général de la cavalerie , Gouverneur de.
Villefranche en Rouffillon , Gouverneur , Sénéchal
& Grand Bailli du Duché de Mercoeur' , mourut
à Paris le 16 , âgé d'environ ſoixante & douze
ans.
Meffire Pierre-Maximilien Pajot de Villeperrot ,
Maréchal des camps & armées de Sa Majefté , eft
mort le 19 , en ſa ſoixante & onzième année.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Guillaume-Anne , Comte d'Albemarle , Vicomte
Bury, Baron d'Ashford , Pair de la Grande-
Bretagne , Chevalier de l'Ordre de la Jarretiere ,
premier Gentilhomme de la chambre de Sa Majefté
Britannique , & fon Ambaffadeur extraordimaire
& plénipotentiaire auprès du Roi , mourut
à Paris le 22 , âgé de cinquante-deux ans. Il
étoit Lieutenant général des armées de la Grande-
Bretagne , Colonel du ſecond régiment des Gardes
Angloifes , Gouverneur & Capitaine général
de la Virginie.
Antoine François , Comte de Chabannes , Lieutenant
général des armées du Roi , Grand- Croix
de l'Ordre royal & militaire de Saint Louis ,
Gouverneur de Verdun & du Verdunois , ci-devant
Lieutenant-Colonel du régiment des Gardes-
Françoifes , eft mort en cette Ville le 23 , dans fa
foixante-huitième année.
Dame Marie-Julie de la Jaille , épouſe d'André-
Antoine , Vicomte de Sabran , des Comtes de
Forcalquier , Mestre de camp de cavalerie , Aide-
Major de la Gendarmerie , mourut à Paris le
même jour , dans fa quarante- cinquiéme année.
Meffire Aymard- Charles de Nicolaï , fils de
Meffire Aymard-Jean de Nicolaï , premier Pré
fident de la Chambre des Comptes , & de Magdeleine-
Charlotte -Guillelmine- Léontine de Vintimille
du Luc , eft mort à Paris le 29 , âgé de
vingt ans.
René-François , Marquis du Châtelet , & de
Grandfeille , Baron de Cirey , Lieutenant général
des troupes de l'Empereur , & ci-devant Commandant
en chef dans le grand Duché de Tof.
cane , eft mort le 2 Janvier , à Blamont en Lorraine
, âgé de foixante - fept ans.
Dame Marie-Thereſe de Meſmes , veuve de
M.AR S. 1755. 199
Meffire François de la Roche , Marquis de Fontenilles
mourut à Paris le 6 Janvier âgée de
quatre-vingt-fept ans.
Dame Marie-Jeanne Frefeau de la Frefeliere
épouse de Mefire Nicolas Doublet de Perfan
Maître des Requêtes , & Intendant du commerce,
eft morte à Paris le 16 , dans fa quarante-neuviéme
année.
I.e 19 eft décedé Meffire Alexandre de Bauffan,
Maître des Requêtes , dans la vingt- huitiéme année
de fon âge.
Huguette- Gabrielle de Lufignan de Lezay ;
épouse de M. Lancelot , Comte de Turpin de Crif
fe , Brigadier de cavalerie , mourut le 25 , âgée
de vingt-cinq ans.
Thomas Caraccioli , Napolitain , le plus ancien
Lieutenant général des armées du Roi , eft
mort le 26 , dans fa cent & troifiéme année. Le
Marquis de Caraccioli étoit de l'illuftre Maifon
de ce nom. Il avoit été Gouverneur de Briançon ,
& Commandant des villes de Mezieres , de Charleville
, & de Sedan
Anne le Roux veuve en fecondes nôces de
Jean Druart , eft morte le 16 Octobre , à Paris ,
fur la paroiffe de faint Severin , âgée de près de
cent-vingt ans. Elle étoit née à Dormont , dans
le Diocèle d'Evreux , & elle avoit douze ans lorfqu'en
1646 ce hameau fut confumé par un incendie.
La nommée Marie Blanchard , veuve de ' Jean
Manfeau , eft morte le 30 Octobre dernier , au
château de Champs - Cremainville , paroiffe de
Melleray , Diocèfè de Chartres , âgée de [centtrois
ans neuf mois , n'ayant aucune des infirmités
de la vieilleffe ; elle voyoit & entendoit trèsbien
, & elle marchoit fans bâton. Dans le mois
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
d'Octobre de l'année derniere elle alla à une
petite ville du Perche , diftante de trois lieues de
Champs , & elle en revint le même jour fur une
charrette chargée de meubles , où elle étoit d'autant
moins à fon aife , que le tems étoit très-froid
& très- pluvieux.
CAZ
MARS. 1755 201
AVIS IMPORTANT.
ENTREPRISE DE TERRIERS ,
Par une méthode fûre , claire , & intelligible,
même pour l'arrangement des titres ;
ouvrage important à faire executer par
tous les Seigneurs.
A perfonne fera indiquée par M. Le Jay le
>
de la rue Thevenot , à Paris.
AUTRE.
E fieur Baradelle , Ingénieur du Roi pour les
?
Public que depuis la découverte des aimans factices
il s'eft appliqué à leur conftruction , & qu'a
près plufieurs effais faits fous les yeux de trèshabiles
Phyficiens , il eft enfin parvenu à la porter
à un haut dégré de perfection.
Tout le monde fçait que les aimans factices
font préférables aux aimans naturels , qu'ils font
beaucoup plus forts , à groffeur égale ; qu'on augmente
cette force tant qu'on veut , & que les aiguilles
de bouffole touchées avec ces aimans ,
confervent plus long- tems leur vertu directrice .
Un autre avantage bien précieux , c'eft la commodité
d'avoir toujours un aiman parfait , au lieu
que c'eft un phénomene très-rare qu'un aiman
naturel fans défaut. En effet , pour qu'il foit tel ,
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
il faut que dans la taille on ait fuivi avec une
attention fcrupuleufe , la direction naturelle de
fes poles : ce qui ne peut fe faire que par des
expériences réitérées. Outre cela , on n'eſt point
maître de conferver la groffeur d'un aiman naturel
, à caufe des parties terreftres ou métalliques
qui s'y rencontrent quelquefois , & qui font la
fource de mille dégats dans la pierre lorſqu'on
la taille ; auffi les meilleurs aimans naturels ne
portent gueres que 25 ou 30 livres .
La force des aimans factices eft bien autrement
confidérable. Un de ces aimans , vendu à feu M.
d'Ons-en- Bray , n'ayant que fix pouces de longueur
, levoit dix-huit livres . Un fecond , deſtiné
pour le Grand Chambellan du Roi de Suede , de
trois pouces fix lignes de longueur , levoit cependant
douze livres neufonces.
On juge par ces deux exemples qu'on conftruit
des aimans factices de la groffeur que l'on veut.
Le fieur Baradelle en conftruit qui levent depuis
une livre jufqu'à cent livres . Son adreffe eft quai
de l'Horloge du Palais , à l'enſeigne de l'Obfervasoire.
N. B. Il avertit auffi qu'il a conftruit des Oc
tans de M. Saverien , de differens prix.
AUTRE:
E fieur Chervain , Marchand Négociant &
Lfabriquant à Paris ,donne avis au public
"
qu'il y a quelques années , qu'ayant voulu fe faire
connoître , il répandit une nouvelle façon de tabatieres
rondes à la Portugaife , qui furpafloit par
fon odeur & fa beauté , celles de bergamotte ;
mais depuis , ayant fait de nouvelles recherches
& par des expériences chymiques & prouvées , il
MARS 1755- 203
J
a trouvé le fecret de faire des tabatieres quarrées à
charniere , d'une odeur très-agréable qui ne fe
perd jamais ; elles font des plus jolies , elles portent
chacune fur leur couvercle , des fleurs , figures
& deviſes : on en trouve chez lui fans odeur. Il
continue de vendre des tabatieres à la Portugaife.
Il a chez lui toutes fortes de petits paftillages
de plus de trente façons , des mieux compofés ,
ou petites dragées , pour remplir les boîtes qu'il
vend. Il demeure rue Montmartre , au coin de la .
rue duJour , entre le Mercier le Perruquier ;fon
tableau eft au-deffus de la porte cochere.
AUTR E.
E fieur Houdemart , Apoticaire-Droguifte or
dinaire du Roi , demeurant à Paris , rue Bourgl'Abbé,
en face de l'Hôtel royal , dans une grande
maison neuve , donne avis au public qu'il continue
de diftribuer l'Esprit Catelemit , qui a la vertu de
préferver de toutes maladies contagieufes , comme
le charbon , le fcorbut , la petite vérole , fiévres
malignes Pufage en eft très-facile & agréable ;
il donne des imprimés inftructifs à ce fujer.
:
Il guérit les maladies fecrettes fans garder la
chambre , par une méthode approuvée de M M.
les Médecins ; de même les dartres vives , farineufes
, toutes maladies affujetties à la peau , fans
crainte de faire repercurfer les humeurs dans la
maffe du fang.
Ledit Sieur continue toujours fon balfamique
fi connu pour les maladies de poitrine , comme
toux invétérées , crachement de fang , inflammation
, l'afthme naiffant , de même que le lait
répandu chez les femmes; & l'on trouve chez
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
l'auteur des mémoires raifonnés de ce qu'il an
ponce , de même que tout ce qu'il y a de plus.
tare dans la pratique de fon état.
AUTRE.
E public eft averti que le fieur Angot , reçu
rurgiens Jurés de la ville de Verſailles , expert
pour la fabrique de toutes fortes de bandages pour
la guérifon d'efforts & de defcentes , en fait à
refforts & fans liens de fer , qui rempliffent exactement
l'objet qu'on fe propofe , de retenir dans.
leurs lieux naturels les parties qui font forties , ou
qui tendent à fe déplacer ; ce qui eft prouvé par
les certificats & approbations de M. de La Martiniere
, premier Chirurgien du Roi ; de M. Defport
, premier Chirurgien de la Reine , & de
tous Meffieurs les Chirurgiens de ladite ville.
Il fait des refforts pour les perfonnes âgées
qui ne peuvent retenir leurs urines , & des bottines
à écrou pour les enfans qui ont de la difpo
fition à porter leurs jambes dans une mauvaiſe
attitude.
Il fait des fufpenfoirs à l'ufage des perfonnes
qui montent à cheval ou qui font des armes , pour
prévenir les accidens ordinaires dans ces occa-
Lions.
Ses bandages ne manquent jamais , & fe porfent
en tout tems fans être incommodes , &
fans fe déranger par les plus violens exercices.
Il fait des bandages pour les fiftules lachryma
les ; il continue auffi l'application. des bandages ...
de fer dans le cas où ils conviennent & des
bandages élastiques pour ceux qui y font attachés.
MARS. 1755. 205
Comme les bandages en général demandent à
être autant diverfifiés que les defcentes le font
elles-mêmes , les perfonnes qui lui feront l'honneur
de lui écrire , auront foin de lui marquer la
nature & la fituation de la defcente , & de quel
côté et la plus groffe , s'il y en a deux , fans oublier
le détail de la feconde , & lui enverront- desmeſures
juftes.
Son adreffe eft à M. Angor , Bandagiſte , rue de
FOrangerie , près la porte des Coches , dans la mai-
Jon de Mme Spérat.
Il prie les perfonnes qui lui écriront de province
, d'affranchir leurs lettres.
AUTRE.
E fieur Cuenotte , Chirurgien- major d'Artild'un
baume fpécifique pour toutes les douleurs
de rhumatifme & de goutte fciatique . Il arrive
très-fouvent qu'au bout de trois heures dès la
premiere application , qui agit par tranfpiration
fur la partie douloureufe , on eft foulagé de plus
de la moitié , & qu'à la feconde on ne reffent
plus de douleurs. Les anciens rhumatifmes exigent
quelquefois plus de deux applications , & l'on
s'y déterminera aifément par le foulagement qu'on
aura déja éprouvé. Le fieur Cuenotte peut encore
affurer qu'il a appliqué avec fuccès ledit baume
fur des dépôts goutteux ; que par ce remede les
de goutte font moins douloureuſes , &
qu'elles ne durent pas fi long-tems ; il a même
obfervé que les perfonnes qui s'en font fervies
ont eu des attaques plus rares & moins aiguës,
attaques
206 MERCURE DE FRANCE.
On peut confulter M. de Gervafi , Médecin , Infpecteur
général des Hôpitaux militaires d'Alface ,
qui ne refufera pas de certifier ledit expoſé ; mais
il faut avoir foin d'affranchir les lettres qu'on lui
écrira à ce sujet.
•
AUTR E.
MP'utilité dupublic une pommade de fa com
pofition , qui foulage dans l'inftant & guérit radicalement
les hémorroïdes , de quelque nature ,
qu'elles puiffent être , les internes comme les externes
, & même les plus invétérées , les ulceres
& les fiftuleuſes ; elle ne craint point de trop avancer.
Cette pommade eft fi connue , qu'elle n'a pas
befoin de recommendation , l'épreuve en a été
faite à l'Hôtel royal des Invalides par ordre de
feu M. de Breteuil , Miniſtre d'Etat . M. Morand ,
Chirurgien , lui a expédié fon certificat ; & M.
Peyrard , Maître Chirurgien & Accoucheur de la
Reine , lui a délivré un pareil certificat , de mê
me que M. le Suire & autres perfonnes de diftinction
, après en avoir fait l'épreuve eux – mêmes.
Cette pommade ne peut produire aucun mauvais
effet. Ceux qui craignent , par un préjugé mal fon.
dé , de fe faire guérir radicalement , pourront en
ufer feulement pour fe foulager dans leurs fouf
frances. Après de telles preuves nous ne devons
point craindre d'affurer le public qu'il n'eft point
de remede plus für & plus efficace pour en opérer
la guérifon. Elle avertit le public qu'il n'y a qu'elle
feule qui débite fa pommade ; fon nom & la
valeur de chaque pot font écrits deffus, de ſa main.
Ademoiſelle Collet continue de vendre pour
MAR S. 1755. 207
Cette pommade fe garde autant de tems que
l'on veut , & fe peut tranfporter par- tout , pourvu
qu'on ait foin de la garantir de la chaleur &
du feu.
Les moindres pots font de 3 , 6 , 12 , 18 & 20
livres , & de tous les prix que l'on fouhaitera : on
donnera la façon de s'en fervir. Les perfonnes
étrangeres qui voudront en faire ufage , auront la
bonté d'affranchir les lettres.
Mlle Collet demeure à préfent rue de la Croix
des petits Champs , vis- à-vis la petite porte S. Honoré,
dans la maifon de M. Jolivet, Marchand P
petier , à l'enfeigne de l'Espérance.
LE
AUTRE.
E fieur Boudin , Ferblantier , rue de la Tailles
rie , à Beauvais , donne avis au public qu'il
excelle dans la façon des cierges & flambeaux à
reffort , qu'il fabrique depuis plufieurs années. Il
en peut donner des preuves par les envois qu'il à
faits dans toutes les Eglifes du Beauvoifis , Picardie
, Normandie , Ifle de France , Champagne
Lorraine , & autres lieux. Il décore les cierges
pafchals , tels qu'on les lui demande ; il les couvre
d'une belle peinture , femblable à la cire , &
qui ne s'écaille jamais. Il les envoie prêts à s'en
fervir , fournis de bougies parfaites , avec des filieres
de cuivre pour l'ufage defdits cierges ; il
les garantit en tout , & les vend à jufte prix . Il a
trouvé une nouvelle façon de faire cuire , fans
charbon , fans bois & fans eau , un poulet & autres
viandes dans la poche , à cheval , ou en voi
208 MERCURE DE FRANCE.
*
ture , très-commode pour les Officiers de guerre
chaffeurs & voyageurs . Il a eu l'honneur de préfenter
la premiere à M. le Duc de Gêvres au mois
de Janvier de l'année 1753. Il a encore inventé
une nouvelle façon de lanternes à reffort
pour les Cavaliers & Voituriers qui marchent la
nuit. On les place fur le devant de la felle en forme
de pistolet , ou contre les attelles du collier
d'un cheval de voiture ; une autre montée fur
une cuirafle , un cavalier la portant derriere lui ,
éclaire ceux qui le ſuivent on trouvera le tout
à jufte prix. Ceux qui fouhaiteront de lui faire
P'honneur de lui commander de l'ouvrage , n'au
ront qu'à lui écrire ; il eft très-accommodant .
La
AUTR E.
A veuve du fieur Bunon , Dentiſte des Enfans
de France, donne avis qu'elle débite journelle.
ment chez elle , rue de faint Avoye , au coin de
la rue de Braque , chez Mr. Georget fon frere ,
Chirurgien , les remedes de feu fon mari , dont
elle a feule la compofition , & qu'elle a toujours
préparés elle-même. Scavoir ,
1º. Un élixir anti-fcorbutique , qui affermit
les dents , diffipe le gonflement & l'inflammation
des gencives , les fortifie , les fait recroître ,
diffipe & prévient toutes les afflictions fcorbuti
ques , & appaife la douleur de dents.
י
2. Une eau appellée fouveraine , qui affermit
auffi les dents , rétablit les gencives , en diffipe
toutes tumeurs , chancres & boutons qui vienment
auffi à la langue , à l'intérieur des lévres &
des joues , en fe rinçant la bouche de quelques
MARS. 1755 209
gouttes dans de l'eau tous les jours , & elle la
rend fraîche & fans odeurs , & en éloigne les
corruptions ; elle calme la douleur des dents .
3º. Un opiate pour affermir & blanchir les
dents , diffiper le fang épais & groffier des gencives
, qui les rend tendres & molaffes , & caufe
de l'odeur à la bouche.
"
4°. Une poudre de corail pour blanchir les
dents , & les entretenir ; elle empêche que le
limon fe forme en tartre & qu'il ne corrompe
les gencives , & elle les conferve fermes & bonnes
, de forte qu'elle peut fuffire pour les perfonnes
qui ont foin de leurs dents , fans qu'il
foit néceffaire de les faire nettoyer. Les plus
petites bouteilles d'élixir font d'une livre dis
fols.
Les plus petites bouteilles d'eau fouveraine
font d'une livre quatre fols , mais plus grandes
que celles de l'élixir.
Les pots d'opiate , les petits , font d'une livre
dix fols.
Les boetes de poudre de corail font d'une livre
quatre fols.
AUTRE.
Ous croyons devoir annoncer comme un
le public ,que Ma
dame Thomin eft continuée dans l'exercice du privilege
dont jouiffoit fon mari , d'Ingénieur en
optique de la Reine. Elle foutient le commerce
de lunettes , conferves , biloupes , télescopes
microſcopes , & de tout ce qui dépend de l'optique.
Elle travaille comme elle faifoit fous la di
210 MERCURE DE FRANCE.
rection de M. Thomin , à tous les ouvrages de
cet art , dont on peut voir le détail dans le
Traité d'optique méchanique , imprimé à Paris en
1749 , chez Jean-Baptifte Coignard & Antoine
Boudet , rue S. Jacques , à la Bible d'or. On trou
ve chez elle une espece de biloupe , qui a un double
verre , dont l'ufage eft extrêmement utile pour
déchiffrer aisément les vieilles écritures , & qui
fert beaucoup à la Botanique , en ce qu'elle groffit
& diftingue les objets. Cette biloupe eft de l'invention
de M. Thomin , qui en a laiffé le ſecret
à fa veuve. Il a pefectionné une forte de microfcope
à la main , qui eft porté fur une tige particuliere
& facile à tenir. Au haut de la tige eft
une bourfette dans laquelle eft renfermé un miroir
d'argent qui fait la réflexion du microſcope
univerfel , par le moyen de deux ou trois lentilles
de rechange , dont le propre eft de groffir plus
ou moins , felon le foyer qu'on leur donne , les
plus petits objets. A un des bouts de cette tige eft
une pointe d'acier recourbée , qui fert à recevoir
les quatre petites dames blanches ou noires , fur
lefquelles on met les objets qui ne font point
tranfparens , comme le fable , la poudre , l'étoffe,
&c. L'on déville cette pointe d'acier , & l'on vifle
en fa place un porte-liqueur , qui d'un côté eft
garni d'une glacé pour contenir les liqueurs fuides
, & de l'autre d'une petite plaque de cuivre
pour contenir les plus épaifles que l'on veut
confiderer le tout renfermé dans une petite boîte
faite exprès. Mme Thomin travaille elle - même
tous les ouvrages , avec un habile artiſte & trèsadroit
, que M. Thomin lui-même a inftruit fur
routes fes connoiffances pendant plufieurs années,
MARS 1755. 211
ERRATA.
ARTICLE premier , page premiere , ligne
premiere : Vers pour mettre au- deffous du
portrait de M. de Seychelles , Contrôleur
Général , &c. lifez , Vers pour être mis au
bas du portrait de M. de Seychelles , Contrôleur
Général , Miniftre & Secrétaire
d'Etat.
Page 7 , lig. 5 , métamorphofe ; lif. mẻ-
taphore.
Page 12 , lig. 20 , l'amour qu'elle m'avoit
infpirée ; lif. infpiré.
Page 50 , lig. 16 & 17 , fous leurs
mains , fertile. lif, fous leurs mains fertiles.
Page 125 , lig. 12 , quoique je n'eus ;
lif. quoique je n'euffe .
Pag. 163 , lig. 24 , prévention ; lif. prétention.
Addition à cet Errata.
Page 35 , à la note où l'Année Littéraire
eft exceptée de la multitude des feuilles
qui corrompent le goût ; ajoutez , Par ce
mot , feuilles , je dois encore avertir que
je n'entens point les Annonces & les affiches
qui paroiffent deux fois la femaine ;
elles n'ont rien a démêler avec le faux bel
112 MERCURE DE FRANCE.
efprit , & je fuis trop bon citoyen pour
les confondre avec toutes ces petites brochures
du jour , qui font le poiſon de la
littérature. Comme celles - ci ne donnent
que de fauffes lumieres ou des demi- notions
, elles ne peuvent fervir qu'à augmenter
le nombre des faux connoiffeurs ,
& qu'à groffir la lifte des mauvais écrivains
; au lieu que les autres annoncent
aux particuliers la vente des terres , des
maifons , des meubles qui font à leur ufage
, leur indiquent les appartemens qui
font à louer , les inftruifent des effets perdus
ou retrouvés , & deviennent par là
très-utiles au Public. Cette diftinction formelle
ôte toute équivoque , & ne doit
laiffer aucun foupçon de critique aux yeux
des perfonnes intéreffées : je les eftime trop
pour rien inférer qui puiffe leur nuire ou les
defobliger. J'écris ceci fur les plaintes qui
me font revenues de leur part , & je les prie
d'en croire mon aveu préférablement aux
faux rapports qu'on peut leur faire.
213
APPROBATION.
" Ai lû , par ordre de Monfeigneur le Chancetrouvé
qui puiffe en empêcher l'impreffion . A Paris
ce premier Mars 1755.
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIE R.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
VErs pour être mis au bas du portrait de M.
de Seychelles , Contrôleur Général , Miniftre
& Secrétaire d'Etat
A Madame la M. de S....
Madrigal ,
L'origine des Eventails , à Mlle....
A Mademoiſelle D. L. R.
page s
ibid.
7
27
30
Portraits des quatre premiers Peintres d'Italie
Doutes fur l'exiſtence d'un Public ,
32 La Nobleffe de l'Ecole Militaire , à M. du Verney
,
Mots de l'Enigme & du Logogryphe du Mercure
de Février ,
Eeigmes & Logogryphes ,
Vaudeville de table ,
41
43
44
47
214
ARTICLE SECOND
NOUVELLES LITTERAIRES.
'Séance publique de l'Académie de Montauban ,
Extraits , Précis ou Indications des Livres nou
veaux , 63
ARTICLE TROISIEME.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES. \
Hiftoire.
Réponſe du fieur Vojeu de Brunem aux obferva
tions du P. Laugier , fur la nouvelle Hiſtoire
de la conquête de la Chine ,
*Lettre de M. le P. H. à M. l'Abbé V.
91
109
Généalogie.
Mémoire critique ,
Chirurgie.
115
Progrès du Lithotome caché pour la taille , 123
Séances particulieres de la Société Littéraire de
Châlons , 127
ARTICLE QUATRIE ME,
BEAUX- ARTS.
Peinture.
Avis de M. Boucher , Peintre du Roi , 145
Lettre à M. *** fur la Peinture encauſtique , 145
215
Gravure.
Avis de M. Surrugue ,
Muſique.
852
Méthode plus facile que l'ancienne pour l'ac
compagnement du clavecin , par M. Dubugrarre
, Organiſte de S. Sauveur ,
Horlogerie.
154
Nouveaux cadrans de pendules , imitant l'émail
156
ARTICLE CINQUIEM E.
SPECTACLES.
Opéra , 159
Comédie Françoife ,
ibid.
Comédie Italienne , 161
Opéra Comique ,
162
Concert Spirituel , 164
ARTICLE SIXIEM E.
NOUVELLES
ÉTRANGERES.
De Conftantinople , &c. 165
Journal de France.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c .
Remarques fur la Lotterie de Bruxelles ;
Naiflance , Mariages & Morts ,
Avis divers ,
Errata ,
La Chanfon notée doit regarder la page 47.
De l'Imprimerie de Ch . A. JOMBERT.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères